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1753, 10-11, 12, vol. 1-2
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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
OCTOBRE.
LIGITUT
1753 .
SPARGATS
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT , Quai de Conty , à la
defcente du Pont-Neuf.
DUCHESNE , rue Saint Jacques,
au Temple du Goût.
M. DCC. LIII.
Avec Approbation & Privilége du Roi .
THE NEW YOR
UBLIC LIBRARY
AVIS.
ASTOR , LENO ADRESSE du Mercure eft à M. MERIEN
TILDEN' FOUN ATs au Mercure , rue des Foffez S. Germain
Auxerrois , au coin de celle de l'Arbre-ſec , pour remettre
à M. l'Abbé Raynal.
1905
Nous prions très-inftamment ceux qui nous adreſſeront
des Paquets par la Pofte , d'en affranchir le port ,
pour nous épargner le déplaifir de les rebuter , ¿ à eux
celui de ne pas voir paroître leurs Ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays Etrangers ;
quisouhaiteront avoir le Mercure de France de la premiere
main, plus promptement , n'auront qu'à
écrire à l'adreffe ci- deffus indiquée.
On l'envoye auffi par la Pofte, aux personnes de Province
qui le defirent , les frais de la pofte ne font pas
confiderables.
On avertit auffi que ceux qui voudront qu'on leporte
chez eux à Paris chaque mois , w'ont qu'à fairefçavoir
leurs intentions ,leur nom & leur demeure audit fieur
Merien,Commis au Mercure; on leurportera le Mercur
près - exactement , moyennant 11 livres par an , qu'il
payerons ,fçavoir , 10 liv, 10f. en recevant le second
volume de Juin , & 10 l. 10 f. en recevant le fecond
volume de Décembre. On les fupplie inftamment de
donner leurs ordres pour que ces payemens ſoient faits
dans leur tems.
On prie auffi les perfonnes de Province , à qui on
envoye be Mercure par la Pofte , d'étre exactes à faire
payer au Bureau du Mercure à la fin de chaque femefsre
, fans cela on ferois hors d'état de foutenir les
avances confidérables qu'exige l'impreffion de coo
Onurage.
On adreffe lamême priereaux Libraires de Province .
On trouvera le fieur Merien chez lui , les mercr
vendredi & famedi de chaque semaine,
PRIX XXX. SOLS.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
OCTOBRE
. 1753-
PIECES FUGITIVES,
en Vers & en Profe.
VERS
Pour Mile B **. de Tours , par L. Dutens
de Tours.
A Rrete,od porte-tu tes pas ?
Divin Soleil , arrête , & borne à nos climats
Une infructueuse carriere ;
Ce monde , à qui tu cours difpenfer ta lumiere ;
Ne peut jamais t'offrir d'auffi charmans appas ,
Que t'en offrent les yeux de l'aimable Glycère.
Des Sçavans de l'antiquité ,
A ij
4 MERCURE DE FRANCE.
Rien ne me prouve mieux l'ignorance profonde
Que le fyftême faux qu'ils nous ont débité
Sur ta marche conftante autour de notre monde :
S'il étoit vrai , Glycère eût changé cette loi ;
Ses regards enchanteurs , qui peuvent tant fur moi
Auroient bientôt fixé ta courfe vagabonde ,
Si la terre en fuyant ne l'éloignoit de toi.
VERS A UN MENTEUR ,
Par le même.
LEs larmes d'une Courtilanne ,
Les careffes d'un favori ,
Le chagrin d'une veuve en deuil de fon mari ,
D'un Normand adroit qui chicane ,
Les détours & les fauffetés
Sont près de tes diſcours autant de vérités .
Ne perfonne très -aimable & très- aimée
, à qui j'ai fucceffivement fait
préfent d'une Fauvette & d'un Serin , qui
font morts tous deux , m'envoya ces jours
paffés les vers fuivans , qu'elle intitule
Epitaphe de fon Serin & de fa Fauvette.
Cy gît auprès d'une Fauvette ,
Un Serin dont l'Amour fit choix ,
Pour être près de moi fon fidéle interprête.
Que l'Amour cherche une autre voix ;
OCTOBRE. 1755 .
5.
C'est le fecond que je regrette ,
Je n'en regretterai pas trois.
Par Mlle L***.
Je lui ai répondu par les quatre vers
fuivans .
RÉPONSE.
L'Amour fe rend à vos defirs ;
De mon attachement extrême
Ecoutez les tranſports , mon ardeur , mes foupirs ,
C'eft l'Amour qui parle lui -même.
Le 29 Mai 1753.
Bidault.
REFLEXIONS fur l'utilité des Compagnies
Littéraires , à l'occafion d'un Dif
cours lu dans la Société Royale de Nancy ,
rendu public au mois de Mars dernier. Par
M. Roupnel de Chenilly , Avocat.
Thonneur dans les Etats policés , doi-
Outes les Profeffions qui font en
vent leursprincipes à des vérítés primitives
qui en paroiffent comme indépendantes
,
qui étant ignorées en retardent les progrès,
& une fois apperçues , les conduisent
à leur perfection : plus ces principes élémentaires
font fimples , plus ils font difficiles
à faifir , ils demandent tout l'effort
A iij
MERCURE DE FRANCE.
des grands génies. Les Compagnies defti
nées à régler les premiers tems de la jeuneffe
, rendent des fervices importans au
public ; mais l'âge tendre eft trop foible
pour l'abstraction des raifonnemens , &
dès qu'on a quitté l'ombre de l'école , les
objets frivoles s'emparent de l'efprit & du
coeur. Comment donc maintenir le goût
du vrai & du beau pour en faire d'utiles
applications ? Par des Bibliothèques qui
renferment d'excellentes productions. Ces
dépouilles du monde littéraire ne peuvent
fervir , qu'autant qu'on fçait profiter de
leurs richeffes.
Il n'y a que ces Compagnies d'hommes
fçavans , réunis en differens corps de fociété
dans les mêmes vûes & dans les mêmes
intérêts , quoiqu'ils ne tiennent pas
la même route , qui puiffent faire efpérer
d'auffi précieux avantages.
Elles s'occupent à puifer dans leur fource
les plus heureufes découvertes ; utiles
dans leurs recherches , elles ne le font pas
moins par l'émulation qu'elles excitent ,
elles tournent la jeuneffe vers le folide ,
& fe remplacent par des fucceffeurs qu'elles
ont pris foin de former ; c'eſt ainfi
qu'on peut perfectionner de plus en plus
par la théorie , ce que la pratique enfeigne
pour communiquer à tous les états impor
OCTOBRE. 1753: 7
tans un effor avantageux au bien commun.
Je ne puis donner une idée de ce que
font ces compagnies , par rapport au gouvernement
, qu'en faifant connoître les
objets de leurs travaux , leur maniere de les
approfondir , les fervices qu'elles rendent
à la jeuneffe , dans un tems où elle a un
befoin preffant d'être dirigée ; d'où je dois
établir par conféquent la liaiſon qui eft
entre leurs fuccès & la gloire des emplois
les plus férieux . Tel eft en effet le plan de
mes réflexions.
Les differens phénoménes de la nature ,
les Sciences mathématiques , l'étude des
Langues , l'Hiftoire , la Poëfie , l'Eloquence
, en un mot les genres de Littérature ,
font foumis à la recherche & à l'examen de
ces hommes célébres. Il faudroit être un
Peintre parfait pour expofer fous des couleurs
également vives & reffemblantes , la
beauté , la nobleſſe , la dignité des maté
riaux qui font dans leurs mains , les queftions
fameufes qu'ils font naître , fi cette
entrepriſe feroit redoutable au plus grand
Maître je vais fubftituer une efquiffe au
tableau , quoique je laiffe à defirer de la
force ou de la délicateffe , j'aurai tenté de
m'acquitter de l'amour que j'ai pour les
Sciences & les Beaux Arts qui découlent de
l'amour focial A iiij
8 MERCURE DEFRANCE.
J'entre d'abord dans un détail qui a rap
port aux differentes claffes de la Philofophie
; mais j'évite , autant que je puis , ces
termes mystérieux qui défendent l'entrée
de fon fanctuaire , parce que j'écris pour
être à la portée de toutes perfonnes qui
penfent.
La terre , les plantes qu'elle produir ,
les dépôts qu'elle récele dans fon fein , les
élemens qui l'animent , leSoleil , le Ciel ,
les Aftres , les animaux , l'homme , la divinité
même , quelle carriere pour un génie
élevé !
La terre qui nous paroît fi groffiere , &
qu'on foule aux pieds , ne manque point
aux hommes ; mille générations ont paffé
dans fon fein , & fa fécondité n'eft point
épuifée ; toutes les plantes ont un terme
affigné pour leur durée , mais elles tombent
en diffolution pour vivre d'une vie
nouvelle , où elles font en mourant le foutien
d'autres plantes dont elles font fuccédées
: placées dans leur lieu , elles forment
un ordre fymétrique qui n'échape point
au fpectateur attentif ; les fleurs récréent
la vûe , fatent l'odorat ; les fruits raſſaſient
le goût , ou calment une foif importune ;
des fimples falutaires précautionnent contre
les langueurs , confervent ou rendent
la fanté , tandis que croiffent ailleurs des
OCTOBRE. 1753.
poifons ennemis , des fucs meurtriers
rien n'a été fait envain ; mais quel rapport
fi délicat entre ces végétatifs ! quelle difference
de principes fondus & mêlangés !
quelle dépendance du terroir ! combien de
propriétés encore inconnues !
Fouillons dans le fein de la terre , on découvre
le régne des minéraux , qui de nos
jours ont été convertis à des ufages fi uti
les , ces métaux dont quelques-uns femblent
mettre tant de difference parmi les
hommes , & en mettent une plus fenfible
parmi les moeurs & le caractere des Nations.
De quelle exactitude n'a- t'on pas
également befoin dans les analyfes ? quelle
activité , quelle profondeur , quelle modération
n'exigent pas les fuccès !
Le liquide élement qui environne la terre
& l'arrofe comme un jardin , fe produit
fous mille formes pour le fervice de l'homme
: tantôt unie comme une glace , l'eau
procure l'abondance dans les campagnes ;
tantôt elle fouleve fes flots pour transporter
les plus lourdes machines dans les lieux
voifins , & puis elle les abaiffe : fi on la
confidére dans le vafte Océan , elle eſt le
lieu de l'un & de l'autre monde ; foumife
à notre induftrie , elle eft retenue dans
d'immenfes réfervoirs , où elle s'élance
avec effort du dédale de mile canaux ,
A v
TO MERCURE DE FRANCE .
ouvrage de l'art ; fufpendue au-deffus de
nous , elle le répand dans un pays en des
pluyes abondantes , & dans un autre en
de fertiles rofées , mais quelquefois des
plantes languiffantes de féchereffe fur leurs
tiges , où n'aguéres des hommes timides
fe croyoient deftinés à périr par un nouveau
déluge. D'où proviennent tant de
fources bienfaifantes è qui caufe leur afféchement
? comment un élément fans confiftance
entraîne- t'il des poids immenfes ?
comment l'affujettir à un efclavage réglé
comment élevé fur nos têtes fe diftille- t'il
fi à propos ? fur quoi les vagues mugiffantes
fe brifent- elles contre un grain de fable
, ou fe tournent- elles du côté oppofé
au rivage ?
Quel eft ce corps qui tranfmet la lumiere
, qui frappe les yeux , qui me ferr
de véhicule , qui , tantôt plus fubtil, tan
tôt plus pefant , paroît fi different de luimême
, qui fe renouvelle pour moi dans le
lieu que j'habite , de forte qu'on croiroit
qu'il change à fon gré la face du Ciel ? Je
ne puis méconnoître l'air , mais je recherche
fes propriétés ; comment tempere - t'il
la lumiere pour l'accommoder à ma foibleffe
comment puis - je vivre au milieu
de ce fluide , qui pénétré des corps
hétérogenes , fe charge du parfum des
OCTOBRE. 1753. F1
Beurs & des principes tranchans de l'aconit
ou de la pefte ? quelle foule de quef
tions fur fon poids , fes variétés , fes altérations
!
Mais j'apperçois un météore enflâmé
prêt à tout détruire , fans doute le feu rompant
fon étroite prifon vient d'opérer ce
prodige ; s'il produit fouvent les plus
grands maux par fes éruptions & fes explofions
fubites , lui feul eit , à proprement
parler , le pere & le nourricier de ce qui
exifte ; il confume ce qui eft impur dans
les germes , & anime le principe vital engourdi
; il concourt aux plus grandes entrepriſes
de l'homme,, il détruit les villes ,
il gagne les batailles , il peut auffi égayer
les charmes d'une fête ordonnée par L'a
mour ou par la reconnoiffance. Comment
refte-t'il dans l'inaction au fein de la terre,
ou déploye- t'il tant d'activité ou de refforts
? par quel art l'homme en fufpend- ik
l'effet , ou le force- t'il d'obéir à une deftination
qu'il lui marque ?
L'aurore m'avertit de la préfence du So
leil , la préfence de cet Altre excite mes
réflexions , c'est lui qui éveille les puiffan
ces productrices de la nature , il régle la
durée des jours & des nuits , & le cours
conftamment alternatif des faifons :
par
court-il en conquérant les lieux qu'il étai
Avj
12 MERCURE DE FRANCE.
re , ou tel qu'un Monarque paisible , eſt - il
placé au centre de l'univers ? s'il roule autour
des globes qu'il rencontre fur fon
paffage , pourquoi ne les embrafe t'il pas ?
& par quel charme eft il retenu dans des
limites dont il ne s'écarte jamais ? mais s'il
eft immobile , qui foutient la marche non
interrompue de ces corps qui font fi durs
Cependant il ceffe déja de luire fur notre
hémisphère , le Ciel m'invite par une
harmonie de couleurs qui m'enchantent
la douceur & la vivacité des nuances qui
fe multiplient , femble fe confondre pour
m'offrir les plus beaux accidens de lumicre
; quel fonds pour perfectionner l'Art
du Pinceau ! mais quelle matiere aux réflexions
des grands hommes qui doivent
des principes aux Arts !
Bientôt un nouveau flambeau brille d'un
éclat emprunté & difpenfe un feu fombre,
mais doux & bienfaifant. Comment reçoit-
il cet éclat qu'il me rend ? Une multitude
d'autres flambeaux , dont la clarté
ne paroît pas moins variée à l'oeil que la
grandeur forme une nouvelle décoration :
quel eft en effet leur rapport , leur diflance
, leur fin pourquoi brillent - ils ? ne
brillent- ils que pour nous éclairent- ils
des mondes fans nombre ?
Quand je reviens à la terre , quelle graOCTOBRE.
1753. 13
dation d'êtres depuis l'homme jufqu'au
néant ? la diverfité du plumage dans les oifeaux
, l'harmonie de leur chant , la force
ou la foupleffe parmi les hôtes des bois ,
l'étonnante fécondité dans le peuple muet
des ondes , l'art avec lequel les reptiles
graviffent , ferrent , embraffent ; la beauté
des aîles dorées des infectes , les métamorphofes
des vers à foye , ce fpectacle eft
bien digne d'attirer l'homme de génie ;
quel méchanifme dans la conftruction des
membres de ces êtres differens ? l'ordre de
leur police eft admirable . Qui a appris à
l'abeille ou à la fourmi leur gourverne.
ment ? qui régle les phalanges des oiſeaux
de paffage ? quelle induftrie dans les périls ?
voyez les évolutions du reptile. Eft- ce la
raiſon , eft- ce l'instinct qui dirige les animaux
? ne jouiffent- ils point d'une faculté
moyenne entre l'Ange & l'homme ? ou ,
ce qui eft un objet plus intéreflant de notre
curiofité , de quel ufage font - ils par
rapport à nous ? julqu'à quel point peuvent
ils nous fervir ou nous nuire ?
L'homme m'offre une ftature qui correfpond
à l'utilité & aux befoins de fon
efpéce ; fes traits font nobles , hardis , proportionnés
, tous les membres font difpofés
de maniere à fe fecourir mutuellement
fitôt qu'ils font avertis par les efprits qui
14 MERCURE DE FRANCE.
partent du cerveau ; la plupart des organes
ne contribuent pas moins à la beauté de
l'ouvrage qu'à fa confervation ; mais il
s'éleve en lui des combats qui altérent ou
tariffent les fources de la vie : l'ame qui
eſt ſa forme , eft fans comparaifon plus
précieufe que le corps , elle lui commande
en fouveraine , les nerfs , tous les ref--
forts exécutent ; libre dans fes modifications
, elles ne font pas l'ouvrage de la
contrainte ou de la néceffité ; douée de
connoiffances éternelles , immuables , elle
a dans foi une régle sûre qui ne peut tromper
; fes vûes pénétrent dans l'infini , une
par effence , elle ne connoît ni parties , ni
divifions : cependant elle eft fujette à l'égarement
, fes idées font fufceptibles d'une
efpéce d'accroiffement qui lui eft propre
, elle tient donc fon exiftence d'un être
qui en eft indépendant , cet être lui communique
par conféquent fes perfections ,
d'ailleurs le corps la prévient par les révoltes
; quelles armes à oppofer pour défendre
la liberté de l'homme , fans bleffer
le fouverain domaine de l'Etre fuprême ,
& fans méconnoître les effets trop certains
de l'économie animale ? comment
diftinguer les opérations de deux fubftances
effentiellement differentes , & formellement
unies ? pourquoi la diverfité des
OCTOBRE. 1753 75
Religions , de climat , d'éducation , d'â
ge , de condition , influe- elle fur les
moeurs ?
Ma foibleffe m'oblige à tâcher de découvrir
mon Auteur ; je conçois que je
n'ai pû recevoir l'être de tout ce qui m'environne
, ni de moi- même , que tout a un
principe , hors lequel il n'eft qu'un affreux.
néant , ce principe eft donc l'être par
effence
: s'il eft l'être par effence , il eft unique
, il eft fimple , il eft tout-puiffant , il
eft bon , il eft immuable , il est éternel , il
eft immenfe , il renferme en un mot la plénitude
& la totalité de la perfection de
P'être ; mais comment concilier fa fimplicité
avec fon immenfité , fon immutabilité
avec fa liberté , ſon éternité avec la création
fucceffive de fes ouvrages , fa toutepuiffance
& fa bonté avec les défauts qui
fe rencontrent dans le monde phyfique &
dans le monde moral ?
J'abandonne ici le fil de mes réflexions
fur la Philofophie , pour paffer aux differens
genres de Littérature.
Je ne puis réflechir fur l'étude des Langues
, fans me rappeller le zéle avec lequel
Ja plus célébre Académie de l'univers s'oc
cupe depuis un fiécle à perfectionner la
Langue qui s'approchoit déja le plus de fa
perfection , & les progrès dont elle lui eft
16 MERCURE DE FRANCE.
redevable. Sans entrer dans le génie &
dans le caractere des Langues ( ce qui feul
mériteroit un ouvrage ) je puis dire , généralement
parlant , que de même que
toute penfée de quelque prix eft vraie , il
eft aufi à fa maniere un vrai d'expreffion ;
l'expreffion réguliere prend la forme de la
penfée dont elle eft le figne ; fi la penſée
eft fimple , elle ne l'exagére point par une
pompe vaine ; s'agit- il d'un feul coup de
pinceau de peindre un tableau tout entier,
de rendre d'un trait une vérité importante
, elle ne décrédite point , elle ne trahit
point la pensée par un air de foibleffe ou
un défaut de fidélité : ce n'eft pas qu'elle
défire qu'on ne ceffe d'avoir le compas en
main , une noble hardieffe mérite des éloges.
On convient de tout cela ; mais quel
le énergie , quelle fineffe , quelle préciſion
ne faut- il pas pour fatisfaire au goût , &
même au jugement des oreilles ? de quelle
fobrieté doit-on ufer , lorfqu'on veut puifer
dans les Langues mortes ou vivantes
pour enrichir , & non pas furcharger celle
qui eft l'objet de notre application ?
L'Hiftoire attache par un fpectacle tou
jours varié : l'origine , les progrès , la chûte
, la décadence des Empires , les évenemens
fameux qui ont occupé fucceffivement
la fcéne du monde , depuis fa naifOCTOBRE,
1753. 17
> les
fance fixée à une époque certaine
moeurs , les loix de chaque Nation auffi
differente d'elle- même , fuivant les diverfes
pofitions où elle fe trouve , que differente
des autres Nations , ces hommes extraordinaires
, ces fublimes intelligences
qui ont attiré les regards de l'univers par
leurs vertus ou par leurs vices ; voilà ce
que renferme l'Hiftoire dans des monumens
plus durables que le bronze & l'airain.
Mais quelles qualités exigé - t'elle ?
une unité de deffein qui vife à un tout
exact , un coup- d'oeil jufte qui démêle les
faits effentiels , un efprit étendu qui s'éleve
au- deffus des difficultés , un zéle pour
la vérité qui obferve une neutralité parfaite
entre les intérêts oppofés , un tyle
& des tours proportionnés à ces differentes
parties : la connoiffance des Langues.
contribue beaucoup à ce dernier avantage ,
quoique les autres qualités doivent plus à
la nature qu'à l'art ; comment les dévelop
per dans les Auteurs , ou les reconnoître
dans foi-même ?
La Poësie eft un art digne des plus
grands éloges ; dans des accords majeftueux
elle s'éleve jufqu'à la divinité , elle
célébre la gloire du Très haut , & la
beauté de fes ouvrages , ou elle peint fous
des couleurs différentes , un héros, ver18
MERCURE DE FRANCE:
*
tueux que l'intérêt de fes Etats conduit à
l'immortalité au travers des périls ; un ty-.
fan cruel , la terreur de fes fujets , le fléau de
la terre & fon propre bourreau : monitriceaimable
, elle s'infinue adroitement dans
les cercles pour en extraire les travers
& les ridicules , les apprécier , & nous
corriger avec plus ou moins d'éclat fous le
mafque de la plaifanterie : amie tendre &
généreufe , elle confole la douleur , elle
arrête le cours des larmes : écho des plus
doux fentimens , fous des images ingénues
, elle fe plaît à tracer une flamme légitime
, ou à célébrer le bonheur de deux
époux nouvellement unis fous les aufpices
de l'amour ; toujours fidéle à l'obfervation
des régles , elle n'en laifle point appercevoir
la contrainte , elle fort triomphante
de leurs entraves ; mais quelle
fcience des hommes , quelle étude de la
fageffe ne fuppofe - t- elle pas ? quelle force
ou quelle délicateffe dans le pinceau ?
L'Eloquence avec un maintien plus fimple
, quoique majeftueux , employe des frgures
moins hardies , des refforts moins
multipliés pour parvenir à fon but ; mais
de quels intérêts ne fe charge-t- elle pas
organe du Tout- puiffant , dont elle intime
les volontés , elle excite de faintes
frayeurs , où elle infpire une falutaire
OCTOBRE. 1753. 19
confiance ; protectrice de l'innocence , elle
fait pâlir le crime au milieu de la fplendeur
& de l'éclat qui l'environne ; admife dans
le confeil des Princes , elle veille au bien des
peuples dans le Gouvernement , ou médiatrice
puiffante , elle eft le lien des nations ,
elle éteint les foudres de la guerre ou en
fufpend les coups. Mais comment faifir le
dégré d'activité & de mouvement propte
à opérer des fins fi nobles , faire marcher
tour-à-tour la terreur ou l'infinuation , rencre
le calme ou exciter les tempêtes ?
C'eft ainfi que je me fuis répréfenté le
plan des occupations des différentes Académics
; j'ai propofé des queftions intéreffantes
, j'en ai obmis d'autres qui ne le
font pas moins , foir pour ne pas excéder les
bornes des fimples réflexions , foit dans
l'impoffibilité d'atteindre toute l'étendue
des objets qu'elles embraffent . Je fouhaite
m'être affez expliqué pour faire preffentir
au Public leur importance . Je paffe maintenant
aux fecours précieux que les grands
hommes qui les compofent ont pour feconder
, pour étendre leurs talens à proportion
de la difficulté des matieres qu'ils
traitent.
L'Académicien , en effet , fous les loix
d'un travail réglé a fans ceffe la faculté
d'acquérir de nouvelles connoiffances ;, la
20 MERCURE DE FRANCE,
communication des lumieres de fon corps
lui fait franchir , pour ainfi dire , d'un pas
cette longue route , qu'il eût été obligé de
tenir s'il eût été ifolé ; des conférences où
préfident la méthode & le goût , abrégent
le cercle qu'il auroit été forcé de décrire
& aidé des découvertes de ceux qui l'ont
devancé & de celles de fes contemporains ,
il applique toute fa vigueur aux difficultés
qu'ils n'ont point réfolues , ou à placer
leurs folutions dans un plus grand jour.
Auparavant de paroître au tribunal du
Public , il vient s'effayer à ce tribunal particulier.
Le Phyficien averti qu'il doit allier
les faits avec le raifonnement , fe perfectionne
dans l'art de faire des expériences
délicates , d'où il tire les plus lumineufes
conféquences. Le Chymifte , que
dans fa fphere il y a des bornes au de- là
defquelles on ne trouve que de brillantes
impoftures , eft fans ceffe en garde contre
lui dans fes analyſes . Le Géometre , que fon
art ne confifte point uniquement à melurer
des lignes , des furfaces & des corps ,
envifage bien moins la difficulté que l'utilité
des problêmes , & fe livre aux phénomenes
qui entrent dans la philofophie
naturelle. Le Métaphyficien , que la fcience
qui confidére les efprits où les corps
en tant que repréſentés par nos percep
OCTOBRE. 1753 . 2x
tions , eft extrêmement périlleuse , procé
de avec cet efprit philofophique qui régle
les dégrés d'allertiment par les dégrés de
certitude. Le fpectateur des moeurs , que fi
dans les maximes il doit regner un vrai
abfolu dont le compas eft dans l'efprit , les
réflexions doivent être prifes dans les caufes
qui en voilent la jufteffe , recherche
avec l'empreinte faillante de la vérité , les
menaces qui par le pouvoir de ces agens ,
déclinent imperceptiblement de la régle.
L'Hiftorien , qu'il doit être conftamment
étayé de la plus exacte critique , balance
confronte les opinions ; s'il écrit ſur un
fujet déja eflayé , ou fi fon fujet eft neuf ,
il cite devant lui dans leur ordre , non
Leulement les principaux acteurs qu'il a
réfolu de faire entrer dans fon plan , mais
toutes les circonftances des faits pour les
apprécier & déterminer fon choix . Le Poëte
, que les véritables fuccès dans tous les
genres de Poëfie dépendent de la régularité
dans les louables imitations , craint de
confondre la foibleffe d'une raifon qui s'éblouit
avec la hardieffe du génie , le raffinement
avec la délicateffe . L'Orateur, que
Péloquence doit porter le trait de la lumiere
& de la perfuafion & faire concerter le
combat des paffions pour affurer fon triomphe
, s'étudie à découvrir dans toutes, les
22 MERCURE DE FRANCE.
fituations , & fur tous les théatres les
moyens sûrs d'intéreffer le coeur , & de
pénétrer dans le fond intime de l'amè .
Chaque Compagnie feconde le zéle de
fes membres par fon application & fon
équité dans les jugemens : perfuadée que
l'éloge dans lequel la complaifance a la
moindre part , eft un facrifice de la réputation
, & que dès qu'on peut mieux faire
, le héros littéraire doit regarder les
plus beaux exploits comme de ftériles travaux
, elle difcute , examine , péfe tout au
poids du fanctuaire.
Mais fi malgré les lumieres de fa compagnie
, l'Académicien éprouve encore des
doutes ; eh ! qui peutt out pénétrer ? Dans
tous les pays où le goût eft parvenu , il y
a lieu d'efpérer des éclairciffemens. Je conviens
que les vertus fociales font étroitement
unies avec les fciences & les beauxarts
; mais n'eft- il pas vrai qu'on fe dévoile
avec un retour plus férieux fur foi- même
, avec une candeur particuliere à un
homme à talens , qui a fait comme un
voeu folemnel de les cultiver ? Oui , il eft
pour lui un langage unique , ce n'eft point
le langage de l'efprit précisément , ce n'eſt
point le langage du coeur , c'eft le ton du
Centiment.
C'est ainsi que l'Académicien excite ,
OCTOBRE. 1753. 23
entretient dans lui le génie créateur :
ainfi les Compagnies qui raffemblent de
femblables hommes , doivent être les dépofitaires
des dogmes de la plus faine Philofophie
, des trésors des langues , des monamens
d'Hiftoire , des chefs - d'oeuvres de
l'Eloquence , des beautés de la Poëfie , &
des plus rares productions de la Littérature .
La gloire & l'eftime , cette monnoye
dont en paye ce qui eft au- deffus de toute
évaluation , & qui eft le prix du mérite
fupérieur , produit l'émulation ; la jeuneffe
née avec d'heureufes difpofitions , mais
qui ne font pas encore développées , tourne
fes regards vers ces aftres éclatans
elle réfifte au torrent qui femble devoir
l'entraîner , elle triomphe dans la carriere
des Lettres , des périls qui font comme
inféparables de fon inconftance & de fa légéreté
, périls que je ne puis bien faire
concevoir qu'après avoir expofé le goût
& l'état de la Littérature par rapport à cet
âge.
Quel eft le goût & l'état de le Littérature
par rapport à la jeuneffe ? Invitée par les
graces du ftyle , charmée par une certaine
variété de tableaux , intéreffée par des fi
tuations extraordinaires , foutenue par des
incidens ménagés avec artifice , elle faifit
avec avidité les Romans , fruit d'une ima
24 MERCURE DE FRANCE.
gination peu réglée (fi on en excepte un pe
tit nombre dont il ne peut être queftion )
qui , pour laiffer quelquefois appercevoir
dans le lointain un air de nobleffe & de
grandeur, n'en ont pas plus de beautés folides
; ouvrages bifarres qui ne peignent les
hommes ni tels qu'ils font , ni tels qu'ils
pourroient être , ou tels qu'ils devroient
être , qui exaltent des vertus fauffes , outrées
, ou le triomphe du fol amour fur les
devoirs & les bienséances : je ne parle point
de ces Romans mal écrits , où la licence fe
montre à découvert , monftrueux affemblage
de ce que l'efprit uni à la dépravation
du coeur peut produire de plus défectueux
.
Les ouvrages de Poëfie revendiquent
également leurs droits , ouvrages lus indifféremment
; fouvent ces Comédies dans
lefquelles tantôt Thalie trop peu inftruite
de les devoirs ou s'en écartant à deffein
laiffe douter fi elle veut infpirer du goût
ou de l'oppofition pour les défauts & les
vices qu'elle combat ; tantôt grave à l'excès
fous l'habit des Scapins , introduit les
moralités de la Rochefoucault & de Pafchal
; tantôt par des tranfports déplacés
s'efforce d'émouvoir & d'arracher des larmes
ces Tragédies où Melpomene érige
en vertus les préjugés nationaux , appuye
malgré
OCTOBRE. 1753. 25
malgré la févérité des loix , des fentences
impofantes , des dogmes profcrits , ou par
une dégradation de fon caractere , prostitue
la dignité du cothurne aux foibles accens
de l'Elegie ou de l'Idyle ; ces Elégies où
l'amour abufe du langage des graces , pour
exprimer des tranfports illégitimes ; ces
anecdotes , archives immortelles de fes
honteux trophées ; flattée uniquement par
la furface , la pompe , le coloris de l'Ode
fi les idées paftorales affectent plus la jeuneffe
, le guindé , le doucereux lui tiennent
lieu du ton de la nature .
Emportée par le torrent de la mode ,
féduite par des noms qui impofent , elle
s'occupe d'une foule d'écrivains , qui jaloux
de l'indépendance fappent en mille
manieres les fondemens de tout culte ,fous
les dehors de la vertu ou d'un zéle défintéreffé
, qui s'efforcent de contrarier les
notions les plus certaines de l'existence
d'un Dieu , l'époque de la création du
monde , & le fentiment intime qui nous.
avertit de la dignité de notre ame , ou qui
dans les objets de la révélation conſeillent
indiſtinctement un doute qui doit être
éternel , d'autant qu'aucun genre de preuve
ne paroît leur convenir ; de ces Auteurs
qui débitent à l'abri de perfonnages
poftiches , ou fous le voile de l'allégorie
B
16 MERCURE DE FRANCE.
des réflexions également dangéreufes , ra
rement originaux , très -fouvent mauvais
imitateurs , & toujours trop peu circonfpects.
Mais le défir de briller dans les cercles
ne porte-t-il pas à cultiver de bonne - heure
la mémoire , & à l'enrichir d'une claffe
de faits célébres que l'on prévoit pouvoir
placer ? J'en conviens, pourvû qu'on m'accorde
qu'il eft très - facile de l'égarer dans
la carrière de l'Hiftoire. Il y a en effet ,
dans ce genre , des Auteurs minutieux qui
ne font que des Journaux lecs & stériles ;
de ces efclaves du bel efprit , qui chargent
leur portrait de couleurs qui ne fympatifent
point avec le fujet ; des Philofophes
mornes qui noyent les faits dans des ré-
Alexions infipides ; des politiques fuperfi
ciels , qui donnent à entendre contre la
vraisemblance qu'ils ont pénétré dans les
fecrets de tous les partis : des fourbes
des impofteurs , qui vendent leur plume
au plus offrant ; des hommes partiaux par
humeur , qui excluent tout mérite dans le
parti qui leur eft oppofé.
Les genres de littérature auxquels fe
livre la jeuneffe font donc pernicieux au
bon goût , aux moeurs & à la Religion ; ils
énervent l'efprit , ils corrompent le coeur ,
pervertident les inclinations , détruifent
OCTOBRE. 1753 : 27
fouvent les principes d'une doctrine pure
qu'on avoit confiés à l'enfance , & cultivée
dans les tems deftinés à l'éducation , & ce
qu'on peut dire de moins défavorable
c'eft que les travaux de la jeuneſſe doivent
être en pure perte , & ne contribuent point
à fon inftruction . Où trouver un reméde
contre une contagion fi générale , dans les
Compagnies dont je parle ?
Avez- vous des compatriotes , des concitoyens
, de vos proches qui s'y diftinguent
, & êtes- vous doué de talens ? Hs
'échappent poin: à leur pénétration ; dès
que vous leur montrez un éléve qui puiffe
foutenir l'empire des Lettres , ils fe
font une gloire de vous former , ils oppofent
leur lumiere aux preftiges & aux illufions
qui ufurpent le facrifice du bel âge .
ils étudient votre goût , & ils vous offrent
ce qui peut le fatisfaire ; ce commerce fupérieur
à toutes les leçons ne tarde pas à
vous apprendre vos forces , ou vous prodiguer
à propos les encouragemens ; mais
en même tems , on ne vous montre les objets
qu'autant qu'ils font à votre portée ;
de la furface extérieure on parvient par
dégrés jufqu'au fond. Je ne puis mieux
comparer ces éléves , d'après un célébre
Académicien ( 4 ) dont j'emprunte les
(a) M. l'Abbé de S. Cyr,
pro-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
و ر
"
pres termes , de peur de les affoiblir , » qu'i
ces rares métaux , ces pierres exquifes que
» Part n'a point mis en deuvre , tout y eft
précieux , mais tout y eft encore obfcur
» & enféveli : ces heureux génies , polis-
» par les foins des grands maîtres , ne tar-
» dent pas à rendre l'éclat & le feu qu'ils
» cachoient : devenus maîtres à leur tour
ils forment des éléves dignes de les ré-
» préfenter.
>
De là fe perpétuent les citoyens propres
à remplir les fonctions les plus importantes
de la vie civile ; les diverfes claffes de
la Philofophie fourniffent des principes
fondamentaux à tous les genres d'Architecture
, à l'art Militaire , à la navigation
à la Médecine , à la Théologie , & à la Légiflation
; l'Hiftoire entre plus particulierement
dans le gouvernement politique &
civil. Dans la Chaire , au Barreau , dans les
affaires publiques , la connoiffance des
langues & l'éloquence donnent d'indif
penfables fecours , la Poëfie fait paffer dans
les coeurs les grandes qualités , les qualités
fociales avec l'attache du plaifir .
L'objet des Académies n'eft donc point
précifément de raffembler des Philofophes
, des Grammairiens , des Orateurs ,
des Hiftoriens , des Poëtes ; on prépare
par là des Méchaniciens , des Aftronomes ,
OCTOBRE. 1753. 29
des Théologiens , des Médecins , des Miniftres
, des Guerriers , des Juges , des Pré--
dicateurs , des Avocats qui éternifent leurs
noms par leurs fervices : en un mot , on
répand un nouveau jour fur tous les états
& toutes les conditions.
Qu'on me demande maintenant pourquoi
dans l'Europe les profeffions font portées
de nos jours à un fi haut dégré de perfection
: Le problème ne peut m'embaraffer
, je répondrai qu'elles font particulierement
redevables de leurs progrès aux
compagnies de Sçavans , aux fociétés Littéraires
, qui s'y font multipliées depuis
un fécle .
Mais pourquoi au milieu de tant de lumieres
un fi grand nombre de productions
imparfaites & dangéreufes ? C'eft ce qui
fembleroit plus difficile à décider , fi ce
n'eft que ces lumieres fe répandant de proche
en proche , excitent des efprits trop
bornés , qui voulant s'élever au - deffus
d'eux mêmes , font fubjugués par
leur art,
ou qu'il y a toujours des hommes paffionnés
différemment , indociles à tout frein
qui communiquent à ce qu'ils font , la
teinte & l'impreffion du poifon qui les
dévore.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
JbJibJbjbJibJb Jb JbJbstst
CORINE ET ATHIS.
POEMEPASTORAL ET ALLEGORIQUE.
Sur le retour de Mile *** à Paffy.
Sur ces bords fortunés , ( 4 ) fur cette aimable
rive ,
Qu'arrofe , en ferpentant , la Seine fugitive ;
Athis ( 6 ) , le tendre Athis , en proye à fes douleurs
,
A ces eaux chaque jour venoit mêler fes pleurs.
Dans ces lieux pour fe plaindre il devançoit l'Aurore
,
Et la nuit dans ces lieux le retrouvoit encore.
Couché nonchalamment ( c ) au fond d'un antre
creux ,
De fes cris importuns il fatiguoit les Cieux ;
Ses yeux depuis deux mois , toujours ouverts aux
larmes ,
Jamais du doux repos n'ont reffenti les charmes.
Ces lieux à fes regards autrefois pleins d'attraits ,
Ne font plus que l'objet de fes triftes regrets .
La verdure des ( d ) bois , & l'émail des prairies ;
"
( a ) Boisfur le bord de la Seine près Pally .
( b ) M. G *** c'est le nom de l'Auteur.
(c) Petite caverne à quelque diftance du bois.
(d ) Bois de Boulogne.
OCTOBRE 1753 . 31
Semblent entretenir les triftes rêveries .
Tout accroît , tout aigrit fon défelpoir mortel ,
Tout rappelle à ſon coeur un fouvenir cruel .
De fes plaifirs paffés , ces beaux lits de verdure
Lui retracent en vain l'agréable peinture.
Son coeur mort aux plaifirs qu'il ne peut plus goû ~
ter ,
Ne s'en fouvient , hélas ! que pour les regretter.
Les échos de ces bois , ces prés & ces fontaines ,
Tour , fur ces boids heureux , femble irriter fes
peines ;
Des hôtes des forêts les plus tendres accens ,
Loin de les alléguer , redoublent les tourmens ;
Sa fute , foa troupeau , fon chien & fa houlette
Se reffentent auffi de fa douleur fecrette.
Chargé du poids tatal d'un malheureux amour ,
Il maudit le moment qui lui donna le jour .
Ce qu'il aimoit jadis , maintenant ill abhorre ;
Accablé de douleurs , il en défire encore ,
Afin que fuccombant fous le faix de fes maux ,
Dans la nuit du trépas il trouve le repos ,
Et qu'à l'abri des traits du plus fanglant outrage ,
Il meure fans fentir ceux que fon coeur pičlage .
Quels font donc ces revers ? ô malheureux A his !
Qui changent vos beaux jours en de foudaines.
nuits ;
Vos regards , fatigués du jour qui les éclaire ,
Ne femblent qu'à regret jouir de fa lumiere.
•
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
Mais tandis que je parle , il me fuit , & fes cris
Redemandent ( a ) Corine aux échos attendris :
Corine à fon amour venoit d'être ravie ,
De ces lieux , depuis peu , Corine étoit partie .
Il l'appelloit en vain , ô foins trop fuperflus !
L'infenfible fuyoit , & ne l'entendoit plus .
Tantôt , dans les accès de fa douleur mortelle ,
A déchirait les vers qu'il avait fait pour elle ;
Il brifait fa houlette , & laiffait les troupeaux
A la merci des loups , errer fur ces cô: caux :
Tantôt , pour écarter une image effrayante ,
Il foupiroit aux pieds d'une ( 6 ) nouvelle aman
te ,
Accablé malgré lui d'un cruel fouvenir ,
Il lui jurait un feu qu'il ne pouvait fentir ,
Et d'autant moins épris qu'il s'éforçait de l'être ,
Il lui donnait un coeur dont il n'était plus maître .
Enfin un jour cédant au fardeau de ſes maux ,
11 confia fa plainte aux indifcrets échos .
Tout pour l'entendre , alors fe tut dans la nature ;
Les ruiffeaux s'arrêtant cefférent leur murmure ;
Les Déeffes des bois , & les Nymphes des eaux ,
( a ) Mlle *** . L'Auteur l'avoit long- tems aimée
lorfqu'elle partit de Paffy pourfe rendre chez fes parens .
(b ) Mile *** avoit quelque inclination pour l'Auteur
,& comme en raillant on lui faifoit ſouvent la
guerre de fa froideur pour elle , il fit femblant de lui
rendre des foins d'autant plus que l'intérêt qu'il avoiz
à cacherfon amour pour la premierely forçait.
1
OCTOBRE. 1753. 33
Voulurent prendre part au récit de ſes maux ;
Le zéphire craignit d'agiter le feuillage ;
Et les tendres oifeaux cefferent leur ramage.
Grands Dieux , s'écria- t- il , ou privez moi du jour ,
Ou rendez à mes voeux l'objet de mon amour ;
Amour , cruel auteur du chagrin qui m'opreſſe ,
Ou ramene Corine , ou chaffe ma tendreffe ;
Oui , fitu prens pitié de mes tourmens cruels ,
Le fang de mes agneaux rougira tes autels ;
Je te facrifirai deux fuperbes géniffes ,
Qui jufques à ce jour avoient fait mes délices ;
J'y joindrai (4 ) deux chevreaux que je reçus pour
prix
D'un combat de chanfons où fut vaincu Tirfis ;
Et je ne croirai point acheter trop encore
Le plaifir de revoir la beauté que j'adore .
Mais , que dis-je , infenfé ! quel efpoir féducteur ,
En ce triste moment , s'empate de mon coeur ?
Hélas ! je forme en vain une agréable image :
Corine , loin de moi , va devenir volage ;
D'autres bergers plus ( b ) beaux , mais moins tendres
que moi ,
En m'enlevant fon coeur , vont me ravit fa foi.
( a ) Ceci joint allégoriquement fait allufion au petit
combat de Poësie que M. *** , sci fous le nom de
Trifis livra à l'Auteur : le prix étoit deux Livres
magnifiquemens reliés , que M. *** qu'ils avoient pris
pour Juge , accorda à l'Auteur.
( b ) M.
M. **. L'Auteur les foupçonnoit
de partager l'inclination qu'elle avoit pour lui.
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
Paffant rapidement du dégoût à la haine ,
Elle rompra les noeuds de fa premiere chaîne ;
Pour refter fans amans Corine a trop d'appas ,
Et j'ai trop de malheur pour ne la perdre pas :
Je crois déja la voir , en proye à foa yvreffe ,
Suivre d'un feu nouveau l'amour enchantereffe ,
Et flatter mille amans , contre moi conjurés ,
Par les inêmes fermens qu'elle m'avoit jurés.
Ah barbare ! ... Il ne put en dire davantage ,
Ses fanglois de la voix lui raviffent l'ufage ;
Ses genoux affoiblis le dérobent fous lui ;
Il fflonne , il chancele , & tombe évanoui.
Mais l'amour qui prit part à fa douleur fincere,
L'amour à fes regards vient rendre la lumiere ;
Le berger fe releve , & fes yeux éperdus
Cherchent au loin Corine , & ne la trouvent plus,
Les accens redoublés de fes plaintes amerés ,
Attirerent (a ) Daphnis dans ces lieux folitaires.
(b ) Aux charmes naturels d'un génie élevé ,
Daphnis joignoit encor un eſprit cultivé ;
Mais n'abuſant jamais d'un fi rare avantage
Parmi tous les bergers il eut le nom de fage ;
BENT.
( a ) M. ** *, un des plus grands amis de l'Au-
(b ) L'Auteur a cru devoir faire ici le portrais
d'un homme à qui il a de fi grandes obligations . &
riique une difgreffion pour s'acquiter de ce qu'il doit :
le défir de répondre à nePiece de Vers qu'il lui avoit
envoyéey a beaucoup contribué.
OCTOBRE. 1753. 35
Ils le foumettoient tous à fa décifion :
Et de berger enfin il n'avoit que le nom.
Si-tôt qu'il vit Athis , du mal qui le confume ,
1} tâcha par ces mots , d'adoucir l'amertume .
Par les noeuds immortels d'une tendre amitié ,
Avec le trifte Athis Daphnis étoit hé.
Quelle eft donc , lui dit il , cette mélancolie ,
Qui trouble , cher ami , le cours de votre vie ?
Pourquoi , toujours en proye à vos vives douleurs
,
Vos yeux ne s'ouvrent-ils que pour verfer des
pleurs
Pour votre coeur noyé dans la langueur mortelle ,
Vainement la nature ici ſe renouvelle.
Rien ne vous touche plus , & vainement Cerès
De les dorés épics enricbit vos guerèts.
Vos infenfibles yeux voyent en vain éclore ,
Et les dons de Pomone , & les préfens de Flore ;
En vain à vos regards , de fes pampres Acaris
Bachus vient étaler les brillans coloris ,
Aux ombres de la nuit en vain le jour fuccéde ;
Rien ne peut foulager l'ennui qui vous poffède.
Pourquoi , lui répondit Athis en l'embraflant ,
Pourquoi veux-tu , cruel , accroître mon tourment
?
Va , plains un malheureux ( a ) , dont le fecret fu-
Defte
(a ) L'Auteur plus difcres que le commun des
B vj
36 MERCURE DE FRANCE .
Eſt parmi tant de maux , le feul bien qui lui reſte.
Ingrat , m'envirois -tu , repartit le berger ,
La douceur de les plaindre & de les partager.
Eh bien , lui dit Athis , je cède à ta tendreffe ;
En apprenant mes maux , ami , plains ma foibleffe.
'Alors il lui fit part des préfages affreux ,
Qu'offroit à fon amour un départ malheureux :
Et Daphnis , pour bannir fes craintes incertaines ,
Tâcha , par ce difcours , de foulager fes peines.
L'Amour va , lui dit-il , ramener dans ces lieux ,
Ton amante brûlant toujours des mêmes feux .
Et dans les doux tranfports d'une vive allégreffe
Noyer les noirs accès du chagrin qui t'opreffe .
Ce Dieu prendra pitié des maux que tu teffens ,
Et te promet des biens plus grands que tes tourmens
.
Au lieu de s'affoiblit ( a ) , l'amour né dans l'enfance
,
A mesure qu'on croit , voit croître fa puiffance :
amans , avoit fait à fon ami même un mystere du
fujet defes peines , & ce ne fut qu'à force d'inftances
que ce dernier en obtint l'aveu.
(a ) Quoique beaucoup de perfonnes trouveront
cette définition déplacée dans la bouche d'un berger,
l'Auteur n'a pas craint de la mettre dans la bouche
d'un bomme auffi fçavans que M. *** . Elle ne pa .
roît pas bien jointe aux yeux de plufieurs , mais il a
fallu s'afervir aux circonftances : on objellera encore
qu'elle et un peu trop emphasée : oui , mais ce n'eft
point une Egogue, répondra-t -on , c'eft un Poërae.
OCTOBRE . 37 1753.
Dans les coeurs la nature établiſſant les loix ,
Du tems qui détruit tout fait respecter les droits
L'inconftance à fon char pour jamais enchainée ,
Sur fes propres débris lui conſtruit un trophée ;
Elle fixe l'amour , l'entretient , & fes feux
Nés avecque nos jours , ne meurent qu'avec eux.
En vain les préjugés , en vain l'indifférence
S'unit , pour le détruire , aux rigueurs de l'abfence
,
Le dégoût vainement voudroit diffoudre un jour
Des liens qu'ont tiffus la nature & l'amour ;
La nature a des droits qu'on ne fçauroit enfraindre
,
Le feu s'irriteroit , loin de pouvoir s'éteindre.
Et de l'amour laffé rallumant le flambeau ,
Elle lui préteroit un triomphe nouveau .
Ainfi parloit Daphnis , & d'une affreufe image ,
1 tâchoit d'écarter le malheureux préfage :
Mais du timide Athis , de noirs preffentimens
Sembloient , malgré les foins , irriter les tourmens.
Cependant le berger le confole , & l'entraîne
Vers un (a ) hameau voifin , peu diftant de la plaine.
Mais Athis eft à peine arrivé dans ces lieux ,
Que Corine foudain fe préfente à les yeux.
Quels furent les tranfports de ce berger fidele !
Il la voit , il Penbraffe , & doute fi c'eft elle.
( a ) Paffy où l'Auteur prenoit alors les Eaux.
38 MERCURE DE FRANCE,
Son étonnement ceffe , & fon coeur enflammé ,
S'abandonne à l'eſpoir d'aimer & d'être aimé.
Mais , ô fort ! ô diſgrace ! à ſon ame éperdue :
Dans quel étar Corine étoit- elle rendue
Une fombre froideur , & d'injuftes mépris
De l'amour du berger furent le trifte prix.
Autant Corine , avant cette funefte abſence ,
Avoit été fenfible à ſa tendre conftance ,
Autant & plus cruelle encor à ſon retour ,
Corine , avec fiérté rejetta ſon amour,
Quels furent les excès de fa douleur extrême ?
Quel coup pour un amant qui perd tour ce qu'il
aime !
En proye au trouble affreux qui déchiroit fon
coeur ,
Il fortit pour jamais de ce lieu plein d'horreur ;
Et dans l'obſcur réduit d'un antre folitaire
Vint rendre de les maux l'écho dépofitaire.
O Dieux ! s'écria-t- il , juftes Dieux : eft - ce ainfi
Qu'à la foible vertu vous prétez votre appui ?
Si vous devez un jour , pour mon malheur extiême
,
Eteindre un feu , dans ( a ) elle allumé
même ;
par vous
Si vous deviez ainfi la rendre à mes fouhaits ,
Grands Dieux , il ne falloit me la rendre jamais.
Calme les vains tranfports de ta douleur more
telle ,
( a ) Elle,fe rapporte à Corine.
OCTOBRE.
1753. 39
Jéche tes pleurs , Athis , Corine t'eft fidelle....
Mais il ne m'entend plus , ( a ) & plein de fon
tranſport
lla le bras levé pour ſe donner la mort...
Arrête , malheureux..... Elle vient elle-même
Calmer l'emportement de ton erreur extrême.
Arrête , Athis , Corine a voulu t'éprouver ;
De ta propre fureur elle vient te fauver :
Tourne les yeux , vois - la par tes cris altérée ,
Venir calmer l'horreur où ton ame eft livrée ;
Et volaut dans tes bras , par un charmant fecours
Faire d'un jour affreux , le plus beau de tes jours.
Son amante , en effet , ( b ) près d'un buiffon cachée
,
Venoit d'être témoin de fa rage infenfée.
L'amour lu: découvrit qu'elle en étoit l'objet;
Et l'amour fe hâta d'en prévenir l'effet .
(a ) Cette allégorie eft un peu outrée ; quoiqu'il
en foir , l'Auteur ayant cru Mlle ■ * * infidélle , s'a
bandonna à un déjeſpoir fi grand qu'on craignit pour
fa vie ; il fallut qu'elle- méme vint l'affurer defa fr
délité , pour en prévenir les effets.
(b ) Tout ceci eft ailégorique , &fe rapporte à la
mote précédente.
Par 7. Guerinean de Janville .
40 MERCURE DE FRANCE.
30% 50%50% 50% 50%500: 30 : 0
DISSERTATION HISTORIQUE
Sur le Droit & le Barreau de Rome .
IL eft peu d'Empires qui ayent fouffert
autant de révolutions que celui des
Romains , auffi la Jurifprudence qu'ils
nous ont laiffée , a -t'elle éprouvé de continuelles
viciffitudes .
Néanmoins rien n'eft fi beau que l'harmonie
de leurs Loix , iill ffeemmbbllee que les
troubles fréquens dont Rome a été déchirée
, ayent en quelque forte contribué à
affermir la tranquillité domeftique de fes
Citoyens.
Difference étrange entre le Droit Civil
& le Droit Canon ! celui- ci fondé fur la
ferveur & le zéle des premiers Fidéles
étoit magnifique , divin dans fon origine :
la tiédeur , le relâchement , les fchifmes
l'ont énervé dans fes progrès , & en ont fi
fort fouillé l'ancienne pureté , qu'il eft
aujourd'hui méconnoiffable. L'autre , ouvrage
du génie & de la politique , étoit informe
dans fon principe. La fuite des tems
l'a développé par degrés , & l'a prefque
conduit à un état de perfection : le berceau
de l'un devoit être l'époque de ſa
OCTOBRE. 1753. 4
grandeur , la piété ne gagne point à vieillir.
Le Droit Civil au contraire fut néceffairement
foible dans fon enfance , la raifon
ne vient qu'avec l'âge.
§ . PREMIER.
Le peuple Romain fut d'abord compofé
de trois mille hommes de pied , & de
trois cens hommes de cheval. Certe troupe
ayant reconnu Romulus pour fon Roi ,
il la divifa en trois tribus , dont chacune
contenoit dix Décuries.
11 partagea les terres en trois portions ,
l'une pour les Dieux , l'autre pour les befoins
de l'Etat , la derniere pour fes fujets .
Il diftingua ceux- ci en deux claffes , les
Praticiens & les Plébéiens. Comme les
Plébéiens étoient pour la plupart extrémement
pauvres , il leur permit de fe choifir
dans les Patriciens , des protecteurs aufquels
ils fe vouoient , & promettoient
toutes fortes de fervices ; les Patriciens à
leur tour étoient obligés d'aider de leur
crédit & de leur bourfe ceux qui les avoient
pris pour patrons.
Malgré la dépendance de ces premiers
cliens ils n'étoient pas Serfs , on ne les regardoit
que comme de vrais Cenfitaires.
Romulus élut cent d'entre les Patriciens
dont il fe fit un Confeil ou Sénat. Ce Tri42
MERCURE DE FRANCE.
bunal qui devint dans la ſuite fi redouta
ble , n'eut point au commencement le pouvoir
législatif , & n'exerça aucune Jurifdiction
contentieufe : il ne lui appartenoit
pas de faire des loix dans les affaires particulieres
, il fe contentoit de commettre
des Juges , & auroit crû s'avilir s'il eût
jugé en corps un procès ; il manioit les finances
, il ordonnoit la levée des impôts ,
il régloit la maniere dont on recevroit les
Amballadeurs , ceux qu'on députeroit ; il
difpofort des troupes , & de toutes les
affaires de la guerre , lorfqu'elle avoit été
réfoluë.
Quant à celles qui concernoient l'Etat
en général ou le droit public , elles fe jugeoient
par le peuple à la pluralité des fuffrages
. On convoquoit les Curies , cette
affemblée s'appelloit Comitia Curiata. Dans
ces Comices le peuple faifoit des loix ,
approuvoit ou rejettoit celles qui lui
étoient propofées , nommoit les Magif
trats , & décidoit fi on feroit la paix où la
guerre .
Romulus fit agréer au peuple plufieurs
loix , & fingulierement celle qui donnoit
aux peres le pouvoir de vie & de mort
fur leurs enfans ; il en fit d'autres touchant
le droit divin , les Magiftrats , les mariages
, elles s'appellerent Curiates , comme
reçues par l'affemblée des trois Tribus.
OCTO BRE. 1753. 43
Son Succefleur , Numa Pompilius , en
ajouta beaucoup , furtout concernant le
culte ; il fonda les Veſtales , créa un ſouverain
Pontife , & un Collège de Prêtres ;
il ordonna que les fonds de chaque particulier
fuffent féparés par des bornés , il
reftraignit le droit de vie & de mort accordé
aux peres fur leurs enfans , à ceux qu'ils
avoient eu en légitime mariage.
Ce fut fous Tullus Hoftilius , troifiéme
Roi ,
, que les Curies
s'affemblerent
pour
la premiere
fois , à l'effet
de juger
une
caufe privée. Le meurtre
de la foeur d'Horace
donna
lieu à cette convocation
extraordinaire
; le Prince
avoit nommé
à
Horace
deux Duumvirs
pour lui faire fon
procès
, ces Duumvirs
avoient
condamné
Horace
à mort ; il en appella
au Peuple ,
qui en faveur
de l'important
fervice
que
le Vainqueur
d'Albe
venoit
de rendre
à
l'Etat , le renvoya
abfous
; cela ſe paſſa
l'an 85 de Rome.
Ancus -Marcus fit bâtir une prifon pour
les malfaiteurs , placée vis- à- vis le Forum ;
il mit des impôts fur les falines.
Tarquin l'Ancien , Auteur de ces fameux
égouts , lefquels firent dire qu'il avoit
creusé une autre Rome fous Rome même ,
élut cent Sénateurs parmi les Plébéiens ;
le nombre de ceux choifis par Romulus
44 MERCURE DE FRANCE.
avoit crû jufqu'à trois cens , il y en eut au
tems de Tarquin quatre cens en tout ; il
fit pratiquer des Galeries & des Portiques
autour du Forum , c'étoit le lieu où s'affembloient
les Curies.
Sous Servius- Tullius , Rome qui étoit
déja devenue confidérablement plus grande
, fat divifée en quatre quartiers ou Tribus
; la Colline , la Subarrine , la Palatine,
l'Efquiline ; le Peuple fut partagé en ſix
clatles dont chacune en Centuries , elles
étoient formées de telle forte qu'en convoquant
par Centuries les affemblées , l'autorité
paffoit néceffairement aux Patriciens.
En effet les plus riches étoient dans
les premieres Centuries & opinoient les
premiers ; on ne prenoit les fuffrages des
fuivantes , que quand celles qui précédoient
ne s'accordoient pas entr'elles , ce
qui étoit rare ; à cette époque les Comices
par Curies furent entierement éteintes .
Enfin le crime de Tarquin le Superbe
fit que Rome ne voulut plus s'aflujettir à
la domination des Rois ; elle conçut pour
cux une horreur fiforte que les Souverains
de toutes les Nations s'en reffentirent.
Le regne des fept Rois de Rome avoit
duré 244 ans ; après leur expulfion Sextus
Papirius recueillit les diverfes loix qu'ils
avoient formées , ce recueil fut appellé le
OCTOBRE. 1753 : 45
Droit Papirien , fon autorité fut bientôt
abolie par la loi Tribunitia , de forte qu'il
n'en reste plus aucuns veftiges .
Aux Rois chaffés fuccéderent les Confuls
, ils eurent la même puiffance que les
Rois avoient eue. Comme eux ils rendoient
la justice aux particuliers , & exerçoient
le droit public concurremment avec
le Sénat & le Peuple , felon ce qui étoit
du reffort de l'un & de l'autre.
On n'avoit point de Tréfor public , Valérius
Publicola en établit un l'an 246 de
la Fondation de Rome ; il y propofa des
Quefteurs , autrement des Tréforiers des
Finances ; leur foin ne fe bornoit pas à
Pinſpection & à la garde des monnoyes ,
ils confervoient les Enfeignes & les Drapeaux
, ils pourvoyoient au logement des
Ambaffadeurs , ils étoient comptables de
leur geftion au Sénat.
Ce Tréfor , autrement dit Aërarium ;
fut placé dans le Temple de Saturne ; c'eſt
là qu'on dépofoit les Loix , les Sénatus
Confultes , l'Album des Décuties ( lefquelles
étoient marquées par les Cenfeurs ) les
libelles d'accufation , en un mot tous les
inftrumens de Mémoire publique.
Cependant le bas people accablé par la
dureté des Patriciens , aufquels toute l'au
torité étoit paffée , au moyen des Comices
46 MERCURE DE FRANCE.
par Centuries , eut avec eux de fréquentes
conteftations pour l'ordre du Gouvernement
; elles furent fecondées par Caffius ,
qui lors de fon troifiéme Confulat chercha
à s'affurer la bienveillance des Plébéiens ;
afin de fe les affervir , il demanda que les
terres conquifes fuffent partagées entr'eux
& les alliés de Rome. Le Sénat eut la foibleffe
d'accorder cette divifion aux Plébéiens
par le célébre decret Agraire ; Caffius
fut puni de fa témérité ; car auffi- tôt
après fon Confulat fini , il fut cité comme
perturbateur du repos de l'Etat , & en conféquence
précipité du roc Tarpéien .
Le décret Agraire néanmoins fubfiftoit ,
le Sénat en éloignoit l'exécution , le Peuple
ne ceffoit de la réclamer , on l'enrolloit
pour faire la guerre aux voifins ; voilà
toute la fatisfaction qu'il pouvoir tirer du
Sénat & des Confuls , tout étoit en combuſtion
, on ne fuivoit plus de loix , mais
de fimples ufages qui de jour à autre ſe détruifoient
par des coûtumes contraires.
Dans ces circonftances fâcheufes , il fut
réfolu qu'oa enverroit dix hommes à Athénes
, & dans les autres villes de la Gréce
pour y faire une collection des loix , qu'ils
croyoient les plus propres à calmer les
troubles de la République , & à la rendre
Aoriffante ; les noms de ces Décemvirs font
OCTOBRE. 1753. 47
rapportés dans le Canon 2. dift. 7. du Décret
de Gratien .
Ces Députés revinrent avec le choix
qu'ils avoient fait des meilleures loix de
Solon & de Licurgue ; on les grava fur dix
Tables d'yvoire , lefquelles furent expofées
au Peuple fur la Tribune aux Harangues
; on fut fi content du travail des Dé.
cemvirs qu'on leur accorda une année
pour ajouter à ces loix & les interprêter
ils fuppléerent à ce qui y manquoit par
deux nouvelles Tables ; on nomma dans la
fuite d'autres Décemvirs pour l'adminiftration
de la Juſtice.
Telle eft la fameuse Loi des douze Tables,
elle embrasfoit trois parties , le culte , le
droit public , le droit privé ; les Pontifes la
ratifierent avec des cérémonies religieufes
, le Sénat par un Décret , les Comices en
Centuries par un Plébifcite.
Cet ouvrage admirable ,
admirable , furtout par l'excellente
politique qui y regnoit , périt
dans les flammes , lorfque Rome fut faccagée
par les Gaulois ; on en raffembla quel
que tems après les plus précieux fragmens,
& du mieux que l'on put , on les grava fur
l'airain , & on eut foin de les apprendre
aux enfans dès le berceau .
Mais avant ce défaftre , la Loi des douze
Tables , avoit déja fouffert une dangé48
MERCURE DE FRANCE.
reufe atteinte , par l'interprétation que lai
avoient donnée les Patriciens avec de certaines
formules qu'il falloit fuivre à la let
tre , à peine de nullité ; par exemple , la
Formule de l'action petitoire , étoit H. E.
R. J. Q. M. E. A. ce qui fignifioit , Hanc
ego rem jure Quiritum meam effe aïo , celle
de l'exception fe trouvoit ainfi conçue A.
E. C. E. V. At ego contra eam vindico.
Appius Claudius , le plus éclairé & le
plus méchant des Décemvirs , inventa ces
differentes formules. Leur connoiſſance
revelée aux Patriciens étoit un fecret auffi
impénétrable pour le peuple que la ſcience
des Augures. Le Livre d'Appius fut furpris
par Gneus Flavius qui le rendit public,
& dévoila tout le mystére. De là le Droit
Flavien.
Lès Nobles ayant cherché d'autres Formules
plus ténébreufes & plus embaraffantes
, elles furent encore divulguées par
Sextius Ælius , fon ouvrage s'appella le
Droit Alien : ces deux collections fe font
entierement perdues.
Il y eut auffi d'autres difputes fur le vrai
fens des Loix des douze Tables ; on eut
recours à d'habiles Jurifconfultes pour
l'explication de ces Loix , mais leurs réponfes
furent prefque toujours contraires
les unes aux autres ; cette fçavante incertitude
OCTOBRE . 1753 49
certitude , fut honorée du nom de Druit
Civil.
Bientôt les Décemvirs qui avoient la
fuprême Magiftrature , devinrent des tyrans
, peu de tems après leur création , its
furent chaffés de Rome. Le libertinage &
les cruautés du même Appius dont on
vient de parler , ayant occafionné la mort
de Virginie , donna lieu à une fédition
qui fit changer tout à coup l'Etat & la Jurifprudence.
Excité par les plaintes de Virginie , indigné
de la fcélérateffe des Décemvirs ,
chargé de dettes , le Peuple fe défunit des
Patriciens , & fe retira fur le mont Aventin
; Menerius Agrippa lui fut député avec
neuf Sénateurs pour prendre des arrangemens
; c'est là qu'il fit fon bel apologue ;
le peuple en fut touché , & confentit de
rentrer dans Rome , à condition qu'il lui
feroit permis de fe nommer des Juges.
On ne les choifit au commencement
que dans l'ordre des Plébéiens ; on les
appella Tribuns , comme nommés par les
Tribus.
Ces Protecteurs furent originairement
au nombre de cinq , on en créa par la fuite
cinq autres ; ils arrêtoient toute décifion
du Sénat , par un feul mot Veto ou Vetamus ;
ils la confirmoient par un T. fignifiant les
Tribuns. C
so MERCURE DE FRANCE.
Parurent à peu près en même tems les
Ediles , ils connurent des poids & des
mefures ; ils furent encore chargés d'avoir
foin que les édifices fuffent alignés , &
d'empêcher qu'ils ne défiguraffent la Ville.
Ces Magiftcats s'élifoient dans les af
femblées du Peuple ; aſſemblées d'un nouveau
genre , & qui participoient beaucoup
desComices par Curies autrefois proferits.
Chacun youvroit fon avis fans être adftraint
à fuivre aucun rang pour opiner, ni aucune
diftinction d'âge & de fortune dans l'ordre
des fuffrages ; on les tenoit tant dans
la Ville que dans le Champ de Mars , &
il falloit abfolument les finir en un jour.
Ces nouveaux Comices étoient convoqués
à la diligence d'un Tribun ; on les appelloit
Comitia Tributa.
Les réfolutions qui y étoient formées
curent , comme celles prifes autrefois dans
les affemblées par Centuries , le nom de
Plibifcites ; mais d'abord elles ne lioient
que le Peuple dont elles étoient l'ouvrage ;
enfin la Loi Hortenfia voulut qu'elles obligeaffent
tous les membres de la République.
Ce qu'il y a d'étonnant , c'eft que le bas
peuple jaloux de faire lui même les loix ,
tranfmit au Sénat un pouvoir , pour la
confervation duquel il avoit difputé G
OCTOBRE . 1753 .
long - tems. Ces nouveaux Senatus- Confultes
fe rendoient fur la réquifition d'un
Conful , & portoient pour l'ordinaire le
nom de celui qui les avoit follicités ; par
exemple , le Trébellien , le Pégafien , le
Velleien , l'Ofician , furent ainfi appellés
à cauſe de Trebellius , Pegafus , Velleius,
Orficius , qui avoient requis ces fortes de
décrets.
Cependant les Confuls fe voyoient tour
à tour occupés au Sénat , à l'armée & à juger
les caufes des particuliers ; ils ne pou
voient fuffire à tant de foins , il fallut démembrer
une partie de leur pouvoir pour
en revêtir d'autres Magiftrats qu'on nomma
Préteurs , & qui furent uniquement
chargés de veiller au Barreau , leurs fonctions
furent renfermées dans l'exercice du
droit privé.
Si on croit Eufebe , les Préteurs commencerent
l'an $ 2 , après la publication de
la Loi des douze Tables , & le premier
qui parvint à cette dignité fut Sp. Furius
Camillus.
Quoiqu'il en foit , ils eurent les mêmes
marques d'honneur que les Confuls , ils
ne pouvoient d'abord être que de l'ordre
des Patriciens , mais les Tribuns qui devinrent
trop puiffans , firent paffer cette
dignité aux Plébéiens ; le premier Prêteur
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
choifi parmi ces derniers , fut Q. Publius
Phelo , d'un autre côté les Nobles ne dédaignerent
pas le Tribunat.
Tout l'office du Prêteur étoit renfermé
dans ces trois paroles , Do , dico , addico ;
il donnoit les actions , maniere impropre
de parler , qui ne veut dire autre chofe ,
finon qu'il les recevoit en décernant des
commiflions exécutoriales pour affigner ks
parties , il envoyoit en poffeffion , relevoit
les mineurs , les abfous , & cela regardoit
l'Empire pur , Imperium merum , qui de
droit appartenoit au Préteur , & étoit carac
térifé par le terme Do.
Au contraite dico & addico , fçavoir dico,
quand le Prêteur connoiffoit d'une affaire ;
addico , lorfqu'il ajoutoit à fon jugement
par l'exécution , regardoient l'un la Jurif
diction , l'autre l'Empire mixte , qui réfidoient
également & éminemment en fa
perfonne.
On trouve dans le Droit beaucoup d'ac
tionsPrétoriennes .Régulierement elles font
annales , à la difference de celles réfaltantes
des Senatus Confultes & des Plébifcites , de
la Loi des douze Tables , des réponſes des
Sages , parce que tous les ans on nommoit
un nouveau Préteur : chacun d'eux annonçoit
par un Edit gravé fur un carton blanc,
Album Pretoris , la maniere dont il exerçoit
la Jurifdiction ,
OCTOBRE. 1753 . 53.
Cette multitude d'Edits renfermoit néceffairement
beaucoup de contrariétés . Le
Jurifconfulte Julien réunit dans un recueil
très court & très clair , les meilleures actions
Prétoriennes , il en compofa le fameux
Edit perpétuel , fa collection n'étoit
point comme celle qu'avoit fait précédemment
Aulus Offilius fous Augufte ,
l'ouvrage d'un homme fans caractere ; elle
fut rédigée par les ordres du Sénat , & de
l'Empereur Adrien , auffi eut- elle force
de loi.
Au reste le même motif , qui avoit engagé
à dépouiller les Confuls d'une partie
de leur puiffance pour en revêtir les Préteurs
, détermina encore à augmenter le
nombre de ces derniers , tellement qu'au
lieu d'un feul Préteur , il y en avoit douze
à la fois au tems de Ciceron.
Les Romains avoient étendu les bornes
de leur Empire , on reconnut qu'un feul
Préteur ne pouvoit pas juger toutes les
caufes : la Préture quelque tems après fon
origine , fut d'abord partagée entre deux
Magiftrats , dont l'un demeura chargé de
terminer les differends qui furvenoient entre
les Citoyens , & porta le nom de Pretor
Url anus , l'autre fut créé pour appaifer
ceux des Etrangers , foumis à la domination
de Rome , & on l'appella Pretor-Peregrinuse
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
De nouveaux Etats conquis , & trop
éloignés pour qu'un feul homme pût juger
toutes les conteftations privées qui y naiffoient
, donnerent lieu à envoyer dans chaque
Province des Préteurs .
Ces Préteurs s'appellerent tantôt Proconfuls
, tantôt Provinciaux , tantôt Recteurs ou
Préfidens , voici à quelle occafion :
La Loi Sempronia mit enfin à exécution
l'ancien décret Agraire , elle ordonna que
les Provinces conquifes fe tireroient au
fort , & fe partageroient entre le Sénat &
le Peuple.
En conféquence de ce partage , le Sénat
envoyoit dans les Provinces qui lui étoient
tombées , des Préteurs qu'il qualifia du
nom de Proconfuls.
Dans celles échûes au Peuple , les Tribuns
députoient des Préteurs Provinciaux
qui avoient à vrai dire , la même autorité
que les Proconfuls.
Tibére enleva aux Tribuns le droit de
décerner des Provinces , il foumit celles
qui étoient au Peuple à l'autorité des Gouverneurs
qu'il nomma , de là ces Préteurs
appellés Rectores , Prafides : les Empereurs
qui vinrent après Tibére imiterent fon
exemple.
L'exercice du droit public , le pouvoir
de faire des loix , ne réfiderent plus fous
OCTOBR.E. 1753 . 55
les Empereurs , dans le Sénat & le Peuple ,
l'un & l'autre s'en défirent l'an 731 de
Rome , en faveur d'Augufte , le premier
des Céfars ; celui - ci eat l'attention de
communiquer les loix qu'il faifoit au Peuple
affemblé , afin de conferver par cette
formalité quelque image de République ;
mais fon Succeffeur abrogea ces aflemblées ,
fous prétexte que le nombre des Citoyens
les rendoient trop difficiles Se trop tumultueules.
Quant au Sénat , il commença à juger
en corps les procès importans , & furtout
ceux du grand Criminel ; par ce moyen
il perdit infenfiblement de vûe les affaires
politiques dont les Empereurs s'attribuerent
la connoiffance.
Le Droit Sacré leur fut pareillement
tranfmis , il appartenoit auparavant aux
Pontifes feuls ; les Empereurs s'emparerent
du Pontificat , ils furent par droit de fucceffion
Rois des Sacrifices.
Pour ce qui eft du Droit privé ordinai
re , ils en laiffoient l'exercice aux Préteurs ,
encore firent- ils des conftitutions dans les
affaires épineules , c'eft de ces loix dont le
Code eft formé.
Avant eux les Jurifconfultes ne répondoient
pas publiquement fur les queftions
qui leur étoient propofées , ils
Ciiij
56 MERCURE DE FRANCE.
donnoient de fimples avis , à peu près
comme font aujourd'hui les Avocats , &
dont par conféquent il étoit libre de s'écarter.
Augufte permit à quelques- uns d'expliquer
publiquement le droit ; Maffutius
Sabinus fur le premier à qui il accorda
cette permiffion ; beaucoup d'autres égalelement
autorifés fuivirent Maffutius ; lesnoms
des plus célébres font dans la Loi 2 ..
ff. de orig. Jur.
Les décifions mémorables de ces hommes
illuftres , qui prefque tous étoient des
plus grandes familles de Rome , amis des
Empereurs , ou recommandables par les
fervices qu'ils avoient rendus à l'Etat , furent
appellées Refponfa prudentum , il falloit
les fuivre & s'y conformer. C'eft de
leurs réponfes que les cinquante Livres,
des Pandectes font principalement compo
fés ils faifoient aufli des Formules tirées
des principes du Droit ; Gallus Equilius
paffe pour avoir inventé les plus heureufes.
A peine fut- il permis aux Jurifconfultes
du premier ordre , de répondre publiquement
fur le fens de la Loi , qu'ils le féparerent
en deux fectes , ce qui a occafionné
une foule d'antinomics dans le digefte :
Atcius Capito & Autiftius Labco en fu
OCTOBRE . 1753. 57
rent les chefs. Le premier obfervoit rigidement
les principes qu'il avoit appris :
le fecond , qui avoit l'efprit plus pénétrant
& plus fubtil , fit beaucoup d'innovations ;
cependant comme les Chefs de parti fourencore
moins divifés que ceux qui leur
fuccédent , les difputes furent beaucoup
'plus vives entre Sabinus , Succeffeur de
Capito , & Proculus qui remplaça Labeo ,
qu'elles ne l'avoient été entre Capito &
Labeo eux-mêmes ; auffi ces deux fectes .
ne font- elles connues que fous le doublenom
de Sabiniens & des Proculfiens , quoi .
que Sabinus & Proculus n'en fuffent pas
les auteurs.
Il s'en éleva une troifiéme pour les mettre
d'accord , ce fut celle des Hercifcundes,
lefquels tâcherent de concilier les uns &
les autres ; autant qu'il leur fut poffible , ils
prirent toujours le parti mitoyen . Juftinien
fe rangea de leur côté.
Le droit étoit donc compofé alors de la
Loi des douze Tables , des Plébifcites , des
Senatus Confultes , des Edits des Préteurs ,
des réponses des Sages & des Conftitutions
des Empereurs.
Ces derniéres s'étoient confidérablement
multipliées. Gregoire & Hermogenes les
réunirent en deux Codes fous Dioclétien ,
ces Codes contenoient les fefcrits & dé-
Coy.
5S MERCURE DE FRANCE.
crets des Princes , depuis Adrien juſqu'à
Conftantin,
Théodofe , le jeune , fit recueillir par les
plus éclairés Jurifconfultes de fon fiécle ,
les conftitutions faites depuis Conftantin
jufqu'à lui .
Mais ces trois ouvrages devinrent fuperflus
, parce que les loix qu'ils renfermoient
étoient obfcures ou ne s'accordoient
pas entr'elles ; auffi l'Empereur Macrin
qui étoit confommé dans l'étude de la Jurif
prudence , difoit il que pour ramener le
droit à des principes surs , il feroit à
il feroit à propos
de fuprimer tout ce qui avoit été écrit.
jufqu'alors dans ce genre.
Juftinien parut enfin , il mit la fcience
des Loix dans un nouveau jour, & la diftribua
dans le corps de Droit que nous fuivons
aujourd'hui , & qui a quatre parties.
D'abord il fit rédiger un Code de toutes
les Conftitutions depuis Adrien , c'est- àdire
, qui avoient été faites pendant le
cours de cinq cens ans , il le fit publier la
troifiéme année de fon regne ; il s'apperçur
que ce Code avoit été fait trop précipitamment
, il le fit revoir & corriger , il'
y ajouta cinquante décifions nouvelles ,
& le donna en cet état cinq ans après ,
fous le nom de Codex repetita prælectio
nis.
OCTOBRE. 1753. 59
Il y avoit trop d'excellentes chofes dans
la Loi des douze Tables , les Plébifcites ,
les Edits des Préteurs , les décrets du Sénat
, & fur tout dans les réponfes des Sages
pour ne pas les recueillir ; mais il falloit
beaucoup de choix , fingulierement
dans les décifions des Jurifconfultes , dont
les Livres montoient à près de deux mille
volumes. La Compilation abregée de toutes
ces loix forma le Digefte qui parut la
feptiéme année du regne de Juftinien ;
cette collection fut encore appellée du nom
de Pandectes , comme comprenant tout le
droit : tout y eft lié & digeré avec art &
méthode.
Juftinien ordonna enfuite qu'on fit les
Inftituts , ils renfermerent les élemens de
la Jurifprudence , & en font un précis
exact , quoique travaillé poftérieurement
au Digefte ; ils devinrent publics avant lui .
Pour parvenir à la compofition de ces
trois chefs -d'oeuvres , Juftinien employa
feize Jurifconfultes , dont les noms font
rappellés au Code de Jur, vet, envel. On
convient affez généralement que Tribonius
, qui étoit fon Chancelier , y eut la
meilleure part ; c'étoit un autre Appius , il
n'avoit pas le coeur auffi droit que l'efprit,
quelques - uns prétendent qu'il vendoit les
loix , du moins il eft certain qu'il en ac-
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE
commoda plufieurs felon les circonstances
où le trouverent fes amis , & ceux qu'ik
vouloit obliger. Ces interpollations fe
nomment des Tritonianifmes..
Dans le cours du refte de fon regne ,
-Juftinien fit encore 168 Conftitutions trèsétendues
, qui furent inferées dans le corps
de Droit , & qui font un fupplément du
Code ; on les appelle Novelles , non - ſeulement
, parce qu'elles font les dernieres
loix que cet Empereur ait compofées , mais
parce qu'elles dérogent prefque toujours à
la Jurifprudence , qui étoit en vigueur
avant qu'elles paruffent.
Tellement que le Droit Romain fe dif
tingue en trois fortes ; l'ancien , Jus vetus,
c'est celui du Digefte ; le nouveau , Jus novum
, c'eft celui du Code ; le dernier , Jus
noviſſimum , c'eſt celui des Novelles ; ces
Novelles furent écrites en Grec , & ont
été traduites en Latin , l'exactitude de leur
verfion leur a procuré le nom d'autenti
ques.
Ceux qui font nourris dans l'étude du
Droit Civil , & qui en connoiffent le beau
& l'admirable , s'étonnent à jufte titre ,
qu'après la mort de Juftinien cet ouvrage
n'ait cu lieu que pendant trois fiécles dans
l'Orient , & ait demeuré prefque ignoré
durant près de fix cens ans dans l'Occidents;
OCTOBRE . 1753 . 6x
Les uns attribuent ce malheur à l'embrafement
de Conftantinople , fous l'Empereur
Zenon , & à l'invafion des Goths , en Italie
, qui confommerent dans les flammes
tous les Livres qu'ils trouverent.
D'autres croyent que la jaloufie des Succeffeurs
de Juftinien , & fingulierement
de Bafile & de Léon le Philofophe , fut
caufe que cette immortelle compilation
demeura enféveiie dans l'oubli ; mais cette
derniere idée ne s'accorde pas avec le caractere
de Bafile , qui fut un grand Prince,
& à qui d'ailleurs on doit un abregé du
Code.
Quoiqu'il en foit , Charlemagne paſſe
pour être le premier qui ait témoigné vouloir
remettre le Droit Romain en vigueur.
Les ténébres épaiffes où les Sciences & les
Lettres étoient plongées lors de fon regne,
ne lui permirent pas de réaffir dans cedeffein
.
Les défordres de la guerre frent ce
que Charlemagne n'avoit pû exécuter. Lothaire
11. ayant conquis Melphe , dans
la Pouille , y trouva un exemplaire des
Loix Romaines , il en gratifia les Pifans ,
fes Alliés.
En conféquence de cette découverte ,
frenies profella en 1128 le Droit Romain
à Boulogne , il le fit d'abord de fon.
62 MERCURE DE FRANE.
fi propre mouvement ; il n'y fut autorisé ,
on en croit Berthold Nihufius, qu'en 1137 ,
Lothaire II . ayant ordonné par un Edit
que la collection de Juftinien feroit publiquement
enfeignée dans les Ecoles , &
fuivie au Barreau.
Dans le quatorziéme fiécle les Florentins
s'emparerent de Pife , & tranſporterent
à Florence les Pandectes qu'ils avoient
enlevé à leurs ennemis. La France ne voulut
point le céder à l'Allemagne & à l'ltalie
, elle eut auffi fes Docteurs ; ils font
connus.
J. Lacoste , fils , Avocat .
A Dijon , le 16 Avril 1753 .
La fuire au prochain Mercure .
VERS
A S. A. S. Mgr le Comte de Clermont ,
Prince du Sang , à l'occafion de fa Fête.
LA folemnité la plus chere ,
Du jour qui la voit naître éprouve le deftin ;
Eclatante , mais paffagere ,
Elle ne compte qu'un matin:
Il n'en eft pas ainfi de celle qu'on s'apprête ,
Grand Prince , à célébrer dans votre heureuſe
Cour ;
OCTOBRE. 63 1753 .
Pour la gloire & les arts dont vous êtes l'amour ,
Tous vous jours font des jours de fêre.
Le Chevalier de Laurès.
ICIC IC DE DE DE DE DE DE DE DE DE
VERS
A Mlle Gauffin , à l'occafion du rôle d'Aglaé
qu'elle a joué dans une Comédie nouvelle
, répréfentée à Berny , pour la fête de
SA. S. Mgr le Comte de Clermont , Prince
du Sang.
Q
Ue votre voix enchantereffe ,
Votre air naïf, votre délicatefle ,
Que tout , belle Gauffin , en vous plaît , attendrit !
On vous admire , on vous chérit ,
Vos charmes paflent dans ma Piéce ;
Par un preftige heureux qui voile la foiblefe;
Le coeur foupire & l'efprit rit.
Ainfi , quand zéphire careffe ,
Les bois , les champs que l'Aquilon flétrit ;
Le calme renaît , l'horreur celle ,
Tout s'anime , tout rajeunit ,
Et la ronce même fleurit .
Que n'embelliroit pas l'art joint à tant de graces !
Qui ,le vain Marfias , fur le Dieu da Parnaffe
Eût remporté le prix des Vers ,
Si vous euffiez prété vos accens à ſes airs,
Par le même.
64 MERCURE DE FRANCE.
說洗洗洗洗洗洗洗澡洗洗
ASSEMBLE'E PUBLIQUE
De l'Académie des Belles- Lettres de la Ro
chelle , tenue le
M
1753.
Gaſtumeau , Directeur , ouvrit las
Séance par un Difcours digne des
plus grands Ecrivains , dans lequel il
examine fi nous devons craindre pour
les Lettres , la même révolution qu'ont
éprouvée les Lettres Romaines .
93
"
"On ne poffede point , dit l'Auteur ,
de grands tréfors fans inquiétude . La
perfection où la France s'eft élevée dans
»les Arts de tout genre eft un bien dont :
wellè connoît le prix . Elle craint donc de
"le perdre , & dès- là il ne faut plus s'é-
» tonner qu'au premier danger qu'il pa--
» roît courir , on s'asme de toutes parts
pour fa défenſe.
" C'eft fur rout pour les arts de génie
que les alarmes paroiffent plus vives.
» Comme leur poffeffion a quelque chofa
» de plus flatteur pour l'efprit , qu'elle décide
beaucoup plus du mérite d'une na
tion , & que dépendante d'ailleurs d'u
» ne infinité de vûes extrêmement déli
ນ
cates , le trouble & le défordre s'y in--
troduifent d'une maniere prefque infen--
OCTOBRE. 1755. 6.5
fible , toute nouveauté y devient l'ob-
» jet de défiance & de précaution.
Telle eft le plus fouvent la fource de
» ces plaintes , qu'on entend s'élever for
» la corruption du goût plaintes qui
quelquefois fe font changées en cris
amers , & ont plus inquieté la républi-
» que des Lettres , que le fujet même qui
» les faifoit naître.
"3
"
n
" La fameufe difpute fur les anciens &
»les modernes fut une de ces entrepri-
» fes téméraires qui effraya le plus l'empi-
"
re Littéraire. Les grands maîtres alloient
» être abandonnés , on étoit menacé de
» l'anarchie , & tout étoit prêt à rentrer
» dans cette épaiffe nuit dont l'ignorance
avoit couvert le monde.
» Mais qu'avoit- on à craindre ? La guerre
fe faifoir à force ouverte : le fameux-
» adverfaire des anciens , trop foible pour
» la grandeur de fa caufe , ne gagna point
de terrein , & fit prefqu'autant de fautes:
» que de pas les deux grands hommes
» qui après lui entrerent en lice , & qui
>> auroient eu infailliblement raifon s'ils
» avoient pû l'avoir , ne donnerent pas
» à beaucoup près , à la difpute , ni autant
» de vivacité , ni autant d'étendue que
» Perrault : on réduifit la queſtion aux termes
du vrai , & après avoir reconnu
"
66 MERCURE DE FRANCE.
» qu'Homere & Platon avoient på tom-
» ber dans quelques négligences , on leur
» laiffa le nom de Divins , que leurs
» avoient décerné tous les fiécles....
"
Cependant la longueur de la difpute
accoutuma peu peu les efprits à des
» fyftèmes finguliers , fur le progrès &
» la chûte des Arts. On ne douta plus qu'il
» n'y eût un terme fatal , au de- là duquel
ils ne peuvent monter , & d'où enfin ils
» doivent defcendre , par notre inconf
" tance naturelle qui nous dégoûte de la
»perfection même , par la feule raifon
» qu'elle tend à nous fixer. On crut voir
» ce terme , on en marqua l'epoque : les
»
fiécles d'Augufte & de Louis le Grand
» parurent avoir fourni dans tous les gen-
» res des modéles achevés ; c'eſt à ce point
qu'on s'arrêta , & comme par un préju
"
"
gé déja fort ancien , on croyoit que tous
» les arts étoient tombés immédiatement
après la mort d'Augufte , il falloit par
» une conféquence néceffaire du fyftème ,
qu'ils dégeneraffent après celle de Louis
» XIV.
» La prévention ſe changea prefque en
» conviction on compara Auteur à Au-
» teur ; on nous montra nos Seneques
» nos Lucains , & tous ceux qui avoient ,
» dit- on , hâté dans Rome la décadence
» des Arts.
OCTOBRE. 1753. 67
» Croiroit- on que malgré les preuves
» éclatantes de goût & de génie qu'a four-
» nies notre fiécle ,pour la perfection de
» tous les objets des connoiffances humai-
» nes , cette crainte de les voir périr trou-
» ve encore place dans les efprits , & qu'on
la, fonde toujours fur le trifte évene-
» ment de la chûte des arts dans Rome ?
» Mais ceux qui craignent pour nous
un pareil événement , ont- ils affez réflé-
» chi fur les vrayes caufes de la corruption
du goût chez les Romains , & fur
» l'état actuel où fe trouvent les beaux-
» Arts en Europe ?
#
Examinons ces deux objets , & avant
» de nous livrer aux alarmes , voyons du
» moins fi elles font fondées .
Dans la premiere partie , après avoir
parcouru les cauſes auxquelles on attribue
ordinairement le déperiffement des arts
dans Rome , telles que la révolution du
Gouvernement , l'afferviffement de la République
, la dureté de fes maîtres , les
troubles & les divifions inteftines qu'exita
tant de fois la concurrence pour l'Empire
, & c. l'Auteur cherche dans Rome
même les caufes particulieres du défordre
: elle en fournit qui lui font propres ,
& qui fortent , pour ainfi parler , du fonds
de fa conftitution ,
68 MERCURE DE FRANCE.
Il s'arrête principalement à ces quatre
objets . Le caractere du génie des Romains,
le peu d'étendue qu'eut chez eux l'empire
des Lettres , même dans les tems les plus
heureux ; le peu d'objets fur lefquels ils
purent exercer leur talens ; le manque de
fecours pour les cultiver en falloit-il
" tant pour précipiter la ruine des Let-
» tres ?
20
Quoique tous les peuples ayent à peu
après les mêmes difpofitions pour les
» beaux Arts , on remarque pourtant que
» tous ne les cultivent pas de la même maniere
, & que chacun y porte fon carac-
» tere , & le goût dominant dont la na-
» tion eft affectée .
» Ceux que l'imagination gouverne
avec plus d'empire , fe livrent par préférence
à la Poëfie , & ne veulent dans
» les écrits que des fymboles , des peintu-
» res vives , des figures hardies ; tout s'y
traite en vers , la Philofophic , la Mo-
» rale , l'Hiftoire même.
"D'autres plus portés aux chofes de
» fentiment , femblent ne devoir chanter
» que l'amour & fes plaifirs.
» Tout ce qui eft du reffort de l'efprit ,
» tout ce qui refpire l'enjouement & la
» délicateffe , paroît dans une nation faire
le feul objet qui l'occupe , tandis que
OCTOBRE. 1717 .
و د
: 3 : 3. 69
l'autre uniquement livrée aux chofes
graves & férieufes , femble facrifier tout
» à la raifon , & ne fe plaire qu'aux ouvra-
" ges qu'elle a dictés.
» Je crois , fans prononcer trop hardi-
» ment fur le caractere d'efprit du peuple
» Romain , qu'on peut le ranger dans cet-
» te derniere claffe. Il avoit des moeurs ,
» & en général quelque chofe d'aufterė
» dans la conduite , l'ame naturellement
élevée & courageufe , le coeur dévoré
» d'ambition , & toujours au deffus de fes
» fuccès , quelque grands qu'ils fuffent ,
» une inclination vive pour toutes les cho-
» fes où il y avoit de la grandeur , une
» raifon exquife & folide , un jugement
sûr dans la conduite des affaires . Mais
» ces qualités mêmes , toutes eftimables
» qu'elles font , femblent exclure la viva-
» cité , l'enjouement , le jeu des paffions ,
» le defir de fe communiquer & de plaire ,
» le penchant à l'imitation , & dès là ôter
» à l'efprit une partie de fes agrémens &
» de fes reffources.
"
» Auffi les Romains , qui dans les ou-
» vrages férieux ont réuffi jufqu'à devenir
eux-mêmes d'excellens modéles , n'ont-
» ils eu que de médiocres fuccès quand ils
ont voulu traiter le fentiment ou don-.
» ner dans le badinage . Térence , lui même
"
70 MERCURE DE FRANCE:
33
dont le jeu eft par tout plein de fineſſe
» & de décence , a dans tout le tiſſu de
» les piéces je ne fçai quel férieux qui
fufpend ou amortit le plaifir des chofes
agréables & délicates qui y font répan-
» dues. Plaute qui avant lui avoit donné
plus de liberté au comique étoit fouvent
tombé dans la bouffonnerie plate & grof-
» fiere ; peut être eft- ce fa gayeté autant
que les pointes & les jeux de mots , qui
» lui a fait trouver un cenfeur fi rigide
» dans la Cour d'Auguſte.
» Croiroit -on que cette auftérité de
» moeurs , & ce goût dominant pour les
» chofes férieufes & raifonnables fit pref-
» que méconnoître aux Romains l'ufage
» des paffions douces & modérées , & que
» dans leur conduite comme dans leurs
» écrits , ils n'ont prefque jamais apperçu
» cette fituation de la ſociété , où ſans vi-
» ces comme fans vertus elle fait l'amufe-
» ment de tous ?
» Leurs femmes avoient de la fierté ,
» des fentimens , l'efprit d'une trempe auf-
» fi ferme que les hommes dont elles vou-
» loient partager la gloire & les travaux.
Calpurnie fit une harangue publique :
» Porcie , après la mort de fon mari , ava-
» la des charbons ardens : on leur permet-
» toit à peine les jeux innocens de la jeuOCTOBRE.
1753. 7%
nefle , & c'étoit pour elles un crime que
» d'y réuffir trop. Mais dès- là quelles difpofitions
devoient - elles apporter dans
» la fociété , leur orgueil comme leur vertu
en étoit le fléau , & à cet égard la
»fimple villageoife devoit , aux yeux de
Juvenal , l'emporter fur la mere des
33
» Gracches.
» Auffi dès que les richeffes eurent introduit
dans Rome le luxe & les plaifirs ,
on y paffa prefque fans milieu de la réferve
la plus auftere à la débauche la
plus groffiere. Toutes les productions des
» Auteurs en furent infectées , tout s'y pei-
» gnit fans ménagement & fans pudeur ;
& par un retour qui marque bien le
» penchant que nous avons à courir vers
» tous les excès , ceux qui tenterent de ta-
» mener les autres au devoir , en donne-
» tent des régles que perfonne ne put fui-
»vre.L'élévation des fentimens reparoiffoit
» dans les écrits , mais elle y étoit outrée
& gigantefque. Le plan de vertu qui
regne dans les ouvrages moraux de Sé-
» neque , femble avoir fourni le fond des
» idées & du ftyle des tragédies qu'on lui
» attribue; peut être a t'il paffé jufques dans
» l'économie & les expreffions ampoulées
» de la Pharfale.
» Ce qu'il y a de certain , c'eſt que la
72 MERCURE DE FRANCE.
.ןכ
و ر
vrages
forte d'efprit qu'ont eu les Romains ;
» n'a dû que très médiocrement étendre
l'empire des Lettres . Mille efpéces d'ouleur
étoient inconnues , ceux entr'autres
que produit le fimple amuſement
dans des fociétés fpirituelles & polies
, qui fçavent foumettre le plaifir ,
» les paffions , l'érudition même aux loix
de la bienféance .
?
De plus , ce goût qu'ils avoient pour
tout ce qui portoit l'empreinte de la
grandeur , après s'être exercé fur des ob-
» jets réels , & qui en étoient véritable
» ment fufceptibles , devoit être lui - même
une difpofition fort prochaine à donner
dans l'hyperbole & l'enflure , fur
» tout quand il étoit queftion de feindre
ou d'inventer.....
و ر
39
» C'est en partie à cette difpofition d'efprit
que nous devons ces déclamations
qui après le regne d'Augufte , firent pen-
>> dant fi long- tems prefque toute l'éducation
littéraire de la jeuneffe Romaine,
» Ouvrages bizarres , où l'art feul croit
remplacer la nature , où les mots tiennent
lieu des chofes , où des riens font
parés des plus riches ornemens de l'élo-
» quence ..... Comment les Romains ne
fe dégoûterent- ils pas de ce vain étalage
» des Rheteurs ? ....
39
»
» C'eft
OCTOBRE. 1753.
73 .
"
"
"
» C'est que dans ces déclamations ils
voyoient encore l'image de cette grande
éloquence , dont les Orateurs de la République
avoient fait ufage. Ils n'a-
» voient plus de Rois à accufer ou à défendre
, des citoyens plus grands que les
Rois à profcrire ou à fauver ... Mais ils
lifoient les difcours où s'étoient difcutées
» ces cauſes importantes , & pleins de leur
» antique grandeur , ne croyant pas que
» l'éloquence pût fans fe dégrader prendre
» un autre ton , ils aimoient mieux fein-
» dre des fujets qui s'élevaffent jufqu'à elle
, que de la faire defcendre aux objets,
» que leur fituation actuelle leur permet-
99
33
"
toit de traiter.
39
» Cette méprife dans le choix des fujets
» où l'éloquence devoit s'exercer, fut peut-
» être chez les Romains une des principa
» les caufes de la corruption du goût .
" Du moins nous fait-elle connoître com-
» bien peu les écoles Romaines fervoient
» aux progrès des Sciences .
..
C'est qu'en effet , les maîtres eux- mêmes
» n'avoient que très peu de connoiffances ;
» & où les auroient ils puifées ? Jamais
» les Sciences n'ont fait dans Rome que
» de médiocres progrès , & dans les tems .
» même les plus favorables , elles ne furent
cultivées que par le plus perit nombre ,
39
D
72 MERCURE DE FRANCE.
"
forte d'efprit qu'ont eu les Romains ;
» n'a dû que très médiocrement étendre
l'empire des Lettres . Mille efpéces d'ou-
» vrages leur étoient inconnues , ceux entr'autres
que produit le fimple amuſe-
» ment dans des fociétés fpirituelles & polies
, qui fçavent foumettre le plaifir ,
» les paffions , l'érudition même aux loix
de la bienféance .
?
De plus , ce goût qu'ils avoient pour
tout ce qui portoit l'empreinte de la
grandeur , après s'être exercé fur des ob-
» jets réels , & qui en étoient véritable
» ment fufceptibles , devoit être lui -mê-
» me une difpofition fort prochaine à don-
» ner dans l'hyperbole & l'enflure , fur
» tout quand il étoit queftion de feindre.
ou d'inventer.....
39
ور
» C'est en partie à cette difpofition d'efprit
que nous devons ces déclamations
qui après le regne d'Augufte , firent pen-
» dant fi long- tems prefque toute l'éduca-
» tion littéraire de la jeuneffe Romaine,
Ouvrages bizarres , où l'art feul croit
remplacer la nature , où les mots tien-
» nent lieu des chofes , où des riens font
» parés des plus riches ornemens de l'élo-
» quence ..... Comment les Romains ne
» fe dégoûterent- ils pas de ce vain étalage
des Rheteurs ? ....
» C'eft
OCTOBRE. 1753. 73.
» C'est que dans ces déclamations ils
voyoient encore l'image de cette grande
éloquence , dont les Orateurs de la République
avoient fait ufage. Ils n'avoient
plus de Rois à accufer ou à dé-
» fendre , des citoyens plus grands que les
Rois à profcrire ou à fauver ... Mais ils
» lifoient les difcours où s'étoient difcutées
» ces cauſes importantes , & pleins de leur
» antique grandeur , ne croyant pas que
» l'éloquence pût fans fe dégrader prendre
» un autre ton , ils aimoient mieux fein-
» dre des fujets qui s'élevaffent jufqu'à elle
, que de la faire defcendre aux objets,
» que leur fituation actuelle leur
permettoit
de traiter.
» Cette méprife dans le choix des fujets
" où l'éloquence devoit s'exercer, fut peut-
» être chez les Romains une des principa
» les caufes de la corruption du goût
» Du moins nous fait-elle connoître com-
» bien peu les écoles Romaines fervoient
» aux progrès des Sciences .
...
C'est qu'en effet , les maîtres eux -mêmes
» n'avoient que très peu de connoiffances ;
» & où les auroient ils puifées ? Jamais.
» les Sciences n'ont fait dans Rome que
de médiocres progrès , & dans les tems .
même les plus favorables , elles ne furent
cultivées que par le plus petit nombre ,
D
74 MERCURE DE FRANCE
»
le gros de la nation n'y prit aucune parti
» On ne peut gueres faire remonter
l'époque de l'introduction des beaux
» Arts dans Rome , plus haut que la fe-
» conde guerre Punique ; & combien en-
» core ces commencemens dûrent- ils être
» foibles ! ....
Ainfi ceux qui placent le commence-
» ment de la décadence des Arts dans Rome
, immédiatement après la mort d'Augufte
, ne leur donnent guéres que 200
» ans de durée.
"
» Il eft vrai que dans ce court intervalle
» l'Eloquence & la Poëfie furent portées
» au plus haut point de perfection ; mais
» les Sciences purent- elles , en fi peu de
» tems , faire un progrès égal ?
» Les Romains étoient un peuple de
foldats & d'efclaves. Durant les cinq fié-
» cles qu'ils pafferent à foumettre l'Italie ,
ils méconnurent prefque entierement le
refte du monde . ....
" Ils trouverent les Sciences dans la
» Grece , mais ennyvrés du ſuccès de leurs
armes au dehors , & troublés au dedans
» par les jaloufies du Sénat & du peuple ,
pouvoient- ils les cultiver avec quelque
» fruit ?.. Qu'on juge par la Géographie
du peu d'accroiffement des autres Scien-
» ces. Quand Polybe écrivit fon hiftoire
»
OCTO BR E. 1753. 75
20
a il fut obligé de voyager en Afrique , en
Afie , dans les Gaules , en Eſpagne , pour
s'affurer de la poſition des lieux dont il
» devoit parler ; & plus d'un fiècle après ,
Diodore de Sicile fut contraint d'en
» faire autant pour fon Hiftoire univer-
» felle.
Les beaux Arts même ne faifoient
»alors que des progrès très lents.
L'Auteur rappelle ici la ftupidité de ce
Conful , qui ayant fauvé de l'embrafement
de Corinthe des tableaux admirables, étonné
du prix qu'on lui en offroit , croyoit
que quelque vertu fecrette y étoit attachée ;
le mauvais goût du peuple , qui à la repréfentation
des plus belles piéces de Térence
, quittoit quelquefois le théatre pour
courir à des mimes ou des farceurs : l'aveu
que fait Virgile lui-même de la fupériorité
que la Grece avoit encore de fon tems
fur Rome , dans l'exercice de tous les arts ;
l'ufage où étoient les Orateurs d'y aller
étudier les Sciences , & c.
Combien peu de citoyens encore s'adonnerent-
ils à l'Eloquence & à la Poëfie
? Dans la lifte des grands Orateurs
» dont l'hiftoire nous a confervé les noms ,
on ne voit que des hommes Confu-
» laires , des Patriciens , les plus grands ,
les plus riches de Rome. L'Eloquence
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
» leur étoit néceffaire pour s'attirer l'ad-
» miration & les fuffrages du peuple ; mais
» pour arriver plus sûrement au but , il
» falloit parler à un peuple peu inftruit
» à qui l'art , la marche , & les ref-
» forts fecrets de l'éloquence fuffent en-
» tierement cachés ; car la furpriſe & l'ad-
» miration ceffent dès que l'objet eft con-
» nu , & il y a bien de l'apparence que
» ces harangues qui foulevoient fi facile-
» ment la multitude n'auroient eu que de
» très foibles fuccès , fi l'auditeur avoit pû
découvrir l'adreffe dont ufoient les Ora-
» teurs , pour lui infpirer ces mouvemens
furieux qui le jettoient hors des bornes
» du devoir. Les Prédicateurs de la Ligue
» trouveroient-ils aujourd'hui des audi-
» teurs auffi dociles que l'étoient ceux de
33
» leur tems ? ....
"
» L'Eloquence commença avec les trou
» bles de la République , lorfque les citoyens
les plus puiffans & les plus accrédités
fe faifoient des partis pour op
>> primer leurs concurrens : d'un côté les
» haines , les inimitiés , les accufations ;
» de l'autre , la néceffité de la défenſe dans
des cauſes où il s'agifloit toujours de fon
état & de fa fortune , & où il falloit
» répondre de vive voix par foi même &
» fans le fecours d'autrui ; le fuccès pref
>>
133
3
12
#
OCTOBRE. 1753 77
qu'infaillible qu'avoit auprès du peuple
, non pas l'innocent ou l'homme de
» bien , mais celui qui parloit avec plus
» de grace & d'éloquence ; le préjugé du
» fiécle qui ne croyoit dignes du gouver-
» nement que ceux qui tenoient le premier
rang parmi les Orateurs ; ce cri
» éternel de la fainteté des loix , de la ma-
» jekté du nom Romain dont retentiffoient
» les tribunes ; la foule qu'attiroit un ſpectacle
fi propre à nourrir la vanité & la
malignité du peuple ; tout cela dut nécef-
»fairement produire un grand nombre
» d'Orateurs , & tourner à l'étude des
» Sciences & des exercices oratoires l'édu-
» cation de la jeuneffe , que la naiffance
» & les talens appelloient aux premieres
» dignités.
» Mais une éducation fi fupérieure &
» dont le fuccès dépendoit d'une infinité
» de connoiffances qu'il falloit acquerir à
ود
33
grands frais , ne pouvoit guères être le
»partage du peuple. Auffi dès qu'Augufte
en pacifiant la République , cut fermé
» les routes à l'ambition des Grands , &
»que la tribune eut été forcée au filence ,
» il n'y eut plus d'Orateurs , & leur art
»tomba prefque dans l'oubli .....
" A la vérité , ce triomphe de l'éloquence
& les flateufes récompenfes qui y
Diij
76 MERCURE DE FRANCE.
"
»
» leur étoit néceffaire pour s'attirer l'ad-
» miration & les fuffrages du peuple ; mais
» pour arriver plus sûrement au but , il
falloit parler à un peuple peu inftruit , -
» à qui l'art , la marche la marche , & les ref-
» forts fecrets de l'éloquence fullent en-
» tierement cachés ; car la furpriſe & l'admiration
ceffent dès que l'objet eft con-
» nu , & il y a bien de l'apparence que
» ces harangues qui foulevoient fi facile-
» ment la multitude n'auroient eu que de
» très foibles fuccès , fi l'auditeur avoit pû
» découvrir l'adreffe dont ufoient les Ora-
» teurs , pour lui infpirer ces mouvemens
» furieux qui le jettoient hors des bornes
» du devoir. Les Prédicateurs de la Ligue
» trouveroient- ils aujourd'hui des audi-
» teurs auffi dociles que l'étoient ceux de
» leur tems ? ....
93
"
» L'Eloquence commença avec les trou
» bles de la République , lorfque les citoyens
les plus puiffans & les plus accrédités
fe faifoient des partis pour op
>> primer leurs concurrens : d'un côté les
» haines , les inimitiés , les accufations ;
de l'autre , la néceffité de la défenſe dans
des cauſes où il s'agifloit toujours de fon
» état & de fa fortune , & où il falloit
»répondre de vive voix par foi- même &
» fans le fecours d'autrui ; le fuccès pref
»
و ر
ע
OCTOBRE. 1753. 77
qu'infaillible qu'avoit auprès du peu-
» ple , non pas l'innocent où l'homme de
» bien , mais celui qui parloit avec plus
» de grace & d'éloquence ; le préjugé du
» fiécle qui ne croyoit dignes du gouver-
>> nement que ceux qui tenoient le premier
rang parmi les Orateurs ; ce cri
» éternel de la fainteté des loix , de la majefté
du nom Romain dont retentiffoient
» les tribunes ; la foule qu'attiroit un ſpec-
≫tacle fi propre à nourrir la vanité & la
malignité du peuple; tout cela dut néceffairement
produire un grand nombre
» d'Orateurs , & tourner à l'étude des
» Sciences & des exercices oratoires l'édu-
" cation de la jeuneffe , que la naiffance
» & les talens appelloient aux premieres
» dignités.
23
Mais une éducation fi fupérieure &
» dont le fuccès dépendoit d'une infinité
de connoiffances qu'il falloit acquerir à
" grands frais , ne pouvoit guères être le
»partage du peuple. Auffi dès qu'Augufte
en pacifiant la République , eut fermé
» les routes à l'ambition des Grands , &
que la tribune eut été forcée au filence ,
» il n'y eut plus d'Orateurs , & leur art
» tomba prefque dans l'oubli .....
»
و ر
» A la vérité , ce triomphe de l'éloquence
& les flateufes récompenfes qui y
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
» étoient attachées , avoient dû infpirer
» une très -vive émulation à plufieurs citoyens
d'un ordre inférieur , qui ne pou-
» vant le procurer une éducation fi recherchée,
s'attachoient du moins à cultiver les
parties de la Littérature qui étoient plus
» de leur reffort.
39
"
» C'est ce qui prépara au fiécle d'Augufte
ce grand nombre de Poëtes , d'Hif-
» toriens , qui voyant à leur tour leurs ta-
» lens accueillis , préférés même à ceux
» des anciens Orateurs dont on n'ofoit
» plus prononcer le nom , produifirent ces
chefs-d'oeuvre qui ont immortalifé leur
goût , & celui du Prince & du Minif-
» tre qui les protégerent.
وو
39
» Pourquoi de fi brillans efforts ne furent-
ils pas foutenus plus long-tems ?
Pourquoi ne proportionna- t'on pas les
» fecours aux fuccès ? comment ne prévicon
pas qu'une émulation qui avoit eu
» dans l'origine des caufes bien plus inté
» teffantes que les fimples regards du Prin-
» ce , & qui n'avoit percé qu'à travers
mille obftacles , dégénéroit bien vîte
fi l'on ne multiplioit les reffources & les
» facilités de l'éducation , qui elle même
» devoit naturellement multiplier les ama.
» teurs des Lettres ?
» Car ce font ces facilités qui ont tou
1
t
OCTOBRE. 1753. 79
»
"
» jours manqué à Rome. Les Rheteurs s'y
"éto ient introduits quelque tems avant
>> Ciceron : mais quelle école pour la jeu-
» neffe ! Prefqu'au moment de leur établif-
» fement ils s'attirerent le mépris des gens
» fenfés , & les Confuls furent obligés de
» mettre des bornes à leur licence . Cepen-
» dant c'étoient là les feuls maîtres que
l'on pouvoit commodément entendre.
» Une telle conftitution devoit expofer
» les Arts à une décadence inévitable ...
On fçait par quels dégrés ils font at-
» rivés à leur ruine fous les fucceffeurs
d'Augufte. Ces monftres qui immédiatement
après lui occuperent le thrône , ne
» favoriferent plus les lettres , quelques-
» uns meme leur furent contraires. Caligula
vouloit abolir les écrits d'Homere
"
"
& ôter des Bibliotheques publiques T-
» re- Live & Virgile : Neron affez fou
» pour fe croire le premier des Poëtes , &
» affez cruel pour punir en ce genre la ri-
»valité comme un crime , glaça les efprits,
» ou les força à s'envelopper d'un voile
» ténébreux qui déroboit toutes leurs gra-
"
» ces.
»
Mais ce n'étoient là que des momens
critiques , contre leſquels les beaux Arts
» auroient infailliblement prévalu , s'ils
avoient été plus répandus dans Rome.
Diiij
80 MERCURE DE FRANCE.
» En effet , un Gouvernement plus doux ,
» tel que celui de Vefpafien , de Trajan ,
» de Marc Aurele devoit les rétablir , s'ils
>avoient eu dans l'origine une confiſtance
plus fixe .....
» Pour donner plus de jour à ces preu-
» ves , il luffiroit de jetter les yeux fur l'é-
» tat des Lettres dans la Grece . D'où vient
qu'elles s'y font maintenues fi long-
» tems , & plufieurs fiécles après la chûte
des Lettres Latines ? C'est qu'elles y fu-
» rent plus répandues , que tous les ci-
» toyens les cultiverent , que les Acadé
» mies établies dans toutes les Villes y
» formoient la jeuneffe : c'est que toutes
» les Sciences , toutes les parties de là Lit-
"
térature y étoient enfeignées par d'ex-
» cellens maîtres , & que les Grecs naturellement
fpirituels & curieux , aimoient
toutes les belles connoiffances & s'y
appliquoient par goût : l'Eloquence &
la Poëfie faifoient l'amufement du peu-
» ple même : on y entretenait des fpec- i
tacles aux dépens de la République , &
» le plus indigent n'en étoit pas exclus ...
"
Dans la feconde partie du Difcours , M.
Gaftumeau indique , mais en géréral , nos
richelles littéraires , & les fecours infinis
qui de toutes parts s'offrent au génie , &
rendent l'étude auffi facile que commode.
OCTOBRE . 1753. 8 r
Toutes les Villes ont des écoles publiques
; les Bibliotheques , les cabinets
» des Sçavans , qui dans les Capitales ren-
» ferment des tréfors immenfes , ne font
pas fans quelque prix dans plufieurs Vil-
» les de Province.....
*
Un difcernement fin & exquis , un.
» vif attrait pour tout ce qui orne l'ef-
» prit & la raiſon , un goût éclairé de la
politeffe & des bienféances , plus pré-
» cieux peut-être que l'érudition même ,
»un ardent amour pour la gloire , for-
» ment aujourd'hui le caractere de toutes
» les nations de l'Europe.
Manquer-at - on de fujets & d'occafions
pour exercer fes talens ?
» D'un côté , une Religion fainte dont
les dogmes majeftueux & la morale fu
» blime ne fe déroberoient que trop à nos
regards , fi elle ne chargeoit fes orateurs
» de nous rappeller continuellement à el
» le , leur fournit un fonds inépuifable de
» fentimens , de pathétique , de vérités
impérieufes , d'invitations preffantes ,
» qui affurent à l'éloquence un fuccès mal-
» heureufement auffi durable que nos éga-
»remens & nos foibleffes .
33
» D'un autre côté , les haines , l'aveu-
» glement , l'intérêt , font retentir de leurs
» clameurs les tribunaux de la juftice : les
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
»
paffions s'y cachent avec art , le men
fonge même ofe y emprunter les couleurs
de la vérité : mais enfin la vérité y
triomphe , & elle doit fa victoire à l'E
loquence , &c.....
Je ne dis rien de la Poëfie , elle ne
" gagne pas à beaucoup produire ; fa fé-
» condité même lui nuit : il faut en ce
" genre ou des chefs d'oeuvre ou rien du
» tout , & les chefs-d'oeuvre font toujours'
rares Mais malgré cela l'Europe peut
» montrer d'excellens Poëtes , & même en
affez grand nombre , pour n'être pas à
» cet égard accufée d'indigence. Ce qu'il
»y a de certain c'eft que jamais l'art n'a
» été mieux connu ; que le goût de la
» bonne Poëfie eft aujourd'hui fi sûr & fi
répandu , que tout le monde eft en état
» de juger du mérite des Poëtes , & que
fans y penfer , les efprits fe tournent
» d'eux- mêmes aux figures & aux images
poëtiques , affez pour faire fouhaiter
que le penchant n'aille pas plus loin.
99
و ر
SP
...
Mais ce qui fait le mérite particulier
» de notre fiécle , c'eft que dans cette éten-
» due immenfe que renferme aujourd'hui
le cercle des connoiffances humaines ,
» nous n'admettons que des idées claires ,
des principes vrais , des raifonnemens
" exacts , des expériences fures. Tout ce
OCTOBRE. 1753. 83
qui fe cache dans l'obfcurité ou ne fe
»laiffe entrevoir qu'à demi , tout juge-
» ment confus , tout objet enfin que l'ef
» prit ne peut faifir d'une vûe ferme , eft
rejetté ou rangé dans la claffe des cho-
» fes douteufes & incertaines.
» Ce goût du vrai paffe dans tous les
» Arts : la feule nature eft en droit aujourd'hui
de guider la main des Ar-
» tiftes : elle eft elle-même le plus beau &
» le plus fécond de tous les modéles ....
"
» Quelle abondance , quelle variété d'i-
» dées ne doit pas produire cette multitu-
» de d'objets nouveaux que les Arts met-
» tent fous nos yeux , & combien le ſtyle
» en doit- il être orné & enrichi ? C'eſt de
cette fource que coulent dans nos bons
» ouvrages ces métaphores , ces images , ces
» comparaifons qui animent l'expreffion ,
» & donnent une efpéce de corps & de
» vie à des objets que fans leurs fecours
la vûe difcerneroit à peine.
L'Auteur ne diffimule point le reproche
affez juftement fondé qu'on fait à notre
fiécle , de vouloir briller & montrer de
l'efprit.
» Je fçais , dit -il , que cette fureur de
» courir après l'efprit eft un peu le mal de
» notre fiècle , que le brillant eft fouvent
» préféré au folide , & qu'à force de vou-
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
0
"
loir préfenter aux Lecteurs des chofes
» agréables ou délicatement rendues , on
s'écarte quelquefois de cette noble fimplicité
d'idées qui caractérisent la vérita-
» ble éloquence. Mais que ce petit défordre
» ne nous alarme point : il eft bien plus la
» preuve de notre abondance & de nos richeffes
, que d'un goût qui change ou qui
s'altere . Dans les maifons opulentes , le
fuperflu occupe autant que le néceflaire.
Un fiécle auffi éclairé que le nôtre peut
fans danger fe livrer à l'amufement :
d'ailleurs tous ces frivoles écrits où les
régles fe violent fans fcrupule , ne vi-
» vent qu'un jour , & les Auteurs eux - mê-
» mes ne les donnent pas pour bons . Le
goût eft fixé par de plus sûrs modéles :
les ornemens renversés dont fe
pare au-
» jourd'hui l'Architecture , ne nous fer
jamais oublier la majestueufe fymétrie de
la façade du Louvre , & fi quelqu'un
pouvoit craindre pour les beaux Arts ,
je ne lui nommerai point pour le raffu-
» rer les Rollin , les Montefquieu , les
Voltaire ; qu'il jette feulement les yeux
»fur le Difcours préliminaire de l'Encyclopédie
.
03
»
"
"?
M. Boutiron , pere , Chancelier , lut en-
Laite un Difcours qui a pour titre : Réflexions
fur les principes qui doivent guider
l'homme de Lettres.
1
OCTOBRE. 1753. 85
Il commence par établir qu'un homme
de Lettres n'eft vraiment eftimable qu'au
tant qu'il réunit la bonté & la droiture
du coeur aux talens & à l'agrément de l'efprit
, & il en conclut que l'homme de Lettres
qui veut rendre fes travaux utiles à la
fociété , & glorieux pour lui-même , doit
autant s'appliquer à remplir fon coeur de
l'amour de la vérité & de la vertu , qu'à
orner , embellir , élever fon efprit par les
belles connoiffances ; ce qui forme la divifion
de fon difcours .
» Je fçais , dit- il , que la diftinction du
coeur d'avec l'efprit n'eft qu'une préci-
» fion d'idées ; cependant comnie ces mots
repréfentent deux facultés de l'ame fuf-
» ceptibles de differens attributs , c'en eſt
»affez pour qu'on en puiffe faire la dif
tinction avec fondement . Le coeur de
»l'homme eft , s'il m'elt permis de parler
de la forte , la matiere de l'édifice dont
l'efprit eft l'ordre de l'architecture , &
»forme les ornemens qui l'embelliffent...
» Un coeur qui eft vrai & rempli de l'a-
» mour du bon , éleve l'efprit ; il le con-
" duit & l'empêche de s'égarer : l'efprit
polit le coeur , il le rend aimable : ainfi
» tour à tour ils fe rendent fervice . Où
» l'un d'eux manque d'être ce qu'il doit
» être , l'ouvrage eft imparfait , mais ave
"
.Mais
86 MERCURE DE FRANCE:
difference . L'homme qui ne péche que
» par l'efprit , eft encore eftimable ; celui
qui péche par le coeur ne peut , tout an
plus être qu'amufant , & fouvent il eft
>> pernicieux .
39
Après une courte digreffion fur le point
de fçavoir fi les idées font innées en nous ,
ou fi nous les acquérons par les fens , il
entre ainfi dans fa premiere partie.
» Se livrer à l'étude des Sciences & des
» Lettres par goût , uniquement pour oc
»cuper fon loifir , c'eft un amufement honnête
; s'y livrer dans la feale vûe de fe
» faire une réputation , c'eft vanité : ni
» l'un , ni l'autre n'eft vraiment eſtimable ,
quelque louable que foit l'amour des
» Lettres. Pour donner à ce travail tout le
prix qu'il doit avoir , il faut l'annoblir
» par un morif & des vûes propres à faire
refpecter la fcience , faire rapporter la
fcience à la vérité , & la vérité à Dieu ;
tel eft l'ordre des chofes , feul digne de
» la raison .
.
» Les premiers Sçavans l'ont compris de
la forte ; ils ramenoient à la morale ce
qu'ils acquéroient de connoiffances ;
» c'est par là qu'ils ont mérité le nom de
» Philofophes & de Sages....
37
39
Qu'importe de beaucoup fçavoir , f
l'on ne fait pas fervir les connoiffances à
OCTOBRE. 1753. 87
»la vertu , en eft on plus heureux ? le Sça-
>> vant qui fe conduit de la forte , n'eft pas
plus fage que l'avare qui amaſſe des richeffes
pour le plaifir de les contempler ;
» l'un & l'autre fe rendent inutiles le tré-
» for qu'ils poffédent ....
D
» On abufe de la Science dès que
» tu n'en eft pas le fruit....
"
la ver-
»Quel homme peut fe former de plus
» nobles idées de la puiffance du Créa-
»teur , que celui qui connoît mieux lat
grandeur & la marche de ces globes céleftes
, qui roulent fur nos têtes avec tant
» de majeíté , ou qu'un Phyficien attentif,
» qui , avec des yeux toujours appliqués .
» obferve la nature dans le détail ? Peut-il
» douter que des ouvrages où la puiffance
»& la fageffe brillent avec une magnificen-
» ce égale , n'ayent été produits pour une
fin , & par conféquent que l'homme
lui -même qui leur eft fupérieur , n'aie
» été créé pour une deftination qu'il doit
» s'attacher à remplir ?...
33
»
» Des objers non moins perfuafifs , s'offrent
aux réflexions du fimple Littéra
» teur : il lui fuffit de jetter un regard fur
» lui - même. Son efprit , fa raifon , font
coeur , tout lui découvre que fon origi
ne eft divine , & qu'il ne peut avoir d'autre
fin que l'être qui l'a formé . Mais
$8 MERCURE DE FRANCE.
par
quel éclat de lumiere ne frappera pas fes
yeux à la vûe de cette fociété fubfiftante
parmi les hommes , malgré le choc impé-
> tueux des paffions qui les agitent tous
avides de commander , prefque tous
» obéiffent. Animés leur intérêt particulier
toujours en oppofition entr'eux ,
»comment une difcordance prefque uni-
» verfelle , peut- elle produire l'harmonie ?
» n'eft il point étonnant que l'ordre de la
fociété naiffe du fein même des paffions
» qui la troublent ? c'eſt ainſi qu'à un efprit
qui réflechit , la confervation du
monde politique , ne prouve pas moins
la Providence que la confervation du
» monde phyfique .
"
» Mais s'il importe à la fociété que tout
» homme foit vertueux , elle у eft encore
» plus intéreffée par rapport à un hommie.
» de Lettres... .
» Il y a long- tems qu'on a dit que l'efprit
étoit au fervice du coeur , & on
a eu raifon de le dire . Quand le coeur
» eft mauvais , c'est beaucoup i l'efprit fe
» borne à l'excufer ; il fe rend prefque tou-
» jours l'apologifte de fa corruption . Il eft
rare qu'un homme de Lettres ne peigne
»fon coeur dans fes ouvrages , & qu'il ne
le juftific. Outre le penchant prefque
» invincible à parler de ce qui nous plaît ,
OCTOBRE. 1753. 89
» c'eft qu'on y gagne de fe confirmer foimême
dans le parti qu'on a pris ; car ce
» qu'on a fait adopter à d'autres , en paroît
» d'autant plus vrai ....
33
D
» Dans un Auteur voluptueux , d'un efprit
vif, leger , agréable , le coeur pein-
» dra fes fentimens avec des images rian-
» tes , parées des graces de la naïveté &
» de l'enjouement. C'eft la volupté elle-
» même qui s'offre aux yeux du Lecteur ,
» tantôt mollement couchée fur un lit de
» fleurs , tantôt dans l'agitation de l'yvrefle
» du plaifir.
ود
33
"
و ر »Sifonimaginationeftmoinsornée,
» que fon efprit foit plus férieux , mais
plas fort & plus élevé , ce fera des
par
raifonnemens qu'il enfeignera de fe li-
» vrer à fes penchans , & de fe débaralfer
" de toute contrainte ; il en fera un ſyſtê-
» me raifonné , qui aura pour principes le
renversement des vérités les plus fain-
"
» tes ....
2
» Quel bien au contraire ne peut pas
» faire à la fociété un homme de Lettres
qui en travaillant d'abord fur lui -même ,
» s'eft appliqué à perfectionner fon coeur ?
»oferai- je le dire ? il rend la vertu même
»plus refpectable , fon exemple entraîne.
» S'il écrit loin de fe permettre rien
qui puifle remuer les paffions , ou faire
و ر
>
90 MERCURE DE FRANCE.
» naître des doutes dangereux , il tire du
»fond des fujets mêmes les plus indiffe
» rens , de quoi faire briller la vérité &
" encourager la vertu ....
"
Obligé d'être toujours en garde con-
» tre lui - même , qu'un Auteur fage ne crai-
» gne pas de manquer de plaire par fa re-
» tenue. Les graces décentes & modeftes
d'un ouvrage où la vertu préfide , remplacent
avantageufement les faillies malignes
, ou les images trop libres d'un
» écrit licentieux. La vertu eft toujours
»pure , mais elle ne pouffe pas l'austérité
» au delà des bornes : elle admet quelque.
» fois à fa fuite des plaifirs paifibles & des
"
ود
39
ris innocens. Le chemin où me fait mar-
» cher une plume vertueufe , eft une campagne
cultivée , qui n'a pour ornement
qu'une noble fimplicité & fa verdure ;
mais elle me plaît , & plus long- tems, que
ces jardins fi bien fymétrifes où l'Art
» s'eft épuifé à varier les perfpectives...
» Si tous les gens de Lettres s'étoient
appliqués à perfectionner leur coeur , on
» n'auroit pas hazardé cet étonnant pro-
» blême , fi les Lettres ont moins fervi à
» épurer qu'à corrompre les moeurs....
"
M. B. paffe enfuite à fa feconde partie ,
dans laquelle il fe borne à des réflexions
générales fur la maniere de cultiver fon
efprit.
OCTOBRE. 1753. 91
Il confeille de ne pas fe livrer à de
grands efforts , i l'on ne fent en foi un
fond par lequel on puiffe être dédommagé
de fes peines , ou fi l'on n'eft conduit par
état dans la carriere.... » En multipliant
» les travaux , on force , dit- il , une terre
fablonneufe à quelque production ; mais
» la dépenfe furpaffe toujours le profit
» qu'on en retire .
38
İl confeille auffi de ne pas entreprendre
de tout fçavoir : » Il feroit à craindre
qu'on n'apprêt rien avec profondeur. Il
» vaut mieux être excellent dans un genre
» que médiocre en plufieurs... Cependant ,
» continue - t'il , fans ambitionner de tout
fçavoir , on doit s'efforcer d'acquérir au
» moins une teinture des principaux objets
des connoiffances de l'efprit hu
main. Quelque vafte que foit le pays des
» Sciences , & quoiqu'il foit partagé en
» un grand nombre de climats differens
"
»
il ne fait qu'un Empire ; tous ceux qui
» cultivent les Lettres font Concitoyens .
» Il est donc jufte qu'ils fe connoiffent les
uns les autres ; & pour cela ils doivent
» mutuellement voyager dans les differen-
»tes parties du pays qu'ils habitent : mais
" il eft de la prudence qu'ils reviennent
» enfuite au climat fous lequel ils font nés ,
» pour s'y fixer. Le tempéramment y cât
92 MERCURE DE FRANCE.
d'ordinaire plus fort. En courant fans
» ceffe d'un endroit à l'autre , on diffipe
» autant qu'on acquiert.
Après quelques réflexions fur la maniere
de diriger fes études , fur le foin
qu'on doit avoir de ne puifer fes premieres
connoiffances que dans les écrits des
meilleurs Maîtres , fans néanmoins négliger
dans la fuite les Ecrivains d'un moindre
mérite , M.B. en vient à définir le goût,
qu'il croit fe former infenfiblement par
cette lecture réflechie des bons ouvrages.
" Le goût eft , dit- il , ce difcernement
» vif , sûr , délicat , par lequel l'ame ap-
» précie les objets. Il fuppofe la folidité
» & la profondeur du jugement , mais il y
Dajoute la vivacité & la délicateffe . La
» vérité eft l'objet du jugement ; l'agré
» ment & la beauté font l'objet du goût.
» Le jugement fe raffermit par la difcuf-
» fion , & fouvent elle émouffe le goût ;
» c'eſt que le beau & le gracieux font comme
l'air que nous ne voyons pas ,
que nous fentons.
mais
" Ceci , continue l'Auteur , peut réfoudre
un problême littéraire propofé il y
» a quelques années , fçavoir fi c'eſt par- la
» difcuffion ou par le fentiment qu'on ju-
» ge mieux des ouvrages d'efprit. En ce
qui concerne la vérité , l'ordre & le rap-
30
OCTOBRE. 1753 .
93
port des idées , on en juge plus sûrement
» par l'analyfe & par la difcuffion ; mais
» le fentiment juge mieux de la beauté ,
» de l'agrément & de la fineffe des pen-
» fées , & le fentiment en cette partie fe
» confond avec le goût ; mais il y ajoute ,
33
car le goût n'eft parfait qu'autant qu'il
» réunit à la fineffe du fentiment lafolidité
» de la difcuffion....
30
و د
, on
3
» On reçoit de la nature le feu de l'ima
gination , le brillant de l'efprit , l'éten-
» due du goût ; mais le goût qui met en
»oeuvre ces heureux dons , forme les bons
» ouvrages ; on ne le reçoit point
» l'acquiert. Le principe de ce difcerne-
» ment qui fait le goût , confifte en cer-
» taines notions du vrai , du beau , du gra-
» cieux , du délicat , que l'ame ne par
» vient à s'approprier que par le fecours
» de ceux qui les ayant déja faifies y ont
» conformé leurs productions. Elles fer-
» vent à l'ame comme d'une efpéce de miroir
, qui en lui réflechiffant fes propres
» penſées , lui donne le moyen de les apprécier.
Telle une bergère qui trouve
» fous fa main les fleurs dont elle forme
fa parure ; elle ne choifiroit point celles
qui lui feyent le mieux , & ne les ajufte-
" roit point avec grace , fans le fecours du
crystal d'une fontaine....
"
94 MERCURE DE FRANCE.
23
C'est parce qu'on avoit oublié les
bons modèles , qu'on remarque tant de
»fautes & tant d'écarts dans les ouvrages
» des fiécles qui ont précédé celui de Louis
» XIV. quoique les Auteurs euffent de
»l'imagination , de l'efprit , quelques- uns
» même du génie . De là vient auffi que le
goût s'altére aifément par l'inconftance
» qui nous empêche de nous fixer , & de là
» vient encore que quand il eft perdu on
» le recouvre fi difficilement : il faut une
» révolution pour y ramener. On va tou-
» jours s'éloignant des bons modéles ,
parce qu'on ne remonte pas plus haut
que fes contemporains , ou qu'on eft en-
» traîné par la foule....
"
M. B. ajoute encore quelques autres réflexions
fur la néceffité d'affujettir les talens
au goût , & il finit
dire: » que
par
quoiqu'on ait du talent & du goût , cela
feul ne doit pas décider pour fe livrer à
» l'ambition d'être Auteur ; que l'homme
» de Lettres ne doit pas oublier qu'il eft
» Citoyen , & que c'eft à remplir plus par-
" faitement les devoirs de l'état où il le
>> trouve qu'il lui convient d'appliquer fon
fçavoir & fes connoiffances .... Quand
» rien n'oblige à écrire , pourfuit - il , il ne
» faut donner au public que du bon & du
parfait , ou du moins quelque chofe
OCTOBRE . 1753 95
d'utile... L'envie d'écrire , telle qu'elle
regne aujourd'hui , eft , ce me femble ,
» dans l'Empire des Lettres , ce qu'eft le
» luxe dans l'Etat politique. Il paroît ren-
» dre au - dehors un empire plus floriffant ,
tandis qu'infenfiblement il l'énerve &
" l'affoiblit . Il faudra bien enfin dans les
» fiécles qui nous fuivront , ou qu'on re-
» nonce au titre de fçavant , ou qu'on ou-
»blie jufqu'au nom d'une partie de cette
> multitude de Livres dont les Lettres font
furchargées.
Ce difcours fut fuivi d'un autre que lut
M. Durand de la Vaumartin , Préfident
du Préfidial , fur les avantages que la douceur '
procure à lafociété.
"La fociété , dit l'Auteur , eft la fource
» & l'origine de ces biens néceffaires , Lans
lefquels l'homme ne fçauroit vivre . Il
» fent qu'il fait partie d'un corps , dont
» tous les membres font liés entr'eux par
» des obligations réciproques. Trop foi-
» ble pour fe fuffire à lui -même , il faut
qu'il trouve dans fes femblables les fe-
» cours & les avantages qu'il ne pourroit
jamais fe procurer ; & par retour il doit
employer tous fes foins à contribuer au
" bien de la fociété.
»
A voir agir les hommes , on croiroit
» néanmoins que la fociété , loin de faire
96 MERCURE DEFRANCE:
l'agrément de la vie eft la fource de leur
" malheur. Les Sages les plus éclairés ne
» voyent qu'à travers le nuage de leur hu
» meur & de leur prévention ; d'autres ne
» cherchant qu'à s'aveugler & à pallier
» leurs défauts , envifagent comme une
» fuite néceffaire de la fociété les maux
qu'il dépend d'eux d'en bannir , & qu'ils
y répandent ou par caprice ou pour ſe
» fatisfaire . Jaloux d'un bonheur qui les
frappe fans trop examiner s'il eft réel ,
» ils cherchent à l'acquérir , & dans l'impoffibilité
où ils fe trouvent prefque
» toujours de l'obtenir , ils ne négligent
rien pour en priver ceux qui par induf-
» trie , ou par fageffe ont fçu le le pro-
39
curer....
M. de L. M. en difant que la douceur eft
le feul lien de la fociété , n'entend pas parler
» de la douceur chrétienne , qui fuivant
les préceptes de la Religion doit
être générale & fans bornes , qui fupé-
« rieure aux offenfes & aux injuftices ,
"comprend les ennemis & les perfécuteurs,
» & qui eft le principe de toutes les vertus
fociales ; il parle uniquement de cet-
» te douceur de caractere , qui marchant
toujours d'un pas égal & affuré , ſçait
éviter ou prévenir les maux que la difcorde
a préparés de tout tems à la focié-
» té ;
OCTOBRE. 1753. 97
té de cette vertu morale qui rendant
» l'homme doux , affable & maître de fes
paffions , lui fait envifager le commerce
»civil des hommes entr'eux , comme le
» moyen le plus propre à fuivre leur fureté
» & leur bonheur .
33
»
Après quelques réflexions , M. de L. M.
confidérant l'homme dans les differens
états où la nature l'a placé , fe propofe de
montrer que la douceur eft également
» utile & néceffaire à ceux qui ont droit
» de commander & à ceux qui doivent
» obéir ; que fes avantages fe font égale-
» ment reffentir dans le fein des familles
» & dans les fociétés particulieres , aufquelles
l'homme eft obligé de fe livrer.
"
و د
33
ور
» La douceur , dit M. de L. M. dans la
» premiere partie , eft le principe de cet
» ordre & de cette union qui font fleurir
»les Etats , & qui perpétuent leur durée ;
elle eft d'autant plus néceffaire que les
Empires ne fçauroient fe foutenir fans
»l'autorité d'une part & la fubordination
» de l'autre. L'autorité fans douceur eft un
joug troppefant pour l'homme : dépourvue
de la douceur , la fubordination n'eſt
» qu'une fervile crainte ; elle n'agit qu'avec
répugnance , & ne cherche qu'à fe
fouftraire à une autorité légitime.
"
» Fier de fon pouvoir , un Grand en
E
98 MERCURE DE FRANCE.
"
"9
fait-il fentir le poids par fes manieres
» dures & altieres ; un inférieur dont l'ef.
prit indocile fe conduit par fes foibles
lumieres , méprife- t'il le rang , la naif.
» fance , le pouvoir de fes fupérieurs ; ce
» n'eft de part & d'autre que faute de dou
» ceur dans le caractere ; auffi fans elle ne
» connoît on plus ni autorité , ni ſubordi-
» nation : mais que la douceur reprenne
» fes droits , l'autorité , paroiffant alors
» fans ce fol orgueil qui ne fert qu'à révol
» ter les efprits , la fubordination ne coû-
» tant plus d'efforts à celui qui doit obéir ,
» on verra renaître ces accords qui font
l'effence & l'être de la fociété.... 22
20
L'Auteur apporte en preuve l'exemple
de Rome. » Ces diffenfions & ces jaloulies
» qui partagerent fi long- tems cette Répu
blique en deux factions , celle du Sénat
» & celle du Peuple , auroient enfin, préci
» pité fa ruine , fi la douceur des Chefs ,
» des Orateurs , des Confuls & des Tri-
» buns n'eût ramené la paix , & fi la mo-
» dération n'eût fçu la perpétuer parmi
»les Citoyens qui fe croyoient tous libres
» & indépendans.... Dans quelles difpofitions
dûrent être ces ames hautaines
» lors de la révolution qui changea le
» Gouvernement de cette République , &
qui l'affervit enfin à l'autorité des Em
1
OCTOBRE. 1753.
99
pereurs ; la douceur fut feule capable
» d'arrêter les conjurations..... Célar &
» Augufte par leur clémence vinrent à
» bout de calmer les efprits , & ramene-
» rent à leur parti ceux qui y étoient le plus
» opposés.
Notre Hiftoire ne fournit pas à l'Auteur
des preuves moins heureuſes .
" La France , dit-il , Royaume depuis
" plufieurs fiécles le plus floriffant de l'Eu-
"rope ; la France , à qui doit- elle (on éten-
» due , fa force & le haut point de gloire
» où elle eft parvenue ? eft- ce à la valeur
» aux vertus guerrieres de fes Rois ? nos
» ennemis même n'en fçauroient difcon-
» venir le courage héréditaire dans cette
» augufte tige , leur a affez fait éprouver
» ce que peuvent les grandes ames , & les
:
triites effets de leur reffentiment , lorf-
» qu'il y va de leur gloire ou de l'intérêt
» de leurs peuples . Mais , il ne faut point
» craindre de le dire , la valeur feule de
»fes Souverains n'auroit jamais fait le
» bonheur de la Monarchie Françoiſe , fi
>> leur douceur & leur clémence n'eût conquis
plus de coeurs au - dedans du Royaume
, que leurs armes n'ont foumis d'en-
» nemis au-dehors. Louis XII . par l'heu-
» reux accord de toutes les vertus , mérita
également le titre de Jufte & de Pere du
E ij
100 MERCURE DE FRANCE:
و ر
و ر
Peuple. La bonté , la clémence d'Henri
» IV. l'ont rendu encore plus grand que
» fes vertus militaires qui lui ont attiré
» l'admiration de l'univers ; enforte , dic
» fon Hiftorien , qu'on doute encore aujourd'hui
, s'il a reconquis fon Royaume à
»force de combattre ou de pardonner . Louis
»XIV. dont les feuls deffeins faifoient
> trembler les Nations les plus éloignées ,
» ne devoit pas moins le furnom de Grand
»à fon amour pour fes Sujets , qu'à fes
brillantes & rapides conquêtes. Louis
" XV. enfin , modéle des Rois , quelque
35
ور
ود
و د
ود
puiffant , quelque redoutable qu'il ait pa
»ru dans la guerre , n'a fait paffer fes enne-
» mis de l'admiration à l'amour, que par fon
», affabilité , fa douceur & la bonté . Moins
jaloux de l'éclat de fes lauriers que de
l'affection des François , le furnom de
» Bien - aimé , qui lui a été donné à ſi juſte
titre , fera à jamais fa gloire & fon élo-
» ge ; furnom plus beau , plus grand que
» tous ceux de fes Prédéceffeurs , puifque
» pour le mériter il faut poffeder toutes
» les vertus , & ce qui fait les vrais Héros .
M. de L. M. paffant enfuite à fa feconde
partie , dit : De toutes les fociétés il n'en
" eft point dont les engagemens foient
plus étendus que celle qui nous unit par
» les liens du fang & par les fentimens du
ود
OCTOBRE . 1753 . 101
» coeur. Obligés de vivre enfemble par
» devoir & par intérêt , comment pour-
» rions- nous remplir nos divers engage-
» mens , fi par la douceur nous ne fçavions
» nous conformer à ce qu'ils nous prefcrivent
? c'eſt dans cette efpéce de fociété
» que les avantages de la douceur fe font
» encore mieux connoître ....
» Sans elle , quelque probité , quelque
» fentiment d'honneur qu'on eût , on ne
» pourroit entretenir l'harmonie..... Un
» homme dont la douceur fait le caractere ,
» peut feul répandre dans fa famille cette
paix & cette tranquillité , qui font éga-
» lement les charmes de la fociété , & le
» bonheur de la vie……….
»
Après un détail abregé des differentes.
circonstances dans lefquelles la douceur
contribue le plus à l'union des familles ,
l'Auteur paffe à l'amitié , qui eft un des
plus forts liens de la fociété , & montre
qu'elle n'eft pas moins redevable à la douceur.
""
"
» Sans elle il ne fçauroit y avoir cette
égalité d'humeur , cette uniformité dans
» les actions , cette conftance dans les fentimens
qui forment les noeuds de l'ami-
» tié..... Quelque forts cependant que
» foient les liens de l'amitié , l'intérêt particulier
les briferoit bientôt , s'ils n'é-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
ور
ود
» toient refferrés par la modération. Un
» caractere violent , ou qui rapporte tout
»à lai , ignore les droits de l'amitié , ou
» fe trouve gêné dans les devoirs qu'elle
»impofe.... Les qualités du coeur & de
»l'efprit font le mérite de l'homme , elles
» le repréfentent tel qu'il eft , & le pei-
"gnent avec des couleurs fi naturelles
» qu'il eft comme impoffible de s'y trom-
" per. De toutes ces qualités , la douceur
» eft celle qui fe fait le plus remarquer .
» Celui qui la pofléde , trouve le fecret de
» plaire fans contrainte & fans effort....
» Le bonheur de fe faire aimer dépend en
» effet , plutôt des façons douces & infi-
» nuantes que de toute autre qualité ; la
» douceur attire l'eftime & l'amour d'un
chacun , elle a des charmes aufquels on
» ne peut réfifter.
"
"
La troifiéme partie commence par ces
réflexions. L'homme naît avec le défir
» d'être heureux ; livré à lui -même , com-
» bien ne trouveroit- il pas de momens
» vuides ? la trifteffe & l'ennui l'obféde-
» roient fans celle , fon imagination & fes
» fens feroient dans une efpéce de lan-
" gueur ; loin de s'élever au deffus de tout
» ce qui refpire , il ne feroit que ramper ,
» & fa raifon qui doit faire fon bonheur ,
ne ferviroit qu'à le rendre encore plus
OCTOBRE. 1753. 103
» malheureux : il n'y a que la fociété qui
» puiffe lui procurer les agrémens de la vie.
"
Qu'il ne regarde pas néanmoins ces agré-
» mens comme fon bien propre & com-
» me lui appartenant de droit ; ils font
» partie du commerce civil ; c'eſt une efpéce
de préfent que les hommes fe font
réciproquement , & celui qui n'y met
» pas du bien ne doit pas y participer...
ود
و د
و ر
M. de L. M. fait voir enfuite qu'un homme
fans douceur ne peut être d'aucune
utilité à la fociété , & il ajoute : » Ce
» n'eft qu'en s'accommodant à l'humeur
» des autres qu'on peut vivre avec eux .
» La parole , don le plus précieux après la
» raifon , que l'homme ait reçu de la na-
» ture , lui feroit un préfent funefte , ſi el-
» le n'étoir miſe en oeuvre par la douceur,
» Sans cela la faculté de s'énoncer & de
"
converfer avec fes femblables , feroit
» une fource intariffable de divifions.....
» Que deux hommes également brufques,
également cauftiques , également contra-
» rians , fe trouvent ensemble , ils ne pour-
»ront fe fouffrir : qu'il paroiffe un hom-
» me d'une humeur douce , modérée , complaifante
, les contradictions ceffent , la
» converfation recouvre les charmes & fes
agrémens....
23
33
La politeffe & la bienséance qui font
E iiij
104 MERCURE DEFRANCE .
ور
و د
»
» une fuite naturelle de la douceur , fer-
» vent auffi à en retirer les avantages ; dans
» leur effet elles font les mêmes , mais leurs
régles changent fuivant l'humeur & le
» caractere des Nations. Semblables à ces
» loix arbitraires que les peuples fe font
impofées , elles obligent feulement ceux
» qui s'y font foumis . Parmi nous un An-
» glois , quelque politeffe qu'il ait , fera
» gêné : chez les Etrangers un François ne
paroîtra pas affez réfervé. L'un & l'autre
plairont pourtant , s'ils ont cette
» douceur qu'exige la politeffe de toutes
" les Nations , & ils fçauront également
» fe concilier l'eftime & la bienveillance
» de ceux avec qui ils feront obligés de
>>
» vivre....
وو
» Mais il ne faut pas confondre la poli-
» teffe avec la fauffe douceur , & la lâche
» complaifance qui encenfe le vice comme
» la vertu , défauts également contraires à
la fociété....
ور
M. de L. M. finit par le portrait d'un
homme dont la douceur fait le caractere
foutenu ; douceur qui lui fait goûter les
vrais plaifirs , qui les communique aux
autres , & qui les affranchit des dégoûts
qui paroiffent en être inféparables.
Ce Difcours fut auffi fuivi d'un autre
que lut M. Gilbert Procureur du Roi
OCTOBRE . 1753. 105
à la Police , fur les dangers de l'émulation .
» Le but des Académies , dit - il , eft de
» contribuer aux progrès des Sciences &
» des Arts : quelle obligation pour ceux
qu'elles affocient à ce généreux deffein !
» A-t'on juftifié un choix honorable , c'eſt
» alors leulement qu'on peut fans rougir
>> prendre un titre qui doit fervir de ré
compenfe & d'éguillon aux talens . Réflexion
affligeante , quand on est éga-
» lement convaincu, de fes devoirs & de
» fon infuffifance. Mille routes s'offrent ,
toutes plus attrayantes , mais la timidité
ne permet pas de s'y engager , ni la
» foibleffe de s'y foutenir l'exemple mê-
» me , quand il eft au deffus des forces , in-
» timide plus qu'il n'encourage.
23
"
ກ
» Laiffons donc le foin de preferire des
régles à ceux qui font en état de les fui-
» vre , de dévoiler la nature à ceux pour
qui elle n'a point de myftere fecret , de
» débrouiller le cahos de l'Hiftoire à ceux
» qui ont affez de difcernement pour voir
» la vérité , affez de force d'ame pour la
» dire. Le langage des Dieux n'appartient
qu'à ces génies infpirés , en qui les
» meurs épurées font le plus digne pré-
» fent du Ciel ; plus glorieux des couron-
» nes qu'ils reçoivent des mains de la vertu
, que des lauriers dont les Mufes ont
-
E v.
106 MERCURE DEFRANCE .
» tant de fois chargé leur front. Il n'appartient
d'apprécier les Littérateurs de
» tous les âges , & de leur affigner des places
, qu'à ces maîtres qui pourroient occu-
""
» per
33.
les premieres. Enfin , c'eft à ces efprits
réfléchis qui ont percé les profondeurs
du coeur humain , à nous dévelop
» per l'autorité & les préceptes de la mo-
» rale. Heureux de trouver dans leur pro-
» pre coeur les traits dont ils peignent la
» vertu , & de ne voir qu'à leur imagi-
>> nation , les couleurs dont ils chargent le
» vice.
ود
Après un retour de défiance fur lui- même
, le nouvel Académicien hazarde quelques
réflexions fur l'imitation : elles font
le fruit de l'étude des Anciens & de la lecture
des bons modernes . Les ouvrages du
jour trouvent leur place dans fes obfervations
judicieufes .
59
La galanterie , dit- il , & ce qu'on ap-
»pelloit alors une affaire d'honneur , &
plus communément aujourd'hui une af-
» faire malheureufe , faifoient parmi nos
» ancêtres la réputation d'homme à la mode.
La politeffe de notre fiécle a fubfti-
» tué à cet ufage , l'obligation moins coû
» teufe d'acquérir le titre d'Auteur . On
»> ne peut parvenir au temple de Mémoire
fans le fecours d'une brochure. De là ce
OCTOBRE, 1753. 107
déluge d'opufcules groffis à un tel point,
» que l'homme le plus laborieux ne peut
» pas même avoir la fcience des préfaces.`
» Dès que la Religion & les moeurs y font
ménagées , la multiplicité des Livres
» n'eft pas un fi grand mal qu'on le pen-
» fe , elle prouve du moins nos richeffes
» littéraires.
»
"
» On peut
les comparer
aux cabinets
cu-
» rieux
de nos
Craffus
, où après
vous
» avoir
fait courir
une fuite
de médaillons
» d'or & d'argent
, des buftes
de jafpe
&
» de porphyre
, des
tableaux
des plus
grands
maîtres
, on vous
conduit
à une
» armoire
de
chenilles
& de
papillons
,
» dont
la collection
eût abforbé
une for-
» tune
médiocre
. Quel
malheur
, fi notre
» goût
pour
les frivolités
convertiffoit
tout en papillon
! C'eſt
toutefois
l'écueil
qui perd la plupart
des
Auteurs
nouveaux
nés . Ils ont vu le Public
s'arra-
» cher
Tanzaï
, dévorer
le Sopha
, épuiſer
» dix éditions
d'Angola
; jaloux
de la réputation
brillante
de bel efprit
, c'eſt
>> fous
ces maîtres
trop
féduifans
qu'ils
» font
leurs
Académies
d'écrivains
à la
» mode . Mais , quoi ! l'empire
de la mode
» s'étendroit
donc
jufques
fur l'efprit
11
» faudra
penfer
, parler
, écrire
comme
» l'auteur
de cinq
ou fix brochures
, ou fe
E vi
108 MERCURE DE FRANCE .
» voir condamné à garder le filence , ou à
» n'être point écouté .... Je ne puis m'enpêcher
de renoncer au patriotifme , &
» de me réunir aux partifans de l'antiqui-
» té en faveur des Grecs , chez qui on ne
» demandoit que de la fincérité aux Hif
» toriens , de l'imagination aux Poëtes ,
» & du bon fens aux Epigrammatiftes.
22
ود
">
» Je fuis trop bon François pour cenfurer
avec févérité le frivole. Aufi les co-
» lifichets m'amufent- ils chez cet Auteur
léger & enjoué , qui leur communique
plus d'agrémens qu'il n'en reçoit ; mais
» par réflexion , je fuis fâché de les trou-
" ver chez cet Auteur fenfé , dont la beaupoar
fe trop mâle de ces graparer
» ces enfantines . En un mor , malgré la
» faveur de la mode , les frivolités ne
» peuvent le foutenit feules. Les pantins
» té eft
ont tombé , parce qu'ils n'étoient que
»pantins. Quand les Arts ont réuffi par
leurs preftiges à rendre intéreffans des
objets qui l'étoient peu d'eux mêmes , on
leur a fait grace de la frivolité en faveur
de l'intérêt , & ces puériles amuſemens
font devenus dignes de l'admiration des
Sçavans même.
»
22
Peu tranquille fur ces précautions contre
le goût du frivole établi dans notre
fiécle , Monfieur Gilbert qui n'a indiqué
OCTOBRE . 1753. 109
jufqu'ici que la ftérilité de l'imitation , y
voit encore des dangers réels qu'il préfente
ainfi
≫
» Que de gens affoibliffent leurs talens
naturels par une mauvaife imitation ! Ils
auroient pû être de bons originaux , &
» ils fe réduifent au rôle obfcur de pitoyables
copiftes. Heureux encore s'ils mar-
» chroient d'après d'excellens guides ! C'eſt
» à quoi devroient faire attention ces
» Auteurs à la mode , doublement coupables
d'avoir mal choifi leurs modéles , &
>> d'en donner encore de pires à fuivre. Si les
copiftes , du moins , faififfoient les traits.
avantageux de leurs modéles ! ... Mais
» non ; ils outrent leurs excès :.on ne rend
» que les ombres groffieres du tableau . Tel
» n'imire Corneille que dans fes vers ampoules
; tel ne prendra de Marot que
lon ftyle gothique.
23
D'où vient que chaque nation s'eft
» formé un caractere particulier dans la
Littérature , qui donne toujours un air
"national à fes Auteurs ? L'Allemand fe
» croit riche dès qu'il a beaucoup ; l'Eſpagnol
, dès qu'il imagine du grand
l'Italien , dès qu'il a du brillant ; l'An-
» glois , dés qu'il conçoit du rare ; le Fran-
» çois , dès qu'il enfante du neuf.
Dirons- nous que la nature , quoique
110 MERCURE DE FRANCE.
n
n
prodigue envers les hommes , économi-
» le cependant les faveurs , & difperſe ſes
tréfors pour le plaifir de la variété ? ne
" nous en prenons qu'à l'imitation. Lu-
» cain a formé les Elpagnols ; Seneque ,
» les Anglois ; les graces d'Ovide ont far-
» dé les Italiens ; nous fommes originaux ,
39
& la plupart du tems nous ne reffemblons
» pas à nous-mêmes. Par tout ailleurs les
Ecrivains confervent un caractere per-
» manent ; ils fe tranfmettent d'âge en âge
» un goût qui indique toujours le terroir ;
» chez nous tout varie jufqu'aux régles du
goût , quelque invariables qu'elles duf-
» fent être. Que ne puis- je dater par
Olympiades , pour mieux fixer les épo-
» ques de nos révolutions littéraires ? en
revanche , rien de plus monftrueux que
» le goût , le ftyle , la matiere même des
» ouvrages da jour.
>>
ور
Qu'on ne fe laiffe pas éblouir par le
» fuccès de quelques imitateurs. Mettez à
part ce qu'ils doivent à leur génie , il
» ne refte rien au mérite de l'imitation. La
» Fontaine effaça Bocace dans prefque
tous les fujets qu'il traita d'après lui .
» Où l'un & l'autre eft original , Bocace
» foutient trop bien l'équilibre , il auroit
» eu fa revanche s'il avoit travaillé d'après
la Fontaine. Bocace nous a donné Jocon-
33
OCTOBRE. 1753 .
de prefque fans autre parure que celle
» que la beauté tient toujours de la nature,
» & cependant elle parut charmante. La
» Fontaine donna à fon négligé un air qui
fentoit moins la négligence : fi Bocace
» l'eût vû dans cet état , il étoit trop bon
» connoiffeur pour ne pas fentir ce que la
» nature doit à l'art ; & je ne doute pas
» qu'entre les mains , une fleur artife-
» ment placée n'eût ajoûté de nouvelles
» graces à des attraits d'eux - mêmes fi touchans.
Encore une fois , fi ces grands
» maîtres ſe fuffent copiés fucceffivement
» l'un l'autre , à quel dégré de perfection
n'auroient- ils pas porté leur art.
» Voyons le Brun & le Sueur aux prifes
3 chez le Préfident Lambert. Le Sueur mit
» dans fon cabinet des Mufes un coloris
»féduifant , feule perfection qui manquât
» à ce grand homme ; & le Brun mit dans
» celui de l'Amour une correction de def-
» fein , à laquelle il n'avoit pû atteindre
jufqu'alors . L'un des deux ouvrages rend
raifon de la force pittorefque qu'on dé-
» couvre dans l'autre.
"
»C'eft à de pareils génies qu'il appar-
≫ tient d'imiter avec fuccès : ils étoient
» nés pour créer l'art qu'ils ont enrichi,
» Si quelques- uns font allés plus avant
20 dans la carriere que leurs prédéceffeurs ,
112 MERCURE DE FRANCE.
" c'eft qu'ils font partis d'un terme moins
éloigné du but. Il faut fentir ce génie
» créateur avant d'imiter , alors les modéles
deviendront des guides qui entraî-
» neront à la gloire , & les imitateurs ne
»feront plus des efclaves rampans fur les
» traces de leurs maîtres.
"
» L'imitation inftruira des régles de
» l'art , mais il faut que la nature ait com .
mencé l'ouvrage , afin que l'art puiffe
» l'achever. Homere feul a eu le génie
» d'Homere ; Scarron feul a eu le fien ;
» (qu'on me pardonne le contrafte ) ils fe
» feroient mal tirés de leur perfonnage s'ils
" en avoient changé . Il faut être original
» pour percer Le premier devoir d'un
homme qui afpire à la gloire littéraire
» eft donc de le mettre à fa place , alors
» il lui eft permis d'imiter ; mais qu'il fe
» fouvienne qu'il n'y a que ceux qui font
» en état de fe paffer d'un modéle , qui
puiffent s'en fervir avec fruit . 23
ל כ
» Rien ne nous fait mieux fentir les
dangers de l'imitation & les inconvé-
" niens de la mode dans les Sciences & les
» Arts , que les écarts de tant de Sçavans .
» Nous voyons des fiécles entiers dévoués
» au mauvais goût. Quiconque aura le cou
rage de s'engager dans l'immenfe déda-
» le des in -folio , s'étonnera encore plus de
n
OCTOBRE . 1753. 113
» leur indigence , en voyant qu'il ne te-
» noit qu'à eux d'être riches. Tous ces lit-
» térateurs gothiques ont vû des objets
ود
29
trop éloignés , pour que nous les accu-
» fions de n'avoir pû appercevoir ceux qui
étoient en deça . Neron , génie auffi tyranique
dans l'empire des Lettres que
» dans l'empire Romain , profcrivit éga-
» lement les loix de la vertu & les régles
» du bon goût. Sous fon regne on crut
» que pour être grand il falloit être gigantefque.
Lucain , entraîné par le goût
» dominant , imita fes concurrens , & les
furpaffa ; peut-être eût il égalé Virgile
» fous le fiècle d'Augufte.
و د
23
» La difficulté de fuivre de grands mo-
» déles détourne , fans doute , les Aureurs
» commençans , de la plus sûre & peut-
» être de l'unique voye de réuffit. Le dé-
»couragement eft fouvent près de la té-
» mérité. Ce fonds de vanité qui nous jet-
» te dans les hazards d'une brillante car-
» riere , s'épuife & nous trahit dans le
» cours d'un travail long & pénible .. Si le
» feu de l'imagination nous emporte quel
quefois au - dela de nos forces , fi on
juge alors du prix des chofes par ce
qu'elles ont coûté , & qu'on le paye de
» la peine d'un ouvrage par l'estime qu'on
» lui donne , ce n'eft qu'une évaluation
39
و و
»
114 MERCURE DE FRANCE.
» imaginaire , & l'Auteur qui le foir s'eft
» couronné de fes propres mains , fe dépouille
fouvent lui-même de fes lau-
» riers à fon réveil. Le même amour pro
39 pre fait fuccéder une rigueur outrée à
une extrême indulgence . Il a honte de
» s'être applaudi gratuitement ; il rougit
» alors de ce qui doit faire rougir fes ri-
» vaux . Comment fe produire aux yeux
» du Public , quand on voudroit fe déro-
»ber à fes propres yeux ? C'eft à un ami
» éclairé de ménager les intérêts du Pu-
>> blic , & la modeftie de l'Auteur. Le voi-
» le de l'anonyme pourra les concilier.
» Une déclaration à une perfonne qu'on
refpecte , fe pardonne fous le mafque.
» Eft- ce le même principe qui a introduit
» l'ufage des effais , fous le nom de traduc-
» tion ? Si l'on ne prétend que fonder le
» gout du Public , & profiter de fon refpect
pour tout ce qui vient de loin ,
» pourquoi blâmer cette politique ? C'eft
» Patrocle qui combat fous les armes d'A-
» chille ; il en impofe à tout autre qu'Hec-
>> tor : autre avantage , il peut tomber fans
» honte . Veulent ils ufurper le privilége
» d'une nation , d'ailleurs fi réfléchie , de
» porter la liberté quelquefois jufqu'à là
» licence abandonnons - les à tout l'ennthouſiaſme
des zélateurs . Ces prétendus
OCTOBRE. 1753. 115
"
» traducteurs ne font la plûpart que de
»faux monoyeurs , qui par une fauffe ha-
»bileté à imiter la marque du Prince &
» la couleur du métal , peuvent furpren-
» dre au premier coup d'oeil ceux qui ne
»font pas fur leurs gardes ; mais le trébu-
» chet les trahit bientôt , & fait voir que
» leur monnoye n'eſt pas de poids.
» N'avons- nous pas affez de nos ridicu-
» les , fans emprunter les défauts de nos
» voifins ? imitons leur hardieffe , mais ne
la pouffons pas jufqu'à l'audace .
La Séance fut terminée par des obfervations
de M. Desforges Maillard , Afocié
de l'Académie , de celle d'Angers , &
de la Société Littéraire d'Orléans , fur le
génie & le ftyle du Cavalier marin.
Les Poëtes Italiens , dit M. D. M. fe
>> laiffent entraîner le plus fouvent par la
» fongue de leur génie , fans confulter ni
>> les rapports que les objets ont entre eux ,
»ni la vraisemblance que l'art doit employer
pour embellir la nature . Le Ca-
> valier marin eft de tous les Poëtes d'Ita-
» lie , celui qui a le plus d'abondance & le
>>moins de raifon , le plus de brillant &
»le moins de folidité . Son immenfe Poë
» me d'Adonis reffemble à un prodigieux
» animal , qui auroit la tête d'une fyré-
»ne , les yeux d'un lynx , les aîles d'un
116 MERCURE DE FRANCE.
naigle , la peau , la d'un tigre queue d'un
>> paon . Toutes ces beautés différentes &
» mal afforties , ne préſentent qu'un monſtre
produit malgré la nature , & qu'elle
» défavoue .
>> L'Auteur , dans fon premier Chant in-
»titulé Fortuna , embarque Adonis par bazard
dans une chaloupe ou quelque cho-
»fe de moins encore , puifqu'il l'appelle
palis Chermo ( terme qui fignifie , fuivant
» les meilleurs Vocabulaires , une petite
>> barquette ou canor , qu'on met à la traî-
>> ne derriere le vaiffeau , ou qu'on porte
»dans le vaiffeau pour s'en fervir au be-
»foin . ) Il faut que ce fût bien peu de chofe
que le palis Chermo , puifque l'Ariofte
» dans fes peintures chimériques & plai-
»fantes , dit que Roland entra avec un pareil
efquif dans la gueule d'un monftre
>>marin.
» Le généreux Roland , ført de fa vertu ſeule ,
S'élance , & fon efquif, ce me femble , y paffa. »
>> Le Cavalier marin voulant égarer fon
» Berger fur les ondes , & le faire aborder
» enfuite à l'ifle de l'amour avec le petit
»batteau , il ne lui falloit qu'un léger ora-
»ge , ou feulement les ténébres de la nuit
ou de quelque brouillard ; cependant
»pour fe donner carriere , il éleve contre
OCTOBRE . 17537 117
toute raifon , la plus furieufe tempête
» qu'on puiffe imaginer. La verve impé-
» tucufe du Poëte agite la mer d'une f
terrible force , qu'au lieu d'un fimple
» batteau , elle eût englouti dans fes aby-
>> mes plufieurs armées navales .
Le fier Borée prenant en main la
trompette guerriere , défie au combat les
tourbillons & la tempête ; courbant fon
arc brillant de couleurs diverſes , Iris au
lieu de traits ne lance que des éclairs ; le
fuperbe Orion tire contre le Ciel fon fer
enfanglanté ; il frappe la nuë , & par les
coups redoublés il en fait fortir tout à la
fois l'onde & le feu bruyant dont elle
étoit remplic......
La mer en mugiffant dans les gouffres
profonds , éleve les flots bouillonnans de
colere ; fon orgueil indigné franchit fes
barrieres , & porte jufqu'aux aftres fes ondes
menaçantes. En vain des torrens de
pluye tombent fur elle avec le fracas des
plus épouvantables ruines , elle ne reconnoît
plus que l'olyinpe pour rivage.....
L'oifeau nage , le poiffon vole , les eaux
foulevées contre les eaux , les vents dé
chainés contre les vents , les nuées s'entrechoquent
avec fureur ; tous les élémens
* Cant. 1. Stroph. 120, 121 , & c.
118 MERCURE DE FRANCE.
mêlés & confondus vont replonger l'uni
vers dans les horreurs du cahos..
La chienne célefte peut déformais éteindre
fa brûlante foif dans les eaux de l'Océan
; le navire Argo dans un ciel ondoyant
craint de s'y voir fubmergé. . . .
» Et vous , ourfes glacées ,
» N'y lavâtes-vous pas , malgré l'eſprit jaloux
»De Junon toujours en courroux ,
Les brillantes toifons de vos peaux étoilées ? ;
» Je me fuis principalement attaché ,
>> continue M. D. M. à rendre en notre
>> langue le génie de l'Auteur , fans m'aſ-
» fervir trop fcrupuleufement à chacune
nde fes expreffions ; mais j'ai tâché du
>> moinsde ne lui rien faire perdre des gra
» ces que pourroient lui trouver fes com-
»patriotes , les plus paffionnés pour le
» goût emphatique. Il me femble qu'un
» honnête homme ne doit traduire qu'à
>> ces conditions. Je fçais qu'en donnant
>> des couleurs burlesques à la poëfie du
»Cavalier marin , je pouvois aifément la
» charger de ridicule ; mais je fçais auffi
» qu'il faut de la probité par tout , & que
» la probité ne va jamais fans la vérité &
»la bonne foi.
» Le Taffoni dans l'ébauche du Poëme
» de l'Ocean , dont il n'a fait que le pre
OCTOBRE. 1753. 119
mier Chant , eft plus retenu que le Cavalier
marin , & met plus de fublime
»dans ces quatre vers , tirés auffi de la
defcription d'une tempête , qu'il n'y en
a dans les gigantefques tirades que j'ai
rapportées.
Tuto quel di , &i.
Ils errent difperfés
Par des chemins affreux que la mort a tracés.
La pluye tombe avec tant de violence
qu'on croiroit que c'eft une nouvelle mer
qui vient fe joindre à la nôtre , pour en
augmenter les horreurs.....
Le Cavalier marin continue de prouver
dans le fecond Chant , intitulé le Palais
d'amour , la futilité de l'efprit , quand il
n'eft pas guidé par le jugement. Les trois
Déeffes y attendent le jugement de Pâris ,
qui doit donner la pomme à la plus belle.
Pour les contempler le Soleil arrête fa
courfe ; la terre pouffe des fleurs , les pins
portent des pommes délicieufes , les buif
Tons fe parent de violettes , les oifeaux
ceffent de chanter ,les ruiffeaux interrompent
leur murmure ; enfin toute la nature
eft attentive. » Mais après toutes ces jolies
» chofes , le Poëte améne les viperes à ce
fpectacle , & falit l'imagination par d'in-
» décentes apostrophes,
120 MERCURE DE FRANCE,
"
Et voi di tantagloria fpettatrici ,
Sentifte altro velen , vipere crude , e.
M. D. M. s'étonne que l'Auteur n'y
ait point aufli appellé les araignées fufpendues
entre les branches des arbustes ,
pour avoir occafion de décrire à cette vûe
leurs tranfports amoureux . Il femble , ditil
, qu'après avoir fait intervenir les viperes
dans cette ſcene , il n'eft point d'animal
fi odieux dans la nature qui ne pût y
prétendre fon droit d'entrée .
Telles font les rebutantes images qui
défigurent le Tableau de la folitude du
Poëte Saint-Amant , & contre lefquelles
Defpréaux s'eft fi juftement récrié....
Dans le fixiéme Chant , qui aa pour titre
1: Jardin du plaifir , le Cavalier marin promene
Adonis & Venus accompagnés de
Mercure . » Ce Dieu pour amufer Adonis ,
» lui fait une defcription anatomique de
» l'oeil , qui occupe plus de quatre- vingt
» vers , & dans le même chant il le recrée
» encore par une defcription du nez . Je
» crois qu'il n'eft perfonne, quelque décidé
» qu'il foit pour les digreflions , qui ne
» trouve ces peintures tout à- fait dépla-
» cées.
Le correctif qu'il donne dans la 137°
Stance du même Chant , avant de commencer
OCTOBRE . 1753 . 12r
mencer la defcription de la Grenadille
ne fuffit point pour juftifier l'extravagance
de fon imagination , quand fous les
yeux d'Adonis on y voit le pieux éloge
de cette fleur , où la fuperftition toujours
prête à faifir les plus légeres apparences
du merveilleux , s'eft perfuadée que les inftrumens
de la Paffion étoient empreints.
Fleur ! que dis-je ? ah plutôt livre miraculeux , &c.
La defcription de cette fleur eft fi diffufe
, Mercure & l'Auteur y font tellement
confondus , qu'il femble que ce foit Mercure
même , » qui par anticipation des
»tems devenu Profélite de bonne foi >
>> donne des larmes & des foupirs à la Paſ-
» fion du Sauveur , & qui pour terminer le
panégiryque de la Grenadille , invite les
ellains des Anges à defcendre fur cette
»fleur en forme d'abeilles.
Ces fictions feroient peut-être admifes
dans un ouvrage de piété ; mais elles ne
font pas fupportables dans un Poëme fur
les amours d'Adonis , aggrégé au nombre
des faux Dieux……..... C'eſt d'ai leurs , n'y
pas regarder de fort près , en fait d'anachronifme
, que de parler des inftrumens
de la Paffion, en prélence du favori de Venus........
Ce Poëme où l'on trouve des peintures
F
122 MERCURE DE FRANCE:
fi dévotes , eft d'ailleurs parfémé de ga
lanteries , dont l'Auteur ne s'eft pas mis
en peine de voiler les nudités même d'une
gaze légere..... Le Cardinal Bentivoglio
lui en fait une réprimande très vive . » Sou-
» venez- vous fur toutes chofes , lui dit- il ,
» mon cher Chevalier , je vous le demande
par grace , de retrancher de votre Ado-
» nis , tout ce que vous y avez mis de lal-
»cif...Ne l'expofez point à périr une fe-
» conde fois , fous des coups plus funeftes
» pour vous , que ceux dont il mourut la
»premiere fois , ne le furent pour lui.
M. D. M. ne refufe point au Cavalier
marin la justice d'avouer , qu'après Ovide
, dont il n'a pas à beaucoup près , le
goût & le difcernement , il eft cependant
peu d'Auteurs qu'il n'égale pour l'efprit &
l'imagination . Il convient même qu'on
trouve dans fon Poëme des chofes nonfeulement
d'une grace & d'une légereté
charmante , mais encore d'une beauté &
d'une force admirables. L'efprit abonde
dans le Poëme , mais le goût y manque...
Si le Cavalier marin avoit été pénétré de
la maxime omne fupervacuum , &c. il auroit
réduit fon ouvrage au quart , & en faifant
moins de vers par rapport au nombre , il
en eût fait davantage pour la gloire.
OCTOBRE.
1753.
723
Le mot de l'Enigme du Mercure de Sepembre
, eft le foulier d'une femme. Celui
lu premier
Logogriphe eft Quenouille ,
lans lequel on trouve Jo , Elie , Noël , Lu
le , Eve , Noë , vie , nue , Nil , vin , ouie ,
vie , quine , viole , viol , quille , vive , un ,
vol , envie , jeune , oie , veine , louve , Levi,
lin , ville , lie , Luque , oeil. Celui du
econd
Logogriphe eft Camouflet , dans lejuel
fe trouve ean , feu , flute , Autel , fat,
ulte , fouet , moule, Oeta , Luc , ame , cament
, cave , alte , alcove , mât. Celui du troiiéme
eft
Bravoure , où l'on trouve Aurore ,
ave , Var , eau , boue , aven , voen , Bourau
, bure
bure , or , ver , barre.
:
ENIGME
LOGOGRYPHIQUE.
Ugez , chere Philis , fi j'ai le don de plaire ;
contente le goût , l'odorat & les yeux :
a premiere moitié eſt au ſein de la terre ,
Et l'autre moitié dans les Cieux.
Fij
24 MERCURE
DE FRANCE
:
N
LOGO
GRYPHE
.
E'e pour
adoucir
les chagrios
de la vie ,
Pour mériter
l'eftime
en diffipant
l'ennui ,
Pour comble
de vertus utile à la Patrie ,
Le génie & le goût , eux feals font mon appui;
Art fublime , art brillant , art enfin falataire ,
Le tyran à ma voix rallentit fa fureur ,
Mon accens de l'ennui diftrait le folitaire ,
Et dans les champs de Mars j'écarte la terreur.
Souveraine des coeurs , ils font fous mon empire ;
Mais pour ne rien céler , à la honte des moeurs
Mon art fert quelquefois ( je rougis de le dire )
A peindre de l'amour tous les plaifirs impurs.
A ce portrait , Lecteur , tu ne peux te méprendre ,
Et pour te raffurer , je veux bien plus m'étendre ,
Moyennant le fecours de la combinaiſon,
De huit lettres formée on y trouve un pronom ;
Un martyre en amour , fi c'eft une cruelle ,
Mais le plus doux plaifir , pourvû qu'on ſoit fidelle,
Un grand Muficien redevable à fon art ,
S'il échape à la mort fous les coups du poignard ,
Cette Ville autrefois le féjour de la gloire ;
Ce nom de tant de Rois d'une illuftre mémoire ;
Celui dont nous tenons ce nectar précieux ;
Qui charme tous nos lens , mais louvent dange.
reux ;
OCTOBRE. 1753 . 125
La fource & le fujet des vertus & des vices ;
D'une tendre moitié les plus cheres délices ;
Un habitant de l'air , un Roi Syracufain ;
La fille de Lamech . & foeur du Tabalcain.
Inventrice , dit on , du chant de la quenouilles
Une interjection , le nom d'une grenouille ,
Certain qui de nos jours fait la félicité ,
S'il a d'un Régulus toute la probité.
C'en eft affez , Lecteur , tu dois me reconnoître,
De feindre plus long- tems je ne fuis pas le maître;
AUTRE EN VAUDEVILLES.
Air : Nous fommes Précepteurs d'amour.
C Ing pieds forment tout mon terrain ,
Mais j'ai bien un autre étalage ;
Lecteur , en François , en Latin ,
Décompoſez mon aſſemblage.
Air des Sabotiers Italiens : Sous un ombrage
frais fait exprès.
J'offre d'abord en mon joli nom ,
Des amours maint compagnon
Sins me changer
Ce tendre berger,
Bon ;
Qui fit un Grec d'un feul coup ;
Coû
Des menuets
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
Les actes les plus parfaits ;
Plus la lettre a ;
Un adverbe après cela.
En Latin le bord d'un élement ,
Que l'onde toujours gliflant
Rend.
Air : Quand l'Auteur de la nature .
Une note de mufique ,
Quelque part un bain très- fpécifique ;
Dans l'Egypte ,
Hypocrite ,
Un
taureau
Fêté plus qu'un poireau.
En Latin l'infecte illuftre ,
Dont les biens des Autels font le luftre ,
Ce qu'à Rome
L'honnête homme
- Débourfoit ,
Quand fa dette il payoit.
Air : Ab , le bel oifeau , maman.
'Au génitif le pays
Fertile en marbre & porphyre ,
Une ville dont Louis
Dépouilla les ennemis ;
De l'Elide une cité ;
Dans nous un fougueux délire ,
Honte de l'humanité ,
Que la raifon doit détruire ,
OCTOBRE. 1753. 127
Ce qu'au retour de fon pré
La fermiere prefle & tire ;
Du nouvellifte entêté ,
L'argent promis , non compté .
Air : Nous venons de Barcelonette.
Un terme Latin dont Catule
Se fert pour rendre un petit pain ,
Mais que Juvenal intitule ,
Cordon d'un menton enfantin .
Air : De M. le Prevot des Marchands.
D'égal fingulier génitif,
Du mal trifte fuperlatif.
Dites en Latin , tu m'écorches ,
L'impératif du verbe aller,
Je vous donne affez d'anicroches ,
Tâchez de me déceler.
Air : Quej'aime mon cher Arlequin.
Mon dipe eft embarraflé ,
Que je fuis folle !
Dans mon fein peut être enfoncé ,
De mes plaifirs il eft laffé ,
Car je fuis fon idole ;
Trop long-tems je l'ai tracaſſé ;
Mon nom.... ah , qu'il eft drôle t
F iiij
128 MERCURE DE FRANCE .
NOUVELLES LITTERAIRES
L
ETTRES hiftoriques & philofophiques
du Comte d'Orreri , fur la vie
& les ouvrages de Swift , pour fervir de
fupplément au Spectateur moderne de
Steele. A Londres , & fe trouvent à Paris ,
chez Lambert , rue de la Comédie Françoife
1753. Un volume in- 12 .
Le Docteur Swift a une fi grande réputation
en France , qu'il n'eft pas poffible
qu'on n'y falle accueil à des Lettres où
l'on trouve des détails très - inftructifs fur
fa perfonne & fur les ouvrages. On y verra
cet homme célébre décompofé en quelque
maniere , & on fera étonné de la variété
de fes talens & de les connoiffances.
PRINCIPES de Religion , ou préfervatif
contre l'incrédulité , par M. Rouffel,
Prêtre . A Paris , chez Prault , le jeune ,
Quai des Auguftins 1753. Deux volumes
in 12. feconde édition .
Ce Livre où l'on voit l'union affez rare
du raifonnement & du fentiment , a eu le
fuccès que nous avions prévû . Les augmentations
importantes , & en quelque maniere
néceffaires , qu'on trouvera dans la
OCTOBRE. 1753. 129
nouvelle édition , rendront l'ouvrage plus
précieux & d'un uſage plus général.
HISTOIRE de l'ancien Théatre Italien
, depuis fon origine en France jufqu'à
fa fuppreffion en 1697 , fuivie des extraits
ou carevas des meilleures Piéces Italiennes
qui n'ont jamais été imprimées . Par
les Auteurs de l'Hiftoire du Théatre François.
A Paris , chez Lambert , rue de la
Comédie Françoife 1753. Un volume
in- 12.
On trouvera dans cet ouvrage le même
ordre & les mêmes recherches qui font le
mérite du Théatre François Meffieurs
Parfait ne fe laffent pas d'écrire & ne fe
négligent pas en écrivant.
DISCOURS prononcé dans l'Académie
Françoife , le Samedi 25 Août 1753 ,
à la réception de M. de Buffon . A Paris ,
de l'Imprimerie de Brunet. Vingt- une pages
in-4°.
Le Difcours de M. de Buffon , que fon
Hiftoire naturelle a placé parmi les plus
grands Phyficiens & les plus grands Ecrivains
de tous les âges , roule prefqu'entierement
fur le ſtyle. Le Lecteur nous fçaura
gré d'en tranſcrire le morceau le plus important.
Fv
130 MEN
Le ftyle n'eft que l'ordre & le mouvement
qu'on met dans fes penſées . Si on
les enchaîne étroitement , fi on les ferre ,
le ftyle devient fort , nerveux & concis ;
fi on les laiffe fe fuccéder lentement , &
ne fe joindre qu'à la faveur des mots ,
quelqu'élégans qu'ils foient , le ftyle en
fera diffus , lâche & traînant.
Mais avant de chercher l'ordre dans lequel
on préfentera fes penfées , il faut s'en
être fait un autre plus général , où ne doivent
entrer que les premieres vûes & les
principales idées : c'eft en marquant leur
place fur ce plan qu'un fujet fera circonfcrit
, & que l'on en connoîtra l'étendue :
c'est en fe rappellant fans cefle ces premiers
linéamens , qu'on déterminera les
juftes intervalles qui féparent les idées
principales , & qu'il naîtra des idées acceffoires
& moyennes qui ferviront à les
remplir. Par la force du génie , on le préfentera
toutes les idées générales & particulieres
fous leur véritable point de vûe
par une grande fineffe de difcernement
on diftinguera les penfees ftériles des idées
fécondes ; par la fagacité que donne la
grande habitude d'écrire , on fentira d'avance
quel fera le produit de toutes ces
opérations de l'efprit. Pour peu que le
fujet foit vafte ou compliqué , il est bien
OCTOBRE. 1753 131
tare qu'on puiffe l'embraffer d'un coup
d'oeil , ou le pénétrer en entier d'un feul
& premier effort de génie ; & il eft rare
encore , qu'après bien des réflexions , on
en faififfe tous les rapports.On ne peut donc
trop s'en occuper , c'est même le feul
moyen d'affermir , d'étendre & d'élever
fes penfées : plus on leur donnera de fubf
tance & de force , plus il fera facile enfuite
de les réaliſer par l'expreffion.
Ce plan n'eft pas encore le ftyle , mais
il en eft la bafe ; il le foutient , il le dirige
, il régle fon mouvement , & le foumet
à des loix : fans cela le meilleur Ecrivain
s'égare , fa plume marche fans guide , &
jette à l'avanture des traits irréguliers &
des figures difcordantes. Quelque brillantes
que foient les couleurs qu'il employe ,
quelques beautés qu'il feme dans fes détails
, comme l'enfemble choquera , ou ne
fe fera point fentir , l'ouvrage ne fera point
conftrujt ; & en admirant l'efprit de l'Auteur
on pourra foupçonner qu'il manque
de génie. C'est par cette raifon que ceux
qui écrivent comme ils parlent , quoiqu'ils
parlent très-bien , écrivent mal ; que ceux
qui s'abandonnent au premier feu de leur
imagination , prennent un ton qu'ils ne
peuvent foutenir ; que ceux qui craignent
de perdre des penfées ifolées , fugitives ,
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
& qui écrivent en differens tems des morceaux
détachés , ne les réuniffent jamais
fans tranfitions forcées ; qu'en un mot il y
a tant d'ouvrages faits de piéces de rapport
, & fi peu qui foient fondus d'un même
jet.
Cependant tout fujet eft un ; & quelque
vafte qu'il foit , il peut être renfermé dans
un feul Difcours ; les interruptions , les
repos , les fections ne devroient être d'u
fage que quand on traite des fujets differens
, ou lorsqu'ayant à parler de chofes
grandes , épineufes & difparates , la marche
du génie fe trouve interrompue par la.
multiplicité des obftacles , & contrainte
par la néceffité des circonftances ; autre .
ment , le grand nombre des diviſions , loin
de rendre un ouvrage plus folide , en détruit
l'affemblage ; le Livre paroît plus
clair aux yeux , mais le deffein de l'Auteur
demeure obfcur , il ne peut faire impreffion
fur l'efprit du Lecteur , il ne peut même
fe faire fentir que par la continuité
du fil , par la dépendance harmonique des
idées , par un développement fucceffif ,
une gradation foutenue , un mouvement
uniforme que toute interruption détruit
' ou fait languir.
Pourquoi les ouvrages de la nature fontils
fi parfaits ? c'eſt que chaque ouvrâge
1
OCTOBRE . 1753. 133
eft un tout , & qu'elle travaille fur un plan
éternel , dont elle ne s'écarte jamais ; elle
prépare en filence les germes de fes
productions
; elle ébauche par un acte unique
la forme primitive de tout être vivant ,
elle la développe , elle la perfectionne par
un mouvement continu & dans un tems
preferit. L'ouvrage étonne , mais c'eft l'empreinte
divine dont elle porte les traits qui
doit nous frapper. L'efprit humain ne peut
rien créer , il ne produira qu'après avoir
été fecondé par l'expérience & la méditation
; fes connoiffances font les germes de
fes productions ; mais s'il imite la nature
dans fa marche & fon travail , s'il s'éleve
par la contemplation aux vérités les plus
fublimes , s'il les réunit , s'il les enchaîne,
s'il en forme un fyftême par la réflexion ,
il établira fur des fondemens inébranlables
des monumens immortels .
C'eft faute de plan , c'eft pour n'avoir
pas affez réflechi fur fon fujet , qu'un homme
d'efprit fe trouve embaraffé , & ne
fçait par où commencer à écrire ; il apperçoit
un grand nombre d'idées , & comine
il ne les a ni comparées , ni fubordonnées,
rien ne le détermine à préferer les unes
aux autres ; il demeure donc dans la perplexité
: mais lorsqu'il fe fera fait un plan,
lorfqu'une fois il aura raffemblé & mis en
134 MERCURE DE FRANCE.
ordre toutes les idées 'effentielles à fon
fujet , il s'appercevra aifément de l'inftant
qu'il doit prendre la plume , il fentira le
point de maturité de la production de l'efprit
, il fera preffé de la faire éclore , il
n'aura même que du plaifir à écrire , les
penfées fe fuccéderont aifément , & le ftyle
fera naturel & facile ; la chaleur naîtra de
ce plaifir , fe répandra par tout , & donnera
de la vie à chaque expreffion ; tout
s'animera de plus en plus , le ton s'élevera ,
les objets prendront de la couleur , & le
fentiment fe joignant à la lumiere , l'augmentera
, la portera plus loin , la fera
paffer de ce que l'on dit à ce que l'on veut
dire , & le ftyle deviendra intéreſſant &
lumineux .
Rien ne s'oppofe plus à la chaleur , que
le défir de mettre par tout des traits faillans
; rien n'eft plus contraire à la lumiere
qui doit faire un corps & fe répandre uniformément
dans un écrit , que ces étincel
les qu'on ne tire que par force en choquant
les mots les uns contre les autres ,
& qui ne vous éblouiffent pendant quelques
inftans , que pour vous laiffer enfuite
dans les ténébres . Ce font des penſées qui
ne brillent que par l'oppofition , l'on ne
préfente qu'un côté de l'objet , on met
dans l'ombre toutes les autres faces , &
OCTOBRE. 1753. 135
ordinairement ce côté qu'on choifit eft une
pointe , un angle fur lequel on fait jouer
l'efprit avec d'autant plus de facilité ,
qu'on l'éloigne davantage des grandes faces
, fous lefquelles le bon fens a coûtume
de confidérer les chofes .
Rien n'eft encore plus oppofé à la véritable
éloquence , que l'emploi de ces penfées
fines , & la recherche de ces idées legeres
, déliées , fans confiftance , & qui ,
comme la feuille du métal battu , ne prennent
de l'éclat qu'en perdant de la folidité
: auffi plus on mettra de cet efprit mince
& brillant dans un écrit , moins il Y
aura de nerf , de lumiere , de chaleur &
de ftyle , à moins que cet efprit ne foit luimême
le fond du fujer , & que l'Ecrivain
n'ait pas en d'autre objet que la plaifanterie
, alors l'art de dire de petites chofes devient
peut être plus difficile , que l'art
d'en dire de grandes.
Rien n'eft plus oppofé au beau naturel ,
que la peine qu'on le donne pour exprimer
des chofes ordinaires ou communes ,
d'une maniere finguliere ou pompeule ;
rien ne dégrade plus l'Ecrivain. Loin de
l'admirer , on le plaint d'avoir paffé tant
de tems à faire de nouvelles combinaiſons
de fyllabes , pour ne dire que ce que tout
le monde dit. Ce défaut eft celui des ef136
MERCURE DE FRANCE.
prits cultivés , mais ftériles ; ils ont des mots
en abondance , point d'idées ; ils travaillent
donc fur les mots >
& s'imaginent
avoir combiné des idées , parce qu'ils ont
arrangé des phraſes , avoir épuré le langage
, quand ils l'ont corrompu en détournant
les acceptions. Ces Ecrivains n'ont
point de ſtyle , ou fi l'on veut , ils n'en ont
que l'ombre ; le tyle doit graver des penfées
, ils ne fçavent que tracer des paroles.
Pour bien écrire , il faut donc poffeder
pleinement fon fujet , il faut y réflechir
affez pour voir clairement l'ordre de fes
penfées & en former une fuite , une chaî
ne continue , dont chaque point repréſente
une idée ; & lorfqu'on aura pris la plume
, il faudra la conduire fucceffivement
fur ce premier trait , fans lui permettre de
s'en écarter , fans l'appuyer trop inégalement
, fans lui donner d'autre mouvement
que celui qui fera déterminé par l'efpace
qu'elle doit parcourir. C'eft en cela que
confifte la févérité du ſtyle , c'eft auffi ce qui
en fera l'unité , & ce qui en réglera la rapidité
; & cela feul auffi fuffira pour le rendre
précis & fimple , égal & clair , vif &"fuivi .
A cette premiere régle dictée par le génie,
fi l'on joint de la délicateffe & du goût ,
du fcrupule fur le choix des expreffions ,
de l'attention à ne nommer les chofes que
C
OCTOBRE. 1753. 137
par les termes les plus généraux , le ftyle
aura de la nobleffe ; fi l'on y joint encore
de la défiance pour fon premier mouvement
, du mépris pour tout ce qui n'eft que
brillant , & une répugnance conftante
pour l'équivoque & la plaifanterie , le ftyle
aura de la gravité , il aura même de la majefté.
Enfin , l'on écrit con me l'on penfe,
*
l'on eft convaincu de ce que l'on veut
perfuader , cette bonne foi avec foi -même,
qui fait la bienféance pour les autres , &
la vérité du ftyle , lui fera produire tout
fon effet , pourvû que cette perfuafion intérieure
ne fe marque pas par un enthouhafme
trop fort , & qu'il y ait par tour plus
de candeur que de confiance , plus de rai
fon que de chaleur.
On voit à la fuite du Difcours que nous
venons de copier en partie , une réponse
de M. de Moncrif , dont tout le monde
connoît l'efprit orné & délicat ; elle finit
par le portrait qu'on va lire de M. l'Archevêque
de Sens , Prédéceffeur de M. de
Buffon.
Auftére par état , modéré , & même facile
par un penchant naturel ( que peutêtre
il ne fe permit pas affez de fuivre ) il
fe montroit impétueux , inflexible , quand
il défendoit fes principes qu'il croyoit at-
Laqués ; il devenoit doux , conciliant , lorf
138 MERCURE DE FRANCE.
pra
qu'il ne s'agiffoit que d'en infpirer la
tique. Il regnoit une certaine onction dans
fes prédications prefque journalieres ; car
quelles fonctions de fon miniftere ne rempliffoit-
il pas affiduement ? on l'a vû ſuivre
conftamment la chaîne de fes devoirs ,
à commencer par ceux qui font les plus
obfcurs & les plus pénibles. Jamais le Prélat
n'a éclipfé le fimple Eccléfiaftique ; &
" dans un état d'élévation , la fimplicité approche
plus de la perfection chrétienne
que ne fait la modeſtie.
La vraie fimplicité porte un caractére ,
qui la diftingue entre les autres vertus ;
elle s'ignore elle même : c'eft entre nous
'un entier oubli de nos avantages perfonnels
; au lieu que la modestie fe contente
de les mettre au - deffous de ce qu'ils paroiffent
aux yeux des autres.
M. l'Archevêque de Sens joignoit à cette
heureufe fimplicité , l'aménité dans le
commerce de la vie ; les actions charitables
dans tous genres , & toujours éclairées ;
enfin des moeurs irréprochables . Quel bonheur
pour le Diocéfe , de trouver les mêmes
vertus dans le Succeffeur de ce Prélat.
PRINCIPES de Jurifprudence fur les
vifites & rapports judiciaires des Médecins
, Chirurgiens , Apoticaires & SageOCTOBRE.
1753. 139
femmes ; avec les indications des fources
d'où ces principes ont été recueillis . Par
feu M. Prevost , ancien Bâtonnier de l'Ordre
des Avocats . A Paris , chez Guillaume
Defprez , Imprimeur du Clergé , rue S. Jacques
, 1753. in- 12 . vol. 1 .
Le mérite de l'Ouvrage que nous annonçons
, confifte dans l'exactitude avec
laquelle l'Auteur a recueilli toutes les autorités
concernant la matiere qu'il s'eft
propofé de traiter , tant par rapport au
fond qu'à la forme. Le Droit naturel , les
Ordonnances de nos Rois , les Arrêts des
Cours Souveraines , tous les Tribunaux
tous les Greffes ont été ouverts à l'Auteur ;
les Experts dans toutes les profeffions qui
ont trait à fon objet , ont été confultés ,
rien n'a été omis . Quiconque lira ce Livre
y trouvera une collection de tout ce
qui peut être épars dans les Bibliothéques
& les dépôts publics , fur les vifites & rapports
dans les matieres foumifes aux in
mieres de la Médecine prife dans fon acception
la plus étendue , qui comprend
autant le traitement manuel , la compofi .
tion & la diftribution des drogues , que la
connoiffance des maladies .
de
Outre la Jurifprudence fur les matieres.
rapports , on y en trouvera la forme & le
ftyle redigés d'après de bons modéles . Ces
140 MERCURE DEFRANCE.
formules de rapports font très utiles pour
les Experts dans les différentes parties de
la Médecine , lors qu'ils feront dans le
cas de vifiter les malades , des bleffés , des
filles ou des femmes groffes , ou les enfans
nés d'elles , vivans ou morts , afin
d'en faire leurs rapports en Juftice . Elles
ferviront aufli à des Juges de Province &
à tous autres , qui n'ayant pas fous la main
les fources d'où émane la Jurifprudence
des rapports , feront bien aifes de la trouver
recueillie en un feul volume , léger ,
portatif , & qui contiendra ce qu'ils ont
befoin d'en fçavon .
M. Prevoft , de qui vient cet Ouvrage ,
n'étoit pas un homme à écrire un Livre
pour étaler fes talens & fon érudition . Il
n'avoit fait celui ci comme toutes les autres
actions de fa vie , que par zéle pour le
bien public. Il vouloit être utile ; cependant
il n'a pas eu la confolation de jouir
des fruits de fon zéle . Son Livre étoit encore
fous preffe lors qu'une prompte maladie
l'emporta.
POESIES variées de M. de Coulange
divifées en quatre Livres . A Paris , chez
la veuve Cailleau , rue S. Jacques. 1753 .
in- 12 . vol. 1 .
Ce Recueil qui eft fort confiderable
OCTOBRE . 1753 141
tft extrêmement varié. Le premier Livre
contient des Poëfies badines. Le fecond
des Poëfies héroïques , le troifiéme des
Odes facrées& prophanes , & le quatriéme
des Poëfies diverfes. Ce qui caractérife
le recueil de M. de Coulange , c'est le
naturel & la facilité. On en jugera par une
Piéce que nous allons tranfcrire.
Adieux à la ville de Paris , à l'occafion d'un ·
voyage que l'Auteur étoit prêt de faire ,
pour aller féjourner dans une Ville de Province
fort éloignée.
Il faut donc te quitter , & Ville incomparable :
O de mille beautés aflemblage admirable :
Il faut donc te quitter , & fuyant tant d'appas ;
Au fond d'une Province aller porter mes pas!
Je t'adorois en vain ; une loi trop févere
M'interdit à jamais ta vûe aimable & chére.
Cependant un faquin , un valet décraffé ,
Un clerc , un vil commis de rapice engraiffé ,
Unufurier entan qui fçait avec adrefle ,
Profitant des erreurs de la folle jeuneffe ,
Ou du dépouillement d'un guerrier généreux ,
Former fon embo point du fuc des malheureux ;
Tous ont droit d'habiter cette fuperbe Ville ,
De jouir des douceurs d'un fi charmant-azile ,
Au gré des paffions , d'y prodiguer l'argent ,
Et de fouler aux piéds l'honnête homme indigent
142 MERCURE DE FRANCE:
Pourquoi s'en étonner dans le fiécle où nous fome
mes ,
Eft-ce au poids des vertus que l'on pefe les hom
mes ?
Dans ce fiècle de fer , l'exacte probité ,
Les talens , la candeur , la générofité
Sont pour nous élever des dégrés inutiles ;
On laiffe aux imprudens ces reflources futiles.
Il est d'autres fecrets pour les ambitieux :
Il faut un coeur d'airain , un front audacieux ;
Il faut par les refforts d'une fubtile intrigue
Intéreffer pour foi la faveur & la brigue ,
Aux prix de l'honneur même acheter des amis ;
Courtiler lâchement jufqu'à fes ennemis ,
D'une femme effrontée adopter les caprices ,
Et rougir des vertus pour careffer des vices.
Mais, que fais-je ? Et pourquoi prophaner mon
pinceau
Par les noires couleurs de cet affreux tableau ?
Eloignons-nous plutôt d'une ville prophane ;
Puifqu'à m'en exiler enfin tout me condamne ,
L'univers m'abandonne en l'état où je fuis ,
Je n'ai qu'un vain talent pour charmer mes en
nuis.
Inconnue à la Cour , ma Mufe trop fincere
Dédaigne des flatteurs le métier mercenaire.
Formé dès mon enfance aux loix de la vertu ,
Sous le faix des malheurs triftement abattu ,
Je ne fçaurois deſcendre à ce bas artifice,
OCTOBRE . 1753.
143
Dût-il de mon deftin corriger l'injuſtice.
Il vaut donc mieux fortir d'un féjour fi vanté ,
Avec mon innocence & ma fimplicité ,
Et fuir de tant d'heureux la préfence importune ,
Que d'y traîner ma vie au ſein de l'infortune ,
Ou de me voir forcé pour trouver le bonheur
De lui facrifier juſques à mon honneur.
Allons , arrachons- nous d'un lieu plein de déli
ces ,
Qui , pour moi déformais n'auroit que des fup
plices.
Adieu donc , peuple vain , léger , capricieux ,
Peuple fol , mais toujours charmant & gracieux.
Adieu les beaux efprits de la Cour , du Parnaſſe ,
Que j'ai tant admirés , & dont ma folle audace
A voulu quelquefois fuivre les pas fameux.
Adieu libres réduits , féjours des pareffeux ,
Qu'embaume du caffé la vapeur agréable ,
Où s'érige en tout tems un tribunal aimable
De Sçavans , de Marquis , de conteurs indifcrets
Qui du confeil des Rois divulguant les fecrets ,
Se plaifent à forger cent nouvelles brillantes ,
Que vontfemer par tout des bouches éloquentes.
Adieu Scene Comique , où j'ai vu peu d'Au
teurs
Applaudis , & beaucoup fifflés des ſpectateurs .
C'eſt là qu'on vient de voir le fublime Voltaire
De fon nouveau chef-d'oeuvre enchanter le Par
terre.
1744 MERCURE DE FRANCE.
Moi-même par la foule entraîné dans ces lieux ,
Des larmes de tendreffe ont coulé de mes yeux.
Adieu Spectacle heureux , noble amas de merveilles
,
Fait
pour charmer les coeurs , les yeux & les oreil
les ;
Je ne verrai donc plus tes décorations
Frapper mes fensfurpris de leuis illufions ;
Et je n'entendrai plus la juſteſſe infinie
Des accords de Rameau , ce Dieu de l'harmonie
Adieu Palais des Rois , fuperbes bâtimens ,
De leur magnificence éternels monumens ;
Et vous Roi des Jardins , riantes Thuilleries ,
Oùj'ai tant promené mes douces rêveries :
Vous ne me verrez plus , fous vos feuillages verds
Refpirer la fraicheur , & méditer des vers.
O Dieu, trop digne objet d'une innocente flås
me ,
Je vous laiffe , en partant & mon coeur & mon
ame.
Des feux les plus ardens fans ceffe confumé ,
Je n'emporte , où je vais , qu'un corps inanimé.
Mon coeur eft à Paris ; ce coeur tendre & fidéle
Ne m'accompagne point dans ma courſe nou
velle ;
Il reste entre vos mains : gardez foigneufement
Ce précieux dépôt d'un malheureux amant.
Si de les triftes jours , la Parque meurtriere ,
Dans
OCTOBRE .
145 1753 .
Dans de lointains climats vient borner la carriere ,
A fon cher ſouvenir donnez du moins des pleurs ,
Et n'oubliez jamais fa fláme & fes malheurs.
Adieu , Paris enfin , ô ma chere patrie !
Combien , dans cet Adieu , mon ame eft attendrie
?
Que pourrai-je trouver ailleurs que des déferts ?
Je crois , en te quittant , fortir de l'univers ;
Mais du moins , dans l'horreur du lieu le plus fanvage
,
Je me retracerai fans ceffe ton image ,
Et de ces régions les volages zéphirs
T'apporteront toujours mes voeux & mes foupirs;
Finiffons toutefois une inutile plainte :
Infenfible aux douleurs dont mon ame eft atteinte
,
Le Ciel a prononcé , que fert de qurmurer ?`
Le Coche est déja prêt , partons fans differer.
,
INTRODUCTION à l'Histoire moderne, générale
& politique de l'Univers , où l'on
voit l'origine, les révolutions & la fituation
préfente des différens Etats de l'Europe
de l'Afie , de l'Afrique & de l'Amérique :
commencée par le Baron de Puffendorf ,
augmentée par M. Bruzen de la Martiniere .
Nouvelle Edition , revûe , confidérable.
ment augmentée , corrigée fur les meilleurs
Auteurs , fur des Mémoires particu
G
146 MERCURE DE FRANCE,
liers de plufieurs Sçavans , & continuée
jufqu'en 1750. Par M. De Grace . Six vor
in-4°. propofés par foufcription . A Paris ,
chez Merigot , Quai des Auguftins , à la
Defcente du Pont S. Michel , près la rue
Gît- le-coeur ; Grangé , au Palais ; Hocherean
l'ainé , Quai de Conti , vis- à vis la
defcente du Pont-Neuf, au Phenix ; Robuftel
, Quai des Auguftins , près la rue
Pavée , & le Loup , Quai des Auguſtins.
1753.
L'Edition qu'on préfente au Public , eft
ornée de frontispices , vignettes , culs - delampes
& de lettres grifes ; le tout exécuté
par les plus grands maîtres de l'Art , fur
les deffeins de M. Eféin . On a outre cela
fait fondre des caracteres exprès.
Quoique le papier que les Libraires
nomment ordinaire , foit choifi dans les
plus beaux papiers fins , cependant pour
fatisfaire le goût de plufieurs curieux , on
a fait tirer cent cinquante Exemplaires en
grand papier , & cinquante feulement fur
grand papier de Hollande fuperfin,
Cet Ouvrage fera imprimé fur le même
papier , ( pour le papier ordinaire ) dans la
même forme & avec les mêmes caracteres
que le Profpectus.
H y aura fix Volumes in - quarto,
OCTOBRE . 1753 .
147
Conduims propofées aux Soufcripteurs.
On ne fera admis à foufcrire que pendant
fix moix , à compter du jour que les
foufcriptions feront ouvertes. On les délivrera
en donnant le premier Volume ,
le vingt d'Août de cette année 1753. Les
autres volumes paroîtront fucceffivement
de fix mois en fix mois , à commencer au
premier Septembre .
Prix des Soufcriptions.
On payera pour le papier ordinaire 72
livres , fçavoir , en délivrant le premier
Volume , 18 liv. dont 6 liv. à déduire fur
le dernier : les autres feront à raifon de 12
livres.
Et pour ceux qui n'auront point foufcrit
, 96 livres.
Le grand papier 108 liv. les fix Volumes
; fçavoir 27 liv . dont 18 liv. pour le
premier , & liv. à déduire fur le dernier
, les autres à raiſon de 18 livres.
9
Ceux qui n'auront pas foufcrit , les
payeront 144 livres .
Le grand papier de Hollande fuperfin ;
180 liv. fçavoir 45 liv. en livrant le premier
Volume , dont 15 liv . à déduire fur
le dernier Volume , & les autres à raiſon
de 30 livres.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
Ceux qui n'auront pas foufcrit , les paye
ront 240 livres.
Nota. Dans le cas où la matiere de cet
Ouvrage fourniroit un Volume de plus
on le payera fuivant les conditions énoncées
ci dellus .
REFLEXIONS fur la Longitude de
Toulouse.
Es éclairciffemens l'on a deman-
Ldésdans le Mercure de France du mois
d'Août 1753 , ( p. 114 ) m'ont paru d'autant
plas néceffaires , que la difficulté que
l'on propofe eft bien fondée ; car dans les
Mémoires de l'Académie de 1744 ( p . 237 )
M. de la Caille détermine la différence des
méridiens entre Touloufe & Montpellier
de 10' 40 " , de laquelle retranchant la différence
des méridiens entre Paris & Montpellier
, déterminée par le même Aftronôme
( p. 238 ) de 6'5 ", on aura 4' 35 " pour
la différence en longitude entre Paris &
Touloufe ; or dans le Livre de la Connoiffance
des Tems , l'on trouve que Toulouſe
eft de 3 ' 35 " de tems à l'Ouest du méridien
de Paris , il y a donc une différence d'une
minute dans les différens résultats .
Pour réfoudre cette difficulté , je ferai
obferver que la détermination de M. de
OCTOBRE. 1753. 149
la Caille réfulte d'une longue fuite de calculs
, & de l'obfervation d'un Aftronome
très exact ; je n'entreprendrai pas ici de
vérifier le calcul de M. de la Caille , & je
ne peux foupçonner de l'erreur dans l'obfervation
de M. Garipuy ; il me fuffira
d'expofer les fondemens de la détermination
de Toulouſe marquée dans la Connoiffance
des tems.
>
Ayant calculé par la fuite des triangles de
la méridienne vérifiée , la diftance de Touloufe
à la méridienne de 37074 toifes &
à la perpendiculaire de 198687 toifes
nous avons trouvé par la réfolution d'un
feul triangle fpherique , la différence de
longitude entre Paris & Toulouſe de o° 53′
47" ou de 3 ' 34" & demie de tems , &
la latitude de 43 ° 35' 54" . Pour diffiper
tous les doutes que l'on pourroit avoir fur
la pofition de Touloufe , où l'on affure que
l'on n'eft monté qu'une feule fois fur le
clocher de cette Ville , je vais rapporter
les triangles qui fixent la pofition de cette
Ville , au cas que l'on veuille tes vérifier .
Vacquiers 44 27 57 S. P. David 75 18 20
Moulin Puchaudran 36 24 25 M Puch. 10 21 47
Toulouf (laDalbade)99 7 38 Toulouſe 94 1953
La baſe commune aux deux triangles
eft celle de Toulouſe au Moulin Puchaudran
, que l'on a eu la fatisfaction de trou-
G iij
150 MERCURE DE FRANCE ,
ver la même de 12118 toifes , en fuppo
fant la bafe de Vacquiers au Moulin Puchaudran
de 17081 , & celle du S. Pech
David au même Moulin , de 12472 toiles.
L'on pourroit , avec raifon , foupçonner
quelques erreurs dans une auffi longue
fuite de triangles depuis Paris juqu'à
Touloufe , laquelle avoit changé la vraye
direction de la méridienne , & auroit rapproché
Toulouſe de la méridienne plus
qu'il ne l'eft en effet ; mais fi l'on fait at
tention que cette même erreur auroit influé
également fur la pofition de Montpellier
, déduite des opérations géométri
ques de 6'11 de tems , laquelle cependant
fe trouve conforme avec l'obfervation
de M. le Monnier faite à Paris , &
calculée par M. de la Caille dans le même
volume de 1744 , où il détermine la différence
des méridiens entre Paris & Montpellier
de 6's " , avec une différence feulement
de fix fecondes du réſultat des triangles
; l'on ne pourra plus raifonnablement
douter de la précifion des opérations trigonométriques
, qui ont d'ailleurs l'avantage
de s'accorder avec la détermination
de la latitude de Touloufe , déterminée
par M. Garipuy , avec toute l'exactitude
que l'on fçait qu'il apporte dans fes obfervations
de 43° 35 47". Mais indépen
OCTOBRE. 1753. 191
damment de cette dérermination , l'on en
trouve deux autres rapportées dans les
Ephémerides da fieur Defplaces , de 1735
1745. ( p. VI. & VII . ) La premiere eft
le M. Caffini le pere , qui donne la longiude
de Toulouſe de o' ′ 40″ , & la latiude
de 43° 37' 2 " ; la feconde eft de Mrs
le la Société Royale de Montpellier , qui
lonnent la différence de longitude entre
foulouſe & Montpellier de o 9 ' so", &t
la latitude de Touloufe de 43° 37′0″ :
après ces trois déterminatons je laiffe au
Public à prendre un parti fur la difficulté
qui a fait le fujet de nos recherches .
LETTRE de M. ** à M. *** an Château
de Prepatour , près de Vendôme.
E Livre fur la Minéralogie qui paroît
furla depuis peu de jours , & dont l'Auteur
eft M. Wallerius , Suédois , me paroît
écrit avec plus d'ordre & de méthode , que
ceux des Naturaliftes qui ont avant lui
traité cette matiere. Ce Sçavant a acquis
par un grand travail , des connoiffances
dont nous jouiffons fans peine. Mais fi le
public lui eft redevable de cet ouvrage ,
notre Nation doit beaucoup auffi à M***
pour le foin généreux qu'il s'eft donné
d'en faire une très- exacte traduction que
Giiij
151 MERCURE DE FRANCE.
je vous envoye . Ce n'eft pas le premier
préfent qu'il fait aux Sciences , & fon Art
de la Verrerie annonce à la République des
Lettres , ce qu'elle doit attendre de fes
talens & de fes lumieres . Mais fa Traduction
de la Minéralogie nous eft d'autant
plus utile , que nous n'avons dans notre
Langue aucun Traité qui répande autant
de jour fur cette matiere . Je ne veux pas
dire néanmoins , qu'il n'y ait encore beaucoup
d'articles très- obfcurs. En la parcou
rant , prenez la peine de marquer en marge
ceux que vous jugerez tels , afin que je
fçarhe , fi c'eft ma faute de ne les avoir
pas comptis ; & faites , je vous prie , une
attention particuliere fur les idées de
F'Auteur , V. I. page 7. qui commence :
Les terresfont la bafe & le principe des pierres
, &c. & V. II . page 107 : Les noyaux
ne font pas des pétrifications , mais des pierres
ordinaires du genre des calcaires , & c . Je
foumets , Monfieur , à votre critique celle
que je vais faire pour mon amufement fur
ce dernier article. Elle fervira auffi d'attaque
au premier , en démontrant que les
noyaux qu'il repréfente comme des pierres
ordinaires , ont une autre baſe & un
autre principe que les terres .
Les noyaux ,fuivant M. Wallerius , font
des pierres , ordinaires du genre des calOCTO
BR E. 1753. 153
caires. Pour s'expliquer ainfi , il faut qu'il
n'en ait jamais vû , ( quoiqu'il s'en trouve
plufieurs , d'argile , de grais , de roche ,
d'agathe & autres , qui ne font pas du genre
des pierres calcaires. De plus , il prétend
que ces noyaux ne font pas des pétrifications
; c'est encore une erreur , d'ignorer
que leur vraie origine eft la même que
celle de toutes les autres pétrifications , ou
corps convertis en pierres. Les obfervations
fuivantes conftatent , il me femble ,
cette vérité ; mais avant de les détailler ,
je veux vous dire comment je croi que
ces noyaux ont été composés.
Les coquilles , agitées dans le fond de
la mer , après la deftruction des animaux
qu'elles contenoient , ont été remplies
d'autres petites coquilles , & de détriment
on fable de coquilles , qui étant plus foibles
que la coquille principale , le font
plutôt décompofées , & converties en pierres
plus ou moins dures , après que la mer
s'eft retirée des lieux où elle les avoit dé--
pofées ; ces petits corps ont ainfi fervi à la
formation des noyaux .
Objection I. On trouve dans diverfes couches
des montagnes de ce pays , une infinité
de coquilles foffilles , remplies d'autres
petites coquilles , les unes & les autres
encore en nature. Les petites en ren-
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
ferment enco e de plus petites , qui en
font de même pleines par gradations ; les
unes dans les autres , on jointes les unes
aux autres , mêlées de détriment ou fable
de coquille , jufques aux plus petits objets
qu'il eft poffible d'appercevoir , fans mêlange
d'aucune matiere terreftre , ni d'autres
hétérogénes , elles fortent des plus
grandes en les fecouant .
II. On y trouve des coquilles confervées
, dont les cavités font pleines d'autres
petites coquilles encore en nature , mais
qui paroillent comme foudées , ou liées
par de la matiere d'autres coquilles in perceptibles
, converties en pierres ; tout Fintérieur
de celles - ci , eft comme difpofé à
fe décompofer , pour former le noyau &
le convertir en pierres.
III. On en trouve d'autres , dont les
petites coquilles qu'elles renferment font
la plupart détruites , cependant encore
connoiffables ; les noyaux de celles - ci
commencent à reffembler à la pierre.
IV . On voit encore des coquilles confervées
, pleines de noyaux pierreux , com
polés d'autres petites coquilles détruites ,
qui unis enfemble forment ceux des grandes
coquilles les noyaux principaux de
certe obfervation , ont beaucoup plus de
confiffance que ceux des précédentes .
OCTOBRE. 1753. 155
V. On voit de plus , des coquilles confervées
dans leurs formes extérieures , mais
changées de nature , qui ont été remplies
de petites coquilles & détrimens entierement
fondus , & convertis en pierres calcaires
& autres ; la plupart de ces grandes
coquilles , étant fciées & polies avec leurs
noyaux , laiffent découvrir des veftiges &
traces , qui font aifément connoître que
ces noyaux ont été compofés de coquilles .
Je dois ajouter une remarque ; c'est que le
volume de ces petits corps qu'on apperçoir
dans l'intérieur , n'eft jamais plus gros que
la proportion de la bouche , ou autre ouverture
de la coquille principale .
VI. Tous les noyaux qu'on trouve en ce
pays , féparés des coquilles , font compofés
d'autres petits noyaux de coquilles ,
converties en pierres ; ce qui eft plus ou
moins apparent , fuivant qu'ils font plus
eu moins durement pétrifiés . On le connoît
, à la premiere vûe , dans ceux qui
font de pierres tendres. Il eft vrai qu'on
l'apperçoit aux autres plus difficilement ;
mais après avoir fcié & poli , ceux qui peu
vent Fêtre , on voit dans plufieurs fur les
parties polies , un mélange de coquilles
qui en renferment de petires , lefquelles
en contiennent encore de plus petites.
Remarquez qu'il y a des millions in-
& vi
156 MERCURE DE FRANCE.
nombrables de coquilles & noyaux , de
chacune de ces efpéces.
VII. Il eft dans les collines des environs
de Paris , une nombreuſe quantité de couches
de pierres tendres ( que les Carriers
appellent banc coquille! ) qui ne font compofées
que de noyaux de coquilles , dont
on diftingue aifément les differens genres :
ces noyaux font quelquefois renfermés
dans des coquilles , telles que M. Wallerius
les décrit dans l'efpéce 439 ; que l'on
trouve encore dans leur figure naturelle ,
mais qui fe réduifent en poudre impalpable
en les maniant. D'autres fois on trouve
la place qu'occupoit la coquille , rem
plie de pareille poudre . Le plus fouvent
on ne voit autour des noyaux qu'une cavité
de la forme qu'avoit la coquille qui
T'enveloppoit ; ces noyaux & ces cavités
dans ce dernier cas , font ordinairement
vernis & colorés de cette même poudre ,
qui par l'analyfe eft de femblable fubftance
, & a les mêmes propriétés que les coquilles
foffilles pulvéritées.
Quel eft , Monfieur , votre fentiment
fur ce qu'est devenue cette poudre impalpable
de coquille , qui rempliffoit ces cavités
? j'en ai tiré jufques à une once de la
feule place d'une coquille . Ne peut-on pas
conjecturer avec quelque certitude , qu'elle
OCTOBRE. 1753. [ 57
s'eft écoulée par filtration avec les eaux
dans les interftices ou vuides des couches
inférieures , & dans les fentes perpendiculaires
, pour compofer d'autres corps foffilles
, aufquels les anciens Naturaliftes ont
donné des noms , fans avoir connoiffance
de la matière des corps décompofés , qui
ont fervi à la compofition de ces nouveaux
corps.
Si l'on avoit en Suéde les mêmes facilités
que nous avons pour de pareilles obfervations
, il eft conftant qu'un Sçavant ,
tel que M. Wallerius , feroit des décou
vertes très- utiles. Il feroit convaincu que
les noyaux ayant été compofés de matiere
de coquilles , font de véritables pétrifications
. Et s'il avoit eu cette connoiffance
avant la publication de fon ouvrage , il
autoit pû retrancher une partie de fon détail
fur les noyaux & fur les empreintes ,
pour obferver feulement que toute coquille
qui a un vuide intérieur , peut avoir
fon noyau ; & qu'on ne peut détacher
de la maffe avec adreffe , aucune pétrification
, foit animale , foit végétale , fans voir.
fon empreinte ou fa forme , cavée dans la
place qu'elle a quittée. J'ai l'honneur d'être
, &c.
A Paris, ce 25 Août 1753-
>
158 MERCURE DE FRANCE.
ésés és és és és és és és és és isas
BEAUX ARTS.
Expofion des ouvrages de l'Académie Royale
de Peinture & de Sculpture , faire dans une'
fale du Louvre le 25 Août 1753.
L
Es richeffes & les malheurs d'un Etat
n'ont pas une influence plus néceffaire
dans les finances & le commerce des Etats
voifins , que les Arts d'une partie de l'Europe
dans les Arts de l'Europe entiere . Il ne
fe fait pas une découverte dans un pays ,
que les peuples voifius ne foient curieux de
la connoître , & jaloux de la pouffer plus
loin . Cet efprit d'émulation devenu plus
général qu'il ne l'a jamais é é , doit cau
fer une fermentation bien vive à la vûe
des productions que l'Académie de Peinture
& de Sculpture vient d'expofer. Jamais
fon falon n'a été fi brillant , fi beau ,
fi varié & fi nombreux : tout y répondoit
à la réputation des Artiftes , & aux foins
de M. de Vandieros , dont les connoiffan
ces acquifes dans un voyage de deux ans
en Italie , ont perfectionné le goût naturel
.
Qu'on s'imagine un peuple d'amateurs
de tous les âges & de toutes les condicions,
OCTOBRE. 17557
159.
émoignant une égale avidité pour étudier
les talens , pour les juger , pour entretenie
fes connoiffances , ou en acquérir de nouvelles
, auffi chagrin de vir fermer le falon
au bout d'un mois qu'il avoit été impatient
de le voir ouvrir , & on aura quelque
idée du fpectacle que préfentoit à cha
que inftant du jour le falon où étoient expofés
les ouvrages de Peinture & de Sculp
Eure.
On y voyoit réuni le noble & le galant ,
Fauftére & le badin , l'Hiſtoire & la Fable ,
T'héroïque & le paftoral , les batailles &
les allégories ; rien n'y manquoi de ce qui
a le detfein pour principe & pour baſe , &
de ce qui peut flatter l'efprit , les yeux ou
Fimagination .
Il ne nous convient pas de prononcer
fur le mérite des differens ouvrages qui
ont fait l'objet de la curiofité publique ::
ces décisions ne conviennent à aucun particulier
, & encore moins à nous qu'à d'autres.
Nous nous contenterons de rappor-
1er quelques- uns des jugemens que nous
avons entendu le plus répéter.
Les deux grands tableaux de M. Reftout ,
dont l'un repréſente Affuerus qui prononce
l'arrêt de mort contre Aman , & l'autre
Jelas Chit , qui donne les clefs à Sain
Pierre , prouvent la grande maniere de
160 MERCURE DE FRANCE.
ce célébre Artiſte , & la belle pratique qui
lui a mérité fa réputation . Le repos en
Egypte eft piquant par fa lumiere. Ces
trois tableaux indiquent un beau faire , &
une grande liberté de pinceau , en confervant
des maffes bien difttribuées , qui
feront toujours beaucoup d'honneur à
l'Ecole.
M. Carle -Vanloo a fait voir dans dix
tableaux de differente grandeur , & d'une
compofition abfolument variée , toutes les
graces de fon pinceau & la fécondité de
fon génie l'action , le repos , la dévo
tion , la grande machine , les tableaux
de chevalet , le portrait même , tout eft la
preuve éclatante d'un mérite fupérieur .
M. Boucher a continué de ravir par les
graces & les agrémens de fa compofition
dans les tableaux de Thetis & du Soleil ,
dans les deffas de portes faits pour Bellevûe
, & dans les faifons peintes pour un
plafond de Fontainebleau : fa maniere
qui eft aimée & fuivie , mérite l'accueil
qu'elle reçoit .
Quoique les quinze tableaux de M.
Oudry ayent fait le plaifir que les ouvrages
de cet habile Artifte font dans l'ufage
de faire , le public a été fingulierement
frappé d'une chienne blanche , avec fes
petits de même poil ; ils ne voyent pas
OCTOBRE. 1753. 161
encore le jour. La vérité de leur action eft
auffi belle & auffi bien tendue , que les
oppofitions de ce tableau font recommandables
: les ombres ne cachent rien à
l'oeil ; il voit clair par tout ; un rayon de
couleur qui feroit un obftacle pour un autre
, vient embellir la couleur & enrichit
la compofition .
La délicateffe & les détails du Chrift en
Croix que M. Pigalle a expolé , ont mérité
une attention particuliere. Ce bel ouvrage
de marbre , de vingt- deux pouces de
proportion , a fait dire aux Connoiffeurs
qu'il falloit être grand pour faire fi bien
le petit , & pour conferver tant de feu
dans un ouvrage qui demande une fi grande
patience.
Le portrait de Madame du Four , eft de
tous les ouvrages qu'a expofé M. Nattier ,
celui qui lui a fait le plus d'honneur.
Les graces & les fineffes que M. Saly
a exprimées dans fon Amour , & furtout
dans fon Hebé , ont été généralement fenties.
Son bufte en marbre de M. le Duc de
Beauvilliers , a paru frapper encore plus
vivement les Connoilleurs . De long - tems
nous ne reverrons des ouvrages de ce brillant
& fage Artifte ; fa réputation l'a fait
appeller en Dannemarc , où il doit faire le
modéle de la ftatue équestre d'un Roi , que
161 MERCURE DE FRANCE.
la postérité placera parmi lepetit nombre
de Souverains qui auront vêcu pour le bon
heur des peuples.
M. Chardin a continué de plaire par
ne maniere piquante qu'il ne doit qu'à lui
& que perfonne n'a que lui ; fon pinceau
qui n'a jamais été fi fécond , s'eft furpaſſé
dans le tableau qui repréſente un Philoſo
phe occupé de fa lecture , & dans des animaux
de même proportion , faits avec toutte
la beauté de la touche , & la vérité d'une
couleur des plus riches.
Le portrait de Madame Danger a fou
tenu , augmenté peut- être la grande répu
tation de M. Tocqué.
La reflemblance jointe aux autres gran
des parties de l'Art , a rempli complettes
ment cette année , tout ce que le public
étoit en droit d'attendre des beaux paſtels
de M. Delatour cet Artifte , Citoyen &
Philofophe , donne à l'Europe entiere un
fpectacle , dont il nous paroît qu'on n'eſt
pas affez fappé ; il préfere la confolation
de faire le portrait des hommes illuftres , à
l'avantage de faire celui des gens opulens.
M. Servandoni a donné des preuves qui
lui font ordinaires de la fécondité da fon
génie , de fon profond fçavoir dans la
perſpective , & de la facilité de fon pin
Scau
OCTOBRE. 1753. 161
La figure de M. Vaffé , pour une des
façades du bâtiment des Quinze- Vingts ,
lui a fait avec raifon beaucoup d'honneur ;
elle eft bien difpofée , & tournée d'une
façon riche & nouvelle pour la place qu'el
le doit occuper .
Quoique toutes les productions de M.
Bachelier ayent attiré les regards , ils fe
font fixés fur un morceau peint fur la porcelaine
de Vincennes : cet ouvrage fait voir
quel eft le degré de perfection auquel cette
brillante Manufacture eft parvenue. On
connoît depuis long- tems la fupériorité
de fa matiere ; le bon goût de fes formes
fe fait tous les jours remarquer de plus
en plus ; enfin on voit par cette pratique
que la peinture , déja plus belle que toute
autre de ce genre , ne peut qu'augmenter
en mérite & en pratiques plus fçavantes ,
& cependant plus faciles.
M. Peronneau a mérité des applaudif
femens par la legereté de fa maniere & celle
de fa touche , dans les fept portraits qu'il
a préſentés .
M. Vernet a eu cette année le plaifir de
juger lui - même de l'accueil que le public
de Paris eft dans l'habitude de faire à fes
beaux paysages : il eft venu d'Italie fe faire
recevoir dans un Corps confidérable , dont
il étoit depuis long- tems un membre diſtingué,
164 MERCURE DEFRANCE.
Les éloges qu'on a donné aux ouvrages
de M. Vien , jeune Artifte , un des derniers
reçus à l'Académie , font efperer qu'il
ne s'écartera jamais de la grande maniere
dont il vient de donner des preuves éclatantes.
Nous ne pouvons mieux finir qu'en parlant
d'une entreprife qui feroit encore
agréable , quand elle ne feroit pas auffi
parfaitement exécutée qu'elle l'eft : il s'agit
des portraits que M. Cochin , le fils , a
deffinés d'après nature , avec fon goût &
fa facilité ordinaires ; talens que l'on n'eft
pas dans l'habitude d'exiger des Graveurs.
Ce charmant Artiſte a donc deffiné & expofé
un très-grand nombre de profils des
Artiftes & des Amateurs des Arts , qui font
de la même grandeur , & dont la reffemblance
eft frappante . On ne peut s'empêcher
de fouhaiter vivement qu'ils foient
gravés & qu'ils forment une fuite : M.
Cochin eft fi exact & fi laborieux , qu'il eft
permis d'efperer qu'il terminera cette entreprife
: elle fera d'autant plus agréable ,
que c'eft une espèce de tableau , par lequel
on pourra connoître fans erreur ceux qui
donnant dans le même goût ont vêcu dans
le même fiécle ; il feroit à défirer que cette
idée eût êté mise en pratique dans les frécles
antérieurs , on fe trouveroit plus aiſéOCTOBRE.
1753
165
ment transporté dans les fociétés paffées ,
l'imagination en tireroit des fecours , & les
meilleurs ouvrages en feroient embellis .
Le
Vendredi 7
Septembre ,
l'Académie
de Peinture & de Sculpture tint fon affemblée
générale . M. Watelet , Receveur Général
des finances , &
Honoraire affocié
libre de
l'Académie , y lut les deux premiers
chants de.fon Poëme fur la Peinture :
ces deux chants ont pour objet le deffein
& la couleur. La folidité des
principes , la
jufteffe des images , les graces du ftyle ,
tout affure à la France un ouvrage qui lui
fera un
honneur infini : c'eſt le
jugement
unanime d'une
affemblée
nombreuſe , &
formée par des
connoiffeurs
véritables &
des amateurs zélés,
Après cette
importante & agréable lecture
, M. de Vandieres , Directeur & Ordonnateur
Général des Bâtimens , fit la diftributiondes
Médailles d'or &
d'argent pour
les grands prix de Peinture & de Sculpture
remportés l'année derniere ; fçavoir :
Le premier prix de Peinture , à M. Fragonard.
Le prix de Sculpture , à M. Brenet.
Le fecond prix de Peinture , à M.
Monet.
Le 2d prix de Sculpture , à M. Duhez.
$
166 MERCURE DE FRANCE,
M. le Directeur Général a auffi diftribué les pez
aits prix du quartier de Janvier 1953 , jufques &
compris celui d Octobre de la même année.
CARTE générale de l'Empire de Rufles , en Eu.
rope , en Afie , dreflée d'après les Cartes de l'Atlas
, Ruffen ; par Robert de Vaugondy , Géographe
ordinaire du Roi . A Paris , chez l'Auteur , fur le
Quai de l'Horloge du Palais , proche le Pont- neuf
1753.
Philippe Buache , Premier Géographe du Roi
& de l'Académie des Sciences , vient de publier
avec l'approbation & fous le Privilége de l'Académie
, fix Cartes grand in-4° . fur les nouvelles découvertes
au Nord & à l'Orient de la grande Mer,
appellée vulgairement la Mer du Sud , accompa
gnées d'une explication , qui a pour titre : Confidérations
Géographiques & Phyfiques, &c. Ce que ces
ouvrages nous propofent fur les bornes & l'étendue
de l'Amérique feptentrionale , comme voifine
de l'Afie ,fe préfente avec des preuves de toute efpéce
qui lui donnent un grand poids ; & il feroit
très-utile qu'en publiant de nouvelles Cartes , on
rendît ainfi compte de leurs fondemens.
Celles dont il eft question , & qui font gravées
& enluminées avec goût & propreté , rempliffent
l'efpace qui étoit vuide fur nos Globes , depuis les
côtes fuppofées par feu M. Guillaume Delife ea
1724 ( d'après les Mémoires que l'on avoit alors )
jufqu'à la partie du Canada , voifine da lac fupérieur
, & aux côtes occidentales de la Baye d'Hudfon
( c'est-à- dire depuis le 160 degré de longitude
jufqu'au 287 ) & depuis l'Ile de lefo ou Yeço,
& les environs de la Californie & du Nouveau
Mexique , au 43 degré de latitude feptentrionale
jufqu'au So.
OCTOBRE. 1753 . 167
Pour donner une idée claire de tout le travail
de M. Buache , nous commencerons par tranſcrite
les titres des Cartes.
La premiere eft intitulée : Carte des nouvelles
découvertes entre la partie orientale de l'Afie &
l'occidentale de l'Amérique , avec des vues ( particulieres
) fur la grande Terre reconnue par les
Ruffes en 1741 , & fur la mer de l'Oueft & autres
communications de mers . Dans cette Carte qui
eft la générale , on a diftingué par quatre differentes
teintes de couleurs , ce qui est nouveau
d'avec ce que l'on connoiffoit ci- devant ; & ces
teintes ont rapport aux quatre espéces de décou
vertes dont nous parlerons dans un moment. Cette
maniere de préfenter les objets , qui n'a point été
mife en ufage jufqu'à préfent , eft très- utile pour
faire connoître le progrès des connoiflances.
La feconde a pour titre : Carte des découvertes
de l'Amiral de Fonte , felon la Carte Angloife
donnée par l'Ecrivain du Vaiffeau la Californie
dans fon voyage à la Baye d'Hudſon , avec les Terres
vûes &reconnues par les Ruffes , & une comparaifon
du réſultat des Cartes du 16 & 17 fiécle
au fujet du détroit d'Anian . On y trouve d'ailleurs
plufieurs notes intéreflantes , qui rappellent ce qui
eft plus au long dans l'écrit , où l'on refute le fyftême
de l'Ecrivain du Vaiffeau la Californie , qui
fait entrer l'Amiral de Fonte dans les Terres au
$ 3 degré de latitude , au lieu du 63 comme il paroît
par les difcuffions.
La troifiéme Carte expofe le Géométrique des
découvertes de l'Amiral de Fonte & de fon Capiraine
Bernarda , comparé avec le fyftême de la
Carte Angloife ; & un Extrait ( on Abregé ) de la
Relation de l'Amiral , fait, d'après un manuſcrit
communiqué en 1748 , par M, de l'ifie l'Aftrono168
MERCURE DE FRANCE.
me. C'eft d'après le travail de M. Buache à ce
fujet , que l'Académie a jugé le 7 Juillet dernier,
qu'il étoit utile de conferver les découvertes de
l'Amiral de Fonte , & d'en faire voir l'accord avec
toutes les connoiffances & les indications qu'on
peut raffembler fur l'Amérique feptentrionale.
La quatrième offre deux objets : 1 ° , la réduction
de celle qui a été publiée à Nuremberg ( il y
a 25 ans ) & où l'on voit l'une des premieres idées
qu'on s'est formé du Kamtchatka & de fes environs
: 2 °. la vue des Glaces , au milieu defquelles
l'on voit la Péche qui fe fait au Nord- est de l'Afie ,
extraite de la Carte de l'Empire Ruffien, en Langue
Ruffe. M. Buache atiré de ces deux moreeaux des
inductions pour la proximité de l'Amérique.
La cinquiéme Carte eft un effai que fea M.
Guillaume Delifle joignit en 1717 au Mémoire
qu'il préfenta à la Cour , fur l'exiftence de la mer
de l'Ouest , & l'on y apprend pourquoi il n'a pas
fait mention de cette mer fur les Cartes.
Enfin , la fixiéme eft divifée en deux parties ,
qui doivent être comparées enfemble pour rectifier
le plan de l'une par celui de l'autre. C'eſt 1 °;
un extrait d'une Carte Japonoife de l'Univers ,
apportée en Europe par Kaempfer , & où l'on voit
les Terres qui font au Nord & à l'Ouest du Japon ,
avec plufieurs notes curieufes. 2 °. Une réduction
des Cartes préfentées à l'Académie des Sciences ,
le 9 Août 1752 par M. Buache ( qu'il publie au
jourd'hui ) & l'on y voit la route des Chinois en
Amérique vers l'an 458 de J. C. tracée fur les
connoiffances géographiques , que M. de Guignes,
de l'Académie des Belles- Lettres , a tirées des Annales
Chinoifes. Voilà pour ce qui concerne les
Cartes.
M. Buache a réduit dans un Expofé , qu'il eut
Phonneur
OCTOBRE . 1753 . 169 :
thonneur de présenter au Roi avec fon ouvrage ,
de 2 du mois dernier , les découvertes dont il eft
question , à quatre chefs qui font diftingués par
couleurs qui leur font propres.
1. Les découvertes des Ruffes depuis vingt ans ,
comparées avec les idées qu'on avoit ci- devanc
( en Europe , & que l'on a au Japon ) fur le Nordeft
de l'Alie & les Terres voifines de l'Amérique ,
comme en étant féparées par un détroit , fouvent
glacé ce qui a facilité le paffage des premiers ha
bitans de l'Amérique venus d'Afie .
:
2°. Les découvertes des François depuis quinze
ans, fçavoir , la partie la plus occidentale de la
Nouvelle-France ou du Canada , juſqu'à trois cens
lieuës au-delà du lac fupérieur : ce qui étend nos
poffeffions bien au- delà de ce que préfente la nouvelle
Carte du Canada , où l'on a prétendu diftinguer
exactement les poffeffions Françoiles . M. Buache
nous apprend entr'autres chofes à ce sujet
( page 39 ) que nos Officiers envoyés par M. le
Comte de Maurepas , ont bâti fix Forts , & fait fin
Etabliffemens dans ces nouveaux Pays.
3. Résultatde diverfes recherches , faites par feu
Guillaume Delifle & Philippe Buache , dont l'objer.
eft d'un côté la mer de l'Oueft , au Nord de la Californie
& à l'Oueft du Canada , avec la prolongation
jufqu'à la Baye d'Hudfon ( indiquée par les
maiées & par diverfes Relations de Navigateurs )
& de l'autre côté , une grande prefqu'Ille qui forme
un long détroit , entre le Nord- Eft de l'Afie & le
Nord-Ouest de l'Amérique. Ce détroit reflemble
fort au détroit d'Anian , & c'eſt ce qui a donné occafion
à M Buache de nous inftruire de diverfes
particularités intéreflantes à fon fujet.
4°. Les découvertes de l'Amiral de Fonte , au
Nord des précédentes , & qui fe trouvant enchal
H
170 MERCURE DE FRANCE.
fées avec elles , s'accordent avec tout ce qu'on con
noît d'ailleurs.
M. Buache nous apprend dans une eſpèce d'Avertiment
qui fuit fon Expofé , que fon travail
a été occafionné par les difcuffions , aufquelles la
Relation de l'Amiral de Fonte a donné naiffance ,
mais qu'il avoit auparavant l'idée de ce travail ,
comme on le peut voir par ce que dit M. de l'ifle
l'Aftronome , à la fin de fon Mémoire fur les nouvelles
découvertes , l à l'Affemblée publique de
l'Académie des Sciences le 8 Avril 1750. Il y at
tefte ( page 11 de ſon Ex - lication ) que M. Buache
par la cennoiffance qu'il avoit de la ſtructure de
tout le reste de la Terre connue ayant conjecturé
que l'Afie devoit être liée à l'Amérique au
Nord , par une fuite de montagnes des
& par
mers de peu de profondeur , a eu le plaifir de
voir fon opinion confirmée par les découvertes
» des Rufles & de l'Amiral de Fonte , dont je viens
(difoit M. de l'Ifle ) de faire le récit abregé
Les raifons de cette conjecture de M. Buache , font
expliquées dans les deux premieres notes de fes
Confiderations Géographiques & Phyfiques fur les
nouvelles découvertes au Nord de la grande mer , dont
on peut avoir une idée par ce que nous venons de
dire , fans que nous nous étendions davantage .
4ל כ
30
A I R.
Dans le Salon avec moi l'autre joue
La jeune Eglé dit : ah , voilà l'Amour !
Dans la bouche ce mot étonne mon oreille ,
Et l'espoir dans mon coeur anffi -tôt fe réveille
Eglé , quoi , lui dis- je à mon tour ,
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OCTOBR E. 1753 .
171
L'Amour vous eft connu ! quelle rare merveille !
Mais hélas ! cet Amour , l'auteur de mon ſouci ,
Ne le connoîtrez - vous qu'ici è
J. F. Guichard.
SPECTACLE S.
L'Académie Royale de Musiquecontinue toujours
les fetes de Polymnie. Elle en a donné le
Dimanche 16 ,une
reprélentation gratis, àl'occafion
de la naiflance de
Monfeigneur le Duc
d'Aquitaine .
Cette Académie a retiré les fètes de l'olymnie ,
pour les remettre au retour de Fontainebleau , &
a donné Dimanche 23 Septembre , la premiere
repréſentation des Artifans de qualité & de la Pipés,
Intermédes Italiens. Nous rendrons compte le mois
prochain de cette nouveauté.
Les Comédiens François ont donné le Samedi
25 Août Merope , Tragédie , dans laquelle M. le
Jeune , Acteur nouvellement arrivé de Province
a repréſenté le rôle d'Egifthe ; il a joué le lende
main celui de Valére dans la Comédie du Mé
chant ; fes autres rôles de début ont été Frederic ,
dans Guftave ; dipe , dans la Tragédie de ce
nom ; & Titus , dans Brutus. Il s'en faut bien que
cet Acteur foit formé ; mais il n'eft pas fans elpérance,
ayant la voix & la figure agréables ; il a mê
me montré de
l'intelligence , & de l'ame dans plufieurs
Scénes . Les mêmes Comédiens ont remis
au Théatre , le Lundi 10'du mois dernier , le Bourgeois
Gentilhomme , avec tous les agrémens ; certa
Comédie eft auffi bien rendue qu'elle pouvoit l'êre.
Les rôles du Bourgeois , de Madame Jourdain ,
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
de Lucile , de Nicole & de Dorimene , font rem -y
plis par M. Armand , Mlles la Mothe , Grandval ,
Dangeville & Brillant ; & ceux de Cléonte , de
Cortelle & du Comte , par M. Grandval , Dubois
& la Noje . On a jugé M. Armand fupérieur à
feu Poiffon dans quelques Scénes , & inférieur
dans d'autres ; le public lui a témoigné par les ap
plaudiilemens , combien il étoit fatisfait de ce qu'il
s'eft prêté à jouer un rôle qui n'est pas de fon emploi.
Comme cet Acteur à des talens fupérieurs ,
plus il jouera le Bourgeois Gentilhomme , & plus
il s'y diftinguera. Le fuccès de la Piéce n'eft pas
auffi complet qu'on l'avoit cru ; bien des gens y
trouvent peu de vraisemblance , des longueurs
trop de fcénes de farce , & un mauvais dénouëment.
Nonobftant ces défauts , il nous paroît que
les beautés des deux premiers Actes , l'excellence
du dialogue , la variété du Spectacle , & la maniere
heureuſe dont les divertiffemens font ame
nés , doivent faire réuffir cet ouvrage dans tous les
tems. Mlle Grandval joue avec une fineffe inexprimable
la Scéne du dénouement qu'on ne dai
gnoit pas écouter autrefois : c'eft le propre des
grandes Actrices de créer des fituations . On a uni
verfellement approuvé les Ballets ; ils font de M.
Sodi , qui danía à la fin du dernier divertiffement
avec la Dile Betina Buggiani , & le Sieur Cofimo
Maranefi , un pas de trois dont on ne peut trop applaudir
l'exécution .
Les mêmes Comédiens ont donné le Mardi 18
Septembre gratis , pour la naiflance de Monfeigneur
le Duc d'Aquitaine , le Philofophe marié ,
fuivi d'uu Ballet ; & pour petite Piece , le mari res
trouvé, avec le divertiffement des Charbonniers.
OCTOBRE. 1753 . 173
EXTRAIT des Femmes , Comédie-Bal
let en un Alte , par M. Mailhol , repréſentée
pour la premiere fois par les Comédiens Ha
liens , le 2 Août 1753 .
ACTEURS.
La Folie ,
L'Amour
Pfiché ,
Arlequin.
Mlle Coraline ;
Mile Fulquier ;
Mlle Favart ;
M. Carlin.
La Scéne eft fur la terre.
E Théatre repréſente des côteaux , dont le bas
LE ;
l'éloignement des hommes & des femmes occupés
à travailler à la terre. Le Temple de la Folie pafoît
dans l'un des côtés : un autel occupe le fond
du Théatre ; il eft couvert de fruits & de victimes.
La premiere Scéne fe paffe entre la Folie & Arlequin.
Ce dernier dit à la Folie que les hommes
ont raifon de fe plaindre de leur fort , & qu'il vau
droit mieux n'être pas , qu'exifter & fouffrir ; la
Folie lui répond , que c'eft la faute des hommes
s'ils font malheureux ; que la raifon leur a été
donnée avec la vie ; qu'ils ont dédaigné fes confeils
, & que pour les en punir les Dieux les ont
foumis à fa puiffance ; que lui Arlequin , ne doit
pas être fi fâché que les autres , puifqu'elle lui a
donné la belle Pfiché. Arlequin replique à la Folie
que Pfiché le refufe . Pfiché arrive toute effrayée ,
en difant à la Folie que tout eft perdu , que les
hommes fe révoltent contre les Dieux , fans être
épouvantés du fort des Titans , & que loin de
craindre la foudre , ils l'implorent , puifqu'elle
Hij
374 MERCURE DE FRANCE .
peut terminer leurs maux. La Folie eft fort embar
raffée du parti qu'elle doit prendre : Arlequin lui
confeille de partir pour les Cieux , & la prie de le
mettre du voyage , ainfi que Puché.
On entend un bruit confus & terrible , les hom
anes & les femmes qui travaillent dans le lointain ,
diſparoiſſent ; la Folie fe renferme dans fon Temple;
Pfiché veut la fuivre , mais Arlequin l'arrête.
Arlequin qui craint la fureur des hommes révoltés
, parle en tremblant de fon amour à Pfiché ;
elle eft également effrayée , & elle ne peut fouffrir
Arlequin ; cependant pour l'obliger à la fecourir ,
elle lui promet de l'aimer , elle lui jure même
qu'elle l'adore. Cela n'empêche pas à Arlequin ,
qui eft plus poltron qu'amoureux , de la laiffer
feule ; il s'enfuit d'un côté du Théatre , & Pfichė
défefpérée , fuit de l'autre. in grand bruit , une
fymphonie vive annoncent les hommes ; ils paroif
fent armés de haches , de maflues & de débris d'arbres
; ils expriment par une danfe terrible leurs
noirs deffeins ; ils fe difperfent dans les campagues
, détruifent tout , & renverfent l'autel . La
Folie revient , & menace les hommes de la ven,
geance des Dieux , s'ils ne les défarment pas par
leurs remords . Les hommes loin d'écouter la Folie
, s'indignent de fes difcours , ils l'environnent
en danfant , & la contraignent de rentrer dans fon
Temple , qu'ils embrâfent avec des torches allumées.
Le tonnerre gronde , le fonds du Théatre fe
couvre de nuages , qui s'entr'ouvrent enfuite , &
laiflent voir dans les airs l'Amour fur un nuage
de feu , environné de génies : les hommes prennent
la fuite , la Folie fort des mines de fon Temple.
L'Amour & fa fuite defcendent rapidement
fur le Théatre. LaFolie appercevant l'Amour , ng
OCTOBRE. 1753. 175
peut s'empêcher de rire de ce que le plus petit
des Dieux eft chargé du foin de leur vengeance :
l'Amour méprile les railleries de la Folie , qu ! alors
affecte de prendre un ton férieux , & lui demande
fi c'est à l'Amour de détruire le genre humain ?
PAmour lui répond qu'il oublie fon interêt particulier
, quand il s'agit de la vengeance commune
des Dieux d'ailleurs il prétend qu'il eft un des
plus outragés : C'eſt mo!, dil , qui pour diminuer
les maux des hommes , leur fis donner desfemmes ; les
méchaus , les ingrats qui par ce moyen participoient à
notre félicité, fe font arrogés fur elles un pouvoir defpotique
les traitent en efclaves , & me puniffent de mes
bienfaits. La Folie implore envain la clémence de
l'Amour en faveur des hommes ; l'Amour lu ordonne
de difparoître , & la Folie le quitte en faifant
de grands éclats de tire . Alors les Génies arrivent
, l'Amour leur ordonne de fe préparer à leconder
fon courroux.
Dans le tems que les génies s'excitent par une
danfe vive à bien remplir fes ordres , on entend
ane douce mélodie qui talentit peu à - peu leurs
mouvemens , & enfin les rend immobiles ; une
troupe de femmes couvertes de feuillages & de
Aeurs , danfent autour d'eux ; la vûe de ces objets
commence à adoucir l'Amour , & lui fait différer
la vengeance ; les génies paroiffent vouloir
fe défendre des careffes des femmes , mais elles
les enchaînent avec des guirlandes de fleurs , Pfiché
paroît plus brillante que les autres femmes ,
& après avoir danſé autour de l'Amour , elle l'enchaine
ainfi que les compagnes ont enchainé les
génies. L'Amour ne peut réfifter aux charmes de
Pliché , il lui offre fes hommages , que Pfiché refoir
avec beaucoup de tendreffe ; cela donne lieu
une fcene de galanterie , à la fin de laquelle
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE.
l'Amour tombe aux genoux de Pfiché. La Folie le
furprenant dans cette pofture , vient lui apprendre
que les Dieux font irrités de les lenteurs, qu'ils
ont entendu fon entretien , & l'ont chargée de
venir l'interrompre l'Amour fe trouve dans une
cruelle alternative , d'un côté il craint de perdre
Pfiché , qui ne veut confentir à fon bonheur qu'à
condition qu'il pardonnera aux hommes ; de l'an- `
tre , il ne veut pas trahir la vengeance des Dieux :
dans cet état il prend la réfolution d'aller demander
dans l'Olympe la grace de l'univers . La Folie
qui s'eft amulée à fes dépens , l'arrête , en lui difant
qu'il n'en eft pas befoin ; que le deftin s'eft
rendu , qu'il fait grace aux hommes en faveur des
femmes qu'il immortalife Pfiché , que Venus
veur leur donner une fête , & les emmener enfuite
dans les Cieux : écoutez maintenant , ajoûre
la Folie , la fuite de Parrêt du deftin. Les hommes
pour avoir eté fauvés par les femmes qu'ils avoient
outragées , feront à jamais foumis à leur puiffance ;
elles les rendront heureux ou malheureux , fuivant
leur volonté , & peut être leur caprice : d'elles ſeules
dépendra leur fort ; s'ils leur réſiſtent quelquefois , ce
ne fera que pour céder enfuite avec plus d'éclat , &
pour mieux cimenter leur pouvoir ; enfin elles parta
geront avec les Dieux les hommages de l'univers .
Les génies fortent , les femmes les fuivent , &
Arlequin arrive bien furpris de trouver Pfiché immortelle
, & adorée par l'Amour . Il la réclame en
vain l'Amour lui dit que Pfiché ne l'aime pas ,
& qu'à fa place il lui donne la Folie. Ce marché
eft accepté , & la Folie prend Arlequin pour fon
amant , dans l'efpoir que fes fingeries affermiront
fon empire. Le fpectacle eft terminé par le Diver
tiffement de l'Amour piqué par une abeille ,
guéri par un bailer de Venus,
Г
OCTOBRE. 1753. 177
EXTRAIT des Amours de Baftien
Baftienne , Parodie du Devin du Village,
par Mlle Favart & M. Harny,
ACTEURS.
Baftien ,
Baftienne ,
Colas,,
M. Rochard.
Mlle Favart.
M. Chanville;
Payfans , Payfannes .
Baftienne ouvre la Scene par un Monologue ';
dans lequel elle fe plaint de l'infidélité de Baftien ,
par qui elle fe croit entierement abandonnée . Elle
apperçoit Colas qui defcend d'une coline en chan
tant & s'accompagnant de fa cornemule ; comme
elle croit ce Colas un grand magicien , elle l'aborde
pour le confulter fur fes amours avec Bal
tien , & au lieu d'argent dont elle manque , elle
lui offre des boucles d'or fin pour le déterminer i
la fervir : Colas la tient quitte pour un baifer ,
qu'elle lui refufe , en difant que tous fes baifers
font à Baftien , qu'elle les garde pour leur mariage.
Colas raffure Baftienne à moitié , en lui
difant que Baftien continue de l'aimer , mais que
cependant il eft infidéle : Baftienne répond qu'elle
ne veut point de partage. Colas lui apprend que
Baftien qui eft coquet , n'a pu s'empêcher de rendre
fes hommages à la Dame du lieu , qui lui fait
des préfens confidérables ; il confeille en même
tems à Baftienne d'affecter auprès de lui de la
gayeté & de la légereté pour le rendre conftant.
Baftienne promet de fuivre la leçon du magicien
Baftienne est bien malheureufe , elle a refufé un
Hy
178 MERCURE DE FRANCE.
Financier , & un petit Collet , qui vouloir la faire
fa gouvernante , pour n'écouter que Baftien qu'elle
adore ; elle prend la réfolution de paroître coquette
, & de faire femblant de fair fon amant ;
elle quitte enfuite Colas , en lui fafant d'humbles
remercimens de les bons confeils . Colasˇrefté ſeul ,
rit de la fimplicité & de l'ingénuité de Baftienne ,
qui ne reflemble pas à tant de filles de Paris qui
en revendent à leur mere . Baftien s'échappe des
bras de la Dame du Château , & vient trouver
Colas , pour fçavoir des nouvelles de fa Baftienne.
Colas lui affure qu'elle a fait un nouvel amant
qui eft gentil au poffible . Baftien en eft défefpéré
, & confulte Colas fur la maniere dont il s'y
prendra pour ravoir fa belle : Colas tire de fa beface
un Livre de la Bibliotheque bleue , & fait en
lifant , plufieurs contorfions qui font enfuir Baftien
: il revient un peu après , & Colas l'exhortte
mystérieusement de prendre un air galant , & de
n'être pas un ignorant dans le tête à tête avec
Baftienne , finon il lui déclare qu'il la perdra pour
jamais. Baftien eft bien inquiet de la maniere dont
il s'y prendra ; la timidité le prend en appercevant
Baftienne ; il fe détermine cependant à luk
parler , ce qu'il fait d'un air très - niais : Baftienne
jai tépond fur le même ton : l'amour réciproque
qu'ils reflentent les échauffe infenfiblement,
Baftienne , air : Des niais de Sologne .
Non , infidele ,
Cours à ta belle ;
Soins fuperflus ;
Non , Baftien , je ne vous aime plus .
Baltien.
A la bonne heur
OCTOBRE. 1753 .
179
Tu veux que je menre ;
Eh bian , je vais ....
Du hamiau fortir pour jamais.
Baftienne
L'ingrat me quitte .
Baftien.
Oui , tout de faite ,
Voudrois-tu donc
Que j'aillions comm - ça fans façon
Etre de ton joli Monfieur
Le ferviteur ?
Baftienne.
Baftien , Baftien,
Baftien.
Vous m'appellais.
Baftienne.
Vous vous trompais ;
Quand j'te plaifois ,
Dam ' , tu m'plaifois.
Baftien.
La belle marveille !
Quand tu m'aimois ,
Moi , j't'aimois .
Enfemble.
Tu me fuis ; va , je te rend la pareille ;
H vj
180 MERCURE DE FRANCE
Deviens volage ,
Je me dégage ;
D'un autre amour
J'prétendons tâter à mon tour;
Nouviau ménage
N'eft qu'avantage ,
Et chacun m'dit
Que ça réveille l'appétit
Baftien.
Quoique l'on prife,
Baftienne,
Quoique l'on dife ,
Baftien
Ces grand maîtreffes ,
Baftienne,
Des grand'richeffes ,
Baftien
Si tu voulois
Si tu voulois
Baftienne
Enfemble.
Renouer nos amours ;
Je te pourrois
Baftiens
Toujours aimer
OCTOBRE. 1753. 181
Baftienne.
Aimer toujours.
Baftien
Reads moiton coeur ;
Fais mon bonheur;
Viens dans mes bras
Baftienne.
Hélas ?
Qu'il eft charmant
De faire un heureux dénoument!
Ensemble.
Va je m'rengage ,
Et fans
partage ,
Tian , v❜la ma foi.
Baftien. Ton cher Baſtien eſt tout à toi
Baftienne. Ta' chere Baftienne eſt toute à tois
Plus de langage ,
De varbiage ;
A nos dépens
Ne faifons pas riré les gens.
Colas revient voir Baftien avec Baftienne , &
choeur de Payfans & de Payfannes chante leurs
amours.
Les mêmes Comédiens ont auffi donné gratis le
Mardi 18 Septembre les Brouilleries nocturnes , piéce
Italienne en deux Actes , fuivie des Masques de
Bemons , Ballet pantomime ; & pour petite Piéce
182 MERCURE DE FRANCE.
le Retour d'Arlequin , avec le Ballet des Savoyards.
L'Opéra Comique a repréſenté pour la premiere
fois le Lundi 10 Septembre , le Plaifir &
L'Innocence , Piéce nouvelle en un Acte , qui a été
reçûe favorablement du Public. On avoit donné
le Dimanche précédent la derniere repréſentation
des Troqueurs , qui ont attiré jufqu'à la fin des affemblées
fort nombreuſes.
L
CONCERT SPIRITUEL.
E Concert du buit Septembre jour de la Naiffance
de Monfeigneur le Duc d'Aquitaine
commença par le Te Deum, de Lalande . Le zéle &
l'activité des Directeurs furent remarqués. Après
ce morceau que les difpofitions où on étoit rendoient
encore plus agréable qu'il ne l'ek , on
exécuta une Symphonie de M. Pla , ce délicieux
Hautbois Efpagnol , que nous avons le regret de
ne plus entendre. Enfuite Deus venerunt gentes
Motet à grand choeur de M. Fanton, M. Baptifte
joua une Sonate de violoncelle , de la compofition
de M. Berteau , qui fut applaudie . M. Albaneze
chanta deux morceaux Italiens. M. Canavas jous
feul & avec goût. Le Concert finit par Diligam te ,
Motet à grand choeur de M. Madin.
83
1
OCTOBRE. 1753. 183
洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗
NOUVELLES ETRANGERES.
DU NORD.
DE WARSOVIE , le 10 Août.
Grand- Général de l'Armée de la Couron
ne , pour lui annoncer l'échange qu'ils ont fait de
Jeurs Principautés , par ordre de la Porte . En même
tems , ils l'ont afluré que le Grand Seigneur
leur avoit recommandé d'apporter toute l'attention
poffible au maintien du bon voifinage avec
la Pologne.
DE STOCKHOLM , le 12 Août,`
La nouvelle Académie de Belles Lettres , formée
fous les aufpices & la direction de la Reine ,
a tenu fa premiere aſſemblée dans une Salle de
l'appartement de cette Princeffe. Sa Majefté daigna
faire elle-même l'ouverture de la féance par
un Difcours , auquel le Baron de Hopken , Préfident
de la Chancellerie , répondit pour l'Académie
. Le fieur Dalin , Bibliothéquaire du Roi ,
Précepteur du Prince Royal , & Sécrétaire de la
Compagnie , lut une Differtation fur la naissance
le progrès des Sciences en Suéde . 1 annonça enfuite
que la Reine avoit fondé un Prix d'Hiftoire ,
un d'Eloquence & un de Poehe , & que
menceroit l'année prochaine à faire la diſtribution
de ces trois Prix , qui confiftent chacun en une
Médaille d'or de la valeur de trente ducats . L'A
l'on com184
MERCURE DE FRANCE.
cadémie propofe pour le Prix d'Hiftoire , d'éclaircir
Si la Famille de Folkunger , qui a occupéfi longtems
le Trône de Suéde , étoit Suédoise ou Etrangere,
Le fujet donné pour le rix d'Eloquence eft-l'Éloge
de Gustave- Adolphe , & l'on deftine le Prix de
Poëfic à la meilleure Piéce de Vers fur le Paſſage
des deux Belts par le Roi Charles - Guſtave aves
fon Armée en 1658. On prie les Auteurs qui voudront
concourir , d'envoyer leurs ouvrages à M.
Dalin avant le premier Avril . Les loix du concours
feront les mêmes que celles qui s'obſervent
dans les autres Académies .
On doit travailler inceffamment à l'érection de
la Pyramide que Sa Majefté Très- Chrétienne a
réfolu , avec l'agrément de cette Cour , de faireélever
à Tornéo.
DE
COPPENHAGUE , le 24 Août.
Deux Bâtimens de la Compagnie générale du
Commerce fout de retour de la côte de Groënlande
, d'où ils ont rapporté fept Baleines & la
moitié d'une . Le Navire le Prince Chriftian , def
tiné pour Saint Thomas en Guinée , fe mit avanthier
en rade . On a féparé de l'Artillerie de la Ma
rine trois Compagnies de Matelots , qui ont tiré
au fort pour être incorporés dans d'autres Divi
fons. Les Officiers de ces trois Compagnies fezont
diftribués dans les Provinces , & ils feront
chargés d'y faire la levée des Matelots dont on
aura befoin.
(
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , Le 4 Août.
U paroît une Ordonnance , par laquelle le
OCTOBRE . 1753- 185
Gouvernement menace de peines rigoureufes , les
foldats qui fuppofent des infirmités , ou qui s'en
procurent de réelles , pour fe difpenfer de fervir.
DE DRESDE , le 7 Août.
Cet Electorat , ainfi que tout l'Empire , étant
innondé d'une multitude d'efpéces de mauvais
aloi , le Gouvernement a réfolù d'en faire frapper
de nouvelles,
DE BERLIN , le 4 Septembre.
Le Prince Héréditaire de Brandebourg . Anfpack
s'eft rendu en cette Cour , ainfi que le Duc & le
Prince Héréditaire de Brunfwic - Wolfenbuttel . Il
s'y trouve actuellement vingt- deux Princes de
l'Empire , attirés par
la curiofité de voir le Camp
de Dobritz , dont l'ouverture s'eft faite le premier
de ce mois . On fert tous les jours dans ce Camp
aux dépens du Roi , differentes tables compofane
enfemble trois cens couverts. Toy les Princes
Etrangers mangent à celle de Sa Majesté . Les trois
Princes , freres du Roi , tiennent chacun une table
de cinquante couverts , & chacun des trois Maréchaux
de la Cour en tient une de quarante. Outre
cela , chaque Général a une table ouverte pour tous
les Officiers de fon Régiment.
D'EMBDEN , le 9 Août.
On commencera le 27 de ce mois la vente des
marchandifes , que la Compagnie Afiatique a reçues
de la Chine par le Vaiffeau le Roi de Pruffe
Le thé qu'on achetera de cette Compagnie , & qui
fera definé à être confommé dans les Etats de Sa
186 MERCURE DEFRANCE.
Majefté , ne payera que dix Grofches de droit par
livre .
Comme plufieurs Négocians Etrangers ont écrit
la Compagnie Afiatique , pour fçavoir fi le payement
des marchand : fes , qu'elle doit mettre en
vente le 27 , pourroit fe faire en Lettres de chan- E
ge , cette Compagnie déclare qu'elle recevra celles
fur des maifons fuffifamment connues à Amfterdam
, Anvers , Hambourg , Berlin & Francfort,
pourvû que ces Lettres foient payables un mois au
plus tard après leur acceptation.
DE RATISBONNE , le 11 Août.
Les trois Colleges nommerent le 6 de ce mois ,
à la dignité de Feld -Maréchal de l'Empire , vacante
par la mort du Prince Maximilien de Helle
Cafel , le Prince Louis de Brunſwic - Wolfenbuttel
, Feld- Maréchal des Armées de l'Impératrice
Reine , & des troupes de la République des Provinces
Unies Le Prince de Salm , Duc de Hoogftraten
, G erneur de la Citadelle d'Anvers
Le
s'eft mis fur les rangs pour la Charge de Général
d'Infanterie de l'Empire , dont le feu Comte de la
Marcx- Schleiden étoit revêtu .
ESPAGNE.
DE MADRID , le 21 Août.
Don Julien d'Arriaga , Préfident du Tribunal
de la Contractation des Indes , a donné avis au
Roi , que les Vaiffeaux le Saint Joseph & Saint
Antoine , le Saint Michel , la Notre-Dame du Rofairele
Foudre Bifcayen , étoient entrés le 19 de ce
mois dans la Baye de Cadiz. Les deux premiers
OCTOBRE. 1753. 187
13
viennent de la Vera- Crux , & les deux autres de
Carthagène. S'étant joints à la Havane , ils en
ont fait voile pour l'Europe, Ils ont apporté la va
leur de deux millions quatre cens douze mille neuf
cens trente & une piaftres , tant en efpéces d'or &
d'argent qu'en vaiffeile , fix mille trois cens trentequatre
émeraudes ; cent quarante cinq mille deux
cens vingt- cinq livres de cochenille , feize mille
cinq cens foixante & quinze d'anil , dix - neuf cens
de cacao , cent de baume , cinq cens quatre-vingtquatre
de jalap , deux cens quinze de fang.de dragon
, fept cens quatre vingt- fept mille cinq cens
de tabac , quatre mille deux cens cinquante de
laine de Vigogne ; cinquante trois caillons de vanilles
, buit cens quatre vingt - trois caifles de fucre ;
quinze cens cuirs , & quinze cens foixante - fix quin
taux de bois de Brefil . Le Paquebot le Saint Michel
appartenant à la Compagnie de la Havane , eft
venu de conferve avec ces Bâtimens.
ITALI E.
DEROME , le 31 Juillet.
Des voleurs ont arrêté le Courrier de Génes ,
entre Monte- Roffi & Ronciglione , & le font faifis
d'une malle , dans laquelle il portoit plufieurs effets
précieux .
Une Felouque , qui conduifoit en Sicile les deux
célébres Muficiennes , Banderata & Gallinarina , a
été prife par les Algériens.
Quelques particuliers propofent de faire arriver
les eaux de la mer à fept milles de cette Capitale,
en coupant une langue de terre du côté de Macarefe.
Ils offrent même de fournir l'argent néceffaire
pour ce travail , à condition de percevoir
188 MERCURE DE FRANCE.
feuls pendant trente ans le droit d'ancrage fur les
Vailleaux qui mouilleront dans ce nouveau Port
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 16 Août.
On fit le 4 de ce mois , en préſence des principaux
Officiers de l'Artillerie , l'épreuve d'une pié
ce de canon , de l'invention du Sieur Bowen . Cet
te piéce eft très- courte , & n'eft que de fix livres
de balle. En trois heures fept minutes quarante
cinq fecondes , elle tira trois cens coups la charge
pour chaque boulet étant de dix - fept onces & demie.
Après cette épreuve , on v fita le canon , &
l'on reconnut qu'il n'avoit fouffert aucune altération.
Il eft , au jugement des perfonnes qui l'ont ,
examiné , le meilleur en ce gerre qu'on ait fait
jufqu'à préfent pour le fervice du Roi.
PAYS - BAS.
DE LA HAYE , le 7 Septembre.
La négociation pour un Traité de Commerce ,
entre le Roi des Deux Siciles & les Etats Généraux .
ayant eu le fuccès défiré , ce Traité fut figné le 17
du mois dernier. Il contient quarante ſept articles.
1
OCTOBRE. 1753 189
1753..
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
E 18 Août dernier , le Roi revint du Château
Lde
Choify.
Leurs Majeftés , accompagnées de la Famille
Royale , affifterent le 19 aux Vêpres & au Salut
dans la Chapelle.
Leurs Majeftés ont foupé le même jour au grand
couvert.
Le Contrat de mariage du Comte de Morangiés,
& de Marie- Paule- Thérefe de Beauvilliers, fille du
Duc de Saint- Aignan , fut figné le 19 par leurs
Majeftés & par la Famille Royale.
Le 20 , les Députés des Etats de Languedoc eurent
audience du Roi étant préſentés par le Prince
de Dombes , Gouverneur de la Province , & par le
Comte de Saint- Florentin , Miniftre & Secrétaire
d'Etat , & conduits en la maniere accoûtumée par
le Marquis de Brezé , Grand -Maître des Cérémonies.
La députation étoit compófée pour le Clergé,
de l'Archevêque de Narbonne , qui porta la parole
; du Marquis de Lanta , pour la Noblefle ; de
Meffieurs de Baillarguet & de Voifins , pour le
Tiers-Erat ; de M. de Montferrier , Syndic Général
de la Province, & de M. Guilleminet , Greffier des
Etats .
Ces Députés eurent enfuite audience de la Rei
ne , de Monfeigneur le Dauphin , & de Madame
la Dauphine.
Le Roi alla le même jour tirer dans la Plaine de
Grenelle, Sa Majefté foupa le foir à Montrouge ,
chez le Duc de la Valliere, Outre la table du Roi ,
190 MERCURE DEFRANCE:
il y en eut plufieurs autres fervies avec autant de
délicatefle que de magnificence. Après le repas ,
Sa Majesté te rendit à Choify.
Il y eut auffi le même jour , un Concert chez la
Reine . On y exécuta le Prologue & le premier
Acte de Roland.
La Ducheffe de Mirepoix a été nommée Dame
du Palais de la Reine , à la place de la feue Com
teffe de Saulx - Tavannes.
Le 20 , M. de Lamoignon , Préſident Honoraire
du Parlement , prêta ferment de fidélité entre les
mains du Roi , pour la Charge de Prévôt Maître
des Cérémonies de l'Ordre Royal & Militaire de
Saint Louis.
Sa Majefté a accordé au Marquis de Fontange ;
Moufquetaire de la Premiere Compagnie , & à M.
de Valiory , Capitaine de Cavalerie dans le Régi
ment d'Ecquevilly , les deux places d'Exempts des
Gardes du Corps , qui vaquoient dans la Compagnie
de Charoft par la retraite de M. de Treflos &
de Savy.
Le Roi ayant jugé à propos de donner un Unie
forme Militaire aux Cent Suiffes de fa Garde , & de
leur ôter la Livrée ; le Marquis de Courtanvaux
Capitaine Colonel de cette Compagnie , a préſenté
à Sa Majefté le modéle de l'Uniforme , & des Sur
tours de campagne , tant pour les Cent Suiffes que
pour leurs Tambours & pour leurs Fifres . L'habil.
lement des Cent Suiffes eft bleu , galonné d'or en
brandebourgs , avec deux galons fur le parement
de la manche , lequel eft d écarlate . Il n'y a qu'un
bordé d'or au Surtout, Les Tambours & les Fifres
font galonnés de même que les Cent Suiffes , mais
avec le galon de la Livrée du Roi , dans lequel il y
a de l'or mêlé avec la foye. Cette Compagnie a
pris fon nouvel Uniforme le jour de la Fête de Saing
OCTOBRE. 1753 .
191
Louis. Elle conferve toujours fes anciens habits
pour les cérémonies .
Madame Victoire prit des eaux le 20 & le 21 ;
purger par précaution. pour
fe
Le 23 , le Roi revint du Château de Choify
avec Monfeigneur le Dauphin , Madame Infante
Ducbelle de Parme , Madame Adélaïde , & Meldaines
de France , qui étoient allés la veille y
joindre Sa Majesté.
Le 24 , le Corps de Ville fe rendit à Versailles ,
& ayant à la tête le Duc de Gelvres , Gouverneur
de Paris , il eut audience du Roi avec les céré
monies accoutumées. Il fut préſenté à Sa Ma◄
jefté par le Comte d'Argenton , Miniftre & Sé.
crétaire d'Etat , & conduit par M. de Gifeux
Maître des Cérémonies en furvivance de M. Def
granges. Mrs Pafchalis & Caron , qui ont été
élus Echevins dans l'Aſſemblée du Corps de Ville
, tenue le 16 , pretérent entre les mains du
Roi le ferment de fidélité , dont le Comte d'Argenfon
fit la lecture , airfi que du Scrutin , qui
fut préfenté à Sa Majefté par M. Moreau , Avocat
du Roi au Châtelet.
Le Corps de Ville eut enfuite l'honneur de rendre
fes refpects à la Reine , à Monſeigneur le
Dauphin , à Madame la Dauphine , à Monfei
gneur le Duc de Bourgogne , à Madame , à Mas
dame Infante , à Madame Adélaïde , & à Mefda
mes de France , étant préfenté & conduit en la
maniere afitée.
Le as , jour de la Fête de Saint Louis , le Roi
1 & la Reine , accompagnés de la Famille Royale ,
dentendirent dans la Chapelle du Château la grande
Meffe , les Vêpres & le Salut , chantés par les
Miffionnaires .
Suivant l'ufage , les Hautbois de la Chambre
192 MERCURE DE FRANCE.
·
jouerent des Fanfares pendant le lever du Roi.
Leurs Majeftés foupérent le foir au grand cou
vert avec Monfeigneur le Dauphin , Madame ( nfante
, Madame Adélaïde , & Mefdames de France.
Pendant le fouper , les vingt - quatre Violons
de la Chambre exécuterent différentes fuites de
Symphonies de Mrs Rebel & Francoeur.
Le même jour , la Proceffion des Carmes da
Grand Couvent , à laquelle le Corps de Ville affifta
, alla fuivant la coutume à la Chapelle du
Palais des Thuilleries , où ces Religieux chanterent
la Mefle .
• L'Académie Françoiſe célébra auffi le même
jour la Fête de Saint Louis dans la Chapelle du
Louvre Pendant la Meffe , le célébre Cafarieli
chanta divers morceaux de mufique. Il étoit accompagné
par plufieurs Symphonistes qu'il avoit
choifis lui- même . M. Bon , Théologal d'Autun
prononça après la Mefle le Panégyrique du Saint.
La même Fête fut célébrée par l'Académie
Royale des Infcriptions & Belles - Lettres , & par
celle des Sciences , dans l'Eglife des Prêtres de
l'Oratoire , où le Panégyrique du Saint fut prononcé
par le Pere la Berthonie , Religieux Dominicain
, du Couvent de la Rue Saint Honoré,
L'après midi , l'Académie Françoife tint une
Aflemblée publique , dans laquelle elle donna le
Prix de Poefie , fondé par feu M , de Clermont-
Tonnerre , Evêque de Noyon, C'eft M. le Miere ,
qui a remporté ce Prix. Le fujet propofé étoit
La tendrelle de Louis XIV pour fa Famille. Lorf
qu'on eut fait la lecture du Poëme de M. le Miere
, M. de Buffon , que l'Académie a élu à la place
du feu Archevêque de Sens , prononça fon Difcours
de remerciment , auquel M. de Moncrif ,
Directeur , répondit.
Cette
OCTOBRE. 1753 195
Cette année , l'Académie devoit diſtribuer trois
Prix, mais elle a jugé à propos d'en réſerver deux.
Ainfi , le 25 Août 1754 , elle diftribuera un Prix
d'Eloquence & deux de Poëfie. Elle propofe pour
le Prix d'Eloquence , qui eft celui fondé par feu
M. de Balzac , le même fujet qu'elle avoit propolé
pour 17533 La erainte du ridicule étouffe plus
de talens & de vertus , qu'elle ne corrige de vices &
de défauts : Parentes & Cognati irridebant vitam
ejus. Tob. c. 2. verf. 18. Les deux Prix de Poëfie
que l'Académie donnera l'année prochaine , font
de la fondation de M. Gaudron. Un des fujets
propofés eft , l'Amour de la Patrie. L'autre eft,
l'Empire de la Mode.
Le Roi partit le 28 pour Bellevue.
Le même jour , l'Académie Royale des Inf
criptions & Belles- Lettres eut l'honneur de pré-
Tenter à Leurs Majeftés & à la Famille Royale les
Tomes XVIII , XIX & X X. dc fes Mémoi
tes. Ces trois Volumes comprennent les années
3744, 1745 & 1746.
M. Guignon étant dans l'ufage de donner tous
les ans un Concert à Monſeigneur le Dauphin
pour fon bouquet , fit exécuter le 26 au foir ;
pendant le fouper de ce Prince & de Madame la
Dauphine, plufieurs morceaux de fymphonic de
La compofition.
Le départ de Madame Infante Ducheffe de
Parme a été fixé au 26 Septembre . La fanté de la
Marquife de Lede , Dame d'Honneur de Madame
Infante, ne lui permettant pas de l'accompagner &
Parme , la Comteffe de Noaillesa été nommée par
Je Roi , pour faire les fonctions de Dame d'Honneur
auprès de cette Princeſſe juſqu'à Antibes , od
Madame Infante s'embarquera. La Marquife de
Cruffol , épouse du Miniftre Plénipotentiaire de Şa
I
194 MERCURE DE FRANCE .
Majefté auprès de l'Infant Duc de Parme , ac
compagnera Madame Infante à Gênes , airfi que
la Vicomteffe de Narbonne , attachée à cette
Princeffe. Le Comte de Noailles , Grand d'Efpagne
de la premiere Claffe , chargé des ordres du
Roi pour conduire Madame Infante jufqu'à Antibes
, le rendra à Parme après quela Princeffe fera
einbarquée. Le Bailly de Champignel , Exempt
'des Gaides du Corps dans la Compagnie de Ville-
Toy, commande le Détachement des Gardes ,
qui fuit Madame Infante jufqu'à Antibes. Cette
Princeffe trouvera à Gênes la Maiſon , qui la conduira
à Parme .
Le 27 , le Roi chaffa dans la Plaine de Genevilliers.
Après la chaffe , Sa Majesté alla fe
repofer dans la maison du Maréchal Duc de Richelieu
, & elle y foupa. Le repas fut précédé
d'un feu d'artifice dans le goût Chinois , qui a
très bien réuffi , & dont le Roi a paru fort fatisfait.
Il y a eu plufieurs tables magnifiquement
fervies , en même- tems que celle du Roi , pour
toute la fuite de Sa Majeſté.
Il y eut concert le 27 & le 29 , chez la Reine.
Le 21 , il y en eut un chez Madame la Dauphine.
* La VicomteЛle de Narbonne dont nous parlons ,
attachée à Madame Infante Ducheffe de Parme ,
n'eft point la Vicomteffe de Narbonne , foeur du Duc
de Fleury , époufe du Vicomte de Narbonne- Pellet ,
Lieutenant- Général des Armées du Roi , laquelle vit
dans fes terres avec jon mari , n'étant attachée à ancune
Princeffe ; mais la femme du Vicomte de Narbonne-
Lara , Colonel du Régiment de Soiffonnois) , d'une
maifon différente de la premiere. Voyez l'Hiftoire
*généal. des Maifons de France , par les PP. Anfelme
Simplicien.
OCTOBRE . 1753. 195
On y exécuta un Concerto de M. Mondonville. Ja
Moter , compofé par ce Muficien fur le même
Concerto , & dont les paroles font tirées du Pleaume
Laudate Dominum de Coelis , fut chanté par M.
Richer , Page de la Mufique. On chinta enfuite
In exitu Ifraël , nouveau Motet à grands choeurs ,
du même Auteur.
Le 25 & le 28 , M. Cafarieli , Muficien du Roi
des Deux Siciles , chanta plufieurs airs Italiens
chez Madame la Dauphine , & il s'accompagna
du Clavecin .
Le Roi a accordé à M. de Barailh , Lieutenant-
Général des Armées Navales , la place de Vice-
Amiral vacante par la mort du Comte de Camilly ,
& au Comte de Vaudreuil , Chef- d'Eſca dre , un
Brevet de Lieutenant Général des Armées Navales.
M. de Bart , premier Vice - Amiral , & le Comte
de Berchiny , Lieutenant Général des Armées du
Roi , ont été nommés Grands Croix de l'Ordre
Royal & Militaire de Saint Louis . La place de
Commandeur à la penfion de trois mille livres ,
que la promotion du Comte de Berchiny fait va
quer dans l'Ordre , a été donnée par Sa Majesté au
Chevalier de Croifmare , Brigadier , Lieutenant-
Colonel du Régiment du Roi , Infanterie , qui
avoit obtenu , en attendant cette penfion , la permiffion
de porter les honneurs de Commandeur .
Sa Majefté a difpofé du Gouvernement de Thion '
ville , qui vaquoit par la mort du Marquis de
Creil , en faveur du Comte de Courtomer , Lieutenant
Général des Armées du Roi , & Lieutenant-
Colonel du Régiment des Gardes Françoiles.
Le 25 , M. Heré , Premier Architecte du Roi
de Pologne Duc de Lorraine & de Bar , préfenta
à Leurs Majeftés & à la Famille Royale , un Re
Iij
196 MERCURE DE FRANCE.
cueil contenant non- feulement le Plan & les diftrens
afpects de la Place Royale , bâtie à Nancy
par ordre de Sa Majesté Polonoile , pour y placer
la Statue du Roi , mais encore les Plans & les
Elévations des Edifices dont cette Place eft entourée.
Ce Recueil eft dédié au Roi .
Le 29, le Roi fe rendit au Château de Choify ,
d'où Sa Majesté revint le 31 avec Meldames de
France qui y étoient allées le 30.
On célébra le premier Septembre dans l'Eglife
de l'Abbaye Royale de Saint Denis , avec les cérémonies
accoutumées , le Service qui s'y fait
tous les ans pour le repos de l'ame de Louis XIV,
& l'Evêque d'Arras y officia pontificalement. Le
Prince de Dombes & le Duc de Penthievre y affiſterent
, ainfi que plufieurs Seigneurs de la Cour,
Lea , la Reine ſe trouva un peu incommodée
& le Roi foupa dans ſon appartement avec la Famille
Royale,
La Comteffe de Morangiés & la Marquife de
Marcieu rendirent le 2 pour la premiere fois leurs
refpects à Leurs Majeftés.
Le même jour , l'Académie Royale des Sciences
ayant à la tête M. Rouillé , qui préfide cette
apnée à la Compagnie , & le Comte d'Argenfon ,
qui eft Vice-Prefident , cut l'honneur de préfenter
å Leurs Majeftés & à la Famille Royale le Tome
de les Mémoires pour l'année 1749.
L'indifpofition de la Reine n'ayant point eu de
fuite , il y eut concert le 3 & les chez Sa Majeſté.
On a exécuté dans ces deux concerts les trois
derniers actes du Ballet des Elémens , dont les
paroles font de M. Roi , Chevalier de l'Ordre de
Saint Michel , & la Mufique de feu Deftouches.
Le 4 , M. Klefxer , Syndic , & M. d'Hagier ,
Sénateur , Députés de la Ville de Hambourg ,"
OCTOBRE. 1753. 197
eurent audience de Monfeigneur le Dauphin , de
Madame la Dauphine , de Monſeigneur le Duc de
Bourgogne & de Madame. Ils furent conduits à
ces audiences par M. Dufort , Introducteur des
Ambaffadeurs .
Hier , Madame Infante Ducheſſe de Parme a
été purgée par précaution.
Le 6 , Madame Infante Ducheſſe de Parme consinua
les eaux , & cette Princefle fut purgée le 7.
Madame Sophie eut le 6 un mouvement de fiévre.
Le 8 , M. de Labergement prêta ferment entre
les mains de Sa Majefté , pour la Charge de Lieutenant
de Roi au Département de Châlons en
Bourgogne , vacante par la démiſſion du Comte
de Fucilleus.
certe
Le même jour , à midi , Madame la Dauphine
fentit ,des douleurs. Leurs Majeftés , la Famille
Royale , les Princes & Princelles du Sang , fe rendirent
, ainsi que le Chancelier de France , les autres
Grands Officiers, de la Couronne , & les Miniftres ,
à l'appartement de cette Princeffe , où toute la
Cour le préfenta en foule. Madame la Dauphisse
eut le tems d'entendre la Mefle , qui fut célébrée
dans fon Cabinet . A deux heures après midi ,
Princeffe fut heureufement délivrée , & elle accoucha
d'un Prince , à qui le Roi a donné le titre de
Duc d'Aquitaine. Le Cardinal de Soubize , Grand-
Aumônier de France , fit la cérémonie de l'ondoyement
en préfence du Curé de la Paroiffe du
Château. Le Garde des Sceaux , Grand Trélorier
de l'Ordre du Saint Efprit , apporta le Cordon de
cet Ordre , & il eut l'honneur de le paffer au cou
du Prince , qui fut remis entre les mains de la
Ducheffe de Tallard , Gouvernante des Enfans de
France. Elle préfenta Monfeigneur le Duc d'Aquitaine
à Madame la Dauphine. Enfuite elle porta
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
ce Prince à l'appartement qui lui étoit deſtiné.
y fut conduit felon l'ufage par le Duc de Villeroy,
Capitaine des Gardes du Corps , en Quartier.
Le Roi , la Reine , Monfeigneur le Dauphin ,
& Mefdames de France , ont laiffé éclater la joye
que cet heureux évenement leur cauſe , & que la
Cour & la Ville partagent egalement.
Sur les cinq heures , Leurs Majeftés accompagnées
de la Famille Royale , ainfi que des Princes
& Princeffes du Sang , & précédées des deux
Huiffiers de la Chambre , qui portoient leurs Maffes
, allerent à la Chapelle. Elles entendirent les
Vêpres , chantées par la Mufique , & enfuire le
Te Deum , entonné par l'Abbé Gergoy , Chapelain
Ordinaire de la Chapelle - Mufique . M. Francoeur,
un des Surintendans de la Mufique de la Chambre
, fit exécuter le Moter compoſé ſur ce Pleau
me par feu la Lande .
Après le Salut , le Roi , la Reine , Monseigneur
le Dauphin , Monfeigneur le Duc de Bourgogne ,
Monfeigneur le Duc d'Aquitaine , Madame , &
Mefdames de France , reçurent dans leurs appar
temens les révérences des Princes & Princelles da
Sang , des Grands Officiers de la Couronne , des
Miniftres & des Seigneurs & Dames de la Cour.
Leurs Majeftés fonperent au grand couvert avec
la Famille Royale .
A minuit , par les ordres du Maréchal Duc de
Richelieu , Premier Gentilhomme de la Chambre
en exercice , on tira dans la Place d'Armes un
beau bouquet d'artifice , dont l'exécution n'à laiffé
rien à déffrer. Elle a été conduite par M. de Font
pertuis , Intendant des Menus Plaifirs .
Lorsque Madame la Dauphine reffentit les premieres
douleurs , le Roi chargea le Comte de
Saint Florentin , Miniftre & Secrétaire d'Etat , de.
OCTOBRE. 1753. 199
mander à l'Archevêque de Paris d'ordonner des
prieres publiques pour l'heureufe délivrance de
cette Princeffe. Auffi- tot après les couches , le
Corte de Saint -Florentin dépêcha par ordre de Sa
Majefté un fecond Courier à l'Archevêque , pour
Tui annoncer la naiffance de Monfeigneur le Duc
'Aquitaine.
Le Roi a envoyé à Luneville M. de Lorme` , un
de les Gentilshommes ordinaires , pour donner
part de cette naiffance au Roi de Pologne , Duc
de Lorraine & de Bar.
Les Prévôt des Marchands & Echevins , qui
s'étoient affemblés à l'Hôtel de Ville , dès qu'ils
avoient appris que Madame la Dauphine avois
fenti quelques douleurs , reçurent le 8 , à trois
heures après midi , la nouvelle de la naiffance de
Monfeigneur le Duc d'Aquitaine , par M. de Pu
jol , Enfeigne des Gardes du Corps , qui fert actuellement
auprès de Madame la Dauphine , &
que le Roi avoit envoyé pour en donner part au
Corps de Ville. Dans le moment , les Prévôt des
Marchands & Echevins firent annoncer à toute la
Ville par une falve de l'artillerie & par la cloche
de l'Hôtel de Ville , qui a fonné jufqu'à minuit ,
la nouvelle faveur qu'il a plû à Dieu de répandre
fur la Famille Royale.
M. Defgranges , Maître des Cérémonies , vint
fur les trois heures & demie à l'Hôtel de Ville , &
il y apporta les ordres du Roi , fuivant lefquels les
Prévôt des Marchands & Echevins firent commencer
les réjouiffances.
A fept heures & demie du foir , il fut fait une
feconde falve de l'artillerie , après laquelle les
Prévôt des Marchands & Echevins allumerent
avec les cérémonies ordinaires , le bûcher qui
avoit été dreffé dans la Place devant l'Hôtel de
I hij
200 MERCURE DE FRANCE.
Ville. On tira enſuite une grande quantité de fuzfées
volantes : on fit couler dans les quatre coins
de la Place , des Fontaines de vin , & l'on diſtribua
du pain au peuple. Plufieurs orchestres , remplis
de Muficiens , mêlerent le fon de leurs inftrumens
aux acclamations dictées par l'allégreffe publique.
La façade de l'Hôtel de Ville fut illuminée pendant
la nuit par plufieurs filets de terrines , ainf
que l'Hôtel du Duc de Gefvres , Gouverneur de
Paris ; celui du Prévôt des Marchands , & les
Mailons des Echevins &. Officiers du Bureau de la
Ville.
Cette même nuit , il y eur des illuminations
dans toutes les rues .
Le 9 , pendant la Meffe du Roi , on chanta le
Te Deum de la compofition de M. Blanchart ,
Maître de Mufique de la Chapelle.
Le 11 , l'Abbé Branciforte , Nonce Extraordi
naire du Pape , eut une audience particuliere du
Roi , dans laquelle il prit congé de Sa Majesté.
Il fut conduit à cette audience , ainfi qu'à celles
de la Reine , de Monfeigneur le Dauphin , de
Monfeigneur le Duc de Bourgogne , de Monfeigneur
le Duc d'Aquitaine , de Madame , de Ma.
dame Infante , de Madame Adélaïde , & de Mefdames
Victoire , Sophie & Louiſe , par M. Dufort
, Introducteur des Ambaſſadeurs."
Le 16 , les Cours Supérieures & le Corps de
Ville , conformément aux ordres du Roi , affifterent
au Te Deum , qui fut chanté ſolemnellement
dans l'Eglife Métropolitaine. Les Prévôt des Marchands
& Echevins firent tirer enfuite un magnifique
feu d'artifice dans la Place devant l'Hotel
de Ville.
Le Roi ayant réfolu de faire camper annuellement
une partie de les troupes pour les exercer ,
OCTOBRE. 1753. 201
Ja Majefté a fait former cette année fix Camps ,
fçavoir un à Aymeries dans le Hainault , commandé
par le Prince de Soubize ; un près de Mezieres
fur la frontiere de Champagne , commandé
par le Marquis de Brezé ; un fous Sarrelonis , que
commande M. de Chevert ; un à Erftein en Alface,
fous les ordres du Marquis de Saint- Pern ; un à
Gray , dans le Comté de Bourgogne , fous ceux
du Duc de Randan , & un àBeaucaire en Languedoc
, commandé par M. de Crémille. Les troupes
qui compofent ces Camps , demeureront affemblées
pendant tout le mois de Septembre.
La Chymie , indépendamment des lumieres
qu'elle fournit aux Phyficiens & aux Médecins ,
étant utile à plufieurs Artiftes , même à de fimples
Artfans , les Apothicaires de Paris veulent contribuer
, autant qu'il eft en eux , à en faciliter
Pétude. Dans cette vue , ils donneront à l'avenir
chaque année un Cours de Chymie gratuit dans
leur Laboratoire , rue de l'Arbalète , Faubourg
Saint Marceau, Ils doivent tour à tour , à cet effet,
accorder leur temps , & faire la dépenfe néceffaire
pour les Opérations & les Démonftrations.
Le premier Cours a commencé le 17 Août dernier.
Il continue tous les Lundis & les Jeudis à
trois heures après midi .
Le 14 , le Comte de Sartirane , Ambaſſadeur or
dinaire du Roi de Sardaigne , eut une audience
particuliere du Roi , dans laquelle il fit part à Sa
Majefté de l'heureux accouchement de Madame
la Ducheffe de Savoye , & de la naiffance d'une
Princ effe Le Comte de Sartirane fut conduit à cette
audience , ainfi qu'à celle de la Reine , par M.
Dufort , Introducteur des Ambafladeurs .
Le Roi ayant écrit à l'Archevêque de Paris ,
pour faire rendre à Dieu de folemnelles actions
Iv
202 MERCURE DE FRANCE
de graces , à l'occafion de la naiffance de Monfe
gneur le Duc d'Aquitaine , on chanta le 16 le Te
Deum dans l'Eglife Métropolitaine , & l'Archevê
que de Paris y officia pontificalement . Le Chancelier
& le Garde des Sceaux , accompagnés de
plufieurs Confeillers d'Etat & Maîtres des Reques
tes , y affifterent , ainfi que la Chambre des Comptes
, la Cour des Aides , & le Corps de Ville , qui
y avoient été invités de la part de Sa Majesté par
M. Defgranges , Maître dès Cérémonies.
On tira le même jour dans la Place de l'Hôtel
de-Ville, par ordre des Prevôt des Marchands &
Echevins , un très - beau feu d'artifice . La décora--
tion repréfentoit un Temple d'Architecture Ionique,
bati fur une montagne. L'édifice à l'extérieur
étoit de forme quarrée . Deuxgroupes de co-
Tonnes , placés de chaque côté des entrées princi
pales , portoient au-deffus de leurs corniches l'é
cuffon des armes de Monfeigneur le Duc d'Aqui
vaine , aufquelles des Génies fervoient de fapports.
Les entre colonnes étoient occupées par des Ver
zas exécutées en bronze doré , & portées far dess
piedouches. Des Amours , qui voltigcoient autour
des colonnes , paroiffoient s'empreffer d'y attacher
des guirlandes de fleurs: Au frontispice du grand
Portique étoit un Tableau , dans lequel on voyoit .
rous les Dieux affemblés . Le deftin venant d'exaucer
les voeux de la France , la Déeffe Iris affife fur
PArc-en-ciel , annonçoit à la terre cet heureux
événement, De pareils Tableaux fervoient de couronnement
aux autres façades. La Gloire , les Ver
*aus & les Graces , exprimoient par leurs attitudes
Ja part qu'elles prenoient à la naiffance d'un Prim
ce , dont l'éducation alloit devenir l'objet de leurs
foins. Dans les quatre angles de la décoration
oient la Jeune , la Force ; la Santé, la TempleOCTOBRE
. 1753. 203
vance , en bronze doré , fur des piédeftaux de marbre
bleu-turquin. L'intérieur du Temple étoit de
forme circulaire , & avoit pour fond un maffif orné
de pilaftres qui foutenoient un entablement
furmonté par des caffolettes de parfums . Une co-
Ionnade entouroit le Sanctuaire . Au milieu étoit
un Autel , fur lequel la France offroit un Sacrifice
en actions de graces. Tous les fonds de l'édifice ,.
foit en dedans , foit en dehors , étoient feints de:
marbre bleu-turquin ; les colonnes & les frifes , de:
marbre blanc- veiné ; les moulures des entablemens
, & les ornemens des frifes , de bronze doré
De la montagne , qui fervoit de baſe à l'Architecture
, naiffoient plufieurs côteaux , dont less
plans diverfifiés , après avoir formé de grands bof
quets de verdure fur les angles , s'abaiffoient im
perceptiblement vers le milieu des façades de la
décoration. On appercevoit au centre de chaque
bolquet un groupe de Fleuves en marbre blanc-
Les eaux qui fortoient des urnes fur lefquels ils
étoient appuyés , fe partageoient en differentes
cafcades pour l'embelliffement du paysage done :
l'édifice étoit environné . Elles alloient enfuite fe:
réunir au-devant des façades dans de riches baf
fins , au milieu defquels des Nayades & des Tritons
célébroient par leurs jeux & par leurs danfess
le fajet de la fête.
L'artifice commença par une grande quantité de
fufées d'honneur , mêlées de fufées à quatre brand.
ches , de compofition Chinoife . A ces fufées fuc--
céda une cascade de quarante pieds de haut , compofée
auffi en feu Chinois , & placée en face de
' Hôtel de Ville. Elle fut accompagnée de plu
fieurs caifles. Enfuite parut dans tout le pourtour ™
du Parc une caſcade double , alternativement cou
sonnée d'arbres , de pots d'ordonnance & de potas
Ivj)
104 MERCURE DE FRANCE.
à aigrettes. Le haut de la Tertaffe dans les quatre
angles étoit garni de quatre piéces compofées en
fea brillant , à plufieurs changemens. Cet effet
d'artifice fut fuivi de trois foleils dans la principale
face , & dans les deux faces latérales. Celui de la
face , vis- à-vis de l'Hôtel de Ville , étoit de deur
cens rayons. Il portoit au centre les Chiffres de
Monfeigneur le Dauphin & de Madame la Dauphine.
Ces foleils furent accompagnés de caifles
& de pots d'ordonnance. Le feu fut terminé par
une guitlande de pots d'ordonnance & de fufées
Chinoifes. Il a été exécuté par M. Pierre Ruggieri,
Artificier Italien.
Après l'artifice , la façade de l'Hôtel de Ville
fut illuminée , avec autant de goût que de magni
cence. Toutes les colonnes dans leur pourtour
étoient garnies de lampions. Des filets de lumiere
regnoient le long des entablemens. Plufieurs luftres
, fufpendus par des noeuds de gaze d'or , éclairoient
les autres parties . Au fronton , devant la
figure de Lutece , étoient les Armes de France en
tranfparent. La Place vis-à- vis de l'Hôtel de Ville
étoit entourée d'ifs , portant chacun plus de cent
cinquante lumieres .
Il y eut auffi de magnifiques illuminations aux
Hôtels du Duc de Gévres & du Prevôt des Marchands
, ainfi qu'aux maiſons des Echevins , & des
principaux Officiers du Corps de Ville.
Des fontaines de vin coulerent dans ces differens
endroits , & dans p'ufieurs autres lieux de la
Ville , & Pon diftribua du pain & des viandes an
peuple. On avoit placé des orcheftres par tout où
le faifoient ces diftributions.
La cloche de l'Hôtel-de. Ville fonna en tochin ,
depuis cinq heures du marin jufqu'à minuit . Pendant
la journée , il y eut quatre falves d'artillerie ,
OCTOBRE . 1753. ios
ane à cinq heures du matin , une à midi , une pendant
le Te Deum , & la derniere avant le feu d'atrifice.
Le 17 , le Corps de Ville alla à l'Eglife Paroif
fale de Saint Jean en-Grêve , pour rendre à Dieu
Les actions particulieres de graces , & il affifta àun
Te Deum , qu'il fit chanter en mufique. L'Hôtel
de Ville , les Hôtels du Duc de Gêvres & du Prevôt
des Marchands , & les maifons des Echevins
& des principaux Officiers du Corps de Ville , fu-
Ient de nouveau illuminés.
Le Roi alla le 16 à Trianon , & en revint le 19.
Le 20 ,Sa Majesté s'eft purgée avec des eaux , &
à continué le 21 & le 22.
Le Roi de Pologne , Duc de Lorraine & de Bar,
eft arrivé le 19 de Luneville , entre fix & fept heu
res du foir. Les Compagnies des Gardes Françoifes
& Suiffes étoient en bataille dans la premiere Cour
du Château , & elles battirent aux champs.
Madame la Dauphine & Monfeigneur le Duc
d'Aquitaine , fe portent auffi bien qu'on puiffe le
défirer.
Le Marquis de Biffy , Lieutenant Général des
Armées du Roi , & ci- devant Ambaſſadeur de Sa
Majefté auprès du Roi des Deux Siciles , a obtenu
du Roi la permiffion de le démettre du Gouvernement
des Ville & Château d'Auxonne en faveur
du Comte de Billy , fon neveu , Brigadier de Cavalerie
, & Enfeigne de la feconde Compagnie des
Moufquetaires de la Garde de sa Majefté.
Le Paftel , lorsqu'il eft employé par des mains
habiles , a tant de beauté , qu'on avoit vu longtems
avec peine que cette peinture , qui eft une
efpéce de crayon , & qui ne tient aux tableaux
que par la ténuité de fes parties , fûc fujette à s'affaiblir
& à fe dégrader par divers accidens inévita
206 MERCURE DE FRANCE.
•
bles. Des Peintres célébres étoient enfin parvenus
à la fixer , mais ils étoient dans la néceffité de redonner
après l'opération quelques touches dans
les clairs , pour leur rendre tout leur éclat, M.
Loriot , déja connu par plufieurs machines d'Hydraulique
& de Statique , de fon invention , a
trouvé le moyen , non - feulement de fixer d'une
maniere folide toutes les parties d'un tableau en
paftel , mais encore de n'en point changer lesnuances
, & de n'en point altérer la fraîcheur. Il
a déja fait l'effai de fon fecret fur les ouvrages de
quelques - uns des plus grands Maîtres de l'art , &
tous conviennent qu'on ne pouvoit portér ce fecret
à un plus haut degré de perfection ,
Le 20 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix- fept cens trente fept livres dix fols ,
& les Billets de la feconde Lotterie Royale à fix
cens vingt- huit . Ceux de la premiere Lotterie
Royale n'ont point de prix fixe.
M. le Comte d'Argenſon eft arrivé à la Fere
en Picardie , le 2 Août , a vû en arrivant le Bataillon
de Chabrié , de Royal Artillerie , les Compagnies
de Mineurs de Douville , Châteaufer ,
Gribeauval , & celle d'Ouvriers de Guille , qui
étoient en bataille fur la Place des Cazernes : la
pluye abondante qui tomboit alors l'empêcha de
voir faire l'exercice & les évolutions à toutes ces
troupes , il fe contenta de les voir défiler devant lui
dans la cour des Cazernes , & fut tout de fuite à la
Salle des Mathématiques , oùles Officiers , Cadets
& Volontaires du Bataillon de l'Artillerie , des
Mineurs & Ouvriers démontrérent pendant trois
heures , des propofitions fur toutes les parties de
la Géométrie & Phyfique , les plus relatives à leur
métier. M. le Comte d'Argenfon très - content deOCTOBRE.
1753. 207
Yapplication de tous les Corps , & de la façon
dont ils étoient inftruits , en témoigna fa fatisfac--
tion à M. le Pelletier , Meftre- de- Camp. , & commandant
l'Ecole de la Fere..
En fortant de là , fur les neuf heures du foir , il
vit tirer un Feu d'artifice que le Bataillon lui avoit
préparé, qui fit un effet adinirable , qui fut précédé
par trois falves de moufqueterie en feu de rempart
; le Miniftre le regarda avec beaucoup de
complaifance , & eut la bonté de dire qu'il n'en
avoit point vû de mieux exécuté . Un bouquet de
deux cens fufées qui terminoit l'artifice , fervit de
fignal pour illuminer les trois faces des Cazernes
& les Pavillons , par cinq cens limpions brillans
qui parurent à l'inftant ; M. le Comte d'Agenfon
ne voulut pas fe retirer qu'il n'eût parcouru cetté
illumination , qui formoit un très - beau coup
d'oeil.
Le lendemain à fix heures du matin , il fe rendit
au Polygone,où il trouva les troupes difpofées pour
l'attaque & la défenfe de la Place ; on fit d'abord
à fon arrivée jouer les fourneaux du premier étage
des mines des Affiégés fous le glacis , & les Affiegeans
fe fervirent des entonnoirs que les mines
avoient formées pour s'y loger , & y établir une
batterie qui fut conftruite en moins de quatreheures
Il vint enfuite voir l'exercice des canons &
mortiers ; les falves furent très bonnes , il y eut
plufieurs blancs emportés par le canon , & quelques
bombes jettées au pied du but , & malgré la
pluye qui ne difcontinuoit point pendant toutes
ces manoeuvres , le Miniftre parcourut toutes les
piéces , & s'arrêta à chacune pour interroger les
Canonniers fur toutes les differentes parties du canon
& de fes agrêts , & géneralement fur tout ce
qui a rapport à leur métier.
208 MERCURE DE FRANCE.
Le tems s'étant un peu éclairci , il partit pour le
rendre fur la rive oppofée de l'Oife , & voir jetter
deux ponts fur cette riviere. Pendant ce tems le
Bataillon fe pofta partie en deçà & partie en delà ,
pour en faire , avec la Compagnie d'Ouvriers de
Guille , la manoeuvre , ainfi que l'attaque & la
défenfe. L'opération commençà par une faufle attaque
fur la droite , & pendant qu'une partie des
troupes deftinées à la défenfe , s'y porta ; on établit
un pont- volant , fur lequel on fit paffer une
Compagnie de Grenadiers & deux piquets , dont
un fe pofta à la tête du pont-volant , & l'autre
coula le long de la rive gauche avec la Compagnie
de Grenadiers , pour aller foutenir le grand pont
qui fut établi en moins d'un quart- d'heure. Tou
tes les troupes chargées de la défenfe ſe poſterent
alors vers les piquets & la Compagnie de Grena
diers ; mais la manoeuvre ayant été faite promptement
, le Bataillon paffa fur le pont avec quatre
piéces de canons , & par un feu continuel à fon arrivée
, il força les troupes chargées de la défenſe ,
à fe retirer.
Le Miniftre parut auffi fatisfait de la promptitude
de cette manoeuvre , que des mouvemens des
troupes & de la vivacité de leur feu ; il rentra tout
de fuite à la ville pour dîner chez M. d'Abouille ,
Lieutenant Général , commandant l'Artillerie au
Département de Flandres , où il a logé pendant
fon féjour , & en partit à cinq heures pour s'en retourner
au Polygone , où l'on ait jouer les fourneaux
de mines des deux derniers étages ; celui
de Châteaufer du fecond étage , fit fauter la batterie
qu'on avoit établie de deux pièces de canon ,
dont une fut portée dans un ouvrage de la Place ,
à 1 toiles de la batterie ; & l'autre dans le fofé
de cet ouvrage , à 7 toifes. On fit jouer auffi pluOCTOBRE.
1753. 209
feurs fourneaux du fecond étage , qui ont fait un
bon effet ; & les deux derniers du troifiéme étage ;
fçavoir , celui de Gribeauval , de Douville & de
Châteaufer , ont formé chacun un entonnoir , le
premier , de 58 toifes de diamètre , & l'autre de
Go , & tous les deux de 20 à 25 pieds de profoadeur.
Ces opérations durerent jufqu'à la nuit , & le
Miniftre en fe retirant , donna ordre à M. de Chabrié
de tenir fon Bataillon , avec les Compagnies
de Mineurs & Ouvriers fous les armes , pour le
lendemain à dix heures du matin , fur la Place des
Cazernes : il s'y rendit à l'heure indiquée pour en
faire la revûe , & après avoir exactement vifité
tous les rangs , M. de Chabrié lui propoſa de voir
faire l'exercice à tous les Oficiers tubalternes &
Cadets de fon Bataillon , ce qui fut exécuté avec
grace & précifion de la part de ces Meffieurs. Le
Miniftre le vit faire enfuite à tout le Bataillon , aink
que tous les pas fuivant la nouvelle inſtruction ,
& les évolutions à feu ; après quoi il vit défiler le
Bataillon qui fe reforma enfuite devant lui pour
renvoyer fes drapeaux , & rentrer après dans les
Cazernes , fans que le Miniftre ait voulu perdre
de vue une feule de ces démarches.
Il eut la bonté de témoigner fa fatisfaction de
tout ce qu'il avoit vû à tous les Corps , & furtout
& M . de Valliere , leur Infpecteur , qui avoit dirigé
toutes ces differentes opérations ; après quoi il
partit de là pour s'en retourner à Compiègne.
10 MERCURE DE FRANCE
LETTRE à M. le Comte de *** , fur le
titre de Duc d'Aquitaine.
Mne
Onfieur , vous me faites trop d'honneur de
me confuker comme une perfonne fçavante
dans notre Hiftoire , & de m'inviter à faire une
Differtation fur l'Aquitaine , dont vous touhaiteriez
que j'appriffe au public l'étendue les limites;
& les differentes révolutions arrivées dans cette
partie de notre Monarchie. Il ne m'en coûteroit
pour fatisfaire votre curiofité, que de copier ce qui
fe trouve imprimé dans deux ouvrages modernes,
Il fera donc plus court , & pour pour moi ,
que je me contente de vous les indiquer.
Vous &
La feconde partie des Tablettes Hiftoriques , page
219 , en donne une idée qui peut fuffire à bien des
perfonnes. Vous trouverez dans un autre ouvrage
dumême Auteur * , intitulé : Généalogies Hiftoriques
dela Maifon Royale de France , in 4°. un détail plas
circonftancié , extrait du fecond volume de l'Hif
toire générale de Languedoc , par Don Vaiffette , F
fur les premiers Ducs d'Aquitaine , qui étoient de k
Ja race de Clovis , & qui après avoir poffedé pendant
plas de cent ans ce Duché , le premier Fief
héréditaire de la Couronne , en furent dépouillés
par Pepin & Charlemagne..
Ce volume qui réunit les avantages d'un bon
abrégé de l'Hiftoire de France , & d'un détail Génealogique
des trois Races , eft le feul ouvrage où
l'on trouve cette branche de la Race Mérovingienne
fubdivifée en plufieurs autres , que l'Auteur a
expofées d'une maniere très- claire dans des Tables
* M. de Chafot , qui demeure à l'Académie , ruo
des Canettes , faubourg Saint Germain.
OCTOBR. E. 1753 . 217
généalogiques. La derniere , qui eft la XXII .
page 86 , eft très - curieufe : on y montre comment
les trois Races Royales fe trouvent réunies dans la
perfonne de Henri IV. de forte que l'on voit clai
rement que le nouveau Duc d'Aquitaine , dont la
naiffance comble de joie tous les François , defcend
des premiers Ducs de ce nom , & même de toutes
Jes branches formées par leur poftérité , comme on
le démontre dans la même Table . Je fuis , &c.
NAISSANCES ET MARIAGE.
LED
E premier Août , la Marquife de Cruffol
époufe du Marquis de Crutiol , Miniftre Plénipotentiaire
du Roi auprès de l'Infant Duc det
Parme , eft accouchée d'une fille , qui a été tenue
fur les Fonts par Monfeigneur le Dauphin & Madame
lufante , & nommée Louife- Henriette - Phi-
Lippe-Marie-Adelaide - Perette - Emanuelle.
Le 12 eft né , & a été baptifé dans la Paroiffe de
Saint Roch , Marie- Louis- François , fils de Louis-
Hilaire de Boufcher , Chevalier , Comte de Sour
ches , ci- devant Capitaine de Dragons au Régi-
.ment. de Languedoc , Chevalier de Saint Louis ,
& de Louife- Françoiſe le Vayer , mariée le 18- Janvier
1747. Le parrein a été Louis de Boufcher ,
Chevalier , Seigneur , Marquis de Sourches & du
Bellay, Comte de Montforeau , & c . Lieutenant
Général des Armées du Roi , Confeiller d'Etat ,
Prévôt de l'Hôtel du Roi , & Grand Prévôt de
France , coufin germain du Comte de Sourches ;
la marreine Marie- Françoife de Catinat , épouse de
Jean- François le Vayer , Chevalier , Confeiller du
Roi en tous fes Confeils , Maître des Requêtes
ordinaire de fon Hôtel , Seigneur des Châtellenies
de Sable , Janſé , Bonperou , Saint- Cellerin , & c,
212 MERCURE DE FRANCE.
Nous avons eu lieu de parler de cette Maifos
en plufieurs occafions. Voyez les Tabletres génem
logiques , vol. IV. page 116 , & vol. VI. page 10.
