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1753, 09-11
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MERCURE
DE FRANCE ,
DÈDIÈ AU ROI.
SEPTEMBRE .
CIGIT
UT
SPARGAT
1753 .
Chez
Pupillon
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
, Quai de Conty , à la PISSOT
deſcente du Pont-Neuf.
DUCHESNE , rue Saint Jacques,
au Temple du Goût,
M. DCC. LIII .
Avec Approbation & Privilégedu Roi.
AVIS.
'ADRESSE du Mercure est à M. MERIEN
LCammisauMercure,rue des Foffez S. Germain
PAuxerrois , au cain de celle de l'Arbre-fec , pour remettre
à M. l'Abbé Raynal.
1
Nous prions très-instamment ceux qui nous adreffe
ront des Paquets par la Poſte , d'en affranchir le port ,
pour nous épargner le déplaisir de les rebuter , &à eux
celui de ne pas voir paroître leurs Ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays Etrangers ,
quisouhaiteront avoir le Mercure de France de la premiere
main , & plus promptement , n'auront qu'à
écrireà l'adreſſe ci-deſſus indiquée.
On l'envoye auffiparla Poſte, aux perſonnes de Province
qui le defirent , les frais de la pofte ne sont pas
confidérables.
On avertit auſſi que ceux qui voudrontqu'on leporte
chez euxà Paris chaque mois , n'ont qu'à fairesçavoir
leurs intentions,leur nom & leur demeure audirfieur
Merien,Commis auMercure; on leurportera le Mercure
très- exactement , moyennant 21 livres par an , qu'il
payeront ,sçavoir , 10 liv, 10f. en recevant le ſecond
: volume de Juin , & 101. 10ſ. en recevant leſecond
volume de Décembre. On les supplie instamment de
* donner leurs ordres pour que ces payemens Soientfaits
dans leur tems.
On prie auſſi les perſonnes de Province , à qui en
envoye leMercure par la Poste , d'étre exactes à faire
payeu Bureau du Mercure à la fin de chaqueſemeftre
,jans cela on ſeroit hors d'état de soutenir les
avances conſidérables qu'exige l'impreſſion de ces
auvrage.
On adreſſe la même priere aux Libraires de Province.
On trouvera le ſieur Merien chez lui les mercredi
, vendredi , & samedi de chaquesemaine.
PRIX XXX. SOLS .
Compl. sets
mppioff
MERCURE
DE FRANCE ,
1 1
DÉDIÉ AU ROI.
SEPTEMBRE. 1753 .
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
ORITHIE ET BORE'E.
L
CONT E.
:
E froid Borée , au retour du zephir ,
Revoloit vers les lieux ſoumis à fon
empire ,
Lorsque ce Dieu , ſous un feuillage
frais
Apperçut la jeune Orithie
Qui , ſur un lit de fleurs mollement endormie ,
Lui ſembla mériter qu'il la vit de plus près.
Il s'approche , & touché des charmes de la belle
Aij
4 MERCURE DE FRANCE.
Quelle eſt , dit- il , cette immortelle
Qui vient par la préſence embellir ce ſéjour ?
Souvent Venus , dit- on , ſe dérobe à ſa Cour;
Mais non , Mars ſeroit auprès d'elle .
Quel trouble à chaque inſtant en moi ſe renouvelle
?
,
Applaudis- toi , cruel amour ;
D'un coeur qui te fut trop rebelle
Tu ſeras , je le ſens , bien vengé dans ce ſéjour.
Mais que dis -je .... où m'emporte une ardeur inſenſée
?
Me convient-il , hélas ! d'oſer former des voeux ?
Cet air froid, ce front nébuleux ,
Cette barbe toujours de glaçons hériſſée ,
Cette couronne verglacée
D'où ſemblent à longs fils diſtiler mes cheveux ;
Tout ne détruit il pas une ardeur inſenſée ?
Etdois-je m'expoſer à des rebuts honteux ?
Non , mais pour plaire à cette nymphe aimable
Inventons quelque adroit détour ,
Și tant d'attraits excuſent mon amour ,
Tant d'amour rend ma feinte pardonnable ,
Sousdestraits tout nouveaux je vais me rajeunis
J'aime , il ſuffit : & pleinde ma tendreſle ,
Je veux devoir à mon adreſle
Cequ'en vain de mes feux je voudrois obtenir,
Il dit , & fecouant ſes aîles ,
-DuRoi des aquilons il dépouille les traits ,
SEPTEMBRE .
S 1755.
Il ſe déguiſeen un petit vene frais ,
Puis ſur un litde fleurs nouvelles ,
Queſon ſouffle fit naître auprès
Comme un zéphir il ſe promene ,
Etde leurdouce odeur parfumant fon haleine ,
D'un air carefſſant & badin
१
Vers la Nymphe endormie , il s'envole ſoudain:
Dieux ! que d'attraits touchans s'offrirent à fa
vûe !
Et quel fut ſon raviſſement?
Dirai - je les déſirs qui dans ſon ame émuc
S'éleverent confufément ?
Peindrai je les baiſers que ſa bouche amoureuſe
Enlevoit en paſſant ſur le ſein delicat :
Faveur d'autant plus précieuſe
Qu'il falloit qu'il la dérobât.
Mais non. En vains efforts j'épuiſerois ma veine.
Apeindre ces tranſports , qui pourroit réuffit ?
Plus on lesgoûte avec plaîfir
Plus on les décrit avec peine.
LaNymphe cependant, féduite par l'appas
D'un ſommeil léger & tranquille ,
Seule& fans crainte en cet azile ,
Du piége de l'Amour ne ſe méfioit pas.
Oſurpriſe ! 8 mortelle crainte !
De quel effroi ſubit elle ſe ſent atteinte
A l'aſpect d'un amant qu'elle voit dans ſes bras ?
Quel obſtacle oppoſer aux feux d'un téméraire !
Aiij
6 MERCURE DE FRANCE.
Sans ſecours , ſans défenſe , en vain à ſes tranfports
,
Parune prompte fuite elle veut ſe ſouſtraire :
Hélas !le Dieu rioit de ſes foibles efforts ;
Mais für enfin que ſa conquête
Ne pouvoit plus lui réſiſter ,
De ſon déguiſement il voulut profiter ,
Et réparer , du moins , ſon audace indiſcrete ,
Par l'air tendre& foumis qu'il cut ſoin d'affecter.
Pourquoi vous défier de l'ardeur la plus pure ?
Pourquci , lui diſoit- il , refuſez-vous un coeur ,
Dont la fidélité pour jamais vous affure
Le triomphe le plus flatteur ?
Les voeux d'un Dieu qui ſoupire
Peuvent-ils vous offenſer ?
C'eſt le volage zéphir
Que vous venez de fixer.
Je vois ce qui vous anime :
Vous voulez me faire un crime
De mon tendre emportement ,
Etpar un reſſentiment
Qui vous paroît légitime ,
Punit quelques baiſers cueillis furtivement.
Eh quoi ! ſur les ſoupirs , ſur les pleurs d'un amant
Ce ſouvenir fatal l'emporte-t'il.encore ?
Ah! perdez-le , du moins , auſſi facilement
Que j'ai perdu celui de Flore :
Mais je le vois , votre coeur outragé
Du ſeul titre d'amant & s'allume &ſe bleſſe..
SEPTEMBRE. 1753 . 7
१
Que j'aime en vous cet heureux préjugé !
Et qu'il ajoûte encor à ma tendreſſe .
Nymphe , non ce n'eſt plus un amant qui vous
prefle ;
C'eſt un époux foumis qui vous donne ſa foi :
Er qui pour être heureux fans ceſſe ,
Veut àjamais vivre ſous votre loi .
Qu'eût fait la Nymphe ?,& comment le défendre
D'un diſcours qui marquoit tant de ſincérité ?
Tout parloit pour le Dieu , ſon reſpect , ſon ait
tendre ,
Et ſes ſermens & la beauté ;
Que de raiſons ! d'ailleurs , ſeul au fond d'un bow
cage
Il avoit mis un frein à ſa témérité.
Quelque indiſcret qu'il eûtété ,
Il pouvoit aisément l'être encor davantage.
Tout bien confidéré , la Nymphe ne crut pas
Lui devoir plus long tems diſputer ſa conquête.
Ces lieux furent témoins de leurs tendres ébats ,
Er l'hymen & l'amour éclairerent la fête.
Que fit le Dieu vainqueur ? ſans doute, un feufi
prompt
Promettoit un époux , tendre , empreſſé de plaire.
Ce qu'il fit ? dites vous : ce que les autres font.
Il revint à ſon caractere ,
Caraftere des plus glacés :
Les triſtes dons que d'ordinaire
Aiiij
8 MERCURE DE FRANCE .
Sa main répand ſur nous le témoignentaſſer :
Mais lorſque les fimats curent chaſſe l'Automne
Qui pourroit d'Orithie , exprimer la douleur ,
En voyant que l'époux qui poſſédoit ſon coeur
Etoit , non le zéphir , mais la biſe en perfonne ?
Nymphe , calmez pourtant un frivole courroux.
Plus de pareils regrets ſont communs parmi nous ,
Moins on feroit touché des vôtres.
Du redoutable hymen tels ſont les jeux malins ,
Ceſſez-donc , croyez -moi , de gronder les deſtins ,
Et de votre accident riez avec bien d'autres.
Rien ne coûte à qui veut contenter ſes défirs ;
Mais on fait peu de cas des faveurs aſſurées.
Que d'Aquilons l'amour change en Zéphirs !
Que de Zéphirs l'hymen change en Borées !
SEPTEMBRE.
1753% و
abotababatabatabattab
ASSEMBLE'E PUBLIQUE
/
De la Société Royale de Lyon , du 19 Avril
1752 .
.Chriſtin , Directeur & Secrétaire
Mepetu , adonné les extraits fuivans
des Mémoires qui ont été lus à cette:
Académie , depuis le 28 Avril 1751 , que
fut tenue la derniere Aſſemblée publique..
M. Mathon a donné la ſuite d'un Mémoire
fur la force des roues mûes par des
courans , dont il avoit lû le commence--
1
ment en 1749.
Il y développe les principes pour calcu
ler l'effort fur des aubes frappées perpen
diculairement ou obliquement , en entier
ou en partie , mobiles ou immobiles ; il
donne enſuite des formules pour connoî
tre les viteſſes qui procurent les effets les
plus avantageux à chaque fituation de la
roue , & pour trouver la viteſſe lorſque
l'effort eft connu.
*De là il paſſe à l'examen de la force d'aneroue
, dont on ſuppoſe le nombre des
aubes multiplié juſqu'à l'infini , ou ce qui
revient au même , dont le nombre des aubes
eſt le plus grand qu'il foit poſſible de
Av
to MERCURE DE FRANCE .
lui donner : il cherche combien elle doit
être plongée dans l'eau , & quelle doit
être la viteſſe , pour que l'effet ſoit le plus
grand. Selon les calculs , ſi le rayon de
cette roue eſt diviſé en cent parties égades
, le centre doit être élevé de près de
23 de ces parties au deſſus de la ſurface
de l'eau , & fa viteſſe doit avoir à celle
du courant le rapport de 23 à 100 : ſon
effet étant comparé à ceux des roues à 4 &
à 8 aubes , plongées juſqu'au centre , fe
trouve moins conſidérable , mais elle a ,,
d'un autre côté , l'avantage d'être plus.
égale dansfon mouvement.
Sur la Lumiere.
M. l'Abbé Cayer parcourt dans cet ouvrage
, les différentes propriétés de la lumiere
quiont un rapport effentiel avectoutes
les parties.dont la Phyſique fait l'objet
de ſes recherches ; Astronomie , Géographie
, Peſpective , Optique , Anatomie ,
Hiſtoire naturelle , & lereſte .
L'Auteur, a promis d'entrer dans des détails
académiques qui pourront être réunis
, & qu'il fait précéder par ce diſcours
qu'il qualifie de préliminaire.
M. de laMonce nous a donné un Mémoire
dans lequel il s'eſt proposé de fixer
pardes époques fûres , les points de perSEPTEMBRE.
1753. It
fection dans les Arts libéraux tels que l'Architecture
, la Peinture & la Sculpture ancienne
& moderne .
La néceſſité & la Religion ſemblent
avoir produit l'Architecture , mais où étala-
t'elle le plus ſa magnificence ? En Egypte;
laGrece la perfectionna- t-elle enſuite ,
ainſi que les autres arts ? ce ſoin lui étoit
réſervé : le gouvernement de Periclès à
Athènes , eſt une époque eſſentielle en ce
point.
S'agit il du Moderne le 15 & le 16°
fiécle ſont des tems recommandables pour
l'Italie ; que de grands noms ne ſe rappelle-
t- on point ſur ces époques !
La France a eu aufſi ſes héros dans les
trois derniers fiécles .
M. de la Monce les parcourt tous , &.
le récit de pareils traits dans l'hiſtoire
quoique connus , ſemble offrir néanmoins
toujours le plaiſir de la nouveauté,
Sur l'état des Sciences chez les Arabes.
Après un dérail abrégé des ſuccès de
Maliomet & de ceux qui les premiers ,
fous le nom de Califes , furent à la tête ,
après lui , de l'Empire Muſulman ; M.
l'Abbé Audras paſſe aux Califes Abbaffides
, deſcendus d'Abbas , oncle du Pro;
A vj
12 MERCUREDE FRANCE.
phête. Ces Princes connurent les premiers
desMahometans , l'utilité des Sciences &
des Arts.
Rien ne fut épargné, il båtit des Colléges,
il éléva des Obſervatoires , il établit des ſociétés
reglées de Sçavans. Ses ſucceſſeurs
protégerent de ſi beaux établiſſemens , &
P'Orient fous l'empire des Abbaſlides pofféda
des hommes habiles dans tous les genres
de ſciences. L'Auteur les fait connoî
tre par leurs noms & leurs talens , & continuant
juſqu'à l'entiere deſtruction de
l'empire des Califes , il nous préſente une
fuite de Sçavans dont les Croiſades nous
mirent à portée d'admirer le ſçavoir : ce
ne fut pas fans fruit ,& c'eſt de cette époque
que les Sciences & les Arts commencerent
à s'établir parmi nous.
Pour entrer dans le détail , l'Auteur s'arrête
à l'Algebre , il prouve que nous tenons
des Arabes un art fi important ; il en
développe le méchaniſme admirable , qui
ſert à nous découvrir les vérités les plus
compoſées. C'eſt dans la differtation qu'on
voit débrouillée l'eſpéce de magie de cet
art fingulier..
SEPTEMBRE.
1753. 13
Description&usage d'un instrument très-fim
ple pour ſuppléer àla ligne des parties égales
, &à la ligne des cordes du compas de
proportion.
M. l'Abbé Dugaiby a rempli les deux objets
qu'il s'étoit proposés en conſtruiſant
ces inſtrumens de fon invention ,& en a
démontré toutes les opérations dans fon
Mémoire. Nous paſſerions les bornes de
nos extraits fi nous entrions dans des dérails
que l'inſpection ſeule des figures
éclairciroit au premier coup d'oeil , fi nous
pouvions les faire voir ici .
Il ſuffiva de dire que l'inſtrument n'eſt
autre choſe qu'un triangle , rectangle iſocelte
, dont la baſe eſt diviſée en un grand
nombre departies qui ſervent à diviſer les
Baſes paralelles de plus petits triangles ,
que l'on conſtruira dans le grand , ſelon le
beſoin ; & cela en tirant des lignes de
l'angle droit , conſtruit à la baſe du triangle.
Pour les cordes du cercle , l'opération eſt
àpeu prèsſemblable , avec cette différence
que le triangle doitêtre inſcrit dans le cer
cle.
14 MERCURE DE FRANCE.
Sur l'origine , la circulation , l'accroiffement
la nature des polypes dans te corps
bumain.
M. Olivier perfuadé que les polypes
font la cauſe la plus ordinaire des morts
inopinées , qui de tems en temsjettent le
deuil& la déſolation dans les familles , a .
fait pluſieurs recherches touchant cette
maladie ; & à mesure que par l'ouverture:
& la diſſection de pluſieurs cadavres , il
s'eſt inſtruit de l'exiſtence des polypes , de
leurs cauſes prochaines & éloignées , de
la manieredont ils ſe forment ,, circulent ,.
s'arrêtent & croiffent en différens endroits .
de nos corps ; il s'eſt ſérieuſement appliqué
à découvrir les expédiens , & les
moyens capables d'en diſſiper les germes ,
&d'en prévenir la naiſſance..
Les polypes , ſelon le fentiment deM.
Olivier , donnent lieu à une multitude
innombrable de maux :les pleureſies, par
exemple , les aſthmes les plus rebelles , la
jauniſſe , l'hydropiſie , la ſyncope cardialgique
, l'apoplexie dépendent ordinai--
rement de quelques concrétions polypeuſes
qui ont germé dans le ſinus de la dure
mere , dans les poulmons , dans le foye ,
&dans les parties précordiales des malades.
Dès qu'on ſera parvenu à empêcher
SEPTEMBRE. 1753 . 15
ou à fondre les concrétions ,, on pourra ſe
flater d'avoir coupé la racine à des milliers
de maladies d'autant plus formidables
qu'elles ne finiſſent preſque jamais que par
la mort prévûe ou inopinée des malades.
2
Pour remplir cette indication importante
, c'est- à-dire , pour empêcher la naifſance
des polypes , ou pour les détruire
quandils font nouvellement nés.,M. Olivier
propoſe pluſieurs moyens ; mais il recommande
fur tout l'uſage du firop alexitere
de Ginseng , dont il eſt l'inventeur.
M. Olivier aſſure que ce ſirop ayant ſpécifiquement
la vertu d'entretenir les vaiffeaux
dans une ſoupleſſe extrême , & celle
de rendre le fang très fluide , prolongera.
la vie de ceux qui en uſeront , & leur fera
paffer la vieilleſſe ſans qu'ils s'apperçoivent
des infirmités de cet âge.
On perd beaucoup par un ſimple extrait,
des détails importans du Mémoire.
Sur-deux instrumens de l'invention deM.
Saverien .
L'Auteur Académicien aſſocié a envoyé
à l'Académie la deſcription de ces deux
inſtrumens , dont le premier eſt deſtiné à
connoître la falubrité de l'air , en ſuppofant
qu'elle dépend de ſa plus grande pureté
,&que celle- ci eſt indiquée par l'élaſti16
MERCURE DE FRANCE.
cité , que le mélange des vapeurs nuiſibles
altere & diminue infailliblement ; cet inftrument
eſt donc propre à meſurer l'élafticité
de l'air . On en peut concevoir une
idée en le comparant à ces barometres à
l'Angloiſe , je veux dire aux barometres
racourcis , dans lesquels un peu d'air fermé
au haut du tube , contrebalance le
poids du Mercure & de l'atmosphere , &
empêche plus ou moins le mercure de s'élever
à la hauteur des barometres ordinaires
, ſelon qu'il s'eſt trouvé plus ou moins
élastique , lorſqu'on l'a renfermé dans ce
tube , ou qu'il y eſt en plus grande ou en
moindre quantité : toute la difficulté conſiſte
à changer aisément cette portion d'air,
afin de lui ſubſtituer un même volume de
celui dont on veut faire la comparaiſon
avec le premier , par la différence de la
hauteur à laquelle s'élevera le niercure
qui la preſſe & qui la condenſe. M. Saverien
a tâché de procurer cet avantage à fon
inſtrument par des combinaiſons de tuïaux
& de robinets qu'il ſeroit trop long de
décrire ici.
L'autre inſtrument eft pour connoître las
dérive de différens vaiſſeaux ſuivant les
angles de la voile avec la Quille . Le commun
des marins ne ſçauroit s'accoutumer
auxrégles decalcul , ni à l'uſage des tables;
SEPTEMBRE. 1753. 17
ils préferent des inſtrumens qui leur en
donnent le réſultat , ſans étude & fans travail;
c'eſt ce que M. Saverien a tâché de
leur procurer. Il leur préſente une ſimple
platine taillée en ſecteur de cercle , fur
laquelle font tracées quelques arcs concentriques
, deſtinés à répréfenter chacun
un angle différent de la voile & de la quille
; ces arcs ſont coupés tranſverſalement
par des courbes qui partent d'un même
point , & qui marquent chacune , pour
une forme différente de vaiſſeau , le point
de chaque arc concentrique par lequel il
faut faire paſſfer un fil bientendu , attaché
par une extrêmité au centre du ſecteur ,
pour que ſon autre extrêmité indique l'angle
de la dérive ſur le limbe extérieur de
ce même ſecteur. Les ſcavantes tables dur
traité du navire réduites à la forme de cet
inſtrument , en paroiſſent plus à la portée
du Pilote , & d'un uſage plus commode &
plus facile pour eux.
Sur les pierres gravées.
Cene ſontpas les ſeuls objets d'intérêt
quidans la ſociété donnent lieu à des difficultés
; les Sciences & les Arts en ref.
ſentent auſſi quelquefois l'amertume. M.
Mariette , dont le nom eſt ſi connu parmi
les Artiſtes du premier ordre , a fait
18 MERCURE DE FRANCE.
part au Public , comme tout le monde
Içait ,d'une deſcription hiſtorique de toutes
les pierres gravées , antiques , du Cabinet
du Roi , à la ſuite d'une collection
d'empreintes qui peut tenir lieu des antiques
mêmes ; cet ouvrage qui ne paroiffoit
fait que pour être admiré , comme it
a été en effet de toutes parts en France ,
a excité une critique des plus vives qui lui
aété ſuſcitée par un Sçavant d'Italie. M.
de Fleurien s'eſt chargé du ſoin de venger
le St Mariette , par un diſcours où le
travail de la diſcuſſion autant que la force
des moyens , conferve & afſſure la gloire
que devoit ſe promettre notre Artiſte
François.
Nous n'en ſçaurions dire davantage , il
faudroit avoir les pièces du procès ſous
les yeux.
Sur la clarification &sur un nouvel instru
mentpourſervir àfiltrer les liqueurs.
Rien n'eſt à négliger dans le procédé
des Arts; les moyens ſont comme les caufes
, ilsy ont leurs principes , & ces principes
ne font jamais ſans un intérêt qui y
eft attaché.
M. Gavinet nous en a faitjuge dans un
point de méchaniſme aſſez ſimple : aucun
des moyens employés juſqu'ici pour la file
SEPTEMBRE.
1753 . 19
tration des liqueurs ne lui a paru répondre
véritablement à fon objet.
Après avoir examiné les différens filtres.
artificiels que la Chymie met en oeuvre ,
il rend à chacun la juſtice qui lui eſt dûe ,
& remarque en même tems les petits inconvéniens
qui en font inséparables , &
qui forment autant d'obstacles à une dépuration
parfaite ; c'eſt pour les lever que
notre Académicien a imaginé une forme
de vaſe , exécutée en fer blanc & qui répond
au mieux à ſes vûes.
Sa deſcription eſt ſimple ; ce vaſe qui a
un couvercle eſt percé dans le fond de la
largeur d'un pouce , & cette ouverture
communique dans une boule vuide au dedans
, au bas de laquelle eſt une petite
grille , à laquelle eſt adaptée un bec par
où la liqueur fort ; la boule doit être remplie
de coton , en auſſi grande quantité
qu'il en peut entrer , & cette maniere de
retenir le coton eſt ingénieuſe , en ce qu'il
ne peut ſe ſoulever.
Obſervations Météorologiques faites à Tours
pendant l'année 1751 .
M. Burdin , Académicien aſſocié , continue
ſes obſervations , par le moyen dư
Thermometre de Lyon , des dégrés de
10 MERCURE DE FRANCE.
froid & de chaud , tant de l'air libre que
de ceux de la terre à diverſes profondeurs ,
la Botanique peut tirer ſes avantages de
ces derniers. Telles font ees obſervations,
Le dixiéme de Février , jour le plus
froid , le Thermometre n'eſt defcendu qu'à
3 dégrés au datſous de la congelation ;
celui qui étoit enterré à 18 pouces a été
às dégrés au deffus : d'où il ſuit que la
terre avoit S dégrés de chaleur de plus que
P'air extérieur. Le 16 Juin , le Thermometre
à l'air libre eſt monté à 32 dégrés fupérieurs.
Le même jour , trois thermometres
enterrés à différentes profondeurs dans
un jardin où le Soleil donne preſque tout
le jour , étoient ,
Sçavoir :
Le it enterré à 1 pouce de prof.
Le 20
Le 3
Un4e
à 23 dég. ſup..
à 2 à18
à 3 à14
à 18de profi placé
Au Nord où le Soleil ne donne jamais ,
étoit à todeg. fupi.
Le 18 Juin , jour le plus chaud , le ther-,
mometre eſt monté à 3-3 dégrés ſupérieurs .
M. Burdin raconte que le 16 Mars , le
barometre érant à 27 pouces 3 lignes ,
un vent d'Ouest devint ſi impétueux que
toutes les maiſons en furent endommagées ,
vant à la Ville qu'à la Campagne ; quel
SEPTEMBRE .
21 1753.
4
ques- unes même renverſées; la plus grande
partie des grands arbres ,arrachés ou
briſés , & s'ils euffent eû leurs feuilles ,
on ne croit pas qu'il en fût reſté un ſeul
fur pied.
Un autre évenement a encore affligé la
même Ville de Tours , depuis le premier
Novembre 1750 , juſqu'au 26 Mai 1751 .
Il y a eû des pluyes preſque continuelles
par les vents d'oueſt. & ſud- ouest. M. Burdin
a obſervé qu'il n'y a eu pendant ces ſept
mois que 23 jours fans pluyes , & les rivieres
de Loire & du Cher ont débordé
huit fois chacune. La plus grande hauteur
du barometre a été à Tours le 16 Novembre
, à 28 pouces 6 lignes , & la moindre
le 16 Mars , jour des grands orages , à 27
pouces 3 lignes.
Observations Aftronomiques & Météorologiques
, faites à l'Obfervatoire du Collègede
cette Ville, pendant l'année 1751 , parle
P.Beraud.
OBSERVATIONS ASTRONOMIQUES .
L'on ſçait que M. l'Abbé de la Caille ,
de l'Académie Royale des Sciences , en
partant pour le Cap de Bonne Eſpérance ,
invita tous les Aſtronomes à faire chacun
de leur côté des obſervations correfpon22
MERCURE DE FRANCE.
dantes à celles qu'il alloit faire au Cap
de Bonne Eſpérance , par ordre du Roi ,
&ſous la protection des Etats Généraux ,
pour déterminer les paralaxes des planetes
de la Lune , de Mars &de Venus .
Le P. Beraud , pour répondre aux vûes
de ce ſçavant Académicien , s'eſt appliqué
pendant l'année 175 1 à meſurer la diſtancede
ces Planetes , aux étoiles auprès defquelles
elles ſe ſont trouvées à leur paffage
par le Méridien ; il nous a remis ces
obſervations , & c'eſt en les comparant
avec les correſpondantes que M. de la
Caille a faites auCap de Bonne Eſpérance,
qu'on en déduira dans ſon tems , la paralaxe
horizontale de ces Planetes pour la
latitudede Lyon.
Obſervations Météorologiques en 1751 .
Les jours les plus froids ont été le 22
&le 26 Décembre. Le 22 , à 7 heures du
matin , le thermometre de Lyon étoit à
10 dégrés un quart , au deſſous du point
de la congélation ,&celui de M. de Reaumur
qui eſt à l'eſprit de vin , à 8 dégrés.
Le 26 , le thermometre de Lyon étoit à
10 dégrés & demi ; & dans le même tems
celui de M. de Reaumur ſe trouva à 7 dé.
grés trois quarts , où l'on voit que tandis
SEPTEMBRE.
1753. 23
que l'un deſcendit l'autre monta. On ne
peut pas ſoupçonner le mercure d'avoir
une fauffe marche , le thermometre de
Lyon en eſt conſtruit .
Les plus grandes chaleurs ſe ſont fait
ſentir les 20 & 25 Juillet. Le 20 , le thermometre
de Lyon étoit monté à 34 dégrés
, & celui de M. de Reaumur à la
diviſion de 80 étoit à 30 dégrés. Le 25 ,
le thermometre de Lyon étoit à 34 dégrés
, & celui de M. de Reaumur à 30 dégrés
.
La plus grande hauteur du barometre a
été à 27 pouces II lignes le premier Janvier
, la plus petite le 14 Janvier , à 26
pouces 11 lignes.
Le P. Béraud a reçu la continuation des
obſervations faites à Cayenne , des dégrés
de chaleur par le thermometre de mercure
; leur réſultat fait toujours voir que
nos plus grandes chaleurs à Lyon , furpafſent
d'environ 4 dégrés celles de Cayenne
, qui eſt preſque ſous la ligne.
Le P. Beraud rapporte auſſi l'obſervation
d'un phénomene fingulier arrivé à
Cayenne , dont il a eu une relation bien
détaillée que nous abrégerons.
Le cinquiéme Novembre 1750 , à deux
heures environ après minuit , le Ciel étant
très-clair , ferein & fans nuages , on vie
:
24 MERCURE DE FRANCE.
i
dans toutes les parties de cette Colonie ,
du côté du couchant , une lumiere ſi éclatante&
fi étendue , lorſqu'elle fut montée
au zénith , qu'on pouvoit à ſa faveur lire
aiſément , l'on en fut effrayé. Après la durée
d'un gros quart d'heure , il en ſortoit
des feux comme des gerbes de fuſées ; elle
ſe diviſa en trois parties , dont la plus
baſſe étoit très-noire : alors on enterdit
un bruit ſemblable à celui d'un coup de
canon de dix-huit livres de balles ; il ſe
répéta juſqu'à cinq fois , &dans leur intervalle
c'étoit un fracas tel que celui du
tonnerre qui gronde; enfin tout ſe diſſipa
, & une odeur très- forre de bithume
ſe répanditdans le pays .
Trois ſemaines après , à la même heure
, on vit une autre lumiere du côté de
l'Orient ; elle monta juſqu'au zénith où
elle parut à peu près ſemblable à la premiere
; celle-ci dura trois quarts d'heure ,
après leſquels elle diſparut tout à coup.
M. le Directeur a annoncé ſuivant l'uſage
, la mort de deux Académiciens afſociés
de la Société Royale , M. l'Abbé
Goiffon , correſpondant de l'Académie
Royale des Sciences , & M. Cramer , de
la Société Royale de Londres , Profefſeur
à Genève ; tous deux profonds dans
les Mathématiques &la Phyſique : les ouvrages
SEPTEMBRE .
1753. 25
vrages qu'ils ont donnés au Public , leur
ont aſſuré après leur mort , une réputation
qui fait ſeule leur éloge.
Le fheur Colignon , ouvrier en fer , avoit
préſenté un modéie de moulin à eau , de
ſon invention , avec un mémoire ſur ſes
avantages à MM. du Conſulat ; ils en ren.
voyerent l'examen à la Société Royale ,
où cette machine , après le rapport des
Commiſſaires , fut reconnue par la Compagnie
, très-bonne pour des courans où
les atterriſſemens ne ſeroient pas à craindre.
(
Les ſicurs Geay & Pacot ont inventé &
fait le modéle d'une batterie de pilotis ,
qu'ils ont préſenté à l'Académie , elle y a
été trouvée fort ingénieuſe pour des courans
ſeulement : on a renvoyé d'en voir
le jeu après l'aſſemblée.
Après le Diſcours de M. le Directeur ,
M. Soumot a lû un Mémoire affez étendu&
affez intéreſſant pour remplir le tems
ordinaire de la Séar. e.
Diverſes Remarques sur l'Italie. Etat du
Mont Vesuve , dans le mois de Juin 1750 ,
dans le mois de Novembre de la même
année.
M. Soufflor , Auteur de ce Difcours ,
étant à Naples en 1750 , monta ſur le Vé-
B
26 MERCURE DE FRANCE .
ſuve , & en prit des meſures exactes avec
tous les inftrumens néceſſaires ; il futaidé
dans ce deſſein par M. Taitbout , Conful
de France , &M. de Lair, ſon Chancelier ,
qui ſe font un plaifir d'accompagner dans
ce pénible voyage , ceux qui leur font recommandés
comme l'étoit notre Académicien.
L'on comprend aisément tout l'intérêt
que peut offrir le récit fingulier d'un voyage
de cette forte , fait la nuit aux Hambeaux
au milieu des vapeurs& des fumées,
& où l'on ſe partage continuellement entre
l'admiration & la crainte . M. Soufflor
en curieux décidé ,ne s'arrêta point où les
autres bornent la plupart leur attention ;
il voulut deſcendre dans le baſſin que la
montagne forme ſur ſa crête , &duquel
fortent par différentes ouvertures , & s'élevent
les flames & les bitumes.
Ce baſſin eſt décrit avec ſoin ; notre
habile voyageur en a pris toutes les meſures
, & a fixé par un deſſein l'état de l'éruption
qu'il a vûe pour lors : on ne ſcauroit
le ſuivre dans le récit d'une pareille
marche , ſans être frappé d'étonnement &
faifi de la plus vive frayeur.
CeDifcours nous inſtruit en même tems
de tout ce que l'on peut ſouhaiter de ſçavoir
, par rapport à la matiere liquefiée par
SEPTEMBRE. 1753. 27.
l'action du feu , & que les Napolitains
appellent lava . M. Soufflot finit ſa Relation
par le détail de tout ce qu'il a vû
àHerculane , dans les découvertes faites
juſqu'à l'année 1750 .
३८ ३८ ३८ ३८ ३८ ३८ ३८ ३८ ३८ ३८३८ ३८०
LES OISEAUX GALANS
Trompés par une Fauvette.
FABLE.
AM. Guerg*** , Capitaine d'Infanterie.
U
1
Ne Fauvette eut pour premier amant
Un Moineau qui comme elle , étoit en eſclavage ;
Or le hazard permit que dans la même cage,
Onles logea tousdeux ; dès- tors l'oiſeau ſervant
N'eût pas voulu changer ſon état de fervage ,
Avec la liberté des Dieux.
Il étoit vif , adroit , ingénieux ,
Doux , complaiſant ,& d'un noble corſage,
Tel enfin qu'il falloit pour tenter d'être heureux ,
Point n'y manqua , je n'ai peine à le croire;
Fauvette en cage avec moineau ,
Le fait feroit vraiment nouveau ,
Et digne de l'hiſtoire ,
Si tel matois ainſi gitant
Avec tant gentejouvencelle ,
Bi
28 MERCURE DE FRANCE.
N'eût ſaiſi cet heureux moment
Fait pour fléchir & timide & cruelle ;
Il le faifit , parla , fut écouté
De la facile cloſtriere ,
Qui lui promit à ſa maniere,
Attachement , fidélité.
Qui fut content ? le Moineau le dut être,
Le ſera-t'il long-tems ?
Aquel amant le pourroit- on promettre ?
Venons au fait , lors donc que nos galans ,
Dans leur priſon ſe trouvoient à merveille ,
Et qu'ils croyoient être à la veille
De traiter enſemble en époux ,
Il arriva par l'un de ces imprévus coups ,
Où de la joie on paſſe à la triſteſſe,
Ordre au Moineau de s éloigner
De la Fauvette , lamaîtreffe ;
Quel contre-tems !qui le peut exprimer
Larmes , vous n'en doutez , coulerent à la belle ,
Et bien penſez que l'affligé Moineau
Lui jura , foi d'honnête oiſeau ,
Une amitié ſempiternelle.
Quoiqu'il en ſoit , il fallur ſe quitter,
Le galant partit donc , quelques jours la Fauvette
De ce départ paroiffoit s'attiſter ;
Paroiſſoit ! j'ai bien dit ; déja toute coquette,
Il ne lui manquoit qu'un oiſeau ,
Pour la tranquiliſer au ſujet du Moineau .
Il en vint un , il calma ſa triſteſſe ,
SEPTEMBRE . 1753 . 29
C'étoit un Serin bien diſant ,
( Ces oiſeaux , en fait de tendreſſe ,
S'expriment toujours galamment. )
Il lui dit donc , dans ſon touchant ramage ,
Que tout plaifoit en elle , & qu'elle étoit d'unâge
Ane pas pleurer un abfent ;
Telles douceurs ſur un oiſeau femelle ,
Ne tardent pas à faire impreſſion ;
Maître Serin poffedoit fa leçon ,
Et le drôle àplus d'une belle ,
Avoitavec ſuccès jà tenu ce jargon ;
Bien le tint- il encor... La Fauvette ravie ,
Sourit , prêta l'oreille aux diſcours du plaiſant.
Moineau , tu n'esdonc plus cet oiſeau ſi charmant ,
Cet oiſeau qu'on aimoit ? c'eſt affaire finie ,
N'eſpére plus ,ta compagne t'oublie.
Cependant le Serin, ſans prévoir l'avenir ,
Profitoit du préſent , & c'étoit fort bien faire ;
Il ne quittoit l'aimable priſonniere ,
Et jouiſſoit.... trop triſte ſouvenir !
Quand un Argentelet né ſur l'Indien rivage ,
(Cet oiſeau doit ce nom à ſon riche plumage , )
Parut devant la Dame ,& lui fit les doux yeux ,
(Il étoit récemment débarqué dans ces lieux ; )
Lui plaira- t'il ? je gage
Qu'il eſt déja plus qu'écouté ,
Il porte , je l'ai dit , un plumage argenté.
Ceffez Serin , ceſſez votre ramage ,
Vos airs ne touchent plus cette jeune volage ,
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Allez chanter ailleurs ; non , jamais votre chant
N'écartera rival , ſur qui brille l'argent,
D'un amoureux moineau , vous aviez pris la place ;
Vous êtes ſupplanté ? fort bien .... à votre tour
Vous voilà dupé par l'Amour.
Taiſez , taiſez cette diſgrace ,
Mais publiez que ce gentil galant ,
Quoiqu'il accorde , ou quoiqu'il faffe ,
D'un tel revers ne ſera pas exempt.
Oui , qu'il ſe préſente à la belle ,
Pluvier aux plumes d'or ,
De nouveau perfide , infidelle ,
On la verra changer encor.
ENV0 1.
AM 1, telles ſont ces maîtrefles ,
Dont ſouvent on eſt entêté ;
:
Elles nous font promeſſes ſur promeſſes ,
Etd'un ton de voix apprêté ,
,
Pour borne à leur amour , ne donnent que la vie;
Nous les croyons ? quelle folie !
Détrompons-nous,&connoiſſons les mieux
Elles ſont autant de fauvettes ,
Au changement toutes ſujettes ;
Non , fuffions-nous des Demi-Dieux ,
Ne comptons pas ſur leur conſtance ;
Le plaiſir , l'intérêt , le caprice , & l'atience
SEPTEMBRE . 1753 . 3 T
Leur fourniront toujours des motifs pour changer' ,
A ces belles , eft fou qui cherche à s'engager .
AChâteaugontier , ce 14 Janvier 1753 .
B......
- ESS Al ſur l'origine&les progrèsdes
connoiſſances humaines.
N s'eſt apperçu depuis long- tems,
O qu'ils'estfait unerevolution extraor
dinaire dans les eſprits de ce ſiécle ; on
lit dans les hommes d'aujourd'hui , le
plaiſit qu'ils ont à ſecouer le joug des loix
qu'on fuivoit autrefois , & pour mieux
faire perdre la mémoire des uſages anciens
,ils leur ont ſubſtitué des régles &
des loix differentes; mais parmi ces diverſes
inventions des hommes , fur lefquelles
cette révolution a influé , la Littérature
s'eſt particulierement reſſentie des
effets de ce changement. Examinons foigneuſement
qu'elle peut en avoir été la
caufe ,& voyons ſi nousne pourrions pas
la découvrir , en remontant à l'origine
des connoiffances humaines , & en fuivant
exactement le fil des progrès de l'efprithumain.
A peine la raiſon de l'homme avoit
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
échapé aux premieres ténébres de l'enfance,
qu'elle ſentit ſes propres forces ,
& voulut pour la premiere fois les eſſayer ;
elle laiſſa d'abord tomber ſes regards ſur
cette foule d'objets admirables , où la nature
étale toute ſa magnificence ; à la vûe
de ce ſuperbe ſpectacle , des mouvemens
de ſurpriſe s'emparerent aufſfi-tôtdu coeur
de l'homme , & il ſe livra à toute l'érendue
de l'admiration que ces objets faifoient
naître ; mais la vûe de tant de beautés
excita en lui le chagrin de n'en être
que le témoin immobile , il deſirade pouvoir
du moins tranſmettre dans ſon ſein
l'empreinte de tant de merveilles , ſi la
nature avare envers lui ne lui permettoit
d'en produire de ſemblables : ſes voeux furent
preſque auffi-tôt exaucés , il n'eut pas
plutôt arrêté ſes regards ſur ces objets raviſſans
, que , comme pat une intelligence
ſecrete , tous leurs traits vinrent ſe tracer
dans le fond de ſon ame .
Il n'eſt pas poffible d'exprimer quelle
fut ſa ſatisfaction ; enchanté de ſe voir
doué du rare avantage de pouvoir peindre
à ſon gré dans lui-même l'image de
tout ce que la nature a de plus beau , cette
prérogative ne ſatisfit pas encore pleinement
ſes deſirs ; une noble ambition d'enfanter
des productions qui puſſent le dif
SEPTEMBRE. 1753. 53
puter à celles de la nature , vint s'emparer
de lui ; il n'eut pas plutôt formé un pareil
projet , qu'il fut étonné de voir ſon eſprit
éclairé d'une foule de connoiſſances qui
entrerent rapidement dans ſon ame. Il ſe
ſentit animé du noble deſir d'étendre plus
loin les progrès de cette découverte ; conduit
par un inftinct qui le maîtriſoit , on
le vit ſe plonger dans les réflexions les
plus profondes , & regardant la raiſon
comme un oracle infaillible qui devoit
fixer l'incertitude de ſes doutes , on vit
qu'il l'interrogeoit avec tout l'art poſſible
pour en arracher tous les ſecrets qu'elle
cherche àdérober à ſa curioſté.
C'eſt dans ces détours cachés que la nature
a mis comme en réſerve , le dépôt des
plus rares connoiſſances que l'eſprit peut
avoir en partage; on diroit qu'elle a renfermé
, comune dans un ſanctuaire , un
tréſor d'idées rares & précieuſes , elle femble
les avoir enſévelies au fondde l'eſprit,
pour ne les livrer qu'aux regards pénétrans
des hommes ſupérieurs , qui franchiffant
tous les obſtacles , pénétreront
juſqu'à eux pour les en arracher; c'eſt envain
que des nuages épais paroiffent les
leur dérober , rien ne ſera capable d'arrêrer
les entrepriſes de leur curiofité , rien
n'eſt impénétrable aux efforts audacieux
Bv
34 MERCURE DEFRANCE.
de ces génies rares ; on les verra après
avoir profondément réflechi ſur eux-mêmes
, s'élancer par un vol rapide comme
des aigles audacieux dans la ſphére immenſe
de l'ame , en parcourir toute l'étendue
, s'enfoncer dans ſes plus ſecrets replis
, comme s'ils vouloient toucher , pour
ainſi dire , aux bornes de l'eſprit humain :
parvenus enfin au terme , ils trouveront
renfermés , comme dans une retraite facrée
, lesmonumens de tout ce que la raifon
humaine a de plus beau ; ils y verront
gravés en caractéres ſuperbes , les traits
des objets tes plus rares ; c'eſt- là qu'on
pourra les aller puiſer pour les placer enfuite
à l'endroit le plus élevé & le plus remarquable
, & , s'il m'eſt permis de m'exprimer
ainfi , fur les éminences de l'eſprit
humain , afin qu'ils foient apperçus de
tout le monde : c'eſt alors que l'homme
ſentira ſon eſprit enrichi des plus belles
connoiffances qu'il puiffe avoir en partage;
& à n'examiner que la rapidité avec laquelle
il acquiert tant de connoiſſances ,
ne diroit on pas que c'eſt par révélation
qu'il connoît toutes les vérités qu'il recherche
, elles ſemblent ſe préſenter comme
d'elles-mêmes. à ſon eſprit ; on ſeroit
tenté de croire que ces connoiffances ne
font point étrangeres à l'humanité ,& que
SEPTEMBRE. 1753. 35
lui ayant appartenu autrefois , elle ne fait
que les recouvrer.
C'eſt ſur ces principes qu'on doit ſe ré
gler , pour expliquer l'action de l'eſprit
dans la formation des idées ; ce n'eſt point
en les tirant du néant que nous les pro .
duiſons , c'eſt au talent plus ou moins
grand d'interroger habilement notre ef.
prit , qu'on doit attribuer le plus ou le
moins de profondeur dans les idées qu'on
met au jour. Les eſprits ordinaires à qui
cet art eſt inconnu , s'égarent dans des recherches
immenfes , pour trouver des idées
qui les touchent ſouvent de fort près , &
qui font , pour ainſi dire , ſous leurs yeux ;
au lieu que les eſprits véritablement ſupérieurs
, loin de fe morfondre dans des efforts
inutiles , yont aboutir par la voie la
plus courte au lieu où ces idées ſe trouvent
renfermées : de là vient que nous nous
reprochons quelquefois d'avoir fait de
vains efforts , pour trouver des idées qui
devroient nous éblouir par leur éclat ; la
vérité ſemble quelquefois nous furprendre
fans que nous y foyons préparés,& nous
venir tout d'un coup , & comme par.infpiration.
Toute la méchanique del'eſprit ſe
réduit donc à découvrir ce qui étoit déja
contenu dans les replis fecrets de l'ame .
Nous ne tirons pas du néant ,nous ne fai
Bvj
36 MERCURE DEFRANCE.
ſons que reconnoître ce que l'eſprit avoit
déja en dépôt , mais ce qu'il n'avoit pas
encore apperçu ; cela ſemble donner une
nouvelle force au ſyſtème déja avancé par
de grands Philoſophes , que les idées ſont
toutes innées , & que la ſcienee eſt infuſe
dans l'eſprit de l'homme .
,
Tels furent les premiers pas qu'on fit
dans la carriere , tels furent les moyens
par leſquels on vint à bout de rompre les
fers qui tenoient enchaîné l'eſprit de
l'homme encore pufillanime. A peine euton
fait tomber le bandeau qui tenoit ſes
facultés encore captives , les premiers
rayons qu'on avoit pû dérober à la vérité ,
n'eusent pas plutôt commencé à éclore
que la raiſon humaine , affranchie à peine
de ſa captivité , frappée par cette lumiere
fubtile, en fut tout d'un coup éblouie ;
cela fit craindre , que peu accoutumée à
un éclat i brillant , & n'ayant point
paffé par tous les degrés qui devoient lui
ménager la vue d'un ſi beau ſpectacle , elle
n'en fût offuſquée ,& qu'elle ne ſe crût
autoritée par là à fermer les yeux à cette
lumiere.
On fut d'abord frappé du malheur qu'on
efſuyeroit , & l'on voyoit replonger dans
Poubli cette foule de connoiffances pré
cieuſes qu'on avoit arrachées avectant de
SEPTEMBRE. 1753 . 37
peines à l'obſcurité à laquelle elles paroiffoient
condamnées; on craignit, ſi fort d'encourir
cette diſgrace , qu'on ne fut occupé
que du ſoin de l'éviter ; on avoit beſoin
pour y réuffir , de grands ménagemens
pour faire agréer fes idées à l'eſprit ; la
difpofition tingulis e dans laquelle il ſe
trouvoit , rendit ce travail encore plus
dangereux ; la raiſon de l'homme encore
timide , ne s'étoit pas dégagée de ces ténébres
épaiſſes qui la couvroient : cependant
, malgré cette foibleſſe dont elle n'avoit
encore pu ſe dépouiller , elle étoit
profondément pénétrée de ſa haute capa.
cité ; dénuée d'intelligence , & fes vues
ſuffiſant à peine pour difcerner les objets
à une partie ordinaire , elle avoit en partage
la vanité la plus intraitable .
Dans quelle ſituation plus critique pouvoit
on ſe rencontrer ? on étoit obligé
tout à la fois de ménager la foible raifon
des hommes , pour ne pas la révolter par
des dehors trop éblouiſſans ,& de flatter
en même tems un amour propre toujours
délicat , qui auroit pû s'effaroucher ſi on
eût pris des ſoins humilians pour lui monwer
par degrés les objets. Ce qui rendoie
encore l'attache de ceux qui étoient chargés
d'inftruire les hommes , plus pénible
c'eſt qu'on avoir mis aurang des condi
38 MERCURE DE FRANCE.
tions néceſſaires pour plaire , celle d'employer
des idées d'une eſpéce un peu relevée
, & on étoit obligé de mettre en oeuvre
tout ce qui renfermoit en foi quelque
utilité , parce que tout ce qui a par foimême
quelque prix , appartient fans contredit
à l'eſprit humain , fait pour être la
patrie naturelle de la vérité. Ces efprits
encore ſauvages ſe ſeroient également revoltés
, s'ils n'euſſent pas pû pénétrer le
voile , dont on couvreit les idées pour
ménager leurs foibleſſes , ou s'ils cuffent
trouvé trop de facilité à le percer.
Il paroiffoit donc également dangereux
de n'avoir point d'égard pour la foibleffe
humaine , en expoſant les objets avec tout
leur éclat , ou de s'y conformer trop , en
ménageant avec un excès de précautions
la vûe & la perception des idées ; l'un
choquoit trop ouvertement fa vanité
l'autre ne s'aſſortiſfoit pas àſon impuiffance.
Il parut donc de toute néceſſité ,
pour éviter de tomber dans aucun excès ,
de tempérer l'éclat des objets qu'on préſentoit
à l'eſprit ; on voit qu'il étoit néceſffaire
pour apprivoiſer l'amour propre encore
farouche des hommes , & le mettre
dans ſes intérêts , de chercher la conformité
qui peut faire reſſembler les produc
tions les plus fublimes & les idées les plus
SEPTEMBRE. 1753. 3.9
ordinaires ; dès lors ce qu'il y a de plus
magnifique dans la nature , fut obligé de
prendre les dehors de la ſimplicité ; on tâcha
d'exercer la médiocrité des lumieres
ordinaires par des idées miſes à leur portée
, ſans que par leur trop grand éclat elles
puiffent jamais les fatiguer ; quelque
droit qu'on eût de prétendre àl'admiration
par des productions relevées , on ſe
contenta cependant de l'eſtime ..
C'eſt ainſi que les productions les plus
fublimes , portant avec elles des traits de
conformité aux idées les plus ordinaires ,
pourront s'ouvrir un accès favorable dans
les eſprits , & mériter d'y être introduites.
Les génies les plus ſimples , en voyant cette
reſſemblance qu'elles ont avec leur propre
production , ſe laifferent tromper par
cet extérieur commun , & croyant n'adop .
ter que leur propre ouvrage , ils ſe ſentirent
atracher leurs éloges , parce qu'elles
ne leur paroiſſoient point étrangeres ; des
menagemens ſi obligeans devinrent l'ob
jet reſpectable de leur reconnoiſſance , ils
crurent en leur accordant leurs éloges ,
rendre un double hommage aux fucces
qu'eut cette nouveauté , & à l'honneur
qui en réjailliſſoit fur eux-mêmes ; enfin
s'appropriant , pour ainſi dire , ces idées
à caufe de leurs traits de reſſemblance , ils
2
40 MERCURE DE FRANCE.
ſe perfuaderent avoir à partager en même
temnss ,,& les découvertes des autres & leur
gloire ; tels furent les premiers progrès de
l'eſprit humain , tels furent les premiers
pas qu'on fit dans les connoiſſances humaines
, on voit qu'ils ſe reſſentent de la foibleſſe
de ces premiers tems.
les
C'etoit alors où la raifon encore dans
fon enfance ,ne faiſoit que begayer , où
ſes yeux timides ſe déſilloient à peine ,
qu'on étoit obligé de cacher ſous un voile
la lumiere trop éclatante que ces idées répandoient
; il falloit qu'il en coûtât leſacrifice
de tout ce que ces idées ont de
brillant , pour pouvoir ſe préſenter au tribunaldu
public avec cet appareil modeſte :
ce n'étoit pas affez alors de mériter les
fuffrages , on devoit les ſolliciter encore
avec reſpect ; enfin il falloit pour que
idées relevées qu'on vouloit introduire
dans l'efprit y fuflent bien reçûës , qu'on
rabaiſsât de leur élevation naturelle ; on
ſe laſſa enfin d'un uſage auffiincommode,
la raiſon plus civiliſée , éclairée par
une foule de lumieres que le tems lui fit acquérir
, ne fit plus aucun cas de cette belle
& ancienne fimplicité , qui ne lui parut
qu'un mépris pour ſon intelligence ; elle
ne regarda plus que d'un oeil dédaigneux
tous cesménagemens mépriſans , plus huSEPTEMBRE.
1753. 41
milians pour la raiſon humaine , qu'ils ne
lui apportoient d'avantage par les égards
qu'on a pour ſa foibleſle. Cer extérieur
fimple& commun , ſous lequel on préſentoit
les idées , ne lui parut qu'un reproche
ſecret qu'on lui faisoit de ſon impuiſſance;
mais fi cette maniere d'habiller les
idées devint infipide à ceux qui n'en
étoient que les juges indifferens , à quel
degré ne dut elle pas être faſtidieuſe à
ceux qui étoient chargés du ſoin de les
mettre en oeuvre ? qu'il devoit leur paroî
tre dur d'être obligés de dépouiller les
idées ſublimes qu'on tiroit du plus profond
de l'eſprit , de tous les ornemens
dont elles étoient embellies ! quel fupplice
que celai de faire prendre les dehors de
la médiocrité aux plus fublimes productions
de l'eſprit ! ne devoit-on pas être naturellement
revolté ,lorſqu'on voyoit mettre
au rang des conditions néceſſaires pour
plaire , celle de ſe rabaiſſer foi même , pour
ſe mettre au niveau du vulgaire ? valoit- il
donc la peine de puiſer ſes idées dans un
fond riche , lorſqu'on doit être avare d'ornemens
avec elles ?
Enfin les eſprits fatigués de voir paroître
toujours les mêmes idées ſous les dehors
de la médiocrité , s'apperçurent que
loin de piquer la curioſité de l'eſprithu
42 MERCURE DEFRANCE.
main , elles n'inſpiroient plus qu'un froid
dégoût &un ennui mortel; il ne fallut pas
beaucoupde tems pour que les idées qu'on
n'aiguiſoit point d'un ſel trop piquant ,
s'émouſſaſſent à la fin ; les couleurs fades
qu'elles préſentoient ne tarderent pas à ſe
ternir ; quoi de plus rebutant que de s'engager
dans les plus immenſes recherches ,
pour trouver des traits de conformité entre
les idées les plus fublimes & les productions
les plus ordinaires ? mais quel
feradonc le moyen auquelon aura recours
pour réveiller de nouveau la curioſité ?
Il paroît preſque impoſſible de trouver
des objets neufs qui puiſſent ranimer un
goût languiſſant , à préſent que toutes les
fources fe trouvent épuiſées ; mais quoi ,
une obſcurité éternelle ſera-t-elle le partage
de ces idées qui étoient autrefois füresde
captiver l'admiration ? Sommes nous
condamnés à ne voir jamais plus revenir
ces tems heureux , où l'eſprit emporté ,
plutôt que conduit par cette premiere ardeur
qui s'empara de lui , le portoit éga-
✔lement vers tout où ſa curioſité ardente
cherchoit à ſe repaître de tout ce qui pouvoit
ſervir d'aliment à ſon activité , &
n'en devenoit cependant que plus enflamé
? ne nous reſtera-t- il plus de ces tems
heureux ,que le regret de ne pouvoir plus
SEPTEMBRE. 1753 . 43
les faire revivre ? Quoi ! une affreuſe indigence
aura attendu pour mieux nous accabler
, le tems où notre goût plus uſé que
jamais , par la multitude des objets qui
l'ont occupé tour à tour , auroit beſoin de
ſe réveiller de ſa langueur ? Faudra-t- il que
nous cédions à la cruelle deſtinée de voir
retomber les Lettres dans le premier cahos
d'où on les avoît tirées avec tant de peine
? Non , non , & il s'éleve une foule de
nouveaux réformateurs , qui charmés de
ſecouer le jougdes Anciens , vont répandre
par tout des principes heureux d'un
changement ſalutaire ; nous ne ferons pas
condamnés à cette fatale extrémité. C'eſt
parce que nous ſommes menacés de voir
les Lettres périr à jamais , qu'il faut les
reſſuſciter,& en renouveller pour ainſi dire
la face. Rendons à l'eſprit , s'écrient- ils ,
cette premiere activité qu'il avoit autrefois
en partage ; redonnons aux traits qui
aiguiſſoient autrefois le goût , ce ſel qu'ils
avoient jadis que nos anciens s'applaudiſſent
d'avoir tiré du néant ces idées , de
leur avoir donné l'être & la vie ; maintenant
nous aurons celui de la leur avoir
rendue : ils avoient tiré les Lettres dur
néant , & nous empêchons qu'elles n'y retombent
ſur le déclin des beaux jours de
la Littérature: faiſons revivre cette pres
44 MERCURE DE FRANCE.
miere aurore qui éclairoit autrefois les
hommes.
Tel fut le projet qu'on enfanta : rien
n'étoit plus beau que cette idée dans la
théorie ; mais l'exécution pouvoit-elle y
répondre , & achever de la justifier : ne
ſemble-t-il pas que des difficultés infurmontables
ſe préſentent par tout ? pourrat-
on varier fans ceſſe les objets de l'attention
publique , tandis qu'on eſt dans l'impuiſſance
d'occuper les vûes d'une intelligence
ordinaire a quelle reſſource pourroit-
on avoir pour ſe démêler d'un ſi grand
embarras ? eſt-ce lorſque tout ſera épuisé ,
qu'on pourra ſe flatter de trouver des materiaux
neufs propres à réveiller la curiofité
languiſſante ? Pourquoi s'impoſer la loi
d'attacher les eſprits par des nouveautés
brillantes , lorſqu'on ne peut pas l'intéreſ
fer , en lui préſentant des objets ſimples&
naturels ? on s'étoit apperçu que les idées
avoient perdu tout leur prix pour être devenues
trop communes , & que cet air de
ſimplicité les avoit infiniment fait décroître
de la réputation qu'elles avoient autrefois
; la lumiere qu'elles répandoient ne
faiſoit plus aucune impreffion , parce que
les yeux s'y étoient accoutumés.
Onconnutdonc bien la fource du mal ,
& ce fut pour y apporter le remede con
SEPTEMBRE.
1753. 45
venable, qu'on conclut ſagement qu'il falloit
rendre aux idées leur premiere vivacité
, pour qu'elles fiſſent le même effer
fur les eſprits ; mais rien ne paroiſſoit plus
difficile que de rajeunir des idées uſées &
les faire paroître neuves à des yeux fur
leſquels elles avoient déja épuisé toute
leur force ; voici le moyen qu'on imagina.
Ces idées paroilloient communes à cauſedes
dehors ſimples dont elles étoient
revêtues : il n'y a donc , s'écria t- on , qu'à
les préſenter ſous un extérieur plus orné
, & à leur donner un air profond & ré-
Aéchi. Autrefois on auroit expoſé avec
fimplicité les idées , maintenant elles prendront
un extérieur mysterieux , & il femblera
qu'il faut s'engager dans des réflexions
profondes pour en pénétrer l'obſcurité
; chaque idée deviendra une énigme
dont il faudra deviner le ſens , le voile
obſcur qui les couvre tentera la curiofité
de l'eſprit , d'autant plus aiguillonné de
percer au travers de ces dehors énigmatiques
, qu'il étoit accoutumé à ne trouver
que des objets aiſés à comprendre : les
hommes regarderont comme des chefsd'oeuvres
de méditation , des productions
cependant fort ordinaires , & il arrivera
par làquedes idées avec leſquelles ils font
familiarifés, transformées ſous cette eſpéce
16 MERCURE DEFRANCE.
de déguiſement , paroîtront renaître une
ſeconde fois , & reprenant ſous cette nouvelle
forme tous les agrémens de la nouveauté
, elles pourront reparoître ſans
crainte d'être jamais reconnues.
L'ambition detout innover qui animoit
ces nouveaux réformateurs ne ſe borna pas
là. Ce n'étoit pas tout d'avoir fait paroître
profondes des idées extrêmement ſimples,
on alla plus loin , & on voulut fimplifier
les idées les plus abſtraites. Autrefoison
ne les auroit fait voir que par dégrés
, pour ſe conformer à la portée de
tous les eſprits ,& pour ne point les bleffer
par des dehors trop brillans : on trou
ve à préſent ces ménagemens puériles &
ridicules , on veut voir d'un ſeul coup
d'oeil toutes les parties d'une idée, on veut
qu'on nedérobe rien de ſes replis , & par
une opinion ſupérieure de ſes forces , on
ſe croit placé au rang des premiers génies
lorſqu'on vient à les comprendre. Loin
donc de faire parvenir par de longs détours
à des vérités un peuécartées , comme
on faiſoit autrefois , on vous y conduit
par le chemin le plus court , & pour ainfi
dire de plein ſaut; il réſulte de là des effets
extraordinaires , c'eſt qu'on a le ſecret
d'éblouir les eſprits enmontrant tout
d'un coup des vérités qu'on n'auroit fait
SEPTEMBRE. 1753 : 47
1
voir autrefois que par dégrés ; leur lumiere
étant plus ſubite , elle frappe par conſéquent
davantage les yeux; on pourroit
la comparer à un diamant dont l'éclat ſeroit
foible, ſi l'art en le taillant n'avoit pris
ſoin de relever ſon éclat.
Dès qu'on eut fait la découverte du projet
qu'on imagina pour ranimer de nouveau
les goûts , il fut facile de trouver les
moyens propres à l'exécuter ; en voici un
des principaux , ce fut d'oppoſer les idées
dont les dehors ſimples avoient affoibli le
mérite , à celles qui leur ſont contraires ,
&qui paroiffoient les heurter defront ;on
les mitenjeu les unes avec les autres comme
ſi on eût voulu les faire lutter enſemble
: embellies par ce contraſte, elles nereçurent
que de l'éclat de cette oppoſition ;
ilſemble que des vérités dont ontenoit peu
de compte autrefois , à cauſe de leur trop
grande ſimplicité , étoient alors en péril ;
on commence à s'intéreſſer pour elles , on
eſt ſurpris que des vérités qui paſſoient
autrefois pour incontestables & à l'abri
d'atteinte , éprouvent cependant des difficultés
,& foient expoſées à être conteſtées
& combattues ; cela les rend plus eſtimables
à nos yeux , & nous augmentons de
conſidération pour elles ; on ſouhaite qu'elles
triomphentde ce danger , & qu'elles
MERCUREDE
FRANCE .
en ſortent plus brillantes : c'eſt une eſpé
cedecombat dont la vérité qu'on a mis ,
pour ainſi dire , aux priſes avec le menfonge
, fort victorieuſe; plus de vaines
difficultés paroiſſent retarder ſa victoire,&
plus elles l'augmenteront lorſqu'elles auront
été aplanies. Il ſemble qu'on fait fortir
, pour ainfi dire , la vérité du ſein de
l'erreur , & qu'on force cette derniere de
lui rendre un hommage public , & d'avouer
ſa défaite : on tire d'elle un aveu
muet de ſon infériorité , il en eſt de ces
vains obſtacles comme de ceux qu'oppoſe
un rival foible à un homme ſupérieur ;
cette oppoſition loin d'obſcurcir ſon mérite
le réleve de plus en plus , & affermit
àjamais fur des fondemens inébranlables
fa réputation & ſa gloire : c'eſt à ce ſoin
de relever le prix des idées auparavant peu
eſtimées , en les faiſant contraſter avec
d'autres qui leur ſervent d'ombre , qu'ou
doitreconnoître l'antitheſe .
Tels furent les moyens qu'on mit en
oeuvre pour donner un air de nouveauté à
des objets déja uſés ; on ne montra qu'au
travers d'un voile la vérité aux perſonnes
auxquelles elle auroit paru trop commune
, ſi on ne la lui eût pas dérobée ; le bandeau
ſous lequel on la leur fit voir , piqua
leur curiofité, & la leur rendit intéreſſante
&
SEPTEMBRE. 1753 . 49
& nouvelle : ils brûlerent d'envie de
connoître ce qui paroiſſoit ſe déroberà
eux ſous ce déguiſement , & charmés de
retrouver la vérité ſous ce traveſtiſſement ,
ils s'applaudirent de l'avoir reconnu ; ils
crurent avoir fait de grands efforts pour
pénétrer des vérités cachées , la découverte
leur en parut tout à la fois chere &glorieuſe
; lorſqu'on ne dut attribuer tout
leur mérite qu'au ſoin de l'art qui les avoit
ainſi traveſties , ils ſe crurent afſociés à
l'honneur de ceux à qui l'invention feule
appartenoit : il en eſt de ces reſſorts de
l'art comme de ceux qu'on employe , lorſqu'on
cache dans des replis quelque choſe
dont le mérite auroit été enfoui , fi on
n'avoit pris foin de le relever en lui donnant
l'avantage de la rareté.
Le ſuccès qui avoit ſuivi les principes
de réforme , qui dirigeoient ces hommes ,
avoit été trop heureux pour qu'ils bornaſſent
là leurs progrès ; ils formerent le
deſlein de s'éloigner avec ſoin de tout ce
qui avoit l'air de l'antiquité : on ſimplifioit
dans ces tems gothiques les idées les
plus ingénieuſes , maintenant on rend d'une
maniere ſpirituelle les penſées les plus
ſimples ; quelque écartée que fût la ſource
d'où elles venoient , on ſe faiſoit un devoir
de les rapprocher , au lieu qu'à pré-
C
SO MERCURE DEFRANCE .
ſent on ſe fait une loi d'éloigner & de
porter à une diſtance extraordinaire les
productions les plus communes.
C'eft à cette réſolution qu'on prit de rehauſſer
le prix des idées uſées, que doit fon
origine l'antitheſe , figure dans laquelle on
relève le prix de certains objets ; on les fait
fortir , pour ainſi dire , en les oppoſant à
d'autres qui en paroiſſant obfcurcir leurmérite
par la maniere dont ils ſemblent le contredire
, ne font au contraire que le faire
éclater davantage ; on rend par là à des véritéscommunes
& décréditées , le luftre &
la réputation dont elles jouiſſoient auparavant
, & qu'il ne paroiſſoit pas qu'elles
puſſent jamais reprendre.
Le ſuccès qu'eut cette nouvelle inven
tion ne manqua pas de réveiller les critiques
; ils accuſerent la foibleſſe du génie
de l'homme que des apparences brillantes
amuſent beaucoup plus que des réalités
moins pompeuſes , & ils répetent ſans ceffe
, que ſujets ànous laiſſer ſeduire par des
preſtiges ingénieux , les dehors ſeuls de
l'eſprit nous plaiſent : réduits dans notre
malheureuſe condition à nous paſſer de la
réalité qui nous fuit , l'image ſeule , la
fimple ombre du génie nous ſuffit ; ils
ajoûtent que Python & tant d'autres Philo-
Lophes avoient raiſon de foutenir , que la
SEPTEMBRE. 1753 . SE
Fonction d'inſtruire ou d'amuſer les hommes
étoit une vaſte carriere , où une foule
de charlatans venoient ſediſputer entr'eux
le frivole avantage de divertir l'eſprit de
l'homme , comme un enfant dont il faut
égayer la foibleſſe par des illuſions agréables
.On diroit que c'eſt une eſpéce d'enchere
, où celui qui fait le plus de frais pour
amuſer l'oiſiveté de l'eſprit, eſt le plus louable
; c'eſt pour ſe conformer à cette idée ,
continuent- ils , qu'on embellit les objets les
plus laids , qu'on exagere leur prix , &
qu'on fait ſuivre de l'admiration des idées
qui auroient à peine été ſupportables , a
on les eût laiſſées à leur obſcurité naturelle
: il arrive de là , continuent-ils dans
leur humeur chagrine , que des fauſſetés
embellies , font plus eſtimées que des vérités
modeſtes , & loin d'imiter la belle
nature à force de la ſurcharger , & de l'étouffer
par des parures affectées , on la défigure
au contraire.
C'eſt par une ſuite de l'humeur bilieu
ſe , qu'allume dans ces critiques le ſeul
nom de mérite , qu'ils trouvent à redire
encore à la maniere & au ſtyle brillant
avec lequel on peint les objets les plus
ſecs. Les Auteurs rebutés par cette façon
groffiere avec laquelle on traitoit autrefois
les matieres abſtraites , voulurent
}
Cij
52 MERCURE DE FRANCE,
étendre ſur cela leurs réformes; ils crus
rent que pour ne pas augmenter leur fee
chereife naturelle , il falloir répandre ſur
elles un vernis agréable & gracieux ; ce fut
alors qu'on vit prendre aux Auteurs , que
les Sciences les plus profondes avoient le
plus occupés , un caractere enjoué , au lieų
de cet air auſtere & rade dont ils étoient
auparavant hériſſés ; on les vit répandre
fur ces endroits , où on ne voyoit auparavant
que des épines , une aménité & une
fine fleur d'agrément , qui les dépouilloir
de leur âpreté.
Ce changement ne manqua pas d'allus
mer la bile des critiques , ils traiterent
d'affecté & de précieux ce ſtyle ; tous les
écrits de ce ſiècle en parurent à leurs yeux
infectés. Il eſt bon de fixer quelle eſt la
nature de ce qu'on appelle précieux , pour
faire connoître la justice de l'accufation .
Le précieux dont tout le monde parle &
que perſonne nedéfinit , conſiſte , ſi je ne
me trompe , dans le déſir immodéré de
plaire qui en eſt le fondement , & dans
la perfuafion où l'on eſt d'y avoir réuſſi :
de là il eſt facile d'expliquer quels font les
effets naturels de cette manie ; il ſuit que
celui qui eſt occupé de ee déſir laiſſe tranfpirerdans
toutes ces occaſions , la douce
conviction où il eſt de ſon mérite. Sem
SEPTEMBRE. 1753. 53
blables à une femme qui ſe complaît ſans
ceffe en elle-même , & qui ſourit mollement
à fescharmes , on voit ces Auteurs
dans la fureur perpétuelle de briller , dont
ils font travaillés , chercher à enjoliver
toutes leurs idées , careffer , pour ainſi dıre
, avec mignardiſe toutes leurs exprefſions
, & fe mirer à chaque inſtant dans
tout ce qu'ils diſent , comme dans des
miroirs qui leur retracent l'image agréable&
flatteuſe de leur eſprit ; on les voit
occupés ſans ceſſe à jetter de l'agrément ,
&pour ainſi dire , un air de galanterie
fur les matieres les plus ſéches , apprivoifer
leur air ſauvage , & chercher à adoucir
la groffiereté & la rudeſſe de leurs
traits : de la encore ce ton apprêté&doucereux
avec lequel ils expriment tout. Enfin
occupés à remplacer le natutel qui leur
manque , par un faux air de naïveté , ( car
il faut remarquer qu'un des principaux caracteres
du précieux , eſt de s'efforcer d'imiter
les couleurs& les tours naïfs & fimples
) on diroit que cette maniere d'écrire
en apparence n'eſt pas ſi répréhenſible ;
il ſemble d'abord que rien n'eſt plus louable
que de voir des idées naturellement
graves& philofophiques , embellies d'un
vernis agréable , dépouillées de leur féchereſſe
, prendre ſous la plume de ces
2
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
Auteurs des dehors gracieux & rians : on
devroit , ce ſemble ,être charme de voir
prendre une teinture enjouée à des idées ,
qui hériffées de difficultés ne paroiffent
pas fufceptibles d'agrémens .Quelques profondes
qu'elles fuſſent , faites pour piquer
la curiofité du Sçavant , elles ne pourroient
cependant pas fauver pour lui l'ennui
& le dégoût. Peut-on ne pas être ravi&
enchanté , lorſqu'on voit cette forme
nouvelle& gracieuſe , qui rend les idées
riantes , & pour ainſi dire , acceffibles
fubſtituées à la maniere féche & rebutante
,aveclaquelle onles peignoit autrefois
C'eſt ſous cette forme que M. de Fontenelle
a préſenté les idées de fcience ; il
ſemble que les épines diſparoiſfent fous ſa
plume , & que tout prend je ne ſçais quel
vernis d'urbanité &de galanterie qui embellit
tout , & rend la façon d'écrire ini
mitable.
2
Mais , diſent les critiques , ce n'eſt pas
toujours le terme où l'on s'arrête ; on affecte
d'ignorer juſqu'à quel point on doit
embellir les objets , & les principes qui
doivent régler ſur cette matiere : on doit ,
il eſt vrai , donner aux idées tout l'agrément
dont elles ſont ſuſceptibles ; mais
il eſt une meſure juſte d'ornemens dont
on doit fobrement uſer ; pour embellir
SEPTEMBRE. 1793 . 55
Jes objets , il faut qu'ils gardent toujours
fous cette parûre agréable leur caractere
ſérieux ; on ne doit pas leur faire perdre
leur gravité naturelle , & prodiguer les
agrémens ſur eux juſqu'à les défigurer &
les tendre méconnoiffables , on reconnoît
à la fin que tous ces ornemens leur font
étrangers , & qu'ils ne font point faits
pour eux ; & l'on diftingue facilement au
travers dece tour gracieux& galant qu'on
veut leur donner , un air gauche& contraint
, qui les rend mauſades& ridicules
: c'eſt ainſi que M de *** & tant d'autres,
vrais fingesdu grand maître dont nous
avons parlé , à force d'outrer les agré
mens , n'ont paru que précieux &riſibles .
Telle eft la couleur qu'ont voulu répandredes
caustiques chagrins , ſur le ſtyle
&la maniere qui eſt à préſent en regne;
le vice dont elle ſemble infectée pouvoit-
il ne pas foulever leur bile ? ils ne
manqueront pas de reprocher aux Auteurs
de ne point créer des idées nouvelles ,
mais de ne faire que traveſtir les anciennes
; ils leur conteſteront d'avoir fait la
découverte d'un nouvel or , & ils foutiendront
qu'ils ne font qu'en donner la
couleur à du plus vil métail. Toute la
fonction des nouveaux Auteurs , ſi on en
sroit ces ſatiriques détracteurs , ſe réduit
C iiij
16 MERCURE DE FRANCE.
déguiſer la forme qu'avoient auparavant
les idées, & à lui en fubſtituer une nouvelle.
Le beau mérite qu'il y a s'écriérentils
, à traveſtir ainſi les objets pour les défigurer
, & leur faire perdre leur forme
naturelie ; ce n'est qu'à la faveur d'un
preſtige plus ou moins groſſier, qu'on vient
à bout de faſciner les eſprits , & en déguifant
les idées ſous un maſque brillant &
trompenr , on fait paffer impunément la
laideur & la groſſiereté de leurs traits , &
on ſurprend ainſi les fuffrages ; telle eft
la ſatyre injuſte qu'on voudroit accrédi
ter contre le ſtyle qui fleurit à préſent.
Mais les vains efforts que font ces cri
ziques , font l'hommage le plus vrai qu'on
puiſſe rendre au mérite du nouveau ſtyle ,
&fi une prévention aveugle ne leur fafcinoit
les yeux , ne s'appercevroient ils
pas du mérite qu'il y ade donner avec les
mêmes matériaux qu'on employoit autrefois
, un air de nouveauté à des idées déja
uſées & reproduites ? Pent- on ne pas voir
que plus elles font ternies , plus y a de la
gloire à rehauffer leur éclat ? c'eſt parce
qu'elles feroient peut-être vilipendées , a
elles ſe préſentoient fous leur forme ancienne&
naturelle , qu'il eſt plus louable
de lui en ſubſtituer une plus brillante.
Autrefois que les productions de l'efpric
SEPTEMBRE. 1753 . 57
voient par elles-mêmes un éclat & un
prix propre à captiver l'admiration publi
que , on n'avoit pas beaucoup de mérite
a le faire ſentir au Public ; on étoit même
condamnable d'effacer ce que leurs traits
avoient de brillant , pour leur faire pren--
dre des dehors bas & obfcurs : c'eſt maintenant
qu'elles ſont d'un ordre inférieur
, & que leur genre médiocre & commun
ſembleroit devoir ne les faire regarder
qu'avec des yeux de mépris ou du
moins d'indifférence ; c'eſt à préſent , disje
, qu'il y a plus de gloire à en recevoir
toute labeauté , & à l'établir avec faſte
Enfin dans ces premiers tems de la Litté
rature , la matiere ſeule des idées étoit ef
timable , c'eſt ſeulement à préfent l'art
qui les met en oeuvre : peut- on donc faire
un ſujet de reproche aux Auteurs de co
qui devroit leur mériter des éloges ??
Qu'on ceffe donc de déclamer contre la
maniere dont on habille maintenant les
idées embellies des ornemens dont on less
pare , elles pourront braver fans crainte
les regards les plus jaloux & les plus criti
ques; les eſprits les plus en garde contre:
routes fortes de preſtiges , feront les premiers
les victimes de la ſéduction ; ils ſen
tiront que leurs fuffrages leur échappent ,
pour ainſi dire , malgré eux. C'eſt parune
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
ſuite de la même illufion que ce ſtyle défarmera
la critique la plus maligne , & par
un phénomene dont on ne çutoit donner
raifon , il fe feta imirer de ceux-mêmes
qui en paroiffent les plu ennemis ,&
ſe les foumettra par là . Combien d'Auteurs
pouttoient fournir lexemple de cette vérité!
enfin cette maniere d'écrire aura le
rare privilége de regagner en faveur des.
objets ufés & anciens , l'eſtine & l'admiration
qui ſembloient leur être enlevées,
pourjamais.
Par M. R ... Avocat au Parlement d'Aix
enProvence.
VERS
AMile Pellerin , pour lui annoncer la mort
deſon Serin.
JAmais les Dieux dans leur vengeance
Ne montrerent tant de courtoux
Non , jamais leur trifte puiflance
Ne porta de fi ro les coups.
DansTroye abandonnée aux flammes,
Les cris des enfans & des femmes.
Inſpiroient beaucoup moins d'horreur
L'aſpectde Berg- op zoom en cendre,
SEPTEMBRE. 1733. 59
Tombant ſous lefer des vainqueurs ,
Et les foldats forcés d'attendre
Le prix ſanglant de leurs fureurs ,
N'exciterent pas tant de pleurs
Que nous en venons de répandre
Pour leplus affieux des malheurs.
Qui peut , ſans mourir de douleur ,
Faire un tel récit ou l'entendre ?
Juſqu'à quand éprouverons-nous
Du ſort l'indigne perfidie?
Quoi ! de notre bonheur jaloux ,
Faut- il toujours qu'il s'étudie
Atroubler nos plaiſirs ſi doux ?
Déja ſa fureur aflaffine
Avoit eſſayé ſur Bobine (a)
Les coups deſtinés au Linot ( b ) ;
Et quand nous croyons voir bientôt
La fin des maux qu'il nous prépare,
Quand nous prodiguons par devoir
Des pleurs dont il n'est pas avare ,
Il réunit tout ſon pouvoir ,
Pour montrer que fa main barbare
Veut nous réduire au déſeſpoir.
Quels fortaits ! le pourrai-je dire
Non , non , dans cet érat affreux
La voix fur mes lévres expire :
(a) Chatte morte d'un abeis.
(b) Mort defaim.
.
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
Les pleurs qui coulent de mes yeux
M'ôtent la force de l'écrire ,
Et mes fanglots interrompus
Prouvent bien ma douleur amére.
O fort ! 6 regrets ſuperflus !
Votre Serin ... hélas !..... n'eſt plus !....
Il a vu ſon heure derniere ,
Et nous la fin de nos plaifus .
Il meurt au printems de ſon âge ,
Lui qui , témoin de notre hommage,
Etoit par ſon tendre ramage
L'interprête de nos foupirs..
11 meurt , ce Serin ( quel dommage ! )
Qui prévenu dans ſes déſirs ,
Recevoit content dans ſa cage ,
Sans rivaux& fans embarras ,
Cent fois le jour par fon treillage;
Des faveurs dont chacun tout bas"
Priſoit mieux que luil'avantage ;
Et dont tout autre en pareil cas
Eût fait beaucoup meilleur uſage..
Qui n'eût envié ſes appas ,
Son bonheur& fon eſclavage!
Mais il goûtoitun fort trop beau
Méditant un crime nouveau ,
Le bras d'une Parque ennemie
Arméde ſon fatal cilear ,
N'a pas craint d'attaquer favie.
TEMBRE. 17536
64
Alors on a vú ce héros
Plus grand quand le malheur l'accable
Avec un courage incroyable ,
Oler infulter à la faulx
Du tyran qui d'un front terrible
Trembloitde le voir invincible.
Sa valeur ſeconde ſon bras ;
D'un coeil fier il voit le trépas ,
Il l'affronte , & de la tempête
Les coups ſuſpendus ſur ſa tète
Ne font que l'animer encor.
Aprèsun généreux effort ,
Vaincu , couvert de gloire , il tombe....
Eh! ſous le crime du plus fort ,
Bien ſouvent la vertu ſuccombe....
Jadis ſous les yeux de leur Roi ,
On vit aux champs de Fontenoi
Les François montrer moins d'audace
Eux qui renverſés ſur la place ,
Bravoient encor par leur menace
Leurs ennemis remplis d'effroi.
Ou tel dans les murs de Lutèce
Un infortuné débiteur ,
Affailli par la lâche adreffe
Dela cohorte qui le preſſe ,
Se rit de leur vaine fureur.
Onle voit long-tems intrépide
Epouvanter par lavaleur ,
Cette troupe avare & timide
MERCURE DE FRANCE..
A qui l'or inspire du coeur.
Enfin e le devient plus forte:
Malgré le feu qui le tranſporte,
Environné de toutes parts ,
Il eſt friſi par la cohorte
Qu'u fait trembler de fes regards..
N'attendez pas qu' ci je falle
La peinture de nos tommens ,
Et qu'à vos yeux je les retrace
Augmentant à chaque moment
Que j'offre l'image touchante
Etd'une amie & d'une tante ,
Pouffant de longs géillemens;
Et qu'enfin je vous repréfente
Vos amis pâles & troublés ,
Les uns larmoyant en cadence ,,
D'autres de douleur accablés
Qui n'interrompent leur filence-
Que par des langiots redoublés..
Un Linot en ces jours funeftes ,
Er deux Chats vos uniques reſtes ,
Unirent leurs cris à nos voix ,
Et émoignerent cette fois
A leur façon ( quelle muſique ! )
Qu'ils prétendoient nous imiter..
S'al ett besoin , je puis citer
P'us d'on témoin très-authentique ,
Qui peut fans mentir atteſter ,.
Queje fais en tout véridique.
,
SEPTEMBRE. 1753,65
Dansun fi triſte événement
Chacun raiſonne à la maniere ,
Et veut porter ſon jugement
Sans fonger qu'il devroit ſe taire..
Tous trouvent le noeud du nyſtére..
Les uns ſoutiennent hardiment
Qu'on doit accuſer l'influence
Des Aftres qui malignement
Prefiderent à ſa naiſſance ;
Et d'autres plus modeſtement ,
Difent , felon toute apparence ,
Qu'on peut s'en prendre au mauvais tema;
Celle-ci , non fans fondement ,
A certain bouton l'attribue ;
Celle-là plus ſolidement ,
Vous aſsure que c'eſt la mue;
Tous prouvent que conféquemment;
Leur raiſon doit être reçues
Mais s'il m'eſt permis humblement
D'expoſer net à votre vue ,
Sans fard mon petit fentiment:
Je vous dirai tout uniment
Que votre départ ſeulement,
Etle chagrin de votre ablence ,
L'ont plongé dans le monumenta
Nous allons fubir surement ,
(Je vous l'annonce par avance )
Le fortde cet oiſeau charmant,
Si vous differez unmoment
4 MERCURE DE FRANCE
De nous rendre à votre préſence..
C'est bien aſsez , coupable fort ,
D'être privé de ſa Maîtreſse ,
Sans redoubler notre triſteſse ,
Par l'injuſte & barbare mort
Du ſeul objet de ſa tendreſse.
Mais, à vos regrets mettez fin
Iris , ſuſpendez vos allarmes ,
Arrêtez le cours de vos larmes ,
Ne plaignez plus votre Serin.
Vous ſçaviez bien que ſur la terre ,
Vous n'étiez que dépoſitaire
D'un bien réſervé pour lesCieux.
Il a rempli ſa deſtinée :
Admis àla table des Dieux ,
Il enyvre à longs traits comme eux,
Son ame à jamais fortunée
Du Nepenthe délicieux ;
Et par ſes chants-mélodieux
Il charme leur Cout étonnée.
Ou bien loin des regards jaloux ,
Retiré dans quelqu'autre azile
Où je le crois content , tranquille,
Si l'on peut l'être loin de vous ,
Il ranime ſa voix plaintive ,
Et montre à ceux qu'un fort plus doux
Retient captifs fur cette rive ,.
A fornier d'aimables concerts ,
Pour redire les tendres airs ,
SEPTEMBRE. 1753. 69
Qu'autrefois ſa chere Maîtreſse
Lui faiſoit répéter fans ceſse ;
Et joindre leurs fons enchanteurs
Pour chanter ſon eſprit , les graces ,
Les amours qui ſuivent ſestraces ;
Enfin tous ces attraits flatteurs
Qui ſçavent triompher des coeurs,
De quelques plaiſirs qu'il jouiſse ,
Libre de peine & de fouci ,
Ils ne ſont qu'une foible eſquiſſe
De ceux que nous goûtons ici.
Pourquoi tant tarder à lui rendre
L'hommage que nous lui devonsa
Dans l'excèsde nos maux , ſongeons
Auxhonneurs qu'exige ſa cendre,
Que fur mille autels préparés
On porte à ſes månes ſacrés ,
Le tribut qu'il a droit d'attendre,
Qu'à jamais l'on vante ici-bas
Ses accens vainqueurs du trépas;
Qu'a Paphos ſes attraits célébres ,
Soient par des éloges funébres ,
Loués à l'égaľ des héros ;
Qu'enfin au Temple de Mémoire
On grave en lettres d'or , ces mots
Qui rappellent nos pleurs, ſagloire :
GY GIST L'AIMABLE SERIN
DE L'ALMABLE PELLERIN
66 MERCUREDE FRANCE.
ENVO 1.
Daignez , belle Iris , pardonner
Si , plein d'une ardeur téméraire ,
Nous oſons ambitionner
Par ces vers le bien de vous plaire.
Si nous l'obtenons , quel ſalaire
D'un travail ſans art médité !
Qüi , l'honneur de votre ſuffrage
Que notre zéle a mérité,
Sera pour ce premier ouvrage
Le ſceau de l'immortalité..
DeMutorin..
Duséjour des douleurs , ce 20 Avril 1755.
AVIS AU PUBLIC
Sur les Charrois.
Es charriots ordinaires ſont d'une ex-
Ltrême ſimplicité , mais ils ont le défaut
de ne pouvoir tourner leur timon
que trente degrés , alors la roue intérieure
dedevant touche le charriot , & fi les chevaux
forcent à tourner davantage , la roue
extérieure de devant s'éleve en l'air , & le
sharriot verſe ou le timon briſe .
Ce défaut de ne pouvoir tournerqua
SEPTEMBRE. 1753. στ
trente ou trente-undegrés , rend les charriots
impropres au roulage des villes où il
faut ſouvent tourner court , ſoit aux coins
des rues , ſoit pour entrer dans les portes
cocheres des petites rues ,&il y en a beaucoup
de petites , car comme l'eſpace eſt
précieux dans les villes , la plupart des
rues y ſont étroites.
Pour rendre le tournage court poſſible ,
on a anciennement inventé les arcs de caroſſes
, mais on a été contraint de faire les
soues de l'avant-train fort petites , fans
quoi les arcs de fer ſe ſeroient trouvés
d'une péfantear exceſſive , mais en faiſant
les roues petites , les caroffes ne ſe ſont
trouvé propres qu'à rouler ſur le pavé des
villes ou fur les chauſſées entretenues ;mais
dans la campagne , lorſque l'orniere étoit
profonde , le moyeu touchoit à terre , &
Feffieu labouroit aux Aancs de l'orniere.
Ces inconvéniens ont dégoûté des caroffes
, fur tout à cauſe du grand poids
des arcs de fer &de leurs ferrures ligatoires
; on a inventé les berlines , mais à l'exception
qu'elles font plus legeres que les
caroffes , elles ont encore preſque les mêmes
défauts , car leur effieu de devant eſt
à peine deux pouces plus élevé que celui
des caroffes , & à la campagne le moyeu
touche encore la terre dans les ornieres.
68 MERCURE DE FRANCE.
profondes , & l'eſſieu laboure les flancs
des ornieres , ſur tout dans les cavées ou
dans les forêts qui font ſujettes aux ornieres
profondes , & foutenues hautes par les
dehors , par les racines des chepées du
bois.
En réflechiſſant fur ces défauts ,j'ai reconnu
qu'on pouvoit y remédier par une
autre poſition de la cheville ouvriere. De
tout tems aux voitures à quatre roues , on
aplacé la cheville ouvriere au milieu de
P'eſſicu de devant , & perſonne que je
ſcache , ne s'eſt encore avité de la placer
hors de l'eſſieu du côté du train de derriere.
J'en ai fait un eſſai en petit , il y a environ
deux ans,& comme il m'a réuffi , j'en
ai fait un autre eſſai en grand , à Foccafion
d'une voiture que je ne pouvois pas faire
avec les autres charriots. Pour en modérer
la dépenſe , je me fuis fervi de toutes les
parties d'un charriot qui pouvoient ſervir
au mien ; ſçavoir , de fon train de derriere
& de ſes deux roues de devant , à
quoi j'ai fait convenir un eſſieu de devant
neuf, une fourchette & un timon neuf,
une allonge neuve , & un écamiau neuf
ayant aſſemblé le tout à mon gré avec une
cheville ouvriere un peu plus longue. Je
l'ai fait eſſayer à charrier duboisde corde,
&y ayant réufſi , j'ai fait les voitures
SEPTEMBRE. 1753. 69
dont j'avois beſoin ; j'ai été préſent au
charroi , j'ai même monté ſur la premiere
voiture , pour ſentir le mouvement du
roulage ,& je l'ai trouvé fort doux & fort
aifé.
Pour placer la cheville ouvriere hors de
l'effieu , j'ai fait une fourchette à l'ordinaire
, mais un peu plus courte ;j'ai em
braſſé les deux cornes de la fourchette par
leur extrêmité avec deux fortes planches ,
faiſant la ligature avec quatre chevilles
de fer à vis , qui traverſent les cornes de
la fourchette , j'appelle cet aſſemblage la
tenaille, C'eſt au milieu de cette renaille
qu'eſt le trou de la cheville ouvriere , à
ſeize pouces du milieu de l'eſſieu de dez
yant.
Cette fourchette eſt appliquée à l'ordi
naire ſur l'eſſieude devant ,& par-deſſus
la fourchette , au lien de lizoir eſt poſéc
horisontalement une piéce courbe en formede
gante de rouë , le milieu du convexe
furpaſſe l'effieu en avant ,& les deux extrêmités
le ſurpaſſent en arriere ; deux
groſſes chevilles de fer aſſemblent la courbe
ou portion de centre , avec la fourchette
& l'effieu; les têtes des chevilles entrent
en gravure dans la courbe pour être
fous ſa ſurface , & permettre le mouvement
du bout de l'allonge qui repoſe ſur
1
70 MERCUREDE FRANCE.
cette courbe pour avoir un appui ſur l'ef
fieu.
L'allonge du charriot n'eſt pas percée à
ſon extrêmité d'un trou pour la cheville
ouvriere , comme les charriots ordinaires
mais elle eſt percée àvingt- fix pouces du
gros bout ,& lorſqu'elle eſt en place &
que la cheville ouvriere tient ce trou faik
aumilieu de la tenaille , le gros bout de
l'allonge repoſe ſur la courbe horisontale
de l'eſſieu de devant , & y peut gliffer circulairement
quarante- cinq degrés à droite
&àgauche de la direction du charriot , &
laiſſe par conféquent braquer le chariot ,
au moins quinze degrés de plus qu'il ne
fait ordinairement .
L'écarmiaun'eſt pas ſur l'eſſieude devant
comme à l'ordinaire , mais ſur la tenaille ,
il a au deſſus un cranqui embraſſe en croix
l'allonge , & l'allonge eſt platte depuis
l'oeil de la cheville ouvriere , juſqu'au bout
qui repoſe ſur la courbe horisontale de
P'effieu ; la mienne étoit de bois blanc , &
par conséquent plus large &plus épaiſſe ,
àcauſe de la foibleſſe de ce bois ; mais en
chêne ou frêne , j'eſtime que depuis l'oeil
de la cheville ouvriere juſqu'à ſon extrêmité
ſur l'effieu , elle doit avoir neufpouces
de large , au lieu de douze qu'avoit la
mienne ; à l'égard de l'épaiſſeur ,je la crois
SEPTEMBRE . 1753. 75
fuffiſante de quatre pouces , ou quatre pouces&
un quatriéme , au reſpect d'un charriot
qu'on ne charge pas au-delà de quatre
milliers .
Dans l'aſſemblage , après que la cheville
ouvriere a traverſe l'écamian & l'allonge ,
elle traverſe les deux membres de la tenaille
, & il y a une clef en- deſſous qui
empêche la cheville ouvriere de remonter.
Par cette conſtruction , lorſque le timon
tourne à gauche , la cheville ouvriere recule
à droite & fuit la roue ,& il faut que
le timon ſoit braqué plus de cinquante
degrés avant que la roue touche l'allonge ,
énforte que le charriot ainſi compoſé,tour.
ne quinze degrés au moins plus que les
charriots ordinaires , & ces quinze degrés
de plus les rendent capables d'entrer dans
la plûpart des portes cocheres où les berlines
entrent , & de tourner dans les cours
qui ne font pas fort petites. On pourroit
appliquer cette eſpéce de train aux berlines
même , alors elles pourroient rouler à la
campagne , car on pourroit donner plus
de quatre pieds de diamétre à leurs petites
roues. Lorsque cette conſtruction paſſera
en uſage pour les charriots , les charrettes
fablogeront peu à peu , parce qu'elles ruinent
les chevaux lemoniers , & qu'elles
ne ſont néceſſaires, que parce que les charfiots
ne tournent pas allez court.
72 MERCURE DE FRANCE.
:
:
:
२
VERS
Pour Mlle Coleb , qui accompagnoit sa voix
en jouant du clavecin. Par L. Dutens de
Tours,
AVec combien d'indifference
L'inſerſible produit les ſons les plus touchans ?
Avec quel air de négligence
Elle tranſporte tous nos ſens ?
Sous ſes doigts gracieux chaque corde animée,
Raviſſant tour à tour notre admiration ,
Arecevoir ſes loix met ſon ambition ;
: Et d'un ſi beau deſtin charmée ,
Nous exprime en tremblant ſa ſatisfaction :
Touché de cette main par les graces formée ,
Qui ne reffentiroit la même émotion !
Tandis qu'à l'écouter chacun de nouss'empreſſe,
L'Amour à ſes côtés , profitant de l'yvreſſe ,
Où ſemblent plongés nos eſprits,
Des beaux yeux de cette Syrene
Emprunte quelques traits dont il bleſſe ſans peine
Des coeurs par ſes accens déja trop attendris .
Ainſi du Dieu charmant aſſurant la victoire
Par ſes accords mélodieux ,
Elle célébre en ſes jeux
Notre défaite & fa gloire ;
Et prenant à nos yeux un viſage ſerein ,
Elle
SEPTEMBRE. 1753 . 73
zile goûte en ſecret le plaifir inhumain ,
D'avoir lancé les feux qui conſument nos ames :
Tel Néton autrefois , une harpe à la main ,
Chantoit en contemplant le funeſte deſtin
De Rome , qu'il livroit à la fureur des flâmes.
:
:
VERS par L. Distens de Tours ,
pour Mlle B... Ν...
T
Aiſez- vous , indiſcréte lyre ,
Il eſt trop dangereux d'irriter un vainqueur ;
Taiſez- vous , redoutez le courtoux de Thémire ,
Ses beaux yeux refuſent de lire
La paſſion qu'ils gravent dans mon coeur.
Souvent à vous entendre elle paroît ſe plaire;
Alors vous pouvez ſans danger
Lui parler des rigueurs d'une ingrate bergére ,
Pour l'amour d'un tendre berger :
1
Chantez-lui les malheurs , peignez bien la ten
dreſſe
Du plus fidéle des amans ;
Et ſi ſon ceoeur enfin touché de vos accens ,
A le connaître s'intéreſſe
1
Ne nommezpoint l'objet de vos regrets touchans;
N'en dites rien encor , ma lyre ,
Il eſt trop dangereux d'irriter un vainqueur ;
Taiſez-vous , redoutez le courroux de Thémire;
Ses beaux yeux refuſent de lire
La paſſion qu'ils gravent dans mon coeur.
D
74 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLE DECOUVERTE.
Eis Février 1752 , des ouvriers ,, en
LFouillant une carriere ſur la montagne
deMontmartre près deParis, ont trou-
"vé à environ quarante toiſes de l'ouverture
, un corps ſolide , en table , lequel n'eſt
cependant ni de l'eſpéce du marbre , ni
du caillou , mais plutôt de la nature de la
pierre à plâtre que de toute autre pierre.
Cette eſpéce de bloc eſt beaucoup plus
durpar fa fuperficie que par l'intérieur lla
déja été vû par pluſieurs Sçavans, &a paru
de la forme la plus antique à tous ceux qui
l'ont examiné avec attention. Sa couleur
tire ſur celle dela pierred'agathe , mêlée
de quelques veines abſolument noires.
Les plus habiles Médecins , tels que défant
M. Ch.. & autres, ayant voulu éprouver
ſa vertu par pluſieurs expériences , one
déja trouvé qu'il prévient & même guérir
pluſieurs maladies ,& eſt ſurtout un antidote
ſouverain contre les laſſitudes dans
les jambes , courbatures , & autres qui
proviennent detenſionde nerfs.
Après avoir été meſuré très exactement,
il s'eſt trouvé avoir 4 pieds 7 pouces 2 lignes
de longueur , ſur 22 pouces 2 lig. de
largeur , & fur une épaiſſeur de 27 pouces.
SEPTEMBRE. 1753. 75
On y trouve appliquées d'une façon
indelebile , fans néanmoins aucune cavité
, 23 lettres de différens caracteres ,
deſquelles forment fix lignes. On ignore
ſi celles où il paroît manquer quelques
lettres , ne font point des lacunes.Les deux
O. qui terminent la ſeconde & la quatriéme
ligne, ainſi que les deux E. par leſquels
finiſſent la troifiéme ligne & la ſixiéme ,
pourroient indiquer que ce ſeroit des vers
Italiens , ou quelque épitaphe Latine .
Enfin , on ſoumét ce phénomene terreſtre
à l'examen des curieux , foit Académiciens
, foit ſimples particuliers ; & une
perſonne fort riche& de très grande conſidération
, promet une ſomme conſidérable
à celui ou celle qui prouvera avoir expliqué
ce Hierogliphe , & qui en rapportera
un Acte ſigné de lui ou d'elle , paſſé
par devant tel Notaire qu'il lui plaira de
choiſir.
M
O.n
M
S
V
٢٠
•
•
•
Figuredu Hierogliphe.
• • •
u.R.a. Y.n.O
E
T.u.N.e.b.O.
•
r
• •
U
•
I.
ة •
• •
E.
•
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Ex faled food fors to takg Eates fora fake foks fok for
ESOPE , PHEDRE ET LA FONTAINE
AUX CHAMPS ELISEʼES .
* NOUVELLE. Par M. des- Forges Maillard
, des Académies Royales des Belles-.
Lettres d'Angers de la Rochelle , de la
Société Littéraire d'Orléans , & de l'Académie
des Ricovrati de Padone.
:
LAFontaine arrivant dans les champs Eliſées ,
Phedre le fabuliſte aſſis près d'un ruiſſeau
Que bordoient mille fleurs de ſon onde arroſées ,
Se leve, & faluant ce confrere nouveau ,
Lui dit d'un air de ſuſfifance ,
Salvusfis , Domine : l'on m'a conté qu'en France
Vos jaloux partiſans vous préferent à moi.
La Fontaine répond, ma foi ,
Ami du fimple badinage ,
J'ai ſuivi le penchant qui me faiſoit la loi ,
Et je n'en ſçais pas davantage.
Vous me raillez encor , je croi ,
DitPhédre; mais allons en traverſant la plaine
Chez Eſope, entre nous il pourra décider.
Qui ! moi ? j'aime la paix & ne veux point plais
der,
Repart l'ingénu la Fontaine ;
Va tour ſeul , mon ami , ſois ce que tu voudras,
SEPTEMBRE . 1753 .
77
Eſope même , ce n'eſt pas
De quoi mon ame eſt fort en peine.
Ent'attendant ſous ce cyprès ,
Au doux bruit de cette eau , je vais prendre mon
ſomme ;
'Au retour , s'il te plaît, tu m'informeras comme
Tout ſe ſera paflé. Tu dormiras après ,
Dit Phédre , en le tirant avec impatience ;
Eamusfubitò ; le ſage Phrygien
Peſera nos talens dans ſa juſte balance ,
Nous ne ſommes tous deux riches que de fon
bien ;
* Il fut & ton maître & le mien ,
Je m'en rapporte àſa ſentence,
La Fontaine par complaiſance
Dit , allons donc , je le veux bien .
Ils partent à l'inſtant , les ombres marchent vite;
Les voila comme un trait dans la grotte qu'habite
L'enjoué Philoſophe au minois ſapajou :
Quand il eut oui Phédre , orgueil de l'autre vie ,
Ainfi les morts ſous terre emportent ta manie ,
Dit-il: & d'un débat qui lui ſembloit ſi fou ,
Faifant danſer ſa boſſe , il rioit tout ſon ſaoul.
Il convient toutefois que je vous remercie ,
Ajoûta - t- il : par les traits du génie ,
Les tours légers , les vers heureux ,
Vous m'avez fait honneur en m'imitant tousdeux.
Mais vous voulez , Meſſieurs, que ſur la préférence
Diij
78 MERCURE DE FRANCE,
De l'un ſur l'autre en ce moment ,
Je vous diſe ce que je penſe
Sans amphibologie & ſans déguisement.
Je ſçais fort qu'en pareille affaire ,
Témoin du beau Pâris le fatal jugement ,
Aquelqu'un , quoiqu'on faſſe, on riſque dedéplaire.
Ah ! fi dans les climats du monde ſublunaire
D'où Sire la Fontaine arrive récemment ,
Les hommes penſoient ſainement ,
Pour fonAréopage & pour fon Parlement
Chacun auroit ſon coeur ſans autre miniſtere.
Puiſqu'enfin vous voulez que ma bouche uncere
Entre vous , mes amis, décide librement ,
Vous ferez fatisfaits : pour cette fois Eſope
N'ayant à s'expliquer qu'avec deux beaux eſprits
L'un élevé dans Rome & l'autre dans Paris ,
De l'apologue antique omettra l'envelope.
Ecoutez-donc : en deux mots l'Orateur
Va débuter, dire & conclure.
Toi Phédre , ſelon moi tu contes en Docteur ,
Du langage Romain réputé Précepteur ;
Ta dition , ſans doute , eſt élégante&pure :
Mais ce bon homme-là s'exprimant ſans façon,
En plaiſant à l'eſprit fait au coeur la leçon ,
Et conte comme la nature.
SEPTEMBRE. 1753. 79
**************
SEANCE PUBLIQUE
Del'Académie Royale de Chirurgie , tenue
le Jeudi 3 Mai 1753 .
A
Près que M. Morand , Secrétaire
Perpétuel , eut annoncé que l'Académie
n'avoit pas jugé devoir accorder le
Prix aux Mémoires qui avoient concouru
cette année , M. le Dran , Directeur , lut
une obſervation ſur les moyens dont il
s'eſt ſervi pour rétablir le mouvement de
lajambe , perdu à l'occaſion d'une fracturede
la rotule , qui n'avoit pas été réduite.
Une Religieuſe de l'Abbaye S. Antoine
ayant fait ſa priere à genoux , ſe caffa
la rotule dans le mouvement qu'elle fit
pour ſe relever. Il eſt prouvé que l'action
des muſcles extenſeurs de la jambe , &
le contre-effort du poids du corps , font
des cauſes ſuffiſantes pour fracturer cet os.
Le gonflement & l'inflammation confiderable
qui ſurvinrent au genou , empêche.
rent , ſelon toutes les apparences , leChirurgien
qui fut mandé d'abord , de reconnoître
l'état de la rotule : il n'eut d'autre
indication que celle de combattre les ſymptômes
manifeftes par les ſaignées , & par
Diiij
80 MERCURE DE FRANCE .
,
l'application des cataplafmes , capables de
calmer la douleur & d'ôter l'inflamma
tion. La malade ſe crut guérie , lorſque
ces accidens furent diſſipes :il lui reſtoit
une difficulté de mouvoir la jambe ; mais
elle croyoit que cette difficulté venoit de
l'affoibliſſement du membre. Au bout de
cinq mois les choſes étant dans le même
état , M. le Dran fut mandé. Par l'examen
des parties il reconnut que la rotule
avoit été fracturée en travers , les deux
piéces de cet os étoient à un pouce de diftance.
Il jugea qu'il ſeroit impoſſible de
rapprocher ces portions diviſécs , parce
que le racourciſſement des muſeles extenſeurs
de la jambe , implantés ſur la portion
ſupérieure de la rotule , feroit un
obſtacle à ce rapprochement. M. le Dran
ne déſeſpera cependant pas de pouvoir
rendre cette jambe utile à la malade. Réfléchiffant
que quand on a été obligé pour
quelque raiſon que ce soir , de tenir le
bras fléchi pendant fix ſemaines ou deux
mois, on ne peut plus l'étendre , parce
que les muſeles qui fervent à la flexion
ſont devenus roides , par rapport au racourciſſement
habituel qu'ils ont contracté
pendant une inaction auſſi tongue
il crut que ſi l'on tenoit , dans le cas dont
il s'agit , la jambe étendue pendant un
و
SEPTEMBRE. 1753. 81 .
tems ſuffifant , ſans que le genou pût ſe
fléchir , les fibres des muſcles extenſeurs
contracteroient une roideur & une inflexibilité
, qui pourroient permettre à la malade
de ſe ſoutenir ſur ſa jambe & de marcher.
M. le Dran aſſure avoir réuſſi dans
fon projet. Dans l'eſpace de deux mois il
procura une fauſſe ankiloſe dont la malade
reçut tous les avantages qu'il avoit efpérés.
Peu à peu les muſcles reprirent les
mouvemens dont ils avoient perdu l'uſage
, & felon l'Auteur , quoique les deux
portions de la rotule ſoient reſtées dans
leur écartement , la malade a pû ſe ſervir
de ſa jambe comme avant la fracture.
Cette lecture fat ſuivie de l'éloge de
M. Cheſelden , célébre Chirurgiende Londres
, & le premier aſſocié étranger de l'Académie
; par M. Morand.
M. Louis , Commiſſaire pour les extraits
, lut enſuite un Mémoire fur la cure
des hernies avec gangrene. On ſçait qu'une
portion d'inteſtin étranglée dans une
defcente , eft bientôt attaquée de gangrene
, fi elle ne rentre naturellement , ou
ſi l'on n'employe pas à tems les ſecours de
l'art pour en faire la réduction. La pourriture
d'une portion de boyau avec ouverture
extérieure dans undes points de
la circonférence dubas ventre par où for
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
tent les excrémens , préſente à l'idée des
perſonnes les moins inſtruites , l'image
d'une maladie très dangereuſe : il y a ce
pendant des exemples & même en affez
grand nombre , de perſonnes qui ont
échappé très heureuſement à des accidens
de cette eſpéce. La pratique des Anciens,
étoit très bornée ,& ſelon M. Louis , l'art
a été en défaut fur ce cas , juſqu'au commencement
de ce fiécle ; on attendoit tout
des reffources de la nature : il eſt vrai que
fon fecours eſt quelquefois ſuffisant. M.
Louis aſſure même qu'il ya descirconſtances
où il faut preſqu'entierement confier à
la nature le foin de la guériſon ; mais il y
en a d'autres où cette confiance ſeroit
dangereuſe &meurtriere. La distinction
de ces deux cas généraux est très-importante
; il n'y a aucune obſervation fur les her
nies avec gangrene qui ne s'y rapporte.
Dans le premier cas on doit tout eſpérer
de la nature ; c'eſt elle qui opére effentiellement
la guérifon : dans le ſecond on
n'obtiendroit tien ſans le ſecours de l'art
la vie du malade dépend des foins& de
l'intelligence du Chirurgien. M. Louis,
s'attache particulierement à diftinguer ces,
deux cas généraux , dont l'un exige une
conduite fi différente de celle qu'il faut
tenir dans l'autre. Voici l'expoſition da
9、
SEPTEMBRE.. 17538 83
premier , comme l'Auteur l'adonnée dans
fon mémoire.
» Le premier cas , celui dont les fuites
>> font le moins dangereuſes , & qui ne
>>demande du Chirurgien que des atten-
>>tionsqui ne fortent point des réglés con-
>> nues , & les plus aiſées à mettre en pra-
>>>>tique , c'eſt celui où tout le diametre
>>de l'inteſtin n'eſt pas compris dans la tu-
>>>meur herniaire. L'inteſtin n'eſt pas tou-
>>jours engagé dans l'anneau par une por-
>> tion affez longue de ſa continuité pour
>>y former une anſe ſouvent il n'eſt que
>> pincé dans une ſurface plus ou moins
>>>grande.. C'eſt ce cas qui fournit le plus
>> d'exemples de hernies avec gangrene ,
> guéries avec le plus grand ſuccès. La
>>pourriture ſurvient fréquemment à certe
eſpéce de hernie , parce que les ſymp-
>>tômes de l'étranglement dans ce cas , ne
>> ſont pas à beaucoup près , ſigraves , ni
>> ſi violens que dans la hernie où tout le
>>diamétre de l'inteſtin eſt compris : ainfi
>il n'eſt pas étonnant que des perfonnes
>>>pen délicates , ou celles qu'une fauffe
>>> honte retient , ne ſe déterminent pas
>> à demander du ſecours dans le tems
>> où il feroit poſſible de prévenir l'acci-
>>dent dont il s'agit. En effet , lorſque
l'intestin eſt ſimplement pincé , les ma-
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
ود lades ne ſouffrent que quelques dou
>>leurs de colique : il ſurvient quelque-
» fois des nauſées & des vomiſſemens ;
» mais le cours des matieres dans le canal
>> inteſtinal n'étant point interrompu , ces
>> ſymptômes peuvent paroître ne pas mé-
» riter une grande attention. La négli-
>> gence des ſecours néceſſaires donne lieu
» à l'inflammation de la portion pincée de
> l'inteſtin ,& elle tombe bientôt en pour-
>> riture . L'inflammation & la gangrene
> gagnent ſucceſſivement le ſac herniaire
>& les tegumens qui le recouvrent : on
>> voit enfin les matieres ſtercorales ſe fai-
» re jour à travers la peau qui eſt gangre-
>> née dans une étendue conſcripte plus ou
>>>moins grande , ſuivant que les matieres
qu fortent du canal intestinal
>> font infinuées plus ou moins dans les cel-
>> lules graiſſeufes du voiſinage.Les moyens
» que l'art doit employer alors ne font
» pas bien recherchés. Il ſuffit d'empor-
>> ter les lambeaux atteints de pourriture ,
>> fans toucher aux parties ſaines qui les
>> avoifinent. On procure enfuite, par l'u-
>>ſage des médicamens convenables , la
>>fuppuration qui doit détacher ce qui ref-
> te de parties putréfiées ; on s'applique
>>enfin à déterger l'ulcere , & il n'est pas
>> difficile d'en obtenir la parfaite confoli
>dation.
fe
SEPTEMBRE. 1753. 8 .
M. Louis prouve par des obſervations
qui lui font particulieres , la juſteſſe de
l'expoſition dogmatique qu'on vient de lire
, & il fortifie ſes obſervations du témoignage
qui réſulte de celles que pluſieurs
Auteurs ont faites ſur la même matiere
. Celles- ci ne ſont pas purement empruntées
pour multiplier les preuves ; car
lesAuteurs les ont écrites d'une façon fort
indéterminée ; mais M. Louis en fait l'application
à ſon ſujet , & démontre par les
circonstances qui accompagnent ces faits ,
qu'ils doivent être rapportés au cas dont
il s'agit. De la diſcuſſion de ſept obſervations
très-détaillées , l'Auteur tire cette
conféquence .. » que dans les hernies avec
>>gangrene où l'inteſtin eſt ſimplement
>> pincé dans ſa furface , les ſecours de la
>>Chirurgie , quoique très- utiles , ſe ré-
>>duiſent néanmoins à des procédés fami-
» liers. Le défaut de ſecours ne ſeroit pas
>> mortel , & je ſuis perfuadé que les ref-
>ſources de la nature abandonnée à elle-
>>même , ſont plus fûres dans cette cir-
>> conſtance , que les ſecours de la Chi-
>>rurgie opératoire qui ſeroient mal diri-
>> gés » : & en effet , l'étranglement ayant
tracé les bornes de la gangrene , l'infammation
qui ſe fait à la circonférence de
la partie gangrenée , produit des adhé
16 MERCURE DE FRANCE.
rences qui uniſſent la portion pincée à la
circonférence de l'anneau . Une opération
pourroit détruire ces adhérences, & procurer
l'épanchement des matieres ſtercorales
dans la cavité du bas ventre , & la mort
parune ſuite néceſſaire de cet accident.
Le ſecond cas que M. Louis diſtingue
eſt celui où une affez grande portion d'inteſtin
eſt compriſe dans la tumeur , &
qu'elle y forme une anſe. Si cette portion
eſt longtems étranglée , l'inflammation
gagne intérieurement toute la continuitéducanaldesinteſtins
;,& fi les malades ne
font pas ſecourus à tems , ils périſſent par
la corruption gangreneuſe des parties du
bas ventre , dont la cavité ſe trouve quelquefois
remplie de matieres ſtercorales ,
quoique les tégumens de la tumeur her
niaire n'ayent reçu aucune altération. Ainfis
lorſque dans une opération trop différée
on trouve que lanſe d'inteſtin qui a ſouf
fert étranglement , eſt livide , molle , &
qu'il n'y a aucune apparence qu'elle puiffe
ſe révivifieraprèsſa réduction dans le ventre
, il feroit très-dangereux de l'y replacer..
La ſéparation de la partie gangrenée quis
fe feroit naturellement , ou le poids de la
colonne d'excrémens qui créveroit la par
tie mortifiée , cauſeroient l'épanchement
des matieres ſtercorales dans la cavité, dun
1
SEPTEMBRE. 1753 87
bas ventre , & par conféquent la mort du
malade.Les grands praticiens qui ont ope
ré dans cette circonstance , ont toujours.
coupé la portion gangrenée de l'inteftin ,,
quelle qu'en ait été la longueur. Il n'y a
de reſſources que dans ce parti : mais il
demande beaucoup d'attention pour en affurer
le ſuccès. M. Louis décrit d'abord
les différens procédés que l'art a preſcrits
juſqu'ici pour remplir les indications que
préſente un cas auffi grave. On ne peut
prévenir l'épanchement des matieres ſter.
corales ,qu'en fixant dans la playe , avec:
grand foin , le bout de l'inteſtin qui ré,
pond à l'estomac , & l'on peut procurer:
dans cet endroit un anus artificiel , c'eſt.
à dire , une iſſuë permanente pour la dé.
charge habituelle des matieres ſtercorales ,
en liant& abandonnant dans le ventre le
bout d'inteſtin qui va à l'anus. Telle étoit
la pratique qu'on ſuivoit au commence
ment de ce ſiècle. M. Littre en rapporte
un exempledans les Mémoires de l'Acadé
mie Royale des Sciences , année 1700. Le
fuccès de cette pratique dans ce cas , &
ceux qu'elle a eus depuis dans quelques.
accafions ſemblables, l'ont fait regarder
comme une merveille de l'art.
Des obfervations plus récentes dues à
l'habileté de M. de la Peyronie ont appriss
88 MERCURE DE FRANCE.
qu'en retirant les deux bouts de l'inteſtinn
dans la playe , on pouvoit obtenir leur
réunion , & guérir le malade en rétabliſfant
la route naturelle des matieres fécales.
Il ne paroiſloit pas qu'on pût former le
moindre doute ſur la préférence que femble
mériter cette façon de procéder à la
guériſon , fi on la compare à la méthode
qui procure l'anus artificiel. Cependant M.
Louis démontre , par la difcuffion même
des faits que M. de la Peyronie a avancés
enpreuve de la ſupériorité de ſa méthode
, que l'autre eſt plus fûre , & que l'incommodité
qu'elle laiſſe eſt plus avantageuſe
que le rétabliſſement de la route
naturelle , en ſuivant la conduite que M.
de la Peyronie a rendue publique dans le
premier volume de l'Académie de Chirurgie.
Les bornes d'un extrait ne permettent
pas d'expoſer ici les raiſons & les preuves
de la doctrine que M. Louis a établie à cet
égard: il fuffira de dire que les perſonnes
qui ont été guéries radicalement par la
réunion des deux bouts de l'intestin dans
la playe , ont été habituellement ſujettes
àdes coliques , & qu'elles font mortes
les unes quelques mois , & les autres quek.
ques années après leur guériſon ; mais
toujours par la crevaſſede l'inteſtin au deſ
fus de l'endroit de ſa réunion. On a trou
SEPTEMBRE. 1753. 89
vé à l'ouverture des corps les matieres
épanchées dans la cavité du bas ventre. Ce
funeſte accident a été déterminé méchaniquement
par la diſpoſition de l'inteſtin ; il
n'eſt pas difficile d'en donner la raiſon .
Dans l'état naturel le canal inteſtinal eſt
libre & flottant , les tuniques des inteftins
font dilatées par le paſſage des matieres
qui en parcourent la cavité , & elles
agiffent réciproquement par une vertu
contractive , ſur ces mêmes matieres. Les
choſes ſont diſpoſées différemment après
la réunion de l'inteſtin , ſuivant la méthodedont
on parle : le méchaniſme naturel
n'a plus lieu , la cavité du canal inteſtinal
eſt retrécie dans un point , l'inteſtin forme
un coude & eſt adhérent dans cet en
droit , ſon organiſation naturelle y est détruite
, & ce détroit de l'inteſtin ne peut
jamais s'élargir : voila des cauſes ſuffilantes
pour produire les effets qu'on a obfervés
à la ſuite de cette réunion. C'eſt d'après
ces faits que M. Louis a crû devcię
enviſager ce qu'on a crû pouvoir appeller
la guériſon parfaite des malades , comme
une diſpoſition très fâcheuſe , par laquelle
leur vie eſt continuellement expoſée. Il
prouve d'ailleurs , & démontre par pluſieurs
obſervations , que ſi dans les hernies
avec gangrene , on prenoit d'abord
90 MERCURE DEFRANCE.
le parti de procurer un anus artificiel , on
mettroit les malades à l'abri des accidens
confécutifs , & de tout danger. M. Louis
expoſe les moyens de rendre cette incommodité
ſupportable ; cette diſcuſſion le
conduit à faire ſentir tout le prix d'une
méthode par laquelle on pourroit guérir
radicalement les malades auxquels on auroit
emporté une portion d'inteſtin gangrenée
,& fans qu'ils reſtaſſentexpoſés au
danger qui a ſuivi la réunion de l'inteſtin.
Le génie de M. Rhamdor , Chirurgien
duDuc de Brunswick , lui a ſuggéré une
maniere de réunir l'inteſtin qui a cet avantage.
Après avoir amputé environ la longueur
de deux pieds du canal intestinal
avec une portion du meſentere gangrené
dans une hernie , il engagea la portion fupérieure
de l'inteſtin dans l'inférieure , &
les maintint aina par un point d'aiguille
auprès de l'anneau ; les excrémens cefférent
de paſſer par la playe , & prirentd'abord
leur cours par l'anus. La perſonne
guérit en très peu de tems , & ajoui d'une
ſanté parfaite ; elle eſt morte depuis d'une
maladie qui n'avoit aucun rapport à l'opération
: àl'ouverture de ſon corps on vit
que l'inteſtin réuni formoit un canal trèsbiendiſpoſé
, adhérent au peritoine à l'endroitde
l'anneau. M. Louis loue cette mé
SEPTEMBRE. 1753. 91
thode , mais elle lui paroît ſuſceptible de
quelques perfections. >> Je ne ſerois pas
>> ſurpris , dit il , qu'en la pratiquant con..
>> formément à la deſcription qu'on en a
>>>donnée , le ſuccès ne juſtifiât pas une ine
>> vention auſſi utile. Il eſt certain que ,
>> toutes chofes égales d'ailleurs , il fera
>>bien plus avantageux de guérir radica-
> lement un malade qui a une hernie avec
>>gangrene , que de lui procurer l'incom-
>modité d'un anus artificiel :dans la mé
>>thode du Chirurgien Allemand , la réu-
>> nion ſe fait ſans inconvénient ; les ma-
>> tieres ne paſſent point du tout par la
» playe dès l'inſtant même que l'opération
>> eſt faite : il n'eſt pas néceſſaire que l'in-
>>teſtin ſoit retenu dans l'anneau , il fuf-
>>fit qu'il appuye ſur fa ſurface interne
>> ily contracte , à la vérité , une adhéren-
> ce avec le péritoine ; mais il n'y forme
>>pas l'angle aigu qu'il fait dans l'autre
>>méthode après la guériſon ; le canal in-
>> teſtinal n'eſt pas ſujet au froncement &
>> à la diminution de ſon diametre , com-
» me quand les deux bouts de l'inteſtin
>>reſtent long- tems dans la playe , car dans
>> ce dernier cas , non- ſeulement l'inteſtin
>>ſe reſſerre par la contraction de ſes fibres,
>>mais ſon diamétre diminue auſſi par la dépreſſion
des parties, à la circonférence des
MERCURE DE FRANCE.
>>orifices retenus vis à- vis l'un de l'autre ,
> dans le trajet qui eſt ouvert du ventre à
» l'extérieur. La méthode de Rhamdor aа
>> donc fur celle- ci l'avantage de pouvoit
> guérir radicalement le malade , ſans l'in-
> convénient du paſſage des matieres ſter-
>>corales par la playe , pendant le tems de
» la cure , &fans faire craindre les ſuites
>> funeſtes de l'autre pratique.
Le cas que fait M. Louis d'une méthode
auſſi utile , ne doit pas laiſſer perdre
de vûe deux conſidérations qu'il croit effentielles.
La premiere , c'eſt que l'opé
tation de Rhamdor n'eſt pas pratiquable
dans toutes les hernies avec pourriture où
il y a eu étranglement d'une grande portion
d'inteſtin. La ſeconde , c'eſt que dans
les cas où elle peut avoir lieu , il faut que
certaines précautions en aſſurent le ſuccès.
La vérité de la premiere réflexion ſur l'impoſſibilité
de pratiquer la méthode de
Rhamdor , dans tous les cas où l'anſe de
l'inteſtin eſt gangrenée ,ſe démontre par
l'expérience. Pour faire cette opération ,
il faut que les portions faines de l'inteſtin
ſoient libres; ſans cela , un bout ne pourroit
être introduit dans l'autre : or cette
infinuation ſera impratiquable , toutes les
fois que les portions ſaines auront contracté
des adhérences avec les parties qui
SEPTEMBRE.
1753 . 93
les avoifinent. Ces cas font allez communs
dans la pratique ; M. Louis en donne pluſieurs
exemples. Enfin , voici les précautious
qu'il indique , lorſqu'on pourra procéder
à la réunion des deux bouts de l'inteſtin
, dont une portion gangrenée aura
été retranchée.
» Il eſt important , dit M. Louis , que
>> ce ſoit la portion ſupérieure de l'inteſtin
» qui ſoit infinuée dans l'inférieure ; cette
>attention doit décider de la réuſſite de l'o-
>> pération : or il n'eſt pas facile , comme
>>nous l'avons déja remarqué , ( dans le
>>corps du Mémoire) de distinguer d'abord
>&dans tous les cas, quelle eſt préciſé-
>>ment la portion de l'inteſtin , qui ré-
>>pond à l'eftomach , & quelle eſt celle
>> qui conduit à l'anus. Cette difficulté ne
>> doit point être un motifpour rejetter
>>une queſtion , dont la premiere tenta
>> tive a été ſi heureuſe ; je crois qu'il faut
>>> d'abord retenir les deux bouts de l'in-
>>teſtin dans la playe , & qu'il ne con-
>>vient pas de procéder à leur réunion qu'a-
>>près avoir laiſſe paſſer quelques heures ;
>>& pendant ce tems on fera prendre de
l'huile d'amandes douces au malade , &
fomentera l'inteſtin avec du vin
>>>chaud , afin de conſerver ſa chaleur &
ſon élasticité naturelles. Le délai que je
ود
94 MERCURE DE FRANCE.
> propoſe me paroît abſolument néceſ
>>ſaire , non-feulement pour pouvoir re-
> connoître , ſans riſque de ſe méprendre ,
» quelle eſt précisément la portion ſupé-
> rieure de l'inteſtin ; mais je penſe que
>ce délai est très-utile , quand même on
>> auroit fait avec la plus grande certitude
• la distinction de chaque bout de l'in-
-teſtin. Il ſera en effet beaucoup plus sûr
>>pour le ſuccès de la réunion , & pour la
>> facilité du dégorgement des matieres
• que l'étranglement a retenues dans le
>> canal intestinal , depuis l'eſtomach juf-
» qu'à l'ouverture de l'inteſtin; il eſt , dis-
>>je , beaucoup plus avantageux que ce
»dégorgement ſe falle par la playe , que
> d'expoſer la partie réunie par l'infertion
»des deux bouts de l'inteſtin à donner
» paſſage à ces matieres , & à leur laiſſer
> parcourir toutela route qui doit les con-
>>duire àl'anus,
M. Louis propoſe un procédé auſſi intéreſſant
, pour faciliter Pinfinuation da
bout ſuperieur de l'inteſtin dans l'infé
rieur ; & pour la rendre immuable , il conſeille
de couper tranſverſalement leméſentere
auprèsde la portion ſupérieure de
l'inteſtin , dans toute la longueur dont
on veut infinuer cette portiondans le bout
inférieur. L'Auteur a fait des expériences
SEPTEMBRE. 1753 . 95
de cette opération ſur des animaux vivans,
&elles ont toujours réuffi. L'inſertion eſt
difficile ſans cette précaution : Mebius ,
le premier Panégyriſte de la méthode de
Rhamdor , n'a pû réuffir à la pratiquer ;
&elle est très-aiſfée , moyennant l'incifion
que M. Louis recommande. On ſent qu'il
est néceſfaire dans ce cas de lier le méſentere
; mais ne faudroit- il pas le faire également
, ſans l'inciſion que l'on propoſe ?
En effet toutes les fois qu'on a emporté
une portion de tout le diametre du canal
inteſtinal , on a dû faire un pli au méſentere
pour aſſujettir les deux bouts de l'inteſtin
vis à vis l'un de l'autre. Cette pratique
eſt à plus forte raiſon néceſſaire ,
lorſqu'on doit les engager l'un dans l'autre.
M. de la Peyronie nous apprend
qu'il a paflé un fil à travers le méſentere ,
& qu'enfuite il a formé , en nouant ce
fil , une anſe capable de retenir le paquet
des parties qu'il vouloit empêcher de rentrerdans
la cavitédu ventre. Il ne paroît
pas que Rhamdor , ni M. de la Peyronie
ayent été engarde contre l'hémorrhagie
des artéres méſaraïques , dont les ramifications
ſe diſtribuoient à la portion de
l'intekin qu'ils ont coupée. Il n'y a point
eu d'hémorragie dans ces cas , mais elle
pourroit ſurvenir dans d'autres : les aftrin
96 MERCURE DE FRANCE.
gens de quelque nature qu'ils foient , ni
la compreſſion ne pourroient alors avoir
lieu ; il faut avoir recours à la ligature.
Ainfi il eſt de la prudence du Chirurgien ,
de faire , ſuivant la remarque de M. Louis,
un double noeud ſur la portion du méſentere
qui formera le plis , par lequel les
portions de l'inteſtin doivent être retenues
& fixées dans la ſituation convenable.
On peut enſuite , comme M. de la
Peyronie l'a fait , nouer les extrémités de
ce fil qu'on contiendra en dehors , pour
retenir l'inteſtin réuni au voiſinage de
l'anneau où il doit contracter adhérence.
Aini M. Louis a ajouté des perfections à
une méthode ingénieuſement imaginée ,
&plus recommandable encore par la grande
utilité dont elle ſera dans le cas où
elle pourra être employée,
Après ce Mémoire , M. Coutavoz lut
une obſervation ſur une fracture de la
jambe , compliquée avec un grand fracas
d'os. Les accidens furent très -graves ; il
fallut faire des ouvertures , & tirer une
portion conſidérable de l'os principal. La
nature l'a réparé , & M. Coutavoz a guéri
fort heureuſement ſon malade. Il a montré
à l'Académie la machine qu'il a imaginée
pour tenir le membre dans le degré
d'extenfion convenable , & pour contenir
les
SEPTEMBRE. 1753. 97
1
les os dans la ſituation la plus favorable.
Nous nous diſpenſons de donner l'extrait
de cette obſervation , parce qu'on ne peut
connoître l'étendue des refſſources de l'Art
dans ce cas , que par la deſcription & la
figure de la machine. On pourra ſe ſatisfaire
à ce ſujet dans le ſecond volume des
Mémoires de l'Académie , qui paroîtra inceſſamment;
on y a inſeré l'obſervation de
M. Coutavoz , & la machine dont il s'eſt
ſervi yeſt gravée.
M. Sue , le cadet , a terminé la Séance
par la lecture d'un Mémoire ſur le ramoliſſement
des os. L'Auteur a fait des recherches
ſur cette maladie , il a rapporté
les cas dont les obſervations ont confervé
l'hiſtoire; il a fait part de pluſieurs
faits particuliers analogues à ces cas , & il
a faitvoir les figures du ſquelette de la
nommée Supiot , ſur la maladie de laquelle
il a fait des remarques curieuſes.
98 MERCURE DE FRANCE.
Le mot de l'Enigme du Mercure du
mois d'Août , eſt Fille. Celui du premier
Logogriphe , eſt Victoire, & celui du ſecondeſt
Infanterie , dans lequel on trouve
tarif , ta ,, Enfer , Irene , Anne ,fat , rétif,
if, air , étain & fer , nef, Teare , rat ,
tiare , ire , Até , Atrée , tyrannie de Denis
, Infant , aire , Saint Jean , Eina , Are
tin , Arné , rien,
J
ENIGME.
E fuis l'ajustement mignon
De laide , ou gentille femelle ,
Sur moi j'attire un oeil fripon
Et jette très-vive étincelle ;
Sous l'aiguille & l'or travaillé ,
J'occupe mondaine & nonette;
Je ſuis l'ame d'une toilette ,
Et tiens ſouvent lieu de beauté;
Si je dépens d'une coquette
Je ſuis rarement à ſon gré ;
Bientôt dédaigné , rejetté ,
Je finis avec la ſoubrette
Qui m'a ſi ſouvent envié.
De Bouffanelle , Capitaine au Régiment de
Cavalerie de Beauvilliers.
SEPTEMBRE. 1753.
و و
LOGOGRYPHE.
Lecteur , dix pieds forment mon être .
Utile à la ville & aux champs ,
Sous les lambris & ſous le hêtre ,
Je ſuis le plus doux pafle- tems :
J'enfante le diſcours frivole ,
Detout caquet je tiens l'école ,
On me trouve juſqu'aux enfers ;
Jadis je ſçus donner des fers
Aun Héros : mais je m'arrête ,
Paſſons à des êtres divers.
Joins , romps mes pieds , fais à ta tête :
Je ſuis la fille d'Inachus ,
D'Aaron , Lévite& Prophéte ,
Dumonde la plus grande fête ,
L'aſtre qui ſuccéde à Phébus ,
L'indocile & commune mere ,
De l'univers le ſecond pere ,
L'idole de tous les mortels ,
L'heureux trône des immortels ;
Ce fleuve , Dieu du Paganiſme ,
Une erreur du Mahométiſme ,
Les deux ſens à l'homme ſi chers ,
Un coup de fortune ou revers ;
Cet inſtrument de même forme ,
Plusgrand que celui d'Apollon ,
E ij
100 MERCUREDE FRANCE,
Un crime déreſtable , énorme ,
Un jeu vil , un très-bon poi Ton ;
Ce nombre par qui tout commence;
Certain abus de la finance ,
Undes ſept péchés capitaux ;
Un précepte de l'Evangile ,
L'animal le plus imbécile,
Unde nos précieux canaux;
Une femelle dangereuſe ,
Le nom d'une Tribu fameuſe .
Laplus fatale paffion ,
-Cette plante par tout utile ,
Des hommes le vrai domicile;
L'ennemi de toute boiſſon :
Une petite République ,
Ce cercle étroit & magnifique .
Lecteur, j'ai dit , cherche mon nom.
Bouffanelle.
UTRE.
:
Mon être, cher Lecteur ,conſiſteenpeude
choſe,
Tu peux me deviner ſans être connoisseur ;
Je ſuis un trait malin ,j'ignore mon auteur;
Et ſouventj'inquiéte un quelqu'un qui repoſe:
Ces traits ſeuls fuffiroient pour paroître à tesyeuxt
Mais il eſt cependant une toute plus sûre ,
Par oùpeut-être tu me verras mieux,
همان
SEPTEMBRE. 1753 . 101
Raſsemble bien neufpieds prisde bonne meſure,
Tutrouveras d'abord deux des quatre élémens ;
Le plus mélodieux de tous les inftrumens ;
Ce qui fait quelquefois l'ornement d'une Eglife;
Un homme impertinent que le monde mépriſe ;
Ce qu'on doit rendre à Dieu , ce que craint un
enfant;
Un coquillage , un mont,un Saint,l'être penfant,
Une étoffe de laine , un certain lieu ſous terre ;
Un mot qui coupe court , connu des gens de
guerie;
Ce réduit où dormoit le Prélat de Boileau ;
Une piéce de bois , nécessaire au vaisseau.
En voilà bien aſsez , Lecteur , pour meconnoître.
Cherche donc à préſent ce que je pourrais être.
Q
AUTRE.
Ue feroit ceHéros ſi vanté dans l'Histoire ?
Ce Prince , le vainqueur de tout le genre humain ,
Dont les faits font gravés auTemple de Mémoire ;
Réponds-moi , cher Lecteur , quel ſeroit ſondeftina
Si pour faire ſentir quelle étoit ſa puiſſance ,
Atant de Roisjalouxde ſes plus beaux exploits ,
Il n'eût eu pour ſecours que fon expérience ,
Auroit-il jamais mis l'Orient ſous ſes loix ?
Non , non , mais ſecondé de toute mon audace ,
Ledanger le plus grand n'étoit rien à ſes yeux ,
Eiij
102 MERCURE DE FRANCE :
Et forçant l'ennemi de lui céder la place ,
Il parvint par ma voie au rang des demi Dieux.
Tu vois donc , cher Lecteur , quel eſt mon ap
panage ,
Etque le bon ſuccès m'échappe rarement ;
Si par fois cependant j'ai du deſavantage ,
Malgré tous mes revers , je brille également.
Voici bien plus , ami , pour ton intelligence ,
Cherche dans mes huit pieds l'avant coureur du
jour ,
Un fruit qui vient ſous terre ,un fleuve de Province;
Ce qu'eſt aux yeux d'Iris Pobjet de ſon amour;
Un de ces élemens que connoît le vulgaire ,
Ce qu'on voit plus ſouvent en hyver qu'en été
Ce qu'en confeſſion l'on doit rendre ſincére ;
Un gage très-certain de notre piété ;
Maint homme mépriſé, quoique ſouvent utile ,
Une forte de drap tiſſu groſſierement ;
Un précieux méral , un animal reptile ;
Ce qui fert de lévier le plus communément ;
Je me borne à ces mots , dont un ſeul peut ſuffire
'Ainfi , mon cher Lecteur , devine maintenant ,
Si tu mets àprofit ce que je viens de dire ,
Je ne veux t'en donner que pour un ſeul inſtant.
SEPTEMBRE. 1753. 10
******: **:******
NOUVELLES LITTERAIRES.
ISTOIRE critiquedu calcul des In-
Home contenant la Métaphyſique
& la théorie de ce calcul. Par
M. Saverien. Satius eft de re ipsâ quærere
quam mirari. Seneque. 1753 , brochure
in-4°.
M. Saverien ne ceſse de bien mériter
des Sçavans & de la Nation. Après un ouvrage
auſſi conſidérable que celui qu'il
vient de publier , nous voulons dire ſon
Dictionnaire univerſel de Mathématiques
&de Physique , dont nous avons rendu
compte , il étoit naturel que l'Auteur pric
quelque repos. Mais tel eſt l'avantage
qu'on retire de l'étude des Sciences exactes
, que quand on eſt parvenu au point
que l'Auteur a atteint , rien ne coûte
preſque plus. L'imagination agit alors
avec liberté , parce que les ſecours néceffaires
pour exécuter ſes productions , ne
lui manquent point. L'ouvrage que nous
annonçons aujourd'hui , prouve bien ce
que nous avançons. Il a pour objet ce que
l'eſprit humain a peut- être découvert jufqu'ici
de plus ſublime , & on conviendra
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE .
que pour le mettre à découvert , il falloir
unMathématicien du premier ordre .
M. Saverien ſe plaint d'abord de la
précipitation avec laquelle on a ſaiſi les
opérations du calcul avant que de l'examiner
; précipitation qui a donné lieu aux
objections ſuſcitées pluſieurs fois contre la
certitude de ce calcul. »C'eſt une choſe
■à laquelle on ne ſçauroit faire trop d'at-
> tention , dit- il , que de s'aſſurer bien de
> la vérité d'un principe avant que de
> l'admettre , vérité , qui doit être de na-
»ture à faire impreſſion ſur tous les ef
>>prits. Sans cela, on ne ſçaitla route qu'on
tient , quelque sûre qu'elle paroifle , & on
eſt exposé à être arrêté en chemin pour la
moindre difficulté. C'eſt précisément ce
qui eſt arrivé à l'égard du calcul des Infiniment-
petits. L'Auteur fait enfuite l'Hiftoire
de ce calcul. Il remonte au tems ,
où les premiers Géométres voulurent déterminer
les lignes courbes. M. Saverien
expoſe ici leur méthode .
On trouve de ſuite les découvertes
d'Archimede, de Cavallieri, de Wallis, de
Barrow , & enfin de Leibnitz & de Newton
. Ces découvertes ſont développées
par ordre chronologique des tems & des
connoiſſances ; de forte qu'on voit dans
cer Hiſtoire de M. Saverien cet enchaî
SEPTEMBRE. 1753. 105
nement de vérités , qui ont donné l'être à
un calcul , dont on n'avoit point encore
eu juſqu'ici une idée bien nette. On s'affurera
de ſon véritable objet , en lifant
avec attention cet ouvrage , & on ſçaura
enfin en quoi conſiſte la théorie de ce calcul,
ſa fin , les avantages & ſes inconvéniens.
A propos d'inconvéniens , M. Saverien
en remarque pluſieurs ſur la maniere
dont on compoſe la plupart des
Livres de Mathématiques & de Phyſique ,
il ne viſe à rien moins qu'à une réforme
générale. Nous finirons cet extrait par
ces vûes utiles de l'Auteur , en inferant le
morceau où elles ſont expoſées. » Tant
»qu'ils ( la plupart des Mathématiciens )
>>ne ſe propoſeront de réſoudre que des
» queſtions détachées , des problêmes iſo-
» lés , qui ne demanderont qu'une adreſſe
>> de combinaiſon , ils excelleront. S'agira-
t'il de former un ouvrage , d'établir
>>une théoire , de joindre &d'allier con-
> venablementdes principes ou des pro-
> poſitions ? leur production ſans liaiſon
■&fans nuances, ne ſera plus qu'un monf-
>> trueux aſſemblage de vérités , un cahos
>> d'idées mal aſſorties ,les matériaux épars
>> d'un édifice , & non un bâtiment véri-
» table.
>> Voilà les défauts qui regnent dans le
Ev
106 MERCUREDEFRANCE.
>>plus grand nombre des Livres de Mathe-
>>>matiques. Quelleque foit la cauſe de
>> l'imperfection de ces ouvrages , quant à
>> la forme& à l'ordre , rien n'y eſt à ſa place.
On trouve à la fin ou au milieu du
>>Livre , ce qui auroit dû être au commen-
>> cement. Tout eſt par lambeaux & par
>> coupons , & fur tout ſans gradation de
>> connoiffances. Ce font des ouvrages
> fondus par repriſes , & non d'une ſeule
» & même coulée ; je veux dire par là ,
> qu'on compoſe un Livre endétail , &
> qu'un chapitre eſt achevé avant qu'on
>>>ait formé le plan de celui qui doit fui-
>> vre. Cela forme un recueil de problê-
>> mes ou d'eſpéces de differtations , où
>>rien ne tient. Il est vrai qu'il eſt bien
>>>difficile &bien pénible de ſoutenir dans
>>>ſa tête , ſans s'égarer , tout le plan d'un
>> ouvrage , d'en arranger intellectuelle-
>>ment les parties , & de le mettre dans
» le point de vue où l'eſprit ſeul puiſſe
>>juger de ſon enſemble. Peu de génies
>> ont affez de force pour ſoutenir la con-
>> tention que demande un ſemblable tra-
>> vail. Il faut , outre cela , être bien au-
>>deſſus de ſon ſujet , pour le maîtriſer
>avec cette facilité. C'eſt là cependant
>> le ſeul moyen de rendre un Livre inté-
>>>reſſant & utile; & fi telle étoit la méSEPTEMBRE.
1753 . 107
:
thode des Mathématiciens , on verroit
>> moins de Livres & plus de vérités. Le
>> ſuperfla n'inonderoit pas le nécessaire ,
>>& le tems ſeroit mieux employé pour
>> celui qui écrit ,& pour celui qui étudie.
>>Je développerai ces vérités dans l'ou-
>>vrage que j'ai annoncé ſur la maniere
» d'étudier , d'enſeigner , & de traiter les
«Sciences Mathématiques , & il auroit été
>> à déſirer qu'elles cuſſent été plutôt di-
>> vulguées ; on auroit plus de Sçavans ,
» & moins de diſputes. J'oſe même avan-
>> cer que ſi l'on ne ſe hâte de ſuivre dans
>>les Sciences exactes une route qui foit
>> également lumineuſe & folide , & qu'on
>>veuille ſéparer ou facrifier l'un de ces
>>>avantages à l'autre , où la ſolidité nuira
>>à l'imagination , mere de preſque tou-
>> tes les découvertes , ou l'imagination
>>fera tort au jugement , qui peut ſeul
>>conſtater les découvertes. Cette pre-
>>>miere faculté de l'entendement , ſacri-
>>fiée à l'autre , fera un ſtupide ; & la ſe-
>>conde , ſubjuguée par l'imagination ,
>> formera un inſenſé.
Et plus bas , il ajoute : >> En un mot le
>> vrai art de découvrir les vérités les plus
>>oppoſées , fans nuire aux facultés prin-
>> cipales de l'entendement , c'eſt de ne
>>point ſéparer le lumineux du ſolide , de
E vj
108 MERCURE DE FRANCE .
>>>réunir la clarté à l'évidence , & de ne
>>laiſſer jamais agir l'eſprit ſans lui faire
>> connoître la route qu'il tient.
>Aces ſages attentions , il ſeroit à dé-
>> firer qu'on en joignît une autre , pour le
>>moins auſſi eſſentielle que celles- là ; ce
>> ſeroit de chercher la vérité pour l'amour
>> de la vérité même ; car ſi l'on n'éprouve
» pas en la découvrant une ſatisfaction
capable d'étouffer tous les ſentimens
>> d'orgueil & de dédain , l'eſprit n'eſt
>>point encore aſſez épuré ,& il eſt dan-
>>gereux de vouloir l'éclairer en l'occu-
>>pant d'objets étrangers. Deſcartes fou-
>>>haite qu'on commence par ſe dépouiller
>> de tous les préjugés , afin que l'ame
>> n'ayant aucun intérêt particulier à pren-
>> dre un parti plutôt qu'un autre , fuive
>> celui de la vérité , qui l'affecte alors de
>> la maniere la plus forte & la plus ſenſi-
>>ble. C'eſt dans ce tems que peut agir
l'amour propre , qui ſoutient ſeul dans
les grands travaux , parce qu'il ſera tou-
>>jours ſagement réprimé par la raiſon.
ANATOMIE Chirurgicale , ou deſcription
exacte des parties du corps humain ,
avecdes remarques utiles aux Chirurgiens
dans la pratique de leur art. Publiée cidevant
par M. Palfin , Chirurgien AnaSEPTEMBRE.
1753. 109
tomiſte , & Lecteur en Chirurgie à Gand.
Nouvelle édition , entierement refondue ,
& augmentée d'une Oſtéologie nouvelle.
Par M. A. Petit , Docteur Régent de la Faculté
de Médecine en l'Univerſité de Paris
, & Profeſſeur d'Anatomie & de Chirurgie
, & de l'art des Accouchemens. 2 .
vol. in. 8 °. enrichie d'un grand nombre de
figures en taille-douce. A Paris , chez la
Veuve Cavelier , Libraire , rue S. Jacques ,
au Lys d'or . Le prix eſt de 15 liv. relić.
Le Livre que nous annonçons a de la
réputation : les plus habiles Chirurgiens
de l'Europe en ont toujours fait beaucoup
de cas , & n'ont jamais ceſſé d'en recommander
la lecture à leurs éleves ; il eſt
très-propre à les inſtruire dans l'Anatomie
& à leur donner le goût de la bonne Chirurgie.
Il n'eſt que trop vrai que les détailsAnatomiques
rebutent la plus grande
partie des étudians , & qu'ils les négligent
, parce qu'ils en ignorent l'utilité :
c'eſt donc leur rendre le ſervice le plus fignalé
que d'ajouter à ces détails ce qui
peut ſervir à en faire connoître l'importance
& la néceffité , & c'eſt ce que M.
Palfin a fait avec tout le ſuccès poffible.
M. Petit , Docteur Régent de la Faculté
de Médecine de Paris , & Profeſſeur d'Anatomie
,de Chirurgie &de l'art des ac110
MERCURE DE FRANCE.
T
couchemens , a pris ſoin de cette nouvelle
édition ; il a enrichi le Livre d'un traité
d'Oſtéologie de ſa compoſition que les
connoiffeurs eſtiment.
Les ſoins de M. Petit ne ſont pas bornés
à cette addition : il a encore changé
l'ordre entier de l'Ouvrage qui étoit fort
défectueux , il a corrigé un grand nombre
de fautesde tous les genres qui s'étoient
gliſſées dans l'édition précédente , & il a
augmenté le Livre de plus d'un tiers , par
un grand nombre de remarques utiles &
ſçavantes qu'il y a inferées .
DISSERTATION ſur les Eaux minérales
de Bourbon-Lancy en Bourgogne ,
avec quelques réflexions ſur la ſaignée.Par
Jean-Marie Pinot , Docteur de la Faculté
de Montpellier , Médecin Juré du Roi en
la Ville & Bailliage de Bourbon- Lancy ,
Intendant en ſurvivance des Eaux de la
même Ville , & correſpondant de l'Académie
des Sciences de Dijon.A Dijon , de
l'Imprimerie de Defay. 1753. Un volume
in-12.
Cet Ouvrage contient une bonne analyſe
des Eaux de Bourbon- Lancy , une expoſition
très -ſage des effets qu'elles produiſent
, avec la maniere de les mettre en
uſage. L'Auteur ſe fonde principalement
SEPTEMBRE. 1753 .
,
fur l'expérience & ſur l'obſervation. Il ne
craint pas de braver les préjugés établis
quand il croit que l'intérêt de la vérité
l'exige de lui. Il n'a eu pour but que de
ſe rendre utile aux malades ; & il paroît
très propre à les ſoulager , tant par fon zéle
que par ſes lumieres. Ilpropoſe auffi
diverſes réflexions ſur l'uſage de la ſaignée
, qui font très- ſolides & très -judicieuſes..
RECUEIL des Piéces qui ont remporté
les Prix de l'Académie Royale des
Sciences , depuis leur fondation en 1720,
juſques & compris 1747 ; avec celles qui
y ont concouru. Six volumes in- 4° . avec
figures gravées en taille-douce ; propoſé
par ſouſcription. A Paris , chez Gabriel
Martin , H. L. Guerin & L. F. Delatour ,
rue S. Jacques ; Charles-Antoine Jombert ,
rue Dauphine , Antoine Boudet , rue Saint
Jacques.
L'empreſſement avec lequel les gens de
Lettres ont acquis le Recueil des Mémoires
de l'Académie Royale des Sciences , auffi - tôt
qu'il a été propoſé en ſouſcription , eſt
un témoignage aſſuré de l'eſtime qu'ils font
des ouvrages de cette célébre Académie.
On peut donc préſumer que tout ce qui
eſt relatifà cet importantRecueil, ne peut
112 MERCURE DE FRANCE.
être que favorablement reçu .
C'eſt dans cette confiance que l'on propoſe
aujourd'hui une collection des Pièces
qui ont remporté les Prix de cette même
Académie , depuis leur fondation en 1720,
juſques& compris l'année 1747 .
Toutes ces Piéces avoient été déja rendues
publiques dans les tems qu'elles ont
été couronnées ; mais comme les éditions
de quelques- unes ont été épuisées , &
qu'il étoit devenu depuis long-tems trèsdifficile
de les raſſembler toutes , les Libraires
ſe ſont déterminés à réimprimer
celles dont on ne trouvoit plus d'exemplaires
, & à former du tout un Recueil
en fix volumes in-4°. , avec toutes les figures
qui y ont rapport.
Ils en propoſent deux cens exemplaires
ſeulement en ſouſcription .
Le prix de chaque exemplaire que l'on
voudra affurer par la voye de la ſouſcription
, ſera de 75 liv. en feuilles , dont 42
livres feront payées en ſoufcrivant , & les
33 livres reſtantes , lorſqu'on délivrera le
Recueil complet , c'eſt à-dire , au premier
Octobrede la préſente année 1753 .
On ne délivrera des ſouſcriptions que
juſqu'au premier jour dudit mois d'Octobre
, paflé lequel tems , ceux qui n'auront
pas ſouſcrit , payeront chaque exemplaire
SEPTEMBRE. 1753. 113
en feuilles cent quatre livres.
Les ſouſcripteurs auront ſoin de retirer
leurs exemplaires avant la fin de cette préſente
année , paſſé lequel tems leurs avances
feront perdues ; condition ſans laquel
le cet avantage n'auroit pas été propofé.
LE R. P. Simplicien , fi connu par fon
Hiſtoire des grands Officiers de la Couronne,
ſe diſpoſe à publier l'hiſtoire généa
logique de la maiſon de Mailly. Le défir
qu'a ce ſçavant & laborieux Auteur de
donner à fon Ouvrage tout le prix qu'il
peut avoir , le détermine à joindre à la
généalogie de la maiſon de Mailly, un précis
des généalogies de toutes les maifons
qui ontdes alliances avec elle. Comme un
projet ſi bien conçu ne peut être heureuſement
exécuté que par le concours de
toutes ces maiſons , le Pere Simplicien
leur demande la communication de leurs
titres. Il eſpére que l'honneur de tenir à
une maifon qui remonte aux tems les plus
reculés , & qui a pluſieurs alliances avec
la Famille Royale , déterminera ceux auxquels
fon invitation s'adreſſe, à lui fournir
tous les fecours dont ils ont la diſpoſition .
On pourra les lui adreſſer francs de port ,
aux-Augustins de la Place des Victoires ,
ou les remettre au ſieur Durand , Libraire , 4
114 MERCURE DE FRANCE.
rue S. Jacques , qui eſt chargé de l'impref
ſionde l'Ouvrage.
MEMOIRES ſur la Langue Celtique ,
contenant , tº. l'hiſtoire de cette langue
& une indication des ſources où on
peut la trouver aujourd'hui. 2º. Une defcription
étymologique des villes , rivie.
res , montagnes , forêts , curioſités naturelles
des Gaules , de la meilleure partiede
l'Eſpagne & de l'Italie , de la Grande-Bretagne
, dont les Gaulois ont été les premiers
habitans. 3. Un Dictionnaire Celtique
renfermant tous les termes de cette
Langue. Par M. Bullet , premier Profef.
feur Royal , & Doyen de la Faculté de
Théologie de l'Univerſité de Besançon ,
de l'Académie des Sciences , Belles-Lettres
&Arts de la même Ville. Trois volumes
in-folio, propoſés par ſouſcription.ABefançon
, chezCl. Jof. Daclin.
LeProspectus de ce grand Ouvrage anoncedesconnoiſſances
immenfes &des découvertestout-
à-fait piquantes.Voici à quelles
conditions il ſera permis de jouir de tous
ces avantages. Ce Dictionnaire ſera imprimé
ſur le même papier que le Prospectus
qui eſt bien , & avec un caractere de cicero
neuf à gros oeil . Il aura trois volumes
in-folio, qui contiendront environ 850 pp.
SEPTEMBRE. 1753. IM
On ne ſera admis à ſouſcrire que juſ
qu'au premier Janvier 1754,& l'on payera
en ſouſcrivant , 17. liv.
En Juin 1754 , en reeevant le
premier volume 12
En Juin 1755 , le ſecond vol . 8
En Juin 1756 , le 3º volume 8
TOTAL , 45 liv.
Les Souſcripteurs ſont priés de retirer
les volumes à meſure qu'ils paroîtront , &
tout l'Ouvrage un an après la livraiſon
dudernier volume ; faute de quoi ils per
dront les avances qu'ils auront faites
c'eſt une clauſe expreſſe des conditions
propoſées.
Ceux qui n'auront pas ſouſcrit, payeront
les volumes à raiſon de 24 livres en feuilles
, ce qui formera la ſomme de 72 liv.
Les Souſcripteurs font avertis , qu'outre
les 45 livres auxquelles le prix de cer
Ouvrage eſt porté , ils ſeront obligés de
payer le port de chaque volume à ceux
qui le leur fourniront.
On s'adreſſera pour avoir des ſouſcriptions
, à Paris , chez Briaffon , ou chez Delaguette
, Libraires , rue S. Jacques , ou
chez de Nully , Libraire , au Palais.
OSTEO- GRAPHIE , Ou Deſcription des
osde l'adulte , du fætus , des muſcles , &
16 MERCURE DE FRANCE.
précédée d'une introduction à l'étude des
parties ſolides du corps humain. Par M.
Tarin , Médecin. A Paris , chez Briaſſon ,
rue S. Jacques. 175.3 . in-4°. 2. vol . orné
d'un très-grand nombre de Planches bien
gravées.
>>Nous traiterons , dit M. Tarin , dans
> la premiere partie de cet Ouvrage , de
> l'érat naturel des différentes parties fo-
>>lides ; nous en décrirons les maſſes ,
>>les contours , & tout ce qu'elles préfentent
à leur extérieur ; & pour jet-
>>ter ſur cette partie toute la clarté dont
>>elle eſt ſuſceptible , non- feulement nous
>décrirons de ſuite des parties qui n'ont
»pas été conſidérées ſéparément , mais
>> encore après avoir parcouru tout l'exté
>>rieur de chaque partie en particulier ,
>>nous les préſenterons toutes enſemble
>dans des figures de grandeur naturelle ,
» pour qu'on ſoit plus àportée de juger
>>de leur rapport mutuel, & pour corriger
les défauts des figures des parties
>>qui auront été répréſentées en petit.
» La ſtructure ou la tiſſure de chacune
>>>de ces parties fera le ſujet de la ſeconde
>> partie de notre Ouvrage. Dans la troi-
>> ſieme , nous entrerons dans le détail des
> variétés des parties. Nous traiterons dans
→laquatrième de la maniere dont diffé
SEPTEMBRE. 1.753.
rentes maladies altérent chacune de ces
> parties ; les monftrofités qui les ont
défigurées feront le ſujet de la cinquiéme.
Dans la ſixiéme nous ferons voir les
>> rapports des différentes parties du corps
>>humain avec les mêmes parties des autres
animaux , qui pourront aider à en
» mieux développer la ſtructure. Nous rap .
>>porterons dans la ſeptiéme , les réſultats
>>des différentes expériences faites , foit
fur l'homme à l'occafion de quelques
>>>maladies , ſoit ſur les animaux vivans.
>> Voici comme nous nous y prendrons
» pour exécuter cet Ouvrage. Nous ferons
»entrer autant de figures qu'il ſera nécef-
• faire pour mieux faire ſentir l'extérieur
> des parties , & ce qu'il y a de plus re
>> marquable dans chacune , ſoit par rap-
>> port à celles qui ſont couchées deſſus ,
•&aux autres qui s'y attachent ou qui les
>> traverſent. Nous les donnerons pour cet
>> effet repréſentées chacune ſur autant de
faces qu'il ſera néceſſaire , pour qu'on
»s'en puiſſe former une idée plus juſte
» qu'on ne la peut donner dans la def-
>> cription. Tous les ouvrages qui renfer-
>>>meront des faits intéreſſans & reconnus
>>pour vrais, feront autant de ſources dans
>> lesquelles nous puiſerons pour rappro-
> cher ſous un ſeul point de vue des trag
118 MERCURE DEFRANCE.
vaux épars , & qui paroiſſent ſansuti
lité.
>>Notre Ouvrage pourroit paroître immenſe
, s'il falloit rapporter tout ce qu'il
→y a de vrai dans le grand nombre de trai-
→ tés ſur l'Anatomie. (Voy. la Bibliothé-
→que Anatomique. ) Ce n'eſt pas là ce que
>> nous nous proposons. Nous ne voulons
➡donner quedes élémens , & pour cet ef-
> fet nous choiſirons ſimplement pour chaque
partie les faits les plus effentiels
>d'expérience que le meilleur Auteur aura
>communiqué en ce genre. Quant aux
>obſervations qui ſont des faits qui ne ſe
>> préſentent pas toujours , nous n'en rap-
>>>porterons qu'une ou deux données ſur
> un même fait , par des Auteurs dignes
» de foi , & en même tems confirméespar
→le plus grand nombre.
>>Nous donnerons dans la partie des
> os , les figures de preſque tous les os de
> l'adulte que M. Winflow a bien voulu
> nous communiquer , ſon nom ſuffit pour
» en faire l'éloge ; elles étoient toutes
-dans la proportion d'un ſujet de cinq
> pieds , réduites à deux pieds & demi ;
nous les avons encore fait réduire d'un
>>tiers, pour que le nombre des planches
>>fûtmoinsgrand. Nous avons ajoûté à
cette partie les figuresdu fætus , don
SEPTEMBRE. 1753. 119
nées par M. Albinus , &quelques autres
> que nous avons fait deſſiner d'après na-
>ture. Toutes les figures de la partie des
>>ligamens en général , des cartilages , des
>>>aponévroſes , le feront auſſi dans la ſuite.
Les belles figures des muſcles que
>> nous a données M.Albinus, nous ont fer-
» vi dans la deſcription de ces parties.
>>> Nous nous conduirons de même dans le
>> choix des meilleures planches pour les
>> autres parties , nous réſervant de ſup-
>pléer aux vuides qui ſe trouveront , d'in-
>> corporer dans cet Ouvrage les obſerva-
»tions particulieres que nous avons cu
>occaſion de faire depuis douze ans pen-
>>dant les hyvers que nous avons paffés
> dans ces diſſections , deſquels nous en
• avons employé trois à la Charité , où la
>>grande quantité de cadavres que nous
>>avons ouverts à la ſuite des maladies ,
» nous a fourni un affez grand nombre
>>d'obſervations , tant ſur les variétés des
>> parties , que ſur les maladies. Nous ter-
>> minerons tout l'Ouvrage ſur les parties
>>ſolides , par degrandes planches; nous
>les ferons exécuter d'après les deſſeins
» de grandeur naturelle ; on en verra
> bientôt leſſai ſur les extrêmités ſupé-
> rieures,
1
La Préface eſt ſuivie de deux Difcours
1
120 MERCURE DE FRANCE.
fort longs, fort clairs& fort méthodiques
Le premier donne une idée générale des
parties ſolides du corps humain ,&de leur
proportion ; & le ſecond roule ſur la méthode
qu'on peut ſe propoſer dans l'étude
purement anatomique des parties ſolides
du corps humain. Ces deux Diſcours, ainſi
que le reſte de l'Ouvrage , ont paru d'une
grande utilité à ceux à qui il appartient
d'enjuger.
LES délices du ſentiment ; dédiés à
S. A. S. Madame laDucheſſe d'Orléans. Par
M. le Chevalier de Mouby , de l'Académie
de Dijon. A Paris , chez Jorry , Quai des
Augustins , & Duchesne , rue S. Jacques.
1753. in-12. 2. vol.
LETTRES du Commandeur de ***.
àMademoiſelle de ***, avec les réponſes,
Publiées par M. le Chevalier de Monby.A
Paris , chez les mêmes Libraires, in- 12 .
2. vol.
Le talent de M. le Chevalier de Mouhy
pour les ouvrages d'imagination eſt connu
depuis long- tems. Ceux qu'il préſente aujourd'hui
au Public ne ſont pas inférieurs
àceux qui les ont précédés.On y trouvera
furtout de l'invention , mérite auffi effentiel
que rare dans les Romans modernes .
TRADUCTION
SEPTEMBRE. 1753. 121
la Médecine ,
TRADUCTION des ouvrages d'Aurelius
Cornelius Celſe , fur
par M. Ninnin , Docteur-Régent de la Faculté
de Médecine de Rheims , & Médecin
ordinaire de S. A. S. M. le Comte de Clermont
, Prince du Sang. A Paris , chez
Deſſaint & Saillant , Briaſſon & Thiboust ,
1753. Deux volumes in- 1 2 .
L'ouvrage que nous annonçons a paru
admirable , dit le Traducteur , à tous ceux
qui l'ont lû; & en effet , fi on l'examine
en Grammairien , quelle ſource de mots
choiſis n'y trouve t'on point ? quelle richeſſe
dans les termes de l'Art , quelle pureté
dans le ſtyle , quelle élegance ? le
choix des expreſſions , le tour noble &
concis , l'éloquence , tout marque un Auteur
fleuri. L'Hiſtorien y trouve à profiter
dans le détail des ſectes ,des opinions ,
des découvertes & des noms des anciens
Médecins ; l'Antiquaire ,dans ſes obfervations
ſur le manger , le boire , la diéte ,
&en général ſur toute la gymnaſtique des
Romains ; le Philologue dans la valeur de
leurs poids & de leurs meſures , qui y eſt
mieux marquée que dans aucun autre Auteur
de ce tems- là. Enfin le corps de l'ouvrage
eſt le plus parfait& le plus méthodique
que nous ayons en Latin , de toutes
les parties de la Médecine pratique des
F
122 MERCURE DE FRANCE.
anciens , réduite dans un abregé qui n'eſt
qu'un tiſſu de préceptes , & comparable ,
felon Mahudel , aux inſtituts de Juſtinien.
Cet ouvrage eſt diviſé en huit Livres.
Le premier renferme une Préface fort
étendue , dans laquelle l'Auteur rapporte
l'origine , les progrès de la Médecine , les
differentes ſectes des Médecins , & leurs
differentes opinions. Cette Préface contient
la moitié du Livre , le reſte eſt em.
ployé à donner des préceptes ſur la ma
nierede ſe conſerver en ſanté. Dans le ſecond,
ſont décrits tous les ſignes qui précédent
, qui accompagnent les maladies, &
qui donnent lieu d'eſpérer la guériſon , ou
decraindre la mort du malade. Celſe pafſe
enſuite à la cure des maladies en général;
il rapporte les indications qu'elles préfentent
a remplir & les differens moyens
de les remplir. Tout ce ſecond Livre ne
renferme abſolument que des préceptes
généraux; ce n'eſt que dans le troiſieme
Livre , où il commence à être queſtion des
maladies en particulier. Elles font diviſées
en deux claſſes principales ; en maladies
univerſelles , qui ſemblent attaquer
tout le corps , & en maladies particulieres
qui font propres à chaque partie du corps .
Le troifiéme Livre traite des maladies de
la premiere claffe ;& le quatrième , de cel
SEPTEMBRE. 1753. 123
les de la ſeconde. On trouve au commencement
de celui- ci , un Traité de Splanchnologie
, peu étendu à la vérité , mais
très-intéreſſant , puiſqu'il peut ſervir à
nous donner une idée des connoiſſances
anatomiques des Anciens. Ces quatre premiers
Livres ſont entierement du reſſort
de la Médecine proprement dite ; l'Auteur
n'y parle que des maladies internes , de
leurs cauſes , de leurs ſymptômes & de
leur curation. Les quatre derniers regardent
la Pharmacie & la Chirurgie. La
Pharmacie des Anciens étoit beaucoup
moins étendue quela nôtre. Celſe n'employe
que la moitié de ſon cinquiéme Livre
à décrire les differens remédes , tant
ſimples que compoſés , qui étoient en vogue
de ſon tems , & qu'on appliquoit à
l'extérieur , ou qu'on faiſoit prendre intérieurement
: il traite dans le reſte de ce
Livre & dans le ſuivant , des maladies
qu'on guériffoir , furtout par le ſecours des
médicamens extérieurs : il diviſe aufli ces
maladies endeux claſſes ; en maladies qui
attaquent indiſtinctement toutes les par
ties du corps , & en maladies qui ſont pro..
pres à chaque partie. Il commence par les
differentes eſpéces de playes fimples , fur
leſquelles il s'eſt fort étendu ; it en rapporte
les differens fignes & les differens
Fif
124 MERCURE DE FRANCE.
ſymptômes ; de là il patſe à la curedes ac.
cidens qui accompagnent les bleſſures;
après quoi , il donne le traitement général
des playes , la maniere de les réunir , de
les déterger , de les incarner& de les cicatriſer.
Il parle enſuite des playes qui
font accompagnées d'ulceres , de perdition
de ſubſtance & de contufion. Après les
playes viennent les differentes fortes de
tumeurs & d'ulceres . qui ſont occafionnées
par quelques vices intérieurs , & qui
peuvent naître ſur quelques parties du
corps que ce ſoit ; c'eſt à ces maladies que
ſe borne le cinquiéme Livre. Il s'agit dans
le fixiéme , de celles où l'uſage des topiques
eſt auſſi néceſſaire , mais qui font
propres à certaines parties. Ces maladies
font traitées avec beaucoup de ſoin & d'exactitude
, principalement celles des yeux
&des oreilles. Les Anciens s'étoient ſurtout
attachés aux maladies de ces organes ,
dont les fonctions ſont ſi eſſentielles aux
differens uſages& au bonheur de la vie ; &
ilsn'en avoientrien omisde ce qui pouvoit
en aſſurer la guériſon. Dans le ſeptiéme
& huitiéme Livre , il eſt queſtion de la
Chirurgie proprement dite ; c'eſt-à- dire ,
des maladies qui demandent le ſecours de
lamain &de l'opération. On ſera ſurpris ,
fans doute , de voir àquel point de perSEPTEMBRE.
1753. 125
fection cette partie de la Chirurgie étoit
portée chez les Anciens Nos Chirurgiens
modernes exécutent aujourd'hui peu d'opérations
qu'on ne trouve décrites dans
notre Auteur. M. Boerhave , dans ſa Méthode
d'apprendre la Médecine , avoue
que les opérations de Chirurgie ſe faifoient
du tems de Celſe , avec autant d'habileté
, d'adreſſe&de dextérité qu'aujourd'hui
, & qu'on donne pour nouvelles
quantité des choses qui ſont dans les ouvragesde
cet illuſtre Romain. Il l'appelle
le premier de tous les anciens , & même
des modernes , en fait de Chirurgie. On
trouve décrites dans le ſeptiéme Livre , la
plupart des grandes opérations , telles que
L'opération de la fiſtule à l'anus , de la fiftule
lacrymale , de la cataracte , du ſtaphylome
,de la taille , du bubonocele & des
differentes eſpéces de hernies. On y voit
auſſi une Méthode de retirer les differentes
fortes de traits & de fléches. Ce morceau
eſt des plus curieux , & l'on fent qu'il
part de la main d'un grand Maître. Le
huitiéme Livre concerne les os. Il commence
par un Traité d'Oſtéologie. Viennent
enſuite les maladies des os , la carie ,
les fiffures , les fractures &les luxations.
C'eſt dans ce Livre qu'on trouve la
deſcription du trépan ; il eſt tout- à-fait
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
ſemblable au nôtre. Il paroît même que
les Anciens en faisoient plus d'uſage que
nous. Ils appliquoient ſouvent fur un même
os ,quatre ou cinq couronnes de trépan.
Les fractures &les luxations ne font
pas traitées avec moins de ſoin que la carie
& les fiffures , dont Celſe parle d'une maniere
qui ne laiſſe rien à défirer ; & l'on *
peut dire que ce que l'on trouve de mieux
dans les modernes , au ſujet des maladies
des os', ſemble copié d'après cet Auteur.
Nous terminerons cet article par une
remarque intéreſſante de M. Ninnin
c'eſt celle qu'il fait dans ſa Préface , page
xxvij , au ſujet des caractéres employés
dans les formules de Celſe. Sans cette re
marque , il eſt abſolument impoſſible d'en .
tendre les formules de cet Auteur. Sess
doſes ſont monstrueuſes , ſi l'on croit ce
que dit Rhodius ſur le caractére P , qui
n'a jamais pû déſigner la livre , ainſi que
celui-ci le prétend , mais qui n'est qu'une
abbréviation , dont Celſe ſe ſert pour déſigner
le poids en général , & non la livre.
On en peut juger par la compoſition 28de
l'emplâtre adouciſſant , décrit page 461 .
tome premier.
Prenez de cire , de réſine , de térébenthine
, de chaque P. V. * ; de Ceruſe , P.
viij. *. de litharge d'argent , de recrément
SEPTEMBRE. 1753. 127
de plomb , de chaque P. X. * ; d'huile de
Palme de Chriſt , & de myrrhe , de chaque
, le tiers d'une chopine. Il eſt sûr qu'il
faut lire cette formule de la façon fuivante.
Prenez de cire , de réſine , de térébenthine
, de chaque le poids de cinq deniers
ou cinq drachmes ; de ceruſe , le poids de
huit deniers on huit drachmes ; de litharge
d'argent , de recrément de plomb , de cha
que le poids de dix deniers ou dix drach
mes , &c. Il en eſt de même des autres
formules , qui doivent être toutes lûes de
la même façon . Sans cette remarque judi.
cieuſe de M. Ninnin , on ne peut rien entendre
aux formules de Celſe. Perſonne
n'ignore cependant que dans un ouvrage
de Médecine , les formules ſont la choſe
qu'il importe le plus de connoître au juſte ,
&fur laquelle il eſt le plus dangereux de
ſetromper.
Tel eſt le plan de l'ouvrage , tel qu'on
le trace dans une Préface , qui eſt fort
bien. La Traduction nous a paru faite avec
beaucoup de ſoin & d'intelligence. On
trouvera, auffi dans le texte des corrections
heureuſes . En tout le travail de M. Ninnin
ne peut manquer d'être utile.
TRAITE' raiſonné de la diſtillation ,
F iiij
128 MERCURE DE FRANCE.
ou la diſtillation réduite en principes,
avec un Traité des odeurs ; par M. Dejean,
Distillateur . A Paris , chez Nyon , fils ,
& Guillyn , Quai des Auguſtins , 1753. Un
volume in- 12 .
La diſtillation eſt une des parties les
plus étendues & les plus eſſentielles du
Commerce de la France , parce qu'elle
fournit elle ſeule plus de matieres à diftiller
qu'aucun Pays de l'Europe. La confommation
immenfe qui ſe fait des eauxde-
vie , les préparations ou mêlanges qui
en facilitent ou accélerent le débit , font
des preuves ſans réplique de la néceſſité
de la distillation . Si on fait attention d'ailleurs
à ſes produits agréables , comme de
conferver & de perfectionner toutes les
ſubſtances fur leſquelles elle opére , & à
ſes produits effentiels , comme ce qu'elle
extrait pour la ſanté ,des plantes & des
fleurs , tant aromatiques que vulneraires ;
on trouvera qu'il convient d'accueillir
l'ouvrage d'un Distillateur habile , qui
nous donne d'une maniere claire & méthodique
tous ſes procédés.
MODELES d'éloquence , ou les traits
brillans des Orateurs François les plus célébres
; eſpéce de Rhéthorique , moins en
préceptes qu'en exemples , & où l'on voit
SEPTEMBRE. 1753. 129
l'application qu'ont faite des régles de
l'Art oratoire , ceux qui l'ont poffédé
dans le plus haut degré. Ouvrage propre
aux jeunes Rhétoriciens , & à tous ceux
qui veulent ſe former à l'éloquence de la
Chaire . A Paris , chez Quillau , rue Saint
Jacques , & chez Babuti , fils , Quai des
Augustins , 1753. Un volume in 12 .
C'eſt une Rhétorique dans laquelle on
trouvera des préceptes courts , mais fuffifans
; des exemples longs , mais bien choifis
. L'Auteur a puiſe ſa doctrine dans
Quintilien , Boileau , &c. & les traits dont
il ſe ſert pour la confirmer , ou pour enſeigner
à la mettre en oeuvre ,dans Flechier
, Boffuet , Bourdalou , Maffillon ,
Maſcaron , Larue , Lamotte , le Cardinal
de Polignac , Meſſieurs de Fontenelle ,
Voltaire , Monteſquieu ,le P. de Neuville ,
&c. La Rhétorique de l'Auteur reſſemble
à la Poëtique qu'il nous adonnée il y a
quelques années : les jeunes gens pour qui
les deux collections ont été faites , y trouveront
peu d'épines & beaucoup de rofes.
LES INSTITUTIONS du Droit Fran.
çois, ſuivant l'ordre de celles de Juſtinien ,
accommodées à la Jurisprudence moderne
& aux nouvelles Ordonnances , enrichies
Fy
130 MERCURE DE FRANCE....
d'un grand nombre d'Arrêts du Parlement
de Toulouſe. Par M. Serres , Avocat &
Profeſſeur en Droit François en l'Univerſité
de Montpellier. A Paris , chez de
Nully , Grand' Salle du Palais , à l'Ecu de
France & à la Palme , 1753. Un volume:
in-4° . 10 liv. relié en veau.
COMMENTAIRE fur les nouvelles
Ordonnances , concernant les Donations
les Testamens , le faux principal , faux incident
, & la reconnoiffance des écritures
& fignatures privées en matieres criminelles
, & fur la Déclaration concernant
les cas Prévôtaux ou Préſidiaux , avec des
Sommaires inſtructifs en tête des principaux
articles de la nouvelle Ordonnance
des Subſtitutions. Par feu M. Guy du Rouffraud
de la Combe , Avocat au Parlement .
A Paris , chez le Gras & de Nully , Grand'
Salie du Palais , 1753. Un volume in- 4° .
7 liv. 10 f. relié en veau .
1 SUPPLÉMENT an Recueil de Jurifprudence
Civile du Pays de Droit Ecrit&
Coûtumier , par ordre alphabétique ; édition
de 1746. Par M. Guy du Rouffeaud
de la Combe , Avocat au Parlement ; contenant
les additions & corrections inférées
en la nouvelle édition de 1753. A
SEPTEMBRE. 1753. 131
Paris , chez de Nully , & Compagnie ,
Grand' Salle du Palais , à l'Ecu de France
& à la Palme , 1753. Brochure in-4° . I
liv. 16 f.
TRAITE' de la Goutte , dans lequel
après avoir fait connoître le caractére propre
& les vraies cauſes de cette maladie ,
on indique les moyens les plus sûrs pour
la bien traiter & la guérir radicalement.
Par M. Charles- Louis Siger , Docteur-Régent
de la Faculté de Médecine en l'Univerſité
de Paris. A Paris , chez de Nully ,
Grand' Salle du Palais , à l'Ecu de France
& à la Palme , 1753. Un volume in- 128
zaliv. broché.
M. Gallimard , connu par differens ou
vrages utiles de Mathématiques , vient de
donner une Méthode théorique & pratique ,
d'Arithmétique , d'Algébre & de Géométrie..
C'eſt un petit volume in- 16. où l'on trouvedans
un ordre tres clair & très -métho
dique , 1º. les quatre premieres régles
d'Arithmétique , la régle de Trois , ou de
proportion Géométrique , & les quatre ré
gles des fractions ; 2°. les premieres notions
de l'Algébre avec ſes quatre premie.
res régles ; celles des fractions littérales ,
& pluſieurs problêmes inſtructifs & amu
Fvj
132 MERCURE DEFRANCE:
fans ; 3 °. Les élémens de la Géométrie ,
contenus en dix-huit pro poſitions , & fon
application à differens uſages utiles aux
Arts.
Le zéle de l'Auteur pour le progrès des
Sciences , & pour le public en général , ſe
fait ſentir dans cet ouvrage , par le prix
modique de 8 f. auquel il l'a fixé , afin
d'en rendre l'acquiſition facile à tout le
monde. On le trouve à Paris , chez l'Auteur
rue de la Tiſſerandrie , attenant
l'Enſeigne de la Macq , & chez Ballard ,
rue Saint Jean de Beauvais.
e
,
GUILLYN , Libraire , Quai des Auguſtins
, à Paris , & Compagnie , donnent
avis , que pour procurer aux Sçavans des
Livres d'Allemagne , d'Italie , de Hollande
, d'Angleterre , de France & autres ,
ils tiendront à cet effet dans leur maiſon
de Paris , un magaſin qui fera ouvert toute
l'année ; & à Francfort fur le Mein dans
le Buegaff, à commencer cette préſente
année 1753 , pendant la Foire de Septembre
& les ſuivantes , où ils réuniront les
Livres les plus intéreſſans qui ſe trouvent
dans les Royaumes ſuſdits : ils auront ſoin
d'avoir à leur maiſon de Paris , & pendant
le tems des Foires ſeulement , à leur maifon
de Francfort , tous les Livres nouSEPTEMBRE.
1753. 133
veaux , avec des Catalogues que l'on pourra
confulter , pour ſe procurer ceux que
l'on déſirera avoir , qu'ils feront venir
pour les perſonnes qui leur en donneront
commiſſion.
Ils ſe propoſent auſſi d'avoir des Catalogues
des Biblothéques qui ſe vendent
après décès , ou autrement , que l'on pourra
voir en leurs maiſons de France & d'Allemagne
, ſe chargeant de faire acquérir
les articles qu'on leur demandera , ſe faiſant
un devoir d'être exacts à remplir leurs
engagemens , & à donner tous les éclair.
ciſſeinens dont ils ſeront capables : ils
ofent ſe flatter que dans le dernier cas , on
affranchira les Lettres , ainſi qu'en toutes
occaſions où il ne s'agira que de petits
objets .
Les Libraires aſſociés invitent leurs confreres
des Pays Etrangers & de France ,
de vouloir bien leur donner avis des Livres
nouveaux qu'ils mettent au jour .
N. B. Les Curieux ſont avertis qu'ils
trouveront à la maiſon de Paris , au mois
de Juinde chaque année , des Catalogues
des Livres étrangers , afin qu'ils puiſſent
donner leurs commiſſions juſqu'au 30 du
mois d'Août , pour la Foire de Francfort ,
qui ouvre en Septembre chaque années
& depuis le premier de Décembre , juf134
MERCURE DEFRANCE.
qu'à la fin de Mars , pour la Foire de Pâques.
Les mêmes facilités & correſpondances
ſe trouveront auffi à Dijon , chez Defventes,
Libraire , rue de Condé , à l'image de
la Vierge.
Livres nouvellement arrivés chez Briaſſon ,
:
-Libraire , rue S. Jacques , à la Science.
E
AUXMinérales ( Expériences &Obſervations
ſur les ) traduit du Latin , 4
de Frederic Hoffman , par Coſte , in. 8 °..
Berlin , 1752.
Ebauche des Loix naturelles &du Droit pri
mitif, par Strube de Piermont ,in-4°
Amst. 1744.
Eccard , Jo. Georg. de Origine Germanorum
& Coloniis , in 4°. Gottingæ , 1750 .
Eichel ,Joan. de Experimentis cum Sanguine
, in 4 ° . Erfordiæ , 1749 .
Elémens de la Philoſophie moderne , par Mal--
fuet , in- 12. 2 vol. fig. Amſterd. 1751 .
Elementa Philofophiæ rationalis , in- s .
Burgardiæ , 1751 .
Eloge de quelques Auteurs François , in-8 °.
Dijon , 1742.
Eraſmi , Defid. Epiſtolæ Selectiores , in - 8
Wratislaviæ , 1752 .
3
Erasti , Thæſes de Excommunicationibus ,
in-40. Peſclavii , 1689 .
SEPTEMBRE. 1753. 1355
Erhartus de Belemnitis Suevicis , in - 4 .
Auguft. 1727.
!
Eschborn , Lud. Explicatio Libri Ruth ,
in S. Bambergæ , 1752 .
Eſchenbach , 70. Chrift. Realitas Monadarum
, in-4 . Vifmariæ.
-Id . Univerfum non eſſe Machinam,
in- 4°. Roſtochii.
Esprit humain , ( Traité de l' ) par Crouzas ,
in 48. Bale , 1741 .
Esprit des Loix , ( Source de l' ) par Caſtaneo
, in - 8 ° . Berlin , 1752 .
Effais de Physique , par s'Gravezande , in-
4°. 2. vol. fig. Leyde , 1746 .
parMuffembroek , in-4 . 2. vol. fig.
Eslai historique &philoſophique ſur le Goût ,
par Cartant de la Villate , in- 8 °. 1737.
Sur la bonté de Dieu , là liberté de
l'Homme , & l'origine du mal , traduit de
l'Anglois , de Chubb , in 12. Amst. 1732 .
- Sur la conformité de la Médecine ancienne
& moderne , in- 12 . Amſterdam ,
1749 .
Sur laNobleffede France , par Boullainvilliers
, in- 80 . Amſterd. 1732 .
Etat de la France , dreſſe ſur les Mémoires
des Iniendans des Provinces ; par M. le
Comte de Boullainvilliers , in- 12.8 . vol.
Londres , 1752 .
Eiat des troupes de Prufſfe , in- 8 . Biele ,
1752 .
136 MERCURE DE FRANCE.
Euclides , Henrici Coetſii , in- 88 . Amſterdam
, 1705. fig.
Evénemens fortuits , Piéce qui a remporté le
prixàl'Académie de Berlin , & celles qui
ont concouru , in-4°. Berlin , 1751 .
Euleri L. , Conjectura Phyſica de propagatione
Soni ac Luminis , in-4°. Berolini,
1750.
-Id. Sciencia Navalis , in 4º. fig. 2.
vol . Petropoli , 1749 .
Examen des préjugés légitimes ,par Pajon ,
in- 12. 2. vol. 1673 .
Expédition de Charlemagne pendant ſa jenneffe
, in- 8°. Berlin , 1745.
Expofition des Loix , in- 8°. 2. vol. Paris ,
1751 .
Expoſition du Catéchifme de l'EgliseAngli.
cane , par l'Archevêque de Cantarbery .
in. 8°. Londres , 1722 .
۱
F.
t
FABRICII , Jo . Alb. Bibliotheca Eccleſiaſtica
, in-fol. Hamburgi , 1718.
-Id. Centuria Fabriciorum , in- 8 . 2.
vol. Hamb. 1708. à 1727 .
-Id. Codex Veteris Teſtament. Pſeudepigraphus
, in- 8 °. 2 vol. Hamb. 1722 .
-Id. Fragmenta de Auguſti temporibus,
&c. in-4°. Hamburgi , 1727 .
SEPTEMBRE. 1753. 137
-Id. Jubileum Hamburgenfe , cui accedunt
memoriæ Hamburgenfium , in-
8°. Hamburgi , 1715 .
-Id. Scriptores de Veritate Religionis
Chriftianæ , in - 4°. Hamburgi , 1725 .
-Id. Sylloge Opufculorum , in- 4°.
Hamburgi , 1738 .
Fabricii , Georg. Hiſtoria Sacra , cum notis
Philolog. Theologicis Chronolog. &
Hiſtor. in- 8°. Vaiſſemberg , 1687.
Facciolati , Jac. Orationes variæ , in .
Lipfiæ , 1751 .
Faerni Fabulæ , in- 8 ° . Venetiis , 1559 .
- Les mêmes Lat . & Fr. avec des notes
des figures , in-4°. Londini , 1743 .
Fenelon , Fr. Salignac de la Motte , Telemachus
verfibus redditus , in-8°. 2. vol .
fig . Berolini , 1733 .
Ferrarii , Col. Opera per Fabricium , in- 8°
2. vol. Volfenbutelæ , 1711 .
Ficini , Hygiena Sacra & Mofaica , in. 12.
Filzhoffer , Abr. Balt. de Adminiculis Servitutum
, in -4 °. Erlangæ , 1750.
Fiſchel , Christ . de Arteriis Bronſchialibus
& Esophagiis , in - 4°. Gottingæ , 1743 .
Fiſcheri , Danielis , de Remedio ruſticano
Variolas per Balneum lactis curandas ,
in 4°. Erfordiæ .
Fiſcheri , Jo . Frid. in GrammaticamGracam
obſervationes , in-8°. 2. vol. Lipfiæ,
1751. & 1752,
138 MERCURE DEFRANCE.
Flores Bibliorum ordine alphabetico , in
8°. Vindoboni , 1752 .
Foibleſſe de l'esprit humain ( Traité Philoſophique
de la ) par Huet , in- 12. 1741 .
Formey , Samuel , Elementa Philofophiæ ,
ſeu Medullæ Wolfiano , in- 8°. Berolini ,
1746.
Fortification Françoise, par Rozard , in 4 .
Nuremberg , fig. 1731 .
Fortification nouvelle , par Pfeffinger , in-
8°.fig . la Haye , 1740.
Fracaſtoris ( Hyer.) & aliorum Carmina ,
in- 12. Veronæ , 1740.
-Id. in- So.
Franckenau , Georg. Fr. Palingeneſia , five
de reſſuſcitatione artificiali plantar. ho-
• minum & animalium è ſuis cineribus ,
in-4°. Halæ , 1717 .
Franckii , Jo. Christ. jus Cambiale diverſar.
gentium , cum notis , in- 8°. ffi . 1751 .
Frezenius , Jo. Phil. de Prudentia Paſtorali,
in. 8°. Gottingæ , 1749 .
Freytag , Fr. Goth. Analecta Litteraria ,
in -8°. Lipfiæ , 1750.
-Ejufd. Oratorum & Rhetorum Græ
corum Statuæ , in- 8 . Lipfiæ , 1752 .
Frixius , Elias , de Cura veterum circa
Hærefes , in- 8 ° . Ulmæ , 1736.
Frobefii , Jo. Nic. Introductio in Mathefin,,
in-4°. Helmitad , 1750.
SEPTEMBRE. 1753 139
-Id. Logica Wolfii in Compend. re--
dacta , in- 8 °. Helmstad , 1746..
Froelich , Erafmi , Tentamina de re Nummaria
veteri , in - 4°. Vienne , 1737. fig.
Frontonis , Joan. Epiftolæ & Diflertationes
, &c. ex editione Jo. Alb. Fabricii .
in- 8°. Hamb.
Fueſlini , Jo . Conr. Epiftolæ reformator . &
reſponſæ , in- 8 °. fig . 1742 .
Funccius , Jo. Nic. de virili ætate Latinæ
Linguæ , in- 4 °. 2. vol. Marburgi , 1727 .
-Ejufd. de puerilitia Linguæ Latina,
in-4°. Marburgi , 1736.
- Ejufd. de Stilo Latino & Idea
Epistolarum , necnon Orationum , in
8. Marburgi , 1752 .
Furer , Jo. Guil. Haur. de vocis Comecicæ
ſignificatione , in-4 ° . Altorfii , 17500 )
:
G.
GAUBIUS , Hier. de Formulis , in-8°..
Lugd. Bat. 1752 .
Gehlii , Aug. Gab. de Ordinatione Verborum
Latinorum , in- 4°. Hamb. 1746 .
Gerbezii , Merci , Chronologia Medica
Practica , in- 4° . ffi. 1743 .
Gericke , Petri , Fundamenta Chimiæ , in-
8. Lipfie , 1741 .
Geſta & veftigia Danorum , in-8°. 3. vol.
Lipfiæ, 1740 .
140 MERCURE DE FRANCE.
Giovanii , Germania Princeps , in- 88. 2.
vol.
Glaffey , Ad. Frid. Anecdota in jus publicum
, in- 8° . Lipfiæ , 1734 .
Glaffey , Sigilla Italiæ & Galliæ , in- 4 °. fig .
Lipliæ , 1749 .
Gnuge , Frid. G. Lud. de Clavo Hiſterico,
in-4°. Erfordiæ , 1750.
Gomari , Fr. Opera omnia , in-fol. a. vol.
Amft. 1661 .
Gonne , Jo. Goth. de Evictione Feudi obla-.
ti , in 4°. Erlange , 1751 .
Id . de neutralitate circulorum Imperii
Rom. in- 4°. Erlangæ , 1746.
Gotha Nummaria , autore G. S. Liebe , in
fol. Amſterd. fig. 1730.
Gouvernement Civil , traduit de l'Angloisde
Locke , in 12. 1749 .
Grabe , Jo. G. Henr. de Sale ammoniacali,
in-4°. Erfordiæ , 1750 .
Grabeneri , Chrift . Gott. Evocationes Divinæ
, in 4° . Dreſdæ , 1751 .
Grabii, Joan. Ern. Spicilegium SS. Patrum
ut & Hæreticorum Gr. & Lat. in- 8°. 2.
vol. Oxon. 1714.
Graff. Jo. Chrift. de Attrahentibus , in-4º .
Jenæ.
Id. de Calore in genere , in-40.
Jenæ , 1748 .
Grammaire Allemande & Françoise, par
Pepliers , in- 8 °. Leipfic , 1749 .
SEPTEMBRE. 1753. 141
Grammaire Françoise & Allemande , par
Beautour , in 8 °. Str.sbourg , 1751 .
Grammaire Allemande & Françoise ,par
Gottſched , in- 8 °. Strasbourg , 1753 .
Grashoff, Benig. Chrift. de Antiquitatibus
• Civitatis Mulhuſæ, in- 4°. Lipfiæ, 1749 .
Gratiani , Ant. Mar. de Scriptis invitaMinerva
, in- 4°. 2. vol . Florentiæ , 1745
& 1746 .
Gravii , Gerhardi , Tabulæ Apocalyptica ,
in-fol. Lugd. Bat. 1647.
Gravure ( de la ) & des Estampes en bois&
en taille-douce , in-8 . Berlin , 1712 .
Greve, Arn. Memoria Pauli ab Eitzen ,
in-4 . Hamb. 144.
Grofchii , Jo. And. Definitionis Logica
fundamenta , in 8°. Jenæ , 1750.
Gruner , Chr. Alb. G. Concilium Biblio-
:
thecæ Phyſiologicæ , in-4" . Altorfii ,
1747.
-Ejufd. de Pericardii motus ſanguinis
, in-4 . Altorfii , 1748 .
Gruneri , Jo . Frid. Miscellanea Sacra , in-
49. Jenæ , 1750.
Gruteri , Jani , Lampas ſeu fax Artium
Liberalium , in-fol. 3. vol. Lucæ , 1737.
à1747.
Gude , M. Gof. Ritus Liberos in terram
iſtendi , in- 8º . Zitaviæ , 1727,
Guntzii , Just . God. Obſervationes deHerg
niis , in- 4° . Lipfiæ , 1744.
142 MERCURE DEFRANCE.
Gutbirii , Ægid. Novum Testamentum,
&Lexicon Syriacum, in- 8 °. 3 vol. Hamburgi
, 1674 .
EXTRAIT d'une Lettre de M. D....
àM. de P... , fur un Dictionnaire Anglois
, dans lequel on apprendra à prononcer
cette Langue.
L
AGrammaire Angloiſe de M. Lavery,
Monfieur , vous adéja fait eſtimer fon
Auteur; c'eſt la ſeule où l'on trouve une
ſyntaxe , & avec laquelleon ſe puiſſe pafſer
d'un Maître. Encouragé par le ſuccès,
M. Lavery a imaginé de forcer ceux qui
apprennent l'Anglois , pour l'entendre à
le ſçavoir prononcer. Ilm'acommuniqué
fon projet avant de l'exécuter , & m'a fait
part auſſi de l'exécution. Je vous affure
que j'ai été très-ſurpris de la façon heureuſe
dont il s'eſt tiré d'une entrepriſe
auſſi pénible. Voici ſon plan en deux mots :
àcôté de chaque mot Anglois , il écrit la
maniere dont il ſe prononce , enſorte que
l'on ne peut s'y tromper : par exemple.
... King S. Roy , pron. Kigne.
Ce ſon qui eſt un des plus aiſés à rendre
, me revient par hazard ; mais il n'eſt
pas plus embarraſléde rendre les fons les
plus éloignés de notre prononciation , il
SEPTEMBRE. 1753. I 148
ſe ſert de fignes connus de tout le monde,
tels que les accens , les breves & les longues.
Par le même moyen il faiſoit prononcer
un difcours tout entier à un hom
me qui ne sçavoit pas un mot de la Lan
gue. Voici deux vers de M. Pope , écrits
à ſa façon ; ce ſont les deux premiers de
l'Effai sur la Critique.
Liz-hazarde-to- fé - iff-gré-torr-quânnt-taff-frill
Ap-pire-rinn-rait-tigne-gnârr-rinn dgod-jigne ill.
Pour connoître quelque choſe à cela , il
faudroit avoir une clef très- courte & trèsintelligible
, que l'Auteur ne veut pas
communiquer au public avant de faire
imprimer ſon Livre. Je crois qu'il prendia
le parti de propoſer inceſſamment une
ſouſcription. L'ouvrage eſt fini , & perſonne
n'en étoit plus capable que notre
Auteur ,&c .
ANALYSE du Proſpectus pour la
Quadrature du Cercle.
L
Es trois démonſtrations deGéométrie
queM. le Chevalier de Caufans apropoſé
de faire , font , r , de décrire un
quarré parfaitement égal à un cercle quelconque.
2º. De prouver que le contenu ,
&le contenu du contenu , ſont géométriT144MERCUREDE
FRANCE.
€
quement égaux au contenant ; ce qui n'a
jamais été dit. 3°. D'expliquer le véritable
rapport du diamétre du Cercle à ſa circonférence.
Finalement , la Quadrature
géométrique du Cercle.
Il y auroit un moyen le moins onéreux
& le plus flatteur , afin que du petit au
grand,chacun participât à la gloire de
contribuer à connoître des vérités & des
avantages qui ont été déſirés de tous les
Sçavans dumonde , qui ſeroit des ſouſcriptions
nationales ,& des ſouſcriptions particulieres
de mille livres. Le ſimple aveu
des Souverains, par leurs Miniſtres , ſuffira
pour les Nationsreſpectives ,&ceux à qui
ilplairade ſouſcrire , ſe feront mettre fur
l'état chez Meſſieurs lesNotaires prépofés
, ſçavoir :
MESSIEURS
Le Verrier , rue de la Monnoye,à ladef
ceme du Pont-neuf.
Aleaume , rue de Condé.
Laideguive , rue des Grands Augustins.
Chomel , rue Pavée , vis à vis la rue Fran.
coife.
Quinquet , très le Marché Saint-Germain.
Boulard , rue S. André des Arts .
Ces Meſſieurs tiendront des Regiſtres
pourParis juſqu'au 15 Septembre.
Pour
SEPTEMBRE. 1753. 145
Pour les Provinces , juſqu'au premier
Octobre.
Pour les Pays étrangers , juſqu'au 15.
Alors , s'il y a foumiſſion pour quatre
mille ſouſcriptions , M le Chevalier de
Cauſans les réaliſera pour cinq cens livres
chacune ès mains des Notaires nommés , le
14 d'Octobre , & ceux qui auront fait
leurs foumiſſions , les réaliſeront pour
mille livres chacune du 15 au 20 ; lef
quels Notaires donneront lors du ſecond
payement, des ſouſcriptions en forme d'acte
de dépôt , comme il ſuit :
Je ſouſſigné Notaire au Châtelet de
Paris , reconnois qu'il m'a été déposé la
ſomme de quinze cens livres , ſçavoir ,
500 liv. par M. le Chevalier de Caufans ,
& 1000 liv. par le Porteur , pour appartenir
& être remiſes , auſſi-tôt après le
Jugement de Meſſieurs de l'Académie des
Sciences de Paris , & des Députés des
Académies des Pays étrangers qui voudront
s'y trouver , dûement ſigné deM.
le Secrétaire de l'Académie , &à moi délivré
par Duplicata fut les trois démonftrations
propoſées par M. le Chevalier de
Caufans , dont copie eſt en tête du préſent
récépiſſé ; ſçavoir , au Porteur , fi le
Jugement eſt contraire audit Sieur Chevalier
de Caufans , ou au Sieur Chevalier
G
146 MERCURE DE FRANCE.
& à fon ordre , ſi ledit Jugement lui eſt
favorable ; & pour ma décharge , le double
du préſent récépiſfé numeroté me
ſera remis acquitté par celui qui aura droit
de recevoir en lui remettant ledit dépôt ,
au moyen de quoi l'autre demeurera nul ,
&c. le 1753 .
Quoique les ſouſcriptions ne ſoient que
de 1000 liv. on rendra 1500 liv. aux conditions
ci-deſſus mentionnées ; on connoîtra
par ce moyen labonne volonté de
ceux qui auront contribué à vérifier des
propofitions auſſi ſurprenantes qu'intéreſſantes;&
du moment que les Souverains
auront agréé les ſouſcriptions nationa.
les , Meſſieurs les Députés des Pays étrangers
pourront ſe rendre à Paris avec un
Certificat , fur la foi duquel M. le Chevalier
de Cauſans fera remettre à chacun
3000 liv. avant les démonſtrations qui ſe
feront le 21 , 22 & 23 d'Octobre . Si on
différe de ſouſcrire juſqu'après les termes
marqués , M. le Chevalier de Cauſans
ſera dégagé de ſa parole. Il fera ufage de
l'Algèbre le moins qu'il ſera poſſible dans
les démonstrations , pour ne pas abuſer de
l'attention des ſpectateurs qui feront à
l'Académie Royale des Sciences à Paris.
Les conditions que M. le Chevalier de
Cauſans propoſe aux Souſcripteurs font
SEPTEMBRE. 1753. 147
Gavantageuſes , que nous ne doutons point
que les ſouſcriptions ne foient bientôt
remplies. Si contre notre eſpérance cela
n'arrivoit pas , l'Auteur reſteroit maître de
la campagne , ce qui eſt après la victoire
ce qui peut arriver de plus glorieux.
,
ETATdes Tables annuelles à compoſer d'a-.
vance , afin d'être ajoutées à celles desEphémérides
, ou de la connoiſſance des tems ,
pour déterminer les longitudes &les latitu
desfurmer.
L
Es plus verſés même dans l'Aſtronomie
, s'ils veulent comprendre la deftination
, l'importance & l'uſage de ces
Tables, font priés de lire le Mémoire publiédans
le ſecond volume du Mercure de
Juin 1753 , les Ephémérides coſmographiques
de 1751 , 6. 21. de 1752 , §. 18 &
19 , & de 1753 , p. 84.
Heure du paſſage diurne de la Lune,
par chacun des 360 méridiens terreſtres ,
diſtans d'un dégré , dont le premier feroit
le méridien de l'Obſervatoire de Paris ,
de même que le premier des 360 méridiens
célestes ſeroit la moitié du colure
des équinoxes , du côté du point d'Ariés ,
où l'Equateur coupe le plan de l'Eclipti-
:
Gij
148 MERCURE DE FRANCE
que,&défigne ſon premier dégré par cet
te ſection.
Une pareille Table pour Saturne , Jupiter
, Mars , Venus & Mercure .
Heure du lever & coucher diurne du
Soleil , de la Lune & des cinq Planettes
majeures , pour chaque degré de longitude
& de latitude boréale & auſtrale , où la
navigation eſt facile ou poſſible.
Etat des principales étoiles qui chaque
jour ſe leveront , ou coucheront , ou médieront
peu avant ou après le Soleil , ou la
Lune ou une des cinq Planettes.
Heure du paſſage diurne de chacun des
méridiens terreſtres ſous des principales
étoiles, ou ſous chacun des 360 méridiens
célestes , du moins fous ceux du Belier ,
de l'Ecreviſſe , de la Balance & du Capricorne
, & encore des Gemeaux , du Taureau,
du Lion, de la Vierge, du Scorpion,
du Sagittaire , du Verſeau , des Poiffons .
Heure diurne où ces étoiles ſe trouveront
au zenith des angles ou des ſections
des 360 méridiens terreſtres , avec chacun
des 76 paralléles de latitude boréale &
auſtrale , les 14 autres n'étant pas navigables
probablement.
Heure des éclipſes diurues des 4 ſatellices
de Jupiter pour chacun de ces 360
méridiens.
SEPTEMBRE. 1753. 149
C'eſt propoſer bien du travail pour chaque
année , encore plus que de la dépenſe;
qu'est-ce en comparaiſon de l'intérêt
qu'ont toutes les Puiſſances maritimes , les
Négocians ſur mer,& les Marins, à la compoſition
de ces Tables ? toutes ne ſont pas
également eſſentielles pour s'aſſurer des
longitudes & latitudes ſur mer : mais loin
d'en diminuer la liſte , il faudroit la dowbler
& tripler , indépendamment de cette
découverte ; en pourroit-on compofer
trop , pour aſſurer la navigation mieux
que par la bouſſole ,& pourperfectionner
P'Aſtronomie , ou pour procurer aux Pilores
& aux Obſervateurs la même facilité ,
& le même ſervice que rendent aux Calculateursdetoute
eſpéce, les Comptes faits
de Barrême , & les Livres ſemblables d'Arithmétique
?
La fonction de ces eſpèces de compres
faits pour l'Aſtronomie ſeroit bien plus
avantageuſe , ſi c'eſt à l'exacte compofition
, à la publicité anticipée , & à l'uſage
de ces Tables annuelles ,que tient l'importante
connoiffance des longitudes en
mer, comme au vrai & unique moyen *
*En liſant au Dictionnaire Univerſel l'article
Hiftiodromie ; ce moyen ſi ſimple , quoique fort
laborieux chaque année pour deux ou trois Aſtronomes
, ſera ſeul reconnu excellent , & n'avoir
Giij 1
ISO MERCURE DE FRANCE.
dont elle a dépendu : fans s'en douter plus
qu'avant les Comptes de Barrême , on n'imaginoit
la facilité de faire toutes fortes
de calculs , ſans être fort exercé dans l'Arithmétique
.
Ces nouvelles Tables ne feront pas
moins utiles pour l'avantage & la perfection
de la Géographie & del'Aſtronomie
quede la navigation ,& feront même plus
exactes &faciles fans comparaifon , pour
les plages de mer que des continens ; s'il
eſt vrai& incontestable que le niveau de
l'Océan formant un cylindroïde terminé
par des continens , tous les degrés de longitude
font égaux fur mer , comme tous
inégaux fur les continens , à proportion
de la courbure & élevation de leur fol ,
au deſſus du niveau marin , ſi par même
raiſon , tous les degrés de latitude doivent
avoir fur l'Océan une égale étendue , du
moins entre le ſoixante- feiziéme degré de
latitude boréale & auſtrale.
On verta dans les Ephémérides cofmographiques
de 1754 , que le degré de
J'Equateur ne peut être que de 37607 &
demie toiſes au fommet de la montagne
des Cordelieres , où le degréde latitude a
été trouvé de 56748 toiſes , fi ce ſommet
jamais été propoſé, ni conçu dans la même perfection.
SEPTEMBRE. 1753 . 151
eſt élevé de 2450 toiſes au-deſſus du niveau
marin; que le degré de l'Equateur
fur l'Océan , ne doit être que de 37440
toiſes , comme au paralléle de Paris , fuppoſé
que ſon ſol ſoit élevé de 30 toiſes
préciſes ſur ce niveau qui eſt égal. Bien
loin d'être plus élevé de 512 lieuës fous
l'Equateur , qu'au paralléle , comme l'exigeroit
une étendue plus grande dans le
diamétre de l'équinoxial , que dans celui
des méridiens , quelque modique qu'elle
fût.
ON VIENT de diſtribuer depuis quel.
ques jours une prétendue nouvelle édition
du fiécle de Louis XIV. en deux gros volumes
, ſous le titre de Berlin , 1753 .
Nous nous croyons obligés de prévenir le
Publicque cette édition eſt très-informe ,
& qu'iln'y a eu juſqu'à préſent d'éditions
complettesde ce Livre , que celles qui ſont
ſous le titre de Leipfic , en quatre parties
grand in- 12.& en quatre parties petit in-
12. & qui ſe trouvent àParis , chez Lambert
, Libraire , rue & à côté de la Comé
die Françoiſe , au Parnaſſe.
G
152 MERCURE DE FRANCE:
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
BEAUX
M
OYREAU ,
ARTS.
Graveur du Roi ,
vient de mettre au jour une nouvelle
Eſtampe , intitulée la Fontaine du
Dauphin , qu'il a gravée d'après Pierre
Wouvermens. LeTableau original eſt au
Cabinet de M. Peilhon, Secrétaire du Roi.
C'eſt le 74°. Nº. de ſa ſuite ; ſa demeure
eſt rue des Mathurins , la quatriéme porte
cochere à gauche , en entrant par la rue de
Ja Harpe.
M. l'Abbé de la Grive , Géographe de
la ville de Paris , vient de mettre au jour
un plan des boſquets & jardins de Marly ,
&un autre demême grandeur des boſquets
deVerſailles . Chacun de ces deux pendans
eſt accompagné d'une Table ou état des
morceaux de Sculpture , dont ces jardins
font décorés ; & cet état eſt arrangé de forre
, qu'en le fuivant par ordre on peut parcourir
tous les boſquets ſans revenir ſur
ſes pas. Ces plans qui n'ont qu'environ
15 pouces fur 10 , ſe débiteront auffi imprimés
ſur peau , pour être portés dans la
poche. Il vient auſſi de renouveller ſon
plan de Paris , & y a mis l'emplacement
SEPTEMBRE. 1753 . 153
de la ſtatue de Louis XV. l'eſplanade des
Invalides , telle qu'elle eſt aujourd'hui ,
& la portion de l'Ecole Militaire qui a
pû y entrer. Il vient de graver à part le
plan de cette Ecole en entier.
Le ſieur Lepaute , encouragé par le
ſuccès qu'il eut à Marly le 23 Mai dernier ,
à l'occaſion d'une fonnerie fans rouage ni
cadrature , & d'une pendule à ſecondes
qu'il eut l'honneur de faire voir à Sa Majeſté
, lui a préſenté ces jours derniers une
montte qu'il vient d'exécuter ſur les principes
de cette pendule.
Le mérite de ces deux piéces confifte
principalement dans l'échappement ; il y
a néanmoins d'autres avantages particuliers
à l'une & à l'autre qui ne font pas
médiocres , & qui doivent les faire rechercher.
La Pendule eſt de la conſtruction ordinaire
: l'Auteur y a adapté un échappement
en repos mû par des chevilles , qui
tombent alternativement ſur un ancre ,
dont les deux leviers font égaux & naturels.
A l'égard de la montre en queſtion ,
l'Auteur a réduit le même échappement&
l'y a appliqué avec ſuccès. Il a de plus
trouvé le moyen de ſupprimer entierement
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
la potence&contre- potence que l'on ſçait
être compoſées de huit piéces , en plaçant
l'un des pivots de l'échappement dans la
platine des piliers , & l'autre à l'ordinairedans
le cocq.
Rien de ſi ſimple & de ſi facile pour
l'exécution, que les montres de cette conftruction
: les régles en ſont auſſi infaillibles
que faciles. L'échappement ſe trouve
exempt de renverſement , d'accrochement
&de bartement ; & les chûtes qui n'arrivent
que trop fréquemment aux montres
nepeuvent y caufer aucun défordre ; on
ne courroit riſque que de caffer un des
pivots du balancier , qui ſeroit réparé dans
un inſtant fans que la montre en reçût aucun
échec fàcheux.
M. Lepaure a préſenté à l'Académie des
Sciences les deux ouvrages dont nous venous
de parler , & il y a développé fon
mechaniſme , qu'il a avoué avec candeur
avoir trouvé en partie dans le Traité fi
connu de M. Thiout , célébre Horloger.
M. Thiout ſe piquera , ſans doute
de la même juſtice , & il conviendra qu'il
y a du mérite à avoir réduit en pratique ,
une idée qui n'avoit jamais été exécutée.
4
On peut voir aux Ternes , maiſon de
campagne de M. Maſſe , une Horloge horiſontale
de la conſtruction dumême ſieur
SEPTEMBRE. 1753. rss
Lepaute. Cette piéce ſonne les heures &
les quarts : elle a l'avantage d'être la premiere
de ce genre qui marque les heures ,
les minutes & les ſecondes au centre . Le
Propriétaire de cette maiſon a jugé cet ouvrage
ſi digne de ſon attention , qu'il a
fait toutes fortes de dépenſes pour ſa confervation
& ſa décoration. On voit une
glace à l'extérieur ſur le cadran pour garantir
les éguilles des révolutionsde l'air.
J
LETTREà l'Auteur du Mercure.
3
E vous prie , Monfieur , de vouloir
bien,par votre plus prochain Journal ,
déſabuſer le Public fur l'impreſſion qu'a
pû faire l'annonce de ma Carte du Canada
, dans votre Mercure de Juiller.
Mon intention , Monfieur , n'a pas été
de faire entendre que j'euſſe reçu aucun
mémoire du Ministere.
۱
Quant à ce qui conſtitue le travail de ma
Carte , je me ſuis fait un devoir de raffembler
fur cette partie ce que j'ai connu
de meilleur , tant dans les morceaux déja
publiés que dans les manufcrits dont j'ai
cu connoiffance. Je me garderai bien de
m'arroger pour cela aucune ſupériorité ſur
ceux qui ont couru la même carriere que
moi ,& dont je reconnois tout le mérite.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
Le Public a leurs ouvrages entre ſes mains,
ainſi que le mien , c'eſt à lui ſeul à en juger.
J'ai l'honneur d'être , &c .
D
Robert de Vaugondy.
CHANSON.
E Tircis ou, de moi , quel ſera le vainqueur
Sur cette innocente fougere ,
Ce ſoir mon aimable Bergere
Doit du plus amoureux récompenſfer l'ardeur
Eh! comment puis-je me méprendre
Dans l'excès de mon bonheur ?.
C'eſt à moi qu'elle ſe va rendre ,
Si j'en juge par mon coeur ,
ralens
qu'on
SEPTEMBRE. 1753. 157
۱۰
5252525252
SPECTACLES.