Voyez auffi fur cette Maiſon les Mercures de Juin
1746 , le fecond volume de Décembre 1747 , Juin
1748 , le fecond volume de Décembre 1750,
PHiftoire des Grands Officiers de la Couronne ,
vol. IX. page 197.
Le 26 , Madame la Comteffe de Brionne accoucha
à Versailles d'une Princeffe.
Le 22 Août , Meffire Jean- François - Charles de
Molette , Comte de Morangiés , Colonel du Régiment
d Intanterie de Languedoc , époula Marie-
Paule-Thérefe de Beauvilliers , fille de M. le Duc
de Saint Aignan, Pair de France, Chevalier des Or
dres du Roi , Lieutenant Général de fes Armées ,
Gouverneur & Lieutenant Général pour Sa Majesté
en fes Provinces de Bourgogne , Breffe , Bugey
Valromey & Gex , Gouverneur particulier des
Ville & Citadelle du Havre & Pays en dépendans
des Ville & Château de Loches , Beaulieu , Dijon ,
Saint Jean- de-Lofne , & Seurre , Grand- Bailli
d'Epée du Pays de Caux ; l'un des Quarante de
PAcadémie Françoife , & Honoraire de l'Académie
Royale des Infcriptions & Belles Lettres , ci
devant Confeiller au Confeil de Régence , & Ambaffadeur
du Roi à la Cour d'Efpagne , enfuite au.
près du Saint Siége ; & de feue Marie . Genevieve
de Montlezun de Belmaux. La Bénédiction nuptiale
leur a été donnée dans la Chapelle de l'Hôtel
de Saint- Aignan par l'Evêque de Meaux. Leur
Contrat de mariage avoit été figné le 19 du même
mois par Leurs Majeftés & par la Famille Royale.
CA
tes
tga
tre
1;
do
te
OCTOBRE. 1753: 215
Ja
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
E vous envoye , Monfieur , le calcul de l'éclipfe
du Soleil du mois d'Octobre prochain
qui a été lû à l'Académie des Sciences , & auquel
on peut joindre quelques additions.
Calcul de l'Eclipfe du Soleil du 26 Octobre
1753. par M. Pingré , Chanoine Régu
lier , Correspondant de l'Académie des
Sciences , de l'Académie de Rouen .
Le commencement à Paris à 8 heures 35 minuges
25 fec. Le diametre de la Lune fera pour lors
égal à celui du Soleil , fçavoir de 32 min. 26 fec.
La fin à.... 11 h. 3 inin. 29 fec . , & le diame
tre de la Lune furpaffera pour lors celui du Soleil
de 7 à 8 fecondes .
La plus grande quantité de l'Eclipfe fera de 8
doigts 53 min. & demie , c'est- à dire , qu'il y aura
à très peu de chofe près , les trois quarts du Soleil
éclipfé ; ce qui excéde d'environ un demi doigt
ce qui a été annoncé dans nos Almanachs. M.
Pingré a fait le calcul fur les Tables de M. Halley,
qu'il a rectifiées par les obfervations antérieures.
Il établit le milieu de l'Eclipfe à 9 h . 46 min.
43 fec. Le diamètre de la Lune étant alors de 4
lec. feulement plus grand que celui du Soleil.
Réflexions fur les annonces que l'on fait vulgairement
aux Aftronomes à l'occafion de
ces Edipfes.
Ces fortes d'annonces ou avis mériteroien: bien
114 MERCURE DE FRANCE.
d'être difcutés , & de fubir en quelque façon une
critique rigoureufe , avant que l'on expolât ceur
qui le préparent à obferver les Eclipfes dans le
cours de leur voyage , à faire des préparatifs fouvent
inutiles pour la fin qu'ils le propofent , furta
foi de ces avis , orfqu'on les a rendus publics.
Il a été publié un écrit en 1748 à Paris , & des
Cartes à Nuremberg , qui annonçoient l'Eclipfe
du mois de Juillet de cette année ià , prefque centrale
& annulaire à Berlin , & aux environs d'Edimbourg
: il y avoit dans cette annonce de grandes
erreurs ; car on y étab ffoit d'abord les latitudes
de ces deux Villes toutes les deux défectueules dé
plufieurs minutes. C'eft pourquoi le refte de la
differtation rouloit fur un fondement bien peu folide
; mais ce qu'il y eut de plus fingulier dans
l'événement , c'eft que l'une & l'autre Ville fe
trouvât au terme de l'Eclipfe annulaire , & qu'il
auroit fillu monter près de 20 à 30 lieues plus
vers le Nord , pour voir certe Eclipfe centrale.
La même chole , fi'on n'y prend pas garde ,
pourroit arriver cette année ci , s'il paroît quel
qu'annonce à l'occafion de l'Eclipfe ; & nous fom
mes bien fâchés que cela n'ait pas été difcutédepuis
fix mois , afin qu'en Efpagoe on put mieux
reconnoître les fituations qui conviennent à la
trace de l'Eclipfe centrale , qui paflera fur ce
Royaume.
Čar pour revenir aux latitudes corrigées , qui
doivent avant toutes chofes , précéder le calcul
de l'Ecliple , M. qui a difcuté dans des momens
de loifir , la fituation des principales Villes
& Ports de la Méditerranée , nous a fait part
d'une remarque aflez finguliere , & quia un rap
port bien immédiat avec notre Eclipfe.
Carthagêne eft un lieu trop connu pour qu'on
OCTOBRE . · 1753 . 279
nblie plus long-tems d'en inferer la pofition dans
les Tabies Géographiques. Cependant quoique fa
latitude loit connue , on pourroit s'y tromper , &
tomber par là dans de grandes erieurs dans le calcul
de l'Eclipfe, ainfi que M. * l'a déja remarqué.-
Car la Carte de Guillaume Delifle donne la latitude
de Carthagène de 37 dégres 2 minute s ; au
lieu que fi l'on cherche à la page 93 des Obferva
tions Aftronomiques , &c. du P. Feuillée Minime,
l'on y trouvera cette latitude de 16 minutes & demie
plus grande ; c'est - à-dire de 37 deg. 36 à 37
minutes.
Je luis toujours étonné de trouver Carthagêne
des Indes Orientales dans les Tables Géographi
ques , & qu'on y ait oublié Carthagène d'Europe-
Affurément un Géographe qui annonceroit l'Eclipfe
centrale & annulaire du mois d'Octobre , fe
donneroit , fans doute , bien de gaide de laiffer
entreprendre à fes amis , le calcul de l Eclipte centrale
pour cette Ville - là , avant que d'en corriger
lá lati ude ; car fans cela le calculateur ne tomberoit-
il pas dans une méprife encore plus dangereufe
que celle dont nous avons été temoips en 1748.
Errata du Mercure de Septembre.
Page 88 , ligne 1 , en retirant , lifez en retenant.
Page 93 , lig. 20, queftion , lifex opération.
Page 95 , lig. 26 , méforaiques , lijez me féraïques,
APPROBATION.
Flier ,le volume du Mercure de France du mois
"Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chance-
PCctobre. A Chaffagne , le 25 Septembre 1753 .
LAVIROTTE.
216
TABLE .
ICES FUGITI
Vers pour
■ s en Vers & en Profe
Mlle B. Par L. Dutens , page 3
Vers àun Menteur , par le même ,
Réflexions fur l'utilité des Compagnies Littéraires.
Par M. Roupnel de Chenilly ,
Corine & Athis . Poëme Paftoral , &c.
4
3
30
40
Differtation hiftorique fur le Droit & le Barreau
de Rome ,
Vers à S. A. S. Monfeigneur le Comte de Clermont
, à l'occafion de ſa fête ,
Vers à Mile Gauffin ,
62
63
Aflemblée publique de l'Académie des Belles- Lertres
de la Rochelle ,
64
Mots de l'Enigme & des Logogryphes du dernier
Mercure ,
123
Enigne & Logogryphes ,
ibid.
Nouvelles Littéraires , 198
Réflexions fur la longitude de Toulouſe , 348
Lettre de M. *** à M ** au Château de Prepatour
,
351
Beaux Arts , 358
Air ,
170
Spectacles,
171
Concert Spirituel ,
182
Nouvelles Etrangeres ,
183
France. Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 189
Lettre à M. le Comte de *** fur le titre de Duc
d'Aquitaine ,
Naiflances & mariage
210
211
Lettre à l'Auteur du Mercure , fur l'Eclipfe de
Soleil du 26 Octobre ,
La Chaufen wosée doit regarder la page 170.
De l'Imprimerie de J. BuLLar.
213
MERCURE
DE FRANCE ,
DEDIE AU ROI.
NOVEMBRE . 1753 .
LIGIT
UT
UY
SPARGAT
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix:
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT , Quai de Conty , à la
defcente du Pont- Neuf.
DUCHESNE , te Saint Jacques,
au Temple du Gout.
M. DCC. LIII.
Avec Approbation & Privilège du Roig
A VIS.
L
'ADRESSE du Mercure eft à M. MERIEN
Commis au Mercure , rue des Foffez S. Germain
l'Auxerrois , au coin de celle de l'Arbre -fee , pour remettre
à M. l'Abbé Raynal.
Nous prions très-inftamment ceux qui nous adrefferont
des Paquets par la Pofte , d'en affranchir le port ,
pour nous épargner le déplaifir de les rebuter , & à eux
celu de ne pas voir paroître leurs Ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays Etrangers ,
quisouhaiteront avoir le Mercure de France de la premiere
main, & plus promptement , n'auront qu'à
écrire à l'adrele ci- deffus indiquée.
On l'envoye auffi par la Fofte, aux perſonnes de Province
qui le defirent , les frais de lapofte ne font pas
confiderables.
On avertit auffi que ceux qui voudront qu'on le porte
shez eux à Paris chaque mois , n'ont qu'àfairefçavoir
leurs intentions, leur nom & leur demeure audu ficur
Merien,Commis au Mercure, on leur portera le MercuT
Brès- exactement , moyennant 2 1 livres par an , qu'il
payerent , fçavoir , 10 liv. 10 f. en recevant le fecond
volume de Juin , 10 t. 10 f. en recevant le ſecond
volume de Décembre. On les fupple inftamment de
donner leurs ordres pour que ces payemens foient faits
dans leur tems.
On prie auffi les perfonnes de Province , à qui en
envoye ke Mercure par la Pofte , d'être exactes à faire
payer au Burean du Mercure à la fin de chaquefemeftre
,fans cela on feroit hors d'état de foutenir les
avances confidérables qu'exige l'impreffion de co
our age.
On atreffe la même priere aux Libraires de Province,
On trouvera le fieur Meries chez lui , les mercr&-
di , vendredi & famedi de chaque femaine.
PRIX XXX. Sois .
1
MERCURE
DE FRANCE ,
1
DEDIE AU ROI.
NOVEMBRE.
1753.
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
VERS
Sur la naiſſance de Monfeigneur le Duc
d'AQUITAINE.
Incipe , parve puer , rifu cognofcere matrem,
Virg. Eclog. 4
Uel eft, dans ce brillant féjour ,
Le fpectacle qui fe déploye ?
Un nouveau Bourbon voit le jour :
La Vertu , la Gloire & l'Amour
En ont pouffé des cris de joye.
A ij
4 MERCURE DE FRANCE.
L'Amour triomphant & charmé
Contemple fon nouvel ouvrage :
Avec lui la Gloire partage
L'honneur de l'avoir animé :
A fon tour la Vertu s'engage
A faire adorer d'âge en âge
L'augufte fang qui l'a formé ,
Et dont le plus bel héritage
Fut toujours le don d'être aimé.
Quelle Divinité nouvelle
Sourit en voyant ce berceau ?
Rubens , que n'ai - je ton pincean ;
Ou que n'avois- tu mon modéle !
Augufte enfant , reconnoiffez ,
A ce fourire plein de charmes ,
A ces yeux tendrement fixés
Sur le cher objet de leurs larmes ,
L'Héroïne dont vous naiſſez .
En vous , de la plus belle famme
Elle adore le nouveau fruit :
En vous , elle voit reproduit
L'Epoux qui regne dans fon ame
Cet Epoux tendre & fortuné ,
Cet Epoux , le plus digne Pere ;
Après celui dont il est né ,
Que jamais le Deftin profpere
Au plus heureux Fils- ait donué .
NOVEMBRE. 1753. 5
FRANCE , le tendre amour de Mere ,
N'eft pas dans ce moment flatteur ,
Le feul intérêt de fon coeur :
Dans fon Fils elle vout ton Pere.
Ainfi les Palmiers amoureux
Dont l'Inde embellit ſon rivage ,
Etendent leur riche feuillage ,
eux ' Et fe couronnent moins pour
les habitans heureux
Que pour
Qui repofent fous leur ombrage.
"
Déja ces deux Aftres nouveaux
Qui viennent d'ouvrir leur carriere ,
Des premiers traits de leur lumiere
Semblent foudroyer nos rivaux,
La paix fe fait de leurs berceaux
Une impénétrable barriere :
La Difcorde éteint fes flambeaux,
Et fuit cette vafte Frontiere ,
Comme on voit du milieu des eaux
Les vents retourner en arriere
Au figne brillant des Jumeaux.
Tige des Lys , d'où font éclos
Les gages du bonheur du monde ,
Affure à jamais fon repos.
On ne peut être affez féconde ;
Loríqu'on enfante des Héros,
Par M. Marmonte!
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
502 502506 502 326 502: 506 5:57 50586
DISSERTATION
Sur la Devife du Roi Louis X11.
B
Rantôme & après lui le Pere Daniel
nous difent que Louis XII. avoit pour
devife un Porc- épi , avec ces paroles cominus
& eminus ; mais il ne nous apprennent
point quelle en étoit l'origine. Ils femblent
feulement vouloir infinuer que ce Prince
l'avoit choisie , & l'avoit compofée luimême
; au lieu qu'ils auroient dû nous
dire que c'étoit la devife d'un Ordre de
Chevalerie dont les Ducs d'Orléans
étoient les Chefs , & qui avoit été inftitué
plus de cent ans avant que Louis XII .
parvint à la Couronne .
,
Ce fut en effet Louis d'Orléans , frere
du Roi Charles VI , qui en 1393 , à l'ocfion
de la naiffance de Charles d'Orléans
fon fils & fon fucceffeur , inftitua cet Ordre
, qui fut appellé l'Ordre du Poreépi
, ou du Camail , ou d'Orléans , Car
on lui donnoit également ces trois noms .
Quelques Auteurs doutent de cette époque
& de cette ancienneté de l'Ordre d'Orléans
, entr'autres M. Gueret , Doyen Préfident
de la Chambre des Comptes de
NOVEMBRE. 1753. 7
>
Blois , qui inféra dans le Journal de Trévoux
du mois d'Août 1725 , trois Problêmes
hiftoriques fur cet Ordre. Le premier
, pour prouver qu'il s'appelloit uniquemeut
l'Ordre du Camail ; l'autre
pour prouver qu'il tiroit fon étymologie
de Cap maille , à cauſe que le camail ou
colier de cet Ordre étoit une espéce
d'hauffe-col , ou un manteau , ou Capmaillé
, comme le refte des armures des
Chevaliers ; le troifiéme , pour prouver
que l'inftitution de cet Ordre ne remontoit
pas plus haut que l'an 1435.
Les deux premiers points font affez indifférens
, mais les preuves qu'allégue cet
Auteur pour appuyer for. fentiment fur le
troifiéme , qui concerne le tems de l'inftitution
de l'Ordre , ne font rien moins
que décifives. Il ne s'en trouve rien , dit-il
dans la Chambre des Comptes de Blois , qui
conferve les titres , &c. concernant la maifon
d'Orléans , depuis 1191 jufqu'en 1498 ; &
Les premieres liftes de Chevaliers qu'on y trouve
ne font que de l'an 1435 &fuivans .
Mais M. Gueret ne fait pas attention.
que fi cette preuve avoit quelque force
contre l'époque que je propofe , elle détruiroit
également celle qu'il a lui - même
adoptée : le titre de l'inſtitution de l'Ordre
ne fe trouvant pas plus à la Chambre des
A iiij
S MERCURE DE FRANCE:
Compres de Blois fous l'année 1435 que
fous l'an 1393 , ou bien il faudroit en
conclure abfolument que cet Ordre n'a
jamais exifté ; ce que M. Gueret ne voudroit
pas , puifqu'il en trouve des traces
évidentes dans ce même dépôt , où il ne
trouve point le titre de fon inftitution . Il
faut donc plutôt en induire , ou que ce
titre s'eft perdu par le laps de tems , ou
que l'Ordre a été établi fans qu'il ait été
dreffé des Lettres de fon inſtitution . Ce
qui ne paroîtra pas étonnant , lorsque l'on
fçaura que l'Ordre de la Toifon d'or , auquel
celui- ci a fervi de modéle , a été pareillement
établi fans l'appareil d'aucunes
Lettres Patentes , comme l'affure Monftrelet
, fous l'an de fa Chronique 1429.
Il ne faut , au refte , que confulter Mrs
'de Sainte Marthe & Favin pour y trouver
de bonnes preuves de l'inftitution de cette
Chevalerie en 1393 ; & Favin en particulier
nous affure qu'il a vû une Chronique
Françoife manufcrite , compofée par
un héraut d'Orléans , avec cet air de fimplicité
qui n'annonce point le deffein d'en
impoler , qui rend compte de la maniere
dont elle fut inftituée , & du motif qui
engagea le Duc d'Orléans à l'établir .
Ce fut dans l'intention de ce Prince
pour s'attacher de braves Chevaliers , &
NOVEMBRE. 2753.
fe rendre redoutable au Duc de Bourgogne
, avec qui il étoit dans une guerre
perpétuelle. L'inftitation de l'Ordre dans
la circonftance de la naiffance d'un héritier
, & par conféquent d'un défenſeur de
la maifon d - Orléans , tendoit à montrer
qu'il ne redoutoit plus l'inimitié de fon
oncle , & que de près & de loin il feroit
déformais en état de combattre & d'attaquer
; ce qu'exprimoit le fymbole qu'il
avoit choifi , & les paroles qu'il avoit
données pour devife : cominus & eminùs.
Une preuve bien certaine que cet Ordre
étoit du moins établi du vivant de Louis.
premier Duc d'Orléans , & par conféquent
avant 1435 , c'eft qu'en 1406 nous voyons
dans l'Hiftoite de Charles VI , traduite
par le Laboureur , que fept Chevaliers du
Duc d'Orléans demanderent la permiffion
de fe battre pour la gloire de la Nation
contre un pareil nombre de Chevaliers
Anglois.
La Chronique de des Urfins nous ap
prend encore qu'en 1407 , le Dimanche
20 Novembre , trois jours avant l'affaffinat
de l'infortuné Duc d'Orléans , ce Prince
& le Duc de Bourgogne fe réconcilie
rent par l'entremife du Duc de Berry ,
qu'ils entendirent enfemble la Meffe . où
ils communierent ; qu'il y eut enfuite un
Av
Yo MERCURE DE FRANCE.
grand dîner à l'Hôtel de Nefle , après lequel
le Duc d'Orléans préfenta le colier de
fon Ordre au Duc de Bourgogne , qui le
reçut en figne de réconciliation .
Enfin , pour fixer avec M. Gueret , l'inf
titution de l'Ordre d'Orléans à l'an 1435 ,
il faudroit néceflairement l'attribuer à
Charles d'Orléans , qui pour lors étoit en
Angleterre , où il étoit détenu prifonnier
depuis la battaille d'Azincourt , perdue
par les François en 1415. Or à quel propos
ce Prince eût - il penfé, dans la vingtiéme
année de fa prifon , à établir un Ordre
de Chevalerie ? l'auroit- il pû même dans
l'état & dans le pays où il fe trouvoit ? au
lieu que l'occafion dont parle Favin , que
je viens de citer , a par elle même quelque
chofe de frappant , eu égard aux circonftances
dans lesquelles fe trouvoit alors la
maifon d'Orléans ; & fi nous avons des
liftes de Chevaliers reçus en 1435 & dans
les années fuivantes , on peut bien en conclure
que Charles , quoique prifonnier ,
air rempli les places vacantes de l'Ordre
mais non pas qu'il l'ait inftitué , fur tout
après les preuves que nous venons de donner
du contraire.
Quoiqu'il en foit , voici comment cet
Ordre étoit compofé. Il étoit de vingtquatre
Chevaliers , non compris le Grand
NOVEMBRE. 1753. ΤΣ
Maître qui étoit le Duc d'Orléans , & ce
nombre fut augmenté dans la fuite. Chaque
Chevalier étoit tenu de faire preuve
de quatre races de nobleffe . L'Ordre de la
Toifon d'or inftitué par Philippe le Bon ,
Duc de Bourgogne , fur le modéle de celui-
ci , étoit compofé pareillement de
vingt- quatre Chevaliers ; il exigeoit les
mêmes conditions pour la nobleffe , & le
Prince avoit pareillement déclaré que le
nombre des Chevaliers pourroit être augmenté
, quand les conjonctures l'exigeroient.
Les Chevaliers d'Orléans portoient , felon
Sainte- Marthe , le manteau violet de
velours , le mantelet d'hermine , & par
deffus des chaînes d'or , au bout defquelles
pendoit un Porc-épi d'or fur une terraffe .
Chaque Chevalier faifoit ferment au
Duc d'Orléans lors de fa réception : cè qui
fe prouve par les Lettres Patentes de Charles
d'Orléans , datées de S. Omer en 1440 ,
l'année de fon retour. Elles autorifent
Henri de Villeblanche , grand Officier de
la maifon d'Orléans , à recevoir le ferment
d'onze Chevaliers Bretons qui y font
nommés , & qué le Duc faifoit Chevaliers
de fon Ordre . Quant à la teneur du fer
ment , nous l'ignorons encore ; & il feroit
à fouhaiter que l'on pût en trouver la for-
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
mule dans les Archives de la Chambre des
Comptes de Blois . Au reste , il eſt naturel
de préfumer que ce ferment le rapportoit à
l'intention du Prince , inftituteur de l'Ordre
, & qu'il avoit pour but la défenſe &
l'honneur de la mailon d'Orléans .
Ce qu'il y a de fingulier , c'eft que cet
Ordre avoit auffi des Chevalieres , comme
il paroît par une lifte tirée de la Chambre
des Comptes de Blois , elle eft du huit
Mars 1438 ; on y trouve nommés vingtcinq
Chevaliers ou Chevalieres. Mlle du
Murat & la Dame épouſe de Poton de Saintraille
étoient de ce nombre.
Louis XII . fuccéda à fon pere & à fon
ayeul dans les fonctions de Chef de l'Ordre
d'Orléans . Il en donna des Lettres aux
Cottereaux en 1498 , peu de tems avant
que de monter fur le Trône . Mais dès
qu'il y fut affis , il l'abandonna pour celui
de S. Michel qui étoit encore dans tout
l'éclat de fa nouveauté. Ce Prince retint
feulement le fymbole & la devife de l'Ordre
qu'il fupprima. Il appliqua au Royaume
ce qui avoit d'abord été imaginé pour
fa maifon .
Il cft donc évident que Brantôme &
ceux qui ont écrit d'après lui n'ont pas rencontré
jufte , quand ils ont voulu nous
donner à entendre que Louis XII . avoit
NOVEMBRE. 1753. 13
été l'inventeur de la devife fymbolique
qu'il a portée ; puifqu'au contraire , ce fut
ce Prince qui éteignit l'Ordre de Chevalerie
auquel cette devife avoit été affectée , &
auquel elle devoit fon origine. M. Gueret
n'a pas été plus heureux , en nous donnant
pour époque de l'inftitution de l'Ordre
d'Orléans l'an 1435 , au lieu de 1393 ,
qui eft le vrai tems de fa naiffance .
Par feu M. Chefneau , Membre de la
Société Littéraire d'Orléans.
EGLOGUE
SUR la naiffance de Monfeigneur le Duc
d'Aquitaine , préfentée à Monseigneur Le
Dauphin.
TIRCIS , ANNETTE,
ANNETTE. Elle est un inftant fuppofée feule.
DADS Ans ce verger défert je devance l'Aurore
Pour implorer vos dons , Dieux puiflans que j'adore
!
Le bonheur de nos champs fut toujours aſſuré ,
Lorfque fur les leçons d'un Pafteur révéré
Nous vîmes le former les bergers du village ,
Et,fous lui de nos moeurs , faire l'apprenuflage
14 MERCURE DE FRANCE.
Louis dans les Etats eft ce Paſteur vanté ;
De les nombreux enfans modéle refpecté ,
Il les formera tous aux vertus les plus cheres :
En lui donnant des fils,vous nous donnez des peresa
Affurez donc en eux le deſtin qu'il nous fair ,
Grands Dieux d'un Prince encor j'implore le
bienfait.
Qu'il naiſſe ! & c'en eft fait , quoique pauvre ben
gére ,
Réduite par état au fimple néceffaire ,
N'importe... j'y confens , & mon coeurl'a juré..:
Un agneau m'eft bien cher... je vous l'immolerai.
TIRCIS.
Ah! rempliffez vos voeux , ce Prince vient de naî
tre.
ANNETTE.
Tircis ! .... d'un vain efpoir vous me flatezpeut
être !...
Mais non ! trop de gaîté garantit vos difcours t
TIRCIS .
Je fuivois ce ruiffeau dont le tranquille cours
En deux bras divifé traverſe les prairies ,
Ou nos mains au Printems cueillent des fleurs cho
ries ;
Quand Coridon accourt d'un myrthe couronné ,
Criant : Vive la France ! un Prince nous eft né.
و د
» Du fils de notre Roi l'Epouſe aimable & chere ,
» Eft d'un Prince nouveau la glorieuſe mere.
NOVEMBRE. 1753. IS
Pour nous en rejouir j'affemble le hameau ;
»Berger , nous t'attendons avec ton chalumeau.
Le tendre Céladon y doit conduire Amynthe :
Onnous promet auffi le vieux Pafteur Philynte.
ANNETTE.
Nous les verrons , Tircis : jamais un jour plus
beau
Aux champêtres plaifirs n'invita le hameau.
Ce qu'eft à la brébis l'herbe qui vient d'éclore ,
A la fleur de nos champs les larmes de l'Aurore ,
Ces deux enfans le font aux peuples enchantés ::
C'eſt à notre Soleil des rayons ajoutés.
TIRCIS.
Si nos bergers jamais ont lû dans la Nature ;
De leurs talens divins & j'ai quelque teinture ,
De ce préfent des Cieux j'avois d'heureux foup
çons.
Hier , au jour naiſſant , un aigle & trois aiglons
En groupe réunis aux environs planerent ;
Sur la plus haute tour trois fois ils repoferent.
D'innombrables oiſeaux , accourus de nos bois ,
Respectueux , ravis à l'afpect de leurs Rois ,
Firent de leur concert retentir le bocage.
Delongs battemens d'aîle honorant leur hommage
Ces aigles paroiffbient émus , reconnoiflans .
Ils alloient , revenoient , emprefiés , careflans.
O que de chants nouveaux leur préſence fit naître !
Que les Rois font aimes quand ils défirent l'être,
16 MERCURE DEFRANCE,
ANNETTE.
Je forme ici peut - être , un étrange ſouhait ;
A mon état privé fidéle par attrait ,
Je voudrois cependant de nos champs éloignée ;
A la Cour de Louis paffer quelque journée.
Ne vous allarmez point , & vertueux Tircis !
Je n'y chercherois pas ces fuperbes lambris ,
Ces danfes , ces feftins , ces plaifirs magnifiques
Que pour notre bonheur , fous nos réduits ruftiques
,
Notre fimplicité veut que nous ignorions ,
La paix habite-t'elle avec les paffions !
Je n'y chercherois pas fille fans modeftie ,
Ces jardins où , dit- on , avec art travestie
Des femmes quelquefois l'importune laideur,
N'achete des attraits qu'au prix de la pudeur.
Une propreté fimple , un vêtement de burre ,
Une fleur de nos champs , faut- il d'autre parure ?..
Je chercherois Louis dans un moment ſi beau ,
Louis & fon Dauphin entourant un berceau.
Quels font là leurs tranfports , & que doivent- ils
dire ?
O quel heureux berger , habile à s'introduire ,
De tout ce qu'on y voit fe rendoit fpectateur !
TIRCIS.
'Annette , à cet emploi m'a nommé dans fon coeur !
Mes voeux font prévenus . Loin de ces lieuxcham
pêtres
NOVEMBRE . 17 1753
Demain , dans leur palais j'admirerai nos Maîtres
Que Tircis ne peut-il vous y voir avec lui !
Mais d'un pere caduc , unique & cher appui,
Lui dérober en vous l'objet de fa tendreffe ,
Ce feroit au tombeau conduire fa vieilleffe.
J'irai feul ; mais du moins j'irai pour tous les deux j
Mon coeur y confondra mon hommage & vos
voeux ...
Je puis plus. Mes ayeux m'ont tranfmis la hou
lette ,
Dont Apollon fit choix , lorfque du Prince Admete
On prétend que ce Dieu conduifoit les troupeaux.
Je puis y joindre encor deux rares chalumeaux ,
Par qui , fur nos bergers , j'eus trois fois la victoire
Quand de Louis vainqueur nous exaltions la gloi
re ?
A nos Princes Enfans j'irai les préfenter.
ANNETTE.
Que dites -vous , Tircis , ofez -vous vous flater ,
Que de vos dons obſcurs on recevra l'hommage ?
Ah ! lorſqu'à vos regards s'offrira l'étalage
Des fuperbes rubis , des métaux précieux ,
Confus , déconcerté , vous baifferez les yeux.
TIRCIS.
Non , non : ma pauvreté n'a rien qui m'épou
vante ;
Tout hommage a fon prix , quand le coeur le préfente.
18 MERCURE DE FRANCE.
Ces trésors dont ici nous ferions éblouis ,
Annette , ne font pas le bonheur de Louis.
Chéris de fes fujets , leurs coeurs font fes richeffes
Des heureux contre moi , que prouvent les largeffes
?
Pour être mieux reçus aiment ils plus que moi ?
ANNETT E.
Vous m'infpirez , Tircis , l'efpoir que je vous voi.
Ecoutez : j'élevois deux jeunes tourterelles
D'une tendre union intéreffans modéles ,
De ces époux chéris , c'eſt le ſymbole heureux .
Portez- leur .... Puiffiez- vous de retour en ces
lieux
De vos brillans fuccès étonner nos bergeres !
Je me charge du foin de conduire aux fougeres
Vos troupeaux & les miens enfemble confondus.
Mais déja du Soleil les rayons étendus ,
Nous font de la chaleur fentir la violence ,
De la fête au hameau l'heureux inftant s'avance:
Allons la célébrer , & par vos mains , Tircis
Sacrifier l'agneau que mes voeux ont promis.
Dupain de Triel.
Fettet
NOVEMBRE. 1753. 19
送洗****************
SUITE de la Differtation fur le Droit
le Barreau de Rome.
A
Près avoir parlé de l'origine & du
progrès des Loix Romaines , il refte
à donner une idée légére des Avocats &
du Barreau de Rome.
Dans les premiers tems , les Avocats
n'avoient aucune connoiffance du Droir.
Ils étoient de fimples parens ou amis qui
de l'affaire d'un client faifoient la leur propre
, & la follicitoient . Ils affembloient
un grand concours de Citoyens par leurs
acclamations ou par leurs pleurs ; arrivés
au lieu où le jugement devoit fe rendre ,
ils tâchoient de toucher les Juges par ce
concours , voilà ce qu'on nommoit advocation
du mot advocare.
Les Avocats étoient d'abord de vrais
Supplians , le cortége qui les accompagnoir
influoit beaucoup fur le fuccès de la conteftation
. Céfar , au Livre premier de fes
Commentaires , parle d'un certain Vigetorix
, qui le jour que fa caufe devoit fe
plaider , vint à l'audience fuivi de fa famille
, compofée de près de dix mille homde
fes débiteurs en plus grand nombre
, & par ce moyen fe tira d'affaire .
mes ,
20 MERCURE DE FRANCE.
A ces premiers Avocats fuccéderent les
Cogniteurs , fur quoi on peut voir Alciat
Parergon , Juris lib . 2. cap . 5. Ils étoient
habiles dans la Science du Droit , & parurent
lorfque Cneius Flavius eut publié le
Livre des Actions Appiennes , & les formules
dans lesquelles elles étoient conçues.
Inftruits des usages du Barreau , ils confultoient
& aidoient les plaideurs , non par
leur fimple préfence , ainfi que les Avocats
dont on vient de parler , mais par leurs
lumieres.
On vit en même tems des Cogniteurs
fubalternes , nommés Formulaires on Praticiens
: ils s'occupoient uniquement de
l'ordre de la procédure , ils n'entendoient
ni la loi ni fon efprit , ils dreffoient les libelles
, & conduifoient l'inftruction des
procès , ils ne portoient point la parole.
Cet avantage étoit réservé aux Cogniteurs
de la premiere efpéce qu'on nomma
Patrons , il n'étoit pas permis à ceux- ci
de s'étendre autant qu'ils le jugeoient à
propos , ils fe refferroient felon les Clepfidres
, qui leur étoient donnés par les Juges ,
& dont l'ufage venoit des Grecs.
La Clepfidre fut inventée par Clebibias :
c'étoit une machine hydraulique , ou une
efpéce d'horloge d'eau , compofée d'une
double phiole ; l'eau tomboit goute à goute
NOVEMBRE . 1753. 21
de lapremiere qui étoit remplie , dans la
feconde qui étoit vuide ; le tems de l'écoulement
marquoit à l'Orateur celui dans
lequel il devoit finir les difcours , les Juges
diftribuoient des Clepfidres plus ou
moins grandes , felon la nature de l'affaire
qui étoit à difcuter ; on obfervoit néanmoins
que l'accufé eût pour fe juftifier une
moitié de tems plus que l'accufateur pour
le convaincre : cette difference équitable
fut introduite par Cneius Pompeius.
Derriere les Patrons étoient des Moniteurs
: ils avoient attention de réprimer les
faillies de l'Avocat lorfqu'il s'échauffoit
trop . Ils lui rappelloient auffi les circonftances
qu'il avoit omifes.
Ces Moniteurs differoient peu des Gardiens
, nommés Cuftodes , dont l'office principal
confiftoit à tenir les boëtes ou les facs
dans lefquels les piéces du procès étoient
enfermées ; leur office avoit lieu fur tout
pour les matieres criminelles , afin d'empêcher
la collufion entre l'accufateur &
l'accufé.
Dans les caufes importantes , au lieu de
Patrons ordinaires , on avoit recours aux
Orateurs. Ceux - ci avoient rarement une
étude foncée du Droit , mais ils étoient éloquens
, leur ftyle plus concis & plus châtié
que celui des fimples Avocats , ils mon22
MERCURE DEFRANCE.
toient quelquefois dans la Tribune , ils
haranguoient le Peuple & le Sénat , ce que
les Cogniteurs même du premier ordre ne
pouvoient faire.
>
On voit dans l'Hiftoire que les Confuls ,
les plus célébres Magiftrats , les plus illuſtres
d'entre les Patriciens , fe faifoient une
gloire d'exercer les fonctions d'Orateurs
tels furent Hortenfius , Ciceron , Antoine,
Pline le jeune , & néanmoins il devoit
paroître indécent que ceux qui impofoient
Glence aux autres fuffent fujets à l'horloge
d'eau.
Dans le commencement les honoraires
des Avocats n'étoient pas fixés , l'Empereur
Claude fut le premier qui leur mit
des bornes. Il défendit de prendre au delà
de dix fefterces pour une caufe , ce qui
revient à deux cens cinquante écus de notre
monnoye.
Le nombre des Avocats étoit réglé , &
non pas arbitraire comme parmi nous , ils
étoient exempts de fubfides & autres charges
femblables on appelloit ceux qui
avoient atteint la vétérance , du nom de
Comtes & de Clariffimes , qualité rare &
qui n'étoit même pas accordée à ceux qui
avoient fervi vingt ans dans la guerre ; ils
avoient le pas fur les Chevaliers , on mettoit
des palmes devant leur maiſon , pour
NOVEMBRE. 1753 .
23
marquer que l'honneur étoit l'ame & l'objet
de leur profeffion .
Non-feulement les Avocats parloient
de bout , mais ils n'avoient point de barre
devant eux qui leur cachât la moitié du
corps. Avoient-ils fini ? pour peu que leur
difcours eût eu de fuccès , l'auditoire prodiguoit
les éloges à voix haute , les Juges
eux-mêmes fe levoient fouvent de deſſus
leurs fiéges &joignoient leurs acclamations
à celles du public.
Si à Rome , les Avocats acquirent une
plus grande réputation que chez nous ,
cela vient moins de la difference des talens,
que de la maniere d'étudier & de la nature
des cauſes.
A peine un jeune homme qu'on deftinoit
au Barreau , avoit-il atteint fa dix -feptiéme
année , qu'il y étoit préfenté en
pompe par les perfonnes de la premiere
diftinction ; on lui donnoit la robe virile ,
on le confioir à un Avocat célébre qu'il ne
quittoit prefque pas , qu'il voyoit préparer
, avec lequel il fe formoit & qu'il prenoit
pour modéle.
Les caufes étoient chez les Romains
beaucoup plus folemnelles que les nôtres
& plus fuivies. Tantôt c'étoient des Gouverneurs
qui rendoient compte de leur
adminiſtration en public , & qu'on ac
24 MERCURE DE FRANCE.
cufoit de péculat , tantôt c'étoient des Provinces
, dont lesAvocats étoient Protecteurs
& dont ils défendoient les intérêts ; ils
parloient fouvent pour les Rois ou contre
cux .
Il y avoit cependant beaucoup moins
de jours pour vacquer à la difcuffion des
procès que parmi nous. De même qu'à
l'armée on diftinguoit les jours de repos ,
diesjufti , de ceux appellés praliares ; ainfi
au Barreau ils étoient divifés en jours de
Glence, jours de parole , jours intercis , nefaftos
, faftos , intercifos.
On regardoit les jours néfaftes comme
privilégiés , le Préteur avoit alors la bouche
fermée. Ils ne pouvoit connoître d'aucun
differend. Tels étoient les jours religieux
ou de triomphe , ceux des jeux facrés
, de la naiffance des Empereurs , &c.
Quant aux jours faftes , il y en avoit de
plufieurs efpéces , ceux des Comices , Comitiales
; ceux des Foires , Nandina ( depuis
la Loi Hortenfia ) car auparavant ils étoient
facrés ; ceux deftinés à juger les caufes des
Etrangers , dies ſtati ; ceux des délais d'affignation
, comperendini ; ceux où le Sénat
avoit coûtume de s'affembler , fçavoir , les
Calendes & les Ides , dies legitimi ; les jours
faltes & néfaftes fe prenoient depuis le lever
du Soleil jufqu'au coucher.
Il
NOVEMBRE. 1753. 25
Il n'en étoit pas de même des intercis.
Hs étoient tronqués & imparfaits , parta
gés entre les devoirs du culte & le foin des
affaires temporelles , on ne jugeoit ces
jours là ni le matin , ni le foir , mais dans
Pintervalle de l'un à l'autre , & entre les
facrifices , inter hoftiam caufam.
Telles étoient les Feries des Romains :
quant au lieu où ils rendoient la juſtice ,
ce fut d'abord dans le Forum , c'eft à-dire ,
dans l'endroit où les Curies s'affembloient.
Ce Forum n'étoit pas couvert. En plaidant
fub dio , les Romains fuivirent l'ufage de
la Gréce.
On diftingua dans la fuite les caufes particulieres
des publiques : comme les premieres
intéreffoient plus de perfonnes ,
on crut que pour les traiter il feroit plus
commode de conftruire un édifice , qu'on
appella Bafilique ; on continua d'agiter les
fecondes dans les lieux des Comices , auprès
de la Tribune aux Harangues . Il faut remarquer
que ces dernieres étoient ou de
fait ou de droit , celles de fait le jugeoient
fur le rapport d'un Tribun , celles de droit
étoient du Reffort des Centuries , c'eft- àdire
, des Juges des Décuries , tellement
que les caufes privées devinrent Bafilicanes,
les autres tefterent fubdiales,
Il arriva fouvent que pour être plaidées
B
26 MERCURE DE FRANCE.
dans l'Aire nuë, les caufes publiques furent
très -mal jugées , ou ne le furent point du
tout ; on lit par exemple dans Valére-
Maxime , que Lucius Selo obtint fon ren
voi de la maniere qui fuit : il tomba une
pluie violente, Lucius Pifo profita de cette
circonftance , il fe profterna aux pieds des
Juges , il fe couvrit le vifage de boae , &
par ce moyen ramena les efprits à la clé
mence ; felon le même Auteur , Appius
Claudius plaidoit en fon nom lorfqu'ilfurvint
un orage , les Juges extrêmement
incommodés de la pluie leverent la Séance ,
crurent que les Dieux s'intéreffoient à la
caufe d'Appius , & n'oferent le faire recommencer.
Cependant le Peuple fe contenta de cet
ancien Forum , jufqu'à ce que Jules- Céfar
en eût fait conftruire un autre qui coûta
des frais immenfes , & dont on peut voir la
defcription dans Vitruve , Livres . Les af
faires s'étant multipliées avec le nombre
des Citoyens , Augufte en fit élever un
troifiéme qui fut très- orné ; il y en eut un
quatrième , commencé par Domitien &
achevé par Nerva Céfar , mais le plus riche
de tous fut celui de l'Empereur Trajan ;
on y voyoit une colonne de cent quarante
coudées , où étoient gravées les principales
actions de fa vie , ce fut au faîte de cette
NOVEMBRE. 1753. 27
colonne que les cendres de cet Empereur
furent confervées ; Dion Caffius affure que
l'Architecte de ce fuperbe édifice fut le célébre
Appollodore.
Nous avons vu plus haut que la connoiffance
des caufes privées appartenoient
au Préteur , exclufivement à tous autres ;
dans les affaires ordinaires on lui demandoit
par un libelle , la permiffion de citer
pardevant lui le défendeur , l'affignation
Te donnoit par la partie même , le Créancier
alloit trouver fon Débiteur , & en
préſence de deux témoins , il le fommoit
de venir devant le Juge.
Il tiroit l'oreille aux témoins pour qu'ils
fe reflouvinffent de l'affignation donnée ,
de là aurem vellere aurectari ; fi le défendeur
n'étoit pas d'humeur à venir fur le
champ , ou à promettre de comparoître ,
il étoit permis de l'amener par force ; fi
au contraire il venoit ou promettoit dé
venir , dicebatur radimonio adftrictus , les délais
des affignations étoient de trois jours.
L'affaire étoit- elle purement de fait ? le
Piéteur déléguoit des Juges pour en connoître
, étoit- elle de droit ? il la jugeoit
par lui - même avec fes Centumvirs , ou il
leur en renvoyoit la décision .
Les Centumvirs étoient les Affeffeurs
du Préteur . On en nommoit trois par Tri-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
bu , c'est- à-dire , que quand le Peuple fur
partagé en trente - cinq Tribus , il y avoir
cent cinq Centumvirs. Leur nombre augmenta
dans la fuite jufqu'à cent quatrevingt.
Ils furent divifés en quatre Tribunaux
ou Confeils . Dans chacun ils avoient
un javelot . On les appelloit Judices ordinarii.
Quant aux Juges délégués , c'étoient de
fimples Commiffaires . Ils n'avoient pas un
pouvoir étendu , tel que celui des Cen
tumvirs. Ils étoient adftraints à fuivre la
formule qui leur étoit donnée . Par exem
ple , on les chargeoit d'examiner fi Quintius
avoit contrevenu à tel Edit du Préteur ,
Ils n'avoient qu'une connoiffance de fair,
Leur jugement étoit un rapport. Ils décidoient
conformément à la formule qui leur
avoit été prefcrite , & ne ftatuoient rien
au fonds. Si pareat Q. dare opportere , &c.
pu-
Dans les affaires criminelles il y avoit
toujours un accufateur & un accufé. Le libelle
d'accufation fe dépofoit au tréfor
blic. Il y reftoit jufqu'à ce que l'abolition
cût fuivi. Les récompenfes des délateurs
victorieux étoient marquées par la loi Papia.
Quelquefois elles étoient arbitraires .
On trouve plufieurs titres dans le Droit
contre ceux qui calomnioient , tergiverfoient
, ou s'entendoient avec l'accufé.
NOVEMBRE. 1755. 29
Du jour de l'accufation , l'accufé donnoit
un furveillant à fa partie adverſe ,
crainte que cceelluuii-- ccii nnee pratiquât contre
lui des manoeuvres défendues , & n'eût
recours à de dangereux fubterfuges. L'accufateur
faifoit placer fon fiége dans l'endroit
du Forum qui lui paroiffoit le plus
commode.
En matiere criminelle , le délai de la citation
au jugement étoit au moins de trente
jours , c'est-à- dire , qu'il falloit qu'il y
eat trois marchés trinundinum , entre l'affignation
& la Sentence. Ciceron fe plaint
amérement de ce que cette formalité ne fut
point obfervée lorfqu'on le condamna à
l'exil.
Après le troifiéme marché l'accufé paroiffoit
devant le Préteur . L'accufateur expliquoit
en peu de mots le fujer de la
plainte. V. G. Aiote ficulos fpoliaffe. Alors
de deux chofes l'une , ou l'accusé nioit ,
ou il gardoit le filence , & ne diſconvenoit
point.
Au premier cas on accordoit du tems
pour adminiftrer des témoins , pour acquérir
des preuves , fournir des reproches &
des exceptions .
Au fecond cas , on régloit fur le champ
les dommages & intérêts réſultans , à ceux
qui avoient fouffert du délit. Lis aftimaba-
Biig
30 MERCURE DE FRANCE .
tur , & on prononçoit fur la peine corporelle
s'il y avoit lieu,
Quant aux crimes publics , le Préteur
convoquoit divers particuliers de chaque
Décurie pour avoir un nombre fuffifant
de fuffrages , on écrivoit fur des billets ks
noms de tous les convoqués ; on remuoit
ces billets dans une urne , on en tiroit juſqu'à
ce qu'on eût le nombre que demandoit
l'importance de la caufe , ce nombre
étoit ordinairement de foixante- quinze.
L'accufateur & l'accufé pouvoient reprocher
ceux qui étoient de mauvaiſes moeurs
& qu'ils croyoient fufpects. Alors on tiroit
d'autres billets du fcrutin , pour remplacer
les Juges qui au moyen de la récufation
n'avoient plus de voix.
On donnoit à ceux qui devoient juger
trois tablettes , fur l'une étoit la lettre A,
fignifiant le renvoi de l'accufé , Abfolvatur
; fur l'autre les lettres V. P. qui
marquoient que l'affaire n'étoit pas fuffifamment
inftruite , non liquet ; fur la troifiéme
étoit un C , figne de la condamnation.
Après que les Avocats avoient fini de
part & d'autre , le Préteur prononçoit à
haute voix , dixerunt. Auffi tôt les Juges
fe levoient pour opiner , ils jettoient tous
dans une boëte l'une de leurs tablettes , on
NOVEMBRE. 1753. 31
ignoroit par ce moyen ceux qui avoit condamné
ou abfous. Néanmoins comme chaque
Décurie avoit fes tablettes differentes
, on fçavoit en général que telle Décurie
avoit été plus févére ou plus favorable
.
Enfuite le Préteur quittoit la prétexte ,
& prononçoit le jugement qui avoit été
rendu ; il étoit permis d'appeller de ce jugement
, foit au Peuple , foit au Sénat ,
L'ufage des tablettes pour opiner venoit
des Grecs . On s'en fervoit encore , lorfque
les Comices s'aflembioient au fujet de
l'établiffement d'une loi , alors deux tablettes
fuffifoient , fur l'une étoient les lettres
V. B. uti rogas ; fur l'autre la lettre A,
abrogetur.
On ne parle point ici des Tribunaux
domeftiques , où les peres jugeoient leurs
enfans , où les parens de la femme jugeoient
fur les plaintes du mari ; ces Tribunaux
furent abolis par la fuite. Ils n'étoient
pas auffi odieux que plufieurs fe le
perfuadent' ; ils furent fondés par la politique
des Romains qui ne vouloient pas ,
que pour le crime où la faute d'un feul fa
famille fût deshonorée ; le châtiment étoit
fecret , les Juges intéreffés eux - mêmes à
fauver le coupable , étoient préfumés ne le
condamner , que pour éviter aux proches
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
la flétriffure qui auroit réjailli fur eux par
une condamnation notoire & folemnelle.
J. Lacoste ,fils , Avocat.
ADijon , le 16 Avril 1753.
18282625 26 26 26 262 26 DE 2
ODE
SUR la naiffance de Monfeigneur le Due
d'Aquitaine , préfentée à Monseigneur l
Dauphin ; par M. l'Abbé Roman.
O
Toi , Déité ( a ) réverée ,
Soeur da Dieu qui régle les jours ,
Defcens de la voûte azurée ,
Et porte en ces lieux ton fecours.
Defcends , & puiffante Déeffe
Viens délivrer une Princefle ,.
Digne de tes foins généreux..
Accours , ta divine préſence
Hâtera l'heureuſe naiffance
D'un Prince , l'objet de nos væus.
Déja de ta main fecourable ,
Marie ( b ) éprouve les bienfaits :
Je vois un enfant adorable
S'offrir à mes yeux fatisfaits..
(a ) Lucipe. (b) Madame la Dauphine
D
D
Q
[
L
t
D
NOVEMBRE 1753 .
33
Je vois les graces
de la
mere ,
La noble douceur de fon pere,
Briller à l'envi dans les yeux :
Digne de fon augufte Race ,
On le verra fuivre la trace
De les ancêtres glorieux.
***
Mais , quelle fubite allégreffe !
Mille cris ont fendu les airs :
Quels tranſports ! quelle douce yvreffe !
Quel bruit le mêle à nos concerts !
J'entends les foudres de la
guerre ;
Las de faire trembler la terre ,
Leur bouche annonce fon bonheur.
L'air brille , la flame étincelle ,
Une clarté pure & nouvelle ,
De la nuit diffipe l'horreur.
***
La Renommée impatiente
Vole aux deux bouts de l'univers ,
Er déja fa voix éclatante ,
De ces accens remplit les airs.
Peuples du couchant , de l'aurore ,
Un nouveau fis , qui vient d'éclore ,
De la Seine pare les bords.
Elle dit : la terre charmée ,
D'une même joie animée ,
Seconde nos juftes tranfports
Bv
34 MERCURE DE FRANCE
Mais je vois de loin Cytherée ,
Son char s'élance dans les cieux +
De graces , d'amours entourée ,
Elle s'avance vers ces lieux.
Elle vient embellir la fête
Que la main des plaifirs apprête
Pour célébrer un fi grand jour.
La Déefle au tendre mystére ,
Préfere à l'aimable Cythere
Les charnies de ce beau féjour.
++
Sur le Prince qui vient de naître ,
Elle a déja fixé les yeux.
Surprise , elle croit reconnoître ,
De fon fils les traits gracieux.
L'Amour , trompé comme la mere ,
Le prend lui même pour fon frere,
Et veut lui donner fon fambean.
De myrte , de lis & de roſes ,
Par leurs foins fraîchement écoles,
Les Gracesjonchent fon berceau.
++
Filles qu'on adore à Cythere , (a)
Prenez cet enfant dans vos bras
Aux yeux de fon augufte mere ,
Découvrez les naiſſans appas.
A cet afpect , fur fon vilage,
( a ) Les Graces
NOVEMBRE. 1753 .
35
Od la douleur forme un nuage ,
Brille fa joie & fon amour.
L'aimable enfant par un fourire ,
A la Princeffe femble dire ,
C'eft de vous que je tiens le jour,
Divinités inexorables ,
O vous , qui tenez dans vos mains
Lesjours , hélas ! trop peu durables
Des peuples & des Souverains :
Fieres Soeurs , rigoureuſes Parques ,
Pour ce fils de tant de Monarques ,
Prenez vos plus heureux fuſeaux.
Puiffent les hautes deſtinées ,
Et le tiffu de fes années ,
Echaper à vos noirs ciſeaux.
+3x+
Le premier bruit de fa naiffance
Va raffembler les jeux épars.
Pour amufer la tendre enfance
Ils accourent de toutes parts.
Mais dans un âge plus folide ,
Pallas , de fa puiflante Egide ,
Couvrira ce Prince chéri,
Les doctes Filles de Mémoire ,
A les yeux , offriront l'hiftoire
De fon Ayeul & de Henri ( 4 ).
( a) Louis XV. & Henri IV.
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE
Ces Princes des Rois les modéles ,
Préferoient , au fond de leurs coeurs ,
L'amour de leurs Sujets fidéles
A la gloire d'être vainqueurs.
Parmi les feux & le ravage ,
Oùle borne un béros fauvage ,
Ils pratiquoient d'autres vertus.
Au milieu des villes en cendre ,
S'ils combattoient comme Alexandre ,
Ils pardonnoient comme Titus.
On vit par cet accord illuftre
1
L'héritier du meilleur des Rois ( a );
Gagner , à ſon troifiéme luftre ,
L'eftime & l'amour des François.
Aux Champs de Mars ( b ) , où la victoire
Couronnoit fon pere de gloire ,
Sa valeur le fit admirer.
A la Cour , humain , équitable ,
Généreux , bienfaifant , affable ,
Sa bonté le fait adorer.
N'en doutons point : d'un vol rapide,
Le nouveau Prince , jufqu'aux cieux ,
Va , tel qu'un aiglon intrépide ,
Suivre fes fublimes ayeux.
a ) Monfeigneur le Dauphin,
( b ) AFontenay,
NOVEMBRE . 1753 .
37
Bourbon , feconde espérance
Que le Ciel accorde à la France ,
Quitte les jeux de ton berceau ;
Hâte-toi la gloire t'appelle;
A ton fang , à ton nom fidéle ,
Tu leur dois un éclat nouveau.
Ft toi , Province fortunée (4) ,
Cet enfant qui te doit ſon nom ,
T'uniflant à fa deftinée ,
Te rendra ton ancien renom.
Il arrachera des ténébres ,
Le nom de ces Héros célébres ,
Qui jadis te donnoient des loix ;
Mais en rappellant leur mémoire ,
Ton Prince effacera leur gloire ,
Et furpaffera leurs exploits .
O mihi tam longa maneat pars ultima vita ,
Spiritus, & quantum fat erit tua dicere facte:
Virg. Egli
(a)L'Aquitaine,
BF
38 MERCURE DE FRANCE
900209 209 208 20720928P 20P20PPOPROPRUTRUP
SEANCE PUBLIQUE
L
De l'Académie de Rouen.
'Académie des Sciences , Belles Lettres,
& Arts de Rouen , tint fon affemblée
publique le Jeudi z Août , dans la fale de
T'Hôtel- de - Ville . On diftribua d'abord les
prix , fondés
Mefdames de Marle & le
Cat , pour les Eleves de l'école de deffein,
& donnés au jugement de l'Académie ;
fçavoir , le premier d'après le modéle , à
M. Jacques Nevay , d'Edimbourg.
par
Le fecond à M. Etienne de la Vallée-
Pouffin , de Rouen .
Le prix d'après la Boffe , à M. Michel
Loyer , de Rouen.
Le prix du deffein , à Mlle Dor. Hen
riette Ribard , de Rouen.
Les prix d'Anatomie , fondés par M. le
Cat , pour les Eleves de l'Ecole chirurgi
cale dont il eft Profeifear , ont été remportés
:
Le premier par M. Jacques-Philippe
Fremanger , de Cy , près Bayeux.
Le fecond , par M. Auguitin de Lanney,
de Glanville , près Beaumont , en Auge .
Le troifiéme , par M. Louis Daupley ,
de Rouen .
NOVEMBRE. 1753 39
Asceffit. M. Antoine Doubleau , de Derneral
.
L'Académie avoit propofe pour fujet du
prix de Phyfique de cette année , l'Hiftoire
des mines de Normandie , &c. comme on ne
lui a adreffé aucuns Mémoires fur cette matiere
, elle s'eft déterminée à propofer un
nouveau fujet ; fçavoir , quelsfont les animaux
venimeux qui se trouvent en France ;
la nature de leur venin , & les remèdes qui &
Conviennent.
Le fujer du prix de Poëfie propofé pour
1752 , & encore en 1755 , étoit l'établiffement
de l'Ecole gratuite du deffein en cette
Ville. Les Piéces que l'on a envoyées
n'ayant point encore paru remplir fuffifamment
toutes les parties du programme,
inferé dans le Mercure de Décembre fecond
volume 175 , & dans le Journal
de Verdun , Novembre 1751. L'Académie
indique de nouveau le même fujet , dans
l'efpérance que les Auteurs feront des efforis
pour perfectionner leurs ouvrages,
L'Académie propofe encore le prix alternatif
des Belles Lettres , pour une Differtation
littéraire , dont le fujet eft : En
quel genre de Poëfie les François font fupérieurs
aux anciens ; cette Differtation , ainfi
que le Mémoire de Phyfique , feront d'une
heure de lecture ou environ. Ces trois prix
40 MERCURE DE FRANCE.
fondés par M. le Duc de Luxembourg,
Protecteur , confiftent en chacun une mé
daille d'or de 300 liv . & feront diftribués
en l'affemblée du premier Août 1754. Les
Auteurs adrefferont leurs ouvrages correctement
écrits , le port franc , avec leurs
noms & devifes fous une enveloppe cachetée
, avant le premier de Juin ; fçavoir les
Mémoires de Phyfique à M. le Car , Secrétaire
pour les Sciences , & les Piéces de
Poëfie & de Littérature à M. de Premagny,
Secrétaires pour les Belles Lettres.
Après l'annonce des prix , M. de Premagny
rendit compte des Mémoires qui
ont été lûs à l'Académie pendant le cours
de cette année , & entr'autres :
La defcription d'une tortue monftrueufe
, jettée par la mer dans le port de Dieppe.
Par M. des Groffilles , Affocié.
Détail de deux maladies extraordinaires,
dont les fujets âgés au moins de foixante
ans , fe font trouvés àl'ouverture des cadavres
, n'avoir que le rein droit. Par M. de
la Roche.
•
Deux volumes de Tables des Nombres
compofés & compofans ; ouvrage impor
tant de M. de Mercaftel , de l'Oratoire ,
de Rouen , Affocié .
Lettres fur les expériences d'électricité
de M. Franklin , & Mémoire fur un far
NOVEMBRE . 1753. 41
cocele ou tumeur des ovaires , & un projet
pour l'extirpation de cette tumeur ; par
M. le Cat.
Deſcription de l'Aurore Boréale du 13
Octobre 1752 ; Préface d'un ouvrage , intitulé
: Etat du Ciel pour la Marine , &
l'ouvrage même : obfervation de l'éclipfe
de Lune du 17 Avril , & de plufieurs occultations
des fixes par la Lune. Un Mémoire
précédant le paffage de Mercure fur
le Soleil , le 6 Mai ; Théorie de cette Pla
nette , & l'obfervation exacte de fon paffage.
Par M. Pingré.
Mémoire fur l'ufage & les vertus du fel
d'Epfon , & Recherches fur les plantes
qui croiflent aux environs de Rouen . Par
M. du Fay.
Mémoire fur les maladies des enfans.
par M. le Danois.
Traduction de plufieurs ouvrages Anglois.
Par M. Yart.
Traduction de plufieurs Odes en vers.
Par M. Fontaine.
Mémoire fur l'Hiftoire de Normandie,
Par M. du Boullay.
Premier volume des vies des Peintres
Flamands. Par M. Defcamps.
Traduction en vers & en profe , de quel .
ques épigrammes choifres d'Owen , par
M. de Premagny , & des obfervations fai
42 MERCURE DE FRANCE.
tes avec un excellent microfcope du Sieur
Canu , Opticien , & de l'Académie.
Mémoire hiftorique fur le Havre- de-
Grace , & autres Mémoires d'hiftoire naturelle.
Par M. Dubocage de Bleville , Aſfocié
.
Mémoire fur la vie de Leonard Aretin.
Par M. l'Abbé Goujet , Affocié.
M. le Cat lut enfuite le réfultat des ob
fervations méteorologiques , qu'il a faites
dans l'année académique 1752-53 . La plas
grande hauteur du barométre a été à Rouen
de 28 pouces & demi , & fon degré le plus
bas 27 pouces une ligne & un quart. Le
grand froid du 28 Janvier n'y a porté le
thermométre qu'à degrés au-deffous de
o . Le plus grand chaud du 7 Juillet , n'a
été qu'à 29 degrés . Les jours les plus humides
, ont été le premier & 14 Février.
Le plus fec a été le 24 Juillet. La quantité
de pluye a donné 21 pouces d'eau fur le
territoire de Rouen . La déclinaifon de
l'aiguille aimantée a été toute l'année à
l'Ouest , depuis 17 degrés 40 minutes juſqu'à
19 degrés,
Le dernier article de ces obfervations ,
contenoit les maladies qui ont regné dans
chaque faifon .
Chaque article étoit accompagné de
quelques remarques : celui des variations
NOVEMBRE. 1753 . 43
de l'air , contenoit les obfervations faites
par M. le Cat en 1746 , de la fenfibilité
du thermométre à air , ou manométre aux
deux efpéces de raréfaction ou de condenfation
de l'air ; fçavoir , celles que lui
donne le chaud ou le froid , & qu'il appelle
thermométrales , & celles qui annoncent
le tems pluvieux ou fec , & qu'il nomme
barométrales. Il rapporte à cette occa
fion un projet , communiqué à l'Académie
par M. Mailhot , Chanoine Régulier , de
déterminer fur un manométre ces deux
efpéces de variations de l'air , en affociant
le thermométre de M. de Réaumur au manométre
; & de mettre par là les Navigateurs
en état de fe paffer du barométre
que le roulis des navires rend infidéle ; &
comme l'air eft généralement plus rare en
efté , & que le barométre pour annoncer
de la pluye y defcend plus bas qu'en hyver,
il faudra pour le manométre une graduation
pour l'efté & une pour l'hyver . M. le
Cat donne la caufe phyfique de cet effet .
A l'occafion de la déclinaifon de l'aiguille
aimantée , il rapporte & explique
L'obfervation d'un aimant artificiel qui
avoit perdu toute fa vertu , & qui fe trouva
revivifié pour avoir voyagé avec un aimant
naturel , non armé .
Parmi les maladies qui ont regné cette
44 MERCURE DE FRANCE.
année , M. le Cat en a particulierement
décrit une , qui fous les apparences d'une
peripneumonie , confiftoit dans une inflammation
fuppuratoire du péricarde qui
tuoit les malades comme fubitement le s
où le 7 par oppreffion , & qui n'a cédé
qu'aux remédes laxatifs aiguilés d'émétique.
M. le Cat avoit déja obfervé les années
précédentes que la plupart des autres
fiévres malignes avoient pour caufe des efpéces
d'éruptions , ou ébullitions inflammatoires
, placées dans l'eftomac & les inreftins
, & qui en ne fe terminant ni par
réfolution , ni par fuppuration , devenoient
gangréneufes , & par là mortelles.
Il a même fait peindre d'après nature ces
éruptions , pour en mieux diftinguer &
faire connoître les efpéces. Il marque &
explique le bon effet des émetiques dans
le commencement , des laxatifs émetiques
& des limonades dans le courant de ces
maladies.
M. le Cat lut encore une grande Differtation
fur l'état actuel des Sciences & des
Beaux Arts , & fur la poffibilité de les perfectionner.
Dans cette Differtation M. le
Cat donne une hiftoire fuccincte des Sciences
& des Beaux Arts dans les fiécles fameux
d'Alexandre , d'Augufte , de Louis XIV .
& dans le nôtre. Il fait voir , que malgré
NOVEMBRE. 1753. 45
les grands progrès qu'ils ont faits , ils font
encore pour la plupart fufceptibles de perfections
; & que les Ecoles & Académies
que l'on multiplie aujourd'hui , font trèspropres
à y ajouter celles qui leur manquent
, à y conferver celles qu'ils ont acquifes
, & à leur reftituer celles qu'ils pourroient
avoir perdues.
M. l'Abbé Yart lut un Difcours fur les
Contes, il remonta à leur origine : il en fixa
la nature ; il en retraça les régles les plus
effentielles : il y ajouta la Traduction d'un
Conte Anglois très- fingulier , de Thomas
Parnell , intitulé , l'Hermite , que M. de
Voltaire a imité dans fon Roman de Zadig..
On ne donnera pas un plus long extrait du
Difcours & du Conte de M. Yart, L'un &
l'autre vont paroître , avec d'autres Poëmes
du même genre dans le fixiéme volu
me de fon Livre , intitulé : Idée de la Poëfie
Angloife.
M. Mailler du Boullay lut un Difcours ,
intitulé : Idée d'une Hiftoire de Normandie ,
des moyens d'y travailler avecfuccès.
&
Il fit obferver d'abord que l'objet le plus
important de l'Académie , avoit toujours
été l'utilité particuliere de la Province où
elle eft établie ; il donna pour preuve de
fon zéle les leçons publiques de Deſſein ,
d'Anatomie , de Phyfique & de Botanique,
46 MERCURE DE FRANCE.
établies par fes foins , & données par fes
Membres dans la Ville de Rouen , & il
ajouta qu'elle avoit encore un deſſein d'une
plus grande conféquence , foit
pour fon
utilité , foit pour le nombre des recherches
qu'il exigeoit , que ce projet étoit
de fe mettre un jour en état de donner à
la Province une Hiftoire Civile , Eccléfiaf
tique , Littéraire & Naturelle de la Normandie.
M. du B. fit voir , que fi on n'avoit fous
le nom d'Hiftoire de Normandie , que ? que des
compilations incomplettes pour le fond ,
& encore moins parfaites pour le ftyle , il
ne falloit point s'en prendre à la ftérilité du
fujet , encore moins au défaut de grands
hommes que la Normandie a produits en
très -grand nombre , & qui auroient eu
tous les talens néceffaires pour le bien
traiter.
Pour montrer combien l'Hiftoire de
Normandie eft intéreffante , M. du B. fit
un tableau en racourci de tous les évenemens
qu'elle renferme depuis l'invasion
des Normands en 912 , originaires des
pays du Nord , que les Romains nommoient
Jugermance , & qu'ils ne purent
foumettre. Ces peuples fçurent toujours
conferver leur liberté , après avoir fait
sembler toute l'Europe pendant près d'un
NOVEMBRE . 1753 . 47
fiécle , ils forcerent enfin nos Rois à les
recevoir pour vaffaux , & à donner à leur
Chef une Princeffe de leur fang , & une
des plus belles Provinces de leur Royaume ;
ils adoucirent alors la férocité de leurs
moeurs , ils apprirent à connoître les vertus
& les devoirs de la fociété , & s'attirerent
l'eftime de ceux dont ils avoient été
la terreur ; bientôt les bornes de leur Province
parurent trop étroites à leur ambition
& à leur courage . Guillaume , Duc
de Normandie , conquit l'Angleterre , il
civilifa les Anglois , comme Wollon avoit
civilifé les Normands , & il devint comme
le Fondateur de cette floriffante Monarchie
, qui rivale de la France prétend
à l'empire des mers , & tient un des premiers
rangs parmi les Puiffances de l'Europe.
C'étoit la deftinée des Normands de
fonder & de conquérir des Royaumes.
M. du B. rapporte ici la fondation du
Royaume de Naples , & les exploits des
Chevaliers Normands dans la Calabre
dans la Sicile , & enfin au fameux fiége de
Jerufalem .
ود
pays
» Conquérans comme Annibal , dit- il ,
» dans des plus délicieux du monde ,
ils ne laifferent pas comme lui amolir
leur courage dans l'oifiveté & dans les
»
48 MERCURE DE FRANCE .
2:0
plaifirs , ils allerent porter encore une
fois jufqu'au fond de l'Orient la gloire
» de leur nom , & s'immortalifer par ces
exploits fameux qui ont mérité d'être
» chantés par le Virgile de l'Italie moder-
» ne : les noms de Bremont & de Tancrede
, Princes Normands , dureront au-
» tant que l'admirable Poëme qui les a cé-
» lébré , c'eſt à- dire , tant qu'un des plus
» beaux chef d'oeuvres de la Poëfie épique
trouvera des admirateurs.
M. da B. parcourt enfuite les guerres
longues & ruineufes , dont la Normandie
fut le fujet & le Théatre , & qui pendant
près de trois cens ans défolerent la France.
La réunion de la Province â la Couronne
fous Philippe- Augufte : » Epoque flateuſe
» & remarquable pour nous , dit -il , qui
»ne contribua pas peu à illuftrer le regne
»de ce grand Prince , & qui nous rendant
entierement François, nous deftina à partager
le bonheur & la gloire d'une Nation
que la postérité mettra à côté des
" Grecs & des Romains. L'invafion des
Anglois , qui mit le Royaume fur le
chant de fa ruine. Enfin leur expulſion totale
fous Charles VII .
»
pen-
Aux évenemens des regnes fuivans ;
où la Normandie eut toujours beaucoup
de part , & pendant lefquels elle donna à
la
NOVEMBRE . 1753 . 49
le
la France plufieurs fages Miniftres , & plufieurs
grands Capitaines. M. du B. faic
fuccéder l'Hiftoire de cestems malheureux
où le fanatifme & la fuperftition obfcurcilfoient
toutes les lumieres , où la fureur
des guerres civiles dont la Religion étoit
prétexte , & l'ambition la caufe , inonda
la France du fang de fes propres enfans.
La Normandie eut le malheur d'avoir plus
de part qu'aucune autre Province aux
troubles de la Patrie . M. du B. cita les batailles
d'Arques , d'Yvry & le fameux fiége
de Rouen par Henri IV. » Valeur malheureufe
, pour laquelle elle s'oppofoit
» à fon propre bonheur , & qu'elle répara
» bientôt par les plus vifs témoignages
d'amour , de refpect & de fidélité pour
» fon Roi. Henri le Grand ne fe crut vraiment
Roi de France qu'après la réduction
de la Normandie , & fon entrée triomphante
dans la Ville de Rouen .
Sous le regne à jamais fameux de Louis
» le Grand , lorfque la France refpectée
» de toute l'Europe par fa puiffance , devint
la rivale de la Gréce & de l'Italie ,
»par la culture des Lettres , des Sciences
» & des Arts ; quelle Province contribua
davantage à fa gloire que la Normar-
» die? quelle foule de grands hommes en
tous genres ne lui a- t'elle pas donnée ?
C
50 MERCURE DE FRANCE.
» Sçavans du premier ordre , grands Orateurs
, Poëtes fublimes & élégans , Hif-
» toriens d'un mérite diftingué , Artiſtes
» fameux , il n'eft aucune espéce de talens
» que nos compatriotes n'ayent poffédés
» à un dégré éminent ; quelle gloire pour
» notre Patrie ! quel fujet d'émulation
» pour nous ! quelle abondance de richefles
pour notre Hiftoire Littéraire !
M. du B. prit de là occafion de parcourir
les trois autres branches de l'Hiftoire ,
l'Hiftoire Littéraire , Eccléfiaftique & Naturelle
; il fit voir que toutes étoient abondantes
& intéreffantes , & il finit par exhorter
au nom de l'Académie tous ceux
qui poffèdent des monumens précieux ,
ou qui en ont connoiffance , de l'aider de
leurs lumieres & de leurs recherches , les
affurant de la reconnoiffance qu'elle aura
pour tous ceux qui concoureront avec elle
à un projet fi utile.
La Séance fut terminée par la lecture de
deux Odes d'Horace , traduites en vers par
M. l'Abbé Fontaine.
On trouvera dans le Poëme qu'on va lire
toute la fenfibilité & le feu d'un jeune Poëte
avec la correction que l'Académie exige,
NOVEMBRE.
Se 1753.
801 306 502 506 522 152 : 502 502506 306 307 302 JOLSOL
LA TENDRESSE DE LOUIS XIV .
POUR SA FAMILLE.
POEME , de M. Lemiere , qui a remporté
Le Prix de l'Académie Françoise en 1753 .
Loin d'ici , dogme affreux ; ſyſtême criminel ,
Langage de Tibere & de Machiavel ,
Qu'un coeur tendre & fenfible eft fait pour le
vulgaire ;
Qu'an Prince ne doit être époux , frere , ni pere ,
Et que toujours exempt de la commune loi ,
Un Roi , pour être grand , ne doit être que Roi.
Accorder la tendreffe avec la politique ,
Telle fut de Louis la fcience héroïque ;
Telle auffi fut la gloire ; il chérit ſes enfans ,
Sur eux il épancha ces heureux fentimens ,
Des coeurs nés vertueux richeſſe intéreſſante ,
Qu'on répand , qu'on prodigue , & qui fans ceſſe
aug mente.
Le Ciel lui donne un fils ; fous quel guide éclairé
Va croître cet enfant , dépôt cher & facré ?
Boffuet , Montaufier , couple illuftre & fidelle ,
Venez , un Roi vous nomme , un pere vous appelle
;
Venez , près de fon fils , juftifiant fon choir ,
Cij
$ 2 MERCURE DE FRANCE.
Former ce jeune Augufte aux vertus des grands
Ro.s.
Sous leurs yeux , fous les tiens , Louis
s'éleve ;
> ton Fils
Ce qu'ils ont commencé , ton exemple l'acheve ;
L'enfant a diſparu , l'homme eft déja fʊimé ,
Le Héros va paroître , à te fuivre animé.
Veux tu du fier Germain mettre les murs en poudre
,
C'eft aux mains de ton fils que tu remets la foude
;
Tu l'expofes , n'importe , il s'élance aux combats ,
Tu veux voir au retour un Héros dans tes bras :
Tu fouffres , comme lui , d'une abfence funefte ;
Mais enfin dans les Fils , ce Fils encor te refte .
Pal is qui renfermez ces rejettons chéris ,
Ouvrez vous devant moi , laiſſez moi voir Louis,
Tour à tour carefler , interroger , inftruire ,
Corriger d'un regard , animer d'un fourire ,
Vender fur eux fans ceffe , & le plaire avec eux ,
Témoin de leurs travaux , quelquefois de leurs
jeux :
Sur leurs moindres périls il s'inquiéte , il tremble
;
Sa rendreffe fouvent près de lui les affemble ,
Confeil de la nature , où le coeur feul a voix ,
Ou Pamour paternel dicte de douces loix ,
Il n'eft point de moment que fa bonté n'y marè
que ;
NOVEMBRE.
53
/
1753.
'Ainfile Pere en lui délaffe le Monarque ,
Peut-être au milieu d'eux digne d'être admiré,
Plus qu'aux bords de l'Efcaut , de périls entouré .
Malheur à qui t'ignore , ô tendreffe ! ô nature !
Malheurs fur tout aux coeurs qui bravent ton murmure
!
Pierre , qui de tant d'arts enrichit fon
pays ,
Se fût montré plus grand en épargnant fon fils ;
11 fuit l'exemple affreux de ce Roi des Iberes ,
Illuftre politique , & le plus dur des péres :
Le monde à leur génie auroit plus applaudi ;
Mais l'un fouilla le Nord , & l'autre le Midi.
Quel coup inattendu ! Charles fort de la vie ,
Il appelle Philippe au Trône d'Ibérie :
Ce jeune Souverain , foutenu par Louis ,
Doit y porter le Sceptre entrela fé de lys.
Il part accompagné de fon augufte pere ,
De Louis fon ayeul , eſcorte heureuſe & chere ;
Quel fpectacle touchant ! m'abufai -je ? où va- t- il
Sa pompe annonce un Trône , & fes pleurs un
exil ;
Louis pleure avec lui l'éclat qu'on lui prépare ,
Et fans voir qu'il l'éleve , il voit qu'il s'en fépare .
Mais Ciel , quel changement ! Philippe à peine
eſt Roi ,
L'Aigle fond fur le Tage , y veut donner la loi;
Le Léopard ardent fert fa jaloufe rage ;
Louis défend contre eux fon fang & fon ouvrage ,
L'honneur & la tendreffe animent cet effort ;
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
Mais il fuccombe enfin , l'Aigle a pour lui le fort :
On propoſe à Louis moins un traité qu'un crime ; ·
Sa main foutient Philippe , on veut qu'elle l'opprime
,
"Ainfiqu'on voit la mer ,fous fes flots irrités ,
Submerger les vaiffeaux qu'elle-même a portés.
Combattre eft la réponse au Traité qu'il dédaigne
;
L'Anglois fuit , Charles céde , & Philippe enfin
regne.
O Louis! hâte-toi , goûte ces courts momens :
Pour ta tendreffe , hélas ! je vois de longs tourmens
:
Ton fils tombe , il expire ; une perte fi rude
Des fureurs de la mort n'eft qu'un affreux prélude
;
Sur ta postérité ce monftre dévorant
S'acharne , & de fa faulx la moiffonne en courant
:
Sur un triple cercueil je vois la Parque affile ;
Quels affauts pour Louis ! quelle horrible furprise !
Quoi ! tant de rejettons , de fon Trône l'appui ,
Sont tombés à la fois , frappés autour de lui !
Tels près d'un chêne altier , font briſés par l'orage
De tendres arbriffeaux plantés fous fon ombrage,
Louis n'eft donc plus pere , il n'est donc plus
ayeul ,
Dans les vaftes Palais errant & refté ſeul ,
NOVEMBRE. 1753. SS
Il ne voit après lui qu'un rejetton débile ,
A demi confumé , du Trône efpoir fragile ;
Enfin lui - même il tombe : approche , augufte enfant
,
Viens , reçois les foupirs de fon coeur expirant ;
C'eft fur toi qu'il épanche , à fon heure derniere ,
Les projets du Monarque & tout l'amour d'un
pere .
Vous étiez cet enfant , vous fur ce Trône heureux
Placé par la naiffance , ainfi que par nos voeux ;
Né pour les fentimens que la nature imprime ,
Vous fucceffeur en tout de ce Roi magnanime ,
Vous qui comme Louis , de la gloire jaloux ,
Lui donnez un rival qu'il n'eût point eu fans vous.
PRIERE A DIEU POUR LE ROI.
Grand Dieu , qui dans des tems d'allarmes ,
Nous privant du meilleur des Rois ,
Daignas , par le Héros qui nous donne des loix ,
De la France fécher les larmes ,
Rends de mon Roi tous les jours triomphans ,
Veille fur lui , veille fur fes enfans ,
Tréfors fi chers pour lui , têtes pour nous fi cheres
;
Laiffe un exemple aux Rois , laiffe un modele aux
Peres.
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
204 205205205205205 205 205 206 207 208 209 208
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie de Dijon.
' Académie tint fa Séance publique le
Août . Elle fut ouverte par M.
L'19 publique!
Académicien honoraire , qui lut un Difcours
ou amufement littéraire , fur un pécifique
contre la trifteffe & les chagrins
de la vie.
Si le corps a fes maladies , l'efprit a fes
indifpofitions qu'il eft plus difficile encore
de prévenir. En effet , il n'eft aucun
régime qui puiffe nous garantir du chagrin
; ce bourreau de l'homme , qui répand
dans l'ame le poifon & l'amertume , rend
la vie même à charge. L'impoffibilné de
prévenir , & la difficulté de détruire cette
indifpofition , ne nous laiffe de reffource
que d'en affaiblir le fentiment : quels en
feront les moyens ? La Médecine , cet art
lumineux & fecourable , ne nous en offre
que très
peu fur lefquels on puiffe fonder
quelque efpérance. Homere , cet ami des
jeux & des ris , parle d'une plante dont il
vante l'efficacité ; mais la graine en eſt
peut être à jamais perdue , du moins ne
croît-elle plus dans nos jardins. Un Poëte
NOVEMBRE. 1753. 57
de la Franconie Orientale , Conrad Celte
nous offre en forme de dédommagement ,
quatre spécifiques , qu'il nomme les véhicules
de la vie , le vin , le fommeil , un
ami , la Philofophie. En adoptant ce fentiment
, on fe propofe de faire voir que
l'on peut trouver un adouciffement aux
chagrins de la vie , dans l'ufage modéré
d'un vin exquis , dans les douceurs du
fommeil , dans les agrémens d'une amitié
fincere & réciproque , & dans les maximes
de la Philofophie . L'Auteur convient
que l'on ne peut regarder ceci que comme
un pur badinage ; mais fans un peu d'amufement
( dit il ) un Orateur n'eft fouvent
qu'un ingénieux artifan d'ennui . Ce Dif
cours fut fuivi de celui de M. Lantin ,
contre les mercenaires de la Littérature
qui travaillant pour les Académies , font
plus fenfibles à l'intérêt fordide qui les
dévore , qu'à la réputation & à la gloire
d'avoir bien fait.
M. l'Abbé Richard lur enfuite un Mémoire
fur les moeurs des Gaulois.
Les actions du particulier , fa façon de
vivre & fes inclinations , caractérifent un
peuple ; on peut juger des moeurs d'une
nation par plufieurs de ces caracteres raffemblés
& comparés . C'est par cette méthode
que l'on eft parvenu à nous faire
C v
38 MERCURE DE FRANCE.
connoître les moeurs des Grecs & des Romains
, c'eft ainfi que les voyageurs modernes
nous ont fi bien expliqué le goût
& le génie particulier des peuples des Indes
& de l'Amérique , dont la plûpart
font fauvages par rapport à nous , qu'il
n'y auroit que le premier abord de ces
peuples qui nous étonnât ; ce que nous en
aurions lû , ce que l'on nous en auroit dit ,
nous mettroit bientôt au fait de ce que
nous en aurions à craindre ou à eſpérer.
Mais où trouver des mémoires pour
nous inftruire de ce qui regarde les Gaulois
, auffi parfaitement que nous le fommes
, de ce qui fe rapporte aux Romains
& aux Grees ? Les mêmes Auteurs qui ont
écrit l'hiftoire de ces peuples fameux , nous
apprendront à connoître nos ancêtres.
Diodore de Sicile , Paufanias , Plutarque
, Athenée , Tite- Live , Cefar , Tacite ,
Strabon , Pomponius Mela , Aulugelle ,
Clément d'Alexandrie ; les Philofophes
même & les Poëtes , Platon , Ariftote ,
Ciceron , Juvenal , Martial ; on trouve
dans leurs écrits une infinité de traits qui
nous mettent au fait des moeurs des Gaulois
: c'eft d'après eux que l'Auteur du Mémoire
a travaillé.
Il n'avance rien de pofitif fur l'origine
des Gaulois. Nous ne trouvons rien , ditNOVEMBRE.
1753. 59
il , qui nous faffe connoître leur établiffement
dans la partie de l'Europe qu'ils occu
perent. Les Auteurs les plus anciens en
parlent comme d'un peuple connu depuis
long- tems , & vivant felon fes loix . Les
différentes émigrations des Gaulois qui ſe
répandirent de tous côtés pour y former
des établiffemens nouveaux , qui s'emparerent
d'une grande partie de l'Italie & de
l'Elpagne , qui pénétrerent jufqu'en Aſſe ,
qui peuplerent leslfles voifines de l'Europe,
devinrent la tige de plufieurs peuples qui
confervent encore aujourd'hui leur nom.
Toutes ces circonftances raffemblées dépofent
en faveur de l'antiquité des Gaulois.
On dit un mot de leur nom , que l'on
croit , avec Bodin , pouvoir tirer du pays
même qu'il habitoient , & du mot Wal ,
qui en langue Celtique fignifie Foreft. Du
mot Wal on a fait Walli , & fuivant la prononciation
Romaine qui employe le Gau
lieu du double W , on a dit Galli , Gaulois
, ou habitans des forêts .
L'Auteur donne enfuite une idée de la
conformation extérieure des Gaulois , qui,
au rapport de Paufanias , étoient les plus
grands , les plus forts , & les mieux faits
de tous les hommes . Ils naiffoient avec des
cheveux blonds ; cette couleur leur paroiffoit
trop fade , & ils avoient une attention
Cvi
60 MERCURE DE FRANCE .
particuliere à fe rendre roux ; ils s'imaginoient
que cette couleur fanglante les rendroit
plus formidables à la guerre . La façon
même dont ils tournoient leurs cheveux
avoit quelque chofe d'horrible. Ils fe rafoient
le menton & confervoient de longues
mouftaches qui retomboient jufques
fur la poitrine ; les principaux de la nation
les regardoient comme une parure auffi
néceffaire qu'agréable.
Leurs habillemens n'étoient pas toujours
les mêmes ; on en diftinguoit de trois efpéces.
La faye , ou le vêtement long &
large , avec lequel on paroiffoit dans les
affemblées publiques ; la braye ( Bracca )
étoit un jufte au- corps ferré & court , on
le portoit dans les voyages & à la guerre ;
la tunique , le plus léger de tous , fervoit
au peuple & aux ouvriers. L'habillement
des femmes reffembloit beaucoup à celui
des hommes ; il étoit de toile ou d'étoffe
de laine fort légere , il étoit taillé de façon
qu'elles avoient les épaules , les bras &
la gorge prefqu'entierement à découvert .
L'ufage de l'or étoit commun parmi eux ,
ils fçavoient le fondre & l'employer à leur
parure , pour laquelle la nation a toujours
eu un goût décidé ; on en trouve une
preuve fans réplique dans l'hiftoire de Titas
Manlius , qui enleva le colier d'or du
NOVEMBRE. 1753. Gr
Gaulois qu'il vainquit fur le pont du Teveron
, & qui en prit le nom de Tor- .
quatus.
Mais c'eft par un examen plus important
du coeur & de l'efprit des Gaulois , de leur
façon d'agir & de penfer dans ce qui regarde
les principes fondamentaux de la
fociété , & ce qui en affure le repos & la
gloire , que l'on doit fe former une idée
des moeurs des Gaulois . On commence par
l'éducation de la jeuneffe.
Quel étoit parmi eux le ton de l'éducation
? il fe rapportoit tout au bien de l'Etat
, & il en faifoit en partie la conftirution
. Les Egyptiens & les Spartiates n'ont
rien eu dans ce genre qui leur mérite la
préférence . Les Gaulois , il eft vrai , ne
formoient ni Sçavans ni Artiftes , mais ils
formoient des hommes , & les élevoient
refpectivement les uns pour les autres .
Leur efprit fe développoit à peine , qu'ils
étoient perfuadés de ce principe important
, qu'on ne peut trouver fon avantage
particulier que dans le bien général. C'eft
de ce tems qu'il eft permis de dire qu'il ne
naiffoit pas plus de bons hommes que de
bons patriotes Que l'on ne révoque point
en doute ce que l'on raconte de ces tems
éloignés . Le confentement unanime des
Historiens dépofe en faveur d'une vérité
62 MERCURE DE FRANCE.
que l'on ne refufe d'admettre que parce
que l'on eft intéreffé à fe perfuader que les
hommes de tous les fiécles ſe ſont reffemblés
, & que les mêmes caufes ont tou
jours dû produire les mêmes effets. Un
détail exact & fuivi prouve le contraire.
La nourriture de la jeuneſſe , ſes exerci◄
ces , fes jeux , le foin que l'on avoit de fes
moeurs , l'exactitude de les maîtres , & la
févérité des châtimens concouroient à
en former des citoyens robuftes & fideles à
l'Etat.
>
On parle de leurs mariages , des cérémonies
qui s'y obſervoient , des conventions
matrimoniales , de l'autorité defpotique
des maris fur les femmes & les enfans
, du rang que les femmes tenoient
dans la fociété. Les coutumes n'étoient
pas les mêmes à ce fujet dans toutes les
Gaules ; on en rapporte les différences
confirmées par les témoignages des Hiftoriens
qui en ont écrit.
D'autres ufages nous préfentent les
moeurs des Gaulois fous un afpect plus heureux.
Nous y trouvons avec plaifir une inclination
marquée pour le bien , & un
amour décidé pour l'humanité ; ils exerçoient
l'hofpitalité avec un défintéreſſement
& un zele qui leur étoit unique. Ils
établirent en faveur de leurs hôtes une loi
NOVEMBRE. 1753. 63
qui fait honneur à l'humanité. On parle
de l'Architecture civile , des feftins , & des
meubles des Gaulois . Ces détails forment
un tableau agréable , varié , & d'autant
plus inftructif, que malgré les changemens
que les révolutions des fiécles ont néceffairement
introduit , nous retrouvons dans
nos ufages mille traits qui fe rapportent à
ce que pratiquoient anciennement les Gaulois
; & plus nous remontons dans les fiécles
paffés , plus nous voyons augmenter
le nombre des rapports ; de forte qu'il n'est
pas impoffible de former une chaîne qui
remonte depuis nous jufqu'à l'antiquité
la plus reculée.
Le Mémoire eft terminé par ce qui regarde
les qualités de l'efprit national des
Gaulois. Les Auteurs étrangers les ont taxé
d'inconftance & de légereté ; ceux qui les
ont mieux connus , ont trouvé la cauſe de
ces défauts prétendus , dans la vivacité de
l'inclination des Gaulois , & dans leur facilité
à réfoudre fur le champ ce qui convenoit
aux circonftances du tems. On leur
a reproché une curiofité infupportable aux
étrangers ; c'étoit le vice de la nation
que l'on ne peut jamais détruire , & qui
fouvent lui fut préjudiciable , attendu fon
inclination à croire tout ce qu'on lui racontoit
des deffeins de fes ennemis ou de
64 MERCURE DE FRANCE.
fes voisins. Le Gouvernement ne trouva
d'autre moyen de l'arrêter , qu'en défendant
fous des peines très féveres , de s'entretenir
en public des nouvelles étrangeres
, & de prendre en conféquence aucu
ne réfolution fans l'ordre du Confeil national
, auquel on devoit rapporter tout
ce que l'on auroit entendu dire , pourfuivre
les ordres fur les précautions qu'il y
auroit à prendre.
Ils avoient beaucoup de vanité , & fe
croyoient invincibles. Les Romains leur
apprirent le contraire , quoiqu'il foit vrai
de dire que de toutes leurs conquêtes ,
aucune ne leur a autant coûté , & qu'il
falu la valeur & le génie fupérieur de Céfar
pour en venir à bout.-
On s'eft mocqué de leur crédulité , elle
paffa en proverbe à Rome , & les Grecs
regarderent les Gaulois comme un peuple
fans efprit & fans difcernement ; & pourquoi
c'eft qu'ils n'avoient jamais trompé
perfonne , & qu'ils ne croyoient pas qu'on
pût les tromper . Ils ne mirent pas la déhance
au rang des vertus . Une fi grande
crédulité eft peut - être un défaut ; mais
quand c'est celui de la nation , & qu'il a
pour principe la fimplicité des moeurs &
l'ingénuité du coeur , ce défaut même devient
honorable à la nation , que l'on ne
NOVEMBRE. 1753. 65
doit regarder que comme un peuple chez
lequel la vérité feule a le droit de fe faire
entendre , & qui n'a jamais imaginé que
la diffimulation & la fraude puffent entrer
dans le commerce ordinaire de la vie .
Le Prix qui avoit été remis l'an paffé ,
les Auteurs n'ayant pas rempli les vues de
l'Académie fur le fujet fuivant ; fçavoir
fi la température de l'air d'un climat influe
fur le tempérament & la force de fes habitans
, a été adjugé à M. Gravier , Docteur
en Médecine , à Paray en Charolois , qui
s'eft annoncé l'Auteur du Mémoire N° . 2.
qui a pour devife , mutat omnia coeli temperies.
Programmes proposés.
Le Prix de morale pour l'année 17549
confiſtant en une médaille d'or de la va
leur de trente piftoles , fera adjugé à celui
qui aura le mieux réfolu le Problême fuivant
: Quelle est la fource de l'inégalité parmi
Les hommes , & fi elle est autorisée par la loi
naturelle.
Il fera libre d'écrire en François ou en
Latin , il ne faut pas que la lecture excéde
trois quarts d'heure. Les Mémoires ,
francs de port, feront adreffés à M. Petit ,
Secrétaire de l'Académie , rue du Vieux
Marché , à Dijon , qui n'en recevra point.
66 MERCURE DE FRANCE.
paffé le premier Avril . Il en fera uſé de
même à l'avenir à l'égard des paquets
adreffés à l'Académie ; elle n'en recevra
aucun , dont le port n'ait été acquité aux
Bureaux d'où ils font partis.
L'Académie défirant donner aux Auteurs
le tems de travailler leurs ouvrages
& de faire les recherches néceffaires , s'eft
déterminée à annoncer les fujets un an
plutôt qu'elle n'avoit coutume de faire .
Celui de Médecine l'année 1755 ,
pour
confifte à déterminer la maniere d'agir dn
bain aqueux femple , fes avantages & ſes inconvéniens
, par rapport aux différens tempérammens
, en Sarticulier dans quel genre
de maladies i peut être utile. Les ouvrages
qui n'excéderont pas une heure de lecture
feront reçus fons les mêmes conditions que
ci-deifus , jufqu'au premier Avril 1755.
AAAAAAAA^^^^^: ^A :AALA
LA CALOMNIE ,
de
ODE AUX MANES DE ROUSSEAU. (4)
Qui a remporté le prix , par le Jugement
l'Académie des Jeux Floraux , en 1753-
Uel eft fous ce cyprès funébre ,
Ce trifte monument arrofé de tes pleurs ,
(a) Voyez la remarque qui eft à la fuite de l'Ode,
NOVEMBRE.
675
1753.
Polymnie & pourquoi cette lyre célébre
N'exprime- t'elle , hélas ! que tes vives douleurs
Je vois auprès de toi l'Amour brifer ſes armes ,
Et les Graces en deuil les yeux baignés de larmes ,
Jetter des fleurs fur ce tombeau :
Parmi les noms fameux de Pindare & d'Horace ,
Le doigt de la gloire y retrace
Le nom & les malheurs de l'immortel Rouſſeau.
Månes facrés , ambre chérie ,
O mon Maître , reçois ce tribut de mes pleurs...
Mais quel deftin jaloux a privé ta Patrie
Du déplorable ſoin de tes derniers honneurs !
Ah ! j'apperçois autour de ton urne plaintive ,
Ce Tyran dont la rage , à re nuire attentive ,
Troubla le repos de ces jours ;
Sa haine contre toi toujours plus obftinéc ,
Contre ta tombe profanée ,
D'un vol impétueux d'implacables vautours.
O monftre , enfant de l'impoßure ,
Affreufe Calomnie , exécrable fléau ,
C'estpar toi que la fraude & l'effronté parjure ,
De la Vérité même éteignent le flambeau.
Du prix de la vertu le crime le couronne :
La perfidie aiguife & l'envie empoifonne
Les traits dont s'arme la fureur ;
Sur ton char effrayant attelé par la Haine,
Je vois la Difcorde inhumaine
Semer autour de toi le trouble & la terreur.
De tes loix , Miniftres dociles
68 MERCURE DE FRANCE.
L'artifice odieux , la fombre Trabifon ,
Allument dans le coeur de cent nouveaux Zoïles
Les tranfports effrenés qu'excite ton poifon.
Aux plus noirs attentats l'injuftice enhardie ,
Dans l'ombre de la nuit conduit leur troupe impie ;
Et la Vengeance , aux yeux hagards ,
Abbreuve dans le fiel les flèches homicides ,
Qà ch que inftant leurs mains perfides
Sur l'Innocence en pleurs lancent de toutes parts,
Voyez leur cohorte barbare ,
Pénétrer ces Palais confacrés au loiſir ,
La Licence y compofe un tribunal bizarre ,
Où tout cède à la loi que dicte le plaifir.
Sur un trône de fer Podieufe Satyre ,
A côté du Menfonge exerce fon empire
Sur l'innocence & la vertu ;
Et fa bouche cruelle , au gré de fon caprice ,
De l'affreuse empreinte du vice
Fait rougir le Mérite à fes pieds abbatu .
Non , il n'eft plus pour vous d'afyle ,
Vertus , talens , honneur , l'éclat dont vous bril-
Iez ,
Attire le venin que leur bouche diftile ;
Ces afpics affcupis par lui font éveillés .
Leur gloire ſe meſure à la grandeur du crime ;
S'il tombe fous leurs coups une illuftre victime ,
Leur triomphe en paroît plus beau.
NOVEMBRE. 1753. 69
L'obfcurité contre eux eft la feu'e défenſe ,
Et la foudre дне leur main lance
Ne frappe que le cédre & fait grace au rofeau.
Dans leur audace meurtriere ,
Ces nouveaux Ixions , ces Titans furieux ,
Du Trône & de l'Autel franchiflant la barriere ,
Attaquent fans refpect , & les Rois , & les Dieux
La foudre vengereffe , à partir toute prête ,
Envain gronde fur eux , menace envain leur tête ;
Le danger accroît leur fureur ,
Et jufques aux Enfers leurs langues irritées ,
Sur les Ombres épouvantées
De leur mortel venin répandent la noirceur,
Et quoi ! ce terme lamentable ,
Ce féjour éternel d'une éternelle paix ,
La mort , qui du fupplice affranchit le coupable ;
Ne peut- elle fauver l'innocent de leurs traits ?
Au fond de ces tombeaux qui vous force à defcén
dre ,
Cruels de ces Héros laiſſez en paix la cendre :
Pourquoi , de leur grandeur jaloux ,
Vos efforts veulent -ils ravir à leur mémoire
La fplendeur de l'antique gloire ,
Dont leurs mânes fameux jouiront malgré vous à
O Thémis , fur ton Trône augufte ,
La Justice s'affied avec la Vérité ;
Ton temple refpectable eft l'afyle du jule ,
La terreur du menfonge & de l'iniquite....
70 MERCURE DE FRANCE.
Que vois-je ? fur tes yeux la fraude & le parjure
Ont étendu leur voile ourdi par l'imposture :
A travers ce nuage épais ,
Des plus noirs attentats innocemment complice ;
Ta main , que féduit l'injuſtice ,
Accable la vertu , couronne les forfails.
Ainfi l'infâme Calomnie
Trompa l'oeil vigilant des Miniftres des Loix ,
Quand du fein fortuné d'une ingrate Patrie
Le Pindare François s'exiloit à ta voix .
Il part , & loin des bords de nos triftes contrées
On voit auprès de lui les Muſes plorées ,
Errer de climats en climats :
D'un exil rigoureux partageant les difgraces ,
Elles fçavent fixer les Graces ,
Par tout où le deftin daigne guider fes pas.
Tandis que la Seine indignée ,
De fon Chantre fameux regrettoit les accords ,
Le fortuné Batave & l'Autriche étonnée
De fon brillant génie admiroient les efforts ;
Le Danube , fortant de fes grotes humides ,
Interrompoit le cours de fes ondes rapides ,
Au fon de fes concerts nouveaux ;
Et l'Eſcaut enchanté , ſur ſes paiſibles rives ,
Voyoit fes Nymphes attentives ,
Pour entendre la voix quitter le ſein des eaux.
L
Quel feu divin, quelle harmonie ,
Sur ces bords animoient fes fons mélodieux !
NOVEMBRE . 1753. 70
Tantôt du fier Pindare adoptant le génie ,
Il chantoit du Héros les exploits glorieux ;
Quelquefois , d'une main inconftante & légére ,
Nouvel Anacréon , de l'Enfant de Cythère ,
Il retraçoit les jeux divers ;
Et tantôt de David imitateur fidéle ,
Il touchoit fa harpe immortelle ,
Et célébroit les dons du Dieu de l'Univers.
Souvent de ta chere Patrie
Le tendre fouvenir irritoit ta douleur ,
Illuftre malheureux , & ton anie attendrie ,
D'un deftin ennemi déploroit la rigueur.
» Peut- être , difois- tu , qu'à mes larmes propice,
» Le Ciel de mes tyrans confondra l'injuſtice ;
» Peut- être que la vérité ,
» De ma Mufe proferite embraffant la défenſe,
>> Fera briller mon innocence
»Aux regards éclairés de la poſtérité.
Nos yeux ont percé le nuage ;
La vérité tardive a recouvré fes droits ;
De ta vertu flétrie elle a vengé l'outrage ,
Et la postérité te parle par ma voix .
Le preſtige eft détruit : les aîles de la gloire
Aux fiécles à venir porteront ta mémoire ;
Et cet opprobre injurieux ,
Dont les fiers ennemis d'une main envieuſe ;
Noircirent ta vie orageuſe ,
Effacé de ton front ,
ne tombe que fur eux.
+
72 MERCURE DE FRANCE.
Chere ombre , fi tu peux m'entendre ,
Si la voix des Vivans peut percer chez les Morts ,
Daigne accepter les fleurs que je mêle à ta cendre,
Et ne méprife point mes timides accords .
Ta gloire & tes malheurs ont dicté mon hommage
: ( * )
Du tendre fentiment l'affectueux langage ,
*
Eft le lang ge de mon coeur.
Telle jadis la Mule aux mânes de Malherbe ( b ) ,
Dreffa ce monument fuperbe
Qui bravera du tems l'impuiffante rigueur.
( a ) Les talens , lagloire & les malheurs de Rouf.
feau ,doivent faire regarder la découverte de fon innocence
, comme un objet intéreſſant pour la République
des Lettres; des preuves réitérées lui ont donn un de
gré d'évidence qui force le doute à fe taire. L'Auteur
de cette Ode aévité des perfonalites qui auroient paru
contrevenir aux régles de l'Académie ; d'ailleurs les
accufateurs de ce Poëte n'exiftent plus . A l'égard de
l'Arrét du Parlement qui le bannit de fa Patrie , comme
les Jugesjont obligés de fe décider fur la foi des témoins
, quelquefois corrompus , la juftification d'un innocent
condamnéſur un faux témoignage , ne doit point
paroitre attaquer leur intégrité.
fb ) L'Ode à Malherte eft la cinquiéme dutroifié
me Livredes Odes de Roufle vu.
Ed £3
SEANCE
NOVEMBRE. 1753. 73
SEANCE PUBLIQUE
De Académie des Sciences , Belles - Lettres
Aris de Befançon , tenue le 24 Août
1753.
Ette Séance , qui fut précédée le ma-
Cin dune Meffe avec un Motet , célébrée
dans l'Eglife des Peres Carmes , &
du Panégyrique de Saint Louis , prononcé
par M. l'Abbé Robert , Curé de Liefle ,
fut ouverte le foir dans une fale de l'Hôtel
de M. le Duc de Tallard , par un difcours
de M. de Quinfonas , Premier Préfident
du Parlement , & Président de l'Acadé
mie : la diftribution des prix lui en fournit
la matiere.
Il obferva combien le nombreux concours
d'ouvrages préfentés à l'Académie ,
& les efforts redoublés de leurs Auteurs ,
pour mériter les premieres couronnes
qu'elle ait eu à diftribuer , les rendoient
glorieufes pour ceux qui les recevroient
honorables pour ceux qui les avoient établies
, & flateufes pour ceux qui les décernoient.
Les ouvrages d'éloquence lui rappellerent
le fouvenir de ce chef-d'oeuvre , auffi
D
74 MERCURE DE FRANCE.
connu dans toute l'Europe que fon Auteur
y eft diftingué , dont la Société Littéraire
de Nancy avoit procuré la lecture à
l'Académie de Befançon dans le cours de
cette année , & qui fut le premier lien de
leur correfpondance.
Les Differtations fur l'Hiftoire des Séquanois
& les Mémoires pour les Arts ,
firent naître fous la plume de M. de Quinfonas
l'occafion de défigner par avance la
place que les bienfaits de M. le Duc de
Tallard lui affurent dans l'Hiftoire de cette
Province , & de remarquer qu'elle n'eft
pas moins la Patrie des Artiftes que des
Guerriers , des Négociateurs & des Sça-
.vans.
Le difcours de M. le Premier Préfident
fut accompagné des applaudiffemens d'une
nombreufe affemblée , & fuivi de la diftribution
des prix. Il déclara que l'Académi
avoit adjugé le prix d'éloquence au difcours
No. 16 , qui a pour devife : Nec
rude quidprofi video ingenium . Horat. Art.
Poet . & l'Acceffit au difcours No. 41 , qui
a pour devife : Ego nec ftudium fine divite
venâ , nec rude quid profit video ingenium,
Horát, in Art. Poët.
M. le Premier Préfident annonça enfuite
, que le prix d'Hiftoire avoit été adjugé
à la Differtation N° , 4 , qui a pour
NOVEMBRE. 1753. 7.5
devile : Terra antiqua potens armis atque
ubere gleba. Virg. Æneid. lib. 3. que le prix.
des Arts avoit été adjugé au Mémoire N°.
1,2 , qui a pour devife : Dedit inculta doctrina
natura ; & que l'ouvrage N°. 6 , qui
a pour devife : Ha tibi erunt artes mihi ,
ainfi que celui No. 13., qui a pour devife :
Le travail produit la fcience , avoient obtenu
l'Acceffit.
M. l'Abbé Bergier , Curé de Flangebouche
en Franche - Comté , reconnu pour
l'Auteur du Difcours & de la Differtation
couronnés , reçut des mains de M. le Premier
Préfident les deux médailles d'or qui
lui étoient destinées , & du Public les acclamations
que méritoit un double triomphe.
Le prix des Arts fut remis à M. le
Secrétaire , pour être délivré à l'Auteur du
Mémoire couronné , lorfqu'il fe fera fait
reconnoître.
༣ La lecture des divers ouvrages qui
avoient fixé le jugement de l'Académie
fut affez longue pour occuper le refte de
la Séance ; elle fut terminée par la lecture
du Programme des fujets des prix pour
1754 , dans lequel l'Académie propofe
pour celui de l'éloquence : Le danger de la
louange prématurée ou exceffive. Le Difcours
fera d'environ une demi - heure de lecture.
Pour celui de l'Hiftoire : Quelles étoient les
Dij
76 MERCURE DEFRANCE.
Villes principales de la Province Séquanoife
fous la domination Romaine , & quelle étoit
leurfituation. La Differtation fera d'environ
trois quarts d'heure de lecture , non
compris le chapitre des preuves , qui devra
être ajouté à la fin de la Differtation .
Les Auteurs font avertis de ne pas mettre
leurs noms à leurs ouvrages , mais une
marque ou un paraphe , avec telle deviſe
ou fentence qu'il leur plaira. Ils la répéteront
dans un billet cacheté , dans lequel
ils écriront leurs noms & leurs adreffes .
Les piéces de ceux qui fe feront connoître ,
foit par cux mêmes , foit par leurs amis ,
me feront pas admifes au concours.
Le troifiéme prix fondé par la Ville de
Besançon , eft une médaille d'or de la valeur
de deux cens livres , deftinée à celui
qui indiquera les meilleurs moyens de conferver,
& même d'augmenter l'action du feu
dans les fourneaux des Salines , en diminuant
la confommation des bois deftinés à la cuite des
fels , fans en diminuer le produit , & en leur
confervant le même grain.
Ceci doit s'entendre d'une Saline , dans
laquelle quatre- vingt muids d'eau ou de muire
de vingt- un dégrés de falure , produifent communément
fix mille quatre cens livres de fel
par chaque cuite , qui dure quinze heures , &
qui confomme au plus cinq cordes & demie de :
buis.
NOVEMBRE. 1753. 77
Les Auteurs pourront joindre des plans
& profils de leurs inventions , de façon
qu'au moyen des lettres de renvoi le deffein
puiffe être connu , ainfi que les proportions
de leurs machines fur une échelle.
Ceux qui prétendront aux prix font
avertis de faire remettre leurs ouvrages
avant le premier du mois de Mai prochain,
au Sieur Daclin , Imprimeur de l'Académie
à Besançon , & d'en affranchir le port ,
précaution fans laquelle ils ne feroient pas
retirés.
SONG E.
MLLE FORQUERAY A SA MERE.
Comme lejour de votre fête ,
Toute la nuit m'a troté dans la tête ;
En fonge , j'ai crû voir fur le facré vallon
Les Nymphes qui fous Appollon ,
Cultivent à l'envi de leurs mains immortelles ,
Ces fleurs que rien ne fane & qui toujours font
belles.
Mon coeur treffaille à cet afpect :
Mufes , leur ai -je dit , fans manquer de reſpect ,
Puis- je vous faire une priere ?
Vous connoiffez maman , elle eft votre écoliere ;
De vos doctes leçons qui fçut mieux profiter
D iij
78 MERCURE
DE FRANCE .
Sur le clavier de Polymnie
Elle fait admirer les talens , le génie
Dont vous daignâtes la doter ,
Et par tout elle cherche à vous accréditer.
Pour cette maman que j'aime
Je follicite vos faveurs :
En la couronnant de vos fleurs ,
Vous vous couronnerez vous- même ;.
Exaucez-moi , fçavantes Soeurs.
Non , dirent -elles , non : ceffe de le prétendre :
A tes voeux empreffés nous ne fçaurions nous rendre.
Tandis que , parmi les mortels ,
L'encens qui nous eft dû brûle fur les autels ;
Tandis que ta maman ufurpe nos offrandes ,
Pour elle on nous verroit préparer des guirlandes
Puifque par fon efprit & fes talens divers
Elle fait oublier nos fublimes concerts ,
Cherche ailleurs des bouquets ; les Filles du Parnaffe
Ne chanteront jamais celle qui les effacé.
Après ces mots par l'envie infpirés ,
Les Mufes & Phébus , tous fe font retirés .
Alors vers les jardins de Flore.
Je porte un pas précipité ,
J'y vois des fleurs qui ne font que d'éclore ;.
Dont l'éclatant émail & la variété
Sont l'ouvrage chéri des larmes de l'Aurore ;
Un enfant les cueilloit : c'éroit le tendre Amour :
*
S
NOVEMBRE. 1753 . 79%
Je m'approche , empreffée à lui faire ma cour :
Aimable Dieu , fecondez mon envie ;
Celle qui m'a donné la vie
Attend , lui dis- je , un bouquet de ma part;
A ma priere ayez égard :
Les fleurs que vous cueillez font feules dignes
d'elle ,
Et votre main leur donne une fraicheur nouvelle :
Si vous êtes fenfible à mon defir preffant ,
Mon coeur fera reconnoiffant .
A peine eus -je fini ma tendre plaidoirie ,
Que l'Amour me donne ces fleurs ,
En me difant ces mots flateurs :
Tien , mon enfant , porte- les à Marie.
Le plaifir que j'en eus me réveille en furfaut ,
Et je vois fur mon lit le bouquet qu'il me faut.
Ce n'eft point une menterie ;
Maman , mon reſpect en ce jour
Vous préfente le don que vous a fait l'Amour.
JtjbJtJt:JbJbJb JbJbstst
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Belles - Lettres de Montauban
, du 2.5 Août 1753.
'Académie des Belles Lettres de Mon-
L'A
tauban célébra le 25 Août la Fête de
Saint Louis avec la folemnité accoutumée.
D iiij
to MERCURE DEFRANCE.
Elle affifta le matin à la Meffe , qui fut
fuivie de l'Exaudiat pour le Roi , & au
Panégyrique du Saint , qui fut prononcé
M. l'Abbé Courtade , Curé de Cours ,
dans le Diocèse de Cahors .
par
L'après midi , l'Académie fe rendit dans
la grande Salle de l'Hôtel de Ville , où
elle fut reçue conformément au cérémo
nial preferit par le Roi ; & M. l'Abbé Bellet
, Directeur de quartier , ouvrit la Séance
par un Difcours où il fe propofa d'expliquer
la nature du goût , fa néceffité , la
maniere dont il fe forme , & la cauſe immédiate
de la courte durée de fon regne
chez tous les peuples. Il fit remarquer l'infuffifance
des définitions que plufieurs Au
teurs en ont données , & il ajoûta que l'on
réuffiroit peut- être mieux à le définir , fi
l'on fe bornoit à le confidérer plutôt comme
tenant à l'ame en général , que comme
attaché à une de fes facultés en particu
lier ; qu'il n'en eft aucune à laquelle il
paroiffe appartenir à l'exclufion des autres
; qu'elles contribuent toutes à fon exiftence
, mais qu'à fon tour , il influe auffi
fur toutes ; qu'il s'exerce par elles , & que
l'on diroit qu'il réfulte fimplement de leurs
diverfes fonctions réunies . Il diftingua les
différentes fortes de beautés ou de défauts
qui peuvent être dans un ouvrage , & qui
NOVEMBRE . 1753. 81
fervent à diftinguer les goûts différens des
hommes de Lettres. Il prouva que le bon
goût eft unique & toujours le même ; &
qu'il eft également néceffaire à l'écrivain
& au lecteur , à celui qui compofe & à
celui qui juge. Pour expliquer la maniere
dont le goût le forme , il montra comment
la nature l'ébauche , & comment l'art le
perfectionne. C'eft par là qu'il effaya de
rendre raifon des goûts nationaux , de la
différence de goût qu'on remarque dans
les deux fexes , & du genre de goût qui
femble caractériſer chaque homme de Lertres
en particulier. Enfin il prétendit qu'en
va communément chercher trop loin la
caufe immédiate de la chûte du goût , parce
que , difoit- il , elle est toute en nous . Une
génération ne tranfmet point à l'autre fon
goût comme on tranfmet un héritage. C'eft
un bien que chacune en particulier eft obligée
d'acquérir , s'il eft permis de parler
ainfi , à fes frais & dépens . Nous naiſſons
tous également ignorans , & l'ignorance
eft une forte de mal auquel il n'eft pas
poffible de remédier une fois pour toutes.
Il faut donc , concluoit cet Auteur , que
pour retenir , pour fixer le bon goût parmi
les hommes , en fe fuccédant les uns
aux autres , ils marchent conftamment
dans la route de ceux qui ont eu le bonheur
de le faifir . Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
M. l'Abbé de Verthamont , Grand Ar
chidiacre de l'Eglife de Montauban &
Grand Vicaire de l'Evêché , lut enfuite une
traduction de l'Oraifon de Ciceron pour
le Poëte Archias. Tout le monde fçait que
dans cet Ouvrage l'Orateur Komain plaide
la caufe des Lettres , & que , fuivant la
remarque de M. Patru , il y étale en leur
faveur tous les myfteres de fon art. Pour
bien faire connoître la maniere du nouveau
Traducteur , il faudroit donner une
trop long extrait de fa traduction . On fe
contentera de dire que fans avoir rien de
contraint & de gêné , elle eft exacte &
fidele..
On a dit que nul ouvrage ne mérite fi
bien le nom d'Odes que les Pfeaumes de
David ; & M. Bernoy fit la lecture de deux
Odes , tirées l'une du Pleaume XXXVII
& l'autre du Pleaume L , qui font les deux
plus touchans de ceux qu'on appelle de la
Pénitence.
Voici comme il a rendu les accens plain
tifs de David Pénitent ..
V. 10 du Pfeaume XXXVII..
Seigneur , tof qui lis dans le fond de mon ame,.
Qui connois les défirs dont ton amour l'enflâme ,
Tuvois auffi quel eft l'excès de mes tourmens..
Ma.foible voix éteintee
NOVEMBRE. 1753 83
Pour exprimer fa plainte
Ne fçauroit plus pouffer que des gémiffemess.
V. 22 23 du même Pfeaume.
Ne m'abandonne pas , Dieu puiffant de nos peres,
Donne-moi le fecours qu'attendent mes miferes ::
Etends fur moi ta main , change mon trifte fort.
Où trouver fans ton aide ,
Cet unique remede
Qui feul peut garantir mon ame de la mort ?
V. 21 du Pfeaume L.
י נ
O Dieu , fi tu voulois d'éclatans facrifices ,.
J'aurois fur tes autels de cent jeunes génifless
A tes pieds épuisé le flanc ;
t
Mais ce ne font pas les offrandes
Que de mon amour tu demandes ,
Tu veux le coeur & non du fang
Rempli de zéle pour la gloire de l'Acadé
mie, M de Saint Hubert, ancien Capitaine
de Cavalerie & Chevalier de l'Ordre Mili
taire de Saint Louis , lut un Difcours for les
choix des Académiciens. Si l'on a égard ',,
difoit-il , à toute autre chose qu'au mérite
lorfqu'on opine pour le donner un con--
frere , c'eft manquer au Corps auquel on
a l'honneur d'être affocié ; c'eft manquer
au public ; c'eft fe manquer à foi- même ;;
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
& c'eft rendre un mauvais fervice à celui
que l'on croit favorifer , parce que tel qui
auroit peut être joui pendant toute fa vie
de la réputation d'homme d'efprit , la perd
à la premiere épreuve qu'exige l'ufage des
Corps littéraires. Il fit obferver qu'on ne
fe forme pas une affez grande idée des devoirs
de l'Académicien ; qu'une Académie
n'eft pas une école , mais un tribunal où
l'on prononce pour ou contre toute forte
d'ouvrages de Littérature , &c. Il s'appuya
en particulier fur un motif bien intéreffant
pour des coeurs François , & qui a
beaucoup de force dans la bouche d'un
ancien Militaire . Une fociété d'hommes
de Lettres eft , felon lui , comptable à la
poftérité des exploits nombreux & éclatans
du Monarque qui l'a fondée , & l'on
ne doit point affocier à de fi nobles travaux
, des ouvriers foibles & fans expérience.
Pour écarter de plus en plus toutes les
confidérations étrangeres , M. de Saint-
Hubert ajoûta que l'amour propie
propre devroit,
ce femble , fuffire pour rendre les fociétés
Littéraires plus attentives à cet égard ; &
que rien ne feroit même plus capable d'infpirer
l'ambition d'y être reçu , que le mérite
reconnu de ceux qui auroient le bonheur
d'y entrer. Les Académies font d'ailNOVEMBRE.
1753 $ 5
leurs le feul corps auquel on ne fe préfente
point avec un ordre fcellé de l'autorité
fupérieure. Pourquoi , difoit- it , voudroienelles
fe dépouiller elles-mêmes d'une prérogative
unique qui doit fervir à fignaler lear dif
Bernement ? Mais l'Auteur voulant indiquer
les défauts , incompatibles , felon lui ,
avec la qualité d'Académicien , il ajouta
avec autant de force que de jufteffe : » Fer-
» mez-donc les portes du temple à ces gé-
» nies lents , ftériles , fuperficiels , infipi-
» des , pareffeux , ou doués d'une fauffe &
frivole vivacité , toujours ennemie de la
» jufteffe & de la précision à ces génies
aigres , inquiets & jaloux , dont la prin-
» cipale occupation eft de chercher à détruire
ceux qu'ils ne fçauroient imiter :
» à ces génies précieux & guiades courant
toujours après le merveilleux , qui croi-
»roient fe dégrader par un ftyle fimple &
naturel à ces génies durs & pefans , fo:
»més à force de travail , portant par tout
l'empreinte d'une étude pénible & fav-
» vage : à ces génies impérieux , qui comtant
pour rien les avis des autres , veulent
toujours tout ramener au leur à ces
génies fouples par malice ou par foiblef
fe , qui louent par politique ou par habitude
, génies d'autant plus dangereux
ID que l'amour propre eft intéreflé à les
86 MERCURE DEFRANCE.
wcroire connoiffeurs & finceres : à ces géwnies
avantageux , qui croyent trouver
dans l'eftime ridicule qu'ils ont d'eux-
»mêmes , le droit d'une raillerie inful-
»tante à ces génies enfin libres , hardis
» & inconfidérés , qui fe permettent tout ,
& qui cherchent dans une expreffion
» heureufe , dans une tournure nouvel-
>> le , l'excufe de l'indécence & de l'im
» piété . M. de Saint Hubert n'oublia pas
de joindre les vertus aux lumieres , les
qualités du coeur à celles de l'efprit , pour
tracer le portrait d'un veritable Académi
cien ; & il conclut que ce titre doit annoncer
& fuppofer dans celui qui le porte ,
tout ce qui caractériſe l'honnête homme ,
Phomme fçavant , le citoyen , l'homme du
monde , que l'agrément de fes manieres
rend aufli recommandable que la fupério
rité de fes connoiflances .
M. Cathala toujours occupé du foin de
faire connoître les grands hommes de cette
Province , avoit compoté depuis quelque
tems l'éloge hiftorique de Guill . de Car--
daillac , Evêque de Cahors. En fon abfence
M. de Savignac , Juge Mage , fitpour
lai la lecture de cet ouvrage , où
l'Auteur a effayé de raffembler quelques
anecdotes du douzième ou treizième fiéclé..
NOVEMBRE 1753. 87
L'Académie venoit d'effuyer de vives
allarmes fur le compte de M. de la Mora
the , qu'un fâcheux accident avoit manqué
de lui enlever , lorfqu'elle le vit , contre
fon efpoir & fon attente , paroître à fon
Affemblée publique. Comme fa Mufe eft
toujours la même , en dépit des ans & des
infirmités , il lut un ouvrage de Poëfie ,
où un agréable badinage égayoit fes leçons
& fa morale. Voici fon début :
Graces à ce Nocher du rivage des morts ,
Je refpire , & j'entends vos fublimes accords.
Caron a rejetté mon ombre défolée
De perdre ce grand jour pour paffer chez Pluton
Et de crainte ma vûe eft encore troublée.
J'ai vu l'affreux Cerbere & la trifte Alecton
Or après un pareil effroi
Pouvez-vous attendre de moi
De nouveaux efforts de ma veine
Ai-je la force ; enfin , parlons de bonne foi ,,
De courir jufqu'à la fontaine ,
Ou d'Helicon ou d'Hypocrêne ? -
Quand je chantois jadis les attraits , les beaux yeux
De Philis ou de Célimene ,
Jouvrois avec les doigts le robinet fans peine ;
La main tremble quand on eft vieux .
$8 MERCURE DE FRANCE.
O vous , illuftre Fontenelle ,
Chez qui malgré le froid de quatre-vingt-feize
ans ,
Le feu divin d'un glorieux Printems
Se conferve & fe renouvelle :
Que ne puis-je en ce jour fur les rives du Tarn ;
Ainfi que vous aux bords de la Seine étonnée ,
Amufer la meilleure part
D'une Ville qui femble à l'ennui condamnée !
S'amufer toujours & s'inftruire ,
Perdre quelque défaut , gagner quelque agré
ment ,
C'eft à quoi je voudrois réduire
Mon difcours , mon raiſonnement.
M. de la Motthe empruntant alors le
langage de Thalie , lut une petite Piéce ,
où il effaya de tracer un modèle du genre
d'amufement qu'il croyoit pouvoir fervir
à corriger les hommes fans leur déplaire.
Enfin M. de Saint-Hubert , qui comme
on va voir , s'exerce & réuffit dans plus
d'un genre , adreffa les Vers fuivans à M.
de la Motthe.
Tu reviens des bords du Cocyte ,
Nous te revoyons en ces lieux ;
Le beau fexe s'en félicite ,
Et nous ne demandons aux Dieux
NOVEMBRE. 1753. 89
Que de te voir long-tems par un heureux comique
Egayer le ton férieux
D'une Séance Académique.
Mon cher Doyen * je ne fuis point furpris
Que l'on trouve dans tes écrits
Cet ingénieux badinage,
Ce tour galant , ces mots choifis ,
Qui feroient honneur à tout âge ,
Et qui ne font point le partage
Des Poëtes à cheveux gris.
Lorfqu'Apollon monta taLyre ,
Les Graces lui faifoient la cour ,
Et les Mufes le faifoient rire ;
Tu dois tout le refte à l'Amour.
Il foutient ta verve féconde ;
C'est lui qui rajeunit tes chants.
Qu'il eft rare à quatre- vingt ans
D'amufer la brune & la blonde ,
De conferver tous les talens ,
Et de jouir dans la vieilleſſe
Des reffources de la jeuneffe ,
Sans craindre les égaremens !
Que ce foit folie ou foibleffe
•
Les vieillards n'en font pas exempts
Que fervent les raisonnemens
Contre cette fatale yvreffe
Qui malgré nous s'empare de nos fens ?
* M. de la Motthe eft le Doyen de la Cour des Ai
des del'Académie.
96 MERCURE DE FRANCE.
J'ai fait pour éviter des efforts impuiffans ;
Mais fi ma raiſon me feconde ,
Celle dont je reçois la loi ,
Ne connoîtra fon empire fur moi
Que par celui qu'elle a fur tout le monde.
La Séance fut terminée par la diftribu
tion du prix d'Eloquence , & par la lécture
du Programme fuivant.
M. l'Evêque de Montauban ayant.deftiné
la femme de deux cens cinquante li
vres , pour donner un Prix de pareille valear
à celui qui , au jugement de l'Académie
des Belles - Lettres de cette ville , fe
trouvera avoir fait le meilleur Difcours
fur un fujet relatif à quelque point de mo
rale tiré des Livres faints , l'Académie
diftribuera ce Prix le 25 Août prochain ,
Fête de Saint Louis , Roi de France.
Le fujet de ce Difcours fera pour l'année
1754 , Si l'on peut dire des Académies
ce que l' -fprit faint a dit des Sages , que leur
grand nombre tourne au profit de la Société :
multitudo autem Sapientium fanitas eft orbis
terrarum. Sap. 6. 26.
L'Académie avertit les Orateurs de s'attacher
à bien prendre le fens du fujet qui
leur eft propolé , d'éviter le ton de décląmateur
, de ne point s'écarter de leur plan ,
& d'en remplir toutes les parties avec
NOVEMBRE. 1753 91
jufteffe & avec préciſion .
Les Difcours ne feront tout au plus ,
de demie heure , & finiront toujours
par une courte Priere à Jefus- Chrift .
que
On n'en recevra aucun qui n'ait une approbation
fignée de deux Docteurs en
Théologie.
Les Auteurs ne mettront point leur nom
à leurs ouvrages , mais feulement une marque
ou paraphe , avec un Paffage de l'Ecriture
Sainte , ou d'un Pere de l'Eglife ,
qu'on écrira auffi fur le regiftre du Secrétaire
de l'Académie. T
Les Auteurs feront remettre leurs ouvra
ges par tout le mois de Mai prochain , entre
les mains de M. de Bernoy , Secrétaire
perpétuel de l'Académie , en fa maiſon
rue Montmurat ; ou en fon abſence , à M.
l'Abbé Bellet , en fa maiſon , rue Cour- de-
Toulouſe.
Le Prix ne fera délivré à aucun , qu'il
ne fe nomme & qu'il ne fe préfente en.
perfonne , ou par Procureur , pour le recevoir
& pour figner le Difcours.
Les Auteurs font priés d'adreffer à M.
le Secrétaire trois copies bien lifibles de
leurs ouvrages , & d'affranchir les paquets.
qui feront envoyés par la Pofte. Sans ces
deux conditions les ouvrages ne feront
point admis au concours.
92 MERCURE DE FRANCE.
Le Prix de l'année 1753 a été adjugé au
Difcours qui a pour ſentence , Artes , ingenium
, fenfum , premit una libido ; dont M.
Fromageot , Avocat au Parlement de Dijon
, & Secrétaire perpétuel de l'Acadé
mie des Sciences & Belles - Lettres de la
même Ville , eft l'Auteur * . Il fut auffi cou
ronné l'année derniere.
UE
MANDEMENT
De Mgr. l'Evêque de Valence , fur l'heureux
accouchement de Madame la Dauphine &
la naiffance d'un Duc d'Aquitaine.
A
de Lexandre Milon , par la
grace
Dieu , & l'autorité du Saint Siége
Apoftolique , Evêque , Comte de Valence,
& c.
Un fecond Prince nous eft donné , mes
très-chers Freres , & ce nouveau préſent
du Ciel qui augmente la Famille Royale ,
doit nous pénétrer avec elle de reconnoiffance
& de joie.
Graces à celui qui perpétue les Empires,
en perpétuant la Race des bons Rois , notre
tranquillité devient tous les jours plus
affurée , & de plus en plus s'éloigne de nous
l'idée de ces troubles domestiques , qu'unc
NOVEMBRE. 1753. 93
fucceflion interrompue excite fouvent dans
les Monarchies les plus floriffantes & les
mieux établies.
La bénédiction que Dieu promet à ceux
qui de craignent , eft abondamment accordée
à Madame la Dauphine , déja fi chere
à fon augufte époux par toute fa tendreffe ,
& le lui devient encore davantage par une
heureuſe fécondité .
Chaque jour affermit , pour le bonheur
des peuples , les doux liens qui réunif
fent enfemble tant de vertu , & nous en
voyons fortir de précieux rejettons qui enrichiffent
annuellement le Trône , & qui
répondant à la beauté de leur tige , porteront
la gloire des Lys dans les fiécles les
plus reculés.
Cultivés par les mains de la Religion ,
fous les yeux d'un Roi qui ne cefle d'en
être le Protecteur , quelle fatisfaction pour
nous , de penfer qu'ils en prendront de
bonne heure les fentimens , & que formés
fur les exemples ils pourront l'aider un jour
dans une vieilleffe couronnée de fuccès ,
à foutenir le fardeau pénible de la Royauté
, & fçauront enfin dans les tems marqués
par la Providence , gouverner
ples dans la juftice & dans la paix.
les
peu-
De quelque côté qu'ils jettent les yeux,
ils ne verrout par tout que des leçons vi94
MERCURE DE FRANCE.
vantes de fageffe & de vertu ,. qui leur
feront aimer le bien avant même que de le
Connoître.Une nouvelle Efther auffi refpec
table par fa piété que par l'éclat du diademe
, & qui femble n'être fur le Trône que
pour en faire couler des charités plus abondantes.
Un Dauphin , le modèle de tous
les fils par fa foumiffion & fon refpect :
c'eft regner pour lui , que d'obéir au Roi
fon pere. Une Dauphine , époufe courageufe
& tendre , de qui le coeur devenu
tout François , femble ne refpirer que pour
la confervation de ce Prince , la gloire du
Roi , & l'avantage de la Nation.
Que nous refte t'il , mes très-chers Freres
, après tant de bienfaits , que d'en rendre
à Dieu les plus vives actions de graces,
de lui demander avec inftance de nous
conferver ces jeunes Princes , de veiller
autour de leur berceau , d'en écarter tout
ce qui pourroit nous allarmer fur leurs
jours , & de verfer dans leurs coeurs ces
fentimens d'humanité , de religion &
d'héroifme , qui font comme l'appanage
de leur fang , & les véritables fources de
la fûreté & de la félicité publique . Donné
à Valence. ce 24 Septembre 1753. Signé,
Alexandre , Evêque de Valence.
NOVEMBRE. 1753. 98
>
Le mot de, l'Enigme du Mercure d'Oce
tobre cft Orange, Celui du premier Logogryphe
eft Harmonie , dans lequel on trouvemien
, aimer , Arion , Rome , Henri , Noë,
ame mari , heron , Hieron , Noéma , ha ,
Raine , ami. Celui du fecond , eft Paris
dans lequel on trouve les ris ; Pâris ; pas ,
nom ; pas , adv. ripa , rive ; fi ; Spa ; Apis,
boeuf ; apis , abeille , as , monnoye ; Pari ,
genit. de Paros Ipra , Ypres ; Pifa , Piles
ira ; pis , pari , fpira , petit pain , on cordon
; paris , genit, de par ; Pis ; rafis , de
l'indicatifrado ; i , imper. du verbe eo , &
la lettre a.
ENIG ME.
R Egarde- moi parler je fuis depuis long- tems ;
Et toutefois , Lecteur , je nais à chaque inftant :
Tel me donne la mort , qui m'a donné la vie ,
Et tel me rend au jour , qui m'a donné la mort :
Je peins également l'efprit & la folie ;
Je fais honneur à l'un , à l'autre je fais tort :
Je raffure fouvent la trop tendre Silvie ,
Qui rendue à Tircis , craint de le perdre au port :
Utile , dangereuſe , au bien , au mal propice ,
96 MERCURE DE FRANCE:
J'excite à la vertu , j'autorife le vice.
Mais c'est trop , cher Lecteur , oui , c'eft trop
m'annonçer ;
Tu me vois , tu me tiens ; peux- tu donc m'i
D
gnorer?
LOGO GRYPHE.
E neufpieds , cher Lecteur , eft compoſé mou
nom ;
En les changeant de lieu , tu trouveras , je gage ,
Un péché qui fouvent nous voile la raiſon ;
Le nom d'un animal qui naît pour notre ufage ;
Celui que nous donnons à ceux qu'un même fort
A rangé fous les loix de l'objet qui nous charme ;
Ce qui nous eft ravi par la cruelle mort ,
Et dont nous redoutons la perte avec allarme.
Mon nom eft fort commun , cependant diftingué i
Plufieurs de mes Lecteurs le portent , oùi , j'en
jure ;
L'un s'en faitgrand honneur, l'autre en eft fatigué :
Lecteur, tu dois connoître à ces traits ma nature,
JE
AUTRE.
E ne fuis tout au plus qu'un leger accident,
Source de plaiſirs cependant ;
Quoiqu'univerſelle , la France
Eft mon féjour de préférence ;
Ses peuples font mes favoris ,
Et
t
1 Ce
NOVEMBRE. 1753 . 97
Et de leurs coeurs je ſuis la Déité ſuprême ,
Petits maîtres , héros , belles , & beaux efprits ,
Tous pour mon culte y font voir une ardeur extrême
;
'Auffi de leurs attraits , de leurs legers écrits ,
C'eſt moi qui bien fouvent fais l'unique mérite .
Aux plus minces objets je donne un fort grand
prix ;
Mais , malgré mon pouvoir, le tems me décrédite,
Et les jette dans le mépris.
Je change , & varie fans celle ,
Et c'est à cette heureufe adrefle
De m'offrir chaque jour fous des traits differens
Que je dois des mortels , & l'hommage & l'encens
;
Mais il faut que je le confeffe ,
Dans l'efprit des François , tel qu'il eft aujour
d'hui ,
Inépuisable ſource ,
Je trouve une reflource ,
L'honneur de mes autels , & leur plus ferme appui.
Ta meparois rêveur , allons , Lecteur , courage ;
Dans mes neuf pieds je préfente à tes yeux ,
Le foible bois qui fur un tronc fauvage
Promet des fruits délicieux ;
Cet élément fur qui l'on nage ;
Cet amas qui formé des vapeurs de la terre ,
enferme dans ſon ſein la grêle & le tonnerre ,
Et l'efpérance des moiffons ;
E
98 MERCURE DE FRANCE.
Un des cinq lens , & l'une des faifons ;
Ce qui les contient toutes quatre ;
Deux quadrupedes animaux ,
Dont l'un eft fort opiniâtre ;
Celle qui fut la cauſe de nos maux ,
Pour n'avoir du ferpent repouffé l'artifice ;
Le comble intérieur d'un pieux édifice ;
Va inftrument qui fert à nettoyer le grain ,
Et de tout mélange l'épure ;
Ce qu'un Marchand tient à la main ,
Quand toiles , ou draps il mefure;
Le fier tyran des flots ,
La terreur & l'objet des vænx des matelots.
Ce que forme la voix ; ce jufte Patriarche
Aux yeux duquel dans l'air , Dieu au fortir de
l'Arche
Etala l'Arc brillant des plus vives couleurs ;
Ce que dans le danger la crainte nous fait faire ,
Dont fouvent on déroge à l'obligation ;
Un adverbe local , actif ou lédentaire ,
Qui dans un autre fens devient conjonction ;
Des bienheureux le figne falutaire ;
Un terme muſical , qui pris differemment
D'un texte obſcur eft l'éclairciflement ;
Une négation ; certaine particule ;
Ce qui trop grand , ou trop petit
Rend un vifage ridicule ;
Je crois , Lecteur, t'en avoir affez dit,
NOVEMBRE. 1753. 99
洗洗洗洗洗洗洗洗洗卷
NOUVELLES
LITTERAIRES
.
ECUEIL de plufieurs piéces d'Elo-
R
quence & de Poëfiè , préſentées à l'Académie
des Jeux Floraux 1753 , avec les
Difcours prononcés & les affemblées publiques
de l'Académie . A Toulouse , chez.
Pijon , & fe trouve à Paris , chez Delaguette,
rue Saint Jacques.
Le recueil commence par une Ode fur
la Calomnie , adreffée aux manes de Rouffeau
, & qui eft rapportée toute entiere
parmi les piéces fugitives du Mercure.
Cette pièce qui a remporté le prix de l'année
, eft fuivie d'une Ode qui a remporté
un prix réſervé. Elle roule fur la mort de
Madame de Montégut , qui a honoré l'Académie
, dont elle étoit membre , par des
talens , des graces & des vertus . Quelques
ftrophes feront connoître la maniere du
Poëte , M. Carquet .
Montégut , du Printems quand tu peins l'allé
greffe ,
En dépit des frimats , tu bannis la triſteſſe
Des rigoureux hyvers :
Dans les champs dépouillés , je crois voir la verdure.
Les charmes dont Borée a privé la nature ,
Renaiſſent dans tes vers .
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Si d'un antique bois tu plains la deftinée ,
Le fer femble frapper mon oreille étonnée
Par fes coups redoublés :
Je vois fair les Oifeaux : les Driades tremblantes
Quittent en foupirant les tiges chancelantes
Des chênes mutilés.
Prêt à voir de fes feux couronner la conftance ,
Tircis ne revient point : Ifméne , fon abfence
Allarme ton amour .
Par tes regrets touchans , tu m'arraches des larmes
Mais que vois- je ? bannis de frivoles alarmes ;
Tircis eft de retour .
On a lû dans un des Mercures précédens
le Difcours de M. l'Abbé Foreft , qui a été
couronné , & on y a trouvé une grande
abondance de ſtyle , d'idées & de connoiffances.
Ce fujet dont le but est de prouver
combien les Sciences font redevables
aux Belles -Lettres , a été encore traité par
le Pere Pont , de la Congrégation de Saint
Maur. Son ouvrage , qui a été jugé digne
d'un prix réſervé , eft clair , fenfe & méthodique
: on trouve , ce qui arrive rarement
, que l'Auteur a raifon.
Le prix de l'Idylle a été adjugé à l'idylle
de M. Viguier de Legadenne , fils , qui a
pour titre : Le triomphe du langage de l'Amour.
Voici le Dialogue d'une bergere &
d'un berger , qu'on trouve dans cette agréa
ble Pocfie,
NOVEMBRE. 1753 .
107
De tant d'êtres divers qui brillent à ma vie ,
Vous feul , vous me femblez d'ane espéce incon
nue ;
Mais qui que vous foyiez, apprenez qu'aujour
d'hui ,
Votre feule préfence a chaffé mon enaui .
Chaque être dans ces lieux a trouvé fon femblable,
Pour n'être pas le mien vous êtes trop aimable.
Je n'ai jufqu'en ce jour connu que le defir :
A votre aspect charmant j'ai goûté le plaifir. . .
A ce difcours naïf , mais au gré de ſa Alâme ,
Licas ne contraint plus les tranfports de fon ame ;
Tous les feux de l'amour ônt paflé dans fon fein...
Thémire , lui dit - il , en lui ferrant la main ,
Le Dieu qui charme tout , le Dieu que tout adore ,
Que votre coeur chérit fans le connoître encore ,
M'a fait pour vous aimer , & pour être à vos yeux,
Ce que font les zéphirs aux fleurs de ces beaux
lieux .
Seule , que faifiez- vous , quand tout lui rend
hommage ?
C'est lui que les oiſeaux chantent dans leur ramage
;
C'eft l'Amour ... A ce nom Thémire treffaillit ! . . .
Pour la premiere fois Thémire l'entendit ,
Ce nom qui lui découvre un Dieu qu'elle defire.
Et pourquoi dans ces lieux ne tient- il fon Empire
?
Dit- elle : je voudrois pour prix de fes faveurs
E iij
102 MERCURE DE FRANCE:
Qu'il regnât dans ce bois ainfi que dans nos
coeurs.
Ah ! lui répond Licas , avec un regard tendre ,
L'abfence de l'Amour ne doit point vous furprendre
;
Vous êtes fon portrait , il brille dans vos yeux ,
Un regard vous fuffit pour allumer fes feux .
Yous connoiffez enfin le pouvoir de vos char-
L'Amour
mes....
pour triompher vous a laiffé les armes.
Le dernier ouvrage couronné du recueil ,
c'eft l'Idylle de M. Dutour , qu'on a déja
vûe dans le Mercure.
SCALPTURA , Carmen ; Autore Ludovico
Doffin S. J. Apud P. G. le Mercier , via
San- Jacobaâ , fub figno Libri aures. La Gravûre
, Poëme , par le R. P. Doiffin , Jefuite.
A Paris , chez P. G. le Mercier , rue
Saint Jacques , au Livre d'or.
Le Pere Doiffin , déja bien connu dans
la Littérature , par un très beau Poëme fur
la Sculpture qu'il donna l'an paffé , vient
d'en donner tout nouvellement un autre
en trois chants fur la Gravûre , qui plaira
également aux amateurs & aux gens de
Lettres. Il est dédié à l'Académie Royale
de Peinture & de Sculpture , & traduit en
François , pour la commodité de ceux à
NOVEMBRE. 1753. 101
qui les Mufes latines ne font pas affez familieres.
Le Poëte dans le premier chant
décrit les differentes efpéces de Gravûre
qui font en ufage , & apprend à donner
aux Eftampes , toute la perfection dont
elles font fufceptibles. Il traite dans le fecond
des talens naturels ou acquis , que la
Gravûre exige dans ceux qui s'y appliquent.
Le troifiéme renferme les ufages de la Gravûre
& fon utilité. La verfification nous a
paru coulante & naturelle , les tours fimples
& aifés , les comparaifons riches &
Heuries , les figures nobles & élevées , le
tout enfin digne de l'Auteur du Poëme fur
la Sculpture. Le Lecteur en jugera lui -même
par les morceaux que nous allons citer,
comme ils fe préfenteront , & que nous
accompagnerons de la Traduction.
Voici comme le Poëte décrit la Gravure
coloriée .
Nec te præteream , Picturæ fimia felix ,
Ambiguum , Scalptura , genus , foboleſque bifor
mis.
Nimirùm ligno , rigidove effingit in are
Tres fcalptor tabulas : proprium unicuique faumque
eft
Munus & officium ; nec totam fingula formam
Exprimit ; at folum partes habet una colore
Ungendas flavo , partes habet altera rubro ,
E iiij.
104 MERCURE DE FRANCE.
Altera cærulea pingendas : nec mora fuccos
Diluit , & proprio linit unamquamque colore
Lamnam opifex : deinde imprimitur madefacta pa
pyrus ,
Et bibit alternos prælo fubjecta liquores.
Hinc optata venit lævi fub imagine forma ;
Quam nec tu pictam , nec fcalptam dicere poffis ,
Participans ab utroque fimul ; quippe ipfa colores
Suppetiit Pictura fuos , Scalptura tabellas ;
Et meritò egregiam fibi vindicat utraque prolem .
Je ne paflerai point fous filence cette
efpéce de Gravûre , qui imite la Peinture
au point de tromper les yeux , & de
& de paroître
autant l'ouvrage du pinceau que du
burin. Trois planches de bois ou de cuivre
, deftinées à des emplois differens ,
éprouvent tour à tour le burin de l'Artifte ;
aucune ne contient le fuiet entier de la
Gravûre , chacune en poffede une partie ;
toutes trois doivent fournir une couleur
particuliere , le jaune , le rouge , le bleu .
On les couvre des couleurs qui leur font
affignées : un papier humide appliqué fuccellivement
fur chacune d'elles , porté enfuite
fous la preffe , s'y imbibe des nuances
qui lui manquent , & n'en fort que
chargé de la figure que l'on y vouloit tra
cer. Production ambigue qui n'appartient
feparément ni à la Gravûre , ni à la Pein-
1
NOVEMBRE. 1753. 105
ture ; qui naît cependant de la réunion des
deux Arts ; que tous les deux confépar
quent peuvent s'attribuer , parce que la
Gravure lui prête fes traits , & la Peinture
fon coloris.
Nous paffons au fecond chant , & nous
tombons fur l'éloge de Martin Rota , célé
bre Graveur Italien , dont le talent étoit de
rendre en petit fur une Eftampe les plus
grands morceaux de Peinture. Rien n'est
plus délicat & plus ingénieux que ce qu'en
dit le Poëte.
Nam quis te tacitum , celebris Martine , relinquat
,
Innumeras doctum fpatio breviore figuras
Ponere , & exili multum comprendere chartâ.
Nimirum pictam fi redderet ille tabellam
Ære cavo , formas punctum attenuande , gigantas
Noverat in nanos mutare , in fila rudentes ,
Ædes in cafulas , in tenues grandia lembos
Navigia , expanfis quos parvula mufca volando
Contegeret pennis , & guttula mergere poffet,
Extremum fic ille diem , mundique ruentis
Funera , quæ vafto Michael fub fornice tecti
Pinxerat in parvâ defcripfit rite papyro ,
Aligerum ingestes turmas , atque agmina mille ,
Et flygias acies angufto limite claudens :
Sic tamen , ut membris maneant difcreta locifque
Corpora , & in toto regnet pax æquore charte,
E v
100 MERCURE DE FRANCE.
Pourrai -je t'oublier , célébre Rota , toi
dont le burin l'emporta fur tous les autres,
quand il s'agit de réduire à peu d'eſpaces
les fujets les plus étendus , & de tracer des
figures fans nombre dans une Eftampe bornée.
Les objets en paffant de la toile fur
l'airain , changent par ton art magique de
nature & de proportions.. Un géant devient
un nain ; le plus gros cable n'eft plus
qu'un fil délié & imperceptible ; les Palais
fe métamorphofent en petites cabanes , &
les plus grands vaiffeaux en batteaux legers
qu'un moucheron couvriroit de fes
aîles , qu'une gonte d'eau fubmergeroit &
feroic difparoître. Ainfi gravas - tu autrefois
l'appareil formidable des vengeances
de l'Eternel , & la ruine de l'univers prêt
à rentrer dans le chaos . Sujet grand & ter
rible , dont le fier pinceau de Michel Ange
avoit orné une voûte immenfe , & que
ton Burin merveilleux a renfermé tout entier
dans les bornes étroites d'une Eftamper
Il a tout rendu , & les bataillons divers
de l'armée céleste , & la troupe nombreuſe
des anges rébelles ; chaque partie eft diftinguée
, chaque objer occupe le lieu qui
lui eft propre , fans fe mêler , fans fe confondre
; & il regne dans le tout enfemble
un parfait accord & un repos agréable.
Le troifiéme chant offre des beautés égaNOVEMBRE.
1753. 107
les à celles des deux premiers. Le Poëte
après avoir parlé des chefs d'oeuvres de
l'Antiquité , dont il ne refte plus de veftiges
, parce que la Gravûre qui n'exiftoit
pas encore , n'a pû en conferver les traits
dans des Estampes fidelles , adreffe la
role aux Peintres , qui font nés après l'invention
de la Gravûre , & s'exprime ainfi ::
Vos meliore igitur queis nafci contigit ævo ,
Plaudite , Pictores , gratefque rependite Divis
Veftra olim ad feros pervadet fama nepotes ,
Nec doctas Scalptura finet marcefcere lauros.
Nam tandem caries cum exederit uda tabellas ,
Ingenii monumenta fimul , dextræque peritæ ,
Hæc lætus rediviva iterùm mirabitur orbis ,
Hand equidem tela , liquidove expreffa colore
Aft ære incufa , & lævi commiffa papyro:
Suerii fruftra pictas lacerare tabellas
Tentafti livor , nomenque abolere periti
Artificis Scalptura malum reparavit abunde ,
Famaque Suerii manet æternumque manebits
pa-
Ovous donc , que le Ciel propice fit
naître dans des fiécles plus heureux , Pein
tres de nos jours , reconnoiffez le bienfait
des Dieux ; votre gloire triomphera du
tems & de l'oubli ; votre nom fera connu
de la postérité , & la Gravûre ne laiffera
point fléttir fur vos têtes illuftres les lau
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
riers dont on les couronne aujourd'hui.
Lors qu'enfin vos raviffantes Peintures ,
fruits admirables de l'adreffe & du génie
auront fuccombé fous le nombre des années
, l'univers furpris les retrouvera , les
admirera encore , non plus fur une toile .
animée par des couleurs parlantes , mais
dans une eftampe fidéle , & dans les traits
admirables du burin. Rivaux clandeftins ,
ennemis jaloux , en vain vos mains téméraires
dans ce Cloîrre où Bruno femble
refpirer encore , fe font - elles efforcées de
défigurer les fçavantes peintures du Zeuxis
des François , & d'enfévelir dans un
éternel oubli fon nom & fa mémoire ; le
burin a réparé les maux que votre main a
faits , & la gloire du Sueur portée ſur les
aîles de la Renommée , ira malgré vous
jufqu'à nos derniers neveux .
Nous ne finitions. pas G nous voulions
tranferire tout ce qui nous a paru mériter
l'attention du Lecteur ; il faudroit tranfcrire
le Poëme entier. Nons renvoyons à
l'ouvrage même , perfuadés que ceux qui
lifent Virgile & Ovide avec plaifir , liront
volontiers le P. Doiffin qui les imite fi
heureufement tous deux . Son Poëme mérite
d'autant plus les éloges finceres que
nous lui donnons ici , que la matiere étoit
plus difficile à traiter , & prétoit peu aux
NOVEMBRE. 1753. 109
images riantes & gracieufes , fans lefquelles
la Poëfie n'est que de la Profe toifée,
En parcourant fon Ouvrage nous nous
fommes rappellés ces tems heureux où les
Commire , les Rapins , les Laruë , les Vanieres
faifoient retentir les rives de la
Seine des chants qu'Apollon leur avoit
dictés. Nous exhortons le P. Doiffin de
continuer à marcher fur les traces de ces
Poëtes célébres dont il a embraffé l'état.
LA Trentaine de Cythère . A Londres ;
& le trouve à Paris , chez Hochereau l'ainé
, Libraire , Quai de Conti , à la defcente
du Pont-Neuf. Brochure in- 12.
LA Jardiniere de Vincennes. Par Madame
de V *** . A Londres , & fe vend à
Paris chez le même. in- 12. Cinq vol.
Un jeune homme de condition , eft
amoureux d'une jeune perfonne qui ne paroît
être que la fille d'une Jardiniere. Elle
devient l'époufe de fon amant par une fuite
d'évenemens , qui forment le fond véritablement
intéreflant du Roman que nous
annonçons.
ESSAI hiftorique fur les différentes fituations
de la France , par rapport aux i
uances fous le Regne de Louis XIV , & la
1 FIO MERCURE DEFRANCE:
A
Régence du Duc d'Orléans . Par M. Dron
de Beaumont . A Amſterdam 1753 , in- 12 .
Un volume.
Après un tableau ferré & agréable des
grandes chofes qui fe font faites fous let
regne de Louis XIV , l'Auteur entre en
matiere. Il ne dit qu'un mot en paflant de
l'adminiftration de Meffieurs d'Emeri , la
Meilleraye , de la Vieuville , Servien &
Fouquet ; mais il s'arrête fur M. Colbert.
Lorfque M. Colbert fut appellé au
Gouvernement des Finances , fon premier
foin fut moins de corriger la forme & l'établiſſement
de leur adminiſtration , que
de réparer les abus & les diffipations des
adminiftrateurs. Ce re fur qu'en augmen
tant le mouvement & la circulation , qu'il
parvint à porter l'ordre & l'étendue des
Finances du Royaume , au point de perfection
où elles arriverent. En effet , il
n'oublia rien pour augmenter de plus en
plus les relations & les correfpondances fi
néceffaires entre tous les Ordres & les
Etats du Royaume. Ce fut par l'exactitu
de , & par la religieufe obfervation des
engagemens , qu'il acquit au Roi un crédit
immenfe fur tous les Sujets , & qu'il
donna lieu aux Sujets de trouver entre cur
des reffources infinies dans leur confiance
réciproque , & dans leur crédit mutuel.
NOVEMBRE. 1753. TI
.
9"
Sa grande & principale attention fut
de faire fleurir le commerce au dedans &
au dehors ; s'il exigea des peuples des fubfides
plus forts qu'on n'avoit encore fait ,
il fçut bien leur procurer les moyens de
les fournir les Manufactures , les Arts ;
les Métiers trouverent leur accroiffement ,
feurs falaires & leur récompenfe ; les fonds
& l'induftrie des particuliers ne furent jamais
fans emploi & fans action . Comme
les Négocians fe prétoient à toutes les
opérations , il venoit auffi volontiers à leur
fecours , parce qu'il ne craignoit rien tant
que ce qui pouvoit interrompre le mouvement
, même dans fes plus petites parties.
Une conduite fi habile , fi active & fi
folide l'avoit , pour ainfi dire , rendu maî
tre de tous les efprits & de tous les biensdu
Royaume , & ce fut à la favear de cette
confiance & de ce mouvement que le
Prince & l'Etat trouverent long tems dans
l'abondance , de quoi foutenir les entreprifes
les plus étendues & les plus difficiles
, fans en altérer les fources que la circulation
empêchoit de tarir . Quoique la
guerre coûtâr des fommes immenfes , l'intérieur
de ce Royaume ne s'étoit preſque
pas apperçu qu'il fallût entretenir des armées;&
fous le Gouvernement d'un Prince
112 MERCURE DE FRANCE:
qu'on peut regarder à jufte titre , comme
un des plus fplendides de tous ceux qui
jufques alors avoient gouverné la Monarchie
, non-feulement l'argent ne manqua
jamais , mais on ne l'avoit jamais vû h
commun. Enfin l'éclat & la profpérité de
ce regne , la grandeur du Souverain , le
bonheur des peuples feront regretter à jamais
le plus grand Miniftre qu'ait eu la
France ; & fi elle n'eût pas eu le malheur
de le perdre trop tôt , fa profonde capacité
lui auroit fans doute fourni les moyens de
foutenir tout le fardeau du miniftere , fans
épuifer les fources de l'abondance qu'il
avoit ouvertes. Qui le croira ? la mort de
ce grand homme caufa de la joye au peuple
, que l'expérience de tant de fiécles
pas encore détrompé d'efperer toujours
un avenir plus heureux , fous fucceffeur
d'un homme en place .
n'a
Il s'en fallut beaucoup que celui de M.
Colbert fût en état de remplir ces vaines
efpérances de la multitude. Ce fut M. Pellerier
, & après lui Meffieurs de Pontchartrain
& Chamillart. Les Finances étoient
dans un défordre affreux lorfque M. Defmarets
en fut chargé . Le public fembloit
le défirer avec ardeur , il fut mis à la tête
des affaires comme le feul homme capable
d'apporter quelques remedes à fituation
NOVEMBRE. 1753. 113
violente où le Royaume fe trouvoit. Le
nouveau Controleur Général trouva les
Finances dans un défordre affreux . L'Etat
étoit chargé de dettes immenfes , les revenus
de la Couronne , far lefquels on anticipoit
depuis long- tems , étoient confumés
plufieurs années à l'avance , point d'argent
dans l'épargne & peu dans les coffres des
particuliers , épaifés par les impôts qu'ils
fupportoient depuis fi long- tems. Toutes
les richeffes du Royaume étoient paffées
où dans les pays étrangers , où entre les
mains des partifans , qui après s'être engraiffés
du fang des peuples , tenoient leurs
tréfors renfermés , & n'en laiffoient fortir
qu'autant qu'il leur en falloit pour fi
gurer d'une maniere à effacer les premiers
Seigneurs du Royaume & même les Princes.
Les troupes n'étoient pas payées depuis
long - tems ; les Officiers & les fotdats
menquoient de tout , ces derniers
avoient à peine des fouliers. Les billets de
monnoye , & toutes autres fortes de papier
, jafques - là d'une affez grande reffource
, étoient tombés dans un difcrédit
abfolu par le défaut de payement , ce qui
avoit tellement anéanti le crédit de la
Cour , qu'il ne falloit plus compter fur des
emprunts.
Tels étoient l'épuifement & le défor
114 MERCURE DE FRANCE.
dre des Finances , lorfque M. Defmarets
fut appellé au miniftere. Le premier objet
auquel il donna toute fon attention , fut
de reconnoître les dettes de l'Etat , & les
papiers qui étoient décrédités , & qui
avoient fait retferrer l'argent à un tel excès
que les payemens de toute nature étoient
devenus impoffibles. On ne pouvoit fans
imprudence effayer de parvenir publiquement
à cette connoiffance , il falloit au
contraire cacher le mal. Il crut donc devoir
commencer cette difficile adminiftration
par un coup décifif , & qui marquant
au Public qu'il connoiffoit l'ordre & l'économie
d'une bonne régie , fût feul capable
de donner à l'efpéce fa premiere circulation
, & de ranimer la confiance . H
comprit que le tréfor Royal , comme le
centre des Finances , devoit recevoir tout
le produit des revenus du Roi , & il s'attacha
à les y faire remettre à l'échéance
de chaque payement. Cet arrangement fut
applaudi , & eut tout l'effet qu'on en pouvoit
attendre.
Tout promit une nouvelle face , & des
commencemens fi fages annonçoient des
fuites les plus heureufes , lorfque la famine
vint joindre fes horreurs aux autres difgraces
que la France effuya pendant pluhieurs
campagnes . Le froid exceflif & la
NOVEMBRE. 1753. 115
térilité de l'année 1709 , porterent les
malheurs du Royaume à leur dernier période.
Le feul remede à tant de maux étoit
le retour d'une confiance qui fembloit être
bannie pour jamais ; mais plus le mal étoit
grand , & plus on eut lieu d'être furpris
d'un prompt changement qui fe fit dans
le mouvement des Finances , dès les premiers
jours de fon miniftere. La haute
idée que tout le Royaume avoit de la capacité
du Miniftre , fuffit en effet pour ramener
la confiance autant que les circonf
tances pouvoient le permettre, & fi M.Defmarets
ne fit pas l'impoffible , c'eft- à- dire ,
s'il ne donna pas aux Finances toute l'étendue
& la facilité que M. Colbert y avoit
établies , il faut du moins faire revivre le
crédit & le mouvement dans prefque toutes
les branches où il étoit éteint .
Quoique tous les revenus du Roi fuffent
engagés par anticipation pour deux
ou trois années , & que le défaut de confiance
& de bonne conduite eût preſque
généralement fufpendu la circulation
dans un tems où l'Etat en avoit un plus
grand befoin que jamais , il préfenta avec
tant d'intelligence différens objets de débouchement
pour les effets qui émanoient
du Roi , & il fit fi bien mouvoir les refforts
du crédit & du mouvement en fubfti11G
MERCURE DE FRANCE.
tuant toujours de nouveaux moyens , ?
mefure que les premiers s'épuifoient ou
s'affoiblifoient , qn'il parvint à trouver
non -feulement de quoi mettre le travail &
l'induftrie des peuples en état de fubvenir
plus facilement aux charges qui leurs
étoient impofées, mais encore de quoi empêcher
la France de fuccomber faute de
fecours extraordinaire , fous l'accablement
d'une guerre longue & malheureufe . Pour
foulager ceux qui étoient encore chargés.
de billets de monnoyes , dont il reftoit
alors pour la valeur de foixante & douze
millions répandus dans le public , & dans
les caiffes Royales , il ne trouva point de
plus für moyen que la reffource des efpéces.
Il fit rendre un Edit qui ordonnoit
que ceux qui apporteroient aux Changes
& aux Hôtels des Monnoyes , cinq fixiémes
ou en efpéces anciennes ou réformées , &
un fixiéme en billets de monnoye , recevroient
le tout en argent comptant , en
nouvelles espèces , & que les billets de
monnoye feroint biffés en leur préſence .
Le bénéfice de cette refonte montoit à la
concurrence de foixante douze millions
que l'on vouloit acquiter. Enfin , fa conduite
& la bonne foi furent telles que
tous ceux qui avoient contribué par leurs
moyens & leur crédit à l'aider dans un
NOVEMBRE. 1753 : 117
tems fi difficile , il n'y en eut aucun , quelque
embaras où fa confiance pour lui l'eût
engagé , qui crût avoir lieu d'en attribuer
la caufe à l'irrégularité de fon adminiſtration
; & fans entrer dans tout le détail
des opérations que fit M. Delmarets pendant
fon miniftere , on eft encore furpris
qu'il ait eu affez de courage & de prudence
pour mettre la France en état de
rejetter les propofitions
humiliantes des
Conférences de
Gertruydemberg , & de
foutenir l'immenfe fardeau dont elle étoit
accablée par la néceffité de continuer la
guerre contre des ennemis fort unis
qui avoient déja partagé entre eux tou
tes les Provinces du Royaume , dont la
conquête leur paroiffoit affurée. L'épuifement
du Royaume étoit affez connu .
On n'avoit ni affez de moyens différens
à choisir pour la foutenir , ni aſſez de
tems pour déliberer : à peine avoit- on celui
d'agir & de mettre en oeuvre tous les
refforts qui pouvoient fans violence produire
de l'argent .
Le falut de l'Etat confiftoit uniquement
à faire la paix ; contre toutes fortes d'efpérances
elle fut heureulement conclue ,
& loin de blâmer quels moyens que la
force & l'extrêmité obligerent de mettre
en ufage , ne doit-on pas donner des
>
118 MERCURE DEFRANCE.
éloges aux Miniftres qui dans des tems
fi malheureux ont eu affez de fermeté
pour n'être pas effrayés , & pour continuer
des efforts vifs & redoublés , qui ont enfin
rendu à la France une paix aufli néceflaire
que défirée ?
L'administration de M. Defmarets fut
fuivie de celle de M. le Pelletier des Forts,
& enfuite du fyftême des Billets de Banque.
Il nous paroît que l'Auteur a trop
adopté le préjugé populaire , qui attribue
à cette fameufe crife la foibleffe de la
France . Nous n'avons pas encore vu
d'homme inftruit qui ne penfe que que c'eft le
l'époque de notre grandeur & de notre
opulence. Nous ne connoiffions avant
cette opération , ni le crédit public ni le
commerce maritime. Il eft bien vrai qu'il
feroit poffible que nous euffions troque
nos meurs contre de l'argent. Les décla
mations qu'on trouve vers la fin de l'Ouvrage
fur le luxe , pourroient bien être
encore la fuite du préjugé : c'eft aux Pré
dicateurs , dit quelque part M. Melon ,
à tonner contre le luxe , & aux Politi
ques à le tourner au bien de l'Etat.
L'Ouvrage que nous venons d'annon
cer n'eft qu'une efquiffe , mais pleine de
feu , d'idées claires , bien enchaffées , &
bien écrites. L'Auteur , quand il aura le
NOVEMBRE. 1753. 119.
tems & la volonté , pourra faire un Livre
utile , d'une brochure agréable.
PHEDRUS appendice triplicifuffultus,
Parifiis , apud Delſaint & Saillant , viâ S.
Joannis Bellovacenfis . 1753. in - 12 . 1 vol.
Cette édition de Phedre fera très - utile
pour les jeunes gens. Elle réunit outre la
correction du texte trop négligé ordinai
rement dans les éditions claffiques , trois
Appendices bien entendus. Le premier eft
compofé d'un choix de Fables & d'Epigrammes
tirées d'Avien , de Faerne , & c.
Le fecond Appendice eft un Recueil de
traits d'Hiftoire , dont chacun répond à
une Fable de Phedre. Le troifiéme n'.ft
compofé que de Fables de Phedre , dont la
plûpart ont rapport à celles d'Efope.
LETTRE d'un Bourguemaître de Mid
delbourg à un Bourguemaître d'Amfterdam
, fur le différend entre les Rois d'Angleterre
& de France , traduite du Hollandois.
1753. Cette Brochure fe trouve
chez Lambert , Libraire , rue de la Comé
die Françoife.
HISTOIRE ancienne des Francs . Tome
premier. A Paris , chez Chaubert , près le
Pont S. Michel , & Claude Hériffant fils ,
rue neuve Notre-Dame. 1753. in- 8 ° . t. la
120 MERCURE DE FRANCE.
Nous rendrons compte dans la fuite de
cet Ouvrage.
LE Directeur dans les voyes du falut ,
fur les principes de S. Charles Borromée.
Par le R. P. de Courbeville , de la Compagnie
de Jefus. Nouvelle édition .A Amiens,
chez la veuve Godart , & le trouve à Paris
, chez Giffart , rue S. Jacques , & chez
Ganneau , rue S. Severin.
C'eft un des meilleurs Ouvrages de fpiritualité
que nous connoiffions . On y trouvera
une raifon droite , de la connoiffance
des voyes intérieures , un grand eſprit de
Religion , & toute la politeffe du ftyle qui
convient aux ouvrages de cette nature.
Les Evêques d'Amiens & de Noyon , en
l'adoptant pour l'ufage de leurs Diocéfes ,
viennent de lui donner une autorité qui
lui manquoit.
DISSERTATION fur l'état du commerce
en France , fous les Rois de la premiere
& la feconde race , qui a remporté
le Prix au jugement de l'Académie des
Sciences , Belles - Lettres & Arts d'Amiens
en 1752. Par M. l'Abbé Carlier. A Amiens,
chez la veuve Godart , & fe trouve à Paris
, chez Ganneau , rue S. Severin ; Chanbert
, Quai des Auguſtins ; Lambert, rue
de
NOVEMBRE. 1753. 121.
de la Comédie Françoife. in 12. Un volume
de 166 pages.
Nous parlerons dans la fuite de cette
importante Differtation . En attendant nous
obferverons que l'Académie d'Amiens eft
prefque la feule du Royaume qui foit dans
l'ufage de propofer pour les Prix , des fujets
utiles.
LES Comptes faits fur les bois équarris
& de fciage , Ouvrage très utile aux Marchands
de bois , Architectes , Entrepreneurs
de bâtimens , Charpentiers & autres
: dans lefquels ils trouveront la réduction
toute faite de toutes les pièces dont
ils pourront avoir befoin pour la conftruc
tion de toutes fortes d'édifices , tant fur
terre que fur mer ; avec un tarif fur le
prix du bois. Par Louis Soutin. A Sens ,
chez André Jannot , & le trouve à Paris ,
chez Theodore Legras , Brunet , le Mercier
, Hériffant. 1753. in- 12. 1 volume.
M. le Cat vient de publier à Rouen &
on trouve à Paris , chez Delaguette , la
cinquiéme Lettre contre le Litothome cáché.
Le Frere Côme ne répond à tant d'attaques
qu'en continuant à fe fervir de cét
inftrument avec un fuccès d'une fi grande
publicité , qu'il eft enfin avoué générale-
F
122 MERCURE
DE FRANCE :
meat. M. le Cat a une grande fagacité ,
un efprit créateur , des connoiffances profondes
& variées , beaucoup de zéle pour
fon art , le goût du travail , de la facilité
à écrire , l'ambition des grandes chofes &
un déantéreffement fort rare que lui
manque- t - il pour jouir fans inquiétude &
fans contradiction de la réputation , que
tant d'avantages lui ont faite en Littérature
& enChirurgie? d'avoir des difputes moins
frequentes , moins longues & moins vives.
TABLE générale des matieres contenues
dans le Journal des Sçavans , de l'édition
de Paris , depuis l'année , 665 qu'il
a commencé , jufqu'en 1750 inclufive.
ment ; avec les noms des Auteurs , les
titres de leurs ouvrages , & l'extrait des
jugemens qu'on en a portés. 1753 .
in- 4°.
vol. 1. Tome troifiéme. A Paris , chez
Briaffon , rue S. Jacques .
OBSERVATIONS
fur l'Hiftoire naturelle
, fur la Phyfique & fur la Peinture ,
avec des Planches imprimées en couleur .
Cet Ouvrage renferme les fecrets des Arts ,
les nouvelles découvertes , & les difputes
des Philofophes & des Artiftes 'modernes
; année 1752. in- 4° . & in . 12. A Paris
, chez Delagu : tt , rue S. Jacques.1753 .
D
Ca
NOVEMBRE. 1753. 123
DISSERTATION fur les maladies des
dents , avec les moyens d'y remédier &
de les guérir. Par G. P. Lemonier , Chirur
gien Dentiste. A Paris , chez Auguftin
Lottin , Imprimeur- Libraire , rue S. Jacques
, vis- à- vis S. Yves , au Cocq. 1753 .
Cette Differtation eft divifée en cinq
árticles ou traités . Il s'agit dans la premiere,
de la formation & l'accroiffement des dents.
Dans la deuxième , des accidens qui
arrivent à la fortie des dents , & des
moyens d'y remédier.
Dans la troifiéme , de la douleur des
dents & des remédes propres à les guérir.
Dans la quatrième , de la carie & de fes
progrès , & des moyens de la détruire.
Dans la cinquième , du limon & des
congreffions plâtreufes , & de la maniere
de fe conferver la bouche propre.
C'eft la premiere production des preffes
du fieur Lottin , jeune Imprimeur , qui
a les moeurs douces , du zéle pour la profeffion
, le talent d'écrire , & des connoiffances
étendues , comme on a s'en convaincre
par trois ou quatre excellentes Lettres
de lui fur l'Imprimerie , qui ont paru
fucceffivement dans le Mercure . Il eft heureux
pour les Lettres qu'il fe forme de
tems en tems des Imprimeurs qui ayent
affez de goût pour connoître les bons Ou-
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
vrages , & affez d'amour de la gloire pour
les préfenter au Public d'une maniere dide
lui .
gne
MEMOIRES de l'Académie Royale de
Chirurgie. Tome fecond, A Paris , chez
Delaguette , Imprimeur de l'Académie
rue S. Jacques , à l'Olivier . 1753. in- 4º.
1. volume.
Toute l'Europe à les yeux fur cette Académie.
Une école où font formés ou d'où
fortent tant de gens actifs & habiles , qui
vont opérer dans les Cours étrangeres ,
dans les Etats voisins , jufques dans les
armées des Puiffances ennemies de la France
, ne peut ni fleurir ni décheoir que tous
les peuples n'y prennent un grand intérêt.
On apprendra donc avec joye que
l'Académie eft remplie d'exellens fujets ,
que fes Séances le paffent en difcuffions
paifibles & fçavantes , & que le volumet
de fes Mémoires qu'elle publie actuellement
, eft digne de toute la réputation .
Nous donnerons dans les Mercures fuivans
une idée de ce qui nous paroîtra de
plus précieux dans l'important Ouvrage
que nous annonçons.
Outre le Volume des Mémoires , l'Académie
a publié un Recueil des Piéces qui
ont concouru pour les Prix qu'elle a diriNOVEMBRE.
1753 . 125
bués depuis 1732 , jufqu'en 1743. On le
trouve chez le même Libraire , qui s'eſt
fait beaucoup d'honneur par le foin qu'il
a porté à fon édition .
TRAITE' des Légions , ou Mémoires
fur l'Infanterie. Quatriéme Edition . A la
Haye , & fe vend à Paris , chez Pierre-
Guillaume Simon , Imprimeur du Parlement
, rue de la Harpe à l'Hercule. 1753 .
in- 16. pp. 161 .
Cet Ouvrage qui a paru d'abord fous le
nom impofant de M. le Maréchal de Saxe ,
eft d'un Officier général qui excelle dans
la théorie & dans la pratique de la guerre.
Cet art , fur lequel les François font feuls
en poffeffion d'écrire & d'écrire avec fuccès
, devroit beaucoup aux talens de l'illuftre
Auteur du Traité des légions , quand
il n'auroit jamais fait que cet Ouvrage :
que ne lui devra- t-on donc pas , s'il vient à
bour de tous les grands projets qu'il a formés
?
L'Edition du Traité des Légions que
nous annonçons , eft la feule qui ne foit
pas défectueule. Cet Ouvrage , dit l'Editear
, eft divifé en quatre parties . Dars
la premiere , il traite de la difcipline ;
dans la feconde , de la légion ; dans la troifiéme
, de l'ordonnance de la légion ; &
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
enfin dans la quatrième , de la formation
& de la dépenfe des légions.
La premiere partie a deux objets ; le
premier , de faire voir les effets admirables
d'une bonne difcipline , & les avantages
infinis qu'elle procure à un état ,
Joifqu'elle y eft ferme & exacte : le fecond,
de déplorer la chûte de cette même difcipline
dans l'Infanterie Françoife , les malhears
que cette décadence a déja attirés à
la France , & ceux qu'on a lieu d'en craindre
pour l'avenir , on n'apporte à un mal
fi dangéreux , un remède auffi prompt
qu'ellicace .
L'Auteur ne voit point de moyen plus
propie à arrêter le mal préfent , & à prévenir
les faites funeftes qu'il prévoit , que
de former en légions toute l'Infanterie
Françoile. C'est ce qu'il propofe dans la
feconde partie , où il développe fon plan
avec tant de netteté , & fait voir fi clairement
les avantages immenfes , qu'il ne
paroît paroît pas poffible de fe refuſer à
l'évidence de fes idées.
Mais que de difficultés , que d'objections
à faire à l'Auteur ! que d'obstacles à
lui oppofer ! Combien de tems , quelle
dépenfe pour l'exécution d'un projet ft
nouveau , fi fingulier , fi inoui ! Il eft
vrai : nous ajouterons même que la guerre
NOVEMBRE . 1753. 127
dans laquelle la France fe trouvoit engagée
en 1744 , qui eft l'année où un fi beau
plan vir le jour pour la premiere fois ,
Lendoit l'opération encore plus difficile.
Mais de quoi ne vient pas à bout une intelligence
fupérieure ? Toutes les difficul-*
tés s'applaniffent , tous les embarras difpa
roiffent fucceffivement devant notre Auteur.
Le Guide des Accoucheurs , ou le Maî-'
tre dans l'art d'accoucher les femmes , &
de les foulager dans les maladies & accidens
dont elles font très fouvent attaquées.
Ouvrage des plus utiles pour les perfonnes
qui veulent faire une pratique particuliere
de l'opération des Accoucheurs.
Seconde Edition , revûe , corrigée & augmentée
par l'Auteur , le tout en forme
d'examen. Par Jacques Mefnard , Chirur
gien Juré , ancien Prévôt de la Communauté
des Chirurgiens de la ville de Rouen ,
& Accoucheur. A Paris , chez Debure
Faîné , Quai des Auguftins ; le Breton
que de la Harpe ; Durand , rue S. Jacques.
1753. in- 8° . Un volume.
DISCOURS qui a remporté le prix
d'éloquence , propofé par l'Académie des
Belles- Lettres de Montauban en l'année
F iiij
128 MERCURE DE FRANCE.
1753 , par M. Fromageot , Avocat au Par--
lement de Dijon , & Secrétaire Perpétuel
de l'Académie des Sciences & Belles- Letrres
de la même Ville . A Montauban , chez
Teulieres , & fe vend à Paris , chez Chaubert
1753. Brochure in- octavo de quarante
pages.
Le fujer propofé par l'Académie étoit :
la corruption du goût fuit toujours celle
des moeurs. » Oui , dit M. Fromageot , le
» défordre des moeurs eft le germe fatal de
» toute corruption ; elle fe répand d'abord
» fur les Arts , dont elle change la diftinc-
» tion qu'elle défigure & qu'elle déprave
» à fon gré ; elle gagne enfuite les talens
» qui les cultivent , elle les affoiblit , les
énerve & les glace ; enfin elle en vient
jufqu'à pervertir le goût même , qui ne
» fent prefque plus rien , & qu'elle anéan-
» tit bientôt . Quelle hiftoire que celle de
» cette terrible corruption ! contagion rapide
qui empoifonne les fources de la
» félicité publique , & qui enveloppe dans
» la même ruine les fervices des Arts , le
» génie de l'Artiste , & le difcernement du
" Connoiffeur.
""
» Qui ne fçait , dit l'Orateur dans fa
premiere partie , que, l'éloquence , la
» Peëfie & la Mufique , naquirent dans
» les affemblées de Religion 2 nous devons
ac
NOVEMBRE . 1753 ,
129
le premier Poëme au premier Hiftorien
des oeuvres du Seigneur. L'Architecture
» éleva des Temples , avant de bâtir des
» Palais . C'est au Peintre & au Sculpteur
que fut confié le foin de tranfmettre à
» la poſtérité les traits des grands hommes.
พ
Avec le fouvenir de leurs actions , le
» marbre & la toile ne nous parlent que
» pour nous inftruire. Les Poëtes furent les
» premiers Philofophes , & formerent les
» hommes mieux que Crantor ou que Chryfippe
: uniquement occupés du bien public
» l'un ramene le courage d'une armée prête
à combattre , l'autre donne des leçons
fur les travaux de la campagne ; le plus
» célébre inftruit tous les Grecs , par le ré-
» cit des fuites funeftes de la colere d'un
» d'entr'eux. Athénes , devenue licen-
» tieuse , n'oublia point même alors que
le but de la Poësie étoit d'infpirer la
verru ; le choeur fur introduit fur fon
Théatre pour en donner les plus vives.
" leçons , & l'on exigea du Poëte que fa
fiction ne fût point fterile pour les
P
"3
» moeurs.
» Ainfi les Beaux Arts , loin de flater
l'homme par un agrément inutile & paffager
, ne cherchent au contraire qu'à le
» fervir d'une maniere plus parfaite &
» plus durable. Sûr.de fe faire mieux en-
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
rendre , ils inftruiſent en lui portant la
langue de fes plaifirs & de fes lens . Précicufe
féduction ! puille- t'elle faire cha
» que jour de nouveaux progrès , & en
» nous invitant à la vertu nous faire aimer
» un jong qu'il nous eft fi utile de porter !
» Mais hélas ! nous fommes ingénieux
» à tourner à notre perte tout ce qui eft
» fait pour notre bonheur , & les préfens
» même de ces divinités font devenus dan-
" gereux pour nous. Les moeurs des hommes
étant corrompues , tout fe corrompt
» entre leurs mains , & ils ont introduit
» dans les Beaux Arts le même défordre
qui étoit déja dans leur coeur. Avides du
» plaifir , & ennemis de l'inftruction , ils
ont féparé dans les arts ces deux objets ,
» qui devoient y être perpétuellement
» unis ; ils ont confenti à en recevoir toutes
les impreffions agréables , & en ont
» banni l'utilité réelle , qui en étoit la fin
» principale. Qu'arrivera- t'il ? dès - lors rẻ-
duits au filence par notre perverfité , les
» Arts n'inftruiront plus ; on voudra qu'ils
» fe bornent à plaire , & pour plaire à des
coeurs corrompus , il faudra , ou entretenir
leurs paffions , ou amufer leur inconilance.
C'eft à cet honteux miniftére
qu'on affervira les Beaux Arts. Doivent-
» ils s'attendre à un autre fort depuis que
NOVEMBRE. 1753. 131
nous forçons la nature entiere à fe pré-
» ter à notre déréglement , & que nous
" faifons de chaque créature l'inftrument
de nos délices ? Il faudra de même que
» toutes les productions du génie favori
» fent , ou la licence de notre conduite,
ou notre goût pour la frivolité .
La feconde & la troifiéme partie du Dif
cours font écrites avec autant de force &
d'élégance , que le morceau qu'on vient
de lire. On trouve à la fin de l'ouvrage
une Lettre fur la morr de l'Auteur qui
avoit des moeurs & du talent.
' Debure l'aîné , Libraire , a reçu d'Anvers
le volume fuivant : Acta Sanctorum
menfis Septembris , tomus quartus , quo dies
duodecimus, decimus- tertius decimus- quartus
continentur :fol. 1. vol. du prix de 30 liv.
en feuilles.
CATALOGUE des Livres du Cabinet
de M. de Boze. A Paris , rue Saint Jacques
, chez G. Martin , H. L. Guerin , &
1. F. Delatour , 1753 .
、
Ce Cabinet , quoique celui d'un fimple
particulier , eft peut être plus riche en Livres
curieux & en éditions rares que ceux
de beaucoup de Souverains. Le Lecteur
pourra s'en former une premiere idée parles
titres de quelques uns que nous allons copict.
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
Biblia Vulgata Sixti V. cum Bulla Clementis
VIII. Roma , ex Typographiâ Varicanâ
1592 ,
1592 , in fol.
Pfalmorum Codex latinus , edit, fecunda ,
Moguntia per Joban . Fuft & Petr. Schoeffer
1459 , in-fol. Cette édition n'a été connue
d'aucun Bibliographe.
Réflexions curieufes d'un efprit défintéreflé
, fur les matieres les plus importantes
au falut , tirées & traduites du Tractatus
Theologico- Polnicus de Spinofa . Amft . 1678 ,
in- 12.
L'Opinione tiranna ne gli affari del mondo,
da Claro Flori , Mondovi , de Roffi , 1691,
in 12.
Homeri opera , editio princeps , Florentia
1488 , in fol. 2. vol. avec des notes marginales
du célébre Guillaume Budée ,
* Mémoires du Marquis de Laffay , in 4°.
2. vol. rien n'eft plus rare que d'en trouver
le recueil complet , tel que celui ci auquel
il ne manque rien.
Cymbalum mundi , Lyon , Bonin 1538 .
in- 8 °. feconde édition , on ne connoît que
trois ou quatre exemplaires de cette édition
.
Hugonis Grotii Epiftola, Amft. Blacu , ful.
NOVEMBRE. 1753. 135
1687.Dans cet exemplaire les lacunes font
remplies à la main , les noms propres font
reftitués , & les caracteres particuliers ou
chiffres font expliqués entre lignes, d'après
l'original de Grotius , communiqué par
M. l'Archevêque d'Upfal.
pour
Méthode étudiér l'Hiftoire , par
l'Abbé Lenglet du Frefnoy , nouv . édit.
Paris 1729. Cet exemplaire eft fingulier
en ce qu'il n'a point de carton , & que
l'on trouve à la fin un cahier de remarques
fur les changemens faits par ordre du Magiftrar.
Petri de Boiſſat opera , & operumfrag
menta Hiftorica & Peerica , in -fol. abfq . loci
vel anni indicat. Cet exemplaire est vraifemblablemen
: unique.
On peut juger par ces Livres qui ne
font pas affurément les plus rares de M.
de Boze , du Cabinet de ce grand Littérateur
, de ce fçavant Antiquaire Comme
fon éloge appartient à l'Académie Françoife
dont il étoit un des plus anciens membres
, & à l'Académie des Belles Lettres ,
dont il a été long tems avec beaucoup de
fuccès le Secrétaire , nous nous bornerons'
à rapporter fon Epitaphe.
#34 MERCURE DE FRANCE.
In obitum
Viri ampliffimi , clarıſſimi & doctiſſimi
CLAUDII GROS DE BOZE ,
Gallica , Regia elegantiorum Literarum
Inferiptionum Parifienfis , Berolinenfis ,
Regiaque Londinenfis Academiarum
Socii celeberrimi ,
Regiorum Ælificiorum Infcriptionibus
Prafecti >
Numifmatum & Antiquitatum Cuftodis
longè perfpicaciffimi .
Plangite Caftalides , longo extabefcite luctu.
Eben ! vixit amans ; delubra haud fole refulgent .
Dixerat Æs , marmor , fuperata cupidine fotti ,
Diverfa edebant veteris myfteria mundi.
O dolor ! ifte filet Bezeus mactantur avarâ ;
Relligio , Doctrina , Decor , facundia , virtus.
Hoc fincerum honoris ftudii
amoris monumentum extruit
PETRUS MAYER , ejuſd.
GROS DE BOZE Secretarius.
Piffot , Libraire , demeurant Qui de
Conti , mettra en vente à la fin de ce mois,
THiftoire & Regne de Charles VI . en neuf
volumes in. 12. Par Mille de Luffan.
1
2
NOVEMBRE. 1753. 135
PRIX propofes par l'Académie Royale des
Sciences , Inferiptions & Belles- Leures de
Toulouse , pour les années 1754 1755
& 1756.
A Ville de Touloufe , célébre par
Lies prix qu'on y diftribue depuis longtems
à l'Eloquence , à la Poëfie & aux
Arts , voulant contribuer aufli au progrès
des Sciences & des Lettres , a fous le bon
plaifir du Roi , fondé un prix de la valeur
de 500 liv . pour être diftribué tous les ans
par l'Académie Royale des Sciences ,
Inferiptions & Belles- Lettres , à celui qui ,
au jugement de cette Compagnie , aura le
mieux traité le fujet qu'elle aura propofé.
Le fujer doit être alternativement de
Mathématique , de Médecine & de Littérature
.
L'Académie avoit propofé pour fajet du
prix de cette année 1753 , de déterminer la
direction & la forme la plus avantageuje
d'une digue , pour qu'elle refifte avec tout l'avantage
poffible à l'effort des eaux , en ayans
·égard aux diverfes manieres dont elles tendent
à la detruire.
Quoique dans le nombre des Piéces
qui ont été préfentées , quelques unes!
Contiennent des vues & des principes uti136
MERCURE DEFRANCE.
les : l'Académie a réſervé le prix , à cauſe
que les Auteurs qui avoient le mieux réuſfi
n'ont traité qu'une partie du fujet , &
que fe bornant aux digues qui ont pour
objet de défendre les bords de la mer ou
ceux des rivieres , ils ont négligé de parler
des digues qui font deftinées à élever les
caux , ou à changer leur direction .
La grande utilité de ce fujet a engagé
l'Académie à le propofer encore pour le
prix de 1756 , qui fera double.
L'Académie qui s'est déterminée auffi à
doubler le prix de 1755 , propofe de nouveaupont
fujer de ce prix , l'état des Sciences
des Arts à Toulouse , fous les Rois Vifigots ;
& quelles étoient les loix & les moeurs de cette
Viile ,fous le gouvernement de ces Princes.
Les bornes étroites que plufieurs des Auteurs
, qui ont déja traité ce fujet s'étoient
preferites , engagent à avertir , que par
Toulouſe l'Académie entend , non-feulement
l'espace renfermé dans l'enceinte de
cette Ville , mais encore toute l'étendue
du Royaume dont elle étoit la Capitale .
Les Sçavans furent informés l'année
derniere , que l'Académie propofuit de
nouveau pour fajet du prix double de 1754.
la Théorie de l'Onte , & qu'elle exige des
Auteurs une expofition exacte & circonftanciée
des fonctions propres à chaque
NOVEMBRE. 1753. 137
partie de l'oreille , & des avantages qui réfultent
de leur figure & de leur jeu pour la
perception du fon .
Les Auteurs qui ont déja remis des ouvrages
fur ces fujets , pourront les préfenrer
derechef , après y avoir fait les changemens
qu'ils jugeront convenables.
Les Sçavans font invités à travailler fur
ces fujets , & même les Affociés étrangers
de l'Académie . Les autres Académiciens
font exclus de prétendre au prix.
Ceux qui compoferont font priés d'écrire
en François ou en Latin , & de remettre
une copie de leurs ouvrages , qui
foit bien lisible , furtout quand il y aura
des calculs algébriques.
Les Auteurs écriront au bas de leurs ou
vrages , une fentence ou devife ; mais ils
n'y mettront point leur nom. Ils pourront
néanmoins y joindre un billet féparé &
cacheté , qui contienne la même fentence
ou devife , avec leur nom , leurs qualités-
& leur adreffe : l'Académie exige mêmequ'ils
prennent cette précaution , lorfqu'ils
adrefferont leurs écrits au Secrétaire . Ce
billet ne fera point ouvert , fi la piéce n'a
remporté le prix.
Ceux qui travailleront pour les prix ,
pourront adreffer leurs ouvrages à M.
l'Abbé de Sapte , Secrétaire Perpétuel de
13S MERCURE DE FRANCE.
•
l'Académie , ou les lui faire remettre par
quelque perfonne domiciliée à Toulouſe .
Dans ce dernier cas , il en donnera fon
Récépiffé , fur lequel fera écrite la fentence
de l'ouvrage avec fon numero , felon
l'ordre dans lequel il aura été reçu .
Les paquets adreffés au Secrétaire , doivent
être affranchis de port.
Les ouvrages ne feront reçus que juſqu'au
dernier Janvier des années , pour le
prix defquelles ils auront été compofés.
L'Affemblée proclamera dans fon Affemblée
publique du 25 du mois d'Aoûr de
chaque année , la piéce qu'elle aura couronnée.
Si l'ouvrage qui aura remporté le prix ,
a été envoyé au Secrétaire à droiture , le
Tréforier de l'Académie ne délivrera ce
prix qu'à l'Auteur même , qui fe fera connoître
, ou au porteur d'une procuration
de fa part.
S'il y a un Récépiffé du Secrétaire , le
prix fera délivré à celui qui le repréfentera.
L'Académie qui ne preferit aucun fyftême
, déclare auffi qu'elle n'entend point
adopter les principes des ouvrages qu'elle
Couronnera.
NOVEMBRE. 1753. 139
'Académie des Sciences , Belles- Lettres
& Arts d'Amiens , célébra le 25
Août la Fête de Saint Louis , dont le Pané.
gyrique fut prononcé par M. Dairé , Cüré,
d'Epinai.
L'Affemblée publique avoit été tenue
le 13 du même mois , & honorée de la
préfence de M. le Duc de Chaulnes , Prorecteur
de l'Académie , qui le 12 avoir fair
comme Gouverneur Général de Picardie ,
fon entrée folemnelle dans Amiens .
M. Diret , Directeur , ouvrit la Séance
par un Difcours , dans lequel il prouva
combien l'étude des Lettres étoit propre à
former le commerçant
.
Les autres ouvrages qui remplirent la
Séance , furent les éloges que M. Baron
Secrétaire Perpétuel de l'Académie , fit de
M. Berfin de Villers , Maître des Requêtes
, Académicien Honoraire ; & de M.
Bernard , Avocat , Académicien réfident
morts dans le cours de l'année ; des réflexions
fur l'imagination , par M. de Vuailly ;
une Ode fur la fincérité , par M. le Picart ;
trois Fables par M. de Riveri ; une Ode
de M. l'Abbé Clergé , fur l'entrée folemnelle
de M. le Gouverneur Général.
M. Greffet , de l'Académie Françoife
140 MERCURE DE FRANCE.
termina la Séance par la lecture de l'Oxvroir
, ou le Laboratoire de nos Soeurs ; l'un
des deux nouveaux chants , ajoutés au Poëme
de Vert-vert.
M. Greffet protefte contre tous les pretendus
recueils de fes ouvrages , qui ont
été publiés jufqu'ici : aucune de ces éditions
n'a été faite de fon aveu , ni en France
, ni ailleurs ; c'eft une vérité que nuf
Editeur , ni Libraire ne peut démentir ;
ainfi M. Greffet n'a aucune part à l'abus
qui fe fait de la confiance publique par
des éditions multipliées , toujours chargées
de piéces qu'il défavoue , & de fautes qui
ne font pas les fiennes. Il compte être bientôt
affranchi des obftacles qui l'ont empê
ché jufqu'à préfent de donner une édition
avouée & augmentée de plufieurs
piéces qui n'ont point encore été mifes au
jour.
L'Académie ayant jugé à propos de réferver
les prix de cette année , pour fujets
de ceux qu'elle diftribuera le 25 Août
1754 , propofe à réfoudre les questions
fuivantes : Quelles font les differentes qualités
de laines , propres aux Manufactures de
France ? Si on ne pourroit point ſepaſſer des
- laines étrangeres ? Comment on pourrois perfectionner
la qualité & augmenter la quantité
de laines de France ?
NOVEMBRE. 1753. 1-47
Le prix de cette Differtation fera une
Médaille d'or de la valeur de 600 liv . donnée
par M. le Duc de Chaulnes , Protec
teur de l'Académie.
Quelle est la nature de la tourbe de Picardie
? Si elle croît ? Si elle recroît ? Comment on
pourroit diminuer les dépenfes qui fe font ordinairement
pour la tirer ? Le prix de cette
Differtation fera une Médaille d'or de la
valeur de 300 liv . donnée par
l'Hôtel-de-
Ville d'Amiens,
Il fera libre aux Auteurs qui ont envoyé
au concours des Differtations fur les laines
, de les renvoyer avec de nouvelles
obfervations ; l'Académie même les y exhorte.
Ils adrefferont leurs ouvrages , affranchis
de port , avec leurs noms & leurs
dévifes cachetés , avant le premier Juin
1754 , à M. Baron , Secrétaire Perpétuel
de l'Académie , à Amiens.
LETTRE à M. le Chevalier de Caufans .
M
Onfieur , il court un bruit dans le
Public que vous êtes sûr d'avoir fait
la découverte de la Quadrature du Cerole.
Je ne doute point de vos lumieres ,
mais je me crais indifpenfablement obligé
d'avoir l'honneur de vous dire , que fi vous
Vous êtes conformé aux principes Eucli742
MERCURE
DE FRANCE.
diens , vous n'êtes point parvenu préciſément
à la quadrature , parce qu'elle n'eſt
point da reffort des démonſtrations algébriques.
Et fi vous l'avez trouvée numériquement
, je vous devance de beaucoup
d'années dans cette découverte ; Gueffier ,
Libraire , Parvis de Notre-Dame , à Paris ,
peut vous en donner des preuves. Je ſerai
toujours prêt à reconnoître votre fupériorité
fur moi dans cette cauſe célébre , fi
vous en avez effectivement ; & j'ai tout
lieu d'efpérer de la nobleffe de vos fenti
mens , la juftice que j'en dois attendre .
J'ai l'honneur d'être , & c.
Liger, Commis au Bureau de la
Guerre , à Versailles.
A Verfailles , le 4 Septembre 1953 .
REPONSE à la Lettre de M. **. de
Paris , du 25 Août dernier.
M
Onfieur , je vous renvoye , les deux
Volumes fur la Minéralogie dont
M. Wallerius eft l'Auteur ; je conviens
avec vous que la matiere y eft traitée avec
beaucoup d'ordre , & que fa nouvelle méthode
donne beaucoup de facilité pour la
connoiffance des différens corps fofilles.
H feroit néanmoins à fouhaiter que cet
NOVEMBRE. 1753 . 243
Ouvrage fût moins chargé de fubdivifions
& de fuppofitions abfolument démenties
par les obfervations qu'on peut faire journellement.
J'ai marqué en marge , ſuivant
vos défirs , celles que j'ai jugées telles . En
voici une que je n'ai pû pafler fans critique
.
L'Auteur dit V. 1. page 174 , Obſer--
wvation premiere : qu'on n'a point encore
trouvé de cailloux , de pierres à fufil , &
agathes , en roches , en couches , veines
»& filons. Que ces efpéces de pierres font
» ifolées , répandues dans les campagnes ,
»dans les fables , & fur les bords de la
»mer ; & plus bas , page 175 & 176 ,
» Obfervation cinquième , que l'on auroit
» droit de conclure , qu'une partie de ces
»pierres eft de toute antiquité , & qu'el-
» les fe font coagulées & durcies , fous une
» forme fphérique dès le commencement
» du monde.
Les remarques fuivantes prouvent nonfeulement
, qu'on trouve dans les couches
ces trois espéces de pierres ; mais auffi que
les pierres femblables , qu'on trouve ailleurs
ifolées & répandues , font forties des
couches après y avoir été formées.
Remarque premiere. Sur les Cailloux.
Dans quelques montagnes de cette Pro
144 MERCURE DE FRANCE .
vince , on voit des couches compofées de
coquilles & détrimens mêlés d'un grand
nombre de cailloux , foit arrondis , feit
d'autres formes , qui ont comme une
croûte blanche de même matiere de coquilles
& détrimens ; quelques unes des
coquilles font adhérentes aux cailloux ,
en forte que la partie qui eft dans le caillou
eft convertie en pierre , & la partie
faillante eft encore en nature de coquille,
Lorfqu'on a caffé ces cailloux , on trouve
dans le centre de plufieurs , des coquilles
& détrimens femblables à la matiere qui
compofe la couche ; fi l'on jette dehors
cette matiere , il refte dans la cavité de ces
cailloux , de petits corps marins qui y font
adhérens , de la même façon que la fupesficie.
Ils prennent un poli très- vif après
la taille ; alors on découvre dans leur capacité
, nombre de veftiges de coquilles
ou autres corps marins. Ces cailloux ayant
donc des coquilles fur leurs croûtes , d'autres
dans leurs centres , & d'autres dans le
corps de la pierre , on peut avec quelque
affurance , conjecturer qu'ils ont été compofés
de la même fubftance que celle qui
compofe la couche , & qu'ils ont pris leurs
figures déterminées en fe condenfant
comme font les grains de fel , qui pren
nent la lear en fe criftalifant.
Dans
NOVEMBRE. 1753. 145
Dans d'autres couches , j'ai trouvé des
cailloux arrondis , compofés entierement
de corps marins , foit coquilles & noyaux
de coquilles ; ces cailloux ne font que formés,
mais point encore convertis en pierre
dure : ceux que j'ai caffés de cette forte
font dans toutes leurs males , de même
matiere de coquille , fans qu'il paroiffe de
différente dureté dans aucune partie.
Il est d'autres cailloux tirés des couches
de pierres très- dures , fur lefquelles on ne
découvre plus aucune matiere de coquille
; mais les noyaux qu'on diftingue encore
aifément , foit fur leur fuperficie , foit en
les caffant , me perfuadent qu'ils ont été ,
comme les précédens , compofés de même
matiere de corps marins .
Deuxième. Sur les Pierres à fufil.
On voit dans plufieurs montagnes , des
couches compofées de pierre à fufil , en
groffes & petites maffes féparées , mais
néanmoins liées dans la couche par une
efpéce de craye blanche médiocrement
durcie , dans laquelle on découvre des
veftiges de corps marins , que l'on apper.
çoit de même dans les pierres à fufil . Cel
les qui font de figures arrondies fe déta
chent des couches avec affez de facilité
G
146 MERCURE DE FRANCE:
fans emporter fur leurs fuperficies que bien
peu de cette matiere de craye. Il eft des
couches où la quantité de pierres à fufil
excéde le volume de la craye ; & d'autres
où le volume de la craye eft beaucoup plus
confidérable que celui des pierres à fafil.
Les couches que j'ai vûes de cette espéce ,
n'ont au plus qu'un pied & demi d'épaiffeur
, mais plufieurs lieues d'étendue.
Troifiéme. Sur les Agathes.
Dans une très haute colline fur les bords
de la riviere de Seine , j'ai vû une couche
de pierre blanche affez dure , de trois pieds
d'épaiffeur , & de plufieurs lienes d'étendue
, mêlée de noyaux de divers genres
de coquilles , convertis en agathe brune ,
lefquels prennent un poli des plus anis &
des plus vifs ; on apperçoit tant dans la
couche de pierre blanche , que fur les
noyaux après les avoir polis , une fi pro-'
digieufe quantité de veftiges de corps marins
, qu'on ne peut douter que ces couches
& ces noyaux n'en ayent été com
polés.
En d'autres couches j'ai trouvé nombre
de cornes d'Ammon , des noyaux d'Echi
nites, & d'autres coquilles de pure agathe.
Obfervez , Monheur , au furplus que les
NOVEMBRE. 1753 . 147
Trois efpéces de pierres furnommées qu'on
trouve dans les couches , donnent des
étincelles de feu en les frappant avec l'acier
, ainfi
que les pierres des mêmes eſpéces
qu'on trouve répandues dans les campagnes
& autres lieux ; & que les unes
comme les autres , portent prefque toutes
des veftiges de coquilles , ou d'autres marques
de productions marines : preuve qu'elles
ont toutes la même origine.
Je ne dois pas négliger de vous communiquer
une autre remarque que j'ai faite
nouvellement , & qui me paroît mériter
l'attention des Naturaliftes. J'ai trouvé
dans des couches , & dans les vignes du
Vendomois , parmi des cailloutages , des
coquilles encore dans leur nature de coquille
, affez bien confervées , & d'autres
confervées dans leurs ftructures , mais un
peu calcinées , qui donnent toutes ( tant
celles des couches que celles des vignes )
des étincelles de feu en les frappant avec
l'acier .
Sur ce que je viens d'expofer , ne vous
paroit-il pas furprenant , Monfieur , qu'un
Sçavant tel que M. Wallerius , ignore que
ces trois efpéces de pierres qu'on trouve
dans les lieux qu'il défigne , font forties
des couches de la terre , qui compofent les
montagnes , les collines & les plaines ;
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
& qu'il ne fçache pas que celles de figures
fphériques , celles prefque arrondies , &
celles à angles émouffés , fe font plus aifément
détachées des couches que celles des
autres formes ; & que par même raifon
d'arrondiffement , elles ont roulé dans les
campagnes & autres lieux , où on les trouve
ifolées & répandues .
C'en eft affez , il me femble , pour
prouver qu'on trouve dans les couches
ces trois elpéces de pierres , pour détruire
l'origine que leur donne M. Wallerius ,
& pour anéantir par conféquent ſa conclufion
fur leur âge.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Du Château de Prépatour , ce 20 Septem
bre 1753.
LES Libraires affociés diftribuent actuellement
le troifiéme volume de l'Encyclopédie.
L'Auteur de l'article Concile ,
avertit qu'à la page 808 , lig. 62. col . 1 .
& à la pag . 810. lig. 10 col. 1 , il faut lire
Binius , au lieu de M. Bignon . Le nom de
Severin Binius n'a point dû être ainfi francifé
, & on pourroit le confondre avec
Jerôme Bignon , dont on trouve des notes
dans la collection des Capitulaires , tan .
dis que celles de Severin Binius regardent
les Conciles , & font inferées dans la ColNOVEMBRE.
1753. 149
*
lection du Pere Labbe. Au refte , on corrigera
cette faute dans l'Errata du troifiéme
volume de l'Encyclopédie , qui fera mis
au volume fuivant du même Dictionnaire.
50% 50% 50%30% 322: 56 : 502 522 : 306 307 304 305 306398
BEAUX ARTS.
E Vendredi 28 Septembre , l'Académie
de Peinture & de Sculpture étant
affemblée par convocation genérale , M.
le Comte de Vence fut élû par fcrutin
honoraire Affocié libre . C'eft une acquifition
que tout doit rendre précieufe à
l'Académie : le nouvel Académicien réunit
tous les avantages qu'on peut défirer , une
grande naiffance , des moeurs faciles , un
goût sûr , une espéce de paffion pour les
Arts , & un cabinet fort riche.
LA Peinture. Ode de Milord Telliad
traduite de l'Anglois . A Londres , & le
trouve à Paris , chez Prault fils , Quai de
Conti. 1753. Brochure in 12 de 22 pages.
Il y a bien du feu , de l'enthouſiaſme ,
& du zéle pour l'honneur de notre Ecole
de Peinture , dans cette brochure prétendue
traduite de l'Anglois. Peut être y défireroit-
on un peu plus d'économie dans l'éloge
de quelques - uns de nos Artiftes. Ce
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
reproche, fi c'en eft un, ne peut pas tomber
fur les ftrophes que nous allons copier .
Répond moi , célébre Chardin : quand
la Peinture jaloufe , furmontant enfin ta
Philofophie & ta pareffe , peut te faire
reprendre en main fes pinceaux , & tracer
à loifir ces images de la nature fi finceres
, fi affectueules , fi naïves ; quelle
magie , quel art inconnu juſqu'à toi ,
peut diriger fon méchanifme enchanteur ?
Tout plaît dans la décoration de tes tableaux
, leur fujet & leur exécution . L'oeil
trompé par leur agréable légereté , & la
facilité apparente qui y tegne , voudroit
en vain , par fon attention & les recher
ches multipliées , en apprendre d'eux'le
fecret : il s'abîme , il fe perd dans la touche
; & laffé de fes efforts , fans être jamais
raffalié de fon plaifir , il s'éloigne
fe rapproche , & ne la quitte enfin qu'avec
le ferment d'y revenir.
Tant de talens & fi peu flattés , me rappellent
cetArtifte qu'on a vû trop long- tems
triompher fur les bords du Tibre , & que
Paris déformais fe promet de voir repofer
dans fon fein. Que de lauriers il rapporte
de ces bords jaloux ! & qui pourra jamais.
croire qu'une feule main en ait tant cueil
lis ? Que de naturel ! quel feu ! quelle
verve & quelle abondance ! Vernet , uniNOVEMBRE.
1753. 151
que dans fon genre , laiffe bien loin der
riere lai tous ceux qui l'ont précédé dans
la même carriere , & fait le défefpoir de
quiconque ofera le fuivre. A la fougue
épurée des Vander- cable , au naturel exquis
des Lorrains , il joint tout l'efprit
toute la correction , & la touche ferme &
faillante des Salvator. Aufli Poëte , mais
fur tout intéreffant que ce dernier , jamais
le coeur ne refte indifférent à la vûe de fes
tableaux : il fe trouble comme l'élément
en fureur qu'il repréfente ; il eſpére , il
craint avec ceux qui luttent contre les
flors amers , prêt à les fubmerger ; il fe
brife de douleur à l'afpect de ceux que leur
trifte fort en a rendu la victime. Quelquefois
auffi , plus tranquille , mais non plus
content , il goûte en paix fur le rivage ,
avec de moins infortunés , les délices du
port..
Quelle aimable variété dans les talens !
& quelle fageffe la nature fait paroître
dans leur différente diftribution ! quels
éloges fur- tout ne méritent pas ceux qui
fçavent reconnoître le leur propre , & s'y
attachent ! Je vois des portraits qu'Apelles
eût admirés . Ce grand homme , dit l'Hif
torien de la nature , exprimoit diítinctement
, dans l'image de ceux qu'il repréfentoit
, l'âge , le tempérament , l'efprit ,
G iiij
152 MERCURE DE FRANCE.
P'humeur , les paffions & le caractere. La
Tour eft l'Apelle de nos jours. La Tour
femble ravir à ceux qu'il peint l'efprit , qui
nous enchante dans leurs Ouvrages. Son
art réunit le double avantage d'exprimer
également bien l'efprit & la beauté , qualités
fiincompatibles quelquefois dans la
nature. La beauté , fous fes crayons en-.
chanteurs , loin de perdre rien de fa fleur ,
femble acquérir au contraire de ces graces
naïves & ingénues , qui en font le plus
grand charme. I fçait par fon tact fubtil
& magique , faifir & fixer le fel volatil
de l'efprit , fi facile à s'évaporer des mains
e qui que ce foit , & de ceux même qui
Je poffédent .
Sçavant Reftout , perfonne n'a connu
mieux que toi l'avantage de ce privilége ,
i n'en a ufé plus abondamment. Digne
neveu du Turpilius moderne , ta main
fous lui s'eft exercée à mouvoir fans effort
les plus grandes machines. Rien n'égale
la fierté de ta touche & de ton deffein
; tes airs de têtes fe fentent de fa fureur.
Mais bien différent de ces Peintres
modernes , qui cherchent à flater un fexe
foible , & le vain pouvoir que nous lui
attribuons , jufques dans la repréfentation
des évenemens les plus reculés , ton génie
brufque & inventif n'a jamais ployé fous
NOVEMBRE. 1753 . 153
cette fervitude. Dans eux , c'eft le triomphe
de la beauté ; dans toi , c'eſt celui de
la grace que nous admirons..... Je recon .
nois dans tes tableaux l'ordre admirable
de la providence. Ce font là les inclinations
dignes de fixer l'amour permanent
de nos Patriarches ; ce font là les beautés
males , feules dignes de figurer dans l'ancien
Teftament.
On peut parvenir aux honneurs de fon
art par des chemins différens. Les ris &
l'amour en ont frayé la route au Corrége
moderne . Sa main cueillit des rofes où les
autres ne rencontrerent que des épines .
Quel feu , que d'efprit , quelle onction &
quelle harmonieufe aifance ! Platon jadis'
accufoit certains Philofophes de n'avoir
jamais facrifié aux Graces ; je n'ofe faire
aux Peintres François le même reproche ;
mais Boucher ne l'encourra jamais . Son
imagination vive & abondante ne s'eft
point bornée à ce nombre : Boucher en
connoît plus de trois . Ses yeux ont vû
plus d'une Venus : il fenible , dans fes rêveries
tendres & paffionnées , que ce Peintre
privilégié ait affifté à tous les myſteres
de l'amour.
Un Athléte fier & majestueux s'avance.
Il marche , dédaigneux de courir , il marche
; & le dernier de fes pas doir remplir
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
paru
la carriere. Sa main triomphante femble
lever le rideau , qui jufqu'à nous avoir
voiler la nature. Il découvre à nos
yeux les trésors dont les différentes faifons
ont coutume de l'enrichir . C'eft des
mains même de cette Déeffe qu'il tient fes
pinceaux : elle femble fe plaire moins dans
fes propres productions que dans fes euvrages
Elle s'y trouve auffi fimple , auff
vraye , auffi touchante , & de plus embellie.
Son génie actif & puiflant parcourt à
la fois la mer , la terre & les Cieux . C'eſt
dans l'Olympe qu'il prend ces traits riches
& lumineux dont il teléve notre humanité
& la décore. Hofe repréfenter tour- àtour
, & de leurs vrayes couleurs , les plaifirs
& la majefté des Dieux : demi-Dieu
lui même , ce n'eft ni le Corrège , ni le
Titien , ni Rubens , c'eft Vanloo.
La grande Gallerie de Versailles , & les
deux Salons qui l'accompagnent , peints par
Charles le Brun , premier Peintre de Louis,
XIV , deffinés par Jean Baptifte Maſſé ,
Peintre & Confeiller de l'Académie Roya
le de Peinture & .de Sculpture , & gravés
fous fes yeux par les meilleurs maîtres du
tems.
Tons les Curieux de l'Europe attendoient
avec impatience le plus grand onNOVEMBRE
. 1753. 155
vrage de Gravûre qui ait été entrepris &
exécuté dans le feul Pays où la gravure
foit cultivée avec fuccès. Nous leur annonçons
que cette immenfe entrepriſe eft
enfin finie , & qu'elle foutient très - bien
l'honneur de notre Ecole. Voici comment
s'exprime M. Maffé à la tête d'un petit
Livre dans lequel il dévelope les idées du
Peintre dont il immortalife les ouvrages.
Charles le Brun , ce grand Peintre , done
le nom (cul eft devenu un éloge , confacra
les dix plus belles années de la vie à peindre
la Galerie de Verfailles & les deux falons
qui l'accompagnent.
Les Tableaux dont cette Galerie eft ornée
, contiennent la plus brillante partie
de l'Hiftoire de Louis XIV , c'eft- à- dire ,
depuis 1661 qu'il prit en main les rênes
du Gouvernement , jufqu'en 1678 qu'il
borna le cours de fes exploits par une paix:
plus glorieufe encore.
Le zele & la reconnoiffance de le Brun
pour un Prince qui ne ceffoit de le combler
de bienfaits , l'éleverent en quelque:
forte au-deffus de lui même. Il répandit
dans cet ouvrage , toute la variété , toute
la nobleffe des pensées & des expreffions
qui caractérisent un Poëme héroïque ; &
le Roi frappé de l'effet de fes premiers
Tableaux , le propofa dès lors de les faire
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
graver fucceffivement , pour en former un
recueil qu'il pût donner aux Princes , aux
Miniftres étrangers , & aux perfonnes diftinguées
qu'il voudroit honorer d'une marque
particuliere de ſa bienveillance.
Dans cette vûe , M. Colbert commença
par charger Charles Simonneau , de graver
celui de ces Tableaux dont le fujet eft la
feconde conquête de la Franche- Comté ;
mais la planche n'ayant pû être finie qu'en
1688 , cinq ans après la mort du Miniftre,
le malheur des guerres qui fuivirent immédiatement
, fit oublier , pour ne pas
dire abandonner totalement , une entreprife
aufli honorable pour la Nation
qu'elle auroit été utile aux progrès des
Arts : quelle apparence qu'un fimple particulier
osât jamais s'en charger !
Je l'avouerai cependant , j'eus l'heureuſe
témérité de former ce projet en 1723 ,
& M. le Duc d'Antin à qui je le communiquai
, réchauffant mon courage par tout
ce que les éloges ont de plus flatteur dans
la bouche des Grands , me remit peu de
jours après un brevet du Roi , qui m'autorifoit
à élever dans les appartemens de
Verfailles , les échaffauts dont j'aurois befoin
pour mon opération .
Huit années me fuffirent à peine pour
terminer les deffeins. On ne prévoit point,
NOVEMBRE. 1753. 157
& il eft bon que cela foit ainfi , on ne prévoit
point , dis-je , ce qu'il en coûte de
tems , de foins & de peines pour delfiner
dans une attitude contrainte , des plafonds
où le Deffinateur n'eft éclairé que par des
jours de reflet. La feule circonftance qui
m'aidoit à foutenir un travail fi pénible ,
c'est que le Roi l'honoroit fouvent de fes
regards , & en paroiffoit toujours fatisfait.
Les gravures ont eu des inconvéniens
d'une autre espéce , & elles ont emporté
un espace de plus de vingt années , fans
qu'il y ait lieu de s'en étonner , fi on confidére
, premierement , qu'on s'eft affujetti
à graver tout au miroir , pour rendre les
actions à droite comme elles font dans les
Tableaux ; ce qui , à la vérité , eſt d'une
longueur infinie , mais qui a paru abfolument
néceffaire pour la fidélité de la repréſentation
, & pour la beauté des eftampes.
En fecond lieu , que n'ayant voulu
confier l'exécution d'un pareil ouvrage
qu'à des Graveurs d'une habileté reconnue
, ceux qui jouiffoient déja d'ane grande
réputation étant aufli fort avancés dans
leur carriere , ils ont dans cet intervalle
payé à la nature le tribut dont nul talent
ne peut affranchir '; que ceux qui les fuivoient
de près , fe font infenfiblement
trouvés hors de combat par l'âge qui les a
158 MERCURE DE FRANCE.
gagné , ou par les infirmités qui leur font
furvenues ; que d'autres enfin , éblouis par
les avantages qu'on leur faifoit efpérer
dans les Pays étrangers , font allés s'y
établir.
Je m'arrache au détail de ces fatalités
prefque toujours inféparables des grandes
entreprifes , pour témoigner publiquement
que je dois une partie de la réullite
de celle- ci , aux foins obligeans de Meffieurs
Galoche , Boucher , Natoire & Bouchardon
, & fur - tout de feu M. le Moyne ,
que je voudrois pouvoir immortalifer par
ma reconnoiffance , comme il s'eft immortalifé
lui- même par les chefs-d'oeuvres qui
font fortis de les mains.
Je ne fuis pas moins empreffé de publier
que l'amour des beaux Arts qui animoit le
miniſtere de M. de Tournehem , & qui
diftingue également celui de M. de Vandiere
fon digne fucceffeur , m'a fait trouver
dans les bontés du Roi , les derniers
fecours dont j'avois befoin pour mettre ce
recueil au jour , & que ce qui me flatte
le plus dans le fuccès de mon entrepriſe ,
c'eft qu'indépendamment de l'avantage
qu'elle me procure de tranfmettre à la poftérité
une jufte idée de la grandeur de nos
Rois , elle a fervi dans le tems , à entretenir
en France nombre d'excellens ArtifNOVEMBRE.
1753. 199
res , à y foutenir le bon goût de la Gravûre
, & àlui affurer en ce genre la même
prééminence que la Peinture & la Sculpture
lui donnent fur toutes les Nations.
Tour ce que M. Maffé vient de dire eft
fort au- deffous de ce qu'on penfa de fon
entrepriſe à Verfailles le 23 Novembre.
Toute cette belle fuite d'eftampes y fut expofée
dans la grande Gallerie , & y fixa
l'attention de toute la Cour, Le Roi dit :
Voilà ma Gallerie éternifée , car cela refera
Paris , où le goût des Arts eft plus vif , a
montré encore plus d'empreffement. Le
Salon qu'on a prolongé pour donner le
tems d'examiner cette grande collection
qu'on n'avoit pû y porter que tard , n'a
pas défempli. Nous rendrons compte le
mois prochain des impreffions du Public ,
qui ont été extrêmement favorables.
Nous avertirons en attendant , que la '
Collection que nous annonçons eft compofée
de 55 fujets , dont deux font imprimés
fur le grant Louvois , & les autres fur
le grand Aigle, & qu'elle fe vend actuelle
ment chez Auteur , à Paris , Place Danphine.
Le prix en blanc eft de
3.00 liv .
Les perfonnes qui voudroient l'avoir reliée
, peuvent s'adreffer au fieur Padeloup
Reheur du Roi , au coin de la Place de
Sorbonne. C'eft le feul qui en ait relié juf
qu'à prefent.
160 MERCURE DE FRANCE.
Comme cer Ouvrage eft dans fon plus
grand éclat fous verre , ceux qui le défireroient
ainsi , peuvent s'adreffer au fieur
Billette , Vitrier , rue du Harlay , proche
Ja Place Dauphine . C'eſt lui qui l'a monić
pour le Roi; pour le Roi de Pologne, Duc
de Lorraine , & pour l'Auteur.
M. Peffelier toujours attentif à louer
tout ce qui fe fair d'utile pour les Arts , a
envoyé à M. Maffé les Vers fuivans .
Des chefs d'oeuvres que l'art ne peut trop publier,
Ta main incomparable affure la mémoire :
Du Peintre & du Heros tu partages la gloire ,
Comme tu fçais l'étendre & la multiplier .
C'EST avec plaifir que nous annonçons
aujourd'hui le débit d'une Eftampe
qui a quatorze pouces neuf lignes de hauteur
, & douze pouces huit lignes de largeur
; c'eft-à- dire , qu'elle eft grande comme
le Tableau original que le public a
fort admiré dans le dernier falon . Le beau
morceau peint par M. Chardin , & tiré
du Cabinet de M. de Vandiere , eft gravé
par M. Cars . Quand denx Artiſtes de ce
mérite fe réuniffent , on annonce leurs
productions avec hardieffe . Les compofitions
du Peintre , quoique fimples & foumifes
aux moeurs du tems , ne prétendent
NOVEMBRE. 1753. 163
point à l'héroïque ; mais la jufteffe du
choix & l'agrément des images préfentent
une vive critique des Peintres Flamands
en général. En effet , des tabagies , des
combats àcoups de poing , des befoins du
corps ; enfin la nature prife dans ce qu'elle
a de plus abject , font les fujets les plus ordinairement
traités par les Braures , les
Oftades, les Ténieres, &c. M. Chardin s'eft
toujours écarté de ces images humiliantes
pour l'humanité , il a eu , à la vérité , toujours
pour objet une action petite , mais
intéreffante , au moins par le choix des
figures qui n'ont jamais rien préfenté de
kid ni de dégoûtant . Ici l'on voit une
femme jeune , dont la figure eft touchante ,
& dont l'ajustement fimple eft étoffé , en
même tems qu'il indique la propreté ; elle
eft à côté de fon métier , auquel il paroît
qu'à l'art de travailler, elle a fubftitué une
ferinette ; elle regarde finement , mais
avec une curiofité convenable , le ferin
dont la cage eft au coin du Tableau , &
placée fur un guéridon : la chambre eft parée
convenablement au caractere & à l'état
de la perfonne repréſentée ; on y voit quelques
tableaux , & celui qui paroît en enter
repréfente l'ingénieufe allégorie de
M. Coypel , le dernier mort. Il avoit exprimé
dans ce morceau , avec autant de
162 MERCURE DEFRANCE .
• graces que de nobleffe , la Peinture qui
chaffoit Thalie de fon attelier : ouvrage.
qu'il avoit fait dans un de ces inftans de
dégoût , qu'un homme occupé de deux
maîtreffes croit reffentir pour celle qui le
lendemain mériteroit la préference . C'eſt
en compofant comme M. Chardin , qu'il
eft permis de traiter les actions de la vie
familiere ; il faut la faire aimer & la faire
envier auffi l'on peut dire fans hyperbole
que le modéle dont M , Chardin a
fait choix dans cette occafion , indique
une perfonne attachée à fes devoirs , honnête
, pleine de douceur , enfin qui fçair
s'occuper ; c'est du moins l'idée qu'elle
nous à donnée. Le Graveur a menagé &
confervé toutes les fineffes ; il a exprimé
celles de l'accord & des grandes parties de
la peinture , mais ce qu'on appelle la couleur
en terme de gravûre ; & pour la rendre
avec vérité , il a fçu placer à
pos & oppofer les differens genres de
travail. Enfin l'Eftampe fait voir la blancheur
de la
peau d'une blonde , en oppofition
avec une coëffe & un mantelet de
mouffeline ; hardieffe de la peinture , que
la gravûre a rendue avec une juſteſſe &
une vérité qui lui étoient peut-être plus
difficiles.
pro
Cette Eftampe le vend chez le Sr Cars
rue Saint Jacques , vis-à-vis le Pleſſis.
NOVEMBRE. 1753. 163.
=
SURUGUE vient de graver le Philofophe
en méditation , de Rembrant , & il fe
propofe de graver fon pendant l'année
prochaine. Ces deux Tableaux uni.
ques dans leur efpéce , & qui étonnent
par la vérité de leur lumiere , font dans le
Fiche Cabinet de M. le Comte de Vence.
M. Surugue n'a pas cherché à imiter la maniere
de graver qui étoit particuliere à
Rembrant , & qui n'a été faite par perfonne
; mais il a eu le courage d'ofer.ce
qu'aucun de fes confreres n'avoit jugé à
propos d'entreprendre , & il l'a exécuté
avec un fuccès qui doit étendre fa réputotation
.
Le Maitre de Clavecin pour l'accompagnement
, Méthode théorique & pratique , qui
condait en très- peu de tems à accompagner
à livre ouvert , avec des leçons chantantes
où les accords font notés , pour faci
E liter l'étude des commençans. Ouvrage
urile à ceux qui veulent parvenir à l'excellence
de la compofition ; le tout felon la
régle de l'octave & de la baffe fondamen
tale ; par Michel Corretto , prix 9 liv. A
Paris , chez l'Auteur , à l'entrée de la rue de.
Montorgueil , à la Croix d'argent.
On connoîtra mieux l'ouvrage que nous.
annonçons par le plan qu'en a tracé l'Au164
MERCURE DE FRANCE.
teur qui a de la réputation , que par tout
ce que nous pourrions en dire.
"
Depuis que Corelli a inventé le genre
de la Sonate du Concert , la Muſique ,
» dit M. Corretto , a fait des progrès étonmans
dans toute l'Europe ; c'est à cet il-
» luftre Auteur à qui on eft redevable de
» la bonne harmonie & de la brillante
fymphonie. Avant lui les Concerts en
» France étoient médiocres. Nous voyons
» dans l'Harmonie univerfelle du P. Mer
»feune , & dans le P. Parran , imprimé en
· » 1646 , qu'on n'exécutoit de leur tems dans
» les Concerts de Paris que du plain chant
figuré , avec quelques petites chanfons
» d'un chant lugubre & lamentable ; plus
elles étoient triftes & languillantes , &
plus les amateurs de ces tems les trou.
» voient admirables , & leur donnoient par
" excellence le nom de Mufique de fenti-
"ment. Tels étoient les airs de Boëffer ,de
» le Camus , de Lamberti , & c.
»
و ر
" A peine connoiffoit on la Malique
» inftrumentale , qui fait préfentement
» l'amufement de tous les honnêtes gens.
" On ne jouoit que quelques petits airs
» de danfe fur la harpe , le luth , la gui-
» tarre , la vielle , la mufette , enfin , pour
» ainfi dire , la Mufique étoit au berceau .
» L'Auteur des Dons des enfans de La
寫
2
2
13
D
23
D
D
D
22
NOVEMBRE . 1753 .
1:66
,"
tonne , dit que c'est par M. Mathieu ,
" Curé de Saint André des Arts , fur la fin
» du dernier fiécle , que la Mufique Ita-
» lienne a été introduite à Paris ; il don-
» noit un Concert toutes les femaines où
» l'on ne chantoit que de la Mufique la-
» tine des meilleurs Maîtres d'Italie , de
- » Caffati , Cariffimi , Baſſani , Scartati &
גכ
» autres.
وو
t
» Ce fut à ce Concert que parurent pour
» la premiere fois les trio de Carelli , im-
» primés à Rome ; cette Mufique d'un gen-
» re nouveau encouragea tous les Auteurs,
» à travailler dans un goût plus brillant
tel fur le Caprice de Rebel , le pere.
» Tous les Concerts prirent une autre forme
:les Scénes & les fymphonies d'Opéra
céderent la préféance aux fonates ;
»M. Morin , à l'exemple des Italiens , donna
le premier des Cantates Françoiſes ,
» enfuite parurent celles de M. Bernier
» Clerembault , Batiftin ; M. Dornel &
» Dandrieux , Organiſtes , donnerent les
" premiers des fonnates en trio. Dans le
» le même tems Corelli donna fon cinquié-
» me oeuvre , chef- d'oeuvre de l'Art. Feu
» M. le Duc d'Orleans , depuis Régent du
» Royaume , étant extrêmement amateur
» de Mufique , voulut entendre ces fonates,
mais ne pouvant trouver alors aucun
1
166 MERCURE DE FRANCE,
" violon dans Paris capable de jouer på
accords , il fut obligé de les faire chan-
» ter par trois voix. Mais cette fterilité de
» violon ne dura pas long- tems ; chacun
travailla jour & nuit à apprendre ces
»fonates ; de forte qu'au bout de quelques
wannées parurent trois violons qui les exé-
» cuterent ; Chatillon , qui étoit auffi Or .
»ganifte, Duval & Baptifte ; ce dernier fut
» après à Rome pour les entendre jouer
» par l'Auteur.
"
» On peut juger par la quantité de bons
violons qu'il y a préfentement à Paris ,
combien la Mufique a fait de progrès
depuis l'invention des fonates , car les
fymphonies d'Opéra n'auroient jamais
formé de fi grands fujets.
» Or c'eft le nouveau genre de Mufique
qui a fait difparoître tous les inftrumens
» qui ne jouoient que des pièces , devenans
pour lors inutiles dans le Concert.
Le clavecin feul eft refté comme l'ame de
» l'harmonie , le foutien & l'honneur de
» la Mufique.
» En effet , entre l'avantage qu'il a audeffus
des autres , par la beauté des pié-
» ces que l'on joue deffus , il a encore celui
de l'accompagnement , de régler , de
guider , de foutenir & de donner le ton
» à la voix , c'eft en un mot lui qui tient
n
NOVEMBRE. 1753. 167
les rénes du Concert. Celui qui fçait
l'accompagnement, fçait bientôt la com
pofition ; fans cette connoiffance on eft
» toujours médiocre compofiteur , comme
» le foutient très bien M. Rameau dans fon
» nouveau fyftême page 7. Tous les Ita-
» liens accompagnent du clavecin ; la plûpart
des grands Muficiens ont été Orga
» niftes en Angleterre . Meffieurs Handel ,
» le Docteur Pepufch , en Allemagne ; M.
» Tellemann , en Efpagne ; M. Scarlatti ,
» en France ; Meffieurs de la Lande , Couprin
, Rameau , Clerambault , & beau-
» coup d'autres qui joignent à la belle
» exécution la compofition & le génie.
» M. Cambert , le premier qui ait compo-
» fé des Opéras François , étoit Organiſte
de Saint Honoré.
» M. de Lully ne compofoit jamais que
fur le clavecin , & Collaffe à côté de lui
> notoit fous fa dictée .
33
» Comme le clavecin eft préfentement
» une des parties de la belle éducation des
» Demoiselles de condition , & que j'ai
remarqué qu'elles ne le quittoient plus
dès qu'elles étoient mariées , quand elles
poffédoient une fois l'accompagne-
» ment ; c'eft ce qui m'a engagé à travail-
» ler depuis long- tems à leur compofer une
" Méthode courte & facile , pour leur
ap168
MERCURE DE FRANCE.
planir les prétendues difficultés que les
» ennemis de la bonne harmonie ont foin
» de répandre.
Je développe dans cette Méthode tous
» les principes les uns après les autres ,
avec des leçons démonftratives qui en-
» feignent en très- peu de tems l'accompa-
> gnement , felon les régles de l'octave
qui nous a été donnée par M. Campion
& felon labaffe fondamentale,
» trouvée par M. Rameau , imprimée ca
و ر
» en 17
"
1722.
"J'ai compofé pour la facilité & l'avan-
» cement des écoliers des leçons chantantes
, où les accords font notés ; ce qui
donne promptement la pratique , la ré .
» gularité & la meſure..
» Les doigts acquerent une certaine mé .
chanique, le plus fouvent fur les touches
fans que » qui conviennent aux accords ,
Pefprit y foit entierement attaché.
» Ceux qui fuivront cette Méthode feront
plus de progrès en fix mois qu'ils
» n'en feroient d'une autre maniere en
» dix ans , j'en ai fait l'expérience plufieurs
fois par ce moyen ; fi on n'eft pas à la por
tée d'avoir des maîtres , on pourra ap-
»prendre tout feul , fi l'on fçait la mufique.
Il ne faut pas cependant négliger les
leçons de vive voix d'un bon Maître
» qui
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
François ont perdu M Poiffon ,
le 24 Août dernier : cet A&teur , né au mois de
Mars 1696 , & reçu le premier Mars 1725 , jouoit .
différentes fortes d'emplois , & tous avec fuccès :
il avoit furtout le talent fingulier de rendre vrai
H
1
NOVEMBRE. 1753. 169
»
qui n'étant point efclave de la prévention
ni du préjugé, peut lever feul les dif-
» ficultés que l'on trouve dans un Livre.
Quand
CHANSON .
Uand je lis Descartes , Newton ,
Je lens que tous deux ont raiſon ,
Et j'adopte chaque ſyſtême.
Sans me mêler de leurs débats ,
Tout eft plein quand je fuis auprès de ce que j'ai
me ,
Tout eft vuide ou Philis n'eft pas.
L
SPECTACLES.
A Pipée , Iaterméde Italien , n'ayant pas eu
tout le fuccès qu'on en efpéroit , l'Académie
Royale de Mufique a donné le Mardi 16 du mois
dernier , à la fuite des Artifans de qualité , l'Interméde
de la Bohémienne , qui avoit beaucoup réuffi
cet Eté , & dont le Public paroît également fatisfait
à la repriſe.
Les Comédiens François ont perdu M. Poiffon ,
le 24 Août dernier : cet A&teur , né au mois de
Mars 1696 , & reçu le premier Mars 1725 , jouoit .
différentes fortes d'emplois , & tous avec fuccès :
il avoit furtout le talent fingulier de rendre vrai
H
170 MERCURE DEFRANCE.
femblables des caracteres qui ne le font point , ou
du moins qui ne le font plus dans ce fiécle.; tels
que le Bourgeois Gentilhomme , Pourceaugnac ,
Dom Japhet d'Arménie , le Marquis ridicule
dans la Mere coquette , & Bernadille dans la
Femme Juge & Partie. Les perfonnages où il s'eft
le plus généralement diftingué , font les Jodelets
dans Jodelet Maître & Valet & Jodelet Prince ,
& les Crifpins , dans les Comédies du Légataire
univerfel , des Folies amoureufes , de Crifpin Muficien
, de Crifpin Médecin , de Crifpin bel efprit
& de Crifpin rival de fon maître. Il jouoit auffi
d'une maniere fupérieure quelques Financiers fubalternes
, entr'autres Turcaret. C'étoit de tous
les Acteurs qui font au Théatre François , celui
qui avoit le plus de naturel , il étoit même fouvent
d'une naïveté innitable , comme dans le
rôle de Lafleur , de la Comédie du Glorieux . Il
étoit petit , laid & affez mal fait , mais il avoit
une figure fi comique , qu'il excitoit un rire univerfel
dès qu'il paroiffoit. Il avoit furpaffé fon
pere & fon grand pere qui étoient auffi des Acteurs
de réputation ; mais ils ne réuffiffoient gueres
que dans les Crifpins . Poiflon eft mort âgé de
cinquante fept ans ; il a été environ vingt- huit ans
à la Comedie. Après avoir rendu juſtice à les
talens , nous ne pouvons nous difpenfer de dire
qu'il avoit deux grands défants , celui de manquer
de mémoire , qui eft infupportable principalement
dans les Scenes comiques qui exigent une repartie
vive & prompte , & celui de bredouiller qui empê
choit les fpectateurs , furtout ceux qui n'étoient
pas bien accoutumés à fa voix , d'entendre une
partie de ce qu'il débitoit.
Il paroît que M. Préville confolera le Public
de la perte de Poiffon . Cet Acteur a débuté
NOVEMBRE. 1753 . 171
le 20 Septembre , par le rôle de Crifpin , dans
le Légataire univerfel , & par celui du Valet
dans la Famille extravagante. Ses autres rôles de
debut ont été le Marquis , dans le Joueur , Crif.
pin , dans les Folies amoureufes ; le Menechme
dans la Comédie des Ménechmes ; le principal rôle
dans celle de Crifpin Médecin ; Strabon , dans
Démocrite ; Sganarelle , dans le Médecin malgré
lui , & le Valet dans la Surprite de l'Amour . Il
a eu le fuccès le plus éclatant dans les trois rôles
de Criſpin , dans le Ménechme , dans Strabon &
dans Sganarelle ; mais il a été trouvé médiocre
dans le Marquis du Joueur , & dans les Valets
de la Famille extravagante , & de la Surpriſe
de l'Amour. M. Préville eft bienfait , il a une
jolie figure , de la jeuneffe , une intelligence fupérieure
, une mémoire admirable , une grande
aifance au Théatre , beaucoup de précision dans
fon jeu , & un jeu qui eft entierement à lui ; il a
peut-être plus d'agilité que de vivacité , & plus
d'épanouillement dans la phifionomie que de
fond de gayeré.
Les mêmes Comédiens ont donné avant leur
départ pour Fontainebleau , trois repréſentations
de l'Amafis , de M. de la Granche Chancel , qui
n'avoit pas été répréfenté depuis 1740. Cette Tragédie
fut fuivie dans fa nouveauté , mais elle eut
le fuccès le plus complet à la reprise de 1731. Les
rôles d'Amafis , de Sefoftris , de Phanès & de Me-
-nès furent alors repréfentés par Mrs Sarrafin , Du
frefne , le Grand & Dubreuil ; & ceux de Nitocris
& d'Artenice , par Miles Duclos & Dufrefne : ces
rôles font maintenant remplis par Mrs Paulin
Grandval , le Grand & Dubreuil , & par Mlles
Dumefnil & Hus
Les mêmes Comédiens ont remis le Jeudi 1
Hi
172 MERCURE DE FRANCE:
Octobre , pour le début du fieur Armand , fils
de l'Acteur qui fait depuis long - tems les plaifirs
du Public , les Comédies de la Femme Juge &
Partie , & des Vendanges de Surêne , dans lefquelles
le débutant a joué les rôles de Bernardille & de
l'Orange : une timidité qu'il n'a pû furmonter le
premier jour , l'a rendu troid & monotone , & il
a été peu goûté ; mais il a pris la revanche le Dimanche
fuivant , & a été fort applaudi.
Chriftine -Antoinette - Charlotte Delmares , une
des plus célébres Actrices qui ait paru au théatre
François , eft morte à S. Germain -en- Laye le 12
Septembre dernier , âgée de 71 ans . Sa naiffance
ne fembloit pas la deftiner au Théatre ; fon grand
pere qui étoit Préfident du Parlement de Rouen ,
deshérita fon fils parce qu'il s'étoit marié fans fon
confentement. De ce mariage fortirent Delmares
& Mlle Champmcflé , qui fe trouvant fans fortune
prirent le parti de la Comédie . Defiares & fa
femme allerent à Copenhague , où ils furent reçus
dans la troupe des Comédiens François du Roi
de Danemarcx ; ils plurent tant à cette Cour que
le Roi & la Reine de Danemarck tinrent fur les
Fonts de Baptême Mile Defmares , qui y naquir
en 1682. Mlle Champmêlé étoit reſtée à Paris , où
elle faifoit les délices du Théatre ; elle joua d'original
pielque tous les premiers rôles des Tragédies
de Racine , elle fe diftingua
fingulierement dans
ceux de Berenice , de Phedre & d'Iphigénie. La
Fontaine & Defpréaux ont tranfmis fon nom à la
poftérité . Comine elle aimoit beaucoup fon frere,
elle le rapella de Copenhague , & obtint de Louis
XIV qu'il fûc reçu fans début dans la troupe dont
elle faifoit l'ornement.
Defmares avo`t beaucoup
de talent pour les rôles de Payfans , & c'est pour
Jai que Dancourt a fait le Mari retrouvé , DelorNOVEMBRE.
1753. 173
me , dans les Trois Coufines ; Thibaud , dans les
Vendanges de Surefne , &c.
Mile Champmellé quitta le Théatre en 1698.
Le dernier rôle qu'elle y joua fut celui d'Iphigénie
en Tauride , dans la Tragédie d'Orefte & Pilade
de M. de la Grange , & le fuccès de l'Actrice fut
égal dans l'Iphigénie facrifiante , à celui d'iphigénie
facrifiée. Mile Defmares parut alors , & elle
eut le courage de débuter par le rôle que fa tante
venoit de quitter ; elle y réuffit au - delà de les efpérances
, ainfi que dans ceux d'Emilie & d'Hermione
: on la chargea après de quelques rôles
d'Amoureufes dans le comique , & elle joua d'original
Rodope , dans Efope à la Cour , avec un
grand fuccès ; mais ce qui mit le comble à fa réputation
, ce fut le rôle de Pfiché , à la brillante
remife qui en fut faite au mois de Juin 1713 .
Mile Defires ne fut pas moins goûtée dans le
rôle de Therefe , de la Comédie du Double veuvage
, & elle y mit tant de gayeté & de vérité ,
Iqu'on la crux feule capable de remplacer , dans
les Soubrettes , Mlle Beauval qui commençoit à
vieillir. Elle reçut un ordre de la Cour d'apprendre
les rôles de cet emploi , non feulement elle y
furpafla Mlle Beauval , mais elle devint un modele
en ce genre . Elle n'abandonna pas pour cela
les premiers rôles tragiques ; c'eft elle qui a joué
d'original les rôles d'Athalie , d'Ino , d'Electre ,
& de Jocafte , dans l'Oedipe de M. de Volta re ;
elle refta au Théatre jufqu'à Pâques de l'année
1721 , & fon dernier rôle fut celui d'Antigone ,
dans la Tragédie des Machabées , de la Motthe.
Mile Definires a laiffé encore une plus grande
réputation dans le comique que dans le tragique ;
elle avoit une figure & une voix charmantes, beaucoup
d'intelligence , de feu , de volubilité , de
Hiij
172 MERCURE DE FRANCE:
fils Octobre , pour le début du fieur Armand ,
de l'Acteur qui fait depuis long-tems les plaifirs
du Public , les Comédies de la Femme Juge
Partie , & des Vendanges de Surêne , dans leſquelles
le débutant a joué les rôles de Bernardille & de
l'Orange : une timidité qu'il n'a pu furmonter le
premier jour , l'a rendu troid & monotone , & il
a été peu goûté ; mais il a pris la revanche le Dimanche
fuivant , & a été fort applaudi.
Chriftine -Antoinette - Charlotte Delmares , une
des plus célébres Actrices qui ait paru au théatre
François , eft morte à S. Germain- en-Laye le 12
Septembre dernier , âgée de 71 ans. Sa naiffance
ne fembloit pas la deftiner au Théatre ; fon grand
pere qui étoit Préfident du Parlement de Rouen ,
deshérita lon fils parce qu'il s'étoit marié fans fon
confentement. De ce mariage fortirent Delmares
& Mlle Champmcflé , qui fe trouvant fans fortune
prirent le parti de la Comédie . Defmares & fa
femme allerent à Copenhague , où ils furent reçus
dans la troupe des Comédiens François du Roi
de Danemarcx ; ils plurent tant à cette Cour que
le Roi & la Reine de Danemarck tinrent fur les
Fonts de Baptême Mile Defmares , qui y naquit
en 1682. Mlle Champmêlé étoit reftée à Paris, ou
elle faifoit les délices du Théatre ; elle joua d'original
prefque tous les premiers rôles des Tragédies
de Racine ; elle fe diftingua fingulierement dans
ceux de Berenice , de Phedre & d'Iphigénie. La
Fontaine & Defpréaux ont tranfmis fon nom à la
poftérité . Comme elle aimoit beaucoup fon frere,
elle le rapella de Copenhague , & obtint de Louis
XIV qu'il fût reçu fans début dans la troupe dont
elle faifoit l'ornement. Defmares avoit beaucoup
de talent pour les rôles de Payfans , & c'est pour
Jai que Dancourt a fait le Mari retrouvé , DelorNOVEMBRE
. 1753. 173
me , dans les Trois Coufines ; Thibaud , dans les
Vendanges de Surefne , &c.
Mile Champmellé quitta le Théatre en 1698 .
Le dernier rôle qu'elle yjoua fut celui d'Iphigénie
en Tauride , dans la Tragédie d'Orefte & Pilade
de M. de la Grange , & le fuccès de l'Actrice fut
égal dans l'Iphigénie facrifiante , à celui d'iphigénie
facrifiée. Mlle Defmates parut alors , & elle
eut le courage de débuter par le rôle que fa tante
venoit de quitter ; elle y réuffit au- delà de les efpérances
, ainfi que dans ceux d'Emilie & d'Hermione
: on la chargea après de quelques rôles
d'Amoureufes dans le comique , & elle joua d'original
Rodope , dans Eſope à la Cour , avec un
grand fuccès ; mais ce qui mit le comble à fa réputation
, ce fut le rôle de Pfiché , à la brillante
remife qui en fut faite au mois de Juin 1713 .
Mile Delmires ne fut pas moins goûtée dans le
rôle de Therefe , de la Comédie du Double veuvage
, & elle y mit tant de gayeté & de vérité ,
Iqu'on la crux feule capable de remplacer , dans
les Soubrettes , Mlie Beauval qui commençoit à
vieillir. Elle reçut un ordre de la Cour d'apprendre
les rôles de cet emploi ; non feulement elle y
furpafla Mile Beauval , mais elle devint un modele
en ce genre . Elle n'abandonna pas pour cela
les premiers rôles tragiques ; c'eft elle qui a joué
d'original les rôles d'Athalie , d'Ino , d'Electre ,
& de Jocafe , dans l'Oedipe de M. de Volta re ;
elle refta au Théatre jufqu'à Pâques de l'année
1721 , & fon dernier rôle fut celui d'Antigone
dans la Tragédie des Machabées , de la Motthe .
Mile Definires a laiffé encore une plus grande
réputation dans le comique que dans le tragique ;
elle avoit une figure & une voix charmantes , beaucoup
d'intelligence , de feu , de volubilité , de
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
gayeté & de naturel ; on lui a l'obligation d'a
voir pris plaifir à former Mile Dangeville fa niéce,
qui réunit toutes les graces & tous les genzes
de Comique. Indépendamment des talens de
Mile Defmares pour le Théatre , elle joignoit au
don de plaire dans la fociété , un caractere admirable
& un coeur excellent ; elle a même fait des
actions d'une générofité héroïque.
Les Comédiens Italiens ont donné le Mercredi
26 Septembre , la premiere repréſentation de
POrigine des Marionnettes , Parodie de Pigmalion ,
qui a été trouvée froide . M. Gaubiés , qui en eft
l'Auteur , ayant retranché un rôle entier & fait
d'autres retranchemens pour le Samedi fuivant ,
la Piéce a été reçue favorablement.
L'Opéra Comique a donné le Mardi 25 da
même mois , les Nymphes de Diane , Opéra Comique
de M. Favart , qui n'avoit jamais été repréfenté
à Paris . Cet Ouvrage qui eft un des plus
jolis de l'Auteur , n'a pas été moins gouté à Paris
qu'il l'avoit été au théatre de Bruxelles , pendant la
derniere guerre.
La clôture de l'Opéra Comique s'eft faite cette
année le Samedi 6 Octobre par la repréſentation
du Plaifir de l'Innocence , des Nymphes de Diane
, & des Troqueurs .
LETTRE à l'Auteur du Supplément aux
Tablettes Dramatiques pour les années
E
جم
1752 1753.
N furetant , Monfieur , chez un Libraire dans
les nouveautés , le hazard a voulu que je rencontraffe
votre ouvrage ; le titre me l'a fait ache
ง
NOVEMBRE. 1753. 175
ter , & en le parcourant j'ai trouvé mon article
dans ceux des débutans au Théatre François de
l'année 1752. Vous m'accufez d'avoir harangué
le parterre , en lui difant que je travaillois depuis
35 ans à ramener le naturel au Théatre , & que
j'efpérois l'avoir trouvé . Je réponds à ce que vous
avancez d'après moi. Oui , je Pai dit & fait ; & feu
Baron , dont je fais l'éleve , m'a inculqué dans
l'efprit par les principes , qu'il valoit mieux pécher
par un trop grand naturel que d'emphaſer
avec outrance , ou de parler en chantant avec trois
notes égales , qui forment la monotonie . Ce fut
feu Monfeigneur le Duc de la Trémouille qui fut la
caufe que je débutai pour la premiere fois en 1740 ,
& je puis l'avancer , avec un grand applaudiffement.
Des amis que j'avois alors qui n'étoient pas
vrais , s'employerent fi bien pour moi , que l'on
me préféra le parent de celui qui fut mon maître.
Je pris mon parti alors , & je retournai en Province
. En 1752 je revins à Paris pour des affaires
d'intérêt , on me perfuada de débuter pour la feconde
fois , à caufe qu'il faut quelqu'un pour dou
bler M. Sarrazin en cas d'accident ; je le fis. Ma
façon de parler a plu aux gens qui ont toujours la
perfpective de ce grand naturel de celui dont je
fuis éleve , & elle n'a pas été auffi du goût de ces
Novateurs dramatiques , qui ont établi leur goût
par le moyen de l'aifance & de la fortune quils
poffédent. Comme vous faites une compilation
chronologique des faits qui fe paffent au Théatre ,
ce n'eft point à la fin du rolle d'Augufte dans
Cinna que j'ai harangué le Public ; c'eft à la fin de
celui de Mithridate , ayant repréſenté avant Augufte
, Mithridate & Pharafmane . L'Acteur Touloufain
jadis le fit comme moi. Ses complimens
valoient autant que les colles qu'il venoit de re-
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE.
préfenter : & fi la débauche ne l'eût pas entraf
né dans le moment qui a été la cauſe du terme de
Les jours , c'étoit un homme qui , tant par l'art
que par l'efprit , feroit admiré aujourd'hui . Je dirai
avec Ciceron , omni ope atque operâ enixus fui.
J'ai tâché de travailler pour gagner une pension ,
je n'ai pas réuffi . Vous n'avez pas parlé des autres
rolles que j'ai repréſenté . J'ai joué auffi Lifimon
dans le Glorieux , & Argant dans le Préjugé
à la mode ; j'y ai pourtant été applaudi , & ce ,
fans avoir donné de billets pour mandier des fuffrages.
J'attendois tout de mes travaux , car je
vous avoue que j'ai rifqué beaucoup en voulant
jouer après ces grands Comédiens qui font aujour
d'hui l'ornement & les plaifirs de la Scène . Comme
je fuis général , & que les mafques de Térence
font gravés dans mon optique , je joue les
Rois , les Payfans , les Financiers , les Peres nobles
, les Raifonneurs , & tant d'autres qui font
utiles à un Comédien dans la Province , foit dans
P'Italien , foit dans les Opéra Comiques . Je fuis
même en état de faire un pari , fi on le veut , de
jouer un rolle nouveau chaque jour pendant le
cours d'une année , tant j'ai la mémoire libre &
fraîche . J'ai même repréſenté le Tuteur dans la
Pupille un peu froidement à la vérité , mais
s'il falloit le rejouer aujourd'hui , ce feroit un autre
genre , tant il eft vrai qu'on fe corrige fur les
bons modeles. Je vous prens pour un de mes arbitres
, on ne récompenfe pas toujours les gens qui
cherchent à l'être . Je fuis en état de parler de
mon art par principe ; & fi une profonde pareffe
ne m'avoit pas faifi depuis long- tems , j'aurois tenu
parole à M *** , en lui faiſant part d'un Traité que
j'ai commencé , touchant la façon de parler au
Théatre , non de déclamer... ce dernier n'eft
NOVEMBRE. 1753. 177
pas de mon genre Quoique Meffieurs de Sainte-
Albine & Riccoboni ayent analife les qualités néceffaires
à un Comédien , j'ai tâché d'aprécier
leur fentiment avec le mien , en faifant un détail
par principe de gradations , pour donner un
acheminement folide à ceux qui font amateurs
du Théatre . Il eft vrai qu'aujourd'hui ce n'eft
plus le Comédien qui fe fait au Public ; c'eſt le
Public qui fe fait au Comédien. Les tems fe fuccedent
& les modes changent. Les Pantins ont
remplacé les Bilboquets , les Mantelets , les Echarpes
; on a beau faire , les anciennes modes reviendront
, je fuis pourtant de celles du premier
quart de ce fiecle. M. de Crebillon & M. de Voltaire
vont de pair avec les Corneilles & les Racines
; il ne feroit donc pas furprenant que je puffe
plaire encore. Je me fais un fenfible plaifir de débiter
leurs Ouvrages , & fans prévention je ne les
ai jamais maſqués. Je vous convie donc , Monfieur
, d'être dorénavant un peu plus prolixe fur
mon compte , & de fuivre le fentiment de Pline
qui dir , que pour foutenir le droit d'une bonne
caufe , on ne peut l'être trop. Vous ajoutez en lettres
italiques, retiré , c'eft fans penfion , je vous en
avertis . J'ai l'honneur d'être , & c. ROUSSELET .
洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗
NOUVELLES ETRANGERES.
DU LEVANT.
DE CONSTANTINOPLE , le 17 Août.
ARMI les Curdes , les uns ont des demeures
& fout errans le long des rives du Tigre depuis les
Hv
178 MERCURE DE FRANCE :
environs de Moful jufqu'aux fources de l'Euphrate
Une partie de ces derniers , étant venus camper il y
a quelque temps fur la frontiere du Gouvernement
de Bagdad , y faifoient des courfes fréquentes. So-
Jiman , Beglierbeg de la Province , a voulu la délivrer
de ces dangereux voifins. Avec un corps de
quinze mille hommes , il a inveſti les bois qui leur
fervoient de retraite , & plufieurs détachemens de
fes troupes y ont pénétré par differens endroits. Les
Curdes preffés de tous côtés , & privés de l'efpérance
de pouvoir fuir , fe font deffendus avec beaucoup
d'opiniâtreté , mais enfin ils ont été obligés
de fe rendre à difcrétion . Le Begliebeg en a fair
décapiter trois cens cinquante . Sa Hauteffe , pour
lui témoigner combien elle eft ſatisfaite de la conduite
qu'il a tenue dans cette expédition , lui a envoyé
une peliffe de grand prix & un fabre garni de
diamans .
DU NORD.
DE PETERSBOURG , le 19 Septembre,
Les vaiffeaux de guerre & les Frégates qu'oa
a fait fortir du Port de Cronstadt pour exercer les
Matelots , doivent y rentrer inceffamment. Cette
Efcadre s'eft avancée dans la mer Baltique jufqu'à
la hauteur de l'Ile d'Oëfel.
DE STOCKHOLM , le 23 Septembre.
L'Obfervatoire , auquel on travailloit depuis
l'année 1748 , étant achevé , l'Académie Royale
des Sciences s'y affembla le 20 de ce mois pour la
premiere fois Cette féance fut honorée de la préfence
du Roi. Le Baron de Hopɛen , Préfident de
cette Académie , ainfi que de celle des Belles-Le
NOVEMBRE. 1753 . 179¹
tres , prononça un difcours , fur le befoin que les
Sciences ont de la protection du Gouvernement.
Dans la même féance, le Comte de Teffin , Grand .
Maréchal de la Cour , & Gouverneur du Prince
Guftave , préfenta à la Compagnie plufieurs éthevaux
de foie , du produit des vers que la Reine
fait élever à Drotningholm. On a trouvé cette
foje de bonne qualité , & cent vers en ont fourni
une demi- once.
DE COPENHAGUE , le 20 Septembre
25
Sa Majesté a rendu depuis peu l'Ordonnance fuiwante
. Nous Frederic , par la grace de Dieu ,
Roi de Danemark , de Norvege , & c. Sçavoir
faifons : Qu'ayant été informé , qu'en divers endroits
des terres & états de notre domination il
»fe trouve des Enrolleurs , qui , par des promelles
auffi vaines que trompeufes , cherchent à débaucher
nos fujets , & à les obliger de s'expa
trier pour paffer à certaines Colonics de l'Amérique
; Nous avons par une fuite de l'affection
paternelle que nous leur portons , non feule-
» ment jugé à propos de les avertir , qu'ils euffent
à fe garantir des piéges que de parcils gens
tendent à leur crédulité , mais nous leur deffendons
en outre très expreffément par la préfente
de s'enroller pour les fufdites Colonies , fous
peine aux contrevenans , d'avoir tous leurs biens
confifqués , tant ceux qu'ils poffedent actuelle-
" ment , que ceux dont ils pourroient hériter par
la fuite. Ordonnons de plus , que tous les fuf-
» dits Enrolleurs ou émiffaires , qui feront con-
> vaincus d'avoir débauché quelques-uns de nos
fujets , & de les avoir , par de femblables pro-
» melles ou autrement , portés à entreprendre un
အ
H vi
180 MERCURE DE FRANCE.
voyage & préjudiciable à leurs véritables inté
G
rêts , foient condamnés , fans autre procédure
» ultérieure , à travailler durant le reste de leur
» vie aux fortifications
, & que même , fuivant
l'exigence du cas,on leur faffe fubir des punitions
» encore plus rigoureuſes.
D
Le Préfident Ogier , Envoyé extraordinaire &
Miniftre Plénipotentiaire du Roi de France , eft
depuis hier en cette Ville. Sa Majesté Catholique
ayant envoyé ordre au Marquis de Puente Fuerte ,
fon Envoyé auprès du Roi , de quitter cette Cour ;
ce Miniftre partira demain pour Stockolm , où il
va refider en la même qualité auprès de Sa Majefté
Suédoife. La femaine derniere , il fit publier que
toutes les perfonnes qui avoient des créances fur
lui , fe rendiffent à fon Hôtel , afin de recevoir
Jeurs payemens ; il doit s'embarquer à Hellingbourg.
Il a été réfolu dans la derniere Affemblée de la
Compagnie des Indes Orientales , d'envoyer cette
année deux vaiffeaux à la Chine , & deux autres
à Tranquebar.
Plufieurs Pêcheurs des côtes Septentrionales de
la Norvege ne donnant pas l'attention néceffaire
à la préparation & à la falaifon du poiſſon , le
Gouvernement a fait publier un Réglement à ce
fujet. Il paroît une autre Ordonnance , qui regar
de la police des spectacles .
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 29 Septembre .
Tout ce qui concerne l'Académie Militaire éta
blie à Newftadt fous la direction du Comte de
Daun , Général d'Infanterie , ek maintenant réglé.
Le Comte de Tierhem , Major- Général , en eft
F
M
NOVEMBRE . 1753 .
181
Vice Directeur , & il y fera fa réfidence ordinaire
Il aura fous lui un Lieutenant Colonel , un
Major , & vingt-fix autres Officiers choifis dans
les troupes de l'Impératrice Reine . Les Eleves
feront le même fervice qu'on fait dans les Places
de guerre.
DE HAMBOURG , le 2 Octobre.
Depuis la fufpenfion du commerce entre l'Ef
pagne & le Danemark , les Négocians de cetre
Ville ont reçu des commiffions confidérables pouz
les Etats de Sa Majefté Catholique.
ESPAGNE.
DE LISBONE , le 1
le 13 Septembre.
Une Flotte venant de la Baye de Tous les Saints ,
entra le 6 de ce mois dans le Tage . Elle eft compofée
de 28 Navires , de deux Corvettes & d'un
Yacht , & elle a apporté quatre millions de cruzades
, tant pour le compte de Sa Majefté que
pour celui des particuliers.
DE MADRID , le 18 Septembre.
3
Dom Julien d'Arriaga , Préfident du Tribunal de
la Contractation , a mandé à Sa Majefté , que le 7
le Vaiffeau la Sainte Famille étoit entré dans la
Baye de Cadix , & que ce Bâtiment qui vient du
Port de Callao , avoit apporté cinq cens quatrevingt
treize mille huit cens quarante- quatre pialtres
en espéces , la valeur de cinq cens trentebuit
mille neuf cens quarante- trois piaftres en
doublons , cinq mille cent quintaux de cacao ,
deux mille cent livres de laine de Vigogne , &
plufieurs autres marchandiſes.
182 MERCURE DE FRANCE.
Sa Majesté a difpofé de l'Evêché de Zamora en
faveur de Dom Jofeph Gomez , Ecolâtre de l'Eglife
Cathédrale de Sarragoffe.
ITALI E.
DE NAPLES , le 28 Août.
On a préfenté au Gouvernement trois projets ;
dont le premier eft de changer le cours du Volturno,
& de le faire pafler par Caferte ; le fecond ,
d'établir un grand chemin depuis Salerne juſqu'à
Reggio ; le troifieme , de couper une montagne
Pour faire communiquer le chemin du Pofilipe à
celui de Bagnuoli.
DE ROME , le 25 Septembre.
La Congrégation de Propaganda Fide a reçu
avis de la Chine , que l'orage qui s'y étoit élevé
contre les Chrétiens étoit entierement calmé . Selon
les mêmes nouvelles , l'Ambaffadeur que le
Roi de Portugal a jugé à propos d'envoyer à l'Empereur
de cette vafte partie de l'Afie , eft arrivé à
Macao.
DE FLORENCE , le 20 Septembre..
L'action courageufe d'une Payfanne des environs
de Sienne fait ici le fujet de tous les entretiens
. Le mari de cette femme étoit detenu dans
les prifons de cette Ville pour une dette de quarante
écus. Après avoir trouvé le moyen de ramaffer
cette fomme , elle partit de fon village pour
faire remettre fon époux en liberté . Elle fut attaquée
fur la route par un voleur armé d'un coûteau
deux tranchans. Feignant que fon argent étoit
NOVEMBRE 1753. 183
coufu dans fon corps- de - juppe , elle engagea le
brigand à lui prêter fon coûteau pour le découdre .
Aufli- tôt elle fe jetta fur ce miférable , & l'étendit
par terre fans vie . On a reconnu que c'étoit un
fameux Chef de voleurs , nommé Pedrillo , pour la
prife duquel le Gouverneur avoit promis cinq cens
écas. Cette récompenfe a été payée à la Paylanne
& les Magiftrats ont rendu la liberté à fon mari
en fe chargeant d'acquitter la dette pour laquelle
il étoit prifonnier.
DE GENES , le 22 Septembre.
Le Gouvernement vient d'accorder aux habi
tans de San-Remo une amnistie , dont quatorze
perfonnes font feulement exceptées.
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 1 Octobre.
Il a été réſolu de renforcer les garnifons de Gi
braltar & de Port- Mahon . Le 30 du mois dernier ,
Alderman Ironfilde fut élu Lord- Maire de Londres
. Les lettres de l'Ifle de la Barbade annoncent
que les Vaiffeaux de guerre le Saint- Albans &
Afiftance, & la Chaloupe le Faucon , y font arrivés
. On écrit de la Nouvelle Angleterre , qu'à la
fin du mois de Juillet dernier il y a eu à Bofton
un incendie , qui a réduit en cendres un grand
nombre de maifons & plufieurs magafins.
184 MERCURE DE FRANCE.
FRANC E.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c .
E Prince de Soubize a donné le 16 Septembre
dernier dans le camp d'Aymeries , une fête
éclatante , à l'occafion de l'heureux accouchement
de Madame la Dauphine.
Le 20 , le Te Deum fat chanté dans l'Eglife de
l'Hôtel Royal des Invalides , pour remercier Dieu
du même évenement , & l'Evêque de Vannes y
officia. Le Comte d'Argenfon , Miniftre & Secré
taire d'Etat , vint exprès de Verſailles pour affifter
à cette cérémonie , après laquelle ce Miniftre , accompagné
de M. de la Courneuve , Commandeur
de l'Ordre Royal & Militaire de Saint Louis , &
Gouverneur de l'Hôtel ; du Comte de la Marck ,
Lieutenant de Roi , & des autres Officiers de l'E
tat - Major , mit le feu au bucher qu'on avoit préparé.
Avant & après le Te Deum , il yeut une
falve d'artillerie & de moufqueterie.
L'Académie & le Collège de Chirurgie firent
chanter le 27 le Te Deum dans l'Eglife Paroiffiale
de Saint Côme , en action de graces de l'évent
ment qui fait le fujet de l'allegreffe publique,
On chanta le 21 le Te Deum dans l'Eglife de la
Paroiffe du Château de Versailles , en action de
graces de la naiffance de Monfeigneur le Duc d'Aquitaine
. Pendant cette cérémonie , les Invalides,
qui compofent la Garde de cette Ville , firent plufeurs
falves de moufqueterie. Le Portail de l'Eglife
étoit illuminé , ainfi que toutes les maiſons
de Verſailles. Moafeigneur le Dauphin & Mefdames
de France le promenerent en caroffe dans les
principales rues , pour voir les illuminations.
NOVEMBRE. 1753. 185
Leurs Majeftés , accompagnées de Monfeigneur
le Dauphin , de Madame Infante Ducheffe de Parme
, & de Meldames de France , affifterent le 23 .
au Salur , célébré par les Miffionnaires.
Le même jour , le Comte de Looff, Ambaſſadeur
Extraordinaire du Roi de Pologne Electeur de
Saxe , eut une audience particuliere du Roi , dans
Jaquelle il prit congé de Sa Majefté . Il fut conduit
à cette audience , ainfi qu'à celle de la Reine,
de Monfeigneur le Dauphin , de Madame la Dauphine
, de Monfeigneur le Duc de Bourgogne ,
de Monfeigneur le Duc d'Aquitaine , de Madame ,
de Madame Infante , de Madame Adélaïde , & de
Mefdames Victoire , Sophie & Louife , par M.
Dufort , Introducteur des Ambatſadeurs .
Le même jour , M. l'Eſtevenon de Berkenrode ,
Ambalajeur Ordinaire des Etats Généraux des
Provinces Unies , eut une audience particuliere du
Roi , dans laquelle il remit à Sa Majefté une Lettre
des Etats Généraux fur l'heureux accouche
ment de Madame la Dauphine , & fur la naissance
de Monfeigneur le Duc d'Aquitaine . Il fut con
duit à cette audience par le même Introducteur .
Le même jour , le Roi foupa au grand couvert
chez la Reine avec la Famille Royale .
M. de Barailh , qui avoit été préſenté le 21 au
Roi par M. Rouillé , Miniftre & Secrétaire d'Etat
ayant le Département de la Marine , prêta ferment
de fidélité le 23 entre les mains de Sa Majefté
pour la Charge de Vice- Amiral , vacante par
la mort du Comte de Camilly.
Sa Majesté a nommé Commandeur de l'Ordre
Royal & Militaire de Saint Louis , M. de Ber
ville , Maréchal de fes Camps & Armées.
Le Roi a difpofé du Régiment de Navarre,
qu'avoit le feu Comte de Choiſeul , en faveur da
186 MERCURE DEFRANCE.
Comte du Chatelet- Lomont , Colonel du Régiment
de Quercy. Sa Majefté deftine la place du
Colonel des Grenadiers de France , qui aura le Re
giment de Quercy , au Marquis de Bouzols , Offi
cier dans le Régiment d'Infanterie du Roi,
L'Académie Royale de Chirurgie préſenta le 23
le fecond tome de fes Mémoires à leurs Majeftés &
à Monfeigneur le Dauphin , ainfi qu'au Roi de
Pologne Duc de Lorraine .
Le même jour , leurs Majeftés & la Famille
Royale fignerent le Contrat de mariage de M.
de Beauchefne de Montdragon , Maître d'Hôtel
Ordinaire du Roi , & Secrétaire des Commandemens
de Madame la Dauphine , avec Demoiselle
Marie Jeanne Duval de l'Epinoy.
Le Marquis de Paulmy , Secrétaire d'Etat de
la Guerre en furvivance du Comte d'Argenfon ,
revint le 24 du voyage qu'il a fait dans diverfes
Provinces du Royaume pour en vifiter les Places ,
& pour voir les troupes qui y font en quartier.
Le 25 , le Comte de Sartirane , Ambaſſadeur
Ordinaire du Roi de Sardaigne , eut une audience
particuliere du Roi , dans laquelle il remit une
Lettre du Roi fon Maître , à Sa Majefté , fur l'heareux
accouchement de Madame la Dauphine , &
fur la naiffance de Monfeigneur le Duc d'Aquitaine.
Il fut conduit à cette audience , ainſi qu'à celle
de la Reine , & à celles de toute la Famille Royale
, par M. Dufort , Introducteur des Ambaladeurs.
Mademoiſelle de Penthiévre mourut à Verſailles
le 25 fur les huit heures du foir , âgée d'un an
Onze mois & fept jours , étant née le 18 Octobre
1751 .
M. de Vandiere fit voir le même jour à Sa Majefté
le modéle en relief de l'Hôtel de l'Ecole
NOVEMBRE. 1753. 187
Royale Militaire , exécuté ſous la conduite & d'après
les deffeins & profils de M. Gabriel , premier
Architecte du Roi . Sa Majefté a paru en être très-
¡ fatisfaite .
Les Penfionnaires du Collège de Louis le Grand,
voulant témoigner leur reconnoiffance pour la
t protection dont le Roi les honore , & leur zéle
pour la profpérité de la Famille Royale , firent
tirer le 23 Septembre dernier , un feu d'artifice , en
réjouiffance de la naiflance de Monfeigneur le Duc
d'Aquitaine.
Le 30 , la Reine , accompagnée de Monfeigneur
le Dauphin , de Madame Adélaïde , & de Mefdames
Victoire , Sophie & Louiſe , aſſiſta aux Vêpres
& au Salut dans la Chapelle du Château .
Don Jaime Maffones de Lima , Ambaffadeur
Extraordinaire & Plénipotentiaire du Roi d'Efpagne
, eut le même jour une audience particuliere
du Roi , dans laquelle il remit une Lettre du Roi
fon Maître à Sa Majefté , fur l'heureux accouche
ment de Madame la Dauphine , & fur la nai Tance
de Monfeigneur le Duc d'Aquitaine. Il fut conduit
à certe audience , ainfi qu'à celle de la Reine,
& à celles de toute la Famille Royale , par M.
Dufort , Introducteur des Ambafladeurs.
Le même jour , le Roi partit pour le Château
de Crécy , d'où Sa Majefté revint le 4 Octobre .
Le Roi de Pologne Duc de Lorraine & de Bar ,
partit le 6 Octobre pour retourner à Lunéville .
L'Abbé Nollet , de l'Académie Royal : des
Sciences , a reçu la Lettre fuivante au fujet da malheur
arrivé au Sr Richtman. Cette Lettre eft de
M. Sanchez , ci devant premier Médecin de l'Impératrice
de Ruffie .
Il vous appartient de droit , Monfieur , d'être
" inftruit de toutes les nouvelles qui intéreffent la
188 MERCURE DE FRANCE .
03
Phyfique Expérimentale . Ainfi je ne dois pas
» manquer de vous communiquer celle que vient
» de me donner le Docteur de Shreiber , de l'A-
» cadémie de Pétersbourg , homme reſpectable
dans la République des Lettres par plufieurs
» écrits fur la Médecine . Notre Académie , me
marque- til dans fa Lettre datée de Pétersbourg
» le 14 Août , a perdu le Profefleur Richtman. Le
ao 26 du mois dernier , pendant qu'il étoit occupé
» à électrifer , dans un moment où il faifoit des
éclairs , il fut tué fubitement. J'ai été préfent le
→lendemain à l'ouverture du corps. On a remar-
" qué des traces comme de brûlure , au front, fars
que les cheveux en euffent fouffert ; aux deux
" côtés de la poitrine , & au pied gauche dont le
folier a été déchiré par le travels. La partie
"poftérieure du poulmon étoit noirâtre & rem-
"plie de fang : la partie membraneule de la tra-
" chée étoit comme'ufée . En preflant les bronches,
" il eft forti du fang écumeuz. Le coeur étoit fain.
" On a trouve beaucoup de fang dans la partie
"poftérieure des inteftins grèles . M. Sozoloff ,
" Graveur de l'Académie , à été feul témoin de la
tragédie . Il dit avoir vû fortir un globe bleuatre
" de la Régle Electrique , dont M. Richtman étoit
» éloigné d'un pied lorsqu'il tomba mort .
*
On mande de Rennes , que le Préſident de
Langle de Coëtuhan , Premier Préfident de la
Chambre des Vacations du Parlement de Bretagne,
a donné une fête très brillante , à l'occafion de la
naiffance de Monfeigneur le Duc d'Aquitaine.
Le 4 Octobre , la Reine entendit la Meffe dans
l'Eglife des Récollets , & communia par les mains
de l'Abbé du Chaſtel , ſon Aumônier en quartier.
Le même jour , le Roi revint du Château de
Crécy.
Le
NOVEMBRE. 1753. 189
Le Roi de Pologne , Duc de Lorraine & de
Bar , ayant entendu parler avec éloge de l'éducation
que le Duc de Chaulnes a établie dans la
Compagnie des Chevaux -Légers de la Garde du
Roi , qu'il commande ; ce Prince a voulu juger
par lui- même du mérite de cette Ecole militaire.
Il alla le deux de ce mois à l'Hôtel des Chevaux-
Légers , fuivi d'une nombreuſe Cour , &
il honora plufieurs exercices de fa préfence . On
commença par la courfe des têtes dans la Carriere .
Le Roi de Pologne monta enſuite au Balcon du
Manége , pour y voir cet exercice. Le Manège
étant fini , ce Prince fe rendit dans la grande Salle
des exercices. Les Chevaux- Légers , Eleves , y
étoient fous les armes . Ils firent l'exercice du
maniement des armes , conformément aux dernieres
Ordonnances , enfuite quelques évolutions
puis l'exercice du Fleuret. Ils finirent par celui
de voltiger fur des chevaux de bois ordinaires ,
& fur un grand cheval d'une nouvelle conftruction
. On rendit compte enfuite au Roi de Pologne
des autres études qui fe font dans la même
Salle , où l'on enfeigne aux Eleves les Mathématiques
, l'Histoire , la Géographie , le Def
fein & la Danfe. Le Roi de Pologne laiffa voir
toute la fatisfaction que lui cauferent également
tous les exercices, Rien n'échappa à fa pénétration
. Il approuva toutes les nouvelles méthodes
inventées pour les perfectionner , & il eut la bonté
de louer la jufteffe & la précifion de leur exécu
tion.
Leurs Majeftés fignerent le s le contrat de mariage
du Duc de Beauvilliers , & de Demoifelle
Defnos de la Feuillée.
M Butner , Sçavant Botanifte , & petit -fils du
célebre Sthail , étant venu en France pour y paſſer
1
190 MERCURE DE FRANCE.
quelque tems , il fut préfenté au Roi par le Duc
d'Ayen .
Madame Infante Ducheffe de Parme , eft partie
le 27 Septembre pour retourner à Parme. Cette
Princefle a couché le même jour à Montargis , où
M. Barentin , Intendant d'Orléans , s'étoit rendu
pour la recevoir . Le 28 , elle coucha à Cofne ,
qui dépend auffi de la Généralité d'Orléans. M.
Barentin a rempli , à la fatisfaction de cette Prin
ceffe & de fa fuite , tous les devoirs qui le regar
doient. Madame Infante alla le 29 à Moulins . Elle
' n'a pas été moins contente des préparatifs faits
pour fa réception par M. de Bernage de Vaux,
Intendant du Bourbonnois. Le 30 , Madame Infante
fe rendit à Roanne , & le premier Octobre à
cinq heures du foir , elle eft arrivée à Lyon. Elle
fut reçue à la porte au bruit du canon , par le
Marquis de Rochebaron , Commandant dans la
Ville , à la tête des Compagnies Militaires & de
celles de la Bourgeoifie , qui étoient fous les ar
mes , & qui bordoient les rues jufqu'au Palais
Archiepifcopal . Lorfque Madame Infante defcendit
à ce Palais , M. Flafchat de Saint- Bonnet ,
Prévôt des Marchands , & les Echevins , la reçurent
au bas de l'efcalier , étant préfentés par le
Comte de Noailles , Grand d'Efpagne de la premiere
Claffe , chargé des ordres du Roi pour
conduire cette Princeffe à Antibes. Madame In
fante ayant été menée à ſon appartement , on lai
porta les préfens de la Ville , qui confiftoient prin
cipalement en plufieurs pièces de riches étoffes.
Le même jour , le Corps de Ville fit tirer (ur l'eau
un feu d'artifice vis - à - vis du Palais Archiepifco
pal . Après le feu , Madame Infante fe mit à table ,
& elle voulut bien admettre toutes les Dames à la
voir fouper. Toute la Ville fut illuminée , chaque
NOVEMBRE . 1753. 191
tour ,
citoyen s'empreffant de témoigner fon amour &
fon respect pour Madame Infante. Le 2 , cette
Princefle entendit , dans la Chapelle de l'Archevêché
, la Meffe chantée par la Mufique . L'aprèsmidi
, elle alla fe promener au Château d'Oullins ,
qui appartient au Cardinal de Tencin. A fon reelle
affifta au concert qu'on lui avoit préparé
, & après lequel on tira un nouveau feu d'artifice.
Elle foupa enfuite en public , & il y eut ,
de même que la veille , des illuminations dans
toute la Ville. Madame Infante fe rendit le 3 à
l'Eglife Métropolitaine , & elle y entendit la Meffe
, après avoir été
reçue à la porte par le Cardinal
de Tencin à la tête des Comtes de Lyon. Cette
Princefle partit le même jour pour continuer fa
route . Pendant fon féjour à Lyon , elle a été traitée
aux dépens du Roi fuivant les ordres adreffés
à M. Roffignel , Intendant , par Sa Majefté. Madane
Infante a paru fatisfaite des preuves qu'elle a
reçues du zéle des habitans . Elle a donné des marques
de bonté à toutes les perfonnes qui ont en le
bonheur de l'approcher ; & l'ardeur des voeux que
les Lyonnois font pour cette Princeffe , égale la
vivacité du regret qu'ils ont eu de fon départ.
Le Duc de Villars , Gouverneur de Provence ,
a célébré dans la Ville d'Aix , par une fête des plus
éclatantes , la naiflance de Monfeigneur le Duc
d'Aquitaine.
Ôn mande de Beaucaire , que la fête donnée
par M. de Cremiile à la même occafion , n'a pas
Zté moins tomptueufe.
Il y eut le 8 un Concert Italien chez Madame
la Dauphine , & l'on y exécuta un Oratorio , dont
M. Cafarieli chanta le principal rôle.
Sa Majesté le rendit le 6 à Choify , d'où Elle eft
revenue le 8. Elle retourna le 10 à ce Château.
192 MERCURE DE FRANCE.
La Reine & Mefdames de France font allées le
même jour y joindre le Roi , & le 12 leurs Ma◄
jeftés en partirent pour Fontainebleau.
Le Roi Coupales & le 9 au grand couvert chez
la Reine avec la Famille Royale.
Le 10 , M. Klefexer , Syndic , & M. d'Hugier ,
Sénateur , Députés de la Ville de Hambourg ,
eurent leur audience publique de congé du Roi,
Ilsfurent conduits à cette audience , ainſi qu'à celles
de la Reine , de Monfeigneur le Dauphin ,
de Madame la Dauphine , de Monfeigneur le
Duc de Bourgogne , de Monfeigneur le Duc d'Aquitaine
, de Madame ,de Madame Adélaïde , &
de Meldames Victoire , Sophie & Louiſe , par M.
Dufort , Introducteur des Ambaffadeurs .
Madame Infante Ducheffe de Parme arriva le
3 Octobre vers les fept heures du ſoir à Vienne ca
Dauphiné. L'Archevêque , le Commandant , &
le Corps de Ville , reçurent cetre Princeſſe à la
defcente de fon carroffe . Toutes les rues étoient
illuminées. Le 4 , Madame Infante entendit la
Meffe dans l'Eglife Métropolitaine . Certe Princelle
alla le même jour coucher à Saint- Valier.
Elle fe rendit les à Valence , où elle entra au
bruit du canon. Les troupes & la Bourgeoifie
étoient fous les armes. Madame Infante logea à
l'Hôtel du Gouvernement. Elle coucha le 6 à
Montelimar , & le 7 à Pierrelatte. Dans la premiere
de ces deux Villes , elle fut reçue de même
qu'à Valence. Le 8 , elle dîna à Bollene , Ville du
Comtat d'Avignon. Le Vice- Légat s'y étoit rendu
avec les troupes du Comtat. Madame Infante
continua l'après- midi fa route , & alla coucher à
Orange. On fit à cette Princeffe la même réception
qu'à Valence & à Montelimar. Elle dina le 9
à Sorgue , où le Vice- Légat d'Avignon & les
troupes
NOVEMBRE. 1753. 195
troupes du Comtat l'avoient devancée . Cette Prin.
cefle y trouva auffi le Duc de Villars , qui l'y attendoit
à la tête de beaucoup de Noblefle . Madame
Infante coucha le même jour à Orgon , & le
lendemain elle eft arrivée à Aix .
Le Comte de la Marche , Prince du Sang , qui
avoit été attaqué d'une petite vérole volante , eft
parfaitement rétabli .
.
Les Secrétaires du Roi , Maifon , Couronne de
France , & de fes Finances , firent chanter le Te
Deum dans l'Eglife des Céleftins , en actions de
graces de la naiflance de Monteigneur le Duc d'Aquitaine.
Les payeurs des Rentes de l'Hôtel de Ville s'ac
quiterent du même devoir le 12 dans l'Eglife des
Religieux de la Mercy ; & les Controlleurs des
Rentes , le 17 dans celle des Blancs -Manteaux .
M. de Chevert , Lieutenant -Général , qui a
commandé le Camp fous Sarre- louis , & le Marquis
de Caftries , Maréchal de Camp , qui étoit
employé fous les ordres , fe font auffi diftingués
par une fête éclatante .
Le 12 Octobre , le Roi arriva à Fontainebleau
du Château de Choify; Sa Majefté defcendit de carolle
à Chailly , & chaffa le Sanglier. La Reine
arriva le même jour avec Madame Adélaïde , &
avec Mefdames Victoire , Sophie & Louife.
On exécuta le 13 à Verſailles , chez Madame
la Dauphine , l'Opéra Italien , intitulé , Didon
abandonnée , dont la Mufique eft de M. Halle ,
Maître de Muſique du Roi de Pologne , Electeur
de Saxe. Les principaux rôles furent chantés par
Mrs Cafarieli , Guadagni , Champalante & Albanefe.
M. Guadagni arrive d'Angleterre. Sa grande
exécution & la beauté de la voix lui ont acquis
beaucoup de réputation .
I
194 MERCURE DE FRANCE.
Leurs Majeftés ont figné le Contrat de ma
ringe du Marquis de Canily & de Demoiselle de
Vally.
Leurs Majeftés , accompagnées de Meldames
de France , affifterent le 14 au Salut dans la Chapelle
du Château.
Le lendemain , la Reine alla entendre la Melle
dans l'Eglife du Couvent des Carmes des Loges ,
à un quart de lieue de Fontainebleau .
Meldames de France fe rendirent l'après midi à
la même Eglife , où ces Princelles affifterent au
Salut.
*
Le Roi foupa le 14 au grand couvert .
Les fpectacles ayant recommencé à la Cour ,
les Comediens François y repréfenterent le 16les
Ménechmes & le Retour imprévu. On a profité de
la reflemblance qui fe trouve entre M. Préville ,
nouveau Débutant , & M. Chanville fon frere ,
Acteur de la Comédie Italienne , pour leur faire
jouer dans la premiere Piéce , les 1ôles des deux
Menechmes .
Le 17 , il y eut chez la Reine un concert , dans
lequel on chanta le Prologue & le premier acte de
l'Opéra de Medée & Jafon.
Le 14. l'Abbé Lambert eut l'honneur de préfenter
au Roi les Mémoires de Martin de Guil-
Jaume du Bellay - Langey , mis en un nouveauftyle,
auxquels font joints les Memoires du Maréchal de
Fleuranges , qui n'avoient pas encore été publiés, &
le Journalde Louiſe de Savoye ; avec des notes hifle
riques critiques , un grandnombre de PiecesĴuftificatives,
pourfervir à l'Hiftoire du Regne de Fran
çois I. Ce Recueil contient fept Volumes in 12 .
Monfeigneur le Dauphin & Madame la Dau
phine vinrent le 16 à Paris , pour rendre à Dieu
ieurs actions de graces dans l'Eglife MétropoliNOVEMBRE.
1753. 195
*aine. Ce Prince & cette Princefle averent à
quatre heures après midi , & furent reçus à la porte
de l'Eglife par l'Archevêque , qui , revêtu de fes
habits Pontificaux , & à la tête de fon Chapitre ,
les complimenta , & leur préfenta l'eau benite .
Ayant été conduits dans le Choeur , ils affifterent
au Te Deum , auquel l'Archevêque officia. Monfeigneur
le Dauphin & Madame la Dauphine firent
enfuite leur prière à la Chapelle de la Vierge. Ce
Prince & cette Princeffe fe rendirent de l'Eglife
Métroplitaine à celle du Noviciat des Jéfuites , od
ils entendirent le Salut. En arrivant à l'une & l'autre
de ces Eglifes , ils ont trouvé une Compagnie
des Gardes- Françoifes & une des Gardes- Suiffes ,
fous les armes, Le foir , Monfeigneur le Dauphin
& Madame la Dauphine retournerent à Verfailles.
Par-tout , le peuple s'eft empreffé d'accourir
fur leur paffage. Le 18 , ce Prince & cette Princeffe
partirent de Versailles pour aller jondre leurs
Majeftés à Fontainebleau.
Le Duc de Gefvres donna le 14 une fête brillante
dans le Château de Monceaux . Après un diner
fplendide , auquel le Duc d'Orléans fe trouva ,
le Te Deum fut chanté dans la Chapelle de l'avant
cour du Château , qui étoit éclairée & décorée
magnifiquement. L'Evêque de Meaux y officia ;
& le Duc de Gefvres y affifta avec un grand nombre
de Seigneurs & de Dames , qu'il avoit invités à
la cérémonie . On tira le foir un très-beau feu d'artifice
, précédé de quantité de boëtes & de fufées
d'honneur. La fête fut terminée par un fouper
qui ne fut pas moins fomptueux que le dîner , &
qui fut fervi au bruit des timbales & des trompettes.
M. Loriot , qui a trouvé le fecret de fixer le
Paſtel , fans tomber dans le mat , & fans rien ôter
Iij
196 MERCURE DEFRANCE.
de la fraîcheur des couleurs , a montré différentes
épreuves à l'Académie Royale de Peinture & de
Sculpture. La Compagnie , après les avoir examinées
, a décidé que le fecret de M. Loriot femble
devoir perpétuer la durée des ouvrages en Paſtel , &
des deffeins qui méritent de paffer à la postérité. De
plas , elle a déclaré que de toutes les tentatives qui
ont étéfaites jufqu'ici pour découvrir unpareilſecret ,
il n'en eft venu à ſa connoiffance , aucune qui puiſſe
entrer en comparaiſon avec la réuffite de M. Loriot ,
dont la méthode paroit tendre au dégré de perfection
qu'on avoit toujours fouhaité L'Académie en conféquence
a chargé fon Secrétaire , de délivrer un
Extrait de fa délibération à l'Inventeur , comme un
témoignage de l'estime qu'elle a pour l'excellence de
fa découverte.
Le 18 , les Actions de la Companie des Indes
étoient à dix-fept cens vingt- deux livres dix fols ;
les Billets de la premiete Lotterie Royale à fix cens
foixante quinze , & ceux de la feconde à fix cens
trente .
Dans toutes les circonstances où des événemens
agréables raniment la joye publique , Meffieurs les
Fermiers Généraux ne manquent jamais à être des
premiers à témoigner leur zéle. L'objet de la naiffance
d'un nouvel appui du Trône étoit trop intéreffant
pour toute la Nation , pour qu'ils négli
geallent de prendre part à l'allegreffe commune .
Au lieu des dépenfes de pure décoration qui accompagnent
affez ordinaitement les cérémonies
d'ufage en ces occafions , ces Meffieurs ont coutume
d'employer en bonnes oeuvres , les fommes
qu'ils pourroient y deftiner : c'eft ce qu'ils ont
continué de faire cette année , ainfi qu'ils l'avoient
pratiqué précédemment dans des circonftances
femblables. Le Mardi 25 Septembre à onze beuNOVEMBRE.
1753. 197
2
tes du matin , la Compagnie fe rendit à l'Eglife de
Saint Euſtache , Paroiffe de l'Hôtel des Fermes ,
qui étoit ornée comme elle l'eft dans les jours
des plus grandes folemnités. On y célébra une
Meffe folemnelle d'actions de graces , qui fut fuivie
du Te Deum , le tout fans autre appareil , que,
celui qu'infpiroit aux affiftans la piété & la reconnoiffance
envers Dieu du don qu'il a fait à la France
; & par une délibération de la Compagnie , les
fommes qui auroient pu être employées en décorations
, mufique , fymphonie , &c . ont été envoyées
à cette même Paroiffe pour contribuer à la dépenſe
des nouveaux édifices qu'on y entreprend , & pour
la perfection de cette Eglife , & pour la commodité
& utilité des Paroiffiens .
RELATION de la Fête donnée à la
Nouvelle Orléans , au fujet de la Conva.
lefcence de Monfeigneur le Dauphin.
L'AMOUR des François pour leur Roi & leur
zele pour
fa gloire fe confervent & fe manifeftent
dans toutes les régions où le fort les conduit :
la grande diftance qui fepare ceux qui font établis
à la Louifianne n'a jamais pu rallentir en eux l'ardeur
fidéle qui fait leur principal caractére . Cette
contree retentit encore du nom augufte & chéri de
Louis le bien aimé , & des cris d'allégreffe occafionnés
par la nouvelle de l'heureufe convalefcence
de Monfeigneur le Dauphin . La Colonie entiere
animée par l'exemple de fes Chefs a exprimé fa
joye par tout ce que le coeur peut inſpirer , & par
tout ce que l'art a pu exécuter.
Monfieur de Kerleret , Gouverneur de la Pro-
I iij
198 MERCURE DEFRANCE :
vince de la Louifanne ayant fixé au dernier jour
d'Avril 1753 la Fête qu'il devoit donner au fujet
de la convalefcence de Monfeigneur le Dauphin ,
fe rendit avec Monfieur de Vaudreuil , ancien
Gouverneur , & Monfieur d'Auberville , Commissaire
Ordonnateur , à l'Eglife Paroiffiale de la
Nouvelle-Orléans , où il fut chanté un Te Deum
folemnel en actions de graces , enfuite duquel ces
Mellieurs accompagnés de Monfieur le Lieutenant
de Roi & de M. de Brunolo , Chevalier de l'Ordre
de Saint Louis , Commandant le Vaifseau du
Roi le Chariot Royal , avec Meffieurs les Officiers
de la Marine , & Meffieurs da Confeil, allumerent
le feu de joye qu'on avoit préparé fur la place
d'armes au bruit des falves répétées de la moufque
terie des troupes de la Garnifon & de la Milice
Bourgeoife , & de plufieurs décharges du canon de
la place & des vaisseaux de la rade . Alors on fit
couler des fontaines de vin dans plufieurs bo quets
formés artiſtement avec des branches d'arbres . Le
peuple au fon des fifres , des cors de chasse & des
tambours exprima par fes tranfports , par fes danfes
& par les acclamations la joie dont il étoit
agité joye vive & fincére , infpirée par l'amour
que la Nation Françoife . quelque part qu'elle
foit tranfportée , nourrit fans ceffe dans fon coeur
pour la perfonne facrée de fon Roi & pour fon auguft
: Famille.
De la Place d'armes Meffieurs les Gouverneurs
& leur fuite fe rendirent au Gouvernement , où
ils trouverent cent trente Dames parfaitement
bien parées , & un beaucoup plus grand nombre
d'hommes , qui tous devoient être du fouper. C'eft
là que cette aifance attentive , cet air gracieux &
engageant qui gagne tous les coeurs , ces polireffus
naturelles , réfervées aux feules perfonnes
NOVEMBRE. 1753 . 199
nées pour commander , furent abondamment répandues
: tout le monde y eut part , & chacun admirant
la belle ordonnance de cette Fête , la rendit
encore plus vive par l'expreffion particuliere de
fa joye & de fon contentement.
Quelqu'avantage qu'une galerie d'environ cent
trente pieds , qui fe trouve devant le Gouvernement
, offit pour réunir une affemblée auffi nombreufe
, il eft difficile d'imaginer avec quel art on
en avoit fçu tirer parti. Un treillis de fleurs en gar
niffoit le tour , & ne donnoit paffage qu'à un air
parfumé. Les colonnes étoient ceintes de guirlandes
de fleurs : le plancher qu'on avoit tapiffé , re.
préfentoit les chiffres les plus galans tracés par
d'autres guirlandes . La table étoit ornée de trois
beaux criftaux qui répétoient les lumieres d'un
nombre infini de bougies , dont la gallerie étoit
éclairée ; enfin une abondance bien entendue de
mets délicats & choifis flatoient également la
vûe & le goût.
La fanté du Roi & celle de Monfeigneur le
Dauphin furent bues au bruit du canon de la Place
& des Vaiffeaux. L'on vit quels foins & quel plaifir
prenoit M. le Gouverneur à faire tomber tous
les honneurs fur Monfieur & Madame de Vaudreuil
; & tout enfin fut dirigé avec un ordre & une
décence qu'il eft auffi rare que difficile de faire
obferver dans un fi grand concours.
D'autres plaifirs devoient fuccéder à tant de magnificence
. Les illuminations de la façade du Gouvernement
, celles des Vaiffeaux rangés fur le
bord du fleuve , & celles des maifons des Particu
liers qui avoient voulu fe fignaler , attiroient tour
à tour les regards , & faifoient redoubler les acclamations.
Les Révérends Peres Jefuites fur tout
faifoient briller par de belles fufées , des fontaines,
Liiij
200 MERCURE DE FRANCE.
de vin & des illuminations , leur bon goût ordisaire.
Le fouper fini , on ſe rendit à la maiſon du ficut
du Breuil , au devant de laquelle il avoit fait dreffer
un amphithéatre où les Dames le placerent
pour voir l'exécution du feu d'artifice qu'il avoit
préparé. Sa maifon étoit illuminée avec goût ; au
deffus d'ane colonnade feinte s'élevoient quatre
ftatues repréfentant les quatre faifons avec leurs
attribus , & des infcriptions appliquées au fujet,
Il y avoit fur la face de fa maifon trois galleries
P'une fur l'autre , & fur chacune un dépôt d'artifi
ce en fulées , feux volans , étoiles & ferpentaux .
Mcfdames les Gouvernantes y mirent le feu par
le moyen de deux colombes artificielles On vit à
Picitent tout le ciel en feu & plein d'étoiles ,
dot la clarté brillante diffipa pour quelque moment
l'obfcurité de la nuit . On admira la grande
variété d'objets que préfenta cette décoration enflammée
, & la diftribution élégante & fage des
foleils , tourbillons , gerbes , pluye de feu , &c.
En un mot , l'exécution fut auffi heureufe que le
plan avoit été bien conçu . Le fpectacle teimiré
tout le monde fe retira avec une entiere fatisfaction.
Les François ne furent pas les feuls qui profiterent
de cette Fête : des Sauvages de plufieurs nations
qui fe trouvoient à la Nouvelle- Orléans ,
voyant au nom du Roi jaillir des fontaines de
vin , dont la fource leur étoit inconnue , & le
eiel s'embellir par des aftres nouveaux , auront
remporté dans leur retraite une haute idée de Louis
le bien aimé , & lui auront payé par ignorance
un tribut d'admiration , qu'ils lui offriroient par la
force de la vérité , s'ils avoient le bonheur de la
connoître.
I
C
+
NOVEMBRE . 1753. 201
BENEFICE DONNE.
• Ledo de rémontré, Diocèle de Rouen ,i
E Roi a accordé l'Abbaye de Marcheroux
l'Abbé Clément , Doyen de l'Eglife Collégiale de
Ligny , en Barrois
MARIAGES ET MORTS.
Lelugny de Nuis -fur- Armançon , Sei-
E 18 Septembre , Jean- Etienne- Bernard de
gneur de Pralay , Confeiller au Parlement de Bourgogne
, époufa Charlotte- Theréfe Tardieu de Ma.
leiffie , fille de Charles- Gabriel Tardieu , Marquis
de Maleiſſie & de Anne - Philiberte de Baril'on .
M. de Clagny eft fils d'Etienne de Clugny ,
Seigneur de Nuis -fur - Armançon , Confeiller au
Parlement de Dijon , & de Clairode Gilbert de
Veifios , fille de Pierre- Gilbert de Voilins , Comte
de Crapado & de Lohuc , Commandant pour
le Roi en l'a de Guadeloupe , de la même famille
que M. Gilbert de Voifins , Confeiller d'Etat.
Etienne avoit pour pere un autre Eticane de Cluguy
, Confeiller au même Parlement , Auteur du
Traité des Droits de Justice , mort en 1741 avec la
réputation d'un grand Magiftrat ; celui - ci avoit
époulé Chriftine Lefoul de Pralay , & étoit d'une
famille ancienne originaire d'Autun , dont étoit
forti Ferri de Clugny , Evêque de Tournay , fair
Cardinal en 1480. Ses armes font d'azur à deux
clefs d'or pofées en pal , les anneaux en lozange pomés
enlacés. Voyez le Supplément de Moreri,
de l'édition de 1735.
a
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
Quant à la famille de Tardieu , elle eft origi
naire de Normandie , & a donné dans le dernier
fiécle plufieurs Chevaliers à l'Ordre de Malte.
François Tardieu de Malleville , Maitre des Requêtes
, époufa en 1620 Anne- Martin de Maleiffie,.
foeur de Henri Martin , dit le Marquis de Maleiffie,
Gouverneur des Ville & Citadelle de Pignerol ,
& fille de Mathieu- Martin de Maleiffie , Chevalier
de l'Ordre du Roi , Gentilhomme Ordinaire de fa
Chambre ,& Gouverneur de la Capelle ; & de Madelaine
Alamani , qui avoit pour mere Anne de
Bricqueville. Leur postérité qui a depuis porté le
fuinom & les armes de Maleiffie , fut continué par
leur 3. fils Charles Gabriel Tardieu , Chevalier ,
Seigneur & Maquis de Maleiffie , Maréchal de
Camp en 1667 , marié avec Geneviève Hebert de
Buc; de ce mariage naquit Jacques-François Tar--
dieu , Marquis de Maleiffie , Capitaine aux Gardes-
Françoiſes allié avec Anne Barentin , Dame de
Mons , en Poitou , celui ci cft le pere du Marquis
de Maleitfie , & l'ayeul de Charlotte- Theréfe de
Maleiffie qui donne lieu à cet article . Elle a pour
freres Antoine Charles Tardieu , Comte de Maleiffie
, Sous- Lieutenant aux Gardes Françoiſes ,
Lieutenant de Roi de Comp égne , & Charles-
Philibert Tardieu , Chevalier de Malte ,
Sous Lieutenant au même Régiment. Ils portent
pour armes écartelé, au premier d'azur , à trois
pointes traverfées d'or , qui eft de Martin de Maleiffie
; an fecond de Caumont , d'azur à trois lions
d'or , paffans l'un før l'autre ; au troifiéme d'Ala
mani , bandé d'argent & d'azur de quatre piéces ;
au quatrićme , de Briqueville , paflé d'or & de
gueules fupports de lions.
aufk
Le 26 du même mois , N .. de Beauchine de
Mondragon , Confeiller d'Etat , Maître d'Hôtel
NOVEMBRE. 1753. 203
ordinaire du Roi , & Secrétaire des Commandemens
de Madame la Dauphine , épousa N... Duval
de l'Epinoy , fille de Louis Duval de l'Epinoy ,
Seigneur du Marquifat de Saint Verain , & de
Marie Berfin. Leur Contrat de mariage avoit été
honoré le 23 de la fignature du Roi , de la Reine ,
& de la Famille Royale.
Le premier Juillet fut enterré à Saint Sulpice:
Demoifelle Catherine Browne , fille de Milord Valentin
Kenmare , décedée rue du Regard .
Le 8 mourut , rue des Foffés Saint Victor , Da
me Anne le Maiftre , époufe de M. Jean - Pierre:
Guiguace de Villeneuve , Seigneur de Villoifeau ,
Lemée , & c . Confeiller au grand Confeil.
M. Armand- François - Jofeph de Barral de
Montferrat , fils de M. Jean- Baptifte - François
Barral de Montferrat , Marquis de la Baftie , Con
feiller du Roi en tous les Confeils d'Etat & Privé ,
Préfident à Mortier en fa Cour de Parlement ,
Aydes & Finances de Dauphiné , mourut le même:
jour rue Saint Dominique Fauxbourg Saint Germain.
Voyez les Tablettes hiftoriques V. part..
page 147. & VI. partie , page 159.
Jofeph Lamoureulx , Seigneur de la Javelliere:
en Bretagne , Maréchal des camps & armées du
Roi , Commandeur de l'Ordre de S. Louis , &
ancien Gouverneur de Philifbourg , eft mort à
Paris le 2 Juillet , âgé de 88 ans. Il eft enterré:
en l'Eglife de S. André fa Paroiffe . Il avoit épousé:
Marguerite Trudaine , Dame de Tartigny en Pi
cardie , dont il laiffe deux filles Religieufes à S.
Paul - lez -Beauvais , & deux autres filles mariées»:
l'aînée ,
Marguerite- Sébastienne Lamoureulx , mariée le
10 Septembre 1739 à Charles- Cefar Favier de
-Uvj
204 MERCURE DEFRANCE.
Lancry , Marquis de Bains , Capitaine de Dragons
au Régiment de Nicolaï , tué d'un coup de fau
conneau au fiége du Château de Rhinsfelds en
Brifkau , le 24 Septembre 1744 , âgé de 32 ans ,
laiffant un fils & une fille .
Et la cadette , Geneviève Lamoureulx , mariée
le 4 Mars 1745 à Denis -François Marquis de
Mauroy , Lieutenant Général des armées du Roi ,
& Gouverneur de Tarafcon , dont un fils né le 15
Juin 1750.
Gui - Félix d'Egmont Pignatelli , Comte d'Egmont
, Prince du Saint Empire , Grand d'Eſpagne
de la premiere claffe , Pair du Pays & Comte de
Hainault , Brigadier , Meftre de camp du Régiment
de Dragons de fon nom , mourut à Paris le
3 Juillet , âgé de 33 ans.
Dame Marie- Edmée de Boullongne , époule
du Marquis de Bethune , Maréchal des camps &
armées du Roi , & Meftre de camp général de la
Cavalerie , eft morte à Brunoi le même jour dans
fa vingt huitième année .
Meffire François- Olivier de Saint Georges ,
Marquis de Verac , Lieutenant Général pour Sa
Majefé au Gouvernement du Haut- Poitou , mourut
le 10 âgé d'environ quarante ans. Il étoit fils
aîné du feu Marquis de Verac , Lieutenant Général
des armées du Roi & Chevalier des Ordres de
Sa Majesté.
Louife de Beauvau , veuve de Meffire François
Comte de Rochefort , mourut à Paris le 14 , âgée
de 68 ans .
Meffire Jean Gourdon de Legliziere , Lieutenant
Général des armées du Roi , & Directeurdes
fortifications des villes & ports de la haute
& baffe Normandie , & Chevalier de Saint Louis ,
eft mort le même jour dans la loixante - fixiéme
année.
NOVEMBRE. 1753. 205
Meffire Pierre Blouet , Comte de Camilli ,
Grand Croix de l'Ordre Royal & Militaire de
Saint Louis , & premier Vice- Amiral de France ,
ci- devant Grand- Bailli Honoraire de l'Ordre de
Saint Jean de Jerufalem , mourut à Paris le 22 ,
âgé de quatre-vingt - fept ans. Il fervoit dans la
Marine depuis 1689 ; après avoir paffé fucceffivement
par tous les grades ; il fut fait Vice - Amiral
du Pouant le 15 Mai 1751. Il avoit été Ambaſſadeur
de la Religion de Malte en 1714 , au Congrès
de Bade , & en 1723 à celui de Cambrai ; en 1726
il avoit été nommé Ambaffadeur du Roi à la Cour
de Dannemarck , place qu'il a occupée pendant les
années 1726 , 1727 & 1728 .
Le mêmejour mourut dans fa foixante - huitiéme
année , Meffire Samuel- Jacques Bernard ,
Confeiller d'Erat ordinaire , Doyen des Doyens
des Maitres des Requêtes , Sur- Intendant des Fi
nances de la Maifon de la Reine , & Prévôt- Maître
des Cérémonies de l'Ordre Royal & Militaire
de Saint Louis . Voyez la IV . part . des Tablettes
hiftoriques , page 70.
Gui Michel de Durfort , fils de Louis de Durfort
, Comte de Lorges , Lieutenant Général des
Armées du Roi , & Menin de Monfeigneur le
Dauphin ; & de Marie- Marguerite - Reine Butau
de Keremptat de Marfan , Dame de Compagnie
de Madame la Dauphine , inourut à Paris le 24
dans fa troifiéine année .
Meffire Alexis - Céfar de Talhouet de Bonamour,
Abbé de l'Abbaye de Saint Aubin - des - Bois , Ordre
de Citeaux , Diocéfe de Saint Brieu , & Vicaire
Général de l'Evêché de Rennes , eft mort à Rennes
le même jour , âgé de quarante ans.
Mellire N... de Gould , Abbé de l'Abbaye de
Saint Laon de Thouars , Ordre de Saint Auguftiu,
zc6 MERCURE DEFRANCE.
Diocéfe de Poitiers , eft mort à fon Abbaye dans
fa foixante quinziéme année.
Le 23 , eft mort à Paris François de la Celle ,
Vicomte de Chanteauciou , Moufquetaire de la
premiere Compagnie .
M. Pierre-Louis François de Perochelle de
Morinville , auffi Moufquetaire de la premiere
Compagnie , mourut à Paris le 26.
Meflire le Lages de Cuilli , Maréchal des Camps
& Armées du Roi , eft mort à la Terre de Cuilli
le même jour ; il avoit fervi long- tems avec diftinction
dans la Marine d'Efpagne. Le conmandement
du Vaiffeau Elpagnol le Saint Ifidore lai
ayant été donné pendant la derniere guerre , il fut
attaqué fur les côtes de l'Ile de Corfe par trois
Vaiffeaux Anglois ; il foutint leur feu pendant
plufieurs jours , & s'étant fait échouer plutôt que
sde fe rendre , il le fauva à terre avec fon équipage.
Mefie Jean - François , Marquis de Creil ,
Grand-Croix de l'Ordre Royal & Militaire de Saint
Louis , Lieutenant Général des Armées du Roi ,
Gouverneur de Thionville , & ci -devant Capitaine-
Lieutenant Commandant de la Compagnie des
Grenadiers à cheval , eft mort à Thionville le 27,
âgé de foixante dix - huit ans .
Marie Magdelaine de la Grange - Trianon , ven
ve de Jacques d'Auxi de Monceaux , Marquis
d'Auxi , Chevalier des Ordres du Roi , mourut en
fon Château de Deuil le 28 , âgée de foixante-fix
ans. Le Marquis & la Marquile d'Auxi ont laiffé
de leur mariage une fille unique , qui eft Anne-
Magdelaine Françoife d'Auxi de Monceaux , Dame
du Palais de la Reine , & époule d'André
Hercule de Roffet , Duc de Fleuri , Pair de France,
Lieutenant Général des Armées du Roi , Gouver
NOVEMBRE. 1753. 207
neur & Lieutenant Général des Duchés de Lorraine
& de Bar , Gouverneur particulier des Ville
& Château de Nanci , & premier Gentilhomme
de la Chambre de Sa Majesté.
Dame Louiſe Marthe de Meffey , épouse de
Meffire Albert- François Clérambaut , Comte de
Vandeuil , eft morte à Paris le 4 Août , âgée de
38 ans.
Marie - Gabriel Florent , Comte de Choifeul-
Beaupré , Colonel du Régiment de Navarre , Lieutenant
Général des Provinces de Champagne &
de Brie , en furvivance du Marquis de Choifeul
fon pere , mourut à Strasbourg le 6. âgé de 24
ans. Voyez la IV part . des Tablettes Hift. page
178.
Claude Gros de Boze , Préfident - Tréforier
de France au Bureau des Finances de la Généralité
de Lyon , Garde des médailles du Cabinet
du Roi , & l'un des quarante de l'Académie
Françoife , ci - devant Intendant des deviles & inf
criptions des édifices royaux , & Secrétaire perpétuel
de l'Académie des Infcriptions & Belles--
Lettres , eft mort à Paris le 10 dans fa foixantequatorziéme
année .
Le fieur Mouffle de la Thuillerie , Tréforier
Général de l'Ordre de Saint Louis , & ci- devant
Tréforier Général de la Marine , eſt mort à Paris
le 10 dans fa quatre - vingt- quatrième année..
Meffire Louis- Jacques de Calonne , Marquis de
Courtebonne , Maréchal des Camps & Armées du
Roi , Lieutenant de Roi dans la Province d'Artois
, & ci- devant Capitaine Lieutenant dans la
Compagnie des Gendarmes Bourguignons , eft:
mort le 11 dans les terres en Picardie , âgé de
55 ans. Voyez la V. part . des Tablettes hiftor .
Page $3.
208 MERCURE DE FRANCE.
1
Le même jour mourut Meffire Jean Altermat ;
Grand Juge de la Compagnie Générale des Gardes
Suiffes , Chevalier de l'Ordre Royal & Militai.
re de Saint Louis , âgé de 75 ans.
Le 12 eft morte Dame Renée Baroux , veuve
de Meffire Claude Dubois , Marquis de Couruziers
, Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire
de Saint Louis , Capitaine au Régiment du Roi infanterie.
Marie-Françoife- Cafimire de Froulay- de - Teflé ,
Dame du Palais de la Reine , épouse de Charles-
Michel- Gafpard de Saulx- Tavannes , Comte de
Saulx , Lieutenant - Général des Armées du Roi ,
Menin de Monfeigneur le Dauphin , Gouverneur
du Château du Taureau en Bretagne , & élu de la
Nobleffe de Bourgogne , mourut à Paris le 15
âgée de 38 ans. Voyez la III Part. des Tablertes.
hiftor. page 63. quatriéme part . page 246 cinquiéme
part. page 170 .
Le 17 eft mort M. Louis Gafton de Lowendiere ,
Seigneur de l'Arpois , Confeiller au Parlement.
Anne- Rofalie - Félicité de Montmorenci , fille dé
Louis- Anne- Alexandre de Montmorenci , Prince
de Robecq , premier Baron Chrétien de France ,
Grand d'Elpigne de la premiere Claffe , Brigadier
d'infanterie & Colonel du Régiment de Limosin ,
& d'Anne Maurice de Montmorenci - Luxembourg
, eft morte le 18 dans fa quatrième an
' née .
Le 22 on inhuma à Saint Germain l'Auxerrois
Louife Genevieve Julien du Be'lay , fiile de feu M.
Jacques Louis Julien fieur du Bellay , Con rôleur
des Guerres , & Commandant pour le Roi au Fort
de Gregoy , Royaume de Juda .
Le 24 fut inhumé à Saint Sulpice M. Louis René
de Malenas de Morenil , Moufquetaire de la
NOVEMBRE . 1753. 209
premiere Compagnie , Seigneur de Launay , la
Roche- Marteau , & c.
Meffire Emmanuel Freflon de Saint - Aubin , Brigadier
des Armées du Roi , & Capitaine d'une
des Compagnies de Grenadiers du Régiment des
Gardes- Françoifes , mourut à Paris le même jour
âgé de 52 ans .