'Académie Royale deMuſique a ceflé
Llesrepresentations desFees Grecques
Romaines , de l'Acte de Pygmalion , du
Chinois , de l'Acte du Bal , & de la Bohêmienne
, pour remettre au Théatre leBallea
des Fêtes do Polymnie , premier ouvrage lyrique
de M. de Cahuſac , de l'Académie
Royale des Sciences & Belles Lettres de
Pruſſe , mis en muſique par M. Rameau
& répréſentée pour la premiere fois le 10
Octobre 1745 .
CetOpéra eſt rempli des plus grandes
beautés , & autant qu'on peut en juger
par une premiere répréſentation , elles ont
été ſenties. Les rôles d'Hebé & d'Argalie
en ſont remplis au premier &dernier acte,
par Mile Fel , qui y met toutes les
graces & l'expreffion du chant François.
Celui de Stratonice , dans le deuxième acte
, eſt très-bien joué par Mlle Chevalier.
M. de Chaffé répand beaucoup de pathetiquedans
celui de Seleucus , dans le même
acte , & M. Poirier qui eft chargé des rôles
d'Alcide & d'Antiochus , dans le premier
acte & le ſecond , y développe, des
ralens qu'il eſt à ſouhaiter qu'on cultive &
qu'on encourage.
,
158 MERCURE DEFRANCE.
On rendra un compte plus exact de cet
Ouvrage& de ſon ſuccès,dans le Mercuse
prochain .
Les Comédiens Italiens ont donné le
Jeudi deux Août , la premiere répréſentation
des Femmes , Comédie- Ballet. La Comédie
eſt certainement d'un homme d'efprit
, & l'idée du Ballet eſt très-piquante.
Le Samedi quatre , on donna ſur le même
théatre les Amours de Bastien & de Bastienne
, Parodie tout-à fait plaiſante & véritablement
comique du Devin du Village.
On a ajoûté à ces deux Piéces leJoueur, Interméde
Italien , que M. Sodi a remis affez
heureuſement en muſique , pour qu'on y
ait eu du plaiſir , après avoir entendu celui
qui a été donné à l'Opéra. Ces trois Ouvrages
réunis forment un ſpectacle qui at.
tire tout Paris. Voici des Vers qu'on a addreſſés
à Mile Favart , Actrice charmante ,
&un des Auteurs de la parodie du Devin
du Village.
A MLLE FAVART ,
Sur les Amours de Bastien & de Bastienne.
Toi , dont les accens flatteurs
Prétent des charmes enchanteurs,
Al'ingénieuſe harmonie
SEPTEMBRE. 1753. 199
:
Des ſons brillans de l'Italie ;
Unique& charmante Favart ,
Toi , qui toujours d'une main fire ,
Sçais ſi bien ajuſter les agrémens de l'art ,
Aux naïves beautés de la ſimple nature :
C'étoit trop peu pour toi de voir le ſpectateur
T'applaudir ſur la ſcene&te rendre juſtice ,
Tu veux encore aux lauriers de l'Actrice
Unir les lauriers de l'Autent,
Ton coup d'eſſai ravit notre fuffrage ;
Vois le ſuivi du plus brillant ſuccès ,
Vois le plaiſir que en nous fais ,
Et jouis de ton propre ouvrage.
Pour ajouter à ce nouvel honneur
Tu n'as plus qu'à ſuivre res traces :
D'Aarice inimitable , & d'agréable Auteur
On te connoît & l'eſprit & les graces ;
Il ne reſteroic plus qu'à connoître ton coeur.
Mais ſur ce pointilfaut ſe taire ,
Ton époux ſeul en connoît tout le prix :
Pour tout autre c'eſt un myſtère ;
Et cemyſtère au ſein des amours & des ris ,
De ton portrait ouvrage de leur mere ,
Rend immortel le rare coloris.
GAUBIER ,
Ancien Valet de Chambre
duRoi.
160 MERCURE DE FRANCE.
EXTRAIT des Fêtes des environs de
Paris , Parodie des Fêtes Grecques &Romaines
, répréſentées aux Italiensle Mer.
credi quatre Juillet.
Dans le premier acte , la ſcene ſe paſle
à Charenton , ſur les bords de la Seine :
Duraillon , Receveur de la terre d'un Frnancier
, vient avecGrippet, fon Commis,
pour recevoir de l'argent de la Meuniere
Farinette , qui en doit beaucoup , & à laquelle
on a donné une affignation . Grippet
exhorte Dutaillon à ne ſe pas laiſſer éblouir
par les charmes de la Meûniere , dont on
vante beaucoup les attraits ; Dutaillon ,
qui ſecroit un coeur de roche , dit qu'il
n'aime que la bouteille , & qu'il verra la
Meûniere fd'un air tranquille. Farinette
après avoir fait précéder ſon arrivée d'an
divertiſſement de Meûniers & de Meûnieres
, s'avance d'un air humble , & dit à
Dutaillon :
Je viens à vos genoux ,
Monfieur , confentirez-vous
Am'entendre ?
Dutailion.
Ai qu'elle a l'air tendre !
Qui,levez-vous.
SEPTEMBRE. 1753 . 161
Farinette.
Je vous apporte tout mon argent,
Mon bail me ruine abſolument ,
Etce Placer
Va bientôt vous mettre au fait.
Dutaillon prenant le Placet.
Donnez , je le lirai ,
Je me charge de l'affaire ,
Ma chere ,
Pour vous je ferai
Ceque je pourrai.
Dutaillon lifant , air : deJoconde.
AMonfieur , Monfieur d'Orpeſane ,
Ceci fort mal commence ,
Oſe ſupplier humblement :
Point affez de diſtance , 5
Il faudroit mettre à Monſeigneur
Tout au haut de la page ,
Car à tout Seigneur tout honneur ,
D'ailleurs c'eſt un uſage.
Farinette , air : Pour foumettre mon amo
Jedemande justice ,
Je ſuis fans protection ;
L'on me dit par malice ,
La plus richedu canton :
Monfieur , j'ai bien quelque choſe ,
162 MERCURE DE FRANCE.
Mais les tems ſont ſi fâcheux
Que je ne puis & je n'ofe
Faire tout ce que je veux.
Farinette , air : les Fleurettes .
Il eſt vrai qu'à mon aiſe ,
Si je l'euſſe voulu ,
J'aurois , ne vous déplaiſe
Unjoli revenu ;
Mais juſqu'ici peu coquette ,
Loin de vouloir l'écouter ,
J'ai toujours ſçû réſiſter
Ala fleurette .
ร
Farinette fait enſuite préſent à M. le
Receveur , d'un tonneau de vin rare , &
donne quatre lonis au Commis : Dutaillon
ſéduit par les agaceries de la Meuniere
conſent à lui rendre ſon argent ; il accepte
ſon vin , pourvû que dans le jour elle
veuille boire avec lui tête-à-tête. Farinette
après quelques façons , dit :
ACharenton ,
Venez , vous en êtes le Maître
Nousy rirons ,
Et nous verrons
Si tous deux nous nous conviendrons.
Dutaillon , air : Spera forfan.
C'eſt combler mesdéſirs ;
SEPTEMBRE. 1753. 163
Ah! que de doux plaifirs
Naîtrontde mes ſoupirs ,
Et de nos loiſirs !
Oui , je vais pour toujours ,
Puiſſant Dieu des amours ,
Te conſacrer le cours
De mes plus beaux jours ;
Puiſque tout mon bonheur
Dépend de mon ardeur ,
Pour jamais ſur mon coeur
Regne , amour enchanteur :
Tout à toi déſormais ,
Adoranttes bienfaits ,
Et ſoumis à tes loix ,
Je dirai mille fois :
Puiſque tout mon bonheur
Dépend de mon ardeur ,
Pour jamais ſur moncoeur
Regne , amour enchanteur ,
Regne , amour , amour , amour enchanteur ,
Amour , amour , amour , amour enchanteur ,
D'un eſpoir fi flatteur ,
En m'offrant la douceur,
Ah ! c'eſt une faveur
Qui me rendra vainqueur ;
Etdéja dans vos yeux ,
Où je vois les Cieux ,
Je lis un fort heureux.
C'eſt combler mes défirs , &c.
164 MERCURE DE FRANCE.
L'Acte finit par une ronde générale.
ACTE SECOND.
Le Théatre repréſente un jardin ,audeſſus
de la porte duquel eſt écrit en gros
caractére : Jardin de l'Arquebus..
Egléfeale , fur l'air : Des Sabotiers Italiens.
Σ
Loin d'écouter l'ardeur
De mon coeur ,
Que n'avois-je d'un trompeur
Peur ?
N'ai-je pû dans ſes yeux
Lire mieux ?
J'étois de ſi bonne foi ,
Moi ;
De ſes ſermens
Fréquens ,
Je doute long-tems;
Jecéde enfin
A mon malheureux deſtin:
Funeſte jour !
Ah, cruel Amour !
Tu me réſervois ce trait,
Prêt ,
Avec éclar
Me quitte l'ingrat !
Quand tout rioit à ſes voeux ;
Dieux- !
SEPTEMBRE. 1753. 165
Liſette , amie d'Eglé , l'exhorte envain
àprendre un nouvel amant , & à oublier
l'infidélité de Viſembrette , Chevalier Gafcon;
Eglé en demeure toujours inconfolable.
Viſembrette arrive avec Pezenas :
Eglé fort pour l'écouter , & elle entend
avec peine l'éloge de l'inconſtance que ne
ceſſe de faire Viſembrette , en annonçant
qu'il a aimé trois differentes femmes depuis
Eglé , & qu'il vient de donner ſon
coeur à Nanette. Eglé revient faire les reproches
les plus vifs àViſembrette , qui
la reçoit en petit- maître ; elle le quitte en
voyant la porte du jardin s'ouvrir , d'où
l'on voit fortir les Chevaliers de l'Arquebuſe
deux à deux , armés de fufils , portant
des drapeaux , & un blanc couronné
de lauriers. La marche commence au fon
des trompettes , timbales , tambours , fifres
, &c. Les Chevaliers ſont ornés de
rubans , & ſuivis de coureurs & de ſauteurs
, qui viennent tous faire compliment
à Viſembrette , ſur le prix de l'Arquebuſe
qu'il a remporté. Nanette qui vient enſuite
à la tête de jeunes payſannes , acheve
le triomphe de Viſembrette , en lui préfentant
une couronne de laurier.
Nanette à Viſembrette. Air , la Royale.
De cesjeux , vous avez cu la gloire ;
166 MERCURE DE FRANCE.
Nous a llons au mieux
Chanter votre victoire ,
▲grands choeurs ;
L'on ne peut s'en défendre ;
Vous allez l'entendre ;
Nous voulons vous rendre
Tous les honneurs ,
Au fon des muſettes,
Au bruit des trompettes ,
Tout à la fois.
Viſembrette , vivement.
Ah , point de muſettes ,
Je veux des trompettes ,
Sij'ai le choix.
Nanette lui préſentant la couronne.
Commencez
Par prendre la couronne.
T
La marche recommence ; Viſembrette
ſe place ſous les drapeaux , & s'en va au
bruitdes trompettes , tambours & timbales.
Le divertiſſement finit l'Acte.
АСТЕ 11Ι.
Le Théatre repréſente unbeau jardin ,
où l'on a préparé une fête : le jardin eſt
en avant d'une jolie maiſon de campagne
qui donne ſur le Petit- Bezons , où il y a
une Foire.
SEPTEMBRE. 1753. 167
Cenie ouvre la Scéne avec Martin , à
qui elle avoue ſon penchant pour Damon ,
dont elle eſt également aimée. Ce Damon
eſt un homme de condition qui s'eft déguiſé
en valet , & eſt entré au ſervice de
Cenie , pour découvrir ſi elle n'a point
d'autre inclination. Cenie l'appercevant
ſous un habit de livrée , dit à Martin , fur
l'air : Chantez petit Colin.
,
Mais je le vois venir ,
Il craindra ta préſence ;
Fais ſemblant de ſortir
Et laiſſe- moi l'entretenir,
Je veux de ſon filence
Forcer la réſiſtance ,
Et pour un moment
Feindre un ſentiment
Pour un autre amant.
:
Elle s'éloigne un peu , & fait ſemblant
de ſe promener.
Damon dans l'éloignement , air : DeM. de
Mondonville, dans l'Iſbé , Nº. 9.
Ah, qu'elle est belle !
Puis-je approcher ?
L'amant fidéle ,
Doit- il ſe cacher ?
Tendre & fincére ,
Pourrois-je , hélas !
168 MERCURE DEFRANCE .
Encor me taire ;
Non , non , volons ſur ſes pas.
Ah , qu'elle eſt belle !
Puis - je approcher ?
L'amant fidéle
Doit-ilſe cacher ?
Dieu d'amour ,
Triomphe en cejour;
Ses beaux yeux
Redoublent mes feux.
Ah , qu'elle est belle !
1
Puis je approcher ?
L'amant fidéle,
Doit- ilſe cacher ?
:
Cenie indifferemment air : Ne m'entendez
vouspas.
Vous venez àpropos ,
J'ai juſtement , la France ,
D'un ſecret d'importance
A vous dire deux mots,
Vous venez à propos.
Air : De s'engager , il n'est que trop facile.
J'ai pluſieurs fois remarque votre zéle ,
Et je cherchois à vous entretenir.
1
Damon.
Il n'enfera jamais de plus fidèle :
Dites un mor,je ſuis prêtd'obéir.
Cenie
SEPTEMBRE. 1753. 169
Cenie air : Aimons-nous , belle Thémire.
Vous me ferez néceſſaire.
Damon .
Parlez , pour vous que puis-je faire ?
Je n'aſpire qu'à vous plaire.
Cenie.
Je veux..... hélas!
Damon.
Pourquoi cet embarras ? :
Cenie , air: De mon berger volage ,j'entens.
le chalumeau.
Juſqu'ici ſans alarmes ,
Dans le ſein de la paix ;
De l'amour , de ſes charmes
J'ai bravé tous les traits ;
Mais d'une indifference
Qui fit tous mes plaiſirs ,
L'Amour , l'Amour s'offenſe ,
Etcauſe mes ſoupirs.
Damon inquiet , air : Quoi , vouspartezfans
que rien vous arrête.
Quoi , vous aimez , voilà donc ce myſtéret
Cenie , & Dieux !
àpart.
N'a point connu mes feux;
H
170 MERCURE DEFRANCE.
Et cet amant ,
à Cenie avec vivacité.
Sans doute, a ſçu vous plaire a
L'Amour , ſans doute , a ſçu le rendre heureux
Quoi , vous aimez ! voilà donc ce myſtére ?
Cenie , ô Dieux ! n'a point connu mes feux.
Cenie , air : Si des galans de la ville.
L'aimable Dieu de Cythere
N'a pas toujours un bandeau ;
Le choix qu'il a ſçu me faire
Me flate autant qu'il eſt beau:
Mon amant eſt ſon image ,
Ce Dieu me dit de l'aimer ;
Par ſon plus parfait onvrage,
Puis je ne pas m'enflâmer ?
L'aimable Dieu de Cythére
N'a pas toujours un bandeau ,
Le choix qu'il a ſçu me faire ,
Me flate autant qu'il eſt beau.
Sans vous je ne puis l'inſtruire ,
Il ignore mon ardeur :
Dans mes yeux s'il ſçavoit lire ,
Ily liroit fou bonheur.
L'aimable Dieu de Cythère , &c.
Damon , air : Le bonheur de ma vie n'a duré
qu'un inftant.
Trop funeſtes amours ,
Inutile eſpérance.
SEPTEMBRE . 1753. 171
Cenie.
Quel est donc ce diſcours ?
Que dites - vous , la France
Damon.
Oui , vous m'êtes ravie ;
J'en mourrai , je le ſens ;
Le malheur de ma vie
Naît de mes ſentimens.
Cente , air : Pour héritage.
De ma ſurpriſe
Je ne puis revenir ;
Je me ſuismile
Dans le cas d'en rougir,
De me fecrets
Abuſant , téméraire ,
Mais ſçachez éteindre , ou me taire
Ces feux indifferens .
Damon , air : Votre coeur , aimable Aurore.
J'ai long- tems ſçu le contraindre,
Ce feu qui fait mon plaiſir ,
Quoique j'eufle tout à craindre ,
Mon coeur l'a voulu nourrir ,
Et s'il peut jamais l'éteindre ,
C'eſt par ſondernier ſoupir.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
Cenie , air : Dans l'objet qu'on aime,
A l'objet que j'aime ,
Je veux qu'en ce jour
Vous alliez vous-même ,
Vous-même exprimer mon amour.
Vous alliez , &c.
Damon , air : Le Seigneur Turc araiſon.
Non , non, c'eſt trop m'outrager ,
Ma rage eſt extrême.
Cenie.
Où courez - vous ?
Damon.
Me vanger,
Cenie.
Quoi , du ſeul objet que j'aime ?
Damon,
Il va tomber fous mescoups.
:
Cenie.
Eh bien , cruel , vangez - vous ,
Vangez-vous... ſur vous- même,
Damon tranſporté de joie , ſe jette aux
genoux de Cenie. Le Théatre change ; il
repréſente une illumination de toute forte
de couleurs, & le Spectacle finit par un divertiſſement
comique qui est très-joli.
SEPTEMBRE. 1753. 173
L'Opéra Comique a donné , le Lundi
30 Juillet , la premiere repréſentation des
Troqueurs , intermede en un Aste . Voici
F'idée du Poëme qui eſt de M Vadé.
PERSONNAGES.
Lubin , amant de Margot.
Lucas , amant de Fanchon.
Margot , fiancée avec Lubin.
Fanchon ,fiancée avec Lucas.
Lubin ouvre la Scéne , en chantant fur
L'air : Tout cela m'eft indifferent .
Quand ſur ſes vieux jours un garçon
Devient le mari d'un tendron ,
Ungalant rit de ſa folie ,
Le reſte eſt bientôt projetté :
Mais qu'un bon vivant ſe marie,
Les rieurs font de ſon côté.
1
ARIETTE.
On ne peut trop tôt
Semettre en ménage,
J'ai beaucoup d'ouvrage ,
Et lemariage
Eſt mon vrai ballot :
Un contrat m'engage ;
J'épouſe Margot ;
Sonhumeur volage ,
1
Hiij
174 MERCUREDE FRANCE..
Eft preſque le gage
D'un mauvais lot ;
Mais contre l'orage ,
Onmet en uſage
Les moyens qu'il faut.
Une femme eſt ſage ,
Quand l'homme, en un mot ,
N'eſt pas un fot.
Lucas vient trouver Lubin ; ils ſe fontune
confidence réciproque des ſentimens qu'ils
ont pour leurs fiancées ; Lubin aimeroit
mieux Fanchon que Margot , & Lucas
préféreroit volontiers Margot à Fanchon
&au moyen de quoi ils ſe déterminent à
faire un troc , qui paroît avantageux pour
l'an& pour l'autre.
Lubin Lucas , ensemble.
و
Troquons , troquons ,
Changeons , compere;
Point de façons,
Foin du Notaire ;.
Tien,déchirons
Ils déchirent leurs Contrats..
Ce beau chiffon .
Troquons , troquons ,
Changeons , compere ;.
Rien n'eſt ſi.bon ..
SEPTEMBRE. 1753. 175
Lubin.
Mais de chacun de nous , s'avance la future.
Lucas.
Faiſons-les conſentir.
Lubin.
Va, nous allons conclure.
Lubin court à Fanchon , & Lucas court
à Margot ; elles en font fort ſurpriſes.
Lubindit à Fanchon :
Ecoute , c'eſt moi qui t'épouſe.
LucasàMargot.
C'est moi qui ſerai ton mari.
Margot lui montrant Lubin.
Ariette en quatuor.
Et non , c'eſt lui.
Lucas.
Et non , c'eſt moi.
Lubin à Fanchon..
Nous nous verrons aujourd'hui.
Fanchon.
Pás avec toi ,
C'eſt avec lui.
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE.
Lubin.
C'eſt moi qui ſerai ton mari.
Fanchon montrant Lucas
C'est lui.
Lubin.
Moi , moi.
Margot.
Lui , lui.
Quatuor.
Eh non , c'eſt lui ;
Eh non , c'est moi.
=
Après que Fanchon & Margot ſe ſont
parlées à l'oreille , elles font ſemblant de
toper à la propoſition de Lucas & Lubin
& ce dernier emmene Fanchon ; Margot
reſtée ſeule avec Lucas , le traite ſi mal
que Lucas eft déſeſpéré du changement
qu'il avoit projetté . Lubin n'a pas été plus
content de Fanchon , de forte que les deux
amans veulent s'en tenir à leur premier
marché. Alors Margot & Fanchon font les
difficiles , & diſent que le troc étant
fait il n'y a plus de retour..
Lucas a Fanchon.
Ariette : En quatuor..
Ne me rebute pas.
:
SEPTEMBRE . 1753 . 177
Fanchon , montrant Margot.
Oh ! laiſſe moi : voilà la tienne.
Lubin.
Non, c'eſt la mienne.
Margot , montrant Fanchon à Lubin.
Voilà la tienne.
Lucas.
Non , c'eſt la mienne.
Margotſe ſaiſiſſant de Lucas.
Je prens le mien
Fanchon , Sautant fur Lubin.
Chacun le fien:
Lubin , à Fanchon qui le tient au coter.
Le Diable t'emporte.
Lucas , benu par Margot.
Ah, quel embarras !
Margot & Fanchon.
Tum'épouferas.
Lubin.
Peut-on ,hélas I me punir de la forte
Fanchon.
Tu m'épouſeras.
Lubin , s'échappant..
Ah !Margot.
H
178 MERCURE DEFRANCE..
Lucas, s'échappant.
Ah , Fanchon !
Margot & Fanchon..
Quel accès te tranſporte ?
LubinàMargot...
Reprend moi.
Lubin & Lucas..
Que je fois ton époux..
Margot & Fanchon..
Vous avez fait la loi .
Lubin& Lucas..
Je t'en prie à genoux..
Margot, riant.
Fanchon , ah , ah ,ah , ah , ah !:
Fanchonriant.
Margot , ah , ah , ah , ah , aht:
Gruelle,.
Lucasi
Lubin..
Traitreffe,
Pardonne- nous.
१ Lucas,.
Pardonne-nous.
Fanchon..
Filerez-vous doux ?
Lucas & Lubin confentent à tout co
SEPTEMBRE. 1753. 179
qu'exigent Fanchon & Margot , qui leur
pardonnent.
Lubin & Lucas.
Quelle allégreſſe !
Margot.
Fanchon.
Levez-vous.
Nous en ferons ,ma foi , de commodes épouxs.
Tous quatre.
Quelle allégreſſe !
La muſique de cet Intermede , le pre
mier que nous ayons eu en France danss
legoût purement Italien , eſt de M. Dau--
vergne. Il n'y a perſonne qui n'ait été
étonné de la faciliré qu'a eue ce grand
harmoniſte à ſaiſir un goût qui lui étoit
tout- à- fait étranger. Le déſit de voir une
choſe ſi ſinguliere a attiré tout Paris à ce
ſpectacle , & le plaifir y a rappellé ceux
qui ſont ſenſibles aux charmes d'une bon--
ne muſique.
On a donné ſur le même theatre , le
Mardi quatorze Août , la premiere repré--
ſentation des Filles , Opéra ComiqueBal--
let , qui a réuffi.
7
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗
NOUVELLES ETRANGERES.
DU LEVANT.
DE CONSTANTINOPLE ,le 10 Juin.
S
Elon les avis requs de Perſe , la guerre inteſtina
qui déſole ce Royaume , a rendu preſque
toutes les campagnes défertes ; les arts font négligés
, & l'on eft obligé de tirer des Etats voiſins las
plupart des chotes néceflaires. Plufreurs Provinces
de Ruffie profitent de cette circonſtance pour vendteavantageuſement
leurs denrées , ainh queleurs
chevaux&leurs beftiaux.
DU NORD.
D'E Moscou , le 21 Juin.
On a révoqué juſqu'à nouvel ordre la permif
fron de faire for ir des grains de l'Eſthonie , de la
Livonie , & de la Courlande. L'abus de conſtruire
lesmaifons entiérementde bois , contribuant beau
coup aux fréquens incendies , il a été réſolu d'em
ployer à l'avenir de la pierre , du moins dans les
principales parties des bâtimens
DE STOCKHOLM , ie 7 Juillet.
L'es Comtes de Teffin, d'Eckebland de Spaar&t
de Lieven & les Barons de Hopken & de Schef
fer font allés vifiter le nouveau Canal & les Eclu
ſes qu'on aconftruites àTrolhatta. Ce grand ou
7
SEPTEMBRE. 1753 . 151
rage , entrepris dans le deffein de faciliter la
jonctiondes deux mers , vient enfin d'être conduit
à ſa perfection .
On fera dans le mois prochain l'ouverture de la
nouvelle Académie de Belles Lettres , dont le projet
a été annoncéil y a quelque tems. Pluſieurs
Seigneurs le font d'avance un honneur d'être
Membres de cette Compagnie , & de contribuer à
la rendre utile & Abruflante. De ce nombre ſont
le Comtede Teſſin, le Baron de Scheffer , & le
Gomte de Neels.
DE COPPENHAGUE , le 15 Fuillet.
On a fait la ſemaine derniere , dans l'Ile d'Amagh
, l'épreuve de quelques canons & d'un mortier
, de nouvelle invention. Le Maréchal Comte
de Schulembourg , Secrétaire d'Etat ayant le Départementde
laGuerre, le Général Sturop", & le
freur de Seitzenſtein , qui commande PArtillerie ,
y furent préſens , ainſi que le ſieur Ringx , Confeiller
de Conférence ; & le ſieur Braem , Conſeiller
d'Etat, l'un &l'autre Députés au Commrffariat
Général.
EesFrégares le Doke & la Frédérique-Louife , de
PEſcadre que le Roi avoit envoyée à Saffia , ſont
de retour d'Afrique. Elles ont ramené une partic
des Danois qui étoient détenus à Maroc. Le refte
des priſonniers eſt ſur une troſiéme Frégate qu'en
attend.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 14 Juillet..
Les Commiffaires préposés pour liquider les
182 MERCURE DE FRANCE.
dettes contractées par les troupes pour les fournis
tures & les avances faites à divers Régimens pendant
la derniere guerre , continueront de vaquer
cette liquidation juſqu'à la fin de cette année..
Après ce terme , les créanciers ne feront plus re
çus à produire leurs prétentions.
DE DRESDE , le 3 Juillet.
La Princeſſe épouſe du Prince Royal , eſt de
nouveau enceinte ,& elle ſe porte auffi-bien qu'on
puiſſe le défirer.
DE BERLIN , le 14 Juillet.
Le nouveau Canal qu'on a creusé dans les envi
rons de Guſteliefe , fut ouvert le deux de ce mois
avec tout le ſuccès imaginable. Quoique les eaux
de l'Oder ſoient plus baſſes qu'elles n'ont été de--
puis quelques années , leur chûte ſe fit très impétueuſement
, & l'on peut ſe promettre des avanta
ges réels de cette entrepriſe. Une grande étendue
de terrein ſera garantie par là des inondations ,
&pluſieurs cantons où l'on n'oſoit former aucun
établiſſement , pourront être habités . Le Roi a
ordonné qu'on diſtribuât une certaine ſomme aux
Sergens & aux Caporaux des Régimens d'Infanterie,
qui ſont en quartiers dans la Marche de
Brandebourg. La Baronne de Vernezobre eſt accouchée
le to d'une fille .
On a reçu avis que le 6 le Vaiſſeau le Roi de
Pruffe , appartenant à la Compagnie Aſiatique ,
étoit revenu de la Chine à Embden.
Une ſociété a offert de faire , avec le ſel come
mun , d'auſſi bon ſalpêtre que celui qu'on tire de
l'étranger , & le Roia accordéun privilége pour
xet établiſſement..
SEPTEMBRE. 1733. 183
:
DE HAMBOURG , le 20 Juillet,
,
Rien n'érant plus important dans une Ville de
commerce que d'empêcher les banqueroutes
frauduleuſes , les Magiſtrats & les principales perſonnes
de la Bourgeoisie ont tenu une affemblée
extraordinaire , dans laquelle on a délibéré fur ce
qu'il conviendroit de ſtatuer à cet égard. Divers
plans relatifs à cet objet ont été examinés ; on n'en
aadopté aucun en total , mais on a pris quelques
articles de chacun , & l'on dreffe actuellement le
Réglement , qui doit être mis en exécution .
DE BAMBERG , le 26 Juillet..
Avant-hier , le Chapitre de l'Egliſe Cathédrale
s'aſſembla pour procéder à l'Election d'un nouvel
Evêque , &tous les fuffrages ſe réunirent en faveur
du Comte François - Conrad de Stadian ,
Doyen du Chapitre. Les Cointes de Stadian , originaires
du pays de Prettigau , étoient connusdès
le onzième ſécle. Un d'eux ſe diftingua en 1080)
dans le tournoi d'Auſbourg. Jean de Stadian fut
à ceux de Zurich en 1165 ; Wolff à ceux de
Worms en 1209 ; Burchard à ceux de Schweinfurt:
en 1296 ; Wolfang à ceux de Ravenſpurg en
1311. Vers le milieu du quinziéme fiecle , Chriftophede
Stadian étoit Evêque d'Auſbourg : Jean-
Gaspard de Stadian étoit Grand Maître de l'Ordre
Tentonique en 1650 & l'on a vu Chriſtophe-Rodolphe
de Stadian au commencement de ce fiécle ,
remplir les dignites de Prevêt de l'Egliſe Métropolitaine
de Mayence , & du Chapitre de Saint
Barthelemi & Saint Alban à Francfort. Il étoit en
même tems Préſident de la Cour de Juftice
-
184 MERCURE DE FRANCE.
Conſeiller d'Etat de l'Electeur de Mayence. En
1723 , François- Charles , Conſeiller d'Etat du mê
me Electeur , & oncle du nouvel Evêque Prince
de Bamberg , fut élu Doyen du Chapitre de l'Eglife
Cathédrale de cette Ville. La maiſon de Stadian
poftéde héréditairement la charge de PremierMaître
d'Hôtel de l'Evêque d'Auſbourg.
ESPAGNE.
DE LISBONE , le 21 Juin.
Le Roi aynt réſolu de réunir à ſon Domaine
pluſieurs diſtricts , dont divers particuliers par des
conceffions de ſes Prédéceſſeurs jouiffent dans le
Bréfil , on a commencé par la Seigneurie que le
Vicomte d'Affeca poſlédoit dans la Capitaineric
de Rio-de-Janeiro. Sa Majesté , pour le dédomaget
, l'a gratifié d'une penſion de mille crufades ,
& lui a conféré le titre de Comte. On traite actuellement
avec le Comte d'Iſola , pour la Sei
gneurie de l'Ifle aux Princes.
DE MADRID , le 24 Juillet.
Par des dernieres lettres de Don Julien d'Arriaga
, Préſident de la Contractation des Indes , le
Roi a reçu avis que le 18 de ce mois , les Vaifſeaux
le Saint Jean-Baptiste , la Notre- Dame de
Guadeloupe,le Saint Raymond & la Notre- Dame
duMont Carrel , étoient arrivés à Cadix. Le premier
vient de la mer du Sud ; le ſecond , de Cartagêne
en Amérique ; les deux autres , de la Ve
ra Cruz & de la Havane. Ils ont apporté , tant
pour le compte de Sa Majesté que pour celui
des Particuliers , la valeur de quatre millions
SEPTEMBRE. 1753 . 189
fept cens ſoixante & un mille trois cens quatrevingt
piastres , ſoit en eſpéces , ſoit en vaiſſelle &
en lingots. Le reſte de la charge de ces bâtimens
confifte en cent cinquante- ſept mille quatre cens
livres de cochenille fine , quatre mille de cochenille
filveftre ; trois cens quarante & un mille
deux cens quatre-vingt quatorze vanilles ; neuf
mille quatre- vingt fix balles de cacao : trois cens
foixante& trois caiſſes de ſucre ; dix-huit mitle
neuf cens ſoixante- fix livres de laine de Vigogne ,
douze mille neuf cens quatre-vingt- quinze de coton
foixante deux mille neuf cens ſoixantedeux
de caſcarille , deux cens trente- neuf de bezoard
, cinq mille deux cens quatre-vingt-dix- fept
de
,
;
jalap', ſept cens trente-deux d'anil deux
cens quintaux d'étain , neuf cens cinquante de
cuivre , ſept cens de bois de Bréfil , trois mille
de bois de Campêche , quatre mille quatre cens
trente- quatre cuirs , & une grande quantité de tabac.
Il eſt entré auſſi dans la Baye de Cadix un
Navire appartenant à la Compagnie des Cara
ques , à bord duquel il y avoit neuf mille quatre
cens quatre vingt-quatre boifleaux de cacao , &
trente huit mille piaftres,
ITALIE.
DE NAPLES , le 20 Juin.
i
Pluſieurs Officiers Generaux compoſent la Junte
, chargée de l'exécution des arrangemens en
faveur des veuves des Officiers . Il eft réglé qu'elles
auront en penſion la moitié des appointemens
dont jouifloient leurs maris . On ne permettra
plus aux Officiers d'épouſer des filles ou des femmesfans
dot.Lorſqu'elles feront de condition com
186 MERCURE DE FRANCE .
mune , il faudra qu'elles apportent du moins trois
mille ducats en mariage. Celles d'extraction noble
feront obligées ſeulenient d'en apporter mille ,
&l'on ſe contentera de cinq cens , fi elles ſont
Alles ou veuves de Militaires.
DE ROME , le 17 Juillet.
Comme les fortifications des places de l'Etat
Eccléſiaſtique ont beſoin de réparations , on a réfolu
d'employer à ces travaux , tous les Forçats
dont le ſervice ne ſera pas néceſſaire ſur les Galeres.
La Chambre Apoftolique aſſignera de nouveaux
fonds dans les premiers jours du mois prochain
, pour achever d'acquiter les dettes occa.
fionnées par le paſſage des troupes étrangeres pendant
laderniere guerre.
Le Pere Orlandi , Jeſuite , mourut le is en
odeurde fainteté. Son corps fut inhumé le lendemaindans
l'Egliſe de Saint Ignace , & il y eut un
grandconcours de peuple à ſes obfeques .
DE FEORENCE , le 15 Juillet.
Toutes les nouvelles de mer confirmant que la
peſte s'eſt de nouveau manifeſtée dans Alger , le
Gouvernement a ordonné qu'on obligeât les Vaifſeaux
qui viennent des côtes d'Afrique , de faire
une rigoureuſe quarantaine.
L'Académie , établie depuis peu par l'Abbé des
Chanoines Réguliers de Fieſole pour perfectionner
l'Agriculture , tient régulièrement deux fois
par ſemaine ſes ſéances. On ſe promet detirer de
grands avantages d'une Société d'hommes judicieux
, qui , laiffant à d'autres le ſoin de cultiver
des arts frivoles , conſacrent leurs veilles aux pro
grès du plus utile de tous les arts..
SEPTEMBRE. 1753. 187
DE GENES , le 20 Juillet.
On conftruit à San Remo une Citadelle , au
moyen de laquelle on ſera en étatde foudroyer la
Ville, files habitans ont de nouveau la hardieffe
de ſe mutiner. Le Marquis Augustin Pinelli a fait
publier un Décret , pour ordonner à ceux qui ſe
font abſentés , de revenir à leurs domiciles dans
un,terme prefcrit , ſous peine de confiſcation de
leursbiens. Il vint ici de Patrasle 7deux Pinques
chargées debled.
DE TURIN , le 31 Juillet.
Sur la réquisition de la République de Gênes ,
le Roi a défendu à ſes Sujets , ſous des peines ri
goureuſes , de fournir aucunes armes ni manitions
de guerre aux Rebelles de l'iſſe de Corſe.
En même tems , le Roi a exigé de la République ,
que les défenſes dont il s'agit , n'expoſaſſentpoint
les Bâtimens qui navigent avec Pavillon & Paffeports
de Sa Majesté , à être inquietés fous des
prétextes frivoles .
On affure quele Roi ſe propoſe de conclure
avec le Pape , pour la Collation des Bénéfices de
Sardaigne ,de Piémont&de Savoye , un Concor.
dat ſemblable à celui qui vient d'être établi entre
le Saint Siége & l'Elpagne.
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , les Juillet.
LesNavires , tant Anglois qu'Ecoſſois , qui ont
été employés cette année à pêcher des Baleines ,
enont pris cent quatre-vingt-quatre. Pendant cers
188 MERCURE DE FRANCE.
re pêche, un des Bâtimens Ecoſſois fut pouffé f
avant à l'Ouest , que le Capitaine prétend avoir
apperçu diſtinctement les côtes de l'Amériquer Il
étoit pour lors à ſoixante-douze dégrés , quarante-
cinq minutes de latitude Septentrionale . Ces
jours- ci , on a fait à Woolwich l'épreuve de cent
canons , nouvellement fondus ici par ordre &
pour le ſervice du Roi de Sardaigne. On doit embarquer
ineeſſamment cette artillerie , pour la
tranſporter à Nice.
L
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
AReine entendit le 20 Juillet laMeffe dans
l'Eglife des Religieuſes Carmelites de Compiegne
, & dîna dans le Monastere.
Le 21 , le Roi & la Reine entenditent la Meffe
de Requiem , pendant laquelle le De profundis fut
chanté par la Muſique pour l'Anniverſaire de
Madame la Dauphine , Infante d'Eſpagne .
,
Le 22 , M. Kleferer , Syndic , & M. d'Hugier ,
Sénateur , Députés de la Ville de Hambourg ,
eurent une audience publique du Roi , dans laquelle
ils remercierent Sa Majesté de la protectiod
qu'Elle a bien voulu accorder à la Ville de
Hambourg auprès du Roi d'Eſpagne. Ces Députés
furent conduits à cette audience , ainſi qu'à
celles de la Reine , de Madame Infante, de Madame
Adélaïde ,& de Mesdames Victoire , So
phie & Louiſe , par le M. Dufort , Introducteur
des Ambaſſadeurs .
Le 20 & le 22 , leurs Majestés ſouperent at
grand couvert avec la Famille Royale .
SEPTEMBRE. 1753. 189
Le Régiment d'Infanterie du Roi arriva le 20
ſous Compiegne Sa Majesté en a fait le 22 la revue.
Elle paſſa à pied dans tous les rangs. La Reine
, accompagnée de la Famille Royale , longea
de la droite à la gauche les quatre Bataillons , &
fut ſaluée de tous les Officiets , après qu'ils eurent
ſalué le Roi. Lorſque le Roi eut fini fa revue
, Sa Majesté ſe plaça au centre du Régiment ,
pour voir faire l'execice ſuivant la nouvelle Or
donnance : Elle parut très fatisfaite de la façon
dont il fut exécuté. Le Régiment défila enſuite dewant
le Roi , laReine , & toute la Famille Royale ,
par deux Compagnies , les Officiers faluant , en
marchant , Sa Majefté . Le Marquisde Guerchy
Lieutenant Général , & Colonel- Lieutenant dudit
Régiment , étoit à la tête. Le Roi trouva que
ſon Regiment étoit fort bien exercé aux differentes
façons de marcher , & au nouveau maniement
des armes , que Sa Majesté a ordonné depuis peu.
Il y eut le 21 & le 23 , concert chez la Reine.
On y a exécuté le Prologue & les trois Actes de
la Paſtorale de Daphnis & Chloë , dont les paroles
ſont de M. Laujon , & la muſique de M. Boiſmortier.
Leurs Majeſtés retournerent le 25 à la Plaine
de Venet , où le Régiment est campé . Le Roi , à
cheval , la Reine & la Famille Royale , en carrofſe
, paſſerent devant ce Régiment , qui étoit en
bataille. Enſuite , leurs Majestés le virent manoey.
vrer. Il fit feu huit fois de pied ferme , & par diviſions.
Après différens exercices , il ſe reforma
enbataille , & il défila devant le Roi , pour rentrerdans
le camp. Le foir , le camp fut illuminé ,
&le Roi fit l'honneur au Marquis de Guerchy de
ſouper ſous ſa Tente avec pluſieurs Dames & Soigneurs
nommés par Sa Majesté,
190 MERCURE DE FRANCE.
Le Roi a accordé au Chevalier de Croiſmare,
Brigadier , Lieutenant- Colonel de ſon Régiment ,
la premiere place de Commandeur , qui vaquera
dans l'Ordre de S. Louis. Sa Majesté , en même
tems abien voulu lui permettre d'en porter dès-àpréſent
les marques. Elle a conféré le grade de
Brigadier à M. de Champagne de Morfins , Commandant
de Bataillon ; & Elle a auſſi accordé dans
le Régiment deux Commiſſions de Colonels , dix
Croix de Saint Louis , & pluſieurs penſions &
gratifications.
Sur la démiſſion du Comte de Prunier de Saint-
André, le Roi a donné à M. de Bathéon de Vettrieu
, Capitaine dans le Régiment de Cavalerie de
Bourbon-Buffet , le Gouvernement de Vienne en
Dauphiné.
,
Le chargement , apporté par le Vaiſſeau la Reine,
eſt le ſecond que la Compagnie des Indes a
reçu du Gange. Elle a appris par les dépêches du
Conſeilde Pondichery , datées du mois de Novembre
, que Sarajet-Doullack , petit-fils d'Anaverdikan
, Nabab du Bengale , & fon ſucceſſeur
préſumé , étant venu faire un voyage àHougly
avoit reçu de grands honneurs des Chefs des trois
Nations Européennes ; que comme il n'avoit jamais
vu de Vaiſleau , il s'étoit adreſſé aux François
pour fatisfaire ſa curiofité ; qu'il étoit monté
àbord de l'Hercule, dans lequel il étoit entré au
bruit de Partillerie de ce Vaiſſeau & de tous ceux
qui ſe trouvoient alors dans le Port ; & qu'en re .
connoiſſance il avoit déclaré qu'il vouloit prendre
ſoin de leurs intérêts auprès de ſongrand-pere.On
croit qu'il a fait le même compliment aux Anglois
& aux Hollandois. Les lettres du 31 Décembre
marquent , que depuis fon retour àMouxoudabat
, il a fait partir trois éléphans , qu'il def:
SEPTEMBRE . 1753 . 191
tine aux Chefs des trois Nations Il a réalisé les
offres qu'il a faites aux François , en employant
ſes bons offices pour faire relâcher lesBâtimens de
cette Nation,qui,montant ou defcendant leGange,
avoient été arrêtés au paſſage de Morchia à la follicitation
du Grand-Douanier, & cet Officier a
été contraint de céder aux ordres du Nabab .
La Compagnie attend encore deux autres Vaifſeaux
du Gange , quatre Navires de la Chine , un
de Pondichery outre les deux déja arrivés , & un
des Ifles de France & de Bourbon .
On a reçu avis de Malte , que leChevalier de
Fleury , nommé Général des Galéres de la Religion
, & qui doit entrer en exercice au mois de
Janvier 1755 , avoit été déclaré Grand Croix de
l'Ordre.
Le 2.5 , l'Evêque d'Arras , aſſiſté de Dom Pierre.
Louis Chomel , SupérieurGénéral de la Congrégation
de Saint Rufe , & de Dom François Duriez
, Abbé de l'Abbaye Réguliere de Moncel , fit
dans PEglife des Feuillans la cérémonie de bénir
Dom Martin le Févre , Abbé de l'Abbaye de Saint
Eloi d'Arras,
Il eſt arrivé un funeſte accident dans une mine
de charbon du Forez , près du Château de Clapier
, qui appartient au Baron de Vaux , frere de
'Abbé de Saint-Cyr , Conſeiller d'Etat ordinaire ,
& ci-devant Précepteur de Monſeigneur le Dauphin.
Les Charbonniers ayant imprudemment
percé une maſſede plus de cent pieds de hauteur,
en un endroit qu'on leur avoit recommandé de
ſonder avec la tariere, avant que d'y travailler ,
P'eau en eſt ſortie avec abondance. Tout à coup ,
la Tonne où étoient les ouvriers a été fubmergée,
& trois hommes ſe ſont noyés , avec une femme
& ſept chevaux. Le malheur auroit été beaucoup
192 MERCURE DE FRANCE.
plus grand , s'il n'y avoit pas eu deux iſſues , pac
Jeſquelles cinquante Charbonniers ont échappé au
pétil ,& fi dix autres ouvriers n'avoient été promptement
ſecourus par un plongeur , qui expoſa ſa
vie pour les ſauver. Le Baron de Vaux a fait ſentir
les effets de ſagénérosité aux veuves de ceux
qui ont péri.
L'Abbé de la Caille , de l'Académie Royale des
Sciences , après avoir achevé au Cap de Bonne-
Eſpérance ſes obſervations pour la paralaxe de la
Lune , qui faifoient le principal objet de ſon voyage,
a meſuré le trente-fixieme degré de latitude
auſtrale. Il a trouvé ce dégré plus grand qu'il ne
s'y attendoit , & approchant des dégrés méridionaux
meſurés en France . Au reſte , il eſt d'accord
avec les Académiciens qui font allés , il y a quel
ques années, au Cercle Polaire & à l'Equateur, en
ce que la grandeur de fon dégré eſt moindre que
celle des dégrés du Nord , & qu'elle ſurpaffe celle
des dégrés équinoxiaux. Il eſtpartiles Mars du
Cap de Bonne Eſpérance , pour ſe rendre aux Iles
de France & de Bourbon , en conféquence des
ordres qu'il a reçus , & dont l'exécution retardera
fon retour de près d'un an .
On mande de Toulouſe , que le 16 du même
mois la Dame de Maupeou , à qui le Roi a donné
J'Abbaye Réguliere d'Azile , Ordre de Sainte
Claire ,Diocéſe de Narbonne , fut bénite dans la
Chapelle des Pénitens Noirs , par l'Evêque de
Lombez. Ce Prélat lui expoſa les devoirs de ſa
nouvelle dignité avec la ſimplicité noble & touchante
, qui caractériſoit l'éloquence des Apôtres.
Après qu'il eut célébré la Meſſe, on chanta le
TeDeum , de la Lande .
Les mêmes Lettres ajoutent , que le Marquis de
Paulmy , Secrétaire d'Etat de laGuerre en ſurvivance
SEPTEMBRE. 1753 . 193
vance du Comte d'Argenſon , eſt arrivé le 20 à
Toulouſe. Il y fit le 22 la revûe du Régiment
d'Anjou & de celui de Royal- Allemand , & il en
partit le 24. Pendant le ſéjour qu'il y a fait , il a
demeuré chez le premier Préſident.
Monſeigneur le Dauphin arriva de Verſailles
le 26 , à Compiegne.
Madame Infante &Mesdames de France , allerent
le 26 ſe promener au camp du Régiment du
Roi. Le Marquis de Guerchy , LieutenantGénéral
des Armées de Sa Majesté , & Colonel- Lieutenant
de ce Régiment , préſenta des rafraîchiſſe
mens à ces Princeſſes ,& eut l'honneur de les fervir.
Pluſieurs Officiers du Corps partagerent cet
honneur avec le Marquis de Guerchy.
Le 27 , le Reine donna le Voile Noir à une Religieuſe
dans le Monaſtére des Carmélites. L'Ar.
chevêque de Rouen célébra la Meſſe , & le Ser.
mon fut prononcé par le Pere Blondel , Recteur
des Jéſuites de cette Ville.
Le lendemain , Monſeigneur le Dauphin ſe rendit
au camp , & le Régiment fit enpréſence de
ce Prince les mêmes évolutions , & les mêmes
exercices à feu , de pied- ferme , & par diviſions ,
qu'il avoit faits le 22 & le 25 devant leurs Majeftés.
La nuit le camp fut illuminé. Monſeigneur le
Dauphin y retourna le 28 , ſur les neufheures du
foir , & ce Prince ſoupa ſous la tente du Marquis
deGuerchy avec la Ducheſſe d'Orléans , le Prince
de Conty , & pluſieurs Dames & Seigneurs de
la Cour. La Marquiſe de Guerchy fut aſſiſe àtable,
à gauche de Monſeigneur le Dauphin. Elle
avoit eu de même l'honneur d'être placée auprès
du Roi , lorſque Sa Majesté ſoupa aucamp le 15.
Le foir, il y eut dans le camp une nouvelle illumination.
:
194MERCURE DE FRANCE.
Monſeigneur le Dauphin , & Madame Infante
Ducheffe de Parme tinrent le 28 fur les Fonts ,
dans la Chapelle du Château , l'enfant dont la
Marquiſe deGouy, l'une des Dames de Compagnie
deMadame Adélaïde , eſt accouchée le 1s.
Le Prince Conſtantin , Premier Aumônier du Roi,
a ſuppléé les cérémonies du Baptême à cet enfant ,
qui a été nommé Louis-Marthe.
L
1
Le 28 , le Roi fit la cérémonie de recevoir les
nouveaux Chevaliers de l'Ordre de Saint Louis
que Sa Majesté a nommés dans ſon Régiment.
Madame la Dauphine continue de ſe porter
auſſi-bien qu'on puitſe le déſirer.
Il y eut le même jour 28 , à Verſailles chez cette
Princefle unconcert, dans lequel on chanta le
premier Acte du Ballet du Prince de Noisy , dont
lesparoles font de M. de la Bruere , & la Muſique
de Meſſieurs Rebel & Francoeur, Sur- Intendans de
laMuſique de la Chambre du Roi.
Leurs Majestés ſouperent le 27 & le 29 au grand
couvert avec la Famille Royale.
Leurs Majestés aſſiſterent le 29 au Salut du Monaſtére
des Carmelites. La Reine avoit entendu
le matin la grande Meſſe dans l'Egliſe de Saint
Jacques , Paroifle du Château.
Le 29 , le Préfident Henault, Préſident Honoraire
en la Premiere Chambre des Enquêtes , l'un
desQuarante de l'Académie Françoiſe , &Aſſocié
Etranger de l'Académie Royale des Sciences &
Belles-Lettres , établie par le Roi de Pruffe , prêta
ferment de délité entre les mains de la Reine
pour la Charge de Sur- Intendant des Finances de
La Maiſon de Sa Majesté,
Le 30 , pendant la Meſſe du Roi , on a chanté
le Deprofundis pour l'Anniverſaire de la feue Reine
Marie-Théreſedd''AAuutriche, époufede LouisXIV,
E
T
SEPTEMBRE . 1753. ros
:
Le 28 & le 30 , il y eut concert chez la Reine.
On y exécuta le Prologue & les deux premiers
Actes du Ballet des Talens Lyriques , dont la Mufique
eſt de M. Rameau .
Le Marquis de Pignatelli , qui depuis la mort
du Comte d'Egmont , ſon frere , a pris le nom de
Comte d'Egmont , & le Duc de Chevreuſe , en
longs manteaux de deuil, ont eu l'honneur de
rendre le 27 leurs reſpects à leurs Majeftés , à
Poccaſion de cette mort.
Le Régiment du Roi décampa le 30 au matin
, & reprit la route d'Arras . Sa Majeſté a créé
quatre nouvelles places d'Aldes Majors dans ce
Corps. Elle a fait diſtribuer aux foldats une fomme
de fix mille livres .
Le 3t , le Comte de Loſſ, Ambaſſadeur Extraordinaire
du Roi de Pologne Electeur de Saxe ,
eut ſon audience publique de congé du Roi ,
érant accompagné par le Comte de Brionne , & *
conduit par M. Dufort , Introducteur des Ambaf
ſadeurs , qui étoient allés le prendre dan les caroffes
de leurs Majestés. Il trouva dans l'avantcour
du Château les Compagnies des Gardes-
Françoiſes & Suiffes , ſous les armes , tambours
appellans ; dansla cour , les Gardes de la Porte &
ceux de la Prevôté de l'Hôtel , auſſi ſous les armes
à leurs poſtes ordinaires. Il fut reçu far le Perron
de l'Eſcalier par le Marquis de Brezé , Grand-
Maître des Cérémonies. Sur Peſcalier étoient les
Cent Suiffes , la hallebarde à la main. Le Duc de
Villeroy, Capitaine des Gardes , reçut l'Ambaſſadeur
à la porte en dedans de la Salle , où les Gardes
du Corps étoient en haye ſous les armes.
Après l'audience du Roi , l'Ambaſſadeur fut con.
duit à celles de la Reine & de Monſeigneur le
Dauphin , par le Comte de Bionne & par M.
۱
Iij
196 MERCURE DEFRANCE.
Dufort. Il eut enſuite audience de Madame Infante
, de Madame Adélaïde , & de Mesdames
Victoire , Sophie & Louiſe , & il fut reconduit
dans les caroſſes de leurs Majestés , avec les cérémonies
accoûtumées.
Le premier Août vers les deux heures après
midi , Monſeigneur leDauphin partit pour retourner
à Verſailles.
L'Abbé de Bernis , Comte de Lyon , & Ambaffadeur
du Roi auprès de la République de Venife,
aobtenu l'expectative de la premiere place , qui
vaquera parmi les trois Confeillers ordinaires Eccléſiaſtiques.
Sa Majefté a accordé au Marquis de Péruſſe
d'Eſcars , Colonel dans les Grenadiers de France ,
l'agrément du Régiment de Normandie , qu'avoir
le Comte de Périgord , nommé Mestre-de-Camp
Lieutenant du Régiment Dauphin , Cavalerie.
Il eſt tombé dans les environs de Lyon , de la
grêle d'une groſſeur a extraordinaire , qu'il s'eft
trouvédes grains qui peſoient plus d'unelivre.
Deux Voituriers , chargés de conduire de la poudre
à Niort , s'étant arrêtés le 23 du mois dernier
dans Poitiers , près du Pilori ; leurs mulets inquiétés
par les mouches , enfammerent en frappant
du pied , cette poudre qu'on avoit eu l'imprudenced'enfermer
dans de ſimples facsde toile.
Ces animaux & les Muletiers ont été mis en piéces
, & leurs membres ont été diſperſés dans differentes
parties de la Ville. Pluſieurs maiſons ont
été fort endommagées. Celle de M. Vogelade ,
Procureur du Roi ,a été détruite de fond en comble.
Preſque toutes les vitres & une partie des tuiles
des autres ont été briſées.
Les Vaiſſeaux la Paix & le Duc deBethune , ap.
partenans à laCompagnie des Indes , font arrivés
SEPTEMBRE . 1753. 197.
Ju Port de l'Orient , l'un le premier , l'autre le 3
de ce mois. Ces Bâtimens qui viennent de la Chine
, font richement chargés.
Le 2 , le 3 , le 6 & le 7 , la Reine entendit la
Meſſe dans l'Egliſe du Monaftére des Religieuſes
Carmelites. Sa Majesté s'acquitta le 4 du même
acte de piété dans l'Egliſe des Dominicains , qui
célébroient la Fête de Saint Dominique. Elle alla
enſuite faire la priere dans l'Egliſe des Capucins ,
& avant de revenir au Château , elle vifita l'Hôpital
de cette Ville .
Dom Martin le Fevre , Abbé de l'Abbaye Réguliere
de Saint Eloi d'Arras , fut préſenté le 4 à
leurs Majestés.
Le Roi , la Reine , Madame Infante & Meſdames
de France entendirent les les Vepres & le
Salut dans l'Egliſe de Saint Corneille. Leurs Majeſtés
furent reçues par la Communauté revêtue de
chapes,&baiferent la vraie Croix entre les mains
de Dom Pierre Louis de Gonfreville , Grand-
Prieur de l'Abbaye , qui eut enſuite l'honneurde
les complimenter.
Leurs Majeſtés ſouperent le 3 & le sau grand
couvert avec Madame Infante , Madame Adélaïde
&Meſdames de France.
Le 4 &le 6 , ily eut concert chez la Reine. On
aexécuté dans ces deux concerts le Prologue &
les trois Actes de l'Opéra d'Acis & Galatér , dont
lesparoles ſont de Campiſtron , & la muſique de
Lulli.
La Reine dîna le 7 dans le Monaſtéré des Carmelites.
Le même jour , M. le Breton prêta ſerment de
fidélité entre les mains du Roi , pour la ſurvivance
de la charge de Premier Préſident du Parlement
de Bourdeaux , dont M. le Breton ſon pere , conſerve
l'exercice.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Ily eut , le 4& le 8, concert à Verfailles chez
Madame la Dauphine , & l'on y exécuta le Prologue
& les trois Actes du Ballet des Amours des
Dieux,dont les paroles ſont de Fuzelier , & la
muſique de Mouret
Le 9 , la Reinepartit de Compiegne pour retourmer
à Verſailles , où elle arriva le même jour .
Le Roi partit de Compiègne le 11 , Sa Majesté
ſerepoſa en chemin à Arnouville chez M. de Machault
, Garde des Sceaux , anſi qu'elle a fait eny
venant. Elle tira dans la Plaine de Saint-Denis ,
&elle fut fouper & coucher au Château de la
Meute,
Madame Infante , Madame Adélaïde & Mel
dames de France , qui demeurerent à Compiègne
juſqu'au 11 avec le Roi , accompagnerent Sa
Majefté.
Le 12 , le Roi ſe rendit àVerſailles avec ces
Princeſſes .
Le Roi ayant jugé à propos d'augmenter de
quatre lenombre des Colonels atrachés au Régi
ment des Grenadiers de France , Sa Majesté a difpoſé
de ces quatre nouvelles places de Colonels
en faveur du Comte de Brancas , Capitaine dans
le Régiment Royal- Rouffillon , Cavalerie ; des
Marquis du Roure & de Chaftillon , Mouſquetaires
de la Premiere Compagnie , & du Comte de
Talleyrand , Lieutenant Réformé à la ſuite du
Régiment de Cavalerie de ſon nom .
Selon les Lettres de Bourdeaux , il y eſt arrivé
depuis peu deux Navires de la Martinique , un de
Saint- Domingue , un de la Guadeloupe , & fept
de differens Ports de l'Europe.
On écrit de Marseille , que le Navire du Capitaine
Louis-Genty-Couture a été pris à deux lieues
du Cap de Gaette par une Galiotte qu'on croitde
Salé.
:
SEPTEMBRE. 1753. 199
Le 7, M. Ogier , Préident Honorairede laSeconde
Chambre des Requêtes , & Sur-Intendant
de la Maiſon de Madame la Dauphine , lequel eft.
nommé Envoyé Extraordinaire & Miniſtre Plénipotentiaire
du Roi auprès de Sa Majesté Danoiſe ,
prit congé de leurs Majestés.
Le 12, le Roi alla fouper & coucher au Château
de Bellevue. Sa Majesté revint le 14 , après avoir
tiré dans la Plaine de Saint Denis.
Le 14 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient àdix-ſept cens vingt-cing livres , les Billets
de la premiere Lotterie Royale à fix cens foixante
& onze , & ceux de la ſeconde à fix cens vingt.
Le 15 , Fête del'Aſſomption de la Sainte Vierge,
le Roi & la Reine accompagnés de Monſeigneur
le Dauphin , de Madame Infante , de Madame
Adélaïde , & de Mesdames de France , entendirent
dans la Chapelle du Château la grande Meffe
célébrée par l'Evêque d'Arras , & chantée par la
Muſique.
Leurs Majestés aſſiſterent l'après-midi aux Vêpres
& à la Proceffion , auſquelles le même Prélat
officia.
Madame la Dauphine entendit l'Office du matin
, & celui de l'après-midi , dans la Tribune.
Il y eut le même jour grand couvert chez la
Reine.
Le Roi a nommé pour ſon Envoyé Extraordinaire
& Miniſtre Plenipotentiaire auprès de la République
de Génes , à la place du ChevalierChauvelin,
qui va réſider à Turin en qualité d'Ambaſfadeur
de Sa Majesté , M. de Neuilly , Conſeiller
Garde des Sceaux Honoraire au Parlement de
Bourgogne , frere de M. de la Marche , Premier
Préfident du même Parlement.
LeMarquisde Cruſſol , Chevalier des Ordres
I inj
200 MERCURE DE FRANCE.
du Roi , Maréchal des Camps & Armées de Sa
Majesté , & ſon Miniſtre Plénipotentiaire auprès
de l'infant Duc de Parme , devant retourner inceffſamment
à Parme , prit auſſi congé du Roi , de
la Reine , & de la Famille Royale .
Le même jour , Fête de l'Afſomption de la Sainte
Vierge , la Proceſſion folemnelle , qui ſe fait
tous les ans à pareil jour en exécution du voeu de
Louis XIII. ſe fit avec les cérémonies ordinaires ,
& l'Archevêque de Paris yofficia . La Chambre
des Comptes , la Cour des Aides , & le Corps de
Ville y affifterent.
Sa Majesté a accordé à M. de Lamoignon , Préfident
Honoraire du Parlement , l'agrément de la
charge de Prévôt Maître des Cérémonies de l'Ordre
Royal & Militaire de Saint Louis , vacante
parla mort de M Bernard , Conſeiller d'Etat ordinaire
, Doyen des Doyens des Maîtres des Requêtes.
En faveur du Vicomte de Prouvay , ancien Capitaine
deDragons,& pour récompenſe, tantde ſes
fervices que de ceux de ſes ancêtres connus ſous
le nom de Nazelle , le Roi vient d'ériger en Marquiſat,
avec ladénomination de Ducaufé Nazelle,
Ja Vicomté de Neufchatel , ſituée dans la Généra,
lité de Soiſſons .
Le 16 , le Roi partit pour Choiſy , d'où Sa Majeſté
revint le 18 .
Dans l'aflemblée générale que le Corps-de-Ville
tint le même jour , M. Paschalis , Conſeiller de
Ville , & M. Caron , Notaire , ancien Syndic de ſa
Compagnie, furent élus Echevins.
A la derniere Foire de Beaucaire , le prix des
ſoyes de lapremiere qualité a été depuis dix- neuf
livres quinze ſols, juſqu'à vingt liv. cinq; celui des
toyes de lafeconde , depuis dix huit livres quinze ,
SEPTEMBRE. 1753. 201
juſqu'à dix- neuflivres dix ; celui de la foye ordiraire
,depuis dix-huit livres douze , juſqu'à dix.
huit livres cinq ; & celui des doupions , depuis dix
livres dix , juſqu'à dix livres quiaze. On compte
qu'il s'y eſt vendu , en Grege-Alais , neuf à dix
mille ballots , chacun de cent livres peſant. Le débit
des étoffes de foyerie a été beaucoup plus confidérable
que les années dernieres. Il s'eſt trouvé
un grand nombre d'Etrangers à la Foire , & l'argent
y a été très-abondant.
BENEFICES DONNE'S.
So A Majesté a donné l'Abbaye de Coetmaloën
Ordre de Citeaux , Diocéſe de Quimper , å
l'Abbé Laurent , Vicaire Général de l'Evêché de
SaintMalo.
Le Roi a nommé l'Evêque de Bayeux à l'Archevêché
de Sens ; l'Evêque de Blois , à l'Archevêché
de Toulouſe ; l'Evêque d'Evreux , à l'Evêché de
Bayeux ; l'Abbé de Termont , Aumônier de Sa
Majesté , à l'Evêché de Blois , l'Abbé Dilon ,
Grand Vicaire de Pontoiſe , à l'Evêché d'Evreux ,
l'Abbé de Sainte Aldegonde , Aumônier de S. M.
àl'AbbayedeBreteuil, Ordre de S Benoît, Diocéſe
de Beauvais ; l'Abbé de Colincourt, auſſi Aumonier
de Sa Majesté , à l'Abbaye de Saint Juſt , Ordre
de Prémontré , même Diocéſe ; l'Abbé de Saint-
Aubin , Vicaire Général de l'Evêché de Rennes , à
celle de Saint Aubin des Bois , Ordre de Cîreaux ,
Diocéſe de Saint Brieu ; l'Abbé de Buffy , à celle
de Saint Laonde Thoars , Ordre de SaintAuguftin
, Diocéſe de Poitiers ; Dom Jacquot , à l'Abbaye
Réguliere de Salival , Ordre de Prémontré ,
Diocéſe de Metz ; Dom Opinel , à celle de Doë ,
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
même Ordre Diocéſe du Puy ; la Dame de Baufſet
de Roquefort àcelle du Saint Eſprit de Beziers,.
Ordre de Saint Auguſtin ; & l'Abbé de Treffan ,
au Doyenné de l'Egliſe Collégialede Saint Gengoul
, Diocéſe de Toul.
NAISSANCE , MARIAGES
L
&Morts.
E 3 Août , Madame la Comteffe de Balincourt
, épouſe du Colonel dans les Grenadiers
de France , accoucha d'un garçon qui a été baptilé
le même jour à S. Sulpice , & a été nommé
Amedée- Claude-Guillaume-Rosalie. Il a eu pour
parain le Marquis de S. Point , ſon ayeul maternel
, & pour maraine Madame la Marquiſe deBalincourt
fon ayeule paternelle Voy. les Tab. Hift.
We part. pag. 364.& la VIe part. pag. 126.
Meffire Joſeph Razaud , Commandeur de l'Ordre
royal & militaire de S. Louis , Lieutenant Général
des armées du Roi , & Directeur des fortiffcations
de Eranche Comtë , a épousé le 28 Juin
en fecondes noces , au Château de Manville , Dame
Marie Charlote de Malortie , veuve du Comte
de Bapaume , proche parente de la maiſon de
Boutteville-la-Ferté,& coufine du Comte de Spaar,
Commandeurde l'Ordre de S. Louis , Maréchal
des camps & armées de Sa Majesté , & Colonel
du Régiment Royal-Suédois.
Meffire Pierre-Gui-Balthazard- Emé de Guiffres
de Montainard , Comte de Marcieu , Marquis de
Boultieres , Maréchal des camps & armées du
Roi , Gouverneur de la ville & citadelle de Gre
noble & Sous. Lieutenant des Gendarmes de la
وم
SEPTEMBRE. 1753. 203
Garde ordinaire du Roi , époufa le 3 JuilletDemoiſelle
Marie- Marthe Landri . Leur contrat de
mariage avoit été ſigné le 24 du mois précédent
par leurs Majestés & par la Famille Royale. Voy . la
IV.part. desTabl , haft. pag. 158 , & laVe pag.408 .
Le 24, fut célébré dans la Chapelle du château de
Montfrin à 3 lieues de Nîmes , le mariage de Mre
Louis François de Montainard , Chevalier , Marquis
de Montainard, &de la Pierre , &c. Maréchal
des Camps & Armées du Roi , Inſpecteur
Général d'Infanterie , Chevalier de l'Ordre Roïal
&Militaire de S. Louis , avec Demoiselle Frangoiſe-
Marie de Montainard , fille de Meffire Jo-
Teph de Montainard , Chevalier , Marquis de
Montfrin,Comte de Souternon , Sénéchal de Ni
mes & de Baucaire , & de Dame Diane- Henriette
de Baſchi d'Aubais.
La maiſonde Montainard eſt originaire duDar
phiné , & fans contredit une des plus anciennes da
Royaume. Elle a un avantage affez rare , qui ef
de pouvoir remonter par une ſuite d'ayeux , prou
vés par des titres authentiques , juſqu'au milieu dur
Xe fiécle , c'est-à dire, vers l'an 95o. Rodolphe ,
le premier de cette maiſon qui foit connu , étoit
un des plus puiſlans Seigneurs du Greivaudam ,&
un de ceux qui aiderent farn , Evêque de Greno
ble vers l'an 965 , à chaſſer les Sartafins qui s'étoient
emparés d'une partie de ſon Diocese. Ainard,
fon fils aîné , fonda veisl'an 1027, ducon
fentement de fon pere &de ſes freres Arnout ou
Athanulfe & Gui , dans fa terre de Doméne , un
Prieuré de l'Ordre de Cluni qui fubfifte encore
préfent. Ainard , laiſſa quatre enfans, dons if efts
fait mention dans un titre de la fin du XIe fiéele ,
dutems de Pontius-Clodius , Evêque de Grenoble
,& Pons , l'aîné de ſes enfans, prit lefurnonr
Ivj
204 MERCURE DE FRANCE.
d'Ainard , qui devint propre à ſa postérité juſqu'a
Pierre Ainard ſon fixieme deſcendant , qui le premier
prit le ſurnom de Montainard , Terre du
Greſivaudan , dont il fit hommage au Dauphin
Guigue l'an 1329 , & lai ſoumit en même tems
tout ce qu'il poflédoit dans le Pays de Triéves. Il
fut pere de Raimond de Montainard II . du nom ,
Lieutenant de Roi de Dauphiné , qui demanda
l'ouverture de la ſubſtitution du Comté de Diois ,
faite en faveur de ſes ancêtres. De ſon mariage
avec Marguerite de Rochefort , il eut entr'autres
enfans Jean de Montainard , pere de Raymond
III . Lieutenant-Général de la Province de Dauphiné
en 1455 , &dont le fils Hector , Seigneur
de Montainard , de la Motte-Chalençon , Montfort
, la Pierre , & c. étant Gouverneur du Comté
d'Aſti pour le Roi Louis XII . épouſa Marguerite
Paléologue , fille du Marquis de Montferrat. De
cette alliance fortitent trois garçons , ſçavoir ,
Louis , Laurent & Jean-Jacques , qui formerent
trois branches. Celle de Marcieu , dont Laurent
fut auteur fondit l'an 1622 dans la maiſon des
Eme-de- Saint -Julien , & la troifiéme venue de
Jean-Jacques fondit en 1627 dans celle de la
Vergne de Treffan.
१
La postérité de Louis de Montainard , fils aîné
d'Hector s'eſt ſubdiviſée en deux autres branches ,
lesſeules qui ſubſiſtent actuellement , par les deux
enfans de fon petit fils Marius de Montainard ,
Seigneur de Montfrin. François de Montainard ,
fils aîné de Marius eſt le quatrième ayeul de la
nouvelle mariée , & fon frere Gui-Baltazard de
Montainard , Seigneur de Chatelaid eft le biſayeul
du Marquis de Montainard qui donne lieu à cet
article. Voyez lesTablettes Hiſtoriques , IV. partie
, p. 110. & Ve. partie , page 402.
SEPTEMBRE. 1753. 205
Le 25 , Hubert de Boucher , Comte de la Tourdu
Roch d'Allas , épouſa Dlle Elifabeth Brunet
de Neuilly fille de feu Meſſire Jean-François de
Neuilly , Lieutenant-Colonel du Régiment de
Bourbon Cavalerie , & de Dame Angélique- Eu.
phemie Hébert , ſoeur du ſieur Hébert , ancien
Introducteur des Ambaſſadeurs. La bénédiction
nuptiale leur fut donnée par l'Evêque d'Arras ,
dans laChapelledu Curé de S. Nicolas-des-Champs.
Meſſire Pierre de Lentivi , Chevalier , Seigneur
de Kerlon & de Danteuil , Marquis de Limur ,
Comte de S. Urcin , mourut le 10 Juin âgé de
64 ans , dans fon Chateau de .... près de Ségur
enGuyenne.
Lamaiſon de Lentivi eſt une des plus anciennes
&des mieux alliées de la Bretagne où elle est connue
dès le treiziéme ſiécle. Elle a produit dans les
différens tems de la recherche de la Nobleffe en
1480 , 1483 , 1513 , 1669 & 1671 , & a obtenu
des jugemensqui reconnoiſſent l'anciennetéde ſon
extraction .
Onprétend qu'elle eft originaire d'Angleterre ,
&quedeux freres Jean & Pierre de Lentivi paſſerentde
ce Royaume enBretagne,& s'y fixerent par
des mariages avantageux. Ceux que fit l'aîné ,
Jean de Lentivi , Chevalier , Baron d'Arches , Seigneur
des Combes , avec Julienne de Rochechouart
, & Françoiſe de Cramezel , dit de Queramezel
qui furent ſtériles. Pierre de Lentivi ,
Chevalier , Seigneur de S. Urcin & de Vaudemont
, devenu veufſans enfans d'Alienor de Lanvault
, des anciens Batonsde Lanvault , ſe remaria
en 1298 avec Adélaïde de Baud , fille héritiere
de Guillaume de Baud, Chevalier , & de Béatrix
de Lanvault. On rapporte qu'il avoit le don fin-
1
206 MERCURE DEFRANCE .
gulier de guérir par le toucher d'une eſpèce demal
appellé Malitouche , don qui ne peut être qu'une
faveurdu Ciel , & dont les defcendans de Pierre
ſe vantent de jouir & de guérir encore entouchant
ceux qui leur ſont préſentés.
0
Pierre de Lentivi eut pour fils aîné Raoul de
Lentivi , Chevalier , Seigneur de Quernazel , S.
Urcin , Quervenallée , Querviti , &c . Celui- ci fut
marié trois fois, 1 ° . avec Alliete de Lannouan dont
il eut pluſieurs enfans. 29. Avec Alienor de Querſeu
, de laquelle il n'eut point de poſtérité. 3º. Avec
Alix de Baud. Eon de Lentivi , aîné des enfans
du trofiéme lit, forma la branche des Seigneursdu
Croſco , qui , quoique cadette , devint la plus riche&
la plus renommée ; cette branche finit àla
huitiéme génération , dans la perſonne de Claude-
François de Lentivi , Seigneur du Croſco ; lequel
de ſon mariage avec N ..... l'Evêque laiſſa pour
falle unique Florimonde de Lentivi , riche héritiére
qui épouſa N...... Rouge , Marquis du Plef
fis-Belliere , pere d'Innocente-Luce de Rougé de
Belliere aujourd'hui Princeſſe d'Elboeuf.
Du premier mariage de Raoul de Lentivi na
quirent entr'autres Jean de Lentivi qui continua
la branche aînée , & Olivier de Lentivi qui ratifia
la paix de Guerrande entre le Roi & le Duc
de Bretagne , comme il ſe voit en l'acte rapporté à
S. Brieu , de l'an 1381 , ſcellé du ſceau dudit Lentivi.
Cet acte eſt déposé à Paris , chez M. Dupuis,
Garde des Chartes de France.
Jean de Lentivi premier du nom , Seigneur de
Queranazelle , Quervenallée , Quenars , Querian
, Querandreno , Querviti , &c. épouſa en
premieres noces Marion de Malétroit , & en ſe
condes Marguerite Hilari. Son fils aîné Jean de
Lentivi II. du nom eut de fon mariage avec Ca-
1
SEPTEMBRE. 1753. 207
therine Phelipot , pour fils aîné Guillaume de
Lentivi , allié avec Louiſe de Querboutier. De ce
mariage fortirent entr'autres Alain , dont la fille
unique Blanche de Lentivi épouſa Guillaume de
Lentivi , cadet de la branche de Croſco , dont la
poſtérité eſt fondue dans la maiſon de Kerſauſon ;
François qui a fait la branche de Talhouet , mentionnée
ci après , & Guillaume , dont la poſtérité
s'eſt éteinte dans le dernier fiécle .
Branche de Talhouet ..
François de Lentivi frere puîné d'Alain , eut en
partagede fon pere & en Jouvignerie , la terre de
Querandreno , par acte du 14 Août 1516 , & acquit
conjointement avec ſa femme Nouele de Quilien,
la Seigneurie de Talhouet. Son fils aîné Raoul
de Lentivi , Seigneur de Talhouet , s'allia le premier
Mai 1525 avec Marie de Buléon , elle le fir
perede Jacques de Lentivi , Chevalier , Seigneur
de Talhonet , qui fut Gouverneurde Pontivi , qu'il
défendit contre le Duc de Mercoeur , un des Chefs
de laLigue. Il épouſa Marguerite de Tenouel. De
ce mariage fortirent Michel & Jacques de Lentivi
dont l'aîné a continué la branche de Talhouet&
l'autre a formé celle du Reſte.
Michelde Lentivi , Seigneur de Talhouet , par
tagea en 1604 avec ſon frere , & épousa Anne de
Quervafie de Malétroit , dont il eut pour fils aîné
Jean de Lentivi , Seigneur de Talhouet , allić
avec Françoiſe de Tregouet. Leur fils aîné Louis
de Lentivi fut aſſaffiné àQuimpercorentin le 2
Février 1673 laiſſant de la femme Gilette Abil-
Jan , Dame de Quejo , Hervé de Lentivi , Chevalier
, Seigneur de Tallhouer, marié avecJeanne le
Bondoul , Dame de Bonherve. De ce mariage
fontnés:
,
208 MERCURE DE FRANCE .
1°. Vincent Louis , Seigneur dé Thalhouet , allié
à Claudine Robert , fille de l'Intendant de la
Marine au Département deBreſt , ſans enfans.
2º. Clément , marié avec N..... de Lage , ſans
enfans.
3 °. Pierre , qui a épousé N..... de Salarunde
Coué.
4°. Louiſe, femme de Meffire Alexandre du
Bouenil-Campel , Chevalier.
:
Il
Branche du Reste .
Cettebranche a été formée par Jacques de Lentivi
, fils puiſné de Jacques , Seigneur deThalouer.
tranfigea 1le 8Janv. 1604avec ſon frere Michel ,
fur la ſucceſſion paternelle , & établit ſa demeure
au Reſte , Paroiſſe de Noyal , Evêché de Vannes ,
où a été bâtie une belle maifon par ſon fils aîné
Jean de Lentivi , qui avoit pour mere Perinne le
Douarin, de la maiſon du Mizs , & qui épouſa
par contrat du 6 Septembre 1647 NicoleHamon ,
fille unique de François Hamon , Ecuyer , Seigneur
de Quermau, il eut entr'autres enfans Bernard
,'Jacques & François qui ont laiſſe poſtérité.
I. Bernard de Lentivi , Chevalier , Seigneur du
Reſte & de Frémur , fut marié par contrat du 27
Juillet 1686 à Catherine Menardeau de Monbreuil.
Leur fils Jerome- François de Lentivi , Seigneur du
Refte & de Fremur, dont la foeur Catherine s'eſt
alliée à Meffire Hilarion-Eléonor de Forfan , Chevalier
, Seigneur du Houx & Confeiller au Parlement
de Bretagne , & a épousé par contrat du 27
Janvier 1727 Guyonne-Françoiſe Pélagie Robert
de la Bellangeraye. Leurs enfans font :
Julien Hilarion-Jerome de Lentivi , reçu
Confeiller au Parlement de Bretagne en 1740.
2°. François Claude Camille , ci devant CorSEPTEMBRE.
1753. 209
netre Dragons dans le Régiment d'Harcourt , &
actuellement dans les Chevaux- Légers.
3º. Innocent Louis-Bretagne , Eccléſiaſtique.
4°. Guyonne- Claire de Lentivi .
II . Jacques de Lentivi , Seigneur de Querlor ,
eut pour fils Joſeph de Lentivi , Seigneur de Pendelan
, qui épouía N...... de Chef-du-Bois , de
Gueguiomart ; il en a laiſlé pour fils unique Jacques
de Lentivi, âgé de 21 ans.
III . François de Lentivi avoit épousé Michelle-
Jeanne de la Chenaye du Belliquet , de laquelle
font nés :
1º. Jean Louis de Lentivi , Seigneur de Kerlogondenne
, marié à Julienne Guêpin , ſansenfans.
29. Joſeph- Maurice de Lentivi , Seigneur du
Liveri , dont la veuve , Marie Joſephe de Cramezel
, fille unique de Pierre de Cramezel , Chevalier
, Seigneur de Kerjaut , s'eſt remariée avec
N..... du Gouvelle , Chevalier , Seigneur de
Keriaval , Capitaine au Régiment de Mailly , Infanterie.
Il y a encore une branche de Lentivi , dite de la
Lande , établie dans le Craonnois en Anjou ; il
en eſt ſorti deux Conſeillers au Parlement de Bretagne
, & l'unique héritierde cette branche vient
d'époufer Mlle Milon , niéce de l'Evêque de Valence
,&parente de M. le Garde des Sceaux.
i Les armes de la maiſon de Lentivi font de geules
, àune épée d'argent en pal la pointe en bas , &
pourdeviſe : Qui defire n'a repos.
Dom Pierre- Emmanuel de Vienne , Abbé de
l'Abbaye Réguliere de Doë , Ordre de Prémontré,
Diocèſe duPuy , mourut àBleſle en Auvergne le
16 Juin , âgé de 47 ans .
Dominique-Jean Camuſet , Sécrétaire du Roi
210 MERCURE DE FRANCE.
Maiſon , Couronne de France &de ſes Finances,
l'un des quarante Fermiers Généraux de Sa Majeſté
, décéda à Nantes le 23 .
Le 26 , Marie-Joſeph , fils de Meffire Guillaume
François- Louis Joli de Fleury , Procureur Général
du Parlement , mourut à Paris , âgé de 14 mois.
L
AVIS.
E Sieur Maille , Vinaigrier Distillateur ordi
naire de l'Impératrice-Reine , donne avis aux
François & aux Etrangers , qu'à commencer dư
premier Septembre juſqu'à ce qu'il avertira le pu
blic, il ne pourra point vendre du vinaigre philofophique.
Ledit Sieur travaille à la compofition
dedifferens vinaigres qui n'ont point encore paru,
&dont les noms font ci après : vinaigre Gnaphantom
, vinagre Naphe , vinaigre de Puſelle ,
vinaigre Impérial , vinaigre de Mufcat , & diffesens
autres qui feront annoncésdans peu ; l'on continue
la vente du vinaigre de Venus à l'uſage des
Dames, & à celui des opiſamides ſur le prix de 96
liv. la bouteille ; les moindres bouteilles de ce
vinaigreſe vendent 6 liv ..Le vinaigre du Turby &
le vinaigre Romain continue à faire des progrès
infinis chacun dans leur utage , le vinaigre de
Turby pour la guériſon radicale du mal de dents,
& le vinaigre Romain qui les blanchit , raffermit
les gencives , & diffipe les eaux glaireuſes
qui contribuent à les gâter , arrête le progrès de
Ja carie ,& que les autres dents ne ſe cariflent , &
en ſe ſervant de ce vinaigre par habitude , il prévient
la douleur de dents, Phaleine forte , & guérit
tous les petits chancres & ulceres qui viennent
dans la bouche.
SEPTEMBRE. 1753. 218
Ledit Sieur Maille vendtoutes fortesde vinaigres
pour blanchir & entretenir la peau, guérir
les boutons , dartres farineuſes , macules & taches
du viſage. Pour la facilité des perſonnes de Province
qui fouhaiteront avoir de ces vinaigres ,
l'on joint ci-après les noms & propriétés de chaque
eſpéce.
Vinaigre de Storax, blanchit , unit & affermis
la peau; vinaigre de fleurs de citrons , pour ôter
toutes fortes deboutons ſur le viſage ; vinaigre
d'écaille ,pour guérir les dartres farineuſes ; vinaigre
de racines , pour ôrer les macules & taches
du viſage, il ſe trouve chez lui toutes fortes de
vinaigres pour la table & la toilette au nombre de
cent trente fortes , le tout compoſé d'un goût
nouveau , comme auffi toutes fortes de fruits con
fits au vinaigre , qui ſont pavis de pomponne , à
l'Italienne , bigareaux à la Reine , champignons
au vinaigre , brugnons , poivrons d'Eſpagne , confits
à la façon de Turin , graine de capucine confite
, criſte marine confite melons marinés à
PAngloiſe , bled de Turquie mariné , cornichons,
pommes d'amour , haricots à la Génoiſe ,paſſepierre
confite. Les perſonnes des Provinces de
France , ou celles des Royaumes étrangers qui
defireront avoir des vinaigres , ſoit pour les dents
ou pour le viſage , qui font énoncés ci-deſſus , les
recevront en écrivant une Lettre à Paris , & en remettant
l'argent à la Poſte. Les moindres bouteillesde
chaque eſpéce de vinaigre ſe vendent trois
liv. Le Sieur Maille demeure à Paris , rue de l'Hi
rondelle , aux Armes Impériales.
:
,
AUTRE.
1
La Commiffion Royale de Médecine aſſemblée
212 MERCURE DE FRANCE.
le9 du mois de Mai , a permis au Sieur Cartier
d'adminiſtrer ſon reméde pourdiſſoudre la Pierre
dans la veffie , &débaraſſer les reins & autres vifceres,
de tout ſable&gravier. Lesbons effets de
cediffolvant font atteſtés par pluſieurs perſonnes
de la profeffion , & autres dignes de foi ; les uns
par des actes devant Notaires publics , confirmés
par M. le Duc de Mirepoix , Ambassadeur Extraordinaire
de Sa Majefté auprès du Roi de la
Grande-Bretagne ; les autres par M. le Comte
d'Albemarle , Ambaſſadeur Extraordinaire & Plénipotentiaire
de Sa Majesté Britannique à la Cour
de France ; d'autres par les certificats de pluſieurs
particuliers qui en ont été guéris.
Certe poudre eft compoſée de ſimples fans au
cune mixtion chimique , comme M. de Senac ,
premier Médecin du Roi , eſt en état de le certifier.
Elle diſsout ces coucrétions pierreuſes , en chan .
geant la qualité des fluides qui les produiſent ; la
naturedes liqueurs étant changée , le corps étranger
tombe & fe diſsout infailliblement.
Quoique ce reméde ſoit long dans ſon opération
àdiſsoudre la pierre , il a cela de particulier .
qu'à peine les malades ont-ils pris vingt à trente
priſes de la poudre , qu'ils ne ſentent preſque plus
aucune incommodité de la pierre; ils peuvent
vacquer àleurs affaires , & même aller en voiture
ſans ſouffrir.
Trente àquarante priſes de ladite poudre font
capables de détruire la gravelle la plus invétérée.
Pour une plus ample certitude de ce fair , & pour
convaincre le Public de ſon efficacité , Meſſieurs
lesMédecins ſont priés de vouloir bien inettre en
uſage le reméde du Sieur Cartier , il ſe fera gloire
d'adminiſtrer ſa poudre ſous leur propre direction;
&ceux qui ſe préſenteront à lui directement, aa
SEPTEMBRE . 1753. 213
feront entrepris qu'ils n'ayent apporté un certificat
du Chirurgien qui les aura fondés auparavant.
Cette poudre eſt extrêmement agréable au goût
& à l'odeur , & ne peut faire le moindre tort ou
préjudice au corps ; même plus les malades en
prennent , mieux ils s'en trouvent pour la gayeté
&l'embonpoint.
Son adreſse eſt rue Mazarine , chez M. Nihell,
Chirurgien , ou au gros Raisin ,àcôté. On payera
le port des lettres.
AUTRE.
L'Eau des Sultanes ſe diſtribue toujours avec
beaucoup de ſuccès. Ily a peu de ſemainesque le
Geur Garrot , ſeul poſſeſſeur du ſecret de le compoſer,
ne reçoive des lettres de Province , qui lui
fontadreſſéesde la partdes perſonnes de diſtinction
, pour des envois qu'il a ſoin de faire tenir
régulierement. Ces perſonnes véridiques qui font
l'éloge de cette eau , ont remarqué par l'uſage
qu'elles en ont fait , qu'elle poſſéde non ſeulement
toutes les vertus annoncées déja dans le Mercure
de Juillet 1752 , mais encore celles d'être excellente
pour preſſer la guériſon des éreſipeles , dar
tres vives&farineuſes , & enfin de toutes les maladies
de la peau qui ont un trop grand feu pour
principe.
On peuts'en ſervir le matin& le ſoir. Elle raffermit
la peau , la fortifie & l'adoucit conſidérablement
en la blanchiſſant ; elle a auffi la vertu
de rafraîchir. Elle convient , non-ſeulement aux
femmes , mais encore aux hommes qui ont le viſa.
ge brûlé du ſoleil en courant la poſte ou la chaffe;
il ne faut qu'imbiber un petit linge fin ou une
éponge avec cette cau , & s'en étuver , pour ſe
214 MERCURE DE FRANCE.
trouver promptement ſoulagé. Cette eau est trèsconvenable
dans les bains de ſanté & de propreré ;
on la peut mêler avec l'eau du bain , à volonté ;
lorſqu'on ſera ſorti du bain , on peut l'employer
toute pure ; on peut auſſi , après s'être bien lavé
les mains&les avoir eſſuyées , fe les frotter de ladite
eau pure , puis la laiſſer ſécher fans les eſſuyer
que très-légerement. Cette eau eſt auſſi très bonne
pour les taches de roufleur& les rougeurs de la
petite vérole , elle les efface entierement. Pluſieurs
Seigneurs & Dames s'en fervent actuellement.
Cette eau ſe débite en différentes Provinces, Le
prix du flacon eſt de 6 liv. &ledemi flacon eſt
de 3 liv. Le ſieur Garrot prie les perſonnes qui lui
écriront , d'affranchir le port de leurs lettres.
Ildemeure préſentement rue d'Orléans S. Honoré,
shezM. Dreau, Chaudronnier , auſecond étage,
AUTR E.
Mlle Mutin , approuvée de M. le premier Médecin
du Roi & de la Commiſſion Royale deMédecine
, donne avis au public qu'elle guérit avec
ſuccès les maladies des yeux , tayes naiſſantes ,
ulceres de la per te verole , fluxions, inflammations,
ſans opération , ni ſans ſouffrir aucune douleur.
On trouve chez elle l'eau qu'elle poſſéde
ſeule, pour fortifier toutes les foibleſſes de vûe ,
ſoit qu'elles foient cauſées par des ſuites de maladies
, ou autrement. On y trouve auſſi l'eau pour
la paralyfie parfaite & imparfaite des yeux. Elle
guérit les pauvres pour rien.
On la trouve chez elle depuis huit heures du
matin juſqu'à midi , &depuis deux heures juſqu'à
fix du foir. Elle demeure chez M. Rouffel , MarchandMercier
Quincaillier , que Montmartre , entre
La rue du Mail la rue des Foſſés. Son tableau eft,
fur la porte.
SEPTEMBRE . 1755 , 25
J
APPROBATION.
'Ai lû , par ordre de Monſeigneur le Chancelier
, le volume du Mercure de France du mois
de Septembre, A Paris , le 1 Septembre 1753 .
LAVIROTTE .
TABLE.
P
IECES FUGITIVES en Vers & en Profe.
Oritie & Borée ; Conte ,
page3
Aſſemblée publique de la Société Royale de Lyon ,
ril 1752 , du 19 Avril
و
Les Oiſeaux galans trompéspar une Fauvette, Fable
, à M. Guerg *** , 27
Eſſai ſur l'origine & les progrès des Connoiſſanceshumaines
,
31
Vers à Mlle Pellerin , pour lui annoncer la mort
de ſon Serin , 18
Avis au Public fur les Charrois , 66
Vers pour Mile Coleb , qui accompagnoit ſa voix
en jouant du clavecin. Par M. L. Dutens de
Tours , 72
Vers par le même , pour Mlle B .... N ... 73
Nouvelle découverte ,
74
Eſope , Phédre & la Fontaine aux champs Eliſées ,
Nouvelle . Par M. Desforges Maillard ,
76
Séance publique de l'Académie Royale de Chiturgie
, tenue le Jeudi 3 Mai 1753 . 79
Mots de l'Enigme & des Logogryphes du dernier
Mercure ,
1
107
Enigme & Legogryphes , ibid.
216
Nouvelles Littéraires ; 103
Beaux Arts , 132
Chanſon , 156
Spectacles , 157
Nouvelles Etrangeres , 180
France. Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 1.88
Bénéficesdonnés , 201
Naiſſance , mariages & morts , 202
Avis , 210
LaChanson notée doit regarder la page 156
De l'Imprimerie de J. BULLET.
:
:
MERCURE
DE FRANCE ,
DDEÉDIÉ AU ROI.
OCTOBRE . 1753 .
LIGIT
UT SPARGAT
Papillon
S.
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT Quai de Conty ,
defcente du Pont-Neuf.
,
àla
DUCHESNE , rue Saint Jacques,
au Temple du Goût.
M. DCC. LIII.
Avee Approbation & Privilége du Roi.
AVIS.
'ADRESSE du Mercure eft à M. MERIEN
LCommis au Mercure, rue des Foffez S. Germain
l'Auxerrois , au coin de celle de l'Arbre-fec , pour remettre
à M. l'Abbé Raynal.
Nous prions très-instamment ceux qui nous adreſſeront
des Paquets par la Poste , d'en affranchir le port ,
pournous épargnerle déplaisir de les rebuter , & à eux
selui de ne pas voir paroître leurs Ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays Etrangers ,
quiſouhaiteront avoir le Mercurede France de la premiere
main , & plus promptement , n'auront qu'à
écriveà l'adreſſe ci-deſſus indiquée.
On l'envoye auſſipar la Poſte, aux perſonnes de Province
qui le defirent , les frais de la pofte ne sont pas
confiderables.
On avertit auffi que ceux qui voudront qu'on le porte
chezeuxàParis chaque mois , n'ont qu'àfairesçavoir
Beurs intentions, leur nom & leur demeure audisfieur
Merien,Commis au Mercure, on leur portera leMercure
très - exactement , moyennant 21 livres par an , qu'il
payeront ,sçavoir , 10 liv. 10f. en recevant le second
volume de Juin , & 101. 10 f. en recevant leſecond
volume de Décembre. On les supplie instamment de
donner leurs ordres pour que ces payemens foientfaits
dans leur tems.
On prie auſſi les personnes de Province , à qui on
envoye le Mercure par la Pofte , d'être exactes à faire
payer au Bureau du Mercure à la finde chaquefemeftre
,fans cela on ſeroit hors d'état de foutenir les
arances conſidérables qu'exige l'impreſſion de ces
okvrage.
On adreſſe lamême priere aux Libraires de Province.
On trouvera le ſieur Merien chez lui , les mercre
di , vendredi& Samedi de chaque semaine.
PRIX XXX, SOLS.
!
MERCURE
DE FRANCE ,
1 1
DÉDIÉ AU ROI.
OCTOBRE. 1753 .
PIECES FUGITIVES,
en Vers & en Profe.
VERS
Pour Mlle B **, de Tours, par L. Dutens
deTours .
Arrête, où porte-tu tes pas?
Divin Soleil , arrête , & borne à nos climats
Une infructueuſe carriere ;
Ce monde , àqui tu cours diſpenſer ta lumiere,
Ne peut jamais t'offrir d'auſſi charmans appas ,
Que t'en offrent les yeux de l'aimable Glycère.
DesSçavansde l'antiquité ,
Aij
4 MERCURE DE FRANCE.
Rien ne me prouve mieux l'ignorance profonde
Que le ſyſtême faux qu'ils nous ontdébité
Sur ta marche conſtante autour de notre monde
S'il étoit vrai , Glycère eût changé cette loi ;
Ses regards enchanteurs , qui peuvent tant ſur moi
Auroient bientôt fixé ta courſe vagabonde ,
Si la terre en fuyant ne l'éloignoit de toi.
VERS A UN MENTEUR ,
Par lemême.
LEs larmes d'une Courtiſanne ;
Les careſſes d'un favori ,
Le chagtin d'une veuve en deuil de ſon mari;
D'un Normand adroit qui chicane ,
Les détours & les fauſſetés
Sont près de tes diſcours autantde vérités.
U
Ne perſonne très- aimable &très- aimée
, à qui j'ai ſucceſſivement fait
préſent d'une Fauvette &d'un Serin , qui
ſont morts tous deux , m'envoya ces jours
paffés les vers ſuivans , qu'elle intitule :
Epitaphe deſon Serin & de fa Fauvette.
Cy gît auprès d'une Fauvette,
Un Serin dont l'Amour fit choix,
Pour être près de moi ſon fidéle interprête,
Que l'Amour cherche une autre voix;
OCTOBRE. 1753 .
5
C'eſt le ſecond que je regrette ,
Je n'en regretterai pas trois.
Par Mile L***.
Je lui ai répondu par les quatre vers
fuivans.
RÉPONSE.
L'Amour ſe rend à vos deſirs ;.
De mon attachement extrême
Ecoutez les tranſports , mon ardeur , mes ſoupirs ,
C'eſt l'Amour qui parle lui-même.
Le 29 Mai 1753 . Bidault.
REFLEXIONS fur l'utilité des Compagnies
Littéraires , à l'occaſion d'un Difcours
lû dans la Société Royale de Nancy ,
rendu public au mois de Mars dernier. Par
M. Roupnel de Chenilly , Avocat.
T
Outes les Profeffions qui font en
honneur dans les Etats policés , doivent
leurs principes à des vérités primitives
qui en paroiſſent comme indépendantes ,
qui étant ignorées en retardent les progrès,&
une fois apperçues, les conduiſent
à leur perfection : plus ces principes élémentaires
ſont ſimples , plus ils ſont difficiles
à ſaiſir , ils demandent tout l'effort
Aiij
MERCURE DEFRANCE.
des grands génies. Les Compagnies deſtinées
à régler les premiers tems de la jeuneffe
, rendent des ſervices importans au
public ; mais l'âge tendre eſt trop foible
pour l'abſtraction des raiſonnemens , &
dès qu'on a quitté l'ombre de l'école , les
objets frivoles s'emparent de l'eſprit & du
coeur. Comment donc maintenir le goût
du vrai & du beau pour en faire d'utiles
applications ? Par des Bibliothéques qui
renferment d'excellentes productions . Ces
dépouilles du monde littéraire ne peuvent
ſervir , qu'autant qu'on ſcait profiter de
leurs richeſſes.
Il n'y a que ces Compagnies d'hommes
ſçavans , réunis en differens corps de ſociété
dans les mêmes vûes & dans les mêmes
intérêts , quoiqu'ils ne tiennent pas
la même route , qui puiſſent faire eſpérer
d'auſſi précieux avantages .
Elles s'occupent à pric
re
Der dans leur fourles
plusheureuſes découvertes ; utiles
dans leurs recherches , elles ne le font pas
moins par l'émulation qu'elles excitent ,
elles tournent la jeuneſſe vers le folide
&ſe remplacent par des ſucceſſeurs qu'elles
ont pris foin de former ; c'eſt ainſi
qu'on peut perfectionner de plus en plus
par la théorie , ce que la pratique enfeigne
pour communiquer à tous les états impor
OCTOBRE. 1753. 7
rans un effor avantageux au bien commun.
Je ne puis donner une idée de ce que
font ces compagnies , par rapport au gouvernement
, qu'en faiſant connoître les
objets de leurs travaux , leur maniere de les
approfondir , les ſervices qu'elles rendent
à la jeuneſſe , dans un tems où elle a un
beſoin preſſant d'être dirigée ; d'où je dois
établir par conféquent la liaiſon qui eſt
entre leurs ſuccès & la gloire des emplois
les plus ſérieux. Tel eſt en effet le plan de
mes réflexions .
Les differens phénoménes de la nature ,
les Sciences mathématiques , l'étude des
Langues , l'Hiſtoire , la Poësie , l'Eloquence
, enun mot les genres de Littérature ,
font foumis à la recherche & à l'examen de
ces hommes célébres. Il faudroit être un
Peintre parfait pour expoſer ſous des couleurs
également vives & reſſemblantes , la
beauté, la nobleſſe , la dignité des matériaux
qui font dans leurs mains , les queftions
fameuſes qu'ils font naître , ſi cette
entrepriſe ſeroit redoutable au plus grand
Maître : je vais ſubſtituer une eſquiffe au
tableau , quoique je laiſſe àdefirer de la
force ou de la délicateſſe ,j'aurai tenté de
m'acquitter de l'amour que j'ai pour les
Sciences& lesBeaux Arts qui découlent de
Tamour ſocial, A iiij
* MERCURE DEFRANCE.
J'entre d'abord dans un détail qui a rapport
aux differentes claſſes de la Philoſophie
; mais j'évite , autant que je puis , ces
termes mystérieux qui défendent l'entrée
de ſon ſanctuaire , parce que j'écris pour
être à la portée de toutes perſonnes qui
penfent.
La terre , les plantes qu'elle produit ,
les dépôts qu'elle récele dans ſon ſein , les
élemens qui l'animent , leSoleil , le Ciel ,
les Aſtres , les animaux , l'homme , la divinité
même , quelle carriere pour un génie
élevé !
La terre qui nous paroît ſi groffiere , &
qu'on foule aux pieds , ne manque point
aux hommes ; mille générations ont paffé
dans ſon ſein , & fa fécondité n'eſt point
épuisée ; toutes les plantes ont un terme
aſſigné pour leur durée , mais elles tombent
en diffolution pour vivre d'une vie
nouvelle , où elles ſont en mourant le fouzien
d'autres plantes dont elles ſont ſuccédées
: placées dans leur lieu , elles forment
un ordre ſymétrique qui n'échape point
au ſpectateur attentif; les fleurs récréent
la vûe , flatent l'odorat ; les fruits reffafient
le goût , ou calment une foif importune ;
des ſimples falutaires précautionnent contre
les langueurs , confervent ou rendent
la ſanté , tandis que croiffent ailleurs des
OCTOBRE. 1753 و .
poiſons ennemis , des ſucs meurtriers ,
rien n'a été fait envain ; mais quel rapport
ſi délicat entre ces végétatifs ! quelle difference
de principes fondus & mêlangés !
9alle dépendancedu terroir ! combien de
propriétés encore inconnues !
Fouillons dans le ſein de la terre , on découvrele
régne des minéraux , qui de nos
jours ont été convertis à des uſages ſi utiles
, ces métaux dont quelques-uns femblent
mettre tant de difference parmi les
hommes , & en mettent une plus ſenſible
parmi les moeurs & le caractere des Nations.
De quelle exactitude n'a t'on pas
égalementbeſoindans les analyſes ? quelle
activité , quelle profondeur , quelle modération
n'exigent pas les ſuccès !
Le liquide élement qui environne la terre&
l'arroſe comme un jardin , ſe produit
ſous mille formes pour le ſervicede l'homme
: tantôt unie comme une glace , l'eau
procure l'abondance dans les campagnes ;
tantôtelle ſouleve ſes flots pour tranſporter
les plus lourdes machines dans les lieux
voiſins , & puis elle les abaiſſe : ſi on la
conſidére dans le vaſte Océan , elle eſt le
lieu de l'an & de l'autre monde ; foumiſe
à notre induſtrie , elle eſt retenue dans
d'immenſes réſervoirs , où elle s'élance
avec effort du dédale de mille canaux ,
Av (
TO MERCURE DE FRANCE .
ouvrage de l'art ; ſuſpendue au-deſſus de
nous , elle ſe répand dans un pays en des
pluyes abondantes ,& dans un autre en
de fertiles roſées , mais quelquefois des
plantes languiſſantes de ſéchereſſe ſur leurs
tiges , où n'aguéres des hommes timides
ſe croyoient deſtinés à périr par un nouveau
déluge. D'où proviennent tant de
ſources bienfaiſantes ? qui caufe leur afféchement
comment un élément ſans conſiſtance
entraîne-t'il des poids immenfes ?
comment l'aſſujettir à un eſclavage réglée
comment élevé ſur nos têtes ſe diſtille-t'il
fi à propos ? ſur quoi les vagues mugiſſantes
ſe briſent- elles contre un grainde fable
, ou ſe tournent-elles du côté oppoſé
au rivage ?
Quel est ce corps qui tranſmet la lumiere
, qui frappe les yeux , qui me fert
de véhicule , qui , tantôt plus fubtil , tantôt
plus peſant , paroît fi different de luimême
, qui ſe renouvelle pour moi dans le
lieu que j'habite , de forte qu'on croiroit
qu'il change å ſon gré la face du Ciel ? Je
ne puis méconnoître l'air , mais je recherche
ſes propriétés ; comment tempere t'il
la lumiere pour l'accommoder à ma foibleffe
comment puis-je vivre au milieu
de ce fluide , qui pénétré des corps:
hétérogenes , ſe charge du parfum des
OCTOBRE. 71 1753 .
fleurs &des principes tranchans de l'aconit
ou de la peſte ? quelle foule de queſ
tions ſur ſon poids , fes variétés , ſes altérations
!
1
Mais j'apperçois un météore enflâmé
rêt à toutdétruire , ſans doute le feu rompant
fon étroite priſon vient d'opérer ce
prodige ; s'il produit ſouvent les plus
grands maux par ſes éruptions & fes exploſions
fubites , lui ſeul eit , à proprement
parler , le pere & le nourricier de ce qui
exiſte ; il confume ce qui eſt impur dans
les germes , & anime le principe vital en.
gourdi ; il concourt aux plus grandes entrepriſes
de l'homme , il détruit les villes ,
il gagne les batailles , il peut auffi égayer
les charmes d'une fête ordonnée par l'amour
ou par la reconnoiſſance. Comment
reſte- t'il dans l'inaction au ſein de la terre,
ou déploye- t'il tant d'activité ou de refforts
? par quel art l'homme en ſuſpend il
l'effet , ou le force-t'il d'obéir àune deſtination
qu'il lui marque
L'aurore m'avertit de la préſence du Soleil
, la préſence de cet Afſtre excite mes
réflexions , c'eſt lui qui éveille les puiſſances
productrices de la nature , il régle la
durée des jours &des nuits , & le cours
conftamment alternatif des ſaiſons : parcourt-
il en conquérant les liens qu'ilécla
Avj
12 MERCURE DE FRANCE:
re , ou tel qu'un Monarque paiſible , eſt- il
placé au centre de l'univers ? s'il route autour
des globes qu'il rencontre fur fon
paſſage , pourquoi ne les embraſe t'il pas ?
&par quel charme eſt il retenu dans des
limites dont il ne s'écarte jamais ? mais s'il
eſt immobile , qui ſoutient la marche non
interrompue de ces corps qui ſont ſi durs ?
Cependant il ceſſe déja de luire fur notre
hémisphère , le Ciel m'invite par une
harmonie de couleurs qui m'enchantent
la douceur & la vivacité des nuances qui
ſe multiplient , ſemble ſe confondre pour
m'offrir les plus beaux accidens de lumiere
; quel fonds pour perfectionner l'Art
du Pinceau ! mais quelle matiere aux réflexions
des grands hommes qui doivent
des principes aux Arts !
Bientôt un nouveau flambeau brille d'un
éclat emprunté &diſpenſe un feu ſombre,
mais doux & bienfaiſant. Comment reçoit-
il cet éclat qu'il me rend ? Une multitude
d'autres flambeaux , dont la clarté
ne paroît pas moins variée à l'oeil que la
grandeur forme une nouvelle décoration :
quel eſt en effet leur rapport , leur diflance,
leur fin ? pourquoi brillent- ils ? ne
brillent- ils que pour nous éclairent- ils
desmondes fans nombre ?