Charles-Albert François de Gelas -Voifin Dambre
, fils de Daniel François de Gelas- Voifin-
Dambre , Comte de Lautrec , Chevalier des Ordres
du Roi , Lieutenant- Général des Armées de
Sa Majesté , un de fes Lieutenans Généraux dans
la Province de Guyenne & Gouverneur du Quefnoi
; & de Marie - Louife de Rohan Chabot , eft
mort à Paris le 28 dans (1 dixième année . Voyez
la feconde partie des Tablettes hiftoriques page
320.
Edme Sainfon , Ecuyer Confeiller Secrétaire du
Roi , Marfon Couronne de France & de les Finances
, mourut le premier Septembre 1753 , âgé de
77 ans. Un- eſprit net , une mémoire prodigieufe
& un grand amour pour le travail , lui faifoient
remplir les fonctions de fa Charge avec une gramde
diftinction .
Le même jour on inhuma à Saint Germain l'Auxertois
Dame Françoife Angélique Lecuyer de
Balagny , femme de M. Pierre- Augufte Baron de
Brink , ci devant Commiffaire Ordonnateur de la
Marine , fur tous les Ports Hollandois pour la
France .
Le 2 mourut Dame Marie Genty , veuve de M.
de Bouthilier , Marquis de Chavigny.
Le s. on enterra à Saint Sulpice M. Claude-
Nicolas Morel , Seigneur de Vindé , & c, Confeil--
ler Honoraire , & ancien Doyen du Grand Confeil
, âgé de 87 ans,
210 MERCURE DE FRANCE.
Le même jour fut inhumé à Saint Euſtache M
Daniel Louis -Denis de Lanfac , Confeiller au
Parlement décédé rue Vivienne.
Le même jour fut enterré à Saint Roch M.
Alexis -Rolland Fillion de Villemur , l'un des quarante
Fermiers Généraux de Sa Majefté , décédé
à Neuilly.
M. François-Adam , Baron d'Holbach , Seigneur
de Héeze , le Ende , & c. mourut le même
jour.
Le 6 eft morte , âgée de foixante -feize ans ,
Anne Marie Marguerite Trinquand , époufe de
M. Nicolas Favieres , Confeiller au Parlement.
Le 1s eft morte Dame Marie Marguerite de
Faverolles , veuve de M. i hilibert - Michel Huerne,
Maître des Comptes.
Le même jour mourut Dame Marie- Anne Boyer,
Dame de Jufas , époufe de M. Pierre Billard , Seineur
de Vaux , Confeiller Honoraire au Grand
Confeil , Premier Préſident au Bureau des Finanes
, Chambre du Domaine & Tr.for
Le 14 eft inhumé à Saint Jean - en - Grêve M.
lexandre Foizon , Seigneur de Blamond , Genhomme
Ordinaire , Honoraire de la Chambre
du Roi.
Le 15 eft morte Dame Elifabeth Bibiane d'Af
figny , veuve de M. Guillaume Gouyon , Ecuyer
ordinaire du Roi en fa grande Ecurie , & Lieutenant
pour Sa Majefté des Ville & Château de
Pont-de-Cé.
Mere N..... de Montginord , Chanoine de
Meaux , Abbé de l'Abaye de Marcheroux , eft
mort à Meaux le 18 , dans fa foixante-dixième
année.
Jules Frederic Mazarini Mancini , fils de Louis-
Jules Barbon Mazarini - Mancini , Duc de Nivere
NOVEMBRE . 1753. 21F
nois & Donzieres , Pair de France , Grand d'Efpagne
de la Premiere Claffe , Prince du Saint Empire
, Noble Vénitien , Chevalier des Ordres du
Roi , Brigadier d'Infanterie , Ambafladeur de Sa
Majefté auprès du Saint Siége ; & d'Helene Fran-
Coife Angélique Phelypeaux de Pontchartrain ,
mourut à Paris le 19 , âgé de près de huit ans .
ARRESTS NOTABLES.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , du to
Avril 1713 , qui difpenfe les Fabriquans de
toiles , batiftes & linons , de fe fervir du miniftere
des Courtiers de Valenciennes pour vendre leurs
toiles.
AUTRE du 12 Juin , portant nomination des
perfonnes qui figneront les coupons pour le rénouvellement
des Reconnoiffances qui doivent
être fournies par le Tréforier de la Caille générale
des Amortiffemens,
REGLEMENT du 22 Juin , pour la police
& difcipline des équipages des Navires expédiés
pour les Colonies de l'Amérique.
INSTRUCTION du 29 Juin , fur l'exer
cice de la Cavalerie.
AUTRE , du même jour , fur le fervice que l'es
Régimens de Cavalerie devront faire dans les camps
qui s'afsembleront pendant la préfente année.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , du 10
-Juillet 1753 , qui ordonne que les Particuliers qui
212 MERCURE DE FRANCE.
feront compris dans les états de répartition de le
Capitation de l'année 1754 , feront tenus de
payer , outre la portée de leurs taxes , les quatre
fols pour livre d'icelles .
AUTRE , du même jour , qui proroge jul
qu'au premier Octobre 1754 , le pouvoir accordé
Mrs les Intendans des Généralités où la taille
eft perfonnelle , de faire procéder pardevant eux ,
ou ceux qu'ils commettront , à la confection des
rôles des tailles , dans les Villes , Bourgs & Paroiffes
ois le jugeront à propos.
ORDONNANCE du Roi , du 20 , Juillet
; pour établir quatre Sous- Aides Majors dess
fon Régiment d'Infanterie.
AUTRE , du premier Août , pour régler le
nombre des Officiers de les Troupes de Cavalerie
& de Dragons , qui auront congé par feneftre.
AUTRE , du même jour , pour régler le
nombre des Officiers de fes Troupes d'Infanterje
Françoife , qui auront congé par femeftre .
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , da 19
Août , qui accorde à Eloi Brichard le privilége de
la Manufacture Royale de Porcelaine , établie à
Vincennes .
ARREST de la Cour des Monnoyes , da
29 Août , qui fait défenſes à toutes perſonnes
fur les peines y portées , de refufer les pièces
de vingt - quatre deniers pour leur valeur entiere :
condamne le nommé Arbois en cinquante livres
d'amende pour le refus qu'il en a fait ; & ordonne
NOVEMBRE. 1753 . 213
qu'il fera informé , tant contre ceux qui les refuferont
, que contre ceux qui font courir des bruits
de diminution & de décri defdites espèces.
LETTRES Patentes du Roi , en forme de
Commision , données à Verfailles le 1 Septembre
, portant établiffement d'une Chambre des
Vacations dans le Couvent des Grands . Auguftins
de Paris.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , du 24 Septembre
; qui , en interprétant les réglemens cidevant
rendus , explique dans quel cas les Marchands
fur lefquels il pourroit être faifi des étoffes
en contravention aufdits réglemens , auront leur
recours contre les fabriquans qui les leur auront
vendues.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , & Lettres
Patentes fur icelui , données à Verſailles le
30 Septembre , regiftrées en la Chambre des Vacations
les Octobre ; qui caffent la Sentence du
Châtelet de Paris , du 28 Septembre , & déclarent
nulle la Délibération du Châtelet du même jour.
ARREST de la Chambre des Vacations , du
5 Octobre ; portant enregistrement de l'Arrêt du
Confeil do 30 Septembre , & des Lettres Paten
tes fur icelui ; & commiffion à des Députés de la .
dite Chambre , à l'effet de fe tranfporter au Châtelet,
pour y faire exécuter ledit Arrêt du Confeil ,
lefdites Lettres Patentes & Arrêt de la Chambre.
AUTRE du même jour , qui fupprime un
imprimé portant pour titre : Mandement de M
L'éque de Boulogne.
214 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE du 16 Octobre , qui condamne
Edouard-François Labattu , au fouet , à la marque
des lettres GAL , & aux galeres pour trois ans ,
pour vol de mouchoirs dans l'Eglife de Saint Euftache.
A V I S. -
COPIE de la partie de la Lettre écrite par
M. le Marquis de Breteville , au Pere
Potaire , Confeffeur des Religieufes de l'Ave-
Maria , à Paris ; dattée de fon Château
près Cherbourg , du 10 Juillet 1753 :
contenant l'éloge de la Poudre purgative de
M. Vacoffain , Marchand Epicier , rue
vis à vis S. André des Arts,
J
E ne puis aflez vous remercier , mon R. Pete
& ami , de la connoiflance que vous m'avez
donnée de la Poudre purgative du fieur Vacoffain.
Les bons effets qu'elle a produits fur les perfonnes
qui en ont fait ufage dans ma Paroifle , à moi parculierement
, m'obligent d'en faire toutes les
louanges qu'elle mérite , lui donnant la préférence
à tous autres Purgatifs , par la douceur de les
opérations , purgeant parfaitement fans aucune
tranchée , & différant des autres remédes qui affoibliflent
le tempéramment : celui ci le fortifie
en effet , comme il eft marqué dans le Mémoire
inftructif de ladite Poudre. Et fi j'avois un avis à
vous donner , mon R. Pere , dans la fituation cù
vous êtes , je vous conſeillerois en bon ami , d'en
faire ufage plutôt que d'aller aux Eaux de Bourbon
, où vous m'avez marqué devoir aller au mois
d'Août prochain ; mais puifque vous avez deffein
DE
E
Sa
NOVEMBRE. 1753. 215
de fuivre les ordres de vos Médecins dans cette
occafion , je vous prierois , avant votre départ ,
de m'envoyer encore deux paquets de chacun dix
prifes de la même Poudre , pour en donner à mes
pauvres Sujets ; & fi ledit fieur Vacoffain veut bien
par charité
y en ajouter quelques prifes , il participera
à une bonne oeuvre.
AUTR E.
Le fieur Paftel , Chirurgien , poffeffeur d'un
Reméde Anti -vénérien , avertit le Public , que
quelques opiniâtres & invétérées que foient toutes
fortes de maladies fecrettes , dans les deux fexes ,
de tout âge , il les guérit parfaitement & radicalement
fans friction ni falivation , en très peu de
tems , & n'empêche pas les malades de vaquer 2
leurs affaires. Sa demeure eft rue d'Anjou , la premiere
porte cochere à droite en entrant par la rue
Dauphine , au premier étage.
APPROBATION.
'Ai lû , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le volume du Mercure de France du mois
de Novembre . A Bonbar le 24 Octobre 1753.
LAVIROTTE,
TABLE .
IECES FUGITIVES en Vers & en Profe.
Vers fur la naiffance de Monfeigneur le Duc
d'Aquitaine , page 3
6 Differtation fur la Devife du Roi Louis XII ,
Eglogue fur la naiffance de Monfeigneur le Duc
d'Aquitaine ,
Suite de la Diflertation fur le Droit & le Barreau
de Rome ,
13
19
D
216
Ode fur la naiffance de Monfeigneur le Duc d'A
quitaine ,
Séance publique de l'Académie de Rouen ,
32
38
La Tendreffe de Louis XIV pour la Famille ; Poëme
qui a remporté le Prix de l'Académie Françoile
,
Séance publique de l'Académie de Dijon ,
St
56
La Calomnie ; Ode aux Mânes de Rouleau , 66
Séance publique de l'Académie des Sciences de
Besançon ,
Songe. Mile Forquerai à fa mere ,
73
77
79
Séance de l'Académie des Belles Lettres de Montauban
,
Mandement de M. l'Evêque de Valence , fur la
naiffance d'un Duc d'Aquitaine , 92
Mots de l'Enigme & des Logogryphes du dernier
Mercure ,
Enigme & Logogryphes ,
Nouvelles Littéraires ,
95
ibid.
99
Prix propofés par l'Académie Royale des Sciences
de Toulouse ,
135
Aflemblée publique de l'Académie des Sciences
d'Amiens ,
Lettre à M. le Chevalier de Caufans ,
Réponse à la Lettre de M. ** *
Beaux Arts ,
Chanfon ,
Spectacles ,
Nouvelles Etrangeres ,
139
141
142
149
169
ibid.
177
France. Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 184
Bénéfice donné ,
Mariages & morts ,
Arrêts notables ,
Avis ,
La Chanfon notée doit regarder la page 169.
De l'Imprimerie de J. BULLOT.
201
ibid.
211
214
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AV ROI.
DECEMBRE. 1753 .
PREMIER VOLUM E.
IGIT
UT
SPARCATS
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT , Quai de Conty , à la
defcente du Pont-Neuf.
DUCHESNE , rue Saint Jacques,
au Temple du Gout.
M. DCC. LIII.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
A VIS.
4
'ADRESSE du Mercure eft à M. MERIEN
L Comms au Mercure , rue des Foffez S. Germain
l'Auxerrois , au coin de celle de l'Arbre-fec , pour remettre
à M. l'Abbé Raynal.
Nous prions très - inftarement ceux qui nous adreſſeront
des Paquets par la Pofte , d'en affranchir leport ,
pour nous épargner le déplaifir de les reluter , & à eux
celui de ne pas voir paroître leurs Ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays Etrangers ,
quifouhaiteront avoir le Mercure de France de la premiere
main, plus promptement , n'auront qu'à
écrire à l'adreffe ci- deffus indiquée.
On l'envoye auffi par la Pofte, aux perſonnes de Province
qui le defirent , les frais de la pofte ne font pas
confiderables.
On avertit auffi que ceux qui voudront qu'on leporte
chez eux à Paris chaque mois , n'ont qu'à fairefçavoir
leurs intentions , leur nom &leur demeure audit fieur
Merien,Commis au Mercure; on leurportera le Mercure
très - exactement , moyennant 21 livres par an , qu'il
payeront , fçavoir , 10 liv. 10f. en recevant le ſecond
volume de Juin , & 10 l . 10 f. en recevant le ſecond
volume de Décembre . On les fupplie inflamment de
donner leurs ordres pour que ces payemens foientfaits
dans leur tems .
On prie auffi les perfonnes de Province , à qui en
envoye le Mercure par la Pofte , d'étre exactes à faire
payer au Bureau du Mercure à la fin de chaquefemeftre
, fans cela on feroit hors d'état de foutenir les
avances confidérables qu'exige l'impreffion de ces
ouvrage.
On adreffe la même priere aux Libraires de Province.
On trouvera le fieur Merien chez lui , les mercre
di , vendredi & samedi de chaque femaine.
PRIX XXX . SOLS .
E
S'
3
MERCURE
1
DE
FRANCE ,
1
DEDIE AU
ROI.
DECEMBRE.
1753.
PREMIER
VOLUME.
0-0-00-0-0-0-6
PIECES
FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
Et
: EPITRE
A M. L'ABBE'
MARQUET.
Par M. ***,
Imable Abbé , qui mériterois d'être
Un Monfignor , le premier des Chapeaux
,
Si le Parnaffe avoit fes Cardinaux ,
que le Goût eût fon Souverain Prêtre.
Mon cher Marquet , que ton fort eft charmant !
1. Vol. A ij
4 MERCURE DE FRANCE:
Qu'à ton bonheur , helas ! je porte envie !
Dans les plaifirs qui partagent ta vie ,
Greffet fans ceffe à tes yeux eft préſent ,
Tu peux toujours & le voir & l'entendre ;
Vous vous prêtez cet efprit lumineux
Qui dans Berlin vient encor me furprendre
Et pénétrer mon ame de fes feux ;
Vous l'emportez vers ce brillant azile
Od les beaux Arts , les plaifirs , les amours
Ont des Romains ramené les beaux jours ;
Où fur un ton délicat & facile ,
Imitateur des graces de Virgile ,
Rival heureux de les talens divins ,
Greffet chanta Ver - vert & fes deſtins.
Quand dans Paris je fuivois le Théâtre ,
Je ne pouvois à cet illuftre Auteur
Donner d'encens que celui de moncoeur ;
Mais les talens , dont je fuis idolâtre ,
M'ont enflammé d'une fubite ardeur ,
J'ofe vers lui prendre un effor vainqueur
Oui , je lui dois cette juſteſſe extrême
De comparer Greffet à Greffet même.
Hier encore , en répandant des pleurs ,
J'applaudiffois à cette vertu pure
Qui dans Sidney m'attache à la nature ,
Et me fait plaindre & fentir fes douleurs.
Pourquoi Greffet n'a- t'il pû voir ces larmes !
Un tel éloge cût eu pour lui des charmes :
Qui fçait fi bien peindre le fentiment ,
}
DECEMBRE . 1753 .
Doit rechercher fon applaudiffement.
Anacréon , dont il a la tendreffe ,
La volupté , les graces , les douceurs ,
Prête à les vers cette délicateffe ,
Ce coloris , ces charmes féducteurs ,
Dont le pouvoir le rend maître des coeurs,
Il ne craint point les triftes infortunes ,
Au vrai génie , aux talens trop communes.
Tous ces écrits par la vertu tracés
De pareils coups ne font point menacés ;
Si les deftins à nos Muſes contraires
Ont exilé leur plus folide appui ;
Si notre Horace aux rives étrangeres
Paffa des jours confumés par l'ennui ;
C'est que ſouvent dans fes rimes hardies
L'honnêteté , les moeurs furent Alétries ,
Et que dès- lors attachée à fes pas ,
L'audacieuſe & noire Calomnie .
Vint attaquer le repos de la vie ,
En lui prêtant des vers qu'il ne fit pas .
Mais un Auteur que la Sagefle infpire
Craint peu les traits de la méchanceté ,
Et la Vertu dont il chérit l'empire
Oppofe un frein à la malignité.
Heureux qui peut dès l'âge le plus tendre ,
Dans les écrits faire admirer fes moeurs !
Pour le flater , l'applaudir & l'entendre ,
On voit vers lui voltiger tous les coeurs,
Tel eft , Marquet , le portrait véritable
4
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
De cet ami charmant & vertueux ,
De qui l'efprit & le talent aimable
De ſes Lecteurs réunit tous les voeux.
Je me livrois à l'heureuſe apparence ;
De voir de près le mortel que j'encenſe ,
Plus d'une fois tu m'en avois Aaté ;
Mais par le fort , loin de toi tranfporté ,
De ce bonheur j'ai perdu l'eſpérance :
Trifte , inquiet , fans force , fans fupport ;
Je crois voguer fur l'élément perfide ,
Tel qu'un vaiffeau fans bouffole & fans guide ,
Que la tempête a chaffé loin du port.
Autour de moi je ne vois que naufrages ,
Chaque rocher vient offrir à mes yeux ,
Malgré la nuit , les vents & les orages ,
De cent vaiſſeaux les débris malheureux.
Juge du trouble où mon ame eft réduite ,
Et des tourmens que mon coeur doit fentir t
Du même fort qui peut me garantir ,
Si l'amitié pour moi ne follicite ?
Si je m'égare en traçant ce diſcours ,
Ami , tu dois excufer mon yvreffe,
Ce feul efpoir peut flater ma foibleffe ,
Et me promettre encore d'heureux jours:
Mais , diras - tu , qui te contraint d'écrire r
Pourquoi fortir de fon obfcurité ?
Pourquoi venir , de folie entêté ,
A tous les yeux expofer fon délire ?
De quelque efpoir que ton goût loit flaté , •
DECEMBRE. 1753 . 7
Quelque plaifir que la rime t'inſpire ,
N'éveille point la cruelle Satyre ,
Ou , c'en eft fait de ta tranquillité,
De ce confeil que dicte la Sageffe ,
Jufques ici j'ai refpecté les loix ;
Mais l'Amitié , Syréne enchantereffe
Vient fur mon coeur revendiquer fes droits :
Il faut céder à la voix qui m'appelle ,
M'abandonner à fes tendres accens ,
Et qu'une Epitre innocente & fidelle ,
En t'exprimant fes libres fentimens
Paifle attirer tes applaudiffemens.
Un tel bonheur verferoit fur ma vie
Le vrai Nectar & la pure Ambroisie :
Mais je fens bien qu'un fi noble projet
Pour réuffir au gré de mon envie ,
Doit fe former au fein de ma patrie ,
Et s'achever fous les yeux de Marquet .
Par tes confeils , aidé de ton génie ,
Je porterois mon vol vers l'Hélicon
Quand l'amitié vient nous donner le ton ,
Que de fes feux notre ame s'eft remplie ,
Sans pénétrer dans le double Vallon ,
Nous poflédons la fublime harmonie.
Si je n'avois écouté que mon coeur ,
Depuis long- tems on m'auroit vû l'écrire ‹
Mais ce n'eft point aux maîtres de la lyre
Qu'ilfaut des vers fans grace & fans douceur
Dans ces fentiers confacrés aux Horaces ,
A iiij
MERCURE DEFRANCE.
Long- tems perdus , retrouvés par Rouffeau ,
Où fifouvent tu vas chercher les Graces
Et le bon goût qui guide ton pinceau ;
Buis-je efpérer d'y marcher fur tes traces ;
Moi , dont la Mufe eft encore au berceau ?
J'ai cependant , Abbé , le peux -tu croire à
( L'orgueil humain peut -il s'égarer plus ! )
Ce qu'eût à peine ofé même Phébus ,
J'ai célébré Federic & fa gloire .
C'eft cet effai de ma témérité
Qui m'enhardit à t'offrir cette Epître :
Je fçais , Marquet , jufqu'où va ta bonté ,
Que de mes vers elle foit feale arbitre.
Je veux bien moins t'amufer par mes chants ,
Que te prouver à quel point je t'eftime ;
Qu'un autre , ami , recherche le fublime ,
Je n'abandonne à de plus doux penchans :
L'amitié feule occupe mes penſées ,
Elle remplit mes plus tendres défirs ,
Pour le coeur feul ces rimes font tracées a
Le bel efprit détruit les vrais plaifirs.
Avec tranfport, ami , je me rappelle
Ces heureux jours , bélas ! trop tôt finis ,
Où je croyois prendre une ame nouvelle ;
Qui s'enflammoit au feu de tes récits.
Pourquoi faut-il que l'ingrate Fortune.
M'ait fait fi tôt abandonner Paris ?
J'aurois trouvé la douceur peu communé
De me former en lifant tes écrits :
DECEMBRE. 1753.
Et d'un plaifir encor plus délectable
Seroient payés tous mes foins affidus ;
J'aurois trouvé dans ce commerce aimable
Chez l'Amitié la fource des Vertus.
Ta modeftie augmente encor ma peine.
Ton cabinet renferme ton tréfor
Si tu voulois en enrichir le Nord ,
Il fouriroit aux Mufes de la Seine .
Crois moi , Marquet , chez les peuples guerriers
On fçit fentir le prix d'un bon ouvrage ,
Et tout pays gouverné par un Sage
Peut aux talens prodiguer des lauriers.
Si fur ces bords, que la gloire environne ,
Le fort un jour pouvoit guider tes pas ,
AinG que nous tu verrois fur le Trône
Le Dieu du goût & le Dieu des combats.
Que ne peux- tu l'approcher & l'entendre !
Qu'avec plaifir tu chanterois fon nom !
Oui , dans Poftdam c'eſt un autre Aléxandre ,
A Sans-fouci c'eft un autre Apollon.
Dans ce Palais , que malgré la nature
L'art chaque jour a pris foin d'embellir ,
Dont Rome même eût pú t'enorgueillir ,
J'ai fçu goûter une volupté pure.
J'ai vu les Arts fur ce mont fortuné
A Federic préfenter leur offrande ;
J'ai vu former l'immortelle guirlande ,
Dont ce Héros par eux eft couronné .
Tous les tréfors que l'univers recéle ,
Αν
10 MERCURE DE FRANCE,
Sont réunis dans ces aimables lieux ;
Chaque tableau vient offrir à nos yeux
Du vrai génie un excellent modéle ,
Et du bon goût les miracles heureux,
De nos Coypels , des l'igalles , des Pêmes ,
J'y contemplois les chefs- d'oeuvres fameux ,
Et me croyois aux fiécles glorieux
Où les talens fleuriffoient dans Athénes.
Ce n'étoit rien ; un coup heureux du fort
Entre mes mains fit tomber un ouvrage ,
Où Federic par un fublime effor
De l'univers emporte le fuffrage.
Qu'avec plaifir , dans ces divins écrits ,
J'applaudiflois au tribut légitime ,
Que mon Roi donne au maître de la time ,
A ce Greflet , l'idole de Paris !
C'eft un Héros , c'eft un Dieu qui le chante
Jamais Auteur ne fe vit plus vanté ;
Et les doux fons d'une lyte brillante
Lui font garans de l'immortalité .
O digue Ami ! que j'aime , que j'adore ,
Toi , dont l'efpoir fut de me rendre heureux ;
Illuftre Abbé , dont la France s'honore ,
Reçoisici mon encens & mes voeux.
DECEMBRE. 1753 .
II
300 300 300 500 500504 : 500 500 500 606 306304 305 306
LETTRE HISTORIQUE
ET CRITIQUE ,
Au fujet du Bréviaire imprimé ſous le nom de
Louis XIII , en 1642 1743 ; à M.
l'Abbé D *** .
J
les
'Admire tous les jours l'étendue de votre
Littérature , mon cher Abbé ,
faits les plus cachés , ceux même qu'on ne
trouve que dans les plus vaftes Bibliothéques
, vous font connus , comme fi vous
poffédiez ces immenfes tréfors que le goût ,
les foins & l'habileté de plufieurs hommes.
fçavans ont fucceffivement amaffés.
Cependant avec toutes vos lumieres ,
connoiffiez - vous Louis XIII pour Anteur
? Voilà un fait que je ne fçais que
d'aujourd'hui
, & ravi de la découverte ,
je me hâte de vous l'apprendre . En feuilletant
ce peu de Livres que vous nous connoiffez
, j'ai trouvé un gros in- 16 de 726
chiffre arabe , & de 146 , chiffre ro- pages ,
main , qui a pour titre : Parva Chriftiane
pietatis Officia , per Chriftianiſſimum
Regem
Ludovicum XIII, ordinata : Parifiis , è Typographia
Regiâ, 1642. Ces mots per Chriftia-.
niffimum Regem , m'ont arrêté ; car je con-.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
noiffois bien Louis XIII pour un Prince
inférieur à fon pere , & fort au deffous de
fon fils ; plus fage & plus dévot que l'un
& l'autre , dans le fens qu'on prend au
jourd'hui ces deux termes mais je ne foupconnois
pas même qu'il pût être Auteur :
j'ai donc voulu fçavoir fi , outre le titre
qui eft formel , je ne trouverois pas encore
d'autres preuves qui attribuaflent à ce
Prince cet Ouvrage de piété ; or ces preuves
, je les ai trouvées dans les Approbations
quifuivent. Celle qui eft à la tête de
toutes , eft du célébre Charles- François.
Abra de Raconis ( 4 ) , connu des Sçavans
53
( a ) De Raconis fut nommé à l'Evêché de Lavaur
en 1:37 , il mourut au château même de Raconis
près Monfort- l'Amaury , le 16 Juillet 1646.
Са rapporte de lui un fait fort fingulier : » il eſt
vrai , dit M. Simon : ( Lettres choifies , tome
premier , pag. 10. 2e édit . 1702. ) que le Cardinal
de Richelieu avoit auprès de lui M. de Raconis
, Docteur de Sorbonne , ( étoit Docteur
de la Maifon de Navarre.Vide Launoy , R.Navar
501& , Gymn. Ift . tom. 2. pag . 828. ) & qui a été
» Evêque de Lavaur : il étoit méme très bien dans
» fon efprit , mais j'ai appris du P. du Laurens
» ( de l'Oratoire ) , qu'il étoit auprès de Son Emisanence
plutôt en.qualité de bouffon que de Doc-
>> teur. M. de Richelieu avoit à lui plufieurs per-
» fonnes pour le divertir : il donnoit de tems en
» tems à de Raconis un texte bizarre pour piêther
devant lui fur le champ , dans une chainbre
où il s'entermoit exprès. Ce Docteur qui
35
DECEMBRE. 1753. 13
par fes démêlés avec les Théologiens de
P. R. & plus généralement par la critique
que Defpréaux en a faite dans fes Vers.
( Voy. Lutrin , Chant IV . vers 171. )
Or cette Approbation eft trop finguliero
pour le fond & pour les termes , pour ne
pas vous l'envoyer toute entiere .
Quod poft Robertum ( b ) ac Ludovicum IX
étoit payé pour faire rire le Cardinal , difoit cent
impertinences. Le P. du Laurens qui étoit quel
» quefois de la partie , ne peut s'empêcher de rire
toutes les fois qu'il me parle de cette comédie ; ,
» & comme le Cardinal donnoit ordre qu'on ne
l'appellât , pour quelque chofe que ce fut , dans
» ce tems-là , il leur diloit en riant , on croit que
» nous traitons ici des affaires les plus importantes
» de la Religion . On trouve ce fait , & prefque
dans les mêmes termes , quoique plus abbregé ,
dans les Mémoires hiftoriques d'Amelot de la
Houffaye tome premier , pag. 434. édit. 1722.
Voyez auffi les notes fur le vers 171 du quatrième
Chant du Lutrin , édit . de 1747. Par M. le Fevre
de 5. Marc .
כ כ
32
(b) Voici un texte qui justifie la remarque de
M. de Raconis . Il ne faut pas oublier le tour que
» le Roi Robert fit i fa femme Conftance , qui le
prefloit de te quelque Hymne à fa louange.
Pour la contenter en apparence , il fit à l'hon-
» neur de S. Denis & d'autres Martyrs , l'Hymne
» qui commence , O conftance admirable des Martyrs
! & la Reine Conftance qui pas Latin n'en
tendoit , cuida que ledit Repons fut fait àfa
» louange , & le chantoit fans fçavoir ce qu'elle
» difoit». Le Clerc , Bibl . univerfelie , tome premier
, pag. 190.
14 MERCURE DE FRANCE.
piè , Chriftianiffimofque Reges ceteros reli
giosè Ludovicus bodi: XIII parva hec pieta.
tis Officia concinnavit ordinavitque , & majorum
exemplo , & propriâ virinte quàm optimè
de Ecclefiâ ( ejus ipfe generofiffimus Pri
mogenitus ac defenfor acerrimus ) promeretur
, regiè Rex, ut omnia ) fecit , non aliter
& Chriftianiffimus , pro dignitatis fue merito
Supra Catholicos Reges univerfos , ut juſtis
palam ac vidricibus armis , fic religiofo quoque
pietatis Officio , & fuis & cunctis fimul Ecclefia
populis confultum voluit , abfu ut tantum
dicamus nihil hîc eſſe à fide Chriſti alienum.
Ita cenfui ego & fubfcripfi ; anno Domini
M DC XL. Januarii die 172.
De Raconis , Vauvienfium Epifcopus,
Regis à Secretioribus Confiliarius ,
necnon ejufdem ac Regina Concionator
ordinarius.
Voila un ſtyle bien afforti au génie de
l'Auteur , efprit obfcur , comme il paroît
affez par les écrits qui nous reftent , &
(c ) qui difparoiffent i bien , qu'ils péri-
(c) Voyez en le Catalogue dans M. de Launoy,
Regii Navar. Gymn . Hift . tom . 2. pag. 830 &
831. Mais je ne devine pas pourquoi il n'a point
mis dans ce Catalogue , 1 ° . Continuation des examens
, &c Paris , Hainault , 1644. 2° . Breve Anatomie
, &c. ibid . A moins qu'on ne fuppofe que
Launoy , très - pointilleux critique , fçachant peutêtre
que M. de Lavaur n'étoit le pere que par
1
DECEMBRE.
1753. IS
ront bientôt tous , fi quelques curieux Bibliophiles
ne nous les confervent.
Mais ce qui a fait mon fujet , c'eft qu'il
eft prouvé par cette Approbation que Louis
XIII eft le véritable Auteur de l'Ouvrage
que je vous annonce : que c'eſt , à l'exemple
de Robert & de S. Louis , deux de fes
plus faints prédécéffeurs , que ce Prince
Ta compofé. Jean Baptifte de Contes , l'un
des Grands Vicaires du Cardinal de Retz ;
Jean Charton , grand homme de bien , &
grand Pénitencier de l'Eglife de Paris ;
Alphonfe le Moine , Docteur & Profeffeur
de Sorbonne , certifient le même fait
dans leurs Approbations du huitiéme Janvier
même année , neuf jours avant celle
de M. l'Evêque de Lavaur ; enfin , M.
Lefcot , dans la fienne du 13 Janvier 1640 ,
ne laiffe aucun doute là - deffus : celle - ci ,
en Latin comme les autres , eft très- claire ,
& en bons termes. Lefcot n'y dit pas comme
de Raconis , abfit ut tantum dicamus niadoption
de ces deux Ouvrages , n'aye pas voulu
les lui attribuer : car on ne peut pas dire que Launoy
ne les connût pas , puifqu'ils avoient été pu.
bliés long- tems avant l'impreffion de fon Hiftoire .
Quoiqu'il en foit , Mrs le Maître & de la Barde
firent conjointement à la Breve Anatomie une
replique très vive , très - raiſonnée , & cù l'on trou
ve de plus bien des faits curieux pour l'Hiftoire
critique de notre Prélat.
16 MERCURE DE FRANCE.
bil hic effe à fide Chrifti alienum ; mais il
fonde l'éloge du Livre fur ce qu'il n'y a
rien trouvé de contraire à la Foi. Ce M.
Lefcot étoit alors Profeffeur de Sorbonne ,
puis ( ou peut -être en même tems ) Confeffeur
du Cardinal de Richelieu , de qui ,
dit- on , dans la vie de M. Arnaud , pag.
33. Cologne , 1695 , il apprit à ne pardonner
pas ; enfuite Evêque de Chartres ,
où il mourut en 1656 ( d ) .
(d) Voyez le Long. Bibliot. Françoiſe , page
133. col. 1. vous y trouverez encore qu'on a de
M., Lefcot en MSS . 1º Difcours fur le mariage
de Monfieur ( J. B. Gafton Duc d'Orléans ) pour
en prouver la nullité. 2 ° . Vie du Cardinal de Richelieu
. M. de la Mare , pag. 28 de la troifiéme
partie de les Mémoires manufcrits , dit que cette
vie de Richelieu , par Lefcor ( Jacques ) , étoit
confervée dans le cabinet de la Ducheffe d'Aiguilen.
Je ne connois de lui aucun Ouvrage im.
primé , cependant s'il en faut croire Vigneu! de
Marville Dom Noël d'Argonne , Chartreux )
non feulement il a imprimé , mais il s'eft repenti
de l'avoir fait voici ces paroles : » M. Lefcot ,
»Docteur de Sorbonne & Evêque de Chartres ,
" avoit beaucoup paru dans la jeuneffe , & donné
» des écrits qui lui faifoient bien de l'honneur ;
cependant il confeilloit aux jeunes gens , quelque
érudition qu'ils euffent , de ne pas le produire
» de fi bonne heure , & de ne pas mettre au jour
leurs travaux , il apportoit l'exemple de plufieurs
, entre le fquels il fe rangeoit , qui ne s'étant
pas contraints de ce côté-là , avoient eu
DECEMBRE. 1753. 17
Entrons maintenant dans le fond de
l'Ouvrage, Le Calendrier mérite quelque
attention.
Janvier.
Dix Offices en tout. Deux Myfteres , la
Circoncifion & l'Epiphanie : huit Saints
ou Saintes , dont fept que nous célébrons
encore , & S. Adelard , Abbé de Corbie
Confeffeur , dont nous ne faiſons aucune
mention .
Février.
Deux Offices feulement. Le deuxième
jour , Purification de la Vierge. Le 24 ,
Saint Mathias , Apôtre.
Mars.
Le feptiéme , S. Thomas d'Aquin . Le
12 , S. Gregoire , Pape & Confeffeur. Le
19 , S. Jofeph. Le 25 , l'Annonciation de
la Vierge . Les deux derniers Offices doubles
, & les deux premiers femi- doubles .
Avril.
Trois Offices. Le 2 , de S. François de
Paule Le 5 , de S. Vincent- Ferrier , Le 25 ,
de S. Marc l'Evangélifte .
tout le loifir de s'en repentir, Mélange d'Hift.
» & de Litt . tom. 3. p . 111. 8 112 ,
18 MERCURE DE FRANCE.
Mai.
Six Offices. Remarquez que le dix- neuviéme
jour eft affigné à celui de S. Yves ,
Confeffeur , à Treguier en Bretagne .
Juin.
de
par- Dans ce mois , je ne remarque
ticulier que Ste Clotilde , Reine de France,
Vefve , au 3 ; & S. Mein , Abbé & Confeffeur
, en Bretagne , au 21 .
Juillet.
Le 31 eft pour S. Germain , Evêque
d'Auxerre , fans autre mémoire .
Août.
S. Loup , Evêque de Troyes , le 7. S.
Louis , Evêque de Tholofe , le 19 ; & le 31 ,
S. Gratian , Evêque de Tours.
Septembre & Ollobre.
Rien de remarquable dans le mois de
Septembre. Dans celui d'Octobre , voici
une note pour le deuxième jour : » S. Remy
, Evêque de Reims , Confeffeur , eſt
»> le premier , mais remis au deuxième , à
» cauſe de la Fête de l'Ange Gardien qui
eft le premier laillant toutes fois à la
;
DECEMBRE.
1753. 19
» dévotion d'un chacun de le faire ainfi
»que bon femblera .
Novembre & Décembre.
Novembre. Le 4 , S. Benigne , Martyr
à Dijon. Le 6 , S. Léonard , Confeffeur
en Limofin. Décembre. Le premier , Saint
Eloy , Evêque de Noyon. Le 9 , Ste Phare
, Vierge. Le 14 , S. Nicaife , Evêque de
Reims , Martyr .
On diftingue par là la dévotion particuliere
de ce religieux Prince pour certains
Saints ; d'abord , & en premier lieu , les
Saints de la Famille Royale. S. Louis , avec
Octave. Ste Bathilde , Ste Clotilde , Ste
Radégonde. J'ai cherché S. Charlemagne ,
mais je ne l'ai point trouvé dans ce Calendrier.
2. Les Saints dont Louis XIII faifoit
l'Office , étoient ou originairement
François , ou morts en France , ou du
moins fans être François ni morts en France
, il y avoient demeuré , & s'y étoient
diftingué pendant leur vie : ainfi S. François
de Paule & S. Vincent- Ferrier étoient
originaires , l'un d'Italie & l'autre d'Efpagne
; mais tous deux font morts en France
: le premier au Pleffis - lez Tours , ea
1507 ; le fecond à Vannes en Bretagne ,
en 1419. Ainfi S. Thomas d'Aquin , quoiqu'il
ne foit point né en France , & qu'il
20 MERCURE DE FRANCE .
n'y foit point mort , fe trouve cependant
au premier de Mars , dans le Calendrier de
Louis XIII , parce qu'il avoit étudié longtems
, & profeffé plus de tems encore la
Théologie à Paris ; d'ailleurs on fçait que
S. Louis avoit eu pour S. Thomas d'Aquin
une eftime toute particuliere. Il y a pour.
tant une remarque bien honorable pour S.
François d'Aflife , qui fe trouve auffi dans
ce Calendrier , quoiqu'il n'aye d'autre
titre par rapport à la France que fon éminente
Sainteté. Il faut encore excepter 1 °.
Les Apôtres. 2° . Les quatre Docteurs de
l'Eglife , dont le culte eft répandu par tout.
3°. Les Sts Côme & Damien , que Louis
XIII honoroit , parce qu'il étoit né le jour
de leur Fête.
Du Calendrier paffons aux Rubriques.
1°. L'Office du S. Efprit fe dira tous les
Dimanches. Celui de l'Ange Gardien le
Lundi. Le Mardi , du S. Nom de Jeſus. Le
Mercredi , de S. Louis. Le Jeudi , l'Office
du S. Sacrement. Le Vendredi , celui de la
Croix ; enfin , celui de la Vierge le Samedi.
2°. Pendant le Carême . Le Dimanche
on fera l'Office de la Croix ; le Lundi ,
pour demander à Dieu la grace de bien
mourir , le Mardi , contre les ennemis de
notre falut , le Mercredi , l'Office de la
Pénitence ; le Jeudi , du S. Sacrement ; le
DECEMBRE. 17538 21
Vendredi , de la Paffion de N. S .; le Samedi
, de la Vierge. Mais , 3. ces Rubriques
ont leur exception . Ainfi , quand
une des Fêtes marquées dans le Calendrier
tomboit au Dimanche , on en faifoit l'Office
, remettant au Dimanche ſuivant l'Office
du S. Efprit. Il en eft de même pour les
autres jours. Il y a d'autres exceptions encore
qu'il faut lire dans le Livre même.
Une autre remarque à faire , regarde le
fond de ces Offices. 1. Généralement parlant
, ils font tous d'une brieveté à ne demander
au plus qu'une demi - heure de
récitation par jour , encore à différens
tems ; & en cela , ils étoient très appropriés
au caractere de dévotion que doivent
avoir les Princes. Il n'y a que trois Pleaumes
très courts pour Matines , avec une
feule Leçon, le Te Deum , ou un Répons à
la place , avec l'Oraifon . A Laudes , un feul
Pleaume , l'Hymne , le Benedictus & l'Oraifon.
A Prime , un feul Pfeaume & l'Oraifon
; de même à Tierce , à Sexte & à No.
nes. A Vêpres , un feul Pfeaume , le Capitule,
l'Hymne, Magnificat , avec fon Antienne
, & l'Oraifon . Complies commencent
comme au Bréviaire de Paris , par ces
mots : Converte nos , enfuite un Pleaume ,
l'Hymne , le Capitale , le Cantique Nunc
dimittis , & l'Oraifon qui varie felon les
22 MERCURE DE FRANCE.
ا د ا م
jours , au lieu que nous difons toujours la
même. 2 °.Les Pleaumes font fouvent compofés
de plufieurs ; c'eft à dire qu'on a pris
çà & là différens verfets dans les Pleaumes
de David pour n'en faire qu'un feul :
ainfi ( & par cet exemple on peut juger des
autres ) le premier Pleaume des Matines du
Dimanche , qui ne comprend que fix verfets
, est tiré des Pfeaumes 17 , 12 , 118
& 33 , où l'on trouve en effet ce qui convient
le mieux ou à l'effence de l'Efprit
Saint , ou aux dons qu'il répand dans nos
ames. 3. Il ne faut point chercher une
belle poëfie dans les Hymnes , mais on y
trouve de l'onction & de la piété : les
Oraifons font meilleures & ordinairement
fort courtes.
: Voila ce que c'eft que les Heures , ou fi
vous voulez , le Bréviaire de Louis XIII.
Mais je ne puis m'empêcher, avant de finit
cette Lettre , de propofer un doute : eft-il
bien vrai que ce Prince foit l'Auteur de
l'Ouvrage dont je viens de vous donner la
notice ? Les Approbateurs , comme vous
l'avez vû , le lui donnent expreflément ;
avec tout cela j'ai toutes les peines du
monde à me rendre ; car 1 °. l'éducation
de Louis XIII fut trop défectueuse pour
qu'il aye pû devenir Auteur , & Auteur
encore dans un genre affez difficile . Son
DECEMBRE. 1753. 23
»
premier Maître fut Gilles de Souvré. » Je
» trouve bien , dit le Vaffor ( Hift . de
>> Louis XIII . Liv. V. pag . 607. Edit.
» 1701. ) qu'il fe donna du mouvement
» pour la famille , & pour procurer au
» Marquis de Courtenvaux fon fils , une
Charge confidérable à la Cour ; mais je
» n'ai rien appris de ce qu'il fit pour don-
» ner à Louis une éducation Royale » . Au
déplacement , ou à la retraite du Marquis
de Souvré , le Cardinal du Perron ( ibid.
pag. 608 ) s'intrigua fort pour faire avoir
cette place à fon frere ; mais Henri IV fe
détermina pour Vauquelin , Sieur des Yveteaux
( e ) , homme de beaucoup d'efptic ,
& très en état de former un Prince ; mais
» l'envie & la jaloufie de certaines gens lui
» firent ôter cet emploi un an après la
» mort d'Henri IV» . Nicolas le Febvre ,
(f) lui fuccéda , mais il mourut le 3 No-
( e ) Nicolas Vauquelin , Sieur des Yveteaux
étoit fils de Jean Vauquelin , Sieur de la Frefnaye
, Préfident au Bailliage & Siége Préfidial de
/ Caën . Voy . l'Eloge de Jean Vauquelin , dans la Bibliotheque
Françoile de M. l'Abbé Goujet , tom.
14. pag. 78. où vous trouverez plufieurs chofes
curieufes fur Nicolas Vauquelin , Sieur des Yvetcaux
, fon fils.
(f) Nicolas le Febvre , né à Paris le 2 Juin
1544 , mort le 3 Novembre 1612 , âgé de foixante
& neuf ans , étoit un homme d'un vrai mé24
MERCURE DEFRANCE
vembre 1612 , après douze ou treize mois
d'exercice . David Rivault , Sieur de Fleurance
(g ),de Sous- Précepteur devint Précepteur
en chef, mais il ne refta pas longtems
en place , puifqu'il n'y étoit plus en
1614. Il étoit Mathématicien comme on
pouvoit l'être en ce tems- là ; c'eft lui aprite
, homme fçavant , homme de bien , hommé
Chrétien fes écrits prouvent fa fcience ; les aumônes
, fa piété , & fon amour pour l'Eglife ,fa
Religion. Voyez fon éloge , dans M. Dupin , Bi .
blioth. des Auteurs Ecclef. 17e fiécle. tom . 2.
(g ) David Rivault , Sieur de Fleurance , nâquit
près Laval dans le bas Maine , vers l'an 1571 .
Il fut élevé jeune auprès de Guy X Xe du nom ,
Comte de Laval , qu'il accompagna en Hongrie ;
mais ce jeune Seigneur ayant été malheureuſement
tué le 30 Décembre 1605 , il revint en Fran.
ce le 28 Avril 1611. Il fut fait Sous- Précepteur
de Louis XIII le 10 Novembre même année. Le
Roi lui donna une penfion de trois mille livres.
Nicolas le Febvre étant mort en 1612 , il devint
Précepteur en chef ; mais il ne tint dans cette
place que jufqu'en 1614 , qu'il la perdit par une
rencontre affez fâcheufe, Louis XIII avoit un
chien qu'il aimoit fort ; ce chien incommodoit
Rivault en fautant fans ceſſe ſur lui dans le tems
qu'il donnoit leçon au Roi : Rivault lui donna un
coup de pied pour le chaffer ; ce qui irrita fi fort
le Prince , qu'il frappa & congédia Rivault , qui
mourut à Tours le 16 Janvier 1616 , âgé feulement
de quarante- cinq ans. Voyez les Obfervations
de Menage , fur les Poëfies de Malherbe ,
ze Edit.
paremment ,
DECEMBRE. 1753. 25
paremment , qui s'obftina à faire lire à fon
éleve les recherches du Préfident Fauchet
( b) , qui dégoûterent fi fort ce Prince qu'il
renonça à toute lecture. » Or un jeune
» homme ( comme le remarque très - bien
le Vaffor ) qui paffe par tant de mains ,
»ne devient pas ordinairement affez ha-
»bile pour devenir enfuite Auteur « . 29.
J'ai cherché & n'ai trouvé nulle part , que
Louis XIII fçut affez de latin , & eût aſſez
de talent pour la Poëfie
, pour
e , pour être l'Auteur
des Prieres publiées fous fon nom.
Le Vaffor dit pofitivement qu'il apprt
peu de Latin : le P. Coton , dans fa Lets
tre an P. Bufligius, dit que ce Prince fçavoit
affez les regles de la Grammaire pour
être congru ; qu'il traduifoit en François
lorfqu'il n'étoit pas difficile : tout cela veut
dire qu'il ne fçavoit pas grande choſe . Notez
qu'il avoit douze ans au moins quand
le P. Coton écrivoit ceci. Or quelle apparence
qu'après cet âge il fe foit appliqué à
(b ) M. de Gomberville , de l'Académie Françoife
,fils d'un Buvetier de la Chambre des Comptes
, a écrit dans fon Livre de la Doctrine des
moeurs , que ce qui détourna Louis XIII de l'étude
, fut qu'on lui donna à lire l'Hiftoire de France
par Fauchet. Le mauvais langage de cet Auteur
lui donna du dégoût , quoique d'ailleurs il y
ait de bonnes chofes. Menagiana , tom . 2. pag.
47. Edit . Paris , 1739.
1. Vol.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
en fçavoir davantage , d'autant mieux que
le P. Coton raconte lui- même que la chaffe
, la paume & la pêche faifoient dès - lors
fes plus grands exercices , Le P. Millepied
compagnon du P. Coton , dans fa Lettre au
P. Louis Kichcome , du 8 Octobre 1613 .
parlant des talens de Louis XIII , dit que
fon plaifir eft à la paume , à la chaffe ; qu'il
excelle à tirer de l'arquebufe ; mais pas
un mot de fon Latin , moins encore de fa
Poëfie.
Mais voici , fur ce même article , un témoin
qu'on ne peut recufer ni même fufpecter.
M. le Febvre , celui - là même dont
nous avons parlé ; & qui fuccéda à Vauquelin
des Yveteaux , difoit confidemment
, le 19 Août 1612 , » que le Roi
feroit bon Prince , qu'il aimeroit la juftice
» & l'équité ; mais qu'il n'aimeroit nulle-
» ment les Lettres ni les gens de Lettres ;
» & tout de fuite , qu'il avoit un grand
» dédain pour les Lettres , parce qu'il re-
» connoifoit fa difficulté naturelle d'y pro-
>>fiter , ne pouvant like ni prononcer qu'a-
» vec grandiffime peine , jufques- là qu'an
»jour ne pouvant fortir bien à fon gré
» de je ne fçai quel mot , il s'empoignoit
»le vifage avec une de fes mains , à demi
>> en furie de dépit. « Il ajoûte : » on lui a
laiffé dreffer une Fauconnerie contre fon
+
DECEMBRE.
1733. 27
cabinet , laquelle le divertit totalement
» de l'étude ; ceux qui en ont la charge ne
» manquent jamais de flater fon inclination
, quand il va écrire , & de lui fub-
» miniftrer de nouveaux objets pour le détourner
de l'étude ( i ) .
3°. Cette fonte (fi je puis parler ainfi )
de plufieurs Pleaumes pour n'en faire qu'un
feul , demande non feulement du Latin
mais encore du goût , des recherches , &
une grande connoiffance des Cantiques de
David : or qui fuppofera à Louis XIII ce
goût , ces recherches , cette connoiffance !
>
4°. Les Hymnes feuls forment une objection
particuliere dont il eft impoffible
de ne pas fentir la force ; car il y a de fréquentes
corrections dans ceux qui font pris
du Bréviaire Romain , & il y en a de compofés
tout à neuf : correction , compofi .
tion , Louis XIII en étoit-il capable ?
Mais que fignifieront donc ces mots ,
perChriftianiffimum Regem Ludovicum XIII
Rien autre chofe que ce qu'ils fignifient
dans un Ouvrage imprimé à Paris en 1612,
dont voici le titre : Préceptes d'Agapetus à
Juftinien , mis en François par le Roi très-
Chrétien Louis XIII, Roi de France & de Navarre
, enfes leçons ordinaires . Il eft vifible
( i ) Extrait des Manufcrits de M. Dupuy , confervés
dans la Bibliothéque du Roi,
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
·
qu'ici David Rivault faifoit honneur à fon
éleve de fon propre travail , puifqu'on trouve
ces Préceptes d'Agapetus , & c. dans la
collection de fes oeuvres. En conféquence
de cette découverte , ne puis-je pas hazarder
mes conjectures fur le véritable Auteur du
Bréviaire , que je penfe être le même Riyault
, Sieur de Heurance ? & je les crois
d'autant mieux fondées , que ce Précepteur
fi complaifant étoit habile , & ( ce qui fait
à mon point ) Eccléfiaftique. On dit même
que Louis XIII , après s'être reconcilié
avec lui , lui avoit promis un Evêché,
Ce ne font là cependant , il eft vrai , que
des conjectures , mais je ne les crois pas
fans force. Quelque autre peut- être fera
mieux , en nous apprenant enfin quel eft
le véritable pere du Parva , &c .
J'oubliois de vous dire qu'outre l'Edition
in- 16 que j'ai eu fous les yeux en fai
fant ces remarques , il y en a une ſeconde
en 2. vol. in -4° . imprimée pareillement au
Louvre l'année même de la mort de Louis
XIII , c'est - à- dire en 1643. Voyez le
tome premier du beau & très magnifique
Catalogue des Livres imprimés de la Bibliothèque
du Roi , p . 261 .
Je fuis très -fincerement , & c.
A Verfailles , le 13 Août 1753:
DECEMBRE. 1753. 29
RAPÁRDODCIEAGAPAPAGAIDED
LEPRIVILEGE DES POETES
ETABLI.
Par L. Dutens de Tours.
Siécle heureux ! fiécle plein d'abondance !
par la force des vers , Où bâtiflant
Muſes chantoient , & pierres en cadence
Venoient le rendre au bruit de leurs concerts.
N'étoit Rimeur , tant peu fût -il habile ,
Qui ne trouvât le moyen parfes chants
De fe pourvoir d'un petit domicile ;
Selon le ton du Poëte , ou fon ftyle ,
L'ouvrage avoit les effets differens.
Ville fuperbe , ou Palais magnifique ,
Etoient le fruit d'un Poëme héroïque ,
Un bon Sonnet élevoit un Château ;
Pour le conftruire une maiſon commode
Il n'en coûtoit que la façon d'une Ode ,
Et vous alliez vous bâtir un hameau ,
Sans autre frais que celui d'un Rondeau .
Mais de ce droit , qu'ils regrettent fans ceffe ,
A leurs dépens , ou ceux de leur hôteffe ,
Poëtes font déchus entierement ;
Car Jupiter ayant bien mûrement
Pefé le cas , conclut avec fageffe ,
Que chaque jour leur nombre s'augmentant ;
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
Maçons étoient ruinés fans reffource ,
Si tout Rimeur auffi rapidement
Qu'il fait des vers , bâtifoit aifément.
Pour prévenir ce malheur dès fa fource ,
Il falloit donc les changer d'élément.
Dans ce penfer , le Maître du tonnerre
Fit là -deffus des réglemens nouveaux ;
Droit de bâtir il affigna fur terre
Au Dieu Plutas & tous fes commenfaux :
Aux beaux efprits , pour réparer leurs pertes ,
Réfervant l'air & fes plaines défertes ,
Pour y conftruire à leur gré des Châteaux. )
Afuivre en tout cet arrêt mémorable,
Poëtes font depuis fort réguliers;
Et de là vient le droit inconteftable
Qu'ils ont encor d'habiter les greniers.
DECEMBRE. 1753. 31
104 106502 502 602104: 502 502 802 502 506 802806 502
EXTRAIT
Des ouvrages lus à l' Affemblée publique de la
Société des Sciences, Lettres & Arts, tenue
dans la Sale de l'Hôtel de Ville de Clermont
en Auvergne , le 25 Août 1753 .
M
Onfieur de Feligonde , Secrétaire
de la Société , ouvrit la Séance par
la lecture d'une Diflertation fur l'origine
des Gaulois. S'éloignant de l'opinion commune
qui fait defcendre les habitans des
Gaules d'une colonie de Troyens , l'Auteur
attribua l'établiffement de ce préjugé
au voisinage des Romains , qui prétendoient
fentir couler dans leurs veines le
fang d'Enée & d'Afcanius , & à l'émulation
qu'avoient les Gaulois de ne céder
en rien à ces dangereux voifins : il chercha
dans l'étymologie du nom des Gaulois
, l'époque d'une origine plus ancienne;
& après avoir combattu les fentimens
de differens Aureurs , il conclut que les
peuples Gaulois avoient occupé nos Contrées
, depuis Afchænas , fils de Gomer Gallus
; & que la Gaule , malgré la force des
torrens de peuples aufquels elle avoit donné
paffage , avoit toujours , à la faveur
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
de fes montagnes , confervé les premiers
habitans .
M. Duffraille , Directeur de la Société ,
lut enfuite un Mémoire , contenant des
obfervations hiftoriques fur les Coûtumes
d'Auvergne ; il établit d'abord que l'efprit
de ces Coûtumes étoit relatif , non-feulement
à la fituation , au produit, & au commerce
ancien de cette Province , mais encore
au génie guerrier & aux moeurs de fes
habitans. Il remonta à l'époque de la premiere
publication dans les Gaules de la
prefcription de trente ans & de trois ans ,
qui ont lieu en Auvergne ; il établit auffi
que la maxime de la repréfentation à l'in
fini , qui a lieu en Auvergne , occafionna
de grandes guerres entre fes Comtes : les
Rois de France & d'Angleterre s'intérellerent
pour les deux partis. Toute la Nobleffe
de la Province fe divifa à cette occafion
; ce qui a vraisemblablement occafionné
le mêlange fingulier qui fe trouve
en Auvergne, du Droit Romain & du Droit
Coûtumier enfin M. Duffraifle fixa l'époque
de l'affranchiffement du droit de
main morte en Auvergne.
M. Teillard de Beauvefeix , Aſſocié ,
lut une Differtation fur la vie de l'Empereur
Avitus. Après avoir rapporté le témoignage
des Auteurs , qui conviennent
DECEMBRE. 1753. 33
que Clermont a été la patrie de cet Empereur
, il entra dans un détail exact des
traits relatifs à l'Histoire de fa vie ; il remarqua
, contre le fentiment de M. l'Abbé
du Bos , dans fon Hiftoire critique de
l'Etabliffement de la Monarchie Françoiſe
dans les Gaules , que ce fut à Avitus que
les Romains furent redevables de la paix
qu'ils conclurent avec les Viligots , après
l'entreprife téméraire de Littorius Celfus.
L'Auteur fuivit Avitus dans les differentes
Charges qu'il occupà , & fur le Trône
de l'Empire ; il déplora les débauches qui
ternirent l'éclat de fes belles actions , &
furent caufe de fadépofition & de fa mort,
M. de Beauveleix finit ainfi : » Je dois ,
» Meffieurs , pour ne rien omettre de ce
» qu'il y a d'intéreſſant & d'honorable à la
» mémoire d'Avitus , vous expofer que
» c'eft de lui que defcendent en ligne di-
» recte nos Rois de la feconde & troifién
me Race , foit par Ecdicius fon fils ,
foit, comme le prétendent d'autres Au-
» teurs , par une de fes filles mariée à
» Tonantius Ferreolus II . du nom . Je me
» ferois fait un crime d'oublier ce trait ,
»moins encore pour l'honneur d'Avitus ,
» que pour la gloire de cette Province &
» de cette Ville , qui fe trouve en droit
» de compter an nombre de fes enfans
1.
Bv
34 MERCURE DE FRANCE .
>> cette longue fuite de Rois , que toutes
» les Nations envieront toujours aux peuples
qui ont le bonheur de leur obéir. »
M. Ozy , Affocié , lut un Mémoire fur
la nature des vapeurs qui fe manifeftene
dans les caves de Chamaillere , Bourg près.
de Clermont en Auvergne. L'analogie
de ces vapeurs avec celles qui fe font
fentir dans la Grotte du Chien, près de
Pouzol en Italie , décrite par M. l'Abbé
Nollet , occupa la premiere partie de ce
Mémoire. L'Auteur rendit un compte exact
des expériences qu'il a réitérées dans ces
caves , foit fur des oifeaux , foit fur differens
alkalis fixes , & fur les barométres &
thermométres. De ces differentes expériences
, l'Auteur conclut à l'existence de trois
acides ; fçavoir , l'acide vitriolique , l'aci
de nitreux , & l'acide marin. La feconde
partie du Mémoire tendit à dévoiler
pour quelles caufes ces trois fubftances ,
que l'Auteur prétend être dominantes dans
la nature , fe manifeftent plus abondamment
dans ces cavernes que par tout ailleurs
, & par quelles voies elles y parvienment
les differentes preuves & raifons
phyfiques dont l'Auteur fait ufage , font
trop unies entr'elles pour être fufceptibles.
d'extrait,
La Séance für rerminée par la lecture
DECEMBRE . 1753-
335**
de deux pièces de Poëfie ; une Ode , intitulée
: les Paffions , par M. de Fredefont
Affocié ; & une Traduction du Pleaume
Quam bonus Ifraël Deus , &c. par M..de
Saint Victor .
Les quatrième , cinquième & fixiéme
verfets , qui font une image de la fecurité
du pécheur , peuvent donner une idée
jufte de la verfification & de la traduction
de l'Auteur,
4. 4. Quia non eftrefpectus , &c.
Pour peu que de la mort l'image les effraye ,
Sur elle ils tirent le rideau :
Et pour eux il n'eft point de revers ou de playe ,
Que n'efface un fuccès nouveau.
4. § . In labore hominum , &c.
La fortune pour eux ceffe d'être fragile ,
Ils n'en redoutent point les coups :
Seroient ils donc paîtris d'une plus noble argile ,
Pour ne pas fouffrir comme nous ?
*. 6. Ideo tenuit eos fuperbia , &c.
Fourrois- je dans l'impie entrevoir fans mu
mure ,
Cet excès de contentement?
A mes yeux indignés l'orgueil eft fa parure
L'iniquité fon vêtement,
Baj
9
36 MERCURE DE FRANCE.
26 26 26 26 IL IL 26 26 26 26 IEVA
LE JARDINIER
ET LA JEUNE PLANTE ,
FABLE ALLEGORIQUE.
A M. le Marquis de Saint - Mégrin.
Dans un climat délicieux ,
Où l'ait donne un air de parure
Aux richefes de la nature ,
Un Jardinier induftrieux
Fit éclore une jeune plante :
Elle étoit droite & bien venante,
Et faifoit le plaifir des yeux.
La fommité bien faite & fine ,
Et fon contour noble , élégant ,
De la peau le poli charmant ,.
Sa fraicheur & fa bonne mine ,
En elle tout avoit un air intéreſſant.
La fouche qui lui donna l'être,
Ne produifit jamais qu'en beau ;.
Auffi le tendre & docile arbriffeau
Promettoit- il tout ce qu'on peut promettre,
Encouragé par les fuccès ,
Et fe plaifant dans fon ouvrage ,
Le Jardinier mit en ufage
Tous fes talens , tous les fecrets ,
Pour de la jeune plante avancer les progies.
DECEMBRE. 1753.
37
Toujours debout avant l'Aurore ,
Il s'empreffoit de l'arrofer ;
Le foir il l'arrofoit encore.
Tantôt , afin de l'exhauffer ,
I fupprimoit une branche inutile ;
Et fi quelqu'autre peu docile ,
De la tige pouvoit altérer la rondeur ,
Il la plioit en maître habile ,
;-
Malgré fon vice & fa roideur ..
Tantôt épris d'un nouveau zéle ,
Il foffoyoit , il creufoit autour d'elle
Jufqu'à certaine profondeur ,
Pour y porter un terreau falutaire.
Tantôt d'un papillon volage & téméraire:
Il fixoit l'importunité ,
La déroboit à la malignité
De la chenille dévorante ,
Et la fauvoit de l'aiguillon ,
De l'infecte & du moucheron .
Tantôt il arrachoit toute herbe malfaifante,
Qui de la jeune plante
Pouvoit abréger le deftin ,
En lui communiquant fa féve & fon venia,
Tantôt enfin pour garantir la tête
De la fureur des ouragans ,
Il l'adoffoit , l'ajuftoit à tous fens ,
A des appuis fermes & bien -tenans ,
Od venoit fe brifer l'effort de la tempête.
Ah ! que vos foins font prévenans,
18 MERCURE DE FRANCE.
Lui dit un jour le tendre arbuste !
Qu'ils font généreux , bienfaiſans !
Eh oui , fans doute , il eft bien jufte
D'avoir pour vous les fentimens
D'une fincére gratitude :
Oui , j'en formerai l'habitude ,
Et ce fera dans tous les tems
Ma principale étude.
Daignez , au nom de tous les Dieux,
Me lès continuer ces foins officieux ,
Affez
A qui je dois tout le bien de mon être :
Sans vos bontés puis- je rien me promettre ?
Puis je compter fur des progrès nouveaux ?-
Si vous m'aimez, foyez encor mon maître ,
Jufqu'à ce que , par vos travaux ,
J'aye vû s'accroître & s'étendre
Et ma racine & mes rameaux ,
pour réfifter au déluge des maux
Dont vous avez fçu me défendre.
Pénétré d'un aveu fi tendre ,
Le Jardinier fentit redoubler fon ardeur ;
Il prodigua les efforts de fon zéle ,
Tant en effet , qu'à leur faveur ,
Et la plante éprouvant en elle
A chaque inftant un furcroît de vigneur,
Et de difpofitions à croître ,
Devint enfin un arbre grand & beau ,
Qui tous les jours par un éclat nouveau,
Squt embellir le lieu qui le vit naître.
DECEMBRE. 1753.
32
Le naturel tout feul ne mene pas au grand :
Ajoutez -y l'affortiment
D'une éducation bien fuivie ,
Et vous aurez le fûr garant
Des progrès d'une belle vie.
ENVO I.
Attaché par le fentiment
"
A l'Auteur de votre naiſſance ,
A qui je paye encore , avec toute la France,
Le tribut que l'on doit au mérite éminent .
Pour vous, Marquis, même zéle me preffé ;
Permettez qu'il ofe éclater
Dans ces vers que je vous adreffe ,
Où lui-même a feu vous tracer-
Sous des couleurs , des images riantes ,
De vos jeunes talens , de vos vertus naiffantes ,
Le fidéle tableau ,
Qui d'un deftin brillant & beau ,'
Nous annonce pour vous , l'existence future.
Qui , vous pouvez en accepter l'augure ,
Erant iflu d'un fang f fertile en héros.
Eh ! quel héros encore
Que l'illuftre Auteur de vos jours !
Qu'il feroit grand , même fans le fecours
De l'appareil qui le décore !
Auffi nous l'aimerons toujours ;
Et fi nous devons ces retours
Aux bontés dont il nous honore ,
40-MERCURE DE FRANCE.
Le devoir s'uniffant à l'inclination ,
Nos fentimens pour lui vont jufqu'à l'émotion .
Nous fçavons qu'il les apprécie ,
Qu'il le fçait , qu'il en eft charmé :
Seroit - il en effet de plaifir dans la vie
Egal au plaifir d'être aimé ?
Vous ferez , comme lui , grand , magnifique , aimable
,
Généreux , prévenant , gracieux , fociable ,
Affectueux , humain , acceffible & poli ;
Nous vous aimerons comme lui .
Ducaffe.
MMMMMMMMMMMMMMM
MEMOIRE
Sur le Topique que le Roi vient d'acheter ,
pour arrêter le fang , avec la maniere de
le préparer & de s'en fervir , par M. Faget
l'aine , lû à la Société Royale de Londres
, le 7 Septembre 175.2 .
M
Onfieur Broffard , Chirurgien du
Berri , arriva à Paris vers la fin de
l'année 1750 ; il propofa un remède pour
arrêter le fang , dont il dit avoit fait plufieurs
expériences heureufes dans des amputations
du bras & de la jambe.
Il demanda des Commiffaires à l'Académie
de Chirurgie , pour faire en leur
DECEMBRE. 1753 . 4*
préfence de nouvelles épreuves far diffe
rens animaux : il arrêta le fang des plus
groffes artéres , après des amputations . Le
fuccès de ce remède pouvoit être équivoque
fur des animaux , parce que dans quelques-
uns , dans les chiens , par exemple :
les groffes artéres fe bouchent d'elles mêmes
; on n'en voit prefque point périr
d'hémorragie. Le fang de ces animaux plus
difpofé à la coagulation , forme bientôt un
caillot qui en arrête l'écoulement.
Quoique les expériences fur des animaux
ne fuffent pas
fuffifantes
par les raifons
que je viens de dire , la certitude qu'on
avoit que ce reméde ne pouvoit produire
aucun mauvais effet fur les hommes , fit permettre
à M. Broffard de l'employer aux Invalides
, dans une amputation de la jambe ,
qui réuffit très- bien : le malade guérit fans
accident.
Quelque tems après deux Voituriers
eurent les jambes écrasées par les roues deleurs
charettes , qui étoient chargées de
groffes pierres. On me porta ces malades.
à l'Hôpital de la Charité. Comme je net
voyois de reffource que dans l'amputation
, je mandai M. Broffard , qui appliqua
fon reméde de la façon fuivante.
Lorfque j'eus coupé la jambe , je lâchai
le tourniquet pour voir la fource du fang,
42 MERCURE DE FRANCE.
M. Broffard appliqua fur l'orifice des deux
artéres deux morceaux de fon reméde ,
d'environ un pouce quarré long , attachés
l'un fur l'autre avec un ruban .
Je refferrai enfuite le tourniquet , &
M. Broffard fit porter les deux rubans qui
font attachés au deuxième morceau de fon
topique , fur le genoüil ; il mit une bourſe
de linge garnie du même reméde , réduit
en poudre , fur toute la playe , & par deffus
j'appliquai l'appareil ordinaire.
Après le panfement je lâchai le tourni
quer pour foulager le malade , & je l'ôtai
deux heures après l'opération .
Quarante- huit heures après l'opération,
à la levée du premier appareil , le topique
tomba de lui- même , & la playe ne donna
point de fang. M. Broffard n'appliqua
alors qu'un fimple morceau de fon reméde
fur les vaidleaux , & je panfai le refte de
la playe avec des plumaceaux chargés de
digeftif, un emplâtre de tirax , & le bandage
convenable ..
Le troifiéme jour le topique tomba auſſi
de lui-même au panfement , & le malade
fut enfuite panfé à l'ordinaire.
Les mêmes chofes furent obfervées après
l'amputation , & dans le panfement du
deuxième malade .
L'un mourut le cinquiéme jour & l'antr
2
f
DECEMBRE. 1753 43
tre le neuviéme ; mais il n'eft furvenu ni
à l'un , ni à l'autre aucune apparence d'hémorragie
: ainfi le reméde a produit l'effet
defiré. Pour conftater l'effet du reméde
j'examinai les vaiffeaux des cadavres , &
je les trouvai refferrés , comme s'ils euffent
été liés ; & dans les plus gros troncs , je
trouvai un caillot de figure conique , qui
avoit un pouce & demi de long.
Le caillot ôté , j'eus beaucoup de peine à
faire paffer un petit ftiler dans l'ouverture:
de l'artére coupée..
Le malade qui mourut le neuvième jour,'
avoit de même que le précédent , les artéres
fort refferrées , mais le caillot avoit au
moins quatre pouces de long.
M. Morand a employé avec fuccès le
même reméde , à la fuite d'un coup d'épée
au pli du bras. Il a donné à ce fujet un Me
moire à l'Académie de Chirurgie.
Je m'en fuis fervi auffi plufieurs fois , à
Poccafion de l'ouverture de differentes artéres
, & toujours avec fuccès.
On vient de le mettre en oeuvre auffi
avec fuccès aux Invalides , fur deux amputations
; on ne s'eft fervi que de deux
morceaux du topique , fans employer la.
poudre contenue dans la bourfe , que je
crois fort inutile.
•
Voilà donc un reméde inefpéré , auquel
44 MERCURE DE FRANCE.
l'Art n'avoit pû fuppléer par aucun équi
valent. La cruelle application du feu étoit
la reffource des anciens : Paré fe crut inf
piré lorsqu'il inventa la ligature . Mais
combien d'accidens n'en réfultent-ils pas ?
accidens qui font quelquefois la caufe de
la perte des malades , & qui paroiffent
n'être plus à craindre par la découverte de
ce reméde , dont les premieres expériences
annoncent le fuccès le plus décidé.
Si ce reméde ne formoit qu'une coagulation
de fang , il ne produiroit rien d'extraordinaire.
Cette concrétion même ne
feroit pas un reméde affuré , fur tout dans
les premiers tems qui fuivent l'opération :
mais que ce reméde refferre fi rapidement.
une grande artére , qu'il y laiffe à peine
un paffage pour un petit ftilet , qu'il forme
par ce refferrement une efpéce de ligature
, d'autant plus fûre qu'elle n'eft pas
faite fur quelques points du cylindre d'un
vaiffeau , comme la ligature ordinaire , c'eſt
là une opération finguliere que nos mains ,
ni notre induftrie ne fçauroient imiter.
Cette fingularité en fuppofe une autre ;
c'eft la grande contractilité des arteres.
Ces vaiffeaux fe refferrent naturellement
mais leur refferrement ne les réduit
pas aux
deux tiers de leur diamétre. Or par l'opé
ration du reméde dont il s'agit , on voit
Ca
C
C
P
C
V
f
t
DECEMBRE . 1753 .
45
clairement
que par cette contraction , leur
cavité peut s'effacer prefque entierement :
c'est dans les plus grands vaifleaux que
cette cavité s'efface ; qu'on juge par là de
ce qui peut arriver dans les
petits .
Ce n'eft pas dans des parties mortes que
cette contraction peut arriver ; il demande
le fecours du principe vital , il refferre les
parties aux approches de certains corps ,
c'est -à - dire , qu'il forme dans les corps
vivans cette irritabilité qui fait que les
fibres pincées ou aiguillonnées fe racour
ciffent , & réduiſent à un moindre volume
le tiflu qu'elles compofent .
Le reméde dont je viens de parler n'eſt
autre chofe que l'agaric de chêne. La meilleure
efpéce pour arrêter le fang eft celle
que l'on trouve au fommet des gros chênes
dont on a coupé les groffes branches ;
il y en a des morceaux qui ont la forme
d'un pied de cheval . On le diftingue en
trois parties ; l'écorce , la portion moyenne
qui eft préférable aux autres , & la plus
intérieure qui touche le corps du chêne ,
qui eft celle dont on fe fert pour faire le
poulier dont j'ai parlé .
La portion moyenne dont nous nous
fervons pour les amputations, fe coupe par
morceaux à peu près de la grandeur & de
l'épaiffeur de celui que j'ai eu l'honneur
46
MERCURE DE FRANCE.
de vous préfenter ; on le bat enfuite à
coups de marteau, comme les Cordonniers
battent leurs cuirs , jufqu'à ce que ce corps
foit devenu molaffe.
M. Broflard m'a dit qu'il falloir cueillit
cette végétation dans l'Automne , après les
grandes chaleurs & dans un beau jour,
Au refte , il fe garde auffi long tems que
l'on
veut.
Voilà tout ce que j'ai
pûrecueillir fut
le nouveau Topique pour arrêter le fang,
Sil fe palle quelque chofe à cet égard qui
mérite de vous être
communiqué , je profiterai
avec
empreffement de cette occa
fion de vous plaire. Signé Faget , Chirur
gien- Major de l'Hôpital Royal de la Charité
à Paris , Confeiller de
l'Académie de
Chirurgie , & Membre de la Société Roya.
le de Londres.
DECEMBRE.
47
1753 .
200 205206207208209 2085 205 205205205205 205205
A MADEMOISELLE ......
Qui me demandoit des Nouvelles.
Vous recourez à moi pour fçavoir des Nowvelles
,
De ce choix que je fuis flaté !
Mais votre curiofité
Ne fe contente point de folles bagatelles ;
Pour conter felon votre goût ,
Il faut faire briller la vérité fur tout.
Bon , j'ai juftement votre affaire,
Et le récit que je vais faire
N'eft pas moins vrai que férieux ;
C'eſt un débat entre trois Dieux ,
Dont vous êtes caufe , Thémire .
» Moi , cauſe ! Oui , vous. Voyez ces yeux , difoit
l'Amour ,
Ce fein , ces lévres , ce fourire ;
Combien de coeurs par Elle embelliffent ma Cour !
Je dois gagner , c'eft fûr , je plaide pour les charmes
....
Tout beau , tout beau , répond Pallas ,
Je conviens qu'elle a inille appas ;
Mais ſon efprit auffi fait qu'on lui rend les armes :
Vous ne pouvez le contefter ,
Et de ce côté là je prétends l'emporter.
48 MERCURE DE FRANCE.
La Déelle du Chant prenant lors la parole :
Efpoir ridicule & frivole !
Comptez- vous donc pour rien fa voix ?
Prêtez l'oreille aux fons qui fortent de ſa bʊuche
,
Ces fons attendriroient l'ame la plus farouche ...
Or qu'eft-il arrivé ? Tous trois
Répéterent long -tems leur éloge fidele ,
Réfolus de ne point céder.
Jupiter étoit Juge , il n'ofa décider ,
Et le Trio céleste eft encore en querelle .
7. F. Guichard.
IMITATION
De l'Epigramme 37° du premier Livre
de Martial.
Ad Lucanum & Tullum,
Freres par l'amitié plus que par Ja naiſſance ,
Si des fils de Léda vous éprouviez le fort ,
Votre amour infenfible aux horreurs de la mort ;
De vos coeurs un moment romproit l'intelli
gence :
L'un & l'autre à l'envi , par le plus noble effort ,
Pour defcendre au tombeau voudroit la préfé.
rence.
Ce feroit peu pour vous ; & lorfque l'un des deux ,
Victime
Ji
E
S
DECEMBRE.
1753. 42
Victime du trépas , trifte objet de ſes voeux ,
Defcendroit le premier fur le fombre rivage;
De fon coeur expirant tel feroit le langage :
Cher frere , que mes droits foient réunis aux
tiens ;
Que tes jours fortunés foient accrus par les miens
IMITATION de la 43 ° du même Livre.
De Porcia , uxore Bruti.
Du grand Brutus Porcie apprend la deſtinée ;
U
A ce trifte récit la douleur forcenée
Ne cherche qu'un
poiguard pour tout foulage
ment :
On connoiffoit fon coeur ; c'eft inutilement
Qu'elle voudroit s'armer de ce fer homicide.
Quoi ! Ne fçavez - vous pas , troupe lâche & timi
de ,
Dit-elle ,, que la mort eft un bien affuré
Peut-on nous le ravir ? Cet oracle eft facré ;
J'en ai pour für garant l'exemple de mon pere.
Elle dit , & d'un bras guidé par la colere ,
Saifit avidement des charbons embrafés ,
Les dévore , en difant tous mes maux font ceflés ;
Je fuis donc à l'abri des coups de la fortune ;
Je ne redoute plus votre foule importune :
Apprenez , pour mourir que l'on fçait tôt ou tard
Trouver d'autres moyens au défaut d'un poignard.
1. Vol. C
yo MERCURE DE FRANCE !
TRADUCTION de la 93 ° du XI
Livre du même.
In Zoilum .
DE
vicieux
à tort le titre l'on te donne:
Tu n'eft point vicieux , mais le vice en perfonne,
L. Sancy.
C
2
DIALOGUE,
LINDOR ET DAMON,
Efeux
LINDOR .
nous
1
ét
te
reg
bbo
Nvain , cher Damon, nous cachons les
feux qui nous confument. La difcrétion
pouffée trop loin devient un crime ea fo
amitié. J'aime Thémire , vous aimez Lu- qu
cinde ; depuis qu'elles ont quitté ce hameau
, vous négligez vos vergers autrefois
fichéris , les plus belles fleurs éclofent & ble
fe defféchent fans attirer vos regards ; votre
chalumeau ne nous fait plus entendre
que des fons plaintifs. Moi je parcours
nos forêts , je fuis au hazard le premier
chaffeur que je rencontre , j'oublie le plus de
fouvent mes Béches & mon carquois : je du
dar
DECEMBRE. 1753 .
51
cherche la
diffipation & le plaifir , & je ne
trouve par tout que l'amour.
DAMON.
Vous
m'arrachez , Lindor , un terrible
fecret . J'aime Lucinde , je cherche à dérober
à tous les yeux une tendreffe qui n'a
point l'aveu de cette beauté , je crains de
l'irriter par mon hommage ; je ne puis me
cacher qu'il ne reste plus fur mon viſage
aucunes traces de jeuneffe , l'état paſtoral
n'eft guéres fait pour traiter avec fuccès
l'amour de nos jours : j'aime , mais quand
je veux le déclarer , la crainte de déplaire
étouffe ma voix , & je n'oſe me faire entendre.
LINDOR.
Quand Thémire paroît , tous mes fens
font fufpendus , il fort un feu de fes yeux
qui éblouit tout ce qui l'environne ; je la
regarde en tremblant , elle démêle avec
bonté mon embarras , & fes regards femblent
me dire qu'elle lit tout mon reſpect
dans la vivacité des miens.
DAMON .
Vous rappellez- vous le jour que Lucinde
vint fe mêler à nos jeux ? elle le fit
d'un air fi naturel qu'elle gagna tous les
Cij
52 MERCURE DE FRANCE .
coeurs . Nos bergeres la trouverent char
mante avant de s'être apperçues qu'elle
étoit belle ; elle ne parut occupée qua
faire briller leurs avantages . Si elle parloit
, c'étoit pour leur applaudir , ou pour
donner une tournure agréable à ce qu'elles
avoient dit ; & cela d'un air fi aiſé , que
tout le monde auroit crû pouvoir en dire
autant , mais il paroiffoit impoffible de
dire mieux.
LINDOR.
Thémire a un éclat qu'il n'eft pas poffible
de cacher ; nós bergeres la regardent
avec une confufion qui augmente encore
les avantages qu'elle a fur elle. Quand nos
bergers lui difent qu'elle est belle , elle
en paroît plus modefte & plus réſervée.
Quand ils prennent des airs avantageux ,
elle fçait toujours les humilier , elle le fait
même quelquefois avec un peu d'aigreur ;
mais elle ne confond jamais un fentiment
vif & délicat , avec un air préfomptueux.
Une tendreffe vertueufe la flate , & elle
méprife un fat , fans daigner le ménager
ni le haïr.
DAMON.
Licas s'avifa , en danfant , de ferrer la
main de Lucinde , elle la retira fans myftére
, mais fans aigreur. Il craignit d'aDECEMBRE
. 1753 . 53
voir déplû , mais il ne fut point confus
parce qu'elle avoit pris un air riant & libre
; ce n'eft pas qu'elle ne fentit la groffiereté
de Licas , mais fa bonté ne lui permit
pas de le trop embarraffer. Quand nos
bergeres chantent , elle les accompagne avec
tant d'art , que leurs voix en deviennent
plus touchantes ; elle leur dit qu'elle a pris
un plaifir iufini à les accompagner , & leur
donne des louanges fur un goût qu'elles
ne tiennent que de celle qui veut n'y paroître
pour rien .
LINDOR.
Thémire penfe fi jufte , & parle avec
tant de réferve , qu'on craint toujours de
n'être pas de fon fentiment. Quand elle
contrarie , c'eft avec tant de force & d'ef
prit , qu'on eft honteux de n'avoir pas
penfé comme elle .
DAMON.
Lucinde ne contrarie jamais ; fi elle
défapprouve quelque chofe , on ne s'en
apperçoit que parce qu'elle garde le filence.
Quand on la force à s'expliquer
elle le fait avec tant de douceur & de grace
*que rout
le monde revient à fon fentiment ,
fans fe fouvenir même qu'on a penſé differemment.
Ciij
54
MERCURE DE FRANCE
LINDOR.
Thémire étoit éblouiffante le jour de
notre derniere fête , nos guirlandes fembloient
avoir perdu leurs couleurs : tous
les yeux étoient attachés fur elle , & n'en
fortoient que pour fe communiquer leur
raviffement. On reftoit en filence , on
craignoit de divifer fon attention , comme
file fon de la voix eût pû dérober quelque
chofe au plaifir de regarder ; tout
paroiffoit anéanti par la préfence de Thé
mire.
DAMO.N.
t
C
d
1
Lucinde répand le plaifir par tout ; lă
où elle paroît , elle fçait changer le jour le
plus trifte en un jour de fête ; fa préfence f
embellit toute la nature. Les fleurs dont
elle fe pare , en paroiffent plus belles ;
lors même qu'elle foule aux pieds celles
de nos prairies , elles empruntent d'elle
une nouvelle grace , par le tour galant
qu'elles prennent en s'efforçant de la ca
reffer. Les eaux de nos fontaines coulent
plus lentement quand elle en approche , il
femble qu'elles fe faffent gloire de la peindre
dans leurs cryftaux. Quand je crains
de l'importuner par mes regards trop fréquens
, mes yeux y vont chercher fa belle
p
N
P
P
d
DECEMBRE . 55 1753 .
image , mais je ne la trouve jamais fi bien
exprimée qu'elle l'eft dans mon coeur.
LINDOR.
L'amour s'accroît , dit- on , par le filence
qu'on garde en aimant mais c'eft une
grande douceur de pouvoir s'entretenit
avec quelqu'un de fa tendreffe . Oui , Damon
, il me femble que je ne puis plusgoûter
aucun plaifir qu'avec vous , notre
amitié m'en devient plus chere , je crois
entretenir Thémire , je crois la voir approuver
mes feux par fes regards charmans.
DAMON.
Je partage bien vivement , mon cher Lindor
, les douceurs de notre amitié ; en dépofant
mon fecret dans votre coeur , mes fentimens
m'en paroiffent plus dignes de Lucinde
; je crois les avoir juftifiés aux yeux
de tout l'univers. Si les Dieux approuvent
les adorations des mortels , Lucinde ne
peut rejetter les miennes , puifque je ne
reconnois leur image qu'en elle feule .
Mais déja la fin du jour approche , les trou
peaux fe raffemblent , on entend de toutes
parts les hautbois de nos bergers , ilspourroient
nous furprendre ; demain au lever
de l'aurore nous nous reverrons ici ; ce lieu
fera déformais confacré aux fecrets de l'a-
C iiij
16 MERCURE DE FRANCE.
mour. Adieu , féparons- nous , ils approchent
: qu'ils font heureux ! quelle liberté!
quelle joie ils font paroître mais je ne
changerois pas na langueur pour leurs
plaifirs.
AVQUDUQUQUNUDUHAU MÜQUQUNUAUnu
IMITATION
DE QUATRE ODES D'HORACE.
ODE VII du Liv. III . Quidfles, Afterie , &c.
A MADAME DE VAL ....
Sur l'absence de fon mari.
CEffez , Iris , de répandre des larmes ,
Le Printems avec tous fes charmes
A vos défirs enfin va rendre votre époux :
Baniflez d'injuftes allarmes ,
L'Amour de fes plus fortes armes
N'a point ceffé de le bleffer pour vous.
Ne craignez point pour lui l'inconftance de l'onde
,
Les vents refpecteront fa courfe vagabonde.
Qu'un efpoir flateur
Regne dans votre ame ;
Partagez fa flamme ,
Goutez fa douceur ;
L'Amour infidèle
DECEMBRE.
57
1753.
Calme fa fureur ;
L'hymen le tappelle
Au fein du bonheur.
En vain une fuperbe Ville *
Etale à fes regards l'éclat de ſa beauté ;
Des agrémens de ce féjour tranquille
Son coeur ne peut être faté.
Content d'avoir formé le lien qui l'engage ,
Loin de vous le plaifir lefuit ,
Le fouvenir de votre image
L'occupe le jour & la nuit.
Par des difcours pleins d'adreffe
Chloé fa dangereuſe
hôteffe
Tâche en vain d'ébranler fa foi ;
Que peut fa coupable tendreffe
Contre un coeur dans l'amour inftruit par la fagelle
,
Qui de vous adorer fait fa premiere loi ?
De votre époux , Iris , imitez la co
Payez - là d'un jufte retour ';
C'eft la moindre récompenfe
Que mérite tant d'amour.
* Montpellier.
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE EN DIALOGUE.
ODE IX. Liv. III . Donec gratus eram tibi.
DAMON.
Lorſque je poffédois ta foi ,
Qu'aucuns rivaux ne traverſoient ma flamme ,.
Tes faveurs enyvroient mon ame ,
J'étois plus heureux qu'un Roi.
LYDIA.
Avantque pour les noeuds d'une nouvelle chaîne,.
Ton coeur que l'inconftance entraîne ,
Eût brifé les premiers liens;
Je ne cherchois qu'à te plaire ,
Chaque jour ajoûtoit à mon ardeur fincere,.
Tes plaifirs étoient les miens.
DAMON.
Ne me rappelle point , Lydie ,
Le fouvenir de nos amours :
J'aime Chloé , je l'aimerai toujours
Heureux fila Parque ennemie
Peut conferver les jours
Aux dépens de ma vie.
LYDIE.
Tout enchante , tout plaît dans mon nouvel amants
Je goûte dans les bras un fort digne d'envie..
DECEMBRE. 1753.
59
Ah ! pour lui conferver fes jours un ſeul moment,
Je donnerois cent fois ma vie....
DAMON.
Quoi ! fi mon coeur fenfible à les premiers foupirs ,
Honteux d'avoir trahi la plus digne maîtreſſe...
Pour toi ranimoit fa tendreffe ....
Je ne te verrois point répondre à mes défirs ?
LYDIB.
Tout me garantit l'ardeur
Du jeune Berger que j'adore ;
Mais fi tu me rendois ton coeur
A vivre fous tes loix , à faire ton bonheur ,
Je pourrois me réfoudre encore.
AUTRE
ODE XXVIII . O Venus , Regina , &c.
QUitte Paphos & Cythère ,
Quitte Chypre que tu chéris»;
Vole , Amour , avec ta mere ,
Vole chez l'aimable Glycère ,.
Suivi des jeux & des ris.
Qu'Hebé marche ſur vos traces ,
Que fes charmantes Soeurs accourem fur fes pas ::
Пréparez à Glycère un deftin plein d'appas ::
Tendre jeuneffe , aimables Graces,
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
Peut-on le plaire où vous ne régnez pas .
AUTRE.
ODE IV , Liv. II. Nefcit ancilla , &c .
NEE rougis point , Damon , du choix de ta maîtreffe
,
Malgré nous , de l'Amour nous fubiſſons les loix ;
L'on peut fans honte avouer la foibleffe ,
Quand on eft content de fon choix .
Les Héros les plus grands qu'ait vû naître la Grece
Ont trouvé dans ces noeuds des plaiſirs infinis :
Ajax adora Tecmeffe ,
Achille aima Brifeis.
Ce Vainqueur qui mit Troye en cendre ,
Dont le nom tant de fois étonna l'univers ,
Agamemnon n'aima- t- il pas Caffandre
Qu'il faifoit gémir dans fes fers ?
L'Amour égale tout , c'est à fa douce yvreffe
Qu'un amant bien épris doit fa félicité ;
Qu'importe que le fort t'ait donné la nobleſſe ,
Si de mille défauts ton coeur eft infecté .
Crois-moi , de ta Philis la beauté naturelle ,
L'éclat de la vertu qu'on voit briller en elle ,
Ah ! tout annonce affez le rang de fes ayeux.
DECEMBRE. 61 1753.
Mais fa grandeur encor n'eft pas toute éclipfée ;
Si tu veux des témoins de fa gloire paffée ,
Lis ton bonheur dans les yeux .
Ne balance donc plus d'en faire ton époufe ,
D'un coupable remords ton coeur eft combattu :
On ne voit pas toujours la fortune jalouſe ,
De fes dons paffagers enrichir la vertu.
MADRIGA L.
A Madame B..... fur un orage que l'Au--
teur effuya en allant la voir àfa maison de
Campagne.
Contre moi files vents ont déchaîné leur rage
,
S'ils m'ont fait effuyer les fureurs d'un orage ,
Je ne fuis point furpris , Iris , de ce danger ;
Je manquois à vous obliger * :
Les Dieux dont vous êtes l'image
Ont pris le foin de vous venger.
* Il avoit oublié de lui porter un évantail qu'elle
lui avoit demandée.
3X
62 MERCURE DE FRANCE
LETTRE
Dans laquelle on répond à des Réflexions
fur l'Imprimerie & fur la Littérature ;
par M. Auffray , inférées dans le Mer
cure de France , Avril 1753.
Mo
ONSIEUR , tout Journal Littéraire
eft un champ de bataille que l'Auteur
prête à des combattans , fans fe mêler
des querelles particulieres ; pourvû néanmoins
que celles-ci ne perdent pas de vûe
le bien des Sciences & des Arts.
Je me flate donc , Monfieur , que vous
voudrez bien ne pas me refufer une petite
place dans le vôtre , pour répondre à un
article qui fe trouve inféré dans un de
vos derniers Mercures.
Il s'agit de quelques réflexions fur l'’Imprimerie.
L'Auteur ( M. Auffray ) zélé partifan
en apparence de l'art Typographique
, effaye à en faire voir tour le grand
& tout l'utile , en comparant l'état de la
Littérature avant la découverte de cet Art ,
avec celui où elle s'eft trouvée , depuis
cette découverte méthode la plus capable
de jetter un jour fur la vérité qu'il veut
prouver , & qui ne peut que perfuader..
1
1
DECEMBRE 1753 63.
On ne peut , dit M. Auffray , fixer la
renaiſſance des Lettres què vers le tems qui vit
naître le bel art de l'Imprimerie ; c'est-à-dire ,,
le XV fiècle.
L'éloge des Imprimeurs de ce tems heu
reux entre naturellement dans ce plan. Les.
Etiennes , les Frobens , les Manuces , les
Plantins figurent avec les Princes auguf
tes François I & Louis XIV ; encore les
Typographes ont- ils le pas fur les Monarques
: ceux-ci n'ayant pû être utiles aux Let
tres , fi ceux-là par leurs travaux ne les ‹
avoient fait naître , & ne leur avoient , en
quelque façon , fourni les moyens de s'immortalifer.
Tous ces traits forment un tableau
grand , noble & vrai tout à la fois , que
la critique ne peut ne pas reconnoître .
Mais ce tableau fi beau & fi parfait de
l'Imprimerie du X Ve fiécle , ne fe trouve .
là qu'à côté de celui de l'imprimerie du
XVIII ; & fous le pinceau de M. Auffray
, combien celle-ci perd à la comparai
fon ! Autant celle là eft la caufe de tout
l'éclat de la Littérature ancienne , autant
selle- ci, eft la caufe de tous les maux qui
afligent actuellement l'empire littéraire .
Et ce qu'il y a encore à remarquer , c'eft
que fi toute la gloire du X V fiécle eft.
gartagée entre quatre Imprimeurs , toute
64 MERCURE DE FRANCE.
la honte du XVIII eft répandue fur tous
les Imprimeurs & même les Libraires . En
voici quelques traits épars .
Page 65 ... Tandis qu'actuellement le plus
ignorant des Libraires ( dont le nombre n'eft
pas petit ) vir dans l'opulence , à l'abri d'un
pareilfort ( de la mifere ) .
Leur ( des Etiennes & autres ) paffion
pour les Lettres leur faifoit préférer l'intérêt
public au leur ; les Libraires de nos jours
» qui penſent fi noblement , font , je crois ,
» bien rares aujourd'hui ; peut-être même n'en
Dexifte-t- il pas.
Page 66. Il feroit à fouhaiter qu'elles ( les
Imprimeries de Hollande ) euffent refpeci
davantage la Religion & les moeurs. C'ef
» ce que les Libraires ne font pas encore
» actuellement , & c'est dans de pareilles
» mains que cet Art précieux eft devenu dan-
» gereux...... Jamais il n'auroit dégénéri
s'il eût toujours été profeffé par des Artistes
auffi éclairés & auſſi capables que ceux dont
j'aiparlé ci-deſſus ( les Etiennes & autres ) .
Ce n'est pas queje prétende dire que ce fiécle
( le XV ) n'eut pas fes Libraires ignorans
.... mais je ne crains pas d'avancer
qu'ils furent en bien plus petit nombre que
dans notrefiècle.
Page 72. Le fade Roman, le flyle précieux,
fuivi des penfees fauſſes & métaphyſiques , les
DECEMBRE
1753. 65
innovations dans notre Langue , le mépris des
Langues fçavantes , par conféquent du bon
goût, ( & mille autres abus , fans doute, que
M. Auffray défigne par un & c. ) tous les
maux difparoîtront en réformant l'Imprimerie.
Donc l'Imprimerie en eft la cauſe évidente
& palpable.
Voilà , en bonnes régles , le procès fait
& parfait à la Librairie & à l'Imprimerie ,
& à ceux qui en font profeffion.
Je ne prétends pas répondre en forme
aux accufations , puifque je ne pourrois
le faire qu'en louant des perfonnes vivantes
; ce qui nous eft expreffément défendu
par le Sage , & même par l'ufage con
tant de toutes les Académies , qui ne payent
à leurs illuftres Membres le tribut de louanges
dû à leur mérite , que lorfque ceux- ci
ont payé eux mêmes le tribut à la mort.
Je veux donc bien fuppofer que tout
ce que M. Auffray avance , foit auſſi vrai
qu'il fe l'eft perfuadé ; je ne prétends plus
qu'examiner les moyens de réforme que
fon amour pour les Lettres lui a fait imagi
ner , & dont il s'est réservé de démontrer la
poffibilité.
Or les voici tels que M. Auffray les propofe.
J'y joins la réponſe , afin que cha-
* Ante mortem ne laudes hominem quemquam.
Eccli . cap. XI. V. 30..
66 MERCURE DE FRANCE.
cun puiffe fur le champ juger & prononcer.
Voici les propres paroles de M. Auffray.
Des deux moyens de réforme que j'ai imaginés
pour mettre l'Imprimerie fur le pied que
je défirerois , le premier fe trouve avoir befoin
du Gouvernement, & le fecond du fecours.
de la République des Lettres.
PREMIER MOYEN DE REFORME ,
pris du côté du Gouvernement.
1°. Le Gouvernement peut feul , par exemple
, faire que l'on n'admette qu'un certain
nombre de Libraires dans chaque Ville où
L'Imprimerie a lieu.
Réponse. Le Gouvernement fait encore
mieux , puifqu'il reftreint proportionnément
aux befoins des Villes,le nombre des
Imprimeurs , par les mains de qui les Libraires
font obligés de paffer. Ainfi c'eſt
aller à la fource du mal , bien plus que
ne fait M. Auffray.
2º. Il ( le Gouvernement ) peut feul auſſi
empêcher qu'aucun Libraire ne foit reçu dans
cette refpectable Profeſſion , fans avoir fait
fon chef- d'oeuvre ( comme on l'exige parmi
les Artifans ) c'est-à - dire , fans avoir donné
des preuves de fa capacité dans la Littéraure&
dans la Profeffion..
Réponse . Il faut donc apprendre à M.
Auf
nese p
fran
piran
Q
Car
٣٢
Ear
3
土
DECEMBRE. 1753. 67
Auffray , puifqu'il ne le fçait pas , qu'on
ne peut être reçu Libraire fans fubir un
examen pardevant M. le Recteur de l'Univerfité
, lequel juge par lui- même fi l'afpirant
eft congru en Langue Latine , &
s'il fçait au moins lire le Grec. Voilà ce
qui regarde la partie littéraire , ou , fi
vons voulez, fon chefd'oeuvre en Littératare.
Quant à la partie de l'Art , que M..
Auffray a raifon de ne pas perdre de vûe ,.
il faut encore lui apprendre , 1 ° . qu'on ne
peut être reçu Imprimeur , fans avoir été
reçu Libraire. 2° . Que pour être Libraire ,
il faut fubir un examen fur le fait de la
Librairie pardevant treize Membres du
Corps , tirés au fort. 3 °. Que ce même
examen fe répéte pour la réception à l'Imprimerie
, fur le fait dudit Art , avec les
mêmes formalités. Ce qui équivaut bien
je penfe , au chef- d'oeuvre qu'exige impitoyablement
M. Auffray ; au moins Sa
Majefté , & ceux qui tiennent fes lieu &
place dans l'adminiftration de ce qui regarde
la Librairie & l'Imprimerie , fe fontils
jufqu'ici contentés de ces Réglemens ,.
penfant bien, fans doute, que lorfque cette
Profeffion que M. Auffray veut bien trai
ter de refpectable , feroit réduite à être
exercée par des Artifans , ils feroient tou
38 MERCURE DEFRANCE,
jours à tems d'exiger d'eux un chef-d'oeuvre
( comme on l'exige parmi les Artifans ) chefd'oeuvre
qui paroît à M. Auffray une marque
non équivoque , & une preuve fuffis
fante de la capacité de l'afpirant.
SECOND MOYEN DE REFORME ,
pris du côté de la République des Lettres.
1 °. Le fecond moyen de réforme qui me reße
à préfenter , a befoin du fecours de la Répu
blique des Lettres . Si l'on ne vouloit pas exiger
que les Libraires fortiffent de leur igno
rance , & qu'ils fuffent lettres , on pourroit fa
ciliter le progrès des Lettres , & détruire le
frivole , en empêchant les Libraires , par le
moyen des Cenfeurs , d'imprimer augun ouvra
ge qui n'eût été jugé utile très néceffaire
pour l'avancement des Lettres.
Réponse . Voilà donc les Libraires déchar
gés de la crucile néceffité d'être fçavans &
lettrés , par le moyen des Cenfeurs que
M. Auffray veut bien admettre. En vérité ,
M. Auffray a bien des reffources dans l'efprit
, pour imaginer un moyen qui fubfifte
depuis un fiécle ; & de quel pays vient -il
donc ? Ignore- t'il que l'on ne peut imprimer
aucun ouvrage que d'après la révilion
& le jugement des Cenfeurs ? Qu'il ouvre
Co
Lem:
Almanach Royal , il verra trois pages entieses
contenant les noms des Sçavans
P
L
1
DECEMBRE . 1753 . 69
hoifis
par Sa Majefté , à l'effet de juger
tous les ouvrages ; il y verra auffi les noms
des refpectables Magiftrats qui préfident
au Corps de la Librairie & Imprimerie ,
non -feulement pour maintenir les droits
& priviléges , mais pour le faire fleurir &
le rendre de plus en plus capable de coopérer
au progrès & à l'avancement des
Lettres.
Puis donc que le moyen imaginé par
M. Auffray exifte , & que malgré cela , la
Littérature , felon lui , languit par les abus
de l'Imprimerie , toute fa critique tombe
naturellement fur Meffieurs les Cenfeurs.
C'eſt certainement ce que ne prévoyoit pas
M. Auffray , & ce qu'on lui défieroit bien
de prouver encore ; Meffieurs les Cenfeurs
étant choifis parmi les Sçavans en tout
gente , dont tout le monde ne peut méconnoître
le mérite & le difcernement.
leurs
2°. Ce moyen feroit excellent , mais il ne
vaudroit pas , je crois , le premier ; car ilſeroit
toujours plus avantageux que les Libraires
s'impofaffent eux- mêmes cette loi
par
Lumieres & par leur amour pour les Lettres .
Réponse . C'est donc à dire qu'il faudra
que les Libraires foient tout à la fois Théologiens
, Jurifconfultes , Sçavans , Artiſtes ,
Humanistes & Hiftoriens ; cela eft- il propolable
? & M. Auffray accepteroit- il à ces
70 MERCURE DE FRANCE.
conditions une place de Libraire ? A la boně
ne heure qu'ils ayent de l'amour pour les
Lettres pour n'entreprendre que de bons
ouvrages ; leur gloire & leur intérêt les
engagent affez ; mais exiger d'eux des lumieres
capables de juger de tout , c'eft exiger
ce qui eft impoffible à l'efprit humain.
Je conclus donc , que fans entrer dans
la difcuffion de la fupériorité des Imprimeurs
du quinziéme fiècle , fur les Imprimeurs
du dix- huitième , les moyens qu'admet
M. Auffray pour la réforme de tous
les abus prétendus , tombent d'eux-mêmes,
puifqu'ils fubfiftent long- tems avant celui
qui les propofe.
Que M. Auffray forme ou réforme les
Auteurs , qu'il encourage les Cenfeurs à
être plus rigides , ce fera aller à la ſource
du mal mieux qu'il ne fait.
C'est le projet le meilleur , que ( fans être
fçavant ) j'ole lui produire.
Je ne m'arrête pas à relever des petites
méptiles ( a ) qui font fans doute échap-
( a ) Page 63. Jean Furh &fon domestique furent
ceux qui le ( l'Art de l'Imprimerie ) déconorirent.
1º. C'eft Jean Fauft ou Fuſt.
2°. P. Scheffer n'étoit point domeftique , mais
Ouvrier au ſervice de Fauft & de Guttemberg ,
lorſqu'on n'iniprimoit pas encore avec des carac
DECEMBRE. 1753 .
$
•
1 pées à M. Auffray , & qui lui font pardonnables
, parce qu'il parloit d'un Art qu'il
n'eſt pas obligé de connoître parfaitement.
Je ne prétends pas non plus examiner
s'il a bien fuivi les régles de la vraie éloquence
, dans le difcours pompeux qu'il
met dans la bouche des froids Ecrivains du
dix- ſeptiéme fiécle ( b ) .
Je ne veux pas lui faire un crime des
critiques hazardées & peu décentes qu'il
téres mobiles , mais par le moyen de planches de
bois gravées : il obtint même la fille de Fauft pour
récompenfe de la découverte qu'il fit de l'art de
fondre les caractéres.
3°. Les Auteurs les plus eftimés , attribuent
l'invention de l'Imprimerie à Guttemberg ; Fauk
ne fut que l'affocié de celui-ci.
Page 65. Lafamenfe Polyglotte d'Anvers , ou la
grande Bible de Philippe II : Il falloit dire , la
grande Bible en plufieurs Langues , car Polyglotte
ne veut pas dire feulement grande Bible.
ן כ
(b) Page 70. Preffés ainfi de près , ils leverens
le mafque : Quoi , dirent-ils fort unanimement
depuis dix, quinze ou vingt ans queje tiens la plume,
je la quitterois, ouj'irois , écolier barbon , méditer fur
Ciceron , Virgile , Homere Horace , & blanchir à
la fuite de ces Meffieurs : Non , Meffieurs les Cenfeurs
, nous ne ſommes nullement d'avis de cela : cris
tiquez tant que vous voudrez , nous avons nos lecteurs
, nous écrirons pour eux , & notre imagination
affez féconde d'elle- même , n'a pas besoin de cette
tant belle antiquité pour donner du prix à nos ouvra≈
ges.
2 MERCURE DE FRANCE.
fait des Libraires & Imprimeurs de notre
fiécle ( c).
Je veux bien encore ne lui point parler
de deux énormes fautes , qui font fans
doute de la façon de l'Imprimeur ( d ) .
Mon but étoit de relever tout le faux
des moyens que M. Auffray s'étoit perfua
dé avoir trouvés pour réformer des abus
imaginaires : c'eſt au public à juger fi je
l'ai bien fait.
AUGUSTIN -MARTIN LOTTIN,
Imprimeur-Libraire de Paris.
A Paris , ce 12 Septembre.
(c)Je les ai rapportées plus haut , page 64:
( d) Page 70. Pour des gens qui fort fouvent tra
vailloient plus pro famem que pro famam , ces raifons
étoient folides.
Il faut croire que l'on a voulu mettre propter.
L'erreur néanmoins paroît impardonnable , puif
qu'elle eft répétée deux fois dans la même ligne.
Voilà , par exemple , un des plus grands abus de
l'Imprimerie , d'attribuer à un Réformateur des
Sciences & des Arts l'ignorance même du Latin.
Et M. Auffray a oublié précisément de combattre
cet abus , le plus grand & le plus réel qui puifle le
commettre dans l'Art typographique.
A M ** .
DECEMBRE . 1753 .
73
JtJbjbJt:Jbsbst:Jbsbstst
A M✶✶ ✶.
Sur un Poëme de l'Art de peindre , dont il a
récité les deux premiers Chants devant l'Académie
Royale de Peinture , dans l'affemblée
qu'elle a tenue le 7 Septembre 1753 .
pour la diftribution des prix. Par M.
Tanevot.
CHeHer nourriffon des doctes Fées ,
Amateur d'un Art fouverain ,
A qui tu dreffes des trophées
Bien plus durables que l'airain ,
Reçois un tribut de louanges.
Je croyois entendre Apollon
Dicter , dans le facré Vallon ,
Aux Raphaëls , aux Michel - Anges ,
Ses loix , les préceptes divers ,
Et dans leur brillante carriere ,
Répandre la même lumiere.
Qui le couronne dans les airs,
Oui, ce Dieu t'infpiroit fans doute ;
Hé ! quel autre feu que le fien
Pouvoit nous enſeigner la route
Du Corrège ou du Titien ?
Te faire courir fur la trace'
1. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE
Et de Defpreaux & d'Horace ;
Et par des guirlandes de fleurs ,
Unir étroitement deux Soeurs * ,
Riches de la même culture ,
Et rivales de la nature ?
L'une par ces fameux accords ,
De l'autre exprimant les tranſports ,
Nous conduit d'une pente ailée ,
A ce célébre Colliſée **
Où par les plus dignes travaux ,
Ou par cent chefs- d'oeuvres nouveaux
La Peinture eft divinifée.
Là, fatisfaits de toutes parts ,
Bientôt nos avides regards ,
Dans le fruit des plus doctes veilles ,
Goûrent tes dogmes précieux ,
Ta lyre enchanta nos oreilles ,
Et le pinceau charma nos yeux.
O vous qu'éclairent d'autres Cieux ,
Repréfentez-vous l'affemblage
D'un parterre émaillé de fleurs ;
Peignez-vous leurs vives couleurs ,
Vous aurez la fidéle image
De tous ces objets raviffans
Qui tour à tour frappent nos fens,
La Poëfie la Peinture.
** Le Salon d'expofition.
DECEMBRE. 1753 .
75
Que de ſcience , de génie !
Que de graces & d'harmonie !
Ici , quelle fuavité !
Et plus loin , quelle volupté?
Ce font les touches immortelles
Et des Zeuxis & des Appelles ;
On ne fçait qu'applaudir enfin ,
Ou l'élégance du deffein ,
La nobleffe des attitudes ,
Ce goût des profondes études ;
Du les menſonges & chéris
Qu'enfante le beau coloris.
Loin d'ici , Cenfeur téméraire
Des talens les plus radieux :
Déformais , moins audacieux ,
Sçachez admirer , ou vous taire.
EPITRE
A M. Roettiers , Graveur Général en furvivance
de la Cour des Monnoyes & Chancellerie
de France ,ſur ſa réception à l'Académie
de Peinture & Sculpture. Par M.
Poinfinet ,fous le nom de Me. de S ***.
FUyez loin de nos yeux , lâches complimentears
,
Serviles courtisans , dangereux orateurs ,
Conduits par l'intérêt , mafqués par la baffeffe,
Di
76 MERCURE DE FRANCE
Peut-on être ébloui de votre politeffe ?
Non , d'un difcours trompeur le coeur n'eſt point
faté ,
Le mérite rougit d'un éloge affecté .
Et vous nombreux effain , affemblé par l'ufage ;
Que le plaifir unit, que le mystére engage ,
Qui fur un premier noeud , fouvent mal affermi ;
Ofez -vous décorer du grand titre d'ami ;
Fuyez , c'est trop long- tems vous laiffer mécon
noître ,
Votre regne eft paffé , l'amitié va paroître.
Oui , c'eft elle , Roettiers , qui parle par ma voix
Reconnois cette voix aimable , noble & pure ,
Du coeur feul elle fuit les loix ,
Et n'obéit qu'à la nature.
L'amitié toujours fimple , éloquente , fans art ;
Eveille la vertu dont elle eft le falaire ,
Tendre pour confoler , pour admirer levére ;
Mais en tout tems fûre de plaire ,
Auroit-elle beſoin de fard ?
Au grand nom d'amitié , tu t'étonnes peut- être?
Mon fexe te paroît peu fait pour la connoître ;
Ainfique tes pareils , tu penfes fans rougir ,
Qu'une femme ne voit , ne fent que le plaifir ;
Que faite pour vous plaire , elle fonge fans ceffe
A mériter ce dangereux honneur ,
Et votre vanité que nourrit la foibleffe
,
Ne lai permet d'autre bonheur
Que celui d'employer les foins & fa jougeffe
DECEMBRE. 1753
77
$
A tyrannifer votre coeur.
Quelle erreur ! mais n'importe , elle charme ton
ame.
Oui , plus le fentiment eft rare parmi nous ,
Plus il doit te paroître doux
D'en allumer l'augufte flâme .
Quoi , tandis que dès notre enfance ,
Unis par l'âge , unis par les défirs ,
Nous ne formions que les mêmes foupirs ,
Et nous n'avions que la même efpérance ,
Tems heureux où l'innocence
Suivoit nos pas , même au ſein des plaiſirs ,
Tu veux qu'avec indifference
Je te voye en cet heureux jour ,
Le front ceint de lauriers , conduit par la victoire
Te frayer une route au Temple de Mémoire ,
Vaincre la pâle envie & réveiller l'amour ,
En l'éclairant des rayons de ta gloire ?
Non , connois mieux mon coeur , il s'élance & te .
fuit ,
Il vole fur tes pas , l'amitié le conduit.
Que ne puis- je exprimer dans quels torrens de
joye
L'ame de ton amie & s'enyvre & fe noye ,
Quand je te vois pompeufement affis
Au rang de ces mortels , l'honneur de mon pays ,
Ces Appelles nouveaux , qui d'une main hardie
Portent au fein de l'art la nature embellie ?
Et le marbre & la toile , & l'argile & l'airain ,
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
Tout obéit , tout céde au pinceau , au burin
Par eux la toile penſe , & l'argile reſpire ,
Par eux de l'art vainqueur tout reconnoît l'ent
pire.
Et toi , que les talens ont rendu leur rival ,
D'un oeil indifferent tu marches leur égal ;.
Loin de t'abandonner à la flateuſe yvreſſe ,
Où l'orgueil trop fouvent entraîne la jeuneffe
Je te vois peu fenfible à ces raresfaveurs ,
Porter un front modefte au faîte des honneurs.
Tu fçais que cet honneur eft une fourde entrave ,
Que de fon propre com un grand homme eft l'efclave
;
Que plus il eft fameux , moins il a de repos ,
Et que pour relever l'éclat de ſa victoire ,
Il doit par de plus grands travaux
Se couvrir à jamais d'une immortelle gloire ,
Et cueillir des lauriers nouveaux.
Que de tels fentimens font rares à ton âge !
Que mon efprit eft enchanté !
Des plus brillans fuccès ils font l'heureux profage.
Accorde nos défirs avec la vérité ;
Pourfuis , & de nos coeurs reçois le tendre hom
mage ,
De ton regne fur eux fais ta félicité.
Mais qu'un pareil bonheur échauffe ton courage
Que ton vol te conduife à l'immortalité.
Eternifer fon nom , & vivre d'âge en âge ,
Doit être d'un grand coeur la feule volupté.
DECEMBRE . 1753 .
7.9
ES•SA I
Sur cette queftion propofée par l'Académie
de Befançon : L'affiduité au travail
peut-elle procurer autant d'avantages à la
fociété , que la fupériorité des talens .
Sed quid tentare nocebit ? Cicer.
Ch
'Eft un fpectacle qui fe renouvelle
chaque jour , de voir l'homme luter
contre le befoin , chercher dans le travail
la fource des fecours , réaffir quelquefois
à force d'affiduité , & plus fouvent encore
échouer ; tandis qu'à fes côtés les fuccès
les plus brillans feront le fruit des moindres
efforts : tel eft l'effet de cette diverfité
de difpofitions que la nature a diftribué
aux hommes , pour établir entr'eux
une dépendance mutuelle.
S'il eût été poffible à l'effort du travail
de fuppléer au défaut de talent , glorieux
de fe fuffire à lui - même , l'homme auroit
peut être méprifé des fecours étrangers
dont il auroit pû fe paffer ; par un prin.
cipe pareillement puifé dans le coeur , il
cût bientôt abandonné celui de qui il
n'auroit pû efpérer aucun retour , fi la nacure
avoit abfolument privé de fes dons
D iiij
So MERCURE DEFRANCE.
quelques - uns de fes enfans. Mais l'hom
me fans talens eft auffi rare que les monf
trés , pour me fervir de l'expreffion de
Quintilien ( a ) , & ·le travail n'eſt ſtérile
qu'autant qu'il eft défavoué par la natu
re. Ainfi rapprochés par les befoins auf.
quels ils ne pouvoient fe dérober , les
hommes ont été réunis par les fervices
qu'ils devoient réciproquement fe rendre.
Voilà le principe & la fin de la fociété.
Tous font également destinés à en être
membres : quelle difproportion cependant
entre les talens ! La mefure en eft aufi
variée que l'objet ; & quoique dirigés au
même terme , l'homme doué d'un génie
fupérieur laifferoit bientôt loin de lui
l'homme qui auroit reçu un moindre talent
; celui - ci pourroit- il donc être également
utile à la fociété ? Oui , fans doute
, s'il n'y a aucuns des avantages de la
fociété qui foient attachés particulierement
aux fuccès du premier , & aufquels
les efforts du fecond ne puiffent fuffire. Je
dois vérifier ces deux points pour l'établir.
A peine l'homme eft-il forti des mains
de la nature qu'il en paroît abandonné ; la
faim , la foif , la nudité ; voilà ce qui l'ac
( a ) Liv, 1. ch. 1.
C
DECEMBRE. 1753-
St
compagne à fon entrée dans le monde .:
les maladies fe joignent à ces befoins , les
écueils fe fuccedent devant fes pas ; en
un mot , tout ce qui l'environne au dedans
& au dehors femble concourir à fa
deftruction : pourvoir à ces befoins ou en
adoucir la rigueur ; écarter les maladies ,
ou en prévenir l'effet ; détruire ces écueils ,
ou en diminuer le danger ; c'eſt le moyen
de
procurer fa confervation . Mais qu'eftce
que l'homme , réduit à ce feul avantage
! Si fon efprit fe dégage des ténebres
dans lesquelles la nature l'avoit d'abord enveloppé
, c'eſt pour être expofé à de nouveaux
befoins les obftacles l'effrayent ,
les ennuis l'abbattent, le travail le fatigue ,
l'impétuofité l'emporte , les erreurs l'environnent
; il a befoin de motifs qui
l'excitent & l'animent ; de guide , qui l'éclaire
& le foutienne ; de frein , qui le retienne
& l'affure ; de délaffemens , qui le
diffipent & le foulagent.
:
Que de befoins également certains ! que
de fecours également néceffaires ! A peine
cependant dans une même génération
rencontre-t- on quelques hommes que la
nature ait favorifé d'un génie fupérieur
encore font - ils épars dans cette multitude
q peuple la terre . Comment conciliet
cette oppofition avec les intérêts de la
>
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
fociété ? Si c'eft fur les befoins du corps
que fes fondemens font appuyés , c'eſt
des befoins de l'efprit que naiffent fes agrémens
( a ) ; fi les fecours propres aux premiers
affurent à chacun de fes membres les
avantages les plus chers , les fecours propres
aux feconds ne procurent pas à la fociété
des avantages moins effentiels : les
uns & les autres ne peuvent donc dépendre
d'une qualité fi rare parmi ceux qu'elle
ralfemble .
En fuppofant que dans les premiers
tems , les génies fupérieurs euffent été en
affez grand nombre pour fournir au refte
des hommes tous les fecours néceffaires
aux befoins qui fe multiplioient avec eux ,
& que chaque inftant rendoit dès là plus
prellans , il ne feroit pas impoffible d'accorder
aujourd'hui les intérêts de la fociété
avec la rareté des génies fupérieurs ;
il est communément plus facile de conſerver
que de produire , d'imiter que d'inventer
; mais parcourons le lointain , que
l'Hiftoire offre à notre curiofité . Quels
font ces noms que l'admiration répéte ,
ces trônes que le refpect éleve , ces autels
que la prévention encenfe , ces trophées
que l'étonnement environne ? Répondez ,
( a ) Rouffeau , de Genêve. Difc. de Dijon.
DECEMBRE. 1755- 83
premiers peuples de l'univers , dont l'intérêt
n'avoit point encore rendu ſuſpects
les fentimens , & parmi lefquels la faterie
n'avoit point encore confondu les titres
; n'est-ce pas autant de témoignages
rendus à la rareté des génies fupérieurs ?
Accoutumés aux fuccès des génies ordinaires
, parce qu'ils fe renouvelloient plus
fouvent , vous n'avez pû voir fans en être
furpris , ceux qui ont diftingué la fupériorité
des talens : frappés d'un éclar qui
fembloit les tirer de la fphere commune ,
vous avez regardé comme des hommes extraordinaires
, ceux que la nature en avoit
doué , & ces monumens de leur fuccès.
autant que de votre admiration , juftifient
que quoiqu'accablés de befoins multipliés
& toujours renaiffans , ainfi que nous ,
vous ne les avez vû paroître parmi vous
que comme ces aftres finguliers que les
révolutions du Ciel ramenent à nos regards
toujours furpris , parce qu'ils n'en
font pas ordinairement frappés. Egalement
rares , les génies fupérieurs feroient- ils
donc plus néceffaires aux befoins de la fociété
que ces aftres plus brillans ne le
font aux befoins de l'univers ?
Mais pourquoi recourir à ces raiſonnemens
, tandis que l'expérience parle ? Les
hommes n'ont pas toujours composé une
Dvj
84 MERCURE DEFRANCE.
lecou
fociet
es
de la
C
même famille , leurs intérêts ont été di- point
vilés prefqu'auffi - tôt que leur langage' ;
ils fe font renfermés dans des Villes , les
autres font restés dans les Campagnes ;
par tout le befoin a réuni ceux que la conformité
de langage rendoir fociables , &
l'on a diftingué autant de fociétés différentes
que de peuples , de Provinces , de
Villes , de familles , quelquefois établies
fur les mêmes fondemens que la fociété
primitive ; combien renfermées entre les
bornes étroites que leur intérêt particu
lier avoit placées , ont été privées du fecours
de la fupériorité des talens dont la
nature n'avoit favorifé aucun de ceux qui
en étoient les membres ! Leur établitement
& leur confervation démontrent fenfiblement
qu'aucun des avantages de la
fociété n'exige cette fupériorité. Du milieu
de celles qui ont compté parmi leurs Amembres
quelques uns de ces génies fupérieurs
, tranfportons- nous dans celles - ci :
nous y retrouverons la faim , la foif ,
nudité , les maladies & les dangers , les
ennuis & la fatigue , les obftacles & les
erreurs ; nous y retrouverons des hommes,
en un mot , fujets par conféquent aux
mêmes befoins du corps & de l'efprit , &
leurs propres richeffes , quoique moins bril
lantes, leur ont fuffi . Que l'on ne faile donc
la
DECEMBRE. 1753. 85
point une diftinction fpécieufe entre les
fecours qui affurent les fondemens de la
fociété & ceux qui procurent fes agrémeus
, pour faire dépendre ces derniers
de la fupériorité des talens. Ce paralelle
que l'expérience juftifie , en découvre l'il
lufion.
Ce n'eft point , en effet , par une oppofition
injufte de la fociété , telle qu'elle eft
aujourd'hui avec ce qu'elle fut dans ces
tems d'obfcurité, que nous pourrions décider.
Si elle n'a pas toujours été bornée au
fimple néceffaire , fi les fecours ſe font
multipliés avec les hommes , & fe font
perfectionnés en fe reproduifant , la fociété
en a du recevoir de plus grands avantages
& en & en plus grand nombre. Mais interrogeons
ces hommes fameux , que des
découvertes précieuſes aux Sciences & aux
Arts , intéreffantes pour le commerce autant
que pour notre confervation , ont immortalifé
, & fideles à la vérité , ils feront
forcés de convenir que c'eft au hazard que
la fociété doit ces richelles. S'il eft permis
à notre oeil curieux de percer jufqu'aux
régions céleſtes , c'eft un enfant qui nous
en a ouvert la route ; fi nous connoiffons
la pefanteur de l'air qui nous échappe ,
c'eft des mains les moins habiles que nous
en avons reçu la balance. Séduits comme
86 MERCURE DE FRANCE.
bien d'autres , par une fauffe opinion , le
Cordelier Bacon court après une chimere,
& au lieu d'or il découvre la force du fouffre
environné de falpêtre. Colomb cherchoit-
il ce nouveau monde qui frappe fes
regards étonnés ?
Quelle fera donc la gloire de la fupériorité
des talens ? d'avoir du moins porté
les avantages de la fociété au point de perfection
où nous les admirons aujourd'hui ?
Ses fuccès y ont contribué , j'en conviens ;
mais des talens moins éminens pouvoient
fuffire : c'eft ce qui me reſte à démontrer.
Tandis que les befoins environnoient
l'homme de toutes parts , il étoit jufte de
placer dans fes mains le moyen de s'y fouftraire
; la voix du befoin pouvoit bien en
indiquer les fecours , mais le travail devoit
les procurer ; foit qu'il les doive à
fes
propres efforts , foit qu'il les tienne
de la fociété dont il eft membre , ce n'eft
qu'à ce prix que l'homme jouit de quelques
avantages : la fucceffion des fiècles
écoulée jufqu'à nous ne préfente que cette
alternative fans ceffe répétée. L'Agricul
ture pourvoit à la fubfiftance de l'homme
, la Médecine lui rend la fanté , le
Commerce augmente fes tréfors ; les Arts
& les Sciences affurent à la fociété les plus
DECEMBRE . 1753 87
grands avantages ; mais la terre ne produiroit
que des ronces & des épines fans
les travaux du Laboureur , les maladies accableroient
l'homme , & il en ignoreroit
la nature & le reméde , fans les recherches
du Médecin ; nous pofféderions des
richeffes & nous n'en jouirions pas , fi le
Négociant n'en facilitoit le commerce par
fes fatigues. Que font çes ouvrages où
l'utile fe trouve réuni à l'agréable , finon
le fruit des foins & des peines de l'artifan?
c'eft aux veilles du Sçavant , aux méeditations
du Philofophe , aux réflexions
du citoyen , que nous devons la lumiere
qui nous éclaire tout , en un mot , dépoſe
#de cette néceffité du travail , qui confond
fous les mêmes loix le génie fupérieur ,
& celui que la nature n'en a pas favorifé.
:
Les fuccès ont varié , il eft vrai ; n'eftce
donc pas l'effet néceffaire de l'inégalité
des talens ? Non , fans doute . Et que
l'homme foit couvert de confufion , en
découvrant le terme où l'affiduité au travail
dont il a négligé le fecours , fouvent
auroit pû le conduire. Il eft queftion de
juftifier la nature dans la diftribution qu'el
le a fait de fes dons : or fi la rareté de
ceux qu'elle a doué de la fupériorité des
talens , eft un titre fuffifant pour nous
faire penfer que les intérêts de la fociété
SS MERCURE DE FRANCE.
ne peuvent en dépendre , la multitude de re
ceux à qui elle n'a accordé que des talens
moins éminens , doit prouver que ceuxci
peuvent y fuffire ; & s'il eft permis de
pénétrer les vues dans un tel partage ,
peut- on douter qu'elle n'ait voulu pourvoir
au défaut ou à l'indolence des génies
fupérieurs , & rendre les avantages de la
fociété d'autant plus affurés , que la fources
en eft multipliée ? Mais le travail doit augmenter
à proportion que le talent eft plus
ou moins éminent : c'eft la mefure & le
gage des fuccès.
@
1
P
S'il étoit un terme à nos befoins , il fe
roit , fans doute ', en même tems celui du
travail , & peut- être le triomphe du génie
fupérieur ; c'eft l'hydre qui renaît & préfente
fans ceffe de nouveaux fuccès à celui
qui l'a combattu : favorifé d'un talent fa- e,
périeur , comme borné à un moindre talent
, il n'eft perfonne qui puiffe fe Alarer
de l'abattre , & les efforts de l'un & de
l'autre ne peuvent aboutir qu'à foulager
nos befoins , non à en tarir la fource :
que celui- là y réuffiffe avec plus de faci
lité que celui-ci , n'importe , dès que le
let:
but eft le même ; la difficulté du fuccès ne
peut qu'en augmenter le prix.
Ce n'est point un vain raifonnement ,
il cft juftifié par les fucces même des génies
DECEMBRE. 1753.
Fupérieurs. Dans quelle étroite fphere la
nature ne les a - t- elle pas renfermés ? En
fuivant leur deftination , ils volent avec
cette rapidité qui les diftingue , & parviennent
au but avec moins de peine ;
mais auffi la route qquuii ppeeuutt lleess y conduire
eft unique , & le génie le plus brillant eft
celui qui tombe le plus bas lorfqu'il s'en
écarte : il eft impoffible , dit un Philofophe
( a ) de l'antiquité , dont le fyftême fameux
attefle les lumieres & l'expérience ,
que le même homme excelle en des ouvrages
d'un genre différent. Quel gage plus affuré
pourroit animer l'efpoir de celui que la
nature a doué d'un moindre génie , que ce
partage fait avec autant d'épargne que de
partialité , de la fupériorité des talens ?
Si avoué par la nature ,
nature , il fuit la même route
, il ne peut manquer d'arriver au même
terme , & quoiqu'avec moins d'éclat , il
ne procurera pas moins les mêmes avantages
à la fociété , le faccès ne dépend que
de la conftance de fes efforts .
Voyons le Nouveau Monde , qu'un hazard
heureux vient d'affocier au nôtre ;
enfevelis dans les ténébres de l'indolence
, les hommes qui l'habitoient ne connoiffoient
que le fimple néceffaire , &
(a) Plato , de Rep. 1. 3.
go MERCURE DE FRANCE.
leurs travaux ne s'étendoient pas au- delà
: inftruits autant qu'encouragés , par
l'exemple des conquérans qui y ont péné
tré , déja ce n'eft plus un trifte affemblage
d'ignorance & de barbarie , c'eft un
peuple nouveau qui devient le rival de
fes maîtres.
Confultons nos propres annales , re
paffons fur les fiécles qui fe font écoulés
jufqu'à nous ; quelles viciffitudes bizarres
de ténébres & de lumiere ! quelle obica
rité plutôt , tandis que l'homme ne fuit
dans fon travail ,, que la néceffité pour
guide ! Mais les Philippe & les Alexandre
dans la Grece , les Céfar & les Augufte par
mi les Romains , les Médicis dans l'Italie ,
Louis le Grand & fon fucceffeur le Bien-
Aimé parmi nous , répandent des bien
faits , diftribuent des récompenfes. Animéspar
cet appas , les efforts redoublent ,
& des fuccès auffi nombreux qu'éclatans ,
diftinguent ces beaux fiécles , immortels
comme ceux qui en font la gloire : les
avantages qu'en reçoit la fociété font donc
le prix d'un travail plus affidu.
Cette affiduité au travail , néceffaire au
génie moins éminent , entraîneroit , fans
doute , avec elle la fatigue & les ennuis,
d'autant plus infupportables que le travail
feroit prolongé davantage. Mais la nature
100
DECEMBRE. 1753. 98
femble en avoir voulu diminuer le poids ,
en le rendant plus libre. Ceux , en effet
qui n'ont pas été favorifés d'un talent fupérieur
, font pour l'ordinaire dédommagés
par la pluralité des talens moins éminens
réunis dans leur perfonne ; c'eft donc leur
propre choix qui les détermine & les guide
: nouveau motif qui doit les encourager
, nouvelle preuve que le fuccès eſt attaché
à leurs efforts.
Quelle excufe pourroit donc autorifer
' indolence de ces hommes indignès de la
Efociété , qui facrifient à un honteux repos
fes intérêts les plus chers ? Qu'importe que
la nature nous ait doué ou non de la fupériorité
des talens ? ce n'eft point la routeplus
ou moins pénible , c'eft le terme qui
nous eft marqué par la nature , que nous
devons appercevoir : ne cédons point à la
difficulté , & le fuccès nous attend. Ainfi
l'affiduité au travail pourra procurer autant
d'avantages à la fociété , que la fupériorité
des talens.
Nihil eft quod non expugnet pertinax opera
intenta ac diligens cura. Senec. Epift . so ..
22 MERCURE DE FRANCE.
REMERCIMENT
A MM LES INESTRICATI
DE BOLOGNE..
•
AVERTISSEMENT.
Our entendre les vers fuivans , il t
Pnéceffaire de fçavoir que Medicum
>
de l'Académie des Ineftricati , de Bologne
prennent pour devife dans leur fceau un
Laurier dans un labyrinthe , avec ces mors
Extricabilis..... L'Auteur' y fait allufios
à la modeſtie de leur nom auffi-bien
qu'à la méprife qu'il fit en demandant
Meffieurs les Oziozi de la même Ville
l'honneur de leur adoption , au lieu de le
demander à Meffieurs les Ineftricati , qu
eurent cependant la politeffe de lui en
voyer des Lettres d'Affocié.
Vos quorum egregiam ſpectanda modeftia fam.sm
Equat, & ex bumili nomine crefcit honos :
O quoties claris , tribuit qua Gallia , fertis
Optavi celebres addere veftra Viri !
Votapremens quoties tacitofub peclore volvi
Appeterent quantos ambitiofa gradus ↓
DECEMBRE. 1753 .
95
Nam quis inacceffam per tot curvaminaĹaurum
Perque tot ancipites poffit adire vias ?
Auspiciis fed ubi melioribus obvia fulfit
Gloria , victus abit laudis amore timor
At mifer errabam , & metâ diverſa ſequebar
Cùm regerent noftrum ftamina nulla pedemi
Vidit ut errantem , taciti non infcia voti ,
Paffibus occurrit gratia veftra meis.
Obfequiofa manus· lectis è frondibus unam
Carpfit , & optatum manus habere dedit.
Hefperidum fructus , auro radiante decori ,
Vivite ; quid veftras Gracia jactat opes ?
Tuquefub immiti femper mucrone renafcens
*
Cede locum foliis , aurea virga , meis.
Non timeas , we bruma facram , pulcherrima Laurus
Ne ve rapax poffit ladere turba comam.
Pervigil ignivomi tibi non opus ira Draconis ,
Sat dubium implicitis orbibus obftat iter.
Nulli hominum anfractus fas extricare dolofos
Ni quibus eft veftrum curafovere decus.
TRADUCTION.
Vous ,dont la gloire eft afførtie
A l'éminence des talens ,
Qui couronnez ces dons brillans
Par une aimable modeftie ,
Combien de fois mon coeur , dans fes nobles tran
ports,
♦ Æneid, lib . VI. v. 135.
94 MERCURE DE FRANCE:
Ofa-t'il former l'eſpérance
D'unir votre Laurier aux honneurs dont la France
Anima mes foibles efforts ?
Combien de fois auffi , le fatal Labyrinthe
Qui renfermoit l'objet fateur
De mes défirs & de ma crainte ,
Vint-il à traverser cet efpoir enchanteur ?
Sous un afpect plus favorable ,
La gloire enfin fçut l'emporter;
Mais privé du fil fecourable
Qu'aux befoins d'un ingratl'Amour vint préſenter;
Dans un deftin prefque femblable ,
De quel heureux fuccès pouvois- je me fatera
Quel étoit mon erreur extrême ?
Je m'éloignois , hélas ! du but où j'afpirois ,
Et fans retour je m'égarois.
Vous connutes mes voeux dans ma mépriſe même;
Et loin de condamner ces voeux audacieux ,
Vous daignâtes me tendre une main gracieuſe ,
Et d'une Branche précieuſe
Orner mon front ambitieux.
◇ vous , qu'a tant chanté la Fable ,
Or végétant , brillant Rameau ;
Vous dont la féve inépuisable ,
Sous un tranchant impitoyable ,
Formoit fans ceffe un jet nouveau
Vains objets des defirs avides
De tant de coeurs intéreſſés ;i
H
V
DECEMBRE. 1753 :
25
Riche -dépôt des Helpérides ,
Arbres fameux , difparoiflez.
Et vous , paffez aux derniers âges ,
Arbre facré , Laurier charmant ;
Bravez l'hyver & les orages,
Ne craignez point pour vos feuillages
Un trop avide empreffement.
Hors d'atteinte aux efforts d'un prophane vulgaire,
Vous n'avez pas befoin qu'un Dragon vigilant ,
Aux attentats d'un téméraire
Oppofe un gouffre étincelant.
Dans ce dédale obſcur , où nos voeux vous pourà
fuivent ,
Qui peut marcher fans s'égarer ?
Ce n'est qu'à ceux qui vous cultivent
Qu'il appartient d'y pénétrer.
AD BONO NIAM *.
◇ Patria! ô generis prima incunabula noßri !
Chara nimis cordifemper habenda meo !
Blanda piam dignata parens agnofcere prolem ,
Comiter & doctis confociare Choris !
Accipe quas tanto debet pro munere grates ,
Quafque tibi nofter folvere geftit amor.
Haudequidem noftras tua laus effugeras aures
Q Caput ! Tufci gloriapriſca foli!
· Antiquitus Felfina...
MERCURE DE FRANCE:
Quâ regione ? quibus non cognita Felfina faclis !
Qua valet urbs titulos alla referre pares ?
Jureforor magna tu diceris amula Roma ,
Quodlibet exornat landis utramque genus.
Si quis honos longis memorabile nomen ab annis
Ducere, quis veftrum nefciat effe prius ?
Quos peperit , Romam decorat ſifama virorum ¸ ¸
Non minus egregiis Felfina clara viris.
Altera tu Reges debellas Roma fuperbos ,
Uteris at palmá nobiliore modo.
Flectere non aurum , folvâs ut vincula nati
Spirantifve minas Cafaris irapoteft.
*Jufta fed immiti nonFadas bella triumpho ,
Non demito illudit turba proterva duci.
Necfatis ; auguftas captivo conftruis ades ,
Menfaqua regali culta decore nitet.
Redditur & Regi reverentia débita vivo,
Exanimem dignum Principe marmor kabes.
Sedfi animus contemptor opum , ſpectataque bells
Dextra viget , ftudiis non tibifama minor.
Quot dare tu vifa es , quot adbuc dus ubeta doctis
Stante quibusfirmumftabit orbe decus.
Pontifices quantos generas quibus illafuperbit,
Et faalaus hodiè maxima , nonne tuùs à
Hicmihide prifco que non memoranda Senatu
Cujus in augufta Regia Sceptra manu ?
Et laudes equidem aggrederer , nijuretimeren
Deterere ingenii debilitate mei.
*Enzelinus , Frederici II. filius,
ExterA
C
DECEMBRE.
1753. 27
Extera cui populo virtus acceptior unquàm ?
Teftis erit vena copia parva mea.
Quam memori acceptos refera tibi mente parentest
Corde fedet meriti gratia quanta novi.
Patria ! ingenuas quas tam feliciter artes
Excolis , aqualifemper amorefove.
Gloria quanta tibi ! dictus mirabile"! Doctor
Advena , Difcipulus cogitur effe tuus.
Quis mihi tantorum vultus fpectare Virorum !
Colloquiis tribuat quis mihi poſſe frui !
Famafedin toto faltèm celebrabitur orbe
Carminibus , quanquam non eget illa , meis.
Augeat alma parens veftrum Romana vicifsim
Purpura , Romanum gloria veftra , decus .
Crefcat in immenſum tua laus , ô munere cujus
Artibus , & terris , & mihi , tanta venit !
Sur les magnifiques ouvrages que M. le Marquis
de Tourny a faits à Bordeaux.
EN promenant fes fots d'un pas majeftueux ,
A travers les fertiles plaines ,
D'un air tranquille & faftueux
La Garonne admiroit fes fuperbes domaines.
Elle apperçoit de loin ſon augu&e Cité ;
D'édifices nouveaux un pompeux affemblage
Offre dans leur enceinte , à fon ceil enchanté ,
D'un jeune Conquérant la triomphante image ,
I. Vol. E
S MERCURE DEFRANCE.
Qui ſemble fur la rive attendre fon hommage,
Par les foins de Tourny cent miracles divers
Répandus fur les bords jufqu'au pied de fon onde ;
Ses champs d'arbres fans nombre élégamment
couverts ,
Un abord digne enfin de la Reine du monde....
Elle hésite , elle craint qu'un preſtige flateur
Ne lui peigne les jeux d'un phantôme impofteur ;
Mais voyant de plus près ces fomptueux ouvrages?
Quel fpectacle enchanteur ! ... fiere Rome , eft ce
tọi ,
Qui par tout l'univers ayant porté ta loi ,
Viens pour combler ta gloire habiter mes rivages?
TRADUCTIO.
IBat ovans fluctu generofa Garumna tumente
Plaudit & ipfafibi dum fua regna videt,
Afpicit infignem tectis ſublimibus Urbem ,
Maniaque arboribus jam decorata novis
Regales aditus , circumftantemque coronam ,
mediofigna fuperbaforo. Principis
Littoribus confperfaftupet miracula totis ,
Aufpiciis , Turni , tam citòfacta tuis.
Haret adhuc, dubitat fallax num ludat imago;
As poftquam fpatioproximioreftetis :
Fallimur ? an Roma eſt , qua ripas , orbe ſubaćio ¿
Nominisaugendi quaris amore meas ?
A
DECEMBRE. 1753.
99
។
VERS
A M. de Chevert , Lieutenant Général des
armées du Roi , Commandant fur la Haute
& Baffe Sarre.
Pour te crayonner ton portrait ,
Si le zéle eût fuffi , j'euffe ofé l'entreprendre ,
Chevert ; mais prudemment la raifon en fecret
A bientôt fçu me le défendre.
Les traits les plus brillans , les chants les plus as
teurs
N'ajouteroient rien à ta gloire ;
Tu vivras toujours dans l'Hiftoire,
Et ton éloge eft dans les coeurs .
>
Telinge.
Le mot de l'Enigme du Mercure de Novembre
eft Ecriture . Celui du premier Logogryhe
eft Chevalier dans lequel on
trouve ire , cheval , rival , & vie . Ĉelui du
fecond eft Nouveauté ; dans lequel on trouve
entè , eau , nuë , vûe , été , an , veau ?
âne , Eve , voûte , van , aune , vent , ton
Noë , voen , on , tan , note , non , on , né.
E ij
100 MERCURE DE FRANCE
ENIGME EN VAUDEVILLES.
Air : On n'entend plus deffous l'ormeau , &c,
Nous fommes deax freres jumeaux ,
Charmes de la nature ,
Emales des brillans ruiffeaux ,
Notte onde eft vive & pure ;
Tour à tour , & Peintres & Tableaux ,
Souvent le jour nous mortifie ,
Et l'on le fie
Trop à nos deux flambeaux .
Air : Sonjoli petit corbillon .
On nous confulte , on nous adore ,
Nous plaidons mieux que bien des Avocats;
Il fort de nons un météore
Qui brûle , mais qui ne confume pas.
Nous échauffons un Opéra :
On n'y voit que nous ;
Nos biens font fi doux ;
Quinault , mille fois les vanta.
Air : De la Mufette de Defbroffes.
Notre cryftal eft trompeur dans les villes ,
On nous y force à déguiſer le vrai,.
On nous réduit à des éclairs fteriles ,
Et l'impofture eft notre coup d'eflai ;
DECEMBRE. 1753 . ΤΟΥ
Dans les hameaux nous expofons fans peine ,
Tous les fecrets du dedans au dehors ;
Nous répétons fidélement la fcéne
D'an fentiment qui régle nos refforts.
Air : Quel mystére , &c .
Quel dommage
Qu'on peigne le plus beau des Dios,
Sans l'avantage ,
L'appanage
Des hommes les moins vertaeux !
Vulcain boiteux ,
.
N'eft pas fi malheureux ,
De nos tréfors il fait uſage ;
Si l'Amour eft dangereux ,
C'eft qu'il rejette nos feux.
Quel dommage , & c .
Par Madame de Rouffy l'Aigneau , de
Laval an Maine.
.
ENIG ME.
DURiche & du Sçavant ma préſence accueillie
,
Aide à développer l'Hiftoire enfévelie ;
De diverſe grandeur , d'un mérite inégal ,
Le plus fouvent à pied , quelquefois à cheval.
Ou profane , ou facrée , ou de Rome , ou d'Attique
On me met à haut prix lorfque je fuis antique ;
Et je reçus la vie autrefois de Venus ;
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
Ne puis-je aujourd'hui ? …….. Nen , elle n'exifte
plus ;
Et le nombre infini de Filles d'Amathonte
Corrompt la terre : & fiécle ! on le dit à ta honte..
Encor..! fi l'on pouvoit dans ce malheureux tems,
Rétablir la Déeffe en faveur des amans !
En s'appliquant à l'Art dont je tire ma fource ,
Ils pourroient y trouver une utile refſource.
Qu'en penfe tu , Lecteur , feras-tu bon devin
Si mon nom te convient , tu le cherches envains
LOGOGRYPHE.
GRYPHE
.
S Ans le fecours d'Edipe , ami , fi tu voulois ,
Tu pourrois deviner en trois ou quatre fois
Les fujets que mon ſphinx apprête,
D'abord , en me tranchant la tête ,
Tu fais pour les Prélats un utile ornement.
Veux-tu d'un corps folide une image parfaite
Coupe ma queue enfuite ; alors dans le moment ,
On peut dire fans fe méprendre ,
Qu'un coeur auffi dur que je fuis
Eft infenfible aux charmes de Philis.
Voudrois- tu pofféder l'amante de Léandre ?
Ne vas pas la chercher au fond de l'Hellefpont ,
Elle s'offre à tes yeux à l'abri de mon nom ;
Tu reçois avec elle
Ce qui très rarement eft ſuivi d'un refus ,
DECEMBRE. 1713 . 103
Et ce qui réuffit au Dieu , fils de Cybéle ,
Pour rendre vains les foins d'Acrifius.
Mes membres replacés ; fur fept pieds je m'échape
Libre dans mon manoir , fortuné qui m'atrape
Préfent
AUTRE.
Réfent de Pomone , en fix membres ;
Lorfque d'un feul tu me démembres ,
Tn peux faire éclore à propos
Un des plus petits animaux.
AS. N. lès Senlis
*****************
NOUVELLES LITTERAIRES.
CHR
HRONOGRAPHIE , ou Defcription
des tems ; contenant toute la
fuite des Souverains de l'univers , & des
principaux événemens de chaque fiécle ,
depuis la création du monde jufqu'à préfent
; en trente- cinq planches gravées en
taille-douce , & réunies en une machine
d'un ufage facile & commode. Par M. Barbeu
Dubourg , Docteur en Médecine , &
Profeffeur de Pharmacie en l'Univerfité de
Paris. Se vend à Paris chez l'Auteur , rue
S. Benoît , à côté de l'Abbaye S. Germain ;
E iiij
104 MERCURE DEFRANCE .
la Neilliere , Marchand Mercier , à la Croix
d'or , rue S. Denis , vis - à- vis la rue des
Lombards ; & Fleury , Marchand Tapif
fier , à l'Eftrapade . 1753. Avec Approbation
& Privilége du Roi. Prix en feuilles
12 livres , avec la machine , 19- ou IS
livres.
Nous avons déja annoncé cet Ouvrage
dans le Mercure de Juin dernier ; mais
nous en parlames alors fort fuccintement
, n'ayant pas encore eu le tems de
Fexaminer. Cependant il a été trop goûté
du Pablic , & nous -mêmes en avons été
trop fatisfaits pour n'y pas revenir avec
plaifir , & peut- être plus d'une fois. C'eft
une efpéce de machine fcientifique , auſſi
bien exécutée que bien conçue , d'un goût
entierement nouveau , & d'une utilité univerfelle.
Dans les Tables Chronologiques du P !
Pétau , de Lancelot , de Delifle , en un
mot , de tous les Auteurs les plus célébres
en ce genre , on ne peut s'inftruire qu'à
force de mémoire ; rien n'y parle aux yeux,
ou plutôt on y voit fouvent fur une même
ligne des hommes qui ont vécu en des
tems fort éloignés . Dans la Carre chronographique
de M. D. les contemporains
feuls marchent de front , une génération
palle , une autre arrive ; on les voir ſe
DECEMBRE. 1753-
fuccéder l'une à l'autre fur le papier
105
comme elles fe font réellement fuccédées
fur la terre , & comme on peut déficer
de fe les repréfenter à l'efprit . L'échelle des
années que M. D. a le premier imaginé
d'appliquer à la Chronologie , y répand
une clarté qui foulage infiniment la mémoire
; tous les tems font mefarés , la
place de chaque Prince pofitivement déterminée
, & l'ordre de chaque événement
invariablement obfervé.
Outre le mérite d'une difpofition fi naturelle
& fi lumineufe , on doit lui fçavoir
gré du choix judicieux qu'il a fat de
la fondation de Rome pour époque intermédiaire
entre la création du monde
& la naiffance de Jefus Christ . Rien ne
dégoûte tant de l'étude de l'Hiftoire ancienne
, que de voir l'énorme diverfité de
dates des mêmes événemens dans les différens
Auteurs qu'on vient à lire fucceflivement
; de voir , par exemple , la naiffance
de Jefus Chrift fixée par un Rabbin à l'an
du monde 3707 , par S. Jérôme à l'an
3941 , par le P. Petau à l'an 3984 , par
Ufferius à l'an 4000 , par Caffiodore à´
l'an 4697 , par Origène à l'an 4830 , par
S. Epiphane à l'an 5029 , par Euſebe à
l'an 5200 , par S. Auguftin à l'an 5353 ,
par S. Clément d'Alexandrie à l'an 56 : 4 ,
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
le
par le P. Pezron à l'an 5872 , & par
Roi Alphonte à l'an 6984. L'époque de
la fondation de Rome eft fi brillante , &
s'offre fi naturellement dans le tems où
Hiftoire prophane commence à fortir du
cahos , qu'on ne fçauroit mieux faire à notre
avis que de s'y arrêter , abandonnant
dès-lors l'époque de la création , pour ne
pas répandre jufques fur les derniers fiécles
Pobfcurité des premiers âges du monde..
Il y a déja plufieurs années que l'impoffi
bilité reconnue de fe concilier pour déter.
miner le tems qui s'eft écoulé depuis le
commencement du monde jufqu'à la rédemption
des hommes , avoit enfin réduir
les Sçavans à compter en retrogradant les
années avant Jefus Chrift. Mais cette maniere
de compter eft affez embaraffante ,
& le Public ne s'en accommoderoit ja
mais ; au lieu que celle de M. D. eft d'une
fimplicité qui lui répond de tous les fuffrages.
Quant aux détails chronologiques
M. D. n'a point affecté de nous donner du
neuf, ni pour les liftes des Rois d'Egypte ,
ni pour celles des Souverains de toutes les
autres Monarchies anciennes ; il s'eft principalement
attaché à la Chronologie de
M. l'Abbé Lenglet , & il ne pouvoit faivre:
an meilleur guide . Pour les tems poſté.
DECEMBRE. 107 •
1753 .
rieurs à Jefus Chrift , il a beaucoup profité
du fçavant Ouvrage des Bénédictins , de
l'art de vérifier les dates. Il paroît auffi
qu'il n'a pas oublié l'excellent abrégé de
l'Hiftoire de France de M. le Préfident
Hénault , & c . Il eft difficile de deviner
quel Auteur lui a le plus fourni pour fa
colomne des événemens mémorables où il·
paroît beaucoup de recherches & de goût ;
nous croyons pouvoir dire qu'il y aura
peu de Lecteurs qui n'y trouvent quelques
traits nouveaux pour eux . La colomne des
perfonnes illuftres eft également variée &
intéreffante ; mais ce qui en fait le principal
ornement , ce font de petits caracteres
que M. D. a mis à chacun pour défi
gner fuccintement fa profeffion , fes ta--
lens , fes vertus , ou fa fortune.
La Carte entiere ayant près de foixante
pieds de long , feroit fort embaraffante fi
M. D. n'avoit trouvé le fecret de la renfermer
dans une machine , où elle tourne fi
aifément qu'on y jouit fans peine de la toutalité
, quoiqu'elle ne mette fous les yeux
qu'environ quatorze pouces à la fois . Nous
donnerons dans un autre Mercure la def-·
cription de cette ingénieufe machine , qui
a déja fervi de modèle à divers curieux &
amateurs des beaux Arts pour confervert
certaines eftampes , des deffeins longs
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
d'Architecture , & c. Mais qui peut mieur
en faire fentir les avantages que l'Auteur
même ? Voici comme il en parle dans fon
Difcours préliminaire . » Après avoir raf-
»femblé bout à bout la fuire de ces Cartes ,
» il et tout fimple , dit -il, d'en revêtir deux
cylindres , difpofés de maniere que l'un fe
» déroule de lui même à mesure qu'on roule
»>l'autre , imitant ainfi par leur dévelopement
la révolution des fiécles. Ainfi dans
» une feule & même machine , on a d . vant
les yeux une carte particuliere & détail-
» lée du fiécle dont on étudie actuellement
» l'Hiftoire , & on n'a pas moins fous la
>> main la collection entiere de ces cartes ,
avec toute la facilité imaginable de fub-
»ftituer l'une à l'autre à fon gré , ou de
» devider , en fe jouant , toute la fucceffion
»des Empires & des générations , tantôt
» en defcendant depuis Adamjufqu'à nous,
»> & tantôt en remontant de notre tems
»jufqu'à celui de la création ; petit exer-
» cice auquel on a vû les enfans fe porter
» avec plaifir , & que les Sçavans ont paru
ne pas dédaigner eux mêmes. Tous ont
»marqué quelque furprife de voir la Chro-
»nologie métamorphofée en Chronogra-
»phie ; de voir qu'une fcience de mémoi-
» re , fi froide , liftérile , fi infipide , ſoit
» devenue une fcience amufante , & pour
C
DECEMBRE
. 1753. 109
•
ainsi dire , méchanique , qui parle aux
» yeux & à l'imagination ; un tablean mou-
» vant & animé , où pallent en revûe tous
» les âges du monde ; où chaque homme
» célébre vient le préfenter en fon rang
avec les attributs qui lui font propres ;
» où chaque Prince figure au milieu de fes
»contemporains , & occupe la fcéne plus
» ou moins de tems à proportion de la lon-
» gueur de fon rôle , où le lever & le cou-
» cher des Empires fe font remarquer d'eux-
» mêmes fous une forme fenfible , fans
qu'on ait la peine de s'en faire une étude ;
1)
enfin où tous les événemens mémorables
frappent tellement les fens , s'arrangent
» fi ailément dans la mémoire , s'y impri-
»ment fi fortement , qu'on s'inftruit pref-
>>que machinalement & fans trop y forger .
Nous avons été bien aifes de mettre nos
Lecteurs à portée de juger , par cet échantillon
, du tyle de M. D .; mais après lui
avoir rendu toute la juftice qui lui eft dûe ,
il trouvera bon que nous lui propofions
nos vues pour la perfection d'un ouvrage
qui fait tant d'honneur à fon Auteur , &
auquel le Public prend tant d'intérêt .
Pour la Chronologie ancienne , il a fuivi
le fyftême fuivant lequel Jefus- Chrift eft
né environ l'an 4700 de la création du
monde , fyftême qui prend aujourd'hui
110 MERCURE DE FRANCE.
beaucoup de faveur , parce qu'il fatisfait
à toutes les difficultés. Celui d'Ufferius
qui ne met que 4004 ans depuis la création
du monde jufqu'à l'Ere Chrétienne
eft incomparablement plus difficile à dé-
.fendre ; mais comme il a été fuivi par M.
Boffuet , M. Rollin , & divers autres Auteurs
qui font entre les mains de tout le
monde , nous penfons qu'il feroit fort
agréable au Public que M. D. voulûr pren
dre la peine de dreffer ou faire dreffer fur
fon plan une nouvelle Carte Chronographique
exprès en faveur de ce fyftême ,
& nous croyons pouvoir lui répondre que
celle- ci ne nuiroit aucunement au fuccès
de la premiere.
Nous avons appris avec fatisfaction que
M. D. a nouvellement ajouté à fa Carte
une colomne des Olympiades , qui répandant
une grande lumiere fur l'ancienne
hiftoire Grecque , ne sçauroit manquer de
plaire à tous les gens de Lettres. Mais nous
ne lui diffimulerons point que quoique
des noms Chinois affectent fort peu un
certain Public , on voit à regret qu'il fe
foit contenté d'indiquer fimplement la
durée d'une Monarchie fi confidérable , &
que les bornes de fa carte ne lui ayent pas
permis d'y ménager une place pour cette
fuite de Rois , la plus longue que l'on connoiffe.
DECEMBRE. 1753. TIT
Une autre chofe que le Public attendi
de M. D. c'eſt un abrégé d'Hiftoire univerfelle
conforme à fon plan , pour fervirt
d'introduction à fa Chronographie , ce qui
feroit fort utile fur tout aux jeunes perfonnes
de l'un & de l'autre fexe , qui n'ont
point de maîtres pour les initier dans l'étude
de l'Hiftoire ; c'eft ainfi qu'on a compofé
des Livres élémentaires , ou méthodes
de Géographie pour apprendre à fe fervir
des Mappemondes & autres Cartes Géographiques
. Il faut avouer qu'on n'eft pas
en droit d'exiger, ce nouveau travail de
M. D. , on ne peut que l'en prier & l'y
exhorter.
Nous défiterions encore qu'il voulût fe:
charger de faire faire des affortimens com
plets de petits caracteres , fur le modele de
ceux qui font gravés fur la Carte , avec
lefquels chacun , & fur tout les jeunes
gens , puffent aifément fe donner le plaifir
d'imprimer eux - mêmes de nouvelles .
notes à tous les différens perfonnages qu'ils
rencontreroient fur cette Carte , & à ceux
qu'ils pourroient y ajouter à leur gré, chaeun
fuivant fon inclination ou fes préju
gés , fa profeffion ou fa patrie , ou fuivant
ce qui l'auroit le plus vivement af
fecté dans le cours de fes lectures.
Enfin nous fouhaiterions , que M. D ..
1 : 2 MERCURE DE FRANCE.
pût trouver le moyen de faire monter ſa
Carte feuille à feuille fur des onglets ,
pour relier en Livre , à peu près comme
nos Atlas de Géographie , mais fans que
cela causât une interruption trop fenfible
du fil de l'Hiftoire.
Au reste , on voit qu'il ne s'agit en tout
ceci d'aucune réforme abfolument ellentielle
. La Chronographie de M. D. dans
l'état où il l'a publiée , peut tenir lieu de
beaucoup de Livres ; & plus elle fera connue
, plus on trouvera qu'il eſt difficile de
s'en paffer. Comme c'est un de ces Ouvrages
dont l'utilité ne peut pas diminuer, chaque
fiécle y ajoutera quelque chofe , non feulement
quant au fond , mais probablement
auffi quant à la forme.
ESSAI fur l'Aquitaine. 1753. in - 8 ° .
32 pages.
La naiffance de Monfeigneur le Duc
d'Aquitaine a occafionné l'écrit que nous
annonçons. On y trouvera un précis vif,
exact & ferré des révolutions de cette
grande Province. Elle a été fi long tems
un fujet de divifion entre les Anglois &
les François , qu'on fera bien aife de voir
le tableau de ces fameufes guerres , tracé
par M. l'Abbé Boudot , Auteur de l'Effai
hiftorique..
DECEMBRE . 1753. rry
Louis le Jeune jouit de l'Aquitaine tant
qu'il put vivre avec fa femme ; mais inquiété
par les galanteries , & à la fin convaincu
de fon commerce avec le jeune
Prince d'Antioche , il fentit pen l'intérêt
de la dot , & perdit l'une en renonçant à
l'autre. Il fe fépara d'Eléonore , qui ne
voulut confentir à la répudiation qu'en
confervant le Duché pour elle & les fiens ,
& qui venant après à époufer Henri , Comte
d'Anjou & Duc de Normandie , porta
à l'Angleterre , dont ce Prince devint Roi
à la mort d'Etienne en 1154 , l'Aquitaine
& le Poitou . Il ne fut pas difficile de s'appercevoir
à une conduite fi imprudente de
la part de Louis VII , que Sager n'étoit
plus.
La révolte de quelques Princes n'empêcha
pas Henri II . Roi d'Angleterre , d'en
jouir , & de la donner à Richard Courde
-lion , fon fecond fils , qui lui fuccéda ,
& qui en rendit hommage au Roi de France
. Richard mourut en 1199. Jean - Sans-
Terre , appellé de ce nom , parce que , difent
quelques Auteurs , il n'avoit eu ni
appanage ni établiſſement , quatriéme fils
de Henti II. & par conféquent dernier
frere de Richard L. s'empara de l'Aqui
* Duchefne.
114 MERCURE DE FRANCE.
raine , malgré les droits d'Artus , qui étoit
fils d'un frere amé , & à qui appartenoit
aufli le Royaume d'Angleterre. Jean afſaffina
lui- même ce jeune Prince ; les Bretons
dont il étoit Duc , porterent leurs plainres
à Philippe Augufte , qui cita Jean à la
Cour des Pairs , où il fut déclaré rebelle
faute d'avoir comparu , condamné à mort ,
& les terres furent confifquées. Premiere
confifcation de l'Aquitaine fur les Rois
d'Angleterre , elle fut faite en 1203 .
La destinée de ce Jean Sans- Terre eft
finguliere ; il n'eut rien , dit-on , de for
pere , s'empara de tout après lui , perdit
tout en peu de tems , & fut exhumé. Le
cours de la vie , celui de fon regne , & fa
mort , justifient exactement fon furnem
de Sans- Terre.
Louis VIII . fils de Philippe Augufte ,
& fon fucceffeur au Tiône de France en
1223 , n'éprouva aucune contradiction
pendant le cours de fon regne dans la poſfeffion
de fes terres , & les conferva ; mais
Louis IX . fon fils , dit S. Louis , qui vint
après lui , par un principe furprenant de
délicateffe , & un fentiment de piété dont
on trouveroit peu d'exemples , fe laiffa
aller aux follicitations de Henri III. Roi
d'Angleterre ; ce Prince demanda la levée
de la confifcation faite fur Jean SansDECEMBRE.
1753. TIS
Terre , & en obtint une partie malgré le
Confeil de S. Louis.
Il fe fit un accord entre les deux Rois
en 1298 , par lequel le Roi de France
donna le pays de Guyenne & plufieurs démembremens
de l'ancienne Aquitaine ,
fous la referve d'hommage lige dû au Souverain
Seigneur , en confervant le reffort
& la Souveraineté.
On doit remarquer en paffant , que
c'est à cette époque que quelques Ecri
vains font remonter l'origine de la dénomination
de Guyenne , ce qui eft contraire
à l'opinion de M. l'Abbé de Longuerue
, que nous avons rapportée , &
dont l'examen feroit la matiere d'une Dif
fertation .
Edouard I. fils & fucceffeur de Henri
HI . en 1273. rendit l'hommage à Philippe
le Hardi , comme on en étoit convenu
avec ferment de fidélité accoutumé ; mais
il ne tarda pas à démentir cette démarche ,
& les entreprifes qu'il fit fur différentes
Provinces de la France , irriterent Philippe
le Bel , qui voyant le peu de cas qu'on
faifoit de fes plaintes , faifit le Duché de
Guyenne , & les autres terres poffédées en
Aquitaine ; c'étoit la deuxième confifca
tion fur les Anglois..
Edouard II . fils du précédent , le pre-
C
116 MERCURE DE FRANCE.
mier des Princes d'Angleterre qui ait portě
le titre de Prince de Galles , fuccéda à fon
pere. Philippe le Bel lui donna fa fille Ifabeau
en mariage , & en dot * la Guyenne ,
& les autres parties autrefois abandonnées
à Henri III . Roi d'Angleterre , par le plus
faint de nos Rois , à condition de la polféder
, comme fes prédéceffeurs , en qualité
de Vaffal de la Couronne ; cette ceffion
fut ratifiée par an traité § conclu le 20
Mai 1303.
Charles le Bel , qui parvint à la Cou
ronne de France en 1322 , mécontent d'Edouard
, envoya fon oncle Charles de Va
lois pour fe faifir de la Guyenne , dont
il prit la plus grande partic ; c'étoit ce
même Comte de Valois qui s'en étoit emparé
déja fous Philippe le Bel fon frere ,
fur Edouad I. L'expédition de ce Prince
du Sang fut fuivie d'une tréve , pendant
laquelle Edouard , Prince de Galles , appellé
depuis Edouard III . vint en France
pour rendre foi & hommage de la Goyenne
, & de tout ce qu'il tenoit en Aquitaine
par la ceflion que fon pere venoit de
fui faire cette démarche eur peu ou point
d'effet pour lors , par les difficultés refpectives
; mais enfin deux ans après l'élé-
* Droits du Roi , de Dapuy.
5. Nouv. Abr . Chron , de l'Hift. de France
DECEMBRE. 1753 : 117
vation de ce Prince au trône d'Angleterte
, c'est- à-dire , en 1329. il rendit à Philippe
de Valois ce célébre hommage lige *
détaillé dans nos Hiftoriens.
L'humeur inquiéte & le caractere impétueux
de Robert d'Artois , Prince du Sang,
mécontent d'ailleurs de la perte réitérée &
infamante de fon procès , ne laifferent pas
à cet acte la ftabilité qu'il devoit naturellement
avoir , & furent le principe d'une
prompte & funefte révolution . Ce Prince
retiré en Angleterre , engagea Edouard III.
à déclarer la guerre à Philippe de Valois ,
pour raifon de prétendus droits à la Couronne
de France , dont il connoiffoit luimême
le peu de validité , n'ignorant pas
la force & l'efprit de la Loi Salique .
Certe guerre commença en 1336. On
attaqua quelques places que la France poffédoit
dans la Guyenne ; le Roi d'Angleterre
prit le titre & les armes de Roi de
France , reçut hommage comme Roi de
France , & ces procédés furent le prélude
d'un fiécle entier de guerres , interrompues
à diverfes reprifes par quelques tréves
de courte durée , & des accomodemens
peu finceres , par conféquent jamais
folides.
* Nouv. Abr. Chron, de l'Hiftoire de France,
118 MERCURE DE FRANCE.
La Guyenne avec les autres parties ref
tantes de l'ancien Etat d'Aquitaine , fui
voit pendant ce tems la révolution générale
; & toujours attaquée & défendue , paffoit
alternativement en tout ou en partie ,
de l'Anglois au François , & du François
à l'Anglois.
En 1360. un événement parut devoir
fixer un fort nouveau à ces Provinces ; je
veux parler du fameux Traité de Bretigni,
dont un article contenoit la renonciation
du Roi Jean à la Souveraineté ſur la
Guyenne , & les autres appartenances cédées
par S. Louis ; mais il n'eut point d'exécution,
l'article en queftion ayant été
excepté , par un Traité qui portoit , qu'à
un terme préfix , Jean renonceroit à la
Souveraineté de la Guyenne , & Edouard
III. au titre de Roi de France. Edouard
n'ayant point envoyé à Bruges faire les renonciations
dont il étoit convenu lorfque
Jean envoya porter les Gennes , la
Guyenne , & c. refta dans le même état où
elle étoit par rapport à la Souveraineté ;
mais Edouard refta Duc de cette Province
* .
Le fage Charles V. fucceffeur en 1364
de Jean fon infortuné pere , à la vûe des
* Mém. de l'Acad, des Infcrip . M. Secouffe.
Nouvel Abr. Chron. de l'Hift . de France.
DECEMBRE. 1753 .
impôts excellifs exigés par Edouard, Prince
de Galles , & fur les plaintes des différens
Seigneurs de la Guyenne , dont il avoit
été invefti par fon pere Edouard III, en
1354 , allembla fon Confeil , & après avoir
attentivement délibéré fur le parti qu'il
avoit à prendre , cita le Prince de Galles
au Parlement : ce Prince n'ayant point
comparu , Charles confifqua toutes les terres
qu'il tenoit en France ; c'eft la troifiéme
confifcation de l'Aquitaine fur les Anglois.
Da Guefclin y fut envoyé l'année
fuivante 1369. & reprit avec prefque toute
la Guyenne , le Poitou , la Saintonge , &
plufieurs autres Provinces,
Une de ces tréves paffageres dont nous
avons parlé , qui fut arrêtée quelques an
nées après , ne changea rien aux avantages
de la France : Charles refta dans la poffeffion
des conquêtes faites dans la Guyenne
, malgré les efforts du Roi d'Angleterre
, qui prétendoit toujours à la Souve
raineté de cette Province , mais qu'il ne
vint point à bout d'obtenir .
A la mort d'Edouard arrivée en 1377 ,
un an après celle du célébre Prince de Galles
fon fils , Charles V. fit de nouvelles
conquêtes dans la Guyenne , qu'il reprit
toute entiere , à la referve de Bordeaux.
Charles VI. fon fils , & fon fucceffeur au
1
120 MERCURE DE FRANCE:
Trône en 1380 , la donna en appanage
Charles fon fecond fils , mort en 1400.
enfuite à Louis , Dauphin , pour la tenir
en Pairie , à charge de reverfion à la Cou
ronne à la mort du Roi, qui furvêquir , &
maria Ifabelle fa fille à Richard II. Roi Cha
d'Angleterre , avec qui fut convenue une
tréve de 28 ans . Cette trève ne fut pas
mieux obfervée que beaucoup d'autres ,
l'alliance & l'accomodement n'empêcherent
pas les entreprifes , & fous le prétexte
de je ne fçais quelle donation de la Gayen- ,
ne , faite par Richard au Duc de Lancaftre
fon oncle , on fit des mouvemens &
l'on furprit quelques Villes.
Henri , fils de ce Duc de Lancaftre , fit
mourir Richard , & regna fous le nom de
Henri IV. Son regne qui finit en 1413.
précéda le plus furprenant événement de
notre Hiftoire; ce n'eft pas feulement cette
ancienne Aquitaine devenue Guyenne ,
qui offre une révolution , c'eft l'Empire
François entier qui devient l'héritage de
l'étranger , & que l'on voit fubitement
réduit fous le joug des Anglois , dans la
perfonne de Henri V. fucceffeur de Henri
IV. Le Traité incroyable figné à Troyes
en 1420. en rendant ce Prince gendre de
Charles VI, le fit maître en même tems de
tous les Etats , dont la fucceffion lui cft
afflignée
B
d
DECEMBRE. 121 1755 .
alignée à la mort du Roi de France.
Les deux Rois contractans mourureat
en 1422. à peu de tems l'un de l'autre , &
laifferent deux contendans d'un caractere
& d'une fortune bien différente ; l'un étoit
Charles VII. héritier légitime de la Conronne
de France ; & l'autre Henri VI . enfant
âgé de neuf à dix mois , fils de l'Anglois.
Ce dernier fat proclamé Roi à Londres
& à Paris , & ce coup effrayant pour Charles
, fut le fignal des plus grands & des
plus funeftes démêlés.
Une guerre fanglante conduite par le
Duc de Berfort , tuteur du Roi enfant , &
Régent du Royaume , s'alluma tout - à - coup
au milieu de la France ; le Duc de Bourgogne
& le Duc de Bretagne s'uniffent aux
nouveaux Prétendans ; le parti de Charles
VII. perd deux batailles , effuye une défaite
près d'Orléans , enfin Charles fe voit
accablé de tous les côtés . Ces malheurs du
rerent jufqu'à l'arrivée de cette fille * extraordinaire
, dont la miffion eft encore
auffi équivoque que fes faccès le furent
peu ; tout changea de face dès qu'elle fut
Jeanne d'Arc , dite la Pucelle d'Orléans , dont
M. l'Abbé Lenglet vient de donner la vie ; le feul
Ouvrage concernant la Pucelle , qu'on puiffe lire
vec quelque fruit.
1. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
à la tête des armées . Le fiége d'Orléans fut
levé , & Charles VII . après fept ans de
combats & de revers , fut facré Roi de
France . Les faites de cet événement furent
des victoires , & le facre de Henri VI.fon
concurrent , ne diminua rien de l'affoibliffement
que reffentoient les Anglois depuis
la venue , ou plutôt l'apparition de
cette Heroïne.
La paix fe fit en 1435. à Arras , entre
la France & le Duc de Bourgogne , le plus
puiffant des Princes du parti de Henri VI.
Les conditions n'en furent pas mieux obfervées
que celles de la tréve qui fus conclue
entre le Roi de France & le Roi d'An
gleterre en 1444. La guerre recommença
en 1448. Mais d'habiles Généraux , des
droits inconteftables , & des victoires , apprirent
à l'Europe quel étoit le véritable
Maître en France ; les Anglois furent en
tierement chaffés ; la bataille de Caftillon
en Perigord , gagnée fur le brave Talbot ,
acheva cette étonnante & heureuſe révolution
en 1453. La Guyenne fat réunie à
la Couronne , & n'eut plus de maître étranger
; les Anglois conferverent encore en
France la Ville de Calais , dont Edouard
III . s'étoit emparé en 1347; mais le Duc
de Guife la reprit en 1558.1
Henri VI . alla regner en Angleterte ;
DECEMBRE . 1753. 123
戴
deftinée remarquable : ce Prince né Roi
des Anglois , proclamé Roi de France , fut
chaffé du Royaume de France par Charles
VII. & dépouillé de celui d'Angleterre
par Edouard IV.
Louis XI. par un accommodement avec
fon frere Charles en 1469 , lui donna la
Guyenne & fes appartenances en appanage
. Ce Prince mourut en 1472. fans laiffer
de postérité : depuis lui aucun Prince
n'a été revêtu du titre de Duc de Guyenne
, tous les Rois de France ayant été fucceffivement
& conftamment poffeffeurs
ainfi que propriétaires de certe Province
qui n'a plus été féparée du Domaine de la
Couronne.
>
Les Rois fe voyant maîtres paisibles de
cette partie importante de leurs Etats , &
n'ayant plus à craindre d'être obligés un
jour d'armer pour la conquérir , lui affurerent
une forme fixe. Ils en firent un
grand Gouvernement divifé en fix grandes
Provinces en deçà de la Garonne , & en
douze petites au - delà.
JUGEMENT d'un amateur fur l'expofition
des Tableaux ; Lettre à M. le Marquis
de V *** . Se trouve à Paris , chez
Duchefne , rue S. Jacques. 1753. in- 12
Brochure de 83 pages.
*
Fij
124 MERCURE DE FRANCE:
L'Auteur de cet Ouvrage , où nous
avons trouvé de la modération , n'examine
pas feulement ce que les Artiftes ont fait ,
mais ce qu'il auroit voulu qu'ils euffent
fait. Il s'attache fpécialement à la compofnion
du tableau , & à ce que les Peintres
ont de commun avec les Poëtes.
de M.
LA Grammaire Allemande
Gottſched , Profeffeur de Philofophie de
l'Univerfité de Leipfig , contenant les meilleurs
principes de la Langue Allemande ,
dans un ordre nouveau , & mife en François
, par M. G. Quand nouvelle édition.
A Paris , chez Duchefne , rue Saint Jacques
, 1753. Un volume in - 8°.
Nous avons déja dit que nous avions
trouvé de la méthode dans cette Gram .
inaire.
PRINCIPES de la Grammaire Françoife
,pratique & raifonnée ; par M. l'Abbé
Antonini. A Paris , chez Ducheſne , 1753 .
Un volume in- 12.
Le fuccès de la Grammaire Italienne &
du Dictionnaire Italien du même Auteur ,
eft un préjugé en faveur de l'ouvrage que
nous annonçons.
LES Régles du Médiateur , recueillies
& expliquées pour l'utilité du beau fexe
DECEMBRE . 1753 . 125
& des perfonnes qui n'ont aucune notion
de ce jeu ; par M. V ** . D ** . nouvelle
édition. A Paris , chez Duchesne , rue
Saint Jacques , 1753. Un volume in- 1 2 .
REGLES de vie chrétienne , pour conduire
les ames à Dieu dans tous les états ,
tirées des grands Maîtres de la vie fpirituelle
, & principalement de Saint François
de Sales. A Paris , chez Giffey , rue de
la vieille Bouclerie ; & Bordelet , rue Saint
Jacques , 1753. Un volume in - 12 .
Cet ouvrage puifé dans les meilleures
fources , eft divifé en quatre parties : la
premiere contient les avis & les pratiques
néceffaires pour conduire une ame à la vie
chrétienne , depuis fon premier defir jufqu'à
l'entiere réfolution de l'embraffer.
La feconde contient plufieurs avis touchant
l'exercice des vertus . La troifiéme
contient les avis les plus néceffaires contre
les tentations les plus ordinaires . La
quatrième contient des principes généraux
pour tous les Chrétiens , & des régles
particulieres pour la vie Religieufe , l'état
Eccléfiaftique & autres differens états.
ALMANACH des Curieux pour l'année
1754 , où les Curieux trouveront la
réponſe agréable des demandes les plus di-
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
vertiffantes pour fe rejouir en compa
gnie. A Paris , chez Giffey, rue de la veille
Bouclerie , à l'Arbre de Jeffé.
ETRENNES hiftoriques , ou mêlangecurieux
, pour l'année 1754 , contenant
plufieurs remarques de Chronologie &
d'Hiftoire , enfemble les naillances &
morts des Rois , Reines , Princes & Prin
ceffes de l'Europe , accompagné d'Epoques.
& de Remarques que l'on ne trouve point
dans les autres Calendriers , avec un recueil
de diverfes matieres variées , utiles ,
curieufes & amufantes ; chez le même.
SONGES phyfiques. A Amfterdam , &
fe trouve à Paris , chez Briaffon , 1753 .
Un volume in - 12.
DICTIONNAIRE Apoftolique , à l'a
fage de Meffieurs les Curés des Villes &
de la campagne , & de tous ceux qui fe
deftinent à la Chaire ; par le Pere Hyacin
the de Montargon , Auguftin de la Place
des Victoires , Prédicateur du Roi , Aumônier
& Prédicateur ordinaire du Roi
de Pologne , Duc de Lorraine & de Bar ;
tome V. in- 8°. A Paris , chez la veuve
Lottin & Butard , Berton , Heriffant , Cavelier
, Barbon , de Bure , 1753.
DECEMBRE . 1753. 127
Les fujets traités dans ce volume font la
perféverance , la prédeftination , la priere,
la Providence , le Purgatoire , la Religion
Chrétienne , le refpect humain & le
falur. C'est toujours la même méthode
dans le difcours familier , la même régularité
dans les plans , le même goût dans
les morceaux choifis des Sermons imprimés
ou manufcrits , & des Livres fpirituels.
Nous apprenons que la vente des premiers
volumes a été fi rapide , qu'on commence
à les réimprimer.
Le bon Jardinier , Almanach pour l'année
1754 , en faveur des nouveaux poffeffeurs
de jardins , & qui font bien aife
de fçavoir par eux- mêmes de quelle maniere
ils doivent être cultivés , tant pour l'ornement
que pour le profit. A Paris , chez
Guillyn , Quai des Auguftins , du côté du
Pont Saint Michel.
LES écarts de l'imagination ; Epitre à
M. d'Alembert , de l'Académie Royale des
Sciences de Paris , de la Société Royale
de Londres , & de l'Académie Royale de
Berlin . A Paris , chez Durand , rue Saint
Jacques , 1753. in . S. pp. 63 .
Si quelqu'un trouvoir mauvais , dit
l'Auteur dans fon Avertiffement , qu'u
F iiij
128 MERCURE DE FRANCE.
ne Epitre s'étendît jufqu'à plus de deux
mille trois cens vers , je lui réponds que
» rien ne détermine la longueur de cette
forte d'ouvrage ; il fuffit que la perfon .
» ne à qui on l'adreſſe ait la patience on
» la politeffe d'en foutenir la lecture ; pour
» les autres , ils peuvent prendre confeil de
>> leur humeur & de leur goût... Cet ouvra
» ge eft une espéce de galerie confacrée à la
Littérature & à la Philofophie.... Si cer.
» tains portraits paroiffent longs , ce n'eit
pas du moins pour avoir délayé une idće
» dans un grand nombre de vers , mais
» c'eft que les images font venues en fou-
»
le fe préfenter à mon efprit , & j'ai cru
» qu'elles plairoient toutes , fi elles étoient
» variées & bien rendues. ... Si l'on trou-
» ve dans cette Piéce des chofes plaifantes
» avec des chofes férieufes , c'eft une Epi-
» tre , c'eſt-à- dire que l'on peut y prendre
» la même liberté que dans la converſation ;
& cette variété d'idées & même de
» ftyle pourra peut- être prévenir l'ennui ,
» & dédommager leLecteur de la longueur
» de l'ouvrage.... Si quelquefois il y pa-
» roît un certain défordre , qu'on le fou
» vienne qu'on peut appliquer à l'imagi
>> nation ces deux vers :-
Son ftyle impétueux fouyent marche au hazard ,
Chez elle un beau défórdré eſt un effet de l'Art .
C
}
DECEMBRE. 1753. 129
» Car fi l'on veut , l'on prendra ma
» Piéce pour une Ode de plus de deux
» mille vers , où, comme Pindare, j'ai plus
» loué des Dieux que des Héros.
Cet Avertiffement , dont nous n'avons
copié que ce qui nous a paru avoir un rapport
plus néceffaire avec l'ouvrage , eft
fuivi de l'Epitre ; elle eft fpécialement
confacrée à la louange des grandsEcrivains
de l'antiquité & de ceux de notre âge .
L'Auteur après avoir parlé de tous ceax
qu'il a jugés dignes de fon admiration ,
parle ainfi de lui-même :
L'art de vivre content eft mon unique étude ;
J'ai cherché , j'ai trouvé dans la réflexion
Un fecret précieux , cette rare habitude
De fçavoir fans ennui , comme fans pallion ,
Me plaire dans le monde & dans la folitu le ,
Mêlant à la fageffe un peu d'illufion ..
De quelques beaux dehors que l'homme s'enveloppe
,
Je détourne fon mafque , & je vois le flat eur ,
Le médifant , le fat , l'ingrat , le milantrope ,
L'envieux , l'indifcret , l'avare , l'impofteur. ,
Adiffon , & Cervante , & Théophrafte , & Pope ,
M'ont rendu bon obfervateur ;
Et mon oeil apperçoit avec leur microfcope ,
Un petit verificateur
Qui croit impunément tourmenter Calliope.
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
Lorſque je vois un nain affecter la grandeur ,
Je ris tant de fon air que je tombe en fyncope.
L'un fe croit Adonis , & c'eſt un autre Eſope';
S'il n'en a le bon fens , il en a la laideur.
Je reconnois Phryné , qui jouant la pudeur
De la fidéle Pénélope ,
Se flite qu'un vernis d'honneur
Fera monter plus haut l'enchere de fon coeur.
Un Bourvalais prétend qu'il faut qu'on le reſpecte,.
Parce que fon Commis aſpire à fon état ;
Et tandis qu'à Thémis fa fortune eft ſuſpecte ,
Il veut qu'on le préfere au fçavant Magiftrat.
Malgré le Cuisinier , le Brodeur , l'Architecte ,
Un infecte luifant n'eft pour moi qu'un infecte ,
Que l'approche du jour prive de fon éclat.
Patru fut autrefois l'oracle de la Langue ;
Ce qu'un riche en connoît , c'est qu'il fut indigent
Un Créfus , peu fenfible aux traits d'une harangue,
Eût méprifé Cochin s'il n'eût point eu d'argent :
Argent , or, font deux mots fi doux à fon oreille ,
Qu'il croit que fur le Cid tout jugement eft nul ,
Si de ce que la fcéne a pû-rendre à Corneille
On n'a point eu l'efprit de faire le calcul.
Homére mendiant de village en village ,.
Avec fon Hiade , étoit un hébêté ;
Notre homme en rit tout feul dans fon riche équis
page ;
Et quand du Milantrope encor touttranſporté ,
Je crie à fon oreille , & l'admirable ouvrage !
Il répond qu'à Moliere il n'a rien rapporté.
Sous de faux complimens & de douces paroles ,
DECEMBRE . 1753 .
13x
On cache des vices réels ,
Et l'on veut traiter d'hyperboles
Des vers où je maudis ces penchans criminels.
Ils n'écoutent jamais les cris de la nature ,
Cu leur pitié barbare eſt toujours une injure.
Vos chagrins devant eux n'ont qu'à le dévoiler ,
De ftériles confeils les viennent redoubler.
Ces monftres , fi communs dans le fiécle où nous
fommes ,
Vous content leurs plaifirs pour mieux vous accabler
;
La digeftion feule a droit de les troubler :
Ils mettent la conduite à régenter les hommes ,
Au lieu de les fervir & de les confoler.
Ils feindront de le
méconnoître
A ces traits de leur dureté ;
Mais s'il leur refte un peu de ſenſibilité ,
Ils
m'entendront , fans doute , & rougiront peutêtre.
Auroient-ils donc toujours la forte vanité
D'avoir cru m'amufer d'une fauffe promeffe
Jamais je n'ai pris pour bonté
Une perfide politeffe ;
Je connois trop l'humanité .
Ami de la délicateffe ,
Du goût & de la vérité ,
Je mets dans la vertu la gloire & la nobleffe ;
Prenant pour un tréfor la médiocrité ,
Je détourne mes pas vers ce bord écarté,
Cette fontaine
enchantereffe ,
F
vj
132 MERCURE DE FRANCE.
Où l'on voit folâtrer les Nymphes du Permeſſe ; -
Satisfait & jaloux de ma tranquillité ,
Quelquefois cependant jouet de matendreſſe ,,
De l'éclat des grandeurs je ne fus point flaté.
Soit indifference ou pare fle ,
Soit , fi l'on veut , auftérité ,
Ou peut- être un peu de fageſſe ,
Le riche me pareit lâchement refpecté ;..
Et par fa ftupide fierté ,
Me faifant hair la richeffe ,
Exempt des foins brillans dont il est tourmenté ,..
Je l'abandonne aux maux qu'entraîne la mollelle..
Eprife de fon or & de fa dignité ,
Qu'une foule tempante autour de lui s'empreffe .
Pour tâcher d'adoucir tant de férocité :
Le repos & là liberté
Sontpour moi des tréſors d'une toute autre efpéce ;;
Plus connoiffeur en volupté,
J'ai fait ferment de fuir toute profpérité
Qu'ilfaut payer par la baffle ,
Bornant mes revenus à ma ſeule fanté ;
Certain que la Divinité
N'a jamais confondu le crime & la foibleſſe
Sur l'aile du defir mon efprit emporté ,
S'élance vers l'éternité.
Les paffions de ma jeuneſſe
Sont l'amitié , l'honneur , l'étude & l'équités
Et pourquoi voudroit-on que le Ciel irrité ,,
M'écrafat fous les coups d'une main vengereffe
DECEMBRE. 1753 .
17373
Le regret d'avoir exifté
Ne me troublera point aux jours de ma vieilleſſe,
Mon ame attend du Ciel ce nectar fi vanté ,
Ce nectar d'immortalité ,
Cette délicieuſe yvreffe
Promiſe à la fidélité .
L'humeur plaft - elle aux. Dieux , plutôt que la
gaité ?
Obtient-on le bonheur à force de trifteffe ?
Lorfque rompant le noeud qui le cient arrêté ,
Mon luth peut triompher d'une force étrangere ,
Pour l'aimable vertu qui me fut toujours chere ,
Soudain il fe remonte avec vivacité :
Tel qu'on voit l'air preffé , retenu dans la poudre
Par une étincelle excité ,
Reprendre avec ardeur fon élafticité ,
Imiter quelquefois les effets de la foudre ,,
Oo former un foleil malgré l'obſcurité.
MEMOIRES de l'Académie Royale de
Chirurgie ; tome fecond . A Paris , chez
Delaguette , Imprimeur de l'Académie , ruo
S. Jacques , à l'Olivier . 1753. vol. in 4° .
•
L'Hiftoire de l'Académie Royale de
Chirurgie n'avoit pas encore été donnée
au Public ; on la . trouve à la tête de ce
Volume , où elle occupe 94 pages . M. Motand
, qui en est l'Auteur , nous apprend
que cette Société dut fa premiere inftitu
aon en 173.1 , au zéle & aux foins réunis
734 MERCURE DE FRANCE .
de M. Marefchal , pour lors premier Chirurgien
du Roi , & de M. de la Peyronnie
, qui étoit fon fucceffeur défigné . Perfonne
mieux qu'eux ne pouvoit fentir tous
les avantages d'une Société à laquelle les
obfervations & les découvertes en Chirur
gie feroient rapportées , & où elles feroient
mifes à l'épreuve d'une critique judicieuſe
, avant d'être communiquées au
Public , pour fervir de régles à ceux qui
profeffent un Art auffi intéreſſant pour la
vie des hommes. Ces deux chefs de la
Chirurgie du Royaume concerterent donc
un Réglement que Sa Majefté approuva ,
& qui fut publié fous fon autorité.
L'Académie commence fes Affemblées ;
tout le monde applaudit à un établiſſement
auffi avantageux ; les Etrangers qui en
fentent l'utilité , s'empreffent de communiquer
à cette Société naiffante le fruit
de leurs études & de leurs travaux ; l'Académie
devient le centre où fe réunit
tout ce qu'on penfe , tout ce que l'on fait ,
tout ce que l'on découvre de nouveau en
Chirurgie enfin l'on publie en 1743 let
premier Volume des Mémoires de l'Acadé
mie , M. Quefnay étant alors Secrétaire.
:
La mort de M. de la Peyronnie & les
contradictions que les Chirurgiens effayerent
avant & après cet événement , fur les
DECEMBRE.
1753. 135
arrangemens qu'on avoit pris pour qu'ils
devinflent dorenavant plus inftruits & plus
habiles encore quer par le paffé , retardereat
un peu les progrès de l'Académie :
un fi bel établiſſement ne devoit pas refter
imparfait. M. de la Martiniere ne fuccéde
pas moins à la place de premier Chirargien
du Roi qu'au zéle de fon prédécefdeur
pour l'illuftration de fon art . Sur les
repréſentations le Roi accorde des Lettres
Patentes à l'Académie de Chirurgie , & la
prend fous fa protection immédiate . Ces
Lettres conçues en termes fort honorables
pour les Chirurgiens de Paris , furent données
en 1748 , elles infpirerent une nouvelle
émulation ; enfin la Société Académique
reprit , pour ainfi dire , une nouvelle
vie , par le Réglement que le Roi lui
a donné le 18 Mars 175 1. Ces piéces fondamentales
& la lifte des Académiciens
font rapportées tout au long dans le début
de l'Hiftoire , & y fervent pour cette foisci
de premiere partie ; dorenavant elleen
aura quatre. Elle contiendra : » 1. des
obfervations courres & ifolées que l'on
weft obligé de configner dans les Regif-
>> tres , ou pour donner date aux Auteurs
en par d'autres confidérations . 2 °. Les
titres au moins , & quelquefois les extraits
des Livres publiés par les Académi
ry MERCURE DE FRANCE.
» &
»ciens. 3 ° . Les éloges de quelques Mem
»bres de la Compagnie. 4. Les inftrumens
»& machines qui ayant été préfentés à l'A-
»cadémie , en auront mérité l'approbation .
Tel eft le plan que M. Morand s'eft propofé
pour la fuite des Volumes de l'Académie
, & qu'il a- fuivi - dans celui dont nous
rendons compte.
Le fecond article de l'Hiftoire qu'on
donne aujourd'hui , contient les éloges de
MM. Maréchal , Petit le fils , la Peyronnie ,
& Perit le pere. La vie de ces hommes illuftres
par leur fçavoir, & par les places qu'ils
ont occupées , fe trouve naturellement liée
avec l'hiftoire de l'Académie : ils l'ont fait
naître par leur zéle , & ont beaucoup
contribué à fes fuccès par leurs travaux .
On voit dans l'hiftoire de M. Maréchal ,
un homme qui a commencé l'érude de fa
profeffion avec bien des difficultés ; fon
mérite les lui a fait furmonter , & il l'a
enfin élevé à la premiere place de fon art.
Son pere étoit Officier dans un Régiment
étranger au fervice de la France . Eftropié
à la bataille de Rocroy , il avoit été obligé
de fe retirer ; il vivoit à Calais avec une
fortune médiocre. Le jeune Maréchal n'a
donc pû trouver dans fa famille les ref
fources néceffaires pour une dépenfe honnête
pendant plufieurs années qu'il faut
DECEMBRE. 1753. 1.37
paffer à fuivre les écoles publiques & particulieres
, à fréquenter les Hopitaux , à
accompagner les praticiens accrédités. Son
noviciat en Chirurgie fut plus dur ; il s'affujettit
à un maître de l'Art fous les engagemens
ordinaires , qui ne laiffent
une auffi grande liberté.
pas
L'affiduité du jeune Maréchal à l'Hopi
al de la Charité , fut le principe de fa
fortune. Il s'attira l'eftime des principaux
Chirurgiens de cet Hopital ; il y obtint la
place de gagnant Maîtrife , & l'on ne
Tarda point à lui confier en chef le foin
de cet Hopital , où il avoit acquis de profondes
connoiffances , & exercé fon aft
avec un applaudiffement général ; ce fur
alors qu'il parut dans le Public . Il
y foutint
la bonne opinion qu'on avoit eue de
Jui dans l'Hôpital ; on admira fon habileté
, fa prudence. Plufieurs cures faites avec
fuccès fur des perfonnes diftinguées , le
mirent en grande réputation . Il fut appellé
en 1696 , pour confulter fur la maladie de
Louis XIV, qui avoit un abſcès confidérable
à la nuque . Sa circonfpection & fa modeftie
lui mériterent autant d'applaudiffemens
que les preuves qu'il donna de fon
expérience . Des fuccès conftans à la Cour ,
à la Ville , l'appellerent à la premiere place
, lorſqu'elle vacqua en 1703 , par laz
138 MERCURE DE FRANCE.
mort de M. Felix. Les fervices de M. Ma
réchal lui mériterent fucceffivement les
diftinctions les plus flateuſes. En 1706 le
Roi lui donna une Charge de Maîtred'Hôtel
, & l'annoblit en 1707. Il retrouva
dans Louis XV la confiance dont fon augufte
bifayeul l'honoroit. L'attachement
tendre qu'il avoit pour le jeune Roi , le
rendoit fans coffe tremblant pour des jours
fi précieux. Lorfqu'il donnoit des confeils
fur fa fanté , il oublioit qu'il parloit à fon
maître , & prenoit , f on ofe le dire , le
ton d'un pere qui parle naturellement à
fon fils. Le Roi ajouta en 1723 de nouveaux
honneurs à ceux que Louis XIV lui
avoit accordés ; il le fit Chevalier de S.
Michel. Nous avions oublié , parmi ceuxci
, de rapporter une marque bien fatisfaifante
des bontés du feu Roi pour M. Ma
réchal..
>> En 1709 , le Maréchal de Villars fut
>> bleffé d'un coup de feu au genou droit à
» la bataille de Malplaquet , & fon état
>> étant devenu dangereux , le Roi qui en
Détoit occupé , propofa à M. Maréchal
» d'aller lui - même juger de la bleffure da
» Général. Les nouvelles fâcheufes qui en
>couroient à la Cour , faifoient peine à
M. Maréchal : cependant après quelques
courtes réflexions , il donna fa parole as
DECEMBRE. 1753.
139
>>Roi , qui charmé de le voir partir , l'em-
»braffa , & dès ce moment regarda comme
fure la confervation de ce grand Capitai
ue , que le Ciel deftinoit à raffurer la
» France allarmée.
En fuivant la carriere longue & brillante
que M. Maréchal a parcouru , M.
Morand le repréfente comme un grand
Chirurgien , qui a mérité , à jufte titre , la
haute réputation dont il a joui , & la confiance
fans bornes que des hommes de tous
états ont eu en lui : Rois , Princes , Miniftres
, Prélats , Généraux , Magiftrats , No.
bles , Citoyens de tous les Ordres , gens de
tous pays , avoient reffenti les effets falutaires
de fa main ou fes confeils.
L'affociation de M. de la Peyronnie lui
permettoit de paffer le tems qu'il vouloit
dans fon Château de Biévre. Il alloit , fans :
témoins de les oeuvres charitables , » voirles
payfans , panfer les malades , confoler
les malheureux ; il étoit leur pere ,
»leur Chirurgien , leur confeil & leur ap
»pui : il mourut le 13 Décembre 1736 ..
Dans cet éloge M. Morand a réuffi , fuivant
Les voeux , à rendre le nom de M. Maréchal
refpectable à la poſtérité , par le tableau ,
qu'il a fait de fes vertus & de fes talens .
L'éloge de M. Petit le fils paroît une
expreffion des regrets de l'Académie ; elle
140 MERCURE DE FRANCE.
avoit conçu de grandes eſpérances de cet
Académicien , qu'une mort prématurée enleva
à la Chirurgie le 19 Août 1737
n'ayant pas vingt- huit ans accomplis . H
nâquit en 1710 ; après avoir fait, avec dif
tinction , fes humanités , il apprit l'Anatomie
fous fon pere : celui - ci bien affuré
par le goût qu'il avoit infpiré à fon éleve ,
qu'il embrafferoit fon état , le fit étudier
en Philofophie , & il reçut le grade de
Maître-ès- Arts dans l'Univerfité de Paris
en 1729.
M. Petit s'appliqua enfuite à l'étude des
hautes Sciences , à la Phyfique expérimen
tale , à la Géométrie , aux Méchaniques. I
ne connoiffoit nulle forte de diffipation ,
& n'avoit de goût que pour fon cabinet &
les Hopitaux. Il a été la victime de ſon ap
plication. M. Morand affure qu'il a été
fouvent témoin de ſes diffections à l'Hopi
ral de la Charité . Son ardeur pour l'Ana
tomie le rendoit indifférent fur le choix
des cadavres ; & co fut réellement dans
l'exercice de la diffection , qu'il contracta
une maladie de la peau , qui fut plufieurs.
années à fe diffiper , & qui prit un caractere
plus dangereux à mefure qu'elle difparoiffoit.
En 1730 , M. Petit le fils fut reçu Maî
we en Chirurgie , & nommé en 1734
(
DECEMBRE . 1753 141
Subftitut de fon pere à la place de Démonftrateur
Royal . Il fe trouvoit chargé
par ce nouvel emploi , d'expliquer aux
étudians en Chirurgie , les principes de
leur art , & la théorie des playes , des ulcères
& des apoftêmes . Mais comme l'expérience
eft l'appui de cette théorie , il réfifta
aux inftances que fon pere lui faifoit
de paroître en Public ; il vouloit avoir
puifé dans l'obfervation les leçons qu'il
devoit donner aux autres. Pour cet effet ,
il demanda de l'emploi dans les armées ;
il fit la campagne de 1733 fur le Rhin
en qualité de Chirurgien Aide- Major ; il
fut nommé Chirurgien Major l'année ſuivante
, n'ayant pas encore vingt- quatre
ans. Cette espéce de phénomene étoit bien
capable d'exciter l'envie des Chirurgiens
plus âgés , d'allarmer le foldat , de furprendre
tout le monde : mais nomme-t on
M. Petit le fils ? tout le monde applaudit
au choix du Miniftre. Il a donné quelques
Mémoires à l'Académie , & avoit projetté
plufieurs ouvrages. On aime à voir de la
part de M. Morand , le témoignage qu'il
rend à la fin de cet éloge , à M. Petit le pese
à l'occafion du fils . Celui- ci étoit déjà
>> notre Boerhaave pour la théorie ; il eût
»bientôt acquis la réputation d'un grand
praticien , & parvenu au point de célébrité
42 MERCURE DE FRANCE .
auquel une heureuſe alliance des deux
parties de notre Art le portoir ; on n'eût
»point cherché hors de chez lui des com-
»paraifons pour le louer. Le fils n'auroit
»pû être un jour comparé qu'au pere.
Nous n'infifterons point fur l'éloge de
M. de la Peyronnie . Tout le monde fçait
quels étoient les talens de ce grand Chirurgien
, & jufqu'où a été fon zéle pour
l'illuftration de fon Art & pour le bien public.
Ces deux objets qu'il ne fépara ja
mais , l'avoient toujours occupé , & il leur
a confacré la fortune confidérable que fon
mérite lui avoit fait faire. Reſtaurateur de
la Chirurgie , fondateur de l'Académie ,
& de différentes places de Profeffeurs au
Collège de Chirurgie , on lui devra dorénavant
les progrès que feront les hommes
ftudieux qui cultiveront cette ſcience ; l'efprit
de M. de la Peyronnie revivra en eux
pour l'honneur de la nation , pour le bien
des concitoyens , & le falut de l'humanité ,
dont cet homme illuftre a été & fera à jamais
le bienfaicteur.
Le quatrième éloge eft celui de M. Petit
le pere , par M. Louis. Nous avons parlé
de cet ouvrage en 1750. L'Auteur repréfente
cet homme célébre comme un des
plus grands hommes qu'ait eu la Chitur
gie Françoife ; & le portrait qu'il en fait ,
Σ
DECEMBRE 1753 143
perfuade & inftruit le Lecteur ; la louange
n'eft point recherchée , elle fort du fujet
même , & il prête beaucoup. M. Petit a
eu la plus grande réputation ; il a été appellé
dans les Pays étrangers pour rendre
la fanté à différens Souverains. Ces occafions
font brillantes ; mais M. Louis ne
les croit pas des régles fures , pour juger
du mérite du Chirurgien ; le hazard , la
protection & plufieurs autres circonftances
étrangeres au fçavoir , donnent trop
fouvent de la réputation , pour qu'on ne
la regarde pas comme une marque trèséquivoque
d'habileté . C'eft par les productions
de l'efprit que l'on peut déterminer
avec certitude combien les hommes
qui cultivoient une fcience en ont mérité
telles font les expreffions de M.
Louis. C'eft de ce point dont il part pour
faire connoître les découvertes importantes
que M. Petit a faires dans fon Art . On
ne fçait fi la réflexion préliminaire plaira
à tous ceux qui ont de la réputation , &
qui n'ont point donné de marques permanentes
, par lefquelles on puiffe juger
de la fupériorité qu'on leur croit ; mais
on doit fçavoir beaucoup de gré à M.
Louis , de fe conduire fuivant les principes
qu'il loue , & de travailler avec autant
d'ardeur & de fuccès qu'il le fait pour
144 MERCURE DE FRANCE:
mériter une réputation folide.
Dans la troifiéme partie de l'Hiftoire ,
M. Morand donne l'extrait fuccint de différens
ouvrages publiés par les Académi
ciens , depuis l'inftitution de l'Académie
en 1731 , jufqu'en 1741. La gloire des
Académiciens réjaillit naturellement fur la
Société dont ils font membres . Prefque
rous ces ouvrages ont mérité à ceux qui
les ont compofés le rang d'Auteurs claffiques.
On voit qu'en 1731 M. le Dran a
donné au Public deux volumes d'obfervations
de Chirurgie , & M. Petit un Traité
des maladies des os , en deux volumes , en
1735 ; que M. Verdier a compofé un excellent
abrégé d'Anatomie , fort eftimé des
maîtres de l'Art , & de M. Winflow , le
Prince des Anatomiftes modernes ; que M.
Levacher a publié en 1740 une Differta
tion fur le cancer des mammelles , & M.
le Dran un Traité fur les playes d'armes à
feu ; enfin que M. Lafaye a fait des remarques
importantes fur le cours des opérations
de Chirurgie , compofé par M.
Dionis.
La quatrième partie de l'Hiftoire rend
compte de deux inftrumens approuvés par
l'Académie . L'un eft une espéce de colier
propre pour la faignée de la veine jugulaire
, avec lequel on comprime aifément
le
DECEMBRE.
1753.
145
le vaiffeau pour y retenir le fang , avant
l'incifion que le
Chirurgien doit y faire.
Cette
machine eft de M.
Chabert , Chirurgien
à Paris. La feconde eft une plaque
pour
comprimer
l'artere
intercoftal , &
arrêter le fang qui fortiroit de fa bleffure .
Čet
inftrument a été envoyé par M. Lotteri
, premier
Profeffeur
d'Anatomie dans
l'Univerfité de Turin ,
Chirurgien- Major
des Gardes du Corps du Roi de
Sardaigne ,
&
correfpondant de l'Académie. Les figures
de ces deux inftrumens , de même que celles
qui
compofent les vingt - deux planches
qui entrent dans ce Volume , ont été deſúnées
& gravées avec le plus grand foin ,
par le fieur Ingram , que l'Académie a
choifi pour fon
Deffinateur.
LES délices du fentiment , dédiées à
S. A. S. Madame la Ducheffe d'Orléans .
Par M. le Chevalier de Mouky , de l'Académie
des Belles- Lettres de Dijon. Troifiéme
& quatrième parties. A Paris , chez
Jorry , Quai des Auguftins ; & Duchefne ,
rue S , Jacques. 1753 , in- 12 . 2 vol.
On a lu les deux premieres parties de ce
Roman il y a quelques mois, & on y a trouvébeaucoup
d'imagination ; il nous paroît
qu'il y a des fituations plus neuves dans la
3 & 4 parties qui paroiffent actuellement.
с
1. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
"
LE volume des Tranfactions Philofophi
ques pour l'année 1752 , vient de paroître
; c'est le 47 de cet important Recueil.
Tous ceux aufquels la gloire de la
Chirurgie Françoife eft chere , y verront
avec joye de grands éloges de M. Daviel ;
plufieurs beaux morceaux du célébre M. le
Cat , & un Mémoire de M. Faget l'aîné ,
fi fage , fi méthodique & fi utile , que nous
avons cru devoir en donner une traduc
tion dans le Mercure .
MEMOIRES de Martin & Guillaume
du Bellai - Langei , mis en un nouveau ftyle
, aufquels on a joint les Mémoires du
Alaréchal de Fleuranges qui n'avoient
point été publiés , & le Journal de Louiſe
de Savoye , le tout accompagné de notes
critiques & hiftoriques , & de piéces juſtificatives
, pour fervir à l'Hiftoire du re
gne de François premier. A Paris , chez
Prault l'aîné , Durand , Nyon fils & Guyllin.
1751. in 12. Sept volumes .
Les Mémoires de du Bellai ont toujours
paffé pour un excellent ouvrage. Le style
en dit malheureuſement fi vieilli qu'on ne
les entend qu'avec peine On doit donc
çavoir beaucoup de gré à M. l'Abbé Lambert
de nous en avoir facilité la lecture en
les rajeanitfant . Sa maniere d'écrire eft tel
e qu'elle doit l'être dans des Mémoires ,
DECEMBRE. 1753 .
147
Timple & naturelle ; fes notes font exactes
& remplies de difcuffions néceffaires ; les
pieces juftificativesparoîtront curieufes aux
Sçavans , & à ceux qui fans être fçavans
cherchent principalement la vérité dans
'Hiftoire.. Nous entrerons fur tout cela
dans quelques détails le mois prochain.
ACADEMIE DES BELLES- LETTRES
de Marfeille. 1753 .
L'Académie qui avoit réservé le prix de
l'Eloquence l'année derniere , vient
d'adjuger celui de cette année & celui
qui avoit été réservé ; le premier , à une
Ode ; le fecond , à un Difcours. L'Auteur
de la premiere eft M. Ricaud , de cette
Ville , âgé de dix - fept ans. L'Auteur du
fecond eft le Reverend Pere Delane , Proffleur
de Logique , du Collège des RR,
PP. Jéfuites de cette Ville .
Elle avertit le public que le 25 Août
Fête de Saint Louis , de l'année prochaine
1754 , elle adjugera le prix à un Difcours
d'un quart d'heure , ou tout au plus d'une
demi-heure de lecture , dont le fujet fera:
Le befoin que l'imagination a'de la raison ;
& elle déclare aux Auteurs que tout Dif
cours qui excédera ces bornes , fera par
cette railon feule exclu du concours .
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
On adreffera les ouvrages à M. de Cha
lamont de la Vifelede , Secrétaire perpétuel
de l'Académie des Belles Lettres de
Marſeille , rue de l'Evêché. On affianchira
les paquets à la Pofte , fans quoi ils ne fe
ront point retirés. Ils ne feront reçus que
jufqu'au premier Mai incluſivement .
L'Académie n'exige qu'une feule copie
des ouvrages qu'on lui envoye , mais elle
la fouhaite en caractéres bien lisibles &
point trop menus , & avertit les Auteurs
qu'ils perdent beaucoup quand l'efprit eft
obligé de fe partager entre l'attention
qu'exige une lecture pénible , & l'impref
fion que doit faire fur lui ce qu'il lit.
Cette Académie tint le Samedi 25 Août,
jour de Saint Louis, fon Affemblée publi
que dans la Sale que le Roi lui a accordée
dans l'Arfenal ."
M. Dulard, Directçur , ouvrit la Séance
par un Difcours qui roula fur le fujet de
P'Affemblée , & fur l'injuftice des plaintes
des Auteurs qui ont travaillé fans fuccès
pour les prix des Académies.
On lat l'Ode couronnée , dont le fujet
eft les Loix , & dont l'Auteur eft M. Ri
caud , de Marfeille , âgé de dix -fept ans.
L'Auteur prononça un remerciment en
vers , auquel M. le Directeur fit une couf
te réponſe.
DECEMBRE. 1753. 149
On lut le Difcours couronné , dont le fujet
eft : Qu'il n'est rien de plus dangereux que de
mal placer la gloire , & dont l'Auteur eft le
R. P. Delane , Profeffeur de Logique du
Collège de Belzunce des RR . PP . Jefuites.
M. de Chalamont de la Vifclede , Secrétaire
perpétuel de l'Académie , lut l'éloge
de M. Bertrand , Académicien , mort
dans le cours de l'année derniere.
La Séance fut terminée par la lecture
d'un Poëme , intitulé : Le Sacrifice d'Iphygénie
, de M. Dandré Bardon , Académi
cien , Profeffeur en l'Académie Royale de
Peinture & Sculpture.
L
pour A Ville de Rheims a formé le
progrès des Sciences & des Arts des
établiffemens confidérables , & elle a eu le
bonheur de trouver des hommes d'un grand
mérite pour les diriger. Voici le plan qu'ils
fe propofent de fuivre cette année dans les
leçons qu'ils doivent donner .
.
Le nouvel ordre que M. l'Abbé Jurain
Profeffeur de Mathématique , & Correfpondant
de l'Académie Royale des Sciences , fe
propofe degarder dans les leçons de Mathéma
tique , de Philofophie Françoise & de Phyfique
expérimentale, qu'il donnera dans les Eco-
Les établies à l'Hôtel de Ville de Rheims.
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
Depuis que le renouvellement des
Sciences & des Arts a changé la face de
l'Europe , les Sçavans n'ont ceffé de s'élever
contre l'infuffifance & l'inutilité de
la Philofophie Peripatéticienne , qui malheureufement
avoit fi fort prévalu pendant
les fiécles d'ignorance & de barbarie ,
qu'on ne penfoit plus & qu'on ne décidoit
plus que par fon autorité.
Aujourd'hui que nous avons le bonheur
de vivre dans un fiécle éclairé , où la Philofophie
femble être parvenue à fa perfection
, qui ne croiroit que les formes fubf-
Lancielles , les qualités occultes , les termes
qui ne fignifient rien , ou qui ne préfentent
que des idées vagues , ne fullent
abfolument bannis des Ecoles ? Cependant,
tant il eft vrai qu'un abos invétéré ne peut
fe déraciner qu'avec une difficulté extrê
1
la forme barbare des Scholaftiques
fubfifte encore , & n'a pû être diffipée par
cette politeffe qui caractériſe l'âge où
nous vivons , ni même par les Defcartes ,
les Mallebranche , les Newton , les Loke ,
qui tous nous ont laiffé une méthode bien
plus facile pour parvenir à la découverte
de la vérité.
C'eft aux principes de ces grands hommes
que nous devons une Logique par
faite , courte & exempte de toutes les dif
DECEMBRE. 1753. 151
cultés que renferme celle d'Ariftote ; une
Logique qui n'eft autre chofe que celle
qu'employent les Géométres dans leurs
fpéculations les plus abftraites.
Nous ne fortirons donc point de la deftination
d'un Profeffeur de Mathématique
, en employant environ trois ſemaines
à expliquer à nos Difciples une méthode
fi fimple , fi aifée , & dans laquelle nous
ofons nous flater de répandre quelques
agrémens. Non-feulement les jeunes gens,
mais même ceux d'un âge plus avancé , qui
par leur état font principalement deftinés
à découvrir la vérité , foit dans l'explica
tion des Loix , foit dans les routes obliques
de la chicane , y trouveront des
moyens pour le tirer d'un labyrinthe d'où
l'on atant de peine à fortir.
Sans entrer ici dans le détail des abus
de l'ancienne Philofophie , nous nous contentons
de préfenter les moyens d'y remé
dier ; & pour y parvenir , voici le plan que
nous nous propofons de fuivre dans nos
Ecoles. Nous donnerons tous les jours , à
l'exception des Jeudis & jours de Fêtes ,
trois heures de leçons , depuis deux heures
après midi jufqu'à cinq , & cela à commencer
du ; Novembre de cette année.
Nous employerons pendant dix mois la
premiere heure & demie à expliquer les
G iiij
152 MERCURE DE FRANCE.
régles d'Arithmétique , d'Algebre , toute
la Géométrie élémentaire , tant théorique
que pratique . Nous deftinons la feconde
heure & demie , à enfeigner pendant les
trois premieres femaines environ , la Logique
dont nous venons de parler plus
haut après quoi nous pafferons immédiatement
à des leçons de Phyfique , tant
théorique qu'expérimentale , & nous aurons
le foin de les proportionner aux pro
grès qu'auront fait nos Difciples dans les
Mathématiques ; de forte qu'elles n'en fuppoferont
d'autres connoiffances que celles
que nous aurons données précédemment.
Nous n'oublierons pas pendant ce cours
d'expliquer les queſtions de Métaphysique
qui peuvent être de quelque utilité pout
les differens phénoménes naturels. Nous
tâcherons , à l'exemple de plufieurs Phyſiciens
illuftres , de faire fervir les connoif
fances de la nature à infpirer à nos Difciples
les fentimens de refpect , de crainte ,
d'adoration & d'amour qui font dûs à l'Auteur
fuprême de tant de merveilles. Nous
faifirons l'occafion de leur prouver par
l'ordre admirable qu'on obferve dans les
differens ouvrages
de ce monde , l'exiftence
du fouverain Etre ,fa providence , fon
éternité , fon immutabilité , & tous les
divins attributs.
DECEMBRE . 1753 .
153
En expliquant les differentes propriétés
de la mariere , nous aurons grand foin de
faire fentir, contre les Matérialiftes , qu'el
les n'ont rien de commun avec le pouvoit
de penfer , qui conftitue la nature de l'ame
humaine , & nous prouverons par là qu'elle
eft d'un ordre infiniment fupérieur à
celui du corps qu'elle anime , que par conféquent
elle ne périra point avec lui ; mais
qu'après fa féparation elle eft réfervée pour
recevoir la récompenfe ou la peine de fes
bonnes où de fes mauvaiſes actions , & que
cette récompenfe ne peut être que Dien
même , qui feul eft capable de remplir la
capacité de notre ame.
Pour ce qui eft des autres queftions de
Métaphyfique , nous les négligeons , com
me étant abfolument inutiles .
Ainfi , felon ce plan , nous nous propofons
de donner en dix mois ( outre tout
ce qui regarde les Nombres , l'Algebre , la
Géométrie , la Trigonométrie ) un cours.
complet de Philofophie , le tout en François
, afin que ceux même qui n'ont point
fait d'Humanités , ou qui les ont mal faites,
puiffent en profiter.
On voit par ce que nous venons d'expofer
,, que nous nous appliquerons principalement
à donner une Phylique expérimentale
, & entierement fondée fur lés
›
Gy
154 MERCURE
DE FRANCE.
Mathématiques. Pour cela tous les Samedis
, à commencer à celui qui fe trouvera
le premier non fêté , en Janvier , nous ferons
des expériences publiques , & nous y
joindrons une leçon , qui fera une récapi
tulation de toutes celles que nous aurons
données pendant la femaine.
que
Nous n'infifterons pas fur les avantages
les Etudians trouveront dans notre
Ecole , & qu'ils ne peuvent pas efpérer ail
leurs ; je les récapitule en peu de mors ,
pour les faire fentir.
1º. Une Philofophie Françoife , de laquelle
feront bannies toutes les inutilités
de l'ancienne . 2º. Un cours qui ne fera
que de dix mois , & qui par là épargnera
une année de penfion aux Etrangers . 3 .
Pour ceux de Rheims , une Phyfique qu'on
tâchera de rendre utile pour leur Manufacture
, fans négliger l'utilité qu'elle peut
procurer aux autres Etats. 4. Des élémens
complets de Mathématique. 5. Le peu
de tems que les Etudians feront obligés de
donner à ces leçons , qui ne feront que de
trois heures par jour , & en une feule féance
, ne leur fera pas d'un petit avantage ,
puifque cela leur laiffera la facilité d'af
fifter la matinée aux Ecoles de Deffein ,
où ils pourront apprendre la partie de cet
Art qui aura le plus de rapport à l'état auquel
ils fe deftinent.
pour
C:
DECEMBRE.
155
t
1753
Nous ne nous étendrons pas fur l'utilité
de cette derniere étude. Il fuffit d'avertir
que par le moyen du Deffein on acquiert ,
pour ainsi dire , un nouveau fens , à l'aide
duquel on peut le repréfenter à foi & aux
autres , mille objets nouveaux d'une maniere
auffi utile qu'agréable. En effet chacun
fçait qu'aujourd'hui , tant à Paris que
dans toutes les autres Villes du Royaume ,
où le goût des Arts a pénétré , il n'y a
perfonne , depuis le fimple Artifan jufqu'aux
plus grands Seigneurs , qui ne fçache
manier le crayon.
Nous avertiffons qu'il eft d'une extrême
importance aux Etudians de fe trouver à
l'ouverture de nos Ecoles , ou du moins
dans les premieres femaines , puifque l'intelligence
de nos dernieres leçons dépend
de celle des précédentes.
M. Robert , Profeffeur des Ecoles de
Deffein , établies dans l'Hôtel de Ville de
Rheims , Deffinateur , Graveur en Tailledouce
& en couleur naturelle , avec privilége
du Roi , a fait l'ouverture de fes leçons
Lundi 22 Octobre 1753...
L'empire des Arts eft un monde éloigné
du vulgaire , où l'on fait tous les jours des
découvertes , mais dont on a bien des
relations fabuleuses. Il eft important d'af-
Gvj
155 MERCURE DE FRANCE.
furer les vraies , de prévenir fur les fauffes
, de fixer les points d'où l'on doit partir
, & de faciliter ainfi la recherche de ce
qui refte à trouver . On ne cite des faits , on
ne compare des expériences , on n'imagine
des méthodes que pour exciter le génie à
s'ouvrir des routes ignorées , & à s'avancer
à des découvertes nouvelles , en regardant
comme le premier pas celui où les
grands hommes ont terminé leur courfe."
C'est auffi le but que nous nous fommes
propofés , en alliant aux principes des Arts
l'hiftoire de leur origine.
Nous donnerons une leçon de Théorie
tous les mois , à commencer le premier
Samedi non fêté , en Janvier 1754. Nous
nous propofons de faire un exercice publie
, qui fera une récapitulation de toutes
les leçons que nous aurons données
dant l'année .
pen-
Nous commencerons d'enfeigner les
principes du Deffein , tant la figure humaine
que la ronde - boffe ; les animaux ,
les fleurs , les fruits , le paysage , l'Anatomie
du corps humain ; fçavoir , l'Oftéologie
& la Myologie. Nous enfeignerons les
cinq ordres d'Architecture , la maniere de
lever les plans de toutes fortes de bâtimens,
de faire les deffeins , tant des façades que
des coupes ; en général , tout ce qui eft
1
DECEMBRE. 1753.
157
dépendant de l'Art du Deffein , tant pour
la Serrurerie , la Menuiferie , que les autres
Arts relatifs à l'Architecture.
Noas montrerons à deffiner l'ornement
& toutes les parties de deffein qui peuvent
êrre utiles aux fabriques des étoffes de laine
& de foye , dont le progrès & la perfection
font l'objet principal de cette
Ville.
Nos Ecoles feront ouvertes tous les
jours , excepté les Dimanches , jours de
Fêtes & Jeudis , depuis fept heures du matin
jufqu'à midi , pendant l'été , & depuis
huit heures du matin jufqu'à midi pendant
l'hyver .
Nous avertions que celles de Mathé
matique & de Philofophie Françoife
s'ouvriront aufli à l'Hôtel de Ville le 3
Novembre de la préfente année.
REPONSE de M. le Chevalier de Caufans
à la Lettre de M. Liger.
E Mercure de Novembre m'a appris ,
Monfieur ,que je vous devois une
réponſe , fans quoi je n'aurois pas tant differé
à vous remercier de vos remarques fur
la Quadrature du cercle , que je crois avoir
trouvée. J'avois lû , Monfieur , votre ouvrage
là deffus , & j'ai admiré la fçavante
#58 MERCURE DE FRANCE.
application , & votre patience pour ne
trouver qu'un de difference fur neufmille;
c'en eft encore affez pour vous priver de
l'ufage , puifqu'il faut une parfaite égalité,
comme deux & deux . Je n'ai fuivi ni les
principes d'Euclide ni les numériques ;
j'en propofe d'inconnus & de vrais fur la
Géométrie ; & vous verrez , Monfieur ,
dans mes dernieres réflexions fur la Quadrature
du cercle , qu'il ne tient plus à moi
d'être jugé avec connoiffance de cauſe , &
je ferai bien flaté , fi je puis avoir dans la
fuite votre approbation , que vous ne
donnerez qu'avec tous les Sçavans de l'Europe
. J'ai l'honneur d'être , & c.
A Paris , ce 4
Novembre 1753.
L'on donne avis au Public . que l'im
preffion de l'Hiftoire Univerfelle , com
pofée par le R. P. Dom Auguſtin Calmet ,
Abbé de Senones , qui avoit été commencée
d'imprimer par foufcription dès l'an
1732 , & qui avoit été fufpendue & interrompue
en 1748 , fera inceffamment
remife fous la preffe en cette année 1753 ,
pour que le tome IX en puille paroître
vers la Saint Michel de l'année 1754,
fous la même forme , même papier & mêmes
conditions que les huit premiers
DECEMBRE. 1753
tomes qui font déja imprimés ; à l'exception
que le prix de la foufcription fera de fept livres
de France par volume , & de dix livres
pour ceux qui n'auront pas fouferit. Il en
refte encore fix tomes à imprimer , qui
font actuellement compofés , & qui contiennent
l'Hiftoire Univerfelle Eccléfiaftique
& Civile , depuis l'onziéme fiécle jufqu'à
la mort de Louis XIV . en 1715. C'eſt
Jean-Daniel Dulfecker , Libraire à Strasbourg
, fils de feu le Sieur Jean Renauld
Dulfecker , qui fe charge de la continuation
de cet ouvrage , dont le public a jufqu'ici
ardemment fouhaité la continuation.
On prendra des foufcriptions jufqu'à
la fin de cette année .
LE Sieur Allard , Maître de Mathématiques
, logé au Collège de Navarre , montagne
de Sainte Geneviève , donne avis au
public qu'il enfeigne à prix très-modique
La nouvelle méthode théorique & pratique
d'Arithmétique , d'Algebre & de Géométrie
de M. Gallimard , laquelle méthode
traitée d'une façon finguliere , ouvre une
voie facile & prompte aux Mathématiques,
dont elle énonce clairement les principes
généraux , & produit l'effet que tous les
préceptes qu'elle renferme font du nombre
de ceux que perfonne ne doit ignosce
160 MERCURE DE FRANCE.
pour fon utilité particuliere. Le Sieur Allard
annonce de même qu'il a ouvert audit
Collège de Navarre un cours particulier
de Phylique expérimentale & de Méchanique
, qui formera les répétitions des
fçavantes leçons qu'y donne publiquement
M. l'Abbé Nollet , de l'Académic
Royale des Sciences.
L'AUTEUR des Tablettes hiftoriques ,
généalogiques & chronologiques , invite cenx
qui poffédent d'anciennes Baronies , ou
des Terres érigées en titre de Marquifat ,
Comté , Vicomté & Baronie , de lui envoyer
copie , oa au moins un extrait , des
Lettres Patentes d'érection , avec la date
de leur enregistrement , & d'y joindre des
Mémoires inftructifs fur lefdites Terres &
leurs familles , avec le blazon de leurs armoities
, conformément au plan que l'Auteur
a fuivi. Il prie que ces Mémoires
foient écrits très-lifiblement.
Ces Mémoires feront adreffés , francs
de port , ou à M. de Chafot , ou à M. de
Nantigni , à l'Académie , rue des Canettes,
proche Saint Sulpice à Paris.
M. Philippe de Prétot , Cenfeur Royal ,
ayant depuis peu changé de demeure , croit
devoir l'indiquer à ceux qui voudroient
DECEMBRE . 1753. 166
fe former à l'étude de l'Hiftoire & de la
Géographie. Outre les , leçons qu'il donne
dans les maifons particulieres , il s'est réfervé
de tout tems quelques heures pour
faire chez lui , trois fois par femaine pendant
les trois faifons des Ecoles publiques,
& même davantage lorfqu'il eft nécellaire
, un cours général d'Hiftoire & de Géographie.
Il en commencera inceffamment
un nouveau , qu'il tâchera de rendre aufli
utile que les précédens l'ont été à ſes Auditeurs
, dont il ne fçauroit trop louer l'a
mour du travail , l'affiduité & la complai
fance.
Les perfonnes à qui la propofition de
faire ce nouveau cours feroir agréable ,
auront la bonté de venir au plutôt s'infcrire
chez M. Philippe de Prétot , rue de la
Harpe , où il demeure actuellement , dans
une grande maifon neuve , vis - à-vis la rue
des deux Portes.
QF
162 MERCURE DE FRANCE.
XXI:XI XI SKG ANG SEG DEG DEG OMG O
BEAUX ARTS.
DECOUVERTE du fecret pour fixer
le Paftel & toutes fortes de deffeins aw
crayon .
E fieur Loriot , Méchanicien , déja
Loftur déja
fingulierement par celle du nouveau prin.
cipe applicable à un grand nombre de machines
d'hydraulie & de ftatique , dont il
fe propofe de faire inceffamment les démonftrations
en public , s'eft appliqué avec
un tel fuccès à la recherche da fecret pour
fixer la Peinture au paſtel , fans en aliérec
F'éclat & la fraicheur , & fans tomber dans
aucun des inconvéniens que l'on avoit regardé
jufqu'ici comme inévitables , que
Académie Royale de Peinture & de Sculp
ture , après s'être convaincue de l'excellence
de cette découverte , a pris à ce sujet
la délibération qui fuit.
Extrait des Regiftres de l'Académie Royale
de Peinture & de Sculpture , du Samedi 6
Octobre 1753.
Le fieur Loriot qui a trouvé le fecret
de fixer la Peinture au paſtel, fans tomber
DECEMBRE. 1753. 163
dans le mat , & fans en ôter ni la fleur ni la
fraicheur des couleurs , s'eft préſenté à l'Affemblée
, & lui a montré différentes épreu
ves. L'examen fait , la Compagnie a jugé ce
fecret d'autant plus utile , que fans la moindre
altération , il femble devoir perpétuer
la durée des ouvrages au paftel & des def
feins , dont plufieurs méritent de paller à
la poftérité. De plus , l'Académie attefte
que de toutes les tentatives qui ont pû être
faites jufqu'ici pour découvrir un pareil
fecret , il n'en eft venu à fa connoiffance
aucune qui puiffe entrer en comparaison
avec la réuffite du fieur Loriot , qui paroîtrendre
at dégré de perfection que l'on a
toujours paru. fouhaiter : en conféquence.
de quoi , la Compagnie a chargé le Secréraire
de lui délivrer un extrait de la préfente
délibération , comme un témoignage
de l'estime qu'elle fait de l'excellence de
fa découverte.
Nous , fouffigné , Secrétaire perpétuel de
l'Académie Royale de Peinture & de Sculpture
, certifions l'extrait ci - deffus véritable
; en foi de quoi nous l'avons figné , &
y avons mis le fceau de la Compagnie ,
pour fervir & valoir ce que de raifon ..
Fait à Paris , au Louvre , le huitième jour
d'Octobre 1753. Signé L'EPICLE.
164 MERCURE DE FRANCE
DUFLOS , Graveur exact & facile , demeurantrue
Gallande , à côté de S. Blaife ,
vient de mettre au jour quatre eftampes
de la compofition de l'ingénieux & fécond
M. Boucher . En voici les titres avec les
vers qu'on a mis au bas.
LE BERGER.
Nés pour aimer, nous ne fongeons qu'à plaise,
Si-tôt qu'un jeune coeur allume nos défits ,
L'Amour prend foin d'attendrir la Bergere ,
Et fait notre bonheur en faiſant nos plaifirs.
Contens de quelques fruits & d'un peu de laita
ge ,
Nous fçavons fupporter gaiment le poids dujour;
L'innocence & la paix , voilà notre partage :
En peut- on dire autant à la Ville , à la Cour?
LE SOUFLEUR.
Quel mauvais tour , ami , t'a joué la fortune?
Pourquoi ces yeux hagards , cet affreux défelpoir
P
Ah ,je m'en apperçois , je vois ton infortune ;
Ton creufet renversé détruit tout ton eſpoir.
Pauvre fot , que crains - tu ta reffource eft cer
taine :
Confole-toi ; cet or que tu manque aujourd'hui ,
Demain , grace à l'excès de lá folie humaine ,
Tu le retrouveras dans la bourſe d'autrui.
DECEMBRE 1753 165
LE PESCHEUR.
Pour un esprit fenfé tout doit être leçon ;
Le fujer le plus fimple , un rien , un badinage
Eft fort fouvent , aux yeux du fage ,
Le langage muet qu'emprunte la raiſon.
Lecteur , dans cet enfant qui pêche à l'hameçon ,
Des perfides humains reconnois la conduite ;
Et dans la mort de se poiffon ,
De ton avidité vois la funefte fuite.
LE POETE.
•
Poëtes , qui brûlant du défir de la gloire ,
Voulez du Dieu des Vers mériter les faveurs ,
Et confacrer vos noms au temple de Mémoire ,
Moins remplis de vous-mêmes , écoutez les Cenfeurs.
= Préférez la retraite au fracas de la Ville ;
Sur tout fuyez la table & l'encens des Traitans ;
Et nous verrons alors vos fuccès éclatans ,
Rappeller les beaux jours d'Horace & de Virgile,
LE Sieur le Rouge , Ingénieur , Géographe
du Roi , rue des Grands Auguftins ,
vient de publier une Carte détaillée des
Iles de la Guadeloupe , divifée en vingtdeux
Paroiffes ; grand in-folio . Cette Carte
lui a été adreffée
d'habiles gens
pays , & paroît la plus parfaite de celles
qui ont paru jufqu'à préfent fur cette partie
de l'Amérique,
par
du
166 MERCURE DE FRANCE.
Deux Concerto en huit parties féparées
, pour une flûte traverfiere , quatre
violons , un alto viole , & deux balles
particulieres ; dédiés à la Société Acadé
mique des Enfans d'Apollon ; par M. Bordet.
Premier oeuvre ; prix en blanc , cinq
livres. Gravés par le fieur Hue. A Paris ,
chez l'Auteur , rue du Ponceau , vis - à - vis
la Fontaine , la deuxième porte à droite
en entrant par la rue S. Denis ; & aux
adreffes ordinaires.
PIECES de Clavecin , dédiées à S. A. S.
Mgr le Duc d'Orléans , premier Prince
du Sang : par M. Moyrean, Organifte d'Or
léans . Euvre II. Gravées par Mlle Vandôme.
A Paris , aux adreſſes ordinaires.
LETTRE à l'Auteur du Mercure
E me trouve obligé , Monfieur , par les
circonftances préfentes , de remettre
Tous les yeux du Public l'annonce que je
fui ai fait en 1751 , d'une pendule que le
vent remonte perpétuellement , qui eft de
mon invention.
Pour qu'on le forme une idée plus précife
, j'y ajouterai un extrait du rapport que
Mrs Camus & Deparcieux , Commiffaires
nommés par l'Académie , en ont fait , & le
--DECEMBRE. 1753. 167
Certificat que j'en ai reçu , qui conftate la
vé ritéde ma découverte. J'ai d'autant plus
lieu de vous prier d'inférer le tout dans vo
tre Journal prochain , qu'il me revient de
tous côtés que le fieur le Paute fabrique de
mes remontoirs à vent , & que dans un imprimé
qu'il fait courir , il fait ce qu'il peut
pour en être crû l'Auteur. La liberté avec laquelle
il s'attribue tout ce qu'il penfe pouvoir
s'approprier , me fait craindre que
le Public ayant perdu de vûe ce que j'ai
annoncé à ce fujet au mois de Juin 1751 ,
ne fe familiarife avec l'idée de croire que,
ledit Sieur eft l'inventeur de cette machihe
dont il ne doit la connoiffance qu'à
être venu chez moi pour la voir & l'exa-
- miner , avec le Précepteur des enfans de
Son Excellence le Prince d'Ardore , Ambaffadeur
, qui en vouloit une pour le Roi
de Naples.
EXTRAIT du rapport de Mrs Camus &
- Deparcieux , Commiſſaires nommés par
l'Académie des Sciences , pour examiner une
machine qui remonte feule les pendules par
le moyen d'un courant d'air , inventée &
exécutée par le fieur Leplat , Maître Horloger
à Paris , le 30 Janvier 1751 .
Après avoir fait un détail de tous les
moyens que les Horlogers ont employés
168 MERCURE DE FRANCE.
jufqu'à moi pour remonter des Pendules à
poids , ces Meffieurs paffent à ma machine
, & voici ce qu'ils en difent.
Après ce qu'on a fait pour remonter les
pendules à poids par le moyen d'un reffort
, &c. on le pouvoit faire par le moyen
de l'air , & c'eft ce moyen que M. Leplat
a choifi
pour remonter la fienne. 11 place un
moulinet à fix ou huir aîles , inclinées comme
celles d'un moulin à vent, dans un tuyan
horisontal , dont une ouverture eft hors de
la chambre , & dont l'autre ouverture et
dans le tuyau d'une cheminée fermée par
en bas ; l'axe de ce moulinet porte un pignon
qui engrenne dans une roue premiere
; le pignon porté par l'axe de cette premiere
roue , engrenne dans une feconde
roue , & ainfi de fuite jufqu'à une quatriéme
roue , dont l'axe porte une poulie
garnie de pointes dans fa gorge ; & com
me le moulinet tourne pour peu que l'air
circule dans le tuyau , la poulie qui eft fur
T'axe de la quatrième roue tourne auffi , &
remonte par conféquent le poids , par le
moyen d'une corde fans fin.
Pour empêcher que le vent ne monte
le poids plus qu'il ne faut , M. Leplat a
pratiqué au plus haut où le poids peut alder
, une bafcule , que le poids fait lever
lorfqu'il y arrive ; cette bafcule tire une
petite
DECEMBRE. 1753. 169
petite vanne ou foupape , qui ferme le paffage
du tuyau , & empêche l'air d'agir fur
le moulinet.
Cette machine de M. Leplat nous a pari
bien imaginée , & utile pour ceux qui craignent
d'oublier à remonter lears Pendules
, ou qui veulent s'en éviter la peine.
Le 30 Janvier 1751 , à l'Académie .
Camus &
Deparcieux.
COPIE DU CERTIFICAT DE L'ACADE'MIE.
Extrait des Regiftres de l'Académie Royale
des Sciences , du 30 Janvier 1751 .
" Meffieurs Camus & Deparcieux qui
avoient été nommés pour examiner une
machine pour remonter les Pendules par
Le moyen d'un courant d'air , propofée par
M. Leplat , Horloger , en ayant fait leur
rapport ; l'Académie a jugé que cette machine
étoit bien imaginée , & utile pour
ceux qui craignent d'oublier à remonter
leurs Pendules , ou qui veulent s'en éviter
La peine en foi de quoi j'ai figné le préfent
Certificat. A Paris , le 3 Février 1751 .
Grandjean de Fouchi , Secrétaire perpétuel
de l'Académie Royale des Sciences.
Voilà , Monfieur , ce que je vous prie
de vouloir bien inférer dans votre Journal
prochain. J'ai l'honneur , &c. Leplat.
A Paris , le 15 Novembre 1753 .
1.Vol. H
170 MERCURE
DE FRANCE
J'
Lettre à l'Auteur du Mercure.
' Ai lû , Monfieur , avec le dernier éton
nement , dans votre Mercure de Septembre
1753 , que le fieur Lepaute , Hor
loger au Luxembourg , y annonce comme
de fon invention , un nouvel échapement
de montres & de pendules , qu'il dit avoir
eu l'honneur de préfenter au Roi & à l'A
cadémie.
Il m'importe trop , pour l'intérêt de la
vérité & celui de ma réputation , de rèvendiquer
l'invention de cette méchanique ,
pour garder le filence fur une telle infidé
lité.
l'in
H eft vrai que le 23 Juillet dernier ,
dans la joye de ma découverte , j'eus la
foibleffe de confier cet échapement au fieur
Lepaute , pour en faire ufage dans une
Pendule que M. de Julienne lui avoit
commandée , & dont il m'affura que
térieur ne pourroit être examiné de per
fonne, parce qu'il y adaptoit le remontoir
à vent, qu'il avoit , dit- il , imaginé , & que
lui feul auroit la clef de cette Pendule,
Mais pouvois-je me perfuader que le fieur
Lepaute fe mit jamais en devoir de s'ap
proprier cet échapement , qu'on voit que
je lui confiois fous le fceau du fecret ?
DECEMBRE. 1753. 171
9
accorder
Je ne veux point furprendre le Public
& mon intention n'eft pas de le ranger de
mon parti fur mon fimple expofé ; mais je
le fupplic inftamment de ne pas
plus de créance au Geur Lepaute , jufqu'à
ce que l'Académie ait prononcé entre nous
deux , en décidant lequel eft l'auteur du
nouvel échapement,
Le fieur Lepaute femble vouloir éluder
tout éclairciffement , en déclarant que fon
échapement , que je n'ai pas vû , ne ref
femble point au mien ; mais fur l'annonce
qu'il en fait dans le Mercure , je juge qu'il
y eft en tout conforme pour le principe
& files Commiffaires que l'Académie nommera
pour nous entendre contradictoirementy
trouvent des différences , elles ne
viendront que de quelques vices de conftruction
, qui aideront à déceler le plagiaire.
Je ne mets au jour aucunes de mes preuves
, il faut que nos Commiffaires les re
çoivent dans leur premiere force ; ainfi
quoique dife ou écrive contre moi le fieur
Lepaute , je garderai un profond filence
jufqu'à ce que l'Académie foit éclaircie
& qu'elle ait prononcé.
Le Public judicieux voudra bien attendre
ce moment ; j'efpere cette grace de fon
équité , & de la protection qu'il donne
Hij
17 MERCURE DEFRANCE,
que
anx Arts. J'ofe me flater , Monfieur ,
vous voudrez bien inférer cette Letire
dans votre prochain Journal . J'ai l'honneur
d'être , & c.
Caron fils , Horloger , rue S. Donis ,
près Ste Catherine.
A Paris , le 16 Novembre 1753 .
La nouvelle méthode du fieur Royllet ,
Expert vérificateur des écritures , rue de
la Verrerie , le perfectionne encore ; elle
devient tous les jours plus fure & plus
commode. Ceux qui voudront avoir fur
cela des détails , peuvent s'adreffer à l'Au
teur , en affranchiflant leurs Lettres.
RECIT DE BASSE.
PERERE du jour , flambeau de la Nature ,
Viens mûrir nos raifins par tes rayons brûlans :
C'eſt Bachus qui nous rend contens ,
Il adoucit les maux qu'an tendre Amant endure.
Je redoute , Plutus , ton éclat fatueux ,
Il fait les malheurs de la terre ;
Quand j'ai du vin je ne fais plus de voeux ;
Tous les plaifits font dans mon verre.
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DECEMBRE . 17537
178
SPECTACLE S.
L'AC
' Académie Royale de Mufique donna
le Novembre un Interméde nouveau
, intitulé : Bertholde à la Cour. Cet
Interméde a beaucoup réuffi , & c'eft peutêtre
de tous ceux qu'on a donnés jufqu'ici,
celui qui a eu le fuccès le plus général &
le plus marqué. Bertholde eft un payſan ,
qu'un Roi fait venir à la Cour : le Prince
devient amoureux de la femme du fils de
Bertholde ; cependant faifant un effort fut
lui-même , il renonce à cet amour , & renvoye
dans leur village Bertholde & fa famille
, qui ne demandoient pas mieux. Let
Poëme n'eft pas mal écrit , & plufieurs
Ariettes le font très- bien ; l'action offre
d'ailleurs affez de jeu de Theatre . La Mufique
eft de M. Ciampi , & on y a ajouté
plufieurs Ariettes de differens Maîtres
On peut dire qu'il n'y a aucune de ces
Ariettes qui ne foit agréable , que plu
hieurs le font beaucoup , & que quelquesunes
font fublimes . De ce dernier nombre
font entr'autres les Ariettes : Quando s'incontrano
per la Citta , & quando fento fpirar
mi ful volto , du premier Acte , & l'Ariette
Ariveder ritomo , du fecond Acte , qui
Hij
174 MERCURE DEFRANCE.
a été applaudie avec tranfport. Les Ariettes
Con liberta l'aquella , cofi fuggi ſpaventoſa ,
la Donna onorata , ahi , ahi , non faro più ;
' le trio du premier Acte & le quatuor du
fecond ont auffi été extrêmement applaudis.
Il ne paroît pas poffible de pouffer
plus loin l'expreffion , la vérité , & en
même tems l'agrément du chant & de la
mélodie , que le Muficien l'a fait dans ces
differens morceaux. L'Interméde en général
a été bien exécuté . M. Guerrieri y adonné
des preuves des progrès rapides
qu'il a faits en pea de tems dans la maniere
de chanter ; M. Manelli a mis beaucoup
de vérité , de jeu & d'expreffion dans
fes Ariettes ; Mlle Tonelli l'aînée a chanté
les fiennes avec beaucoup de fineffe &
de graces , & Mlle Tonelli la cadette a
très- bien joué le rôle du petit Paysan. On
a applaudi dans Mlle Lepi la légereté , la
franchife & la netteté de fon chant , ainfi
qu'on l'avoit déja fait dans les Artifans de
qualité , où elle avoit beaucoup brillé..
Les Comédiens François ont remis au
Théatre le Dimanche 28 Octobre le Mercure
Galant , Comédie de Bourfaut , en
vers & en Scenes épifodiques. Cette piéce
étoit originairement en cinq Actes , maintenant
elle eft réduite à quatre , & l'on a
DECEMBRE. 1753 . 175
jugé néceffaire de fupprimer plufieurs Scenes
qui avoient toujours paru languiffanres
. M. Préville y a joué fix rôles differens
; fçavoir au premier Acte , celui de
Boniface Chrétien, Imprimeur , qui apporté
un nouveau projet de Billets d'enterrement.
Au fecond , celui d'un Gentilhomme
campagnard , qui dans la crainte d'être
Cocu rompt un mariage , qu'il étoit fur le
point de conclure . Au troifiéme ', celui de
ta Riffole , foldat yvre ; & au quatrième ,
ceux d'un Petit- Maitre , Muficien ; d'un
Procureur au Parlement , & d'un Abbé Poëte
, à qui on donne le nom de Beau-génie.
M. Préville a eu un grand fuccès dans tous
ces differens rôles ; les Scenes où il s'eft le
plus diftingué font celles de la Riffolle &
de l'Abbé Beau -genie.
Les Comédiens Italiens ont été à Fontainebleau
, & n'ont point joué de tout le
mois à Paris.
CONCERT SPIRITUEL .
*
IE
E Concert Spirituel du jour de la
Touffaint commença par une fymphonie
del Signor Giuſeppe Pla . Enfuite
Deus meus , Motet à grand choeur de M.
Cordelet , dans lequel Mad. Davaux chanra
le récit , Venite & videte opera Domini ;
Hiiij.
176 MERCURE DE FRANCE:
Mad. Vincent chanta Paratum cor meum ,
Spera in Deo, deux morceaux tirés des petits
Motets , avec accompagnement de Clavecin
, du cinquième oeuvre de M. de Mondonville
. M.Canav joua feul . Le Concert
firit par Deprofundis , Motet à grand cheur
de M. Mondonville ; M. Albaneze chanta
Je récit de deffus , Quia apud Dominum.
Meffieurs Benoît , Poirier & Malines chanterent
dans les grands Motets..
Les Novembre on donna par extraor
dinaire un Concert Spirituel , où M.
Caffarelli chanta . Le public qui defiroit
vivement de l'entendre , fit dès qu'il le vit
éclater fa joie par des applaudiffemens redoublés
. Il chanta deux Ariettes , dont la
premiere fur tout fut extrêmement goûtée.
On admira l'art & le goût de fon chant ,
fa prodigieufe exécution , la beauté & la
douceur de fes tenues , la fineffe & la fcience
de fes points d'orgues , & l'on rendit
avec tranſport tout l'hommage dû à ſon
prodigieux talent & à fa grande réputation.
B9
DECEMBRE. 1753 177
窭洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗
NOUVELLES ETRANGER ES.
DU LEVANT
DE CONSTANTINOPLE , le 24 Août.
Elon les nouvelles qu'on reçoit de Perfe , ce
Royaume eft toujours en proye aux horreurs
de la guerre civile . Trois nouveaux Compétiteurs
difputent la Couronne au Prince Héraclius. Le
plus puiffant eft le Souverain des Aghuáns , qui a
fait une invafion dans la Perſe avec une armée de
quarante mille hommes . Un autre Prince nommé
Jachy- Kan dont les Etats font dans l'Inde , eft auffi
entré dans le Royaume à la tête d'un nombreux
Corps de troupes . Karini - Kan , Seigneur Perfan ,
s'eft formé un parti confidérable , & il eft actuellement
maître d'Ifpaham.
DU NORD.
DE PETERSBOURG , le 9 Octobre.
Selon les dernieres nouvelles de Mofcou , le
Comte Daniel Jefremow , Hettman des Cofaques
du Don , a obtenu la permiffion de fe démettre de
cette dignité en faveur du Comte Etienne Jefremow
fon fils .
Sa Majefté Timpériale , pour favorifer la Fabrique
de chapeaux établie dans cette Capitale , a
mis une forte impofition fur ceux qu'on tire de
P'Etranger.
H
178 MERCURE DEFRANCE
DE STOCKHOLM , le 21 Octobre.
Le 8 de ce mois , à cinq heures & demie du ſoit,
la Reine accoucha d'une Princeffe . Le 20 , l'Archevêque
d'Upfal lui adminiftra le Baptême , étant
affifté des deux premiers Chapelains du Roi , de la
Noblefle de tous les Ordres de l'Etat , & des Miniftres
Etrangers Cette Princefle a été nommée
Sophie-Albertine . Elle a eu pour parreins le Margrave
Frederic- Guillaume de Brandebourg-
Schwedt , le Prince Georges de Holftein - Gottorp,
le Duc Régent de Brunfwic , le Prince Frederic-
Augufte d'Anhalt Zerbft ; & pour mareines la
Princeffe Amélie de Pruffe , la Princelle Anne de
Holftcin , la Princefle Guillelmine de Heffe- Caffel,
époufe du Prince Henri de Pruffe , & la Princeffe
Ultique de Helle - Caffel , époufe du Prince Evê
que de Lubeck .
Ces jours derniers , le Marquis de Puentes
Fuerte , Envoyé Extraordinaire de Sa Majefté Ca
tholique , a eu fa premiere audience du Roi. Le
Baron de Sacken , nouveau Miniftre du Roi de
Pologne Electeur de Saxe , arriva le 7 de Drefde
avec la Comteffe ſon épouſe.
DE COPENHAGUE , le 5 Octobre.
Depuis quelque tems , les Négocians de diffe
rentes Villes de Norwege faifoient venir dans
des tonnes qui n'avoient pas la jauge preferite par
les Ordonnances , la plupart des marchandifes
qu'ils tiroient d'Allemagne. Ils fe fervoient enfuire
de ces mêmes tonnes pour envoyer plufieurs efpéces
de denrées à l'étranger. Le Roi voulant remé
die à cet abus, vient de donner un Edit, par lequel
DECEMBRE . 1753 . 179
défend à fes Sujets , fous des peines très - rigoureuſes
, de commettre de pareilles fraudes .
La maladie épidémique qui regnoit en Dannemarck
parmi les beftiaux , ayant enfin ceflé , le
Roi a levé les défenfes de tenir des marchés de bêtés
à cornes. Il paroît une autre Ordonnance , par
laquelle Sa Majesté menace de peines très -feveres
toutes les perfonnes qui joueront les jeux de hazard
, ou qui permettront qu'on les joue dans leurs
maifons. Pour mieux affurer l'exécution de cette
Ordonnance , le Roi promet aux Délateurs , quand
même ils feroient du nombre des Joueurs qu'ils
dénonceront , la moitié de l'argent qui fera faifi ,
& le quart des amendes aufquelles les contrevenans
feront condamnés.
Le Prince dont la Reine eft accouchée le
de ce mois , fut baptifé le même jour par M.
Bluhm , Premier Prédicateur de la Cour. Suivant -
l'ufage établi dans la Maiſon Royale , le Roi tint ,
avec la Reine Douairiere , le Prince fur les Fonts.
Leurs Majeftés l'ont nommé Fréderic :
On publia le 22 une Ordonnance qui interdit
tout commerce avec l'Eſpagne . L'Abbé le Maite
eft parti le 20 pour retourner en France . Il réfidoit
ici depuis quatorze ans , en qualité de Miniftre du
Roi Très- Chrétien .
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 1313 Octobre
.
Le Comte de Firmian' fe prépare à partir inceffamment
pour aller réfider à la Cour de Naples
en qualité de Miniftre Plénipotentiaire de leurs
Majeftés Impériales. On aflure que le Prince Efterhafi
fera chargé d'une commiffion auprès du
Roi de Portugal.
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
Georges Chrétien , Prince de Lobckowitz ;
Frince de l'Empire , Feldt Maréchal des Armées
de l'Impératrice Reine , Commandant en chef
dans le Royaume de Hongrie , Colonel d'un Régiment
de Cuiraffiers , & l'un des Chevaliers de fa
Toifon d'Or qui font en cette Cour , mourut le
à Prefbourg , dans la foixante -huitième année
de fon âge . Il étoit fils de Ferdinand- Augufte-
Léopold , Duc de Sagan , Prince de Lobckowitz ,
Chevalier de la Toifon d'Or , Confeiler d'Eta
des Empereurs Lérpold & Jofeph , leur principal
Commiflaire à la Diéte de Rat: fbonne , & Grand-
Maître de la Maifon de l'Impératrice Wilhelmine-
Amélie , mort le 3 Octobre 1715 ; & de Marie-
Anne Guillelmine , fille de Guillaume Margrave
de Bade Baden. Le Feld- Maréchal Prince de
Tobckowitz avoit d'abord embraffé l'état Eccléfiaftique
, & en 1703 il avoit été pourvû d'un Cănonicar
de l'Eglife Métropolitaine de Saltzbourg.
La Maison de Lobckowitz prétend venir de Lo.
becz , qui vivoit dans le neuviéme fiècle. Vers la
fi du quatorziéme , Jean de Lobkowitz , Seigneur
de Zazada , étoit Grand Maître de la Maifon
de l'Empereur Vinceflis , Roi de Bohéme.
Zdenco- Adalbert de Lobckowitz fut élevé en
1624 à la dignité de Prince de l'Empire par Ferdinand
II.
Le Vicomte d'Aubeterre , nouveau Miniftre da
Roi Très-Chrétien , arriva le 19. Il eut fes premieres
audiences le 20 de leurs Majeſtés Impériales
, le 27, des Archiducs , & hier des Archidu
Cheſſes.
DE BERLIN, LE 13. Octobre .
He Bailli de Froulay , Ambaffadeur de la Rel
Sa
Rea
I
30
*
DECEMBRE. 1753 . 181
gion de Malte auprès du Roi Très - Chrétien ,
ayant terminé la commiffion dont le Grand- Maitre
l'avoit chargé auprès du Roi , il eut le s de ce
mois à Potsdam- fon audience de congé de Sa Majesté.
Le 8 il prit congé des deux Reines & de-la
Famille Royale. Il partit avant - hier pour retourner
à Paris . Cet Ambaffadeur s'eft attiré l'eſtime
générale de la Cour & de la Ville . Le Roi lui a
Fait préfent de fon portrait enrichi de diamans.
Sa Majesté a jugé à propos de réduire à trois
pour cent les intérêts des Capitaux hypothéqués
fur les revenus de la Principauté d'Ooft- Frife. Les
Rentiers qui ne voudront pas accepter cette ré
duction , recevront leurs rembourfemens . La Cour
a envoyé fes ordres à la Régence d'Embden ,
conféquemment à cette réfolution .
DE HAMBOURG , le 12 Ottobre.
A la fin du mois dernier , les Garçons Tailleurs
fe fouleverent ici contre leurs Maîtres , & voulurent
les obliger d'augmenter leur falaire . La Régence
fit arrêter plufieurs des mutins . Les autres
prirent la fuite , & fe retirerent à Altena . Avant-
Hier , érant revenus en grand nombre , ils fe raffenblerent
tumultueufement , & ils demanderest
qu'on rendît les prifonniers en liberté. Comme il
étoit important de réprimer une pareille audace ,
les Magiftrats les firent envelopper par un Déta
chement de la garnifon . En même tems on procéda
au jugement de ceux qui étoient détenus
dans les prifons & ils furent condamnés à un ban
neffement perpétuel . On annonça enfuite cette
nouvelle à ceux qui étoient revenus d'Altena , &
on leur déclara qu'ils feroient traités de la même
maniere s'ils ne rentroient dans leur devoir. Cen
182 MERCURE DEFRANCE.
fermeté leur ayant impofé , ils ont pris le parti de
la foumiffion . Ceux qui font bannis ont été conduits
ce matin hors de la Ville. Leur nombre
monte à quatre- vingt- quatre.
DE HANOVRE , le 25 Octobre.
La féchereffe qui a regné tout l'été dans cet
Electorat , a fait baiffer tellement les eaux de la
riviere , que les bateaux chargés de marchandifes
out de la peine à la remonter . Pour éviter à l'avenir
un femblable inconvénient , on doit conftruire
une ou deux éclufes à l'endroit où la Leine fa
jette dans l'Ahler .
DE MANHEIM , le 11 Octobre.
Le Baron de Zuxmantel , nouveau Miniſtre
du Roi de France , eſt arrivé de Paris , & il doit
avoir aujourd'hui fes premieres audiences de leurs
Alteffes Electorales. Hier la Cour eft revenue
de Schwetzingen.
Il paroît une Ordonnance , par laquelle l'Electeur
bannit de fes Etats tous les Alchimiftes & les
prétendus Adeptes.
ESPAGNE.
DE FARO , le 29 Septembre..
Le Navire Etranger qu'un Bâtiment Catalan a
rencontré flotant au gré des ondes , & qu'il amena
le 18 du mois dernier dans ce Port ; eft celui du
Capitaine Heron , Irlandois. Ce Capitaine , fon
Pilote , trois Paflagers & quatre Matelots ont
été maffacrés par le refte de l'équipage . Les meur
DECEMBRE. 1753 183
criers , après avoir commis cette horrible action ,.
fe laifirent des principaux effets qui étoient à bord
du Bâtiment , & ils fe mirent dans la Chaloupe ,
pour aborder en quelque endroit de la côte d'Efpagne.
A l'entrée de la riviere d'Huelva , ils dé-
Couvrirent un Navire qui étoit à l'ancre , & ils
tenterent de l'enlever. Les habitans du Village de
Moguar étant accourus en grand nombre au fecours
de ce Bâtiment , firent ces fcélérats pri
fonniers.
ITALI E
DE ROME , le 16 Octobre.
Plufieurs Familles Catholiques d'Albanie ayang
relolu de s'affranchir de la domination des Turcs ,
ont fait demander au Pape la permiffion de
venir s'établir dans l'Etat Eccléfiaftique ; Sa Sainteté
a reçu favorablement leur requête , & a char
gé une Congrégation d'examiner quel endroit
on pourra leur affigner pour leur habitation : On
croit que le Gouvernement les enverra dans le
Duché de Caftro . Elles jouiront de diverſes exemp
tions pendant plufieurs années. Le Député qu'el
les ont envoyé ici eft défrayé par la Chambre
Apoftolique.
Les Miffionnairės établis au Grand - Caire ont
informé la Congrégation de Propaganda Fide , que:
le nouvel Empereur d'Ethiopie leur a écrit dans
les termes les plus favorables. Ce Prince leur té
moigne par fa lettre beaucoup d'horreur pour la
tyrannie que fon prédéceffeur ezerçoit contre les
Chrétiens . I invite ces Miffionnaires à lui epvoyer
quelques- uns d'entre eux , & il promet de
Jeur accorder toute la protection qu'ils pourron
S4 MERCURE DE FRANCE.
défirer , Sur cette affurance , le Supérieur des Miffions
a fait partir trois Religieux qui parlent foft
bien l'Arabe . Ils font chargés de divers préfens' ,
qu'ils doivent remettre à l'Empereur & à tes Miniftres:
Cette nouvelle a fait un plaifir infini dans
Cette Capitale , & le Pape prend des mefures pour
mettre àprofit une fr heureufe circonftance .
DE LA BASTIE , le 20 Octobre.
Gafforio , le Chef le plus renommé parmi les
Rebelles , fut tué le 3 de ce mois d'un coup de
fufil en paflant fur un pont , au fortit d'un jardin
qu'il avoit près de Corte . Au même inſtant , un
homme qui étoit avec lui fut atteint d'un pareil
coup , dont il mourut un quart d'heure après. Plu
fieurs particuliers & des Piéves entieres fupportoient
impatiemment la dureté du commandément
que Gafforio s'étoit arrogé , & les exactions
continuelles qu'il exerçoit . Il s'étoit renda für
tout odieux à la famille des Romeï , qui font en
grand nombre à Corte , & il venoit d'irriter encore
plus leur haine par une nouvelle vexation .
Depuis peu il avoit fait mettre en prifon le fils
d'un d'entr'eux , pour obliger le père de lui fournir
les matériaux dont il avoit befoin pour une
maifon qu'il faifoit bâtir. Ses adhérens ont cru devoir
imputer la mort à cette famille . Ils lui ont
fait éprouver les effets de leur reffentiment , par la
dévaftation de la plupart des biens qu'elle pofléde
, & par l'embralement de les habitations . Deur
des Roinei font tombés entre leurs mains , & ont
déclaré dans les tourmens que le frere même de
Gafforio étoit entré dans le complot formé contre
ce rebelle. Sur cette dépofition , le frere a été ar
fêté & entermé avec les deux autres dans le
DECEMBRE. 1753. 185
Château de Corte, On préfume cependant que la
vie leur fera confervée , tant parce que leurs ennemis
, en la leur Stant , craindroient de s'expofer
à un trop grand danger , que parce qu'aucun des
trois prifonniers n'a été exécuteur du meurtre , &
n'y a même été préfent . Ceux qui l'ont commis
s'étant refugiés à Calvi , le Gouverneur en a informé
le Marquis de Grimaldi . Auffi tốt ce Cordmiflaire
Général lui a envoyé ordre de les faire
fortir de la Ville , & d'en ufer de même à l'égard
de tous ceux qui feront foupçonnés d'être leurs
complices,
Quelque tems avant la mort de Gafforio , plu.
fieurs Piéves du centre de cette Ifle ont envoyé au
Marquis de Grimaldi un Mémoire , dans lequel
elles témoignent qu'elles font difpofées à le foamettre
à la République , & à fignaler leur zéle
pour les intérêts. Après avoir expofé les articles
qu'elles défi eroient qu'on inférât dans le nouveau
Réglement , elles ajoutent qu'elles ne deinande
ront jamais que ce qui pourra contribuer au bien
public, & fe concilier avec le droit du Souverain
La République a répondu à ce Mémoire , qu'elle
eft pleinement fatisfaite des fentimens qui y font
exprimés , que quelques - unes des demandes qu'il
contient paroiffent remplir les deux objets propofés
, que pour en rapprocher celles qui pourroient
s'en éloigner , elle confent que des Députés
autorisés viennent concerter avec fon Commiſfaire
Général un plan de Rég'ement , qui affute
au Royaume de Corfe les avantages & la tran
quillité qu'elle veut lui procurer par tout ce qui
pourra dépendre d'elle.
1
S6 MERCURE DE FRANCE,
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 1 Novembre.
Il fe tint le 26 du mois dernier à Wittehall use
affemblée des Commiffaires du Commerce & des
Plantations , dans laquelle on délibéra fur plu
fieurs affaires concernant la Nouvelle Georgit.
Par les Mémoires qu'on a reçus de cette Colonie,
il eft conftaté que depuis le mois de Janvier de p
l'année derniere , elle a produit pour la valeur de
plus de dix-fept mille livres sterlings de foie crue.
Le Chevalier Proctor , & le fieur Georges Cooxe
, Députés du Comté de Middleſex à la Chambre
des Communes , furent élus hier pour continuer
de repréfenter ce Comté dans le nouveau
Parlement. En même tems ils ont été priés d'employer
tous leurs efforts , afin d'obtenir la révoca
tion du Bill qui regarde les Juifs . La Ville d'Your
a donné de femblables inftructions à fes Dé
putés.
Les ordres que l'Amitauté a donnés d'augmen
ter de cinquante hommes l'équipage de chaque
Vaiffeau de guerre , ne s'exécutent pas auffi promp
tement qu'on le défireroit , parce qu'il eſt preſ
crit de n'engager que des Matelots expérimen
tés. Le Gouvernement efpére d'apprendre bie: tôt
quel aura été le fuccès du voyage d'un Vaiffead
qu'il a envoyé pour tenter la découverte d'un
paffage au Nord-Oueft de l'Amérique. On en at
tend des nouvelles avec d'autant plus d'impatience
, qu'il s'eft répandu un bruit qu'un Bâtiment
dont on ne nomme point la nation , eft parvenu
à faire cette découverte ,
La
To
口
FO
DECEMBRE. 1753. 187
PAYS - BAS.
D'UTRECHT , le 28 Oftobre.
La mortalité continuant en plufieurs endroits
Farmi les beftiaux , on vient de renouveller la dé->
fenfe d'en faire entrer dans cette Province , fur
peine de faifie , & d'une amende de mille florins.
La fortie en eft en même tems défendue , & la
défobéiffance en ce dernier cas fera punie encore
plus féverement. On condamnera les délinquans
à mille florins d'amende pour chaque bête , &
Fon confifquera non feulement le bétail , mais en
core les Barques employées à le tranfporter. Ce
Réglement aura lieu jufqu'au 15 du mois d'Avrik
prochain.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
Adame Infante Ducheffe de Parme arriva le
Madame entraau bruit du
&
canon . Les troupes & la Bourgeoisie étoient fous
les armes. Le Duc de Villars , Gouverneur de Provence
, l'Archevêque d'Aix , M. de la Tour ,
premier Préfident & Intendant de la Province ,
les Procureurs des Etats , attendoient Madame Infante
à la defcente de fon carroffe. L'Hôtel de M. de
la Tour , où cette Princeffe a logé ,fut magnifique
ment illuminé. Les Dames titrées eatent l'honneur
d'être nommées , & de faire leur cour à Madame
Infante pendant fon jeu & fon fouper. Le
31 cette Princeffe reçut les refpects du Parlement
& de la Chambre des Comptes , préfentéss
188 MERCURE DE FRANCÉ.
par le Comte de Noailles , & du Corps de la No
biefle , préfenté par le Duc de Villars . Madame
Infante partit après fon dîner pour Marſeille. A
fon arrivée , elle fut faluée d'une décharge de
l'artillerie , & elle trouva la Bourgeo fie fous les
armes. Une foule innombrable de peuple accou
rut fur le paffage de cette Princefle , & lui mar
qua par fes acclamations redoublées , la joie qu'il
avoit d'être honoré de ſa préſence . Les Echevins
furent préfentés à Madame Infante à la defçente
de fon carroffe par le Comte de Noailles , & le
Corps de la Marine et l'honneur de faire la cour
à cette Princeffe. Madame Infante retourna le ra
à Aix, & elle en partit le r3 pour Saint- Marimin.
Elle coucha le 14 au Lac , le 15 à Fréjus ,
& le 16 elle s'eft rendue à Antibes. Cette Prin-
M
1
I
b
fo
t
celle y a été reçue au bruit d'une triple falve dut
canon de la Place & de l'Efcadre des Galeres
qui doit la conduire à Gênes , fous le commandement
du Chevalier de Crenay , Lieutenant Général
des Armées Navales . Toutes les troupes étoient
fous les armes. On attend le vent favorable pour
l'embarquement . Madame Infante , avant de quite
ter la ville de Lyon , a fait préfent d'une magnifi
que tabatiere , avec fon portrait , au Cardinal de
Tencin, Cette Princeffe à fait un femblable préfent
au Duc de Villars . Elle a donné une boſte d'or au
Bailly de Champignel , qui commande le Détachement
des Gardes du Corps dont elle a été accompagnée.
Le 17 & le 19 il y eur concert à Versailles
chez Madame la Dauphine . Les fieurs Cafarieli &
Guadagni y chanterent plufieurs Ariettes Italiennes.
Le jour qui avoit été choisi pour célébrer dans
le camp d'Erftein la naiflance de Monseigneur le
77
f
F
I
C
f
f
DECEMBRE. 1953. 18.9.
Duc d'Aquitaine , le Marquis de Saint Pern & le
Marquis de Yoyer firent diftribuer du pain , du
vin & de la viande à tous les foldats . M. de Lucé
Entendant d'Alface , fit faire une pareille diftribution
à plus de deux mille habitans des Villages
voifins . On fervit une table pour cent garçons &
mutant de filles , qui après le repas formerent diverfes
danfes. Six filles furent enfuite mariées à fix
foldats , tous Alfaciens , & qui ont rempli leur
ems de fervice . Les nouveaux époux ont été doés
par le Marquis de Saint- Pern & par M. de
Lucé.
On mande de Poitou que M. de la Bourdonnaye
de Bloffac , Intendant de la Province , a
fait auffi éclater fon zéle. Après le Te Deum , au
quel tous les Corps de la Ville de Poitiers affif
terent , & pendant lequel le Régiment du Roi fit
plufieurs falves de moufqueterie , on tira devant.
1'Hôtel de l'Intendance un feu d'artifice , dong
toutes les parties furent également belles & variées
. Il fut fuivi d'un magnifique fouper fervi à
quatre tables , chacune de trente couverts. Cette
fête fut terminée par un bal qui dura toute la nuit.
Le 19 , jour de la fête de S. Savinien , premier
Evêque de Sens , la Reine entendit dans la Chapelle
du Château de Fontainebleau , la Grande
Mefle , les Vêpres & le Salut , célébrés par les
Mathurins. Le Roi affifta au Salut.
Le même jour le Roi fit rendre dans l'Eglife
de la Paroiffe du Château les Pains Benits , qui
furent préfentés par l'Abbé de Caulincourt , Aug
mônier de Sa Majefté.
La Reine les fit rendre le 21 dans la même
Eglife. Ils furent préfentés par l'Abbé du Châtel ,
Aumônier de la Reine en quartier.
Le 20, Monfeigneur le Dauphin & Madame
190 MERCURE DE FRANCE.
la Dauphine arriverent de Verfailles à Fontaine
bleau .
Leurs Majeftés fouperent le 19 & le 21 au
grand couvert.
Le 21 , pendant la Meffe du Roi , l'Archevêque
de Touloufe prêta ferment de fidélité entre
les mains de Sa Majefté ,
On apprit le 26 , par les lettres d'Antibes de
19 , que Madame Infante Ducheffe de Parme
s'étoit embarquée ce même jour à midi , & que
P'Efcadre destinée à la conduire en Italie avoit
mis à la voile. Depuis on a été informé par des
lettres du 23 , que lorfque cette Princeſſe a été à
la hauteur de Villefranche , les vents font devenus
fi contraires , & la mer tellement agitée , que les
Galeres & les deux Chabecs qui leur fervoient
d'eſcorte , ont été obligés de relâcher dans le
Port. Au départ du Courier , le même tems conti.
nuoit , & l'on attendoit le vent de Nord Oueſt
pour faire route vers Gênes.
Le Roi foupa le même jour au grand couvert
chez la Reine avec la Famille Royale.
Le 27 , le Chevalier Moncenigo , Ambaſſadeur
de Venile , eut une audience particuliere du Roi,
dans laquelle il préſenta à ſa Majeſté une lettre de
compliment de la République , fur l'heureux accouchement
de Madame la Dauphine , & fur la
naiflance de Monfeigneur le Duc d'Aquitaine. Il
fut conduit à cette audience par M. Dufort , Intro
ducteur des Ambaſſadeurs .
Le 28 , la Reine entendit dans la Chapelle du
Château la Melle chantée par la Mufique. Sa
Majefté affifta l'après midi aux Vêpres & au Salue
célébré par les Mathurins.
Monfeigneur le Dauphin fir rendre le mêmejour
à l'Eglife de la Parole du Château , les Pains
DECEMBRE. 17531 198
Bepits , qui furent préfentés par l'Abbé de Caulipcourt
, Aumônier du Roi.
Un rhume a obligé le Roi de garder la cham
bre pendant quelques jours.
Le 31 , veille de la fête de Tous les Saints , Sa
Majesté étant délivrée de fon indifpofition , catendit
la Meffe dans la Chapelle .
La Reine communia par les mains de l'Evêque
de Chartres , fon premier Aumônier ; Monfeigneur
le Dauphin , par celles de l'Abbé de Caulincourt
Aumônier du Roi , Madame la Dauphine , par
celles de l'Archevêque de Sens , fon premier Au-.
mônier ; Madame Adélaïde , par celles de l'Evê
que de Meaux , premier Aumônier de cette Prin
ceffe.
L'après -midi le Roi & la Reine , accompa
gnés de la Famille Royale , affifterent aux premieres
Vêpres chantées par la Mufique , auf
quelles l'Evêque de Chartres officia.
Le premier Novembre , jour de la Fête , leurs
Majeftés ont entendu la grande Mefle , célébrée
par le mêine Prélat . Elles ont affifté l'après-midià
la Prédication du Pere Ceuillat , de la Compa
gnie de Jefus , & aux Vêpres aufquelles l'Evêque
de Chartres a officié. Leurs Majestés ont eng
tendu enfuite les Vêpres des Morts.
Le Roi a donné le commandement du Rouf
fillon au Conte de Graville , Lieutenant Général
des Armées de Sa Majefté , & Infpe&eur de Cai
valerie.
Sa Majesté a dipofé de l'Intendance de la mê
me Province, en faveur de M. de Bon , premier
Préfident de la Cour des Aides de Montpellier.
Le Régiment d'Infanterie de Quercy , vacant
par la nomination du Comte du Châtelet - Lomont
à la place de Colonel du Régiment de Na
192 MERCURE
DE FRANCE.
varre , a été accordé par Sa Majeſté à M. Rould
d'Efpourdon , Colonel dans le Régiment des Gre
nadiers de France.
Le même jour Madame la Dauphine fit reedre
dans l'Eglife de la Paroiffe du Château les
Pains Benits , qui furent préſentés par l'Abbé ¿e
Sailly , fon Aumônier en quartier.
Madame Adélaïde les fit rendre le 4 par l'Ab
bé d'Harambures , fon Aumônier en fémeftre.
Le même jour , pendant la Meffe du Roi , l'E
vèque d'Evreux prêta ferment de fidélité entre les
mains de Sa Majesté .
Le premier & le 4 le Roi ſoupa au grand cos
vert chez la Reine avec la Famille Royale .
Le4 , M. Durini , Evêque de Pavie , Nonce
ordinaute du Pape , eut une audience particuliere
du Roi , dans laquelle il prit congé de Sa Majefté.
Il fut conduit à cette audience , ainfi qu'à celles
de la Reine , de Monfeigneur le Dauphin , de
Madame la Dauphine , de Madame Adélaïde , &
de Meldames Victoire , Sophie & Louife , par
M. Dufort, Introducteur des Ambaffadeurs.
Le Marquis du Mefail , Lieutenant- Général des
'Armées du Roi , & Infpecteur de la Cavalerie , a
été nommé Commandeur de l'Ordre Royal & Mi
litaire de S. Louis.
Le Roi a donué le Gouvernement de l'Hôtel
Royal des Invalides , vacant par la mort de M.
de la Courneufve , au Comte de la Serre , Maréchal
des Camps & Armées de Sa Majesté , Grand-
Croix de l'Ordre de Saint Louis , & Commandant
à Dunkerque ci devant Lieutenant Colonel
du Régiment du Roi , Infanterie.
Sa Majesté a accordé le Gouvernement de Gre
noble qu'avoit le feu Marquis de Marcieu , Mas
réchal de Camp , au Chevalier de Marcieu fon
frere,
Lis
20
M
DECEMBRE. 1753. 193
frere , Meftre de Camp d'un Régiment de Cava-
Ferie ; & le Gouvernement de Valence qu'avoit
le Chevalier de Marcieu , au Comte de Marcieu ,
Lieutenant Général des Armées du Roi , & Commandant
en Dauphiné.
Le 4 , la Comteffe de Montbarey fut préfentée
au Roi & à la Reine.
La Comteffe de Noailles qui a accompagné
Madame Infante jufqu'à Antibes , & qui a rempli
pendant ce voyage les fonctions de Dame d'honneur
auprès de cette Princeffe , arriva à Fontainebleau
le 8 au, foir. Elle remit le lendemain à leurs
Majeftés & à la Famille Royale , les lettres dont
Madame Infante l'avoit chargée .
Monfeigneur le Dauphin , Madame la Dauphi
ne , Madame Adélaïde , & Meſdames de France ,
affifterent le 8 au Te Deum & au Salut dans l'E
glite de la Paroiffe du Château . On y fit une quête
en faveur des pauvres de la Ville de Fontaine
bleaus
Le 9 , M. de Bon , Intendant du Rouffillon ,
eut l'honneur de remercier le Roi pour la charge
de Premier Préfi lent du Confeil Superieur de
Perpignan que Sa Majefté lui a accordée.
Le Comte de Cantil'ana , Ambaffadeur Extraordinaire
du Roi des Deux Siciles , arriva le 9 à Fontainebleau
. Le 10 , il eut fa premiere audience du
Roi , dans laquelle il préfenta les Lettres de créan
ce à Sa Majefté . Il eut enfuite audience de la
Reine. Il fut conduit à ces audiences , ainfi que
le lendemain à celles de Monseigneur le Dauphin
, de Madame la Dauphine , de Madame Adélaïde
, & de Meldames Victoire , Sophie & Louife
, par M. Dufort , Introducteur des Ambafladeurs.
Le 10 , la Reine entendit la Meſſe dans la Cha
1.Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE,
pelle de la Communauté des Filles- Bleues.
Le Roi a établi une Chambre Royale par des
Lettres Patentes , en forme de Déclaration , da
tées du onze Novembre,
Le 13 , l'ouverture de cette Chambre ſe fit
par une Meffe , qui fut célébrée au Louvre dans
La Chapelle de la Reine . M. de Lamoignon , Chancelier
de France , y affifta , accompagné des Confeillers
d'Etat & des Maîtres des Requêtes done
la Chambre eft compofée . La Chambre tint enfuite
la premiere féance , dans laquelle elle enregiftra
les Lettres Patentes données pour ſon étabillement.
Leurs Majeftés fouperent le 9 , le 11 & le 14 ,
au grand couvert avec la Famille Royale .
Le 14 , Monfeigneur le Dauphin & Madame
Adélai e dinerent chez Madame la Dauphine ,
avec plufieurs Dames de la Cour . Monſeigneur le
Dauphin , Madame la Dauphine , & Madame
Adélaide allerent l'après- midi à l'Abbaye Royale
des Religieufes Bernardines du Lys , près de Melun.
Le 15 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix fept cens quinze livres ; les Billete
de la premiere Lotterie Royale à fix cens foixantequinze
, & ceux de la feconde à fix cent vingthuit.
BENEFICES DONNE'S.
E Roi a nommé à l'Evêché d'Orléans M. l'Abbé
Le Montmorenci-Laval , Vicaire Général de
l'Archevêché de Sens ; à l'Evêché de Châlons- fur-
Saône , M. l'Abbé de Rochefort d'Alli de Saint-
Point,Vicaire Général de l'Evêché de Saint-Claudes
DECEMBRE.
1753 .
& à l'Evêché
d'Angoulême , M. l'Abbé de Bro- 195
glie , Vicaire Général de
l'Archevêché d'Arles .
Sa Majesté a donné
l'Abbaye de Saint Nicolas
des Pres, O dre de Saint
Auguftin ,
Diocèle de
Verdun , à l'Evêque de Grenoble ; celle d'Abfie ,
Ordre de Saint Benoît ,
Diocèle de la
Rochelie ,
à l'Abbé de Bruyeres de
Chalabre ; celle de Conches
, même Ordre , Diocèle d'Evreux ,
de Saint Simon-
Sandricourt ; celle de Saint Cybar, à l'Abbé
même Ordre , Diocèle
d'Angoulême , à l'Abbé
de Saint- Geyrac , Vicaire Général de l'Evêché de
Périgueux ; celle de Lorroy , Ordre de Câteaux ,
Diocèle de Bourges , à l'Abbé de
Morogues , Cha
noine de l'Eglife
Métropolitaine de Bourges ; celle
de
Franquevaux , même Ordre , Diocèle de Nifmes
, à l'Abbé de
Montpezat , Vicaire Général
de
l'Evêché de Die ;
l'Abbaye de la Clarté Dieu ,
même Ordre , Diocèle de Tours , à l'Abbé de la
Cofte ,
Chanoine de l'Eglife
Métropolitaine de
Tours ; l'Abbaye élective de
Marquette , même
Ordre , Diccèle de Tournay , à la Dame de Rohan
, celle de Saint Saëns , même Ordre , Diocèle
de Rouen , à la Dame de Saint- Aignan , celle
de Saint Nicolas de Verneuil , Ordre de Saint Benoît
, Diocèle
d'Evreux , à la Dame d'Hériffy ;
& la Prévôté de l'Eglife Royale &
Cathédrale
d'Alais , à l'Abbé de Narbonne- Pellet ,
Chanoine
de cette Eglife.
NAISSANCE ,
MARIAGES
& Morts.
E 2 Septembre , Madame la Marquife de la
Salle , poufe du Lieutenant Général des Armées
du Roi , eft accouchée d'un fils , qui a été
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
baptifé à Saint Sulpice , & nommé Marie-Annes
Louis ; il a eu pour parrein M. le Marquis de Marivaux
, & pour marreine Madame de Clermont
Abbefle de Chelles .
Paul - Louis , Duc de Beauvilliers , Comte de
Bazançois , Brigadier de Cavalerie & Meftrede
Camp du Régiment de fon nom , époufa le
22 Octobre Demoiselle Charlotte Suzanne Defnos
de la Feuillée , fille de Meffire Jean Baptifte
Defnos , Comte de la Feuillée ; & de feue Dame
Marie-Marguerite de Cordouan. La Bénédiction
nuptiale leur a été donnée par l'Evêque de Troyes,
dans la Chapelle particuliere du Duc de Saint
Aignan . Le Duc de Beauvilliers avoit été marié en
premieres noces à Demoiſelle Augufte - Leonine-
Olympe-Nicole de Bullion , fille d'Anne-Jacques
de Bullion , Marquis de Fervaques , Chevalier des
Ordres du Roi, & Lieutenant Général de les armées.
Meffire Marie - Eléonor- Alexandre de Saint-
Mauris , Comte de Montbarey , Colonel dans le
Régiment des Grenadiers de France , époufa le
29 Octobre Françoife- Parfaite Thais de Mailly ,
fille de Louis , Comte de Mailly , Chevalier des
Ordres du Roi , Lieutenant Général de fes Armées
, & premier Ecuyer de Madame la Dau.
phine ; & d'Anne Françoile Elizabeth Arbalefte
de Melun. La Bénédiction nuptiale leur a été don
née à Saint Eustache par l'Abbé de Scey- Montbeillard
, Chevalier de Saint Georges , Abbé de
l'Abbaye de Saint André de Clermont : leur Contrat
de mariage avoit été figné le 21 par leurs
Majeftés & par la Famille Royale . Le Comte de
Montbarey eft fils de feu Meffire Claude- François-
Eléonor de Saint -Mauris , Comte de Montbarey ,
DECEMBRE. 1753. 197
Lieutenant Général des Armées du Roi, & de Dame
Marie-Théreſe . Eléonore du Maine du Bourg de
Rebé. Le Roi a mis la Comteffe de Montbarey an
nombre des Dames nommées pour accompagner
Madame Adélaïde. Voyez la cinquiéme partie des
Tablettes hiftoriques , page 106.
Alexandre- Louis Antoine de Mailly , fils de
Louis , Marquis de Mailly , Brigadier d'Infante
rie , Colonel du Régiment de fon nom ; & de
feue Dame Françoife - Antoinette Kadot de Sebe
ville , eft mort en cette Ville le 20 Septembre , dans
la cinquième année de fon âge.
Meffire Gabriel Chriftophe de Montaigu , Bris
gadier d'Infanterie , & Menin de Monfeigneur le
Dauphin , mourut le 21 dans fa cinquante - neuviéme
année.
Meffire François du Verdier , Evêque d'Angou
Jême & Abbé de Saint Cybard , Ordre de Saint
Benoît , eft mort à Angoulême le même jour , âgé
de foixante quinze ans .
Le même jour eft mort M. Nicolas de Bremond ,
Baron d'Ars , Sous - Aide- Major du Régiment des
Gardes Françoifes.
Lê 22 fut enterrée à Saint Gervais Dame Clautde
- Jeanne de Brillac , veuve de M. Gafton -Louis .
Jofeph de Montigny , Chevalier , Vicomte héréditaire
de Dreux , Seigneur de Montigny , ancien
Officier des Gardes Françoiles.
Marie-Claire- Louiſe de Montmorin de Saint
Herem , fille de feu Gabriel-Armand de Montmorin
, Comte de Saint Herem , Menin de Monfeigneur
le Dauphin , mourut en cette Ville le 24,
dans la douzième année de fon âge . Voyez les
Tablettes hiftoriques , IV . partie , page 429..
Melire Nicolas Navarre , Evêque titulaire de
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Cydon , dans l'Ile de Candie, & Abbé de l'Abbaye
de la Clarté Dieu , mourut à Lyon le 25 dans la
cinquante-fixième année.
Metfire Louis Antoine de Sconin de Saint Maxi❤
min , Abbé de l'Abbaye de Franquevaux , Ordre de
Citeaux , Diocèle de Nifmes , eft mort à Alais le
27 , âgé de cinquante -fix ans.
Le même jour est morte Dame Marguerite Beaudouin
, veuve de M Gilbert Simon Benoist , Secrétaire
du Roi , Contrôleur Général de la Chan
celerie de France .
Dame Jeanne Louife Hocquart , époufe de
Meffire Claude François le Tellier , Brigadier d'in
fanterie , eft morte le 28 , âgée de 55 ans.
Meffire N ... de Montauban , Abbé de l'Abbaye
de Saint Nicolas des Prés , Ordre de Saint
Auguftin , Diocèfe de Verdun , eft mort à Saint
Mihel en Lorraine le 30 , âgé de 75 ans.
Le 3 Octobre eft décédé rue & Ile de Saint
Louis , M. Marin de la Haye , Seigneur de Draveil
, Marcenon , Beaumont , & c. l'un des Fer
miers Généraux de Sa Majefté , & Adminiftrateu
de l'Hôpit 1. +
Le 4 eft mort M. Pompone Alexis Jofeph de
Nonant , fils de M. Aléxis - Bernard le Comte de
Nonant , Marquis de Pierrecourt.
Dame Julie - Louife Celefte de la Riviere , épou
fe de Meffire Jofeph Yves - Thibaut- Hyacinthe ,
Marquis de la Riviere , mourut à Paris le 7- Octo
bre , âgée de trente - deux ans .
Meffire François Madot , Evêque de Chalon
fur Saone , Abbé de l'Abbaye d'Abfie , Ordre de
Saint Benoît , Diocèfe de la Rochelle , & de celle
de Lorroy , Ordre de Citeaux , Diocèle de Bourges
, eft mort le même jour dans fon Diocèle , âgé
de foixante-dix- huit ans.
DECEMBRE. 1753. 199
Lė 9 , eft décédé rue Tiron , M. François- Denis
de Riancey , Maître des Comptes.
Le même jour eft décédé rue de Grenelle , fauxbourg
Saint Germain , M. Mathieu Louis Gou
din , fils de M. Mathias Goudin , Confeiller en la
Cour des Aides,
Meffire Pierre du Chambon , Marquis d'Arbou.
ville , Maréchal des Camps & Armées du Roi , &
Gouverneur de Schleftat , ci - devant Capitaine
d'une Compagnie de Grenadiers au Régiment des
Gardes Françoiles , eft mort le 12 , âgé de 72 ans.
Le même jour eft décédée rue du Sepulchre ,
Madame Elizabeth- Marguerite de Guiri , veuve
en premieres nôces de M. Daniel- Henri de Beffet
de la Chapelle , Intendant des Iles de Saint Domingue
; & en fecondes nôces de Mefire Jean ,
Baron de Kervert .
Meffire Charles , Comte de Harcourt , Baron
d'Ollonne , eft mort le 15 au Chateau d'Ecauzeville
, en Bale Normandie , âgé de foixante -dixhuit
ans. Il avoit été Capitaine de Gendarmerie ,
& étoit chef de la branche aînée de la Maifon de
Harcourt. Comme il ne laiffe point d'enfans de
N....de Franquetot , foeur de M. le Maréchal de
Coigni , M. le Marquis de Harcourt , fon neveu
à la mode de Bretagne , devient héritier de fes
biens , & chef de la Maifon de Harcourt , dont il
ne refte plus que lui de la branche aînée , & fes
deux fils actuellement au Collège de Harcourt ,
Voyez la III . partie des Tablettes hift . p . 32 .
Meffine Nicolas de Saintot , Seigneur de Ve
mar , ancien Introducteur des Ambaffadeurs , mou
rut le 16 dans fa foixante - dix- neuvième année .
Louis-Augufte , Vicomte de Rohan Chabot ,
Maréchal des Camps & Armées du Roi , eft mort
le même jour dans la trente- deuxième année.
Liuj
200 MERCURE DE FRANCE.
Felix -Victoire de Durfort de Deras , époufe de
Louis-Marie Auguftin , Duc d'Aumont , Pair de
France , Chevalier des Ordres du Roi , Lieutenant
Général de fes Armées , un de les quatre premiers
Gentilshommes de la Chambre , & Gouverneur du
Boulonois & du Château de Comprégne , eft morte
le même jour , âgée de quarante fix ans .
Le 17 a été inhumé à Saint Germain l'Auxerrois
, M. Louis- Cafimir de Rofemberg de Fritchman
, Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire de
Saint Louis , & Sous- Brigadier de la feconde Compagnie
des Moufquetaires.
Meffire Louis- Alexandre Defmier d'Archiac ,
Marquis de Saint - Simon , Brigadier de Cavalerie,
eft mort le 18 en Saintonge dans fa quatre vingttreizième
année .
Le 24 a été inhumée à Saint Benoît Dame
Marie de Beffay de Lufignan , épouse de M. le
Vicomte de Nogaret , Baron de la Garde & autres
lieux , Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire de
Saint Louis.
Le même jour a été enterrée à Saint André des
Arts Madame Denile- George de Beaulieu , femme
de M. Jean Henri de Flory , Sieur de Verſalieux
, Major de la Ville de Peronne , Chevalier de
l'Ordre Royal & Militaire de Saint Louis.
Emilie de la Rochefoucault , épouse de Charles-
Emmanuel de Cruffol , Duc d'Ufez , premier Pair
de France , Brigadier d'Infanterie , Gouverneur &
Lieutenant Général pour Sa Majefté des Provinces
de Saintonge & d'Angoumois , & Gouverneur
particulier des Villes & Châteaux de Saintes &
d'Angoulême , mourut le 25 au Château de Bonnelles
, âgée d'environ cinquante ans . Elle étoit
fille de feu François , Duc de la Rochefoucault ,
Pair de France , Chevalier des Ordres du Roi , &
DECEMBRE. 1753.
201
Grand-Maître de la Garderobe de Sa Majefté ; &
de Magdeleine- Charlotte le Tellier de Louvois.
Meffire Pierre- Gui - Balthazar Emé de Guiffey
de Monteynard , Comte de Marcieu , Marquis de
Boutier , Maréchal des Camps & Armées du Roi,
Gouverneur des Ville & Citadelle de Grenoble ,
& Sous - Lieutenant des Gendarmes de la Garde
ordinaire de Sa Majesté , eft mort le 25 Octobre
au Château de Thouret en Dauphiné , âgé d'environ
trente- cinq ans,
ARRESTS NOTABLES.
ORDONNANCE du Bureau des Finan
ces de la Généralité de Paris , du 12 Octobre
1753 , portant défenfes à tous Voituriers , Gravatiers
& autres , de décharger leurs voitures en autres
lieux que ceux indiqués par la Police , à peine
de confifcation de leurs voitures & chevaux , &
de vingt livres d'amende : & pour l'avoir fait par
le nommé Jacques Berger , déclare la confifcation
d'un cheval mis en fourriere , bouhe & valable ; &
condamne ledit Berger en dix livres d'amende.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , du 23 ,
qui commet François de Salienne , pour reprendre
& continuer les inftances & affaires reftantes à
terminer du Bail de Nicolas Deſboves , ainfi que
celles qui pourront naître par la fuite.
AUTRE du Confeil d'Etat du Roi, du 26 ,
qui fupprime un Ecrit ayant pour titre : Mandement
de M. l'Evêque de Montauban , & c.
ARREST de la Chambre des Vacations ,
Ly
202 MERCURE DE FRANCE.
tenue au Couvent des Grands Auguſtins à Paris
du 26 Octobre 1753 , qui condamne le nommé
Jofeph Defroyers aux Galeres pour neuf ans ; & le
nommé Alexis Defnoyers , attendu fon bas âge , à
être fouetté fous la cuftode par le Questionnaire ,
dans la chambre de la queftion , & à être renfermé
pendant le tems & efpace de fix mois dans
la maifon de force de l'Hôpital Général de la
Ville de Paris..
AUTRE de la Chambre des Vacations , du
31 , qui condamne Jofeph Roy à être conduit à la
chaîne , pour être attaché & fervir le Roi comme
forçat dans les galeres à perpétuité , préalablement
férti des lettres GAL.
EDIT du Roi , donné à Fontainebleau au
mois de Novembre 1753 , concernant la délivrance
des prifonniers pour crimes , qui fe trouvent à
Pavénement des Evêques d'Orléans dans les prifons
de cette Ville.
LETTRES Patentes du Roi en forme de Dé
claration , données à Fontainebleau le 11 Novembre
, portant établiſſement d'une Chambre Royale
dans le Château du Louvre ; regiftrées en ladite
Chambre le 13 du même mois.
LOUIS , par la grace de Dieu , Roi de France
& de Navarre : A tous ceux qui ces préfentes Let--
tres verront , Salut. Un des principaux devoirs des
Rois eft de rendre la juftice aux peuples que la providence
leur a confiés ; & comme ils ne peuvent
par eux-mêmes vaquer à cette importante fonc
tion , ils font dans l'obligation d'en commettre le
foin à des perfonnes capables de la remplir à leur
décharge . Les Parlemens ont été chargés de l'es
.
DECEMBRE. 1753.
203
& Tercice de cette portion de notre autorité ,
nous avons éprouvé l'utilité des fervices qu'ils
nous ont rendus tant qu'ils le font contenus dans
les bornes du pouvoir que nous leur avons confié ,
& qu'ils en ont rempli affidûment les fonctions ,
ainſi qu'ils nous le doivent , qu'ils le doivent à nos
peuples , & qu'ils fe le doivent à eux mêmes.
Nous voyons , à notre grand regret , notre Parlement
de Paris s'écarter depuis quelque tems de
ces principes , & oublier un devoir auffi effentiel.
Ha arrêté le 5 Mai dernier de ceffer fon fervice
ordinaire : le 7 Mai il a refufé d'obéir aux Lettres
Patentes que nous lui avons envoyées pour luit
ordonner de le reprendre ; & lorfque nous l'avons
transféré à Pontoiſe , il n'a enregistré la déclaration
de fa tranflation qu'en renouvellant less
arrêtés qui privent nos fujets des fecours néceffaires
de la juftice. Nous avons toléré cette conduite
jufqu'à la fin des féances ordinaires de notre Parlement
, dans l'efpérance où nous étions que le
tems & fes propres réflexions le rameneroient à
fes devoirs ; mais nos vues à cet égard n'ayant
point eu le fuccès que nous défirions , & nous
trouvant dans la néceffité de pourvoir pendant les
vacations à
l'adminiftration de la juftice déja
trop long- tems fufpendue , nous ne pûmes la confier
à des Magiftrats d'ane Compagnie qui s'y refufoit
; nous times choix pour les remplacer , de
quelques perfonnes de notre Confeil. Le tems de
leur Commiffion étant expiré , il eft néceſſaire de
rendre à la juſtice fon cours ordinaire dans toute:
fon étendue ; & nous avons eftimé ne pouvoir
mieux remplir cet objet qu'en nommant à cet
effet tous les Magiftrats qui ont entrée dans notre
Confeil , & dont l'état & les occupations peuvent
fe concilier avec celles que nous leur destinons.
I vi
204 MERCURE DE FRANCE.
A CES CAUSES , & autres confidérations à ce nous
mouvant , de l'avis de notre Confeil , & de notre
certaine ſcience , pleine puiffance & autorité
Royale , nous avons dit , déclaré & ordonné , difons
, déclarons & ordonnons , voulons & nous
plaît ce qui fuit.
• ART. I. Nous avons par ces préfentes fignées
de notre main , établi & établiſſions une Cour &
Siége de Juftice, qui fera appellée la Chambre Roya
Le , laquelle tiendra fes féances dans notre Château
du Louvre.
II. Ladite Chambre Royale connoîtra de toutes
matieres civiles , criminelles & de police , qui
font de la compétence de notre Cour de Parlement
de Paris , foit en premiere inftance , foit par
appel des jugemens rendus par notre Prévôt de
Paris , nos Baillifs & Sénéchaux , leurs Lieutenans
& autres Juges reffortiflans en notre Parlement ;
attribuant à cet effet à notredite Chambre Royale
toute Cour , Jurifdiction , connoiffance & reffort.
Enjoignons à notre Prévôt de Paris , nos Baillifs
Sénéchaux , leurs Lieutenans & autres Juges reffortillans
en notre Cour de Parlement , de reconnoître
l'autorité de notredite Chambre Royale , &
de faire exécuter , chacun dans l'étendue de leur
jurifdiction , les Arrêts , Ordonnances , Jugemens
& Mandemens qui en feront émanés.
III. Notredite Chambre Royale fera compofée
des fieurs le Févre d'Ormeffon , Tacherean de Baudiy
, Feydeau de Brou , Chauvelin , Dagueſſeau ,
Dagueffeau de Frefne , Trudaine , Poulletier , Gilbert
de Voifins , Bidé de la Grandville , de Fontanieu
, Feydeau de Marville , Barberie de Courteil,
le Pelletier de Beaupré , Pallu , de Vanolle ,
Caftanier d'Auriac , & de Pontcarré de Viarme
Confeillers en notre Confeil d'Etat & privé , &
DECEMBRE. 1753. 265
des fieurs Poncher , Maboul , Choppin d'Arnouville
, Bertier de Sauvigny , Gagnat de Longny ,
Bignon , Gagne de Perigny , Boula de Quincy ,
P'Escalopier de Nourat , Merault de Villeron ,
Thiroux , Thiroux d'Efperfennes , Baillon , de
Montaran , du Four de Villeneuve , Bertin , de
Silhouette , Poulletier de la Salle , d'Argouges de
Fleary , Bourgeois de Boynes , Maynon d'Invaux
, de Berulle , Bernard de Balainvilliers , Boutin
, le Nain , le Fevre de Caumartin , de la Corée
, de Cypierre , Pajot de Marcheval , Chaumont
de la Galaiziere , de Boullongne , Dedelay
de la Garde , Hue de Miromenil , Feydeau dé
Brou , de Fontanieu , Pouyvet de la Bliniere ,
Degourgues , Turgot , Rouillé d'Orfeuil & Amefot
, Maîtres des Requêtes ordinaires de notre
Hôtel ; & les autres Maîtres des Requêtes de notre
Hôtel qui ne font pas dénommés au préfent
article , feront le fervice des Requêtes de l'Hôrel
pendant toute l'année , & fans diftinction de
quartier.
IV. Nous avons commis & commettons ledit
feur Bourgeois de Boynes , Maître des Requêtes
ordinaire de notre Hôtel , pour faire les fonctions
de notre Procureur général ; & lefdits fieurs Feydeau
de Brou & Araelot , auffi Maîtres des Requêtes
ordinaires de notre Hôtel , pour faire les
fonctions de nos Avocats généraux en notredite
Chambre Royale.
V. Le fieur de Vitry exercera en ladite Cham
bre Royale les fonctions de Greffier en chef, tane
pour le civil que pour le criminel ; le fieur des
Forges fera les fonctions de principal Commis du
Greffe pour le civil , & le fieur Orry pour le criminel
: voulons en conféquence que ledit freur
de Vitri , tant qu'il exercera les fonctions de Gre
206 MERCURE DE FRANCE.
fer en chef de notredite Chambre Royale , puiffe
dreffer & figner toutes les expéditions néceflaires ,
encore qu'il ne foit pourvû d'un des Offices de nos
Confeillers Secrétaires , Maiſon , Couronne de
France & de nos Finances , le difpenfant à cet effet
de la rigueur des Edits des mois d'Avril 1672
& Octobre 1727 , & autres Réglemens , & dérogeant
expreflément aux dérogatoires des dérogatoires
y contenus ,
VI. Les Huiffiers en notre Confeil , en la grande
Chancellerie , & ceux des Requêtes de l'Hôtel
, feront dans notre Chambre Royale les fignifi
cations néceffaires , & tous actes de juftice qui appartiennent
aux Huilliers du Parlement , fuivant
les Ordonnances & Réglemens.
VII. Les Avocats en nos Confeils occuperont
en notredite Chambre Royale , dans les cauſes ou
inftances dont ils feront chargés par les parties.
VIII. Notre Procureur général en notredite
Chambre Royale fera apporter fans délai au
Greffe d'icelle toutes les piéces & procédures
des procès criminels pendans en notre Cour de
Parlement de Paris , pour être lesdits procès inf
truirs & jugés en notredite Chambre Royale , fuivant
les derniers erremens ; à la remife defquellespiéces
& procédures les Greffiers dudit Parlement
feront contraints , même par co : ps ; quoi faifant,
feront bien & valablement déchargés.
IX. Pourront auffi les Parties retirer de tous
dépofitaires les titres , piéces & procédures à elles
appartenantes ; à la remife defquels titres , piéces
& procédures lefdits dépofitaires feront contraints
par toute voye qui fera ordonnée par notredite
Chambre Royale .
X. Failons très- expreffes inhibitions & défenſes
à toutes parties de fe pourvoir , & àtous Huiffiers
DECEMBRE . 1753. 207
Je donner aucunes affignations , ni de faire aucuns
exploits pour raifon defdites matieres civiles , criminelles
& de police qui font de la compétence
de notredite Cour de Parlement de Paris , ailleurs
que pardevant notredite Chambre Royale ; à pei
né contre les parties de nullité , & de tous dépens ,
dommages & intérêts ; & contre lefdits Huiffiers
de trois mille livres d'amende.
XI. Nous réſervant au furplus de faire les Réglemens
que nous jugerons néceffaires pour l'ordre
du fervice & la difcipline intérieure de notredite
Chambre Royale. Si donnons en mandement
à nos amés & féaux les fieurs le Fevre d'Ormeffon
, Tachereau de Baudry , Feydeau de Brou ,.
Chauvelin , Dagueffeau , Daguefleau de Frefne ,.
Trudaine , Poulletier , Gilbert de Voifins , Bidé de
la Grandville , de Fontanieu , Feydeau de Marville
, de Barberie de Courteil , le Pelletier de
Beaupré , Pallu , de Vanolle , Caftanier d'Auriac ,
& de Viarme , Confeillers en notre Confeil d'E.
tat & privé : & à nos amés & féaux les fieurs Poncher
, Maboul , Choppin d'Arnouville , Bertier de
Sauvigny , Gagnat de Longny , Bignon , Gagne
de Perigny , Boula de Quincy , l'Escalopier de
Nourar , Merault de Villeron , Thiroux , Thiroux
d'Efperfennes , Baillon , de Montaran , Dufour de
Villeneuve , Bertin , de Silhouette , Poulletier de
la Salle , d'Argouges de Fleury , Bourgeois de
Boynes , Maynon d'Invaux , de Berulle , Bernardde
Balainvilliers , Boutin , le Nain , le Fevre de
Caumartin , de la Corée , de Cypierre , Pajot de
Marcheval , Chaumont de la Galaiziere , de Boallongne
, Dedelay de la Garde , Hue de Miromenil
, Feydeau de Brou , de Fontanieu , Pouyvet
de la Bliniere , Degourgues , Turgot , Rouillé
d'Orfeuil , & Amelot , Maîtres des Requêtes de
268 MERCURE DEFRANCE.
sor
Seas
132
notre Hôtel , que ces préfentes ils ayent à faite
fire , publier & regiftrer , & le contenu en icela
les garder & obferver felon leur forme & teneur ,
nonobftant toutes Ordonnances , Edits , Déclara
tions , Arrêts , Réglemens & ufages à ce contrai
res aufquels nous avons dérogé & dérogeons par
ces préfentes car tel eft notre plaifir. Donné à
Fontainebleau le 11 Novembre , l'an de grace
mil fept cent cinquante-trois , & de notre regne
le trente-neuviéme . Signé Louis ; &plus bas , par
Je Rói , M. P. de Voyer d'Argenfon : & fcellé d
grand fceau de cire jaune.
LETTRES Patentes du Roi en forme de Dé
claration , pour partager le fervice de la Chambre
Royale en deux Chambres , l'une pour les affaires
Civiles & de Police , l'autre pour les affaires Criminelles
, données à Fontainebleau le 18 Novembre
1713 ; regiftrées en ladite Chambre le 20 du
même mois.
CES C
Asyal
Lotre
Lours , pir la grace de Dieu , Roi de France
& de Navarre: A tous ceux qui ces préfentes Lettres
verront , Salut. Par nos Lettres Patentes en
forme de déclaration , du 11 du préfent mois ,
Nous aurions établi en notre Château du Louvre
une Chambre Royale , pour connoître de toutes
matieres civiles , criminelles & de police qui font
de la compétence de notre Parlement de Paris ,
foit en premiere inftance , foit par appel des ja
gemens rendus par les Juges reffortiffans en notredit
Parlement ,fuivant l'article IF. defdites Lettres
Patentes , attribuant à cet effet à notredite
Chambre Royale toute Cout , Jurifdiction , com
noillance & reflort ; & par l'article Ell Nous
aurions nommé ceux des Confeillers de notre
Confeil d'Etat & privé , & des Maîtres des Requê
Le
11.
Fes
WG
ve
Le
DECEMBRE. 1753. 209
tes ordinaires de notre Hôtel qui doivent compo
fer ladite Chambre . Par autres Lettres Patentes da
jour d'hier , Nous aurions ajouté au nombre de
ceux qui font dénommés audit article III , le
Sieur le Pilleur , Maître des kequêtes ordinaire de
notte Hôtel : & d'autant qu'il cit nécellaire pour
la plus prompte expédition des affaires civiles , criminelles
& de police , de divifer le fervice de notredite
Chambre Royale en deux féances ; l'une
pour les affaites civiles & de police , l'autre pour
les affaires criminelles , Nous aurions jugé à propos
de faire connoître nos intentions à ce fujet . A
CES CAUSES , & autres confidérations à ce nous
mouvant , de l'avis de notre Confeil , & de notre
certaine ſcience , pleine puiflance & autorité
Royale , Nous avons par ces préfentes fignées de
notre main , dit , déclaré & ordonné , dilons , déclarons
& ordonnons , voulons & nous plaît ce
qui fuit,
ARTICLE PREMIER .
Le fervice de notre Chambre Royale fera par
tagé en deux Chambres , l'une pour les affaires
civiles & de police , l'autre pour les aires criminelles.
II, La Chambre Civile fera compofée des Sieurs
le Fevre d'Ormeflon , Tachereau de Bauary , Feydeau
de Brou , Chauvelio , Dagueffeau , Dagueffeau
de Freines , Trudaine , Poulletier , Gilbert de
Voifins , Confeillers en notre Confeil d'Etat &
privé ; & des Sieurs Poncher , Choppin d Arnouville
, Bertier de Sauvigny , Gagnat de Longny ,
Boula de Quincy , l'Efcalopier de Nourar , Merault
de Villeron , Thiroux , de Montaran , Dufour
de Villeneuve, Bertin , de Silhouette, d'Argouges de
Fleury, Pajot de Marcheval , Chaumont de la Ga
210 MERCURE DE FRANCE.
laiziere , Dedelay de la Garde , de Fontanien ; TI
Degourgues , Turgot , & Rouillé d'Orfeuil , Mak Cun
tres des Requêtes ordinaires de notre Hôtel , La
Chambre Criminelle fera compolée des Sieurs es
Bidé de la Grandville , de Fontanieu , Feydeau de
Marville , Barberie de Courteil , le Pelletier de
Beaupré , Pallu , de Vanolle , Caftanier d'Auriac
& de Pontcarré de Viarme , Confeillers en notre
Confeil d'Etat & privé ; & des Sieurs Maboul ,
Bignon , Gagne de Perigny , Thiroux d'Efperfen
nes Baillon , Poulletier de la Salle , Maynon
d'Invaux , de Berulle , Bernard de Balainvilliers ,
Boutin , le Nain , le Fevre de Caumartin , de la o
Corée , de Cypierre , de Boullongne , Hue de
Miromenil , Pouyvet de la Bliniere & le Pilleur ,
Maîtres des Requêtes ordinaires de notre Hotel .
III. Et connoîtront lefdites Chambres , cha
cune en ce qui les concerne , tant des matieres qui
leur font attribuées par nofdites Lettres Patentes
du 11 du préfent mois , que de l'exécution des
Arrêts rendus par notre Parlement , & par
Chambre des Vacations établie par nos Lettres Pa
tentes du 18 Septembre dernier.
IV. Dans le cas ou pour les jugemens , foit
civils , foit criminels , les Juges de l'une ou l'a
tre desdites Chambres ne fe trouveroient pas dans
le nombre requis par nos Ordonnances , ceux qui
manqueront dans l'une defdites Chambres pour
ront être fuppléés par ceux de l'autre Chambre.
V. La Chambre Civile tiendra fes audiences les .
Mercredi , Vendredi & Samedi ; & la Chambre
Criminelle , les Mardi & Jeudi : pourront cepen
dant être tenues des audiences extraordinaires à
d'autres jours , lorfque le cas le requerera.
VI. Les deux Chambres s'affembleront dane
Jes cas ordinaires & accoûtumés.
DECEMBRE. 1753. 211
VII. Les jugemens qui feront rendus en ladite
Chambre Royale feront qualifiés Arrêts , & feront
intitulés de notre nom . Si donnons en mandement
à nos amés & féaux les Gens tenant
notre Chambre Royale à Paris , que ces préfentes.
ils ayent à faire lire , publier & regiftrer , & le
contenu en icelles obferver & exécuter felon leur
forme & teneur : car tel eft notre plaifir . En témoin
de quoi Nous avons fait mettre notre fcel à
cefdites préfentes. Donné à Fontainebleau le 18
Novembre , l'an de grace mil fept cens cinquantetrois
; & de notre regne le trente - neuvième . Signé,
LOUIS. Et plus bas , Par le Roi , M. P. de
Voyer d'Argenton. Et fcellé du grand ſceau de
cire jaune.
A VIS.