Quand je reviens à la terre ,quelle gra-
>
OCTOBRE. 1753 . 13
dation d'êtres depuis l'homme juſqu'au
néant ? la diverſitédu plumage dans les oifeaux
, l'harmonie de leur chant , la force
ou la foupleſſe parmi les hôtes des bois ,
l'étonnante féconditédans le peuple muet
des ondes , l'art avec lequel les reptiles
graviffent , ferrent , embraſſent ; la beauté
des aîlesdorées des inſectes , les métamorphoſes
des vers à ſoye , ce ſpectacle eſt
bien digne d'attirer l'homme de génie ;
quel mechaniſme dans la conſtruction des
membres de ces êtres differens ? l'ordre de
leur police eſt admirable. Qui a appris à
l'abeille ou à la fourmi leur gourvernement
? qui régle les phalanges des oiſeaux
depaſſage ? quelle induſtrie dans les périls ?
voyez les évolutions du reptile. Eft-ce la
raiſon , est - ce l'inſtinct qui dirige les animaux
? ne jouiffent-ils point d'une faculté
moyenne entre l'Ange & l'homme ? ou ,
ce qui est un objet plus intéreſſant de notre
curioſité , de quel uſage font- ils par
rapport à nous ? juſqu'à quel point peuvent-
ils nous fervir ou nous nuire ?
+ L'homme m'offre une ſtature qui correſpond
à l'utilité & aux besoins de fon
eſpéce; ſes traits ſont nobles ,hardis , proportionnés
, tous ſes membres font diſpo .
ſés de maniere à ſe ſecourir mutuellement
ſitôt qu'ils font avertis par les eſprits qui
14 MERCURE DE FRANCE.
partent du cerveau ; la plupart des organes
ne contribuent pas moins à la beauté de
l'ouvrage qu'à ſa confervation ; mais il
s'éleve en lui des combats qui altérent ou
tariffent les ſources de la vie: l'ame qui
eſt ſa forme , eſt ſans comparaiſon plus
précieuſe que le corps ,elle lui commande
en ſouveraine , les nerfs , tous les refforts
exécutent ; libre dans ſes modifications
, elles ne font pas l'ouvrage de la
contrainte ou de la néceſſité ; douée de
connoiſſances éternelles , immuables , elle
adans ſoi une régle sûre qui ne peut tromper;
ſes vûes pénétrent dans l'infini , une
par effence , elle ne connoît ni parties , ni
diviſions : cependant elle eſt ſujettre à l'égarement
, ſes idées ſont ſuſceptibles d'une
eſpéce d'accroiſſement qui lui eſt propre
, elle tient donc ſon exiſtence d'un être
qui en eſt indépendant , cet être lui communique
par conféquent fes perfections ,
d'ailleurs le corps la prévient par ſes révoltes;
quelles armes à oppofer pour défendre
la liberté de l'homme , ſans bleſſer
le ſouverain domaine de l'Etre ſuprême ,
& ſans méconnoître les effets trop certains
de l'économie animale a comment
diſtinguer les opérations de deux fubſtances
eſſentiellement differentes , & formellement
unies ? pourquoi la diverſité des
OCTOBRE. 1753. 15
Religions , de climat , d'éducation , d'âge
, de condition , influc-elle fur les
moeurs ?
Ma foiblefle m'oblige à tâcher de découvrir
mon Auteur ; je conçois que je
n'ai pû recevoir l'être de tout ce qui m'environne
, ni de moi-même , que tout a un
principe , hors lequel il n'est qu'un affreux
néant , ce principe eſt donc l'être par effence
: s'il eſt l'être par effence , il eſt unique
, il eſt ſimple , il eſt tout-puiſſant , il
eſt bon , il eſt immuable , il eſt éternel , il
eſt immenſe , il renferme en un mot la plénitude
& la totalité de la perfection de
l'être ; mais comment concilier ſa ſimplicité
avec fon immenſité, ſon immutabilité
avec ſa liberté , ſon éternité avec la création
ſucceſſive de ſes ouvrages , ſa toutepuiſſance
& fa bonté avec les défauts qui
ſe rencontrentdans le monde phyſique &
dans le monde moral ?
J'abandonne ici le fil de mes réflexions
fur la Philofophie , pour paffer aux differens
genres de Littérature.
Je ne puis réflechir ſur l'étude des Langues,
fans me rappeller le zéle avec lequel
la plus célébre Académie de l'univers s'oc
cupe depuis un ſiècle à perfectionner la
Langue qui s'approchoit déja le plus de fa
perfection ,& les progrès dont elle lui e
16 MERCURE DE FRANCE.
redevable. Sans entrer dans le génie&
dans le caractere des Langues (ce qui feul
mériteroit un ouvrage ) je puis dire , généralement
parlant , que de même que
toute pensée de quelque prix est vraie , il
eſt auſſi à ſa maniere un vrai d'expreſſion ;
l'expreſſion réguliere prend la forme de la
penſée dont elle eſt le ſigne; fi la penfée
eſt ſimple , elle ne l'exagére point par une
pompe vaine ; s'agit- il d'un ſeul coup de
pinceau de peindre un tableau tout entier,
de rendre d'un trait une vérité importante
, elle ne décrédite point , elle ne trahit
point la penſée par un air de foibleffe ou
un défaut de fidélité : ce n'eſt pas qu'elle
défire qu'on ne ceſſe d'avoir le compas en
main , une noble hardieſſe mérite des éloges.
On convient de tout cela, mais quel.
le énergie , quelle fineſſe , quelle précifion
ne faut- il pas pour fatisfaire au goût , &
même au jugement des oreilles ? de quelle
fobrieté doit-on uſer ,lorſqu'on veut paiſer
dans les Langues mortes ou vivantes
pour enrichir , & non pas furcharger celle
qui eſt l'objet de notre application?
L'Hiſtoire attache par un ſpectacle toujours
varié : l'origine , les progrès , la chûte
, la décadence des Empires , les évenemens
fameux qui ont occupé fucceffivement
la ſcene du monde ,depuis sa naifOCTOBRE.
1753 . 17
,
fance fixéeà une époque certaine les
moeurs , les loix de chaque Nation auſſi
differente d'elle-même , ſuivant les diverſes
poſitions où elle ſe trouve , que differente
des autres Nations , ces hommes extraordinaires
, ces fublimes intelligences
qui ont attiré les regards de l'univers par
leurs vertus ou par leurs vices ; voilà ce
que renferme l'Hiſtoire dans des monumens
plus durables que le bronze & l'airain.
Mais quelles qualités exige -t'elle ?
une unité de deſſein qui viſe à un tout
exact , un coup-d'oeil juſte qui démêle les
faits eſſentiels , un eſprit étendu qui s'éleve
au-deſſus des difficultés , un zéle pour
la vérité qui obſerve une neutralité parfaite
entre les intérêts oppoſés , un ſtyle
&des tours proportionnés à ces differentes
parties : la connoiſſance des Langues
contribue beaucoup à ce dernier avantage,
quoique les autres qualités doivent plus à
la nature qu'à l'art; comment les développer
dans les Auteurs , ou les reconnoître
dans ſoi-même ?
La Poësie eſt un art digne des plus
grands éloges ; dans des accords majeftueux
elle s'éleve juſqu'à la divinité , elle
célébre la gloire du Très-haut , & la
beauté de ſes ouvrages , ou elle peint ſous
des couleurs différentes , un héros ver18
MERCURE DEFRANCE :
tueux que l'intérêt de ſes Etats conduit à
l'immortalité au travers des périls ; un tyran
cruel, la terreur de ſes ſujets , le fléau de
la terre & fon propre bourreau : monitrice
aimable , elle s'infinue adroitement dans
les cercles pour en extraire les travers
& les ridicules , les apprécier , & nous
corriger avec plus ou moins d'éclat ſous le
maſque de la plaifanterie : amie tendre &
généreuſe, elle conſole la douleur , elle
arrête le cours des larmes : écho des plus
doux ſentimens , ſous des images ingénues
, elle ſe plaît à tracer une flamme légitime
, ou à célébrer le bonheur de deux
époux nouvellement unis ſous les aufpices
de l'amour ; toujours fidéle à l'obſervation
des régles , elle n'en laiſſe point appercevoir
la contrainte , elle fort triomphante
de leurs entraves ; mais quelle
ſcience des hommes , quelle étude de la
ſageſſe ne ſuppoſe-t-elle pas ? quelle force
ou quelle délicateſſe dans le pinceau ?
L'Eloquence avec un maintien plus ſimple
, quoique majestueux , employe des figures
moins hardies , des reſſorts moins
multipliés pour parvenir à ſon but ; mais
dequels intérêts ne ſe charge-t-elle pas ?
organe du Tout- puiſſant , dont elle intime
les volontés , elle excite de ſaintes
frayeurs , ou elle inſpire une ſalutaire
OCTOBRE. 1753. 19
confiance ; protectrice de l'innocence , elle
faitpâlir le crime au milieu de la ſplendeur
&de l'éclat qui l'environne ; admife dans
le conſeil des Princes, elle veille au bien des
peuple, dans leGouvernement , ou médiatrice
puiſſante , elle eſt le lien des nations ,
elle éteint les foudres de la guerre ou en
ſuſpend les coups. Mais comment ſaiſir le
dégé d'activité & de mouvement propre
à opérer des fins ſi nobles , faire marcher
tour- à- tour la terreur ou l'infinuation , rencre
le calme ou exciter les tempêtes ?
C'eſt ainſi que je me ſuis répréſenté le
plandes occupations des différentes Acadéinies
; j'ai propoſé des queſtions intéreffantes
, j'en ai obmis d'autres qui ne le
font pas moins , foit pour ne pas excéder les
bornes des fimples réflexions , foit dans
I'Mimpoffibilité d'atteindre toute l'étendue
des objets qu'elles embraffent. Je ſouhaite
m'être aſſez expliqué pour faire preſſentir
au Public leur importance. Je paſſe maintenant
aux ſecours précieux que les grands
hommes qui les compoſent ont pour ſeconder
, pour étendre leurs talens à proportion
de la difficulté des matieres qu'ils
traitent.
L'Académicien , en effet , ſous les loix
d'un travail réglé a fans ceſſe la faculté
d'acquérir de nouvelles connoiſſances la
20 MERCURE DE FRANCE.
communication des lumieres de ſon corps
lui fait franchir , pour ainſi dire , d'un pas
cette longue route , qu'il eût éré obligé de
tenir s'il eût été iſolé ; des conférences oй
préſident la méthode & le goût , abrégent
le cercle qu'il auroit été forcé de décrire ,
& aidé des découvertes de ceux qui l'ont
devancé& de celles de ſes contemporains ,
il applique toute ſa vigueur aux difficultés
qu'ils n'ont point réſolues , ou à placer
leurs ſolutions dans un plus grand jour.
Auparavant de paroître au tribunal du
Public , il vient s'eſſayer à ce tribunal particulier
. Le Phyſicien averti qu'il doit allier
les faits avec le raiſonnement , ſe perfectionne
dans l'art de faire des expériences
délicates , d'où il tire les plus lumineuſes
conféquences. Le Chymifte , que
dans ſa ſphere il y a des bornes au de-là
deſquelles on ne trouve que de brillantes
impoſtures , eſt ſans ceſſe en garde contre
lui dans ſes analyſes. Le Géometre, que fon
art ne conſiſte point uniquement à meſurer
des lignes , des ſurfaces & des corps ,
enviſage bien moins la difficulté que futilité
des problêmes , & ſe livre aux phénomenes
qui entrent dans la philoſophie
naturelle. Le Métaphyficien , que la ſcience
qui conſidére les eſprits où les corps
entant que repréſentés par nos percepOCTOBRE.
1753. 21
tions , eſt extrêmement périlleuſe , procéde
avec cet eſprit philoſophique qui régle
les dégrés d'aſſertiment par les dégrés de
certitude. Le ſpectateur des moeurs , que ſi
dans les maximes il doit regner un vrai
abfolu dont le compas eſt dans l'eſprit , les
réflexions doivent être priſes dans les cauſes
qui en voilent la juſteſſe , recherche
avec l'empreinte ſaillante de la vérité , les
menaces qui par le pouvoir de ces agens ,
déclinent imperceptiblement de la régle.
L'Hiſtorien , qu'il doit être conftamment
étayé de la plus exacte critique , balance ,
confronte les opinions ; s'il écrit ſurun
ſujet déja eſſayé , ou ſi ſon ſujet est neuf ,
il cite devant lui dans leur ordre , non .
ſeulement les principaux acteurs qu'il a
réſolu de faire entrer dans ſon plan , mais
toutes les circonstances des faits pour les
apprécier &déterminer ſon choix. Le Poëte
, que les véritables ſuccès dans tous les
genres de Poëſie dépendent de la régularitédans
les louables imitations , craint de
confondre la foibleſſe d'une raiſon qui s'éblouit
avec la hardieſſe du génie , le raffinement
avec la délicateſſe. L'Orateur, que
l'éloquence doit porter le trait de la lumiere
& de la perfuafion & faire concerter le
combat des paſſions pour aſſurer ſon triomphe
, s'étudie à découvrir dans toutes les
22 MERCURE DE FRANCE.
fituations , & fur tous les théatres les
moyens sûrs d'intéreſſer le coeur , & de
pénétrer dans le fond intime de l'ame.
Chaque Compagnie ſeconde le zéle de
ſes membres par ſon application & fon
équité dans les jugemens : perfuadée que
l'éloge dans lequel la complaiſance a la
moindre part , eſt un ſacrifice de la réputation
, & que dès qu'on peut mieux faire
, le héros littéraire doit regarder ſes
plus beaux exploits comme de ſtériles travaux
, elle diſcute , examine ,peſe tout au
poids du ſanctuaire.
Mais ſi malgré les lumieres de ſa compagnie,
l'Académicien éprouve encore des
doutes ; eh! qui peutt out pénétrer ? Dans
tous les pays où le goût eſt parvenu , il y
a lieu d'eſpérer des éclairciſſemens. Je conviens
que les vertus ſociales ſont étroitement
unies avec les ſciences & les beauxarts
; mais n'eſt - il pas vrai qu'on ſe dévoile
avec'un retour plus ſérieux ſur ſoi-même
avec une candeur particuliere à un
homme à talens , qui a fait comme un
voeu folemnel de les cultiver ? Qui , il eſt
pour lui un langage unique , ce n'eſt point
le langage de l'eſprit précisément , ce n'eſt
point le langage du coeur , c'eſt le ton du
Sentiment.
C'eſt ainſi que l'Académicien excite ,
OCTOBRE. 1753.23
entretient dans lui le génie créateur :
ainſi les Compagnies qui raſſemblent de
ſemblables hommes , doivent être les dépoſitaires
des dogmes de la plus ſaine Philoſophie
,des tréſors des langues , des monumens
d'Hiſtoire , des chefs- d'oeuvres de
'Eloquence , des beautés de la Poëfie , &
desplus rares productions de la Littérature .
La gloire & l'eſtime , cette monnoye
dont on paye ce qui eſt au deſſus de toute
évaluation , & qui eſt le prix du mérite
ſupérieur , produit l'émulation ; la jeuneſſenée
avec d'heureuſes diſpoſitions , mais
qui ne font pas encore développées , tourne
ſes regards vers ces aſtres éclatans ,
elle réſiſte au torrent qui ſemble devoir
l'entraîner , elle triomphe dans la carriere
des Lettres , des périls qui ſont comme
inſéparables de ſon inconstance& de ſa légéreté
, périls que je ne puis bien faire
concevoir qu'après avoir expoſé le goût
&l'état de la Littérature par rapport à cet
âge.
Quel est le goût & l'état de le Littérature
par rapport à la jeuneſſe ? Invitée par les
graces du ſtyle , charmée par une certaine
variétéde tableaux , intéreſſée par des fituations
extraordinaires , foutenue par des
incidens ménagés avec artifice , elle ſaiſit
avec avidité les Romans , fruit d'une ima
24 MERCURE DE FRANCE.
gination peu réglée ( ſi on en excepte un pe
tit nombre dont il ne peut être queſtion )
qui , pour laiſſer quelquefois appercevoir
dans le lointain un air de nobleffe & de
grandeur, n'en ont pas plus de beautés ſolides
; ouvrages biſarres qui ne peignent les
hommes ni tels qu'ils font , ni tels qu'ils
pourroient être , ou tels qu'ils devroient
être , qui exaltent des vertus fauſſes , outrées
, ou le triomphe du fol amour ſur les
devoirs& les bienféances: je ne parlepoint
de ces Romans mal écrits , où la licence ſe
montre à découvert , monstrueux afſfemblage
de ce que l'eſprit uni à la dépravation
du cour peut produire de plus défectueux.
Les ouvrages de Poësie revendiquent
également leurs droits , ouvrages lus indifféremment
; ſouvent ces Comédies dans
leſquelles tantôt Thalie trop peu inſtruite
de ſes devoirs ou s'en écartant à deſſein
laiſſe douter ſi elle veut inſpirer du goût
ou de l'oppoſition pour les défauts & les
vices qu'elle combat ; tantôt grave à l'excès
ſous l'habit des Scapins , introduit les
moralités de la Rochefoucault & de Pafchal
; tantôt par des tranſports déplacés
s'efforce d'émouvoir & d'arracher des larmes
: ces Tragédies où Melpomene érige
en vertus les préjugés nationaux , appuye
malgré
OCTOBRE. 1753. 25
malgré la ſévérité des loix , des ſentences
impoſantes , des dogmes proſcrits , ou par
unedégradation de ſon caractere, proſtitue
la dignité du cothurne aux foibles accens
de l'Elegie ou de l'Idyle; ces Elégies où
l'amour abuſe du langage des graces , pour
exprimer des tranſports illégitimes ; ces
anecdotes , archives_immortelles de ſes
honteux trophées ; flattée uniquement par
la ſurface , la pompe , le coloris de l'Ode ,
ſi les idées paſtorales affectent plus la jeuneſſe
, le guindé , le doucereux lui tiennent
lieu du ton de la nature .
Emportée par le torrent de la mode ,
ſéduite par des noms qui impoſent , elle
s'occupe d'une foule d'écrivains , qui jaloux
de l'indépendance ſappent en mille
manieres les fondemens de tout culte , ſous
les dehors de la vertu ou d'un zéle déſintéreſſé
, qui s'efforcent de contrarier les
notions les plus certaines de l'exiſtence
d'un Dieu , l'époque de la création du
monde , & le ſentiment intime qui nous
avertit de la dignité de notre ame , ou qui
dans les objets de la révélation conſeillent
indiſtinctement un doute qui doit être
éternel , d'autant qu'aucun genrede preuve
ne paroît leur convenir ; de ces Auteurs
qui débitent à l'abri de perſonnages
poftiches , ou ſous le voile de l'allégorie ,
B
1
26 MERCURE DE FRANCE.
des réflexions également dangéreuſes ,ra
rement originaux , très-ſouvent mauvais
imitateurs , & toujours trop peu circonfpects
.
,
Mais le déſir de briller dans les cercles
ne porte- t- il pas à cultiver de bonne-henre
la mémoire , & à l'enrichir d'une claſſe
de faits célébres que l'on prévoit pouvoir
placer ? J'en conviens, pourvû qu'on m'accorde
qu'il est très -facile de l'égarer dans
la carrière de l'Histoire. Il y a en effet
dans ce genre , des Auteurs minutieux qui
ne font que des Journaux fecs & ſtériles ;
de ces eſclaves du bel eſprit , qui chargent
leur portrait de couleurs qui ne ſympatifent
point avec le fujet ; des Philofophes
mornes qui noyent les faits dans des réflexions
infipides; des politiques ſuperficiels
, qui donnent à entendre contre la
vraiſemblance qu'ils ont pénétré dans les
fecrets de tous les partis : des fourbes
des impoſteurs , qui vendent leur plume
au plus offrant ; des hommes partiaux par
humeur , qui excluent tout mérite dans le
parti qui leur eſt oppoſé.
Les genres de littérature auxquels ſe
livre lajeuneſſe ſont donc pernicieux au
bon goût, aux moeurs & à la Religion ; ils
énervent l'efprit , ils corrompent le coeur ,
**pervertiſſent les inclinations , détruiſent
OCTOBRE. 1753. 27.
fouvent les principes d'une doctrine pure
qu'on avoit confiés à l'enfance,&cultivée
dans les tems deſtinés à l'éducation , & ce
qu'on peut dire de moins défavorable ,
c'eſt que les travaux de la jeuneſſe doivent
être en pure perte , & ne contribuent point
àſon inſtruction. Où trouver un reméde
contre une contagion ſi générale , dansles
Compagnies dont je parle?
Avez- vous des compatriotes , des conci-.
toyens , de vos proches qui s'y diftinguent
, & êtes-vous doué de talens ? Ils
n'échappent point à leur pénétration ; dès
que vous leur montrez un éléve qui puifſe
foutenir l'empire des Lettres , ils ſe
font une gloire de vous former , ils oppoſent
leur lumiere aux preſtiges & aux illu-
- fions qui ufurpent le ſacrificedu bel âge ,
ils étudient votre goût , & ils vous offrent
ce qui peut le fatisfaire; ce commerce fupérieur
à toutes les leçons ne tarde pas à
vous apprendre vos forces , ou vous prodiguer
à propos les encouragemens ; mais
en même tems , on ne vous montre les objets
qu'autant qu'ils font à votre portée ;
de la ſurface extérieure on parvient par
dégrés juſqu'au fond. Je ne puis mieux
comparer ces éléves , d'après un célébre
Académicien ( a ) dont j'emprunte les pro-
(a) M. l'Abbé de S. Cyr. 1
Bij
28 MERCUREDE FRANCE.
pres termes , de peur de les affoiblir , » qu'à
> ces rares métaux , ces pierres exquiſes que
>> l'art n'a point mis en oeuvre , tout y eſt
>>précieux , mais tout y eſt encore obfcur
»& enſéveli : ces heureux génies , polis
>>par les ſoins des grands maîtres , ne tar-
>>dent pas à rendre l'éclat & le feu qu'ils
>>>cachoient : devenus maîtres à leur tour ,
> ils forment des éléves dignes de les ré-
> préſenter.
De là ſe perpétuent les citoyens propres
à remplir les fonctions les plus importan--
tes de la vie civile ; les diverſes claſſes de
la Philoſophie fourniſſent des principes
fondamentaux à tous les genres d'Architecture
, à l'art Militaire , à la navigation ,
à la Médecine , à la Théologie , & à la Légiflation
; l'Histoire entre plus particulierement
dans le gouvernement politique&
civil. Dans la Chaire , au Barreau, dans les
affaires publiques , la connoiſſance des
langues & l'éloquence donnent d'indifpenſables
fecours , la Poëfie fait paffer dans
les coeurs les grandes qualités , les qualités
ſociales avec l'attache du plaiſir.
L'objet des Académies n'eſt donc point
précisément de raſſembler des Philoſophes
, des Grammairiens , des Orateurs ,
des Hiſtoriens , des Poëtes ; on prépare
par là des Méchaniciens , des Aſtronomes ,
OCTOBRE. 1753. 29
des Théologiens , des Médecins , des Miniftres
,des Guerriers , des Juges , des Prédicateurs
, des Avocats qui éterniſent leurs
noms par leurs ſervices : en un mot , on
répand un nouveau jour ſur tous les états
&toutes les conditions .
Qu'on me demande maintenant pourquoidans
l'Europe les profeſſions ſont portées
de nos jours à un ſi haut dégréde perfection
? Le problême ne peut m'embarafſer
, je répondrai qu'elles font particulierement
redevables de leurs progrès aux
compagnies de Sçavans , aux ſociétés Littéraires
, qui s'y ſont multipliées depuis
un fiécle.
Mais pourquoi au milieu de tant de lumieres
un figrand nombre de productions
imparfaites & dangéreuſes ? C'eſt ce qui
ſembleroit plus difficile à décider , ſi ce
n'eſt que ces lumieres ſe répandant de proche
en proche , excitent des eſprits trop
bornés , qui voulant s'élever au-deſſus
d'eux mêmes , ſont ſubjugués par leur art ,
ou qu'il y a toujours des hommes paffion.
nés différemment , indociles à tout frein ,
qui communiquent à ce qu'ils font , la
teinte & l'impreſſion du poiſon qui les
dévore.
B iij
30 MERCURE DEFRANCE.
dbdbdbdbdbdbdbdbdbtot
CORINE ET ATHIS.
POEMEPASTORAL ET ALLEGORIQUE.
Sur
Sur le retour de Mile *** à Paſſy.
Ur ces bords fortunés , (a) fur cette aimable
rive,
Qu'arroſe , en ferpentant, la Seine fugitive;
Athis ( 6 ) , le tendre Athis , en proye à ſes dour
leurs ,
Aces eaux chaque jour venoit mêler ſes pleurs.
Dans ces lieux pour ſe plaindre il devançoit l'Aurore
,
Et la nuit dans ces lieux le retrouvoit encore.
Couché nonchalamment ( c ) au fond d'un antre
creux ,
De ſes cris importuns il fatiguoit les Cieux ;
Ses yeux depuis deux mois , toujours ouverts aux
larmes ,
Jamais du doux repos n'ont reſſenti les charmes.
Ces lieux à ſes regards autrefois pleins d'attraits ,
Ne ſont plus que l'objet de ſes triſtes regrets .
La verdure des ( d) bois , & l'émail des prairies .
( a ) Boisfur lebord de la Seine près Paſſy.
(b) M. G ***,, c'est le nom del'Auteur,
(c ) Petite caverne à quelque diſtance du bois..
( d ) Bois de Boulogne.
CTOBRE.
1753 . 31
Semblent entretenir ſes triſtes rêveries .
Tout accroît , tout aigrit ſon déſeſpoir mortel ,
Tout rappelle à ſon coeur un ſouvenir cruel.
De fes plaiſirs paſſés , ces beaux lits de verdure
Lui retracent en vain l'agréable peinture.
Son coeur mort aux plaiſirs qu'il ne peut plus goû
ter ,
Ne s'en souvient , hélas ! que pour les regretter.
Les échos de ces bois , ces prés & ces fontaines ,
Tour , fur ces bords heureux , ſemble irriter fes
peines;
Des hôtes des forêts les plus tendres accens ,
Loin de les alléguer , redoublent ſes tourmens ;
Sa Aûte , ſon troupeau , ſon chien & få houlette
Se reffentent aufſi de ſa douleur fecrette.
Chargé du poids fatal d'un malheureux amour ,
Il maudit le moment qui lui donna le jour.
Ce qu'il aimoit jadis , maintenant il l'abhorre ,
Accablé de douleurs , il en défire encore ,..
Afin que ſuccombant ſous le faix de ſes maux ,
Dans la nuit du trépas il trouve le repos ,
Et qu'à l'abri des traits du plus ſanglant outrage ,
Il meure ſans ſentir ceux que fon coeur préſage.
Quels font donc ces revers ? Ô malheureux Athis !
Qui changent vos beaux jours en de ſoudaines
nuits ;
Vos regards , fatigués du jour qui les éclaire ,
Ne ſemblent qu'à regret jouir de ſa lumiere.
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
Mais tandis que je parle , il me fuit , & ſes cris
Redemandent ( a ) Corine aux échos attendris :
Corine à ſon amour venoit d'être ravie ,
De ces lieux , depuis peu , Corine étoit partie.
Il l'appelloit en vain , & ſoins trop ſuperflus !
L'inſenſible fuyoit , & ne l'entendoit plus.
Tantôt, dans les accès de ſa douleur mortelle,
Il déchirait les vers qu'il avait fait pour elle ;
Il briſait ſa houlette ,& laiſſait ſes troupeaux
A la merci des loups , errer ſur ces côteaux :
Tantôt , pour écarter une image effrayante ,
Il ſoupiroit aux pieds d'une ( 6 ) nouvelle aman
te,
'Accablé malgré lui d'un cruel ſouvenir ,
Il lui jurait un feu qu'il ne pouvait ſentir ,
Et d'autant moins épris qu'il s'éforçait de l'être ,
Il lui donnaitun coeur dont il n'était plus maître.
Enfin un jour cédant au fardeaude ſes maux ,
Il confia ſa plainte aux indiſcrets échos .
Tout pour l'entendre , alors ſe tut dans la nature ;
Lesruiſſeaux s'arrêtant ceſfférent leur murmure ;
Les Déeſſes des bois , &les Nymphes des eaux ,
(a)Mlle ***. L'Auteur l'avoit long- tems aimée
lorſqu'elle partit dePaſſy pourſe rendre chezſes parens.
(b) Mile *** avoit quelque inclination pour l'Auteur,&
comme en raillant en lui faisoit souvent la
guerre de ſa froideur pour elle , il fit ſemblant de lus
rendre des ſoins d'autant plus que l'intérêt qu'il avoit
à cacherson amourpour la promierely forçait.
1
OCTOBRE. 1753.33
: Voulurent prendre part au récit de ſes maux ;
Le zéphire craignit d'agiter le feuillage ;
Et les tendres oiſeaux cefferent leur ramage.
Grands Dieux , s'écria t- il , ou privez moi du jour ,
Ou rendez à mes voeux l'objet de mon amour ;
Amour , cruel auteur du chagrin qui m'opreſſe ,
Ou ramene Corine , ou chaſſe ma tendreſſe ;
Oui , fi tu prens pitié de mes tourmens cruels ,
Le ſang de mes agneaux rougira tes autels ;
Je te facrifirai deux fuperbes géniſſes ,
Quijuſques à ce jour avoient fait mes délices ;
J'y joindrai (a ) deux chevreaux que je reçus pour
prix
D'un combat de chanſons où fut vaincu Tirfis ;
Etje ne croirai point acheter trop encore
Le plaiſir de revoir la beauté que j'adore .
Maís , quedis-je , inſenſé ! quel eſpoir ſéducteur ,
En ce triſte moment , s'empare de mon coeur ?
Hélas ! je forme en vainune agréable image :
Corine, loinde moi , va devenir volage ;
D'autres bergers plus ( 6 ) beaux , mais moins tendres
que moi ,
En m'enlevant fon coeur , vontme ravir ſa foi.
( a ) Ceci joint allégoriquement fait alluſion au petit
combat de Poësie que M. *** , ici ſous le nom de
Triſis livra à l'Auteur : le prix étoit deux Livres
magnifiquemens reliés , que M. *** qu'ils avoientpris
pour Juge
accordaà l'Auteur.
(b ) M.*** . & M. ***. L'Auteur les soupçon
noii de partager l'inclination qu'elle avoit pour lui.
By
34 MERCURE DE FRANCE ..
, Paſſant rapidement du dégoût à la haine
Elle rompra les noeuds de ſa premiere chaine ;
Pour reſter ſans amans Cotine a trop d'appas ,
Et j'ai trop de malheur pour ne la perdre pas :
Je crois déja la voir , en proye à ſon yvrefle ,
Suivre d'un feu nouveau l'amour enchantereffe
Et flatter mille amans , contre moi conjurés .
Par les mêmes ſermens qu'elle m'avoit jurés.
Ah barbare! ... Il ne put en dire davantage ,
Ses (anglois de la voix lui raviſſent l'uſage ;
Ses genoux affoiblis ſe dérobent ſous lui ;
Il friflonne , il chancele , & tombe évanoui.
Mais l'amour qui prit part à ſa douleur fincere,
L'amour à les regards vient rendre la lumiere ;
Le berger ſe releve , & ſes yeux éperdus
Cherchent au loin Corane , & ne la trouvent plus.
Les accens redoublés de ſes plaintes ameres ,
Attirerent (a.) Daphnis dans ces lieux ſolitaires.
(6)Aux charmes naturels d'un génie élevé ,
Daphnis joignoit encor un eſprit cultivé ;
Mais n'abuſant jamais d'un ſi rare avantage ,
Parmi tous les bergers il eut le nom de ſage.;
seur.
(a ) M. ***, un des plus grands amis de l'Au..
(b ) L'Auteur a crû devoir faire ici le portrait
d'un homme àqui il a de fi grandes obligatioms ,
viſque une disgreffion pour s'acquiter de ce qu'il doit :
le défir de répondre à une Piéce de Vers qu'il lui avoit
envoyée y a beaucoup contribué
:
ОСТОBRE.
17530 35
Ilsſeſoumettoient tous à ſa déciſion ::
Et de berger enfin il n'avoit que le nom.
Si- tôt qu'il vitAthis , du mal quile conſume ,
Il tâcha par ces mots , d'adoucir l'amertume.
Par les noeuds immortels d'une tendre amitié ,
Avec le triſte Athis Daphnis étoit lié.
Quelle est donc , lui dit il , cette mélancolie
Qui trouble , cher ami , le cours de votre vie
Pourquoi , toujours en proye à vos vives douleurs
, 1
Vos yeux ne s'ouvrent-ils que pour verfer des
pleurs?
Pour votre coeur noyé dans ſa langueur mortelle ,
Vainement la nature ici ſe renouvelle.
Rien ne vous touche plus , & vainement Cerès
De ſes dorés épics enrichit vos guerèts.
Vos inſenſibles yeux voyent en vain éclore ,
Et les dons dePomone , & les préſens de Flore ;
En vain à vos regards , de ſes pampres fleuris
Bachus vient étaler les brillans coloris
Aux ombres de la nuit en vain le jour fuccéde;
Rien ne peut foulager l'ennui qui vous poſſéde.
Pourquoi , lui répondit Athisen l'embrallant ,
Pourquoi veuxtu , cruel, accroître mon tourment
?
:
١٠٠
P
Va, plains un malheureux (a) , dont le ſecret funefte
:
t
(a ) L'Auteur plus difcret que le commun des
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
Eſt parmi tant de maux , le ſeul bien qui lui reſte.
Ingrat , m'envîrois-ta , repartit le berger ,
Ladouceur de les plaindre &de les partager.
Eh bien , lui dit Athis , je céde à ta tendreſſe ;
En apprenant mes maux , ami , plains ma foibleſſe.
'Alors il lui fit part des préſages affreux ,
Qu'offroit à ſon amour un départ malheureux :
Et Daphnis, pour bannir ſes craintes incertaines ,
Tâcha , par ce diſcours , de foulager ſes peines.
L'Amour va , lui dit-il , ramener dans ces lieux
Ton amante brûlant toujours des mêmes feux.
Etdans les doux tranſports d'une vive allégreſſe
Noyer les noirs accès du chagrin qui t'opreſſe.
CeDieu prendra pitié des maux que tu reſſens ,
Et te promet des biens plus grands que tes tourmens
.
Au lieu de s'affoiblir (a) , l'amour né dans l'en
fance,
Ameſure qu'on croît, voit croître ſa puiſſance:
amans , avoit fait à son ami même un myſtere du
fujet deſes peines , & ce ne fut qu'à force d'instances
que cedernier en obtint l'aveu.
(a ) Quoique beaucoup de perſonnes trouveront
cette définition déplacée dans la bouche d'un berger
l'Auteur n'a pas craint de la mettre dans la bouche
d'un homme auffisçavantque M. *** . Elle ne par
roît pas bien jointe aux yeux de pluſieurs mais il a
fallu s'aſſervir aux circonstances : on objettera encore
qu'elleest unpeu trop emphasée : oui , mais ce n'est
point une Eglogue , répondrat - on , c'est un Poëme..
OCTOBRE. 1753. 37
Dans les coeurs la nature établiſſant ſes loix ,
Du tems qui détruit tout fait reſpecter fes droits ,
L'inconſtance à ſon char pourjamais enchainée ,
Sur ſes propres débris lui conſtruit un trophée ;
Elle fixe l'amour , l'entretient , & fes feux
Nés avecque nos jours , ne meurent qu'avec eux.
En vain les préjugés , en vain l'indifférence
S'unit , pour le détruire , aux rigueurs de l'abfen-
се ,
Ledégoût vainement voudroit diſſoudre un jour
Des liens qu'ont tiſlus la nature & l'amour ;
La nature ades droits qu'on ne sçauroit enfraindre
Le feu s'irriteroit , loin de pouvoir s'éteindre.
Et de l'amour laſſé rallumant le flambeau ,
Elle lui préteroit un triomphe nouveau.
Ainſi parloit Daphnis , &d'une affreuſe image ,
Il tâchoit d'écarter le malheureux préſage :
Mais du timide Athis , de noirs preffentimens
Sembloient , malgré ſes ſoins , irriter les tour
mens.
Cependant le berger le conſole , & l'entraîne
Vers un (3) hameau voisin, peu diſtant de la plaine.
Mais Achis eſt à peine arrivé dans ces lieux,
Que Corine ſoudain ſe préſente à ſes yeux.
Quels furent les tranſports de ce berger fidele
Il la voit , il l'embraffe , & doute si c'eſt elle.
(a ) Paffyon l'Anteur prenoit alors les Eaux.
38 MERCURE DE FRANCE.
Sonétonnement ceffe ,& fon coeur enfammé ,..
Sabandonne à l'eſpoir d'aimer & d'être aimé.
Mais, & fort ! &diſgrace ! à fon ame éperdue:
Dans quel éta: Corine étoit-elle rendue ?
Une fombre froideur , & d'injuſtes mépris
De l'amour du berger furent le tuiſte prix.
AutantCorine , avant cette funefte ablence,
Avoit été ſenſible à ſa tendre conſtance ,.
Autant & plus cruelleencot à ſon retour ,.
Corine , avec fierté rejetta ſon amour.
Quels furent les excès de ſa douleur extrême ?
Quel coup pour un amant qui perd tout ce qu'il
aime !
En proye au trouble affreux qui déchiroit ſon
coeur
1fortit pour jamais de ce lieu plein d'horreur;
Etdans l'obſcur réduit d'un antre folitaire
Vinttendre de ſes maux l'écho dépofitaire...
ODieux ! s'ecria-t-il , juſtes Dieux! est-ce ainfi
Qu'à la foible vertu vous prétez votre appui ?
Sivous deviez un jour , pour mon malheur extrê
me,
Eteindre un feu, dans (a) elle allumé par vous
même ;.
Si vous devrez ainſi la rendre à mes ſouhaits ,
Grands Dieux , il ne falloit me la rendre jamais
Calme les vains tranſports de ta douleur mor
telle.,
(a) Elle,se rapporte à Corine.
OCTOBRE. 1753 390
Séche tes pleurs , Athis , Corine t'eſt fidelle ....
Mais il ne m'entend plus , ( a ) & plein de ſon,
tranſport
Hale bras levé pour ſe donner la mort.......
Arrête , malheureux.... Elle vient elle - même
Calmer l'emportement de ton erreur extrême..
Arrête , Athis , Corine a voulu t'éprouver ;
De ta propre fureur elle vient te ſauver :
Tourne les yeux , vois la partes cris altérée ,
Venir calmer l'horreur où ton ame eſt livrée ;
Et volant dans tes bras , par un charmant ſecourss
Faired'unjour affreux , le plus beau de tes jours..
Son amante , en effet , (b ) près d'un buiſſon cachée
,.
Venoitd'être témoin de ſa rageinſenſée.
L'amour lui découvrit qu'elle en étoit l'objet ;.
Et l'amour ſe hâta d'en prévenir l'effet..
(a)Cette allégorie est un peu outrée ; quoiqu'il
enfoit ,l'Auteur ayant cru Mlle *** infidélle , s'abandonna
à un déjeſpoir si grand qu'on craignit pour
ſa vie ; il fallut qu'elle - même vint l'affurer defafidélité
, pour en prévenir les effets.
(b) Tout ceci est allégorique, &se rapporte àla
nateprécédente.
Par7. Guerineau de Janville.
40 MERCURE DE FRANCE.
******: **:******
DISSERTATION HISTORIQUE
I
Sur le Droit& le Barreau de Rome.
L eſt peu d'Empires qui ayent ſouffert
autant de révolutions que celui des
Romains , auſſi la Jurisprudence qu'ils
nous ont laiffée , a-t'elle éprouvéde continuelles
viciffitudes.
Néanmoins rien n'eſt ſi beau que l'harmonie
de leurs Loix , il ſemble que les
troubles fréquens dont Rome a été déchirée
, ayent en quelque forte contribué à
affermir la tranquillité domeſtique de ſes
Citoyens.
Difference étrange entre le Droit Civil
& le Droit Canon ! celui-ci fondé fur la
ferveur & le zéle des premiers Fidéles
étoit magnifique , divin dans ſon origine :
la tiédeur , le relâchement , les fchifmes
Pont énervé dans ſes progrès , & en ont fi
fort fouillé l'ancienne pureté , qu'il eſt
aujourd'hui méconnoiſſable. L'autre , ouvrage
du génie& de la politique , étoit informe
dans fon principe. Laſuite des tems
l'a développé par degrés , & l'a preſque
conduit à un état de perfection : le berceau
de l'un devoit être l'époque de ſa
OCTOBRE. 1753 . 41
grandeur , la piété ne gagne point à vieillir.
Le Droit Civil au contraire fut néceffairement
foible dans ſon enfance , la raifon
ne vient qu'avec l'âge .
§. PREMIER.
Le peuple Romain fut d'abord compolé
de trois mille hommes de pied , & de
trois cens hommes de cheval. Cette troupe
ayant reconnu Romulus pour ſon Roi ,
il la diviſa en trois tribus , dont chacune
contenoit dix Décuries.
Il partagea les terres en trois portions ,
l'une pour les Dieux , l'autre pour les befoins
de l'Etat , la derniere pour ſes ſujets.
Il diſtingua ceux-ci en deux claffes , les
Praticiens & les Plébéiens. Comme les
Plébéiens étoient pour la plûpart extrémement
pauvres , il leur permit de ſe choiſir
dans les Patriciens , des protecteurs aufquels
ils ſe vouoient , & promettoient
toutes fortes de fervices ; les Patriciens à
leur tour étoient obligés d'aider de leur
crédit &de leur bourſe ceux qui les avoient
prispour patrons.
Malgré la dépendance de ces premiers
cliens ils n'étoient pas Serfs , on ne les regardoit
que comme de vrais Cenfitaires.
Romulus élut centd'entre les Patriciens
dont il ſe fit un Conſeil ou Sénat. Ce Tri-
د
42 MERCURE DE FRANCE.
bunal qui devint dans la ſuite ſi redoutable
, n'eut point au commencement le pouvoir
législatif , & n'exerça aucune Jurifdiction
contentieuſe : il ne lui appartenoit
pasde faire des loix dans les affaires particulieres
, il ſe contentoit de commettre
des Juges , & auroit crû s'avilir s'il eût
jugé en corps un procès ; il manioit les finances
, il ordonnoit la levée des impôts ,
il régloit la maniere dont on recevroit les
Ambaſladeurs , ceux qu'on députeroit ; il
diſpoſoit des troupes , & de toutes les
affaires de la guerre , lorſqu'elle avoit été
réſoluë .
Quant à celles qui concernoient l'Etat
en général ou le droit public , elles ſe jugeoient
par le peuple à la pluralité des ſuffrages.
On convoquoit les Curies , cetre
aſſemblée s'appelloit Comitia Curiata. Dans
ces Comices le peuple faiſoit des loix ,
approuvoit ou rejettoit celles qui lui
étoient propoſées , nommoit les Magiftrats
, & décidoit ſi on feroit la paix ou la
guerre.
Romulus fit agréer au peuple pluſieurs
loix , & fingulierement celle qui donnoit
aux peres le pouvoir de vie &de mort
fur leurs enfans; il en fit d'autres touchant
ledroit divin, les Magiſtrats , les mariages
, elles s'appellerent Curiates , comme
reçues par l'affemblée des trois Tribus.
OCTO BRE. 1753 . 43:
Son Succefleur , Numa Pompilius , en
ajouta beaucoup , ſurtout concernant le
culte; il fonda les Veſtales , créa un fouverain
Pontife , & un Collége de Prêtres;
il ordonna que les fonds de chaque particulier
fuſſent ſéparés par des bornes , il
reſtraignit le droitde vie&de mort accordé
aux peres fur leurs enfans , àceux qu'ils.
avoient eu en légitime mariage.
Ce fut fous Tullus Hoſtilius , troifiéme
Roi , que les Curies s'aſſemblerent pour
la premiere fois , à l'effet de juger une
cauſe privée. Le meurtre de la ſoeur d'Horace
donna lieu à cette convocation extraordinaire
; le Prince avoit nommé à
Horace deux Duumvirs pour lui faire fon
procès , ces Duumvirs avoient condamné
Horace à mort; il en appella au Peuple ,
qui en faveur de l'important ſervice que
le Vainqueur d'Albe venoit de rendre à
l'Etat , le renvoya abſous ; cela ſe paſſa
l'an 85 de Rome.
Ancus-Marcus fit bâtir une priſon pour
les malfaiteurs , placée vis- à-vis le Forum ;
il mit des impôts ſur les ſalines.
Tarquin l'Ancien , Auteur de ces fameux
égouts , leſquels firent dire qu'il avoit
creusé une autre Rome ſous Rome même
élut cent Sénateurs parmi les Plébéiens ;.
le nombre de ceux, choiſis par Romulus
9
44 MERCURE DE FRANCE.
avoit crû juſqu'à trois cens , il y en eut au
tems de Tarquin quatre cens en tout ; il
fit pratiquer des Galeries &des Portiques
autour du Forum , c'étoit le lieu où s'aſſembloient
les Curies .
Sous Servius - Tullius , Rome qui étoit
déjadevenue conſidérablement plus grande
, fut diviſée en quatre quartiers ou Tribus
; la Colline , la Subarrine , la Palatine,
l'Esquiline ; le Peuple fut partagé en fix
claſſes dont chacune en Centuries , elles
étoient formées de telle ſorte qu'en convoquant
par Centuries les aſſemblées , l'aurtorité
paſſoit néceſſairement aux Patriciens.
En effet les plus riches étoient dans
les premieres Centuries & opinoient les
premiers; on ne prenoit les ſuffrages des
ſuivantes , que quand celles qui précédoient
ne s'accordoient pas entr'elles , ce
qui étoit rare ; à cette époque les Comices
par Curies furent entierement éteintes.
Enfin le crime de Tarquin le Superbe
fitque Rome ne voulut plus s'aſſujettir à
ladomination des Rois ;elle conçut pour
eux une horreur fi forte que les Souverains
de toutes les Nations s'en reffentirent.
Le regne des fept Rois de Rome avoit
duré 244 ans ; après leur expulfion Sextus
Papirius recueillit les diverſes loix qu'ils
avoient formées , ce recueil fut appellé le
OCTOBRE. 1753 : 45
Droit Papirien , ſon autorité fut bientôt
abolie par la loi Tribunitia , de ſorte qu'il
n'en reſte plus aucuns veſtiges.
Aux Rois chaſſes ſuccéderent les Confuls
, ils eurent la même puiſſance que les
Rois avoient eue. Comme eux ils rendoient
la juſtice aux particuliers , & exerçoient
ledroit public concurremment avec
le Sénat & le Peuple , ſelon ce qui étoit
du reſſort de l'un & de l'autre .
Onn'avoit point de Tréſor public , Valérius
Publicola en établit un l'an 246de
la Fondation de Rome ; il y propoſa des
Queſteurs , autrement des Tréſoriers des
Finances ; leur foin ne ſe bornoit pas à
l'inſpection & à la garde des monnoyes ,
ils confervoient les Enſeignes & les Drapeaux
, ils pourvoyoient au logement des
Ambaſſadeurs , ils étoient comptables de
leur geſtion au Sénat.
Ce Tréſor , autrement dit Aerarium ,
fut placé dans le Temple de Saturne ; c'eſt
là qu'on dépoſoit les Loix , les Sénatus
Confultes , l'Album des Décuries ( leſquelles
étoient marquées par les Cenſeurs ) les
libelles d'accuſation , en un mot tous les
inftrumens de Mémoire publique.
Cependant le bas peuple accablé par la
dureté des Patriciens , auſquels toute l'autorité
étoit paſſée , au moyen des Comices
46 MERCURE DE FRANCE.
1
par Centuries , eut avec eux de fréquentes
conteftations pour l'ordre du Gouverne.
ment ; elles furent ſecondées par Caffius ,
qui lors de fon troifiéme Confulat chetcha
às'aſſurer la bienveillance des Plébéiens ;
afin de ſe les aſſervir , il demanda que les
terres conquiſes fuſſent partagées entr'eux
&les alliés de Rome. Le Sénat eut la foibleffe
d'accorder cette diviſion aux Plébéiens
par le célébre decret Agraire ; Caffrus
fut puni de ſa témérité ; car aufſi- tôt
après fon Conſulat fini , il fut cité comme
perturbateur du repos de l'Etat , & en conféquence
précipité du roc Tarpéien.
むLedécretAgraire néanmoins ſubſiſtoir ,
le Sénat en éloignoit l'exécution , le Peuple
ne ceſſoit de la réclamer , on l'enrolple
loit pour faire la guerre aux voiſins ; voilà
toute la fatisfaction qu'il pouvoit tirer du
Sénat & des Conſuls , tout étoit en combuftion
, on ne ſuivoit plus de loix , mais
de fimples uſages qui de jour à autre ſe détruifoient
par des coûtumes contraires.
Dans ces circonstances fâcheuſes , il fut
réſolu qu'on enverroit dix hommes àAthénes,
& dans les autres villes de la Gréce
pour y faire une collection des loix , qu'ils
croyoient les plus propres à calmer les
troubles de la République , & à la rendre
floriſſante; les noms de ces Décemvirs font
OCTOBRE. 1753. 47
rapportés dans le Canon 2. diſt. 7.du Décret
de Gratien.
Ces Députés revinrent avec le choix
qu'ils avoient fait des meilleures loix de
Solon& de Licurgue ; on les grava ſur dix
Tables d'yvoire , leſquelles furent expoſées
au Peuple ſur la Tribune aux Harangues;
on fut fi content du travail des Dé.
cemvirs qu'on leur accorda une année
pour ajouter à ces loix & les interprêter ,
ils ſuppléerent à ce qui y manquoit par
deux nouvelles Tables ; on nomma dans la
ſuited'autres Décemvirs pour l'adminiſtration
de la Juſtice.
Telle eſt la fameuſe Loi des douzeTables,
elle embraſſoit trois parties , le culte , le
droit public , ledroit privé ; les Pontifes la
ratifierent avec des cérémonies religieuſes,
le Sénatpar un Décret, les Comices en
Centuries par un Plébiſcite.
Cet ouvrage admirable , ſurtout par l'excellente
politique qui y regnoit , périt
dans les flammes , lorſque Rome fut faccagée
par les Gaulois ; on en raſſembla quelque
tenis après les plus précieux fragmens,
&du mieux que l'on put , on les grava fur
l'airain , & on eut ſoin de les apprendre
aux enfans dès le bercenu .
Mais avant ce déſaſtre , la Loi des douze
Tables , avoit déja ſouffert une dangé48
MERCURE DE FRANCE.
reuſe atteinte , par l'interprétation que lui
avoient donnée les Patriciens avec de certaines
formules qu'il falloit ſuivre à la lettre
, à peine de nullité ; par exemple , la
Formule de l'action petitoire , étoit H. E.
R. J. Q. M. E. A. ce qui ſignifioit , Hanc
ega remjure Quiritum meam effe año , celle
de l'exception ſe trouvoit ainſi conçue A.
E. C. E. V. At ego contra eam vindico.
Appius Claudius, le plus éclairé & le
plus méchant des Décemvirs , inventa ces
differentes formules. Leur connoiſſance
revelée aux Patriciens étoit un ſecret auſſi
impénétrable pour le peuple que la ſcience
des Augures. Le Livre d'Appius fut furpris
parGneus Flavius qui le rendit public,
&dévoila tout le myſtére. De là le Droit
Flavien.
Les Nobles ayant cherché d'autres Formules
plus ténébreuſes & plus embaraſſantes
, elles furent encore divulguées par
Sextius Ælius , ſon ouvrage s'appella le
Droit Alien : ces deux collections ſe ſont
entierement perdues.
Il y eut auſſi d'autres diſputes ſur le vrai
ſens des Loix des douze Tables ; on eut
recours à d'habiles Juriſconſultes pour
l'explication de ces Loix , mais leurs réponſes
furent preſque toujours contraires
les unes aux autres ; cette ſcavante incertitude
49 ةم OCTOBRE. 1753 .
certitude , fut honorée du nom de Drit
Civil.
Bientôt les Décemvirs qui avoient la
fuprême Magistrature , devinrent des tyrans
, peu de tems après leur création , ils
furent chaſſfés de Rome. Le libertinage &
les cruautés du même Appius dont on
vient de parler , ayant occaſionné la mort
de Virginie , donna licu àune ſédition
qui fit changer tout à coup l'Etat & la Juriſprudence.
Excité par les plaintes de Virginie , indigné
de la ſcélérateffe des Décemvirs ,
chargé de dettes , le Peuple ſe déſunit des
Patriciens , & ſe retira fur le mont Aventin
; Menerius Agrippa lui fut député avec
neuf Sénateurs pour prendre des arrangemens;
c'eſt là qu'il fit ſon bel apologue ;
le peuple en fut touché ,&conſentit de
rentrer dans Rome , à condition qu'il lui
ſeroit permisde ſe nommer des Juges.
On ne les choiſit au commencement
que dans l'ordre des Plébéiens ; on les
appella Tribuns , comme nommés par les
Tribus.
Ces Protecteurs furent originairement
au nombre de cinq , on en créa par la ſuite
cinq autres ; ils arrêtoient toute déciſion
duSénat, par un ſeul mot Veto ou Vetamus ;
ils la confirmoient par un T. fignifiant les
Tribuns, C
So MERCUREDE FRANCE.
Parurent à peu près en même tems les
Ediles , ils connurent des poids & des
meſures ; ils furent encore chargés d'avoir
ſoin que les édifices fuſſent alignés , &
d'empêcher qu'ils ne défiguraſſent la Ville.
Ces Magiſtrats s'éliſoient dans les afſemblées
du Peuple ; aſſemblées d'un nouveau
genre , & qui participoient beaucoup
desComices par Curies autrefois proſcrits.
Chacun youvroit ſon avis ſans être adſtraint
à fuivre aucun rang pour opiner, ni aucune
distinction d'âge & de fortune dans l'ordre
des fuffrages ,on les tenoit tant dans
la Ville que dans leChamp de Mars , &
il falloit abſolument les finir en un jour.
Ces nouveaux Comices étoient convoqués
à ladiligence d'un Tribun ; on les appelloit
Comitia Tributa.
Les réſolutions qui y étoient formées
curent , comme celles priſes autrefois dans
les affemblées par Centuries , le nom de
Plebiscites ; mais d'abord elles ne lioient
que le Peupledont elles étoient l'ouvrage ;
enfin la Loi Hortenfia voulut qu'elles obligeaſſent
tous les membres de la Répu
blique.
,
Ce qu'il y a d'étonnant , c'eſt que le bas
peuple jaloux de faire lui-même ſes loix
tranfmit au Sénat un pouvoir , pour la
conſervation duquel il avoit diſputé fi
OCTOBRE. 1753 .
31 .
long- tems. Ces nouveaux Senatus-Confultes
ſe rendoient ſur la réquisition d'un
Conful , & portoient pour l'ordinaire le
nom de celui qui les avoit follicités ; par
exemple , le Trébellien , le Pégaſien , le
Velleien , l'Orfician , furent ainſi appellés
àcauſe de Trebellius , Pegasus , Velleius,
Orficius , qui avoient requis ces fortes de
décrets.
Cependant les Conſuls ſe voyoient tour
àtour occupés au Sénat , à l'armée & à juger
les cauſes des particuliers; ils ne pouvoient
ſuffire à tant de ſoins , il fallut démembrer
une partie de leur pouvoir pour
en revêtir d'autres Magiſtrats qu'on nomma
Préteurs , & qui furent uniquement
chargés de veiller au Barreau, leurs fonc
tions furent renfermées dans l'exercice du
droit privé.
Si on croit Eufebe , les Préteurs commencerent
l'an 82 , après la publication de
ła Loi des douze Tables , & le premier
qui parvint à cette dignité fut Sp. Furius
Camillus.
Quoiqu'il en ſoit , ils eurent les mêmes
marques d'honneur que les Confuls , ils
ne pouvoient d'abord être que de l'ordre
des Patriciens , mais les Tribuns qui devinrent
trop puiſſans , firent paſſer cette
dignité aux Plébéiens ; le premier Prêteur
Cij
52 MERCURE DEFRANCE.
choiſi parmi ces derniers , fut Q. Publius
Phelo , d'un autre côté les Nobles ne dédaignerent
pas le Tribunat.
Tout l'office du Prêteur étoit renfermé
dans ces trois paroles , Do , dico , addico ;
il donnoit les actions , maniere impropre
de parler , qui ne veut dire autre choſe ,
finon qu'il les recevoit en décernant des
commiſſions exécutoriales pour aſſigner les
parties ,il envoyoit en poffeſſion ,relevoit
les mineurs , les abſons ,& cela regardois
l'Empire pur , Imperium merum , qui de
droit appartenoit au Préteur ,&étoitcaractériſé
par le terme Do. 1
Au contraire dico & addico , ſçavoir dica,
quand le Prêteur connoiſſoit d'une affaire ;
addico , lorſqu'il ajoutoit à ſon jugement
par l'exécution , regardoient l'un laJurif
diction , l'autre l'Empire mixte , qui réfie
doient également & éminemment en ſa
perſonne.
Ontrouve dans le Droit beaucoup d'actionsPrétoriennes.
Régulierement elles ſont
annales , à la difference de celles réfultantes
desSenatus Confultes &des Plébiſcites , de
la Loi des douze Tables , des réponſes des
Sages , parce que tous les ans on nommoit
un nouveau Préteur : chacun d'eux annonçoit
par un Edit gravé ſur un carton blanc,
Album Pretoris , la maniere dont il exerçoit
1a Jurisdiction,
OCTOBRE. 1753 . 53
Cette multitude d'Edits renfermoit néceſſairement
beaucoup de contrariétés. Le
Jurifconfulte Julien réunit dans un recueil
très court & très clair , les meilleures actions
Prétoriennes , il en compoſa le fameux
Edit perpétuel , ſa collection n'étoit
point comme celle qu'avoit fait précédemment
Aulus Offilius fons Auguſte ,
Pouvrage d'un homme ſans caractere ; elle
fut rédigée par les ordres du Sénat , & de
l'Empereur Adrien , aufſi eut- elle force
de loi.
Au reſte le même motif, qui avoit engagé
à dépouiller les Conſuls d'une partie
de leur puiſſance pour en revêtir les Préteurs
, détermina encore à augmenter le
nombre de ces derniers , tellement qu'au
lieu d'un ſeul Préteur , il y en avoit douze
àla fois au tems de Ciceron .
Les Romains avoient étendu les bornes
de leur Empire , on reconnut qu'un ſeul
Préteur ne pouvoit pas juger toutes les
cauſes: la Préture quelque tems après fon
origine , fut d'abord partagée entre deux
Magiftrats , dont l'un demeura chargé de
terminer les differends qui ſurvenoient entre
lesCitoyens ,&porta le nom de Pretor-
Urbanus , l'autre fut créé pour appaifer
ceux desEtrangers , ſoumis à la domination
de Rome ,& on l'appella Pretor-Peregrinus.
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE .
De nouveaux Etats conquis , & trop
éloignés pour qu'un ſeul homme pûtjuger
toutes les conteſtations privées qui y naiffoient
, donnerent lieu à envoyer dans chaque
Province des Préteurs.
Ces Préteurs s'appellerent tantôt Proconfuls
, tantôt Provinciaux , tantôt Recteurs on
Préſidens , voici à quelle occaſion :
La Loi Sempronia mit enfin à exécution
l'ancien décret Agraire , elle ordonna que
les Provinces conquiſes ſe tireroient au
fort , & fe partageroient entre le Sénat &
le Peuple.
En conféquence de ce partage , le Sénat
envoyoit dans les Provinces qui lui étoient
tombées , des Préteurs qu'il qualifia du
nom de Proconfuls.
Dans celles échûes au Peuple , les Tribuns
députoient des Préteurs Provinciaux ,
qui avoient à vrai dire , la même autorité
que les Proconfuls.
Tibére enleva aux Tribuns le droit de
décerner des Provinces , il ſoumit celles
qui étoient au Peuple à l'autorité des Gouverneurs
qu'il nomma , de là ces Préteurs
appellés Rectores , Prafides : les Empereurs
qui vinrent après Tibére imiterent fon
exemple.
L'exercice du droit public , le pouvoir
de faire des loix , ne réſiderent plus ſous
OCTOBRE. 1753 . 55
les Empereurs , dans le Sénat & le Peuple ,
l'un & l'autre s'en défirent l'an 731 de
Rome , en faveur d'Auguſte , le premier
des Céſars ; celui- ci eut l'attention de'
communiquer les loix qu'il faiſoit au Peuple
aſſemblé , afin de conſerver par cette
formalité quelque image de République ;
mais fon Succeſſeur abrogea ces aflemblées,
fous prétexte que le nombre des Citoyens
les rendoient trop difficiles & trop tumultueuſes.
Quant au Sénat , il commença à juger
encorps les procès importans ,& furtout
ceux du grand Criminel; par ce moyen
il perdit inſenſiblement de vue les affaires
politiques dont les Empereurs s'attribuerent
la connoiſſance.
Le Droit Sacré leur fut pareillement
tranfmis , il appartenoit auparavant aux
Pontifes ſeuls; les Empereurss'emparerent
du Pontificat , ils furent par droit de ſucceffion
Rois des Sacrifices .
Pour ce qui eſt du Droit privé ordinaire
, ils en laiſſoient l'exercice aux Préteurs ,
encore firent- ils des conſtitutions dans les
affaires épineuſes , c'eſt de ces loix dont le
Code eft formé.
Avant eux les Juriſconſultes ne répondoient
pas publiquement ſur les queftions
qui leur étoient propoſées , ils
C iiij
56 MERCURE DEFRANCE.
donnoient de ſimples avis , à peu près
comme font aujourd'hui les Avocats ,&
dont par conféquent il étoit libre de s'écarter.
Auguſte permit àquelques- uns d'expliquer
publiquement le droit ; Maſſutius
Sabinus fut le premier à qui il accorda
cette permiffion; beaucoup d'autres égalelement
autorisés ſuivirent Maſſutius ; les
noms des plus célébres font dans la Loi 2 .
ff. de orig. Jur.
Les déciſions mémorables de ces hom
mes illuftres , qui preſque tous étoient des
plus grandes familles de Rome , amis des
Empereurs , ou recommandables par les
ſervices qu'ils avoient rendus à l'Etat , furent
appellées Reſponſa prudentum , il falloit
les ſuivre & s'y conformer . C'eſt de
leurs réponſes que les cinquante Livres
des Pandectes font principalement compofés
:ils faifoient auſſides Formules tirées
des principes du Droit ; Gallus Æquilius
paſſe pour avoir inventé les plus heureufes.
A peine fut- il permis aux Juriſconſultes
du premier ordre , de répondre publiquement
fur le fensde la Loi , qu'ils ſe ſéparerent
en deux ſectes , ce qui a occaſionné
une foule d'antinomies dans le digeſte :
Ateius Capito & AutiſtiusLabeo en fu
OCTOBRE. 1753 . 57
rent les chefs. Le premier obſervoit rigidement
les principes qu'il avoit appris :
le ſecond , qui avoit l'eſprit plus pénétrant
&plus fubtil , fit beaucoup d'innovations ;
cependant comme les Chefs de parti fout
encore moins diviſés que ceux qui leur
fuccédent ,les diſputes furent beaucoup
plus vives entre Sabinus , Succeſſeur de
Capito , & Proculus qui remplaça Labeo ,
qu'elles ne l'avoient été entre Capito &
Labeo eux-mêmes ; auſſi ces deux ſectes
ne font-elles connues que ſous le double
nom de Sabiniens&desProculſiens , quoique
Sabinus & Proculus n'en fuſſent pas
les auteurs.
Il s'en éleva une troiſſeme pour les mettre
d'accord', ce fut celle des Herciſcundes,
leſquels tâcherent de concilier les uns&
les autres ; autant qu'il leur fut poſſible , ils
prirent toujours le parti mitoyen. Juſtinienſe
rangeade leur côté.
Le droit étoit donc compoſé alors de la
Loi'des douze Tables , des Plébiſcites , des
Senatus-Conſultes , des Edits des Préteurs,
des réponſesdesSages & des Conſtitutions
desEmpereurs.
Cesdernieres s'étoient conſidérablement
multipliées . Gregoire &Hermogenes les
réunirent en deux Codes ſous Dioclétien ,
ces Codes contenoient les refcrits & dé
Cv
SS MERCURE DE FRANCE.
crets des Princes , depuis Adrien juſqu'a
Constantin.
Théodoſe , le jeune , fit recueillir par les
plus éclairés Jurifconfultes de ſon ſiècle ,
les conſtitutions faites depuis Conſtantin
juſqu'à lui.
Mais ces trois ouvrages devinrent fuperflus
, parce que les loix qu'ils renfermoientétoient
obſcuresou ne s'accordoient
pas entr'elles ; auſſi l'Empereur Macrin ,
qui étoit conſommé dans l'étude delaJurifprudence
, diſoit il que pour ramener le
droit à des principes surs , il feroit àpropos
de ſuprimer tout ce qui avoit été écrit
juſqu'alorsdans ce genre.
Juſtinien parut enfin ,il mit la ſcience
des Loix dans un nouveau jour, & ladiſtribua
dans le corps de Droit que nous ſuivons
aujourd'hui ,& qui a quatre parties.
D'abord il fit rédiger un Code de toutes
les Conſtitutions depuis Adrien , c'est-àdire
, qui avoient été faites pendant le
cours de cinq cens ans , il le fit publier la
troiſième année de ſon regne ; il s'apperçut
que ce Code avoit été fait trop précipitamment
, il le fit revoir & corriger , il
y ajouta cinquante déciſions nouvelles ,
& le donna en cet état cinq ans après ,
fous le nom de Codex repetite pralectionis.
OCTOBRE. 1753. 59
Il y avoit trop d'excellentes choſesdans
la Loi des douze Tables , les Plébiſcites ,
les Edits des Préteurs , les décrets du Sénat
,& fur tout dans les réponſes des Sages
pour ne pas les recueillir ; mais il falloit
beaucoup de choix , fingulierement
dans les déciſions des Jurifconfultes , dont
les Livres montoient à près de deux mille
volumes. La Compilation abregée de toutes
ces loix forma le Digeſte qui parut la
ſeptiéme année du regne de Juſtinien ;
cettecollection fut encore appellée du nom
de Pandectes , comme comprenant tout le
droit : tout y eſt lié &digeré avec art &
méthode.
Juſtinien ordonna enſuite qu'on fit les
Inſtituts , ils renfermerent les élemens de
la Jurisprudence , & en font un précis
exact , quoique travaillé poſtérieurement
au Digeſte ; ils devinrent publics avant lui.
Pour parvenir à la compoſition de ces
trois chefs-d'oeuvres , Juſtinien employa
ſeize Jurifconfultes , dont les noms font
rappellés au Code de Jur. vet. envel. On
convient affez généralement que Tribonius
, qui étoit ſon Chancelier , y eut la
meilleure part ; c'étoit un autre Appius , il
n'avoit pas le coeur auffi droit que l'efprit,
quelques-uns prétendent qu'il vendoit les
loix; du moins il eſt certain qu'il en ac
Cvj
60.MERCURE DE FRANCE.
commoda pluſieurs ſelon les circonstances
où se trouverent ſes amis , & ceux qu'il
vouloit obliger. Ces interpollations ſe
noinment des Tribonianiſmes.
و ن
Dans le cours du reſte de ſon regne
Juſtinien fit encore 168 Conſtitutions trèsétendues
, qui furent inferées dans le corps
de Droit , & qui ſont un fupplément du
Code;on les appelle Novelles , non-feulement
, parce qu'elles ſont les dernieres
loix que cet Empereur ait compoſées , mais
parce qu'elles dérogent preſque toujoursà
la Jurisprudence , qui étoit en vigueur
avant qu'elles paruffent.
Tellement que le Droit Romain ſe diftingue
en trois fortes ; l'ancien , Jus vetus,..
c'eſt celui du Digeſte ; le nouveau , Jus novum
, c'eſt celui du Code ; le dernier , Jus
noviſſimum , c'eſt celui des Novelles ; ces
Novelles furent écrites en Grec , & ont
été traduites en Latin , l'exactitude de leur
verſion leur a procuré le nom d'autentiques.
Ceux qui font nourris dans l'étude div
DroitCivil , & qui en connoiſſent le beau
& l'admirable , s'étonnent àjuſte titre
qu'après la mort de Juſtinien cet ouvrage
n'ait eu lieu que pendant trois ſrécles dans
L'Orient , & ait demeuré preſque ignoré
durant près de fix cens ans dans l'Occident
OCTOBRE. 1753 . 61
les uns attribuent ce malheur à l'embraſement
de Conſtantinople , ſous l'Empereur
Zenon , & à l'invaſion des Goths , en Italie
, qui conſommerent dans les flammes
tous les Livres qu'ils trouverent.
D'autres croyent que lajalouſie des Succeſſeurs
de Juſtinien ,& fingulierement
de Baſile & de Léon le Philoſophe , fut
cauſe que cette immortelle compilation
demeura enſévelie dans l'oubli ; mais cette
derniere idée ne s'accorde pas avec le caractere
de Baſile , qui fut un grand Prince,
& à qui d'ailleurs on doit un abregé du
Code..
Quoiqu'il en ſoit , Charlemagne paffe
pour être le premier qui ait témoigné vouloir
remettre le Droit Romain en vigueur.
Les ténébres épaiſſes où les Sciences& les
Lettres étoient plongées lors deſon regne ,
ne lui permirent pas de réuſſir dans ce
deſſein.
Les déſordres de la guerre frent se
queCharlemagne n'avoit pû exécuter. Lothaire
II. ayant conquis Melphe , dans
la Pouille , y trouva un exemplaire des
Loix Romaines , il en gratifia les Pifans ,
fesAlliés.
En conséquence de cette découverte ,
Irenies profeſſa en 1128 le Droit Romain
à Boulogne , il le fit d'abord de fon
}
62 MERCURE DE FRANSE.
propre mouvement; il n'y fut autoriſé,fi
onencroit Berthold Nihuſius, qu'en 1137,
Lothaire II. ayant ordonné par un Edit
que la collection deJuſtinien ſeroit publiquement
enfeignée dans les Ecoles , &
fuivie au Barreau .
Dans le quatorziéme ſiécle les Florentins
s'emparerent de Piſe ,& tranſporterent
à Florence les Pandectes qu'ils avoient
enlevé à leurs ennemis. La France ne voulut
point le céder à l'Allemagne & à l'Italie
, elle cut auſſi ſes Docteurs ; ils font
connus.
J. Lacoste , fils , Avocat.
Dijon, le 16 Avril 1753 .
4
La fuite au prochain Mercure.
VERS
AS. A. S. Mgr le Comte de Clermont ,
Princedu Sang, à l'occaſion deſa Fête.
LA folemnité lapluschere ,
Dujour qui la voit naître éprouve le deſtin ;
Eclatante , mais paſſagere ,
Elle ne compte qu'un matin:
Il n'en eſt pas ainfi de celle qu'on s'apprête ,
Grand Prince , à célébrer dans votre heureuſe
Cour ;
OCTOBRE. 1753 . 63
Pour la gloire & les arts dont vous êtes l'amour ,
Tous vous jours ſont des jours defêre.
Le Chevalier de Laurès.
३८ ३८ ३८ ३८ ३८ ३८ ३८ ३८ ३८ ३८ ३८ ३८
VERS
AMlle Gauſſin , à l'occaſion du rôle d'Aglaé
qu'elle a joué dans une Comédie nouvelle,
répréſentée àBerny , pour la fête de
SA. S. Mgrle Comte de Clermont , Prin
ceduSang.
Q
Ue votre voix enchantereſſe ,
Votre air naïf, votre délicatefle ,
Quetout , belle Gauſſin , en vous plaît , attendrit!
On vous admire , on vous chérit ,
Voscharmes paflent dans ma Piéce ;
Par un preſtige heureux qui voile fa foibleſſe;
Le coeur ſoupire & l'eſprit rit.
Ainfi , quand zéphire careſſe ,
Les bois , les champs que l'Aquilon Aétrit ;
Le calme renaît , l'horreur ceſle ,
Tout s'anime , tout rajeunit ,
Et la ronce même fleurit .
Que n'embelliroit pas l'art joint àtant de graces !
Qui ,le vain Mathias , ſur le Dieu du Parnaſſe
Eût remporté le prix des Vers ,
Si vous cuffiez prété vos accens à ſes airs,
Par lemême.
64 MERCURE DEFRANCE.
洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗装
ASSEMBLE'E PUBLIQUE
De l'Académie des Belles- Lettres de la Rochelle,
tenuele 175.3
Gaſtumeau , Directeur , ouvrit la
M. Séance par un Diſcours dignedes
plus grands Ecrivains , dans lequel it
examine ſi nous devons craindre pour
les Lettres , la même révolution qu'ont
éprouvée les Lettres Romaines.
>>On ne poſſéde point , dit l'Auteur ,
>> de grands tréſors ſans inquiétude. La
» perfection où la France s'eſt élevée dans
>> les Arts de tout genre eſt un bien dont
>`>elle connoît le prix. Elle craint donc de
>>le perdre , & dès- là il ne faut plus s'é-
>>tonner qu'au premier danger qu'il pa-
>> roît courir , on s'arme de toutes parts
>> pour ſa défenſe.
>>C'eſt ſur tout pour les arts de génie
* que les alarmes paroiſſent plus vives.
>>Comme leur poſſeſſion a quelque choſe
>>de plus flatteur pour l'eſprit , qu'elle dé-
>> cide beaucoup plus du mérite d'une nation
, & que dépendante d'ailleurs d'une
infinité de vues extrêmement déli
>> cates , le trouble & le déſordre s'y introduiſent
d'une maniere preſque infen
OCTOBRE. 1753. 65
fible , toute nouveauté y devient l'ob-
>>jet de défiance&de précaution .
>>Telle eſt le plus ſouvent la ſource de
» ces plaintes , qu'on entend s'élever ſur
>> la corruption du goût plaintes qui
>>quelquefois ſe ſont changées en cris
>>> amers , & ont plus inquieté la républi-
>> que des Lettres , que le fujet même qui
>> les faiſoit naître.
>>La fameuſe diſpute ſur les anciens &
>> les modernes fut une de ces entrepri-
> ſes téméraires qui effraya le plus l'empi-
>> re Littéraire. Les grands maîtres alloient
>> être abandonnés , on étoit menacé de
>>>l'anarchie , & tout étoit prêt à rentrer
>>dans cette épaiſſe nuit dont l'ignorance
avoit couvert le monde.
>> Mais qu'avoit- on à craindre ? La guer-
: re ſe faiſoit à force ouverte : le fameux
> adverſaire des anciens , trop foible pour
>> la grandeur de ſa cauſe , ne gagna point
>>>de terrein , & fit preſqu'autant de fautes
>> que de pas les deux grands hommes
>>qui après lui entrerent en lice , & qui
>> auroient eu infailliblement raiſon s'ils
>>avoient pû l'avoir , ne donnerent pas
» à beaucoup près , à la diſpute , ni autant
>>de vivacité , ni autant d'étendue que
>> Perrault : on réduiſit la queſtion aux ter-
» mes du vrai , & après avoir reconnu
66 MERCURE DE FRANCE.
>> qu'Homere & Platon avoient på tom-
>>ber dans quelques négligences , on leur
>> laiſſa le nom de Divins , que leurs
» avoient décerné tous les ſiécles....
>>Cependant la longueur de la diſpute
>> accoutuma peu à peu les eſprits à des
>>ſyſtèmes finguliers , ſur le progrès &
>>la chûte des Arts.On ne douta plus qu'il
» n'y eût un terme fatal , aude- là duquel
>> ils ne peuvent monter ,&d'où enfin ils
>> doivent deſcendre , par notre inconf.
>>tance naturelle qui nous dégoûte de la
>> perfection même , par la ſeule raiſon
>> qu'elle tend à nous fixer. On crut voir
>>> ce terme , on en marqua l'epoque : les
>> fiécles d'Auguſte & de Louis le Grand
>>parurent avoir fourni dans tous les gen-
>>res des modéles achevés ; c'eſt à ce point
» qu'on s'arrêta , & comme par un préju-
"gé déja fort ancien , oncroyoitque tous
>> les arts étoient tombés immédiatement
> après la mort d'Auguſte , il falloit par
>>une conféquence néceſſaire du ſyſtème ,
>>qu'ils dégeneraſſent après celle de Louis
XIV.
>>La prévention ſe changea preſque en
>> conviction : on compara Auteur à Au-
» teur; on nous montra nos Seneques ,
>>>nos Lucains , &tous ceux qui avoient ,
>>> dit-on , hâté dans Rome la décadence
•desArts.
OCTOBRE. 1753 . 67
>>Croiroit-on que malgré les preuves
>> éclatantes de goût&de génie qu'a four-
>>nies notre ſiècle ,pour la perfection de
>> tous les objets des connoiſſances humai-
>> nes , cette crainte de les voir périr trou-
>> ve encore placedans les eſprits , & qu'on
> la fonde toujours ſur le triſte évene-
» ment de la chûte des arts dans Rome ?
n
"un ود
Mais ceux qui craignent pour nous
pareil événement , ont-ils affez réflé-
>>chi ſur les vrayes cauſes de la corrup-
>> tion du goût chez les Romains , & fur
>> l'état actuel où se trouvent les beaux-
>> Arts en Europe ?
Examinons ces deux objets , & avant
>> de nous livrer aux alarmes , voyons du
>> moins fi elles ſont fondées .
Dans la premiere partie , après avoir
parcouru les cauſes auxquelles on attribue
ordinairement le déperiſſement des arts
dans Rome , telles que la révolution du
Gouvernement , l'aſſerviſſement de la République
, la dureté de ſes maîtres , les
troubles& les diviſions inteſtines qu'exita
tant de fois la concurrence pour l'Empire
, &c. l'Auteur cherche dans Rome
même les cauſes particulieres du déſordre
: elle en fournit qui lui font propres ,
&qui fortent , pour ainſi parler , du fonds
de ſa conſtitution.
68 MERCURE DE FRANCE.
Il s'arrête principalement à ces quatre
objets . Le caractere du génie des Romains,
le peu d'étendue qu'eut chez eux l'empire
des Lettres , même dans les tems les plus
heureux ; le peu d'objets ſur leſquels ils
purent exercer leur talens ; le manque de
fecours pour les cultiver : » en falloit- il
>>tant pour précipiter la ruine des Let-
> tres ?
• Quoique tous les peuples ayent à peu
>>>près les mêmes diſpoſitions pour les
>>beaux Arts , on remarque pourtant que
>> tous ne les cultivent pasde la même ma-
* niere , & que chacun y porte fon carac
>>> tere , & le goût dominant dont la na-
> tion eſt affectée.
Ceux que l'imagination gouverne
> avec plus d'empire , ſe livrent par pré-
> férence à la Poësie , & ne veulent dans
>>>les écrits que des ſymboles , des peintu-
>>res vives , des figures hardies ; tout s'y
traite en vers , la Philoſophie , laMo-
>> rale , l'Hiſtoire même.
4
>>D'autres plus portés aux choſes de
>>ſentiment , ſemblent ne devoir chanter
>> que l'amour & ſes plaifirs.
>>Tout ce qui eſt du reſſort de l'eſprit ,
>> tout ce qui reſpire l'enjouement & la
>> délicateſſe , paroît dans une nation faire
- le ſeul objet qui l'occupe , tandis que
OCTOBRE. 17;3 . 69
> l'autre uniquement livrée aux choſes
مد graves& férieuſes ,ſemble facrifier tout
»à la raiſon , & ne ſe plaire qu'aux ouvra-
>> ges qu'elle a dictés.
>>>Jecrois , ſans prononcer trop hardi-
» ment ſur le caractere d'eſprit du peuple
>> Romain , qu'on peut le ranger dans cet-
>> te derniere claſſe. Il avoitdes moeurs ,
»& en général quelque choſe d'auſtere
» dans la conduite , l'ame naturellement
» élevée & courageuſe , le coeur dévoré
>> d'ambition , & toujours au deſſus de ſes
>> ſuccès , quelque grands qu'ils fuffent ,
>>une inclination vive pour toutes les cho-
» ſes où il y avoit de la grandeur , une
>> raiſon exquiſe& folide , un jugement
»sûr dans la conduite des affaires. Mais
ces qualités mêmes , toutes eſtimables
>> qu'elles font , ſemblent exclure la viva-
>> cité , l'enjouement , le jeu des paffions ,
>>le deſir de ſe communiquer &de plaire ,
>> le penchant à l'imitation , &dès là ôter
>> à l'eſprit une partie de ſes agrémens &
>de ſes reſſources .
» Aufſi les Romains , qui dans les ou-
»vrages ſérieux ont réuſſi juſqu'à devenir
>> eux-mêmes d'excellens modéles , n'ont-
>> ils eu que de médiocres ſuccès quand ils
« ont voulu traiter le ſentiment ou don-
>nerdans le badinage. Térence, lui même
70 MERCURE DE FRANCE:
>>dont le jeu eſt par tout plein de fineſſe
" & de, décence , a dans tout le tiſſu de
>>ſes pièces je ne ſçai quel ſérieux qui
>>ſuſpend ou amortit le plaiſir des choſes
> agréables & délicates qui y ſont répan-
>> dues. Plaute qui avant lui avoit donné
>>>plus de liberté au comique étoit ſouvent
>>tombédans labouffonnerie plate & grof-
> ſiere ; peut être est-ce ſa gayeté autant
>que ſes pointes& ſes jeux de mots , qui
>>lui a fait trouver un cenſeur ſi rigide
>>dans la Cour d'Auguſte.
>>>Croiroit - on que cette auſtérité de
»moeurs , & ce goût dominant pour les
>> choſes férieuſes &raiſonnables fit pref-
>> que méconnoître aux Romains l'uſage
>>des paſſions douces& modérées , & que
dans leur conduite comme dans leurs
>> écrits, ils n'ont preſque jamais apperçu
>> cette ſituation de la ſociété , où ſans vi-
>> ces comme ſans vertus elle fait l'amuse-
"mentde tous ?
>>Leurs femmes avoient de la fierté ,
>>des ſentimens , l'eſprit d'une trempe auf-
» ſi ferme que les hommesdont elles vou-
>>loient partager la gloire & les travaux.
>>Calpurnie fit une harangue publique :
>>Porcie , après la mort de ſon mari , ava-
>>la des charbons ardens : on leur permet-
> toit à peine les jeux innocens de la jeuOCTOBRE.
1753 . 71
nefle ,&c'étoit pour elles un crime que
d'y réuſſir trop. Mais dès-là quelles dif-
>>poſitions devoient-elles apporter dans
>>la ſociété , leur orgueil comme leur ver-
» tu en étoit le fléau , & à cet égard la
>>ſumple villageoiſe devoit , aux yeux de
• Juvenal , l'emporter ſur la mere des
»Gracches.
>>>Auſſi dès que les richeſſes eurent intro-
>> duit dans Rome le luxe & les plaiſirs ,
» on y paſſa preſque ſans milieude la ré-
>>ſerve la plus auſtere à la débauche la
>>plus groſſiere . Toutes les productions des
» Auteurs en furent infectées ,tout s'y pei-
» gnit ſans ménagement & fans pudeur ;
»& par un retour qui marque bien le
>> penchant que nous avons à courir vers
>>tous les excès , ceux qui tenterent de ta-
» mener les autres au devoir , endonne-
>>rent des régles que perſonne ne put fui-
» vre. L'élévationdes ſentimens reparoiſſoit
>> dans les écrits , mais elle y étoit outrée
» & giganteſque. Le plan de vertu qui
regne dans les ouvrages moraux de Sé-
>> neque , ſemble avoir fourni le fond des
>>idées & du ſtyle des tragédies qu'on lui
>>attribue; peut- être a t'il paſſé juſquesdans
>>>l'économie& les expreſſions ampoulées
» de la Pharſale.
» Ce qu'il y a de certain , c'eſt que la
72 MERCURE DE FRANCE.
>> forte d'eſprit qu'ont eu les Romains ;
» n'a dû que très- médiocrement étendre
>> l'empire des Lettres. Mille eſpéces d'ou-
>> vrages leur étoient inconnues , ceux en-
> tr'autres que produit le ſimple amuſe-
>>ment dans des ſociétés ſpirituelles & po-
>>lies , qui ſçavent ſoumettre le plaiſir ,
>> les paſſions , l'érudition même aux loix
>de la bienséance.
Deplus , ce goût qu'ils avoient pour
tout ce qui portoit l'empreinte de la
> grandeur , après s'être exercé ſur des ob-
>>jets réels , & qui en étoient véritable
> ment ſuſceptibles , devoit être lui-mê-
> me une diſpoſition fort prochaine à don-
>> ner dans l'hyperbole & l'enflure , fur
>>tout quand il étoit queſtion de feindre
ou d'inventer.....
T
?
>>C'eſt en partie à cette diſpoſition d'ef-
>>prit que nous devons ces déclamations
>>qui après le regne d'Auguſte , firent pen-
>> dant fi long-tems preſque toute l'éduca
»tion littéraire de la jeuneſſe Romaine,
» Ouvrages bizarres , où l'art ſeul croit
>> remplacer la nature , où les mots tien-
» nent lieu des choſes , où des riens ſont
→parés des plus riches ornemens de l'élo-
>> quence ..... Comment les Romains ne
>> ſe dégoûterent- ils pas de ce yain étalage
>>des Rheteurs ? ... ,
» C'eſt
ОСТОBRE. 1753 . 73
»C'eſt que dans ces déclamations ils
> voyoient encore l'image de cettegrande
» éloquence , dont les Orateurs dela Ré-
» publique avoient fait uſage. Ils n'a-
> voient plus de Rois à accuſer ou à dé-
> fendre , des citoyens plus grands que les
>> Rois à proſcrire ou à ſauver ... Mais ils
>>lifoient les diſcours où s'étoient difcutées
> ces cauſes importantes , & pleins de leur
>> antique grandeur , ne croyant pas que
>>l'éloquence pût ſans ſe dégrader prendre
>>un autre ton , ils aimoient mieux fein-
>>dre des ſujets qui s'élevaſſent juſqu'à el-
- le, que de la faire deſcendre aux objets
> que leur ſituation actuelle leur permettoitde
traiter.
»Cette mépriſe dans le choix des ſujets
• où l'éloquence devoit s'exercer, fut peut-
► être chez les Romains une des principa-
•les cauſes de la corruption du goût ....
>>Du moins nous fait-elle connoître com-
>> bien peu les écoles Romaines ſervoient
>>>aux progrès des Sciences .
C'eſt qu'en effet , les maîtres eux-mêmes
>>n'avoient que très peu de connoiſſances ;
» & où les auroient- ils puiſées ? Jamais
> les Sciences n'ont fait dans Rome que
▸ de médiocres progrès , & dans les tems
»même les plus favorables,elles ne furent
>cultivées que par le plus petit nombre ,
D
74 MERCURE DE FRANCE.
→le gros de la nation n'yprit aucune part
»On ne peut gueres faire remonter
» l'époque de l'introduction des beaux
» Arts dans Rome , plus haut que la ſe-
> conde guerre Punique ; & combien en-
> core ces commencemens dûrent- ils être
foibles ! ....
Ainſi ceux qui placent le commence-
»ment de la décadence des Arts dans Rome
, immédiatement après la mort d'Au-
> gufte , ne leur donnent guéres que 200
» ans de durée.
>> Il eſt vrai que dans ce court intervalle
>> l'Eloquence & la Poësie furent portées
>>>au plus haut point de perfection ; mais
>>les Sciences purent-elles , en ſi peude
>>tems , faire un progrès égal ?
» Les Romains étoient un peuple de
> foldats& d'eſclaves.Durant les cinq fié-
>> cles qu'ils paſſerent à ſoumettre l'Italie ,
>> ils méconnurent preſque entierement le
>> reſte du monde. ....
» Ils trouverent les Sciences dans la
>>Grece , mais ennyvrésdu ſuccès de leurs
armes au dehors , & troublés au dedans
» par les jaloufies du Sénat & du peuple ,
>>pouvoient-ils les cultiver avec quelque
> fruit ? .. Qu'on juge par la Géographie
>> du peu d'accroiſſement des autres Scien-
>> ces. Quand Polybe écrivit ſon hiſtoire ,
ОСТОBRE.
1753. 75
bil fut obligé de voyager en Afrique , en
» Afie , dans les Gaules , en Eſpagne , pour
s'aſſurer de la poſition des lieux dont il
>>devoit parler ; & plus d'un fiécle après ,
► Diodore de Sicile fut contraint d'en
>> faire autant pour ſon Hiſtoire univer-
>felle.
• Les beaux Arts même ne faifoient
› alors que des progrès très- lents.
L'Auteur rappelle ici la ſtupidité de ce
Conful , qui ayant ſauvé de l'embraſement
de Corinthe des tableaux admirables, étonné
du prix qu'on lui en offroit , croyoit
quequelque vertu ſecrettey étoit attachée;
le mauvais goûtdu peuple , qui à larepréſentation
des plus belles pièces de Térence
, quittoit quelquefois le théatre pour
courir àdes mimes oudes farceurs : l'aveu
que fait Virgile lui-même de la ſupériorité
que laGrece avoit encore de ſon tems
fur Rome , dans l'exercice de tous les arts ;
l'uſage où étoient les Orateurs d'y aller
étudier les Sciences , &c .
• Combien peu de citoyens encore s'adonnerent-
ils à l'Eloquence & à la Poë-
>> ſie ? Dans la liſte des grands Orateurs
>> dont l'hiſtoire nous a conſervé les noms ,
>on ne voit que des hommes Confu-
>> laires , des Patriciens , les plus grands ,
les plus riches de Rome. L'Eloquence
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
>>leur étoit néceſſaire pour s'attirer l'ad-
>> miration& les ſuffrages du peuple ; mais
>>pour arriver plus sûrement au but , if
>>falloit parler à un peuple peu inſtruit ,
» à qui l'art , la marche , & les ref-
>>forts ſecrets de l'éloquence fuſſent en-
>>tierement cachés; car la ſurpriſe & l'ad-
>> miration ceſſent dès que l'objet eſt con-
>> nu , & il y a bien de l'apparence que
>> ces harangues qui ſoulevoient fi facile-
>>ment la multitude n'auroient eu que de
>> très foibles ſuccès , ſi l'auditeur avoit pû
→découvrir l'adreſſe dont uſoient les Ora-
>>teurs , pour lui inſpirer ces mouvemens
>> furieux qui le jettoient hors des bornes
» du devoir. Les Prédicateurs de la Ligue
>> trouveroient- ils aujourd'hui des audi-
>> teurs auffi dociles que l'étoient ceux de
>> leur tems ? ....
>> L'Eloquence commença avec les trou
» bles de la République , lorſque les ci-
>>toyens les plus puiſſans & les plus ac-
>>crédités ſe faisoient des partis pour op-
> primer leurs concurrens : d'un côté les
>>haines , les inimitiés , les accuſations ;
➤de l'autre , la néceſſité de la défenſe dans .
» des cauſes où il s'agiſſoit toujours de fon
état & de ſa fortune , & où il falloit
→répondre de vive voix par ſoi-même &
fans le ſecours d'autrui ; le ſuccès prefOCTOBRE.
1753 . 77
,
> qu'infaillible qu'avoit auprès du peuple
, non pas l'innocent ou l'homme de
»bien mais celui qui parloit avec plus
>> de grace & d'éloquence ; le préjugé du
» fiécle qui ne croyoit dignes du gouver-
>> nement que ceux qui tenoient le premier
rang parmi les Orateurs ; ce cri
» éternel de la ſainteté des loix , de la ma-
» jeté du nom Romain dont retentiſſoient
>> les tribunes ; la foule qu'attiroit un ſpec-
> tacle ſi propre à nourrir la vanité & la
>malignitédu peuple; tout cela dut nécef-
>>ſairement produire un grand nombre
» d'Orateurs , & tourner à l'étude des
>> Sciences &des exercices oratoires l'édu-
>> cation de lajeuneſſe , que la naiſſance
>>& les talens appelloient aux premieres
>>dignités.
>>Mais une éducation ſi ſupérieure &
>> dont le ſuccès dépendoit d'une infinité
>> de connoiſſances qu'il falloit acquerir à
>> grands frais , ne pouvoit guères être le
>>partage du peuple. Auſſi dès qu'Auguſte
en pacifiant la République , eut fermé
>> les routes à l'ambition des Grands , &
» que la tribune eut été forcée au filence ,
» il n'y eut plus d'Orateurs , & leur art
>>tomba preſque dans l'oubli ..... 1
>>Ala vérité , ce triomphe de l'éloquence
& les flateuſes récompenfes qui y
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
» étoient attachées , avoient dû inſpirer
>> une très-vive émulation à pluſieurs ci-
>> toyens d'un ordre inférieur , qui ne pou-
> vant ſe procurer une éducation ſi recherchée,
s'attachoient du moins à cultiver les
>> parties de la Littérature qui étoient plus
>de leur reſſort .
» C'eſt ce qui prépara au fiécle d'Au-
>>guſte ce grand nombre de Poëtes , d'Hif-
> toriens , qui voyant à leur tour leurs ta-
>> lens accueillis , préférés même à ceux
>> des anciens Orateurs dont on n'ofoit
>>>plus prononcer le nom , produiſirent ces
>> chefs- d'oeuvre qui ont immortaliſé leur
>> goût , & celui du Prince & du Minif-
>> tre qui les protégerent.
>>Pourquoi de fi brillans efforts ne fu-
> rent- ils pas foutenus plus long-tems ?
>>Pourquoi ne proportionna-t'on pas les
>>ſecours aux ſuccès ? comment ne prévit-
> on pas qu'une émulation qui avoit cu
>dans l'origine des cauſes bien plus inté-
>>reſſantes que les ſimples regards du Prin-
се , & qui n'avoit percé qu'à travers
>> mille obſtacles , dégénéroit bien vîte ,
> ſi l'on ne multiplioit les reſſources & les
>>facilités de l'éducation , qui elle même
>> devoit naturellement multiplier les ama.
» teurs des Lettres ?
>> Car ce ſont ces facilités qui ont tou
OCTOBRE. 1753. 79
> jours manqué à Rome. Les Rheteurs s'y
>>étoient introduits quelque tems avant
>>>Ciceron : mais quelle école pour lajeu-
> neſle ! Preſqu'au moment de leur établif-
> ſement ils s'attirerent le mépris des gens
> ſenſés , & les Confuls furent obligés de
> mettredes bornes à leur licence. Cepen-
>>dant c'étoient là les ſeuls maîtres que
➤ l'on pouvoit commodément entendre.
>>Une telle conſtitution devoit expoſer
les Arts à une décadence inévitable ...
> On ſçait par quels dégrés ils font ar-
» rivés à leur ruine ſous les ſucceſſeurs
>> d'Auguſte. Ces monſtres qui immédiate-
>mentaprès lui occuperent le thrône , ne
>>favoriſerent plus les lettres , quelques-
>> uns meme leur furent contraires. Cali-
>> gula vouloit abolir les écrits d'Homere ,
•& ôter des Bibliotheques publiques Ti-
» te- Live & Virgile : Neron affez fou
» pour ſe croire le premier des Poëtes , &
>>affez cruel pour punir en ce genre la ri-
>>valité commeun crime , glaça les eſprits,
» ou les força à s'envelopper d'un voile
>>ténébreux qui déroboit toutes leurs gra-
» ces.
» Mais ce n'étoient làque des momens
>> critiques , contre leſquels les beaux Arts
>> auroient infailliblement prévalu , s'ils
avoient été plus répandus dans Rome.
Diiij
30 MERCURE DE FRANCE.
En effet , un Gouvernement plus doux ,
>> tel que celui de Veſpaſien , de Trajan ,
> de Marc Aurele devoit les rétablir , s'ils
>>avoient eu dans l'origine une confiftance
plus fixe.....
>> Pour donner plus de jour à ces preu-
>>ves , il ſuffiroit de jetter les yeux ſur l'é-
>>> tat des Lettres dans la Grece. D'où vient
qu'elles s'y ſont maintenues ſi long-
>>>tems , & pluſieurs fiécles après la chûte
des Lettres Latines ? C'eſt qu'elles y fu-
> rent plus répandues , que tous les ci-
>>toyens les cultiverent , que les Acadé-
>> mies établies dans toutes les Villes y
>> formoient la jeuneſſe : c'eſt que toutes
>> les Sciences , toutes les partiesde la Lit-
>> térature y étoient enfeignées par d'ex-
>>cellens maîtres , & que les Grecs natu-
>>rellement ſpirituels & curieux, aimoient
>>toutes les belles connoiffances & s'y
> appliquoient par goût : l'Eloquence &
> la Poëfie faifoient l'amusement du peu-
> ple même : on y entretenoit des ſpectacles
aux dépens de la République , &
>le plus indigent n'en étoit pas exclus...
Dans la ſeconde partie du Diſcours , M.
Gaſtumeau indique , mais en géréral , nos
richeſſes littéraires , & les ſecours infinis
qui de toutes parts s'offrent au génie , &
rendent l'étude auſſi facile que commode.
OCTOBRE. 1753 . St
Toutes les Villes ont des écoles publiques
; les Bibliotheques , les cabinets
>>des Sçavans , qui dans les Capitales ren-
> ferment des tréſors immenfes , ne font
> pas ſans quelque prix dans pluſieurs Villes
de Province.....
» Un difcernement fin & exquis , un
vif attrait pour tout ce qui orne l'ef-
>>>prit& la raiſon , un goût éclairé de la
>> politeffe& des bienséances , plus pré-
> cieux peut-être que l'érudition même ,
>> un ardent amour pour la gloire , for-
» ment aujourd'hui le caractere de toutes
> les nations de l'Europe.
>>>Manquer-at-on de ſujets & d'occaſions
pour exercer ſes talens ?
» D'un côté , une Religion ſainte dont
les dogmes imajestueux & la morale fu-
>> blime ne ſe déroberoient que trop à nos
>> regards , ſi elle ne chargeoit ſes orateurs
>> de nous rappeller continuellement à el-
>> le , leur fournit un fonds inépuiſable de
>> ſentimens , de pathétique , de vérités
>>impérieuſes , d'invitations preſſantes ,
>> qui aſſurent à l'éloquence un ſuccès mal-
>> heureuſement auſſi durable que nos éga-
> remens & nos foibleſſes.
>> D'un autre côté , les haines , l'aveu-
>>glement , l'intérêt , font retentir de leurs
>> clameurs les tribunaux de la justice : les
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
> paſſions s'y cachent avec art , le men-
• fonge même oſe y emprunter les cou-
→leurs de la vérité : mais enfin la vérité y
>> triomphe , & elle doit ſa victoire à l'E-
> loquence , &c .....
>> Je ne dis rien de la Poësie , elle ne
» gagne pas à beaucoup produire ; ſa fé-
>> condité même lui nuit :il faut en ce
>> genre ou des chefs d'oeuvre ou rien du
>>tout , & les chefs-d'oeuvre ſont toujours
- rares. Mais malgré cela l'Europe peut
>> montrer d'excellens Poëtes , & même en
> affez grand nombre , pour n'être pas à
> cet égard accuſée d'indigence. Ce qu'il
>> y a de certain c'eſt que jamais l'art n'a
» été mieux connu ; que le goût de la
» bonne Poëſie eſt aujourd'hui fi sûr & fi
» répandu , que tout le monde eſt en état
>>de juger du mérite des Poëtes , & que
> ſansy penſer , les eſprits ſe tournent
» d'eux-mêmes aux figures & aux images
>> poëtiques , affez pour faire ſouhaiter
> que le penchant n'aille pas plus loin. ...
>>Mais ce qui fait le mérite particulier
>> de notre ſiècle , c'eſt que dans cette éten.
>> due immenſe que renferme aujourd'hui
» le cercle des connoiſſances humaines ,
>> nous n'admettons que des idées claires
> des principes vrais , des raiſonnemens
>> exacts , des expériences ſures. Tout ce
OCTOBRE. 1753.83
"qui ſe cache dans l'obfcurité ou ne ſe
>>laiſſe entrevoir qu'à demi , tout juge-
>> ment confus , tout objet enfin que l'ef-
>> prit ne peut ſaiſir d'une vûe ferme , eſt
> rejetté ou rangé dans la claſſe des cho-
> ſes douteuſes& incertaines.
>>Ce goût du vrai paſſe dans tous les
> Arts : la ſeule nature eſt en droit au-
>jourd'hui de guider la main des Ar-
> tiſtes : elle eſt elle-même le plus beau &
>> le plus fécond de tous les modéles ....
>> Quelle abondance , quelle variété d'i-
» dées ne doit pas produire cette multitu-
>> de d'objets nouveaux que les Arts met-
>> tent ſous nos yeux , & combien le ſtyle
>> en doit- il être orné & enrichi ? C'eſt de
>> cette ſource que coulent dans nos bons
--ouvrages ces métaphores , ces images , ces
>>comparaiſons qui animent l'expreffion ,
» & donnent une eſpéce de corps & de
>> vie à des objets que ſans leurs ſecours
>> la vûe diſcerneroit à peine.
L'Auteur ne diffimule point le reproche
aſſez juſtement fondé qu'on fait à notre
fiécle , de vouloir briller & montrer de
l'eſprit.
>> Je ſçais , dit- il , que cette fureur de
>> courir après l'eſprit eſt un peu le mal de
>> notre ſiècle , que le brillant eſt ſouvent
>> préféré au folide , & qu'à force de vou
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
>> loir préſenter aux Lecteurs des choſes
» agréables ou délicatement rendues , on
:
s'écarte quelquefois de cette noble ſim-
>plicité d'idées qui caractériſent la vérita-
>>ble éloquence.Mais que ce petit défordre
>> ne nous alarme point : il eſt bien plus la
>> preuve de notre abondance & de nos ri-
>>cheſſes, que d'un goût qui change ou qui
>> s'altere. Dans les maiſons opulentes , le
>>ſuperflu occupe autant que le néceſſaire.
» Un fiécle auſſi éclairé que le nôtre peut
ſans danger ſe livrer à l'amusement :
d'ailleurs tous ces frivoles écrits où les
>>régles ſe violent ſans ſcrupule , ne vi-
>> vent qu'un jour , & les Auteurs eux-mê-
>>mes ne les donnent pas pour bons. Le
> goût eft fixé par de plus sûrs modéles :
>> les ornemens renverſés dont ſe pare aujourd'hui
l'Architecture , ne nous feront
»jamais oublier la majestueuſe ſymétrie de
la façade du Louvre , & fi quelqu'un
>>pouvoit craindre pour les beaux Arts ,
>je ne lui nommerai point pour le raſſurer
les Rollin , les Montesquieu , les
»Voltaire ; qu'il jette ſeulement les yeux
>> fur le Diſcours préliminaire de l'Ency-
>> clopédie.
M. Boutiron , pere , Chancelier , lut enfaite
un Diſcours qui a pour titre : Réflexions
fur les principes qui doivent guider
l'homme de Lettres.
OCTOBRE. 1753. 85
Il commence par établir qu'un homme
de Lettres n'est vraiment eſtimable qu'autant
qu'il réunit la bonté & la droiture
du coeur aux talens & à l'agrément de l'efprit
,& il en conclut que l'homme de Lettres
qui veut rendre ſes travaux utiles à la
ſociété , & glorieux pour lui-même , doit
autant s'appliquer àremplir ſon coeur de
l'amour de la vérité & de la vertu , qu'à
orner , embellir , élever ſon eſprit par les
belles connoiſſances ; ce qui forme la divifion
de ſon diſcours .
» Je ſçais , dit- il , que la diſtinction du
>> coeur d'avec l'eſprit n'eſt qu'une préci-
>> ſion d'idées ; cependant comme ces mots
>> repréſentent deux facultés de l'ame fuf-
>> ceptibles de differens attributs , c'en eſt
>> affez pour qu'on en puiſſe faire la diftinction
avec fondement. Le coeur de
> l'homme eſt , s'il m'eſt permisde parler
>> de la forte , la matiere de l'édifice dont
» l'eſprit eſt l'ordre de l'architecture , &
> forme les ornemens qui l'embelliffent ...
>> Un coeur qui eft vrai & rempli de l'a-
>> mour du bon , éleve l'efprit ; il le con-
>> duit & l'empêche de s'égarer : l'eſprit
>> polit le coeur , il le rend aimable : ainſi
>> tour à tour ils ſe rendent ſervice. Ou
>>l'un d'eux manque d'être ce qu'il doit
-être , l'ouvrage eſt imparfait , mais avec
86 MERCURE DE FRANCE.
>>difference. L'homme qui ne péche que
» par l'eſprit , eſt encore eſtimable ; celui
> qui péche par le coeur ne peut , tout au
>plus être qu'amusant , & ſouvent il eſt
>> pernicieux.
Après une courte digreſſion ſur le point
de ſçavoir ſi les idées ſont innées en nous ,
ou ſi nous les acquérons par les ſens , il
entre ainſi dans ſa premiere partie.
>> Se livrer à l'étude des Sciences & des
>>>Lettres par goût , uniquement pour oc-
>> cuper ſon loifier , c'eſt un amusement honnête
; s'y livrer dans la ſeule vûe de ſe
>> faire une réputation , c'eſt vanité: ni
>>l'un , ni l'autre n'est vraiment eſtimable ,
» quelque louable que ſoit l'amour des
>>>Lettres . Pour donner à ce travail tout le
>> prix qu'il doit avoir , il faut l'annoblir
>> par un motif & des vûes propres à faire
>>reſpecter la ſcience , faire rapporter la
> ſcience à la vérité , & la vérité à Dieu ;
> tel eſt l'ordre des choſes , ſeul digne de
»la raiſon .
>>>Les premiers Sçavans l'ont compris de
>>>la forte; ils ramenoient à la morale ce
>> qu'ils acquéroient de connoitſances ;
>> c'eſt par là qu'ils ont mérité le nom de
>>Philoſophes & de Sages....
>> Qu'importe de beaucoup ſçavoir , G
» l'on ne fait pas ſervir ſes connoiſſances à
OCTOBRE. 1753. 87
>> la vertu , en eſt on plus heureux ? le Sça-
>>vant qui ſe conduit de la ſorte , n'eſt pas
>> plus ſage que l'avare qui amaſſe des ri-
>> cheſſes pour le plaifir de les contempler ;
>>>l'un & l'autre ſe rendent inutiles le tré-
>> for qu'ils poſſédent....
>>On abuſe de la Science dès que la ver.
>> tu n'en eſt pas le fruit. ...
>>Quel homme peut ſe former de plus
>>nobles idées de la puiſſance du Créa-
>> teur , que celui qui connoît mieux la
>> grandeur & la marche de ces globes cé-
>>leſtes , qui roulent ſur nos têtes avec tant
>> de majeíté , ou qu'un Phyſicien attentif,
» qui , avec des yeux toujours appliqués ,
> obſerve la nature dans le détail Peut- il
>>douter que des ouvrages où la puiflance
»& la ſageſſe brillent avec une magnificen-
>>ce égale , n'ayent été produits pour une
> fin , & par conséquent que l'homme
>>lui -même qui leur eſt ſupérieur , n'ait
>> été créé pour une deſtination qu'il doit
>> s'attacher à remplir ? ...
» Des objets non moins perfuafifs , s'of-
> frent aux réflexions du ſimple Lit éra-
>> teur : il lui fuffit de jetter un regard fur
>> lui-même. Son eſprit , ſa raiſon , ſon
>> coeur , tout lui découvre que ſon origi-
>> ne eſt divine ,& qu'il ne peut avoir d'au .
>> tre fin que l'être qui l'a formé. Mais
88 MERCURE DE FRANCE.
quel éclat de lumiere ne frappera pas ſes
-yeux à la vûe de cette ſociété ſubſiſtante
-parmi les hommes , malgré le choc impé-
> tueux des paſſions quiles agitent ? tous
> avides de commander , preſque tous
>>obéiſſent . Animés par leur intérêt parti-
>>culier toujours en oppoſition entr'eux ,
>>comment une diſcordance preſque uni-
> verſelle , peut- elle produire l'harmonie ?
> n'eſt- il point étonnant que l'ordre de la
»ſociété naiffedu ſein même des paffions
» qui la troublent ? c'eſt ainſi qu'à un ef
*prit qui réflechit , la conſervation du
>> monde politique , ne prouve pas moins
> la Providence que la conſervation du
monde phyſique.
>>Mais s'il importe àla ſociété que tout
>>> homme ſoit vertueux , elle y eſt encore
>>plus intéreſſée par rapport à un homme
>de Lettres....
>> Il y a long- tems qu'on adit que l'efprit
étoit au ſervice du coeur , &on
>> a eu raiſon de le dire . Quand le coeur
> eſt mauvais , c'eſt beaucoup ſi l'eſprit ſe
>>>borne à l'excuſer ; il ſe rend preſque tou-
> jours l'apologiſte de ſa corruption. Il eſt
>> rare qu'un homme de Lettres ne peigne
>ſon coeur dans ſes ouvrages , & qu'il ne
le justifie. Outre le penchant preſque
> invincible àparler de ce qui nous plaît ,
OCTOBRE. 1753 .
c'eſt qu'on y gagne de ſe confirmer ſoi-
» même dans le parti qu'on a pris ; car ce
> qu'on a fait adopter à d'autres , en paroît
> d'autant plus vrai ....
» Dans un Auteur voluptueux , d'un ef-
>>prit vif , leger , agréable , le coeur pein-
>>dra ſes ſentimens avec des images rian-
>> tes , parées des graces de la naïveté&
» de l'enjouement. C'eſt la volupté elle-
>> même qui s'offre aux yeux du Lecteur
> tantôt mollement couchée ſur un lit de
>> fleurs , tantôt dans l'agitation de l'yvreſſe
» du plaifir.
6
>>Si ſon imagination eſt moins ornée
>> que ſon eſprit ſoit plus ſérieux , mais
>>plus fort & plus élevé , ce ſera par des
>> raiſonnemens qu'il enſeignera de ſe li-
>> vrer à fes penchans , &de ſe débaraſſer
>>de toute contrainte ; il en fera un ſyſtê-
> me raiſonné , qui aura pour principes le
>> renverſement des vérités les plus ſain-
» tes....
» Quel bien au contraire ne peut pas
• faire à la ſociété un homme de Lettres ,
»qui en travaillant d'abord ſur lui-même ,
» s'eſt appliqué à perfectionner ſon coeur ?
>> oſerai-je le dire ? il rend la vertu même
>>plus reſpectable , ſon exemple entraîne.
• S'il écrit , loin de ſe permettre rien
qui puifle remuer les paſſions , ou faire
१० MERCURE DEFRANCE.
>> naître des doutes dangereux , il tire du
>>fond des ſujets mêmes les plus indiffe-
>> rens , de quoi faire briller la vérité &
>>encourager la vertu....
>>Obligé d'être toujours en garde con-
>> tre lui-même , qu'un Auteur ſage ne crai-
>> gne pas de manquer de plaire par ſa re-
>>tenue. Les graces décentes & modeftes
>> d'un ouvrage où la vertu préſide , rem-
> placent avantageuſement les faillies ma-
>>lignes , ou les images trop libres d'un
>>écrit licentienx. La verta eſt toujours
>> pure , mais elle ne pouſſe pas l'austérité
» au-delà des bornes : elle admet quelque-
> fois à ſa ſuite des plaiſirs paiſibles & des
➤ris innocens. Le chemin où me fait mar-
>> cher une plume vertueuſe , eſt une campagne
cultivée , qui n'a pour ornement
>> qu'une noble ſimplicité & ſa verdure ;
>>>mais elle me plaît,&plus long-tems, que
>ces jardins ſi bien ſymétriſes où l'Art
» s'eſt épuisé à varier les perſpectives ...
>>Si tous les gens de Lettres s'étoient
➡ appliqués à perfectionner leur coeur , on
>>n'auroit pas hazardé cet étonnant pro-
>>b>lême , ſi les Lettres ont moins ſervià
» épurer qu'à corrompre les moeurs....
M. B. paſſe enſuite à ſa ſeconde partie ,
dans laquelle il ſe borne à des réflexions
générales ſur la maniere de cultiver ſon
efprit.
OCTOBRE. 1753. 91
Il conſeille de ne pas ſe livrer à de
grands efforts , ſi l'on ne ſent en foi un
fond par lequel on puiſſe être dédommagé
de ſes peines , ou ſi l'on n'eſt conduit par
état dans la carriere.... » En multipliant
» les travaux , on force , dit- il , une terre
>>ſablonneuſe àquelque production ; mais
>>la dépenſe ſurpaſſe toujours le profit
» qu'on en retire.
Il conſeille auſſi de ne pas entreprendre
de tout ſçavoir : " Il ſeroit à craindre
» qu'on n'apprêt rien avec profondeur. Il
> vaut mieux être excellent dans un genre
>>que médiocre en plufieurs ... Cependant,
>>>continue-t'il , ſans ambitionner de tout
>> ſçavoir , on doit s'efforcer d'acquérir au
>>moins une teinture des principaux ob-
» jets des connoiſſances de l'eſprit hu-
>> main . Quelque vaſte que foit le pays des
>>Sciences , & quoiqu'il foit partagé en
>> un grand nombre de climats differens ,
• il ne fait qu'un Empire ; tous ceux qui
>> cultivent les Lettres ſont Concitoyens.
>> Il eſt donc juſte qu'ils ſe connoiſſent les
>>uns les autres ; & pour cela ils doivent
>> mutuellement voyager dans les differen-
> tes parties du pays qu'ils habitent : mais
> il eſt de la prudence qu'ils reviennent
enfuite au climat ſous lequel ils ſont nés,
pour s'y fixer. Le tempéramment y eft
92 MERCURE DE FRANCE.
>>d'ordinaire plus fort. En courant fans
>> ceffe d'un endroit à l'autre , on diffipe
>> autant qu'on acquiert.
Après quelques réflexions ſur la maniere
de diriger ſes études , ſur le ſoin
qu'on doit avoir de ne puiſer ſes premieres
connoiſſances que dans les écrits des
meilleurs Maîtres ,ſans néanmoins négliger
dans la ſuite les Ecrivains d'un moindre
mérite , M.B. en vient à définir legoûr,
qu'il croit ſe former inſenſiblement par
cette lecture réflechie des bons ouvrages.
>>>Le goût eſt , dit-il , ce difcernement
» vif , sûr , délicat , par lequel l'ame ap-
>>précie les objets. Il ſuppoſe la ſolidité
»& la profondeur du jugement , mais il y
ajoute la vivacité & la délicateffe. La
» vérité eſt l'objet du jugement ; l'agré-
>> ment & la beauté ſont l'objet du goût.
>> Le jugement ſe raffermit par la difcuf-
>> fion , & ſouvent elle émouſſe le goût ;
>> c'eſt que le beau & le gracieux ſont com-
>me l'air que nous ne voyonspas , mais
>>que nous fentons.
>>> Ceci , continue l'Auteur , peut réſou-
> dre un problême littéraire propoſé il y
>> a quelques années , ſçavoir ſi c'eſt par la
>>diſcuſſion ou par le ſentiment qu'on ju-
» ge mieux des ouvrages d'eſprit . En ce
qui concerne la vérité , l'ordre & le rapa
OCTOBRE. 1753. 93
port des idées , on en juge plus sûrement
>>par l'analyſe & par la diſcuſſion ; mais
>>le ſentiment juge mieux de la beauté ,
>>de l'agrément & de la fineſſe des pen-
>> ſées , & le ſentiment en cette partie ſe
>> confond avec le goût ; mais il y ajoute ,
>>car le goût n'eſt parfait qu'autant qu'il
>> réunit à la fineſſe du ſentiment la folidité
>>de la diſcuſſion ....
>> On reçoit de la nature le feu de l'ima
>>gination , le brillant de l'eſprit , l'éten-
>> due du goût ; mais le goût qui met en
>> oeuvre ces heureux dons , forme les bons
>> ouvrages ; on ne le reçoit point , on
>l'acquiert. Le principe de ce difcerne-
>>ment qui fait le goût , confifte en cer-
➡taines notions du vrai , du beau , du gra-
» cieux , du délicat , que l'ame ne par-
>> vient à s'approprier que par le ſecours
» de ceux qui les ayant déja ſaiſies y ont
>>conformé leurs productions. Elles fer-
>> vent à l'ame comme d'une eſpéce de mi-
- roir , qui en lui réflechiſſant ſes propres
» penſées , lui donne le moyen deles ap-
>>précier. Telle une bergére qui trouve
» ſous ſa main les fleurs dont elle forme
•ſa parure; elle ne choiſiroit point celles
•qui lui ſeyent le mieux , &ne les ajuſte-
- roit point avec grace , ſans le ſecours du
cryſtal d'une fontaine....
94 MERCUREDE FRANCE.
«
C'eſt parce qu'on avoit oublié les
>> bons modéles , qu'on remarque tant de
> fautes& tant d'écarts dans les ouvrages
>> des fiécles qui ont précédé celui de Louis
>>>XIV. quoique les Auteurs euſſent de
l'imagination , de l'eſprit , quelques-uns
> même du génie. De la vient auſſi que le
>> goût s'altére aisément par l'inconſtance
»qui nous empêche de nous fixer , & de là
>>>vient encore que quand il eſt perdu on
> le recouvre fi difficilement : il faut une
→ révolution pour y ramener. On va tou-
>>>jours s'éloignant des bons modéles ,
•parce qu'on ne remonte pas plus haut
>>que ſes contemporains , ou qu'on eſt en-
>> traîné par la foule....
M. B. ajoute encore quelques autres ré
flexions ſur la néceffité d'aſſujettir les talens
au goût , & il finit par dire: » que
→quoiqu'on ait du talent &du goût , cela
ſeul ne doit pas décider pour ſe livrer à
>> l'ambition d'être Auteur ; que l'homme
>de Lettres ne doit pas oublier qu'il eſt
> Citoyen , & que c'eſt à remplir plus par-
>> faitement les devoirs de l'état où il ſe
>> trouve qu'il lui convient d'appliquer ſon
> ſçavoir& fes connoiſſances .... Quand
> rien n'oblige à écrire , pourſuit- il , il ne
>> faut donner au public que du bon & du
>> parfait , ou du moins quelque choſe
OCTOBRE.. 17536 95
d'utile... L'envie d'écrire , telle qu'elle
▸ regne aujourd'hui , eſt , ce me ſemble ,
> dans l'Empire des Lettres , ce qu'eſt le
>>luxe dans l'Etat politique. Il paroît ren-
>>dre au-dehors un empire plus floriſſant ,
tandis qu'inſenſiblement il l'énerve &
l'affoiblit. Il faudra bien enfin dans les
fiécles qui nous ſuivront , ou qu'on re-
> nonce au titre de ſçavant , ou qu'on ou-
>>blie juſqu'au nom d'une partiede cette
» multitude de Livres dont les Lettres ſont
> ſurchargées.
Cediſcours fut ſuivi d'un autre que lut
M. Durand de la Vaumartin , Préſident
duPréſidial ,fur les avantages que la douceur
procureà laſociété.
>> La ſociété , dit l'Auteur , eſt la ſource
»& l'origine de ces biens néceſſaires , ſans
>>leſquels l'homme ne sçauroit vivre. Il
>> fent qu'il fait partie d'un corps , dont
→ tous les membres ſont liés entr'eux par
>>des obligations réciproques. Trop foi-
>>ble pour ſe ſuffire à lui-même , il faut
»qu'il trouve dans ſes ſemblables les ſe-
> cours & les avantages qu'il ne pourroit
>>jamais ſe procurer ; & par retour il doit
>> employer tous ſes ſoins àcontribuer au
>>biende la ſociété.
• A voir agir les hommes , on croiroit
»néanmoins que la ſociété , loinde faire
96 MERCURE DEFRANCE.
>> l'agrément de la vie eſt la ſourcede leur
•malheur. Les Sages les plus éclairés ne
voyent qu'à travers le nuage de leur hu-
>meur & de leur prévention ; d'autres ne
>> cherchant qu'à s'aveugler & à pallier
>>leurs défauts , enviſagent comme une
>>ſuite néceſſaire de la ſociété les maux
» qu'il dépend d'eux d'en bannir , & qu'ils
»y répandent ou par caprice ou pour ſe
fatisfaire . Jaloux d'un bonheur qui les
> frappe ſans trop examiner s'il eſt réel ,
>ils cherchent à l'acquérir , & dans l'im-
» poſſibilité où ils ſe trouvent preſque
>> toujours de l'obtenir , ils ne négligent
>> rien pour en priver ceux qui par induf-
> trie , ou par ſageſſe ont ſcu ſe le procurer....
M. de L. M. en diſant que la douceur eſt
le ſeul lien de la ſociété , n'entend pas parler
» de la douceur chrétienne , qui fui-
>> vant les préceptes de laReligion doit
- être générale & fans bornes , qui ſupérieure
aux offenfes & aux injuftices ,
>>comprendles ennemis& les perſécuteurs,
>>& qui eſt le principe de toutes les ver-
»tus fociales ; il parle uniquementde cette
douceur de caractere , qui marchant
> toujours d'un pas égal & aſſuré , ſçait
→ éviter ou prévenir les maux que la dif-
@corde a préparés de tout tems à la ſocié-
»τέ ;
OCTOBRE.
1753 . 97
►té ; de cette vertu morale qui rendant
>> l'homme doux , affable & maître de fes
>> paſſions , lui fait enviſager le commerce
>>civil des hommes entr'eux , comme le
>>moyen le plus propre à ſuivre leur ſureté
>>& leur bonheur.
Après quelques réflexions , M. de L. M.
confidérant l'homme dans les differens
états où la nature l'a placé , ſe propoſe de
montrer>> que la douceur eſt également
> utile & néceſſaire à ceux qui ont droit
>>de commander & à ceux qui doivent
>>obéir ; que ſes avantages ſe font égale-
>>ment reffentir dans le ſein des familles
»& dans les ſociétés particulieres , auf-
>> quelles l'homme eſt obligé de ſe livrer.
>>>La douceur , dit M. de L. M. dans la
>>premiere partie , eſt le principe de cet
>>ordre & de cette union qui font fleurir
>>les Erats , & qui perpétuent leur durée ;
>> elle eſt d'autant plus néceſſaire que les
>> Empires ne ſçauroient ſe ſoutenir ſans
>>l'autorité d'une part & la ſubordination
>> de l'autre. L'autorité ſans douceur eſt un
>joug trop peſant pour l'homme : dépour-
» vûe de la douceur, la fubordination n'eſt
»qu'une ſervile crainte ; elle n'agit qu'a-
>> vec répugnance , & ne cherche qu'à ſe
>>ſouſtraire à une autorité légitime.
> Fier de ſon pouvoir , un Grand en
E
9S MERCURE DEFRANCE.
>> fait- il ſentir le poids par ſes manieres
» dures & altieres ; un inférieur dont l'ef-
> prit indocile ſe conduit par ſes foibles
• lumieres , mépriſe t'il le rang , la naif-
» ſance , le pouvoir de ſes ſupérieurs ; ce
>> n'eſt de part & d'autre que faute de dou-
>> ceurdans le caractere ; auſſi ſans elle ne
>>connoît on plus ni autorité , ni ſubordination
: mais que la douceur reprenne
» ſes droits , l'autorité paroiſſant alors
>> ſans ce fol orgueil qui ne ſert qu'à révol-
» ter les eſprits , la ſubordination ne coû-
>> tant plus d'efforts à celui qui doit obéir ,
>>on verra renaître ces accords qui font
> l'effence & l'être de la ſociété....
L'Auteur apporte en preuve l'exemple
de Rome. Ces diſſenſions &ces jalouſies
>>qui partagerent fi long-tems cette Répu-
>>blique en deux factions , celle du Sénat
»&celledu Peuple , auroient enfin préci-
>> pité ſa ruine , ſi la douceur des Chefs ,
» des Orateurs , des Confuls & des Tri-
>>buns n'eût ramené la paix , & fi la mo.
>> dération n'eût ſçu la perpétuer parmi
>> les Citoyens qui ſe croyoient tous libres
» & indépendans.... Dans quelles diſpofitions
dûrent être ces ames hautaines
» lors de la révolution qui changea le
»Gouvernement de cette République , &
»qui l'aſſervit enfin àl'autorité des EmOCTOBRE.
1753 .
pereurs ; la douceur fut ſeule capable
»d'arrêter les conjurations..... Célar &
>>Auguſte par leur clémence vinrent à
>> bout de calmer les eſprits , & ramene-
>> rent à leur parti ceux qui y étoient le plus
»oppoſés.
Notre Hiſtoire ne fournit pas à l'Auteur
des preuves moins heureuſes.
>>La France , dit-il , Royaume depuis
>> pluſieurs Gécles le plus floriſſant de l'Eu-
>>rope; la France , à qui doit elle ſon éten-
>> due , ſa force & le haut point de gloire
» où elle eſt parvenue ? eſt- ce à la valeur ,
>> aux vertus guerrieres de ſes Rois ? nos
» ennemis même n'en ſçauroient diſcon-
>>venir : le courage héréditaire dans cette
>>auguſte tige , leur a affez fait éprouver
>>ce que peuvent les grandes ames , & les
>> tristes effets de leur reſſentiment , lorf-
>>qu'il y va de leur gloire ou de l'intérêt
<>> de leurs peuples. Mais , il ne faut point
>> craindre de le dire , la valeur ſeule de
>> ſes Souverains n'auroit jamais fait le
» bonheur de la Monarchie Françoiſe , ſi
>>>leur douceur & leur clémence n'eût con-
>> quis plus de coeurs au dedans du Royau-
» me , que leurs armes n'ont foumis d'en-
>>nemis au dehors. Louis XII. pat l'hen-
» reux accord de toutes les vertus , mérita
» également le titre de Juſte& de Pere du
Eij
100 MERCURE DE FRANCE .
Peuple. La bonté , la clémence d'Henri
>> IV. l'ont rendu encore plus grand que
>>ſes vertus militaires qui lui ont attiré
> l'admiration de l'univers ; enſorte , dit
>> ſon Hiſtorien , qu'on doute encore au-
>>jourd'hui , s'il a reconquis fon Royaume à
>>force de combattre ou de pardonner. Louis
>>> XIV. dont les ſeuls deſſeins faifoient
>>trembler les Nations les plus éloignées ,
> ne devoit pas moins le ſurnom deGrand
>>à ſon amour pour ſes Sujets , qu'à ſes
>>brillantes & rapides conquêtes. Louis
» XV. enfin , modéle des Rois , quelque
>> puiſſant, quelque redoutable qu'il ait pa-
>>ru dans la guerre, n'a fait paſſer ſes enne-
> mis de l'admiration àl'amour, que par fon
» affabilité , ſa douceur & la bonté. Moins
>> jaloux de l'éclat de ſes lauriers que de
» l'affection des François , le ſurnomde
» Bien-aimé , qui lui a été donné à ſi juſte
» titre , fera à jamais ſa gloire & fon élo-
>>ge ; ſurnom plus beau , plus grand que
>>tous ceux de ſes Prédéceſſeurs , puiſque
>> pour le mériter il faut poſſeder toutes
>les vertus , & ce qui fait les vrais Héros.
M. de L. M. paſſant enſuite àſa ſeconde
partie, dit : >> Detoutes les ſociétés il n'en
>> eſt point dont les engagemens foient
>> plus étendus que celle qui nous unit par
>les liens du ſang & par les ſentimensdu
OCTOBRE. 1753. 1ΟΙ
>>coeur. Obligés de vivre enſemble par
>> devoir & par intérêt , comment pour-
>> rions-nous remplir nos divers engage-
>> mens , ſi par la douceur nous ne ſcavions
>> nous conformer à ce qu'ils nous preſcri-
>> vent ? c'eſt dans cette eſpéce de ſociété
» que les avantages de la douceur ſe font
>>>encore mieux connoître . ...
>> Sans elle , quelque probité , quelque
>> ſentiment d'honneur qu'on eût , on ne
>pourroit entretenir l'harmonie..... Un
>> homme dont la douceur fait le caractere ,
>>peut ſeul répandre dans ſa famille cette
>*>paix&cette tranquillité , qui font éga-
>> lement les charmes de la ſociété , & le
>>bonheur de la vie ....
Après un détail abregé des differentes
circonstances dans lesquelles la douceur
contribue le plus àl'union des familles ,
l'Auteur paffe à l'amitié , qui eſt un des
plus forts liens de la ſociété , & montre
qu'elle n'eſt pas moins redevable à la douceur.
>>Sans elle il ne sçauroit y avoir cette
» égalité d'humeur , cette uniformité dans
» les actions , cette conſtance dans les ſen-
>> timens qui forment les noeuds de l'ami-
» tié..... Quelque forts cependant que
>>ſoient les liens de l'amitié , l'intérêt particulier
les briſcroit bientôt , s'ils n'é
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
>>toient refferrés par la modération. Un
>> caractere violent , ou qui rapporte tout
>>à lui , ignore les droits de l'amitié , ou
>> ſe trouve gêné dans lesdevoirs qu'elle
>>impoſe.... Les qualités du coeur & de
>>l'eſprit font le mérite de l'homme , elles
>> le repréſentent tel qu'il eſt , & le pei-
>>gnent avec des couleurs ſi naturelles ,
>> qu'il eſt comme impoſſible de s'y trom-
>>per. De toutes ces qualités , la douceur
>>eſt celle qui ſe fait le plus remarquer .
>>Celui qui la poſléde , trouve le ſecret de
>>plaire ſans contrainte-& ſans effort....
>>Le bonheur de ſe faire aimer dépend en
>> effer , plutôt des façons douces& infi-
>> nuantes que de toute autre qualité ; la
>> douceur attire l'eſtime & l'amour d'un
>>chacun , elle a des charmes auſquels on
>>ne peut réſiſter.
La troiſième partie commence par ces
réflexions. >> L'homme naît avec le défir
>>>d'être heureux ; livré à lui- même , com-
» bien ne trouveroit- il pas de momens
>>vuides ? la triſteſſe & l'ennui l'obſéde-
ود
roient fans ceſſe , ſon imagination & fes
>> ſens ſeroient dans une eſpéce de lan-
> gueur ; loin de s'élever au deſſus de tout
>> ce qui reſpire , il ne feroit que ramper ,
>> & fa raiſon qui doit faire fon bonheur ,
>>ne fervitoit qu'à le rendre encore plus
:
OCTOBRE. 1753 . 103
>> malheureux : il n'y a que la ſociété qui
>> puiffe lui procurer les agrémens de la vie .
>>Qu'il ne regarde pas néanmoins ces agré-
>>mens comme ſon bien propre & com-
>> me lui appartenant de droit ; ils font
>>partie du commerce civil ; c'eſt une ef-
>>péce de préſent que les hommes ſe font
>>réciproquement , & celui qui n'y met
>>pas du fien ne doit pas y participer...
» Се
M. de L. M. fait voir enſuite qu'un homme
ſans douceur ne peut être d'aucune
utilité à la ſociété ,& il ajoute :
>> n'est qu'en s'accommodant à l'humeur
» des autres qu'on peut vivre avec eux.
>>La parole , don le plus précieux après la
>>raiſon , que l'homme ait reçude la na-
>> ture , lui ſeroit un préſent funeſte , ſi el-
>> le n'étoit miſe en oeuvre par la douceur.
» Sans cela la faculté de s'énoncer & de
>>>converſer avec ſes ſemblables , ſeroit
>>>une ſource intariſſable de diviſions .....
> Que deux hommes également bruſques,
>>également cauſtiques ,également contra-
>>rians , ſe trouvent enſemble , ils ne pour-
>> ront ſe ſouffrir : qu'il paroiſſe un hom-
> me d'une humeur douce , modérée , com-
>>plaiſante , les contradictions ceflent , la
>> converſation recouvre ſes charmes & fes'
» agrémens....
>> La politeſſe & la bienséance qui font
Eiiij
104 MERCURE DEFRANCE .
>une ſuite naturelle de la douceur , ſer-
>> vent auſſi à en retirer les avantages; dans
>> leur effet elles ſont les mêmes , mais leurs
>> régles changent ſuivant l'humeur & le
>> caractere des Nations . Semblables à ces
>> loix arbitraires que les peuples ſe ſont
>>impoſées , elles obligent ſeulement ceux
>> qui s'y ſont ſoumis . Parmi nous un An-
>>glois , quelque politeſſe qu'il ait , fera
» gêné : chez les Etrangers un François ne
>>paroîtra pas aſſez réſervé. L'un & l'autre
plairont pourtant , s'ils ont cette
>> douceur qu'exige la politeſſe de toutes.
>>les Nations , & ils ſçauront également
>> ſe concilier l'estime & la bienveillance
>> de ceux avec qui ils ſeront obligés de
> vivre....
>>Mais il ne faut pas confondre la poli-
>> teſſe avec la fauſſe douceur , & la lâche
>> complaiſance qui encenſe le vice comme
» la vertu , défauts également contraires à
>> la ſociété ....
M. de L. M. finit par le portrait d'un
homine dont la douceur fait le caractere
foutenu ; douceur qui lui fait goûter les
vrais plaiſirs , qui les communique, aux
autres , & qui les affranchit des dégoûts
qui paroiſſenr en être inséparables.
Ce Discours fut auſſi ſuivi d'un autre
que lut M. Gilbert , Procureur du Roi
OCTOBRE . 1753 . 105
à la Police , ſur les dangers de l'émulation .
>>>Le but des Académies , dit- il , eſt de
>> contribuer aux progrès des Sciences &
>>des Arts : quelle obligation pour ceux
» qu'elles aſſocient à ce généreux deſſein !
» A-t'on juſtifié un choix honorable , c'eſt
>> alors teulement qu'on peut fans rougir
>> prendre un titre qui doit ſervir de ré-
>> compenfe & d'éguillon aux talens. Ré-
>> flexion affligeante , quand on eſt éga-
> lement convaincu de ſes devoirs & de
> ſon infuffiſance. Mille routes s'offrent ,
>> toutes plus attrayantes , mais la timidi-
>> té ne permet pas de s'y engager , ni la
>> foibleſſe de s'y foutenir l'exemple mê-
>> me , quand il eſt au deſſus des forces , in-
>> timide plus qu'il n'encourage .
>>Laiſſons donc le ſoin de preſcrire des
» régles à ceux qui ſont en état de les ſui-
>>vre , de dévoiler la nature àceux pour
>> qui elle n'a point de myſtere ſecret , de
>> débrouiller le cahos de l'Hiſtoire à ceux
>> qui ont aſſez de diſcernement pour voir
» la vérité , affez de force d'ame pour la
>>dire. Le langage des Dieux n'appartient
» qu'à ces génies inſpirés en qui les
>> moeurs épurées ſont le plus digne pré-
>> ſent du Ciel ; plus glorieux des couron-
>>nes qu'ils reçoivent des mains de la ver-
» tu , que des lauriers dont les Muſes ont
,
Ev
106 MERCURE DEFRANCE.
>> tant de fois chargé leur front. Il n'ap-
>> partient d'apprécier les Littérateurs de
>> tous les âges , & de leur aſſigner despla-
>> ces , qu'à ces maîtres qui pourroient occu-
>> per les premieres. Enfin , c'eſt à ces ef-
>>prits réfléchis qui ont percé les profon-
>> deurs du coeur humain , à nous dévelop-
>> per l'autorité & les préceptes de lamo-
>> rale. Heureux de trouver dans leur pro-
» pre coeur les traits dont ils peignent la
» vertu & de ne voir qu'à leur imagi-
>> nation , les couleurs dont ils chargent le
>> vice.
و
Après un retour de défiance fur lui-même
, le nouvel Académicien hazarde quelques
réflexions ſur l'imitation : elles font
le fruit de l'étude des Anciens & de la lecture
des bons modernes. Les ouvrages du
jour trouvent leur place dans ſes obſervations
judicieuſes.
>>La galanterie , dit- il , & ce qu'on ap-
>> pelloit alors une affaire d'honneur , &
>>plus communément aujourd'hui une af-
>> faire malheureuſe , faifoient parmi nos
>>ancêtres la réputation d'homme à la mo-
>>de. La politeſſe de notre fiécle a ſubſti-
>> tué à cet uſage , l'obligation moins coû-
> teuſe d'acquérir le titre d'Auteur. On
>>ne peut parvenir au temple de Mémoire
>> tans le ſecours d'une brochure. De là ce
OCTOBRE. 1753 . 107
> déluge d'opuſcules groſſis à un tel point,
» que l'homme le plus laborieux ne peut
>>pas même avoir la ſcience des préfaces.
>>Dès que la Religion & les moeurs y font
»ménagées , la multiplicité des Livres
n'eſt pas un ſi grand mal qu'on le pen-
>>ſe , elle prouve du moins nos richeſſes
>>littéraires.
,
>>On peut les comparer aux cabinets cu-
» rieux de nos Craffus , où après vous
>> avoir fait courir une ſuite de médaillons
» d'or & d'argent , des buſtes de jafpe &
> de porphyre des tableaux des plus
>>grands maîtres , on vous conduit à une
>> armoire de chenilles & de papillons ,
>>dont la collection eût abſorbé une for-
» tune médiocre . Quel malheur , fi notre
>> goût pour les frivolités convertiſſoit
>> tout en papillon ! C'eſt toutefois l'écueil
* qui perd la plupart des Auteurs nouveaux
nés. Ils ont vû le Public s'arra-
» cher Tanzaï , dévorer le Sopha , épuiſer
>> dix éditions d'Angola ; jaloux de la réputation
brillante de bel eſprit , c'eſt
>ſous ces maîtres trop féduiſans qu'ils
>> font leurs Académies d'écrivains à la
> mode. Mais , quoi ! l'empire de la mode
>>s'étendroit donc juſques ſur l'eſprit ? 11
>> faudra penſer , parler , écrire comme
>> l'auteur de cinq ou fix brochures , ou fe
Evj
108 MERCURE DEFRANCE.
» voir condamné à garder le ſilence , ou à
>> n'être point écouté .... Je ne puis m'en-
>> pêcher de renoncer au patriotiſme , &
> de me réunir aux partiſans de l'antiqui-
>> té en faveur des Grecs , chez qui on ne
>> demandoit que de la ſincérité aux Hil
>> toriens , de l'imagination aux Poëtes ,
>& du bon ſens aux Epigrammatiſtes .
>> Je fuis trop bon François pour cenfu-
>>>rer avec ſévérité le frivole. Auſſi les co-
>>>lifichets m'amuſent ils chez cet Auteur
>> léger & enjoué , qui leur communique
>>plus d'agrémens qu'il n'en reçoit ; mais
>par réflexion , je ſuis fâché de les trou-
>>>ver chez cet Auteur ſenſé , dont la beau-
>>té eſt trop mâle pour ſe parer de ces gra-
>> ces enfantines. En un mot , malgré la
>> faveur de la mode , les frivolités ne
>>peuvent ſe ſoutenir ſeules. Les pantins
> ont tombé , parce qu'ils n'étoient que
>>pantins. Quand les Arts ont réuſſi par
>>>leurs preſtiges à rendre intéreſſans des
>>objets qui l'étoient pen d'eux mêmes , on
>> leur a fait grace de la frivolité en faveur
>> de l'intérêt , & ces puériles amuſemens
> ſont devenus dignes de l'admiration des
» Sçavans même.
Peu tranquille fur ces précautionscontre
le goût du frivole établi dans notre
fiecle , Monfieur Gilbert qui n'a indiqué
OCTOBRE. 1753 . 109
juſqu'ici que la ſtérilité de l'imitation , y
voit encore desdangers réels qu'il préſente
ainſi.
>> Que de gens affoibliſſent leurs talens
>> naturels par une mauvaiſe imitation ! Ils
>> auroient pû être de bons originaux , &
>> ils ſe réduiſent au rôle obſcur de pitoya-
>> bles copiſtes. Heureux encore s'ils mar-
>>choient d'après d'excellens guides ! C'eſt
» à quoi devroient faire attention ces
>> Auteurs à la mode , doublement coupa-
>> bles d'avoir mal choiſi leurs modéles ,&
>>d'en donner encorede pires à ſuivre. Si les
>> copiſtes , du moins , ſaiſiſſoient les traits
> avantageux de leurs modéles ! ... Mais ,
>>>non ; ils outrent lears excès : on ne rend
» que les ombres groſſieres du tableau . Tel
» n'imite Corneille que dans ſes vers am-
>> poulés ; tel ne prendra de Marot que
>> ſon ſtyle gothique.
. >> D'où vient que chaque nation s'eſt
>> formé un caractere particulier dans la
>>Littérature , qui donne toujours un air
> national à ſes Auteurs ? L'Allemand ſe
>> croit riche dès qu'il a beaucoup ; l'Ef-
>>pagnol , dès qu'il imagine du grand ;
>>>l'Italien , dès qu'il a du brillant ; l'An-
>>glois , dès qu'il conçoit du rare;le Fran-
> çois , dès qu'il enfante du neuf.
>Dirons-nous que la nature ,quoique
110 MERCUREDE FRANCE.
> prodigue envers les hommes , économi-
> ſe cependant ſes faveurs , & diſperſe ſes
>>tréſors pour le plaiſir de la variété ? ne
>> nous en prenons qu'à l'imitation. Lu-
>> cain a formé les Eſpagnols ; Seneque ,
>> les Anglois ; les graces d'Ovide ont far-
>>dé les Italiens ; nous sommes originaux ,
>& la plupart da tems nous ne reſſemblons
> pas à nous-mêmes. Par tout ailleurs les
>>Ecrivains confervent un caractere per-
> manent ; ils ſe tranſmettent d'âge en âge
>>un goût qui indique toujours le terroir ;
>> chez nous tout varie juſqu'aux régles du
>> goût , quelquc invariables qu'elles duf-
>> fent être. Que ne puis-je dater par
>>Olympiades , pour mieux fixer les épo-
» ques de nos révolutions littéraires ? en
>>revanche , rien de plus monstrueux que
>>le goût , le ſtyle , la matiere même des
>>ouvrages du jour.
Qu'on ne ſe laiſſe pas éblouir par le
> ſuccès de quelques imitateurs. Mettez à
>>part ce qu'ils doivent à leur génie , il
>> ne reſte rien au mérite de l'imitation . La
>>Fontaine effaça Bocace dans preſque
>> tous les ſujets qu'il traita d'après lui .
>> Où l'un & l'autre eſt original , Bocace
>> ſoutient trop bien l'équilibre , il auroit
>>eu ſa revanche s'il avoit travaillé d'après
>>la Fontaine. Bocace nous a donné JoconOCTOBRE.
1753. III
ود de preſque ſans autre parurequecelle
>>>que la beauté tient toujours de la nature,
>>& cependant elle parut charmante. La
>> Fontaine donna à ſon négligé un air qui
>> ſentoit moins la négligence : fi Bocace
>> l'eût vû dans cet état , il étoit trop bon
>>connoiffeur pour ne pas fentir ce que la
>> nature doit à l'art ; & je ne doute pas
» qu'entre ſes mains , une fleur artiſte-
>> ment placée n'eût ajoûté de nouvelles
> graces à des attraits d'eux-mêmes ſi tou-
>> chans. Encore une fois , fi ces grands
>>maîtres ſe fufſſent copiés ſucceſſivement
>> l'un l'autre , à quel dégré de perfection
>>n'auroient ils pas porté leur art.
> Voyons le Brun & le Sueur aux priſes
>> chez le Préſident Lambert. Le Sueur mit
>dans ſon cabinet des Muſes un coloris
>> ſéduisant , ſeule perfection qui manquât
>> à ce grand homme ; & le Brun mit dans
>> celui de l'Amour une correction de def-
>> ſein , à laquelle il n'avoit pû atteindre
>>juſqu'alors. L'un des deux ouvrages rend
>> raiſon de la force pittoreſque qu'on dé-
>> couvre dans l'autre .
>>C'eſt à de pareils génies qu'il appar-
>> tient d'imiter avec ſuccès : ils étoient
>> nés pour créer l'art qu'ils ont enrichi.
>>>Si quelques- uns font allés plus avant
>> dans la carriere que leurs prédéceffeurs ,
112MERCURE DEFRANCE .
>> c'eſt qu'ils font partis d'un terme moins
>>éloigné du but. Il faut ſentir ce génie
>> créateur avant d'imiter , alors les modé-
>les deviendront des guides qui entraî-
>>neront à la gloire , & les imitateurs ne
>>feront plus des eſclaves rampans ſur les
> traces de leurs maîtres.
» L'imitation inftruira des règles de
>>>l'art , mais il faut que la nature ait com.
> mencé l'ouvrage , afin que l'art puiffe
>>>l'achever. Homere ſeul a eu le génie
>>>d'Homere ; Scarron ſeul a eu le ſien ;
> (qu'on me pardonne le contraſte ) ils ſe
>>>ſeroient mal tirés de leur perſonnage s'ils
>> en avoient changé. Il faut être original
» pour percer. Le premier devoir d'un
>>homme qui aſpire à la gloire littéraire
>> eſt donc de ſe mettre à ſa place , alors
>> il lui eſt permis d'imiter ; mais qu'il ſe
>> ſouvienne qu'il n'y a que ceux qui ſont
>>en état de ſe paſſer d'un modéle , qui
>> puiſſent s'en ſervir avec fruit .
>> Rien ne nous fait mieux ſentir les
>> dangers de l'imitation & les inconvéniens
de la mode dans les Sciences & les
» Arts , que les écarts de tant de Sçavans.
>> Nous voyons des ſiécles entiers dévoués
> au mauvais goût. Quiconque aura le cou-
>>rage de s'engager dans l'immense déda-
>>>le des in folio , s'étonnera encore plus de
OCTOBRE. 1753. 11;
leur indigence , en voyant qu'il ne te-
>>noit qu'à eux d'être riches. Tous ces lit-
>>térateurs gothiques ont vû des objets
>>trop éloignés , pour que nous les accu-
>> ſions de n'avoir pû appercevoir ceux qui
>> étoient en deça. Neron , génie auffi ty-
>> ranique dans l'empire des Lettres que
>> dans l'empire Romain , proſcrivit éga-
>> lement les loix de la vertu & les régles
» du bon goût. Sous ſon regne on crut
» que pour être grand il falloit être gi-
>> ganteſque. Lucain , entraîné par le goût
>> dominant , imita ſes concurrens , & les
>> ſurpaffa ; peut- être eût il égalé Virgile
>> ſous le ſiècle d'Auguſte.
>>La difficulté de ſuivre degrands mo-
>déles détourne , ſans doute , les Auteurs
» commençans , de la plus sûre & peut-
> être de l'unique voye de réuſſir. Le dé-
>>couragement eſt ſouvent près de la té-
> mérité. Ce fonds de vanité qui nous jet-
>> te dans les hazards d'une brillante car-
>>riere , s'épuiſe & nous trahit dans le
>> cours d'un travail long & pénible. Si le
> feu de l'imagination nous emporte quel-
>> quefois au-dela de nos forces , ſi on
>>juge alors du prix des choſes par ce
» qu'elles ont coûté , & qu'on ſe paye de
>> la peine d'un ouvrage par l'eſtime qu'on
>> lui donne , ce n'eſt qu'une évaluation
114 MERCURE DE FRANCE .
>> imaginaire , & l'Auteur qui le ſoir s'eſt
>> couronné de ſes propres mains , ſe dé-
>>pouille ſouvent lui-même de ſes lau-
> riers à ſon réveil. Le même amour pro
> pre fait fuccéder une rigueur outrée à
» une extrême indulgence. Il a honte de
» s'être applaudi gratuitement ; il rougit
>> alors de ce qui doit faire rougir ſes ri-
» vaux. Comment ſe produire aux yeux
> du Public , quand on voudroit ſe déro-
>>ber à ſes propres yeux ? C'eſt à un ami
>>éclairé de ménager les intérêts du Pu-
>> blic , & la modeſtie de l'Auteur. Le voi-
>> le de l'anonyme pourra les concilier.
>> Une déclaration à une perſonne qu'on
> reſpecte , ſe pardonne ſous le maſque.
» Est- ce le même principe qui a introduit
>> l'uſage des eſſais, ſous le nomde traduc-
»tion ? Si l'on ne prétend que ſonder le
>> gout du Public , & profiter de ſon ref-
>> pect pour tout ce qui vient de loin ,
» pourquoi blâmer cette politique ? C'eſt
>>Patrocle qui combat fous les armes d'A-
>> chille ; il en impoſe à tout autre qu'Hec-
>>tor : autre avantage , il peut tomber ſans
>> honte. Veulent ils ufurper le privilége
> d'une nation , d'ailleurs ſi réfléchie , de
>>porter la liberté quelquefois juſqu'à la
>>> licence ? abandonnons-les à tout l'ennthouſiaſme
des zélateurs. Ces prétendus
OCTOBRE. 1753. 115
>> traducteurs ne ſont la plupart que de
>> faux monoyeurs , qui par une fauffeha-
>>bileté à imiter la marque du Prince &
» la couleur du métal , peuvent ſurpren-
>>dre au premier coup d'oeil ceux qui ne
>>font pas fur leurs gardes ; mais le trébu-
>> chet les trahit bientôt , & fait voir que
>> leur monnoye n'eſt pas de poids.
L
>>N'avons- nous pas affez de nos ridicu-
>>les , fans emprunter les défauts de nos
>>>voiſins ? imitons leur hardieſſe , mais ne
>> la pouflons pas juſqu'à l'audace.
La Séance fut terminée par des obfervations
de M. Desforges Maillard , Affocié
de l'Académie , de celle d'Angers , &
de la Société Littéraire d'Orléans , fur le
génie & le ſtyle du Cavalier marin .
>> Les Poëtes Italiens , dit M. D. M. fe
>>laiſſent entraîner le plus ſouvent par la
>> fougue de leur génie , ſans conſulter ni
>>les rapports que les objets ont entre eux ,
>>ni la vraiſemblance que l'art doit employer
pour embellir la nature. Le Ca-
>>valier marin eſt de tous les Poëtes d'Ita-
>>lie , celui qui a le plus d'abondance & le
>>moins de raifon , le plus de brillant &
>>le moins de folidité. Son immenfe Poоё-
>>me d'Adonis reſſemble à un prodigieux
>> animal , qui auroit la tête d'une ſyré-
>> ne , les yeux d'un lynx , les aîles d'un
»
16 MERCURE DEFRANCE.
>>aigle , la peau d'un tigre , la queue d'un
>>paon. Toutes ces beautés différentes &
>>>mal afforties , ne préſentent qu'un monf-
>>>tre produit malgré la nature , & qu'elte
>>déſavoue.
>>>L'Auteur , dans ſon premier Chant in-
>>titulé Fortuna , embarque Adonis par ha-
>>>> zard dans une chaloupe ou quelque cho-
>>ſe de moins encore , puiſqu'il l'appelle
» palis Chermo ( terme qui ſignifie , ſuivant
>> les meilleurs Vocabulaires , une petite
>>barquette ou canot , qu'on met à la traî-
>>>ne derriere le vaiſſeau , ou qu'on porte
>>dans le vaiſſeau pour s'en ſervir au be-
>>>ſoin. ) Il faut que ce fût bien peu de cho-
>>ſe que le palis Chermo , puiſque l'Arioſte
>>dans ſes peintures chimériques & plai-
>>>ſantes , dit que Roland entra avec un pa-
>>reil eſquif dans la gueule d'un monftre
>marin.
»
» Le généreux Roland , fort de ſa vertu ſeule ,
>>>S'élance , & fon eſquif , ce me ſemble , y paſſa.
>>Le Cavalier marin voulant égarer fon
>>>Berger ſur les ondes , & le faire aborder
>>enſuite à l'ifle de l'amour avec le petit
>>batteau , il ne lui falloit qu'un léger ora-
>>ge , ou ſeulement les ténébres de la nuit
nou de quelque brouillard ; cependant
>>pour ſe donner carriere , il éleve contre
OCTOBRE. 1753. 117
toute raiſon , la plus furieuſe tempête
>>qu'on puiſſe imaginer. La verve impé-
>> tueuſe du Poëte agite la mer d'une ſi
>>terrible force , qu'au lieu d'un ſimple
>>batteau , elle eût englouti dans ſes aby-
>>>mes pluſieurs armées navales.
Le fier Borée * prenant en main la
trompette guerriere , défie au combat les
tourbillons & la tempête ; courbant fon
arc brillant de couleurs diverſes , Iris au
lieude traits ne lance que des éclairs ; le
ſuperbe Orion tire contre le Ciel ſon fer
enſanglante ; il frappe la nuë , & par fes
coups redoublés il en fait fortir tout à la
fois l'onde & le feu bruyant dont elle
étoit remplie......
La mer en mugiſſant dans ſes gouffres
profonds , éleve ſes flots bouillonnans de
colere ; fon orgueil indigné franchit ſes
barrieres , & porte juſqu'aux aſtres ſes ondes
menaçantes . En vain des torrens de
pluye tombent ſur elle avec le fracas des
plus épouvantables ruines , elle ne reconnoît
plus que l'olyimpe pour rivage.....
L'oiſeau nage , le poiffon vole , les eaux
foulevées contre les eaux , les vents déchainés
contre les vents , les nuées s'entrechoquent
avec fureur ; tous les élémens
*Cant. 1. Stroph. 120, 121 , &c.
118 MERCURE DEFRANCE.
1
mêlés & confondus vont replonger l'univers
dans les horreurs du cahos.....
La chienne céleſte peut déſormais éteindre
ſa brûlante ſoifdans les eaux de l'Océan
; le navire Argo dans un ciel ondoyant
craint de s'y voir ſubmergé....
>>>Et vous , ourſes glacées ,
>>N'y lavâtes-vous pas , malgré l'eſprit jaloux
>>De Junon toujours en courroux ,
Les brillantes toiſons de vos peaux étoilées ??
» Je me ſuis principalement attaché ,
>>>continue M. D. M. à rendre en notre
>>langue le génie de l'Auteur , ſans m'af.
>>ſervir trop fcrupuleuſement à chacune
>>de ſes expreſſions ; mais j'ai tâché du
>>moins de ne lui rien faire perdre des gra-
>ces que pourroient lui trouver ſes com-
>>patriotes , les plus paſſionnés pour le
>>goût emphatique. Il me ſemble qu'un
>>honnête homme ne doit traduire qu'à
>>ces conditions. Je ſçais qu'en donnant
>des couleurs burleſques à la poësie du
>>Cavalier marin , je pouvois aisément la
>>charger de ridicule ; mais je ſçais aufli
» qu'il faut de la probité par tout , & que
>>la probité ne va jamais ſans la vérité &
»labonne foi,
>>Le Taſſoni dans l'ébauche du Poëme
» de l'Ocean , dont il n'a fait que le pre.
OCTOBRE. 1753. 119
»mier Chant , eſt plus retenu que le Ca-
> valier marin , & met plus de fublime
>>dans ces quatre vers , tirés auſſi de la
>>deſcription d'une tempête , qu'il n'y en
» a dans les giganteſques tirades que j'ai
>> rapportées .
Tuto quel di , &i .
Ils errent diſperſés
Par des chemins affreux que la mort a tracés.
La pluye tombe avec tant de violence
qu'on croiroit que c'eſt une nouvelle mer
qui vient ſe joindre à la nôtre , pour en
augmenter les horreurs......
LeCavalier marin continue de prouver
dans le ſecond Chant , intitulé le Palais
d'amour , la futilité de l'eſprit , quand il
n'eſt pas guidé par le jugement. Les trois
Déefſſes y attendent le jugement de Pâris ,
qui doit donner la pomme à la plus belle.
Pour les contempler le Soleil arrête ſa
courſe ; la terre pouſſe des fleurs , les pins
portent des pommes délicieuſes , les buif.
ſons ſe parent de violettes , les oiſeaux
ceſſentde chanter , les ruiſſeaux interrompent
leur murmure ; enfin toute la nature
eſt attentive. » Mais après toutes cesjolies
>>choſes , le Poëte améne les viperes à ce
> ſpectacle , & falit l'imagination par d'in-
>>décentes apoſtrophes .
120 MERCURE DE FRANCE:
Et voi di tanta gloria ſpettatrici ,
Sentiſte altro velen , vipere crude , &c.
M. D. M. s'étonne que l'Auteur n'y
ait point auffi appellé les araignées ſufpendues
entre les branches des arbuſtes ,
pour avoir occafion de décrire à cette vûe
leurs tranſports amoureux. Il ſemble , ditil
, qu'après avoir fait intervenir les viperes
dans cette ſcene , il n'eſt point d'animal
ſi odieux dans la nature qui ne pût y
prétendre ſon droit d'entrée.
Telles font les rebutantes images qui
défigurent le Tableau de la ſolitude du
Poëte Saint-Amant , & contre leſquelles
Deſpréaux s'eſt ſi juſtement récrié, ...
Dans le ſixiéme Chant , qui a pour titre
LeJardindu plaisir , le Cavalier marin promene
Adonis & Venus accompagnés de
Mercure. » Ce Dieu pour amuſer Adonis ,
>>lui fait une deſcription anatomique de
>» l'oeil , qui occupe plus de quatre- vingt
>>vers , & dans le même chant il le recrée
>>encore par une deſcription du nez. Je
>>crois qu'il n'eſt perſonne, quelque décidé
>>qu'il ſoit pour les digreſſions , qui ne
>trouve ces peintures tout-à- fait dépla-
»cées.
Le correctif qu'il donne dans la 137
Stance du même Chant , avant de commencer
OCTOBRE. 1753 . 121.
mencer la deſcription de laGrenadille
ne ſuffit point pour juſtifier l'extravagancede
ſon imagination , quand ſous les
yeux d'Adonis on y voit le pieux éloge
de cette fleur , où la ſuperſtition toujours
prête à ſaiſir les plus légeres apparences
du merveilleux , s'eſt perfuadée que les inf
trumens de la Paſſion étoient empreints.
Fleur! que dis-je ? ah plutôt livre miraculeux , &c.
La deſcription de cette fleur eſt ſi diffaſe
, Mercure & l'Auteur y font tellement
` confondus , qu'il ſemble que ce ſoit Mercure
même , qui par anticipation des
>>tems devenu Profélite de bonne- foi ,
>>d>onnedes larmes&des ſoupirs à la Paf-,
>>ſion du Sauveur ,& qui pour terminer le
>>panégiryque de la Grenadille , invite les
>>eſlains des Anges à defcendre ſur cette
>>>fleur en forme d'abeilles .
Ces fictions ſeroient peut-être admiſes
dans un ouvrage de piété ; mais elles ne
font pas ſupportables dans un Poëme fur,
les amours d'Adonis , aggrégé au nombre
des faux Dieux ...... C'eſt d'ailleurs , n'y
pas regarder de fort près , en fait d'anachroniſme
, que de parler des inſtrumens
de la Paſſion, en préſence du favori de Ve
nus...... 4
A
Ce Poëme où l'on trouve des peintures
F
122 MERCURE DE FRANCE:
ſt dévotes , eſt d'ailleurs parfémé de ga
lanteries , dont l'Auteur ne s'eſt pas mis
en peine de voiler les nudités même d'une
gaze légere..... LeCardinal Bentivoglio
lui en fait une réprimande très- vive. » Sou-
>>>venez-vous sur toutes chofes ,lui dit-il ,
>>mon chet Chevalier , je vous le demande
» par grace , de retrancher de votre Ado-
>>nis , tout ce que vous y avez mis de laſ-
>>cif ... Ne l'expoſez point à périr une ſe-
>>conde fois , fous des coups plus funeſtes
>>pour vous , que ceux dont ilmourut la
>>premiere fois , ne le furent pour lui.
M. D. M. ne refuſe point au Cavalier
marin la justice d'avouer , qu'après Ovide,
dont il n'a pas à beaucoup près , le
goût& le difcernement , il eſt cependant
peud'Auteurs qu'il n'égale pour l'eſprit &
l'imagination. Il convient même qu'on
trouve dans ſon Poëme des choſes nonfeulement
d'une grace & d'une légereté
charmante , mais encore d'une beauté &
d'une force admirables. L'eſprit abonde
dans le Poëme , mis le goût y manque...
Si le Cavalier matin avoit été pénétré de
la maxime omnefupervacuum ,&c. il auroit
réduit fon ouvrage au quart , & en faiſant
moins de vers par rapport au nombre , il
en eût fait davantage pour ſa gloire.
200
1
OCTOBRE. 1753 123
Le mot de l'Enigme du Mercure de Septembre
, eſt le foulier d'unefemme. Celui
du premier Logogriphe eſt Quenouille ,
dans lequel on trouve Jo , Elie , Noël , Lune
, Eve , Noë , vie , nue , Nil , vin , onie ,
vûe , quine , viole , viol , quille , vive , un ,
vol , envie, jeune , oie , veine , louve, Levi,
jeu , lin , ville , lie , Luque , oeil. Celui du
ſecond Logogriphe eſt Camouflet , dans lequel
ſe trouve ean , fen , flute , Autel , fat ,
culte , fouet , moule, Oeta , Luc , ame , camelot
, cave , alte , alcove , mât. Celui du troiſieme
eſt Bravoure , où l'on trouve Aurore ,
rave , Var , eau , boue , aven , væn , Bourreau
, bure , or , ver , barre.
J
ENIGME
LOGOGRYPHIQUE.
Ugez , chere Philis , fi j'ai ledonde plaire ,
Je contente le goût , l'odorat & les yeux :
Ma premiere moitié eſt au ſein de la terre,
Et l'autre moitié dans les Cieux.
1
M
Fij
124 MERCURE DE FRANCE,
N
LOGOGRYPΗ Ε.
• E'e pour adoucir les chagrinsde lavie
Pour mériter l'eſtime en diſſipant l'ennui ,
Pour comble de vertus utile à la Patrie ,
Le génie & le goût, euxſeuls ſont mon appui ;
Att fublime , art brillant , art enfin ſalutaire ,
Le tyran à ma voix rallentit ſa fureur ,
Mon accens de l'ennui diſtrait le ſolitaire ,
Et dans les champs de Mars j'écarte la terreur.
Souveraine des coeurs , ils ſont ſous mon empire;
Mais pour ne rien célleerr , à lahonte des moeurs,
Mon art ſert quelquefois ( je rougis de le dire )
Apeindre de l'amour tous les plaiſirs impurs.
A ce portrait , Lecteur , tu ne peurte méprendre,
Et pour te raſſurer , je veux bien plus m'étendre,
Moyennant le ſecours de la combinaiſon.
Dehuit lettres formée ony trouve un pronom;
Unmartyre en amour , fi c'eſt une cruelle,
Maisleplusdouxplaisir , pourvu qu'onſoitffiiddeellll;ee
UngrandMuficien redevable à ſon art ,
S'il échapé à lamort ſous les coups du poignard;
Cette Ville autrefois le ſéjour de la gloire ;
Ce nom de tant de Rois d'une illuſtre mémoire ;
Celui dont nous tenons ce nectar précieux ;
Qui charme tous nos ſens, mais ſouvent dange
reux ;
ET
:
OCTOBRE. 1753. 125
La fource & le ſujet des vertus & des vices ;
D'une tendre moitié les pluscheres délices ;
Un habitant de l'air , un Roi Syracufain ;
La fille de Lamech , & foeur du Tubalcain.
Inventrice , dit on , du chant de la quenouille;"
Une interjection , le nom d'une grenouille ,
Certainqui de nos jours fait la félicité,
S'il a d'un Régulus toute la probité .
C'en eſt aſſez , Lecteur , tu dois me reconnoître ,
De feindre plus long-tems je ne fuis pas le maître.
AUTRE EN VAUDEVILLES.
Air : Nousfommes Précepteurs d'amour.
Cinq pieds forment tout mon terrain ,
Mais j'ai bien un autre étalage ;
Lecteur , en François , en Latin ,
Décompoſez mon aſſemblage.
Air des Sabotiers Italiens : Sous un ombrage
frais fait exprès.
J'offred'abord en mon joli nom ,
Des amours maint compagnon
Sans me changer
Ce tendre berger ,
Bon ;
Qui fit un Grec d'un feul coup ,
Cou ;
Des menuets
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
Les actes les plus parfaits ;
Plus la lettre a ;
Un adverbe après cela .
En Latin le bord d'un élement ,
Que l'onde toujours gliffant
Rend.
Air:Quand l'Auteur de la nature.
Une note de mufique ,
Quelque part un bain très-ſpécifique;
Dansl'Egypte,
Hypocrite ,
Un taureau
Fêté plus qu'un poireau.
En Latin l'infecte illuftre ,
Dont les biens des Autels font le luftre,
Ce qu'à Rome
L'honnête homme
Débourfoit ,
Quand ſa dette il payoit.
Air : Ah , le bel oiſeau , maman.
'Augénitif le pays
Fertile en marbre & porphyre ,
Une ville dont Louis
Dépouilla ſes ennemis;
De l'Elide une cité ;
Dans nous un fougueux délire ,
Honte de l'humanité ,
Que la raifon doit détruire ,
CTOBRE. 1753 . 127
Cequ'au retour de ſon pré
La fermiere prefle & tire ;
Du nouvellifte entêré ,
L'argent promis , non compté.
Air : Nous venons de Barcelonette,
Un terme Latin dont Catale
Se fert pour rendre un petit pain ,
Mais que Juvenal intitule ,
Gordon d'un menton enfantin.
Air : De M. le Prevêt des Marchands.
D'égal fingulier génitif,
Du mal triſte ſuperlatif.
Dites en Latin, tu m'écorches ,
L'impératif du verbe alter,
Je vous donne afſez d'anicroches ,
Tâchez de me déceler.
Air : Quej'aime mon cher Arlequin.
Mon Edipe eſt embarraſſé,
Que je fuis folle !
Dansmon ſein peut être enfoncé ,
De mes plaiſirs il eſt laffé ,
Car je fuis ſon idole ;
Trop long-tems je l'ai tracaffé ;
Mon nom.... ah , qu'il eſt drôle !
}
F iiij
128 MERCURE DEFRANCE .
NOUVELLES LITTERAIRES .
L
ETTRES hiſtoriques & philoſophiques
du Comte d'Orreri , fur la vie
& les ouvrages de Swift , pour ſervir de
fupplément au Spectateur moderne de
Steele. A Londres , & ſe trouvent àParis ,
chez Lambert , rue de la Comédie Françoiſe
1753. Un volume in- 12 .
Le Docteur Swift a une ſi grande réputation
en France , qu'il n'eſt pas poſſible
qu'on n'y falle accueil à des Lettres où
l'on trouve des détails très - inſtructifs fur
ſa perſonne & ſur ſes ouvrages. On y verra
cet homme célébre décompofé en quelque
maniere , & on ſera étonné de la variété
de ſes talens &de les connoiſſances.
PRINCIPES de Religion , ou préſervatif
contre l'incrédulité , par M. Rouffel,
Prêtre. A Paris , chez Prault , le jeune ,
Quai des Auguſtins 1753. Deux volumes
in 12. ſeconde édition .
Ce Livre où l'on voit l'union affez rare
du raifonnement & du ſentiment , a eu le
ſuccès que nous avions prévû. Les augmentations
importantes , & en quelque maniere
néceſſaires , qu'on trouvera dans la
OCTOBRE. 1753 .
129
nouvelle édition , rendront l'ouvrage plus
précieux & d'un uſage plus général.
HISTOIRE de l'ancien Théatre Italien
, depuis fon origine en Francejuſqu'à
ſa ſuppreſſion en 1697 , ſuivie des extraits
ou carevas des meilleures Piéces Italiennes
qui n'ont jamais été imprimées . Par
lesAuteursde l'Hiſtoire du Théatre François.
A Paris , chez Lambert , rue de la
Comédie Françoiſe 1753. Un volume
in- 12.
On trouvera dans cet ouvrage le même
ordre & les mêmes recherches qui font, le
mérite du Théatre François : Meſſieurs
Parfait ne ſe laffent pas d'écrire& ne ſe
négligent pas en écrivant.
DISCOURS prononcé dans l'Académie
Françoiſe , le Samedi 25 Août 1753 ,
à la réception de M. de Buffon. A Paris ,
de l'Imprimerie de Brunet. Vingt- une pages
in-4°.
Le Diſcours de M. de Buffon , que fon
Hiſtoire naturelle a placé parmi les plus
grands Phyſiciens & les plus grands Ecrivains
de tous les âges , roule preſqu'entierement
ſur le ſtyle. Le Lecteur nous ſçaura
gré d'en tranfcrire le morceau le plus important.
ام
:
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
Le ſtyle n'est que l'ordre & le mouvement
qu'on met dans ſes penſées. Si on
les enchaîne étroitement , ſi on les ferre
le ſtyle devient fort , nerveux & concis ;
ſi on les laiſſe ſe ſuccéder lentement , &
ne ſe joindre qu'à la faveur des mots ,
quelqu'élégans qu'ils foient , le ſtyle en
fera diffus , lâche & traînant.
Mais avant de chercher l'ordre dans lequel
on préſentera ſes penſées , il fauts'en
être fait un autre plus général , où ne doivent
entrer que les premieres vûes & les
principales idées : c'eſt en marquant leur
place ſur ce plan qu'un ſujet ſera circonfcrit
, & que l'on en connoîtra l'étendue :
c'eſt en ſe rappellant fans cefle ces premiers
linéamens , qu'on déterminera les
jufs intervalles qui ſéparent les idées
principales , & qu'il naîtra des idées accefſoires
& moyennes qui ſerviront à les
remplir. Par la force du génie , on tepré.
ſentera toutes les idées générales & particulieres
fous leur véritable point de vûe ;
par une grande fineſſe de difcernement ,
ondiftinguera les penſées ſtériles des idées
fécondes ; par la ſagacité que donne la
grande habitude d'écrire , on fentira d'avance
quel ſera le produit de toutes ces
opérations de l'eſprit. Pour peu que le
ſujet ſoit vaſte ou compliqué ,il eſt bien
OCTOBRE. 1753 . 131
/
, on
rare qu'on puiſſe l'embraſſer d'un coup
d'oeil , ou le pénétrer en entier d'un ſeul
& premier effort de génie ; & il eſt rare
encore , qu'après bien des réflexions
enſaiſiſſe tous les rapports.On ne peutdonc
trop s'en occuper , c'eſt même le ſeul
moyen d'affermir , d'étendre & d'élever
fes penſées: plus on leur donnerade ſubſtance&
de force , plus il ſera facile enſuite
de les réaliſer par l'expreſſion.
Ce plan n'eſt pas encore le ſtyle , mais
il en eſt la baſe ; il le ſoutient , il le dirige
, il régle ſon mouvement ,& le ſoumet
àdes loix: ſans cela le meilleur Ecrivain
s'égare , ſa plume marche ſans guide , &
jette à l'avanture des traits irréguliers &
des figures diſcordantes. Quelque brillantes
que foient les couleurs qu'il employe ,
quelques beautés qu'il ſeme dans ſes détails
,comme l'enſemble choquera , ou ne
ſe fera point ſentir ,l'ouvrage ne ſera point
conſtruit ; &en admirant l'eſprit de l'Auteur
on pourra ſoupçonner qu'il manque
de génie. C'eſt par cette raiſon que ceux
qui écrivent comme ils parlent, quoiqu'ils
parlent très-bien , écrivent mal ; que ceux
qui s'abandonnent au premier feu de leur
imagination , prennent un ton qu'ils ne
peuvent foutenir ; que ceux qui craignent
de perdre des penſées iſolées , fugitives ,
F vj
132 MERCURE DE FRANCE .
&qui écrivent en differens tems des morceaux
détachés , ne les réuniſſent jamais
ſans tranſitions forcées ; qu'en un mot il y
a tant d'ouvrages faits de piéces de rapport
, & fi peu qui ſoient fondus d'un mêmejet.
Cependant tout ſujet eft un; &quelque
vaſte qu'il ſoit , il peut être renfermé dans
un ſeul Diſcours ; les interruptions , les
repos , les ſections ne devroient être d'uſage
que quand on traite des ſujets differens
, ou lorſqu'ayant à parler de choſes
grandes , épineuſes &diſparates , la marche
du génie ſe trouve interrompue par la
multiplicité des obstacles , & contrainte
par la néceſſité des circonstances ; autrement
, le grand nombre des diviſions , loin
de rendre un ouvrage plus folide , en détruit
l'affemblage ; le Livre paroît plus
clair aux yeux , mais le deſſein de l'Auteur
demeure obſcur , il ne peut faire imprefhon
ſur l'eſprit du Lecteur , il ne peutmême
ſe faire ſentir que par la continuité
du fil , par la dépendance harmonique des
idées , par un développement fucceffif ,
une gradation foutenue , un mouvement
uniforme que toute interruption détruit
ou fait languir .
Pourquoi les ouvrages dela nature fontils
fi parfaits ? c'eſt que chaque ouvrage
OCTOBRE. 1753 . 135
و
eſt un tout , & qu'elle travaille ſur un plan
éternel , dont elle ne s'écarte jamais ; elle
prépare en filence les germes de ſes productions
; elle ébauche par un acte unique
la forme primitive de tout être vivant
'elle la développe , elle la perfectionné par
un mouvement continu & dans un tems
preſcrir. L'ouvrage étonne , mais c'eſt l'empreinte
divine dont elle porte les traits qui
doit nous frapper. L'efprit humain ne peut
rien créer , il ne produira qu'après avoir
été ſecondé par l'expérience & la méditation
; ſes connoiffances ſont les germes de
ſes productions ;mais s'il imite la nature
dans. fa marche & fon travail , s'il s'éleve
par la contemplation aux vérités les plus
ſublimes , s'il les réunit , s'il les enchaîne,
s'il en forme un ſyſtême par la réflexion ,
il établira ſur des fondemens inébranlables
des monumens immortels .
C'eſt faute de plan , c'eſt pour n'avoir
pas aſſez réflechi ſur ſon ſujet , qu'un homme
d'eſprit ſe trouve embaraſfé , & ne
fçait par où commencer à écrire ; il apper
çoit un grand nombre d'idées , & comme
il ne les a ni comparées , ni fubordonnées,
rien ne le détermine à préferer les unes
aux autres ; il demeure done dans la perplexité
: mais torſqu'il ſe ſera fait un plans
forfqu'une fois il aura raffemblé && mis en
134 MERCURE DE FRANCE.
ordre toutes les idées eſſentielles à ſon
ſujet , il s'appercevra aiſément de l'inſtant
qu'il doit prendre la plume , il ſentira le
point de maturitéde la production de l'efprit
, il ſera preſſé de la faire éclore , il
n'aura même que du plaiſir à écrire , les
penſées ſe ſuccéderont aisément ,& le ſtyle
ſera naturel & facile ; la chaleur naîtra de
ce plaiſir , ſe répandra par tout , & donnera
de la vie à chaque expreſſion ; tour
s'animera de plus en plus,le ton s'élevera,
les objets prendront de la couleur , & le
ſentiment ſe joignant à la lumiere , l'augmentera
, la portera plus loin , la fera
paſſer de ce que l'on dit à ce que l'on veut
dire , & le ſtyle deviendra intéreſſant &
lumineux.
Rien ne s'oppoſe plus à la chaleur , que
le défir de mettre par tout des traits faillans
; rien n'eſt plus contraire à la lumiere
quidoit faire un corps & ſe répandre uniformément
dans un écrit, que ces étincelles
qu'on ne tire que par force en choquant
les mots les uns contre les autres ,
&qui ne vous éblouiſſent pendant quelques
inftans , que pour vous laiſſer enſuite
dans les ténébres. Ce ſont des penſées qui
ne brillent que par l'oppofition , l'on ne
préſente qu'un côté de l'objet , on met
dans l'ombre toutes les autres faces , &
1
OCTOBRE. 1753. 135
ordinairement ce côté qu'on choiſit eſt une
pointe , un angle ſur lequel on fait jouer
l'eſprit avec d'autant plus de facilité ,
qu'on l'éloigne davantage des grandes faces,
ſous lesquelles le bon ſens a coûtume
de conſidérer les choſes.
Rien n'eſt encore plus oppoſé à la véritable
éloquence , que l'emploi de ces penſées
fines, & la recherche de ces idées legeres
, déliées , ſans conſiſtance , & qui ,
comme la feuille du métal battu , ne prennent
de l'éclat qu'en perdant de la ſolidité
: auſſi plus on mettra de cet eſprit mince
& brillant dans un écrit , moins il y
aura de nerf , de lumiere , de chaleur &
de ſtyle , à moins que cet eſprit ne ſoit luimême
le fond du ſujet , & que l'Ecrivain
n'ait pas eu d'autre objet que la plaiſanterie
, alors l'art de direde petites choſesdevient
peut être plus difficile , que l'art
d'en dire de grandes .
Rien n'eſt plus oppofé au beau naturel,
que la peine qu'on ſe donne pour exprimer
des chofes ordinaires ou communes ,
d'une maniere finguliere ou pompeuſe ;
rien ne dégrade plus l'Ecrivain. Loin de
l'admirer , on le plaint d'avoir paſſé tant
de tems à faire de nouvelles combinaiſons
de ſyllabes , pour ne dire que ce que tout
le monde dit, Ce défaut eſt celui des ef136
MERCURE DE FRANCE.
prits cultivés , mais ſtériles ; ils ontdes mots
en abondance , point d'idées ; ils travaillent
donc ſur les mots , & s'imaginent
avoir combiné des idées , parce qu'ils ont
arrangé des phraſes , avoir épuré le langage
, quand ils l'ont corrompu en détournant
les acceptions. Ces Ecrivains n'ont
point de ſtyle , ou ſi l'on veut , ils n'en ont
que l'ombre ; le ſtyle doit graver des penſées,
ils ne ſçavent que tracer des paroles.
Pour bien écrire , il faut donc poffeder
pleinement ſon ſujet , il faut y réflechir
affez pour voir clairement l'ordre de ſes
penſées &en former une ſuice, une chaîne
continue , dont chaque point repréſente
une idée ; & lorſqu'on aura pris la plume
, il faudra la conduire ſucceſſivement
fur ce premier trait , ſans lui permettre de
s'en écarter , ſans l'appuyer trop inégalement
, ſans lui donner d'autre mouvement
que celui qui ſera déterminé par l'eſpace
qu'elle doit parcourir. C'eſt en cela que
conſiſte la ſévérité du ſtyle, c'eſt auffi ce qui
en fera l'unité, & ce qui en réglera la rapidité
; & cela ſeul auſſi ſuffira pour le rendre
précis& fimple , égal & clair , vif& ſuivi.
Acette premiere régle dictée par le génie,
ſi l'on joint de la délicateſſe& du goût ,
du fcrupule fur le choix des expreffions ,
de l'attention à ne nommer les chofes que
OCTOBRE. 1753. 137
par les termes les plus généraux , le ſtyle
aura de la nobleſſe ; ſi l'on yjoint encore
de la défiance pour ſon premier mouvement
, du mépris pour tout ce qui n'eſt que
brillant , & une répugnance conftante
pour l'équivoque & la plaiſanterie , le ſtyle
aura de la gravité , il aura même de la majeſté.
Enfin , fil'on écrit comme l'on penſe,
& l'on eſt convaincu de ce que l'on veut
perfuader , cette bonne foi avec ſoi-même,
qui fait la bienséance pour les autres ,&
la vérité du ſtyle ,lui fera produire tout
fon effet , pourvû que cette perfuafion intérieure
ne ſe marque pas par un enthoufiaſme
trop fort , & qu'il y ait par tout plus
de candeur que de confiance , plus de rai
fon que de chaleur.
On voit à la ſuite du Diſcours que nous
venons de copier en partie , une réponſe
de M. de Moncrif, dont tout le monde
connoît l'eſprit orné & délicat ; elle finit
par le portrait qu'on va lire de M. l'Archevêque
de Sens , Prédéceſſeur de M. de
Buffon.
Auſtére par état , modéré , & même facile
par un penchant naturel ( que peutêtre
il ne ſe permit pas affez de ſuivre ) il
ſe montroit impétueux , inflexible , quand
ildéfendoit ſes principes qu'il croyoit atraqués;
il devenoit doux , conciliant , lorf
(
138 MERCURE DEFRANCE.
qu'il ne s'agiſſoit que d'en inſpirer la pratique.
Ilregnoit une certaine onction dans
ſes prédications preſque journalieres ; car
quelles fonctionsde ſon miniſtere ne rempliſſoit-
il pas affiduement ? on l'a vû fuivre
conſtamment la chaîne de ſes devoirs ,
à commencer par ceux qui font les plus
obſcurs & les plus pénibles. Jamais le Prélat
n'a éclipſé le ſimple Eccléſiaſtique ; &
dans un état d'élévation , la ſimplicité approche
plus de la perfection chrétienne
que ne fait la modeſtie.
La vraie ſimplicité porte un caractére ,
qui la diftingue entre les autres vertus ;
elle s'ignore elle même : c'eſt entre nous
un entier oublide nos avantages perfonnels
; au lieu que la modestie ſe contente
de les mettre au-deſſous de ce qu'ils paroif
ſent aux yeux des autres.
M. l'Archevêque de Sens joignoit à certe
heureuſe ſimplicité , l'aménité dans le
commerce de la vie ; les actions charitablesdans
tousgenres ,& toujours éclairées ;
enfindesmoeurs irréprochables. Quel bonheur
pour le Diocéſe , de trouver les mêmes
vertus dans le Succeſſeur de ce Prélat.
PRINCIPES de Jurisprudence ſur les
viſites & rapports judiciaires des Médecins
, Chirurgiens , Apoticaires & SageOCTOBRE.
1753. 139
!
femmes ; avec les indications des ſources
d'où ces principes ont été recueillis. Par
feu M. Prevost , ancien Bâtonnier de l'Ordre
des Avocats.AParis , chez Guillaume
Desprez , Imprimeur du Clergé , rue S. Jacques
, 1753. in- 12 . vol. 1 .
Le mérite de l'Ouvrage que nous annonçons
, confiſte dans l'exactitude avec
laquelle l'Auteur a recueilli toutes les autorités
concernant la matiere qu'il s'eſt
propoſé de traiter , tant par rapport au
fond qu'à la forme. Le Droit naturel , les
Ordonnances de nos Rois , les Arrêts des
Cours Souveraines , tous les Tribunaux ,
tous les Greffes ont été ouverts à l'Auteur ;
les Experts dans toutes les profeſſions qui
onttrait à fon objet , ont été confultés ,
rien n'a été omis. Quiconque lira ce Livre
y trouvera une collection de tout ce
qui peut être épars dans les Bibliothéques
& les dépôts publics , ſur les viſites & rapports
dans les matieres ſoumiſes aux lumieres
de la Médecine priſe dans ſon acception
la plus étendue , qui comprend
autant le traitement manuel, la compoſition&
la diſtribution des drogues , que la
connoiſſance des maladies.
Outre la Jurisprudence ſur les matieres
de rapports, onyen trouvera la forme & le
ſtyle redigés d'après de bons modéles. Ces
140 MERCURE DEFRANCE.
formules de rapports font très utiles pour
les Experts dans les différentes parties de
LaMédecine , lors qu'ils feront dans le
cas de viſiter les malades , des bleſſés , des
filles ou des femmes groffes , ou les enfans
nés d'elles , vivans ou morts , afin
d'en faire leurs rapports en Juſtice. Elles
ferviront auffi à des Juges de Province &
àtous autres , qui n'ayant pas ſous la main
les ſources d'où émane la Jurisprudence
des rapports , ſeront bien aiſes de la trouver
recueillie en un ſeul volume , léger ,
portatif , & qui contiendra ce qu'ils ont
beſoin d'en ſçavoir.
M. Prevoſt , de qui vient cet Ouvrage ,
n'étoit pas un homme à écrire un Livre
pour étaler ſes talens& ſon érudition . Il
n'avoit fait celui-ci comme toutes les autres
actions de ſa vie , que par zéle pour le
bien public. Il vouloit être utile ; cependant
il n'a pas eu la conſolation de jouir
des fruits de ſon zéle, Son Livre étoit encore
ſous preſſe lors qu'une prompte maladie
l'emporta .
POESIES variées de M. de Coulange .
diviſées en quatre Livres. A Paris , chez
la veuve Cailleau , rue S. Jacques. 1753 .
in- 12, vol. 1 .
Ce Recueil qui eſt fort confiderable
1
OCTOBRE. 1753. 141
oſt extrêmement varié. Le premier Livre
contient des Poësies badines. Le ſecond
des Poëfies héroïques , le troiſfiéme des
Odes facrées& prophanes , & le quatriéme
des Poëſies diverſes. Ce qui caractériſe
le recueil de M. de Coulange , c'eſt le
naturel & la facilité.On en jugera par une
Piéce que nous allons tranfcrire,
Adieux àla ville de Paris , à l'occaſiond'un
voyage que l'Auteur étoit prêt de faire ,
pour allerSéjourner dans une Ville de Previncefort
éloignée.
f
Il faut donc tequitter , 6 Ville incomparable :
Ode mille beautés aſſemblage admirable :
Il faut donc te quitter ,& fuyant tant d'appas ,
Au fond d'une Province aller porter mes pas !
Jet'adorois en vain, une loi trop ſévere
M'interdit à jamais ta vûe aimable &chére.
Cependantun faquin, un valet décraſſé,
Un clerc , un vil commis de rapine engraiffé ,
Un uſurier enfin qui ſçait avec adreſſe ,
Profitantdes erteurs de lafolle jeuneſſe ,
Ou du dépouillement d'un guerrier généreux ,
Former ſon embonpoint du fuc des malheureux ;
Tousont droit d'habiter cette ſuperbe Ville ,
Dejouir des douceurs d'un ſi charmant azile ,
Au gré des paſſions , d'y prodiguer l'argent ,
Et de fouler aux pieds l'honnête homme indigent;
1
:
:
:
142 MERCURE DE FRANCE.
Pourquois'en étonner ?dans le ſiécle oùnous ſom
mes ,
Eſt-ce au poids des vertus que l'on peſe les hom
mes ?
Dans ce ſièclede fer , l'exacte probité ,
Les talens , la candeur , la générosité
Sont pour nous élever des dégrés inutiles ;
On laiſſe aux imprudensces reſſources futiles.
Il eſt d'autres ſecrets pour les ambitieux :
Il faut un coeur d'airain , un front audacieux;
Il faut par les refforts d'une ſubtile intrigue
Intéreſſer pour ſoi la faveur & la brigue ,
Aux prix de l'honneur même acheter des amis ;
Courtifer lâchement juſqu'à ſes ennemis ,
D'une femme effrontée adopter les caprices,
Et rougir des vertus pour carefferdes vices.
Mais, que fais-je ? Et pourquoi prophaner mon
pinceau
Par les noires couleurs de cet affreux tableau ?
Eloignons- nous plutôt d'une ville prophane ;
Puiſqu'à m'en exiler enfin tout mecondamne ;
L'univers m'abandonne en l'état où je ſuis,
Je n'ai qu'un vain talent pour charmer ines en
nuis.
Inconnue à la Cour , rma Muſe trop fincere
Dédaigne des flatteurs le métier mercenaire.
Formé dès mon enfance aux loix de la vertu ,
Sous le faix des malheurs triſtement abattu ,
Jene ſçaurois deſcendre àce bas artifice ,
OCTOBRE. 1753. 145
Dût- il de mon deſtin corriger l'injuſtice.
Il vaut donc mieux ſortir d'un ſéjour ſi vanté ,
Avec mon innocence & ma fimplicité ,
Et fuir de tant d'heureux la préſence importune ,
Que d'y traîner ma vie au ſein de l'infortune ,
Ou de me voir forcé pour trouver le bonheur
De lui ſacrifier juſques à mon honneur.
Allons , arrachons-nous d'un lieu plein de déli
ces,
Qui , pour moi déſormais n'auroit que des ſups
plices.
Adieu donc , peuple vain , léger , capricieux ,
Peuple fol , mais toujours charmant & gracieux.
Adieu les beaux eſprits de la Cour , du Parnaſſe,
Quej'ai tant admirés , & dont ma folle audace
Avoulu quelquefois ſuivre les pas fameux.
Adieu libres réduits , ſéjours des pareſſeux ,
Qu'embaume du caffé la vapeur agréable ,
Où s'érige en tout tems un tribunal aimable
De Sçavans , de Marquis , de conteurs indiſcrets,
Qui du conſeil des Rois divulguant les ſecrets ,
Se plaiſent à forger cent nouvelles brillantes ,
Quevont ſemer par tout des bouches éloquentes.
1
Adieu Scene Comique , où j'ai vû peu d'Aus
teurs
Applaudis , & beaucoup fifflés des ſpectateurs.
C'eſt là qu'on vient de voir le fublime Voltaire
De fon nouveau chef- d'oeuvre enchanter le Par
terre.
144 MERCURE DE FRANCE!
Moi-même par la foule entraîné dans ces lieux ,
Des larmes de tendreſſe ont coulé de mes yeux.
Adieu Spectacle heureux , noble amas de mer
veilles ,
Fait pour charmer les coeurs , les yeux &les oreilles;
Je ne verrai donc plus tes décorations
Frapper mes ſens ſurpris de leurs illuſions ;
Etje n'entendrai plus la juſteſſe infinie
Des accords de Rameau , ce Dieu de l'harmonie.
Adieu Palais des Rois , ſuperbes bâtimens ,
Deleur magnificenceéternels monumens ;
Et vous Roi des Jardins , riantes Thuilleries ,
Oùj'ai tant promené mes douces rêveries :
Vous ne meverrez plus , ſous vos feuillages verds
Reſpirer la fraicheur , & méditer des vers,
ODieu , trop digne objet d'une innocente fla
me,
Je vous laiſſe , en partant & mon coeur & mon
1
1
:
ame.
Des feux les plus ardens fans ceſſe confumé,
Je n'emporte , où je vais , qu'un corps inanimé.
Mon coeur eſt à Paris ; ce coeur tendre & fidéle
*
Ne m'accompagne point dans ma courſe nouvelle;
Il reſte entre vos mains : gardez ſoigneuſement
Ce précieux dépôt d'un malheureux amant.
Si de ſes triſtes jours , la Parque meurtriere ,
Dans
OCTOBRE. 1753. 145
Dansde lointains climats vient borner la carriete ,
'A fon cher ſouvenir donnez du moins des pleurs ,
Et n'oubliez jamais ſa flame & ſes malheurs.
Adieu , Paris enfin , 6 ma chere patrie !
Combien , dans cet Adieu , mon ame eſt atten
drie ?
Que pourrai -je trouver ailleurs que des déſerts ?
Je crois , en te quietant , ſortir de l'univers ;
Mais du moins , dans l'horreur du lieu le plus fanvage
,
Je me retracerai ſans ceſſe ton image ,
Et de ces régions les volages zéphirs
T'apporteront toujours mes voeux & mes foupirs.
Finiſſons toutefois une inutile plainte :
Inſenſible aux douleurs dont mon ame eft attein
te ,
Le Ciel a prononcé , que ſert de murmurer ?
Le Coche eſt déja prêt , partons ſans differer.
INTRODUCTION à l'Hiſtoire moderne, générale
& politique de l'Univers , où l'on
voit l'origine, les révolutions &la ſituation
préſente des différens Etats de l'Europe ,
de l'Aſie , de l'Afrique & de l'Amérique :
commencée par le Baron de Puffendorf ,
augmentée par M. Bruzen de la Martiniere.
Nouvelle Edition , revûe , conſidérable.
ment augmentée , corrigée ſur les meilleurs
Auteurs , fur des Mémoires particu-
G
146 MERCURE DE FRANCE.
liers de pluſieurs Sçavans , & continuée
juſqu'en 1750. Par M. De Grace. Six voin-
4°. propoſés par ſouſcription. AParis ,
chez Merigot , Quai des Auguſtins , à la
Deſcente du Pont S. Michel , près la rue
Git-le-coeur ; Grangé , au Palais ; Hochereau
l'ainé , Quai de Conti , vis-à- vis la
defcente du Pont-Neuf, au Phenix ; Robuftel
, Quai des Auguſtins , près la rue
Pavée , & le Loup , Quai des Auguſtins.
1753 .
L'Edition qu'on préſente au Public , eft
ornée de frontiſpices , vignettes , culs-delampes&
de lettres griſes ; le tout exécuté
par les plus grands maîtres de l'Art , fur
lesdeſſeins de M. Eſéin. On a outre cela
fait fondre des caracteres exprès.
Quoique le papier que les Libraires
nomment ordinaire , ſoit choiſi dans les
plus beaux papiers fins , cependant pour
Tatisfaire le goût de pluſieurs curieux , on
afait tirer cent cinquante Exemplaires en
grand papier , & cinquante ſeulement ſur
grand papier de Hollandeſuperfin,
CetOuvrage ſera imprimé ſur le même
papier , ( pour le papier ordinaire ) dans la
même forme & avec les mêmes caracteres
que le Profpectus.
H y aura fix Volumes in- quarto. A
OCTOBRE. 1753 . 147
Conditions proposées aux Souſcripteurs .
On ne ſera admis à ſouſcrire que pendant
fix moix , à compter du jour que les
ſouſcriptions ſeront ouvertes. On les délivrera
en donnant le premier Volume ,
le vingt d'Août de cette année 1753. Les
autres volumes paroîtront ſucceſſivement
de fix mois en fix mois , à commencer au
premier Septembre.
Prix des Soufcriptions.
On payera pour le papier ordinaire 72
livres ; ſçavoir , en délivrant le premier
Volume , 18 liv. dont 6 liv. à déduire ſur
ledernier : les autres ſeront à raiſon de 12
livres.
Et pour ceux qui n'auront point foufcrit
, 96 livres.
Legrand papier 108 liv. les fix Volumes
; ſçavoir 27 liv. dont 18 liv. pour le
premier , & 9 liv. à déduire ſur le dernier
, les autres à raiſon de 18 livres.
Ceux qui n'auront pas ſouſcrit , les
payeront 144 livres.
Le grand papier de Hollande ſuperfin ;
180 liv. ſçavoir 45 liv. en livrant le premier
Volume , dont 15 liv. à déduire ſur
le dernier Volume , & les autres à raiſon
de 30 livres.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
Ceuxqui n'aurontpas ſouſcrit ,les payeront
240 livres.
Nota. Dans le cas où la matiere de cet
Ouvrage fourniroit un Volume de plus ,
on le payera ſuivant les conditions énoncées
ci deſſus .
REFLEXIONS fur la Longitude de
Toulouse.
Es éclairciſſemens que l'on a deman
Mercure de France du mois Lase
d'Août 1753 , ( p.114 ) m'ont paru d'autant
plus néceſſaires , que la difficulté que
l'on propoſe eſt bien fondée ; car dans les
Mémoires de l'Académie de 1744 ( p.237)
M. de la Caille détermine la différence des
méridiens entre Toulouſe & Montpellier
de 10'40" , de laquelle retranchant la différence
des méridiens entre Paris & Montpellier
, déterminée par le même Aſtrono-
The ( p. 238 ) de 6'5", on aura 4'35" pour
la différence en longitude entre Paris &
Toulouſe ; or dans le Livre de la Connoiffance
des Tems , l'on trouve que Toulouſe
eſt de 3 ' 35 " de tems à l'Oueſt du méridien.
de Paris , il y a donc une différence d'une
minute dans les différens réſultats .
::
//
Pour réfoudre cette difficulté , je ferai
obſerver que la détermination de M. de
ОСТОBRE. 1753. 149.
la Caille réſulte d'une longue ſuite de calculs
, & de l'obſervation d'un Astronome
très exact ; je n'entreprendrai pas ici-de
vérifier le calcul de M. de la Caille , & je
ne peux ſoupçonner de l'erreur dans l'obſervation
de M. Garipuy ; il me ſuffira
d'expoſer les fondemens de la détermination
de Toulouſe marquée dans la Connoiſſance
des tems.
,
Ayant calculé par la ſuite des triangles de
laméridienne vérifiée , la diſtance de Tourlouſe
à la méridienne de 37074 toiſes &
à la perpendiculaire de 298687 toiſes
nous avons trouvé par la réſolution d'un
ſeul triangle ſpherique , la différence de
Iongitude entreParis& Toulouſe de 0° 53'
47" ou de 3 ' 34" & demie de tems , &
la latitude de 43 ° 35' 54" . Pour diffiper
tous les doutes que l'on pourroit avoir fur
la poſition de Toulouſe , où l'on aſſure que
l'on n'eſt monté qu'une ſeule fois ſur le
clocher de cette Ville , je vais rapporter
les triangles qui fixent la poſition de cette
Ville , au cas que l'on veuille les vérifier .
Vacquiers 44 27 57 S. P. David 75 18 20
Moulin Puchaudran 36 24 25 M. Puch. 10 21 47
Toulouſ. (laDalbad: ) 99 7 38 Toulouſe 94 1913
La baſe commune aux deux triangles
eſt celle de Toulouſe au Moulin Puchaudran
, que l'on a eu la ſatisfaction de trou
Giij
ISO MERCUREDE FRANCE,
ver lamême de 12118 toiſes , en ſuppofant
la baſe de Vacquiers au Moulin Puchaudran
de 17081 , & celle du S. Pech
David au même Moulin ,de 12472 toiſes .
"
L'on pourroit , avec raiſon , ſoupçonner
quelques erreurs dans une auſſi longue
ſuite de triangles depuis Paris juqu'à
Toulouſe , laquelle avoit changé la vraye
direction de la méridienne , & auroit rapproché
Toulouſe de la méridienne plus
qu'il ne l'eft en effer; mais ſi l'on fait attentionque
cette même erreur auroit influé
également ſur la poſition de Montpellier
, déduite des opérations géométriques
de 6' 11'' de tems , laquelle cependant
ſe trouve conforme avec l'obſervation
de M. le Monnier faite à Paris , &
calculée par M. de la Caille dans le même
volume de 1744 , où il détermine la différence
des méridiens entre Paris & Montpellier
de 6'5 '' , avec une différence ſeulementde
fix ſecondes du réſultat des trian
gles ; l'on ne pourra plus raiſonnablement
douter de la préciſion des opérations trigonométriques
, qui ont d'ailleurs l'avanrage
de s'accorder avec la détermination
de la latitude de Toulouſe , déterminée
par M. Garipuy , avec toute l'exactitude
que l'on ſçait qu'il apporte dans ſes obfervations
de 43 ° 354 47" . Mais indépen
OCTOBRE. 1753. 15I
dammentde cette dérermination , l'on en
trouve deux autres rapportées dans les
Ephémerides du ſieur Deſplaces ,de 1735
& 1745. ( p. VI. & VII . ) La premiere eft
le M. Caffini le pere , qui donne la longi-
-ude de Toulouſe de o' 3 ' 40'" , & la latiude
de 43 ° 37' 2" ; la ſeconde eſt de Mrs
le la Société Royale de Montpellier , qui
lonnent la différence de longitude entre
Toulouſe & Montpellier de o' 9' 50" , &
la latitude de Toulouſe de 43° 37′0″ :
après ces trois déterminatons je laiſſe au
Public à prendre un parti ſur la difficulté
qui a fait le ſujet de nos recherches.
"
LETTRE de M. ** à M. *** , an Cha
teau de Prepatour , près de Vendôme.
L
E Livre ſur laMinéralogie qui paroît
depuis peu de jours , & dont l'Auteur
eft M. Wallerius , Suédois , me paroît
écrit avec plus d'ordre &de méthode , que
ceux des Naturaliſtes qui ont avant lui
traité cette matiere. Ce Sçavant a acquis
par un grand travail , des connoiffances
dont nous jouiſſons ſans peine. Mais ſi le
public lui eſt redevable de cet ouvrage ,
notre Nation doit beaucoup auſſi à M***
pour le foin généreux qu'il s'eſt donné
d'en faire une très- exacte traduction que
Giiij
152 MERCURE DE FRANCE.
je vous envoye . Ce n'eſt pas le premier
préſent qu'il fait aux Sciences , & fon Art
de la Verrerie annonce à la République des
Lettres , ce qu'elle doit attendre de ſes
talens &de ſes lumieres. Mais ſa Traduction
de la Minéralogie nous eſt d'autant
plus utile , que nous n'avons dans notre
Langue aucun Traité qui répande autant
de jour ſur cette matiere. Je ne veux pas
dire néanmoins , qu'il n'y ait encore beaucoup
d'articles très- obſcurs. En la parcourant
, prenez la peine de marquer en marge
ceux que vous jugerez tels , afin que je
ſcache , ft c'eſt ma fautede ne les avoi
pas compris ; & faites , je vous prie , une
attention particuliere fur les idées de
l'Auteur , V. I. page 7. qui commence :
Les terresfont la base &le principe des pierres
, &c. & V. II. page 107 : Les noyaux
nefont pas des pétrifications , maisdes pierres
ordinaires du genre des calcaires , c. Je
foumers , Monfieur , à votre critique celle
que je vais faire pour mon aniuſement fur
ce dernier article. Elle ſervira auſſi d'attaque
au premier , en démontrant que les
noyaux qu'il repréſente comme des pierres
ordinaires , ont une autre bafe & un
autre principe que les terres.
Les noyaux , ſuivant M. Wallerius , font
des pierres ordinaires du genre des cal
OCTO BRE. 1753 . 153
caires. Pour s'expliquer ainfi , il faut qu'il
n'en ait jamais vû , ( quoiqu'il s'en trouve
pluſieurs , ) d'argile , de grais , de roche ,
d'agathe & autres , qui ne font pas du genre
des pierres calcaires. De plus , il prétend
que ces noyaux ne ſont pas des pétrifications;
c'eſt encore une erreur , d'ignorer
que leur vraie origine eſt la même que
celle de toutes les autres pétrifications , ou
corps convertis en pierres. Les obſervations
ſuivantes conſtatent , il me ſemble ,
cette vérité ; mais avant de les détailler ,
je veux vous dire comment je croi que
ces noyaux ont été composés.
,
Les coquilles , agitées dans le fond de
la mer , après la deſtruction des animaux
qu'elles contenoient ont été remplies
d'autres petites coquilles , & de détriment
ou ſable de coquilles , qui étant plus foibles
que la coquille principale , ſe ſont
plutôt décompoſées ,&converties en pierres
plus ou moins dures , après que la mer
s'eſt retirée des lieux où elle les avoir dépoſées
; ces petits corps ont ainſi ſervi à la
formation des noyaux.
Objection I. On trouve dans diverſes.cou
ches des montagnes de ce pays , une infinité
de coquilles foffilles , remplies d'autres
petites coquilles , les unes & les autres
encore en nature. Les petites en ren.
Gv
154MERCURE DEFRANCE:
ferment encore de plus petites , qui ch
ſont de même pleines par gradations ; les
unes dans les autres , ou jointes les unes
aux autres , mêlées de détriment ou fable
de coquille , juſques aux plus petits objets
qu'il eſt poſſible d'appercevoir , ſans mêlange
d'aucune matiere terreſtre , ni d'autres
hétérogénes , elles ſortent des plus
grandes en les ſecouant.
II . On y trouve des coquilles confervées
, dont les cavités ſont pleines d'autres
petites coquilles encore en nature , mais
qui paroiffent comme ſoudées , ou liées
par de la matiere d'autres coquilles imperceptibles
, converties en pierres ; tout l'intérieur
de celles- ci , eſt comme difpoſé à
ſe décompoſer , pour former le noyau c
le convertir en pierres.
III. On en trouve d'autres , dont les
petites coquilles qu'elles renferment font
la plupart détruites , cependant encore
connoiſſables ; les noyaux de celles -ci
commencent à reſſembler à la pierre.
IV. On voit encore des coquilles conſervées
, pleines de noyaux pierreux , compoſés
d'autres petites coquilles détruites ,
quiunis enſemble forment ceux des grandes
coquilles ; les noyaux principaux de
cette obſervation , ont beaucoup plus de
confiftante que ceux des précédentes.
OCTOBRE. 1753. 155
V. On voit de plus , des coquilles conſervées
dans leurs formes extérieures , mais
changées de nature , qui ont été remplies
de petites coquilles &détrimens entierement
fondus ,& convertis en pierres- calcaires
& autres ; la plupart de ces grandes
coquilles , étant ſciées & polies avec leurs
noyaux , laiffent découvrir des veſtiges &
traces , qui font aisément connoître que
ces noyaux ont été composés de coquilles.
Je dois ajouter une remarque ; c'eſt que le
volumede ces petits corps qu'on apperçoit
dans l'intérieur , n'est jamais plus gros que
la proportion de la bouche , ou autre ouverture
de la coquille principale.
VI Tous les noyaux qu'on trouve en ce
pays , ſéparés des coquilles , ſont compoſés
d'autres petits noyaux de coquilles ,
converties en pierres ; ce qui eſt plus ou
moins apparent , ſuivant qu'ils font plus
ou moins durement pétrifiés. On le connoît
, à la premiere vûe , dans ceux qui
font de pierres tendres. Il est vrai qu'on
l'apperçoit aux autres plus difficilement ;
mais après avoir ſcié & poli ceux qui peuvent
l'être , on voit dans pluſieurs ſur les
parties polies , un mélange de coquilles
qui en renferment de petites , leſquelles
encontiennent encore de plus petites.
Remarquez qu'il y a des millions in
Gvj
J156 MERCURE DE FRANCE.
nombrables de coquilles & noyaux , de
chacune de ces eſpéces .
VII . Il eſt dans les collines des environs
de Paris , une nombreuſe quantité de couches
de pierres tendres ( que les Carriers
appellent banc coquillel) qui ne ſont compoſées
que de noyaux de coquilles , dont
on diftingue aifément les differens genres :
ces noyaux font quelquefois renfermés
dans des coquilles , telles que M. Wallerius
les décrit dans l'eſpéce 439 ; que l'on
trouve encore dans leur figure naturelle ,
mais qui ſe réduiſent en poudre impalpable
en les maniant. D'autres fois on trouve
la place qu'occupoit la coquille , remplie
de pareille poudre. Le plus ſouvent
on ne voit autour des noyaux qu'une cavité
de la forme qu'avoit la coquille qui
l'enveloppoit ; ces noyaux & ces cavités
dans ce dernier cas , font ordinairement
vernis & colorés de cette même poudre ,
qui par l'analyſe eſt de ſemblable fubſtance
, & a les mêmes propriétés que les coquilles
foffilles pulvérifécs.
Quel eft , Monfieur , votre fentiment
fur ce qu'eſt devenue cette poudre impalpable
de coquille , qui rempliſſoit ces cavités
? j'en ai tiré juſques à une once de la
ſeule place d'une coquille. Ne peut- on pas
conjecturer avec quelque certitude , qu'elle
OCTOBRE. 1753 . 157
(
s'eſt écoulée par filtration avec les eaux
dans les interſtices ou vuides des couches
inférieures , & dans les fentes perpendiculaires
, pour compoſer d'autres corps foflilles
, auſquels les anciens Naturaliftes ont
donné des noms , ſans avoir connoiſſance
de la matiere des corps décompoſés , qui
ont fervi à la compoſition de ces nouveaux
corps.
Si l'on avoit en Suéde les mêmes facilités
que nous avons pour de pareilles obſervations
, il eſt conſtant qu'un Sçavant ,
tel que M. Wallerius , feroit des découvertes
très-utiles. Il feroit convaincu que
les noyaux ayant été compofés de matiere
de coquilles , font de véritables pétrificatrons.
Et s'il avoit en cette connoiſſance
avant la publication de ſon ouvrage , il
auroit pû retrancher une partie de ſondétail
fur les noyaux & ſur les empreintes
pour obſerver feulement que toute coquille
qui a un vuide intérieur , peut avoir
fon noyau ; & qu'on ne peut détacher
de la maſſe avec adreſſe ,aucune pétrification
, foit animale , ſoit vegétale, ſans voir
fon empreinte ou ſa forme , cavée dans la
place qu'elle a quittée. J'ai l'honneur d'être
, & c .
*
AParis, ce 25 Août 1753 .
158 MERCURE DEFRANCE.
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
BEAUX ARTS.
Expofinon des ouvrages de l'AcadémieRoyale
de Peinture&de Sculpture , faite dans une
Sale du Louvre le 25 Août 1753 .
L
Es richeſſes & les malheurs d'un Erat
n'ont pas une influence plus néceſſaire
dans les finances & le commerce des Etats
voiſins , que les Arts d'une partie de l'Europe
dans les Arts de l'Europe entiere. Ilne
ſe fait pas une découverte dans un pays ,
que les peuples voiſins ne foient curieux de
la connoître ,& jaloux de la pouffer plus
loin. Cet eſprit d'émulation devenu plus
général qu'il ne l'a jamais été , doit caufer
une fermentation bien vive à la vûe
des productions que l'Académie de Painture
& de Sculpture vient d'expoſer. Jamais
ſon ſalon n'a été fi brillant , fi beau ,
fi varié & ſi nombreux : tour y répondoit
àla répuration des Artiſtes , & aux foins
deM. de Vandieres , dont les connoiſſances
acquiſes dans un voyage de deux ans
en Italie , ont perfectionné le goût naturet.
Qu'on s'imagine un peuple d'amateurs
de tous les âges &de toutes les conditions,
OCTOBRE. 1753. 759
Vémoignant une égale avidité pour étudier
les talens , pour les juger, pour entretenir
ſes connoiſſances , ou en acquérir de nouvelles
, auſſi chagrin de voir fermer le ſalon
au bout d'un mois qu'il avoit été impatient
de le voir ouvrir , & on aura quelque
idée du ſpectacle que préſentoit à chaque
inſtant du jour le ſalon où étoient expoſés
les ouvrages de Peinture&de Sculpture.
On y voyoit réunile noble & le galant ,
l'austére & le badin , l'Hiſtoire & la Fable ,
l'héroïque & le paſtoral , les barailles &
les allégories ; rien n'y manquoit de ce qui
a le deſſein pour principe & pour baſe , &
de ce qui peut flatter l'eſprit , les yeux ou
l'imagination .
Il ne nous convient pas de prononcer
fur le mérite des differens ouvrages qui
ont fait l'objet de la curioſité publique :
ces déciſions ne conviennent à aucun particulier
,& encore moins à nous qu'à d'autres.
Nous nous contenterons de rapporter
quelques-uns des jugemens que nous
avons entendu le plus répéter.
Les deux grands tableauxde M. Reſtour ,
dont l'un repréſente Aſſuerus qui pronon -
ce l'arrêt de mort contre Aman , & l'autre
Jeſus Chriſt , qui donne les clefs à Saint
Pierre , prouvent la grande maniere de
160 MERCURE DEFRANCE.
ce célébre Artiſte , & la belle pratique qui
lui a mérité ſa réputation. Le repos en
Egypte eſt piquant par ſa lumiere. Ces
trois tableaux indiquent un beau faire , &
une grande liberté de pinceau , en confervant
des maſſes biendiſttribuées , qui
feront toujours beaucoup d'honneur à
l'Ecole.
M. Carle -Vanloo a fait voir dans dix
tableaux de differente grandeur , & d'une
compofition abſolument variée , toutes les
graces de fon pinceau & la fécondité de
ſon génie : l'action , le repos , la dévotion
, la grande machine , les tableaux
de chevalet , le portrait même , tout eſt la
preuve éclatante d'un mérite ſupérieur.