,
M. Bacher , Médecin de la ville de Thann , dans la haute Alface a compofé des Pillules
qu'il appelle Toniques , poor guérir les diverfes
efpéces d'hydropifie . Ces pillules font fort ailées à
prendre ; elles ne tourmentent ni ne fatiguent , &
peuvent être données fans danger aux perfonnes.
enceintes , à celles qui font nouvellement accouchées
, & aux enfans. Elles guériffent en particu-
Hier les hydropifies de poitrine , & notamment
celles qui proviennent des concrétions polypeufes
attachées dans les vaiffeaux , foit du coeur , foit du
poulmon. Si quelqu'un étoit tenté de ne pas ajoû
ter foi à des promeffes fi magnifiques , il doit être
guéri de fon incrédulité par les certificats bien légalifés
que nous avons reçus ; ils font la preuve la
plus authentique qu'on puiffe exiger de la bonté
d'un reméde.
112 MERCURE
DE FRANCE .
D
Certificats concernant les Pillules Toniques.
Je foufigné Recteur & Curé de Rhinau , ceri
tifie avoir été travaillé d'hydropifie de poitrine ,
qui malgré les foins & remédes preferits par les
plus habiles Médecins de Strafbourg & balle
face , empira au point à ne plus me lailler de l'eb
pérance pour mon rétabliſſement ; ayant été is
formé des merveilleufes pilulles toniques de M.kk
Médecin Bacher , je m'en fuis fervi avec un fuccès
défiré . Fait à Rbinau , ce 18 Acât 1753 Sigu
J. Vohlleber , Recteur , avec paraphe.
Je fouffigné , Curé de Spebach le haut , certifie
avoir fouttert beaucoup pendant plufieurs années
d'un afthme humide , & que de tous les remed
dont je me fuis fervi , il n'y avoit que les excellen
res pilulles toniques de Mile Docteur Bacher,Mé
decin de la Ville de Thano, qui ayent pû me gué
ret radicalement il y a huit ans , & ma fante e
parfaite & conftante , graces au Seigneur , & hon- t
neur aufdites pilulles , qui font toujours dans nos
quartiers des effets extraordinaires ; en foi de que
j'ai figné les préfentes . Fait audit Spebach , le
d'Août 1753. Signé Werner , Curé .
ત્
Je fouffigné , Greffier de la Vallée de S. Amar
rin , Principauté de Mue bach , certifie par les pr
fentes , que ma femme avoit été affigée d'une hy
dropifie de poitrine , & que les célebres l'avoient
traité , que néanmoins l'enfûre avoit tellement
augmenté, qu'elle fe trouvoit réduite à l'exè
mité ; on ne lui donnoit plus que vingt- quatre he s
res à vivre ; mais graces à Dieu , à la deuxième
prife de pilulles toniques de M. le Médecin Be
cher , c'eft à- dire dans l'efpace de deux heures
tous les mortels fymptômes avoient diminué
motablement , que toutes les perfonnes qui o
DECEMBRE. 1753. 213
été témoins oculaires de cette merveille ne pouvoient
le difpenfer de l'admirer avec étonnement
& qu'en moins de fix femaines la malade fut rétablie
à l'étonnement de tout le voisinage : enfin on
ne fçauroit allez prôner & publier ce merveilleux
reméde. Fait à S. Amarin , ce 10 Août 1753. Signé
Rudler , Greffier.
Je fouffigné , Laboureur , affirme que ma femme
avoit une maladie de poitrine qui lui ferroit
fi fortement la refpiration qu'elle fembloit étouffer
à chaque inftant , elle étoit fi abattue à force
d'avoir pris fi long tems des remédes de plufieurs
Médecins , qu'elle ne pouvoit prefque plus vivre ;
enfin un Monfieur nous a parlé des très bonnes
pilulles de M. le Médecin Bacher , de la ville de
Thann , & ma femme en a avalé de ces pilulles
pendant fix femaines , qui l'ont entierement guérie
il y dix-huit ans ; elle a fait depuis plufieurs
enfans qui fe portent bien , de même que la mere
: Dieu foit loué & ces bonnnes pilulles . Fait à
Bernewiller , ce 27 Juillet 1753. Signé Thiébault
Vener,
Je fouffignée , Maîtreffe de Pofte à Cernay , certifie
que je fus travaillée d'hydropifie venteufe ,
accompagnée de la jaunifle , que les differens remédes
ordonnés fucceffivement pendant quinze
mois furent fans fuccès , le mal au contraire empira
& parut être fans reflource ; j'eus recours aux pilulles
toniques de M. le Docteur Bacher , & j'eu
fus guérie , voi à la huitième année. Fait à Cernay,
le 15 Septembre 1753. Signée , Strobele .
Je fouffigné , Negociant , attefte par ces préfentes
qu'il y a vingt- quatre ans que je fus hydropique
, abandonné des Médecins , & que je fus radicalement
guéti par le fecret de M. le Medecin
Bacher , & que ma fanté fut conftante ju qu'à
l'année 1750 ; que l'hydropifie me laifit derechef
214 MERCURE DE FRANCE.
& que je fus entierement rétabli par le même fer :
cret , & , graces à Dieu , je continue à me bien Mcd
porter à mon âge de foixante & quinze ans . Fait imme
Heyflerberg le 27 Septembre 1753. Signé, F. Jo
Maurer.
On
Je fouffigné , Curé à Uffholtz , certifie que les pe
pillules toniques de M. Bacher , Médecin à Thann,
ont effectué , tant fur mes Paroiffiens que fur moi, le
des guérilons fingulieres & admirables. Fair
Uffholtz , ce 2 Octobre 1753. Signé , Bieter.
Je fouligné, certifie que les pillales toniques co
de M. le Docteur Bacher , Médecin & Phyficien
Thann , opérent des effets furprenans en fait de
guérilon d'hydropifie . Fait à Mullhoux le 11 Sep
tembre 1753. Signé , Wils , Docteur en Médecine
& en Chirurgie , Affocié Etranger de l'Académie temer
Royale de Chirurgie de Paris , & Médecin pentfionnaire
de la Ville de Mullhoux.
No
R &
ec
Je fouffigné, Docteur en Médecine, & Médecin
ordinaire de la Ville d'Altftrich , témoigne par les fide
préfentes que les pillules toniques de M. B - Co
cher , Docteur en Médecine , & Médecin Phyfi
cien de la Ville de Thann , ont produit les effets
merveilleux dans la guérifon d'une Demoiſelle
âgée de cinquante ans , pour l'hydropifie delefpérée
. Fait à Altſtrich ce 13 Septembre 1753 .
Signé, Vauclaire.
M. Gloxin , Docteur en Médecine , & Médecin Fa
penfionnaire de la Ville de Colmar , confeille les
pillules toniques quand l'occafion fe préfente; il
en a fait chercher lui- même une provifion , aufibien
que M. Kraufs , Médecin Stipendie a Bouzonville.
M. Baccara , Docteur en Médecine , & Médecin
penfionnaire de la Ville de Colmar , les conte:lle
pareillement , de même que M. Hoffer , Doctent
en Médecine , & Médecin penfionnaire à Mu
F
I
DECEMBRE.
1753.
hour ; & M. Greyenried , Docteur en Médecine ,
215
&
Médecin
penfionnaire
de la Ville de Soultz ,
comme
on peut le voir dans leurs Lettres miffives
&
confultations
refpectives.
On n'a point ajouté de certificats de leucophlegmatie
, ni d'anazarque , parce que les guérifons
de ces hydropifies font trop peu de chofe
pour les pillules toniques .
Je fouffigné , Tabellion Général du Comté de
Betfort , certifie avoir bien & dûement collationné
les copies ci-deffus fur les originaux qui m'ont été
préfentés , & que j'ai à ce moment remis , fans y
avoir ajouté ni diminué . Fait à Betfort le 10 Oc₁₂
tobre 1753. Bourquenot.
Nous François Noblat , Subdélégué au Dépar
tement de Betfort , certifions à tous qu'il appartiendra,
que le Sieur Bourquenot qui a collationné
& figné les copies ci - deffus , eft Greffier &
Tabellion des Ville & Comté dudit Betfort , & que
foi doit y être ajoutée : certifions de plus , que le
Contrôle ni le papier timbré ne font point en ufage
en cette Province d'Alface ; en foi de quoi nous
avons figné le préfent , & fait appofer au bas le
cachet de nos armes. Fait audit Betfort le 10 Oc
tobre 1753. Noblat.
Faules à coriger dans le Mercure précédent.
PA
J
Age 202 , ligne 29, traversées , lifez renversées.
Page 208 , lig. 6 , Couruziers , lif, Courceviers.
Pag. id. lig.20 , Lowendiere , lifez Loflendiere.
APPROBATION.
'Ai lû , par ordre de Monfeigneur le Chance
lier , le premier volume du Mercure de France
du mois de Décembre . A Paris le 30 Novembre
= $753. LAVIROTTE,
216
TABLE.
IECES FUGITIVES en Vers & en Profe;
Epitre à M. l'Abbé Marquet , Page 3
Lettre hiftorique au fujet du Bréviaire imprimé
fous le nom de Louis XIII ,
Le Privilege des Poëtes établi ,
II
29
Extrait des Ouvrages lûs à l'Affemblée publique
de la Société des Sciences , &c. de Clermont , 31
Le Jardinier & la jeune Plante . Fable allégoriq. 36
Mémoire fur le Topique que le Roi vient d'acheter
pour arrêter le fang ,
A Mile *** qui demandoit des nouvelles ,
Imitations de deux Epigrammes de Martial ,
Traduction d'une autre du même Auteur ,
Dialogue. Lindor & Damon ,
Imitations de quatre Odes d'Horace ,
Madrigal , à Madame B.....
40
47
48
50
ibid.
56
61
Lettre en réponse à des Réflexions fur l'Imprimerie
& fur la Littérature , 62
A M. *** fur fon Poëme de l'art de peindre , 73
Epitre à M. Roettiers , fur fa réception à l'Académie
de Peinture & de Sculpture , .75
Ellai fur une queftion de l'Académie de Besançon , 79
Remerciment à M. M. les Ineftricati ,
Enigme & Logogryphes ,
92
100
Nouvelles Littéraires ,
Beaux Arts ,
Récit de Balfe ,
Spectacles ,
Nouvelles Etrangeres ,
103
162
172
ibid.
177
France . Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 187
Bénéfices donnés ,
Naifance , mariages & morts ,
Arrêts notables ,
De l'Imprimerie de J. BU LOT.
194
195
202
MERCURE
DE
FRANCE ,
DEDIÉ AV
ROI .
DECEMBRE .
1753 .
SECOND VOLUME.
AGIT
UT
S
SPARGA
Chez
A
PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix:
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT , Quai de Conty , à la
defcente du Pont-Neuf.
DUCHESNE , rue Saint Jacques,
au Temple du Goût.
M.
DCC .
LIII..
Avec
Approbation &
Privilége du Roi,
A VIS.
'ADRESSE du Mercure eft à M. MERIEN ,
L Commis au Mercure , rue des Foffez S. Germain
l'Auxerrois , au coin de celle de l'Arbre -fec , pourremettre
à M. l'Abbé Raynal.
Nous prions très-infammene ceux qui nous adreſſe
ront des Paquets par la Poße , d'en affranchir le port ,
pour nous épargner le déplaifir de les rebuter , &àeux
celu de ne pas voir paroître leurs Ouvrages .
Les Libraires des Provinces ou des Pays Etrangers ,
quifouhaiteront avoir le Mercure de France de la premiere
main, plus promptement , n'auront qu'e
écrire à l'adreffe ci- deffus indiquée.
On l'envoye auffi par la Pofte, aux perſonnes de Province
qui le deferent , les frais de lapofte ne font pas
confiderables.
On avertit auffi que ceux qui voudront qu'on leporte
chez eux à Paris chaque mois , n'ont qu'àfairefçavoir
leurs intentions , leur nom & leur demeure audit ficur
Merien,Commis au Mercure ; on leur portera le Mercure
très - exactement , moyennant 21 livres par an , qu'il
payeront , fçavoir , 10 liv, 10 f. en recevant le ſecond
volume de Juin , & 10 l . 10 f. en recevant leſecond
volume de Décembre. On les fupplie inftamment de
donner leurs ordres pour que ces payemens foient faits
dans leur tems.
On prie auffi les perfonnes de Province , à qui en
envoye Mercure par la Pofte , d'être exactes à faire
Bayer au Bureau du Mercure à la fin de chaque fem- oftre
,Jans cela on eroit hors d'état de foutenir les
avances confidérables qu'exige l'impreſſion de cor
Ouvrage.
On adreſſe la même priere aux Libraires de Province,
On trouvera le fieur Merien chez lui , les mercre
di , vendredi& Samedi de chaque femaine.
PRIX XXX. SOLS.
N
MERCURE
DE
FRANCE ,
1
DÉDIÉ
AU
ROI.
DECEMBRE.
1753.
SECOND
VOLUME.
PIECES
FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
L'AMOUR
VENGE
L
A Mile. B ***
Par Monfieur D **,
'Amour vouloit me faire aimer ,
Pour éluder fes traits ,j'ufai d'une de
faite ,
Je veux bien, dis- je, Amour , me lail
fer enflammer ,
Si tu peux me trouver une beauté parfaite
Aij
4
MERCURE DEFRANCE,
Avec la jeuneffe d'Hébé ,
Q'uelle ait les talens de Minerve ,
Les appas enchanteurs que Venus ſe réſerve ;
Et la tendreffe de Thisbé.
L'Amour eft un Enfant ; par une telle excufe
Je croyois le décourager ;
Mais il fçut pénétrer ma rufe
Et réfolut de s'en venger ,
Vous qui craignez d'être fenfible ;
Nofez point défier l'Amour ,
Ou , pour vous braver à fon tour
Ce Dieu trouvera tout poffible .
Par quelque frivole détour ,
En vain vous croirez vous défendre ;
Il fçaura toujours yous furprendre ,
Et vous le fervirez un jour .
Vous qui craignez d'être fenfible ,
N'ofez point défier l'Amour ,
Ou , pour vous braver à fon tour
Ce Dieu trouvera tout poffible .
Que l'Amour eft ingénieux ,
Quand on intéreffe fa gloire !
It forme Rofalie , & déja glorieux ,
Il s'applaudit de la victoire
Qu'il attend d'un objet fi conforme à mes væus,
0
E
1
DECEMBRE . 1753 .
L'efprit brille dans fes yeux ,
La douceur régne fur la bouche ;
Un air fier , fans être farouche ,
La fait prendre aifément pour la Reine des Cieux ?
Sa taille eft faite par les Graces ;
Les Jeux , les Amours & les Ris
Ont de fon tein charmant broyé le coloris ;
Un effain de plaifirs voltige fur les traces ?
Et mille qualités , dans un égal éclat ,
Semblent fe difputer entr'elles ,
Par un agréable combat ,
La gloire de paroître à mes yeux les plus belles!
D'un fi rare affemblage
Tous les Dieux font furpris ,
Et de fon propre ouvrage
L'Amour même eft épris ,
Venus dans Amathonte
Vole cacher la honte
Qui colore fon front ;
Et Junon en allarmes ,
Craint encor pour les charmes
Quelque nouvel affiont .
Que vois je ! Quel fpectacle à mes yeux fe
·
préfente ?
Pour qui font les fers que je vois ?
Quelle Déité féduiſante
A iij
MERCURE DE FRANCE
Vient me faire entendre fa voiz ?
C'eft le fils de Venus , il conduit Rolalie ;
I m'appelle ; auffi tốt j'oublie
Que je devois toujours redouter ce Vainqueur
Venez , cher tyran de mon coeur ,
Venez , je me foumets au joug de votre Empire ,
L'indifférence en vain combattroit mes défirs =
Heureux feul qui pour vous foupire !
Un coeur indifférent connoît- il les plaiſirs ›
*****
Sortez de votre léthargie ;
Venez , Favoris des neuf Saars ,
Avec la plus vive énergie -
Peignons l'Amour & fes douceurs
Et de notre riante orgie
Banniffons les triftes cenfeurs.
Parons nos têtes de guirlandes ,
Que chacun de nous pour offrandess
Donne des foupirs & des voeux ;
Pour le tendre Dieu qui m'anime }
La plus agréable victime
Eft le coeur le plus amoureux.
Sortez de votre léthargie ,
Venez , Favoris des neuf Soeurs ,
Avec la plus vive énergie
Peignons l'Amour & fes douceurs ,
Et de notre riante orgie
Banniffons les triftes cenfeurs.
DECEMBRE 1753 .
30% 30% 30% 50% 16 302 306 26 26 506 0 0 0
ASSEMBLEE PUBLIQUE ,
De la Société Royale de Lyon , du 7 Décem-
M
bre 1752.
Onfieur Chriftin , Directeur & Secrétaire
perpétuel , a donné les Extraits
fuivans des Mémoires qui ont été
lûs à cette Académie dans les Séances particulieres
, depuis le 19 Avril , jour de
la précédente Affemblée publique.
Suite des remarques für l'Italie , qui ont été
lies dans la derniere Affemblée publique
par M. Soufflot.
On a dans ce fecond Mémoire la def
cription des eaux thermales qui font aux
environs de Viterbe , & principalement.
de celles de Bollicame.
C'eſt un baffin d'environ quatre- vingt
pieds de diametre , qui fe remplit par des
fources jailliffantes , & fe vuide par cinq
ou fix rigoles affez confidérables ; cette
eau eft fort chaude , & fe pétrifie aifément
en élevant infenfiblement les rigoles
par lesquelles elle s'écoule ; elle a formé
dans quelques endroits des prifmes de pierre
d'une longueur étonnante & de fix
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE.
•
à fept pieds de bafe ; elle eft dure , &
l'on s'en peut fervir pour bâtir & faire
de la chaux .
Après différens examens de ces petri
fications , M. Soufflot conclut que cestains
tartres ou cônes tronqués de pierre ,
d'environ trois cens pieds de bafe , qui
ne font pas éloignés de Bollicame , &
defquels on tire la pierre pour faire la
chaux , ont pu être formés par de femblables
eaux qui fortant dans la plaine en jailliffant
, auroient d'abord élevé un champignon
qui fe feroit peu à peu groffi jufqu'au
point de former ces tartres , & jufqu'à ce
que fe trouvant au niveau de la fource , ek
les fe feroient fait jour ailleurs.
L'examen du baflin de Bollicame fert
particulierement à faire voit combien il
eft difficile de détruire les préventions
populaires ; les gens du Pays font perfuadés
que ce baffin n'a point de fond ;
qu'on peut faire cuire dans les eaux , qui
font à la vérité très chaudes , un oeuf &
de la volaille .
Cependant M. Souflot n'y a trouvé au
plus profond que quaraate- fix pieds ; un
ceuf ni un poulet n'ont pû s'y cuire ,
quoique le poulet y foit mort , & le foit
déplumé après avoir été laillé affez longtems
dans ces eaux.
DECEMBRE . 1753. 9
Ces épreuves & d'autres qui font rapportées
dans le Mémoire fur d'autres objets
, ont été faites en préfence de gens
du Pays ; M. Soufflot ne croit pas cependant
les avoir détrompés. L'idée du
merveilleux prend de fi fortes racines
dans l'efprit du peuple , qu'il eft comme
impoffible de l'en arracher ; la tradition
feule leur tient lieu de connoillances.
Sur les parties intégrantes ou conftitutives
des métaux.
Monfieur de Blumenftein en reconnoît
trois ; la terre vitrefcible , le fel , & un
inflammable nommé Phlogiston par les
Chimistes.
Cette terre fe fcorifie ou fe vitrifie fans:
aucun ajouté , & étant enfuite expofée à
l'air , elle fe réduit de nouveau en terre.
Le fel a la propriété de fe diffoudre &
de fe criftallifer. Le phlogistique est ce
qui s'allume ou fe confume , fans qu'on
en aperçoive d'autres veftiges que la défunion
des parties aufquelles il étoit joint.
Ces principes font fluides avant leur
jonction , ils circulent dans l'intérieur de
la terre infqu'à ce qu'ils le rencontrent
& fe fixent pour former un métail. Ils
fotent fouvent en forme de vapeur par
Ay
10 MERCURE DE FRANCE,
ouverture des mines ; ce font eux qui
l'olorent les terres & les eaux de leurs
coffes , & qui nuifent à la poitrine des
fmineurs.
La proportion dans laquelle ils fe
trouvent dans un métail , rend leur
nion plus ou moins intime & le métail
alus ou moins parfait. L'inflammable dopi
ne dans l'argent , le fel dans le cuimre,
la terre dans l'étain & dans le plomb :
vans l'or ils font dans la plus jufte &
da plus égale proportion , le fer a peu
Id'inflammable ; les femi-métaux manquent
d'un de ces trois principes ..
Les preuves de ce fyftème fe tirent de
ce que dans les effais fur les métaux &
dans leur fonte on n'employe , felon M.
de Blumeinſtein , aucun autre ingrédient
que quelqu'an de ces trois mêmes principes
; ce ne peut être que pour rendre
au métail redevenu fluide , les parties qui
fe font évaporées ou celles qui lui manquent
les propriétés des métaux , leur
décompofition & leur reproduction concourent
auffi à prouver la réalité de ces
trois principes. Les bornes d'un Extraic
ne nous permettent pas de fuivre l'Auteur
dans ces détails ; il en tire les réponſes aux
questions qu'on peut former fur la forma
tion ,
la reproduction & l'augmentation
DECEMBRE. 1753.
des métaux , & entr'autres fur la poffi .
bilité de leur tranfmutation.
Monfieur de
Blumenftein pense qu'elle
n'eft pas impoffible en elle- même , puifqu'elle
ne dépend que des différentes combinaiſons
des trois principes ; mais elle
n'en eft pas moins hors de la portée des
Artiſtes , & on ne doit jamais fe flater
d'y parvenir autrement que par une efpece
de hazard , puifque ces combinaiſons
font inconnues , de même que la maniere
de les produire. Il eft moins difficile
de réuffir à
perfectionner fimplement
les métaux , foit en ajoûtant les
principes qui leur manquent, foit en détruifant
ceux qu'ils ont de trop & audelà
de la proportion qui les rend plus
parfaits.
Difcours fur l'immortalité des tableaux ;;
ouvrage accompagné de réflexions générales
fur la gloire qui eft attachée à l'invention
des Arts:
La découverte nouvelle d'un moyen für
pour faire revivre les tableaux , a donné
lien à ce difcours qu'a fait le Pere Tho
lomas ; ce moyen qui tient du merveil
leux , s'il eft permis de le dire , confifte à
enlever une peinture ancienne , & à la
transporter d'une vieille toile fur une nou
A vj
12 MERCURE DE FRANCE
velle ; ce que M. Picaut a exécuté avec
un fuccès tel que les couleurs font auth
vives qu'elles pourroient l'être dans leur
origine .
Rome a trouvé dans le commencement
de ce fiécle un fecrer à peu près
femblable ; ce que Paris voit aujourd'hui
fous les yeux n'eft pas moins frappant &
paroît encore plus difficile .
Le procédé de ce nouvel art n'eft pas
encore connu dans fes détails ; le public
doit fe contenter d'admirer quant à
préfent on ne doute pas que l'efprit de
therébentine ne foit le principal agent
que l'on employe. Le point eft d'appli
quer une toile préparée fur la peinture
que l'on veut lever , cette toile fe cole
& enleve la peinture dont on voir tous
les revers ; mais la difficulté eft de l'appliquer
enfuite fur une autre toile qui
ferve de nouveau fond ..
Hie opus hic labor eft.
Qu'en penfer ? D'un côté le génie des
Arts fouffre quand la moindre choſe écha
pe à fes connoiffances ; de l'autre , fi tout
étoit connu & prodigué , le vulgaire fe
croiroit difpenfé de payer aucun tribut à
l'admiration ,
DECEMBRE. 1753. 13
Monfieur Olivier examine dans un Mémoire
quelles font les Sciences qu'un
Médecin doit avoir cultivées pour méri
ter la confiance du public dans l'art de
guérir ; il prétend qu'il importe à fa gloire
& au bien des malades , qu'il fe lost
particulierement accoutumé de bonne
heure à étudier & à fuivre , avec autant
d'attention que de perféverance , tous les
mouvemens de la nature ; enfin M. Olivier
croit voir dans la conduite d'un bon
Pilote celle que doit tenir un habile Médecin
il remarque encore que les lumicres
acquifes le dernier fiécle dans les Arts &
les Sciences , en ont procuré de confidéra
bles dans la Médecine & la Chirurgie.
Réflexions fur la théorie des tourbillons , de
M. de Fontenelle..
L'Auteur de ces réflexions remarque ,
1. que dans l'hypotefe du mouvement
de circulation fluide , tel que l'explique
la théorie des tourbillons , tous les points
d'une même couche circulans dans de
grands cercles , doivent néceffairement fe
croifer dans un point , s'entrechoquer , & .
conféquemment perdre leur mouvement.
2°. Que la matiere qui forme le tourbillon
folaire étant comme l'atmosphere
du Soleil , ne peut avoir d'autre mouve
14 MERCURE DE FRANCE.
celui
que
ment que lui imprime cet altre
or le Soleil n'a d'autre mouvement
que celui de roration
ou de circulation
folide.
3 °. Que dans la fuppofition de la circu
lation fluide , il doit arriver entre les
différentes couches du tourbillon des
frottemens continuels , parce que leur
titelles font inégales , étant entr'elles
en raifon inverfe des racines quarrées.
des rayons.
4°. Que le tourbillon devroit même
fe diffiper , parce que chaque point d'ane
couche inférieure a toujours plus de
force centrifuge que le point correfpondant
de la couche immédiatement fupérieur
, ces forces étant en raison récipro
que des quarrés des rayons.
5. Que de la maniere dont on explique
le mouvement de rotation des planetes ,
il paroît que ce mouvement dans la partie
inférieure de la planéte eft oppofé à
fon mouvement de circulation .
6°. Que toutes les démonftrations de
l'Auteur de la théorie étant fondées fur la
parfaite fphericité des tourbillons & des
orbites des planétes , & cette hypotese étant
faufle , il s'enfuit que toutes ces démonſtra
tion s fe réduifent à rien .
7°. Que felon l'explication qu'on don
DECEMBRE. 1753 I'S
ne de l'ellipticité des orbites des planéres
, le Soleil ne devroit pas fe trouver
au foyer de ces orbites , & que d'ailleurs
on affigne ici à des effets conftans
& réguliers des caufes très - inconftantes
& très irrégulieres.
8°. Que les cométes allant fouvent dans
une direction contraire à celle du tourbillon
planetaire , ce feul fait renverfe tou
re la machine des tourbillons:
9°. Que la gravitation univerfelle ou
Fattraction de Newton e un principe
auffi clair & auffi intelligible que la pré--
tendue circulation de Defcartes , parce
qu'il eft auffi facile de concevoir un corps
tendant vers un autre par la loi du fou
verain' moteur , qu'un corps circulant autour
d'un autre ; que cette tendance eft
aufli conforme à la nature des corps que:
la circulation , & qu'il est même impoffi
ble de concevoir un corps circulant autour
d'un autre , fans le concevoir animé
de deux forces , l'une qui le porte vers
ce corps , & l'autre qui l'en éloigne .
10°. Que le vuide de Neuwton bien
entendu , choque bien moins la raifon que
le plein de Defcartes , qui renferme l'infinité
de la matiere , dont l'idée répugne..
Que d'ailleurs Newton ne prétend pas
que les efpaces céleftes foient des vuides
76 MERCURE DE FRANCE.
parfaits deftitués de matiere quelcon
que , mais feulement des vuides de matiere
pefante & réfiftante ; ce que démontre
le mouvement des corps céleftes qui n'a
pas encore fenfiblement diminué.
Sur le Chêne,
Monfieur l'Abbé Pernetti qui aime la
Botanique par inclination , nous a entretenu
fur le chêne ; cet arbre que nous ne
craignons point d'appeller le Roi des arbres
dans ce genre végetal , comme nous
appellons dans le genre animal le lion
le Roi des animaux.
Cet Académicien fe plaint avec raifon
de ce que les qualités aftringentes du
chêne n'ont point été aufli -tôt connues que
celles de tant d'autres plantes moins importantes
. I fe forme fur cet arbre des
excroiflances fongeufes , efpéce de champignons
appellés agaric , dont l'application
eft un remède fûr contre les hémorragies.
Nous apprenons ici la caufe
de cette vertu ftiptique dans le chêne ,
dont il y a cinq elpeces d'arbres différentes.
M. l'Abbé Pernetti dit avoir vû aux
environs de Bayonne une forte de chêne
dont l'écorce eft comme du liége.
Ce difcours contient tout ce qu'on doit
fçavoir du gland , des différentes fortes
DECEMBRE. 1753. 17
de gales & du gui qui viennent fur le
chêne ; leur formation & la propriété des
uns & des autres n'échapent pas à notre
Naturalifte .
Au reste tout ce qui eft dit fur la qua
lité aftringente de cet arbre , vient d'être
confirmé cette année par une expérience
digne de toute l'attention du public : le
fieur Pontau , Chirurgien Major de l'Hôtel
- Dieu , a fait l'amputation d'un bras ,
après laquelle il n'a arrêté le fang que
par l'application feule de l'agaric du chêae
,fans aucune ligature .
Sur les Coquillages.
Monfieur de Fleurieu qui nous a déja
entretenu fur plufieurs parties des naturalités
, y a joint une differtation fur les
coquillages , dont il releve avec raifon le
mérite : leur vêtement fuperbe peut ſervir
de modéle aux plus habiles Artiftes , premier
avantage ; ils nous offrent des mets dé
licieux , fecond avantage ; mais ce qui eft
bien plus important , ils contiennent des remédes
fouverains dans plufieurs maladies.
Ce difcours eft une Conchiologie abrégée
, préfentée dans un ordre & une netteté
dignes de l'Académicien .
La formation des trois efpéces de coquillages
, de mer , de riviere & de terre ,
ปี
18 MERCURE DE FRANCE.
eft traitée dans des détails rendus inté
reffans par les remarqués qu'a fait M. de
Fleurieu dans les fources mêmes , c'est-àdire
fur des piéces de ces fortes de naturalité
, & c'est là ce qui rehauffera toujours
de pareils entretiens , lorfqu'ils font
accompagnés , comme celui- ci , d'obferva
tions particulieres .
An
Cet Académicien étale enfuite à nos Per
yeux les différens fyftêmes que nos fçavans
modernes ont imaginé fur la formation des
coquillages ; il ne feroit pas permis à un
Naturaliſte ou Phyficien d'ignorer de pa
reils fiftêmes , mais il eft fort le maître de
n'en embraffer aucun.
De l'art de peindre les portraits.
Monfieur Clapaffon commence par pré
conifer en peu de mots les avantages de
ce bel art. Il paffe enfuite à l'examen des
quatre chofes principales qu'on exige
pour la perfection d'un portrait ; l'air de
vifage , le coloris , l'attitude & les draperies
; il ajoute qu'il n'eft peut-être point
d'art qui pour y réuffir demande autant
que celui- ci un talent particulier , une
heureufe difpofition de la nature ; préfent
qu'elle fait plus rarement qu'on ne pen
fe , mais dont tout le travail poffible ne
dédommagera jamais. M. Clapaffon finit
22
DECEMBR E. 1753. 19
ar une réflexion fatisfaifante pour ceux
ui s'intéreflent au progrès des arts parmi
ous . C'eft que malgré les plaintes fréuentes
qu'on fait fur le relâchement où
es Arts font tombés depuis quelque
ems , il eft certain néanmoins que celui
lu portrait le foutient dans tout fon luftre.
Sur l'Electricité
Perfuadés que les corps en repos ne
e meuvent point eux-mêmes , & qu'ils
me fortent de leur repos que par l'action
le choc d'un autre corps , foit folide ,
foit liquide , tous les Phyficiens qui ont
raité de l'électricité font d'accord que
les phénoménes électriques ne s'ope
rent que par le choc d'un fluide quelconque
mis en mouvement par le frottement
du globe ou du tube de verre ,
ou de toute autre matiere électrique ;
ils s'accordent aufli à nommer ce fluide
le fluide électrique.
Mais leurs fentimens font d'ailleurs très
différens. Ils different fur deux points
principaux : 1 °. fur la nature de ce fluide ;
2. fur fon cours , ou , fi l'on veut , fur fa
direction .
= Quant à la nature du fluide , les uns
veulent que ce foit le feu , les autres une
Paatiere fubtile , d'autres un fluide par
10 MERCURE DE FRANCE.
ticulier inconnu jufqu'à préfent. M. Gar
nier dans un fécond difcours qu'il a donné
fur l'électricité , affure que le fluide élec de fe
trique n'est autre chofe que la lumiere be
même ; c'eft le fluide lumineux dans le
quel nagent les aftres & les planétes de
tous les tourbillons de l'Univers. Jufqu'
préfent , dit M. Garnier , on n'avoit re
connu dans la lumiere d'autre propriété
que celle de nous éclairer , mais les ex
périences électriques nous ont découvert
une infinité de merveilles , comme de tr
verfer tout le corps avec une viteffe incroyable
: il démontre même qu'elle doit
paffer plus rapidement par les corps durs
que par les pores de l'air , parce que ,
dit il , toutes chofes égales d'ailleurs , un
fluide quelconque , mû par des tuyaux
durs & peu flexibles , coulera toujours plus
rapidement que lorfqu'il fera pouflé dans
des tuyaux mols & flexibles.
Pour ce qui regarde le mouvement da
fluide électrique , fon cours & fa direc
tion , la plupart des Philofophes de ce fiè
cle affûrent que ce fluide fort en même
tems & avec une viteffe égale des corps
électrifés & de ceux qui ne le font pas ,
c'est ce qu'ils appellent l'affluence & l'ef
fluence fimultanée : ils prétendent que
leur Aaide électrique d'une part , fort im
CAL
M
2
DECEMBRE. 1753. 21
pétueufement du globe à niefure qu'on
le frotte ; qu'il enfile les pores de la barre
de fer , qu'il parcourt lefdits pores dans
toute l'étendue de la barre , cherchant à
chaque pas une iffue pour fe répandre
dans l'air ambiant , & c'eft celui là qu'ils
appellent matiere effluente ; tandis que
d'autre part un fluide femblable , c'est-àdire
la matiere affluente contenue dans les
corps voisins de la barre électrifée , fe
dirige vers cette barre , s'y porte avec
violence , rencontre les atômes du fluide
qui eft forti du globe ; ils aflurent que
tous les phénoménes électriques dépendent
du choc de ces deux matieres .
M. Garnier rejette ce double cours
il n'en admet qu'un. Il prétend que la
lumiere contenue dans la fubftance du
verre en eft chaffée par le frottement , de
la même maniere qu'en paffant la main.
fur une vergette , on en fait rejaillir la
pouffiere. Il dit que la lumiere étant ainfi
chaffée de la fubftance du verre , il fe
fait dans cette fubftance un vuide inftantané
de lumiere. Il prouve enfuite que ce
vuide doit être néceffairement réparé par
la lumiere qui traverfe les pores de la
barre de fer voifine ; ce qui établie né-
Celfairement un courant de lumiere de
la barre de fer au globe . Il regarde la
22 MERCURE DE FRANCE. celui
D
buyer
machine électrique comme une pompe de pré
lumiere , la lumiere pompée eft remplaetici
cée par celle de la barre , celle de la léma
barre l'eft par celle des corps voifins a com
celle des corps voifins par celle des corps queld
qui font près d'eux , & ainfi à l'infini
Auffi Monfieur Garnier ne met point de ces
bornes à l'électricité ; il eft perfuadé que Me
fi elle fe faifoit avec une barre ou une
chaîne infinie , elle feroit infinie. Il dé
finit le corps électrique , celui dans lequel Après
on a établi un vuide ou un courant de Mém
lumiere ; l'électricité ceffe dès que le vuilité
de eft rempli , ou dès que le courant et des
ceffé. Tous les phénoménes électriques es
font caufés & dépendent uniquement de qu'il fa
ce que la lumiere , tant celle qui eft ré
pandue dans l'atmoſphere ambiante que par la
celle qui eft contenue dans les corps voiglande
fins , fait effort pour remplacer le vaide
ou fe jetter dans le courant ; l'électricité
eft d'autant plus grande , c'eſt-à- dire les La
phénoménes électriques font d'autant plus ana
frappans ,
5, que l'on a établi un
courant
parle
de lumiere plus rapide & plus grand.
Sur PElectricité.
mo
Mon
rences
Monfieur Pestalozzi nous a auffi don
L'o
P
ve
pe
DEUTS
né un Mémoire fur l'électricité , &
dade
lequel il paroît d'un fentiment différent
23
DECEMBRE.
1953.
celui de
Monfieur
Garnier. M.
Peftazzi
prétend
que le
principal
agent
de
électricité
eft le
feu.
Dans
une
matiere
oblématique & qui
n'eft pas
encore
fez
connue
, la
diverfité
de
fentimens
quelquefois
néceffaire
pour
aider à
écouvrir la vérité ; mais
il est
beau
de
oir ces
deux
adverfaires
fe
difpurer
dans
urs
Mémoires
, & faire
affaut à la fois ,
vec
autant
de
politeffe
que de
raifon
ppuyer
chacun
fon
fyfteme.
Après
ce
difcours
, M.
Delorme
a lû
an
Mémoire
fur la caufe
de la
mauvaiſe
qualité
des
eaux
de la plus
grande
quanité
des
puits
dans
les
Villes
; il donne
des
moyens
de les
avoir
pures
& faines
,
qu'il
faut
voir
dans
le
Mémoire
.
pour
Monfieur Graffot a terminé la féance
par la lecture d'une differtation fur les
glandes falivaires , fur la nature , les différences
& les ufages de la falive .
L'ouvrage eft divifé en deux parties,
La premiere renferme les
defcriptions
anatomiques des organes dont l'Auteur
parle ; mais pour répandre plus de clarté
& mettre plus d'ordre qu'il ne s'en trouve
peut être communément dans les Auteurs
qui traitent de l'Anatomie en géné
ral , M. Graffot après avoir donné une
idée fuccinte de la ftructure de toutes
24
MERCURE DE FRANCE, DECE
les glandes & de leurs fonctions , ran
les falivaires fous trois claffes différente
Dans la premiere font comprifes celles bouche
qui font fituées aux parties extérieures
de la bouche , & dont les canaux excré
teurs viennent verfer la falive auprès des lande
dents.
La feconde contient celles de l'inté
rieur de la bouche .
Cependa
aseme
Faux
Celti
C
La troifiéme , toutes celles qui fe trou- ef
vent par derriere la luette & la voûte
du palais.
&
fans
ret,
Lespar
Il paroît que l'Auteur du Mémoire s'eft
attaché avec foin à décrire d'une façon
précife la fituation , l'étendue , les di
menfions de ces glandes & de leurs ca
naux excréteurs. Convaincu
par l'expé
rience que la léfion de ces organes
fur tout des glandes de la premiere claffe ,
expofe les bleffès à de fâcheux inconvé
niens , & les perfonnes qui font prépofes
pour y remédier , à éprouver des diffi
cultés quelquefois
infurmontables
, il
cru ne devoir rien négliger pour les re
-préfenter à l'efprit avec le plus de vérité
qu'il feroit poffible .
despr
des
Monfieur Graffot obferve dans la fecon
de partie de fon Mémoire qui traite des
qualités , des différences & des ufages de
la falive , que quoique l'on confonde
affe
ا ه ا
de l
C
epai
Cep
DECEMBRE. 1753 .
25
affez ordinairement fous le terme générique
de falive toute l'humeur dont ja
bouche eft fans ceffe humectée , elle a
cependant des différences fenfibles relativement
aux trois différentes claffes des
glandes qui la fourniffent , & aux principaux
ufages aufquels cette liqueur eft
deſtinée .
Celle des glandes de la premiere claſſe
cft légere , transparente , claire comme
l'eau , le mêlant facilement avec elle ,
fans odeur , fans faveur , un médiocre
degré de chaleur la fait aifément évaporer
, une legere agitation la rend fort écumeufe.
Monfieur Graffot après avoir parlé de
Les parties intégrantes & de fes propriétés
générales , explique comment elle eft un
des principaux agens de l'apétit , du goût ,
& de la digeftion , trois des plus grandes
opérations de la nature.
La falive des glandes de la feconde
claffe n'eft pas fi légere , fi attenuée , fi
active , fi pénétrante , ni fi claire que celle
de la premiere claffe .
Celle de la troifiéme et encore plus
épaiffe , plus muqueufe ; elle eft même fufceptible
d'un dégré d'épaiffiffement fi con
Sidérable , que ce n'eft qu'avec beaucoup d
peine que l'on peut la mêler avec l'eau,
11. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
M Gralfor prouve dans la récapitulation
de ces trois efpeces de falives , que leur
qualités différentes étoient néceffaires pour
fervir aux ufages qui leur font affignés.
» La premiere efpece devoit fe mêler avec
» les différentes fubftances dont les hom-
» mes fe nourriflent , pour leur faire fubir
» les changemens que la digeftion opere ;
» auffi cette liqueur renferme- t- elle en elle-
» même des principes qui lui permettent
» de s'unir avec facilité à tous nos ali-
» mens & de les pénétrer intimement ,
quoique fort oppofés les uns aux autres,
Elle n'étoit néceffaire pour cet effet
dans les inftans que nous employons à
nos repas ; auffi ne le fépare - t'elle en abondance
, & ne revient-elle le mêler avec
notre nourriture , que dans les momens
& dans les endroits où elle eft brifée &
broyée par les dents .
>>
que
Les parties intérieures de la bouche font
expofées à des mouvemens qui les metrent
dans la néceffité d'être fans ceffe humectées
, la falive de la feconde claffe ne
leur manque jamais au befoin . L'air extérieur
paffe & repaffe fans ceffe fur ces
parties ; il falloit une humeur qu'il ne pût
és facilement entraîner avec lui ; l'huile
gireufe & l'épaiffeur de cette efpece de
falive empêchent la féchereffe de ces
parties.
DECEMBRE. 1753.
27
Les alimens folides dont nous nous fervons
font remplis d'inégalités , & fur tout
de fels piquans & actifs qui feroient des
impreffions fâcheufes fur leur paffage ; il
falloit un onctueux ou mucilage qui rendiffent
ces voyes gliffantes , qui en envelopaffent
ces fels & ces afperités ; ces propriétés
fe trouvent dans les deux dernieres
efpeces de falive.
Il étoit
abfolument néceffaire , pour que
nos alimens puffent fubir dans l'eftomac
les changemens aufquels ils font deftinés ,
qu'une certaine quantité d'air extérieur
y parvint avec eux ; un fluide gras & tenace
fe trouve pofitivement fur la route
qui envelope cet air de toutes parts , &
qui l'oblige à fuivre le fort des alimens
fans qu'il puiffe s'échapper par les côtés.
L'articulation de la voix ne peut être
douce , exacte & variée qu'autant que les
parties où elle reçoit les différentes modulations
agiffent avec une extrême facilité
; elles font continuellement arrofées
par la liqueur que leurs glandes y répandent
fans interruption.
La falive qui devoit être principalement
employée à humecter & à rafraichir la bouche
, fe trouve toujours prête & toujours
préfente au befoin ; elle y diftille par mille
petits tuyaux très courts qui la laiffent
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
échapper goutte à goutte , d'où elle fe répand
également par tout.
Si elle avoit coulé par ruiffeaux comme
celle des glandes de la premiere claffe ,
la bouche n'auroit pas été plus humectée ,
elle auroit été continuellement inondée ;
ce qui auroit rendu dans tous les hommes.
la prononciation auffi difficile & auffi
défagréable qu'elle l'eft dans ceux où ces
liqueurs affluent en trop grande quantité.
Čelles des glandes falivaires qui devoient
avoir le plus de volume , ont été placées
au dehors de la bouche , pour que leur
préfence ne fût point incommode ; elles ont
été munies de conduits très longs , & d'un
diamétre toujours proportionné à la quantité
de liquide féparé . Elles font fituées aux
environs de l'angle de la mâchoire inférieure
, pour que les mouvemens prefque
continuels de cette partie puffent aider
leur action dans les inftans où elle convient
le mieux , & où elle eft le plus
néceffaire.
Monfieur Graffot finit en remarquant
que l'Auteur infini de toutes chofes n'a
pas moins manifefté fa toute puiffance
dans l'art admirable avec lequel il a dif
pofé tous nos organes , que fa fageſſe &
La bonté dans la facilité avec laquelle ils fe
prêtent mutuellement des fecours, & dans
DECEMBRE. 1753 . 29.
Fexactitude avec laquelle ils exécutent
leurs fonctions : les vûes profondes , la
prévoyance éclairée , l'ordre merveilleux
qui régnent par tout , faififfent à chaque
inftant notre admiration , & annoncent
d'une facon bien fenfible quelle doit être
l'étendue de notre refpect & de notte
reconnoiffance.
78090 200 205 206 207208 209 R0 RT ROOF OF
V
CONSEILS
A une jeune Perfonne .
Otre légereté , Philis , me défefpere ;
Quoi ! rien ne peut fixer le cours de vos
défits >
Ce qui dans un moment aura fait vos plaifirs ,
L'inftant d'après ne fçaura plus vous plaire ?
Et vous croirez que cette humeur legere
Epargne d'ennuyeux foupirs ?
Qu'il faut pour varier de fatigans loisirs ,
Par de nouveaux objets chaque jour fe diftraire a
Qu'on évite par là de mortels déplaifirs ?
Y penfez vous : eft - ce à nos âges
Qu'il fied bien d'affecter des fentimens volages ?
Et croyez - vous ainfi jouir du vrai bonheur ?
Non , non d'un fentiment plus pur & plus flateur
Naît la félicité fuprême ;
:
B iij.
30 MERCURE DEFRANCE .
Sçavoir aimer autant que l'on nous aime ;
C'eft là le feul objet qui doit toucher un coeur.
Vous brilleriez d'une beauté nouvelle ,
Les Dieux auroient fur vous épuifé leurs bienfaits ,
Philis , fi vous n'aimez jamais ,
Jamais vous ne paroîtrez belle ;
C'eft ce feul fentiment qui doit vous enfimmer ;
Vous auriez vainement tout l'efprit en partage ;
Ce rare , mais foible avantage ,
N'eft rien fi l'on ne fçait aimer.
Ces foiqs que vous prenez d'orner votre parure ›
D'ajouter chaque jour à vos divins appas ,
N'est-ce en vous que l'effet de la vanité pure ?
Croyez vous que l'amour ne les anime pas ?
Ah ! pourquoi faut - il donc que votre coeur ignore
Qu'il eft des biens plus doux , plus féduifans encore
Que ceux que vous promet votre légereté ?
Vos jours touchent à peine à leur premiere aurore ;
Connoiffez tout le prix de la félicité.
Gardez - vous de fermer les yeux à la clarté
Qu'Amour pour vous fe plaît à faire éclore ;
Songez qu'il n'eft qu'un pas du Printems à l'Eté ,
Qu'on ne voit point toujours régner l'aimable
Flore ,
Et que c'est faire outrage enfin à la beauté ,
De ne fouffrir point qu'on l'adore .
Lemonnier
DECEMBRE . $ 753 . 31
OBSERVATIONS IMPORTANTES
Sur les petites Véroles de 1753. Par M.
Morean Defraviers , Médecin ordinaire
du Roi.
I
L n'a point paru depuis trente ans
une petite vérole d'une conftitution
auffi épidémique & d'un caractere auffi
mauvais , que celle qui régne en France
depuis le commencement de Juin julqu'à
ce 15 Octobre 1753 , que j'écris ces.
obfervations . Cette petite vérole a fuccédé
à des fiévres éréfipélateufes qui ont en
leur cours les deux mois précédens . Les
jeunes gens de l'un & de Pautre fexe qui
s'étoient dérobés des autres épidémies ,
n'ont pû échaper à la vivacité de celle - ci
elle prend fon époque du Printems & de
l'Eté les plus chauds qu'on ait encore vû ,
pendant lefquels le vent du Midi a foufflé
fans difcontinuer.
La diverfité des hypothefes des Médecins
Arabes & de quelques modernes ,
m'a quelquefois jetté dans le Pyrrhonifme
fur la caufe de cette cruelle maladie :
quoiqu'il en foit , fi la petite vérolé a un
levain qui lui foit particulier , ( comme
B iiij.
12 MERCURE DE FRANCE.
l'inoculation femble le prouver ) , il y a
apparence que lorfqn'il arrive à fon developpement
, il fouleve tout à coup la
maffe du fang & de la lymphe , ébranle
avec tant de violence les parties folides
de notre corps , qu'il occafionne une fiévre
d'ordonnance proportionnée à fon
énergie , qu'il s'allie avec l'humeur de la
tranfpiration , pour fe répandre , ( fi rien
ne l'empêche ) , fur l'habitude du corps ;
car tous les efforts de la nature ou le concours
de la vertu fyftaltique de tous les
folides femblent ne tendre qu'à cette fin ,
de faffer & d'agiter cette femence pendant
la fiévre qui précéde l'éruption , & de la
1gjetter dans les vaifleaux de la peau ,
avec quelque postion du fang le plus
embrafé , pour en faire une éruption
critique fous la forme de boutons phlegmoneux.
En effet , à confiderer les accidens qui
fe préfentent dans cette maladie , on y voit
fenfiblement un embrafement général de
toute la maffe des liqueurs qui couvrent
plus ou moins la peau d'inflammations
phlegmoneufes , à la vérité d'un genre
fingulier ; car on voit quelquefois les
phlegmons ordinaires fe terminer par la réfolution
, au lieu que ceux - ci entraînent
néceffairement la fuppuration , qui doit
DECEMBRE 1753. 33
finir
par la mort du malade , ou par la
combuftion
& le délâbrement
de la peau ,
& par la chûte de fes écailles , ce qui
peut être l'effet d'un feu élémentaire
concentré
dans la matiere
de nos corps , qui
fe déploye à l'occafion de certaines conf- titutions de l'air.
S'il en étoit ainsi , les parties ignées &
combuftibles du fang fe feroient développées
d'une façon bien extraordinaire dans la
conftitution de la petite vérole qui régne
actuellement , puifqu'il en paroît peu qui
ne foit extrêmement confluente , & où le
fang ne faffe jour par les vaiffeaux du nez
& des inteftins , quelquefois même par
les tuyaux urinaires des reins , & dans les
filles & les femmes par les vaiffeaux uterins.
Mais ce qui marque d'une maniere bien
plus fenfible l'énorme effervefcence de là
maffe des humeurs , & leur exorbitante
expanfion , c'eft l'obfervation que j'ai
faite en deux fujets dans lefquels j'ai
vû le fang pénétrer les excrétoires de lat
peau le lendemain de l'invafion de la
fiévre; il eft vrai que c'étoient deux adolefcens
d'un tempérament extrêmement
fanguin , qu'on avoit opprimés dès le début
de la fièvre fous le poids des couvertures
dé lit , & en qui on avoit négli
gé de defemplir les vaiffeaux , & les au
By
34 MERCURE DEFRANCE.
tres fecours propres à rabattre l'ardeur du
fang & à rallentir la violence de fes efforts.
La fiévre qui précéde l'éruption de la
petite vérole la moins dangereufe , commence
ordinairement avec des friffons paffagers,
fuivis de chaleur , de foif, d'inquié
tudes , & d'une douleur qui s'étend fur
toute la région ombilicale , où elle fe fait
fingulierement fentir : peu d'heures après ,
ou au plus tard le lendemain , la foif
devient preffante , la chaleur ardente , le
pouls a plus de fréquence , de dureté &
de plénitude , il furvient des nausées ,
des vomiflemens , des affoupiffemens , des
rêveries , des maux de reins , & quelquefois
des cours de ventre bilieux ; les yeux
s'enflamment & la langue devient pâtenfe
. Ce font là à peu près les accidens précurfeurs
de la petite vérole la moins abondante
ou la moins meurtriere , dont les
premieres pointes ont accoutumé de fe
produire le troifiéme on le quatrième jour
au menton , & après les commiffuresde
lévres ; quand une fueur médiocre , graffe
& onctueufe fe préfente dans les premieres
vingt- quatre heures de cette fiévre criti
que , & qu'elle accompagne la petite vérole
jufqu'au terme de parfaite fuppura
tion ; j'obferve alors que cette petite vé-
F
f
1:
ta
DECEMBRE . 1753. 35
role fe termine fans accidens , que l'éruption
fe fait aisément , & que les impref-
Gions qu'elle fait fur le vifage font trèslégeres
; ce qui peut faire préfumer qu'il
y a quelqu'autre reméde plus propre à
combattre la caufe de cette maladie que
ceux qu'on a employés jufqu'à préfent.
Lorfque la fiévre ne fe développe pas
bien le premier ni le fecond jour , qu'on
obferve des mouvemens involontaires aux
lévres , à la langue , aux paupieres , aux
globes des yeux , ou des treffaillemens
convulsifs aux tendons des poignets , des
veilles obftinées , des délires obfcurs , que
le vifage eft pâle & abbatu , il en arrive
autrement ; ces accidens font une marque:
affurée que la petite vérole fera lente à
fortir , extrêmement menue , confluente ,
plus ou moins chargée d'exanthêmes , &
par conféquent très maligne.
Quoique le danger de la petite vérole
fe prenne ordinairement du caractère de
la fiévre & da nombre de puftules qui at
taquent les parties fupérieures & fingu
lierement le vifage , j'obferve néanmoins
que nonobftant qu'elles y foient confluen
tes & entaffées , que le cerveau n'en reçoit
point d'atteinte , tandis que les dents &
la langue , qui ( le plus fouvent , de même
que le gofier , eft attaqué de puftu
B vj
36 MERCURE DE FRANCE,
les) , confervent leur humidité & leur cou
leur naturelle. Mais fi ces parties devien
nent féches , livides ou plombées , la langue
pâte , décolorée dans fa fubftance &
dans fa circonférence , ferrée & contrac
tée vers fa bafe , c'est un figne très fouvent
funefte ; il n'en eft pas qui marque aufli
prochainement le trifte état du fyftême
nerveux , & la malheureufe difpofition da
cerveau ; & quoique ce vifcere fe montre
encore affez libre , que les grains arrivent
à leur maturité , qu'ils , paroiffent dans
leur qualité affez nourris , & que la peau
conferve dans les interftices une couleur
& une chaleur d'un bon préfage , la
malades rifquent de périr jufqu'au onzićme
ou douzième jour , dans Laffoupil
fement , le délire & les convulfions ,
après la ceffation du ptyalifme & l'affailfement
des puftules du vifage , finon par
une efquimancie phlegmoneufe qui a coutume
de méprifer toute forte de fecours
C'est donc fingulierement par l'infpec
tion des dents & de la langue , & par l'état
où elles fe trouvent au huitiéme ou au
neuvième jour dans certe petite vérole ,
(teras où la fuppuration commence , & our
la fiévre fecondaire fait.fon entrée ) , que
je prévois prefque toujours quelle doit
être l'époque du onzième ou douzième
6
DECEMBRE . 1793. 37"
·
jour ; car faux jours marqués les dents
ne changent
pas de couleur , qu'elles ne
foient pas- feches; s'il en eft de même de
la langue
qu'elle paroille d'un rouge obfcur dans fa fubftance
& dans fes bords ,
affez unie & humectée
fur fa furface ; fi
le malade la fort ailément , s'il l'allonge , V'étend & la ramene de même ; je fuis
moralement
afluré , que nonobftant
la
quantité des puftules du vifage , le battement
violent des carotides , la rougeur
des yeux , le bégayement
& les autres ac
cidens les plus ordinaires
à ces petites véro
les confluentes
la falivation
qui diminue
alors , & qui va dans peu ceffer entiéfera
heureufement
compenfée
par l'enflure du vilage , relevée par le gonflement
des puftules des mains , des
pieds , & par le cours des urines , qui est
une autre évacuation
avantageufe
pour
Pachevement
de la crife , qu'elle tient. quelquefois
la place de la diarrhée dans
les petites véroles les plus confluentes
des
enfans ,.S . qu'elle les mene à une heureufe
fin.
rement "
"'
Les régles de conduite que je tiens en›
général dans le traitement
de cette pe tke vérole confluente
, qui eft certainement
la méthode
qui réuflit le mieux ):
deft de mettre promptement
en ufage las
38 MERCURE DE FRANCE.
faignée du pied , & de la faire réitérer :
fi je m'apperçois que la fiévre eft encore
trop allumée , & qu'elle porte au cerveau
avec trop de violence , je la fais
quelquefois précéder dans les tempéramens
fanguins de la faignée du bras : pour
rendre la révulfion plus efficace , je donne
le lendemain un vomitif proportionné aux
accidens de l'eftomac & à la turgefcence
des humeurs ; je fais ufer aux malades d'une
tifanne faite avec les racines de fcorzonaire
, que je leur fais continuer jufqu'au
commencement de la fuppuration , que je
leur fubftitue la décoction d'orge mondé ,
ou l'eau de ris. Si la fiévre fecondaire ou
de la fuppuration me paroît trop allumée ,
qu'elle réveille les accidens , & qu'elle
rende à hâter le defféchement des puftu
les , je preffe la faignée & l'ufage des délayans
& des rafraichiffans , & j'employe
la purgation lorfqu'elle me paroît indifpenfablement
néceffaire.
Au fecond cas , c'eft à- dire dans la feconde
efpece de petite vérole confluente ,
lorfque les grains fe montrent petits &
fans couleur , la peau intermédiaire pâle ,
& femée en exanthêmes de couleur noire
ou violette , avec un pouls petit , foible
& fréquent , les malades faccombent let
plus fouvent avant la fuppuration ; dans
DECEMBRE . 1753. 3:9
ces triftes circonftances , après avoir remarqué
l'inutilité de l'efprit de vitriol que
Sydenham recommande fi fort , je me
permets les cordiaux ménagés , aufquels
je fais ordinairement mêler quelque parricule
de camphre , je fais fouvent baffi
ner les puftules avec de l'eau d'orge affez
chaude , appliquer fur la nuque du col
ou fur le gras des jambes des emplâtres
épifpaftiques , & quelquefois des ventoufes
fearifiées fur les omoplates ; ce font des
fecours qui m'ont quelquefois réuffi pour
développer le pouls , pour faire difparoî
tre les taches noires, & changer en mieux
les grains de la petite vérole .
Si l'hémorragie du nez paffe les bornes
d'une évacuation critique , & qu'elle
fufpende l'éruption , alors un peu de coton
imbibé dans l'efprit de vitriol introduit
dans les narines , & l'ufage abondant de
la décoction d'orge rendue aigrelette par
l'addition de cet acide , me fufit affez fouvent
pour l'arrêter. J'ai cependant eu recours
quelquefois à la faignée révulfive ,
Jorfque le tempérament fanguin du malade
, la plénitude & la dureté du pouls
me l'ont indiqué .
La dyfenterie qui arrive fur la fin de
l'éruption ou à l'entrée de la fuppuration
, fe combat par la faignée du bras
40 MERCURE DE FRANCE.
faite diligemment , par de fréquens narcotiques
& par les lavemens de petit lait ,
ou compofés avec la décoction de bouil
Ion blanc & le fuif de mouton.
Si ce fâcheux accident méprife ces fecours
, c'eft une marque certaine qu'il
dépend moins de l'intrufion du fang dans
les vaiffeaux fecrétoires des inteftins , que
de l'érofion que les puftules de la petite
vérole ont caufées à leur membrane . Unet
dofe de racine d'ipecacuanha & de diaf
cordium, partagée & donnée avec le fyrop
de coing & l'eau de canelle orgée , près
à près , en trois ou quatre fois , a eu quel
quefois une heureufe réuffice.
*************
Svi
ALCION E.
CANTATILLE
Ur le bord de la mer dont le calme infidelle
Sembloit aux matelots préfager un beau jour ,
Du malheureux Ceix, qu'en vain ſa voix rapapelle
,
La fenfible Alcione attendoit le retour.
Reviens , cher amant que j'adore ,.
Ton départ combla mes malheurs 3 ·
Ah fije te fuis chore encote,
DECEMBRE. 1753.
41
Ecoute mes regrets , viens effuyer mes pleurs.
Ton abſence me caule une frayeur mortelle ;
Tout femble vainement répondre à mes défirs;
Sans ceffe une crainte nouvelle
Vient empoisonner mes plaifirs..
Reviens , cher amant que j'adore ,
Ton départ combla mes malheurs ;
Ah ! fi je te fuis chere encore ,
Ecoute mes regrets , viens effuyer mes pleurs.
Elle achevoit ces mots , lorſqu'un épais nuage.
Du foleil à fes yeux dérobe la clarté :
Dans les airs , où les vents ont déchaîné leus
rage ,
Regne une affreuſe obſcurité.
' Le Maître de l'onde
Souleve les mers ;
Le Tonnere gronde ,
Le feu des éclairs
Embrafe le Monde
Une nuit profonde
Couvre PUnivers :
D'un pareil ravage
Pluton eft troublé ,
Le fombre rivage
En ef ébranlé.
42 MERCURE DE FRANCE.
Quel fpectacle , grands Dieux ! pour la trifte 51-
cione ,
Ses fens en font troublés , fa force l'abandonne ;
Ceïx , fon cher Ceix court les mêmes hazards ;
Mais un nouvel objet a frappé fes regards .....
Quel eft le malheureux , victime de l'orage ,
Qu'un flot en fe brifant jette fur le rivage ? ...
Elle approche .... elle voit l'objet de fon amour ,
Ceïx mourant ... les yeux encor fixés fur eile ...
Dieux injuftes s'écria - t'elle ,
Dieux auteurs de mes maux , attachez moi le
jour ....
Ah ! je ne puis ſurvivre à ma douleur mortelle...
Chere ombre .... je te fuis dans la nuit éternelle,
Reçois mon ame .... adieu .... mes tourmens
font finis ,
Et nos coeurs à jamais vont être réunis.
Amans que le plaifir entraîne
Sur les pas du Dieu des amours ,
Connoiffez le poids de fa chaîne
Avant d'engager vos beaux jours.
Par l'espoir d'un fart plein de charines,
Toujours il fçait cous enflammer ;
Mais fouvent mieux on fçait aimer ,
Plus il nous fait verfer de larmes.
Amans , &c.
Lemonnier.
DECEMBRE. 1753 .
43
MADRIGAL.
A Madame de V ***
en lui envoyant
des fleurs.
T Endre fruit des amours du Zéphire & de
Flore ,
Hâtez-vous , hâtez-vous d'éclore ;
Parez -vous d'un éclat nouveau ;
Vous allez expirer fur le fein de Silvie :
Brillantes fleurs , que votre fort est beau !
Hélas ! cent fois le jour je donnerois ma vie
Pour avoir un pareil tombeau.
Lemonnier
208 208 209 289 209 208 207 208 209 208207 208209 200
LETTRE
-A M. Maillot , Chirurgien Major des Hôpitaux
de Châlons fur Marne ; fur les
effers finguliers du mercure de M. de
Torrés , Médecin de Mgr. le Duc d'Orléans.
M
ONSIEUR , quoique vous n'ignoriez
pas que M. de Torrés eft redevable
à la Chimie d'une maniere de prépa-
44 MERCURE DE FRANCE.
care
ter le mercare , dont la plus forte defe
n'excite jamais de falivation , l'intérêt que
vous prenez à tout ce qui regarde la fociété
vous rendra agréable le détail des avan
tages de la décotiverte en queftion . Je fuis de
d'autant plus dans le cas de vous en ren- & e
dre compte , que fans l'efficacité de ce de
fpécifique , je me verrois encore en
butte
aux maux affreux dont j'ai été accablé pen - c
dant neuf ans. C'eft à mon maître que ma
reconnoiffance doit addreffer ce que ma D
reconnoiflance me dicte pour mon libé di
rateur.
Libe
perc
les
C'est vous , Monfieur , qui m'avez appris
, que malgré les efforts des prati
ciens les plus eftimés , on n'eft pas en
core parvenu à fe rendre maître des effets
du mercure. C'eft de vous que je tiens
qu'en guériffant comme les anciens , les
maladies vénériennes par la voye de la
falivation , on n'atteint pas le but lorfque
le malade eft d'un tel tempérament de
que la plus légere dofe du reméde lui don
ne un violent flux de bouche , & lui caufe
des accidens qui empêchent de continuer
l'ufage du mercure , avant de lui en avoir
prefcrit autant qu'il en faut détruire
entiérement le virus.
pour
Si on préfere , me difiez vous , à la mé
thode ancienne celle d'adminiftrer le me
V
DECEMBRE. 1753. 45
cure par extinction , comme on le pratique
aujourd'hui , on n'eft pas plus fûr
du fuccès. Le malade qui eft fort difpofé
à la falivation éprouve cette incommo.
dité , quelque précaution qu'on ait priſe
& le nombre de fecours qu'on est forcé
d'employer pour calmer les accidens , fait
perdre de vûe le but principal , duquel on
s'écarte toutes les fois qu'on eft obligé de
fufpendre l'ufage du fpécifique.
D'après vos principes j'ai donc droit
d'inférer que lorfque les fymptomes vénériens
ont entièrement difparu , après
avoir donné aux malades toute la quantité
de mercure qu'il faut pour cela , on doit
les croire bien guéris , quoiqu'ils n'ayent
pas eu le flux de bouche , fur tout s'ils
n'ont pas pris la moindre précaution pour
l'éviter. Cette maxime eft reçue des plus
célébres praticiens .
Vous comprenez à préfent , Monfieur ,
de quelle importance eft la découverte de
M. de Torrés par la maniere dont ce
Médecin purifie le mercure , il le rend
fi bienfailant , qu'il en fournit à la maſſe
des humeurs toute la quantité qu'il lui
plaît . N'ayant pas à appréhender de falivation
, ni aucune de fes funeftes fuites ,
il fait frotter les malades de deux jours
l'un , & dans les cas preffans , tous les
46 MERCURE DE FRANCE.
jours avec environ une once de la pomade
mercurielle , moitié graiffe , moitié mercure.
Comme il ne craint pas non plus que
des quantités auffi grandes de remédes
caufent le moindre ravage , il ne preſcrit
jamais aucun purgatif pendant le cours
des abondantes frictions qu'il fait faire
aux malades.
M. de Torrés n'admet pour vrai que
ce que les plus verfés dans la cure de ces
fortes de maux affurent , c'eft à - dire qu'il
faut une certaine dofe de mercure pour
déraciner le virus ; ainfi il ne s'attache
qu'à faire paffer à la maffe du fang cette
portion du reméde qu'il eftime néceffaire
pour emporter radicalement les accidens
qui en dépendent ; c'eſt par ce moyen qu'il
opere journellement des cures fur des malades
aufquels on n'avoit pas fçu juſqu'à
nos jours concilier le moindre foulagement
. Je parle d'après mon expérience ;
je dois , comme mille autres , la vie à ce
Médecin ; vous en allez juger , Monfieur ,
par l'expofé que je vais mettre fous vos
yeux .
En l'année 1744 , je fus malheureafement
entraîné dans use de ces parties où
des femmes faciles donnent à la jeuneſſe
de courts plaifirs & de lones regrets : j'y
oubliai toutes ces raifons frappantes qui
f
C
I
DECEMBRE. 1753. 47
font d'ordinaire tant d'impreffion fur ceux
dont la profeffion eft de veiller à la fanté
des autres ; il en réfulta ce que j'aurois
dû prévoir fi j'avois été de lang froid.
Un chancre au côté droit du gland m'en
donna un avis fidele, J'eus fur le champ
recours aux gens les plus habiles , je paſlai
deux mois dans les remédes , & on me
jugea guéri . Des douleurs vagues que je
reffentis au bout de quelque tems , annonçoient
que j'avois été manqué ; j'en
fus convaincu , puifqu'ayant appris à mes
dépens à être circonfpect , il me revint
cependant un autre chancre au côté oppofé
où avoit paru le premier. Obligé à
recourir de nouveau aux maîtres de l'art ,
je fubis vingt-deux frictions , & pris quinze
dofes de panacée mercurielle ; on me
crut guéri , je fçus bientôt qu'on le méprenoir.
Des puftules virulentes couvrirent peu
à peu mon vifage & formerent le chapelet
; je tentai inutilement de les diffiper
par des bols mercuriels les mieux indiqués
, & par des purgations réitérées ; je
me trouvai enfuite hors d'état de lever le
bras droit , & il me furvint une tumeur
confidérable au tefticule gauche avec une
inflammation fi grande que huit faignées
copieufes & l'ufage fuivi des cataplafmes
48 MERCURE DE FRANCE.
& des remédes les plus appropriés adoucirent
à peine mes maux : il n'y eut que
1a pomade mercurielle dont on me fit
très long- tems de petites frictions , & un
nombre infini de purgations que je prenois
pour éviter la falivation , qui firent
difparoître tous les fymptômes enfin je
me crus guéri pour la troifiéme fois ,
mais c'étoit la troifiéme fois que je me
trompois .
Les douleurs vagues revinrent au changement
de tems ; j'en éprouvai l'Eté dernier
de fi violentes à chaque côté & fur
chacun des genoux , qu'on fut obligé
de me faigner quatre fois ; mais l'humeur
fe fixa fi fortement fur le genou gauche ,
qu'il en réfulta une ankilofe , & bientôt
après la fubftance ofleufe elle - même
fut tellement affectée , qu'il fe forma une
tumeur confidérable à la partie inférieure
& intérieure du femur. J'employai plus
de quatre mois à exécuter les ordonnances
de plufieurs maîtres de l'art ; après en
avoir même épuifé toutes les reflources ,
je ne pus me procurer aucun relâche à
mes fouffrances : mes meilleurs amis parmi
mes confreres , m'avouoient en gémiſſant
que je ferois eftropié le refte de mes jours.
Réduit à cette extrémité réduit à la
crainte de perdre ma place de Chirurgien ,
j'appellai
>
DECEMBRE. 1753. 49
j'appellai à mon fecours M. de Torrés ,
plutôt par défefpoir que par confiance.
Auffi -tôt que ce Médecin fe fut mis au
fait de mon mal , il me fit frotter toute la
jambe & la cuifle avec une fi grande quantité
de fa pomade mercurielle , qu'encore
incrédule je m'attendis à la plus violente
falivation ; cependant loin de faliver , je
commençai fix heures après à fuer , & à
fuer fi abondamment , que je changeai fix
fois de chemife. Au milieu de ces fueurs ,
il me fembloit que j'allongeois la jambe .
M. de Torrés me vit le lendemain , me fit
frotter avec pareille dofe d'onguent , &
après m'avoir long-tems examiné , il m'af
fara que je ferois guéri avant la huitiéme
friction , & que pour abréger il m'en feroit
donner tous les jours une auffi forte ,
& prendre en même tems un gros par jour
de fon mercure doux. Avant la fixiéme
friction , & avant que d'avoir pris la cinquiéme
dofe de fa préparation mercurielle
, je marchai librement dans ma chambre
; enfin le douzième jour , je fus entiérement
délivré de tous mes maux ; mais ;
auffi j'ai pris plus de mercure dans ce court
efpace de tems , que je n'en avois employé
dans tout le cours de ma maladie . Je me
porte parfaitement bien , & pénétré de
reconnoiffance pour mon libérateur , je
11. Vol. C
50 MERCURE DE FRANCE.
voudrois figner cette Lettre de mon fang,
Quelque idée avantageufe que vous donne
du reméde du Docteur Torrés la cure
qu'il a opérée fur moi , je veux encore vous
faire part , Monfieur , de trois autres dont
j'ai été témoin , afin que vous jugiez
mieux de la finguliere efficacité du mercure
en queftion . Je les rapporterai d'autant
plus volontiers , que comme il n'y
a que fort peu de tems qu'il les a faites ,
il n'a pas pu les inférer dans le Précis de
celles qu'il vient de faire imprimer.
Mademoiſelle D *** contracta il y a
quelques années une gonorrhée & un pou
lain à l'aîne gauche ; M..... fit difparoî
tre la tumeur par les remédes ordinaires ;
mais elle fut remplacée peu de tems après
par un chancre à la lévre droite , Dès lors la
malade reffentit dans les articulations des
douleurs horribles , & perdit le fommeil
& l'appetit. On la traita deux fois par extinction
; mais il n'y eut que le chancre qui
céda au fpécifique . Les douleurs aagmenterent
, la gonorrhée devint plus abondante
, la malade n'eut plus fes régles ,
fon corps fut parfemé de puftules dont
il fortoit une humeur fort fétide . Combien
de tems n'employeroit- on pas à préparer
une perfonne dont le cas feroit aufli
fâcheux , avant de lui prefcrire le mercure
DECEMBRE .
1753 .
par
les
méthodes
communes ? M. de Torrés
a
fûrement occupé moins de tems à la
guérir
radicalement fous les yeux de M.
Fernandez ,
Chirurgien Major des Hopitaux
de Madrid , &c. Quinze
frictions
données de deux jours l'un , de fix gros
de
pomade
mercurielle
chacune , l'ont parfaitement
rétablie . A la moitié du traitement
les régles
parurent ; & elles n'ont
pas manqué aux mois fuivans .
Voici ,
Monfieur , la feconde obfervation
. Un
Négociant s'adreffa à M. de Torrés
, après avoir été long - tems entre les
mains de MM.... dont tout le monde
connoît l'habileté , fur tout en cette partie.
On voyoit fur le gland un fi grand nombre
de verrues (dont
quelques-unes s'étoient
ouvertes ) que leur
affemblage le
faifoit paroître comme un gros
champignon
; au moindre
mouvement le malade
éprouvoit des douleurs affreufes. Epuifé
d'ailleurs par un
écoulement de la plus
mauvaiſe qualité , il avoit encore un exoftofe
au coude de la groffeur d'un petit
oeuf. M. de Torrés a fait
difparoître tous
les accidens au moyen de dix- huit frictions
de fa pomade
mercurielle , j'ai vû
le malade pendant le cours du traitement
, avec M. de Sayfi , Médecin ordinaire
de S. A. S. Mgr. le Duc d'Orléans ;
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
je vous affure , Monfieur , que je ne com
prends pas comment un reméde fi efficace
fatigue fi peu les malades. Celui en queftion
s'eft trouvé parfaitement guéri en
trente jours , fans s'être prefque aperçu
qu'il étoit dans les remédes .
La cure fuivante ne vous étonnera pas
moins, Monfieur . La femme d'un excellent
Ouvrier, atteinte dans l'espace de 12 ans de
quatre gonorrhées , dont les deux dernieres
furent accompagnées d'un bubon à l'aîne
gauche , avoit falivé abondamment deux
fois qu'elle fut traitée par M.. M. Chirur
gien .Cependant les glandes des aînes reftoient
toujours fort engorgées,la gonorrhée
fubfiftoit. Ces incommodités n'auroient
guere allarmé la malade , fi elle n'eût été forcée
à chercher du reméde à plufieurs chancres
qui furvinrent aux grandes lévres, à une
ulcere qui détruifit en peu de tems une partie
du voile du palais , & aux puſtules
dont fes cuiffes furent parfemées. M. ...
lui donna le mercure par extinction , après
l'avoir bien préparé ; mais la malade fur
manquée complettement , & dès lors n'eut
plus les régles : on tenta une feconde fois
la cure felon la méthode ancienne ; cette
femme faliva beaucoup , perdit entiérement
fes forces , & fes maux augmenterent
au point qu'on croyoit impoffible
DECEMBRE. 1753. 53
de la réchapper ; néanmoins M. de Torrés
voulut bien fe charger de la guérir ,
& avec dix-fept frictions qu'il lui a fair
donner de fa pomade , il l'a parfaitement
rétablie fous les yeux de M. Dieuxaide ,'
Maître en Chirurgie : vous en allez juger,
Monfieur , par ces preuves ; tous les accidens
ont été abfolument effacés , la perfonne
en question ne fent nulle part aucun
mal , fait admirablement toutes fes
fonctions , & a continué d'avoir tous les
mois fes régles qui revinrent pendant le
traitement.
En lifant ceci , ne croyez vous pas ,
Monfieur , être tranfporté dans ce tems
où les Dieux de la Médecine faifoient
éclater en un moment les inépuifables reffources
de l'art de guérir ? Au moins qu'il
mefolt permis d'annoncer aux malades qui
ont eu le malheur d'être manqués par les
méthodes communes , qu'il y a encore un
fpécifique efficace qui déracinera leurs
maux ; j'affure même que les plus incrédules
cefferont de l'être , dès qu'il auront
fuivi le Docteur Torrés dans le traitement
de quelques malades abandonnés , dont il
fe charge avec plaifir. Je ne vous parle
que de ce que j'ai vû moi - même . Deux
zélés
Chirurgiens auffi habiles que pour
le bien public , ne pouvant pas fe per-
C'iij
54 MERCURE DE FRANCE.
fuader la vérité de ce qu'on leur rapporta
fur le mercure en queftion , s'adrefferent
à M. de Torrés pour en obferver par euxmêmes
les effets : celui- ci les pria de l'accompagner
dans la cure de deux perfonnes
manquées plufieurs fois , & regardées
comme incurables , dont il avoit
commencé la veille le traitement , fous
les yeux du célébre M. de Vernage. Les
deux malades ont été parfaitement guéris
en moins de quarante jours , & les incrédules
convaincus de la bonté du ſpéci
fique , en font devenus les apologistes.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Guillemin , Chirurgien de la Compagnie
de M. le Marquis de Gauville
, au Régiment des Gardes
Françoises.
A Paris , ce 18 Novembre 1793 .
D
E
DECEMBRE. 1753. $ 5
AÜDÜQUQUNUNUNUŞAQAUDUDUDUDUDU
VERSA SOPHILETTE.
A
Krêtes , chere Sophilette ;
Daignes te fixer un inftant :
Un feul regard pour un amant ,
Eft- ce une demande indiferette ?
Que vois-je ! fourde à mes accens ,
Tu pourſuis ta courfe legere ;
Hélas ! trop cruelle bergere ,
Aurois-tu trahi nos fermens ?
Dieux quelle affreuſe indifference
De mes foupirs feroit le prix ?
Tu veux éprouver ma conftance
En affectant tout ce mépris.
Oui, le ruiffeau que dès l'aurore
Tu confultes fur tes attraits ,
T'offre un cryſtal moins pur encore
Que ce coeur percé de tes traits .
Ah , quelle douleur me dévore !
Quoi ! tu fuis ; vois couler mes pleurs ,
Elles vont atrofer les fleurs
Que fur tes pas tu fais éclore ....
Quel trouble ! ..& comble de l'horreur!
Jphis paroît fur ce rivage....
Tu reçois fon indigne hommage ;
M'anroit il enlevé ton coeur ?
Je reconnois à ſa houlette
Un ruban noué de ta main :
C iiij
36
MERCURE
DE FRANCE
.
Plonges , cruelle Sophilette ,
Plor ges-moi cè fer dans le fein.
N'attends pas jamais que j'oublie
Et mon amour & ma fureur ;
Avant de nommer ton vainqueur
Tu devois m'arracher la vie.
"J'empoisonnerai tes plafirs ,
Et je verferai dans ton ame
Plus de fiel encor que fa flâme
N'y peut exciter de défirs .
ং ট :
ASSEMBLEE PUBLIQUE
De l'Académie Royale des Sciences ,
tenue le 14 Octobre 1753 .
Onfieur de Fouchy , Secrétaire per
pétuel de l'Académie , ouvrit la
Séance par un bel éloge de M. Sloane , Affocié
Etranger ; en voici l'extrait.
M. Sloane , Chevalier Baronet , Préfident
de la Société Royale de Londres &
du Collège des Médecins de la même Ville
, nâquit à Kilileah en Irlande , de N.
Sloane & de Sara Hicker. Il fut élevé dans
le lieu de fa naiffance , & marqua dès fa
plus tendre jeuneffe une très- forte inclination
pour l'étude de la Phyfique & de
l'Hiftoire naturelle. A l'âge de dix - neuf
ans il paffa à Londres , où il employa fiz
DECEMBRE 1753 .
$7
années à fe perfectionner dans l'Anatomie,
la Chymie , la Botanique & les autres
Sciences qui pouvoient lui être utiles dans
l'exercice de la Médecine à laquelle il
fe deftinoit. Il y fit pendant ce tems là
même connoiffance avec M. Ray & M.
Boyle , avec lesquels il a toujours été extrêmement
lié jufqu'à leur mort . Le même
defir de s'inftruire l'appella en France ; il
fe rendit à Paris & de là à Montpellier ,
où il s'acquit l'eftime & l'amitié de
tout ce qu'il y avoit alors d'illuftre dans
la Phyfique , & ce ne fut qu'après avoir
épuisé en quelque forte toutes les connoiffances
que ce Royaume lui pût fournir,
qu'il retourna à Londres , & commença
à y pratiquer la Médecine . Il fut éla
en 1685 Membre de la Société Royale de
Londres , & en 1687 Membre du Collége
des Médecins de la même Ville . La même
année il s'embarqua avec le Duc d'Albermarle
pour la Jamaïque , dont ce Seigneur
venoit d'être nommé Viceroi , dans la vûe
d'étudier l'Hiftoire naturelle dans cette
partie du nouveau monde. Mais le nouveau
Viceroi mourut prefqu'en arrivant , & M.
Sloane qui ne voulut pas quitter la Ducheffe
fon épouse , fit à peine un féjour de
quinze mois dans cette lfle , où il raffembla
cependant un grand nombre de plan-
Cy
$ 8 MERCURE DE FRANCE ,
tes & de piéces curieufes , dont il publia
à fon retour la defcription en deux volu
mes in folio.
Médecin de l'Hô- Il fut nommé en
pital de Chrift , & exerça cette place julqu'en
1730 , avec un fi grand défintéreffement
qu'après avoir reçu les appointe
mens , il les rendoit quelques fois au
Tréforier pour être employés aux befoins
des pauvres. Il étoit dès lors Secrétaire de
la Société Royale , & ce fut lui qui entreprit
en cette qualité , de rétablir la publication
des Tranfactions philofophiques qui
avoit été interrompue.
Son humanité & fon zéle l'engagerent
à travailler puiffamment à l'inftitution du
Difpenfaire , établiffement destiné à fournir
aux pauvres de Londres , de Weftminfter
& des environs , les remédes dont ils
peuvent avoir befoin , fans payer autre
chofe que la valeur intrinféque des drogues
qui y entrent.
L'inclination de M. Sloane pour la
Phyfique & l'Hiftoire naturelle , lui avoit
fait commencer dès la jeuneffe un recueil
très-curieux des raretés de la nature & de
l'art. Un de fes amis , que le même goût
avoit aufli porté à lamême chofe , mourut,
& mourut affez endetté : il legua fon Ca
binet à M. Sloane , à condition d'acquitDECEMBRE
. 1753. 59
ter fes dettes , & beaucoup de legs. M.
Sloane accepta généreufement la condition
, & acquitta toutes les charges du tef
tament.
En 1709 M. Sloane fut nommé à la
place d'Affocié Etranger , vacante à l'Académie
par la mort de M. de Tgchirahans,
& fur préféré à des rivaux illuftres , malgré
la guerre qui étoit alors allumée entre
la France & l'Angleterre Il étoit alors
Vice- Président de la Société Royale , &
non content d'y remplir les devoirs de cerre
place , de celle de Secrétaire & d'excellent
Académicien , il marqua fon attachement
à la Société par les préfens qu'il lui
fit de 100 liv. ft. du bufte de Charles II.
fon Fondateur , & en engageant un de fes
amis à fonder une médaille de la valeur
d'environ 100 liv. de notre monnoye ,
pour être annuellement diftribuée à celui
qur préfenteroit à la Société les meilleures
expériences. Il remit en 1713 fa place de
Secrétaire , que fa grande pratique en Médecine
ne lui permettoit plus de remplir.
Le Roi Georges 1. le fit en 1716 Chevalier
Baronet , titre héréditaire , & que
l'Angleterre n'avoit encore vû conférer
à aucun Médecin ; ce même Prince le fit
Médecin de fes armées , & enfin fon Médecin
en 1727. Il étoit alors depuis plu-
C vj
б6о0 MERCURE DE FRANCE.
fieurs années , Président du Collège des
Médecins de Londres , & il donna à ce
Corps des marques de fon attachement ,
tant par l'exactitude avec laquelle il remplit
cette place , que par plufieurs dons
confidérables qu'il lui fit.
Il avoit acquis la Terre de Chelfen ,
Hans laquelle étoit le fameux jardin des
lantes de la Compagnie des Apoticaires
e Londres , où lui - même étant jeune avoit
arborifé , mais le terrein ne leur en appartenoit
pas ; M. Sloane le leur donna
libéralement , ne fe refervant d'autres redevances
que cinquante plantes qui doivent
être annuellement préfentées à la Société
Royale .
Il fut en 1727 nommé à la place de
Président de la Société Royale de Londres
, vacante par la mort de M. Newton,
& il l'exerça avec la plus conftante affiduité
jufqu'en 1740. Agé alors de quatre- vingt
ans , il crut devoir fe retirer à ſa Terre ;
& après avoir reçu en pleine Séance les
remercimens de la Société Royale , & en
avoir pris congé , il fit tranfporter à Chelfen
fon Cabinet & fa Bibliothéque , & s'y
retira lui-même. Là débarraffé d'affaires ,
il ne s'occupa plus qu'à recevoir les vifites
des gens de diftinction & des Sçavans qui
venoient le voir , à publier des remédes
DECEMBRE . 1753. 61
qu'il croyoit utiles , & à donner les avis à
ceux qui venoient le confulter .
M. Sloane étoit depuis la jeuneffe fujet
à de fréquentes attaques de crachement
de fang ; fa fageffe , fon fçavoir & la lobriété
lui avoient fait éviter les fuites de
cette fâcheufe maladie , & l'avoient conduit
prefque fans aucune infirmité à plus
de quatre-vingt dix ans . Il s'étonnoit luimême
d'être encore vivant , difant qu'il y
avoit long- tems qu'il s'étoit préparé à la
mort , & qu'il avoit fait à la volonté de
Dieu le facrifice de fa vie. Il mourut le 11
Janvier 1753 , après une maladie peu
douloureufe d'environ trois jours , & il
fut inhumé à Chelfen , après avoir defendu
en mourant qu'on fit aucune mention de
lui dans le difcours funébre qui feroit
prononcé.
M. Sloane étoit grand & bienfait de fa
perfonne , il avoit les manieres aifées , la
converfation gaye , & l'abord le plus agréable
& le plus facile. Il avoit de fon vivant
diftribué des fommes confidérables à prefque
tous les Hôpitaux de Londres , il
avoit même beaucoup contribué à l'établif
fement de celui des Enfans trouvés ; il
voyoit les pauvres avec la même attention
que les riches , & il lui fuffifoit qu'un de
fes malades fût peu opulent pour refufer
tout honoraire.
62 MERCURE DE FRANCE.
On lui doit en Médecine d'avoir étendu
l'ufage du quinquina à plufieurs mala
dies , & fur tout aux douleurs de nerfs
aux gangrénes qui procédent de caufe interne
& aux hémorragies.
Il n'avoit rien plus à coeur que de s'affurer
que le Cabinet qu'il s'étoit formé ,
& la Biblothéque qu'il y avoit jointe ne
feroient pas diffipés à la mort ; pour cela il
les a legués à la Société Royale ; à fon refus
, à l'Académie des Sciences de Paris ,
& au refus de ces deux Académies , à celle
de Berlin , à condition qu'on payeroit à fa
famille une fomme de zoooo liv. ft . ou
de 450000 l . de notre monnoye , ſomme
qui , quelque grande qu'elle foit , monte
à peine à la valeur intrinféque des médailles
d'or & d'argent , des morceaux de mines
& des pierreries qui s'y rencontrent.
La Bibliothéque eft de plus de cinquante
mille volumes , parmi lesquels on en compte
trois cens quarante -fept d'eftampes colorées
, & trois mille cinq cens feize manufcrits.
Le Parlement d'Angleterre a accepté
le legs & acquitté la condition .
M. Sloane étoit de prefque toutes les
Académies de l'Europe ; il étoit en commerce
avec tout ce qu'il y avoit de diſtingué
par la naiffance ou le fçavoir.Feu M. le
Duc de Boubon étoit de ce nombre , & ce
DECEMBRE . 1753 . 63
Prince lui fit préfent de fon portrait dans
une boîte d'or , & d'une médaille où Son
Alteffe étoit repréfentée. Le Roi même a
daigné lui envoyer les gravures de fon Cabinet
, préfent qui ne fe fait qu'aux perfonnes
de la premiere diftinétion .
Il avoit épousé en 1695 Eliſabeth Lan- ,
gley,fille deJeanLangley,l'un des Officiers
Municipaux de la Ville de Londres , morte
en 1724 ; il en a eu un fils & une fille qui
moururent en bas âge , & deux autres fil
les qui ont vêcu. Sara l'aînée , à laquelle
les Aftronomes doivent la peinture des
éclairs vûs dans la Lune par M. le Che
valier de Louville , pendant l'éclipfe totale
de Soleil qu'il obferva à Londres en
#715 , a été mariée à M. Stanley de Paultous
, Gentilhomme du Comté d'Hamp
& Elifabeth la feconde , a époufé le Lord
Baron de Codogan , Colonel de la feconde
Compagnie des Gardes du Corps de Sa
Majefté Britannique , & Gouverneur du
Fort de Tilleroy & de la Ville de Gravefene.
La place d'Affocié Etranger de M. Sloane
a été remplie par M. Hales , Secrétaire du
Cabinet de Son Altefle Royale Madame la
Princelle de Galles , & Membre de la Société
Royale de Londres.
Après que M. de Fouchy eut fini de lite
64 MERCURE DE FRANCE :
l'éloge très- intéreffant de M. Sloane , Meffieurs
Gentil de la Galaiziere & M. le
Roy lurent , le premier , un Mémoire fur la
diminution du diamétre apparent des corps
opaques fur un fond lumineux ; & le fe
cond , des recherches & expériences fur
quelques- uns des principaux phenoménes
de l'électricité. Comme ces deux ouvrages
vont être imprimés , nous nous difpenferons
d'en parler.
M. de la Sonne termina la Séannce par
la lecture de quelques articles très curieux
d'un Mémoire fort étendu fur l'Hiftoire
anatomique de la rate.
le
Il n'y a peut-être point de vifcere dans
corps hunain fur lequel les Anatomiftes
foient moins d'accord que fur celui- ci,
foit en décrivant les parties organiques ,
foit en recherchant fes fonctions dans l'économie
animale ; il n'en eft point qui
four à tour ait été plus dégradé & plus
exalté aucun ne paroît offrir plus de fingularités
, la matiere n'en eft que plus intéreffante
& plus capable de piquer la coriofité
d'un Phyficien ; mais en même tems
elle paroît plus remplie de difficultés .
L'Auteur pour aller pas à pas & plus
furement dans cette efpéce de labyrinthe ,
examine d'abord les moyens de faire des
recherches moins infructueufes , & de dé.
DECEMBRE. 1753. 65
terminer plus pofitivement l'organifation
de la rate. Dans ces vûes il remonte par
un court détail hiftorique , jufqu'à la fource
des opinions qui font varier encore aujourd'hui
les Anatomiftes , & qui maintiennent
dans l'indécifion.
Il analyfe , il compare les méthodes ou
les adminiftrations anatomiques qui donnent
des résultats differens ou oppofés , &
qui par conféquent font bien capables d'induite
en quelque erreur.
Malphighi & Ruyſch , ces deux célébres
Anatomiftes que leurs travaux immortels
ont rendu chefs d'opinions , fe
font fait alternativement des éléves ou des
profélites , qui peut-être trop prévenus ou
féduits , femblent avoir trop négligé de
s'éclaircir réciproquement & de fe rectifier
, ou plutôt de fe perfectionner les uns
par les autres.
De là vient que quand on a lû & comparé
ce qui a été écrit fur la rate depuis
que l'Anatomie a fait le plus de progrès ,
on refte dans une incertitude d'autant plus
grande , que les autorités de part & d'autre
ont beaucoup de poids.
On eft donc réduit , fi l'on veut prendre
un parti , à examiner foi- même les faits
avec une nouvelle attention , à rechercher
les vraies caufes qui dans les diverfes ad66
MERCURE DE FRANCE.
miniftrations anatomiques font paroître le
tiffu de la rate fous des efpéces fi differentes
, & à démêler parmi ces formes differentes
, celle qui appartient uniquement à l'organisation
établie par la nature , ou qui
concourt à la dévoiler.
Après ces obfervations préliminaires ,
que l'Auteur a foin de développer , qui
juftifient le plan du Mémoire , & qui doivent
fervir de guide , il fe borne à choifir
un feul article de ce Mémoire , pour
faire voir l'effai de fa Méthode. Il y eft
queftion de la fubftance pulpeufe de la
fate , fubitance au moins aufli délicate
que celle du cerveau , & dont la- ftructure
eft fort conteftée. Mais comme la lecture
entiere de cet article difcuté par les faits
& par les obfervations , n'a pu être ache
vée , nous ne sçaurions en donner l'extrait,
DECEMBRE . 1753 . 67
***************
ODE
EN STROPHES LIBRES ,
Faite par défi dans un après- ſoupé.
A M. Meynot , de Libourne près Bordeaux ,
fur fon excellent vin de S. Emilion , par
M. des Forges- Maillard.
Quelle prompte vapeur vient agiter mes fens ?
Je traverfe les airs fur une aŝle divine ;
Je te connois , Bacchus , à ces charmes puiffans
Ta voix au pied d'une colline
Raffemble à mes regards les Sylvains bondiflans ;
Dont la troupe vive & mutine
Se joue , en retenant dans des chaînes d'ozier ,
Que le jonc flexible entrelaffe ,
L'Amour qui leur demande grace ,
Et veut én vain ſe délier.
Ton feu m'a pénétré : ta ceins mon front de
rofes ,
Les unes en boutons , les autres prefque éclofes;
Les Ménades d'un pas joyeux ,
Branlant chacune un fceptre , où ferpente le lierre ,
Danfent autour de moi , me verfent à plein verre
68 MERCURE DEFRANCE:
D'an nectar fi piquant , fr doux , fi gracieux,
Qu'après que fa liqueur fubtile ,
Parfumant l'odorat , a réjoui les yeux ,
Le palais le plus difficile
Se plaît à favourer fon goût délicieux.
Que vois je ! du Mogol on vient m'offrir l'Empire
Fayez loin de ces bords , députés féducteurs ;
Portez en d'autres lieux vos préfens impofteurs ,
Mon coeur jouit de tout , ayant ce qu'il défire .
Ehl que m'importe d'être Roi ,
Si je fuis heureux fans couronne ?
Les foucis inquiets volent autour du thrône ,
Je dors quand je fuis las , lorſque j'ai ſoif je bois
Que j'eftime le fort du ſage ,
Qui du fafte & du rang dédaigne l'eſclavage ,
Et qui fans commander , ne dépend que de foil
Des bords de la Garonne , ô toi , l'honneur infigne
!
Meynot , qui fur les mers fait paffer juſqu'à nous
Le bauine fouverain , ce jus vermeil & doux ,
Tréfor dont t'enrichit ta vigne ;
Admire les effets qu'en mon coeur tranſporté
Ton Saint- Emilion enfante ,
Quand les flots pétillans bercent la volupté
Dans la fougere tranſparente
DECEMBRE . 1753 .
69
Qu'environnent les ris , les jeux & la fanté..
Le vin qu'au rivage du Rhône
L'oeil du jour careffe & rôtit ,
Sous une écorce qui bouillonne ,
Et dont l'aspect riant chatouille l'appétit ;
Le Champagne fumeux , le Bourgogne amiable;
Ces vins que l'on fert à la table
Des enfans de la terre & des Seigneurs pompeux į
Le Falerne vanté , le précieux Tokaye ,
Ne valent pas ton vin fameux
Dont la louange noble & vraye
Paflera dans mes vers à nos derniers neveux,
炒菜
Il produit les tranfports dont la lyre héroïque
Enflammoit par fes tons le Vainqueur du Gra
nique.
*
Les Albains généreux , nos fuberbes voifins ,
Dans l'ombre de la nuit , excités par tes charmes ,
Quitterent leurs maiſons & coururent aux armes ,
Comme fi l'ennemi ravageoit leurs confins.
+x30x4
De ces nouveaux Ajax la cohorte guerriere
Marchant fous l'étendart du plus hardi courroux
Et de fes baftions franchiffant la barriere ,
S'écria mille fois , Jupiter , Dieu jaloux !
Commande au Dieu du jour d'apporter la lumiere ,
* Avanture arrivée pendant la derniere guerre,
70 MERCURE DE FRANCE .
Digo
Et fi tu veux, combas toi - même contre nous.
La fille , l'époufe , l'amante ,
Se jettent en pleurant au devant de leurs pas :
Ici le jeune Hymen déployant fes appas ,
D'une démarche trifte & d'une main tremblante ,
Releve du berceau , remet entre leurs bras
Ses fruits, fes tendres fruits , que faifit d'épouvante
Des calques cizelés Pacier étincelant.
Mars dans toute leur ame allume un feu brûlant:
Ah ! ceffez , difent-ils , ſexe foible & timide ,
Laiffez - nous obéir au tranſport qui nous guide ,
Avant que le foleil brille ſur l'horiſon ,
Vous nous verrez couverts de gloire ,
Ou nous irons dans l'ombre noire
Achever cette nuit chez l'horrible Pluton.
+3x+
Dans un fragile efquif, fans frayeur de l'orage ,
Des pêcheurs qui tâchoient , à la lueur du feu,
D'attirer le poiffon volage ,
Les avoient trompés par le jeu
De cette éblouiflante image.
Mais leur impatiente ardeur
A chercher l'ennemi fur la fimple
apparence ,
Prouve
éternellement que fa fiere préfence
N'eut fait que redoubler leur louable fureur.
La
Und
Les
TA
L'
D
Q
L
T
DECEMBRE. 1753 .
75
Digne d'être chanté par Virgile ou Voltaire ,
Meynot , que j'eſtime & révere ,
Prends part à des exploits f&i beaux.
Quoique toujours conftante & ferme ,
La vaillance ait d'abord fon principe & fon germe
Dans le coeur des parfaits Héros
Une pointe de vin fait reverdir encore
Les lauriers qu'Apollon & Bellonne ont plantés ;
Témoin ce qu'en a dit dans ces vers respectés
L'Aveugle lumineux dont le Pinde s'honore ,
Et que cinq fuperbes Cités
Prétendent avoir fait éclore.
*XX*
Il dit dans fes grands airs , ce cygne Ionica
Dont Bacchus réchaufa la Mufe infortunée ,
Que de tout combatant , fût-il Grec ou Troyen ,
La brillante valeur de pampre couronnée ,
Se vit fouvent enluminée
D'un doux nectar pareil au tien,
炒肉
Oui, fans être offufqué par de trompeurs preftiges,
J'ai vû , Meynot , j'ai vû fur ces bords glorieux
Ta liqueur opérer d'incroyables prodiges ;
J'ai vu nos citoyens le plaifir dans les yeux ,
Livrés à leurs effors fuprêmes ,
Surpris de leurs talens eux - mêmes ,
A table , fans effort , fans étude , fans art ,
Sur le coude appuyés , parler diverfes langues ;
72 MERCURE DE FRANCE.
Et par l'enthouſiaſme emportés au hazard ;
Enfin je les ai vû prononcer des harangues
Dignes de faire envie au fçavant Tullius ,
Et déclamer des vers avec la force active ,
Ce gefte ailé, brillant , cette voix fouple & vive ,
Qu'on admira dans Rofcius.
***
Et moi , qui chériſſant une illuftre manie ,
Eprouve d'Apollon l'aimable tyrannie ,
Pouvois je du fouper au tems d'entrer au lit ,
Des ftrophes franchiffant la meſure incommode ,
Concevoir , enfanter cette Ode ,
Si ton vin généreux n'eût aidé mon eſprit ?
DISSERTATION HISTORIQUE
Sur les conquêtes du Peuple, Romain ; lûe à
la Société Littéraire de Dijon , par M.
Efpiard de la Cour , Confeiller au Parle
ment , un des membres de la Société.
R
Ien n'est plus digne de remarque ,
que les accroiffemens infenfibles d'une
Ville , qui dans fon origine repaire
d'une troupe de pâtres & de bandits , devint
la Capitale & la Maîtreffe de l'Univers.
C'eſt le tableau que Rome nous préfente
; fes premiers citoyens combattoient
pour des gerbes de bled & des bottes de
DECEMBRE. 1753 .
78
foin ; les richefes du monde ne remplif
foient pas l'avidité & l'ambition de fes
derniers Généraux.
Entourés de peuples qui avoient la même
origine , qui reconnoiffoient les mêmes
Dieux , qui ignoroient également
les Arts , qui fe fervoient des mêmes armes
, qui avoient le même défir de combattre
, les Romains fubjuguerent fucceflivement
ces différens peuples, n'ayant d'autre
avantage fur eux que leur courage & leur
fermeté à ne ſe jamais écarter de leur premier
projet. Ils afpirerent enfuite & parvinrent
à la conquête du monde connu ,
& tel étoit , dit un célébre Auteur moderne
, la conftitution du Gouvernement de
la République , qu'il falloit néceffairement
qu'elle envahît les autres Etats .
Une belle carriere à remplir , feroit de
développer par quelles voyes , ou glorieufes
ou illégitimes , Rome parvint à
commander à tous les peuples , après avoir
renversé tous les thrônes . M. M. de Montefquieu
& de Mabli l'ont tenté avec
fuccès ; je me contenterai de marquer ici
en quelle année chaque peuple , chaque
Province reconnut la domination Romaine
; le nom des Généraux qui étendirent
les limites de l'Etat , & fi j'y joins
quelques réflexions, elles feront tirées des
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE
événemens mêmes & du fond du fujet.
On peut divifer les conquêtes du peuple
Romain en trois âges ; le premier nous
préfente les guerres que les Romains entreprirent
contre les différens peuples de
l'Italie qui les avoifinoient ,
tels que les
Veïens , les Volfques , les Latins , les Samnites.
Dans ce premier âge les Romains ne
fçavoient que combattre & vaincre , & ea
même tems qu'ils étonnoient leurs ennemis
par la grandeur de leur courage, ils faifoient
honneur à l'humanité par la douceur de
leurs moeurs & la pratique des plus éclatantes
vertus. Dans le fecond âge nous
trouvons les premieres guerres contre Carthage
, celles de Macédoine & de Sirie, &
plufieurs victoires remportées par les Ro
mains en Espagne , dans l'Illirie , dans les
Gaules. Le tableau change , & nous offre
d'autres vertus à admirer ; c'est un nouveau
peuple qui paroît fur la fcene , qui
fçait joindre la politique à l'art militaire ,
divifer les peuples avant de les combattre
, détruire l'un par l'autre , faire des
traités & recommencer la guerre,felon que
Les intérêts l'exigent & lui en preſcrivent
la loi. Le goût des arts parvient à Rome,
les chef- d'oeuvres de la Gréce portés & expofés
dans les temples , font naître dans
les coeurs de quelques particuliers deve
DECEMBRE. 1753 75
7
us riches & puiffans , le défir d'en pofféder
eux mêmes ; les Romains font encore
vertueux , mais il font à la veille de ne
plus l'être.
Le troifiéme âge qui commence à la
derniere
guerre Punique , à la ruine de
Carthage & de Corinthe , ne nous offre
plus que des guerres injuftes, que des Rois
détrônés fans fujet , fouvent même fans
prétexte. La face de la terre change pour
ainfi dire. Un citoyen Romain est tout,
& tout ce qui n'eft pas citoyen Romain
eft esclave ; ce peuple vainqueur de l'U
nivers eft à fon tour vaincu par le luxe &
par l'ambition ; il tourne contre lui mê.
mes fes armes qui l'ont rendu le maître
de la terre , les guerres civiles préparent
la domination d'un feul ; domination
arbitraire , ufurpée par les armes
& contre les loix , domination qui par
conféquent ne pouvoit fe foutenir , & fut
bientôt renversée par un déluge de Barbares
inconnus dans les tems de la Répu
blique , qui fortis du Nord , fe répandirent
comme des torrens dans l'Empire ,
& envahirent toutes les Provinces. Je vais
parcourir ces différens progrès , & détailler
hiftoriquement les conquêtes du peuple
Romain , le tems auquel elles ont été
faites , & les Généraux qui en ont eu la
gloire. Dij
76 MERCURE DE FRANCE;
PREMIER AGE.
, Romulus , Fondateur de Rome eut
pour appanage de fon ayeul Numitor ,
quelques terres au-delà du Tibre par rapport
à nous , & en deça par rapport aux
Latins.Ces terres pouvoient avoir environ
fix mille pas d'étendue , ce qui fait deux
lieues communes de France . Pendant trente-
fept ans qu'il régna en guerre continuelle
avec les Sabins , les Céniniens , les
Antemnates & les Veïens , & par le traité
qu'il fit avec Tatius , il augmenta ce petit
patrimoine de quelques terres qu'il enleva
à ces peuples , de l'étendue de fix autres
mille pas , & il envoya des Colonies à Cameries
& à Fidenes. Numa Pompilius occupé
des loix & de la Religion , ne fit point
la guerre & n'augmenta point fon état.Tullius
Hoftilius y ajouta la Ville & le territoire
d'Albe , dont il transfera à Rome les
habitans. Ancus Martius prit quelques
Villes fur les Latins , dont il transfera pareillement
les citoyens ; il prit auffi quelques
terres en Tofcane aux Veïens &` aux
Sabins,& fonda la Ville d'Oftie à l'embou
chure du Tibre. Tarquin l'ancien enleva
auffi quelques héritages aux Etrufques , &
prit aux Sabins la Ville de Collatie. Servius
Tullius enleva auffi quelques terres aux
DECEMBRE. 1753. 77
Veïens , aux Tarquiniens & aux Céretains
; & enfin Tarquin le Superbe pric
la Ville & le territoire de Gabie , &
fonda deux Colonies chez les Volfques ,
Signie & Cerée. L'Empire de Rome , lors
de l'expulfion des Rois & de l'établiffement
de la République, étoit donc borné à
l'Orient par les territoires de Tibur & de
Prenefte ; au midi par la mer & la Ville
d'Oftie qui appartenoit aux Romains ; au
Couchant par le territoire du Vatican ,
nommé Septem-Pagi , qui appartenoit aux
Veiens , & au Nord par le territoire do
Fidenes & la riviére du Teveron . Ainfi les
conquêtes de ces fept Rois durant l'efpace
de deux cens quarante - quatre ans , ne
s'étendoient qu'à dix-huit mille pas loin
de Rome , c'est - à - dire fix lieuës Françoi
fes. Il paroît néanmoins que dès le tems de
Servius , dans le premier cens ou dénombrement
que fit ce Prince, il fe trouva cent
mille citoyens , tant les hommes , ditTite Live
, fe contentoient alors de peu de biens .
Les Rois ayant été chaffés , & Rome
fauvée des armes de Tarquin & de Porfenna
par les premiers Confuls , ce peuple
guerrier reprit l'idée des conquêtes ; mais
les divifions inteftines qui régnoient dans
la Ville entre les deux Ordres des Patriciens
& des Plébeïens , furent long- tems
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
un obftacle à la réuffite de fes vaftes pro
jets . Malheureux dans le fein de leur patrie
, pauvres , & ne connoiffant de reffource
dans leur mifere que le pillage des
terres de leurs voisins , les premiers Romains
fe mettoient en campagne , alloient
droit à l'ennemi qu'ils avoient projetté de
combattre , le vainquoient fans peine ,
ravageoient fon territoire , & revenoient
à Rome murmurer dans la place publique
en faveur du Sénat & des Tribuns.
Malgré cette plaie intérieure de la République
, la destinée qui appelloit les Romains
à la conquête de l'Univers , leur fic
fubjuguer dans des momens de tranquillité
les peuples dont le territoire étoit le
plus voifin de leur Etat . Les Aurunciens ,
peuples de la Campanie, furent les premiers
foumis, l'an de Rome 251 , par les Confuls
Op . Virginius & Sp . Caffius . Les Fidenates
de Colonie devenus ennemis des Romains,
eurent le même fort l'an 327 , fous le Dictateur
Mam . Emilius. Veïes après avoir fou
tenu le premier fiége entrepris par les Romains
, fiége dont la durée qui fut de dix
années , nous prouve leur ignorance dans
l'attaque des Villes , tomba fous leur
puiffance l'an 357 ; fon vainqueur fut
le fameux Camille , alors Dictateur . La
priſe de cette Ville , fiére émule de Rome ,
DECEMBRE. 1753. 79
fut pour les Romains une espece de révo
lution , les richelles qu'ils y trouverent
& qui furent portées dans le Trefor public,
donna le moyen au Sénat de donner une
paye aux foldats , qui jufqu'alors fe nourrifoient
eux- mêmes , & ne recevoient
rien de la République. On vit bientôt un
nouvel art & une nouvelle maniere de
faire la guerre ; les fuccès furent plus
éclarans , on profita mieux des victoires ,
on fit de plus grandes conquêtes , & on
envoya plus de Colonies. Quintius Cincin
natus s'empara l'an 373 de la Ville de Prénefte
, qui peu de tems après fut rétablie
dans fes droits & honorée du titre d'Alliée.
Les Tiburtins & la Ville de Salaffe fubirent
ce même joug fous ce même Quintius
en 397. En 408 , Valerius Dorvinus
& Cornelius Coffus étant Confuls la
Ville de Capouë ne pouvant réſiſter aux
Samnites , fe donna aux Romains ; les
ayant enfuite abandonnés dans le tems
d'Annibal , elle fut entiérement fubjuguée
en 542 par le Proconful Q. Fulvius . Les
peuples du Latium après une guerre opiniâtre
de plus de 40 ans , après avoir été différentes
fois vaincus par les Confuls Pofthumius
, Papirius , Manlius & Décius , furent
enfin domptés l'an 413 par le Conful
Camillus , & reçus au nombre des Alliés
D iiij
So MERCURE DE FRANCE.
des Romains , avec des prérogatives qu'il
eft néceffaire de faire connoître . Le Latium
comprenoit quatre peuples ; les Latins
, les Volfques , les Herniques & les
Eques , qui étoient fubdivifés en plufieurs
Villes & Cités ; ils occupoient le territoire
nommé aujourd'hui Campanie & Terre
de labour. Le droit du Latium qu'on accor
da à fes peuples , quoique très honorable,
étoit fort inférieur à celui de Bourgeoisie ,
il leur donnoit le droit de fuffrage aux Comices
lorfqu'ils étoient appellés par le
Magiftrat qui y préfidoit , & qu'aucun
Tribun n'y formoit oppofition ; & comme
ils n'étoient compris dans aucune des
trente- cinq Tribus , on les ballotoit au
fort , pour fçavoir dans quelle Tribu ils
donneroient leurs voix ; mais aucun d'eux
ne pouvoit parvenir aux Charges & aux
dignités , qu'il n'eût été préalablement reçu
au nombre des Citoyens Romains , ce
que l'habitant du Latium pouvoit obtenir
de trois manieres . 1 °. En laiffant un de
fes fils dans le lieu de fa naiſſance ,
pour le remplacer , & venant réfider à Rome.
2. En fe portant accufateur de quelque
Citoyen qui eût prévariqué dans fa
Charge ; fi l'habitant du Latium le faifoit
condamner , il prenoit fa place. 3º . En
parvenant aux Charges municipales dans
DECEMBRE . 1753 . 81
le lieu de fa naiffance ; celui qui obrenoit
cet honneur , étoit de droit Citoyen
Romain . Ces avantages n'étoient pas comparables
à ceux que donnoit le droit de
Bourgeoifie dont je parlerai dans un inftant
; auffi pour l'obtenir , les peuples de
I'Italie entreprirent dutems de Marius & de
Silla la guerre la plus cruelle qu'ayent effuyé
les Romains , nommée par les Auteurs Bellum
Sociale. Rome fe laiffa enfin fléchir , &
l'an 663 , L. Julius Céfar étant Conful ,
porta une loi par laquelle le droit de Bourgeoifie
fut accordé à tous ces peuples .
fe
L'an 416 , les Aufoniens & les Sidicins
furent fubjugués par le Conful Valerius
Corvinus ; la Ville de Cales fut pripar
ce même Conful , & une Colonie de
Citoyens Romains y fut conduite . C'étoit
un des principaux moyens employés
par les Romains pour accroître leur Empire
. Quand ils avoient vaincu un peuple ,
& qu'ils l'avoient forcé de demander la
paix , par les conditions qu'ils lui impofoient
, ils enlevoient une partie de fon
territoire qu'ils incorporoient au Domaine
de la République s'il étoit près de
de Rome , & s'il étoit éloigné , ils envoyoient
de pauvres Citoyens pour le culti
ver & y faire leur demeure , & ils tranfferoient
une partie des vaincus à Rome
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
pour remplacer la Colonie . Par cet ufage
ils ôtoient à ce peuple le pouvoir de fe
révolter , & fe donnoient une frontiere
contre de nouveaux ennemis . Trois Commiffaires
étoient chargés d'établir la nouvelle
Colonie ; leurs fonctions étoient de
départir les terres aux nouveaux habitans ,
de leur affigner les maifons quils devoient
occuper , de féparer la Ville par quartiers ,
d'y nommer les Magiftrats pour rendre
la juftice & veiller à la police , de former
enfin la Colonic fur le modéle de Rome
dont ils étoient toujours réputés Citoyens,
en y diftinguant les deux Ordres du Sénat
& du Peuple.
L'an 424 , Palapolis , aujourd'hui Naples
, Cumes, Baye & Pouzzol, furent ſubjugués
par le Proconful Publius Philo . En
441 , Marcius étant Conful , les Privernates
reconnurent Rome pour leur Sou
veraine ; & l'an 445 , les Eques furent
foumis & prefque détruits par le Dictateur
Junius Bubulcus .
L'an 463 , le Conful M. Curius Dentatus
fubjugua les Sabins fouvent vaincus ,
mais jufqu'alors indomptés . L'an 470 , P.
Cornelius Dolabella vainquit les Gaulois
Sénonois établis en Italie , & prit fur ces
peuples le territoire nommé par les Ro
mains le Picænum , & aujourd'hui la MarDECEMBRE.
1753 . 83
che d'Ancone. L'an 473 , les Volfiniens ,
un des plus puiffans peuples de la Tofcane ,
furent fubjugués par le Conful Ti . Coruncanus
, & l'Empire de Rome fut étendu
jufqu'à la riviére d'Arne.
La guerre des Samnites , dont la premiere
caufe fut le fecours donné à la Ville
de Capoue , après avoir duré 70 ans ,
durant laquelle les Romains quelquefois
vaincus & plus fouvent vainqueurs , don
nerent des exemples éclatans de toutes les
vertus , & apprirent par leur défaite l'are
de la guerre , de Pyrrhus Roi d'Epire , qu'ils
vainquirent à leur tour ; la guerre des
Samnites fut enfin terminée l'an 48 ide Rome,
par les Confuls PapiriusCurfor & Carvilius
Maximus ces peuples féroces furent
dans de fanglantes batailles prefqu'exterminés
& détruits , ainfi que les Brutiens
& les Lucaniens leurs Alliés. L'an 485 ,
P. Sempronius & Ap. Claudius fubjuguerent
les Pifentins , aujourd'ui Salerne ;
les Salentins, Otrante , & la Ville de Brundufium
, Brindes ; & l'an 487 , D. Junius
& M. Fabius eurent les mêmes fuccès contre
les Umbriens , peuple qui occupoit le
pays nommé aujourd'hui le Duché de
Spolette. Par ces victoires continuelles ,
l'Empire du peuple Romain s'étendit depuis
le phare de Meffine jufqu'au Rubi-
D vj
84 MERCURE DEFRANCE.
con , à la riviére d'Arne , & aux Ligu
riens , dernier peuple de la Toftane . Rome
auffi généreufe que puiffante , accorda
l'année fuivante 488 aux peuples qu'elle
avoit jufqu'alors vaincus & domptés , le
titre d'Alliés & de Confédérés .
C'eft où je fixe la fin du premier âge
des conquêtes de Rome. Avant d'entrer
dans le fecond âge je dois expliquer en
peu de mots ce qu'étoit le droit de Bourgeoise
dont j'ai parlé il y a quelques inftans
, qui fut accordé aux Sabins , aux Albains
, aux Tofcans & à quelques particuliers
, & dire en même tems quelles
étoient les prérogatives & les Charges des
autres Alliés de la République.
Celui qui étoit honoré du droit de
bourgeoisie ne pouvoit être battu de verges
, conftitué prifonnier , appliqué à la
torture , ni exécuté à mort fans un jugement
du peuple. Il pouvoit être enrôlé
dans les légions Romaines , & avoit droit
de vie & de mort fur fes enfans . Il lui étoit
permis de porter la toge , de tefter ſelon
le Droit Romain, d'être adopté , & de paf
fer dans une autre famille par le teftament
d'un Citoyen , nul étranger n'ayant cette
prérogative. I époufoit une Remaine
& s'il contractoit mariage avec une étran
gere , ce mariage étoit déclaré nal , & les
DECEMBRE. 1753. •
85
enfans illégitimes. Il avoit voix & fuffrage
dans les affemblées publiques , dans
l'une des trente cinq Tribus dans laquelle
il fe faifoit immatriculer, & dès lors il pou
voit parvenir à toutes les charges de la République.
Les villes d'Italie alliées ou confédérées
étoient divifées en Municipales & Préfectures
; Municipia & Prafeitura . Les Municipales
vivoient felon leurs loix & leurs
ftatuts particuliers , & élifoient elles- mêmes
des Magiftrats pour les gouverner.
Quelques-unes de ces Villes étoient entierement
libres , fans rien payer aux Romains
, comme Tibur , Prénefte , Naples...
D'autres payoient des impôts fixes , comme
Capoue , Tufculum , Plaifance , &c ....
D'autres enfin étoient taillables à volonté
& payoient les fommes qui leur
étoient impofées felon les befoins de l'Etat
, comme Cérée , Priverne , Arpinum ,
& c....
,
Les Préfectures ainfi nommées du Préfet
qui les gouvernoit , lequel étoit un Citoyen
Romain envoyé par le Préteur de
Rome , reconnoiffoient les loix Romaines ,
& payoient les impôts que le Préfet leur
impofoit telles étoient Formies , Fondi ,
Cumes , Pouzzol , Atelle , Collatie , &c.
Toutes ces Villes , foit Municipales , foir
;
86 MERCURE DE FRANCE.
Préfectures, étoient obligées de fournir un
certain nombre de troupes , tant en Infanterie
que Cavalerie , qu'elles payoient elles-
mêmes; ces troupes faifoient ordinai
rement la principale force des légions Romaines
dont elles rempliffoient les aîles .
Les Rois & les Républiques alliés de
Rome fourniffoient pareillement leur contingent
dans les tems de guerre , foir en
troupes de terre , foit en vaiffeaux , & faifoient
porter dans les camps Romains les
vivres , les habits , les uftenfiles dont les
armées avoient befoin , felon qu'il leur
étoit ordonné par le Conful ou le Préteur
qui commandoit ces armées.
SECOND AGE.
Rome devenue maîtreffe dans ce premier
âge de tous le pays alors connu fous
le nom d'Italie , porta fes armes contre les
peuples qui avoifinoient fes Etats .
Les Gaulois habitans au deça les Alpes
par rapport aux Romains , & au-delà par
rapport à nous , furent les premiers fubjugués
; ces peuples ligués avec les Infubriens
& les Gelares leurs voisins , furent
vaincus en 529, par les Confuls C. Attilius
Regulus & L. Æmilius Paulus. L'année fuivante
les Romains pafferent le Pô pour
premiere fois , & vainquirent les Boyens ,
la
DECEMBRE. 1753 87
fous les ordres des Confuls Manlius & Fubvius
. L'am 53 C. Quintius Flamininus
& P. Fuvius Philus défirent les peuples du
Milanès , & l'an 532 Marcellus & Cornelius
Scipion ayant vaincu les Gaulois , &
Marcellus ayant tué de fa main leur Roi
Viridomarus , tout ce vafte pays connu
depuis fous le nom de Lombardie , paffa
fous la puiffance Romaine , & devint Province
de l'Empire.
Rome découvre enfin les véritables fentimens
; c'est ici l'époque du projet formé
par les Romains de la domination univerfelle.
Les peuples vaincus avoient été julqu'alors
reçus au nombre des alliés à mefure
qu'ils fe foumettoient ; les Gaulois
Cifalpins furent les premiers réduits au
rang de fujets ; leur pays fut déclaré Province
de l'Empire , & nommé de leur
nom la Gaule Cifalpine , un Confulaire fut
chargé de la gouverner. La terre entiere
va bientôt éprouver le même fort , & être
divifée enProvinces ; on en comptoit quinze
du tems d'Augufte , dont fept Confulaires
, c'est- à - dire gouvernées par un Proconful
& huit Prétoriens , ou gouvernées.
par un Prétear : en voici le premier exemple.
Les Cénomanois ou Manceaux , Gaulois
qui occupoient alors le Piémont , furens
SS MERCURE DE FRANCE.
(
défaits en 557 & 558 par les Confuls Ccthegus
& Marcellus , & entierement foumis
en 563 par Scipion Nafica. En 577 ,
les Romains tournerent leurs armes d'un
autre côté , ils attaquerent les Carniens ,
les Lapides & les Iftriens , peuples qui
occupoient la Dalmatie & l'Itrie ; Claudius
Pulcher les vainquit , & Sempronius
Tuditanus les affujettit aux Romains en
625.
De tous les peuples de l'Italie nouvelle
il ne reftoit plus que les Liguriens, aujourd'hui
Génois , à dompter . Cornelius Lentulus
& Fulvius Flaccus les avoient défaits
en 516 ; ayant réparé leur perte, ils oferent
renouveller la guerre , & furent enticrement
fubjugués par le Conful Emilius
Scaurus en 6,9 . Les Romains furent donc
plus de 600 ans à dompter l'Italie , & ce
n'eft pas à leur feul courage qu'ils dûrent
cette importante conquête , qui leur fraya
en moins de deux cens ans celle de la terre
entiere ; leur réputation de bonne foi
d'équité , d'humanité , de clémence , contribua
plus que leurs victoires à la grandeur
de leur Empire ; les peuples dans les
tems dont je parle fe croyoient plus tran
quilles & plus heureux fous leur obéiffance
, qu'ils ne l'étoient lorfque libres &
indépendans ils vivoient fous leurs proDECEMBRE.
1753. &n
pres loix ; & fi les Romains avoient pû
conferver dans leur fortune cette fage modération
, leur Empire auroit duré plufieurs
fiécles , & le monde auroit été véritablement
heureux .
La Sicile eft le premier pays fitué hors
de l'Italie qui éprouva leurs armes victorieufes
; cette Ifle , objet des guerres cruelles
qui fe firent pendant plus d'un fiécle entre
les Carthaginois & les Romains , après
avoir été le théatre de plufieurs combats ,
après avoir foutenu les fiéges fameux d'Agrigente
& de Syracufe , fut enfin fubju
guée en 540 , par les Confuls Marcellus &
Valerius , & réduite en Province Prétorienne
; Jules Céfar lui donna depuis le
droit du Latium , & M. Antoine celui de
Bourgeoific.
La Sardaigne & la Corfe coûterent
moins de peine aux Romains ; dès l'an
520 Pomponius Matho avoit fubjugué la
premiere de ces Ifles. L'an 523 Papirius
Malo fubjugua la feconde ; l'une & l'autre
furent réduites en Provinces , & gouvernées
par un Préteur.
L'Etpagne un des premiers pays attaqué
par les Romains , fut celui qui leur réfifta
le plus long- tems , & où ils effayerent les
défaites les plus honteufes. Cn . & P. Cornelius
Scipio furent les premiers qui engo
MERCURE DE FRANCE.
trerent en Espagne l'an de Rome 536 %
après y avoir fait la guerre pendant huit
ans , ils furent l'un & l'autre vaincus &
tués par les Carthaginois. Le grand Scipion
plus heureux , vengea leur mort , &
ayant défait Afdrubal & Magon , établit
en Espagne une Province Romaine , nommée
l'Espagne Cirérieure , ou la Taraconoife
, qui comprenoit les Royaumes d'Arragon
& de Caftille , & étoit gouvernée
par un Proconful. Mais ces peuples féroces
fupportoient le joug avec impatience ,
& tenterent plufieurs fois de recouvrer
leur liberté. Leurs projets eurent ſouvent
d'heureux fuccès ; tantôt vaincus , tantôt
vainqueurs , ce ne fut à vrai dire que fous
Augufte que l'Espagne fut entierement
foumife aux Romains. Ce Prince ayant
vaincu par fes Lieutenans , les Cantabres
& les Afturiens , y établit deux nouvelles
Provinces , fous le nom de Bétique l'Andaloufie
, & de Lufitanie le Portugal , qui
furent gouvernées par un feul Confulaire.
L'Afie proprement dite , réfifta moins
aux Romains ; deux campagnes leur en 2-
furerent la conquête. L'an 562 , T. Quintias
Flamininus & Domitius Enobarbüs
étant Confuls, le Proconful AciliusGlabrio
vainquit près des Thermopiles Antiochus ,
Roi de Syrie. L'année fuivante L. Cor-
N
C
DECEMBRE. 1753. 91
nelius Scipio , frere de l'Africain , défit
de nouveau ce même Prince auprès de
Magnefie , & l'obligea de reculer fes Etats
au-delà du mont Taurus. Cette victoire,
coûta cher aux Romains ; elle leur enleva
cette innocence de moeurs qui les rendoit
l'admiration de la terre : le luxe Afiatique
s'introduifit dans Rome , & à fa fuire pénétrerent
toutes les paffions ; l'avarice ,
l'ambition , l'avidité , la fraude , & les défirs
effrénés , fuites ordinaires des richef
fes & de la profpérité .
Attalle , Roi de Pergame , laiffa quelques
années après , par fon teftament , fon
Royaume & les immenfes richeffes aux
Romains. Ariftonique , fon fils naturel ,
ayant ofé leur difputer cette fucceffion ,
fut vaincu par Perpenna en 624 , & l'année
fuivante Aquilius termina cette guer
re, en s'emparant de la Lydie , de la Cas
rie , de la Micie & de l'Hellefpont .
Les Etoliens ayant mal reconnu les bontés
des Romains , éprouverent enfin leur
puiffance ; ils ferent vaincus & fubjugués
en 565 par le Conful Fulvius Nobilior qui
prit Ambracie leur Capitale , & qui à la faveur
d'un traité captieux , les obligea de lui
remettre leurs armes , leurs chevaux , & les
réduifit au rang de fujets , tandis qu'ils
efpéroient être reçus au nombre des alliés :
92 MERCURE DE FRANCE.
premier exemple de mauvaiſe foi dans le
traités.
les
Les Macédoniens plus puiffans n'eurent
pas des fuccès plus heureux ; leur Roi Dat
Philippe , vaincu par T. Quintius Flaminis Ro
nus en 556 , n'eut point la fage prévoyan
ce d'infpirer à fon fils Perfée la terrent cond
qu'il avoir du nom Romain. Ce jeune hord
Prince ambitieux & yvre de fa puiffance , qu
ofa attaquer ces politiques conquerans :
fon audace fut punie ; il fut vainca & fait chu
prifonnier en 587 par le fameux Emilius
Paulus , & fix ans après la Macédoine fut
réduite en une Province Romaine , à la Perfec
quelle on joignit l'Etolie & les autres Erats enva
de la Grece ; un Préteur fut nommé pour inte
la gouverner. bonne
ces
L'illirie poffédée alors par la Reines
Teuta , femme cruelle , qui avoit fait ma
facrer un Ambaffadeur Romain , porta laurs
peine de ce violement du droit des gens Dieux
L. Pofthumius & Cn . Fulvius s'empare ,
rent d'une partie du Royaume . Gentias ,
fucceffeur de Teuta , ayant ofé renouvel- ite
ler la guerre , fat vaincu & fait prifonles
le Préteur Anicus Gallus ; & I'll
nier
par
lirie
devint
une
Province
de
l'Empire
qui
fut
gouvernée
par
un Préteur
.
C'eft où je finis la feconde époque des
conquêtes de Rome .
D
pe
pert
DECEMB.RE.
1753.
TROISIE' ME AGE.
Dans le premier âge de leurs conquêtes
s Romains n'employerent pour vaincre
ue leur courage & leur fermeté. Dans le
econd âge , ils y joignirent la politique &
prudence ; c'eft par les Etoliens qu'ils
ainquirent Philippe Roi de Macédoine ;
ar les Achéens qu'ils triompherent d'Anochus
; par ce même Philippe qu'ils
éduifirent les Etoliens ; & par le fecours
le ces peuples réunis qu'ils détruifirent
Perfée . Dans le troisiéme âge , la fureur,
l'envahir fut leur unique guide , & leur
int lieu de vertus. Ne cherchons plus ni
bonne foi dans les traités , ni modération
dans la victoire. Détruire les peuples vainus
ou les trainer en efclavage , enlever
leurs richeffes & même celles de leurs
Dieux , abufer des fermens & de la foi ju
rée , violer enfin toutes les loix , fans d'auare
prétexte que leur volonté , c'eft la conduite
que vont tenir les Romains , & qui
va les rendre l'objet de l'exécration de tous
les peuples , après avoir été celui de leur
amour.
Durant les guerres dont j'ai parlé , Carthage
fubfiftoit encore : cette Ville jadis
fuperbe rivale de Rome , accablée par fes
pertes précédentes , & n'ayant plus d'An
94 MERCURE DE FRANCE.
d
nibal pour la venger , fupportoit dans le
filence & dans l'humiliation les injuſtices
qu'elle éprouvoit de Maffiniffa & des Romains.
Elle efpéroit par fa foumiffion féchir
ces fuperbes vainqueurs ; Scipion Nafica
, déclaré le plus honnête homme de la
République , s'oppofoit à fa deftruction ,
que demandoit Caton auffi illuftre par fay
vertu. Le fentiment de ce dernier préva-
FI
lut , l'infortunée Carthage fut la victime
d'une mauvaiſe politique. Le jeune Scipion
, fils de Paul Emilie , & héritier
adoption d'un nom fi fatal à cette Ville ,
la détruifit en 608 , & l'Etat qu'elle poffedoit
fut réduit en Province Romaine ,
fous le nom d'Afrique , qui fut gouver
née par un Préteur.
par
1
di
Vi
R
P.
G
Ve
d'
fo
C
La Grece alliée des Romains depuis P:
qu'ils avoient paflé en Afie , jouiffoir en
apparence fous leur protection d'une heu
reufe tranquillité. Agitée par des efprits
turbulens , elle ofa fe brouiller avec des
amis trop puiffans pour n'être pas fes
maîtres quand ils le jugeroient à propos :
ce fut l'ouvrage de deux campagnes . L'an
607 , le Préteur Metellus défit les Grecs
réunis fous le nom de Ligue des Achéens ,
près des Thermopiles ; & l'année ſuivante
le Conful Mummius ayant pris Corinthe ,
réduifit la Grece en fervitude , & en fit
bi
ay
DECEMBRE . 1753. 95
une Province de l'Empire , qui fut unie
a la Macédoine.
Les Romains n'avoient point encore ofé
paffer les Alpes ; ils étoient maîtres de
l'Espagne avant d'avoir entamé les Gaules
: des fecours que leur demanda la ville
de Marſeille , leur donna un prétexte pour
y pénétrer. Plautius Hipfeus & Fulvius
Flaccus furent les premiers qui pafferent
les monts en 629 ; Sextius en fit de même
l'année fuivante , & Enobarbus étendit
au loin la crainte du nom Romain ;
enfin Fabius Maximus ayant défait cent
vingt mille Gaulois & pris prifonnier leur
Roi Biraitus , établit dans les Gaules une
Province Romaine , qui fut nommée la
Gaule Narbonnoife ; elle comprenoit la
Provence & le Languedoc , & étoit gouvernée
par un Confulaire.
Maiorque & Minorque , Ifles de la mer
-méditerranée , connues alors fous le nom
d'lfles Baleares , tomberent dans ce tems
fous la puiffance des Romains. Le Conſul
Cecilius Metellus , guidé par la feule ambition
d'ajoûter à fes titres celui de Balearicus
, s'empara de fes Ifles en 6 ; 1
ayant exterminé la plus grande partie des
habitans , les peupla de nouvelles Colonies.
› &
Les Thraces , peuples féroces qui infef6
MERCURE DE FRANCE.
toient par leur brigandage la Macédoine ,
commencerent en 640 une guerre contre
les Romains , qu'ils foutinrent avec furent
pendant près de quarante années ; enfin
vaincus & domptés par Lucullus en 681 ,
ils devinrent fujets de l'Empire.
Maffiniffa , Roi de Numidie , avoit été
l'ami le plus conftant & le plus utile de
Rome ; Micipfa fon fils fuivit fon exemple
; mais Jugurtha , fucceffeur de ces deur
grands Princes , & dont les vices étoient
le contrafte de leurs vertus , éprouva
colere & la juftice des Romains. Apres
une guerre long-tems honteufe pour Ro
me , par la fordide avarice de fes Géné
raux & même du Sénat , Jugurtha fut
vaincu par Metellus , qui obtint le furnom
de Numidicus , & fut livré à Marius
par Bocchus , Roi de Mauritanie , fon allié
: il fut puni du dernier fupplice , & le
Royaume de Numidie devint une Province
Prétorienne , à laquelle Cefar joi
gnit le Royaume de Mauritanie , après
avoir vaincu à la bataille de Thaple , Juba,
fucceffeur de Bocchus.
La Cirenaïque paffa en 660 ſous la puiffance
des Romains ; ce ne fut point à titre
de conquête , mais en vertu du teftament
de Prolomée Appion , Roi de cette contrée.
Les Ciliciens & les Ifauriens fubirent)
quelque
$
I
21
4
C
DECEMBRE. 1753. 97
quelque tems après le même joug ; vaincus
en 676 par Servilius Vatia , qui en
remporta le furnom d'Ifauricus , ils oferent
encore,infefter les mers pendant quelques
années ; enfin domptés & prefque
détruits par Pompée , ils furent transférés
au loin dans les terres de l'Afie .
Nicomede , fils de Prufias , Roi de Bithinie
, fuivit les exemples d'Attalle & de
Prolomée Appion. Il laiffa cette année
676 , fon Royaume aux Romains , ils ne
s'en emparerent point alors ; Mitridate
leur difputa même cette fucceffion , & ce
ne fut qu'après la mort de ce Prince que
la Bithinie & une partie du Pont devinrent
une Province Prétorienne , à laquelle
Cefar joignit le Royaume du Bofphore ,
après avoir vaincu Pharnace .
Dès l'an 563 la Crete , aujourd'hui Candie
, avoit été prefque fubjuguée par le
Préteur Q. Fabius Labeo. Cent ans après ,
les peuples de cette Ifle s'étant affociés
aux brigandages des Pirates Ciliciens
éprouverent la colere de Rome par les
mains du Conful Metellus , qui né d'une
maifon avide de gloire , mit tout dans l'Ifle
à feu & à fang , pour obtenir le furnom de
Creticus. Augufte joignit la Crete à la Cirenaïque
, & n'en fit qu'une feule Province
Prétorienne.
11.Vol. E
8 MERCURE DE FRANCE.
Le fameux Mitridate , cet ennemi irréconciliable
de Rome , commença dans ces
tems cette guerre cruelle qui dura quarante
ans , & qui coûta tant de fang aux différens
pays qui en furent le théatre . Ce
Prince digne de porter la couronne dans
ces tems de fervitude , feul capable de réfifter
aux Romains ; tantôt maître de l'Afie
, tantôt chaffé de fon Royaume héréditaire
, trouvoit dans fes défaites des réf
fources pour recommencer la guerre . Après
avoir balancé la fortune contre Aquilias ,
Cotta , Fimbria , Silla , Murena & Lucullus
, vaincu enfin par Pompée , & obligé
de fe tuer lui - même , il entraîna dans
fa chûte Tigranes , Roi d'Arménie , fon
gendre , & laiffa pour jamais aux Romains
les vaftes Empires de l'Afie qu'il
avoit tant de fois pillés & faccagés . Pompée
par fa victoire acquit pour la gloire le
furnom de Grand ; furnom que les Romains
n'accorderent qu'à lui feul , & il
réunit à l'Empire les différentes Provinces
qu'avoit envahi Mitridate , les unes à titre
de fujettes , les autres à titre d'alliées.
Les fujettes furent divifées en quatre Provinces
Romaines. La premiere fous le nom
de Pont , comprenoit le Pont , la Bithinie
& la Phrygie , & étoit Prétorienne. La fe
conde fous le nom d'Alie , comprenoit la
DECEMBRE . 1753.
99
Lydie , la Carie , l'Ionie , l'Hellefpont &
a Mycie ; elle étoit aufli Prétorienne . La
troifiéme étoit la Cilicie ; & la quatrième
la Syrie , à laquelle il joignit la Mélopotamie
: ces deux dernieres étoient Confulaires.
Les Provinces qu'il daigna honorer du
titre d'alliées furent la grande Arménie ,
qu'il laiffa à titre de Royaume à Tigranes ;
le Bofphore à Pharnaces ; la Capadoce à
Ariobarfane ; la Comagene à Antiochus ;
la petite Armenie , la Galatie , & la Licaonie
à Dejotarus & aux autres Tetrarques
fes conforts ; la Phaflagonie à Pilemenes ;
la Colchide à Ariftarque , & la Paleſtine
à Hircan. Enfin il accorda l'entiere liberté
& l'ufage de leurs loix aux Rhodiens , aux
Liciens & aux Pifidiel...
L'Ile de Chypre paffa en 698 fous la
puiffance des Romains ; Alexandre qui en
avoit été le Roi , la leur avoit laiffée par
teftament. Ptolomée , frere du Roi d'Egypte
, qui prétendoit cet acte fuppofé ,
s'en étoit emparé ; mais au feul bruit du
nom de Caton que le Sénat y envoya en
qualité de Préteur , ce lâche Roi l'abandonna
& fe retira à Rhodes , où il s'empoifonna
, aimant mieux renoncer à la vie qu'à
fes richeffes , & la Chypre devint une
Province Prétorienne.
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
La derniere conquête de Rome Répu
blique , fut celle des Gaules. Après avoir
pris trois cens villes & combattu trois millions
d'hommes , dont un million périt par
le fer & un million fut traîné en captivité ,
Céfar le plus grand des hommes , foumit
ces vaftes Provinces , dont les richeffes
lui frayerent le chemin pour fubjuguer fa
patric.
Je ne dirai qu'un mot des conquêtes que
les Empereurs ajouterent à celles de la République.
Augulte , par fes Lieutenans ,
fubjugua les Grifons , l'Autriche , la Hongrie
jufqu'au Danube , la Moldavie &
une partie de la Thrace. Par lui même il
réunit l'Egypte à l'Empire , après la bataille
d'Actium , & la mort d'Antoine & de
Cléopatre. Il réduifit auffi en Provinces
Romaines la Galatie , la Licaonie , la Pamphilie
, la Pifidie & la Licie dont les Rois
avoient fuivi le parti d'Antoine.
Germanicus , fous Tibére , pénétra dans.
la Germanie , jufqu'à l'Elbe.
Corbulon , fous Neron , s'empara de
l'une & l'autre Arménie.
Vefpafien , ou plutôt Tite fon fils , après
la prife de Jerufalem , réunit à l'Empire
la Paleſtine , l'Ile de Rhodes , Bifance ,
Samos , Ephèse & la Comagene.
Trajan paffa le Danube , fubjugua la
DECEMBRE.
1753. IOE
Thrace , la Tranfilvanie , la Valachie &
la Moldavie . Sevére enfin réunit l'Angleterre
à l'Empire , dans laquelle les Romains
avoient pénétré dès le tems de Céfar , mais
ne l'avoient jamais affujetti .
Telle étoit l'immenfe grandeur de l'Empire
Romain , qu'il comprenoit prefque
tout le monde connu pour lors , & avoit
pour bornes à l'Orient , les Parthes & les
Indes ; au Nord , les Sarmates , la Germanie
& la mer Baltique ; à l'Occident , l'Océan
; & au Midi , les déferts de l'Arabie
& de la Lybie, Je détaillerai dans un autre
Difcours le démembrement de cette
vafte Monarchie , & comment fur les débris
fe formerent les differens Empires qui
fuccéderent à la puiffance , & qui exiftent
aujourd'hui .
Le mot de la premiere Enigme du premier
volume de Décembre , eft les yeux :
celui de la feconde , eft ftatue. Le mot du
premier Logogryphe eſt brochet , dans lequel
on trouve rochet , roche , Heró , Amante
de Léandre , & or . Celui du fecond eft
citron , dans lequel fe trouve Ciron.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
ENIGM E.
Pour moi tous les mortels ont le plus vifamour ;
Mon fpectacle eft pour eux un objet plein de charmes
;
Abfente de leurs yeux , je fais couler leurs larmes ;
Mais me revoyent- ils ? la gaité de retour
Succéde dans leur ame à la fombre triſtelle.
Cet amour cependant n'eft que pure foiblefe ,
Effet du préjugé , quoique chez les humains
Il pafle pour vertu fublime ,
Le mépris oppofé leur paroiffant un crime :
C'est ainsi que penfoient les Grecs & les Romains ,
Quand de ce fentiment animant leur courage ,.
Ils fe glorifioient , fe faifoient une lei
De tout facrifier pour moi.
J'ai le fingulier avantage
D'adoucir les horreurs du lieu le plus fauvage ;
D'embellir & d'orner les plus charmans attraits
D'infortunés pays qui n'en eurent jamais.
Mais du Philofophe & du Sage
Je ne puis captiver le coeur ;
Peu fait pour un lâche efclavage ,
Je ne fuis point pour lui le féjour du bonheur ,
N'enviſageant dans moi que l'injuſte marâtre
Des vertus , des talens dans mon propre
Par mon caprice opiniâtre,
fein nés ,
DECEMBRE. 1753 .
103
Aux contradictions , aux mépris condamnés ;
Mon abfence pour lui , loin d'avoir rien de rude ,
Eft l'époque & l'auteur de fa félicité ;
Et fon coeur contre moi juftement irrité ,
Payant de les mépris ma lâche ingratitude ,
Guidé par la fageffe , inftruit par fes revers ,
A mon défaut adopte l'univers.
AUTR E.
Dans le fiècle de
l'ignorance
J'eus des Palais & des Autels ,
J'exerce fur tous les mortels
Une tyrannique puiffance :
Que dis- je ? à d'invincibles loix
Je foumets tout ce qui refpire ,
Sur un lit de douleur le malade aux abois
Après moi fans ceffe foupire.
Dans le fein des plaifirs les Princes & les Rois ,
Après bien des combats éprouvent mon empire.
Ennemi de l'activité ,
J'affervis l'homme fous mes chaînes,
Et lui fais oublier fes peines
Au fein de la captivité ;
Je tire l'un de la mifére ,
L'autre voit aux plaifirs fuccéder les douleurs,
Et tel rampoit dans la pouſſiere ,
Qui fe voit par mon art au faîte des grandeurs.
Ce bonheur , il eft vrai , Lecteur , eft peu durable ;
Mais que peut - on trouver ici - bas qui foit ftable
E iij
104 MERCURE DE FRANCE.
LOGO GRY PH E.
Fille Ille de la noire impoſture ,
J'ai l'art de tromper les mortels ;
Et pour rendre fur eux ma victoire plus fêre ,
Je répands mon venin en face des autels.
De mon corps , cher Lecteur , je fais l'analyfe ,
Quelle foule d'objets divers !
Dans leur nombre confus , moi- même je me
perds.
J'offre d'abord un lieu fort voifin de l'Eglife ,
Où fe tenoient les pénitens ,
Par refpect pour nos faints mystérese
( Ils font paffés ces heureux tems. )
L'effet qu'opérent les clyftéres ;
De deux infectes précieux
Les ouvrages très- curieux ;
Une race parmi les hommes ,
Qui fans efprit & fanstalens ,
Sans mérite & fans agrémens ,
Brillent dans le fiécle od nous ſommes.
Ce dont affez fouvent manque un original ,
La marque d'une joye ; un précieux métal ;
Un inftrument qui fert au fiége d'une ville ;
Le plus fot animal de la gent volatile ;
Un oileau qui , dit on , fut caufe d'un grand deuils
Ce qui mene fouvent un malade au cercueil ;
DECEMBRE. 1753 .
IOS
Une brillante fleur & l'arbre qui la porte ;
Une liqueur qui reconforte ;
Un objet de rare beauté ,
A qui Venus , par jalouſie ,
Ora la vie ,
Mais qui de Jupiter eut l'immortalité.
Mon fein renferme auffi des Ifles ,
Royaumes , Rivieres & Villes ;
L'objet principal d'un Roman ;
Dux Nymphes pour qui le Dieu Pan
Brûla d'une flamme indifcrete ;
L'une des deux peu fatisfaite ,
Répondit mal à fon ardeur ;
L'autre à fes defirs moins rébelle ,
Fut à la vérité fidelle ;
Mais Borée lui fit reffentir la fureur.
Un des lieux où l'on rend hommage
A l'incomparable Cypris ;
Un docte & fameux perfonnage ,
Phénix des fublimes efprits ;.
Une illuftre Dame Romaine ,
Qui faisant pour la vie humaine
Paroître un généreux mépris ,
Choifit une mort peu commune ;
Un Dieu marin , fils de Neptune;
Un nom que la mere des Dieux
Doit à nos foins officieux
Pour les foibles humains : un feuve très- célébre;
Nepenfez pas que ce foit l'Ebre ,
Ev
106 MERCURE DEFRANCE.
Encer moins le Wolga , mais un fleuve dont l'eau
D'un téméraire Dieu fut jadis le tombeau.
L'Abbé de M....
A Beauvais , ce 16 Août 1753 .
sisis
NOUVELLES LITTER AIRES.
No
Ous avons déja annoncé dans le
Mercure de Novembre, le troifiéme
volume de l'Encyclopédie ; mais l'intérêt
que le public paroît prendre de plus en
plus à cegrand ouvrage , nous oblige d'entrer
dans un plus grand détail. A la tête
de ce volume eft un Avertiffement des Edi
reurs , profondément penfé & fortement
écrit , dans lequel M. Dalembert rend
compte au public de leurs difpofitions ,
de leurs foins , des nouveaux fecours qu'ils
ont reçu . Cet Avertißlement intéreffe pour
l'ouvrage & pour eux ; nous en tranferirons
ici la plus grande partie , en retranchant
ce qu'il y a de polémique , auquel il
ne nous appartient pas de prendre part , &
qui d'ailleurs doit être lû dans l'ouvrage
même.
L'empreffement que l'on a témoigné pour
la continuation de ce Dictionnaire , eft le
DECEMBRE. 1753. 107
feul motif, difent les Editeurs , qui ait pû
nous déterminer à le reprendre. Le Gouver
nement a paru défirer qu'une entrepriſe de
cette nature ne fût point abandonnée , & la
Nation a ufé du droit qu'elle avoit de l'exiger
de nous.C'eft fans doute à nos collégues.
que l'Encyclopédie doit principalement
une marque à flateufe d'eftime. Mais la
juftice que nous fçavons nous rendre ne
nous empêche pas d'être fenfibles à la confiance
publique . Nous croyons même n'en
être pas indignes par le defir que nous
avons de la mériter. Jaloux de nous l'affûrer
de plus en plus , nous oferons ici ,
pour la premiere & la derniere fois , par-
Ier de nous-mêmes à nos lecteurs. Les circonftances
nous y engagent , l'Encyclopé
die le demande , la reconnoiffance nous y
oblige . Puiffions - nous , en nous montrant
tels que nous fommes , intéreffer nos concitoyens
en notre faveur ! Leur volonté a
eu fur nous d'autant plus de pouvoir ,
qu'en s'oppofant à notre retraite , ils fem--
bloient en approuver les motifs. Sans une
autorité fi refpectable , les ennemis de cet
ouvrage feroient parvenus facilement à
nous faire rompre des liens dont nous fentions
tout le poids , mais dont nous n'avions
pû prévoir tout le danger.
Les Edite urs entrent enfuite dans le dé
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
tail des traverſes qu'a efluyées l'Encyclo
pédie , & ne diffimulent pas la réfolution
qu'ils avoient priſe de l'abandonner. Newton
, difent- ils , rebuté autrefois par de
fimples difputes littéraires , beaucoup
moins redoutables & moins vives que des
attaques perfonnelles & théologiques , le
reprochoit au milieu des hommages de fa
nation , de fes découvertes & de fa gloire,
d'avoir laiffé échapper fon repos , la fubftance
d'un Philofophe , pour courir après
une ombre. Combien notre repos devoiril
nous être plus cher , à nous que rien ne
pourroit dédommager de l'avoir perdu
Deux motifs fe joignoient à un intérêt fi
effentiel : d'un côté , cette fierté jufte &
néceffaire, auffi éloignée de la préfomption
que de la baffeffe , dont on ne doit jamais
ni fe glorifier nife défendre , parce qu'il
eft honteux d'y renoncer , qu'elle devroit
faire fur tout le caractere des gens de lettres
, & qu'elle convient à la nobleffe & à
la liberté de leur état de l'autre , cette défiance
de nous - mêmes que nous ne devons
pas moins reffentir , & le peu d'empreffement
que nous avons d'occuper les autres
de nous ; fentimens qui doivent être là
fuite naturelle du travail & de l'étude ;
ear ondoit y apprendre avant toutes chofes
à apprécier les connoiffances & les opiDECEMBRE.
1753. TOO
nions humaines . Le fage , & celui qui afpire
à l'être , traite la réputation littéraire
comme les hommes ; il fait en jouir &
s'en paffe:. A l'égard des connoiffances
qui nous fervent à l'acquerir , & dont la
jouiffance & la communication même eft
une des reffources peu nombreuſes que la
nature nous a menagée contre le malheur
& contre l'ennui , il eft permis fans doute ,
il est bon même de chercher à communiquer
aux autres ces connoiffances ; c'eſt
prefque la feule maniere dont les gens
Lettres puiffent être utiles . Mais i on ne
doit jamais être affez jaloux de ce bien
pour vouloir s'en réferver la poffeffion
on ne doit pas non plus l'eftimer affez pour
être fort empreffé d'en faire part à perfonne.
de
"
Qui croiroit que l'Encyclopédie , avec
de tels fentimens de la part de les Auteurs,
& peut être avec quelque mérite de la
fienne ( car elle eft fi peut notre bien , que
nous en pouvons parler comme de celui
d'un autre ) eût obtenu quelque foûtien
dans le tems où nous fommes ? dans un tems
où les gens de lettres ont tant de faux amis ,
qui les carefent par vanité , mais qui les
facrifieroient fans honte & fans remords
à la moindre lueur d'ambition ou d'intérêt
, qui peut- être , en feignant de les aimer
, les haïlfent , foit par le befoin , foit
110 MERCURE DEFRANCE.
par la crainte qu'ils en ont. Mais la vérité
nous oblige de le dire , & quel autre matif
pourroit nous arracher cet aveu ? Les
difficultés qui nous rebutoient & nous
éloignoient , ont disparu peu peu , &
fans aucun mouvement de notre part : il
ne reftoit plus d'obftacles à la continuation
de l'Encyclopédie , que ceux qui auroient
pû venir de nous feuls ; & nous cuflions
été auffi coupables d'y en mettre aucun ,
que nous étions excufables de redouter
ceux qui pouvoient venir d'ailleurs . Inca
pables de manquer à notre Patrie , qui eft
le feul objet dont l'expérience & la Philo
fophie ne nous ayent pas détachés , raſſurés
fur tout par la confiance du Miniſtere
public dans ceux qui font chargés de veiller
à ce Dictionnaire , nous ne ferons plus
occupés que de joindre nos foibles travaux
aux talens de ceux qui veulent bien nous
feconder , & dont le nombre augmente de
jour en jour. Heureux , fi nos premiers
elais pouvoient engager les Sçavans & les
Ecrivains les plus célébres à reprendre notre
travail où il en eft aujourd'hui , nous
effacerions avec joye notre nom du frontifpice
de l'Encyclopédie , pour la rendre
meilleure ! Que les fécles futurs ignorent
à ce prix & ce que nous avons fair , & ce
que nous avons louffert pour elle !
DECEMBRE. 1753- TI
En attendant qu'elle jouiffe de cet avantage
, qu'il nous feroit facile de lui procurer
, fi nous étions les maîtres , tout nous
porte à redoubler nos efforts pour en affurer
de plus en plus le fuccès . On s'eft déja
apperçu par la fupériorité du fecond volume
fur le premier , des nouveaux fecours
que nous avions reçus pour ce ſecond
volume. Mais ces fecours , tout confidérables
qu'ils étoient , ne font prefque
rien en comparaifon de ceux que nous
avons eus pour celui- ci . Un grand nombre
de gens de lettres , tous eftimables par leurs
ralens & leurs lumieres , (emblent , comme
à l'envi , avoir contribué à l'enrichir.
Nous croyons donc pouvoir affurer qu'ik
F'emporte beaucoup fur les précédens ;
nous efperons que les fuivans l'emporte
ront encore fur celui- ci , & quelque pénible
que foit notre travail , nous nous trouverions
fuffifamment dédommagés 'fi nous
pouvions faire dire auxcritiques à chaque
volume qui paroîtra , ab ipfo ducit opes
animumque ferro.
On trouve enfuite dans l'Avertiffement
quelques obfervations relatives au volume
qu'on publie actuellement ; après quoi les
Editeurs continuent ainsi.
Entrons préfentement dans quelque détail
fur ce troifiéme volume , ou plutôt fur
112 MERCURE DE FRANCE.
ce Dictionnaire en général . On doit le
confidérer fous deux points de vûe , cu
´égard aux matieres qu'il traite , & aux perfonnes
à qui il eft principalement deſtiné.
Comme ces deux points de vûe font relatifs
l'un à l'autre , nous croyons ne devoir
point les féparer.
Les matieres que ce Dictionnaire doit
renfermer,font de deux efpéces , fçavoir les
connoiffances que les hommes acquerent
par la lecture & par la fociété , & celles
qu'ils fe procurent à eux mêmes par leurs
propres réflexions; c'eft à-dire en deux mots,
la fcience des faits & celle des choſes .
Quand on les confidére fans aucune attention
, au rapport mutuel qu'elles doivent
avoir , la premiere de ces deux fciences eft
fort inutile & fort étendue , la feconde
fort néceffaire & fort bornée , tant la Narure
nous a traités peu favorablement . Il
eft vrai qu'elle nous a donné de quoi nous
dédommager jufqu'à un certain point , par
l'analogie & la liaifon que nous pouvons
mettre entre la fcience des faits & celle
des choles ; c'eft fur tout relativement à
celle-ci que l'Encyclopédie doit envifager
celle -là . Réduit à la fcience des chofes , ce
Dictionnaire n'eût été prefque rien ; réduit
à celles des faits , il n'eût éré dans fa
plus grande partie qu'un champ vuide &
DECEMBRE. 1793. 113
ftérile :foutenant & éclairant l'une par l'autre
, il pourra être utile fans être immenfe.
Tel étoit le plan du Dictionnaire Anglois
de Chambers , plan que toute l'Europe
fçavante nous paroît avoir approuvé ,
& auquel il n'a manqué que l'exécution .
En tâchant d'y fuppléer , nous avons averti
du foin que nous aurions de nous conformer
au plan , parce qu'il nous paroiffoit
le meilleur qu'on pur fuivre. C'eft dans
cette vûe que l'on a crû devoir exclure de
cet ouvrage une multitude de noms propres
qui n'auroient fait que le groffit affez
inutilement ; que l'on a confervé & complété
plufieurs articles d'Hiftoire & de
Mythologie , qui ont paru néceffaires pour
la connoiffance des differentes fectes de
Philofophes , des differentes religions , de
quelques ufages anciens & modernes , &
qui d'ailleurs donnent fouvent occasion à
des réflexions philofophiques , pour lefquelles
le public femble avoir aujourd'hui
plus de goût que jamais ( 4 ) ; auffi eft - ce
principalement par l'efprit philofophique
que nous tâcherons de diftinguer ce Dictionnaire.
C'est par là fur tour qu'il obtiendra
les fuffrages , aufquels nous fommes
le plus fenfibles.
( a ) Voyez les articles Aigle , Ananchis , Amenthes
, Baucis , Chauderons de Dodoue , &c.
114 MERCURE DEFRANCE.
ge
&
อ
Cert
fair
pale
toir
tels
Ainfi quelques perſonnes ont été étonnées
fans raifon , de trouver ici des articles
pour les Philofophes , & non pour les Peres
de l'Eglife ; il y a une grande difference
entre les uns & les autres. Les premiers
ont été créateurs d'opinions , quelquefoi
bonnes , quelquefois mauvaiſes , mais dont
notre plan nous oblige à parler : on n'a
rappellé qu'en peu de mots & par occaſion
quelques circonftances de leur vie ; on a
fait l'hiftoire de leurs penfées plus que de
leurs perfonnes. Les Peres de l'Eglife au
contraire, chargés du dépôt précieux & inviolable
de la Foi & de la Tradition ,
n'ont pû ni dû rien apprendre de nouvea
aux hommes fur les matieres importanta
dont ils fe font occupés. Ainfi la doctrine
de Saint Auguftin , qui n'est autre que celle
de l'Eglife , fe trouvera aux article
Prédestination , Grace , Pélagianiſme ; mais
comme Evêque d'Hippone , fils de Sainte
Monique , & Saint lui même , fa place eft
au Martyrologe , & préferable à tous égards
à celle qu'on auroit pû lui donner dans
l'Encyclopédie ..
On ne trouvera donc dans cet ouvrage,
( comme on l'avoit objecté ) ni la vie des
Saints , que M. Baillet a fuffifamment écrite
, & qui n'eft point de notre objet , ni
La généalogie des grandes Maifons , mais la
E
falt
FO
zad
par
tou
DECEMBRE. 1753. Irs
généalogie des Sciences , plus précieufe
pour qui fçait penfer ; ni les avantures
peu intéreffantes des Littérateurs anciens
& modernes , mais le fruit de leurs travaux
& de leurs découvertes ; ni la defcrip
tion détaillée de chaque village , telle que
certains érudits prennent la peine de lu
faire aujourd'hui , mais une notice du commerce
des Provinces & des Villes princi
pales , & des détails curieux fur leur hif
toire naturelle ( b ) ; ni les Conquérans qui
ont défolé la terre mais les génies immortels
qui l'ont éclairée ; ni enfin une foule
de Souverains que l'Hiftoire auroit dû
profcrire. Le nom même des Princes &
des Grands n'a droit de fe trouver dans
l'Encyclopédie , que par le bien qu'ils ont
fait aux Sciences ; parce que l'Encyclopé
die doit tout aux talens , rien aux titres ,
& qu'elle eft l'hiftoire de l'efprit humain ,
& non de la vanité des hommes.
Si nous avons quelque chofe à nous reprocher
, c'est peut-être d'avoir fuivi trop
exactement le plan de Chambers , fur- tour
par rapport à l'Hiftoire , & de n'avoir pas
toujours été affez courts fur cet article. Ik
y a beaucoup d'apparence que plus ce Dictionnaire
fe perfectionnera , plus il perdra
(b) Voyezles articles Alface, Arcy, Besançon, & c.
116 MERCURE DE FRANCE.
du côté des fimples faits , & plus il gagnera
au contraire du côté des chofes , ou du
moins du côté des faits qui y menent.
Il pourra , par exemple , être fort riche
en Phyfique générale & en Chymie , du
moins quant à la partie qui regarde les
obfervations
& l'expérience
; car pour ce
qui concerne les caufes , il ne fçauroit être
au contraire trop réservé & trop fage ; &
la deviſe de Montagne ( c ) à la tête de
prefque tous les articles de ce genre , feroit
ordinairement très-bien placée. On
ne fe refüfera pourtant pas aux conjectures,
fur tout dans les articles dont l'objet
eft utile ou néceffaire ; comme la Médeci
ne , où l'on eft obligé de conjecturer , parce
que la nature force d'agir en empêchant
de voir. La Métaphyfique des Sciences ,
car il n'en eft point qui n'ait la fienne ,
fondé fur des principes fimpks & fur
des notions communes à tous les hom
mes ,fera , nous l'efpérons , un des principaux
mérites de cet Ouvrage. Celle de la
Grammaire fur tout , & celle de la Géométrie
fublime feront exposées avec une
clarté qui ne laiffera rien à défirer , & que
peut-être elles attendent encore . A l'égard
de la Métaphyfique proprement dite , fur
(6) Que fçai-je z
DECEMBRE. 1753 . 117
laquelle on croit s'être trop étendu dans
les premiers volumes , elle fera réduite
dans les fuivans à ce qu'elle contient de
vrai & d'utile , c'est -à dire à très peude
choſe. Enfin dans la partie des Arts , fi
étendue , fi délicate , fi importante & fi
pea connue , l'Encyclopédie commencera
ce que les générations fuivantes finiront
ou perfectionneront. Elle fera l'hiftoire
des richelles de notre fiécle en ce genre ;
elle la fera à ce fiécle qui l'ignore , & aux
fiécles à venir , qu'elle mettra fur la voye
pour aller plus loin . Les Arts , ces monumens
précieux de l'induftrie humaine, n'auront
plus à craindre de fe perdre dans l'oubli
; les faits ne feront plus enfevelis dans
les atteliers & dans les mains des Artiſtes ;
ils feront dévoilés au Philofophe , & la
réflexion pourra enfin éclairer & fimplifier
une pratique aveugle.
Tel eft en peu de mots notre plan , que
nous avons crû devoir remettre fous les
yeux des lecteurs ; ainfi ce Dictionnaire ,
fans que nous prétendions le préférer à au
cun autre , en différera beaucoup par fon
objet. Plufieurs gens de Lettres déclament
aujourd'hui contre la multiplication de
ces fortes d'ouvrages , comme d'autres
contre celle des Journaux ; à les en croire
, il en eft de cette multiplication com18
MERCURE DE FRANCE.
tous, me de celle des Académies ; elle fera auffi
faneſte au véritable progrès des Sciences , foi ,
que la premiere inftitution en a été utile. Did
Nous avons tâché dans le Difcours préliks C
minaire de juftifier les Dictionnaires du me
reproche qu'on leur fait d'anéantir parmi c
nous le goût de l'étude. Néanmoins quand
ils mériteroient ces reproches , l'Encyclo- ma
pédie nous fembleroit en être à couvert.
Parmi plufieurs morceaux deftinés à infle
truire la multitude , elle renfermera an
très grand nombre d'articles qui deman
deront une lecture affidue , férieufe & ap
profondie. Elle fera donc tour à la fois
utile aux ignorans & à ceux qui ne le font ,
pas. Bel
Quelques Sçavans , il eft vrai , ſemblables
à ces Prêtres d'Egypte , qui cachoient
au reste de la nation leurs futiles myfteres ,
voudroient que les Livres fuffent uniquement
à leur ufage , & qu'on dérobât aubr
peuple la plus foible lumiere , même dans
les matieres les plus indifférentes ; lumiere
qu'on ne doit pourtant gueres lui envier ,
parce qu'il en a grand befoin , & qu'il n'eſt
pas à craindre qu'elle devienne jamais bien in
vive. Nous croyons devoir penfer autrement
comme citoyens , & peut-être mê
me comme gens de Lettres .
Qu'on les interroge en effet prefque
.de
DECEMBRE. 1753. 119
tous, ils conviendront, s'ils font de bonne
foi , des lumieres que leur ont fourni les
Dictionnaires , les Journaux , les Extraits ,
les Commentaires , & les compilations
même de toute efpéce. La plûpart auroient
beaucoup moins acquis , fi on les avoit réduits
aux Livres abfolument néceffaires ,
En matiere de Sciences exactes , quelques
ouvrages lûs & médités profondément ,
fuffifent ; en matiere d'érudition , les originaux
anciens , dont le nombre n'eft pas
infini à beaucoup près , & dont la lecture
faite avec réflexion , difpenfe de celle de
tous les modernes ; car ceux ci ne peuvent
être , quand ils font fidéles , que l'écho de
leurs prédéceffeurs. Nous ne parlons point
des Belles- Lettres, pour lesquelles il ne faur
que du génie & quelques grands modéles ,
c'est-à - dire bien peu de lecture. La multiplication
des Livres eft donc pour le grand
nombre de nos Littérateurs un fupplément
à la fagacité , & même au travail ; & nul
d'entr'eux ne doit envier aux autres un
avantage dont il a tiré fouvent de fi grands
fecours.
Ainfi nous n'avons pas jugé à propos ,
comme quelques perfonnes l'auroient voulu
, de borner les articles de ce Diction
Daire à de fimples tables , & à des notices
des différens ouvrages où les matieres font
120 MERCURE DE FRANCE.
le mieux traitées. L'avantage d'un tel trade :
vail eût été grand fans doute , mais pour que
trop peu de perfonnes.
•
172
h
Un autre inconvénient que nous avo
dû éviter encore , c'eft d'être trop éter
dus fur chacune des différentes Science co
qui doivent entrer dans ce Dictionnaire, t
ou de quelques- unes aux dépens des and
tres. Le volume , fi on peut ainfi parlet,
que chaque fcience occupe ici , doit ê
proportionné tout à la fois , & à l'éten
due de cette fcience , & à celle du planque
nous nous propofons. L'Encyclopédie
tisfera fuffifamment à chacun de ces deur !!
points , fi on y trouve les principes for
damentaux bien développés , les détails
effentiels bien expofés & bien rapproch
des principes , des vûes neuves quelque
fois , foit fur les principes , foit fur lesde
tails , & l'indication des fources aufquel
les on doit recourir pour s'inftruire plas
fond. Nous n'ignorons pas cependant que
fur cet article il nous fera toujours impol
fible de fatisfaire pleinement les diven
ordres des Lecteurs. Le Littérateur tro
vera dans l'Encyclopédie trop peu
d'e
dition , le Courtifan trop de Morale , le
Théologien trop de Mathématique ,
Mathématicien trop de Théologie , &lur
& l'autre trop de Jurifprudence & de Me
decine
DECEMBRE .
1753.
121
decine . Mais nous devons faire obferver
que ce Dictionnaire eft une espéce d'ouvrage
cofmopolite , qui fe feroit tort à
lui- même par quelque préférence & prédilection
marquée ; nous croyons qu'il
doit fuffire à chacun de trouver dans l'Encyclopédie
la fcience dont il s'occupe ,
difcutée &
approfondie fans préjudice des
autres , dont il fera peut-être bien aife de
fe procurer une connoiffance plus ou moins
étendue. A l'égard de ceux que ce plan ne
fatisfera pas , nous les
renvoyerons pour
derniere réponſe à
l'apologue fi fage de
Malherbe à Racan ( d ) .
L'empire des Sciences & des Arts eft un
Palais irrégulier , imparfait , & en quelque
maniere monftrueux , où certains morceaux
fe font admirer par leur magnifieence
, leur folidité & leur hardieffe ; où
d'autres reffemblent encore à des maffes
informes ; où d'autres enfin que l'art n'a
pas même ébauchés , attendent le génie ou
le hazard. Les
principales parties de cet
édifice font élevées par un petit nombre
de grands hommes , tandis que les autres
apportent quelques matériaux , ou le bornent
à la fimple defcription . Nous tâcherons
de réunir ces deux derniers objets ,
(d) Voyez les Fables de la Fontaine , liv. II ,
Fab. I.
11. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
de tracer le plan du temple , & de remplir
en même tems quelques vuides. Nous
en Jaifferons beaucoup d'autres à remplir ;
nos defcendans s'en chargeront , & placeront
le comble , s'ils l'ofent ou s'ils le peuyent.
L'Encyclopédie doit donc par fa nature
contenir un grand nombre de chofes qui
ne font pas nouvelles, Malheur à un ouvrage
aufli vafte , fi on en vouloit faire
dans fa totalité un ouvrage d'invention !
Quand on écrit fur un fujet particulier &
borné , on doit , autant qu'il eft poffible ,
ne donner que des chofes neuves ; parce
qu'on écrit principalement pour ceux à
qui la matiere eft connue , & à qui l'on
doit apprendre autre chofe que ce qu'ils
fçavent ; c'eft aufli la maxime que plufieurs
des Auteurs de l'Encyclopédie fe flatent
d'avoir pratiquée dans leurs ouvrages particuliers
; mais il ne fçauroit en être de mê
me dans un Dictionnaire.
Il réfulte de ces réflexions , que l'Encyclopédie
doit fouvent contenir , foit par
extrait , foit même quelquefois en entier ,
plufieurs morceaux des meilleurs ouvra
ges en chaque genre : il importe feulement
au Public que le choix en foit fait
avec lumiere & avec oeconomie . Mais il
importe de plus aux Auteurs de citer exacDECEMBRE.
1753. 12 ;
tement les originaux , tant pour mettre le
Lecteur en état de les confulter , que pour
rendre à chacun ce qui lui appartient.
C'est ainsi qu'en ont ufé plufieurs de nos
collégues . Nous fouhaiterions que tous
s'y fuffent conformés ; mais du reste quand
un article eft bien fait , on en jouit également
, de quelque main qu'il vienne , &
l'inconvénient du défaut de citation , tou.
jours grand par rapport à l'Auteur , l'eſt
beaucoup moins par rapport à ce Dictionnaire.
Feu M. Rollin , ce citoyen refpectable ,
à qui l'Univerfité de Paris doit en partic
la fupériorité que les études y confervent
encore fur celles qu'on fait ailleurs , &
dont les ouvrages compofés pour l'inftruction
de la jeuneffe , en ont fait oublier
tant d'autres , fe permettoit d'inférer
en entier dans fes écrits les plus beaux
morceaux des Auteurs anciens & moder .
nes. Il fe contentoit d'avertir en général
dans les Préfaces , de cette efpéce de larcin
, qui par l'aveu même ceffoit d'en être
un , & dont le Public lui fçavoit gré ,
parce que fon travail étoit utile. Les Auteurs
de l'Encyclopédie oferoient ils avancer
que le cas où ils fe trouvent eft encore
plus favorable ? Elle n'eft & ne doit être
abfolument dans fa plus grande partie
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
qu'un Ouvrage recueilli des meilleurs Au
teurs ( e ) . Et plût à Dieu qu'elle fût en
effet un recueil de tout ce que les autres
Livres renferment d'excellent , & qu'il
n'y manquât que des guillemets !
Nous irons même plus loin que nos cenfeurs
fur la nature des emprunts qu'on a
faits . Bien loin de blâmer ces emprunts
en eux- mêmes , ou du moins ce qu'ils ont
produit , ils en ont fait les plus grands
éloges ; pour nous nous croyons devoir
être plus difficiles ou plus finceres . L'Auteur
de l'article ame , avoue , par exemple,
qu'il eût dû fe rendre plus févere fur les
endroits de cet article , qu'il a tirés d'un
ouvrage d'ailleurs utile (f) . De très - bans
juges ont trouvé ces endroits fort inférieurs
à ceux qui appartiennent en propre
à l'Auteur. Il n'étoit pas néceffaire , fur
tout dans un article de Dictionnaire où
l'on doit tâcher d'être court , d'accumuler
un fi grand nombre de preuves pour démontrer
une vérité auffi claire que celle
de la fpiritualité de l'ame ; comme elle eſt
du nombre de celles qu'on nomme fondamentales
& primitives , elle doit être ful-
( e ) C'est le titre même fous lequel on l'a ane
noncée dans le frontispice du Profpectus.
(f) Differtations fur l'existence de Dieu , par
M. Jaquelot. A la Haye , 1697.
DECEMBRE. 1753. 125
ceptible de preuves très fimples & fenfibles
aux efprits même les plus communs .
Tant d'argumens inutiles , déplacés , &
dont quelques- uns même font obfcurs
quoique concluans pour qui fçait les faifir
, ne ferviroient qu'à rendre l'évidence
douteufe , fi elle pouvoit jamais l'être . Un
feul raifonnement tiré de la nature bien
connue de deux fubftances, eût été fuffifant.
De même l'article amitié , dont la fin
eft tirée d'un Ecrivain moderne très eftimable
par plufieurs écrits ( g ) , fait voir
que cet Ecrivain n'étoit pas aufli bon Logicien
fur cette matiere que fur d'autres .
›
ne pouvoit trop donner de liberté &
d'étendue à cette égalité fi douce & fi néceffaire
fans laquelle l'amitié n'exifte
point , & par laquelle elle rapproche &
confond les états les plus éloignés . On ne
devoit point fur tout rapporter d'après cer
Auteur la réponſe d'un grand Prince à un
homme de fa maiſon ( h ) , fans faire voir
en même tems combien cette réponſe étoit
(g) Le P. Buffier , Jéfuite , dont les ouvrages
ont fourni d'ailleurs quelques excellens articles
pour l'Encyclopédie.
(b ) Cet homme montroit au grand Prince la
ftatue équeftre d'un héros , leur ayeul common :
celui qui eft deffous , répondit le Prince , eft le vô
tre; celui qui eft deffus eft le mien.
Fiij
126 MERCURE DEFRANCE,
injuriente & déplacée , combien le grand
Prince dont il s'agiz , étoit loin de l'être
en cette occaſion ; en un mot fans qualifier
plus ou mois féverement cette ré-
Fone , telon le ménagement qu'on doit
au Prince qui l'a faite , & qui nous eſt inconnu
, mais avec le refpect encore plus
grand qu'on doit au vrai , à la décence
& à l'humanité .
Bien loin de fe plaindre de ceux qui
ont relevé dans l'Encyclopédie quelques
défauts de citations , c'eft un reproche
dont on doit leur fçavoir gré , parce qu'il
engagera ceux qui fort tombés dans cette
faute à fe montrer plus exacts à l'avenir ;
mais nous croyons que l'examen rigoureux
des morceaux empruntés , fans aucune acception
de nom ni de perfonne , eût encore
été plus utile .
On peut lire dans l'Avertiffement le
refte de la réponſe aux objections ; mais
nous ne devons pas paffer fous filence
l'endroit fuivant .
Au refte , quelque jugement que l'on
porte de cet Ouvrage , difent les Editeurs ,
nous avons déja fait plufieurs fois une obfervation
qui nous importe trop pour ne
la pas répéter ici . Notre fonction d'Editeurs
confifte uniquement à mettre en ordre
à publier les articles que nous ont fourDECEMBRE.
1753. 127
ni nos Collegues ; à fuppléer ceux qui
n'ont pas été faits , parce qu'ils étoient
communs à des fciences différentes ; à refondre
quelquefois en un feul les articles
qui ont été faits fur le même fujet par différentes
perfonnes , défignées toutes en ce
cas à la fin de l'article. Voilà à quoi fe
borne notre travail. Bien éloignés de nous
parer de cette fcience univerfelle , qui
feroit pour nous le plus fûr moyen de ne
rien fçavoir , nous ne nous fommes engagés
ni à corriger les fautes qui peuvent fe
gliffer dans les morceaux qui nous ont été
fournis , ni à recourir aux livres que nos
Collegues ont pû confulter. Chaque Auteur
eft ici garant de fon ouvrage ; c'est
pour cela que l'on a défigné celui de chacun
par des marques diftinctives en un
mot , perfonne ne répond de nos articles
que nous , & nous ne répondons que de
nos articles l'Encyclopédie eft à cet
égard dans le même cas que les Recueils
de toutes nos Académies. Il n'eft point
d'ailleurs de Lecteur équitable qui ne doi
ve ici fe mettre à notre place , & juger
avec impartialité les difficultés de toute
efpece que l'on a dû éprouver pour faire
concourir tant de perfonnes à un même
objet. On n'a jamais dû s'attendre , & il
eft impoffible par une infinité de raiſons ,
:
F iiij
12S MERCURE DE FRANCE..
que tout foit de la même force dans l'Encyclopédie.
Mais la route eft du moins ouverte
, & c'eft peut- être avoir fait quelque
chofe ; d'autres plus heureux arracheront
en paix les épines qui restent encore dans
cette terre que la deftinée févere ou propice
nous á donné à défricher. Les enfans ,
dit le Chancelier Bacon , font foibles &
imparfaits au moment de leur nailfance
, & les grands ouvrages font les enfans
du tems .
Après l'avis que nous avons donné ,
que chacun de ceux qui ont travaillé à
cette Encyclopédie , foit Aureurs , foit
Editeurs , eft ici garant de fon ouvrage &
de fon ouvrage feal ; nous ajouterons que
ceux d'entre nos Collegues qui jugeront à
propos de répondre aux critiques que l'on
pourra faire de leurs ' articles , feront les
maîtres de publier leurs réponses au commencement
de chaque volume. A l'égard
des critiques qui nous regarderont perfonnellement
l'un ou l'autre , ou qui tomberont
fur l'Encyclopédie en général ,
nous en diftinguerons de trois efpeces.
Dans la premiere claffe font les critiques
purement littéraires . Nous en profiterons fi
ellesfont bonnes , & nous les laifferons dans
l'oubli fi elles font mauvaiſes. Prefque tou
tes celles qu'on nous a faites jufqu'ici
DECEMBRE . 1753. 129
ant été
par malheur
de cette
derniere
efpece
, fur tout
quand
elles
ont eu pour
objet
des matieres
de raifonnement
ou
de Belles
Lettres
, dans
lesquelles
nous
n'avions
fait que fuivre
& qu'expofer
le
fentiment
unanime
des vrais
Philofophes & des véritables
gens
de goût . Mais
il eft
des préjugés
que la Philofophie
& le goût
ne fçauroient
guérir
, & nous
ne devons pas nous
flater
de parvenir
à ce que ni
l'un
ni l'autre
ne peuvent
faire
.
Au refte , nous croyons que la démocratie
de la république des Lettres doit s'étendre
à tout , jufqu'à permetre & fouffrir
les plus mauvaiſes critiques quand elles
n'ont rien de perfonnel . Il fuffit que cetse
liberté puiffe en produire de bonnes.
Celles- ci feront auffi utiles aux ouvrages
, que les mauvaifes font nuifibles
ceux qui les font. Les Ecrivains profonds
& éclairés , qui par des critiques judicieufes
ont rendu ou rendent encore un véritable
fervice aux Lettres , doivent faire
fupporter patiemment ces cenfeurs fubalternes
, dont nous ne prétendons défigner
aucun , mais dont le nombre fe multiplie
chaque jour en Europe , qui fans que perfonne
l'exige , rendent compte de leurs
lectures , ou plutôt de ce qu'ils n'ont pas
lû ; qui femblables aux grands Seigneurs ,
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
qu'a fi bien peints Moliere , fçavent tout
fans avoir rien appris , & raifonnent prefque
auffi bien de ce qu'ils ignorent que de
ce qu'ils croyent connoître ; qui s'érigeant
fans droit & fans titre un tribunal où tout
le monde eft appellé fans que perfonne y
comparoiffe , prononcent d'un ton de maître
& d'un ftile qui n'en eſt pas , des arrêts
que la voix publique n'a point dictés ;
qui dévorés enfin par cette jaloufie baffe ,
l'opprobre des grands talens & la compagne
ordinaire des médiocres , aviliffent
leur état & leur plume à décrier des travaux
utiles .
Mais qu'une critique foit bien ou mal
fondée , le parti le plus fage que les Auteurs
intérellés ayent à prendre , c'eft de
ne pas citer leurs adverfaires devant le pu
blic. La meilleure maniére de répondre
aux critiques littéraires qu'on pourra faite
de l'Encyclopédie en général , feroit de
prouver qu'on auroit pû encore y en ajouter
d'autres. Perfonne peut - être ne feroit
plus en état que nous de faire l'examen
de cet ouvrage , & de montrer que
la malignité auroit pû être beaucoup plus
heureufe. Qu'on ne s'imagine pas qu'il y
ait aucune vanité dans cette déclaration.
Si jamais critique fut facile , c'eſt celle
d'un ouvrage auffi confidérable & aufli vaDECEMBRE
1753. 131
rié , & nous connoiffons affez intimement
l'Encyclopédie , pour ne pas ignorer ce
qui lui manque peut-être le prouveronsnous
un jour , fi nous parvenons à la finir ;
ce fera pour lors le tems & le lieu d'expofer
ce qui reste à faire , foit pour la perfectionner
, foit pour empêcher qu'elle ne
foit détériorée par d'autres . Mais en attendant
que nous puiffions entrer dans ce détail
, nous laifferens la critique dire tout
le bien & tout le mal qu'elle voudra de
nous ; ou s'il nous arrive quelquefois de
la relever , ce fera rarement , en peu de
mots , dans le corps même de l'ouvrage ,
& pour entrer dans des difcuffions vraiment
néceffaires , ou pour defavouer des
éloges qu'on nous aura donnés mal à propos.
Nous placerons dans la feconde claffe
les imputations odieufes contre nos fentimens
& notre perfonne , fur lesquelles
c'eft à l'Encyclopédie elle- même à nous
défendre , & aux honnêtes gens à nous
venger.
L'Auteur du Difcours préliminaire fait
mention ici des attaques que ce Difcours
a effuyées dans un ouvrage périodique , &
de la fatisfaction qu'on lui a donnée ſur
ces attaques.
Qu'il nous foit permis, ajoutent les Edi
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
teurs , de nous arrêter un moment ici fur
ces accufations vagues d'irréligion , que
l'on fait aujourd'hui ,tant de vive voix que
par écrit , contre les gens de Lettres . Ĉes
imputations , toujours férieufes par leur
objet , & quelquefois par les fuites qu'elles
peuvent avoir , ne font que trop fouvent
ridicules en elles -mêmes par les fondemens
fur lefquels elles appuient . Ainfi
quoique la fpiritualité de l'ame foit énoncée
& prouvée en plufieurs endroits de çe
Dictionnaire , on n'a pas eu nonte de nous
taxer de matérialifme , pour avoir foutenu
ce que toute l'Eglife a cru pendant douze
fiécles , que nos idées viennent des
fens. On nous imputera des abfurdités aufquelles
nous n'avons jamais penfé . Les
lecteurs indifférens & de bonne foi iront
les chercher dans l'Encyclopédie, & feront
bien étonnés d'y trouver tout le contraire,
On accumulera contre nous les reproches
les plus graves & les plus oppofés. C'eſt
ainfi qu'un célebre Ecrivain , qui n'eft ni
Spinoffte ni Déiſte , s'eſt vû accufé dans
une Gazette fans aveu , d'être l'un & l'autre,
quoiqu'il foit aufli impoffible d'être tous les
deux à la fois , que d'être tout enſemble Idolâtre
& Juif. Le cri ou le mépris public nous
difpenferont fans doute de repouffer par
nous-mêmes de pareilles attaques ; mais à
DECEMBRE . 1753. 133
ils
l'occafion de la feuille hebdomadaire dont
nous venons de parler , & qui nous a fait
le même honneur qu'à beaucoup d'autres ,
nous ne pouvons nous difpenfer de dévoi
ler à la république des Lettres les hommes
foibles & dangereux dont elle a le plus à
fe défier , & l'efpece d'adverfaires contre
lefquels elle doit fe réunir . Ennemis apparens
de la perfécution qu'ils aimeroient
fort s'ils étoient les maîtres de l'exercer ,
las enfin d'outrager en pure perte toutes
les Puiffances fpirituelles & temporelles ,
prennent aujourd'hui le trifte parti de
décrier fans raifon & fans mefure ce qui
fait aux yeux des Etrangers la gloire de
notre Nation , les Ecrivains les plus célebres
, les Ouvrages les plus applaudis , &
les Corps littéraires les plus eftimables :
ils les attaquent , non par
intérêt pour
Religion dont ils violent le premier précepte
, celui de la vérité , de la charité &
de la juftice ; mais en effet pour retarder
de quelques jours par le noni de leurs adverfaires,
l'oubli où ils font prêts à tomber :
femblables à ces aventuriers malheureux ,
qui ne pouvant foutenir la guerre dans
leur pays , vont chercher au loin des com
bats & des défaites ; ou plutôt femblables
à une lumiere prête à s'éteindre , qui ranime
encore fes foibles reftes pour jetter
la
134 MERCURE DE FRANCE.
now
trag
un peu d'éclat avant que de difparoitre. de
Ofons le dire avec fincérité , & pour l'a- qu'
vantage de la Philofophie , & pour celui
de la Religion même . On auroit befoin
d'un écrit férieux & raifonné contre les
perfonnes mal-intentionnées & peu inftrui
tes , qui abufent fouvent de la Religion
pour attaquer mal -à - propos les Philofophes
, c'eft-à-dire pour nuire à fes intérêts
en tranfgreffant fes maximes : c'eft un ou
vrage qui manque à notre fiécle.
les
teri
&
aux
1
tario
do
Les critiques de la derniere claffe , &
anfquels nous aurons le plus d'égard , con que
fiftent dans les plaintes de quelques per- e
fonnes à qui nous n'aurons pas rendu jul
tice. On nous trouvera toujours difpo
fés à réparer promptement ce qui pourra
offenfer dans ce livre , non feulement les fr
perfonnes eftimées dans la littérature , t
mais celles même qui font le moins cont
nues , quand elles auront fujet de fe plaind
dre. Nous en avons déja donné des preu
ves. Perfonne n'eft moins avide que nous ne
du bien des autres , & n'applaudit avec ter
plus de plaifir à leurs travaux & à leurs
fuccès. Au défaut d'autres qualités , nous &
tâcherons de mériter le fuffrage du Public, fo
par le foin que nous aurons de chercher c
la vérité , plus chere pour nous que notre
ouvrage , & bien plus que notre fortune;
CO
DECEMBRE. 1753. 135
de la dire tout à la fois avec la févérité
qu'elle exige , & avec la modération que
nous nous devons à nous- mêmes ; de n'outrager
jamais perfonne , mais de ne refpec
ter aufh que deux chofes , la Religion &
les Loix ; ( nous ne parlons point de l'autorité
, car elle n'en eft point différente ,
& n'eft fondée que fur elles ) de rendre
aux ennemis même de l'Encyclopédie la
justice la plus exacte ; de donner fans affec
tation & fans malignité aux Auteurs médiocres
, même les plus vantés , la place
que leur affignent déja les bons juges , &
que nos defcendans leur deftinent ; de
diftinguer , comme nous le devons , ceux
qui fervent la république des Lettres fans
la juger , de ceux qui la jugent fans la
fervir ; mais fur tont de célébrer en toute
occafion les hommes vraiment illuftres de
notre fiécle , aufquels l'Encyclopédie fe
doit par préférence. Elle tâchera de leur
rendre d'avance ce tribut fi jufte , qu'ils
ne reçoivent prefque jamais de leurs contemporains
fans mélange & fans amertume ,
qu'ils attendent de la génération fuivante
& dont l'efpoir les foûtient & les confole ,
foible reflource fans doute ( puifqu'ils ne
commencent proprement à vivre que
quand ils ne font plus ) mais la feule que
le malheur de l'humanité leur permette,
136 MERCURE DE FRANCE.
L'Encyclopédie n'a qu'une chofe à regret
ter , c'est que notre fuffrage ne foit pas
d'un affez grand prix pour les dédommager
de ce qu'ils ont à fouffrir , & que
nous nous bornions à être innocens de
leurs peines , fans pouvoir les foulager.
Mais ce foible monument que nous cherchons
à leur confacrer de leur vivant même,
peu néceffaire à ceux qui en font l'ob
jet , eft honorable à ceux qui l'élevent,
Les fiécles futurs , s'il parvient juf
qu'à eux , rendront à nos fentimens & à
notre courage la même juftice que nous
aurons rendu au génie , à la vertu , & aux
talens ; & nous croyons pouvoir nous ap
pliquer ce mot de Cremutius Cordus à
Tibere : » Non - feulement on fe fouvien-
» dra de Brutus & de Caffius , on fe fou-
» viendra encore de nous.
L'ufage fi ordinaire & fi méprifable de
décrier les contemporains & fes compatriotes
, ne nous empêchera pas de prou
ver par le détail des faits , que l'avanta
ge n'a pas été en tout genre du côté de nos
ancêtres , & que les Etrangers ont peutêtre
plus à nous envier que nous à eux . Enfin
nous nous attacherons autant qu'il fera
poffible, à infpirer aux gens de Lettres
cet efprit de liberté & d'union , qui fans
les rendre dangereux , les rend eftimables ;
DECEMBRE. 1753. 137
qui en fe montrant dans leurs ouvrages ,
peut mettre notre fiécle à couvert du re
proche que faifoit Brutus à l'éloquence
de Ciceron , d'être fans reins & fans vigueur
qui femble , nous le difons avec
joye , faire de jour en jour de nouveaux
progrès parmi nous ; que néanmoins certains
Mecenes voudroient faire paffer pour
Cynique , & qui le fera fi l'on veut , pour
vû qu'on n'attache à ce terme aucune
idée de révolte ou de licence . Cette maniere
de penfer , il eft vrai , n'eft le chemin
ni de l'ambition , ni de la fortune . Mais
la médiocrité des défirs eft la fortune du
Philofophe ; & l'indépendance de tout ,
excepté des devoirs , eft fon ambition.
Senfibles à l'honneur des Lettres dont nous
faifons moins partie par nos talens que
par notre attachement pour elle , nous
avons réfolu de réunir toutes nos forces ,
pour éloigner d'elle , autant qu'il eft en
nous , les périls , le dépériffement & la dégradation
dont nous la voyons menacée ;
qu'importe de quelle voix elle fe ferve ,
pourvû que les vrais intérêts foient connus
de ceux qui la compofent ?
Malgré ces difpofitions , nous n'efperons
pas à beaucoup près réunir tous les fuffrages
; mais devons -nous le défirer ? Un ouvrage
tel que l'Encyclopédie a befoin de
138 MERCURE DE FRANCE.
cenfeurs , & même d'ennemis. Elle leut
doit les efforts & l'émulation des Auteurs ;
elle leur doit l'indulgence du Public , qui
finit toujours & commence quelquefois
par être jufte , & que l'animofité bleffe
encore plus que la fatyre n'amufe. S'il a
favorifé l'exécution de cet ouvrage , ce
n'eft pas que les défauts lui en ayent échappé
, & comment l'auroient- ils pû ? Mais
il a fenti que le vrai moyen d'animer les
Auteurs , & de contribuer ainfi par fon
fuffrage au bien & à la perfection de ce
Dictionnaire , étoit de ne pas ufer envers
nous de cette févérité qu'il montre quelquefois
, & que le défir de lui plaire nous
eût fait fupporter avec courage ......
L'Encyclopédie ne peut manquer fur
tout d'intéreffer en général tous les gens
de Lettres , c'eft auffi à eux que nous nous
adreffons , en demandant pour la derniere
fois leurs lumieres & leurs fecours . Nous
les conjurons de nouveau de fe réunir
avec nous pour l'exécution d'un Ouvrage
dont nous voudrions faire celui de la Nation
, & auquel notre défintéreffement &
notre zéle doivent rendre tous les honnêtes
gens favorables .
Voilà ce que nous avions à dire fur
l'Encyclopédie & far nous. Nous ne pen
ferons plus maintenant qu'à ébaucher dans
a
P
DECEMBRE . 1753. 139
la retraite & dans le filence ce monument
à la gloire de la France & des Lettres. La
déclaration expreffe que nous faifons de
ne répondre de rien , l'injuftice qu'il y
auroit à l'exiger de nous , fur tour après es
mefures que le Gouvernement a prifes
pour nous en décharger , la réfolution où
nous fommes de chercher la récompenſe
de notre travail dans notre travail même ,
l'obscurité enfin cù nous aimons à vivre
tout femble affurer notre repos. Nous ne
demandons qu'à être utiles & oubliés ; &
en tâchant par notre travail de nous procurer
le premier de ces avantages , il fe
roit injufte que nous ne puiffions obtenir
l'autre . A l'abri des feals traits vraiment
dangereux & vraiment fenfibles , que la
malignité puiffe lancer contre nous , que
pourra- t'elle tenter déformais contre deux
hommes de Lettres , que les réflexions ont
accoutumé depuis long- tems à ne crain
dre ni l'injustice ni la pauvreté ; qui
ayant appris par une trifte expérience ,
pon à méprifer , mais à redouter les hommes
, ont le courage de les aimer , & la
prudence de les fuir ; qui fe reprocheroient
d'avoir mérité des ennemis , mais qui ne
s'affligeront point d'en avoir , & qui ne
peuvent que plaindre la haine ,› parce
qu'elle ne fçauroit rien leur enlever qui
140 MERCURE DE FRANCE.
DION
1
de c
excite leurs regrets ? Solon s'exila de fala
patrie quand il n'eut plus de bien à la sér
faire. Nous n'avons pas fait à la nôtrele
même bien que ce grand homme fit à la de
fienne , mais nous lui fommes plus atta
chés. Réfolus de lui confacrer nos veilles
( à moins qu'elle ne ceffe de le vouloir )
nous travaillerons dans fon fein à donner
à l'Encyclopédie tous les foins dont nous
fommes capables , jufqu'à ce qu'elle foit
affez heureuſe pour paffer en des meilleu
res mains. Après avoir fait l'occupation
orageufe & pénible des plus précieufes an
nées de notre vie , elle fera peut - être l
confolation des dernieres . Puiffe- t'elle ,
quand nos ennemis & nous ne ferons plus,
être un témoignage durable de nos fenti
mens & de leur injuftice ! Puiffe la pofte
rité nous aimer comme gens de bien , k
elle ne nous cftime comme gens de Ler
tres ! Puiffe enfin le public , fatisfait de
notre docilité , fe charger lui même de
répondre à tout ce qu'on pourra faire ,
die ou écrire contre nous ! C'eft un foin
dont nous nous repoferons dans la fuite
fur nos lecteurs & fur notre ouvrage. Sou
venons-nous , dit l'un des plus beaux g
nies qu'ait jamais eu notre Nation ( 1),
(i) Préface d'Alzire,
Con
DECEMBRE. 1753. 141
de la fable de Bocalini : » Un voyageur
» étoit importuné du bruit des cigales ; il
» voulut les tuer , & ne fit que s'écarter
२
de fa route ; il n'avoit qu'à continuer
» paisiblement fon chemin , les cigales fe-
» roient mortes d'elles-mêmes au bout de
» huit jours.
Cet Avertiffement eft fuivi d'une lifte
de ceux qui ont fourni des fecours pour
ce nouveau volume , & d'un Errata relatif
à l'Avertiffement.
Quelque accueil que le public ait fait
aux deux premiers volumes , il nous pa
roît que celui- ci leur eft généralement
trouvé fort fupérieur . M. le Chevalier de
Jaucourt & M. Boucher d'Argis y paroif-
Tent fur tout l'un & l'autre avec beaucoup
d'avantage , par la quantité & la bonté de
leurs articles. M. Diderot continue à faire
briller dans tous les fiens la fagacité , l'étendue
de connoiffances , l'efprit philofophique
, & le talent d'écrire dont il a déja
donné tant de preuves. Les articles d'Agriculture
& de Commerce , faits par de nou
veaux collegues , méritent beaucoup d'être
lûs. Il feroit trop long d'indiquer ici tous
les articles qui font dignes de l'être . Il
nous paroît que le Gouvernement & le
Public ne fçauroient trop favorifer cette
grande entreprife , dont l'exécution fe perfectionne
de jour en jour,
141 MERCURE DE FRANCE.
L'ETAT du Ciel pour l'année 1754
calculé fur les Tables de Halley , & rapporté
à l'ufage de la Marine ; par A. G.
Pingré , Chanoine Régulier , Correfpon
dant de l'Académie des Sciences , Alſocié
de celle de Rouen . A Paris , chez Durand,
rue Saint Jacques , au Griffon ; & Piffo ,
Quai de Conti. 1754 , in-8°.
desC
T
de la
te
Tab
o
Cet ouvrage a été approuvé par l'Acadé Chap
mie des Sciences , comme ne devant pas
Jacq
être moins utile aux Aftronomes qu'aux !
Navigateurs. En effet on y trouvera toutes
les pofitions du Soleil & des Planetes, Me
calculées avec un foin extrême fur les Tables
de M. Halley ; le lieu & la latitude
de la Lune y font déterminés de 12 en 1 :
heures. On a pareillement marqué en heu - Nav
res , minutes & fecondes les paffages de la
Lune au Méridien de Paris , & au Méri- e
dien diamétralement oppofé à celui des
Paris. Quoique tout foit calculé pour le
Méridien de Paris , il fera très- facile d'en kat
faire ufage fous tout autre Méridien que
red
leat
cli
te puiffe être , par le moyen des Tables Fro
qui fuivent les mois , & dont plufients
font de l'invention de M. Pingré. Les Tables
font fuivies d'une explication fuffifante
de tout ce qui précéde. Le public
doit être content de l'exécution de l'ouvrage
, tant par rapport à l'exactitude de
動
DECEMBRE. 1753. 143
impreffion , que par rapport à la beauté
des caractéres,
TABLES Aftronomiques du Soleil &
de la Lune , avec les obfervations du paffage
au Méridien de cette derniere Pla
nete , faites par M. Halley à Greenwich ,
traduites en François par M. l'Abbé de
Chappe, AParis , chez Durand , rue Saint
Jacques , au Griffon , in- 8°. 328 pages.
Les additions qui ont été faites à ces
Tables , & qui ont été communiquées à
Meffieurs de l'Académie des Sciences ,
nommés Commiffaires pour l'examen de
cet ouvrage , font :
1º . De nouvelles méthodes à l'ufage des
Navigateurs , pour trouver tant fur mer
que fur terre , à l'aide des Tables & des
obfervations que l'on publie , les longitu
des à un degré près on vingt lieuës , & même
avec encore plus de précifion , s'il fe préfente
quelqu'occafion d'y appercevoir les
éclipfes des étoiles par la Lune, Cette approximation
dont les Officiers de la Marine
font déja ufage depuis quelques an
nées , mérite que l'on fe néglige moins que
l'on ne l'a fait jufqu'ici , fur un article qui
intéreffe fi fort la fureté & la vie des Navigateurs.
2. Le Traité de M. Halley fur le vent
144 MERCURE DE FRANCE.
alité & des mouffons , avec la caufe phyfi .
que qu'il affigne à ce phénoméne , fe trouve
inferé & traduit en entier dans un Appendix
que l'on a imprimé à la fuite des
Tables.
3°. On y trouvera auffi de nouvelles
conjectures fur la cauſe générale des vents ,
& fur le retour du vent d'Oueſt dans les
zônes tempérées , avec des obfervations
qui confirment l'hypothéfe que l'on a embraffée.
C'est le fujet de la premiere & de
la feconde partie d'une Lettre qui accompagne
le Traité hiftorique de M. Halley
fur le vent alifé.
Il eft prefque inutile d'avertir ici que les
Tables de la Lune de M. Halley font conftruites
fur la théorie de M. Newton , c'eſtà-
dire fur la feule théorie qui puifle fubfifter
aujourd'hui : on y trouvera auffi de
nouvelles obfervations de la Lune en 1736
& 1737.
FABLES moralifées en quatrains , par
M. de la Cour Damonville. A Paris , chez
la veuve Quillau , rue Galande . 1753 , in-
8°.49 pages .
L'Auteur a réduit en quatrains les fables
les plus connues & les moralités qu'el
les renferment, afin que les enfans puident
les retenir plus aifément. On jugera du
degré
DECEMBRE. 145 1753 .
degré d'utilité de cette entreprife par les
Fables que nous allons copier .
Le Renard flatant le Corbeau.
Ce Corbeau que tranfporte une vanité folle .
S'aveugle & ne s'apperçoit point
Que pour mieux le duper un flateur le cajolle.
Hommes, qui d'entre vous n'eft corbeau fur ce
point?
Le Renard & les Raifins.
Quels beaux raifins ! ils font à peindre ,
Difoit en les voyant maître croque-poulet :
Il y fauta cent fois , mais n'y pouvant atteindre
Ils font trop verds , dit- il . Gafcon , c'eft ton por
trait.
Le Renard & le Bouc.
Le bouc & le renard dans un puits vont deſcen
dre ;
Sur les cornes du bouc le renard s'en tira ,
Et lui dit , cher ami , quoiqu'on veuille entre
prendre ,
Il faut prévoir la fin ; adieu , fonge à cela.
La Cigale & la Fourmi.
Fourmi , dit la cigale , hélas ! un peu de graines
Je n'ai rien , & l'hiver eft fi long à paſſer :
Qu'as-tu donc fait l'été ? j'ai chanté dans la plaine
Hé bien vas y danfer.
II. Vol G
146 MERCURE1
DE FRANCE,
L'homme entre deux âges & fes deux
Maîtreffes.
Deux femmes , l'ane jeune, & l'autre à quarante
ans ,
Manioient les cheveux de leur grifon fidéle :
La vieille ôtoit les noirs , & la jeune les blancs..
Ah! pauvre for , tu crois qu'on te frife ; on te péle.
L'Ecolier & le Pédant.
Dans l'eau tombe un enfant ; il attrape un bran
chage ,
Crie à l'aide : un pédant qui demeuroit là près ,
Le gronde en le voyant , moraliſe ſur l'âge :
Hé! tirez-le de là , vous parlerez après.
Le Loup & le Chien.
·
Un jour un maigre loup rencontrant un gros
chien ;
J'admire , lui dit- il , ta graiſſe & ton corſage ;
Mais qui te péle ainfi par le col ? ce n'eft rien ,
Mon colier... Je t'entends , adieu , point d'eſcia
vage .
La Grenouille & le Boeuf.
Une grenouille un jour voyant un boeuf près
d'elle ,
S'efforçoit en 's'enflant de s'égaler à lui ;
Elle en crêva la bête , & devint le modelle
De la vanité d'aujourd'hui.
DECEMBRE . 1753. 147
La Cygogne & le Renard.
A dîner le renard invita dans fa joye
La cygogne , & fervit fur un plat du brouet ;
Elle à fouper fervit dans un bocal étroit ,
Et paya le trompeur de fa même monnoye
Le Renard & le Cocq .
Le renard dit au cocq , ami , plus de querelle ;
Defcends , la paix eft faite , ainfi qu'au fiécle d'or :
De deux chiens , dit le cocq , j'en attends la nouvelle
,
Je les vois accourir , le renard fuit encor.
L'ESPRIT de Montaigne , ou les maximes
, penſées , jugemens & réflexions de
cet Auteur , rédigées par ordre de matieres.
Deux volumes in- 12 . A Berlin , &
fe vend chez Prault fils , Quai de Conti ,
à la defcente du Pont-Neuf.
D
» Il n'eft guéres d'Auteur , dit M. Peffe-
» lier , dont la réputation foit plus étendue
, & j'ofe le dire , mieux établie
que
» celle de Montaigne ; cependant il eft
» peu d'Ecrivains moins lûs que celui-ci.
» Ses digreffions continuelles qui ne laiffent
dans fes difcours aucun ordre , au-
» cune liaiſon ; les fréquentes citations qui
» font que ce qui eft de lui fe trouve
comme noyé dans ce qu'il emprunte
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
ود
» d'autres Ecrivains ; fes répétitions qui
» allongent confidérablement fon ouvrage ;
» fon ftyle enfin qui n'est pas toujours à
» la portée de tout le monde , font autant
»de défauts confidérables aux yeux de la
» plupart des lecteurs , & principalement
» de ceux qui ne donnent à la lecture que
» les inftans qu'ils confacrent à l'amufement
; les digreffions les égarent , les ci-
»tations les ennuyent , les répétitions les
» rebutent , le ſtyle les dégoûte ; tout le
» monde n'eft pas affez courageux pour
» chercher à développer au milieu de tout
» cela d'excellentes qualités & de grandes
perfections. Quel dommage néanmoins
»que celles de Montaigne demeurent
» comme enfévelies dans l'oubli pour un fi
>> grand nombre de lecteurs de l'un & de
»l'autre fexe , & fur tout de celui que la
>> fineffe de l'efprit & la délicateffe des fen-
»timens met en poffeffion de faire la for-
» tune de tant d'ouvrages. Ces lecteurs ne
fçavent gueres de Montaigne que ce
» qu'ils en lifent ailleurs , ou ce qu'ils en
» entendent citer ; & l'on doit autant plus
>> regretter qu'ils n'en fçachent pas davanntage
, que peut-être font- ils plus en état
» que les autres d'en faifir tout le bon , &
» de s'en fervir utilement.
C'est pour leur en procurer le moyen ,
DÉCEMBRE . 1753. 149
autant qu'il m'eft poffible de le faire , que
» j'ai recherché , recueilli & rangé fous un
»petit nombre de titres généraux ce que
Montaigne a écrit fur chacune de ces matieres.
J'ai donc raffemblé fes pensées ,
» fes maximes , fes réflexions , fes jugemens
, fon efprit ; en un mot , mais je
»n'ai point choifi , je rapporte ce qu'il a
» dit , & non ce qu'il a dit de mieux.
Choifir eût été décider ; décider , c'eſt
juger ; juger , c'eft entreprendre fur les
» droits du public , & le public eft toujours
»jaloux de fon autorité .
» Le plan que je me fuis formé de ne
prendre dans Montaigne que ce qui eſt
» de lui , que ce qui le peint , ne m'a pas
»permis de laiffer fubfifter les chofes purement
hiftoriques qui forment une fi
grande partie de fon ouvrage , & les ci-
» tations qui y font en fi grand nombre , à
» moins qu'elles ne foient accompagnées
» de quelques maximes , de quelques ré-
» flexions , de quelques jugemens qui ca-
» ractérisent la façon de penfer de l'Au-
39
Яteur.
" Je n'ai pas agi avec la même févérité
» fur les répétitions , lorfqu'elles m'ont
» paru fervir à rendre la penfée de l'Ecri-
» vain d'une maniere differente , & quel-
» quefois embaraffante pour le choix . Ce
n
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
»n'eft pas un spectacle indifferent pour
des lecteurs intelligens & pour les gens
" de goût, que de voir un Auteur fe multiplier
, pour ainfi dire, lui -même , par les
differentes manieres de rendre fa penfée.
" Quant au ftyle , j'ai cru devoir entie-
» rement le refpecter : le projet de le tra-
» duire ( fi l'on peut ufer de ce terme )
»projet plus ingénieux que folide , a échoué,
" & je penfe qu'il ne pouvoit pas réuffir ;
»car ( outre que Montaigne eft encore
fort intelligible , eu égard au tems où il
» a vêcu ) fes expreffions ont un tour ner
veux , vif, original, qui ne contribuent pas
à le faire valoir , & qui font à mon
»fens , que l'on ne pourroit les toucher
»fans les affoiblir confidérablement , &
» fans altérer même le fond de la peníée :
» celles de Montaigne habillées à la mo-
» derne , perdroient , à ce que je crois ,
une partie de leur force & de leur agré-
» ment. Je me fuis donc contenté dans les
» endroits où l'expreffion m'a paru fi furannée
qu'elle est devenue inintelligible ,
» de placer en lettres italiques à côté de
l'ancien terme , celui que notre ufage lui
» a fubftitué pour rendre la même idée.
»
» peu
"
Ce plan eft exécuté avec le goût qu'on
pouvoit defirer. L'efprit de Montaigne eft
réellement tout entier dans les deux volu
mes que nous annonçons.
DECEMBRE 1753.
LETTRE du Commandeur de ***
à Mademoiſelle de *** , avec les réponfes
publiées par M. le Chevalier de Mouhy
, de l'Académie des Belles Lettres de
Dijon ; troifiéme partie. A Paris , chez
Jorry , Quai des Auguftins , & Duchesne ,
rue Saint Jacques , 1753. Un vol . in. 12.
La multitude d'ouvrages qui font fortis
de la plume de M. le Chevalier de Mouhy,
pourroit faire foupçonner qu'il le répéte.
Le foupçon feroit faux , quoique raiſonnable
; cer Ecrivain a une imagination fi
riche , que le fond de tous fes Romans
eft different. Nous l'affarons en particulier
de celui qui nous donne occafion de
faire la réflexion .
ON vend chez Duchefne , Libraire , rue
Saint Jacques , au Temple du Goût , les
Calendriers fuivans , pour l'année 1754.
Almanach hiftorique & chronologique
de tous les Spectacles de Paris , pour les
années 1752 , 1753 & 1754.
Almanach des Beaux Arts , contenant
les noms & ouvrages de tous les Auteurs
François qui vivent actuellement , 1753 ,
1754.
Almanach des Corps des Marchands ,
Arts & Communautés du Royaume.
Almanach Eccléfiaftique.
G iiij
152 MERCURE DE FRANCE.
Almanach des Fables , pour les années
$ 753 , 175.4.
Almanach chantant du beau Sexe , nouvelle
Ethomancie des Dames , ou Divination
de leurs caracteres.
Almanach danfant & chantant , contenant
plufieurs Rondes ou Chanfons à danfer.
Nouvelles Lotteries , ou Etrennes magiques.
Tablettes de Thalie , ou Calendrier de
l'efprit & du coeur.
Deux Almanachs des Fables , en Vaudevilles.
Nouveau Calendrier du Deftin , précédé
de tous les amuſemens de Paris.
Almanach des Francs Maçons .
Almanach des Franches - Maçonnes.
Etrennes curieufes & utiles aux Francs-
Maçons , avec un extrait hiftorique des
Maçons Ecoffois .
Nouvelles Tablettes de Thalie , ou les
promenades de Paris.
L'Oracle de Cythere , ou Calendrier du
Berger.
Perte & gain , avec une Table alphabétique
de tous les jeux qui fe jouent en
Europe.
DECEMBRE . 1753. 153
50 50 302 303 304 305 : 506 506 502 502 506 502 502 50
En rendant compte de la difpute qui
Seft élevée depuis quelque tems entre M.
le Cat & le Frere Cofme , fur la maniere de
faire l'opération de la taille , nous nous fommes
ainfi exprimés pag. 121 du Mercure
de Novembre.
» M. le Cat vient de publier à Rouen , &
» on trouve à Paris chez Delaguette, fa cine
quiéme Lettre contre le Litothome caché.
" Le Frere Cofme ne répond à tant d'atta-
" ques qu'en continuant à fe fervir de
cet inftrument , avec un fuccès d'une fi
grande publicité , qu'il eft enfin avoué
généralement.
Cette maniere de nous exprimer a donné
occafion à la Lettre fuivante.
LETTRE de l'Académie de Chirurgie
à M. l'Abbé Raynal.
M ง
ONSIEUR , après avoir annoncé
dans le Mercure de Novembre
pag. 21 , la cinquiéme Lettre de M. le
Cat contre le Litothome caché , vous ajoûrez
ce qui fuit ; Le Frere Cofme ne repond à
tant d'attaques qu'en continuant à ſe ſervir
de cet inftrument avecunfuccès d'une figrande
Gy
154 MERCURE DEFRANCE.
publicité , qu'il eft enfin avoué généralement.
Que le mot avoué tombe fur l'inftrument
du Frere Cofme , ou fur le fuccès
obtenu par l'inftrument , il eft certain
qu'au fond c'eft la même chofe . Cela pofé
, l'Académie a dû voir avec furprile un
jugement auffi pofitif porté par un Journalifte
, qui femble être dans ce moment
l'écho de toute la Chirurgie. Très occupée
des progrès de l'Art , lorfqu'il fe
préfente quelque chofe de nouveau , l'Académie
raffemble les faits , elle compare
les méthodes , & plus l'objet eft important
, plus elle met de tems à juger.
Elle refpecte même jufqu'aux préventions
du Public , & elle me charge de déclarer
que ce ne fera qu'après un très long &
mûr examen de l'inftrument du Frere Cof-
& de fes fuccès bons ou mauvais ,
qu'elle dira ce qu'elle en penfe . Mais en
attendant , comme elle croit avoir bonne
part dans ce qu'on appelle aveu général
d'un inftrument ou d'une opération de Chi .
rurgie , elle croit aufli que ceux qui en parlent
comme Hiftoriens , ne doivent point
prévenir fon jugement.
J'ai l'honneur d'être , & c.
MORAND, Secrétaire perpétuel de
l'Académie Royale de Chirurgie.
Ce 28 Novembre 1753 .
DECEMBRE. 1753. 155
PRIX proposé par l'Académie Royale de
Chirurgie , pour l'année 1755 .
'ACADEMIE Royale de Chirur→
Lgic propofa pour le prix de l'année
1753 la queftion fuivante :
Le Fen on Cautere actuel n'a - t'il
pas
été
trop employé par les Anciens , & trop né
gligé par les Modernes ? En quels cas ce
moyen doit- il être préferé aux autres pour
la Cure des maladies chirurgicales , &
quelles font les raisons de préférence ?
&
L'Académie a trouvé , fur tout dans
trois Mémoires , de fort bonnes chofes
fur cette matiere ; mais les Auteurs qui
ont préfenté de la Théorie , ne l'ont point
foutenue par des faits de pratique ,
ceux qui ont préfenté des faits n'ont point
établi de préceptes. C'eft pourquoi l'Académie
n'a pas cru pouvoir adjuger le
prix , & elle a décidé que la même quef
tion feroit propofée pour l'année 1755 .
Le prix eft une médaille d'or de la
valeur de cinq cens livres , fondée par M.
de la Peyronie ; & il fera double pour cette
année , c'est - à - dire que celui qui , au
jugement de l'Académie , aura fait le meil
feur ouvrage fur la queftion propofée ,
aura deux médailles chacune de la valeur
de cinq cens livres , ou une médaille & la
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
valeur de l'autre , au choix de l'Auteur.
Ceux qui enverront des Mémoires ,
font priés de les écrire en françois ou en
latin , & d'avoir attention qu'ils foient
fort lisibles.
Ceux qui ont déja composé pourront
faire à leurs Mémoires tels changemens
qu'ils voudront , & les renverront écrits
de nouveau .
Ils mettront à leurs Mémoires une mar
que distinctive , comme fentence , devife ,
paraphe ou fignature ; & cette marque fera
couverte d'un papier colé ou cacheré , qui
ne fera levé qu'en cas que la piece ait remporté
le prix.
Ils adrefferont leurs Ouvrages , francs
de port , à M. Morand , Secrétaire perpétuel
de l'Académie Royale de Chirurgie
, à Paris ; ou les lui feront remettre
entre les mains.
Toutes perfonnes de quelle qualité &
pays qu'elles foient , pourront afpirer au
prix ; on n'excepte que les Membres de
l'Académie ..
Le Prix fera délivré à l'Auteur même
qui fe fera connoître , ou au porteur d'u
ne procuration de fa part ; l'un ou l'au
tre repréfentant la marque diftinctive , &
ane copie nette du Mémoire.
Les Ouvrages feront reçus jufqu'au preDECEMBRE.
1753. $ 57
mier jour de Janvier 1755 inclufivement
; & l'Académie , à fon affemblée
publique qui fe tiendra le Jeudi d'après
la quinzaine de Pâques , proclamera la
piece qui aura remporté le prix...
DERNIERES Réflexions inftructives
de M. le Chevalier de Caufans , fur la
Quadrature du cercle.
M'Erant
'Etant exposé à l'incrédulité & à la
critique publique , je me trouve
obligé d'éclaircir mon projet. Lors du premier
Profpectus , j'étois occupé du doute
& nullement de l'impoffibilité & de l'inutilité
de la Quadrature du cercle qu'on a
voulu généralement oppofer ; ce qui m'a
déterminé à confulter Meffieurs de l'Aca
démie des Sciences , de la façon qui fuit.
EXTRAIT des Regiftres de l'Académie
Royale des Sciences, du 17 Novembre 17530.
M. le Chevalier de Caufans ayant propofé
à l'Académie de décider fi la Quadrature
du cercle étoit abfolument impoffible à
trouver géométriquement ; l'Académie a jugé
que la Quadrature abfolue du cercle n'eft
démontrée ni poffible ni impoffible. Mais
Pinutilité des efforts que les Géométres:
les plus profonds ont faits jufqu'ici pour
réfoudre le problême de la Quadrature du
158 MERCURE DE FRANCE.
cercle , prouve au moins que ce problême
eft d'une extrême difficulté , & demande
pour être feulement tenté , les plus grandes
connoiffances en Géométrie. En foi de
quoi j'ai figné le préfent certificat ; à
Paris ce IS Novembre 1753 .
Granjean de Fonchy , Secrétaireperpétuel
de l'Académie Royale des Sciences.
Je n'ignorois pas qu'il feroit imprudent
d'annoncer qu'on a découvert ce qui eft
impoffible , & tout auffi déraisonnable
d'attribuer des propriétés au néant ; mais
après la décision de l'Académie , il ne
refte que d'en prouver l'utilité .
Les Sçavans conviennent unanimement
que la connoiffance des longitudes feroit
d'un avantage
infini pour le commerce ,
la fûreté de la navigation , la Géographie ,
l'Aftronomie , &c. Les moyens qu'on a
pratiqués pour y parvenir , ont été jufqu'à
préfent inutiles ; ceux qu'on employeroit
à l'avenir , le feroient de même, parce que
les longitudes dépendent uniquement de la
théorie de la terre, & qu'aucune autre opé
ration que la Quadrature du cercle ne fçauroit
nous en inftruire ; je l'affure , & je ne
crains point de pouvoir être contredit
par des raifous ni par l'expérience. Quel
rapport apparent peut avoir , par exemDECEMBRE.
1755. 157
ple , la mesure d'un ou de plufieurs dégrés ,
foit au Pôle , à l'Equateur & à tout autre
hieu de la terre avec fa circonférence
qui eft à plus de 400 lieuës des endroits
acceffibles c'eft comme fi l'on mefuroit la
plaine de S. Denis pour connoître l'étendue
que couvrent les montagnes de Suiffe
. On fuppofe donc gratuitement la
terre allongée , applatie , elliptique ou
autrement ; mais il n'eft pas douteux qu'elle
eft plate à fa fuperficie ; un exemple le
perfuadera. En voyant partir un vaiffeau)
on s'apperçoit qu'il difparoît peu à peu .
& qu'il a parcouru en apparence une courbe
lorfqu'on ne voit plus que le haut du
mât ; on fonde en partie la convexité de
la terre fur cette opinion : une fimple attention
fuffira pour en détruire l'erreur.
Les objets ne font grands ou petits à la
vûe que par de plus grands ou de moindres
angles que forment les rayons vifuels
au fond de l'oeil fur la rétine ; de
forte que plus un objet s'éloigne , plus
l'angle diminue & difparoît enfin avec
F'objet , ce qui arrive indifféremment en
plaine , fur mer & fur les montagnes , qui
font des inégalités , & ne donnent pas plus
de convexité à la terre que les ifles en
donnent à la mer , qui eft très plate par
le niveau de l'eau ; & de quelque figure
160 MERCURE DEFRANCE.
que foit la terre , on la connoîtra très
exactement par le véritable rapport du
diamétre du cercle à fa circonférence ; ce
qu'apprendra avec la derniere préciſion la
Quadrature du cercle , qui renferme éminemment
la vraie Géométrie , que perfonne
n'a connue en rendant méthodiquement
toute ligne conrbe égale à une droite, toute
ligne droite égale à une courbe : l'Aftronomie
n'en retirera pas de moindres lumieres,
puifque les Phyficiens & les Aftronomes
attribuent des écarts à la lune, qu'ils difent
inexplicables ; ils le font en effet , par la
raifon qu'il impliqueroit contradiction
que la même force qui auroit cédé aux
écarts de la Lune , la remît enfuite dansfa
premiere route. Détrompons-nous ; fi
les révolutions des planetes ou le mouvement
des Cieux le dérangeoient feulement
d'une lignede ce qu'ils étoient au tems de
la création , l'Univers feroit dans l'inftant
bouleverfé. Pour épuifer les objections.
qu'on voudroit encore faire , je rappelle
mes propofitions.
19. De décrire un quarré parfaitement
égal à un cercle quelconque..
20. De démontrer qu'en Géométrie , un
eft trois, & trois ne font qu'un , c'eft- à- dire
que trois uniques figures de méchaniques
contenues l'une dans l'autre , font géo
DECEMBRE. 1753. 161
métriquement égales ; d'où il s'enfuit que
chaque tout dans l'étendue , a deux parties
diftinctes géométriquement & féparément
égales à lui. Cette propofition qui détruit
l'axiome le mieux établi , que le tout eft
abfolument plus grand qu'une de fes parties
, doit au moins exciter la curiofité de
ceux qui aiment & qui recherchent les
grandes vérités.
3. De prouver par une régle générale le
véritable rapport du diamétre du cercle à
fa circonférence.
4°. La Quadrature Géométrique du cercle.
Si ces propofitions paroiffent douteu
fes ou impoffibles, elles valent la peine d'être
vérifiées ; fi on les croit poffibles , elles
méritent le défir de les voir démontrer.
Nombre de perfonnes ont demandé
aux Notaires prépofés des foufcriptions
en les payant comptant , ce n'eft point de
quoi il s'agit; je vérifierai mes propofitions
avec quatre mille foufcriptions , comme il
eft écrit ; on ne peut les reçevoir en détail
fans fçavoir auparavant fi le nombre fe
trouvera ; il dépend des nations & des particuliers
réunis d'en répondre, & en m'avertiffant
quatrejours d'avance , je fournirai
mon contingent de cinq cens livres pour
chacune. Le fixiéme jour , je commencerai
des démonftrations , & le neuvième , les
162 MERCURE DE FRANCE.
Notaires nommés acquitteront les récépiffés
de quinze cens livres , dont mille livres
de la part des foufcripteurs , & cinq
cens livres de la mienne ; le tout au jugement
de Meffieurs de l'Academie Royale
des Sciences à Paris , & de Mellieurs les
Députés des Académies des pays étrangers
qui voudront s'y trouver , à qui je
ferai remettre à chacun trois mille livres
en arrivant.
Ma juftification m'intéreffe trop pour en
négliger les moyens & ne pas répondre
aux difficultés qu'on a fait naître , en dis
fant queje n'ai propofé quatre mille foufcriptions
que par l'impoffibilité de les
voir remplir , & que je ne fatisferois pas
à la condition qui me regarde de cinq cens
livres par foufcription.
J'ai parlé à l'Europe , il eft bien aifé
de s'inftruire fur ce dernier article ; fi je
manque à ma parole , je joindrai ma voix
aux autres pour ma confufion ; fi j'ai tort
dans les démonftrations , la peine que je
m'impofe me mettra à l'abri de tout reproche.
Je puis donc penfer que fi l'on perfifte
dans l'indifférence fur mes propofitions
, après les facilités que je donne pour
les verifier , ce fera un effet de la libre
volonté , & de rien que l'on puiffe m'imputer
; mais alors ce feroit avouer qu'on
DECEMBRE. 1753. 163
+
méprife des conoiffances qui ont paru
dans tous les tems dignes de l'attention
& de la générofité des plus grands Rois
ce qui empêcheroit pour toujours tout
homme fenlé de tenter de nouveaux progrès
dans la Géométrie , qui eft cependant
la fcience la plus utile , la plus féconde
& la plus digne de l'entendement ;
& en fuppofant cet aveu univerfel , je ferois
à mon particulier affez difcret pour
ne dire & n'écrire jamais ce qu'on auroit
voulu fi conftamment ignorer.
Je déclare autentiquement que je n'ai
confulté perfonne , & que je fuis feul dé
pofitaire de mon fecret.
302 500500 306 307 308 30:37:56 56 57 56
BEAUX ARTS.
A grande Galerie de Verfailles , &
les deux falons qui l'accompagnent ,
peints par Charles le Brun , deffinés par
J. B. Maffe , & gravés par les meilleurs
Maîtres du tems.
Nous avons déja parlé dans le Mercure
de Novembre du premier effet que produifit
de toutes parts ce grand ouvrage
dès qu'il vit le jour ; il nous refte à rendre
compte du jugement réfléchi des con164
MERCURE DE FRANCE.
noiffeurs. Les deux claffes , c'est - à - dire
les Arriftes & les amateurs, nous paroiffent
s'accorder à louer la perfection de l'exécution
autant qu'ils avoient loué autrefois
F'entrepriſe il faut bien qu'on ait bonne
opinion de cette magnifique collection ,
puifque des perfonnes dont la fortune eft
très bornée , fe la procurent.
Quoique M. Maffè ait été obligé d'em
ployer enſemble ou fucceffivement un
nombre de Graveurs dont on trouve
les noms refpectifs au bas de chaque eftampe
, on eft étonné en les parcourant , de
n'y rencontrer prefque que des noms célebres
, & plus étonné encore de ne pouvoir
prefque s'en rappeller aucun qui fe foit fait
quelque réputation depuis cette époque ,
que l'on ne trouve ici : tant M. Mallé z
été heureux dans le choix des Artiftes capables
de concourir à la perfection de
fon oeuvre.
Le Public regrettera long- tems MM, Simoneau
, Defplaces , Dupuy l'aîné , Tardieu
pere , Thomaffin & Laurent des
Etrangers bons connoiffeurs nous ont enlevé
MM. Prefles & Soubeyran ; & il
nous refte pour nous confoler de ces pertes
, un Jean Audran , un Cars, un Beauvais ,
un Dupuis le jeune , un Tardieu fils , un
Cochin fils , un Will , &c. . . Mais dirae
DECEMBRE. 1753. 166.
fon , comment pouvoir concilier fans
bigarrure , fans difparate , les ouvrages de
vingt - cinq Graveurs , dont les manieres
étoient fans doute très différentes ? plus
des Artiftes font excellens chacun dans leur
genre , plus ils font difficiles à gouverner ;
plus ils fentent leurs propres forces ,
forces , moins
ils font difpofés à fe prêter aux idées d'autrui
comment donc l'Auteur a-t'il pû
plier à fon gré & ramener à fon plan tant
de talens divers ? Pour trouver le dénoument
de cette difficulté , il faut connoî
tre M. Maffé ; la douceur de les moeurs
ne lui a pas moins fervi que fon art . Il
eût fallu le voir avec chacun d'eux fucceffivement
, ne les entretenir que de leur
propre gloire , leur infinuer les confeils
en paroiffant les confulter , commencer
toujours par paroître très - content d'eux
& finir infenfiblement par les rendre mécontens
d'eux -mêmes , les adoucir & les
confoler à l'égard des difficultés dont ils
Le plaignoient d'être obligés de graver
au miroir , les piquer d'émulation , loin
de les décourager par fes retouches réitérées
de leurs épreuves , & enfin les amener
infailliblement ainsi à l'unité d'effet , qui
répand fur tout l'oeuvre cet accord général
qu'on y voit régner .
Si cette grande fuite nous préfente la
166 MERCURE DE FRANCE,
des
Gravure à fon plus haut point de perfec
tion , il faut convenir que la premiere
gloire , celle de l'invention , rejaillit tonjours
fur M. le Brun , dont le génie f
ploye ici en entier. Cependant ce n'ei
point hazarder un paradoxe que de dire
que les eftampes l'emportent fur les ta
bleaux par l'harmonie , fans laquelle il n'y
a point de véritable beauté aux yeux
perfonnes de bon goût. Ce n'eft pas que
nous voulions imputer à ce grand Maître
d'avoir négligé cet objet ellentiel ; mais
outre que les couleurs de ſes tableaux fon:
changées & obfcurcies par les milliers de
bougies allumées dans la galerie aux fuper
bes fêtes qui y ont été données , il eft inconteftable
que tout l'effet de ces belles
compofitions eft comme éteint par l'éclat
de la dorure , des richeffes prodiguées qui
les environnent , & que les ornemens
même , tels que les trophées d'enfans en
fculpture de relief, qui n'avoient été deftinés
qu'à accompagner & faire valoir ces
grands morceaux , partageant inévitablement
l'attention , produifent un effet tout
contraire à celui qu'on s'étoit propofé.
Non feulement l'ouvrage de M. Maffe
n'a point contre lui cet inconvénient i
fatal à M. le Brun mais il a encore l'a
vantage d'avoir la totalité fous an feal
DECEMBRE. 1753. 167
point de vue , dans une feule eltampe qui
préfente l'enfemble de la galerie ; auffi eft
ce de toutes les planches celle que l'on admire
le plus ; on eft également furpris &
charmé de la quantité de détails qu'elle
enferme , & de la façon nette , précife
& fpirituelle avec laquelle tout y eft rendu.
Le trait en avoit été gravé à l'eau forte
par feu M. Laurent , qui joignoit à beaucoup
d'intelligence des yeux de lynx &
une patience d'Ange ; & M. Cochin le
fils dont on connoit la fupériorité des
talens , l'a finie dans une perfection qui
ne laiffe rien à délirer.
LA Danfe ancienne & moderne , ou
Traité hiftorique de la danfe , 3 tom. in-
16. par M. de Cahufac , de l'Académie
Royale des Sciences & Belles Lettres de
Pruffe.
Cet ouvrage dont nous rendrons compte
dans le Mercure prochain , fe vend
chez Durand , rue S. Jacques . Nous pouvons
affurer d'avance qu'il contient les recherches
les plus curieufes , & qu'il eft
écrit d'un ftile qui doit en rendre la lecture
fort amufante .
Le fieur Rigaud vient de joindre à fon
Recueil des vues des Maifons Royales deux
nouvelles vûes du Palais de Bourbon : il
j
168 MERCURE DE FRANCE.
demeure toujours rue S. Jacques , un per
au deffus des Mathurins ,
Le tribut de la Toilette , mélange ly
rique qui a été interrompu pendant deux
ans , recommencera au mois de Janvier ,
& paroîtra régulierement tous les mois,
On le trouvera aux adreffes ordinaires
de musique.
SPECTACLE S.
LA
'Académie Royale de Mufique a repris
Vendredi dernier 7 Novembre , Titon
l'Aurore , Paftorale héroïque , qui eut
un fi grand fuccès dans fa nouveauté. Le
public a revu ce Spectacle avec plaifir, Oa
ne le donne que deux fois la femaine , le
Vendredi & le Dimanche. On continue
les Mardis & les Jeudis les repréfentations
du Devin du Village & de Bertholde à la
Cour.
La même Académie a déja commencé
les répétitions de Caftor & Pollux , Tragé
die de Mrs. Bernard & Rameau , qui n'a
pas encore été repriſe , & quif ut donnée
en 1737 pour la premiere fois.
Les
DECEMBRE. 1753. 169
Les Comédiens François n'ont donné
depuis le voyage de Fontainebleau , ni
11ouveautés , ni Piéces remifes ; ils n'ont repréfenté
que des Tragédies de répertoire ,
qui ont attiré beaucoup de fpectateurs ,
parce qu'elles ont été jouées avec foin :
ces Tragédies font , Brutus , Policuête , Bajazet
, Merope , Zaire , Edipe & Inès de
Caftro. Ils ont auffi joué trois Comédies
en cinq Actes ; l'Enfant prodigue , où M.
Préville a fait le rôle de Fier en fat ; le
Philofophe marié , & l'Homme à bonnes fortunes.
Les mêmes Comédiens doivent remettre
incelfamment , la Fauffe antipatie ,
Comédie en vers & en trois Actes , de
M. de la Chauffée ; & les Fées , Comédie
de Dancourt , en profe & en trois Actes ,
avec trois Intermédes. Ils répétent en même
tems une Tragédie nouvelle , intitulée
Paros.
Les Comédiens Italiens font revenus de
Fontainebleau le Vendredi 23 Novembre,
& ils ont ouvert leur Théatre le lendemain
, par Arlequin voleur , Prévôt & Juge,
Comédie Italienne . Ils ont repris le Lundi
fuivant les Amours de Baftien & Baftienne ,
Parodie du Devin du village , qu'ils continuent
trois fois par femaine,
11. Vol. H
170 MERCURE DEFRANCE.
Extrait de Brioché , ou l'Origine des Marionettes,
Parodie de Pigmalion , par M. Gau
bier , ancien Valet de Chambre du Roi ; repréfentée
la premierefois le 26 Septembre ,
je vend chez Duckefne , rue S. Jacques.
Brioché ,
ACTEURS .
Une Marionette ,
La Folie ,
M. Rochard.
Mlle. Catinon.
Mlle. Favart.
De Heffe.
Les trois Graces , Mrs. Carlin.
Chanville.
Le Théatre repréſente l'attelier où Brioché
faifoit fes marionettes ; on en voit
plufieurs paquets de toute efpéce , attachés
en differens endroits. Sur une table , au
milieu de l'attelier , eft une petite marionette
debout , attachée ſur un chevalet de
Sculpteur. Brioché ouvre la Scene par un
Monologue , dans lequel il déplore fes
malheurs ; il a commencé par être pris en
Suiffe pour un forcier , & il l'a échapé
belle. Il devient enfuite amoureux d'un
objet infenfible , d'une marionette qu'il
voudroit bien animer , mais la choſe eſt
impoffible. Dans le moment que Brioché
s'approche de cette marionette pour la
faire mouvoir , on entend une fymphonic
qui eft alternativement vive & tendre ; le
Théatre devient plus éclairé. D'où vient cet
DECEMBRE . 17537 171
Eclat nouveau , s'écrie Brioché ? Et croyant
s'appercevoir que la marionette s'anime ,
il s'imagine être dans l'erreur d'un fonge ,
ou que l'amour lui a troublé la cervelle.
Effectivement la marionette lui parle , &
lui répond. Brioché en eft tranfporté ; il
déclare fes feux à la marionette , qui fent
autant de trouble & autant de joie que
lui : d'où peut venir ce prodige , répéte inceffamment
Brioché ? je n'en dois rendre
grace qu'à l'Amour. On entend un grand
bruit de tonnerre. Brioché & la marionette
ont également peur , & dans le tems
que Brioché invoque l'Amour , & le conjure
de fe montrer le pere de la marionette
, la Folie paroît , & dit : c'eft à moi
qu'elle doit la vie , elle déclare après à
Brioché qu'elle prendra foin de l'éducation
de fa fille , qu'elle lui accorde en ma
riage. Voici les couplets qui ont paru faire
Le plus de plaifir .
BRIOCHÉ.
Air : A notre bonheur l'Amour préfide..
Four moi l'amour fut un badinage ,
Je ne cherchois que l'amufement ;
Je regardois comme un efclavage ,
Et la conftance & le fentiment.
A mille objets je rendois les armes
Mais jaloux des charmes
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
De ma liberté ,
Sans m'embarraffer d'être perfide,
Je n'avois pour guide
Que la volupté.
Four m'enchanter il falloit tes charmes,
Tu fis naitre mes premiers foupirs ;
L'Amour vengé vient ſécher mes larmes
Et t'anime enfin pour mes plaifirs .
A toi ,pour jamais mon coeur s'engage ;
A l'Amour volage
Je rends fon bandeau ;
Pour ne plus voler de belle en belles ,
J'ai changé les aîles
Contre fon flambeau .
Autre couplet de Brioché , fur l'air
Et j'y pris bien du plaiſir.
Ah , que j'ai l'ame ravie !
L'Amour comble mon deſir
De fa puiffance infinie
On voit naître le plaifir :
Tu feras toujours chérie ;
Que tes jours vont s'embellir !
De lui tu tiendras la vie ,
Et de moi l'art d'en jouir.
Couplet chanté par la Folie , far l'air ;
la Fravoletta .
Oui , la tendreffe
Eft une douce yvrelle ;
DECEMBRE. 1753 .
173
Mais la Folie
Eft l'ame de la vie.
Rien ne foupire
Dans mon Empire :
Je rends plus piquant
Le plaifir charmant.
A mon délite ,
Souvent un amânt¸
Doit un bon moment ,
Et d'un fourire
Je mets l'univers
Dans mes fers.
Sur les pas des Graces
Je conduis les jeux ;
Toujours fur mes traces
L'on voit des heureux :
Par moi les époux ,
Loups-garoux
Et jaloux .
Deviennent charmans ;
Amufans ,
Complaifans.
Toujours légere ,
Hé, jamais fevere :
Ab ! vive les ris ;
Mes favoris
Ne trouvent des charmes
Que dans mes bienfaits ,
Goûtentfans allarmes
H iij
174 MERCURE DE FRANCA
Des plaifirs parfaits.
Le Dieu des coeurs
Vend cher fes langueurs ,
Et mes faveurs
N'offrent que des feurs.
Oui , fans retour,
J'enchaîne l'Amour ;
Il regne par moi ,
Mon caprice eft fa loi.
茶洗洗洗洗洗洗洗派派派派派派洗洗
NOUVELLES ETRANGERES.
SE
DU LEVANT.
D'ALER , le 19 Septembre.
Elon les derniers avis reçus de Perfe , il y a en
près de Hamadan une Langlante bataille , dans
laquelle les troupes de Karini- Kan ont été défaites
par celles du Souverain des Aghuans. Ces avis
ajoutent que la Factorerie Hollandoife , qui étoi
établie à Baffora , s'eſt retirée à Baſxire.
DUNO R.D.
DE MOSCOU , le 25 Octobre.
Ce matin , le Baron de Bretlach a eu fon audience
de congé de l'Impératrice , & le Comte
Efterhafi , qui le remplace en qualité d'Ambaſſadeur
de la Cour de Vienne , a préfenté Tes Lettres
de Créance.
DECEMBRE. 1753 . 175
DE PETERSBOURG , le 6 Novembre.
On parle d'établir un Corps de Milices réglées
dans les Provinces cédées par la Suède à la Ruffie .
L'Impératrice a réfolu de faire conftruire des Cafernes
, pour loger une partie de la garnifon de
cette Capitale.
DE STOCKHOLM , le 1 Novembre.
Les Magiftrats de Wardberg ont pris diverfes
mefures en faveur des Vaiffeaux qui navigueront
fur la côte de Halland. Ils ont fait conftruire près
du Port de leur Ville , fur un Rocher nommé le
Schryvers- Klip , une maison où se trouveront toujours
plufieurs Pilotes . Dès qu'un Navite donnera
le fignal , des Chaloupes partiront pour aller le
joindre. Si quelque tempête les empêchoit de fe
hazarder à la mer , on indiquera de deffus le
Schryvers-Klip au Navire l'entrée du Port , par le
moyen d'un Pavillon . En ce cas , les Navigateurs
doivent être avertis , que du côté du Sud on arrivé
au Port fans aucun obftacle ; mais que du côté da
Nord , & de celui de l'Oueft , il est néceffaire , à
caufe d'un banc qui fe rencontre dans cette partie
, de tenir le large à une demi- lieue , jufqu'à ce
que l'on voye an Sud du Château la Tour de l'Eglife
de la Ville. Il y a dans la Rade , entre le Châreau
& la maifon des Pilotes , un ancrage für &
commode pour les Vaiffeaux , qui tirent jufqu'à
vingt peds d'eau ; il faut qu'ils n'en tirent que
quatorze , pour pouvoir entrer dans le Port.
•
Plufieurs particuliers ayant crû ne pouvoir
mieux célébrer l'heureux accouchement de la Rei.
ne,qu'en contribuant par leurs largeЛles à la fon-
Hiij
176 MERCURE DE FRANCE.
dation d'un Hôpital pour les Enfans Trouvés , un
incornu a été touché de cet exemple. Il a envoyé
mille dalers au Baron de Hopken , pour la
même deftinatior. Dans la Lettre qu'il a écrite à
ce Miniftre , on lit la réflexion ſuivante . » Plût an
» Ciel , que la mode pût s'établir parmi nous ,
» que dans tous les événemens qui caufent l'allégreffe
publique , on ne fit éclater la joye que
par des actes utiles à la Société ! On verroit bientôt
nombre de Monumens honorables de notre
raifon , qui éterniferoient bien mieux la mémoire
des faits dignes de pafler à la postérité , & fe-
» roient plus glorieux pour l'humanité , que tout
cet appareil tumultueux de fêtes , de repas , de
bals & d'autres divertiffeinens , ufités en pareilles
» occafions .
အ
DE COPPENHAGUE , le 9 Novembre.
Par des Lettres Patentes qui viennent d'être pus
bliées , le Roi déclare la réfolution qu'il a prile
de fonder à Chriftianshaven un Hôpital pour les
pauvres Orphelins . On y entretiendra deux cens
enfans , à qui l'on enfeignera les métiers pour lef
quels ils montreront plus de goût & de difpofition.
Meffieurs Holmfted , Frys , Dane & Wevers ,
Confeillers d'Etat , & M. Hefexer , Confeiller de
la Chancellerie , auront la direction de cette Maifon
, fous les ordres du Baron de Bernsdorff , Miniftre
& Secrétaire d'Etat . Indépendamment des
fommes que le Roi veut bien donner pour un établiffement
fi utile , Sa Majefté accorde au nouvel
Hôpital une Lotterie qui durera vingt ans . Le Réglement
concernant la difcipline qui doit être
obfervée dans l'intérieur de la Maiſon , eft joint
aux Lettres Patentes.
DECEMBRE. 1753. 177
Le feu prit le 7 à la maiſon d'un payſan du village
d'Emmedrup , voifin de cette Capitale.
Moyennant les prompts fecours qu'on apporta
cette feule maifon fut réduite en cendres. Un ha~
zard favorable a dédommagé le Propriétaire . Le
même jour , le Préfident Ogier , Envoyé extraordinaire
& Miniftre plénipotentiaire du Roi de
France , prenoit poffeffion d'une maifon de plaifance
qu'il a louée dans le même village; ily avoit
mené une nombreufe Compagnie. Ce Miniftre
auffi généreux que compatiffant , donna au payfan
une fomme confidérable. Toutes les perfonnes
qui étoient avec le Préfident Ogier , joignirent
leurs liberalités aux fiennes , & le payfan a eu lieu
de s'applaudir de fon infortune.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 3 Novembre.
La femaine dernieré , les Religieux de l'Ob
fervance établis en cette ville , foûtinrent dans
une Théfe , qu'un Souverain n'a pas droit d'empêcher
qu'on faffe des donations aux Réguliers . Cette
Théfe ayant été dénoncée , ces Religieux ont
ont été privés des exemptions dont leur Communauté
jouiffoit , & le Soutenant ainsi que fon
Profeffeur , a eu ordre de fortir de cette Capitale.
L'Impératrice Reine a fait fentir auffi les
effets de fon indignation à un Protefleur en Jurifprudence
, qui a avancé dans un Ecrit , qu'un
Prince Chrétien ne peut faire aucun Traité de paix
avec des Barbares des Pirates.
L'Impératrice Reine a réfolu d'établir une Mi
lice dans fes Pays Héréditaires. La hauteur que
chaque Milicien doit avoir , cft fixée à cinq pieds
Hy
178 MERCURE DE FRANCE.
•
trois pouces. Les Etats de là Baffe Autriche com←
mencerent le 13 à délibérer ſur les demandes qui
leur ont été faites de la part du Gouvernement.
DE DRESDE , le 19 Novembre.
Cette Cour vient de conclure avec celle de
Berlin une convention , par rapport au payement
des Obligations de la Steur , qui le mouvent
entre les mains des Sujers du Roi de Pruffe. On
publiera inceffaniment les articles de certe convention,
DE LEIPSICK , le 22 Novembre,
Conformément à un nouvel accord fait avec
les Etats Généraux des Provinces Unies , les intérêts
des Capitaux que les Hollandois ont fur
la Steur , feront réduits à quatre pour cent Les
arrérages qui font dûs , feront convertis en
nouvelles Obligations , dont les intérêts feront
payés ici tous les fix mois , fçavoir , à Pâques &
à la S. Michel. Les intérêts des premiers capitauя
feront payés avec la même régularité dans les
mêmes termes. Le premier payement fe fera à
Pâques de l'année 1754. Pendant trois ans , les
propriétaires des Obligations ne pourront exiger
aucun remboursement. Le Gouvernement , pour
la fûreté de leur payement , affigne une certame
partie des revenus de cet Electorat , de laquelle
on donnera la direction à deux perſonnes de diftination
& à deux Banquiers.
DE BERLIN , le 17 Novembre.
Depuis quelques jours , le Margrave & la Marò
DECEMBRE . 1753 . 179
grave de Brandebourg - Bareith font retournés à
leur téhdence.Le Roi a déclaré qu'il laiffoit aux
Etats de la Marche Electorale le foin de fe choifir
un nouveau Directeur à la place du feu Baron
d'Arnhim . Sa. Majefté a défendu par un
Edit de donner aucun fujet de plaintes aux
Polonois , aux Ruffes & aux Juifs qui viendront
commercer dans la Pruffe .
DE HANOVRE , le 13 Novembre.
On mande de Żell , que les Etats du Duché
de ce nom ont fait l'ouverture de leur affen.blée .
Plufieurs Négocians leur ont préfenté divers Mémoires
fur les moyens d'améliorer les Manufactures
de la Province.
DE WEILBOURG , le 12 Novembre.
Charles- Augufte de Naffau -Weilbourg , Prince
de l'Empire , Général de Cavalerie des troupes
de l'Impératrice Reine de Bohême & de Hongrie ,
eft mort en cette Ville le 9 de ce mois . Ce Princé
étoit né le 17 Septembre 1685. Il eroit fils
de Jean Erneft Conte de Naffau -Weilbourg ,
Feld Maréchal Général des troupes de l'Electeur
Palatin , & Colonel de fon Régiment des Gardes
; & de Marie- Polixene de Leiningen - Hartemburg.
En 1713 , il époufa Augufte- Frédérique
-Guillemine , fille de Georges - Augufte - Sa
muel , Prince de Naffau- Idftein . La Branche des
Comtes de Naffau Weilbourg a été admife par
J'Empereur Charles VI . dans le Collège des
Princes de l'Empire.
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE,
DE RATISBONNE , le 14 Novembre;
15
L'Impératrice Reine de Bohême & de Hongrie
a envoyé à la Diéte un Referit , dont voici l'Extrait.
» On en a impofé aux Electeurs , Princes &
» Etats de l'Empire , lorfqu'on leur a fait croire
que les Sujets Proteftans de mes Etats Hérédi-,
taires étoient opprimés , & que l'exercice de
leur Religion étoit interdit..... Si l'on re-
» monte à la fource de ces imputations , on reconnoîtra
qu'elles ont été répandues par des
gens qui fe font fervi du prétexte de la Reli- ,
gion , pour colorer des démarches aufli con-
" traires au bon ordre qu'à la foumiffion dûe au
» Souverain.... L'exercice public & privé de la
" Religion Proteftante fubfifte comme à l'ordi-
" naire , dans tous les endroits où il a été anciennement
établi . A l'égard des prétendus griefs
" concernant le refus de la fépulture , ils ne font
pas moins deftitués de fondement , puifque par
tout où il y a des Proteftans , on a eu ſoin de
3: marquer des lieux deftinés pour enterrer leurs
morts .... Pénétrée des devoirs que m'impofe
» la qualité de Princeffe Chrétienne , je fçais
que la violence , dans les matieres qui appar
" tiennent à la foi , ne peut être un moyen d'amener
les efprits à la conviction ; elle doit être l'ou
vrage de la grace & l'effet des inftructions dictées
par la douceur & par la patience , fortifiées
» de l'exemple des bonnes oeuvres , dont l'exercice
» doit s'étendre , fans diftinétion de Religion , en-
» vers tous ceux qui en ont befoin.... Tout
zéle qui s'éloigne de ces principes , n'aura
jamais notre approbation , & nous les réprimerons
avec foin loifque nous le remarque
ه د
22
20
DECEMBRE. 1753 : 181
» rons ,
23
15
1
foit à notre Cour , foit en quelqu'autre
endroit que ce puifle être de nos Etats Hérédi
taires. Aucun de nos Sujets , même ceux qui
font les plus obftinés à refufer d'être éclairés
» fur les vérités de leur Salut , ne fera inquiété
» dans fa perfonne , ni dans fes biens , dès qu'il
fe renfermera dans les bornes que lui prefcrit
l'obéiffance à l'autorité légitime... Comme
nous ne prétendons en aucune forte exercer
notre empire fur les confciences , notre amour
pour nos Sujets de la Confeffion d'Aufbourg
" nous a portés à affigner d'autres établiſſemens
so à ceux d'entr'eux qui fe plaignoient d'éprouver
des vexations dans les lieux qu'ils habitoient ,
» Nous les avons fait tranfplanter dans ces éta
bliffemens avec leurs familles & tout ce qui
leur appartenoit , afin que continuant de vivre
nos Sujets , ainfi qu'ils le font par la naiffan
ce , ils paffent dans leurs nouveaux domiciles
jouir de plus de tranquillité . Les contrées les
plus fertiles de nos Etats font celles où nous
leur avons affigné des habitations.... Leur
tranfplantation s'eft faite aux dépens de notre
Tréfor.... Ceux qui font indigens ont reçu
» de nous les fecouts néceffaires pour fubfifter
pendant plufieurs mois. Nous avons fait bâtir
pour les uns & les autres des mailons de pierre ,
où ils font logés beaucoup mieux qu'ils n'étoient
dans celles qu'ils ont quittées ... La
» Tranfilvanie contenant un grand nombre de nos
Sujets de cette Communion , nous avons établi
dans cette Province un Commiffaire chargé
de veiller à l'exécution de nos intentions fur eg
qui regarde leur bonbeur ....
ස
33
33
f
181 MERCURE DE FRANCE.
ESPAGNE..
DE LISBONNE , le 1 , Novembre.
Selon l'obſervation faite par le Pere Eufebe
de Veiga , Protefleur de Mathématiques au Col-
Jége Royal des Jéluites de cette Ville , l'éclipfe
du Soleil arrivée le 26 du mois dernier , a commencé
ici à fept heures trente minutes cinquante-
deux fecondes du matin . Le milieu a été à buit
heures quarante - deux minutes quarante - cinq
fecondes , & la fin à neuf heures cinquantefept
minutes trente fept fecondes . Cette obfervation
, quant au commencement & au milieu
de l'éclipfe , s'eft trouvée exactement conforme
au calcul que le Pere de Veiga avoit fait d'avance.
L'entiere émerfion de la Lune a précédé
de deux minutes l'inftant qu'il avoit marqué.
Dans le tems de la plus grande obſcurité , cette
Planete a caché onze doigts deux minutes du Soleil
La même éclipfe a été obfervée ici par quelques
Aftronomes Etrangers.
DE MALAGA , le 17 Novembre.
Le Vaiffeau de guerre l'Aigle avoit conduit
dans ce port un Brigantin Etranger , fous prétexte
qu'il avoit des Juifs & des Maures à bord.
Sa Majefté n'ayant pas approuvé la raifon qui
avoit occafionné la détention de ce Bâtiment
il a été relâché. Il eft arrivé ici plufieurs Navires
chargés de froment. Deux Vailleaux font prêts à
faire voile de Cadix , pour aller enforcer l'Elcadre
du Roi dans les mers des Indes Occidentales.
DECEMBRE. 1753. 183
ITALI E.
DE NAPLES , le 26 Olobre.
On affure que le Roi eft dans la téſolution
d'établir la réfidence ordinaire à Caferte . Sa Majeſté
doit à l'avenir en nommer l'Evêque , & le
Pape nommera celui de Trivento , qui étoit auparavant
de Collation Royale .
Deux Bâtimens ont amené de Sicile l'équipage
du Corfaire Tunifien qui a échoué depuis peu fur
la côte de Palerme . On avoit craint que la maladie
contagieufe n'eût été apportée à Meffiae par
un Navire arrivé des Echelles da Levant. Toute
inquiétude à ce sujet eft maintenant diffipée , &
P'on eft certain que la perfonne morte à bord de
ce Vaiſſeau n'avoit aucun figne de pefte .
DE ROME , le 10 Novembre.
Le Confiftoire qui fe devoit tenir le 12 , pour la
promotion des Cardinaux , eft renvoyé au 19 de
ce mois , & le bruit ſe répand que la Promotion
des Cardinaux pourroit n'être déclarée que dans
Je Confiftoire fuivant.
DE LA BASTIE , le 2 Novembre.
On a reçu avis de Corte , que feu Gafforio Y
avoit été inhumé le 23 du mois dernier dans
PEglife des Capucins , & que les adhérans de ce
Rebelle avoient célébré les obleques avec beaucoup
de folemnité . Le Chanoine Orticone y a
officié & Marc - Antoine Caftinetta a prononcé
POrailon funebre. 11 fe tint le même jour une
•
184 MERCURE DE FRANCE.
affemblée des principaux du parti opposé à la
République , & quelques-uns d'eux propoferent
un Réglement pour établir une espece de police
dans le centre de l'Ifle . Mario Matra qui préfidoit
, infifta pour que l'on condamnât au fupplice
Antoine François Gafforio , frere da feu Chef
de ce nom , & foupçonné d'avoir eu part à ſa
mort, La nuit fuivante , le même Matra , fans
attendre ce qui feroit décidé fur le fort de l'accufé
, fe préfenta au Château , & demanda qu'on
lui livrât ce prifonnier, Le Geolier de la prifon
ayant refufé de le remettre jufqu'à ce qu'on lui
apportât un ordre en forme , Matra fit nommer
le lendemain un autre Geolier . Il retourna le
16 au Château , & après avoir ordonné au Curé
de Tallonne , qu'il avoit amené avec lui , de confeller
Antoine-François Gafforio , il fit affommer
ce malheureux à coups de barre de fer. Un cri
minel détenu dans le Château pour avoir aſſaſfiné
fa femme , fervit de Boutreau, Matra fe
rendit enfuite chez la Veuve du défunt , & mit
la maifon au pillage , après quoi il prit la fuite
avec les complices de fa barbarie. Les prifons
étant demeurées ouvertes , les prifonniers fe font
tous échappés. Le peuple , en vifitant le Château ,
y a trouvé le cadavre d'Antoine- François Gaffofio.
Alors toute la Ville a retenti de gémiſſemens
fur les forfaits des Chefs de la Révolte , qui ont
eu beaucoup de peine à fe remettre en poffeffion
du Château,
DECEMBRE . 1753. 185
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 15 Novembre.
Aujourd'hui , le Roi s'eft rendu à la Chambre
des Pairs avec les cérémonies accoutumées , & Sá
Majefté ayant mandé la Chambre des Communes,
a fait l'ouverture du Parlement par le Difcours
fuivant. Milords & Meffieurs , je vous ai con-
* voqués , auffi - tôt que j'ai crû pouvoir vous rap
» peller , fans nuire à vos affaires particulieres.
3:je ne doute point que vous n'apportiez à cette
» affemblée toutes les difpofitions désirables , pout
employer cette Seffion de la maniere la plus
» avantageufe au public. Les événemens de cette
année , par rapport aux intérêts du dehors ,
n'ont fourni aucune matiere qui exige votre attention.
L'Europe continue de jouir de la même
tranquillité , & les affaires générales font
dans la même fituation que lorsque vous vous-
» êtes féparés . Vous devez être perfuadés de ma
conftance à chercher les moyens les plus effica
» ces , pour affurer à mon peuple le bonheur de
la paix. Meffieurs de la Chambre des Commu→
nes , je n'ai rien à vous demander , que les fubfides
néceffaires pour le fervice de l'année pro-
» chaine , conféquemment aux états qui vous ont
» été déja préſentés . L'expérience que j'ai faite de
» votre zéle pour l'honneur de ma Couronne &
» pour la profpérité de mes Sujets , me répond de
» votre empreffement à pourvoir à ces dépenses.
» Milords & Meffieurs , je fuis fâché d'être de
3 nouveau dans la néceffité de mettre fous vos
»yeux un objet auffi allarmant pour les particu
liers , que peu honorable pour la Nation . C'est
186 MERCURE DEFRANCE,
>> avec grande douleur que je vois le nombre des
»vols & des meurtres , au lieu de diminuer , s'augsmenter
tous les jours. Je fçais qu'on ne peut
so remédier tout d'un coup à de fi grands maux ;
mais chaque Membre de la Société doit du moins
» y contribuer de tout fon pouvoir. Trouvez bon
que je vous recommande cet article important,
Quelques mesures que vous jugiez à propos de
prendre , foit à ce fujet , foit pour tout autre qui
> intéreffera la félicité de mon peuple , vous me
trouverez toujours prêt à concourir avec vous
» au bien public.
Auffi- tôt que le Roi a été forti de la Chambre
des Pairs , ona délibéré fur la révocation de l'Acte
pour la naturaliſation des Juifs . Les deux Cham
bres ont enfuite rédigé leurs adrefles . Celles des
Signeurs fera préfentée demain à Sa Majefté , &
celle de la Chambre des Communes doit l'être
après demain.
Les deux Chambres du Parlement ont préſenté
leurs adreffes au Roi. Sa Majefté a répondu à celle
des Seigneurs : Milords , rien ne peut m'être
» plus agréable que votre zele & votre fidélité . Je
» vous remercie des marques que vous m'en done
» nez dans votre adreffe. Comme votre bonheur
eft l'unique but que je me propoſe , foyez affue
rés que je n'aferai jamais de votre confiance que
» pour l'honneur & le véritable intérêt de la Nation.
La réponſe du Roi à la Chambre des Comananes
aété: Meffieurs , je vous remercie de votre
adreffe , qui eft pour moi une nouvelle preuve
de votre attachement & de votre foumillion.
»Vous pouvez vous repofer fur ma perfeverance
» à faire dans toutes les occafions les plus grands
» efforts pour affurer le bonheur de mon peuple.
Le 23 , la Chambre des Pairs a conclu à la ré-
D
DECEMBRE. 1753. 187
vocation de l'Acte , qui admettoit les Juifs à de
mander des Lettres de Naturalifation . On doig'
commencer demain à déliberer fur cet Acte dans la
Chambre des Communes , & felon les apparences
elle ne lui fera pas plus favorable . Cette Chambre
a accordé dix mille Matelots pour le fervice de
Pannée prochaine , & quatre livres sterlings par'
mois pour chaque Matelot .
Le 23 , la Chambre
des
Communes
a fixé
pour
l'année
prochaine
le nombre
des troupes
de
la Grande
Bretagne
à dix -huit
mille
huit
cens
cinquante
-fept
hommes
, en y comprenant
dixhuit
cens
quinze
Invalides
, & elle
a accordé
la
fomme
de fix cens
vingt
-huit
mille
trois
cens
quinze
livres
sterlings
pour
leur
entretien
. Le
Commun
Confeil
doit
préfenter
une
Requête
au
Parlement
, pour
être
autorifé
à faire
conftruire
un
nouveau
pont
fur la Tamife
à Black
- Friars
.
DE DUBLIN , le 22 Novembre.
Plufieurs Villes & Bourgs ayant demandé au
Parlement de ce Royaume la permiſſion de creufer
dans leurs diftricts divers canaux de communication
entre quelques rivieres , & de faire travailler
à la réparation des grands chemins ; le Parlement
non feulement a fait droit fur leurs Requêtes,
mais a réfolu de faciliter l'exécution de leurs projets
par l'octroi de fommes confidérables. Il a
accordé vingt mille livres fterlings , pour rendre
la riviere de Ban navigable , depuis Loughneagh
jufqu'à Belfaft ; une pareille fomme pour achever
le canal de Newry ; quatre mille livres sterlings
pour établir un grand chemin dans le Comté de
Tyton , depuis les Mines de Charbon jufqu'à
Loughneagh ; dix mille , pour relever les ouvrages
1
188 MERCURE DEFRANCE:
de Ringfend du côté du Sud; une pareille fomme,
Pour rétablit le pont d'Effex. En même tems ,
Cette Affemblée a affigné un fonds de dix mille
livres fterlings , pour rebâtir le Collège de cette
Capitale , & un fonds de cinq mille pour le foutien
des Ecoles privilégiées du Royaume. La même
Affemblée à ordonné qu'on payât une gratifica
tion de mille livres fterlings au Sieur Delemaine ,
qui fçait imiter les ouvrages de fayence que l'on
fait à Delft ; une de pareille fomme au Sr Griffith ,
Entrepreneur de la Fabrique des Toiles damal
fées ; une de quatorze cens livres sterlings à la
Communauté des autres Fabriquans de Toiles ,
une de cinq cens au Sieur Sigan , Inventeur d'un
nouveau Moulin à foye , & une de même ſomme
au Sieur Sixton , Paperier à Limmerick. Le Parlement
a donné auffi mille livres fterlings à l'Hôpital
des Enfans Trouvés , & cinq mille à l'Eglife
de Saint Marc.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
E départ du Roi de Fontainebleau avoit été
différé jufqu'au 24, à caufe d'une maladie dont
Madame Victoire a été attaquée , & qui d'abord
a donné de l'inquiétude . Cette Princeffe eft actuellement
en parfaite ſanté.
Le Duc de Mortemnart s'eft démis de fa Pairie.
én faveur du Comte de Mortemart fon fils , qui
portera le noin de Duc de Rochechouart.
Le 22 , le Maréchal Duc de Richelieu , Premier
Gentilhomme de la Chambre de Sa Majeſté ;
DECEMBRE. 1753. 189
la Duchefle de Brancas , Dame d'Honneur de
Madame la Dauphine , tinrent fur les Fonts dans
l'Eglife de la Paroille de Fontainebleau , au nom
de Monfeigneur le Dauphin & de Madame la Dauphine
, une fille de M. Aly , Officier de Dragons ,
Lieutenant- Infpecteur- Général de la Capitainerie
des Chaffes de Fontainebleau.
&
Le Roi & la Reine , accompagnés de la Famille
Royale , partirent de Fontainebleau le 24 , pour
fe rendre à Choify. Leurs Majeftés arriverent à
Verfailles le 26. Le même jour , le Roi alla coucher
à Bellevue , après avoir vu Monſeigneur le
Duc de Bourgogne , Monfeigneur le Duc d'Aqui
taine , Madame , & Madame Victoire , qui eft
arrivée à Versailles le 25 , & après avoir instalé
Madame Adélaïde dans fon nouvel appartement.
Sa Majesté vint à Versailles le 27 , pour voir
Madame Victoire.
Le 28 , Sa Majefté , après avoir pris le divertif
fement de la chale au fufil dans la plaine de Saint
Denis , foupa à Saint- Ouen dans une Maifon de
plaifance du Prince de Soubize.
Madame Victoire , à l'exception d'un refte de
foibleffe , eft parfaitement rétablie.
Le Marquis de Stainville , Maréchal des Camps
& Armées du Roi , eft nommé pour remplacer le
Duc de Nivernois à Rome , en qualité d'Ambaſſadeur
de Sa Majefté auprès du Saint Siége.
Le Roi a donné au Duc d'Havre , Lieutenant
Général des Armées de sa Majefté , le Gouverne
ment de Schleftat , vacant par la mort du Marquis
d'Arbouville ; & à M. de la Ravoye , auffi Lieutepaat
Général , le Gouvernement des Villes &
Châteaux de Mézieres & de Charleville , qu'avoit
le feu Marquis de Saint Jal.
La fixiéme des neuf Lotteries pour le rembour
190 MERCURE DE FRANCE:
fement des trois millions fept cens mille livres ,
que la Ville de Paris a empruntées en conféquence
de la Déclaration du Roi , du 17 Décembre 1747,
a été tirée le 11 Décembre dans la Salle de l'Hôtel
<de Ville.
Le 30 Novembre dernier au matin , le Roi re
vint de Bellevue.
La Princeffe de Condé fit le même jour une
fauffe couche. Heureufement cet accident n'a eu
aucune fuite facheufe , & l'on efpere que cette
Princeffe fera bientôt rétablie .
Le Roi a été incommodé d'une fluxion , accompagnée
d'une migraine. Sa Majefté eft actuellement
délivrée de ces indifpofitions . Cependant à
caufe du froid , elle a continué pendant quelques
jours d'entendre la Meffe dans la chambre.
Madame Louife communia le premier Décem
bre par les mains de l'Abbé de Beine , Chapelain
du Roi.
Madame Victoire ayant eu un nouvel accès de
fiévre , fat purgée le même jour. Cette Princefle
depuis ce tems jouit d'une parfaite fanté.
Le même jour , le Comte de Clermont , Prince
du Sang , a été élu par l'Académie Françoiſe
pour remplir la place vacante par la mort de M.
de Boze ; & le Roi a agréé une élection , qui fait
honneur aux Lettres , & au Prince qui les cultive.
Le 2 , premier Dimanche de l'Avent , la Reine
& la Famille Royale affifterent dans la Chapelle
du Château à la Prédication du Pere Culbiar , de
la Compagnie de Jefus.
Il y eut le 3 un Concert chez la Reine. On y
exécuta le fecond & le troifiéme Acte de l'Opéra
de Medée & Jafon.
Les Comédiens François repréfenterent le 4 àla
DECEMBRE. 1753 . 197
Cour la Tragédie Edipe , de M. de Voltaire , &
PImpromptu de. Campagne.
Ees ,les Comédiens Italiens ont joué Arlequin
Valet étourdi,
Le 6 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix fept . cens dix fept livres dix fols , &
les Billets de la Seconde Lotterie Royale à fix cens
trente deux. Ceux de la premiere Lotterie Royale
n'ont point de prix fixe.
ARRESTS NOTABLES.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , du
1793 , qui ordonne que les
fumiers , les cendres de houille , & autres matieres
fervant uniquement à l'engrais des terres , de
meureront déchargés de tous droits à leur entrée
dans le Royaume , ou qui paffent des Provinces
réputés Etrangeres dans celles des cinq groffes
Fermes , ou desdites Provinces des cing groffes
Fermes dans celles réputées Etrangeres.
ARREST de la Chambre des Vacations ;
Tenue au Couvent des Grands- Auguftins à Paris ,
du 9 Novembre , qui condamne la femme Langlois,
Uluriére , au blame & en deux mille cinq cens
livres de réparation civile,
ARREST de la Chambre Royale , tenue au
Château du Louvre , du 27 Novembre ; qui
condamne Nicolas Lacroix , à être attaché au
carcan dans la cour des prifons du petit Châte-
Jet, & au banniflement , pour violences & voies
-de fait commifes dans les priſons.-
192 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE du 28 , qui fupprime un imprimé
portant pour titre : Second Mémoire de Mrs, les
Exilés à Bourges.
LETTRES Patentes du Roi , en forme de
Déclaration , données à Verſailles , le 3 Décembre
1753 ; regiftrées en la Chambre Royale le s
Décembre audit an ; qui autorifent les Procureurs
au Parlement , & leur enjoignent de faire
leurs fonctions ordinaires en ladite Chambre ,
Jorfqu'ils en feront requis par les Parties.
LOUIS , par la grace de Dieu , Roi de France
& de Navarre : A tous ceux qui ces préfentes Lettres
verront , Salut. Par l'article III . de nos Lettres
Patentes en forme de déclaration , portant établiffement
de notre Chambre Royale , Nous
avons ordonné que les Avocats en nos Confeils
occuperoient en notredite Chambre Royale dans
les cauſes & inftances dont ils feroient chargés par
les Parties mais il nous a été repréfente , que
les Procureurs au Parlement de Paris ayant inf
truit plufieurs affaires du nombre de celles qui
doivent être portées en notre Chambre Royale ,
on ne pourroit charger de ces affaires les Avo
cats en nos Confeils , fans effuyer des longueurs
toujours onéreuses aux Parties , & préjudiciables
au bien de la juftice : c'est ce qui nous engage
d'autorifer les Procureurs en notre Cour de Parlement
, à faire en ladite Chambre Royale les
mêmes fonctions qu'ils exercent dans notre Cour
de Parlement , aux conditions néanmoins qui feront
ci-après exprimées . A ces cauſes , & autres
confidérations à ce nous mouvant ; de l'avis de
notre Confeil , & de notre certaine ſcience ,
: pleine puiffance & autorité Royale , nous avons
dit , déclaré & ordonné , difons , déclarons & ordonnons
,
DECEMBRE. 1753. 193
donnons , voulons & nous plaît ce qui fuit.
ART. I. Nous avons autorifé , & par ces préfentes
fignées de notre main , autorifons les Procureurs
en notre Cour de Parlement , à exercer
en notre Chambre Royale les mêmes fonctions
qu'ils ont accoutumé de faire en notre Cour de
Parlement leur enjoignons en conféquence , d'y
occuper toutes les fois qu'ils en feront requis
par les Parties , fous peine en cas de refus de
leur part , de défobéiffance & de privation de
leurs Offices .
II . N'entendons néanmoins établir entre les
'Avocats en nos Confeils & les Procureurs en notre
Parlement aucune concurrence pour la même
affaire. Voulons que lorfque le demandeur ou
appellant , dans la fignification de fa demande
ou de fon appel , fe fera fervi du ministère d'un
Avocaten nos Confeils, le défendeur ou intimé fur
l'appel ne puiffe fe fervir du ministère d'un Procureur.
Et au contraire , lorfque le demandeur ou appellant
fe fera fervi du miniftère d'un Procureur
au Parlement , le défendeur ou intimé fur l'appel
fera tenu pour fa défenfe d'en ufer de même,
& ne pourra faire occuper pour lui aucun
'Avocat en nos Confeils. Si donnons en mandement
à nos amés & féaux les gens tenant
notre Chambre Royale à Paris , que ces préfen-
Les ils ayent à lire , publier & registrer , & le
contenu en icelles obferver & exécuter felon leur
forme & teneur : Car tel eft notre plaifir ; en
Témoin de quoi nous avons fait mettre notre
fcel à cefdites préfentes. Donné à Versailles le 3
Décembre , l'an de & de notre
grace 1753 >
régne le trente- neuvième. Signé LOUIS , &
plus bas , par le Roi , M. P. de Voyer d'Argenſon .
Et fcellé du grand fceau de cire jaune .
II. Vol. I
!
194 MERCURE DEFRANCE.
NAISSANCE , MARIAGES
& Morts.
E 11 Novembre 1753 , Magdeleine -Jeanne-
Louie de Clermont Tonnerre , époule de
François- Louis - Antoine de Bourbon , Comte de
Bufset & de Châlus , Baron de Véfigneux , Meltre
de camp du Régiment de fon nom , Cavalerie,
accoucha d'un fils en fon Château de Buiser,
Metfire Anne - Jofeph de Louet , Marquis de
Calvifson , qui a fuccédé à François - Louis de
Louet fon frere , mort dans le Château de Maffi •
- largues le 19 Juin 1752 , époufa vers la fin de
Septembre 1753 , N ... de Fortia , deuxième
fille de Gafpard de Fortis , & 'de Marie-Aune de
Fortia , fille de fea Charles- Jofeph de Fortia ,
Confeiller d'Etat . La foeur aînée de la Marquife
de Calviffon eft mariée depuis deux ou trois ans
avec Jofeph Louis - Marie de Galiens , troifiéme
Duc de Gadagne dans le Comté Vénaiffin , Seigneur
de Vedenes , Saint - Savournin , Aiguilles ,
& c. né le 8 Juin 1704 , & ci - devant Lieutenant
des Gendarmes de la Garde .
Le Marquis de Calviffon a pour huitiéme ayeul
Louis de Louet , qui époufa vers l'an 1442 Mar
gu rite de Murat , Dame de Calviffon & de
trente autres Paroiffes du Diocèle de Nifmes
qui forment l'affife donnée par Philippe le Bel
Guillaume de Nogaret , depuis Chancelier do
France. Ce Louis étoit fils de Jean de Louet ,
Preſident de Provence , & frere de Marie de
Louet , premiere femme du fameux Comte de
DECEMBRE. 1753. 195
Dunois , & de Jean de Louet , mariée en 1419 à
Louis , Vicomte de Joyeuse , lequel dans fon tef
tament poftérieur à celui qu'il avoit fait en 1441 ,
fubftitua Louis de Louet lon beau - frere à tous les
biens de la Maiſon de Joyeuſe , ſi ſes enfans
mouroient fans postérité .
Les contrats originaux du mariage de 1419 &
du teftament du Vicomte de Joyeuse prouvent
qu'il faut ortographier Louet & non Louver , &
que la Seigneurie de Jean de Louet , Préfident
de Provence appellée par tous les Auteurs
Salanier , eft Falavies , fituée en Dauphiné , dans le
' Diocèle de Lion .
#
Le 22 Octobre , Paul- Louis Duc de Beauvil
lier , Pair de France , Comte de Buzançois
Grand d'Efpagne de la premiere Claffe , Brigadier
des armées du Roi , Meftre de camp du Régiment
de Beauvillier , Chevalier de l'Ordre royal
& militaire de Saint Louis , fils de Paul -Hippolite
de Beauvillier , Duc de S. Aignan , Pair de
France , Comte de Montréfor , Baron de la Ferté
Saint- Aignan , de la Sale les Clery , & de Chemery
, Seigneur de la Châtellenie de Beauvillier ,
Chevalier des Ordres du Roi , Lieutenant Général
de fes armées Gouverneur de Bourgogne
& Brefse , Ville & Citadelle du Havre de Grace ,
& des Villes & Châteaux de Loches , Beaulieu ,
Dijon , Saint- Jean-de - Lofnes & Seurre ; Grand-
Baillif d'épée du Pays de Caux , l'un des
rante de l'Académie Françoife , Honoraire de
celle des Infcriptions & Belles - Lettres , de celle
de Infecondi de Rome , & de Ricoverati de Padoue ,
de celle de Verone , nommé Protecteur de celle
d'Arles , ci- devant premier Gentilhomme de la
Chambre de feu Mgr. le Duc de Berri , Con,
I ij
196 MERCURE DE FRANCE,
feiller au Confeil de Régence , Ambassadeur extraordinaire
& Plénipotentiaire du Roi en Espa
gne , & depuis auprès du Saint Siége , poufa
Charlotte-Suzanne Defnos de la Feuillée , Dame
de Marefché, fille de Meffire Jean - Baptifte Defnos,
Comte de la Feuillée , & de Marie- Marguerite
de Cordouan Langeais , d'une des plus anciennes
Nobleffes du Maine , & dont les alliances ne
font pas moins illuftres que celles qu'a fait en tous
les tems la Maifon de Delnos. Le contrat fut figné
à Verfailles , par le Roi ' , la Reine , Monfeigneur
le Dauphin , Madame la Dauphine & toute la Famille
Royale ; & le mariage a été célébré à Paris
par Mgr. l'Evêque de Troyes , dans la Chapelle
de l'Hôtel de M. le Duc de Saint - Aignan.
La Maison de Defnos es une des plus apciennes
de Bretagne , connue d'ancienne Chevalerie
dès l'an 1300 , que Philippe de Defnos ,
Seigneur du Vaumeloizel , époula Tiphaine du
Bouafriou , iffue de la Maifon du Bouafriou , d'ancienne
Chevalerie . Leur fils Antoine Defnos épou
fa en 1322 Anaſtaſe de la Touche , fille du Comte
de la Touche ; & eurent de ce mariage Jean
Defnos , qui époufa en 1350 Dame Catherine
Colas , héritiere de la Maiſon de la Motte - Colas ;
leur fils Jean Defnos deuxième du nom , fat
marié à Jeanne Goyon , fille aînée de la Maifon
de Launay- Goyon , fortie de la Maifon de
Matignon ; & de ce mariage naquit Pierre Def
nos , marié en 1491 à Catherine de la Ferriere ,
fille aînée du Seigneur de la Ferriere & de
la Motte Rogen, Leur fils Jean Defnos troifiéme
du nom , fut Chevalier de l'Ordre du Roi ,
époufa Louiſe de Châteaubriant en 1938 , & cut
pour fils François Defnos , auffi Chevalier & Gen
tilhomine de la Chambre du Roi , qui s'alla étąDECEMBRE
. 1753. 197
blir dans la Province du Maine , & y pofféda
des terres confidérables : il fut marié à Charlote
de Joufson , Dame de Héménard , de la Tanniere
& de la Mufsardiere près Chatellerault , en 1568 .
Du nombre des enfans qu'il eut de ce mariage ,
Gilles Defnos , Seigneur d'Héménard , Chevalier
de l'Ordre du Roi , époufa en 1597 Charlote de
Buor,d'une des plus anciennes Maifons du Poitou ,
héritiere de la Gerbaudiere , & Dame du Tabler ;
leur fils Gilbert Defnos , Seigneur de la Gerbaudiere
, époufa en 1627 Françoife le Couturier ,
fille de Meffire David le Couturier , Seigneur de
Chambrette , & de Marie de Marboeuf fon épouse ,
foeur d'unpremier Préfident du Parlement de Bretagne
. Ils eurent un fils du nom de Gilles Defnos ,
qui fut Seigneur d'Héménard , & époufa en 1652
Suzanne de Malnoë , fille de Jacques de Malnoë ,
Seigneur de Marigni , Chevalier de l'Ordre du
Ro , Maréchal des camps & armées de Sa Majefté
, Lieutenant au Gouvernement du Fort - Louis ,
Hennebon & Quimper ; & de Léonore du Bellay
, Héritiere de la feuillée , & coufine de Charles
du Bellay , Prince d'Yvetot . Leur fils Charles
Gilles Defnos , Seigneur de la Feuillée , ayeul
paternel de Madame la Ducheffe de Beauvillier ,
pofféda tous les biens de la Maifon du Bellay ,
notamment la Terre de la Feuillée au Maine.
Cette branche aînée a confervé les titres des
Comtes de ce nom dès 1652 , qui l'a diftinguée
de la branche cadette .
Cette feconde branche s'eft également illuftrée ,
fur tout dans la marine ; l'un d'eux nommé Gilles
Delnos , Comte de Champ - Meflin , fut Chef
d'efcadre , Commandeur de l'Ordre de S. Louis ,
Commandant du Port de Breft . Il réduifit à l'obéiffance
du Roi la Louiſiane : il fut Lieutenant
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Général & Commandant en chef dans toutes les
mers , Ifles & terres fermes de l'Amérique mériridionale
en 1720 ; & Lieutenant Général des armées
navales du Roi en 1724. Le Comte de
Champ-Meflin laiffa une fille unique , mariée à
M. le Comte de Chavagnac , Lieutenant Général
des armées du Roi.
L'autre fut Charles Defnos , Comte Desnos , &
frere du Comte de Champ - Meflin , fait Chef
d'efcadre en 1694 , Viceroi des Iſles Françoifes
de l'Amérique , à la Martinique en 1701 ,
& eft mort Lieutenant Général des armées navales
; fon fils le Comte Deínos eft mort Chef d'ef
cadre en 1747 , & a laiflé plufieurs enfans , dont
Paîné eft Comte Defnos , aujourd'hui Capitaine
des Vaisseaux du Roi , qui a épousé la ſoeur aînée
de Madame la Duchefse de Beauvillier.
Le 11 Oftobre , M. Ferdinand Jofeph- Antoine
d'Epinoy , fils de feu M. Jules- Célar d'Epinoy ,
Seigneur de Mont de- Pierre , &c. Chevalier de
P'Ordre Royal & Militaire de Saint Louis , Capitaine
de Cavalerie au Régiment de Villar's , eft décédé
rue de la Harpe.
Le 25 , eft décédée à quatre- vingt- cinq ans De
moifelle Magdeleine Selle , ancienne Femme de
Chambre des Enfans de France & de Mefdames.
Le 7 Novembre , Marie- Angelique Selie , la
four puînée de cette Demoiselle, eft aufli décédée.
Elle étoit veuve depuis 1750 de Jean- François le
Vaffeur , Ecuyer , Garde des Archives de l'Ordre
de Saint Louis , Contrôleur des Commiſſaires Provinciaux
des Guerres à la fuite de la Cour.
Elle avoit vendu cette Charge en Janvier 1751 ,
à fon neveu à la mode de Bretagne , Antoine
Loignon de Beaupré, frere de la femme de Mas
DECEMBRE. 1753. 199
thieu Bonnet de Praffigny , Ecuyer , Commiffaire
des Guerres au Département du Soiffonnois.
Deux freres de Madame & de Demoiſelle Selle
ont été fucceffivement Maîtres- d'Hôtel de Son
Alteffe Royale Madame la Duchefle d'Orleans ,
Régente.
Le dernier , Florent - Marcellin Selle , eft mort
en 1743 Tréforier Général de la Marine , laiffant
trois enfans ..
I. L'aîné , Philippe Selle , lui a faccédé dans fa
Charge de Tréforier : il a un garçon & deux filles
de N... Eynard , foeur de la Marquise de l'Hôpi
tal Sainte-Meſme.
II. Le cadet , Charles Selle , Seigueur du Mefaillez
- Chevray , Confeiller au Parlement depuis
1730 ; il a eu de fa premiere femme , foeur du Préfident
de Béfigny , N... de Selle , épouse de M.
de Verdun , Confeiller au Parlement , marié le 9
Avril 1753.
III. La Comteffe d'Illiers , leur foeur , avoit
épousé le 15 Novembre 1724 , Heari Comte d'Illiers
, décédé le 26 Novembre 1727 , laiffant une
fille mariée en Août 1744 , au Piéfident du Tillet,´
Marquis de Villarceaux .
Voyez le fecond volume du Mercure de Juin 1953 ,
& la page 425 de la cinquième partie des Tablettes
bifloriques.
Dom René Laneau , Supérieur Général de la
Congrégation de Saint Maur , mourut le 27 à Paris
dans l'Abbaye de Saint Germain - des Prés , âgé
de 79 ans.
Le 30 , eft décédée dans l'enclos des Petites-
Maifons Madame Charlotte de Butkeley , veuve .
de M. Charles Comte de Clarck , Pair du Royau
me d'Irlande.
Le même jour fut enterré à Saint Sulpice M.
I iiij
200 MERCURE DEFRANCE.
Louis François de Villefort , Sous - Lieutenant au
Régiment des Gardes- Françoiſes.
Meffire Jean Marie Cormier de la Courneufve,
ancien Meftre- de Camp de Dragons , Commandeur
de l'Ordre Royal & Militaire de Saint Louis ,
Lieutenant pour le Roi dans les Ville & Château
de Foix , & Gouverneur de l'Hôtel des Invalides ,
mourut en cet Hôtel le premier Novembie , âgé
de 73 ans.
Marie- Anne - Eléonore de Rohan de Soubize ,
Abbeffe de l'Abbaye Royale d'Origni Sainte-
Benoite , eft morte le 2 en fon Abbaye dans la
foixante-quinziéme année de fon âge , & dans la
cinquante-neuvième de fa Profeffion . Elle étoit
foeur du feu Cardinal de Rohan.
Le même jour eft morte âgée de 12 ans , N ..♬
Bonnier , fille unique de feu Jofeph Bonnier , Baron
de la Moffon ; & de Gabrielle Magdeleine-
Conftance du Moucel de Louraille , niéce de Ma
dame la Marquife de Flavacourt.
Dame Cecile Chriftine Benedicte de Peytier ,
épouse de Mre Simon Claude Graffin , Maréchal
des Camps & Armées de Sa Majefté , & Lieutepant
du Roi des Ville & Citadelle de Saint- Tropez
, eft mort le 3 dans fa trente fixième année.
Charles- Henri Gafpard de Saulx , Vicomte de
Tavanes , Chevalier des Ordres du Roi , Brigadier
d'Infanterie , Lieutenant Général pour Sa Ma.
jeſté au Gouvernement de Bourgogne pour le
Pays du Mâconnois , & Gouverneur de la Ville &
de la Tour du pont de Mâcon , mourut à Dijon le
4, dans fa foixante-dixiéme anée .
M. de Collarès , Premier Préfident du Conf il
Supérieur de Perpignan , y eft mort au commen .
cement de ce mois.
Le 10 Novembre eft mort âgé de 72 ans M.
DECEMBRE . 1753. 201
François Lamouroux , Tréforier Général des Etats
de Languedoc.
Le même jour est décédé M. Bertrand-François
Mahé de la Bourdonnaye , Capitaine de Fregate ,
ci-devant Gouverneur des Inles de France & de
Bourbon.
Le 13 , eft décédé M. Claude- François Baraffy,
Secrétaire du Roi.
Meffire Jacques Bigot de la Mothe , ancien
Intendant de la Marine au Département de Bretagne
, eft mort à Breft le 15 Novembre dans fa
quatre-vingt - fixième année .
Dame Marie- Anne- Françoife de Montmorin ,
veuve de Meffire Pierre du Chambon , Marquis
d'Arbouville , Maréchal des Camps & Armées du
Roi , & Gouverneur de Schleftat , eft morte le 16
de ce mois âgée de 56 ans.
Meffite Jean- Claude de Laftie , Marquis de Saint-
Jal , Lieutenant Général des Armées du Roi , &
Gouverneur des Villes & Châteaux de Mezieres &
de Charleville , ci - devant Lieutenant des Gardes
du Corps , eft mort le 17 dans ſa foixante-onziéme
année .
Meffire N.... Cofte de Champeron , Abbé de
P'Abbaye de Chors , Ordre de Saint Benoît , Diocèle
d'Autun , eft mort le 19 à Saint Germain- en-
Laye , âgé de 65 ans.
Louis-Victor , Prince de Salm- Kirbourg , fils de
Philippe -Jofeph , Prince de Salm - Kirbourg ,
Rheindgrave de d'Haun , Chevalier de l'Ordre
Royal de l'Aigle Blanc ; & de Thérefe , Princeffe
de Horay & d'Orvilch , mourut en cette Ville le
21 , dans la deuxième année de fon âge . Ce jeune
Prince étoit Chevalier de l'Ordre de Saint Jean de
Jerufalem .
Meffire Jean-Alexandre Balthazar , Maréchal
IZ
202 MERCURE DE FRANCE.
des Camps & Armées du Roi , & Colonel d'un
Régiment Suifle ' de fon nom , mourut en cette
Ville le 25 , âgé de 64 ans.
Meffire Charles- Vital Bonnet de Gault , auffi
Maréchal de Camp , eft mort le même jour dans
la quatre- vingt- cinquième année de fon àge .
Le 13 Octobre , eft décédée faubourg Saint-
Honoré , Magdeleine Baudin , veuve d'Antoine
Meufner , âgée de 186 ans.
Le 28 , eft décédée à Blaye dans fa cent feptiéme
année , Jeanne Taillaflon , ancienne Soeur de la
Miféricorde de Bordeaux Elle n'avoit eflùyé aucune
des infirmités qui accompagnent ordinairement
la vieilleffe , & elle a confervé ſa raiſon juſ
qu'au dernier moment de ſa vie.
LA
A VIS.
A veuve du Sieur Bunon , Dentiſte des Enfans
de France , donne avis qu'elle débite journellement
chez elle , rue de Sainte Avoye , au coin
de la rue de Braque , chez M. Georget fon frere,
Chirurgien , les remédes de feu M. fon mari , dont
elle a teule la compofition , & qu'elle a toujours
préparés elle-même ; fçavoir :
1º, Un Elixir anti- fcorbutique , qui affermit les
dents , diffipe le gonflement & l'inflammation des
gencives , les fortifie , les fait recroître , diffipe &
prévient toutes les afflictions fcorbutiques , & appaile
la douleur de dents.
2. Une Eau , appellée Souveraine , qui affermie
auffi les dents , rétablit les gencives , en diffipe
toutes tumeurs , chancres & boutons qui viennent
auffi à la langue , à l'intérieur des lévics & des
DECEMBRE 1753. 203
joues , en fe rinçant la bouche de quelques gouttes
dans de l'eau tous les jours , & elle la rend fraîche
& fins odeur , & en éloigne les corruptions ; elle
calme la douleur des dents.
3°. ' n Opiate pour affermir & blanchir les dents,
diffiper le lang épais & groffier des gencives , qui
les rend tendres & mollafles , & caufe de l'odeur
à la bouche.
4. Une Poudre de corail pour blanchir les
dents & les entretenir ; elle empêche que le limon
fe forme en tartre & qu'il ne corrompe les genci
ves , & elle les conferve fermes & bonnes ; de forte
qu'elle peut fuffire pour les perfonnes qui ont
foin de leurs dents , fans qu'il foit néceffaire de les
faire nettoyer. Les plus petites bouteilles d'Elixir
font d'une livre dix lols.
Les plus petites bouteilles d'Eau Souveraine font
d'une livre quatre fols , mais plus grandes que cel
les de l'élixir.
Les petits pots d'Opiate , font d'une livre dix
fols.
Les boîtes de poudre de corail font d'une livre
quatre fols.
AUTRE.
Le Sr Patel , Chirurgien , poffeffeur d'un reméde
anti - venerien , avertit le Public que quelques
opiniâtres & invétérées que foient toutes fortes de
maladies fecrettes dans les deux fexes , de tout âge,
il les guérir parfaitement & radicalement , fans
friction ni falivation , en très-peu de tems , &
n'empêche pas les malades de vaquer à leurs affaires
. Sa demeure eft rue d'Anjou , la premiere
porte cochere à droite en entrant par la rue Dau
phine , au premier étage.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
Tablettes de Bourgogne , hiftoriques , topogra
phiques & phyfiques pour l'année 1754. A Dijon ,
chez François Defventes , Libraire , rue de Condé
àl'image de la Vierge. Petit volume in-24. dư
caractere dit Mignonne ; avec Approbation &
Privilége du Roi .
C'eft pour la feconde fois que nous annonçons
ces Tablettes qui commencerent à paroît: e l'année
derniere. Le plan qui en eft nouveau , curieux
& utile , a été exactement corrigé & beaucoup
augmenté : il comprend l'Hiftoire Eccléfiaftique ,
Militaire , Politique & Civile du Duché de Bourgogne
en abregé , & cependant affez en détail
pour en donner une idée distincte. On donne cette
année l'Abregé chronologique de l'Hiftoire de
Bourgogne , jufqu'à la fin des Ducs de la premiere .
Race Royale , & la plus grande partie de la vie de
Philippe le Hardi , premier Duc de la feconde
Race. Une notice du Gouvernement Eccléfiaftique
, Militaire & Civile , un état des Cours Supérieures
, avec l'Hiftoire de leur établiſſement . Un
détail intéreffant des Etats Généraux de Bourgogne
, & l'ordre de leur Séance . La defcription hiftorique
& topographique de la Ville de Dijon &
de les environs. Un court extrait de ce qui a rapport
au grand Baillage d'Autun , qui a été donné
plus au long dans les Tablettes de 1793. Une
Defcription hiftorique , topographique & phyfi
que du grand Baillage de Châlon & de la Brefle
Châlonoife. Le nom des Bourguignons qui ren
plifient des places diftinguées dans tous les Etats.
Une Table chronologique des Hommes illuftres
de la Province , morts depuis le commencement
DECEMBRE. 1753. 201
da dix-feptiéme fiécle jufqu'à préfent , qui fe renouvelle
tous les ans . Un état des carrieres de
marbre & de pierre qui fe trouvent dans la Province.
Le détail de la Maiſon Militaire du Roi ,
avec le nom de tous les Régimens de France , celui
de Meffieurs les Colonels qui les commandent , &
le tems de la création de chaque Régiment ; les
naiffances des Princes & Princeffes de l'Europe ;
les affaires du Roi & tous les Bureaux en Bourgogne
; le commerce de la Province , fes payemens ,
courriers , carroffes , & c.
Les préfentes Tablettes fe trouveront à Paris ,
chez Etienne Ganneau, Libraire , rue Saint Severin ,
& Pierre Guyllin , auffi Libraire , Quai des Auguftins
, entre le pont S. Michel & la rue Git- leg
coeur , au Lys d'or.
AUTRE.
Les corbeilles galantes du fieur Maille , Vi
naigrier , Diftillateur ordinaire de l'Impératrice
Reine , ayant eu les années dernieres tout le fuccès
poffible , cela l'a engagé à en compofer de nonvelles
de treize flacons & de neuf , garnies de
nouveaux vinaigres qui n'ont point encore paru.
Le prix de ces corbeilles eft de quarante huit livres
pour les corbeilles de treize flacons , & de dix écus
pour celles de neuf. Le vinaigre de Turbie & le
vinaigre Romain fe diftribuent toujours avec
un égal fuccès à la Cour , à Paris , dans les Provinces
& dans les Pays Etrangers. Le vinaigre de
Turbie pour la guérifon du mal de dent , & le
vinaigre Romain pour les blanchir parfaitement ,
raffermir les gencives , diffiper les eaux glaireufes
qui contribuent à les gâter , & arrêter le progrès
de la carie des autres dents. Ce vinaigre eft
206 MERCURE DEFRANCE.
un anti -fcorbutique parfait , & guérit tous les
Petits cha cres & ulceres qui viennent à la
bouche ; il prévient l'haleine forte. Ledit fieur
vend le véritable vinagre des Quatre voleurs , dont
la vertu eft excellente pour préferver de tout
air contagieux ; ce vinaigre le vend quinze livres
la bouteille de pinte. Il vend auffi toutes fortes
de vinaigres pour blanchir & entretenir la peau ,
guérir les boutons , dartres farineufes , macules
& taches du vifage . Four la facilité des perfonnes
de Province qui defireront avoir de ces
fortes de vinaigres , en voici les propriétés .
Noms & propriétés de chaque forte de
vinaigres.
Le vinaigre de Storax blanchit , unit , affermit
la peau ; le vinaigre de fleurs de citon ôre
toutes fortes de boutons du vilage ; le vinaigre
d'écaille guérit les dartres farineufes : le vinaigre
de racines ôte les taches & macules du vifage .
L'on trouve chez ledit feur toutes fortes de
vina gres pour la table , les bains & toilettes , au
nombre de cent trente , toutes fortes de fruits
confits an vinaigre. Les vinaigres de Gnaphalium ,
Napfe , Pucelle , Impérial , Mufcat , annoncés le
premier Septembre , ne pourront être en vente
qu'à la fin du mois de Mai prochain . La nouvelle
moutarde aux capres & aux enchois , compolée
par extrait d'herbes fines , & la moutarde
des fix graines , de la compofition dudit feur , fe
vendent avec fuccès ; ces deux fortes de moutardes
le vendent quatre livres le pot de pinte. Les
perfonnes qui fouhaiteront avoir du vinaigre pour
les dents , foit de Turbie ou du Romain , font
averties que les moindres bouteilles de ces vinaiDECEMBRE
. 1753. 207
gres fe vendent trois livres , de même que les
auties vinaigres qui font pour le vifage. En écrivant
audit fieur , & remettant l'argent par la
pofte , le tout affranchi de port , il les enverra
très exactement.
Le Sieur Maille demeure à Paris , rue de l'Hiron
delle , aux Armes Impériales.
AUTRE.
Le Gieur Arnaud , Parfumeur , privilégié du Roi,
à la Providence , rue Traverfiere près la fontaine de
Richelieu , fait & vend la pare Royale fi connue
pour blanchir & adoucir les mains , en ôte les
taches , comme rougeurs , angelures & autres ,
en s'en frottant naturellement , jufqu'à ce qu'elle
tombe par petits rouleaux . L'on peut s'en fervir
fans eau & avec de l'eau , cela va à la volonté
de ceux qui en font ufage . Elle est d'une odeur
très-agréable , & de qualité à pouvoir être tranfportée
par tout fans rien diminuer de la bonté ;
on lui donne avec juftice le titre de fans égale.
Elle fe diftribue dans des pots de terre grife de
Flandre , cachetés d'un cachet qui a pour attribut
Unico , Univerfus , décoré d'un foleil , d'un bâton
Royal , d'une main de juftice & plufieurs
fleurs de lys , le nom de l'Auteur eft gravé autour
dudit cachet . Le pot plein avec l'efpatule
d'yvoire , fe vend quatre hives ; & lorsqu'on le
1apporte vuide , l'on le remplit pour trois livres.
Il vend aufi toutes fortes de poudres , pomades
eaux de fenteurs , & généralement tout ce qui
concerne les parfums ; il compofe un très- beau
1ouge qui égalife le naturel , & l'eau de beauté
pour conferver le tein.
20S MERCURE DE FRANCE.
LETTRE DU SIEUR LE PAUTE
à l'Auteur du Mercure.
U'il me foit permis , Monfieur , de vous
demander place dans votre Mercure prochain
pour une réponse à deux Lettres , l'une
du fieur Caron fils , l'autre du fieur Leplat , qui
ſe trouvent dans le Mercure de Décembre : je
vous prie auffi d'y joindre la copie de trois certificats
qui font relatifs à ma réponſe , & qui ſervent
à détruire l'accufation d'infidélité dont je ſuis taxé
par la Lettre du fieur Caron,
On ne peut guéres poufser la jaloufie de talens
contre quelqu'un plus loin que le fieur Caron le
fait contre moi : il répand dans le public que la
montre & la pendule que j'ai eu l'honneur de préfenter
au Roi le 23 Mai , ne font que le fruit d'une
confidence qu'il m'a faite le 23 Juillet dernier.
Or les certificats que je défire mettre fous les
yeux du public , & plufieurs autres qui n'en font
que la répétition , démontrent fans réplique que
plus de fix mois avant le 23 Juillet j'étois en
pofseffion de mon échappement , que je n'ai pú
donner plutôt à caufe des ouvrages après lefquels
je travaillois pour les Cours de Naples , d'Efpagne
, de Parme , pour lesquelles j'étois extrêmement
preffé.
Le R, P. Plefse , M. le Chevalier de la Morliere ,
M. Lejeuneux , dont les lumictes font fi connues
fur toutes fortes de méchanifmes, étoient fi fort per
fuadés de l'existence & de la bonté de mon échappement
, que défirant avoir des montres de cette
nouvelle conftruction , ils ont eu la complaifance
DECEMBRE. 1753. 209
d'attendre que je fuſse débarraſsé de ces ouvra
ges prefsans.
fl eftdonc certain que je fuis le feul & véritable
inventeur de l'échappement que j'ai eu l'honneur
de préfenter à la Cour le 23 Mai dernier , iadépendamment
de la confidence du fieur Caron
qui d'ailleurs eft abfolument faufse , & qui n'a de
réalité que dans fon imagination .
A l'égard du fieur Leplat, il avance contre la vé
rité que je fuis allé chez lui , accompagné du Précepteur
des jeunes M. M. d'Ardore , pour voir for
remontoir à vent ; il ne prouve point d'ailleurs que
je me fois jamais donné pour Pinventeur de cette
machine , dont je vais prouver que je me fers plus
heureusement que lui.
En effet , quoique je n'aye jamais vu la machine
du fieur Leplat , & que les premieres idées qui
m'ont engagé à cette recherche me foient venues
d'un entretien que j'ai eu avec Mgr. l'Archevêque
de Sens fur les différens moyens propres à remonter
les pendules , je puis avancer d'après ce que
m'en apprend le fieur Leplat lui - même par le der
nier Mercure , que fa machine toute ingénieufe
qu'elle eft , doit dégoûter d'en faire ufage ; puifqu'il
convient qu'il faut s'interdire une cheminée
qui doit toute entiere être facrifiée à fa ma◄
chine , qui caufe d'ailleurs , à ce que j'ai appris ,
un embarras qui doit déplaire à tout le monde s
au lieu que de la maniere dont j'ai imaginé de m'en
fervir , non feulement la cheminée où aboutit le
tuyau qui donne paffage à l'air , eft entiérement
libre , mais qu'il ne paroît quoique ce foit de ma
colonne d'air , qui n'occupe qu'environ un demipouce
d'épaiffeur , & qui fe trouve cachée fous
le moindre lambris.
Le fieur Leplat , fuivant ſa propre deſcription }
210 MERCURE DE FRANCE.
donne huit pouces de diamètre à fon moulinet
dont il incfine les ailes comme celles d'un moulin à
vent. On fent dès là qu'il faut que le plan de ce moulinet
foit directement oppofé à un courant d'air
d'un égal diamétre. De là qui n'apperçoit à combien
d'inconvéniens cette machine eft fujette ?
1º . Elle laisse une entrée libre aux brouillards
& à toute forte d'humidité , ce qui ne manque
pas de rouiller les pivots & gâter des parties ef
fentielles à cette machine.
2º. Les pouffieres , les pailles & autres ordures
que l'air entraîne toujours avec lui , venant à chaque
inftant s'attacher à toutes les parties de la
machine , y cauferont un limon qui la fera néceffairement
arrêter. Il faudra donc s'apprêter
à la nettoyer , & peut- être fera t'il nécessaire de
recommencer cette rebutante opération plufieurs
fois par an.
Quant à ma maniere , quoique je donne autant
de diamérre à mon moulinet , il ne fe trouve avoir
aucune communication dangereuſe pour le refte
de mon remontoir, qui n'occupe , comme je l'ai
déja dir, que 15 lignes d'épaiffeur, & qui peut aller
très long-tems fans être obligé de le nettoyer , &
qui produit des effets infail ibles. Voilà ce que
j'aurois pû dire , quoique je n'en aye rien fait juf
qu'au moment où le fieur Leplat m'a obligé de
me juftifier. Que le public juge maintenant de la
préférence que doit avoir l'invention du fieur
Leplat , ou l'état de perfection où je l'ai portée
fans l'avoir vûe.
J'ai l'honneur d'être , &c .
Le Pante,
DECEMBRE. 1753. 21I
•
Copie des certificats donnés par trois de Mrs.
les Jéfuites du Collège de Louis le Grand ,
qui atteftent que l'échappement tel que j'ai
eu l'honneur de le présenter au Roi , & qui eft
décrit dans le Mémoire quej'ai donné à l'Académie
des Sciences , exiftoit dès le mois de
Mars dernier.
• Je certifie que pendant le Carême dernier
M. Lepaute nous fit part dans ce Collège du
nouvel échappement quil avoit inventé , & des
avantages qui lui étoient particuliers , tels qu'ils
font exposés dans fon Mémoire çi joint . Au Collége
de Louis le Grand , ce 26 Octobre 1753 .
F. E. Delourmel , de la Compagnie de Jelus.
Je , fouffigné, certifie la même chofe que cidefsus
. Au Collège de Louis le Grand , ce 26
Octobre 1753. Ryan , Jéfuite.
Je certifie que vers l'Afcenfion derniere , M.
Lepaute me fit part de fon nouvel échappement
& des avantages qui lui font particuliers ,
tels qu'ils font exposés dans fon Mémoire cijoint
. Au Collège de Louis le Grand , ce 26
Octobre 1753. P. J. Pleje , de la Compagnie
de Jefus.
J'en ai produit fept autres à l'Académie fur le
même fujer , qui coutiennent la même chofe , &
que l'on ne tranferira point ici , crainte de devenir
fatigant. Ces certificats m'ont été donnés avec
la même connoiffance de caufe , par M. l'Abbé
Moulin , Prêtre , Licentié en Théologie , M. le
Chevalier de la Morliere , M. de la Buffiere , M.
Duclauzeau ; M. Lecu, Horloger , M. Duchefne ,
Horloger ; M. Malivoire , Horloger.
212 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE du Sieur Thillaye , privilégié
pour les pompes à Rouen , à l'Auteur du
Mercure,
Monfieur,vous avez eu la bonté les années
précédentes d'annoncer dans votre Journal
la folidité & les juftes proportions de mes pompes
, dont je dois le fuccès à l'approbation que
Mefleurs de l'Académie des Sciences de Paris
leur ont donnée , auffi eft- ce dans les Mémoires de
cette illuftre Académie que j'ai puilé les principes
de l'Art , & ne me propoſerai je à l'avenir d'autre
guide . Je crois devoir vous marquer , Monfieur ,
que je me trouve de plus en plus técompenté de
mes recherches par l'accueil favorable que le public
fait à mes ouvrages.
J'ai livré les années dernieres plufieurs pompes
à Meffieurs de la Compagnie des Indes , je viens
encore de leur en livier deux , le Certificat qui
m'a été délivré en conféquence , ne laiffera rien à
defirer ; en voici la teneur.
Je , fouffigné , Correfpondant de la Compagnie
des Indes en cette Ville , certifie que le sieur Nicolas
Thillaye , privilégié pour les Pompes , y demeurant
, m'a livré au mois d'Août 1752 , confor.
mément au marché qu'il avoit fait à Paris avec
Meffieurs les Syndics & Directeurs de ladite
Compagnie , deux pompes à incendies , de trois
pouces & un quart de diametre , produifant chacune
vingt- cinq à trente muids d'eau dans une
beure , lefquelles fe font trouvées bien conditionnées;
& qu'en conféquence il lui en a été ordonné
deux autres pareilles , qu'il m'a livrées le vinge
DECEMBRE. 1753. 213
fixiéme Octobre de la préfente année ; en foi de quoi
je lui ai donné le préfent Certificat, pour lui fervir &
valoir , ainfi que de raifon . A Rouen , le dix-neuf
Novembre mil fept cens cinquante- trois .
Signé , BBAUDOUIN,
J'ai deux pompes de la même espéce à fournir
pour le compte du Roi , aux Colonies. Tout le
monde s'emprefle d'en faire acquifition ; les Particaliers
, les Corps de Ville m'en demandent , &
tous ceux à qui j'en ai fourni , fe font un plaifir de
m'indiquer aux autres.
>
M. de Beaumont , Intendant de la Franche-
Comté , par une fuite de cet efprit qui le rend fi
attentif au bien public , a fongé à garantir les Citoyens
de la Province des triftes événemens qui
font la faite trop ordinaire des incendies ; il s'eft
adreffé à moi , & depuis le mois de Mai dernier ,
j'ai eu l'honneur de lui faire paffer diz de mes
pompes qu'il a fait dikribuer dans differentes Villes
de fa Généralité , & je dois lui en envoyer inceffamment
trois autres. Il me paroît que fon intention
eft d'engager les Villes à fe munir des pompes
, pour avoir toujours le reméde prêt contre les
incendies .
Souvent , Monfieur , c'eft faute d'y penser qu'on
manque à prendre de certaines précautions , c'eſt
rendre fervice aux gens que de les avertir de fe
précautionner. Le public vous a , Monfieur , beaucoup
d'obligations de cette efpéce . En mon particulier
, je ne négligerai rien pour mériter l'honneur
que vous m'avez fait de m'annoncer dans le
public ; mes fuccès fervent à m'encourager & àme
foutenir dans mon travail,
214 MERCURE DE FRANCE.
Il feroit à fouhaiter que les Gouverneurs de Places,
les Intendans de Provinces , les Magiftrats des Villes,
fuiviffent l'exemple de M de Beaumont ; les pompes
de M. Thillaye ne font pas affez cheres pour que leur
prix foit une raifon de n'en pas prendre , & leur fupériorité
eftfi marquée & fi reconnue , qu'il y auroit de
l'imprudence à en préférer d'autres.
L
APPROBATION.
J'ai parordre of Mercure deFrance
'Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chance-
"
du mois de Décembre .
A Pais le 18 Décembre 1753.
LAVIROTTE.
PLAC
TABLE.
IECES FUGITIVES en Vers & en Proſe:
L'Amour vengé , à Mlle. B *** ; par M. D` *.
page 3
Afsemblée publique de la Société Royale de
Lyon , du 7 Décembre 1752 .
Confeils à une jeune perlonne ,
7
29
Obfervations importantes fur les petites véroles
de 1733 , par M Moreau Delraviers , Médecin
ordinaire du Roi ,
Alcione , Cantatille ,
31
40
43
Madrigal , à Madame de V *** , en lui envoyant
des feurs ,
I
Lettre à M. Maillot , Chirurgien Major des Hôpitaux
de Châlons fur Marne , fur les effets du
mercure de M. de Torrés , Médecin de Mgr. le
Duc d'Orléans
Vers à Sophilette ,
• 43
SS
Affemblée publique de l'Académie Royale des
Sciences , du Octobre 1753. 14 56
67
Ode en ftrophes libres , faite par défi dans un
après-foupé , à M Meynot , de Libourne , fur
fon excellent vin de Saint - Emilion ; par M.
des Forges - Maillard ,
Differtation historique fur les conquêtes du Peuple
Romain , lúc à la Société Littéraire de Dijon;
par M. Efpiard de la Cour , Confeiller au
Parlement , 72
Mots des Enigmes & des Logogryphes du premier
volume de Décembre ,
Enigmes & Logogryphe ,
Nouvelles Littéraires ,
102
106
153
154
Lettre de l'Académie de Chirurgie à M. l'Abbé
Raynal,
Prix proposé par l'Académie Royale de Chirurgie
pour l'année 1755 ,
Dernieres Réflexions de M. le Chevalier de Cau .
fans , fur la Quadrature du cercle , avec l'Extrait
des Registres de l'Académie Royale des
Sciences ,
Beaux Arts ,
Spectacles ,
157
163
168
170
174
Extrait de Brioché , ou l'Origine des Marionettes,
Parodie de Pigmalion ,
Nouvelles Etrangeres ,
France. Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 188
Arrêts notables
Différens avis ,
Naiflance , mariages & morts ,
195
194
201
216
Lettre du fieur le Paute à l'Auteur du Mer
208
cure ,
Lettre du Geur Tillhaye , privilégié du Roi pour
les pompes de Rouen , à l'Auteur du Mercure ,
212
De l'Imprimerie de J. BU LOT.