,
M. Boucher a continué de ravir par les
graces & les agrémens de ſa compoſition ,
dans les tableaux de Thetis & du Soleil
dans les deſſus de portes faits pour Bellevûe
, & dans les ſaiſons peintes pour un
plafond de Fontainebleau : fa maniere
qui eſt aimée & fuivie , mérite l'accueil
qu'elle reçoit.
Quoique les quinze tableaux de M.
Oudry ayent fait le plaiſit que les ouvrages
de cet habile Artiſte ſont dans l'uſage
de faire , le public a été fingulierement
frappé d'une chienne blanche avec fes
petits de même poil; ils ne voyent pas
OCTOBRE. 1753. 161
ب
encore le jour. La vérité de leur action eſt
auſſi belle & auſſi bien rendue , que les
oppoſitions de ce tableau ſont recommandables
: les ombres ne cachent rien à
l'oeil ; il voit clair par tout ; un rayonde
couleur qui ſeroit un obſtacle pour un au
tre , vient embellir la couleur & enrichir
la compoſition.
La délicateſſe & les détails du Chriſt en
Croix que M. Pigalle a expoſé , ont mérité
une attention particuliere. Ce bel ouvrage
de marbre , de vingt- deux pouces de
proportion , a fait dire aux Connoiffeurs
qu'il falloit être grand pour faire fi bienle
petit ,& pour conſerver tant de feu
dans un ouvrage qui demande une ſi grande
patience.
Le portrait de Madame du Four , eſt de
tous les ouvrages qu'a expoſé M. Nattier ,
celui qui lui a fait le plus d'honneur.
Les graces & les fineſſes que M. Saly
a exprimées dans ſon Amour , & furtout
dans ſon Hebé , ont été généralement ſenties.
Son buſte en marbre de M. le Duc de
Beauvilliers , a paru frapper encore plus
vivement les Connoiffeurs. De long- tems
nous ne reverrons des ouvrages de ce brillant
& fage Artiſte ; ſa réputation l'a fait
appelter en Dannemarc , où il doit faire le
modéle de la ſtatue équeſtre d'un Roi , que
162 MERCURE DE FRANCE.
la poſtérité placera parmi lepetit nombre
deSouverains qui auront vêcu pour lebonheurdes
peuples.
M. Chardin a continué de plaire par
tine maniere piquante qu'il ne doit qu'à lui
&que perſonne n'a que lui ; ſon pinceau
qui n'ajamais été ſi fécond , s'eſt ſurpaſſé
dans le tableau qui repréſente un Philoſopheoccupéde
ſa lecture ,&dans des animaux
de même proportion , fairs avec toute
labeautéde la touche , & la vérité d'une
couleur des plus riches.
Le portrait de Madame Danger a ſoutenu
, augmenté peut-être la grande réputationde
M. Tocqué.
La reflemblance jointe aux autres gran.
des parties de l'Art , a rempli complettement
cette année , tout ce que le public
étoitendroit d'attendre des beaux paſtels
de M. Delatour : cet Artiſte,Citoyen &
Philoſophe , donne à l'Europe entiere un
ſpectacle , dont il nous paroît qu'on n'eſt
pas affez fappé; il préfere la confolation
de faire le portrait des hommes illuftres , à
l'avantage de faire celui des gens opulens.
M. Servandoni a donné des preuves qui
lui font ordinaires de la fécondité da ſon
génie, de ſon profond ſçavoir dans la
perſpective ,&de la facilité de ſon pin
ceau
OCTOBRE. 1753. 163
La figure de M.Vaſſé , pour une des
façades du bâtiment des Quinze-Vingts ,
lui a fait avec raiſon beaucoup d'honneur ;
elle eſt bien diſpoſée ,& tournée d'une
façon riche&nouvelle pour la place qu'el.
le doit occuper .
Quoique toutes les productionsdeM.
Bachelier ayent attiré les regards , ils ſe
font fixés ſur un morceau peint ſur la porcelaine
de Vincennes : cet ouvrage fait voir
quel eſt le degré de perfection auquel cette
brillante Manufacture eſt parvenue. On
connoît depuis long-tems la ſupériorité
de ſa matiere ; le bon goût de ſes formes
ſe fait tous les jours remarquer de plus
enplus ; enfin on voit par cette pratique
que la peinture , déja plus belle que toute
autre de ce genre , ne peut qu'augmenter
en mérite & en pratiques plus ſçavantes ,
&cependant plus faciles.
M. Peronneau a mérité des applaudifſemens
par la legereté de ſa maniere& cellede
ſa touche ,dans les ſept portraits qu'il
apréſentés.
1
M. Vernet a cu cette année le plaiſir de
juger lui-même de l'accueil que le public
de Paris eſt dans l'habitude de faire à ſes
beaux paysages: il eſt venu d'Italie ſe faire
recevoir dans unCorps conſidérable, dont
il étoit depuis long-tems un membre difting
gué,
164 MERCURE DEFRANCE.
Les éloges qu'on a donné aux ouvrages
de M. Vien , jeune Artiſte , un des derniers
reçus à l'Académie , font efperer qu'il
ne s'écartera jamais de la grande maniere
dont il vient de donner des preuves éclatantes.
Nous ne pouvons mieux finir qu'en parlant
d'une entrepriſe qui ſeroit encore
agréable , quand elle ne feroit pas aufli
parfaitement exécutée qu'elle l'eſt : il s'agit
des portraits que M. Cochin , le fils , a
deflinés d'après nature , avec ſon goût &
ſa facilité ordinaires ; talens que l'on n'eſt
pas dans l'habitude d'exiger des Graveurs.
Ce charmant Artiſte a donc deſſiné & expoſé
un très-grand nombre de profils des
Artiſtes&des Amateurs des Arts ,qui font
de la même grandeur , & dont la reffemblance
eſt frappante. On ne peut s'empêcher
de ſouhaiter vivement qu'ils foient
gravés & qu'ils forment une ſuite : M.
Cochin eſt ſi exact & fi laborieux , qu'il eſt
permis d'eſperer qu'il terminera cette entrepriſe
: elle ſera d'autant plus agréable ,
que c'eſt une eſpéce de tableau , par lequel
on pourra connoître fans erreur ceux qui
donnant dans le même goût ont vêcu dans
le même ſiécle ; il ſeroit à déſirer que cette
idée eût éré miſe en pratique dans les fiécles
antérieurs , on se trouveroit plus aiſéOCTOBRE.
1753. 165
ment tranſporté dans les ſociétés paſſées ,
l'imagination entireroit des ſecours , & les
meilleurs ouvrages en ſeroient embellis.
Le Vendredi 7 Septembre , l'Académie
de Peinture & de Sculpture tint ſon affemblée
générale. M. Watelet , ReceveurGénéral
des finances , & Honoraire aſſocié
libre de l'Académie ,y lut les deux premiers
chants de ſon Poëme ſur la Peinture :
ces deux chants ont pour objet le deſſein
& la couleur. La ſolidité des principes , la
juſteſſe des images , les graces du ſtyle ,
tout aſſure à la France un ouvrage qui lui
fera un honneur infini : c'eſt le jugement
unanime d'une aſſemblée nombreuſe , &
formée par des connoiffeurs véritables &
des amateurs zélés .
Après cette importante& agréable lectu
re , M. de Vandieres , Directeur & Ordonnateur
Général des Bâtimens , fit la diſtributiondes
Médailles d'or & d'argent pour
les grands prix de Peinture & de Sculpture
remportés l'année derniere ; ſçavoir :
3 Le premier prix de Peinture , àM. Fragonard.
Le prix de Sculpture , à M. Brener.
Le ſecond prix de Peinture , à M.
Monet.
Le 2d prix de Sculpture , à M. Duhez .
166MERCURE DE FRANCE.
M. le Directeur Général a auſſi diſtribué les pe
tits prix du quartier de Janvier 1753 , juſques&
compris celui d'Octobre de la même année.
CARTE générale de l'Empire de Ruſſes , en Europe,
en Afie , dreſſée d'après les Cartes de l'Atlas
, Ruffien ; par Robert de Vaugondy , Géographe
ordinaire du Roi. AParis , chez l'Auteur , fur le
Quai de l'Horlogedu Palais , proche le Pont-neuf
1753 .
Philippe Buache , Premier Géographe du Roi
& de l'Académie des Sciences , vient depublier
avec l'approbation & ſous le Privilége de l'Académie
, fix Cartes grand in-4°. ſur les nouvelles découvertes
auNord& à l'Orient de la grandeMer,
appellée vulgairement la Mer du Sud, accompagnéesd'une
explication , qui a pour titre : ConfidérationsGéographiques
& Physiques, &c. Ceque ces
ouvrages nous propoſent ſur les bornes&l'étenduede
l'Amérique ſeptentrionale , comme voiſine
de l'Aſie, ſe préſente avec des preuves de toute efpécequi
lui donnent un grand poids ;& il ſferoit
très-utile qu'en publiant de nouvelles Cartes , on
rendît ainſi compte de leurs fondemens.
Celles dont il eſt queſtion ,& qui font gravées
&enluminées avec goût & propreté , rempliffent
Peſpace qui étoit vuide ſur nos Globes , depuis les
côtes ſuppoſées par feu M. Guillaume Deliſſe en
1724 ( d'après les Mémoires que l'on avoit alors )
juſqu'à la partie du Canada , voiſine du lac ſupé.
rieur , & aux côtes occidentalesde la Baye d'Hud
fon ( c'est- à- dire depuis le 160 degré de longi.
tude juſqu'au 287 ) & depuis l'Iſle de leſo ouYeço,
& les environs de la Californie & du Nouveau
Mexique , au 43 degré de latitude ſeptentrionale
juſqu'au so.
OCTOBRE. 1753. 167
Pour donner une idée claire de tout le travail
de M. Buache , nous commencerons par tranſcrire
les titres des Cartes .
La premiere eſt intitulée ; Carte des nouvelfes
découvertes entre la partie orientale de l'Aſie &
l'occidentale de l'Amérique , avec des vues ( parriculieres
) ſur la grande Terre reconnue par les
Ruſſes en 1741 , & fur la mer de l'Oueſt & autres
communications de mers. Dans cette Carte qui
eſt la générale , on a diſtingué par quatre differentes
teintes de couleurs , ce qui est nouveau
d'avec ce que l'on connoiffoit ci -devant ; & ces
teintes ont rapport aux quatre eſpéces de découvertesdont
nous parlerons dans un moment. Cette
maniere de préſenter les objets , qui n'a point été
miſe en uſage juſqu'à préſent , eſt très-utile pour
faire connoître le progrès des connoiſlances,
La ſeconde a pour titre : Carte desdécouvertes
de l'Amiral de Fonte, ſelon la Carte Angloiſe
donnée par l'Ecrivain du Vaiſſeau la Californie
dans ſon voyage à la Baye d'Hudſon , avec lesTerres
vûes &reconnues par les Ruſſes, &une comparaiſondu
réſultat des Carres du 16 & 17 fiécle
au ſujet du détroit d'Anjan. On ytrouve d'ailleurs
pluſieurs notes intéreſſantes , qui rappellent ce qui
eſt plus au long dans l'écrit , où l'on refute leſyſtême
de l'Ecrivain du Vaiſſeau la Californie , qui
fait entrer l'Amiral de Fonte dans les Terres au
53 degré de latitude , au lieu du 63 comme ilparoît
par les diſcuſſions.
La troifiéme Carte expoſe le Géométrique des
découvertes de l'Amiral de Fonte &de ſonCapitaine
Bernarda , comparé avec le ſyſtême de la
Carte Angloiſe ; & un Extrait ( ou Abregé ) de la
Relation de l'Amiral , fait d'après un manufcrit
*communiqué en 1748 , par M. de l'Iſſe l'Aftrono
168 MERCURE DE FRANCE.
me. C'eſt d'après le travail de M. Buache à ce
ſujet , que l'Académie ajugé le 7 Juillet dernier ,
qu'il étoit utile de conſerver les découvertes de
PAmiralde Fonte , &d'en faire voir l'accord avec
toutes les connoiſſantes & les indications qu'on
peut raſſembler ſur l'Amérique ſeptentrionale.
La quatriéme offre deux objets : 1º . la réduction
de celle qui a été publiée à Nuremberg ( il y
a 25 ans ) & où l'on voit l'une des premieres idées
qu'on s'eſt formé du Kamtchatka &de ſes environs
: 2º, la vue des Glaces , au milieu deſquelles
P'on voit la Péche quiſe fait au Nord-est de l'Afie ,
extraitede la Cartede l'Empire Ruffien, en Langue
Ruffe. M. Buache a tiré de ces deux moreeaux des
inductions pour la proximité de l'Amérique.
La cinquiéme Carte eſt un effai que feu M.
Guillaume Delifle joignit en 1717 au Mémoire
qu'il préſenta à la Cour , ſur l'existence de la mer
de l'Ouest, & l'on y apprend pourquoi il n'a pas
faitmention de cette mer ſur ſes Cartes.
Enfin , la fixieme eſt diviſée en deux parties ;
qui doivent être comparées enſemble pour recti
fier le plan de l'une par celui de l'autre, C'eſt 1 °
un extrait d'une Catte Japonoiſe de l'Univers ,
apportée en Europe par Kæmpfer , & où l'on voit
les Terres qui font au Nord & à l'Oueſt du Japon ,
avecpluſieurs notes curieuſes. 2°. Une réduction
des Cartes préſentées à l'Académie des Sciences ,
le 9 Août 1752 par M. Buache ( qu'il publie aujourd'hui
) & l'on y voit la route des Chinois en
Amérique vers l'an 458 de J. C. tracée ſur les
connoiflances géographiques, que M.deGuignes,
de l'Académie des Belles- Lettres , a tirées des Annales
Chinoiſes. Voilà pour ce qui concerne les
Cartes.
M. Buache a réduit dans un Exposé, qu'il eut
l'honneur
OCTOBRE. 1753 . 169
Phonneur de préſenter au Roi avec ſon ouvrage ,
le 2 du mois dernier , les découvertes dont il eſt
queſtion , à quatre chefs qui ſont diftingués par
couleurs quileur fontpropres.
1º. Les découvertes des Ruffes depuis vingt ans ,
comparées avec les idées qu'on avoit ci-devant
( en Europe , & que l'on a au Japon ) ſur le Nordeft
de l'Afie& les Terres voifines de l'Amérique ,
comme en étant ſéparées par un détroit , ſouvent
glacé : ce qui a facilité le paſſage des premiers ha
bitans de l'Amérique venus d'Afie.
2º. Les découvertes des François depuis quinze
ans, ſçavoir , la partie la plus occidentale de la
Nouvelle France ou du Canada , juſqu'à trois cens
lieuës au-delà du lac ſupérieur : ce qui étend nos
poffeffions bien au-delà de ce que préſente la nouvelle
Carte du Canada , où l'on a prétendu diftin.
guer exactement les poſſeſſions Françoiſes. M. Buache
nous apprend entr'autres choses àce ſujet
( page 39 ) que nos Officiers envoyés par M. le
Comtede Maurepas , ont bâti fix Forts , & fait fix
Etabliſſemens dans ces nouveaux Pays..
3º. Résultatde diverſes recherches , faites par feu
Guillaume Deliſle & Philippe Buache , dont l'objet
eſt d'un côté la mer de l'Oueſt , au Nord de la Californie
& à l'Oueſt du Canada , avec ſa prolongation
juſqu'à la Baye d'Hudſon ( indiquée par les
matées & par diverſes Relations de Navigateurs )
&de l'autre côté , une grande preſqu'Iſle qui forme
un long détroit , entre le Nord-Eſt de l'Aſie & le
Nord-Ouestde l'Amérique. Ce détroit reſſemble
fort au détroit d'Anian , & c'eſt ce qui adonné occafion
à M. Buache de nous inſtruire de diverſes
particularités intéreſlantes à ſon ſujet.
4°. Les découvertes de l'Amiral de Fonte, au
Nord des précédentes ,& qui ſe trouvant enchali
H
170 MERCURE DE FRANCE.
"
féesavecelles , s'accordent avec tout ce qu'on cong
noît d'ailleurs.
M. Buache nous apprend dans une eſpèce d'A
vertiſſement qui fuit ſon Exposé ,que fon travail
a éré occaſionné par les diſcuſſions , auſquelles la
Relation de l'Amiral de Fonte a donné naiſſance,
mais qu'il avoit auparavant l'idée de ce travail ,
comme on le peut voir par ce que dit M. de l'iſſe
l'Aſtronome , à la fin de fon Mémoire fur les nouvelles
découvertes, lû à l'Aſſemblée publique de
Pacadémie des Sciences le & Avril 1750. Il yat
reſte (page 11 de ſon Ex lication ) que M Buache
>>par la cennoillance qu'il avoit de la ſtructure de
>>tout le reſte de la Terre connue ayant conjec-
> turé que l'Afie devoit être liée à l'Amérique au
>Nord , par une ſuite de montagnes &par des
mers de peu de profondeur , a eu le plaifir de
>>voir fon opinion confirmée par les découvertes
des Rufles &de l'Amiral de Fonte , dont je viens
{ diſoit M. de l'Ifße) de faire le récit abregé.
Lesraiſonsde cette conjecture de M. Buache , lont
expliquées dans les deux premieres notes de ſes
Corſidérations Géographiques Physiques fur les
nouvelles découvertes au Nord de lagrande mer , dont
on peut avoir une idée par ce que nous venons de
dire, ſans que nous nous étendions davantage.
D
AIR.
Ansle Salon avec moi l'autre jour
LajeuneEglé dit : ah , voilà l'Amour !
Dans fa bouche ce mot étonne mon oreille ,
Et l'eſpoir dans mon coeur anſſi-tôt ſe réveilles
Eglé , quoi , lui dis-je àmontour,
Ах М.
jeune Fale, dit:
OCTOBRE. 1753 . 171
L'Amour vous eſt connu ! quellerare merveille !
Mais hélas ! cet Amour , l'auteur de mon fouci ,
Ne le connoîtrez -vous qu'ici ?
L
J. F. Guichard.
SPECTACLES.
'Académie Royale de Muſique continue tou
jours lesfêtesdePolymnie. Elle en a donné le
Dimanche16,une repréſentation gratis à l'oce hon
dela naillance de Monſeigneur le Duc d'Aquitaine.
Cette Académie a remé les fetes de i olymnie ,
pour les remettre au retour de Fontainebleau ,&
adonné Dimanche 23 Sep embre , la premiere
repréſentation des Artijans de qualité&de la Pipér
Intermédes Italiens. Nous rendrons compteicmois
procham de cette nouveauté.
Les Comédiens François ont donné le Samedi
ας Août Merope , Tragédie , dans laquelle M.le
Jeune , Acteur nouvellement arrivé de Province ,
a repréſenté le rôle d'Egiſthe ; il a joué le lendem
main celui de Valére dans la Comédie du Mé
chant ; ſes autres rôles de début ont été Frederic,
dans Gustave ; dipe , dans la Tragédie de ce
nom; & Titus , dansBrutus. Il s'en taut bienque
cet Acteur foit formé ; mais il n'est pas lans elpérance,
ayant la voix & la figure agreables ; ila meme
montré de l'intelligence ,& de l'ame danspluſieurs
Scenes. Les mêmes Comédiens ont remis
au Théatre , le Lundi 10du mois dernier , le Bourgeois
Gentilhomme, avec tous ſes agrémens , certe
Comédie eft auſſi bien rendue qu'elle pouvoitl'être.
Les rôles du Bourgeois, de Madame Jourdain,
Hy
<
172 MERCURE DE FRANCE .
de Lucile , de Nicole & de Dorimene , font rem
plis par M. Armand , Miles la Mothe , Grandval ,
Dangeville & Brillant ; & ceux de Cléonte , de
Corielle &du Comte , par M. Grandval , Dubois
& la Noue. On a jugé M. Armand ſupérieur à
feu Poiffon dans quelques Scénes , & inférieur
dans d'autres ; le public lui a témoigné par les applaudiſſemens
, combien il étoit fatisfait de cequ'il
s'eſt prêté à jouer un rôle qui n'eſt pas de ſon em -
ploi. Comme cet Acteur a des talens ſupérieurs ,
plus il jouera le Bourgeois Gentilhomme , & plus
il s'y distinguera. Le ſuccès de la Piéce n'eſt pas
aufli complet qu'on l'avoit cru ; bien des gens y
trouvent peu de vraiſemblance , des longueurs ,
trop de ſcénes de farce , & un mauvais dénoue- .
ment. Nonobſtant ces défauts , il nous paroît que
les beautés des deux premiers Actes , l'excellence
du dialogue , la variété du Spectacle , & la maniere
heureuſe dont les divertiſſemens font amenés
, doivent faire réuſſir cet ouvrage dans tous les
tems. Mlle Grandval joue avec une fineſſe inexprimable
la Scéne du dénouement qu'on ne daignoit
pas écouter autrefois : c'eſt le propre des
grandes Actrices de créer des ſituations. Onaunia
verſellement approuvé les Ballets ; ils font deM.
Sodi , qui danſa à la fin du dernier divertiſſement
avec la Dile Betina Buggiani ,&le Sieur Coſima
Maraneſi , un pas de trois dont on ne peut trop applaudir
l'exécution .
Les mêmes Comédiens ont donné le Mardi 18
Septembre gratis , pour la naiſſance de Monfeigneur
le Duc d'Aquitaine , le Philoſophe marié
Luivi d'un Ballet; & pour petite Piéce , le mari re
rouvé , avec le divertiſſement des Charbonniers .
OCTOBRE. 1753. 175
EXTRAIT des Femmes , Comédie-Ballet
en un Acte , parM. Mailhol , représentée
pour la premiere fois par les Comédiens Italiens
, le 2 Août 1753 .
ACTEURS .
La Folie ,
:
L'Amour ,
Pfiché ,
Arlequin.
Mlle Coraline ;
Mlle Fulquier ;
Mlle Favart ;
M. Carlin .
La Scéne eſtſur la terre.
EThéatre repréſente des côteaux , dont lebas
eſt arroſé de quelques ruiſſeaux ; on voit dans
l'éloignement des hommes & des femmes occupés
à travailler à la terre. Le Temple de la Folie paroît
dans l'un des côtés : un autel occupe le fond
du Théatre; il eſt couvert de fruits & de victimes.
La premiere Scéne ſe paſſe entre la Folie & Arlequin.
Ce dernier dit à la Folie que les hommes
ontraiſonde ſe plaindre de leur fort , &qu'il vaudroit
mieux n'être pas , qu'exifter & fouffrir ; la
Folie lui répond , que c'eſt la faute des hommes
s'ils font malheureux; que la raiſon leur a été
donnée avec la vie , qu'ils ont dédaigné ſes conſeils
, & que pour les en punir les Dieux les ont
foumis à ſa puiſſance ; que lui Arlequin , ne doit
pas être ſi fâché que les autres , puiſqu'elle lui a
donné la belle Pfiché. Arlequin replique à la Folie
que Pfiché le refuſe. Pfiché arrive toute effrayée ,
en diſant à la Folie que tout eſt perdu , que les
hommes ſe révoltent contre les Dieux , ſans être
épouvantés du fort des Titans , & que loin de
craindre la foudre , ils l'implorent , puiſqu'elle
Hiij
174MERCURE DEFRANCE.
peut terminer leurs maux. La Folie-eft fort embar
raflée du parti qu'elle doit prendre : Arlequin lui
conſeilledepartir pour les Cieux , & la prie de le
mettre du voyage , ainſi que Pfiché.
On entend un bruit confus & terrible ; les hommes
& les femmes qui travaillent dans le lointain ,
diſparoiſſent ; la Folie ſe renferme dans fon Temple,
Pfiché veut la ſuivre , mais Arlequin l'arrête.
Arlequin qui craint la fureur des hommes révoltés
, parle en tremblant de ſon amour à Pfiché ,
elle eſt également effrayée , & elle ne peut ſouffrir
Arlequin ; cependant pour Pobliger à la fecourir ,
elle lui promet de Paimer , elle lut jure même
qu'elle l'adore . Cela n'empêche pas à Arlequin ,
qui est plus poltton qu'amoureux ,de lalaiffer
feule ; il s'enfuit d'un côté du Théatre , & Pfiché
défeſpérée , fuit de l'autre. Un grand bruit , une
Symphonie vive annoncent les hommes; ilsparoif
fentarmés dehaches , de maſſues &de débris d'arbres
; ils expriment par une danſe terrible leurs
noirs deſſeins ; ils ſe diſperſent dans les campagnes,
détruiſent tout , & renverſent Pautel. La
Folie revient , & menace les hommes de la vengeance
des Dieux , s'ilsne les déſarment pas par
leurs remords. Les hommes loin d'écouter la Folie
, s'indignent de fes diſcours , ils l'environnent
endanſant ,& la contraignentde rentrer dans fon
Temple , qu'ils cabrafent avec des torches allumées.
Le tonnerre gronde , le fonds du Théatre ſe
couvre de nuages , qui s'entr'ouvrent enſuite ,&
Jaiflent voir da les airs l'Amour fur un
nuage
de feu , environné de génies : les hommes prennent
la fuite ; la Folie fort des minesde ſon Temple.
L'Amour & ſa ſuite deſcendent rapidement
furle Théatre. La Folic appercevant l'Amour,ne
L
OCTOBRE. 1753. 175
peut s'empêcher de rire de ceque le plus petis
desDieux eſt chargé du ſoin de leur vengeance :
'Amour mépriſe les railieries de la Folie, qui alors
affecte de prendre un ton ſérieux ,& lui demande
fi c'eſt à l'Amour de détruire le genre humain ?
l'Amour lui répond qu'il oublie ſon intérêt particulier
, quand il s'agit de la vengeance commune
des Dieux , d'ailleurs il prétend qu'il eſt un des
plus outragés : C'est moi , dit-il , qui pour diminuer
les maux des hommes , leur fis donner des femmes ; les
méchans , les ingrats qui par ce moyen participoient à
notre félicité, sefont arrogés far elles un pouvoir deſpotique,
les traitent en esclaves , & me puniſſent de mes
bienfaits. La Folie implore envain la clémence de
P'Amour en faveur des hommes ; l'Amour lui ordonne
de difparoître ,& la Folie le quitte en faifant
degrands éclars de tire. Alors les Génies atrivent,
l'Amour leur ordonne de le préparer àleconder
fon courroux.
Dans le tems que lesgénies s'excitent parune
danſe vive àbien remplir ſes ordres , on entend
une douce mélodie qui ralentit peu à-peu leurs
mouvemens , & enfin les rend immobiles ; une
Troupe de femmes couvertes de feuillages & de
fleurs , danſent autour d'eux ; la vue de ces ob
jets commence à adoucir l'Amour , && lui fait dif
férer la vengeance ; les génies paroiffent vouloir
fe défendre des careſſes des femmes , mais elles
les enchaînent avec des guirlandes de fleurs , Pfiché
paroît plus brillante que les autres femones
&après avoir danté autour de l'Amour , ellel'enchaine
ainſi que fes compagnes ont enchainé les
génies. L'Amour ne peut réſiſter anx charmes de
Piché , il lui offre ſes hommages , que Pliché reçoitavec
beaucoup de tendreſſe ; cela donne lieu
àune ſcene de galanterie , à la fin de laquelle
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE.
l'Amour tombe aux genoux de Pfiché. La Foliele
furprenant dans cette poſture , vient lui apprendre
que les Dieux ſont irrités de ſes lenteurs, qu'ils
ont entendu ſon entretien , & l'ont chargée de
venir l'interrompre : l'Amour ſe trouve dans une
cruelle alternative , d'un côté il craint de perdre
Pſiché , qui ne veut conſentir à ſon bonheur qu'à
condition qu'il pardonnera aux hommes ; de l'au
tre , il ne veutpas trahir la vengeance des Dieux :
dans cet état il prend la réſolution d'aller demander
dans l'Olympe la grace de l'univers. La Folie
qui s'eſt amuſée à ſes dépens , l'arrête , en lui diſant
qu'il n'en eft pas beſoin ; que le deſtin s'eſt
rendu , qu'il fait grace aux hommes en faveur des
femmes , qu'il immortaliſe Paché , que Venus
veut leur donner une fête , & les emmener enſuite
dans les Cieux : écoutez maintenant , ajoûte
la Folie , la suite de l'arrêt du deſtin. Les hommes
pour avoir eté ſauvés par les femmes qu'ils avoiens
outragées , feront à jamais foumis à leur puiſſance ;
elles les rendront heureux ou malheureux , fuivant
leur volonté , &peut- être leur caprice : d'elles seules
dépendra leurfort ; s'ils leur réſiſtent quelquefois , ce
ne ſera que pour céder ensuite avec plus d'éclat , &
pourmieux cimenter leur pouvoir ; enfin elles partageront
avec les Dieux les hommages de l'univers .
Les génies fortent , les femmes les ſuivent , &
Arlequin arrive bien ſurpris de trouver Pfiché immortelle
, & adorée par l'Amour. Il la réclame en
vain ; l'Amour lui dit que Pfiché ne l'aime pas ,
& qu'à ſa place il lui donne la Folie. Ce marché
eft accepté , & la Folie prend Arlequin pour fon
amant ,dans l'eſpoir que ſes ſingeries affermiront
ſon empire. Le ſpectacle eſt terminé par le Divertiffement
de l'Amour piqué par une abeille , &
guéri par un baifer de Venus . a
OCTOBRE. 1753. 177
EXTRAIT des Amours de Baſtien
& Baſtienne , Parodie du Devin du Village,
par Mile Favart & M. Harny.
ACTEURS
Baftien , M. Rochard.
Bastienne ,
Colas,
Mlle Favart.
M. Chanville.
Paysans,Paysannes.
Baſtienne ouvre la Scene par un Monologue ;
dans lequel elle ſe plaint de l'infidélité de Baftien ,
parqui elle ſe croit entierement abandonnée. Elle
apperçoit Colas qui deſcend d'une coline en chantant&
s'accompagnant de ſa cornemuſe ; comme
elle croit ce Colas un grand magicien , elle l'aborde
pour le conſulter ſur ſes amours avec Baftien,
& au lieu d'argent dont elle manque , elle
lui offre des boucles d'or fin pour le déterminer
la ſervir : Colas la tient quitte pour un baifer ,
qu'elle lui refuſe , en difant que tous ſes baiſers
font à Baftien , qu'elle les garde pour leur mariage.
Colas raflure Baſtienne à moitié , en lut
diſant que Baftien continue de l'aimer , mais que
cependant il eſt infidéle : Baſtienne répond qu'elle
ne veut point de partage. Colas lui apprend que
Bastien qui eft coquet , n'a pu s'empêcher de rendre
ſes hommages à la Dame du lieu , qui lui fait
des préſens conſidérables ; il conſeille en même
tems à Baſtienne d'affecter auprès de lui de la
gayeté& de la légereté pour le rendre conftant.
Baſtienne promet de ſuivre la leçon du magicien s
Baſtienne eſt bien malheureuſe , elle a refuſé un
Hv
178 MERCURE DEFRANCE .
Financier , & un petit Collet , qui vouloit la faire
lagouvernante , pour n'écouter que Baſtien qu'elle
adore; elle prend la réſolution de paroître co--
quette, & de faire ſemblant de fuir ſon amant ;
lle quitre enfuite Colas , en lui fafant d'humbles A
remercimens de ſes bons conſeils. Colas reſté ſeul,
xit de la fimplicité & de l'ingénuité de Baſtienne ,
qui ne reflemble pas à tant de filles de Paris qui
en revendent à leur mere. Bastien s'échappe desbras
de la Dame du Château , & vient trouver
Colas , pour ſçavoir des nouvelles de ſaBaſtienne.
Colas lui affure qu'elle a fait un nouvel amant ,
qui eft gentil au poffible. Baſtien en eſt déſefpéré,
& confulteColas ſur la maniere dont ils'y
prendra pour ravoir ſa belle : Colas tire de ſa befaceun
Livre de la Bibliotheque bleue , & faiten
liſant , pluſieurs contorſions qui font enfuirBaftien
: il revientun peu après , & Colasl'exhortte
mystérieuſement de prendre un air galant , & de
n'être pas un ignorant dans le tête-à-tête avec
Bastienne , finon il lui déclare qu'il la perdra pour
jamais. Baſtien eft bien inquiet de la maniere dont
il s'y prendra; la timidité le prend en appercevantBaftienne;
il ſe détermine cependant à luậ
parler , ce qu'il fait d'un air très-niais: Baſtienne
lai répond ſur le même ton : l'amour réciproque
qu'ils reffentent les échauffe inſenſiblement.
Baftienne , air : Des niais de Sologne..
Non, infidele ,
Cours à tabelle ;
Soins fuperftus ;
Non , Baſtien , je ne vous aimeplus.
Baltien.
Alabonne heur
1
4
OCTOBRE. 1793. 179
Tu veux que je meure ;
Eh bian, je vais ....
Du hamiau fortir pour jamais .
Bastienne.
L'ingrat me quitte.
Bastien.
Oui , tout de ſuite ;
Voudrois-tudone
Que j'aillions comm- çaſans façon
Etre de ton joli Monfieur
Le ſerviteur ?
Baftien,Bastien.
Baftienne.
Bastien.
Vous m'appellais.
Baftienne.
Vous vous trompais ;
Quand j'te plaifois ,
Dam' , tum'plaifois.
Baftien.
La belle marveille !
Quand tu m'aimois ,
Moi , j't'aimois.
Ensemble.
Tu me fuis; va,je te rend la pareille;
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE .
Deviens volage ,
Je me dégage ;
D'un autre amour
J'prétendons tâter à mon tour ;
Nouviau ménage
N'eſt qu'avantage ,
Et chacun m'dit
Que ça réveille l'appétit..
Baftien.
Quoique l'on priſe ,
Bastienne,
Quoique l'on dife ,
Bastien.
Cesgrand'maîtreſſes ,
Bastienne.
Desgrand'richeſſes ,
Bastien.
Si tu voulois
Baftienne.
Si tuvoulois
Ensemble.
Renouer nos amours ;
Jete pourrois
Bastien.
Toujours aimer.
OCTOBRE. 1753. 181
:
Bastienne.
Aimer toujours.
Baftien.
Rends moi ton coeur ;
Fais mon bonheur;
Viens dans mes bras.
Baftienne.
Hélas?
Qu'il eſt charmant
De faire un heureux dénoument !
Ensemble.
Vaje m'rengage ,
Et fans partage,
Tian, v'la ma foi.
Baftien. Ton cher Baſtien eſt tout à tois
Bastienne. Ta chere Baſtienne eſt toute à toi.
P
Plus de langage ,
De varbiage ;
Anos dépens
Ne faiſons pas rire les gens.
Colas revient voir Baftien avec Baftienne , &
un choeur de Payſans &de Payſannes chante leurs
amours.
Les mêmes Comédiens ont auſſi donné gratis le
Mardi 18 Septembre les Brouilleries nocturnes , piéce
Itali noe en deux Actes , fuivie des Masques de
Bezons , Ballet pantomime ; & pour petite Piéce
ร่
182 MERCURE DE FRANCE.
Ie Retour d'Arlequin , avec le Ballet des Savoyards.
L'Opéra Comique a repréſenté pour la premiere
fois le Lundi so Septembre ,le Plaisir&
P'Innocence, Piéce nouvelle en un Acte , qui a été
reçûe favorablement du Public. On avoit donné
leDimanche précédent la derniere repréſentation
des Troqueurs , qui ont attiré juſqu'à la fin des afſemblées
fort nombreuſes,
CONCERT SPIRITUEL.
L
EConcert du huit Septembre jour de laNaif
ſance de Monfeigneur le Duc d'Aquitaine ,
commença par leTeDeum, de Lalande. Le zéle&
P'activitédes Directeurs furent remarqués. Après
cemorceau que les diſpoſitions où on étoit rendoient
encore plus agréable qu'il ne l'eſt, on
exécuta une Symphonie de M. Pla , ce délicieux
Hautbois Eſpagnol , que nous avons le regret de
neplus entendre. Enſuite Deus venerunt gentes ,
Motetàgrand choeur de M. Fanton, M. Baptifte
joua une Sonatede violoncelle, de la compoſition
deM. Berteau , qui fut applaudie. M. Albaneze
chanta deux morceaux Italiens. M. Canavas joua
feul & avec goût. Le Concert finit par Diligam te,
Moter à grand choeur de M. Madin.
&B
4
- OCTOBRE. 1753.18
洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗海
NOUVELLES ETRANGERES.
C
DU NORD.
DE WARSOVIE ,le 10 Août.
Onſtantin & Matheo Woyda ont écrit au
Grand-Général de l'Armée de la Couron
ne , pour lui annoncer l'échange qu'ils ont fait de
leurs Principautés , par ordre de la Porte. En même
tems , ils l'ont affuré que le Grand Seigneur
leur avoit recommandé d'apporter toute l'atten.
tion poſſible au maintien dubon voifinage avec
laPologne.
DE STOCKHOLM , le 12Août..
La nouvelle Académie de Belles Lettres , for
mée ſous les aufpices & la direction de la Reine
atenu ſa premiere afſſemblée dans une Salle de
P'appartement de cette Princeffe. Sa Majesté dri
gna faire elle-même l'ouverture de la ſéance par
un Diſcours , auquel le Baron de Hopken , Préfident
de la Chancellerie , répondit pour l'Aca
démie. Le fieur Dalin , Bibliothéquaire du Roi ,
Précepteur du Prince Royal , & Sécrétaire de la
Compagnie , lut une Differtation fur la naiſſance
&le progrès des Sciences en Suéde. Il annonça ene
faite que la Reine avoit fondé un Prix d'Histoire ,
un d'Eloquence& un de Poefte , & que l'on commenceroit
l'année procchhaaiinnee àfairela diſtribution
de ces trois Prix , qui confiftent chacun en une
Médaille d'or de la valeur de trente ducats. L'A- $
184 MERCURE DE FRANCE.
cadémie propoſe pour le Prix d'Hiſtoire , d'éclaira
cir Si la Famille de Folkunger , qui a occupéfilongtems
le Trône de Suéde , étoit Suédoise ou Etrangere:
Le fujet donné pour le rix d'Eloquence eſt l'Eloge
de Gustave Adolphe , & l'on deftine le Prix de
Poësie à la meilleure Piéce de Vers ſur le Paſſage
des deux Belts par le Roi Charles -Gustave aves
Son Armée en 1658. On prie les Auteurs qui voudront
concourir , d'envoyer leurs ouvrages à M.
Dalin avant le premier Avril. Les loix du concours
feront les mêmes que celles qui s'obſervent
dans les autres Académies .
On doit travailler inceſſamment à l'érection de
la Pyramide que Sa Majesté Très-Chrétienne a
réſolu , avec l'agrément de cette Cour , de faire
élever à Tornéo.
DE COPPENHAGUE , le 24 Août.
Deux Bâtimens de la Compagnie générale du
Commerce font de retour de la côte de Groënlande
, d'où ils ont rapporté ſept Baleines & la
moitié d'une Le Navire le Prince Chriſtian , deftinépour
Saint Thomas en Guinée , ſe mit avanthier
en rade. On a ſéparé de l'Artillerie de la Masine
trois Compagnies de Matelots , qui ont tiré
au fort pour être incorporés dans d'autres Divifions.
Les Officiers de ces trois Compagnies ſesont
diſtribués dans les Provinces , & ils ſerons
chargés d'y faire la levée des Matelots dont on
aura beſoin,
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 4Août.
: Il paroît une Ordonnance , par laquelle le
OCTOBRE. 1753. 185
Gouvernement menace de peines rigoureuſes , les
foldats qui ſuppoſent des infirmités , ou qui s'en
procurent de réelles, pour ſe diſpenſer de fervir.
DE DRESDE , le 7 Août.
Cet Electorat , ainſi que tout l'Empire , était
innondé d'une multitude d'eſpéces de mauvais
aloi , le Gouvernement a réſolu d'en faite frapper
de nouvelles.
DEBERLIN , le 4 Septembre.
Le Prince Héréditaire de Brandebourg Anſpach
s'eſt rendu en cette Cour , ainſi que le Duc & le
Prince Héréditaire de Brunswic-Wolfenbuttel. fl
s'y trouve actuellement vingt- deux Princes de
l'Empire , attirés par la curioſité de voir le Camp
de Dobritz , dont l'ouverture s'eſt faite le premier
de ce mois. On ſert tous les jours dans ce Camp
aux dépens du Roi , differentes tables compoſant
enſemble trois cens couverts. Tous les Princes
Etrangers mangent à celle de Sa Majefté. Lestrois
Princes, freres du Roi , tiennent chacun une table
de cinquante couverts ,& chacun des trois Maréchaux
de laCour en tient une de quarante. Outre
cela , chaque Général a une table ouverte pourtous
les Officiers de ſon Régiment .
D'EMBDEN , le 9 Août.
: On commencera le 27 de ce mois la vente des
marchandises , que la Compagnie Aſiatique a reçues
de la Chine par le Vaiſſeau le Roi de Pruffe.
Le thé qu'on achetera de cette Compagnie , & qui
ſera deftiné à être conſommé dans les Etats de Sa
186MERCURE DEFRANCE.
Majesté , ne payera que dixGroſches de droit par
livre.
Comme pluſieurs Négocians Etrangers ont écrir
la Compagnie Afiatique , pour ſçavoir fi le paye.
ment des marchandises , qu'elle doit mettre en
vente le 27 , pourroit ſe faire en Lettres de change,
cette Compagnie déclaré qu'elle recevra celles
ſurdes maiſons fuffisamment connues à Amfterdam
, Anvers . Hambourg , Berlin & Francfort,.
pourvû que ces Lettres foient payables un mois au
plustard après leur acceptation.
DE RATISBONNE , le 11 Αοй!.
Les trois Colléges nommerent le &de ce mois,
ladignité de Feld-Maréchal de l'Empire , vacanse
par la mort du Prince Maximilien de Hetle
Caffel ,le Prince Louis de Brunswic-Wolfenbur
tel, Feld-Maréchal des Armées de l'Impératrice
Reine , & des troupes de la République des Pro
vinces Unies. Le Prince de Salm, Duc de Hoog
ftraten, Gouverneur de la Citadelle d'Anvers ,
s'eſtmis ſur les rangs pour laCharge de Général
d'Infanterie de l'Empire , dont le fen Comte de la
Marcx-Schleiden étoit revêtu.
ESPAGNE.
DE MADRID , le 21 Août.
Don Julien d'Arriaga , Préſident du Tribunal
de la Contractation des Indes , a donné avis au
Roi , que les Vaiſſeaux le Saint Joseph & Saint
Antoine, le Saint Michel , la Notre-Dame duRofai
re&le FoudreBiscayen , étoient entrés le 19 de cé
mois dans la Baye de Cadix. Les deux premiers
OCTOBRE. 1753 . 187
viennent de la Vera-Crux , & les deux autres de
Carthagène. S'étant joints à la Havane , ils en
ont fait voile pour l'Europe. Ils ont apporté la valeur
de deux millions quatre cens douze mille neuf
cens trente&une piaſtres , tant en eſpéces d'or &
d'argent qu'en vaiſſeile , fix mille trois cens trentequatre
émeraudes , cent quarante cinq mille deux
cens vingt cing livres de cochenille , ſeize mille
einq cens ſoixante & quinze d'anil ,dix-neuf cens
de cacao , cent de baume , cinq cens quatre-vingtquatre
de jalap , deux cens quinze de ſang-de-dragon,
ſept cens quatre vingt- ſept mille cinq cens
de tabac, quatre mille deux cens cinquante de
laine de Vigogne; cinquante trois caiffons de vanilles
, huit cens quatre vingt trois cailles de ſucre ,
quinze cens cuirs , & quinze cens ſoixante- fix quin.
tauxde bois deBrefil. Le Paquebot le SaintMichel,
appartenant à la Compagnie de la Havane , et
venude conſerve avec cesBâtimens.
ITALIE.
DEROME , le 31 Juillet.
Des voleurs ont arrêté le Courrier de Génes
entreMonte-Roffi & Ronciglione ,& ſe ſont ſaifis.
d'une malle, dans laquelle ilportoit pluſieurs effets
précieux.
Une Felouque , qui conduiſoiten Sicile les deux
célébres Muficiennes , Banderata & Gallinarina , a
été priſe par les Algériens .
Quelques particuliers propoſent de faire arriver
les eaux de la mer à ſept milles de cette Capitale,
encoupant une langue de terre du côté de Macareſe.
Ils offrent même de fournir l'argent néceffaire
pour ce travail , à condition de percevoir
188 MERCURE DE FRANCE.
ſeuls pendant trente ans le droit d'ancrage ſur les
Vaiſleaux qui mouilleront dans ce nouveau Port.
:
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 16 Août.
On fit le 4 de ce mois , en préſence des principaux
Officiers de l'Artillerie , l'épreuve d'une pié.
ce de canon , de l'invention du Sieur Bowen. Cette
piéce est très- courte , & n'eſt que de fix livres
de balle. En trois heures ſept minutes quarantecinq
ſecondes , elle tira trois cens coups , la charge
pour chaque boulet étant de dix- sept onces & demie.
Après cette épreuve , on vifita le canon , &
l'on reconnut qu'il n'avoit fouffert aucune altération.
Il eſt , au jugement des perſonnes qui l'ont
examiné , le meilleur en ce genre qu'on ait fait
juſqu'àpréſent pour le ſervice du Roi.
PAYS - BAS.
DE LA HAYE , le 7 Septembre.
La négociation pour un Traité de Commerce ,
entre le Roi des Deux Siciles & les Etats Généraux
ayant eu le ſuccès déſiré , ce Traité fut ſigné le 27
du mois dernier. Il contient quarante ſept arti
cles.
:
OCTOBRE. 1753. 189
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
18 Août dernier , le Roi revint du Château
Ldechory
Leurs Majeſtés , accompagnées de la Famille
Royale , aſſiſterent le 19 aux Vêpres & au Salut
dansla Chapelle .
LeursMajestés ont ſoupé le même jour au grand
couvert.
Le Contrat de mariage du Comte deMorangiés,
&de Marie- Paule-Théreſe de Beauvilliers, fille du
Duc de Saint-Aignan , fut figné le 19 par leurs
Majestés & par la Famille Royale.
Le 20, les Députés des Etats de Languedoc eurent
audience du Roi étant préſentés par le Prince
de Dombes , Gouverneur de la Province , & par le
Comte de Saint- Florentin , Miniſtre & Secrétaire
d'Etat , & conduits en la maniere accoûtumée par
le Marquis de Brezé ,Grand-Maître des Cérémonies.
La députation étoit compoſée pour leClergé,
de l'Archevêque de Narbonne , qui porta la parole;
du Marquis de Lanta , pour la Nobleſle; de
Meſſieurs de Baillarguet & de Voiſins , pour le
Tiers -Etat ; de M. de Montferrier , Syndic Général
de la Province , & de M. Guilleminet , Greffier des
Etats.
Ces Députés eurent enfuite audience de la Rei.
ne , de Monſeigneur le Dauphin , & de Madame
la Dauphine.
Le Roi alla le même jour tirer dans la Plaine de
Grenelle. Sa Majesté ſoupa le ſoir àMMontrouge
chez le Ducdela Valliere. Outre latable du Roi ,
790 MERCURE DEFRANCE.
ilyen eut pluſieurs autres ſervies avec autant de
délicatelle que de magnificence. Après le repas,
Sa Majesté te rendit àChoify.
Il y eut auffi le même jour , unConcert chez la
Reine. On y exécuta le Prologue & le premier
Acte de Roland.
La Ducheſſe de Mirepoix a été nommée Dame
du Palais de la Reine , à la place de la feue Comseffe
de Saulx-Tavannes.
Le 20 , M. de Lamoignon, Preſident Honoraire
du Parlement , prêca ferment de fidélité entre les
mains du Roi , pour la Charge de Prévôt Mait e
desCérémonies de l'Ordre Royal & Militane de
Saint Louis.
Sa Majesté a accordé au Marquis de Fontarge,
Mouſquetaire de la Premiere Compagnie , & àM.
de Vallory Capitaine de Cavalerie dans le Régis
ment d'Ecquevilly , les deux places d'Exempts des
Gardes du Corps , qui vaquoient dans la Compagnie
deCharoft par la retraite de M. de Treflos&
de Savy.
Le Roi ayant jugé à propos de donner unUnis
formeMilitaire aux Cent Suiſſes de ſa Garde, &de
leur Ster ſa Livrée , le Marquis de Courtanvaux
Capitaine Colonelde cette Compagnie , a préſenté
a Sa Majesté le modéle de l'Uniforme , & des Surtouts
de campagne , tant pour les Cent Suiffes que
pour leurs Tambours & pour leurs Fifres. L'habillement
des Cent Suiſſes eſt bleu , galonné d'or en
brandebourgs , avec deux galons ſur le parement
de la manche , lequel est d'écarlate. Il n'y a qu'un
bordé d'or au Surtout, Les Tambours & les Fifres
fontgalonnés de même que les Cent Suiſſes , mais
avecle galon de la Livrée du Roi , dans lequel il y
ade l'or melé avec la ſoye. Cette Compagnie a
pris fon nouvel Uniforme le jour de la Fête de Saint
OCTOBRE. 1753. 1
Louis. Eile conſerve toujours ſes anciens habits
pour les cérémonies.
Madame Victoire prit des eaux le 20 & leat ;
pour ſe purger par précaution.
Le23 , le Roi revint du Château de Choiſy
avecMonſeigneur le Dauphin , Madame Infante
Duchetſe de Parme , Madame Adélaïde , & Mel.
dames de France , qui étoient allés la veille y
joindre Sa Majesté .
Le 24 , le Corps de Ville ſe rendità Verſailles,
& ayant à la tête le Duc de Gelvres , Gouverneur
de Paris , il eut audience du Roi avec les cérémonies
accoutumées. Il fut préſenté à SaMajeſté
par le Comte d'Argenſon , Miniſtre & Sé.
crétaire d'État , & conduit par M. de Gifeux ,
Maître des Cérémonies en ſurvivance de M. Def
granges. Mrs Pafchalis & Caron , qui ont été
élus Echevins dans l'Aſſemblée du Corps de Ville
, tenue le 16 , pretérent entre les mains du
Roi le ferment de fidélité , dont le Comte d'Argenſon
fit la lecture , ainſi que du Scrutin , qui
fut préſenté à Sa Majesté par M. Moreau , Avocat
du Roi au Châtelet .
Le Corps de Ville eut enſuite l'honneur de ren
dre ſes reſpects à la Reine , à Monſeigneur le
Dauphin , à Madame la Dauphine , à Monſei
gneur le Duc de Bourgogne , à Madame , à Madame
Infante , à Madame Adélaïde , & à Melda
mes de France , étant préſenté & conduit en la
maniere ufitée.
Le 25 , jour de la Fête de Saint Lonis , le Roi
& la Reine , accompagnés de la Famille Royale ,
entendirentdans la Chapelle duChâteau la grande
Meſſe , les Vepres & le Salur , chantés par les
Miſſionnaires .
Suivant l'ufage , les Hautbois de la Chambre
:
192 MERCURE DEFRANCE.
jouerentdes Fanfares pendant le lever du Roi.
Leurs Majestés ſoupérent le foir au grand cou
vert avec Monſeigneur le Dauphin , Madame infante
, Madame Adélaïde , & Mesdames de Fran-.
ce. Pendant le ſouper , les vingt- quatre Violons
de la Chambre exécuterent différentes fuites de
ſymphonies de Mrs Rebel & Francoeur .
Le même jour , la Proceſſion des Carmes du
Grand Couvent , à laquelle le Corps de Ville affiſta
, alla fuivant la coutume à la Chapelle du
Palais des Thuilleries , où ces Religieux chanterent
la Meile .
L'Académie Françoiſe célébra auſſi le même
jour la Fête de Saint Louis dans la Chapelle du
Louvre. Pendant la Meſſe , le célébre Cafarieli
chanta divers morceaux de muſique. Il étoit accompagné
par pluſieurs Symphoniſtes qu'il avoit
choiſis lui- même. M. Bon , Theologal d'Autun ,
prononça après la Meſſe le Panegyrique du Saint.
La même Fête fut célébrée par l'Académie
Royale des Inſcriptions & Belles- Lettres , & par
celle des Sciences , dans l'Egliſe des Prêtres de
Poratoire , où le Panégyrique du Saint fut prononcé
par le Pere la Berthonie , Religieux Dominicain,
du Couvent de la Rue Saint Honoré.
L'après-midi , l'Académie Françoiſe tint une
Aſſemblée publique , dans laquelle elle donna le
Prix de Poësie , fondé par feu M. de Clermont-
Tonnerre , Evêque de Noyon . C'eſt M. le Miere ,
qui a remporté ce Prix. Le ſujet propoſé étoit ,
La tendreſſe de Louis XIV pour sa Famille. Lorf.
qu'on eut fait la lecture du Poëme de M. le Miere
, M. de Buffon, que l'Académie a élu à la place
du feu Archevêque de Sens , prononça fon Difcours
de remerciment , auquel M. de Moncrif ,
Directeur, répondit.
Cette
OCTOBRE. 1953 : 195
Cette année , l'Académie devoit diſtribuer trois
Prix , mais elle a jugé à propos d'en réſerver deux.
Ainti , le 25 Août 1754 , elle diſtribuera un Prix
d'Eloquence &deux de Poësie. Elle propoſe pour
le Prix d'Eloquence , qui eſt celui fondé par feu
M.de Balzac , le même ſujet qu'elle avoit propolé
pour 1753 : La crainte du ridicule étouffe plus
de talens & de vertus , qu'elle ne corrige de vices
de défauts : Parentes & Cognati irridebant vitam
ejus. Tob. c. 2. verf. 15. Les deux Prix de Poëfie
que l'Académie donnera l'année prochaine , font
de la fondation de M. Gaudron. Un des ſujets
propoſés eſt , l'Amour de la Patrie. L'autre eft,
'Empire de la Mode.
Le Roi partit le 26 pour Bellevue.
Le même jour , l'Académie Royale des Inf
criptions & Belles-Lettres eut l'honneur de pré-
Tenter à Leurs Majestés & à la Famille Royale les
Tomes XVIII , XIX & X X. de ſes Mémoi
tes. Ces trois Volumes comprennent les années
1744 , 1745 & 1746.
M. Guignon étant dans l'uſage dedonner tous
les ans un Concert à Monſeigneur le Dauphin
pour ſon bouquet , fit exécuter le 26 au foir ,
pendant le ſouper de ce Prince & de Madame la
Dauphine , pluſieurs morceaux de ſymphonie de
ſacompoſition.
Le départ de Madame Infante Ducheſſe de
Parme a été fixé au 26 Septembre. La ſanté de la
Marquiſe de Lede , Dame d'Honneur de Madame
Infante, ne lui permettant pas de l'accompagner à
Parme, la Comteſſe de Noaillesa été nommée par
le Roi , pour faire les fonctions de Dame d'Hon
neur auprès de cette Princeſſe juſqu'à Antibes , ou
Madame Infante s'embarquera. La Marquiſe de
Crufſol, épouſe du Miniſtre Plénipotentiairede Se
I
194 MERCURE DE FRANCE.
,
Majesté auprès de l'Infant Duc de Parme, aecompagnera
Madame Infante à Gênes , ainſi que
la Vicomteſſe de Narbonne * attachée à cette
Princeſſe. Le Comte de Noailles , Grand d'Eſpagnede
la premiere Claſſe , chargé des ordres du
Roi pour conduire Madame Infante juſqu'à Antibes
, ſe rendra à Parme après que la Princeſſe ſera
einbarquée. Le Bailly de Champignel , Exempt
desGardes du Corps dans la Compagnie de Villeroy,
commande le Détachement des Gardes ,
qui ſuit Madame Infante juſqu'à Antibes. Cette
Princeſſe trouvera à Gênes ſa Maiſon , qui la conduira
à Parme.
Le 27 , le Roi chaſſa dans la Plaine de Ge
nevilliers. Après la chaſſe , Sa Majesté alla ſo
repoſer dans la maiſon du Maréchal Duc de Richelieu
, & elle y foupa. Le repas fut précédé
d'un feu d'artifice dans le goût Chinois qui a
très-bien réuſſi , & dont le Roi a paru fort fatisfait.
Il y a eu pluſieurs tables magnifiquement
ſervies , en même tems que celle du Roi , pouf
toute la ſuite de Sa Majesté.
,
Ilyeut concert le 27& le 29 , chez la Reine:
Le 21 , il y en eut un chez Madame la Dauphine.
* La Vicomtesse de Narbonne dont nous parlons ,
attachée à Madame Infante Ducheſſe de Parme ,
n'est point la Vicomteſſe de Narbonne , foeur du Duc
de Fleury , épouse du Vicomte de Narbonne- Pellet ,
Lieutenant- Général des Armées du Roi , laquelle vit
dansſes terres avecson mari , n'étant attachée à aucune
Princeſſe ; mais la femme du Vicomte de Nare
bonne- Lara , Colonel du Régiment de Soiffonnois , d'une
maison différente de lapremiere. Voyez l'Histoire
généal. des Maiſons de France,par les PP. Anfelme
Simplicien.
OCTOBRE. 1755. 195
On y exécuta un Concerto de M. Mondonville. Un
Moter , composé par ce Muſicien ſur le même
Concerto , & dont les paroles font tirées du Pleaume
Laudate Dominum de Coelis , fut chanté par M.
Richer , Page de la Muſique. On chanta enſuite
In exitu Ifraël , nouveau Motet à grands choeurs ,
du même Auteur.
Le 25 & le 28 , M. Cafarieli , Muficien du Roi
des Deux Siciles , chanta pluſieurs airs Italiens
chez Madame la Dauphine , & il s'accompagna
du Clavecin.
Le Roi a accordé à M. de Barailh , Lieutenant-
Général des Armées Navales , la place de Vice-
Amiral vacante par la mort du Comtede Camilly,
& au Comte de Vaudreuil , Chef-d'Eſcadre , un
Brevet de Lieutenant Général des Armées Navales.
M. de Bart , premier Vice-Amiral , & le Comte
de Berchiny , Lieutenant Général des Armées du
Roi , ont été nommés Grands- Croix de l'Ordre
Royal & Militaire de Saint Louis. La place de
Commandeur à la penſion de trois mille livres ,
que la promotion du Comte de Berchiny fait va
quer dans l'Ordre , a été donnée par Sa Majeſté au
Chevalier de Croiſmare , Brigadier , Lieutenant-
Colonel du Régiment du Roi , Infanterie , qui
avoit obtenu , en attendant cette penſion , la permiſſion
de porter les honneurs de Commandeur.
Sa Majesté a diſpoſe du Gouvernementde Thion.
ville , qui vaquoit par la mort du Marquis de
Creil, en faveur du Comte de Courtomer , Lieutenant
Général des Armées du Roi , & Lieutenant-
Colonel du Régiment des Gardes Françoiſes .
Le 25 , M Heré , Premier Architecte du Roi
de PologneDuc de Lorraine & de Bar , préſenta
à Leurs Majestés & à la Famille Royale , un Res
I ij
196 MERCURE DEFRANCE.
cueil contenant non- ſeulement le Plan & les dife
rens aſpects de la Place Royale , bâtie à Nancy
par ordre de Sa Majesté Polonoiſe , pour y placer
Ja Statue du Roi , mais encore les Plans & les
Elévations des Edifices dont cette Place eſt entourée.
Ce Recueil eſt dédié au Roi.
Le 29 , le Roi ſe rendit au Château deChoiſy ,
d'où Sa Majeſté revint le 31 avec Mesdames de
France qui y étoient allées le 30.
Oncélébra le premier Septembre dans l'Egliſe
de l'Abbaye Royale de Saint Denis , avec les cérémonies
accoutumées , le Service qui s'y faic
tous les ans pour le repos de l'ame de Louis XIV ,
& l'Evêque d'Arras y officia pontificalement. Le
Prince de Dombes & le Duc de Penthievre y affifzerent
, aina que pluſieurs Seigneurs de la Cour .
Le 2, la Reine ſe trouva un peu incommodée
& le Roi foupa dans ſon appartement avec la Famille
Royale.
LaComteffe de Morangiés & la Marquiſe de
Marcieu rendirent le 2 pour la premiere fois leurs
reſpects à Leurs Majeftés.
Le même jour , l'Académie Royale des Scienees
ayant à ſa tête M. Rouille , qui préſide cette
année à la Compagnie , & le Comte d'Argenſon ,
qui eft, Vice-Préfident, eut l'honneur de préſenter
Leurs Majeftés & à la Famille Royale le Tome
de ſes Mémoires pour l'année 1749.
L'indiſpoſition de la Reine n'ayantpoint eu de
fuite , il y eut concert le 3 & les chez Sa Majeſté.
On a exécuté dans ces deux concerts les trois
derniers actes du Ballet des Elémens , dont les
paroles font deM. Roi , Chevalierde l'Ordre de
Saint Michel , & la Muſique de feu Deſtouches.
Le 4, M. Klefker Syndic, & M. d'Hagier ,
Sénateur , Députés de la Ville de Hambourg
OCTOBRE. 1753. 197
curent audience de Monſeigneur le Dauphin , de
Madame la Dauphine , de Monſeigneur leDuc de
Bourgogne & de Madame. Ils furent conduits à
ces audiences par M. Dufort , Introducteur des
Ambaſſadeurs.
Hier , Madame Infante Ducheſſe de Parme a
été purgée par précaution.
Le 6 , Madame Infante Ducheſſe de Parme continua
ſes eaux , & certe Princefle fut purgéeley
Madame Sophie eut le 6 unmouvementde fiévre.
Le 8 , M. de Labergement prêta ſerment entre
les mains de Sa Majesté , pour la Charge de Lieutenant
de Roi au Département de Châlons en
Bourgogne , vacante par la démiſſion du Comte
de Fueilleus.
Le même jour , à midi , Madame la Dauphine
ſentit des douleurs. Leurs Majestés , la Famille
Royale , les Princes & Princeſſesdu Sang , ſe rendirent,
ainſi que le Chancelier de France , les autres
Grands Officiers de la Couronne , & les Miniſtres ,
l'appartement de cette Princeſſe , où toute la
Cour ſe préſentaen foule. Madame la Dauphine
eut le tems d'entendre la Meffe , qui fut célébrée
dans ſonCabinet. Adeux heures après midi , cette
Princeſſe fut heureuſement délivrée ,& elle accoucha
d'un Prince , à qui le Roi a donné le titre de
Ducd'Aquitaine. Le Cardinal de Soubize , Grand.
Aumônier de France , fit la cérémonie de l'ondoyement
en préſence du Curé de la Paroiſſe du
Château. Le Garde des Sceaux , Grand Tréſorier
de l'Ordre du Saint Eſprit , apporta le Cordonde
eet Ordre , & il eut l'honneur de le paffer au cou
du Prince , qui fut remis entre les mains dela
Ducheffe de Tallard , Gouvernante des Enfans de
France. Elle préſenta Monſeigneur le Ducd'Aquitaine
àMadame la Dauphine. Enfuite elle porta
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
cePrince à l'appartement qui lui étoit deſtiné. Il
yfut conduit ſelon l'uſage par le Due de Villeroy ,
Capitainedes Gardes du Corps , en Quartier .
Le Roi , la Reine , Monſeigneur le Dauphirr ,
& Meſdames de France, ont laiſſé éclater la joye
que cet heureux évenement leur cauſe , & que la
Cour & la Ville partagent également.
Sur les cing heures , Leurs Majestés accompagnées
de la Famille Royale , ainſi que des Princes
& Princeſſes du Sang, & précédées des deux
Huiffiers de la Chambre , qui portoient leursMaffes
, allerent à la Chapelle. Elles entendirent les
Vêpres , chantées par la Muſique , &enſuite le
TeDeum, entonné par l'Abbé Gergoy , Chapelain
Ordinaire de la Chapelle-Muſique. M. Francoeur,
undes Surintendans de la Muſique de la Chambre
, fit exécuter le Motet compoſe ſur ce Pleaume
par feu la Lande.
Après le Salut , le Roi , là Reine , Monseigneur
leDauphin , Monſeigneur le Duc de Bourgogne ,
Monſeigneur le Duc d'Aquitaine , Madame , &
Mesdames de France , reçurent dans leurs appartemens
les révérences des Princes & Princefles da
Sang, des Grands Officiers de la Couronne , des
Miniſtres & des Seigneurs & Dames de la Cour.
Leurs Majeftés ſouperent au grand couvert avec
la Famille Royale.
و
Aminuit, par les ordres du Maréchal Duc de
Richelieu , Premier Gentilhomme de la Chambre
en exercice on tira dans la Place d'Armes un
beau bouquet d'artifice , dont l'exécution n'a laiffé
rien àdéfirer. Elle a été conduite par M. de Font
pertuis, Intendant des Menus Plaiſirs .
Lorſque Madame la Dauphine reſſentit les premieres
douleurs , le Roi chargea le Comte de
Saint- Florentin , Miniftre & Secrétaire d'Etat , de
OCTOBRE . 1753. 199
mander à l'Archevêque de Paris d'ordonner des
prieres publiques pour l'heureuſe délivrance de
cette Princeffe. Aufſi-tôt après les couches , la
Comte de Saint- Florentin dépêcha par ordre de Sa
Majefté un ſecond Courier à l'Archevêque , pour
lui annoncer la naiſſance deMonſeigneur leDuc
d'Aquitaine.
Le Roi a envoyé à Luneville M. de Lorme , un
de fes Gentilshommes ordinaires , pour donner
part de cette naiſſance au Roi de Pologne , Duc
de Lorraine & de Bar.
Les Prévôt des Marchands & Echevins , qui
s'étoient aſſemblés à l'Hôtel de Ville ,dès qu'ils
avoient appris que Madame la Dauphine avoit
fenti quelques douleurs , reçurent le 8 , à trois
heures après midi , la nouvelle de la naiſſance de
Monſeigneur le Duc d'Aquitaine , par M. de Pu
jol , Enſeigne des Gardes du Corps , qui ſert acsuellement
auprès de Madame la Dauphine , &
que le Roi avoit envoyé pour en donner part au
Corps de Ville. Dans le moment , les Prévôt des
Marchands & Echevins fitent annoncer à toute la
Ville par une ſalve de l'artillerie & par la cloche
de l'Hôtel de Ville , qui a ſonné juſqu'à minuit ,
Ja nouvelle faveur qu'il a plû à Dieu de répandre
fur la Famille Royale.
M. Deſgranges , Maître des Cérémonies , vint
fur les trois heures & demie à l'Hôtel de Ville , &
il y apporta les ordres du Roi , ſuivant leſquels les
Prévôt des Marchands & Echevins firent commencer
les réjouiſſances.
A ſept heures& demie du ſoir , il fut fait une
ſeconde ſalve de l'artillerie , après laquelle, les
Prévôt des Marchands & Echevins allumerent
avec les cérémonies ordinaires , le bucher qui
avoit été dreſſé dans la Place devant l'Hôtel de
I iiij.
200 MERCURE DE FRANCE:
Ville. On tira enſuite une grande quantité de fu
fées volantes : on fit couler dans les quatre coins:
'de la Place ,des Fontaines de vin ,& l'on diſtribua
dupain au peuple. Pluſieurs orcheſtres , remplis
deMuſiciens , mêlerent le ſon de leurs inſtrumens
aux acclamations dictées par l'allégreſſe publique.
La façade de l'Hôtel deVille fut illuminée pendant
la nuit par pluſieurs filets de terrines , ainſi
que l'Hôtel du Duc de Geſvres , Gouverneur de
Paris; celui du Prévôt des Marchands , & les
Maiſons des Echevins & Officiers du Bureau de la
Ville.
Cette même nuit , il y eut des illuminations
dans toutes les rues.
Le 9, pendant la Meſſe du Roi , on chanta le
Te Deum de la compoſition de M. Blanchart ,
Maître deMuſique de la Chapelle.
Le 11 , l'Abbé Branciforte , Nonce Extraordi
naire du Pape , eut une audience particuliere du
Roi , dans laquelle il prit congé de Sa Majesté.
Il fut conduit à cette audience , ainſi qu'à celles
de la Reine , de Monseigneur le Dauphin , de
Monſeigneur le Duc de Bourgogne , deMonfeigneur
le Duc d'Aquitaine , de Madame , deMadame
Infante , de Madame Adélaïde , & de Mefdames
Victoire , Sophie & Louiſe , par M. Dufort,
Introducteur des Ambaſſadeurs.
Le 16 , les Cours Supérieures & le Corps de
Ville , conformément aux ordres du Roi , aſſiſterent
au Te Deum , qui fut chanté folemnellement
dans l'Eglife Métropolitaine. Les Prévôt des Marchands
& Echevins firent tirer enfuite un magnifique
feu d'artifice dans la Place devant l'Hôtel
de Ville.
Le Roi ayant réſolu de faire camper annuellement
une partie de ſes troupes pour les exercer,
OCTOBRE. 1753. 201
Sa Majesté a fait former cette année ſix Camps ,
Içavoir un à Aymeries dans le Hainault , commandé
par le Prince de Soubize ; un près de Mezieres
ſur la frontiere de Champagne , commandé
par leMarquis deBrezé ; un ſous Sarrelonis , que
commandeM. deChevert ; un à ErſteinenAlface,
ſous les ordres du Marquis de Saint-Pern ; un à
Gray , dans le Comté de Bourgogne , fous ceux
du Duc de Randan, & un àBeaucaire en Languedoc
, commandé par M. de Crémille. Les troupes
qui compoſent ces Camps, demeureront affemblées
pendant tout le mois de Septembre.
La Chymie , indépendamment des lumieres
qu'elle fournit aux Phyſiciens & aux Médecins ,
étant utile à pluſieurs Artiftes , même à de ſimples
Artiſans , les Apothicaires de Paris veulent contribuer
, autant qu'il eſt en eux , à en faciliter
l'étude. Dans cette vûe , ils donneront à l'avenir
chaque année un Cours de Chymie gratuit dans
leur Laboratoire , rue de l'Arbalête , Faubourg
Saint Marceau. Ils doivent tour à tour , à cet effer ,
accorder leur temps , & faire la dépenſe néceffaire
pour les Opérations & les Démonſtrations.
Le premier Cours a commencé le 17 Août derpier.
Il continue tous les Lundis & les Jeudis à
trois heures après midi .
Le 14 , le Comte de Sartirane , Ambaſſadeuror
dinaire du Roi de Sardaigne , ent une audience
particuliere du Roi , dans laquelle il fit part à Sa
Majesté de l'heureux accouchement de Madame
la Ducheſſe de Savoye , & de la naiſſance d'une
Princ effe. Le Comte de Sartirane fut conduit à cette
audience , ainſi qu'à celle de la Reine , par M.
Dufort , Introducteur des Ambaſladeurs .
Le Roi ayant écrit à l'Archevêque de Paris ,
pour faire rendre à Dieu de ſolemnelles actions
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
de graces , à l'occafion de la naiſſance de Monfer
gneur le Duc d'Aquitaine , on chanta le 16 leTe
Deumdans l'Eglife Métropolitaine , & PArchevêt
que de Paris y officia pontificalement. Le Chancelier
& le Garde des Sceaux , accompagnés de
plufieurs Confeillers d'Etat & Maîtres des Requê
res , y'affifterent , ainſi que la Chambre des Comptes
, la Cour des Aides ,& le Corps de Ville , qui
y avoient été invitésde la part de Sa Majesté par
M. Deſgranges , Maître des Cérémonies.
Orrira le même jour dans la Place de l'Hôtel
de-Ville, par ordre des Prevêt des Marchands&
Echevins , un très-beau feu d'artifice . La décora--
tion repréſentoit un Temple d'Architecture Ionfque
, bâti fur une niontagne. L'édifice à l'exté
rieur étoit de forme quarrée. Deuxgroupes de colonnes
, placés de chaque côté des entrées princi
pales,portoient au-deſſus de leurs corniches l'écuffondes
armes de Monſeigneur le Duc d'Aquitaine,
auſquelles des Génies fervoientde fupports.
Les entre- colonnes étoient occupées par des Vertus
exécutées en bronze doré ,& portées fur des:
piedouches. Des Amours , qui voltigeoient autour
des colonnes, paroiffoients'empreffer d'y attacher
des guirlandes de fleurs. Au frontiſpice du grand
Portique étoit un Tableau , dans lequel on voyoit:
tous les Dieux affemblés . Le deſtin venantd'exau--
cer les voeux de la France ,la Déeſſe Iris affiſe fur
P'Arc- en- ciel , annonçoit à la terre cet heureux
événement. De pareils Tableaux ſervoient de corronnement
aux autres façades. La Gloire ,les Ver
tus & les Graces , exprimoient par leurs attitudes
lapart qu'elles prenoient à la naiſſance d'un Prins
ce, dont l'éducation alloit devenir l'objet de leurs:
foins. Dans les quatre angles de la décoration
Koient la Jeuneſſe , la Force,la Santé, laTempé
OCTOBRE. 1753. 203
vance , en bronze doré , ſur des piédeſtaux de marbre
bleu-turquin. L'intérieur du Temple étoit de
forme circulaire , & avoit pour fond un maffiforné
de pilaſtres qui ſoutenoient un entablement
furmonté par des caſſolettes de parfums. Une colonnade
entouroit le Sanctuaire. Au milieu étoit
un Autel , ſur lequel la France offroit un Sacrifice
en actions de graces. Tous les fonds de l'édifice ,
ſoit en dedans , ſoit en dehors , étoient feints de
marbre bleu-turquin ; les colonnes & les friſes , de:
marbre blanc- veiné ; les moulures des entablemens
, & les ornemens des friſes , de bronze doré
De la montagne , qui ſervoit de baſe à l'Architecture
, naiſſoient pluſieurs côteaux , dont less
plans diverſifiés , après avoir formé de grands bofquets
de verdure fur les angles , s'abaſſoient imperceptiblement
vers le milieu des façades de la
décoration. On appercevoit au centre de chaque:
boſquet un groupe de Fleuves en marbre blanc..
Les eaux qui fortoient des urnes ſur lesquels ils
étoient appuyés , ſe partageoient en differentess
caſcades pour l'embelliſſement du payſage dont:
l'édifice étoit environné. Elles alloient enſuite fe:
réunir au-devant des façades dans de riches baf--
fins , au milieu deſquels des Nayades & des Tritons
célébroient par leurs jeux & par leurs danſess
le ſujet de la fête.
L'artifice commença par une grande quantitéde
fuſées d'honneur , mêlées de fufées à quatre bran
ches , de compoſition Chinoife. A ces fufées fuc
céda une cascade de quarante pieds de haur , com
poſée auſſi en feu Chinois , & placée en facede
'Hôtel de Ville. Elle fut accompagnée de plusſſeurs
caifles. Enfuite parut danstout le pourtourt
duParc une cascade double , alternativement cot
ronnée d'arbres , de pots d'ordonnance & de potss
Ilvji
204 MERCURE DE FRANCE.
àaigrettes. Le haut de la Terraſſe dans les quatre
angles étoit garni de quatre piéces compoſéesen
feu brillant , à pluſieurs changemens. Cet effet
d'artifice fut ſuivi de trois ſoleils dans la principale
face,&dans les deux faces latérales. Celui de la
face , vis-à- vis de l'Hôtel de Ville , étoit de deux
cens rayons. Il portoit au centre les Chiffres de
Monſeigneur le Dauphin &de Madame la Dauphine.
Ces ſoleils furent accompagnés de caiſſes
&de pots d'ordonnance. Le feu fut terminé par
une guirlande de pots d'ordonnance&de fuſées
Chinoiſes. Il a été exécuté par M. Pierre Ruggieri ,
Artificier Italien .
Après l'artifice , la façade de l'Hôtel de Ville
fut illuminée , avec autant de goût que de magnificence.
Toutes les colonnes dans leur poustour
étoient garnies de lampions. Des filets de lumiere
regnoient le long des entablemens. Pluſieurs luf-.
tres , ſuſpendus par des neoeuds de gaze d'or , éclai
roient les autres parties. fronton,devant la
figure de Lutece , étoient les Armes de France en
transparent. La Place vis-à-vis de l'Hôtel de Ville
étoit entourée d'ifs ,portant chacun plus de cent
cinquante lumieres.
Au
Ily eut auſſi de magnifiques illuminations aux
Hôtels du Duc de Gevres & du Prevôt des Marchands
, ainſi qu'aux maiſons des Echevins , & des
principaux Officiers du Corps de Ville.
Des fontaines de vin coulerent dans ces differens
endroits , &dans p'uſieurs autres lieux de la
Ville , & l'on diftribua du pain& des viandes au
peuple. On avoit placé des orcheſtres par tout où
Je faifoient ces diftributions.
La cloche de l'Hôtel-de-Ville fonna en tocin ,
depuis cinq heures du matin juſqu'à minuit. Pendant
la journée,il y eut quatre ſalves d'artillerie,
OCTOBRE. 1753. 205
une à cinq heures du matin, une à midi , une pendant
leTeDeum , & la derniere avant le feu d'artifice.
Le17 , le Corps de Ville alla àl'Egliſe Paroifſialede
SaintJean en-Grêve , pour rendre àDier
ſes actions particulieres de graces , & il aſſiſta àun
Te Deum , qu'il fit chanter en muſique. L'Hôtel
de Ville , les Hôtels du Duc de Gêves &du Prevõt
des Marchands , & les maisons des Echevins
&des principaux Officiers du Corps de Ville , fu
sent de nouveau illuminés.
Le Roi alla le 16 à Trianon , & en revint le 19.
Le 20 , Sa Majesté s'eſt purgée avec des eaux , &
a continué le 21 & le 22..
Le Roi de Pologne , Due de Lorraine &deBar,
eſt arrivé le 19 de Luneville , entre fix & ſeptheu.
resdu foir. Les Compagnies des Gardes Françoiſes
& Suiſſes étoient en bataille dans la premiere Cour
du Château , & elles battirent aux champs.
Madame la Dauphine &Monseigneur le Duc
d'Aquitaine , ſe portent auſſi bien qu'on puiffe le
défirer.
Le Marquis de Biffy , Lieutenant Général des
'Armées du Roi , & ci devant Ambaſſadeur de Sa
Majesté auprès du Roi des Deux Siciles , a obtenu
du Roi la permiſſion de fe démettre du Gouvernement
des Ville & Château d'Auxonne en faveur
du Comte de Biſſy , fon neveu , BrigadierdeCavalerie
, & Enſeigne de la ſeconde Compagnie des
Mouſquetaires de la Garde de Sa Majefté.
Le Paſtel , lorſqu'il eſt employé par des mains
habiles , a tant de beauté , qu'on avoit vu longtems
avec peine que cette peinture , qui eſtune
eſpéce de crayon ,& qui ne tient aux tableaux
que par la tenuité de ſes parties , fürſujette à s'affoiblir
& à ſe dégrader par divers accidens inévita206
MERCURE DE FRANCE.
bles. DesPeintres célébres étoient enfin parvenus
àla fixer , mais ils étoient dans la néceſſité de redonner
après l'opération quelques touches dans
les clairs , pour leur rendre tout leur éclat. M.
Loriot , déja connu par pluſieurs machines d'Hydraulique
& de Statique , de ſon invention ,a
trouvé le moyen , non-feulement de fixer d'une
maniére folide toutes les parties d'un tableau en
pastel , mais encore de n'en point changer les
nuances , & de n'en point altérer la fraîcheur. Il
adéja fait l'eſſai de ſon ſecret ſur les ouvrages de
quelques-uns des plus grands Maîtres de l'art , &
tous conviennent qu'on ne pouvoit porter ce ſecret
àun plus hautdegré de perfection .
Le 20, les Actions de la Compagnie des Indes
étoient àdix- ſept cens trente- ſept livres dix ſols,
& les Billets de la ſeconde Lotterie Royale à fix
cens vingt- huit. Ceux de la premiere Lotterie
Royale n'ont point de prix fixe.
M. le Comte d'Argenſon eſt arrivé àlaFere
en Picardie, le 2 Août , a vû en arrivant le Bataillon
de Chabrié , de Royal Artillerie , lesCompagnies
de Mineurs de Douville , Châteaufer,
Gribeauval , & celle d'Ouvriers de Guille , qui
étoient en bataille ſur la Place des Cazernes : la
pluye abondante qui tomboit alors l'empêcha de
voir faire l'exercice & les évolutions à toutes ces
troupes , il fe contenta de les voir défiler devant lui
dans la cour des Cazazeerrnneess ,,& fut toutde ſuite à la
Salle des Mathématiques , oùles Officiers , Cadets
& Volontaires du Bataillon de l'Artillerie , des
Mineurs & Ouvriers démontrerent pendant trois
heures , des propoſitions ſur toutes les parties de
làGéométrie & Phyſique , les plus relatives à leur
métier. M. le-Comte d'Argenſon très- content de
OCTOBRE. 1753 . 207
Vapplication de tous les Corps , & de la façon
dont ils étoient inſtruits , en témoigna ſa fatisfaction
à M. le Pelletier , Meſtre-de- Camp , & commandant
l'Ecole de la Fere.
En fortant de là , fur les neuf heures du ſoir , il
vit tirerun Feu d'artifice que le Bataillon lui avoit
préparé, qui fit un effet admirable, qui fut précédé
par trois ſalves de mouſqueterie en feu de rempart;
le Miniſtre le regarda avec beaucoup de
complaiſance , & eut la bonté de dire qu'il n'en
avoit point vû de mieux exécuté. Un bouquet de
deux cens fufées qui terminoit l'artifice , fervit de
fignal pour illuminer les trois faces des Cazernes
&les Pavillons , par cinq cens lampions brillans
qui parurent à l'inſtant ; M. le Comte d'Agenſon
ne voulut pas ſe retirer qu'il n'eût parcouru cette
illumination , qui formoit un très-beau coup
d'oeil.
Le lendemain à fix heures du matin , il ſe rendir
au Polygone,où il trouva les troupes diſpoſéespour
Rattaque & la défenſe de la Place ; on fit d'abord
àfon arrivée jouer les fourneaux du premier étage
des mines des Aſſiégés ſous le glacis , & les Affiégeans
ſe ſervirent des entonnoirs que les mines
avoient formées pour s'y loger , & y établir une:
batterie qui fut conſtruite en moins de quatre
heures.
Il vint enfuite voir l'exercice des canons &
mortiers ; les ſalves furent très bonnes , il y eur
pluſieurs blancs emportés par le canon ,& quelques
bombes jettées au pied du but , & malgré la
pluye qui ne diſcontinuoit point pendant toutes
ces manoeuvres , le Miniſtre parcourut toutes les
piéces , & s'arrêta à chacune pour interroger les
Canonniers ſur toutes les differentes parties du canon&
de ſes agrêts , & généralement fur tout ce
quia rapport à leur métier,
L
208 MERCURE DE FRANCE.
Le tems s'étant un peu éclairci , il partit pour fe
rendre ſur la rive oppoſée de l'Oiſe , & voir jetter
deux ponts fur cette riviere. Pendant ce tems le
Bataillon ſe poſta partie en deça &partie en delà ,
pour en faire , avec la Compagnie d'Ouvriers de
Guille , la manoeuvre , ainſi que l'attaque & la
défenſe. L'opération commença parune faufle atsaque
ſur ladroite , & pendant qu'une partie des
troupes deſtinées à la défenſe , s'y porta ; on éta
blitun pont-volant , fur lequel on fit pafſferune
Compagnie de Grenadiers & deux piquets , dont
un ſe poſta à la tête du pont-volant , & l'autre
coula le long de la rive gauche avec la Compagnie
deGrenadiers , pour aller foutenir le grand pont
qui fut établi en moins d'un quart-d'heure. Toutes
lestroupes chargées de ladéfenſe ſe poſterent
alors vers les piquets & la Compagnie deGrenadiers;
mais la manoeuvre ayant été faite promptement
, le Bataillon paſſa ſur le pont avesquatre
piécesde canons ,&par un feu continuel àfonarrivée
, il força les troupes chargéesde la défenſe ,
àſe retirer.
Le Miniſtre parut auſſi ſatisfait de lapromptitude
de cette manoeuvre , que des mouvemensdes
troupes &de la vivacité de leur feu ; il rentra tout
de fuite à la ville pour dîner chez M. d'Abouille ,
Lieutenant Général , commandant l'Artillerie au
Département de Flandres , où il a logé pendant
ſon ſejour , & en partit à cinq heures pour s'en retourner
au Polygone , où l'on fit jouer les fourneaux
de mines des deux derniers étages; celui
de Châteaufer du fecond étage, fit ſauter labatterie
qu'on avoit établie de deux piéces de canon ,
dont une fut portée dans un ouvrage de la Place ,
à11 toiſes de la batterie ; & l'autre dans le follé
de cet ouvrage , à 7 toiſes. On fit jouer auffi pluOCTOBRE.
1753. 209
feurs fourneaux du ſecond étage , qui ont fait un
bon effet ; & les deux derniers du troifiéme étage ;
ſçavoir , celui de Gribeauval , de Douville &de
Châteaufer , ont formé chacun un entonnoir ; le
premier , de 18 toiſes de diametre , & l'autre de
60 ,&tous les deux de 20 à 25 pieds de profon
deur.
Ces opérations durerent juſqu'à la nuit , & le
Miniſtre en ſe retirant, donna ordre à M. de Chabrié
de tenir ſon Bataillon , avec les Compagnies
de Mineurs & Ouvriers ſous les armes , pour le
lendemain à dix heures du matin , ſur la Place des
Cazernes : il s'y rendit àl'heure indiquée pour en
faire la revue , & après avoir exactement viſité
tous les rangs , M. de Chabrié lui propoſa de voir
faire l'exercice à tous les Oficiers ſubalternes &
Cadets de ſon Bataillon , ce qui fut exécuté avec
grace &préciſion de la part de ces Meffieurs. Le
Miniſtre le vit faire enſuite àtout le Bataillon , ain
que tous les pas ſuivant la nouvelle inſtruction ,
&les évolutions à feu ; après quoi il vit défiler le
Bataillon qui ſe reforma enſuite devant lui pour
senvoyer ſes drapeaux , & rentrer après dans les
Cazernes , ſans que le Miniſtre ait voulu perdre
de vue une ſeule de ces démarches.
Il eut la bonté de témoigner ſa ſatisfaction de
tout ce qu'il avoit vû àtous les Corps , & ſurtout
àM. de Valliere , leur Inſpecteur , qui avoit dirigé
toutes ces differentes opérations ; après quoi il
pastit de là pours'en retourner àCom piégne.
210 MERCURE DEFRANCE!
LETTRE à M. le Comte de *** ,fur le
titre de Duc d'Aquitaine.
M
Onfieur , vous me faites trop d'honneur de
me confulter comme une perſonne ſçavante
dans notre Hiſtoire , & de m'inviter à faire une
Differtation fur l'Aquitaine , dont vous souhaiteriez
que j'apprifſſe au public l'étendue, les limites,
& les differentes révolutions arrivées dans cette
partie de notre Monarchie. Il ne m'en coûteroit
pour fatisfaire votre curiofité,que de copier ce qui
fe trouve imprimé dans deux ouvrages modernes.
Il ſera donc plus count , & pour vous & pour moi ,
que je me contente de vous les indiquer.
La feconde partie des Tablettes Historiques , page
219, en donne une idée qui peur ſuffire à biendes
perſonnes. Vous trouverez dans un autre ouvrage
dumêmeAuteur * , intitulé : GénéalogiesHſtoriques
de laMaiſonRoyale de France, in 4º, un détail plus
circonstancié , extrait du ſecond volume de l'Hiltoire
générale de Languedoc , par Don Vaiflette ,
fur les premiers Ducs d'Aquitaine , qui étoient de
la race de Clovis , & qui après avoir poſſedé pendant
plus de cent ans ce Duché , le premier Fief
Kéréditaire de la Couronne , en furent dépouillés
par Pepin & Charlemagne. 1
Ce volume qui réunit les avantages d'un bon
abrégé de l'Hiſtoire de France , & d'un détail Génealogique
des trois Races , eſt le ſeul ouvrage od
P'on trouve cette branche de la Race Mérovingienne
ſubdiviſée enpluſieurs autres , que l'Anteur a
expoſées d'une maniere très-claire dans des Tables
* M. de Chasot , qui demeure à l'Académie, rue
des Canettes , faubourg Saint Germain..
OCTOBRE. 1753. 211
généalogiques. La derniere , qui eſt la XXII .
page 86, eſt très-curieuſe : on y montre comment
Les trois Races Royales ſe trouvent réunies dans la
perſonne de Henri IV. de forte que l'on voit clai
rement que le nouveau Duc d'Aquitaine , dont la
naiſſance comble de joie tous les François , deſcend
des premiers Ducs de ce nom , & même de toutes
les branches formées par leur poſtérité , comme on
le démontre dans la même Table. Je ſuis , &c.
1
NAISSANCES ET MARIAGE.
Lepenier
E premier Août , la Marquiſe de Crufſol ,
Marquis de Cruffol , Miniſtre Plé
nipotentiaire du Roi auprès de l'Infant Duc de
Parme , eſt accouchée d'une fille , qui a été tenue
fur les Fonts par Monſeigneur le Dauphin &Madame
Infante , & nommée Louise-Henriette-Philippe-
Marie-Adelaide- Perette-Emanuelle.
Le 12 eſt né , & a été baptisé dans la Paroiſſe de:
Saint Roch , Marie-Louis-François , fils de Louis-
Hilaire de Boufchet , Chevalier , Comte de Sourches
, ci -devant Capitaine de Dragons au Régi--
ment de Languedoc , Chevalier de Saint Louis;,
&de Louiſe-Françoiſe le Vayer , mariée le 18 Jan--
vier 1747. Le parrein a été Louis de Bouſcher ,
Chevalier , Seigneur , Marquis de Sourches& du
Bellay , Comte de Montſoreau , &c. Lieutenant
Général des Armées du Roi ,Conſeiller d'Etar,
Prévôt de l'Hôtel du Roi , & Grand Prévôt de:
France , coufin germain du Comte de Sourches ;
la marreine Marie-Françoiſe de Catinat, épouſe de
Jean- François le Vayer , Chevalier,Conſeiller du
Roi en tous ſes Conſeils , Maître des Requêtes
ordinaire de ſon Hôtel, Seigneur desChâtelleniess
de Sable, Janſé , Bonperou , Saint- Cellerin , &c.
212 MERCURE DE FRANCE.
Nous avons eu lieu de parler de cette Maiſon
enpluſieurs occaſions. Voyez lesTablettes génea
logiques , vol. IV.page 116 , & vol. VI. page 10.
Voyez auffi fur cette Maiſon les Mercures deJuin
1746, le ſecond volume de Décembre 1747 , Juine
1748 , le ſecond volume de Décembre 1750 ,
P'Histoire des Grands Officiers de la Couronne ,
vol. IX. page 197
Le 26 , Madame la Comteſſe de Brionne accоц.
cha à Verfailles d'une Princeſſe.
Le 22 Août, Meffire Jean François- Charles de
Molette , Comte de Morangiés , Colonel du Régiment
d'Infanterie de Languedoc, épousa Marie-
Paule-Théreſe de Beauvilliers , fille de M. le Duc
de Saint Aignan,Pair de France, Chevalier des Or
dres du Roi , Lieutenant Général de ſesArmées ,
Gouverneur & Lieutenant Général pour Sa Majeſté
en ſes Provinces de Bourgogne , Breſſe , Bugey ,
Valromey & Gex , Gouverneur particulier'des
Ville & Citadelle du Havre & Pays en dépendans
des Ville & Château de Loches , Beaulieu ,Dijon ,
Saint Jean-de-Loſne , & Seurre , Grand-Bailli
d'Epée du Pays de Caux; l'un des Quarante de
P'Académie Françoiſe , & Honoraire de l'Acadé
mie Royale des Inſcriptions & Belles- Lettres , cidevantConfeiller
au Conſeil de Régence ,& Ambaſſadeur
du Roi à la Cour d'Eſpagne , enſuite auprès
du Saint Siége ; & de feue Marie-Geneviève
de Montlezun de Beſmaux. La Bénédiction nuptiale
leur a été donnée dans la Chapelle de l'Hôtel
de Saint-Aignan par l'Evêque de Meaux. Leur
Contrat de mariage avoit été ſigné le 19 du même
mois par Leurs Majeſtés & parla Famille Royale,
OCTOBRE. 1753. 21
J
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
E vous envoye , Monfieur , le calcul de l'é
clipſe du Soleil du mois d'Octobre prochain
qui a été lêû à l'Académie des Sciences , & auquel
onpeut joindre quelques additions.
,
Calcul de l'Eclipse du Soleil du 26 Octobre
1753. par M. Pingré , Chanoine Régulier
, Correspondant de l'Académie des
Sciences , de l'Académie de Rouen .
Le commencement à Paris à8heures 35 minu
tes 25 ſec. Le diametre de la Lune ſera pour lors
égal à celui du Soleil , ſçavoir de 32 min. 26fec.
La fin à .... 11 h.3 min. 29 fec . , & le diamétrede
la Lune ſurpaſſera pour lors celui du Soleil
de 7 à 8 ſecondes.
La plus grande quantité de l'Eclipſe ſerade8
doigts 53 min. & demie , c'est- à dire , qu'il y aura
àtrès peudechoſe près ,les trois quarts du Soleil
éclipſé; ce qui excéde d'environ un demi-doigt
ce qui a été annoncé dans nos Almanachs. M.
Pingré a fait le calcul ſur les Tables de M. Halley,
qu'il a rectifiées par les obſervations antérieures.
Il établit le milieu de l'Eclipse à 9 h. 46 min.
43 ſec. Le diamétre de la Lune étant alors de 4
fec. ſeulement plus grand que celui du Soleil.
Réflexions ſur les annonces que l'on fait vulgairement
aux Astronomes à l'occaſion de
cesEclipses.
Ces fortes d'annonces ou avis mériteroient bien
214MERCURE DE FRANCE.
d'être difcutés , & de ſubir en quelque façon une
critique rigoureuſe , avant que l'on expolât ceux
qui fe préparent à obſerver les Eclipſes dans le
cours de leur voyage , à faire des préparatifs fouvent
inutiles pour la fin qu'ils ſe propoſent , ſur la
foi de ces avis , lorſqu'on les a rendus publics.
Il a été publié un écrit en 1748 à Paris , & des
Cartes à Nuremberg , qui annonçoient l'Eclipſe
du mois de Juillet de cette année là , preſque centrale
& annulaire à Berlin , & aux environs d'Edimbourg
: il yavoit dans cette annonce de grandes
erreurs , car on y établiſſoit d'abord les latitudes
de ces deux Villes toutes les deux défectueuſes de
pluſieurs minutes. C'eſt pourquoi le reſte de la
differtation rouloit ſur un fondement bien peu folide
; mais ce qu'il y eut de plus fingulier dans
l'événement , c'eſt que l'une & l'autre Ville ſe
trouvât au terme de l'Eclipſe annulaire , & qu'il
auroit fallu monter près de 20 à 30 lieues plus
vers le Nord , pour voir cette Eclipſe centrale.
La même choſe , ſi l'on n'y prend pas garde ,
pourroit arriver cette année ci , s'il paroît quelqu'annonce
à l'occaſion de l'Eclipse; & nous fommes
bien fâchés que cela n'ait pas été dilcuté depuis
fix mois , afin qu'en Eſpagne on pût mieux,
reconnoître les ſituations qui conviennent à la
trace de l'Eclipse centrale , qui paſſera ſur ce
Royaume. 1
Car pour revenir aux latitudes corrigées , qui
doivent avant toutes choſes , précéder le calcul
de l'Eclipse , M. *** qui a difcuté dans des momens
de loiſir , la ſituation des principales Villes.
& Ports de la Méditerranée , nous a fait part
d'une remarque aſſez finguliere , & qui a un rap
port bien immédiat avec notre Eclipſe .
Carthagêne eſt un lieu trop connu pour qu'on
OCTOBRE. 1753. 115
oublie plus long-tems d'en inſerer la poſition dans
les Tables Géographiques. Cependant quoique ſa
Jatitude ſoit connue , on pourroit s'y tromper , &
tomber par là dans de grandes erreurs dans lecalcul
de l'Eclipſe, ainſi que M. *** l'a déja remarqué,
Car la Carte de Guillaume Deliſle donne la latitude
de Carthagêne de 37 dégrés 20 minute s; au
lieu que ſi l'on cherche à la page 93 des Obſervations
Aftronomiques , &c. du P. Feuillée Minime,
l'on y trouvera cette latitude de 16 minutes & demie
plus grande ; c'est-à-dire de 37 deg. 36 à 37,
minutes.
Je ſuis toujours étonné de trouver Carthagêne
des Indes Orientales dans les Tables Géographi
ques, & qu'on y ait oublié Carthagêne d'Europe
Aſſurément unGéographe qui annonceroit l'Eclipſe
centrale & annulaire du mois d'Octobre , ſe
donneroit , ſans doute , bien de garde de laiſſer
entreprendre à ſes amis, le calculde l'Eclipfe centrale
pour cette Ville-là avant que d'en corriger
la latitude; car ſans cela le calculateur ne tomberoit-
il pas dans une mépriſe encore plus dangereuſe
que celle dont nous avons été témoins en 1748 .
,
Errata du Mercure de Septembre.
Page 88 , ligne I , en retirant , lifez en retenanta
Page 93 , lig . 20 , queſtion , lifez opération.
Page 95 , lig. 26 , méſoraïques , lifez méféraïques.
J
APPROBATION.
'Ai lû , par ordre de Monſeigneur le Chance
lier , le volume du Mercure de France du mois
d'Octobre. A Chaſſagne , le 25 Septembre 1753 .
: LAVIROTTE,
216
PVC
TABLE.
IECES FUGITIVES en Vers & en Profes
Vers pour Mlle B **. Par L. Dutens , page 3
Vers à un Menteur , par le même ,
Réflexions ſur l'utilité des Compagnies Littéraires.
Par M. Roupnel de Chenilly ,
Corine & Athis. Poëme Pastoral , &c. 30
Differtation historique ſur le Droit & le Barreau
de Rome., 40
Vers à S. A. S. Monſeigneur le Comte de Clermont
, à l'occaſion de la fête, 62
Vers à Mile Gaudin , 63
Aſſemblée publique de l'Académie des Belles-Lettres
de la Rochelle , 64
Motsde l'Enigme & des Logogryphes du dernier
Mercure, 123
Enigme& Logogryphes , ibid,
Nouvelles Littéraires , 103
Réflexions ſur la longitude de Toulouſe , 148
Lettre de M. *** *** , au Château de Prepatour
, 151
Beaux Arts , 158
Air , 370
Spectacles, 171
Concert Spirituel , 182
Nouvelles Etrangeres , 183
France. Nouvelles de la Cour ,de Paris , &c. 189
Lettre à M. le Comte de *** ſur le titre de Duc
d'Aquitaine , 210
Naiſſances & mariage , 211
Lettre à l'Auteur du Mercure , ſur l'Eclipse de
Soleil du 26 Octobre , 213
LaChanson notée doit regarder lapage 170.
De l'Imprimerie de J. BULLOT.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÈDIÈ AU ROI.
NOVEMBRE.
IGITUT SPARGAT
1753 .
apillon
S
Chez
S
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix:
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT , Quai de Conty ,
defcente du Pont-Neuf.
à la
DUCHESNE , rue Saint Jacques,
au Temple du Goût.
M. DCC. LIII.
Avec Approbation &Privilégedu Roi.
AVIS.
'ADRESSE du Mercure est à M. MERIEN
LCommis auMercure, rue des Foffez S. Germain
PAuxerrois , au coin de celle de l'Arbre-fec , pourremettre
à M. l'AbbéRaynal.
Nous prions très -instamment ceux qui nous adrefferont
des Paquets par la Pofte, d'en affranchir le port ,
pour nous épargner le déplaisir de les rebuter ,&à eux
celu de ne pas voir paroître leurs Ouvrages .
Les Libraires des Provinces ou des Pays Etrangers ,
quisouhaiteront avoir le Mercure de France de la pre.
miere main , & plus prompiement , n'auront qu'à
écrireà l'adreſſe ci-deſſus indiquée.
On l'envoye auſſi par la Poſte, aux perſonnes de Province
qui le defirent , les frais de la pofte ne font pas
confid rables.
On avertit auſſi que ceux qui voudront qu'on le porte
chez eux àParis chaque mois , n'ont qu'àfairesçavoir
leurs intentions , leur nom & leur demeure auditſieur
Merien,Commis au Mercure, on leur portera leMercure
très - exactement , moyennant 21 livres par an , qu'il
payeront ,sçavoir , 10 liv. 10f. en recevant le ſecond
volume de Juin , & 101. 10 f. en recevant leſecond
volume de Décembre. On les supplie instamment de
donner leurs ordres pour que ces payemens foient faits
dans leur tems.
On prie auffi les personnes de Province , à qui en
envoye leMercure par la Pofte , d'étre exactes à faire
payer au Bureau du Mercure à la fin de chaquefemeftre
,fans cela on eroit hors d'état de soutenir les
avances confidérables qu'exige l'impreſſion de cer
ouvrage.
On adreſſe lamême priere aux Libraires de Province.
On trouvera le ſieur Merien chez lui , les mercredi,
vendredi& samedi de chaque semaine.
ΡΚΙΣ ΧΧX. SOLS.
MERCURE
DE FRANCE ,
1 1
DÉDIÉ AU ROI.
NOVEMBRE. 1753 .
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
VERS
Sur la naiſſance de Monseigneur le Duc
d'AQUITAINE.
:
:
Virg. Eclog. 4.
Incipe , parve puer , riſu cognofcere matrem.
4
Uel eſt , dans ce brillant ſéjour ,
Q
Le ſpectacle qui ſe déploye ?
Un nouveau Bourbon voit le jour :
La Vertu , la Gloire & l'Amour
En ont pouſſé des cris de joye.
A ij
MERCURE DEFRANCE.
:
L'Amour triomphant & charmé
Contemple ſon nouvel ouvrage :
Avec lui la Gloire partage
L'honneur de l'avoir animé :
A ſon tour la Vertu s'engage
A faire adorer d'âge en âge
L'auguſte ſang qui l'a formé ,
Et dont le plus bel héritage
Fut toujours le don d'être aimé.
Quelle Divinité nouvelle
Sourit en voyant ce berceau ?
Rubens , que n'ai-je ton pincean ;
Qu que n'avois-tu mon modéle !
Auguſte enfant , reconnoiſlez ,
A ce ſourire plein de charmes ,
A ces yeux tendrement fixés
Sur le cher objet de leurs larmes,
L'Héroïne dont vous naiffez .
En vous , de la plus belle flamme
Elle adore le nouveau fruit :
En vous , elle voit reproduit
L'Epoux qui regne dans ſon ame &
Cet Epoux tendre & fortuné ,
Cet Epoux, le plus digne Pere ,
Après celui dont il eſt né ,
Que jamais le Deftin profpere
Au plus heureux Fils ait donné.
:
NOVEMBRE. 1753. 5
FRANCE , le tendre amour de Mere ,
N'eſt pas dans ce moment flatteur ,
Le ſeul intérêt de ſon coeur :
Dans fon Fils elle voit ton Pere.
Aini les Palmiers amoureux
Dont l'Inde embellit ſon rivage ,
Etendent leur riche feuillage ,
Et ſe coaronnent moins pour eux ,
Que pour les habitans heureux
Qui repoſent ſous leur ombrage.
Déja ces deux Aſtres nouveaux
Qui viennent d'ouvrit leur carriere ,
Des premiers traits de leur lumiere
Semblent foudroyer nos rivaux,
La paix ſe faitde leurs berceaux
Une impénétrable barriere :
La Diſcorde éteint ſes flambeaux,
Et fuit cette vaſte Frontiere ,
Comme on voit du milieu des eaux
Les vents retourner en arriere
Au figne brillant des Jumeaux.
Tige des Lys , d'où ſont éclos
Les gages du bonheur du monde ,
Aſſure à jamais ſon repos.
On ne peut être affez féconde ,
Lorſqu'on enfante des Héros.
ParM. Marmontel.
Aiij
6 MERCURE DE FRANCE..
DISSERTATION
Sur la Devise du Roi Louis XII.
Rantôme & après lui le Pere Daniel
B
nous diſentque Louis XII. avoit pour
deviſe un Porc épi , avec ces paroles cominus
& eminus ; mais il ne nous apprennent
point quelle en étoit l'origine. Ils ſemblent
feulement vouloir infinuer que ce Prince
l'avoit choiſie , & l'avoit compoſée luimême
; au lieu qu'ils auroient dû nous
dire que c'étoit la deviſe d'un Ordre de
Chevalerie dont les Ducs d'Orléans
étoient les Chefs , & qui avoir été inſtitué
plus de cent ans avant que Louis XII.
parvint à la Couronne.
د
Ce fut en effet Louis d'Orléans , frere
du Roi Charles VI , qui en 1393 , à l'ocfion
de la naiſſance de Charles d'Orléans
fon fils & fon ſucceſſeur , inſtitua cet Ordre
, qui fut appellé l'Ordre du Porcépi
, ou du Camail , ou d'Orléans. Car
on lui donnoit également ces trois noms.
Quelques Auteurs doutent de cette époque&
de cetre ancienneté de l'Ordre d'Orléans
, entr'autres M. Gueret , Doyen Préfident
de la Chambre des Comptes de
NOVEMBRE. 1753 .