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
OCTOBRE.
LIGITUT
1753 .
SPARGATS
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT , Quai de Conty , à la
defcente du Pont-Neuf.
DUCHESNE , rue Saint Jacques,
au Temple du Goût.
M. DCC. LIII.
Avec Approbation & Privilége du Roi .
THE NEW YOR
UBLIC LIBRARY
AVIS.
ASTOR , LENO ADRESSE du Mercure eft à M. MERIEN
TILDEN' FOUN ATs au Mercure , rue des Foffez S. Germain
Auxerrois , au coin de celle de l'Arbre-ſec , pour remettre
à M. l'Abbé Raynal.
1905
Nous prions très-inftamment ceux qui nous adreſſeront
des Paquets par la Pofte , d'en affranchir le port ,
pour nous épargner le déplaifir de les rebuter , ¿ à eux
celui de ne pas voir paroître leurs Ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays Etrangers ;
quisouhaiteront avoir le Mercure de France de la premiere
main, plus promptement , n'auront qu'à
écrire à l'adreffe ci- deffus indiquée.
On l'envoye auffi par la Pofte, aux personnes de Province
qui le defirent , les frais de la pofte ne font pas
confiderables.
On avertit auffi que ceux qui voudront qu'on leporte
chez eux à Paris chaque mois , w'ont qu'à fairefçavoir
leurs intentions ,leur nom & leur demeure audit fieur
Merien,Commis au Mercure; on leurportera le Mercur
près - exactement , moyennant 11 livres par an , qu'il
payerons ,fçavoir , 10 liv, 10f. en recevant le second
volume de Juin , & 10 l. 10 f. en recevant le fecond
volume de Décembre. On les fupplie inftamment de
donner leurs ordres pour que ces payemens ſoient faits
dans leur tems.
On prie auffi les perfonnes de Province , à qui on
envoye be Mercure par la Pofte , d'étre exactes à faire
payer au Bureau du Mercure à la fin de chaque femefsre
, fans cela on ferois hors d'état de foutenir les
avances confidérables qu'exige l'impreffion de coo
Onurage.
On adreffe lamême priereaux Libraires de Province .
On trouvera le fieur Merien chez lui , les mercr
vendredi & famedi de chaque semaine,
PRIX XXX. SOLS.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
OCTOBRE
. 1753-
PIECES FUGITIVES,
en Vers & en Profe.
VERS
Pour Mile B **. de Tours , par L. Dutens
de Tours.
A Rrete,od porte-tu tes pas ?
Divin Soleil , arrête , & borne à nos climats
Une infructueuse carriere ;
Ce monde , à qui tu cours difpenfer ta lumiere ;
Ne peut jamais t'offrir d'auffi charmans appas ,
Que t'en offrent les yeux de l'aimable Glycère.
Des Sçavans de l'antiquité ,
A ij
4 MERCURE DE FRANCE.
Rien ne me prouve mieux l'ignorance profonde
Que le fyftême faux qu'ils nous ont débité
Sur ta marche conftante autour de notre monde :
S'il étoit vrai , Glycère eût changé cette loi ;
Ses regards enchanteurs , qui peuvent tant fur moi
Auroient bientôt fixé ta courfe vagabonde ,
Si la terre en fuyant ne l'éloignoit de toi.
VERS A UN MENTEUR ,
Par le même.
LEs larmes d'une Courtilanne ,
Les careffes d'un favori ,
Le chagrin d'une veuve en deuil de fon mari ,
D'un Normand adroit qui chicane ,
Les détours & les fauffetés
Sont près de tes diſcours autant de vérités .
Ne perfonne très -aimable & très- aimée
, à qui j'ai fucceffivement fait
préfent d'une Fauvette & d'un Serin , qui
font morts tous deux , m'envoya ces jours
paffés les vers fuivans , qu'elle intitule
Epitaphe de fon Serin & de fa Fauvette.
Cy gît auprès d'une Fauvette ,
Un Serin dont l'Amour fit choix ,
Pour être près de moi fon fidéle interprête.
Que l'Amour cherche une autre voix ;
OCTOBRE. 1755 .
5.
C'est le fecond que je regrette ,
Je n'en regretterai pas trois.
Par Mlle L***.
Je lui ai répondu par les quatre vers
fuivans .
RÉPONSE.
L'Amour fe rend à vos defirs ;
De mon attachement extrême
Ecoutez les tranſports , mon ardeur , mes foupirs ,
C'eft l'Amour qui parle lui -même.
Le 29 Mai 1753.
Bidault.
REFLEXIONS fur l'utilité des Compagnies
Littéraires , à l'occafion d'un Dif
cours lu dans la Société Royale de Nancy ,
rendu public au mois de Mars dernier. Par
M. Roupnel de Chenilly , Avocat.
Thonneur dans les Etats policés , doi-
Outes les Profeffions qui font en
vent leursprincipes à des vérítés primitives
qui en paroiffent comme indépendantes
,
qui étant ignorées en retardent les progrès,
& une fois apperçues , les conduisent
à leur perfection : plus ces principes élémentaires
font fimples , plus ils font difficiles
à faifir , ils demandent tout l'effort
A iij
MERCURE DE FRANCE.
des grands génies. Les Compagnies defti
nées à régler les premiers tems de la jeuneffe
, rendent des fervices importans au
public ; mais l'âge tendre eft trop foible
pour l'abstraction des raifonnemens , &
dès qu'on a quitté l'ombre de l'école , les
objets frivoles s'emparent de l'efprit & du
coeur. Comment donc maintenir le goût
du vrai & du beau pour en faire d'utiles
applications ? Par des Bibliothèques qui
renferment d'excellentes productions. Ces
dépouilles du monde littéraire ne peuvent
fervir , qu'autant qu'on fçait profiter de
leurs richeffes.
Il n'y a que ces Compagnies d'hommes
fçavans , réunis en differens corps de fociété
dans les mêmes vûes & dans les mêmes
intérêts , quoiqu'ils ne tiennent pas
la même route , qui puiffent faire efpérer
d'auffi précieux avantages.
Elles s'occupent à puifer dans leur fource
les plus heureufes découvertes ; utiles
dans leurs recherches , elles ne le font pas
moins par l'émulation qu'elles excitent ,
elles tournent la jeuneffe vers le folide ,
& fe remplacent par des fucceffeurs qu'elles
ont pris foin de former ; c'eſt ainfi
qu'on peut perfectionner de plus en plus
par la théorie , ce que la pratique enfeigne
pour communiquer à tous les états impor
OCTOBRE. 1753: 7
tans un effor avantageux au bien commun.
Je ne puis donner une idée de ce que
font ces compagnies , par rapport au gouvernement
, qu'en faifant connoître les
objets de leurs travaux , leur maniere de les
approfondir , les fervices qu'elles rendent
à la jeuneffe , dans un tems où elle a un
befoin preffant d'être dirigée ; d'où je dois
établir par conféquent la liaiſon qui eft
entre leurs fuccès & la gloire des emplois
les plus férieux . Tel eft en effet le plan de
mes réflexions.
Les differens phénoménes de la nature ,
les Sciences mathématiques , l'étude des
Langues , l'Hiftoire , la Poëfie , l'Eloquence
, en un mot les genres de Littérature ,
font foumis à la recherche & à l'examen de
ces hommes célébres. Il faudroit être un
Peintre parfait pour expofer fous des couleurs
également vives & reffemblantes , la
beauté , la nobleſſe , la dignité des maté
riaux qui font dans leurs mains , les queftions
fameufes qu'ils font naître , fi cette
entrepriſe feroit redoutable au plus grand
Maître je vais fubftituer une efquiffe au
tableau , quoique je laiffe à defirer de la
force ou de la délicateffe , j'aurai tenté de
m'acquitter de l'amour que j'ai pour les
Sciences & les Beaux Arts qui découlent de
l'amour focial A iiij
8 MERCURE DEFRANCE.
J'entre d'abord dans un détail qui a rap
port aux differentes claffes de la Philofophie
; mais j'évite , autant que je puis , ces
termes mystérieux qui défendent l'entrée
de fon fanctuaire , parce que j'écris pour
être à la portée de toutes perfonnes qui
penfent.
La terre , les plantes qu'elle produir ,
les dépôts qu'elle récele dans fon fein , les
élemens qui l'animent , leSoleil , le Ciel ,
les Aftres , les animaux , l'homme , la divinité
même , quelle carriere pour un génie
élevé !
La terre qui nous paroît fi groffiere , &
qu'on foule aux pieds , ne manque point
aux hommes ; mille générations ont paffé
dans fon fein , & fa fécondité n'eft point
épuifée ; toutes les plantes ont un terme
affigné pour leur durée , mais elles tombent
en diffolution pour vivre d'une vie
nouvelle , où elles font en mourant le foutien
d'autres plantes dont elles font fuccédées
: placées dans leur lieu , elles forment
un ordre fymétrique qui n'échape point
au fpectateur attentif ; les fleurs récréent
la vûe , fatent l'odorat ; les fruits raſſaſient
le goût , ou calment une foif importune ;
des fimples falutaires précautionnent contre
les langueurs , confervent ou rendent
la fanté , tandis que croiffent ailleurs des
OCTOBRE. 1753.
poifons ennemis , des fucs meurtriers
rien n'a été fait envain ; mais quel rapport
fi délicat entre ces végétatifs ! quelle difference
de principes fondus & mêlangés !
quelle dépendance du terroir ! combien de
propriétés encore inconnues !
Fouillons dans le fein de la terre , on découvre
le régne des minéraux , qui de nos
jours ont été convertis à des ufages fi uti
les , ces métaux dont quelques-uns femblent
mettre tant de difference parmi les
hommes , & en mettent une plus fenfible
parmi les moeurs & le caractere des Nations.
De quelle exactitude n'a- t'on pas
également befoin dans les analyfes ? quelle
activité , quelle profondeur , quelle modération
n'exigent pas les fuccès !
Le liquide élement qui environne la terre
& l'arrofe comme un jardin , fe produit
fous mille formes pour le fervice de l'homme
: tantôt unie comme une glace , l'eau
procure l'abondance dans les campagnes ;
tantôt elle fouleve fes flots pour transporter
les plus lourdes machines dans les lieux
voifins , & puis elle les abaiffe : fi on la
confidére dans le vafte Océan , elle eſt le
lieu de l'un & de l'autre monde ; foumife
à notre induftrie , elle eft retenue dans
d'immenfes réfervoirs , où elle s'élance
avec effort du dédale de mile canaux ,
A v
TO MERCURE DE FRANCE .
ouvrage de l'art ; fufpendue au-deffus de
nous , elle le répand dans un pays en des
pluyes abondantes , & dans un autre en
de fertiles rofées , mais quelquefois des
plantes languiffantes de féchereffe fur leurs
tiges , où n'aguéres des hommes timides
fe croyoient deftinés à périr par un nouveau
déluge. D'où proviennent tant de
fources bienfaifantes è qui caufe leur afféchement
? comment un élément fans confiftance
entraîne- t'il des poids immenfes ?
comment l'affujettir à un efclavage réglé
comment élevé fur nos têtes fe diftille- t'il
fi à propos ? fur quoi les vagues mugiffantes
fe brifent- elles contre un grain de fable
, ou fe tournent- elles du côté oppofé
au rivage ?
Quel eft ce corps qui tranfmet la lumiere
, qui frappe les yeux , qui me ferr
de véhicule , qui , tantôt plus fubtil, tan
tôt plus pefant , paroît fi different de luimême
, qui fe renouvelle pour moi dans le
lieu que j'habite , de forte qu'on croiroit
qu'il change à fon gré la face du Ciel ? Je
ne puis méconnoître l'air , mais je recherche
fes propriétés ; comment tempere - t'il
la lumiere pour l'accommoder à ma foibleffe
comment puis - je vivre au milieu
de ce fluide , qui pénétré des corps
hétérogenes , fe charge du parfum des
OCTOBRE. 1753. F1
Beurs & des principes tranchans de l'aconit
ou de la pefte ? quelle foule de quef
tions fur fon poids , fes variétés , fes altérations
!
Mais j'apperçois un météore enflâmé
prêt à tout détruire , fans doute le feu rompant
fon étroite prifon vient d'opérer ce
prodige ; s'il produit fouvent les plus
grands maux par fes éruptions & fes explofions
fubites , lui feul eit , à proprement
parler , le pere & le nourricier de ce qui
exifte ; il confume ce qui eft impur dans
les germes , & anime le principe vital engourdi
; il concourt aux plus grandes entrepriſes
de l'homme,, il détruit les villes ,
il gagne les batailles , il peut auffi égayer
les charmes d'une fête ordonnée par L'a
mour ou par la reconnoiffance. Comment
refte-t'il dans l'inaction au fein de la terre,
ou déploye- t'il tant d'activité ou de refforts
? par quel art l'homme en fufpend- ik
l'effet , ou le force- t'il d'obéir à une deftination
qu'il lui marque ?
L'aurore m'avertit de la préfence du So
leil , la préfence de cet Altre excite mes
réflexions , c'est lui qui éveille les puiffan
ces productrices de la nature , il régle la
durée des jours & des nuits , & le cours
conftamment alternatif des faifons :
par
court-il en conquérant les lieux qu'il étai
Avj
12 MERCURE DE FRANCE.
re , ou tel qu'un Monarque paisible , eſt - il
placé au centre de l'univers ? s'il roule autour
des globes qu'il rencontre fur fon
paffage , pourquoi ne les embrafe t'il pas ?
& par quel charme eft il retenu dans des
limites dont il ne s'écarte jamais ? mais s'il
eft immobile , qui foutient la marche non
interrompue de ces corps qui font fi durs
Cependant il ceffe déja de luire fur notre
hémisphère , le Ciel m'invite par une
harmonie de couleurs qui m'enchantent
la douceur & la vivacité des nuances qui
fe multiplient , femble fe confondre pour
m'offrir les plus beaux accidens de lumicre
; quel fonds pour perfectionner l'Art
du Pinceau ! mais quelle matiere aux réflexions
des grands hommes qui doivent
des principes aux Arts !
Bientôt un nouveau flambeau brille d'un
éclat emprunté & difpenfe un feu fombre,
mais doux & bienfaifant. Comment reçoit-
il cet éclat qu'il me rend ? Une multitude
d'autres flambeaux , dont la clarté
ne paroît pas moins variée à l'oeil que la
grandeur forme une nouvelle décoration :
quel eft en effet leur rapport , leur diflance
, leur fin pourquoi brillent - ils ? ne
brillent- ils que pour nous éclairent- ils
des mondes fans nombre ?
Quand je reviens à la terre , quelle graOCTOBRE.
1753. 13
dation d'êtres depuis l'homme jufqu'au
néant ? la diverfité du plumage dans les oifeaux
, l'harmonie de leur chant , la force
ou la foupleffe parmi les hôtes des bois ,
l'étonnante fécondité dans le peuple muet
des ondes , l'art avec lequel les reptiles
graviffent , ferrent , embraffent ; la beauté
des aîles dorées des infectes , les métamorphofes
des vers à foye , ce fpectacle eft
bien digne d'attirer l'homme de génie ;
quel méchanifme dans la conftruction des
membres de ces êtres differens ? l'ordre de
leur police eft admirable . Qui a appris à
l'abeille ou à la fourmi leur gourverne.
ment ? qui régle les phalanges des oiſeaux
de paffage ? quelle induftrie dans les périls ?
voyez les évolutions du reptile. Eft- ce la
raiſon , eft- ce l'instinct qui dirige les animaux
? ne jouiffent- ils point d'une faculté
moyenne entre l'Ange & l'homme ? ou ,
ce qui eft un objet plus intéreflant de notre
curiofité , de quel ufage font - ils par
rapport à nous ? julqu'à quel point peuvent
ils nous fervir ou nous nuire ?
L'homme m'offre une ftature qui correfpond
à l'utilité & aux befoins de fon
efpéce ; fes traits font nobles , hardis , proportionnés
, tous les membres font difpofés
de maniere à fe fecourir mutuellement
fitôt qu'ils font avertis par les efprits qui
14 MERCURE DE FRANCE.
partent du cerveau ; la plupart des organes
ne contribuent pas moins à la beauté de
l'ouvrage qu'à fa confervation ; mais il
s'éleve en lui des combats qui altérent ou
tariffent les fources de la vie : l'ame qui
eſt ſa forme , eft fans comparaifon plus
précieufe que le corps , elle lui commande
en fouveraine , les nerfs , tous les ref--
forts exécutent ; libre dans fes modifications
, elles ne font pas l'ouvrage de la
contrainte ou de la néceffité ; douée de
connoiffances éternelles , immuables , elle
a dans foi une régle sûre qui ne peut tromper
; fes vûes pénétrent dans l'infini , une
par effence , elle ne connoît ni parties , ni
divifions : cependant elle eft fujette à l'égarement
, fes idées font fufceptibles d'une
efpéce d'accroiffement qui lui eft propre
, elle tient donc fon exiftence d'un être
qui en eft indépendant , cet être lui communique
par conféquent fes perfections ,
d'ailleurs le corps la prévient par les révoltes
; quelles armes à oppofer pour défendre
la liberté de l'homme , fans bleffer
le fouverain domaine de l'Etre fuprême ,
& fans méconnoître les effets trop certains
de l'économie animale ? comment
diftinguer les opérations de deux fubftances
effentiellement differentes , & formellement
unies ? pourquoi la diverfité des
OCTOBRE. 1753 75
Religions , de climat , d'éducation , d'â
ge , de condition , influe- elle fur les
moeurs ?
Ma foibleffe m'oblige à tâcher de découvrir
mon Auteur ; je conçois que je
n'ai pû recevoir l'être de tout ce qui m'environne
, ni de moi- même , que tout a un
principe , hors lequel il n'eft qu'un affreux.
néant , ce principe eft donc l'être par
effence
: s'il eft l'être par effence , il eft unique
, il eft fimple , il eft tout-puiffant , il
eft bon , il eft immuable , il est éternel , il
eft immenfe , il renferme en un mot la plénitude
& la totalité de la perfection de
P'être ; mais comment concilier fa fimplicité
avec fon immenfité , fon immutabilité
avec fa liberté , ſon éternité avec la création
fucceffive de fes ouvrages , fa toutepuiffance
& fa bonté avec les défauts qui
fe rencontrent dans le monde phyfique &
dans le monde moral ?
J'abandonne ici le fil de mes réflexions
fur la Philofophie , pour paffer aux differens
genres de Littérature.
Je ne puis réflechir fur l'étude des Langues
, fans me rappeller le zéle avec lequel
Ja plus célébre Académie de l'univers s'oc
cupe depuis un fiécle à perfectionner la
Langue qui s'approchoit déja le plus de fa
perfection , & les progrès dont elle lui eft
16 MERCURE DE FRANCE.
redevable. Sans entrer dans le génie &
dans le caractere des Langues ( ce qui feul
mériteroit un ouvrage ) je puis dire , généralement
parlant , que de même que
toute penfée de quelque prix eft vraie , il
eft aufi à fa maniere un vrai d'expreffion ;
l'expreffion réguliere prend la forme de la
penfée dont elle eft le figne ; fi la penſée
eft fimple , elle ne l'exagére point par une
pompe vaine ; s'agit- il d'un feul coup de
pinceau de peindre un tableau tout entier,
de rendre d'un trait une vérité importante
, elle ne décrédite point , elle ne trahit
point la pensée par un air de foibleffe ou
un défaut de fidélité : ce n'eft pas qu'elle
défire qu'on ne ceffe d'avoir le compas en
main , une noble hardieffe mérite des éloges.
On convient de tout cela ; mais quel
le énergie , quelle fineffe , quelle préciſion
ne faut- il pas pour fatisfaire au goût , &
même au jugement des oreilles ? de quelle
fobrieté doit-on ufer , lorfqu'on veut puifer
dans les Langues mortes ou vivantes
pour enrichir , & non pas furcharger celle
qui eft l'objet de notre application ?
L'Hiftoire attache par un fpectacle tou
jours varié : l'origine , les progrès , la chûte
, la décadence des Empires , les évenemens
fameux qui ont occupé fucceffivement
la fcéne du monde , depuis fa naifOCTOBRE,
1753. 17
> les
fance fixée à une époque certaine
moeurs , les loix de chaque Nation auffi
differente d'elle- même , fuivant les diverfes
pofitions où elle fe trouve , que differente
des autres Nations , ces hommes extraordinaires
, ces fublimes intelligences
qui ont attiré les regards de l'univers par
leurs vertus ou par leurs vices ; voilà ce
que renferme l'Hiftoire dans des monumens
plus durables que le bronze & l'airain.
Mais quelles qualités exigé - t'elle ?
une unité de deffein qui vife à un tout
exact , un coup- d'oeil jufte qui démêle les
faits effentiels , un efprit étendu qui s'éleve
au- deffus des difficultés , un zéle pour
la vérité qui obferve une neutralité parfaite
entre les intérêts oppofés , un tyle
& des tours proportionnés à ces differentes
parties : la connoiffance des Langues.
contribue beaucoup à ce dernier avantage ,
quoique les autres qualités doivent plus à
la nature qu'à l'art ; comment les dévelop
per dans les Auteurs , ou les reconnoître
dans foi-même ?
La Poësie eft un art digne des plus
grands éloges ; dans des accords majeftueux
elle s'éleve jufqu'à la divinité , elle
célébre la gloire du Très haut , & la
beauté de fes ouvrages , ou elle peint fous
des couleurs différentes , un héros, ver18
MERCURE DE FRANCE:
*
tueux que l'intérêt de fes Etats conduit à
l'immortalité au travers des périls ; un ty-.
fan cruel , la terreur de fes fujets , le fléau de
la terre & fon propre bourreau : monitriceaimable
, elle s'infinue adroitement dans
les cercles pour en extraire les travers
& les ridicules , les apprécier , & nous
corriger avec plus ou moins d'éclat fous le
mafque de la plaifanterie : amie tendre &
généreufe , elle confole la douleur , elle
arrête le cours des larmes : écho des plus
doux fentimens , fous des images ingénues
, elle fe plaît à tracer une flamme légitime
, ou à célébrer le bonheur de deux
époux nouvellement unis fous les aufpices
de l'amour ; toujours fidéle à l'obfervation
des régles , elle n'en laifle point appercevoir
la contrainte , elle fort triomphante
de leurs entraves ; mais quelle
fcience des hommes , quelle étude de la
fageffe ne fuppofe - t- elle pas ? quelle force
ou quelle délicateffe dans le pinceau ?
L'Eloquence avec un maintien plus fimple
, quoique majeftueux , employe des frgures
moins hardies , des refforts moins
multipliés pour parvenir à fon but ; mais
de quels intérêts ne fe charge-t- elle pas
organe du Tout- puiffant , dont elle intime
les volontés , elle excite de faintes
frayeurs , où elle infpire une falutaire
OCTOBRE. 1753. 19
confiance ; protectrice de l'innocence , elle
fait pâlir le crime au milieu de la fplendeur
& de l'éclat qui l'environne ; admife dans
le confeil des Princes , elle veille au bien des
peuples dans le Gouvernement , ou médiatrice
puiffante , elle eft le lien des nations ,
elle éteint les foudres de la guerre ou en
fufpend les coups. Mais comment faifir le
dégré d'activité & de mouvement propte
à opérer des fins fi nobles , faire marcher
tour-à-tour la terreur ou l'infinuation , rencre
le calme ou exciter les tempêtes ?
C'eft ainfi que je me fuis répréfenté le
plan des occupations des différentes Académics
; j'ai propofé des queftions intéreffantes
, j'en ai obmis d'autres qui ne le
font pas moins , foir pour ne pas excéder les
bornes des fimples réflexions , foit dans
l'impoffibilité d'atteindre toute l'étendue
des objets qu'elles embraffent . Je fouhaite
m'être affez expliqué pour faire preffentir
au Public leur importance . Je paffe maintenant
aux fecours précieux que les grands
hommes qui les compofent ont pour feconder
, pour étendre leurs talens à proportion
de la difficulté des matieres qu'ils
traitent.
L'Académicien , en effet , fous les loix
d'un travail réglé a fans ceffe la faculté
d'acquérir de nouvelles connoiffances ;, la
20 MERCURE DE FRANCE,
communication des lumieres de fon corps
lui fait franchir , pour ainfi dire , d'un pas
cette longue route , qu'il eût été obligé de
tenir s'il eût été ifolé ; des conférences où
préfident la méthode & le goût , abrégent
le cercle qu'il auroit été forcé de décrire
& aidé des découvertes de ceux qui l'ont
devancé & de celles de fes contemporains ,
il applique toute fa vigueur aux difficultés
qu'ils n'ont point réfolues , ou à placer
leurs folutions dans un plus grand jour.
Auparavant de paroître au tribunal du
Public , il vient s'effayer à ce tribunal particulier.
Le Phyficien averti qu'il doit allier
les faits avec le raifonnement , fe perfectionne
dans l'art de faire des expériences
délicates , d'où il tire les plus lumineufes
conféquences. Le Chymifte , que
dans fa fphere il y a des bornes au de- là
defquelles on ne trouve que de brillantes
impoftures , eft fans ceffe en garde contre
lui dans fes analyſes . Le Géometre , que fon
art ne confifte point uniquement à melurer
des lignes , des furfaces & des corps ,
envifage bien moins la difficulté que l'utilité
des problêmes , & fe livre aux phénomenes
qui entrent dans la philofophie
naturelle. Le Métaphyficien , que la fcience
qui confidére les efprits où les corps
en tant que repréſentés par nos percep
OCTOBRE. 1753 . 2x
tions , eft extrêmement périlleuse , procé
de avec cet efprit philofophique qui régle
les dégrés d'allertiment par les dégrés de
certitude. Le fpectateur des moeurs , que fi
dans les maximes il doit regner un vrai
abfolu dont le compas eft dans l'efprit , les
réflexions doivent être prifes dans les caufes
qui en voilent la jufteffe , recherche
avec l'empreinte faillante de la vérité , les
menaces qui par le pouvoir de ces agens ,
déclinent imperceptiblement de la régle.
L'Hiftorien , qu'il doit être conftamment
étayé de la plus exacte critique , balance
confronte les opinions ; s'il écrit ſur un
fujet déja eflayé , ou fi fon fujet eft neuf ,
il cite devant lui dans leur ordre , non
Leulement les principaux acteurs qu'il a
réfolu de faire entrer dans fon plan , mais
toutes les circonftances des faits pour les
apprécier & déterminer fon choix . Le Poëte
, que les véritables fuccès dans tous les
genres de Poëfie dépendent de la régularité
dans les louables imitations , craint de
confondre la foibleffe d'une raifon qui s'éblouit
avec la hardieffe du génie , le raffinement
avec la délicateffe . L'Orateur, que
Péloquence doit porter le trait de la lumiere
& de la perfuafion & faire concerter le
combat des paffions pour affurer fon triomphe
, s'étudie à découvrir dans toutes, les
22 MERCURE DE FRANCE.
fituations , & fur tous les théatres les
moyens sûrs d'intéreffer le coeur , & de
pénétrer dans le fond intime de l'amè .
Chaque Compagnie feconde le zéle de
fes membres par fon application & fon
équité dans les jugemens : perfuadée que
l'éloge dans lequel la complaifance a la
moindre part , eft un facrifice de la réputation
, & que dès qu'on peut mieux faire
, le héros littéraire doit regarder les
plus beaux exploits comme de ftériles travaux
, elle difcute , examine , péfe tout au
poids du fanctuaire.
Mais fi malgré les lumieres de fa compagnie
, l'Académicien éprouve encore des
doutes ; eh ! qui peutt out pénétrer ? Dans
tous les pays où le goût eft parvenu , il y
a lieu d'efpérer des éclairciffemens. Je conviens
que les vertus fociales font étroitement
unies avec les fciences & les beauxarts
; mais n'eft- il pas vrai qu'on fe dévoile
avec un retour plus férieux fur foi- même
, avec une candeur particuliere à un
homme à talens , qui a fait comme un
voeu folemnel de les cultiver ? Oui , il eft
pour lui un langage unique , ce n'eft point
le langage de l'efprit précisément , ce n'eſt
point le langage du coeur , c'eft le ton du
Centiment.
C'est ainsi que l'Académicien excite ,
OCTOBRE. 1753. 23
entretient dans lui le génie créateur :
ainfi les Compagnies qui raffemblent de
femblables hommes , doivent être les dépofitaires
des dogmes de la plus faine Philofophie
, des trésors des langues , des monamens
d'Hiftoire , des chefs - d'oeuvres de
l'Eloquence , des beautés de la Poëfie , &
des plus rares productions de la Littérature .
La gloire & l'eftime , cette monnoye
dont en paye ce qui eft au- deffus de toute
évaluation , & qui eft le prix du mérite
fupérieur , produit l'émulation ; la jeuneffe
née avec d'heureufes difpofitions , mais
qui ne font pas encore développées , tourne
fes regards vers ces aftres éclatans
elle réfifte au torrent qui femble devoir
l'entraîner , elle triomphe dans la carriere
des Lettres , des périls qui font comme
inféparables de fon inconftance & de fa légéreté
, périls que je ne puis bien faire
concevoir qu'après avoir expofé le goût
& l'état de la Littérature par rapport à cet
âge.
Quel eft le goût & l'état de le Littérature
par rapport à la jeuneffe ? Invitée par les
graces du ftyle , charmée par une certaine
variété de tableaux , intéreffée par des fi
tuations extraordinaires , foutenue par des
incidens ménagés avec artifice , elle faifit
avec avidité les Romans , fruit d'une ima
24 MERCURE DE FRANCE.
gination peu réglée (fi on en excepte un pe
tit nombre dont il ne peut être queftion )
qui , pour laiffer quelquefois appercevoir
dans le lointain un air de nobleffe & de
grandeur, n'en ont pas plus de beautés folides
; ouvrages bifarres qui ne peignent les
hommes ni tels qu'ils font , ni tels qu'ils
pourroient être , ou tels qu'ils devroient
être , qui exaltent des vertus fauffes , outrées
, ou le triomphe du fol amour fur les
devoirs & les bienséances : je ne parle point
de ces Romans mal écrits , où la licence fe
montre à découvert , monftrueux affemblage
de ce que l'efprit uni à la dépravation
du coeur peut produire de plus défectueux
.
Les ouvrages de Poëfie revendiquent
également leurs droits , ouvrages lus indifféremment
; fouvent ces Comédies dans
lefquelles tantôt Thalie trop peu inftruite
de les devoirs ou s'en écartant à deffein
laiffe douter fi elle veut infpirer du goût
ou de l'oppofition pour les défauts & les
vices qu'elle combat ; tantôt grave à l'excès
fous l'habit des Scapins , introduit les
moralités de la Rochefoucault & de Pafchal
; tantôt par des tranfports déplacés
s'efforce d'émouvoir & d'arracher des larmes
ces Tragédies où Melpomene érige
en vertus les préjugés nationaux , appuye
malgré
OCTOBRE. 1753. 25
malgré la févérité des loix , des fentences
impofantes , des dogmes profcrits , ou par
une dégradation de fon caractere , prostitue
la dignité du cothurne aux foibles accens
de l'Elegie ou de l'Idyle ; ces Elégies où
l'amour abufe du langage des graces , pour
exprimer des tranfports illégitimes ; ces
anecdotes , archives immortelles de fes
honteux trophées ; flattée uniquement par
la furface , la pompe , le coloris de l'Ode
fi les idées paftorales affectent plus la jeuneffe
, le guindé , le doucereux lui tiennent
lieu du ton de la nature .
Emportée par le torrent de la mode ,
féduite par des noms qui impofent , elle
s'occupe d'une foule d'écrivains , qui jaloux
de l'indépendance fappent en mille
manieres les fondemens de tout culte ,fous
les dehors de la vertu ou d'un zéle défintéreffé
, qui s'efforcent de contrarier les
notions les plus certaines de l'existence
d'un Dieu , l'époque de la création du
monde , & le fentiment intime qui nous.
avertit de la dignité de notre ame , ou qui
dans les objets de la révélation conſeillent
indiſtinctement un doute qui doit être
éternel , d'autant qu'aucun genre de preuve
ne paroît leur convenir ; de ces Auteurs
qui débitent à l'abri de perfonnages
poftiches , ou fous le voile de l'allégorie
B
16 MERCURE DE FRANCE.
des réflexions également dangéreufes , ra
rement originaux , très -fouvent mauvais
imitateurs , & toujours trop peu circonfpects.
Mais le défir de briller dans les cercles
ne porte-t-il pas à cultiver de bonne - heure
la mémoire , & à l'enrichir d'une claffe
de faits célébres que l'on prévoit pouvoir
placer ? J'en conviens, pourvû qu'on m'accorde
qu'il eft très - facile de l'égarer dans
la carrière de l'Hiftoire. Il y a en effet ,
dans ce genre , des Auteurs minutieux qui
ne font que des Journaux lecs & stériles ;
de ces efclaves du bel efprit , qui chargent
leur portrait de couleurs qui ne fympatifent
point avec le fujet ; des Philofophes
mornes qui noyent les faits dans des ré-
Alexions infipides ; des politiques fuperfi
ciels , qui donnent à entendre contre la
vraisemblance qu'ils ont pénétré dans les
fecrets de tous les partis : des fourbes
des impofteurs , qui vendent leur plume
au plus offrant ; des hommes partiaux par
humeur , qui excluent tout mérite dans le
parti qui leur eft oppofé.
Les genres de littérature auxquels fe
livre la jeuneffe font donc pernicieux au
bon goût , aux moeurs & à la Religion ; ils
énervent l'efprit , ils corrompent le coeur ,
pervertident les inclinations , détruifent
OCTOBRE. 1753 : 27
fouvent les principes d'une doctrine pure
qu'on avoit confiés à l'enfance , & cultivée
dans les tems deftinés à l'éducation , & ce
qu'on peut dire de moins défavorable
c'eft que les travaux de la jeuneſſe doivent
être en pure perte , & ne contribuent point
à fon inftruction . Où trouver un reméde
contre une contagion fi générale , dans les
Compagnies dont je parle ?
Avez- vous des compatriotes , des concitoyens
, de vos proches qui s'y diftinguent
, & êtes- vous doué de talens ? Hs
'échappent poin: à leur pénétration ; dès
que vous leur montrez un éléve qui puiffe
foutenir l'empire des Lettres , ils fe
font une gloire de vous former , ils oppofent
leur lumiere aux preftiges & aux illufions
qui ufurpent le facrifice du bel âge .
ils étudient votre goût , & ils vous offrent
ce qui peut le fatisfaire ; ce commerce fupérieur
à toutes les leçons ne tarde pas à
vous apprendre vos forces , ou vous prodiguer
à propos les encouragemens ; mais
en même tems , on ne vous montre les objets
qu'autant qu'ils font à votre portée ;
de la furface extérieure on parvient par
dégrés jufqu'au fond. Je ne puis mieux
comparer ces éléves , d'après un célébre
Académicien ( 4 ) dont j'emprunte les
(a) M. l'Abbé de S. Cyr,
pro-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
و ر
"
pres termes , de peur de les affoiblir , » qu'i
ces rares métaux , ces pierres exquifes que
» Part n'a point mis en deuvre , tout y eft
précieux , mais tout y eft encore obfcur
» & enféveli : ces heureux génies , polis-
» par les foins des grands maîtres , ne tar-
» dent pas à rendre l'éclat & le feu qu'ils
» cachoient : devenus maîtres à leur tour
ils forment des éléves dignes de les ré-
» préfenter.
>
De là fe perpétuent les citoyens propres
à remplir les fonctions les plus importantes
de la vie civile ; les diverfes claffes de
la Philofophie fourniffent des principes
fondamentaux à tous les genres d'Architecture
, à l'art Militaire , à la navigation
à la Médecine , à la Théologie , & à la Légiflation
; l'Hiftoire entre plus particulierement
dans le gouvernement politique &
civil. Dans la Chaire , au Barreau , dans les
affaires publiques , la connoiffance des
langues & l'éloquence donnent d'indif
penfables fecours , la Poëfie fait paffer dans
les coeurs les grandes qualités , les qualités
fociales avec l'attache du plaifir .
L'objet des Académies n'eft donc point
précifément de raffembler des Philofophes
, des Grammairiens , des Orateurs ,
des Hiftoriens , des Poëtes ; on prépare
par là des Méchaniciens , des Aftronomes ,
OCTOBRE. 1753. 29
des Théologiens , des Médecins , des Miniftres
, des Guerriers , des Juges , des Pré--
dicateurs , des Avocats qui éternifent leurs
noms par leurs fervices : en un mot , on
répand un nouveau jour fur tous les états
& toutes les conditions.
Qu'on me demande maintenant pourquoi
dans l'Europe les profeffions font portées
de nos jours à un fi haut dégré de perfection
: Le problème ne peut m'embaraffer
, je répondrai qu'elles font particulierement
redevables de leurs progrès aux
compagnies de Sçavans , aux fociétés Littéraires
, qui s'y font multipliées depuis
un fécle .
Mais pourquoi au milieu de tant de lumieres
un fi grand nombre de productions
imparfaites & dangéreufes ? C'eft ce qui
fembleroit plus difficile à décider , fi ce
n'eft que ces lumieres fe répandant de proche
en proche , excitent des efprits trop
bornés , qui voulant s'élever au - deffus
d'eux mêmes , font fubjugués par
leur art,
ou qu'il y a toujours des hommes paffionnés
différemment , indociles à tout frein
qui communiquent à ce qu'ils font , la
teinte & l'impreffion du poifon qui les
dévore.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
JbJibJbjbJibJb Jb JbJbstst
CORINE ET ATHIS.
POEMEPASTORAL ET ALLEGORIQUE.
Sur le retour de Mile *** à Paffy.
Sur ces bords fortunés , ( 4 ) fur cette aimable
rive ,
Qu'arrofe , en ferpentant , la Seine fugitive ;
Athis ( 6 ) , le tendre Athis , en proye à fes douleurs
,
A ces eaux chaque jour venoit mêler fes pleurs.
Dans ces lieux pour fe plaindre il devançoit l'Aurore
,
Et la nuit dans ces lieux le retrouvoit encore.
Couché nonchalamment ( c ) au fond d'un antre
creux ,
De fes cris importuns il fatiguoit les Cieux ;
Ses yeux depuis deux mois , toujours ouverts aux
larmes ,
Jamais du doux repos n'ont reffenti les charmes.
Ces lieux à fes regards autrefois pleins d'attraits ,
Ne font plus que l'objet de fes triftes regrets .
La verdure des ( d ) bois , & l'émail des prairies ;
"
( a ) Boisfur le bord de la Seine près Pally .
( b ) M. G *** c'est le nom de l'Auteur.
(c) Petite caverne à quelque diftance du bois.
(d ) Bois de Boulogne.
OCTOBRE 1753 . 31
Semblent entretenir les triftes rêveries .
Tout accroît , tout aigrit fon défelpoir mortel ,
Tout rappelle à ſon coeur un fouvenir cruel .
De fes plaifirs paffés , ces beaux lits de verdure
Lui retracent en vain l'agréable peinture.
Son coeur mort aux plaifirs qu'il ne peut plus goû ~
ter ,
Ne s'en fouvient , hélas ! que pour les regretter.
Les échos de ces bois , ces prés & ces fontaines ,
Tour , fur ces boids heureux , femble irriter fes
peines ;
Des hôtes des forêts les plus tendres accens ,
Loin de les alléguer , redoublent les tourmens ;
Sa fute , foa troupeau , fon chien & fa houlette
Se reffentent auffi de fa douleur fecrette.
Chargé du poids tatal d'un malheureux amour ,
Il maudit le moment qui lui donna le jour .
Ce qu'il aimoit jadis , maintenant ill abhorre ;
Accablé de douleurs , il en défire encore ,
Afin que fuccombant fous le faix de fes maux ,
Dans la nuit du trépas il trouve le repos ,
Et qu'à l'abri des traits du plus fanglant outrage ,
Il meure fans fentir ceux que fon coeur pičlage .
Quels font donc ces revers ? ô malheureux A his !
Qui changent vos beaux jours en de foudaines.
nuits ;
Vos regards , fatigués du jour qui les éclaire ,
Ne femblent qu'à regret jouir de fa lumiere.
•
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
Mais tandis que je parle , il me fuit , & fes cris
Redemandent ( a ) Corine aux échos attendris :
Corine à fon amour venoit d'être ravie ,
De ces lieux , depuis peu , Corine étoit partie .
Il l'appelloit en vain , ô foins trop fuperflus !
L'infenfible fuyoit , & ne l'entendoit plus .
Tantôt , dans les accès de fa douleur mortelle ,
A déchirait les vers qu'il avait fait pour elle ;
Il brifait fa houlette , & laiffait les troupeaux
A la merci des loups , errer fur ces cô: caux :
Tantôt , pour écarter une image effrayante ,
Il foupiroit aux pieds d'une ( 6 ) nouvelle aman
te ,
Accablé malgré lui d'un cruel fouvenir ,
Il lui jurait un feu qu'il ne pouvait fentir ,
Et d'autant moins épris qu'il s'éforçait de l'être ,
Il lui donnait un coeur dont il n'était plus maître .
Enfin un jour cédant au fardeau de ſes maux ,
11 confia fa plainte aux indifcrets échos .
Tout pour l'entendre , alors fe tut dans la nature ;
Les ruiffeaux s'arrêtant cefférent leur murmure ;
Les Déeffes des bois , & les Nymphes des eaux ,
( a ) Mlle *** . L'Auteur l'avoit long- tems aimée
lorfqu'elle partit de Paffy pourfe rendre chez fes parens .
(b ) Mile *** avoit quelque inclination pour l'Auteur
,& comme en raillant on lui faifoit ſouvent la
guerre de fa froideur pour elle , il fit femblant de lui
rendre des foins d'autant plus que l'intérêt qu'il avoiz
à cacherfon amour pour la premierely forçait.
1
OCTOBRE. 1753. 33
Voulurent prendre part au récit de ſes maux ;
Le zéphire craignit d'agiter le feuillage ;
Et les tendres oifeaux cefferent leur ramage.
Grands Dieux , s'écria- t- il , ou privez moi du jour ,
Ou rendez à mes voeux l'objet de mon amour ;
Amour , cruel auteur du chagrin qui m'opreſſe ,
Ou ramene Corine , ou chaffe ma tendreffe ;
Oui , fitu prens pitié de mes tourmens cruels ,
Le fang de mes agneaux rougira tes autels ;
Je te facrifirai deux fuperbes géniffes ,
Qui jufques à ce jour avoient fait mes délices ;
J'y joindrai (4 ) deux chevreaux que je reçus pour
prix
D'un combat de chanfons où fut vaincu Tirfis ;
Et je ne croirai point acheter trop encore
Le plaifir de revoir la beauté que j'adore .
Mais , que dis-je , infenfé ! quel efpoir féducteur ,
En ce triste moment , s'empate de mon coeur ?
Hélas ! je forme en vain une agréable image :
Corine , loin de moi , va devenir volage ;
D'autres bergers plus ( b ) beaux , mais moins tendres
que moi ,
En m'enlevant fon coeur , vont me ravit fa foi.
( a ) Ceci joint allégoriquement fait allufion au petit
combat de Poësie que M. *** , sci fous le nom de
Trifis livra à l'Auteur : le prix étoit deux Livres
magnifiquemens reliés , que M. *** qu'ils avoient pris
pour Juge , accorda à l'Auteur.
( b ) M.
M. **. L'Auteur les foupçonnoit
de partager l'inclination qu'elle avoit pour lui.
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
Paffant rapidement du dégoût à la haine ,
Elle rompra les noeuds de fa premiere chaîne ;
Pour refter fans amans Corine a trop d'appas ,
Et j'ai trop de malheur pour ne la perdre pas :
Je crois déja la voir , en proye à foa yvreffe ,
Suivre d'un feu nouveau l'amour enchantereffe ,
Et flatter mille amans , contre moi conjurés ,
Par les inêmes fermens qu'elle m'avoit jurés.
Ah barbare ! ... Il ne put en dire davantage ,
Ses fanglois de la voix lui raviffent l'ufage ;
Ses genoux affoiblis le dérobent fous lui ;
Il fflonne , il chancele , & tombe évanoui.
Mais l'amour qui prit part à fa douleur fincere,
L'amour à fes regards vient rendre la lumiere ;
Le berger fe releve , & fes yeux éperdus
Cherchent au loin Corine , & ne la trouvent plus,
Les accens redoublés de fes plaintes amerés ,
Attirerent (a ) Daphnis dans ces lieux folitaires.
(b ) Aux charmes naturels d'un génie élevé ,
Daphnis joignoit encor un eſprit cultivé ;
Mais n'abuſant jamais d'un fi rare avantage
Parmi tous les bergers il eut le nom de fage ;
BENT.
( a ) M. ** *, un des plus grands amis de l'Au-
(b ) L'Auteur a cru devoir faire ici le portrais
d'un homme à qui il a de fi grandes obligations . &
riique une difgreffion pour s'acquiter de ce qu'il doit :
le défir de répondre à nePiece de Vers qu'il lui avoit
envoyéey a beaucoup contribué.
OCTOBRE. 1753. 35
Ils le foumettoient tous à fa décifion :
Et de berger enfin il n'avoit que le nom.
Si-tôt qu'il vit Athis , du mal qui le confume ,
1} tâcha par ces mots , d'adoucir l'amertume .
Par les noeuds immortels d'une tendre amitié ,
Avec le trifte Athis Daphnis étoit hé.
Quelle eft donc , lui dit il , cette mélancolie ,
Qui trouble , cher ami , le cours de votre vie ?
Pourquoi , toujours en proye à vos vives douleurs
,
Vos yeux ne s'ouvrent-ils que pour verfer des
pleurs
Pour votre coeur noyé dans la langueur mortelle ,
Vainement la nature ici ſe renouvelle.
Rien ne vous touche plus , & vainement Cerès
De les dorés épics enricbit vos guerèts.
Vos infenfibles yeux voyent en vain éclore ,
Et les dons de Pomone , & les préfens de Flore ;
En vain à vos regards , de fes pampres Acaris
Bachus vient étaler les brillans coloris ,
Aux ombres de la nuit en vain le jour fuccéde ;
Rien ne peut foulager l'ennui qui vous poffède.
Pourquoi , lui répondit Athis en l'embraflant ,
Pourquoi veux-tu , cruel , accroître mon tourment
?
Va , plains un malheureux ( a ) , dont le fecret fu-
Defte
(a ) L'Auteur plus difcres que le commun des
B vj
36 MERCURE DE FRANCE .
Eſt parmi tant de maux , le feul bien qui lui reſte.
Ingrat , m'envirois -tu , repartit le berger ,
La douceur de les plaindre & de les partager.
Eh bien , lui dit Athis , je cède à ta tendreffe ;
En apprenant mes maux , ami , plains ma foibleffe.
'Alors il lui fit part des préfages affreux ,
Qu'offroit à fon amour un départ malheureux :
Et Daphnis , pour bannir fes craintes incertaines ,
Tâcha , par ce difcours , de foulager fes peines.
L'Amour va , lui dit-il , ramener dans ces lieux ,
Ton amante brûlant toujours des mêmes feux .
Et dans les doux tranfports d'une vive allégreffe
Noyer les noirs accès du chagrin qui t'opreffe .
Ce Dieu prendra pitié des maux que tu teffens ,
Et te promet des biens plus grands que tes tourmens
.
Au lieu de s'affoiblit ( a ) , l'amour né dans l'enfance
,
A mesure qu'on croit , voit croître fa puiffance :
amans , avoit fait à fon ami même un mystere du
fujet defes peines , & ce ne fut qu'à force d'inftances
que ce dernier en obtint l'aveu.
(a ) Quoique beaucoup de perfonnes trouveront
cette définition déplacée dans la bouche d'un berger,
l'Auteur n'a pas craint de la mettre dans la bouche
d'un bomme auffi fçavans que M. *** . Elle ne pa .
roît pas bien jointe aux yeux de plufieurs , mais il a
fallu s'afervir aux circonftances : on objellera encore
qu'elle et un peu trop emphasée : oui , mais ce n'eft
point une Egogue, répondra-t -on , c'eft un Poërae.
OCTOBRE . 37 1753.
Dans les coeurs la nature établiſſant les loix ,
Du tems qui détruit tout fait respecter les droits
L'inconftance à fon char pour jamais enchainée ,
Sur fes propres débris lui conſtruit un trophée ;
Elle fixe l'amour , l'entretient , & fes feux
Nés avecque nos jours , ne meurent qu'avec eux.
En vain les préjugés , en vain l'indifférence
S'unit , pour le détruire , aux rigueurs de l'abfence
,
Le dégoût vainement voudroit diffoudre un jour
Des liens qu'ont tiffus la nature & l'amour ;
La nature a des droits qu'on ne fçauroit enfraindre
,
Le feu s'irriteroit , loin de pouvoir s'éteindre.
Et de l'amour laffé rallumant le flambeau ,
Elle lui préteroit un triomphe nouveau .
Ainfi parloit Daphnis , & d'une affreufe image ,
1 tâchoit d'écarter le malheureux préfage :
Mais du timide Athis , de noirs preffentimens
Sembloient , malgré les foins , irriter les tourmens.
Cependant le berger le confole , & l'entraîne
Vers un (a ) hameau voifin , peu diftant de la plaine.
Mais Athis eft à peine arrivé dans ces lieux ,
Que Corine foudain fe préfente à les yeux.
Quels furent les tranfports de ce berger fidele !
Il la voit , il Penbraffe , & doute fi c'eft elle.
( a ) Paffy où l'Auteur prenoit alors les Eaux.
38 MERCURE DE FRANCE,
Son étonnement ceffe , & fon coeur enflammé ,
S'abandonne à l'eſpoir d'aimer & d'être aimé.
Mais , ô fort ! ô diſgrace ! à ſon ame éperdue :
Dans quel étar Corine étoit- elle rendue
Une fombre froideur , & d'injuftes mépris
De l'amour du berger furent le trifte prix.
Autant Corine , avant cette funefte abſence ,
Avoit été fenfible à ſa tendre conftance ,
Autant & plus cruelle encor à ſon retour ,
Corine , avec fiérté rejetta ſon amour,
Quels furent les excès de fa douleur extrême ?
Quel coup pour un amant qui perd tour ce qu'il
aime !
En proye au trouble affreux qui déchiroit fon
coeur ,
Il fortit pour jamais de ce lieu plein d'horreur ;
Et dans l'obſcur réduit d'un antre folitaire
Vint rendre de les maux l'écho dépofitaire.
O Dieux ! s'écria-t- il , juftes Dieux : eft - ce ainfi
Qu'à la foible vertu vous prétez votre appui ?
Si vous devez un jour , pour mon malheur extiême
,
Eteindre un feu , dans ( a ) elle allumé
même ;
par vous
Si vous deviez ainfi la rendre à mes fouhaits ,
Grands Dieux , il ne falloit me la rendre jamais.
Calme les vains tranfports de ta douleur more
telle ,
( a ) Elle,fe rapporte à Corine.
OCTOBRE.
1753. 39
Jéche tes pleurs , Athis , Corine t'eft fidelle....
Mais il ne m'entend plus , ( a ) & plein de fon
tranſport
lla le bras levé pour ſe donner la mort...
Arrête , malheureux..... Elle vient elle-même
Calmer l'emportement de ton erreur extrême.
Arrête , Athis , Corine a voulu t'éprouver ;
De ta propre fureur elle vient te fauver :
Tourne les yeux , vois - la par tes cris altérée ,
Venir calmer l'horreur où ton ame eft livrée ;
Et volaut dans tes bras , par un charmant fecours
Faire d'un jour affreux , le plus beau de tes jours.
Son amante , en effet , ( b ) près d'un buiffon cachée
,
Venoit d'être témoin de fa rage infenfée.
L'amour lu: découvrit qu'elle en étoit l'objet;
Et l'amour fe hâta d'en prévenir l'effet .
(a ) Cette allégorie eft un peu outrée ; quoiqu'il
en foir , l'Auteur ayant cru Mlle ■ * * infidélle , s'a
bandonna à un déjeſpoir fi grand qu'on craignit pour
fa vie ; il fallut qu'elle- méme vint l'affurer defa fr
délité , pour en prévenir les effets.
(b ) Tout ceci eft ailégorique , &fe rapporte à la
mote précédente.
Par 7. Guerinean de Janville .
40 MERCURE DE FRANCE.
30% 50%50% 50% 50%500: 30 : 0
DISSERTATION HISTORIQUE
Sur le Droit & le Barreau de Rome .
IL eft peu d'Empires qui ayent fouffert
autant de révolutions que celui des
Romains , auffi la Jurifprudence qu'ils
nous ont laiffée , a -t'elle éprouvé de continuelles
viciffitudes .
Néanmoins rien n'eft fi beau que l'harmonie
de leurs Loix , iill ffeemmbbllee que les
troubles fréquens dont Rome a été déchirée
, ayent en quelque forte contribué à
affermir la tranquillité domeftique de fes
Citoyens.
Difference étrange entre le Droit Civil
& le Droit Canon ! celui- ci fondé fur la
ferveur & le zéle des premiers Fidéles
étoit magnifique , divin dans fon origine :
la tiédeur , le relâchement , les fchifmes
l'ont énervé dans fes progrès , & en ont fi
fort fouillé l'ancienne pureté , qu'il eft
aujourd'hui méconnoiffable. L'autre , ouvrage
du génie & de la politique , étoit informe
dans fon principe. La fuite des tems
l'a développé par degrés , & l'a prefque
conduit à un état de perfection : le berceau
de l'un devoit être l'époque de ſa
OCTOBRE. 1753. 4
grandeur , la piété ne gagne point à vieillir.
Le Droit Civil au contraire fut néceffairement
foible dans fon enfance , la raifon
ne vient qu'avec l'âge.
§ . PREMIER.
Le peuple Romain fut d'abord compofé
de trois mille hommes de pied , & de
trois cens hommes de cheval. Certe troupe
ayant reconnu Romulus pour fon Roi ,
il la divifa en trois tribus , dont chacune
contenoit dix Décuries.
11 partagea les terres en trois portions ,
l'une pour les Dieux , l'autre pour les befoins
de l'Etat , la derniere pour fes fujets .
Il diftingua ceux- ci en deux claffes , les
Praticiens & les Plébéiens. Comme les
Plébéiens étoient pour la plupart extrémement
pauvres , il leur permit de fe choifir
dans les Patriciens , des protecteurs aufquels
ils fe vouoient , & promettoient
toutes fortes de fervices ; les Patriciens à
leur tour étoient obligés d'aider de leur
crédit & de leur bourfe ceux qui les avoient
pris pour patrons.
Malgré la dépendance de ces premiers
cliens ils n'étoient pas Serfs , on ne les regardoit
que comme de vrais Cenfitaires.
Romulus élut cent d'entre les Patriciens
dont il fe fit un Confeil ou Sénat. Ce Tri42
MERCURE DE FRANCE.
bunal qui devint dans la ſuite fi redouta
ble , n'eut point au commencement le pouvoir
législatif , & n'exerça aucune Jurifdiction
contentieufe : il ne lui appartenoit
pas de faire des loix dans les affaires particulieres
, il fe contentoit de commettre
des Juges , & auroit crû s'avilir s'il eût
jugé en corps un procès ; il manioit les finances
, il ordonnoit la levée des impôts ,
il régloit la maniere dont on recevroit les
Amballadeurs , ceux qu'on députeroit ; il
difpofort des troupes , & de toutes les
affaires de la guerre , lorfqu'elle avoit été
réfoluë.
Quant à celles qui concernoient l'Etat
en général ou le droit public , elles fe jugeoient
par le peuple à la pluralité des fuffrages
. On convoquoit les Curies , cette
affemblée s'appelloit Comitia Curiata. Dans
ces Comices le peuple faifoit des loix ,
approuvoit ou rejettoit celles qui lui
étoient propofées , nommoit les Magif
trats , & décidoit fi on feroit la paix où la
guerre .
Romulus fit agréer au peuple plufieurs
loix , & fingulierement celle qui donnoit
aux peres le pouvoir de vie & de mort
fur leurs enfans ; il en fit d'autres touchant
le droit divin , les Magiftrats , les mariages
, elles s'appellerent Curiates , comme
reçues par l'affemblée des trois Tribus.
OCTO BRE. 1753. 43
Son Succefleur , Numa Pompilius , en
ajouta beaucoup , furtout concernant le
culte ; il fonda les Veſtales , créa un ſouverain
Pontife , & un Collège de Prêtres ;
il ordonna que les fonds de chaque particulier
fuffent féparés par des bornés , il
reftraignit le droit de vie & de mort accordé
aux peres fur leurs enfans , à ceux qu'ils
avoient eu en légitime mariage.
Ce fut fous Tullus Hoftilius , troifiéme
Roi ,
, que les Curies
s'affemblerent
pour
la premiere
fois , à l'effet
de juger
une
caufe privée. Le meurtre
de la foeur d'Horace
donna
lieu à cette convocation
extraordinaire
; le Prince
avoit nommé
à
Horace
deux Duumvirs
pour lui faire fon
procès
, ces Duumvirs
avoient
condamné
Horace
à mort ; il en appella
au Peuple ,
qui en faveur
de l'important
fervice
que
le Vainqueur
d'Albe
venoit
de rendre
à
l'Etat , le renvoya
abfous
; cela ſe paſſa
l'an 85 de Rome.
Ancus -Marcus fit bâtir une prifon pour
les malfaiteurs , placée vis- à- vis le Forum ;
il mit des impôts fur les falines.
Tarquin l'Ancien , Auteur de ces fameux
égouts , lefquels firent dire qu'il avoit
creusé une autre Rome fous Rome même ,
élut cent Sénateurs parmi les Plébéiens ;
le nombre de ceux choifis par Romulus
44 MERCURE DE FRANCE.
avoit crû jufqu'à trois cens , il y en eut au
tems de Tarquin quatre cens en tout ; il
fit pratiquer des Galeries & des Portiques
autour du Forum , c'étoit le lieu où s'affembloient
les Curies.
Sous Servius- Tullius , Rome qui étoit
déja devenue confidérablement plus grande
, fat divifée en quatre quartiers ou Tribus
; la Colline , la Subarrine , la Palatine,
l'Efquiline ; le Peuple fut partagé en ſix
clatles dont chacune en Centuries , elles
étoient formées de telle forte qu'en convoquant
par Centuries les affemblées , l'autorité
paffoit néceffairement aux Patriciens.
En effet les plus riches étoient dans
les premieres Centuries & opinoient les
premiers ; on ne prenoit les fuffrages des
fuivantes , que quand celles qui précédoient
ne s'accordoient pas entr'elles , ce
qui étoit rare ; à cette époque les Comices
par Curies furent entierement éteintes .
Enfin le crime de Tarquin le Superbe
fit que Rome ne voulut plus s'aflujettir à
la domination des Rois ; elle conçut pour
cux une horreur fiforte que les Souverains
de toutes les Nations s'en reffentirent.
Le regne des fept Rois de Rome avoit
duré 244 ans ; après leur expulfion Sextus
Papirius recueillit les diverfes loix qu'ils
avoient formées , ce recueil fut appellé le
OCTOBRE. 1753 : 45
Droit Papirien , fon autorité fut bientôt
abolie par la loi Tribunitia , de forte qu'il
n'en reste plus aucuns veftiges .
Aux Rois chaffés fuccéderent les Confuls
, ils eurent la même puiffance que les
Rois avoient eue. Comme eux ils rendoient
la justice aux particuliers , & exerçoient
le droit public concurremment avec
le Sénat & le Peuple , felon ce qui étoit
du reffort de l'un & de l'autre.
On n'avoit point de Tréfor public , Valérius
Publicola en établit un l'an 246 de
la Fondation de Rome ; il y propofa des
Quefteurs , autrement des Tréforiers des
Finances ; leur foin ne fe bornoit pas à
Pinſpection & à la garde des monnoyes ,
ils confervoient les Enfeignes & les Drapeaux
, ils pourvoyoient au logement des
Ambaffadeurs , ils étoient comptables de
leur geftion au Sénat.
Ce Tréfor , autrement dit Aërarium ;
fut placé dans le Temple de Saturne ; c'eſt
là qu'on dépofoit les Loix , les Sénatus
Confultes , l'Album des Décuties ( lefquelles
étoient marquées par les Cenfeurs ) les
libelles d'accufation , en un mot tous les
inftrumens de Mémoire publique.
Cependant le bas people accablé par la
dureté des Patriciens , aufquels toute l'au
torité étoit paffée , au moyen des Comices
46 MERCURE DE FRANCE.
par Centuries , eut avec eux de fréquentes
conteftations pour l'ordre du Gouvernement
; elles furent fecondées par Caffius ,
qui lors de fon troifiéme Confulat chercha
à s'affurer la bienveillance des Plébéiens ;
afin de fe les affervir , il demanda que les
terres conquifes fuffent partagées entr'eux
& les alliés de Rome. Le Sénat eut la foibleffe
d'accorder cette divifion aux Plébéiens
par le célébre decret Agraire ; Caffius
fut puni de fa témérité ; car auffi- tôt
après fon Confulat fini , il fut cité comme
perturbateur du repos de l'Etat , & en conféquence
précipité du roc Tarpéien .
Le décret Agraire néanmoins fubfiftoit ,
le Sénat en éloignoit l'exécution , le Peuple
ne ceffoit de la réclamer , on l'enrolloit
pour faire la guerre aux voifins ; voilà
toute la fatisfaction qu'il pouvoir tirer du
Sénat & des Confuls , tout étoit en combuſtion
, on ne fuivoit plus de loix , mais
de fimples ufages qui de jour à autre ſe détruifoient
par des coûtumes contraires.
Dans ces circonftances fâcheufes , il fut
réfolu qu'oa enverroit dix hommes à Athénes
, & dans les autres villes de la Gréce
pour y faire une collection des loix , qu'ils
croyoient les plus propres à calmer les
troubles de la République , & à la rendre
Aoriffante ; les noms de ces Décemvirs font
OCTOBRE. 1753. 47
rapportés dans le Canon 2. dift. 7. du Décret
de Gratien .
Ces Députés revinrent avec le choix
qu'ils avoient fait des meilleures loix de
Solon & de Licurgue ; on les grava fur dix
Tables d'yvoire , lefquelles furent expofées
au Peuple fur la Tribune aux Harangues
; on fut fi content du travail des Dé.
cemvirs qu'on leur accorda une année
pour ajouter à ces loix & les interprêter
ils fuppléerent à ce qui y manquoit par
deux nouvelles Tables ; on nomma dans la
fuite d'autres Décemvirs pour l'adminiftration
de la Juſtice.
Telle eft la fameuse Loi des douze Tables,
elle embrasfoit trois parties , le culte , le
droit public , le droit privé ; les Pontifes la
ratifierent avec des cérémonies religieufes
, le Sénat par un Décret , les Comices en
Centuries par un Plébifcite.
Cet ouvrage admirable ,
admirable , furtout par l'excellente
politique qui y regnoit , périt
dans les flammes , lorfque Rome fut faccagée
par les Gaulois ; on en raffembla quel
que tems après les plus précieux fragmens,
& du mieux que l'on put , on les grava fur
l'airain , & on eut foin de les apprendre
aux enfans dès le berceau .
Mais avant ce défaftre , la Loi des douze
Tables , avoit déja fouffert une dangé48
MERCURE DE FRANCE.
reufe atteinte , par l'interprétation que lai
avoient donnée les Patriciens avec de certaines
formules qu'il falloit fuivre à la let
tre , à peine de nullité ; par exemple , la
Formule de l'action petitoire , étoit H. E.
R. J. Q. M. E. A. ce qui fignifioit , Hanc
ego rem jure Quiritum meam effe aïo , celle
de l'exception fe trouvoit ainfi conçue A.
E. C. E. V. At ego contra eam vindico.
Appius Claudius , le plus éclairé & le
plus méchant des Décemvirs , inventa ces
differentes formules. Leur connoiſſance
revelée aux Patriciens étoit un fecret auffi
impénétrable pour le peuple que la ſcience
des Augures. Le Livre d'Appius fut furpris
par Gneus Flavius qui le rendit public,
& dévoila tout le mystére. De là le Droit
Flavien.
Lès Nobles ayant cherché d'autres Formules
plus ténébreufes & plus embaraffantes
, elles furent encore divulguées par
Sextius Ælius , fon ouvrage s'appella le
Droit Alien : ces deux collections fe font
entierement perdues.
Il y eut auffi d'autres difputes fur le vrai
fens des Loix des douze Tables ; on eut
recours à d'habiles Jurifconfultes pour
l'explication de ces Loix , mais leurs réponfes
furent prefque toujours contraires
les unes aux autres ; cette fçavante incertitude
OCTOBRE . 1753 49
certitude , fut honorée du nom de Druit
Civil.
Bientôt les Décemvirs qui avoient la
fuprême Magiftrature , devinrent des tyrans
, peu de tems après leur création , its
furent chaffés de Rome. Le libertinage &
les cruautés du même Appius dont on
vient de parler , ayant occafionné la mort
de Virginie , donna lieu à une fédition
qui fit changer tout à coup l'Etat & la Jurifprudence.
Excité par les plaintes de Virginie , indigné
de la fcélérateffe des Décemvirs ,
chargé de dettes , le Peuple fe défunit des
Patriciens , & fe retira fur le mont Aventin
; Menerius Agrippa lui fut député avec
neuf Sénateurs pour prendre des arrangemens
; c'est là qu'il fit fon bel apologue ;
le peuple en fut touché , & confentit de
rentrer dans Rome , à condition qu'il lui
feroit permis de fe nommer des Juges.
On ne les choifit au commencement
que dans l'ordre des Plébéiens ; on les
appella Tribuns , comme nommés par les
Tribus.
Ces Protecteurs furent originairement
au nombre de cinq , on en créa par la fuite
cinq autres ; ils arrêtoient toute décifion
du Sénat , par un feul mot Veto ou Vetamus ;
ils la confirmoient par un T. fignifiant les
Tribuns. C
so MERCURE DE FRANCE.
Parurent à peu près en même tems les
Ediles , ils connurent des poids & des
mefures ; ils furent encore chargés d'avoir
foin que les édifices fuffent alignés , &
d'empêcher qu'ils ne défiguraffent la Ville.
Ces Magiftcats s'élifoient dans les af
femblées du Peuple ; aſſemblées d'un nouveau
genre , & qui participoient beaucoup
desComices par Curies autrefois proferits.
Chacun youvroit fon avis fans être adftraint
à fuivre aucun rang pour opiner, ni aucune
diftinction d'âge & de fortune dans l'ordre
des fuffrages ; on les tenoit tant dans
la Ville que dans le Champ de Mars , &
il falloit abfolument les finir en un jour.
Ces nouveaux Comices étoient convoqués
à la diligence d'un Tribun ; on les appelloit
Comitia Tributa.
Les réfolutions qui y étoient formées
curent , comme celles prifes autrefois dans
les affemblées par Centuries , le nom de
Plibifcites ; mais d'abord elles ne lioient
que le Peuple dont elles étoient l'ouvrage ;
enfin la Loi Hortenfia voulut qu'elles obligeaffent
tous les membres de la République.
Ce qu'il y a d'étonnant , c'eft que le bas
peuple jaloux de faire lui même les loix ,
tranfmit au Sénat un pouvoir , pour la
confervation duquel il avoit difputé G
OCTOBRE . 1753 .
long - tems. Ces nouveaux Senatus- Confultes
fe rendoient fur la réquifition d'un
Conful , & portoient pour l'ordinaire le
nom de celui qui les avoit follicités ; par
exemple , le Trébellien , le Pégafien , le
Velleien , l'Ofician , furent ainfi appellés
à cauſe de Trebellius , Pegafus , Velleius,
Orficius , qui avoient requis ces fortes de
décrets.
Cependant les Confuls fe voyoient tour
à tour occupés au Sénat , à l'armée & à juger
les caufes des particuliers ; ils ne pou
voient fuffire à tant de foins , il fallut démembrer
une partie de leur pouvoir pour
en revêtir d'autres Magiftrats qu'on nomma
Préteurs , & qui furent uniquement
chargés de veiller au Barreau , leurs fonctions
furent renfermées dans l'exercice du
droit privé.
Si on croit Eufebe , les Préteurs commencerent
l'an $ 2 , après la publication de
la Loi des douze Tables , & le premier
qui parvint à cette dignité fut Sp. Furius
Camillus.
Quoiqu'il en foit , ils eurent les mêmes
marques d'honneur que les Confuls , ils
ne pouvoient d'abord être que de l'ordre
des Patriciens , mais les Tribuns qui devinrent
trop puiffans , firent paffer cette
dignité aux Plébéiens ; le premier Prêteur
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
choifi parmi ces derniers , fut Q. Publius
Phelo , d'un autre côté les Nobles ne dédaignerent
pas le Tribunat.
Tout l'office du Prêteur étoit renfermé
dans ces trois paroles , Do , dico , addico ;
il donnoit les actions , maniere impropre
de parler , qui ne veut dire autre chofe ,
finon qu'il les recevoit en décernant des
commiflions exécutoriales pour affigner ks
parties , il envoyoit en poffeffion , relevoit
les mineurs , les abfous , & cela regardoit
l'Empire pur , Imperium merum , qui de
droit appartenoit au Préteur , & étoit carac
térifé par le terme Do.
Au contraite dico & addico , fçavoir dico,
quand le Prêteur connoiffoit d'une affaire ;
addico , lorfqu'il ajoutoit à fon jugement
par l'exécution , regardoient l'un la Jurif
diction , l'autre l'Empire mixte , qui réfidoient
également & éminemment en fa
perfonne.
On trouve dans le Droit beaucoup d'ac
tionsPrétoriennes .Régulierement elles font
annales , à la difference de celles réfaltantes
des Senatus Confultes & des Plébifcites , de
la Loi des douze Tables , des réponſes des
Sages , parce que tous les ans on nommoit
un nouveau Préteur : chacun d'eux annonçoit
par un Edit gravé fur un carton blanc,
Album Pretoris , la maniere dont il exerçoit
la Jurifdiction ,
OCTOBRE. 1753 . 53.
Cette multitude d'Edits renfermoit néceffairement
beaucoup de contrariétés . Le
Jurifconfulte Julien réunit dans un recueil
très court & très clair , les meilleures actions
Prétoriennes , il en compofa le fameux
Edit perpétuel , fa collection n'étoit
point comme celle qu'avoit fait précédemment
Aulus Offilius fous Augufte ,
l'ouvrage d'un homme fans caractere ; elle
fut rédigée par les ordres du Sénat , & de
l'Empereur Adrien , auffi eut- elle force
de loi.
Au reste le même motif , qui avoit engagé
à dépouiller les Confuls d'une partie
de leur puiffance pour en revêtir les Préteurs
, détermina encore à augmenter le
nombre de ces derniers , tellement qu'au
lieu d'un feul Préteur , il y en avoit douze
à la fois au tems de Ciceron.
Les Romains avoient étendu les bornes
de leur Empire , on reconnut qu'un feul
Préteur ne pouvoit pas juger toutes les
caufes : la Préture quelque tems après fon
origine , fut d'abord partagée entre deux
Magiftrats , dont l'un demeura chargé de
terminer les differends qui furvenoient entre
les Citoyens , & porta le nom de Pretor
Url anus , l'autre fut créé pour appaifer
ceux des Etrangers , foumis à la domination
de Rome , & on l'appella Pretor-Peregrinuse
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
De nouveaux Etats conquis , & trop
éloignés pour qu'un feul homme pût juger
toutes les conteftations privées qui y naiffoient
, donnerent lieu à envoyer dans chaque
Province des Préteurs .
Ces Préteurs s'appellerent tantôt Proconfuls
, tantôt Provinciaux , tantôt Recteurs ou
Préfidens , voici à quelle occafion :
La Loi Sempronia mit enfin à exécution
l'ancien décret Agraire , elle ordonna que
les Provinces conquifes fe tireroient au
fort , & fe partageroient entre le Sénat &
le Peuple.
En conféquence de ce partage , le Sénat
envoyoit dans les Provinces qui lui étoient
tombées , des Préteurs qu'il qualifia du
nom de Proconfuls.
Dans celles échûes au Peuple , les Tribuns
députoient des Préteurs Provinciaux
qui avoient à vrai dire , la même autorité
que les Proconfuls.
Tibére enleva aux Tribuns le droit de
décerner des Provinces , il foumit celles
qui étoient au Peuple à l'autorité des Gouverneurs
qu'il nomma , de là ces Préteurs
appellés Rectores , Prafides : les Empereurs
qui vinrent après Tibére imiterent fon
exemple.
L'exercice du droit public , le pouvoir
de faire des loix , ne réfiderent plus fous
OCTOBR.E. 1753 . 55
les Empereurs , dans le Sénat & le Peuple ,
l'un & l'autre s'en défirent l'an 731 de
Rome , en faveur d'Augufte , le premier
des Céfars ; celui - ci eat l'attention de
communiquer les loix qu'il faifoit au Peuple
affemblé , afin de conferver par cette
formalité quelque image de République ;
mais fon Succeffeur abrogea ces aflemblées ,
fous prétexte que le nombre des Citoyens
les rendoient trop difficiles Se trop tumultueules.
Quant au Sénat , il commença à juger
en corps les procès importans , & furtout
ceux du grand Criminel ; par ce moyen
il perdit infenfiblement de vûe les affaires
politiques dont les Empereurs s'attribuerent
la connoiffance.
Le Droit Sacré leur fut pareillement
tranfmis , il appartenoit auparavant aux
Pontifes feuls ; les Empereurs s'emparerent
du Pontificat , ils furent par droit de fucceffion
Rois des Sacrifices.
Pour ce qui eft du Droit privé ordinai
re , ils en laiffoient l'exercice aux Préteurs ,
encore firent- ils des conftitutions dans les
affaires épineules , c'eft de ces loix dont le
Code eft formé.
Avant eux les Jurifconfultes ne répondoient
pas publiquement fur les queftions
qui leur étoient propofées , ils
Ciiij
56 MERCURE DE FRANCE.
donnoient de fimples avis , à peu près
comme font aujourd'hui les Avocats , &
dont par conféquent il étoit libre de s'écarter.
Augufte permit à quelques- uns d'expliquer
publiquement le droit ; Maffutius
Sabinus fur le premier à qui il accorda
cette permiffion ; beaucoup d'autres égalelement
autorifés fuivirent Maffutius ; lesnoms
des plus célébres font dans la Loi 2 ..
ff. de orig. Jur.
Les décifions mémorables de ces hommes
illuftres , qui prefque tous étoient des
plus grandes familles de Rome , amis des
Empereurs , ou recommandables par les
fervices qu'ils avoient rendus à l'Etat , furent
appellées Refponfa prudentum , il falloit
les fuivre & s'y conformer. C'eft de
leurs réponfes que les cinquante Livres,
des Pandectes font principalement compo
fés ils faifoient aufli des Formules tirées
des principes du Droit ; Gallus Equilius
paffe pour avoir inventé les plus heureufes.
A peine fut- il permis aux Jurifconfultes
du premier ordre , de répondre publiquement
fur le fens de la Loi , qu'ils le féparerent
en deux fectes , ce qui a occafionné
une foule d'antinomics dans le digefte :
Atcius Capito & Autiftius Labco en fu
OCTOBRE . 1753. 57
rent les chefs. Le premier obfervoit rigidement
les principes qu'il avoit appris :
le fecond , qui avoit l'efprit plus pénétrant
& plus fubtil , fit beaucoup d'innovations ;
cependant comme les Chefs de parti fourencore
moins divifés que ceux qui leur
fuccédent , les difputes furent beaucoup
'plus vives entre Sabinus , Succeffeur de
Capito , & Proculus qui remplaça Labeo ,
qu'elles ne l'avoient été entre Capito &
Labeo eux-mêmes ; auffi ces deux fectes .
ne font- elles connues que fous le doublenom
de Sabiniens & des Proculfiens , quoi .
que Sabinus & Proculus n'en fuffent pas
les auteurs.
Il s'en éleva une troifiéme pour les mettre
d'accord , ce fut celle des Hercifcundes,
lefquels tâcherent de concilier les uns &
les autres ; autant qu'il leur fut poffible , ils
prirent toujours le parti mitoyen . Juftinien
fe rangea de leur côté.
Le droit étoit donc compofé alors de la
Loi des douze Tables , des Plébifcites , des
Senatus Confultes , des Edits des Préteurs ,
des réponses des Sages & des Conftitutions
des Empereurs.
Ces derniéres s'étoient confidérablement
multipliées. Gregoire & Hermogenes les
réunirent en deux Codes fous Dioclétien ,
ces Codes contenoient les fefcrits & dé-
Coy.
5S MERCURE DE FRANCE.
crets des Princes , depuis Adrien juſqu'à
Conftantin,
Théodofe , le jeune , fit recueillir par les
plus éclairés Jurifconfultes de fon fiécle ,
les conftitutions faites depuis Conftantin
jufqu'à lui .
Mais ces trois ouvrages devinrent fuperflus
, parce que les loix qu'ils renfermoient
étoient obfcures ou ne s'accordoient
pas entr'elles ; auffi l'Empereur Macrin
qui étoit confommé dans l'étude de la Jurif
prudence , difoit il que pour ramener le
droit à des principes surs , il feroit à
il feroit à propos
de fuprimer tout ce qui avoit été écrit.
jufqu'alors dans ce genre.
Juftinien parut enfin , il mit la fcience
des Loix dans un nouveau jour, & la diftribua
dans le corps de Droit que nous fuivons
aujourd'hui , & qui a quatre parties.
D'abord il fit rédiger un Code de toutes
les Conftitutions depuis Adrien , c'est- àdire
, qui avoient été faites pendant le
cours de cinq cens ans , il le fit publier la
troifiéme année de fon regne ; il s'apperçur
que ce Code avoit été fait trop précipitamment
, il le fit revoir & corriger , il'
y ajouta cinquante décifions nouvelles ,
& le donna en cet état cinq ans après ,
fous le nom de Codex repetita prælectio
nis.
OCTOBRE. 1753. 59
Il y avoit trop d'excellentes chofes dans
la Loi des douze Tables , les Plébifcites ,
les Edits des Préteurs , les décrets du Sénat
, & fur tout dans les réponfes des Sages
pour ne pas les recueillir ; mais il falloit
beaucoup de choix , fingulierement
dans les décifions des Jurifconfultes , dont
les Livres montoient à près de deux mille
volumes. La Compilation abregée de toutes
ces loix forma le Digefte qui parut la
feptiéme année du regne de Juftinien ;
cette collection fut encore appellée du nom
de Pandectes , comme comprenant tout le
droit : tout y eft lié & digeré avec art &
méthode.
Juftinien ordonna enfuite qu'on fit les
Inftituts , ils renfermerent les élemens de
la Jurifprudence , & en font un précis
exact , quoique travaillé poftérieurement
au Digefte ; ils devinrent publics avant lui .
Pour parvenir à la compofition de ces
trois chefs -d'oeuvres , Juftinien employa
feize Jurifconfultes , dont les noms font
rappellés au Code de Jur, vet, envel. On
convient affez généralement que Tribonius
, qui étoit fon Chancelier , y eut la
meilleure part ; c'étoit un autre Appius , il
n'avoit pas le coeur auffi droit que l'efprit,
quelques - uns prétendent qu'il vendoit les
loix , du moins il eft certain qu'il en ac-
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE
commoda plufieurs felon les circonstances
où le trouverent fes amis , & ceux qu'ik
vouloit obliger. Ces interpollations fe
nomment des Tritonianifmes..
Dans le cours du refte de fon regne ,
-Juftinien fit encore 168 Conftitutions trèsétendues
, qui furent inferées dans le corps
de Droit , & qui font un fupplément du
Code ; on les appelle Novelles , non - ſeulement
, parce qu'elles font les dernieres
loix que cet Empereur ait compofées , mais
parce qu'elles dérogent prefque toujours à
la Jurifprudence , qui étoit en vigueur
avant qu'elles paruffent.
Tellement que le Droit Romain fe dif
tingue en trois fortes ; l'ancien , Jus vetus,
c'est celui du Digefte ; le nouveau , Jus novum
, c'eft celui du Code ; le dernier , Jus
noviſſimum , c'eſt celui des Novelles ; ces
Novelles furent écrites en Grec , & ont
été traduites en Latin , l'exactitude de leur
verfion leur a procuré le nom d'autenti
ques.
Ceux qui font nourris dans l'étude du
Droit Civil , & qui en connoiffent le beau
& l'admirable , s'étonnent à jufte titre ,
qu'après la mort de Juftinien cet ouvrage
n'ait cu lieu que pendant trois fiécles dans
l'Orient , & ait demeuré prefque ignoré
durant près de fix cens ans dans l'Occidents;
OCTOBRE . 1753 . 6x
Les uns attribuent ce malheur à l'embrafement
de Conftantinople , fous l'Empereur
Zenon , & à l'invafion des Goths , en Italie
, qui confommerent dans les flammes
tous les Livres qu'ils trouverent.
D'autres croyent que la jaloufie des Succeffeurs
de Juftinien , & fingulierement
de Bafile & de Léon le Philofophe , fut
caufe que cette immortelle compilation
demeura enféveiie dans l'oubli ; mais cette
derniere idée ne s'accorde pas avec le caractere
de Bafile , qui fut un grand Prince,
& à qui d'ailleurs on doit un abregé du
Code.
Quoiqu'il en foit , Charlemagne paſſe
pour être le premier qui ait témoigné vouloir
remettre le Droit Romain en vigueur.
Les ténébres épaiffes où les Sciences & les
Lettres étoient plongées lors de fon regne,
ne lui permirent pas de réaffir dans cedeffein
.
Les défordres de la guerre frent ce
que Charlemagne n'avoit pû exécuter. Lothaire
11. ayant conquis Melphe , dans
la Pouille , y trouva un exemplaire des
Loix Romaines , il en gratifia les Pifans ,
fes Alliés.
En conféquence de cette découverte ,
frenies profella en 1128 le Droit Romain
à Boulogne , il le fit d'abord de fon.
62 MERCURE DE FRANE.
fi propre mouvement ; il n'y fut autorisé ,
on en croit Berthold Nihufius, qu'en 1137 ,
Lothaire II . ayant ordonné par un Edit
que la collection de Juftinien feroit publiquement
enfeignée dans les Ecoles , &
fuivie au Barreau.
Dans le quatorziéme fiécle les Florentins
s'emparerent de Pife , & tranſporterent
à Florence les Pandectes qu'ils avoient
enlevé à leurs ennemis. La France ne voulut
point le céder à l'Allemagne & à l'ltalie
, elle eut auffi fes Docteurs ; ils font
connus.
J. Lacoste , fils , Avocat .
A Dijon , le 16 Avril 1753 .
La fuire au prochain Mercure .
VERS
A S. A. S. Mgr le Comte de Clermont ,
Prince du Sang , à l'occafion de fa Fête.
LA folemnité la plus chere ,
Du jour qui la voit naître éprouve le deftin ;
Eclatante , mais paffagere ,
Elle ne compte qu'un matin:
Il n'en eft pas ainfi de celle qu'on s'apprête ,
Grand Prince , à célébrer dans votre heureuſe
Cour ;
OCTOBRE. 63 1753 .
Pour la gloire & les arts dont vous êtes l'amour ,
Tous vous jours font des jours de fêre.
Le Chevalier de Laurès.
ICIC IC DE DE DE DE DE DE DE DE DE
VERS
A Mlle Gauffin , à l'occafion du rôle d'Aglaé
qu'elle a joué dans une Comédie nouvelle
, répréfentée à Berny , pour la fête de
SA. S. Mgr le Comte de Clermont , Prince
du Sang.
Q
Ue votre voix enchantereffe ,
Votre air naïf, votre délicatefle ,
Que tout , belle Gauffin , en vous plaît , attendrit !
On vous admire , on vous chérit ,
Vos charmes paflent dans ma Piéce ;
Par un preftige heureux qui voile la foiblefe;
Le coeur foupire & l'efprit rit.
Ainfi , quand zéphire careffe ,
Les bois , les champs que l'Aquilon flétrit ;
Le calme renaît , l'horreur celle ,
Tout s'anime , tout rajeunit ,
Et la ronce même fleurit .
Que n'embelliroit pas l'art joint à tant de graces !
Qui ,le vain Marfias , fur le Dieu da Parnaffe
Eût remporté le prix des Vers ,
Si vous euffiez prété vos accens à ſes airs,
Par le même.
64 MERCURE DE FRANCE.
說洗洗洗洗洗洗洗澡洗洗
ASSEMBLE'E PUBLIQUE
De l'Académie des Belles- Lettres de la Ro
chelle , tenue le
M
1753.
Gaſtumeau , Directeur , ouvrit las
Séance par un Difcours digne des
plus grands Ecrivains , dans lequel il
examine fi nous devons craindre pour
les Lettres , la même révolution qu'ont
éprouvée les Lettres Romaines .
93
"
"On ne poffede point , dit l'Auteur ,
de grands tréfors fans inquiétude . La
perfection où la France s'eft élevée dans
»les Arts de tout genre eft un bien dont :
wellè connoît le prix . Elle craint donc de
"le perdre , & dès- là il ne faut plus s'é-
» tonner qu'au premier danger qu'il pa--
» roît courir , on s'asme de toutes parts
pour fa défenſe.
" C'eft fur rout pour les arts de génie
que les alarmes paroiffent plus vives.
» Comme leur poffeffion a quelque chofa
» de plus flatteur pour l'efprit , qu'elle décide
beaucoup plus du mérite d'une na
tion , & que dépendante d'ailleurs d'u
» ne infinité de vûes extrêmement déli
ນ
cates , le trouble & le défordre s'y in--
troduifent d'une maniere prefque infen--
OCTOBRE. 1755. 6.5
fible , toute nouveauté y devient l'ob-
» jet de défiance & de précaution.
Telle eft le plus fouvent la fource de
» ces plaintes , qu'on entend s'élever for
» la corruption du goût plaintes qui
quelquefois fe font changées en cris
amers , & ont plus inquieté la républi-
» que des Lettres , que le fujet même qui
» les faifoit naître.
"3
"
n
" La fameufe difpute fur les anciens &
»les modernes fut une de ces entrepri-
» fes téméraires qui effraya le plus l'empi-
"
re Littéraire. Les grands maîtres alloient
» être abandonnés , on étoit menacé de
» l'anarchie , & tout étoit prêt à rentrer
» dans cette épaiffe nuit dont l'ignorance
avoit couvert le monde.
» Mais qu'avoit- on à craindre ? La guerre
fe faifoir à force ouverte : le fameux-
» adverfaire des anciens , trop foible pour
» la grandeur de fa caufe , ne gagna point
de terrein , & fit prefqu'autant de fautes:
» que de pas les deux grands hommes
» qui après lui entrerent en lice , & qui
>> auroient eu infailliblement raifon s'ils
» avoient pû l'avoir , ne donnerent pas
» à beaucoup près , à la difpute , ni autant
» de vivacité , ni autant d'étendue que
» Perrault : on réduifit la queſtion aux termes
du vrai , & après avoir reconnu
"
66 MERCURE DE FRANCE.
» qu'Homere & Platon avoient på tom-
» ber dans quelques négligences , on leur
» laiffa le nom de Divins , que leurs
» avoient décerné tous les fiécles....
"
Cependant la longueur de la difpute
accoutuma peu peu les efprits à des
» fyftèmes finguliers , fur le progrès &
» la chûte des Arts. On ne douta plus qu'il
» n'y eût un terme fatal , au de- là duquel
ils ne peuvent monter , & d'où enfin ils
» doivent defcendre , par notre inconf
" tance naturelle qui nous dégoûte de la
»perfection même , par la feule raifon
» qu'elle tend à nous fixer. On crut voir
» ce terme , on en marqua l'epoque : les
»
fiécles d'Augufte & de Louis le Grand
» parurent avoir fourni dans tous les gen-
» res des modéles achevés ; c'eſt à ce point
qu'on s'arrêta , & comme par un préju
"
"
gé déja fort ancien , on croyoit que tous
» les arts étoient tombés immédiatement
après la mort d'Augufte , il falloit par
» une conféquence néceffaire du fyftème ,
qu'ils dégeneraffent après celle de Louis
» XIV.
» La prévention ſe changea prefque en
» conviction on compara Auteur à Au-
» teur ; on nous montra nos Seneques
» nos Lucains , & tous ceux qui avoient ,
» dit- on , hâté dans Rome la décadence
» des Arts.
OCTOBRE. 1753. 67
» Croiroit- on que malgré les preuves
» éclatantes de goût & de génie qu'a four-
» nies notre fiécle ,pour la perfection de
» tous les objets des connoiffances humai-
» nes , cette crainte de les voir périr trou-
» ve encore place dans les efprits , & qu'on
la, fonde toujours fur le trifte évene-
» ment de la chûte des arts dans Rome ?
» Mais ceux qui craignent pour nous
un pareil événement , ont- ils affez réflé-
» chi fur les vrayes caufes de la corruption
du goût chez les Romains , & fur
» l'état actuel où fe trouvent les beaux-
» Arts en Europe ?
#
Examinons ces deux objets , & avant
» de nous livrer aux alarmes , voyons du
» moins fi elles font fondées .
Dans la premiere partie , après avoir
parcouru les cauſes auxquelles on attribue
ordinairement le déperiffement des arts
dans Rome , telles que la révolution du
Gouvernement , l'afferviffement de la République
, la dureté de fes maîtres , les
troubles & les divifions inteftines qu'exita
tant de fois la concurrence pour l'Empire
, & c. l'Auteur cherche dans Rome
même les caufes particulieres du défordre
: elle en fournit qui lui font propres ,
& qui fortent , pour ainfi parler , du fonds
de fa conftitution ,
68 MERCURE DE FRANCE.
Il s'arrête principalement à ces quatre
objets . Le caractere du génie des Romains,
le peu d'étendue qu'eut chez eux l'empire
des Lettres , même dans les tems les plus
heureux ; le peu d'objets fur lefquels ils
purent exercer leur talens ; le manque de
fecours pour les cultiver en falloit-il
" tant pour précipiter la ruine des Let-
» tres ?
20
Quoique tous les peuples ayent à peu
après les mêmes difpofitions pour les
» beaux Arts , on remarque pourtant que
» tous ne les cultivent pas de la même maniere
, & que chacun y porte fon carac-
» tere , & le goût dominant dont la na-
» tion eft affectée .
» Ceux que l'imagination gouverne
avec plus d'empire , fe livrent par préférence
à la Poëfie , & ne veulent dans
» les écrits que des fymboles , des peintu-
» res vives , des figures hardies ; tout s'y
traite en vers , la Philofophic , la Mo-
» rale , l'Hiftoire même.
"D'autres plus portés aux chofes de
» fentiment , femblent ne devoir chanter
» que l'amour & fes plaifirs.
» Tout ce qui eft du reffort de l'efprit ,
» tout ce qui refpire l'enjouement & la
» délicateffe , paroît dans une nation faire
le feul objet qui l'occupe , tandis que
OCTOBRE. 1717 .
و د
: 3 : 3. 69
l'autre uniquement livrée aux chofes
graves & férieufes , femble facrifier tout
» à la raifon , & ne fe plaire qu'aux ouvra-
" ges qu'elle a dictés.
» Je crois , fans prononcer trop hardi-
» ment fur le caractere d'efprit du peuple
» Romain , qu'on peut le ranger dans cet-
» te derniere claffe. Il avoit des moeurs ,
» & en général quelque chofe d'aufterė
» dans la conduite , l'ame naturellement
élevée & courageufe , le coeur dévoré
» d'ambition , & toujours au deffus de fes
» fuccès , quelque grands qu'ils fuffent ,
» une inclination vive pour toutes les cho-
» fes où il y avoit de la grandeur , une
» raifon exquife & folide , un jugement
sûr dans la conduite des affaires . Mais
» ces qualités mêmes , toutes eftimables
» qu'elles font , femblent exclure la viva-
» cité , l'enjouement , le jeu des paffions ,
» le defir de fe communiquer & de plaire ,
» le penchant à l'imitation , & dès là ôter
» à l'efprit une partie de fes agrémens &
» de fes reffources.
"
» Auffi les Romains , qui dans les ou-
» vrages férieux ont réuffi jufqu'à devenir
eux-mêmes d'excellens modéles , n'ont-
» ils eu que de médiocres fuccès quand ils
ont voulu traiter le fentiment ou don-.
» ner dans le badinage . Térence , lui même
"
70 MERCURE DE FRANCE:
33
dont le jeu eft par tout plein de fineſſe
» & de décence , a dans tout le tiſſu de
» les piéces je ne fçai quel férieux qui
fufpend ou amortit le plaifir des chofes
agréables & délicates qui y font répan-
» dues. Plaute qui avant lui avoit donné
plus de liberté au comique étoit fouvent
tombé dans la bouffonnerie plate & grof-
» fiere ; peut être eft- ce fa gayeté autant
que les pointes & les jeux de mots , qui
» lui a fait trouver un cenfeur fi rigide
» dans la Cour d'Auguſte.
» Croiroit -on que cette auftérité de
» moeurs , & ce goût dominant pour les
» chofes férieufes & raifonnables fit pref-
» que méconnoître aux Romains l'ufage
» des paffions douces & modérées , & que
» dans leur conduite comme dans leurs
» écrits , ils n'ont prefque jamais apperçu
» cette fituation de la ſociété , où ſans vi-
» ces comme fans vertus elle fait l'amufe-
» ment de tous ?
» Leurs femmes avoient de la fierté ,
» des fentimens , l'efprit d'une trempe auf-
» fi ferme que les hommes dont elles vou-
» loient partager la gloire & les travaux.
Calpurnie fit une harangue publique :
» Porcie , après la mort de fon mari , ava-
» la des charbons ardens : on leur permet-
» toit à peine les jeux innocens de la jeuOCTOBRE.
1753. 7%
nefle , & c'étoit pour elles un crime que
» d'y réuffir trop. Mais dès- là quelles difpofitions
devoient - elles apporter dans
» la fociété , leur orgueil comme leur vertu
en étoit le fléau , & à cet égard la
»fimple villageoife devoit , aux yeux de
Juvenal , l'emporter fur la mere des
33
» Gracches.
» Auffi dès que les richeffes eurent introduit
dans Rome le luxe & les plaifirs ,
on y paffa prefque fans milieu de la réferve
la plus auftere à la débauche la
plus groffiere. Toutes les productions des
» Auteurs en furent infectées , tout s'y pei-
» gnit fans ménagement & fans pudeur ;
& par un retour qui marque bien le
» penchant que nous avons à courir vers
» tous les excès , ceux qui tenterent de ta-
» mener les autres au devoir , en donne-
» tent des régles que perfonne ne put fui-
»vre.L'élévation des fentimens reparoiffoit
» dans les écrits , mais elle y étoit outrée
& gigantefque. Le plan de vertu qui
regne dans les ouvrages moraux de Sé-
» neque , femble avoir fourni le fond des
» idées & du ftyle des tragédies qu'on lui
» attribue; peut être a t'il paffé jufques dans
» l'économie & les expreffions ampoulées
» de la Pharfale.
» Ce qu'il y a de certain , c'eſt que la
72 MERCURE DE FRANCE.
.ןכ
و ر
vrages
forte d'efprit qu'ont eu les Romains ;
» n'a dû que très médiocrement étendre
l'empire des Lettres . Mille efpéces d'ouleur
étoient inconnues , ceux entr'autres
que produit le fimple amuſement
dans des fociétés fpirituelles & polies
, qui fçavent foumettre le plaifir ,
» les paffions , l'érudition même aux loix
de la bienféance .
?
De plus , ce goût qu'ils avoient pour
tout ce qui portoit l'empreinte de la
grandeur , après s'être exercé fur des ob-
» jets réels , & qui en étoient véritable
» ment fufceptibles , devoit être lui - même
une difpofition fort prochaine à donner
dans l'hyperbole & l'enflure , fur
» tout quand il étoit queftion de feindre
ou d'inventer.....
و ر
39
» C'est en partie à cette difpofition d'efprit
que nous devons ces déclamations
qui après le regne d'Augufte , firent pen-
>> dant fi long- tems prefque toute l'éducation
littéraire de la jeuneffe Romaine,
» Ouvrages bizarres , où l'art feul croit
remplacer la nature , où les mots tiennent
lieu des chofes , où des riens font
parés des plus riches ornemens de l'élo-
» quence ..... Comment les Romains ne
fe dégoûterent- ils pas de ce vain étalage
» des Rheteurs ? ....
39
»
» C'eft
OCTOBRE. 1753.
73 .
"
"
"
» C'est que dans ces déclamations ils
voyoient encore l'image de cette grande
éloquence , dont les Orateurs de la République
avoient fait ufage. Ils n'a-
» voient plus de Rois à accufer ou à défendre
, des citoyens plus grands que les
Rois à profcrire ou à fauver ... Mais ils
lifoient les difcours où s'étoient difcutées
» ces cauſes importantes , & pleins de leur
» antique grandeur , ne croyant pas que
» l'éloquence pût fans fe dégrader prendre
» un autre ton , ils aimoient mieux fein-
» dre des fujets qui s'élevaffent jufqu'à elle
, que de la faire defcendre aux objets,
» que leur fituation actuelle leur permet-
99
33
"
toit de traiter.
39
» Cette méprife dans le choix des fujets
» où l'éloquence devoit s'exercer, fut peut-
» être chez les Romains une des principa
» les caufes de la corruption du goût .
" Du moins nous fait-elle connoître com-
» bien peu les écoles Romaines fervoient
» aux progrès des Sciences .
..
C'est qu'en effet , les maîtres eux- mêmes
» n'avoient que très peu de connoiffances ;
» & où les auroient ils puifées ? Jamais
» les Sciences n'ont fait dans Rome que
» de médiocres progrès , & dans les tems .
» même les plus favorables , elles ne furent
cultivées que par le plus perit nombre ,
39
D
72 MERCURE DE FRANCE.
"
forte d'efprit qu'ont eu les Romains ;
» n'a dû que très médiocrement étendre
l'empire des Lettres . Mille efpéces d'ou-
» vrages leur étoient inconnues , ceux entr'autres
que produit le fimple amuſe-
» ment dans des fociétés fpirituelles & polies
, qui fçavent foumettre le plaifir ,
» les paffions , l'érudition même aux loix
de la bienféance .
?
De plus , ce goût qu'ils avoient pour
tout ce qui portoit l'empreinte de la
grandeur , après s'être exercé fur des ob-
» jets réels , & qui en étoient véritable
» ment fufceptibles , devoit être lui -mê-
» me une difpofition fort prochaine à don-
» ner dans l'hyperbole & l'enflure , fur
» tout quand il étoit queftion de feindre.
ou d'inventer.....
39
ور
» C'est en partie à cette difpofition d'efprit
que nous devons ces déclamations
qui après le regne d'Augufte , firent pen-
» dant fi long- tems prefque toute l'éduca-
» tion littéraire de la jeuneffe Romaine,
Ouvrages bizarres , où l'art feul croit
remplacer la nature , où les mots tien-
» nent lieu des chofes , où des riens font
» parés des plus riches ornemens de l'élo-
» quence ..... Comment les Romains ne
» fe dégoûterent- ils pas de ce vain étalage
des Rheteurs ? ....
» C'eft
OCTOBRE. 1753. 73.
» C'est que dans ces déclamations ils
voyoient encore l'image de cette grande
éloquence , dont les Orateurs de la République
avoient fait ufage. Ils n'avoient
plus de Rois à accufer ou à dé-
» fendre , des citoyens plus grands que les
Rois à profcrire ou à fauver ... Mais ils
» lifoient les difcours où s'étoient difcutées
» ces cauſes importantes , & pleins de leur
» antique grandeur , ne croyant pas que
» l'éloquence pût fans fe dégrader prendre
» un autre ton , ils aimoient mieux fein-
» dre des fujets qui s'élevaffent jufqu'à elle
, que de la faire defcendre aux objets,
» que leur fituation actuelle leur
permettoit
de traiter.
» Cette méprife dans le choix des fujets
" où l'éloquence devoit s'exercer, fut peut-
» être chez les Romains une des principa
» les caufes de la corruption du goût
» Du moins nous fait-elle connoître com-
» bien peu les écoles Romaines fervoient
» aux progrès des Sciences .
...
C'est qu'en effet , les maîtres eux -mêmes
» n'avoient que très peu de connoiffances ;
» & où les auroient ils puifées ? Jamais.
» les Sciences n'ont fait dans Rome que
de médiocres progrès , & dans les tems .
même les plus favorables , elles ne furent
cultivées que par le plus petit nombre ,
D
74 MERCURE DE FRANCE
»
le gros de la nation n'y prit aucune parti
» On ne peut gueres faire remonter
l'époque de l'introduction des beaux
» Arts dans Rome , plus haut que la fe-
» conde guerre Punique ; & combien en-
» core ces commencemens dûrent- ils être
» foibles ! ....
Ainfi ceux qui placent le commence-
» ment de la décadence des Arts dans Rome
, immédiatement après la mort d'Augufte
, ne leur donnent guéres que 200
» ans de durée.
"
» Il eft vrai que dans ce court intervalle
» l'Eloquence & la Poëfie furent portées
» au plus haut point de perfection ; mais
» les Sciences purent- elles , en fi peu de
» tems , faire un progrès égal ?
» Les Romains étoient un peuple de
foldats & d'efclaves. Durant les cinq fié-
» cles qu'ils pafferent à foumettre l'Italie ,
ils méconnurent prefque entierement le
refte du monde . ....
" Ils trouverent les Sciences dans la
» Grece , mais ennyvrés du ſuccès de leurs
armes au dehors , & troublés au dedans
» par les jaloufies du Sénat & du peuple ,
pouvoient- ils les cultiver avec quelque
» fruit ?.. Qu'on juge par la Géographie
du peu d'accroiffement des autres Scien-
» ces. Quand Polybe écrivit fon hiftoire
»
OCTO BR E. 1753. 75
20
a il fut obligé de voyager en Afrique , en
Afie , dans les Gaules , en Eſpagne , pour
s'affurer de la poſition des lieux dont il
» devoit parler ; & plus d'un fiècle après ,
Diodore de Sicile fut contraint d'en
» faire autant pour fon Hiftoire univer-
» felle.
Les beaux Arts même ne faifoient
»alors que des progrès très lents.
L'Auteur rappelle ici la ftupidité de ce
Conful , qui ayant fauvé de l'embrafement
de Corinthe des tableaux admirables, étonné
du prix qu'on lui en offroit , croyoit
que quelque vertu fecrette y étoit attachée ;
le mauvais goût du peuple , qui à la repréfentation
des plus belles piéces de Térence
, quittoit quelquefois le théatre pour
courir à des mimes ou des farceurs : l'aveu
que fait Virgile lui-même de la fupériorité
que la Grece avoit encore de fon tems
fur Rome , dans l'exercice de tous les arts ;
l'ufage où étoient les Orateurs d'y aller
étudier les Sciences , & c.
Combien peu de citoyens encore s'adonnerent-
ils à l'Eloquence & à la Poëfie
? Dans la lifte des grands Orateurs
» dont l'hiftoire nous a confervé les noms ,
on ne voit que des hommes Confu-
» laires , des Patriciens , les plus grands ,
les plus riches de Rome. L'Eloquence
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
» leur étoit néceffaire pour s'attirer l'ad-
» miration & les fuffrages du peuple ; mais
» pour arriver plus sûrement au but , il
» falloit parler à un peuple peu inftruit
» à qui l'art , la marche , & les ref-
» forts fecrets de l'éloquence fuffent en-
» tierement cachés ; car la furpriſe & l'ad-
» miration ceffent dès que l'objet eft con-
» nu , & il y a bien de l'apparence que
» ces harangues qui foulevoient fi facile-
» ment la multitude n'auroient eu que de
» très foibles fuccès , fi l'auditeur avoit pû
découvrir l'adreffe dont ufoient les Ora-
» teurs , pour lui infpirer ces mouvemens
furieux qui le jettoient hors des bornes
» du devoir. Les Prédicateurs de la Ligue
» trouveroient-ils aujourd'hui des audi-
» teurs auffi dociles que l'étoient ceux de
33
» leur tems ? ....
"
» L'Eloquence commença avec les trou
» bles de la République , lorfque les citoyens
les plus puiffans & les plus accrédités
fe faifoient des partis pour op
>> primer leurs concurrens : d'un côté les
» haines , les inimitiés , les accufations ;
» de l'autre , la néceffité de la défenſe dans
des cauſes où il s'agifloit toujours de fon
état & de fa fortune , & où il falloit
» répondre de vive voix par foi même &
» fans le fecours d'autrui ; le fuccès pref
>>
133
3
12
#
OCTOBRE. 1753 77
qu'infaillible qu'avoit auprès du peuple
, non pas l'innocent ou l'homme de
» bien , mais celui qui parloit avec plus
» de grace & d'éloquence ; le préjugé du
» fiécle qui ne croyoit dignes du gouver-
» nement que ceux qui tenoient le premier
rang parmi les Orateurs ; ce cri
» éternel de la fainteté des loix , de la ma-
» jekté du nom Romain dont retentiffoient
» les tribunes ; la foule qu'attiroit un ſpectacle
fi propre à nourrir la vanité & la
malignité du peuple ; tout cela dut nécef-
»fairement produire un grand nombre
» d'Orateurs , & tourner à l'étude des
» Sciences & des exercices oratoires l'édu-
» cation de la jeuneffe , que la naiffance
» & les talens appelloient aux premieres
» dignités.
» Mais une éducation fi fupérieure &
» dont le fuccès dépendoit d'une infinité
» de connoiffances qu'il falloit acquerir à
ود
33
grands frais , ne pouvoit guères être le
»partage du peuple. Auffi dès qu'Augufte
en pacifiant la République , cut fermé
» les routes à l'ambition des Grands , &
»que la tribune eut été forcée au filence ,
» il n'y eut plus d'Orateurs , & leur art
»tomba prefque dans l'oubli .....
" A la vérité , ce triomphe de l'éloquence
& les flateufes récompenfes qui y
Diij
76 MERCURE DE FRANCE.
"
»
» leur étoit néceffaire pour s'attirer l'ad-
» miration & les fuffrages du peuple ; mais
» pour arriver plus sûrement au but , il
falloit parler à un peuple peu inftruit , -
» à qui l'art , la marche la marche , & les ref-
» forts fecrets de l'éloquence fullent en-
» tierement cachés ; car la furpriſe & l'admiration
ceffent dès que l'objet eft con-
» nu , & il y a bien de l'apparence que
» ces harangues qui foulevoient fi facile-
» ment la multitude n'auroient eu que de
» très foibles fuccès , fi l'auditeur avoit pû
» découvrir l'adreffe dont ufoient les Ora-
» teurs , pour lui infpirer ces mouvemens
» furieux qui le jettoient hors des bornes
» du devoir. Les Prédicateurs de la Ligue
» trouveroient- ils aujourd'hui des audi-
» teurs auffi dociles que l'étoient ceux de
» leur tems ? ....
93
"
» L'Eloquence commença avec les trou
» bles de la République , lorfque les citoyens
les plus puiffans & les plus accrédités
fe faifoient des partis pour op
>> primer leurs concurrens : d'un côté les
» haines , les inimitiés , les accufations ;
de l'autre , la néceffité de la défenſe dans
des cauſes où il s'agifloit toujours de fon
» état & de fa fortune , & où il falloit
»répondre de vive voix par foi- même &
» fans le fecours d'autrui ; le fuccès pref
»
و ر
ע
OCTOBRE. 1753. 77
qu'infaillible qu'avoit auprès du peu-
» ple , non pas l'innocent où l'homme de
» bien , mais celui qui parloit avec plus
» de grace & d'éloquence ; le préjugé du
» fiécle qui ne croyoit dignes du gouver-
>> nement que ceux qui tenoient le premier
rang parmi les Orateurs ; ce cri
» éternel de la fainteté des loix , de la majefté
du nom Romain dont retentiffoient
» les tribunes ; la foule qu'attiroit un ſpec-
≫tacle fi propre à nourrir la vanité & la
malignité du peuple; tout cela dut néceffairement
produire un grand nombre
» d'Orateurs , & tourner à l'étude des
» Sciences & des exercices oratoires l'édu-
" cation de la jeuneffe , que la naiffance
» & les talens appelloient aux premieres
» dignités.
23
Mais une éducation fi fupérieure &
» dont le fuccès dépendoit d'une infinité
de connoiffances qu'il falloit acquerir à
" grands frais , ne pouvoit guères être le
»partage du peuple. Auffi dès qu'Augufte
en pacifiant la République , eut fermé
» les routes à l'ambition des Grands , &
que la tribune eut été forcée au filence ,
» il n'y eut plus d'Orateurs , & leur art
» tomba prefque dans l'oubli .....
»
و ر
» A la vérité , ce triomphe de l'éloquence
& les flateufes récompenfes qui y
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
» étoient attachées , avoient dû infpirer
» une très -vive émulation à plufieurs citoyens
d'un ordre inférieur , qui ne pou-
» vant le procurer une éducation fi recherchée,
s'attachoient du moins à cultiver les
parties de la Littérature qui étoient plus
» de leur reffort.
39
"
» C'est ce qui prépara au fiécle d'Augufte
ce grand nombre de Poëtes , d'Hif-
» toriens , qui voyant à leur tour leurs ta-
» lens accueillis , préférés même à ceux
» des anciens Orateurs dont on n'ofoit
» plus prononcer le nom , produifirent ces
chefs-d'oeuvre qui ont immortalifé leur
goût , & celui du Prince & du Minif-
» tre qui les protégerent.
وو
39
» Pourquoi de fi brillans efforts ne furent-
ils pas foutenus plus long-tems ?
Pourquoi ne proportionna- t'on pas les
» fecours aux fuccès ? comment ne prévicon
pas qu'une émulation qui avoit eu
» dans l'origine des caufes bien plus inté
» teffantes que les fimples regards du Prin-
» ce , & qui n'avoit percé qu'à travers
mille obftacles , dégénéroit bien vîte
fi l'on ne multiplioit les reffources & les
» facilités de l'éducation , qui elle même
» devoit naturellement multiplier les ama.
» teurs des Lettres ?
» Car ce font ces facilités qui ont tou
1
t
OCTOBRE. 1753. 79
»
"
» jours manqué à Rome. Les Rheteurs s'y
"éto ient introduits quelque tems avant
>> Ciceron : mais quelle école pour la jeu-
» neffe ! Prefqu'au moment de leur établif-
» fement ils s'attirerent le mépris des gens
» fenfés , & les Confuls furent obligés de
» mettre des bornes à leur licence . Cepen-
» dant c'étoient là les feuls maîtres que
l'on pouvoit commodément entendre.
» Une telle conftitution devoit expofer
» les Arts à une décadence inévitable ...
On fçait par quels dégrés ils font at-
» rivés à leur ruine fous les fucceffeurs
d'Augufte. Ces monftres qui immédiatement
après lui occuperent le thrône , ne
» favoriferent plus les lettres , quelques-
» uns meme leur furent contraires. Caligula
vouloit abolir les écrits d'Homere
"
"
& ôter des Bibliotheques publiques T-
» re- Live & Virgile : Neron affez fou
» pour fe croire le premier des Poëtes , &
» affez cruel pour punir en ce genre la ri-
»valité comme un crime , glaça les efprits,
» ou les força à s'envelopper d'un voile
» ténébreux qui déroboit toutes leurs gra-
"
» ces.
»
Mais ce n'étoient là que des momens
critiques , contre leſquels les beaux Arts
» auroient infailliblement prévalu , s'ils
avoient été plus répandus dans Rome.
Diiij
80 MERCURE DE FRANCE.
» En effet , un Gouvernement plus doux ,
» tel que celui de Vefpafien , de Trajan ,
» de Marc Aurele devoit les rétablir , s'ils
>avoient eu dans l'origine une confiſtance
plus fixe .....
» Pour donner plus de jour à ces preu-
» ves , il luffiroit de jetter les yeux fur l'é-
» tat des Lettres dans la Grece . D'où vient
qu'elles s'y font maintenues fi long-
» tems , & plufieurs fiécles après la chûte
des Lettres Latines ? C'est qu'elles y fu-
» rent plus répandues , que tous les ci-
» toyens les cultiverent , que les Acadé
» mies établies dans toutes les Villes y
» formoient la jeuneffe : c'est que toutes
» les Sciences , toutes les parties de là Lit-
"
térature y étoient enfeignées par d'ex-
» cellens maîtres , & que les Grecs naturellement
fpirituels & curieux , aimoient
toutes les belles connoiffances & s'y
appliquoient par goût : l'Eloquence &
la Poëfie faifoient l'amufement du peu-
» ple même : on y entretenait des fpec- i
tacles aux dépens de la République , &
» le plus indigent n'en étoit pas exclus ...
"
Dans la feconde partie du Difcours , M.
Gaftumeau indique , mais en géréral , nos
richelles littéraires , & les fecours infinis
qui de toutes parts s'offrent au génie , &
rendent l'étude auffi facile que commode.
OCTOBRE . 1753. 8 r
Toutes les Villes ont des écoles publiques
; les Bibliotheques , les cabinets
» des Sçavans , qui dans les Capitales ren-
» ferment des tréfors immenfes , ne font
pas fans quelque prix dans plufieurs Vil-
» les de Province.....
*
Un difcernement fin & exquis , un.
» vif attrait pour tout ce qui orne l'ef-
» prit & la raiſon , un goût éclairé de la
politeffe & des bienféances , plus pré-
» cieux peut-être que l'érudition même ,
»un ardent amour pour la gloire , for-
» ment aujourd'hui le caractere de toutes
» les nations de l'Europe.
Manquer-at - on de fujets & d'occafions
pour exercer fes talens ?
» D'un côté , une Religion fainte dont
les dogmes majeftueux & la morale fu
» blime ne fe déroberoient que trop à nos
regards , fi elle ne chargeoit fes orateurs
» de nous rappeller continuellement à el
» le , leur fournit un fonds inépuifable de
» fentimens , de pathétique , de vérités
impérieufes , d'invitations preffantes ,
» qui affurent à l'éloquence un fuccès mal-
» heureufement auffi durable que nos éga-
»remens & nos foibleffes .
33
» D'un autre côté , les haines , l'aveu-
» glement , l'intérêt , font retentir de leurs
» clameurs les tribunaux de la juftice : les
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
»
paffions s'y cachent avec art , le men
fonge même ofe y emprunter les couleurs
de la vérité : mais enfin la vérité y
triomphe , & elle doit fa victoire à l'E
loquence , &c.....
Je ne dis rien de la Poëfie , elle ne
" gagne pas à beaucoup produire ; fa fé-
» condité même lui nuit : il faut en ce
" genre ou des chefs d'oeuvre ou rien du
» tout , & les chefs-d'oeuvre font toujours'
rares Mais malgré cela l'Europe peut
» montrer d'excellens Poëtes , & même en
affez grand nombre , pour n'être pas à
» cet égard accufée d'indigence. Ce qu'il
»y a de certain c'eft que jamais l'art n'a
» été mieux connu ; que le goût de la
» bonne Poëfie eft aujourd'hui fi sûr & fi
répandu , que tout le monde eft en état
» de juger du mérite des Poëtes , & que
fans y penfer , les efprits fe tournent
» d'eux- mêmes aux figures & aux images
poëtiques , affez pour faire fouhaiter
que le penchant n'aille pas plus loin.
99
و ر
SP
...
Mais ce qui fait le mérite particulier
» de notre fiécle , c'eft que dans cette éten-
» due immenfe que renferme aujourd'hui
le cercle des connoiffances humaines ,
» nous n'admettons que des idées claires ,
des principes vrais , des raifonnemens
" exacts , des expériences fures. Tout ce
OCTOBRE. 1753. 83
qui fe cache dans l'obfcurité ou ne fe
»laiffe entrevoir qu'à demi , tout juge-
» ment confus , tout objet enfin que l'ef
» prit ne peut faifir d'une vûe ferme , eft
rejetté ou rangé dans la claffe des cho-
» fes douteufes & incertaines.
» Ce goût du vrai paffe dans tous les
» Arts : la feule nature eft en droit aujourd'hui
de guider la main des Ar-
» tiftes : elle eft elle-même le plus beau &
» le plus fécond de tous les modéles ....
"
» Quelle abondance , quelle variété d'i-
» dées ne doit pas produire cette multitu-
» de d'objets nouveaux que les Arts met-
» tent fous nos yeux , & combien le ſtyle
» en doit- il être orné & enrichi ? C'eſt de
cette fource que coulent dans nos bons
» ouvrages ces métaphores , ces images , ces
» comparaifons qui animent l'expreffion ,
» & donnent une efpéce de corps & de
» vie à des objets que fans leurs fecours
la vûe difcerneroit à peine.
L'Auteur ne diffimule point le reproche
affez juftement fondé qu'on fait à notre
fiécle , de vouloir briller & montrer de
l'efprit.
» Je fçais , dit -il , que cette fureur de
» courir après l'efprit eft un peu le mal de
» notre fiècle , que le brillant eft fouvent
» préféré au folide , & qu'à force de vou-
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
0
"
loir préfenter aux Lecteurs des chofes
» agréables ou délicatement rendues , on
s'écarte quelquefois de cette noble fimplicité
d'idées qui caractérisent la vérita-
» ble éloquence. Mais que ce petit défordre
» ne nous alarme point : il eft bien plus la
» preuve de notre abondance & de nos richeffes
, que d'un goût qui change ou qui
s'altere . Dans les maifons opulentes , le
fuperflu occupe autant que le néceflaire.
Un fiécle auffi éclairé que le nôtre peut
fans danger fe livrer à l'amufement :
d'ailleurs tous ces frivoles écrits où les
régles fe violent fans fcrupule , ne vi-
» vent qu'un jour , & les Auteurs eux - mê-
» mes ne les donnent pas pour bons . Le
goût eft fixé par de plus sûrs modéles :
les ornemens renversés dont fe
pare au-
» jourd'hui l'Architecture , ne nous fer
jamais oublier la majestueufe fymétrie de
la façade du Louvre , & fi quelqu'un
pouvoit craindre pour les beaux Arts ,
je ne lui nommerai point pour le raffu-
» rer les Rollin , les Montefquieu , les
Voltaire ; qu'il jette feulement les yeux
»fur le Difcours préliminaire de l'Encyclopédie
.
03
»
"
"?
M. Boutiron , pere , Chancelier , lut en-
Laite un Difcours qui a pour titre : Réflexions
fur les principes qui doivent guider
l'homme de Lettres.
1
OCTOBRE. 1753. 85
Il commence par établir qu'un homme
de Lettres n'eft vraiment eftimable qu'au
tant qu'il réunit la bonté & la droiture
du coeur aux talens & à l'agrément de l'efprit
, & il en conclut que l'homme de Lettres
qui veut rendre fes travaux utiles à la
fociété , & glorieux pour lui-même , doit
autant s'appliquer à remplir fon coeur de
l'amour de la vérité & de la vertu , qu'à
orner , embellir , élever fon efprit par les
belles connoiffances ; ce qui forme la divifion
de fon difcours .
» Je fçais , dit- il , que la diftinction du
coeur d'avec l'efprit n'eft qu'une préci-
» fion d'idées ; cependant comnie ces mots
repréfentent deux facultés de l'ame fuf-
» ceptibles de differens attributs , c'en eſt
»affez pour qu'on en puiffe faire la dif
tinction avec fondement . Le coeur de
»l'homme eft , s'il m'elt permis de parler
de la forte , la matiere de l'édifice dont
l'efprit eft l'ordre de l'architecture , &
»forme les ornemens qui l'embelliffent...
» Un coeur qui eft vrai & rempli de l'a-
» mour du bon , éleve l'efprit ; il le con-
" duit & l'empêche de s'égarer : l'efprit
polit le coeur , il le rend aimable : ainfi
» tour à tour ils fe rendent fervice . Où
» l'un d'eux manque d'être ce qu'il doit
» être , l'ouvrage eft imparfait , mais ave
"
.Mais
86 MERCURE DE FRANCE:
difference . L'homme qui ne péche que
» par l'efprit , eft encore eftimable ; celui
qui péche par le coeur ne peut , tout an
plus être qu'amufant , & fouvent il eft
>> pernicieux .
39
Après une courte digreffion fur le point
de fçavoir fi les idées font innées en nous ,
ou fi nous les acquérons par les fens , il
entre ainfi dans fa premiere partie.
» Se livrer à l'étude des Sciences & des
» Lettres par goût , uniquement pour oc
»cuper fon loifir , c'eft un amufement honnête
; s'y livrer dans la feale vûe de fe
» faire une réputation , c'eft vanité : ni
» l'un , ni l'autre n'eft vraiment eſtimable ,
quelque louable que foit l'amour des
» Lettres. Pour donner à ce travail tout le
prix qu'il doit avoir , il faut l'annoblir
» par un morif & des vûes propres à faire
refpecter la fcience , faire rapporter la
fcience à la vérité , & la vérité à Dieu ;
tel eft l'ordre des chofes , feul digne de
» la raison .
.
» Les premiers Sçavans l'ont compris de
la forte ; ils ramenoient à la morale ce
qu'ils acquéroient de connoiffances ;
» c'est par là qu'ils ont mérité le nom de
» Philofophes & de Sages....
37
39
Qu'importe de beaucoup fçavoir , f
l'on ne fait pas fervir les connoiffances à
OCTOBRE. 1753. 87
»la vertu , en eft on plus heureux ? le Sça-
>> vant qui fe conduit de la forte , n'eft pas
plus fage que l'avare qui amaſſe des richeffes
pour le plaifir de les contempler ;
» l'un & l'autre fe rendent inutiles le tré-
» for qu'ils poffédent ....
D
» On abufe de la Science dès que
» tu n'en eft pas le fruit....
"
la ver-
»Quel homme peut fe former de plus
» nobles idées de la puiffance du Créa-
»teur , que celui qui connoît mieux lat
grandeur & la marche de ces globes céleftes
, qui roulent fur nos têtes avec tant
» de majeíté , ou qu'un Phyficien attentif,
» qui , avec des yeux toujours appliqués .
» obferve la nature dans le détail ? Peut-il
» douter que des ouvrages où la puiffance
»& la fageffe brillent avec une magnificen-
» ce égale , n'ayent été produits pour une
fin , & par conféquent que l'homme
lui -même qui leur eft fupérieur , n'aie
» été créé pour une deftination qu'il doit
» s'attacher à remplir ?...
33
»
» Des objers non moins perfuafifs , s'offrent
aux réflexions du fimple Littéra
» teur : il lui fuffit de jetter un regard fur
» lui - même. Son efprit , fa raifon , font
coeur , tout lui découvre que fon origi
ne eft divine , & qu'il ne peut avoir d'autre
fin que l'être qui l'a formé . Mais
$8 MERCURE DE FRANCE.
par
quel éclat de lumiere ne frappera pas fes
yeux à la vûe de cette fociété fubfiftante
parmi les hommes , malgré le choc impé-
> tueux des paffions qui les agitent tous
avides de commander , prefque tous
» obéiffent. Animés leur intérêt particulier
toujours en oppofition entr'eux ,
»comment une difcordance prefque uni-
» verfelle , peut- elle produire l'harmonie ?
» n'eft il point étonnant que l'ordre de la
fociété naiffe du fein même des paffions
» qui la troublent ? c'eſt ainſi qu'à un efprit
qui réflechit , la confervation du
monde politique , ne prouve pas moins
la Providence que la confervation du
» monde phyfique .
"
» Mais s'il importe à la fociété que tout
» homme foit vertueux , elle у eft encore
» plus intéreffée par rapport à un hommie.
» de Lettres... .
» Il y a long- tems qu'on a dit que l'efprit
étoit au fervice du coeur , & on
a eu raifon de le dire . Quand le coeur
» eft mauvais , c'est beaucoup i l'efprit fe
» borne à l'excufer ; il fe rend prefque tou-
» jours l'apologifte de fa corruption . Il eft
rare qu'un homme de Lettres ne peigne
»fon coeur dans fes ouvrages , & qu'il ne
le juftific. Outre le penchant prefque
» invincible à parler de ce qui nous plaît ,
OCTOBRE. 1753. 89
» c'eft qu'on y gagne de fe confirmer foimême
dans le parti qu'on a pris ; car ce
» qu'on a fait adopter à d'autres , en paroît
» d'autant plus vrai ....
33
D
» Dans un Auteur voluptueux , d'un efprit
vif, leger , agréable , le coeur pein-
» dra fes fentimens avec des images rian-
» tes , parées des graces de la naïveté &
» de l'enjouement. C'eft la volupté elle-
» même qui s'offre aux yeux du Lecteur ,
» tantôt mollement couchée fur un lit de
» fleurs , tantôt dans l'agitation de l'yvrefle
» du plaifir.
ود
33
"
و ر »Sifonimaginationeftmoinsornée,
» que fon efprit foit plus férieux , mais
plas fort & plus élevé , ce fera des
par
raifonnemens qu'il enfeignera de fe li-
» vrer à fes penchans , & de fe débaralfer
" de toute contrainte ; il en fera un ſyſtê-
» me raifonné , qui aura pour principes le
renversement des vérités les plus fain-
"
» tes ....
2
» Quel bien au contraire ne peut pas
» faire à la fociété un homme de Lettres
qui en travaillant d'abord fur lui -même ,
» s'eft appliqué à perfectionner fon coeur ?
»oferai- je le dire ? il rend la vertu même
»plus refpectable , fon exemple entraîne.
» S'il écrit loin de fe permettre rien
qui puifle remuer les paffions , ou faire
و ر
>
90 MERCURE DE FRANCE.
» naître des doutes dangereux , il tire du
»fond des fujets mêmes les plus indiffe
» rens , de quoi faire briller la vérité &
" encourager la vertu ....
"
Obligé d'être toujours en garde con-
» tre lui - même , qu'un Auteur fage ne crai-
» gne pas de manquer de plaire par fa re-
» tenue. Les graces décentes & modeftes
d'un ouvrage où la vertu préfide , remplacent
avantageufement les faillies malignes
, ou les images trop libres d'un
» écrit licentieux. La vertu eft toujours
»pure , mais elle ne pouffe pas l'austérité
» au delà des bornes : elle admet quelque.
» fois à fa fuite des plaifirs paifibles & des
"
ود
39
ris innocens. Le chemin où me fait mar-
» cher une plume vertueufe , eft une campagne
cultivée , qui n'a pour ornement
qu'une noble fimplicité & fa verdure ;
mais elle me plaît , & plus long- tems, que
ces jardins fi bien fymétrifes où l'Art
» s'eft épuifé à varier les perfpectives...
» Si tous les gens de Lettres s'étoient
appliqués à perfectionner leur coeur , on
» n'auroit pas hazardé cet étonnant pro-
» blême , fi les Lettres ont moins fervi à
» épurer qu'à corrompre les moeurs....
"
M. B. paffe enfuite à fa feconde partie ,
dans laquelle il fe borne à des réflexions
générales fur la maniere de cultiver fon
efprit.
OCTOBRE. 1753. 91
Il confeille de ne pas fe livrer à de
grands efforts , i l'on ne fent en foi un
fond par lequel on puiffe être dédommagé
de fes peines , ou fi l'on n'eft conduit par
état dans la carriere.... » En multipliant
» les travaux , on force , dit- il , une terre
fablonneufe à quelque production ; mais
» la dépenfe furpaffe toujours le profit
» qu'on en retire .
38
İl confeille auffi de ne pas entreprendre
de tout fçavoir : » Il feroit à craindre
qu'on n'apprêt rien avec profondeur. Il
» vaut mieux être excellent dans un genre
» que médiocre en plufieurs... Cependant ,
» continue - t'il , fans ambitionner de tout
fçavoir , on doit s'efforcer d'acquérir au
» moins une teinture des principaux objets
des connoiffances de l'efprit hu
main. Quelque vafte que foit le pays des
» Sciences , & quoiqu'il foit partagé en
» un grand nombre de climats differens
"
»
il ne fait qu'un Empire ; tous ceux qui
» cultivent les Lettres font Concitoyens .
» Il est donc jufte qu'ils fe connoiffent les
uns les autres ; & pour cela ils doivent
» mutuellement voyager dans les differen-
»tes parties du pays qu'ils habitent : mais
" il eft de la prudence qu'ils reviennent
» enfuite au climat fous lequel ils font nés ,
» pour s'y fixer. Le tempéramment y cât
92 MERCURE DE FRANCE.
d'ordinaire plus fort. En courant fans
» ceffe d'un endroit à l'autre , on diffipe
» autant qu'on acquiert.
Après quelques réflexions fur la maniere
de diriger fes études , fur le foin
qu'on doit avoir de ne puifer fes premieres
connoiffances que dans les écrits des
meilleurs Maîtres , fans néanmoins négliger
dans la fuite les Ecrivains d'un moindre
mérite , M.B. en vient à définir le goût,
qu'il croit fe former infenfiblement par
cette lecture réflechie des bons ouvrages.
" Le goût eft , dit- il , ce difcernement
» vif , sûr , délicat , par lequel l'ame ap-
» précie les objets. Il fuppofe la folidité
» & la profondeur du jugement , mais il y
Dajoute la vivacité & la délicateffe . La
» vérité eft l'objet du jugement ; l'agré
» ment & la beauté font l'objet du goût.
» Le jugement fe raffermit par la difcuf-
» fion , & fouvent elle émouffe le goût ;
» c'eſt que le beau & le gracieux font comme
l'air que nous ne voyons pas ,
que nous fentons.
mais
" Ceci , continue l'Auteur , peut réfoudre
un problême littéraire propofé il y
» a quelques années , fçavoir fi c'eſt par- la
» difcuffion ou par le fentiment qu'on ju-
» ge mieux des ouvrages d'efprit. En ce
qui concerne la vérité , l'ordre & le rap-
30
OCTOBRE. 1753 .
93
port des idées , on en juge plus sûrement
» par l'analyfe & par la difcuffion ; mais
» le fentiment juge mieux de la beauté ,
» de l'agrément & de la fineffe des pen-
» fées , & le fentiment en cette partie fe
» confond avec le goût ; mais il y ajoute ,
33
car le goût n'eft parfait qu'autant qu'il
» réunit à la fineffe du fentiment lafolidité
» de la difcuffion....
30
و د
, on
3
» On reçoit de la nature le feu de l'ima
gination , le brillant de l'efprit , l'éten-
» due du goût ; mais le goût qui met en
»oeuvre ces heureux dons , forme les bons
» ouvrages ; on ne le reçoit point
» l'acquiert. Le principe de ce difcerne-
» ment qui fait le goût , confifte en cer-
» taines notions du vrai , du beau , du gra-
» cieux , du délicat , que l'ame ne par
» vient à s'approprier que par le fecours
» de ceux qui les ayant déja faifies y ont
» conformé leurs productions. Elles fer-
» vent à l'ame comme d'une efpéce de miroir
, qui en lui réflechiffant fes propres
» penſées , lui donne le moyen de les apprécier.
Telle une bergère qui trouve
» fous fa main les fleurs dont elle forme
fa parure ; elle ne choifiroit point celles
qui lui feyent le mieux , & ne les ajufte-
" roit point avec grace , fans le fecours du
crystal d'une fontaine....
"
94 MERCURE DE FRANCE.
23
C'est parce qu'on avoit oublié les
bons modèles , qu'on remarque tant de
»fautes & tant d'écarts dans les ouvrages
» des fiécles qui ont précédé celui de Louis
» XIV. quoique les Auteurs euffent de
»l'imagination , de l'efprit , quelques- uns
» même du génie . De là vient auffi que le
goût s'altére aifément par l'inconftance
» qui nous empêche de nous fixer , & de là
» vient encore que quand il eft perdu on
» le recouvre fi difficilement : il faut une
» révolution pour y ramener. On va tou-
» jours s'éloignant des bons modéles ,
parce qu'on ne remonte pas plus haut
que fes contemporains , ou qu'on eft en-
» traîné par la foule....
"
M. B. ajoute encore quelques autres réflexions
fur la néceffité d'affujettir les talens
au goût , & il finit
dire: » que
par
quoiqu'on ait du talent & du goût , cela
feul ne doit pas décider pour fe livrer à
» l'ambition d'être Auteur ; que l'homme
» de Lettres ne doit pas oublier qu'il eft
» Citoyen , & que c'eft à remplir plus par-
" faitement les devoirs de l'état où il le
>> trouve qu'il lui convient d'appliquer fon
fçavoir & fes connoiffances .... Quand
» rien n'oblige à écrire , pourfuit - il , il ne
» faut donner au public que du bon & du
parfait , ou du moins quelque chofe
OCTOBRE . 1753 95
d'utile... L'envie d'écrire , telle qu'elle
regne aujourd'hui , eft , ce me femble ,
» dans l'Empire des Lettres , ce qu'eft le
» luxe dans l'Etat politique. Il paroît ren-
» dre au - dehors un empire plus floriffant ,
tandis qu'infenfiblement il l'énerve &
" l'affoiblit . Il faudra bien enfin dans les
» fiécles qui nous fuivront , ou qu'on re-
» nonce au titre de fçavant , ou qu'on ou-
»blie jufqu'au nom d'une partie de cette
> multitude de Livres dont les Lettres font
furchargées.
Ce difcours fut fuivi d'un autre que lut
M. Durand de la Vaumartin , Préfident
du Préfidial , fur les avantages que la douceur '
procure à lafociété.
"La fociété , dit l'Auteur , eft la fource
» & l'origine de ces biens néceffaires , Lans
lefquels l'homme ne fçauroit vivre . Il
» fent qu'il fait partie d'un corps , dont
» tous les membres font liés entr'eux par
» des obligations réciproques. Trop foi-
» ble pour fe fuffire à lui -même , il faut
qu'il trouve dans fes femblables les fe-
» cours & les avantages qu'il ne pourroit
jamais fe procurer ; & par retour il doit
employer tous fes foins à contribuer au
" bien de la fociété.
»
A voir agir les hommes , on croiroit
» néanmoins que la fociété , loin de faire
96 MERCURE DEFRANCE:
l'agrément de la vie eft la fource de leur
" malheur. Les Sages les plus éclairés ne
» voyent qu'à travers le nuage de leur hu
» meur & de leur prévention ; d'autres ne
» cherchant qu'à s'aveugler & à pallier
» leurs défauts , envifagent comme une
» fuite néceffaire de la fociété les maux
qu'il dépend d'eux d'en bannir , & qu'ils
y répandent ou par caprice ou pour ſe
» fatisfaire . Jaloux d'un bonheur qui les
frappe fans trop examiner s'il eft réel ,
» ils cherchent à l'acquérir , & dans l'impoffibilité
où ils fe trouvent prefque
» toujours de l'obtenir , ils ne négligent
rien pour en priver ceux qui par induf-
» trie , ou par fageffe ont fçu le le pro-
39
curer....
M. de L. M. en difant que la douceur eft
le feul lien de la fociété , n'entend pas parler
» de la douceur chrétienne , qui fuivant
les préceptes de la Religion doit
être générale & fans bornes , qui fupé-
« rieure aux offenfes & aux injuftices ,
"comprend les ennemis & les perfécuteurs,
» & qui eft le principe de toutes les vertus
fociales ; il parle uniquement de cet-
» te douceur de caractere , qui marchant
toujours d'un pas égal & affuré , ſçait
éviter ou prévenir les maux que la difcorde
a préparés de tout tems à la focié-
» té ;
OCTOBRE. 1753. 97
té de cette vertu morale qui rendant
» l'homme doux , affable & maître de fes
paffions , lui fait envifager le commerce
»civil des hommes entr'eux , comme le
» moyen le plus propre à fuivre leur fureté
» & leur bonheur .
33
»
Après quelques réflexions , M. de L. M.
confidérant l'homme dans les differens
états où la nature l'a placé , fe propofe de
montrer que la douceur eft également
» utile & néceffaire à ceux qui ont droit
» de commander & à ceux qui doivent
» obéir ; que fes avantages fe font égale-
» ment reffentir dans le fein des familles
» & dans les fociétés particulieres , aufquelles
l'homme eft obligé de fe livrer.
"
و د
33
ور
» La douceur , dit M. de L. M. dans la
» premiere partie , eft le principe de cet
» ordre & de cette union qui font fleurir
»les Etats , & qui perpétuent leur durée ;
elle eft d'autant plus néceffaire que les
Empires ne fçauroient fe foutenir fans
»l'autorité d'une part & la fubordination
» de l'autre. L'autorité fans douceur eft un
joug troppefant pour l'homme : dépourvue
de la douceur , la fubordination n'eſt
» qu'une fervile crainte ; elle n'agit qu'avec
répugnance , & ne cherche qu'à fe
fouftraire à une autorité légitime.
"
» Fier de fon pouvoir , un Grand en
E
98 MERCURE DE FRANCE.
"
"9
fait-il fentir le poids par fes manieres
» dures & altieres ; un inférieur dont l'ef.
prit indocile fe conduit par fes foibles
lumieres , méprife- t'il le rang , la naif.
» fance , le pouvoir de fes fupérieurs ; ce
» n'eft de part & d'autre que faute de dou
» ceur dans le caractere ; auffi fans elle ne
» connoît on plus ni autorité , ni ſubordi-
» nation : mais que la douceur reprenne
» fes droits , l'autorité , paroiffant alors
» fans ce fol orgueil qui ne fert qu'à révol
» ter les efprits , la fubordination ne coû-
» tant plus d'efforts à celui qui doit obéir ,
» on verra renaître ces accords qui font
l'effence & l'être de la fociété.... 22
20
L'Auteur apporte en preuve l'exemple
de Rome. » Ces diffenfions & ces jaloulies
» qui partagerent fi long- tems cette Répu
blique en deux factions , celle du Sénat
» & celle du Peuple , auroient enfin, préci
» pité fa ruine , fi la douceur des Chefs ,
» des Orateurs , des Confuls & des Tri-
» buns n'eût ramené la paix , & fi la mo-
» dération n'eût fçu la perpétuer parmi
»les Citoyens qui fe croyoient tous libres
» & indépendans.... Dans quelles difpofitions
dûrent être ces ames hautaines
» lors de la révolution qui changea le
» Gouvernement de cette République , &
qui l'affervit enfin à l'autorité des Em
1
OCTOBRE. 1753.
99
pereurs ; la douceur fut feule capable
» d'arrêter les conjurations..... Célar &
» Augufte par leur clémence vinrent à
» bout de calmer les efprits , & ramene-
» rent à leur parti ceux qui y étoient le plus
» opposés.
Notre Hiftoire ne fournit pas à l'Auteur
des preuves moins heureuſes .
" La France , dit-il , Royaume depuis
" plufieurs fiécles le plus floriffant de l'Eu-
"rope ; la France , à qui doit- elle (on éten-
» due , fa force & le haut point de gloire
» où elle eft parvenue ? eft- ce à la valeur
» aux vertus guerrieres de fes Rois ? nos
» ennemis même n'en fçauroient difcon-
» venir le courage héréditaire dans cette
» augufte tige , leur a affez fait éprouver
» ce que peuvent les grandes ames , & les
:
triites effets de leur reffentiment , lorf-
» qu'il y va de leur gloire ou de l'intérêt
» de leurs peuples . Mais , il ne faut point
» craindre de le dire , la valeur feule de
»fes Souverains n'auroit jamais fait le
» bonheur de la Monarchie Françoiſe , fi
>> leur douceur & leur clémence n'eût conquis
plus de coeurs au - dedans du Royaume
, que leurs armes n'ont foumis d'en-
» nemis au-dehors. Louis XII . par l'heu-
» reux accord de toutes les vertus , mérita
également le titre de Jufte & de Pere du
E ij
100 MERCURE DE FRANCE:
و ر
و ر
Peuple. La bonté , la clémence d'Henri
» IV. l'ont rendu encore plus grand que
» fes vertus militaires qui lui ont attiré
» l'admiration de l'univers ; enforte , dic
» fon Hiftorien , qu'on doute encore aujourd'hui
, s'il a reconquis fon Royaume à
»force de combattre ou de pardonner . Louis
»XIV. dont les feuls deffeins faifoient
> trembler les Nations les plus éloignées ,
» ne devoit pas moins le furnom de Grand
»à fon amour pour fes Sujets , qu'à fes
brillantes & rapides conquêtes. Louis
" XV. enfin , modéle des Rois , quelque
35
ور
ود
و د
ود
puiffant , quelque redoutable qu'il ait pa
»ru dans la guerre , n'a fait paffer fes enne-
» mis de l'admiration à l'amour, que par fon
», affabilité , fa douceur & la bonté . Moins
jaloux de l'éclat de fes lauriers que de
l'affection des François , le furnom de
» Bien - aimé , qui lui a été donné à ſi juſte
titre , fera à jamais fa gloire & fon élo-
» ge ; furnom plus beau , plus grand que
» tous ceux de fes Prédéceffeurs , puifque
» pour le mériter il faut poffeder toutes
» les vertus , & ce qui fait les vrais Héros .
M. de L. M. paffant enfuite à fa feconde
partie , dit : De toutes les fociétés il n'en
" eft point dont les engagemens foient
plus étendus que celle qui nous unit par
» les liens du fang & par les fentimens du
ود
OCTOBRE . 1753 . 101
» coeur. Obligés de vivre enfemble par
» devoir & par intérêt , comment pour-
» rions- nous remplir nos divers engage-
» mens , fi par la douceur nous ne fçavions
» nous conformer à ce qu'ils nous prefcrivent
? c'eſt dans cette efpéce de fociété
» que les avantages de la douceur fe font
» encore mieux connoître ....
» Sans elle , quelque probité , quelque
» fentiment d'honneur qu'on eût , on ne
» pourroit entretenir l'harmonie..... Un
» homme dont la douceur fait le caractere ,
» peut feul répandre dans fa famille cette
paix & cette tranquillité , qui font éga-
» lement les charmes de la fociété , & le
» bonheur de la vie……….
»
Après un détail abregé des differentes.
circonstances dans lefquelles la douceur
contribue le plus à l'union des familles ,
l'Auteur paffe à l'amitié , qui eft un des
plus forts liens de la fociété , & montre
qu'elle n'eft pas moins redevable à la douceur.
""
"
» Sans elle il ne fçauroit y avoir cette
égalité d'humeur , cette uniformité dans
» les actions , cette conftance dans les fentimens
qui forment les noeuds de l'ami-
» tié..... Quelque forts cependant que
» foient les liens de l'amitié , l'intérêt particulier
les briferoit bientôt , s'ils n'é-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
ور
ود
» toient refferrés par la modération. Un
» caractere violent , ou qui rapporte tout
»à lai , ignore les droits de l'amitié , ou
» fe trouve gêné dans les devoirs qu'elle
»impofe.... Les qualités du coeur & de
»l'efprit font le mérite de l'homme , elles
» le repréfentent tel qu'il eft , & le pei-
"gnent avec des couleurs fi naturelles
» qu'il eft comme impoffible de s'y trom-
" per. De toutes ces qualités , la douceur
» eft celle qui fe fait le plus remarquer .
» Celui qui la pofléde , trouve le fecret de
» plaire fans contrainte & fans effort....
» Le bonheur de fe faire aimer dépend en
» effet , plutôt des façons douces & infi-
» nuantes que de toute autre qualité ; la
» douceur attire l'eftime & l'amour d'un
chacun , elle a des charmes aufquels on
» ne peut réfifter.
"
"
La troifiéme partie commence par ces
réflexions. L'homme naît avec le défir
» d'être heureux ; livré à lui -même , com-
» bien ne trouveroit- il pas de momens
» vuides ? la trifteffe & l'ennui l'obféde-
» roient fans celle , fon imagination & fes
» fens feroient dans une efpéce de lan-
" gueur ; loin de s'élever au deffus de tout
» ce qui refpire , il ne feroit que ramper ,
» & fa raifon qui doit faire fon bonheur ,
ne ferviroit qu'à le rendre encore plus
OCTOBRE. 1753. 103
» malheureux : il n'y a que la fociété qui
» puiffe lui procurer les agrémens de la vie.
"
Qu'il ne regarde pas néanmoins ces agré-
» mens comme fon bien propre & com-
» me lui appartenant de droit ; ils font
» partie du commerce civil ; c'eſt une efpéce
de préfent que les hommes fe font
réciproquement , & celui qui n'y met
» pas du bien ne doit pas y participer...
ود
و د
و ر
M. de L. M. fait voir enfuite qu'un homme
fans douceur ne peut être d'aucune
utilité à la fociété , & il ajoute : » Ce
» n'eft qu'en s'accommodant à l'humeur
» des autres qu'on peut vivre avec eux .
» La parole , don le plus précieux après la
» raifon , que l'homme ait reçu de la na-
» ture , lui feroit un préfent funefte , ſi el-
» le n'étoir miſe en oeuvre par la douceur,
» Sans cela la faculté de s'énoncer & de
"
converfer avec fes femblables , feroit
» une fource intariffable de divifions.....
» Que deux hommes également brufques,
également cauftiques , également contra-
» rians , fe trouvent ensemble , ils ne pour-
»ront fe fouffrir : qu'il paroiffe un hom-
» me d'une humeur douce , modérée , complaifante
, les contradictions ceffent , la
» converfation recouvre les charmes & fes
agrémens....
23
33
La politeffe & la bienséance qui font
E iiij
104 MERCURE DEFRANCE .
ور
و د
»
» une fuite naturelle de la douceur , fer-
» vent auffi à en retirer les avantages ; dans
» leur effet elles font les mêmes , mais leurs
régles changent fuivant l'humeur & le
» caractere des Nations. Semblables à ces
» loix arbitraires que les peuples fe font
impofées , elles obligent feulement ceux
» qui s'y font foumis . Parmi nous un An-
» glois , quelque politeffe qu'il ait , fera
» gêné : chez les Etrangers un François ne
paroîtra pas affez réfervé. L'un & l'autre
plairont pourtant , s'ils ont cette
» douceur qu'exige la politeffe de toutes
" les Nations , & ils fçauront également
» fe concilier l'eftime & la bienveillance
» de ceux avec qui ils feront obligés de
>>
» vivre....
وو
» Mais il ne faut pas confondre la poli-
» teffe avec la fauffe douceur , & la lâche
» complaifance qui encenfe le vice comme
» la vertu , défauts également contraires à
la fociété....
ور
M. de L. M. finit par le portrait d'un
homme dont la douceur fait le caractere
foutenu ; douceur qui lui fait goûter les
vrais plaifirs , qui les communique aux
autres , & qui les affranchit des dégoûts
qui paroiffent en être inféparables.
Ce Difcours fut auffi fuivi d'un autre
que lut M. Gilbert Procureur du Roi
OCTOBRE . 1753. 105
à la Police , fur les dangers de l'émulation .
» Le but des Académies , dit - il , eft de
» contribuer aux progrès des Sciences &
» des Arts : quelle obligation pour ceux
qu'elles affocient à ce généreux deffein !
» A-t'on juftifié un choix honorable , c'eſt
» alors leulement qu'on peut fans rougir
>> prendre un titre qui doit fervir de ré
compenfe & d'éguillon aux talens . Réflexion
affligeante , quand on est éga-
» lement convaincu, de fes devoirs & de
» fon infuffifance. Mille routes s'offrent ,
toutes plus attrayantes , mais la timidité
ne permet pas de s'y engager , ni la
» foibleffe de s'y foutenir l'exemple mê-
» me , quand il eft au deffus des forces , in-
» timide plus qu'il n'encourage.
23
"
ກ
» Laiffons donc le foin de preferire des
régles à ceux qui font en état de les fui-
» vre , de dévoiler la nature à ceux pour
qui elle n'a point de myftere fecret , de
» débrouiller le cahos de l'Hiftoire à ceux
» qui ont affez de difcernement pour voir
» la vérité , affez de force d'ame pour la
» dire. Le langage des Dieux n'appartient
qu'à ces génies infpirés , en qui les
» meurs épurées font le plus digne pré-
» fent du Ciel ; plus glorieux des couron-
» nes qu'ils reçoivent des mains de la vertu
, que des lauriers dont les Mufes ont
-
E v.
106 MERCURE DEFRANCE .
» tant de fois chargé leur front. Il n'appartient
d'apprécier les Littérateurs de
» tous les âges , & de leur affigner des places
, qu'à ces maîtres qui pourroient occu-
""
» per
33.
les premieres. Enfin , c'eft à ces efprits
réfléchis qui ont percé les profondeurs
du coeur humain , à nous dévelop
» per l'autorité & les préceptes de la mo-
» rale. Heureux de trouver dans leur pro-
» pre coeur les traits dont ils peignent la
» vertu , & de ne voir qu'à leur imagi-
>> nation , les couleurs dont ils chargent le
» vice.
ود
Après un retour de défiance fur lui- même
, le nouvel Académicien hazarde quelques
réflexions fur l'imitation : elles font
le fruit de l'étude des Anciens & de la lecture
des bons modernes . Les ouvrages du
jour trouvent leur place dans fes obfervations
judicieufes .
59
La galanterie , dit- il , & ce qu'on ap-
»pelloit alors une affaire d'honneur , &
plus communément aujourd'hui une af-
» faire malheureufe , faifoient parmi nos
» ancêtres la réputation d'homme à la mode.
La politeffe de notre fiécle a fubfti-
» tué à cet ufage , l'obligation moins coû
» teufe d'acquérir le titre d'Auteur . On
»> ne peut parvenir au temple de Mémoire
fans le fecours d'une brochure. De là ce
OCTOBRE, 1753. 107
déluge d'opufcules groffis à un tel point,
» que l'homme le plus laborieux ne peut
» pas même avoir la fcience des préfaces.`
» Dès que la Religion & les moeurs y font
ménagées , la multiplicité des Livres
» n'eft pas un fi grand mal qu'on le pen-
» fe , elle prouve du moins nos richeffes
» littéraires.
»
"
» On peut
les comparer
aux cabinets
cu-
» rieux
de nos
Craffus
, où après
vous
» avoir
fait courir
une fuite
de médaillons
» d'or & d'argent
, des buftes
de jafpe
&
» de porphyre
, des
tableaux
des plus
grands
maîtres
, on vous
conduit
à une
» armoire
de
chenilles
& de
papillons
,
» dont
la collection
eût abforbé
une for-
» tune
médiocre
. Quel
malheur
, fi notre
» goût
pour
les frivolités
convertiffoit
tout en papillon
! C'eſt
toutefois
l'écueil
qui perd la plupart
des
Auteurs
nouveaux
nés . Ils ont vu le Public
s'arra-
» cher
Tanzaï
, dévorer
le Sopha
, épuiſer
» dix éditions
d'Angola
; jaloux
de la réputation
brillante
de bel efprit
, c'eſt
>> fous
ces maîtres
trop
féduifans
qu'ils
» font
leurs
Académies
d'écrivains
à la
» mode . Mais , quoi ! l'empire
de la mode
» s'étendroit
donc
jufques
fur l'efprit
11
» faudra
penfer
, parler
, écrire
comme
» l'auteur
de cinq
ou fix brochures
, ou fe
E vi
108 MERCURE DE FRANCE .
» voir condamné à garder le filence , ou à
» n'être point écouté .... Je ne puis m'enpêcher
de renoncer au patriotifme , &
» de me réunir aux partifans de l'antiqui-
» té en faveur des Grecs , chez qui on ne
» demandoit que de la fincérité aux Hif
» toriens , de l'imagination aux Poëtes ,
» & du bon fens aux Epigrammatiftes.
22
ود
">
» Je fuis trop bon François pour cenfurer
avec févérité le frivole. Aufi les co-
» lifichets m'amufent- ils chez cet Auteur
léger & enjoué , qui leur communique
plus d'agrémens qu'il n'en reçoit ; mais
» par réflexion , je fuis fâché de les trou-
" ver chez cet Auteur fenfé , dont la beaupoar
fe trop mâle de ces graparer
» ces enfantines . En un mor , malgré la
» faveur de la mode , les frivolités ne
» peuvent le foutenit feules. Les pantins
» té eft
ont tombé , parce qu'ils n'étoient que
»pantins. Quand les Arts ont réuffi par
leurs preftiges à rendre intéreffans des
objets qui l'étoient peu d'eux mêmes , on
leur a fait grace de la frivolité en faveur
de l'intérêt , & ces puériles amuſemens
font devenus dignes de l'admiration des
Sçavans même.
»
22
Peu tranquille fur ces précautions contre
le goût du frivole établi dans notre
fiécle , Monfieur Gilbert qui n'a indiqué
OCTOBRE . 1753. 109
jufqu'ici que la ftérilité de l'imitation , y
voit encore des dangers réels qu'il préfente
ainfi
≫
» Que de gens affoibliffent leurs talens
naturels par une mauvaife imitation ! Ils
auroient pû être de bons originaux , &
» ils fe réduifent au rôle obfcur de pitoyables
copiftes. Heureux encore s'ils mar-
» chroient d'après d'excellens guides ! C'eſt
» à quoi devroient faire attention ces
» Auteurs à la mode , doublement coupables
d'avoir mal choifi leurs modéles , &
>> d'en donner encore de pires à fuivre. Si les
copiftes , du moins , faififfoient les traits.
avantageux de leurs modéles ! ... Mais
» non ; ils outrent leurs excès :.on ne rend
» que les ombres groffieres du tableau . Tel
» n'imire Corneille que dans fes vers ampoules
; tel ne prendra de Marot que
lon ftyle gothique.
23
D'où vient que chaque nation s'eft
» formé un caractere particulier dans la
Littérature , qui donne toujours un air
"national à fes Auteurs ? L'Allemand fe
» croit riche dès qu'il a beaucoup ; l'Eſpagnol
, dès qu'il imagine du grand
l'Italien , dès qu'il a du brillant ; l'An-
» glois , dés qu'il conçoit du rare ; le Fran-
» çois , dès qu'il enfante du neuf.
Dirons- nous que la nature , quoique
110 MERCURE DE FRANCE.
n
n
prodigue envers les hommes , économi-
» le cependant les faveurs , & difperſe ſes
tréfors pour le plaifir de la variété ? ne
" nous en prenons qu'à l'imitation. Lu-
» cain a formé les Elpagnols ; Seneque ,
» les Anglois ; les graces d'Ovide ont far-
» dé les Italiens ; nous fommes originaux ,
39
& la plupart du tems nous ne reffemblons
» pas à nous-mêmes. Par tout ailleurs les
Ecrivains confervent un caractere per-
» manent ; ils fe tranfmettent d'âge en âge
» un goût qui indique toujours le terroir ;
» chez nous tout varie jufqu'aux régles du
goût , quelque invariables qu'elles duf-
» fent être. Que ne puis- je dater par
Olympiades , pour mieux fixer les épo-
» ques de nos révolutions littéraires ? en
revanche , rien de plus monftrueux que
» le goût , le ftyle , la matiere même des
» ouvrages da jour.
>>
ور
Qu'on ne fe laiffe pas éblouir par le
» fuccès de quelques imitateurs. Mettez à
part ce qu'ils doivent à leur génie , il
» ne refte rien au mérite de l'imitation. La
» Fontaine effaça Bocace dans prefque
tous les fujets qu'il traita d'après lui .
» Où l'un & l'autre eft original , Bocace
» foutient trop bien l'équilibre , il auroit
» eu fa revanche s'il avoit travaillé d'après
la Fontaine. Bocace nous a donné Jocon-
33
OCTOBRE. 1753 .
de prefque fans autre parure que celle
» que la beauté tient toujours de la nature,
» & cependant elle parut charmante. La
» Fontaine donna à fon négligé un air qui
fentoit moins la négligence : fi Bocace
» l'eût vû dans cet état , il étoit trop bon
» connoiffeur pour ne pas fentir ce que la
» nature doit à l'art ; & je ne doute pas
» qu'entre les mains , une fleur artife-
» ment placée n'eût ajoûté de nouvelles
» graces à des attraits d'eux - mêmes fi touchans.
Encore une fois , fi ces grands
» maîtres ſe fuffent copiés fucceffivement
» l'un l'autre , à quel dégré de perfection
n'auroient- ils pas porté leur art.
» Voyons le Brun & le Sueur aux prifes
3 chez le Préfident Lambert. Le Sueur mit
» dans fon cabinet des Mufes un coloris
»féduifant , feule perfection qui manquât
» à ce grand homme ; & le Brun mit dans
» celui de l'Amour une correction de def-
» fein , à laquelle il n'avoit pû atteindre
jufqu'alors . L'un des deux ouvrages rend
raifon de la force pittorefque qu'on dé-
» couvre dans l'autre.
"
»C'eft à de pareils génies qu'il appar-
≫ tient d'imiter avec fuccès : ils étoient
» nés pour créer l'art qu'ils ont enrichi,
» Si quelques- uns font allés plus avant
20 dans la carriere que leurs prédéceffeurs ,
112 MERCURE DE FRANCE.
" c'eft qu'ils font partis d'un terme moins
éloigné du but. Il faut fentir ce génie
» créateur avant d'imiter , alors les modéles
deviendront des guides qui entraî-
» neront à la gloire , & les imitateurs ne
»feront plus des efclaves rampans fur les
» traces de leurs maîtres.
"
» L'imitation inftruira des régles de
» l'art , mais il faut que la nature ait com .
mencé l'ouvrage , afin que l'art puiffe
» l'achever. Homere feul a eu le génie
» d'Homere ; Scarron feul a eu le fien ;
» (qu'on me pardonne le contrafte ) ils fe
» feroient mal tirés de leur perfonnage s'ils
" en avoient changé . Il faut être original
» pour percer Le premier devoir d'un
homme qui afpire à la gloire littéraire
» eft donc de le mettre à fa place , alors
» il lui eft permis d'imiter ; mais qu'il fe
» fouvienne qu'il n'y a que ceux qui font
» en état de fe paffer d'un modéle , qui
puiffent s'en fervir avec fruit . 23
ל כ
» Rien ne nous fait mieux fentir les
dangers de l'imitation & les inconvé-
" niens de la mode dans les Sciences & les
» Arts , que les écarts de tant de Sçavans .
» Nous voyons des fiécles entiers dévoués
» au mauvais goût. Quiconque aura le cou
rage de s'engager dans l'immenfe déda-
» le des in -folio , s'étonnera encore plus de
n
OCTOBRE . 1753. 113
» leur indigence , en voyant qu'il ne te-
» noit qu'à eux d'être riches. Tous ces lit-
» térateurs gothiques ont vû des objets
ود
29
trop éloignés , pour que nous les accu-
» fions de n'avoir pû appercevoir ceux qui
étoient en deça . Neron , génie auffi tyranique
dans l'empire des Lettres que
» dans l'empire Romain , profcrivit éga-
» lement les loix de la vertu & les régles
» du bon goût. Sous fon regne on crut
» que pour être grand il falloit être gigantefque.
Lucain , entraîné par le goût
» dominant , imita fes concurrens , & les
furpaffa ; peut-être eût il égalé Virgile
» fous le fiècle d'Augufte.
و د
23
» La difficulté de fuivre de grands mo-
» déles détourne , fans doute , les Aureurs
» commençans , de la plus sûre & peut-
» être de l'unique voye de réuffit. Le dé-
»couragement eft fouvent près de la té-
» mérité. Ce fonds de vanité qui nous jet-
» te dans les hazards d'une brillante car-
» riere , s'épuife & nous trahit dans le
» cours d'un travail long & pénible .. Si le
» feu de l'imagination nous emporte quel
quefois au - dela de nos forces , fi on
juge alors du prix des chofes par ce
qu'elles ont coûté , & qu'on le paye de
» la peine d'un ouvrage par l'estime qu'on
» lui donne , ce n'eft qu'une évaluation
39
و و
»
114 MERCURE DE FRANCE.
» imaginaire , & l'Auteur qui le foir s'eft
» couronné de fes propres mains , fe dépouille
fouvent lui-même de fes lau-
» riers à fon réveil. Le même amour pro
39 pre fait fuccéder une rigueur outrée à
une extrême indulgence . Il a honte de
» s'être applaudi gratuitement ; il rougit
» alors de ce qui doit faire rougir fes ri-
» vaux . Comment fe produire aux yeux
» du Public , quand on voudroit fe déro-
»ber à fes propres yeux ? C'eft à un ami
» éclairé de ménager les intérêts du Pu-
>> blic , & la modeftie de l'Auteur. Le voi-
» le de l'anonyme pourra les concilier.
» Une déclaration à une perfonne qu'on
refpecte , fe pardonne fous le mafque.
» Eft- ce le même principe qui a introduit
» l'ufage des effais , fous le nom de traduc-
» tion ? Si l'on ne prétend que fonder le
» gout du Public , & profiter de fon refpect
pour tout ce qui vient de loin ,
» pourquoi blâmer cette politique ? C'eft
» Patrocle qui combat fous les armes d'A-
» chille ; il en impofe à tout autre qu'Hec-
>> tor : autre avantage , il peut tomber fans
» honte . Veulent ils ufurper le privilége
» d'une nation , d'ailleurs fi réfléchie , de
» porter la liberté quelquefois jufqu'à là
» licence abandonnons - les à tout l'ennthouſiaſme
des zélateurs . Ces prétendus
OCTOBRE. 1753. 115
"
» traducteurs ne font la plûpart que de
»faux monoyeurs , qui par une fauffe ha-
»bileté à imiter la marque du Prince &
» la couleur du métal , peuvent furpren-
» dre au premier coup d'oeil ceux qui ne
»font pas fur leurs gardes ; mais le trébu-
» chet les trahit bientôt , & fait voir que
» leur monnoye n'eſt pas de poids.
» N'avons- nous pas affez de nos ridicu-
» les , fans emprunter les défauts de nos
» voifins ? imitons leur hardieffe , mais ne
la pouffons pas jufqu'à l'audace .
La Séance fut terminée par des obfervations
de M. Desforges Maillard , Afocié
de l'Académie , de celle d'Angers , &
de la Société Littéraire d'Orléans , fur le
génie & le ftyle du Cavalier marin.
Les Poëtes Italiens , dit M. D. M. fe
>> laiffent entraîner le plus fouvent par la
» fongue de leur génie , fans confulter ni
>> les rapports que les objets ont entre eux ,
»ni la vraisemblance que l'art doit employer
pour embellir la nature . Le Ca-
> valier marin eft de tous les Poëtes d'Ita-
» lie , celui qui a le plus d'abondance & le
>>moins de raifon , le plus de brillant &
»le moins de folidité . Son immenfe Poë
» me d'Adonis reffemble à un prodigieux
» animal , qui auroit la tête d'une fyré-
»ne , les yeux d'un lynx , les aîles d'un
116 MERCURE DE FRANCE.
naigle , la peau , la d'un tigre queue d'un
>> paon . Toutes ces beautés différentes &
» mal afforties , ne préſentent qu'un monſtre
produit malgré la nature , & qu'elle
» défavoue .
>> L'Auteur , dans fon premier Chant in-
»titulé Fortuna , embarque Adonis par bazard
dans une chaloupe ou quelque cho-
»fe de moins encore , puifqu'il l'appelle
palis Chermo ( terme qui fignifie , fuivant
» les meilleurs Vocabulaires , une petite
>> barquette ou canor , qu'on met à la traî-
>> ne derriere le vaiffeau , ou qu'on porte
»dans le vaiffeau pour s'en fervir au be-
»foin . ) Il faut que ce fût bien peu de chofe
que le palis Chermo , puifque l'Ariofte
» dans fes peintures chimériques & plai-
»fantes , dit que Roland entra avec un pareil
efquif dans la gueule d'un monftre
>>marin.
» Le généreux Roland , ført de fa vertu ſeule ,
S'élance , & fon efquif, ce me femble , y paffa. »
>> Le Cavalier marin voulant égarer fon
» Berger fur les ondes , & le faire aborder
» enfuite à l'ifle de l'amour avec le petit
»batteau , il ne lui falloit qu'un léger ora-
»ge , ou feulement les ténébres de la nuit
ou de quelque brouillard ; cependant
»pour fe donner carriere , il éleve contre
OCTOBRE . 17537 117
toute raifon , la plus furieufe tempête
» qu'on puiffe imaginer. La verve impé-
» tucufe du Poëte agite la mer d'une f
terrible force , qu'au lieu d'un fimple
» batteau , elle eût englouti dans fes aby-
>> mes plufieurs armées navales .
Le fier Borée prenant en main la
trompette guerriere , défie au combat les
tourbillons & la tempête ; courbant fon
arc brillant de couleurs diverſes , Iris au
lieu de traits ne lance que des éclairs ; le
fuperbe Orion tire contre le Ciel fon fer
enfanglanté ; il frappe la nuë , & par les
coups redoublés il en fait fortir tout à la
fois l'onde & le feu bruyant dont elle
étoit remplic......
La mer en mugiffant dans les gouffres
profonds , éleve les flots bouillonnans de
colere ; fon orgueil indigné franchit fes
barrieres , & porte jufqu'aux aftres fes ondes
menaçantes. En vain des torrens de
pluye tombent fur elle avec le fracas des
plus épouvantables ruines , elle ne reconnoît
plus que l'olyinpe pour rivage.....
L'oifeau nage , le poiffon vole , les eaux
foulevées contre les eaux , les vents dé
chainés contre les vents , les nuées s'entrechoquent
avec fureur ; tous les élémens
* Cant. 1. Stroph. 120, 121 , & c.
118 MERCURE DE FRANCE.
mêlés & confondus vont replonger l'uni
vers dans les horreurs du cahos..
La chienne célefte peut déformais éteindre
fa brûlante foif dans les eaux de l'Océan
; le navire Argo dans un ciel ondoyant
craint de s'y voir fubmergé. . . .
» Et vous , ourfes glacées ,
» N'y lavâtes-vous pas , malgré l'eſprit jaloux
»De Junon toujours en courroux ,
Les brillantes toifons de vos peaux étoilées ? ;
» Je me fuis principalement attaché ,
>> continue M. D. M. à rendre en notre
>> langue le génie de l'Auteur , fans m'aſ-
» fervir trop fcrupuleufement à chacune
nde fes expreffions ; mais j'ai tâché du
>> moinsde ne lui rien faire perdre des gra
» ces que pourroient lui trouver fes com-
»patriotes , les plus paffionnés pour le
» goût emphatique. Il me femble qu'un
» honnête homme ne doit traduire qu'à
>> ces conditions. Je fçais qu'en donnant
>> des couleurs burlesques à la poëfie du
»Cavalier marin , je pouvois aifément la
» charger de ridicule ; mais je fçais auffi
» qu'il faut de la probité par tout , & que
» la probité ne va jamais fans la vérité &
»la bonne foi.
» Le Taffoni dans l'ébauche du Poëme
» de l'Ocean , dont il n'a fait que le pre
OCTOBRE. 1753. 119
mier Chant , eft plus retenu que le Cavalier
marin , & met plus de fublime
»dans ces quatre vers , tirés auffi de la
defcription d'une tempête , qu'il n'y en
a dans les gigantefques tirades que j'ai
rapportées.
Tuto quel di , &i.
Ils errent difperfés
Par des chemins affreux que la mort a tracés.
La pluye tombe avec tant de violence
qu'on croiroit que c'eft une nouvelle mer
qui vient fe joindre à la nôtre , pour en
augmenter les horreurs.....
Le Cavalier marin continue de prouver
dans le fecond Chant , intitulé le Palais
d'amour , la futilité de l'efprit , quand il
n'eft pas guidé par le jugement. Les trois
Déeffes y attendent le jugement de Pâris ,
qui doit donner la pomme à la plus belle.
Pour les contempler le Soleil arrête fa
courfe ; la terre pouffe des fleurs , les pins
portent des pommes délicieufes , les buif
Tons fe parent de violettes , les oifeaux
ceffent de chanter ,les ruiffeaux interrompent
leur murmure ; enfin toute la nature
eft attentive. » Mais après toutes ces jolies
» chofes , le Poëte améne les viperes à ce
fpectacle , & falit l'imagination par d'in-
» décentes apostrophes,
120 MERCURE DE FRANCE,
"
Et voi di tantagloria fpettatrici ,
Sentifte altro velen , vipere crude , e.
M. D. M. s'étonne que l'Auteur n'y
ait point aufli appellé les araignées fufpendues
entre les branches des arbustes ,
pour avoir occafion de décrire à cette vûe
leurs tranfports amoureux . Il femble , ditil
, qu'après avoir fait intervenir les viperes
dans cette ſcene , il n'eft point d'animal
fi odieux dans la nature qui ne pût y
prétendre fon droit d'entrée .
Telles font les rebutantes images qui
défigurent le Tableau de la folitude du
Poëte Saint-Amant , & contre lefquelles
Defpréaux s'eft fi juftement récrié....
Dans le fixiéme Chant , qui aa pour titre
1: Jardin du plaifir , le Cavalier marin promene
Adonis & Venus accompagnés de
Mercure . » Ce Dieu pour amufer Adonis ,
» lui fait une defcription anatomique de
» l'oeil , qui occupe plus de quatre- vingt
» vers , & dans le même chant il le recrée
» encore par une defcription du nez . Je
» crois qu'il n'eft perfonne, quelque décidé
» qu'il foit pour les digreflions , qui ne
» trouve ces peintures tout à- fait dépla-
» cées.
Le correctif qu'il donne dans la 137°
Stance du même Chant , avant de commencer
OCTOBRE . 1753 . 12r
mencer la defcription de la Grenadille
ne fuffit point pour juftifier l'extravagance
de fon imagination , quand fous les
yeux d'Adonis on y voit le pieux éloge
de cette fleur , où la fuperftition toujours
prête à faifir les plus légeres apparences
du merveilleux , s'eft perfuadée que les inftrumens
de la Paffion étoient empreints.
Fleur ! que dis-je ? ah plutôt livre miraculeux , &c.
La defcription de cette fleur eft fi diffufe
, Mercure & l'Auteur y font tellement
confondus , qu'il femble que ce foit Mercure
même , » qui par anticipation des
»tems devenu Profélite de bonne foi >
>> donne des larmes & des foupirs à la Paſ-
» fion du Sauveur , & qui pour terminer le
panégiryque de la Grenadille , invite les
ellains des Anges à defcendre fur cette
»fleur en forme d'abeilles.
Ces fictions feroient peut-être admifes
dans un ouvrage de piété ; mais elles ne
font pas fupportables dans un Poëme fur
les amours d'Adonis , aggrégé au nombre
des faux Dieux……..... C'eſt d'ai leurs , n'y
pas regarder de fort près , en fait d'anachronifme
, que de parler des inftrumens
de la Paffion, en prélence du favori de Venus........
Ce Poëme où l'on trouve des peintures
F
122 MERCURE DE FRANCE:
fi dévotes , eft d'ailleurs parfémé de ga
lanteries , dont l'Auteur ne s'eft pas mis
en peine de voiler les nudités même d'une
gaze légere..... Le Cardinal Bentivoglio
lui en fait une réprimande très vive . » Sou-
» venez- vous fur toutes chofes , lui dit- il ,
» mon cher Chevalier , je vous le demande
par grace , de retrancher de votre Ado-
» nis , tout ce que vous y avez mis de lal-
»cif...Ne l'expofez point à périr une fe-
» conde fois , fous des coups plus funeftes
» pour vous , que ceux dont il mourut la
»premiere fois , ne le furent pour lui.
M. D. M. ne refufe point au Cavalier
marin la justice d'avouer , qu'après Ovide
, dont il n'a pas à beaucoup près , le
goût & le difcernement , il eft cependant
peu d'Auteurs qu'il n'égale pour l'efprit &
l'imagination . Il convient même qu'on
trouve dans fon Poëme des chofes nonfeulement
d'une grace & d'une légereté
charmante , mais encore d'une beauté &
d'une force admirables. L'efprit abonde
dans le Poëme , mais le goût y manque...
Si le Cavalier marin avoit été pénétré de
la maxime omne fupervacuum , &c. il auroit
réduit fon ouvrage au quart , & en faifant
moins de vers par rapport au nombre , il
en eût fait davantage pour la gloire.
OCTOBRE.
1753.
723
Le mot de l'Enigme du Mercure de Sepembre
, eft le foulier d'une femme. Celui
lu premier
Logogriphe eft Quenouille ,
lans lequel on trouve Jo , Elie , Noël , Lu
le , Eve , Noë , vie , nue , Nil , vin , ouie ,
vie , quine , viole , viol , quille , vive , un ,
vol , envie , jeune , oie , veine , louve , Levi,
lin , ville , lie , Luque , oeil. Celui du
econd
Logogriphe eft Camouflet , dans lejuel
fe trouve ean , feu , flute , Autel , fat,
ulte , fouet , moule, Oeta , Luc , ame , cament
, cave , alte , alcove , mât. Celui du troiiéme
eft
Bravoure , où l'on trouve Aurore ,
ave , Var , eau , boue , aven , voen , Bourau
, bure
bure , or , ver , barre.
:
ENIGME
LOGOGRYPHIQUE.
Ugez , chere Philis , fi j'ai le don de plaire ;
contente le goût , l'odorat & les yeux :
a premiere moitié eſt au ſein de la terre ,
Et l'autre moitié dans les Cieux.
Fij
24 MERCURE
DE FRANCE
:
N
LOGO
GRYPHE
.
E'e pour
adoucir
les chagrios
de la vie ,
Pour mériter
l'eftime
en diffipant
l'ennui ,
Pour comble
de vertus utile à la Patrie ,
Le génie & le goût , eux feals font mon appui;
Art fublime , art brillant , art enfin falataire ,
Le tyran à ma voix rallentit fa fureur ,
Mon accens de l'ennui diftrait le folitaire ,
Et dans les champs de Mars j'écarte la terreur.
Souveraine des coeurs , ils font fous mon empire ;
Mais pour ne rien céler , à la honte des moeurs
Mon art fert quelquefois ( je rougis de le dire )
A peindre de l'amour tous les plaifirs impurs.
A ce portrait , Lecteur , tu ne peux te méprendre ,
Et pour te raffurer , je veux bien plus m'étendre ,
Moyennant le fecours de la combinaiſon,
De huit lettres formée on y trouve un pronom ;
Un martyre en amour , fi c'eft une cruelle ,
Mais le plus doux plaifir , pourvû qu'on ſoit fidelle,
Un grand Muficien redevable à fon art ,
S'il échape à la mort fous les coups du poignard ,
Cette Ville autrefois le féjour de la gloire ;
Ce nom de tant de Rois d'une illuftre mémoire ;
Celui dont nous tenons ce nectar précieux ;
Qui charme tous nos lens , mais louvent dange.
reux ;
OCTOBRE. 1753 . 125
La fource & le fujet des vertus & des vices ;
D'une tendre moitié les plus cheres délices ;
Un habitant de l'air , un Roi Syracufain ;
La fille de Lamech . & foeur du Tabalcain.
Inventrice , dit on , du chant de la quenouilles
Une interjection , le nom d'une grenouille ,
Certain qui de nos jours fait la félicité ,
S'il a d'un Régulus toute la probité.
C'en eft affez , Lecteur , tu dois me reconnoître,
De feindre plus long- tems je ne fuis pas le maître;
AUTRE EN VAUDEVILLES.
Air : Nous fommes Précepteurs d'amour.
C Ing pieds forment tout mon terrain ,
Mais j'ai bien un autre étalage ;
Lecteur , en François , en Latin ,
Décompoſez mon aſſemblage.
Air des Sabotiers Italiens : Sous un ombrage
frais fait exprès.
J'offre d'abord en mon joli nom ,
Des amours maint compagnon
Sins me changer
Ce tendre berger,
Bon ;
Qui fit un Grec d'un feul coup ;
Coû
Des menuets
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
Les actes les plus parfaits ;
Plus la lettre a ;
Un adverbe après cela.
En Latin le bord d'un élement ,
Que l'onde toujours gliflant
Rend.
Air : Quand l'Auteur de la nature .
Une note de mufique ,
Quelque part un bain très- fpécifique ;
Dans l'Egypte ,
Hypocrite ,
Un
taureau
Fêté plus qu'un poireau.
En Latin l'infecte illuftre ,
Dont les biens des Autels font le luftre ,
Ce qu'à Rome
L'honnête homme
- Débourfoit ,
Quand fa dette il payoit.
Air : Ab , le bel oifeau , maman.
'Au génitif le pays
Fertile en marbre & porphyre ,
Une ville dont Louis
Dépouilla les ennemis ;
De l'Elide une cité ;
Dans nous un fougueux délire ,
Honte de l'humanité ,
Que la raifon doit détruire ,
OCTOBRE. 1753. 127
Ce qu'au retour de fon pré
La fermiere prefle & tire ;
Du nouvellifte entêté ,
L'argent promis , non compté .
Air : Nous venons de Barcelonette.
Un terme Latin dont Catule
Se fert pour rendre un petit pain ,
Mais que Juvenal intitule ,
Cordon d'un menton enfantin .
Air : De M. le Prevot des Marchands.
D'égal fingulier génitif,
Du mal trifte fuperlatif.
Dites en Latin , tu m'écorches ,
L'impératif du verbe aller,
Je vous donne affez d'anicroches ,
Tâchez de me déceler.
Air : Quej'aime mon cher Arlequin.
Mon dipe eft embarraflé ,
Que je fuis folle !
Dans mon fein peut être enfoncé ,
De mes plaifirs il eft laffé ,
Car je fuis fon idole ;
Trop long-tems je l'ai tracaſſé ;
Mon nom.... ah , qu'il eft drôle t
F iiij
128 MERCURE DE FRANCE .
NOUVELLES LITTERAIRES
L
ETTRES hiftoriques & philofophiques
du Comte d'Orreri , fur la vie
& les ouvrages de Swift , pour fervir de
fupplément au Spectateur moderne de
Steele. A Londres , & fe trouvent à Paris ,
chez Lambert , rue de la Comédie Françoife
1753. Un volume in- 12 .
Le Docteur Swift a une fi grande réputation
en France , qu'il n'eft pas poffible
qu'on n'y falle accueil à des Lettres où
l'on trouve des détails très - inftructifs fur
fa perfonne & fur les ouvrages. On y verra
cet homme célébre décompofé en quelque
maniere , & on fera étonné de la variété
de fes talens & de les connoiffances.
PRINCIPES de Religion , ou préfervatif
contre l'incrédulité , par M. Rouffel,
Prêtre . A Paris , chez Prault , le jeune ,
Quai des Auguftins 1753. Deux volumes
in 12. feconde édition .
Ce Livre où l'on voit l'union affez rare
du raifonnement & du fentiment , a eu le
fuccès que nous avions prévû . Les augmentations
importantes , & en quelque maniere
néceffaires , qu'on trouvera dans la
OCTOBRE. 1753. 129
nouvelle édition , rendront l'ouvrage plus
précieux & d'un uſage plus général.
HISTOIRE de l'ancien Théatre Italien
, depuis fon origine en France jufqu'à
fa fuppreffion en 1697 , fuivie des extraits
ou carevas des meilleures Piéces Italiennes
qui n'ont jamais été imprimées . Par
les Auteurs de l'Hiftoire du Théatre François.
A Paris , chez Lambert , rue de la
Comédie Françoife 1753. Un volume
in- 12.
On trouvera dans cet ouvrage le même
ordre & les mêmes recherches qui font le
mérite du Théatre François Meffieurs
Parfait ne fe laffent pas d'écrire & ne fe
négligent pas en écrivant.
DISCOURS prononcé dans l'Académie
Françoife , le Samedi 25 Août 1753 ,
à la réception de M. de Buffon . A Paris ,
de l'Imprimerie de Brunet. Vingt- une pages
in-4°.
Le Difcours de M. de Buffon , que fon
Hiftoire naturelle a placé parmi les plus
grands Phyficiens & les plus grands Ecrivains
de tous les âges , roule prefqu'entierement
fur le ſtyle. Le Lecteur nous fçaura
gré d'en tranſcrire le morceau le plus important.
Fv
130 MEN
Le ftyle n'eft que l'ordre & le mouvement
qu'on met dans fes penſées . Si on
les enchaîne étroitement , fi on les ferre ,
le ftyle devient fort , nerveux & concis ;
fi on les laiffe fe fuccéder lentement , &
ne fe joindre qu'à la faveur des mots ,
quelqu'élégans qu'ils foient , le ftyle en
fera diffus , lâche & traînant.
Mais avant de chercher l'ordre dans lequel
on préfentera fes penfées , il faut s'en
être fait un autre plus général , où ne doivent
entrer que les premieres vûes & les
principales idées : c'eft en marquant leur
place fur ce plan qu'un fujet fera circonfcrit
, & que l'on en connoîtra l'étendue :
c'est en fe rappellant fans cefle ces premiers
linéamens , qu'on déterminera les
juftes intervalles qui féparent les idées
principales , & qu'il naîtra des idées acceffoires
& moyennes qui ferviront à les
remplir. Par la force du génie , on le préfentera
toutes les idées générales & particulieres
fous leur véritable point de vûe
par une grande fineffe de difcernement
on diftinguera les penfees ftériles des idées
fécondes ; par la fagacité que donne la
grande habitude d'écrire , on fentira d'avance
quel fera le produit de toutes ces
opérations de l'efprit. Pour peu que le
fujet foit vafte ou compliqué , il est bien
OCTOBRE. 1753 131
tare qu'on puiffe l'embraffer d'un coup
d'oeil , ou le pénétrer en entier d'un feul
& premier effort de génie ; & il eft rare
encore , qu'après bien des réflexions , on
en faififfe tous les rapports.On ne peut donc
trop s'en occuper , c'est même le feul
moyen d'affermir , d'étendre & d'élever
fes penfées : plus on leur donnera de fubf
tance & de force , plus il fera facile enfuite
de les réaliſer par l'expreffion.
Ce plan n'eft pas encore le ftyle , mais
il en eft la bafe ; il le foutient , il le dirige
, il régle fon mouvement , & le foumet
à des loix : fans cela le meilleur Ecrivain
s'égare , fa plume marche fans guide , &
jette à l'avanture des traits irréguliers &
des figures difcordantes. Quelque brillantes
que foient les couleurs qu'il employe ,
quelques beautés qu'il feme dans fes détails
, comme l'enfemble choquera , ou ne
fe fera point fentir , l'ouvrage ne fera point
conftrujt ; & en admirant l'efprit de l'Auteur
on pourra foupçonner qu'il manque
de génie. C'est par cette raifon que ceux
qui écrivent comme ils parlent , quoiqu'ils
parlent très-bien , écrivent mal ; que ceux
qui s'abandonnent au premier feu de leur
imagination , prennent un ton qu'ils ne
peuvent foutenir ; que ceux qui craignent
de perdre des penfées ifolées , fugitives ,
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
& qui écrivent en differens tems des morceaux
détachés , ne les réuniffent jamais
fans tranfitions forcées ; qu'en un mot il y
a tant d'ouvrages faits de piéces de rapport
, & fi peu qui foient fondus d'un même
jet.
Cependant tout fujet eft un ; & quelque
vafte qu'il foit , il peut être renfermé dans
un feul Difcours ; les interruptions , les
repos , les fections ne devroient être d'u
fage que quand on traite des fujets differens
, ou lorsqu'ayant à parler de chofes
grandes , épineufes & difparates , la marche
du génie fe trouve interrompue par la.
multiplicité des obftacles , & contrainte
par la néceffité des circonftances ; autre .
ment , le grand nombre des diviſions , loin
de rendre un ouvrage plus folide , en détruit
l'affemblage ; le Livre paroît plus
clair aux yeux , mais le deffein de l'Auteur
demeure obfcur , il ne peut faire impreffion
fur l'efprit du Lecteur , il ne peut même
fe faire fentir que par la continuité
du fil , par la dépendance harmonique des
idées , par un développement fucceffif ,
une gradation foutenue , un mouvement
uniforme que toute interruption détruit
' ou fait languir.
Pourquoi les ouvrages de la nature fontils
fi parfaits ? c'eſt que chaque ouvrâge
1
OCTOBRE . 1753. 133
eft un tout , & qu'elle travaille fur un plan
éternel , dont elle ne s'écarte jamais ; elle
prépare en filence les germes de fes
productions
; elle ébauche par un acte unique
la forme primitive de tout être vivant ,
elle la développe , elle la perfectionne par
un mouvement continu & dans un tems
preferit. L'ouvrage étonne , mais c'eft l'empreinte
divine dont elle porte les traits qui
doit nous frapper. L'efprit humain ne peut
rien créer , il ne produira qu'après avoir
été fecondé par l'expérience & la méditation
; fes connoiffances font les germes de
fes productions ; mais s'il imite la nature
dans fa marche & fon travail , s'il s'éleve
par la contemplation aux vérités les plus
fublimes , s'il les réunit , s'il les enchaîne,
s'il en forme un fyftême par la réflexion ,
il établira fur des fondemens inébranlables
des monumens immortels .
C'eft faute de plan , c'eft pour n'avoir
pas affez réflechi fur fon fujet , qu'un homme
d'efprit fe trouve embaraffé , & ne
fçait par où commencer à écrire ; il apperçoit
un grand nombre d'idées , & comine
il ne les a ni comparées , ni fubordonnées,
rien ne le détermine à préferer les unes
aux autres ; il demeure donc dans la perplexité
: mais lorsqu'il fe fera fait un plan,
lorfqu'une fois il aura raffemblé & mis en
134 MERCURE DE FRANCE.
ordre toutes les idées 'effentielles à fon
fujet , il s'appercevra aifément de l'inftant
qu'il doit prendre la plume , il fentira le
point de maturité de la production de l'efprit
, il fera preffé de la faire éclore , il
n'aura même que du plaifir à écrire , les
penfées fe fuccéderont aifément , & le ftyle
fera naturel & facile ; la chaleur naîtra de
ce plaifir , fe répandra par tout , & donnera
de la vie à chaque expreffion ; tout
s'animera de plus en plus , le ton s'élevera ,
les objets prendront de la couleur , & le
fentiment fe joignant à la lumiere , l'augmentera
, la portera plus loin , la fera
paffer de ce que l'on dit à ce que l'on veut
dire , & le ftyle deviendra intéreſſant &
lumineux .
Rien ne s'oppofe plus à la chaleur , que
le défir de mettre par tout des traits faillans
; rien n'eft plus contraire à la lumiere
qui doit faire un corps & fe répandre uniformément
dans un écrit , que ces étincel
les qu'on ne tire que par force en choquant
les mots les uns contre les autres ,
& qui ne vous éblouiffent pendant quelques
inftans , que pour vous laiffer enfuite
dans les ténébres . Ce font des penſées qui
ne brillent que par l'oppofition , l'on ne
préfente qu'un côté de l'objet , on met
dans l'ombre toutes les autres faces , &
OCTOBRE. 1753. 135
ordinairement ce côté qu'on choifit eft une
pointe , un angle fur lequel on fait jouer
l'efprit avec d'autant plus de facilité ,
qu'on l'éloigne davantage des grandes faces
, fous lefquelles le bon fens a coûtume
de confidérer les chofes .
Rien n'eft encore plus oppofé à la véritable
éloquence , que l'emploi de ces penfées
fines , & la recherche de ces idées legeres
, déliées , fans confiftance , & qui ,
comme la feuille du métal battu , ne prennent
de l'éclat qu'en perdant de la folidité
: auffi plus on mettra de cet efprit mince
& brillant dans un écrit , moins il Y
aura de nerf , de lumiere , de chaleur &
de ftyle , à moins que cet efprit ne foit luimême
le fond du fujer , & que l'Ecrivain
n'ait pas en d'autre objet que la plaifanterie
, alors l'art de dire de petites chofes devient
peut être plus difficile , que l'art
d'en dire de grandes.
Rien n'eft plus oppofé au beau naturel ,
que la peine qu'on le donne pour exprimer
des chofes ordinaires ou communes ,
d'une maniere finguliere ou pompeule ;
rien ne dégrade plus l'Ecrivain. Loin de
l'admirer , on le plaint d'avoir paffé tant
de tems à faire de nouvelles combinaiſons
de fyllabes , pour ne dire que ce que tout
le monde dit. Ce défaut eft celui des ef136
MERCURE DE FRANCE.
prits cultivés , mais ftériles ; ils ont des mots
en abondance , point d'idées ; ils travaillent
donc fur les mots >
& s'imaginent
avoir combiné des idées , parce qu'ils ont
arrangé des phraſes , avoir épuré le langage
, quand ils l'ont corrompu en détournant
les acceptions. Ces Ecrivains n'ont
point de ſtyle , ou fi l'on veut , ils n'en ont
que l'ombre ; le tyle doit graver des penfées
, ils ne fçavent que tracer des paroles.
Pour bien écrire , il faut donc poffeder
pleinement fon fujet , il faut y réflechir
affez pour voir clairement l'ordre de fes
penfées & en former une fuite , une chaî
ne continue , dont chaque point repréſente
une idée ; & lorfqu'on aura pris la plume
, il faudra la conduire fucceffivement
fur ce premier trait , fans lui permettre de
s'en écarter , fans l'appuyer trop inégalement
, fans lui donner d'autre mouvement
que celui qui fera déterminé par l'efpace
qu'elle doit parcourir. C'eft en cela que
confifte la févérité du ſtyle , c'eft auffi ce qui
en fera l'unité , & ce qui en réglera la rapidité
; & cela feul auffi fuffira pour le rendre
précis & fimple , égal & clair , vif &"fuivi .
A cette premiere régle dictée par le génie,
fi l'on joint de la délicateffe & du goût ,
du fcrupule fur le choix des expreffions ,
de l'attention à ne nommer les chofes que
C
OCTOBRE. 1753. 137
par les termes les plus généraux , le ftyle
aura de la nobleffe ; fi l'on y joint encore
de la défiance pour fon premier mouvement
, du mépris pour tout ce qui n'eft que
brillant , & une répugnance conftante
pour l'équivoque & la plaifanterie , le ftyle
aura de la gravité , il aura même de la majefté.
Enfin , l'on écrit con me l'on penfe,
*
l'on eft convaincu de ce que l'on veut
perfuader , cette bonne foi avec foi -même,
qui fait la bienféance pour les autres , &
la vérité du ftyle , lui fera produire tout
fon effet , pourvû que cette perfuafion intérieure
ne fe marque pas par un enthouhafme
trop fort , & qu'il y ait par tour plus
de candeur que de confiance , plus de rai
fon que de chaleur.
On voit à la fuite du Difcours que nous
venons de copier en partie , une réponse
de M. de Moncrif , dont tout le monde
connoît l'efprit orné & délicat ; elle finit
par le portrait qu'on va lire de M. l'Archevêque
de Sens , Prédéceffeur de M. de
Buffon.
Auftére par état , modéré , & même facile
par un penchant naturel ( que peutêtre
il ne fe permit pas affez de fuivre ) il
fe montroit impétueux , inflexible , quand
il défendoit fes principes qu'il croyoit at-
Laqués ; il devenoit doux , conciliant , lorf
138 MERCURE DE FRANCE.
pra
qu'il ne s'agiffoit que d'en infpirer la
tique. Il regnoit une certaine onction dans
fes prédications prefque journalieres ; car
quelles fonctions de fon miniftere ne rempliffoit-
il pas affiduement ? on l'a vû ſuivre
conftamment la chaîne de fes devoirs ,
à commencer par ceux qui font les plus
obfcurs & les plus pénibles. Jamais le Prélat
n'a éclipfé le fimple Eccléfiaftique ; &
" dans un état d'élévation , la fimplicité approche
plus de la perfection chrétienne
que ne fait la modeſtie.
La vraie fimplicité porte un caractére ,
qui la diftingue entre les autres vertus ;
elle s'ignore elle même : c'eft entre nous
'un entier oubli de nos avantages perfonnels
; au lieu que la modestie fe contente
de les mettre au - deffous de ce qu'ils paroiffent
aux yeux des autres.
M. l'Archevêque de Sens joignoit à cette
heureufe fimplicité , l'aménité dans le
commerce de la vie ; les actions charitables
dans tous genres , & toujours éclairées ;
enfin des moeurs irréprochables . Quel bonheur
pour le Diocéfe , de trouver les mêmes
vertus dans le Succeffeur de ce Prélat.
PRINCIPES de Jurifprudence fur les
vifites & rapports judiciaires des Médecins
, Chirurgiens , Apoticaires & SageOCTOBRE.
1753. 139
femmes ; avec les indications des fources
d'où ces principes ont été recueillis . Par
feu M. Prevost , ancien Bâtonnier de l'Ordre
des Avocats . A Paris , chez Guillaume
Defprez , Imprimeur du Clergé , rue S. Jacques
, 1753. in- 12 . vol. 1 .
Le mérite de l'Ouvrage que nous annonçons
, confifte dans l'exactitude avec
laquelle l'Auteur a recueilli toutes les autorités
concernant la matiere qu'il s'eft
propofé de traiter , tant par rapport au
fond qu'à la forme. Le Droit naturel , les
Ordonnances de nos Rois , les Arrêts des
Cours Souveraines , tous les Tribunaux
tous les Greffes ont été ouverts à l'Auteur ;
les Experts dans toutes les profeffions qui
ont trait à fon objet , ont été confultés ,
rien n'a été omis . Quiconque lira ce Livre
y trouvera une collection de tout ce
qui peut être épars dans les Bibliothéques
& les dépôts publics , fur les vifites & rapports
dans les matieres foumifes aux in
mieres de la Médecine prife dans fon acception
la plus étendue , qui comprend
autant le traitement manuel , la compofi .
tion & la diftribution des drogues , que la
connoiffance des maladies .
de
Outre la Jurifprudence fur les matieres.
rapports , on y en trouvera la forme & le
ftyle redigés d'après de bons modéles . Ces
140 MERCURE DEFRANCE.
formules de rapports font très utiles pour
les Experts dans les différentes parties de
la Médecine , lors qu'ils feront dans le
cas de vifiter les malades , des bleffés , des
filles ou des femmes groffes , ou les enfans
nés d'elles , vivans ou morts , afin
d'en faire leurs rapports en Juftice . Elles
ferviront aufli à des Juges de Province &
à tous autres , qui n'ayant pas fous la main
les fources d'où émane la Jurifprudence
des rapports , feront bien aifes de la trouver
recueillie en un feul volume , léger ,
portatif , & qui contiendra ce qu'ils ont
befoin d'en fçavon .
M. Prevoft , de qui vient cet Ouvrage ,
n'étoit pas un homme à écrire un Livre
pour étaler fes talens & fon érudition . Il
n'avoit fait celui ci comme toutes les autres
actions de fa vie , que par zéle pour le
bien public. Il vouloit être utile ; cependant
il n'a pas eu la confolation de jouir
des fruits de fon zéle . Son Livre étoit encore
fous preffe lors qu'une prompte maladie
l'emporta.
POESIES variées de M. de Coulange
divifées en quatre Livres . A Paris , chez
la veuve Cailleau , rue S. Jacques. 1753 .
in- 12 . vol. 1 .
Ce Recueil qui eft fort confiderable
OCTOBRE . 1753 141
tft extrêmement varié. Le premier Livre
contient des Poëfies badines. Le fecond
des Poëfies héroïques , le troifiéme des
Odes facrées& prophanes , & le quatriéme
des Poëfies diverfes. Ce qui caractérife
le recueil de M. de Coulange , c'est le
naturel & la facilité. On en jugera par une
Piéce que nous allons tranfcrire.
Adieux à la ville de Paris , à l'occafion d'un ·
voyage que l'Auteur étoit prêt de faire ,
pour aller féjourner dans une Ville de Province
fort éloignée.
Il faut donc te quitter , & Ville incomparable :
O de mille beautés aflemblage admirable :
Il faut donc te quitter , & fuyant tant d'appas ;
Au fond d'une Province aller porter mes pas!
Je t'adorois en vain ; une loi trop févere
M'interdit à jamais ta vûe aimable & chére.
Cependant un faquin , un valet décraffé ,
Un clerc , un vil commis de rapice engraiffé ,
Unufurier entan qui fçait avec adrefle ,
Profitant des erreurs de la folle jeuneffe ,
Ou du dépouillement d'un guerrier généreux ,
Former fon embo point du fuc des malheureux ;
Tous ont droit d'habiter cette fuperbe Ville ,
De jouir des douceurs d'un fi charmant-azile ,
Au gré des paffions , d'y prodiguer l'argent ,
Et de fouler aux piéds l'honnête homme indigent
142 MERCURE DE FRANCE:
Pourquoi s'en étonner dans le fiécle où nous fome
mes ,
Eft-ce au poids des vertus que l'on pefe les hom
mes ?
Dans ce fiècle de fer , l'exacte probité ,
Les talens , la candeur , la générofité
Sont pour nous élever des dégrés inutiles ;
On laiffe aux imprudens ces reflources futiles.
Il est d'autres fecrets pour les ambitieux :
Il faut un coeur d'airain , un front audacieux ;
Il faut par les refforts d'une fubtile intrigue
Intéreffer pour foi la faveur & la brigue ,
Aux prix de l'honneur même acheter des amis ;
Courtiler lâchement jufqu'à fes ennemis ,
D'une femme effrontée adopter les caprices ,
Et rougir des vertus pour careffer des vices.
Mais, que fais-je ? Et pourquoi prophaner mon
pinceau
Par les noires couleurs de cet affreux tableau ?
Eloignons-nous plutôt d'une ville prophane ;
Puifqu'à m'en exiler enfin tout me condamne ,
L'univers m'abandonne en l'état où je fuis ,
Je n'ai qu'un vain talent pour charmer mes en
nuis.
Inconnue à la Cour , ma Mufe trop fincere
Dédaigne des flatteurs le métier mercenaire.
Formé dès mon enfance aux loix de la vertu ,
Sous le faix des malheurs triftement abattu ,
Je ne fçaurois deſcendre à ce bas artifice,
OCTOBRE . 1753.
143
Dût-il de mon deftin corriger l'injuſtice.
Il vaut donc mieux fortir d'un féjour fi vanté ,
Avec mon innocence & ma fimplicité ,
Et fuir de tant d'heureux la préfence importune ,
Que d'y traîner ma vie au ſein de l'infortune ,
Ou de me voir forcé pour trouver le bonheur
De lui facrifier juſques à mon honneur.
Allons , arrachons- nous d'un lieu plein de déli
ces ,
Qui , pour moi déformais n'auroit que des fup
plices.
Adieu donc , peuple vain , léger , capricieux ,
Peuple fol , mais toujours charmant & gracieux.
Adieu les beaux efprits de la Cour , du Parnaſſe ,
Que j'ai tant admirés , & dont ma folle audace
A voulu quelquefois fuivre les pas fameux.
Adieu libres réduits , féjours des pareffeux ,
Qu'embaume du caffé la vapeur agréable ,
Où s'érige en tout tems un tribunal aimable
De Sçavans , de Marquis , de conteurs indifcrets
Qui du confeil des Rois divulguant les fecrets ,
Se plaifent à forger cent nouvelles brillantes ,
Que vontfemer par tout des bouches éloquentes.
Adieu Scene Comique , où j'ai vu peu d'Au
teurs
Applaudis , & beaucoup fifflés des ſpectateurs .
C'eſt là qu'on vient de voir le fublime Voltaire
De fon nouveau chef-d'oeuvre enchanter le Par
terre.
1744 MERCURE DE FRANCE.
Moi-même par la foule entraîné dans ces lieux ,
Des larmes de tendreffe ont coulé de mes yeux.
Adieu Spectacle heureux , noble amas de merveilles
,
Fait
pour charmer les coeurs , les yeux & les oreil
les ;
Je ne verrai donc plus tes décorations
Frapper mes fensfurpris de leuis illufions ;
Et je n'entendrai plus la juſteſſe infinie
Des accords de Rameau , ce Dieu de l'harmonie
Adieu Palais des Rois , fuperbes bâtimens ,
De leur magnificence éternels monumens ;
Et vous Roi des Jardins , riantes Thuilleries ,
Oùj'ai tant promené mes douces rêveries :
Vous ne me verrez plus , fous vos feuillages verds
Refpirer la fraicheur , & méditer des vers.
O Dieu, trop digne objet d'une innocente flås
me ,
Je vous laiffe , en partant & mon coeur & mon
ame.
Des feux les plus ardens fans ceffe confumé ,
Je n'emporte , où je vais , qu'un corps inanimé.
Mon coeur eft à Paris ; ce coeur tendre & fidéle
Ne m'accompagne point dans ma courſe nou
velle ;
Il reste entre vos mains : gardez foigneufement
Ce précieux dépôt d'un malheureux amant.
Si de les triftes jours , la Parque meurtriere ,
Dans
OCTOBRE .
145 1753 .
Dans de lointains climats vient borner la carriere ,
A fon cher ſouvenir donnez du moins des pleurs ,
Et n'oubliez jamais fa fláme & fes malheurs.
Adieu , Paris enfin , ô ma chere patrie !
Combien , dans cet Adieu , mon ame eft attendrie
?
Que pourrai-je trouver ailleurs que des déferts ?
Je crois , en te quittant , fortir de l'univers ;
Mais du moins , dans l'horreur du lieu le plus fanvage
,
Je me retracerai fans ceffe ton image ,
Et de ces régions les volages zéphirs
T'apporteront toujours mes voeux & mes foupirs;
Finiffons toutefois une inutile plainte :
Infenfible aux douleurs dont mon ame eft atteinte
,
Le Ciel a prononcé , que fert de qurmurer ?`
Le Coche est déja prêt , partons fans differer.
,
INTRODUCTION à l'Histoire moderne, générale
& politique de l'Univers , où l'on
voit l'origine, les révolutions & la fituation
préfente des différens Etats de l'Europe
de l'Afie , de l'Afrique & de l'Amérique :
commencée par le Baron de Puffendorf ,
augmentée par M. Bruzen de la Martiniere .
Nouvelle Edition , revûe , confidérable.
ment augmentée , corrigée fur les meilleurs
Auteurs , fur des Mémoires particu
G
146 MERCURE DE FRANCE,
liers de plufieurs Sçavans , & continuée
jufqu'en 1750. Par M. De Grace . Six vor
in-4°. propofés par foufcription . A Paris ,
chez Merigot , Quai des Auguftins , à la
Defcente du Pont S. Michel , près la rue
Gît- le-coeur ; Grangé , au Palais ; Hocherean
l'ainé , Quai de Conti , vis- à vis la
defcente du Pont-Neuf, au Phenix ; Robuftel
, Quai des Auguftins , près la rue
Pavée , & le Loup , Quai des Auguſtins.
1753.
L'Edition qu'on préfente au Public , eft
ornée de frontispices , vignettes , culs - delampes
& de lettres grifes ; le tout exécuté
par les plus grands maîtres de l'Art , fur
les deffeins de M. Eféin . On a outre cela
fait fondre des caracteres exprès.
Quoique le papier que les Libraires
nomment ordinaire , foit choifi dans les
plus beaux papiers fins , cependant pour
fatisfaire le goût de plufieurs curieux , on
a fait tirer cent cinquante Exemplaires en
grand papier , & cinquante feulement fur
grand papier de Hollande fuperfin,
Cet Ouvrage fera imprimé fur le même
papier , ( pour le papier ordinaire ) dans la
même forme & avec les mêmes caracteres
que le Profpectus.
H y aura fix Volumes in - quarto,
OCTOBRE . 1753 .
147
Conduims propofées aux Soufcripteurs.
On ne fera admis à foufcrire que pendant
fix moix , à compter du jour que les
foufcriptions feront ouvertes. On les délivrera
en donnant le premier Volume ,
le vingt d'Août de cette année 1753. Les
autres volumes paroîtront fucceffivement
de fix mois en fix mois , à commencer au
premier Septembre .
Prix des Soufcriptions.
On payera pour le papier ordinaire 72
livres , fçavoir , en délivrant le premier
Volume , 18 liv. dont 6 liv. à déduire fur
le dernier : les autres feront à raifon de 12
livres.
Et pour ceux qui n'auront point foufcrit
, 96 livres.
Le grand papier 108 liv. les fix Volumes
; fçavoir 27 liv . dont 18 liv. pour le
premier , & liv. à déduire fur le dernier
, les autres à raiſon de 18 livres.
9
Ceux qui n'auront pas foufcrit , les
payeront 144 livres .
Le grand papier de Hollande fuperfin ;
180 liv. fçavoir 45 liv. en livrant le premier
Volume , dont 15 liv . à déduire fur
le dernier Volume , & les autres à raiſon
de 30 livres.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
Ceux qui n'auront pas foufcrit , les paye
ront 240 livres.
Nota. Dans le cas où la matiere de cet
Ouvrage fourniroit un Volume de plus
on le payera fuivant les conditions énoncées
ci dellus .
REFLEXIONS fur la Longitude de
Toulouse.
Es éclairciffemens l'on a deman-
Ldésdans le Mercure de France du mois
d'Août 1753 , ( p. 114 ) m'ont paru d'autant
plas néceffaires , que la difficulté que
l'on propofe eft bien fondée ; car dans les
Mémoires de l'Académie de 1744 ( p . 237 )
M. de la Caille détermine la différence des
méridiens entre Touloufe & Montpellier
de 10' 40 " , de laquelle retranchant la différence
des méridiens entre Paris & Montpellier
, déterminée par le même Aftronôme
( p. 238 ) de 6'5 ", on aura 4' 35 " pour
la différence en longitude entre Paris &
Touloufe ; or dans le Livre de la Connoiffance
des Tems , l'on trouve que Toulouſe
eft de 3 ' 35 " de tems à l'Ouest du méridien
de Paris , il y a donc une différence d'une
minute dans les différens résultats .
Pour réfoudre cette difficulté , je ferai
obferver que la détermination de M. de
OCTOBRE. 1753. 149
la Caille réfulte d'une longue fuite de calculs
, & de l'obfervation d'un Aftronome
très exact ; je n'entreprendrai pas ici de
vérifier le calcul de M. de la Caille , & je
ne peux foupçonner de l'erreur dans l'obfervation
de M. Garipuy ; il me fuffira
d'expofer les fondemens de la détermination
de Toulouſe marquée dans la Connoiffance
des tems.
>
Ayant calculé par la fuite des triangles de
la méridienne vérifiée , la diftance de Touloufe
à la méridienne de 37074 toifes &
à la perpendiculaire de 198687 toifes
nous avons trouvé par la réfolution d'un
feul triangle fpherique , la différence de
longitude entre Paris & Toulouſe de o° 53′
47" ou de 3 ' 34" & demie de tems , &
la latitude de 43 ° 35' 54" . Pour diffiper
tous les doutes que l'on pourroit avoir fur
la pofition de Touloufe , où l'on affure que
l'on n'eft monté qu'une feule fois fur le
clocher de cette Ville , je vais rapporter
les triangles qui fixent la pofition de cette
Ville , au cas que l'on veuille tes vérifier .
Vacquiers 44 27 57 S. P. David 75 18 20
Moulin Puchaudran 36 24 25 M Puch. 10 21 47
Toulouf (laDalbade)99 7 38 Toulouſe 94 1953
La baſe commune aux deux triangles
eft celle de Toulouſe au Moulin Puchaudran
, que l'on a eu la fatisfaction de trou-
G iij
150 MERCURE DE FRANCE ,
ver la même de 12118 toifes , en fuppo
fant la bafe de Vacquiers au Moulin Puchaudran
de 17081 , & celle du S. Pech
David au même Moulin , de 12472 toiles.
L'on pourroit , avec raifon , foupçonner
quelques erreurs dans une auffi longue
fuite de triangles depuis Paris juqu'à
Touloufe , laquelle avoit changé la vraye
direction de la méridienne , & auroit rapproché
Toulouſe de la méridienne plus
qu'il ne l'eft en effet ; mais fi l'on fait at
tention que cette même erreur auroit influé
également fur la pofition de Montpellier
, déduite des opérations géométri
ques de 6'11 de tems , laquelle cependant
fe trouve conforme avec l'obfervation
de M. le Monnier faite à Paris , &
calculée par M. de la Caille dans le même
volume de 1744 , où il détermine la différence
des méridiens entre Paris & Montpellier
de 6's " , avec une différence feulement
de fix fecondes du réſultat des triangles
; l'on ne pourra plus raifonnablement
douter de la précifion des opérations trigonométriques
, qui ont d'ailleurs l'avantage
de s'accorder avec la détermination
de la latitude de Touloufe , déterminée
par M. Garipuy , avec toute l'exactitude
que l'on fçait qu'il apporte dans fes obfervations
de 43° 35 47". Mais indépen
OCTOBRE. 1753. 191
damment de cette dérermination , l'on en
trouve deux autres rapportées dans les
Ephémerides da fieur Defplaces , de 1735
1745. ( p. VI. & VII . ) La premiere eft
le M. Caffini le pere , qui donne la longiude
de Toulouſe de o' ′ 40″ , & la latiude
de 43° 37' 2 " ; la feconde eft de Mrs
le la Société Royale de Montpellier , qui
lonnent la différence de longitude entre
foulouſe & Montpellier de o 9 ' so", &t
la latitude de Touloufe de 43° 37′0″ :
après ces trois déterminatons je laiffe au
Public à prendre un parti fur la difficulté
qui a fait le fujet de nos recherches .
LETTRE de M. ** à M. *** an Château
de Prepatour , près de Vendôme.
E Livre fur la Minéralogie qui paroît
furla depuis peu de jours , & dont l'Auteur
eft M. Wallerius , Suédois , me paroît
écrit avec plus d'ordre & de méthode , que
ceux des Naturaliftes qui ont avant lui
traité cette matiere. Ce Sçavant a acquis
par un grand travail , des connoiffances
dont nous jouiffons fans peine. Mais fi le
public lui eft redevable de cet ouvrage ,
notre Nation doit beaucoup auffi à M***
pour le foin généreux qu'il s'eft donné
d'en faire une très- exacte traduction que
Giiij
151 MERCURE DE FRANCE.
je vous envoye . Ce n'eft pas le premier
préfent qu'il fait aux Sciences , & fon Art
de la Verrerie annonce à la République des
Lettres , ce qu'elle doit attendre de fes
talens & de fes lumieres . Mais fa Traduction
de la Minéralogie nous eft d'autant
plus utile , que nous n'avons dans notre
Langue aucun Traité qui répande autant
de jour fur cette matiere . Je ne veux pas
dire néanmoins , qu'il n'y ait encore beaucoup
d'articles très- obfcurs. En la parcou
rant , prenez la peine de marquer en marge
ceux que vous jugerez tels , afin que je
fçarhe , fi c'eft ma faute de ne les avoir
pas comptis ; & faites , je vous prie , une
attention particuliere fur les idées de
F'Auteur , V. I. page 7. qui commence :
Les terresfont la bafe & le principe des pierres
, &c. & V. II . page 107 : Les noyaux
ne font pas des pétrifications , mais des pierres
ordinaires du genre des calcaires , & c . Je
foumets , Monfieur , à votre critique celle
que je vais faire pour mon amufement fur
ce dernier article. Elle fervira auffi d'attaque
au premier , en démontrant que les
noyaux qu'il repréfente comme des pierres
ordinaires , ont une autre baſe & un
autre principe que les terres .
Les noyaux ,fuivant M. Wallerius , font
des pierres , ordinaires du genre des calOCTO
BR E. 1753. 153
caires. Pour s'expliquer ainfi , il faut qu'il
n'en ait jamais vû , ( quoiqu'il s'en trouve
plufieurs , d'argile , de grais , de roche ,
d'agathe & autres , qui ne font pas du genre
des pierres calcaires. De plus , il prétend
que ces noyaux ne font pas des pétrifications
; c'est encore une erreur , d'ignorer
que leur vraie origine eft la même que
celle de toutes les autres pétrifications , ou
corps convertis en pierres. Les obfervations
fuivantes conftatent , il me femble ,
cette vérité ; mais avant de les détailler ,
je veux vous dire comment je croi que
ces noyaux ont été composés.
Les coquilles , agitées dans le fond de
la mer , après la deftruction des animaux
qu'elles contenoient , ont été remplies
d'autres petites coquilles , & de détriment
on fable de coquilles , qui étant plus foibles
que la coquille principale , le font
plutôt décompofées , & converties en pierres
plus ou moins dures , après que la mer
s'eft retirée des lieux où elle les avoit dé--
pofées ; ces petits corps ont ainfi fervi à la
formation des noyaux .
Objection I. On trouve dans diverfes couches
des montagnes de ce pays , une infinité
de coquilles foffilles , remplies d'autres
petites coquilles , les unes & les autres
encore en nature. Les petites en ren-
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
ferment enco e de plus petites , qui en
font de même pleines par gradations ; les
unes dans les autres , on jointes les unes
aux autres , mêlées de détriment ou fable
de coquille , jufques aux plus petits objets
qu'il eft poffible d'appercevoir , fans mêlange
d'aucune matiere terreftre , ni d'autres
hétérogénes , elles fortent des plus
grandes en les fecouant .
II. On y trouve des coquilles confervées
, dont les cavités font pleines d'autres
petites coquilles encore en nature , mais
qui paroillent comme foudées , ou liées
par de la matiere d'autres coquilles in perceptibles
, converties en pierres ; tout Fintérieur
de celles - ci , eft comme difpofé à
fe décompofer , pour former le noyau &
le convertir en pierres.
III. On en trouve d'autres , dont les
petites coquilles qu'elles renferment font
la plupart détruites , cependant encore
connoiffables ; les noyaux de celles - ci
commencent à reffembler à la pierre.
IV . On voit encore des coquilles confervées
, pleines de noyaux pierreux , com
polés d'autres petites coquilles détruites ,
qui unis enfemble forment ceux des grandes
coquilles les noyaux principaux de
certe obfervation , ont beaucoup plus de
confiffance que ceux des précédentes .
OCTOBRE. 1753. 155
V. On voit de plus , des coquilles confervées
dans leurs formes extérieures , mais
changées de nature , qui ont été remplies
de petites coquilles & détrimens entierement
fondus , & convertis en pierres calcaires
& autres ; la plupart de ces grandes
coquilles , étant fciées & polies avec leurs
noyaux , laiffent découvrir des veftiges &
traces , qui font aifément connoître que
ces noyaux ont été compofés de coquilles .
Je dois ajouter une remarque ; c'est que le
volume de ces petits corps qu'on apperçoir
dans l'intérieur , n'eft jamais plus gros que
la proportion de la bouche , ou autre ouverture
de la coquille principale .
VI. Tous les noyaux qu'on trouve en ce
pays , féparés des coquilles , font compofés
d'autres petits noyaux de coquilles ,
converties en pierres ; ce qui eft plus ou
moins apparent , fuivant qu'ils font plus
eu moins durement pétrifiés . On le connoît
, à la premiere vûe , dans ceux qui
font de pierres tendres. Il eft vrai qu'on
l'apperçoit aux autres plus difficilement ;
mais après avoir fcié & poli , ceux qui peu
vent Fêtre , on voit dans plufieurs fur les
parties polies , un mélange de coquilles
qui en renferment de petires , lefquelles
en contiennent encore de plus petites.
Remarquez qu'il y a des millions in-
& vi
156 MERCURE DE FRANCE.
nombrables de coquilles & noyaux , de
chacune de ces efpéces.
VII. Il eft dans les collines des environs
de Paris , une nombreuſe quantité de couches
de pierres tendres ( que les Carriers
appellent banc coquille! ) qui ne font compofées
que de noyaux de coquilles , dont
on diftingue aifément les differens genres :
ces noyaux font quelquefois renfermés
dans des coquilles , telles que M. Wallerius
les décrit dans l'efpéce 439 ; que l'on
trouve encore dans leur figure naturelle ,
mais qui fe réduifent en poudre impalpable
en les maniant. D'autres fois on trouve
la place qu'occupoit la coquille , rem
plie de pareille poudre . Le plus fouvent
on ne voit autour des noyaux qu'une cavité
de la forme qu'avoit la coquille qui
T'enveloppoit ; ces noyaux & ces cavités
dans ce dernier cas , font ordinairement
vernis & colorés de cette même poudre ,
qui par l'analyfe eft de femblable fubftance
, & a les mêmes propriétés que les coquilles
foffilles pulvéritées.
Quel eft , Monfieur , votre fentiment
fur ce qu'est devenue cette poudre impalpable
de coquille , qui rempliffoit ces cavités
? j'en ai tiré jufques à une once de la
feule place d'une coquille . Ne peut-on pas
conjecturer avec quelque certitude , qu'elle
OCTOBRE. 1753. [ 57
s'eft écoulée par filtration avec les eaux
dans les interftices ou vuides des couches
inférieures , & dans les fentes perpendiculaires
, pour compofer d'autres corps foffilles
, aufquels les anciens Naturaliftes ont
donné des noms , fans avoir connoiffance
de la matière des corps décompofés , qui
ont fervi à la compofition de ces nouveaux
corps.
Si l'on avoit en Suéde les mêmes facilités
que nous avons pour de pareilles obfervations
, il eft conftant qu'un Sçavant ,
tel que M. Wallerius , feroit des décou
vertes très- utiles. Il feroit convaincu que
les noyaux ayant été compofés de matiere
de coquilles , font de véritables pétrifications
. Et s'il avoit eu cette connoiffance
avant la publication de fon ouvrage , il
autoit pû retrancher une partie de fon détail
fur les noyaux & fur les empreintes ,
pour obferver feulement que toute coquille
qui a un vuide intérieur , peut avoir
fon noyau ; & qu'on ne peut détacher
de la maffe avec adreffe , aucune pétrification
, foit animale , foit végétale , fans voir.
fon empreinte ou fa forme , cavée dans la
place qu'elle a quittée. J'ai l'honneur d'être
, &c.
A Paris, ce 25 Août 1753-
>
158 MERCURE DE FRANCE.
ésés és és és és és és és és és isas
BEAUX ARTS.
Expofion des ouvrages de l'Académie Royale
de Peinture & de Sculpture , faire dans une'
fale du Louvre le 25 Août 1753.
L
Es richeffes & les malheurs d'un Etat
n'ont pas une influence plus néceffaire
dans les finances & le commerce des Etats
voifins , que les Arts d'une partie de l'Europe
dans les Arts de l'Europe entiere . Il ne
fe fait pas une découverte dans un pays ,
que les peuples voifius ne foient curieux de
la connoître , & jaloux de la pouffer plus
loin . Cet efprit d'émulation devenu plus
général qu'il ne l'a jamais é é , doit cau
fer une fermentation bien vive à la vûe
des productions que l'Académie de Peinture
& de Sculpture vient d'expofer. Jamais
fon falon n'a été fi brillant , fi beau ,
fi varié & fi nombreux : tout y répondoit
à la réputation des Artiftes , & aux foins
de M. de Vandieros , dont les connoiffan
ces acquifes dans un voyage de deux ans
en Italie , ont perfectionné le goût naturel
.
Qu'on s'imagine un peuple d'amateurs
de tous les âges & de toutes les condicions,
OCTOBRE. 17557
159.
émoignant une égale avidité pour étudier
les talens , pour les juger , pour entretenie
fes connoiffances , ou en acquérir de nouvelles
, auffi chagrin de vir fermer le falon
au bout d'un mois qu'il avoit été impatient
de le voir ouvrir , & on aura quelque
idée du fpectacle que préfentoit à cha
que inftant du jour le falon où étoient expofés
les ouvrages de Peinture & de Sculp
Eure.
On y voyoit réuni le noble & le galant ,
Fauftére & le badin , l'Hiſtoire & la Fable ,
T'héroïque & le paftoral , les batailles &
les allégories ; rien n'y manquoi de ce qui
a le detfein pour principe & pour baſe , &
de ce qui peut flatter l'efprit , les yeux ou
Fimagination .
Il ne nous convient pas de prononcer
fur le mérite des differens ouvrages qui
ont fait l'objet de la curiofité publique ::
ces décisions ne conviennent à aucun particulier
, & encore moins à nous qu'à d'autres.
Nous nous contenterons de rappor-
1er quelques- uns des jugemens que nous
avons entendu le plus répéter.
Les deux grands tableaux de M. Reftout ,
dont l'un repréſente Affuerus qui prononce
l'arrêt de mort contre Aman , & l'autre
Jelas Chit , qui donne les clefs à Sain
Pierre , prouvent la grande maniere de
160 MERCURE DE FRANCE.
ce célébre Artiſte , & la belle pratique qui
lui a mérité fa réputation . Le repos en
Egypte eft piquant par fa lumiere. Ces
trois tableaux indiquent un beau faire , &
une grande liberté de pinceau , en confervant
des maffes bien difttribuées , qui
feront toujours beaucoup d'honneur à
l'Ecole.
M. Carle -Vanloo a fait voir dans dix
tableaux de differente grandeur , & d'une
compofition abfolument variée , toutes les
graces de fon pinceau & la fécondité de
fon génie l'action , le repos , la dévo
tion , la grande machine , les tableaux
de chevalet , le portrait même , tout eft la
preuve éclatante d'un mérite fupérieur .
M. Boucher a continué de ravir par les
graces & les agrémens de fa compofition
dans les tableaux de Thetis & du Soleil ,
dans les deffas de portes faits pour Bellevûe
, & dans les faifons peintes pour un
plafond de Fontainebleau : fa maniere
qui eft aimée & fuivie , mérite l'accueil
qu'elle reçoit .
Quoique les quinze tableaux de M.
Oudry ayent fait le plaifir que les ouvrages
de cet habile Artifte font dans l'ufage
de faire , le public a été fingulierement
frappé d'une chienne blanche , avec fes
petits de même poil ; ils ne voyent pas
OCTOBRE. 1753. 161
encore le jour. La vérité de leur action eft
auffi belle & auffi bien tendue , que les
oppofitions de ce tableau font recommandables
: les ombres ne cachent rien à
l'oeil ; il voit clair par tout ; un rayon de
couleur qui feroit un obftacle pour un autre
, vient embellir la couleur & enrichit
la compofition .
La délicateffe & les détails du Chrift en
Croix que M. Pigalle a expolé , ont mérité
une attention particuliere. Ce bel ouvrage
de marbre , de vingt- deux pouces de
proportion , a fait dire aux Connoiffeurs
qu'il falloit être grand pour faire fi bien
le petit , & pour conferver tant de feu
dans un ouvrage qui demande une fi grande
patience.
Le portrait de Madame du Four , eft de
tous les ouvrages qu'a expofé M. Nattier ,
celui qui lui a fait le plus d'honneur.
Les graces & les fineffes que M. Saly
a exprimées dans fon Amour , & furtout
dans fon Hebé , ont été généralement fenties.
Son bufte en marbre de M. le Duc de
Beauvilliers , a paru frapper encore plus
vivement les Connoilleurs . De long - tems
nous ne reverrons des ouvrages de ce brillant
& fage Artifte ; fa réputation l'a fait
appeller en Dannemarc , où il doit faire le
modéle de la ftatue équestre d'un Roi , que
161 MERCURE DE FRANCE.
la postérité placera parmi lepetit nombre
de Souverains qui auront vêcu pour le bon
heur des peuples.
M. Chardin a continué de plaire par
ne maniere piquante qu'il ne doit qu'à lui
& que perfonne n'a que lui ; fon pinceau
qui n'a jamais été fi fécond , s'eft furpaſſé
dans le tableau qui repréſente un Philoſo
phe occupé de fa lecture , & dans des animaux
de même proportion , faits avec toutte
la beauté de la touche , & la vérité d'une
couleur des plus riches.
Le portrait de Madame Danger a fou
tenu , augmenté peut- être la grande répu
tation de M. Tocqué.
La reflemblance jointe aux autres gran
des parties de l'Art , a rempli complettes
ment cette année , tout ce que le public
étoit en droit d'attendre des beaux paſtels
de M. Delatour cet Artifte , Citoyen &
Philofophe , donne à l'Europe entiere un
fpectacle , dont il nous paroît qu'on n'eſt
pas affez fappé ; il préfere la confolation
de faire le portrait des hommes illuftres , à
l'avantage de faire celui des gens opulens.
M. Servandoni a donné des preuves qui
lui font ordinaires de la fécondité da fon
génie , de fon profond fçavoir dans la
perſpective , & de la facilité de fon pin
Scau
OCTOBRE. 1753. 161
La figure de M. Vaffé , pour une des
façades du bâtiment des Quinze- Vingts ,
lui a fait avec raifon beaucoup d'honneur ;
elle eft bien difpofée , & tournée d'une
façon riche & nouvelle pour la place qu'el
le doit occuper .
Quoique toutes les productions de M.
Bachelier ayent attiré les regards , ils fe
font fixés fur un morceau peint fur la porcelaine
de Vincennes : cet ouvrage fait voir
quel eft le degré de perfection auquel cette
brillante Manufacture eft parvenue. On
connoît depuis long- tems la fupériorité
de fa matiere ; le bon goût de fes formes
fe fait tous les jours remarquer de plus
en plus ; enfin on voit par cette pratique
que la peinture , déja plus belle que toute
autre de ce genre , ne peut qu'augmenter
en mérite & en pratiques plus fçavantes ,
& cependant plus faciles.
M. Peronneau a mérité des applaudif
femens par la legereté de fa maniere & celle
de fa touche , dans les fept portraits qu'il
a préſentés .
M. Vernet a eu cette année le plaifir de
juger lui - même de l'accueil que le public
de Paris eft dans l'habitude de faire à fes
beaux paysages : il eft venu d'Italie fe faire
recevoir dans un Corps confidérable , dont
il étoit depuis long- tems un membre diſtingué,
164 MERCURE DEFRANCE.
Les éloges qu'on a donné aux ouvrages
de M. Vien , jeune Artifte , un des derniers
reçus à l'Académie , font efperer qu'il
ne s'écartera jamais de la grande maniere
dont il vient de donner des preuves éclatantes.
Nous ne pouvons mieux finir qu'en parlant
d'une entreprife qui feroit encore
agréable , quand elle ne feroit pas auffi
parfaitement exécutée qu'elle l'eft : il s'agit
des portraits que M. Cochin , le fils , a
deffinés d'après nature , avec fon goût &
fa facilité ordinaires ; talens que l'on n'eft
pas dans l'habitude d'exiger des Graveurs.
Ce charmant Artiſte a donc deffiné & expofé
un très-grand nombre de profils des
Artiftes & des Amateurs des Arts , qui font
de la même grandeur , & dont la reffemblance
eft frappante . On ne peut s'empêcher
de fouhaiter vivement qu'ils foient
gravés & qu'ils forment une fuite : M.
Cochin eft fi exact & fi laborieux , qu'il eft
permis d'efperer qu'il terminera cette entreprife
: elle fera d'autant plus agréable ,
que c'eft une espèce de tableau , par lequel
on pourra connoître fans erreur ceux qui
donnant dans le même goût ont vêcu dans
le même fiécle ; il feroit à défirer que cette
idée eût êté mise en pratique dans les frécles
antérieurs , on fe trouveroit plus aiſéOCTOBRE.
1753
165
ment transporté dans les fociétés paffées ,
l'imagination en tireroit des fecours , & les
meilleurs ouvrages en feroient embellis .
Le
Vendredi 7
Septembre ,
l'Académie
de Peinture & de Sculpture tint fon affemblée
générale . M. Watelet , Receveur Général
des finances , &
Honoraire affocié
libre de
l'Académie , y lut les deux premiers
chants de.fon Poëme fur la Peinture :
ces deux chants ont pour objet le deffein
& la couleur. La folidité des
principes , la
jufteffe des images , les graces du ftyle ,
tout affure à la France un ouvrage qui lui
fera un
honneur infini : c'eſt le
jugement
unanime d'une
affemblée
nombreuſe , &
formée par des
connoiffeurs
véritables &
des amateurs zélés,
Après cette
importante & agréable lecture
, M. de Vandieres , Directeur & Ordonnateur
Général des Bâtimens , fit la diftributiondes
Médailles d'or &
d'argent pour
les grands prix de Peinture & de Sculpture
remportés l'année derniere ; fçavoir :
Le premier prix de Peinture , à M. Fragonard.
Le prix de Sculpture , à M. Brenet.
Le fecond prix de Peinture , à M.
Monet.
Le 2d prix de Sculpture , à M. Duhez.
$
166 MERCURE DE FRANCE,
M. le Directeur Général a auffi diftribué les pez
aits prix du quartier de Janvier 1953 , jufques &
compris celui d Octobre de la même année.
CARTE générale de l'Empire de Rufles , en Eu.
rope , en Afie , dreflée d'après les Cartes de l'Atlas
, Ruffen ; par Robert de Vaugondy , Géographe
ordinaire du Roi . A Paris , chez l'Auteur , fur le
Quai de l'Horloge du Palais , proche le Pont- neuf
1753.
Philippe Buache , Premier Géographe du Roi
& de l'Académie des Sciences , vient de publier
avec l'approbation & fous le Privilége de l'Académie
, fix Cartes grand in-4° . fur les nouvelles découvertes
au Nord & à l'Orient de la grande Mer,
appellée vulgairement la Mer du Sud , accompa
gnées d'une explication , qui a pour titre : Confidérations
Géographiques & Phyfiques, &c. Ce que ces
ouvrages nous propofent fur les bornes & l'étendue
de l'Amérique feptentrionale , comme voifine
de l'Afie ,fe préfente avec des preuves de toute efpéce
qui lui donnent un grand poids ; & il feroit
très-utile qu'en publiant de nouvelles Cartes , on
rendît ainfi compte de leurs fondemens.
Celles dont il eft question , & qui font gravées
& enluminées avec goût & propreté , rempliffent
l'efpace qui étoit vuide fur nos Globes , depuis les
côtes fuppofées par feu M. Guillaume Delife ea
1724 ( d'après les Mémoires que l'on avoit alors )
jufqu'à la partie du Canada , voifine da lac fupérieur
, & aux côtes occidentales de la Baye d'Hudfon
( c'est-à- dire depuis le 160 degré de longitude
jufqu'au 287 ) & depuis l'Ile de lefo ou Yeço,
& les environs de la Californie & du Nouveau
Mexique , au 43 degré de latitude feptentrionale
jufqu'au So.
OCTOBRE. 1753 . 167
Pour donner une idée claire de tout le travail
de M. Buache , nous commencerons par tranſcrite
les titres des Cartes.
La premiere eft intitulée : Carte des nouvelles
découvertes entre la partie orientale de l'Afie &
l'occidentale de l'Amérique , avec des vues ( particulieres
) fur la grande Terre reconnue par les
Ruffes en 1741 , & fur la mer de l'Oueft & autres
communications de mers . Dans cette Carte qui
eft la générale , on a diftingué par quatre differentes
teintes de couleurs , ce qui est nouveau
d'avec ce que l'on connoiffoit ci- devant ; & ces
teintes ont rapport aux quatre espéces de décou
vertes dont nous parlerons dans un moment. Cette
maniere de préfenter les objets , qui n'a point été
mife en ufage jufqu'à préfent , eft très- utile pour
faire connoître le progrès des connoiflances.
La feconde a pour titre : Carte des découvertes
de l'Amiral de Fonte , felon la Carte Angloife
donnée par l'Ecrivain du Vaiffeau la Californie
dans fon voyage à la Baye d'Hudſon , avec les Terres
vûes &reconnues par les Ruffes , & une comparaifon
du réſultat des Cartes du 16 & 17 fiécle
au fujet du détroit d'Anian . On y trouve d'ailleurs
plufieurs notes intéreflantes , qui rappellent ce qui
eft plus au long dans l'écrit , où l'on refute le fyftême
de l'Ecrivain du Vaiffeau la Californie , qui
fait entrer l'Amiral de Fonte dans les Terres au
$ 3 degré de latitude , au lieu du 63 comme il paroît
par les difcuffions.
La troifiéme Carte expofe le Géométrique des
découvertes de l'Amiral de Fonte & de fon Capiraine
Bernarda , comparé avec le fyftême de la
Carte Angloife ; & un Extrait ( on Abregé ) de la
Relation de l'Amiral , fait, d'après un manuſcrit
communiqué en 1748 , par M, de l'ifie l'Aftrono168
MERCURE DE FRANCE.
me. C'eft d'après le travail de M. Buache à ce
fujet , que l'Académie a jugé le 7 Juillet dernier,
qu'il étoit utile de conferver les découvertes de
l'Amiral de Fonte , & d'en faire voir l'accord avec
toutes les connoiffances & les indications qu'on
peut raffembler fur l'Amérique feptentrionale.
La quatrième offre deux objets : 1 ° , la réduction
de celle qui a été publiée à Nuremberg ( il y
a 25 ans ) & où l'on voit l'une des premieres idées
qu'on s'est formé du Kamtchatka & de fes environs
: 2 °. la vue des Glaces , au milieu defquelles
l'on voit la Péche qui fe fait au Nord- est de l'Afie ,
extraite de la Carte de l'Empire Ruffien, en Langue
Ruffe. M. Buache atiré de ces deux moreeaux des
inductions pour la proximité de l'Amérique.
La cinquiéme Carte eft un effai que fea M.
Guillaume Delifle joignit en 1717 au Mémoire
qu'il préfenta à la Cour , fur l'exiftence de la mer
de l'Ouest , & l'on y apprend pourquoi il n'a pas
fait mention de cette mer fur les Cartes.
Enfin , la fixiéme eft divifée en deux parties ,
qui doivent être comparées enfemble pour rectifier
le plan de l'une par celui de l'autre. C'eſt 1 °;
un extrait d'une Carte Japonoife de l'Univers ,
apportée en Europe par Kaempfer , & où l'on voit
les Terres qui font au Nord & à l'Ouest du Japon ,
avec plufieurs notes curieufes. 2 °. Une réduction
des Cartes préfentées à l'Académie des Sciences ,
le 9 Août 1752 par M. Buache ( qu'il publie au
jourd'hui ) & l'on y voit la route des Chinois en
Amérique vers l'an 458 de J. C. tracée fur les
connoiffances géographiques , que M. de Guignes,
de l'Académie des Belles- Lettres , a tirées des Annales
Chinoifes. Voilà pour ce qui concerne les
Cartes.
M. Buache a réduit dans un Expofé , qu'il eut
Phonneur
OCTOBRE . 1753 . 169 :
thonneur de présenter au Roi avec fon ouvrage ,
de 2 du mois dernier , les découvertes dont il eft
question , à quatre chefs qui font diftingués par
couleurs qui leur font propres.
1. Les découvertes des Ruffes depuis vingt ans ,
comparées avec les idées qu'on avoit ci- devanc
( en Europe , & que l'on a au Japon ) fur le Nordeft
de l'Alie & les Terres voifines de l'Amérique ,
comme en étant féparées par un détroit , fouvent
glacé ce qui a facilité le paffage des premiers ha
bitans de l'Amérique venus d'Afie .
:
2°. Les découvertes des François depuis quinze
ans, fçavoir , la partie la plus occidentale de la
Nouvelle-France ou du Canada , juſqu'à trois cens
lieuës au-delà du lac fupérieur : ce qui étend nos
poffeffions bien au- delà de ce que préfente la nouvelle
Carte du Canada , où l'on a prétendu diftinguer
exactement les poffeffions Françoiles . M. Buache
nous apprend entr'autres chofes à ce sujet
( page 39 ) que nos Officiers envoyés par M. le
Comte de Maurepas , ont bâti fix Forts , & fait fin
Etabliffemens dans ces nouveaux Pays.
3. Résultatde diverfes recherches , faites par feu
Guillaume Delifle & Philippe Buache , dont l'objer.
eft d'un côté la mer de l'Oueft , au Nord de la Californie
& à l'Oueft du Canada , avec la prolongation
jufqu'à la Baye d'Hudfon ( indiquée par les
maiées & par diverfes Relations de Navigateurs )
& de l'autre côté , une grande prefqu'Ille qui forme
un long détroit , entre le Nord- Eft de l'Afie & le
Nord-Ouest de l'Amérique. Ce détroit reflemble
fort au détroit d'Anian , & c'eſt ce qui a donné occafion
à M Buache de nous inftruire de diverfes
particularités intéreflantes à fon fujet.
4°. Les découvertes de l'Amiral de Fonte , au
Nord des précédentes , & qui fe trouvant enchal
H
170 MERCURE DE FRANCE.
fées avec elles , s'accordent avec tout ce qu'on con
noît d'ailleurs.
M. Buache nous apprend dans une eſpèce d'Avertiment
qui fuit fon Expofé , que fon travail
a été occafionné par les difcuffions , aufquelles la
Relation de l'Amiral de Fonte a donné naiffance ,
mais qu'il avoit auparavant l'idée de ce travail ,
comme on le peut voir par ce que dit M. de l'ifle
l'Aftronome , à la fin de fon Mémoire fur les nouvelles
découvertes , l à l'Affemblée publique de
l'Académie des Sciences le 8 Avril 1750. Il y at
tefte ( page 11 de ſon Ex - lication ) que M. Buache
par la cennoiffance qu'il avoit de la ſtructure de
tout le reste de la Terre connue ayant conjecturé
que l'Afie devoit être liée à l'Amérique au
Nord , par une fuite de montagnes des
& par
mers de peu de profondeur , a eu le plaifir de
voir fon opinion confirmée par les découvertes
» des Rufles & de l'Amiral de Fonte , dont je viens
(difoit M. de l'Ifle ) de faire le récit abregé
Les raifons de cette conjecture de M. Buache , font
expliquées dans les deux premieres notes de fes
Confiderations Géographiques & Phyfiques fur les
nouvelles découvertes au Nord de la grande mer , dont
on peut avoir une idée par ce que nous venons de
dire , fans que nous nous étendions davantage .
4ל כ
30
A I R.
Dans le Salon avec moi l'autre joue
La jeune Eglé dit : ah , voilà l'Amour !
Dans la bouche ce mot étonne mon oreille ,
Et l'espoir dans mon coeur anffi -tôt fe réveille
Eglé , quoi , lui dis- je à mon tour ,
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, LENOX
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OCTOBR E. 1753 .
171
L'Amour vous eft connu ! quelle rare merveille !
Mais hélas ! cet Amour , l'auteur de mon ſouci ,
Ne le connoîtrez - vous qu'ici è
J. F. Guichard.
SPECTACLE S.
L'Académie Royale de Musiquecontinue toujours
les fetes de Polymnie. Elle en a donné le
Dimanche 16 ,une
reprélentation gratis, àl'occafion
de la naiflance de
Monfeigneur le Duc
d'Aquitaine .
Cette Académie a retiré les fètes de l'olymnie ,
pour les remettre au retour de Fontainebleau , &
a donné Dimanche 23 Septembre , la premiere
repréſentation des Artifans de qualité & de la Pipés,
Intermédes Italiens. Nous rendrons compte le mois
prochain de cette nouveauté.
Les Comédiens François ont donné le Samedi
25 Août Merope , Tragédie , dans laquelle M. le
Jeune , Acteur nouvellement arrivé de Province
a repréſenté le rôle d'Egifthe ; il a joué le lende
main celui de Valére dans la Comédie du Mé
chant ; fes autres rôles de début ont été Frederic ,
dans Guftave ; dipe , dans la Tragédie de ce
nom ; & Titus , dans Brutus. Il s'en faut bien que
cet Acteur foit formé ; mais il n'eft pas fans elpérance,
ayant la voix & la figure agréables ; il a mê
me montré de
l'intelligence , & de l'ame dans plufieurs
Scénes . Les mêmes Comédiens ont remis
au Théatre , le Lundi 10'du mois dernier , le Bourgeois
Gentilhomme , avec tous les agrémens ; certa
Comédie eft auffi bien rendue qu'elle pouvoit l'êre.
Les rôles du Bourgeois , de Madame Jourdain ,
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
de Lucile , de Nicole & de Dorimene , font rem -y
plis par M. Armand , Mlles la Mothe , Grandval ,
Dangeville & Brillant ; & ceux de Cléonte , de
Cortelle & du Comte , par M. Grandval , Dubois
& la Noje . On a jugé M. Armand fupérieur à
feu Poiffon dans quelques Scénes , & inférieur
dans d'autres ; le public lui a témoigné par les ap
plaudiilemens , combien il étoit fatisfait de ce qu'il
s'eft prêté à jouer un rôle qui n'est pas de fon emploi.
Comme cet Acteur à des talens fupérieurs ,
plus il jouera le Bourgeois Gentilhomme , & plus
il s'y diftinguera. Le fuccès de la Piéce n'eft pas
auffi complet qu'on l'avoit cru ; bien des gens y
trouvent peu de vraisemblance , des longueurs
trop de fcénes de farce , & un mauvais dénouëment.
Nonobftant ces défauts , il nous paroît que
les beautés des deux premiers Actes , l'excellence
du dialogue , la variété du Spectacle , & la maniere
heureuſe dont les divertiffemens font ame
nés , doivent faire réuffir cet ouvrage dans tous les
tems. Mlle Grandval joue avec une fineffe inexprimable
la Scéne du dénouement qu'on ne dai
gnoit pas écouter autrefois : c'eft le propre des
grandes Actrices de créer des fituations . On a uni
verfellement approuvé les Ballets ; ils font de M.
Sodi , qui danía à la fin du dernier divertiffement
avec la Dile Betina Buggiani , & le Sieur Cofimo
Maranefi , un pas de trois dont on ne peut trop applaudir
l'exécution .
Les mêmes Comédiens ont donné le Mardi 18
Septembre gratis , pour la naiflance de Monfeigneur
le Duc d'Aquitaine , le Philofophe marié ,
fuivi d'uu Ballet ; & pour petite Piece , le mari res
trouvé, avec le divertiffement des Charbonniers.
OCTOBRE. 1753 . 173
EXTRAIT des Femmes , Comédie-Bal
let en un Alte , par M. Mailhol , repréſentée
pour la premiere fois par les Comédiens Ha
liens , le 2 Août 1753 .
ACTEURS.
La Folie ,
L'Amour
Pfiché ,
Arlequin.
Mlle Coraline ;
Mile Fulquier ;
Mlle Favart ;
M. Carlin.
La Scéne eft fur la terre.
E Théatre repréſente des côteaux , dont le bas
LE ;
l'éloignement des hommes & des femmes occupés
à travailler à la terre. Le Temple de la Folie pafoît
dans l'un des côtés : un autel occupe le fond
du Théatre ; il eft couvert de fruits & de victimes.
La premiere Scéne fe paffe entre la Folie & Arlequin.
Ce dernier dit à la Folie que les hommes
ont raifon de fe plaindre de leur fort , & qu'il vau
droit mieux n'être pas , qu'exifter & fouffrir ; la
Folie lui répond , que c'eft la faute des hommes
s'ils font malheureux ; que la raifon leur a été
donnée avec la vie ; qu'ils ont dédaigné fes confeils
, & que pour les en punir les Dieux les ont
foumis à fa puiffance ; que lui Arlequin , ne doit
pas être fi fâché que les autres , puifqu'elle lui a
donné la belle Pfiché. Arlequin replique à la Folie
que Pfiché le refufe . Pfiché arrive toute effrayée ,
en difant à la Folie que tout eft perdu , que les
hommes fe révoltent contre les Dieux , fans être
épouvantés du fort des Titans , & que loin de
craindre la foudre , ils l'implorent , puifqu'elle
Hij
374 MERCURE DE FRANCE .
peut terminer leurs maux. La Folie eft fort embar
raffée du parti qu'elle doit prendre : Arlequin lui
confeille de partir pour les Cieux , & la prie de le
mettre du voyage , ainfi que Puché.
On entend un bruit confus & terrible , les hom
anes & les femmes qui travaillent dans le lointain ,
diſparoiſſent ; la Folie fe renferme dans fon Temple;
Pfiché veut la fuivre , mais Arlequin l'arrête.
Arlequin qui craint la fureur des hommes révoltés
, parle en tremblant de fon amour à Pfiché ;
elle eft également effrayée , & elle ne peut fouffrir
Arlequin ; cependant pour l'obliger à la fecourir ,
elle lui promet de l'aimer , elle lui jure même
qu'elle l'adore. Cela n'empêche pas à Arlequin ,
qui eft plus poltron qu'amoureux , de la laiffer
feule ; il s'enfuit d'un côté du Théatre , & Pfichė
défefpérée , fuit de l'autre. in grand bruit , une
fymphonie vive annoncent les hommes ; ils paroif
fent armés de haches , de maflues & de débris d'arbres
; ils expriment par une danfe terrible leurs
noirs deffeins ; ils fe difperfent dans les campagues
, détruifent tout , & renverfent l'autel . La
Folie revient , & menace les hommes de la ven,
geance des Dieux , s'ils ne les défarment pas par
leurs remords . Les hommes loin d'écouter la Folie
, s'indignent de fes difcours , ils l'environnent
en danfant , & la contraignent de rentrer dans fon
Temple , qu'ils embrâfent avec des torches allumées.
Le tonnerre gronde , le fonds du Théatre fe
couvre de nuages , qui s'entr'ouvrent enfuite , &
laiflent voir dans les airs l'Amour fur un nuage
de feu , environné de génies : les hommes prennent
la fuite , la Folie fort des mines de fon Temple.
L'Amour & fa fuite defcendent rapidement
fur le Théatre. LaFolie appercevant l'Amour , ng
OCTOBRE. 1753. 175
peut s'empêcher de rire de ce que le plus petit
des Dieux eft chargé du foin de leur vengeance :
l'Amour méprile les railleries de la Folie , qu ! alors
affecte de prendre un ton férieux , & lui demande
fi c'est à l'Amour de détruire le genre humain ?
PAmour lui répond qu'il oublie fon interêt particulier
, quand il s'agit de la vengeance commune
des Dieux d'ailleurs il prétend qu'il eft un des
plus outragés : C'eſt mo!, dil , qui pour diminuer
les maux des hommes , leur fis donner desfemmes ; les
méchaus , les ingrats qui par ce moyen participoient à
notre félicité, fe font arrogés fur elles un pouvoir defpotique
les traitent en efclaves , & me puniffent de mes
bienfaits. La Folie implore envain la clémence de
l'Amour en faveur des hommes ; l'Amour lu ordonne
de difparoître , & la Folie le quitte en faifant
de grands éclats de tire . Alors les Génies arrivent
, l'Amour leur ordonne de fe préparer à leconder
fon courroux.
Dans le tems que les génies s'excitent par une
danfe vive à bien remplir fes ordres , on entend
ane douce mélodie qui talentit peu à - peu leurs
mouvemens , & enfin les rend immobiles ; une
troupe de femmes couvertes de feuillages & de
Aeurs , danfent autour d'eux ; la vûe de ces objets
commence à adoucir l'Amour , & lui fait différer
la vengeance ; les génies paroiffent vouloir
fe défendre des careffes des femmes , mais elles
les enchaînent avec des guirlandes de fleurs , Pfiché
paroît plus brillante que les autres femmes ,
& après avoir danſé autour de l'Amour , elle l'enchaine
ainfi que les compagnes ont enchainé les
génies. L'Amour ne peut réfifter aux charmes de
Pliché , il lui offre fes hommages , que Pfiché refoir
avec beaucoup de tendreffe ; cela donne lieu
une fcene de galanterie , à la fin de laquelle
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE.
l'Amour tombe aux genoux de Pfiché. La Folie le
furprenant dans cette pofture , vient lui apprendre
que les Dieux font irrités de les lenteurs, qu'ils
ont entendu fon entretien , & l'ont chargée de
venir l'interrompre l'Amour fe trouve dans une
cruelle alternative , d'un côté il craint de perdre
Pfiché , qui ne veut confentir à fon bonheur qu'à
condition qu'il pardonnera aux hommes ; de l'an- `
tre , il ne veut pas trahir la vengeance des Dieux :
dans cet état il prend la réfolution d'aller demander
dans l'Olympe la grace de l'univers . La Folie
qui s'eft amulée à fes dépens , l'arrête , en lui difant
qu'il n'en eft pas befoin ; que le deftin s'eft
rendu , qu'il fait grace aux hommes en faveur des
femmes qu'il immortalife Pfiché , que Venus
veur leur donner une fête , & les emmener enfuite
dans les Cieux : écoutez maintenant , ajoûre
la Folie , la fuite de Parrêt du deftin. Les hommes
pour avoir eté fauvés par les femmes qu'ils avoient
outragées , feront à jamais foumis à leur puiffance ;
elles les rendront heureux ou malheureux , fuivant
leur volonté , & peut être leur caprice : d'elles ſeules
dépendra leur fort ; s'ils leur réſiſtent quelquefois , ce
ne fera que pour céder enfuite avec plus d'éclat , &
pour mieux cimenter leur pouvoir ; enfin elles parta
geront avec les Dieux les hommages de l'univers .
Les génies fortent , les femmes les fuivent , &
Arlequin arrive bien furpris de trouver Pfiché immortelle
, & adorée par l'Amour . Il la réclame en
vain l'Amour lui dit que Pfiché ne l'aime pas ,
& qu'à fa place il lui donne la Folie. Ce marché
eft accepté , & la Folie prend Arlequin pour fon
amant , dans l'efpoir que fes fingeries affermiront
fon empire. Le fpectacle eft terminé par le Diver
tiffement de l'Amour piqué par une abeille ,
guéri par un bailer de Venus,
Г
OCTOBRE. 1753. 177
EXTRAIT des Amours de Baftien
Baftienne , Parodie du Devin du Village,
par Mlle Favart & M. Harny,
ACTEURS.
Baftien ,
Baftienne ,
Colas,,
M. Rochard.
Mlle Favart.
M. Chanville;
Payfans , Payfannes .
Baftienne ouvre la Scene par un Monologue ';
dans lequel elle fe plaint de l'infidélité de Baftien ,
par qui elle fe croit entierement abandonnée . Elle
apperçoit Colas qui defcend d'une coline en chan
tant & s'accompagnant de fa cornemule ; comme
elle croit ce Colas un grand magicien , elle l'aborde
pour le confulter fur fes amours avec Bal
tien , & au lieu d'argent dont elle manque , elle
lui offre des boucles d'or fin pour le déterminer i
la fervir : Colas la tient quitte pour un baifer ,
qu'elle lui refufe , en difant que tous fes baifers
font à Baftien , qu'elle les garde pour leur mariage.
Colas raffure Baftienne à moitié , en lui
difant que Baftien continue de l'aimer , mais que
cependant il eft infidéle : Baftienne répond qu'elle
ne veut point de partage. Colas lui apprend que
Baftien qui eft coquet , n'a pu s'empêcher de rendre
fes hommages à la Dame du lieu , qui lui fait
des préfens confidérables ; il confeille en même
tems à Baftienne d'affecter auprès de lui de la
gayeté & de la légereté pour le rendre conftant.
Baftienne promet de fuivre la leçon du magicien
Baftienne est bien malheureufe , elle a refufé un
Hy
178 MERCURE DE FRANCE.
Financier , & un petit Collet , qui vouloir la faire
fa gouvernante , pour n'écouter que Baftien qu'elle
adore ; elle prend la réfolution de paroître coquette
, & de faire femblant de fair fon amant ;
elle quitte enfuite Colas , en lui fafant d'humbles
remercimens de les bons confeils . Colasˇrefté ſeul ,
rit de la fimplicité & de l'ingénuité de Baftienne ,
qui ne reflemble pas à tant de filles de Paris qui
en revendent à leur mere . Baftien s'échappe des
bras de la Dame du Château , & vient trouver
Colas , pour fçavoir des nouvelles de fa Baftienne.
Colas lui affure qu'elle a fait un nouvel amant
qui eft gentil au poffible . Baftien en eft défefpéré
, & confulte Colas fur la maniere dont il s'y
prendra pour ravoir fa belle : Colas tire de fa beface
un Livre de la Bibliotheque bleue , & fait en
lifant , plufieurs contorfions qui font enfuir Baftien
: il revient un peu après , & Colas l'exhortte
mystérieusement de prendre un air galant , & de
n'être pas un ignorant dans le tête à tête avec
Baftienne , finon il lui déclare qu'il la perdra pour
jamais. Baftien eft bien inquiet de la maniere dont
il s'y prendra ; la timidité le prend en appercevant
Baftienne ; il fe détermine cependant à luk
parler , ce qu'il fait d'un air très - niais : Baftienne
jai tépond fur le même ton : l'amour réciproque
qu'ils reflentent les échauffe infenfiblement,
Baftienne , air : Des niais de Sologne .
Non , infidele ,
Cours à ta belle ;
Soins fuperflus ;
Non , Baftien , je ne vous aime plus .
Baltien.
A la bonne heur
OCTOBRE. 1753 .
179
Tu veux que je menre ;
Eh bian , je vais ....
Du hamiau fortir pour jamais.
Baftienne
L'ingrat me quitte .
Baftien.
Oui , tout de faite ,
Voudrois-tu donc
Que j'aillions comm - ça fans façon
Etre de ton joli Monfieur
Le ferviteur ?
Baftienne.
Baftien , Baftien,
Baftien.
Vous m'appellais.
Baftienne.
Vous vous trompais ;
Quand j'te plaifois ,
Dam ' , tu m'plaifois.
Baftien.
La belle marveille !
Quand tu m'aimois ,
Moi , j't'aimois .
Enfemble.
Tu me fuis ; va , je te rend la pareille ;
H vj
180 MERCURE DE FRANCE
Deviens volage ,
Je me dégage ;
D'un autre amour
J'prétendons tâter à mon tour;
Nouviau ménage
N'eft qu'avantage ,
Et chacun m'dit
Que ça réveille l'appétit
Baftien.
Quoique l'on prife,
Baftienne,
Quoique l'on dife ,
Baftien
Ces grand maîtreffes ,
Baftienne,
Des grand'richeffes ,
Baftien
Si tu voulois
Si tu voulois
Baftienne
Enfemble.
Renouer nos amours ;
Je te pourrois
Baftiens
Toujours aimer
OCTOBRE. 1753. 181
Baftienne.
Aimer toujours.
Baftien
Reads moiton coeur ;
Fais mon bonheur;
Viens dans mes bras
Baftienne.
Hélas ?
Qu'il eft charmant
De faire un heureux dénoument!
Ensemble.
Va je m'rengage ,
Et fans
partage ,
Tian , v❜la ma foi.
Baftien. Ton cher Baſtien eſt tout à toi
Baftienne. Ta' chere Baftienne eſt toute à tois
Plus de langage ,
De varbiage ;
A nos dépens
Ne faifons pas riré les gens.
Colas revient voir Baftien avec Baftienne , &
choeur de Payfans & de Payfannes chante leurs
amours.
Les mêmes Comédiens ont auffi donné gratis le
Mardi 18 Septembre les Brouilleries nocturnes , piéce
Italienne en deux Actes , fuivie des Masques de
Bemons , Ballet pantomime ; & pour petite Piéce
182 MERCURE DE FRANCE.
le Retour d'Arlequin , avec le Ballet des Savoyards.
L'Opéra Comique a repréſenté pour la premiere
fois le Lundi 10 Septembre , le Plaifir &
L'Innocence , Piéce nouvelle en un Acte , qui a été
reçûe favorablement du Public. On avoit donné
le Dimanche précédent la derniere repréſentation
des Troqueurs , qui ont attiré jufqu'à la fin des affemblées
fort nombreuſes.
L
CONCERT SPIRITUEL.
E Concert du buit Septembre jour de la Naiffance
de Monfeigneur le Duc d'Aquitaine
commença par le Te Deum, de Lalande . Le zéle &
l'activité des Directeurs furent remarqués. Après
ce morceau que les difpofitions où on étoit rendoient
encore plus agréable qu'il ne l'ek , on
exécuta une Symphonie de M. Pla , ce délicieux
Hautbois Efpagnol , que nous avons le regret de
ne plus entendre. Enfuite Deus venerunt gentes
Motet à grand choeur de M. Fanton, M. Baptifte
joua une Sonate de violoncelle , de la compofition
de M. Berteau , qui fut applaudie . M. Albaneze
chanta deux morceaux Italiens. M. Canavas jous
feul & avec goût. Le Concert finit par Diligam te ,
Motet à grand choeur de M. Madin.
83
1
OCTOBRE. 1753. 183
洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗
NOUVELLES ETRANGERES.
DU NORD.
DE WARSOVIE , le 10 Août.
Grand- Général de l'Armée de la Couron
ne , pour lui annoncer l'échange qu'ils ont fait de
Jeurs Principautés , par ordre de la Porte . En même
tems , ils l'ont afluré que le Grand Seigneur
leur avoit recommandé d'apporter toute l'attention
poffible au maintien du bon voifinage avec
la Pologne.
DE STOCKHOLM , le 12 Août,`
La nouvelle Académie de Belles Lettres , formée
fous les aufpices & la direction de la Reine ,
a tenu fa premiere aſſemblée dans une Salle de
l'appartement de cette Princeffe. Sa Majefté daigna
faire elle-même l'ouverture de la féance par
un Difcours , auquel le Baron de Hopken , Préfident
de la Chancellerie , répondit pour l'Académie
. Le fieur Dalin , Bibliothéquaire du Roi ,
Précepteur du Prince Royal , & Sécrétaire de la
Compagnie , lut une Differtation fur la naissance
le progrès des Sciences en Suéde . 1 annonça enfuite
que la Reine avoit fondé un Prix d'Hiftoire ,
un d'Eloquence & un de Poehe , & que
menceroit l'année prochaine à faire la diſtribution
de ces trois Prix , qui confiftent chacun en une
Médaille d'or de la valeur de trente ducats . L'A
l'on com184
MERCURE DE FRANCE.
cadémie propofe pour le Prix d'Hiftoire , d'éclaircir
Si la Famille de Folkunger , qui a occupéfi longtems
le Trône de Suéde , étoit Suédoise ou Etrangere,
Le fujet donné pour le rix d'Eloquence eft-l'Éloge
de Gustave- Adolphe , & l'on deftine le Prix de
Poëfic à la meilleure Piéce de Vers fur le Paſſage
des deux Belts par le Roi Charles - Guſtave aves
fon Armée en 1658. On prie les Auteurs qui voudront
concourir , d'envoyer leurs ouvrages à M.
Dalin avant le premier Avril . Les loix du concours
feront les mêmes que celles qui s'obſervent
dans les autres Académies .
On doit travailler inceffamment à l'érection de
la Pyramide que Sa Majefté Très- Chrétienne a
réfolu , avec l'agrément de cette Cour , de faireélever
à Tornéo.
DE
COPPENHAGUE , le 24 Août.
Deux Bâtimens de la Compagnie générale du
Commerce fout de retour de la côte de Groënlande
, d'où ils ont rapporté fept Baleines & la
moitié d'une . Le Navire le Prince Chriftian , def
tiné pour Saint Thomas en Guinée , fe mit avanthier
en rade . On a féparé de l'Artillerie de la Ma
rine trois Compagnies de Matelots , qui ont tiré
au fort pour être incorporés dans d'autres Divi
fons. Les Officiers de ces trois Compagnies fezont
diftribués dans les Provinces , & ils feront
chargés d'y faire la levée des Matelots dont on
aura befoin.
(
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , Le 4 Août.
U paroît une Ordonnance , par laquelle le
OCTOBRE . 1753- 185
Gouvernement menace de peines rigoureufes , les
foldats qui fuppofent des infirmités , ou qui s'en
procurent de réelles , pour fe difpenfer de fervir.
DE DRESDE , le 7 Août.
Cet Electorat , ainfi que tout l'Empire , étant
innondé d'une multitude d'efpéces de mauvais
aloi , le Gouvernement a réfolù d'en faire frapper
de nouvelles,
DE BERLIN , le 4 Septembre.
Le Prince Héréditaire de Brandebourg . Anfpack
s'eft rendu en cette Cour , ainfi que le Duc & le
Prince Héréditaire de Brunfwic - Wolfenbuttel . Il
s'y trouve actuellement vingt- deux Princes de
l'Empire , attirés par
la curiofité de voir le Camp
de Dobritz , dont l'ouverture s'eft faite le premier
de ce mois . On fert tous les jours dans ce Camp
aux dépens du Roi , differentes tables compofane
enfemble trois cens couverts. Toy les Princes
Etrangers mangent à celle de Sa Majesté . Les trois
Princes , freres du Roi , tiennent chacun une table
de cinquante couverts , & chacun des trois Maréchaux
de la Cour en tient une de quarante. Outre
cela , chaque Général a une table ouverte pour tous
les Officiers de fon Régiment.
D'EMBDEN , le 9 Août.
On commencera le 27 de ce mois la vente des
marchandifes , que la Compagnie Afiatique a reçues
de la Chine par le Vaiffeau le Roi de Pruffe
Le thé qu'on achetera de cette Compagnie , & qui
fera definé à être confommé dans les Etats de Sa
186 MERCURE DEFRANCE.
Majefté , ne payera que dix Grofches de droit par
livre .
Comme plufieurs Négocians Etrangers ont écrit
la Compagnie Afiatique , pour fçavoir fi le payement
des marchand : fes , qu'elle doit mettre en
vente le 27 , pourroit fe faire en Lettres de chan- E
ge , cette Compagnie déclare qu'elle recevra celles
fur des maifons fuffifamment connues à Amfterdam
, Anvers , Hambourg , Berlin & Francfort,
pourvû que ces Lettres foient payables un mois au
plus tard après leur acceptation.
DE RATISBONNE , le 11 Août.
Les trois Colleges nommerent le 6 de ce mois ,
à la dignité de Feld -Maréchal de l'Empire , vacante
par la mort du Prince Maximilien de Helle
Cafel , le Prince Louis de Brunſwic - Wolfenbuttel
, Feld- Maréchal des Armées de l'Impératrice
Reine , & des troupes de la République des Provinces
Unies Le Prince de Salm , Duc de Hoogftraten
, G erneur de la Citadelle d'Anvers
Le
s'eft mis fur les rangs pour la Charge de Général
d'Infanterie de l'Empire , dont le feu Comte de la
Marcx- Schleiden étoit revêtu .
ESPAGNE.
DE MADRID , le 21 Août.
Don Julien d'Arriaga , Préfident du Tribunal
de la Contractation des Indes , a donné avis au
Roi , que les Vaiffeaux le Saint Joseph & Saint
Antoine , le Saint Michel , la Notre-Dame du Rofairele
Foudre Bifcayen , étoient entrés le 19 de ce
mois dans la Baye de Cadiz. Les deux premiers
OCTOBRE. 1753. 187
13
viennent de la Vera- Crux , & les deux autres de
Carthagène. S'étant joints à la Havane , ils en
ont fait voile pour l'Europe, Ils ont apporté la va
leur de deux millions quatre cens douze mille neuf
cens trente & une piaftres , tant en efpéces d'or &
d'argent qu'en vaiffeile , fix mille trois cens trentequatre
émeraudes ; cent quarante cinq mille deux
cens vingt- cinq livres de cochenille , feize mille
cinq cens foixante & quinze d'anil , dix - neuf cens
de cacao , cent de baume , cinq cens quatre-vingtquatre
de jalap , deux cens quinze de fang.de dragon
, fept cens quatre vingt- fept mille cinq cens
de tabac , quatre mille deux cens cinquante de
laine de Vigogne ; cinquante trois caillons de vanilles
, buit cens quatre vingt - trois caifles de fucre ;
quinze cens cuirs , & quinze cens foixante - fix quin
taux de bois de Brefil . Le Paquebot le Saint Michel
appartenant à la Compagnie de la Havane , eft
venu de conferve avec ces Bâtimens.
ITALI E.
DEROME , le 31 Juillet.
Des voleurs ont arrêté le Courrier de Génes ,
entre Monte- Roffi & Ronciglione , & le font faifis
d'une malle , dans laquelle il portoit plufieurs effets
précieux .
Une Felouque , qui conduifoit en Sicile les deux
célébres Muficiennes , Banderata & Gallinarina , a
été prife par les Algériens.
Quelques particuliers propofent de faire arriver
les eaux de la mer à fept milles de cette Capitale,
en coupant une langue de terre du côté de Macarefe.
Ils offrent même de fournir l'argent néceffaire
pour ce travail , à condition de percevoir
188 MERCURE DE FRANCE.
feuls pendant trente ans le droit d'ancrage fur les
Vailleaux qui mouilleront dans ce nouveau Port
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 16 Août.
On fit le 4 de ce mois , en préſence des principaux
Officiers de l'Artillerie , l'épreuve d'une pié
ce de canon , de l'invention du Sieur Bowen . Cet
te piéce eft très- courte , & n'eft que de fix livres
de balle. En trois heures fept minutes quarante
cinq fecondes , elle tira trois cens coups la charge
pour chaque boulet étant de dix - fept onces & demie.
Après cette épreuve , on v fita le canon , &
l'on reconnut qu'il n'avoit fouffert aucune altération.
Il eft , au jugement des perfonnes qui l'ont ,
examiné , le meilleur en ce gerre qu'on ait fait
jufqu'à préfent pour le fervice du Roi.
PAYS - BAS.
DE LA HAYE , le 7 Septembre.
La négociation pour un Traité de Commerce ,
entre le Roi des Deux Siciles & les Etats Généraux .
ayant eu le fuccès défiré , ce Traité fut figné le 17
du mois dernier. Il contient quarante ſept articles.
1
OCTOBRE. 1753 189
1753..
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
E 18 Août dernier , le Roi revint du Château
Lde
Choify.
Leurs Majeftés , accompagnées de la Famille
Royale , affifterent le 19 aux Vêpres & au Salut
dans la Chapelle.
Leurs Majeftés ont foupé le même jour au grand
couvert.
Le Contrat de mariage du Comte de Morangiés,
& de Marie- Paule- Thérefe de Beauvilliers, fille du
Duc de Saint- Aignan , fut figné le 19 par leurs
Majeftés & par la Famille Royale.
Le 20 , les Députés des Etats de Languedoc eurent
audience du Roi étant préſentés par le Prince
de Dombes , Gouverneur de la Province , & par le
Comte de Saint- Florentin , Miniftre & Secrétaire
d'Etat , & conduits en la maniere accoûtumée par
le Marquis de Brezé , Grand -Maître des Cérémonies.
La députation étoit compófée pour le Clergé,
de l'Archevêque de Narbonne , qui porta la parole
; du Marquis de Lanta , pour la Noblefle ; de
Meffieurs de Baillarguet & de Voifins , pour le
Tiers-Erat ; de M. de Montferrier , Syndic Général
de la Province, & de M. Guilleminet , Greffier des
Etats .
Ces Députés eurent enfuite audience de la Rei
ne , de Monfeigneur le Dauphin , & de Madame
la Dauphine.
Le Roi alla le même jour tirer dans la Plaine de
Grenelle, Sa Majefté foupa le foir à Montrouge ,
chez le Duc de la Valliere, Outre la table du Roi ,
190 MERCURE DEFRANCE:
il y en eut plufieurs autres fervies avec autant de
délicatefle que de magnificence. Après le repas ,
Sa Majesté te rendit à Choify.
Il y eut auffi le même jour , un Concert chez la
Reine . On y exécuta le Prologue & le premier
Acte de Roland.
La Ducheffe de Mirepoix a été nommée Dame
du Palais de la Reine , à la place de la feue Com
teffe de Saulx - Tavannes.
Le 20 , M. de Lamoignon , Préſident Honoraire
du Parlement , prêta ferment de fidélité entre les
mains du Roi , pour la Charge de Prévôt Maître
des Cérémonies de l'Ordre Royal & Militaire de
Saint Louis.
Sa Majefté a accordé au Marquis de Fontange ;
Moufquetaire de la Premiere Compagnie , & à M.
de Valiory , Capitaine de Cavalerie dans le Régi
ment d'Ecquevilly , les deux places d'Exempts des
Gardes du Corps , qui vaquoient dans la Compagnie
de Charoft par la retraite de M. de Treflos &
de Savy.
Le Roi ayant jugé à propos de donner un Unie
forme Militaire aux Cent Suiffes de fa Garde , & de
leur ôter la Livrée ; le Marquis de Courtanvaux
Capitaine Colonel de cette Compagnie , a préſenté
à Sa Majefté le modéle de l'Uniforme , & des Sur
tours de campagne , tant pour les Cent Suiffes que
pour leurs Tambours & pour leurs Fifres . L'habil.
lement des Cent Suiffes eft bleu , galonné d'or en
brandebourgs , avec deux galons fur le parement
de la manche , lequel eft d écarlate . Il n'y a qu'un
bordé d'or au Surtout, Les Tambours & les Fifres
font galonnés de même que les Cent Suiffes , mais
avec le galon de la Livrée du Roi , dans lequel il y
a de l'or mêlé avec la foye. Cette Compagnie a
pris fon nouvel Uniforme le jour de la Fête de Saing
OCTOBRE. 1753 .
191
Louis. Elle conferve toujours fes anciens habits
pour les cérémonies .
Madame Victoire prit des eaux le 20 & le 21 ;
purger par précaution. pour
fe
Le 23 , le Roi revint du Château de Choify
avec Monfeigneur le Dauphin , Madame Infante
Ducbelle de Parme , Madame Adélaïde , & Meldaines
de France , qui étoient allés la veille y
joindre Sa Majesté.
Le 24 , le Corps de Ville fe rendit à Versailles ,
& ayant à la tête le Duc de Gelvres , Gouverneur
de Paris , il eut audience du Roi avec les céré
monies accoutumées. Il fut préſenté à Sa Ma◄
jefté par le Comte d'Argenton , Miniftre & Sé.
crétaire d'Etat , & conduit par M. de Gifeux
Maître des Cérémonies en furvivance de M. Def
granges. Mrs Pafchalis & Caron , qui ont été
élus Echevins dans l'Aſſemblée du Corps de Ville
, tenue le 16 , pretérent entre les mains du
Roi le ferment de fidélité , dont le Comte d'Argenfon
fit la lecture , airfi que du Scrutin , qui
fut préfenté à Sa Majefté par M. Moreau , Avocat
du Roi au Châtelet.
Le Corps de Ville eut enfuite l'honneur de rendre
fes refpects à la Reine , à Monſeigneur le
Dauphin , à Madame la Dauphine , à Monfei
gneur le Duc de Bourgogne , à Madame , à Mas
dame Infante , à Madame Adélaïde , & à Mefda
mes de France , étant préfenté & conduit en la
maniere afitée.
Le as , jour de la Fête de Saint Louis , le Roi
1 & la Reine , accompagnés de la Famille Royale ,
dentendirent dans la Chapelle du Château la grande
Meffe , les Vêpres & le Salut , chantés par les
Miffionnaires .
Suivant l'ufage , les Hautbois de la Chambre
192 MERCURE DE FRANCE.
·
jouerent des Fanfares pendant le lever du Roi.
Leurs Majeftés foupérent le foir au grand cou
vert avec Monfeigneur le Dauphin , Madame ( nfante
, Madame Adélaïde , & Mefdames de France.
Pendant le fouper , les vingt - quatre Violons
de la Chambre exécuterent différentes fuites de
Symphonies de Mrs Rebel & Francoeur.
Le même jour , la Proceffion des Carmes da
Grand Couvent , à laquelle le Corps de Ville affifta
, alla fuivant la coutume à la Chapelle du
Palais des Thuilleries , où ces Religieux chanterent
la Mefle .
• L'Académie Françoiſe célébra auffi le même
jour la Fête de Saint Louis dans la Chapelle du
Louvre Pendant la Meffe , le célébre Cafarieli
chanta divers morceaux de mufique. Il étoit accompagné
par plufieurs Symphonistes qu'il avoit
choifis lui- même . M. Bon , Théologal d'Autun
prononça après la Mefle le Panégyrique du Saint.
La même Fête fut célébrée par l'Académie
Royale des Infcriptions & Belles - Lettres , & par
celle des Sciences , dans l'Eglife des Prêtres de
l'Oratoire , où le Panégyrique du Saint fut prononcé
par le Pere la Berthonie , Religieux Dominicain
, du Couvent de la Rue Saint Honoré,
L'après midi , l'Académie Françoife tint une
Aflemblée publique , dans laquelle elle donna le
Prix de Poefie , fondé par feu M , de Clermont-
Tonnerre , Evêque de Noyon, C'eft M. le Miere ,
qui a remporté ce Prix. Le fujet propofé étoit
La tendrelle de Louis XIV pour fa Famille. Lorf
qu'on eut fait la lecture du Poëme de M. le Miere
, M. de Buffon , que l'Académie a élu à la place
du feu Archevêque de Sens , prononça fon Difcours
de remerciment , auquel M. de Moncrif ,
Directeur , répondit.
Cette
OCTOBRE. 1753 195
Cette année , l'Académie devoit diſtribuer trois
Prix, mais elle a jugé à propos d'en réſerver deux.
Ainfi , le 25 Août 1754 , elle diftribuera un Prix
d'Eloquence & deux de Poëfie. Elle propofe pour
le Prix d'Eloquence , qui eft celui fondé par feu
M. de Balzac , le même fujet qu'elle avoit propolé
pour 17533 La erainte du ridicule étouffe plus
de talens & de vertus , qu'elle ne corrige de vices &
de défauts : Parentes & Cognati irridebant vitam
ejus. Tob. c. 2. verf. 18. Les deux Prix de Poëfie
que l'Académie donnera l'année prochaine , font
de la fondation de M. Gaudron. Un des fujets
propofés eft , l'Amour de la Patrie. L'autre eft,
l'Empire de la Mode.
Le Roi partit le 28 pour Bellevue.
Le même jour , l'Académie Royale des Inf
criptions & Belles- Lettres eut l'honneur de pré-
Tenter à Leurs Majeftés & à la Famille Royale les
Tomes XVIII , XIX & X X. dc fes Mémoi
tes. Ces trois Volumes comprennent les années
3744, 1745 & 1746.
M. Guignon étant dans l'ufage de donner tous
les ans un Concert à Monſeigneur le Dauphin
pour fon bouquet , fit exécuter le 26 au foir ;
pendant le fouper de ce Prince & de Madame la
Dauphine, plufieurs morceaux de fymphonic de
La compofition.
Le départ de Madame Infante Ducheffe de
Parme a été fixé au 26 Septembre . La fanté de la
Marquife de Lede , Dame d'Honneur de Madame
Infante, ne lui permettant pas de l'accompagner &
Parme , la Comteffe de Noaillesa été nommée par
Je Roi , pour faire les fonctions de Dame d'Honneur
auprès de cette Princeſſe juſqu'à Antibes , od
Madame Infante s'embarquera. La Marquife de
Cruffol , épouse du Miniftre Plénipotentiaire de Şa
I
194 MERCURE DE FRANCE .
Majefté auprès de l'Infant Duc de Parme , ac
compagnera Madame Infante à Gênes , airfi que
la Vicomteffe de Narbonne , attachée à cette
Princeffe. Le Comte de Noailles , Grand d'Efpagne
de la premiere Claffe , chargé des ordres du
Roi pour conduire Madame Infante jufqu'à Antibes
, le rendra à Parme après quela Princeffe fera
einbarquée. Le Bailly de Champignel , Exempt
'des Gaides du Corps dans la Compagnie de Ville-
Toy, commande le Détachement des Gardes ,
qui fuit Madame Infante jufqu'à Antibes. Cette
Princeffe trouvera à Gênes la Maiſon , qui la conduira
à Parme .
Le 27 , le Roi chaffa dans la Plaine de Genevilliers.
Après la chaffe , Sa Majesté alla fe
repofer dans la maison du Maréchal Duc de Richelieu
, & elle y foupa. Le repas fut précédé
d'un feu d'artifice dans le goût Chinois , qui a
très bien réuffi , & dont le Roi a paru fort fatisfait.
Il y a eu plufieurs tables magnifiquement
fervies , en même- tems que celle du Roi , pour
toute la fuite de Sa Majeſté.
Il y eut concert le 27 & le 29 , chez la Reine.
Le 21 , il y en eut un chez Madame la Dauphine.
* La VicomteЛle de Narbonne dont nous parlons ,
attachée à Madame Infante Ducheffe de Parme ,
n'eft point la Vicomteffe de Narbonne , foeur du Duc
de Fleury , époufe du Vicomte de Narbonne- Pellet ,
Lieutenant- Général des Armées du Roi , laquelle vit
dans fes terres avec jon mari , n'étant attachée à ancune
Princeffe ; mais la femme du Vicomte de Narbonne-
Lara , Colonel du Régiment de Soiffonnois) , d'une
maifon différente de la premiere. Voyez l'Hiftoire
*généal. des Maifons de France , par les PP. Anfelme
Simplicien.
OCTOBRE . 1753. 195
On y exécuta un Concerto de M. Mondonville. Ja
Moter , compofé par ce Muficien fur le même
Concerto , & dont les paroles font tirées du Pleaume
Laudate Dominum de Coelis , fut chanté par M.
Richer , Page de la Mufique. On chinta enfuite
In exitu Ifraël , nouveau Motet à grands choeurs ,
du même Auteur.
Le 25 & le 28 , M. Cafarieli , Muficien du Roi
des Deux Siciles , chanta plufieurs airs Italiens
chez Madame la Dauphine , & il s'accompagna
du Clavecin .
Le Roi a accordé à M. de Barailh , Lieutenant-
Général des Armées Navales , la place de Vice-
Amiral vacante par la mort du Comte de Camilly ,
& au Comte de Vaudreuil , Chef- d'Eſca dre , un
Brevet de Lieutenant Général des Armées Navales.
M. de Bart , premier Vice - Amiral , & le Comte
de Berchiny , Lieutenant Général des Armées du
Roi , ont été nommés Grands Croix de l'Ordre
Royal & Militaire de Saint Louis . La place de
Commandeur à la penfion de trois mille livres ,
que la promotion du Comte de Berchiny fait va
quer dans l'Ordre , a été donnée par Sa Majesté au
Chevalier de Croifmare , Brigadier , Lieutenant-
Colonel du Régiment du Roi , Infanterie , qui
avoit obtenu , en attendant cette penfion , la permiffion
de porter les honneurs de Commandeur .
Sa Majefté a difpofé du Gouvernement de Thion '
ville , qui vaquoit par la mort du Marquis de
Creil , en faveur du Comte de Courtomer , Lieutenant
Général des Armées du Roi , & Lieutenant-
Colonel du Régiment des Gardes Françoiles.
Le 25 , M. Heré , Premier Architecte du Roi
de Pologne Duc de Lorraine & de Bar , préfenta
à Leurs Majeftés & à la Famille Royale , un Re
Iij
196 MERCURE DE FRANCE.
cueil contenant non- feulement le Plan & les diftrens
afpects de la Place Royale , bâtie à Nancy
par ordre de Sa Majesté Polonoile , pour y placer
la Statue du Roi , mais encore les Plans & les
Elévations des Edifices dont cette Place eft entourée.
Ce Recueil eft dédié au Roi .
Le 29, le Roi fe rendit au Château de Choify ,
d'où Sa Majesté revint le 31 avec Meldames de
France qui y étoient allées le 30.
On célébra le premier Septembre dans l'Eglife
de l'Abbaye Royale de Saint Denis , avec les cérémonies
accoutumées , le Service qui s'y fait
tous les ans pour le repos de l'ame de Louis XIV,
& l'Evêque d'Arras y officia pontificalement. Le
Prince de Dombes & le Duc de Penthievre y affiſterent
, ainfi que plufieurs Seigneurs de la Cour,
Lea , la Reine ſe trouva un peu incommodée
& le Roi foupa dans ſon appartement avec la Famille
Royale,
La Comteffe de Morangiés & la Marquife de
Marcieu rendirent le 2 pour la premiere fois leurs
refpects à Leurs Majeftés.
Le même jour , l'Académie Royale des Sciences
ayant à la tête M. Rouillé , qui préfide cette
apnée à la Compagnie , & le Comte d'Argenfon ,
qui eft Vice-Prefident , cut l'honneur de préfenter
å Leurs Majeftés & à la Famille Royale le Tome
de les Mémoires pour l'année 1749.
L'indifpofition de la Reine n'ayant point eu de
fuite , il y eut concert le 3 & les chez Sa Majeſté.
On a exécuté dans ces deux concerts les trois
derniers actes du Ballet des Elémens , dont les
paroles font de M. Roi , Chevalier de l'Ordre de
Saint Michel , & la Mufique de feu Deftouches.
Le 4 , M. Klefxer , Syndic , & M. d'Hagier ,
Sénateur , Députés de la Ville de Hambourg ,"
OCTOBRE. 1753. 197
eurent audience de Monfeigneur le Dauphin , de
Madame la Dauphine , de Monſeigneur le Duc de
Bourgogne & de Madame. Ils furent conduits à
ces audiences par M. Dufort , Introducteur des
Ambaffadeurs .
Hier , Madame Infante Ducheſſe de Parme a
été purgée par précaution.
Le 6 , Madame Infante Ducheſſe de Parme consinua
les eaux , & cette Princefle fut purgée le 7.
Madame Sophie eut le 6 un mouvement de fiévre.
Le 8 , M. de Labergement prêta ferment entre
les mains de Sa Majefté , pour la Charge de Lieutenant
de Roi au Département de Châlons en
Bourgogne , vacante par la démiſſion du Comte
de Fucilleus.
certe
Le même jour , à midi , Madame la Dauphine
fentit ,des douleurs. Leurs Majeftés , la Famille
Royale , les Princes & Princelles du Sang , fe rendirent
, ainsi que le Chancelier de France , les autres
Grands Officiers, de la Couronne , & les Miniftres ,
à l'appartement de cette Princeffe , où toute la
Cour le préfenta en foule. Madame la Dauphisse
eut le tems d'entendre la Mefle , qui fut célébrée
dans fon Cabinet . A deux heures après midi ,
Princeffe fut heureufement délivrée , & elle accoucha
d'un Prince , à qui le Roi a donné le titre de
Duc d'Aquitaine. Le Cardinal de Soubize , Grand-
Aumônier de France , fit la cérémonie de l'ondoyement
en préfence du Curé de la Paroiffe du
Château. Le Garde des Sceaux , Grand Trélorier
de l'Ordre du Saint Efprit , apporta le Cordon de
cet Ordre , & il eut l'honneur de le paffer au cou
du Prince , qui fut remis entre les mains de la
Ducheffe de Tallard , Gouvernante des Enfans de
France. Elle préfenta Monfeigneur le Duc d'Aquitaine
à Madame la Dauphine. Enfuite elle porta
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
ce Prince à l'appartement qui lui étoit deſtiné.
y fut conduit felon l'ufage par le Duc de Villeroy,
Capitaine des Gardes du Corps , en Quartier.
Le Roi , la Reine , Monfeigneur le Dauphin ,
& Mefdames de France , ont laiffé éclater la joye
que cet heureux évenement leur cauſe , & que la
Cour & la Ville partagent egalement.
Sur les cinq heures , Leurs Majeftés accompagnées
de la Famille Royale , ainfi que des Princes
& Princeffes du Sang , & précédées des deux
Huiffiers de la Chambre , qui portoient leurs Maffes
, allerent à la Chapelle. Elles entendirent les
Vêpres , chantées par la Mufique , & enfuire le
Te Deum , entonné par l'Abbé Gergoy , Chapelain
Ordinaire de la Chapelle - Mufique . M. Francoeur,
un des Surintendans de la Mufique de la Chambre
, fit exécuter le Moter compoſé ſur ce Pleau
me par feu la Lande .
Après le Salut , le Roi , la Reine , Monseigneur
le Dauphin , Monfeigneur le Duc de Bourgogne ,
Monfeigneur le Duc d'Aquitaine , Madame , &
Mefdames de France , reçurent dans leurs appar
temens les révérences des Princes & Princelles da
Sang , des Grands Officiers de la Couronne , des
Miniftres & des Seigneurs & Dames de la Cour.
Leurs Majeftés fonperent au grand couvert avec
la Famille Royale .
A minuit , par les ordres du Maréchal Duc de
Richelieu , Premier Gentilhomme de la Chambre
en exercice , on tira dans la Place d'Armes un
beau bouquet d'artifice , dont l'exécution n'à laiffé
rien à déffrer. Elle a été conduite par M. de Font
pertuis , Intendant des Menus Plaifirs .
Lorsque Madame la Dauphine reffentit les premieres
douleurs , le Roi chargea le Comte de
Saint Florentin , Miniftre & Secrétaire d'Etat , de.
OCTOBRE. 1753. 199
mander à l'Archevêque de Paris d'ordonner des
prieres publiques pour l'heureufe délivrance de
cette Princeffe. Auffi- tot après les couches , le
Corte de Saint -Florentin dépêcha par ordre de Sa
Majefté un fecond Courier à l'Archevêque , pour
Tui annoncer la naiffance de Monfeigneur le Duc
'Aquitaine.
Le Roi a envoyé à Luneville M. de Lorme` , un
de les Gentilshommes ordinaires , pour donner
part de cette naiffance au Roi de Pologne , Duc
de Lorraine & de Bar.
Les Prévôt des Marchands & Echevins , qui
s'étoient affemblés à l'Hôtel de Ville , dès qu'ils
avoient appris que Madame la Dauphine avois
fenti quelques douleurs , reçurent le 8 , à trois
heures après midi , la nouvelle de la naiffance de
Monfeigneur le Duc d'Aquitaine , par M. de Pu
jol , Enfeigne des Gardes du Corps , qui fert actuellement
auprès de Madame la Dauphine , &
que le Roi avoit envoyé pour en donner part au
Corps de Ville. Dans le moment , les Prévôt des
Marchands & Echevins firent annoncer à toute la
Ville par une falve de l'artillerie & par la cloche
de l'Hôtel de Ville , qui a fonné jufqu'à minuit ,
la nouvelle faveur qu'il a plû à Dieu de répandre
fur la Famille Royale.
M. Defgranges , Maître des Cérémonies , vint
fur les trois heures & demie à l'Hôtel de Ville , &
il y apporta les ordres du Roi , fuivant lefquels les
Prévôt des Marchands & Echevins firent commencer
les réjouiffances.
A fept heures & demie du foir , il fut fait une
feconde falve de l'artillerie , après laquelle les
Prévôt des Marchands & Echevins allumerent
avec les cérémonies ordinaires , le bûcher qui
avoit été dreffé dans la Place devant l'Hôtel de
I hij
200 MERCURE DE FRANCE.
Ville. On tira enſuite une grande quantité de fuzfées
volantes : on fit couler dans les quatre coins
de la Place , des Fontaines de vin , & l'on diſtribua
du pain au peuple. Plufieurs orchestres , remplis
de Muficiens , mêlerent le fon de leurs inftrumens
aux acclamations dictées par l'allégreffe publique.
La façade de l'Hôtel de Ville fut illuminée pendant
la nuit par plufieurs filets de terrines , ainf
que l'Hôtel du Duc de Gefvres , Gouverneur de
Paris ; celui du Prévôt des Marchands , & les
Mailons des Echevins &. Officiers du Bureau de la
Ville.
Cette même nuit , il y eur des illuminations
dans toutes les rues .
Le 9 , pendant la Meffe du Roi , on chanta le
Te Deum de la compofition de M. Blanchart ,
Maître de Mufique de la Chapelle.
Le 11 , l'Abbé Branciforte , Nonce Extraordi
naire du Pape , eut une audience particuliere du
Roi , dans laquelle il prit congé de Sa Majesté.
Il fut conduit à cette audience , ainfi qu'à celles
de la Reine , de Monfeigneur le Dauphin , de
Monfeigneur le Duc de Bourgogne , de Monfeigneur
le Duc d'Aquitaine , de Madame , de Ma.
dame Infante , de Madame Adélaïde , & de Mefdames
Victoire , Sophie & Louiſe , par M. Dufort
, Introducteur des Ambaſſadeurs."
Le 16 , les Cours Supérieures & le Corps de
Ville , conformément aux ordres du Roi , affifterent
au Te Deum , qui fut chanté ſolemnellement
dans l'Eglife Métropolitaine. Les Prévôt des Marchands
& Echevins firent tirer enfuite un magnifique
feu d'artifice dans la Place devant l'Hotel
de Ville.
Le Roi ayant réfolu de faire camper annuellement
une partie de les troupes pour les exercer ,
OCTOBRE. 1753. 201
Ja Majefté a fait former cette année fix Camps ,
fçavoir un à Aymeries dans le Hainault , commandé
par le Prince de Soubize ; un près de Mezieres
fur la frontiere de Champagne , commandé
par le Marquis de Brezé ; un fous Sarrelonis , que
commande M. de Chevert ; un à Erftein en Alface,
fous les ordres du Marquis de Saint- Pern ; un à
Gray , dans le Comté de Bourgogne , fous ceux
du Duc de Randan , & un àBeaucaire en Languedoc
, commandé par M. de Crémille. Les troupes
qui compofent ces Camps , demeureront affemblées
pendant tout le mois de Septembre.
La Chymie , indépendamment des lumieres
qu'elle fournit aux Phyficiens & aux Médecins ,
étant utile à plufieurs Artiftes , même à de fimples
Artfans , les Apothicaires de Paris veulent contribuer
, autant qu'il eft en eux , à en faciliter
Pétude. Dans cette vue , ils donneront à l'avenir
chaque année un Cours de Chymie gratuit dans
leur Laboratoire , rue de l'Arbalète , Faubourg
Saint Marceau, Ils doivent tour à tour , à cet effet,
accorder leur temps , & faire la dépenfe néceffaire
pour les Opérations & les Démonftrations.
Le premier Cours a commencé le 17 Août dernier.
Il continue tous les Lundis & les Jeudis à
trois heures après midi .
Le 14 , le Comte de Sartirane , Ambaſſadeur or
dinaire du Roi de Sardaigne , eut une audience
particuliere du Roi , dans laquelle il fit part à Sa
Majefté de l'heureux accouchement de Madame
la Ducheffe de Savoye , & de la naiffance d'une
Princ effe Le Comte de Sartirane fut conduit à cette
audience , ainfi qu'à celle de la Reine , par M.
Dufort , Introducteur des Ambafladeurs .
Le Roi ayant écrit à l'Archevêque de Paris ,
pour faire rendre à Dieu de folemnelles actions
Iv
202 MERCURE DE FRANCE
de graces , à l'occafion de la naiffance de Monfe
gneur le Duc d'Aquitaine , on chanta le 16 le Te
Deum dans l'Eglife Métropolitaine , & l'Archevê
que de Paris y officia pontificalement . Le Chancelier
& le Garde des Sceaux , accompagnés de
plufieurs Confeillers d'Etat & Maîtres des Reques
tes , y affifterent , ainfi que la Chambre des Comptes
, la Cour des Aides , & le Corps de Ville , qui
y avoient été invités de la part de Sa Majesté par
M. Defgranges , Maître dès Cérémonies.
On tira le même jour dans la Place de l'Hôtel
de-Ville, par ordre des Prevôt des Marchands &
Echevins , un très - beau feu d'artifice . La décora--
tion repréfentoit un Temple d'Architecture Ionique,
bati fur une montagne. L'édifice à l'extérieur
étoit de forme quarrée . Deuxgroupes de co-
Tonnes , placés de chaque côté des entrées princi
pales , portoient au-deffus de leurs corniches l'é
cuffon des armes de Monfeigneur le Duc d'Aqui
vaine , aufquelles des Génies fervoient de fapports.
Les entre colonnes étoient occupées par des Ver
zas exécutées en bronze doré , & portées far dess
piedouches. Des Amours , qui voltigcoient autour
des colonnes , paroiffoient s'empreffer d'y attacher
des guirlandes de fleurs: Au frontispice du grand
Portique étoit un Tableau , dans lequel on voyoit .
rous les Dieux affemblés . Le deftin venant d'exaucer
les voeux de la France , la Déeffe Iris affife fur
PArc-en-ciel , annonçoit à la terre cet heureux
événement, De pareils Tableaux fervoient de couronnement
aux autres façades. La Gloire , les Ver
*aus & les Graces , exprimoient par leurs attitudes
Ja part qu'elles prenoient à la naiffance d'un Prim
ce , dont l'éducation alloit devenir l'objet de leurs
foins. Dans les quatre angles de la décoration
oient la Jeune , la Force ; la Santé, la TempleOCTOBRE
. 1753. 203
vance , en bronze doré , fur des piédeftaux de marbre
bleu-turquin. L'intérieur du Temple étoit de
forme circulaire , & avoit pour fond un maffif orné
de pilaftres qui foutenoient un entablement
furmonté par des caffolettes de parfums . Une co-
Ionnade entouroit le Sanctuaire . Au milieu étoit
un Autel , fur lequel la France offroit un Sacrifice
en actions de graces. Tous les fonds de l'édifice ,.
foit en dedans , foit en dehors , étoient feints de:
marbre bleu-turquin ; les colonnes & les frifes , de:
marbre blanc- veiné ; les moulures des entablemens
, & les ornemens des frifes , de bronze doré
De la montagne , qui fervoit de baſe à l'Architecture
, naiffoient plufieurs côteaux , dont less
plans diverfifiés , après avoir formé de grands bof
quets de verdure fur les angles , s'abaiffoient im
perceptiblement vers le milieu des façades de la
décoration. On appercevoit au centre de chaque
bolquet un groupe de Fleuves en marbre blanc-
Les eaux qui fortoient des urnes fur lefquels ils
étoient appuyés , fe partageoient en differentes
cafcades pour l'embelliffement du paysage done :
l'édifice étoit environné . Elles alloient enfuite fe:
réunir au-devant des façades dans de riches baf
fins , au milieu defquels des Nayades & des Tritons
célébroient par leurs jeux & par leurs danfess
le fajet de la fête.
L'artifice commença par une grande quantité de
fufées d'honneur , mêlées de fufées à quatre brand.
ches , de compofition Chinoife . A ces fufées fuc--
céda une cascade de quarante pieds de haut , compofée
auffi en feu Chinois , & placée en face de
' Hôtel de Ville. Elle fut accompagnée de plu
fieurs caifles. Enfuite parut dans tout le pourtour ™
du Parc une caſcade double , alternativement cou
sonnée d'arbres , de pots d'ordonnance & de potas
Ivj)
104 MERCURE DE FRANCE.
à aigrettes. Le haut de la Tertaffe dans les quatre
angles étoit garni de quatre piéces compofées en
fea brillant , à plufieurs changemens. Cet effet
d'artifice fut fuivi de trois foleils dans la principale
face , & dans les deux faces latérales. Celui de la
face , vis- à-vis de l'Hôtel de Ville , étoit de deur
cens rayons. Il portoit au centre les Chiffres de
Monfeigneur le Dauphin & de Madame la Dauphine.
Ces foleils furent accompagnés de caifles
& de pots d'ordonnance. Le feu fut terminé par
une guitlande de pots d'ordonnance & de fufées
Chinoifes. Il a été exécuté par M. Pierre Ruggieri,
Artificier Italien.
Après l'artifice , la façade de l'Hôtel de Ville
fut illuminée , avec autant de goût que de magni
cence. Toutes les colonnes dans leur pourtour
étoient garnies de lampions. Des filets de lumiere
regnoient le long des entablemens. Plufieurs luftres
, fufpendus par des noeuds de gaze d'or , éclairoient
les autres parties . Au fronton , devant la
figure de Lutece , étoient les Armes de France en
tranfparent. La Place vis-à- vis de l'Hôtel de Ville
étoit entourée d'ifs , portant chacun plus de cent
cinquante lumieres .
Il y eut auffi de magnifiques illuminations aux
Hôtels du Duc de Gévres & du Prevôt des Marchands
, ainfi qu'aux maiſons des Echevins , & des
principaux Officiers du Corps de Ville.
Des fontaines de vin coulerent dans ces differens
endroits , & dans p'ufieurs autres lieux de la
Ville , & Pon diftribua du pain & des viandes an
peuple. On avoit placé des orcheftres par tout où
le faifoient ces diftributions.
La cloche de l'Hôtel-de. Ville fonna en tochin ,
depuis cinq heures du marin jufqu'à minuit . Pendant
la journée , il y eut quatre falves d'artillerie ,
OCTOBRE . 1753. ios
ane à cinq heures du matin , une à midi , une pendant
le Te Deum , & la derniere avant le feu d'atrifice.
Le 17 , le Corps de Ville alla à l'Eglife Paroif
fale de Saint Jean en-Grêve , pour rendre à Dieu
Les actions particulieres de graces , & il affifta àun
Te Deum , qu'il fit chanter en mufique. L'Hôtel
de Ville , les Hôtels du Duc de Gêvres & du Prevôt
des Marchands , & les maifons des Echevins
& des principaux Officiers du Corps de Ville , fu-
Ient de nouveau illuminés.
Le Roi alla le 16 à Trianon , & en revint le 19.
Le 20 ,Sa Majesté s'eft purgée avec des eaux , &
à continué le 21 & le 22.
Le Roi de Pologne , Duc de Lorraine & de Bar,
eft arrivé le 19 de Luneville , entre fix & fept heu
res du foir. Les Compagnies des Gardes Françoifes
& Suiffes étoient en bataille dans la premiere Cour
du Château , & elles battirent aux champs.
Madame la Dauphine & Monfeigneur le Duc
d'Aquitaine , fe portent auffi bien qu'on puiffe le
défirer.
Le Marquis de Biffy , Lieutenant Général des
Armées du Roi , & ci- devant Ambaſſadeur de Sa
Majefté auprès du Roi des Deux Siciles , a obtenu
du Roi la permiffion de le démettre du Gouvernement
des Ville & Château d'Auxonne en faveur
du Comte de Billy , fon neveu , Brigadier de Cavalerie
, & Enfeigne de la feconde Compagnie des
Moufquetaires de la Garde de sa Majefté.
Le Paftel , lorsqu'il eft employé par des mains
habiles , a tant de beauté , qu'on avoit vu longtems
avec peine que cette peinture , qui eft une
efpéce de crayon , & qui ne tient aux tableaux
que par la ténuité de fes parties , fûc fujette à s'affaiblir
& à fe dégrader par divers accidens inévita
206 MERCURE DE FRANCE.
•
bles. Des Peintres célébres étoient enfin parvenus
à la fixer , mais ils étoient dans la néceffité de redonner
après l'opération quelques touches dans
les clairs , pour leur rendre tout leur éclat, M.
Loriot , déja connu par plufieurs machines d'Hydraulique
& de Statique , de fon invention , a
trouvé le moyen , non - feulement de fixer d'une
maniere folide toutes les parties d'un tableau en
paftel , mais encore de n'en point changer lesnuances
, & de n'en point altérer la fraîcheur. Il
a déja fait l'effai de fon fecret fur les ouvrages de
quelques - uns des plus grands Maîtres de l'art , &
tous conviennent qu'on ne pouvoit portér ce fecret
à un plus haut degré de perfection ,
Le 20 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix- fept cens trente fept livres dix fols ,
& les Billets de la feconde Lotterie Royale à fix
cens vingt- huit . Ceux de la premiere Lotterie
Royale n'ont point de prix fixe.
M. le Comte d'Argenſon eft arrivé à la Fere
en Picardie , le 2 Août , a vû en arrivant le Bataillon
de Chabrié , de Royal Artillerie , les Compagnies
de Mineurs de Douville , Châteaufer ,
Gribeauval , & celle d'Ouvriers de Guille , qui
étoient en bataille fur la Place des Cazernes : la
pluye abondante qui tomboit alors l'empêcha de
voir faire l'exercice & les évolutions à toutes ces
troupes , il fe contenta de les voir défiler devant lui
dans la cour des Cazernes , & fut tout de fuite à la
Salle des Mathématiques , oùles Officiers , Cadets
& Volontaires du Bataillon de l'Artillerie , des
Mineurs & Ouvriers démontrérent pendant trois
heures , des propofitions fur toutes les parties de
la Géométrie & Phyfique , les plus relatives à leur
métier. M. le Comte d'Argenfon très - content deOCTOBRE.
1753. 207
Yapplication de tous les Corps , & de la façon
dont ils étoient inftruits , en témoigna fa fatisfac--
tion à M. le Pelletier , Meftre- de- Camp. , & commandant
l'Ecole de la Fere..
En fortant de là , fur les neuf heures du foir , il
vit tirer un Feu d'artifice que le Bataillon lui avoit
préparé, qui fit un effet adinirable , qui fut précédé
par trois falves de moufqueterie en feu de rempart
; le Miniftre le regarda avec beaucoup de
complaifance , & eut la bonté de dire qu'il n'en
avoit point vû de mieux exécuté . Un bouquet de
deux cens fufées qui terminoit l'artifice , fervit de
fignal pour illuminer les trois faces des Cazernes
& les Pavillons , par cinq cens limpions brillans
qui parurent à l'inftant ; M. le Comte d'Agenfon
ne voulut pas fe retirer qu'il n'eût parcouru cetté
illumination , qui formoit un très - beau coup
d'oeil.
Le lendemain à fix heures du matin , il fe rendit
au Polygone,où il trouva les troupes difpofées pour
l'attaque & la défenfe de la Place ; on fit d'abord
à fon arrivée jouer les fourneaux du premier étage
des mines des Affiégés fous le glacis , & les Affiegeans
fe fervirent des entonnoirs que les mines
avoient formées pour s'y loger , & y établir une
batterie qui fut conftruite en moins de quatreheures
Il vint enfuite voir l'exercice des canons &
mortiers ; les falves furent très bonnes , il y eut
plufieurs blancs emportés par le canon , & quelques
bombes jettées au pied du but , & malgré la
pluye qui ne difcontinuoit point pendant toutes
ces manoeuvres , le Miniftre parcourut toutes les
piéces , & s'arrêta à chacune pour interroger les
Canonniers fur toutes les differentes parties du canon
& de fes agrêts , & géneralement fur tout ce
qui a rapport à leur métier.
208 MERCURE DE FRANCE.
Le tems s'étant un peu éclairci , il partit pour le
rendre fur la rive oppofée de l'Oife , & voir jetter
deux ponts fur cette riviere. Pendant ce tems le
Bataillon fe pofta partie en deçà & partie en delà ,
pour en faire , avec la Compagnie d'Ouvriers de
Guille , la manoeuvre , ainfi que l'attaque & la
défenfe. L'opération commençà par une faufle attaque
fur la droite , & pendant qu'une partie des
troupes deftinées à la défenfe , s'y porta ; on établit
un pont- volant , fur lequel on fit paffer une
Compagnie de Grenadiers & deux piquets , dont
un fe pofta à la tête du pont-volant , & l'autre
coula le long de la rive gauche avec la Compagnie
de Grenadiers , pour aller foutenir le grand pont
qui fut établi en moins d'un quart- d'heure. Tou
tes les troupes chargées de la défenfe ſe poſterent
alors vers les piquets & la Compagnie de Grena
diers ; mais la manoeuvre ayant été faite promptement
, le Bataillon paffa fur le pont avec quatre
piéces de canons , & par un feu continuel à fon arrivée
, il força les troupes chargées de la défenſe ,
à fe retirer.
Le Miniftre parut auffi fatisfait de la promptitude
de cette manoeuvre , que des mouvemens des
troupes & de la vivacité de leur feu ; il rentra tout
de fuite à la ville pour dîner chez M. d'Abouille ,
Lieutenant Général , commandant l'Artillerie au
Département de Flandres , où il a logé pendant
fon féjour , & en partit à cinq heures pour s'en retourner
au Polygone , où l'on ait jouer les fourneaux
de mines des deux derniers étages ; celui
de Châteaufer du fecond étage , fit fauter la batterie
qu'on avoit établie de deux pièces de canon ,
dont une fut portée dans un ouvrage de la Place ,
à 1 toiles de la batterie ; & l'autre dans le fofé
de cet ouvrage , à 7 toifes. On fit jouer auffi pluOCTOBRE.
1753. 209
feurs fourneaux du fecond étage , qui ont fait un
bon effet ; & les deux derniers du troifiéme étage ;
fçavoir , celui de Gribeauval , de Douville & de
Châteaufer , ont formé chacun un entonnoir , le
premier , de 58 toifes de diamètre , & l'autre de
Go , & tous les deux de 20 à 25 pieds de profoadeur.
Ces opérations durerent jufqu'à la nuit , & le
Miniftre en fe retirant , donna ordre à M. de Chabrié
de tenir fon Bataillon , avec les Compagnies
de Mineurs & Ouvriers fous les armes , pour le
lendemain à dix heures du matin , fur la Place des
Cazernes : il s'y rendit à l'heure indiquée pour en
faire la revûe , & après avoir exactement vifité
tous les rangs , M. de Chabrié lui propoſa de voir
faire l'exercice à tous les Oficiers tubalternes &
Cadets de fon Bataillon , ce qui fut exécuté avec
grace & précifion de la part de ces Meffieurs. Le
Miniftre le vit faire enfuite à tout le Bataillon , aink
que tous les pas fuivant la nouvelle inſtruction ,
& les évolutions à feu ; après quoi il vit défiler le
Bataillon qui fe reforma enfuite devant lui pour
renvoyer fes drapeaux , & rentrer après dans les
Cazernes , fans que le Miniftre ait voulu perdre
de vue une feule de ces démarches.
Il eut la bonté de témoigner fa fatisfaction de
tout ce qu'il avoit vû à tous les Corps , & furtout
& M . de Valliere , leur Infpecteur , qui avoit dirigé
toutes ces differentes opérations ; après quoi il
partit de là pour s'en retourner à Compiègne.
10 MERCURE DE FRANCE
LETTRE à M. le Comte de *** , fur le
titre de Duc d'Aquitaine.
Mne
Onfieur , vous me faites trop d'honneur de
me confuker comme une perfonne fçavante
dans notre Hiftoire , & de m'inviter à faire une
Differtation fur l'Aquitaine , dont vous touhaiteriez
que j'appriffe au public l'étendue les limites;
& les differentes révolutions arrivées dans cette
partie de notre Monarchie. Il ne m'en coûteroit
pour fatisfaire votre curiofité, que de copier ce qui
fe trouve imprimé dans deux ouvrages modernes,
Il fera donc plus court , & pour pour moi ,
que je me contente de vous les indiquer.
Vous &
La feconde partie des Tablettes Hiftoriques , page
219 , en donne une idée qui peut fuffire à bien des
perfonnes. Vous trouverez dans un autre ouvrage
dumême Auteur * , intitulé : Généalogies Hiftoriques
dela Maifon Royale de France , in 4°. un détail plas
circonftancié , extrait du fecond volume de l'Hif
toire générale de Languedoc , par Don Vaiffette , F
fur les premiers Ducs d'Aquitaine , qui étoient de k
Ja race de Clovis , & qui après avoir poffedé pendant
plas de cent ans ce Duché , le premier Fief
héréditaire de la Couronne , en furent dépouillés
par Pepin & Charlemagne..
Ce volume qui réunit les avantages d'un bon
abrégé de l'Hiftoire de France , & d'un détail Génealogique
des trois Races , eft le feul ouvrage où
l'on trouve cette branche de la Race Mérovingienne
fubdivifée en plufieurs autres , que l'Auteur a
expofées d'une maniere très- claire dans des Tables
* M. de Chafot , qui demeure à l'Académie , ruo
des Canettes , faubourg Saint Germain.
OCTOBR. E. 1753 . 217
généalogiques. La derniere , qui eft la XXII .
page 86 , eft très - curieufe : on y montre comment
les trois Races Royales fe trouvent réunies dans la
perfonne de Henri IV. de forte que l'on voit clai
rement que le nouveau Duc d'Aquitaine , dont la
naiffance comble de joie tous les François , defcend
des premiers Ducs de ce nom , & même de toutes
Jes branches formées par leur poftérité , comme on
le démontre dans la même Table . Je fuis , &c.
NAISSANCES ET MARIAGE.
LED
E premier Août , la Marquife de Cruffol
époufe du Marquis de Crutiol , Miniftre Plénipotentiaire
du Roi auprès de l'Infant Duc det
Parme , eft accouchée d'une fille , qui a été tenue
fur les Fonts par Monfeigneur le Dauphin & Madame
lufante , & nommée Louife- Henriette - Phi-
Lippe-Marie-Adelaide - Perette - Emanuelle.
Le 12 eft né , & a été baptifé dans la Paroiffe de
Saint Roch , Marie- Louis- François , fils de Louis-
Hilaire de Boufcher , Chevalier , Comte de Sour
ches , ci- devant Capitaine de Dragons au Régi-
.ment. de Languedoc , Chevalier de Saint Louis ,
& de Louife- Françoiſe le Vayer , mariée le 18- Janvier
1747. Le parrein a été Louis de Boufcher ,
Chevalier , Seigneur , Marquis de Sourches & du
Bellay, Comte de Montforeau , & c . Lieutenant
Général des Armées du Roi , Confeiller d'Etat ,
Prévôt de l'Hôtel du Roi , & Grand Prévôt de
France , coufin germain du Comte de Sourches ;
la marreine Marie- Françoife de Catinat , épouse de
Jean- François le Vayer , Chevalier , Confeiller du
Roi en tous fes Confeils , Maître des Requêtes
ordinaire de fon Hôtel , Seigneur des Châtellenies
de Sable , Janſé , Bonperou , Saint- Cellerin , & c,
212 MERCURE DE FRANCE.
Nous avons eu lieu de parler de cette Maifos
en plufieurs occafions. Voyez les Tabletres génem
logiques , vol. IV. page 116 , & vol. VI. page 10.
Voyez auffi fur cette Maiſon les Mercures de Juin
1746 , le fecond volume de Décembre 1747 , Juin
1748 , le fecond volume de Décembre 1750,
PHiftoire des Grands Officiers de la Couronne ,
vol. IX. page 197.
Le 26 , Madame la Comteffe de Brionne accoucha
à Versailles d'une Princeffe.
Le 22 Août , Meffire Jean- François - Charles de
Molette , Comte de Morangiés , Colonel du Régiment
d Intanterie de Languedoc , époula Marie-
Paule-Thérefe de Beauvilliers , fille de M. le Duc
de Saint Aignan, Pair de France, Chevalier des Or
dres du Roi , Lieutenant Général de fes Armées ,
Gouverneur & Lieutenant Général pour Sa Majesté
en fes Provinces de Bourgogne , Breffe , Bugey
Valromey & Gex , Gouverneur particulier des
Ville & Citadelle du Havre & Pays en dépendans
des Ville & Château de Loches , Beaulieu , Dijon ,
Saint Jean- de-Lofne , & Seurre , Grand- Bailli
d'Epée du Pays de Caux ; l'un des Quarante de
PAcadémie Françoife , & Honoraire de l'Académie
Royale des Infcriptions & Belles Lettres , ci
devant Confeiller au Confeil de Régence , & Ambaffadeur
du Roi à la Cour d'Efpagne , enfuite au.
près du Saint Siége ; & de feue Marie . Genevieve
de Montlezun de Belmaux. La Bénédiction nuptiale
leur a été donnée dans la Chapelle de l'Hôtel
de Saint- Aignan par l'Evêque de Meaux. Leur
Contrat de mariage avoit été figné le 19 du même
mois par Leurs Majeftés & par la Famille Royale.
CA
tes
tga
tre
1;
do
te
OCTOBRE. 1753: 215
Ja
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
E vous envoye , Monfieur , le calcul de l'éclipfe
du Soleil du mois d'Octobre prochain
qui a été lû à l'Académie des Sciences , & auquel
on peut joindre quelques additions.
Calcul de l'Eclipfe du Soleil du 26 Octobre
1753. par M. Pingré , Chanoine Régu
lier , Correspondant de l'Académie des
Sciences , de l'Académie de Rouen .
Le commencement à Paris à 8 heures 35 minuges
25 fec. Le diametre de la Lune fera pour lors
égal à celui du Soleil , fçavoir de 32 min. 26 fec.
La fin à.... 11 h. 3 inin. 29 fec . , & le diame
tre de la Lune furpaffera pour lors celui du Soleil
de 7 à 8 fecondes .
La plus grande quantité de l'Eclipfe fera de 8
doigts 53 min. & demie , c'est- à dire , qu'il y aura
à très peu de chofe près , les trois quarts du Soleil
éclipfé ; ce qui excéde d'environ un demi doigt
ce qui a été annoncé dans nos Almanachs. M.
Pingré a fait le calcul fur les Tables de M. Halley,
qu'il a rectifiées par les obfervations antérieures.
Il établit le milieu de l'Eclipfe à 9 h . 46 min.
43 fec. Le diamètre de la Lune étant alors de 4
lec. feulement plus grand que celui du Soleil.
Réflexions fur les annonces que l'on fait vulgairement
aux Aftronomes à l'occafion de
ces Edipfes.
Ces fortes d'annonces ou avis mériteroien: bien
114 MERCURE DE FRANCE.
d'être difcutés , & de fubir en quelque façon une
critique rigoureufe , avant que l'on expolât ceur
qui le préparent à obferver les Eclipfes dans le
cours de leur voyage , à faire des préparatifs fouvent
inutiles pour la fin qu'ils le propofent , furta
foi de ces avis , orfqu'on les a rendus publics.
Il a été publié un écrit en 1748 à Paris , & des
Cartes à Nuremberg , qui annonçoient l'Eclipfe
du mois de Juillet de cette année ià , prefque centrale
& annulaire à Berlin , & aux environs d'Edimbourg
: il y avoit dans cette annonce de grandes
erreurs ; car on y étab ffoit d'abord les latitudes
de ces deux Villes toutes les deux défectueules dé
plufieurs minutes. C'eft pourquoi le refte de la
differtation rouloit fur un fondement bien peu folide
; mais ce qu'il y eut de plus fingulier dans
l'événement , c'eft que l'une & l'autre Ville fe
trouvât au terme de l'Eclipfe annulaire , & qu'il
auroit fillu monter près de 20 à 30 lieues plus
vers le Nord , pour voir certe Eclipfe centrale.
La même chole , fi'on n'y prend pas garde ,
pourroit arriver cette année ci , s'il paroît quel
qu'annonce à l'occafion de l'Eclipfe ; & nous fom
mes bien fâchés que cela n'ait pas été difcutédepuis
fix mois , afin qu'en Efpagoe on put mieux
reconnoître les fituations qui conviennent à la
trace de l'Eclipfe centrale , qui paflera fur ce
Royaume.
Čar pour revenir aux latitudes corrigées , qui
doivent avant toutes chofes , précéder le calcul
de l'Ecliple , M. qui a difcuté dans des momens
de loifir , la fituation des principales Villes
& Ports de la Méditerranée , nous a fait part
d'une remarque aflez finguliere , & quia un rap
port bien immédiat avec notre Eclipfe.
Carthagêne eft un lieu trop connu pour qu'on
OCTOBRE . · 1753 . 279
nblie plus long-tems d'en inferer la pofition dans
les Tabies Géographiques. Cependant quoique fa
latitude loit connue , on pourroit s'y tromper , &
tomber par là dans de grandes erieurs dans le calcul
de l'Eclipfe, ainfi que M. * l'a déja remarqué.-
Car la Carte de Guillaume Delifle donne la latitude
de Carthagène de 37 dégres 2 minute s ; au
lieu que fi l'on cherche à la page 93 des Obferva
tions Aftronomiques , &c. du P. Feuillée Minime,
l'on y trouvera cette latitude de 16 minutes & demie
plus grande ; c'est - à-dire de 37 deg. 36 à 37
minutes.
Je luis toujours étonné de trouver Carthagêne
des Indes Orientales dans les Tables Géographi
ques , & qu'on y ait oublié Carthagène d'Europe-
Affurément un Géographe qui annonceroit l'Eclipfe
centrale & annulaire du mois d'Octobre , fe
donneroit , fans doute , bien de gaide de laiffer
entreprendre à fes amis , le calcul de l Eclipte centrale
pour cette Ville - là , avant que d'en corriger
lá lati ude ; car fans cela le calculateur ne tomberoit-
il pas dans une méprife encore plus dangereufe
que celle dont nous avons été temoips en 1748.
Errata du Mercure de Septembre.
Page 88 , ligne 1 , en retirant , lifez en retenant.
Page 93 , lig. 20, queftion , lifex opération.
Page 95 , lig. 26 , méforaiques , lijez me féraïques,
APPROBATION.
Flier ,le volume du Mercure de France du mois
"Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chance-
PCctobre. A Chaffagne , le 25 Septembre 1753 .
LAVIROTTE.
216
TABLE .
ICES FUGITI
Vers pour
■ s en Vers & en Profe
Mlle B. Par L. Dutens , page 3
Vers àun Menteur , par le même ,
Réflexions fur l'utilité des Compagnies Littéraires.
Par M. Roupnel de Chenilly ,
Corine & Athis . Poëme Paftoral , &c.
4
3
30
40
Differtation hiftorique fur le Droit & le Barreau
de Rome ,
Vers à S. A. S. Monfeigneur le Comte de Clermont
, à l'occafion de ſa fête ,
Vers à Mile Gauffin ,
62
63
Aflemblée publique de l'Académie des Belles- Lertres
de la Rochelle ,
64
Mots de l'Enigme & des Logogryphes du dernier
Mercure ,
123
Enigne & Logogryphes ,
ibid.
Nouvelles Littéraires , 198
Réflexions fur la longitude de Toulouſe , 348
Lettre de M. *** à M ** au Château de Prepatour
,
351
Beaux Arts , 358
Air ,
170
Spectacles,
171
Concert Spirituel ,
182
Nouvelles Etrangeres ,
183
France. Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 189
Lettre à M. le Comte de *** fur le titre de Duc
d'Aquitaine ,
Naiflances & mariage
210
211
Lettre à l'Auteur du Mercure , fur l'Eclipfe de
Soleil du 26 Octobre ,
La Chaufen wosée doit regarder la page 170.
De l'Imprimerie de J. BuLLar.
213
MERCURE
DE FRANCE ,
DEDIE AU ROI.
NOVEMBRE . 1753 .
LIGIT
UT
UY
SPARGAT
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix:
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT , Quai de Conty , à la
defcente du Pont- Neuf.
DUCHESNE , te Saint Jacques,
au Temple du Gout.
M. DCC. LIII.
Avec Approbation & Privilège du Roig
A VIS.
L
'ADRESSE du Mercure eft à M. MERIEN
Commis au Mercure , rue des Foffez S. Germain
l'Auxerrois , au coin de celle de l'Arbre -fee , pour remettre
à M. l'Abbé Raynal.
Nous prions très-inftamment ceux qui nous adrefferont
des Paquets par la Pofte , d'en affranchir le port ,
pour nous épargner le déplaifir de les rebuter , & à eux
celu de ne pas voir paroître leurs Ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays Etrangers ,
quisouhaiteront avoir le Mercure de France de la premiere
main, & plus promptement , n'auront qu'à
écrire à l'adrele ci- deffus indiquée.
On l'envoye auffi par la Fofte, aux perſonnes de Province
qui le defirent , les frais de lapofte ne font pas
confiderables.
On avertit auffi que ceux qui voudront qu'on le porte
shez eux à Paris chaque mois , n'ont qu'àfairefçavoir
leurs intentions, leur nom & leur demeure audu ficur
Merien,Commis au Mercure, on leur portera le MercuT
Brès- exactement , moyennant 2 1 livres par an , qu'il
payerent , fçavoir , 10 liv. 10 f. en recevant le fecond
volume de Juin , 10 t. 10 f. en recevant le ſecond
volume de Décembre. On les fupple inftamment de
donner leurs ordres pour que ces payemens foient faits
dans leur tems.
On prie auffi les perfonnes de Province , à qui en
envoye ke Mercure par la Pofte , d'être exactes à faire
payer au Burean du Mercure à la fin de chaquefemeftre
,fans cela on feroit hors d'état de foutenir les
avances confidérables qu'exige l'impreffion de co
our age.
On atreffe la même priere aux Libraires de Province,
On trouvera le fieur Meries chez lui , les mercr&-
di , vendredi & famedi de chaque femaine.
PRIX XXX. Sois .
1
MERCURE
DE FRANCE ,
1
DEDIE AU ROI.
NOVEMBRE.
1753.
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
VERS
Sur la naiſſance de Monfeigneur le Duc
d'AQUITAINE.
Incipe , parve puer , rifu cognofcere matrem,
Virg. Eclog. 4
Uel eft, dans ce brillant féjour ,
Le fpectacle qui fe déploye ?
Un nouveau Bourbon voit le jour :
La Vertu , la Gloire & l'Amour
En ont pouffé des cris de joye.
A ij
4 MERCURE DE FRANCE.
L'Amour triomphant & charmé
Contemple fon nouvel ouvrage :
Avec lui la Gloire partage
L'honneur de l'avoir animé :
A fon tour la Vertu s'engage
A faire adorer d'âge en âge
L'augufte fang qui l'a formé ,
Et dont le plus bel héritage
Fut toujours le don d'être aimé.
Quelle Divinité nouvelle
Sourit en voyant ce berceau ?
Rubens , que n'ai - je ton pincean ;
Ou que n'avois- tu mon modéle !
Augufte enfant , reconnoiffez ,
A ce fourire plein de charmes ,
A ces yeux tendrement fixés
Sur le cher objet de leurs larmes ,
L'Héroïne dont vous naiſſez .
En vous , de la plus belle famme
Elle adore le nouveau fruit :
En vous , elle voit reproduit
L'Epoux qui regne dans fon ame
Cet Epoux tendre & fortuné ,
Cet Epoux , le plus digne Pere ;
Après celui dont il est né ,
Que jamais le Deftin profpere
Au plus heureux Fils- ait donué .
NOVEMBRE. 1753. 5
FRANCE , le tendre amour de Mere ,
N'eft pas dans ce moment flatteur ,
Le feul intérêt de fon coeur :
Dans fon Fils elle vout ton Pere.
Ainfi les Palmiers amoureux
Dont l'Inde embellit ſon rivage ,
Etendent leur riche feuillage ,
eux ' Et fe couronnent moins pour
les habitans heureux
Que pour
Qui repofent fous leur ombrage.
"
Déja ces deux Aftres nouveaux
Qui viennent d'ouvrir leur carriere ,
Des premiers traits de leur lumiere
Semblent foudroyer nos rivaux,
La paix fe fait de leurs berceaux
Une impénétrable barriere :
La Difcorde éteint fes flambeaux,
Et fuit cette vafte Frontiere ,
Comme on voit du milieu des eaux
Les vents retourner en arriere
Au figne brillant des Jumeaux.
Tige des Lys , d'où font éclos
Les gages du bonheur du monde ,
Affure à jamais fon repos.
On ne peut être affez féconde ;
Loríqu'on enfante des Héros,
Par M. Marmonte!
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
502 502506 502 326 502: 506 5:57 50586
DISSERTATION
Sur la Devife du Roi Louis X11.
B
Rantôme & après lui le Pere Daniel
nous difent que Louis XII. avoit pour
devife un Porc- épi , avec ces paroles cominus
& eminus ; mais il ne nous apprennent
point quelle en étoit l'origine. Ils femblent
feulement vouloir infinuer que ce Prince
l'avoit choisie , & l'avoit compofée luimême
; au lieu qu'ils auroient dû nous
dire que c'étoit la devife d'un Ordre de
Chevalerie dont les Ducs d'Orléans
étoient les Chefs , & qui avoit été inftitué
plus de cent ans avant que Louis XII .
parvint à la Couronne .
,
Ce fut en effet Louis d'Orléans , frere
du Roi Charles VI , qui en 1393 , à l'ocfion
de la naiffance de Charles d'Orléans
fon fils & fon fucceffeur , inftitua cet Ordre
, qui fut appellé l'Ordre du Poreépi
, ou du Camail , ou d'Orléans , Car
on lui donnoit également ces trois noms .
Quelques Auteurs doutent de cette époque
& de cette ancienneté de l'Ordre d'Orléans
, entr'autres M. Gueret , Doyen Préfident
de la Chambre des Comptes de
NOVEMBRE. 1753. 7
>
Blois , qui inféra dans le Journal de Trévoux
du mois d'Août 1725 , trois Problêmes
hiftoriques fur cet Ordre. Le premier
, pour prouver qu'il s'appelloit uniquemeut
l'Ordre du Camail ; l'autre
pour prouver qu'il tiroit fon étymologie
de Cap maille , à cauſe que le camail ou
colier de cet Ordre étoit une espéce
d'hauffe-col , ou un manteau , ou Capmaillé
, comme le refte des armures des
Chevaliers ; le troifiéme , pour prouver
que l'inftitution de cet Ordre ne remontoit
pas plus haut que l'an 1435.
Les deux premiers points font affez indifférens
, mais les preuves qu'allégue cet
Auteur pour appuyer for. fentiment fur le
troifiéme , qui concerne le tems de l'inftitution
de l'Ordre , ne font rien moins
que décifives. Il ne s'en trouve rien , dit-il
dans la Chambre des Comptes de Blois , qui
conferve les titres , &c. concernant la maifon
d'Orléans , depuis 1191 jufqu'en 1498 ; &
Les premieres liftes de Chevaliers qu'on y trouve
ne font que de l'an 1435 &fuivans .
Mais M. Gueret ne fait pas attention.
que fi cette preuve avoit quelque force
contre l'époque que je propofe , elle détruiroit
également celle qu'il a lui - même
adoptée : le titre de l'inſtitution de l'Ordre
ne fe trouvant pas plus à la Chambre des
A iiij
S MERCURE DE FRANCE:
Compres de Blois fous l'année 1435 que
fous l'an 1393 , ou bien il faudroit en
conclure abfolument que cet Ordre n'a
jamais exifté ; ce que M. Gueret ne voudroit
pas , puifqu'il en trouve des traces
évidentes dans ce même dépôt , où il ne
trouve point le titre de fon inftitution . Il
faut donc plutôt en induire , ou que ce
titre s'eft perdu par le laps de tems , ou
que l'Ordre a été établi fans qu'il ait été
dreffé des Lettres de fon inſtitution . Ce
qui ne paroîtra pas étonnant , lorsque l'on
fçaura que l'Ordre de la Toifon d'or , auquel
celui- ci a fervi de modéle , a été pareillement
établi fans l'appareil d'aucunes
Lettres Patentes , comme l'affure Monftrelet
, fous l'an de fa Chronique 1429.
Il ne faut , au refte , que confulter Mrs
'de Sainte Marthe & Favin pour y trouver
de bonnes preuves de l'inftitution de cette
Chevalerie en 1393 ; & Favin en particulier
nous affure qu'il a vû une Chronique
Françoife manufcrite , compofée par
un héraut d'Orléans , avec cet air de fimplicité
qui n'annonce point le deffein d'en
impoler , qui rend compte de la maniere
dont elle fut inftituée , & du motif qui
engagea le Duc d'Orléans à l'établir .
Ce fut dans l'intention de ce Prince
pour s'attacher de braves Chevaliers , &
NOVEMBRE. 2753.
fe rendre redoutable au Duc de Bourgogne
, avec qui il étoit dans une guerre
perpétuelle. L'inftitation de l'Ordre dans
la circonftance de la naiffance d'un héritier
, & par conféquent d'un défenſeur de
la maifon d - Orléans , tendoit à montrer
qu'il ne redoutoit plus l'inimitié de fon
oncle , & que de près & de loin il feroit
déformais en état de combattre & d'attaquer
; ce qu'exprimoit le fymbole qu'il
avoit choifi , & les paroles qu'il avoit
données pour devife : cominus & eminùs.
Une preuve bien certaine que cet Ordre
étoit du moins établi du vivant de Louis.
premier Duc d'Orléans , & par conféquent
avant 1435 , c'eft qu'en 1406 nous voyons
dans l'Hiftoite de Charles VI , traduite
par le Laboureur , que fept Chevaliers du
Duc d'Orléans demanderent la permiffion
de fe battre pour la gloire de la Nation
contre un pareil nombre de Chevaliers
Anglois.
La Chronique de des Urfins nous ap
prend encore qu'en 1407 , le Dimanche
20 Novembre , trois jours avant l'affaffinat
de l'infortuné Duc d'Orléans , ce Prince
& le Duc de Bourgogne fe réconcilie
rent par l'entremife du Duc de Berry ,
qu'ils entendirent enfemble la Meffe . où
ils communierent ; qu'il y eut enfuite un
Av
Yo MERCURE DE FRANCE.
grand dîner à l'Hôtel de Nefle , après lequel
le Duc d'Orléans préfenta le colier de
fon Ordre au Duc de Bourgogne , qui le
reçut en figne de réconciliation .
Enfin , pour fixer avec M. Gueret , l'inf
titution de l'Ordre d'Orléans à l'an 1435 ,
il faudroit néceflairement l'attribuer à
Charles d'Orléans , qui pour lors étoit en
Angleterre , où il étoit détenu prifonnier
depuis la battaille d'Azincourt , perdue
par les François en 1415. Or à quel propos
ce Prince eût - il penfé, dans la vingtiéme
année de fa prifon , à établir un Ordre
de Chevalerie ? l'auroit- il pû même dans
l'état & dans le pays où il fe trouvoit ? au
lieu que l'occafion dont parle Favin , que
je viens de citer , a par elle même quelque
chofe de frappant , eu égard aux circonftances
dans lesquelles fe trouvoit alors la
maifon d'Orléans ; & fi nous avons des
liftes de Chevaliers reçus en 1435 & dans
les années fuivantes , on peut bien en conclure
que Charles , quoique prifonnier ,
air rempli les places vacantes de l'Ordre
mais non pas qu'il l'ait inftitué , fur tout
après les preuves que nous venons de donner
du contraire.
Quoiqu'il en foit , voici comment cet
Ordre étoit compofé. Il étoit de vingtquatre
Chevaliers , non compris le Grand
NOVEMBRE. 1753. ΤΣ
Maître qui étoit le Duc d'Orléans , & ce
nombre fut augmenté dans la fuite. Chaque
Chevalier étoit tenu de faire preuve
de quatre races de nobleffe . L'Ordre de la
Toifon d'or inftitué par Philippe le Bon ,
Duc de Bourgogne , fur le modéle de celui-
ci , étoit compofé pareillement de
vingt- quatre Chevaliers ; il exigeoit les
mêmes conditions pour la nobleffe , & le
Prince avoit pareillement déclaré que le
nombre des Chevaliers pourroit être augmenté
, quand les conjonctures l'exigeroient.
Les Chevaliers d'Orléans portoient , felon
Sainte- Marthe , le manteau violet de
velours , le mantelet d'hermine , & par
deffus des chaînes d'or , au bout defquelles
pendoit un Porc-épi d'or fur une terraffe .
Chaque Chevalier faifoit ferment au
Duc d'Orléans lors de fa réception : cè qui
fe prouve par les Lettres Patentes de Charles
d'Orléans , datées de S. Omer en 1440 ,
l'année de fon retour. Elles autorifent
Henri de Villeblanche , grand Officier de
la maifon d'Orléans , à recevoir le ferment
d'onze Chevaliers Bretons qui y font
nommés , & qué le Duc faifoit Chevaliers
de fon Ordre . Quant à la teneur du fer
ment , nous l'ignorons encore ; & il feroit
à fouhaiter que l'on pût en trouver la for-
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
mule dans les Archives de la Chambre des
Comptes de Blois . Au reste , il eſt naturel
de préfumer que ce ferment le rapportoit à
l'intention du Prince , inftituteur de l'Ordre
, & qu'il avoit pour but la défenſe &
l'honneur de la mailon d'Orléans .
Ce qu'il y a de fingulier , c'eft que cet
Ordre avoit auffi des Chevalieres , comme
il paroît par une lifte tirée de la Chambre
des Comptes de Blois , elle eft du huit
Mars 1438 ; on y trouve nommés vingtcinq
Chevaliers ou Chevalieres. Mlle du
Murat & la Dame épouſe de Poton de Saintraille
étoient de ce nombre.
Louis XII . fuccéda à fon pere & à fon
ayeul dans les fonctions de Chef de l'Ordre
d'Orléans . Il en donna des Lettres aux
Cottereaux en 1498 , peu de tems avant
que de monter fur le Trône . Mais dès
qu'il y fut affis , il l'abandonna pour celui
de S. Michel qui étoit encore dans tout
l'éclat de fa nouveauté. Ce Prince retint
feulement le fymbole & la devife de l'Ordre
qu'il fupprima. Il appliqua au Royaume
ce qui avoit d'abord été imaginé pour
fa maifon .
Il cft donc évident que Brantôme &
ceux qui ont écrit d'après lui n'ont pas rencontré
jufte , quand ils ont voulu nous
donner à entendre que Louis XII . avoit
NOVEMBRE. 1753. 13
été l'inventeur de la devife fymbolique
qu'il a portée ; puifqu'au contraire , ce fut
ce Prince qui éteignit l'Ordre de Chevalerie
auquel cette devife avoit été affectée , &
auquel elle devoit fon origine. M. Gueret
n'a pas été plus heureux , en nous donnant
pour époque de l'inftitution de l'Ordre
d'Orléans l'an 1435 , au lieu de 1393 ,
qui eft le vrai tems de fa naiffance .
Par feu M. Chefneau , Membre de la
Société Littéraire d'Orléans.
EGLOGUE
SUR la naiffance de Monfeigneur le Duc
d'Aquitaine , préfentée à Monseigneur Le
Dauphin.
TIRCIS , ANNETTE,
ANNETTE. Elle est un inftant fuppofée feule.
DADS Ans ce verger défert je devance l'Aurore
Pour implorer vos dons , Dieux puiflans que j'adore
!
Le bonheur de nos champs fut toujours aſſuré ,
Lorfque fur les leçons d'un Pafteur révéré
Nous vîmes le former les bergers du village ,
Et,fous lui de nos moeurs , faire l'apprenuflage
14 MERCURE DE FRANCE.
Louis dans les Etats eft ce Paſteur vanté ;
De les nombreux enfans modéle refpecté ,
Il les formera tous aux vertus les plus cheres :
En lui donnant des fils,vous nous donnez des peresa
Affurez donc en eux le deſtin qu'il nous fair ,
Grands Dieux d'un Prince encor j'implore le
bienfait.
Qu'il naiſſe ! & c'en eft fait , quoique pauvre ben
gére ,
Réduite par état au fimple néceffaire ,
N'importe... j'y confens , & mon coeurl'a juré..:
Un agneau m'eft bien cher... je vous l'immolerai.
TIRCIS.
Ah! rempliffez vos voeux , ce Prince vient de naî
tre.
ANNETTE.
Tircis ! .... d'un vain efpoir vous me flatezpeut
être !...
Mais non ! trop de gaîté garantit vos difcours t
TIRCIS .
Je fuivois ce ruiffeau dont le tranquille cours
En deux bras divifé traverſe les prairies ,
Ou nos mains au Printems cueillent des fleurs cho
ries ;
Quand Coridon accourt d'un myrthe couronné ,
Criant : Vive la France ! un Prince nous eft né.
و د
» Du fils de notre Roi l'Epouſe aimable & chere ,
» Eft d'un Prince nouveau la glorieuſe mere.
NOVEMBRE. 1753. IS
Pour nous en rejouir j'affemble le hameau ;
»Berger , nous t'attendons avec ton chalumeau.
Le tendre Céladon y doit conduire Amynthe :
Onnous promet auffi le vieux Pafteur Philynte.
ANNETTE.
Nous les verrons , Tircis : jamais un jour plus
beau
Aux champêtres plaifirs n'invita le hameau.
Ce qu'eft à la brébis l'herbe qui vient d'éclore ,
A la fleur de nos champs les larmes de l'Aurore ,
Ces deux enfans le font aux peuples enchantés ::
C'eſt à notre Soleil des rayons ajoutés.
TIRCIS.
Si nos bergers jamais ont lû dans la Nature ;
De leurs talens divins & j'ai quelque teinture ,
De ce préfent des Cieux j'avois d'heureux foup
çons.
Hier , au jour naiſſant , un aigle & trois aiglons
En groupe réunis aux environs planerent ;
Sur la plus haute tour trois fois ils repoferent.
D'innombrables oiſeaux , accourus de nos bois ,
Respectueux , ravis à l'afpect de leurs Rois ,
Firent de leur concert retentir le bocage.
Delongs battemens d'aîle honorant leur hommage
Ces aigles paroiffbient émus , reconnoiflans .
Ils alloient , revenoient , emprefiés , careflans.
O que de chants nouveaux leur préſence fit naître !
Que les Rois font aimes quand ils défirent l'être,
16 MERCURE DEFRANCE,
ANNETTE.
Je forme ici peut - être , un étrange ſouhait ;
A mon état privé fidéle par attrait ,
Je voudrois cependant de nos champs éloignée ;
A la Cour de Louis paffer quelque journée.
Ne vous allarmez point , & vertueux Tircis !
Je n'y chercherois pas ces fuperbes lambris ,
Ces danfes , ces feftins , ces plaifirs magnifiques
Que pour notre bonheur , fous nos réduits ruftiques
,
Notre fimplicité veut que nous ignorions ,
La paix habite-t'elle avec les paffions !
Je n'y chercherois pas fille fans modeftie ,
Ces jardins où , dit- on , avec art travestie
Des femmes quelquefois l'importune laideur,
N'achete des attraits qu'au prix de la pudeur.
Une propreté fimple , un vêtement de burre ,
Une fleur de nos champs , faut- il d'autre parure ?..
Je chercherois Louis dans un moment ſi beau ,
Louis & fon Dauphin entourant un berceau.
Quels font là leurs tranfports , & que doivent- ils
dire ?
O quel heureux berger , habile à s'introduire ,
De tout ce qu'on y voit fe rendoit fpectateur !
TIRCIS.
'Annette , à cet emploi m'a nommé dans fon coeur !
Mes voeux font prévenus . Loin de ces lieuxcham
pêtres
NOVEMBRE . 17 1753
Demain , dans leur palais j'admirerai nos Maîtres
Que Tircis ne peut-il vous y voir avec lui !
Mais d'un pere caduc , unique & cher appui,
Lui dérober en vous l'objet de fa tendreffe ,
Ce feroit au tombeau conduire fa vieilleffe.
J'irai feul ; mais du moins j'irai pour tous les deux j
Mon coeur y confondra mon hommage & vos
voeux ...
Je puis plus. Mes ayeux m'ont tranfmis la hou
lette ,
Dont Apollon fit choix , lorfque du Prince Admete
On prétend que ce Dieu conduifoit les troupeaux.
Je puis y joindre encor deux rares chalumeaux ,
Par qui , fur nos bergers , j'eus trois fois la victoire
Quand de Louis vainqueur nous exaltions la gloi
re ?
A nos Princes Enfans j'irai les préfenter.
ANNETTE.
Que dites -vous , Tircis , ofez -vous vous flater ,
Que de vos dons obſcurs on recevra l'hommage ?
Ah ! lorſqu'à vos regards s'offrira l'étalage
Des fuperbes rubis , des métaux précieux ,
Confus , déconcerté , vous baifferez les yeux.
TIRCIS.
Non , non : ma pauvreté n'a rien qui m'épou
vante ;
Tout hommage a fon prix , quand le coeur le préfente.
18 MERCURE DE FRANCE.
Ces trésors dont ici nous ferions éblouis ,
Annette , ne font pas le bonheur de Louis.
Chéris de fes fujets , leurs coeurs font fes richeffes
Des heureux contre moi , que prouvent les largeffes
?
Pour être mieux reçus aiment ils plus que moi ?
ANNETT E.
Vous m'infpirez , Tircis , l'efpoir que je vous voi.
Ecoutez : j'élevois deux jeunes tourterelles
D'une tendre union intéreffans modéles ,
De ces époux chéris , c'eſt le ſymbole heureux .
Portez- leur .... Puiffiez- vous de retour en ces
lieux
De vos brillans fuccès étonner nos bergeres !
Je me charge du foin de conduire aux fougeres
Vos troupeaux & les miens enfemble confondus.
Mais déja du Soleil les rayons étendus ,
Nous font de la chaleur fentir la violence ,
De la fête au hameau l'heureux inftant s'avance:
Allons la célébrer , & par vos mains , Tircis
Sacrifier l'agneau que mes voeux ont promis.
Dupain de Triel.
Fettet
NOVEMBRE. 1753. 19
送洗****************
SUITE de la Differtation fur le Droit
le Barreau de Rome.
A
Près avoir parlé de l'origine & du
progrès des Loix Romaines , il refte
à donner une idée légére des Avocats &
du Barreau de Rome.
Dans les premiers tems , les Avocats
n'avoient aucune connoiffance du Droir.
Ils étoient de fimples parens ou amis qui
de l'affaire d'un client faifoient la leur propre
, & la follicitoient . Ils affembloient
un grand concours de Citoyens par leurs
acclamations ou par leurs pleurs ; arrivés
au lieu où le jugement devoit fe rendre ,
ils tâchoient de toucher les Juges par ce
concours , voilà ce qu'on nommoit advocation
du mot advocare.
Les Avocats étoient d'abord de vrais
Supplians , le cortége qui les accompagnoir
influoit beaucoup fur le fuccès de la conteftation
. Céfar , au Livre premier de fes
Commentaires , parle d'un certain Vigetorix
, qui le jour que fa caufe devoit fe
plaider , vint à l'audience fuivi de fa famille
, compofée de près de dix mille homde
fes débiteurs en plus grand nombre
, & par ce moyen fe tira d'affaire .
mes ,
20 MERCURE DE FRANCE.
A ces premiers Avocats fuccéderent les
Cogniteurs , fur quoi on peut voir Alciat
Parergon , Juris lib . 2. cap . 5. Ils étoient
habiles dans la Science du Droit , & parurent
lorfque Cneius Flavius eut publié le
Livre des Actions Appiennes , & les formules
dans lesquelles elles étoient conçues.
Inftruits des usages du Barreau , ils confultoient
& aidoient les plaideurs , non par
leur fimple préfence , ainfi que les Avocats
dont on vient de parler , mais par leurs
lumieres.
On vit en même tems des Cogniteurs
fubalternes , nommés Formulaires on Praticiens
: ils s'occupoient uniquement de
l'ordre de la procédure , ils n'entendoient
ni la loi ni fon efprit , ils dreffoient les libelles
, & conduifoient l'inftruction des
procès , ils ne portoient point la parole.
Cet avantage étoit réservé aux Cogniteurs
de la premiere efpéce qu'on nomma
Patrons , il n'étoit pas permis à ceux- ci
de s'étendre autant qu'ils le jugeoient à
propos , ils fe refferroient felon les Clepfidres
, qui leur étoient donnés par les Juges ,
& dont l'ufage venoit des Grecs.
La Clepfidre fut inventée par Clebibias :
c'étoit une machine hydraulique , ou une
efpéce d'horloge d'eau , compofée d'une
double phiole ; l'eau tomboit goute à goute
NOVEMBRE . 1753. 21
de lapremiere qui étoit remplie , dans la
feconde qui étoit vuide ; le tems de l'écoulement
marquoit à l'Orateur celui dans
lequel il devoit finir les difcours , les Juges
diftribuoient des Clepfidres plus ou
moins grandes , felon la nature de l'affaire
qui étoit à difcuter ; on obfervoit néanmoins
que l'accufé eût pour fe juftifier une
moitié de tems plus que l'accufateur pour
le convaincre : cette difference équitable
fut introduite par Cneius Pompeius.
Derriere les Patrons étoient des Moniteurs
: ils avoient attention de réprimer les
faillies de l'Avocat lorfqu'il s'échauffoit
trop . Ils lui rappelloient auffi les circonftances
qu'il avoit omifes.
Ces Moniteurs differoient peu des Gardiens
, nommés Cuftodes , dont l'office principal
confiftoit à tenir les boëtes ou les facs
dans lefquels les piéces du procès étoient
enfermées ; leur office avoit lieu fur tout
pour les matieres criminelles , afin d'empêcher
la collufion entre l'accufateur &
l'accufé.
Dans les caufes importantes , au lieu de
Patrons ordinaires , on avoit recours aux
Orateurs. Ceux - ci avoient rarement une
étude foncée du Droit , mais ils étoient éloquens
, leur ftyle plus concis & plus châtié
que celui des fimples Avocats , ils mon22
MERCURE DEFRANCE.
toient quelquefois dans la Tribune , ils
haranguoient le Peuple & le Sénat , ce que
les Cogniteurs même du premier ordre ne
pouvoient faire.
>
On voit dans l'Hiftoire que les Confuls ,
les plus célébres Magiftrats , les plus illuſtres
d'entre les Patriciens , fe faifoient une
gloire d'exercer les fonctions d'Orateurs
tels furent Hortenfius , Ciceron , Antoine,
Pline le jeune , & néanmoins il devoit
paroître indécent que ceux qui impofoient
Glence aux autres fuffent fujets à l'horloge
d'eau.
Dans le commencement les honoraires
des Avocats n'étoient pas fixés , l'Empereur
Claude fut le premier qui leur mit
des bornes. Il défendit de prendre au delà
de dix fefterces pour une caufe , ce qui
revient à deux cens cinquante écus de notre
monnoye.
Le nombre des Avocats étoit réglé , &
non pas arbitraire comme parmi nous , ils
étoient exempts de fubfides & autres charges
femblables on appelloit ceux qui
avoient atteint la vétérance , du nom de
Comtes & de Clariffimes , qualité rare &
qui n'étoit même pas accordée à ceux qui
avoient fervi vingt ans dans la guerre ; ils
avoient le pas fur les Chevaliers , on mettoit
des palmes devant leur maiſon , pour
NOVEMBRE. 1753 .
23
marquer que l'honneur étoit l'ame & l'objet
de leur profeffion .
Non-feulement les Avocats parloient
de bout , mais ils n'avoient point de barre
devant eux qui leur cachât la moitié du
corps. Avoient-ils fini ? pour peu que leur
difcours eût eu de fuccès , l'auditoire prodiguoit
les éloges à voix haute , les Juges
eux-mêmes fe levoient fouvent de deſſus
leurs fiéges &joignoient leurs acclamations
à celles du public.
Si à Rome , les Avocats acquirent une
plus grande réputation que chez nous ,
cela vient moins de la difference des talens,
que de la maniere d'étudier & de la nature
des cauſes.
A peine un jeune homme qu'on deftinoit
au Barreau , avoit-il atteint fa dix -feptiéme
année , qu'il y étoit préfenté en
pompe par les perfonnes de la premiere
diftinction ; on lui donnoit la robe virile ,
on le confioir à un Avocat célébre qu'il ne
quittoit prefque pas , qu'il voyoit préparer
, avec lequel il fe formoit & qu'il prenoit
pour modéle.
Les caufes étoient chez les Romains
beaucoup plus folemnelles que les nôtres
& plus fuivies. Tantôt c'étoient des Gouverneurs
qui rendoient compte de leur
adminiſtration en public , & qu'on ac
24 MERCURE DE FRANCE.
cufoit de péculat , tantôt c'étoient des Provinces
, dont lesAvocats étoient Protecteurs
& dont ils défendoient les intérêts ; ils
parloient fouvent pour les Rois ou contre
cux .
Il y avoit cependant beaucoup moins
de jours pour vacquer à la difcuffion des
procès que parmi nous. De même qu'à
l'armée on diftinguoit les jours de repos ,
diesjufti , de ceux appellés praliares ; ainfi
au Barreau ils étoient divifés en jours de
Glence, jours de parole , jours intercis , nefaftos
, faftos , intercifos.
On regardoit les jours néfaftes comme
privilégiés , le Préteur avoit alors la bouche
fermée. Ils ne pouvoit connoître d'aucun
differend. Tels étoient les jours religieux
ou de triomphe , ceux des jeux facrés
, de la naiffance des Empereurs , &c.
Quant aux jours faftes , il y en avoit de
plufieurs efpéces , ceux des Comices , Comitiales
; ceux des Foires , Nandina ( depuis
la Loi Hortenfia ) car auparavant ils étoient
facrés ; ceux deftinés à juger les caufes des
Etrangers , dies ſtati ; ceux des délais d'affignation
, comperendini ; ceux où le Sénat
avoit coûtume de s'affembler , fçavoir , les
Calendes & les Ides , dies legitimi ; les jours
faltes & néfaftes fe prenoient depuis le lever
du Soleil jufqu'au coucher.
Il
NOVEMBRE. 1753. 25
Il n'en étoit pas de même des intercis.
Hs étoient tronqués & imparfaits , parta
gés entre les devoirs du culte & le foin des
affaires temporelles , on ne jugeoit ces
jours là ni le matin , ni le foir , mais dans
Pintervalle de l'un à l'autre , & entre les
facrifices , inter hoftiam caufam.
Telles étoient les Feries des Romains :
quant au lieu où ils rendoient la juſtice ,
ce fut d'abord dans le Forum , c'eft à-dire ,
dans l'endroit où les Curies s'affembloient.
Ce Forum n'étoit pas couvert. En plaidant
fub dio , les Romains fuivirent l'ufage de
la Gréce.
On diftingua dans la fuite les caufes particulieres
des publiques : comme les premieres
intéreffoient plus de perfonnes ,
on crut que pour les traiter il feroit plus
commode de conftruire un édifice , qu'on
appella Bafilique ; on continua d'agiter les
fecondes dans les lieux des Comices , auprès
de la Tribune aux Harangues . Il faut remarquer
que ces dernieres étoient ou de
fait ou de droit , celles de fait le jugeoient
fur le rapport d'un Tribun , celles de droit
étoient du Reffort des Centuries , c'eft- àdire
, des Juges des Décuries , tellement
que les caufes privées devinrent Bafilicanes,
les autres tefterent fubdiales,
Il arriva fouvent que pour être plaidées
B
26 MERCURE DE FRANCE.
dans l'Aire nuë, les caufes publiques furent
très -mal jugées , ou ne le furent point du
tout ; on lit par exemple dans Valére-
Maxime , que Lucius Selo obtint fon ren
voi de la maniere qui fuit : il tomba une
pluie violente, Lucius Pifo profita de cette
circonftance , il fe profterna aux pieds des
Juges , il fe couvrit le vifage de boae , &
par ce moyen ramena les efprits à la clé
mence ; felon le même Auteur , Appius
Claudius plaidoit en fon nom lorfqu'ilfurvint
un orage , les Juges extrêmement
incommodés de la pluie leverent la Séance ,
crurent que les Dieux s'intéreffoient à la
caufe d'Appius , & n'oferent le faire recommencer.
Cependant le Peuple fe contenta de cet
ancien Forum , jufqu'à ce que Jules- Céfar
en eût fait conftruire un autre qui coûta
des frais immenfes , & dont on peut voir la
defcription dans Vitruve , Livres . Les af
faires s'étant multipliées avec le nombre
des Citoyens , Augufte en fit élever un
troifiéme qui fut très- orné ; il y en eut un
quatrième , commencé par Domitien &
achevé par Nerva Céfar , mais le plus riche
de tous fut celui de l'Empereur Trajan ;
on y voyoit une colonne de cent quarante
coudées , où étoient gravées les principales
actions de fa vie , ce fut au faîte de cette
NOVEMBRE. 1753. 27
colonne que les cendres de cet Empereur
furent confervées ; Dion Caffius affure que
l'Architecte de ce fuperbe édifice fut le célébre
Appollodore.
Nous avons vu plus haut que la connoiffance
des caufes privées appartenoient
au Préteur , exclufivement à tous autres ;
dans les affaires ordinaires on lui demandoit
par un libelle , la permiffion de citer
pardevant lui le défendeur , l'affignation
Te donnoit par la partie même , le Créancier
alloit trouver fon Débiteur , & en
préſence de deux témoins , il le fommoit
de venir devant le Juge.
Il tiroit l'oreille aux témoins pour qu'ils
fe reflouvinffent de l'affignation donnée ,
de là aurem vellere aurectari ; fi le défendeur
n'étoit pas d'humeur à venir fur le
champ , ou à promettre de comparoître ,
il étoit permis de l'amener par force ; fi
au contraire il venoit ou promettoit dé
venir , dicebatur radimonio adftrictus , les délais
des affignations étoient de trois jours.
L'affaire étoit- elle purement de fait ? le
Piéteur déléguoit des Juges pour en connoître
, étoit- elle de droit ? il la jugeoit
par lui - même avec fes Centumvirs , ou il
leur en renvoyoit la décision .
Les Centumvirs étoient les Affeffeurs
du Préteur . On en nommoit trois par Tri-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
bu , c'est- à-dire , que quand le Peuple fur
partagé en trente - cinq Tribus , il y avoir
cent cinq Centumvirs. Leur nombre augmenta
dans la fuite jufqu'à cent quatrevingt.
Ils furent divifés en quatre Tribunaux
ou Confeils . Dans chacun ils avoient
un javelot . On les appelloit Judices ordinarii.
Quant aux Juges délégués , c'étoient de
fimples Commiffaires . Ils n'avoient pas un
pouvoir étendu , tel que celui des Cen
tumvirs. Ils étoient adftraints à fuivre la
formule qui leur étoit donnée . Par exem
ple , on les chargeoit d'examiner fi Quintius
avoit contrevenu à tel Edit du Préteur ,
Ils n'avoient qu'une connoiffance de fair,
Leur jugement étoit un rapport. Ils décidoient
conformément à la formule qui leur
avoit été prefcrite , & ne ftatuoient rien
au fonds. Si pareat Q. dare opportere , &c.
pu-
Dans les affaires criminelles il y avoit
toujours un accufateur & un accufé. Le libelle
d'accufation fe dépofoit au tréfor
blic. Il y reftoit jufqu'à ce que l'abolition
cût fuivi. Les récompenfes des délateurs
victorieux étoient marquées par la loi Papia.
Quelquefois elles étoient arbitraires .
On trouve plufieurs titres dans le Droit
contre ceux qui calomnioient , tergiverfoient
, ou s'entendoient avec l'accufé.
NOVEMBRE. 1755. 29
Du jour de l'accufation , l'accufé donnoit
un furveillant à fa partie adverſe ,
crainte que cceelluuii-- ccii nnee pratiquât contre
lui des manoeuvres défendues , & n'eût
recours à de dangereux fubterfuges. L'accufateur
faifoit placer fon fiége dans l'endroit
du Forum qui lui paroiffoit le plus
commode.
En matiere criminelle , le délai de la citation
au jugement étoit au moins de trente
jours , c'est-à- dire , qu'il falloit qu'il y
eat trois marchés trinundinum , entre l'affignation
& la Sentence. Ciceron fe plaint
amérement de ce que cette formalité ne fut
point obfervée lorfqu'on le condamna à
l'exil.
Après le troifiéme marché l'accufé paroiffoit
devant le Préteur . L'accufateur expliquoit
en peu de mots le fujer de la
plainte. V. G. Aiote ficulos fpoliaffe. Alors
de deux chofes l'une , ou l'accusé nioit ,
ou il gardoit le filence , & ne diſconvenoit
point.
Au premier cas on accordoit du tems
pour adminiftrer des témoins , pour acquérir
des preuves , fournir des reproches &
des exceptions .
Au fecond cas , on régloit fur le champ
les dommages & intérêts réſultans , à ceux
qui avoient fouffert du délit. Lis aftimaba-
Biig
30 MERCURE DE FRANCE .
tur , & on prononçoit fur la peine corporelle
s'il y avoit lieu,
Quant aux crimes publics , le Préteur
convoquoit divers particuliers de chaque
Décurie pour avoir un nombre fuffifant
de fuffrages , on écrivoit fur des billets ks
noms de tous les convoqués ; on remuoit
ces billets dans une urne , on en tiroit juſqu'à
ce qu'on eût le nombre que demandoit
l'importance de la caufe , ce nombre
étoit ordinairement de foixante- quinze.
L'accufateur & l'accufé pouvoient reprocher
ceux qui étoient de mauvaiſes moeurs
& qu'ils croyoient fufpects. Alors on tiroit
d'autres billets du fcrutin , pour remplacer
les Juges qui au moyen de la récufation
n'avoient plus de voix.
On donnoit à ceux qui devoient juger
trois tablettes , fur l'une étoit la lettre A,
fignifiant le renvoi de l'accufé , Abfolvatur
; fur l'autre les lettres V. P. qui
marquoient que l'affaire n'étoit pas fuffifamment
inftruite , non liquet ; fur la troifiéme
étoit un C , figne de la condamnation.
Après que les Avocats avoient fini de
part & d'autre , le Préteur prononçoit à
haute voix , dixerunt. Auffi tôt les Juges
fe levoient pour opiner , ils jettoient tous
dans une boëte l'une de leurs tablettes , on
NOVEMBRE. 1753. 31
ignoroit par ce moyen ceux qui avoit condamné
ou abfous. Néanmoins comme chaque
Décurie avoit fes tablettes differentes
, on fçavoit en général que telle Décurie
avoit été plus févére ou plus favorable
.
Enfuite le Préteur quittoit la prétexte ,
& prononçoit le jugement qui avoit été
rendu ; il étoit permis d'appeller de ce jugement
, foit au Peuple , foit au Sénat ,
L'ufage des tablettes pour opiner venoit
des Grecs . On s'en fervoit encore , lorfque
les Comices s'aflembioient au fujet de
l'établiffement d'une loi , alors deux tablettes
fuffifoient , fur l'une étoient les lettres
V. B. uti rogas ; fur l'autre la lettre A,
abrogetur.
On ne parle point ici des Tribunaux
domeftiques , où les peres jugeoient leurs
enfans , où les parens de la femme jugeoient
fur les plaintes du mari ; ces Tribunaux
furent abolis par la fuite. Ils n'étoient
pas auffi odieux que plufieurs fe le
perfuadent' ; ils furent fondés par la politique
des Romains qui ne vouloient pas ,
que pour le crime où la faute d'un feul fa
famille fût deshonorée ; le châtiment étoit
fecret , les Juges intéreffés eux - mêmes à
fauver le coupable , étoient préfumés ne le
condamner , que pour éviter aux proches
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
la flétriffure qui auroit réjailli fur eux par
une condamnation notoire & folemnelle.
J. Lacoste ,fils , Avocat.
ADijon , le 16 Avril 1753.
18282625 26 26 26 262 26 DE 2
ODE
SUR la naiffance de Monfeigneur le Due
d'Aquitaine , préfentée à Monseigneur l
Dauphin ; par M. l'Abbé Roman.
O
Toi , Déité ( a ) réverée ,
Soeur da Dieu qui régle les jours ,
Defcens de la voûte azurée ,
Et porte en ces lieux ton fecours.
Defcends , & puiffante Déeffe
Viens délivrer une Princefle ,.
Digne de tes foins généreux..
Accours , ta divine préſence
Hâtera l'heureuſe naiffance
D'un Prince , l'objet de nos væus.
Déja de ta main fecourable ,
Marie ( b ) éprouve les bienfaits :
Je vois un enfant adorable
S'offrir à mes yeux fatisfaits..
(a ) Lucipe. (b) Madame la Dauphine
D
D
Q
[
L
t
D
NOVEMBRE 1753 .
33
Je vois les graces
de la
mere ,
La noble douceur de fon pere,
Briller à l'envi dans les yeux :
Digne de fon augufte Race ,
On le verra fuivre la trace
De les ancêtres glorieux.
***
Mais , quelle fubite allégreffe !
Mille cris ont fendu les airs :
Quels tranſports ! quelle douce yvreffe !
Quel bruit le mêle à nos concerts !
J'entends les foudres de la
guerre ;
Las de faire trembler la terre ,
Leur bouche annonce fon bonheur.
L'air brille , la flame étincelle ,
Une clarté pure & nouvelle ,
De la nuit diffipe l'horreur.
***
La Renommée impatiente
Vole aux deux bouts de l'univers ,
Er déja fa voix éclatante ,
De ces accens remplit les airs.
Peuples du couchant , de l'aurore ,
Un nouveau fis , qui vient d'éclore ,
De la Seine pare les bords.
Elle dit : la terre charmée ,
D'une même joie animée ,
Seconde nos juftes tranfports
Bv
34 MERCURE DE FRANCE
Mais je vois de loin Cytherée ,
Son char s'élance dans les cieux +
De graces , d'amours entourée ,
Elle s'avance vers ces lieux.
Elle vient embellir la fête
Que la main des plaifirs apprête
Pour célébrer un fi grand jour.
La Déefle au tendre mystére ,
Préfere à l'aimable Cythere
Les charnies de ce beau féjour.
++
Sur le Prince qui vient de naître ,
Elle a déja fixé les yeux.
Surprise , elle croit reconnoître ,
De fon fils les traits gracieux.
L'Amour , trompé comme la mere ,
Le prend lui même pour fon frere,
Et veut lui donner fon fambean.
De myrte , de lis & de roſes ,
Par leurs foins fraîchement écoles,
Les Gracesjonchent fon berceau.
++
Filles qu'on adore à Cythere , (a)
Prenez cet enfant dans vos bras
Aux yeux de fon augufte mere ,
Découvrez les naiſſans appas.
A cet afpect , fur fon vilage,
( a ) Les Graces
NOVEMBRE. 1753 .
35
Od la douleur forme un nuage ,
Brille fa joie & fon amour.
L'aimable enfant par un fourire ,
A la Princeffe femble dire ,
C'eft de vous que je tiens le jour,
Divinités inexorables ,
O vous , qui tenez dans vos mains
Lesjours , hélas ! trop peu durables
Des peuples & des Souverains :
Fieres Soeurs , rigoureuſes Parques ,
Pour ce fils de tant de Monarques ,
Prenez vos plus heureux fuſeaux.
Puiffent les hautes deſtinées ,
Et le tiffu de fes années ,
Echaper à vos noirs ciſeaux.
+3x+
Le premier bruit de fa naiffance
Va raffembler les jeux épars.
Pour amufer la tendre enfance
Ils accourent de toutes parts.
Mais dans un âge plus folide ,
Pallas , de fa puiflante Egide ,
Couvrira ce Prince chéri,
Les doctes Filles de Mémoire ,
A les yeux , offriront l'hiftoire
De fon Ayeul & de Henri ( 4 ).
( a) Louis XV. & Henri IV.
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE
Ces Princes des Rois les modéles ,
Préferoient , au fond de leurs coeurs ,
L'amour de leurs Sujets fidéles
A la gloire d'être vainqueurs.
Parmi les feux & le ravage ,
Oùle borne un béros fauvage ,
Ils pratiquoient d'autres vertus.
Au milieu des villes en cendre ,
S'ils combattoient comme Alexandre ,
Ils pardonnoient comme Titus.
On vit par cet accord illuftre
1
L'héritier du meilleur des Rois ( a );
Gagner , à ſon troifiéme luftre ,
L'eftime & l'amour des François.
Aux Champs de Mars ( b ) , où la victoire
Couronnoit fon pere de gloire ,
Sa valeur le fit admirer.
A la Cour , humain , équitable ,
Généreux , bienfaifant , affable ,
Sa bonté le fait adorer.
N'en doutons point : d'un vol rapide,
Le nouveau Prince , jufqu'aux cieux ,
Va , tel qu'un aiglon intrépide ,
Suivre fes fublimes ayeux.
a ) Monfeigneur le Dauphin,
( b ) AFontenay,
NOVEMBRE . 1753 .
37
Bourbon , feconde espérance
Que le Ciel accorde à la France ,
Quitte les jeux de ton berceau ;
Hâte-toi la gloire t'appelle;
A ton fang , à ton nom fidéle ,
Tu leur dois un éclat nouveau.
Ft toi , Province fortunée (4) ,
Cet enfant qui te doit ſon nom ,
T'uniflant à fa deftinée ,
Te rendra ton ancien renom.
Il arrachera des ténébres ,
Le nom de ces Héros célébres ,
Qui jadis te donnoient des loix ;
Mais en rappellant leur mémoire ,
Ton Prince effacera leur gloire ,
Et furpaffera leurs exploits .
O mihi tam longa maneat pars ultima vita ,
Spiritus, & quantum fat erit tua dicere facte:
Virg. Egli
(a)L'Aquitaine,
BF
38 MERCURE DE FRANCE
900209 209 208 20720928P 20P20PPOPROPRUTRUP
SEANCE PUBLIQUE
L
De l'Académie de Rouen.
'Académie des Sciences , Belles Lettres,
& Arts de Rouen , tint fon affemblée
publique le Jeudi z Août , dans la fale de
T'Hôtel- de - Ville . On diftribua d'abord les
prix , fondés
Mefdames de Marle & le
Cat , pour les Eleves de l'école de deffein,
& donnés au jugement de l'Académie ;
fçavoir , le premier d'après le modéle , à
M. Jacques Nevay , d'Edimbourg.
par
Le fecond à M. Etienne de la Vallée-
Pouffin , de Rouen .
Le prix d'après la Boffe , à M. Michel
Loyer , de Rouen.
Le prix du deffein , à Mlle Dor. Hen
riette Ribard , de Rouen.
Les prix d'Anatomie , fondés par M. le
Cat , pour les Eleves de l'Ecole chirurgi
cale dont il eft Profeifear , ont été remportés
:
Le premier par M. Jacques-Philippe
Fremanger , de Cy , près Bayeux.
Le fecond , par M. Auguitin de Lanney,
de Glanville , près Beaumont , en Auge .
Le troifiéme , par M. Louis Daupley ,
de Rouen .
NOVEMBRE. 1753 39
Asceffit. M. Antoine Doubleau , de Derneral
.
L'Académie avoit propofe pour fujet du
prix de Phyfique de cette année , l'Hiftoire
des mines de Normandie , &c. comme on ne
lui a adreffé aucuns Mémoires fur cette matiere
, elle s'eft déterminée à propofer un
nouveau fujet ; fçavoir , quelsfont les animaux
venimeux qui se trouvent en France ;
la nature de leur venin , & les remèdes qui &
Conviennent.
Le fujer du prix de Poëfie propofé pour
1752 , & encore en 1755 , étoit l'établiffement
de l'Ecole gratuite du deffein en cette
Ville. Les Piéces que l'on a envoyées
n'ayant point encore paru remplir fuffifamment
toutes les parties du programme,
inferé dans le Mercure de Décembre fecond
volume 175 , & dans le Journal
de Verdun , Novembre 1751. L'Académie
indique de nouveau le même fujet , dans
l'efpérance que les Auteurs feront des efforis
pour perfectionner leurs ouvrages,
L'Académie propofe encore le prix alternatif
des Belles Lettres , pour une Differtation
littéraire , dont le fujet eft : En
quel genre de Poëfie les François font fupérieurs
aux anciens ; cette Differtation , ainfi
que le Mémoire de Phyfique , feront d'une
heure de lecture ou environ. Ces trois prix
40 MERCURE DE FRANCE.
fondés par M. le Duc de Luxembourg,
Protecteur , confiftent en chacun une mé
daille d'or de 300 liv . & feront diftribués
en l'affemblée du premier Août 1754. Les
Auteurs adrefferont leurs ouvrages correctement
écrits , le port franc , avec leurs
noms & devifes fous une enveloppe cachetée
, avant le premier de Juin ; fçavoir les
Mémoires de Phyfique à M. le Car , Secrétaire
pour les Sciences , & les Piéces de
Poëfie & de Littérature à M. de Premagny,
Secrétaires pour les Belles Lettres.
Après l'annonce des prix , M. de Premagny
rendit compte des Mémoires qui
ont été lûs à l'Académie pendant le cours
de cette année , & entr'autres :
La defcription d'une tortue monftrueufe
, jettée par la mer dans le port de Dieppe.
Par M. des Groffilles , Affocié.
Détail de deux maladies extraordinaires,
dont les fujets âgés au moins de foixante
ans , fe font trouvés àl'ouverture des cadavres
, n'avoir que le rein droit. Par M. de
la Roche.
•
Deux volumes de Tables des Nombres
compofés & compofans ; ouvrage impor
tant de M. de Mercaftel , de l'Oratoire ,
de Rouen , Affocié .
Lettres fur les expériences d'électricité
de M. Franklin , & Mémoire fur un far
NOVEMBRE . 1753. 41
cocele ou tumeur des ovaires , & un projet
pour l'extirpation de cette tumeur ; par
M. le Cat.
Deſcription de l'Aurore Boréale du 13
Octobre 1752 ; Préface d'un ouvrage , intitulé
: Etat du Ciel pour la Marine , &
l'ouvrage même : obfervation de l'éclipfe
de Lune du 17 Avril , & de plufieurs occultations
des fixes par la Lune. Un Mémoire
précédant le paffage de Mercure fur
le Soleil , le 6 Mai ; Théorie de cette Pla
nette , & l'obfervation exacte de fon paffage.
Par M. Pingré.
Mémoire fur l'ufage & les vertus du fel
d'Epfon , & Recherches fur les plantes
qui croiflent aux environs de Rouen . Par
M. du Fay.
Mémoire fur les maladies des enfans.
par M. le Danois.
Traduction de plufieurs ouvrages Anglois.
Par M. Yart.
Traduction de plufieurs Odes en vers.
Par M. Fontaine.
Mémoire fur l'Hiftoire de Normandie,
Par M. du Boullay.
Premier volume des vies des Peintres
Flamands. Par M. Defcamps.
Traduction en vers & en profe , de quel .
ques épigrammes choifres d'Owen , par
M. de Premagny , & des obfervations fai
42 MERCURE DE FRANCE.
tes avec un excellent microfcope du Sieur
Canu , Opticien , & de l'Académie.
Mémoire hiftorique fur le Havre- de-
Grace , & autres Mémoires d'hiftoire naturelle.
Par M. Dubocage de Bleville , Aſfocié
.
Mémoire fur la vie de Leonard Aretin.
Par M. l'Abbé Goujet , Affocié.
M. le Cat lut enfuite le réfultat des ob
fervations méteorologiques , qu'il a faites
dans l'année académique 1752-53 . La plas
grande hauteur du barométre a été à Rouen
de 28 pouces & demi , & fon degré le plus
bas 27 pouces une ligne & un quart. Le
grand froid du 28 Janvier n'y a porté le
thermométre qu'à degrés au-deffous de
o . Le plus grand chaud du 7 Juillet , n'a
été qu'à 29 degrés . Les jours les plus humides
, ont été le premier & 14 Février.
Le plus fec a été le 24 Juillet. La quantité
de pluye a donné 21 pouces d'eau fur le
territoire de Rouen . La déclinaifon de
l'aiguille aimantée a été toute l'année à
l'Ouest , depuis 17 degrés 40 minutes juſqu'à
19 degrés,
Le dernier article de ces obfervations ,
contenoit les maladies qui ont regné dans
chaque faifon .
Chaque article étoit accompagné de
quelques remarques : celui des variations
NOVEMBRE. 1753 . 43
de l'air , contenoit les obfervations faites
par M. le Cat en 1746 , de la fenfibilité
du thermométre à air , ou manométre aux
deux efpéces de raréfaction ou de condenfation
de l'air ; fçavoir , celles que lui
donne le chaud ou le froid , & qu'il appelle
thermométrales , & celles qui annoncent
le tems pluvieux ou fec , & qu'il nomme
barométrales. Il rapporte à cette occa
fion un projet , communiqué à l'Académie
par M. Mailhot , Chanoine Régulier , de
déterminer fur un manométre ces deux
efpéces de variations de l'air , en affociant
le thermométre de M. de Réaumur au manométre
; & de mettre par là les Navigateurs
en état de fe paffer du barométre
que le roulis des navires rend infidéle ; &
comme l'air eft généralement plus rare en
efté , & que le barométre pour annoncer
de la pluye y defcend plus bas qu'en hyver,
il faudra pour le manométre une graduation
pour l'efté & une pour l'hyver . M. le
Cat donne la caufe phyfique de cet effet .
A l'occafion de la déclinaifon de l'aiguille
aimantée , il rapporte & explique
L'obfervation d'un aimant artificiel qui
avoit perdu toute fa vertu , & qui fe trouva
revivifié pour avoir voyagé avec un aimant
naturel , non armé .
Parmi les maladies qui ont regné cette
44 MERCURE DE FRANCE.
année , M. le Cat en a particulierement
décrit une , qui fous les apparences d'une
peripneumonie , confiftoit dans une inflammation
fuppuratoire du péricarde qui
tuoit les malades comme fubitement le s
où le 7 par oppreffion , & qui n'a cédé
qu'aux remédes laxatifs aiguilés d'émétique.
M. le Cat avoit déja obfervé les années
précédentes que la plupart des autres
fiévres malignes avoient pour caufe des efpéces
d'éruptions , ou ébullitions inflammatoires
, placées dans l'eftomac & les inreftins
, & qui en ne fe terminant ni par
réfolution , ni par fuppuration , devenoient
gangréneufes , & par là mortelles.
Il a même fait peindre d'après nature ces
éruptions , pour en mieux diftinguer &
faire connoître les efpéces. Il marque &
explique le bon effet des émetiques dans
le commencement , des laxatifs émetiques
& des limonades dans le courant de ces
maladies.
M. le Cat lut encore une grande Differtation
fur l'état actuel des Sciences & des
Beaux Arts , & fur la poffibilité de les perfectionner.
Dans cette Differtation M. le
Cat donne une hiftoire fuccincte des Sciences
& des Beaux Arts dans les fiécles fameux
d'Alexandre , d'Augufte , de Louis XIV .
& dans le nôtre. Il fait voir , que malgré
NOVEMBRE. 1753. 45
les grands progrès qu'ils ont faits , ils font
encore pour la plupart fufceptibles de perfections
; & que les Ecoles & Académies
que l'on multiplie aujourd'hui , font trèspropres
à y ajouter celles qui leur manquent
, à y conferver celles qu'ils ont acquifes
, & à leur reftituer celles qu'ils pourroient
avoir perdues.
M. l'Abbé Yart lut un Difcours fur les
Contes, il remonta à leur origine : il en fixa
la nature ; il en retraça les régles les plus
effentielles : il y ajouta la Traduction d'un
Conte Anglois très- fingulier , de Thomas
Parnell , intitulé , l'Hermite , que M. de
Voltaire a imité dans fon Roman de Zadig..
On ne donnera pas un plus long extrait du
Difcours & du Conte de M. Yart, L'un &
l'autre vont paroître , avec d'autres Poëmes
du même genre dans le fixiéme volu
me de fon Livre , intitulé : Idée de la Poëfie
Angloife.
M. Mailler du Boullay lut un Difcours ,
intitulé : Idée d'une Hiftoire de Normandie ,
des moyens d'y travailler avecfuccès.
&
Il fit obferver d'abord que l'objet le plus
important de l'Académie , avoit toujours
été l'utilité particuliere de la Province où
elle eft établie ; il donna pour preuve de
fon zéle les leçons publiques de Deſſein ,
d'Anatomie , de Phyfique & de Botanique,
46 MERCURE DE FRANCE.
établies par fes foins , & données par fes
Membres dans la Ville de Rouen , & il
ajouta qu'elle avoit encore un deſſein d'une
plus grande conféquence , foit
pour fon
utilité , foit pour le nombre des recherches
qu'il exigeoit , que ce projet étoit
de fe mettre un jour en état de donner à
la Province une Hiftoire Civile , Eccléfiaf
tique , Littéraire & Naturelle de la Normandie.
M. du B. fit voir , que fi on n'avoit fous
le nom d'Hiftoire de Normandie , que ? que des
compilations incomplettes pour le fond ,
& encore moins parfaites pour le ftyle , il
ne falloit point s'en prendre à la ftérilité du
fujet , encore moins au défaut de grands
hommes que la Normandie a produits en
très -grand nombre , & qui auroient eu
tous les talens néceffaires pour le bien
traiter.
Pour montrer combien l'Hiftoire de
Normandie eft intéreffante , M. du B. fit
un tableau en racourci de tous les évenemens
qu'elle renferme depuis l'invasion
des Normands en 912 , originaires des
pays du Nord , que les Romains nommoient
Jugermance , & qu'ils ne purent
foumettre. Ces peuples fçurent toujours
conferver leur liberté , après avoir fait
sembler toute l'Europe pendant près d'un
NOVEMBRE . 1753 . 47
fiécle , ils forcerent enfin nos Rois à les
recevoir pour vaffaux , & à donner à leur
Chef une Princeffe de leur fang , & une
des plus belles Provinces de leur Royaume ;
ils adoucirent alors la férocité de leurs
moeurs , ils apprirent à connoître les vertus
& les devoirs de la fociété , & s'attirerent
l'eftime de ceux dont ils avoient été
la terreur ; bientôt les bornes de leur Province
parurent trop étroites à leur ambition
& à leur courage . Guillaume , Duc
de Normandie , conquit l'Angleterre , il
civilifa les Anglois , comme Wollon avoit
civilifé les Normands , & il devint comme
le Fondateur de cette floriffante Monarchie
, qui rivale de la France prétend
à l'empire des mers , & tient un des premiers
rangs parmi les Puiffances de l'Europe.
C'étoit la deftinée des Normands de
fonder & de conquérir des Royaumes.
M. du B. rapporte ici la fondation du
Royaume de Naples , & les exploits des
Chevaliers Normands dans la Calabre
dans la Sicile , & enfin au fameux fiége de
Jerufalem .
ود
pays
» Conquérans comme Annibal , dit- il ,
» dans des plus délicieux du monde ,
ils ne laifferent pas comme lui amolir
leur courage dans l'oifiveté & dans les
»
48 MERCURE DE FRANCE .
2:0
plaifirs , ils allerent porter encore une
fois jufqu'au fond de l'Orient la gloire
» de leur nom , & s'immortalifer par ces
exploits fameux qui ont mérité d'être
» chantés par le Virgile de l'Italie moder-
» ne : les noms de Bremont & de Tancrede
, Princes Normands , dureront au-
» tant que l'admirable Poëme qui les a cé-
» lébré , c'eſt à- dire , tant qu'un des plus
» beaux chef d'oeuvres de la Poëfie épique
trouvera des admirateurs.
M. da B. parcourt enfuite les guerres
longues & ruineufes , dont la Normandie
fut le fujet & le Théatre , & qui pendant
près de trois cens ans défolerent la France.
La réunion de la Province â la Couronne
fous Philippe- Augufte : » Epoque flateuſe
» & remarquable pour nous , dit -il , qui
»ne contribua pas peu à illuftrer le regne
»de ce grand Prince , & qui nous rendant
entierement François, nous deftina à partager
le bonheur & la gloire d'une Nation
que la postérité mettra à côté des
" Grecs & des Romains. L'invafion des
Anglois , qui mit le Royaume fur le
chant de fa ruine. Enfin leur expulſion totale
fous Charles VII .
»
pen-
Aux évenemens des regnes fuivans ;
où la Normandie eut toujours beaucoup
de part , & pendant lefquels elle donna à
la
NOVEMBRE . 1753 . 49
le
la France plufieurs fages Miniftres , & plufieurs
grands Capitaines. M. du B. faic
fuccéder l'Hiftoire de cestems malheureux
où le fanatifme & la fuperftition obfcurcilfoient
toutes les lumieres , où la fureur
des guerres civiles dont la Religion étoit
prétexte , & l'ambition la caufe , inonda
la France du fang de fes propres enfans.
La Normandie eut le malheur d'avoir plus
de part qu'aucune autre Province aux
troubles de la Patrie . M. du B. cita les batailles
d'Arques , d'Yvry & le fameux fiége
de Rouen par Henri IV. » Valeur malheureufe
, pour laquelle elle s'oppofoit
» à fon propre bonheur , & qu'elle répara
» bientôt par les plus vifs témoignages
d'amour , de refpect & de fidélité pour
» fon Roi. Henri le Grand ne fe crut vraiment
Roi de France qu'après la réduction
de la Normandie , & fon entrée triomphante
dans la Ville de Rouen .
Sous le regne à jamais fameux de Louis
» le Grand , lorfque la France refpectée
» de toute l'Europe par fa puiffance , devint
la rivale de la Gréce & de l'Italie ,
»par la culture des Lettres , des Sciences
» & des Arts ; quelle Province contribua
davantage à fa gloire que la Normar-
» die? quelle foule de grands hommes en
tous genres ne lui a- t'elle pas donnée ?
C
50 MERCURE DE FRANCE.
» Sçavans du premier ordre , grands Orateurs
, Poëtes fublimes & élégans , Hif-
» toriens d'un mérite diftingué , Artiſtes
» fameux , il n'eft aucune espéce de talens
» que nos compatriotes n'ayent poffédés
» à un dégré éminent ; quelle gloire pour
» notre Patrie ! quel fujet d'émulation
» pour nous ! quelle abondance de richefles
pour notre Hiftoire Littéraire !
M. du B. prit de là occafion de parcourir
les trois autres branches de l'Hiftoire ,
l'Hiftoire Littéraire , Eccléfiaftique & Naturelle
; il fit voir que toutes étoient abondantes
& intéreffantes , & il finit par exhorter
au nom de l'Académie tous ceux
qui poffèdent des monumens précieux ,
ou qui en ont connoiffance , de l'aider de
leurs lumieres & de leurs recherches , les
affurant de la reconnoiffance qu'elle aura
pour tous ceux qui concoureront avec elle
à un projet fi utile.
La Séance fut terminée par la lecture de
deux Odes d'Horace , traduites en vers par
M. l'Abbé Fontaine.
On trouvera dans le Poëme qu'on va lire
toute la fenfibilité & le feu d'un jeune Poëte
avec la correction que l'Académie exige,
NOVEMBRE.
Se 1753.
801 306 502 506 522 152 : 502 502506 306 307 302 JOLSOL
LA TENDRESSE DE LOUIS XIV .
POUR SA FAMILLE.
POEME , de M. Lemiere , qui a remporté
Le Prix de l'Académie Françoise en 1753 .
Loin d'ici , dogme affreux ; ſyſtême criminel ,
Langage de Tibere & de Machiavel ,
Qu'un coeur tendre & fenfible eft fait pour le
vulgaire ;
Qu'an Prince ne doit être époux , frere , ni pere ,
Et que toujours exempt de la commune loi ,
Un Roi , pour être grand , ne doit être que Roi.
Accorder la tendreffe avec la politique ,
Telle fut de Louis la fcience héroïque ;
Telle auffi fut la gloire ; il chérit ſes enfans ,
Sur eux il épancha ces heureux fentimens ,
Des coeurs nés vertueux richeſſe intéreſſante ,
Qu'on répand , qu'on prodigue , & qui fans ceſſe
aug mente.
Le Ciel lui donne un fils ; fous quel guide éclairé
Va croître cet enfant , dépôt cher & facré ?
Boffuet , Montaufier , couple illuftre & fidelle ,
Venez , un Roi vous nomme , un pere vous appelle
;
Venez , près de fon fils , juftifiant fon choir ,
Cij
$ 2 MERCURE DE FRANCE.
Former ce jeune Augufte aux vertus des grands
Ro.s.
Sous leurs yeux , fous les tiens , Louis
s'éleve ;
> ton Fils
Ce qu'ils ont commencé , ton exemple l'acheve ;
L'enfant a diſparu , l'homme eft déja fʊimé ,
Le Héros va paroître , à te fuivre animé.
Veux tu du fier Germain mettre les murs en poudre
,
C'eft aux mains de ton fils que tu remets la foude
;
Tu l'expofes , n'importe , il s'élance aux combats ,
Tu veux voir au retour un Héros dans tes bras :
Tu fouffres , comme lui , d'une abfence funefte ;
Mais enfin dans les Fils , ce Fils encor te refte .
Pal is qui renfermez ces rejettons chéris ,
Ouvrez vous devant moi , laiſſez moi voir Louis,
Tour à tour carefler , interroger , inftruire ,
Corriger d'un regard , animer d'un fourire ,
Vender fur eux fans ceffe , & le plaire avec eux ,
Témoin de leurs travaux , quelquefois de leurs
jeux :
Sur leurs moindres périls il s'inquiéte , il tremble
;
Sa rendreffe fouvent près de lui les affemble ,
Confeil de la nature , où le coeur feul a voix ,
Ou Pamour paternel dicte de douces loix ,
Il n'eft point de moment que fa bonté n'y marè
que ;
NOVEMBRE.
53
/
1753.
'Ainfile Pere en lui délaffe le Monarque ,
Peut-être au milieu d'eux digne d'être admiré,
Plus qu'aux bords de l'Efcaut , de périls entouré .
Malheur à qui t'ignore , ô tendreffe ! ô nature !
Malheurs fur tout aux coeurs qui bravent ton murmure
!
Pierre , qui de tant d'arts enrichit fon
pays ,
Se fût montré plus grand en épargnant fon fils ;
11 fuit l'exemple affreux de ce Roi des Iberes ,
Illuftre politique , & le plus dur des péres :
Le monde à leur génie auroit plus applaudi ;
Mais l'un fouilla le Nord , & l'autre le Midi.
Quel coup inattendu ! Charles fort de la vie ,
Il appelle Philippe au Trône d'Ibérie :
Ce jeune Souverain , foutenu par Louis ,
Doit y porter le Sceptre entrela fé de lys.
Il part accompagné de fon augufte pere ,
De Louis fon ayeul , eſcorte heureuſe & chere ;
Quel fpectacle touchant ! m'abufai -je ? où va- t- il
Sa pompe annonce un Trône , & fes pleurs un
exil ;
Louis pleure avec lui l'éclat qu'on lui prépare ,
Et fans voir qu'il l'éleve , il voit qu'il s'en fépare .
Mais Ciel , quel changement ! Philippe à peine
eſt Roi ,
L'Aigle fond fur le Tage , y veut donner la loi;
Le Léopard ardent fert fa jaloufe rage ;
Louis défend contre eux fon fang & fon ouvrage ,
L'honneur & la tendreffe animent cet effort ;
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
Mais il fuccombe enfin , l'Aigle a pour lui le fort :
On propoſe à Louis moins un traité qu'un crime ; ·
Sa main foutient Philippe , on veut qu'elle l'opprime
,
"Ainfiqu'on voit la mer ,fous fes flots irrités ,
Submerger les vaiffeaux qu'elle-même a portés.
Combattre eft la réponse au Traité qu'il dédaigne
;
L'Anglois fuit , Charles céde , & Philippe enfin
regne.
O Louis! hâte-toi , goûte ces courts momens :
Pour ta tendreffe , hélas ! je vois de longs tourmens
:
Ton fils tombe , il expire ; une perte fi rude
Des fureurs de la mort n'eft qu'un affreux prélude
;
Sur ta postérité ce monftre dévorant
S'acharne , & de fa faulx la moiffonne en courant
:
Sur un triple cercueil je vois la Parque affile ;
Quels affauts pour Louis ! quelle horrible furprise !
Quoi ! tant de rejettons , de fon Trône l'appui ,
Sont tombés à la fois , frappés autour de lui !
Tels près d'un chêne altier , font briſés par l'orage
De tendres arbriffeaux plantés fous fon ombrage,
Louis n'eft donc plus pere , il n'est donc plus
ayeul ,
Dans les vaftes Palais errant & refté ſeul ,
NOVEMBRE. 1753. SS
Il ne voit après lui qu'un rejetton débile ,
A demi confumé , du Trône efpoir fragile ;
Enfin lui - même il tombe : approche , augufte enfant
,
Viens , reçois les foupirs de fon coeur expirant ;
C'eft fur toi qu'il épanche , à fon heure derniere ,
Les projets du Monarque & tout l'amour d'un
pere .
Vous étiez cet enfant , vous fur ce Trône heureux
Placé par la naiffance , ainfi que par nos voeux ;
Né pour les fentimens que la nature imprime ,
Vous fucceffeur en tout de ce Roi magnanime ,
Vous qui comme Louis , de la gloire jaloux ,
Lui donnez un rival qu'il n'eût point eu fans vous.
PRIERE A DIEU POUR LE ROI.
Grand Dieu , qui dans des tems d'allarmes ,
Nous privant du meilleur des Rois ,
Daignas , par le Héros qui nous donne des loix ,
De la France fécher les larmes ,
Rends de mon Roi tous les jours triomphans ,
Veille fur lui , veille fur fes enfans ,
Tréfors fi chers pour lui , têtes pour nous fi cheres
;
Laiffe un exemple aux Rois , laiffe un modele aux
Peres.
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
204 205205205205205 205 205 206 207 208 209 208
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie de Dijon.
' Académie tint fa Séance publique le
Août . Elle fut ouverte par M.
L'19 publique!
Académicien honoraire , qui lut un Difcours
ou amufement littéraire , fur un pécifique
contre la trifteffe & les chagrins
de la vie.
Si le corps a fes maladies , l'efprit a fes
indifpofitions qu'il eft plus difficile encore
de prévenir. En effet , il n'eft aucun
régime qui puiffe nous garantir du chagrin
; ce bourreau de l'homme , qui répand
dans l'ame le poifon & l'amertume , rend
la vie même à charge. L'impoffibilné de
prévenir , & la difficulté de détruire cette
indifpofition , ne nous laiffe de reffource
que d'en affaiblir le fentiment : quels en
feront les moyens ? La Médecine , cet art
lumineux & fecourable , ne nous en offre
que très
peu fur lefquels on puiffe fonder
quelque efpérance. Homere , cet ami des
jeux & des ris , parle d'une plante dont il
vante l'efficacité ; mais la graine en eſt
peut être à jamais perdue , du moins ne
croît-elle plus dans nos jardins. Un Poëte
NOVEMBRE. 1753. 57
de la Franconie Orientale , Conrad Celte
nous offre en forme de dédommagement ,
quatre spécifiques , qu'il nomme les véhicules
de la vie , le vin , le fommeil , un
ami , la Philofophie. En adoptant ce fentiment
, on fe propofe de faire voir que
l'on peut trouver un adouciffement aux
chagrins de la vie , dans l'ufage modéré
d'un vin exquis , dans les douceurs du
fommeil , dans les agrémens d'une amitié
fincere & réciproque , & dans les maximes
de la Philofophie . L'Auteur convient
que l'on ne peut regarder ceci que comme
un pur badinage ; mais fans un peu d'amufement
( dit il ) un Orateur n'eft fouvent
qu'un ingénieux artifan d'ennui . Ce Dif
cours fut fuivi de celui de M. Lantin ,
contre les mercenaires de la Littérature
qui travaillant pour les Académies , font
plus fenfibles à l'intérêt fordide qui les
dévore , qu'à la réputation & à la gloire
d'avoir bien fait.
M. l'Abbé Richard lur enfuite un Mémoire
fur les moeurs des Gaulois.
Les actions du particulier , fa façon de
vivre & fes inclinations , caractérifent un
peuple ; on peut juger des moeurs d'une
nation par plufieurs de ces caracteres raffemblés
& comparés . C'est par cette méthode
que l'on eft parvenu à nous faire
C v
38 MERCURE DE FRANCE.
connoître les moeurs des Grecs & des Romains
, c'eft ainfi que les voyageurs modernes
nous ont fi bien expliqué le goût
& le génie particulier des peuples des Indes
& de l'Amérique , dont la plûpart
font fauvages par rapport à nous , qu'il
n'y auroit que le premier abord de ces
peuples qui nous étonnât ; ce que nous en
aurions lû , ce que l'on nous en auroit dit ,
nous mettroit bientôt au fait de ce que
nous en aurions à craindre ou à eſpérer.
Mais où trouver des mémoires pour
nous inftruire de ce qui regarde les Gaulois
, auffi parfaitement que nous le fommes
, de ce qui fe rapporte aux Romains
& aux Grees ? Les mêmes Auteurs qui ont
écrit l'hiftoire de ces peuples fameux , nous
apprendront à connoître nos ancêtres.
Diodore de Sicile , Paufanias , Plutarque
, Athenée , Tite- Live , Cefar , Tacite ,
Strabon , Pomponius Mela , Aulugelle ,
Clément d'Alexandrie ; les Philofophes
même & les Poëtes , Platon , Ariftote ,
Ciceron , Juvenal , Martial ; on trouve
dans leurs écrits une infinité de traits qui
nous mettent au fait des moeurs des Gaulois
: c'eft d'après eux que l'Auteur du Mémoire
a travaillé.
Il n'avance rien de pofitif fur l'origine
des Gaulois. Nous ne trouvons rien , ditNOVEMBRE.
1753. 59
il , qui nous faffe connoître leur établiffement
dans la partie de l'Europe qu'ils occu
perent. Les Auteurs les plus anciens en
parlent comme d'un peuple connu depuis
long- tems , & vivant felon fes loix . Les
différentes émigrations des Gaulois qui ſe
répandirent de tous côtés pour y former
des établiffemens nouveaux , qui s'emparerent
d'une grande partie de l'Italie & de
l'Elpagne , qui pénétrerent jufqu'en Aſſe ,
qui peuplerent leslfles voifines de l'Europe,
devinrent la tige de plufieurs peuples qui
confervent encore aujourd'hui leur nom.
Toutes ces circonftances raffemblées dépofent
en faveur de l'antiquité des Gaulois.
On dit un mot de leur nom , que l'on
croit , avec Bodin , pouvoir tirer du pays
même qu'il habitoient , & du mot Wal ,
qui en langue Celtique fignifie Foreft. Du
mot Wal on a fait Walli , & fuivant la prononciation
Romaine qui employe le Gau
lieu du double W , on a dit Galli , Gaulois
, ou habitans des forêts .
L'Auteur donne enfuite une idée de la
conformation extérieure des Gaulois , qui,
au rapport de Paufanias , étoient les plus
grands , les plus forts , & les mieux faits
de tous les hommes . Ils naiffoient avec des
cheveux blonds ; cette couleur leur paroiffoit
trop fade , & ils avoient une attention
Cvi
60 MERCURE DE FRANCE .
particuliere à fe rendre roux ; ils s'imaginoient
que cette couleur fanglante les rendroit
plus formidables à la guerre . La façon
même dont ils tournoient leurs cheveux
avoit quelque chofe d'horrible. Ils fe rafoient
le menton & confervoient de longues
mouftaches qui retomboient jufques
fur la poitrine ; les principaux de la nation
les regardoient comme une parure auffi
néceffaire qu'agréable.
Leurs habillemens n'étoient pas toujours
les mêmes ; on en diftinguoit de trois efpéces.
La faye , ou le vêtement long &
large , avec lequel on paroiffoit dans les
affemblées publiques ; la braye ( Bracca )
étoit un jufte au- corps ferré & court , on
le portoit dans les voyages & à la guerre ;
la tunique , le plus léger de tous , fervoit
au peuple & aux ouvriers. L'habillement
des femmes reffembloit beaucoup à celui
des hommes ; il étoit de toile ou d'étoffe
de laine fort légere , il étoit taillé de façon
qu'elles avoient les épaules , les bras &
la gorge prefqu'entierement à découvert .
L'ufage de l'or étoit commun parmi eux ,
ils fçavoient le fondre & l'employer à leur
parure , pour laquelle la nation a toujours
eu un goût décidé ; on en trouve une
preuve fans réplique dans l'hiftoire de Titas
Manlius , qui enleva le colier d'or du
NOVEMBRE. 1753. Gr
Gaulois qu'il vainquit fur le pont du Teveron
, & qui en prit le nom de Tor- .
quatus.
Mais c'eft par un examen plus important
du coeur & de l'efprit des Gaulois , de leur
façon d'agir & de penfer dans ce qui regarde
les principes fondamentaux de la
fociété , & ce qui en affure le repos & la
gloire , que l'on doit fe former une idée
des moeurs des Gaulois . On commence par
l'éducation de la jeuneffe.
Quel étoit parmi eux le ton de l'éducation
? il fe rapportoit tout au bien de l'Etat
, & il en faifoit en partie la conftirution
. Les Egyptiens & les Spartiates n'ont
rien eu dans ce genre qui leur mérite la
préférence . Les Gaulois , il eft vrai , ne
formoient ni Sçavans ni Artiftes , mais ils
formoient des hommes , & les élevoient
refpectivement les uns pour les autres .
Leur efprit fe développoit à peine , qu'ils
étoient perfuadés de ce principe important
, qu'on ne peut trouver fon avantage
particulier que dans le bien général. C'eft
de ce tems qu'il eft permis de dire qu'il ne
naiffoit pas plus de bons hommes que de
bons patriotes Que l'on ne révoque point
en doute ce que l'on raconte de ces tems
éloignés . Le confentement unanime des
Historiens dépofe en faveur d'une vérité
62 MERCURE DE FRANCE.
que l'on ne refufe d'admettre que parce
que l'on eft intéreffé à fe perfuader que les
hommes de tous les fiécles ſe ſont reffemblés
, & que les mêmes caufes ont tou
jours dû produire les mêmes effets. Un
détail exact & fuivi prouve le contraire.
La nourriture de la jeuneſſe , ſes exerci◄
ces , fes jeux , le foin que l'on avoit de fes
moeurs , l'exactitude de les maîtres , & la
févérité des châtimens concouroient à
en former des citoyens robuftes & fideles à
l'Etat.
>
On parle de leurs mariages , des cérémonies
qui s'y obſervoient , des conventions
matrimoniales , de l'autorité defpotique
des maris fur les femmes & les enfans
, du rang que les femmes tenoient
dans la fociété. Les coutumes n'étoient
pas les mêmes à ce fujet dans toutes les
Gaules ; on en rapporte les différences
confirmées par les témoignages des Hiftoriens
qui en ont écrit.
D'autres ufages nous préfentent les
moeurs des Gaulois fous un afpect plus heureux.
Nous y trouvons avec plaifir une inclination
marquée pour le bien , & un
amour décidé pour l'humanité ; ils exerçoient
l'hofpitalité avec un défintéreſſement
& un zele qui leur étoit unique. Ils
établirent en faveur de leurs hôtes une loi
NOVEMBRE. 1753. 63
qui fait honneur à l'humanité. On parle
de l'Architecture civile , des feftins , & des
meubles des Gaulois . Ces détails forment
un tableau agréable , varié , & d'autant
plus inftructif, que malgré les changemens
que les révolutions des fiécles ont néceffairement
introduit , nous retrouvons dans
nos ufages mille traits qui fe rapportent à
ce que pratiquoient anciennement les Gaulois
; & plus nous remontons dans les fiécles
paffés , plus nous voyons augmenter
le nombre des rapports ; de forte qu'il n'est
pas impoffible de former une chaîne qui
remonte depuis nous jufqu'à l'antiquité
la plus reculée.
Le Mémoire eft terminé par ce qui regarde
les qualités de l'efprit national des
Gaulois. Les Auteurs étrangers les ont taxé
d'inconftance & de légereté ; ceux qui les
ont mieux connus , ont trouvé la cauſe de
ces défauts prétendus , dans la vivacité de
l'inclination des Gaulois , & dans leur facilité
à réfoudre fur le champ ce qui convenoit
aux circonftances du tems. On leur
a reproché une curiofité infupportable aux
étrangers ; c'étoit le vice de la nation
que l'on ne peut jamais détruire , & qui
fouvent lui fut préjudiciable , attendu fon
inclination à croire tout ce qu'on lui racontoit
des deffeins de fes ennemis ou de
64 MERCURE DE FRANCE.
fes voisins. Le Gouvernement ne trouva
d'autre moyen de l'arrêter , qu'en défendant
fous des peines très féveres , de s'entretenir
en public des nouvelles étrangeres
, & de prendre en conféquence aucu
ne réfolution fans l'ordre du Confeil national
, auquel on devoit rapporter tout
ce que l'on auroit entendu dire , pourfuivre
les ordres fur les précautions qu'il y
auroit à prendre.
Ils avoient beaucoup de vanité , & fe
croyoient invincibles. Les Romains leur
apprirent le contraire , quoiqu'il foit vrai
de dire que de toutes leurs conquêtes ,
aucune ne leur a autant coûté , & qu'il
falu la valeur & le génie fupérieur de Céfar
pour en venir à bout.-
On s'eft mocqué de leur crédulité , elle
paffa en proverbe à Rome , & les Grecs
regarderent les Gaulois comme un peuple
fans efprit & fans difcernement ; & pourquoi
c'eft qu'ils n'avoient jamais trompé
perfonne , & qu'ils ne croyoient pas qu'on
pût les tromper . Ils ne mirent pas la déhance
au rang des vertus . Une fi grande
crédulité eft peut - être un défaut ; mais
quand c'est celui de la nation , & qu'il a
pour principe la fimplicité des moeurs &
l'ingénuité du coeur , ce défaut même devient
honorable à la nation , que l'on ne
NOVEMBRE. 1753. 65
doit regarder que comme un peuple chez
lequel la vérité feule a le droit de fe faire
entendre , & qui n'a jamais imaginé que
la diffimulation & la fraude puffent entrer
dans le commerce ordinaire de la vie .
Le Prix qui avoit été remis l'an paffé ,
les Auteurs n'ayant pas rempli les vues de
l'Académie fur le fujet fuivant ; fçavoir
fi la température de l'air d'un climat influe
fur le tempérament & la force de fes habitans
, a été adjugé à M. Gravier , Docteur
en Médecine , à Paray en Charolois , qui
s'eft annoncé l'Auteur du Mémoire N° . 2.
qui a pour devife , mutat omnia coeli temperies.
Programmes proposés.
Le Prix de morale pour l'année 17549
confiſtant en une médaille d'or de la va
leur de trente piftoles , fera adjugé à celui
qui aura le mieux réfolu le Problême fuivant
: Quelle est la fource de l'inégalité parmi
Les hommes , & fi elle est autorisée par la loi
naturelle.
Il fera libre d'écrire en François ou en
Latin , il ne faut pas que la lecture excéde
trois quarts d'heure. Les Mémoires ,
francs de port, feront adreffés à M. Petit ,
Secrétaire de l'Académie , rue du Vieux
Marché , à Dijon , qui n'en recevra point.
66 MERCURE DE FRANCE.
paffé le premier Avril . Il en fera uſé de
même à l'avenir à l'égard des paquets
adreffés à l'Académie ; elle n'en recevra
aucun , dont le port n'ait été acquité aux
Bureaux d'où ils font partis.
L'Académie défirant donner aux Auteurs
le tems de travailler leurs ouvrages
& de faire les recherches néceffaires , s'eft
déterminée à annoncer les fujets un an
plutôt qu'elle n'avoit coutume de faire .
Celui de Médecine l'année 1755 ,
pour
confifte à déterminer la maniere d'agir dn
bain aqueux femple , fes avantages & ſes inconvéniens
, par rapport aux différens tempérammens
, en Sarticulier dans quel genre
de maladies i peut être utile. Les ouvrages
qui n'excéderont pas une heure de lecture
feront reçus fons les mêmes conditions que
ci-deifus , jufqu'au premier Avril 1755.
AAAAAAAA^^^^^: ^A :AALA
LA CALOMNIE ,
de
ODE AUX MANES DE ROUSSEAU. (4)
Qui a remporté le prix , par le Jugement
l'Académie des Jeux Floraux , en 1753-
Uel eft fous ce cyprès funébre ,
Ce trifte monument arrofé de tes pleurs ,
(a) Voyez la remarque qui eft à la fuite de l'Ode,
NOVEMBRE.
675
1753.
Polymnie & pourquoi cette lyre célébre
N'exprime- t'elle , hélas ! que tes vives douleurs
Je vois auprès de toi l'Amour brifer ſes armes ,
Et les Graces en deuil les yeux baignés de larmes ,
Jetter des fleurs fur ce tombeau :
Parmi les noms fameux de Pindare & d'Horace ,
Le doigt de la gloire y retrace
Le nom & les malheurs de l'immortel Rouſſeau.
Månes facrés , ambre chérie ,
O mon Maître , reçois ce tribut de mes pleurs...
Mais quel deftin jaloux a privé ta Patrie
Du déplorable ſoin de tes derniers honneurs !
Ah ! j'apperçois autour de ton urne plaintive ,
Ce Tyran dont la rage , à re nuire attentive ,
Troubla le repos de ces jours ;
Sa haine contre toi toujours plus obftinéc ,
Contre ta tombe profanée ,
D'un vol impétueux d'implacables vautours.
O monftre , enfant de l'impoßure ,
Affreufe Calomnie , exécrable fléau ,
C'estpar toi que la fraude & l'effronté parjure ,
De la Vérité même éteignent le flambeau.
Du prix de la vertu le crime le couronne :
La perfidie aiguife & l'envie empoifonne
Les traits dont s'arme la fureur ;
Sur ton char effrayant attelé par la Haine,
Je vois la Difcorde inhumaine
Semer autour de toi le trouble & la terreur.
De tes loix , Miniftres dociles
68 MERCURE DE FRANCE.
L'artifice odieux , la fombre Trabifon ,
Allument dans le coeur de cent nouveaux Zoïles
Les tranfports effrenés qu'excite ton poifon.
Aux plus noirs attentats l'injuftice enhardie ,
Dans l'ombre de la nuit conduit leur troupe impie ;
Et la Vengeance , aux yeux hagards ,
Abbreuve dans le fiel les flèches homicides ,
Qà ch que inftant leurs mains perfides
Sur l'Innocence en pleurs lancent de toutes parts,
Voyez leur cohorte barbare ,
Pénétrer ces Palais confacrés au loiſir ,
La Licence y compofe un tribunal bizarre ,
Où tout cède à la loi que dicte le plaifir.
Sur un trône de fer Podieufe Satyre ,
A côté du Menfonge exerce fon empire
Sur l'innocence & la vertu ;
Et fa bouche cruelle , au gré de fon caprice ,
De l'affreuse empreinte du vice
Fait rougir le Mérite à fes pieds abbatu .
Non , il n'eft plus pour vous d'afyle ,
Vertus , talens , honneur , l'éclat dont vous bril-
Iez ,
Attire le venin que leur bouche diftile ;
Ces afpics affcupis par lui font éveillés .
Leur gloire ſe meſure à la grandeur du crime ;
S'il tombe fous leurs coups une illuftre victime ,
Leur triomphe en paroît plus beau.
NOVEMBRE. 1753. 69
L'obfcurité contre eux eft la feu'e défenſe ,
Et la foudre дне leur main lance
Ne frappe que le cédre & fait grace au rofeau.
Dans leur audace meurtriere ,
Ces nouveaux Ixions , ces Titans furieux ,
Du Trône & de l'Autel franchiflant la barriere ,
Attaquent fans refpect , & les Rois , & les Dieux
La foudre vengereffe , à partir toute prête ,
Envain gronde fur eux , menace envain leur tête ;
Le danger accroît leur fureur ,
Et jufques aux Enfers leurs langues irritées ,
Sur les Ombres épouvantées
De leur mortel venin répandent la noirceur,
Et quoi ! ce terme lamentable ,
Ce féjour éternel d'une éternelle paix ,
La mort , qui du fupplice affranchit le coupable ;
Ne peut- elle fauver l'innocent de leurs traits ?
Au fond de ces tombeaux qui vous force à defcén
dre ,
Cruels de ces Héros laiſſez en paix la cendre :
Pourquoi , de leur grandeur jaloux ,
Vos efforts veulent -ils ravir à leur mémoire
La fplendeur de l'antique gloire ,
Dont leurs mânes fameux jouiront malgré vous à
O Thémis , fur ton Trône augufte ,
La Justice s'affied avec la Vérité ;
Ton temple refpectable eft l'afyle du jule ,
La terreur du menfonge & de l'iniquite....
70 MERCURE DE FRANCE.
Que vois-je ? fur tes yeux la fraude & le parjure
Ont étendu leur voile ourdi par l'imposture :
A travers ce nuage épais ,
Des plus noirs attentats innocemment complice ;
Ta main , que féduit l'injuſtice ,
Accable la vertu , couronne les forfails.
Ainfi l'infâme Calomnie
Trompa l'oeil vigilant des Miniftres des Loix ,
Quand du fein fortuné d'une ingrate Patrie
Le Pindare François s'exiloit à ta voix .
Il part , & loin des bords de nos triftes contrées
On voit auprès de lui les Muſes plorées ,
Errer de climats en climats :
D'un exil rigoureux partageant les difgraces ,
Elles fçavent fixer les Graces ,
Par tout où le deftin daigne guider fes pas.
Tandis que la Seine indignée ,
De fon Chantre fameux regrettoit les accords ,
Le fortuné Batave & l'Autriche étonnée
De fon brillant génie admiroient les efforts ;
Le Danube , fortant de fes grotes humides ,
Interrompoit le cours de fes ondes rapides ,
Au fon de fes concerts nouveaux ;
Et l'Eſcaut enchanté , ſur ſes paiſibles rives ,
Voyoit fes Nymphes attentives ,
Pour entendre la voix quitter le ſein des eaux.
L
Quel feu divin, quelle harmonie ,
Sur ces bords animoient fes fons mélodieux !
NOVEMBRE . 1753. 70
Tantôt du fier Pindare adoptant le génie ,
Il chantoit du Héros les exploits glorieux ;
Quelquefois , d'une main inconftante & légére ,
Nouvel Anacréon , de l'Enfant de Cythère ,
Il retraçoit les jeux divers ;
Et tantôt de David imitateur fidéle ,
Il touchoit fa harpe immortelle ,
Et célébroit les dons du Dieu de l'Univers.
Souvent de ta chere Patrie
Le tendre fouvenir irritoit ta douleur ,
Illuftre malheureux , & ton anie attendrie ,
D'un deftin ennemi déploroit la rigueur.
» Peut- être , difois- tu , qu'à mes larmes propice,
» Le Ciel de mes tyrans confondra l'injuſtice ;
» Peut- être que la vérité ,
» De ma Mufe proferite embraffant la défenſe,
>> Fera briller mon innocence
»Aux regards éclairés de la poſtérité.
Nos yeux ont percé le nuage ;
La vérité tardive a recouvré fes droits ;
De ta vertu flétrie elle a vengé l'outrage ,
Et la postérité te parle par ma voix .
Le preſtige eft détruit : les aîles de la gloire
Aux fiécles à venir porteront ta mémoire ;
Et cet opprobre injurieux ,
Dont les fiers ennemis d'une main envieuſe ;
Noircirent ta vie orageuſe ,
Effacé de ton front ,
ne tombe que fur eux.
+
72 MERCURE DE FRANCE.
Chere ombre , fi tu peux m'entendre ,
Si la voix des Vivans peut percer chez les Morts ,
Daigne accepter les fleurs que je mêle à ta cendre,
Et ne méprife point mes timides accords .
Ta gloire & tes malheurs ont dicté mon hommage
: ( * )
Du tendre fentiment l'affectueux langage ,
*
Eft le lang ge de mon coeur.
Telle jadis la Mule aux mânes de Malherbe ( b ) ,
Dreffa ce monument fuperbe
Qui bravera du tems l'impuiffante rigueur.
( a ) Les talens , lagloire & les malheurs de Rouf.
feau ,doivent faire regarder la découverte de fon innocence
, comme un objet intéreſſant pour la République
des Lettres; des preuves réitérées lui ont donn un de
gré d'évidence qui force le doute à fe taire. L'Auteur
de cette Ode aévité des perfonalites qui auroient paru
contrevenir aux régles de l'Académie ; d'ailleurs les
accufateurs de ce Poëte n'exiftent plus . A l'égard de
l'Arrét du Parlement qui le bannit de fa Patrie , comme
les Jugesjont obligés de fe décider fur la foi des témoins
, quelquefois corrompus , la juftification d'un innocent
condamnéſur un faux témoignage , ne doit point
paroitre attaquer leur intégrité.
fb ) L'Ode à Malherte eft la cinquiéme dutroifié
me Livredes Odes de Roufle vu.
Ed £3
SEANCE
NOVEMBRE. 1753. 73
SEANCE PUBLIQUE
De Académie des Sciences , Belles - Lettres
Aris de Befançon , tenue le 24 Août
1753.
Ette Séance , qui fut précédée le ma-
Cin dune Meffe avec un Motet , célébrée
dans l'Eglife des Peres Carmes , &
du Panégyrique de Saint Louis , prononcé
par M. l'Abbé Robert , Curé de Liefle ,
fut ouverte le foir dans une fale de l'Hôtel
de M. le Duc de Tallard , par un difcours
de M. de Quinfonas , Premier Préfident
du Parlement , & Président de l'Acadé
mie : la diftribution des prix lui en fournit
la matiere.
Il obferva combien le nombreux concours
d'ouvrages préfentés à l'Académie ,
& les efforts redoublés de leurs Auteurs ,
pour mériter les premieres couronnes
qu'elle ait eu à diftribuer , les rendoient
glorieufes pour ceux qui les recevroient
honorables pour ceux qui les avoient établies
, & flateufes pour ceux qui les décernoient.
Les ouvrages d'éloquence lui rappellerent
le fouvenir de ce chef-d'oeuvre , auffi
D
74 MERCURE DE FRANCE.
connu dans toute l'Europe que fon Auteur
y eft diftingué , dont la Société Littéraire
de Nancy avoit procuré la lecture à
l'Académie de Befançon dans le cours de
cette année , & qui fut le premier lien de
leur correfpondance.
Les Differtations fur l'Hiftoire des Séquanois
& les Mémoires pour les Arts ,
firent naître fous la plume de M. de Quinfonas
l'occafion de défigner par avance la
place que les bienfaits de M. le Duc de
Tallard lui affurent dans l'Hiftoire de cette
Province , & de remarquer qu'elle n'eft
pas moins la Patrie des Artiftes que des
Guerriers , des Négociateurs & des Sça-
.vans.
Le difcours de M. le Premier Préfident
fut accompagné des applaudiffemens d'une
nombreufe affemblée , & fuivi de la diftribution
des prix. Il déclara que l'Académi
avoit adjugé le prix d'éloquence au difcours
No. 16 , qui a pour devife : Nec
rude quidprofi video ingenium . Horat. Art.
Poet . & l'Acceffit au difcours No. 41 , qui
a pour devife : Ego nec ftudium fine divite
venâ , nec rude quid profit video ingenium,
Horát, in Art. Poët.
M. le Premier Préfident annonça enfuite
, que le prix d'Hiftoire avoit été adjugé
à la Differtation N° , 4 , qui a pour
NOVEMBRE. 1753. 7.5
devile : Terra antiqua potens armis atque
ubere gleba. Virg. Æneid. lib. 3. que le prix.
des Arts avoit été adjugé au Mémoire N°.
1,2 , qui a pour devife : Dedit inculta doctrina
natura ; & que l'ouvrage N°. 6 , qui
a pour devife : Ha tibi erunt artes mihi ,
ainfi que celui No. 13., qui a pour devife :
Le travail produit la fcience , avoient obtenu
l'Acceffit.
M. l'Abbé Bergier , Curé de Flangebouche
en Franche - Comté , reconnu pour
l'Auteur du Difcours & de la Differtation
couronnés , reçut des mains de M. le Premier
Préfident les deux médailles d'or qui
lui étoient destinées , & du Public les acclamations
que méritoit un double triomphe.
Le prix des Arts fut remis à M. le
Secrétaire , pour être délivré à l'Auteur du
Mémoire couronné , lorfqu'il fe fera fait
reconnoître.
༣ La lecture des divers ouvrages qui
avoient fixé le jugement de l'Académie
fut affez longue pour occuper le refte de
la Séance ; elle fut terminée par la lecture
du Programme des fujets des prix pour
1754 , dans lequel l'Académie propofe
pour celui de l'éloquence : Le danger de la
louange prématurée ou exceffive. Le Difcours
fera d'environ une demi - heure de lecture.
Pour celui de l'Hiftoire : Quelles étoient les
Dij
76 MERCURE DEFRANCE.
Villes principales de la Province Séquanoife
fous la domination Romaine , & quelle étoit
leurfituation. La Differtation fera d'environ
trois quarts d'heure de lecture , non
compris le chapitre des preuves , qui devra
être ajouté à la fin de la Differtation .
Les Auteurs font avertis de ne pas mettre
leurs noms à leurs ouvrages , mais une
marque ou un paraphe , avec telle deviſe
ou fentence qu'il leur plaira. Ils la répéteront
dans un billet cacheté , dans lequel
ils écriront leurs noms & leurs adreffes .
Les piéces de ceux qui fe feront connoître ,
foit par cux mêmes , foit par leurs amis ,
me feront pas admifes au concours.
Le troifiéme prix fondé par la Ville de
Besançon , eft une médaille d'or de la valeur
de deux cens livres , deftinée à celui
qui indiquera les meilleurs moyens de conferver,
& même d'augmenter l'action du feu
dans les fourneaux des Salines , en diminuant
la confommation des bois deftinés à la cuite des
fels , fans en diminuer le produit , & en leur
confervant le même grain.
Ceci doit s'entendre d'une Saline , dans
laquelle quatre- vingt muids d'eau ou de muire
de vingt- un dégrés de falure , produifent communément
fix mille quatre cens livres de fel
par chaque cuite , qui dure quinze heures , &
qui confomme au plus cinq cordes & demie de :
buis.
NOVEMBRE. 1753. 77
Les Auteurs pourront joindre des plans
& profils de leurs inventions , de façon
qu'au moyen des lettres de renvoi le deffein
puiffe être connu , ainfi que les proportions
de leurs machines fur une échelle.
Ceux qui prétendront aux prix font
avertis de faire remettre leurs ouvrages
avant le premier du mois de Mai prochain,
au Sieur Daclin , Imprimeur de l'Académie
à Besançon , & d'en affranchir le port ,
précaution fans laquelle ils ne feroient pas
retirés.
SONG E.
MLLE FORQUERAY A SA MERE.
Comme lejour de votre fête ,
Toute la nuit m'a troté dans la tête ;
En fonge , j'ai crû voir fur le facré vallon
Les Nymphes qui fous Appollon ,
Cultivent à l'envi de leurs mains immortelles ,
Ces fleurs que rien ne fane & qui toujours font
belles.
Mon coeur treffaille à cet afpect :
Mufes , leur ai -je dit , fans manquer de reſpect ,
Puis- je vous faire une priere ?
Vous connoiffez maman , elle eft votre écoliere ;
De vos doctes leçons qui fçut mieux profiter
D iij
78 MERCURE
DE FRANCE .
Sur le clavier de Polymnie
Elle fait admirer les talens , le génie
Dont vous daignâtes la doter ,
Et par tout elle cherche à vous accréditer.
Pour cette maman que j'aime
Je follicite vos faveurs :
En la couronnant de vos fleurs ,
Vous vous couronnerez vous- même ;.
Exaucez-moi , fçavantes Soeurs.
Non , dirent -elles , non : ceffe de le prétendre :
A tes voeux empreffés nous ne fçaurions nous rendre.
Tandis que , parmi les mortels ,
L'encens qui nous eft dû brûle fur les autels ;
Tandis que ta maman ufurpe nos offrandes ,
Pour elle on nous verroit préparer des guirlandes
Puifque par fon efprit & fes talens divers
Elle fait oublier nos fublimes concerts ,
Cherche ailleurs des bouquets ; les Filles du Parnaffe
Ne chanteront jamais celle qui les effacé.
Après ces mots par l'envie infpirés ,
Les Mufes & Phébus , tous fe font retirés .
Alors vers les jardins de Flore.
Je porte un pas précipité ,
J'y vois des fleurs qui ne font que d'éclore ;.
Dont l'éclatant émail & la variété
Sont l'ouvrage chéri des larmes de l'Aurore ;
Un enfant les cueilloit : c'éroit le tendre Amour :
*
S
NOVEMBRE. 1753 . 79%
Je m'approche , empreffée à lui faire ma cour :
Aimable Dieu , fecondez mon envie ;
Celle qui m'a donné la vie
Attend , lui dis- je , un bouquet de ma part;
A ma priere ayez égard :
Les fleurs que vous cueillez font feules dignes
d'elle ,
Et votre main leur donne une fraicheur nouvelle :
Si vous êtes fenfible à mon defir preffant ,
Mon coeur fera reconnoiffant .
A peine eus -je fini ma tendre plaidoirie ,
Que l'Amour me donne ces fleurs ,
En me difant ces mots flateurs :
Tien , mon enfant , porte- les à Marie.
Le plaifir que j'en eus me réveille en furfaut ,
Et je vois fur mon lit le bouquet qu'il me faut.
Ce n'eft point une menterie ;
Maman , mon reſpect en ce jour
Vous préfente le don que vous a fait l'Amour.
JtjbJtJt:JbJbJb JbJbstst
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Belles - Lettres de Montauban
, du 2.5 Août 1753.
'Académie des Belles Lettres de Mon-
L'A
tauban célébra le 25 Août la Fête de
Saint Louis avec la folemnité accoutumée.
D iiij
to MERCURE DEFRANCE.
Elle affifta le matin à la Meffe , qui fut
fuivie de l'Exaudiat pour le Roi , & au
Panégyrique du Saint , qui fut prononcé
M. l'Abbé Courtade , Curé de Cours ,
dans le Diocèse de Cahors .
par
L'après midi , l'Académie fe rendit dans
la grande Salle de l'Hôtel de Ville , où
elle fut reçue conformément au cérémo
nial preferit par le Roi ; & M. l'Abbé Bellet
, Directeur de quartier , ouvrit la Séance
par un Difcours où il fe propofa d'expliquer
la nature du goût , fa néceffité , la
maniere dont il fe forme , & la cauſe immédiate
de la courte durée de fon regne
chez tous les peuples. Il fit remarquer l'infuffifance
des définitions que plufieurs Au
teurs en ont données , & il ajoûta que l'on
réuffiroit peut- être mieux à le définir , fi
l'on fe bornoit à le confidérer plutôt comme
tenant à l'ame en général , que comme
attaché à une de fes facultés en particu
lier ; qu'il n'en eft aucune à laquelle il
paroiffe appartenir à l'exclufion des autres
; qu'elles contribuent toutes à fon exiftence
, mais qu'à fon tour , il influe auffi
fur toutes ; qu'il s'exerce par elles , & que
l'on diroit qu'il réfulte fimplement de leurs
diverfes fonctions réunies . Il diftingua les
différentes fortes de beautés ou de défauts
qui peuvent être dans un ouvrage , & qui
NOVEMBRE . 1753. 81
fervent à diftinguer les goûts différens des
hommes de Lettres. Il prouva que le bon
goût eft unique & toujours le même ; &
qu'il eft également néceffaire à l'écrivain
& au lecteur , à celui qui compofe & à
celui qui juge. Pour expliquer la maniere
dont le goût le forme , il montra comment
la nature l'ébauche , & comment l'art le
perfectionne. C'eft par là qu'il effaya de
rendre raifon des goûts nationaux , de la
différence de goût qu'on remarque dans
les deux fexes , & du genre de goût qui
femble caractériſer chaque homme de Lertres
en particulier. Enfin il prétendit qu'en
va communément chercher trop loin la
caufe immédiate de la chûte du goût , parce
que , difoit- il , elle est toute en nous . Une
génération ne tranfmet point à l'autre fon
goût comme on tranfmet un héritage. C'eft
un bien que chacune en particulier eft obligée
d'acquérir , s'il eft permis de parler
ainfi , à fes frais & dépens . Nous naiſſons
tous également ignorans , & l'ignorance
eft une forte de mal auquel il n'eft pas
poffible de remédier une fois pour toutes.
Il faut donc , concluoit cet Auteur , que
pour retenir , pour fixer le bon goût parmi
les hommes , en fe fuccédant les uns
aux autres , ils marchent conftamment
dans la route de ceux qui ont eu le bonheur
de le faifir . Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
M. l'Abbé de Verthamont , Grand Ar
chidiacre de l'Eglife de Montauban &
Grand Vicaire de l'Evêché , lut enfuite une
traduction de l'Oraifon de Ciceron pour
le Poëte Archias. Tout le monde fçait que
dans cet Ouvrage l'Orateur Komain plaide
la caufe des Lettres , & que , fuivant la
remarque de M. Patru , il y étale en leur
faveur tous les myfteres de fon art. Pour
bien faire connoître la maniere du nouveau
Traducteur , il faudroit donner une
trop long extrait de fa traduction . On fe
contentera de dire que fans avoir rien de
contraint & de gêné , elle eft exacte &
fidele..
On a dit que nul ouvrage ne mérite fi
bien le nom d'Odes que les Pfeaumes de
David ; & M. Bernoy fit la lecture de deux
Odes , tirées l'une du Pleaume XXXVII
& l'autre du Pleaume L , qui font les deux
plus touchans de ceux qu'on appelle de la
Pénitence.
Voici comme il a rendu les accens plain
tifs de David Pénitent ..
V. 10 du Pfeaume XXXVII..
Seigneur , tof qui lis dans le fond de mon ame,.
Qui connois les défirs dont ton amour l'enflâme ,
Tuvois auffi quel eft l'excès de mes tourmens..
Ma.foible voix éteintee
NOVEMBRE. 1753 83
Pour exprimer fa plainte
Ne fçauroit plus pouffer que des gémiffemess.
V. 22 23 du même Pfeaume.
Ne m'abandonne pas , Dieu puiffant de nos peres,
Donne-moi le fecours qu'attendent mes miferes ::
Etends fur moi ta main , change mon trifte fort.
Où trouver fans ton aide ,
Cet unique remede
Qui feul peut garantir mon ame de la mort ?
V. 21 du Pfeaume L.
י נ
O Dieu , fi tu voulois d'éclatans facrifices ,.
J'aurois fur tes autels de cent jeunes génifless
A tes pieds épuisé le flanc ;
t
Mais ce ne font pas les offrandes
Que de mon amour tu demandes ,
Tu veux le coeur & non du fang
Rempli de zéle pour la gloire de l'Acadé
mie, M de Saint Hubert, ancien Capitaine
de Cavalerie & Chevalier de l'Ordre Mili
taire de Saint Louis , lut un Difcours for les
choix des Académiciens. Si l'on a égard ',,
difoit-il , à toute autre chose qu'au mérite
lorfqu'on opine pour le donner un con--
frere , c'eft manquer au Corps auquel on
a l'honneur d'être affocié ; c'eft manquer
au public ; c'eft fe manquer à foi- même ;;
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
& c'eft rendre un mauvais fervice à celui
que l'on croit favorifer , parce que tel qui
auroit peut être joui pendant toute fa vie
de la réputation d'homme d'efprit , la perd
à la premiere épreuve qu'exige l'ufage des
Corps littéraires. Il fit obferver qu'on ne
fe forme pas une affez grande idée des devoirs
de l'Académicien ; qu'une Académie
n'eft pas une école , mais un tribunal où
l'on prononce pour ou contre toute forte
d'ouvrages de Littérature , &c. Il s'appuya
en particulier fur un motif bien intéreffant
pour des coeurs François , & qui a
beaucoup de force dans la bouche d'un
ancien Militaire . Une fociété d'hommes
de Lettres eft , felon lui , comptable à la
poftérité des exploits nombreux & éclatans
du Monarque qui l'a fondée , & l'on
ne doit point affocier à de fi nobles travaux
, des ouvriers foibles & fans expérience.
Pour écarter de plus en plus toutes les
confidérations étrangeres , M. de Saint-
Hubert ajoûta que l'amour propie
propre devroit,
ce femble , fuffire pour rendre les fociétés
Littéraires plus attentives à cet égard ; &
que rien ne feroit même plus capable d'infpirer
l'ambition d'y être reçu , que le mérite
reconnu de ceux qui auroient le bonheur
d'y entrer. Les Académies font d'ailNOVEMBRE.
1753 $ 5
leurs le feul corps auquel on ne fe préfente
point avec un ordre fcellé de l'autorité
fupérieure. Pourquoi , difoit- it , voudroienelles
fe dépouiller elles-mêmes d'une prérogative
unique qui doit fervir à fignaler lear dif
Bernement ? Mais l'Auteur voulant indiquer
les défauts , incompatibles , felon lui ,
avec la qualité d'Académicien , il ajouta
avec autant de force que de jufteffe : » Fer-
» mez-donc les portes du temple à ces gé-
» nies lents , ftériles , fuperficiels , infipi-
» des , pareffeux , ou doués d'une fauffe &
frivole vivacité , toujours ennemie de la
» jufteffe & de la précision à ces génies
aigres , inquiets & jaloux , dont la prin-
» cipale occupation eft de chercher à détruire
ceux qu'ils ne fçauroient imiter :
» à ces génies précieux & guiades courant
toujours après le merveilleux , qui croi-
»roient fe dégrader par un ftyle fimple &
naturel à ces génies durs & pefans , fo:
»més à force de travail , portant par tout
l'empreinte d'une étude pénible & fav-
» vage : à ces génies impérieux , qui comtant
pour rien les avis des autres , veulent
toujours tout ramener au leur à ces
génies fouples par malice ou par foiblef
fe , qui louent par politique ou par habitude
, génies d'autant plus dangereux
ID que l'amour propre eft intéreflé à les
86 MERCURE DEFRANCE.
wcroire connoiffeurs & finceres : à ces géwnies
avantageux , qui croyent trouver
dans l'eftime ridicule qu'ils ont d'eux-
»mêmes , le droit d'une raillerie inful-
»tante à ces génies enfin libres , hardis
» & inconfidérés , qui fe permettent tout ,
& qui cherchent dans une expreffion
» heureufe , dans une tournure nouvel-
>> le , l'excufe de l'indécence & de l'im
» piété . M. de Saint Hubert n'oublia pas
de joindre les vertus aux lumieres , les
qualités du coeur à celles de l'efprit , pour
tracer le portrait d'un veritable Académi
cien ; & il conclut que ce titre doit annoncer
& fuppofer dans celui qui le porte ,
tout ce qui caractériſe l'honnête homme ,
Phomme fçavant , le citoyen , l'homme du
monde , que l'agrément de fes manieres
rend aufli recommandable que la fupério
rité de fes connoiflances .
M. Cathala toujours occupé du foin de
faire connoître les grands hommes de cette
Province , avoit compoté depuis quelque
tems l'éloge hiftorique de Guill . de Car--
daillac , Evêque de Cahors. En fon abfence
M. de Savignac , Juge Mage , fitpour
lai la lecture de cet ouvrage , où
l'Auteur a effayé de raffembler quelques
anecdotes du douzième ou treizième fiéclé..
NOVEMBRE 1753. 87
L'Académie venoit d'effuyer de vives
allarmes fur le compte de M. de la Mora
the , qu'un fâcheux accident avoit manqué
de lui enlever , lorfqu'elle le vit , contre
fon efpoir & fon attente , paroître à fon
Affemblée publique. Comme fa Mufe eft
toujours la même , en dépit des ans & des
infirmités , il lut un ouvrage de Poëfie ,
où un agréable badinage égayoit fes leçons
& fa morale. Voici fon début :
Graces à ce Nocher du rivage des morts ,
Je refpire , & j'entends vos fublimes accords.
Caron a rejetté mon ombre défolée
De perdre ce grand jour pour paffer chez Pluton
Et de crainte ma vûe eft encore troublée.
J'ai vu l'affreux Cerbere & la trifte Alecton
Or après un pareil effroi
Pouvez-vous attendre de moi
De nouveaux efforts de ma veine
Ai-je la force ; enfin , parlons de bonne foi ,,
De courir jufqu'à la fontaine ,
Ou d'Helicon ou d'Hypocrêne ? -
Quand je chantois jadis les attraits , les beaux yeux
De Philis ou de Célimene ,
Jouvrois avec les doigts le robinet fans peine ;
La main tremble quand on eft vieux .
$8 MERCURE DE FRANCE.
O vous , illuftre Fontenelle ,
Chez qui malgré le froid de quatre-vingt-feize
ans ,
Le feu divin d'un glorieux Printems
Se conferve & fe renouvelle :
Que ne puis-je en ce jour fur les rives du Tarn ;
Ainfi que vous aux bords de la Seine étonnée ,
Amufer la meilleure part
D'une Ville qui femble à l'ennui condamnée !
S'amufer toujours & s'inftruire ,
Perdre quelque défaut , gagner quelque agré
ment ,
C'eft à quoi je voudrois réduire
Mon difcours , mon raiſonnement.
M. de la Motthe empruntant alors le
langage de Thalie , lut une petite Piéce ,
où il effaya de tracer un modèle du genre
d'amufement qu'il croyoit pouvoir fervir
à corriger les hommes fans leur déplaire.
Enfin M. de Saint-Hubert , qui comme
on va voir , s'exerce & réuffit dans plus
d'un genre , adreffa les Vers fuivans à M.
de la Motthe.
Tu reviens des bords du Cocyte ,
Nous te revoyons en ces lieux ;
Le beau fexe s'en félicite ,
Et nous ne demandons aux Dieux
NOVEMBRE. 1753. 89
Que de te voir long-tems par un heureux comique
Egayer le ton férieux
D'une Séance Académique.
Mon cher Doyen * je ne fuis point furpris
Que l'on trouve dans tes écrits
Cet ingénieux badinage,
Ce tour galant , ces mots choifis ,
Qui feroient honneur à tout âge ,
Et qui ne font point le partage
Des Poëtes à cheveux gris.
Lorfqu'Apollon monta taLyre ,
Les Graces lui faifoient la cour ,
Et les Mufes le faifoient rire ;
Tu dois tout le refte à l'Amour.
Il foutient ta verve féconde ;
C'est lui qui rajeunit tes chants.
Qu'il eft rare à quatre- vingt ans
D'amufer la brune & la blonde ,
De conferver tous les talens ,
Et de jouir dans la vieilleſſe
Des reffources de la jeuneffe ,
Sans craindre les égaremens !
Que ce foit folie ou foibleffe
•
Les vieillards n'en font pas exempts
Que fervent les raisonnemens
Contre cette fatale yvreffe
Qui malgré nous s'empare de nos fens ?
* M. de la Motthe eft le Doyen de la Cour des Ai
des del'Académie.
96 MERCURE DE FRANCE.
J'ai fait pour éviter des efforts impuiffans ;
Mais fi ma raiſon me feconde ,
Celle dont je reçois la loi ,
Ne connoîtra fon empire fur moi
Que par celui qu'elle a fur tout le monde.
La Séance fut terminée par la diftribu
tion du prix d'Eloquence , & par la lécture
du Programme fuivant.
M. l'Evêque de Montauban ayant.deftiné
la femme de deux cens cinquante li
vres , pour donner un Prix de pareille valear
à celui qui , au jugement de l'Académie
des Belles - Lettres de cette ville , fe
trouvera avoir fait le meilleur Difcours
fur un fujet relatif à quelque point de mo
rale tiré des Livres faints , l'Académie
diftribuera ce Prix le 25 Août prochain ,
Fête de Saint Louis , Roi de France.
Le fujet de ce Difcours fera pour l'année
1754 , Si l'on peut dire des Académies
ce que l' -fprit faint a dit des Sages , que leur
grand nombre tourne au profit de la Société :
multitudo autem Sapientium fanitas eft orbis
terrarum. Sap. 6. 26.
L'Académie avertit les Orateurs de s'attacher
à bien prendre le fens du fujet qui
leur eft propolé , d'éviter le ton de décląmateur
, de ne point s'écarter de leur plan ,
& d'en remplir toutes les parties avec
NOVEMBRE. 1753 91
jufteffe & avec préciſion .
Les Difcours ne feront tout au plus ,
de demie heure , & finiront toujours
par une courte Priere à Jefus- Chrift .
que
On n'en recevra aucun qui n'ait une approbation
fignée de deux Docteurs en
Théologie.
Les Auteurs ne mettront point leur nom
à leurs ouvrages , mais feulement une marque
ou paraphe , avec un Paffage de l'Ecriture
Sainte , ou d'un Pere de l'Eglife ,
qu'on écrira auffi fur le regiftre du Secrétaire
de l'Académie. T
Les Auteurs feront remettre leurs ouvra
ges par tout le mois de Mai prochain , entre
les mains de M. de Bernoy , Secrétaire
perpétuel de l'Académie , en fa maiſon
rue Montmurat ; ou en fon abſence , à M.
l'Abbé Bellet , en fa maiſon , rue Cour- de-
Toulouſe.
Le Prix ne fera délivré à aucun , qu'il
ne fe nomme & qu'il ne fe préfente en.
perfonne , ou par Procureur , pour le recevoir
& pour figner le Difcours.
Les Auteurs font priés d'adreffer à M.
le Secrétaire trois copies bien lifibles de
leurs ouvrages , & d'affranchir les paquets.
qui feront envoyés par la Pofte. Sans ces
deux conditions les ouvrages ne feront
point admis au concours.
92 MERCURE DE FRANCE.
Le Prix de l'année 1753 a été adjugé au
Difcours qui a pour ſentence , Artes , ingenium
, fenfum , premit una libido ; dont M.
Fromageot , Avocat au Parlement de Dijon
, & Secrétaire perpétuel de l'Acadé
mie des Sciences & Belles - Lettres de la
même Ville , eft l'Auteur * . Il fut auffi cou
ronné l'année derniere.
UE
MANDEMENT
De Mgr. l'Evêque de Valence , fur l'heureux
accouchement de Madame la Dauphine &
la naiffance d'un Duc d'Aquitaine.
A
de Lexandre Milon , par la
grace
Dieu , & l'autorité du Saint Siége
Apoftolique , Evêque , Comte de Valence,
& c.
Un fecond Prince nous eft donné , mes
très-chers Freres , & ce nouveau préſent
du Ciel qui augmente la Famille Royale ,
doit nous pénétrer avec elle de reconnoiffance
& de joie.
Graces à celui qui perpétue les Empires,
en perpétuant la Race des bons Rois , notre
tranquillité devient tous les jours plus
affurée , & de plus en plus s'éloigne de nous
l'idée de ces troubles domestiques , qu'unc
NOVEMBRE. 1753. 93
fucceflion interrompue excite fouvent dans
les Monarchies les plus floriffantes & les
mieux établies.
La bénédiction que Dieu promet à ceux
qui de craignent , eft abondamment accordée
à Madame la Dauphine , déja fi chere
à fon augufte époux par toute fa tendreffe ,
& le lui devient encore davantage par une
heureuſe fécondité .
Chaque jour affermit , pour le bonheur
des peuples , les doux liens qui réunif
fent enfemble tant de vertu , & nous en
voyons fortir de précieux rejettons qui enrichiffent
annuellement le Trône , & qui
répondant à la beauté de leur tige , porteront
la gloire des Lys dans les fiécles les
plus reculés.
Cultivés par les mains de la Religion ,
fous les yeux d'un Roi qui ne cefle d'en
être le Protecteur , quelle fatisfaction pour
nous , de penfer qu'ils en prendront de
bonne heure les fentimens , & que formés
fur les exemples ils pourront l'aider un jour
dans une vieilleffe couronnée de fuccès ,
à foutenir le fardeau pénible de la Royauté
, & fçauront enfin dans les tems marqués
par la Providence , gouverner
ples dans la juftice & dans la paix.
les
peu-
De quelque côté qu'ils jettent les yeux,
ils ne verrout par tout que des leçons vi94
MERCURE DE FRANCE.
vantes de fageffe & de vertu ,. qui leur
feront aimer le bien avant même que de le
Connoître.Une nouvelle Efther auffi refpec
table par fa piété que par l'éclat du diademe
, & qui femble n'être fur le Trône que
pour en faire couler des charités plus abondantes.
Un Dauphin , le modèle de tous
les fils par fa foumiffion & fon refpect :
c'eft regner pour lui , que d'obéir au Roi
fon pere. Une Dauphine , époufe courageufe
& tendre , de qui le coeur devenu
tout François , femble ne refpirer que pour
la confervation de ce Prince , la gloire du
Roi , & l'avantage de la Nation.
Que nous refte t'il , mes très-chers Freres
, après tant de bienfaits , que d'en rendre
à Dieu les plus vives actions de graces,
de lui demander avec inftance de nous
conferver ces jeunes Princes , de veiller
autour de leur berceau , d'en écarter tout
ce qui pourroit nous allarmer fur leurs
jours , & de verfer dans leurs coeurs ces
fentimens d'humanité , de religion &
d'héroifme , qui font comme l'appanage
de leur fang , & les véritables fources de
la fûreté & de la félicité publique . Donné
à Valence. ce 24 Septembre 1753. Signé,
Alexandre , Evêque de Valence.
NOVEMBRE. 1753. 98
>
Le mot de, l'Enigme du Mercure d'Oce
tobre cft Orange, Celui du premier Logogryphe
eft Harmonie , dans lequel on trouvemien
, aimer , Arion , Rome , Henri , Noë,
ame mari , heron , Hieron , Noéma , ha ,
Raine , ami. Celui du fecond , eft Paris
dans lequel on trouve les ris ; Pâris ; pas ,
nom ; pas , adv. ripa , rive ; fi ; Spa ; Apis,
boeuf ; apis , abeille , as , monnoye ; Pari ,
genit. de Paros Ipra , Ypres ; Pifa , Piles
ira ; pis , pari , fpira , petit pain , on cordon
; paris , genit, de par ; Pis ; rafis , de
l'indicatifrado ; i , imper. du verbe eo , &
la lettre a.
ENIG ME.
R Egarde- moi parler je fuis depuis long- tems ;
Et toutefois , Lecteur , je nais à chaque inftant :
Tel me donne la mort , qui m'a donné la vie ,
Et tel me rend au jour , qui m'a donné la mort :
Je peins également l'efprit & la folie ;
Je fais honneur à l'un , à l'autre je fais tort :
Je raffure fouvent la trop tendre Silvie ,
Qui rendue à Tircis , craint de le perdre au port :
Utile , dangereuſe , au bien , au mal propice ,
96 MERCURE DE FRANCE:
J'excite à la vertu , j'autorife le vice.
Mais c'est trop , cher Lecteur , oui , c'eft trop
m'annonçer ;
Tu me vois , tu me tiens ; peux- tu donc m'i
D
gnorer?
LOGO GRYPHE.
E neufpieds , cher Lecteur , eft compoſé mou
nom ;
En les changeant de lieu , tu trouveras , je gage ,
Un péché qui fouvent nous voile la raiſon ;
Le nom d'un animal qui naît pour notre ufage ;
Celui que nous donnons à ceux qu'un même fort
A rangé fous les loix de l'objet qui nous charme ;
Ce qui nous eft ravi par la cruelle mort ,
Et dont nous redoutons la perte avec allarme.
Mon nom eft fort commun , cependant diftingué i
Plufieurs de mes Lecteurs le portent , oùi , j'en
jure ;
L'un s'en faitgrand honneur, l'autre en eft fatigué :
Lecteur, tu dois connoître à ces traits ma nature,
JE
AUTRE.
E ne fuis tout au plus qu'un leger accident,
Source de plaiſirs cependant ;
Quoiqu'univerſelle , la France
Eft mon féjour de préférence ;
Ses peuples font mes favoris ,
Et
t
1 Ce
NOVEMBRE. 1753 . 97
Et de leurs coeurs je ſuis la Déité ſuprême ,
Petits maîtres , héros , belles , & beaux efprits ,
Tous pour mon culte y font voir une ardeur extrême
;
'Auffi de leurs attraits , de leurs legers écrits ,
C'eſt moi qui bien fouvent fais l'unique mérite .
Aux plus minces objets je donne un fort grand
prix ;
Mais , malgré mon pouvoir, le tems me décrédite,
Et les jette dans le mépris.
Je change , & varie fans celle ,
Et c'est à cette heureufe adrefle
De m'offrir chaque jour fous des traits differens
Que je dois des mortels , & l'hommage & l'encens
;
Mais il faut que je le confeffe ,
Dans l'efprit des François , tel qu'il eft aujour
d'hui ,
Inépuisable ſource ,
Je trouve une reflource ,
L'honneur de mes autels , & leur plus ferme appui.
Ta meparois rêveur , allons , Lecteur , courage ;
Dans mes neuf pieds je préfente à tes yeux ,
Le foible bois qui fur un tronc fauvage
Promet des fruits délicieux ;
Cet élément fur qui l'on nage ;
Cet amas qui formé des vapeurs de la terre ,
enferme dans ſon ſein la grêle & le tonnerre ,
Et l'efpérance des moiffons ;
E
98 MERCURE DE FRANCE.
Un des cinq lens , & l'une des faifons ;
Ce qui les contient toutes quatre ;
Deux quadrupedes animaux ,
Dont l'un eft fort opiniâtre ;
Celle qui fut la cauſe de nos maux ,
Pour n'avoir du ferpent repouffé l'artifice ;
Le comble intérieur d'un pieux édifice ;
Va inftrument qui fert à nettoyer le grain ,
Et de tout mélange l'épure ;
Ce qu'un Marchand tient à la main ,
Quand toiles , ou draps il mefure;
Le fier tyran des flots ,
La terreur & l'objet des vænx des matelots.
Ce que forme la voix ; ce jufte Patriarche
Aux yeux duquel dans l'air , Dieu au fortir de
l'Arche
Etala l'Arc brillant des plus vives couleurs ;
Ce que dans le danger la crainte nous fait faire ,
Dont fouvent on déroge à l'obligation ;
Un adverbe local , actif ou lédentaire ,
Qui dans un autre fens devient conjonction ;
Des bienheureux le figne falutaire ;
Un terme muſical , qui pris differemment
D'un texte obſcur eft l'éclairciflement ;
Une négation ; certaine particule ;
Ce qui trop grand , ou trop petit
Rend un vifage ridicule ;
Je crois , Lecteur, t'en avoir affez dit,
NOVEMBRE. 1753. 99
洗洗洗洗洗洗洗洗洗卷
NOUVELLES
LITTERAIRES
.
ECUEIL de plufieurs piéces d'Elo-
R
quence & de Poëfiè , préſentées à l'Académie
des Jeux Floraux 1753 , avec les
Difcours prononcés & les affemblées publiques
de l'Académie . A Toulouse , chez.
Pijon , & fe trouve à Paris , chez Delaguette,
rue Saint Jacques.
Le recueil commence par une Ode fur
la Calomnie , adreffée aux manes de Rouffeau
, & qui eft rapportée toute entiere
parmi les piéces fugitives du Mercure.
Cette pièce qui a remporté le prix de l'année
, eft fuivie d'une Ode qui a remporté
un prix réſervé. Elle roule fur la mort de
Madame de Montégut , qui a honoré l'Académie
, dont elle étoit membre , par des
talens , des graces & des vertus . Quelques
ftrophes feront connoître la maniere du
Poëte , M. Carquet .
Montégut , du Printems quand tu peins l'allé
greffe ,
En dépit des frimats , tu bannis la triſteſſe
Des rigoureux hyvers :
Dans les champs dépouillés , je crois voir la verdure.
Les charmes dont Borée a privé la nature ,
Renaiſſent dans tes vers .
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Si d'un antique bois tu plains la deftinée ,
Le fer femble frapper mon oreille étonnée
Par fes coups redoublés :
Je vois fair les Oifeaux : les Driades tremblantes
Quittent en foupirant les tiges chancelantes
Des chênes mutilés.
Prêt à voir de fes feux couronner la conftance ,
Tircis ne revient point : Ifméne , fon abfence
Allarme ton amour .
Par tes regrets touchans , tu m'arraches des larmes
Mais que vois- je ? bannis de frivoles alarmes ;
Tircis eft de retour .
On a lû dans un des Mercures précédens
le Difcours de M. l'Abbé Foreft , qui a été
couronné , & on y a trouvé une grande
abondance de ſtyle , d'idées & de connoiffances.
Ce fujet dont le but est de prouver
combien les Sciences font redevables
aux Belles -Lettres , a été encore traité par
le Pere Pont , de la Congrégation de Saint
Maur. Son ouvrage , qui a été jugé digne
d'un prix réſervé , eft clair , fenfe & méthodique
: on trouve , ce qui arrive rarement
, que l'Auteur a raifon.
Le prix de l'Idylle a été adjugé à l'idylle
de M. Viguier de Legadenne , fils , qui a
pour titre : Le triomphe du langage de l'Amour.
Voici le Dialogue d'une bergere &
d'un berger , qu'on trouve dans cette agréa
ble Pocfie,
NOVEMBRE. 1753 .
107
De tant d'êtres divers qui brillent à ma vie ,
Vous feul , vous me femblez d'ane espéce incon
nue ;
Mais qui que vous foyiez, apprenez qu'aujour
d'hui ,
Votre feule préfence a chaffé mon enaui .
Chaque être dans ces lieux a trouvé fon femblable,
Pour n'être pas le mien vous êtes trop aimable.
Je n'ai jufqu'en ce jour connu que le defir :
A votre aspect charmant j'ai goûté le plaifir. . .
A ce difcours naïf , mais au gré de ſa Alâme ,
Licas ne contraint plus les tranfports de fon ame ;
Tous les feux de l'amour ônt paflé dans fon fein...
Thémire , lui dit - il , en lui ferrant la main ,
Le Dieu qui charme tout , le Dieu que tout adore ,
Que votre coeur chérit fans le connoître encore ,
M'a fait pour vous aimer , & pour être à vos yeux,
Ce que font les zéphirs aux fleurs de ces beaux
lieux .
Seule , que faifiez- vous , quand tout lui rend
hommage ?
C'est lui que les oiſeaux chantent dans leur ramage
;
C'eft l'Amour ... A ce nom Thémire treffaillit ! . . .
Pour la premiere fois Thémire l'entendit ,
Ce nom qui lui découvre un Dieu qu'elle defire.
Et pourquoi dans ces lieux ne tient- il fon Empire
?
Dit- elle : je voudrois pour prix de fes faveurs
E iij
102 MERCURE DE FRANCE:
Qu'il regnât dans ce bois ainfi que dans nos
coeurs.
Ah ! lui répond Licas , avec un regard tendre ,
L'abfence de l'Amour ne doit point vous furprendre
;
Vous êtes fon portrait , il brille dans vos yeux ,
Un regard vous fuffit pour allumer fes feux .
Yous connoiffez enfin le pouvoir de vos char-
L'Amour
mes....
pour triompher vous a laiffé les armes.
Le dernier ouvrage couronné du recueil ,
c'eft l'Idylle de M. Dutour , qu'on a déja
vûe dans le Mercure.
SCALPTURA , Carmen ; Autore Ludovico
Doffin S. J. Apud P. G. le Mercier , via
San- Jacobaâ , fub figno Libri aures. La Gravûre
, Poëme , par le R. P. Doiffin , Jefuite.
A Paris , chez P. G. le Mercier , rue
Saint Jacques , au Livre d'or.
Le Pere Doiffin , déja bien connu dans
la Littérature , par un très beau Poëme fur
la Sculpture qu'il donna l'an paffé , vient
d'en donner tout nouvellement un autre
en trois chants fur la Gravûre , qui plaira
également aux amateurs & aux gens de
Lettres. Il est dédié à l'Académie Royale
de Peinture & de Sculpture , & traduit en
François , pour la commodité de ceux à
NOVEMBRE. 1753. 101
qui les Mufes latines ne font pas affez familieres.
Le Poëte dans le premier chant
décrit les differentes efpéces de Gravûre
qui font en ufage , & apprend à donner
aux Eftampes , toute la perfection dont
elles font fufceptibles. Il traite dans le fecond
des talens naturels ou acquis , que la
Gravûre exige dans ceux qui s'y appliquent.
Le troifiéme renferme les ufages de la Gravûre
& fon utilité. La verfification nous a
paru coulante & naturelle , les tours fimples
& aifés , les comparaifons riches &
Heuries , les figures nobles & élevées , le
tout enfin digne de l'Auteur du Poëme fur
la Sculpture. Le Lecteur en jugera lui -même
par les morceaux que nous allons citer,
comme ils fe préfenteront , & que nous
accompagnerons de la Traduction.
Voici comme le Poëte décrit la Gravure
coloriée .
Nec te præteream , Picturæ fimia felix ,
Ambiguum , Scalptura , genus , foboleſque bifor
mis.
Nimirùm ligno , rigidove effingit in are
Tres fcalptor tabulas : proprium unicuique faumque
eft
Munus & officium ; nec totam fingula formam
Exprimit ; at folum partes habet una colore
Ungendas flavo , partes habet altera rubro ,
E iiij.
104 MERCURE DE FRANCE.
Altera cærulea pingendas : nec mora fuccos
Diluit , & proprio linit unamquamque colore
Lamnam opifex : deinde imprimitur madefacta pa
pyrus ,
Et bibit alternos prælo fubjecta liquores.
Hinc optata venit lævi fub imagine forma ;
Quam nec tu pictam , nec fcalptam dicere poffis ,
Participans ab utroque fimul ; quippe ipfa colores
Suppetiit Pictura fuos , Scalptura tabellas ;
Et meritò egregiam fibi vindicat utraque prolem .
Je ne paflerai point fous filence cette
efpéce de Gravûre , qui imite la Peinture
au point de tromper les yeux , & de
& de paroître
autant l'ouvrage du pinceau que du
burin. Trois planches de bois ou de cuivre
, deftinées à des emplois differens ,
éprouvent tour à tour le burin de l'Artifte ;
aucune ne contient le fuiet entier de la
Gravûre , chacune en poffede une partie ;
toutes trois doivent fournir une couleur
particuliere , le jaune , le rouge , le bleu .
On les couvre des couleurs qui leur font
affignées : un papier humide appliqué fuccellivement
fur chacune d'elles , porté enfuite
fous la preffe , s'y imbibe des nuances
qui lui manquent , & n'en fort que
chargé de la figure que l'on y vouloit tra
cer. Production ambigue qui n'appartient
feparément ni à la Gravûre , ni à la Pein-
1
NOVEMBRE. 1753. 105
ture ; qui naît cependant de la réunion des
deux Arts ; que tous les deux confépar
quent peuvent s'attribuer , parce que la
Gravure lui prête fes traits , & la Peinture
fon coloris.
Nous paffons au fecond chant , & nous
tombons fur l'éloge de Martin Rota , célé
bre Graveur Italien , dont le talent étoit de
rendre en petit fur une Eftampe les plus
grands morceaux de Peinture. Rien n'est
plus délicat & plus ingénieux que ce qu'en
dit le Poëte.
Nam quis te tacitum , celebris Martine , relinquat
,
Innumeras doctum fpatio breviore figuras
Ponere , & exili multum comprendere chartâ.
Nimirum pictam fi redderet ille tabellam
Ære cavo , formas punctum attenuande , gigantas
Noverat in nanos mutare , in fila rudentes ,
Ædes in cafulas , in tenues grandia lembos
Navigia , expanfis quos parvula mufca volando
Contegeret pennis , & guttula mergere poffet,
Extremum fic ille diem , mundique ruentis
Funera , quæ vafto Michael fub fornice tecti
Pinxerat in parvâ defcripfit rite papyro ,
Aligerum ingestes turmas , atque agmina mille ,
Et flygias acies angufto limite claudens :
Sic tamen , ut membris maneant difcreta locifque
Corpora , & in toto regnet pax æquore charte,
E v
100 MERCURE DE FRANCE.
Pourrai -je t'oublier , célébre Rota , toi
dont le burin l'emporta fur tous les autres,
quand il s'agit de réduire à peu d'eſpaces
les fujets les plus étendus , & de tracer des
figures fans nombre dans une Eftampe bornée.
Les objets en paffant de la toile fur
l'airain , changent par ton art magique de
nature & de proportions.. Un géant devient
un nain ; le plus gros cable n'eft plus
qu'un fil délié & imperceptible ; les Palais
fe métamorphofent en petites cabanes , &
les plus grands vaiffeaux en batteaux legers
qu'un moucheron couvriroit de fes
aîles , qu'une gonte d'eau fubmergeroit &
feroic difparoître. Ainfi gravas - tu autrefois
l'appareil formidable des vengeances
de l'Eternel , & la ruine de l'univers prêt
à rentrer dans le chaos . Sujet grand & ter
rible , dont le fier pinceau de Michel Ange
avoit orné une voûte immenfe , & que
ton Burin merveilleux a renfermé tout entier
dans les bornes étroites d'une Eftamper
Il a tout rendu , & les bataillons divers
de l'armée céleste , & la troupe nombreuſe
des anges rébelles ; chaque partie eft diftinguée
, chaque objer occupe le lieu qui
lui eft propre , fans fe mêler , fans fe confondre
; & il regne dans le tout enfemble
un parfait accord & un repos agréable.
Le troifiéme chant offre des beautés égaNOVEMBRE.
1753. 107
les à celles des deux premiers. Le Poëte
après avoir parlé des chefs d'oeuvres de
l'Antiquité , dont il ne refte plus de veftiges
, parce que la Gravûre qui n'exiftoit
pas encore , n'a pû en conferver les traits
dans des Estampes fidelles , adreffe la
role aux Peintres , qui font nés après l'invention
de la Gravûre , & s'exprime ainfi ::
Vos meliore igitur queis nafci contigit ævo ,
Plaudite , Pictores , gratefque rependite Divis
Veftra olim ad feros pervadet fama nepotes ,
Nec doctas Scalptura finet marcefcere lauros.
Nam tandem caries cum exederit uda tabellas ,
Ingenii monumenta fimul , dextræque peritæ ,
Hæc lætus rediviva iterùm mirabitur orbis ,
Hand equidem tela , liquidove expreffa colore
Aft ære incufa , & lævi commiffa papyro:
Suerii fruftra pictas lacerare tabellas
Tentafti livor , nomenque abolere periti
Artificis Scalptura malum reparavit abunde ,
Famaque Suerii manet æternumque manebits
pa-
Ovous donc , que le Ciel propice fit
naître dans des fiécles plus heureux , Pein
tres de nos jours , reconnoiffez le bienfait
des Dieux ; votre gloire triomphera du
tems & de l'oubli ; votre nom fera connu
de la postérité , & la Gravûre ne laiffera
point fléttir fur vos têtes illuftres les lau
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
riers dont on les couronne aujourd'hui.
Lors qu'enfin vos raviffantes Peintures ,
fruits admirables de l'adreffe & du génie
auront fuccombé fous le nombre des années
, l'univers furpris les retrouvera , les
admirera encore , non plus fur une toile .
animée par des couleurs parlantes , mais
dans une eftampe fidéle , & dans les traits
admirables du burin. Rivaux clandeftins ,
ennemis jaloux , en vain vos mains téméraires
dans ce Cloîrre où Bruno femble
refpirer encore , fe font - elles efforcées de
défigurer les fçavantes peintures du Zeuxis
des François , & d'enfévelir dans un
éternel oubli fon nom & fa mémoire ; le
burin a réparé les maux que votre main a
faits , & la gloire du Sueur portée ſur les
aîles de la Renommée , ira malgré vous
jufqu'à nos derniers neveux .
Nous ne finitions. pas G nous voulions
tranferire tout ce qui nous a paru mériter
l'attention du Lecteur ; il faudroit tranfcrire
le Poëme entier. Nons renvoyons à
l'ouvrage même , perfuadés que ceux qui
lifent Virgile & Ovide avec plaifir , liront
volontiers le P. Doiffin qui les imite fi
heureufement tous deux . Son Poëme mérite
d'autant plus les éloges finceres que
nous lui donnons ici , que la matiere étoit
plus difficile à traiter , & prétoit peu aux
NOVEMBRE. 1753. 109
images riantes & gracieufes , fans lefquelles
la Poëfie n'est que de la Profe toifée,
En parcourant fon Ouvrage nous nous
fommes rappellés ces tems heureux où les
Commire , les Rapins , les Laruë , les Vanieres
faifoient retentir les rives de la
Seine des chants qu'Apollon leur avoit
dictés. Nous exhortons le P. Doiffin de
continuer à marcher fur les traces de ces
Poëtes célébres dont il a embraffé l'état.
LA Trentaine de Cythère . A Londres ;
& le trouve à Paris , chez Hochereau l'ainé
, Libraire , Quai de Conti , à la defcente
du Pont-Neuf. Brochure in- 12.
LA Jardiniere de Vincennes. Par Madame
de V *** . A Londres , & fe vend à
Paris chez le même. in- 12. Cinq vol.
Un jeune homme de condition , eft
amoureux d'une jeune perfonne qui ne paroît
être que la fille d'une Jardiniere. Elle
devient l'époufe de fon amant par une fuite
d'évenemens , qui forment le fond véritablement
intéreflant du Roman que nous
annonçons.
ESSAI hiftorique fur les différentes fituations
de la France , par rapport aux i
uances fous le Regne de Louis XIV , & la
1 FIO MERCURE DEFRANCE:
A
Régence du Duc d'Orléans . Par M. Dron
de Beaumont . A Amſterdam 1753 , in- 12 .
Un volume.
Après un tableau ferré & agréable des
grandes chofes qui fe font faites fous let
regne de Louis XIV , l'Auteur entre en
matiere. Il ne dit qu'un mot en paflant de
l'adminiftration de Meffieurs d'Emeri , la
Meilleraye , de la Vieuville , Servien &
Fouquet ; mais il s'arrête fur M. Colbert.
Lorfque M. Colbert fut appellé au
Gouvernement des Finances , fon premier
foin fut moins de corriger la forme & l'établiſſement
de leur adminiſtration , que
de réparer les abus & les diffipations des
adminiftrateurs. Ce re fur qu'en augmen
tant le mouvement & la circulation , qu'il
parvint à porter l'ordre & l'étendue des
Finances du Royaume , au point de perfection
où elles arriverent. En effet , il
n'oublia rien pour augmenter de plus en
plus les relations & les correfpondances fi
néceffaires entre tous les Ordres & les
Etats du Royaume. Ce fut par l'exactitu
de , & par la religieufe obfervation des
engagemens , qu'il acquit au Roi un crédit
immenfe fur tous les Sujets , & qu'il
donna lieu aux Sujets de trouver entre cur
des reffources infinies dans leur confiance
réciproque , & dans leur crédit mutuel.
NOVEMBRE. 1753. TI
.
9"
Sa grande & principale attention fut
de faire fleurir le commerce au dedans &
au dehors ; s'il exigea des peuples des fubfides
plus forts qu'on n'avoit encore fait ,
il fçut bien leur procurer les moyens de
les fournir les Manufactures , les Arts ;
les Métiers trouverent leur accroiffement ,
feurs falaires & leur récompenfe ; les fonds
& l'induftrie des particuliers ne furent jamais
fans emploi & fans action . Comme
les Négocians fe prétoient à toutes les
opérations , il venoit auffi volontiers à leur
fecours , parce qu'il ne craignoit rien tant
que ce qui pouvoit interrompre le mouvement
, même dans fes plus petites parties.
Une conduite fi habile , fi active & fi
folide l'avoit , pour ainfi dire , rendu maî
tre de tous les efprits & de tous les biensdu
Royaume , & ce fut à la favear de cette
confiance & de ce mouvement que le
Prince & l'Etat trouverent long tems dans
l'abondance , de quoi foutenir les entreprifes
les plus étendues & les plus difficiles
, fans en altérer les fources que la circulation
empêchoit de tarir . Quoique la
guerre coûtâr des fommes immenfes , l'intérieur
de ce Royaume ne s'étoit preſque
pas apperçu qu'il fallût entretenir des armées;&
fous le Gouvernement d'un Prince
112 MERCURE DE FRANCE:
qu'on peut regarder à jufte titre , comme
un des plus fplendides de tous ceux qui
jufques alors avoient gouverné la Monarchie
, non-feulement l'argent ne manqua
jamais , mais on ne l'avoit jamais vû h
commun. Enfin l'éclat & la profpérité de
ce regne , la grandeur du Souverain , le
bonheur des peuples feront regretter à jamais
le plus grand Miniftre qu'ait eu la
France ; & fi elle n'eût pas eu le malheur
de le perdre trop tôt , fa profonde capacité
lui auroit fans doute fourni les moyens de
foutenir tout le fardeau du miniftere , fans
épuifer les fources de l'abondance qu'il
avoit ouvertes. Qui le croira ? la mort de
ce grand homme caufa de la joye au peuple
, que l'expérience de tant de fiécles
pas encore détrompé d'efperer toujours
un avenir plus heureux , fous fucceffeur
d'un homme en place .
n'a
Il s'en fallut beaucoup que celui de M.
Colbert fût en état de remplir ces vaines
efpérances de la multitude. Ce fut M. Pellerier
, & après lui Meffieurs de Pontchartrain
& Chamillart. Les Finances étoient
dans un défordre affreux lorfque M. Defmarets
en fut chargé . Le public fembloit
le défirer avec ardeur , il fut mis à la tête
des affaires comme le feul homme capable
d'apporter quelques remedes à fituation
NOVEMBRE. 1753. 113
violente où le Royaume fe trouvoit. Le
nouveau Controleur Général trouva les
Finances dans un défordre affreux . L'Etat
étoit chargé de dettes immenfes , les revenus
de la Couronne , far lefquels on anticipoit
depuis long- tems , étoient confumés
plufieurs années à l'avance , point d'argent
dans l'épargne & peu dans les coffres des
particuliers , épaifés par les impôts qu'ils
fupportoient depuis fi long- tems. Toutes
les richeffes du Royaume étoient paffées
où dans les pays étrangers , où entre les
mains des partifans , qui après s'être engraiffés
du fang des peuples , tenoient leurs
tréfors renfermés , & n'en laiffoient fortir
qu'autant qu'il leur en falloit pour fi
gurer d'une maniere à effacer les premiers
Seigneurs du Royaume & même les Princes.
Les troupes n'étoient pas payées depuis
long - tems ; les Officiers & les fotdats
menquoient de tout , ces derniers
avoient à peine des fouliers. Les billets de
monnoye , & toutes autres fortes de papier
, jafques - là d'une affez grande reffource
, étoient tombés dans un difcrédit
abfolu par le défaut de payement , ce qui
avoit tellement anéanti le crédit de la
Cour , qu'il ne falloit plus compter fur des
emprunts.
Tels étoient l'épuifement & le défor
114 MERCURE DE FRANCE.
dre des Finances , lorfque M. Defmarets
fut appellé au miniftere. Le premier objet
auquel il donna toute fon attention , fut
de reconnoître les dettes de l'Etat , & les
papiers qui étoient décrédités , & qui
avoient fait retferrer l'argent à un tel excès
que les payemens de toute nature étoient
devenus impoffibles. On ne pouvoit fans
imprudence effayer de parvenir publiquement
à cette connoiffance , il falloit au
contraire cacher le mal. Il crut donc devoir
commencer cette difficile adminiftration
par un coup décifif , & qui marquant
au Public qu'il connoiffoit l'ordre & l'économie
d'une bonne régie , fût feul capable
de donner à l'efpéce fa premiere circulation
, & de ranimer la confiance . H
comprit que le tréfor Royal , comme le
centre des Finances , devoit recevoir tout
le produit des revenus du Roi , & il s'attacha
à les y faire remettre à l'échéance
de chaque payement. Cet arrangement fut
applaudi , & eut tout l'effet qu'on en pouvoit
attendre.
Tout promit une nouvelle face , & des
commencemens fi fages annonçoient des
fuites les plus heureufes , lorfque la famine
vint joindre fes horreurs aux autres difgraces
que la France effuya pendant pluhieurs
campagnes . Le froid exceflif & la
NOVEMBRE. 1753. 115
térilité de l'année 1709 , porterent les
malheurs du Royaume à leur dernier période.
Le feul remede à tant de maux étoit
le retour d'une confiance qui fembloit être
bannie pour jamais ; mais plus le mal étoit
grand , & plus on eut lieu d'être furpris
d'un prompt changement qui fe fit dans
le mouvement des Finances , dès les premiers
jours de fon miniftere. La haute
idée que tout le Royaume avoit de la capacité
du Miniftre , fuffit en effet pour ramener
la confiance autant que les circonf
tances pouvoient le permettre, & fi M.Defmarets
ne fit pas l'impoffible , c'eft- à- dire ,
s'il ne donna pas aux Finances toute l'étendue
& la facilité que M. Colbert y avoit
établies , il faut du moins faire revivre le
crédit & le mouvement dans prefque toutes
les branches où il étoit éteint .
Quoique tous les revenus du Roi fuffent
engagés par anticipation pour deux
ou trois années , & que le défaut de confiance
& de bonne conduite eût preſque
généralement fufpendu la circulation
dans un tems où l'Etat en avoit un plus
grand befoin que jamais , il préfenta avec
tant d'intelligence différens objets de débouchement
pour les effets qui émanoient
du Roi , & il fit fi bien mouvoir les refforts
du crédit & du mouvement en fubfti11G
MERCURE DE FRANCE.
tuant toujours de nouveaux moyens , ?
mefure que les premiers s'épuifoient ou
s'affoiblifoient , qn'il parvint à trouver
non -feulement de quoi mettre le travail &
l'induftrie des peuples en état de fubvenir
plus facilement aux charges qui leurs
étoient impofées, mais encore de quoi empêcher
la France de fuccomber faute de
fecours extraordinaire , fous l'accablement
d'une guerre longue & malheureufe . Pour
foulager ceux qui étoient encore chargés.
de billets de monnoyes , dont il reftoit
alors pour la valeur de foixante & douze
millions répandus dans le public , & dans
les caiffes Royales , il ne trouva point de
plus für moyen que la reffource des efpéces.
Il fit rendre un Edit qui ordonnoit
que ceux qui apporteroient aux Changes
& aux Hôtels des Monnoyes , cinq fixiémes
ou en efpéces anciennes ou réformées , &
un fixiéme en billets de monnoye , recevroient
le tout en argent comptant , en
nouvelles espèces , & que les billets de
monnoye feroint biffés en leur préſence .
Le bénéfice de cette refonte montoit à la
concurrence de foixante douze millions
que l'on vouloit acquiter. Enfin , fa conduite
& la bonne foi furent telles que
tous ceux qui avoient contribué par leurs
moyens & leur crédit à l'aider dans un
NOVEMBRE. 1753 : 117
tems fi difficile , il n'y en eut aucun , quelque
embaras où fa confiance pour lui l'eût
engagé , qui crût avoir lieu d'en attribuer
la caufe à l'irrégularité de fon adminiſtration
; & fans entrer dans tout le détail
des opérations que fit M. Delmarets pendant
fon miniftere , on eft encore furpris
qu'il ait eu affez de courage & de prudence
pour mettre la France en état de
rejetter les propofitions
humiliantes des
Conférences de
Gertruydemberg , & de
foutenir l'immenfe fardeau dont elle étoit
accablée par la néceffité de continuer la
guerre contre des ennemis fort unis
qui avoient déja partagé entre eux tou
tes les Provinces du Royaume , dont la
conquête leur paroiffoit affurée. L'épuifement
du Royaume étoit affez connu .
On n'avoit ni affez de moyens différens
à choisir pour la foutenir , ni aſſez de
tems pour déliberer : à peine avoit- on celui
d'agir & de mettre en oeuvre tous les
refforts qui pouvoient fans violence produire
de l'argent .
Le falut de l'Etat confiftoit uniquement
à faire la paix ; contre toutes fortes d'efpérances
elle fut heureulement conclue ,
& loin de blâmer quels moyens que la
force & l'extrêmité obligerent de mettre
en ufage , ne doit-on pas donner des
>
118 MERCURE DEFRANCE.
éloges aux Miniftres qui dans des tems
fi malheureux ont eu affez de fermeté
pour n'être pas effrayés , & pour continuer
des efforts vifs & redoublés , qui ont enfin
rendu à la France une paix aufli néceflaire
que défirée ?
L'administration de M. Defmarets fut
fuivie de celle de M. le Pelletier des Forts,
& enfuite du fyftême des Billets de Banque.
Il nous paroît que l'Auteur a trop
adopté le préjugé populaire , qui attribue
à cette fameufe crife la foibleffe de la
France . Nous n'avons pas encore vu
d'homme inftruit qui ne penfe que que c'eft le
l'époque de notre grandeur & de notre
opulence. Nous ne connoiffions avant
cette opération , ni le crédit public ni le
commerce maritime. Il eft bien vrai qu'il
feroit poffible que nous euffions troque
nos meurs contre de l'argent. Les décla
mations qu'on trouve vers la fin de l'Ouvrage
fur le luxe , pourroient bien être
encore la fuite du préjugé : c'eft aux Pré
dicateurs , dit quelque part M. Melon ,
à tonner contre le luxe , & aux Politi
ques à le tourner au bien de l'Etat.
L'Ouvrage que nous venons d'annon
cer n'eft qu'une efquiffe , mais pleine de
feu , d'idées claires , bien enchaffées , &
bien écrites. L'Auteur , quand il aura le
NOVEMBRE. 1753. 119.
tems & la volonté , pourra faire un Livre
utile , d'une brochure agréable.
PHEDRUS appendice triplicifuffultus,
Parifiis , apud Delſaint & Saillant , viâ S.
Joannis Bellovacenfis . 1753. in - 12 . 1 vol.
Cette édition de Phedre fera très - utile
pour les jeunes gens. Elle réunit outre la
correction du texte trop négligé ordinai
rement dans les éditions claffiques , trois
Appendices bien entendus. Le premier eft
compofé d'un choix de Fables & d'Epigrammes
tirées d'Avien , de Faerne , & c.
Le fecond Appendice eft un Recueil de
traits d'Hiftoire , dont chacun répond à
une Fable de Phedre. Le troifiéme n'.ft
compofé que de Fables de Phedre , dont la
plûpart ont rapport à celles d'Efope.
LETTRE d'un Bourguemaître de Mid
delbourg à un Bourguemaître d'Amfterdam
, fur le différend entre les Rois d'Angleterre
& de France , traduite du Hollandois.
1753. Cette Brochure fe trouve
chez Lambert , Libraire , rue de la Comé
die Françoife.
HISTOIRE ancienne des Francs . Tome
premier. A Paris , chez Chaubert , près le
Pont S. Michel , & Claude Hériffant fils ,
rue neuve Notre-Dame. 1753. in- 8 ° . t. la
120 MERCURE DE FRANCE.
Nous rendrons compte dans la fuite de
cet Ouvrage.
LE Directeur dans les voyes du falut ,
fur les principes de S. Charles Borromée.
Par le R. P. de Courbeville , de la Compagnie
de Jefus. Nouvelle édition .A Amiens,
chez la veuve Godart , & le trouve à Paris
, chez Giffart , rue S. Jacques , & chez
Ganneau , rue S. Severin.
C'eft un des meilleurs Ouvrages de fpiritualité
que nous connoiffions . On y trouvera
une raifon droite , de la connoiffance
des voyes intérieures , un grand eſprit de
Religion , & toute la politeffe du ftyle qui
convient aux ouvrages de cette nature.
Les Evêques d'Amiens & de Noyon , en
l'adoptant pour l'ufage de leurs Diocéfes ,
viennent de lui donner une autorité qui
lui manquoit.
DISSERTATION fur l'état du commerce
en France , fous les Rois de la premiere
& la feconde race , qui a remporté
le Prix au jugement de l'Académie des
Sciences , Belles - Lettres & Arts d'Amiens
en 1752. Par M. l'Abbé Carlier. A Amiens,
chez la veuve Godart , & fe trouve à Paris
, chez Ganneau , rue S. Severin ; Chanbert
, Quai des Auguſtins ; Lambert, rue
de
NOVEMBRE. 1753. 121.
de la Comédie Françoife. in 12. Un volume
de 166 pages.
Nous parlerons dans la fuite de cette
importante Differtation . En attendant nous
obferverons que l'Académie d'Amiens eft
prefque la feule du Royaume qui foit dans
l'ufage de propofer pour les Prix , des fujets
utiles.
LES Comptes faits fur les bois équarris
& de fciage , Ouvrage très utile aux Marchands
de bois , Architectes , Entrepreneurs
de bâtimens , Charpentiers & autres
: dans lefquels ils trouveront la réduction
toute faite de toutes les pièces dont
ils pourront avoir befoin pour la conftruc
tion de toutes fortes d'édifices , tant fur
terre que fur mer ; avec un tarif fur le
prix du bois. Par Louis Soutin. A Sens ,
chez André Jannot , & le trouve à Paris ,
chez Theodore Legras , Brunet , le Mercier
, Hériffant. 1753. in- 12. 1 volume.
M. le Cat vient de publier à Rouen &
on trouve à Paris , chez Delaguette , la
cinquiéme Lettre contre le Litothome cáché.
Le Frere Côme ne répond à tant d'attaques
qu'en continuant à fe fervir de cét
inftrument avec un fuccès d'une fi grande
publicité , qu'il eft enfin avoué générale-
F
122 MERCURE
DE FRANCE :
meat. M. le Cat a une grande fagacité ,
un efprit créateur , des connoiffances profondes
& variées , beaucoup de zéle pour
fon art , le goût du travail , de la facilité
à écrire , l'ambition des grandes chofes &
un déantéreffement fort rare que lui
manque- t - il pour jouir fans inquiétude &
fans contradiction de la réputation , que
tant d'avantages lui ont faite en Littérature
& enChirurgie? d'avoir des difputes moins
frequentes , moins longues & moins vives.
TABLE générale des matieres contenues
dans le Journal des Sçavans , de l'édition
de Paris , depuis l'année , 665 qu'il
a commencé , jufqu'en 1750 inclufive.
ment ; avec les noms des Auteurs , les
titres de leurs ouvrages , & l'extrait des
jugemens qu'on en a portés. 1753 .
in- 4°.
vol. 1. Tome troifiéme. A Paris , chez
Briaffon , rue S. Jacques .
OBSERVATIONS
fur l'Hiftoire naturelle
, fur la Phyfique & fur la Peinture ,
avec des Planches imprimées en couleur .
Cet Ouvrage renferme les fecrets des Arts ,
les nouvelles découvertes , & les difputes
des Philofophes & des Artiftes 'modernes
; année 1752. in- 4° . & in . 12. A Paris
, chez Delagu : tt , rue S. Jacques.1753 .
D
Ca
NOVEMBRE. 1753. 123
DISSERTATION fur les maladies des
dents , avec les moyens d'y remédier &
de les guérir. Par G. P. Lemonier , Chirur
gien Dentiste. A Paris , chez Auguftin
Lottin , Imprimeur- Libraire , rue S. Jacques
, vis- à- vis S. Yves , au Cocq. 1753 .
Cette Differtation eft divifée en cinq
árticles ou traités . Il s'agit dans la premiere,
de la formation & l'accroiffement des dents.
Dans la deuxième , des accidens qui
arrivent à la fortie des dents , & des
moyens d'y remédier.
Dans la troifiéme , de la douleur des
dents & des remédes propres à les guérir.
Dans la quatrième , de la carie & de fes
progrès , & des moyens de la détruire.
Dans la cinquième , du limon & des
congreffions plâtreufes , & de la maniere
de fe conferver la bouche propre.
C'eft la premiere production des preffes
du fieur Lottin , jeune Imprimeur , qui
a les moeurs douces , du zéle pour la profeffion
, le talent d'écrire , & des connoiffances
étendues , comme on a s'en convaincre
par trois ou quatre excellentes Lettres
de lui fur l'Imprimerie , qui ont paru
fucceffivement dans le Mercure . Il eft heureux
pour les Lettres qu'il fe forme de
tems en tems des Imprimeurs qui ayent
affez de goût pour connoître les bons Ou-
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
vrages , & affez d'amour de la gloire pour
les préfenter au Public d'une maniere dide
lui .
gne
MEMOIRES de l'Académie Royale de
Chirurgie. Tome fecond, A Paris , chez
Delaguette , Imprimeur de l'Académie
rue S. Jacques , à l'Olivier . 1753. in- 4º.
1. volume.
Toute l'Europe à les yeux fur cette Académie.
Une école où font formés ou d'où
fortent tant de gens actifs & habiles , qui
vont opérer dans les Cours étrangeres ,
dans les Etats voisins , jufques dans les
armées des Puiffances ennemies de la France
, ne peut ni fleurir ni décheoir que tous
les peuples n'y prennent un grand intérêt.
On apprendra donc avec joye que
l'Académie eft remplie d'exellens fujets ,
que fes Séances le paffent en difcuffions
paifibles & fçavantes , & que le volumet
de fes Mémoires qu'elle publie actuellement
, eft digne de toute la réputation .
Nous donnerons dans les Mercures fuivans
une idée de ce qui nous paroîtra de
plus précieux dans l'important Ouvrage
que nous annonçons.
Outre le Volume des Mémoires , l'Académie
a publié un Recueil des Piéces qui
ont concouru pour les Prix qu'elle a diriNOVEMBRE.
1753 . 125
bués depuis 1732 , jufqu'en 1743. On le
trouve chez le même Libraire , qui s'eſt
fait beaucoup d'honneur par le foin qu'il
a porté à fon édition .
TRAITE' des Légions , ou Mémoires
fur l'Infanterie. Quatriéme Edition . A la
Haye , & fe vend à Paris , chez Pierre-
Guillaume Simon , Imprimeur du Parlement
, rue de la Harpe à l'Hercule. 1753 .
in- 16. pp. 161 .
Cet Ouvrage qui a paru d'abord fous le
nom impofant de M. le Maréchal de Saxe ,
eft d'un Officier général qui excelle dans
la théorie & dans la pratique de la guerre.
Cet art , fur lequel les François font feuls
en poffeffion d'écrire & d'écrire avec fuccès
, devroit beaucoup aux talens de l'illuftre
Auteur du Traité des légions , quand
il n'auroit jamais fait que cet Ouvrage :
que ne lui devra- t-on donc pas , s'il vient à
bour de tous les grands projets qu'il a formés
?
L'Edition du Traité des Légions que
nous annonçons , eft la feule qui ne foit
pas défectueule. Cet Ouvrage , dit l'Editear
, eft divifé en quatre parties . Dars
la premiere , il traite de la difcipline ;
dans la feconde , de la légion ; dans la troifiéme
, de l'ordonnance de la légion ; &
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
enfin dans la quatrième , de la formation
& de la dépenfe des légions.
La premiere partie a deux objets ; le
premier , de faire voir les effets admirables
d'une bonne difcipline , & les avantages
infinis qu'elle procure à un état ,
Joifqu'elle y eft ferme & exacte : le fecond,
de déplorer la chûte de cette même difcipline
dans l'Infanterie Françoife , les malhears
que cette décadence a déja attirés à
la France , & ceux qu'on a lieu d'en craindre
pour l'avenir , on n'apporte à un mal
fi dangéreux , un remède auffi prompt
qu'ellicace .
L'Auteur ne voit point de moyen plus
propie à arrêter le mal préfent , & à prévenir
les faites funeftes qu'il prévoit , que
de former en légions toute l'Infanterie
Françoile. C'est ce qu'il propofe dans la
feconde partie , où il développe fon plan
avec tant de netteté , & fait voir fi clairement
les avantages immenfes , qu'il ne
paroît paroît pas poffible de fe refuſer à
l'évidence de fes idées.
Mais que de difficultés , que d'objections
à faire à l'Auteur ! que d'obstacles à
lui oppofer ! Combien de tems , quelle
dépenfe pour l'exécution d'un projet ft
nouveau , fi fingulier , fi inoui ! Il eft
vrai : nous ajouterons même que la guerre
NOVEMBRE . 1753. 127
dans laquelle la France fe trouvoit engagée
en 1744 , qui eft l'année où un fi beau
plan vir le jour pour la premiere fois ,
Lendoit l'opération encore plus difficile.
Mais de quoi ne vient pas à bout une intelligence
fupérieure ? Toutes les difficul-*
tés s'applaniffent , tous les embarras difpa
roiffent fucceffivement devant notre Auteur.
Le Guide des Accoucheurs , ou le Maî-'
tre dans l'art d'accoucher les femmes , &
de les foulager dans les maladies & accidens
dont elles font très fouvent attaquées.
Ouvrage des plus utiles pour les perfonnes
qui veulent faire une pratique particuliere
de l'opération des Accoucheurs.
Seconde Edition , revûe , corrigée & augmentée
par l'Auteur , le tout en forme
d'examen. Par Jacques Mefnard , Chirur
gien Juré , ancien Prévôt de la Communauté
des Chirurgiens de la ville de Rouen ,
& Accoucheur. A Paris , chez Debure
Faîné , Quai des Auguftins ; le Breton
que de la Harpe ; Durand , rue S. Jacques.
1753. in- 8° . Un volume.
DISCOURS qui a remporté le prix
d'éloquence , propofé par l'Académie des
Belles- Lettres de Montauban en l'année
F iiij
128 MERCURE DE FRANCE.
1753 , par M. Fromageot , Avocat au Par--
lement de Dijon , & Secrétaire Perpétuel
de l'Académie des Sciences & Belles- Letrres
de la même Ville . A Montauban , chez
Teulieres , & fe vend à Paris , chez Chaubert
1753. Brochure in- octavo de quarante
pages.
Le fujer propofé par l'Académie étoit :
la corruption du goût fuit toujours celle
des moeurs. » Oui , dit M. Fromageot , le
» défordre des moeurs eft le germe fatal de
» toute corruption ; elle fe répand d'abord
» fur les Arts , dont elle change la diftinc-
» tion qu'elle défigure & qu'elle déprave
» à fon gré ; elle gagne enfuite les talens
» qui les cultivent , elle les affoiblit , les
énerve & les glace ; enfin elle en vient
jufqu'à pervertir le goût même , qui ne
» fent prefque plus rien , & qu'elle anéan-
» tit bientôt . Quelle hiftoire que celle de
» cette terrible corruption ! contagion rapide
qui empoifonne les fources de la
» félicité publique , & qui enveloppe dans
» la même ruine les fervices des Arts , le
» génie de l'Artiste , & le difcernement du
" Connoiffeur.
""
» Qui ne fçait , dit l'Orateur dans fa
premiere partie , que, l'éloquence , la
» Peëfie & la Mufique , naquirent dans
» les affemblées de Religion 2 nous devons
ac
NOVEMBRE . 1753 ,
129
le premier Poëme au premier Hiftorien
des oeuvres du Seigneur. L'Architecture
» éleva des Temples , avant de bâtir des
» Palais . C'est au Peintre & au Sculpteur
que fut confié le foin de tranfmettre à
» la poſtérité les traits des grands hommes.
พ
Avec le fouvenir de leurs actions , le
» marbre & la toile ne nous parlent que
» pour nous inftruire. Les Poëtes furent les
» premiers Philofophes , & formerent les
» hommes mieux que Crantor ou que Chryfippe
: uniquement occupés du bien public
» l'un ramene le courage d'une armée prête
à combattre , l'autre donne des leçons
fur les travaux de la campagne ; le plus
» célébre inftruit tous les Grecs , par le ré-
» cit des fuites funeftes de la colere d'un
» d'entr'eux. Athénes , devenue licen-
» tieuse , n'oublia point même alors que
le but de la Poësie étoit d'infpirer la
verru ; le choeur fur introduit fur fon
Théatre pour en donner les plus vives.
" leçons , & l'on exigea du Poëte que fa
fiction ne fût point fterile pour les
P
"3
» moeurs.
» Ainfi les Beaux Arts , loin de flater
l'homme par un agrément inutile & paffager
, ne cherchent au contraire qu'à le
» fervir d'une maniere plus parfaite &
» plus durable. Sûr.de fe faire mieux en-
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
rendre , ils inftruiſent en lui portant la
langue de fes plaifirs & de fes lens . Précicufe
féduction ! puille- t'elle faire cha
» que jour de nouveaux progrès , & en
» nous invitant à la vertu nous faire aimer
» un jong qu'il nous eft fi utile de porter !
» Mais hélas ! nous fommes ingénieux
» à tourner à notre perte tout ce qui eft
» fait pour notre bonheur , & les préfens
» même de ces divinités font devenus dan-
" gereux pour nous. Les moeurs des hommes
étant corrompues , tout fe corrompt
» entre leurs mains , & ils ont introduit
» dans les Beaux Arts le même défordre
qui étoit déja dans leur coeur. Avides du
» plaifir , & ennemis de l'inftruction , ils
ont féparé dans les arts ces deux objets ,
» qui devoient y être perpétuellement
» unis ; ils ont confenti à en recevoir toutes
les impreffions agréables , & en ont
» banni l'utilité réelle , qui en étoit la fin
» principale. Qu'arrivera- t'il ? dès - lors rẻ-
duits au filence par notre perverfité , les
» Arts n'inftruiront plus ; on voudra qu'ils
» fe bornent à plaire , & pour plaire à des
coeurs corrompus , il faudra , ou entretenir
leurs paffions , ou amufer leur inconilance.
C'eft à cet honteux miniftére
qu'on affervira les Beaux Arts. Doivent-
» ils s'attendre à un autre fort depuis que
NOVEMBRE. 1753. 131
nous forçons la nature entiere à fe pré-
» ter à notre déréglement , & que nous
" faifons de chaque créature l'inftrument
de nos délices ? Il faudra de même que
» toutes les productions du génie favori
» fent , ou la licence de notre conduite,
ou notre goût pour la frivolité .
La feconde & la troifiéme partie du Dif
cours font écrites avec autant de force &
d'élégance , que le morceau qu'on vient
de lire. On trouve à la fin de l'ouvrage
une Lettre fur la morr de l'Auteur qui
avoit des moeurs & du talent.
' Debure l'aîné , Libraire , a reçu d'Anvers
le volume fuivant : Acta Sanctorum
menfis Septembris , tomus quartus , quo dies
duodecimus, decimus- tertius decimus- quartus
continentur :fol. 1. vol. du prix de 30 liv.
en feuilles.
CATALOGUE des Livres du Cabinet
de M. de Boze. A Paris , rue Saint Jacques
, chez G. Martin , H. L. Guerin , &
1. F. Delatour , 1753 .
、
Ce Cabinet , quoique celui d'un fimple
particulier , eft peut être plus riche en Livres
curieux & en éditions rares que ceux
de beaucoup de Souverains. Le Lecteur
pourra s'en former une premiere idée parles
titres de quelques uns que nous allons copict.
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
Biblia Vulgata Sixti V. cum Bulla Clementis
VIII. Roma , ex Typographiâ Varicanâ
1592 ,
1592 , in fol.
Pfalmorum Codex latinus , edit, fecunda ,
Moguntia per Joban . Fuft & Petr. Schoeffer
1459 , in-fol. Cette édition n'a été connue
d'aucun Bibliographe.
Réflexions curieufes d'un efprit défintéreflé
, fur les matieres les plus importantes
au falut , tirées & traduites du Tractatus
Theologico- Polnicus de Spinofa . Amft . 1678 ,
in- 12.
L'Opinione tiranna ne gli affari del mondo,
da Claro Flori , Mondovi , de Roffi , 1691,
in 12.
Homeri opera , editio princeps , Florentia
1488 , in fol. 2. vol. avec des notes marginales
du célébre Guillaume Budée ,
* Mémoires du Marquis de Laffay , in 4°.
2. vol. rien n'eft plus rare que d'en trouver
le recueil complet , tel que celui ci auquel
il ne manque rien.
Cymbalum mundi , Lyon , Bonin 1538 .
in- 8 °. feconde édition , on ne connoît que
trois ou quatre exemplaires de cette édition
.
Hugonis Grotii Epiftola, Amft. Blacu , ful.
NOVEMBRE. 1753. 135
1687.Dans cet exemplaire les lacunes font
remplies à la main , les noms propres font
reftitués , & les caracteres particuliers ou
chiffres font expliqués entre lignes, d'après
l'original de Grotius , communiqué par
M. l'Archevêque d'Upfal.
pour
Méthode étudiér l'Hiftoire , par
l'Abbé Lenglet du Frefnoy , nouv . édit.
Paris 1729. Cet exemplaire eft fingulier
en ce qu'il n'a point de carton , & que
l'on trouve à la fin un cahier de remarques
fur les changemens faits par ordre du Magiftrar.
Petri de Boiſſat opera , & operumfrag
menta Hiftorica & Peerica , in -fol. abfq . loci
vel anni indicat. Cet exemplaire est vraifemblablemen
: unique.
On peut juger par ces Livres qui ne
font pas affurément les plus rares de M.
de Boze , du Cabinet de ce grand Littérateur
, de ce fçavant Antiquaire Comme
fon éloge appartient à l'Académie Françoife
dont il étoit un des plus anciens membres
, & à l'Académie des Belles Lettres ,
dont il a été long tems avec beaucoup de
fuccès le Secrétaire , nous nous bornerons'
à rapporter fon Epitaphe.
#34 MERCURE DE FRANCE.
In obitum
Viri ampliffimi , clarıſſimi & doctiſſimi
CLAUDII GROS DE BOZE ,
Gallica , Regia elegantiorum Literarum
Inferiptionum Parifienfis , Berolinenfis ,
Regiaque Londinenfis Academiarum
Socii celeberrimi ,
Regiorum Ælificiorum Infcriptionibus
Prafecti >
Numifmatum & Antiquitatum Cuftodis
longè perfpicaciffimi .
Plangite Caftalides , longo extabefcite luctu.
Eben ! vixit amans ; delubra haud fole refulgent .
Dixerat Æs , marmor , fuperata cupidine fotti ,
Diverfa edebant veteris myfteria mundi.
O dolor ! ifte filet Bezeus mactantur avarâ ;
Relligio , Doctrina , Decor , facundia , virtus.
Hoc fincerum honoris ftudii
amoris monumentum extruit
PETRUS MAYER , ejuſd.
GROS DE BOZE Secretarius.
Piffot , Libraire , demeurant Qui de
Conti , mettra en vente à la fin de ce mois,
THiftoire & Regne de Charles VI . en neuf
volumes in. 12. Par Mille de Luffan.
1
2
NOVEMBRE. 1753. 135
PRIX propofes par l'Académie Royale des
Sciences , Inferiptions & Belles- Leures de
Toulouse , pour les années 1754 1755
& 1756.
A Ville de Touloufe , célébre par
Lies prix qu'on y diftribue depuis longtems
à l'Eloquence , à la Poëfie & aux
Arts , voulant contribuer aufli au progrès
des Sciences & des Lettres , a fous le bon
plaifir du Roi , fondé un prix de la valeur
de 500 liv . pour être diftribué tous les ans
par l'Académie Royale des Sciences ,
Inferiptions & Belles- Lettres , à celui qui ,
au jugement de cette Compagnie , aura le
mieux traité le fujet qu'elle aura propofé.
Le fujer doit être alternativement de
Mathématique , de Médecine & de Littérature
.
L'Académie avoit propofé pour fajet du
prix de cette année 1753 , de déterminer la
direction & la forme la plus avantageuje
d'une digue , pour qu'elle refifte avec tout l'avantage
poffible à l'effort des eaux , en ayans
·égard aux diverfes manieres dont elles tendent
à la detruire.
Quoique dans le nombre des Piéces
qui ont été préfentées , quelques unes!
Contiennent des vues & des principes uti136
MERCURE DEFRANCE.
les : l'Académie a réſervé le prix , à cauſe
que les Auteurs qui avoient le mieux réuſfi
n'ont traité qu'une partie du fujet , &
que fe bornant aux digues qui ont pour
objet de défendre les bords de la mer ou
ceux des rivieres , ils ont négligé de parler
des digues qui font deftinées à élever les
caux , ou à changer leur direction .
La grande utilité de ce fujet a engagé
l'Académie à le propofer encore pour le
prix de 1756 , qui fera double.
L'Académie qui s'est déterminée auffi à
doubler le prix de 1755 , propofe de nouveaupont
fujer de ce prix , l'état des Sciences
des Arts à Toulouse , fous les Rois Vifigots ;
& quelles étoient les loix & les moeurs de cette
Viile ,fous le gouvernement de ces Princes.
Les bornes étroites que plufieurs des Auteurs
, qui ont déja traité ce fujet s'étoient
preferites , engagent à avertir , que par
Toulouſe l'Académie entend , non-feulement
l'espace renfermé dans l'enceinte de
cette Ville , mais encore toute l'étendue
du Royaume dont elle étoit la Capitale .
Les Sçavans furent informés l'année
derniere , que l'Académie propofuit de
nouveau pour fajet du prix double de 1754.
la Théorie de l'Onte , & qu'elle exige des
Auteurs une expofition exacte & circonftanciée
des fonctions propres à chaque
NOVEMBRE. 1753. 137
partie de l'oreille , & des avantages qui réfultent
de leur figure & de leur jeu pour la
perception du fon .
Les Auteurs qui ont déja remis des ouvrages
fur ces fujets , pourront les préfenrer
derechef , après y avoir fait les changemens
qu'ils jugeront convenables.
Les Sçavans font invités à travailler fur
ces fujets , & même les Affociés étrangers
de l'Académie . Les autres Académiciens
font exclus de prétendre au prix.
Ceux qui compoferont font priés d'écrire
en François ou en Latin , & de remettre
une copie de leurs ouvrages , qui
foit bien lisible , furtout quand il y aura
des calculs algébriques.
Les Auteurs écriront au bas de leurs ou
vrages , une fentence ou devife ; mais ils
n'y mettront point leur nom. Ils pourront
néanmoins y joindre un billet féparé &
cacheté , qui contienne la même fentence
ou devife , avec leur nom , leurs qualités-
& leur adreffe : l'Académie exige mêmequ'ils
prennent cette précaution , lorfqu'ils
adrefferont leurs écrits au Secrétaire . Ce
billet ne fera point ouvert , fi la piéce n'a
remporté le prix.
Ceux qui travailleront pour les prix ,
pourront adreffer leurs ouvrages à M.
l'Abbé de Sapte , Secrétaire Perpétuel de
13S MERCURE DE FRANCE.
•
l'Académie , ou les lui faire remettre par
quelque perfonne domiciliée à Toulouſe .
Dans ce dernier cas , il en donnera fon
Récépiffé , fur lequel fera écrite la fentence
de l'ouvrage avec fon numero , felon
l'ordre dans lequel il aura été reçu .
Les paquets adreffés au Secrétaire , doivent
être affranchis de port.
Les ouvrages ne feront reçus que juſqu'au
dernier Janvier des années , pour le
prix defquelles ils auront été compofés.
L'Affemblée proclamera dans fon Affemblée
publique du 25 du mois d'Aoûr de
chaque année , la piéce qu'elle aura couronnée.
Si l'ouvrage qui aura remporté le prix ,
a été envoyé au Secrétaire à droiture , le
Tréforier de l'Académie ne délivrera ce
prix qu'à l'Auteur même , qui fe fera connoître
, ou au porteur d'une procuration
de fa part.
S'il y a un Récépiffé du Secrétaire , le
prix fera délivré à celui qui le repréfentera.
L'Académie qui ne preferit aucun fyftême
, déclare auffi qu'elle n'entend point
adopter les principes des ouvrages qu'elle
Couronnera.
NOVEMBRE. 1753. 139
'Académie des Sciences , Belles- Lettres
& Arts d'Amiens , célébra le 25
Août la Fête de Saint Louis , dont le Pané.
gyrique fut prononcé par M. Dairé , Cüré,
d'Epinai.
L'Affemblée publique avoit été tenue
le 13 du même mois , & honorée de la
préfence de M. le Duc de Chaulnes , Prorecteur
de l'Académie , qui le 12 avoir fair
comme Gouverneur Général de Picardie ,
fon entrée folemnelle dans Amiens .
M. Diret , Directeur , ouvrit la Séance
par un Difcours , dans lequel il prouva
combien l'étude des Lettres étoit propre à
former le commerçant
.
Les autres ouvrages qui remplirent la
Séance , furent les éloges que M. Baron
Secrétaire Perpétuel de l'Académie , fit de
M. Berfin de Villers , Maître des Requêtes
, Académicien Honoraire ; & de M.
Bernard , Avocat , Académicien réfident
morts dans le cours de l'année ; des réflexions
fur l'imagination , par M. de Vuailly ;
une Ode fur la fincérité , par M. le Picart ;
trois Fables par M. de Riveri ; une Ode
de M. l'Abbé Clergé , fur l'entrée folemnelle
de M. le Gouverneur Général.
M. Greffet , de l'Académie Françoife
140 MERCURE DE FRANCE.
termina la Séance par la lecture de l'Oxvroir
, ou le Laboratoire de nos Soeurs ; l'un
des deux nouveaux chants , ajoutés au Poëme
de Vert-vert.
M. Greffet protefte contre tous les pretendus
recueils de fes ouvrages , qui ont
été publiés jufqu'ici : aucune de ces éditions
n'a été faite de fon aveu , ni en France
, ni ailleurs ; c'eft une vérité que nuf
Editeur , ni Libraire ne peut démentir ;
ainfi M. Greffet n'a aucune part à l'abus
qui fe fait de la confiance publique par
des éditions multipliées , toujours chargées
de piéces qu'il défavoue , & de fautes qui
ne font pas les fiennes. Il compte être bientôt
affranchi des obftacles qui l'ont empê
ché jufqu'à préfent de donner une édition
avouée & augmentée de plufieurs
piéces qui n'ont point encore été mifes au
jour.
L'Académie ayant jugé à propos de réferver
les prix de cette année , pour fujets
de ceux qu'elle diftribuera le 25 Août
1754 , propofe à réfoudre les questions
fuivantes : Quelles font les differentes qualités
de laines , propres aux Manufactures de
France ? Si on ne pourroit point ſepaſſer des
- laines étrangeres ? Comment on pourrois perfectionner
la qualité & augmenter la quantité
de laines de France ?
NOVEMBRE. 1753. 1-47
Le prix de cette Differtation fera une
Médaille d'or de la valeur de 600 liv . donnée
par M. le Duc de Chaulnes , Protec
teur de l'Académie.
Quelle est la nature de la tourbe de Picardie
? Si elle croît ? Si elle recroît ? Comment on
pourroit diminuer les dépenfes qui fe font ordinairement
pour la tirer ? Le prix de cette
Differtation fera une Médaille d'or de la
valeur de 300 liv . donnée par
l'Hôtel-de-
Ville d'Amiens,
Il fera libre aux Auteurs qui ont envoyé
au concours des Differtations fur les laines
, de les renvoyer avec de nouvelles
obfervations ; l'Académie même les y exhorte.
Ils adrefferont leurs ouvrages , affranchis
de port , avec leurs noms & leurs
dévifes cachetés , avant le premier Juin
1754 , à M. Baron , Secrétaire Perpétuel
de l'Académie , à Amiens.
LETTRE à M. le Chevalier de Caufans .
M
Onfieur , il court un bruit dans le
Public que vous êtes sûr d'avoir fait
la découverte de la Quadrature du Cerole.
Je ne doute point de vos lumieres ,
mais je me crais indifpenfablement obligé
d'avoir l'honneur de vous dire , que fi vous
Vous êtes conformé aux principes Eucli742
MERCURE
DE FRANCE.
diens , vous n'êtes point parvenu préciſément
à la quadrature , parce qu'elle n'eſt
point da reffort des démonſtrations algébriques.
Et fi vous l'avez trouvée numériquement
, je vous devance de beaucoup
d'années dans cette découverte ; Gueffier ,
Libraire , Parvis de Notre-Dame , à Paris ,
peut vous en donner des preuves. Je ſerai
toujours prêt à reconnoître votre fupériorité
fur moi dans cette cauſe célébre , fi
vous en avez effectivement ; & j'ai tout
lieu d'efpérer de la nobleffe de vos fenti
mens , la juftice que j'en dois attendre .
J'ai l'honneur d'être , & c.
Liger, Commis au Bureau de la
Guerre , à Versailles.
A Verfailles , le 4 Septembre 1953 .
REPONSE à la Lettre de M. **. de
Paris , du 25 Août dernier.
M
Onfieur , je vous renvoye , les deux
Volumes fur la Minéralogie dont
M. Wallerius eft l'Auteur ; je conviens
avec vous que la matiere y eft traitée avec
beaucoup d'ordre , & que fa nouvelle méthode
donne beaucoup de facilité pour la
connoiffance des différens corps fofilles.
H feroit néanmoins à fouhaiter que cet
NOVEMBRE. 1753 . 243
Ouvrage fût moins chargé de fubdivifions
& de fuppofitions abfolument démenties
par les obfervations qu'on peut faire journellement.
J'ai marqué en marge , ſuivant
vos défirs , celles que j'ai jugées telles . En
voici une que je n'ai pû pafler fans critique
.
L'Auteur dit V. 1. page 174 , Obſer--
wvation premiere : qu'on n'a point encore
trouvé de cailloux , de pierres à fufil , &
agathes , en roches , en couches , veines
»& filons. Que ces efpéces de pierres font
» ifolées , répandues dans les campagnes ,
»dans les fables , & fur les bords de la
»mer ; & plus bas , page 175 & 176 ,
» Obfervation cinquième , que l'on auroit
» droit de conclure , qu'une partie de ces
»pierres eft de toute antiquité , & qu'el-
» les fe font coagulées & durcies , fous une
» forme fphérique dès le commencement
» du monde.
Les remarques fuivantes prouvent nonfeulement
, qu'on trouve dans les couches
ces trois espéces de pierres ; mais auffi que
les pierres femblables , qu'on trouve ailleurs
ifolées & répandues , font forties des
couches après y avoir été formées.
Remarque premiere. Sur les Cailloux.
Dans quelques montagnes de cette Pro
144 MERCURE DE FRANCE .
vince , on voit des couches compofées de
coquilles & détrimens mêlés d'un grand
nombre de cailloux , foit arrondis , feit
d'autres formes , qui ont comme une
croûte blanche de même matiere de coquilles
& détrimens ; quelques unes des
coquilles font adhérentes aux cailloux ,
en forte que la partie qui eft dans le caillou
eft convertie en pierre , & la partie
faillante eft encore en nature de coquille,
Lorfqu'on a caffé ces cailloux , on trouve
dans le centre de plufieurs , des coquilles
& détrimens femblables à la matiere qui
compofe la couche ; fi l'on jette dehors
cette matiere , il refte dans la cavité de ces
cailloux , de petits corps marins qui y font
adhérens , de la même façon que la fupesficie.
Ils prennent un poli très- vif après
la taille ; alors on découvre dans leur capacité
, nombre de veftiges de coquilles
ou autres corps marins. Ces cailloux ayant
donc des coquilles fur leurs croûtes , d'autres
dans leurs centres , & d'autres dans le
corps de la pierre , on peut avec quelque
affurance , conjecturer qu'ils ont été compofés
de la même fubftance que celle qui
compofe la couche , & qu'ils ont pris leurs
figures déterminées en fe condenfant
comme font les grains de fel , qui pren
nent la lear en fe criftalifant.
Dans
NOVEMBRE. 1753. 145
Dans d'autres couches , j'ai trouvé des
cailloux arrondis , compofés entierement
de corps marins , foit coquilles & noyaux
de coquilles ; ces cailloux ne font que formés,
mais point encore convertis en pierre
dure : ceux que j'ai caffés de cette forte
font dans toutes leurs males , de même
matiere de coquille , fans qu'il paroiffe de
différente dureté dans aucune partie.
Il est d'autres cailloux tirés des couches
de pierres très- dures , fur lefquelles on ne
découvre plus aucune matiere de coquille
; mais les noyaux qu'on diftingue encore
aifément , foit fur leur fuperficie , foit en
les caffant , me perfuadent qu'ils ont été ,
comme les précédens , compofés de même
matiere de corps marins .
Deuxième. Sur les Pierres à fufil.
On voit dans plufieurs montagnes , des
couches compofées de pierre à fufil , en
groffes & petites maffes féparées , mais
néanmoins liées dans la couche par une
efpéce de craye blanche médiocrement
durcie , dans laquelle on découvre des
veftiges de corps marins , que l'on apper.
çoit de même dans les pierres à fufil . Cel
les qui font de figures arrondies fe déta
chent des couches avec affez de facilité
G
146 MERCURE DE FRANCE:
fans emporter fur leurs fuperficies que bien
peu de cette matiere de craye. Il eft des
couches où la quantité de pierres à fufil
excéde le volume de la craye ; & d'autres
où le volume de la craye eft beaucoup plus
confidérable que celui des pierres à fafil.
Les couches que j'ai vûes de cette espéce ,
n'ont au plus qu'un pied & demi d'épaiffeur
, mais plufieurs lieues d'étendue.
Troifiéme. Sur les Agathes.
Dans une très haute colline fur les bords
de la riviere de Seine , j'ai vû une couche
de pierre blanche affez dure , de trois pieds
d'épaiffeur , & de plufieurs lienes d'étendue
, mêlée de noyaux de divers genres
de coquilles , convertis en agathe brune ,
lefquels prennent un poli des plus anis &
des plus vifs ; on apperçoit tant dans la
couche de pierre blanche , que fur les
noyaux après les avoir polis , une fi pro-'
digieufe quantité de veftiges de corps marins
, qu'on ne peut douter que ces couches
& ces noyaux n'en ayent été com
polés.
En d'autres couches j'ai trouvé nombre
de cornes d'Ammon , des noyaux d'Echi
nites, & d'autres coquilles de pure agathe.
Obfervez , Monheur , au furplus que les
NOVEMBRE. 1753 . 147
Trois efpéces de pierres furnommées qu'on
trouve dans les couches , donnent des
étincelles de feu en les frappant avec l'acier
, ainfi
que les pierres des mêmes eſpéces
qu'on trouve répandues dans les campagnes
& autres lieux ; & que les unes
comme les autres , portent prefque toutes
des veftiges de coquilles , ou d'autres marques
de productions marines : preuve qu'elles
ont toutes la même origine.
Je ne dois pas négliger de vous communiquer
une autre remarque que j'ai faite
nouvellement , & qui me paroît mériter
l'attention des Naturaliftes. J'ai trouvé
dans des couches , & dans les vignes du
Vendomois , parmi des cailloutages , des
coquilles encore dans leur nature de coquille
, affez bien confervées , & d'autres
confervées dans leurs ftructures , mais un
peu calcinées , qui donnent toutes ( tant
celles des couches que celles des vignes )
des étincelles de feu en les frappant avec
l'acier .
Sur ce que je viens d'expofer , ne vous
paroit-il pas furprenant , Monfieur , qu'un
Sçavant tel que M. Wallerius , ignore que
ces trois efpéces de pierres qu'on trouve
dans les lieux qu'il défigne , font forties
des couches de la terre , qui compofent les
montagnes , les collines & les plaines ;
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
& qu'il ne fçache pas que celles de figures
fphériques , celles prefque arrondies , &
celles à angles émouffés , fe font plus aifément
détachées des couches que celles des
autres formes ; & que par même raifon
d'arrondiffement , elles ont roulé dans les
campagnes & autres lieux , où on les trouve
ifolées & répandues .
C'en eft affez , il me femble , pour
prouver qu'on trouve dans les couches
ces trois elpéces de pierres , pour détruire
l'origine que leur donne M. Wallerius ,
& pour anéantir par conféquent ſa conclufion
fur leur âge.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Du Château de Prépatour , ce 20 Septem
bre 1753.
LES Libraires affociés diftribuent actuellement
le troifiéme volume de l'Encyclopédie.
L'Auteur de l'article Concile ,
avertit qu'à la page 808 , lig. 62. col . 1 .
& à la pag . 810. lig. 10 col. 1 , il faut lire
Binius , au lieu de M. Bignon . Le nom de
Severin Binius n'a point dû être ainfi francifé
, & on pourroit le confondre avec
Jerôme Bignon , dont on trouve des notes
dans la collection des Capitulaires , tan .
dis que celles de Severin Binius regardent
les Conciles , & font inferées dans la ColNOVEMBRE.
1753. 149
*
lection du Pere Labbe. Au refte , on corrigera
cette faute dans l'Errata du troifiéme
volume de l'Encyclopédie , qui fera mis
au volume fuivant du même Dictionnaire.
50% 50% 50%30% 322: 56 : 502 522 : 306 307 304 305 306398
BEAUX ARTS.
E Vendredi 28 Septembre , l'Académie
de Peinture & de Sculpture étant
affemblée par convocation genérale , M.
le Comte de Vence fut élû par fcrutin
honoraire Affocié libre . C'eft une acquifition
que tout doit rendre précieufe à
l'Académie : le nouvel Académicien réunit
tous les avantages qu'on peut défirer , une
grande naiffance , des moeurs faciles , un
goût sûr , une espéce de paffion pour les
Arts , & un cabinet fort riche.
LA Peinture. Ode de Milord Telliad
traduite de l'Anglois . A Londres , & le
trouve à Paris , chez Prault fils , Quai de
Conti. 1753. Brochure in 12 de 22 pages.
Il y a bien du feu , de l'enthouſiaſme ,
& du zéle pour l'honneur de notre Ecole
de Peinture , dans cette brochure prétendue
traduite de l'Anglois. Peut être y défireroit-
on un peu plus d'économie dans l'éloge
de quelques - uns de nos Artiftes. Ce
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
reproche, fi c'en eft un, ne peut pas tomber
fur les ftrophes que nous allons copier .
Répond moi , célébre Chardin : quand
la Peinture jaloufe , furmontant enfin ta
Philofophie & ta pareffe , peut te faire
reprendre en main fes pinceaux , & tracer
à loifir ces images de la nature fi finceres
, fi affectueules , fi naïves ; quelle
magie , quel art inconnu juſqu'à toi ,
peut diriger fon méchanifme enchanteur ?
Tout plaît dans la décoration de tes tableaux
, leur fujet & leur exécution . L'oeil
trompé par leur agréable légereté , & la
facilité apparente qui y tegne , voudroit
en vain , par fon attention & les recher
ches multipliées , en apprendre d'eux'le
fecret : il s'abîme , il fe perd dans la touche
; & laffé de fes efforts , fans être jamais
raffalié de fon plaifir , il s'éloigne
fe rapproche , & ne la quitte enfin qu'avec
le ferment d'y revenir.
Tant de talens & fi peu flattés , me rappellent
cetArtifte qu'on a vû trop long- tems
triompher fur les bords du Tibre , & que
Paris déformais fe promet de voir repofer
dans fon fein. Que de lauriers il rapporte
de ces bords jaloux ! & qui pourra jamais.
croire qu'une feule main en ait tant cueil
lis ? Que de naturel ! quel feu ! quelle
verve & quelle abondance ! Vernet , uniNOVEMBRE.
1753. 151
que dans fon genre , laiffe bien loin der
riere lai tous ceux qui l'ont précédé dans
la même carriere , & fait le défefpoir de
quiconque ofera le fuivre. A la fougue
épurée des Vander- cable , au naturel exquis
des Lorrains , il joint tout l'efprit
toute la correction , & la touche ferme &
faillante des Salvator. Aufli Poëte , mais
fur tout intéreffant que ce dernier , jamais
le coeur ne refte indifférent à la vûe de fes
tableaux : il fe trouble comme l'élément
en fureur qu'il repréfente ; il eſpére , il
craint avec ceux qui luttent contre les
flors amers , prêt à les fubmerger ; il fe
brife de douleur à l'afpect de ceux que leur
trifte fort en a rendu la victime. Quelquefois
auffi , plus tranquille , mais non plus
content , il goûte en paix fur le rivage ,
avec de moins infortunés , les délices du
port..
Quelle aimable variété dans les talens !
& quelle fageffe la nature fait paroître
dans leur différente diftribution ! quels
éloges fur- tout ne méritent pas ceux qui
fçavent reconnoître le leur propre , & s'y
attachent ! Je vois des portraits qu'Apelles
eût admirés . Ce grand homme , dit l'Hif
torien de la nature , exprimoit diítinctement
, dans l'image de ceux qu'il repréfentoit
, l'âge , le tempérament , l'efprit ,
G iiij
152 MERCURE DE FRANCE.
P'humeur , les paffions & le caractere. La
Tour eft l'Apelle de nos jours. La Tour
femble ravir à ceux qu'il peint l'efprit , qui
nous enchante dans leurs Ouvrages. Son
art réunit le double avantage d'exprimer
également bien l'efprit & la beauté , qualités
fiincompatibles quelquefois dans la
nature. La beauté , fous fes crayons en-.
chanteurs , loin de perdre rien de fa fleur ,
femble acquérir au contraire de ces graces
naïves & ingénues , qui en font le plus
grand charme. I fçait par fon tact fubtil
& magique , faifir & fixer le fel volatil
de l'efprit , fi facile à s'évaporer des mains
e qui que ce foit , & de ceux même qui
Je poffédent .
Sçavant Reftout , perfonne n'a connu
mieux que toi l'avantage de ce privilége ,
i n'en a ufé plus abondamment. Digne
neveu du Turpilius moderne , ta main
fous lui s'eft exercée à mouvoir fans effort
les plus grandes machines. Rien n'égale
la fierté de ta touche & de ton deffein
; tes airs de têtes fe fentent de fa fureur.
Mais bien différent de ces Peintres
modernes , qui cherchent à flater un fexe
foible , & le vain pouvoir que nous lui
attribuons , jufques dans la repréfentation
des évenemens les plus reculés , ton génie
brufque & inventif n'a jamais ployé fous
NOVEMBRE. 1753 . 153
cette fervitude. Dans eux , c'eft le triomphe
de la beauté ; dans toi , c'eſt celui de
la grace que nous admirons..... Je recon .
nois dans tes tableaux l'ordre admirable
de la providence. Ce font là les inclinations
dignes de fixer l'amour permanent
de nos Patriarches ; ce font là les beautés
males , feules dignes de figurer dans l'ancien
Teftament.
On peut parvenir aux honneurs de fon
art par des chemins différens. Les ris &
l'amour en ont frayé la route au Corrége
moderne . Sa main cueillit des rofes où les
autres ne rencontrerent que des épines .
Quel feu , que d'efprit , quelle onction &
quelle harmonieufe aifance ! Platon jadis'
accufoit certains Philofophes de n'avoir
jamais facrifié aux Graces ; je n'ofe faire
aux Peintres François le même reproche ;
mais Boucher ne l'encourra jamais . Son
imagination vive & abondante ne s'eft
point bornée à ce nombre : Boucher en
connoît plus de trois . Ses yeux ont vû
plus d'une Venus : il fenible , dans fes rêveries
tendres & paffionnées , que ce Peintre
privilégié ait affifté à tous les myſteres
de l'amour.
Un Athléte fier & majestueux s'avance.
Il marche , dédaigneux de courir , il marche
; & le dernier de fes pas doir remplir
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
paru
la carriere. Sa main triomphante femble
lever le rideau , qui jufqu'à nous avoir
voiler la nature. Il découvre à nos
yeux les trésors dont les différentes faifons
ont coutume de l'enrichir . C'eft des
mains même de cette Déeffe qu'il tient fes
pinceaux : elle femble fe plaire moins dans
fes propres productions que dans fes euvrages
Elle s'y trouve auffi fimple , auff
vraye , auffi touchante , & de plus embellie.
Son génie actif & puiflant parcourt à
la fois la mer , la terre & les Cieux . C'eſt
dans l'Olympe qu'il prend ces traits riches
& lumineux dont il teléve notre humanité
& la décore. Hofe repréfenter tour- àtour
, & de leurs vrayes couleurs , les plaifirs
& la majefté des Dieux : demi-Dieu
lui même , ce n'eft ni le Corrège , ni le
Titien , ni Rubens , c'eft Vanloo.
La grande Gallerie de Versailles , & les
deux Salons qui l'accompagnent , peints par
Charles le Brun , premier Peintre de Louis,
XIV , deffinés par Jean Baptifte Maſſé ,
Peintre & Confeiller de l'Académie Roya
le de Peinture & .de Sculpture , & gravés
fous fes yeux par les meilleurs maîtres du
tems.
Tons les Curieux de l'Europe attendoient
avec impatience le plus grand onNOVEMBRE
. 1753. 155
vrage de Gravûre qui ait été entrepris &
exécuté dans le feul Pays où la gravure
foit cultivée avec fuccès. Nous leur annonçons
que cette immenfe entrepriſe eft
enfin finie , & qu'elle foutient très - bien
l'honneur de notre Ecole. Voici comment
s'exprime M. Maffé à la tête d'un petit
Livre dans lequel il dévelope les idées du
Peintre dont il immortalife les ouvrages.
Charles le Brun , ce grand Peintre , done
le nom (cul eft devenu un éloge , confacra
les dix plus belles années de la vie à peindre
la Galerie de Verfailles & les deux falons
qui l'accompagnent.
Les Tableaux dont cette Galerie eft ornée
, contiennent la plus brillante partie
de l'Hiftoire de Louis XIV , c'eft- à- dire ,
depuis 1661 qu'il prit en main les rênes
du Gouvernement , jufqu'en 1678 qu'il
borna le cours de fes exploits par une paix:
plus glorieufe encore.
Le zele & la reconnoiffance de le Brun
pour un Prince qui ne ceffoit de le combler
de bienfaits , l'éleverent en quelque:
forte au-deffus de lui même. Il répandit
dans cet ouvrage , toute la variété , toute
la nobleffe des pensées & des expreffions
qui caractérisent un Poëme héroïque ; &
le Roi frappé de l'effet de fes premiers
Tableaux , le propofa dès lors de les faire
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
graver fucceffivement , pour en former un
recueil qu'il pût donner aux Princes , aux
Miniftres étrangers , & aux perfonnes diftinguées
qu'il voudroit honorer d'une marque
particuliere de ſa bienveillance.
Dans cette vûe , M. Colbert commença
par charger Charles Simonneau , de graver
celui de ces Tableaux dont le fujet eft la
feconde conquête de la Franche- Comté ;
mais la planche n'ayant pû être finie qu'en
1688 , cinq ans après la mort du Miniftre,
le malheur des guerres qui fuivirent immédiatement
, fit oublier , pour ne pas
dire abandonner totalement , une entreprife
aufli honorable pour la Nation
qu'elle auroit été utile aux progrès des
Arts : quelle apparence qu'un fimple particulier
osât jamais s'en charger !
Je l'avouerai cependant , j'eus l'heureuſe
témérité de former ce projet en 1723 ,
& M. le Duc d'Antin à qui je le communiquai
, réchauffant mon courage par tout
ce que les éloges ont de plus flatteur dans
la bouche des Grands , me remit peu de
jours après un brevet du Roi , qui m'autorifoit
à élever dans les appartemens de
Verfailles , les échaffauts dont j'aurois befoin
pour mon opération .
Huit années me fuffirent à peine pour
terminer les deffeins. On ne prévoit point,
NOVEMBRE. 1753. 157
& il eft bon que cela foit ainfi , on ne prévoit
point , dis-je , ce qu'il en coûte de
tems , de foins & de peines pour delfiner
dans une attitude contrainte , des plafonds
où le Deffinateur n'eft éclairé que par des
jours de reflet. La feule circonftance qui
m'aidoit à foutenir un travail fi pénible ,
c'est que le Roi l'honoroit fouvent de fes
regards , & en paroiffoit toujours fatisfait.
Les gravures ont eu des inconvéniens
d'une autre espéce , & elles ont emporté
un espace de plus de vingt années , fans
qu'il y ait lieu de s'en étonner , fi on confidére
, premierement , qu'on s'eft affujetti
à graver tout au miroir , pour rendre les
actions à droite comme elles font dans les
Tableaux ; ce qui , à la vérité , eſt d'une
longueur infinie , mais qui a paru abfolument
néceffaire pour la fidélité de la repréſentation
, & pour la beauté des eftampes.
En fecond lieu , que n'ayant voulu
confier l'exécution d'un pareil ouvrage
qu'à des Graveurs d'une habileté reconnue
, ceux qui jouiffoient déja d'ane grande
réputation étant aufli fort avancés dans
leur carriere , ils ont dans cet intervalle
payé à la nature le tribut dont nul talent
ne peut affranchir '; que ceux qui les fuivoient
de près , fe font infenfiblement
trouvés hors de combat par l'âge qui les a
158 MERCURE DE FRANCE.
gagné , ou par les infirmités qui leur font
furvenues ; que d'autres enfin , éblouis par
les avantages qu'on leur faifoit efpérer
dans les Pays étrangers , font allés s'y
établir.
Je m'arrache au détail de ces fatalités
prefque toujours inféparables des grandes
entreprifes , pour témoigner publiquement
que je dois une partie de la réullite
de celle- ci , aux foins obligeans de Meffieurs
Galoche , Boucher , Natoire & Bouchardon
, & fur - tout de feu M. le Moyne ,
que je voudrois pouvoir immortalifer par
ma reconnoiffance , comme il s'eft immortalifé
lui- même par les chefs-d'oeuvres qui
font fortis de les mains.
Je ne fuis pas moins empreffé de publier
que l'amour des beaux Arts qui animoit le
miniſtere de M. de Tournehem , & qui
diftingue également celui de M. de Vandiere
fon digne fucceffeur , m'a fait trouver
dans les bontés du Roi , les derniers
fecours dont j'avois befoin pour mettre ce
recueil au jour , & que ce qui me flatte
le plus dans le fuccès de mon entrepriſe ,
c'eft qu'indépendamment de l'avantage
qu'elle me procure de tranfmettre à la poftérité
une jufte idée de la grandeur de nos
Rois , elle a fervi dans le tems , à entretenir
en France nombre d'excellens ArtifNOVEMBRE.
1753. 199
res , à y foutenir le bon goût de la Gravûre
, & àlui affurer en ce genre la même
prééminence que la Peinture & la Sculpture
lui donnent fur toutes les Nations.
Tour ce que M. Maffé vient de dire eft
fort au- deffous de ce qu'on penfa de fon
entrepriſe à Verfailles le 23 Novembre.
Toute cette belle fuite d'eftampes y fut expofée
dans la grande Gallerie , & y fixa
l'attention de toute la Cour, Le Roi dit :
Voilà ma Gallerie éternifée , car cela refera
Paris , où le goût des Arts eft plus vif , a
montré encore plus d'empreffement. Le
Salon qu'on a prolongé pour donner le
tems d'examiner cette grande collection
qu'on n'avoit pû y porter que tard , n'a
pas défempli. Nous rendrons compte le
mois prochain des impreffions du Public ,
qui ont été extrêmement favorables.
Nous avertirons en attendant , que la '
Collection que nous annonçons eft compofée
de 55 fujets , dont deux font imprimés
fur le grant Louvois , & les autres fur
le grand Aigle, & qu'elle fe vend actuelle
ment chez Auteur , à Paris , Place Danphine.
Le prix en blanc eft de
3.00 liv .
Les perfonnes qui voudroient l'avoir reliée
, peuvent s'adreffer au fieur Padeloup
Reheur du Roi , au coin de la Place de
Sorbonne. C'eft le feul qui en ait relié juf
qu'à prefent.
160 MERCURE DE FRANCE.
Comme cer Ouvrage eft dans fon plus
grand éclat fous verre , ceux qui le défireroient
ainsi , peuvent s'adreffer au fieur
Billette , Vitrier , rue du Harlay , proche
Ja Place Dauphine . C'eſt lui qui l'a monić
pour le Roi; pour le Roi de Pologne, Duc
de Lorraine , & pour l'Auteur.
M. Peffelier toujours attentif à louer
tout ce qui fe fair d'utile pour les Arts , a
envoyé à M. Maffé les Vers fuivans .
Des chefs d'oeuvres que l'art ne peut trop publier,
Ta main incomparable affure la mémoire :
Du Peintre & du Heros tu partages la gloire ,
Comme tu fçais l'étendre & la multiplier .
C'EST avec plaifir que nous annonçons
aujourd'hui le débit d'une Eftampe
qui a quatorze pouces neuf lignes de hauteur
, & douze pouces huit lignes de largeur
; c'eft-à- dire , qu'elle eft grande comme
le Tableau original que le public a
fort admiré dans le dernier falon . Le beau
morceau peint par M. Chardin , & tiré
du Cabinet de M. de Vandiere , eft gravé
par M. Cars . Quand denx Artiſtes de ce
mérite fe réuniffent , on annonce leurs
productions avec hardieffe . Les compofitions
du Peintre , quoique fimples & foumifes
aux moeurs du tems , ne prétendent
NOVEMBRE. 1753. 163
point à l'héroïque ; mais la jufteffe du
choix & l'agrément des images préfentent
une vive critique des Peintres Flamands
en général. En effet , des tabagies , des
combats àcoups de poing , des befoins du
corps ; enfin la nature prife dans ce qu'elle
a de plus abject , font les fujets les plus ordinairement
traités par les Braures , les
Oftades, les Ténieres, &c. M. Chardin s'eft
toujours écarté de ces images humiliantes
pour l'humanité , il a eu , à la vérité , toujours
pour objet une action petite , mais
intéreffante , au moins par le choix des
figures qui n'ont jamais rien préfenté de
kid ni de dégoûtant . Ici l'on voit une
femme jeune , dont la figure eft touchante ,
& dont l'ajustement fimple eft étoffé , en
même tems qu'il indique la propreté ; elle
eft à côté de fon métier , auquel il paroît
qu'à l'art de travailler, elle a fubftitué une
ferinette ; elle regarde finement , mais
avec une curiofité convenable , le ferin
dont la cage eft au coin du Tableau , &
placée fur un guéridon : la chambre eft parée
convenablement au caractere & à l'état
de la perfonne repréſentée ; on y voit quelques
tableaux , & celui qui paroît en enter
repréfente l'ingénieufe allégorie de
M. Coypel , le dernier mort. Il avoit exprimé
dans ce morceau , avec autant de
162 MERCURE DEFRANCE .
• graces que de nobleffe , la Peinture qui
chaffoit Thalie de fon attelier : ouvrage.
qu'il avoit fait dans un de ces inftans de
dégoût , qu'un homme occupé de deux
maîtreffes croit reffentir pour celle qui le
lendemain mériteroit la préference . C'eſt
en compofant comme M. Chardin , qu'il
eft permis de traiter les actions de la vie
familiere ; il faut la faire aimer & la faire
envier auffi l'on peut dire fans hyperbole
que le modéle dont M , Chardin a
fait choix dans cette occafion , indique
une perfonne attachée à fes devoirs , honnête
, pleine de douceur , enfin qui fçair
s'occuper ; c'est du moins l'idée qu'elle
nous à donnée. Le Graveur a menagé &
confervé toutes les fineffes ; il a exprimé
celles de l'accord & des grandes parties de
la peinture , mais ce qu'on appelle la couleur
en terme de gravûre ; & pour la rendre
avec vérité , il a fçu placer à
pos & oppofer les differens genres de
travail. Enfin l'Eftampe fait voir la blancheur
de la
peau d'une blonde , en oppofition
avec une coëffe & un mantelet de
mouffeline ; hardieffe de la peinture , que
la gravûre a rendue avec une juſteſſe &
une vérité qui lui étoient peut-être plus
difficiles.
pro
Cette Eftampe le vend chez le Sr Cars
rue Saint Jacques , vis-à-vis le Pleſſis.
NOVEMBRE. 1753. 163.
=
SURUGUE vient de graver le Philofophe
en méditation , de Rembrant , & il fe
propofe de graver fon pendant l'année
prochaine. Ces deux Tableaux uni.
ques dans leur efpéce , & qui étonnent
par la vérité de leur lumiere , font dans le
Fiche Cabinet de M. le Comte de Vence.
M. Surugue n'a pas cherché à imiter la maniere
de graver qui étoit particuliere à
Rembrant , & qui n'a été faite par perfonne
; mais il a eu le courage d'ofer.ce
qu'aucun de fes confreres n'avoit jugé à
propos d'entreprendre , & il l'a exécuté
avec un fuccès qui doit étendre fa réputotation
.
Le Maitre de Clavecin pour l'accompagnement
, Méthode théorique & pratique , qui
condait en très- peu de tems à accompagner
à livre ouvert , avec des leçons chantantes
où les accords font notés , pour faci
E liter l'étude des commençans. Ouvrage
urile à ceux qui veulent parvenir à l'excellence
de la compofition ; le tout felon la
régle de l'octave & de la baffe fondamen
tale ; par Michel Corretto , prix 9 liv. A
Paris , chez l'Auteur , à l'entrée de la rue de.
Montorgueil , à la Croix d'argent.
On connoîtra mieux l'ouvrage que nous.
annonçons par le plan qu'en a tracé l'Au164
MERCURE DE FRANCE.
teur qui a de la réputation , que par tout
ce que nous pourrions en dire.
"
Depuis que Corelli a inventé le genre
de la Sonate du Concert , la Muſique ,
» dit M. Corretto , a fait des progrès étonmans
dans toute l'Europe ; c'est à cet il-
» luftre Auteur à qui on eft redevable de
» la bonne harmonie & de la brillante
fymphonie. Avant lui les Concerts en
» France étoient médiocres. Nous voyons
» dans l'Harmonie univerfelle du P. Mer
»feune , & dans le P. Parran , imprimé en
· » 1646 , qu'on n'exécutoit de leur tems dans
» les Concerts de Paris que du plain chant
figuré , avec quelques petites chanfons
» d'un chant lugubre & lamentable ; plus
elles étoient triftes & languillantes , &
plus les amateurs de ces tems les trou.
» voient admirables , & leur donnoient par
" excellence le nom de Mufique de fenti-
"ment. Tels étoient les airs de Boëffer ,de
» le Camus , de Lamberti , & c.
»
و ر
" A peine connoiffoit on la Malique
» inftrumentale , qui fait préfentement
» l'amufement de tous les honnêtes gens.
" On ne jouoit que quelques petits airs
» de danfe fur la harpe , le luth , la gui-
» tarre , la vielle , la mufette , enfin , pour
» ainfi dire , la Mufique étoit au berceau .
» L'Auteur des Dons des enfans de La
寫
2
2
13
D
23
D
D
D
22
NOVEMBRE . 1753 .
1:66
,"
tonne , dit que c'est par M. Mathieu ,
" Curé de Saint André des Arts , fur la fin
» du dernier fiécle , que la Mufique Ita-
» lienne a été introduite à Paris ; il don-
» noit un Concert toutes les femaines où
» l'on ne chantoit que de la Mufique la-
» tine des meilleurs Maîtres d'Italie , de
- » Caffati , Cariffimi , Baſſani , Scartati &
גכ
» autres.
وو
t
» Ce fut à ce Concert que parurent pour
» la premiere fois les trio de Carelli , im-
» primés à Rome ; cette Mufique d'un gen-
» re nouveau encouragea tous les Auteurs,
» à travailler dans un goût plus brillant
tel fur le Caprice de Rebel , le pere.
» Tous les Concerts prirent une autre forme
:les Scénes & les fymphonies d'Opéra
céderent la préféance aux fonates ;
»M. Morin , à l'exemple des Italiens , donna
le premier des Cantates Françoiſes ,
» enfuite parurent celles de M. Bernier
» Clerembault , Batiftin ; M. Dornel &
» Dandrieux , Organiſtes , donnerent les
" premiers des fonnates en trio. Dans le
» le même tems Corelli donna fon cinquié-
» me oeuvre , chef- d'oeuvre de l'Art. Feu
» M. le Duc d'Orleans , depuis Régent du
» Royaume , étant extrêmement amateur
» de Mufique , voulut entendre ces fonates,
mais ne pouvant trouver alors aucun
1
166 MERCURE DE FRANCE,
" violon dans Paris capable de jouer på
accords , il fut obligé de les faire chan-
» ter par trois voix. Mais cette fterilité de
» violon ne dura pas long- tems ; chacun
travailla jour & nuit à apprendre ces
»fonates ; de forte qu'au bout de quelques
wannées parurent trois violons qui les exé-
» cuterent ; Chatillon , qui étoit auffi Or .
»ganifte, Duval & Baptifte ; ce dernier fut
» après à Rome pour les entendre jouer
» par l'Auteur.
"
» On peut juger par la quantité de bons
violons qu'il y a préfentement à Paris ,
combien la Mufique a fait de progrès
depuis l'invention des fonates , car les
fymphonies d'Opéra n'auroient jamais
formé de fi grands fujets.
» Or c'eft le nouveau genre de Mufique
qui a fait difparoître tous les inftrumens
» qui ne jouoient que des pièces , devenans
pour lors inutiles dans le Concert.
Le clavecin feul eft refté comme l'ame de
» l'harmonie , le foutien & l'honneur de
» la Mufique.
» En effet , entre l'avantage qu'il a audeffus
des autres , par la beauté des pié-
» ces que l'on joue deffus , il a encore celui
de l'accompagnement , de régler , de
guider , de foutenir & de donner le ton
» à la voix , c'eft en un mot lui qui tient
n
NOVEMBRE. 1753. 167
les rénes du Concert. Celui qui fçait
l'accompagnement, fçait bientôt la com
pofition ; fans cette connoiffance on eft
» toujours médiocre compofiteur , comme
» le foutient très bien M. Rameau dans fon
» nouveau fyftême page 7. Tous les Ita-
» liens accompagnent du clavecin ; la plûpart
des grands Muficiens ont été Orga
» niftes en Angleterre . Meffieurs Handel ,
» le Docteur Pepufch , en Allemagne ; M.
» Tellemann , en Efpagne ; M. Scarlatti ,
» en France ; Meffieurs de la Lande , Couprin
, Rameau , Clerambault , & beau-
» coup d'autres qui joignent à la belle
» exécution la compofition & le génie.
» M. Cambert , le premier qui ait compo-
» fé des Opéras François , étoit Organiſte
de Saint Honoré.
» M. de Lully ne compofoit jamais que
fur le clavecin , & Collaffe à côté de lui
> notoit fous fa dictée .
33
» Comme le clavecin eft préfentement
» une des parties de la belle éducation des
» Demoiselles de condition , & que j'ai
remarqué qu'elles ne le quittoient plus
dès qu'elles étoient mariées , quand elles
poffédoient une fois l'accompagne-
» ment ; c'eft ce qui m'a engagé à travail-
» ler depuis long- tems à leur compofer une
" Méthode courte & facile , pour leur
ap168
MERCURE DE FRANCE.
planir les prétendues difficultés que les
» ennemis de la bonne harmonie ont foin
» de répandre.
Je développe dans cette Méthode tous
» les principes les uns après les autres ,
avec des leçons démonftratives qui en-
» feignent en très- peu de tems l'accompa-
> gnement , felon les régles de l'octave
qui nous a été donnée par M. Campion
& felon labaffe fondamentale,
» trouvée par M. Rameau , imprimée ca
و ر
» en 17
"
1722.
"J'ai compofé pour la facilité & l'avan-
» cement des écoliers des leçons chantantes
, où les accords font notés ; ce qui
donne promptement la pratique , la ré .
» gularité & la meſure..
» Les doigts acquerent une certaine mé .
chanique, le plus fouvent fur les touches
fans que » qui conviennent aux accords ,
Pefprit y foit entierement attaché.
» Ceux qui fuivront cette Méthode feront
plus de progrès en fix mois qu'ils
» n'en feroient d'une autre maniere en
» dix ans , j'en ai fait l'expérience plufieurs
fois par ce moyen ; fi on n'eft pas à la por
tée d'avoir des maîtres , on pourra ap-
»prendre tout feul , fi l'on fçait la mufique.
Il ne faut pas cependant négliger les
leçons de vive voix d'un bon Maître
» qui
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
François ont perdu M Poiffon ,
le 24 Août dernier : cet A&teur , né au mois de
Mars 1696 , & reçu le premier Mars 1725 , jouoit .
différentes fortes d'emplois , & tous avec fuccès :
il avoit furtout le talent fingulier de rendre vrai
H
1
NOVEMBRE. 1753. 169
»
qui n'étant point efclave de la prévention
ni du préjugé, peut lever feul les dif-
» ficultés que l'on trouve dans un Livre.
Quand
CHANSON .
Uand je lis Descartes , Newton ,
Je lens que tous deux ont raiſon ,
Et j'adopte chaque ſyſtême.
Sans me mêler de leurs débats ,
Tout eft plein quand je fuis auprès de ce que j'ai
me ,
Tout eft vuide ou Philis n'eft pas.
L
SPECTACLES.
A Pipée , Iaterméde Italien , n'ayant pas eu
tout le fuccès qu'on en efpéroit , l'Académie
Royale de Mufique a donné le Mardi 16 du mois
dernier , à la fuite des Artifans de qualité , l'Interméde
de la Bohémienne , qui avoit beaucoup réuffi
cet Eté , & dont le Public paroît également fatisfait
à la repriſe.
Les Comédiens François ont perdu M. Poiffon ,
le 24 Août dernier : cet A&teur , né au mois de
Mars 1696 , & reçu le premier Mars 1725 , jouoit .
différentes fortes d'emplois , & tous avec fuccès :
il avoit furtout le talent fingulier de rendre vrai
H
170 MERCURE DEFRANCE.
femblables des caracteres qui ne le font point , ou
du moins qui ne le font plus dans ce fiécle.; tels
que le Bourgeois Gentilhomme , Pourceaugnac ,
Dom Japhet d'Arménie , le Marquis ridicule
dans la Mere coquette , & Bernadille dans la
Femme Juge & Partie. Les perfonnages où il s'eft
le plus généralement diftingué , font les Jodelets
dans Jodelet Maître & Valet & Jodelet Prince ,
& les Crifpins , dans les Comédies du Légataire
univerfel , des Folies amoureufes , de Crifpin Muficien
, de Crifpin Médecin , de Crifpin bel efprit
& de Crifpin rival de fon maître. Il jouoit auffi
d'une maniere fupérieure quelques Financiers fubalternes
, entr'autres Turcaret. C'étoit de tous
les Acteurs qui font au Théatre François , celui
qui avoit le plus de naturel , il étoit même fouvent
d'une naïveté innitable , comme dans le
rôle de Lafleur , de la Comédie du Glorieux . Il
étoit petit , laid & affez mal fait , mais il avoit
une figure fi comique , qu'il excitoit un rire univerfel
dès qu'il paroiffoit. Il avoit furpaffé fon
pere & fon grand pere qui étoient auffi des Acteurs
de réputation ; mais ils ne réuffiffoient gueres
que dans les Crifpins . Poiflon eft mort âgé de
cinquante fept ans ; il a été environ vingt- huit ans
à la Comedie. Après avoir rendu juſtice à les
talens , nous ne pouvons nous difpenfer de dire
qu'il avoit deux grands défants , celui de manquer
de mémoire , qui eft infupportable principalement
dans les Scenes comiques qui exigent une repartie
vive & prompte , & celui de bredouiller qui empê
choit les fpectateurs , furtout ceux qui n'étoient
pas bien accoutumés à fa voix , d'entendre une
partie de ce qu'il débitoit.
Il paroît que M. Préville confolera le Public
de la perte de Poiffon . Cet Acteur a débuté
NOVEMBRE. 1753 . 171
le 20 Septembre , par le rôle de Crifpin , dans
le Légataire univerfel , & par celui du Valet
dans la Famille extravagante. Ses autres rôles de
debut ont été le Marquis , dans le Joueur , Crif.
pin , dans les Folies amoureufes ; le Menechme
dans la Comédie des Ménechmes ; le principal rôle
dans celle de Crifpin Médecin ; Strabon , dans
Démocrite ; Sganarelle , dans le Médecin malgré
lui , & le Valet dans la Surprite de l'Amour . Il
a eu le fuccès le plus éclatant dans les trois rôles
de Criſpin , dans le Ménechme , dans Strabon &
dans Sganarelle ; mais il a été trouvé médiocre
dans le Marquis du Joueur , & dans les Valets
de la Famille extravagante , & de la Surpriſe
de l'Amour. M. Préville eft bienfait , il a une
jolie figure , de la jeuneffe , une intelligence fupérieure
, une mémoire admirable , une grande
aifance au Théatre , beaucoup de précision dans
fon jeu , & un jeu qui eft entierement à lui ; il a
peut-être plus d'agilité que de vivacité , & plus
d'épanouillement dans la phifionomie que de
fond de gayeré.
Les mêmes Comédiens ont donné avant leur
départ pour Fontainebleau , trois repréſentations
de l'Amafis , de M. de la Granche Chancel , qui
n'avoit pas été répréfenté depuis 1740. Cette Tragédie
fut fuivie dans fa nouveauté , mais elle eut
le fuccès le plus complet à la reprise de 1731. Les
rôles d'Amafis , de Sefoftris , de Phanès & de Me-
-nès furent alors repréfentés par Mrs Sarrafin , Du
frefne , le Grand & Dubreuil ; & ceux de Nitocris
& d'Artenice , par Miles Duclos & Dufrefne : ces
rôles font maintenant remplis par Mrs Paulin
Grandval , le Grand & Dubreuil , & par Mlles
Dumefnil & Hus
Les mêmes Comédiens ont remis le Jeudi 1
Hi
172 MERCURE DE FRANCE:
Octobre , pour le début du fieur Armand , fils
de l'Acteur qui fait depuis long - tems les plaifirs
du Public , les Comédies de la Femme Juge &
Partie , & des Vendanges de Surêne , dans lefquelles
le débutant a joué les rôles de Bernardille & de
l'Orange : une timidité qu'il n'a pû furmonter le
premier jour , l'a rendu troid & monotone , & il
a été peu goûté ; mais il a pris la revanche le Dimanche
fuivant , & a été fort applaudi.
Chriftine -Antoinette - Charlotte Delmares , une
des plus célébres Actrices qui ait paru au théatre
François , eft morte à S. Germain -en- Laye le 12
Septembre dernier , âgée de 71 ans . Sa naiffance
ne fembloit pas la deftiner au Théatre ; fon grand
pere qui étoit Préfident du Parlement de Rouen ,
deshérita fon fils parce qu'il s'étoit marié fans fon
confentement. De ce mariage fortirent Delmares
& Mlle Champmcflé , qui fe trouvant fans fortune
prirent le parti de la Comédie . Defiares & fa
femme allerent à Copenhague , où ils furent reçus
dans la troupe des Comédiens François du Roi
de Danemarcx ; ils plurent tant à cette Cour que
le Roi & la Reine de Danemarck tinrent fur les
Fonts de Baptême Mile Defmares , qui y naquir
en 1682. Mlle Champmêlé étoit reſtée à Paris , où
elle faifoit les délices du Théatre ; elle joua d'original
pielque tous les premiers rôles des Tragédies
de Racine , elle fe diftingua
fingulierement dans
ceux de Berenice , de Phedre & d'Iphigénie. La
Fontaine & Defpréaux ont tranfmis fon nom à la
poftérité . Comine elle aimoit beaucoup fon frere,
elle le rapella de Copenhague , & obtint de Louis
XIV qu'il fûc reçu fans début dans la troupe dont
elle faifoit l'ornement.
Defmares avo`t beaucoup
de talent pour les rôles de Payfans , & c'est pour
Jai que Dancourt a fait le Mari retrouvé , DelorNOVEMBRE.
1753. 173
me , dans les Trois Coufines ; Thibaud , dans les
Vendanges de Surefne , &c.
Mile Champmellé quitta le Théatre en 1698.
Le dernier rôle qu'elle y joua fut celui d'Iphigénie
en Tauride , dans la Tragédie d'Orefte & Pilade
de M. de la Grange , & le fuccès de l'Actrice fut
égal dans l'Iphigénie facrifiante , à celui d'iphigénie
facrifiée. Mile Defmares parut alors , & elle
eut le courage de débuter par le rôle que fa tante
venoit de quitter ; elle y réuffit au - delà de les efpérances
, ainfi que dans ceux d'Emilie & d'Hermione
: on la chargea après de quelques rôles
d'Amoureufes dans le comique , & elle joua d'original
Rodope , dans Efope à la Cour , avec un
grand fuccès ; mais ce qui mit le comble à fa réputation
, ce fut le rôle de Pfiché , à la brillante
remife qui en fut faite au mois de Juin 1713 .
Mile Defires ne fut pas moins goûtée dans le
rôle de Therefe , de la Comédie du Double veuvage
, & elle y mit tant de gayeté & de vérité ,
Iqu'on la crux feule capable de remplacer , dans
les Soubrettes , Mlle Beauval qui commençoit à
vieillir. Elle reçut un ordre de la Cour d'apprendre
les rôles de cet emploi , non feulement elle y
furpafla Mlle Beauval , mais elle devint un modele
en ce genre . Elle n'abandonna pas pour cela
les premiers rôles tragiques ; c'eft elle qui a joué
d'original les rôles d'Athalie , d'Ino , d'Electre ,
& de Jocafte , dans l'Oedipe de M. de Volta re ;
elle refta au Théatre jufqu'à Pâques de l'année
1721 , & fon dernier rôle fut celui d'Antigone ,
dans la Tragédie des Machabées , de la Motthe.
Mile Definires a laiffé encore une plus grande
réputation dans le comique que dans le tragique ;
elle avoit une figure & une voix charmantes, beaucoup
d'intelligence , de feu , de volubilité , de
Hiij
172 MERCURE DE FRANCE:
fils Octobre , pour le début du fieur Armand ,
de l'Acteur qui fait depuis long-tems les plaifirs
du Public , les Comédies de la Femme Juge
Partie , & des Vendanges de Surêne , dans leſquelles
le débutant a joué les rôles de Bernardille & de
l'Orange : une timidité qu'il n'a pu furmonter le
premier jour , l'a rendu troid & monotone , & il
a été peu goûté ; mais il a pris la revanche le Dimanche
fuivant , & a été fort applaudi.
Chriftine -Antoinette - Charlotte Delmares , une
des plus célébres Actrices qui ait paru au théatre
François , eft morte à S. Germain- en-Laye le 12
Septembre dernier , âgée de 71 ans. Sa naiffance
ne fembloit pas la deftiner au Théatre ; fon grand
pere qui étoit Préfident du Parlement de Rouen ,
deshérita lon fils parce qu'il s'étoit marié fans fon
confentement. De ce mariage fortirent Delmares
& Mlle Champmcflé , qui fe trouvant fans fortune
prirent le parti de la Comédie . Defmares & fa
femme allerent à Copenhague , où ils furent reçus
dans la troupe des Comédiens François du Roi
de Danemarcx ; ils plurent tant à cette Cour que
le Roi & la Reine de Danemarck tinrent fur les
Fonts de Baptême Mile Defmares , qui y naquit
en 1682. Mlle Champmêlé étoit reftée à Paris, ou
elle faifoit les délices du Théatre ; elle joua d'original
prefque tous les premiers rôles des Tragédies
de Racine ; elle fe diftingua fingulierement dans
ceux de Berenice , de Phedre & d'Iphigénie. La
Fontaine & Defpréaux ont tranfmis fon nom à la
poftérité . Comme elle aimoit beaucoup fon frere,
elle le rapella de Copenhague , & obtint de Louis
XIV qu'il fût reçu fans début dans la troupe dont
elle faifoit l'ornement. Defmares avoit beaucoup
de talent pour les rôles de Payfans , & c'est pour
Jai que Dancourt a fait le Mari retrouvé , DelorNOVEMBRE
. 1753. 173
me , dans les Trois Coufines ; Thibaud , dans les
Vendanges de Surefne , &c.
Mile Champmellé quitta le Théatre en 1698 .
Le dernier rôle qu'elle yjoua fut celui d'Iphigénie
en Tauride , dans la Tragédie d'Orefte & Pilade
de M. de la Grange , & le fuccès de l'Actrice fut
égal dans l'Iphigénie facrifiante , à celui d'iphigénie
facrifiée. Mlle Defmates parut alors , & elle
eut le courage de débuter par le rôle que fa tante
venoit de quitter ; elle y réuffit au- delà de les efpérances
, ainfi que dans ceux d'Emilie & d'Hermione
: on la chargea après de quelques rôles
d'Amoureufes dans le comique , & elle joua d'original
Rodope , dans Eſope à la Cour , avec un
grand fuccès ; mais ce qui mit le comble à fa réputation
, ce fut le rôle de Pfiché , à la brillante
remife qui en fut faite au mois de Juin 1713 .
Mile Delmires ne fut pas moins goûtée dans le
rôle de Therefe , de la Comédie du Double veuvage
, & elle y mit tant de gayeté & de vérité ,
Iqu'on la crux feule capable de remplacer , dans
les Soubrettes , Mlie Beauval qui commençoit à
vieillir. Elle reçut un ordre de la Cour d'apprendre
les rôles de cet emploi ; non feulement elle y
furpafla Mile Beauval , mais elle devint un modele
en ce genre . Elle n'abandonna pas pour cela
les premiers rôles tragiques ; c'eft elle qui a joué
d'original les rôles d'Athalie , d'Ino , d'Electre ,
& de Jocafe , dans l'Oedipe de M. de Volta re ;
elle refta au Théatre jufqu'à Pâques de l'année
1721 , & fon dernier rôle fut celui d'Antigone
dans la Tragédie des Machabées , de la Motthe .
Mile Definires a laiffé encore une plus grande
réputation dans le comique que dans le tragique ;
elle avoit une figure & une voix charmantes , beaucoup
d'intelligence , de feu , de volubilité , de
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
gayeté & de naturel ; on lui a l'obligation d'a
voir pris plaifir à former Mile Dangeville fa niéce,
qui réunit toutes les graces & tous les genzes
de Comique. Indépendamment des talens de
Mile Defmares pour le Théatre , elle joignoit au
don de plaire dans la fociété , un caractere admirable
& un coeur excellent ; elle a même fait des
actions d'une générofité héroïque.
Les Comédiens Italiens ont donné le Mercredi
26 Septembre , la premiere repréſentation de
POrigine des Marionnettes , Parodie de Pigmalion ,
qui a été trouvée froide . M. Gaubiés , qui en eft
l'Auteur , ayant retranché un rôle entier & fait
d'autres retranchemens pour le Samedi fuivant ,
la Piéce a été reçue favorablement.
L'Opéra Comique a donné le Mardi 25 da
même mois , les Nymphes de Diane , Opéra Comique
de M. Favart , qui n'avoit jamais été repréfenté
à Paris . Cet Ouvrage qui eft un des plus
jolis de l'Auteur , n'a pas été moins gouté à Paris
qu'il l'avoit été au théatre de Bruxelles , pendant la
derniere guerre.
La clôture de l'Opéra Comique s'eft faite cette
année le Samedi 6 Octobre par la repréſentation
du Plaifir de l'Innocence , des Nymphes de Diane
, & des Troqueurs .
LETTRE à l'Auteur du Supplément aux
Tablettes Dramatiques pour les années
E
جم
1752 1753.
N furetant , Monfieur , chez un Libraire dans
les nouveautés , le hazard a voulu que je rencontraffe
votre ouvrage ; le titre me l'a fait ache
ง
NOVEMBRE. 1753. 175
ter , & en le parcourant j'ai trouvé mon article
dans ceux des débutans au Théatre François de
l'année 1752. Vous m'accufez d'avoir harangué
le parterre , en lui difant que je travaillois depuis
35 ans à ramener le naturel au Théatre , & que
j'efpérois l'avoir trouvé . Je réponds à ce que vous
avancez d'après moi. Oui , je Pai dit & fait ; & feu
Baron , dont je fais l'éleve , m'a inculqué dans
l'efprit par les principes , qu'il valoit mieux pécher
par un trop grand naturel que d'emphaſer
avec outrance , ou de parler en chantant avec trois
notes égales , qui forment la monotonie . Ce fut
feu Monfeigneur le Duc de la Trémouille qui fut la
caufe que je débutai pour la premiere fois en 1740 ,
& je puis l'avancer , avec un grand applaudiffement.
Des amis que j'avois alors qui n'étoient pas
vrais , s'employerent fi bien pour moi , que l'on
me préféra le parent de celui qui fut mon maître.
Je pris mon parti alors , & je retournai en Province
. En 1752 je revins à Paris pour des affaires
d'intérêt , on me perfuada de débuter pour la feconde
fois , à caufe qu'il faut quelqu'un pour dou
bler M. Sarrazin en cas d'accident ; je le fis. Ma
façon de parler a plu aux gens qui ont toujours la
perfpective de ce grand naturel de celui dont je
fuis éleve , & elle n'a pas été auffi du goût de ces
Novateurs dramatiques , qui ont établi leur goût
par le moyen de l'aifance & de la fortune quils
poffédent. Comme vous faites une compilation
chronologique des faits qui fe paffent au Théatre ,
ce n'eft point à la fin du rolle d'Augufte dans
Cinna que j'ai harangué le Public ; c'eft à la fin de
celui de Mithridate , ayant repréſenté avant Augufte
, Mithridate & Pharafmane . L'Acteur Touloufain
jadis le fit comme moi. Ses complimens
valoient autant que les colles qu'il venoit de re-
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE.
préfenter : & fi la débauche ne l'eût pas entraf
né dans le moment qui a été la cauſe du terme de
Les jours , c'étoit un homme qui , tant par l'art
que par l'efprit , feroit admiré aujourd'hui . Je dirai
avec Ciceron , omni ope atque operâ enixus fui.
J'ai tâché de travailler pour gagner une pension ,
je n'ai pas réuffi . Vous n'avez pas parlé des autres
rolles que j'ai repréſenté . J'ai joué auffi Lifimon
dans le Glorieux , & Argant dans le Préjugé
à la mode ; j'y ai pourtant été applaudi , & ce ,
fans avoir donné de billets pour mandier des fuffrages.
J'attendois tout de mes travaux , car je
vous avoue que j'ai rifqué beaucoup en voulant
jouer après ces grands Comédiens qui font aujour
d'hui l'ornement & les plaifirs de la Scène . Comme
je fuis général , & que les mafques de Térence
font gravés dans mon optique , je joue les
Rois , les Payfans , les Financiers , les Peres nobles
, les Raifonneurs , & tant d'autres qui font
utiles à un Comédien dans la Province , foit dans
P'Italien , foit dans les Opéra Comiques . Je fuis
même en état de faire un pari , fi on le veut , de
jouer un rolle nouveau chaque jour pendant le
cours d'une année , tant j'ai la mémoire libre &
fraîche . J'ai même repréſenté le Tuteur dans la
Pupille un peu froidement à la vérité , mais
s'il falloit le rejouer aujourd'hui , ce feroit un autre
genre , tant il eft vrai qu'on fe corrige fur les
bons modeles. Je vous prens pour un de mes arbitres
, on ne récompenfe pas toujours les gens qui
cherchent à l'être . Je fuis en état de parler de
mon art par principe ; & fi une profonde pareffe
ne m'avoit pas faifi depuis long- tems , j'aurois tenu
parole à M *** , en lui faiſant part d'un Traité que
j'ai commencé , touchant la façon de parler au
Théatre , non de déclamer... ce dernier n'eft
NOVEMBRE. 1753. 177
pas de mon genre Quoique Meffieurs de Sainte-
Albine & Riccoboni ayent analife les qualités néceffaires
à un Comédien , j'ai tâché d'aprécier
leur fentiment avec le mien , en faifant un détail
par principe de gradations , pour donner un
acheminement folide à ceux qui font amateurs
du Théatre . Il eft vrai qu'aujourd'hui ce n'eft
plus le Comédien qui fe fait au Public ; c'eſt le
Public qui fe fait au Comédien. Les tems fe fuccedent
& les modes changent. Les Pantins ont
remplacé les Bilboquets , les Mantelets , les Echarpes
; on a beau faire , les anciennes modes reviendront
, je fuis pourtant de celles du premier
quart de ce fiecle. M. de Crebillon & M. de Voltaire
vont de pair avec les Corneilles & les Racines
; il ne feroit donc pas furprenant que je puffe
plaire encore. Je me fais un fenfible plaifir de débiter
leurs Ouvrages , & fans prévention je ne les
ai jamais maſqués. Je vous convie donc , Monfieur
, d'être dorénavant un peu plus prolixe fur
mon compte , & de fuivre le fentiment de Pline
qui dir , que pour foutenir le droit d'une bonne
caufe , on ne peut l'être trop. Vous ajoutez en lettres
italiques, retiré , c'eft fans penfion , je vous en
avertis . J'ai l'honneur d'être , & c. ROUSSELET .
洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗
NOUVELLES ETRANGERES.
DU LEVANT.
DE CONSTANTINOPLE , le 17 Août.
ARMI les Curdes , les uns ont des demeures
& fout errans le long des rives du Tigre depuis les
Hv
178 MERCURE DE FRANCE :
environs de Moful jufqu'aux fources de l'Euphrate
Une partie de ces derniers , étant venus camper il y
a quelque temps fur la frontiere du Gouvernement
de Bagdad , y faifoient des courfes fréquentes. So-
Jiman , Beglierbeg de la Province , a voulu la délivrer
de ces dangereux voifins. Avec un corps de
quinze mille hommes , il a inveſti les bois qui leur
fervoient de retraite , & plufieurs détachemens de
fes troupes y ont pénétré par differens endroits. Les
Curdes preffés de tous côtés , & privés de l'efpérance
de pouvoir fuir , fe font deffendus avec beaucoup
d'opiniâtreté , mais enfin ils ont été obligés
de fe rendre à difcrétion . Le Begliebeg en a fair
décapiter trois cens cinquante . Sa Hauteffe , pour
lui témoigner combien elle eft ſatisfaite de la conduite
qu'il a tenue dans cette expédition , lui a envoyé
une peliffe de grand prix & un fabre garni de
diamans .
DU NORD.
DE PETERSBOURG , le 19 Septembre,
Les vaiffeaux de guerre & les Frégates qu'oa
a fait fortir du Port de Cronstadt pour exercer les
Matelots , doivent y rentrer inceffamment. Cette
Efcadre s'eft avancée dans la mer Baltique jufqu'à
la hauteur de l'Ile d'Oëfel.
DE STOCKHOLM , le 23 Septembre.
L'Obfervatoire , auquel on travailloit depuis
l'année 1748 , étant achevé , l'Académie Royale
des Sciences s'y affembla le 20 de ce mois pour la
premiere fois Cette féance fut honorée de la préfence
du Roi. Le Baron de Hopɛen , Préfident de
cette Académie , ainfi que de celle des Belles-Le
NOVEMBRE. 1753 . 179¹
tres , prononça un difcours , fur le befoin que les
Sciences ont de la protection du Gouvernement.
Dans la même féance, le Comte de Teffin , Grand .
Maréchal de la Cour , & Gouverneur du Prince
Guftave , préfenta à la Compagnie plufieurs éthevaux
de foie , du produit des vers que la Reine
fait élever à Drotningholm. On a trouvé cette
foje de bonne qualité , & cent vers en ont fourni
une demi- once.
DE COPENHAGUE , le 20 Septembre
25
Sa Majesté a rendu depuis peu l'Ordonnance fuiwante
. Nous Frederic , par la grace de Dieu ,
Roi de Danemark , de Norvege , & c. Sçavoir
faifons : Qu'ayant été informé , qu'en divers endroits
des terres & états de notre domination il
»fe trouve des Enrolleurs , qui , par des promelles
auffi vaines que trompeufes , cherchent à débaucher
nos fujets , & à les obliger de s'expa
trier pour paffer à certaines Colonics de l'Amérique
; Nous avons par une fuite de l'affection
paternelle que nous leur portons , non feule-
» ment jugé à propos de les avertir , qu'ils euffent
à fe garantir des piéges que de parcils gens
tendent à leur crédulité , mais nous leur deffendons
en outre très expreffément par la préfente
de s'enroller pour les fufdites Colonies , fous
peine aux contrevenans , d'avoir tous leurs biens
confifqués , tant ceux qu'ils poffedent actuelle-
" ment , que ceux dont ils pourroient hériter par
la fuite. Ordonnons de plus , que tous les fuf-
» dits Enrolleurs ou émiffaires , qui feront con-
> vaincus d'avoir débauché quelques-uns de nos
fujets , & de les avoir , par de femblables pro-
» melles ou autrement , portés à entreprendre un
အ
H vi
180 MERCURE DE FRANCE.
voyage & préjudiciable à leurs véritables inté
G
rêts , foient condamnés , fans autre procédure
» ultérieure , à travailler durant le reste de leur
» vie aux fortifications
, & que même , fuivant
l'exigence du cas,on leur faffe fubir des punitions
» encore plus rigoureuſes.
D
Le Préfident Ogier , Envoyé extraordinaire &
Miniftre Plénipotentiaire du Roi de France , eft
depuis hier en cette Ville. Sa Majesté Catholique
ayant envoyé ordre au Marquis de Puente Fuerte ,
fon Envoyé auprès du Roi , de quitter cette Cour ;
ce Miniftre partira demain pour Stockolm , où il
va refider en la même qualité auprès de Sa Majefté
Suédoife. La femaine derniere , il fit publier que
toutes les perfonnes qui avoient des créances fur
lui , fe rendiffent à fon Hôtel , afin de recevoir
Jeurs payemens ; il doit s'embarquer à Hellingbourg.
Il a été réfolu dans la derniere Affemblée de la
Compagnie des Indes Orientales , d'envoyer cette
année deux vaiffeaux à la Chine , & deux autres
à Tranquebar.
Plufieurs Pêcheurs des côtes Septentrionales de
la Norvege ne donnant pas l'attention néceffaire
à la préparation & à la falaifon du poiſſon , le
Gouvernement a fait publier un Réglement à ce
fujet. Il paroît une autre Ordonnance , qui regar
de la police des spectacles .
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 29 Septembre .
Tout ce qui concerne l'Académie Militaire éta
blie à Newftadt fous la direction du Comte de
Daun , Général d'Infanterie , ek maintenant réglé.
Le Comte de Tierhem , Major- Général , en eft
F
M
NOVEMBRE . 1753 .
181
Vice Directeur , & il y fera fa réfidence ordinaire
Il aura fous lui un Lieutenant Colonel , un
Major , & vingt-fix autres Officiers choifis dans
les troupes de l'Impératrice Reine . Les Eleves
feront le même fervice qu'on fait dans les Places
de guerre.
DE HAMBOURG , le 2 Octobre.
Depuis la fufpenfion du commerce entre l'Ef
pagne & le Danemark , les Négocians de cetre
Ville ont reçu des commiffions confidérables pouz
les Etats de Sa Majefté Catholique.
ESPAGNE.
DE LISBONE , le 1
le 13 Septembre.
Une Flotte venant de la Baye de Tous les Saints ,
entra le 6 de ce mois dans le Tage . Elle eft compofée
de 28 Navires , de deux Corvettes & d'un
Yacht , & elle a apporté quatre millions de cruzades
, tant pour le compte de Sa Majefté que
pour celui des particuliers.
DE MADRID , le 18 Septembre.
3
Dom Julien d'Arriaga , Préfident du Tribunal de
la Contractation , a mandé à Sa Majefté , que le 7
le Vaiffeau la Sainte Famille étoit entré dans la
Baye de Cadix , & que ce Bâtiment qui vient du
Port de Callao , avoit apporté cinq cens quatrevingt
treize mille huit cens quarante- quatre pialtres
en espéces , la valeur de cinq cens trentebuit
mille neuf cens quarante- trois piaftres en
doublons , cinq mille cent quintaux de cacao ,
deux mille cent livres de laine de Vigogne , &
plufieurs autres marchandiſes.
182 MERCURE DE FRANCE.
Sa Majesté a difpofé de l'Evêché de Zamora en
faveur de Dom Jofeph Gomez , Ecolâtre de l'Eglife
Cathédrale de Sarragoffe.
ITALI E.
DE NAPLES , le 28 Août.
On a préfenté au Gouvernement trois projets ;
dont le premier eft de changer le cours du Volturno,
& de le faire pafler par Caferte ; le fecond ,
d'établir un grand chemin depuis Salerne juſqu'à
Reggio ; le troifieme , de couper une montagne
Pour faire communiquer le chemin du Pofilipe à
celui de Bagnuoli.
DE ROME , le 25 Septembre.
La Congrégation de Propaganda Fide a reçu
avis de la Chine , que l'orage qui s'y étoit élevé
contre les Chrétiens étoit entierement calmé . Selon
les mêmes nouvelles , l'Ambaffadeur que le
Roi de Portugal a jugé à propos d'envoyer à l'Empereur
de cette vafte partie de l'Afie , eft arrivé à
Macao.
DE FLORENCE , le 20 Septembre..
L'action courageufe d'une Payfanne des environs
de Sienne fait ici le fujet de tous les entretiens
. Le mari de cette femme étoit detenu dans
les prifons de cette Ville pour une dette de quarante
écus. Après avoir trouvé le moyen de ramaffer
cette fomme , elle partit de fon village pour
faire remettre fon époux en liberté . Elle fut attaquée
fur la route par un voleur armé d'un coûteau
deux tranchans. Feignant que fon argent étoit
NOVEMBRE 1753. 183
coufu dans fon corps- de - juppe , elle engagea le
brigand à lui prêter fon coûteau pour le découdre .
Aufli- tôt elle fe jetta fur ce miférable , & l'étendit
par terre fans vie . On a reconnu que c'étoit un
fameux Chef de voleurs , nommé Pedrillo , pour la
prife duquel le Gouverneur avoit promis cinq cens
écas. Cette récompenfe a été payée à la Paylanne
& les Magiftrats ont rendu la liberté à fon mari
en fe chargeant d'acquitter la dette pour laquelle
il étoit prifonnier.
DE GENES , le 22 Septembre.
Le Gouvernement vient d'accorder aux habi
tans de San-Remo une amnistie , dont quatorze
perfonnes font feulement exceptées.
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 1 Octobre.
Il a été réſolu de renforcer les garnifons de Gi
braltar & de Port- Mahon . Le 30 du mois dernier ,
Alderman Ironfilde fut élu Lord- Maire de Londres
. Les lettres de l'Ifle de la Barbade annoncent
que les Vaiffeaux de guerre le Saint- Albans &
Afiftance, & la Chaloupe le Faucon , y font arrivés
. On écrit de la Nouvelle Angleterre , qu'à la
fin du mois de Juillet dernier il y a eu à Bofton
un incendie , qui a réduit en cendres un grand
nombre de maifons & plufieurs magafins.
184 MERCURE DE FRANCE.
FRANC E.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c .
E Prince de Soubize a donné le 16 Septembre
dernier dans le camp d'Aymeries , une fête
éclatante , à l'occafion de l'heureux accouchement
de Madame la Dauphine.
Le 20 , le Te Deum fat chanté dans l'Eglife de
l'Hôtel Royal des Invalides , pour remercier Dieu
du même évenement , & l'Evêque de Vannes y
officia. Le Comte d'Argenfon , Miniftre & Secré
taire d'Etat , vint exprès de Verſailles pour affifter
à cette cérémonie , après laquelle ce Miniftre , accompagné
de M. de la Courneuve , Commandeur
de l'Ordre Royal & Militaire de Saint Louis , &
Gouverneur de l'Hôtel ; du Comte de la Marck ,
Lieutenant de Roi , & des autres Officiers de l'E
tat - Major , mit le feu au bucher qu'on avoit préparé.
Avant & après le Te Deum , il yeut une
falve d'artillerie & de moufqueterie.
L'Académie & le Collège de Chirurgie firent
chanter le 27 le Te Deum dans l'Eglife Paroiffiale
de Saint Côme , en action de graces de l'évent
ment qui fait le fujet de l'allegreffe publique,
On chanta le 21 le Te Deum dans l'Eglife de la
Paroiffe du Château de Versailles , en action de
graces de la naiffance de Monfeigneur le Duc d'Aquitaine
. Pendant cette cérémonie , les Invalides,
qui compofent la Garde de cette Ville , firent plufeurs
falves de moufqueterie. Le Portail de l'Eglife
étoit illuminé , ainfi que toutes les maiſons
de Verſailles. Moafeigneur le Dauphin & Mefdames
de France le promenerent en caroffe dans les
principales rues , pour voir les illuminations.
NOVEMBRE. 1753. 185
Leurs Majeftés , accompagnées de Monfeigneur
le Dauphin , de Madame Infante Ducheffe de Parme
, & de Meldames de France , affifterent le 23 .
au Salur , célébré par les Miffionnaires.
Le même jour , le Comte de Looff, Ambaſſadeur
Extraordinaire du Roi de Pologne Electeur de
Saxe , eut une audience particuliere du Roi , dans
Jaquelle il prit congé de Sa Majefté . Il fut conduit
à cette audience , ainfi qu'à celle de la Reine,
de Monfeigneur le Dauphin , de Madame la Dauphine
, de Monfeigneur le Duc de Bourgogne ,
de Monfeigneur le Duc d'Aquitaine , de Madame ,
de Madame Infante , de Madame Adélaïde , & de
Mefdames Victoire , Sophie & Louife , par M.
Dufort , Introducteur des Ambatſadeurs .
Le même jour , M. l'Eſtevenon de Berkenrode ,
Ambalajeur Ordinaire des Etats Généraux des
Provinces Unies , eut une audience particuliere du
Roi , dans laquelle il remit à Sa Majefté une Lettre
des Etats Généraux fur l'heureux accouche
ment de Madame la Dauphine , & fur la naissance
de Monfeigneur le Duc d'Aquitaine . Il fut con
duit à cette audience par le même Introducteur .
Le même jour , le Roi foupa au grand couvert
chez la Reine avec la Famille Royale .
M. de Barailh , qui avoit été préſenté le 21 au
Roi par M. Rouillé , Miniftre & Secrétaire d'Etat
ayant le Département de la Marine , prêta ferment
de fidélité le 23 entre les mains de Sa Majefté
pour la Charge de Vice- Amiral , vacante par
la mort du Comte de Camilly.
Sa Majesté a nommé Commandeur de l'Ordre
Royal & Militaire de Saint Louis , M. de Ber
ville , Maréchal de fes Camps & Armées.
Le Roi a difpofé du Régiment de Navarre,
qu'avoit le feu Comte de Choiſeul , en faveur da
186 MERCURE DEFRANCE.
Comte du Chatelet- Lomont , Colonel du Régiment
de Quercy. Sa Majefté deftine la place du
Colonel des Grenadiers de France , qui aura le Re
giment de Quercy , au Marquis de Bouzols , Offi
cier dans le Régiment d'Infanterie du Roi,
L'Académie Royale de Chirurgie préſenta le 23
le fecond tome de fes Mémoires à leurs Majeftés &
à Monfeigneur le Dauphin , ainfi qu'au Roi de
Pologne Duc de Lorraine .
Le même jour , leurs Majeftés & la Famille
Royale fignerent le Contrat de mariage de M.
de Beauchefne de Montdragon , Maître d'Hôtel
Ordinaire du Roi , & Secrétaire des Commandemens
de Madame la Dauphine , avec Demoiselle
Marie Jeanne Duval de l'Epinoy.
Le Marquis de Paulmy , Secrétaire d'Etat de
la Guerre en furvivance du Comte d'Argenfon ,
revint le 24 du voyage qu'il a fait dans diverfes
Provinces du Royaume pour en vifiter les Places ,
& pour voir les troupes qui y font en quartier.
Le 25 , le Comte de Sartirane , Ambaſſadeur
Ordinaire du Roi de Sardaigne , eut une audience
particuliere du Roi , dans laquelle il remit une
Lettre du Roi fon Maître , à Sa Majefté , fur l'heareux
accouchement de Madame la Dauphine , &
fur la naiffance de Monfeigneur le Duc d'Aquitaine.
Il fut conduit à cette audience , ainſi qu'à celle
de la Reine , & à celles de toute la Famille Royale
, par M. Dufort , Introducteur des Ambaladeurs.
Mademoiſelle de Penthiévre mourut à Verſailles
le 25 fur les huit heures du foir , âgée d'un an
Onze mois & fept jours , étant née le 18 Octobre
1751 .
M. de Vandiere fit voir le même jour à Sa Majefté
le modéle en relief de l'Hôtel de l'Ecole
NOVEMBRE. 1753. 187
Royale Militaire , exécuté ſous la conduite & d'après
les deffeins & profils de M. Gabriel , premier
Architecte du Roi . Sa Majefté a paru en être très-
¡ fatisfaite .
Les Penfionnaires du Collège de Louis le Grand,
voulant témoigner leur reconnoiffance pour la
t protection dont le Roi les honore , & leur zéle
pour la profpérité de la Famille Royale , firent
tirer le 23 Septembre dernier , un feu d'artifice , en
réjouiffance de la naiflance de Monfeigneur le Duc
d'Aquitaine.
Le 30 , la Reine , accompagnée de Monfeigneur
le Dauphin , de Madame Adélaïde , & de Mefdames
Victoire , Sophie & Louiſe , aſſiſta aux Vêpres
& au Salut dans la Chapelle du Château .
Don Jaime Maffones de Lima , Ambaffadeur
Extraordinaire & Plénipotentiaire du Roi d'Efpagne
, eut le même jour une audience particuliere
du Roi , dans laquelle il remit une Lettre du Roi
fon Maître à Sa Majefté , fur l'heureux accouche
ment de Madame la Dauphine , & fur la nai Tance
de Monfeigneur le Duc d'Aquitaine. Il fut conduit
à certe audience , ainfi qu'à celle de la Reine,
& à celles de toute la Famille Royale , par M.
Dufort , Introducteur des Ambafladeurs.
Le même jour , le Roi partit pour le Château
de Crécy , d'où Sa Majefté revint le 4 Octobre .
Le Roi de Pologne Duc de Lorraine & de Bar ,
partit le 6 Octobre pour retourner à Lunéville .
L'Abbé Nollet , de l'Académie Royal : des
Sciences , a reçu la Lettre fuivante au fujet da malheur
arrivé au Sr Richtman. Cette Lettre eft de
M. Sanchez , ci devant premier Médecin de l'Impératrice
de Ruffie .
Il vous appartient de droit , Monfieur , d'être
" inftruit de toutes les nouvelles qui intéreffent la
188 MERCURE DE FRANCE .
03
Phyfique Expérimentale . Ainfi je ne dois pas
» manquer de vous communiquer celle que vient
» de me donner le Docteur de Shreiber , de l'A-
» cadémie de Pétersbourg , homme reſpectable
dans la République des Lettres par plufieurs
» écrits fur la Médecine . Notre Académie , me
marque- til dans fa Lettre datée de Pétersbourg
» le 14 Août , a perdu le Profefleur Richtman. Le
ao 26 du mois dernier , pendant qu'il étoit occupé
» à électrifer , dans un moment où il faifoit des
éclairs , il fut tué fubitement. J'ai été préfent le
→lendemain à l'ouverture du corps. On a remar-
" qué des traces comme de brûlure , au front, fars
que les cheveux en euffent fouffert ; aux deux
" côtés de la poitrine , & au pied gauche dont le
folier a été déchiré par le travels. La partie
"poftérieure du poulmon étoit noirâtre & rem-
"plie de fang : la partie membraneule de la tra-
" chée étoit comme'ufée . En preflant les bronches,
" il eft forti du fang écumeuz. Le coeur étoit fain.
" On a trouve beaucoup de fang dans la partie
"poftérieure des inteftins grèles . M. Sozoloff ,
" Graveur de l'Académie , à été feul témoin de la
tragédie . Il dit avoir vû fortir un globe bleuatre
" de la Régle Electrique , dont M. Richtman étoit
» éloigné d'un pied lorsqu'il tomba mort .
*
On mande de Rennes , que le Préſident de
Langle de Coëtuhan , Premier Préfident de la
Chambre des Vacations du Parlement de Bretagne,
a donné une fête très brillante , à l'occafion de la
naiffance de Monfeigneur le Duc d'Aquitaine.
Le 4 Octobre , la Reine entendit la Meffe dans
l'Eglife des Récollets , & communia par les mains
de l'Abbé du Chaſtel , ſon Aumônier en quartier.
Le même jour , le Roi revint du Château de
Crécy.
Le
NOVEMBRE. 1753. 189
Le Roi de Pologne , Duc de Lorraine & de
Bar , ayant entendu parler avec éloge de l'éducation
que le Duc de Chaulnes a établie dans la
Compagnie des Chevaux -Légers de la Garde du
Roi , qu'il commande ; ce Prince a voulu juger
par lui- même du mérite de cette Ecole militaire.
Il alla le deux de ce mois à l'Hôtel des Chevaux-
Légers , fuivi d'une nombreuſe Cour , &
il honora plufieurs exercices de fa préfence . On
commença par la courfe des têtes dans la Carriere .
Le Roi de Pologne monta enſuite au Balcon du
Manége , pour y voir cet exercice. Le Manège
étant fini , ce Prince fe rendit dans la grande Salle
des exercices. Les Chevaux- Légers , Eleves , y
étoient fous les armes . Ils firent l'exercice du
maniement des armes , conformément aux dernieres
Ordonnances , enfuite quelques évolutions
puis l'exercice du Fleuret. Ils finirent par celui
de voltiger fur des chevaux de bois ordinaires ,
& fur un grand cheval d'une nouvelle conftruction
. On rendit compte enfuite au Roi de Pologne
des autres études qui fe font dans la même
Salle , où l'on enfeigne aux Eleves les Mathématiques
, l'Histoire , la Géographie , le Def
fein & la Danfe. Le Roi de Pologne laiffa voir
toute la fatisfaction que lui cauferent également
tous les exercices, Rien n'échappa à fa pénétration
. Il approuva toutes les nouvelles méthodes
inventées pour les perfectionner , & il eut la bonté
de louer la jufteffe & la précifion de leur exécu
tion.
Leurs Majeftés fignerent le s le contrat de mariage
du Duc de Beauvilliers , & de Demoifelle
Defnos de la Feuillée.
M Butner , Sçavant Botanifte , & petit -fils du
célebre Sthail , étant venu en France pour y paſſer
1
190 MERCURE DE FRANCE.
quelque tems , il fut préfenté au Roi par le Duc
d'Ayen .
Madame Infante Ducheffe de Parme , eft partie
le 27 Septembre pour retourner à Parme. Cette
Princefle a couché le même jour à Montargis , où
M. Barentin , Intendant d'Orléans , s'étoit rendu
pour la recevoir . Le 28 , elle coucha à Cofne ,
qui dépend auffi de la Généralité d'Orléans. M.
Barentin a rempli , à la fatisfaction de cette Prin
ceffe & de fa fuite , tous les devoirs qui le regar
doient. Madame Infante alla le 29 à Moulins . Elle
' n'a pas été moins contente des préparatifs faits
pour fa réception par M. de Bernage de Vaux,
Intendant du Bourbonnois. Le 30 , Madame Infante
fe rendit à Roanne , & le premier Octobre à
cinq heures du foir , elle eft arrivée à Lyon. Elle
fut reçue à la porte au bruit du canon , par le
Marquis de Rochebaron , Commandant dans la
Ville , à la tête des Compagnies Militaires & de
celles de la Bourgeoifie , qui étoient fous les ar
mes , & qui bordoient les rues jufqu'au Palais
Archiepifcopal . Lorfque Madame Infante defcendit
à ce Palais , M. Flafchat de Saint- Bonnet ,
Prévôt des Marchands , & les Echevins , la reçurent
au bas de l'efcalier , étant préfentés par le
Comte de Noailles , Grand d'Efpagne de la premiere
Claffe , chargé des ordres du Roi pour
conduire cette Princeffe à Antibes. Madame In
fante ayant été menée à ſon appartement , on lai
porta les préfens de la Ville , qui confiftoient prin
cipalement en plufieurs pièces de riches étoffes.
Le même jour , le Corps de Ville fit tirer (ur l'eau
un feu d'artifice vis - à - vis du Palais Archiepifco
pal . Après le feu , Madame Infante fe mit à table ,
& elle voulut bien admettre toutes les Dames à la
voir fouper. Toute la Ville fut illuminée , chaque
NOVEMBRE . 1753. 191
tour ,
citoyen s'empreffant de témoigner fon amour &
fon respect pour Madame Infante. Le 2 , cette
Princefle entendit , dans la Chapelle de l'Archevêché
, la Meffe chantée par la Mufique . L'aprèsmidi
, elle alla fe promener au Château d'Oullins ,
qui appartient au Cardinal de Tencin. A fon reelle
affifta au concert qu'on lui avoit préparé
, & après lequel on tira un nouveau feu d'artifice.
Elle foupa enfuite en public , & il y eut ,
de même que la veille , des illuminations dans
toute la Ville. Madame Infante fe rendit le 3 à
l'Eglife Métropolitaine , & elle y entendit la Meffe
, après avoir été
reçue à la porte par le Cardinal
de Tencin à la tête des Comtes de Lyon. Cette
Princefle partit le même jour pour continuer fa
route . Pendant fon féjour à Lyon , elle a été traitée
aux dépens du Roi fuivant les ordres adreffés
à M. Roffignel , Intendant , par Sa Majefté. Madane
Infante a paru fatisfaite des preuves qu'elle a
reçues du zéle des habitans . Elle a donné des marques
de bonté à toutes les perfonnes qui ont en le
bonheur de l'approcher ; & l'ardeur des voeux que
les Lyonnois font pour cette Princeffe , égale la
vivacité du regret qu'ils ont eu de fon départ.
Le Duc de Villars , Gouverneur de Provence ,
a célébré dans la Ville d'Aix , par une fête des plus
éclatantes , la naiflance de Monfeigneur le Duc
d'Aquitaine.
Ôn mande de Beaucaire , que la fête donnée
par M. de Cremiile à la même occafion , n'a pas
Zté moins tomptueufe.
Il y eut le 8 un Concert Italien chez Madame
la Dauphine , & l'on y exécuta un Oratorio , dont
M. Cafarieli chanta le principal rôle.
Sa Majesté le rendit le 6 à Choify , d'où Elle eft
revenue le 8. Elle retourna le 10 à ce Château.
192 MERCURE DE FRANCE.
La Reine & Mefdames de France font allées le
même jour y joindre le Roi , & le 12 leurs Ma◄
jeftés en partirent pour Fontainebleau.
Le Roi Coupales & le 9 au grand couvert chez
la Reine avec la Famille Royale.
Le 10 , M. Klefexer , Syndic , & M. d'Hugier ,
Sénateur , Députés de la Ville de Hambourg ,
eurent leur audience publique de congé du Roi,
Ilsfurent conduits à cette audience , ainſi qu'à celles
de la Reine , de Monfeigneur le Dauphin ,
de Madame la Dauphine , de Monfeigneur le
Duc de Bourgogne , de Monfeigneur le Duc d'Aquitaine
, de Madame ,de Madame Adélaïde , &
de Meldames Victoire , Sophie & Louiſe , par M.
Dufort , Introducteur des Ambaffadeurs .
Madame Infante Ducheffe de Parme arriva le
3 Octobre vers les fept heures du ſoir à Vienne ca
Dauphiné. L'Archevêque , le Commandant , &
le Corps de Ville , reçurent cetre Princeſſe à la
defcente de fon carroffe . Toutes les rues étoient
illuminées. Le 4 , Madame Infante entendit la
Meffe dans l'Eglife Métropolitaine . Certe Princelle
alla le même jour coucher à Saint- Valier.
Elle fe rendit les à Valence , où elle entra au
bruit du canon. Les troupes & la Bourgeoifie
étoient fous les armes. Madame Infante logea à
l'Hôtel du Gouvernement. Elle coucha le 6 à
Montelimar , & le 7 à Pierrelatte. Dans la premiere
de ces deux Villes , elle fut reçue de même
qu'à Valence. Le 8 , elle dîna à Bollene , Ville du
Comtat d'Avignon. Le Vice- Légat s'y étoit rendu
avec les troupes du Comtat. Madame Infante
continua l'après- midi fa route , & alla coucher à
Orange. On fit à cette Princeffe la même réception
qu'à Valence & à Montelimar. Elle dina le 9
à Sorgue , où le Vice- Légat d'Avignon & les
troupes
NOVEMBRE. 1753. 195
troupes du Comtat l'avoient devancée . Cette Prin.
cefle y trouva auffi le Duc de Villars , qui l'y attendoit
à la tête de beaucoup de Noblefle . Madame
Infante coucha le même jour à Orgon , & le
lendemain elle eft arrivée à Aix .
Le Comte de la Marche , Prince du Sang , qui
avoit été attaqué d'une petite vérole volante , eft
parfaitement rétabli .
.
Les Secrétaires du Roi , Maifon , Couronne de
France , & de fes Finances , firent chanter le Te
Deum dans l'Eglife des Céleftins , en actions de
graces de la naiflance de Monteigneur le Duc d'Aquitaine.
Les payeurs des Rentes de l'Hôtel de Ville s'ac
quiterent du même devoir le 12 dans l'Eglife des
Religieux de la Mercy ; & les Controlleurs des
Rentes , le 17 dans celle des Blancs -Manteaux .
M. de Chevert , Lieutenant -Général , qui a
commandé le Camp fous Sarre- louis , & le Marquis
de Caftries , Maréchal de Camp , qui étoit
employé fous les ordres , fe font auffi diftingués
par une fête éclatante .
Le 12 Octobre , le Roi arriva à Fontainebleau
du Château de Choify; Sa Majefté defcendit de carolle
à Chailly , & chaffa le Sanglier. La Reine
arriva le même jour avec Madame Adélaïde , &
avec Mefdames Victoire , Sophie & Louife.
On exécuta le 13 à Verſailles , chez Madame
la Dauphine , l'Opéra Italien , intitulé , Didon
abandonnée , dont la Mufique eft de M. Halle ,
Maître de Muſique du Roi de Pologne , Electeur
de Saxe. Les principaux rôles furent chantés par
Mrs Cafarieli , Guadagni , Champalante & Albanefe.
M. Guadagni arrive d'Angleterre. Sa grande
exécution & la beauté de la voix lui ont acquis
beaucoup de réputation .
I
194 MERCURE DE FRANCE.
Leurs Majeftés ont figné le Contrat de ma
ringe du Marquis de Canily & de Demoiselle de
Vally.
Leurs Majeftés , accompagnées de Meldames
de France , affifterent le 14 au Salut dans la Chapelle
du Château.
Le lendemain , la Reine alla entendre la Melle
dans l'Eglife du Couvent des Carmes des Loges ,
à un quart de lieue de Fontainebleau .
Meldames de France fe rendirent l'après midi à
la même Eglife , où ces Princelles affifterent au
Salut.
*
Le Roi foupa le 14 au grand couvert .
Les fpectacles ayant recommencé à la Cour ,
les Comediens François y repréfenterent le 16les
Ménechmes & le Retour imprévu. On a profité de
la reflemblance qui fe trouve entre M. Préville ,
nouveau Débutant , & M. Chanville fon frere ,
Acteur de la Comédie Italienne , pour leur faire
jouer dans la premiere Piéce , les 1ôles des deux
Menechmes .
Le 17 , il y eut chez la Reine un concert , dans
lequel on chanta le Prologue & le premier acte de
l'Opéra de Medée & Jafon.
Le 14. l'Abbé Lambert eut l'honneur de préfenter
au Roi les Mémoires de Martin de Guil-
Jaume du Bellay - Langey , mis en un nouveauftyle,
auxquels font joints les Memoires du Maréchal de
Fleuranges , qui n'avoient pas encore été publiés, &
le Journalde Louiſe de Savoye ; avec des notes hifle
riques critiques , un grandnombre de PiecesĴuftificatives,
pourfervir à l'Hiftoire du Regne de Fran
çois I. Ce Recueil contient fept Volumes in 12 .
Monfeigneur le Dauphin & Madame la Dau
phine vinrent le 16 à Paris , pour rendre à Dieu
ieurs actions de graces dans l'Eglife MétropoliNOVEMBRE.
1753. 195
*aine. Ce Prince & cette Princefle averent à
quatre heures après midi , & furent reçus à la porte
de l'Eglife par l'Archevêque , qui , revêtu de fes
habits Pontificaux , & à la tête de fon Chapitre ,
les complimenta , & leur préfenta l'eau benite .
Ayant été conduits dans le Choeur , ils affifterent
au Te Deum , auquel l'Archevêque officia. Monfeigneur
le Dauphin & Madame la Dauphine firent
enfuite leur prière à la Chapelle de la Vierge. Ce
Prince & cette Princeffe fe rendirent de l'Eglife
Métroplitaine à celle du Noviciat des Jéfuites , od
ils entendirent le Salut. En arrivant à l'une & l'autre
de ces Eglifes , ils ont trouvé une Compagnie
des Gardes- Françoifes & une des Gardes- Suiffes ,
fous les armes, Le foir , Monfeigneur le Dauphin
& Madame la Dauphine retournerent à Verfailles.
Par-tout , le peuple s'eft empreffé d'accourir
fur leur paffage. Le 18 , ce Prince & cette Princeffe
partirent de Versailles pour aller jondre leurs
Majeftés à Fontainebleau.
Le Duc de Gefvres donna le 14 une fête brillante
dans le Château de Monceaux . Après un diner
fplendide , auquel le Duc d'Orléans fe trouva ,
le Te Deum fut chanté dans la Chapelle de l'avant
cour du Château , qui étoit éclairée & décorée
magnifiquement. L'Evêque de Meaux y officia ;
& le Duc de Gefvres y affifta avec un grand nombre
de Seigneurs & de Dames , qu'il avoit invités à
la cérémonie . On tira le foir un très-beau feu d'artifice
, précédé de quantité de boëtes & de fufées
d'honneur. La fête fut terminée par un fouper
qui ne fut pas moins fomptueux que le dîner , &
qui fut fervi au bruit des timbales & des trompettes.
M. Loriot , qui a trouvé le fecret de fixer le
Paſtel , fans tomber dans le mat , & fans rien ôter
Iij
196 MERCURE DEFRANCE.
de la fraîcheur des couleurs , a montré différentes
épreuves à l'Académie Royale de Peinture & de
Sculpture. La Compagnie , après les avoir examinées
, a décidé que le fecret de M. Loriot femble
devoir perpétuer la durée des ouvrages en Paſtel , &
des deffeins qui méritent de paffer à la postérité. De
plas , elle a déclaré que de toutes les tentatives qui
ont étéfaites jufqu'ici pour découvrir unpareilſecret ,
il n'en eft venu à ſa connoiffance , aucune qui puiſſe
entrer en comparaiſon avec la réuffite de M. Loriot ,
dont la méthode paroit tendre au dégré de perfection
qu'on avoit toujours fouhaité L'Académie en conféquence
a chargé fon Secrétaire , de délivrer un
Extrait de fa délibération à l'Inventeur , comme un
témoignage de l'estime qu'elle a pour l'excellence de
fa découverte.
Le 18 , les Actions de la Companie des Indes
étoient à dix-fept cens vingt- deux livres dix fols ;
les Billets de la premiete Lotterie Royale à fix cens
foixante quinze , & ceux de la feconde à fix cens
trente .
Dans toutes les circonstances où des événemens
agréables raniment la joye publique , Meffieurs les
Fermiers Généraux ne manquent jamais à être des
premiers à témoigner leur zéle. L'objet de la naiffance
d'un nouvel appui du Trône étoit trop intéreffant
pour toute la Nation , pour qu'ils négli
geallent de prendre part à l'allegreffe commune .
Au lieu des dépenfes de pure décoration qui accompagnent
affez ordinaitement les cérémonies
d'ufage en ces occafions , ces Meffieurs ont coutume
d'employer en bonnes oeuvres , les fommes
qu'ils pourroient y deftiner : c'eft ce qu'ils ont
continué de faire cette année , ainfi qu'ils l'avoient
pratiqué précédemment dans des circonftances
femblables. Le Mardi 25 Septembre à onze beuNOVEMBRE.
1753. 197
2
tes du matin , la Compagnie fe rendit à l'Eglife de
Saint Euſtache , Paroiffe de l'Hôtel des Fermes ,
qui étoit ornée comme elle l'eft dans les jours
des plus grandes folemnités. On y célébra une
Meffe folemnelle d'actions de graces , qui fut fuivie
du Te Deum , le tout fans autre appareil , que,
celui qu'infpiroit aux affiftans la piété & la reconnoiffance
envers Dieu du don qu'il a fait à la France
; & par une délibération de la Compagnie , les
fommes qui auroient pu être employées en décorations
, mufique , fymphonie , &c . ont été envoyées
à cette même Paroiffe pour contribuer à la dépenſe
des nouveaux édifices qu'on y entreprend , & pour
la perfection de cette Eglife , & pour la commodité
& utilité des Paroiffiens .
RELATION de la Fête donnée à la
Nouvelle Orléans , au fujet de la Conva.
lefcence de Monfeigneur le Dauphin.
L'AMOUR des François pour leur Roi & leur
zele pour
fa gloire fe confervent & fe manifeftent
dans toutes les régions où le fort les conduit :
la grande diftance qui fepare ceux qui font établis
à la Louifianne n'a jamais pu rallentir en eux l'ardeur
fidéle qui fait leur principal caractére . Cette
contree retentit encore du nom augufte & chéri de
Louis le bien aimé , & des cris d'allégreffe occafionnés
par la nouvelle de l'heureufe convalefcence
de Monfeigneur le Dauphin . La Colonie entiere
animée par l'exemple de fes Chefs a exprimé fa
joye par tout ce que le coeur peut inſpirer , & par
tout ce que l'art a pu exécuter.
Monfieur de Kerleret , Gouverneur de la Pro-
I iij
198 MERCURE DEFRANCE :
vince de la Louifanne ayant fixé au dernier jour
d'Avril 1753 la Fête qu'il devoit donner au fujet
de la convalefcence de Monfeigneur le Dauphin ,
fe rendit avec Monfieur de Vaudreuil , ancien
Gouverneur , & Monfieur d'Auberville , Commissaire
Ordonnateur , à l'Eglife Paroiffiale de la
Nouvelle-Orléans , où il fut chanté un Te Deum
folemnel en actions de graces , enfuite duquel ces
Mellieurs accompagnés de Monfieur le Lieutenant
de Roi & de M. de Brunolo , Chevalier de l'Ordre
de Saint Louis , Commandant le Vaifseau du
Roi le Chariot Royal , avec Meffieurs les Officiers
de la Marine , & Meffieurs da Confeil, allumerent
le feu de joye qu'on avoit préparé fur la place
d'armes au bruit des falves répétées de la moufque
terie des troupes de la Garnifon & de la Milice
Bourgeoife , & de plufieurs décharges du canon de
la place & des vaisseaux de la rade . Alors on fit
couler des fontaines de vin dans plufieurs bo quets
formés artiſtement avec des branches d'arbres . Le
peuple au fon des fifres , des cors de chasse & des
tambours exprima par fes tranfports , par fes danfes
& par les acclamations la joie dont il étoit
agité joye vive & fincére , infpirée par l'amour
que la Nation Françoife . quelque part qu'elle
foit tranfportée , nourrit fans ceffe dans fon coeur
pour la perfonne facrée de fon Roi & pour fon auguft
: Famille.
De la Place d'armes Meffieurs les Gouverneurs
& leur fuite fe rendirent au Gouvernement , où
ils trouverent cent trente Dames parfaitement
bien parées , & un beaucoup plus grand nombre
d'hommes , qui tous devoient être du fouper. C'eft
là que cette aifance attentive , cet air gracieux &
engageant qui gagne tous les coeurs , ces polireffus
naturelles , réfervées aux feules perfonnes
NOVEMBRE. 1753 . 199
nées pour commander , furent abondamment répandues
: tout le monde y eut part , & chacun admirant
la belle ordonnance de cette Fête , la rendit
encore plus vive par l'expreffion particuliere de
fa joye & de fon contentement.
Quelqu'avantage qu'une galerie d'environ cent
trente pieds , qui fe trouve devant le Gouvernement
, offit pour réunir une affemblée auffi nombreufe
, il eft difficile d'imaginer avec quel art on
en avoit fçu tirer parti. Un treillis de fleurs en gar
niffoit le tour , & ne donnoit paffage qu'à un air
parfumé. Les colonnes étoient ceintes de guirlandes
de fleurs : le plancher qu'on avoit tapiffé , re.
préfentoit les chiffres les plus galans tracés par
d'autres guirlandes . La table étoit ornée de trois
beaux criftaux qui répétoient les lumieres d'un
nombre infini de bougies , dont la gallerie étoit
éclairée ; enfin une abondance bien entendue de
mets délicats & choifis flatoient également la
vûe & le goût.
La fanté du Roi & celle de Monfeigneur le
Dauphin furent bues au bruit du canon de la Place
& des Vaiffeaux. L'on vit quels foins & quel plaifir
prenoit M. le Gouverneur à faire tomber tous
les honneurs fur Monfieur & Madame de Vaudreuil
; & tout enfin fut dirigé avec un ordre & une
décence qu'il eft auffi rare que difficile de faire
obferver dans un fi grand concours.
D'autres plaifirs devoient fuccéder à tant de magnificence
. Les illuminations de la façade du Gouvernement
, celles des Vaiffeaux rangés fur le
bord du fleuve , & celles des maifons des Particu
liers qui avoient voulu fe fignaler , attiroient tour
à tour les regards , & faifoient redoubler les acclamations.
Les Révérends Peres Jefuites fur tout
faifoient briller par de belles fufées , des fontaines,
Liiij
200 MERCURE DE FRANCE.
de vin & des illuminations , leur bon goût ordisaire.
Le fouper fini , on ſe rendit à la maiſon du ficut
du Breuil , au devant de laquelle il avoit fait dreffer
un amphithéatre où les Dames le placerent
pour voir l'exécution du feu d'artifice qu'il avoit
préparé. Sa maifon étoit illuminée avec goût ; au
deffus d'ane colonnade feinte s'élevoient quatre
ftatues repréfentant les quatre faifons avec leurs
attribus , & des infcriptions appliquées au fujet,
Il y avoit fur la face de fa maifon trois galleries
P'une fur l'autre , & fur chacune un dépôt d'artifi
ce en fulées , feux volans , étoiles & ferpentaux .
Mcfdames les Gouvernantes y mirent le feu par
le moyen de deux colombes artificielles On vit à
Picitent tout le ciel en feu & plein d'étoiles ,
dot la clarté brillante diffipa pour quelque moment
l'obfcurité de la nuit . On admira la grande
variété d'objets que préfenta cette décoration enflammée
, & la diftribution élégante & fage des
foleils , tourbillons , gerbes , pluye de feu , &c.
En un mot , l'exécution fut auffi heureufe que le
plan avoit été bien conçu . Le fpectacle teimiré
tout le monde fe retira avec une entiere fatisfaction.
Les François ne furent pas les feuls qui profiterent
de cette Fête : des Sauvages de plufieurs nations
qui fe trouvoient à la Nouvelle- Orléans ,
voyant au nom du Roi jaillir des fontaines de
vin , dont la fource leur étoit inconnue , & le
eiel s'embellir par des aftres nouveaux , auront
remporté dans leur retraite une haute idée de Louis
le bien aimé , & lui auront payé par ignorance
un tribut d'admiration , qu'ils lui offriroient par la
force de la vérité , s'ils avoient le bonheur de la
connoître.
I
C
+
NOVEMBRE . 1753. 201
BENEFICE DONNE.
• Ledo de rémontré, Diocèle de Rouen ,i
E Roi a accordé l'Abbaye de Marcheroux
l'Abbé Clément , Doyen de l'Eglife Collégiale de
Ligny , en Barrois
MARIAGES ET MORTS.
Lelugny de Nuis -fur- Armançon , Sei-
E 18 Septembre , Jean- Etienne- Bernard de
gneur de Pralay , Confeiller au Parlement de Bourgogne
, époufa Charlotte- Theréfe Tardieu de Ma.
leiffie , fille de Charles- Gabriel Tardieu , Marquis
de Maleiſſie & de Anne - Philiberte de Baril'on .
M. de Clagny eft fils d'Etienne de Clugny ,
Seigneur de Nuis -fur - Armançon , Confeiller au
Parlement de Dijon , & de Clairode Gilbert de
Veifios , fille de Pierre- Gilbert de Voilins , Comte
de Crapado & de Lohuc , Commandant pour
le Roi en l'a de Guadeloupe , de la même famille
que M. Gilbert de Voifins , Confeiller d'Etat.
Etienne avoit pour pere un autre Eticane de Cluguy
, Confeiller au même Parlement , Auteur du
Traité des Droits de Justice , mort en 1741 avec la
réputation d'un grand Magiftrat ; celui - ci avoit
époulé Chriftine Lefoul de Pralay , & étoit d'une
famille ancienne originaire d'Autun , dont étoit
forti Ferri de Clugny , Evêque de Tournay , fair
Cardinal en 1480. Ses armes font d'azur à deux
clefs d'or pofées en pal , les anneaux en lozange pomés
enlacés. Voyez le Supplément de Moreri,
de l'édition de 1735.
a
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
Quant à la famille de Tardieu , elle eft origi
naire de Normandie , & a donné dans le dernier
fiécle plufieurs Chevaliers à l'Ordre de Malte.
François Tardieu de Malleville , Maitre des Requêtes
, époufa en 1620 Anne- Martin de Maleiffie,.
foeur de Henri Martin , dit le Marquis de Maleiffie,
Gouverneur des Ville & Citadelle de Pignerol ,
& fille de Mathieu- Martin de Maleiffie , Chevalier
de l'Ordre du Roi , Gentilhomme Ordinaire de fa
Chambre ,& Gouverneur de la Capelle ; & de Madelaine
Alamani , qui avoit pour mere Anne de
Bricqueville. Leur postérité qui a depuis porté le
fuinom & les armes de Maleiffie , fut continué par
leur 3. fils Charles Gabriel Tardieu , Chevalier ,
Seigneur & Maquis de Maleiffie , Maréchal de
Camp en 1667 , marié avec Geneviève Hebert de
Buc; de ce mariage naquit Jacques-François Tar--
dieu , Marquis de Maleiffie , Capitaine aux Gardes-
Françoiſes allié avec Anne Barentin , Dame de
Mons , en Poitou , celui ci cft le pere du Marquis
de Maleitfie , & l'ayeul de Charlotte- Theréfe de
Maleiffie qui donne lieu à cet article . Elle a pour
freres Antoine Charles Tardieu , Comte de Maleiffie
, Sous- Lieutenant aux Gardes Françoiſes ,
Lieutenant de Roi de Comp égne , & Charles-
Philibert Tardieu , Chevalier de Malte ,
Sous Lieutenant au même Régiment. Ils portent
pour armes écartelé, au premier d'azur , à trois
pointes traverfées d'or , qui eft de Martin de Maleiffie
; an fecond de Caumont , d'azur à trois lions
d'or , paffans l'un før l'autre ; au troifiéme d'Ala
mani , bandé d'argent & d'azur de quatre piéces ;
au quatrićme , de Briqueville , paflé d'or & de
gueules fupports de lions.
aufk
Le 26 du même mois , N .. de Beauchine de
Mondragon , Confeiller d'Etat , Maître d'Hôtel
NOVEMBRE. 1753. 203
ordinaire du Roi , & Secrétaire des Commandemens
de Madame la Dauphine , épousa N... Duval
de l'Epinoy , fille de Louis Duval de l'Epinoy ,
Seigneur du Marquifat de Saint Verain , & de
Marie Berfin. Leur Contrat de mariage avoit été
honoré le 23 de la fignature du Roi , de la Reine ,
& de la Famille Royale.
Le premier Juillet fut enterré à Saint Sulpice:
Demoifelle Catherine Browne , fille de Milord Valentin
Kenmare , décedée rue du Regard .
Le 8 mourut , rue des Foffés Saint Victor , Da
me Anne le Maiftre , époufe de M. Jean - Pierre:
Guiguace de Villeneuve , Seigneur de Villoifeau ,
Lemée , & c . Confeiller au grand Confeil.
M. Armand- François - Jofeph de Barral de
Montferrat , fils de M. Jean- Baptifte - François
Barral de Montferrat , Marquis de la Baftie , Con
feiller du Roi en tous les Confeils d'Etat & Privé ,
Préfident à Mortier en fa Cour de Parlement ,
Aydes & Finances de Dauphiné , mourut le même:
jour rue Saint Dominique Fauxbourg Saint Germain.
Voyez les Tablettes hiftoriques V. part..
page 147. & VI. partie , page 159.
Jofeph Lamoureulx , Seigneur de la Javelliere:
en Bretagne , Maréchal des camps & armées du
Roi , Commandeur de l'Ordre de S. Louis , &
ancien Gouverneur de Philifbourg , eft mort à
Paris le 2 Juillet , âgé de 88 ans. Il eft enterré:
en l'Eglife de S. André fa Paroiffe . Il avoit épousé:
Marguerite Trudaine , Dame de Tartigny en Pi
cardie , dont il laiffe deux filles Religieufes à S.
Paul - lez -Beauvais , & deux autres filles mariées»:
l'aînée ,
Marguerite- Sébastienne Lamoureulx , mariée le
10 Septembre 1739 à Charles- Cefar Favier de
-Uvj
204 MERCURE DEFRANCE.
Lancry , Marquis de Bains , Capitaine de Dragons
au Régiment de Nicolaï , tué d'un coup de fau
conneau au fiége du Château de Rhinsfelds en
Brifkau , le 24 Septembre 1744 , âgé de 32 ans ,
laiffant un fils & une fille .
Et la cadette , Geneviève Lamoureulx , mariée
le 4 Mars 1745 à Denis -François Marquis de
Mauroy , Lieutenant Général des armées du Roi ,
& Gouverneur de Tarafcon , dont un fils né le 15
Juin 1750.
Gui - Félix d'Egmont Pignatelli , Comte d'Egmont
, Prince du Saint Empire , Grand d'Eſpagne
de la premiere claffe , Pair du Pays & Comte de
Hainault , Brigadier , Meftre de camp du Régiment
de Dragons de fon nom , mourut à Paris le
3 Juillet , âgé de 33 ans.
Dame Marie- Edmée de Boullongne , époule
du Marquis de Bethune , Maréchal des camps &
armées du Roi , & Meftre de camp général de la
Cavalerie , eft morte à Brunoi le même jour dans
fa vingt huitième année .
Meffire François- Olivier de Saint Georges ,
Marquis de Verac , Lieutenant Général pour Sa
Majefé au Gouvernement du Haut- Poitou , mourut
le 10 âgé d'environ quarante ans. Il étoit fils
aîné du feu Marquis de Verac , Lieutenant Général
des armées du Roi & Chevalier des Ordres de
Sa Majesté.
Louife de Beauvau , veuve de Meffire François
Comte de Rochefort , mourut à Paris le 14 , âgée
de 68 ans .
Meffire Jean Gourdon de Legliziere , Lieutenant
Général des armées du Roi , & Directeurdes
fortifications des villes & ports de la haute
& baffe Normandie , & Chevalier de Saint Louis ,
eft mort le même jour dans la loixante - fixiéme
année.
NOVEMBRE. 1753. 205
Meffire Pierre Blouet , Comte de Camilli ,
Grand Croix de l'Ordre Royal & Militaire de
Saint Louis , & premier Vice- Amiral de France ,
ci- devant Grand- Bailli Honoraire de l'Ordre de
Saint Jean de Jerufalem , mourut à Paris le 22 ,
âgé de quatre-vingt - fept ans. Il fervoit dans la
Marine depuis 1689 ; après avoir paffé fucceffivement
par tous les grades ; il fut fait Vice - Amiral
du Pouant le 15 Mai 1751. Il avoit été Ambaſſadeur
de la Religion de Malte en 1714 , au Congrès
de Bade , & en 1723 à celui de Cambrai ; en 1726
il avoit été nommé Ambaffadeur du Roi à la Cour
de Dannemarck , place qu'il a occupée pendant les
années 1726 , 1727 & 1728 .
Le mêmejour mourut dans fa foixante - huitiéme
année , Meffire Samuel- Jacques Bernard ,
Confeiller d'Erat ordinaire , Doyen des Doyens
des Maitres des Requêtes , Sur- Intendant des Fi
nances de la Maifon de la Reine , & Prévôt- Maître
des Cérémonies de l'Ordre Royal & Militaire
de Saint Louis . Voyez la IV . part . des Tablettes
hiftoriques , page 70.
Gui Michel de Durfort , fils de Louis de Durfort
, Comte de Lorges , Lieutenant Général des
Armées du Roi , & Menin de Monfeigneur le
Dauphin ; & de Marie- Marguerite - Reine Butau
de Keremptat de Marfan , Dame de Compagnie
de Madame la Dauphine , inourut à Paris le 24
dans fa troifiéine année .
Meffire Alexis - Céfar de Talhouet de Bonamour,
Abbé de l'Abbaye de Saint Aubin - des - Bois , Ordre
de Citeaux , Diocéfe de Saint Brieu , & Vicaire
Général de l'Evêché de Rennes , eft mort à Rennes
le même jour , âgé de quarante ans.
Mellire N... de Gould , Abbé de l'Abbaye de
Saint Laon de Thouars , Ordre de Saint Auguftiu,
zc6 MERCURE DEFRANCE.
Diocéfe de Poitiers , eft mort à fon Abbaye dans
fa foixante quinziéme année.
Le 23 , eft mort à Paris François de la Celle ,
Vicomte de Chanteauciou , Moufquetaire de la
premiere Compagnie .
M. Pierre-Louis François de Perochelle de
Morinville , auffi Moufquetaire de la premiere
Compagnie , mourut à Paris le 26.
Meflire le Lages de Cuilli , Maréchal des Camps
& Armées du Roi , eft mort à la Terre de Cuilli
le même jour ; il avoit fervi long- tems avec diftinction
dans la Marine d'Efpagne. Le conmandement
du Vaiffeau Elpagnol le Saint Ifidore lai
ayant été donné pendant la derniere guerre , il fut
attaqué fur les côtes de l'Ile de Corfe par trois
Vaiffeaux Anglois ; il foutint leur feu pendant
plufieurs jours , & s'étant fait échouer plutôt que
sde fe rendre , il le fauva à terre avec fon équipage.
Mefie Jean - François , Marquis de Creil ,
Grand-Croix de l'Ordre Royal & Militaire de Saint
Louis , Lieutenant Général des Armées du Roi ,
Gouverneur de Thionville , & ci -devant Capitaine-
Lieutenant Commandant de la Compagnie des
Grenadiers à cheval , eft mort à Thionville le 27,
âgé de foixante dix - huit ans .
Marie Magdelaine de la Grange - Trianon , ven
ve de Jacques d'Auxi de Monceaux , Marquis
d'Auxi , Chevalier des Ordres du Roi , mourut en
fon Château de Deuil le 28 , âgée de foixante-fix
ans. Le Marquis & la Marquile d'Auxi ont laiffé
de leur mariage une fille unique , qui eft Anne-
Magdelaine Françoife d'Auxi de Monceaux , Dame
du Palais de la Reine , & époule d'André
Hercule de Roffet , Duc de Fleuri , Pair de France,
Lieutenant Général des Armées du Roi , Gouver
NOVEMBRE. 1753. 207
neur & Lieutenant Général des Duchés de Lorraine
& de Bar , Gouverneur particulier des Ville
& Château de Nanci , & premier Gentilhomme
de la Chambre de Sa Majesté.
Dame Louiſe Marthe de Meffey , épouse de
Meffire Albert- François Clérambaut , Comte de
Vandeuil , eft morte à Paris le 4 Août , âgée de
38 ans.
Marie - Gabriel Florent , Comte de Choifeul-
Beaupré , Colonel du Régiment de Navarre , Lieutenant
Général des Provinces de Champagne &
de Brie , en furvivance du Marquis de Choifeul
fon pere , mourut à Strasbourg le 6. âgé de 24
ans. Voyez la IV part . des Tablettes Hift. page
178.
Claude Gros de Boze , Préfident - Tréforier
de France au Bureau des Finances de la Généralité
de Lyon , Garde des médailles du Cabinet
du Roi , & l'un des quarante de l'Académie
Françoife , ci - devant Intendant des deviles & inf
criptions des édifices royaux , & Secrétaire perpétuel
de l'Académie des Infcriptions & Belles--
Lettres , eft mort à Paris le 10 dans fa foixantequatorziéme
année .
Le fieur Mouffle de la Thuillerie , Tréforier
Général de l'Ordre de Saint Louis , & ci- devant
Tréforier Général de la Marine , eſt mort à Paris
le 10 dans fa quatre - vingt- quatrième année..
Meffire Louis- Jacques de Calonne , Marquis de
Courtebonne , Maréchal des Camps & Armées du
Roi , Lieutenant de Roi dans la Province d'Artois
, & ci- devant Capitaine Lieutenant dans la
Compagnie des Gendarmes Bourguignons , eft:
mort le 11 dans les terres en Picardie , âgé de
55 ans. Voyez la V. part . des Tablettes hiftor .
Page $3.
208 MERCURE DE FRANCE.
1
Le même jour mourut Meffire Jean Altermat ;
Grand Juge de la Compagnie Générale des Gardes
Suiffes , Chevalier de l'Ordre Royal & Militai.
re de Saint Louis , âgé de 75 ans.
Le 12 eft morte Dame Renée Baroux , veuve
de Meffire Claude Dubois , Marquis de Couruziers
, Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire
de Saint Louis , Capitaine au Régiment du Roi infanterie.
Marie-Françoife- Cafimire de Froulay- de - Teflé ,
Dame du Palais de la Reine , épouse de Charles-
Michel- Gafpard de Saulx- Tavannes , Comte de
Saulx , Lieutenant - Général des Armées du Roi ,
Menin de Monfeigneur le Dauphin , Gouverneur
du Château du Taureau en Bretagne , & élu de la
Nobleffe de Bourgogne , mourut à Paris le 15
âgée de 38 ans. Voyez la III Part. des Tablertes.
hiftor. page 63. quatriéme part . page 246 cinquiéme
part. page 170 .
Le 17 eft mort M. Louis Gafton de Lowendiere ,
Seigneur de l'Arpois , Confeiller au Parlement.
Anne- Rofalie - Félicité de Montmorenci , fille dé
Louis- Anne- Alexandre de Montmorenci , Prince
de Robecq , premier Baron Chrétien de France ,
Grand d'Elpigne de la premiere Claffe , Brigadier
d'infanterie & Colonel du Régiment de Limosin ,
& d'Anne Maurice de Montmorenci - Luxembourg
, eft morte le 18 dans fa quatrième an
' née .
Le 22 on inhuma à Saint Germain l'Auxerrois
Louife Genevieve Julien du Be'lay , fiile de feu M.
Jacques Louis Julien fieur du Bellay , Con rôleur
des Guerres , & Commandant pour le Roi au Fort
de Gregoy , Royaume de Juda .
Le 24 fut inhumé à Saint Sulpice M. Louis René
de Malenas de Morenil , Moufquetaire de la
NOVEMBRE . 1753. 209
premiere Compagnie , Seigneur de Launay , la
Roche- Marteau , & c.
Meffire Emmanuel Freflon de Saint - Aubin , Brigadier
des Armées du Roi , & Capitaine d'une
des Compagnies de Grenadiers du Régiment des
Gardes- Françoifes , mourut à Paris le même jour
âgé de 52 ans .