Blois , qui inféra dans le Journal de Trévoux
du mois d'Août 1725 , trois Problêmes
hiſtoriques ſur cet Ordre. Le premier
, pour prouver qu'il s'appelloit uniquement
l'Ordre du Camail ; l'autre ,
pour prouver qu'il tiroit ſon étymologie
de Cap maille , à cauſe que le camail ou
colier de cet Ordre étoit une eſpéce
d'hauffe-col , ou un manteau , ou Capmaillé
, comme le reſte des armures des
Chevaliers ; le troiſieme , pour prouver
que l'inſtitution de cet Ordre ne remontoit
pas plus haut que l'an 1435
Lesdeux premiers points font aſſez indifférens
, mais les preuves qu'allégue cet
Auteur pour appuyer for ſentiment fur le
troiſieme , qui concerne le tems de l'inftitution
de l'Ordre , ne ſont rien moins
que déciſives . Il ne s'en trouve rien , dit- il ,
dans la Chambre des Comptes de Blois , qui
conſerve les titres , &c . concernant la maison
d'Orléans , depuis 1191 jusqu'en 1498 ; &
les premieres listes de Chevaliers qu'on y trouve
nefont que de l'an 1435 &ſuivans.
J
Mais M. Gueret ne fait pas attention
que ſi cette preuve avoit quelque force
contre l'époque que je propoſe , elle détruiroit
également celle qu'il a lui-même
adoptée : le titre de l'inſtitution de l'Ordre
ne ſe trouvant pas plus à la Chambre des
Aiiij
• MERCURE DE FRANCE:
Compres de Blois ſous l'année 1435 que
ſous l'an 1393 , ou bien il faudroit en
conclure abſolument que cet Ordre n'a
jamais exiſté ; ce que M. Gueret ne voudroit
pas , puiſqu'il en trouve des traces
évidentes dans ce même dépôt , où il ne
trouve point le titre de ſon inſtitution. II
faut donc plutôt en induire , ou que ce
titre s'eſt perdu par le laps de tems , ou
que l'Ordre a été établi ſans qu'il ait été
dreffé des Lettres de ſon inſtitution. Ce
qui ne paroîtra pas étonnant , lorſque l'on
Içaura que l'Ordre de la Toiſon d'or , auquel
celui- ci a fervi de modéle , a été pareillement
établi ſans l'appareil d'aucunes
Lettres Patentes , comme l'aſſure Monſtrelet,
ſous l'an de ſa Chronique 1429 .
Il ne faut , au reſte , que conſulter Mrs
'de Sainte- Marthe & Favin pour y trouver
de bonnes preuves de l'inſtitution de cette
Chevalerie en 1393 ; & Favin en particulier
nous aſſure qu'il a vû une Chronique
Françoiſe manufcrite , compoſée par
un héraut d'Orléans , avec cet air de fimplicité
qui n'annonce point le deſſeind'en
impoſer , qui rend compte de la maniere
dont elle fut inftituée , & du motif qui
engagea le Duc d'Orléans à l'établir .
Ce fut dans l'intention de ce Prince
pour s'attacher de braves Chevaliers , &
L
NOVEMBRE. 1753 . 2
ſe rendre redoutable au Duc de Bourgogne
, avec qui il étoit dans une guerre
perpétuelle. L'inſtitution de l'Ordre dans
Ia circonſtance de la naiſſance d'un héritier
, & par conféquent d'un défenſeur de
la maiſon d-Orléans , tendoit à montrer
qu'il ne redoutoit plus l'inimitié de fon
oncle , & que de près & de loin il ſeroit
déſormais en état de combattre & d'attaquer
; ce qu'exprimoit le ſymbole qu'il
avoit choifi , & les paroles qu'il avoit
données pour deviſe : cominus & eminus.
Une preuve bien certaine que cet Ordre
étoit du moins établi du vivant de Louis
premier Duc d'Orléans , & par conféquent
avant 1435 , c'eſt qu'en 1406 nous voyons
dans l'Hiſtoite de Charles VI , traduite
par le Laboureur , que ſept Chevaliers du
Duc d'Orléans demanderent la permiffion
de ſe battre pour la gloire de la Nation
contre un pareil nombre de Chevaliers
Anglois .
La Chronique de des Urſins nous ap
prend encore qu'en 1407 , le Dimanche
20 Novembre , trois jours avant l'affaffinat
de l'infortuné Duc d'Orléans , ce Prince
& le Duc de Bourgogne ſe réconcilierent
par l'entremiſe du Duc de Berry ,
qu'ils entendirent enſemble la Meffe , où
als communierent , qu'il y eut enfuite un
Av
TO MERCURE DE FRANCE.
grand dîner à l'Hôtel de Nefle , après lequel
le Duc d'Orléans préſenta le colier de
fon Ordre au Duc de Bourgogne , qui le
reçut en ſigne de réconciliation .
Enfin , pour fixer avec M. Gueret , l'inftitution
de l'Ordre d'Orléans à l'an 1435 ,
il faudroit néceſſairement l'attribuer à
Charles d'Orléans , qui pour lors étoit en
Angleterre , où il étoit détenu prifonnier
depuis la battaille d'Azincourt , perdue
par les François en 1415. Or à quel propos
ce Prince eût- il penfé, dans la vingtiéme
année de ſa priſon , à établir un Ordre
de Chevalerie ? l'auroit- il pû même dans
l'état & dans le pays où il ſe trouvoit ? au
lieu que l'occaſion dont parle Favin , que
je viens de citer , a par elle même quelque
chofe de frappant , eu égard aux circonftances
dans leſquelles ſe trouvoit alors la
maiſon d'Orléans ; & fi nous avons des
liſtes de Chevaliers reçus en 1435 & dans
les années ſuivantes, on peut bien en conclure
que Charles , quoique prifonnier ,
ait rempli les places vacantes de l'Ordre ,
mais non pas qu'il l'ait inſtitué , ſur tout
après les preuves que nous venons de donner
du contraire.
Quoiqu'il en ſoit , voici comment cet
Ordre étoit compoſé. Il étoit de vingtquatre
Chevaliers , non compris le Grand
NOVEMBRE. 1753. TF
6
Maître qui étoit le Duc d'Orléans , & ce
nombre fut augmenté dans la fuite. Chaque
Chevalier étoit tenu de faire preuve
de quatre races de nobleſſe. L'Ordre de la
Toiſon d'or inftitué par Philippe le Bon
Duc de Bourgogne , fur le modèle de ce
lui-ci , étoit composé pareillement de
vingt- quatre Chevaliers ; il exigeoit les
mêmes conditions pour la nobleſſe , & le
Prince avoit pareillement déclaré que le
nombre des Chevaliers pourroit être aug
menté , quand les conjonctures l'exigeroient.
Les Chevaliers d'Orléans portoient , fe
Ion Sainte-Marthe , le manteau violet de
velours , le mantelet d'hermine , & par
deſſus des chaînes d'or , au boutdeſquelles
pendoit un Porc-épi d'or fur une terraffe.
Chaque Chevalier faiſoit ferment au
Ducd'Orléans lors de fa réception : ce qui
fe prouve par les Lettres Patentes de Charles
d'Orléans , datées de S. Omer en 1440 ,
P'année de ſon retour. Elles autorifent
Henri de Villeblanche , grand Officier de
la maiſon d'Orléans , à recevoir le ferment
d'onze Chevaliers Bretons qui y font
nommés ,&que le Duc faiſoit Chevaliers
de fon Ordre. Quant à la teneur du fer
ment , nous l'ignorons encore ; & il feroit
à ſouhaiter que l'on pût en trouver la fort .
Avj
12 MERCURE DE FRANCE .
mule dans les Archives de la Chambre des
Compres de Blois. Au reſte , il eſt naturel
de préſumer que ce ſerment ſe rapportoit à
l'intention du Prince , inftituteur de l'Ordre
, & qu'il avoit pour but la défenſe &
l'honneur de la maiſon d'Orléans .
Ce qu'il y a de ſingulier , c'eſt que cet
Ordre avoit auſſi des Chevalieres , comme
il paroît par une liſte tirée de la Chambre
des Comptes de Blois , elle eſt du huit
Mars 1438 ; on y trouve nommés vingtcinq
Chevaliers ou Chevalieres. Mlledu
Murat & la Dame épouſe de Poton de Saintraille
étoient de ce nombre.
Louis XII . ſuccéda à fon pere & à fon
ayeul dans les fonctions de Chef de l'Ordre
d'Orléans. Il en donna des Lettres aux.
Cottereaux en 1498 , peu de tems avant
que de monter ſur le Trône. Mais dès
qu'il y fur affis , il l'abandonna pour celui
de S. Michel qui étoit encore dans tout
l'éclat de ſa nouveauté . Ce Prince netint
ſeulement le ſymbole & la deviſe de l'Ordre
qu'il ſupprima. Il appliqua au Royaume
ce qui avoit d'abord été imaginé pour
ſamaifon .
Il eſt donc évident que Brantôme &
ceux qui ont écrit d'après lui n'ontpas rencontré
juſte , quand ils ont voulu nous
donner à entendre que Louis XII . avoit
.NOVEMBRE.
1755. rp
été l'inventeur de la deviſe ſymbolique
qu'il a portée ; puiſqu'au contraire , ce fut
ce Prince qui éteignit l'Ordre de Chevalerie
auquel cette deviſe avoit été affectée, &
auquel elle devoit ſon origine. M. Gueret
n'a pas été plus heureux , en nous donnant
pour époque de l'inſtitution de l'Ordre
d'Orléans l'an 143.5 , au lieu de 1393 ,
qui eſt le vrai tems de ſa naiſſance.
Par feu M. Chesneau , Membre de la
Société Littéraire d'Orléans.
EGLOGUE
SUR la naiſſance de Monseigneur le Duc
d'Aquitaine , préſentée à Monseigneur le
Dauphin.
TIRCIS , ANNETTE. ::
ANNETTE. Elle estuninſtant ſuppoſéeſeule.
DAns ce verger déſert je devance l'Aurore
Pour implorer vos dons, Dieux puiſſans que j'a
dore!
Lebonheur de nos champs fut toujours aſſuré
Lorſque ſur les leçons d'un Paſteur révéré
Nous vîmes ſe former les bergers du village ,
Et, ſous lui de nos moeurs , faire l'apprentuflages
14 MERCURE DE FRANCE.
Louisdans ſes Etats eſt ce Paſteur vanté;
De ſes nombreux enfans modéle reſpecté ,
Il les formera tous aux vertus- les plus cheres :
En lui donnant des fils,vous nous donnez des peres
Aſſurez donc en eux le deſtin qu'il nous fait ,
Grands Dieux ! d'un Prince encor j'implore le
bienfait.
Qu'il naiſſe ! & c'en eſt fait , quoique pauvre ber
gére ,
Réduite par état au ſimple néceſſaire,
N'importe... j'y confens , & mon coeur l'a juré..
Un agneau m'est bien cher... je vous l'immolerai.
: TIRCIS .
Ah! rempliſſez vos voeux , ce Prince vient de nat
tre.
ANNETTE .
Tircis! .... d'un vain eſpoir vous me flatezpeut
être ! ...
Mais non ! trop de gaîté garantit vos diſcours !
TIRCIS.
Je ſuivois ce ruiſſeau dont le tranquille cours
En deux bras diviſé traverſe les prairies ,
Où nos mains au Printems cueillent des fleurs ché
ries;
Quand Coridon accourt d'un myrthe couronné,
Criant : Vive la France ! un Prince nous est né.
• Da fils de notre Roi l'Epouſe aimable & chere ,
• Eft d'un Prince nouveau la glorieuſe mere.
:
NOVEMBRE . 1753 . rf
>>Pour nous en rejouir j'aſſemble le hameau ;
>>>>Berger ,nous t'attendons avec ton chalumeau.
- Letendre Céladon y doit conduire Amynthe :
>>>On nouspromet auſſi le vieux Pasteur Philynte .
ANNETTE .
Nous les verrons , Tircis: jamais un jour plus
beau
Aux champêtres plaiſirs n'invita le hameau.
Ce qu'eſt à la brébis l'herbe qui vient d'éclore ,
Ala fleur de nos champs les larmes de l'Aurore ,
Ces deux enfans le ſont aux peuples enchantés ::
C'eſt à notre Soleil des rayons ajoutés ..
TIRCIS.
Si nos bergers jamais ont lû dans la Nature ;
De leurs talens divins ſi j'ai quelque teinture ,
De ce préſent des Cieux j'avois d'heureux ſoups
çons.
Hier , au jour naiſſant , un aigle & trois aiglons
En groupe réunis aux environs planerent ;
Sur la plus haute tour trois fois ils repoferent.
D'innombrables oiſeaux , accourus de nos bois,
Reſpectueux , ravis à l'aſpect de leurs Rois,
Firent de leur concert retentir le bocage.
Delongs battemens d'aîte honorant leur hommage
Ces aigles paroiffoient émus , reconnoiſſans.
Ils alloient , revenoient , empreflés , careſſans
Oquede chants nouveaux leur préſence fit naître
Que les Rois font aimés quand ils défirent l'être..
16 MERCURE DEFRANCE.
ANNETTE .
Je forme ici peut- être , un étrange ſouhait ;
Amon état privé fidéle par attrait ,
Je voudrois cependant de nos champs éloignée ,
Ala Cour de Louis paſſer quelque journée.
Ne vous allarmez point , & vertueux Tircis !
Je n'y chercherois pas ces ſuperbes lambris ,
Ces danſes , ces feſtins , ces plaifus magnifiques.
Que pour notre bonheur , ſous nosréduits ruftiques,
Notre ſimplicité veut que nous ignorions ,
La paix habite- t'elle avec les paffions!
Je n'y chercherois pas fille ſans modeſtie ,
Ces jardins où , dit- on , avec art traveſtie
Des femmes quelquefois l'importune laideur,
N'achete des attraits qu'au prix de la pudeur.
Une propreté ſimple , un vêtementde burre ,
Une fleur de nos champs , faut- il d'autre parure ? ...
Jechercherois Louis dans un moment ſi beau
Louis & fon Dauphin entourant un berceau.
Quels font là leurs tranſports, & que doivent- ils
dire?
Oquel heureux berger , habile às'introduire ,
De tout ce qu'on y voit ſe rendoit ſpectateur !
TIRCIS.
'Annette , à cet emploi m' nommé dans ſon coeur!
Mes voeux ſont prévenus. Loin de ces lieuxchampêtres
1
NOVEMBRE. 1753 . 17
Demain , dans leur palais j'adınirerai nos Maîtres
Que Tircis ne peut-il vous y voir avec lui !
Mais d'un pere caduc , unique & cher appui ,
Lui dérober en vous l'objet de ſa tendreſſe ,
Ce ſeroit au tombeau conduire ſa vieilleſſe .
J'irai ſeul; mais du moins j'irai pour tous les deux ;
Mon coeur y confondra mon hommage & vos
voeux...
Je puis plus. Mes ayeux m'ont tranfmis la hour
lette ,
Dont Apollon fit choix , lorſque du Prince Admete
On prétend que ce Dieu conduiſoit les troupeaux.
Je puis y joindre encor deux rares chalumeaux ,
Par qui , fur nos bergers , j'eus trois fois la victoire
Quand de Louis vainqueur nous exaltions la gloire
?
Anos Princes Enfans j'irai les préſenter.
NNETTE.
Que dites- vous , Tircis , oſez- vous vous flater,
Que de vos dons obſcurs on recevra l'hommage ?
Ah ! lorſqu'àvos regards s'offrira l'étalage
Des ſuperbes rubis , des métaux précieux ,
Confus ,déconcerté , vous baiſſerez les yeux.
TIR CIS .
Non , non : ma pauvreté n'a rien qui m'épou
vante ; -F
Tout hommage a ſon prix , quand le coeur le préſente.
18 MERCURE DEFRANCE.
1
Ces tréſors dont ici nous ferions éblouis ,
Annette , ne font pas le bonheur de Louis.
Chéris de ſes ſujets, leurs coeurs font ſes richeſſes
Des heureux contre moi , que prouvent les largeffes
?
Pour être mieux reçus aiment ils plus que moi ?
ANNETTE.
Vous m'inſpirez , Tircis , l'eſpoir que je vous voi.
Ecoutez : j'élevois deux jeunes tourterelles
D'une tendre union intéreſſans modéles ,
De ces époux chéris , c'eſt le ſymbole heureux.
Portez-leur.... Puiffiez-vous de retour en ces
lieux
De vos brillans ſuccès étonner nos bergeres !
Je me charge du ſoin de conduire aux fougeres
Vos troupeaux & les miens enſemble confondus .
Mais déja du Soleil les rayons étendus ,
Nous font de ſa chaleur fentir la violence ,
De la fêre au hameau l'heureux inftant s'avance:
Allons la célébrer , & par vos mains , Tircis ,
Sacrifier l'agneau que mes voeux ont promis.
Dupainde Friel.
2
NOVEMBRE. 1753 . 19
SUITE de la Differtation ſur le Droit
Ole Barreau de Rome.
Près avoir parlé de l'origine &du
A engi il reſte
à donner une idée légére des Avocats &
du Barreau de Rome.
Dans les premiers tems , les Avocats
n'avoient aucune connoiſſance du Droit.
Ils étoient de ſimples parens ou amis qui
de l'affaire d'un client faiſoient la leur propre
, & la follicitoient. Ils afſfembloient
tun grand concours de Citoyens par leurs
acclamations ou par leurs pleurs ; arrivés
au lieu où le jugement devoit ſe rendre ,
ils tâchoient de toucher les Juges par ce
concours , voilà ce qu'on nommoit advocation
du mot advocare.
Les Avocats étoient d'abord de vrais
Supplians , le cortége qui les accompagnoit
influoit beaucoup ſur le ſuccès de la conreſtation.
Céſar , au Livre premier de ſes
Commentaires , parle d'un certain Vigetorix
, qui le jour que ſa cauſe devoit ſe
plaider , vint à l'audience ſuivi de ſa famille
, compoſée de près de dix mille hommes
, de ſes débiteurs en plus grand nombre
,&par ce moyen ſe tira d'affaire.
20 MERCURE DE FRANCE.
A ces premiers Avocats ſuccéderent les
Cogniteurs , fur quoi on peut voir Alciat
Parergon , Juris lib. 2. cap. 5. Ils étoient
habiles dans la Science du Droit , & parurent
lorſque Cneius Flavius eut publié le
Livre des Actions Appiennes , & les formulesdans
leſquelles elles étoient conçues.
Inſtruits des uſages du Barreau , ils confultoient
& aidoient les plaideurs , non par
leur ſimple préſence , ainſi que les Avocats
dont on vient de parler , mais par leurs
lumieres.
On vit en même tems des Cogniteurs
fubalternes , nommés Formulaires ou Praticiens
: ils s'occupoient uniquement de
l'ordre de la procédure , ils n'entendoient
ni la loi ni ſon eſprit , ils dreſſoient les libelles
, & conduiſoient l'inſtruction des
procès , ils ne portoient point la parole.
Cet avantage étoit réſervé aux Cogniteurs
de la premiere eſpéce qu'on nomma
Patrons , il n'étoit pas permis à ceux- ci
de s'étendre autant qu'ils le jugeoient à
propos , ils ſe reſſerroient ſelon les Clepsidres
, qui leur étoient donnés par les Juges,
&dont l'uſage venoit des Grecs.
LaClepfidre fut inventée par Clebibias :
c'étoit une machine hydraulique , ou une
eſpéce d'horloge d'eau , compoſée d'une
double phiole ; l'eau tomboit goute à goute
NOVEMBRE. 1753 . 21
de lapremiere qui étoit remplie , dans la
ſeconde qui étoit vuide ; le tems de l'écoulement
marquoit à l'Orateur celui dans
lequel il devoit finir ſes diſcours , les Juges
diſtribuoient des Clepſidres plus ou
moins grandes , ſelon la nature de l'affaire
qui étoit àdiſcuter ; on obſervoit néanmoins
que l'accuſé eût pour ſe juſtifier une
moitié de tems plus que l'accuſateur pour
le convaincre : cette difference équitable
fut introduite par Cneius Pompeius.
Derriere les Patrons étoient des Moniteurs
: ils avoient attention de réprimer les
faillies de l'Avocat lorſqu'il s'échauffoit
trop. Ils lui rappelloient auſſi les circonf
tances qu'il avoit omiſes.
Ces Moniteurs differoient peu des Gardiens
, nommés Cuftodes , dont l'office principal
conſiſtoit à tenir les boëtes ou lesfacs
dans leſquels les pièces du procès étoient
enfermées ; leur office avoit lieu ſur tout
pour les matieres criminelles , afin d'empêcher
la colluſion entre l'accuſateur &
l'accufé.
Dans les cauſes importantes , au lieu de
Patrons ordinaires , on avoit recours aux
Orateurs. Ceux- ci avoient rarement une
étude foncée du Droit, mais ils étoient éloquens
, leur ſtyle plus concis& plus châtié
que celui des ſimples Avocats , ils mon
:
22 MERCUREDEFRANCE .
toient quelquefois dans la Tribune , ils
haranguoient le Peuple& le Sénat , ce que
les Cogniteurs même du premier ordre ne
pouvoient faire.
On voit dans l'Hiſtoire que les Confuls,
les plus célébres Magiſtrats , les plus illuftresd'entre
les Patriciens , ſe faiſoient une
gloire d'exercer les fonctions d'Orateurs ,
tels furent Hortenfius ,Ciceron , Antoine,
Pline le jeune , & néanmoins il devoit
paroître indécent que ceux qui impofoient
Alence aux autres fuſſent ſujets à l'horloge
d'eau.
Dans le commencement les honoraires
des Avocats n'étoient pas fixés , l'Empereur
Claude fut le premier qui leur mit
des bornes. Il défendit de prendre au delà
de dix ſeſterces pour une cauſe , ce qui
revient à deux cens cinquante écus de notre
monnoye.
Le nombre des Avocats étoit réglé , &
non pas arbitraire comme parmi nous , ils
étoient exempts de ſubſides & autres charges
ſemblables : on appelloit ceux qui
avoient atteint la vétérance , du nom de
Comtes & de Clariffimes , qualité rare &
qui n'étoit même pas accordée à ceux qui
avoient ſervi vingt ans dans la guerre ; ils
avoient le pas fur les Chevaliers , on mettoit
des palmes devant leur maison , pour
NOVEMBRE. 1753 . 23
marquer que l'honneur étoit l'ame & l'objetde
leur profeſſion.
Non-feulement les Avocats parloient
debout , mais ils n'avoient point de barre
devant eux qui leur cachât la moitié du
corps. Avoient- ils fini ? pour peu que leur
diſcours eût eu de ſuccès , l'auditoire prodiguoit
fes éloges à voix haute , les Juges
eux mêmes ſe levoient ſouvent de deſſus
leurs fiéges &joignoient leurs acclamations
àcelles du public.
Si à Rome , les Avocats acquirent une
plus grande réputation que chez nous ,
cela vient moinsde la difference des talens,
quede la maniere d'étudier & de la nature
des cauſes.
Apeine un jeune homme qu'on deſtinoit
au Barrean, avoit-il atteint ſadix-feptiéme
année , qu'il y étoit préſenté en
pompe par les perſonnes de la premiere
diftinction ; on lui donnoit la robe virile ,
on le confioit à un Avocat célébre qu'il ne
quittoit preſque pas , qu'il voyoit préparer
, avec lequel il ſe formoit& qu'il prenoit
pour modéle.
Les cauſes étoient chez les Romains
beaucoup plus ſolemnelles que les nôtres
&plus ſuivies. Tantôt c'étoient des Gouverneurs
qui rendoient compte de leur
adminiſtration en public , & qu'on ac
24 MERCURE DE FRANCE.
cuſoit de'péculat , tantôt c'étoient des Provinces,
dont les Avocats étoient Protecteurs
& dont ils défendoient les intérêts ; ils
parloient ſouvent pour les Rois ou contre
cux.
Il y avoit cependant beaucoup moins
de jours pour vacquer à la diſcuſſion des
procès que parmi nous. De même qu'à
l'armée on distinguoit les jours de repos ,
dies juſti , de ceux appellés praliares ; ainſi
au Barreau ils étoient diviſés en jours de
filence, jours de parole ,jours intercis , nefastos
, faſtos , interciſos.
On regardoit les jours néfaſtes comme
privilégiés , le Préteur avoit alors la bouche
fermée. Ils ne pouvoit connoître d'aucun
differend. Tels étoient les jours religieux
ou de triomphe , ceux des jeux facrés
, de la naiſſance des Empereurs , &c .
Quant aux jours faſtes , il y en avoit de
pluſieurs eſpéces , ceux des Comices , Comitiales
; ceux des Foires , Naudina ( depuis
la Loi Hortensia ) car auparavant ils étoient
ſacrés ; ceux deſtinés àjuger les caufes des
Etrangers , des ſtati ; ceux des délais d'affignation
, comperendini ; ceux où le Sénat
avoit coûtume de s'affembler , ſçavoir , les
Calendes& les Ides , dies legitimi ; les jours
faſtes & néfaſtes ſe prenoient depuis le lever
du Soleil juſqu'au coucher.
Il
NOVEMBRE. 1753 .
25
Il n'en étoit pas de même des intercis,
fis étoient tronqués & imparfaits , partagés
entre les devoirs du culte & le ſoin des
affaires temporelles , on ne jugeoit ces
jours là ni le matin , ni le foir , mais dans
l'intervalle de l'un à l'autre , & entre les
facrifices , inter hoftiam caufam.
,
Telles étoient les Feries des Romains :
quant au lieu où ils rendoient la juſtice ,
ce fut d'abord dans le Forum , c'eſt à-dire
dans l'endroit où les Curies s'aſſembloient.
Ce Forum n'étoit pas couvert. En plaidant
fub dio , les Romains ſuivirent l'uſage de
la Gréce .
On distingua dans la ſuite les cauſesparticulieres
des publiques : comme les premieres
intéreſſoient plus de perſonnes ,
on crut que pour les traiter il ſeroit plus
commode de conſtruire un édifice , qu'on
appella Bafilique ; on continua d'agiter les
ſecondes dans les lieux des Comices, auprès
de la Tribune aux Harangues. Il faut remarquer
que ces dernieres étoient ou de
fait ou de droit , celles de fait fe jugeoient
fur le rapport d'un Tribun , celles de droit.
étoient du Reffort des Centuries , c'est-àdire
, des Juges des Décuries , tellement
que les cauſes privées devinrent Bafilicanes,
les autres reſterent fubdiales.
Il arriva ſouvent que pour être plaidées
B
26 MERCURE DE FRANCE.
dans l'Aire nuë , les cauſes publiques furent
très- mal jugées , ou ne le furent point du
tout ; on lit par exemple dans Valére-
Maxime , que Lucius Seſo obtint ſon renvoi
de la maniere qui ſuit : il tomba une
pluie violente, Lucius Piſo profita de cette
circonstance , il ſe proſterna aux piedsdes
Juges , il fe couvrit le viſage de boue , &
par ce moyen ramena les eſprits à la clémence;
felon le même Auteur , Appius
Claudius plaidoit en ſon nom lorſqu'ilfurvint
un orage , les Juges extrêmement
incommodés de la pluie leverent la Séance ,
crurent que les Dieux s'intéreſſoient à la
cauſe d'Appius , &n'oferent le faire recommencer.
Cependant le Peuple ſe contenta de cet
ancien Forum , juſqu'à ce que Jules-Céfar
en eût fait conſtruire un autre qui coûta
des frais immenfes , &dont on peut voir la
deſcription dans Vitruve , Livres. Les af.
faires s'étant multipliées avec le nombre
des Citoyens , Auguſte en fit élever un
troifiéme qui fut très-orné ; il y en eut un
quatrième , commencé par Domitien &
achevé par Nerva Céſar , mais le plus richede
tous fut celui de l'Empereur Trajan ;
on y voyoit une colonne de cent quarante
coudées, où étoient gravées les principales
actions de ſa vie ,ce fut au faîte de cette
NOVEMBRE. 1753 . 27
colonne que les cendres de cet Empereur
furent.conſervées ; Dion Caffius aſſure que
l'Architecte de ce ſuperbe édifice fut le célébre
Appollodore.
Nous avons vû plus haut que la connoiſſance
des cauſes privées appartenoient
au Préteur , excluſivement àtous autres;
dans les affaires ordinaires on lui demandoit
par un libelle , la permiſſion de citer
pardevant lui le défendeur , l'affignation
ſe donnoit par la partie même , le Créancier
alloit trouver ſon Débiteur , & en
préſence de deux témoins , il le ſommoit
de venir devant le Juge.
Il tiroit l'oreille aux témoins pour qu'ils
ſe reſſouvinſſent de l'aſſignation donnée ,
de là aurem vellere aurectari ; ſi le défendeur
n'étoit pas d'humeur àvenir ſur le
champ , ou à promettre de comparoître ,
il étoit permis de l'amener par force ; fi
au contraire il venoit ou promettoit de
venir, dicebatur radimonio adſtrictus , les délais
des aſſignations étoient de trois jours .
L'affaire étoit- elle purement de fait ? le
Préteur déléguoit des Juges pour en connoître;
étoit-elle de droit ? il la jugeoit
par lui - même avec ſes Centumvirs , ou il
leur en renvoyoit la déciſion .
Les Centumvirs étoient les Aſſeſſeurs
du Préteur. On en nommoit trois par Tri-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
bu , c'est-à-dire , que quand le Peuple fot
partagé en trente- cinq Tribus , il y avoit
cent cinq Centumvirs. Leur nombre augmenta
dans la ſuite juſqu'à cent quatrevingt.
Ils furent divités en quatre Tribunaux
ou Conſeils. Dans chacun ils avoient
un javelot . On les appelloit Judices ordi.
narii.
Quant aux Juges délégués , c'étoient de
fimples Commiſſaires. Ilsn'avoient pas un
pouvoir étendu , tel que celui desCen.
tumvirs. Ils étoient adftraints à ſuivre la
formule qui leur étoit donnée. Par exem
ple , on les chargeoit d'examiner fi Quintius
avoit contrevenu à tel Edit du Préteur,
Ils n'avoient qu'une connoiſſance de fait.
Leur jugement étoit un rapport. Ils décidoient
conformément à la formule qui leur
avoit été preſcrite , & ne ſtatuoient rien
au fonds. Si pareat Q. dare opportere , &c .
Dans les affaires criminelles il y avoit
toujours un accuſateur& un accuſé. Le libelle
d'accuſation ſe dépoſoit au tréſor public.
Il y reſtoit juſqu'à ce que l'abolition
cût ſuivi. Les récompenfes desdélateurs
victorieux étoient marquées par la loi Pa--
pia. Quelquefois elles étoient arbitraires .
On trouve pluſieurs titres dans le Droit
contre ceux qui calomnioient , tergiver.
foient , ou s'entendoient avec l'accufé,
NOVEMBRE. 1753 . 29
Du jour de l'accuſation , l'accuſé donnoit
un ſurveillant à ſa partie adverſe ,
crainte que celui- ci ne pratiquât contre
Fui des manoeuvres défendues , & n'eûr
recours à de dangereux fubterfuges. L'accuſateur
faifoit placer fon ſiége dans l'endroit
du Forum qui lui paroiſſoit le plus
commode.
En matiere criminelle , le délai de la ci
ration au jugement étoit au moins detrente
jours , c'est- à- dire , qu'il falloit qu'il y
eût trois marchés trinundinum , entre l'af
Agnation& la Sentence. Ciceron ſe plaint
amérement de ce que cette formalité ne fut
point obſervée lorſqu'on le condamnaà
Fexil.
Après le troiſtéme marché l'accuſé paroiffoit
devant le Préteur. L'accuſateur expliquoit
en peu de mots le ſujet de la
plainte. V. G. Aioteſiculos ſpoliaffe. Alors
de deux choſes l'une , ou l'accuſé nioit
ou il gardoit le filence , & ne diſconve
noit point.
Au premier cas on accordoit du tems
pour adminiſtrer des témoins , pour acquérir
des preuves , fournir des reproches &
des exceptions.
An ſecond cas , on régloit ſur le champ
les dommages & intérêts réſultans ,à ceux
qui avoient fouffertdudélit. Lis eftimaba
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
zur ,& on prononçoit fur la peine corporelle
s'il y avoit lieu .
Quant aux crimes publics, le Préteur
convoquoit divers particuliers de chaque
Décurie pour avoir un nombre ſuffisant
de fuffrages , on écrivoit ſur des billets les
noms de tous les convoqués ; on remuoit
ces billets dans une urne , on en tiroitjuſ.
qu'à ce qu'on cût le nombre que demandoit
l'importance de la cauſe , ce nombre
étoit ordinairement de ſoixante-quinze.
L'accuſateur & l'accuſé pouvoient reprocher
ceux qui étoient de mauvaiſes moeurs
& qu'ils croyoient ſuſpects. Alors on tiroit
d'autres billets du ſcrutin , pour remplacer
les Juges qui au moyen de la récufation
n'avoient plusde voix.
On donnoit à ceux qui devoient juger
trois tablettes , fur l'une étoit la lettreA ,
ſignifiant le renvoi de l'accuſé , Absolvatur
; fur l'autre les lettres V. P. qui
marquoient que l'affaire n'étoit pas ſuffifamment
inſtruite , non liquet ; ſur la troifiéme
étoit un C, figne de la condamnation.
Après que les Avocats avoient fini de
part & d'autre , le Préteur prononçoit à
haute voix , dixerunt. Auffi tôt les Juges
ſe levoient pour opiner , ils jettoient tous
dans une boëte l'une de leurs tablettes , on
NOVEMBRE. 1753. 31
ignoroit par ce moyen ceux qui avoit condamné
ou abſous . Néanmoins comme chaque
Décurie avoit ſes tablettes differentes
, on ſçavoit en général que telle Décurie
avoit été plus ſévére ou plus favorable.
Enſuite le Préteur quittoit ſa prétexte ,
&prononçoit le jugement qui avoit été
rendu; il étoit permis d'appeller de ce jugement,
foit au Peuple , ſoit au Sénat.
L'uſage des tablettes pour opiner venoit
des Grecs. On s'en ſervoit encore , lorfque
les Comices s'aſſembioient au ſujetde
l'établiſſement d'une loi , alors deux tablettes
ſuffifoient , ſur l'une étoientles let.
tres V. B. ati rogas ; ſur l'autre la lettre A,
abrogetur .
On ne parle point ici desTribunaux
domeſtiques , où les peres jugeoient leurs
enfans , où les parens de la femme jugeoient
ſur les plaintes du mari ; ces Tribunaux
furent abolis par la ſuite. Ils n'étoient
pas auffi odieux que pluſieurs ſe le
perfuadent ; ils furent fondés par la politique
des Romains qui ne vouloient pas ,
que pour le crime ou la fauted'un ſeul ſa
famille fût deshonorée ; le châtiment étoit
fecret , les Juges intéreſſés eux-mêmes à
ſauver le coupable , étoient préſumés ne le
condamner , que pour éviter aux proches
B iiij
32 MERCUREDE FRANCE.
la flétriſſure qui auroit réjailli ſur eux par
une condamnation notoire & folemnelle.
J. Lacoste , fils , Avocat..
ADijon , le 16 Avril 1753 .
ODE.
SUR la naissance de Monseigneur leDuc
d'Aquitaine , présentée àMonseigneur le
Dauphin ; par M. l'Abbé Roman.
Toi , Déité (a ) reverte,
6
Soeur du Dieu qui régle les jours ,
Deſcens de la voûte azurée ,
Et porte en ces lieux ton ſecours..
Deſcends , & puiſſante Déeſſe
Viens délivrer une Princefle ,,
Dignede tes foins généreux,
Accours , ta divine préſence
Hâtera l'heureuſe naiſſance
D'un Prince , l'objet de nos voeux
Déja de ta main ſecourable ,
Marie ( b ) éprouve les bienfaits :
Je vois un enfant adorable
S'offrir à mes yeux fatisfaits,
(a)Lucine. (b ) Madame la Dauphina.
NOVEMBRE 1753 . 33
Je vois les graces de fa mere ,
La noble douceur de fon pere ,..
Briller à l'envi dans ſes yeux :
Digne de ſon auguſte Race ,
On le verra ſuivre la trace
De ſes ancêtres glorieux.
Mais , quelle ſubite allégreſſe!
Mille cris ont fendu les airs :
Quels tranſports ! quelle douce yvreſſe !
Quel bruit ſe mêle à nos concerts !
J'entends les foudres de la guerre ;
Las de faire trembler la terre ,
Leur bouche annonce ſon bonheur.
L'air brille , la flame étincelle ,
Une clarté pure & nouvelle ,
De la nuit diffipe l'horreur.
La Renommée impatiente
Vole aux deux bouts de l'univers;.
Et déja ſa voix éclatante ,
De ces accens remplit les airs.
Peuples du couchant , de l'aurore ,; ,
Un nouveau lis , qui vient d'éclore
De la Seine pare les bords..
Elle dit : la terre charmée ,
D'une même joie animée ,
Seconde nos juſtes tranſports?
By
34 MERCURE DE FRANCE.
Mais je veis de loin Cytherée,
Son char s'élance dans les cieux
Degraces , d'amours entourée,
Elle s'avance vers ces lieux.
Elle vient embellir la fête
Que la main des plaiſirs apprête
Pour célébrer un ſi grand jour.
LaDéeſſe au tendre myſtére ,
Préfere à l'aimable Cythere
Les charntesde ce beau ſéjour.
Sur le Prince qui vient de naître ,
Elle a déja fixé les yeux.
Surpriſe,elle croit reconnoître ,
De ſon fils les traits gracieux.
L'Amour , trompé comme la mere,
Leprend lui même pour ſon frere ,
Et veut lui donner ſon flambean .
De myrte , de lis& de roſes ,.
Par leurs foins fraîchement écloſes,
Les Gracesjonchent ſon berceau.
Filles qu'on adore à Cythère , ( a );
Prenez cet enfant dans vos bras ;
Aux yeux de ſon auguſte mere ,
Découvrez ſes naiſſans appas.
Acet aſpect , fur fon viſage,
(a) Les Graces.
NOVEMBRE. 1753 . 35
Où la douleur forme un nuage ,
Brille ſajoie & fon amour.
L'aimable enfant par un fourire
A la Princeſſe ſemble dire ,
C'eſt de vous que je tiens le jour.
^
Divinités inexorables ,
,
vous , qui tenez dans vos mains
Les jours , hélas ! trop peu durables
Des peuples & des Souverains :
Fieres Soeurs , rigoureuſes Parques ,
Pour ce fils de tant de Monarques ,
Prenez vos plus heureux fuſeaux.
Puiſſent ſes hautes deſtinées ,
Et le tiſſu de ſes années ,
Echaper à vos noirs ciſeaux.
Le premier bruit de ſa naiſſance
Va raſſembler les jeux épars.
Pour amuſer ſa tendre enfance ,
Ils accourent de toutes parts.
Mais dans un âge plus folide,
Pallas , de ſa puiſlante Egide ,
Couvrira ce Prince chéri,
Les doctes Filles de Mémoire ,
A ſes yeux , offriront l'hiſtoire
De ſon Ayeul & de Henri (4 ).
(a) Louis XV. & Henri IV.
1
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE..
Ces Princes des Rois les modéles ,
Préferoient , au fond de leurs coeurs ,
L'amour de leurs Sujets fidéles ,
A la gloire d'être vainqueurs.
Parmi les feux & le ravage ,..
Od ſe borne unhéros ſauvage .,.
Ils pratiquoient d'autres vertus.
Au milieu des villes en cendre
S'ils combattoient comme Alexandre ,
Ils pardonnoient comme Titus .
,
On vitpar cet accord illuſtre ,
L'héritier du meilleur des Rois ( a ) ,..
Gagner , à ſon troifiéme luftre ,
L'eſtime & l'amour des François.
Aux Champs de Mars ( 6 ) , où la victoire
Couronnoit ſon pere de gloire ,
Sa valeur le fit admirer.
AlaCour , humain , équitable,
Généreux , bienfaiſant , affable
Sa bonté le fait adorer.
N'endoutonspoint : d'un vol rapide ,,
Le nouveau Prince ,juſqu'aux cieux ,
Va , tel qu'un aiglon intrépide ,
Suivre ſes fublimes ayeux.
(a)Monseigneur le Dauphin...
(b)AFontenoy.
NOVEMBRE .. 1753 . 37
Bourbon , ſeconde eſpérance
Que le Ciel accorde à la France
Quitte les jeux de ton berceau ;
Hâte-toi : lagloire t'appelle ;
Aton ſang , à ton nom fidéle
Tu leur dois un éclat nouveau .
9
Fitoi, Province fortunée ( 4) ;,
Cetenfant qui te doit son nom ,
T'unifſſant à ſa deſtinée ,
Te rendra ton ancien renom ...
Il arrachera des ténébres ,
Le nom de ces Héros célébres
Qui jadis te donnoient des loix ;
Mais en rappellant leur mémoire,.
Ton Prince effacera leur gloire ,
Et furpaſſera leurs exploits.
O mihi tam longa maneat pars ultima vite ;
Spiritus , & quantumfat erit tua dicere factos
Virg.Egl
(a) L'Aquitaine
38MERCURE DEFRANCE.
*****
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie de Rouen.
'Académie des Sciences , Belles Lettres,
L & Arts de Rouen , tint ſon affemblée
publique le Jeudi 2 Août , dans la ſale de
'Hôtel-de- Ville . On distribua d'abord les
prix , fondés par Meſdames de Marle & le
Cat , pour les Eleves de l'école de deſſein,
& donnés au jugement de l'Académie ;
ſçavoir , le premier d'après le modéle , à
M. Jacques Nevay , d'Edimbourg .
Le ſecond à M. Etienne de la Vallée-
Pouffin , de Rouen.
Le prix d'après la Boffe , à M. Michel
Loyer , de Rouen.
Le prix du deſſein , à Mile Dor. Henriette
Ribard , de Rouen.
Les prix d'Anatomie , fondés parM. le
Cat , pour les Eleves de l'Ecole chirurgisale
dont il eſt Profeſſeur , ont été remportés
:
Le premier par M. Jacques. Philippe
Fremanger ,de Cy , près Bayeux.
Le ſecond , par M. Auguſtin de Lanney,
deGlanville , près Beaumont , enAuge.
Le troifiéme , par M. Louis Dauplcy >
de Rouen.
NOVEMBRE. 1753 . 39
Acceffit . M. Antoine Doubleau , de Dernetal.
L'Académie avoit propoſé pour ſujetdu
prix de Phyſique de cette année , l'Histoire
desminesde Normandie , &c . comme on ne
lui a adreſſé aucuns Mémoires ſur cette matiere
, elle s'eſt déterminée à propoſer un
nouveau ſujet ; ſçavoir , quelssont les animaux
venimeux qui se trouvent en France,
la nature de leur venin , & les remèdes qui y
conviennent.
Le ſujet du prix de Poëſie propoſé pour
1752, & encore en 1753 , étoit l'établiſſement
de l'Ecole gratuite du deffein en celle
Ville. Les Piéces que l'on a envoyées
n'ayant point encore paru remplir ſuffifamment
toutes les parties du programme,
inferé dans le Mercure de Décembre ſecond
volume 1751 , & dans le Journal
de Verdun , Novembre 1751. L'Académie
indique de nouveau le même ſujet , dans
l'eſpérance que les Auteurs feront des efforts
pour perfectionner leurs ouvrages.
L'Académie propoſe encore le prix alternatif
des Belles Lettres ,pour une Differtation
littéraire , dont le ſujet eſt : En
quel genre de Poësie les François ſont ſupérieurs
aux anciens; cette Differtation , ainſi
que le Mémoire de Phyſique , ferontd'une
heure de lecture ou environ. Ces trois prix.
40 MERCURE DE FRANCE.
fondés par M. le Duc de Luxembourg ,
Protecteur , conſiſtent en chacun une médaille
d'or de 300liv. & feront diſtribués
en l'affemblée du premier Août 1754. Les
Auteurs adreſferont leurs ouvrages correctement
écrits , le port franc , avec leurs
noms&deviſes ſous une enveloppe cachetée
, avant le premier de Juin ; ſçavoir les
Mémoires de Phyſique à M. le Cat , Secrétaire
pour les Sciences ,& les Piéces de
Poëfie & de Littérature à M. de Premagny,
Secrétaires pour les Belles Lettres.
Après l'annonce des prix , M. de Premagny
rendit compte des Mémoires qui
ont été lûs à l'Académie pendant le cours
de cette année , & entr'autres :
La deſcription d'une tortue monftruen--
ſe , jettée par la mer dans le portde Dieppe.
Par M. des Groffilles , Affocié.
Détailde deux maladies extraordinaires,
dont les ſujets âgés au moins de foixante
ans , ſe ſont trouvés àl'ouverture des cada- .
vres, n'avoir que le rein droit. Par M. de
-la Roche.
Deux volumes de Tables des Nombres
compofés & compoſans ; ouvrage impor.
tant de M. de Mercaſtel , de l'Oratoire ,
de Rouen , Aflocié.
Lettres ſur les expériences d'électricité
de-M. Franklin , & Mémoire ſur un far
NOVEMBRE. 1753 . 41
cocele-ou tumeur des ovaires , & un projet
pour l'extirpation de cette tumeur ; par
M. leCat.
Deſcription de l'Aurore Boréale du 13
Octobre 1752 ; Préface d'un ouvrage , in
titulé : Etat du Ciel pour la Marine , &
l'ouvrage même : obſervation de l'éclipſe
de Lune du 17 Avril , & de pluſieurs occultations
des fixes par la Lune. Un Mémoire
précédant le paſſage de Mercure fur
le Soleil , le 6 Mai ; Théorie de cette Pla
nette , & l'obſervation exacte de ſon pafſage.
Par M. Pingré
Mémoire ſur l'uſage & les vertus du ſel
d'Epson , & Recherches ſur les plantes
qui croiſſent aux environs de Rouen. Par
M.du Fay.
Mémoire ſur les maladies des enfans..
par M. le Danois .
Traduction de pluſieurs ouvrages Anglois.
Par M. Yart.
Traduction de pluſieursOdes en vers.
Par M. Fontaine .
Mémoire fur l'Histoire de Normandie..
Par M. du Boullay.
Premier volume des vies des Peintres
Flamands. Par M. Deſcamps.
Traduction en vers & en proſe , de quel .
ques épigrammes choiſies d'Owen , par
M.de Premagny , & des obſervations fai42
MERCURE DE FRANCE.
tes avec unexcellent microſcope du Sieur
Canu , Opticien , & de l'Académie.
Mémoire hiſtorique ſur le Havre-de-
Grace , & autres Mémoires d'hiſtoire naturelle.
Par M. Dubocage de Bleville , Af
focié.
Mémoire ſur la vie de Leonard Aretin.
Par M. l'Abbé Goujer , Affocié.
M. le Cat lut enſuite le réſultat des obfervations
météorologiques , qu'il a faites
dans l'année académique 1752 53. La plus
grande hauteur du barométre a été à Rouen
de 28 pouces & demi , &fon degré le plus
bas 27 pouces une ligne & un quart. Le
grand froid du 28 Janvier n'y a porté le
thermometre qu'à 6degrés au-deſſous de
a. Le plus grand chaud du 7 Juillet ,n'a
été qu'à 29 degrés. Les jours les plus humides
, ont été le premier& 14 Février.
Le plus ſec a été le 24 Juillet. La quantité
de pluye a donné 21 pouces d'eau fur le
territoire de Rouen . La déclinaiſon de
l'aiguille aimantée aété toute l'année à
l'Oueſt , depuis 17 degrés 40 minutesjuf
qu'à 19 degrés.
Le dernier article de ces obſervations
contenoit les maladies qui ont regné dans
chaque faifon.
Chaque article étoit accompagné de
quelques remarques : celui des variations
NOVEMBRE. 1753. .43
de l'air , contenoit les obſervations faites
par M. le Cat en 1746 , de la ſenſibilité
du thermometre à air , ou manométre aux
deux eſpéces de raréfaction ou de condenſation
de l'air ; ſçavoir , celles que lui
donne le chaud ou le froid , & qu'il appelle
thermometrales , & celles qui annoncent
le tems pluvieux ou ſec , & qu'il nomme
barométrales. Il rapporte à cette occa
Gonun projet , communiqué à l'Académie
par M. Mailhot , Chanoine Régulier , de
déterminer ſur un manométre ces deux
eſpéces de variations de l'air , en aſſociant
le thermometre de M. de Réaumur au manométre
; & de mettre par là les Navigateurs
en état de ſe paſſer du barométre
que le roulis des navires rend infidéle ; &
comme l'air eſt généralement plus rare en
efté , & que le barométre pour annoncer
de la pluye y deſcend plusbas qu'en hyver,
il faudra pour le manométre une graduation
pour l'eſté & une pour l'hyver . M. le
Cat donne la cauſe phyfique de cet effet .
A l'occaſion de la déclinaiſon de l'aiguille
aimantée , il rapporte & explique
Pobſervation d'un aimant artificiel qui
avoit perdu toute ſa vertu ,& qui ſe trouva
revivifié pour avoir voyagé avec un aimant
naturel , non armé.
Parmi les maladies qui ont regné cette
44 MERCURE DE FRANCE.
année , M. le Cat en a particulierement
décrit une , qui ſous les apparences d'une
peripneumonie , confiftoit dans une in-
Aanitnation ſuppuratoire du péricarde qui
tuoit les malades comme ſubitement le s
ou le 7 par oppreffion ,& qui n'a cédé
qu'aux remédes laxatifs aiguiſés d'émétique.
M. le Cat avoit déja obſervé les années
précédentes que la plupart des autres
fiévres malignes avoient pour caufe des efpéces
d'éruptions , ou ébullitions inflammatoires
, placées dans l'eſtomac & les inteſtins
, & qui en ne ſe terminant ni par
réſolution , ni par ſuppuration , devenoient
gangreneuſes , & pat là mortelles.
Il a même fait peindre d'après nature ces
éruptions , pour en mieux distinguer &
faire connoître les eſpéces. Il marque &
explique le bon effet des émetiques dans
le commencement , des laxatifs émetiques.
& des limonades dans le courant de ces
maladies:
M. leCat lut encore une grande Differ
tation ſur l'état actuel des Sciences & des
Beaux Arts , & fur la poſſibilité de les perfectionner.
Dans cette Differtation M. le
Catdonne une hiſtoire ſuccincte des Sciences&
desBeaux Arts dans les fiécles fameux
d'Alexandre , d'Auguſte , de Louis XIV ..
&dans le nôtre. Il fait voir , que malgré
NOVEMBRE. 1753 . 45
des grands progrès qu'ils ont faits , ils font
encore pour la plupart ſuſceptibles de perfections
; & que les Ecoles & Académies
que l'on multiplie aujourd'hui , ſont trèspropres
à y ajouter celles qui leur manquent
, à y conſerver celles qu'ils ont acquiſes
, & à leur reſtituer celles qu'ils pourroient
avoir perdues .
M. l'Abbé Yart lut un Diſcours ſur les
Contes,il remonta à leur origine : il en fixa
da nature: il en retraça les régles les plus
eſſentielles : il y ajouta la Traduction d'un
Conte Anglois très- fingulier , de Thomas
Parnell , intitulé , l'Hermite , que M. de
Voltaire a imitédans ſon Roman de Zadig .
On ne donnera pas un plus long extraitdu
Diſcours & du Conte de M. Yart. L'un &
l'autre vont paroître , avec d'autres Poëmes
du même genre dans le ſixiéme volume
de ſon Livre , intitulé : Idée de la Poësie
Angloife.
M. Maillet du Boullay lut un Diſcours ,
intitulé : Idée d'une Hiſtoire de Normandie ,
& des moyens d'y travailler avecſuccès.
Il fit obſerver d'abord,que l'objet le plus
important de l'Académie , avoit toujours
été l'utilité particuliere de la Province où
elle eſt établie ; il donna pour preuve de
fon zéle les leçons publiques de Deſſein ,
d'Anatomie , de Phyſique & de Botanique,
46 MERCURE DE FRANCE.
établies par ſes ſoins , & données par ſes
Membres dans la Ville de Rouen , & il
ajouta qu'elle avoit encoreun deſſein d'une
plus grande conféquence , foit pour fon
utilité , ſoit pour le nombre des recherches
qu'il exigeoit , que ce projet étoit
de ſe mettre un jour en état de donner à
la Province une Hiſtoire Civile , Eccléfial
tique , Littéraire & Naturelle de la Normandie.
M. du B. fit voir , que ſi on n'avoit fous
le nom d'Hiſtoire de Normandie , que des
compilations incomplettes pour le fond ,
&encore moins parfaites pour le ſtyle , il
ne falloit point s'en prendre à la ſtérilité du
ſujet , encore moins au défautde grands
hommes que la Normandie a produits en
très-grand nombre , & qui auroient cu
tous les talens néceſſaires pour le bien
traiter.
Pour montrer combien l'Histoire de
Normandie eſt intéreſſante , M. du B. fit
un tableau en racourci de tous les évenemens
qu'elle renferme depuis l'invaſion
des Normands en 912 , originaires des
pays du Nord , que les Romains nommoient
Jugermance, & qu'ils ne purent
foumettre. Ces peuples ſcurent toujours
conſerver leur liberté , après avoir fait
trembler toute l'Europe pendant près d'un
NOVEMBRE. 1753 . 47
fiécle , ils forcerent enfin nos Rois à les
recevoir pour vaſſaux , & à donner à leur
Chef une Princeſſe de leur ſang , & une
des plus belles Provinces de leur Royaume ;
ils adoucirent alors la férocité de leurs
moeurs , ils apprirent à connoître les vertus
& les devoirs de la ſociété , & s'attirerent
l'eftime de ceux dont ils avoient été
la terreur ; bientôt les bornes de leur Province
parurent trop étroites à leur ambition
& à leur courage. Guillaume , Duc
de Normandie , conquit l'Angleterre , il
civiliſa les Anglois , comme Wollon avoit
civiliſé les Normands , & il devint comme
le Fondateur de cette floriſſante Monarchie
, qui rivale de la France prétend
àl'empire des mers ,&tient un des premiers
rangs parmi les Puiſſances de l'Europe.
C'étoit la deſtinée des Normands de
fonder & de conquérir des Royaumes .
M. du B. rapporte ici la fondation du
Royaume de Naples ,& les exploits des
Chevaliers Normands dans la Calabre ,
dans la Sicile , & enfin au fameux ſiége de
Jerufalem.
>>Conquérans comme Annibal , dit- il ,
>>dans des plus délicieux pays du monde ,
>>ils ne laiſſferent pas comme lui amolir
» leur courage dans l'oiſiveté &dans les
1
48 MERCURE DE FRANCE .
>>plaiſirs , ils allerent porter encore une
fois juſqu'au fond de l'Orient la gloire
>> de leur nom , & s'immortaliſer par ces
> exploits fameux qui ont mérité d'être
>> chantés par le Virgile de l'Italie moder-
>> ne : les noms de Bremont & de Tancrede
, Princes Normands , dureront au-
> tant que l'admirable Poëme qui les a cé-
>>>lébré , c'eſt à-dire , tant qu'un des plus
beaux chef- d'oeuvres de la Poësie épique
trouvera des admirateurs.
M. du B. parcourt enſuite les guerres
longues & ruineuſes ,dont la Normandie
fut le ſujet & le Theatre , & qui pendant
près de trois cens ans déſolerent la France.
La réunion de la Province à la Couronne
ſous Philippe- Auguſte : » Epoque flateuſe
»& remarquable pour nous , dit- il , qui
» ne contribua pas peu à illuſtrer le regne
>> de ce grand Prince , & qui nous rendant
> entierement François , nous deſtina à par-
>> tager le bonheur & la gloire d'une Na-
» tion que la poſtérité mettra à côté des
» Grecs & des Romains. L'invaſion des
Anglois , qui mit le Royaume ſur le penchant
de ſa ruine. Enfin leur expulfion totale
ſous Charles VII.
Aux évenemens des regnes ſuivans ,
où la Normandie eut toujours beaucoup
de part , & pendant lesquels elle donna a
la
NOVEMBRE. 1753. 49
Ja France pluſieurs ſages Miniſtres , & plufieurs
grands Capitaines. M. du B. fait
fuccéder l'Hiſtoire de ces tems malheureux
où le fanatiſme & la ſuperſtition obfcurciſſoient
toutes les lumieres , où la fureur
des guerres civiles dont la Religion étoit
le prétexte ,& l'ambition la cauſe , inonda
la France du ſang de ſes propres enfans .
La Normandie eut le malheur d'avoir plus
de part qu'aucune autre Province aux
troubles de la Patrie. M. du B. cita lesbarailles
d'Arques , d'Yvry & le fameux fiége
de Rouen par Henri IV . » Valeur mal-
>>>heureuſe , pour laquelle elle s'oppoſoit
>> à fon propre bonheur , & qu'elle répara
» bientôt par les plus vifs témoignages
>> d'amour , de reſpect & de fidélité pour
» fon Roi. Henri le Grand ne ſe crut vraiment
Roi de France qu'après la réduction
de la Normandie ,& fon entrée triomphante
dans la Ville de Ronen.
>>Sous le regne à jamais fameux de Louis
le Grand , lorſque la France reſpectée
» de toute l'Europe par ſa puiſſance , de-
>>>vint la rivale de la Grèce & de l'Italie ,
>>par la culture des Lettres ,des Sciences
» & des Arts ; quelle Province contribua
* davantage à la gloire que la Normar -
>> die? quelle foule de grands hommes en
» tous genres ne lui a-t'elle pas donnée a
C
1
So MERCURE DEFRANCE.
>>Sçavans du premier ordre , grands Ora-
» teurs , Poëtes ſublimes & élégans , Hif.
>> toriens d'un mérite diſtinguć , Artiſtes
> fameux , il n'eſt aucune eſpéce de talens
» que nos compatriotes n'ayent poſfédés
>>à un dégré éminent; quelle,gloire pour
>> notre Patrie ! quel ſujet d'émulation
» pour nous ! quelle abondance de richeſ.
>> ſes pour notre Hiſtoire Littéraire !
:
M. du B. prit de là occaſion de parcourir,
les trois autres branches de l'Hiſtoire ,
'Hiftoire Littéraire , Eccléſiaſtique & Naturelle;
il fit voir que toutes étoient abondantes
& intéreſſantes ,& il finit par exe
horter au nom de l'Académie tous ceux
qui poſſédent des monumens précieux ,
ou qui en ont connoiſſance , de l'aider de
leurs lumieres &de leurs recherches , les
affurant de la reconnoiſſance qu'elle aura
pour tous ceux qui concourerent avec elle
àun projet få utile.
La Séance fut terminée par la lecture de
deux Odes d'Horace ,traduites en vers par
M. l'Abbé Fontaine.
2
On trouvera dans le Poëme qu'on1va lire
toute la ſenſibilité & le feu d'un jeune Poëte .
avec la correction que l'Académie exige.
NOVEMBRE. 1753.51
********************
LA TENDRESSE DE LOUIS XIV.
POUR SA FAMILLE.
POEME , de M. Lemiere , qui a remporté
le Prix de l'Académie Françoise en 1753.
Loin d'ici , dogme affreux ; ſyſteme criminel ,
Langage de Tibere & de Machiavel ,
Qu'un coeur tendre & ſenſible eft fait pour le
vulgaire;
Qran Prince ne doit être époux , frere , ni pere ,
Et que toujours exempt de la commune loi ,
Un Roi , pour être grand , ne doit être que Roi.
Accorder la tendreſſe avec la politique ,
Telle fut de Louis la ſcience héroïque ;
Telle auſſi fut ſa gloire ; il chérit ſes enfans ,
Sur eux il épancha ces heureux ſentimens ,
Des coeurs nés vertueux richeſſe intéreſſante ,
Qu'on répand , qu'on prodigue , & qui ſans ceffe
augmente.
LeCiel lui donne un fils ; ſous quel guide éclairé
Va croître cet enfant , dépôt cher & facré ?
Boffuet , Montauſier , couple illuftre & fidelle ,
Venez , un Roi vous nomme , un pere vous appelle
;
Venez , près de ſon fils , juſtifiant ſon choix ,
Cij
12 MERCURE DE FRANCE:
Former ce jeune Augufte aux vertus desgrands
Rois.
Sous leurs yeux , ſous les tiens, Louis , ton Fils
s'éleve ;
Ce qu'ils ont commencé,ton exemple l'acheve,
L'enfant adiſparu , l'homme eſt déja formé ,
LeHéros va paroître ,àte ſuivre animé.
Veux tu du fierGermain mettre les murs enpoudre
,
C'eſt aux mains de ton fils que tu remets la foue
dre;
TuPexpoſes , n'importe , il s'élance aux combats ,
Tu veux voir au retour un Héros dans tes bras :
Tuſouffres , comme lui , d'une abſence funeſte ;
Mais enfin dans ſes Fils , ce Fils encor te reſte.
Palais qui renfermez ces rejettons chéris ,
Ouvrez-vous devant moi , laiſſez moi voir Louis ,
Touràtour carefſfer , interroger , inſtruire ,
Corriger d'un regard , animer d'un fourire ,
Veiller ſur eux fans ceſſe,&ſe plaire avec eux,
Témoin de leurs travaux , quelquefois de leurs
jeux :
Sur leurs moindres périls il s'inquiéte , il tremble;
Sarendreſſe ſouventprèsde lui les aſſemble ,
Confeil de la nature , où le coeur ſeul a voix ,
Odl'amour paternel dicte de douces loix ,
Il n'eſt point de moment que fa bonté n'ymarque;
NOVEMBRE. 1753 . 53
!
Ainfi le Pere enlui délaſſe le Monarque ,
Peut-être au milieu d'eux digne d'être admité ,
Plus qu'aux bords de l'Eſcaut , de périls entouré.
Malheur à qui t'ignore , & tendreſſe ! Ô nature !
Malheurs fur tout aux coeurs qui bravent ton murmure
!
يف
Pierre , qui de tantd'arts enrichit ſon pays ,
Se fût montré plus grand en épargnant ſon fils ;
Il ſuit l'exemple affreux de ce Roi des Iberes ,
Illuſtre politique, & le plus dur des péres :
Le monde à leur génie auroit plus applaudi ;
Mais l'un ſouilla le Nord ,&l'autre le Midi.
Quel coup inattendu ! Charles fort de la vie ,
Il appelle Philippe au Trône d'Ibérie :
Cejeune Souverain , foutenu par Louis ,
Doity porter le Sceptre entrelaTé de lys .
Il part accompagné de ſon auguſte pere ,
DeLouis ſon ayeul , eſcorte heureuſe & chere ;
Quel ſpectacle touchant ! m'abuſai-je ? où va-t-il ?
Sa pompe annonce un Trône , & ſes fleurs un
exil ;
Louis pleure avec lui l'éclat qu'on lui prépare ,
Et ſans voir qu'il l'éleve , il voit qu'il s'en ſépare.
Mais Ciel , quel changement ! Philippe à peine
eſt Roi ,
L'Aigle fond ſur le Tage, yveutdonner la loi,
Le Léopard ardent ſert ſa jalouſe rage ;
Louis défend contre eux ſon ſang& ſon ouvrage ,
L'honneur & la tendreſſe animent cet effort ;
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
Mais il ſuccombe enfin , PAiglea pour lui le fort:
On propoſe à Louis moins un traité qu'un crime ;
Sa main ſoutient Philippe , on veut qu'elle l'op-
::1
prime ,
Ainſi qu'on voit la mer , ſous fo ſes flots irrités ,
Submerger les vaiſſeaux qu'elle-même a portés.
Combattreeſt ſa réponſe au Traité qu'il dédaigne
;
L'Anglois fuit , Charles céde , & Philippe enfin
regne, 1
O Louis ! hâre- toi , goûte ces courts momens :
Pour ta tendreſſe , hélas ! je voisde longs tourmens
:
Ton fils tombe , il expire ; une perte ſi rude
Des fureurs de la mort n'est qu'un affreux prélude;
Sur ta poſtérité ce monftre dévorant
S'acharne , &de ſa faulx la moiſſonne en courant:
Sur un triple cercueil je vois la Parque aſſiſe ;
Quels affauts pour Louis ! quelle horrible ſurpriſe!
Quoi !tant de rejettons, de ſon Trône l'appui ,
Sonttombés àla fois , frappés autour de lui !
Tels près d'un chêne altier , ſont brifés par l'orage
Detendres arbriſſeaux plantés ſous ſon ombrage.
Louis n'eſt donc plus pere , il n'eſt donc plus
ayeul,
Dansſes vaſtes Palais errant& reſté ſeul ,
NOVEMBRE. 1753. 55
Il ne voit après lui qu'un rejetton débile ,
Ademi confumé , du Trône eſpoir fragile ;
Enfin lui-même il tombe : approche , auguſte enfant
,
Viens , reçois les ſoupirs de ſon coeurexpirant ;
C'eſt ſur toi qu'il épanche , à ſon heure derniere ,
Les projets du Monarque & tout l'amour d'un
pere.
Vous étiez cet enfant , vous fur ce Trône heureux
Placé par la naiſſance , ainſi que par nos voeux ;
Né pour les ſentimens que la nature imprime ,
Vous ſucceſſeur en tout de ce Roi magnanime,
Vous qui comme Louis , de la gloire jaloux ,
Luidonnez un rival qu'il n'eût point cu fans vous.
PRIERE A DIEU POUR LE ROI,
GrandDieu , qui dans des tems d'allarmes ,
Nous privant du meilleur desRois ,
Daignas, par le Héros qui nousdonne des loix,
De la France ſécher les larmes ,
Rends de mon Roi tous les jours triomphans ,
Veille ſur lui , veille ſur ſes enfans
Tréſors ſi chers pour lui , têtes pour nous fi cheres;
Laiffe un exemple aux Rois, laiffe un modele aux
Peres.
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
******: ** : *********
SEANCE PUBLIQUE
L
De l'Académie de Dijon.
'Académie tint ſa Séance publique le
19 Août.Eile fut ouverte par M. ***
Académicien honoraire , qui lut un Difcours
ou amusement littéraire , ſurun ſpécifique
contre la triſtelle & les chagrins
dela vie.
Si le corps a ſes maladies , l'eſprit a fes
indifpofitions qu'il eſt plus difficile encore
de prévenir. En effet , il n'eſt aucun
régime qui puiffe nous garantir du chagrin
; ce bourreau de l'homme , qui répand
dans l'ame le poiſon & l'amertume , rend
la vie même à charge. L'impoſſibilité de
prévenir ,& la difficulté de détruire cette
indiſpoſition , ne nous laiſſe de reſſource
qued'en affoiblir le ſentiment : quels en
feront les moyens ? La Médecine , cet art
lumineux & ſecourable , ne nous en offre
que très peu ſur leſquels on puiſſe fonder
quelque eſpérance. Homere , cet ami des
jeux& des ris , parle d'une plante dont il
vante l'efficacité ; mais la graine en eſt
peut- être à jamais perdue , du moins ne
croît-elle plusdans nos jardins. Un Poëte
NOVEMBRE. 1753 . 57
, de la Franconie Orientale , Conrad Celte
nous offre en forme de dédommagement ,
quatre ſpécifiques , qu'il nomme les véhicules
de la vie ; le vin , le ſommeil , un
ami , la Philoſophie. En adoptant ce ſentiment
, on ſe propoſe de faire voir que
l'on peut trouver un adouciſſement aux
chagrins de la vie , dans l'uſage modéré
d'un vin exquis , dans les douceurs du
fommeil , dans les agrémens d'une amitié
fincere & réciproque , & dans les maximes
de la Philoſophie. L'Auteur convient
que l'on ne peut regarder ceci que comine
un purbadinage; mais ſansunpeu d'amuſement
( dit il ) un Orateur n'eſt ſouvent
qu'un ingénieux artiſan d'ennui . Ce Difcours
fut ſuivi de celui de M. Lantin ,
contre les mercenaires de la Littérature ,
qui travaillant pour les Académies , ſont
plus ſenſibles à l'intérêt fordide qui les
dévore , qu'à la réputation &à la gloire
d'avoir bien fait..
M. l'Abbé Richard lut enſuite un Mémoirefur
les moeurs des Gaulcis.
Les actions du particulier , ſa façon de
vivre & ſes inclinations , caractériſent un
peuple ; on peut juger des moeurs d'une
nation pat pluſieurs de ces caracteres ralſemblés&
comparés. C'eſt par cette méthode
que l'on est parvenu à nous faire
Cy
58 MERCURE DEFRANCE .
connoître les moeurs des Grecs & des Romains
, c'eſt ainſi que les voyageurs modernes
nous ont ſi bien expliqué le goût
& le génie particulier des peuples des Indes
& de l'Amérique , dont la plupart
font ſauvages par rapport ànous , qu'il
n'y auroit que le premier abord de ces
peuples qui nous étonnât ; ce que nous en
aurions lû , ce que l'on nous en auroitdit,
nous mettroit bientôt au fait de ce que
nous en aurions à craindre ou à eſpérer.
Mais où trouver des mémoires pour
nous inſtruire de ce qui regarde les Gaulois
, aufli parfaitement que nous le ſommes
, de ce qui ſe rapporte aux Romains
& aux Grecs ? Les mêmes Auteurs qui ont
écrit l'hiſtoire de ces peuples fameux , nous
apprendront à connoître nos ancêtres.
Diodore de Sicile , Paufanias , Plutarque
, Athenée , Tite- Live , Ceſar , Tacite ,
Strabon , Pomponius Mela , Aulagelle ,
Clément d'Alexandrie ; les Philofophes
même & les Poëtes , Platon , Ariftote ,
Ciceron , Juvenal , Martial ; on trouve
dans leurs écrits une infinitéde traits qui
nous mettent au fait des moeurs des Gaulois
: c'eſt d'après eux que l'Auteur du Mémoire
a travaillé.
Il n'avance rien de poſitif ſur l'origine
desGaulois . Nous ne trouvons rien , dir-
,
NOVEMBRE, 1753 . 59
il , qui nous faſſe connoître leur établiſfementdans
la partie de l'Europe qu'ils occuperent.
Les Auteurs les plus anciens en
parlent comme d'un peuple connu depuis
long-tems , & vivant ſelon ſes loix. Les
différentes émigrations des Gaulois qui ſe
répandirent de tous côtés pour y former
des établiſſemens nouveaux , qui s'emparerent
d'une grande partie de l'Italie& de
l'Eſpagne , qui pénétrerent juſqu'en Afie
qui peuplerent lesIſles voiſinesde l'Europe,
devinrent la tigede pluſieurs peuples qui
confervent encore aujourd'hui leur nom.
Toutes ces circonstances raſſemblées dépoſent
en faveur de l'antiquité des Gaulois .
د
On dit un mot de leur nom , que l'on'
croit, avec Bodin , pouvoir tirer du pays
même qu'il habitoient , & du mot Wal ,
qui en langue Celtique ſignifie Forest. Du
mot Wal on a fait Walli , & fuivant la prononciation
Romaine qui employe le Gau
lieu du double W, on a dit Galli , Ganlois
, ou habitans des forêts. Hova
L'Auteur donne enſuite une idée de la
conformation extérieure desGaulois ,qui ,
au rapport de Paufanias , étoient les plus
grands , les plus forts , & les mieux faits
de tous les hommes. Ils naiſſoient avecdes
cheveux blonds ; cette couleur leur paroiffoit
trop fade ,& ils avoient une attention
:
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE .
particuliere à ſe rendre roux; ils s'imagi
noient que cette couleur ſanglante les rendroit
plus formidables à la guerre. La façon
même dont ils tournoient leurs cheveux
avoit quelque choſe d'horrible. Ils ſe rafoient
le menton& conſervoient de longues
moustaches qui retomboient juſques
fur la poitrine ; les principaux de lanation
les regardoient comme une parure auffi
néceflaire qu'agréable.
Leurs habillemens n'étoient pas toujours
les mêmes ; on en diftinguoit de trois efpéces.
La ſaye , ou le vêtement long &
large , avec lequel on paroiſſoit dans les
affemblées publiques ; la braye ( Bracca )
étoit un juſte-an-corps ferré & court , on
le portoitdans les voyages & à la guerre ,
la tunique , le plus léger de tous , fervoit
au peuple & aux ouvriers. L'habillement
des femmes reffembloit beaucoup à celui
des hommes ; il étoit de toile ou d'étoffede
laine fort légere , il étoit taillé de façon
qu'elles avoient les épaules , les bras &
la gorge preſqu'entierement à découvert.
L'uſage de l'or étoit commun parmi eux ,
ils ſçavoient le fondre & l'employer à leur
parure , pour laquelle la nation a toujours
eu un goût décidé ; on en trouve une
preuve fans réplique dans l'hiſtoire de TitusManlius
, qui enleva le colier d'or du
NOVEMBRE. 1753 . 61
Gaulois qu'il vainquit ſur le pont du Teveron
, & qui en prit le nom de Torquatus.
Mais c'eſt par un examen plus important
ducoeur & de l'eſprit desGaulois , de leur
façon d'agir & de penſer dans ce qui regarde
les principes fondamentaux de la
fociété , & ce qui en aſſure le repos & la
gloire , que l'on doit ſe former une idée
des moeurs des Gaulois.On commence par
l'éducation de la jeuneſſe .
Quel étoit parmi eux le ton de l'éducationeil
ſe rapportoit tout au bien de l'Etat
, & il en faifoit en partie la conftitution.
Les Egyptiens & les Spartiates n'ont
rien eu dans ce genre qui leur mérite la
préférence. Les Gaulois, il eſt vrai , ne
formoient ni Sçavans ni Artiſtes , mais ils
formoient des hommes , & les élevoient
reſpectivement les uns pour les autres.
Leur eſprit ſe développoit à peine , qu'ils
étoient perfuadés de ce principe impor
tant , qu'on ne peut trouver ſon avantage
particulier que dans le bien général. C'eſt
de ce tems qu'il eſt permis de dire qu'il ne
naiſſoit pas plus de bons hommes que de
bons patriotes Que fon nerévoque point
en doute ce que l'on raconte de ces tems
éloignés. Le confentement unanime des
Hiſtoriens dépoſe en faveur d'une vérivé
62 MERCURE DE FRANCE.
que l'on ne refuſe d'admettre que parce
que l'on eſt intéreſſé à ſe perfuader que les
hommes de tous les récles ſe ſont reſſemblés
, & que les mêmes cauſes ont toujours
du produire les mêmes effets. Un
détail exact& ſuivi prouve le contraire.
La nourriture de la jeuneſſe , ſes exerci
ces , ſes jeux , le ſoin que l'on avoit de ſes
moeurs , l'exactitude de ſes maîtres , & la
ſévérité des châtimens , concouroient à
en former des citoyens robuftes& fideles à
l'Etat .
On parle de leurs mariages , des cérémonies
qui s'y obſervoient , des conventions
matrimoniales, de l'autorité deſpotique
des maris ſur les femmes& les enfans
, du rang que les femmes tenoient
dans la fociété. Les coutumes n'étoient
pas les mêmes à ce ſujet dans toutes les
Gaules ; on en rapporte les différences
confirmées par les témoignages des Hiſtoriens
qui en ont écrir.
D'autres uſages nous préſentent les
moeurs des Gaulois ſous un aſpect plusheureux.
Nous y trouvons avecplaifir une inclination
marquée pour le bien , & un
amour décidé pour Thumanité ; ils exer.
çoient l'hoſpitalité avec un déſintéreffement
& un zele qui leur étoit unique. Ils
établirent en faveur de leurs hôtes une loi
NOVEMBRE. 1753. 6
qui fait honneur à l'humanité. On parle
de l'Architecture civile , des feſtins , & des
meubles des Gaulois. Ces détails forment
un tableau agréable , varié , & d'autant
plus inſtructif , que malgré les changemens
que les révolutions des ſiécles ont néceffairement
introduit , nous retrouvons dans
nos uſages mille traits qui ſe rapportent à
cequepratiquoient anciennement lesGaulois;
& plus nous remontons dans les fiécles
paflés , plus nous voyons augmenter
le nombredes rapports ; de forte qu'iln'eſt
pas impoffible de former une chaîne qui
remonte depuis nous juſqu'à l'antiquité
la plus reculée.
Le Mémoire eſt terminé par ce qui regarde
les qualités de l'eſprit national des
Gaulois. Les Auteurs étrangers les ont taxé
d'inconſtance & de légereté ; ceux qui les
ontmieux connus , ont trouvé la cauſe de
ces défauts prétendus ,dans la vivacité de
l'inclination des Gaulois , & dans leur facilité
à réfondre ſur le champ ce qui convenoit
aux circonstances du tems. On leur
a reproché une curioſité infupportable aux
étrangers ; c'étoit le vice de la nation ,
que l'on ne peut jamais détruire , & qui
ſouvent lui fut préjudiciable , attendu ſon
inclination à croire tout ce qu'on lui racontoitdesdeffeins
de ſes ennemis ou de
64 MERCURE DE FRANCE.
fes voiſins. Le Gouvernement ne trouva
d'autre moyen de l'arrêter , qu'en défendant
ſous des peines très féveres , de s'entretenir
en publicdes nouvelles étrangeres
,& de prendre en conféquence aucune
réſolution ſans l'ordre du Conſeil national
, auquel on devoit rapporter tout
ce que l'on auroit entendu dire , pour ſuivre
fes ordres fur les précautions qu'il y
auroit à prendre.
Ils avoient beaucoup de vanité , & fe
eroyoient invincibles. Les Romains leur
apprisent le contraire , quoiqu'il ſoit vrai
de dire que de toutes leurs conquêtes ,
aucune ne leur a autant coûté , & qu'il a
falu la valeur & le génie ſupérieur de Céfar
pour en venir à bout.
On s'eſt mocqué de leur crédulité , elle
paffa en proverbe à Rome , & les Grecs
regarderent les Gaulois comme un peuple
fans efprit& fans difcernement ; & pourquoi
? c'eſt qu'ils n'avoient jamais trompé
perfonne ,& qu'ils ne croyoient pas qu'on
pût les tromper. Ils ne mirent pas la défiance
au rang des vertus. Une fi grande
crédulité eſt peut-être un défaut ; mais
quand c'eſt celui de la nation , & qu'il a
pour principe la fimplicité des moeurs &
l'ingénuité du coeur , ce défaut même devient
honorable à la nation , que l'on ne
NOVEMBRE. 1753. 65
doit regarder que comme un peuple chez
lequel la vérité ſeule a le droit de ſe faire
entendre , & qui n'ajamais imaginé que
ta diffimulation & la fraude puffent entrer
dans le commerce ordinaire de la vie .
Le Prix qui avoit été remis l'an paſſé ,
lesAuteurs n'ayant pas rempli les vûes de
l'Académie fur le ſujet fuivant; sçavoir ,
fi la température de l'air d'un climat influe
fur le tempéramem & la force de ses habitans
, a été adjugé à M. Gravier , Docteur
en Médecine , à Paray en Charolois , qui
s'eſt annoncé l'Auteur du Mémoire Nº. 20
qui a pour deviſe , mutas omnia coli tempe
ries .
Programmes proposés.
Le Prix de morale pour l'année 1754 ,
conſiſtant en une médaille d'or de la valeur
de trente piſtoles , ſera adjugé à celui
qui aura le mieux réſolu le Problême furvant
: Quelle est la ſource de l'inégalué parmi
les hommes , &fi elle est autorisée par la loi
naturelle.
Il ſera libre d'écrire en François ou en
Latin , il ne faut pas que la lecture excéde
trois quarts d'heure. Les Mémoires ,
francs de pore , feront adreſſés à M. Petit ,
Secrétaire de l'Académie , rue du Vieux
Marché , à Dijon , qui n'en receyra point
66 MERCURE DE FRANCE .
paílé le premier Avril. Il en ſera ufé de
même à l'avenir à l'égard des paquets
adreſſés à l'Académie ; elle n'en recevra
aucun , dont le port n'ait été acquité aux
Bureaux d'où ils font partis.
L'Académie déſirant donner aux Auteurs
le tems de travailler leurs ouvrages
&de faire les recherches néceſſaires , s'eſt
déterminée à annoncer les ſujets un an
plutôt qu'elle n'avoit coutume de faire.
Celui de Médecine pour l'année 1755 ,
conſiſte à déterminer la maniere d'agir du
bain aqueuxſimple , fes avantages &ses inconvéniens
, par rapport aux différens tempėrammens
, & en particulier dans quelgenre
de maladies il peut être utile. Lesouvrages
qui n'excéderont pas une heure de lecture
feront reçus ſous les mêmes conditions que
ci-deſſus , juſqu'au premier Avril 1755.
::
LA CALOMNIE ,
ODE AUX MANES DEROUSSEAU. (a)
Qui a remporté le prix , par leJugement de
l'Académie des Jeux Floraux , en 1753.
QUel eſt ſous ce cyprès funébre ,
Cetrifte monument arroſé de tes pleurs ,
(a) Voyez la remarque qui està lasuite de l'Ode.
NOVEMBRE. 1755. 67
Polymnie ? & pourquoi cette lyre célébre
N'exprime-t'elle , hélas ! que tes vives douleurs ?
Je vois auprès de toi l'Amour briſer ſes armes ,
Et les Graces en deuil les yeux baignés de larmes
Jetter des fleurs fur ce tombeau :
Parmi les noms fameux de Pindare & d'Horace ,
Le doigt de la gloire y retrace
Le nom&les malheurs de l'immortel Rouſſeau,
Manes ſacrés , ombre chérie ,
Omon Maftre , reçois ce tribut de mes pleurs...
Mais quel deſtin jaloux a privé taPatrie
Du déplorable ſoin de tes derniers honneurs
Ah ! j'apperçois autour de ton urne plaintive ,
Ce Tyran dont la rage, à re nuire attentive
Troubla le repos de tes jours ;
Sahaine contre toi toujours plus obſtinée ,
Contre ta tombe profanée ,
D'un vol impétueux d'implacables vautours.
L
Omonstre, enfant de l'impoflure ,
,
Affreuſe Calomnie , execrable fléau ,
C'eſt par toi que la fraude & l'effronté parjure ,
De la Vérité même éteignent le flambeau.
Du prix de la vertu le crime ſe couronne :
La perfidie aiguife & l'envie empoiſonne
Les traits dont s'arme la fureur ;
Sur ton char effrayant attelé par la Haine,
Je vois la Difcorde inhumaine
Semer autour de toi le trouble & la terreur.
De tes loix , Miniſtres dociles ,
י"
68 MERCURE DEFRANCE .
L'artifice odieux , la ſombre Trahiſon ,
Allumentdans le coeurde cent nouveaux Zoiles
Les tranſports effrenés qu'excite ton poifon.
Aux plus noirs attentats l'injustice enhardie ,
Dans l'ombre dela nuit conduit leur troupe impies
Et la Vengeance, aux yeux hagards ,
Abbreuve dans le fiel les féches homicides ,
Qu'à ch que inſtant leurs mains perfides
Surl'Innocence en pleurs lancentde toutes parts,
Voyez leur cohorte barbare ,
Pénétrer ces Palais conſacrés an loiſir ,
La Licence y compoſe un tribunal bizarre ,
Oùtout cede à la loi que dicte le plaiffr.
Sur un tiône de fer Podieuſe Satyre ,
Acôté du Menſonge exerce ſon empire
Sur l'innocence& la vertu ;
Et ſabouche cruelle , au gré de fon caprice,
De l'affreuſe empreinte du vice
Fait rougir leMérite à ſes pieds abbatu.
Non, il n'eſt plus pour vous d'aſyle ,
Vertus,talens , honneur , l'éclat dont vous brik
lez,
Attire le veninque leur bouche diſtile ;
Ces aſpics affioupis par lui ſont éveillés.
Leur gloire ſe meſure à la grandeur du crime ;
S'il tombe ſous leurs coups une illuſtre victime ,
Leur triomphe en paroît plus beau.
NOVEMBRE. 1713 . 69
L'obſcurité contre eux eſt la ſeule défenſe ,
Et la foudre que leur main lance
Ne frappe que le cédre &fait grace au roſeau,
Dans leur audace meurtriere ,
Ces nouveaux Ixions , ces Titans furieux ,
Du Trône &de l'Autel franchiſlant la barriere ,
Attaquent ſansreſpect , & les Rois , & les Dieux &
La foudre vengereſſe, àpartir toute prête ,
Envaingronde ſur eux , menace envain leur tête,
Ledanger accroît leur fureur,
Etjuſques aux Enfers leurs langues irritées ,
Sur lesOmbres épouvantées
De leur mortel venin repandent la noirceur,
Et quoi ! ce terme lamentable ,
Ce ſéjour éterneld'une éternellepaix ,
La mort , qui du ſupplice affranchit le coupable;
Ne peut- elle fauver l'innocent de leurs traits ?
Au fondde ces tombeaux qui vous force àdeſcen
dre ,
Cruels de ces Héros laiſſez en paix lacendre:
Pourquoi , de leur grandeur jaloux ,
Vos efforts veulent- ils ravir à leur mémoire
La ſplendeur de l'antique gloire ,
Dont leurs mânes fameux jouiront malgré vous
O Themis , furton Trône auguſte ,
La Juftice s'affied avec la Vérité ,
Ton temple reſpectable eſt Paſyle du juſte,
Laterreur dumenſonge & de l'iniquité.....
70 MERCURE DEFRANCE.
Que vois-je? ſur tes yeux la fraude & le parjure
Ont étendu leur voile ourdi par l'imposture:
:
Atravers ce nuage épais ,
Des plus noirs attentats innocemment complice,
Ta main , que ſéduit l'injustice ,
Accable la vertu , couronne les forfaits.
Ainfi l'infâme Calomnie-
Trompa l'oeil vigilantdes Miniſtres des Loix ,
Quanddu feinfortuné d'une ingrate Pattie
Le Pindare François s'exiloit àta voix.
Il part , & loin des bords de nostriſtes contrées
On voitauprès de lui les Muſes éplorées ,
Errer de climats en climats :
D'un exil rigoureux partageant les diſgraces ,
Elles ſçavent fixer les Graces ,
Par tout où le deſtin daigne guider ſes pas.
1
Tandis que la Seine indignée ,
DefonChantre fameux regrettoit les accorde ,
Le fortuné Batave & l'Autriche étonnée
De ſon brillant génie admiroient les efforts ;
Le Danube , ſortant de fes grotes humides ,
Interrompoit le cours de ſes ondes rapides ,
Au fon de ſes concerts nouveaux ;
Et l'Escaut enchanté , ſur ſes paiſibles rivés ,
Voyoit ſes Nymphes atten ives ,
Pour entendre ſa voix quitter le ſein des eaux.
Quel feu divin , quelle harmonie ,
Surcesbords animoient ſes ſons mélodieux !
NOVEMBRE.1753078٤٠
Tantôt du fier Pindare adoptant le génie ,
Il chantoit du Héros les exploits glorieux;
Quelquefois , d'une main inconſtante & légére,
Nouvel Anacreon , de l'Enfant de Cythèse,
Il retraçoit les jeux divers ;
Et tantôt de David imitateur fidéle ,
Il touchoit ſa harpe immortelle ,
Et célébroit les dons du Dieu de l'Univers.
Souventde ta chere Patrie
Le tendre ſouvenir irritoit ta douleur ,
Illuftre malheureux ,& ton ame attendrie ,
D'un deſtin ennemi déploroit la rigueur.
Peut- être , difois-tu , qu'à mes larmes propice,
>> Le Ciel de mes tyrans confondra l'injuſtice ;
>> Peut- être que la vérité ,
>>De ma Muſe profcrite embraſſant ladéfenſe,
>> Fera briller mon innocence
>>Aux regards éclairés de la poſtérité.
Nos yeux ont percé le nuage;
La vérité tardive a recouvré ſes droits ;
Deta vertu flétrie elle a vengé l'outrage ,
Et la poſtérité te parle par ma voix.
Lepreſtige eſt détruit : les aîles de la gloire
Aux fiécles à venir porteront ta mémoire ;
Et cet opprobre injurieux ,
Dont les fiers ennemis d'une main envieuſe ,
Noircirent ta vie orageuſe ,
Effacé de ton front , ne tombe que ſur eux.
72 MERCURE DE FRANCE.
1
Chere ombre , & tu peux m'entendre ,
Si la voix des Vivans peut percer chez lesMorts,
Daigne accepter les fleurs que je mêle àta cendre,
Et ne mépriſe point mes timides accords.
Ta gloire& tes malheurs ont dicté mon hommas
ge:(a)
Dutendre ſentiment l'affectueux langage,
Eſt le langage de mon coeur.
Telle jadis la Muſe aux månes de Malherbe (1) ,
Drefa ce monument fuperbe
Qui bravera du tems l'impuiſſante rigueur.
(a) Les talens , lagloire&les malheurs deRouf-
Sean,doiventfaire regarder la découverte defon innosence,
comme un objet intéreſſant pour la République
des Lettres; des preuvesréitérées lui ont donn un degréd'évidence
quiforce le douteàse taire. L'Auteur
de cetteOde aévitédes perſonalitésqui auroient paru
contrevenir aux régles de l'Académie ; d'ailleurs les
accusateurs de ce Poëte n'exiftentplus. Al'égard de
l'Arrêtdu Parlement qui le bannit defa Patrie, commelesJuges
font obligés de se déciderſur lafoi des témoins
, quelquefois corrompus , la juftification d'un innocent
condamnésur unfaux témoignage , nedoit point
paroître attaquerleur intégrité.
(b ) L'Ode àMalherbe est la cinquiéme du traiſieme
Livre des Odes de Rousseau,
SEANCE
NOVEMBRE. 1753 . 75
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Sciences , Belles- Lettres
Aris de Besançon, tenue le 24 Août
1753 .
C
Ette Séance , qui fut précédée le ma
tin d'une Mefle avec un Moter , célébrée
dans l'Egliſe des Peres Carmes , &
du Panégyrique de Saint Louis , prononcé
par M. l'Abbé Robert , Curé de Liefle ,
fut ouverte le ſoir dans une ſale de l'Hôtel
de M. le Duc de Tallard , par un diſcours
de M. de Quinſonas , Premier Préſident
du Parlement , & Préſident de l'Académie
: ladiſtribution des prix lui en fournit
la matiere.
Il obſerva combien le nombreux concours
d'ouvrages préſentés à l'Académie ,
& les efforts redoublés de leurs Auteurs ,
pour mériter les premieres couronnes
qu'elle ait eu à diſtribuer , les rendoient
glorieuſes pour ceux qui les recevroient ,
honorables pour ceux qui les avoient établies
, & flateuſes pour ceux qui les décernoient.
Les ouvrages d'éloquence lui rappellerentle
ſouvenir de ce chef-d'oeuvre , auffi
D
74 MERCURE DE FRANCE.
connu dans toute l'Europe que fon Aureur
y eſt diſtingué , dont la Société Littéraire
de Nancy avoit procuré la lecture à
l'Académie de Besançon dans le cours de
cette année ,& qui fut le premier lien de
leur correſpondance.
Les Differtations ſur l'Hiſtoire des Séquanois
& les Mémoires pour les Arts ,
firent naître ſous la plume de M. de Quin.
fonas l'occaſion de déſigner par avance la
place que les bienfaits de M. le Duc de
Tallard lui aſſurent dans l'Histoire de certe
Province , & de remarquer qu'elle n'eſt
pas moins la Patrie des Artiſtes que des
Guerriers , des Négociateurs & des Sçavans.
Le diſcours de M. le Premier Préſident
fut accompagné des applaudiſſemens d'une
nombreuſe aſſemblée , & ſuivi de la diſtribution
des prix. Il déclara que l'Académic
avoit adjugé le prix d'éloquence audifcours
Nº. 16 , qui a pour deviſe : Nec
rude quidprofit video ingenium. Horat, Art.
Poët. & l'Acceffit au diſcours N°. 41 , qui
a pour deviſe : Ego nec ſtudiumfine divite
venâ , nec rude quid profit video ingenium.
Horat. in Art. Poët.
M. le Premier Préſident annonça enſuite
, que le prix d'Hiſtoire avoit été adjugé
à la Differtation No. 4 , qui a pour
NOVEMBRE. 1753 . 75
deviſe : Terra antiqua potens armis atque
ubere gleba. Virg. Æneid. lib. 3. que le prix
des Arts avoit été adjugé au Mémoire Nº.
12 , qui a pour deviſe : Dedit inculta doctrina
natura ; & que l'ouvrage No. 6 , qui
a pour deviſe : Ha tibi erunt artes mihi ,
ainſi que celui Nº. 13 , qui a pour deviſe :
Le travail produit la ſcience , avoient obtenu
l'Acceffit.
M. l'Abbé Bergier , Curé de Flangebouche
en Franche-Comté , reconnu pour
l'Auteur du Difcours & de la Diſſertation
couronnés , reçut des mains de M. le Premier
Préſident les deux médailles d'or qui
lui étoient deſtinées ,& du Public les acclamations
que méritoit un double triomphe.
Le prix des Arts fut remis à M. le
Secrétaire , pour être délivré à l'Auteur du
Mémoire couronné , lorſqu'il ſe ſera fait
reconnoître.
La lecture des divers ouvrages qui
avoient fixé le jugement de l'Académie ,
fut affez longue pour occuper le reſtede
la Séance ; elle fut terminée par la lecture
du Programme des ſujets des prix pour
1754 , dans lequel l'Académie propoſe
pour celui de l'éloquence : Le danger de la
louange prématurée ou exceffive. Le Diſcours
ſera d'environ une demi-heure de lecture.
Pour celui de l'Hiſtoire : Quelles étoient les
Dij
1
76 MERCURE DEFRANCE .
Villes principales de la Province Séquanoiſe
Sous la domination Romaine , & quelle étoit
leurfituation. La Diſſertation ſera d'environ
trois quarts d'heure de lecture , non
compris le chapitre des preuves , qui devra
être ajouté à la fin de la Diſſertation.
Les Auteurs font avertis de ne pas mettre
leurs noms à leurs ouvrages , mais une
marque ou un paraphe , avec telle deviſe
ou ſentence qu'il leur plaira. Ils la répéteront
dans un billet cacheté , dans lequel
ils écriront leurs noms & leurs adreſſes.
Les piéces de ceux qui ſe ferontconnoître,
ſoit par eux mêmes , ſoit par leurs amis ,
ne feront pas admiſes au concours.
4
Le troiſième prix fondé par la Ville de
Besançon , eſt une médaille d'or de la valeur
de deux cens livres , deſtinée à celui
qui indiquera les meilleurs moyens de conferver
,& même d'augmenter l'action du feu
dans lesfourneaux des Salines , en diminuant
la consommation des bois deſtinés àla cuitedes
fels,fans en diminuer le produit , &en leur
confervant le même grain.
Ceci doit s'entendre d'une Saline , dans
laquelle quatre- vingt muids d'eau oude muire
de vingt-un dégrés defalure , produisent communément
fix mille quatre cens livres defel
par chaque cuite , qui dure quinze heures ,&
qui confomme au plus cing cordes&demie de
buis.
NOVEMBRE. 1753. 77
Les Auteurs pourront joindre des plans
& profils de leurs inventions , de façon
qu'au moyen, des lettresde renvoi le defſein
puiſſe être connu , ainſi que les proportions
de leurs machines ſur une échelle.
Ceux qui prétendront aux prix ſont
avertis de faire remettre leurs ouvrages
avant le premier du mois de Mai prochain,
au Sieur Daclin , Imprimeur de l'Acadé--
mie àBesançon ,& d'en affranchir le port ,
précaution fans laquelle ils ne ſeroient pas
retirés.
SONG F.
MILE FORQUERAT A SA MERE.
CoOmmmmee lejourde votre fête
Toute la nuit m'a croté dans la tête ;
,
En ſonge , j'ai crû voir ſur le ſacré vallon
Les Nymphes qui ſous Appollon ,
Cultivent à l'envi de leurs mains immortelles ,
Ces fleurs que rien ne fane & qui toujours font
belles.
Mon coeur treſſaille à cet aſpect :
Muſes , leur ai - je dit , ſans manquer de reſpect ,
Puis- je vous faire une priere ?
Vous connoiſſez maman , elle eſt votre écoliere ;
De vos doctes leçons qui ſçut mieux profiter ?
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Sur le clavier de Polymnie
Elle fait admirer les talens , le génie
Dont vous daignâtes la doter ,
Etpar tout elle cherche à vous accréditer.
Pour cette maman que j'aime
Je ſollicite vos faveurs :
Enla couronnant de vos fleurs ,
Vous vous couronnerez vous-même ;
Exaucez-moi , çavantes Soeurs.
Non , dirent- elles , non : ceſſe de le prétendre :
Ates voeux empreſſés nous ne ſcaurions nous rendre.
Tandis que , parmi les mortels ,
L'encens qui nous eſt du brûle ſur ſes autels;
Tandis que ta maman ufurpe nos offrandes ,
Pour elle on nous verroit préparer des guirlandes !
Puiſque par ſon eſprit & ſes talens divers
Elle fait oublier nos fublimes concerts ,
Cherche ailleurs des bouquets; les Filles du Parnalle
Ne chanteront jamais celle qui les efface.
Après ces mots par l'envie inſpirés ,
Les Muſes & Phébus,tous ſe ſont retirés.
Alors vers les jardins de Flore
Je porte un pas précipité ,
J'y vois des fleurs quine font que d'éclore ,.
Dont l'éclatant émail & la variété
Sont l'ouvrage chéri des larmes de l'Aurore ;
Un enfant les cueilloit : c'étoit le tendre Amour
7
NOVEMBRE. 1753 . 79
Je m'approche , empreſtée à lui faire ma cour :
Aimable Dieu , ſecondez mon envie ;
Celle qui m'a donné la vie
Attend , lul dis- je , un bouquet de ma part;
A ma priere ayez égard :
Les fleurs que vous cueillez ſont ſeules dignes
d'elle ,
Et votre main leur donneune fraicheur nouvelle:
Si vous êtes ſenſible à mon deſir preſſant ,
Mon coeur fera reconnoiſſant .
Apeine eus -je fini ma tendre plaidoirie ,
Que l'Amour me donne ces fleurs ,
En me diſant ces mots flateurs :
Tien, mon enfant , porte-les àMarie.
Le plaifir que j'en eus me réveille en ſurfaut,
Et je vois fur mon lit le bouquet qu'il me faut.
Ce n'eſt point une menterie ;
Maman , mon reſpect en ce jour
Vous préſente le don que vous a fait l'Amour.
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Belles- Lettres de Montauban
, du 25 Août 1753 .
L
'Académie des Belles Lettres de Montauban
célébra le 25 Août la Fête de
Saint Louis avec la folemnité accoutumée.
Diiij
80 MERCURE DEFRANCE .
Elle aſſiſta le matin à la Meſſe , qui fut
ſuivie de l'Exaudiat pour le Roi , & au
Panégyrique du Saint , qui fut prononcé
par M. l'Abbé Courtade , Curé de Cours ,
dans le Diocèſe de Cahors.
L'après midi , l'Académie ſe renditdans
la grande Salle de l'Hôtel de Ville , cù
elle fut reçue conformément au cérémonial
preſcrit par le Roi ; & M. l'Abbé Bellet
, Directeur de quartier , ouvrit la Séance
par un Difcours où il ſe propoſa d'expliquer
la nature du goût , ſa néceflité , la
maniere dont il ſe forme , & la cauſe immédiate
de la courte durée de ſon regne
chez tous les peuples. Il fit remarquer Pinſuffisance
des définitions que pluſieurs Auteurs
en ont données , & il ajoûta que l'on
réuffiroit peut- être mieux à le définir , ſi
l'on ſe bornoit à le conſidérer plutôt comme
tenant à l'ame en général , que comme
attaché à une de ſes facultés en particulier
; qu'il n'en eſt aucune à laquelle il
paroiſſe appartenir à l'excluſion des autres;
qu'elles contribuent toutes à ſon exiftence
, mais qu'à ſon tour , il influe auffi
fur toutes; qu'il s'exerce par elles , & que
l'on diroit qu'il réſulte ſimplement de leurs
diverſes fonctions réunies . Il diſtingua les
différentes fortes de beautés ou de défauts
qui peuvent être dans un ouvrage , & qui
NOVEMBRE. 81
1753 .
ſervent à diſtinguer les goûts différens des
hommes de Lettres. Il prouva que le bon
goût eſt unique & toujours le même ; &
qu'il eſt également néceſſaire à l'écrivain
& au lecteur , à celui qui compoſe & à
celui qui juge. Pour expliquer la maniere
dont le goût ſe forme , il montra comment
la nature l'ébauche , & comment l'art le
perfectionne. C'eſt par là qu'il eſſaya de
Tendre raiſon des goûts nationaux , de la
différence de goût qu'on remarque dans
les deux ſexes , & du genre de goût qui
ſemble caractériſer chaque homme de Lertres
en particulier. Enfin il prétendit qu'en
va communément chercher trop loin la
cauſe immédiate de la chûte du goût , parce
que , diſoit-il , elle est toute en nous. Une
génération ne tranſmet point à l'autre ſon
goût comme ontranſmet un héritage. C'eſt
unbienque chacune en particulier eſt obligée
d'acquérir , s'il eſt permis de parler
ainfi , à ſes frais & dépens. Nous naiſſons
tous également ignorans , & l'ignorance
eſt une forte de mal auquel il n'eſt pas
poſſible de remédier une fois pour toutes.
Il faut donc , concluoit cet Auteur , que
pour retenir , pour fixer le bon goût parmi
les hommes , en ſe ſuccédant les uns
aux autres , ils marchent conſtamment
dans la route de ceux qui ont eu le bonheur
de le faifir .
Dv
82 MERCURE DEFRANCE.
M. l'Abbé de Verthamont , Grand Archidiacre
de l'Eglise de Montauban &
Grand Vicaire de l'Evêché , lut enſuite une
traduction de l'Oraiſon de Ciceron pour
le Poëte Archias . Tout le monde fçait que
dans cet Ouvrage l'Orateur Romain plaide
la cauſe des Lettres , & que , fuivant la
remarque de M. Patru , il y étale en leur
faveur tous les myſteres de ſon art. Pour
bien faire connoître la maniere du nouveau
Traducteur , il faudroit donner un
trop long extrait de ſa traduction. On ſe
contentera dedire que ſans avoit rien de
contraint & de gêné , elle eſt exacte &
fidele..
Ona dit que nul ouvrage ne mérite fi
bien le nom d'Odes que les Pſeaumes de
David ;& M. Bernoy fit la lecture de deux
Odes,tirées l'une du Pleaume XXXVII
&l'autre du Picaume L , qui font les deux
plus touchans de ceux qu'on appelle de la
Pénitence.
S
Voici comme il a rendu les accens plaintifs
de David Pénitent.
#. 10 du Pfeaume XXXVII.
Seigneur , toi qui lis dansle fond de mon ame;.
Qui connoisles déſirs dont ton amour l'enfâme ,,
Tuvois auſſi quel eft l'excès de mes tourmens.
Mafoible voin reinte
NOVEMBRE. 1753. 83.
Pour exprimer la plainte
Ne ſçauroit plus pouſſer que des gémiſſemens.
*. 22 & 23 du même Pseaume. J
Ne m'abandonne pas , Dieu puiſſant de nos peres,
:
i
Donne-moi le ſecours qu'attendent mes miſeres :
Etends ſur moi ta main ; change mon triſte fort.
Où trouver ſans ton aide ,
Cet unique remede
Qui ſeul peut garantir mon ame de la mort ?
21 du Pfeaume L.
ODien , fita voulois d'éclatans facrifices ,
J'aurois fur tes autels de cent jeunes génifles
A tes pie is épuiſe le flanc ;
Mais ce ne font pas les offrandes
Que de mon amour tu demandes ,
Tu veux le coeur & non du fang.
Rempli de zéle pour la gloire de l'Acadé
emie, M. de Saint Hubert, ancien Capitaine
-de Cavalerie & Chevalier de l'Ordre Mili
taire de Saint Louis , lut un Diſcours fur le
choix des Académiciens. Si l'on a égard ,,
difoit-il , à toute autre choſe qu'au mérite
-lorſqu'on opine pour ſe donner un confrere
, c'eſt manquer au Corps auquel on
a l'honneur d'être affocié ; c'eſt manquer
au public ; c'eſt ſe manquer à foi-même ;
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
&c'eſt rendre un mauvais ſervice à celui
que l'on croit favorifer , parce que tel qui
auroit peut- être joui pendant toute ſa vie
de la réputation d'homme d'eſprit , la perd
àla premiere épreuve qu'exige l'uſage des
Corps littéraires . Il fit obſerver qu'on ne
Le forme pas une aſlez grande idée des devoirs
de l'Académicien ; qu'une Académie
n'eſt pas une école , mais un tribunal où
l'on prononce pour ou contre toute forte
d'ouvrages de Littérature , &c. Il s'appuya
en particulier ſur un motif bien intéreſfant
pour des coeurs François , & qui a
beaucoup de force dans la bouche d'un
ancien Militaire. Une ſociété d'hommes
de Lettres eſt , ſelon lui , comptable à la
poſtérité des exploits nombreux & éclatansdu
Monarque qui l'a fondée , & l'on
ne doit point affocier à de fi nobles travaux
, des ouvriers foibles & fans expérience.
Pour écarter de plus en plus toutes les
conſidérations étrangeres , M. de Saint-
Hubert ajoûta que l'amour propre devroit,
ce ſemble , ſuffire pour rendre les ſociétés
Littéraires plus attentives à cet égard ; &
querienne feroit même plus capable d'intpirer
l'ambition d'y être reçu , que le mérite
reconnu de ceux qui auroient le bonheur
d'y entrer. LesAcadémies fontd'ail
NOVEMBRE. 1753. 85
leurs le ſeul corps auquel on ne ſe préſente
point avec un ordre ſcellé de l'autorité
fupérieure. Pourquoi , diſoit- il , voudroientellesſe
dépouiller elles-mêmes d'une préroga
tive unique qui doitſervir àſignaler leur difcernement
? Mais l'Auteur voulant indiquer
les défauts , incompatibles , ſelon lui ,
avec la qualité d'Académicien , il ajouta
avec autant de force que de juſteſſe: » Fermez-
donc les portes du temple à ces génies
lents , ſtériles , ſuperficiels , infipi-
>>des , pareſſeux , ou doués d'une fauffe &
>> frivole vivacité , toujours ennemie de la
>>juſteſſe & de la précifion : à ces génies
>>aigres , inquiets& jaloux , dont la prin-
>>cipale occupation eſt de chercher àdé-
>>truire ceux qu'ils ne sçauroient imiter :
»à ces génies précieux & guindés courant
toujours après le merveilleux , qui croi-
>>roient ſe dégrader par un ſtyle ſimple &
->naturel à ces génies durs& peſans , for-
>>més à force de travail , portant par tout
>>l'empreinte d'une étude pénible & fau-
>>vage: à ces génies impérieux , qui comp-
>>tant pour rien les avis des autres , veu-
>>lent toujours tout ramener au leur : à ces
>>génies ſouples par malice ou par foiblef.