Charles-Albert François de Gelas -Voifin Dambre
, fils de Daniel François de Gelas- Voifin-
Dambre , Comte de Lautrec , Chevalier des Ordres
du Roi , Lieutenant- Général des Armées de
Sa Majesté , un de fes Lieutenans Généraux dans
la Province de Guyenne & Gouverneur du Quefnoi
; & de Marie - Louife de Rohan Chabot , eft
mort à Paris le 28 dans (1 dixième année . Voyez
la feconde partie des Tablettes hiftoriques page
320.
Edme Sainfon , Ecuyer Confeiller Secrétaire du
Roi , Marfon Couronne de France & de les Finances
, mourut le premier Septembre 1753 , âgé de
77 ans. Un- eſprit net , une mémoire prodigieufe
& un grand amour pour le travail , lui faifoient
remplir les fonctions de fa Charge avec une gramde
diftinction .
Le même jour on inhuma à Saint Germain l'Auxertois
Dame Françoife Angélique Lecuyer de
Balagny , femme de M. Pierre- Augufte Baron de
Brink , ci devant Commiffaire Ordonnateur de la
Marine , fur tous les Ports Hollandois pour la
France .
Le 2 mourut Dame Marie Genty , veuve de M.
de Bouthilier , Marquis de Chavigny.
Le s. on enterra à Saint Sulpice M. Claude-
Nicolas Morel , Seigneur de Vindé , & c, Confeil--
ler Honoraire , & ancien Doyen du Grand Confeil
, âgé de 87 ans,
210 MERCURE DE FRANCE.
Le même jour fut inhumé à Saint Euſtache M
Daniel Louis -Denis de Lanfac , Confeiller au
Parlement décédé rue Vivienne.
Le même jour fut enterré à Saint Roch M.
Alexis -Rolland Fillion de Villemur , l'un des quarante
Fermiers Généraux de Sa Majefté , décédé
à Neuilly.
M. François-Adam , Baron d'Holbach , Seigneur
de Héeze , le Ende , & c. mourut le même
jour.
Le 6 eft morte , âgée de foixante -feize ans ,
Anne Marie Marguerite Trinquand , époufe de
M. Nicolas Favieres , Confeiller au Parlement.
Le 1s eft morte Dame Marie Marguerite de
Faverolles , veuve de M. i hilibert - Michel Huerne,
Maître des Comptes.
Le même jour mourut Dame Marie- Anne Boyer,
Dame de Jufas , époufe de M. Pierre Billard , Seineur
de Vaux , Confeiller Honoraire au Grand
Confeil , Premier Préſident au Bureau des Finanes
, Chambre du Domaine & Tr.for
Le 14 eft inhumé à Saint Jean - en - Grêve M.
lexandre Foizon , Seigneur de Blamond , Genhomme
Ordinaire , Honoraire de la Chambre
du Roi.
Le 15 eft morte Dame Elifabeth Bibiane d'Af
figny , veuve de M. Guillaume Gouyon , Ecuyer
ordinaire du Roi en fa grande Ecurie , & Lieutenant
pour Sa Majefté des Ville & Château de
Pont-de-Cé.
Mere N..... de Montginord , Chanoine de
Meaux , Abbé de l'Abaye de Marcheroux , eft
mort à Meaux le 18 , dans fa foixante-dixième
année.
Jules Frederic Mazarini Mancini , fils de Louis-
Jules Barbon Mazarini - Mancini , Duc de Nivere
NOVEMBRE . 1753. 21F
nois & Donzieres , Pair de France , Grand d'Efpagne
de la Premiere Claffe , Prince du Saint Empire
, Noble Vénitien , Chevalier des Ordres du
Roi , Brigadier d'Infanterie , Ambafladeur de Sa
Majefté auprès du Saint Siége ; & d'Helene Fran-
Coife Angélique Phelypeaux de Pontchartrain ,
mourut à Paris le 19 , âgé de près de huit ans .
ARRESTS NOTABLES.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , du to
Avril 1713 , qui difpenfe les Fabriquans de
toiles , batiftes & linons , de fe fervir du miniftere
des Courtiers de Valenciennes pour vendre leurs
toiles.
AUTRE du 12 Juin , portant nomination des
perfonnes qui figneront les coupons pour le rénouvellement
des Reconnoiffances qui doivent
être fournies par le Tréforier de la Caille générale
des Amortiffemens,
REGLEMENT du 22 Juin , pour la police
& difcipline des équipages des Navires expédiés
pour les Colonies de l'Amérique.
INSTRUCTION du 29 Juin , fur l'exer
cice de la Cavalerie.
AUTRE , du même jour , fur le fervice que l'es
Régimens de Cavalerie devront faire dans les camps
qui s'afsembleront pendant la préfente année.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , du 10
-Juillet 1753 , qui ordonne que les Particuliers qui
212 MERCURE DE FRANCE.
feront compris dans les états de répartition de le
Capitation de l'année 1754 , feront tenus de
payer , outre la portée de leurs taxes , les quatre
fols pour livre d'icelles .
AUTRE , du même jour , qui proroge jul
qu'au premier Octobre 1754 , le pouvoir accordé
Mrs les Intendans des Généralités où la taille
eft perfonnelle , de faire procéder pardevant eux ,
ou ceux qu'ils commettront , à la confection des
rôles des tailles , dans les Villes , Bourgs & Paroiffes
ois le jugeront à propos.
ORDONNANCE du Roi , du 20 , Juillet
; pour établir quatre Sous- Aides Majors dess
fon Régiment d'Infanterie.
AUTRE , du premier Août , pour régler le
nombre des Officiers de les Troupes de Cavalerie
& de Dragons , qui auront congé par feneftre.
AUTRE , du même jour , pour régler le
nombre des Officiers de fes Troupes d'Infanterje
Françoife , qui auront congé par femeftre .
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , da 19
Août , qui accorde à Eloi Brichard le privilége de
la Manufacture Royale de Porcelaine , établie à
Vincennes .
ARREST de la Cour des Monnoyes , da
29 Août , qui fait défenſes à toutes perſonnes
fur les peines y portées , de refufer les pièces
de vingt - quatre deniers pour leur valeur entiere :
condamne le nommé Arbois en cinquante livres
d'amende pour le refus qu'il en a fait ; & ordonne
NOVEMBRE. 1753 . 213
qu'il fera informé , tant contre ceux qui les refuferont
, que contre ceux qui font courir des bruits
de diminution & de décri defdites espèces.
LETTRES Patentes du Roi , en forme de
Commision , données à Verfailles le 1 Septembre
, portant établiffement d'une Chambre des
Vacations dans le Couvent des Grands . Auguftins
de Paris.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , du 24 Septembre
; qui , en interprétant les réglemens cidevant
rendus , explique dans quel cas les Marchands
fur lefquels il pourroit être faifi des étoffes
en contravention aufdits réglemens , auront leur
recours contre les fabriquans qui les leur auront
vendues.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , & Lettres
Patentes fur icelui , données à Verſailles le
30 Septembre , regiftrées en la Chambre des Vacations
les Octobre ; qui caffent la Sentence du
Châtelet de Paris , du 28 Septembre , & déclarent
nulle la Délibération du Châtelet du même jour.
ARREST de la Chambre des Vacations , du
5 Octobre ; portant enregistrement de l'Arrêt du
Confeil do 30 Septembre , & des Lettres Paten
tes fur icelui ; & commiffion à des Députés de la .
dite Chambre , à l'effet de fe tranfporter au Châtelet,
pour y faire exécuter ledit Arrêt du Confeil ,
lefdites Lettres Patentes & Arrêt de la Chambre.
AUTRE du même jour , qui fupprime un
imprimé portant pour titre : Mandement de M
L'éque de Boulogne.
214 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE du 16 Octobre , qui condamne
Edouard-François Labattu , au fouet , à la marque
des lettres GAL , & aux galeres pour trois ans ,
pour vol de mouchoirs dans l'Eglife de Saint Euftache.
A V I S. -
COPIE de la partie de la Lettre écrite par
M. le Marquis de Breteville , au Pere
Potaire , Confeffeur des Religieufes de l'Ave-
Maria , à Paris ; dattée de fon Château
près Cherbourg , du 10 Juillet 1753 :
contenant l'éloge de la Poudre purgative de
M. Vacoffain , Marchand Epicier , rue
vis à vis S. André des Arts,
J
E ne puis aflez vous remercier , mon R. Pete
& ami , de la connoiflance que vous m'avez
donnée de la Poudre purgative du fieur Vacoffain.
Les bons effets qu'elle a produits fur les perfonnes
qui en ont fait ufage dans ma Paroifle , à moi parculierement
, m'obligent d'en faire toutes les
louanges qu'elle mérite , lui donnant la préférence
à tous autres Purgatifs , par la douceur de les
opérations , purgeant parfaitement fans aucune
tranchée , & différant des autres remédes qui affoibliflent
le tempéramment : celui ci le fortifie
en effet , comme il eft marqué dans le Mémoire
inftructif de ladite Poudre. Et fi j'avois un avis à
vous donner , mon R. Pere , dans la fituation cù
vous êtes , je vous conſeillerois en bon ami , d'en
faire ufage plutôt que d'aller aux Eaux de Bourbon
, où vous m'avez marqué devoir aller au mois
d'Août prochain ; mais puifque vous avez deffein
DE
E
Sa
NOVEMBRE. 1753. 215
de fuivre les ordres de vos Médecins dans cette
occafion , je vous prierois , avant votre départ ,
de m'envoyer encore deux paquets de chacun dix
prifes de la même Poudre , pour en donner à mes
pauvres Sujets ; & fi ledit fieur Vacoffain veut bien
par charité
y en ajouter quelques prifes , il participera
à une bonne oeuvre.
AUTR E.
Le fieur Paftel , Chirurgien , poffeffeur d'un
Reméde Anti -vénérien , avertit le Public , que
quelques opiniâtres & invétérées que foient toutes
fortes de maladies fecrettes , dans les deux fexes ,
de tout âge , il les guérit parfaitement & radicalement
fans friction ni falivation , en très peu de
tems , & n'empêche pas les malades de vaquer 2
leurs affaires. Sa demeure eft rue d'Anjou , la premiere
porte cochere à droite en entrant par la rue
Dauphine , au premier étage.
APPROBATION.
'Ai lû , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le volume du Mercure de France du mois
de Novembre . A Bonbar le 24 Octobre 1753.
LAVIROTTE,
TABLE .
IECES FUGITIVES en Vers & en Profe.
Vers fur la naiffance de Monfeigneur le Duc
d'Aquitaine , page 3
6 Differtation fur la Devife du Roi Louis XII ,
Eglogue fur la naiffance de Monfeigneur le Duc
d'Aquitaine ,
Suite de la Diflertation fur le Droit & le Barreau
de Rome ,
13
19
D
216
Ode fur la naiffance de Monfeigneur le Duc d'A
quitaine ,
Séance publique de l'Académie de Rouen ,
32
38
La Tendreffe de Louis XIV pour la Famille ; Poëme
qui a remporté le Prix de l'Académie Françoile
,
Séance publique de l'Académie de Dijon ,
St
56
La Calomnie ; Ode aux Mânes de Rouleau , 66
Séance publique de l'Académie des Sciences de
Besançon ,
Songe. Mile Forquerai à fa mere ,
73
77
79
Séance de l'Académie des Belles Lettres de Montauban
,
Mandement de M. l'Evêque de Valence , fur la
naiffance d'un Duc d'Aquitaine , 92
Mots de l'Enigme & des Logogryphes du dernier
Mercure ,
Enigme & Logogryphes ,
Nouvelles Littéraires ,
95
ibid.
99
Prix propofés par l'Académie Royale des Sciences
de Toulouse ,
135
Aflemblée publique de l'Académie des Sciences
d'Amiens ,
Lettre à M. le Chevalier de Caufans ,
Réponse à la Lettre de M. ** *
Beaux Arts ,
Chanfon ,
Spectacles ,
Nouvelles Etrangeres ,
139
141
142
149
169
ibid.
177
France. Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 184
Bénéfice donné ,
Mariages & morts ,
Arrêts notables ,
Avis ,
La Chanfon notée doit regarder la page 169.
De l'Imprimerie de J. BULLOT.
201
ibid.
211
214
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AV ROI.
DECEMBRE. 1753 .
PREMIER VOLUM E.
IGIT
UT
SPARCATS
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT , Quai de Conty , à la
defcente du Pont-Neuf.
DUCHESNE , rue Saint Jacques,
au Temple du Gout.
M. DCC. LIII.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
A VIS.
4
'ADRESSE du Mercure eft à M. MERIEN
L Comms au Mercure , rue des Foffez S. Germain
l'Auxerrois , au coin de celle de l'Arbre-fec , pour remettre
à M. l'Abbé Raynal.
Nous prions très - inftarement ceux qui nous adreſſeront
des Paquets par la Pofte , d'en affranchir leport ,
pour nous épargner le déplaifir de les reluter , & à eux
celui de ne pas voir paroître leurs Ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays Etrangers ,
quifouhaiteront avoir le Mercure de France de la premiere
main, plus promptement , n'auront qu'à
écrire à l'adreffe ci- deffus indiquée.
On l'envoye auffi par la Pofte, aux perſonnes de Province
qui le defirent , les frais de la pofte ne font pas
confiderables.
On avertit auffi que ceux qui voudront qu'on leporte
chez eux à Paris chaque mois , n'ont qu'à fairefçavoir
leurs intentions , leur nom &leur demeure audit fieur
Merien,Commis au Mercure; on leurportera le Mercure
très - exactement , moyennant 21 livres par an , qu'il
payeront , fçavoir , 10 liv. 10f. en recevant le ſecond
volume de Juin , & 10 l . 10 f. en recevant le ſecond
volume de Décembre . On les fupplie inflamment de
donner leurs ordres pour que ces payemens foientfaits
dans leur tems .
On prie auffi les perfonnes de Province , à qui en
envoye le Mercure par la Pofte , d'étre exactes à faire
payer au Bureau du Mercure à la fin de chaquefemeftre
, fans cela on feroit hors d'état de foutenir les
avances confidérables qu'exige l'impreffion de ces
ouvrage.
On adreffe la même priere aux Libraires de Province.
On trouvera le fieur Merien chez lui , les mercre
di , vendredi & samedi de chaque femaine.
PRIX XXX . SOLS .
E
S'
3
MERCURE
1
DE
FRANCE ,
1
DEDIE AU
ROI.
DECEMBRE.
1753.
PREMIER
VOLUME.
0-0-00-0-0-0-6
PIECES
FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
Et
: EPITRE
A M. L'ABBE'
MARQUET.
Par M. ***,
Imable Abbé , qui mériterois d'être
Un Monfignor , le premier des Chapeaux
,
Si le Parnaffe avoit fes Cardinaux ,
que le Goût eût fon Souverain Prêtre.
Mon cher Marquet , que ton fort eft charmant !
1. Vol. A ij
4 MERCURE DE FRANCE:
Qu'à ton bonheur , helas ! je porte envie !
Dans les plaifirs qui partagent ta vie ,
Greffet fans ceffe à tes yeux eft préſent ,
Tu peux toujours & le voir & l'entendre ;
Vous vous prêtez cet efprit lumineux
Qui dans Berlin vient encor me furprendre
Et pénétrer mon ame de fes feux ;
Vous l'emportez vers ce brillant azile
Od les beaux Arts , les plaifirs , les amours
Ont des Romains ramené les beaux jours ;
Où fur un ton délicat & facile ,
Imitateur des graces de Virgile ,
Rival heureux de les talens divins ,
Greffet chanta Ver - vert & fes deſtins.
Quand dans Paris je fuivois le Théâtre ,
Je ne pouvois à cet illuftre Auteur
Donner d'encens que celui de moncoeur ;
Mais les talens , dont je fuis idolâtre ,
M'ont enflammé d'une fubite ardeur ,
J'ofe vers lui prendre un effor vainqueur
Oui , je lui dois cette juſteſſe extrême
De comparer Greffet à Greffet même.
Hier encore , en répandant des pleurs ,
J'applaudiffois à cette vertu pure
Qui dans Sidney m'attache à la nature ,
Et me fait plaindre & fentir fes douleurs.
Pourquoi Greffet n'a- t'il pû voir ces larmes !
Un tel éloge cût eu pour lui des charmes :
Qui fçait fi bien peindre le fentiment ,
}
DECEMBRE . 1753 .
Doit rechercher fon applaudiffement.
Anacréon , dont il a la tendreffe ,
La volupté , les graces , les douceurs ,
Prête à les vers cette délicateffe ,
Ce coloris , ces charmes féducteurs ,
Dont le pouvoir le rend maître des coeurs,
Il ne craint point les triftes infortunes ,
Au vrai génie , aux talens trop communes.
Tous ces écrits par la vertu tracés
De pareils coups ne font point menacés ;
Si les deftins à nos Muſes contraires
Ont exilé leur plus folide appui ;
Si notre Horace aux rives étrangeres
Paffa des jours confumés par l'ennui ;
C'est que ſouvent dans fes rimes hardies
L'honnêteté , les moeurs furent Alétries ,
Et que dès- lors attachée à fes pas ,
L'audacieuſe & noire Calomnie .
Vint attaquer le repos de la vie ,
En lui prêtant des vers qu'il ne fit pas .
Mais un Auteur que la Sagefle infpire
Craint peu les traits de la méchanceté ,
Et la Vertu dont il chérit l'empire
Oppofe un frein à la malignité.
Heureux qui peut dès l'âge le plus tendre ,
Dans les écrits faire admirer fes moeurs !
Pour le flater , l'applaudir & l'entendre ,
On voit vers lui voltiger tous les coeurs,
Tel eft , Marquet , le portrait véritable
4
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
De cet ami charmant & vertueux ,
De qui l'efprit & le talent aimable
De ſes Lecteurs réunit tous les voeux.
Je me livrois à l'heureuſe apparence ;
De voir de près le mortel que j'encenſe ,
Plus d'une fois tu m'en avois Aaté ;
Mais par le fort , loin de toi tranfporté ,
De ce bonheur j'ai perdu l'eſpérance :
Trifte , inquiet , fans force , fans fupport ;
Je crois voguer fur l'élément perfide ,
Tel qu'un vaiffeau fans bouffole & fans guide ,
Que la tempête a chaffé loin du port.
Autour de moi je ne vois que naufrages ,
Chaque rocher vient offrir à mes yeux ,
Malgré la nuit , les vents & les orages ,
De cent vaiſſeaux les débris malheureux.
Juge du trouble où mon ame eft réduite ,
Et des tourmens que mon coeur doit fentir t
Du même fort qui peut me garantir ,
Si l'amitié pour moi ne follicite ?
Si je m'égare en traçant ce diſcours ,
Ami , tu dois excufer mon yvreffe,
Ce feul efpoir peut flater ma foibleffe ,
Et me promettre encore d'heureux jours:
Mais , diras - tu , qui te contraint d'écrire r
Pourquoi fortir de fon obfcurité ?
Pourquoi venir , de folie entêté ,
A tous les yeux expofer fon délire ?
De quelque efpoir que ton goût loit flaté , •
DECEMBRE. 1753 . 7
Quelque plaifir que la rime t'inſpire ,
N'éveille point la cruelle Satyre ,
Ou , c'en eft fait de ta tranquillité,
De ce confeil que dicte la Sageffe ,
Jufques ici j'ai refpecté les loix ;
Mais l'Amitié , Syréne enchantereffe
Vient fur mon coeur revendiquer fes droits :
Il faut céder à la voix qui m'appelle ,
M'abandonner à fes tendres accens ,
Et qu'une Epitre innocente & fidelle ,
En t'exprimant fes libres fentimens
Paifle attirer tes applaudiffemens.
Un tel bonheur verferoit fur ma vie
Le vrai Nectar & la pure Ambroisie :
Mais je fens bien qu'un fi noble projet
Pour réuffir au gré de mon envie ,
Doit fe former au fein de ma patrie ,
Et s'achever fous les yeux de Marquet .
Par tes confeils , aidé de ton génie ,
Je porterois mon vol vers l'Hélicon
Quand l'amitié vient nous donner le ton ,
Que de fes feux notre ame s'eft remplie ,
Sans pénétrer dans le double Vallon ,
Nous poflédons la fublime harmonie.
Si je n'avois écouté que mon coeur ,
Depuis long- tems on m'auroit vû l'écrire ‹
Mais ce n'eft point aux maîtres de la lyre
Qu'ilfaut des vers fans grace & fans douceur
Dans ces fentiers confacrés aux Horaces ,
A iiij
MERCURE DEFRANCE.
Long- tems perdus , retrouvés par Rouffeau ,
Où fifouvent tu vas chercher les Graces
Et le bon goût qui guide ton pinceau ;
Buis-je efpérer d'y marcher fur tes traces ;
Moi , dont la Mufe eft encore au berceau ?
J'ai cependant , Abbé , le peux -tu croire à
( L'orgueil humain peut -il s'égarer plus ! )
Ce qu'eût à peine ofé même Phébus ,
J'ai célébré Federic & fa gloire .
C'eft cet effai de ma témérité
Qui m'enhardit à t'offrir cette Epître :
Je fçais , Marquet , jufqu'où va ta bonté ,
Que de mes vers elle foit feale arbitre.
Je veux bien moins t'amufer par mes chants ,
Que te prouver à quel point je t'eftime ;
Qu'un autre , ami , recherche le fublime ,
Je n'abandonne à de plus doux penchans :
L'amitié feule occupe mes penſées ,
Elle remplit mes plus tendres défirs ,
Pour le coeur feul ces rimes font tracées a
Le bel efprit détruit les vrais plaifirs.
Avec tranfport, ami , je me rappelle
Ces heureux jours , bélas ! trop tôt finis ,
Où je croyois prendre une ame nouvelle ;
Qui s'enflammoit au feu de tes récits.
Pourquoi faut-il que l'ingrate Fortune.
M'ait fait fi tôt abandonner Paris ?
J'aurois trouvé la douceur peu communé
De me former en lifant tes écrits :
DECEMBRE. 1753.
Et d'un plaifir encor plus délectable
Seroient payés tous mes foins affidus ;
J'aurois trouvé dans ce commerce aimable
Chez l'Amitié la fource des Vertus.
Ta modeftie augmente encor ma peine.
Ton cabinet renferme ton tréfor
Si tu voulois en enrichir le Nord ,
Il fouriroit aux Mufes de la Seine .
Crois moi , Marquet , chez les peuples guerriers
On fçit fentir le prix d'un bon ouvrage ,
Et tout pays gouverné par un Sage
Peut aux talens prodiguer des lauriers.
Si fur ces bords, que la gloire environne ,
Le fort un jour pouvoit guider tes pas ,
AinG que nous tu verrois fur le Trône
Le Dieu du goût & le Dieu des combats.
Que ne peux- tu l'approcher & l'entendre !
Qu'avec plaifir tu chanterois fon nom !
Oui , dans Poftdam c'eſt un autre Aléxandre ,
A Sans-fouci c'eft un autre Apollon.
Dans ce Palais , que malgré la nature
L'art chaque jour a pris foin d'embellir ,
Dont Rome même eût pú t'enorgueillir ,
J'ai fçu goûter une volupté pure.
J'ai vu les Arts fur ce mont fortuné
A Federic préfenter leur offrande ;
J'ai vu former l'immortelle guirlande ,
Dont ce Héros par eux eft couronné .
Tous les tréfors que l'univers recéle ,
Αν
10 MERCURE DE FRANCE,
Sont réunis dans ces aimables lieux ;
Chaque tableau vient offrir à nos yeux
Du vrai génie un excellent modéle ,
Et du bon goût les miracles heureux,
De nos Coypels , des l'igalles , des Pêmes ,
J'y contemplois les chefs- d'oeuvres fameux ,
Et me croyois aux fiécles glorieux
Où les talens fleuriffoient dans Athénes.
Ce n'étoit rien ; un coup heureux du fort
Entre mes mains fit tomber un ouvrage ,
Où Federic par un fublime effor
De l'univers emporte le fuffrage.
Qu'avec plaifir , dans ces divins écrits ,
J'applaudiflois au tribut légitime ,
Que mon Roi donne au maître de la time ,
A ce Greflet , l'idole de Paris !
C'eft un Héros , c'eft un Dieu qui le chante
Jamais Auteur ne fe vit plus vanté ;
Et les doux fons d'une lyte brillante
Lui font garans de l'immortalité .
O digue Ami ! que j'aime , que j'adore ,
Toi , dont l'efpoir fut de me rendre heureux ;
Illuftre Abbé , dont la France s'honore ,
Reçoisici mon encens & mes voeux.
DECEMBRE. 1753 .
II
300 300 300 500 500504 : 500 500 500 606 306304 305 306
LETTRE HISTORIQUE
ET CRITIQUE ,
Au fujet du Bréviaire imprimé ſous le nom de
Louis XIII , en 1642 1743 ; à M.
l'Abbé D *** .
J
les
'Admire tous les jours l'étendue de votre
Littérature , mon cher Abbé ,
faits les plus cachés , ceux même qu'on ne
trouve que dans les plus vaftes Bibliothéques
, vous font connus , comme fi vous
poffédiez ces immenfes tréfors que le goût ,
les foins & l'habileté de plufieurs hommes.
fçavans ont fucceffivement amaffés.
Cependant avec toutes vos lumieres ,
connoiffiez - vous Louis XIII pour Anteur
? Voilà un fait que je ne fçais que
d'aujourd'hui
, & ravi de la découverte ,
je me hâte de vous l'apprendre . En feuilletant
ce peu de Livres que vous nous connoiffez
, j'ai trouvé un gros in- 16 de 726
chiffre arabe , & de 146 , chiffre ro- pages ,
main , qui a pour titre : Parva Chriftiane
pietatis Officia , per Chriftianiſſimum
Regem
Ludovicum XIII, ordinata : Parifiis , è Typographia
Regiâ, 1642. Ces mots per Chriftia-.
niffimum Regem , m'ont arrêté ; car je con-.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
noiffois bien Louis XIII pour un Prince
inférieur à fon pere , & fort au deffous de
fon fils ; plus fage & plus dévot que l'un
& l'autre , dans le fens qu'on prend au
jourd'hui ces deux termes mais je ne foupconnois
pas même qu'il pût être Auteur :
j'ai donc voulu fçavoir fi , outre le titre
qui eft formel , je ne trouverois pas encore
d'autres preuves qui attribuaflent à ce
Prince cet Ouvrage de piété ; or ces preuves
, je les ai trouvées dans les Approbations
quifuivent. Celle qui eft à la tête de
toutes , eft du célébre Charles- François.
Abra de Raconis ( 4 ) , connu des Sçavans
53
( a ) De Raconis fut nommé à l'Evêché de Lavaur
en 1:37 , il mourut au château même de Raconis
près Monfort- l'Amaury , le 16 Juillet 1646.
Са rapporte de lui un fait fort fingulier : » il eſt
vrai , dit M. Simon : ( Lettres choifies , tome
premier , pag. 10. 2e édit . 1702. ) que le Cardinal
de Richelieu avoit auprès de lui M. de Raconis
, Docteur de Sorbonne , ( étoit Docteur
de la Maifon de Navarre.Vide Launoy , R.Navar
501& , Gymn. Ift . tom. 2. pag . 828. ) & qui a été
» Evêque de Lavaur : il étoit méme très bien dans
» fon efprit , mais j'ai appris du P. du Laurens
» ( de l'Oratoire ) , qu'il étoit auprès de Son Emisanence
plutôt en.qualité de bouffon que de Doc-
>> teur. M. de Richelieu avoit à lui plufieurs per-
» fonnes pour le divertir : il donnoit de tems en
» tems à de Raconis un texte bizarre pour piêther
devant lui fur le champ , dans une chainbre
où il s'entermoit exprès. Ce Docteur qui
35
DECEMBRE. 1753. 13
par fes démêlés avec les Théologiens de
P. R. & plus généralement par la critique
que Defpréaux en a faite dans fes Vers.
( Voy. Lutrin , Chant IV . vers 171. )
Or cette Approbation eft trop finguliero
pour le fond & pour les termes , pour ne
pas vous l'envoyer toute entiere .
Quod poft Robertum ( b ) ac Ludovicum IX
étoit payé pour faire rire le Cardinal , difoit cent
impertinences. Le P. du Laurens qui étoit quel
» quefois de la partie , ne peut s'empêcher de rire
toutes les fois qu'il me parle de cette comédie ; ,
» & comme le Cardinal donnoit ordre qu'on ne
l'appellât , pour quelque chofe que ce fut , dans
» ce tems-là , il leur diloit en riant , on croit que
» nous traitons ici des affaires les plus importantes
» de la Religion . On trouve ce fait , & prefque
dans les mêmes termes , quoique plus abbregé ,
dans les Mémoires hiftoriques d'Amelot de la
Houffaye tome premier , pag. 434. édit. 1722.
Voyez auffi les notes fur le vers 171 du quatrième
Chant du Lutrin , édit . de 1747. Par M. le Fevre
de 5. Marc .
כ כ
32
(b) Voici un texte qui justifie la remarque de
M. de Raconis . Il ne faut pas oublier le tour que
» le Roi Robert fit i fa femme Conftance , qui le
prefloit de te quelque Hymne à fa louange.
Pour la contenter en apparence , il fit à l'hon-
» neur de S. Denis & d'autres Martyrs , l'Hymne
» qui commence , O conftance admirable des Martyrs
! & la Reine Conftance qui pas Latin n'en
tendoit , cuida que ledit Repons fut fait àfa
» louange , & le chantoit fans fçavoir ce qu'elle
» difoit». Le Clerc , Bibl . univerfelie , tome premier
, pag. 190.
14 MERCURE DE FRANCE.
piè , Chriftianiffimofque Reges ceteros reli
giosè Ludovicus bodi: XIII parva hec pieta.
tis Officia concinnavit ordinavitque , & majorum
exemplo , & propriâ virinte quàm optimè
de Ecclefiâ ( ejus ipfe generofiffimus Pri
mogenitus ac defenfor acerrimus ) promeretur
, regiè Rex, ut omnia ) fecit , non aliter
& Chriftianiffimus , pro dignitatis fue merito
Supra Catholicos Reges univerfos , ut juſtis
palam ac vidricibus armis , fic religiofo quoque
pietatis Officio , & fuis & cunctis fimul Ecclefia
populis confultum voluit , abfu ut tantum
dicamus nihil hîc eſſe à fide Chriſti alienum.
Ita cenfui ego & fubfcripfi ; anno Domini
M DC XL. Januarii die 172.
De Raconis , Vauvienfium Epifcopus,
Regis à Secretioribus Confiliarius ,
necnon ejufdem ac Regina Concionator
ordinarius.
Voila un ſtyle bien afforti au génie de
l'Auteur , efprit obfcur , comme il paroît
affez par les écrits qui nous reftent , &
(c ) qui difparoiffent i bien , qu'ils péri-
(c) Voyez en le Catalogue dans M. de Launoy,
Regii Navar. Gymn . Hift . tom . 2. pag. 830 &
831. Mais je ne devine pas pourquoi il n'a point
mis dans ce Catalogue , 1 ° . Continuation des examens
, &c Paris , Hainault , 1644. 2° . Breve Anatomie
, &c. ibid . A moins qu'on ne fuppofe que
Launoy , très - pointilleux critique , fçachant peutêtre
que M. de Lavaur n'étoit le pere que par
1
DECEMBRE.
1753. IS
ront bientôt tous , fi quelques curieux Bibliophiles
ne nous les confervent.
Mais ce qui a fait mon fujet , c'eft qu'il
eft prouvé par cette Approbation que Louis
XIII eft le véritable Auteur de l'Ouvrage
que je vous annonce : que c'eſt , à l'exemple
de Robert & de S. Louis , deux de fes
plus faints prédécéffeurs , que ce Prince
Ta compofé. Jean Baptifte de Contes , l'un
des Grands Vicaires du Cardinal de Retz ;
Jean Charton , grand homme de bien , &
grand Pénitencier de l'Eglife de Paris ;
Alphonfe le Moine , Docteur & Profeffeur
de Sorbonne , certifient le même fait
dans leurs Approbations du huitiéme Janvier
même année , neuf jours avant celle
de M. l'Evêque de Lavaur ; enfin , M.
Lefcot , dans la fienne du 13 Janvier 1640 ,
ne laiffe aucun doute là - deffus : celle - ci ,
en Latin comme les autres , eft très- claire ,
& en bons termes. Lefcot n'y dit pas comme
de Raconis , abfit ut tantum dicamus niadoption
de ces deux Ouvrages , n'aye pas voulu
les lui attribuer : car on ne peut pas dire que Launoy
ne les connût pas , puifqu'ils avoient été pu.
bliés long- tems avant l'impreffion de fon Hiftoire .
Quoiqu'il en foit , Mrs le Maître & de la Barde
firent conjointement à la Breve Anatomie une
replique très vive , très - raiſonnée , & cù l'on trou
ve de plus bien des faits curieux pour l'Hiftoire
critique de notre Prélat.
16 MERCURE DE FRANCE.
bil hic effe à fide Chrifti alienum ; mais il
fonde l'éloge du Livre fur ce qu'il n'y a
rien trouvé de contraire à la Foi. Ce M.
Lefcot étoit alors Profeffeur de Sorbonne ,
puis ( ou peut -être en même tems ) Confeffeur
du Cardinal de Richelieu , de qui ,
dit- on , dans la vie de M. Arnaud , pag.
33. Cologne , 1695 , il apprit à ne pardonner
pas ; enfuite Evêque de Chartres ,
où il mourut en 1656 ( d ) .
(d) Voyez le Long. Bibliot. Françoiſe , page
133. col. 1. vous y trouverez encore qu'on a de
M., Lefcot en MSS . 1º Difcours fur le mariage
de Monfieur ( J. B. Gafton Duc d'Orléans ) pour
en prouver la nullité. 2 ° . Vie du Cardinal de Richelieu
. M. de la Mare , pag. 28 de la troifiéme
partie de les Mémoires manufcrits , dit que cette
vie de Richelieu , par Lefcor ( Jacques ) , étoit
confervée dans le cabinet de la Ducheffe d'Aiguilen.
Je ne connois de lui aucun Ouvrage im.
primé , cependant s'il en faut croire Vigneu! de
Marville Dom Noël d'Argonne , Chartreux )
non feulement il a imprimé , mais il s'eft repenti
de l'avoir fait voici ces paroles : » M. Lefcot ,
»Docteur de Sorbonne & Evêque de Chartres ,
" avoit beaucoup paru dans la jeuneffe , & donné
» des écrits qui lui faifoient bien de l'honneur ;
cependant il confeilloit aux jeunes gens , quelque
érudition qu'ils euffent , de ne pas le produire
» de fi bonne heure , & de ne pas mettre au jour
leurs travaux , il apportoit l'exemple de plufieurs
, entre le fquels il fe rangeoit , qui ne s'étant
pas contraints de ce côté-là , avoient eu
DECEMBRE. 1753. 17
Entrons maintenant dans le fond de
l'Ouvrage, Le Calendrier mérite quelque
attention.
Janvier.
Dix Offices en tout. Deux Myfteres , la
Circoncifion & l'Epiphanie : huit Saints
ou Saintes , dont fept que nous célébrons
encore , & S. Adelard , Abbé de Corbie
Confeffeur , dont nous ne faiſons aucune
mention .
Février.
Deux Offices feulement. Le deuxième
jour , Purification de la Vierge. Le 24 ,
Saint Mathias , Apôtre.
Mars.
Le feptiéme , S. Thomas d'Aquin . Le
12 , S. Gregoire , Pape & Confeffeur. Le
19 , S. Jofeph. Le 25 , l'Annonciation de
la Vierge . Les deux derniers Offices doubles
, & les deux premiers femi- doubles .
Avril.
Trois Offices. Le 2 , de S. François de
Paule Le 5 , de S. Vincent- Ferrier , Le 25 ,
de S. Marc l'Evangélifte .
tout le loifir de s'en repentir, Mélange d'Hift.
» & de Litt . tom. 3. p . 111. 8 112 ,
18 MERCURE DE FRANCE.
Mai.
Six Offices. Remarquez que le dix- neuviéme
jour eft affigné à celui de S. Yves ,
Confeffeur , à Treguier en Bretagne .
Juin.
de
par- Dans ce mois , je ne remarque
ticulier que Ste Clotilde , Reine de France,
Vefve , au 3 ; & S. Mein , Abbé & Confeffeur
, en Bretagne , au 21 .
Juillet.
Le 31 eft pour S. Germain , Evêque
d'Auxerre , fans autre mémoire .
Août.
S. Loup , Evêque de Troyes , le 7. S.
Louis , Evêque de Tholofe , le 19 ; & le 31 ,
S. Gratian , Evêque de Tours.
Septembre & Ollobre.
Rien de remarquable dans le mois de
Septembre. Dans celui d'Octobre , voici
une note pour le deuxième jour : » S. Remy
, Evêque de Reims , Confeffeur , eſt
»> le premier , mais remis au deuxième , à
» cauſe de la Fête de l'Ange Gardien qui
eft le premier laillant toutes fois à la
;
DECEMBRE.
1753. 19
» dévotion d'un chacun de le faire ainfi
»que bon femblera .
Novembre & Décembre.
Novembre. Le 4 , S. Benigne , Martyr
à Dijon. Le 6 , S. Léonard , Confeffeur
en Limofin. Décembre. Le premier , Saint
Eloy , Evêque de Noyon. Le 9 , Ste Phare
, Vierge. Le 14 , S. Nicaife , Evêque de
Reims , Martyr .
On diftingue par là la dévotion particuliere
de ce religieux Prince pour certains
Saints ; d'abord , & en premier lieu , les
Saints de la Famille Royale. S. Louis , avec
Octave. Ste Bathilde , Ste Clotilde , Ste
Radégonde. J'ai cherché S. Charlemagne ,
mais je ne l'ai point trouvé dans ce Calendrier.
2. Les Saints dont Louis XIII faifoit
l'Office , étoient ou originairement
François , ou morts en France , ou du
moins fans être François ni morts en France
, il y avoient demeuré , & s'y étoient
diftingué pendant leur vie : ainfi S. François
de Paule & S. Vincent- Ferrier étoient
originaires , l'un d'Italie & l'autre d'Efpagne
; mais tous deux font morts en France
: le premier au Pleffis - lez Tours , ea
1507 ; le fecond à Vannes en Bretagne ,
en 1419. Ainfi S. Thomas d'Aquin , quoiqu'il
ne foit point né en France , & qu'il
20 MERCURE DE FRANCE .
n'y foit point mort , fe trouve cependant
au premier de Mars , dans le Calendrier de
Louis XIII , parce qu'il avoit étudié longtems
, & profeffé plus de tems encore la
Théologie à Paris ; d'ailleurs on fçait que
S. Louis avoit eu pour S. Thomas d'Aquin
une eftime toute particuliere. Il y a pour.
tant une remarque bien honorable pour S.
François d'Aflife , qui fe trouve auffi dans
ce Calendrier , quoiqu'il n'aye d'autre
titre par rapport à la France que fon éminente
Sainteté. Il faut encore excepter 1 °.
Les Apôtres. 2° . Les quatre Docteurs de
l'Eglife , dont le culte eft répandu par tout.
3°. Les Sts Côme & Damien , que Louis
XIII honoroit , parce qu'il étoit né le jour
de leur Fête.
Du Calendrier paffons aux Rubriques.
1°. L'Office du S. Efprit fe dira tous les
Dimanches. Celui de l'Ange Gardien le
Lundi. Le Mardi , du S. Nom de Jeſus. Le
Mercredi , de S. Louis. Le Jeudi , l'Office
du S. Sacrement. Le Vendredi , celui de la
Croix ; enfin , celui de la Vierge le Samedi.
2°. Pendant le Carême . Le Dimanche
on fera l'Office de la Croix ; le Lundi ,
pour demander à Dieu la grace de bien
mourir , le Mardi , contre les ennemis de
notre falut , le Mercredi , l'Office de la
Pénitence ; le Jeudi , du S. Sacrement ; le
DECEMBRE. 17538 21
Vendredi , de la Paffion de N. S .; le Samedi
, de la Vierge. Mais , 3. ces Rubriques
ont leur exception . Ainfi , quand
une des Fêtes marquées dans le Calendrier
tomboit au Dimanche , on en faifoit l'Office
, remettant au Dimanche ſuivant l'Office
du S. Efprit. Il en eft de même pour les
autres jours. Il y a d'autres exceptions encore
qu'il faut lire dans le Livre même.
Une autre remarque à faire , regarde le
fond de ces Offices. 1. Généralement parlant
, ils font tous d'une brieveté à ne demander
au plus qu'une demi - heure de
récitation par jour , encore à différens
tems ; & en cela , ils étoient très appropriés
au caractere de dévotion que doivent
avoir les Princes. Il n'y a que trois Pleaumes
très courts pour Matines , avec une
feule Leçon, le Te Deum , ou un Répons à
la place , avec l'Oraifon . A Laudes , un feul
Pleaume , l'Hymne , le Benedictus & l'Oraifon.
A Prime , un feul Pfeaume & l'Oraifon
; de même à Tierce , à Sexte & à No.
nes. A Vêpres , un feul Pfeaume , le Capitule,
l'Hymne, Magnificat , avec fon Antienne
, & l'Oraifon . Complies commencent
comme au Bréviaire de Paris , par ces
mots : Converte nos , enfuite un Pleaume ,
l'Hymne , le Capitale , le Cantique Nunc
dimittis , & l'Oraifon qui varie felon les
22 MERCURE DE FRANCE.
ا د ا م
jours , au lieu que nous difons toujours la
même. 2 °.Les Pleaumes font fouvent compofés
de plufieurs ; c'eft à dire qu'on a pris
çà & là différens verfets dans les Pleaumes
de David pour n'en faire qu'un feul :
ainfi ( & par cet exemple on peut juger des
autres ) le premier Pleaume des Matines du
Dimanche , qui ne comprend que fix verfets
, est tiré des Pfeaumes 17 , 12 , 118
& 33 , où l'on trouve en effet ce qui convient
le mieux ou à l'effence de l'Efprit
Saint , ou aux dons qu'il répand dans nos
ames. 3. Il ne faut point chercher une
belle poëfie dans les Hymnes , mais on y
trouve de l'onction & de la piété : les
Oraifons font meilleures & ordinairement
fort courtes.
: Voila ce que c'eft que les Heures , ou fi
vous voulez , le Bréviaire de Louis XIII.
Mais je ne puis m'empêcher, avant de finit
cette Lettre , de propofer un doute : eft-il
bien vrai que ce Prince foit l'Auteur de
l'Ouvrage dont je viens de vous donner la
notice ? Les Approbateurs , comme vous
l'avez vû , le lui donnent expreflément ;
avec tout cela j'ai toutes les peines du
monde à me rendre ; car 1 °. l'éducation
de Louis XIII fut trop défectueuse pour
qu'il aye pû devenir Auteur , & Auteur
encore dans un genre affez difficile . Son
DECEMBRE. 1753. 23
»
premier Maître fut Gilles de Souvré. » Je
» trouve bien , dit le Vaffor ( Hift . de
>> Louis XIII . Liv. V. pag . 607. Edit.
» 1701. ) qu'il fe donna du mouvement
» pour la famille , & pour procurer au
» Marquis de Courtenvaux fon fils , une
Charge confidérable à la Cour ; mais je
» n'ai rien appris de ce qu'il fit pour don-
» ner à Louis une éducation Royale » . Au
déplacement , ou à la retraite du Marquis
de Souvré , le Cardinal du Perron ( ibid.
pag. 608 ) s'intrigua fort pour faire avoir
cette place à fon frere ; mais Henri IV fe
détermina pour Vauquelin , Sieur des Yveteaux
( e ) , homme de beaucoup d'efptic ,
& très en état de former un Prince ; mais
» l'envie & la jaloufie de certaines gens lui
» firent ôter cet emploi un an après la
» mort d'Henri IV» . Nicolas le Febvre ,
(f) lui fuccéda , mais il mourut le 3 No-
( e ) Nicolas Vauquelin , Sieur des Yveteaux
étoit fils de Jean Vauquelin , Sieur de la Frefnaye
, Préfident au Bailliage & Siége Préfidial de
/ Caën . Voy . l'Eloge de Jean Vauquelin , dans la Bibliotheque
Françoile de M. l'Abbé Goujet , tom.
14. pag. 78. où vous trouverez plufieurs chofes
curieufes fur Nicolas Vauquelin , Sieur des Yvetcaux
, fon fils.
(f) Nicolas le Febvre , né à Paris le 2 Juin
1544 , mort le 3 Novembre 1612 , âgé de foixante
& neuf ans , étoit un homme d'un vrai mé24
MERCURE DEFRANCE
vembre 1612 , après douze ou treize mois
d'exercice . David Rivault , Sieur de Fleurance
(g ),de Sous- Précepteur devint Précepteur
en chef, mais il ne refta pas longtems
en place , puifqu'il n'y étoit plus en
1614. Il étoit Mathématicien comme on
pouvoit l'être en ce tems- là ; c'eft lui aprite
, homme fçavant , homme de bien , hommé
Chrétien fes écrits prouvent fa fcience ; les aumônes
, fa piété , & fon amour pour l'Eglife ,fa
Religion. Voyez fon éloge , dans M. Dupin , Bi .
blioth. des Auteurs Ecclef. 17e fiécle. tom . 2.
(g ) David Rivault , Sieur de Fleurance , nâquit
près Laval dans le bas Maine , vers l'an 1571 .
Il fut élevé jeune auprès de Guy X Xe du nom ,
Comte de Laval , qu'il accompagna en Hongrie ;
mais ce jeune Seigneur ayant été malheureuſement
tué le 30 Décembre 1605 , il revint en Fran.
ce le 28 Avril 1611. Il fut fait Sous- Précepteur
de Louis XIII le 10 Novembre même année. Le
Roi lui donna une penfion de trois mille livres.
Nicolas le Febvre étant mort en 1612 , il devint
Précepteur en chef ; mais il ne tint dans cette
place que jufqu'en 1614 , qu'il la perdit par une
rencontre affez fâcheufe, Louis XIII avoit un
chien qu'il aimoit fort ; ce chien incommodoit
Rivault en fautant fans ceſſe ſur lui dans le tems
qu'il donnoit leçon au Roi : Rivault lui donna un
coup de pied pour le chaffer ; ce qui irrita fi fort
le Prince , qu'il frappa & congédia Rivault , qui
mourut à Tours le 16 Janvier 1616 , âgé feulement
de quarante- cinq ans. Voyez les Obfervations
de Menage , fur les Poëfies de Malherbe ,
ze Edit.
paremment ,
DECEMBRE. 1753. 25
paremment , qui s'obftina à faire lire à fon
éleve les recherches du Préfident Fauchet
( b) , qui dégoûterent fi fort ce Prince qu'il
renonça à toute lecture. » Or un jeune
» homme ( comme le remarque très - bien
le Vaffor ) qui paffe par tant de mains ,
»ne devient pas ordinairement affez ha-
»bile pour devenir enfuite Auteur « . 29.
J'ai cherché & n'ai trouvé nulle part , que
Louis XIII fçut affez de latin , & eût aſſez
de talent pour la Poëfie
, pour
e , pour être l'Auteur
des Prieres publiées fous fon nom.
Le Vaffor dit pofitivement qu'il apprt
peu de Latin : le P. Coton , dans fa Lets
tre an P. Bufligius, dit que ce Prince fçavoit
affez les regles de la Grammaire pour
être congru ; qu'il traduifoit en François
lorfqu'il n'étoit pas difficile : tout cela veut
dire qu'il ne fçavoit pas grande choſe . Notez
qu'il avoit douze ans au moins quand
le P. Coton écrivoit ceci. Or quelle apparence
qu'après cet âge il fe foit appliqué à
(b ) M. de Gomberville , de l'Académie Françoife
,fils d'un Buvetier de la Chambre des Comptes
, a écrit dans fon Livre de la Doctrine des
moeurs , que ce qui détourna Louis XIII de l'étude
, fut qu'on lui donna à lire l'Hiftoire de France
par Fauchet. Le mauvais langage de cet Auteur
lui donna du dégoût , quoique d'ailleurs il y
ait de bonnes chofes. Menagiana , tom . 2. pag.
47. Edit . Paris , 1739.
1. Vol.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
en fçavoir davantage , d'autant mieux que
le P. Coton raconte lui- même que la chaffe
, la paume & la pêche faifoient dès - lors
fes plus grands exercices , Le P. Millepied
compagnon du P. Coton , dans fa Lettre au
P. Louis Kichcome , du 8 Octobre 1613 .
parlant des talens de Louis XIII , dit que
fon plaifir eft à la paume , à la chaffe ; qu'il
excelle à tirer de l'arquebufe ; mais pas
un mot de fon Latin , moins encore de fa
Poëfie.
Mais voici , fur ce même article , un témoin
qu'on ne peut recufer ni même fufpecter.
M. le Febvre , celui - là même dont
nous avons parlé ; & qui fuccéda à Vauquelin
des Yveteaux , difoit confidemment
, le 19 Août 1612 , » que le Roi
feroit bon Prince , qu'il aimeroit la juftice
» & l'équité ; mais qu'il n'aimeroit nulle-
» ment les Lettres ni les gens de Lettres ;
» & tout de fuite , qu'il avoit un grand
» dédain pour les Lettres , parce qu'il re-
» connoifoit fa difficulté naturelle d'y pro-
>>fiter , ne pouvant like ni prononcer qu'a-
» vec grandiffime peine , jufques- là qu'an
»jour ne pouvant fortir bien à fon gré
» de je ne fçai quel mot , il s'empoignoit
»le vifage avec une de fes mains , à demi
>> en furie de dépit. « Il ajoûte : » on lui a
laiffé dreffer une Fauconnerie contre fon
+
DECEMBRE.
1733. 27
cabinet , laquelle le divertit totalement
» de l'étude ; ceux qui en ont la charge ne
» manquent jamais de flater fon inclination
, quand il va écrire , & de lui fub-
» miniftrer de nouveaux objets pour le détourner
de l'étude ( i ) .
3°. Cette fonte (fi je puis parler ainfi )
de plufieurs Pleaumes pour n'en faire qu'un
feul , demande non feulement du Latin
mais encore du goût , des recherches , &
une grande connoiffance des Cantiques de
David : or qui fuppofera à Louis XIII ce
goût , ces recherches , cette connoiffance !
>
4°. Les Hymnes feuls forment une objection
particuliere dont il eft impoffible
de ne pas fentir la force ; car il y a de fréquentes
corrections dans ceux qui font pris
du Bréviaire Romain , & il y en a de compofés
tout à neuf : correction , compofi .
tion , Louis XIII en étoit-il capable ?
Mais que fignifieront donc ces mots ,
perChriftianiffimum Regem Ludovicum XIII
Rien autre chofe que ce qu'ils fignifient
dans un Ouvrage imprimé à Paris en 1612,
dont voici le titre : Préceptes d'Agapetus à
Juftinien , mis en François par le Roi très-
Chrétien Louis XIII, Roi de France & de Navarre
, enfes leçons ordinaires . Il eft vifible
( i ) Extrait des Manufcrits de M. Dupuy , confervés
dans la Bibliothéque du Roi,
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
·
qu'ici David Rivault faifoit honneur à fon
éleve de fon propre travail , puifqu'on trouve
ces Préceptes d'Agapetus , & c. dans la
collection de fes oeuvres. En conféquence
de cette découverte , ne puis-je pas hazarder
mes conjectures fur le véritable Auteur du
Bréviaire , que je penfe être le même Riyault
, Sieur de Heurance ? & je les crois
d'autant mieux fondées , que ce Précepteur
fi complaifant étoit habile , & ( ce qui fait
à mon point ) Eccléfiaftique. On dit même
que Louis XIII , après s'être reconcilié
avec lui , lui avoit promis un Evêché,
Ce ne font là cependant , il eft vrai , que
des conjectures , mais je ne les crois pas
fans force. Quelque autre peut- être fera
mieux , en nous apprenant enfin quel eft
le véritable pere du Parva , &c .
J'oubliois de vous dire qu'outre l'Edition
in- 16 que j'ai eu fous les yeux en fai
fant ces remarques , il y en a une ſeconde
en 2. vol. in -4° . imprimée pareillement au
Louvre l'année même de la mort de Louis
XIII , c'est - à- dire en 1643. Voyez le
tome premier du beau & très magnifique
Catalogue des Livres imprimés de la Bibliothèque
du Roi , p . 261 .
Je fuis très -fincerement , & c.
A Verfailles , le 13 Août 1753:
DECEMBRE. 1753. 29
RAPÁRDODCIEAGAPAPAGAIDED
LEPRIVILEGE DES POETES
ETABLI.
Par L. Dutens de Tours.
Siécle heureux ! fiécle plein d'abondance !
par la force des vers , Où bâtiflant
Muſes chantoient , & pierres en cadence
Venoient le rendre au bruit de leurs concerts.
N'étoit Rimeur , tant peu fût -il habile ,
Qui ne trouvât le moyen parfes chants
De fe pourvoir d'un petit domicile ;
Selon le ton du Poëte , ou fon ftyle ,
L'ouvrage avoit les effets differens.
Ville fuperbe , ou Palais magnifique ,
Etoient le fruit d'un Poëme héroïque ,
Un bon Sonnet élevoit un Château ;
Pour le conftruire une maiſon commode
Il n'en coûtoit que la façon d'une Ode ,
Et vous alliez vous bâtir un hameau ,
Sans autre frais que celui d'un Rondeau .
Mais de ce droit , qu'ils regrettent fans ceffe ,
A leurs dépens , ou ceux de leur hôteffe ,
Poëtes font déchus entierement ;
Car Jupiter ayant bien mûrement
Pefé le cas , conclut avec fageffe ,
Que chaque jour leur nombre s'augmentant ;
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
Maçons étoient ruinés fans reffource ,
Si tout Rimeur auffi rapidement
Qu'il fait des vers , bâtifoit aifément.
Pour prévenir ce malheur dès fa fource ,
Il falloit donc les changer d'élément.
Dans ce penfer , le Maître du tonnerre
Fit là -deffus des réglemens nouveaux ;
Droit de bâtir il affigna fur terre
Au Dieu Plutas & tous fes commenfaux :
Aux beaux efprits , pour réparer leurs pertes ,
Réfervant l'air & fes plaines défertes ,
Pour y conftruire à leur gré des Châteaux. )
Afuivre en tout cet arrêt mémorable,
Poëtes font depuis fort réguliers;
Et de là vient le droit inconteftable
Qu'ils ont encor d'habiter les greniers.
DECEMBRE. 1753. 31
104 106502 502 602104: 502 502 802 502 506 802806 502
EXTRAIT
Des ouvrages lus à l' Affemblée publique de la
Société des Sciences, Lettres & Arts, tenue
dans la Sale de l'Hôtel de Ville de Clermont
en Auvergne , le 25 Août 1753 .
M
Onfieur de Feligonde , Secrétaire
de la Société , ouvrit la Séance par
la lecture d'une Diflertation fur l'origine
des Gaulois. S'éloignant de l'opinion commune
qui fait defcendre les habitans des
Gaules d'une colonie de Troyens , l'Auteur
attribua l'établiffement de ce préjugé
au voisinage des Romains , qui prétendoient
fentir couler dans leurs veines le
fang d'Enée & d'Afcanius , & à l'émulation
qu'avoient les Gaulois de ne céder
en rien à ces dangereux voifins : il chercha
dans l'étymologie du nom des Gaulois
, l'époque d'une origine plus ancienne;
& après avoir combattu les fentimens
de differens Aureurs , il conclut que les
peuples Gaulois avoient occupé nos Contrées
, depuis Afchænas , fils de Gomer Gallus
; & que la Gaule , malgré la force des
torrens de peuples aufquels elle avoit donné
paffage , avoit toujours , à la faveur
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
de fes montagnes , confervé les premiers
habitans .
M. Duffraille , Directeur de la Société ,
lut enfuite un Mémoire , contenant des
obfervations hiftoriques fur les Coûtumes
d'Auvergne ; il établit d'abord que l'efprit
de ces Coûtumes étoit relatif , non-feulement
à la fituation , au produit, & au commerce
ancien de cette Province , mais encore
au génie guerrier & aux moeurs de fes
habitans. Il remonta à l'époque de la premiere
publication dans les Gaules de la
prefcription de trente ans & de trois ans ,
qui ont lieu en Auvergne ; il établit auffi
que la maxime de la repréfentation à l'in
fini , qui a lieu en Auvergne , occafionna
de grandes guerres entre fes Comtes : les
Rois de France & d'Angleterre s'intérellerent
pour les deux partis. Toute la Nobleffe
de la Province fe divifa à cette occafion
; ce qui a vraisemblablement occafionné
le mêlange fingulier qui fe trouve
en Auvergne, du Droit Romain & du Droit
Coûtumier enfin M. Duffraifle fixa l'époque
de l'affranchiffement du droit de
main morte en Auvergne.
M. Teillard de Beauvefeix , Aſſocié ,
lut une Differtation fur la vie de l'Empereur
Avitus. Après avoir rapporté le témoignage
des Auteurs , qui conviennent
DECEMBRE. 1753. 33
que Clermont a été la patrie de cet Empereur
, il entra dans un détail exact des
traits relatifs à l'Histoire de fa vie ; il remarqua
, contre le fentiment de M. l'Abbé
du Bos , dans fon Hiftoire critique de
l'Etabliffement de la Monarchie Françoiſe
dans les Gaules , que ce fut à Avitus que
les Romains furent redevables de la paix
qu'ils conclurent avec les Viligots , après
l'entreprife téméraire de Littorius Celfus.
L'Auteur fuivit Avitus dans les differentes
Charges qu'il occupà , & fur le Trône
de l'Empire ; il déplora les débauches qui
ternirent l'éclat de fes belles actions , &
furent caufe de fadépofition & de fa mort,
M. de Beauveleix finit ainfi : » Je dois ,
» Meffieurs , pour ne rien omettre de ce
» qu'il y a d'intéreſſant & d'honorable à la
» mémoire d'Avitus , vous expofer que
» c'eft de lui que defcendent en ligne di-
» recte nos Rois de la feconde & troifién
me Race , foit par Ecdicius fon fils ,
foit, comme le prétendent d'autres Au-
» teurs , par une de fes filles mariée à
» Tonantius Ferreolus II . du nom . Je me
» ferois fait un crime d'oublier ce trait ,
»moins encore pour l'honneur d'Avitus ,
» que pour la gloire de cette Province &
» de cette Ville , qui fe trouve en droit
» de compter an nombre de fes enfans
1.
Bv
34 MERCURE DE FRANCE .
>> cette longue fuite de Rois , que toutes
» les Nations envieront toujours aux peuples
qui ont le bonheur de leur obéir. »
M. Ozy , Affocié , lut un Mémoire fur
la nature des vapeurs qui fe manifeftene
dans les caves de Chamaillere , Bourg près.
de Clermont en Auvergne. L'analogie
de ces vapeurs avec celles qui fe font
fentir dans la Grotte du Chien, près de
Pouzol en Italie , décrite par M. l'Abbé
Nollet , occupa la premiere partie de ce
Mémoire. L'Auteur rendit un compte exact
des expériences qu'il a réitérées dans ces
caves , foit fur des oifeaux , foit fur differens
alkalis fixes , & fur les barométres &
thermométres. De ces differentes expériences
, l'Auteur conclut à l'existence de trois
acides ; fçavoir , l'acide vitriolique , l'aci
de nitreux , & l'acide marin. La feconde
partie du Mémoire tendit à dévoiler
pour quelles caufes ces trois fubftances ,
que l'Auteur prétend être dominantes dans
la nature , fe manifeftent plus abondamment
dans ces cavernes que par tout ailleurs
, & par quelles voies elles y parvienment
les differentes preuves & raifons
phyfiques dont l'Auteur fait ufage , font
trop unies entr'elles pour être fufceptibles.
d'extrait,
La Séance für rerminée par la lecture
DECEMBRE . 1753-
335**
de deux pièces de Poëfie ; une Ode , intitulée
: les Paffions , par M. de Fredefont
Affocié ; & une Traduction du Pleaume
Quam bonus Ifraël Deus , &c. par M..de
Saint Victor .
Les quatrième , cinquième & fixiéme
verfets , qui font une image de la fecurité
du pécheur , peuvent donner une idée
jufte de la verfification & de la traduction
de l'Auteur,
4. 4. Quia non eftrefpectus , &c.
Pour peu que de la mort l'image les effraye ,
Sur elle ils tirent le rideau :
Et pour eux il n'eft point de revers ou de playe ,
Que n'efface un fuccès nouveau.
4. § . In labore hominum , &c.
La fortune pour eux ceffe d'être fragile ,
Ils n'en redoutent point les coups :
Seroient ils donc paîtris d'une plus noble argile ,
Pour ne pas fouffrir comme nous ?
*. 6. Ideo tenuit eos fuperbia , &c.
Fourrois- je dans l'impie entrevoir fans mu
mure ,
Cet excès de contentement?
A mes yeux indignés l'orgueil eft fa parure
L'iniquité fon vêtement,
Baj
9
36 MERCURE DE FRANCE.
26 26 26 26 IL IL 26 26 26 26 IEVA
LE JARDINIER
ET LA JEUNE PLANTE ,
FABLE ALLEGORIQUE.
A M. le Marquis de Saint - Mégrin.
Dans un climat délicieux ,
Où l'ait donne un air de parure
Aux richefes de la nature ,
Un Jardinier induftrieux
Fit éclore une jeune plante :
Elle étoit droite & bien venante,
Et faifoit le plaifir des yeux.
La fommité bien faite & fine ,
Et fon contour noble , élégant ,
De la peau le poli charmant ,.
Sa fraicheur & fa bonne mine ,
En elle tout avoit un air intéreſſant.
La fouche qui lui donna l'être,
Ne produifit jamais qu'en beau ;.
Auffi le tendre & docile arbriffeau
Promettoit- il tout ce qu'on peut promettre,
Encouragé par les fuccès ,
Et fe plaifant dans fon ouvrage ,
Le Jardinier mit en ufage
Tous fes talens , tous les fecrets ,
Pour de la jeune plante avancer les progies.
DECEMBRE. 1753.
37
Toujours debout avant l'Aurore ,
Il s'empreffoit de l'arrofer ;
Le foir il l'arrofoit encore.
Tantôt , afin de l'exhauffer ,
I fupprimoit une branche inutile ;
Et fi quelqu'autre peu docile ,
De la tige pouvoit altérer la rondeur ,
Il la plioit en maître habile ,
;-
Malgré fon vice & fa roideur ..
Tantôt épris d'un nouveau zéle ,
Il foffoyoit , il creufoit autour d'elle
Jufqu'à certaine profondeur ,
Pour y porter un terreau falutaire.
Tantôt d'un papillon volage & téméraire:
Il fixoit l'importunité ,
La déroboit à la malignité
De la chenille dévorante ,
Et la fauvoit de l'aiguillon ,
De l'infecte & du moucheron .
Tantôt il arrachoit toute herbe malfaifante,
Qui de la jeune plante
Pouvoit abréger le deftin ,
En lui communiquant fa féve & fon venia,
Tantôt enfin pour garantir la tête
De la fureur des ouragans ,
Il l'adoffoit , l'ajuftoit à tous fens ,
A des appuis fermes & bien -tenans ,
Od venoit fe brifer l'effort de la tempête.
Ah ! que vos foins font prévenans,
18 MERCURE DE FRANCE.
Lui dit un jour le tendre arbuste !
Qu'ils font généreux , bienfaiſans !
Eh oui , fans doute , il eft bien jufte
D'avoir pour vous les fentimens
D'une fincére gratitude :
Oui , j'en formerai l'habitude ,
Et ce fera dans tous les tems
Ma principale étude.
Daignez , au nom de tous les Dieux,
Me lès continuer ces foins officieux ,
Affez
A qui je dois tout le bien de mon être :
Sans vos bontés puis- je rien me promettre ?
Puis je compter fur des progrès nouveaux ?-
Si vous m'aimez, foyez encor mon maître ,
Jufqu'à ce que , par vos travaux ,
J'aye vû s'accroître & s'étendre
Et ma racine & mes rameaux ,
pour réfifter au déluge des maux
Dont vous avez fçu me défendre.
Pénétré d'un aveu fi tendre ,
Le Jardinier fentit redoubler fon ardeur ;
Il prodigua les efforts de fon zéle ,
Tant en effet , qu'à leur faveur ,
Et la plante éprouvant en elle
A chaque inftant un furcroît de vigneur,
Et de difpofitions à croître ,
Devint enfin un arbre grand & beau ,
Qui tous les jours par un éclat nouveau,
Squt embellir le lieu qui le vit naître.
DECEMBRE. 1753.
32
Le naturel tout feul ne mene pas au grand :
Ajoutez -y l'affortiment
D'une éducation bien fuivie ,
Et vous aurez le fûr garant
Des progrès d'une belle vie.
ENVO I.
Attaché par le fentiment
"
A l'Auteur de votre naiſſance ,
A qui je paye encore , avec toute la France,
Le tribut que l'on doit au mérite éminent .
Pour vous, Marquis, même zéle me preffé ;
Permettez qu'il ofe éclater
Dans ces vers que je vous adreffe ,
Où lui-même a feu vous tracer-
Sous des couleurs , des images riantes ,
De vos jeunes talens , de vos vertus naiffantes ,
Le fidéle tableau ,
Qui d'un deftin brillant & beau ,'
Nous annonce pour vous , l'existence future.
Qui , vous pouvez en accepter l'augure ,
Erant iflu d'un fang f fertile en héros.
Eh ! quel héros encore
Que l'illuftre Auteur de vos jours !
Qu'il feroit grand , même fans le fecours
De l'appareil qui le décore !
Auffi nous l'aimerons toujours ;
Et fi nous devons ces retours
Aux bontés dont il nous honore ,
40-MERCURE DE FRANCE.
Le devoir s'uniffant à l'inclination ,
Nos fentimens pour lui vont jufqu'à l'émotion .
Nous fçavons qu'il les apprécie ,
Qu'il le fçait , qu'il en eft charmé :
Seroit - il en effet de plaifir dans la vie
Egal au plaifir d'être aimé ?
Vous ferez , comme lui , grand , magnifique , aimable
,
Généreux , prévenant , gracieux , fociable ,
Affectueux , humain , acceffible & poli ;
Nous vous aimerons comme lui .
Ducaffe.
MMMMMMMMMMMMMMM
MEMOIRE
Sur le Topique que le Roi vient d'acheter ,
pour arrêter le fang , avec la maniere de
le préparer & de s'en fervir , par M. Faget
l'aine , lû à la Société Royale de Londres
, le 7 Septembre 175.2 .
M
Onfieur Broffard , Chirurgien du
Berri , arriva à Paris vers la fin de
l'année 1750 ; il propofa un remède pour
arrêter le fang , dont il dit avoit fait plufieurs
expériences heureufes dans des amputations
du bras & de la jambe.
Il demanda des Commiffaires à l'Académie
de Chirurgie , pour faire en leur
DECEMBRE. 1753 . 4*
préfence de nouvelles épreuves far diffe
rens animaux : il arrêta le fang des plus
groffes artéres , après des amputations . Le
fuccès de ce remède pouvoit être équivoque
fur des animaux , parce que dans quelques-
uns , dans les chiens , par exemple :
les groffes artéres fe bouchent d'elles mêmes
; on n'en voit prefque point périr
d'hémorragie. Le fang de ces animaux plus
difpofé à la coagulation , forme bientôt un
caillot qui en arrête l'écoulement.
Quoique les expériences fur des animaux
ne fuffent pas
fuffifantes
par les raifons
que je viens de dire , la certitude qu'on
avoit que ce reméde ne pouvoit produire
aucun mauvais effet fur les hommes , fit permettre
à M. Broffard de l'employer aux Invalides
, dans une amputation de la jambe ,
qui réuffit très- bien : le malade guérit fans
accident.
Quelque tems après deux Voituriers
eurent les jambes écrasées par les roues deleurs
charettes , qui étoient chargées de
groffes pierres. On me porta ces malades.
à l'Hôpital de la Charité. Comme je net
voyois de reffource que dans l'amputation
, je mandai M. Broffard , qui appliqua
fon reméde de la façon fuivante.
Lorfque j'eus coupé la jambe , je lâchai
le tourniquet pour voir la fource du fang,
42 MERCURE DE FRANCE.
M. Broffard appliqua fur l'orifice des deux
artéres deux morceaux de fon reméde ,
d'environ un pouce quarré long , attachés
l'un fur l'autre avec un ruban .
Je refferrai enfuite le tourniquet , &
M. Broffard fit porter les deux rubans qui
font attachés au deuxième morceau de fon
topique , fur le genoüil ; il mit une bourſe
de linge garnie du même reméde , réduit
en poudre , fur toute la playe , & par deffus
j'appliquai l'appareil ordinaire.
Après le panfement je lâchai le tourni
quer pour foulager le malade , & je l'ôtai
deux heures après l'opération .
Quarante- huit heures après l'opération,
à la levée du premier appareil , le topique
tomba de lui- même , & la playe ne donna
point de fang. M. Broffard n'appliqua
alors qu'un fimple morceau de fon reméde
fur les vaidleaux , & je panfai le refte de
la playe avec des plumaceaux chargés de
digeftif, un emplâtre de tirax , & le bandage
convenable ..
Le troifiéme jour le topique tomba auſſi
de lui-même au panfement , & le malade
fut enfuite panfé à l'ordinaire.
Les mêmes chofes furent obfervées après
l'amputation , & dans le panfement du
deuxième malade .
L'un mourut le cinquiéme jour & l'antr
2
f
DECEMBRE. 1753 43
tre le neuviéme ; mais il n'eft furvenu ni
à l'un , ni à l'autre aucune apparence d'hémorragie
: ainfi le reméde a produit l'effet
defiré. Pour conftater l'effet du reméde
j'examinai les vaiffeaux des cadavres , &
je les trouvai refferrés , comme s'ils euffent
été liés ; & dans les plus gros troncs , je
trouvai un caillot de figure conique , qui
avoit un pouce & demi de long.
Le caillot ôté , j'eus beaucoup de peine à
faire paffer un petit ftiler dans l'ouverture:
de l'artére coupée..
Le malade qui mourut le neuvième jour,'
avoit de même que le précédent , les artéres
fort refferrées , mais le caillot avoit au
moins quatre pouces de long.
M. Morand a employé avec fuccès le
même reméde , à la fuite d'un coup d'épée
au pli du bras. Il a donné à ce fujet un Me
moire à l'Académie de Chirurgie.
Je m'en fuis fervi auffi plufieurs fois , à
Poccafion de l'ouverture de differentes artéres
, & toujours avec fuccès.
On vient de le mettre en oeuvre auffi
avec fuccès aux Invalides , fur deux amputations
; on ne s'eft fervi que de deux
morceaux du topique , fans employer la.
poudre contenue dans la bourfe , que je
crois fort inutile.
•
Voilà donc un reméde inefpéré , auquel
44 MERCURE DE FRANCE.
l'Art n'avoit pû fuppléer par aucun équi
valent. La cruelle application du feu étoit
la reffource des anciens : Paré fe crut inf
piré lorsqu'il inventa la ligature . Mais
combien d'accidens n'en réfultent-ils pas ?
accidens qui font quelquefois la caufe de
la perte des malades , & qui paroiffent
n'être plus à craindre par la découverte de
ce reméde , dont les premieres expériences
annoncent le fuccès le plus décidé.
Si ce reméde ne formoit qu'une coagulation
de fang , il ne produiroit rien d'extraordinaire.
Cette concrétion même ne
feroit pas un reméde affuré , fur tout dans
les premiers tems qui fuivent l'opération :
mais que ce reméde refferre fi rapidement.
une grande artére , qu'il y laiffe à peine
un paffage pour un petit ftilet , qu'il forme
par ce refferrement une efpéce de ligature
, d'autant plus fûre qu'elle n'eft pas
faite fur quelques points du cylindre d'un
vaiffeau , comme la ligature ordinaire , c'eſt
là une opération finguliere que nos mains ,
ni notre induftrie ne fçauroient imiter.
Cette fingularité en fuppofe une autre ;
c'eft la grande contractilité des arteres.
Ces vaiffeaux fe refferrent naturellement
mais leur refferrement ne les réduit
pas aux
deux tiers de leur diamétre. Or par l'opé
ration du reméde dont il s'agit , on voit
Ca
C
C
P
C
V
f
t
DECEMBRE . 1753 .
45
clairement
que par cette contraction , leur
cavité peut s'effacer prefque entierement :
c'est dans les plus grands vaifleaux que
cette cavité s'efface ; qu'on juge par là de
ce qui peut arriver dans les
petits .
Ce n'eft pas dans des parties mortes que
cette contraction peut arriver ; il demande
le fecours du principe vital , il refferre les
parties aux approches de certains corps ,
c'est -à - dire , qu'il forme dans les corps
vivans cette irritabilité qui fait que les
fibres pincées ou aiguillonnées fe racour
ciffent , & réduiſent à un moindre volume
le tiflu qu'elles compofent .
Le reméde dont je viens de parler n'eſt
autre chofe que l'agaric de chêne. La meilleure
efpéce pour arrêter le fang eft celle
que l'on trouve au fommet des gros chênes
dont on a coupé les groffes branches ;
il y en a des morceaux qui ont la forme
d'un pied de cheval . On le diftingue en
trois parties ; l'écorce , la portion moyenne
qui eft préférable aux autres , & la plus
intérieure qui touche le corps du chêne ,
qui eft celle dont on fe fert pour faire le
poulier dont j'ai parlé .
La portion moyenne dont nous nous
fervons pour les amputations, fe coupe par
morceaux à peu près de la grandeur & de
l'épaiffeur de celui que j'ai eu l'honneur
46
MERCURE DE FRANCE.
de vous préfenter ; on le bat enfuite à
coups de marteau, comme les Cordonniers
battent leurs cuirs , jufqu'à ce que ce corps
foit devenu molaffe.
M. Broflard m'a dit qu'il falloir cueillit
cette végétation dans l'Automne , après les
grandes chaleurs & dans un beau jour,
Au refte , il fe garde auffi long tems que
l'on
veut.
Voilà tout ce que j'ai
pûrecueillir fut
le nouveau Topique pour arrêter le fang,
Sil fe palle quelque chofe à cet égard qui
mérite de vous être
communiqué , je profiterai
avec
empreffement de cette occa
fion de vous plaire. Signé Faget , Chirur
gien- Major de l'Hôpital Royal de la Charité
à Paris , Confeiller de
l'Académie de
Chirurgie , & Membre de la Société Roya.
le de Londres.
DECEMBRE.
47
1753 .
200 205206207208209 2085 205 205205205205 205205
A MADEMOISELLE ......
Qui me demandoit des Nouvelles.
Vous recourez à moi pour fçavoir des Nowvelles
,
De ce choix que je fuis flaté !
Mais votre curiofité
Ne fe contente point de folles bagatelles ;
Pour conter felon votre goût ,
Il faut faire briller la vérité fur tout.
Bon , j'ai juftement votre affaire,
Et le récit que je vais faire
N'eft pas moins vrai que férieux ;
C'eſt un débat entre trois Dieux ,
Dont vous êtes caufe , Thémire .
» Moi , cauſe ! Oui , vous. Voyez ces yeux , difoit
l'Amour ,
Ce fein , ces lévres , ce fourire ;
Combien de coeurs par Elle embelliffent ma Cour !
Je dois gagner , c'eft fûr , je plaide pour les charmes
....
Tout beau , tout beau , répond Pallas ,
Je conviens qu'elle a inille appas ;
Mais ſon efprit auffi fait qu'on lui rend les armes :
Vous ne pouvez le contefter ,
Et de ce côté là je prétends l'emporter.
48 MERCURE DE FRANCE.
La Déelle du Chant prenant lors la parole :
Efpoir ridicule & frivole !
Comptez- vous donc pour rien fa voix ?
Prêtez l'oreille aux fons qui fortent de ſa bʊuche
,
Ces fons attendriroient l'ame la plus farouche ...
Or qu'eft-il arrivé ? Tous trois
Répéterent long -tems leur éloge fidele ,
Réfolus de ne point céder.
Jupiter étoit Juge , il n'ofa décider ,
Et le Trio céleste eft encore en querelle .
7. F. Guichard.
IMITATION
De l'Epigramme 37° du premier Livre
de Martial.
Ad Lucanum & Tullum,
Freres par l'amitié plus que par Ja naiſſance ,
Si des fils de Léda vous éprouviez le fort ,
Votre amour infenfible aux horreurs de la mort ;
De vos coeurs un moment romproit l'intelli
gence :
L'un & l'autre à l'envi , par le plus noble effort ,
Pour defcendre au tombeau voudroit la préfé.
rence.
Ce feroit peu pour vous ; & lorfque l'un des deux ,
Victime
Ji
E
S
DECEMBRE.
1753. 42
Victime du trépas , trifte objet de ſes voeux ,
Defcendroit le premier fur le fombre rivage;
De fon coeur expirant tel feroit le langage :
Cher frere , que mes droits foient réunis aux
tiens ;
Que tes jours fortunés foient accrus par les miens
IMITATION de la 43 ° du même Livre.
De Porcia , uxore Bruti.
Du grand Brutus Porcie apprend la deſtinée ;
U
A ce trifte récit la douleur forcenée
Ne cherche qu'un
poiguard pour tout foulage
ment :
On connoiffoit fon coeur ; c'eft inutilement
Qu'elle voudroit s'armer de ce fer homicide.
Quoi ! Ne fçavez - vous pas , troupe lâche & timi
de ,
Dit-elle ,, que la mort eft un bien affuré
Peut-on nous le ravir ? Cet oracle eft facré ;
J'en ai pour für garant l'exemple de mon pere.
Elle dit , & d'un bras guidé par la colere ,
Saifit avidement des charbons embrafés ,
Les dévore , en difant tous mes maux font ceflés ;
Je fuis donc à l'abri des coups de la fortune ;
Je ne redoute plus votre foule importune :
Apprenez , pour mourir que l'on fçait tôt ou tard
Trouver d'autres moyens au défaut d'un poignard.
1. Vol. C
yo MERCURE DE FRANCE !
TRADUCTION de la 93 ° du XI
Livre du même.
In Zoilum .
DE
vicieux
à tort le titre l'on te donne:
Tu n'eft point vicieux , mais le vice en perfonne,
L. Sancy.
C
2
DIALOGUE,
LINDOR ET DAMON,
Efeux
LINDOR .
nous
1
ét
te
reg
bbo
Nvain , cher Damon, nous cachons les
feux qui nous confument. La difcrétion
pouffée trop loin devient un crime ea fo
amitié. J'aime Thémire , vous aimez Lu- qu
cinde ; depuis qu'elles ont quitté ce hameau
, vous négligez vos vergers autrefois
fichéris , les plus belles fleurs éclofent & ble
fe defféchent fans attirer vos regards ; votre
chalumeau ne nous fait plus entendre
que des fons plaintifs. Moi je parcours
nos forêts , je fuis au hazard le premier
chaffeur que je rencontre , j'oublie le plus de
fouvent mes Béches & mon carquois : je du
dar
DECEMBRE. 1753 .
51
cherche la
diffipation & le plaifir , & je ne
trouve par tout que l'amour.
DAMON.
Vous
m'arrachez , Lindor , un terrible
fecret . J'aime Lucinde , je cherche à dérober
à tous les yeux une tendreffe qui n'a
point l'aveu de cette beauté , je crains de
l'irriter par mon hommage ; je ne puis me
cacher qu'il ne reste plus fur mon viſage
aucunes traces de jeuneffe , l'état paſtoral
n'eft guéres fait pour traiter avec fuccès
l'amour de nos jours : j'aime , mais quand
je veux le déclarer , la crainte de déplaire
étouffe ma voix , & je n'oſe me faire entendre.
LINDOR.
Quand Thémire paroît , tous mes fens
font fufpendus , il fort un feu de fes yeux
qui éblouit tout ce qui l'environne ; je la
regarde en tremblant , elle démêle avec
bonté mon embarras , & fes regards femblent
me dire qu'elle lit tout mon reſpect
dans la vivacité des miens.
DAMON .
Vous rappellez- vous le jour que Lucinde
vint fe mêler à nos jeux ? elle le fit
d'un air fi naturel qu'elle gagna tous les
Cij
52 MERCURE DE FRANCE .
coeurs . Nos bergeres la trouverent char
mante avant de s'être apperçues qu'elle
étoit belle ; elle ne parut occupée qua
faire briller leurs avantages . Si elle parloit
, c'étoit pour leur applaudir , ou pour
donner une tournure agréable à ce qu'elles
avoient dit ; & cela d'un air fi aiſé , que
tout le monde auroit crû pouvoir en dire
autant , mais il paroiffoit impoffible de
dire mieux.
LINDOR.
Thémire a un éclat qu'il n'eft pas poffible
de cacher ; nós bergeres la regardent
avec une confufion qui augmente encore
les avantages qu'elle a fur elle. Quand nos
bergers lui difent qu'elle est belle , elle
en paroît plus modefte & plus réſervée.
Quand ils prennent des airs avantageux ,
elle fçait toujours les humilier , elle le fait
même quelquefois avec un peu d'aigreur ;
mais elle ne confond jamais un fentiment
vif & délicat , avec un air préfomptueux.
Une tendreffe vertueufe la flate , & elle
méprife un fat , fans daigner le ménager
ni le haïr.
DAMON.
Licas s'avifa , en danfant , de ferrer la
main de Lucinde , elle la retira fans myftére
, mais fans aigreur. Il craignit d'aDECEMBRE
. 1753 . 53
voir déplû , mais il ne fut point confus
parce qu'elle avoit pris un air riant & libre
; ce n'eft pas qu'elle ne fentit la groffiereté
de Licas , mais fa bonté ne lui permit
pas de le trop embarraffer. Quand nos
bergeres chantent , elle les accompagne avec
tant d'art , que leurs voix en deviennent
plus touchantes ; elle leur dit qu'elle a pris
un plaifir iufini à les accompagner , & leur
donne des louanges fur un goût qu'elles
ne tiennent que de celle qui veut n'y paroître
pour rien .
LINDOR.
Thémire penfe fi jufte , & parle avec
tant de réferve , qu'on craint toujours de
n'être pas de fon fentiment. Quand elle
contrarie , c'eft avec tant de force & d'ef
prit , qu'on eft honteux de n'avoir pas
penfé comme elle .
DAMON.
Lucinde ne contrarie jamais ; fi elle
défapprouve quelque chofe , on ne s'en
apperçoit que parce qu'elle garde le filence.
Quand on la force à s'expliquer
elle le fait avec tant de douceur & de grace
*que rout
le monde revient à fon fentiment ,
fans fe fouvenir même qu'on a penſé differemment.
Ciij
54
MERCURE DE FRANCE
LINDOR.
Thémire étoit éblouiffante le jour de
notre derniere fête , nos guirlandes fembloient
avoir perdu leurs couleurs : tous
les yeux étoient attachés fur elle , & n'en
fortoient que pour fe communiquer leur
raviffement. On reftoit en filence , on
craignoit de divifer fon attention , comme
file fon de la voix eût pû dérober quelque
chofe au plaifir de regarder ; tout
paroiffoit anéanti par la préfence de Thé
mire.
DAMO.N.
t
C
d
1
Lucinde répand le plaifir par tout ; lă
où elle paroît , elle fçait changer le jour le
plus trifte en un jour de fête ; fa préfence f
embellit toute la nature. Les fleurs dont
elle fe pare , en paroiffent plus belles ;
lors même qu'elle foule aux pieds celles
de nos prairies , elles empruntent d'elle
une nouvelle grace , par le tour galant
qu'elles prennent en s'efforçant de la ca
reffer. Les eaux de nos fontaines coulent
plus lentement quand elle en approche , il
femble qu'elles fe faffent gloire de la peindre
dans leurs cryftaux. Quand je crains
de l'importuner par mes regards trop fréquens
, mes yeux y vont chercher fa belle
p
N
P
P
d
DECEMBRE . 55 1753 .
image , mais je ne la trouve jamais fi bien
exprimée qu'elle l'eft dans mon coeur.
LINDOR.
L'amour s'accroît , dit- on , par le filence
qu'on garde en aimant mais c'eft une
grande douceur de pouvoir s'entretenit
avec quelqu'un de fa tendreffe . Oui , Damon
, il me femble que je ne puis plusgoûter
aucun plaifir qu'avec vous , notre
amitié m'en devient plus chere , je crois
entretenir Thémire , je crois la voir approuver
mes feux par fes regards charmans.
DAMON.
Je partage bien vivement , mon cher Lindor
, les douceurs de notre amitié ; en dépofant
mon fecret dans votre coeur , mes fentimens
m'en paroiffent plus dignes de Lucinde
; je crois les avoir juftifiés aux yeux
de tout l'univers. Si les Dieux approuvent
les adorations des mortels , Lucinde ne
peut rejetter les miennes , puifque je ne
reconnois leur image qu'en elle feule .
Mais déja la fin du jour approche , les trou
peaux fe raffemblent , on entend de toutes
parts les hautbois de nos bergers , ilspourroient
nous furprendre ; demain au lever
de l'aurore nous nous reverrons ici ; ce lieu
fera déformais confacré aux fecrets de l'a-
C iiij
16 MERCURE DE FRANCE.
mour. Adieu , féparons- nous , ils approchent
: qu'ils font heureux ! quelle liberté!
quelle joie ils font paroître mais je ne
changerois pas na langueur pour leurs
plaifirs.
AVQUDUQUQUNUDUHAU MÜQUQUNUAUnu
IMITATION
DE QUATRE ODES D'HORACE.
ODE VII du Liv. III . Quidfles, Afterie , &c.
A MADAME DE VAL ....
Sur l'absence de fon mari.
CEffez , Iris , de répandre des larmes ,
Le Printems avec tous fes charmes
A vos défirs enfin va rendre votre époux :
Baniflez d'injuftes allarmes ,
L'Amour de fes plus fortes armes
N'a point ceffé de le bleffer pour vous.
Ne craignez point pour lui l'inconftance de l'onde
,
Les vents refpecteront fa courfe vagabonde.
Qu'un efpoir flateur
Regne dans votre ame ;
Partagez fa flamme ,
Goutez fa douceur ;
L'Amour infidèle
DECEMBRE.
57
1753.
Calme fa fureur ;
L'hymen le tappelle
Au fein du bonheur.
En vain une fuperbe Ville *
Etale à fes regards l'éclat de ſa beauté ;
Des agrémens de ce féjour tranquille
Son coeur ne peut être faté.
Content d'avoir formé le lien qui l'engage ,
Loin de vous le plaifir lefuit ,
Le fouvenir de votre image
L'occupe le jour & la nuit.
Par des difcours pleins d'adreffe
Chloé fa dangereuſe
hôteffe
Tâche en vain d'ébranler fa foi ;
Que peut fa coupable tendreffe
Contre un coeur dans l'amour inftruit par la fagelle
,
Qui de vous adorer fait fa premiere loi ?
De votre époux , Iris , imitez la co
Payez - là d'un jufte retour ';
C'eft la moindre récompenfe
Que mérite tant d'amour.
* Montpellier.
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE EN DIALOGUE.
ODE IX. Liv. III . Donec gratus eram tibi.
DAMON.
Lorſque je poffédois ta foi ,
Qu'aucuns rivaux ne traverſoient ma flamme ,.
Tes faveurs enyvroient mon ame ,
J'étois plus heureux qu'un Roi.
LYDIA.
Avantque pour les noeuds d'une nouvelle chaîne,.
Ton coeur que l'inconftance entraîne ,
Eût brifé les premiers liens;
Je ne cherchois qu'à te plaire ,
Chaque jour ajoûtoit à mon ardeur fincere,.
Tes plaifirs étoient les miens.
DAMON.
Ne me rappelle point , Lydie ,
Le fouvenir de nos amours :
J'aime Chloé , je l'aimerai toujours
Heureux fila Parque ennemie
Peut conferver les jours
Aux dépens de ma vie.
LYDIE.
Tout enchante , tout plaît dans mon nouvel amants
Je goûte dans les bras un fort digne d'envie..
DECEMBRE. 1753.
59
Ah ! pour lui conferver fes jours un ſeul moment,
Je donnerois cent fois ma vie....
DAMON.
Quoi ! fi mon coeur fenfible à les premiers foupirs ,
Honteux d'avoir trahi la plus digne maîtreſſe...
Pour toi ranimoit fa tendreffe ....
Je ne te verrois point répondre à mes défirs ?
LYDIB.
Tout me garantit l'ardeur
Du jeune Berger que j'adore ;
Mais fi tu me rendois ton coeur
A vivre fous tes loix , à faire ton bonheur ,
Je pourrois me réfoudre encore.
AUTRE
ODE XXVIII . O Venus , Regina , &c.
QUitte Paphos & Cythère ,
Quitte Chypre que tu chéris»;
Vole , Amour , avec ta mere ,
Vole chez l'aimable Glycère ,.
Suivi des jeux & des ris.
Qu'Hebé marche ſur vos traces ,
Que fes charmantes Soeurs accourem fur fes pas ::
Пréparez à Glycère un deftin plein d'appas ::
Tendre jeuneffe , aimables Graces,
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
Peut-on le plaire où vous ne régnez pas .
AUTRE.
ODE IV , Liv. II. Nefcit ancilla , &c .
NEE rougis point , Damon , du choix de ta maîtreffe
,
Malgré nous , de l'Amour nous fubiſſons les loix ;
L'on peut fans honte avouer la foibleffe ,
Quand on eft content de fon choix .
Les Héros les plus grands qu'ait vû naître la Grece
Ont trouvé dans ces noeuds des plaiſirs infinis :
Ajax adora Tecmeffe ,
Achille aima Brifeis.
Ce Vainqueur qui mit Troye en cendre ,
Dont le nom tant de fois étonna l'univers ,
Agamemnon n'aima- t- il pas Caffandre
Qu'il faifoit gémir dans fes fers ?
L'Amour égale tout , c'est à fa douce yvreffe
Qu'un amant bien épris doit fa félicité ;
Qu'importe que le fort t'ait donné la nobleſſe ,
Si de mille défauts ton coeur eft infecté .
Crois-moi , de ta Philis la beauté naturelle ,
L'éclat de la vertu qu'on voit briller en elle ,
Ah ! tout annonce affez le rang de fes ayeux.
DECEMBRE. 61 1753.
Mais fa grandeur encor n'eft pas toute éclipfée ;
Si tu veux des témoins de fa gloire paffée ,
Lis ton bonheur dans les yeux .
Ne balance donc plus d'en faire ton époufe ,
D'un coupable remords ton coeur eft combattu :
On ne voit pas toujours la fortune jalouſe ,
De fes dons paffagers enrichir la vertu.
MADRIGA L.
A Madame B..... fur un orage que l'Au--
teur effuya en allant la voir àfa maison de
Campagne.
Contre moi files vents ont déchaîné leur rage
,
S'ils m'ont fait effuyer les fureurs d'un orage ,
Je ne fuis point furpris , Iris , de ce danger ;
Je manquois à vous obliger * :
Les Dieux dont vous êtes l'image
Ont pris le foin de vous venger.
* Il avoit oublié de lui porter un évantail qu'elle
lui avoit demandée.
3X
62 MERCURE DE FRANCE
LETTRE
Dans laquelle on répond à des Réflexions
fur l'Imprimerie & fur la Littérature ;
par M. Auffray , inférées dans le Mer
cure de France , Avril 1753.
Mo
ONSIEUR , tout Journal Littéraire
eft un champ de bataille que l'Auteur
prête à des combattans , fans fe mêler
des querelles particulieres ; pourvû néanmoins
que celles-ci ne perdent pas de vûe
le bien des Sciences & des Arts.
Je me flate donc , Monfieur , que vous
voudrez bien ne pas me refufer une petite
place dans le vôtre , pour répondre à un
article qui fe trouve inféré dans un de
vos derniers Mercures.
Il s'agit de quelques réflexions fur l'’Imprimerie.
L'Auteur ( M. Auffray ) zélé partifan
en apparence de l'art Typographique
, effaye à en faire voir tour le grand
& tout l'utile , en comparant l'état de la
Littérature avant la découverte de cet Art ,
avec celui où elle s'eft trouvée , depuis
cette découverte méthode la plus capable
de jetter un jour fur la vérité qu'il veut
prouver , & qui ne peut que perfuader..
1
1
DECEMBRE 1753 63.
On ne peut , dit M. Auffray , fixer la
renaiſſance des Lettres què vers le tems qui vit
naître le bel art de l'Imprimerie ; c'est-à-dire ,,
le XV fiècle.
L'éloge des Imprimeurs de ce tems heu
reux entre naturellement dans ce plan. Les.
Etiennes , les Frobens , les Manuces , les
Plantins figurent avec les Princes auguf
tes François I & Louis XIV ; encore les
Typographes ont- ils le pas fur les Monarques
: ceux-ci n'ayant pû être utiles aux Let
tres , fi ceux-là par leurs travaux ne les ‹
avoient fait naître , & ne leur avoient , en
quelque façon , fourni les moyens de s'immortalifer.
Tous ces traits forment un tableau
grand , noble & vrai tout à la fois , que
la critique ne peut ne pas reconnoître .
Mais ce tableau fi beau & fi parfait de
l'Imprimerie du X Ve fiécle , ne fe trouve .
là qu'à côté de celui de l'imprimerie du
XVIII ; & fous le pinceau de M. Auffray
, combien celle-ci perd à la comparai
fon ! Autant celle là eft la caufe de tout
l'éclat de la Littérature ancienne , autant
selle- ci, eft la caufe de tous les maux qui
afligent actuellement l'empire littéraire .
Et ce qu'il y a encore à remarquer , c'eft
que fi toute la gloire du X V fiécle eft.
gartagée entre quatre Imprimeurs , toute
64 MERCURE DE FRANCE.
la honte du XVIII eft répandue fur tous
les Imprimeurs & même les Libraires . En
voici quelques traits épars .
Page 65 ... Tandis qu'actuellement le plus
ignorant des Libraires ( dont le nombre n'eft
pas petit ) vir dans l'opulence , à l'abri d'un
pareilfort ( de la mifere ) .
Leur ( des Etiennes & autres ) paffion
pour les Lettres leur faifoit préférer l'intérêt
public au leur ; les Libraires de nos jours
» qui penſent fi noblement , font , je crois ,
» bien rares aujourd'hui ; peut-être même n'en
Dexifte-t- il pas.
Page 66. Il feroit à fouhaiter qu'elles ( les
Imprimeries de Hollande ) euffent refpeci
davantage la Religion & les moeurs. C'ef
» ce que les Libraires ne font pas encore
» actuellement , & c'est dans de pareilles
» mains que cet Art précieux eft devenu dan-
» gereux...... Jamais il n'auroit dégénéri
s'il eût toujours été profeffé par des Artistes
auffi éclairés & auſſi capables que ceux dont
j'aiparlé ci-deſſus ( les Etiennes & autres ) .
Ce n'est pas queje prétende dire que ce fiécle
( le XV ) n'eut pas fes Libraires ignorans
.... mais je ne crains pas d'avancer
qu'ils furent en bien plus petit nombre que
dans notrefiècle.
Page 72. Le fade Roman, le flyle précieux,
fuivi des penfees fauſſes & métaphyſiques , les
DECEMBRE
1753. 65
innovations dans notre Langue , le mépris des
Langues fçavantes , par conféquent du bon
goût, ( & mille autres abus , fans doute, que
M. Auffray défigne par un & c. ) tous les
maux difparoîtront en réformant l'Imprimerie.
Donc l'Imprimerie en eft la cauſe évidente
& palpable.
Voilà , en bonnes régles , le procès fait
& parfait à la Librairie & à l'Imprimerie ,
& à ceux qui en font profeffion.
Je ne prétends pas répondre en forme
aux accufations , puifque je ne pourrois
le faire qu'en louant des perfonnes vivantes
; ce qui nous eft expreffément défendu
par le Sage , & même par l'ufage con
tant de toutes les Académies , qui ne payent
à leurs illuftres Membres le tribut de louanges
dû à leur mérite , que lorfque ceux- ci
ont payé eux mêmes le tribut à la mort.
Je veux donc bien fuppofer que tout
ce que M. Auffray avance , foit auſſi vrai
qu'il fe l'eft perfuadé ; je ne prétends plus
qu'examiner les moyens de réforme que
fon amour pour les Lettres lui a fait imagi
ner , & dont il s'est réservé de démontrer la
poffibilité.
Or les voici tels que M. Auffray les propofe.
J'y joins la réponſe , afin que cha-
* Ante mortem ne laudes hominem quemquam.
Eccli . cap. XI. V. 30..
66 MERCURE DE FRANCE.
cun puiffe fur le champ juger & prononcer.
Voici les propres paroles de M. Auffray.
Des deux moyens de réforme que j'ai imaginés
pour mettre l'Imprimerie fur le pied que
je défirerois , le premier fe trouve avoir befoin
du Gouvernement, & le fecond du fecours.
de la République des Lettres.
PREMIER MOYEN DE REFORME ,
pris du côté du Gouvernement.
1°. Le Gouvernement peut feul , par exemple
, faire que l'on n'admette qu'un certain
nombre de Libraires dans chaque Ville où
L'Imprimerie a lieu.
Réponse. Le Gouvernement fait encore
mieux , puifqu'il reftreint proportionnément
aux befoins des Villes,le nombre des
Imprimeurs , par les mains de qui les Libraires
font obligés de paffer. Ainfi c'eſt
aller à la fource du mal , bien plus que
ne fait M. Auffray.
2º. Il ( le Gouvernement ) peut feul auſſi
empêcher qu'aucun Libraire ne foit reçu dans
cette refpectable Profeſſion , fans avoir fait
fon chef- d'oeuvre ( comme on l'exige parmi
les Artifans ) c'est-à - dire , fans avoir donné
des preuves de fa capacité dans la Littéraure&
dans la Profeffion..
Réponse . Il faut donc apprendre à M.
Auf
nese p
fran
piran
Q
Car
٣٢
Ear
3
土
DECEMBRE. 1753. 67
Auffray , puifqu'il ne le fçait pas , qu'on
ne peut être reçu Libraire fans fubir un
examen pardevant M. le Recteur de l'Univerfité
, lequel juge par lui- même fi l'afpirant
eft congru en Langue Latine , &
s'il fçait au moins lire le Grec. Voilà ce
qui regarde la partie littéraire , ou , fi
vons voulez, fon chefd'oeuvre en Littératare.
Quant à la partie de l'Art , que M..
Auffray a raifon de ne pas perdre de vûe ,.
il faut encore lui apprendre , 1 ° . qu'on ne
peut être reçu Imprimeur , fans avoir été
reçu Libraire. 2° . Que pour être Libraire ,
il faut fubir un examen fur le fait de la
Librairie pardevant treize Membres du
Corps , tirés au fort. 3 °. Que ce même
examen fe répéte pour la réception à l'Imprimerie
, fur le fait dudit Art , avec les
mêmes formalités. Ce qui équivaut bien
je penfe , au chef- d'oeuvre qu'exige impitoyablement
M. Auffray ; au moins Sa
Majefté , & ceux qui tiennent fes lieu &
place dans l'adminiftration de ce qui regarde
la Librairie & l'Imprimerie , fe fontils
jufqu'ici contentés de ces Réglemens ,.
penfant bien, fans doute, que lorfque cette
Profeffion que M. Auffray veut bien trai
ter de refpectable , feroit réduite à être
exercée par des Artifans , ils feroient tou
38 MERCURE DEFRANCE,
jours à tems d'exiger d'eux un chef-d'oeuvre
( comme on l'exige parmi les Artifans ) chefd'oeuvre
qui paroît à M. Auffray une marque
non équivoque , & une preuve fuffis
fante de la capacité de l'afpirant.
SECOND MOYEN DE REFORME ,
pris du côté de la République des Lettres.
1 °. Le fecond moyen de réforme qui me reße
à préfenter , a befoin du fecours de la Répu
blique des Lettres . Si l'on ne vouloit pas exiger
que les Libraires fortiffent de leur igno
rance , & qu'ils fuffent lettres , on pourroit fa
ciliter le progrès des Lettres , & détruire le
frivole , en empêchant les Libraires , par le
moyen des Cenfeurs , d'imprimer augun ouvra
ge qui n'eût été jugé utile très néceffaire
pour l'avancement des Lettres.
Réponse . Voilà donc les Libraires déchar
gés de la crucile néceffité d'être fçavans &
lettrés , par le moyen des Cenfeurs que
M. Auffray veut bien admettre. En vérité ,
M. Auffray a bien des reffources dans l'efprit
, pour imaginer un moyen qui fubfifte
depuis un fiécle ; & de quel pays vient -il
donc ? Ignore- t'il que l'on ne peut imprimer
aucun ouvrage que d'après la révilion
& le jugement des Cenfeurs ? Qu'il ouvre
Co
Lem:
Almanach Royal , il verra trois pages entieses
contenant les noms des Sçavans
P
L
1
DECEMBRE . 1753 . 69
hoifis
par Sa Majefté , à l'effet de juger
tous les ouvrages ; il y verra auffi les noms
des refpectables Magiftrats qui préfident
au Corps de la Librairie & Imprimerie ,
non -feulement pour maintenir les droits
& priviléges , mais pour le faire fleurir &
le rendre de plus en plus capable de coopérer
au progrès & à l'avancement des
Lettres.
Puis donc que le moyen imaginé par
M. Auffray exifte , & que malgré cela , la
Littérature , felon lui , languit par les abus
de l'Imprimerie , toute fa critique tombe
naturellement fur Meffieurs les Cenfeurs.
C'eſt certainement ce que ne prévoyoit pas
M. Auffray , & ce qu'on lui défieroit bien
de prouver encore ; Meffieurs les Cenfeurs
étant choifis parmi les Sçavans en tout
gente , dont tout le monde ne peut méconnoître
le mérite & le difcernement.
leurs
2°. Ce moyen feroit excellent , mais il ne
vaudroit pas , je crois , le premier ; car ilſeroit
toujours plus avantageux que les Libraires
s'impofaffent eux- mêmes cette loi
par
Lumieres & par leur amour pour les Lettres .
Réponse . C'est donc à dire qu'il faudra
que les Libraires foient tout à la fois Théologiens
, Jurifconfultes , Sçavans , Artiſtes ,
Humanistes & Hiftoriens ; cela eft- il propolable
? & M. Auffray accepteroit- il à ces
70 MERCURE DE FRANCE.
conditions une place de Libraire ? A la boně
ne heure qu'ils ayent de l'amour pour les
Lettres pour n'entreprendre que de bons
ouvrages ; leur gloire & leur intérêt les
engagent affez ; mais exiger d'eux des lumieres
capables de juger de tout , c'eft exiger
ce qui eft impoffible à l'efprit humain.
Je conclus donc , que fans entrer dans
la difcuffion de la fupériorité des Imprimeurs
du quinziéme fiècle , fur les Imprimeurs
du dix- huitième , les moyens qu'admet
M. Auffray pour la réforme de tous
les abus prétendus , tombent d'eux-mêmes,
puifqu'ils fubfiftent long- tems avant celui
qui les propofe.
Que M. Auffray forme ou réforme les
Auteurs , qu'il encourage les Cenfeurs à
être plus rigides , ce fera aller à la ſource
du mal mieux qu'il ne fait.
C'est le projet le meilleur , que ( fans être
fçavant ) j'ole lui produire.
Je ne m'arrête pas à relever des petites
méptiles ( a ) qui font fans doute échap-
( a ) Page 63. Jean Furh &fon domestique furent
ceux qui le ( l'Art de l'Imprimerie ) déconorirent.
1º. C'eft Jean Fauft ou Fuſt.
2°. P. Scheffer n'étoit point domeftique , mais
Ouvrier au ſervice de Fauft & de Guttemberg ,
lorſqu'on n'iniprimoit pas encore avec des carac
DECEMBRE. 1753 .
$
•
1 pées à M. Auffray , & qui lui font pardonnables
, parce qu'il parloit d'un Art qu'il
n'eſt pas obligé de connoître parfaitement.
Je ne prétends pas non plus examiner
s'il a bien fuivi les régles de la vraie éloquence
, dans le difcours pompeux qu'il
met dans la bouche des froids Ecrivains du
dix- ſeptiéme fiécle ( b ) .
Je ne veux pas lui faire un crime des
critiques hazardées & peu décentes qu'il
téres mobiles , mais par le moyen de planches de
bois gravées : il obtint même la fille de Fauft pour
récompenfe de la découverte qu'il fit de l'art de
fondre les caractéres.
3°. Les Auteurs les plus eftimés , attribuent
l'invention de l'Imprimerie à Guttemberg ; Fauk
ne fut que l'affocié de celui-ci.
Page 65. Lafamenfe Polyglotte d'Anvers , ou la
grande Bible de Philippe II : Il falloit dire , la
grande Bible en plufieurs Langues , car Polyglotte
ne veut pas dire feulement grande Bible.
ן כ
(b) Page 70. Preffés ainfi de près , ils leverens
le mafque : Quoi , dirent-ils fort unanimement
depuis dix, quinze ou vingt ans queje tiens la plume,
je la quitterois, ouj'irois , écolier barbon , méditer fur
Ciceron , Virgile , Homere Horace , & blanchir à
la fuite de ces Meffieurs : Non , Meffieurs les Cenfeurs
, nous ne ſommes nullement d'avis de cela : cris
tiquez tant que vous voudrez , nous avons nos lecteurs
, nous écrirons pour eux , & notre imagination
affez féconde d'elle- même , n'a pas besoin de cette
tant belle antiquité pour donner du prix à nos ouvra≈
ges.
2 MERCURE DE FRANCE.
fait des Libraires & Imprimeurs de notre
fiécle ( c).
Je veux bien encore ne lui point parler
de deux énormes fautes , qui font fans
doute de la façon de l'Imprimeur ( d ) .
Mon but étoit de relever tout le faux
des moyens que M. Auffray s'étoit perfua
dé avoir trouvés pour réformer des abus
imaginaires : c'eſt au public à juger fi je
l'ai bien fait.
AUGUSTIN -MARTIN LOTTIN,
Imprimeur-Libraire de Paris.
A Paris , ce 12 Septembre.
(c)Je les ai rapportées plus haut , page 64:
( d) Page 70. Pour des gens qui fort fouvent tra
vailloient plus pro famem que pro famam , ces raifons
étoient folides.
Il faut croire que l'on a voulu mettre propter.
L'erreur néanmoins paroît impardonnable , puif
qu'elle eft répétée deux fois dans la même ligne.
Voilà , par exemple , un des plus grands abus de
l'Imprimerie , d'attribuer à un Réformateur des
Sciences & des Arts l'ignorance même du Latin.
Et M. Auffray a oublié précisément de combattre
cet abus , le plus grand & le plus réel qui puifle le
commettre dans l'Art typographique.
A M ** .
DECEMBRE . 1753 .
73
JtJbjbJt:Jbsbst:Jbsbstst
A M✶✶ ✶.
Sur un Poëme de l'Art de peindre , dont il a
récité les deux premiers Chants devant l'Académie
Royale de Peinture , dans l'affemblée
qu'elle a tenue le 7 Septembre 1753 .
pour la diftribution des prix. Par M.
Tanevot.
CHeHer nourriffon des doctes Fées ,
Amateur d'un Art fouverain ,
A qui tu dreffes des trophées
Bien plus durables que l'airain ,
Reçois un tribut de louanges.
Je croyois entendre Apollon
Dicter , dans le facré Vallon ,
Aux Raphaëls , aux Michel - Anges ,
Ses loix , les préceptes divers ,
Et dans leur brillante carriere ,
Répandre la même lumiere.
Qui le couronne dans les airs,
Oui, ce Dieu t'infpiroit fans doute ;
Hé ! quel autre feu que le fien
Pouvoit nous enſeigner la route
Du Corrège ou du Titien ?
Te faire courir fur la trace'
1. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE
Et de Defpreaux & d'Horace ;
Et par des guirlandes de fleurs ,
Unir étroitement deux Soeurs * ,
Riches de la même culture ,
Et rivales de la nature ?
L'une par ces fameux accords ,
De l'autre exprimant les tranſports ,
Nous conduit d'une pente ailée ,
A ce célébre Colliſée **
Où par les plus dignes travaux ,
Ou par cent chefs- d'oeuvres nouveaux
La Peinture eft divinifée.
Là, fatisfaits de toutes parts ,
Bientôt nos avides regards ,
Dans le fruit des plus doctes veilles ,
Goûrent tes dogmes précieux ,
Ta lyre enchanta nos oreilles ,
Et le pinceau charma nos yeux.
O vous qu'éclairent d'autres Cieux ,
Repréfentez-vous l'affemblage
D'un parterre émaillé de fleurs ;
Peignez-vous leurs vives couleurs ,
Vous aurez la fidéle image
De tous ces objets raviffans
Qui tour à tour frappent nos fens,
La Poëfie la Peinture.
** Le Salon d'expofition.
DECEMBRE. 1753 .
75
Que de ſcience , de génie !
Que de graces & d'harmonie !
Ici , quelle fuavité !
Et plus loin , quelle volupté?
Ce font les touches immortelles
Et des Zeuxis & des Appelles ;
On ne fçait qu'applaudir enfin ,
Ou l'élégance du deffein ,
La nobleffe des attitudes ,
Ce goût des profondes études ;
Du les menſonges & chéris
Qu'enfante le beau coloris.
Loin d'ici , Cenfeur téméraire
Des talens les plus radieux :
Déformais , moins audacieux ,
Sçachez admirer , ou vous taire.
EPITRE
A M. Roettiers , Graveur Général en furvivance
de la Cour des Monnoyes & Chancellerie
de France ,ſur ſa réception à l'Académie
de Peinture & Sculpture. Par M.
Poinfinet ,fous le nom de Me. de S ***.
FUyez loin de nos yeux , lâches complimentears
,
Serviles courtisans , dangereux orateurs ,
Conduits par l'intérêt , mafqués par la baffeffe,
Di
76 MERCURE DE FRANCE
Peut-on être ébloui de votre politeffe ?
Non , d'un difcours trompeur le coeur n'eſt point
faté ,
Le mérite rougit d'un éloge affecté .
Et vous nombreux effain , affemblé par l'ufage ;
Que le plaifir unit, que le mystére engage ,
Qui fur un premier noeud , fouvent mal affermi ;
Ofez -vous décorer du grand titre d'ami ;
Fuyez , c'est trop long- tems vous laiffer mécon
noître ,
Votre regne eft paffé , l'amitié va paroître.
Oui , c'eft elle , Roettiers , qui parle par ma voix
Reconnois cette voix aimable , noble & pure ,
Du coeur feul elle fuit les loix ,
Et n'obéit qu'à la nature.
L'amitié toujours fimple , éloquente , fans art ;
Eveille la vertu dont elle eft le falaire ,
Tendre pour confoler , pour admirer levére ;
Mais en tout tems fûre de plaire ,
Auroit-elle beſoin de fard ?
Au grand nom d'amitié , tu t'étonnes peut- être?
Mon fexe te paroît peu fait pour la connoître ;
Ainfique tes pareils , tu penfes fans rougir ,
Qu'une femme ne voit , ne fent que le plaifir ;
Que faite pour vous plaire , elle fonge fans ceffe
A mériter ce dangereux honneur ,
Et votre vanité que nourrit la foibleffe
,
Ne lai permet d'autre bonheur
Que celui d'employer les foins & fa jougeffe
DECEMBRE. 1753
77
$
A tyrannifer votre coeur.
Quelle erreur ! mais n'importe , elle charme ton
ame.
Oui , plus le fentiment eft rare parmi nous ,
Plus il doit te paroître doux
D'en allumer l'augufte flâme .
Quoi , tandis que dès notre enfance ,
Unis par l'âge , unis par les défirs ,
Nous ne formions que les mêmes foupirs ,
Et nous n'avions que la même efpérance ,
Tems heureux où l'innocence
Suivoit nos pas , même au ſein des plaiſirs ,
Tu veux qu'avec indifference
Je te voye en cet heureux jour ,
Le front ceint de lauriers , conduit par la victoire
Te frayer une route au Temple de Mémoire ,
Vaincre la pâle envie & réveiller l'amour ,
En l'éclairant des rayons de ta gloire ?
Non , connois mieux mon coeur , il s'élance & te .
fuit ,
Il vole fur tes pas , l'amitié le conduit.
Que ne puis- je exprimer dans quels torrens de
joye
L'ame de ton amie & s'enyvre & fe noye ,
Quand je te vois pompeufement affis
Au rang de ces mortels , l'honneur de mon pays ,
Ces Appelles nouveaux , qui d'une main hardie
Portent au fein de l'art la nature embellie ?
Et le marbre & la toile , & l'argile & l'airain ,
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
Tout obéit , tout céde au pinceau , au burin
Par eux la toile penſe , & l'argile reſpire ,
Par eux de l'art vainqueur tout reconnoît l'ent
pire.
Et toi , que les talens ont rendu leur rival ,
D'un oeil indifferent tu marches leur égal ;.
Loin de t'abandonner à la flateuſe yvreſſe ,
Où l'orgueil trop fouvent entraîne la jeuneffe
Je te vois peu fenfible à ces raresfaveurs ,
Porter un front modefte au faîte des honneurs.
Tu fçais que cet honneur eft une fourde entrave ,
Que de fon propre com un grand homme eft l'efclave
;
Que plus il eft fameux , moins il a de repos ,
Et que pour relever l'éclat de ſa victoire ,
Il doit par de plus grands travaux
Se couvrir à jamais d'une immortelle gloire ,
Et cueillir des lauriers nouveaux.
Que de tels fentimens font rares à ton âge !
Que mon efprit eft enchanté !
Des plus brillans fuccès ils font l'heureux profage.
Accorde nos défirs avec la vérité ;
Pourfuis , & de nos coeurs reçois le tendre hom
mage ,
De ton regne fur eux fais ta félicité.
Mais qu'un pareil bonheur échauffe ton courage
Que ton vol te conduife à l'immortalité.
Eternifer fon nom , & vivre d'âge en âge ,
Doit être d'un grand coeur la feule volupté.
DECEMBRE . 1753 .
7.9
ES•SA I
Sur cette queftion propofée par l'Académie
de Befançon : L'affiduité au travail
peut-elle procurer autant d'avantages à la
fociété , que la fupériorité des talens .
Sed quid tentare nocebit ? Cicer.
Ch
'Eft un fpectacle qui fe renouvelle
chaque jour , de voir l'homme luter
contre le befoin , chercher dans le travail
la fource des fecours , réaffir quelquefois
à force d'affiduité , & plus fouvent encore
échouer ; tandis qu'à fes côtés les fuccès
les plus brillans feront le fruit des moindres
efforts : tel eft l'effet de cette diverfité
de difpofitions que la nature a diftribué
aux hommes , pour établir entr'eux
une dépendance mutuelle.
S'il eût été poffible à l'effort du travail
de fuppléer au défaut de talent , glorieux
de fe fuffire à lui - même , l'homme auroit
peut être méprifé des fecours étrangers
dont il auroit pû fe paffer ; par un prin.
cipe pareillement puifé dans le coeur , il
cût bientôt abandonné celui de qui il
n'auroit pû efpérer aucun retour , fi la nacure
avoit abfolument privé de fes dons
D iiij
So MERCURE DEFRANCE.
quelques - uns de fes enfans. Mais l'hom
me fans talens eft auffi rare que les monf
trés , pour me fervir de l'expreffion de
Quintilien ( a ) , & ·le travail n'eſt ſtérile
qu'autant qu'il eft défavoué par la natu
re. Ainfi rapprochés par les befoins auf.
quels ils ne pouvoient fe dérober , les
hommes ont été réunis par les fervices
qu'ils devoient réciproquement fe rendre.
Voilà le principe & la fin de la fociété.
Tous font également destinés à en être
membres : quelle difproportion cependant
entre les talens ! La mefure en eft aufi
variée que l'objet ; & quoique dirigés au
même terme , l'homme doué d'un génie
fupérieur laifferoit bientôt loin de lui
l'homme qui auroit reçu un moindre talent
; celui - ci pourroit- il donc être également
utile à la fociété ? Oui , fans doute
, s'il n'y a aucuns des avantages de la
fociété qui foient attachés particulierement
aux fuccès du premier , & aufquels
les efforts du fecond ne puiffent fuffire. Je
dois vérifier ces deux points pour l'établir.
A peine l'homme eft-il forti des mains
de la nature qu'il en paroît abandonné ; la
faim , la foif , la nudité ; voilà ce qui l'ac
( a ) Liv, 1. ch. 1.
C
DECEMBRE. 1753-
St
compagne à fon entrée dans le monde .:
les maladies fe joignent à ces befoins , les
écueils fe fuccedent devant fes pas ; en
un mot , tout ce qui l'environne au dedans
& au dehors femble concourir à fa
deftruction : pourvoir à ces befoins ou en
adoucir la rigueur ; écarter les maladies ,
ou en prévenir l'effet ; détruire ces écueils ,
ou en diminuer le danger ; c'eſt le moyen
de
procurer fa confervation . Mais qu'eftce
que l'homme , réduit à ce feul avantage
! Si fon efprit fe dégage des ténebres
dans lesquelles la nature l'avoit d'abord enveloppé
, c'eſt pour être expofé à de nouveaux
befoins les obftacles l'effrayent ,
les ennuis l'abbattent, le travail le fatigue ,
l'impétuofité l'emporte , les erreurs l'environnent
; il a befoin de motifs qui
l'excitent & l'animent ; de guide , qui l'éclaire
& le foutienne ; de frein , qui le retienne
& l'affure ; de délaffemens , qui le
diffipent & le foulagent.
:
Que de befoins également certains ! que
de fecours également néceffaires ! A peine
cependant dans une même génération
rencontre-t- on quelques hommes que la
nature ait favorifé d'un génie fupérieur
encore font - ils épars dans cette multitude
q peuple la terre . Comment conciliet
cette oppofition avec les intérêts de la
>
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
fociété ? Si c'eft fur les befoins du corps
que fes fondemens font appuyés , c'eſt
des befoins de l'efprit que naiffent fes agrémens
( a ) ; fi les fecours propres aux premiers
affurent à chacun de fes membres les
avantages les plus chers , les fecours propres
aux feconds ne procurent pas à la fociété
des avantages moins effentiels : les
uns & les autres ne peuvent donc dépendre
d'une qualité fi rare parmi ceux qu'elle
ralfemble .
En fuppofant que dans les premiers
tems , les génies fupérieurs euffent été en
affez grand nombre pour fournir au refte
des hommes tous les fecours néceffaires
aux befoins qui fe multiplioient avec eux ,
& que chaque inftant rendoit dès là plus
prellans , il ne feroit pas impoffible d'accorder
aujourd'hui les intérêts de la fociété
avec la rareté des génies fupérieurs ;
il est communément plus facile de conſerver
que de produire , d'imiter que d'inventer
; mais parcourons le lointain , que
l'Hiftoire offre à notre curiofité . Quels
font ces noms que l'admiration répéte ,
ces trônes que le refpect éleve , ces autels
que la prévention encenfe , ces trophées
que l'étonnement environne ? Répondez ,
( a ) Rouffeau , de Genêve. Difc. de Dijon.
DECEMBRE. 1755- 83
premiers peuples de l'univers , dont l'intérêt
n'avoit point encore rendu ſuſpects
les fentimens , & parmi lefquels la faterie
n'avoit point encore confondu les titres
; n'est-ce pas autant de témoignages
rendus à la rareté des génies fupérieurs ?
Accoutumés aux fuccès des génies ordinaires
, parce qu'ils fe renouvelloient plus
fouvent , vous n'avez pû voir fans en être
furpris , ceux qui ont diftingué la fupériorité
des talens : frappés d'un éclar qui
fembloit les tirer de la fphere commune ,
vous avez regardé comme des hommes extraordinaires
, ceux que la nature en avoit
doué , & ces monumens de leur fuccès.
autant que de votre admiration , juftifient
que quoiqu'accablés de befoins multipliés
& toujours renaiffans , ainfi que nous ,
vous ne les avez vû paroître parmi vous
que comme ces aftres finguliers que les
révolutions du Ciel ramenent à nos regards
toujours furpris , parce qu'ils n'en
font pas ordinairement frappés. Egalement
rares , les génies fupérieurs feroient- ils
donc plus néceffaires aux befoins de la fociété
que ces aftres plus brillans ne le
font aux befoins de l'univers ?
Mais pourquoi recourir à ces raiſonnemens
, tandis que l'expérience parle ? Les
hommes n'ont pas toujours composé une
Dvj
84 MERCURE DEFRANCE.
lecou
fociet
es
de la
C
même famille , leurs intérêts ont été di- point
vilés prefqu'auffi - tôt que leur langage' ;
ils fe font renfermés dans des Villes , les
autres font restés dans les Campagnes ;
par tout le befoin a réuni ceux que la conformité
de langage rendoir fociables , &
l'on a diftingué autant de fociétés différentes
que de peuples , de Provinces , de
Villes , de familles , quelquefois établies
fur les mêmes fondemens que la fociété
primitive ; combien renfermées entre les
bornes étroites que leur intérêt particu
lier avoit placées , ont été privées du fecours
de la fupériorité des talens dont la
nature n'avoit favorifé aucun de ceux qui
en étoient les membres ! Leur établitement
& leur confervation démontrent fenfiblement
qu'aucun des avantages de la
fociété n'exige cette fupériorité. Du milieu
de celles qui ont compté parmi leurs Amembres
quelques uns de ces génies fupérieurs
, tranfportons- nous dans celles - ci :
nous y retrouverons la faim , la foif ,
nudité , les maladies & les dangers , les
ennuis & la fatigue , les obftacles & les
erreurs ; nous y retrouverons des hommes,
en un mot , fujets par conféquent aux
mêmes befoins du corps & de l'efprit , &
leurs propres richeffes , quoique moins bril
lantes, leur ont fuffi . Que l'on ne faile donc
la
DECEMBRE. 1753. 85
point une diftinction fpécieufe entre les
fecours qui affurent les fondemens de la
fociété & ceux qui procurent fes agrémeus
, pour faire dépendre ces derniers
de la fupériorité des talens. Ce paralelle
que l'expérience juftifie , en découvre l'il
lufion.
Ce n'eft point , en effet , par une oppofition
injufte de la fociété , telle qu'elle eft
aujourd'hui avec ce qu'elle fut dans ces
tems d'obfcurité, que nous pourrions décider.
Si elle n'a pas toujours été bornée au
fimple néceffaire , fi les fecours ſe font
multipliés avec les hommes , & fe font
perfectionnés en fe reproduifant , la fociété
en a du recevoir de plus grands avantages
& en & en plus grand nombre. Mais interrogeons
ces hommes fameux , que des
découvertes précieuſes aux Sciences & aux
Arts , intéreffantes pour le commerce autant
que pour notre confervation , ont immortalifé
, & fideles à la vérité , ils feront
forcés de convenir que c'eft au hazard que
la fociété doit ces richelles. S'il eft permis
à notre oeil curieux de percer jufqu'aux
régions céleſtes , c'eft un enfant qui nous
en a ouvert la route ; fi nous connoiffons
la pefanteur de l'air qui nous échappe ,
c'eft des mains les moins habiles que nous
en avons reçu la balance. Séduits comme
86 MERCURE DE FRANCE.
bien d'autres , par une fauffe opinion , le
Cordelier Bacon court après une chimere,
& au lieu d'or il découvre la force du fouffre
environné de falpêtre. Colomb cherchoit-
il ce nouveau monde qui frappe fes
regards étonnés ?
Quelle fera donc la gloire de la fupériorité
des talens ? d'avoir du moins porté
les avantages de la fociété au point de perfection
où nous les admirons aujourd'hui ?
Ses fuccès y ont contribué , j'en conviens ;
mais des talens moins éminens pouvoient
fuffire : c'eft ce qui me reſte à démontrer.
Tandis que les befoins environnoient
l'homme de toutes parts , il étoit jufte de
placer dans fes mains le moyen de s'y fouftraire
; la voix du befoin pouvoit bien en
indiquer les fecours , mais le travail devoit
les procurer ; foit qu'il les doive à
fes
propres efforts , foit qu'il les tienne
de la fociété dont il eft membre , ce n'eft
qu'à ce prix que l'homme jouit de quelques
avantages : la fucceffion des fiècles
écoulée jufqu'à nous ne préfente que cette
alternative fans ceffe répétée. L'Agricul
ture pourvoit à la fubfiftance de l'homme
, la Médecine lui rend la fanté , le
Commerce augmente fes tréfors ; les Arts
& les Sciences affurent à la fociété les plus
DECEMBRE . 1753 87
grands avantages ; mais la terre ne produiroit
que des ronces & des épines fans
les travaux du Laboureur , les maladies accableroient
l'homme , & il en ignoreroit
la nature & le reméde , fans les recherches
du Médecin ; nous pofféderions des
richeffes & nous n'en jouirions pas , fi le
Négociant n'en facilitoit le commerce par
fes fatigues. Que font çes ouvrages où
l'utile fe trouve réuni à l'agréable , finon
le fruit des foins & des peines de l'artifan?
c'eft aux veilles du Sçavant , aux méeditations
du Philofophe , aux réflexions
du citoyen , que nous devons la lumiere
qui nous éclaire tout , en un mot , dépoſe
#de cette néceffité du travail , qui confond
fous les mêmes loix le génie fupérieur ,
& celui que la nature n'en a pas favorifé.
:
Les fuccès ont varié , il eft vrai ; n'eftce
donc pas l'effet néceffaire de l'inégalité
des talens ? Non , fans doute . Et que
l'homme foit couvert de confufion , en
découvrant le terme où l'affiduité au travail
dont il a négligé le fecours , fouvent
auroit pû le conduire. Il eft queftion de
juftifier la nature dans la diftribution qu'el
le a fait de fes dons : or fi la rareté de
ceux qu'elle a doué de la fupériorité des
talens , eft un titre fuffifant pour nous
faire penfer que les intérêts de la fociété
SS MERCURE DE FRANCE.
ne peuvent en dépendre , la multitude de re
ceux à qui elle n'a accordé que des talens
moins éminens , doit prouver que ceuxci
peuvent y fuffire ; & s'il eft permis de
pénétrer les vues dans un tel partage ,
peut- on douter qu'elle n'ait voulu pourvoir
au défaut ou à l'indolence des génies
fupérieurs , & rendre les avantages de la
fociété d'autant plus affurés , que la fources
en eft multipliée ? Mais le travail doit augmenter
à proportion que le talent eft plus
ou moins éminent : c'eft la mefure & le
gage des fuccès.
@
1
P
S'il étoit un terme à nos befoins , il fe
roit , fans doute ', en même tems celui du
travail , & peut- être le triomphe du génie
fupérieur ; c'eft l'hydre qui renaît & préfente
fans ceffe de nouveaux fuccès à celui
qui l'a combattu : favorifé d'un talent fa- e,
périeur , comme borné à un moindre talent
, il n'eft perfonne qui puiffe fe Alarer
de l'abattre , & les efforts de l'un & de
l'autre ne peuvent aboutir qu'à foulager
nos befoins , non à en tarir la fource :
que celui- là y réuffiffe avec plus de faci
lité que celui-ci , n'importe , dès que le
let:
but eft le même ; la difficulté du fuccès ne
peut qu'en augmenter le prix.
Ce n'est point un vain raifonnement ,
il cft juftifié par les fucces même des génies
DECEMBRE. 1753.
Fupérieurs. Dans quelle étroite fphere la
nature ne les a - t- elle pas renfermés ? En
fuivant leur deftination , ils volent avec
cette rapidité qui les diftingue , & parviennent
au but avec moins de peine ;
mais auffi la route qquuii ppeeuutt lleess y conduire
eft unique , & le génie le plus brillant eft
celui qui tombe le plus bas lorfqu'il s'en
écarte : il eft impoffible , dit un Philofophe
( a ) de l'antiquité , dont le fyftême fameux
attefle les lumieres & l'expérience ,
que le même homme excelle en des ouvrages
d'un genre différent. Quel gage plus affuré
pourroit animer l'efpoir de celui que la
nature a doué d'un moindre génie , que ce
partage fait avec autant d'épargne que de
partialité , de la fupériorité des talens ?
Si avoué par la nature ,
nature , il fuit la même route
, il ne peut manquer d'arriver au même
terme , & quoiqu'avec moins d'éclat , il
ne procurera pas moins les mêmes avantages
à la fociété , le faccès ne dépend que
de la conftance de fes efforts .
Voyons le Nouveau Monde , qu'un hazard
heureux vient d'affocier au nôtre ;
enfevelis dans les ténébres de l'indolence
, les hommes qui l'habitoient ne connoiffoient
que le fimple néceffaire , &
(a) Plato , de Rep. 1. 3.
go MERCURE DE FRANCE.
leurs travaux ne s'étendoient pas au- delà
: inftruits autant qu'encouragés , par
l'exemple des conquérans qui y ont péné
tré , déja ce n'eft plus un trifte affemblage
d'ignorance & de barbarie , c'eft un
peuple nouveau qui devient le rival de
fes maîtres.
Confultons nos propres annales , re
paffons fur les fiécles qui fe font écoulés
jufqu'à nous ; quelles viciffitudes bizarres
de ténébres & de lumiere ! quelle obica
rité plutôt , tandis que l'homme ne fuit
dans fon travail ,, que la néceffité pour
guide ! Mais les Philippe & les Alexandre
dans la Grece , les Céfar & les Augufte par
mi les Romains , les Médicis dans l'Italie ,
Louis le Grand & fon fucceffeur le Bien-
Aimé parmi nous , répandent des bien
faits , diftribuent des récompenfes. Animéspar
cet appas , les efforts redoublent ,
& des fuccès auffi nombreux qu'éclatans ,
diftinguent ces beaux fiécles , immortels
comme ceux qui en font la gloire : les
avantages qu'en reçoit la fociété font donc
le prix d'un travail plus affidu.
Cette affiduité au travail , néceffaire au
génie moins éminent , entraîneroit , fans
doute , avec elle la fatigue & les ennuis,
d'autant plus infupportables que le travail
feroit prolongé davantage. Mais la nature
100
DECEMBRE. 1753. 98
femble en avoir voulu diminuer le poids ,
en le rendant plus libre. Ceux , en effet
qui n'ont pas été favorifés d'un talent fupérieur
, font pour l'ordinaire dédommagés
par la pluralité des talens moins éminens
réunis dans leur perfonne ; c'eft donc leur
propre choix qui les détermine & les guide
: nouveau motif qui doit les encourager
, nouvelle preuve que le fuccès eſt attaché
à leurs efforts.
Quelle excufe pourroit donc autorifer
' indolence de ces hommes indignès de la
Efociété , qui facrifient à un honteux repos
fes intérêts les plus chers ? Qu'importe que
la nature nous ait doué ou non de la fupériorité
des talens ? ce n'eft point la routeplus
ou moins pénible , c'eft le terme qui
nous eft marqué par la nature , que nous
devons appercevoir : ne cédons point à la
difficulté , & le fuccès nous attend. Ainfi
l'affiduité au travail pourra procurer autant
d'avantages à la fociété , que la fupériorité
des talens.
Nihil eft quod non expugnet pertinax opera
intenta ac diligens cura. Senec. Epift . so ..
22 MERCURE DE FRANCE.
REMERCIMENT
A MM LES INESTRICATI
DE BOLOGNE..
•
AVERTISSEMENT.
Our entendre les vers fuivans , il t
Pnéceffaire de fçavoir que Medicum
>
de l'Académie des Ineftricati , de Bologne
prennent pour devife dans leur fceau un
Laurier dans un labyrinthe , avec ces mors
Extricabilis..... L'Auteur' y fait allufios
à la modeſtie de leur nom auffi-bien
qu'à la méprife qu'il fit en demandant
Meffieurs les Oziozi de la même Ville
l'honneur de leur adoption , au lieu de le
demander à Meffieurs les Ineftricati , qu
eurent cependant la politeffe de lui en
voyer des Lettres d'Affocié.
Vos quorum egregiam ſpectanda modeftia fam.sm
Equat, & ex bumili nomine crefcit honos :
O quoties claris , tribuit qua Gallia , fertis
Optavi celebres addere veftra Viri !
Votapremens quoties tacitofub peclore volvi
Appeterent quantos ambitiofa gradus ↓
DECEMBRE. 1753 .
95
Nam quis inacceffam per tot curvaminaĹaurum
Perque tot ancipites poffit adire vias ?
Auspiciis fed ubi melioribus obvia fulfit
Gloria , victus abit laudis amore timor
At mifer errabam , & metâ diverſa ſequebar
Cùm regerent noftrum ftamina nulla pedemi
Vidit ut errantem , taciti non infcia voti ,
Paffibus occurrit gratia veftra meis.
Obfequiofa manus· lectis è frondibus unam
Carpfit , & optatum manus habere dedit.
Hefperidum fructus , auro radiante decori ,
Vivite ; quid veftras Gracia jactat opes ?
Tuquefub immiti femper mucrone renafcens
*
Cede locum foliis , aurea virga , meis.
Non timeas , we bruma facram , pulcherrima Laurus
Ne ve rapax poffit ladere turba comam.
Pervigil ignivomi tibi non opus ira Draconis ,
Sat dubium implicitis orbibus obftat iter.
Nulli hominum anfractus fas extricare dolofos
Ni quibus eft veftrum curafovere decus.
TRADUCTION.
Vous ,dont la gloire eft afførtie
A l'éminence des talens ,
Qui couronnez ces dons brillans
Par une aimable modeftie ,
Combien de fois mon coeur , dans fes nobles tran
ports,
♦ Æneid, lib . VI. v. 135.
94 MERCURE DE FRANCE:
Ofa-t'il former l'eſpérance
D'unir votre Laurier aux honneurs dont la France
Anima mes foibles efforts ?
Combien de fois auffi , le fatal Labyrinthe
Qui renfermoit l'objet fateur
De mes défirs & de ma crainte ,
Vint-il à traverser cet efpoir enchanteur ?
Sous un afpect plus favorable ,
La gloire enfin fçut l'emporter;
Mais privé du fil fecourable
Qu'aux befoins d'un ingratl'Amour vint préſenter;
Dans un deftin prefque femblable ,
De quel heureux fuccès pouvois- je me fatera
Quel étoit mon erreur extrême ?
Je m'éloignois , hélas ! du but où j'afpirois ,
Et fans retour je m'égarois.
Vous connutes mes voeux dans ma mépriſe même;
Et loin de condamner ces voeux audacieux ,
Vous daignâtes me tendre une main gracieuſe ,
Et d'une Branche précieuſe
Orner mon front ambitieux.
◇ vous , qu'a tant chanté la Fable ,
Or végétant , brillant Rameau ;
Vous dont la féve inépuisable ,
Sous un tranchant impitoyable ,
Formoit fans ceffe un jet nouveau
Vains objets des defirs avides
De tant de coeurs intéreſſés ;i
H
V
DECEMBRE. 1753 :
25
Riche -dépôt des Helpérides ,
Arbres fameux , difparoiflez.
Et vous , paffez aux derniers âges ,
Arbre facré , Laurier charmant ;
Bravez l'hyver & les orages,
Ne craignez point pour vos feuillages
Un trop avide empreffement.
Hors d'atteinte aux efforts d'un prophane vulgaire,
Vous n'avez pas befoin qu'un Dragon vigilant ,
Aux attentats d'un téméraire
Oppofe un gouffre étincelant.
Dans ce dédale obſcur , où nos voeux vous pourà
fuivent ,
Qui peut marcher fans s'égarer ?
Ce n'est qu'à ceux qui vous cultivent
Qu'il appartient d'y pénétrer.
AD BONO NIAM *.
◇ Patria! ô generis prima incunabula noßri !
Chara nimis cordifemper habenda meo !
Blanda piam dignata parens agnofcere prolem ,
Comiter & doctis confociare Choris !
Accipe quas tanto debet pro munere grates ,
Quafque tibi nofter folvere geftit amor.
Haudequidem noftras tua laus effugeras aures
Q Caput ! Tufci gloriapriſca foli!
· Antiquitus Felfina...
MERCURE DE FRANCE:
Quâ regione ? quibus non cognita Felfina faclis !
Qua valet urbs titulos alla referre pares ?
Jureforor magna tu diceris amula Roma ,
Quodlibet exornat landis utramque genus.
Si quis honos longis memorabile nomen ab annis
Ducere, quis veftrum nefciat effe prius ?
Quos peperit , Romam decorat ſifama virorum ¸ ¸
Non minus egregiis Felfina clara viris.
Altera tu Reges debellas Roma fuperbos ,
Uteris at palmá nobiliore modo.
Flectere non aurum , folvâs ut vincula nati
Spirantifve minas Cafaris irapoteft.
*Jufta fed immiti nonFadas bella triumpho ,
Non demito illudit turba proterva duci.
Necfatis ; auguftas captivo conftruis ades ,
Menfaqua regali culta decore nitet.
Redditur & Regi reverentia débita vivo,
Exanimem dignum Principe marmor kabes.
Sedfi animus contemptor opum , ſpectataque bells
Dextra viget , ftudiis non tibifama minor.
Quot dare tu vifa es , quot adbuc dus ubeta doctis
Stante quibusfirmumftabit orbe decus.
Pontifices quantos generas quibus illafuperbit,
Et faalaus hodiè maxima , nonne tuùs à
Hicmihide prifco que non memoranda Senatu
Cujus in augufta Regia Sceptra manu ?
Et laudes equidem aggrederer , nijuretimeren
Deterere ingenii debilitate mei.
*Enzelinus , Frederici II. filius,
ExterA
C
DECEMBRE.
1753. 27
Extera cui populo virtus acceptior unquàm ?
Teftis erit vena copia parva mea.
Quam memori acceptos refera tibi mente parentest
Corde fedet meriti gratia quanta novi.
Patria ! ingenuas quas tam feliciter artes
Excolis , aqualifemper amorefove.
Gloria quanta tibi ! dictus mirabile"! Doctor
Advena , Difcipulus cogitur effe tuus.
Quis mihi tantorum vultus fpectare Virorum !
Colloquiis tribuat quis mihi poſſe frui !
Famafedin toto faltèm celebrabitur orbe
Carminibus , quanquam non eget illa , meis.
Augeat alma parens veftrum Romana vicifsim
Purpura , Romanum gloria veftra , decus .
Crefcat in immenſum tua laus , ô munere cujus
Artibus , & terris , & mihi , tanta venit !
Sur les magnifiques ouvrages que M. le Marquis
de Tourny a faits à Bordeaux.
EN promenant fes fots d'un pas majeftueux ,
A travers les fertiles plaines ,
D'un air tranquille & faftueux
La Garonne admiroit fes fuperbes domaines.
Elle apperçoit de loin ſon augu&e Cité ;
D'édifices nouveaux un pompeux affemblage
Offre dans leur enceinte , à fon ceil enchanté ,
D'un jeune Conquérant la triomphante image ,
I. Vol. E
S MERCURE DEFRANCE.
Qui ſemble fur la rive attendre fon hommage,
Par les foins de Tourny cent miracles divers
Répandus fur les bords jufqu'au pied de fon onde ;
Ses champs d'arbres fans nombre élégamment
couverts ,
Un abord digne enfin de la Reine du monde....
Elle hésite , elle craint qu'un preſtige flateur
Ne lui peigne les jeux d'un phantôme impofteur ;
Mais voyant de plus près ces fomptueux ouvrages?
Quel fpectacle enchanteur ! ... fiere Rome , eft ce
tọi ,
Qui par tout l'univers ayant porté ta loi ,
Viens pour combler ta gloire habiter mes rivages?
TRADUCTIO.
IBat ovans fluctu generofa Garumna tumente
Plaudit & ipfafibi dum fua regna videt,
Afpicit infignem tectis ſublimibus Urbem ,
Maniaque arboribus jam decorata novis
Regales aditus , circumftantemque coronam ,
mediofigna fuperbaforo. Principis
Littoribus confperfaftupet miracula totis ,
Aufpiciis , Turni , tam citòfacta tuis.
Haret adhuc, dubitat fallax num ludat imago;
As poftquam fpatioproximioreftetis :
Fallimur ? an Roma eſt , qua ripas , orbe ſubaćio ¿
Nominisaugendi quaris amore meas ?
A
DECEMBRE. 1753.
99
។
VERS
A M. de Chevert , Lieutenant Général des
armées du Roi , Commandant fur la Haute
& Baffe Sarre.
Pour te crayonner ton portrait ,
Si le zéle eût fuffi , j'euffe ofé l'entreprendre ,
Chevert ; mais prudemment la raifon en fecret
A bientôt fçu me le défendre.
Les traits les plus brillans , les chants les plus as
teurs
N'ajouteroient rien à ta gloire ;
Tu vivras toujours dans l'Hiftoire,
Et ton éloge eft dans les coeurs .
>
Telinge.
Le mot de l'Enigme du Mercure de Novembre
eft Ecriture . Celui du premier Logogryhe
eft Chevalier dans lequel on
trouve ire , cheval , rival , & vie . Ĉelui du
fecond eft Nouveauté ; dans lequel on trouve
entè , eau , nuë , vûe , été , an , veau ?
âne , Eve , voûte , van , aune , vent , ton
Noë , voen , on , tan , note , non , on , né.
E ij
100 MERCURE DE FRANCE
ENIGME EN VAUDEVILLES.
Air : On n'entend plus deffous l'ormeau , &c,
Nous fommes deax freres jumeaux ,
Charmes de la nature ,
Emales des brillans ruiffeaux ,
Notte onde eft vive & pure ;
Tour à tour , & Peintres & Tableaux ,
Souvent le jour nous mortifie ,
Et l'on le fie
Trop à nos deux flambeaux .
Air : Sonjoli petit corbillon .
On nous confulte , on nous adore ,
Nous plaidons mieux que bien des Avocats;
Il fort de nons un météore
Qui brûle , mais qui ne confume pas.
Nous échauffons un Opéra :
On n'y voit que nous ;
Nos biens font fi doux ;
Quinault , mille fois les vanta.
Air : De la Mufette de Defbroffes.
Notre cryftal eft trompeur dans les villes ,
On nous y force à déguiſer le vrai,.
On nous réduit à des éclairs fteriles ,
Et l'impofture eft notre coup d'eflai ;
DECEMBRE. 1753 . ΤΟΥ
Dans les hameaux nous expofons fans peine ,
Tous les fecrets du dedans au dehors ;
Nous répétons fidélement la fcéne
D'an fentiment qui régle nos refforts.
Air : Quel mystére , &c .
Quel dommage
Qu'on peigne le plus beau des Dios,
Sans l'avantage ,
L'appanage
Des hommes les moins vertaeux !
Vulcain boiteux ,
.
N'eft pas fi malheureux ,
De nos tréfors il fait uſage ;
Si l'Amour eft dangereux ,
C'eft qu'il rejette nos feux.
Quel dommage , & c .
Par Madame de Rouffy l'Aigneau , de
Laval an Maine.
.
ENIG ME.
DURiche & du Sçavant ma préſence accueillie
,
Aide à développer l'Hiftoire enfévelie ;
De diverſe grandeur , d'un mérite inégal ,
Le plus fouvent à pied , quelquefois à cheval.
Ou profane , ou facrée , ou de Rome , ou d'Attique
On me met à haut prix lorfque je fuis antique ;
Et je reçus la vie autrefois de Venus ;
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
Ne puis-je aujourd'hui ? …….. Nen , elle n'exifte
plus ;
Et le nombre infini de Filles d'Amathonte
Corrompt la terre : & fiécle ! on le dit à ta honte..
Encor..! fi l'on pouvoit dans ce malheureux tems,
Rétablir la Déeffe en faveur des amans !
En s'appliquant à l'Art dont je tire ma fource ,
Ils pourroient y trouver une utile refſource.
Qu'en penfe tu , Lecteur , feras-tu bon devin
Si mon nom te convient , tu le cherches envains
LOGOGRYPHE.
GRYPHE
.
S Ans le fecours d'Edipe , ami , fi tu voulois ,
Tu pourrois deviner en trois ou quatre fois
Les fujets que mon ſphinx apprête,
D'abord , en me tranchant la tête ,
Tu fais pour les Prélats un utile ornement.
Veux-tu d'un corps folide une image parfaite
Coupe ma queue enfuite ; alors dans le moment ,
On peut dire fans fe méprendre ,
Qu'un coeur auffi dur que je fuis
Eft infenfible aux charmes de Philis.
Voudrois- tu pofféder l'amante de Léandre ?
Ne vas pas la chercher au fond de l'Hellefpont ,
Elle s'offre à tes yeux à l'abri de mon nom ;
Tu reçois avec elle
Ce qui très rarement eft ſuivi d'un refus ,
DECEMBRE. 1713 . 103
Et ce qui réuffit au Dieu , fils de Cybéle ,
Pour rendre vains les foins d'Acrifius.
Mes membres replacés ; fur fept pieds je m'échape
Libre dans mon manoir , fortuné qui m'atrape
Préfent
AUTRE.
Réfent de Pomone , en fix membres ;
Lorfque d'un feul tu me démembres ,
Tn peux faire éclore à propos
Un des plus petits animaux.
AS. N. lès Senlis
*****************
NOUVELLES LITTERAIRES.
CHR
HRONOGRAPHIE , ou Defcription
des tems ; contenant toute la
fuite des Souverains de l'univers , & des
principaux événemens de chaque fiécle ,
depuis la création du monde jufqu'à préfent
; en trente- cinq planches gravées en
taille-douce , & réunies en une machine
d'un ufage facile & commode. Par M. Barbeu
Dubourg , Docteur en Médecine , &
Profeffeur de Pharmacie en l'Univerfité de
Paris. Se vend à Paris chez l'Auteur , rue
S. Benoît , à côté de l'Abbaye S. Germain ;
E iiij
104 MERCURE DEFRANCE .
la Neilliere , Marchand Mercier , à la Croix
d'or , rue S. Denis , vis - à- vis la rue des
Lombards ; & Fleury , Marchand Tapif
fier , à l'Eftrapade . 1753. Avec Approbation
& Privilége du Roi. Prix en feuilles
12 livres , avec la machine , 19- ou IS
livres.
Nous avons déja annoncé cet Ouvrage
dans le Mercure de Juin dernier ; mais
nous en parlames alors fort fuccintement
, n'ayant pas encore eu le tems de
Fexaminer. Cependant il a été trop goûté
du Pablic , & nous -mêmes en avons été
trop fatisfaits pour n'y pas revenir avec
plaifir , & peut- être plus d'une fois. C'eft
une efpéce de machine fcientifique , auſſi
bien exécutée que bien conçue , d'un goût
entierement nouveau , & d'une utilité univerfelle.
Dans les Tables Chronologiques du P !
Pétau , de Lancelot , de Delifle , en un
mot , de tous les Auteurs les plus célébres
en ce genre , on ne peut s'inftruire qu'à
force de mémoire ; rien n'y parle aux yeux,
ou plutôt on y voit fouvent fur une même
ligne des hommes qui ont vécu en des
tems fort éloignés . Dans la Carre chronographique
de M. D. les contemporains
feuls marchent de front , une génération
palle , une autre arrive ; on les voir ſe
DECEMBRE. 1753-
fuccéder l'une à l'autre fur le papier
105
comme elles fe font réellement fuccédées
fur la terre , & comme on peut déficer
de fe les repréfenter à l'efprit . L'échelle des
années que M. D. a le premier imaginé
d'appliquer à la Chronologie , y répand
une clarté qui foulage infiniment la mémoire
; tous les tems font mefarés , la
place de chaque Prince pofitivement déterminée
, & l'ordre de chaque événement
invariablement obfervé.
Outre le mérite d'une difpofition fi naturelle
& fi lumineufe , on doit lui fçavoir
gré du choix judicieux qu'il a fat de
la fondation de Rome pour époque intermédiaire
entre la création du monde
& la naiffance de Jefus Christ . Rien ne
dégoûte tant de l'étude de l'Hiftoire ancienne
, que de voir l'énorme diverfité de
dates des mêmes événemens dans les différens
Auteurs qu'on vient à lire fucceflivement
; de voir , par exemple , la naiffance
de Jefus Chrift fixée par un Rabbin à l'an
du monde 3707 , par S. Jérôme à l'an
3941 , par le P. Petau à l'an 3984 , par
Ufferius à l'an 4000 , par Caffiodore à´
l'an 4697 , par Origène à l'an 4830 , par
S. Epiphane à l'an 5029 , par Euſebe à
l'an 5200 , par S. Auguftin à l'an 5353 ,
par S. Clément d'Alexandrie à l'an 56 : 4 ,
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
le
par le P. Pezron à l'an 5872 , & par
Roi Alphonte à l'an 6984. L'époque de
la fondation de Rome eft fi brillante , &
s'offre fi naturellement dans le tems où
Hiftoire prophane commence à fortir du
cahos , qu'on ne fçauroit mieux faire à notre
avis que de s'y arrêter , abandonnant
dès-lors l'époque de la création , pour ne
pas répandre jufques fur les derniers fiécles
Pobfcurité des premiers âges du monde..
Il y a déja plufieurs années que l'impoffi
bilité reconnue de fe concilier pour déter.
miner le tems qui s'eft écoulé depuis le
commencement du monde jufqu'à la rédemption
des hommes , avoit enfin réduir
les Sçavans à compter en retrogradant les
années avant Jefus Chrift. Mais cette maniere
de compter eft affez embaraffante ,
& le Public ne s'en accommoderoit ja
mais ; au lieu que celle de M. D. eft d'une
fimplicité qui lui répond de tous les fuffrages.
Quant aux détails chronologiques
M. D. n'a point affecté de nous donner du
neuf, ni pour les liftes des Rois d'Egypte ,
ni pour celles des Souverains de toutes les
autres Monarchies anciennes ; il s'eft principalement
attaché à la Chronologie de
M. l'Abbé Lenglet , & il ne pouvoit faivre:
an meilleur guide . Pour les tems poſté.
DECEMBRE. 107 •
1753 .
rieurs à Jefus Chrift , il a beaucoup profité
du fçavant Ouvrage des Bénédictins , de
l'art de vérifier les dates. Il paroît auffi
qu'il n'a pas oublié l'excellent abrégé de
l'Hiftoire de France de M. le Préfident
Hénault , & c . Il eft difficile de deviner
quel Auteur lui a le plus fourni pour fa
colomne des événemens mémorables où il·
paroît beaucoup de recherches & de goût ;
nous croyons pouvoir dire qu'il y aura
peu de Lecteurs qui n'y trouvent quelques
traits nouveaux pour eux . La colomne des
perfonnes illuftres eft également variée &
intéreffante ; mais ce qui en fait le principal
ornement , ce font de petits caracteres
que M. D. a mis à chacun pour défi
gner fuccintement fa profeffion , fes ta--
lens , fes vertus , ou fa fortune.
La Carte entiere ayant près de foixante
pieds de long , feroit fort embaraffante fi
M. D. n'avoit trouvé le fecret de la renfermer
dans une machine , où elle tourne fi
aifément qu'on y jouit fans peine de la toutalité
, quoiqu'elle ne mette fous les yeux
qu'environ quatorze pouces à la fois . Nous
donnerons dans un autre Mercure la def-·
cription de cette ingénieufe machine , qui
a déja fervi de modèle à divers curieux &
amateurs des beaux Arts pour confervert
certaines eftampes , des deffeins longs
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
d'Architecture , & c. Mais qui peut mieur
en faire fentir les avantages que l'Auteur
même ? Voici comme il en parle dans fon
Difcours préliminaire . » Après avoir raf-
»femblé bout à bout la fuire de ces Cartes ,
» il et tout fimple , dit -il, d'en revêtir deux
cylindres , difpofés de maniere que l'un fe
» déroule de lui même à mesure qu'on roule
»>l'autre , imitant ainfi par leur dévelopement
la révolution des fiécles. Ainfi dans
» une feule & même machine , on a d . vant
les yeux une carte particuliere & détail-
» lée du fiécle dont on étudie actuellement
» l'Hiftoire , & on n'a pas moins fous la
>> main la collection entiere de ces cartes ,
avec toute la facilité imaginable de fub-
»ftituer l'une à l'autre à fon gré , ou de
» devider , en fe jouant , toute la fucceffion
»des Empires & des générations , tantôt
» en defcendant depuis Adamjufqu'à nous,
»> & tantôt en remontant de notre tems
»jufqu'à celui de la création ; petit exer-
» cice auquel on a vû les enfans fe porter
» avec plaifir , & que les Sçavans ont paru
ne pas dédaigner eux mêmes. Tous ont
»marqué quelque furprife de voir la Chro-
»nologie métamorphofée en Chronogra-
»phie ; de voir qu'une fcience de mémoi-
» re , fi froide , liftérile , fi infipide , ſoit
» devenue une fcience amufante , & pour
C
DECEMBRE
. 1753. 109
•
ainsi dire , méchanique , qui parle aux
» yeux & à l'imagination ; un tablean mou-
» vant & animé , où pallent en revûe tous
» les âges du monde ; où chaque homme
» célébre vient le préfenter en fon rang
avec les attributs qui lui font propres ;
» où chaque Prince figure au milieu de fes
»contemporains , & occupe la fcéne plus
» ou moins de tems à proportion de la lon-
» gueur de fon rôle , où le lever & le cou-
» cher des Empires fe font remarquer d'eux-
» mêmes fous une forme fenfible , fans
qu'on ait la peine de s'en faire une étude ;
1)
enfin où tous les événemens mémorables
frappent tellement les fens , s'arrangent
» fi ailément dans la mémoire , s'y impri-
»ment fi fortement , qu'on s'inftruit pref-
>>que machinalement & fans trop y forger .
Nous avons été bien aifes de mettre nos
Lecteurs à portée de juger , par cet échantillon
, du tyle de M. D .; mais après lui
avoir rendu toute la juftice qui lui eft dûe ,
il trouvera bon que nous lui propofions
nos vues pour la perfection d'un ouvrage
qui fait tant d'honneur à fon Auteur , &
auquel le Public prend tant d'intérêt .
Pour la Chronologie ancienne , il a fuivi
le fyftême fuivant lequel Jefus- Chrift eft
né environ l'an 4700 de la création du
monde , fyftême qui prend aujourd'hui
110 MERCURE DE FRANCE.
beaucoup de faveur , parce qu'il fatisfait
à toutes les difficultés. Celui d'Ufferius
qui ne met que 4004 ans depuis la création
du monde jufqu'à l'Ere Chrétienne
eft incomparablement plus difficile à dé-
.fendre ; mais comme il a été fuivi par M.
Boffuet , M. Rollin , & divers autres Auteurs
qui font entre les mains de tout le
monde , nous penfons qu'il feroit fort
agréable au Public que M. D. voulûr pren
dre la peine de dreffer ou faire dreffer fur
fon plan une nouvelle Carte Chronographique
exprès en faveur de ce fyftême ,
& nous croyons pouvoir lui répondre que
celle- ci ne nuiroit aucunement au fuccès
de la premiere.
Nous avons appris avec fatisfaction que
M. D. a nouvellement ajouté à fa Carte
une colomne des Olympiades , qui répandant
une grande lumiere fur l'ancienne
hiftoire Grecque , ne sçauroit manquer de
plaire à tous les gens de Lettres. Mais nous
ne lui diffimulerons point que quoique
des noms Chinois affectent fort peu un
certain Public , on voit à regret qu'il fe
foit contenté d'indiquer fimplement la
durée d'une Monarchie fi confidérable , &
que les bornes de fa carte ne lui ayent pas
permis d'y ménager une place pour cette
fuite de Rois , la plus longue que l'on connoiffe.
DECEMBRE. 1753. TIT
Une autre chofe que le Public attendi
de M. D. c'eſt un abrégé d'Hiftoire univerfelle
conforme à fon plan , pour fervirt
d'introduction à fa Chronographie , ce qui
feroit fort utile fur tout aux jeunes perfonnes
de l'un & de l'autre fexe , qui n'ont
point de maîtres pour les initier dans l'étude
de l'Hiftoire ; c'eft ainfi qu'on a compofé
des Livres élémentaires , ou méthodes
de Géographie pour apprendre à fe fervir
des Mappemondes & autres Cartes Géographiques
. Il faut avouer qu'on n'eft pas
en droit d'exiger, ce nouveau travail de
M. D. , on ne peut que l'en prier & l'y
exhorter.
Nous défiterions encore qu'il voulût fe:
charger de faire faire des affortimens com
plets de petits caracteres , fur le modele de
ceux qui font gravés fur la Carte , avec
lefquels chacun , & fur tout les jeunes
gens , puffent aifément fe donner le plaifir
d'imprimer eux - mêmes de nouvelles .
notes à tous les différens perfonnages qu'ils
rencontreroient fur cette Carte , & à ceux
qu'ils pourroient y ajouter à leur gré, chaeun
fuivant fon inclination ou fes préju
gés , fa profeffion ou fa patrie , ou fuivant
ce qui l'auroit le plus vivement af
fecté dans le cours de fes lectures.
Enfin nous fouhaiterions , que M. D ..
1 : 2 MERCURE DE FRANCE.
pût trouver le moyen de faire monter ſa
Carte feuille à feuille fur des onglets ,
pour relier en Livre , à peu près comme
nos Atlas de Géographie , mais fans que
cela causât une interruption trop fenfible
du fil de l'Hiftoire.
Au reste , on voit qu'il ne s'agit en tout
ceci d'aucune réforme abfolument ellentielle
. La Chronographie de M. D. dans
l'état où il l'a publiée , peut tenir lieu de
beaucoup de Livres ; & plus elle fera connue
, plus on trouvera qu'il eſt difficile de
s'en paffer. Comme c'est un de ces Ouvrages
dont l'utilité ne peut pas diminuer, chaque
fiécle y ajoutera quelque chofe , non feulement
quant au fond , mais probablement
auffi quant à la forme.
ESSAI fur l'Aquitaine. 1753. in - 8 ° .
32 pages.
La naiffance de Monfeigneur le Duc
d'Aquitaine a occafionné l'écrit que nous
annonçons. On y trouvera un précis vif,
exact & ferré des révolutions de cette
grande Province. Elle a été fi long tems
un fujet de divifion entre les Anglois &
les François , qu'on fera bien aife de voir
le tableau de ces fameufes guerres , tracé
par M. l'Abbé Boudot , Auteur de l'Effai
hiftorique..
DECEMBRE . 1753. rry
Louis le Jeune jouit de l'Aquitaine tant
qu'il put vivre avec fa femme ; mais inquiété
par les galanteries , & à la fin convaincu
de fon commerce avec le jeune
Prince d'Antioche , il fentit pen l'intérêt
de la dot , & perdit l'une en renonçant à
l'autre. Il fe fépara d'Eléonore , qui ne
voulut confentir à la répudiation qu'en
confervant le Duché pour elle & les fiens ,
& qui venant après à époufer Henri , Comte
d'Anjou & Duc de Normandie , porta
à l'Angleterre , dont ce Prince devint Roi
à la mort d'Etienne en 1154 , l'Aquitaine
& le Poitou . Il ne fut pas difficile de s'appercevoir
à une conduite fi imprudente de
la part de Louis VII , que Sager n'étoit
plus.
La révolte de quelques Princes n'empêcha
pas Henri II . Roi d'Angleterre , d'en
jouir , & de la donner à Richard Courde
-lion , fon fecond fils , qui lui fuccéda ,
& qui en rendit hommage au Roi de France
. Richard mourut en 1199. Jean - Sans-
Terre , appellé de ce nom , parce que , difent
quelques Auteurs , il n'avoit eu ni
appanage ni établiſſement , quatriéme fils
de Henti II. & par conféquent dernier
frere de Richard L. s'empara de l'Aqui
* Duchefne.
114 MERCURE DE FRANCE.
raine , malgré les droits d'Artus , qui étoit
fils d'un frere amé , & à qui appartenoit
aufli le Royaume d'Angleterre. Jean afſaffina
lui- même ce jeune Prince ; les Bretons
dont il étoit Duc , porterent leurs plainres
à Philippe Augufte , qui cita Jean à la
Cour des Pairs , où il fut déclaré rebelle
faute d'avoir comparu , condamné à mort ,
& les terres furent confifquées. Premiere
confifcation de l'Aquitaine fur les Rois
d'Angleterre , elle fut faite en 1203 .
La destinée de ce Jean Sans- Terre eft
finguliere ; il n'eut rien , dit-on , de for
pere , s'empara de tout après lui , perdit
tout en peu de tems , & fut exhumé. Le
cours de la vie , celui de fon regne , & fa
mort , justifient exactement fon furnem
de Sans- Terre.
Louis VIII . fils de Philippe Augufte ,
& fon fucceffeur au Tiône de France en
1223 , n'éprouva aucune contradiction
pendant le cours de fon regne dans la poſfeffion
de fes terres , & les conferva ; mais
Louis IX . fon fils , dit S. Louis , qui vint
après lui , par un principe furprenant de
délicateffe , & un fentiment de piété dont
on trouveroit peu d'exemples , fe laiffa
aller aux follicitations de Henri III. Roi
d'Angleterre ; ce Prince demanda la levée
de la confifcation faite fur Jean SansDECEMBRE.
1753. TIS
Terre , & en obtint une partie malgré le
Confeil de S. Louis.
Il fe fit un accord entre les deux Rois
en 1298 , par lequel le Roi de France
donna le pays de Guyenne & plufieurs démembremens
de l'ancienne Aquitaine ,
fous la referve d'hommage lige dû au Souverain
Seigneur , en confervant le reffort
& la Souveraineté.
On doit remarquer en paffant , que
c'est à cette époque que quelques Ecri
vains font remonter l'origine de la dénomination
de Guyenne , ce qui eft contraire
à l'opinion de M. l'Abbé de Longuerue
, que nous avons rapportée , &
dont l'examen feroit la matiere d'une Dif
fertation .
Edouard I. fils & fucceffeur de Henri
HI . en 1273. rendit l'hommage à Philippe
le Hardi , comme on en étoit convenu
avec ferment de fidélité accoutumé ; mais
il ne tarda pas à démentir cette démarche ,
& les entreprifes qu'il fit fur différentes
Provinces de la France , irriterent Philippe
le Bel , qui voyant le peu de cas qu'on
faifoit de fes plaintes , faifit le Duché de
Guyenne , & les autres terres poffédées en
Aquitaine ; c'étoit la deuxième confifca
tion fur les Anglois..
Edouard II . fils du précédent , le pre-
C
116 MERCURE DE FRANCE.
mier des Princes d'Angleterre qui ait portě
le titre de Prince de Galles , fuccéda à fon
pere. Philippe le Bel lui donna fa fille Ifabeau
en mariage , & en dot * la Guyenne ,
& les autres parties autrefois abandonnées
à Henri III . Roi d'Angleterre , par le plus
faint de nos Rois , à condition de la polféder
, comme fes prédéceffeurs , en qualité
de Vaffal de la Couronne ; cette ceffion
fut ratifiée par an traité § conclu le 20
Mai 1303.
Charles le Bel , qui parvint à la Cou
ronne de France en 1322 , mécontent d'Edouard
, envoya fon oncle Charles de Va
lois pour fe faifir de la Guyenne , dont
il prit la plus grande partic ; c'étoit ce
même Comte de Valois qui s'en étoit emparé
déja fous Philippe le Bel fon frere ,
fur Edouad I. L'expédition de ce Prince
du Sang fut fuivie d'une tréve , pendant
laquelle Edouard , Prince de Galles , appellé
depuis Edouard III . vint en France
pour rendre foi & hommage de la Goyenne
, & de tout ce qu'il tenoit en Aquitaine
par la ceflion que fon pere venoit de
fui faire cette démarche eur peu ou point
d'effet pour lors , par les difficultés refpectives
; mais enfin deux ans après l'élé-
* Droits du Roi , de Dapuy.
5. Nouv. Abr . Chron , de l'Hift. de France
DECEMBRE. 1753 : 117
vation de ce Prince au trône d'Angleterte
, c'est- à-dire , en 1329. il rendit à Philippe
de Valois ce célébre hommage lige *
détaillé dans nos Hiftoriens.
L'humeur inquiéte & le caractere impétueux
de Robert d'Artois , Prince du Sang,
mécontent d'ailleurs de la perte réitérée &
infamante de fon procès , ne laifferent pas
à cet acte la ftabilité qu'il devoit naturellement
avoir , & furent le principe d'une
prompte & funefte révolution . Ce Prince
retiré en Angleterre , engagea Edouard III.
à déclarer la guerre à Philippe de Valois ,
pour raifon de prétendus droits à la Couronne
de France , dont il connoiffoit luimême
le peu de validité , n'ignorant pas
la force & l'efprit de la Loi Salique .
Certe guerre commença en 1336. On
attaqua quelques places que la France poffédoit
dans la Guyenne ; le Roi d'Angleterre
prit le titre & les armes de Roi de
France , reçut hommage comme Roi de
France , & ces procédés furent le prélude
d'un fiécle entier de guerres , interrompues
à diverfes reprifes par quelques tréves
de courte durée , & des accomodemens
peu finceres , par conféquent jamais
folides.
* Nouv. Abr. Chron, de l'Hiftoire de France,
118 MERCURE DE FRANCE.
La Guyenne avec les autres parties ref
tantes de l'ancien Etat d'Aquitaine , fui
voit pendant ce tems la révolution générale
; & toujours attaquée & défendue , paffoit
alternativement en tout ou en partie ,
de l'Anglois au François , & du François
à l'Anglois.
En 1360. un événement parut devoir
fixer un fort nouveau à ces Provinces ; je
veux parler du fameux Traité de Bretigni,
dont un article contenoit la renonciation
du Roi Jean à la Souveraineté ſur la
Guyenne , & les autres appartenances cédées
par S. Louis ; mais il n'eut point d'exécution,
l'article en queftion ayant été
excepté , par un Traité qui portoit , qu'à
un terme préfix , Jean renonceroit à la
Souveraineté de la Guyenne , & Edouard
III. au titre de Roi de France. Edouard
n'ayant point envoyé à Bruges faire les renonciations
dont il étoit convenu lorfque
Jean envoya porter les Gennes , la
Guyenne , & c. refta dans le même état où
elle étoit par rapport à la Souveraineté ;
mais Edouard refta Duc de cette Province
* .
Le fage Charles V. fucceffeur en 1364
de Jean fon infortuné pere , à la vûe des
* Mém. de l'Acad, des Infcrip . M. Secouffe.
Nouvel Abr. Chron. de l'Hift . de France.
DECEMBRE. 1753 .
impôts excellifs exigés par Edouard, Prince
de Galles , & fur les plaintes des différens
Seigneurs de la Guyenne , dont il avoit
été invefti par fon pere Edouard III, en
1354 , allembla fon Confeil , & après avoir
attentivement délibéré fur le parti qu'il
avoit à prendre , cita le Prince de Galles
au Parlement : ce Prince n'ayant point
comparu , Charles confifqua toutes les terres
qu'il tenoit en France ; c'eft la troifiéme
confifcation de l'Aquitaine fur les Anglois.
Da Guefclin y fut envoyé l'année
fuivante 1369. & reprit avec prefque toute
la Guyenne , le Poitou , la Saintonge , &
plufieurs autres Provinces,
Une de ces tréves paffageres dont nous
avons parlé , qui fut arrêtée quelques an
nées après , ne changea rien aux avantages
de la France : Charles refta dans la poffeffion
des conquêtes faites dans la Guyenne
, malgré les efforts du Roi d'Angleterre
, qui prétendoit toujours à la Souve
raineté de cette Province , mais qu'il ne
vint point à bout d'obtenir .
A la mort d'Edouard arrivée en 1377 ,
un an après celle du célébre Prince de Galles
fon fils , Charles V. fit de nouvelles
conquêtes dans la Guyenne , qu'il reprit
toute entiere , à la referve de Bordeaux.
Charles VI. fon fils , & fon fucceffeur au
1
120 MERCURE DE FRANCE:
Trône en 1380 , la donna en appanage
Charles fon fecond fils , mort en 1400.
enfuite à Louis , Dauphin , pour la tenir
en Pairie , à charge de reverfion à la Cou
ronne à la mort du Roi, qui furvêquir , &
maria Ifabelle fa fille à Richard II. Roi Cha
d'Angleterre , avec qui fut convenue une
tréve de 28 ans . Cette trève ne fut pas
mieux obfervée que beaucoup d'autres ,
l'alliance & l'accomodement n'empêcherent
pas les entreprifes , & fous le prétexte
de je ne fçais quelle donation de la Gayen- ,
ne , faite par Richard au Duc de Lancaftre
fon oncle , on fit des mouvemens &
l'on furprit quelques Villes.
Henri , fils de ce Duc de Lancaftre , fit
mourir Richard , & regna fous le nom de
Henri IV. Son regne qui finit en 1413.
précéda le plus furprenant événement de
notre Hiftoire; ce n'eft pas feulement cette
ancienne Aquitaine devenue Guyenne ,
qui offre une révolution , c'eft l'Empire
François entier qui devient l'héritage de
l'étranger , & que l'on voit fubitement
réduit fous le joug des Anglois , dans la
perfonne de Henri V. fucceffeur de Henri
IV. Le Traité incroyable figné à Troyes
en 1420. en rendant ce Prince gendre de
Charles VI, le fit maître en même tems de
tous les Etats , dont la fucceffion lui cft
afflignée
B
d
DECEMBRE. 121 1755 .
alignée à la mort du Roi de France.
Les deux Rois contractans mourureat
en 1422. à peu de tems l'un de l'autre , &
laifferent deux contendans d'un caractere
& d'une fortune bien différente ; l'un étoit
Charles VII. héritier légitime de la Conronne
de France ; & l'autre Henri VI . enfant
âgé de neuf à dix mois , fils de l'Anglois.
Ce dernier fat proclamé Roi à Londres
& à Paris , & ce coup effrayant pour Charles
, fut le fignal des plus grands & des
plus funeftes démêlés.
Une guerre fanglante conduite par le
Duc de Berfort , tuteur du Roi enfant , &
Régent du Royaume , s'alluma tout - à - coup
au milieu de la France ; le Duc de Bourgogne
& le Duc de Bretagne s'uniffent aux
nouveaux Prétendans ; le parti de Charles
VII. perd deux batailles , effuye une défaite
près d'Orléans , enfin Charles fe voit
accablé de tous les côtés . Ces malheurs du
rerent jufqu'à l'arrivée de cette fille * extraordinaire
, dont la miffion eft encore
auffi équivoque que fes faccès le furent
peu ; tout changea de face dès qu'elle fut
Jeanne d'Arc , dite la Pucelle d'Orléans , dont
M. l'Abbé Lenglet vient de donner la vie ; le feul
Ouvrage concernant la Pucelle , qu'on puiffe lire
vec quelque fruit.
1. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
à la tête des armées . Le fiége d'Orléans fut
levé , & Charles VII . après fept ans de
combats & de revers , fut facré Roi de
France . Les faites de cet événement furent
des victoires , & le facre de Henri VI.fon
concurrent , ne diminua rien de l'affoibliffement
que reffentoient les Anglois depuis
la venue , ou plutôt l'apparition de
cette Heroïne.
La paix fe fit en 1435. à Arras , entre
la France & le Duc de Bourgogne , le plus
puiffant des Princes du parti de Henri VI.
Les conditions n'en furent pas mieux obfervées
que celles de la tréve qui fus conclue
entre le Roi de France & le Roi d'An
gleterre en 1444. La guerre recommença
en 1448. Mais d'habiles Généraux , des
droits inconteftables , & des victoires , apprirent
à l'Europe quel étoit le véritable
Maître en France ; les Anglois furent en
tierement chaffés ; la bataille de Caftillon
en Perigord , gagnée fur le brave Talbot ,
acheva cette étonnante & heureuſe révolution
en 1453. La Guyenne fat réunie à
la Couronne , & n'eut plus de maître étranger
; les Anglois conferverent encore en
France la Ville de Calais , dont Edouard
III . s'étoit emparé en 1347; mais le Duc
de Guife la reprit en 1558.1
Henri VI . alla regner en Angleterte ;
DECEMBRE . 1753. 123
戴
deftinée remarquable : ce Prince né Roi
des Anglois , proclamé Roi de France , fut
chaffé du Royaume de France par Charles
VII. & dépouillé de celui d'Angleterre
par Edouard IV.
Louis XI. par un accommodement avec
fon frere Charles en 1469 , lui donna la
Guyenne & fes appartenances en appanage
. Ce Prince mourut en 1472. fans laiffer
de postérité : depuis lui aucun Prince
n'a été revêtu du titre de Duc de Guyenne
, tous les Rois de France ayant été fucceffivement
& conftamment poffeffeurs
ainfi que propriétaires de certe Province
qui n'a plus été féparée du Domaine de la
Couronne.
>
Les Rois fe voyant maîtres paisibles de
cette partie importante de leurs Etats , &
n'ayant plus à craindre d'être obligés un
jour d'armer pour la conquérir , lui affurerent
une forme fixe. Ils en firent un
grand Gouvernement divifé en fix grandes
Provinces en deçà de la Garonne , & en
douze petites au - delà.
JUGEMENT d'un amateur fur l'expofition
des Tableaux ; Lettre à M. le Marquis
de V *** . Se trouve à Paris , chez
Duchefne , rue S. Jacques. 1753. in- 12
Brochure de 83 pages.
*
Fij
124 MERCURE DE FRANCE:
L'Auteur de cet Ouvrage , où nous
avons trouvé de la modération , n'examine
pas feulement ce que les Artiftes ont fait ,
mais ce qu'il auroit voulu qu'ils euffent
fait. Il s'attache fpécialement à la compofnion
du tableau , & à ce que les Peintres
ont de commun avec les Poëtes.
de M.
LA Grammaire Allemande
Gottſched , Profeffeur de Philofophie de
l'Univerfité de Leipfig , contenant les meilleurs
principes de la Langue Allemande ,
dans un ordre nouveau , & mife en François
, par M. G. Quand nouvelle édition.
A Paris , chez Duchefne , rue Saint Jacques
, 1753. Un volume in - 8°.
Nous avons déja dit que nous avions
trouvé de la méthode dans cette Gram .
inaire.
PRINCIPES de la Grammaire Françoife
,pratique & raifonnée ; par M. l'Abbé
Antonini. A Paris , chez Ducheſne , 1753 .
Un volume in- 12.
Le fuccès de la Grammaire Italienne &
du Dictionnaire Italien du même Auteur ,
eft un préjugé en faveur de l'ouvrage que
nous annonçons.
LES Régles du Médiateur , recueillies
& expliquées pour l'utilité du beau fexe
DECEMBRE . 1753 . 125
& des perfonnes qui n'ont aucune notion
de ce jeu ; par M. V ** . D ** . nouvelle
édition. A Paris , chez Duchesne , rue
Saint Jacques , 1753. Un volume in- 1 2 .
REGLES de vie chrétienne , pour conduire
les ames à Dieu dans tous les états ,
tirées des grands Maîtres de la vie fpirituelle
, & principalement de Saint François
de Sales. A Paris , chez Giffey , rue de
la vieille Bouclerie ; & Bordelet , rue Saint
Jacques , 1753. Un volume in - 12 .
Cet ouvrage puifé dans les meilleures
fources , eft divifé en quatre parties : la
premiere contient les avis & les pratiques
néceffaires pour conduire une ame à la vie
chrétienne , depuis fon premier defir jufqu'à
l'entiere réfolution de l'embraffer.
La feconde contient plufieurs avis touchant
l'exercice des vertus . La troifiéme
contient les avis les plus néceffaires contre
les tentations les plus ordinaires . La
quatrième contient des principes généraux
pour tous les Chrétiens , & des régles
particulieres pour la vie Religieufe , l'état
Eccléfiaftique & autres differens états.
ALMANACH des Curieux pour l'année
1754 , où les Curieux trouveront la
réponſe agréable des demandes les plus di-
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
vertiffantes pour fe rejouir en compa
gnie. A Paris , chez Giffey, rue de la veille
Bouclerie , à l'Arbre de Jeffé.
ETRENNES hiftoriques , ou mêlangecurieux
, pour l'année 1754 , contenant
plufieurs remarques de Chronologie &
d'Hiftoire , enfemble les naillances &
morts des Rois , Reines , Princes & Prin
ceffes de l'Europe , accompagné d'Epoques.
& de Remarques que l'on ne trouve point
dans les autres Calendriers , avec un recueil
de diverfes matieres variées , utiles ,
curieufes & amufantes ; chez le même.
SONGES phyfiques. A Amfterdam , &
fe trouve à Paris , chez Briaffon , 1753 .
Un volume in - 12.
DICTIONNAIRE Apoftolique , à l'a
fage de Meffieurs les Curés des Villes &
de la campagne , & de tous ceux qui fe
deftinent à la Chaire ; par le Pere Hyacin
the de Montargon , Auguftin de la Place
des Victoires , Prédicateur du Roi , Aumônier
& Prédicateur ordinaire du Roi
de Pologne , Duc de Lorraine & de Bar ;
tome V. in- 8°. A Paris , chez la veuve
Lottin & Butard , Berton , Heriffant , Cavelier
, Barbon , de Bure , 1753.
DECEMBRE . 1753. 127
Les fujets traités dans ce volume font la
perféverance , la prédeftination , la priere,
la Providence , le Purgatoire , la Religion
Chrétienne , le refpect humain & le
falur. C'est toujours la même méthode
dans le difcours familier , la même régularité
dans les plans , le même goût dans
les morceaux choifis des Sermons imprimés
ou manufcrits , & des Livres fpirituels.
Nous apprenons que la vente des premiers
volumes a été fi rapide , qu'on commence
à les réimprimer.
Le bon Jardinier , Almanach pour l'année
1754 , en faveur des nouveaux poffeffeurs
de jardins , & qui font bien aife
de fçavoir par eux- mêmes de quelle maniere
ils doivent être cultivés , tant pour l'ornement
que pour le profit. A Paris , chez
Guillyn , Quai des Auguftins , du côté du
Pont Saint Michel.
LES écarts de l'imagination ; Epitre à
M. d'Alembert , de l'Académie Royale des
Sciences de Paris , de la Société Royale
de Londres , & de l'Académie Royale de
Berlin . A Paris , chez Durand , rue Saint
Jacques , 1753. in . S. pp. 63 .
Si quelqu'un trouvoir mauvais , dit
l'Auteur dans fon Avertiffement , qu'u
F iiij
128 MERCURE DE FRANCE.
ne Epitre s'étendît jufqu'à plus de deux
mille trois cens vers , je lui réponds que
» rien ne détermine la longueur de cette
forte d'ouvrage ; il fuffit que la perfon .
» ne à qui on l'adreſſe ait la patience on
» la politeffe d'en foutenir la lecture ; pour
» les autres , ils peuvent prendre confeil de
>> leur humeur & de leur goût... Cet ouvra
» ge eft une espéce de galerie confacrée à la
Littérature & à la Philofophie.... Si cer.
» tains portraits paroiffent longs , ce n'eit
pas du moins pour avoir délayé une idće
» dans un grand nombre de vers , mais
» c'eft que les images font venues en fou-
»
le fe préfenter à mon efprit , & j'ai cru
» qu'elles plairoient toutes , fi elles étoient
» variées & bien rendues. ... Si l'on trou-
» ve dans cette Piéce des chofes plaifantes
» avec des chofes férieufes , c'eft une Epi-
» tre , c'eſt-à- dire que l'on peut y prendre
» la même liberté que dans la converſation ;
& cette variété d'idées & même de
» ftyle pourra peut- être prévenir l'ennui ,
» & dédommager leLecteur de la longueur
» de l'ouvrage.... Si quelquefois il y pa-
» roît un certain défordre , qu'on le fou
» vienne qu'on peut appliquer à l'imagi
>> nation ces deux vers :-
Son ftyle impétueux fouyent marche au hazard ,
Chez elle un beau défórdré eſt un effet de l'Art .
C
}
DECEMBRE. 1753. 129
» Car fi l'on veut , l'on prendra ma
» Piéce pour une Ode de plus de deux
» mille vers , où, comme Pindare, j'ai plus
» loué des Dieux que des Héros.
Cet Avertiffement , dont nous n'avons
copié que ce qui nous a paru avoir un rapport
plus néceffaire avec l'ouvrage , eft
fuivi de l'Epitre ; elle eft fpécialement
confacrée à la louange des grandsEcrivains
de l'antiquité & de ceux de notre âge .
L'Auteur après avoir parlé de tous ceax
qu'il a jugés dignes de fon admiration ,
parle ainfi de lui-même :
L'art de vivre content eft mon unique étude ;
J'ai cherché , j'ai trouvé dans la réflexion
Un fecret précieux , cette rare habitude
De fçavoir fans ennui , comme fans pallion ,
Me plaire dans le monde & dans la folitu le ,
Mêlant à la fageffe un peu d'illufion ..
De quelques beaux dehors que l'homme s'enveloppe
,
Je détourne fon mafque , & je vois le flat eur ,
Le médifant , le fat , l'ingrat , le milantrope ,
L'envieux , l'indifcret , l'avare , l'impofteur. ,
Adiffon , & Cervante , & Théophrafte , & Pope ,
M'ont rendu bon obfervateur ;
Et mon oeil apperçoit avec leur microfcope ,
Un petit verificateur
Qui croit impunément tourmenter Calliope.
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
Lorſque je vois un nain affecter la grandeur ,
Je ris tant de fon air que je tombe en fyncope.
L'un fe croit Adonis , & c'eſt un autre Eſope';
S'il n'en a le bon fens , il en a la laideur.
Je reconnois Phryné , qui jouant la pudeur
De la fidéle Pénélope ,
Se flite qu'un vernis d'honneur
Fera monter plus haut l'enchere de fon coeur.
Un Bourvalais prétend qu'il faut qu'on le reſpecte,.
Parce que fon Commis aſpire à fon état ;
Et tandis qu'à Thémis fa fortune eft ſuſpecte ,
Il veut qu'on le préfere au fçavant Magiftrat.
Malgré le Cuisinier , le Brodeur , l'Architecte ,
Un infecte luifant n'eft pour moi qu'un infecte ,
Que l'approche du jour prive de fon éclat.
Patru fut autrefois l'oracle de la Langue ;
Ce qu'un riche en connoît , c'est qu'il fut indigent
Un Créfus , peu fenfible aux traits d'une harangue,
Eût méprifé Cochin s'il n'eût point eu d'argent :
Argent , or, font deux mots fi doux à fon oreille ,
Qu'il croit que fur le Cid tout jugement eft nul ,
Si de ce que la fcéne a pû-rendre à Corneille
On n'a point eu l'efprit de faire le calcul.
Homére mendiant de village en village ,.
Avec fon Hiade , étoit un hébêté ;
Notre homme en rit tout feul dans fon riche équis
page ;
Et quand du Milantrope encor touttranſporté ,
Je crie à fon oreille , & l'admirable ouvrage !
Il répond qu'à Moliere il n'a rien rapporté.
Sous de faux complimens & de douces paroles ,
DECEMBRE . 1753 .
13x
On cache des vices réels ,
Et l'on veut traiter d'hyperboles
Des vers où je maudis ces penchans criminels.
Ils n'écoutent jamais les cris de la nature ,
Cu leur pitié barbare eſt toujours une injure.
Vos chagrins devant eux n'ont qu'à le dévoiler ,
De ftériles confeils les viennent redoubler.
Ces monftres , fi communs dans le fiécle où nous
fommes ,
Vous content leurs plaifirs pour mieux vous accabler
;
La digeftion feule a droit de les troubler :
Ils mettent la conduite à régenter les hommes ,
Au lieu de les fervir & de les confoler.
Ils feindront de le
méconnoître
A ces traits de leur dureté ;
Mais s'il leur refte un peu de ſenſibilité ,
Ils
m'entendront , fans doute , & rougiront peutêtre.
Auroient-ils donc toujours la forte vanité
D'avoir cru m'amufer d'une fauffe promeffe
Jamais je n'ai pris pour bonté
Une perfide politeffe ;
Je connois trop l'humanité .
Ami de la délicateffe ,
Du goût & de la vérité ,
Je mets dans la vertu la gloire & la nobleffe ;
Prenant pour un tréfor la médiocrité ,
Je détourne mes pas vers ce bord écarté,
Cette fontaine
enchantereffe ,
F
vj
132 MERCURE DE FRANCE.
Où l'on voit folâtrer les Nymphes du Permeſſe ; -
Satisfait & jaloux de ma tranquillité ,
Quelquefois cependant jouet de matendreſſe ,,
De l'éclat des grandeurs je ne fus point flaté.
Soit indifference ou pare fle ,
Soit , fi l'on veut , auftérité ,
Ou peut- être un peu de fageſſe ,
Le riche me pareit lâchement refpecté ;..
Et par fa ftupide fierté ,
Me faifant hair la richeffe ,
Exempt des foins brillans dont il est tourmenté ,..
Je l'abandonne aux maux qu'entraîne la mollelle..
Eprife de fon or & de fa dignité ,
Qu'une foule tempante autour de lui s'empreffe .
Pour tâcher d'adoucir tant de férocité :
Le repos & là liberté
Sontpour moi des tréſors d'une toute autre efpéce ;;
Plus connoiffeur en volupté,
J'ai fait ferment de fuir toute profpérité
Qu'ilfaut payer par la baffle ,
Bornant mes revenus à ma ſeule fanté ;
Certain que la Divinité
N'a jamais confondu le crime & la foibleſſe
Sur l'aile du defir mon efprit emporté ,
S'élance vers l'éternité.
Les paffions de ma jeuneſſe
Sont l'amitié , l'honneur , l'étude & l'équités
Et pourquoi voudroit-on que le Ciel irrité ,,
M'écrafat fous les coups d'une main vengereffe
DECEMBRE. 1753 .
17373
Le regret d'avoir exifté
Ne me troublera point aux jours de ma vieilleſſe,
Mon ame attend du Ciel ce nectar fi vanté ,
Ce nectar d'immortalité ,
Cette délicieuſe yvreffe
Promiſe à la fidélité .
L'humeur plaft - elle aux. Dieux , plutôt que la
gaité ?
Obtient-on le bonheur à force de trifteffe ?
Lorfque rompant le noeud qui le cient arrêté ,
Mon luth peut triompher d'une force étrangere ,
Pour l'aimable vertu qui me fut toujours chere ,
Soudain il fe remonte avec vivacité :
Tel qu'on voit l'air preffé , retenu dans la poudre
Par une étincelle excité ,
Reprendre avec ardeur fon élafticité ,
Imiter quelquefois les effets de la foudre ,,
Oo former un foleil malgré l'obſcurité.
MEMOIRES de l'Académie Royale de
Chirurgie ; tome fecond . A Paris , chez
Delaguette , Imprimeur de l'Académie , ruo
S. Jacques , à l'Olivier . 1753. vol. in 4° .
•
L'Hiftoire de l'Académie Royale de
Chirurgie n'avoit pas encore été donnée
au Public ; on la . trouve à la tête de ce
Volume , où elle occupe 94 pages . M. Motand
, qui en est l'Auteur , nous apprend
que cette Société dut fa premiere inftitu
aon en 173.1 , au zéle & aux foins réunis
734 MERCURE DE FRANCE .
de M. Marefchal , pour lors premier Chirurgien
du Roi , & de M. de la Peyronnie
, qui étoit fon fucceffeur défigné . Perfonne
mieux qu'eux ne pouvoit fentir tous
les avantages d'une Société à laquelle les
obfervations & les découvertes en Chirur
gie feroient rapportées , & où elles feroient
mifes à l'épreuve d'une critique judicieuſe
, avant d'être communiquées au
Public , pour fervir de régles à ceux qui
profeffent un Art auffi intéreſſant pour la
vie des hommes. Ces deux chefs de la
Chirurgie du Royaume concerterent donc
un Réglement que Sa Majefté approuva ,
& qui fut publié fous fon autorité.
L'Académie commence fes Affemblées ;
tout le monde applaudit à un établiſſement
auffi avantageux ; les Etrangers qui en
fentent l'utilité , s'empreffent de communiquer
à cette Société naiffante le fruit
de leurs études & de leurs travaux ; l'Académie
devient le centre où fe réunit
tout ce qu'on penfe , tout ce que l'on fait ,
tout ce que l'on découvre de nouveau en
Chirurgie enfin l'on publie en 1743 let
premier Volume des Mémoires de l'Acadé
mie , M. Quefnay étant alors Secrétaire.
:
La mort de M. de la Peyronnie & les
contradictions que les Chirurgiens effayerent
avant & après cet événement , fur les
DECEMBRE.
1753. 135
arrangemens qu'on avoit pris pour qu'ils
devinflent dorenavant plus inftruits & plus
habiles encore quer par le paffé , retardereat
un peu les progrès de l'Académie :
un fi bel établiſſement ne devoit pas refter
imparfait. M. de la Martiniere ne fuccéde
pas moins à la place de premier Chirargien
du Roi qu'au zéle de fon prédécefdeur
pour l'illuftration de fon art . Sur les
repréſentations le Roi accorde des Lettres
Patentes à l'Académie de Chirurgie , & la
prend fous fa protection immédiate . Ces
Lettres conçues en termes fort honorables
pour les Chirurgiens de Paris , furent données
en 1748 , elles infpirerent une nouvelle
émulation ; enfin la Société Académique
reprit , pour ainfi dire , une nouvelle
vie , par le Réglement que le Roi lui
a donné le 18 Mars 175 1. Ces piéces fondamentales
& la lifte des Académiciens
font rapportées tout au long dans le début
de l'Hiftoire , & y fervent pour cette foisci
de premiere partie ; dorenavant elleen
aura quatre. Elle contiendra : » 1. des
obfervations courres & ifolées que l'on
weft obligé de configner dans les Regif-
>> tres , ou pour donner date aux Auteurs
en par d'autres confidérations . 2 °. Les
titres au moins , & quelquefois les extraits
des Livres publiés par les Académi
ry MERCURE DE FRANCE.
» &
»ciens. 3 ° . Les éloges de quelques Mem
»bres de la Compagnie. 4. Les inftrumens
»& machines qui ayant été préfentés à l'A-
»cadémie , en auront mérité l'approbation .
Tel eft le plan que M. Morand s'eft propofé
pour la fuite des Volumes de l'Académie
, & qu'il a- fuivi - dans celui dont nous
rendons compte.
Le fecond article de l'Hiftoire qu'on
donne aujourd'hui , contient les éloges de
MM. Maréchal , Petit le fils , la Peyronnie ,
& Perit le pere. La vie de ces hommes illuftres
par leur fçavoir, & par les places qu'ils
ont occupées , fe trouve naturellement liée
avec l'hiftoire de l'Académie : ils l'ont fait
naître par leur zéle , & ont beaucoup
contribué à fes fuccès par leurs travaux .
On voit dans l'hiftoire de M. Maréchal ,
un homme qui a commencé l'érude de fa
profeffion avec bien des difficultés ; fon
mérite les lui a fait furmonter , & il l'a
enfin élevé à la premiere place de fon art.
Son pere étoit Officier dans un Régiment
étranger au fervice de la France . Eftropié
à la bataille de Rocroy , il avoit été obligé
de fe retirer ; il vivoit à Calais avec une
fortune médiocre. Le jeune Maréchal n'a
donc pû trouver dans fa famille les ref
fources néceffaires pour une dépenfe honnête
pendant plufieurs années qu'il faut
DECEMBRE. 1753. 1.37
paffer à fuivre les écoles publiques & particulieres
, à fréquenter les Hopitaux , à
accompagner les praticiens accrédités. Son
noviciat en Chirurgie fut plus dur ; il s'affujettit
à un maître de l'Art fous les engagemens
ordinaires , qui ne laiffent
une auffi grande liberté.
pas
L'affiduité du jeune Maréchal à l'Hopi
al de la Charité , fut le principe de fa
fortune. Il s'attira l'eftime des principaux
Chirurgiens de cet Hopital ; il y obtint la
place de gagnant Maîtrife , & l'on ne
Tarda point à lui confier en chef le foin
de cet Hopital , où il avoit acquis de profondes
connoiffances , & exercé fon aft
avec un applaudiffement général ; ce fur
alors qu'il parut dans le Public . Il
y foutint
la bonne opinion qu'on avoit eue de
Jui dans l'Hôpital ; on admira fon habileté
, fa prudence. Plufieurs cures faites avec
fuccès fur des perfonnes diftinguées , le
mirent en grande réputation . Il fut appellé
en 1696 , pour confulter fur la maladie de
Louis XIV, qui avoit un abſcès confidérable
à la nuque . Sa circonfpection & fa modeftie
lui mériterent autant d'applaudiffemens
que les preuves qu'il donna de fon
expérience . Des fuccès conftans à la Cour ,
à la Ville , l'appellerent à la premiere place
, lorſqu'elle vacqua en 1703 , par laz
138 MERCURE DE FRANCE.
mort de M. Felix. Les fervices de M. Ma
réchal lui mériterent fucceffivement les
diftinctions les plus flateuſes. En 1706 le
Roi lui donna une Charge de Maîtred'Hôtel
, & l'annoblit en 1707. Il retrouva
dans Louis XV la confiance dont fon augufte
bifayeul l'honoroit. L'attachement
tendre qu'il avoit pour le jeune Roi , le
rendoit fans coffe tremblant pour des jours
fi précieux. Lorfqu'il donnoit des confeils
fur fa fanté , il oublioit qu'il parloit à fon
maître , & prenoit , f on ofe le dire , le
ton d'un pere qui parle naturellement à
fon fils. Le Roi ajouta en 1723 de nouveaux
honneurs à ceux que Louis XIV lui
avoit accordés ; il le fit Chevalier de S.
Michel. Nous avions oublié , parmi ceuxci
, de rapporter une marque bien fatisfaifante
des bontés du feu Roi pour M. Ma
réchal..
>> En 1709 , le Maréchal de Villars fut
>> bleffé d'un coup de feu au genou droit à
» la bataille de Malplaquet , & fon état
>> étant devenu dangereux , le Roi qui en
Détoit occupé , propofa à M. Maréchal
» d'aller lui - même juger de la bleffure da
» Général. Les nouvelles fâcheufes qui en
>couroient à la Cour , faifoient peine à
M. Maréchal : cependant après quelques
courtes réflexions , il donna fa parole as
DECEMBRE. 1753.
139
>>Roi , qui charmé de le voir partir , l'em-
»braffa , & dès ce moment regarda comme
fure la confervation de ce grand Capitai
ue , que le Ciel deftinoit à raffurer la
» France allarmée.
En fuivant la carriere longue & brillante
que M. Maréchal a parcouru , M.
Morand le repréfente comme un grand
Chirurgien , qui a mérité , à jufte titre , la
haute réputation dont il a joui , & la confiance
fans bornes que des hommes de tous
états ont eu en lui : Rois , Princes , Miniftres
, Prélats , Généraux , Magiftrats , No.
bles , Citoyens de tous les Ordres , gens de
tous pays , avoient reffenti les effets falutaires
de fa main ou fes confeils.
L'affociation de M. de la Peyronnie lui
permettoit de paffer le tems qu'il vouloit
dans fon Château de Biévre. Il alloit , fans :
témoins de les oeuvres charitables , » voirles
payfans , panfer les malades , confoler
les malheureux ; il étoit leur pere ,
»leur Chirurgien , leur confeil & leur ap
»pui : il mourut le 13 Décembre 1736 ..
Dans cet éloge M. Morand a réuffi , fuivant
Les voeux , à rendre le nom de M. Maréchal
refpectable à la poſtérité , par le tableau ,
qu'il a fait de fes vertus & de fes talens .
L'éloge de M. Petit le fils paroît une
expreffion des regrets de l'Académie ; elle
140 MERCURE DE FRANCE.
avoit conçu de grandes eſpérances de cet
Académicien , qu'une mort prématurée enleva
à la Chirurgie le 19 Août 1737
n'ayant pas vingt- huit ans accomplis . H
nâquit en 1710 ; après avoir fait, avec dif
tinction , fes humanités , il apprit l'Anatomie
fous fon pere : celui - ci bien affuré
par le goût qu'il avoit infpiré à fon éleve ,
qu'il embrafferoit fon état , le fit étudier
en Philofophie , & il reçut le grade de
Maître-ès- Arts dans l'Univerfité de Paris
en 1729.
M. Petit s'appliqua enfuite à l'étude des
hautes Sciences , à la Phyfique expérimen
tale , à la Géométrie , aux Méchaniques. I
ne connoiffoit nulle forte de diffipation ,
& n'avoit de goût que pour fon cabinet &
les Hopitaux. Il a été la victime de ſon ap
plication. M. Morand affure qu'il a été
fouvent témoin de ſes diffections à l'Hopi
ral de la Charité . Son ardeur pour l'Ana
tomie le rendoit indifférent fur le choix
des cadavres ; & co fut réellement dans
l'exercice de la diffection , qu'il contracta
une maladie de la peau , qui fut plufieurs.
années à fe diffiper , & qui prit un caractere
plus dangereux à mefure qu'elle difparoiffoit.
En 1730 , M. Petit le fils fut reçu Maî
we en Chirurgie , & nommé en 1734
(
DECEMBRE . 1753 141
Subftitut de fon pere à la place de Démonftrateur
Royal . Il fe trouvoit chargé
par ce nouvel emploi , d'expliquer aux
étudians en Chirurgie , les principes de
leur art , & la théorie des playes , des ulcères
& des apoftêmes . Mais comme l'expérience
eft l'appui de cette théorie , il réfifta
aux inftances que fon pere lui faifoit
de paroître en Public ; il vouloit avoir
puifé dans l'obfervation les leçons qu'il
devoit donner aux autres. Pour cet effet ,
il demanda de l'emploi dans les armées ;
il fit la campagne de 1733 fur le Rhin
en qualité de Chirurgien Aide- Major ; il
fut nommé Chirurgien Major l'année ſuivante
, n'ayant pas encore vingt- quatre
ans. Cette espéce de phénomene étoit bien
capable d'exciter l'envie des Chirurgiens
plus âgés , d'allarmer le foldat , de furprendre
tout le monde : mais nomme-t on
M. Petit le fils ? tout le monde applaudit
au choix du Miniftre. Il a donné quelques
Mémoires à l'Académie , & avoit projetté
plufieurs ouvrages. On aime à voir de la
part de M. Morand , le témoignage qu'il
rend à la fin de cet éloge , à M. Petit le pese
à l'occafion du fils . Celui- ci étoit déjà
>> notre Boerhaave pour la théorie ; il eût
»bientôt acquis la réputation d'un grand
praticien , & parvenu au point de célébrité
42 MERCURE DE FRANCE .
auquel une heureuſe alliance des deux
parties de notre Art le portoir ; on n'eût
»point cherché hors de chez lui des com-
»paraifons pour le louer. Le fils n'auroit
»pû être un jour comparé qu'au pere.
Nous n'infifterons point fur l'éloge de
M. de la Peyronnie . Tout le monde fçait
quels étoient les talens de ce grand Chirurgien
, & jufqu'où a été fon zéle pour
l'illuftration de fon Art & pour le bien public.
Ces deux objets qu'il ne fépara ja
mais , l'avoient toujours occupé , & il leur
a confacré la fortune confidérable que fon
mérite lui avoit fait faire. Reſtaurateur de
la Chirurgie , fondateur de l'Académie ,
& de différentes places de Profeffeurs au
Collège de Chirurgie , on lui devra dorénavant
les progrès que feront les hommes
ftudieux qui cultiveront cette ſcience ; l'efprit
de M. de la Peyronnie revivra en eux
pour l'honneur de la nation , pour le bien
des concitoyens , & le falut de l'humanité ,
dont cet homme illuftre a été & fera à jamais
le bienfaicteur.
Le quatrième éloge eft celui de M. Petit
le pere , par M. Louis. Nous avons parlé
de cet ouvrage en 1750. L'Auteur repréfente
cet homme célébre comme un des
plus grands hommes qu'ait eu la Chitur
gie Françoife ; & le portrait qu'il en fait ,
Σ
DECEMBRE 1753 143
perfuade & inftruit le Lecteur ; la louange
n'eft point recherchée , elle fort du fujet
même , & il prête beaucoup. M. Petit a
eu la plus grande réputation ; il a été appellé
dans les Pays étrangers pour rendre
la fanté à différens Souverains. Ces occafions
font brillantes ; mais M. Louis ne
les croit pas des régles fures , pour juger
du mérite du Chirurgien ; le hazard , la
protection & plufieurs autres circonftances
étrangeres au fçavoir , donnent trop
fouvent de la réputation , pour qu'on ne
la regarde pas comme une marque trèséquivoque
d'habileté . C'eft par les productions
de l'efprit que l'on peut déterminer
avec certitude combien les hommes
qui cultivoient une fcience en ont mérité
telles font les expreffions de M.
Louis. C'eft de ce point dont il part pour
faire connoître les découvertes importantes
que M. Petit a faires dans fon Art . On
ne fçait fi la réflexion préliminaire plaira
à tous ceux qui ont de la réputation , &
qui n'ont point donné de marques permanentes
, par lefquelles on puiffe juger
de la fupériorité qu'on leur croit ; mais
on doit fçavoir beaucoup de gré à M.
Louis , de fe conduire fuivant les principes
qu'il loue , & de travailler avec autant
d'ardeur & de fuccès qu'il le fait pour
144 MERCURE DE FRANCE:
mériter une réputation folide.
Dans la troifiéme partie de l'Hiftoire ,
M. Morand donne l'extrait fuccint de différens
ouvrages publiés par les Académi
ciens , depuis l'inftitution de l'Académie
en 1731 , jufqu'en 1741. La gloire des
Académiciens réjaillit naturellement fur la
Société dont ils font membres . Prefque
rous ces ouvrages ont mérité à ceux qui
les ont compofés le rang d'Auteurs claffiques.
On voit qu'en 1731 M. le Dran a
donné au Public deux volumes d'obfervations
de Chirurgie , & M. Petit un Traité
des maladies des os , en deux volumes , en
1735 ; que M. Verdier a compofé un excellent
abrégé d'Anatomie , fort eftimé des
maîtres de l'Art , & de M. Winflow , le
Prince des Anatomiftes modernes ; que M.
Levacher a publié en 1740 une Differta
tion fur le cancer des mammelles , & M.
le Dran un Traité fur les playes d'armes à
feu ; enfin que M. Lafaye a fait des remarques
importantes fur le cours des opérations
de Chirurgie , compofé par M.
Dionis.
La quatrième partie de l'Hiftoire rend
compte de deux inftrumens approuvés par
l'Académie . L'un eft une espéce de colier
propre pour la faignée de la veine jugulaire
, avec lequel on comprime aifément
le
DECEMBRE.
1753.
145
le vaiffeau pour y retenir le fang , avant
l'incifion que le
Chirurgien doit y faire.
Cette
machine eft de M.
Chabert , Chirurgien
à Paris. La feconde eft une plaque
pour
comprimer
l'artere
intercoftal , &
arrêter le fang qui fortiroit de fa bleffure .
Čet
inftrument a été envoyé par M. Lotteri
, premier
Profeffeur
d'Anatomie dans
l'Univerfité de Turin ,
Chirurgien- Major
des Gardes du Corps du Roi de
Sardaigne ,
&
correfpondant de l'Académie. Les figures
de ces deux inftrumens , de même que celles
qui
compofent les vingt - deux planches
qui entrent dans ce Volume , ont été deſúnées
& gravées avec le plus grand foin ,
par le fieur Ingram , que l'Académie a
choifi pour fon
Deffinateur.
LES délices du fentiment , dédiées à
S. A. S. Madame la Ducheffe d'Orléans .
Par M. le Chevalier de Mouky , de l'Académie
des Belles- Lettres de Dijon. Troifiéme
& quatrième parties. A Paris , chez
Jorry , Quai des Auguftins ; & Duchefne ,
rue S , Jacques. 1753 , in- 12 . 2 vol.
On a lu les deux premieres parties de ce
Roman il y a quelques mois, & on y a trouvébeaucoup
d'imagination ; il nous paroît
qu'il y a des fituations plus neuves dans la
3 & 4 parties qui paroiffent actuellement.
с
1. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
"
LE volume des Tranfactions Philofophi
ques pour l'année 1752 , vient de paroître
; c'est le 47 de cet important Recueil.
Tous ceux aufquels la gloire de la
Chirurgie Françoife eft chere , y verront
avec joye de grands éloges de M. Daviel ;
plufieurs beaux morceaux du célébre M. le
Cat , & un Mémoire de M. Faget l'aîné ,
fi fage , fi méthodique & fi utile , que nous
avons cru devoir en donner une traduc
tion dans le Mercure .
MEMOIRES de Martin & Guillaume
du Bellai - Langei , mis en un nouveau ftyle
, aufquels on a joint les Mémoires du
Alaréchal de Fleuranges qui n'avoient
point été publiés , & le Journal de Louiſe
de Savoye , le tout accompagné de notes
critiques & hiftoriques , & de piéces juſtificatives
, pour fervir à l'Hiftoire du re
gne de François premier. A Paris , chez
Prault l'aîné , Durand , Nyon fils & Guyllin.
1751. in 12. Sept volumes .
Les Mémoires de du Bellai ont toujours
paffé pour un excellent ouvrage. Le style
en dit malheureuſement fi vieilli qu'on ne
les entend qu'avec peine On doit donc
çavoir beaucoup de gré à M. l'Abbé Lambert
de nous en avoir facilité la lecture en
les rajeanitfant . Sa maniere d'écrire eft tel
e qu'elle doit l'être dans des Mémoires ,
DECEMBRE. 1753 .
147
Timple & naturelle ; fes notes font exactes
& remplies de difcuffions néceffaires ; les
pieces juftificativesparoîtront curieufes aux
Sçavans , & à ceux qui fans être fçavans
cherchent principalement la vérité dans
'Hiftoire.. Nous entrerons fur tout cela
dans quelques détails le mois prochain.
ACADEMIE DES BELLES- LETTRES
de Marfeille. 1753 .
L'Académie qui avoit réservé le prix de
l'Eloquence l'année derniere , vient
d'adjuger celui de cette année & celui
qui avoit été réservé ; le premier , à une
Ode ; le fecond , à un Difcours. L'Auteur
de la premiere eft M. Ricaud , de cette
Ville , âgé de dix - fept ans. L'Auteur du
fecond eft le Reverend Pere Delane , Proffleur
de Logique , du Collège des RR,
PP. Jéfuites de cette Ville .
Elle avertit le public que le 25 Août
Fête de Saint Louis , de l'année prochaine
1754 , elle adjugera le prix à un Difcours
d'un quart d'heure , ou tout au plus d'une
demi-heure de lecture , dont le fujet fera:
Le befoin que l'imagination a'de la raison ;
& elle déclare aux Auteurs que tout Dif
cours qui excédera ces bornes , fera par
cette railon feule exclu du concours .
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
On adreffera les ouvrages à M. de Cha
lamont de la Vifelede , Secrétaire perpétuel
de l'Académie des Belles Lettres de
Marſeille , rue de l'Evêché. On affianchira
les paquets à la Pofte , fans quoi ils ne fe
ront point retirés. Ils ne feront reçus que
jufqu'au premier Mai incluſivement .
L'Académie n'exige qu'une feule copie
des ouvrages qu'on lui envoye , mais elle
la fouhaite en caractéres bien lisibles &
point trop menus , & avertit les Auteurs
qu'ils perdent beaucoup quand l'efprit eft
obligé de fe partager entre l'attention
qu'exige une lecture pénible , & l'impref
fion que doit faire fur lui ce qu'il lit.
Cette Académie tint le Samedi 25 Août,
jour de Saint Louis, fon Affemblée publi
que dans la Sale que le Roi lui a accordée
dans l'Arfenal ."
M. Dulard, Directçur , ouvrit la Séance
par un Difcours qui roula fur le fujet de
P'Affemblée , & fur l'injuftice des plaintes
des Auteurs qui ont travaillé fans fuccès
pour les prix des Académies.
On lat l'Ode couronnée , dont le fujet
eft les Loix , & dont l'Auteur eft M. Ri
caud , de Marfeille , âgé de dix -fept ans.
L'Auteur prononça un remerciment en
vers , auquel M. le Directeur fit une couf
te réponſe.
DECEMBRE. 1753. 149
On lut le Difcours couronné , dont le fujet
eft : Qu'il n'est rien de plus dangereux que de
mal placer la gloire , & dont l'Auteur eft le
R. P. Delane , Profeffeur de Logique du
Collège de Belzunce des RR . PP . Jefuites.
M. de Chalamont de la Vifclede , Secrétaire
perpétuel de l'Académie , lut l'éloge
de M. Bertrand , Académicien , mort
dans le cours de l'année derniere.
La Séance fut terminée par la lecture
d'un Poëme , intitulé : Le Sacrifice d'Iphygénie
, de M. Dandré Bardon , Académi
cien , Profeffeur en l'Académie Royale de
Peinture & Sculpture.
L
pour A Ville de Rheims a formé le
progrès des Sciences & des Arts des
établiffemens confidérables , & elle a eu le
bonheur de trouver des hommes d'un grand
mérite pour les diriger. Voici le plan qu'ils
fe propofent de fuivre cette année dans les
leçons qu'ils doivent donner .
.
Le nouvel ordre que M. l'Abbé Jurain
Profeffeur de Mathématique , & Correfpondant
de l'Académie Royale des Sciences , fe
propofe degarder dans les leçons de Mathéma
tique , de Philofophie Françoise & de Phyfique
expérimentale, qu'il donnera dans les Eco-
Les établies à l'Hôtel de Ville de Rheims.
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
Depuis que le renouvellement des
Sciences & des Arts a changé la face de
l'Europe , les Sçavans n'ont ceffé de s'élever
contre l'infuffifance & l'inutilité de
la Philofophie Peripatéticienne , qui malheureufement
avoit fi fort prévalu pendant
les fiécles d'ignorance & de barbarie ,
qu'on ne penfoit plus & qu'on ne décidoit
plus que par fon autorité.
Aujourd'hui que nous avons le bonheur
de vivre dans un fiécle éclairé , où la Philofophie
femble être parvenue à fa perfection
, qui ne croiroit que les formes fubf-
Lancielles , les qualités occultes , les termes
qui ne fignifient rien , ou qui ne préfentent
que des idées vagues , ne fullent
abfolument bannis des Ecoles ? Cependant,
tant il eft vrai qu'un abos invétéré ne peut
fe déraciner qu'avec une difficulté extrê
1
la forme barbare des Scholaftiques
fubfifte encore , & n'a pû être diffipée par
cette politeffe qui caractériſe l'âge où
nous vivons , ni même par les Defcartes ,
les Mallebranche , les Newton , les Loke ,
qui tous nous ont laiffé une méthode bien
plus facile pour parvenir à la découverte
de la vérité.
C'eft aux principes de ces grands hommes
que nous devons une Logique par
faite , courte & exempte de toutes les dif
DECEMBRE. 1753. 151
cultés que renferme celle d'Ariftote ; une
Logique qui n'eft autre chofe que celle
qu'employent les Géométres dans leurs
fpéculations les plus abftraites.
Nous ne fortirons donc point de la deftination
d'un Profeffeur de Mathématique
, en employant environ trois ſemaines
à expliquer à nos Difciples une méthode
fi fimple , fi aifée , & dans laquelle nous
ofons nous flater de répandre quelques
agrémens. Non-feulement les jeunes gens,
mais même ceux d'un âge plus avancé , qui
par leur état font principalement deftinés
à découvrir la vérité , foit dans l'explica
tion des Loix , foit dans les routes obliques
de la chicane , y trouveront des
moyens pour le tirer d'un labyrinthe d'où
l'on atant de peine à fortir.
Sans entrer ici dans le détail des abus
de l'ancienne Philofophie , nous nous contentons
de préfenter les moyens d'y remé
dier ; & pour y parvenir , voici le plan que
nous nous propofons de fuivre dans nos
Ecoles. Nous donnerons tous les jours , à
l'exception des Jeudis & jours de Fêtes ,
trois heures de leçons , depuis deux heures
après midi jufqu'à cinq , & cela à commencer
du ; Novembre de cette année.
Nous employerons pendant dix mois la
premiere heure & demie à expliquer les
G iiij
152 MERCURE DE FRANCE.
régles d'Arithmétique , d'Algebre , toute
la Géométrie élémentaire , tant théorique
que pratique . Nous deftinons la feconde
heure & demie , à enfeigner pendant les
trois premieres femaines environ , la Logique
dont nous venons de parler plus
haut après quoi nous pafferons immédiatement
à des leçons de Phyfique , tant
théorique qu'expérimentale , & nous aurons
le foin de les proportionner aux pro
grès qu'auront fait nos Difciples dans les
Mathématiques ; de forte qu'elles n'en fuppoferont
d'autres connoiffances que celles
que nous aurons données précédemment.
Nous n'oublierons pas pendant ce cours
d'expliquer les queſtions de Métaphysique
qui peuvent être de quelque utilité pout
les differens phénoménes naturels. Nous
tâcherons , à l'exemple de plufieurs Phyſiciens
illuftres , de faire fervir les connoif
fances de la nature à infpirer à nos Difciples
les fentimens de refpect , de crainte ,
d'adoration & d'amour qui font dûs à l'Auteur
fuprême de tant de merveilles. Nous
faifirons l'occafion de leur prouver par
l'ordre admirable qu'on obferve dans les
differens ouvrages
de ce monde , l'exiftence
du fouverain Etre ,fa providence , fon
éternité , fon immutabilité , & tous les
divins attributs.
DECEMBRE . 1753 .
153
En expliquant les differentes propriétés
de la mariere , nous aurons grand foin de
faire fentir, contre les Matérialiftes , qu'el
les n'ont rien de commun avec le pouvoit
de penfer , qui conftitue la nature de l'ame
humaine , & nous prouverons par là qu'elle
eft d'un ordre infiniment fupérieur à
celui du corps qu'elle anime , que par conféquent
elle ne périra point avec lui ; mais
qu'après fa féparation elle eft réfervée pour
recevoir la récompenfe ou la peine de fes
bonnes où de fes mauvaiſes actions , & que
cette récompenfe ne peut être que Dien
même , qui feul eft capable de remplir la
capacité de notre ame.
Pour ce qui eft des autres queftions de
Métaphyfique , nous les négligeons , com
me étant abfolument inutiles .
Ainfi , felon ce plan , nous nous propofons
de donner en dix mois ( outre tout
ce qui regarde les Nombres , l'Algebre , la
Géométrie , la Trigonométrie ) un cours.
complet de Philofophie , le tout en François
, afin que ceux même qui n'ont point
fait d'Humanités , ou qui les ont mal faites,
puiffent en profiter.
On voit par ce que nous venons d'expofer
,, que nous nous appliquerons principalement
à donner une Phylique expérimentale
, & entierement fondée fur lés
›
Gy
154 MERCURE
DE FRANCE.
Mathématiques. Pour cela tous les Samedis
, à commencer à celui qui fe trouvera
le premier non fêté , en Janvier , nous ferons
des expériences publiques , & nous y
joindrons une leçon , qui fera une récapi
tulation de toutes celles que nous aurons
données pendant la femaine.
que
Nous n'infifterons pas fur les avantages
les Etudians trouveront dans notre
Ecole , & qu'ils ne peuvent pas efpérer ail
leurs ; je les récapitule en peu de mors ,
pour les faire fentir.
1º. Une Philofophie Françoife , de laquelle
feront bannies toutes les inutilités
de l'ancienne . 2º. Un cours qui ne fera
que de dix mois , & qui par là épargnera
une année de penfion aux Etrangers . 3 .
Pour ceux de Rheims , une Phyfique qu'on
tâchera de rendre utile pour leur Manufacture
, fans négliger l'utilité qu'elle peut
procurer aux autres Etats. 4. Des élémens
complets de Mathématique. 5. Le peu
de tems que les Etudians feront obligés de
donner à ces leçons , qui ne feront que de
trois heures par jour , & en une feule féance
, ne leur fera pas d'un petit avantage ,
puifque cela leur laiffera la facilité d'af
fifter la matinée aux Ecoles de Deffein ,
où ils pourront apprendre la partie de cet
Art qui aura le plus de rapport à l'état auquel
ils fe deftinent.
pour
C:
DECEMBRE.
155
t
1753
Nous ne nous étendrons pas fur l'utilité
de cette derniere étude. Il fuffit d'avertir
que par le moyen du Deffein on acquiert ,
pour ainsi dire , un nouveau fens , à l'aide
duquel on peut le repréfenter à foi & aux
autres , mille objets nouveaux d'une maniere
auffi utile qu'agréable. En effet chacun
fçait qu'aujourd'hui , tant à Paris que
dans toutes les autres Villes du Royaume ,
où le goût des Arts a pénétré , il n'y a
perfonne , depuis le fimple Artifan jufqu'aux
plus grands Seigneurs , qui ne fçache
manier le crayon.
Nous avertiffons qu'il eft d'une extrême
importance aux Etudians de fe trouver à
l'ouverture de nos Ecoles , ou du moins
dans les premieres femaines , puifque l'intelligence
de nos dernieres leçons dépend
de celle des précédentes.
M. Robert , Profeffeur des Ecoles de
Deffein , établies dans l'Hôtel de Ville de
Rheims , Deffinateur , Graveur en Tailledouce
& en couleur naturelle , avec privilége
du Roi , a fait l'ouverture de fes leçons
Lundi 22 Octobre 1753...
L'empire des Arts eft un monde éloigné
du vulgaire , où l'on fait tous les jours des
découvertes , mais dont on a bien des
relations fabuleuses. Il eft important d'af-
Gvj
155 MERCURE DE FRANCE.
furer les vraies , de prévenir fur les fauffes
, de fixer les points d'où l'on doit partir
, & de faciliter ainfi la recherche de ce
qui refte à trouver . On ne cite des faits , on
ne compare des expériences , on n'imagine
des méthodes que pour exciter le génie à
s'ouvrir des routes ignorées , & à s'avancer
à des découvertes nouvelles , en regardant
comme le premier pas celui où les
grands hommes ont terminé leur courfe."
C'est auffi le but que nous nous fommes
propofés , en alliant aux principes des Arts
l'hiftoire de leur origine.
Nous donnerons une leçon de Théorie
tous les mois , à commencer le premier
Samedi non fêté , en Janvier 1754. Nous
nous propofons de faire un exercice publie
, qui fera une récapitulation de toutes
les leçons que nous aurons données
dant l'année .
pen-
Nous commencerons d'enfeigner les
principes du Deffein , tant la figure humaine
que la ronde - boffe ; les animaux ,
les fleurs , les fruits , le paysage , l'Anatomie
du corps humain ; fçavoir , l'Oftéologie
& la Myologie. Nous enfeignerons les
cinq ordres d'Architecture , la maniere de
lever les plans de toutes fortes de bâtimens,
de faire les deffeins , tant des façades que
des coupes ; en général , tout ce qui eft
1
DECEMBRE. 1753.
157
dépendant de l'Art du Deffein , tant pour
la Serrurerie , la Menuiferie , que les autres
Arts relatifs à l'Architecture.
Noas montrerons à deffiner l'ornement
& toutes les parties de deffein qui peuvent
êrre utiles aux fabriques des étoffes de laine
& de foye , dont le progrès & la perfection
font l'objet principal de cette
Ville.
Nos Ecoles feront ouvertes tous les
jours , excepté les Dimanches , jours de
Fêtes & Jeudis , depuis fept heures du matin
jufqu'à midi , pendant l'été , & depuis
huit heures du matin jufqu'à midi pendant
l'hyver .
Nous avertions que celles de Mathé
matique & de Philofophie Françoife
s'ouvriront aufli à l'Hôtel de Ville le 3
Novembre de la préfente année.
REPONSE de M. le Chevalier de Caufans
à la Lettre de M. Liger.
E Mercure de Novembre m'a appris ,
Monfieur ,que je vous devois une
réponſe , fans quoi je n'aurois pas tant differé
à vous remercier de vos remarques fur
la Quadrature du cercle , que je crois avoir
trouvée. J'avois lû , Monfieur , votre ouvrage
là deffus , & j'ai admiré la fçavante
#58 MERCURE DE FRANCE.
application , & votre patience pour ne
trouver qu'un de difference fur neufmille;
c'en eft encore affez pour vous priver de
l'ufage , puifqu'il faut une parfaite égalité,
comme deux & deux . Je n'ai fuivi ni les
principes d'Euclide ni les numériques ;
j'en propofe d'inconnus & de vrais fur la
Géométrie ; & vous verrez , Monfieur ,
dans mes dernieres réflexions fur la Quadrature
du cercle , qu'il ne tient plus à moi
d'être jugé avec connoiffance de cauſe , &
je ferai bien flaté , fi je puis avoir dans la
fuite votre approbation , que vous ne
donnerez qu'avec tous les Sçavans de l'Europe
. J'ai l'honneur d'être , & c.
A Paris , ce 4
Novembre 1753.
L'on donne avis au Public . que l'im
preffion de l'Hiftoire Univerfelle , com
pofée par le R. P. Dom Auguſtin Calmet ,
Abbé de Senones , qui avoit été commencée
d'imprimer par foufcription dès l'an
1732 , & qui avoit été fufpendue & interrompue
en 1748 , fera inceffamment
remife fous la preffe en cette année 1753 ,
pour que le tome IX en puille paroître
vers la Saint Michel de l'année 1754,
fous la même forme , même papier & mêmes
conditions que les huit premiers
DECEMBRE. 1753
tomes qui font déja imprimés ; à l'exception
que le prix de la foufcription fera de fept livres
de France par volume , & de dix livres
pour ceux qui n'auront pas fouferit. Il en
refte encore fix tomes à imprimer , qui
font actuellement compofés , & qui contiennent
l'Hiftoire Univerfelle Eccléfiaftique
& Civile , depuis l'onziéme fiécle jufqu'à
la mort de Louis XIV . en 1715. C'eſt
Jean-Daniel Dulfecker , Libraire à Strasbourg
, fils de feu le Sieur Jean Renauld
Dulfecker , qui fe charge de la continuation
de cet ouvrage , dont le public a jufqu'ici
ardemment fouhaité la continuation.
On prendra des foufcriptions jufqu'à
la fin de cette année .
LE Sieur Allard , Maître de Mathématiques
, logé au Collège de Navarre , montagne
de Sainte Geneviève , donne avis au
public qu'il enfeigne à prix très-modique
La nouvelle méthode théorique & pratique
d'Arithmétique , d'Algebre & de Géométrie
de M. Gallimard , laquelle méthode
traitée d'une façon finguliere , ouvre une
voie facile & prompte aux Mathématiques,
dont elle énonce clairement les principes
généraux , & produit l'effet que tous les
préceptes qu'elle renferme font du nombre
de ceux que perfonne ne doit ignosce
160 MERCURE DE FRANCE.
pour fon utilité particuliere. Le Sieur Allard
annonce de même qu'il a ouvert audit
Collège de Navarre un cours particulier
de Phylique expérimentale & de Méchanique
, qui formera les répétitions des
fçavantes leçons qu'y donne publiquement
M. l'Abbé Nollet , de l'Académic
Royale des Sciences.
L'AUTEUR des Tablettes hiftoriques ,
généalogiques & chronologiques , invite cenx
qui poffédent d'anciennes Baronies , ou
des Terres érigées en titre de Marquifat ,
Comté , Vicomté & Baronie , de lui envoyer
copie , oa au moins un extrait , des
Lettres Patentes d'érection , avec la date
de leur enregistrement , & d'y joindre des
Mémoires inftructifs fur lefdites Terres &
leurs familles , avec le blazon de leurs armoities
, conformément au plan que l'Auteur
a fuivi. Il prie que ces Mémoires
foient écrits très-lifiblement.
Ces Mémoires feront adreffés , francs
de port , ou à M. de Chafot , ou à M. de
Nantigni , à l'Académie , rue des Canettes,
proche Saint Sulpice à Paris.
M. Philippe de Prétot , Cenfeur Royal ,
ayant depuis peu changé de demeure , croit
devoir l'indiquer à ceux qui voudroient
DECEMBRE . 1753. 166
fe former à l'étude de l'Hiftoire & de la
Géographie. Outre les , leçons qu'il donne
dans les maifons particulieres , il s'est réfervé
de tout tems quelques heures pour
faire chez lui , trois fois par femaine pendant
les trois faifons des Ecoles publiques,
& même davantage lorfqu'il eft nécellaire
, un cours général d'Hiftoire & de Géographie.
Il en commencera inceffamment
un nouveau , qu'il tâchera de rendre aufli
utile que les précédens l'ont été à ſes Auditeurs
, dont il ne fçauroit trop louer l'a
mour du travail , l'affiduité & la complai
fance.
Les perfonnes à qui la propofition de
faire ce nouveau cours feroir agréable ,
auront la bonté de venir au plutôt s'infcrire
chez M. Philippe de Prétot , rue de la
Harpe , où il demeure actuellement , dans
une grande maifon neuve , vis - à-vis la rue
des deux Portes.
QF
162 MERCURE DE FRANCE.
XXI:XI XI SKG ANG SEG DEG DEG OMG O
BEAUX ARTS.
DECOUVERTE du fecret pour fixer
le Paftel & toutes fortes de deffeins aw
crayon .
E fieur Loriot , Méchanicien , déja
Loftur déja
fingulierement par celle du nouveau prin.
cipe applicable à un grand nombre de machines
d'hydraulie & de ftatique , dont il
fe propofe de faire inceffamment les démonftrations
en public , s'eft appliqué avec
un tel fuccès à la recherche da fecret pour
fixer la Peinture au paſtel , fans en aliérec
F'éclat & la fraicheur , & fans tomber dans
aucun des inconvéniens que l'on avoit regardé
jufqu'ici comme inévitables , que
Académie Royale de Peinture & de Sculp
ture , après s'être convaincue de l'excellence
de cette découverte , a pris à ce sujet
la délibération qui fuit.
Extrait des Regiftres de l'Académie Royale
de Peinture & de Sculpture , du Samedi 6
Octobre 1753.
Le fieur Loriot qui a trouvé le fecret
de fixer la Peinture au paſtel, fans tomber
DECEMBRE. 1753. 163
dans le mat , & fans en ôter ni la fleur ni la
fraicheur des couleurs , s'eft préſenté à l'Affemblée
, & lui a montré différentes épreu
ves. L'examen fait , la Compagnie a jugé ce
fecret d'autant plus utile , que fans la moindre
altération , il femble devoir perpétuer
la durée des ouvrages au paftel & des def
feins , dont plufieurs méritent de paller à
la poftérité. De plus , l'Académie attefte
que de toutes les tentatives qui ont pû être
faites jufqu'ici pour découvrir un pareil
fecret , il n'en eft venu à fa connoiffance
aucune qui puiffe entrer en comparaison
avec la réuffite du fieur Loriot , qui paroîtrendre
at dégré de perfection que l'on a
toujours paru. fouhaiter : en conféquence.
de quoi , la Compagnie a chargé le Secréraire
de lui délivrer un extrait de la préfente
délibération , comme un témoignage
de l'estime qu'elle fait de l'excellence de
fa découverte.
Nous , fouffigné , Secrétaire perpétuel de
l'Académie Royale de Peinture & de Sculpture
, certifions l'extrait ci - deffus véritable
; en foi de quoi nous l'avons figné , &
y avons mis le fceau de la Compagnie ,
pour fervir & valoir ce que de raifon ..
Fait à Paris , au Louvre , le huitième jour
d'Octobre 1753. Signé L'EPICLE.
164 MERCURE DE FRANCE
DUFLOS , Graveur exact & facile , demeurantrue
Gallande , à côté de S. Blaife ,
vient de mettre au jour quatre eftampes
de la compofition de l'ingénieux & fécond
M. Boucher . En voici les titres avec les
vers qu'on a mis au bas.
LE BERGER.
Nés pour aimer, nous ne fongeons qu'à plaise,
Si-tôt qu'un jeune coeur allume nos défits ,
L'Amour prend foin d'attendrir la Bergere ,
Et fait notre bonheur en faiſant nos plaifirs.
Contens de quelques fruits & d'un peu de laita
ge ,
Nous fçavons fupporter gaiment le poids dujour;
L'innocence & la paix , voilà notre partage :
En peut- on dire autant à la Ville , à la Cour?
LE SOUFLEUR.
Quel mauvais tour , ami , t'a joué la fortune?
Pourquoi ces yeux hagards , cet affreux défelpoir
P
Ah ,je m'en apperçois , je vois ton infortune ;
Ton creufet renversé détruit tout ton eſpoir.
Pauvre fot , que crains - tu ta reffource eft cer
taine :
Confole-toi ; cet or que tu manque aujourd'hui ,
Demain , grace à l'excès de lá folie humaine ,
Tu le retrouveras dans la bourſe d'autrui.
DECEMBRE 1753 165
LE PESCHEUR.
Pour un esprit fenfé tout doit être leçon ;
Le fujer le plus fimple , un rien , un badinage
Eft fort fouvent , aux yeux du fage ,
Le langage muet qu'emprunte la raiſon.
Lecteur , dans cet enfant qui pêche à l'hameçon ,
Des perfides humains reconnois la conduite ;
Et dans la mort de se poiffon ,
De ton avidité vois la funefte fuite.
LE POETE.
•
Poëtes , qui brûlant du défir de la gloire ,
Voulez du Dieu des Vers mériter les faveurs ,
Et confacrer vos noms au temple de Mémoire ,
Moins remplis de vous-mêmes , écoutez les Cenfeurs.
= Préférez la retraite au fracas de la Ville ;
Sur tout fuyez la table & l'encens des Traitans ;
Et nous verrons alors vos fuccès éclatans ,
Rappeller les beaux jours d'Horace & de Virgile,
LE Sieur le Rouge , Ingénieur , Géographe
du Roi , rue des Grands Auguftins ,
vient de publier une Carte détaillée des
Iles de la Guadeloupe , divifée en vingtdeux
Paroiffes ; grand in-folio . Cette Carte
lui a été adreffée
d'habiles gens
pays , & paroît la plus parfaite de celles
qui ont paru jufqu'à préfent fur cette partie
de l'Amérique,
par
du
166 MERCURE DE FRANCE.
Deux Concerto en huit parties féparées
, pour une flûte traverfiere , quatre
violons , un alto viole , & deux balles
particulieres ; dédiés à la Société Acadé
mique des Enfans d'Apollon ; par M. Bordet.
Premier oeuvre ; prix en blanc , cinq
livres. Gravés par le fieur Hue. A Paris ,
chez l'Auteur , rue du Ponceau , vis - à - vis
la Fontaine , la deuxième porte à droite
en entrant par la rue S. Denis ; & aux
adreffes ordinaires.
PIECES de Clavecin , dédiées à S. A. S.
Mgr le Duc d'Orléans , premier Prince
du Sang : par M. Moyrean, Organifte d'Or
léans . Euvre II. Gravées par Mlle Vandôme.
A Paris , aux adreſſes ordinaires.
LETTRE à l'Auteur du Mercure
E me trouve obligé , Monfieur , par les
circonftances préfentes , de remettre
Tous les yeux du Public l'annonce que je
fui ai fait en 1751 , d'une pendule que le
vent remonte perpétuellement , qui eft de
mon invention.
Pour qu'on le forme une idée plus précife
, j'y ajouterai un extrait du rapport que
Mrs Camus & Deparcieux , Commiffaires
nommés par l'Académie , en ont fait , & le
--DECEMBRE. 1753. 167
Certificat que j'en ai reçu , qui conftate la
vé ritéde ma découverte. J'ai d'autant plus
lieu de vous prier d'inférer le tout dans vo
tre Journal prochain , qu'il me revient de
tous côtés que le fieur le Paute fabrique de
mes remontoirs à vent , & que dans un imprimé
qu'il fait courir , il fait ce qu'il peut
pour en être crû l'Auteur. La liberté avec laquelle
il s'attribue tout ce qu'il penfe pouvoir
s'approprier , me fait craindre que
le Public ayant perdu de vûe ce que j'ai
annoncé à ce fujet au mois de Juin 1751 ,
ne fe familiarife avec l'idée de croire que,
ledit Sieur eft l'inventeur de cette machihe
dont il ne doit la connoiffance qu'à
être venu chez moi pour la voir & l'exa-
- miner , avec le Précepteur des enfans de
Son Excellence le Prince d'Ardore , Ambaffadeur
, qui en vouloit une pour le Roi
de Naples.
EXTRAIT du rapport de Mrs Camus &
- Deparcieux , Commiſſaires nommés par
l'Académie des Sciences , pour examiner une
machine qui remonte feule les pendules par
le moyen d'un courant d'air , inventée &
exécutée par le fieur Leplat , Maître Horloger
à Paris , le 30 Janvier 1751 .
Après avoir fait un détail de tous les
moyens que les Horlogers ont employés
168 MERCURE DE FRANCE.
jufqu'à moi pour remonter des Pendules à
poids , ces Meffieurs paffent à ma machine
, & voici ce qu'ils en difent.
Après ce qu'on a fait pour remonter les
pendules à poids par le moyen d'un reffort
, &c. on le pouvoit faire par le moyen
de l'air , & c'eft ce moyen que M. Leplat
a choifi
pour remonter la fienne. 11 place un
moulinet à fix ou huir aîles , inclinées comme
celles d'un moulin à vent, dans un tuyan
horisontal , dont une ouverture eft hors de
la chambre , & dont l'autre ouverture et
dans le tuyau d'une cheminée fermée par
en bas ; l'axe de ce moulinet porte un pignon
qui engrenne dans une roue premiere
; le pignon porté par l'axe de cette premiere
roue , engrenne dans une feconde
roue , & ainfi de fuite jufqu'à une quatriéme
roue , dont l'axe porte une poulie
garnie de pointes dans fa gorge ; & com
me le moulinet tourne pour peu que l'air
circule dans le tuyau , la poulie qui eft fur
T'axe de la quatrième roue tourne auffi , &
remonte par conféquent le poids , par le
moyen d'une corde fans fin.
Pour empêcher que le vent ne monte
le poids plus qu'il ne faut , M. Leplat a
pratiqué au plus haut où le poids peut alder
, une bafcule , que le poids fait lever
lorfqu'il y arrive ; cette bafcule tire une
petite
DECEMBRE. 1753. 169
petite vanne ou foupape , qui ferme le paffage
du tuyau , & empêche l'air d'agir fur
le moulinet.
Cette machine de M. Leplat nous a pari
bien imaginée , & utile pour ceux qui craignent
d'oublier à remonter lears Pendules
, ou qui veulent s'en éviter la peine.
Le 30 Janvier 1751 , à l'Académie .
Camus &
Deparcieux.
COPIE DU CERTIFICAT DE L'ACADE'MIE.
Extrait des Regiftres de l'Académie Royale
des Sciences , du 30 Janvier 1751 .
" Meffieurs Camus & Deparcieux qui
avoient été nommés pour examiner une
machine pour remonter les Pendules par
Le moyen d'un courant d'air , propofée par
M. Leplat , Horloger , en ayant fait leur
rapport ; l'Académie a jugé que cette machine
étoit bien imaginée , & utile pour
ceux qui craignent d'oublier à remonter
leurs Pendules , ou qui veulent s'en éviter
La peine en foi de quoi j'ai figné le préfent
Certificat. A Paris , le 3 Février 1751 .
Grandjean de Fouchi , Secrétaire perpétuel
de l'Académie Royale des Sciences.
Voilà , Monfieur , ce que je vous prie
de vouloir bien inférer dans votre Journal
prochain. J'ai l'honneur , &c. Leplat.
A Paris , le 15 Novembre 1753 .
1.Vol. H
170 MERCURE
DE FRANCE
J'
Lettre à l'Auteur du Mercure.
' Ai lû , Monfieur , avec le dernier éton
nement , dans votre Mercure de Septembre
1753 , que le fieur Lepaute , Hor
loger au Luxembourg , y annonce comme
de fon invention , un nouvel échapement
de montres & de pendules , qu'il dit avoir
eu l'honneur de préfenter au Roi & à l'A
cadémie.
Il m'importe trop , pour l'intérêt de la
vérité & celui de ma réputation , de rèvendiquer
l'invention de cette méchanique ,
pour garder le filence fur une telle infidé
lité.
l'in
H eft vrai que le 23 Juillet dernier ,
dans la joye de ma découverte , j'eus la
foibleffe de confier cet échapement au fieur
Lepaute , pour en faire ufage dans une
Pendule que M. de Julienne lui avoit
commandée , & dont il m'affura que
térieur ne pourroit être examiné de per
fonne, parce qu'il y adaptoit le remontoir
à vent, qu'il avoit , dit- il , imaginé , & que
lui feul auroit la clef de cette Pendule,
Mais pouvois-je me perfuader que le fieur
Lepaute fe mit jamais en devoir de s'ap
proprier cet échapement , qu'on voit que
je lui confiois fous le fceau du fecret ?
DECEMBRE. 1753. 171
9
accorder
Je ne veux point furprendre le Public
& mon intention n'eft pas de le ranger de
mon parti fur mon fimple expofé ; mais je
le fupplic inftamment de ne pas
plus de créance au Geur Lepaute , jufqu'à
ce que l'Académie ait prononcé entre nous
deux , en décidant lequel eft l'auteur du
nouvel échapement,
Le fieur Lepaute femble vouloir éluder
tout éclairciffement , en déclarant que fon
échapement , que je n'ai pas vû , ne ref
femble point au mien ; mais fur l'annonce
qu'il en fait dans le Mercure , je juge qu'il
y eft en tout conforme pour le principe
& files Commiffaires que l'Académie nommera
pour nous entendre contradictoirementy
trouvent des différences , elles ne
viendront que de quelques vices de conftruction
, qui aideront à déceler le plagiaire.
Je ne mets au jour aucunes de mes preuves
, il faut que nos Commiffaires les re
çoivent dans leur premiere force ; ainfi
quoique dife ou écrive contre moi le fieur
Lepaute , je garderai un profond filence
jufqu'à ce que l'Académie foit éclaircie
& qu'elle ait prononcé.
Le Public judicieux voudra bien attendre
ce moment ; j'efpere cette grace de fon
équité , & de la protection qu'il donne
Hij
17 MERCURE DEFRANCE,
que
anx Arts. J'ofe me flater , Monfieur ,
vous voudrez bien inférer cette Letire
dans votre prochain Journal . J'ai l'honneur
d'être , & c.
Caron fils , Horloger , rue S. Donis ,
près Ste Catherine.
A Paris , le 16 Novembre 1753 .
La nouvelle méthode du fieur Royllet ,
Expert vérificateur des écritures , rue de
la Verrerie , le perfectionne encore ; elle
devient tous les jours plus fure & plus
commode. Ceux qui voudront avoir fur
cela des détails , peuvent s'adreffer à l'Au
teur , en affranchiflant leurs Lettres.
RECIT DE BASSE.
PERERE du jour , flambeau de la Nature ,
Viens mûrir nos raifins par tes rayons brûlans :
C'eſt Bachus qui nous rend contens ,
Il adoucit les maux qu'an tendre Amant endure.
Je redoute , Plutus , ton éclat fatueux ,
Il fait les malheurs de la terre ;
Quand j'ai du vin je ne fais plus de voeux ;
Tous les plaifits font dans mon verre.
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ASTOR
, LENOX
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DECEMBRE . 17537
178
SPECTACLE S.
L'AC
' Académie Royale de Mufique donna
le Novembre un Interméde nouveau
, intitulé : Bertholde à la Cour. Cet
Interméde a beaucoup réuffi , & c'eft peutêtre
de tous ceux qu'on a donnés jufqu'ici,
celui qui a eu le fuccès le plus général &
le plus marqué. Bertholde eft un payſan ,
qu'un Roi fait venir à la Cour : le Prince
devient amoureux de la femme du fils de
Bertholde ; cependant faifant un effort fut
lui-même , il renonce à cet amour , & renvoye
dans leur village Bertholde & fa famille
, qui ne demandoient pas mieux. Let
Poëme n'eft pas mal écrit , & plufieurs
Ariettes le font très- bien ; l'action offre
d'ailleurs affez de jeu de Theatre . La Mufique
eft de M. Ciampi , & on y a ajouté
plufieurs Ariettes de differens Maîtres
On peut dire qu'il n'y a aucune de ces
Ariettes qui ne foit agréable , que plu
hieurs le font beaucoup , & que quelquesunes
font fublimes . De ce dernier nombre
font entr'autres les Ariettes : Quando s'incontrano
per la Citta , & quando fento fpirar
mi ful volto , du premier Acte , & l'Ariette
Ariveder ritomo , du fecond Acte , qui
Hij
174 MERCURE DEFRANCE.
a été applaudie avec tranfport. Les Ariettes
Con liberta l'aquella , cofi fuggi ſpaventoſa ,
la Donna onorata , ahi , ahi , non faro più ;
' le trio du premier Acte & le quatuor du
fecond ont auffi été extrêmement applaudis.
Il ne paroît pas poffible de pouffer
plus loin l'expreffion , la vérité , & en
même tems l'agrément du chant & de la
mélodie , que le Muficien l'a fait dans ces
differens morceaux. L'Interméde en général
a été bien exécuté . M. Guerrieri y adonné
des preuves des progrès rapides
qu'il a faits en pea de tems dans la maniere
de chanter ; M. Manelli a mis beaucoup
de vérité , de jeu & d'expreffion dans
fes Ariettes ; Mlle Tonelli l'aînée a chanté
les fiennes avec beaucoup de fineffe &
de graces , & Mlle Tonelli la cadette a
très- bien joué le rôle du petit Paysan. On
a applaudi dans Mlle Lepi la légereté , la
franchife & la netteté de fon chant , ainfi
qu'on l'avoit déja fait dans les Artifans de
qualité , où elle avoit beaucoup brillé..
Les Comédiens François ont remis au
Théatre le Dimanche 28 Octobre le Mercure
Galant , Comédie de Bourfaut , en
vers & en Scenes épifodiques. Cette piéce
étoit originairement en cinq Actes , maintenant
elle eft réduite à quatre , & l'on a
DECEMBRE. 1753 . 175
jugé néceffaire de fupprimer plufieurs Scenes
qui avoient toujours paru languiffanres
. M. Préville y a joué fix rôles differens
; fçavoir au premier Acte , celui de
Boniface Chrétien, Imprimeur , qui apporté
un nouveau projet de Billets d'enterrement.
Au fecond , celui d'un Gentilhomme
campagnard , qui dans la crainte d'être
Cocu rompt un mariage , qu'il étoit fur le
point de conclure . Au troifiéme ', celui de
ta Riffole , foldat yvre ; & au quatrième ,
ceux d'un Petit- Maitre , Muficien ; d'un
Procureur au Parlement , & d'un Abbé Poëte
, à qui on donne le nom de Beau-génie.
M. Préville a eu un grand fuccès dans tous
ces differens rôles ; les Scenes où il s'eft le
plus diftingué font celles de la Riffolle &
de l'Abbé Beau -genie.
Les Comédiens Italiens ont été à Fontainebleau
, & n'ont point joué de tout le
mois à Paris.
CONCERT SPIRITUEL .
*
IE
E Concert Spirituel du jour de la
Touffaint commença par une fymphonie
del Signor Giuſeppe Pla . Enfuite
Deus meus , Motet à grand choeur de M.
Cordelet , dans lequel Mad. Davaux chanra
le récit , Venite & videte opera Domini ;
Hiiij.
176 MERCURE DE FRANCE:
Mad. Vincent chanta Paratum cor meum ,
Spera in Deo, deux morceaux tirés des petits
Motets , avec accompagnement de Clavecin
, du cinquième oeuvre de M. de Mondonville
. M.Canav joua feul . Le Concert
firit par Deprofundis , Motet à grand cheur
de M. Mondonville ; M. Albaneze chanta
Je récit de deffus , Quia apud Dominum.
Meffieurs Benoît , Poirier & Malines chanterent
dans les grands Motets..
Les Novembre on donna par extraor
dinaire un Concert Spirituel , où M.
Caffarelli chanta . Le public qui defiroit
vivement de l'entendre , fit dès qu'il le vit
éclater fa joie par des applaudiffemens redoublés
. Il chanta deux Ariettes , dont la
premiere fur tout fut extrêmement goûtée.
On admira l'art & le goût de fon chant ,
fa prodigieufe exécution , la beauté & la
douceur de fes tenues , la fineffe & la fcience
de fes points d'orgues , & l'on rendit
avec tranſport tout l'hommage dû à ſon
prodigieux talent & à fa grande réputation.
B9
DECEMBRE. 1753 177
窭洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗
NOUVELLES ETRANGER ES.
DU LEVANT
DE CONSTANTINOPLE , le 24 Août.
Elon les nouvelles qu'on reçoit de Perfe , ce
Royaume eft toujours en proye aux horreurs
de la guerre civile . Trois nouveaux Compétiteurs
difputent la Couronne au Prince Héraclius. Le
plus puiffant eft le Souverain des Aghuáns , qui a
fait une invafion dans la Perſe avec une armée de
quarante mille hommes . Un autre Prince nommé
Jachy- Kan dont les Etats font dans l'Inde , eft auffi
entré dans le Royaume à la tête d'un nombreux
Corps de troupes . Karini - Kan , Seigneur Perfan ,
s'eft formé un parti confidérable , & il eft actuellement
maître d'Ifpaham.
DU NORD.
DE PETERSBOURG , le 9 Octobre.
Selon les dernieres nouvelles de Mofcou , le
Comte Daniel Jefremow , Hettman des Cofaques
du Don , a obtenu la permiffion de fe démettre de
cette dignité en faveur du Comte Etienne Jefremow
fon fils .
Sa Majefté Timpériale , pour favorifer la Fabrique
de chapeaux établie dans cette Capitale , a
mis une forte impofition fur ceux qu'on tire de
P'Etranger.
H
178 MERCURE DEFRANCE
DE STOCKHOLM , le 21 Octobre.
Le 8 de ce mois , à cinq heures & demie du ſoit,
la Reine accoucha d'une Princeffe . Le 20 , l'Archevêque
d'Upfal lui adminiftra le Baptême , étant
affifté des deux premiers Chapelains du Roi , de la
Noblefle de tous les Ordres de l'Etat , & des Miniftres
Etrangers Cette Princefle a été nommée
Sophie-Albertine . Elle a eu pour parreins le Margrave
Frederic- Guillaume de Brandebourg-
Schwedt , le Prince Georges de Holftein - Gottorp,
le Duc Régent de Brunfwic , le Prince Frederic-
Augufte d'Anhalt Zerbft ; & pour mareines la
Princeffe Amélie de Pruffe , la Princelle Anne de
Holftcin , la Princefle Guillelmine de Heffe- Caffel,
époufe du Prince Henri de Pruffe , & la Princeffe
Ultique de Helle - Caffel , époufe du Prince Evê
que de Lubeck .
Ces jours derniers , le Marquis de Puentes
Fuerte , Envoyé Extraordinaire de Sa Majefté Ca
tholique , a eu fa premiere audience du Roi. Le
Baron de Sacken , nouveau Miniftre du Roi de
Pologne Electeur de Saxe , arriva le 7 de Drefde
avec la Comteffe ſon épouſe.
DE COPENHAGUE , le 5 Octobre.
Depuis quelque tems , les Négocians de diffe
rentes Villes de Norwege faifoient venir dans
des tonnes qui n'avoient pas la jauge preferite par
les Ordonnances , la plupart des marchandifes
qu'ils tiroient d'Allemagne. Ils fe fervoient enfuire
de ces mêmes tonnes pour envoyer plufieurs efpéces
de denrées à l'étranger. Le Roi voulant remé
die à cet abus, vient de donner un Edit, par lequel
DECEMBRE . 1753 . 179
défend à fes Sujets , fous des peines très - rigoureuſes
, de commettre de pareilles fraudes .
La maladie épidémique qui regnoit en Dannemarck
parmi les beftiaux , ayant enfin ceflé , le
Roi a levé les défenfes de tenir des marchés de bêtés
à cornes. Il paroît une autre Ordonnance , par
laquelle Sa Majesté menace de peines très -feveres
toutes les perfonnes qui joueront les jeux de hazard
, ou qui permettront qu'on les joue dans leurs
maifons. Pour mieux affurer l'exécution de cette
Ordonnance , le Roi promet aux Délateurs , quand
même ils feroient du nombre des Joueurs qu'ils
dénonceront , la moitié de l'argent qui fera faifi ,
& le quart des amendes aufquelles les contrevenans
feront condamnés.
Le Prince dont la Reine eft accouchée le
de ce mois , fut baptifé le même jour par M.
Bluhm , Premier Prédicateur de la Cour. Suivant -
l'ufage établi dans la Maiſon Royale , le Roi tint ,
avec la Reine Douairiere , le Prince fur les Fonts.
Leurs Majeftés l'ont nommé Fréderic :
On publia le 22 une Ordonnance qui interdit
tout commerce avec l'Eſpagne . L'Abbé le Maite
eft parti le 20 pour retourner en France . Il réfidoit
ici depuis quatorze ans , en qualité de Miniftre du
Roi Très- Chrétien .
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 1313 Octobre
.
Le Comte de Firmian' fe prépare à partir inceffamment
pour aller réfider à la Cour de Naples
en qualité de Miniftre Plénipotentiaire de leurs
Majeftés Impériales. On aflure que le Prince Efterhafi
fera chargé d'une commiffion auprès du
Roi de Portugal.
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
Georges Chrétien , Prince de Lobckowitz ;
Frince de l'Empire , Feldt Maréchal des Armées
de l'Impératrice Reine , Commandant en chef
dans le Royaume de Hongrie , Colonel d'un Régiment
de Cuiraffiers , & l'un des Chevaliers de fa
Toifon d'Or qui font en cette Cour , mourut le
à Prefbourg , dans la foixante -huitième année
de fon âge . Il étoit fils de Ferdinand- Augufte-
Léopold , Duc de Sagan , Prince de Lobckowitz ,
Chevalier de la Toifon d'Or , Confeiler d'Eta
des Empereurs Lérpold & Jofeph , leur principal
Commiflaire à la Diéte de Rat: fbonne , & Grand-
Maître de la Maifon de l'Impératrice Wilhelmine-
Amélie , mort le 3 Octobre 1715 ; & de Marie-
Anne Guillelmine , fille de Guillaume Margrave
de Bade Baden. Le Feld- Maréchal Prince de
Tobckowitz avoit d'abord embraffé l'état Eccléfiaftique
, & en 1703 il avoit été pourvû d'un Cănonicar
de l'Eglife Métropolitaine de Saltzbourg.
La Maison de Lobckowitz prétend venir de Lo.
becz , qui vivoit dans le neuviéme fiècle. Vers la
fi du quatorziéme , Jean de Lobkowitz , Seigneur
de Zazada , étoit Grand Maître de la Maifon
de l'Empereur Vinceflis , Roi de Bohéme.
Zdenco- Adalbert de Lobckowitz fut élevé en
1624 à la dignité de Prince de l'Empire par Ferdinand
II.
Le Vicomte d'Aubeterre , nouveau Miniftre da
Roi Très-Chrétien , arriva le 19. Il eut fes premieres
audiences le 20 de leurs Majeſtés Impériales
, le 27, des Archiducs , & hier des Archidu
Cheſſes.
DE BERLIN, LE 13. Octobre .
He Bailli de Froulay , Ambaffadeur de la Rel
Sa
Rea
I
30
*
DECEMBRE. 1753 . 181
gion de Malte auprès du Roi Très - Chrétien ,
ayant terminé la commiffion dont le Grand- Maitre
l'avoit chargé auprès du Roi , il eut le s de ce
mois à Potsdam- fon audience de congé de Sa Majesté.
Le 8 il prit congé des deux Reines & de-la
Famille Royale. Il partit avant - hier pour retourner
à Paris . Cet Ambaffadeur s'eft attiré l'eſtime
générale de la Cour & de la Ville . Le Roi lui a
Fait préfent de fon portrait enrichi de diamans.
Sa Majesté a jugé à propos de réduire à trois
pour cent les intérêts des Capitaux hypothéqués
fur les revenus de la Principauté d'Ooft- Frife. Les
Rentiers qui ne voudront pas accepter cette ré
duction , recevront leurs rembourfemens . La Cour
a envoyé fes ordres à la Régence d'Embden ,
conféquemment à cette réfolution .
DE HAMBOURG , le 12 Ottobre.
A la fin du mois dernier , les Garçons Tailleurs
fe fouleverent ici contre leurs Maîtres , & voulurent
les obliger d'augmenter leur falaire . La Régence
fit arrêter plufieurs des mutins . Les autres
prirent la fuite , & fe retirerent à Altena . Avant-
Hier , érant revenus en grand nombre , ils fe raffenblerent
tumultueufement , & ils demanderest
qu'on rendît les prifonniers en liberté. Comme il
étoit important de réprimer une pareille audace ,
les Magiftrats les firent envelopper par un Déta
chement de la garnifon . En même tems on procéda
au jugement de ceux qui étoient détenus
dans les prifons & ils furent condamnés à un ban
neffement perpétuel . On annonça enfuite cette
nouvelle à ceux qui étoient revenus d'Altena , &
on leur déclara qu'ils feroient traités de la même
maniere s'ils ne rentroient dans leur devoir. Cen
182 MERCURE DEFRANCE.
fermeté leur ayant impofé , ils ont pris le parti de
la foumiffion . Ceux qui font bannis ont été conduits
ce matin hors de la Ville. Leur nombre
monte à quatre- vingt- quatre.
DE HANOVRE , le 25 Octobre.
La féchereffe qui a regné tout l'été dans cet
Electorat , a fait baiffer tellement les eaux de la
riviere , que les bateaux chargés de marchandifes
out de la peine à la remonter . Pour éviter à l'avenir
un femblable inconvénient , on doit conftruire
une ou deux éclufes à l'endroit où la Leine fa
jette dans l'Ahler .
DE MANHEIM , le 11 Octobre.
Le Baron de Zuxmantel , nouveau Miniſtre
du Roi de France , eſt arrivé de Paris , & il doit
avoir aujourd'hui fes premieres audiences de leurs
Alteffes Electorales. Hier la Cour eft revenue
de Schwetzingen.
Il paroît une Ordonnance , par laquelle l'Electeur
bannit de fes Etats tous les Alchimiftes & les
prétendus Adeptes.
ESPAGNE.
DE FARO , le 29 Septembre..
Le Navire Etranger qu'un Bâtiment Catalan a
rencontré flotant au gré des ondes , & qu'il amena
le 18 du mois dernier dans ce Port ; eft celui du
Capitaine Heron , Irlandois. Ce Capitaine , fon
Pilote , trois Paflagers & quatre Matelots ont
été maffacrés par le refte de l'équipage . Les meur
DECEMBRE. 1753 183
criers , après avoir commis cette horrible action ,.
fe laifirent des principaux effets qui étoient à bord
du Bâtiment , & ils fe mirent dans la Chaloupe ,
pour aborder en quelque endroit de la côte d'Efpagne.
A l'entrée de la riviere d'Huelva , ils dé-
Couvrirent un Navire qui étoit à l'ancre , & ils
tenterent de l'enlever. Les habitans du Village de
Moguar étant accourus en grand nombre au fecours
de ce Bâtiment , firent ces fcélérats pri
fonniers.
ITALI E
DE ROME , le 16 Octobre.
Plufieurs Familles Catholiques d'Albanie ayang
relolu de s'affranchir de la domination des Turcs ,
ont fait demander au Pape la permiffion de
venir s'établir dans l'Etat Eccléfiaftique ; Sa Sainteté
a reçu favorablement leur requête , & a char
gé une Congrégation d'examiner quel endroit
on pourra leur affigner pour leur habitation : On
croit que le Gouvernement les enverra dans le
Duché de Caftro . Elles jouiront de diverſes exemp
tions pendant plufieurs années. Le Député qu'el
les ont envoyé ici eft défrayé par la Chambre
Apoftolique.
Les Miffionnairės établis au Grand - Caire ont
informé la Congrégation de Propaganda Fide , que:
le nouvel Empereur d'Ethiopie leur a écrit dans
les termes les plus favorables. Ce Prince leur té
moigne par fa lettre beaucoup d'horreur pour la
tyrannie que fon prédéceffeur ezerçoit contre les
Chrétiens . I invite ces Miffionnaires à lui epvoyer
quelques- uns d'entre eux , & il promet de
Jeur accorder toute la protection qu'ils pourron
S4 MERCURE DE FRANCE.
défirer , Sur cette affurance , le Supérieur des Miffions
a fait partir trois Religieux qui parlent foft
bien l'Arabe . Ils font chargés de divers préfens' ,
qu'ils doivent remettre à l'Empereur & à tes Miniftres:
Cette nouvelle a fait un plaifir infini dans
Cette Capitale , & le Pape prend des mefures pour
mettre àprofit une fr heureufe circonftance .
DE LA BASTIE , le 20 Octobre.
Gafforio , le Chef le plus renommé parmi les
Rebelles , fut tué le 3 de ce mois d'un coup de
fufil en paflant fur un pont , au fortit d'un jardin
qu'il avoit près de Corte . Au même inſtant , un
homme qui étoit avec lui fut atteint d'un pareil
coup , dont il mourut un quart d'heure après. Plu
fieurs particuliers & des Piéves entieres fupportoient
impatiemment la dureté du commandément
que Gafforio s'étoit arrogé , & les exactions
continuelles qu'il exerçoit . Il s'étoit renda für
tout odieux à la famille des Romeï , qui font en
grand nombre à Corte , & il venoit d'irriter encore
plus leur haine par une nouvelle vexation .
Depuis peu il avoit fait mettre en prifon le fils
d'un d'entr'eux , pour obliger le père de lui fournir
les matériaux dont il avoit befoin pour une
maifon qu'il faifoit bâtir. Ses adhérens ont cru devoir
imputer la mort à cette famille . Ils lui ont
fait éprouver les effets de leur reffentiment , par la
dévaftation de la plupart des biens qu'elle pofléde
, & par l'embralement de les habitations . Deur
des Roinei font tombés entre leurs mains , & ont
déclaré dans les tourmens que le frere même de
Gafforio étoit entré dans le complot formé contre
ce rebelle. Sur cette dépofition , le frere a été ar
fêté & entermé avec les deux autres dans le
DECEMBRE. 1753. 185
Château de Corte, On préfume cependant que la
vie leur fera confervée , tant parce que leurs ennemis
, en la leur Stant , craindroient de s'expofer
à un trop grand danger , que parce qu'aucun des
trois prifonniers n'a été exécuteur du meurtre , &
n'y a même été préfent . Ceux qui l'ont commis
s'étant refugiés à Calvi , le Gouverneur en a informé
le Marquis de Grimaldi . Auffi tốt ce Cordmiflaire
Général lui a envoyé ordre de les faire
fortir de la Ville , & d'en ufer de même à l'égard
de tous ceux qui feront foupçonnés d'être leurs
complices,
Quelque tems avant la mort de Gafforio , plu.
fieurs Piéves du centre de cette Ifle ont envoyé au
Marquis de Grimaldi un Mémoire , dans lequel
elles témoignent qu'elles font difpofées à le foamettre
à la République , & à fignaler leur zéle
pour les intérêts. Après avoir expofé les articles
qu'elles défi eroient qu'on inférât dans le nouveau
Réglement , elles ajoutent qu'elles ne deinande
ront jamais que ce qui pourra contribuer au bien
public, & fe concilier avec le droit du Souverain
La République a répondu à ce Mémoire , qu'elle
eft pleinement fatisfaite des fentimens qui y font
exprimés , que quelques - unes des demandes qu'il
contient paroiffent remplir les deux objets propofés
, que pour en rapprocher celles qui pourroient
s'en éloigner , elle confent que des Députés
autorisés viennent concerter avec fon Commiſfaire
Général un plan de Rég'ement , qui affute
au Royaume de Corfe les avantages & la tran
quillité qu'elle veut lui procurer par tout ce qui
pourra dépendre d'elle.
1
S6 MERCURE DE FRANCE,
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 1 Novembre.
Il fe tint le 26 du mois dernier à Wittehall use
affemblée des Commiffaires du Commerce & des
Plantations , dans laquelle on délibéra fur plu
fieurs affaires concernant la Nouvelle Georgit.
Par les Mémoires qu'on a reçus de cette Colonie,
il eft conftaté que depuis le mois de Janvier de p
l'année derniere , elle a produit pour la valeur de
plus de dix-fept mille livres sterlings de foie crue.
Le Chevalier Proctor , & le fieur Georges Cooxe
, Députés du Comté de Middleſex à la Chambre
des Communes , furent élus hier pour continuer
de repréfenter ce Comté dans le nouveau
Parlement. En même tems ils ont été priés d'employer
tous leurs efforts , afin d'obtenir la révoca
tion du Bill qui regarde les Juifs . La Ville d'Your
a donné de femblables inftructions à fes Dé
putés.
Les ordres que l'Amitauté a donnés d'augmen
ter de cinquante hommes l'équipage de chaque
Vaiffeau de guerre , ne s'exécutent pas auffi promp
tement qu'on le défireroit , parce qu'il eſt preſ
crit de n'engager que des Matelots expérimen
tés. Le Gouvernement efpére d'apprendre bie: tôt
quel aura été le fuccès du voyage d'un Vaiffead
qu'il a envoyé pour tenter la découverte d'un
paffage au Nord-Oueft de l'Amérique. On en at
tend des nouvelles avec d'autant plus d'impatience
, qu'il s'eft répandu un bruit qu'un Bâtiment
dont on ne nomme point la nation , eft parvenu
à faire cette découverte ,
La
To
口
FO
DECEMBRE. 1753. 187
PAYS - BAS.
D'UTRECHT , le 28 Oftobre.
La mortalité continuant en plufieurs endroits
Farmi les beftiaux , on vient de renouveller la dé->
fenfe d'en faire entrer dans cette Province , fur
peine de faifie , & d'une amende de mille florins.
La fortie en eft en même tems défendue , & la
défobéiffance en ce dernier cas fera punie encore
plus féverement. On condamnera les délinquans
à mille florins d'amende pour chaque bête , &
Fon confifquera non feulement le bétail , mais en
core les Barques employées à le tranfporter. Ce
Réglement aura lieu jufqu'au 15 du mois d'Avrik
prochain.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
Adame Infante Ducheffe de Parme arriva le
Madame entraau bruit du
&
canon . Les troupes & la Bourgeoisie étoient fous
les armes. Le Duc de Villars , Gouverneur de Provence
, l'Archevêque d'Aix , M. de la Tour ,
premier Préfident & Intendant de la Province ,
les Procureurs des Etats , attendoient Madame Infante
à la defcente de fon carroffe. L'Hôtel de M. de
la Tour , où cette Princeffe a logé ,fut magnifique
ment illuminé. Les Dames titrées eatent l'honneur
d'être nommées , & de faire leur cour à Madame
Infante pendant fon jeu & fon fouper. Le
31 cette Princeffe reçut les refpects du Parlement
& de la Chambre des Comptes , préfentéss
188 MERCURE DE FRANCÉ.
par le Comte de Noailles , & du Corps de la No
biefle , préfenté par le Duc de Villars . Madame
Infante partit après fon dîner pour Marſeille. A
fon arrivée , elle fut faluée d'une décharge de
l'artillerie , & elle trouva la Bourgeo fie fous les
armes. Une foule innombrable de peuple accou
rut fur le paffage de cette Princefle , & lui mar
qua par fes acclamations redoublées , la joie qu'il
avoit d'être honoré de ſa préſence . Les Echevins
furent préfentés à Madame Infante à la defçente
de fon carroffe par le Comte de Noailles , & le
Corps de la Marine et l'honneur de faire la cour
à cette Princeffe. Madame Infante retourna le ra
à Aix, & elle en partit le r3 pour Saint- Marimin.
Elle coucha le 14 au Lac , le 15 à Fréjus ,
& le 16 elle s'eft rendue à Antibes. Cette Prin-
M
1
I
b
fo
t
celle y a été reçue au bruit d'une triple falve dut
canon de la Place & de l'Efcadre des Galeres
qui doit la conduire à Gênes , fous le commandement
du Chevalier de Crenay , Lieutenant Général
des Armées Navales . Toutes les troupes étoient
fous les armes. On attend le vent favorable pour
l'embarquement . Madame Infante , avant de quite
ter la ville de Lyon , a fait préfent d'une magnifi
que tabatiere , avec fon portrait , au Cardinal de
Tencin, Cette Princeffe à fait un femblable préfent
au Duc de Villars . Elle a donné une boſte d'or au
Bailly de Champignel , qui commande le Détachement
des Gardes du Corps dont elle a été accompagnée.
Le 17 & le 19 il y eur concert à Versailles
chez Madame la Dauphine . Les fieurs Cafarieli &
Guadagni y chanterent plufieurs Ariettes Italiennes.
Le jour qui avoit été choisi pour célébrer dans
le camp d'Erftein la naiflance de Monseigneur le
77
f
F
I
C
f
f
DECEMBRE. 1953. 18.9.
Duc d'Aquitaine , le Marquis de Saint Pern & le
Marquis de Yoyer firent diftribuer du pain , du
vin & de la viande à tous les foldats . M. de Lucé
Entendant d'Alface , fit faire une pareille diftribution
à plus de deux mille habitans des Villages
voifins . On fervit une table pour cent garçons &
mutant de filles , qui après le repas formerent diverfes
danfes. Six filles furent enfuite mariées à fix
foldats , tous Alfaciens , & qui ont rempli leur
ems de fervice . Les nouveaux époux ont été doés
par le Marquis de Saint- Pern & par M. de
Lucé.
On mande de Poitou que M. de la Bourdonnaye
de Bloffac , Intendant de la Province , a
fait auffi éclater fon zéle. Après le Te Deum , au
quel tous les Corps de la Ville de Poitiers affif
terent , & pendant lequel le Régiment du Roi fit
plufieurs falves de moufqueterie , on tira devant.
1'Hôtel de l'Intendance un feu d'artifice , dong
toutes les parties furent également belles & variées
. Il fut fuivi d'un magnifique fouper fervi à
quatre tables , chacune de trente couverts. Cette
fête fut terminée par un bal qui dura toute la nuit.
Le 19 , jour de la fête de S. Savinien , premier
Evêque de Sens , la Reine entendit dans la Chapelle
du Château de Fontainebleau , la Grande
Mefle , les Vêpres & le Salut , célébrés par les
Mathurins. Le Roi affifta au Salut.
Le même jour le Roi fit rendre dans l'Eglife
de la Paroiffe du Château les Pains Benits , qui
furent préfentés par l'Abbé de Caulincourt , Aug
mônier de Sa Majefté.
La Reine les fit rendre le 21 dans la même
Eglife. Ils furent préfentés par l'Abbé du Châtel ,
Aumônier de la Reine en quartier.
Le 20, Monfeigneur le Dauphin & Madame
190 MERCURE DE FRANCE.
la Dauphine arriverent de Verfailles à Fontaine
bleau .
Leurs Majeftés fouperent le 19 & le 21 au
grand couvert.
Le 21 , pendant la Meffe du Roi , l'Archevêque
de Touloufe prêta ferment de fidélité entre
les mains de Sa Majefté ,
On apprit le 26 , par les lettres d'Antibes de
19 , que Madame Infante Ducheffe de Parme
s'étoit embarquée ce même jour à midi , & que
P'Efcadre destinée à la conduire en Italie avoit
mis à la voile. Depuis on a été informé par des
lettres du 23 , que lorfque cette Princeſſe a été à
la hauteur de Villefranche , les vents font devenus
fi contraires , & la mer tellement agitée , que les
Galeres & les deux Chabecs qui leur fervoient
d'eſcorte , ont été obligés de relâcher dans le
Port. Au départ du Courier , le même tems conti.
nuoit , & l'on attendoit le vent de Nord Oueſt
pour faire route vers Gênes.
Le Roi foupa le même jour au grand couvert
chez la Reine avec la Famille Royale.
Le 27 , le Chevalier Moncenigo , Ambaſſadeur
de Venile , eut une audience particuliere du Roi,
dans laquelle il préſenta à ſa Majeſté une lettre de
compliment de la République , fur l'heureux accouchement
de Madame la Dauphine , & fur la
naiflance de Monfeigneur le Duc d'Aquitaine. Il
fut conduit à cette audience par M. Dufort , Intro
ducteur des Ambaſſadeurs .
Le 28 , la Reine entendit dans la Chapelle du
Château la Melle chantée par la Mufique. Sa
Majefté affifta l'après midi aux Vêpres & au Salue
célébré par les Mathurins.
Monfeigneur le Dauphin fir rendre le mêmejour
à l'Eglife de la Parole du Château , les Pains
DECEMBRE. 17531 198
Bepits , qui furent préfentés par l'Abbé de Caulipcourt
, Aumônier du Roi.
Un rhume a obligé le Roi de garder la cham
bre pendant quelques jours.
Le 31 , veille de la fête de Tous les Saints , Sa
Majesté étant délivrée de fon indifpofition , catendit
la Meffe dans la Chapelle .
La Reine communia par les mains de l'Evêque
de Chartres , fon premier Aumônier ; Monfeigneur
le Dauphin , par celles de l'Abbé de Caulincourt
Aumônier du Roi , Madame la Dauphine , par
celles de l'Archevêque de Sens , fon premier Au-.
mônier ; Madame Adélaïde , par celles de l'Evê
que de Meaux , premier Aumônier de cette Prin
ceffe.
L'après -midi le Roi & la Reine , accompa
gnés de la Famille Royale , affifterent aux premieres
Vêpres chantées par la Mufique , auf
quelles l'Evêque de Chartres officia.
Le premier Novembre , jour de la Fête , leurs
Majeftés ont entendu la grande Mefle , célébrée
par le mêine Prélat . Elles ont affifté l'après-midià
la Prédication du Pere Ceuillat , de la Compa
gnie de Jefus , & aux Vêpres aufquelles l'Evêque
de Chartres a officié. Leurs Majestés ont eng
tendu enfuite les Vêpres des Morts.
Le Roi a donné le commandement du Rouf
fillon au Conte de Graville , Lieutenant Général
des Armées de Sa Majefté , & Infpe&eur de Cai
valerie.
Sa Majesté a dipofé de l'Intendance de la mê
me Province, en faveur de M. de Bon , premier
Préfident de la Cour des Aides de Montpellier.
Le Régiment d'Infanterie de Quercy , vacant
par la nomination du Comte du Châtelet - Lomont
à la place de Colonel du Régiment de Na
192 MERCURE
DE FRANCE.
varre , a été accordé par Sa Majeſté à M. Rould
d'Efpourdon , Colonel dans le Régiment des Gre
nadiers de France.
Le même jour Madame la Dauphine fit reedre
dans l'Eglife de la Paroiffe du Château les
Pains Benits , qui furent préſentés par l'Abbé ¿e
Sailly , fon Aumônier en quartier.
Madame Adélaïde les fit rendre le 4 par l'Ab
bé d'Harambures , fon Aumônier en fémeftre.
Le même jour , pendant la Meffe du Roi , l'E
vèque d'Evreux prêta ferment de fidélité entre les
mains de Sa Majesté .
Le premier & le 4 le Roi ſoupa au grand cos
vert chez la Reine avec la Famille Royale .
Le4 , M. Durini , Evêque de Pavie , Nonce
ordinaute du Pape , eut une audience particuliere
du Roi , dans laquelle il prit congé de Sa Majefté.
Il fut conduit à cette audience , ainfi qu'à celles
de la Reine , de Monfeigneur le Dauphin , de
Madame la Dauphine , de Madame Adélaïde , &
de Meldames Victoire , Sophie & Louife , par
M. Dufort, Introducteur des Ambaffadeurs.
Le Marquis du Mefail , Lieutenant- Général des
'Armées du Roi , & Infpecteur de la Cavalerie , a
été nommé Commandeur de l'Ordre Royal & Mi
litaire de S. Louis.
Le Roi a donué le Gouvernement de l'Hôtel
Royal des Invalides , vacant par la mort de M.
de la Courneufve , au Comte de la Serre , Maréchal
des Camps & Armées de Sa Majesté , Grand-
Croix de l'Ordre de Saint Louis , & Commandant
à Dunkerque ci devant Lieutenant Colonel
du Régiment du Roi , Infanterie.
Sa Majesté a accordé le Gouvernement de Gre
noble qu'avoit le feu Marquis de Marcieu , Mas
réchal de Camp , au Chevalier de Marcieu fon
frere,
Lis
20
M
DECEMBRE. 1753. 193
frere , Meftre de Camp d'un Régiment de Cava-
Ferie ; & le Gouvernement de Valence qu'avoit
le Chevalier de Marcieu , au Comte de Marcieu ,
Lieutenant Général des Armées du Roi , & Commandant
en Dauphiné.
Le 4 , la Comteffe de Montbarey fut préfentée
au Roi & à la Reine.
La Comteffe de Noailles qui a accompagné
Madame Infante jufqu'à Antibes , & qui a rempli
pendant ce voyage les fonctions de Dame d'honneur
auprès de cette Princeffe , arriva à Fontainebleau
le 8 au, foir. Elle remit le lendemain à leurs
Majeftés & à la Famille Royale , les lettres dont
Madame Infante l'avoit chargée .
Monfeigneur le Dauphin , Madame la Dauphi
ne , Madame Adélaïde , & Meſdames de France ,
affifterent le 8 au Te Deum & au Salut dans l'E
glite de la Paroiffe du Château . On y fit une quête
en faveur des pauvres de la Ville de Fontaine
bleaus
Le 9 , M. de Bon , Intendant du Rouffillon ,
eut l'honneur de remercier le Roi pour la charge
de Premier Préfi lent du Confeil Superieur de
Perpignan que Sa Majefté lui a accordée.
Le Comte de Cantil'ana , Ambaffadeur Extraordinaire
du Roi des Deux Siciles , arriva le 9 à Fontainebleau
. Le 10 , il eut fa premiere audience du
Roi , dans laquelle il préfenta les Lettres de créan
ce à Sa Majefté . Il eut enfuite audience de la
Reine. Il fut conduit à ces audiences , ainfi que
le lendemain à celles de Monseigneur le Dauphin
, de Madame la Dauphine , de Madame Adélaïde
, & de Meldames Victoire , Sophie & Louife
, par M. Dufort , Introducteur des Ambafladeurs.
Le 10 , la Reine entendit la Meſſe dans la Cha
1.Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE,
pelle de la Communauté des Filles- Bleues.
Le Roi a établi une Chambre Royale par des
Lettres Patentes , en forme de Déclaration , da
tées du onze Novembre,
Le 13 , l'ouverture de cette Chambre ſe fit
par une Meffe , qui fut célébrée au Louvre dans
La Chapelle de la Reine . M. de Lamoignon , Chancelier
de France , y affifta , accompagné des Confeillers
d'Etat & des Maîtres des Requêtes done
la Chambre eft compofée . La Chambre tint enfuite
la premiere féance , dans laquelle elle enregiftra
les Lettres Patentes données pour ſon étabillement.
Leurs Majeftés fouperent le 9 , le 11 & le 14 ,
au grand couvert avec la Famille Royale .
Le 14 , Monfeigneur le Dauphin & Madame
Adélai e dinerent chez Madame la Dauphine ,
avec plufieurs Dames de la Cour . Monſeigneur le
Dauphin , Madame la Dauphine , & Madame
Adélaide allerent l'après- midi à l'Abbaye Royale
des Religieufes Bernardines du Lys , près de Melun.
Le 15 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix fept cens quinze livres ; les Billete
de la premiere Lotterie Royale à fix cens foixantequinze
, & ceux de la feconde à fix cent vingthuit.
BENEFICES DONNE'S.
E Roi a nommé à l'Evêché d'Orléans M. l'Abbé
Le Montmorenci-Laval , Vicaire Général de
l'Archevêché de Sens ; à l'Evêché de Châlons- fur-
Saône , M. l'Abbé de Rochefort d'Alli de Saint-
Point,Vicaire Général de l'Evêché de Saint-Claudes
DECEMBRE.
1753 .
& à l'Evêché
d'Angoulême , M. l'Abbé de Bro- 195
glie , Vicaire Général de
l'Archevêché d'Arles .
Sa Majesté a donné
l'Abbaye de Saint Nicolas
des Pres, O dre de Saint
Auguftin ,
Diocèle de
Verdun , à l'Evêque de Grenoble ; celle d'Abfie ,
Ordre de Saint Benoît ,
Diocèle de la
Rochelie ,
à l'Abbé de Bruyeres de
Chalabre ; celle de Conches
, même Ordre , Diocèle d'Evreux ,
de Saint Simon-
Sandricourt ; celle de Saint Cybar, à l'Abbé
même Ordre , Diocèle
d'Angoulême , à l'Abbé
de Saint- Geyrac , Vicaire Général de l'Evêché de
Périgueux ; celle de Lorroy , Ordre de Câteaux ,
Diocèle de Bourges , à l'Abbé de
Morogues , Cha
noine de l'Eglife
Métropolitaine de Bourges ; celle
de
Franquevaux , même Ordre , Diocèle de Nifmes
, à l'Abbé de
Montpezat , Vicaire Général
de
l'Evêché de Die ;
l'Abbaye de la Clarté Dieu ,
même Ordre , Diocèle de Tours , à l'Abbé de la
Cofte ,
Chanoine de l'Eglife
Métropolitaine de
Tours ; l'Abbaye élective de
Marquette , même
Ordre , Diccèle de Tournay , à la Dame de Rohan
, celle de Saint Saëns , même Ordre , Diocèle
de Rouen , à la Dame de Saint- Aignan , celle
de Saint Nicolas de Verneuil , Ordre de Saint Benoît
, Diocèle
d'Evreux , à la Dame d'Hériffy ;
& la Prévôté de l'Eglife Royale &
Cathédrale
d'Alais , à l'Abbé de Narbonne- Pellet ,
Chanoine
de cette Eglife.
NAISSANCE ,
MARIAGES
& Morts.
E 2 Septembre , Madame la Marquife de la
Salle , poufe du Lieutenant Général des Armées
du Roi , eft accouchée d'un fils , qui a été
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
baptifé à Saint Sulpice , & nommé Marie-Annes
Louis ; il a eu pour parrein M. le Marquis de Marivaux
, & pour marreine Madame de Clermont
Abbefle de Chelles .
Paul - Louis , Duc de Beauvilliers , Comte de
Bazançois , Brigadier de Cavalerie & Meftrede
Camp du Régiment de fon nom , époufa le
22 Octobre Demoiselle Charlotte Suzanne Defnos
de la Feuillée , fille de Meffire Jean Baptifte
Defnos , Comte de la Feuillée ; & de feue Dame
Marie-Marguerite de Cordouan. La Bénédiction
nuptiale leur a été donnée par l'Evêque de Troyes,
dans la Chapelle particuliere du Duc de Saint
Aignan . Le Duc de Beauvilliers avoit été marié en
premieres noces à Demoiſelle Augufte - Leonine-
Olympe-Nicole de Bullion , fille d'Anne-Jacques
de Bullion , Marquis de Fervaques , Chevalier des
Ordres du Roi, & Lieutenant Général de les armées.
Meffire Marie - Eléonor- Alexandre de Saint-
Mauris , Comte de Montbarey , Colonel dans le
Régiment des Grenadiers de France , époufa le
29 Octobre Françoife- Parfaite Thais de Mailly ,
fille de Louis , Comte de Mailly , Chevalier des
Ordres du Roi , Lieutenant Général de fes Armées
, & premier Ecuyer de Madame la Dau.
phine ; & d'Anne Françoile Elizabeth Arbalefte
de Melun. La Bénédiction nuptiale leur a été don
née à Saint Eustache par l'Abbé de Scey- Montbeillard
, Chevalier de Saint Georges , Abbé de
l'Abbaye de Saint André de Clermont : leur Contrat
de mariage avoit été figné le 21 par leurs
Majeftés & par la Famille Royale . Le Comte de
Montbarey eft fils de feu Meffire Claude- François-
Eléonor de Saint -Mauris , Comte de Montbarey ,
DECEMBRE. 1753. 197
Lieutenant Général des Armées du Roi, & de Dame
Marie-Théreſe . Eléonore du Maine du Bourg de
Rebé. Le Roi a mis la Comteffe de Montbarey an
nombre des Dames nommées pour accompagner
Madame Adélaïde. Voyez la cinquiéme partie des
Tablettes hiftoriques , page 106.
Alexandre- Louis Antoine de Mailly , fils de
Louis , Marquis de Mailly , Brigadier d'Infante
rie , Colonel du Régiment de fon nom ; & de
feue Dame Françoife - Antoinette Kadot de Sebe
ville , eft mort en cette Ville le 20 Septembre , dans
la cinquième année de fon âge.
Meffire Gabriel Chriftophe de Montaigu , Bris
gadier d'Infanterie , & Menin de Monfeigneur le
Dauphin , mourut le 21 dans fa cinquante - neuviéme
année.
Meffire François du Verdier , Evêque d'Angou
Jême & Abbé de Saint Cybard , Ordre de Saint
Benoît , eft mort à Angoulême le même jour , âgé
de foixante quinze ans .
Le même jour eft mort M. Nicolas de Bremond ,
Baron d'Ars , Sous - Aide- Major du Régiment des
Gardes Françoifes.
Lê 22 fut enterrée à Saint Gervais Dame Clautde
- Jeanne de Brillac , veuve de M. Gafton -Louis .
Jofeph de Montigny , Chevalier , Vicomte héréditaire
de Dreux , Seigneur de Montigny , ancien
Officier des Gardes Françoiles.
Marie-Claire- Louiſe de Montmorin de Saint
Herem , fille de feu Gabriel-Armand de Montmorin
, Comte de Saint Herem , Menin de Monfeigneur
le Dauphin , mourut en cette Ville le 24,
dans la douzième année de fon âge . Voyez les
Tablettes hiftoriques , IV . partie , page 429..
Melire Nicolas Navarre , Evêque titulaire de
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Cydon , dans l'Ile de Candie, & Abbé de l'Abbaye
de la Clarté Dieu , mourut à Lyon le 25 dans la
cinquante-fixième année.
Metfire Louis Antoine de Sconin de Saint Maxi❤
min , Abbé de l'Abbaye de Franquevaux , Ordre de
Citeaux , Diocèle de Nifmes , eft mort à Alais le
27 , âgé de cinquante -fix ans.
Le même jour est morte Dame Marguerite Beaudouin
, veuve de M Gilbert Simon Benoist , Secrétaire
du Roi , Contrôleur Général de la Chan
celerie de France .
Dame Jeanne Louife Hocquart , époufe de
Meffire Claude François le Tellier , Brigadier d'in
fanterie , eft morte le 28 , âgée de 55 ans.
Meffire N ... de Montauban , Abbé de l'Abbaye
de Saint Nicolas des Prés , Ordre de Saint
Auguftin , Diocèfe de Verdun , eft mort à Saint
Mihel en Lorraine le 30 , âgé de 75 ans.
Le 3 Octobre eft décédé rue & Ile de Saint
Louis , M. Marin de la Haye , Seigneur de Draveil
, Marcenon , Beaumont , & c. l'un des Fer
miers Généraux de Sa Majefté , & Adminiftrateu
de l'Hôpit 1. +
Le 4 eft mort M. Pompone Alexis Jofeph de
Nonant , fils de M. Aléxis - Bernard le Comte de
Nonant , Marquis de Pierrecourt.
Dame Julie - Louife Celefte de la Riviere , épou
fe de Meffire Jofeph Yves - Thibaut- Hyacinthe ,
Marquis de la Riviere , mourut à Paris le 7- Octo
bre , âgée de trente - deux ans .
Meffire François Madot , Evêque de Chalon
fur Saone , Abbé de l'Abbaye d'Abfie , Ordre de
Saint Benoît , Diocèfe de la Rochelle , & de celle
de Lorroy , Ordre de Citeaux , Diocèle de Bourges
, eft mort le même jour dans fon Diocèle , âgé
de foixante-dix- huit ans.
DECEMBRE. 1753. 199
Lė 9 , eft décédé rue Tiron , M. François- Denis
de Riancey , Maître des Comptes.
Le même jour eft décédé rue de Grenelle , fauxbourg
Saint Germain , M. Mathieu Louis Gou
din , fils de M. Mathias Goudin , Confeiller en la
Cour des Aides,
Meffire Pierre du Chambon , Marquis d'Arbou.
ville , Maréchal des Camps & Armées du Roi , &
Gouverneur de Schleftat , ci - devant Capitaine
d'une Compagnie de Grenadiers au Régiment des
Gardes Françoiles , eft mort le 12 , âgé de 72 ans.
Le même jour eft décédée rue du Sepulchre ,
Madame Elizabeth- Marguerite de Guiri , veuve
en premieres nôces de M. Daniel- Henri de Beffet
de la Chapelle , Intendant des Iles de Saint Domingue
; & en fecondes nôces de Mefire Jean ,
Baron de Kervert .
Meffire Charles , Comte de Harcourt , Baron
d'Ollonne , eft mort le 15 au Chateau d'Ecauzeville
, en Bale Normandie , âgé de foixante -dixhuit
ans. Il avoit été Capitaine de Gendarmerie ,
& étoit chef de la branche aînée de la Maifon de
Harcourt. Comme il ne laiffe point d'enfans de
N....de Franquetot , foeur de M. le Maréchal de
Coigni , M. le Marquis de Harcourt , fon neveu
à la mode de Bretagne , devient héritier de fes
biens , & chef de la Maifon de Harcourt , dont il
ne refte plus que lui de la branche aînée , & fes
deux fils actuellement au Collège de Harcourt ,
Voyez la III . partie des Tablettes hift . p . 32 .
Meffine Nicolas de Saintot , Seigneur de Ve
mar , ancien Introducteur des Ambaffadeurs , mou
rut le 16 dans fa foixante - dix- neuvième année .
Louis-Augufte , Vicomte de Rohan Chabot ,
Maréchal des Camps & Armées du Roi , eft mort
le même jour dans la trente- deuxième année.
Liuj
200 MERCURE DE FRANCE.
Felix -Victoire de Durfort de Deras , époufe de
Louis-Marie Auguftin , Duc d'Aumont , Pair de
France , Chevalier des Ordres du Roi , Lieutenant
Général de fes Armées , un de les quatre premiers
Gentilshommes de la Chambre , & Gouverneur du
Boulonois & du Château de Comprégne , eft morte
le même jour , âgée de quarante fix ans .
Le 17 a été inhumé à Saint Germain l'Auxerrois
, M. Louis- Cafimir de Rofemberg de Fritchman
, Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire de
Saint Louis , & Sous- Brigadier de la feconde Compagnie
des Moufquetaires.
Meffire Louis- Alexandre Defmier d'Archiac ,
Marquis de Saint - Simon , Brigadier de Cavalerie,
eft mort le 18 en Saintonge dans fa quatre vingttreizième
année .
Le 24 a été inhumée à Saint Benoît Dame
Marie de Beffay de Lufignan , épouse de M. le
Vicomte de Nogaret , Baron de la Garde & autres
lieux , Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire de
Saint Louis.
Le même jour a été enterrée à Saint André des
Arts Madame Denile- George de Beaulieu , femme
de M. Jean Henri de Flory , Sieur de Verſalieux
, Major de la Ville de Peronne , Chevalier de
l'Ordre Royal & Militaire de Saint Louis.
Emilie de la Rochefoucault , épouse de Charles-
Emmanuel de Cruffol , Duc d'Ufez , premier Pair
de France , Brigadier d'Infanterie , Gouverneur &
Lieutenant Général pour Sa Majefté des Provinces
de Saintonge & d'Angoumois , & Gouverneur
particulier des Villes & Châteaux de Saintes &
d'Angoulême , mourut le 25 au Château de Bonnelles
, âgée d'environ cinquante ans . Elle étoit
fille de feu François , Duc de la Rochefoucault ,
Pair de France , Chevalier des Ordres du Roi , &
DECEMBRE. 1753.
201
Grand-Maître de la Garderobe de Sa Majefté ; &
de Magdeleine- Charlotte le Tellier de Louvois.
Meffire Pierre- Gui - Balthazar Emé de Guiffey
de Monteynard , Comte de Marcieu , Marquis de
Boutier , Maréchal des Camps & Armées du Roi,
Gouverneur des Ville & Citadelle de Grenoble ,
& Sous - Lieutenant des Gendarmes de la Garde
ordinaire de Sa Majesté , eft mort le 25 Octobre
au Château de Thouret en Dauphiné , âgé d'environ
trente- cinq ans,
ARRESTS NOTABLES.
ORDONNANCE du Bureau des Finan
ces de la Généralité de Paris , du 12 Octobre
1753 , portant défenfes à tous Voituriers , Gravatiers
& autres , de décharger leurs voitures en autres
lieux que ceux indiqués par la Police , à peine
de confifcation de leurs voitures & chevaux , &
de vingt livres d'amende : & pour l'avoir fait par
le nommé Jacques Berger , déclare la confifcation
d'un cheval mis en fourriere , bouhe & valable ; &
condamne ledit Berger en dix livres d'amende.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , du 23 ,
qui commet François de Salienne , pour reprendre
& continuer les inftances & affaires reftantes à
terminer du Bail de Nicolas Deſboves , ainfi que
celles qui pourront naître par la fuite.
AUTRE du Confeil d'Etat du Roi, du 26 ,
qui fupprime un Ecrit ayant pour titre : Mandement
de M. l'Evêque de Montauban , & c.
ARREST de la Chambre des Vacations ,
Ly
202 MERCURE DE FRANCE.
tenue au Couvent des Grands Auguſtins à Paris
du 26 Octobre 1753 , qui condamne le nommé
Jofeph Defroyers aux Galeres pour neuf ans ; & le
nommé Alexis Defnoyers , attendu fon bas âge , à
être fouetté fous la cuftode par le Questionnaire ,
dans la chambre de la queftion , & à être renfermé
pendant le tems & efpace de fix mois dans
la maifon de force de l'Hôpital Général de la
Ville de Paris..
AUTRE de la Chambre des Vacations , du
31 , qui condamne Jofeph Roy à être conduit à la
chaîne , pour être attaché & fervir le Roi comme
forçat dans les galeres à perpétuité , préalablement
férti des lettres GAL.
EDIT du Roi , donné à Fontainebleau au
mois de Novembre 1753 , concernant la délivrance
des prifonniers pour crimes , qui fe trouvent à
Pavénement des Evêques d'Orléans dans les prifons
de cette Ville.
LETTRES Patentes du Roi en forme de Dé
claration , données à Fontainebleau le 11 Novembre
, portant établiſſement d'une Chambre Royale
dans le Château du Louvre ; regiftrées en ladite
Chambre le 13 du même mois.
LOUIS , par la grace de Dieu , Roi de France
& de Navarre : A tous ceux qui ces préfentes Let--
tres verront , Salut. Un des principaux devoirs des
Rois eft de rendre la juftice aux peuples que la providence
leur a confiés ; & comme ils ne peuvent
par eux-mêmes vaquer à cette importante fonc
tion , ils font dans l'obligation d'en commettre le
foin à des perfonnes capables de la remplir à leur
décharge . Les Parlemens ont été chargés de l'es
.
DECEMBRE. 1753.
203
& Tercice de cette portion de notre autorité ,
nous avons éprouvé l'utilité des fervices qu'ils
nous ont rendus tant qu'ils le font contenus dans
les bornes du pouvoir que nous leur avons confié ,
& qu'ils en ont rempli affidûment les fonctions ,
ainſi qu'ils nous le doivent , qu'ils le doivent à nos
peuples , & qu'ils fe le doivent à eux mêmes.
Nous voyons , à notre grand regret , notre Parlement
de Paris s'écarter depuis quelque tems de
ces principes , & oublier un devoir auffi effentiel.
Ha arrêté le 5 Mai dernier de ceffer fon fervice
ordinaire : le 7 Mai il a refufé d'obéir aux Lettres
Patentes que nous lui avons envoyées pour luit
ordonner de le reprendre ; & lorfque nous l'avons
transféré à Pontoiſe , il n'a enregistré la déclaration
de fa tranflation qu'en renouvellant less
arrêtés qui privent nos fujets des fecours néceffaires
de la juftice. Nous avons toléré cette conduite
jufqu'à la fin des féances ordinaires de notre Parlement
, dans l'efpérance où nous étions que le
tems & fes propres réflexions le rameneroient à
fes devoirs ; mais nos vues à cet égard n'ayant
point eu le fuccès que nous défirions , & nous
trouvant dans la néceffité de pourvoir pendant les
vacations à
l'adminiftration de la juftice déja
trop long- tems fufpendue , nous ne pûmes la confier
à des Magiftrats d'ane Compagnie qui s'y refufoit
; nous times choix pour les remplacer , de
quelques perfonnes de notre Confeil. Le tems de
leur Commiffion étant expiré , il eft néceſſaire de
rendre à la juſtice fon cours ordinaire dans toute:
fon étendue ; & nous avons eftimé ne pouvoir
mieux remplir cet objet qu'en nommant à cet
effet tous les Magiftrats qui ont entrée dans notre
Confeil , & dont l'état & les occupations peuvent
fe concilier avec celles que nous leur destinons.
I vi
204 MERCURE DE FRANCE.
A CES CAUSES , & autres confidérations à ce nous
mouvant , de l'avis de notre Confeil , & de notre
certaine ſcience , pleine puiffance & autorité
Royale , nous avons dit , déclaré & ordonné , difons
, déclarons & ordonnons , voulons & nous
plaît ce qui fuit.
• ART. I. Nous avons par ces préfentes fignées
de notre main , établi & établiſſions une Cour &
Siége de Juftice, qui fera appellée la Chambre Roya
Le , laquelle tiendra fes féances dans notre Château
du Louvre.
II. Ladite Chambre Royale connoîtra de toutes
matieres civiles , criminelles & de police , qui
font de la compétence de notre Cour de Parlement
de Paris , foit en premiere inftance , foit par
appel des jugemens rendus par notre Prévôt de
Paris , nos Baillifs & Sénéchaux , leurs Lieutenans
& autres Juges reffortiflans en notre Parlement ;
attribuant à cet effet à notredite Chambre Royale
toute Cour , Jurifdiction , connoiffance & reffort.
Enjoignons à notre Prévôt de Paris , nos Baillifs
Sénéchaux , leurs Lieutenans & autres Juges reffortillans
en notre Cour de Parlement , de reconnoître
l'autorité de notredite Chambre Royale , &
de faire exécuter , chacun dans l'étendue de leur
jurifdiction , les Arrêts , Ordonnances , Jugemens
& Mandemens qui en feront émanés.
III. Notredite Chambre Royale fera compofée
des fieurs le Févre d'Ormeffon , Tacherean de Baudiy
, Feydeau de Brou , Chauvelin , Dagueſſeau ,
Dagueffeau de Frefne , Trudaine , Poulletier , Gilbert
de Voifins , Bidé de la Grandville , de Fontanieu
, Feydeau de Marville , Barberie de Courteil,
le Pelletier de Beaupré , Pallu , de Vanolle ,
Caftanier d'Auriac , & de Pontcarré de Viarme
Confeillers en notre Confeil d'Etat & privé , &
DECEMBRE. 1753. 265
des fieurs Poncher , Maboul , Choppin d'Arnouville
, Bertier de Sauvigny , Gagnat de Longny ,
Bignon , Gagne de Perigny , Boula de Quincy ,
P'Escalopier de Nourat , Merault de Villeron ,
Thiroux , Thiroux d'Efperfennes , Baillon , de
Montaran , du Four de Villeneuve , Bertin , de
Silhouette , Poulletier de la Salle , d'Argouges de
Fleary , Bourgeois de Boynes , Maynon d'Invaux
, de Berulle , Bernard de Balainvilliers , Boutin
, le Nain , le Fevre de Caumartin , de la Corée
, de Cypierre , Pajot de Marcheval , Chaumont
de la Galaiziere , de Boullongne , Dedelay
de la Garde , Hue de Miromenil , Feydeau dé
Brou , de Fontanieu , Pouyvet de la Bliniere ,
Degourgues , Turgot , Rouillé d'Orfeuil & Amefot
, Maîtres des Requêtes ordinaires de notre
Hôtel ; & les autres Maîtres des Requêtes de notre
Hôtel qui ne font pas dénommés au préfent
article , feront le fervice des Requêtes de l'Hôrel
pendant toute l'année , & fans diftinction de
quartier.
IV. Nous avons commis & commettons ledit
feur Bourgeois de Boynes , Maître des Requêtes
ordinaire de notre Hôtel , pour faire les fonctions
de notre Procureur général ; & lefdits fieurs Feydeau
de Brou & Araelot , auffi Maîtres des Requêtes
ordinaires de notre Hôtel , pour faire les
fonctions de nos Avocats généraux en notredite
Chambre Royale.
V. Le fieur de Vitry exercera en ladite Cham
bre Royale les fonctions de Greffier en chef, tane
pour le civil que pour le criminel ; le fieur des
Forges fera les fonctions de principal Commis du
Greffe pour le civil , & le fieur Orry pour le criminel
: voulons en conféquence que ledit freur
de Vitri , tant qu'il exercera les fonctions de Gre
206 MERCURE DE FRANCE.
fer en chef de notredite Chambre Royale , puiffe
dreffer & figner toutes les expéditions néceflaires ,
encore qu'il ne foit pourvû d'un des Offices de nos
Confeillers Secrétaires , Maiſon , Couronne de
France & de nos Finances , le difpenfant à cet effet
de la rigueur des Edits des mois d'Avril 1672
& Octobre 1727 , & autres Réglemens , & dérogeant
expreflément aux dérogatoires des dérogatoires
y contenus ,
VI. Les Huiffiers en notre Confeil , en la grande
Chancellerie , & ceux des Requêtes de l'Hôtel
, feront dans notre Chambre Royale les fignifi
cations néceffaires , & tous actes de juftice qui appartiennent
aux Huilliers du Parlement , fuivant
les Ordonnances & Réglemens.
VII. Les Avocats en nos Confeils occuperont
en notredite Chambre Royale , dans les cauſes ou
inftances dont ils feront chargés par les parties.
VIII. Notre Procureur général en notredite
Chambre Royale fera apporter fans délai au
Greffe d'icelle toutes les piéces & procédures
des procès criminels pendans en notre Cour de
Parlement de Paris , pour être lesdits procès inf
truirs & jugés en notredite Chambre Royale , fuivant
les derniers erremens ; à la remife defquellespiéces
& procédures les Greffiers dudit Parlement
feront contraints , même par co : ps ; quoi faifant,
feront bien & valablement déchargés.
IX. Pourront auffi les Parties retirer de tous
dépofitaires les titres , piéces & procédures à elles
appartenantes ; à la remife defquels titres , piéces
& procédures lefdits dépofitaires feront contraints
par toute voye qui fera ordonnée par notredite
Chambre Royale .
X. Failons très- expreffes inhibitions & défenſes
à toutes parties de fe pourvoir , & àtous Huiffiers
DECEMBRE . 1753. 207
Je donner aucunes affignations , ni de faire aucuns
exploits pour raifon defdites matieres civiles , criminelles
& de police qui font de la compétence
de notredite Cour de Parlement de Paris , ailleurs
que pardevant notredite Chambre Royale ; à pei
né contre les parties de nullité , & de tous dépens ,
dommages & intérêts ; & contre lefdits Huiffiers
de trois mille livres d'amende.
XI. Nous réſervant au furplus de faire les Réglemens
que nous jugerons néceffaires pour l'ordre
du fervice & la difcipline intérieure de notredite
Chambre Royale. Si donnons en mandement
à nos amés & féaux les fieurs le Fevre d'Ormeffon
, Tachereau de Baudry , Feydeau de Brou ,.
Chauvelin , Dagueffeau , Daguefleau de Frefne ,.
Trudaine , Poulletier , Gilbert de Voifins , Bidé de
la Grandville , de Fontanieu , Feydeau de Marville
, de Barberie de Courteil , le Pelletier de
Beaupré , Pallu , de Vanolle , Caftanier d'Auriac ,
& de Viarme , Confeillers en notre Confeil d'E.
tat & privé : & à nos amés & féaux les fieurs Poncher
, Maboul , Choppin d'Arnouville , Bertier de
Sauvigny , Gagnat de Longny , Bignon , Gagne
de Perigny , Boula de Quincy , l'Escalopier de
Nourar , Merault de Villeron , Thiroux , Thiroux
d'Efperfennes , Baillon , de Montaran , Dufour de
Villeneuve , Bertin , de Silhouette , Poulletier de
la Salle , d'Argouges de Fleury , Bourgeois de
Boynes , Maynon d'Invaux , de Berulle , Bernardde
Balainvilliers , Boutin , le Nain , le Fevre de
Caumartin , de la Corée , de Cypierre , Pajot de
Marcheval , Chaumont de la Galaiziere , de Boallongne
, Dedelay de la Garde , Hue de Miromenil
, Feydeau de Brou , de Fontanieu , Pouyvet
de la Bliniere , Degourgues , Turgot , Rouillé
d'Orfeuil , & Amelot , Maîtres des Requêtes de
268 MERCURE DEFRANCE.
sor
Seas
132
notre Hôtel , que ces préfentes ils ayent à faite
fire , publier & regiftrer , & le contenu en icela
les garder & obferver felon leur forme & teneur ,
nonobftant toutes Ordonnances , Edits , Déclara
tions , Arrêts , Réglemens & ufages à ce contrai
res aufquels nous avons dérogé & dérogeons par
ces préfentes car tel eft notre plaifir. Donné à
Fontainebleau le 11 Novembre , l'an de grace
mil fept cent cinquante-trois , & de notre regne
le trente-neuviéme . Signé Louis ; &plus bas , par
Je Rói , M. P. de Voyer d'Argenfon : & fcellé d
grand fceau de cire jaune.
LETTRES Patentes du Roi en forme de Dé
claration , pour partager le fervice de la Chambre
Royale en deux Chambres , l'une pour les affaires
Civiles & de Police , l'autre pour les affaires Criminelles
, données à Fontainebleau le 18 Novembre
1713 ; regiftrées en ladite Chambre le 20 du
même mois.
CES C
Asyal
Lotre
Lours , pir la grace de Dieu , Roi de France
& de Navarre: A tous ceux qui ces préfentes Lettres
verront , Salut. Par nos Lettres Patentes en
forme de déclaration , du 11 du préfent mois ,
Nous aurions établi en notre Château du Louvre
une Chambre Royale , pour connoître de toutes
matieres civiles , criminelles & de police qui font
de la compétence de notre Parlement de Paris ,
foit en premiere inftance , foit par appel des ja
gemens rendus par les Juges reffortiffans en notredit
Parlement ,fuivant l'article IF. defdites Lettres
Patentes , attribuant à cet effet à notredite
Chambre Royale toute Cout , Jurifdiction , com
noillance & reflort ; & par l'article Ell Nous
aurions nommé ceux des Confeillers de notre
Confeil d'Etat & privé , & des Maîtres des Requê
Le
11.
Fes
WG
ve
Le
DECEMBRE. 1753. 209
tes ordinaires de notre Hôtel qui doivent compo
fer ladite Chambre . Par autres Lettres Patentes da
jour d'hier , Nous aurions ajouté au nombre de
ceux qui font dénommés audit article III , le
Sieur le Pilleur , Maître des kequêtes ordinaire de
notte Hôtel : & d'autant qu'il cit nécellaire pour
la plus prompte expédition des affaires civiles , criminelles
& de police , de divifer le fervice de notredite
Chambre Royale en deux féances ; l'une
pour les affaites civiles & de police , l'autre pour
les affaires criminelles , Nous aurions jugé à propos
de faire connoître nos intentions à ce fujet . A
CES CAUSES , & autres confidérations à ce nous
mouvant , de l'avis de notre Confeil , & de notre
certaine ſcience , pleine puiflance & autorité
Royale , Nous avons par ces préfentes fignées de
notre main , dit , déclaré & ordonné , dilons , déclarons
& ordonnons , voulons & nous plaît ce
qui fuit,
ARTICLE PREMIER .
Le fervice de notre Chambre Royale fera par
tagé en deux Chambres , l'une pour les affaires
civiles & de police , l'autre pour les aires criminelles.
II, La Chambre Civile fera compofée des Sieurs
le Fevre d'Ormeflon , Tachereau de Bauary , Feydeau
de Brou , Chauvelio , Dagueffeau , Dagueffeau
de Freines , Trudaine , Poulletier , Gilbert de
Voifins , Confeillers en notre Confeil d'Etat &
privé ; & des Sieurs Poncher , Choppin d Arnouville
, Bertier de Sauvigny , Gagnat de Longny ,
Boula de Quincy , l'Efcalopier de Nourar , Merault
de Villeron , Thiroux , de Montaran , Dufour
de Villeneuve, Bertin , de Silhouette, d'Argouges de
Fleury, Pajot de Marcheval , Chaumont de la Ga
210 MERCURE DE FRANCE.
laiziere , Dedelay de la Garde , de Fontanien ; TI
Degourgues , Turgot , & Rouillé d'Orfeuil , Mak Cun
tres des Requêtes ordinaires de notre Hôtel , La
Chambre Criminelle fera compolée des Sieurs es
Bidé de la Grandville , de Fontanieu , Feydeau de
Marville , Barberie de Courteil , le Pelletier de
Beaupré , Pallu , de Vanolle , Caftanier d'Auriac
& de Pontcarré de Viarme , Confeillers en notre
Confeil d'Etat & privé ; & des Sieurs Maboul ,
Bignon , Gagne de Perigny , Thiroux d'Efperfen
nes Baillon , Poulletier de la Salle , Maynon
d'Invaux , de Berulle , Bernard de Balainvilliers ,
Boutin , le Nain , le Fevre de Caumartin , de la o
Corée , de Cypierre , de Boullongne , Hue de
Miromenil , Pouyvet de la Bliniere & le Pilleur ,
Maîtres des Requêtes ordinaires de notre Hotel .
III. Et connoîtront lefdites Chambres , cha
cune en ce qui les concerne , tant des matieres qui
leur font attribuées par nofdites Lettres Patentes
du 11 du préfent mois , que de l'exécution des
Arrêts rendus par notre Parlement , & par
Chambre des Vacations établie par nos Lettres Pa
tentes du 18 Septembre dernier.
IV. Dans le cas ou pour les jugemens , foit
civils , foit criminels , les Juges de l'une ou l'a
tre desdites Chambres ne fe trouveroient pas dans
le nombre requis par nos Ordonnances , ceux qui
manqueront dans l'une defdites Chambres pour
ront être fuppléés par ceux de l'autre Chambre.
V. La Chambre Civile tiendra fes audiences les .
Mercredi , Vendredi & Samedi ; & la Chambre
Criminelle , les Mardi & Jeudi : pourront cepen
dant être tenues des audiences extraordinaires à
d'autres jours , lorfque le cas le requerera.
VI. Les deux Chambres s'affembleront dane
Jes cas ordinaires & accoûtumés.
DECEMBRE. 1753. 211
VII. Les jugemens qui feront rendus en ladite
Chambre Royale feront qualifiés Arrêts , & feront
intitulés de notre nom . Si donnons en mandement
à nos amés & féaux les Gens tenant
notre Chambre Royale à Paris , que ces préfentes.
ils ayent à faire lire , publier & regiftrer , & le
contenu en icelles obferver & exécuter felon leur
forme & teneur : car tel eft notre plaifir . En témoin
de quoi Nous avons fait mettre notre fcel à
cefdites préfentes. Donné à Fontainebleau le 18
Novembre , l'an de grace mil fept cens cinquantetrois
; & de notre regne le trente - neuvième . Signé,
LOUIS. Et plus bas , Par le Roi , M. P. de
Voyer d'Argenton. Et fcellé du grand ſceau de
cire jaune.
A VIS.