» ſe , qui louent par politique ou par habitude
, génies d'autant plus dangereux
que l'amour propre eſt intéreſſé à les
86 MERCURE DEFRANCE .
*
wcroire connoiffeurs & finceres : à ces génies
avantageux , qui croyent trouver
dans l'eſtime ridicule qu'ils ont d'eux-
>>mêmes , le droit d'une raillerie inful-
>>tante : à ces génies enfin libres , hardis
>>& inconſidérés , qui ſe permettent tour ,
» & qui cherchent dans une expreffion
>>>heureuſe , dans une tournure nouvel-
>>l>e , l'excuſe de l'indécence & de l'im-
>>piété » . M. de Saint Hubert n'oublia pas
de joindre les vertus aux lumietes , les
qualités du coeur à celles de l'eſprit , pour
tracer le portrait d'un veritable Académicien;
& il conclut que ce titre doit annoncer&
ſuppoſer dans celui qui le porte ,
tout ce qui caractériſe l'honnête homme
P'homme ſcavant , le citoyen, l'homme du
monde , que l'agrément de ſes manieres
rend aufli recommandable que la ſupériorité
de ſes connoillances...
,
M. Cathala toujours occupé du ſoin de
faire connoître les grands hommes de cette
Province , avoit compoté depuis quelque
tems l'éloge hiſtorique deGuill. de Car--
daillac , Evêque de Cahors. En ſon abfence
M. de Savignac , Juge Mage , fit
pour lui la lecture de cet ouvrage , où
l'Auteur a eſſayé de raſſembler quelques
anecdotes du douziéme ou treizieme fiéole.
NOVEMBRE. 1753. 87
L'Académie venoit d'eſſuyer de vives
allarmes ſur le compte de M. de la Morthe
, qu'un fâcheux accident avoit manqué
de lui enlever , lorſqu'elle le vit , contre
fon eſpoir & fon attente, paroître à fon
Aſſemblée publique. Comme ſa Muſe eft
toujours la même , en dépit des ans & des
infirmités , il lut un ouvrage de Poëfie ,
où un agréable badinage égayoit ſes leçons
& ſa morale. Voici fon début :
Graces à ce Nocher du rivage des morts ,
Je reſpire , & j'entends vos fublimes accords
Caron a rejetté mon ombre désolée
De perdre ce grand jour pour paſſer chez Plutong
Et de crainte ma vue eſt encore troublée.
J'ai vu l'affreux Cerbere & la triſte Alecton
Or après un pareil effroi
Pouvez-vous attendre de moi
•
De nouveaux efforts de ma veine ?
Ai-je la force ; enfin , parlonsde bonne foi
De courir juſqu'à la fontaine ,
Ou d'Helicon on d'Hypocrêne ?
Quandje chantois jadis les attraits , les beauxyeux
De Philis ou de Célimene ,
Jouvrois avec lesdoigts le robinet fans peine;
Lamain tremble quand on eft vieux.
88 MERCURE DE FRANCE.
O vous , illuſtre Fontenelle ,
Chez qui malgré le froid de quatre-vingt-feize
ans,
Le feu divin d'un glorieux Printems*
Se conferve & ſe renouvelle :
Que ne puis-je en ce jour fur les rives duTarn ,
Ainſi que vous aux bords de la Seine étonnée ,
Amuſer la meilleure part
D'uneVille qui ſemble à l'ennui condamnée !
:
S'amufer toujours & s'inſtruise ,
Perdre quelque défaut , gagner quelque agré
ment ,
C'eſt à quoi je voudrois réduire
Mon difcours , mon raiſonnement.
M. de la Motthe empruntant alors le
langage de Thalie , lut une petite Piéce ,
où il eſſayade tracer un modéle du genre
d'amusement qu'il croyoit pouvoir fervir
à corriger les hommes ſans leur déplaire.
Enfin M. de Saint-Hubert , qui comme
on va voir , s'exerce & réuffit dans plus
d'un genre , adreſſa les Vers ſuivans à M.
de la Motthe ..
Tu reviens des bords du Cocyte ,
Nous te revoyons en ces lieux ;
Le beau ſexe s'en félicite ,
Et nous ne demandons auxDieux
NOVEMBRE.
1753. 89
Quedete voir long-tems par un heureux comique
Egayer le ton ſérieux
D'une Séance Académique.
Mon cher Doyen* je ne ſuis point ſurpris
Que l'on trouve dans tes écrits
Cet ingénieux badinage ,
Ce tour galant , ces mots choifis
Qui feroient honneur à tout âge ,
Et qui ne ſont point le partage
Des Poëtes à cheveux gris.
Lorſqu'Apollon monta taLyre ,
Les Graces lui faisoient la cour
Et les Muſes le faiſoient rire ;
Tu dois tout le reſte à l'Amour.
Il ſoutient ta verve féconde ;
C'eſt lui qui rajeunit tes chants.
Qu'il eſt rare à quatre- vingt ans
D'amufer la brune & la blonde ,
De conſerver tous ſes talens ,
Etde jouir dans la vieilleſſe
Des reſſources de la jeuneſſe ,
Sanscraindre les égaremens !
Que ce foit folie ou foibleſſe ,
Les vieillards n'en ſont pas exempts.
Que fervent les raiſonnemens
Contre cette fatale yvreſſe
Qui malgré nous s'empare de nos ſens ?
*M. de laMotthe est leDoyende la Cour desAs
des &del'Académie.
9. MERCURE DE FRANCE.
J'ai fait pour l'éviter des efforts impuiſſans;
Mais fima raiſon me ſeconde ,
Celle dont je reçois la loi ,
Ne connoîtra fon empire ſur moi
Que par celui qu'elle a fur tout le monde.
La Séance fut terminée par la diſtribu
tion du prix d'Eloquence ,& par la kcture
du Programme ſuivant.
M. l'Evêque de Montauban ayant deftiné
la fomme de deux cens cinquante livres
, pour donner un Prix de pareille valeur
à celui qui , au jugement de l'Académie
des Belles- Lettres de cette ville , ſe
trouvera avoir fait le meilleur Difcours
fur un fujer relatif à quelque point de morale
tiré des Livres ſaints , l'Académie
diſtribuera ce Prix le 25 Août prochain ,
Fête de Saint Louis , Roi de France.
Le ſujet de ce Diſcours ſera pour l'année
1754 , Si l'on peut dire des Académies
ceque l':ſpritfaint a dit des Sages , que leur
grand nombre tourne au profit de la Société :
multitudo autem Sapientium ſanitas eſt orbis
terrarum. Sap. G. 26 .
L'Académie avertit les Orateurs de s'atracher
à bien prendre le ſens du ſujet qui
leur eſt propofé , d'éviter le ton de déclamateur
, de ne point s'écarter de leur plan ,
& d'en remplir toutes les parties avec
NOVEMBRE.
1753.91
juſteſſe & avec précifion .
Les Diſcours ne feront tout au plus ,
que de demie heure ,& finiront toujours
parune courte Priere à Jeſus-Chrift.
On n'en recevra aucun qui n'ait une approbation
ſignée de deux Docteurs en
Théologie.
Les Auteurs ne mettront point leur nom
à leurs ouvrages , mais ſeulement une marque
ou paraphe , avec un Paſſage de l'Ecriture
Sainte , ou d'un Pere de l'Egliſe
qu'on écrira auſſi ſur le regiſtre du Secrétaire
de l'Académie.
Les Auteurs feront remettre leurs ouvrages
par tout le mois de Mai prochain , entre
les mains de M. de Bernoy , Secrétaire
perpétuel de l'Académie , en ſa maiſon
Fue Montmurat ; ou en fon abfence , à M..
P'Abbé Bellet , en fa maiſon , rue Cour- de-
Toulouſe.
Le Prix ne ſera délivré à aucun , qu'il
ne ſe nomme & qu'il ne ſe préſente en
perfonne , ou par Procureur , pour le récevoir&
pour figner leDifcours .
Les Auteurs font priés d'adreffer à M.
le Secrétaire trois copies bien liſibles de
leurs ouvrages , & d'affranchir les paquets
qui ſeront envoyés par la Poſte. Sans ces
deux conditions les ouvrages ne feront
point admis au concours.
92 MERCURE DE FRANCE.
Le Prix de l'année 1753 a été adjugé au
Diſcours qui a pour ſentence , Artes, ingenium
, fenfum , premit una libido ; dontM.
Fromageot , Avocat au Parlement de Dijon
, & Secrétaire perpétuel de l'Académie
des Sciences & Belles-Lettres de la
même Ville, eſt l'Auteur * . Il fut auſſi couronné
l'année derniere.
:
MANDEMENT
De Mgr. l'Evêque de Valence , ſur l'heureuse
accouchementde Madame la Dauphine
la naissance d'un Duc d'Aquitaine.
A
Lexandre Milon , par la grace de
Dieu, & l'autorité du Saint Siége
Apoftolique , Evêque , Comte de Valence,
&c.
Unſecond Prince nous eſt donné , mes
très- chers Freres , & ce nouveau préſent
du Ciel qui augmente la Famille Royale ,
doitnous pénétrer avec elle de reconnoiffance&
dejoie.
Graces à celui qui perpétue les Empires ,
en perpétuant la Race des bons Rois , notre
tranquillité devient tous les jours plus
aſſurée , &de plus en plus s'éloignede nous
l'idéede ces troubles domeſtiques , qu'une
NOVEMBRE. 1753 . 93
fucceſſion interrompue excite ſouventdans
les Monarchies les plus floriſſantes & les
mieux établies.
La bénédiction que Dieu promet à ceux
qui le craignent , eſt abondamment accordée
à Madame la Dauphine , déja ſi chere
àſon auguſte époux par toute ſa tendreſſe ,
& le lui devientencore davantage par une
heureuſe fécondité .
Chaque jour affermit , pour le bonheur
des peuples , les doux liens qui réuniſſent
enſemble tant de vertu , & nous en
voyons fortir de précieux rejettons qui enrichiffent
annuellement le Trône , & qui
répondant à la beauté de leur tige , porteront
la gloire des Lys dans les ſiècles les
plus reculés.
Cultivés par les mains de la Religion ,
ſous les yeux d'un Roi qui ne cefle d'en
être le Protecteur , quelle ſatisfaction pour
nous , de penſer qu'ils en prendront de
bonne heure les ſentimens ,& que formés
fur ſes exemples ils pourront l'aider un jour
dans une vieilleſſe couronnée de ſuccès ,
à foutenir le fardeau pénible de la Royauté
, & ſçauront enfin dans les tems marqués
par la Providence , gouverner les peuples
dans la justice &dans la paix .
De quelque côté qu'ils jettent les yeux,
ils ne verront par tout que des leçons vi
94 MERCURE DE FRANCE...
vantes de ſageſſe & de vertu , qui leur
feront aimer le bien avant même que de le
connoître.Unenouvelle Either auffi reſpectable
par ſa piété que par l'éclat du diadême
, & qui femble n'être ſur le Trône que
pour en faire couler des charités plus abondantes.
Un Dauphin , le modele de tous
les fils par ſa ſoumiffion & fon reſpect :
c'eſt regner pour lui , que d'obéir au Roi
fon pere. Une Dauphine , épouſe courageufe
& tendre , de qui le coeur devenu
tout François , ſemble ne reſpirerque pour
la conſervation de ce Prince , la gloire du
Roi , & l'avantage de la Nation .
Que nous reſte t'il , mes très-chers Freres
, après tant de bienfaits , que d'en rendre
à Dieu les plus vives actions de graces ,
de lui demander avec inſtance de nous
conferver ces jeunes Princes , de veiller
autour de leur berceau , d'en écarter tout
ce qui pourroit nous allarmer ſur leurs
jours , & de verſer dans leurs coeurs ces
ſentimens d'humanité , de religion &
d'héroiſme , qui ſont comme l'appanage
de leur fang , & les véritables ſources de
la fûreté& de la félicité publique. Donné
à Valence ce 24 Septembre 1753. Signé ,
Alexandre , Evêque de Valence.
NOVEMBRE. 1753. 95
Le mot de l'Enigme du Mercure d'Octobre
est Orange. Celui du premier Logogryphe
eſt Harmonie, dans lequel on trouvemien
, aimer , Arion , Rome , Henri , Noë,
ame
,
nom ;
mari , heron , Hieron , Noéma , ha ,
Raine , ami . Celui du ſecond , eſt Paris ,
dans lequel on trouve les ris ; Paris ,pas ,
ipas , adv. ripa , rive ; fi ; Spa ; Apis,
boeuf; apis , abeille , as , monnoye ; Pari ,
genit, de Paros ; Ipra , Ypres ; Pifa , Piſes
ira ; pis , pari , Spira , petit pain , on cordon
; paris , genir, de par ; Pis ; raſis , de
l'indicatif rado ; i , imper. du verbe eo , &
la lettre a.
ENIGME.
REgarde- moi parler : je ſuis depuis long-tems;
Ettoutefois , Lecteur , je nais à chaque inſtant :
Tel medonne la mort , qui m'a donné la vie ,
Ettel me rend au jour , qui m'a donné la mort :
Je peins également l'eſprit & la folie ;
Je fais honneur à Pun , à l'autre je fais tort :
Je raſſure ſouvent la trop tendre Silvie ,
Qui rendue à Tircis , craint de le perdre au port :
Utile , dangereuſe , au bien , au mal propice ,
6 MERCURE DE FRANCE:
J'excite à la vertu , j'autoriſe le vice.
Mais c'eſt trop , cher Lecteur , oui , c'eſt trop
m'annonçer ;
Tu me vois , tu me tiens ; peux-tu donc m'is
gnorer ?
D
LOGOGRYPH Ε.
Eneufppieds , cher Lecteur , eſt compoſémon
nóm ;
En les changeant de lieu , tu trouveras , je gage ,
Un péché qui ſouvent nous voile la raiſon ;
Le nom d'un animal qui naît pour notre uſage ;
Celui que nous donnons à ceux qu'un même ſort
Arangé ſous les loix de l'objet qui nous charme;
Cequi nous eſt ravi par la cruelle mort ,
Etdont nous redoutons la perte avec allarme.
Mon nom est fort commun , cependant diftingué ;
Pluſieurs de mes Lecteurs le portent ,oui ,j'en
jure ;
L'un s'en faitgrand honneur, l'autre en eft fatigué:
Lecteur, tu dois connoître à ces traits ma nature,
J
TRE.
Ene ſuis tout au plus qu'un leger accident,
Source de plaiſirs cependant ;
Quoiqu'univerſelle , la France
Eſt mon ſéjour de préférence ;
Ses peuples ſont mes favoris ,
Et
NOVEMBRE. 1753 . 97
Et de leurs coeurs je ſuis la Déité ſuprême ,
Petits maîtres , héros , belles , & beaux eſprits ,
Tous pour mon culte y font voir une ardeur extrême
;
Auſſi de leurs attraits , de leurs legers écrits ,
C'est moi qui bien ſouvent fais l'unique mérite .
Aux plus minces objets je donne un fort grand
prix;
Mais , malgré mon pouvoir , le tems me décrédite,
Et les jette dans le mépris.
Je change , & varie ſans ceſſe ,
Et c'eſt à cette heureuſe adreſſe
De m'offrir chaque jour ſous des traits differens
Que je dois des mortels , & l'hommage & l'encens;
Mais il faut que je le confeſſe ,
Dans l'eſprit des François , tel qu'il eſt aujourd'hui
,
Inépuiſable ſource ,
Je trouve une reſſource ,
L'honneur de mes autels ,&leurplus ferme appui.
Tu meparois rêveur , allons , Lecteur , courage;
Dans mes neuf pieds je préſente àtes yeux ,
Le foible bois qui ſur un tronc ſauvage
Promet des fruits délicieux ;
Cet élément ſur qui l'on nage ;
Cet amas qui formé des vapeurs de la terre ,
Renferme dans ſon ſein la grêle& le tonnerre ,
Et l'eſpérance des moiſſons ;
E
98 MERCURE DE FRANCE.
Un des cinq ſens , & l'une desfailons ;
Cequi les contient toutes quatre ;
Deux quadrupedes animaux ,
Dont l'un eſt fort opiniâtre ;
Celle qui fut la cauſe de nos maux ,
Pour n'avoir du ſerpent repouſſé l'artifice ;
Le comble intérieur d'un pieux édifice ;
Un inſtrument qui ſert à nettoyer le grain ,
Et de tout mélange l'épure ;
Ce qu'un Marchand tient à la main ,
Quand toiles , ou draps il meſure ;
Le fier tyran des flots ,
La terreur & l'objet des vænx des matelots.
Ceque forme la voi'x; ce juſte Patriarche
Aux yeux daquel dans l'air , Dieu au ſortir de
l'Arche
Etala l'Arc brillant des plus vives couleurs ;
Ceque dans le danger la crainte nous fait faire ,
Dont ſouvent on déroge à l'obligation ;
Un adverbe local , actif ou ſédentaire ,
Qui dans un autre ſens devient conjonction ;
Des bienheureux le ſigne ſalutaire ;
Unterme muſical , qui pris differemment
D'un texte obſcur eſt l'éclairciſſement ;
Une négation ; certaine particule ;
Ce qui trop grand , ou trop petit
Rendun viſage ridicule ;
Je crois , Lecteur , t'en avoir aſſez dit.
NOVEMBRE. 1753. 99
洗清洗洗洗洗洗
NOUVELLES LITTERAIRES.
R
ECUEIL de plufieurs piéces d'Eloquence&
de Poësie , préſentées à l'Académie
des Jeux Floraux 1,753 , avec les
Diſcouts prononcés & les affemblées publiques
de l'Académie. A Toulouse , chez
Pijon , & ſe trouve à Paris , chez Delaguette,
rue Saint Jacques.
Le recueil commence par une Ode ſur
la Calomnie , adreſſée aux manes de Roufſeau
, & qui eſt rapportée toute entiere
parmi les piéces fugitives du Mercure.
Cette piéce qui a remporté le prix de l'année
, eſt ſuivie d'une Ode qui a remporté
un prix réſervé. Elle roule ſur la mort de
Madame de Montégut , qui a honoré l'Académie
, dont elle étoit membre , par des
talens , des graces &des vertus . Quelques
ſtrophes feront connoître la maniere du
Poëte , M. Carquet,
Montégut , du Printems quand tu peins l'allégreffe,
En dépit des frimats , tu bannis la triſteſſe
Des rigoureux hyvers :
Dans les champs dépouillés, je crois voir la verdure.
Les charmes dont Borée a privé la nature ,
Renaiſſent dans tes vers .
E ij
100 MERCURE DE FRANCE .
Si d'un antique bois tu plains la deſtinée ,
Le fer ſemble frapper mon oreille étonnée
Par ſes coups redoublés :
Je vois fuir les Oiseaux : les Driadestremblantes
Quittenten ſoupirant les tiges chancelantes
Des chênes mutilés .
Prêt à voirde ſes feux couronner la conſtance
Tircis ne revient point : Iſmene , ſon abfence
Allarme ton amour.
,
Par tes regrets touchans , tu m'arraches des larmes ;
Mais que vois- je ? bannis de frivoles alarmes ;
Tircis eſt de retour .
On a lû dans un des Mercures précédens
le Diſcours de M. l'Abbé Foreſt , qui a été
couronné , & on y a trouvé une grande
abondance de ſtyle , d'idées & de connoifſances.
Ce ſujet dont le but eſt de prouver
combien les Sciences ſont redevableş
aux Belles-Lettres , a été encore traité par
le Pere Pont , de la Congrégation de Saint
Maur. Son ouvrage , qui a été jugé digne
d'un prix réſervé , eſt clair , ſenſé & méthodique
: on trouve , qui arrive
ment , que l'Auteur a raiſon .
ce rare-
Le prix de l'Idylle a été adjugé à l'Idylle
de M. Viguier de Legadenne , fils , qui a
pour titre : Le triomphe du langage de l'Amour.
Voici le Dialogue d'une bergere &
d'un berger , qu'on trouve dans cette agréa
blePoëfie,
NOVEMBRE. 1753 . 101
De tant d'êtres divers qui brillent à ma vue ,
Vous ſeul , vous me ſemblez d'ane eſpéce incon
nue;
Mais qui que vous ſoyiez , apprenez qu'aujours
d'hui ,
Votre ſeule préſence a chaſſé mon ennui.
Chaque étre dansces lieux a trouvé ſon ſemblable,
Pour n'être pas lemien vous êtes trop aimable.
Je n'ai juſqu'en ce jour connu que le deſir :
A votre aſpect charmant j'ai goûté le plaifir...
A ce diſcours naïf , mais augré de ſa flame ,
Licas ne contraint plus les tranſports de ſon ame ;
Tous les feux de l'amour ont paflé dans ſon ſein ...
Thémire , lui dit-il , en lui ſetrant la main
Le Dieu qui charmetout, le Dieu que tout adore ,
Que votre coeur chérit ſans le connoître encore ,
M'a fait pour vous aimer , & pour être à vosyeux,
Ce que ſont les zephirs aux Heurs de ces beaux
lieux.
,
Seule , que faifiez-vous , quand tout lui rend
? hommage a
C'eſt lui que les oiſeaux chantent dans leur ramage;
C'eſt l'Amour... A ce nom Themire treſſaillit ! ...
Pour la premiere fois Thémire l'entendit ,
Ce nom qui lui découvre un Dieu qu'elle deſire .
Et pourquoi dans ces lieux ne tient- il ſon Empire?
Dit-elle : je voudrois pour prix de ſes faveurs
E iij
102 MERCURE DE FRANCF:
Qu'il regnât dans ce bois ainſi que dans nos
coeurs .
Ah ! lui répond Licas , avec un regard tendre ,
L'abſence de l'Amour ne doit point vous furprendre
;
Vous êtes ſon portrait , il brille dans vos yeux ,
Unregard vous ſuffit pour allumer ſes feux .
Vous connoiſſez enfin le pouvoir de vos charmes.....
L'Amour pour triompher vous a laiſſe ſes armes.
Le dernier ouvrage couronné du recueil,
c'eſt l'Idylle de M. Dutour , qu'on a déja
vûe dans le Mercure.
SCALPTURA , Carmen ; Autore Ludovico
Doiffin S. J. Apud P. G. le Mercier , via
San- Jacobaâ , fub figno Libri aures. La Gravûre
, Poëme par le R. P. Doiffin , Jefuite
. A Paris , chez P. G. le Mercier , rue
Saint Jacques , au Livre d'or.
,
Le Pere Doiffin , déja bien connu dans
la Littérature , par un très beau Poëme fur
la Sculpture qu'il donna l'an paſſé , vient
d'en donner tout nouvellement un autre
en trois chants fur la Gravûre , qui plaira
également aux amateurs & aux gens de
Lettres. Il eſt dédié à l'Académie Royale
de Peinture & de Sculpture , & traduit en
François , pour la commodité de ceux à
NOVEMBRE. 1753. 103
qui les Muſes latines ne ſont pas aſſez familieres
. Le Poëte dans le premier chant
décrit les differentes eſpéces de Gravûre
qui font en uſage , & apprend à donner
aux Eſtampes , toute la perfection dont
elles ſont ſuſceptibles. Il traite dans le ſecond
des talens naturels ou acquis , que la
Gravûre exige dans ceux qui s'y appliquent.
Le troiſiéme renferme les uſages de la Gravûre
& fon utilité. La verſification nous a
paru coulante & naturelle , les tours fimples
& aifés , les comparaiſons riches &
fleuries , les figures nobles & élevées , le
tout enfin digne de l'Auteur du Poëme fur
la Sculpture. Le Lecteur en jugera lui-même
par les morceaux que nous allons citer,
comme ils ſe préſenteront ,& que nous
accompagnerons de la Traduction.
Voici comme le Poëte décrit laGravûre
coloriée.
Necte præteream , Picturæ fimia felix ,
Ambiguum , Scalptura , genus , ſoboleſque bifor
mis.
Nimirum ligno , rigidove effingit in ære
Tres ſcalptor tabulas : proprium unicuique ſaum
que eft
Munus & officium ; nec totam fingula formam
Exprimit ; at ſolum partes habet una colore
Ungendas flavo , partes habet altera rubro ,
Eiiij
104 MERCURE DE FRANCE.
Altera cæruleo pingendas : nec mora ſuccos
Diluit , & proprio linit unamquamque colore
Lamnam opifex : deinde imprimitur madefacta pa
pyrus ,
Et bibit alternos prælo ſubjecta liquores.
Hinc optata venit lævi ſub imagine forma ,
Quam nec tu pictam , nec ſcalptam dicere poffis ,
Participans ab utroque fimul ; quippe ipſa colores
Suppetiit Pictura ſuos , Scalptura tabellas ;
Et meritò egregiam fibi vindicat utraque prolem.
Je ne paſlerai point ſous filence cette
eſpéce de Gravûre , qui imite la Peinture
au point de tromper les yeux , & de patoître
autant l'ouvrage du pinceau quedu
burin. Trois planches de bois oude cuivre
, deſtinées à des emplois differens ,
éprouvent tour à tour le burin de l'Artiſte ;
aucune ne contient le ſujet entier de la
Gravure , chacune en poffede une partie ;
toutes trois doivent fournir une couleur
particuliere , le jaune , le rouge , le bleu.
On les couvre des couleurs qui leur font
aſſignées : un papier humide appliqué fucceflivement
fur chacune d'elles , porté enſuite
ſous la preſſe , s'y imbibe des nuances
qui lui manquent , & n'en fort que
chargé de la figure que l'on y vouloit tracer.
Production ambigue qui n'appartient
féparément ni à la Gravure , ni à la PeinNOVEMBRE.
1753 . 105
ture ; qui naît cependant de la réuniondes
deux Arts; que tous les deux par conféquent
peuvent s'attribuer , › parce que
Gravûre lui prête ſes traits , & la Peinture
fon coloris.
la
Nous pallons au ſecond chant, & nous
tombons ſur l'éloge de Martin Rota , célébre
Graveur Italien, dont le talent étoit de
tendre en petit ſur une Eſtampe les plus
grands morceaux de Peinture. Rien n'eſt
plus délicat&plus ingénieux que ce qu'en
dit le Poëte.
Nam quis te tacitum , celebris Martine , relinquat
,
Innumeras doctum ſpatio breviore figuras
Ponere , & exili multum comprendere charta.
Nimirum pictam fi redderet ille tabellam
Arecavo, formas punctum attenuando , gigantas
Noverat in nanos mutare , in fila rudentes ,
Ades in cafulas , in tenues grandia lembos
Navigia , expanfis quos parvula muſca volando
Contegeret pennis , &guttula mergere poffet.
Extremum fic ille diem, mundique ruentis
Funera , quæ vaſto Michaël fub fornice tecti
Finxerat in parva defcripfit site papyro ,
Aligerum ingentes turmas , atque agmina mille ,
Et Aygias acies angufto limite claudens :
Sic tamen, ut membris maneant difcreta lociſque
Corpora , & in toto regnet pax æquore charte,
Ev
100MERCURE
DEFRANCE
.
Pourrai-je t'oublier , célébre Rota , to
dont le burin l'emporta ſur tous les autres ,
quand il s'agit de réduire à peu d'eſpaces
les ſujets les plus étendus , & de tracer des
figures ſans nombre dans une Eſtampe bornée
. Les objets en paſfant de la toile ſur
l'airain , changent par ton art magique de
nature & de proportions.. Un géant devient
un nain ; le plus gros cable n'eſt plus
qu'un fil délié & imperceptible ; les Palais
fe métamorphoſent en petites cabanes , &
les plus grands vaiſſeaux en batteaux legers
qu'un moucheron couvriroit de ſess
aîles , qu'une goute d'eau fubmergeroit &
feroit diſparoître. Ainfi gravastu autrefois
Pappareil formidable
vengeances
de l'Eternel , & la ruine de l'univers prêt
àrentrer dans le chaos. Sujet grand & terrible
, dont le fier pinceau de Michel Ange
avoit orné une voûte immenfe , & que
ton burin merveilleux a renfermé tout entierdans
les bornes étroites d'une Eſtampe..
Ha tout rendu , & les bataillons divers
de l'armée céleste , & la troupe nombreuſe
des anges rébelles ; chaque partie eſt difsinguée
, chaque objet occupe le lieu qui
lui eſt propre , fans ſe mêler , ſans ſe confondre;
& il regne dans le tout enſemble
un parfait accord & un repos agréable.
Le troifiéme chant offre des beautés égaedes
NOVEMBRE. 1753 107
les à celles des deux premiers. Le Poëte
après avoir parlé des chefs d'oeuvres de
l'Antiquité , dont il ne reſte plus de veſtiges
, parce que la Gravure qui n'exiſtoit
pas encore , n'a pû en conſerver les traits
dans des Estampes fidelles , adreſſe la parole
aux Peintres , qui font nés après l'invention
de la Gravûre , & s'exprime ainſi
Vos meliore igitur queis nafci contigit ævo ,
Plaudite , Pictores , grateſque rependite Divisa
Veſtra olim ad feros pervadet fama nepotes ,
Nec doctas Scalptura finet marcefcere lauros.
Nam tandem caries cum exederit uda tabellas ,
Ingenii monumenta fimul , dextiæque peritæ,
Hæc lætus rediviva iterum mirabitur orbis ,
Haud equidem tela , liquidove expreſſa colore
Aft ære incuſa ,& lævi commiſla papyro.
Suerii fruftra pictas lacerare tabellas
Tentaſti livor , nomenque abolere periti
Artificis : Scalptura malum reparavit abunde,
Famaque Suerii manet æternumque manebit
:
*
O vous donc , que le Ciel propice fitt
naître dans des ſiécles plus heureux , Pein--
tres de nos jours , reconnoiflez le bienfaits
des Dieux ; votre gloire triomphera dut
tems & de l'oubli ; votre nom ſeraconnut
de la poſtérité , & la Gravûre ne laiffera
point flétrir fur vos têtes illuſtres les lau
E vj
108 MERCURE DE FRANCE .
riers dont on les couronne aujourd'hui.
Lors qu'enfin vos raviſſantes Peintures ,
fruits admirables de l'adreſſe & du génie
auront fuccombé ſous le nombre des années
, l'univers ſurpris les retrouvera , les
admirera encore , non plus ſur une toile
animée par des couleurs parlantes , mais
dans une eſtampe fidéle , & dans les traits
admirables du burin. Rivaux clandeſtins ,
ennemis jaloux , en vain vos mains téméraires
dans ce Cloître où Bruno ſemble
reſpirer encore , ſe ſont-elles efforcées de
défigurer les ſçavantes peintures du Zeuxis
des François , & d'enſévelir dans un
éternel oubli fon nom & fa mémoire ; le
burin a réparé les mauxque votre main a
faits , & la gloire du Suear portée ſur les
aîles de la Renommée , ira malgré vous
juſqu'à nos derniers neveux.
Nous ne finirions pas ſi nous voulions
tranſcrire tout ce qui nous a paru mériter
l'attention du Lecteur ; il faudroit tranfcrire
le Poëme entier. Nous renvoyons à
l'ouvrage même , perfuadés que ceux qui
liſent Virgile & Ovide avec plaiſir , liront
velontiers le P. Doiſſin qui les imite
heureufement tous deux. Son Poëme mérite
d'autant plus les éloges finceres que
nous lui donnons ici , que la matiere étoit
plus difficile à traiter , & prétoit peu aux
NOVEMBRE. 1753 . rog
images riantes & gracieuſes , ſans leſquel-
Jes la Poësie n'est que de la Proſe toiſée.
En parcourant ſon Ouvrage nous nous
ſommes rappellés ces tems heureux où les
Commire , les Rapins , les Laruë , les Vanieres
faifoient retentir les rives de la
Seine des chants qu'Apollon leur avoit
dictés. Nous exhortons le P. Doiſſin de
continuer à marcher ſur les traces de ces
Poëtes célébres dont il a embraffé l'état .
LA Trentaine de Cythère. A Londres ,
& ſe trouve à Paris , chez Hochereau l'aîné
, Libraire , Quai de Conti , à la deſcente
du Pont-Neuf. Brochure in- 12 .
La Jardiniere de Vincennes. Par Madame
de V *** . A Londres , & fe vend à
Paris chez le même. in- 12. Cinq vol.
Un jeune homme de condition , eft
amoureux d'une jeune perſonne qui ne paroît
être que la fille d'une Jardiniere. Elle
devient l'époufe de ſon amant parune ſuite
d'évenemens , qui forment le fond véritablement
intéreſlant du Roman que nous
annonçons.
ESSAI hiſtorique ſur les différentes finations
de la France , par rapport aux inances
fous leRegne de Louis XIV , & la
TIO MERCURE DEFRANCE.
Régence du Duc d'Orléans. Par M. Deon
de Beaumont. A: Amsterdam 1753. in - 12 .
Un volume..
Après un tableau ferré & agréable des
grandes choses qui ſe ſont faites ſous le
regne de Louis XIV , l'Auteur entre en
matiere. Il ne dit qu'un mot en paſſant de
l'adminiſtration de Meſſieurs d'Emeri , la
Meilleraye , de la Vieuville , Servien &
Fouquet; mais il s'arrête ſur M. Colbert...
Lorſque M. Colbert fut appellé au
Gouvernement des Finances , fon premier
foin fut moins de corriger la forme & l'établiſſement
de leur adminiſtration , que
'de réparer les abus & les diffipations des
adminiſtrateurs . Ce re fut qu'en augmentant
le mouvement & la circulation , qu'il
parvint à porter l'ordre & l'étendue des
Finances du Royaume , au point de perfection
où elles arriverent. En effet , il
n'oublia rien pour augmenter de plus en
plus les relations& les correfpondances fi
néceſſaires entre tous les Ordres & les
Etats du Royaume. Ce fut par l'exactitu--
de , & par la religieuſe obſervation des
engagemens , qu'il acquit au Roi un crédit
immenfe fur tous fes Sujets , & qu'il
donna lieu aux Sujets de trouver entre eux
des reffources infinies dans leur confianceréciproque
, & dans leur créditmutuel.
NOVEMBRE. 1753 .
Sa grande & principale attention fur
de faire fleurir le commerce au dedans &
au dehors ; s'il exigea des peuples des ſubfides
plus forts qu'on n'avoit encore fait ,
il ſçut bien leur procurer les moyens de
les fournir ; les Manufactures , les Arts
les Métiers trouverent leur accroiſſement ,
leurs ſalaires & leur récompenfe ; les fonds
& l'induſtrie des particuliers ne furentjamais
fans emploi & fans action . Comme
les Négocians ſe prétoient à toutes ſes
opérations , il venoit auſſi volontiers à leur
fecours , parce qu'il ne craignoit rien tant
que ce qui pouvoit interrompre le mouvement
, même dans ſes plus petites par--
ties.
Une conduite fi habile , fi active & fi
folide l'avoit , pour ainſi dire , rendu maî
tre de tous les eſprits&de tous les biens
du Royaume , & ce fut à la faveur de cette
confiance & de ce mouvement que le
Prince & l'Etat trouverent long tems dans
l'abondance , de quoi foutenir les entrepriſes
les plus étendues & les plus diffici--
les , fans en aliérer les fources que la cir--
culation empêchoit de tarir. Quoique la
guerre coûtât des ſommes immenfes , l'intérieur
de ce Royaume ne s'étoit preſque
pas apperçu qu'il fallût entretenir des armées
; &fous le Gouvernement d'un Prince
!
112 MERCURE DE FRANCE.
qu'on peut regarder à juſte titre , comme
un des plus ſplendides de tous ceux qui
juſques alors avoient gouverné la Monarchie
, non- feulement l'argent ne manqua
jamais, mais on ne l'avoit jamais vû fi
commun. Enfin l'éclat & la proſpérité de
ce regne , la grandeur du Souverain , le
bonheur des peuples feront regretter à jamais
le plus grand Miniſtre qu'ait eu la
France ; & fi elle n'eût pas eu le malheur
de le perdre trop tôt , ſa profonde capacité
lui auroit fans doute fourni les moyens de
foutenir tout le fardeau du miniſtere , ſans
épuiſer les ſources de l'abondance qu'il
avoit ouvertes. Qui le croira ? la mort de
ce grand honime cauſa de lajoye au peuple
, que l'expérience de tant de ſiècles
n'a pas encore détrompé d'eſperer toujours
un avenir plas heureux , ſous le ſucceſſeur
d'un homme en place .
Il s'en fallut beaucoup que celui de M.
Colbert fût en état de remplir ces vaines
eſpérances de la multitude.Ce fut M. Pelletier
, & après lai Meſſieurs de Pontchartrain
& Chamillart. Les Finances étoient
dans un défordre affreux lorſque M. Defmarets
en fut chargé. Le public ſembloit
le défirer avec ardeur , il fut mis à la tête
des affaires comme le ſeul homme capable
d'apporter quelques remedes à la ſituation
NOVEMBRE. 1753. 113
violente où le Royaume ſe trouvoit. Le
nouveau Controleur Général trouva les
Finances dans un déſordre affreux. L'Etat
étoit chargé de dettes immenfes , les revenus
de la Couronne , ſur lesquels on anticipoit
depuis long-tems , étoient confumés
pluſieurs années à l'avance , point d'argent
dans l'épargne & peu dans les coffres des
particuliers , épuisés par les impôts qu'ils
Papportoient depuis fi long-tems.. Toutes
les richeſſes du Royaume étoient paſſées
où dans les pays étrangers , où entre les
mains des partifans , qui après s'être engraiffés
du fang des peuples,tenoient leurs
tréſors renfermés , & n'en laiſſoient fortir
qu'autant qu'il leur en falloit pour figuter
d'une maniere à effacer les premiers
Seigneurs du Royaume & même les Princes.
Les troupes n'étoient pas payées depuis
long-tems ; les Officiers & les foldats
manquoient de tout , ces derniers
avoient à peine des fouliers. Lesbillets de
monnoye , & toutes autres fortes de papier
, juſques là d'une aſſez grande refſource
,étoient tombés dans un diſcrédit
abſolu par le défaut de payement , ce qui
avoit tellement anéanti le crédit de la
Cour , qu'il ne falloit plus compter ſur des
emprunts.
Tels étoient l'épuiſement & le déſor.
114 MERCURE DE FRANCE.
dre des Finances , lorſque M. Deſmarets
fut appellé au miniſtere. Le premier objer
auquel il donna toure ſon attention , fut
de reconnoître les dettes de l'Etat , & les
papiers qui étoient, décrédités , & qui
avoient fait refferrer l'argent à un tel excès
que les payemens de toute nature étoient
devenus impoſſibles. On ne pouvoit fans
imprudence eſſayer de parvenir publiquement
à cette connoiſſance , il falloit au
contraire cacher le mal. Il crut donc devoir
commencer cette difficile adminiſtration
par un coup décisif , & qui marquant
au Publie qu'il connoiſſoit l'ordre & l'économie
d'une bonne régie , fût ſeul capable
de donner à l'eſpéce ſa premiere circulation
, & de ranimer la confiance. Il
comprit que le tréſor Royal , comme le
centre des Finances , devoit recevoir tout
le produit des revenus du Roi , & il s'atracha
à les y faire remettre à l'échéance
de chaque payement. Cet arrangement fut
applaudi , & eut tout l'effet qu'on en pouvoit
attendre.
Tout promit une nouvelle face , & des
commencemens ſi ſages annonçoient des
fuites les plus heureuſes , lorſque la famine
vint joindre ſes horreurs auxautres difgraces
que la France eſſuya pendant plu-
Geurs campagnes. Le froid exceffif& la
NOVEMBRE. 1753. 115
ſtérilité de l'année 1709 , porterent les
malheurs du Royaume à leur dernier période.
Le ſeul remede à tant de maux étoit
le retour d'une confiance qui ſembloit être
bannie pour jamais ; mais plus le mal étoit
grand , & plus on eut lieu d'être furpris
d'un prompt changement qui ſe fit dans
le mouvement des Finances , dèsles premiers
jours de ſon miniſtere. La haute
idée que tout le Royaume avoit de la capacité
du Miniſtre , ſuffit en effet pour ramener
la confiance autant que les circonftances
pouvoient le permettre, & fi M.Defmarets
ne fit pas l'impoffible , c'est-à-dire ,
s'il ne donna pas aux Finances toute l'étendue&
la facilité que M. Colbert y avoit
établies , il ſçut du moins faire revivre lo
crédit & le mouvement dans preſque toutes
les branches où il étoit éteint .
Quoique tous les revenus du Roi fuffent
engagés par anticipation pour deux
ou trois années , & que le défaut de confiance
& de bonne conduite eût preſque
généralement ſuſpendu la circulation ,
dans un tems où l'Etat en avoit un plus
grand beſoin que jamais , il préſenta avec
tant d'intelligence différens objets de débouchement
pour les effets qui émanoient
du Roi , & il fit 6 bien mouvoir les refforts
du crédit & du mouvement en ſubſti116
MERCURE DE FRANCE.
tuant toujours de nouveaux moyens ,
meſure que les premiers s'épuiſoient ou
s'affoibliſloient , qu'il parvint à trouver
non-feulement de quoi mettre le travail&
l'induſtrie des peuples en état de ſubvenir
plus facilement aux charges qui leurs
étoient impoſées, mais encore de quoi empêcher
la France de fuccomber faute de
ſecours extraordinaire , ſous l'accablement
d'une guerre longue & malheureuſe. Pour
foulager ceux qui étoient encore chargés
de billets de monnoyes , dont il reſtoit
alors pour la valeur de ſoixante & douze
millions répandus dans le public , & dans
les caiſſes Royales , il ne trouva point de
plus für moyen que la reſſource des efpéces.
Il fit rendre un Edit qui ordonnoit
que ceux qui apporteroient aux Changes
&auxHôtels des Monnoyes, cinq fixiémes
ou en eſpéces anciennes ou réformées , &
un ſixiéme en billets de monnoye , recevroient
le tout en argent comptant , en
nouvelles eſpéces , & que les billets de
monnoye ſeroint biffés en leur préſence.
Le bénéfice de cette refonte montoit à la
concurrence de ſoixante- douze millions
que l'on vouloit acquiter. Enfin , ſa conduite
& fa bonne foi furent telles que
tous ceux qui avoient contribué par leurs
moyens & leur crédit à l'aider dans une
NOVEMBRE . #753. 117
tems ſi difficile , il n'y en eut aucun , quelque
embaras où ſa confiance pour lui l'eût
engagé , qui crût avoir lieu d'en attribuer
la cauſe à l'irrégularité de ſon adminiſtration;
& fans entrer dans tout le détail
des opérations que fit M. Deſmarets pendant
ſon miniftere , on est encore furpris
qu'il ait eu affez de courage & de prudence
pour mettre la France en état de
rejetter les propoſitions humiliantes des
Conférences de Gertruydemberg , & de
foutenir l'immenſe fardeau dont elle éroit
accablée par la néceffité de continuer la
guerre contre des ennemis fort unis ,
qui avoient déja partagé entre eux toutes
les Provinces du Royaume , dont la
conquête leur paroiſſoit aſſurée. L'épuiſement
du Royaume étoit aſſez connu.
On n'avoit ni aſſez de moyens différens
à choiſir pour la foutenir , ni aſſez de
tems pour déliberer ; à peine avoir- on celui
d'agir & de mettre en oeuvre tous les
refforts qui pouvoient ſans violence produire
de l'argent.
Le ſalutde l'Etat conſiſtoit uniquement
à faire la paix ; contre toutes fortes d'efpérances
elle fut heureusement conclue ,
& loin de blâmer quels moyens que la
force & l'extrêmité obligerent de mettre
en uſage , ne doit-on pas donner des
118 MERCURE DEFRANCE.
éloges aux Miniſtres , qui dans des tems
fi malheureux ont eu aſſez de fermeté
pour n'être pas effrayés ,& pour continuer
des efforts vifs & redoublés , qui ont enfin
rendu à la France une paix auſſi néceſſaire
que déſirée ?
L'adminiſtration de M. Deſmarets fut
ſuivie de celle de M. le Pelletier des Forts,
& enſuite du ſyſtème des Billets de Banque.
Il nous paroît que l'Auteur a trop
adopté le préjugé populaire , qui attribue
à cette fameuſe criſe la foibleſſe de la
France. Nous n'avons pas encore vû
d'homme inſtruit qui ne penſe que c'eſt
l'époque de notre grandeur & de notre
opulence. Nous ne connoiſſions avant
cette opération , ni le crédit public ni le
commerce maritime. Il eſt bien vrai qu'il
feroit poſſible que nous euſſions troqué
nos meurs contre de l'argent. Les déclamations
qu'on trouve vers la fin de l'Ouvrage
ſur le luxe , pourroient bien être
encore la ſuite du préjugé : c'eſt aux Prédicateurs
, dit quelque part M. Melon ,
àtonner contre le luxe , & aux Politiques
à le tourner au bien de l'Etat.
L'Ouvrage que nous venons d'annoncer
n'eſt qu'une eſquiſſe , mais pleine de
feu , d'idées claires , bien enchaffées , &
bien écrites. L'Auteur , quand il aura le
T
NOVEMBRE. 1753. 19
tems & la volonté , pourra faire un Livre
utile , d'une brochure agréable.
PHÆDRUS appendice triplicifuffultus.
Parifiis , apud Deſſaint & Saillant , via S.
Joannis Bellovacenfis. 1753.in- 12 . 1 vol.
Cette édition de Phedre ſera très - utile
pour les jeunes gens. Elle réurit outre la
correction du texte trop négligé ordinairement
dans les éditions claſſiques , trois
Appendices bien entendus. Le premier eft
compoſé d'un choix de Fables & d'Epigrammes
tirées d'Avien , de Faerne , &c.
Le ſecond Appendice eſt un Recueil de
traits d'Hiſtoire , dont chacun répond à
une Fable de Phedre. Le troiſiéme n'eſt
compoſé que de Fables de Phedre , dont la
plupart ont rapport à celles d'Eſope.
LETTRE d'un Bourguemaître de Mid
delbourg à un Bourguemaître d'Amſterdam
, ſur le différend entre les Rois d'Angleterre
& de France , traduite du Hollandois.
1753. Cette Brochure ſe trouve
chez Lambert , Libraire , rue de la Comé
die Françoiſe.
HISTOIRE ancienne des Francs . Tome
premier . A Paris , chez Chaubert , près le
Pont S. Michel , & Claude Hérifſſant fils ,
suc neuve Notre-Dame. 1753. in- 8 °. t. 1 .
120 MERCURE DE FRANCE.
Nous rendrons compte dans la ſuite de
cetOuvrage.
Le Directeur dans les voyes du ſalot ,
fur les principes de S. Charles Borromée.
Par le R. P. de Courbeville , de la CompagniedeJeſus.
Nouvelle édition.AAmiens,
chez la veuve Godart , & le trouve àParis
, chez Giffart , rue S. Jacques , & chez
Ganneau , rue S. Severin .
C'eſt un des meilleurs Ouvrages de ſpiritualité
que nous connoiſſions.On y trouvera
une raiſon droite , de la connoiſſance
des voyes intérieures , un grand eſprit de
Religion , & toute la politeſſe du ſtyle qui
convient aux ouvrages de cette nature.
Les Evêques d'Amiens &deNoyon , en
l'adoptant pour l'uſage de leurs Diocéſes ,
viennentde lui donner une autorité qui
lui manquoit.
DISSERTATION ſur l'état du commerce
en France , ſous les Rois de la premiere
& la ſeconde race , qui a remporté
le Prix au jugement de l'Académie des
Sciences , Belles Lettres & Arts d'Amiens
en 1752. Par M. l'Abbé Carlier. AAmiens,
chez la veuve Godart , & ſe trouve à Pa
ris , chez Ganneau , rue S. Severin ; Chanbert
,Quai des Auguſtins ; Lambert , rue
de
NOVEMBRE. 1753. 12
de la Comédie Françoife. in 12. Un volume
de 166 pages .
Nous parlerons dans la ſuite de cette
importanteDiffertation.En attendant nous
obſerverons que l'Académie d'Amiens eft
preſque la ſeule du Royaume qui ſoit dans
l'uſage de propoſer pour ſes Prix , des ſujetsutiles.
LES Comptes faits fur les bois équarris
&de ſciage , Ouvrage très utile aux Marchands
de bois , Architectes , Entrepreneurs
de bâtimens , Charpentiers & autres:
dans leſquels ils trouveront la réduction
toute faite de toutes les piéces dont
ils pourront avoir beſoin pour la conſtruction
de toutes fortes d'édifices , tant ſur
terre que fur mer; avec un tarif ſur le
prix du bois. Par Louis Soutin. A Sens ,
chez André Jannot , & ſe trouve à Paris ,
chez Theodore Legras , Brunet , le Mercier
, Hériſſant. 1753. in- 12 . I volume,
M. le Cat vient de publier à Rouen &
on trouve à Paris , chez Delaguette , fa
cinquiéme Lettre contre le Litothome caché.
Le Frere Côme ne répond à tant d'attaques
qu'en continuant à ſe ſervir de cet
inſtrument avec un ſuccès d'une ſi grande
publicité , qu'il eſt enfin avoué générale-
F
4
122 MERCURE DE FRANCE.
ment. M. le Cat a une grande ſagacité ,
un eſprit créateur , des connoiſſances profondes
& variées , beaucoup de zéle pour
ſon art , le goût du travail , de la facilité
à écrire , l'ambition des grandes chofes &
un déſintéreſſement fort rare : que lui
manque til pour jouir ſans inquiétude &
ſans contradiction de la réputation , que
tant d'avantages luiont faite en Littérature
& enChirurgie ? d'avoir des diſputes moins
frequentes , moins longues &moins vives.
TABLE générale des matieres contenues
dans le Journal des Sçavans , de l'édition
de Paris , depuis l'année 665 qu'il
a commencé , juſqu'en 1750 incluſive.
ment ; avec les noms des Auteurs , les
titres de leurs ouvrages , & l'extrait des
jugemens qu'on en a portés. 1753. in-4°.
vol. 1. Tome troiſieme. A Paris , chez
Briaffon , rue S. Jacques.
OBSERVATIONS fur l'Hiſtoire na
turelle , fur la Phyſique & fur la Peinture ,
avec des Planches imprimées en couleur .
CetOuvrage renferme les ſecrets des Arts ,
les nouvelles découvertes , & les diſputes
des Philoſophes & des Artiſtes modernes
; année 1752. in-4°. & in- 12. A Paris
, chez Delagusite, rue S. Jacques.1753 .
i
NOVEMBRE . 1753. 123
DISSERTATION fur les maladies des
dents , avec les moyens d'y remédier &
de les guérir. Par G. P. Lemonier , Chirurgien
Dentiſte . A Paris , chez Auguſtin
Lottin , Imprimeur-Libraire , rue S. Jacques
, vis- à- vis S. Yves , au Cocq. 17530
Cette Differtation eſt diviſée en cinq
articles ou traités. Il s'agit dans la premiere,
de la formation & l'accroiſſement des dents.
Dans la deuxième , des accidens qui
arrivent à la fortie des dents , & des
moyens d'y remédier .
Dans la troiſieme , de la douleur des
dents & des remédes propres à les guérir .
Dans la quatrième , de la carie & de fes
progrès , & des moyens de la détruire .
Dans la cinquiéme , du limon & des
congreffions plâtreuſes , & de la maniere
de ſe conſerver la bouche propre,
C'eſt la premiere production des prefſes
du ſieur Lottin , jeune Imprimeur , qui
a les moeurs douces , du zéle pour ſa profeffion
, le talent d'écrire , & des connoifſances
étendues , comme on a pû s'en convaincre
par trois ou quatre excellentes Lettres
de lui ſur l'Imprimerie , qui ont paru
ſucceſſivement dans le Mercure. Il est heureux
pour les Lettres qu'il ſe forme de
tems en tems des Imprimeurs qui ayent
aſſez de goût pour connoître les bons Ou
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
vrages , & affez d'amour de la gloire pour
les préſenter au Public d'une maniere digne
de lui .
MEMOIRES de l'Académie Royale de
Chirurgie. Tome ſecond. AParis , chez
Delaguette , Imprimeur de l'Académie
rue S. Jacques , à l'Olivier. 1753. in-4°.
1. volume.
Toute l'Europe a les yeux fur cette Académie.
Une école où ſont formés ou d'où
ſortent tant de gens actifs & habiles , qui
vont opérer dans les Cours étrangeres ,
dans les Etats voiſins , juſques dans les
' armées des Puiſſances ennemies de la Franee
, ne peut ni fleurir ni décheoir que tous
les peuples n'y prennent ungrand intérêt.
On apprendra donc avec joye que
l'Académie eſt remplie d'exellens ſujets ,
que ſes Séances ſe paſſent en diſcuſſions
paiſibles& ſçavantes , & que le volume
de ſes Mémoires qu'elle publie actuelle.
ment , eſt digne de toute ſa réputation.
Nous donnerons dans les Mercures ſuivans
une idée de ce qui nous paroîtra de
plus précieux dans l'important Ouvrage
que nous annonçons.
Outre le Volume des Mémoires , l'A-'
cadémie a publié un Recueil des Piéces qui
ont concouru pour les Prix qu'elle a diſtriNOVEMBRE.
1753. 125
bués depuis 1732 , juſqu'en 1743. On le
trouve chez le même Libraire , qui s'eſt
fait beaucoup d'honneur par le ſoin qu'il
a porté à fon édition .
TRAITE' des Légions , ou Mémoires
fur l'Infanterie. Quatrième Edition. A la
Haye, & ſe vend à Paris , chez Pierre-
Guillaume Simon , Imprimeur du Parlement
, rue de la Harpe à l'Hercule. 1753 .
in- 16. pp. 161 .
CetOuvrage qui a paru d'abord ſous le
nom impoſantdeM. le Maréchal de Saxe ,
eſt d'un Officier général qui excelle dans
la théorie &dans la pratique de la guerre.
Cet art, fur lequel les François font feuls
en poffeffion d'écrire & d'écrire avec ſuceès
, devroit beaucoup aux talens de l'il-
Juſtre Auteur duTraité des légions , quand
il n'auroit jamais fait que cetOuvrage :
que ne lui devra-t-on donc pas , s'il vient à
bout de tous les grands projets qu'il a formés
?
L'Edition du Traité des Légions que
nous annonçons , eſt la ſeule qui ne ſoit
pas défectueuſe. Cet Ouvrage , dit l'Editeur
, eſt diviſé en quatre parties. Dans
la premiere , il traite de la diſcipline ;
dans la ſeconde , de la légion ; dans la troi-
Géme , de l'ordonnance de la légion ; &
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
enfin dans la quatrième , de la formation
&de la dépenſe des légions.
La premiere partie a deux objets ; le
premier , de faire voir les effets admirables
d'une bonne diſcipline , & les avantages
infinis qu'elle procure à un état ,
lorſqu'elley est ferme& exacte : le ſecond,
dedéplorer la chûte de cette même diſcipline
dans l'Infanterie Françoiſe , les malheurs
que cette décadence a déja attirés à
la France , & ceux qu'on a lieu d'en craindre
pour l'avenir , ſi on n'apporte à un mal
fi dangereux , un remede auſſi prompt
qu'efficace.
L'Auteur ne voit point de moyen plus
propre à arrêter le mal préfent , & à prévenir
les ſuites funeſtes qu'il prévoit , que
de former en légions toute l'Infanterie
Françoiſe. C'eſt ce qu'il propoſe dans la
ſeconde partie , où il développe fon plan
avec tant de netteté , & fait voir fi clairement
les avantages iminenſes , qu'il ne
paroît paroît pas poſſible de ſe refuſer à
l'évidence de ſes idées.
Mais que de difficultés , que d'objections
à faire à l'Auteur ! que d'obstacles à
lui oppofer ! Combien de tems, quelle
dépenſe pour l'exécution d'un projet fi
nouveau ſi ſingulier , ſi inoüi ! Il eſt
vrai : nous ajouterons même que la guerre
4
NOVEMBRE. 1753. 127
•
dans laquelle la France ſe trouvoit engagée
en 1744 , qui eſt l'année où un ſi beau
plan vit le jour pour la premiere fois
rendoit l'opération encore plus difficile .
Mais de quoi ne vient pas à bout une intelligence
ſupérieure Toutes les difficultés
s'applaniſſent , tous les embarras diſpa .
roiſſent ſucceſſivement devant notre Auteur.
८
LE Guide des Accoucheurs , ou le Maître
dans l'art d'accoucher les femmes , &
de les foulager dans les maladies & accidensdont
elles fonttrès ſouvent attaquées.
Ouvrage des plus utiles pour les perſonnes
qui veulent faire une pratique particuliere
de l'opération des Accoucheurs.
Seconde Edition , revûe , corrigée & augmentée
par l'Auteur , le tout en forme
d'examen. Par Jacques Meſnard , Chirurgien
Juré , ancien Prévôt de la Communauté
des Chirurgiens de la ville de Rouen,
& Accoucheur. A Paris , chez Debure
l'aîné , Quai des Auguſtins ; le Breton ,
rue de la Harpe ; Durand , rue S. Jacques.
1753. in- 8 °. Un volume.
Discours qui a remporté le prix
d'éloquence , propoſé par l'Académie des
Belles-Lettres de Montauban en l'année
F iiij
128 MERCUREDE FRANCE.
1753 , par M. Fromageot , Avocat auParlement
de Dijon , & Secrétaire Perpétuel
de l'Académie des Sciences & Belles- Lettres
de la même Ville. AMontauban , chez
Teulieres , & ſe vend à Paris , chez Chaubert
1753. Brochure in-octavo de quarante
pages.
Le ſujet proposé par l'Académie étoit :
la corruption du goût ſuit toujours celle
des moeurs. » Oüi , dit M. Fromageot , le
> déſordre des moeurs eſt le germe fatal de
>>>toute corruption ; elle ſe répand d'abord
>>ſur les Arts , dont elle change la diſtinc-
>> tion qu'elle défigure & qu'elle déprave
>> à ſon gré ; elle gagne enſuite les talens
qui les cultivent, elle les affoiblit, les
énerve & les glace ; enfin elle en vient
›juſqu'à pervertir le goût même , qui ne
>> ſent preſque plus rien ,& qu'elle anéan-
» tit bientôt. Quelle hiſtoire que cellede
>> cette terrible corruption ! contagion ra-
>>pide qui empoiſonne les ſources de la
>>f>élicité publique ,&qui enveloppedans
>> la même ruine les ſervices des Arts , le
>> génie de l'Artiſte , & le difcernementdu
>>Connoiffeur.
1
>> Qui ne ſçait , dit l'Orateur dans ſa
>>premiere partie , que l'éloquence , la
>>Poëfie & la Muſique , naquirent dans
les aſſemblées de Religiona nous devons
NOVEMBRE. 1753 . 129
le premier Poëme au premier Hiſtorien
>> des oeuvres du Seigneur. L'Architecture
» éleva des Temples , avant de bâtir des
>>>Palais. C'eſt au Peintre & au Sculpteur
> que fut confié le ſoin de tranſmeture à
>> la poſtérité les traits des grands hommes.
>>Avec le ſouvenir de leurs actions , le
>>marbre & la toile ne nous parlent que
>>>pour nous inſtraire. Les Poëtes furent les
> premiers Philofophes , & formerent les
»hommes mieux que Crantor ou que Chrylippe:
uniquement occupésdubien public
>>l'un ramene le courage d'une armée prênte
à combattre , l'autre donne des leçons
> ſur les travaux de la campagne ; le plus
>>célébre inſtruit tous les Grecs , par le ré
>> cit des ſuites funeſtes de la colere d'un
>> d'entr'eux. Athenes , devenue licenn
tieuſe , n'oublia point même alors que
le but de la Poësie étoit d'inſpirer la
>>vertu; le choeur fut introduit ſur ſon
Théatre pour en donner les plus vives
>> leçons , & l'on exigea du Poëte que fa
>>fiction ne fût point fterile pour les
" moeurs.
>>Ainſi les Beaux Arts , loin de flater
l'homme par un agrément inutile & paf-
>>ſager , ne cherchent au contraire qu'à le
ſervir d'une maniere plus parfaite &
>>plus durable. Sûr de ſe faire mieux en
Fv
130 MERCURE DEFRANCE.
> tendre , ils inſtruiſent en lui portant la
>>langue de ſes plaiſirs &de ſes ſens. Pré--
>cieuſe ſéduction ! puiſſe-t'elle faire cha-
»que jour de nouveaux progrès , & en
→nous invitant à la vertu nous faire aimer
» un joug qu'il nous eſt ſi utile de porter b
>>Mais hélas ! nous ſommes ingénieux
» à tourner à notre perte tout ce qui eſt
>>>fait pour notre bonheur , & les préfens
même de ces divinités ſont devenus dan-
>> gereux pour nous. Les moeurs des hom-
>mes étant corrompues , tout le corrompt
»entre leurs mains , & ils ont introduit
>dans les Beaux Arts le même déſordre
» qui étoit déja dans leur coeur. Avides du
>> plaifir , & ennemis de l'inſtruction , ils
ont ſéparé dans les arts ces deux objets ,
» qui devoient y être perpétuellement
>>unis; ils ont confentia en recevoir ton-
>> tes les impreſſions agréables ,& en ont
>>banni l'utilité réelle , qui en étoit la fin
principale. Qu'arrivera-t'iladès- lors ré-
>>duits au filence par notre perverſité , les
>>Arts n'inſtruiront plus ; on voudra qu'ils
> ſe bornent à plaire , & pour plaire à des
>>coeurs corrompus , il faudra , ou entre-
>>tenir leurs paffions , ou amuſer leur inconſtance.
C'eſt à cet honteux miniſtére
qu'on affervira lesBeaux Arts. Doiventils
s'attendre à un anite fortdepuis que
NOVEMBRE. 1753. 131
nous forçons la nature entiere à ſe pré-
>>ter à notre déréglement , & que nous
>>faiſons de chaque créature l'inftrument
>>de nos délices ? Il faudra de même que
>> toutes les productions du génie favori-
>>fent , ou la licence de notre conduite,
>> on notre goût pour la frivolité.
La ſeconde& la troiſième partie duDifcours
font écrites avec autant de force &
d'élégance , que le morceau qu'on vient
de lire. On trouve à la fin de l'ouvrage
une Lettre ſur la morr de l'Auteur qui
avoit des moeurs & du talent .
Debure l'aîné , Libraire , a reçu d'Anvers
le volume fuivant: Alta Sanctorum
menſis Septembris , tomus quartus , quo dies
duodecimus, decimus- tertius &decimus-quartus
continentur :fol. 1. vol. du prix de 30 liv .
en feuilles.
CATALOGUE des Livres du Cabinet
de M. de Boze. A Paris , rue Saint Jacques
, chez G. Martin , H. L. Guerin , &.
L. F. Delatour , 1753 .
Ce Cabinet , quoique celui d'un fimple
particulier , eſt peut être plus riche en Livres
curieux & en éditions rares que ceux
de beaucoup de Souverains. Le Lecteur
pourras'en former une premiere idée parles
titres de quelques uns que nous allons co
pier. Fvj
32 MERCUREDEFRANCE.
Biblia Vulgata Sixti V. cum Bulla Clementis
VIII. Roma , ex Typographia Vasicana
1592 , infol.
Pfalmorum Codex latinus , edit. fecunda ,
Moguntiæ per Johan. Fust &Petr. Schoëffer
1459 , in-fol. Cette édition n'a été connue
d'aucun Bibliographe.
Réflexions curieuſes d'un eſprit déſintéreflé
, ſur les matieres les plus importantes
au ſalut , tirées & traduites du Tractatus
Thealogico- Politicusde Spinofa.Amst. 1678,
in- 12 .
L'Opinione tiranna ne gliaffari del mondo,
da Claro Flori , Mondovi , de Roffi , 1691,
31-12 .
Homeri opera , editio princeps , Florentia
1488 , in fol. 2. vol. avec des notes margipales
du célébre Guillaume Budée.
Mémoires du Marquis de Laſſay , in-4" .
2. vol. rien n'eſt plus rare que d'en trouver
le recueil complet ,tel que celui- ci auquel
il ne manque rien.
Cymbalum mundi , Lyon , Bonin 1538 .
in- 8 . ſeconde édition , on ne connoît que
trois ou quatre exemplaires de cette édition.
HugonisGrotiiEpistole, Amſt, Blaeu,fol.
NOVEMBRE. 1753. 155
1687.Dans cet exemplaire les lacunes ſont
remplies à la main , les noms propres font
reftitués ,& les caracteres particuliers ou
chiffres font expliqués entre lignes, d'après
P'original de Grotius , communiqué par
M. P'Archevêque d'Upfal .
Méthode pour étudier l'Hiſtoire , par
l'Abbé Lenglet du Freſnoy , nouv. edit.
Paris 1729. Cet exemplaire eſt ſingulier
en ce qu'il n'a point de carton , & que
l'on trouve àla fin un cahier de remarques
fur les changemens faits par ordre duMagiftrat.
Petri de Boiffat opera , & operumfragmenta
Hiſtorica & Poetica , in-fol. abfq. loct
vel anni indicat. Cet exemplaire est vraiſemblablement
unique .
On peut juger par ces Livres qui ne
ſont pas aſſurément les plus rares de M.
de Boze , du Cabinet de ce grand Littérareur
, de ce ſçavant Antiquaire Comme
fon éloge appartientà l'Académie Françoiſe
dontil étoit undes plus anciens membres
, & à l'Académie des Belles Lettres ,
dont il a été long-tems avec beaucoup de
ſuccès le Secrétaire , nous nous bornerons
à rapporter ſon Epitaphe.
134 MERCURE DE FRANCE.
In obitum
Viri ampliffimi , clariffimi & doctiſſimi
CLAUDII GROS DE BOZE ,
Gallice , Regia elegantiorum Literarum
Inscriptionum Parifienfis , Berelinenfis
Regiæque Londinenfis Academiarum
Socii celeberrimi ,
Regiorum Ælificiorum Infcriptionibus
Prafecti ,
Numifmatum & Antiquitatum Cuftodis
longè perfpicaciſſimi .
Plangite Caftalides , longo extabefcite luctu.
Ehen! vixit amans ; delubra haud fole refulgent.
Dixerat Æs , marmor , fuperata cupidine forti ,
Diverſa edebant veteris mysteria mundi.
Odolor ! ifte filet Bozeus mactantur avara ;
Relligio , Doctrina , Decor , facundia , virtus .
Hoc fincerum honoris ſtudii
amoris monumentum extruit
PETRUS MAYER , ejusd.
GROS DE BOZE Secretarius.
Piffot , Libraire , demeurant Quai de
Conti, mettra en vente à la fin de ce mois,
l'Hiftoire & Regne de Charles VI . en neuf
volumes in 12. Par Mlle de Luffan.
NOVEMBRE. 1753. 139
PRIX proposés par l'Académie Royale des
Sciences , Inſcriptions &Belles- Lettres de
Toulouse , pour les années 1754 , 1755
1756.
L
A Ville de Toulouſe , célébre par
les prix qu'on y diſtribue depuis longtems
à l'Eloquence , à la Poësie & aux
Arts , voulant contribuer aufli au progrès
des Sciences & des Lettres , a fous le bon
plaifir du Roi , fondé un prix de la valeur
de 500 liv. pour être diſtribué tous les ans
par l'Académie Royale des Sciences ,
Inſcriptions& Belles-Lettres , à celui qui,
au jugement de cette Compagnie , aura le
mieux traité le ſujetqu'elle aura propoſé.
Le fujer doit être alternativement de
Mathématique , de Médecine & de Littérature.
L'Académie avoit propoſé pour ſajet du
prix de cette année 1753 , de déterminer la
direction & la forme la plus avantageuse,
d'une digue , pour qu'elle réſiſte avec tout l'a
vantage poſſible à l'effort des eaux , en ayant
égard aux diverſes manieres dont elles tendent,
àla détruire.
Quoique dans le nombre des Piéces
qui ont été préſentées , quelques unes
contiennent des vûes & des principes uti136
MERCURE DEFRANCE.
1
les : l'Académie a réſervé le prix , à cauſe
que les Auteursqui avoient le mieux réuffi
n'ont traité qu'une partie du ſujet ,&
que ſe bornant aux digues qui ont pour
objet de défendre les bords de la mer ou
ceux des rivieres , ils ont négligéde parler
des digues qui font deſtinées à élever les
caux , ou à changer leur direction .
La grande utilité de ce ſujet a engagé
l'Académie à le propoſer encore pour le
prix de 1756 , qui fera double.
L'Académie qui s'est déterminée auffi à
doubler le prix de 1755 ,propoſe de nouveaupour
ſujetde ceprix, l'étatdes Sciences
des Aris à Toulouſe,ſous les Rois Visigots
quelles étoient les loix & les moeurs de cette
Vüle,fousle gouvernement de ces Princes.
Les bornes étroites que pluſieurs des Auteurs
, qui ontdéja traité ce ſujet s'étoient
prefcrites , engagent à avertir , que par
Toulouſe l'Académie entend , non-feulement
l'eſpace renfermé dans l'enceinte de
cette Ville , mais encore toute l'étendue
du Royaume dont elle étoit la Capitale.
د
Les Sçavans furent informés l'année
derniere que l'Académie propoſoitde
nouveau pour ſojet du prix double de 1754
laThéorie de l'Ouie , & qu'elle exige des
Auteursune expoſition exacte & circonftanciée
des fonctions propres à chaque
NOVEMBRE. 1753. 137
partie de l'oreille , & des avantages qui réfultent
de leur figure & de leur jeu pour la
perception du ſon.
Les Auteurs qui ont déja remis des ouvrages
ſur ces ſujets , pourront les préſenter
derechef , après y avoir fait les changemens
qu'ils jugerontconvenables.
Les Sçavans font invités à travailler ſur
ces ſujets , & même les Aſſociés étrangers
de l'Académie. Les autres Académiciens
ſont exclus de prétendre au prix .
Ceux qui compoſeront font priés d'écrire
en François ou en Latin , & de remettre
une copie de leurs ouvrages , qui
foit bien liſible , ſurtout quand il y aura
des calculsalgébriques.
Les Auteurs écriront au bas de leurs ouvrages
, une ſentence ou deviſe ; mais ils
n'y mettront point leur nom. Ils pourront
néanmoins y joindre un billet ſéparé &
cacheté , qui contienne la même ſentence
ou deviſe , avec leur nom , leurs qualités
& leur adreffe : l'Académie exige même
qu'ils prennent cette précaution ,lorſqu'ils
adreſſeront leurs écrits au Secrétaire . Ce
billet ne ſera point ouvert , ſi la piece n'a
remporté le prix .
Ceux qui travailleront pour les prix ,
pourront adreffer leurs ouvrages à M.
l'Abbé de Sapte , Secrétaire Perpétuel de
>
138 MERCURE DEFRANCE.
l'Académie , ou les lui faire remettre par
quelque perſonne domicilée à Toulouſe.
Dans ce dernier cas , il en donnera ſon
Récépillé , ſur lequel ſera écrite la ſentence
de l'ouvrage avec ſon numero , ſelon
Pordre dans lequel il aura été reçu.
Les paquets adreſſés au Secrétaire , doivent
être affranchisde port.
Les ouvrages ne seront reçus que jufqu'au
dernier Janvier des années , pour le
prix deſquelles ils auront été compoſés .
L'Affemblée proclamera dans ſon Affemblée
publique du 25 du mois d'Août de
chaque année , la pièce qu'elle aura couronnée.
Si l'ouvrage qui aura remporté le prix ,
a eté envoyé an Secrétaire àdroiture , le
Tréſorier de l'Académie ne délivrera ce
prix qu'à l'Auteur même , qui ſe fera connoître,
ou au porteur d'une procuration
de ſa part.
S'il y a un Récépiſfé du Secrétaire , le
prix ſera délivré à celui qui le repréſentera.
L'Académie qui ne preſcrit aucun ſyſtême
, déclare auſſi qu'elle n'entend point
adopter les principes des ouvrages qu'elle
couronnera.
1
NOVEMBRE . 1753. 139
L
'Académie des Sciences , Belles-Lettres
& Arts d'Amiens , célébra le 25
Août la Fête de Saint Louis , dont le Pané.
gyrique fut prononcé par M. Dairé , Curé
d'Epinai.
L'Aſſemblée publique avoit été tenue
le 13 du même mois ,& honorée de la
préfence de M. le Duc de Chaulnes , Prorecteur
de l'Académie , qui le 12 avoit fait,
comme Gouverneur Général de Picardie
fon entrée folemnelle dans Amiens.
M. Diret , Directeur , ouvrit la Séance
par un Diſcours ,dans lequel il prouva
combien l'étude des Lettres étoit propre à
former le commerçant.
Les autres ouvrages qui remplirent la
Séance , furent les éloges que M. Baron ,
Secrétaire Perpétuel de l'Académie , fit de
M. Berfin de Villers , Maître des Requêtes
, Académicien Honoraire ; & de M.
Bernard , Avocat , Académicien réſident ,
morts dans le cours de l'année ; des réflexions
ſur l'imagination , par M. de Vuailly :
une Ode fur la fincérité , par M. le Picart,
trois Fables par M. de Riveri ; une Ode
de M. l'Abbé Clergé , ſur l'entrée ſolemnelle
de M. le Gouverneur Général.
M. Greffet , de l'Académie Françoiſe
140 MERCURE DE FRANCE.
termina la Séance par la lecture de l'Ouvroir
, ou le Laboratoire de nos Soeurs ; l'un
des deux nouveaux chants , ajoutés au Poëme
de Vert-vert.
M. Greffet proteſte contre tous les pretendus
recueils de ſes ouvrages , qui one
été publiés juſqu'ici : aucune de ces éditions
n'a été faite de ſon aveu , ni en France
, ni ailleurs ; c'eſt une vérité que nul
Editeur , ni Libraire ne peut démentir ;
ainſi M. Greffet n'a aucune part à l'abus
qui ſe fait de la confiance publique par
des éditions multipliées , toujours chargées
de piéces qu'il délavoue , & de fautes qui
ne font pasles fiennes. Il compte être bientôt
affranchi des obſtacles qui l'ont empêché
juſqu'à préſent de donner une édition
avouée & augmentée de plufieurs
piéces qui n'ont point encore été mifes au
jour.
L'Académie ayant jugé à propos de réferver
les prix de cette année , pour ſujets
de ceux qu'elle diſtribuera le 25 Août
1754, propoſe à réſoudre les queſtions
fuivantes : Quelles font les differentes qualités
de laines , propres aux Manufactures de
France? Si on ne pourroit point ſe pafferdes
laines étrangeres ? Comment on pourroit perfectionner
la qualité & augmenter la quantité
de laines de France ?
NOVEMBRE. 1753. 141
:
Le prix de cette Differtation ſera une
Médaille d'or de la valeur de 600 liv . donnée
par M. le Ducde Chaulnes , Protec
teur de l'Académie .
Quelle est la nature de la tourbe de Picardie
? Si elle.craît ? Si elle recroît ? Comment on
pourroit diminuer les dépenses qui ſefont ordinairement
pour la tirer ? Le prix de cette
Diſſertation ſera une Médaille d'or de la
valeur de 300 liv. donnée par l'Hôtel-de-
Ville d'Amiens,
Il ſera libre aux Auteurs qui ont envoyé
au concours des Diflertations ſur les laines
, de les renvoyer avec de nouvelles
obſervations ; l'Académie même les y exhorte.
Ils adreſſeront leurs ouvrages , affranchis
de port , avec leurs noms & leurs
déviſes cachetés , avant le premier Juin
1754 , à M. Baron , Secrétaire Perpétuel
de l'Académie , àAmiens.
LETTRE à M. le Chevalier de Caufans.
M
Onſieur , il court un bruit dans le
Public que vous êtes sûr d'avoir fait
la découverte de la Quadrature du Cercle.
Je ne doute point de vos lumieres ,
mais je me crois indiſpenſablement obligé
d'avoir l'honneur de vous dire , que fi vous
vous êtes conformé aux principes Eucli
42 MERCURE DE FRANCE .
diens , vous n'êtes point parvenu précifement
à la quadrature , parce qu'elle n'eſt
point du reffort des démonſtrations algébriques.
Et fi vous l'avez trouvée numériquement
, je vous devance de beaucoup
d'années dans cette découverte ; Gueffier ,
Libraire , Parvis de Notre-Dame , à Paris ,
peut vous en donner des preuves. Je ſerai
toujours prêt à reconnoître votre ſupériorité
ſur moi dans cette cauſe célébre ,
vous en avez effectivement; & j'ai tout
lieu d'eſpérer de la nobleſſede vosſenimens
, la justice que j'en dois attendre.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Liger, Commis au Bureau
Guerre , à Versailles.
A Verſailles , le 4 Septembre 1753 .
dela
REPONSE à la Lettre de M. **. de
Paris, du 25 Août dernier.
M
Onfieur , je vous renvoye , les deux
Volumes fur la Minéralogie dont
M. Wallerius eſt l'Auteur ; je conviens
avec vous que la matiere y eſt traitée avec
beaucoup d'ordre , & que fa nouvelle méthode
donne beaucoup de facilité pour la
connoiſſance des différens corps fotfilles.
Il ſeroit néanmoins à ſouhaiter que cet
NOVEMBRE. 1753. 243
Ouvrage fût moins chargé de ſubdiviſions
&de ſuppoſitions abſolument démenties
par les obſervations qu'on peut faire journellement.
J'ai marqué en marge , ſuivant
vos déſirs , celles que j'ai jugées telles. En
voici une que je n'ai pû paſſer ſans critique.
>>L'Auteur dit V. 1. page 174 , Obfer-
>>vation premiere : qu'on n'a point encore
>> trouvé de cailloux , de pierres à fufil , &
agathes , enroches , en couches , veines
<><>& filons. Que ces eſpéces de pierres ſont
» iſolées , répandues dans les campagnes ,
» dans les ſables , & fur les bords de la
<mer ; & plus bas , page 175 & 176 ,
>>>Obſervation cinquième , que l'on auroit
>>droit de conclure , qu'une partie de ces
<>> pierres eft de toute antiquité , & qu'el-
->les ſe ſont coagulées & durcies , ſous une
> forme ſphérique dès le commencement
>>du monde.
Les remarques fuivantes prouventnonſeulement
, qu'on trouve dans les couches
-ces trois eſpéces de pierres ; mais auſſi que
-les pierres ſemblables , qu'on trouve ailleurs
iſolées & répandues , ſont ſorties des
couches après y avoir été formées.
Remarque premiere. Sur les Cailloux.
Dans quelques montagnes de cette Pro
144 MERCURE DE FRANCE:
vince , on voit des couches compoſées de
coquilles & détrimens mêlés d'un grand
nombre de cailloux , foit arrondis , ſoit
d'autres formes , qui ont comme une
croûte blanche de même matiere de coquilles
& détrimens ; quelques unes des
coquilles ſont adhérentes aux cailloux
en forte que la partie qui eſt dans le caillou
eſt convertie en pierre , &la partic
faillante eſt encore en nature de coquille.
Lorſqu'on a caffé ces cailloux, on trouve
dans le centre de pluſieurs , des coquilles
&détrimens ſemblables à la matiere qui
compoſe la couche ; fi l'on jette dehors
cette matiere , il reſte dans la cavité de ces
cailloux , de petits corps marins qui y font
adhérens , de la même façon que la ſuperficie.
Ils prennent un poli très-vif après
la taille ; alors on découvre dans leur capacité
, nombre de veſtiges de coquilles
ouautres corps marins. Ces cailloux ayant
donc des coquilles ſur leurs croûtes , d'autresdans
leurs centres ,& d'autres dans le
corps de la pierre , on peut avec quelque
aſſurance , conjecturer qu'ils ont été compoſés
de lamême ſubſtance que celle qui
compoſe la couche , & qu'ils ont pris leurs
figures déterminées en ſe condenfant
comme font les grains de ſel , qui prennent
la lear en ſe criſtaliſant. :
Dans
NOVEMBRE. 1753. 145
Dansd'autres couches , j'ai trouvé des
cailloux arrondis , compoſés entierement
de corps marins , ſoit coquilles & noyaux
de coquilles; ces cailloux ne font que formés,
mais point encore convertis en pierre
dure: ceux que j'ai caſſés de cette forte ,
ſont dans toutes leurs maſles , de même
matiere de coquille , ſans qu'il paroiſſe de
différente dureté dans aucune partie.
Il eſt d'autres cailloux tirés des couches
de pierres très-dures , ſur leſquelles on ne
découvre plus aucune matiere de coquilles
mais les noyaux qu'on diſtingue encore
aiſément, ſoit ſur leur ſuperficie , ſoit en
les caffant , me perfuadent qu'ils ont été ,
comme les précédens , compoſés de même
matiere de corps marins.
Deuxième. Sur les Pierres àfufil.
On voit dans pluſieurs montagnes , des
couches compoſées de pierre à fufil , en
groffes & petites maſſes ſéparées , mais
néanmoins liées dans la couche par une
eſpéce de craye blanche médiocrement
durcie , dans laquelle on découvre des
veſtiges de corps marins , que l'on apper
çoit de même dans les pierres à fuſil. Cel
les qui ſont de figures arrondies ſe déra
chent des couches avec afſſez de facilité
G
146 MERCURE DE FRANCE .
ſans emporter ſur leurs ſuperficies que bien
peu de cette matiere de craye. Il eſt des
couches où la quantité de pierres à fufil
excéde le volume de la craye ; & d'autres
où le volume de la craye eſt beaucoup plus
conſidérable que celui des pierres à fufil .
Les couches que j'ai vûes de cette eſpéce ,
n'ont au plus qu'un pied & demi d'épaifſeur
, mais pluſieurs lieues d'étendue.
Troisième. Sur lesAgathes.
Dans une très haute colline ſur les bords
de la riviere de Seine , j'ai vu une couche
de pierre blanche affez dure , de trois pieds
d'épaiffeur , & de pluſieurs lieues d'étendue
, mêlée de noyaux de divers gentes
de coquilles , convertis en agathe brune
leſquels prennent un poli des plus unis &
des plus vifs ; on apperçoit tant dans la
couche de pierre blanche , que ſur les
noyaux après les avoir polis , une ſi prodigieuſe
quantité de veſtiges de corps marins
, qu'on ne peut douter que ces couches
& ces noyaux n'en ayent été compofés.
End'autres couches j'ai trouvé nombre
de cornes d'Ammon , des noyaux d'Echi
nites, & d'autres coquilles de pure agathe .
Obſervez , Monfieur , au ſurplus que les
4
NOVEMBRE. 1753. 147
trois eſpéces de pierres ſurnommées qu'on
trouve dans les couches , donnent des
étincelles de feu en les frappant avec l'acier
, ainſi que les pierres des mêmes eſpéces
qu'on trouve répandues dans les campagnes
& autres lieux; & que les unes
comme les autres , portent preſque toutes
des veſtiges de coquilles , ou d'autres marques
de productionsmariness preuve qu'elles
ont toutes la même origine .
Je ne dois pas négliger de vous communiquer
une autre remarque que j'ai faite
nouvellement , & qui me paroît mériter
L'attention des Naturaliſtes. J'ai trouvé
dans des couches , & dans les vignes du
Vendomois , parmi des cailloutages , des
coquilles encore dans leur nature de coquille
, affez bien conſervées , &d'autres
conſervées dans leurs ſtructures , mais un
peu calcinées , qui donnent toutes ( tant
celles des couches que celles des vignes )
des étincelles de feu en les frappant avec
T'acier.
Sur ce que je viens d'expoſer , ne vous
paroit-il pas ſurprenant , Monfieur , qu'un
Sçavant tel que M. Wallerius , ignore que
ces trois eſpéces de pierres qu'on trouve
dans les lieux qu'il défigne , ſont forties
des couches de la terre , qui compoſent les
montagnes , les collines & les plaines ;
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
& qu'il ne ſcache pas que celles de figures
ſphériques , celles preſque arrondies , &
celles à angles émouſſés, ſe ſont plus aifément
détachées des couches que cellesdes
autres formes ; & que par même faiſon
d'arrondiffement , elles ont roulé dans les
campagnes& autres lieux , où on les trouve
iſolées & répandues.
C'en eſt aſſez , il me ſemble , pour
prouver qu'on trouve dans les couches
ces trois eſpéces de pierres , pour détruire
l'origine que leur donne M. Wallerius
& pour anéantir par conséquent ſa con.
cluſion ſur leur âge.
J'ai l'honneur d'être , &c .
DuChâteau de Prépatour , ce 20 Septembre
1753 .
LES Libraires aſſociés diſtribuent actuellement
le troiſiéme volume de l'Encyclopédie.
L'Auteur de l'article Concile ,
avertit qu'à la page 808 , lig. 62. col. 1 .
& à la pag . 810. lig. 10 col. 1 , il faut lire
Binius , au lieu de M. Bignon. Le nom de
Severin Binius n'a point dû être ainſi franciſé
, & on pourroit le confondre avee
Jerôme Bignon , dont on trouve des notes
dans la collection des Capitulaires , tandis
que celles de Severin Binius regardent
lesConciles , & font inſerées dans laCol-
L
NOVEMBRE. 1753. 149
lection du Pere Labbe . Au reſte , on corrigera
cette faute dans l'Errata du troifiéme
volume de l'Encyclopédie , qui ſera mis
an volume ſuivant du même Dictionnaire.
L
BEAUX ARTS.
E Vendredi 28 Septembre , l'Académie
de Peinture &de Sculpture étant
affemblée par convocation genérale , M.
le Comte de Vence fut élû par ſerutin ,
honoraire Affocié libre. C'eſt une acquifition
que tout doit rendre précieuſe à
l'Académie : le nouvel Académicien réunit
tous les avantages qu'on peut déſirer , une
grande naiſſance , des moeurs faciles
goût sûr , une eſpéce de paſſion pour les
Arts , & un cabinet fort riche.
un
LA Peinture. Ode de Milord Telliad ,
traduite de l'Anglois. A Londres , & fe
trouve à Paris , chez Prault fils , Quai de
Conti. 1753. Brochure in 12 de 22 pages.
Il y a bien du feu , de l'enthouſiaſme ,
& du zéle pour l'honneur de notre Ecole
de Peinture , dans cette brochure prétendue
traduite de l'Anglois. Peut-être y déſireroit-
on un peu plus d'économie dans l'éloge
de quelques-uns de nos Artistes. Ce
Giij
1
150 MERCURE DE FRANCE.
reproche, ſi c'en eſt un, ne peutpas tomber
fur les ſtrophes que nous allons copier.
Répond-moi , célébre Chardin : quand
la Peinture jalouſe , ſurmontant enfin ta
Philofophie & ta pareſſe , peut te faire
reprendre en main ſes pinceaux , & tracer
à loiſir ces images de la nature ſi ſinceres
, fi affectueuſes , fi naïves ; quelle
magie , quel art inconnu juſqu'à toi
peut diriger ſon mechaniſme enchanteur ?
Tout plaît dans la décoration de tes tableaux
, leur fujer & leur exécution. L'oeil
trompé par leur agréable légereté , & la
facilité apparente qui y regne , voudroie
en vain , par fon attention&ſes recherches
multipliées , en apprendre d'euxle
fecret : il s'abîme , il ſe perd dans la touche;
& laſſe de ſes efforts , ſans être jamais
raffafié de ſon plaiſir , il s'éloigne .
ſe rapproche , & ne la quitte enfin qu'avecle
ſermentd'y revenir.
Tant de talens& fi peu flattés , me rappellent
cetArtiſte qu'on a vû trop long-tems
triompher ſur les bords du Tibre , & que
Paris déſormais ſe promet de voir repoſer
dans ſon ſein. Que de lauriers il rapporte
de ces bords jaloux ! & qui pourra jamais
croire qu'une ſeule main en aittant cueillis
? Que de naturel ! quel feu ! quelle
verve & quelle abondance ! Vernet , uniNOVEMBRE.
1753. 151
que dans ſon genre , laiſſe bien loinderriere
lui tous ceux qui l'ont précédé dans
la même carriere , & fait le déſeſpoir de
quiconque ofera le ſuivre. A la fougue
épurée des Vander- cable , au naturel exquis
des Lorrains , il joint tout l'eſprit ,
toute la correction , & la touche ferme &
faillante des Salvator. Auſſi Poëte , mais
fur tout intéreſſant que ce dernier , jamais
le coeur ne reſte indifférentà la vue de ſes
tableaux : il ſe trouble comme l'élément
en fureur qu'il repréſente ; il eſpére , il
craint avec ceux qui luttent contre les
flots amers , prêt à les ſubmerger ; il fe
briſe de douleur à l'aſpect de ceux que leur
triſte ſort en a rendu la victime . Quelquefois
auſſi , plus tranquille , mais non plus
content , il goûte en paix fur le rivage ,
avec de moins infortunés , les délices du
port.
Quelle aimable variété dans les talens !
&quelle ſageſſe la nature fait paroître
dans leur différente diſtribution ! quels
éloges ſur-tout ne méritent pas ceux qui
ſçavent reconnoître le leur propre , & s'y
attachent ! Je vois des portraits qu'Apelles
cût admirés . Ce grand homme , dit l'Hiftoriende
la nature , exprimoit distinctement
, dans l'image de ceux qu'il repréſentoit,
l'âge , le tempérament , l'eſprit .
Giiij
132 MERCURE DE FRANCE.
:
3
:
l'humeur , les paſſions & le caractere. La
Tour est l'Apelle de nos jours. La Tour
femble ravir à ceux qu'il peint l'eſprit , qui
nous enchante dans leurs Ouvrages. Son
art réunit le double avantage d'exprimer
également bien l'eſprit & la beauté , qualités
ſi incompatibles quelquefois dans la
nature. La beauté , ſous ſes crayons enchanteurs
, loin de perdre rien de ſa fleur ,
ſemble acquérir au contraire de ces graces
païves & ingénues , qui en font le plus
grand charme. Il ſcait par ſon tact fubtil
& magique , ſaiſir & fixer le ſel volatil
de l'eſprit , fi facile à s'évaporer des mains
de qui que ce foit , & de ceux même qui
le poſſédent.
Sçavant Restout , perfonne n'a connu
mieux que toi l'avantage de ce privilége ,
ni n'en a ufé plus abondamment. Digne
neveu du Turpilius moderne , ta main
ſous lui s'eſt exercée à mouvoir ſans effort
les plus grandes machines. Rien n'égale
la fierté de ta touche & de ton deffein;
tes airs de têtes ſe ſentent de ſa fureur.
Mais bien différent de ces Peintres
modernes , qui cherchent à flater un ſexe
foible , & le vain pouvoir que nous lui
attribuons , juſques dans la repréſentation
des évenemens les plus reculés , ton génic
bruſque & inventif n'a jamais ployé ſous
NOVEMBRE. 1753. 153
1
cette fervitude. Dans eux , c'eſt le triomphede
labeauté ; dans toi , c'eſt celui de
lagrace que nous admirons..... Je recon.
nois dans tes tableaux l'ordre admirable
de la providence. Ce font là les inclinations
dignes de fixer l'amour permanent
de nos Patriarches ; ce ſont là les beautés
males , feules dignes de figurer dans l'ancien
Teſtament.
On peut parvenir aux honneurs de ſon
art par des chemins différens. Les ris &
l'amour en ont frayé la route au Corrège
moderne. Sa main cueillit des roſes où les
autres ne rencontrerent que des épines.
Quel feu , que d'eſprit , quelle onction &
quelle harmonieuſe aiſance ! Platon jadis
accuſoit certains Philoſophes de n'avoir
jamais facrifié aux Graces; je n'ofe faire
aux Peintres François le même reproche ;
mais Boucher ne l'encourra jamais. Son
imagination vive & abondante ne s'eſt
point bornée à ce nombre : Boucher en
connoît plus de trois. Ses yeux ont vû
plus d'une Venus : il ſemble , dans ſes rêveries
tendres &paffionnées , que ce Peintre
privilégié ait aſſiſté à tous les myſteres
de l'amour.
Un Athléte fier & majestueux s'avance.
Il marche , dédaigneux de courir , il marche
; & le dernier de ſes pas doit remplir
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
la carriere. Sa main triomphante ſemble
lever le sideau , qui juſqu'à nous avoit
paru voiler la nature. Il découvre à nos
yeux les tréſors dont les différentes ſaifons
ont coutume de l'enrichir. C'eſt des
mains même de cette Déeſſe qu'il tient ſes
pinceaux : elle ſemble ſe plaire moins dans
fes propres productions que dans ſes ouvrages.
Elle s'y trouve auſſi ſimple , auffi
vraye , auſſi touchante , &de plus embellie.
Son génie actif& puiſſant parcourt à
la fois la mer , la terre & les Cieux. C'eſt
dans l'Olympe qu'il prend ces traits riches
& lumineux dont il teléve notre humanité
& la décore. Il oſe repréſenter tour- àtour
,& de leurs vrayes couleurs , les plai
firs & la majesté des Dieux : demi-Dieuw
lui même , ce n'eſt ni le Corrège , ni le
Titien , ni Rubens , c'eſt Vanloo.
La grandeGallerie de Versailles , & les
deux Salons qui l'accompagnent , peints par
Charles le Brun , premier Peintre de Louis
XIV , deffinés par Jean Baptiste Maſſé ,
Peintre& Confeiller del'Académie Royale
de Peinture &de Sculpture , & gravés
fous ſes yeux par les meilleurs maîtres du
tems.
Tous les Curieux de l'Europe atten
doient avec impatience le plus grand ow-
4
NOVEMBRE. 17530 155
vrage de Gravûre qui ait été entrepris &
exécuté dans le ſeul Pays où la gravûre
foit cultivée avec ſuccès. Nous leur annonçons
que cette immenſe entrepriſe eſt
enfin finie , & qu'elle ſoutient très-bien
l'honneur de notre Ecole. Voici comment
s'exprime M. Mallé à la tête d'un petit
Livre dans lequel il dévelope les idées du
Peintre dont il immortaliſe les ouvrages.
Charles le Brun , ce grand Peintre , dont
le nom ſeul eſt devenu un éloge , confacra
les dix plus belles années de fa vie à peindre
la Galerie de Verſailles & les deux fa
lons qui l'accompagnent.
Les Tableaux dont cette Galerie eſt or--
née , contiennent la plus brillante partie
de l'Hiſtoire de Louis XIV , c'est- à- dire ,
depuis 1661 qu'il prit en main les rênes
du Gouvernement , juſqu'en 1678 qu'il
borna le cours de fes exploits par une paix
plus glorieuſe encore.
Le zele& la reconnoiſſance de leBrun ,
pour un Prince qui ne ceſſoit de le combler
de bienfaits , l'éleverent en quelque
forte au-deſſus de lui même. Il répandit
dans cet ouvrage , toute la variété , toute
Ja nobleffe des pensées &des expreſſions
qui caractériſent un Poëme héroïque ; &
le Roi frappé de l'effet de ſes premiers
Tableaux , ſe propoſa dès lors de les faire
Gvj
156 MERCURE DEFRANCE .
graver ſucceſſivement , pour en former un
recueil qu'il pût donner aux Princes , aux
Miniſtres étrangers , & aux perſonnes diftinguées
qu'il voudroit honorer d'une marque
particulierede ſa bienveillance.
:
Dans cette vûe , M. Colbert commença
par charger Charles Simonneau , degraver
celuide ces Tableaux dont le ſujet eft la
ſeconde conquête de la Franche-Comté;
mais la planche n'ayant pû être finie qu'en
1688 , cinq ans après la mort du Miniftre,
le malheur des guerres qui ſuivirent immédiatement
, fit oublier , pour ne pas
dire abandonner totalement , une entrepriſe
auſſi honorable pour la Nation
qu'elle auroit été utile aux progrès des
Arts : quelle apparence qu'un ſimple particulier
osât jamais s'en charger !
,
Je l'avouerai cependant , j'eus l'heureuſe
témérité de former ce projet en 1723 ,
&M. le Duc d'Antin à qui je le communiquai
, réchauffant mon courage par tout
ce que les éloges ont de plus flatteur dans
la bouche des Grands , me remit peu de
jours après un brevet du Roi , qui m'autoriſoit
à élever dans les appartemens de
Verfailles , les échaffauts dont j'aurois beſoin
pour mon opération.
Huit années me fuffirent à peine pour
terminer les deſſeins.On ne prévoir point,
NOVEMBRE. 1753. 157
&il eſt bon que cela ſoit ainſi , on ne pré
voit point , dis-je , ce qu'il en coûte de
tems , de foins & de peines pour deſſiner
dans une attitude contrainte , des plafonds
où le Deſſinateur n'eſt éclairé que par des
jours de reflet . La ſeule circonstance qui
m'aidoit à foutenir un travail ſi pénible ,
c'eſt que le Roi Thonoroit ſouvent de ſes
regards , & en paroiſſoit toujours fatisfair.
Lesgravûres ont eu des inconvéniens
d'une autre eſpéce , & elles ont emporté
un eſpacede plus de vingt années , fans
qu'il y ait lieu de s'en étonner , fion com
fidére , premierement , qu'on s'eſt aſſujetti
àgraver tout au miroir , pour rendre les
actions à droite comme elles font dans les
Tableaux , ce qui , à la vérité , eſt d'une
longueur infinie , mais qui a paru abfolument
néceffaire pour la fidélité de la repréſentation
,& pour la beauté des eſtampes.
En ſecond lieu , que n'ayant voulu
confier l'exécution d'un pareil ouvrage
qu'à des Graveurs d'une habileté reconnue
, ceux qui jouiſloient déja d'une grande
réputation étant auffi fort avancés dans
leur carriere , ils ont dans cet intervalle
payé à la nature le tribut dont nul talent
ne peut affranchir ; que ceux qui les ſuivoient
de près , ſe ſont inſenſiblement
trouvés hors de combat par l'âge qui lesa
158 MERCURE DEFRANCE.
gagné , ou par les infirmités qui leur font
furvenues; que d'autres enfin , éblouis par
les avantages qu'on leur faisoit eſpérer.
dans les Pays étrangers , font allés s'y
établir.
Je m'arrache au détail de ces fatalités
preſquetoujours inséparables des grandes
entrepriſes , pour témoigner publiquement
que je dois une partie de la réuſſite
de celle-ci , aux foins obligeans de Mefſieurs
Galoche , Boucher , Natoire & Bouchardon
, & fur- tout de feu M. le Moyne ,
que je voudrois pouvoir immortalifer par
ma reconnoiffance , comme il s'eft immortaliſé
lui-même par les chefs-d'oeuvres qui
font fortis de ſes mains.
Je ne ſuis pas moins empreffé de publier
que l'amour des beaux Arts qui animoit le
miniſtere de M. de Tournehem , & qui
diftingue également celui de M.de Vandiere
ſon digne ſucceſſeur , m'a fait trouver
dans les bontés du Roi , les derniers
ſecours dont j'avois beſoin pour mettre ce
recueil au jour , & que ce qui me flatte
le plus dans le ſuccès de mon entrepriſe ,
c'eſt qu'indépendamment de l'avantage
qu'elle me procure de tranſmettre à la poſtérité
une juſte idée de la grandeur de nos
Rois , elle a ſervi dans le tems , à entretenir
enFrance nombre d'excellens Artif
NOVEMBRE. 1793. 199
tes , à y foutenir le bon goût de la Gravêûre
, & à lui affurer en ce genre la même
prééminence que la Peinture & la Sculpture
luidonnent fur toutes les Nations.
Tout ce que M. Maſſe vient de dire eft.
fort au-deſſous de ce qu'on penfa de fon
entrepriſe à Versailles le 23 Novembre.
Toute cette belle ſuite d'eſtampes y fut expoſéedans
la grande Gallerie , & y fixa
T'attention de toute la Cour. Le Ror dit ;
Voilàma Gallerie éternifée , car cela restera
Paris , où le goût des Arts eſt plus vif , a
montré encore plus d'empreſſement. Le
Salon qu'on a prolongé pour donner le
tems d'examiner cette grande collection ,
qu'on n'avoit pû y porter que tard , n'a
pas déſempli. Nous rendrons compte le
mois prochain des impreſſions du Public
qui ont été extrêmement favorables .
6
Nous avertirons en attendant , que la
Collection que nous annonçons eft compoſéede
55 ſujets , dont deux ſont imprimés
ſur legrand Louvois , & les autres fur
legrand Aigle, & qu'elle ſe vend actuelle.
ment chez l'Auteur , à Paris , Place Danphine.
Le prix en blanc eſt de 300 liv .
Les perſonnes qui voudroient l'avoir reliée
, peuvent s'adreſſer au fieur Padeloup
Relieur du Roi , au coin de la Place de
Sorbonne. C'eſt le ſeul qui en ait relié julqu'àpréfent.
160 MERCURE DE FRANCE.
Comme cet Ouvrage eſt dans ſon plus
grand éclat ſous verre , ceux qui le déſireroient
ainfi , peuvent s'adreſſer au ſieur
Billette , Vitrier , rue du Harlay , proche
la Place Dauphine. C'eſt lui qui l'a monté
pour le Roi, pour le Roi de Pologne,Duc
de Lorraine , & pour l'Auteur.
M. Peffelier toujours attentif à louer
'tout ce qui ſe fait d'utile pour les Arts , a
envoyé à M. Maſſé les Vers ſuivans.
Des chefs-d'oeuvresque l'artne peut trop publier ,
Ta main incomparable aſſure la mémoire :
Du Peintre & du Heros tu partages la gloire ,
Comme tu ſçais l'étendre&la multiplier.
C'EST avec plaifir que nous annonçons
aujourd'hui le débit d'une Eſtampe
qui a quatorze pouces neuf lignes de hauteur
, & douze pouces huit lignes de largeur
; c'est-à - dire , qu'elle eſt grande comme
le Tableau original que le public a
fort admiré dans le dernier ſalon. Le beau
morceau peint par M. Chardin , & tiré
du Cabinet de M. de Vandiere , eſt gravé
par M. Cars. Quand deux Artiſtes de ce
mérite ſe réuniffent , on annonce leurs
productions avec hardieſſe. Les compofitions
du Peintre , quoique ſimples & foumiſes
aux moeurs dutenis , ne prétendent
NOVEMBRE. 1733 . 161
point à l'héroïque ; mais la juſteſſe du
choix & l'agrément des images préſentent
une vive critique des Peintres Flamands
en général. En effet , des tabagies , des
combats àcoups de poing ,des beſoins du
corps ; enfin la nature priſe dans ce qu'elle
a de plus abject , font les ſujets les plus osdinairement
traités par les Braures , les
Oſtades, les Ténieres, &c. M. Chardin s'eſt
toujours écartéde ces images humiliantes
pour l'humanité , il a eu , à la vérité , tou
jours pour objet une action petite , mais
intéreſſante , au moins par le choix des
figures qui n'ont jamais rienpréſenté de
aid ni de dégoûtant. Ici l'on voit une
femmejeune , dont la figure eſt touchante ,
& dont l'ajustement ſimple eſt étoffé , en
même tems qu'il indique la propreté ; elle
eſt à côté de ſon métier , auquel il paroît
qu'à l'art de travailler, elle a ſubſtitué une
ſerinette ; elle regarde finement , mais
avec une curioſité convenable , le ſerin
dont la cage eſt au coin du Tableau , &
placée ſur un guéridon : la chambre eſt parée
convenablement au caractere & à l'écar
de la perſonne repréſentée ; onyvoit quelques
tableaux , & celui qui paroît en: en-
Bier repréſente l'ingénieuſe allégorie de
M. Coypel , le dernier mort. Il avoit exprimé
dans ce morceau avec aurante de
১
162 MERCUREDEFRANCE .
graces que de nobleſſe , la Peinture qui
chaſſoit Thalie de ſon attelier : ouvrage
qu'il avoit fait dans un de ces inftans de
dégoût , qu'un homme occupé de deux
maîtreſſes croit reſſentir pour celle qui le
lendemain mériteroit lapréference. C'eſt
en compoſant comme M. Chardin , qu'il
eſt permis de traiter les actions de la vie
familiere ; il faut la faire aimer & la faire
envier : auſſi l'on peut dire ſans hyperbole
que le modéle dont M. Chardin a
fait choix dans cette occafion , indique
une perſonne attachée à ſes devoirs , honnête
, pleine de douceur , enfin qui ſçait
s'occuper ; c'eſt du moins l'idée qu'elle
nous adonnée. Le Graveur a menagé&
conſervé toutes les fineſſes ; il a exprimé
celles de l'accord&des grandes partiesde
la peinture , mais ce qu'on appelle la couleur
en terme de gravûre ; & pour la rendre
avec vérité , il a ſçu placer à propos
& oppoſer les differens genres de
travail. Enfin l'Eſtampe fait voir la blancheur
de la peau d'une blonde , en oppofition
avec une coëffe & un mantelet de
mouffeline ; hardieſſe de la peinture , que
la gravûre a rendue avec une juſteſſe &
une vérité qui lui étoient peut-être plus
difficiles .
Cette Eſtampe ſe vend chez le Sr Car's
vue Saint Jacques, vis-à-vis le Pleſſis.
NOVEMBRE. 1753. 163;
SURUGUE vient de graver le Philofophe
en méditation , de Rembrant , & il ſe
propoſe de graver ſon pendant l'année
prochaine. Ces deux Tableaux uniques
dans leur eſpéce , & qui étonnent
par la vérité de leur lumiere , ſont dans