,
M. Bacher , Médecin de la ville de Thann , dans la haute Alface a compofé des Pillules
qu'il appelle Toniques , poor guérir les diverfes
efpéces d'hydropifie . Ces pillules font fort ailées à
prendre ; elles ne tourmentent ni ne fatiguent , &
peuvent être données fans danger aux perfonnes.
enceintes , à celles qui font nouvellement accouchées
, & aux enfans. Elles guériffent en particu-
Hier les hydropifies de poitrine , & notamment
celles qui proviennent des concrétions polypeufes
attachées dans les vaiffeaux , foit du coeur , foit du
poulmon. Si quelqu'un étoit tenté de ne pas ajoû
ter foi à des promeffes fi magnifiques , il doit être
guéri de fon incrédulité par les certificats bien légalifés
que nous avons reçus ; ils font la preuve la
plus authentique qu'on puiffe exiger de la bonté
d'un reméde.
112 MERCURE
DE FRANCE .
D
Certificats concernant les Pillules Toniques.
Je foufigné Recteur & Curé de Rhinau , ceri
tifie avoir été travaillé d'hydropifie de poitrine ,
qui malgré les foins & remédes preferits par les
plus habiles Médecins de Strafbourg & balle
face , empira au point à ne plus me lailler de l'eb
pérance pour mon rétabliſſement ; ayant été is
formé des merveilleufes pilulles toniques de M.kk
Médecin Bacher , je m'en fuis fervi avec un fuccès
défiré . Fait à Rbinau , ce 18 Acât 1753 Sigu
J. Vohlleber , Recteur , avec paraphe.
Je fouffigné , Curé de Spebach le haut , certifie
avoir fouttert beaucoup pendant plufieurs années
d'un afthme humide , & que de tous les remed
dont je me fuis fervi , il n'y avoit que les excellen
res pilulles toniques de Mile Docteur Bacher,Mé
decin de la Ville de Thano, qui ayent pû me gué
ret radicalement il y a huit ans , & ma fante e
parfaite & conftante , graces au Seigneur , & hon- t
neur aufdites pilulles , qui font toujours dans nos
quartiers des effets extraordinaires ; en foi de que
j'ai figné les préfentes . Fait audit Spebach , le
d'Août 1753. Signé Werner , Curé .
ત્
Je fouffigné , Greffier de la Vallée de S. Amar
rin , Principauté de Mue bach , certifie par les pr
fentes , que ma femme avoit été affigée d'une hy
dropifie de poitrine , & que les célebres l'avoient
traité , que néanmoins l'enfûre avoit tellement
augmenté, qu'elle fe trouvoit réduite à l'exè
mité ; on ne lui donnoit plus que vingt- quatre he s
res à vivre ; mais graces à Dieu , à la deuxième
prife de pilulles toniques de M. le Médecin Be
cher , c'eft à- dire dans l'efpace de deux heures
tous les mortels fymptômes avoient diminué
motablement , que toutes les perfonnes qui o
DECEMBRE. 1753. 213
été témoins oculaires de cette merveille ne pouvoient
le difpenfer de l'admirer avec étonnement
& qu'en moins de fix femaines la malade fut rétablie
à l'étonnement de tout le voisinage : enfin on
ne fçauroit allez prôner & publier ce merveilleux
reméde. Fait à S. Amarin , ce 10 Août 1753. Signé
Rudler , Greffier.
Je fouffigné , Laboureur , affirme que ma femme
avoit une maladie de poitrine qui lui ferroit
fi fortement la refpiration qu'elle fembloit étouffer
à chaque inftant , elle étoit fi abattue à force
d'avoir pris fi long tems des remédes de plufieurs
Médecins , qu'elle ne pouvoit prefque plus vivre ;
enfin un Monfieur nous a parlé des très bonnes
pilulles de M. le Médecin Bacher , de la ville de
Thann , & ma femme en a avalé de ces pilulles
pendant fix femaines , qui l'ont entierement guérie
il y dix-huit ans ; elle a fait depuis plufieurs
enfans qui fe portent bien , de même que la mere
: Dieu foit loué & ces bonnnes pilulles . Fait à
Bernewiller , ce 27 Juillet 1753. Signé Thiébault
Vener,
Je fouffignée , Maîtreffe de Pofte à Cernay , certifie
que je fus travaillée d'hydropifie venteufe ,
accompagnée de la jaunifle , que les differens remédes
ordonnés fucceffivement pendant quinze
mois furent fans fuccès , le mal au contraire empira
& parut être fans reflource ; j'eus recours aux pilulles
toniques de M. le Docteur Bacher , & j'eu
fus guérie , voi à la huitième année. Fait à Cernay,
le 15 Septembre 1753. Signée , Strobele .
Je fouffigné , Negociant , attefte par ces préfentes
qu'il y a vingt- quatre ans que je fus hydropique
, abandonné des Médecins , & que je fus radicalement
guéti par le fecret de M. le Medecin
Bacher , & que ma fanté fut conftante ju qu'à
l'année 1750 ; que l'hydropifie me laifit derechef
214 MERCURE DE FRANCE.
& que je fus entierement rétabli par le même fer :
cret , & , graces à Dieu , je continue à me bien Mcd
porter à mon âge de foixante & quinze ans . Fait imme
Heyflerberg le 27 Septembre 1753. Signé, F. Jo
Maurer.
On
Je fouffigné , Curé à Uffholtz , certifie que les pe
pillules toniques de M. Bacher , Médecin à Thann,
ont effectué , tant fur mes Paroiffiens que fur moi, le
des guérilons fingulieres & admirables. Fair
Uffholtz , ce 2 Octobre 1753. Signé , Bieter.
Je fouligné, certifie que les pillales toniques co
de M. le Docteur Bacher , Médecin & Phyficien
Thann , opérent des effets furprenans en fait de
guérilon d'hydropifie . Fait à Mullhoux le 11 Sep
tembre 1753. Signé , Wils , Docteur en Médecine
& en Chirurgie , Affocié Etranger de l'Académie temer
Royale de Chirurgie de Paris , & Médecin pentfionnaire
de la Ville de Mullhoux.
No
R &
ec
Je fouffigné, Docteur en Médecine, & Médecin
ordinaire de la Ville d'Altftrich , témoigne par les fide
préfentes que les pillules toniques de M. B - Co
cher , Docteur en Médecine , & Médecin Phyfi
cien de la Ville de Thann , ont produit les effets
merveilleux dans la guérifon d'une Demoiſelle
âgée de cinquante ans , pour l'hydropifie delefpérée
. Fait à Altſtrich ce 13 Septembre 1753 .
Signé, Vauclaire.
M. Gloxin , Docteur en Médecine , & Médecin Fa
penfionnaire de la Ville de Colmar , confeille les
pillules toniques quand l'occafion fe préfente; il
en a fait chercher lui- même une provifion , aufibien
que M. Kraufs , Médecin Stipendie a Bouzonville.
M. Baccara , Docteur en Médecine , & Médecin
penfionnaire de la Ville de Colmar , les conte:lle
pareillement , de même que M. Hoffer , Doctent
en Médecine , & Médecin penfionnaire à Mu
F
I
DECEMBRE.
1753.
hour ; & M. Greyenried , Docteur en Médecine ,
215
&
Médecin
penfionnaire
de la Ville de Soultz ,
comme
on peut le voir dans leurs Lettres miffives
&
confultations
refpectives.
On n'a point ajouté de certificats de leucophlegmatie
, ni d'anazarque , parce que les guérifons
de ces hydropifies font trop peu de chofe
pour les pillules toniques .
Je fouffigné , Tabellion Général du Comté de
Betfort , certifie avoir bien & dûement collationné
les copies ci-deffus fur les originaux qui m'ont été
préfentés , & que j'ai à ce moment remis , fans y
avoir ajouté ni diminué . Fait à Betfort le 10 Oc₁₂
tobre 1753. Bourquenot.
Nous François Noblat , Subdélégué au Dépar
tement de Betfort , certifions à tous qu'il appartiendra,
que le Sieur Bourquenot qui a collationné
& figné les copies ci - deffus , eft Greffier &
Tabellion des Ville & Comté dudit Betfort , & que
foi doit y être ajoutée : certifions de plus , que le
Contrôle ni le papier timbré ne font point en ufage
en cette Province d'Alface ; en foi de quoi nous
avons figné le préfent , & fait appofer au bas le
cachet de nos armes. Fait audit Betfort le 10 Oc
tobre 1753. Noblat.
Faules à coriger dans le Mercure précédent.
PA
J
Age 202 , ligne 29, traversées , lifez renversées.
Page 208 , lig. 6 , Couruziers , lif, Courceviers.
Pag. id. lig.20 , Lowendiere , lifez Loflendiere.
APPROBATION.
'Ai lû , par ordre de Monfeigneur le Chance
lier , le premier volume du Mercure de France
du mois de Décembre . A Paris le 30 Novembre
= $753. LAVIROTTE,
216
TABLE.
IECES FUGITIVES en Vers & en Profe;
Epitre à M. l'Abbé Marquet , Page 3
Lettre hiftorique au fujet du Bréviaire imprimé
fous le nom de Louis XIII ,
Le Privilege des Poëtes établi ,
II
29
Extrait des Ouvrages lûs à l'Affemblée publique
de la Société des Sciences , &c. de Clermont , 31
Le Jardinier & la jeune Plante . Fable allégoriq. 36
Mémoire fur le Topique que le Roi vient d'acheter
pour arrêter le fang ,
A Mile *** qui demandoit des nouvelles ,
Imitations de deux Epigrammes de Martial ,
Traduction d'une autre du même Auteur ,
Dialogue. Lindor & Damon ,
Imitations de quatre Odes d'Horace ,
Madrigal , à Madame B.....
40
47
48
50
ibid.
56
61
Lettre en réponse à des Réflexions fur l'Imprimerie
& fur la Littérature , 62
A M. *** fur fon Poëme de l'art de peindre , 73
Epitre à M. Roettiers , fur fa réception à l'Académie
de Peinture & de Sculpture , .75
Ellai fur une queftion de l'Académie de Besançon , 79
Remerciment à M. M. les Ineftricati ,
Enigme & Logogryphes ,
92
100
Nouvelles Littéraires ,
Beaux Arts ,
Récit de Balfe ,
Spectacles ,
Nouvelles Etrangeres ,
103
162
172
ibid.
177
France . Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 187
Bénéfices donnés ,
Naifance , mariages & morts ,
Arrêts notables ,
De l'Imprimerie de J. BU LOT.
194
195
202
MERCURE
DE
FRANCE ,
DEDIÉ AV
ROI .
DECEMBRE .
1753 .
SECOND VOLUME.
AGIT
UT
S
SPARGA
Chez
A
PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix:
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT , Quai de Conty , à la
defcente du Pont-Neuf.
DUCHESNE , rue Saint Jacques,
au Temple du Goût.
M.
DCC .
LIII..
Avec
Approbation &
Privilége du Roi,
A VIS.
'ADRESSE du Mercure eft à M. MERIEN ,
L Commis au Mercure , rue des Foffez S. Germain
l'Auxerrois , au coin de celle de l'Arbre -fec , pourremettre
à M. l'Abbé Raynal.
Nous prions très-infammene ceux qui nous adreſſe
ront des Paquets par la Poße , d'en affranchir le port ,
pour nous épargner le déplaifir de les rebuter , &àeux
celu de ne pas voir paroître leurs Ouvrages .
Les Libraires des Provinces ou des Pays Etrangers ,
quifouhaiteront avoir le Mercure de France de la premiere
main, plus promptement , n'auront qu'e
écrire à l'adreffe ci- deffus indiquée.
On l'envoye auffi par la Pofte, aux perſonnes de Province
qui le deferent , les frais de lapofte ne font pas
confiderables.
On avertit auffi que ceux qui voudront qu'on leporte
chez eux à Paris chaque mois , n'ont qu'àfairefçavoir
leurs intentions , leur nom & leur demeure audit ficur
Merien,Commis au Mercure ; on leur portera le Mercure
très - exactement , moyennant 21 livres par an , qu'il
payeront , fçavoir , 10 liv, 10 f. en recevant le ſecond
volume de Juin , & 10 l . 10 f. en recevant leſecond
volume de Décembre. On les fupplie inftamment de
donner leurs ordres pour que ces payemens foient faits
dans leur tems.
On prie auffi les perfonnes de Province , à qui en
envoye Mercure par la Pofte , d'être exactes à faire
Bayer au Bureau du Mercure à la fin de chaque fem- oftre
,Jans cela on eroit hors d'état de foutenir les
avances confidérables qu'exige l'impreſſion de cor
Ouvrage.
On adreſſe la même priere aux Libraires de Province,
On trouvera le fieur Merien chez lui , les mercre
di , vendredi& Samedi de chaque femaine.
PRIX XXX. SOLS.
N
MERCURE
DE
FRANCE ,
1
DÉDIÉ
AU
ROI.
DECEMBRE.
1753.
SECOND
VOLUME.
PIECES
FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
L'AMOUR
VENGE
L
A Mile. B ***
Par Monfieur D **,
'Amour vouloit me faire aimer ,
Pour éluder fes traits ,j'ufai d'une de
faite ,
Je veux bien, dis- je, Amour , me lail
fer enflammer ,
Si tu peux me trouver une beauté parfaite
Aij
4
MERCURE DEFRANCE,
Avec la jeuneffe d'Hébé ,
Q'uelle ait les talens de Minerve ,
Les appas enchanteurs que Venus ſe réſerve ;
Et la tendreffe de Thisbé.
L'Amour eft un Enfant ; par une telle excufe
Je croyois le décourager ;
Mais il fçut pénétrer ma rufe
Et réfolut de s'en venger ,
Vous qui craignez d'être fenfible ;
Nofez point défier l'Amour ,
Ou , pour vous braver à fon tour
Ce Dieu trouvera tout poffible .
Par quelque frivole détour ,
En vain vous croirez vous défendre ;
Il fçaura toujours yous furprendre ,
Et vous le fervirez un jour .
Vous qui craignez d'être fenfible ,
N'ofez point défier l'Amour ,
Ou , pour vous braver à fon tour
Ce Dieu trouvera tout poffible .
Que l'Amour eft ingénieux ,
Quand on intéreffe fa gloire !
It forme Rofalie , & déja glorieux ,
Il s'applaudit de la victoire
Qu'il attend d'un objet fi conforme à mes væus,
0
E
1
DECEMBRE . 1753 .
L'efprit brille dans fes yeux ,
La douceur régne fur la bouche ;
Un air fier , fans être farouche ,
La fait prendre aifément pour la Reine des Cieux ?
Sa taille eft faite par les Graces ;
Les Jeux , les Amours & les Ris
Ont de fon tein charmant broyé le coloris ;
Un effain de plaifirs voltige fur les traces ?
Et mille qualités , dans un égal éclat ,
Semblent fe difputer entr'elles ,
Par un agréable combat ,
La gloire de paroître à mes yeux les plus belles!
D'un fi rare affemblage
Tous les Dieux font furpris ,
Et de fon propre ouvrage
L'Amour même eft épris ,
Venus dans Amathonte
Vole cacher la honte
Qui colore fon front ;
Et Junon en allarmes ,
Craint encor pour les charmes
Quelque nouvel affiont .
Que vois je ! Quel fpectacle à mes yeux fe
·
préfente ?
Pour qui font les fers que je vois ?
Quelle Déité féduiſante
A iij
MERCURE DE FRANCE
Vient me faire entendre fa voiz ?
C'eft le fils de Venus , il conduit Rolalie ;
I m'appelle ; auffi tốt j'oublie
Que je devois toujours redouter ce Vainqueur
Venez , cher tyran de mon coeur ,
Venez , je me foumets au joug de votre Empire ,
L'indifférence en vain combattroit mes défirs =
Heureux feul qui pour vous foupire !
Un coeur indifférent connoît- il les plaiſirs ›
*****
Sortez de votre léthargie ;
Venez , Favoris des neuf Saars ,
Avec la plus vive énergie -
Peignons l'Amour & fes douceurs
Et de notre riante orgie
Banniffons les triftes cenfeurs.
Parons nos têtes de guirlandes ,
Que chacun de nous pour offrandess
Donne des foupirs & des voeux ;
Pour le tendre Dieu qui m'anime }
La plus agréable victime
Eft le coeur le plus amoureux.
Sortez de votre léthargie ,
Venez , Favoris des neuf Soeurs ,
Avec la plus vive énergie
Peignons l'Amour & fes douceurs ,
Et de notre riante orgie
Banniffons les triftes cenfeurs.
DECEMBRE 1753 .
30% 30% 30% 50% 16 302 306 26 26 506 0 0 0
ASSEMBLEE PUBLIQUE ,
De la Société Royale de Lyon , du 7 Décem-
M
bre 1752.
Onfieur Chriftin , Directeur & Secrétaire
perpétuel , a donné les Extraits
fuivans des Mémoires qui ont été
lûs à cette Académie dans les Séances particulieres
, depuis le 19 Avril , jour de
la précédente Affemblée publique.
Suite des remarques für l'Italie , qui ont été
lies dans la derniere Affemblée publique
par M. Soufflot.
On a dans ce fecond Mémoire la def
cription des eaux thermales qui font aux
environs de Viterbe , & principalement.
de celles de Bollicame.
C'eſt un baffin d'environ quatre- vingt
pieds de diametre , qui fe remplit par des
fources jailliffantes , & fe vuide par cinq
ou fix rigoles affez confidérables ; cette
eau eft fort chaude , & fe pétrifie aifément
en élevant infenfiblement les rigoles
par lesquelles elle s'écoule ; elle a formé
dans quelques endroits des prifmes de pierre
d'une longueur étonnante & de fix
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE.
•
à fept pieds de bafe ; elle eft dure , &
l'on s'en peut fervir pour bâtir & faire
de la chaux .
Après différens examens de ces petri
fications , M. Soufflot conclut que cestains
tartres ou cônes tronqués de pierre ,
d'environ trois cens pieds de bafe , qui
ne font pas éloignés de Bollicame , &
defquels on tire la pierre pour faire la
chaux , ont pu être formés par de femblables
eaux qui fortant dans la plaine en jailliffant
, auroient d'abord élevé un champignon
qui fe feroit peu à peu groffi jufqu'au
point de former ces tartres , & jufqu'à ce
que fe trouvant au niveau de la fource , ek
les fe feroient fait jour ailleurs.
L'examen du baflin de Bollicame fert
particulierement à faire voit combien il
eft difficile de détruire les préventions
populaires ; les gens du Pays font perfuadés
que ce baffin n'a point de fond ;
qu'on peut faire cuire dans les eaux , qui
font à la vérité très chaudes , un oeuf &
de la volaille .
Cependant M. Souflot n'y a trouvé au
plus profond que quaraate- fix pieds ; un
ceuf ni un poulet n'ont pû s'y cuire ,
quoique le poulet y foit mort , & le foit
déplumé après avoir été laillé affez longtems
dans ces eaux.
DECEMBRE . 1753. 9
Ces épreuves & d'autres qui font rapportées
dans le Mémoire fur d'autres objets
, ont été faites en préfence de gens
du Pays ; M. Soufflot ne croit pas cependant
les avoir détrompés. L'idée du
merveilleux prend de fi fortes racines
dans l'efprit du peuple , qu'il eft comme
impoffible de l'en arracher ; la tradition
feule leur tient lieu de connoillances.
Sur les parties intégrantes ou conftitutives
des métaux.
Monfieur de Blumenftein en reconnoît
trois ; la terre vitrefcible , le fel , & un
inflammable nommé Phlogiston par les
Chimistes.
Cette terre fe fcorifie ou fe vitrifie fans:
aucun ajouté , & étant enfuite expofée à
l'air , elle fe réduit de nouveau en terre.
Le fel a la propriété de fe diffoudre &
de fe criftallifer. Le phlogistique est ce
qui s'allume ou fe confume , fans qu'on
en aperçoive d'autres veftiges que la défunion
des parties aufquelles il étoit joint.
Ces principes font fluides avant leur
jonction , ils circulent dans l'intérieur de
la terre infqu'à ce qu'ils le rencontrent
& fe fixent pour former un métail. Ils
fotent fouvent en forme de vapeur par
Ay
10 MERCURE DE FRANCE,
ouverture des mines ; ce font eux qui
l'olorent les terres & les eaux de leurs
coffes , & qui nuifent à la poitrine des
fmineurs.
La proportion dans laquelle ils fe
trouvent dans un métail , rend leur
nion plus ou moins intime & le métail
alus ou moins parfait. L'inflammable dopi
ne dans l'argent , le fel dans le cuimre,
la terre dans l'étain & dans le plomb :
vans l'or ils font dans la plus jufte &
da plus égale proportion , le fer a peu
Id'inflammable ; les femi-métaux manquent
d'un de ces trois principes ..
Les preuves de ce fyftème fe tirent de
ce que dans les effais fur les métaux &
dans leur fonte on n'employe , felon M.
de Blumeinſtein , aucun autre ingrédient
que quelqu'an de ces trois mêmes principes
; ce ne peut être que pour rendre
au métail redevenu fluide , les parties qui
fe font évaporées ou celles qui lui manquent
les propriétés des métaux , leur
décompofition & leur reproduction concourent
auffi à prouver la réalité de ces
trois principes. Les bornes d'un Extraic
ne nous permettent pas de fuivre l'Auteur
dans ces détails ; il en tire les réponſes aux
questions qu'on peut former fur la forma
tion ,
la reproduction & l'augmentation
DECEMBRE. 1753.
des métaux , & entr'autres fur la poffi .
bilité de leur tranfmutation.
Monfieur de
Blumenftein pense qu'elle
n'eft pas impoffible en elle- même , puifqu'elle
ne dépend que des différentes combinaiſons
des trois principes ; mais elle
n'en eft pas moins hors de la portée des
Artiſtes , & on ne doit jamais fe flater
d'y parvenir autrement que par une efpece
de hazard , puifque ces combinaiſons
font inconnues , de même que la maniere
de les produire. Il eft moins difficile
de réuffir à
perfectionner fimplement
les métaux , foit en ajoûtant les
principes qui leur manquent, foit en détruifant
ceux qu'ils ont de trop & audelà
de la proportion qui les rend plus
parfaits.
Difcours fur l'immortalité des tableaux ;;
ouvrage accompagné de réflexions générales
fur la gloire qui eft attachée à l'invention
des Arts:
La découverte nouvelle d'un moyen für
pour faire revivre les tableaux , a donné
lien à ce difcours qu'a fait le Pere Tho
lomas ; ce moyen qui tient du merveil
leux , s'il eft permis de le dire , confifte à
enlever une peinture ancienne , & à la
transporter d'une vieille toile fur une nou
A vj
12 MERCURE DE FRANCE
velle ; ce que M. Picaut a exécuté avec
un fuccès tel que les couleurs font auth
vives qu'elles pourroient l'être dans leur
origine .
Rome a trouvé dans le commencement
de ce fiécle un fecrer à peu près
femblable ; ce que Paris voit aujourd'hui
fous les yeux n'eft pas moins frappant &
paroît encore plus difficile .
Le procédé de ce nouvel art n'eft pas
encore connu dans fes détails ; le public
doit fe contenter d'admirer quant à
préfent on ne doute pas que l'efprit de
therébentine ne foit le principal agent
que l'on employe. Le point eft d'appli
quer une toile préparée fur la peinture
que l'on veut lever , cette toile fe cole
& enleve la peinture dont on voir tous
les revers ; mais la difficulté eft de l'appliquer
enfuite fur une autre toile qui
ferve de nouveau fond ..
Hie opus hic labor eft.
Qu'en penfer ? D'un côté le génie des
Arts fouffre quand la moindre choſe écha
pe à fes connoiffances ; de l'autre , fi tout
étoit connu & prodigué , le vulgaire fe
croiroit difpenfé de payer aucun tribut à
l'admiration ,
DECEMBRE. 1753. 13
Monfieur Olivier examine dans un Mémoire
quelles font les Sciences qu'un
Médecin doit avoir cultivées pour méri
ter la confiance du public dans l'art de
guérir ; il prétend qu'il importe à fa gloire
& au bien des malades , qu'il fe lost
particulierement accoutumé de bonne
heure à étudier & à fuivre , avec autant
d'attention que de perféverance , tous les
mouvemens de la nature ; enfin M. Olivier
croit voir dans la conduite d'un bon
Pilote celle que doit tenir un habile Médecin
il remarque encore que les lumicres
acquifes le dernier fiécle dans les Arts &
les Sciences , en ont procuré de confidéra
bles dans la Médecine & la Chirurgie.
Réflexions fur la théorie des tourbillons , de
M. de Fontenelle..
L'Auteur de ces réflexions remarque ,
1. que dans l'hypotefe du mouvement
de circulation fluide , tel que l'explique
la théorie des tourbillons , tous les points
d'une même couche circulans dans de
grands cercles , doivent néceffairement fe
croifer dans un point , s'entrechoquer , & .
conféquemment perdre leur mouvement.
2°. Que la matiere qui forme le tourbillon
folaire étant comme l'atmosphere
du Soleil , ne peut avoir d'autre mouve
14 MERCURE DE FRANCE.
celui
que
ment que lui imprime cet altre
or le Soleil n'a d'autre mouvement
que celui de roration
ou de circulation
folide.
3 °. Que dans la fuppofition de la circu
lation fluide , il doit arriver entre les
différentes couches du tourbillon des
frottemens continuels , parce que leur
titelles font inégales , étant entr'elles
en raifon inverfe des racines quarrées.
des rayons.
4°. Que le tourbillon devroit même
fe diffiper , parce que chaque point d'ane
couche inférieure a toujours plus de
force centrifuge que le point correfpondant
de la couche immédiatement fupérieur
, ces forces étant en raison récipro
que des quarrés des rayons.
5. Que de la maniere dont on explique
le mouvement de rotation des planetes ,
il paroît que ce mouvement dans la partie
inférieure de la planéte eft oppofé à
fon mouvement de circulation .
6°. Que toutes les démonftrations de
l'Auteur de la théorie étant fondées fur la
parfaite fphericité des tourbillons & des
orbites des planétes , & cette hypotese étant
faufle , il s'enfuit que toutes ces démonſtra
tion s fe réduifent à rien .
7°. Que felon l'explication qu'on don
DECEMBRE. 1753 I'S
ne de l'ellipticité des orbites des planéres
, le Soleil ne devroit pas fe trouver
au foyer de ces orbites , & que d'ailleurs
on affigne ici à des effets conftans
& réguliers des caufes très - inconftantes
& très irrégulieres.
8°. Que les cométes allant fouvent dans
une direction contraire à celle du tourbillon
planetaire , ce feul fait renverfe tou
re la machine des tourbillons:
9°. Que la gravitation univerfelle ou
Fattraction de Newton e un principe
auffi clair & auffi intelligible que la pré--
tendue circulation de Defcartes , parce
qu'il eft auffi facile de concevoir un corps
tendant vers un autre par la loi du fou
verain' moteur , qu'un corps circulant autour
d'un autre ; que cette tendance eft
aufli conforme à la nature des corps que:
la circulation , & qu'il est même impoffi
ble de concevoir un corps circulant autour
d'un autre , fans le concevoir animé
de deux forces , l'une qui le porte vers
ce corps , & l'autre qui l'en éloigne .
10°. Que le vuide de Neuwton bien
entendu , choque bien moins la raifon que
le plein de Defcartes , qui renferme l'infinité
de la matiere , dont l'idée répugne..
Que d'ailleurs Newton ne prétend pas
que les efpaces céleftes foient des vuides
76 MERCURE DE FRANCE.
parfaits deftitués de matiere quelcon
que , mais feulement des vuides de matiere
pefante & réfiftante ; ce que démontre
le mouvement des corps céleftes qui n'a
pas encore fenfiblement diminué.
Sur le Chêne,
Monfieur l'Abbé Pernetti qui aime la
Botanique par inclination , nous a entretenu
fur le chêne ; cet arbre que nous ne
craignons point d'appeller le Roi des arbres
dans ce genre végetal , comme nous
appellons dans le genre animal le lion
le Roi des animaux.
Cet Académicien fe plaint avec raifon
de ce que les qualités aftringentes du
chêne n'ont point été aufli -tôt connues que
celles de tant d'autres plantes moins importantes
. I fe forme fur cet arbre des
excroiflances fongeufes , efpéce de champignons
appellés agaric , dont l'application
eft un remède fûr contre les hémorragies.
Nous apprenons ici la caufe
de cette vertu ftiptique dans le chêne ,
dont il y a cinq elpeces d'arbres différentes.
M. l'Abbé Pernetti dit avoir vû aux
environs de Bayonne une forte de chêne
dont l'écorce eft comme du liége.
Ce difcours contient tout ce qu'on doit
fçavoir du gland , des différentes fortes
DECEMBRE. 1753. 17
de gales & du gui qui viennent fur le
chêne ; leur formation & la propriété des
uns & des autres n'échapent pas à notre
Naturalifte .
Au reste tout ce qui eft dit fur la qua
lité aftringente de cet arbre , vient d'être
confirmé cette année par une expérience
digne de toute l'attention du public : le
fieur Pontau , Chirurgien Major de l'Hôtel
- Dieu , a fait l'amputation d'un bras ,
après laquelle il n'a arrêté le fang que
par l'application feule de l'agaric du chêae
,fans aucune ligature .
Sur les Coquillages.
Monfieur de Fleurieu qui nous a déja
entretenu fur plufieurs parties des naturalités
, y a joint une differtation fur les
coquillages , dont il releve avec raifon le
mérite : leur vêtement fuperbe peut ſervir
de modéle aux plus habiles Artiftes , premier
avantage ; ils nous offrent des mets dé
licieux , fecond avantage ; mais ce qui eft
bien plus important , ils contiennent des remédes
fouverains dans plufieurs maladies.
Ce difcours eft une Conchiologie abrégée
, préfentée dans un ordre & une netteté
dignes de l'Académicien .
La formation des trois efpéces de coquillages
, de mer , de riviere & de terre ,
ปี
18 MERCURE DE FRANCE.
eft traitée dans des détails rendus inté
reffans par les remarqués qu'a fait M. de
Fleurieu dans les fources mêmes , c'est-àdire
fur des piéces de ces fortes de naturalité
, & c'est là ce qui rehauffera toujours
de pareils entretiens , lorfqu'ils font
accompagnés , comme celui- ci , d'obferva
tions particulieres .
An
Cet Académicien étale enfuite à nos Per
yeux les différens fyftêmes que nos fçavans
modernes ont imaginé fur la formation des
coquillages ; il ne feroit pas permis à un
Naturaliſte ou Phyficien d'ignorer de pa
reils fiftêmes , mais il eft fort le maître de
n'en embraffer aucun.
De l'art de peindre les portraits.
Monfieur Clapaffon commence par pré
conifer en peu de mots les avantages de
ce bel art. Il paffe enfuite à l'examen des
quatre chofes principales qu'on exige
pour la perfection d'un portrait ; l'air de
vifage , le coloris , l'attitude & les draperies
; il ajoute qu'il n'eft peut-être point
d'art qui pour y réuffir demande autant
que celui- ci un talent particulier , une
heureufe difpofition de la nature ; préfent
qu'elle fait plus rarement qu'on ne pen
fe , mais dont tout le travail poffible ne
dédommagera jamais. M. Clapaffon finit
22
DECEMBR E. 1753. 19
ar une réflexion fatisfaifante pour ceux
ui s'intéreflent au progrès des arts parmi
ous . C'eft que malgré les plaintes fréuentes
qu'on fait fur le relâchement où
es Arts font tombés depuis quelque
ems , il eft certain néanmoins que celui
lu portrait le foutient dans tout fon luftre.
Sur l'Electricité
Perfuadés que les corps en repos ne
e meuvent point eux-mêmes , & qu'ils
me fortent de leur repos que par l'action
le choc d'un autre corps , foit folide ,
foit liquide , tous les Phyficiens qui ont
raité de l'électricité font d'accord que
les phénoménes électriques ne s'ope
rent que par le choc d'un fluide quelconque
mis en mouvement par le frottement
du globe ou du tube de verre ,
ou de toute autre matiere électrique ;
ils s'accordent aufli à nommer ce fluide
le fluide électrique.
Mais leurs fentimens font d'ailleurs très
différens. Ils different fur deux points
principaux : 1 °. fur la nature de ce fluide ;
2. fur fon cours , ou , fi l'on veut , fur fa
direction .
= Quant à la nature du fluide , les uns
veulent que ce foit le feu , les autres une
Paatiere fubtile , d'autres un fluide par
10 MERCURE DE FRANCE.
ticulier inconnu jufqu'à préfent. M. Gar
nier dans un fécond difcours qu'il a donné
fur l'électricité , affure que le fluide élec de fe
trique n'est autre chofe que la lumiere be
même ; c'eft le fluide lumineux dans le
quel nagent les aftres & les planétes de
tous les tourbillons de l'Univers. Jufqu'
préfent , dit M. Garnier , on n'avoit re
connu dans la lumiere d'autre propriété
que celle de nous éclairer , mais les ex
périences électriques nous ont découvert
une infinité de merveilles , comme de tr
verfer tout le corps avec une viteffe incroyable
: il démontre même qu'elle doit
paffer plus rapidement par les corps durs
que par les pores de l'air , parce que ,
dit il , toutes chofes égales d'ailleurs , un
fluide quelconque , mû par des tuyaux
durs & peu flexibles , coulera toujours plus
rapidement que lorfqu'il fera pouflé dans
des tuyaux mols & flexibles.
Pour ce qui regarde le mouvement da
fluide électrique , fon cours & fa direc
tion , la plupart des Philofophes de ce fiè
cle affûrent que ce fluide fort en même
tems & avec une viteffe égale des corps
électrifés & de ceux qui ne le font pas ,
c'est ce qu'ils appellent l'affluence & l'ef
fluence fimultanée : ils prétendent que
leur Aaide électrique d'une part , fort im
CAL
M
2
DECEMBRE. 1753. 21
pétueufement du globe à niefure qu'on
le frotte ; qu'il enfile les pores de la barre
de fer , qu'il parcourt lefdits pores dans
toute l'étendue de la barre , cherchant à
chaque pas une iffue pour fe répandre
dans l'air ambiant , & c'eft celui là qu'ils
appellent matiere effluente ; tandis que
d'autre part un fluide femblable , c'est-àdire
la matiere affluente contenue dans les
corps voisins de la barre électrifée , fe
dirige vers cette barre , s'y porte avec
violence , rencontre les atômes du fluide
qui eft forti du globe ; ils aflurent que
tous les phénoménes électriques dépendent
du choc de ces deux matieres .
M. Garnier rejette ce double cours
il n'en admet qu'un. Il prétend que la
lumiere contenue dans la fubftance du
verre en eft chaffée par le frottement , de
la même maniere qu'en paffant la main.
fur une vergette , on en fait rejaillir la
pouffiere. Il dit que la lumiere étant ainfi
chaffée de la fubftance du verre , il fe
fait dans cette fubftance un vuide inftantané
de lumiere. Il prouve enfuite que ce
vuide doit être néceffairement réparé par
la lumiere qui traverfe les pores de la
barre de fer voifine ; ce qui établie né-
Celfairement un courant de lumiere de
la barre de fer au globe . Il regarde la
22 MERCURE DE FRANCE. celui
D
buyer
machine électrique comme une pompe de pré
lumiere , la lumiere pompée eft remplaetici
cée par celle de la barre , celle de la léma
barre l'eft par celle des corps voifins a com
celle des corps voifins par celle des corps queld
qui font près d'eux , & ainfi à l'infini
Auffi Monfieur Garnier ne met point de ces
bornes à l'électricité ; il eft perfuadé que Me
fi elle fe faifoit avec une barre ou une
chaîne infinie , elle feroit infinie. Il dé
finit le corps électrique , celui dans lequel Après
on a établi un vuide ou un courant de Mém
lumiere ; l'électricité ceffe dès que le vuilité
de eft rempli , ou dès que le courant et des
ceffé. Tous les phénoménes électriques es
font caufés & dépendent uniquement de qu'il fa
ce que la lumiere , tant celle qui eft ré
pandue dans l'atmoſphere ambiante que par la
celle qui eft contenue dans les corps voiglande
fins , fait effort pour remplacer le vaide
ou fe jetter dans le courant ; l'électricité
eft d'autant plus grande , c'eſt-à- dire les La
phénoménes électriques font d'autant plus ana
frappans ,
5, que l'on a établi un
courant
parle
de lumiere plus rapide & plus grand.
Sur PElectricité.
mo
Mon
rences
Monfieur Pestalozzi nous a auffi don
L'o
P
ve
pe
DEUTS
né un Mémoire fur l'électricité , &
dade
lequel il paroît d'un fentiment différent
23
DECEMBRE.
1953.
celui de
Monfieur
Garnier. M.
Peftazzi
prétend
que le
principal
agent
de
électricité
eft le
feu.
Dans
une
matiere
oblématique & qui
n'eft pas
encore
fez
connue
, la
diverfité
de
fentimens
quelquefois
néceffaire
pour
aider à
écouvrir la vérité ; mais
il est
beau
de
oir ces
deux
adverfaires
fe
difpurer
dans
urs
Mémoires
, & faire
affaut à la fois ,
vec
autant
de
politeffe
que de
raifon
ppuyer
chacun
fon
fyfteme.
Après
ce
difcours
, M.
Delorme
a lû
an
Mémoire
fur la caufe
de la
mauvaiſe
qualité
des
eaux
de la plus
grande
quanité
des
puits
dans
les
Villes
; il donne
des
moyens
de les
avoir
pures
& faines
,
qu'il
faut
voir
dans
le
Mémoire
.
pour
Monfieur Graffot a terminé la féance
par la lecture d'une differtation fur les
glandes falivaires , fur la nature , les différences
& les ufages de la falive .
L'ouvrage eft divifé en deux parties,
La premiere renferme les
defcriptions
anatomiques des organes dont l'Auteur
parle ; mais pour répandre plus de clarté
& mettre plus d'ordre qu'il ne s'en trouve
peut être communément dans les Auteurs
qui traitent de l'Anatomie en géné
ral , M. Graffot après avoir donné une
idée fuccinte de la ftructure de toutes
24
MERCURE DE FRANCE, DECE
les glandes & de leurs fonctions , ran
les falivaires fous trois claffes différente
Dans la premiere font comprifes celles bouche
qui font fituées aux parties extérieures
de la bouche , & dont les canaux excré
teurs viennent verfer la falive auprès des lande
dents.
La feconde contient celles de l'inté
rieur de la bouche .
Cependa
aseme
Faux
Celti
C
La troifiéme , toutes celles qui fe trou- ef
vent par derriere la luette & la voûte
du palais.
&
fans
ret,
Lespar
Il paroît que l'Auteur du Mémoire s'eft
attaché avec foin à décrire d'une façon
précife la fituation , l'étendue , les di
menfions de ces glandes & de leurs ca
naux excréteurs. Convaincu
par l'expé
rience que la léfion de ces organes
fur tout des glandes de la premiere claffe ,
expofe les bleffès à de fâcheux inconvé
niens , & les perfonnes qui font prépofes
pour y remédier , à éprouver des diffi
cultés quelquefois
infurmontables
, il
cru ne devoir rien négliger pour les re
-préfenter à l'efprit avec le plus de vérité
qu'il feroit poffible .
despr
des
Monfieur Graffot obferve dans la fecon
de partie de fon Mémoire qui traite des
qualités , des différences & des ufages de
la falive , que quoique l'on confonde
affe
ا ه ا
de l
C
epai
Cep
DECEMBRE. 1753 .
25
affez ordinairement fous le terme générique
de falive toute l'humeur dont ja
bouche eft fans ceffe humectée , elle a
cependant des différences fenfibles relativement
aux trois différentes claffes des
glandes qui la fourniffent , & aux principaux
ufages aufquels cette liqueur eft
deſtinée .
Celle des glandes de la premiere claſſe
cft légere , transparente , claire comme
l'eau , le mêlant facilement avec elle ,
fans odeur , fans faveur , un médiocre
degré de chaleur la fait aifément évaporer
, une legere agitation la rend fort écumeufe.
Monfieur Graffot après avoir parlé de
Les parties intégrantes & de fes propriétés
générales , explique comment elle eft un
des principaux agens de l'apétit , du goût ,
& de la digeftion , trois des plus grandes
opérations de la nature.
La falive des glandes de la feconde
claffe n'eft pas fi légere , fi attenuée , fi
active , fi pénétrante , ni fi claire que celle
de la premiere claffe .
Celle de la troifiéme et encore plus
épaiffe , plus muqueufe ; elle eft même fufceptible
d'un dégré d'épaiffiffement fi con
Sidérable , que ce n'eft qu'avec beaucoup d
peine que l'on peut la mêler avec l'eau,
11. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
M Gralfor prouve dans la récapitulation
de ces trois efpeces de falives , que leur
qualités différentes étoient néceffaires pour
fervir aux ufages qui leur font affignés.
» La premiere efpece devoit fe mêler avec
» les différentes fubftances dont les hom-
» mes fe nourriflent , pour leur faire fubir
» les changemens que la digeftion opere ;
» auffi cette liqueur renferme- t- elle en elle-
» même des principes qui lui permettent
» de s'unir avec facilité à tous nos ali-
» mens & de les pénétrer intimement ,
quoique fort oppofés les uns aux autres,
Elle n'étoit néceffaire pour cet effet
dans les inftans que nous employons à
nos repas ; auffi ne le fépare - t'elle en abondance
, & ne revient-elle le mêler avec
notre nourriture , que dans les momens
& dans les endroits où elle eft brifée &
broyée par les dents .
>>
que
Les parties intérieures de la bouche font
expofées à des mouvemens qui les metrent
dans la néceffité d'être fans ceffe humectées
, la falive de la feconde claffe ne
leur manque jamais au befoin . L'air extérieur
paffe & repaffe fans ceffe fur ces
parties ; il falloit une humeur qu'il ne pût
és facilement entraîner avec lui ; l'huile
gireufe & l'épaiffeur de cette efpece de
falive empêchent la féchereffe de ces
parties.
DECEMBRE. 1753.
27
Les alimens folides dont nous nous fervons
font remplis d'inégalités , & fur tout
de fels piquans & actifs qui feroient des
impreffions fâcheufes fur leur paffage ; il
falloit un onctueux ou mucilage qui rendiffent
ces voyes gliffantes , qui en envelopaffent
ces fels & ces afperités ; ces propriétés
fe trouvent dans les deux dernieres
efpeces de falive.
Il étoit
abfolument néceffaire , pour que
nos alimens puffent fubir dans l'eftomac
les changemens aufquels ils font deftinés ,
qu'une certaine quantité d'air extérieur
y parvint avec eux ; un fluide gras & tenace
fe trouve pofitivement fur la route
qui envelope cet air de toutes parts , &
qui l'oblige à fuivre le fort des alimens
fans qu'il puiffe s'échapper par les côtés.
L'articulation de la voix ne peut être
douce , exacte & variée qu'autant que les
parties où elle reçoit les différentes modulations
agiffent avec une extrême facilité
; elles font continuellement arrofées
par la liqueur que leurs glandes y répandent
fans interruption.
La falive qui devoit être principalement
employée à humecter & à rafraichir la bouche
, fe trouve toujours prête & toujours
préfente au befoin ; elle y diftille par mille
petits tuyaux très courts qui la laiffent
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
échapper goutte à goutte , d'où elle fe répand
également par tout.
Si elle avoit coulé par ruiffeaux comme
celle des glandes de la premiere claffe ,
la bouche n'auroit pas été plus humectée ,
elle auroit été continuellement inondée ;
ce qui auroit rendu dans tous les hommes.
la prononciation auffi difficile & auffi
défagréable qu'elle l'eft dans ceux où ces
liqueurs affluent en trop grande quantité.
Čelles des glandes falivaires qui devoient
avoir le plus de volume , ont été placées
au dehors de la bouche , pour que leur
préfence ne fût point incommode ; elles ont
été munies de conduits très longs , & d'un
diamétre toujours proportionné à la quantité
de liquide féparé . Elles font fituées aux
environs de l'angle de la mâchoire inférieure
, pour que les mouvemens prefque
continuels de cette partie puffent aider
leur action dans les inftans où elle convient
le mieux , & où elle eft le plus
néceffaire.
Monfieur Graffot finit en remarquant
que l'Auteur infini de toutes chofes n'a
pas moins manifefté fa toute puiffance
dans l'art admirable avec lequel il a dif
pofé tous nos organes , que fa fageſſe &
La bonté dans la facilité avec laquelle ils fe
prêtent mutuellement des fecours, & dans
DECEMBRE. 1753 . 29.
Fexactitude avec laquelle ils exécutent
leurs fonctions : les vûes profondes , la
prévoyance éclairée , l'ordre merveilleux
qui régnent par tout , faififfent à chaque
inftant notre admiration , & annoncent
d'une facon bien fenfible quelle doit être
l'étendue de notre refpect & de notte
reconnoiffance.
78090 200 205 206 207208 209 R0 RT ROOF OF
V
CONSEILS
A une jeune Perfonne .
Otre légereté , Philis , me défefpere ;
Quoi ! rien ne peut fixer le cours de vos
défits >
Ce qui dans un moment aura fait vos plaifirs ,
L'inftant d'après ne fçaura plus vous plaire ?
Et vous croirez que cette humeur legere
Epargne d'ennuyeux foupirs ?
Qu'il faut pour varier de fatigans loisirs ,
Par de nouveaux objets chaque jour fe diftraire a
Qu'on évite par là de mortels déplaifirs ?
Y penfez vous : eft - ce à nos âges
Qu'il fied bien d'affecter des fentimens volages ?
Et croyez - vous ainfi jouir du vrai bonheur ?
Non , non d'un fentiment plus pur & plus flateur
Naît la félicité fuprême ;
:
B iij.
30 MERCURE DEFRANCE .
Sçavoir aimer autant que l'on nous aime ;
C'eft là le feul objet qui doit toucher un coeur.
Vous brilleriez d'une beauté nouvelle ,
Les Dieux auroient fur vous épuifé leurs bienfaits ,
Philis , fi vous n'aimez jamais ,
Jamais vous ne paroîtrez belle ;
C'eft ce feul fentiment qui doit vous enfimmer ;
Vous auriez vainement tout l'efprit en partage ;
Ce rare , mais foible avantage ,
N'eft rien fi l'on ne fçait aimer.
Ces foiqs que vous prenez d'orner votre parure ›
D'ajouter chaque jour à vos divins appas ,
N'est-ce en vous que l'effet de la vanité pure ?
Croyez vous que l'amour ne les anime pas ?
Ah ! pourquoi faut - il donc que votre coeur ignore
Qu'il eft des biens plus doux , plus féduifans encore
Que ceux que vous promet votre légereté ?
Vos jours touchent à peine à leur premiere aurore ;
Connoiffez tout le prix de la félicité.
Gardez - vous de fermer les yeux à la clarté
Qu'Amour pour vous fe plaît à faire éclore ;
Songez qu'il n'eft qu'un pas du Printems à l'Eté ,
Qu'on ne voit point toujours régner l'aimable
Flore ,
Et que c'est faire outrage enfin à la beauté ,
De ne fouffrir point qu'on l'adore .
Lemonnier
DECEMBRE . $ 753 . 31
OBSERVATIONS IMPORTANTES
Sur les petites Véroles de 1753. Par M.
Morean Defraviers , Médecin ordinaire
du Roi.
I
L n'a point paru depuis trente ans
une petite vérole d'une conftitution
auffi épidémique & d'un caractere auffi
mauvais , que celle qui régne en France
depuis le commencement de Juin julqu'à
ce 15 Octobre 1753 , que j'écris ces.
obfervations . Cette petite vérole a fuccédé
à des fiévres éréfipélateufes qui ont en
leur cours les deux mois précédens . Les
jeunes gens de l'un & de Pautre fexe qui
s'étoient dérobés des autres épidémies ,
n'ont pû échaper à la vivacité de celle - ci
elle prend fon époque du Printems & de
l'Eté les plus chauds qu'on ait encore vû ,
pendant lefquels le vent du Midi a foufflé
fans difcontinuer.
La diverfité des hypothefes des Médecins
Arabes & de quelques modernes ,
m'a quelquefois jetté dans le Pyrrhonifme
fur la caufe de cette cruelle maladie :
quoiqu'il en foit , fi la petite vérolé a un
levain qui lui foit particulier , ( comme
B iiij.
12 MERCURE DE FRANCE.
l'inoculation femble le prouver ) , il y a
apparence que lorfqn'il arrive à fon developpement
, il fouleve tout à coup la
maffe du fang & de la lymphe , ébranle
avec tant de violence les parties folides
de notre corps , qu'il occafionne une fiévre
d'ordonnance proportionnée à fon
énergie , qu'il s'allie avec l'humeur de la
tranfpiration , pour fe répandre , ( fi rien
ne l'empêche ) , fur l'habitude du corps ;
car tous les efforts de la nature ou le concours
de la vertu fyftaltique de tous les
folides femblent ne tendre qu'à cette fin ,
de faffer & d'agiter cette femence pendant
la fiévre qui précéde l'éruption , & de la
1gjetter dans les vaifleaux de la peau ,
avec quelque postion du fang le plus
embrafé , pour en faire une éruption
critique fous la forme de boutons phlegmoneux.
En effet , à confiderer les accidens qui
fe préfentent dans cette maladie , on y voit
fenfiblement un embrafement général de
toute la maffe des liqueurs qui couvrent
plus ou moins la peau d'inflammations
phlegmoneufes , à la vérité d'un genre
fingulier ; car on voit quelquefois les
phlegmons ordinaires fe terminer par la réfolution
, au lieu que ceux - ci entraînent
néceffairement la fuppuration , qui doit
DECEMBRE 1753. 33
finir
par la mort du malade , ou par la
combuftion
& le délâbrement
de la peau ,
& par la chûte de fes écailles , ce qui
peut être l'effet d'un feu élémentaire
concentré
dans la matiere
de nos corps , qui
fe déploye à l'occafion de certaines conf- titutions de l'air.
S'il en étoit ainsi , les parties ignées &
combuftibles du fang fe feroient développées
d'une façon bien extraordinaire dans la
conftitution de la petite vérole qui régne
actuellement , puifqu'il en paroît peu qui
ne foit extrêmement confluente , & où le
fang ne faffe jour par les vaiffeaux du nez
& des inteftins , quelquefois même par
les tuyaux urinaires des reins , & dans les
filles & les femmes par les vaiffeaux uterins.
Mais ce qui marque d'une maniere bien
plus fenfible l'énorme effervefcence de là
maffe des humeurs , & leur exorbitante
expanfion , c'eft l'obfervation que j'ai
faite en deux fujets dans lefquels j'ai
vû le fang pénétrer les excrétoires de lat
peau le lendemain de l'invafion de la
fiévre; il eft vrai que c'étoient deux adolefcens
d'un tempérament extrêmement
fanguin , qu'on avoit opprimés dès le début
de la fièvre fous le poids des couvertures
dé lit , & en qui on avoit négli
gé de defemplir les vaiffeaux , & les au
By
34 MERCURE DEFRANCE.
tres fecours propres à rabattre l'ardeur du
fang & à rallentir la violence de fes efforts.
La fiévre qui précéde l'éruption de la
petite vérole la moins dangereufe , commence
ordinairement avec des friffons paffagers,
fuivis de chaleur , de foif, d'inquié
tudes , & d'une douleur qui s'étend fur
toute la région ombilicale , où elle fe fait
fingulierement fentir : peu d'heures après ,
ou au plus tard le lendemain , la foif
devient preffante , la chaleur ardente , le
pouls a plus de fréquence , de dureté &
de plénitude , il furvient des nausées ,
des vomiflemens , des affoupiffemens , des
rêveries , des maux de reins , & quelquefois
des cours de ventre bilieux ; les yeux
s'enflamment & la langue devient pâtenfe
. Ce font là à peu près les accidens précurfeurs
de la petite vérole la moins abondante
ou la moins meurtriere , dont les
premieres pointes ont accoutumé de fe
produire le troifiéme on le quatrième jour
au menton , & après les commiffuresde
lévres ; quand une fueur médiocre , graffe
& onctueufe fe préfente dans les premieres
vingt- quatre heures de cette fiévre criti
que , & qu'elle accompagne la petite vérole
jufqu'au terme de parfaite fuppura
tion ; j'obferve alors que cette petite vé-
F
f
1:
ta
DECEMBRE . 1753. 35
role fe termine fans accidens , que l'éruption
fe fait aisément , & que les impref-
Gions qu'elle fait fur le vifage font trèslégeres
; ce qui peut faire préfumer qu'il
y a quelqu'autre reméde plus propre à
combattre la caufe de cette maladie que
ceux qu'on a employés jufqu'à préfent.
Lorfque la fiévre ne fe développe pas
bien le premier ni le fecond jour , qu'on
obferve des mouvemens involontaires aux
lévres , à la langue , aux paupieres , aux
globes des yeux , ou des treffaillemens
convulsifs aux tendons des poignets , des
veilles obftinées , des délires obfcurs , que
le vifage eft pâle & abbatu , il en arrive
autrement ; ces accidens font une marque:
affurée que la petite vérole fera lente à
fortir , extrêmement menue , confluente ,
plus ou moins chargée d'exanthêmes , &
par conféquent très maligne.
Quoique le danger de la petite vérole
fe prenne ordinairement du caractère de
la fiévre & da nombre de puftules qui at
taquent les parties fupérieures & fingu
lierement le vifage , j'obferve néanmoins
que nonobftant qu'elles y foient confluen
tes & entaffées , que le cerveau n'en reçoit
point d'atteinte , tandis que les dents &
la langue , qui ( le plus fouvent , de même
que le gofier , eft attaqué de puftu
B vj
36 MERCURE DE FRANCE,
les) , confervent leur humidité & leur cou
leur naturelle. Mais fi ces parties devien
nent féches , livides ou plombées , la langue
pâte , décolorée dans fa fubftance &
dans fa circonférence , ferrée & contrac
tée vers fa bafe , c'est un figne très fouvent
funefte ; il n'en eft pas qui marque aufli
prochainement le trifte état du fyftême
nerveux , & la malheureufe difpofition da
cerveau ; & quoique ce vifcere fe montre
encore affez libre , que les grains arrivent
à leur maturité , qu'ils , paroiffent dans
leur qualité affez nourris , & que la peau
conferve dans les interftices une couleur
& une chaleur d'un bon préfage , la
malades rifquent de périr jufqu'au onzićme
ou douzième jour , dans Laffoupil
fement , le délire & les convulfions ,
après la ceffation du ptyalifme & l'affailfement
des puftules du vifage , finon par
une efquimancie phlegmoneufe qui a coutume
de méprifer toute forte de fecours
C'est donc fingulierement par l'infpec
tion des dents & de la langue , & par l'état
où elles fe trouvent au huitiéme ou au
neuvième jour dans certe petite vérole ,
(teras où la fuppuration commence , & our
la fiévre fecondaire fait.fon entrée ) , que
je prévois prefque toujours quelle doit
être l'époque du onzième ou douzième
6
DECEMBRE . 1793. 37"
·
jour ; car faux jours marqués les dents
ne changent
pas de couleur , qu'elles ne
foient pas- feches; s'il en eft de même de
la langue
qu'elle paroille d'un rouge obfcur dans fa fubftance
& dans fes bords ,
affez unie & humectée
fur fa furface ; fi
le malade la fort ailément , s'il l'allonge , V'étend & la ramene de même ; je fuis
moralement
afluré , que nonobftant
la
quantité des puftules du vifage , le battement
violent des carotides , la rougeur
des yeux , le bégayement
& les autres ac
cidens les plus ordinaires
à ces petites véro
les confluentes
la falivation
qui diminue
alors , & qui va dans peu ceffer entiéfera
heureufement
compenfée
par l'enflure du vilage , relevée par le gonflement
des puftules des mains , des
pieds , & par le cours des urines , qui est
une autre évacuation
avantageufe
pour
Pachevement
de la crife , qu'elle tient. quelquefois
la place de la diarrhée dans
les petites véroles les plus confluentes
des
enfans ,.S . qu'elle les mene à une heureufe
fin.
rement "
"'
Les régles de conduite que je tiens en›
général dans le traitement
de cette pe tke vérole confluente
, qui eft certainement
la méthode
qui réuflit le mieux ):
deft de mettre promptement
en ufage las
38 MERCURE DE FRANCE.
faignée du pied , & de la faire réitérer :
fi je m'apperçois que la fiévre eft encore
trop allumée , & qu'elle porte au cerveau
avec trop de violence , je la fais
quelquefois précéder dans les tempéramens
fanguins de la faignée du bras : pour
rendre la révulfion plus efficace , je donne
le lendemain un vomitif proportionné aux
accidens de l'eftomac & à la turgefcence
des humeurs ; je fais ufer aux malades d'une
tifanne faite avec les racines de fcorzonaire
, que je leur fais continuer jufqu'au
commencement de la fuppuration , que je
leur fubftitue la décoction d'orge mondé ,
ou l'eau de ris. Si la fiévre fecondaire ou
de la fuppuration me paroît trop allumée ,
qu'elle réveille les accidens , & qu'elle
rende à hâter le defféchement des puftu
les , je preffe la faignée & l'ufage des délayans
& des rafraichiffans , & j'employe
la purgation lorfqu'elle me paroît indifpenfablement
néceffaire.
Au fecond cas , c'eft à- dire dans la feconde
efpece de petite vérole confluente ,
lorfque les grains fe montrent petits &
fans couleur , la peau intermédiaire pâle ,
& femée en exanthêmes de couleur noire
ou violette , avec un pouls petit , foible
& fréquent , les malades faccombent let
plus fouvent avant la fuppuration ; dans
DECEMBRE . 1753. 3:9
ces triftes circonftances , après avoir remarqué
l'inutilité de l'efprit de vitriol que
Sydenham recommande fi fort , je me
permets les cordiaux ménagés , aufquels
je fais ordinairement mêler quelque parricule
de camphre , je fais fouvent baffi
ner les puftules avec de l'eau d'orge affez
chaude , appliquer fur la nuque du col
ou fur le gras des jambes des emplâtres
épifpaftiques , & quelquefois des ventoufes
fearifiées fur les omoplates ; ce font des
fecours qui m'ont quelquefois réuffi pour
développer le pouls , pour faire difparoî
tre les taches noires, & changer en mieux
les grains de la petite vérole .
Si l'hémorragie du nez paffe les bornes
d'une évacuation critique , & qu'elle
fufpende l'éruption , alors un peu de coton
imbibé dans l'efprit de vitriol introduit
dans les narines , & l'ufage abondant de
la décoction d'orge rendue aigrelette par
l'addition de cet acide , me fufit affez fouvent
pour l'arrêter. J'ai cependant eu recours
quelquefois à la faignée révulfive ,
Jorfque le tempérament fanguin du malade
, la plénitude & la dureté du pouls
me l'ont indiqué .
La dyfenterie qui arrive fur la fin de
l'éruption ou à l'entrée de la fuppuration
, fe combat par la faignée du bras
40 MERCURE DE FRANCE.
faite diligemment , par de fréquens narcotiques
& par les lavemens de petit lait ,
ou compofés avec la décoction de bouil
Ion blanc & le fuif de mouton.
Si ce fâcheux accident méprife ces fecours
, c'eft une marque certaine qu'il
dépend moins de l'intrufion du fang dans
les vaiffeaux fecrétoires des inteftins , que
de l'érofion que les puftules de la petite
vérole ont caufées à leur membrane . Unet
dofe de racine d'ipecacuanha & de diaf
cordium, partagée & donnée avec le fyrop
de coing & l'eau de canelle orgée , près
à près , en trois ou quatre fois , a eu quel
quefois une heureufe réuffice.
*************
Svi
ALCION E.
CANTATILLE
Ur le bord de la mer dont le calme infidelle
Sembloit aux matelots préfager un beau jour ,
Du malheureux Ceix, qu'en vain ſa voix rapapelle
,
La fenfible Alcione attendoit le retour.
Reviens , cher amant que j'adore ,.
Ton départ combla mes malheurs 3 ·
Ah fije te fuis chore encote,
DECEMBRE. 1753.
41
Ecoute mes regrets , viens effuyer mes pleurs.
Ton abſence me caule une frayeur mortelle ;
Tout femble vainement répondre à mes défirs;
Sans ceffe une crainte nouvelle
Vient empoisonner mes plaifirs..
Reviens , cher amant que j'adore ,
Ton départ combla mes malheurs ;
Ah ! fi je te fuis chere encore ,
Ecoute mes regrets , viens effuyer mes pleurs.
Elle achevoit ces mots , lorſqu'un épais nuage.
Du foleil à fes yeux dérobe la clarté :
Dans les airs , où les vents ont déchaîné leus
rage ,
Regne une affreuſe obſcurité.
' Le Maître de l'onde
Souleve les mers ;
Le Tonnere gronde ,
Le feu des éclairs
Embrafe le Monde
Une nuit profonde
Couvre PUnivers :
D'un pareil ravage
Pluton eft troublé ,
Le fombre rivage
En ef ébranlé.
42 MERCURE DE FRANCE.
Quel fpectacle , grands Dieux ! pour la trifte 51-
cione ,
Ses fens en font troublés , fa force l'abandonne ;
Ceïx , fon cher Ceix court les mêmes hazards ;
Mais un nouvel objet a frappé fes regards .....
Quel eft le malheureux , victime de l'orage ,
Qu'un flot en fe brifant jette fur le rivage ? ...
Elle approche .... elle voit l'objet de fon amour ,
Ceïx mourant ... les yeux encor fixés fur eile ...
Dieux injuftes s'écria - t'elle ,
Dieux auteurs de mes maux , attachez moi le
jour ....
Ah ! je ne puis ſurvivre à ma douleur mortelle...
Chere ombre .... je te fuis dans la nuit éternelle,
Reçois mon ame .... adieu .... mes tourmens
font finis ,
Et nos coeurs à jamais vont être réunis.
Amans que le plaifir entraîne
Sur les pas du Dieu des amours ,
Connoiffez le poids de fa chaîne
Avant d'engager vos beaux jours.
Par l'espoir d'un fart plein de charines,
Toujours il fçait cous enflammer ;
Mais fouvent mieux on fçait aimer ,
Plus il nous fait verfer de larmes.
Amans , &c.
Lemonnier.
DECEMBRE. 1753 .
43
MADRIGAL.
A Madame de V ***
en lui envoyant
des fleurs.
T Endre fruit des amours du Zéphire & de
Flore ,
Hâtez-vous , hâtez-vous d'éclore ;
Parez -vous d'un éclat nouveau ;
Vous allez expirer fur le fein de Silvie :
Brillantes fleurs , que votre fort est beau !
Hélas ! cent fois le jour je donnerois ma vie
Pour avoir un pareil tombeau.
Lemonnier
208 208 209 289 209 208 207 208 209 208207 208209 200
LETTRE
-A M. Maillot , Chirurgien Major des Hôpitaux
de Châlons fur Marne ; fur les
effers finguliers du mercure de M. de
Torrés , Médecin de Mgr. le Duc d'Orléans.
M
ONSIEUR , quoique vous n'ignoriez
pas que M. de Torrés eft redevable
à la Chimie d'une maniere de prépa-
44 MERCURE DE FRANCE.
care
ter le mercare , dont la plus forte defe
n'excite jamais de falivation , l'intérêt que
vous prenez à tout ce qui regarde la fociété
vous rendra agréable le détail des avan
tages de la décotiverte en queftion . Je fuis de
d'autant plus dans le cas de vous en ren- & e
dre compte , que fans l'efficacité de ce de
fpécifique , je me verrois encore en
butte
aux maux affreux dont j'ai été accablé pen - c
dant neuf ans. C'eft à mon maître que ma
reconnoiffance doit addreffer ce que ma D
reconnoiflance me dicte pour mon libé di
rateur.
Libe
perc
les
C'est vous , Monfieur , qui m'avez appris
, que malgré les efforts des prati
ciens les plus eftimés , on n'eft pas en
core parvenu à fe rendre maître des effets
du mercure. C'eft de vous que je tiens
qu'en guériffant comme les anciens , les
maladies vénériennes par la voye de la
falivation , on n'atteint pas le but lorfque
le malade eft d'un tel tempérament de
que la plus légere dofe du reméde lui don
ne un violent flux de bouche , & lui caufe
des accidens qui empêchent de continuer
l'ufage du mercure , avant de lui en avoir
prefcrit autant qu'il en faut détruire
entiérement le virus.
pour
Si on préfere , me difiez vous , à la mé
thode ancienne celle d'adminiftrer le me
V
DECEMBRE. 1753. 45
cure par extinction , comme on le pratique
aujourd'hui , on n'eft pas plus fûr
du fuccès. Le malade qui eft fort difpofé
à la falivation éprouve cette incommo.
dité , quelque précaution qu'on ait priſe
& le nombre de fecours qu'on est forcé
d'employer pour calmer les accidens , fait
perdre de vûe le but principal , duquel on
s'écarte toutes les fois qu'on eft obligé de
fufpendre l'ufage du fpécifique.
D'après vos principes j'ai donc droit
d'inférer que lorfque les fymptomes vénériens
ont entièrement difparu , après
avoir donné aux malades toute la quantité
de mercure qu'il faut pour cela , on doit
les croire bien guéris , quoiqu'ils n'ayent
pas eu le flux de bouche , fur tout s'ils
n'ont pas pris la moindre précaution pour
l'éviter. Cette maxime eft reçue des plus
célébres praticiens .
Vous comprenez à préfent , Monfieur ,
de quelle importance eft la découverte de
M. de Torrés par la maniere dont ce
Médecin purifie le mercure , il le rend
fi bienfailant , qu'il en fournit à la maſſe
des humeurs toute la quantité qu'il lui
plaît . N'ayant pas à appréhender de falivation
, ni aucune de fes funeftes fuites ,
il fait frotter les malades de deux jours
l'un , & dans les cas preffans , tous les
46 MERCURE DE FRANCE.
jours avec environ une once de la pomade
mercurielle , moitié graiffe , moitié mercure.
Comme il ne craint pas non plus que
des quantités auffi grandes de remédes
caufent le moindre ravage , il ne preſcrit
jamais aucun purgatif pendant le cours
des abondantes frictions qu'il fait faire
aux malades.
M. de Torrés n'admet pour vrai que
ce que les plus verfés dans la cure de ces
fortes de maux affurent , c'eft à - dire qu'il
faut une certaine dofe de mercure pour
déraciner le virus ; ainfi il ne s'attache
qu'à faire paffer à la maffe du fang cette
portion du reméde qu'il eftime néceffaire
pour emporter radicalement les accidens
qui en dépendent ; c'eſt par ce moyen qu'il
opere journellement des cures fur des malades
aufquels on n'avoit pas fçu juſqu'à
nos jours concilier le moindre foulagement
. Je parle d'après mon expérience ;
je dois , comme mille autres , la vie à ce
Médecin ; vous en allez juger , Monfieur ,
par l'expofé que je vais mettre fous vos
yeux .
En l'année 1744 , je fus malheureafement
entraîné dans use de ces parties où
des femmes faciles donnent à la jeuneſſe
de courts plaifirs & de lones regrets : j'y
oubliai toutes ces raifons frappantes qui
f
C
I
DECEMBRE. 1753. 47
font d'ordinaire tant d'impreffion fur ceux
dont la profeffion eft de veiller à la fanté
des autres ; il en réfulta ce que j'aurois
dû prévoir fi j'avois été de lang froid.
Un chancre au côté droit du gland m'en
donna un avis fidele, J'eus fur le champ
recours aux gens les plus habiles , je paſlai
deux mois dans les remédes , & on me
jugea guéri . Des douleurs vagues que je
reffentis au bout de quelque tems , annonçoient
que j'avois été manqué ; j'en
fus convaincu , puifqu'ayant appris à mes
dépens à être circonfpect , il me revint
cependant un autre chancre au côté oppofé
où avoit paru le premier. Obligé à
recourir de nouveau aux maîtres de l'art ,
je fubis vingt-deux frictions , & pris quinze
dofes de panacée mercurielle ; on me
crut guéri , je fçus bientôt qu'on le méprenoir.
Des puftules virulentes couvrirent peu
à peu mon vifage & formerent le chapelet
; je tentai inutilement de les diffiper
par des bols mercuriels les mieux indiqués
, & par des purgations réitérées ; je
me trouvai enfuite hors d'état de lever le
bras droit , & il me furvint une tumeur
confidérable au tefticule gauche avec une
inflammation fi grande que huit faignées
copieufes & l'ufage fuivi des cataplafmes
48 MERCURE DE FRANCE.
& des remédes les plus appropriés adoucirent
à peine mes maux : il n'y eut que
1a pomade mercurielle dont on me fit
très long- tems de petites frictions , & un
nombre infini de purgations que je prenois
pour éviter la falivation , qui firent
difparoître tous les fymptômes enfin je
me crus guéri pour la troifiéme fois ,
mais c'étoit la troifiéme fois que je me
trompois .
Les douleurs vagues revinrent au changement
de tems ; j'en éprouvai l'Eté dernier
de fi violentes à chaque côté & fur
chacun des genoux , qu'on fut obligé
de me faigner quatre fois ; mais l'humeur
fe fixa fi fortement fur le genou gauche ,
qu'il en réfulta une ankilofe , & bientôt
après la fubftance ofleufe elle - même
fut tellement affectée , qu'il fe forma une
tumeur confidérable à la partie inférieure
& intérieure du femur. J'employai plus
de quatre mois à exécuter les ordonnances
de plufieurs maîtres de l'art ; après en
avoir même épuifé toutes les reflources ,
je ne pus me procurer aucun relâche à
mes fouffrances : mes meilleurs amis parmi
mes confreres , m'avouoient en gémiſſant
que je ferois eftropié le refte de mes jours.
Réduit à cette extrémité réduit à la
crainte de perdre ma place de Chirurgien ,
j'appellai
>
DECEMBRE. 1753. 49
j'appellai à mon fecours M. de Torrés ,
plutôt par défefpoir que par confiance.
Auffi -tôt que ce Médecin fe fut mis au
fait de mon mal , il me fit frotter toute la
jambe & la cuifle avec une fi grande quantité
de fa pomade mercurielle , qu'encore
incrédule je m'attendis à la plus violente
falivation ; cependant loin de faliver , je
commençai fix heures après à fuer , & à
fuer fi abondamment , que je changeai fix
fois de chemife. Au milieu de ces fueurs ,
il me fembloit que j'allongeois la jambe .
M. de Torrés me vit le lendemain , me fit
frotter avec pareille dofe d'onguent , &
après m'avoir long-tems examiné , il m'af
fara que je ferois guéri avant la huitiéme
friction , & que pour abréger il m'en feroit
donner tous les jours une auffi forte ,
& prendre en même tems un gros par jour
de fon mercure doux. Avant la fixiéme
friction , & avant que d'avoir pris la cinquiéme
dofe de fa préparation mercurielle
, je marchai librement dans ma chambre
; enfin le douzième jour , je fus entiérement
délivré de tous mes maux ; mais ;
auffi j'ai pris plus de mercure dans ce court
efpace de tems , que je n'en avois employé
dans tout le cours de ma maladie . Je me
porte parfaitement bien , & pénétré de
reconnoiffance pour mon libérateur , je
11. Vol. C
50 MERCURE DE FRANCE.
voudrois figner cette Lettre de mon fang,
Quelque idée avantageufe que vous donne
du reméde du Docteur Torrés la cure
qu'il a opérée fur moi , je veux encore vous
faire part , Monfieur , de trois autres dont
j'ai été témoin , afin que vous jugiez
mieux de la finguliere efficacité du mercure
en queftion . Je les rapporterai d'autant
plus volontiers , que comme il n'y
a que fort peu de tems qu'il les a faites ,
il n'a pas pu les inférer dans le Précis de
celles qu'il vient de faire imprimer.
Mademoiſelle D *** contracta il y a
quelques années une gonorrhée & un pou
lain à l'aîne gauche ; M..... fit difparoî
tre la tumeur par les remédes ordinaires ;
mais elle fut remplacée peu de tems après
par un chancre à la lévre droite , Dès lors la
malade reffentit dans les articulations des
douleurs horribles , & perdit le fommeil
& l'appetit. On la traita deux fois par extinction
; mais il n'y eut que le chancre qui
céda au fpécifique . Les douleurs aagmenterent
, la gonorrhée devint plus abondante
, la malade n'eut plus fes régles ,
fon corps fut parfemé de puftules dont
il fortoit une humeur fort fétide . Combien
de tems n'employeroit- on pas à préparer
une perfonne dont le cas feroit aufli
fâcheux , avant de lui prefcrire le mercure
DECEMBRE .
1753 .
par
les
méthodes
communes ? M. de Torrés
a
fûrement occupé moins de tems à la
guérir
radicalement fous les yeux de M.
Fernandez ,
Chirurgien Major des Hopitaux
de Madrid , &c. Quinze
frictions
données de deux jours l'un , de fix gros
de
pomade
mercurielle
chacune , l'ont parfaitement
rétablie . A la moitié du traitement
les régles
parurent ; & elles n'ont
pas manqué aux mois fuivans .
Voici ,
Monfieur , la feconde obfervation
. Un
Négociant s'adreffa à M. de Torrés
, après avoir été long - tems entre les
mains de MM.... dont tout le monde
connoît l'habileté , fur tout en cette partie.
On voyoit fur le gland un fi grand nombre
de verrues (dont
quelques-unes s'étoient
ouvertes ) que leur
affemblage le
faifoit paroître comme un gros
champignon
; au moindre
mouvement le malade
éprouvoit des douleurs affreufes. Epuifé
d'ailleurs par un
écoulement de la plus
mauvaiſe qualité , il avoit encore un exoftofe
au coude de la groffeur d'un petit
oeuf. M. de Torrés a fait
difparoître tous
les accidens au moyen de dix- huit frictions
de fa pomade
mercurielle , j'ai vû
le malade pendant le cours du traitement
, avec M. de Sayfi , Médecin ordinaire
de S. A. S. Mgr. le Duc d'Orléans ;
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
je vous affure , Monfieur , que je ne com
prends pas comment un reméde fi efficace
fatigue fi peu les malades. Celui en queftion
s'eft trouvé parfaitement guéri en
trente jours , fans s'être prefque aperçu
qu'il étoit dans les remédes .
La cure fuivante ne vous étonnera pas
moins, Monfieur . La femme d'un excellent
Ouvrier, atteinte dans l'espace de 12 ans de
quatre gonorrhées , dont les deux dernieres
furent accompagnées d'un bubon à l'aîne
gauche , avoit falivé abondamment deux
fois qu'elle fut traitée par M.. M. Chirur
gien .Cependant les glandes des aînes reftoient
toujours fort engorgées,la gonorrhée
fubfiftoit. Ces incommodités n'auroient
guere allarmé la malade , fi elle n'eût été forcée
à chercher du reméde à plufieurs chancres
qui furvinrent aux grandes lévres, à une
ulcere qui détruifit en peu de tems une partie
du voile du palais , & aux puſtules
dont fes cuiffes furent parfemées. M. ...
lui donna le mercure par extinction , après
l'avoir bien préparé ; mais la malade fur
manquée complettement , & dès lors n'eut
plus les régles : on tenta une feconde fois
la cure felon la méthode ancienne ; cette
femme faliva beaucoup , perdit entiérement
fes forces , & fes maux augmenterent
au point qu'on croyoit impoffible
DECEMBRE. 1753. 53
de la réchapper ; néanmoins M. de Torrés
voulut bien fe charger de la guérir ,
& avec dix-fept frictions qu'il lui a fair
donner de fa pomade , il l'a parfaitement
rétablie fous les yeux de M. Dieuxaide ,'
Maître en Chirurgie : vous en allez juger,
Monfieur , par ces preuves ; tous les accidens
ont été abfolument effacés , la perfonne
en question ne fent nulle part aucun
mal , fait admirablement toutes fes
fonctions , & a continué d'avoir tous les
mois fes régles qui revinrent pendant le
traitement.
En lifant ceci , ne croyez vous pas ,
Monfieur , être tranfporté dans ce tems
où les Dieux de la Médecine faifoient
éclater en un moment les inépuifables reffources
de l'art de guérir ? Au moins qu'il
mefolt permis d'annoncer aux malades qui
ont eu le malheur d'être manqués par les
méthodes communes , qu'il y a encore un
fpécifique efficace qui déracinera leurs
maux ; j'affure même que les plus incrédules
cefferont de l'être , dès qu'il auront
fuivi le Docteur Torrés dans le traitement
de quelques malades abandonnés , dont il
fe charge avec plaifir. Je ne vous parle
que de ce que j'ai vû moi - même . Deux
zélés
Chirurgiens auffi habiles que pour
le bien public , ne pouvant pas fe per-
C'iij
54 MERCURE DE FRANCE.
fuader la vérité de ce qu'on leur rapporta
fur le mercure en queftion , s'adrefferent
à M. de Torrés pour en obferver par euxmêmes
les effets : celui- ci les pria de l'accompagner
dans la cure de deux perfonnes
manquées plufieurs fois , & regardées
comme incurables , dont il avoit
commencé la veille le traitement , fous
les yeux du célébre M. de Vernage. Les
deux malades ont été parfaitement guéris
en moins de quarante jours , & les incrédules
convaincus de la bonté du ſpéci
fique , en font devenus les apologistes.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Guillemin , Chirurgien de la Compagnie
de M. le Marquis de Gauville
, au Régiment des Gardes
Françoises.
A Paris , ce 18 Novembre 1793 .
D
E
DECEMBRE. 1753. $ 5
AÜDÜQUQUNUNUNUŞAQAUDUDUDUDUDU
VERSA SOPHILETTE.
A
Krêtes , chere Sophilette ;
Daignes te fixer un inftant :
Un feul regard pour un amant ,
Eft- ce une demande indiferette ?
Que vois-je ! fourde à mes accens ,
Tu pourſuis ta courfe legere ;
Hélas ! trop cruelle bergere ,
Aurois-tu trahi nos fermens ?
Dieux quelle affreuſe indifference
De mes foupirs feroit le prix ?
Tu veux éprouver ma conftance
En affectant tout ce mépris.
Oui, le ruiffeau que dès l'aurore
Tu confultes fur tes attraits ,
T'offre un cryſtal moins pur encore
Que ce coeur percé de tes traits .
Ah , quelle douleur me dévore !
Quoi ! tu fuis ; vois couler mes pleurs ,
Elles vont atrofer les fleurs
Que fur tes pas tu fais éclore ....
Quel trouble ! ..& comble de l'horreur!
Jphis paroît fur ce rivage....
Tu reçois fon indigne hommage ;
M'anroit il enlevé ton coeur ?
Je reconnois à ſa houlette
Un ruban noué de ta main :
C iiij
36
MERCURE
DE FRANCE
.
Plonges , cruelle Sophilette ,
Plor ges-moi cè fer dans le fein.
N'attends pas jamais que j'oublie
Et mon amour & ma fureur ;
Avant de nommer ton vainqueur
Tu devois m'arracher la vie.
"J'empoisonnerai tes plafirs ,
Et je verferai dans ton ame
Plus de fiel encor que fa flâme
N'y peut exciter de défirs .
ং ট :
ASSEMBLEE PUBLIQUE
De l'Académie Royale des Sciences ,
tenue le 14 Octobre 1753 .
Onfieur de Fouchy , Secrétaire per
pétuel de l'Académie , ouvrit la
Séance par un bel éloge de M. Sloane , Affocié
Etranger ; en voici l'extrait.
M. Sloane , Chevalier Baronet , Préfident
de la Société Royale de Londres &
du Collège des Médecins de la même Ville
, nâquit à Kilileah en Irlande , de N.
Sloane & de Sara Hicker. Il fut élevé dans
le lieu de fa naiffance , & marqua dès fa
plus tendre jeuneffe une très- forte inclination
pour l'étude de la Phyfique & de
l'Hiftoire naturelle. A l'âge de dix - neuf
ans il paffa à Londres , où il employa fiz
DECEMBRE 1753 .
$7
années à fe perfectionner dans l'Anatomie,
la Chymie , la Botanique & les autres
Sciences qui pouvoient lui être utiles dans
l'exercice de la Médecine à laquelle il
fe deftinoit. Il y fit pendant ce tems là
même connoiffance avec M. Ray & M.
Boyle , avec lesquels il a toujours été extrêmement
lié jufqu'à leur mort . Le même
defir de s'inftruire l'appella en France ; il
fe rendit à Paris & de là à Montpellier ,
où il s'acquit l'eftime & l'amitié de
tout ce qu'il y avoit alors d'illuftre dans
la Phyfique , & ce ne fut qu'après avoir
épuisé en quelque forte toutes les connoiffances
que ce Royaume lui pût fournir,
qu'il retourna à Londres , & commença
à y pratiquer la Médecine . Il fut éla
en 1685 Membre de la Société Royale de
Londres , & en 1687 Membre du Collége
des Médecins de la même Ville . La même
année il s'embarqua avec le Duc d'Albermarle
pour la Jamaïque , dont ce Seigneur
venoit d'être nommé Viceroi , dans la vûe
d'étudier l'Hiftoire naturelle dans cette
partie du nouveau monde. Mais le nouveau
Viceroi mourut prefqu'en arrivant , & M.
Sloane qui ne voulut pas quitter la Ducheffe
fon épouse , fit à peine un féjour de
quinze mois dans cette lfle , où il raffembla
cependant un grand nombre de plan-
Cy
$ 8 MERCURE DE FRANCE ,
tes & de piéces curieufes , dont il publia
à fon retour la defcription en deux volu
mes in folio.
Médecin de l'Hô- Il fut nommé en
pital de Chrift , & exerça cette place julqu'en
1730 , avec un fi grand défintéreffement
qu'après avoir reçu les appointe
mens , il les rendoit quelques fois au
Tréforier pour être employés aux befoins
des pauvres. Il étoit dès lors Secrétaire de
la Société Royale , & ce fut lui qui entreprit
en cette qualité , de rétablir la publication
des Tranfactions philofophiques qui
avoit été interrompue.
Son humanité & fon zéle l'engagerent
à travailler puiffamment à l'inftitution du
Difpenfaire , établiffement destiné à fournir
aux pauvres de Londres , de Weftminfter
& des environs , les remédes dont ils
peuvent avoir befoin , fans payer autre
chofe que la valeur intrinféque des drogues
qui y entrent.
L'inclination de M. Sloane pour la
Phyfique & l'Hiftoire naturelle , lui avoit
fait commencer dès la jeuneffe un recueil
très-curieux des raretés de la nature & de
l'art. Un de fes amis , que le même goût
avoit aufli porté à lamême chofe , mourut,
& mourut affez endetté : il legua fon Ca
binet à M. Sloane , à condition d'acquitDECEMBRE
. 1753. 59
ter fes dettes , & beaucoup de legs. M.
Sloane accepta généreufement la condition
, & acquitta toutes les charges du tef
tament.
En 1709 M. Sloane fut nommé à la
place d'Affocié Etranger , vacante à l'Académie
par la mort de M. de Tgchirahans,
& fur préféré à des rivaux illuftres , malgré
la guerre qui étoit alors allumée entre
la France & l'Angleterre Il étoit alors
Vice- Président de la Société Royale , &
non content d'y remplir les devoirs de cerre
place , de celle de Secrétaire & d'excellent
Académicien , il marqua fon attachement
à la Société par les préfens qu'il lui
fit de 100 liv. ft. du bufte de Charles II.
fon Fondateur , & en engageant un de fes
amis à fonder une médaille de la valeur
d'environ 100 liv. de notre monnoye ,
pour être annuellement diftribuée à celui
qur préfenteroit à la Société les meilleures
expériences. Il remit en 1713 fa place de
Secrétaire , que fa grande pratique en Médecine
ne lui permettoit plus de remplir.
Le Roi Georges 1. le fit en 1716 Chevalier
Baronet , titre héréditaire , & que
l'Angleterre n'avoit encore vû conférer
à aucun Médecin ; ce même Prince le fit
Médecin de fes armées , & enfin fon Médecin
en 1727. Il étoit alors depuis plu-
C vj
б6о0 MERCURE DE FRANCE.
fieurs années , Président du Collège des
Médecins de Londres , & il donna à ce
Corps des marques de fon attachement ,
tant par l'exactitude avec laquelle il remplit
cette place , que par plufieurs dons
confidérables qu'il lui fit.
Il avoit acquis la Terre de Chelfen ,
Hans laquelle étoit le fameux jardin des
lantes de la Compagnie des Apoticaires
e Londres , où lui - même étant jeune avoit
arborifé , mais le terrein ne leur en appartenoit
pas ; M. Sloane le leur donna
libéralement , ne fe refervant d'autres redevances
que cinquante plantes qui doivent
être annuellement préfentées à la Société
Royale .
Il fut en 1727 nommé à la place de
Président de la Société Royale de Londres
, vacante par la mort de M. Newton,
& il l'exerça avec la plus conftante affiduité
jufqu'en 1740. Agé alors de quatre- vingt
ans , il crut devoir fe retirer à ſa Terre ;
& après avoir reçu en pleine Séance les
remercimens de la Société Royale , & en
avoir pris congé , il fit tranfporter à Chelfen
fon Cabinet & fa Bibliothéque , & s'y
retira lui-même. Là débarraffé d'affaires ,
il ne s'occupa plus qu'à recevoir les vifites
des gens de diftinction & des Sçavans qui
venoient le voir , à publier des remédes
DECEMBRE . 1753. 61
qu'il croyoit utiles , & à donner les avis à
ceux qui venoient le confulter .
M. Sloane étoit depuis la jeuneffe fujet
à de fréquentes attaques de crachement
de fang ; fa fageffe , fon fçavoir & la lobriété
lui avoient fait éviter les fuites de
cette fâcheufe maladie , & l'avoient conduit
prefque fans aucune infirmité à plus
de quatre-vingt dix ans . Il s'étonnoit luimême
d'être encore vivant , difant qu'il y
avoit long- tems qu'il s'étoit préparé à la
mort , & qu'il avoit fait à la volonté de
Dieu le facrifice de fa vie. Il mourut le 11
Janvier 1753 , après une maladie peu
douloureufe d'environ trois jours , & il
fut inhumé à Chelfen , après avoir defendu
en mourant qu'on fit aucune mention de
lui dans le difcours funébre qui feroit
prononcé.
M. Sloane étoit grand & bienfait de fa
perfonne , il avoit les manieres aifées , la
converfation gaye , & l'abord le plus agréable
& le plus facile. Il avoit de fon vivant
diftribué des fommes confidérables à prefque
tous les Hôpitaux de Londres , il
avoit même beaucoup contribué à l'établif
fement de celui des Enfans trouvés ; il
voyoit les pauvres avec la même attention
que les riches , & il lui fuffifoit qu'un de
fes malades fût peu opulent pour refufer
tout honoraire.
62 MERCURE DE FRANCE.
On lui doit en Médecine d'avoir étendu
l'ufage du quinquina à plufieurs mala
dies , & fur tout aux douleurs de nerfs
aux gangrénes qui procédent de caufe interne
& aux hémorragies.
Il n'avoit rien plus à coeur que de s'affurer
que le Cabinet qu'il s'étoit formé ,
& la Biblothéque qu'il y avoit jointe ne
feroient pas diffipés à la mort ; pour cela il
les a legués à la Société Royale ; à fon refus
, à l'Académie des Sciences de Paris ,
& au refus de ces deux Académies , à celle
de Berlin , à condition qu'on payeroit à fa
famille une fomme de zoooo liv. ft . ou
de 450000 l . de notre monnoye , ſomme
qui , quelque grande qu'elle foit , monte
à peine à la valeur intrinféque des médailles
d'or & d'argent , des morceaux de mines
& des pierreries qui s'y rencontrent.
La Bibliothéque eft de plus de cinquante
mille volumes , parmi lesquels on en compte
trois cens quarante -fept d'eftampes colorées
, & trois mille cinq cens feize manufcrits.
Le Parlement d'Angleterre a accepté
le legs & acquitté la condition .
M. Sloane étoit de prefque toutes les
Académies de l'Europe ; il étoit en commerce
avec tout ce qu'il y avoit de diſtingué
par la naiffance ou le fçavoir.Feu M. le
Duc de Boubon étoit de ce nombre , & ce
DECEMBRE . 1753 . 63
Prince lui fit préfent de fon portrait dans
une boîte d'or , & d'une médaille où Son
Alteffe étoit repréfentée. Le Roi même a
daigné lui envoyer les gravures de fon Cabinet
, préfent qui ne fe fait qu'aux perfonnes
de la premiere diftinétion .
Il avoit épousé en 1695 Eliſabeth Lan- ,
gley,fille deJeanLangley,l'un des Officiers
Municipaux de la Ville de Londres , morte
en 1724 ; il en a eu un fils & une fille qui
moururent en bas âge , & deux autres fil
les qui ont vêcu. Sara l'aînée , à laquelle
les Aftronomes doivent la peinture des
éclairs vûs dans la Lune par M. le Che
valier de Louville , pendant l'éclipfe totale
de Soleil qu'il obferva à Londres en
#715 , a été mariée à M. Stanley de Paultous
, Gentilhomme du Comté d'Hamp
& Elifabeth la feconde , a époufé le Lord
Baron de Codogan , Colonel de la feconde
Compagnie des Gardes du Corps de Sa
Majefté Britannique , & Gouverneur du
Fort de Tilleroy & de la Ville de Gravefene.
La place d'Affocié Etranger de M. Sloane
a été remplie par M. Hales , Secrétaire du
Cabinet de Son Altefle Royale Madame la
Princelle de Galles , & Membre de la Société
Royale de Londres.
Après que M. de Fouchy eut fini de lite
64 MERCURE DE FRANCE :
l'éloge très- intéreffant de M. Sloane , Meffieurs
Gentil de la Galaiziere & M. le
Roy lurent , le premier , un Mémoire fur la
diminution du diamétre apparent des corps
opaques fur un fond lumineux ; & le fe
cond , des recherches & expériences fur
quelques- uns des principaux phenoménes
de l'électricité. Comme ces deux ouvrages
vont être imprimés , nous nous difpenferons
d'en parler.
M. de la Sonne termina la Séannce par
la lecture de quelques articles très curieux
d'un Mémoire fort étendu fur l'Hiftoire
anatomique de la rate.
le
Il n'y a peut-être point de vifcere dans
corps hunain fur lequel les Anatomiftes
foient moins d'accord que fur celui- ci,
foit en décrivant les parties organiques ,
foit en recherchant fes fonctions dans l'économie
animale ; il n'en eft point qui
four à tour ait été plus dégradé & plus
exalté aucun ne paroît offrir plus de fingularités
, la matiere n'en eft que plus intéreffante
& plus capable de piquer la coriofité
d'un Phyficien ; mais en même tems
elle paroît plus remplie de difficultés .
L'Auteur pour aller pas à pas & plus
furement dans cette efpéce de labyrinthe ,
examine d'abord les moyens de faire des
recherches moins infructueufes , & de dé.
DECEMBRE. 1753. 65
terminer plus pofitivement l'organifation
de la rate. Dans ces vûes il remonte par
un court détail hiftorique , jufqu'à la fource
des opinions qui font varier encore aujourd'hui
les Anatomiftes , & qui maintiennent
dans l'indécifion.
Il analyfe , il compare les méthodes ou
les adminiftrations anatomiques qui donnent
des résultats differens ou oppofés , &
qui par conféquent font bien capables d'induite
en quelque erreur.
Malphighi & Ruyſch , ces deux célébres
Anatomiftes que leurs travaux immortels
ont rendu chefs d'opinions , fe
font fait alternativement des éléves ou des
profélites , qui peut-être trop prévenus ou
féduits , femblent avoir trop négligé de
s'éclaircir réciproquement & de fe rectifier
, ou plutôt de fe perfectionner les uns
par les autres.
De là vient que quand on a lû & comparé
ce qui a été écrit fur la rate depuis
que l'Anatomie a fait le plus de progrès ,
on refte dans une incertitude d'autant plus
grande , que les autorités de part & d'autre
ont beaucoup de poids.
On eft donc réduit , fi l'on veut prendre
un parti , à examiner foi- même les faits
avec une nouvelle attention , à rechercher
les vraies caufes qui dans les diverfes ad66
MERCURE DE FRANCE.
miniftrations anatomiques font paroître le
tiffu de la rate fous des efpéces fi differentes
, & à démêler parmi ces formes differentes
, celle qui appartient uniquement à l'organisation
établie par la nature , ou qui
concourt à la dévoiler.
Après ces obfervations préliminaires ,
que l'Auteur a foin de développer , qui
juftifient le plan du Mémoire , & qui doivent
fervir de guide , il fe borne à choifir
un feul article de ce Mémoire , pour
faire voir l'effai de fa Méthode. Il y eft
queftion de la fubftance pulpeufe de la
fate , fubitance au moins aufli délicate
que celle du cerveau , & dont la- ftructure
eft fort conteftée. Mais comme la lecture
entiere de cet article difcuté par les faits
& par les obfervations , n'a pu être ache
vée , nous ne sçaurions en donner l'extrait,
DECEMBRE . 1753 . 67
***************
ODE
EN STROPHES LIBRES ,
Faite par défi dans un après- ſoupé.
A M. Meynot , de Libourne près Bordeaux ,
fur fon excellent vin de S. Emilion , par
M. des Forges- Maillard.
Quelle prompte vapeur vient agiter mes fens ?
Je traverfe les airs fur une aŝle divine ;
Je te connois , Bacchus , à ces charmes puiffans
Ta voix au pied d'une colline
Raffemble à mes regards les Sylvains bondiflans ;
Dont la troupe vive & mutine
Se joue , en retenant dans des chaînes d'ozier ,
Que le jonc flexible entrelaffe ,
L'Amour qui leur demande grace ,
Et veut én vain ſe délier.
Ton feu m'a pénétré : ta ceins mon front de
rofes ,
Les unes en boutons , les autres prefque éclofes;
Les Ménades d'un pas joyeux ,
Branlant chacune un fceptre , où ferpente le lierre ,
Danfent autour de moi , me verfent à plein verre
68 MERCURE DEFRANCE:
D'an nectar fi piquant , fr doux , fi gracieux,
Qu'après que fa liqueur fubtile ,
Parfumant l'odorat , a réjoui les yeux ,
Le palais le plus difficile
Se plaît à favourer fon goût délicieux.
Que vois je ! du Mogol on vient m'offrir l'Empire
Fayez loin de ces bords , députés féducteurs ;
Portez en d'autres lieux vos préfens impofteurs ,
Mon coeur jouit de tout , ayant ce qu'il défire .
Ehl que m'importe d'être Roi ,
Si je fuis heureux fans couronne ?
Les foucis inquiets volent autour du thrône ,
Je dors quand je fuis las , lorſque j'ai ſoif je bois
Que j'eftime le fort du ſage ,
Qui du fafte & du rang dédaigne l'eſclavage ,
Et qui fans commander , ne dépend que de foil
Des bords de la Garonne , ô toi , l'honneur infigne
!
Meynot , qui fur les mers fait paffer juſqu'à nous
Le bauine fouverain , ce jus vermeil & doux ,
Tréfor dont t'enrichit ta vigne ;
Admire les effets qu'en mon coeur tranſporté
Ton Saint- Emilion enfante ,
Quand les flots pétillans bercent la volupté
Dans la fougere tranſparente
DECEMBRE . 1753 .
69
Qu'environnent les ris , les jeux & la fanté..
Le vin qu'au rivage du Rhône
L'oeil du jour careffe & rôtit ,
Sous une écorce qui bouillonne ,
Et dont l'aspect riant chatouille l'appétit ;
Le Champagne fumeux , le Bourgogne amiable;
Ces vins que l'on fert à la table
Des enfans de la terre & des Seigneurs pompeux į
Le Falerne vanté , le précieux Tokaye ,
Ne valent pas ton vin fameux
Dont la louange noble & vraye
Paflera dans mes vers à nos derniers neveux,
炒菜
Il produit les tranfports dont la lyre héroïque
Enflammoit par fes tons le Vainqueur du Gra
nique.
*
Les Albains généreux , nos fuberbes voifins ,
Dans l'ombre de la nuit , excités par tes charmes ,
Quitterent leurs maiſons & coururent aux armes ,
Comme fi l'ennemi ravageoit leurs confins.
+x30x4
De ces nouveaux Ajax la cohorte guerriere
Marchant fous l'étendart du plus hardi courroux
Et de fes baftions franchiffant la barriere ,
S'écria mille fois , Jupiter , Dieu jaloux !
Commande au Dieu du jour d'apporter la lumiere ,
* Avanture arrivée pendant la derniere guerre,
70 MERCURE DE FRANCE .
Digo
Et fi tu veux, combas toi - même contre nous.
La fille , l'époufe , l'amante ,
Se jettent en pleurant au devant de leurs pas :
Ici le jeune Hymen déployant fes appas ,
D'une démarche trifte & d'une main tremblante ,
Releve du berceau , remet entre leurs bras
Ses fruits, fes tendres fruits , que faifit d'épouvante
Des calques cizelés Pacier étincelant.
Mars dans toute leur ame allume un feu brûlant:
Ah ! ceffez , difent-ils , ſexe foible & timide ,
Laiffez - nous obéir au tranſport qui nous guide ,
Avant que le foleil brille ſur l'horiſon ,
Vous nous verrez couverts de gloire ,
Ou nous irons dans l'ombre noire
Achever cette nuit chez l'horrible Pluton.
+3x+
Dans un fragile efquif, fans frayeur de l'orage ,
Des pêcheurs qui tâchoient , à la lueur du feu,
D'attirer le poiffon volage ,
Les avoient trompés par le jeu
De cette éblouiflante image.
Mais leur impatiente ardeur
A chercher l'ennemi fur la fimple
apparence ,
Prouve
éternellement que fa fiere préfence
N'eut fait que redoubler leur louable fureur.
La
Und
Les
TA
L'
D
Q
L
T
DECEMBRE. 1753 .
75
Digne d'être chanté par Virgile ou Voltaire ,
Meynot , que j'eſtime & révere ,
Prends part à des exploits f&i beaux.
Quoique toujours conftante & ferme ,
La vaillance ait d'abord fon principe & fon germe
Dans le coeur des parfaits Héros
Une pointe de vin fait reverdir encore
Les lauriers qu'Apollon & Bellonne ont plantés ;
Témoin ce qu'en a dit dans ces vers respectés
L'Aveugle lumineux dont le Pinde s'honore ,
Et que cinq fuperbes Cités
Prétendent avoir fait éclore.
*XX*
Il dit dans fes grands airs , ce cygne Ionica
Dont Bacchus réchaufa la Mufe infortunée ,
Que de tout combatant , fût-il Grec ou Troyen ,
La brillante valeur de pampre couronnée ,
Se vit fouvent enluminée
D'un doux nectar pareil au tien,
炒肉
Oui, fans être offufqué par de trompeurs preftiges,
J'ai vû , Meynot , j'ai vû fur ces bords glorieux
Ta liqueur opérer d'incroyables prodiges ;
J'ai vu nos citoyens le plaifir dans les yeux ,
Livrés à leurs effors fuprêmes ,
Surpris de leurs talens eux - mêmes ,
A table , fans effort , fans étude , fans art ,
Sur le coude appuyés , parler diverfes langues ;
72 MERCURE DE FRANCE.
Et par l'enthouſiaſme emportés au hazard ;
Enfin je les ai vû prononcer des harangues
Dignes de faire envie au fçavant Tullius ,
Et déclamer des vers avec la force active ,
Ce gefte ailé, brillant , cette voix fouple & vive ,
Qu'on admira dans Rofcius.
***
Et moi , qui chériſſant une illuftre manie ,
Eprouve d'Apollon l'aimable tyrannie ,
Pouvois je du fouper au tems d'entrer au lit ,
Des ftrophes franchiffant la meſure incommode ,
Concevoir , enfanter cette Ode ,
Si ton vin généreux n'eût aidé mon eſprit ?
DISSERTATION HISTORIQUE
Sur les conquêtes du Peuple, Romain ; lûe à
la Société Littéraire de Dijon , par M.
Efpiard de la Cour , Confeiller au Parle
ment , un des membres de la Société.
R
Ien n'est plus digne de remarque ,
que les accroiffemens infenfibles d'une
Ville , qui dans fon origine repaire
d'une troupe de pâtres & de bandits , devint
la Capitale & la Maîtreffe de l'Univers.
C'eſt le tableau que Rome nous préfente
; fes premiers citoyens combattoient
pour des gerbes de bled & des bottes de
DECEMBRE. 1753 .
78
foin ; les richefes du monde ne remplif
foient pas l'avidité & l'ambition de fes
derniers Généraux.
Entourés de peuples qui avoient la même
origine , qui reconnoiffoient les mêmes
Dieux , qui ignoroient également
les Arts , qui fe fervoient des mêmes armes
, qui avoient le même défir de combattre
, les Romains fubjuguerent fucceflivement
ces différens peuples, n'ayant d'autre
avantage fur eux que leur courage & leur
fermeté à ne ſe jamais écarter de leur premier
projet. Ils afpirerent enfuite & parvinrent
à la conquête du monde connu ,
& tel étoit , dit un célébre Auteur moderne
, la conftitution du Gouvernement de
la République , qu'il falloit néceffairement
qu'elle envahît les autres Etats .
Une belle carriere à remplir , feroit de
développer par quelles voyes , ou glorieufes
ou illégitimes , Rome parvint à
commander à tous les peuples , après avoir
renversé tous les thrônes . M. M. de Montefquieu
& de Mabli l'ont tenté avec
fuccès ; je me contenterai de marquer ici
en quelle année chaque peuple , chaque
Province reconnut la domination Romaine
; le nom des Généraux qui étendirent
les limites de l'Etat , & fi j'y joins
quelques réflexions, elles feront tirées des
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE
événemens mêmes & du fond du fujet.
On peut divifer les conquêtes du peuple
Romain en trois âges ; le premier nous
préfente les guerres que les Romains entreprirent
contre les différens peuples de
l'Italie qui les avoifinoient ,
tels que les
Veïens , les Volfques , les Latins , les Samnites.
Dans ce premier âge les Romains ne
fçavoient que combattre & vaincre , & ea
même tems qu'ils étonnoient leurs ennemis
par la grandeur de leur courage, ils faifoient
honneur à l'humanité par la douceur de
leurs moeurs & la pratique des plus éclatantes
vertus. Dans le fecond âge nous
trouvons les premieres guerres contre Carthage
, celles de Macédoine & de Sirie, &
plufieurs victoires remportées par les Ro
mains en Espagne , dans l'Illirie , dans les
Gaules. Le tableau change , & nous offre
d'autres vertus à admirer ; c'est un nouveau
peuple qui paroît fur la fcene , qui
fçait joindre la politique à l'art militaire ,
divifer les peuples avant de les combattre
, détruire l'un par l'autre , faire des
traités & recommencer la guerre,felon que
Les intérêts l'exigent & lui en preſcrivent
la loi. Le goût des arts parvient à Rome,
les chef- d'oeuvres de la Gréce portés & expofés
dans les temples , font naître dans
les coeurs de quelques particuliers deve
DECEMBRE. 1753 75
7
us riches & puiffans , le défir d'en pofféder
eux mêmes ; les Romains font encore
vertueux , mais il font à la veille de ne
plus l'être.
Le troifiéme âge qui commence à la
derniere
guerre Punique , à la ruine de
Carthage & de Corinthe , ne nous offre
plus que des guerres injuftes, que des Rois
détrônés fans fujet , fouvent même fans
prétexte. La face de la terre change pour
ainfi dire. Un citoyen Romain est tout,
& tout ce qui n'eft pas citoyen Romain
eft esclave ; ce peuple vainqueur de l'U
nivers eft à fon tour vaincu par le luxe &
par l'ambition ; il tourne contre lui mê.
mes fes armes qui l'ont rendu le maître
de la terre , les guerres civiles préparent
la domination d'un feul ; domination
arbitraire , ufurpée par les armes
& contre les loix , domination qui par
conféquent ne pouvoit fe foutenir , & fut
bientôt renversée par un déluge de Barbares
inconnus dans les tems de la Répu
blique , qui fortis du Nord , fe répandirent
comme des torrens dans l'Empire ,
& envahirent toutes les Provinces. Je vais
parcourir ces différens progrès , & détailler
hiftoriquement les conquêtes du peuple
Romain , le tems auquel elles ont été
faites , & les Généraux qui en ont eu la
gloire. Dij
76 MERCURE DE FRANCE;
PREMIER AGE.
, Romulus , Fondateur de Rome eut
pour appanage de fon ayeul Numitor ,
quelques terres au-delà du Tibre par rapport
à nous , & en deça par rapport aux
Latins.Ces terres pouvoient avoir environ
fix mille pas d'étendue , ce qui fait deux
lieues communes de France . Pendant trente-
fept ans qu'il régna en guerre continuelle
avec les Sabins , les Céniniens , les
Antemnates & les Veïens , & par le traité
qu'il fit avec Tatius , il augmenta ce petit
patrimoine de quelques terres qu'il enleva
à ces peuples , de l'étendue de fix autres
mille pas , & il envoya des Colonies à Cameries
& à Fidenes. Numa Pompilius occupé
des loix & de la Religion , ne fit point
la guerre & n'augmenta point fon état.Tullius
Hoftilius y ajouta la Ville & le territoire
d'Albe , dont il transfera à Rome les
habitans. Ancus Martius prit quelques
Villes fur les Latins , dont il transfera pareillement
les citoyens ; il prit auffi quelques
terres en Tofcane aux Veïens &` aux
Sabins,& fonda la Ville d'Oftie à l'embou
chure du Tibre. Tarquin l'ancien enleva
auffi quelques héritages aux Etrufques , &
prit aux Sabins la Ville de Collatie. Servius
Tullius enleva auffi quelques terres aux
DECEMBRE. 1753. 77
Veïens , aux Tarquiniens & aux Céretains
; & enfin Tarquin le Superbe pric
la Ville & le territoire de Gabie , &
fonda deux Colonies chez les Volfques ,
Signie & Cerée. L'Empire de Rome , lors
de l'expulfion des Rois & de l'établiffement
de la République, étoit donc borné à
l'Orient par les territoires de Tibur & de
Prenefte ; au midi par la mer & la Ville
d'Oftie qui appartenoit aux Romains ; au
Couchant par le territoire du Vatican ,
nommé Septem-Pagi , qui appartenoit aux
Veiens , & au Nord par le territoire do
Fidenes & la riviére du Teveron . Ainfi les
conquêtes de ces fept Rois durant l'efpace
de deux cens quarante - quatre ans , ne
s'étendoient qu'à dix-huit mille pas loin
de Rome , c'est - à - dire fix lieuës Françoi
fes. Il paroît néanmoins que dès le tems de
Servius , dans le premier cens ou dénombrement
que fit ce Prince, il fe trouva cent
mille citoyens , tant les hommes , ditTite Live
, fe contentoient alors de peu de biens .
Les Rois ayant été chaffés , & Rome
fauvée des armes de Tarquin & de Porfenna
par les premiers Confuls , ce peuple
guerrier reprit l'idée des conquêtes ; mais
les divifions inteftines qui régnoient dans
la Ville entre les deux Ordres des Patriciens
& des Plébeïens , furent long- tems
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
un obftacle à la réuffite de fes vaftes pro
jets . Malheureux dans le fein de leur patrie
, pauvres , & ne connoiffant de reffource
dans leur mifere que le pillage des
terres de leurs voisins , les premiers Romains
fe mettoient en campagne , alloient
droit à l'ennemi qu'ils avoient projetté de
combattre , le vainquoient fans peine ,
ravageoient fon territoire , & revenoient
à Rome murmurer dans la place publique
en faveur du Sénat & des Tribuns.
Malgré cette plaie intérieure de la République
, la destinée qui appelloit les Romains
à la conquête de l'Univers , leur fic
fubjuguer dans des momens de tranquillité
les peuples dont le territoire étoit le
plus voifin de leur Etat . Les Aurunciens ,
peuples de la Campanie, furent les premiers
foumis, l'an de Rome 251 , par les Confuls
Op . Virginius & Sp . Caffius . Les Fidenates
de Colonie devenus ennemis des Romains,
eurent le même fort l'an 327 , fous le Dictateur
Mam . Emilius. Veïes après avoir fou
tenu le premier fiége entrepris par les Romains
, fiége dont la durée qui fut de dix
années , nous prouve leur ignorance dans
l'attaque des Villes , tomba fous leur
puiffance l'an 357 ; fon vainqueur fut
le fameux Camille , alors Dictateur . La
priſe de cette Ville , fiére émule de Rome ,
DECEMBRE. 1753. 79
fut pour les Romains une espece de révo
lution , les richelles qu'ils y trouverent
& qui furent portées dans le Trefor public,
donna le moyen au Sénat de donner une
paye aux foldats , qui jufqu'alors fe nourrifoient
eux- mêmes , & ne recevoient
rien de la République. On vit bientôt un
nouvel art & une nouvelle maniere de
faire la guerre ; les fuccès furent plus
éclarans , on profita mieux des victoires ,
on fit de plus grandes conquêtes , & on
envoya plus de Colonies. Quintius Cincin
natus s'empara l'an 373 de la Ville de Prénefte
, qui peu de tems après fut rétablie
dans fes droits & honorée du titre d'Alliée.
Les Tiburtins & la Ville de Salaffe fubirent
ce même joug fous ce même Quintius
en 397. En 408 , Valerius Dorvinus
& Cornelius Coffus étant Confuls la
Ville de Capouë ne pouvant réſiſter aux
Samnites , fe donna aux Romains ; les
ayant enfuite abandonnés dans le tems
d'Annibal , elle fut entiérement fubjuguée
en 542 par le Proconful Q. Fulvius . Les
peuples du Latium après une guerre opiniâtre
de plus de 40 ans , après avoir été différentes
fois vaincus par les Confuls Pofthumius
, Papirius , Manlius & Décius , furent
enfin domptés l'an 413 par le Conful
Camillus , & reçus au nombre des Alliés
D iiij
So MERCURE DE FRANCE.
des Romains , avec des prérogatives qu'il
eft néceffaire de faire connoître . Le Latium
comprenoit quatre peuples ; les Latins
, les Volfques , les Herniques & les
Eques , qui étoient fubdivifés en plufieurs
Villes & Cités ; ils occupoient le territoire
nommé aujourd'hui Campanie & Terre
de labour. Le droit du Latium qu'on accor
da à fes peuples , quoique très honorable,
étoit fort inférieur à celui de Bourgeoisie ,
il leur donnoit le droit de fuffrage aux Comices
lorfqu'ils étoient appellés par le
Magiftrat qui y préfidoit , & qu'aucun
Tribun n'y formoit oppofition ; & comme
ils n'étoient compris dans aucune des
trente- cinq Tribus , on les ballotoit au
fort , pour fçavoir dans quelle Tribu ils
donneroient leurs voix ; mais aucun d'eux
ne pouvoit parvenir aux Charges & aux
dignités , qu'il n'eût été préalablement reçu
au nombre des Citoyens Romains , ce
que l'habitant du Latium pouvoit obtenir
de trois manieres . 1 °. En laiffant un de
fes fils dans le lieu de fa naiſſance ,
pour le remplacer , & venant réfider à Rome.
2. En fe portant accufateur de quelque
Citoyen qui eût prévariqué dans fa
Charge ; fi l'habitant du Latium le faifoit
condamner , il prenoit fa place. 3º . En
parvenant aux Charges municipales dans
DECEMBRE . 1753 . 81
le lieu de fa naiffance ; celui qui obrenoit
cet honneur , étoit de droit Citoyen
Romain . Ces avantages n'étoient pas comparables
à ceux que donnoit le droit de
Bourgeoifie dont je parlerai dans un inftant
; auffi pour l'obtenir , les peuples de
I'Italie entreprirent dutems de Marius & de
Silla la guerre la plus cruelle qu'ayent effuyé
les Romains , nommée par les Auteurs Bellum
Sociale. Rome fe laiffa enfin fléchir , &
l'an 663 , L. Julius Céfar étant Conful ,
porta une loi par laquelle le droit de Bourgeoifie
fut accordé à tous ces peuples .
fe
L'an 416 , les Aufoniens & les Sidicins
furent fubjugués par le Conful Valerius
Corvinus ; la Ville de Cales fut pripar
ce même Conful , & une Colonie de
Citoyens Romains y fut conduite . C'étoit
un des principaux moyens employés
par les Romains pour accroître leur Empire
. Quand ils avoient vaincu un peuple ,
& qu'ils l'avoient forcé de demander la
paix , par les conditions qu'ils lui impofoient
, ils enlevoient une partie de fon
territoire qu'ils incorporoient au Domaine
de la République s'il étoit près de
de Rome , & s'il étoit éloigné , ils envoyoient
de pauvres Citoyens pour le culti
ver & y faire leur demeure , & ils tranfferoient
une partie des vaincus à Rome
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
pour remplacer la Colonie . Par cet ufage
ils ôtoient à ce peuple le pouvoir de fe
révolter , & fe donnoient une frontiere
contre de nouveaux ennemis . Trois Commiffaires
étoient chargés d'établir la nouvelle
Colonie ; leurs fonctions étoient de
départir les terres aux nouveaux habitans ,
de leur affigner les maifons quils devoient
occuper , de féparer la Ville par quartiers ,
d'y nommer les Magiftrats pour rendre
la juftice & veiller à la police , de former
enfin la Colonic fur le modéle de Rome
dont ils étoient toujours réputés Citoyens,
en y diftinguant les deux Ordres du Sénat
& du Peuple.
L'an 424 , Palapolis , aujourd'hui Naples
, Cumes, Baye & Pouzzol, furent ſubjugués
par le Proconful Publius Philo . En
441 , Marcius étant Conful , les Privernates
reconnurent Rome pour leur Sou
veraine ; & l'an 445 , les Eques furent
foumis & prefque détruits par le Dictateur
Junius Bubulcus .
L'an 463 , le Conful M. Curius Dentatus
fubjugua les Sabins fouvent vaincus ,
mais jufqu'alors indomptés . L'an 470 , P.
Cornelius Dolabella vainquit les Gaulois
Sénonois établis en Italie , & prit fur ces
peuples le territoire nommé par les Ro
mains le Picænum , & aujourd'hui la MarDECEMBRE.
1753 . 83
che d'Ancone. L'an 473 , les Volfiniens ,
un des plus puiffans peuples de la Tofcane ,
furent fubjugués par le Conful Ti . Coruncanus
, & l'Empire de Rome fut étendu
jufqu'à la riviére d'Arne.
La guerre des Samnites , dont la premiere
caufe fut le fecours donné à la Ville
de Capoue , après avoir duré 70 ans ,
durant laquelle les Romains quelquefois
vaincus & plus fouvent vainqueurs , don
nerent des exemples éclatans de toutes les
vertus , & apprirent par leur défaite l'are
de la guerre , de Pyrrhus Roi d'Epire , qu'ils
vainquirent à leur tour ; la guerre des
Samnites fut enfin terminée l'an 48 ide Rome,
par les Confuls PapiriusCurfor & Carvilius
Maximus ces peuples féroces furent
dans de fanglantes batailles prefqu'exterminés
& détruits , ainfi que les Brutiens
& les Lucaniens leurs Alliés. L'an 485 ,
P. Sempronius & Ap. Claudius fubjuguerent
les Pifentins , aujourd'ui Salerne ;
les Salentins, Otrante , & la Ville de Brundufium
, Brindes ; & l'an 487 , D. Junius
& M. Fabius eurent les mêmes fuccès contre
les Umbriens , peuple qui occupoit le
pays nommé aujourd'hui le Duché de
Spolette. Par ces victoires continuelles ,
l'Empire du peuple Romain s'étendit depuis
le phare de Meffine jufqu'au Rubi-
D vj
84 MERCURE DEFRANCE.
con , à la riviére d'Arne , & aux Ligu
riens , dernier peuple de la Toftane . Rome
auffi généreufe que puiffante , accorda
l'année fuivante 488 aux peuples qu'elle
avoit jufqu'alors vaincus & domptés , le
titre d'Alliés & de Confédérés .
C'eft où je fixe la fin du premier âge
des conquêtes de Rome. Avant d'entrer
dans le fecond âge je dois expliquer en
peu de mots ce qu'étoit le droit de Bourgeoise
dont j'ai parlé il y a quelques inftans
, qui fut accordé aux Sabins , aux Albains
, aux Tofcans & à quelques particuliers
, & dire en même tems quelles
étoient les prérogatives & les Charges des
autres Alliés de la République.
Celui qui étoit honoré du droit de
bourgeoisie ne pouvoit être battu de verges
, conftitué prifonnier , appliqué à la
torture , ni exécuté à mort fans un jugement
du peuple. Il pouvoit être enrôlé
dans les légions Romaines , & avoit droit
de vie & de mort fur fes enfans . Il lui étoit
permis de porter la toge , de tefter ſelon
le Droit Romain, d'être adopté , & de paf
fer dans une autre famille par le teftament
d'un Citoyen , nul étranger n'ayant cette
prérogative. I époufoit une Remaine
& s'il contractoit mariage avec une étran
gere , ce mariage étoit déclaré nal , & les
DECEMBRE. 1753. •
85
enfans illégitimes. Il avoit voix & fuffrage
dans les affemblées publiques , dans
l'une des trente cinq Tribus dans laquelle
il fe faifoit immatriculer, & dès lors il pou
voit parvenir à toutes les charges de la République.
Les villes d'Italie alliées ou confédérées
étoient divifées en Municipales & Préfectures
; Municipia & Prafeitura . Les Municipales
vivoient felon leurs loix & leurs
ftatuts particuliers , & élifoient elles- mêmes
des Magiftrats pour les gouverner.
Quelques-unes de ces Villes étoient entierement
libres , fans rien payer aux Romains
, comme Tibur , Prénefte , Naples...
D'autres payoient des impôts fixes , comme
Capoue , Tufculum , Plaifance , &c ....
D'autres enfin étoient taillables à volonté
& payoient les fommes qui leur
étoient impofées felon les befoins de l'Etat
, comme Cérée , Priverne , Arpinum ,
& c....
,
Les Préfectures ainfi nommées du Préfet
qui les gouvernoit , lequel étoit un Citoyen
Romain envoyé par le Préteur de
Rome , reconnoiffoient les loix Romaines ,
& payoient les impôts que le Préfet leur
impofoit telles étoient Formies , Fondi ,
Cumes , Pouzzol , Atelle , Collatie , &c.
Toutes ces Villes , foit Municipales , foir
;
86 MERCURE DE FRANCE.
Préfectures, étoient obligées de fournir un
certain nombre de troupes , tant en Infanterie
que Cavalerie , qu'elles payoient elles-
mêmes; ces troupes faifoient ordinai
rement la principale force des légions Romaines
dont elles rempliffoient les aîles .
Les Rois & les Républiques alliés de
Rome fourniffoient pareillement leur contingent
dans les tems de guerre , foir en
troupes de terre , foit en vaiffeaux , & faifoient
porter dans les camps Romains les
vivres , les habits , les uftenfiles dont les
armées avoient befoin , felon qu'il leur
étoit ordonné par le Conful ou le Préteur
qui commandoit ces armées.
SECOND AGE.
Rome devenue maîtreffe dans ce premier
âge de tous le pays alors connu fous
le nom d'Italie , porta fes armes contre les
peuples qui avoifinoient fes Etats .
Les Gaulois habitans au deça les Alpes
par rapport aux Romains , & au-delà par
rapport à nous , furent les premiers fubjugués
; ces peuples ligués avec les Infubriens
& les Gelares leurs voisins , furent
vaincus en 529, par les Confuls C. Attilius
Regulus & L. Æmilius Paulus. L'année fuivante
les Romains pafferent le Pô pour
premiere fois , & vainquirent les Boyens ,
la
DECEMBRE. 1753 87
fous les ordres des Confuls Manlius & Fubvius
. L'am 53 C. Quintius Flamininus
& P. Fuvius Philus défirent les peuples du
Milanès , & l'an 532 Marcellus & Cornelius
Scipion ayant vaincu les Gaulois , &
Marcellus ayant tué de fa main leur Roi
Viridomarus , tout ce vafte pays connu
depuis fous le nom de Lombardie , paffa
fous la puiffance Romaine , & devint Province
de l'Empire.
Rome découvre enfin les véritables fentimens
; c'est ici l'époque du projet formé
par les Romains de la domination univerfelle.
Les peuples vaincus avoient été julqu'alors
reçus au nombre des alliés à mefure
qu'ils fe foumettoient ; les Gaulois
Cifalpins furent les premiers réduits au
rang de fujets ; leur pays fut déclaré Province
de l'Empire , & nommé de leur
nom la Gaule Cifalpine , un Confulaire fut
chargé de la gouverner. La terre entiere
va bientôt éprouver le même fort , & être
divifée enProvinces ; on en comptoit quinze
du tems d'Augufte , dont fept Confulaires
, c'est- à - dire gouvernées par un Proconful
& huit Prétoriens , ou gouvernées.
par un Prétear : en voici le premier exemple.
Les Cénomanois ou Manceaux , Gaulois
qui occupoient alors le Piémont , furens
SS MERCURE DE FRANCE.
(
défaits en 557 & 558 par les Confuls Ccthegus
& Marcellus , & entierement foumis
en 563 par Scipion Nafica. En 577 ,
les Romains tournerent leurs armes d'un
autre côté , ils attaquerent les Carniens ,
les Lapides & les Iftriens , peuples qui
occupoient la Dalmatie & l'Itrie ; Claudius
Pulcher les vainquit , & Sempronius
Tuditanus les affujettit aux Romains en
625.
De tous les peuples de l'Italie nouvelle
il ne reftoit plus que les Liguriens, aujourd'hui
Génois , à dompter . Cornelius Lentulus
& Fulvius Flaccus les avoient défaits
en 516 ; ayant réparé leur perte, ils oferent
renouveller la guerre , & furent enticrement
fubjugués par le Conful Emilius
Scaurus en 6,9 . Les Romains furent donc
plus de 600 ans à dompter l'Italie , & ce
n'eft pas à leur feul courage qu'ils dûrent
cette importante conquête , qui leur fraya
en moins de deux cens ans celle de la terre
entiere ; leur réputation de bonne foi
d'équité , d'humanité , de clémence , contribua
plus que leurs victoires à la grandeur
de leur Empire ; les peuples dans les
tems dont je parle fe croyoient plus tran
quilles & plus heureux fous leur obéiffance
, qu'ils ne l'étoient lorfque libres &
indépendans ils vivoient fous leurs proDECEMBRE.
1753. &n
pres loix ; & fi les Romains avoient pû
conferver dans leur fortune cette fage modération
, leur Empire auroit duré plufieurs
fiécles , & le monde auroit été véritablement
heureux .
La Sicile eft le premier pays fitué hors
de l'Italie qui éprouva leurs armes victorieufes
; cette Ifle , objet des guerres cruelles
qui fe firent pendant plus d'un fiécle entre
les Carthaginois & les Romains , après
avoir été le théatre de plufieurs combats ,
après avoir foutenu les fiéges fameux d'Agrigente
& de Syracufe , fut enfin fubju
guée en 540 , par les Confuls Marcellus &
Valerius , & réduite en Province Prétorienne
; Jules Céfar lui donna depuis le
droit du Latium , & M. Antoine celui de
Bourgeoific.
La Sardaigne & la Corfe coûterent
moins de peine aux Romains ; dès l'an
520 Pomponius Matho avoit fubjugué la
premiere de ces Ifles. L'an 523 Papirius
Malo fubjugua la feconde ; l'une & l'autre
furent réduites en Provinces , & gouvernées
par un Préteur.
L'Etpagne un des premiers pays attaqué
par les Romains , fut celui qui leur réfifta
le plus long- tems , & où ils effayerent les
défaites les plus honteufes. Cn . & P. Cornelius
Scipio furent les premiers qui engo
MERCURE DE FRANCE.
trerent en Espagne l'an de Rome 536 %
après y avoir fait la guerre pendant huit
ans , ils furent l'un & l'autre vaincus &
tués par les Carthaginois. Le grand Scipion
plus heureux , vengea leur mort , &
ayant défait Afdrubal & Magon , établit
en Espagne une Province Romaine , nommée
l'Espagne Cirérieure , ou la Taraconoife
, qui comprenoit les Royaumes d'Arragon
& de Caftille , & étoit gouvernée
par un Proconful. Mais ces peuples féroces
fupportoient le joug avec impatience ,
& tenterent plufieurs fois de recouvrer
leur liberté. Leurs projets eurent ſouvent
d'heureux fuccès ; tantôt vaincus , tantôt
vainqueurs , ce ne fut à vrai dire que fous
Augufte que l'Espagne fut entierement
foumife aux Romains. Ce Prince ayant
vaincu par fes Lieutenans , les Cantabres
& les Afturiens , y établit deux nouvelles
Provinces , fous le nom de Bétique l'Andaloufie
, & de Lufitanie le Portugal , qui
furent gouvernées par un feul Confulaire.
L'Afie proprement dite , réfifta moins
aux Romains ; deux campagnes leur en 2-
furerent la conquête. L'an 562 , T. Quintias
Flamininus & Domitius Enobarbüs
étant Confuls, le Proconful AciliusGlabrio
vainquit près des Thermopiles Antiochus ,
Roi de Syrie. L'année fuivante L. Cor-
N
C
DECEMBRE. 1753. 91
nelius Scipio , frere de l'Africain , défit
de nouveau ce même Prince auprès de
Magnefie , & l'obligea de reculer fes Etats
au-delà du mont Taurus. Cette victoire,
coûta cher aux Romains ; elle leur enleva
cette innocence de moeurs qui les rendoit
l'admiration de la terre : le luxe Afiatique
s'introduifit dans Rome , & à fa fuire pénétrerent
toutes les paffions ; l'avarice ,
l'ambition , l'avidité , la fraude , & les défirs
effrénés , fuites ordinaires des richef
fes & de la profpérité .
Attalle , Roi de Pergame , laiffa quelques
années après , par fon teftament , fon
Royaume & les immenfes richeffes aux
Romains. Ariftonique , fon fils naturel ,
ayant ofé leur difputer cette fucceffion ,
fut vaincu par Perpenna en 624 , & l'année
fuivante Aquilius termina cette guer
re, en s'emparant de la Lydie , de la Cas
rie , de la Micie & de l'Hellefpont .
Les Etoliens ayant mal reconnu les bontés
des Romains , éprouverent enfin leur
puiffance ; ils ferent vaincus & fubjugués
en 565 par le Conful Fulvius Nobilior qui
prit Ambracie leur Capitale , & qui à la faveur
d'un traité captieux , les obligea de lui
remettre leurs armes , leurs chevaux , & les
réduifit au rang de fujets , tandis qu'ils
efpéroient être reçus au nombre des alliés :
92 MERCURE DE FRANCE.
premier exemple de mauvaiſe foi dans le
traités.
les
Les Macédoniens plus puiffans n'eurent
pas des fuccès plus heureux ; leur Roi Dat
Philippe , vaincu par T. Quintius Flaminis Ro
nus en 556 , n'eut point la fage prévoyan
ce d'infpirer à fon fils Perfée la terrent cond
qu'il avoir du nom Romain. Ce jeune hord
Prince ambitieux & yvre de fa puiffance , qu
ofa attaquer ces politiques conquerans :
fon audace fut punie ; il fut vainca & fait chu
prifonnier en 587 par le fameux Emilius
Paulus , & fix ans après la Macédoine fut
réduite en une Province Romaine , à la Perfec
quelle on joignit l'Etolie & les autres Erats enva
de la Grece ; un Préteur fut nommé pour inte
la gouverner. bonne
ces
L'illirie poffédée alors par la Reines
Teuta , femme cruelle , qui avoit fait ma
facrer un Ambaffadeur Romain , porta laurs
peine de ce violement du droit des gens Dieux
L. Pofthumius & Cn . Fulvius s'empare ,
rent d'une partie du Royaume . Gentias ,
fucceffeur de Teuta , ayant ofé renouvel- ite
ler la guerre , fat vaincu & fait prifonles
le Préteur Anicus Gallus ; & I'll
nier
par
lirie
devint
une
Province
de
l'Empire
qui
fut
gouvernée
par
un Préteur
.
C'eft où je finis la feconde époque des
conquêtes de Rome .
D
pe
pert
DECEMB.RE.
1753.
TROISIE' ME AGE.
Dans le premier âge de leurs conquêtes
s Romains n'employerent pour vaincre
ue leur courage & leur fermeté. Dans le
econd âge , ils y joignirent la politique &
prudence ; c'eft par les Etoliens qu'ils
ainquirent Philippe Roi de Macédoine ;
ar les Achéens qu'ils triompherent d'Anochus
; par ce même Philippe qu'ils
éduifirent les Etoliens ; & par le fecours
le ces peuples réunis qu'ils détruifirent
Perfée . Dans le troisiéme âge , la fureur,
l'envahir fut leur unique guide , & leur
int lieu de vertus. Ne cherchons plus ni
bonne foi dans les traités , ni modération
dans la victoire. Détruire les peuples vainus
ou les trainer en efclavage , enlever
leurs richeffes & même celles de leurs
Dieux , abufer des fermens & de la foi ju
rée , violer enfin toutes les loix , fans d'auare
prétexte que leur volonté , c'eft la conduite
que vont tenir les Romains , & qui
va les rendre l'objet de l'exécration de tous
les peuples , après avoir été celui de leur
amour.
Durant les guerres dont j'ai parlé , Carthage
fubfiftoit encore : cette Ville jadis
fuperbe rivale de Rome , accablée par fes
pertes précédentes , & n'ayant plus d'An
94 MERCURE DE FRANCE.
d
nibal pour la venger , fupportoit dans le
filence & dans l'humiliation les injuſtices
qu'elle éprouvoit de Maffiniffa & des Romains.
Elle efpéroit par fa foumiffion féchir
ces fuperbes vainqueurs ; Scipion Nafica
, déclaré le plus honnête homme de la
République , s'oppofoit à fa deftruction ,
que demandoit Caton auffi illuftre par fay
vertu. Le fentiment de ce dernier préva-
FI
lut , l'infortunée Carthage fut la victime
d'une mauvaiſe politique. Le jeune Scipion
, fils de Paul Emilie , & héritier
adoption d'un nom fi fatal à cette Ville ,
la détruifit en 608 , & l'Etat qu'elle poffedoit
fut réduit en Province Romaine ,
fous le nom d'Afrique , qui fut gouver
née par un Préteur.
par
1
di
Vi
R
P.
G
Ve
d'
fo
C
La Grece alliée des Romains depuis P:
qu'ils avoient paflé en Afie , jouiffoir en
apparence fous leur protection d'une heu
reufe tranquillité. Agitée par des efprits
turbulens , elle ofa fe brouiller avec des
amis trop puiffans pour n'être pas fes
maîtres quand ils le jugeroient à propos :
ce fut l'ouvrage de deux campagnes . L'an
607 , le Préteur Metellus défit les Grecs
réunis fous le nom de Ligue des Achéens ,
près des Thermopiles ; & l'année ſuivante
le Conful Mummius ayant pris Corinthe ,
réduifit la Grece en fervitude , & en fit
bi
ay
DECEMBRE . 1753. 95
une Province de l'Empire , qui fut unie
a la Macédoine.
Les Romains n'avoient point encore ofé
paffer les Alpes ; ils étoient maîtres de
l'Espagne avant d'avoir entamé les Gaules
: des fecours que leur demanda la ville
de Marſeille , leur donna un prétexte pour
y pénétrer. Plautius Hipfeus & Fulvius
Flaccus furent les premiers qui pafferent
les monts en 629 ; Sextius en fit de même
l'année fuivante , & Enobarbus étendit
au loin la crainte du nom Romain ;
enfin Fabius Maximus ayant défait cent
vingt mille Gaulois & pris prifonnier leur
Roi Biraitus , établit dans les Gaules une
Province Romaine , qui fut nommée la
Gaule Narbonnoife ; elle comprenoit la
Provence & le Languedoc , & étoit gouvernée
par un Confulaire.
Maiorque & Minorque , Ifles de la mer
-méditerranée , connues alors fous le nom
d'lfles Baleares , tomberent dans ce tems
fous la puiffance des Romains. Le Conſul
Cecilius Metellus , guidé par la feule ambition
d'ajoûter à fes titres celui de Balearicus
, s'empara de fes Ifles en 6 ; 1
ayant exterminé la plus grande partie des
habitans , les peupla de nouvelles Colonies.
› &
Les Thraces , peuples féroces qui infef6
MERCURE DE FRANCE.
toient par leur brigandage la Macédoine ,
commencerent en 640 une guerre contre
les Romains , qu'ils foutinrent avec furent
pendant près de quarante années ; enfin
vaincus & domptés par Lucullus en 681 ,
ils devinrent fujets de l'Empire.
Maffiniffa , Roi de Numidie , avoit été
l'ami le plus conftant & le plus utile de
Rome ; Micipfa fon fils fuivit fon exemple
; mais Jugurtha , fucceffeur de ces deur
grands Princes , & dont les vices étoient
le contrafte de leurs vertus , éprouva
colere & la juftice des Romains. Apres
une guerre long-tems honteufe pour Ro
me , par la fordide avarice de fes Géné
raux & même du Sénat , Jugurtha fut
vaincu par Metellus , qui obtint le furnom
de Numidicus , & fut livré à Marius
par Bocchus , Roi de Mauritanie , fon allié
: il fut puni du dernier fupplice , & le
Royaume de Numidie devint une Province
Prétorienne , à laquelle Cefar joi
gnit le Royaume de Mauritanie , après
avoir vaincu à la bataille de Thaple , Juba,
fucceffeur de Bocchus.
La Cirenaïque paffa en 660 ſous la puiffance
des Romains ; ce ne fut point à titre
de conquête , mais en vertu du teftament
de Prolomée Appion , Roi de cette contrée.
Les Ciliciens & les Ifauriens fubirent)
quelque
$
I
21
4
C
DECEMBRE. 1753. 97
quelque tems après le même joug ; vaincus
en 676 par Servilius Vatia , qui en
remporta le furnom d'Ifauricus , ils oferent
encore,infefter les mers pendant quelques
années ; enfin domptés & prefque
détruits par Pompée , ils furent transférés
au loin dans les terres de l'Afie .
Nicomede , fils de Prufias , Roi de Bithinie
, fuivit les exemples d'Attalle & de
Prolomée Appion. Il laiffa cette année
676 , fon Royaume aux Romains , ils ne
s'en emparerent point alors ; Mitridate
leur difputa même cette fucceffion , & ce
ne fut qu'après la mort de ce Prince que
la Bithinie & une partie du Pont devinrent
une Province Prétorienne , à laquelle
Cefar joignit le Royaume du Bofphore ,
après avoir vaincu Pharnace .
Dès l'an 563 la Crete , aujourd'hui Candie
, avoit été prefque fubjuguée par le
Préteur Q. Fabius Labeo. Cent ans après ,
les peuples de cette Ifle s'étant affociés
aux brigandages des Pirates Ciliciens
éprouverent la colere de Rome par les
mains du Conful Metellus , qui né d'une
maifon avide de gloire , mit tout dans l'Ifle
à feu & à fang , pour obtenir le furnom de
Creticus. Augufte joignit la Crete à la Cirenaïque
, & n'en fit qu'une feule Province
Prétorienne.
11.Vol. E
8 MERCURE DE FRANCE.
Le fameux Mitridate , cet ennemi irréconciliable
de Rome , commença dans ces
tems cette guerre cruelle qui dura quarante
ans , & qui coûta tant de fang aux différens
pays qui en furent le théatre . Ce
Prince digne de porter la couronne dans
ces tems de fervitude , feul capable de réfifter
aux Romains ; tantôt maître de l'Afie
, tantôt chaffé de fon Royaume héréditaire
, trouvoit dans fes défaites des réf
fources pour recommencer la guerre . Après
avoir balancé la fortune contre Aquilias ,
Cotta , Fimbria , Silla , Murena & Lucullus
, vaincu enfin par Pompée , & obligé
de fe tuer lui - même , il entraîna dans
fa chûte Tigranes , Roi d'Arménie , fon
gendre , & laiffa pour jamais aux Romains
les vaftes Empires de l'Afie qu'il
avoit tant de fois pillés & faccagés . Pompée
par fa victoire acquit pour la gloire le
furnom de Grand ; furnom que les Romains
n'accorderent qu'à lui feul , & il
réunit à l'Empire les différentes Provinces
qu'avoit envahi Mitridate , les unes à titre
de fujettes , les autres à titre d'alliées.
Les fujettes furent divifées en quatre Provinces
Romaines. La premiere fous le nom
de Pont , comprenoit le Pont , la Bithinie
& la Phrygie , & étoit Prétorienne. La fe
conde fous le nom d'Alie , comprenoit la
DECEMBRE . 1753.
99
Lydie , la Carie , l'Ionie , l'Hellefpont &
a Mycie ; elle étoit aufli Prétorienne . La
troifiéme étoit la Cilicie ; & la quatrième
la Syrie , à laquelle il joignit la Mélopotamie
: ces deux dernieres étoient Confulaires.
Les Provinces qu'il daigna honorer du
titre d'alliées furent la grande Arménie ,
qu'il laiffa à titre de Royaume à Tigranes ;
le Bofphore à Pharnaces ; la Capadoce à
Ariobarfane ; la Comagene à Antiochus ;
la petite Armenie , la Galatie , & la Licaonie
à Dejotarus & aux autres Tetrarques
fes conforts ; la Phaflagonie à Pilemenes ;
la Colchide à Ariftarque , & la Paleſtine
à Hircan. Enfin il accorda l'entiere liberté
& l'ufage de leurs loix aux Rhodiens , aux
Liciens & aux Pifidiel...
L'Ile de Chypre paffa en 698 fous la
puiffance des Romains ; Alexandre qui en
avoit été le Roi , la leur avoit laiffée par
teftament. Ptolomée , frere du Roi d'Egypte
, qui prétendoit cet acte fuppofé ,
s'en étoit emparé ; mais au feul bruit du
nom de Caton que le Sénat y envoya en
qualité de Préteur , ce lâche Roi l'abandonna
& fe retira à Rhodes , où il s'empoifonna
, aimant mieux renoncer à la vie qu'à
fes richeffes , & la Chypre devint une
Province Prétorienne.
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
La derniere conquête de Rome Répu
blique , fut celle des Gaules. Après avoir
pris trois cens villes & combattu trois millions
d'hommes , dont un million périt par
le fer & un million fut traîné en captivité ,
Céfar le plus grand des hommes , foumit
ces vaftes Provinces , dont les richeffes
lui frayerent le chemin pour fubjuguer fa
patric.
Je ne dirai qu'un mot des conquêtes que
les Empereurs ajouterent à celles de la République.
Augulte , par fes Lieutenans ,
fubjugua les Grifons , l'Autriche , la Hongrie
jufqu'au Danube , la Moldavie &
une partie de la Thrace. Par lui même il
réunit l'Egypte à l'Empire , après la bataille
d'Actium , & la mort d'Antoine & de
Cléopatre. Il réduifit auffi en Provinces
Romaines la Galatie , la Licaonie , la Pamphilie
, la Pifidie & la Licie dont les Rois
avoient fuivi le parti d'Antoine.
Germanicus , fous Tibére , pénétra dans.
la Germanie , jufqu'à l'Elbe.
Corbulon , fous Neron , s'empara de
l'une & l'autre Arménie.
Vefpafien , ou plutôt Tite fon fils , après
la prife de Jerufalem , réunit à l'Empire
la Paleſtine , l'Ile de Rhodes , Bifance ,
Samos , Ephèse & la Comagene.
Trajan paffa le Danube , fubjugua la
DECEMBRE.
1753. IOE
Thrace , la Tranfilvanie , la Valachie &
la Moldavie . Sevére enfin réunit l'Angleterre
à l'Empire , dans laquelle les Romains
avoient pénétré dès le tems de Céfar , mais
ne l'avoient jamais affujetti .
Telle étoit l'immenfe grandeur de l'Empire
Romain , qu'il comprenoit prefque
tout le monde connu pour lors , & avoit
pour bornes à l'Orient , les Parthes & les
Indes ; au Nord , les Sarmates , la Germanie
& la mer Baltique ; à l'Occident , l'Océan
; & au Midi , les déferts de l'Arabie
& de la Lybie, Je détaillerai dans un autre
Difcours le démembrement de cette
vafte Monarchie , & comment fur les débris
fe formerent les differens Empires qui
fuccéderent à la puiffance , & qui exiftent
aujourd'hui .
Le mot de la premiere Enigme du premier
volume de Décembre , eft les yeux :
celui de la feconde , eft ftatue. Le mot du
premier Logogryphe eſt brochet , dans lequel
on trouve rochet , roche , Heró , Amante
de Léandre , & or . Celui du fecond eft
citron , dans lequel fe trouve Ciron.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
ENIGM E.
Pour moi tous les mortels ont le plus vifamour ;
Mon fpectacle eft pour eux un objet plein de charmes
;
Abfente de leurs yeux , je fais couler leurs larmes ;
Mais me revoyent- ils ? la gaité de retour
Succéde dans leur ame à la fombre triſtelle.
Cet amour cependant n'eft que pure foiblefe ,
Effet du préjugé , quoique chez les humains
Il pafle pour vertu fublime ,
Le mépris oppofé leur paroiffant un crime :
C'est ainsi que penfoient les Grecs & les Romains ,
Quand de ce fentiment animant leur courage ,.
Ils fe glorifioient , fe faifoient une lei
De tout facrifier pour moi.
J'ai le fingulier avantage
D'adoucir les horreurs du lieu le plus fauvage ;
D'embellir & d'orner les plus charmans attraits
D'infortunés pays qui n'en eurent jamais.
Mais du Philofophe & du Sage
Je ne puis captiver le coeur ;
Peu fait pour un lâche efclavage ,
Je ne fuis point pour lui le féjour du bonheur ,
N'enviſageant dans moi que l'injuſte marâtre
Des vertus , des talens dans mon propre
Par mon caprice opiniâtre,
fein nés ,
DECEMBRE. 1753 .
103
Aux contradictions , aux mépris condamnés ;
Mon abfence pour lui , loin d'avoir rien de rude ,
Eft l'époque & l'auteur de fa félicité ;
Et fon coeur contre moi juftement irrité ,
Payant de les mépris ma lâche ingratitude ,
Guidé par la fageffe , inftruit par fes revers ,
A mon défaut adopte l'univers.
AUTR E.
Dans le fiècle de
l'ignorance
J'eus des Palais & des Autels ,
J'exerce fur tous les mortels
Une tyrannique puiffance :
Que dis- je ? à d'invincibles loix
Je foumets tout ce qui refpire ,
Sur un lit de douleur le malade aux abois
Après moi fans ceffe foupire.
Dans le fein des plaifirs les Princes & les Rois ,
Après bien des combats éprouvent mon empire.
Ennemi de l'activité ,
J'affervis l'homme fous mes chaînes,
Et lui fais oublier fes peines
Au fein de la captivité ;
Je tire l'un de la mifére ,
L'autre voit aux plaifirs fuccéder les douleurs,
Et tel rampoit dans la pouſſiere ,
Qui fe voit par mon art au faîte des grandeurs.
Ce bonheur , il eft vrai , Lecteur , eft peu durable ;
Mais que peut - on trouver ici - bas qui foit ftable
E iij
104 MERCURE DE FRANCE.
LOGO GRY PH E.
Fille Ille de la noire impoſture ,
J'ai l'art de tromper les mortels ;
Et pour rendre fur eux ma victoire plus fêre ,
Je répands mon venin en face des autels.
De mon corps , cher Lecteur , je fais l'analyfe ,
Quelle foule d'objets divers !
Dans leur nombre confus , moi- même je me
perds.
J'offre d'abord un lieu fort voifin de l'Eglife ,
Où fe tenoient les pénitens ,
Par refpect pour nos faints mystérese
( Ils font paffés ces heureux tems. )
L'effet qu'opérent les clyftéres ;
De deux infectes précieux
Les ouvrages très- curieux ;
Une race parmi les hommes ,
Qui fans efprit & fanstalens ,
Sans mérite & fans agrémens ,
Brillent dans le fiécle od nous ſommes.
Ce dont affez fouvent manque un original ,
La marque d'une joye ; un précieux métal ;
Un inftrument qui fert au fiége d'une ville ;
Le plus fot animal de la gent volatile ;
Un oileau qui , dit on , fut caufe d'un grand deuils
Ce qui mene fouvent un malade au cercueil ;
DECEMBRE. 1753 .
IOS
Une brillante fleur & l'arbre qui la porte ;
Une liqueur qui reconforte ;
Un objet de rare beauté ,
A qui Venus , par jalouſie ,
Ora la vie ,
Mais qui de Jupiter eut l'immortalité.
Mon fein renferme auffi des Ifles ,
Royaumes , Rivieres & Villes ;
L'objet principal d'un Roman ;
Dux Nymphes pour qui le Dieu Pan
Brûla d'une flamme indifcrete ;
L'une des deux peu fatisfaite ,
Répondit mal à fon ardeur ;
L'autre à fes defirs moins rébelle ,
Fut à la vérité fidelle ;
Mais Borée lui fit reffentir la fureur.
Un des lieux où l'on rend hommage
A l'incomparable Cypris ;
Un docte & fameux perfonnage ,
Phénix des fublimes efprits ;.
Une illuftre Dame Romaine ,
Qui faisant pour la vie humaine
Paroître un généreux mépris ,
Choifit une mort peu commune ;
Un Dieu marin , fils de Neptune;
Un nom que la mere des Dieux
Doit à nos foins officieux
Pour les foibles humains : un feuve très- célébre;
Nepenfez pas que ce foit l'Ebre ,
Ev
106 MERCURE DEFRANCE.
Encer moins le Wolga , mais un fleuve dont l'eau
D'un téméraire Dieu fut jadis le tombeau.
L'Abbé de M....
A Beauvais , ce 16 Août 1753 .
sisis
NOUVELLES LITTER AIRES.
No
Ous avons déja annoncé dans le
Mercure de Novembre, le troifiéme
volume de l'Encyclopédie ; mais l'intérêt
que le public paroît prendre de plus en
plus à cegrand ouvrage , nous oblige d'entrer
dans un plus grand détail. A la tête
de ce volume eft un Avertiffement des Edi
reurs , profondément penfé & fortement
écrit , dans lequel M. Dalembert rend
compte au public de leurs difpofitions ,
de leurs foins , des nouveaux fecours qu'ils
ont reçu . Cet Avertißlement intéreffe pour
l'ouvrage & pour eux ; nous en tranferirons
ici la plus grande partie , en retranchant
ce qu'il y a de polémique , auquel il
ne nous appartient pas de prendre part , &
qui d'ailleurs doit être lû dans l'ouvrage
même.
L'empreffement que l'on a témoigné pour
la continuation de ce Dictionnaire , eft le
DECEMBRE. 1753. 107
feul motif, difent les Editeurs , qui ait pû
nous déterminer à le reprendre. Le Gouver
nement a paru défirer qu'une entrepriſe de
cette nature ne fût point abandonnée , & la
Nation a ufé du droit qu'elle avoit de l'exiger
de nous.C'eft fans doute à nos collégues.
que l'Encyclopédie doit principalement
une marque à flateufe d'eftime. Mais la
juftice que nous fçavons nous rendre ne
nous empêche pas d'être fenfibles à la confiance
publique . Nous croyons même n'en
être pas indignes par le defir que nous
avons de la mériter. Jaloux de nous l'affûrer
de plus en plus , nous oferons ici ,
pour la premiere & la derniere fois , par-
Ier de nous-mêmes à nos lecteurs. Les circonftances
nous y engagent , l'Encyclopé
die le demande , la reconnoiffance nous y
oblige . Puiffions - nous , en nous montrant
tels que nous fommes , intéreffer nos concitoyens
en notre faveur ! Leur volonté a
eu fur nous d'autant plus de pouvoir ,
qu'en s'oppofant à notre retraite , ils fem--
bloient en approuver les motifs. Sans une
autorité fi refpectable , les ennemis de cet
ouvrage feroient parvenus facilement à
nous faire rompre des liens dont nous fentions
tout le poids , mais dont nous n'avions
pû prévoir tout le danger.
Les Edite urs entrent enfuite dans le dé
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
tail des traverſes qu'a efluyées l'Encyclo
pédie , & ne diffimulent pas la réfolution
qu'ils avoient priſe de l'abandonner. Newton
, difent- ils , rebuté autrefois par de
fimples difputes littéraires , beaucoup
moins redoutables & moins vives que des
attaques perfonnelles & théologiques , le
reprochoit au milieu des hommages de fa
nation , de fes découvertes & de fa gloire,
d'avoir laiffé échapper fon repos , la fubftance
d'un Philofophe , pour courir après
une ombre. Combien notre repos devoiril
nous être plus cher , à nous que rien ne
pourroit dédommager de l'avoir perdu
Deux motifs fe joignoient à un intérêt fi
effentiel : d'un côté , cette fierté jufte &
néceffaire, auffi éloignée de la préfomption
que de la baffeffe , dont on ne doit jamais
ni fe glorifier nife défendre , parce qu'il
eft honteux d'y renoncer , qu'elle devroit
faire fur tout le caractere des gens de lettres
, & qu'elle convient à la nobleffe & à
la liberté de leur état de l'autre , cette défiance
de nous - mêmes que nous ne devons
pas moins reffentir , & le peu d'empreffement
que nous avons d'occuper les autres
de nous ; fentimens qui doivent être là
fuite naturelle du travail & de l'étude ;
ear ondoit y apprendre avant toutes chofes
à apprécier les connoiffances & les opiDECEMBRE.
1753. TOO
nions humaines . Le fage , & celui qui afpire
à l'être , traite la réputation littéraire
comme les hommes ; il fait en jouir &
s'en paffe:. A l'égard des connoiffances
qui nous fervent à l'acquerir , & dont la
jouiffance & la communication même eft
une des reffources peu nombreuſes que la
nature nous a menagée contre le malheur
& contre l'ennui , il eft permis fans doute ,
il est bon même de chercher à communiquer
aux autres ces connoiffances ; c'eſt
prefque la feule maniere dont les gens
Lettres puiffent être utiles . Mais i on ne
doit jamais être affez jaloux de ce bien
pour vouloir s'en réferver la poffeffion
on ne doit pas non plus l'eftimer affez pour
être fort empreffé d'en faire part à perfonne.
de
"
Qui croiroit que l'Encyclopédie , avec
de tels fentimens de la part de les Auteurs,
& peut être avec quelque mérite de la
fienne ( car elle eft fi peut notre bien , que
nous en pouvons parler comme de celui
d'un autre ) eût obtenu quelque foûtien
dans le tems où nous fommes ? dans un tems
où les gens de lettres ont tant de faux amis ,
qui les carefent par vanité , mais qui les
facrifieroient fans honte & fans remords
à la moindre lueur d'ambition ou d'intérêt
, qui peut- être , en feignant de les aimer
, les haïlfent , foit par le befoin , foit
110 MERCURE DEFRANCE.
par la crainte qu'ils en ont. Mais la vérité
nous oblige de le dire , & quel autre matif
pourroit nous arracher cet aveu ? Les
difficultés qui nous rebutoient & nous
éloignoient , ont disparu peu peu , &
fans aucun mouvement de notre part : il
ne reftoit plus d'obftacles à la continuation
de l'Encyclopédie , que ceux qui auroient
pû venir de nous feuls ; & nous cuflions
été auffi coupables d'y en mettre aucun ,
que nous étions excufables de redouter
ceux qui pouvoient venir d'ailleurs . Inca
pables de manquer à notre Patrie , qui eft
le feul objet dont l'expérience & la Philo
fophie ne nous ayent pas détachés , raſſurés
fur tout par la confiance du Miniſtere
public dans ceux qui font chargés de veiller
à ce Dictionnaire , nous ne ferons plus
occupés que de joindre nos foibles travaux
aux talens de ceux qui veulent bien nous
feconder , & dont le nombre augmente de
jour en jour. Heureux , fi nos premiers
elais pouvoient engager les Sçavans & les
Ecrivains les plus célébres à reprendre notre
travail où il en eft aujourd'hui , nous
effacerions avec joye notre nom du frontifpice
de l'Encyclopédie , pour la rendre
meilleure ! Que les fécles futurs ignorent
à ce prix & ce que nous avons fair , & ce
que nous avons louffert pour elle !
DECEMBRE. 1753- TI
En attendant qu'elle jouiffe de cet avantage
, qu'il nous feroit facile de lui procurer
, fi nous étions les maîtres , tout nous
porte à redoubler nos efforts pour en affurer
de plus en plus le fuccès . On s'eft déja
apperçu par la fupériorité du fecond volume
fur le premier , des nouveaux fecours
que nous avions reçus pour ce ſecond
volume. Mais ces fecours , tout confidérables
qu'ils étoient , ne font prefque
rien en comparaifon de ceux que nous
avons eus pour celui- ci . Un grand nombre
de gens de lettres , tous eftimables par leurs
ralens & leurs lumieres , (emblent , comme
à l'envi , avoir contribué à l'enrichir.
Nous croyons donc pouvoir affurer qu'ik
F'emporte beaucoup fur les précédens ;
nous efperons que les fuivans l'emporte
ront encore fur celui- ci , & quelque pénible
que foit notre travail , nous nous trouverions
fuffifamment dédommagés 'fi nous
pouvions faire dire auxcritiques à chaque
volume qui paroîtra , ab ipfo ducit opes
animumque ferro.
On trouve enfuite dans l'Avertiffement
quelques obfervations relatives au volume
qu'on publie actuellement ; après quoi les
Editeurs continuent ainsi.
Entrons préfentement dans quelque détail
fur ce troifiéme volume , ou plutôt fur
112 MERCURE DE FRANCE.
ce Dictionnaire en général . On doit le
confidérer fous deux points de vûe , cu
´égard aux matieres qu'il traite , & aux perfonnes
à qui il eft principalement deſtiné.
Comme ces deux points de vûe font relatifs
l'un à l'autre , nous croyons ne devoir
point les féparer.
Les matieres que ce Dictionnaire doit
renfermer,font de deux efpéces , fçavoir les
connoiffances que les hommes acquerent
par la lecture & par la fociété , & celles
qu'ils fe procurent à eux mêmes par leurs
propres réflexions; c'eft à-dire en deux mots,
la fcience des faits & celle des choſes .
Quand on les confidére fans aucune attention
, au rapport mutuel qu'elles doivent
avoir , la premiere de ces deux fciences eft
fort inutile & fort étendue , la feconde
fort néceffaire & fort bornée , tant la Narure
nous a traités peu favorablement . Il
eft vrai qu'elle nous a donné de quoi nous
dédommager jufqu'à un certain point , par
l'analogie & la liaifon que nous pouvons
mettre entre la fcience des faits & celle
des choles ; c'eft fur tout relativement à
celle-ci que l'Encyclopédie doit envifager
celle -là . Réduit à la fcience des chofes , ce
Dictionnaire n'eût été prefque rien ; réduit
à celles des faits , il n'eût éré dans fa
plus grande partie qu'un champ vuide &
DECEMBRE. 1793. 113
ftérile :foutenant & éclairant l'une par l'autre
, il pourra être utile fans être immenfe.
Tel étoit le plan du Dictionnaire Anglois
de Chambers , plan que toute l'Europe
fçavante nous paroît avoir approuvé ,
& auquel il n'a manqué que l'exécution .
En tâchant d'y fuppléer , nous avons averti
du foin que nous aurions de nous conformer
au plan , parce qu'il nous paroiffoit
le meilleur qu'on pur fuivre. C'eft dans
cette vûe que l'on a crû devoir exclure de
cet ouvrage une multitude de noms propres
qui n'auroient fait que le groffit affez
inutilement ; que l'on a confervé & complété
plufieurs articles d'Hiftoire & de
Mythologie , qui ont paru néceffaires pour
la connoiffance des differentes fectes de
Philofophes , des differentes religions , de
quelques ufages anciens & modernes , &
qui d'ailleurs donnent fouvent occasion à
des réflexions philofophiques , pour lefquelles
le public femble avoir aujourd'hui
plus de goût que jamais ( 4 ) ; auffi eft - ce
principalement par l'efprit philofophique
que nous tâcherons de diftinguer ce Dictionnaire.
C'est par là fur tour qu'il obtiendra
les fuffrages , aufquels nous fommes
le plus fenfibles.
( a ) Voyez les articles Aigle , Ananchis , Amenthes
, Baucis , Chauderons de Dodoue , &c.
114 MERCURE DEFRANCE.
ge
&
อ
Cert
fair
pale
toir
tels
Ainfi quelques perſonnes ont été étonnées
fans raifon , de trouver ici des articles
pour les Philofophes , & non pour les Peres
de l'Eglife ; il y a une grande difference
entre les uns & les autres. Les premiers
ont été créateurs d'opinions , quelquefoi
bonnes , quelquefois mauvaiſes , mais dont
notre plan nous oblige à parler : on n'a
rappellé qu'en peu de mots & par occaſion
quelques circonftances de leur vie ; on a
fait l'hiftoire de leurs penfées plus que de
leurs perfonnes. Les Peres de l'Eglife au
contraire, chargés du dépôt précieux & inviolable
de la Foi & de la Tradition ,
n'ont pû ni dû rien apprendre de nouvea
aux hommes fur les matieres importanta
dont ils fe font occupés. Ainfi la doctrine
de Saint Auguftin , qui n'est autre que celle
de l'Eglife , fe trouvera aux article
Prédestination , Grace , Pélagianiſme ; mais
comme Evêque d'Hippone , fils de Sainte
Monique , & Saint lui même , fa place eft
au Martyrologe , & préferable à tous égards
à celle qu'on auroit pû lui donner dans
l'Encyclopédie ..
On ne trouvera donc dans cet ouvrage,
( comme on l'avoit objecté ) ni la vie des
Saints , que M. Baillet a fuffifamment écrite
, & qui n'eft point de notre objet , ni
La généalogie des grandes Maifons , mais la
E
falt
FO
zad
par
tou
DECEMBRE. 1753. Irs
généalogie des Sciences , plus précieufe
pour qui fçait penfer ; ni les avantures
peu intéreffantes des Littérateurs anciens
& modernes , mais le fruit de leurs travaux
& de leurs découvertes ; ni la defcrip
tion détaillée de chaque village , telle que
certains érudits prennent la peine de lu
faire aujourd'hui , mais une notice du commerce
des Provinces & des Villes princi
pales , & des détails curieux fur leur hif
toire naturelle ( b ) ; ni les Conquérans qui
ont défolé la terre mais les génies immortels
qui l'ont éclairée ; ni enfin une foule
de Souverains que l'Hiftoire auroit dû
profcrire. Le nom même des Princes &
des Grands n'a droit de fe trouver dans
l'Encyclopédie , que par le bien qu'ils ont
fait aux Sciences ; parce que l'Encyclopé
die doit tout aux talens , rien aux titres ,
& qu'elle eft l'hiftoire de l'efprit humain ,
& non de la vanité des hommes.
Si nous avons quelque chofe à nous reprocher
, c'est peut-être d'avoir fuivi trop
exactement le plan de Chambers , fur- tour
par rapport à l'Hiftoire , & de n'avoir pas
toujours été affez courts fur cet article. Ik
y a beaucoup d'apparence que plus ce Dictionnaire
fe perfectionnera , plus il perdra
(b) Voyezles articles Alface, Arcy, Besançon, & c.
116 MERCURE DE FRANCE.
du côté des fimples faits , & plus il gagnera
au contraire du côté des chofes , ou du
moins du côté des faits qui y menent.
Il pourra , par exemple , être fort riche
en Phyfique générale & en Chymie , du
moins quant à la partie qui regarde les
obfervations
& l'expérience
; car pour ce
qui concerne les caufes , il ne fçauroit être
au contraire trop réservé & trop fage ; &
la deviſe de Montagne ( c ) à la tête de
prefque tous les articles de ce genre , feroit
ordinairement très-bien placée. On
ne fe refüfera pourtant pas aux conjectures,
fur tout dans les articles dont l'objet
eft utile ou néceffaire ; comme la Médeci
ne , où l'on eft obligé de conjecturer , parce
que la nature force d'agir en empêchant
de voir. La Métaphyfique des Sciences ,
car il n'en eft point qui n'ait la fienne ,
fondé fur des principes fimpks & fur
des notions communes à tous les hom
mes ,fera , nous l'efpérons , un des principaux
mérites de cet Ouvrage. Celle de la
Grammaire fur tout , & celle de la Géométrie
fublime feront exposées avec une
clarté qui ne laiffera rien à défirer , & que
peut-être elles attendent encore . A l'égard
de la Métaphyfique proprement dite , fur
(6) Que fçai-je z
DECEMBRE. 1753 . 117
laquelle on croit s'être trop étendu dans
les premiers volumes , elle fera réduite
dans les fuivans à ce qu'elle contient de
vrai & d'utile , c'est -à dire à très peude
choſe. Enfin dans la partie des Arts , fi
étendue , fi délicate , fi importante & fi
pea connue , l'Encyclopédie commencera
ce que les générations fuivantes finiront
ou perfectionneront. Elle fera l'hiftoire
des richelles de notre fiécle en ce genre ;
elle la fera à ce fiécle qui l'ignore , & aux
fiécles à venir , qu'elle mettra fur la voye
pour aller plus loin . Les Arts , ces monumens
précieux de l'induftrie humaine, n'auront
plus à craindre de fe perdre dans l'oubli
; les faits ne feront plus enfevelis dans
les atteliers & dans les mains des Artiſtes ;
ils feront dévoilés au Philofophe , & la
réflexion pourra enfin éclairer & fimplifier
une pratique aveugle.
Tel eft en peu de mots notre plan , que
nous avons crû devoir remettre fous les
yeux des lecteurs ; ainfi ce Dictionnaire ,
fans que nous prétendions le préférer à au
cun autre , en différera beaucoup par fon
objet. Plufieurs gens de Lettres déclament
aujourd'hui contre la multiplication de
ces fortes d'ouvrages , comme d'autres
contre celle des Journaux ; à les en croire
, il en eft de cette multiplication com18
MERCURE DE FRANCE.
tous, me de celle des Académies ; elle fera auffi
faneſte au véritable progrès des Sciences , foi ,
que la premiere inftitution en a été utile. Did
Nous avons tâché dans le Difcours préliks C
minaire de juftifier les Dictionnaires du me
reproche qu'on leur fait d'anéantir parmi c
nous le goût de l'étude. Néanmoins quand
ils mériteroient ces reproches , l'Encyclo- ma
pédie nous fembleroit en être à couvert.
Parmi plufieurs morceaux deftinés à infle
truire la multitude , elle renfermera an
très grand nombre d'articles qui deman
deront une lecture affidue , férieufe & ap
profondie. Elle fera donc tour à la fois
utile aux ignorans & à ceux qui ne le font ,
pas. Bel
Quelques Sçavans , il eft vrai , ſemblables
à ces Prêtres d'Egypte , qui cachoient
au reste de la nation leurs futiles myfteres ,
voudroient que les Livres fuffent uniquement
à leur ufage , & qu'on dérobât aubr
peuple la plus foible lumiere , même dans
les matieres les plus indifférentes ; lumiere
qu'on ne doit pourtant gueres lui envier ,
parce qu'il en a grand befoin , & qu'il n'eſt
pas à craindre qu'elle devienne jamais bien in
vive. Nous croyons devoir penfer autrement
comme citoyens , & peut-être mê
me comme gens de Lettres .
Qu'on les interroge en effet prefque
.de
DECEMBRE. 1753. 119
tous, ils conviendront, s'ils font de bonne
foi , des lumieres que leur ont fourni les
Dictionnaires , les Journaux , les Extraits ,
les Commentaires , & les compilations
même de toute efpéce. La plûpart auroient
beaucoup moins acquis , fi on les avoit réduits
aux Livres abfolument néceffaires ,
En matiere de Sciences exactes , quelques
ouvrages lûs & médités profondément ,
fuffifent ; en matiere d'érudition , les originaux
anciens , dont le nombre n'eft pas
infini à beaucoup près , & dont la lecture
faite avec réflexion , difpenfe de celle de
tous les modernes ; car ceux ci ne peuvent
être , quand ils font fidéles , que l'écho de
leurs prédéceffeurs. Nous ne parlons point
des Belles- Lettres, pour lesquelles il ne faur
que du génie & quelques grands modéles ,
c'est-à - dire bien peu de lecture. La multiplication
des Livres eft donc pour le grand
nombre de nos Littérateurs un fupplément
à la fagacité , & même au travail ; & nul
d'entr'eux ne doit envier aux autres un
avantage dont il a tiré fouvent de fi grands
fecours.
Ainfi nous n'avons pas jugé à propos ,
comme quelques perfonnes l'auroient voulu
, de borner les articles de ce Diction
Daire à de fimples tables , & à des notices
des différens ouvrages où les matieres font
120 MERCURE DE FRANCE.
le mieux traitées. L'avantage d'un tel trade :
vail eût été grand fans doute , mais pour que
trop peu de perfonnes.
•
172
h
Un autre inconvénient que nous avo
dû éviter encore , c'eft d'être trop éter
dus fur chacune des différentes Science co
qui doivent entrer dans ce Dictionnaire, t
ou de quelques- unes aux dépens des and
tres. Le volume , fi on peut ainfi parlet,
que chaque fcience occupe ici , doit ê
proportionné tout à la fois , & à l'éten
due de cette fcience , & à celle du planque
nous nous propofons. L'Encyclopédie
tisfera fuffifamment à chacun de ces deur !!
points , fi on y trouve les principes for
damentaux bien développés , les détails
effentiels bien expofés & bien rapproch
des principes , des vûes neuves quelque
fois , foit fur les principes , foit fur lesde
tails , & l'indication des fources aufquel
les on doit recourir pour s'inftruire plas
fond. Nous n'ignorons pas cependant que
fur cet article il nous fera toujours impol
fible de fatisfaire pleinement les diven
ordres des Lecteurs. Le Littérateur tro
vera dans l'Encyclopédie trop peu
d'e
dition , le Courtifan trop de Morale , le
Théologien trop de Mathématique ,
Mathématicien trop de Théologie , &lur
& l'autre trop de Jurifprudence & de Me
decine
DECEMBRE .
1753.
121
decine . Mais nous devons faire obferver
que ce Dictionnaire eft une espéce d'ouvrage
cofmopolite , qui fe feroit tort à
lui- même par quelque préférence & prédilection
marquée ; nous croyons qu'il
doit fuffire à chacun de trouver dans l'Encyclopédie
la fcience dont il s'occupe ,
difcutée &
approfondie fans préjudice des
autres , dont il fera peut-être bien aife de
fe procurer une connoiffance plus ou moins
étendue. A l'égard de ceux que ce plan ne
fatisfera pas , nous les
renvoyerons pour
derniere réponſe à
l'apologue fi fage de
Malherbe à Racan ( d ) .
L'empire des Sciences & des Arts eft un
Palais irrégulier , imparfait , & en quelque
maniere monftrueux , où certains morceaux
fe font admirer par leur magnifieence
, leur folidité & leur hardieffe ; où
d'autres reffemblent encore à des maffes
informes ; où d'autres enfin que l'art n'a
pas même ébauchés , attendent le génie ou
le hazard. Les
principales parties de cet
édifice font élevées par un petit nombre
de grands hommes , tandis que les autres
apportent quelques matériaux , ou le bornent
à la fimple defcription . Nous tâcherons
de réunir ces deux derniers objets ,
(d) Voyez les Fables de la Fontaine , liv. II ,
Fab. I.
11. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
de tracer le plan du temple , & de remplir
en même tems quelques vuides. Nous
en Jaifferons beaucoup d'autres à remplir ;
nos defcendans s'en chargeront , & placeront
le comble , s'ils l'ofent ou s'ils le peuyent.
L'Encyclopédie doit donc par fa nature
contenir un grand nombre de chofes qui
ne font pas nouvelles, Malheur à un ouvrage
aufli vafte , fi on en vouloit faire
dans fa totalité un ouvrage d'invention !
Quand on écrit fur un fujet particulier &
borné , on doit , autant qu'il eft poffible ,
ne donner que des chofes neuves ; parce
qu'on écrit principalement pour ceux à
qui la matiere eft connue , & à qui l'on
doit apprendre autre chofe que ce qu'ils
fçavent ; c'eft aufli la maxime que plufieurs
des Auteurs de l'Encyclopédie fe flatent
d'avoir pratiquée dans leurs ouvrages particuliers
; mais il ne fçauroit en être de mê
me dans un Dictionnaire.
Il réfulte de ces réflexions , que l'Encyclopédie
doit fouvent contenir , foit par
extrait , foit même quelquefois en entier ,
plufieurs morceaux des meilleurs ouvra
ges en chaque genre : il importe feulement
au Public que le choix en foit fait
avec lumiere & avec oeconomie . Mais il
importe de plus aux Auteurs de citer exacDECEMBRE.
1753. 12 ;
tement les originaux , tant pour mettre le
Lecteur en état de les confulter , que pour
rendre à chacun ce qui lui appartient.
C'est ainsi qu'en ont ufé plufieurs de nos
collégues . Nous fouhaiterions que tous
s'y fuffent conformés ; mais du reste quand
un article eft bien fait , on en jouit également
, de quelque main qu'il vienne , &
l'inconvénient du défaut de citation , tou.
jours grand par rapport à l'Auteur , l'eſt
beaucoup moins par rapport à ce Dictionnaire.
Feu M. Rollin , ce citoyen refpectable ,
à qui l'Univerfité de Paris doit en partic
la fupériorité que les études y confervent
encore fur celles qu'on fait ailleurs , &
dont les ouvrages compofés pour l'inftruction
de la jeuneffe , en ont fait oublier
tant d'autres , fe permettoit d'inférer
en entier dans fes écrits les plus beaux
morceaux des Auteurs anciens & moder .
nes. Il fe contentoit d'avertir en général
dans les Préfaces , de cette efpéce de larcin
, qui par l'aveu même ceffoit d'en être
un , & dont le Public lui fçavoit gré ,
parce que fon travail étoit utile. Les Auteurs
de l'Encyclopédie oferoient ils avancer
que le cas où ils fe trouvent eft encore
plus favorable ? Elle n'eft & ne doit être
abfolument dans fa plus grande partie
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
qu'un Ouvrage recueilli des meilleurs Au
teurs ( e ) . Et plût à Dieu qu'elle fût en
effet un recueil de tout ce que les autres
Livres renferment d'excellent , & qu'il
n'y manquât que des guillemets !
Nous irons même plus loin que nos cenfeurs
fur la nature des emprunts qu'on a
faits . Bien loin de blâmer ces emprunts
en eux- mêmes , ou du moins ce qu'ils ont
produit , ils en ont fait les plus grands
éloges ; pour nous nous croyons devoir
être plus difficiles ou plus finceres . L'Auteur
de l'article ame , avoue , par exemple,
qu'il eût dû fe rendre plus févere fur les
endroits de cet article , qu'il a tirés d'un
ouvrage d'ailleurs utile (f) . De très - bans
juges ont trouvé ces endroits fort inférieurs
à ceux qui appartiennent en propre
à l'Auteur. Il n'étoit pas néceffaire , fur
tout dans un article de Dictionnaire où
l'on doit tâcher d'être court , d'accumuler
un fi grand nombre de preuves pour démontrer
une vérité auffi claire que celle
de la fpiritualité de l'ame ; comme elle eſt
du nombre de celles qu'on nomme fondamentales
& primitives , elle doit être ful-
( e ) C'est le titre même fous lequel on l'a ane
noncée dans le frontispice du Profpectus.
(f) Differtations fur l'existence de Dieu , par
M. Jaquelot. A la Haye , 1697.
DECEMBRE. 1753. 125
ceptible de preuves très fimples & fenfibles
aux efprits même les plus communs .
Tant d'argumens inutiles , déplacés , &
dont quelques- uns même font obfcurs
quoique concluans pour qui fçait les faifir
, ne ferviroient qu'à rendre l'évidence
douteufe , fi elle pouvoit jamais l'être . Un
feul raifonnement tiré de la nature bien
connue de deux fubftances, eût été fuffifant.
De même l'article amitié , dont la fin
eft tirée d'un Ecrivain moderne très eftimable
par plufieurs écrits ( g ) , fait voir
que cet Ecrivain n'étoit pas aufli bon Logicien
fur cette matiere que fur d'autres .
›
ne pouvoit trop donner de liberté &
d'étendue à cette égalité fi douce & fi néceffaire
fans laquelle l'amitié n'exifte
point , & par laquelle elle rapproche &
confond les états les plus éloignés . On ne
devoit point fur tout rapporter d'après cer
Auteur la réponſe d'un grand Prince à un
homme de fa maiſon ( h ) , fans faire voir
en même tems combien cette réponſe étoit
(g) Le P. Buffier , Jéfuite , dont les ouvrages
ont fourni d'ailleurs quelques excellens articles
pour l'Encyclopédie.
(b ) Cet homme montroit au grand Prince la
ftatue équeftre d'un héros , leur ayeul common :
celui qui eft deffous , répondit le Prince , eft le vô
tre; celui qui eft deffus eft le mien.
Fiij
126 MERCURE DEFRANCE,
injuriente & déplacée , combien le grand
Prince dont il s'agiz , étoit loin de l'être
en cette occaſion ; en un mot fans qualifier
plus ou mois féverement cette ré-
Fone , telon le ménagement qu'on doit
au Prince qui l'a faite , & qui nous eſt inconnu
, mais avec le refpect encore plus
grand qu'on doit au vrai , à la décence
& à l'humanité .
Bien loin de fe plaindre de ceux qui
ont relevé dans l'Encyclopédie quelques
défauts de citations , c'eft un reproche
dont on doit leur fçavoir gré , parce qu'il
engagera ceux qui fort tombés dans cette
faute à fe montrer plus exacts à l'avenir ;
mais nous croyons que l'examen rigoureux
des morceaux empruntés , fans aucune acception
de nom ni de perfonne , eût encore
été plus utile .
On peut lire dans l'Avertiffement le
refte de la réponſe aux objections ; mais
nous ne devons pas paffer fous filence
l'endroit fuivant .
Au refte , quelque jugement que l'on
porte de cet Ouvrage , difent les Editeurs ,
nous avons déja fait plufieurs fois une obfervation
qui nous importe trop pour ne
la pas répéter ici . Notre fonction d'Editeurs
confifte uniquement à mettre en ordre
à publier les articles que nous ont fourDECEMBRE.
1753. 127
ni nos Collegues ; à fuppléer ceux qui
n'ont pas été faits , parce qu'ils étoient
communs à des fciences différentes ; à refondre
quelquefois en un feul les articles
qui ont été faits fur le même fujet par différentes
perfonnes , défignées toutes en ce
cas à la fin de l'article. Voilà à quoi fe
borne notre travail. Bien éloignés de nous
parer de cette fcience univerfelle , qui
feroit pour nous le plus fûr moyen de ne
rien fçavoir , nous ne nous fommes engagés
ni à corriger les fautes qui peuvent fe
gliffer dans les morceaux qui nous ont été
fournis , ni à recourir aux livres que nos
Collegues ont pû confulter. Chaque Auteur
eft ici garant de fon ouvrage ; c'est
pour cela que l'on a défigné celui de chacun
par des marques diftinctives en un
mot , perfonne ne répond de nos articles
que nous , & nous ne répondons que de
nos articles l'Encyclopédie eft à cet
égard dans le même cas que les Recueils
de toutes nos Académies. Il n'eft point
d'ailleurs de Lecteur équitable qui ne doi
ve ici fe mettre à notre place , & juger
avec impartialité les difficultés de toute
efpece que l'on a dû éprouver pour faire
concourir tant de perfonnes à un même
objet. On n'a jamais dû s'attendre , & il
eft impoffible par une infinité de raiſons ,
:
F iiij
12S MERCURE DE FRANCE..
que tout foit de la même force dans l'Encyclopédie.
Mais la route eft du moins ouverte
, & c'eft peut- être avoir fait quelque
chofe ; d'autres plus heureux arracheront
en paix les épines qui restent encore dans
cette terre que la deftinée févere ou propice
nous á donné à défricher. Les enfans ,
dit le Chancelier Bacon , font foibles &
imparfaits au moment de leur nailfance
, & les grands ouvrages font les enfans
du tems .
Après l'avis que nous avons donné ,
que chacun de ceux qui ont travaillé à
cette Encyclopédie , foit Aureurs , foit
Editeurs , eft ici garant de fon ouvrage &
de fon ouvrage feal ; nous ajouterons que
ceux d'entre nos Collegues qui jugeront à
propos de répondre aux critiques que l'on
pourra faire de leurs ' articles , feront les
maîtres de publier leurs réponses au commencement
de chaque volume. A l'égard
des critiques qui nous regarderont perfonnellement
l'un ou l'autre , ou qui tomberont
fur l'Encyclopédie en général ,
nous en diftinguerons de trois efpeces.
Dans la premiere claffe font les critiques
purement littéraires . Nous en profiterons fi
ellesfont bonnes , & nous les laifferons dans
l'oubli fi elles font mauvaiſes. Prefque tou
tes celles qu'on nous a faites jufqu'ici
DECEMBRE . 1753. 129
ant été
par malheur
de cette
derniere
efpece
, fur tout
quand
elles
ont eu pour
objet
des matieres
de raifonnement
ou
de Belles
Lettres
, dans
lesquelles
nous
n'avions
fait que fuivre
& qu'expofer
le
fentiment
unanime
des vrais
Philofophes & des véritables
gens
de goût . Mais
il eft
des préjugés
que la Philofophie
& le goût
ne fçauroient
guérir
, & nous
ne devons pas nous
flater
de parvenir
à ce que ni
l'un
ni l'autre
ne peuvent
faire
.
Au refte , nous croyons que la démocratie
de la république des Lettres doit s'étendre
à tout , jufqu'à permetre & fouffrir
les plus mauvaiſes critiques quand elles
n'ont rien de perfonnel . Il fuffit que cetse
liberté puiffe en produire de bonnes.
Celles- ci feront auffi utiles aux ouvrages
, que les mauvaifes font nuifibles
ceux qui les font. Les Ecrivains profonds
& éclairés , qui par des critiques judicieufes
ont rendu ou rendent encore un véritable
fervice aux Lettres , doivent faire
fupporter patiemment ces cenfeurs fubalternes
, dont nous ne prétendons défigner
aucun , mais dont le nombre fe multiplie
chaque jour en Europe , qui fans que perfonne
l'exige , rendent compte de leurs
lectures , ou plutôt de ce qu'ils n'ont pas
lû ; qui femblables aux grands Seigneurs ,
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
qu'a fi bien peints Moliere , fçavent tout
fans avoir rien appris , & raifonnent prefque
auffi bien de ce qu'ils ignorent que de
ce qu'ils croyent connoître ; qui s'érigeant
fans droit & fans titre un tribunal où tout
le monde eft appellé fans que perfonne y
comparoiffe , prononcent d'un ton de maître
& d'un ftile qui n'en eſt pas , des arrêts
que la voix publique n'a point dictés ;
qui dévorés enfin par cette jaloufie baffe ,
l'opprobre des grands talens & la compagne
ordinaire des médiocres , aviliffent
leur état & leur plume à décrier des travaux
utiles .
Mais qu'une critique foit bien ou mal
fondée , le parti le plus fage que les Auteurs
intérellés ayent à prendre , c'eft de
ne pas citer leurs adverfaires devant le pu
blic. La meilleure maniére de répondre
aux critiques littéraires qu'on pourra faite
de l'Encyclopédie en général , feroit de
prouver qu'on auroit pû encore y en ajouter
d'autres. Perfonne peut - être ne feroit
plus en état que nous de faire l'examen
de cet ouvrage , & de montrer que
la malignité auroit pû être beaucoup plus
heureufe. Qu'on ne s'imagine pas qu'il y
ait aucune vanité dans cette déclaration.
Si jamais critique fut facile , c'eſt celle
d'un ouvrage auffi confidérable & aufli vaDECEMBRE
1753. 131
rié , & nous connoiffons affez intimement
l'Encyclopédie , pour ne pas ignorer ce
qui lui manque peut-être le prouveronsnous
un jour , fi nous parvenons à la finir ;
ce fera pour lors le tems & le lieu d'expofer
ce qui reste à faire , foit pour la perfectionner
, foit pour empêcher qu'elle ne
foit détériorée par d'autres . Mais en attendant
que nous puiffions entrer dans ce détail
, nous laifferens la critique dire tout
le bien & tout le mal qu'elle voudra de
nous ; ou s'il nous arrive quelquefois de
la relever , ce fera rarement , en peu de
mots , dans le corps même de l'ouvrage ,
& pour entrer dans des difcuffions vraiment
néceffaires , ou pour defavouer des
éloges qu'on nous aura donnés mal à propos.
Nous placerons dans la feconde claffe
les imputations odieufes contre nos fentimens
& notre perfonne , fur lesquelles
c'eft à l'Encyclopédie elle- même à nous
défendre , & aux honnêtes gens à nous
venger.
L'Auteur du Difcours préliminaire fait
mention ici des attaques que ce Difcours
a effuyées dans un ouvrage périodique , &
de la fatisfaction qu'on lui a donnée ſur
ces attaques.
Qu'il nous foit permis, ajoutent les Edi
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
teurs , de nous arrêter un moment ici fur
ces accufations vagues d'irréligion , que
l'on fait aujourd'hui ,tant de vive voix que
par écrit , contre les gens de Lettres . Ĉes
imputations , toujours férieufes par leur
objet , & quelquefois par les fuites qu'elles
peuvent avoir , ne font que trop fouvent
ridicules en elles -mêmes par les fondemens
fur lefquels elles appuient . Ainfi
quoique la fpiritualité de l'ame foit énoncée
& prouvée en plufieurs endroits de çe
Dictionnaire , on n'a pas eu nonte de nous
taxer de matérialifme , pour avoir foutenu
ce que toute l'Eglife a cru pendant douze
fiécles , que nos idées viennent des
fens. On nous imputera des abfurdités aufquelles
nous n'avons jamais penfé . Les
lecteurs indifférens & de bonne foi iront
les chercher dans l'Encyclopédie, & feront
bien étonnés d'y trouver tout le contraire,
On accumulera contre nous les reproches
les plus graves & les plus oppofés. C'eſt
ainfi qu'un célebre Ecrivain , qui n'eft ni
Spinoffte ni Déiſte , s'eſt vû accufé dans
une Gazette fans aveu , d'être l'un & l'autre,
quoiqu'il foit aufli impoffible d'être tous les
deux à la fois , que d'être tout enſemble Idolâtre
& Juif. Le cri ou le mépris public nous
difpenferont fans doute de repouffer par
nous-mêmes de pareilles attaques ; mais à
DECEMBRE . 1753. 133
ils
l'occafion de la feuille hebdomadaire dont
nous venons de parler , & qui nous a fait
le même honneur qu'à beaucoup d'autres ,
nous ne pouvons nous difpenfer de dévoi
ler à la république des Lettres les hommes
foibles & dangereux dont elle a le plus à
fe défier , & l'efpece d'adverfaires contre
lefquels elle doit fe réunir . Ennemis apparens
de la perfécution qu'ils aimeroient
fort s'ils étoient les maîtres de l'exercer ,
las enfin d'outrager en pure perte toutes
les Puiffances fpirituelles & temporelles ,
prennent aujourd'hui le trifte parti de
décrier fans raifon & fans mefure ce qui
fait aux yeux des Etrangers la gloire de
notre Nation , les Ecrivains les plus célebres
, les Ouvrages les plus applaudis , &
les Corps littéraires les plus eftimables :
ils les attaquent , non par
intérêt pour
Religion dont ils violent le premier précepte
, celui de la vérité , de la charité &
de la juftice ; mais en effet pour retarder
de quelques jours par le noni de leurs adverfaires,
l'oubli où ils font prêts à tomber :
femblables à ces aventuriers malheureux ,
qui ne pouvant foutenir la guerre dans
leur pays , vont chercher au loin des com
bats & des défaites ; ou plutôt femblables
à une lumiere prête à s'éteindre , qui ranime
encore fes foibles reftes pour jetter
la
134 MERCURE DE FRANCE.
now
trag
un peu d'éclat avant que de difparoitre. de
Ofons le dire avec fincérité , & pour l'a- qu'
vantage de la Philofophie , & pour celui
de la Religion même . On auroit befoin
d'un écrit férieux & raifonné contre les
perfonnes mal-intentionnées & peu inftrui
tes , qui abufent fouvent de la Religion
pour attaquer mal -à - propos les Philofophes
, c'eft-à-dire pour nuire à fes intérêts
en tranfgreffant fes maximes : c'eft un ou
vrage qui manque à notre fiécle.
les
teri
&
aux
1
tario
do
Les critiques de la derniere claffe , &
anfquels nous aurons le plus d'égard , con que
fiftent dans les plaintes de quelques per- e
fonnes à qui nous n'aurons pas rendu jul
tice. On nous trouvera toujours difpo
fés à réparer promptement ce qui pourra
offenfer dans ce livre , non feulement les fr
perfonnes eftimées dans la littérature , t
mais celles même qui font le moins cont
nues , quand elles auront fujet de fe plaind
dre. Nous en avons déja donné des preu
ves. Perfonne n'eft moins avide que nous ne
du bien des autres , & n'applaudit avec ter
plus de plaifir à leurs travaux & à leurs
fuccès. Au défaut d'autres qualités , nous &
tâcherons de mériter le fuffrage du Public, fo
par le foin que nous aurons de chercher c
la vérité , plus chere pour nous que notre
ouvrage , & bien plus que notre fortune;
CO
DECEMBRE. 1753. 135
de la dire tout à la fois avec la févérité
qu'elle exige , & avec la modération que
nous nous devons à nous- mêmes ; de n'outrager
jamais perfonne , mais de ne refpec
ter aufh que deux chofes , la Religion &
les Loix ; ( nous ne parlons point de l'autorité
, car elle n'en eft point différente ,
& n'eft fondée que fur elles ) de rendre
aux ennemis même de l'Encyclopédie la
justice la plus exacte ; de donner fans affec
tation & fans malignité aux Auteurs médiocres
, même les plus vantés , la place
que leur affignent déja les bons juges , &
que nos defcendans leur deftinent ; de
diftinguer , comme nous le devons , ceux
qui fervent la république des Lettres fans
la juger , de ceux qui la jugent fans la
fervir ; mais fur tont de célébrer en toute
occafion les hommes vraiment illuftres de
notre fiécle , aufquels l'Encyclopédie fe
doit par préférence. Elle tâchera de leur
rendre d'avance ce tribut fi jufte , qu'ils
ne reçoivent prefque jamais de leurs contemporains
fans mélange & fans amertume ,
qu'ils attendent de la génération fuivante
& dont l'efpoir les foûtient & les confole ,
foible reflource fans doute ( puifqu'ils ne
commencent proprement à vivre que
quand ils ne font plus ) mais la feule que
le malheur de l'humanité leur permette,
136 MERCURE DE FRANCE.
L'Encyclopédie n'a qu'une chofe à regret
ter , c'est que notre fuffrage ne foit pas
d'un affez grand prix pour les dédommager
de ce qu'ils ont à fouffrir , & que
nous nous bornions à être innocens de
leurs peines , fans pouvoir les foulager.
Mais ce foible monument que nous cherchons
à leur confacrer de leur vivant même,
peu néceffaire à ceux qui en font l'ob
jet , eft honorable à ceux qui l'élevent,
Les fiécles futurs , s'il parvient juf
qu'à eux , rendront à nos fentimens & à
notre courage la même juftice que nous
aurons rendu au génie , à la vertu , & aux
talens ; & nous croyons pouvoir nous ap
pliquer ce mot de Cremutius Cordus à
Tibere : » Non - feulement on fe fouvien-
» dra de Brutus & de Caffius , on fe fou-
» viendra encore de nous.
L'ufage fi ordinaire & fi méprifable de
décrier les contemporains & fes compatriotes
, ne nous empêchera pas de prou
ver par le détail des faits , que l'avanta
ge n'a pas été en tout genre du côté de nos
ancêtres , & que les Etrangers ont peutêtre
plus à nous envier que nous à eux . Enfin
nous nous attacherons autant qu'il fera
poffible, à infpirer aux gens de Lettres
cet efprit de liberté & d'union , qui fans
les rendre dangereux , les rend eftimables ;
DECEMBRE. 1753. 137
qui en fe montrant dans leurs ouvrages ,
peut mettre notre fiécle à couvert du re
proche que faifoit Brutus à l'éloquence
de Ciceron , d'être fans reins & fans vigueur
qui femble , nous le difons avec
joye , faire de jour en jour de nouveaux
progrès parmi nous ; que néanmoins certains
Mecenes voudroient faire paffer pour
Cynique , & qui le fera fi l'on veut , pour
vû qu'on n'attache à ce terme aucune
idée de révolte ou de licence . Cette maniere
de penfer , il eft vrai , n'eft le chemin
ni de l'ambition , ni de la fortune . Mais
la médiocrité des défirs eft la fortune du
Philofophe ; & l'indépendance de tout ,
excepté des devoirs , eft fon ambition.
Senfibles à l'honneur des Lettres dont nous
faifons moins partie par nos talens que
par notre attachement pour elle , nous
avons réfolu de réunir toutes nos forces ,
pour éloigner d'elle , autant qu'il eft en
nous , les périls , le dépériffement & la dégradation
dont nous la voyons menacée ;
qu'importe de quelle voix elle fe ferve ,
pourvû que les vrais intérêts foient connus
de ceux qui la compofent ?
Malgré ces difpofitions , nous n'efperons
pas à beaucoup près réunir tous les fuffrages
; mais devons -nous le défirer ? Un ouvrage
tel que l'Encyclopédie a befoin de
138 MERCURE DE FRANCE.
cenfeurs , & même d'ennemis. Elle leut
doit les efforts & l'émulation des Auteurs ;
elle leur doit l'indulgence du Public , qui
finit toujours & commence quelquefois
par être jufte , & que l'animofité bleffe
encore plus que la fatyre n'amufe. S'il a
favorifé l'exécution de cet ouvrage , ce
n'eft pas que les défauts lui en ayent échappé
, & comment l'auroient- ils pû ? Mais
il a fenti que le vrai moyen d'animer les
Auteurs , & de contribuer ainfi par fon
fuffrage au bien & à la perfection de ce
Dictionnaire , étoit de ne pas ufer envers
nous de cette févérité qu'il montre quelquefois
, & que le défir de lui plaire nous
eût fait fupporter avec courage ......
L'Encyclopédie ne peut manquer fur
tout d'intéreffer en général tous les gens
de Lettres , c'eft auffi à eux que nous nous
adreffons , en demandant pour la derniere
fois leurs lumieres & leurs fecours . Nous
les conjurons de nouveau de fe réunir
avec nous pour l'exécution d'un Ouvrage
dont nous voudrions faire celui de la Nation
, & auquel notre défintéreffement &
notre zéle doivent rendre tous les honnêtes
gens favorables .
Voilà ce que nous avions à dire fur
l'Encyclopédie & far nous. Nous ne pen
ferons plus maintenant qu'à ébaucher dans
a
P
DECEMBRE . 1753. 139
la retraite & dans le filence ce monument
à la gloire de la France & des Lettres. La
déclaration expreffe que nous faifons de
ne répondre de rien , l'injuftice qu'il y
auroit à l'exiger de nous , fur tour après es
mefures que le Gouvernement a prifes
pour nous en décharger , la réfolution où
nous fommes de chercher la récompenſe
de notre travail dans notre travail même ,
l'obscurité enfin cù nous aimons à vivre
tout femble affurer notre repos. Nous ne
demandons qu'à être utiles & oubliés ; &
en tâchant par notre travail de nous procurer
le premier de ces avantages , il fe
roit injufte que nous ne puiffions obtenir
l'autre . A l'abri des feals traits vraiment
dangereux & vraiment fenfibles , que la
malignité puiffe lancer contre nous , que
pourra- t'elle tenter déformais contre deux
hommes de Lettres , que les réflexions ont
accoutumé depuis long- tems à ne crain
dre ni l'injustice ni la pauvreté ; qui
ayant appris par une trifte expérience ,
pon à méprifer , mais à redouter les hommes
, ont le courage de les aimer , & la
prudence de les fuir ; qui fe reprocheroient
d'avoir mérité des ennemis , mais qui ne
s'affligeront point d'en avoir , & qui ne
peuvent que plaindre la haine ,› parce
qu'elle ne fçauroit rien leur enlever qui
140 MERCURE DE FRANCE.
DION
1
de c
excite leurs regrets ? Solon s'exila de fala
patrie quand il n'eut plus de bien à la sér
faire. Nous n'avons pas fait à la nôtrele
même bien que ce grand homme fit à la de
fienne , mais nous lui fommes plus atta
chés. Réfolus de lui confacrer nos veilles
( à moins qu'elle ne ceffe de le vouloir )
nous travaillerons dans fon fein à donner
à l'Encyclopédie tous les foins dont nous
fommes capables , jufqu'à ce qu'elle foit
affez heureuſe pour paffer en des meilleu
res mains. Après avoir fait l'occupation
orageufe & pénible des plus précieufes an
nées de notre vie , elle fera peut - être l
confolation des dernieres . Puiffe- t'elle ,
quand nos ennemis & nous ne ferons plus,
être un témoignage durable de nos fenti
mens & de leur injuftice ! Puiffe la pofte
rité nous aimer comme gens de bien , k
elle ne nous cftime comme gens de Ler
tres ! Puiffe enfin le public , fatisfait de
notre docilité , fe charger lui même de
répondre à tout ce qu'on pourra faire ,
die ou écrire contre nous ! C'eft un foin
dont nous nous repoferons dans la fuite
fur nos lecteurs & fur notre ouvrage. Sou
venons-nous , dit l'un des plus beaux g
nies qu'ait jamais eu notre Nation ( 1),
(i) Préface d'Alzire,
Con
DECEMBRE. 1753. 141
de la fable de Bocalini : » Un voyageur
» étoit importuné du bruit des cigales ; il
» voulut les tuer , & ne fit que s'écarter
२
de fa route ; il n'avoit qu'à continuer
» paisiblement fon chemin , les cigales fe-
» roient mortes d'elles-mêmes au bout de
» huit jours.
Cet Avertiffement eft fuivi d'une lifte
de ceux qui ont fourni des fecours pour
ce nouveau volume , & d'un Errata relatif
à l'Avertiffement.
Quelque accueil que le public ait fait
aux deux premiers volumes , il nous pa
roît que celui- ci leur eft généralement
trouvé fort fupérieur . M. le Chevalier de
Jaucourt & M. Boucher d'Argis y paroif-
Tent fur tout l'un & l'autre avec beaucoup
d'avantage , par la quantité & la bonté de
leurs articles. M. Diderot continue à faire
briller dans tous les fiens la fagacité , l'étendue
de connoiffances , l'efprit philofophique
, & le talent d'écrire dont il a déja
donné tant de preuves. Les articles d'Agriculture
& de Commerce , faits par de nou
veaux collegues , méritent beaucoup d'être
lûs. Il feroit trop long d'indiquer ici tous
les articles qui font dignes de l'être . Il
nous paroît que le Gouvernement & le
Public ne fçauroient trop favorifer cette
grande entreprife , dont l'exécution fe perfectionne
de jour en jour,
141 MERCURE DE FRANCE.
L'ETAT du Ciel pour l'année 1754
calculé fur les Tables de Halley , & rapporté
à l'ufage de la Marine ; par A. G.
Pingré , Chanoine Régulier , Correfpon
dant de l'Académie des Sciences , Alſocié
de celle de Rouen . A Paris , chez Durand,
rue Saint Jacques , au Griffon ; & Piffo ,
Quai de Conti. 1754 , in-8°.
desC
T
de la
te
Tab
o
Cet ouvrage a été approuvé par l'Acadé Chap
mie des Sciences , comme ne devant pas
Jacq
être moins utile aux Aftronomes qu'aux !
Navigateurs. En effet on y trouvera toutes
les pofitions du Soleil & des Planetes, Me
calculées avec un foin extrême fur les Tables
de M. Halley ; le lieu & la latitude
de la Lune y font déterminés de 12 en 1 :
heures. On a pareillement marqué en heu - Nav
res , minutes & fecondes les paffages de la
Lune au Méridien de Paris , & au Méri- e
dien diamétralement oppofé à celui des
Paris. Quoique tout foit calculé pour le
Méridien de Paris , il fera très- facile d'en kat
faire ufage fous tout autre Méridien que
red
leat
cli
te puiffe être , par le moyen des Tables Fro
qui fuivent les mois , & dont plufients
font de l'invention de M. Pingré. Les Tables
font fuivies d'une explication fuffifante
de tout ce qui précéde. Le public
doit être content de l'exécution de l'ouvrage
, tant par rapport à l'exactitude de
動
DECEMBRE. 1753. 143
impreffion , que par rapport à la beauté
des caractéres,
TABLES Aftronomiques du Soleil &
de la Lune , avec les obfervations du paffage
au Méridien de cette derniere Pla
nete , faites par M. Halley à Greenwich ,
traduites en François par M. l'Abbé de
Chappe, AParis , chez Durand , rue Saint
Jacques , au Griffon , in- 8°. 328 pages.
Les additions qui ont été faites à ces
Tables , & qui ont été communiquées à
Meffieurs de l'Académie des Sciences ,
nommés Commiffaires pour l'examen de
cet ouvrage , font :
1º . De nouvelles méthodes à l'ufage des
Navigateurs , pour trouver tant fur mer
que fur terre , à l'aide des Tables & des
obfervations que l'on publie , les longitu
des à un degré près on vingt lieuës , & même
avec encore plus de précifion , s'il fe préfente
quelqu'occafion d'y appercevoir les
éclipfes des étoiles par la Lune, Cette approximation
dont les Officiers de la Marine
font déja ufage depuis quelques an
nées , mérite que l'on fe néglige moins que
l'on ne l'a fait jufqu'ici , fur un article qui
intéreffe fi fort la fureté & la vie des Navigateurs.
2. Le Traité de M. Halley fur le vent
144 MERCURE DE FRANCE.
alité & des mouffons , avec la caufe phyfi .
que qu'il affigne à ce phénoméne , fe trouve
inferé & traduit en entier dans un Appendix
que l'on a imprimé à la fuite des
Tables.
3°. On y trouvera auffi de nouvelles
conjectures fur la cauſe générale des vents ,
& fur le retour du vent d'Oueſt dans les
zônes tempérées , avec des obfervations
qui confirment l'hypothéfe que l'on a embraffée.
C'est le fujet de la premiere & de
la feconde partie d'une Lettre qui accompagne
le Traité hiftorique de M. Halley
fur le vent alifé.
Il eft prefque inutile d'avertir ici que les
Tables de la Lune de M. Halley font conftruites
fur la théorie de M. Newton , c'eſtà-
dire fur la feule théorie qui puifle fubfifter
aujourd'hui : on y trouvera auffi de
nouvelles obfervations de la Lune en 1736
& 1737.
FABLES moralifées en quatrains , par
M. de la Cour Damonville. A Paris , chez
la veuve Quillau , rue Galande . 1753 , in-
8°.49 pages .
L'Auteur a réduit en quatrains les fables
les plus connues & les moralités qu'el
les renferment, afin que les enfans puident
les retenir plus aifément. On jugera du
degré
DECEMBRE. 145 1753 .
degré d'utilité de cette entreprife par les
Fables que nous allons copier .
Le Renard flatant le Corbeau.
Ce Corbeau que tranfporte une vanité folle .
S'aveugle & ne s'apperçoit point
Que pour mieux le duper un flateur le cajolle.
Hommes, qui d'entre vous n'eft corbeau fur ce
point?
Le Renard & les Raifins.
Quels beaux raifins ! ils font à peindre ,
Difoit en les voyant maître croque-poulet :
Il y fauta cent fois , mais n'y pouvant atteindre
Ils font trop verds , dit- il . Gafcon , c'eft ton por
trait.
Le Renard & le Bouc.
Le bouc & le renard dans un puits vont deſcen
dre ;
Sur les cornes du bouc le renard s'en tira ,
Et lui dit , cher ami , quoiqu'on veuille entre
prendre ,
Il faut prévoir la fin ; adieu , fonge à cela.
La Cigale & la Fourmi.
Fourmi , dit la cigale , hélas ! un peu de graines
Je n'ai rien , & l'hiver eft fi long à paſſer :
Qu'as-tu donc fait l'été ? j'ai chanté dans la plaine
Hé bien vas y danfer.
II. Vol G
146 MERCURE1
DE FRANCE,
L'homme entre deux âges & fes deux
Maîtreffes.
Deux femmes , l'ane jeune, & l'autre à quarante
ans ,
Manioient les cheveux de leur grifon fidéle :
La vieille ôtoit les noirs , & la jeune les blancs..
Ah! pauvre for , tu crois qu'on te frife ; on te péle.
L'Ecolier & le Pédant.
Dans l'eau tombe un enfant ; il attrape un bran
chage ,
Crie à l'aide : un pédant qui demeuroit là près ,
Le gronde en le voyant , moraliſe ſur l'âge :
Hé! tirez-le de là , vous parlerez après.
Le Loup & le Chien.
·
Un jour un maigre loup rencontrant un gros
chien ;
J'admire , lui dit- il , ta graiſſe & ton corſage ;
Mais qui te péle ainfi par le col ? ce n'eft rien ,
Mon colier... Je t'entends , adieu , point d'eſcia
vage .
La Grenouille & le Boeuf.
Une grenouille un jour voyant un boeuf près
d'elle ,
S'efforçoit en 's'enflant de s'égaler à lui ;
Elle en crêva la bête , & devint le modelle
De la vanité d'aujourd'hui.
DECEMBRE . 1753. 147
La Cygogne & le Renard.
A dîner le renard invita dans fa joye
La cygogne , & fervit fur un plat du brouet ;
Elle à fouper fervit dans un bocal étroit ,
Et paya le trompeur de fa même monnoye
Le Renard & le Cocq .
Le renard dit au cocq , ami , plus de querelle ;
Defcends , la paix eft faite , ainfi qu'au fiécle d'or :
De deux chiens , dit le cocq , j'en attends la nouvelle
,
Je les vois accourir , le renard fuit encor.
L'ESPRIT de Montaigne , ou les maximes
, penſées , jugemens & réflexions de
cet Auteur , rédigées par ordre de matieres.
Deux volumes in- 12 . A Berlin , &
fe vend chez Prault fils , Quai de Conti ,
à la defcente du Pont-Neuf.
D
» Il n'eft guéres d'Auteur , dit M. Peffe-
» lier , dont la réputation foit plus étendue
, & j'ofe le dire , mieux établie
que
» celle de Montaigne ; cependant il eft
» peu d'Ecrivains moins lûs que celui-ci.
» Ses digreffions continuelles qui ne laiffent
dans fes difcours aucun ordre , au-
» cune liaiſon ; les fréquentes citations qui
» font que ce qui eft de lui fe trouve
comme noyé dans ce qu'il emprunte
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
ود
» d'autres Ecrivains ; fes répétitions qui
» allongent confidérablement fon ouvrage ;
» fon ftyle enfin qui n'est pas toujours à
» la portée de tout le monde , font autant
»de défauts confidérables aux yeux de la
» plupart des lecteurs , & principalement
» de ceux qui ne donnent à la lecture que
» les inftans qu'ils confacrent à l'amufement
; les digreffions les égarent , les ci-
»tations les ennuyent , les répétitions les
» rebutent , le ſtyle les dégoûte ; tout le
» monde n'eft pas affez courageux pour
» chercher à développer au milieu de tout
» cela d'excellentes qualités & de grandes
perfections. Quel dommage néanmoins
»que celles de Montaigne demeurent
» comme enfévelies dans l'oubli pour un fi
>> grand nombre de lecteurs de l'un & de
»l'autre fexe , & fur tout de celui que la
>> fineffe de l'efprit & la délicateffe des fen-
»timens met en poffeffion de faire la for-
» tune de tant d'ouvrages. Ces lecteurs ne
fçavent gueres de Montaigne que ce
» qu'ils en lifent ailleurs , ou ce qu'ils en
» entendent citer ; & l'on doit autant plus
>> regretter qu'ils n'en fçachent pas davanntage
, que peut-être font- ils plus en état
» que les autres d'en faifir tout le bon , &
» de s'en fervir utilement.
C'est pour leur en procurer le moyen ,
DÉCEMBRE . 1753. 149
autant qu'il m'eft poffible de le faire , que
» j'ai recherché , recueilli & rangé fous un
»petit nombre de titres généraux ce que
Montaigne a écrit fur chacune de ces matieres.
J'ai donc raffemblé fes pensées ,
» fes maximes , fes réflexions , fes jugemens
, fon efprit ; en un mot , mais je
»n'ai point choifi , je rapporte ce qu'il a
» dit , & non ce qu'il a dit de mieux.
Choifir eût été décider ; décider , c'eſt
juger ; juger , c'eft entreprendre fur les
» droits du public , & le public eft toujours
»jaloux de fon autorité .
» Le plan que je me fuis formé de ne
prendre dans Montaigne que ce qui eſt
» de lui , que ce qui le peint , ne m'a pas
»permis de laiffer fubfifter les chofes purement
hiftoriques qui forment une fi
grande partie de fon ouvrage , & les ci-
» tations qui y font en fi grand nombre , à
» moins qu'elles ne foient accompagnées
» de quelques maximes , de quelques ré-
» flexions , de quelques jugemens qui ca-
» ractérisent la façon de penfer de l'Au-
39
Яteur.
" Je n'ai pas agi avec la même févérité
» fur les répétitions , lorfqu'elles m'ont
» paru fervir à rendre la penfée de l'Ecri-
» vain d'une maniere differente , & quel-
» quefois embaraffante pour le choix . Ce
n
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
»n'eft pas un spectacle indifferent pour
des lecteurs intelligens & pour les gens
" de goût, que de voir un Auteur fe multiplier
, pour ainfi dire, lui -même , par les
differentes manieres de rendre fa penfée.
" Quant au ftyle , j'ai cru devoir entie-
» rement le refpecter : le projet de le tra-
» duire ( fi l'on peut ufer de ce terme )
»projet plus ingénieux que folide , a échoué,
" & je penfe qu'il ne pouvoit pas réuffir ;
»car ( outre que Montaigne eft encore
fort intelligible , eu égard au tems où il
» a vêcu ) fes expreffions ont un tour ner
veux , vif, original, qui ne contribuent pas
à le faire valoir , & qui font à mon
»fens , que l'on ne pourroit les toucher
»fans les affoiblir confidérablement , &
» fans altérer même le fond de la peníée :
» celles de Montaigne habillées à la mo-
» derne , perdroient , à ce que je crois ,
une partie de leur force & de leur agré-
» ment. Je me fuis donc contenté dans les
» endroits où l'expreffion m'a paru fi furannée
qu'elle est devenue inintelligible ,
» de placer en lettres italiques à côté de
l'ancien terme , celui que notre ufage lui
» a fubftitué pour rendre la même idée.
»
» peu
"
Ce plan eft exécuté avec le goût qu'on
pouvoit defirer. L'efprit de Montaigne eft
réellement tout entier dans les deux volu
mes que nous annonçons.
DECEMBRE 1753.
LETTRE du Commandeur de ***
à Mademoiſelle de *** , avec les réponfes
publiées par M. le Chevalier de Mouhy
, de l'Académie des Belles Lettres de
Dijon ; troifiéme partie. A Paris , chez
Jorry , Quai des Auguftins , & Duchesne ,
rue Saint Jacques , 1753. Un vol . in. 12.
La multitude d'ouvrages qui font fortis
de la plume de M. le Chevalier de Mouhy,
pourroit faire foupçonner qu'il le répéte.
Le foupçon feroit faux , quoique raiſonnable
; cer Ecrivain a une imagination fi
riche , que le fond de tous fes Romans
eft different. Nous l'affarons en particulier
de celui qui nous donne occafion de
faire la réflexion .
ON vend chez Duchefne , Libraire , rue
Saint Jacques , au Temple du Goût , les
Calendriers fuivans , pour l'année 1754.
Almanach hiftorique & chronologique
de tous les Spectacles de Paris , pour les
années 1752 , 1753 & 1754.
Almanach des Beaux Arts , contenant
les noms & ouvrages de tous les Auteurs
François qui vivent actuellement , 1753 ,
1754.
Almanach des Corps des Marchands ,
Arts & Communautés du Royaume.
Almanach Eccléfiaftique.
G iiij
152 MERCURE DE FRANCE.
Almanach des Fables , pour les années
$ 753 , 175.4.
Almanach chantant du beau Sexe , nouvelle
Ethomancie des Dames , ou Divination
de leurs caracteres.
Almanach danfant & chantant , contenant
plufieurs Rondes ou Chanfons à danfer.
Nouvelles Lotteries , ou Etrennes magiques.
Tablettes de Thalie , ou Calendrier de
l'efprit & du coeur.
Deux Almanachs des Fables , en Vaudevilles.
Nouveau Calendrier du Deftin , précédé
de tous les amuſemens de Paris.
Almanach des Francs Maçons .
Almanach des Franches - Maçonnes.
Etrennes curieufes & utiles aux Francs-
Maçons , avec un extrait hiftorique des
Maçons Ecoffois .
Nouvelles Tablettes de Thalie , ou les
promenades de Paris.
L'Oracle de Cythere , ou Calendrier du
Berger.
Perte & gain , avec une Table alphabétique
de tous les jeux qui fe jouent en
Europe.
DECEMBRE . 1753. 153
50 50 302 303 304 305 : 506 506 502 502 506 502 502 50
En rendant compte de la difpute qui
Seft élevée depuis quelque tems entre M.
le Cat & le Frere Cofme , fur la maniere de
faire l'opération de la taille , nous nous fommes
ainfi exprimés pag. 121 du Mercure
de Novembre.
» M. le Cat vient de publier à Rouen , &
» on trouve à Paris chez Delaguette, fa cine
quiéme Lettre contre le Litothome caché.
" Le Frere Cofme ne répond à tant d'atta-
" ques qu'en continuant à fe fervir de
cet inftrument , avec un fuccès d'une fi
grande publicité , qu'il eft enfin avoué
généralement.
Cette maniere de nous exprimer a donné
occafion à la Lettre fuivante.
LETTRE de l'Académie de Chirurgie
à M. l'Abbé Raynal.
M ง
ONSIEUR , après avoir annoncé
dans le Mercure de Novembre
pag. 21 , la cinquiéme Lettre de M. le
Cat contre le Litothome caché , vous ajoûrez
ce qui fuit ; Le Frere Cofme ne repond à
tant d'attaques qu'en continuant à ſe ſervir
de cet inftrument avecunfuccès d'une figrande
Gy
154 MERCURE DEFRANCE.
publicité , qu'il eft enfin avoué généralement.
Que le mot avoué tombe fur l'inftrument
du Frere Cofme , ou fur le fuccès
obtenu par l'inftrument , il eft certain
qu'au fond c'eft la même chofe . Cela pofé
, l'Académie a dû voir avec furprile un
jugement auffi pofitif porté par un Journalifte
, qui femble être dans ce moment
l'écho de toute la Chirurgie. Très occupée
des progrès de l'Art , lorfqu'il fe
préfente quelque chofe de nouveau , l'Académie
raffemble les faits , elle compare
les méthodes , & plus l'objet eft important
, plus elle met de tems à juger.
Elle refpecte même jufqu'aux préventions
du Public , & elle me charge de déclarer
que ce ne fera qu'après un très long &
mûr examen de l'inftrument du Frere Cof-
& de fes fuccès bons ou mauvais ,
qu'elle dira ce qu'elle en penfe . Mais en
attendant , comme elle croit avoir bonne
part dans ce qu'on appelle aveu général
d'un inftrument ou d'une opération de Chi .
rurgie , elle croit aufli que ceux qui en parlent
comme Hiftoriens , ne doivent point
prévenir fon jugement.
J'ai l'honneur d'être , & c.
MORAND, Secrétaire perpétuel de
l'Académie Royale de Chirurgie.
Ce 28 Novembre 1753 .
DECEMBRE. 1753. 155
PRIX proposé par l'Académie Royale de
Chirurgie , pour l'année 1755 .
'ACADEMIE Royale de Chirur→
Lgic propofa pour le prix de l'année
1753 la queftion fuivante :
Le Fen on Cautere actuel n'a - t'il
pas
été
trop employé par les Anciens , & trop né
gligé par les Modernes ? En quels cas ce
moyen doit- il être préferé aux autres pour
la Cure des maladies chirurgicales , &
quelles font les raisons de préférence ?
&
L'Académie a trouvé , fur tout dans
trois Mémoires , de fort bonnes chofes
fur cette matiere ; mais les Auteurs qui
ont préfenté de la Théorie , ne l'ont point
foutenue par des faits de pratique ,
ceux qui ont préfenté des faits n'ont point
établi de préceptes. C'eft pourquoi l'Académie
n'a pas cru pouvoir adjuger le
prix , & elle a décidé que la même quef
tion feroit propofée pour l'année 1755 .
Le prix eft une médaille d'or de la
valeur de cinq cens livres , fondée par M.
de la Peyronie ; & il fera double pour cette
année , c'est - à - dire que celui qui , au
jugement de l'Académie , aura fait le meil
feur ouvrage fur la queftion propofée ,
aura deux médailles chacune de la valeur
de cinq cens livres , ou une médaille & la
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
valeur de l'autre , au choix de l'Auteur.
Ceux qui enverront des Mémoires ,
font priés de les écrire en françois ou en
latin , & d'avoir attention qu'ils foient
fort lisibles.
Ceux qui ont déja composé pourront
faire à leurs Mémoires tels changemens
qu'ils voudront , & les renverront écrits
de nouveau .
Ils mettront à leurs Mémoires une mar
que distinctive , comme fentence , devife ,
paraphe ou fignature ; & cette marque fera
couverte d'un papier colé ou cacheré , qui
ne fera levé qu'en cas que la piece ait remporté
le prix.
Ils adrefferont leurs Ouvrages , francs
de port , à M. Morand , Secrétaire perpétuel
de l'Académie Royale de Chirurgie
, à Paris ; ou les lui feront remettre
entre les mains.
Toutes perfonnes de quelle qualité &
pays qu'elles foient , pourront afpirer au
prix ; on n'excepte que les Membres de
l'Académie ..
Le Prix fera délivré à l'Auteur même
qui fe fera connoître , ou au porteur d'u
ne procuration de fa part ; l'un ou l'au
tre repréfentant la marque diftinctive , &
ane copie nette du Mémoire.
Les Ouvrages feront reçus jufqu'au preDECEMBRE.
1753. $ 57
mier jour de Janvier 1755 inclufivement
; & l'Académie , à fon affemblée
publique qui fe tiendra le Jeudi d'après
la quinzaine de Pâques , proclamera la
piece qui aura remporté le prix...
DERNIERES Réflexions inftructives
de M. le Chevalier de Caufans , fur la
Quadrature du cercle.
M'Erant
'Etant exposé à l'incrédulité & à la
critique publique , je me trouve
obligé d'éclaircir mon projet. Lors du premier
Profpectus , j'étois occupé du doute
& nullement de l'impoffibilité & de l'inutilité
de la Quadrature du cercle qu'on a
voulu généralement oppofer ; ce qui m'a
déterminé à confulter Meffieurs de l'Aca
démie des Sciences , de la façon qui fuit.
EXTRAIT des Regiftres de l'Académie
Royale des Sciences, du 17 Novembre 17530.
M. le Chevalier de Caufans ayant propofé
à l'Académie de décider fi la Quadrature
du cercle étoit abfolument impoffible à
trouver géométriquement ; l'Académie a jugé
que la Quadrature abfolue du cercle n'eft
démontrée ni poffible ni impoffible. Mais
Pinutilité des efforts que les Géométres:
les plus profonds ont faits jufqu'ici pour
réfoudre le problême de la Quadrature du
158 MERCURE DE FRANCE.
cercle , prouve au moins que ce problême
eft d'une extrême difficulté , & demande
pour être feulement tenté , les plus grandes
connoiffances en Géométrie. En foi de
quoi j'ai figné le préfent certificat ; à
Paris ce IS Novembre 1753 .
Granjean de Fonchy , Secrétaireperpétuel
de l'Académie Royale des Sciences.
Je n'ignorois pas qu'il feroit imprudent
d'annoncer qu'on a découvert ce qui eft
impoffible , & tout auffi déraisonnable
d'attribuer des propriétés au néant ; mais
après la décision de l'Académie , il ne
refte que d'en prouver l'utilité .
Les Sçavans conviennent unanimement
que la connoiffance des longitudes feroit
d'un avantage
infini pour le commerce ,
la fûreté de la navigation , la Géographie ,
l'Aftronomie , &c. Les moyens qu'on a
pratiqués pour y parvenir , ont été jufqu'à
préfent inutiles ; ceux qu'on employeroit
à l'avenir , le feroient de même, parce que
les longitudes dépendent uniquement de la
théorie de la terre, & qu'aucune autre opé
ration que la Quadrature du cercle ne fçauroit
nous en inftruire ; je l'affure , & je ne
crains point de pouvoir être contredit
par des raifous ni par l'expérience. Quel
rapport apparent peut avoir , par exemDECEMBRE.
1755. 157
ple , la mesure d'un ou de plufieurs dégrés ,
foit au Pôle , à l'Equateur & à tout autre
hieu de la terre avec fa circonférence
qui eft à plus de 400 lieuës des endroits
acceffibles c'eft comme fi l'on mefuroit la
plaine de S. Denis pour connoître l'étendue
que couvrent les montagnes de Suiffe
. On fuppofe donc gratuitement la
terre allongée , applatie , elliptique ou
autrement ; mais il n'eft pas douteux qu'elle
eft plate à fa fuperficie ; un exemple le
perfuadera. En voyant partir un vaiffeau)
on s'apperçoit qu'il difparoît peu à peu .
& qu'il a parcouru en apparence une courbe
lorfqu'on ne voit plus que le haut du
mât ; on fonde en partie la convexité de
la terre fur cette opinion : une fimple attention
fuffira pour en détruire l'erreur.
Les objets ne font grands ou petits à la
vûe que par de plus grands ou de moindres
angles que forment les rayons vifuels
au fond de l'oeil fur la rétine ; de
forte que plus un objet s'éloigne , plus
l'angle diminue & difparoît enfin avec
F'objet , ce qui arrive indifféremment en
plaine , fur mer & fur les montagnes , qui
font des inégalités , & ne donnent pas plus
de convexité à la terre que les ifles en
donnent à la mer , qui eft très plate par
le niveau de l'eau ; & de quelque figure
160 MERCURE DEFRANCE.
que foit la terre , on la connoîtra très
exactement par le véritable rapport du
diamétre du cercle à fa circonférence ; ce
qu'apprendra avec la derniere préciſion la
Quadrature du cercle , qui renferme éminemment
la vraie Géométrie , que perfonne
n'a connue en rendant méthodiquement
toute ligne conrbe égale à une droite, toute
ligne droite égale à une courbe : l'Aftronomie
n'en retirera pas de moindres lumieres,
puifque les Phyficiens & les Aftronomes
attribuent des écarts à la lune, qu'ils difent
inexplicables ; ils le font en effet , par la
raifon qu'il impliqueroit contradiction
que la même force qui auroit cédé aux
écarts de la Lune , la remît enfuite dansfa
premiere route. Détrompons-nous ; fi
les révolutions des planetes ou le mouvement
des Cieux le dérangeoient feulement
d'une lignede ce qu'ils étoient au tems de
la création , l'Univers feroit dans l'inftant
bouleverfé. Pour épuifer les objections.
qu'on voudroit encore faire , je rappelle
mes propofitions.
19. De décrire un quarré parfaitement
égal à un cercle quelconque..
20. De démontrer qu'en Géométrie , un
eft trois, & trois ne font qu'un , c'eft- à- dire
que trois uniques figures de méchaniques
contenues l'une dans l'autre , font géo
DECEMBRE. 1753. 161
métriquement égales ; d'où il s'enfuit que
chaque tout dans l'étendue , a deux parties
diftinctes géométriquement & féparément
égales à lui. Cette propofition qui détruit
l'axiome le mieux établi , que le tout eft
abfolument plus grand qu'une de fes parties
, doit au moins exciter la curiofité de
ceux qui aiment & qui recherchent les
grandes vérités.
3. De prouver par une régle générale le
véritable rapport du diamétre du cercle à
fa circonférence.
4°. La Quadrature Géométrique du cercle.
Si ces propofitions paroiffent douteu
fes ou impoffibles, elles valent la peine d'être
vérifiées ; fi on les croit poffibles , elles
méritent le défir de les voir démontrer.
Nombre de perfonnes ont demandé
aux Notaires prépofés des foufcriptions
en les payant comptant , ce n'eft point de
quoi il s'agit; je vérifierai mes propofitions
avec quatre mille foufcriptions , comme il
eft écrit ; on ne peut les reçevoir en détail
fans fçavoir auparavant fi le nombre fe
trouvera ; il dépend des nations & des particuliers
réunis d'en répondre, & en m'avertiffant
quatrejours d'avance , je fournirai
mon contingent de cinq cens livres pour
chacune. Le fixiéme jour , je commencerai
des démonftrations , & le neuvième , les
162 MERCURE DE FRANCE.
Notaires nommés acquitteront les récépiffés
de quinze cens livres , dont mille livres
de la part des foufcripteurs , & cinq
cens livres de la mienne ; le tout au jugement
de Meffieurs de l'Academie Royale
des Sciences à Paris , & de Mellieurs les
Députés des Académies des pays étrangers
qui voudront s'y trouver , à qui je
ferai remettre à chacun trois mille livres
en arrivant.
Ma juftification m'intéreffe trop pour en
négliger les moyens & ne pas répondre
aux difficultés qu'on a fait naître , en dis
fant queje n'ai propofé quatre mille foufcriptions
que par l'impoffibilité de les
voir remplir , & que je ne fatisferois pas
à la condition qui me regarde de cinq cens
livres par foufcription.
J'ai parlé à l'Europe , il eft bien aifé
de s'inftruire fur ce dernier article ; fi je
manque à ma parole , je joindrai ma voix
aux autres pour ma confufion ; fi j'ai tort
dans les démonftrations , la peine que je
m'impofe me mettra à l'abri de tout reproche.
Je puis donc penfer que fi l'on perfifte
dans l'indifférence fur mes propofitions
, après les facilités que je donne pour
les verifier , ce fera un effet de la libre
volonté , & de rien que l'on puiffe m'imputer
; mais alors ce feroit avouer qu'on
DECEMBRE. 1753. 163
+
méprife des conoiffances qui ont paru
dans tous les tems dignes de l'attention
& de la générofité des plus grands Rois
ce qui empêcheroit pour toujours tout
homme fenlé de tenter de nouveaux progrès
dans la Géométrie , qui eft cependant
la fcience la plus utile , la plus féconde
& la plus digne de l'entendement ;
& en fuppofant cet aveu univerfel , je ferois
à mon particulier affez difcret pour
ne dire & n'écrire jamais ce qu'on auroit
voulu fi conftamment ignorer.
Je déclare autentiquement que je n'ai
confulté perfonne , & que je fuis feul dé
pofitaire de mon fecret.
302 500500 306 307 308 30:37:56 56 57 56
BEAUX ARTS.
A grande Galerie de Verfailles , &
les deux falons qui l'accompagnent ,
peints par Charles le Brun , deffinés par
J. B. Maffe , & gravés par les meilleurs
Maîtres du tems.
Nous avons déja parlé dans le Mercure
de Novembre du premier effet que produifit
de toutes parts ce grand ouvrage
dès qu'il vit le jour ; il nous refte à rendre
compte du jugement réfléchi des con164
MERCURE DE FRANCE.
noiffeurs. Les deux claffes , c'est - à - dire
les Arriftes & les amateurs, nous paroiffent
s'accorder à louer la perfection de l'exécution
autant qu'ils avoient loué autrefois
F'entrepriſe il faut bien qu'on ait bonne
opinion de cette magnifique collection ,
puifque des perfonnes dont la fortune eft
très bornée , fe la procurent.
Quoique M. Maffè ait été obligé d'em
ployer enſemble ou fucceffivement un
nombre de Graveurs dont on trouve
les noms refpectifs au bas de chaque eftampe
, on eft étonné en les parcourant , de
n'y rencontrer prefque que des noms célebres
, & plus étonné encore de ne pouvoir
prefque s'en rappeller aucun qui fe foit fait
quelque réputation depuis cette époque ,
que l'on ne trouve ici : tant M. Mallé z
été heureux dans le choix des Artiftes capables
de concourir à la perfection de
fon oeuvre.
Le Public regrettera long- tems MM, Simoneau
, Defplaces , Dupuy l'aîné , Tardieu
pere , Thomaffin & Laurent des
Etrangers bons connoiffeurs nous ont enlevé
MM. Prefles & Soubeyran ; & il
nous refte pour nous confoler de ces pertes
, un Jean Audran , un Cars, un Beauvais ,
un Dupuis le jeune , un Tardieu fils , un
Cochin fils , un Will , &c. . . Mais dirae
DECEMBRE. 1753. 166.
fon , comment pouvoir concilier fans
bigarrure , fans difparate , les ouvrages de
vingt - cinq Graveurs , dont les manieres
étoient fans doute très différentes ? plus
des Artiftes font excellens chacun dans leur
genre , plus ils font difficiles à gouverner ;
plus ils fentent leurs propres forces ,
forces , moins
ils font difpofés à fe prêter aux idées d'autrui
comment donc l'Auteur a-t'il pû
plier à fon gré & ramener à fon plan tant
de talens divers ? Pour trouver le dénoument
de cette difficulté , il faut connoî
tre M. Maffé ; la douceur de les moeurs
ne lui a pas moins fervi que fon art . Il
eût fallu le voir avec chacun d'eux fucceffivement
, ne les entretenir que de leur
propre gloire , leur infinuer les confeils
en paroiffant les confulter , commencer
toujours par paroître très - content d'eux
& finir infenfiblement par les rendre mécontens
d'eux -mêmes , les adoucir & les
confoler à l'égard des difficultés dont ils
Le plaignoient d'être obligés de graver
au miroir , les piquer d'émulation , loin
de les décourager par fes retouches réitérées
de leurs épreuves , & enfin les amener
infailliblement ainsi à l'unité d'effet , qui
répand fur tout l'oeuvre cet accord général
qu'on y voit régner .
Si cette grande fuite nous préfente la
166 MERCURE DE FRANCE,
des
Gravure à fon plus haut point de perfec
tion , il faut convenir que la premiere
gloire , celle de l'invention , rejaillit tonjours
fur M. le Brun , dont le génie f
ploye ici en entier. Cependant ce n'ei
point hazarder un paradoxe que de dire
que les eftampes l'emportent fur les ta
bleaux par l'harmonie , fans laquelle il n'y
a point de véritable beauté aux yeux
perfonnes de bon goût. Ce n'eft pas que
nous voulions imputer à ce grand Maître
d'avoir négligé cet objet ellentiel ; mais
outre que les couleurs de ſes tableaux fon:
changées & obfcurcies par les milliers de
bougies allumées dans la galerie aux fuper
bes fêtes qui y ont été données , il eft inconteftable
que tout l'effet de ces belles
compofitions eft comme éteint par l'éclat
de la dorure , des richeffes prodiguées qui
les environnent , & que les ornemens
même , tels que les trophées d'enfans en
fculpture de relief, qui n'avoient été deftinés
qu'à accompagner & faire valoir ces
grands morceaux , partageant inévitablement
l'attention , produifent un effet tout
contraire à celui qu'on s'étoit propofé.
Non feulement l'ouvrage de M. Maffe
n'a point contre lui cet inconvénient i
fatal à M. le Brun mais il a encore l'a
vantage d'avoir la totalité fous an feal
DECEMBRE. 1753. 167
point de vue , dans une feule eltampe qui
préfente l'enfemble de la galerie ; auffi eft
ce de toutes les planches celle que l'on admire
le plus ; on eft également furpris &
charmé de la quantité de détails qu'elle
enferme , & de la façon nette , précife
& fpirituelle avec laquelle tout y eft rendu.
Le trait en avoit été gravé à l'eau forte
par feu M. Laurent , qui joignoit à beaucoup
d'intelligence des yeux de lynx &
une patience d'Ange ; & M. Cochin le
fils dont on connoit la fupériorité des
talens , l'a finie dans une perfection qui
ne laiffe rien à délirer.
LA Danfe ancienne & moderne , ou
Traité hiftorique de la danfe , 3 tom. in-
16. par M. de Cahufac , de l'Académie
Royale des Sciences & Belles Lettres de
Pruffe.
Cet ouvrage dont nous rendrons compte
dans le Mercure prochain , fe vend
chez Durand , rue S. Jacques . Nous pouvons
affurer d'avance qu'il contient les recherches
les plus curieufes , & qu'il eft
écrit d'un ftile qui doit en rendre la lecture
fort amufante .
Le fieur Rigaud vient de joindre à fon
Recueil des vues des Maifons Royales deux
nouvelles vûes du Palais de Bourbon : il
j
168 MERCURE DE FRANCE.
demeure toujours rue S. Jacques , un per
au deffus des Mathurins ,
Le tribut de la Toilette , mélange ly
rique qui a été interrompu pendant deux
ans , recommencera au mois de Janvier ,
& paroîtra régulierement tous les mois,
On le trouvera aux adreffes ordinaires
de musique.
SPECTACLE S.
LA
'Académie Royale de Mufique a repris
Vendredi dernier 7 Novembre , Titon
l'Aurore , Paftorale héroïque , qui eut
un fi grand fuccès dans fa nouveauté. Le
public a revu ce Spectacle avec plaifir, Oa
ne le donne que deux fois la femaine , le
Vendredi & le Dimanche. On continue
les Mardis & les Jeudis les repréfentations
du Devin du Village & de Bertholde à la
Cour.
La même Académie a déja commencé
les répétitions de Caftor & Pollux , Tragé
die de Mrs. Bernard & Rameau , qui n'a
pas encore été repriſe , & quif ut donnée
en 1737 pour la premiere fois.
Les
DECEMBRE. 1753. 169
Les Comédiens François n'ont donné
depuis le voyage de Fontainebleau , ni
11ouveautés , ni Piéces remifes ; ils n'ont repréfenté
que des Tragédies de répertoire ,
qui ont attiré beaucoup de fpectateurs ,
parce qu'elles ont été jouées avec foin :
ces Tragédies font , Brutus , Policuête , Bajazet
, Merope , Zaire , Edipe & Inès de
Caftro. Ils ont auffi joué trois Comédies
en cinq Actes ; l'Enfant prodigue , où M.
Préville a fait le rôle de Fier en fat ; le
Philofophe marié , & l'Homme à bonnes fortunes.
Les mêmes Comédiens doivent remettre
incelfamment , la Fauffe antipatie ,
Comédie en vers & en trois Actes , de
M. de la Chauffée ; & les Fées , Comédie
de Dancourt , en profe & en trois Actes ,
avec trois Intermédes. Ils répétent en même
tems une Tragédie nouvelle , intitulée
Paros.
Les Comédiens Italiens font revenus de
Fontainebleau le Vendredi 23 Novembre,
& ils ont ouvert leur Théatre le lendemain
, par Arlequin voleur , Prévôt & Juge,
Comédie Italienne . Ils ont repris le Lundi
fuivant les Amours de Baftien & Baftienne ,
Parodie du Devin du village , qu'ils continuent
trois fois par femaine,
11. Vol. H
170 MERCURE DEFRANCE.
Extrait de Brioché , ou l'Origine des Marionettes,
Parodie de Pigmalion , par M. Gau
bier , ancien Valet de Chambre du Roi ; repréfentée
la premierefois le 26 Septembre ,
je vend chez Duckefne , rue S. Jacques.
Brioché ,
ACTEURS .
Une Marionette ,
La Folie ,
M. Rochard.
Mlle. Catinon.
Mlle. Favart.
De Heffe.
Les trois Graces , Mrs. Carlin.
Chanville.
Le Théatre repréſente l'attelier où Brioché
faifoit fes marionettes ; on en voit
plufieurs paquets de toute efpéce , attachés
en differens endroits. Sur une table , au
milieu de l'attelier , eft une petite marionette
debout , attachée ſur un chevalet de
Sculpteur. Brioché ouvre la Scene par un
Monologue , dans lequel il déplore fes
malheurs ; il a commencé par être pris en
Suiffe pour un forcier , & il l'a échapé
belle. Il devient enfuite amoureux d'un
objet infenfible , d'une marionette qu'il
voudroit bien animer , mais la choſe eſt
impoffible. Dans le moment que Brioché
s'approche de cette marionette pour la
faire mouvoir , on entend une fymphonic
qui eft alternativement vive & tendre ; le
Théatre devient plus éclairé. D'où vient cet
DECEMBRE . 17537 171
Eclat nouveau , s'écrie Brioché ? Et croyant
s'appercevoir que la marionette s'anime ,
il s'imagine être dans l'erreur d'un fonge ,
ou que l'amour lui a troublé la cervelle.
Effectivement la marionette lui parle , &
lui répond. Brioché en eft tranfporté ; il
déclare fes feux à la marionette , qui fent
autant de trouble & autant de joie que
lui : d'où peut venir ce prodige , répéte inceffamment
Brioché ? je n'en dois rendre
grace qu'à l'Amour. On entend un grand
bruit de tonnerre. Brioché & la marionette
ont également peur , & dans le tems
que Brioché invoque l'Amour , & le conjure
de fe montrer le pere de la marionette
, la Folie paroît , & dit : c'eft à moi
qu'elle doit la vie , elle déclare après à
Brioché qu'elle prendra foin de l'éducation
de fa fille , qu'elle lui accorde en ma
riage. Voici les couplets qui ont paru faire
Le plus de plaifir .
BRIOCHÉ.
Air : A notre bonheur l'Amour préfide..
Four moi l'amour fut un badinage ,
Je ne cherchois que l'amufement ;
Je regardois comme un efclavage ,
Et la conftance & le fentiment.
A mille objets je rendois les armes
Mais jaloux des charmes
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
De ma liberté ,
Sans m'embarraffer d'être perfide,
Je n'avois pour guide
Que la volupté.
Four m'enchanter il falloit tes charmes,
Tu fis naitre mes premiers foupirs ;
L'Amour vengé vient ſécher mes larmes
Et t'anime enfin pour mes plaifirs .
A toi ,pour jamais mon coeur s'engage ;
A l'Amour volage
Je rends fon bandeau ;
Pour ne plus voler de belle en belles ,
J'ai changé les aîles
Contre fon flambeau .
Autre couplet de Brioché , fur l'air
Et j'y pris bien du plaiſir.
Ah , que j'ai l'ame ravie !
L'Amour comble mon deſir
De fa puiffance infinie
On voit naître le plaifir :
Tu feras toujours chérie ;
Que tes jours vont s'embellir !
De lui tu tiendras la vie ,
Et de moi l'art d'en jouir.
Couplet chanté par la Folie , far l'air ;
la Fravoletta .
Oui , la tendreffe
Eft une douce yvrelle ;
DECEMBRE. 1753 .
173
Mais la Folie
Eft l'ame de la vie.
Rien ne foupire
Dans mon Empire :
Je rends plus piquant
Le plaifir charmant.
A mon délite ,
Souvent un amânt¸
Doit un bon moment ,
Et d'un fourire
Je mets l'univers
Dans mes fers.
Sur les pas des Graces
Je conduis les jeux ;
Toujours fur mes traces
L'on voit des heureux :
Par moi les époux ,
Loups-garoux
Et jaloux .
Deviennent charmans ;
Amufans ,
Complaifans.
Toujours légere ,
Hé, jamais fevere :
Ab ! vive les ris ;
Mes favoris
Ne trouvent des charmes
Que dans mes bienfaits ,
Goûtentfans allarmes
H iij
174 MERCURE DE FRANCA
Des plaifirs parfaits.
Le Dieu des coeurs
Vend cher fes langueurs ,
Et mes faveurs
N'offrent que des feurs.
Oui , fans retour,
J'enchaîne l'Amour ;
Il regne par moi ,
Mon caprice eft fa loi.
茶洗洗洗洗洗洗洗派派派派派派洗洗
NOUVELLES ETRANGERES.
SE
DU LEVANT.
D'ALER , le 19 Septembre.
Elon les derniers avis reçus de Perfe , il y a en
près de Hamadan une Langlante bataille , dans
laquelle les troupes de Karini- Kan ont été défaites
par celles du Souverain des Aghuans. Ces avis
ajoutent que la Factorerie Hollandoife , qui étoi
établie à Baffora , s'eſt retirée à Baſxire.
DUNO R.D.
DE MOSCOU , le 25 Octobre.
Ce matin , le Baron de Bretlach a eu fon audience
de congé de l'Impératrice , & le Comte
Efterhafi , qui le remplace en qualité d'Ambaſſadeur
de la Cour de Vienne , a préfenté Tes Lettres
de Créance.
DECEMBRE. 1753 . 175
DE PETERSBOURG , le 6 Novembre.
On parle d'établir un Corps de Milices réglées
dans les Provinces cédées par la Suède à la Ruffie .
L'Impératrice a réfolu de faire conftruire des Cafernes
, pour loger une partie de la garnifon de
cette Capitale.
DE STOCKHOLM , le 1 Novembre.
Les Magiftrats de Wardberg ont pris diverfes
mefures en faveur des Vaiffeaux qui navigueront
fur la côte de Halland. Ils ont fait conftruire près
du Port de leur Ville , fur un Rocher nommé le
Schryvers- Klip , une maison où se trouveront toujours
plufieurs Pilotes . Dès qu'un Navite donnera
le fignal , des Chaloupes partiront pour aller le
joindre. Si quelque tempête les empêchoit de fe
hazarder à la mer , on indiquera de deffus le
Schryvers-Klip au Navire l'entrée du Port , par le
moyen d'un Pavillon . En ce cas , les Navigateurs
doivent être avertis , que du côté du Sud on arrivé
au Port fans aucun obftacle ; mais que du côté da
Nord , & de celui de l'Oueft , il est néceffaire , à
caufe d'un banc qui fe rencontre dans cette partie
, de tenir le large à une demi- lieue , jufqu'à ce
que l'on voye an Sud du Château la Tour de l'Eglife
de la Ville. Il y a dans la Rade , entre le Châreau
& la maifon des Pilotes , un ancrage für &
commode pour les Vaiffeaux , qui tirent jufqu'à
vingt peds d'eau ; il faut qu'ils n'en tirent que
quatorze , pour pouvoir entrer dans le Port.
•
Plufieurs particuliers ayant crû ne pouvoir
mieux célébrer l'heureux accouchement de la Rei.
ne,qu'en contribuant par leurs largeЛles à la fon-
Hiij
176 MERCURE DE FRANCE.
dation d'un Hôpital pour les Enfans Trouvés , un
incornu a été touché de cet exemple. Il a envoyé
mille dalers au Baron de Hopken , pour la
même deftinatior. Dans la Lettre qu'il a écrite à
ce Miniftre , on lit la réflexion ſuivante . » Plût an
» Ciel , que la mode pût s'établir parmi nous ,
» que dans tous les événemens qui caufent l'allégreffe
publique , on ne fit éclater la joye que
par des actes utiles à la Société ! On verroit bientôt
nombre de Monumens honorables de notre
raifon , qui éterniferoient bien mieux la mémoire
des faits dignes de pafler à la postérité , & fe-
» roient plus glorieux pour l'humanité , que tout
cet appareil tumultueux de fêtes , de repas , de
bals & d'autres divertiffeinens , ufités en pareilles
» occafions .
အ
DE COPPENHAGUE , le 9 Novembre.
Par des Lettres Patentes qui viennent d'être pus
bliées , le Roi déclare la réfolution qu'il a prile
de fonder à Chriftianshaven un Hôpital pour les
pauvres Orphelins . On y entretiendra deux cens
enfans , à qui l'on enfeignera les métiers pour lef
quels ils montreront plus de goût & de difpofition.
Meffieurs Holmfted , Frys , Dane & Wevers ,
Confeillers d'Etat , & M. Hefexer , Confeiller de
la Chancellerie , auront la direction de cette Maifon
, fous les ordres du Baron de Bernsdorff , Miniftre
& Secrétaire d'Etat . Indépendamment des
fommes que le Roi veut bien donner pour un établiffement
fi utile , Sa Majefté accorde au nouvel
Hôpital une Lotterie qui durera vingt ans . Le Réglement
concernant la difcipline qui doit être
obfervée dans l'intérieur de la Maiſon , eft joint
aux Lettres Patentes.
DECEMBRE. 1753. 177
Le feu prit le 7 à la maiſon d'un payſan du village
d'Emmedrup , voifin de cette Capitale.
Moyennant les prompts fecours qu'on apporta
cette feule maifon fut réduite en cendres. Un ha~
zard favorable a dédommagé le Propriétaire . Le
même jour , le Préfident Ogier , Envoyé extraordinaire
& Miniftre plénipotentiaire du Roi de
France , prenoit poffeffion d'une maifon de plaifance
qu'il a louée dans le même village; ily avoit
mené une nombreufe Compagnie. Ce Miniftre
auffi généreux que compatiffant , donna au payfan
une fomme confidérable. Toutes les perfonnes
qui étoient avec le Préfident Ogier , joignirent
leurs liberalités aux fiennes , & le payfan a eu lieu
de s'applaudir de fon infortune.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 3 Novembre.
La femaine dernieré , les Religieux de l'Ob
fervance établis en cette ville , foûtinrent dans
une Théfe , qu'un Souverain n'a pas droit d'empêcher
qu'on faffe des donations aux Réguliers . Cette
Théfe ayant été dénoncée , ces Religieux ont
ont été privés des exemptions dont leur Communauté
jouiffoit , & le Soutenant ainsi que fon
Profeffeur , a eu ordre de fortir de cette Capitale.
L'Impératrice Reine a fait fentir auffi les
effets de fon indignation à un Protefleur en Jurifprudence
, qui a avancé dans un Ecrit , qu'un
Prince Chrétien ne peut faire aucun Traité de paix
avec des Barbares des Pirates.
L'Impératrice Reine a réfolu d'établir une Mi
lice dans fes Pays Héréditaires. La hauteur que
chaque Milicien doit avoir , cft fixée à cinq pieds
Hy
178 MERCURE DE FRANCE.
•
trois pouces. Les Etats de là Baffe Autriche com←
mencerent le 13 à délibérer ſur les demandes qui
leur ont été faites de la part du Gouvernement.
DE DRESDE , le 19 Novembre.
Cette Cour vient de conclure avec celle de
Berlin une convention , par rapport au payement
des Obligations de la Steur , qui le mouvent
entre les mains des Sujers du Roi de Pruffe. On
publiera inceffaniment les articles de certe convention,
DE LEIPSICK , le 22 Novembre,
Conformément à un nouvel accord fait avec
les Etats Généraux des Provinces Unies , les intérêts
des Capitaux que les Hollandois ont fur
la Steur , feront réduits à quatre pour cent Les
arrérages qui font dûs , feront convertis en
nouvelles Obligations , dont les intérêts feront
payés ici tous les fix mois , fçavoir , à Pâques &
à la S. Michel. Les intérêts des premiers capitauя
feront payés avec la même régularité dans les
mêmes termes. Le premier payement fe fera à
Pâques de l'année 1754. Pendant trois ans , les
propriétaires des Obligations ne pourront exiger
aucun remboursement. Le Gouvernement , pour
la fûreté de leur payement , affigne une certame
partie des revenus de cet Electorat , de laquelle
on donnera la direction à deux perſonnes de diftination
& à deux Banquiers.
DE BERLIN , le 17 Novembre.
Depuis quelques jours , le Margrave & la Marò
DECEMBRE . 1753 . 179
grave de Brandebourg - Bareith font retournés à
leur téhdence.Le Roi a déclaré qu'il laiffoit aux
Etats de la Marche Electorale le foin de fe choifir
un nouveau Directeur à la place du feu Baron
d'Arnhim . Sa. Majefté a défendu par un
Edit de donner aucun fujet de plaintes aux
Polonois , aux Ruffes & aux Juifs qui viendront
commercer dans la Pruffe .
DE HANOVRE , le 13 Novembre.
On mande de Żell , que les Etats du Duché
de ce nom ont fait l'ouverture de leur affen.blée .
Plufieurs Négocians leur ont préfenté divers Mémoires
fur les moyens d'améliorer les Manufactures
de la Province.
DE WEILBOURG , le 12 Novembre.
Charles- Augufte de Naffau -Weilbourg , Prince
de l'Empire , Général de Cavalerie des troupes
de l'Impératrice Reine de Bohême & de Hongrie ,
eft mort en cette Ville le 9 de ce mois . Ce Princé
étoit né le 17 Septembre 1685. Il eroit fils
de Jean Erneft Conte de Naffau -Weilbourg ,
Feld Maréchal Général des troupes de l'Electeur
Palatin , & Colonel de fon Régiment des Gardes
; & de Marie- Polixene de Leiningen - Hartemburg.
En 1713 , il époufa Augufte- Frédérique
-Guillemine , fille de Georges - Augufte - Sa
muel , Prince de Naffau- Idftein . La Branche des
Comtes de Naffau Weilbourg a été admife par
J'Empereur Charles VI . dans le Collège des
Princes de l'Empire.
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE,
DE RATISBONNE , le 14 Novembre;
15
L'Impératrice Reine de Bohême & de Hongrie
a envoyé à la Diéte un Referit , dont voici l'Extrait.
» On en a impofé aux Electeurs , Princes &
» Etats de l'Empire , lorfqu'on leur a fait croire
que les Sujets Proteftans de mes Etats Hérédi-,
taires étoient opprimés , & que l'exercice de
leur Religion étoit interdit..... Si l'on re-
» monte à la fource de ces imputations , on reconnoîtra
qu'elles ont été répandues par des
gens qui fe font fervi du prétexte de la Reli- ,
gion , pour colorer des démarches aufli con-
" traires au bon ordre qu'à la foumiffion dûe au
» Souverain.... L'exercice public & privé de la
" Religion Proteftante fubfifte comme à l'ordi-
" naire , dans tous les endroits où il a été anciennement
établi . A l'égard des prétendus griefs
" concernant le refus de la fépulture , ils ne font
pas moins deftitués de fondement , puifque par
tout où il y a des Proteftans , on a eu ſoin de
3: marquer des lieux deftinés pour enterrer leurs
morts .... Pénétrée des devoirs que m'impofe
» la qualité de Princeffe Chrétienne , je fçais
que la violence , dans les matieres qui appar
" tiennent à la foi , ne peut être un moyen d'amener
les efprits à la conviction ; elle doit être l'ou
vrage de la grace & l'effet des inftructions dictées
par la douceur & par la patience , fortifiées
» de l'exemple des bonnes oeuvres , dont l'exercice
» doit s'étendre , fans diftinétion de Religion , en-
» vers tous ceux qui en ont befoin.... Tout
zéle qui s'éloigne de ces principes , n'aura
jamais notre approbation , & nous les réprimerons
avec foin loifque nous le remarque
ه د
22
20
DECEMBRE. 1753 : 181
» rons ,
23
15
1
foit à notre Cour , foit en quelqu'autre
endroit que ce puifle être de nos Etats Hérédi
taires. Aucun de nos Sujets , même ceux qui
font les plus obftinés à refufer d'être éclairés
» fur les vérités de leur Salut , ne fera inquiété
» dans fa perfonne , ni dans fes biens , dès qu'il
fe renfermera dans les bornes que lui prefcrit
l'obéiffance à l'autorité légitime... Comme
nous ne prétendons en aucune forte exercer
notre empire fur les confciences , notre amour
pour nos Sujets de la Confeffion d'Aufbourg
" nous a portés à affigner d'autres établiſſemens
so à ceux d'entr'eux qui fe plaignoient d'éprouver
des vexations dans les lieux qu'ils habitoient ,
» Nous les avons fait tranfplanter dans ces éta
bliffemens avec leurs familles & tout ce qui
leur appartenoit , afin que continuant de vivre
nos Sujets , ainfi qu'ils le font par la naiffan
ce , ils paffent dans leurs nouveaux domiciles
jouir de plus de tranquillité . Les contrées les
plus fertiles de nos Etats font celles où nous
leur avons affigné des habitations.... Leur
tranfplantation s'eft faite aux dépens de notre
Tréfor.... Ceux qui font indigens ont reçu
» de nous les fecouts néceffaires pour fubfifter
pendant plufieurs mois. Nous avons fait bâtir
pour les uns & les autres des mailons de pierre ,
où ils font logés beaucoup mieux qu'ils n'étoient
dans celles qu'ils ont quittées ... La
» Tranfilvanie contenant un grand nombre de nos
Sujets de cette Communion , nous avons établi
dans cette Province un Commiffaire chargé
de veiller à l'exécution de nos intentions fur eg
qui regarde leur bonbeur ....
ස
33
33
f
181 MERCURE DE FRANCE.
ESPAGNE..
DE LISBONNE , le 1 , Novembre.
Selon l'obſervation faite par le Pere Eufebe
de Veiga , Protefleur de Mathématiques au Col-
Jége Royal des Jéluites de cette Ville , l'éclipfe
du Soleil arrivée le 26 du mois dernier , a commencé
ici à fept heures trente minutes cinquante-
deux fecondes du matin . Le milieu a été à buit
heures quarante - deux minutes quarante - cinq
fecondes , & la fin à neuf heures cinquantefept
minutes trente fept fecondes . Cette obfervation
, quant au commencement & au milieu
de l'éclipfe , s'eft trouvée exactement conforme
au calcul que le Pere de Veiga avoit fait d'avance.
L'entiere émerfion de la Lune a précédé
de deux minutes l'inftant qu'il avoit marqué.
Dans le tems de la plus grande obſcurité , cette
Planete a caché onze doigts deux minutes du Soleil
La même éclipfe a été obfervée ici par quelques
Aftronomes Etrangers.
DE MALAGA , le 17 Novembre.
Le Vaiffeau de guerre l'Aigle avoit conduit
dans ce port un Brigantin Etranger , fous prétexte
qu'il avoit des Juifs & des Maures à bord.
Sa Majefté n'ayant pas approuvé la raifon qui
avoit occafionné la détention de ce Bâtiment
il a été relâché. Il eft arrivé ici plufieurs Navires
chargés de froment. Deux Vailleaux font prêts à
faire voile de Cadix , pour aller enforcer l'Elcadre
du Roi dans les mers des Indes Occidentales.
DECEMBRE. 1753. 183
ITALI E.
DE NAPLES , le 26 Olobre.
On affure que le Roi eft dans la téſolution
d'établir la réfidence ordinaire à Caferte . Sa Majeſté
doit à l'avenir en nommer l'Evêque , & le
Pape nommera celui de Trivento , qui étoit auparavant
de Collation Royale .
Deux Bâtimens ont amené de Sicile l'équipage
du Corfaire Tunifien qui a échoué depuis peu fur
la côte de Palerme . On avoit craint que la maladie
contagieufe n'eût été apportée à Meffiae par
un Navire arrivé des Echelles da Levant. Toute
inquiétude à ce sujet eft maintenant diffipée , &
P'on eft certain que la perfonne morte à bord de
ce Vaiſſeau n'avoit aucun figne de pefte .
DE ROME , le 10 Novembre.
Le Confiftoire qui fe devoit tenir le 12 , pour la
promotion des Cardinaux , eft renvoyé au 19 de
ce mois , & le bruit ſe répand que la Promotion
des Cardinaux pourroit n'être déclarée que dans
Je Confiftoire fuivant.
DE LA BASTIE , le 2 Novembre.
On a reçu avis de Corte , que feu Gafforio Y
avoit été inhumé le 23 du mois dernier dans
PEglife des Capucins , & que les adhérans de ce
Rebelle avoient célébré les obleques avec beaucoup
de folemnité . Le Chanoine Orticone y a
officié & Marc - Antoine Caftinetta a prononcé
POrailon funebre. 11 fe tint le même jour une
•
184 MERCURE DE FRANCE.
affemblée des principaux du parti opposé à la
République , & quelques-uns d'eux propoferent
un Réglement pour établir une espece de police
dans le centre de l'Ifle . Mario Matra qui préfidoit
, infifta pour que l'on condamnât au fupplice
Antoine François Gafforio , frere da feu Chef
de ce nom , & foupçonné d'avoir eu part à ſa
mort, La nuit fuivante , le même Matra , fans
attendre ce qui feroit décidé fur le fort de l'accufé
, fe préfenta au Château , & demanda qu'on
lui livrât ce prifonnier, Le Geolier de la prifon
ayant refufé de le remettre jufqu'à ce qu'on lui
apportât un ordre en forme , Matra fit nommer
le lendemain un autre Geolier . Il retourna le
16 au Château , & après avoir ordonné au Curé
de Tallonne , qu'il avoit amené avec lui , de confeller
Antoine-François Gafforio , il fit affommer
ce malheureux à coups de barre de fer. Un cri
minel détenu dans le Château pour avoir aſſaſfiné
fa femme , fervit de Boutreau, Matra fe
rendit enfuite chez la Veuve du défunt , & mit
la maifon au pillage , après quoi il prit la fuite
avec les complices de fa barbarie. Les prifons
étant demeurées ouvertes , les prifonniers fe font
tous échappés. Le peuple , en vifitant le Château ,
y a trouvé le cadavre d'Antoine- François Gaffofio.
Alors toute la Ville a retenti de gémiſſemens
fur les forfaits des Chefs de la Révolte , qui ont
eu beaucoup de peine à fe remettre en poffeffion
du Château,
DECEMBRE . 1753. 185
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 15 Novembre.
Aujourd'hui , le Roi s'eft rendu à la Chambre
des Pairs avec les cérémonies accoutumées , & Sá
Majefté ayant mandé la Chambre des Communes,
a fait l'ouverture du Parlement par le Difcours
fuivant. Milords & Meffieurs , je vous ai con-
* voqués , auffi - tôt que j'ai crû pouvoir vous rap
» peller , fans nuire à vos affaires particulieres.
3:je ne doute point que vous n'apportiez à cette
» affemblée toutes les difpofitions désirables , pout
employer cette Seffion de la maniere la plus
» avantageufe au public. Les événemens de cette
année , par rapport aux intérêts du dehors ,
n'ont fourni aucune matiere qui exige votre attention.
L'Europe continue de jouir de la même
tranquillité , & les affaires générales font
dans la même fituation que lorsque vous vous-
» êtes féparés . Vous devez être perfuadés de ma
conftance à chercher les moyens les plus effica
» ces , pour affurer à mon peuple le bonheur de
la paix. Meffieurs de la Chambre des Commu→
nes , je n'ai rien à vous demander , que les fubfides
néceffaires pour le fervice de l'année pro-
» chaine , conféquemment aux états qui vous ont
» été déja préſentés . L'expérience que j'ai faite de
» votre zéle pour l'honneur de ma Couronne &
» pour la profpérité de mes Sujets , me répond de
» votre empreffement à pourvoir à ces dépenses.
» Milords & Meffieurs , je fuis fâché d'être de
3 nouveau dans la néceffité de mettre fous vos
»yeux un objet auffi allarmant pour les particu
liers , que peu honorable pour la Nation . C'est
186 MERCURE DEFRANCE,
>> avec grande douleur que je vois le nombre des
»vols & des meurtres , au lieu de diminuer , s'augsmenter
tous les jours. Je fçais qu'on ne peut
so remédier tout d'un coup à de fi grands maux ;
mais chaque Membre de la Société doit du moins
» y contribuer de tout fon pouvoir. Trouvez bon
que je vous recommande cet article important,
Quelques mesures que vous jugiez à propos de
prendre , foit à ce fujet , foit pour tout autre qui
> intéreffera la félicité de mon peuple , vous me
trouverez toujours prêt à concourir avec vous
» au bien public.
Auffi- tôt que le Roi a été forti de la Chambre
des Pairs , ona délibéré fur la révocation de l'Acte
pour la naturaliſation des Juifs . Les deux Cham
bres ont enfuite rédigé leurs adrefles . Celles des
Signeurs fera préfentée demain à Sa Majefté , &
celle de la Chambre des Communes doit l'être
après demain.
Les deux Chambres du Parlement ont préſenté
leurs adreffes au Roi. Sa Majefté a répondu à celle
des Seigneurs : Milords , rien ne peut m'être
» plus agréable que votre zele & votre fidélité . Je
» vous remercie des marques que vous m'en done
» nez dans votre adreffe. Comme votre bonheur
eft l'unique but que je me propoſe , foyez affue
rés que je n'aferai jamais de votre confiance que
» pour l'honneur & le véritable intérêt de la Nation.
La réponſe du Roi à la Chambre des Comananes
aété: Meffieurs , je vous remercie de votre
adreffe , qui eft pour moi une nouvelle preuve
de votre attachement & de votre foumillion.
»Vous pouvez vous repofer fur ma perfeverance
» à faire dans toutes les occafions les plus grands
» efforts pour affurer le bonheur de mon peuple.
Le 23 , la Chambre des Pairs a conclu à la ré-
D
DECEMBRE. 1753. 187
vocation de l'Acte , qui admettoit les Juifs à de
mander des Lettres de Naturalifation . On doig'
commencer demain à déliberer fur cet Acte dans la
Chambre des Communes , & felon les apparences
elle ne lui fera pas plus favorable . Cette Chambre
a accordé dix mille Matelots pour le fervice de
Pannée prochaine , & quatre livres sterlings par'
mois pour chaque Matelot .
Le 23 , la Chambre
des
Communes
a fixé
pour
l'année
prochaine
le nombre
des troupes
de
la Grande
Bretagne
à dix -huit
mille
huit
cens
cinquante
-fept
hommes
, en y comprenant
dixhuit
cens
quinze
Invalides
, & elle
a accordé
la
fomme
de fix cens
vingt
-huit
mille
trois
cens
quinze
livres
sterlings
pour
leur
entretien
. Le
Commun
Confeil
doit
préfenter
une
Requête
au
Parlement
, pour
être
autorifé
à faire
conftruire
un
nouveau
pont
fur la Tamife
à Black
- Friars
.
DE DUBLIN , le 22 Novembre.
Plufieurs Villes & Bourgs ayant demandé au
Parlement de ce Royaume la permiſſion de creufer
dans leurs diftricts divers canaux de communication
entre quelques rivieres , & de faire travailler
à la réparation des grands chemins ; le Parlement
non feulement a fait droit fur leurs Requêtes,
mais a réfolu de faciliter l'exécution de leurs projets
par l'octroi de fommes confidérables. Il a
accordé vingt mille livres fterlings , pour rendre
la riviere de Ban navigable , depuis Loughneagh
jufqu'à Belfaft ; une pareille fomme pour achever
le canal de Newry ; quatre mille livres sterlings
pour établir un grand chemin dans le Comté de
Tyton , depuis les Mines de Charbon jufqu'à
Loughneagh ; dix mille , pour relever les ouvrages
1
188 MERCURE DEFRANCE:
de Ringfend du côté du Sud; une pareille fomme,
Pour rétablit le pont d'Effex. En même tems ,
Cette Affemblée a affigné un fonds de dix mille
livres fterlings , pour rebâtir le Collège de cette
Capitale , & un fonds de cinq mille pour le foutien
des Ecoles privilégiées du Royaume. La même
Affemblée à ordonné qu'on payât une gratifica
tion de mille livres fterlings au Sieur Delemaine ,
qui fçait imiter les ouvrages de fayence que l'on
fait à Delft ; une de pareille fomme au Sr Griffith ,
Entrepreneur de la Fabrique des Toiles damal
fées ; une de quatorze cens livres sterlings à la
Communauté des autres Fabriquans de Toiles ,
une de cinq cens au Sieur Sigan , Inventeur d'un
nouveau Moulin à foye , & une de même ſomme
au Sieur Sixton , Paperier à Limmerick. Le Parlement
a donné auffi mille livres fterlings à l'Hôpital
des Enfans Trouvés , & cinq mille à l'Eglife
de Saint Marc.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
E départ du Roi de Fontainebleau avoit été
différé jufqu'au 24, à caufe d'une maladie dont
Madame Victoire a été attaquée , & qui d'abord
a donné de l'inquiétude . Cette Princeffe eft actuellement
en parfaite ſanté.
Le Duc de Mortemnart s'eft démis de fa Pairie.
én faveur du Comte de Mortemart fon fils , qui
portera le noin de Duc de Rochechouart.
Le 22 , le Maréchal Duc de Richelieu , Premier
Gentilhomme de la Chambre de Sa Majeſté ;
DECEMBRE. 1753. 189
la Duchefle de Brancas , Dame d'Honneur de
Madame la Dauphine , tinrent fur les Fonts dans
l'Eglife de la Paroille de Fontainebleau , au nom
de Monfeigneur le Dauphin & de Madame la Dauphine
, une fille de M. Aly , Officier de Dragons ,
Lieutenant- Infpecteur- Général de la Capitainerie
des Chaffes de Fontainebleau.
&
Le Roi & la Reine , accompagnés de la Famille
Royale , partirent de Fontainebleau le 24 , pour
fe rendre à Choify. Leurs Majeftés arriverent à
Verfailles le 26. Le même jour , le Roi alla coucher
à Bellevue , après avoir vu Monſeigneur le
Duc de Bourgogne , Monfeigneur le Duc d'Aqui
taine , Madame , & Madame Victoire , qui eft
arrivée à Versailles le 25 , & après avoir instalé
Madame Adélaïde dans fon nouvel appartement.
Sa Majesté vint à Versailles le 27 , pour voir
Madame Victoire.
Le 28 , Sa Majefté , après avoir pris le divertif
fement de la chale au fufil dans la plaine de Saint
Denis , foupa à Saint- Ouen dans une Maifon de
plaifance du Prince de Soubize.
Madame Victoire , à l'exception d'un refte de
foibleffe , eft parfaitement rétablie.
Le Marquis de Stainville , Maréchal des Camps
& Armées du Roi , eft nommé pour remplacer le
Duc de Nivernois à Rome , en qualité d'Ambaſſadeur
de Sa Majefté auprès du Saint Siége.
Le Roi a donné au Duc d'Havre , Lieutenant
Général des Armées de sa Majefté , le Gouverne
ment de Schleftat , vacant par la mort du Marquis
d'Arbouville ; & à M. de la Ravoye , auffi Lieutepaat
Général , le Gouvernement des Villes &
Châteaux de Mézieres & de Charleville , qu'avoit
le feu Marquis de Saint Jal.
La fixiéme des neuf Lotteries pour le rembour
190 MERCURE DE FRANCE:
fement des trois millions fept cens mille livres ,
que la Ville de Paris a empruntées en conféquence
de la Déclaration du Roi , du 17 Décembre 1747,
a été tirée le 11 Décembre dans la Salle de l'Hôtel
<de Ville.
Le 30 Novembre dernier au matin , le Roi re
vint de Bellevue.
La Princeffe de Condé fit le même jour une
fauffe couche. Heureufement cet accident n'a eu
aucune fuite facheufe , & l'on efpere que cette
Princeffe fera bientôt rétablie .
Le Roi a été incommodé d'une fluxion , accompagnée
d'une migraine. Sa Majefté eft actuellement
délivrée de ces indifpofitions . Cependant à
caufe du froid , elle a continué pendant quelques
jours d'entendre la Meffe dans la chambre.
Madame Louife communia le premier Décem
bre par les mains de l'Abbé de Beine , Chapelain
du Roi.
Madame Victoire ayant eu un nouvel accès de
fiévre , fat purgée le même jour. Cette Princefle
depuis ce tems jouit d'une parfaite fanté.
Le même jour , le Comte de Clermont , Prince
du Sang , a été élu par l'Académie Françoiſe
pour remplir la place vacante par la mort de M.
de Boze ; & le Roi a agréé une élection , qui fait
honneur aux Lettres , & au Prince qui les cultive.
Le 2 , premier Dimanche de l'Avent , la Reine
& la Famille Royale affifterent dans la Chapelle
du Château à la Prédication du Pere Culbiar , de
la Compagnie de Jefus.
Il y eut le 3 un Concert chez la Reine. On y
exécuta le fecond & le troifiéme Acte de l'Opéra
de Medée & Jafon.
Les Comédiens François repréfenterent le 4 àla
DECEMBRE. 1753 . 197
Cour la Tragédie Edipe , de M. de Voltaire , &
PImpromptu de. Campagne.
Ees ,les Comédiens Italiens ont joué Arlequin
Valet étourdi,
Le 6 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix fept . cens dix fept livres dix fols , &
les Billets de la Seconde Lotterie Royale à fix cens
trente deux. Ceux de la premiere Lotterie Royale
n'ont point de prix fixe.
ARRESTS NOTABLES.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , du
1793 , qui ordonne que les
fumiers , les cendres de houille , & autres matieres
fervant uniquement à l'engrais des terres , de
meureront déchargés de tous droits à leur entrée
dans le Royaume , ou qui paffent des Provinces
réputés Etrangeres dans celles des cinq groffes
Fermes , ou desdites Provinces des cing groffes
Fermes dans celles réputées Etrangeres.
ARREST de la Chambre des Vacations ;
Tenue au Couvent des Grands- Auguftins à Paris ,
du 9 Novembre , qui condamne la femme Langlois,
Uluriére , au blame & en deux mille cinq cens
livres de réparation civile,
ARREST de la Chambre Royale , tenue au
Château du Louvre , du 27 Novembre ; qui
condamne Nicolas Lacroix , à être attaché au
carcan dans la cour des prifons du petit Châte-
Jet, & au banniflement , pour violences & voies
-de fait commifes dans les priſons.-
192 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE du 28 , qui fupprime un imprimé
portant pour titre : Second Mémoire de Mrs, les
Exilés à Bourges.
LETTRES Patentes du Roi , en forme de
Déclaration , données à Verſailles , le 3 Décembre
1753 ; regiftrées en la Chambre Royale le s
Décembre audit an ; qui autorifent les Procureurs
au Parlement , & leur enjoignent de faire
leurs fonctions ordinaires en ladite Chambre ,
Jorfqu'ils en feront requis par les Parties.
LOUIS , par la grace de Dieu , Roi de France
& de Navarre : A tous ceux qui ces préfentes Lettres
verront , Salut. Par l'article III . de nos Lettres
Patentes en forme de déclaration , portant établiffement
de notre Chambre Royale , Nous
avons ordonné que les Avocats en nos Confeils
occuperoient en notredite Chambre Royale dans
les cauſes & inftances dont ils feroient chargés par
les Parties mais il nous a été repréfente , que
les Procureurs au Parlement de Paris ayant inf
truit plufieurs affaires du nombre de celles qui
doivent être portées en notre Chambre Royale ,
on ne pourroit charger de ces affaires les Avo
cats en nos Confeils , fans effuyer des longueurs
toujours onéreuses aux Parties , & préjudiciables
au bien de la juftice : c'est ce qui nous engage
d'autorifer les Procureurs en notre Cour de Parlement
, à faire en ladite Chambre Royale les
mêmes fonctions qu'ils exercent dans notre Cour
de Parlement , aux conditions néanmoins qui feront
ci-après exprimées . A ces cauſes , & autres
confidérations à ce nous mouvant ; de l'avis de
notre Confeil , & de notre certaine ſcience ,
: pleine puiffance & autorité Royale , nous avons
dit , déclaré & ordonné , difons , déclarons & ordonnons
,
DECEMBRE. 1753. 193
donnons , voulons & nous plaît ce qui fuit.
ART. I. Nous avons autorifé , & par ces préfentes
fignées de notre main , autorifons les Procureurs
en notre Cour de Parlement , à exercer
en notre Chambre Royale les mêmes fonctions
qu'ils ont accoutumé de faire en notre Cour de
Parlement leur enjoignons en conféquence , d'y
occuper toutes les fois qu'ils en feront requis
par les Parties , fous peine en cas de refus de
leur part , de défobéiffance & de privation de
leurs Offices .
II . N'entendons néanmoins établir entre les
'Avocats en nos Confeils & les Procureurs en notre
Parlement aucune concurrence pour la même
affaire. Voulons que lorfque le demandeur ou
appellant , dans la fignification de fa demande
ou de fon appel , fe fera fervi du ministère d'un
Avocaten nos Confeils, le défendeur ou intimé fur
l'appel ne puiffe fe fervir du ministère d'un Procureur.
Et au contraire , lorfque le demandeur ou appellant
fe fera fervi du miniftère d'un Procureur
au Parlement , le défendeur ou intimé fur l'appel
fera tenu pour fa défenfe d'en ufer de même,
& ne pourra faire occuper pour lui aucun
'Avocat en nos Confeils. Si donnons en mandement
à nos amés & féaux les gens tenant
notre Chambre Royale à Paris , que ces préfen-
Les ils ayent à lire , publier & registrer , & le
contenu en icelles obferver & exécuter felon leur
forme & teneur : Car tel eft notre plaifir ; en
Témoin de quoi nous avons fait mettre notre
fcel à cefdites préfentes. Donné à Versailles le 3
Décembre , l'an de & de notre
grace 1753 >
régne le trente- neuvième. Signé LOUIS , &
plus bas , par le Roi , M. P. de Voyer d'Argenſon .
Et fcellé du grand fceau de cire jaune .
II. Vol. I
!
194 MERCURE DEFRANCE.
NAISSANCE , MARIAGES
& Morts.
E 11 Novembre 1753 , Magdeleine -Jeanne-
Louie de Clermont Tonnerre , époule de
François- Louis - Antoine de Bourbon , Comte de
Bufset & de Châlus , Baron de Véfigneux , Meltre
de camp du Régiment de fon nom , Cavalerie,
accoucha d'un fils en fon Château de Buiser,
Metfire Anne - Jofeph de Louet , Marquis de
Calvifson , qui a fuccédé à François - Louis de
Louet fon frere , mort dans le Château de Maffi •
- largues le 19 Juin 1752 , époufa vers la fin de
Septembre 1753 , N ... de Fortia , deuxième
fille de Gafpard de Fortis , & 'de Marie-Aune de
Fortia , fille de fea Charles- Jofeph de Fortia ,
Confeiller d'Etat . La foeur aînée de la Marquife
de Calviffon eft mariée depuis deux ou trois ans
avec Jofeph Louis - Marie de Galiens , troifiéme
Duc de Gadagne dans le Comté Vénaiffin , Seigneur
de Vedenes , Saint - Savournin , Aiguilles ,
& c. né le 8 Juin 1704 , & ci - devant Lieutenant
des Gendarmes de la Garde .
Le Marquis de Calviffon a pour huitiéme ayeul
Louis de Louet , qui époufa vers l'an 1442 Mar
gu rite de Murat , Dame de Calviffon & de
trente autres Paroiffes du Diocèle de Nifmes
qui forment l'affife donnée par Philippe le Bel
Guillaume de Nogaret , depuis Chancelier do
France. Ce Louis étoit fils de Jean de Louet ,
Preſident de Provence , & frere de Marie de
Louet , premiere femme du fameux Comte de
DECEMBRE. 1753. 195
Dunois , & de Jean de Louet , mariée en 1419 à
Louis , Vicomte de Joyeuse , lequel dans fon tef
tament poftérieur à celui qu'il avoit fait en 1441 ,
fubftitua Louis de Louet lon beau - frere à tous les
biens de la Maiſon de Joyeuſe , ſi ſes enfans
mouroient fans postérité .
Les contrats originaux du mariage de 1419 &
du teftament du Vicomte de Joyeuse prouvent
qu'il faut ortographier Louet & non Louver , &
que la Seigneurie de Jean de Louet , Préfident
de Provence appellée par tous les Auteurs
Salanier , eft Falavies , fituée en Dauphiné , dans le
' Diocèle de Lion .
#
Le 22 Octobre , Paul- Louis Duc de Beauvil
lier , Pair de France , Comte de Buzançois
Grand d'Efpagne de la premiere Claffe , Brigadier
des armées du Roi , Meftre de camp du Régiment
de Beauvillier , Chevalier de l'Ordre royal
& militaire de Saint Louis , fils de Paul -Hippolite
de Beauvillier , Duc de S. Aignan , Pair de
France , Comte de Montréfor , Baron de la Ferté
Saint- Aignan , de la Sale les Clery , & de Chemery
, Seigneur de la Châtellenie de Beauvillier ,
Chevalier des Ordres du Roi , Lieutenant Général
de fes armées Gouverneur de Bourgogne
& Brefse , Ville & Citadelle du Havre de Grace ,
& des Villes & Châteaux de Loches , Beaulieu ,
Dijon , Saint- Jean-de - Lofnes & Seurre ; Grand-
Baillif d'épée du Pays de Caux , l'un des
rante de l'Académie Françoife , Honoraire de
celle des Infcriptions & Belles - Lettres , de celle
de Infecondi de Rome , & de Ricoverati de Padoue ,
de celle de Verone , nommé Protecteur de celle
d'Arles , ci- devant premier Gentilhomme de la
Chambre de feu Mgr. le Duc de Berri , Con,
I ij
196 MERCURE DE FRANCE,
feiller au Confeil de Régence , Ambassadeur extraordinaire
& Plénipotentiaire du Roi en Espa
gne , & depuis auprès du Saint Siége , poufa
Charlotte-Suzanne Defnos de la Feuillée , Dame
de Marefché, fille de Meffire Jean - Baptifte Defnos,
Comte de la Feuillée , & de Marie- Marguerite
de Cordouan Langeais , d'une des plus anciennes
Nobleffes du Maine , & dont les alliances ne
font pas moins illuftres que celles qu'a fait en tous
les tems la Maifon de Delnos. Le contrat fut figné
à Verfailles , par le Roi ' , la Reine , Monfeigneur
le Dauphin , Madame la Dauphine & toute la Famille
Royale ; & le mariage a été célébré à Paris
par Mgr. l'Evêque de Troyes , dans la Chapelle
de l'Hôtel de M. le Duc de Saint - Aignan.
La Maison de Defnos es une des plus apciennes
de Bretagne , connue d'ancienne Chevalerie
dès l'an 1300 , que Philippe de Defnos ,
Seigneur du Vaumeloizel , époula Tiphaine du
Bouafriou , iffue de la Maifon du Bouafriou , d'ancienne
Chevalerie . Leur fils Antoine Defnos épou
fa en 1322 Anaſtaſe de la Touche , fille du Comte
de la Touche ; & eurent de ce mariage Jean
Defnos , qui époufa en 1350 Dame Catherine
Colas , héritiere de la Maiſon de la Motte - Colas ;
leur fils Jean Defnos deuxième du nom , fat
marié à Jeanne Goyon , fille aînée de la Maifon
de Launay- Goyon , fortie de la Maifon de
Matignon ; & de ce mariage naquit Pierre Def
nos , marié en 1491 à Catherine de la Ferriere ,
fille aînée du Seigneur de la Ferriere & de
la Motte Rogen, Leur fils Jean Defnos troifiéme
du nom , fut Chevalier de l'Ordre du Roi ,
époufa Louiſe de Châteaubriant en 1938 , & cut
pour fils François Defnos , auffi Chevalier & Gen
tilhomine de la Chambre du Roi , qui s'alla étąDECEMBRE
. 1753. 197
blir dans la Province du Maine , & y pofféda
des terres confidérables : il fut marié à Charlote
de Joufson , Dame de Héménard , de la Tanniere
& de la Mufsardiere près Chatellerault , en 1568 .
Du nombre des enfans qu'il eut de ce mariage ,
Gilles Defnos , Seigneur d'Héménard , Chevalier
de l'Ordre du Roi , époufa en 1597 Charlote de
Buor,d'une des plus anciennes Maifons du Poitou ,
héritiere de la Gerbaudiere , & Dame du Tabler ;
leur fils Gilbert Defnos , Seigneur de la Gerbaudiere
, époufa en 1627 Françoife le Couturier ,
fille de Meffire David le Couturier , Seigneur de
Chambrette , & de Marie de Marboeuf fon épouse ,
foeur d'unpremier Préfident du Parlement de Bretagne
. Ils eurent un fils du nom de Gilles Defnos ,
qui fut Seigneur d'Héménard , & époufa en 1652
Suzanne de Malnoë , fille de Jacques de Malnoë ,
Seigneur de Marigni , Chevalier de l'Ordre du
Ro , Maréchal des camps & armées de Sa Majefté
, Lieutenant au Gouvernement du Fort - Louis ,
Hennebon & Quimper ; & de Léonore du Bellay
, Héritiere de la feuillée , & coufine de Charles
du Bellay , Prince d'Yvetot . Leur fils Charles
Gilles Defnos , Seigneur de la Feuillée , ayeul
paternel de Madame la Ducheffe de Beauvillier ,
pofféda tous les biens de la Maifon du Bellay ,
notamment la Terre de la Feuillée au Maine.
Cette branche aînée a confervé les titres des
Comtes de ce nom dès 1652 , qui l'a diftinguée
de la branche cadette .
Cette feconde branche s'eft également illuftrée ,
fur tout dans la marine ; l'un d'eux nommé Gilles
Delnos , Comte de Champ - Meflin , fut Chef
d'efcadre , Commandeur de l'Ordre de S. Louis ,
Commandant du Port de Breft . Il réduifit à l'obéiffance
du Roi la Louiſiane : il fut Lieutenant
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Général & Commandant en chef dans toutes les
mers , Ifles & terres fermes de l'Amérique mériridionale
en 1720 ; & Lieutenant Général des armées
navales du Roi en 1724. Le Comte de
Champ-Meflin laiffa une fille unique , mariée à
M. le Comte de Chavagnac , Lieutenant Général
des armées du Roi.
L'autre fut Charles Defnos , Comte Desnos , &
frere du Comte de Champ - Meflin , fait Chef
d'efcadre en 1694 , Viceroi des Iſles Françoifes
de l'Amérique , à la Martinique en 1701 ,
& eft mort Lieutenant Général des armées navales
; fon fils le Comte Deínos eft mort Chef d'ef
cadre en 1747 , & a laiflé plufieurs enfans , dont
Paîné eft Comte Defnos , aujourd'hui Capitaine
des Vaisseaux du Roi , qui a épousé la ſoeur aînée
de Madame la Duchefse de Beauvillier.
Le 11 Oftobre , M. Ferdinand Jofeph- Antoine
d'Epinoy , fils de feu M. Jules- Célar d'Epinoy ,
Seigneur de Mont de- Pierre , &c. Chevalier de
P'Ordre Royal & Militaire de Saint Louis , Capitaine
de Cavalerie au Régiment de Villar's , eft décédé
rue de la Harpe.
Le 25 , eft décédée à quatre- vingt- cinq ans De
moifelle Magdeleine Selle , ancienne Femme de
Chambre des Enfans de France & de Mefdames.
Le 7 Novembre , Marie- Angelique Selie , la
four puînée de cette Demoiselle, eft aufli décédée.
Elle étoit veuve depuis 1750 de Jean- François le
Vaffeur , Ecuyer , Garde des Archives de l'Ordre
de Saint Louis , Contrôleur des Commiſſaires Provinciaux
des Guerres à la fuite de la Cour.
Elle avoit vendu cette Charge en Janvier 1751 ,
à fon neveu à la mode de Bretagne , Antoine
Loignon de Beaupré, frere de la femme de Mas
DECEMBRE. 1753. 199
thieu Bonnet de Praffigny , Ecuyer , Commiffaire
des Guerres au Département du Soiffonnois.
Deux freres de Madame & de Demoiſelle Selle
ont été fucceffivement Maîtres- d'Hôtel de Son
Alteffe Royale Madame la Duchefle d'Orleans ,
Régente.
Le dernier , Florent - Marcellin Selle , eft mort
en 1743 Tréforier Général de la Marine , laiffant
trois enfans ..
I. L'aîné , Philippe Selle , lui a faccédé dans fa
Charge de Tréforier : il a un garçon & deux filles
de N... Eynard , foeur de la Marquise de l'Hôpi
tal Sainte-Meſme.
II. Le cadet , Charles Selle , Seigueur du Mefaillez
- Chevray , Confeiller au Parlement depuis
1730 ; il a eu de fa premiere femme , foeur du Préfident
de Béfigny , N... de Selle , épouse de M.
de Verdun , Confeiller au Parlement , marié le 9
Avril 1753.
III. La Comteffe d'Illiers , leur foeur , avoit
épousé le 15 Novembre 1724 , Heari Comte d'Illiers
, décédé le 26 Novembre 1727 , laiffant une
fille mariée en Août 1744 , au Piéfident du Tillet,´
Marquis de Villarceaux .
Voyez le fecond volume du Mercure de Juin 1953 ,
& la page 425 de la cinquième partie des Tablettes
bifloriques.
Dom René Laneau , Supérieur Général de la
Congrégation de Saint Maur , mourut le 27 à Paris
dans l'Abbaye de Saint Germain - des Prés , âgé
de 79 ans.
Le 30 , eft décédée dans l'enclos des Petites-
Maifons Madame Charlotte de Butkeley , veuve .
de M. Charles Comte de Clarck , Pair du Royau
me d'Irlande.
Le même jour fut enterré à Saint Sulpice M.
I iiij
200 MERCURE DEFRANCE.
Louis François de Villefort , Sous - Lieutenant au
Régiment des Gardes- Françoiſes.
Meffire Jean Marie Cormier de la Courneufve,
ancien Meftre- de Camp de Dragons , Commandeur
de l'Ordre Royal & Militaire de Saint Louis ,
Lieutenant pour le Roi dans les Ville & Château
de Foix , & Gouverneur de l'Hôtel des Invalides ,
mourut en cet Hôtel le premier Novembie , âgé
de 73 ans.
Marie- Anne - Eléonore de Rohan de Soubize ,
Abbeffe de l'Abbaye Royale d'Origni Sainte-
Benoite , eft morte le 2 en fon Abbaye dans la
foixante-quinziéme année de fon âge , & dans la
cinquante-neuvième de fa Profeffion . Elle étoit
foeur du feu Cardinal de Rohan.
Le même jour eft morte âgée de 12 ans , N ..♬
Bonnier , fille unique de feu Jofeph Bonnier , Baron
de la Moffon ; & de Gabrielle Magdeleine-
Conftance du Moucel de Louraille , niéce de Ma
dame la Marquife de Flavacourt.
Dame Cecile Chriftine Benedicte de Peytier ,
épouse de Mre Simon Claude Graffin , Maréchal
des Camps & Armées de Sa Majefté , & Lieutepant
du Roi des Ville & Citadelle de Saint- Tropez
, eft mort le 3 dans fa trente fixième année.
Charles- Henri Gafpard de Saulx , Vicomte de
Tavanes , Chevalier des Ordres du Roi , Brigadier
d'Infanterie , Lieutenant Général pour Sa Ma.
jeſté au Gouvernement de Bourgogne pour le
Pays du Mâconnois , & Gouverneur de la Ville &
de la Tour du pont de Mâcon , mourut à Dijon le
4, dans fa foixante-dixiéme anée .
M. de Collarès , Premier Préfident du Conf il
Supérieur de Perpignan , y eft mort au commen .
cement de ce mois.
Le 10 Novembre eft mort âgé de 72 ans M.
DECEMBRE . 1753. 201
François Lamouroux , Tréforier Général des Etats
de Languedoc.
Le même jour est décédé M. Bertrand-François
Mahé de la Bourdonnaye , Capitaine de Fregate ,
ci-devant Gouverneur des Inles de France & de
Bourbon.
Le 13 , eft décédé M. Claude- François Baraffy,
Secrétaire du Roi.
Meffire Jacques Bigot de la Mothe , ancien
Intendant de la Marine au Département de Bretagne
, eft mort à Breft le 15 Novembre dans fa
quatre-vingt - fixième année .
Dame Marie- Anne- Françoife de Montmorin ,
veuve de Meffire Pierre du Chambon , Marquis
d'Arbouville , Maréchal des Camps & Armées du
Roi , & Gouverneur de Schleftat , eft morte le 16
de ce mois âgée de 56 ans.
Meffite Jean- Claude de Laftie , Marquis de Saint-
Jal , Lieutenant Général des Armées du Roi , &
Gouverneur des Villes & Châteaux de Mezieres &
de Charleville , ci - devant Lieutenant des Gardes
du Corps , eft mort le 17 dans ſa foixante-onziéme
année .
Meffire N.... Cofte de Champeron , Abbé de
P'Abbaye de Chors , Ordre de Saint Benoît , Diocèle
d'Autun , eft mort le 19 à Saint Germain- en-
Laye , âgé de 65 ans.
Louis-Victor , Prince de Salm- Kirbourg , fils de
Philippe -Jofeph , Prince de Salm - Kirbourg ,
Rheindgrave de d'Haun , Chevalier de l'Ordre
Royal de l'Aigle Blanc ; & de Thérefe , Princeffe
de Horay & d'Orvilch , mourut en cette Ville le
21 , dans la deuxième année de fon âge . Ce jeune
Prince étoit Chevalier de l'Ordre de Saint Jean de
Jerufalem .
Meffire Jean-Alexandre Balthazar , Maréchal
IZ
202 MERCURE DE FRANCE.
des Camps & Armées du Roi , & Colonel d'un
Régiment Suifle ' de fon nom , mourut en cette
Ville le 25 , âgé de 64 ans.
Meffire Charles- Vital Bonnet de Gault , auffi
Maréchal de Camp , eft mort le même jour dans
la quatre- vingt- cinquième année de fon àge .
Le 13 Octobre , eft décédée faubourg Saint-
Honoré , Magdeleine Baudin , veuve d'Antoine
Meufner , âgée de 186 ans.
Le 28 , eft décédée à Blaye dans fa cent feptiéme
année , Jeanne Taillaflon , ancienne Soeur de la
Miféricorde de Bordeaux Elle n'avoit eflùyé aucune
des infirmités qui accompagnent ordinairement
la vieilleffe , & elle a confervé ſa raiſon juſ
qu'au dernier moment de ſa vie.
LA
A VIS.
A veuve du Sieur Bunon , Dentiſte des Enfans
de France , donne avis qu'elle débite journellement
chez elle , rue de Sainte Avoye , au coin
de la rue de Braque , chez M. Georget fon frere,
Chirurgien , les remédes de feu M. fon mari , dont
elle a teule la compofition , & qu'elle a toujours
préparés elle-même ; fçavoir :
1º, Un Elixir anti- fcorbutique , qui affermit les
dents , diffipe le gonflement & l'inflammation des
gencives , les fortifie , les fait recroître , diffipe &
prévient toutes les afflictions fcorbutiques , & appaile
la douleur de dents.
2. Une Eau , appellée Souveraine , qui affermie
auffi les dents , rétablit les gencives , en diffipe
toutes tumeurs , chancres & boutons qui viennent
auffi à la langue , à l'intérieur des lévics & des
DECEMBRE 1753. 203
joues , en fe rinçant la bouche de quelques gouttes
dans de l'eau tous les jours , & elle la rend fraîche
& fins odeur , & en éloigne les corruptions ; elle
calme la douleur des dents.
3°. ' n Opiate pour affermir & blanchir les dents,
diffiper le lang épais & groffier des gencives , qui
les rend tendres & mollafles , & caufe de l'odeur
à la bouche.
4. Une Poudre de corail pour blanchir les
dents & les entretenir ; elle empêche que le limon
fe forme en tartre & qu'il ne corrompe les genci
ves , & elle les conferve fermes & bonnes ; de forte
qu'elle peut fuffire pour les perfonnes qui ont
foin de leurs dents , fans qu'il foit néceffaire de les
faire nettoyer. Les plus petites bouteilles d'Elixir
font d'une livre dix lols.
Les plus petites bouteilles d'Eau Souveraine font
d'une livre quatre fols , mais plus grandes que cel
les de l'élixir.
Les petits pots d'Opiate , font d'une livre dix
fols.
Les boîtes de poudre de corail font d'une livre
quatre fols.
AUTRE.
Le Sr Patel , Chirurgien , poffeffeur d'un reméde
anti - venerien , avertit le Public que quelques
opiniâtres & invétérées que foient toutes fortes de
maladies fecrettes dans les deux fexes , de tout âge,
il les guérir parfaitement & radicalement , fans
friction ni falivation , en très-peu de tems , &
n'empêche pas les malades de vaquer à leurs affaires
. Sa demeure eft rue d'Anjou , la premiere
porte cochere à droite en entrant par la rue Dau
phine , au premier étage.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
Tablettes de Bourgogne , hiftoriques , topogra
phiques & phyfiques pour l'année 1754. A Dijon ,
chez François Defventes , Libraire , rue de Condé
àl'image de la Vierge. Petit volume in-24. dư
caractere dit Mignonne ; avec Approbation &
Privilége du Roi .
C'eft pour la feconde fois que nous annonçons
ces Tablettes qui commencerent à paroît: e l'année
derniere. Le plan qui en eft nouveau , curieux
& utile , a été exactement corrigé & beaucoup
augmenté : il comprend l'Hiftoire Eccléfiaftique ,
Militaire , Politique & Civile du Duché de Bourgogne
en abregé , & cependant affez en détail
pour en donner une idée distincte. On donne cette
année l'Abregé chronologique de l'Hiftoire de
Bourgogne , jufqu'à la fin des Ducs de la premiere .
Race Royale , & la plus grande partie de la vie de
Philippe le Hardi , premier Duc de la feconde
Race. Une notice du Gouvernement Eccléfiaftique
, Militaire & Civile , un état des Cours Supérieures
, avec l'Hiftoire de leur établiſſement . Un
détail intéreffant des Etats Généraux de Bourgogne
, & l'ordre de leur Séance . La defcription hiftorique
& topographique de la Ville de Dijon &
de les environs. Un court extrait de ce qui a rapport
au grand Baillage d'Autun , qui a été donné
plus au long dans les Tablettes de 1793. Une
Defcription hiftorique , topographique & phyfi
que du grand Baillage de Châlon & de la Brefle
Châlonoife. Le nom des Bourguignons qui ren
plifient des places diftinguées dans tous les Etats.
Une Table chronologique des Hommes illuftres
de la Province , morts depuis le commencement
DECEMBRE. 1753. 201
da dix-feptiéme fiécle jufqu'à préfent , qui fe renouvelle
tous les ans . Un état des carrieres de
marbre & de pierre qui fe trouvent dans la Province.
Le détail de la Maiſon Militaire du Roi ,
avec le nom de tous les Régimens de France , celui
de Meffieurs les Colonels qui les commandent , &
le tems de la création de chaque Régiment ; les
naiffances des Princes & Princeffes de l'Europe ;
les affaires du Roi & tous les Bureaux en Bourgogne
; le commerce de la Province , fes payemens ,
courriers , carroffes , & c.
Les préfentes Tablettes fe trouveront à Paris ,
chez Etienne Ganneau, Libraire , rue Saint Severin ,
& Pierre Guyllin , auffi Libraire , Quai des Auguftins
, entre le pont S. Michel & la rue Git- leg
coeur , au Lys d'or.
AUTRE.
Les corbeilles galantes du fieur Maille , Vi
naigrier , Diftillateur ordinaire de l'Impératrice
Reine , ayant eu les années dernieres tout le fuccès
poffible , cela l'a engagé à en compofer de nonvelles
de treize flacons & de neuf , garnies de
nouveaux vinaigres qui n'ont point encore paru.
Le prix de ces corbeilles eft de quarante huit livres
pour les corbeilles de treize flacons , & de dix écus
pour celles de neuf. Le vinaigre de Turbie & le
vinaigre Romain fe diftribuent toujours avec
un égal fuccès à la Cour , à Paris , dans les Provinces
& dans les Pays Etrangers. Le vinaigre de
Turbie pour la guérifon du mal de dent , & le
vinaigre Romain pour les blanchir parfaitement ,
raffermir les gencives , diffiper les eaux glaireufes
qui contribuent à les gâter , & arrêter le progrès
de la carie des autres dents. Ce vinaigre eft
206 MERCURE DEFRANCE.
un anti -fcorbutique parfait , & guérit tous les
Petits cha cres & ulceres qui viennent à la
bouche ; il prévient l'haleine forte. Ledit fieur
vend le véritable vinagre des Quatre voleurs , dont
la vertu eft excellente pour préferver de tout
air contagieux ; ce vinaigre le vend quinze livres
la bouteille de pinte. Il vend auffi toutes fortes
de vinaigres pour blanchir & entretenir la peau ,
guérir les boutons , dartres farineufes , macules
& taches du vifage . Four la facilité des perfonnes
de Province qui defireront avoir de ces
fortes de vinaigres , en voici les propriétés .
Noms & propriétés de chaque forte de
vinaigres.
Le vinaigre de Storax blanchit , unit , affermit
la peau ; le vinaigre de fleurs de citon ôre
toutes fortes de boutons du vilage ; le vinaigre
d'écaille guérit les dartres farineufes : le vinaigre
de racines ôte les taches & macules du vifage .
L'on trouve chez ledit feur toutes fortes de
vina gres pour la table , les bains & toilettes , au
nombre de cent trente , toutes fortes de fruits
confits an vinaigre. Les vinaigres de Gnaphalium ,
Napfe , Pucelle , Impérial , Mufcat , annoncés le
premier Septembre , ne pourront être en vente
qu'à la fin du mois de Mai prochain . La nouvelle
moutarde aux capres & aux enchois , compolée
par extrait d'herbes fines , & la moutarde
des fix graines , de la compofition dudit feur , fe
vendent avec fuccès ; ces deux fortes de moutardes
le vendent quatre livres le pot de pinte. Les
perfonnes qui fouhaiteront avoir du vinaigre pour
les dents , foit de Turbie ou du Romain , font
averties que les moindres bouteilles de ces vinaiDECEMBRE
. 1753. 207
gres fe vendent trois livres , de même que les
auties vinaigres qui font pour le vifage. En écrivant
audit fieur , & remettant l'argent par la
pofte , le tout affranchi de port , il les enverra
très exactement.
Le Sieur Maille demeure à Paris , rue de l'Hiron
delle , aux Armes Impériales.
AUTRE.
Le Gieur Arnaud , Parfumeur , privilégié du Roi,
à la Providence , rue Traverfiere près la fontaine de
Richelieu , fait & vend la pare Royale fi connue
pour blanchir & adoucir les mains , en ôte les
taches , comme rougeurs , angelures & autres ,
en s'en frottant naturellement , jufqu'à ce qu'elle
tombe par petits rouleaux . L'on peut s'en fervir
fans eau & avec de l'eau , cela va à la volonté
de ceux qui en font ufage . Elle est d'une odeur
très-agréable , & de qualité à pouvoir être tranfportée
par tout fans rien diminuer de la bonté ;
on lui donne avec juftice le titre de fans égale.
Elle fe diftribue dans des pots de terre grife de
Flandre , cachetés d'un cachet qui a pour attribut
Unico , Univerfus , décoré d'un foleil , d'un bâton
Royal , d'une main de juftice & plufieurs
fleurs de lys , le nom de l'Auteur eft gravé autour
dudit cachet . Le pot plein avec l'efpatule
d'yvoire , fe vend quatre hives ; & lorsqu'on le
1apporte vuide , l'on le remplit pour trois livres.
Il vend aufi toutes fortes de poudres , pomades
eaux de fenteurs , & généralement tout ce qui
concerne les parfums ; il compofe un très- beau
1ouge qui égalife le naturel , & l'eau de beauté
pour conferver le tein.
20S MERCURE DE FRANCE.
LETTRE DU SIEUR LE PAUTE
à l'Auteur du Mercure.
U'il me foit permis , Monfieur , de vous
demander place dans votre Mercure prochain
pour une réponse à deux Lettres , l'une
du fieur Caron fils , l'autre du fieur Leplat , qui
ſe trouvent dans le Mercure de Décembre : je
vous prie auffi d'y joindre la copie de trois certificats
qui font relatifs à ma réponſe , & qui ſervent
à détruire l'accufation d'infidélité dont je ſuis taxé
par la Lettre du fieur Caron,
On ne peut guéres poufser la jaloufie de talens
contre quelqu'un plus loin que le fieur Caron le
fait contre moi : il répand dans le public que la
montre & la pendule que j'ai eu l'honneur de préfenter
au Roi le 23 Mai , ne font que le fruit d'une
confidence qu'il m'a faite le 23 Juillet dernier.
Or les certificats que je défire mettre fous les
yeux du public , & plufieurs autres qui n'en font
que la répétition , démontrent fans réplique que
plus de fix mois avant le 23 Juillet j'étois en
pofseffion de mon échappement , que je n'ai pú
donner plutôt à caufe des ouvrages après lefquels
je travaillois pour les Cours de Naples , d'Efpagne
, de Parme , pour lesquelles j'étois extrêmement
preffé.
Le R, P. Plefse , M. le Chevalier de la Morliere ,
M. Lejeuneux , dont les lumictes font fi connues
fur toutes fortes de méchanifmes, étoient fi fort per
fuadés de l'existence & de la bonté de mon échappement
, que défirant avoir des montres de cette
nouvelle conftruction , ils ont eu la complaifance
DECEMBRE. 1753. 209
d'attendre que je fuſse débarraſsé de ces ouvra
ges prefsans.
fl eftdonc certain que je fuis le feul & véritable
inventeur de l'échappement que j'ai eu l'honneur
de préfenter à la Cour le 23 Mai dernier , iadépendamment
de la confidence du fieur Caron
qui d'ailleurs eft abfolument faufse , & qui n'a de
réalité que dans fon imagination .
A l'égard du fieur Leplat, il avance contre la vé
rité que je fuis allé chez lui , accompagné du Précepteur
des jeunes M. M. d'Ardore , pour voir for
remontoir à vent ; il ne prouve point d'ailleurs que
je me fois jamais donné pour Pinventeur de cette
machine , dont je vais prouver que je me fers plus
heureusement que lui.
En effet , quoique je n'aye jamais vu la machine
du fieur Leplat , & que les premieres idées qui
m'ont engagé à cette recherche me foient venues
d'un entretien que j'ai eu avec Mgr. l'Archevêque
de Sens fur les différens moyens propres à remonter
les pendules , je puis avancer d'après ce que
m'en apprend le fieur Leplat lui - même par le der
nier Mercure , que fa machine toute ingénieufe
qu'elle eft , doit dégoûter d'en faire ufage ; puifqu'il
convient qu'il faut s'interdire une cheminée
qui doit toute entiere être facrifiée à fa ma◄
chine , qui caufe d'ailleurs , à ce que j'ai appris ,
un embarras qui doit déplaire à tout le monde s
au lieu que de la maniere dont j'ai imaginé de m'en
fervir , non feulement la cheminée où aboutit le
tuyau qui donne paffage à l'air , eft entiérement
libre , mais qu'il ne paroît quoique ce foit de ma
colonne d'air , qui n'occupe qu'environ un demipouce
d'épaiffeur , & qui fe trouve cachée fous
le moindre lambris.
Le fieur Leplat , fuivant ſa propre deſcription }
210 MERCURE DE FRANCE.
donne huit pouces de diamètre à fon moulinet
dont il incfine les ailes comme celles d'un moulin à
vent. On fent dès là qu'il faut que le plan de ce moulinet
foit directement oppofé à un courant d'air
d'un égal diamétre. De là qui n'apperçoit à combien
d'inconvéniens cette machine eft fujette ?
1º . Elle laisse une entrée libre aux brouillards
& à toute forte d'humidité , ce qui ne manque
pas de rouiller les pivots & gâter des parties ef
fentielles à cette machine.
2º. Les pouffieres , les pailles & autres ordures
que l'air entraîne toujours avec lui , venant à chaque
inftant s'attacher à toutes les parties de la
machine , y cauferont un limon qui la fera néceffairement
arrêter. Il faudra donc s'apprêter
à la nettoyer , & peut- être fera t'il nécessaire de
recommencer cette rebutante opération plufieurs
fois par an.
Quant à ma maniere , quoique je donne autant
de diamérre à mon moulinet , il ne fe trouve avoir
aucune communication dangereuſe pour le refte
de mon remontoir, qui n'occupe , comme je l'ai
déja dir, que 15 lignes d'épaiffeur, & qui peut aller
très long-tems fans être obligé de le nettoyer , &
qui produit des effets infail ibles. Voilà ce que
j'aurois pû dire , quoique je n'en aye rien fait juf
qu'au moment où le fieur Leplat m'a obligé de
me juftifier. Que le public juge maintenant de la
préférence que doit avoir l'invention du fieur
Leplat , ou l'état de perfection où je l'ai portée
fans l'avoir vûe.
J'ai l'honneur d'être , &c .
Le Pante,
DECEMBRE. 1753. 21I
•
Copie des certificats donnés par trois de Mrs.
les Jéfuites du Collège de Louis le Grand ,
qui atteftent que l'échappement tel que j'ai
eu l'honneur de le présenter au Roi , & qui eft
décrit dans le Mémoire quej'ai donné à l'Académie
des Sciences , exiftoit dès le mois de
Mars dernier.
• Je certifie que pendant le Carême dernier
M. Lepaute nous fit part dans ce Collège du
nouvel échappement quil avoit inventé , & des
avantages qui lui étoient particuliers , tels qu'ils
font exposés dans fon Mémoire çi joint . Au Collége
de Louis le Grand , ce 26 Octobre 1753 .
F. E. Delourmel , de la Compagnie de Jelus.
Je , fouffigné, certifie la même chofe que cidefsus
. Au Collège de Louis le Grand , ce 26
Octobre 1753. Ryan , Jéfuite.
Je certifie que vers l'Afcenfion derniere , M.
Lepaute me fit part de fon nouvel échappement
& des avantages qui lui font particuliers ,
tels qu'ils font exposés dans fon Mémoire cijoint
. Au Collège de Louis le Grand , ce 26
Octobre 1753. P. J. Pleje , de la Compagnie
de Jefus.
J'en ai produit fept autres à l'Académie fur le
même fujer , qui coutiennent la même chofe , &
que l'on ne tranferira point ici , crainte de devenir
fatigant. Ces certificats m'ont été donnés avec
la même connoiffance de caufe , par M. l'Abbé
Moulin , Prêtre , Licentié en Théologie , M. le
Chevalier de la Morliere , M. de la Buffiere , M.
Duclauzeau ; M. Lecu, Horloger , M. Duchefne ,
Horloger ; M. Malivoire , Horloger.
212 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE du Sieur Thillaye , privilégié
pour les pompes à Rouen , à l'Auteur du
Mercure,
Monfieur,vous avez eu la bonté les années
précédentes d'annoncer dans votre Journal
la folidité & les juftes proportions de mes pompes
, dont je dois le fuccès à l'approbation que
Mefleurs de l'Académie des Sciences de Paris
leur ont donnée , auffi eft- ce dans les Mémoires de
cette illuftre Académie que j'ai puilé les principes
de l'Art , & ne me propoſerai je à l'avenir d'autre
guide . Je crois devoir vous marquer , Monfieur ,
que je me trouve de plus en plus técompenté de
mes recherches par l'accueil favorable que le public
fait à mes ouvrages.
J'ai livré les années dernieres plufieurs pompes
à Meffieurs de la Compagnie des Indes , je viens
encore de leur en livier deux , le Certificat qui
m'a été délivré en conféquence , ne laiffera rien à
defirer ; en voici la teneur.
Je , fouffigné , Correfpondant de la Compagnie
des Indes en cette Ville , certifie que le sieur Nicolas
Thillaye , privilégié pour les Pompes , y demeurant
, m'a livré au mois d'Août 1752 , confor.
mément au marché qu'il avoit fait à Paris avec
Meffieurs les Syndics & Directeurs de ladite
Compagnie , deux pompes à incendies , de trois
pouces & un quart de diametre , produifant chacune
vingt- cinq à trente muids d'eau dans une
beure , lefquelles fe font trouvées bien conditionnées;
& qu'en conféquence il lui en a été ordonné
deux autres pareilles , qu'il m'a livrées le vinge
DECEMBRE. 1753. 213
fixiéme Octobre de la préfente année ; en foi de quoi
je lui ai donné le préfent Certificat, pour lui fervir &
valoir , ainfi que de raifon . A Rouen , le dix-neuf
Novembre mil fept cens cinquante- trois .
Signé , BBAUDOUIN,
J'ai deux pompes de la même espéce à fournir
pour le compte du Roi , aux Colonies. Tout le
monde s'emprefle d'en faire acquifition ; les Particaliers
, les Corps de Ville m'en demandent , &
tous ceux à qui j'en ai fourni , fe font un plaifir de
m'indiquer aux autres.
>
M. de Beaumont , Intendant de la Franche-
Comté , par une fuite de cet efprit qui le rend fi
attentif au bien public , a fongé à garantir les Citoyens
de la Province des triftes événemens qui
font la faite trop ordinaire des incendies ; il s'eft
adreffé à moi , & depuis le mois de Mai dernier ,
j'ai eu l'honneur de lui faire paffer diz de mes
pompes qu'il a fait dikribuer dans differentes Villes
de fa Généralité , & je dois lui en envoyer inceffamment
trois autres. Il me paroît que fon intention
eft d'engager les Villes à fe munir des pompes
, pour avoir toujours le reméde prêt contre les
incendies .
Souvent , Monfieur , c'eft faute d'y penser qu'on
manque à prendre de certaines précautions , c'eſt
rendre fervice aux gens que de les avertir de fe
précautionner. Le public vous a , Monfieur , beaucoup
d'obligations de cette efpéce . En mon particulier
, je ne négligerai rien pour mériter l'honneur
que vous m'avez fait de m'annoncer dans le
public ; mes fuccès fervent à m'encourager & àme
foutenir dans mon travail,
214 MERCURE DE FRANCE.
Il feroit à fouhaiter que les Gouverneurs de Places,
les Intendans de Provinces , les Magiftrats des Villes,
fuiviffent l'exemple de M de Beaumont ; les pompes
de M. Thillaye ne font pas affez cheres pour que leur
prix foit une raifon de n'en pas prendre , & leur fupériorité
eftfi marquée & fi reconnue , qu'il y auroit de
l'imprudence à en préférer d'autres.
L
APPROBATION.
J'ai parordre of Mercure deFrance
'Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chance-
"
du mois de Décembre .
A Pais le 18 Décembre 1753.
LAVIROTTE.
PLAC
TABLE.
IECES FUGITIVES en Vers & en Proſe:
L'Amour vengé , à Mlle. B *** ; par M. D` *.
page 3
Afsemblée publique de la Société Royale de
Lyon , du 7 Décembre 1752 .
Confeils à une jeune perlonne ,
7
29
Obfervations importantes fur les petites véroles
de 1733 , par M Moreau Delraviers , Médecin
ordinaire du Roi ,
Alcione , Cantatille ,
31
40
43
Madrigal , à Madame de V *** , en lui envoyant
des feurs ,
I
Lettre à M. Maillot , Chirurgien Major des Hôpitaux
de Châlons fur Marne , fur les effets du
mercure de M. de Torrés , Médecin de Mgr. le
Duc d'Orléans
Vers à Sophilette ,
• 43
SS
Affemblée publique de l'Académie Royale des
Sciences , du Octobre 1753. 14 56
67
Ode en ftrophes libres , faite par défi dans un
après-foupé , à M Meynot , de Libourne , fur
fon excellent vin de Saint - Emilion ; par M.
des Forges - Maillard ,
Differtation historique fur les conquêtes du Peuple
Romain , lúc à la Société Littéraire de Dijon;
par M. Efpiard de la Cour , Confeiller au
Parlement , 72
Mots des Enigmes & des Logogryphes du premier
volume de Décembre ,
Enigmes & Logogryphe ,
Nouvelles Littéraires ,
102
106
153
154
Lettre de l'Académie de Chirurgie à M. l'Abbé
Raynal,
Prix proposé par l'Académie Royale de Chirurgie
pour l'année 1755 ,
Dernieres Réflexions de M. le Chevalier de Cau .
fans , fur la Quadrature du cercle , avec l'Extrait
des Registres de l'Académie Royale des
Sciences ,
Beaux Arts ,
Spectacles ,
157
163
168
170
174
Extrait de Brioché , ou l'Origine des Marionettes,
Parodie de Pigmalion ,
Nouvelles Etrangeres ,
France. Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 188
Arrêts notables
Différens avis ,
Naiflance , mariages & morts ,
195
194
201
216
Lettre du fieur le Paute à l'Auteur du Mer
208
cure ,
Lettre du Geur Tillhaye , privilégié du Roi pour
les pompes de Rouen , à l'Auteur du Mercure ,
212
De l'Imprimerie de J. BU LOT.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères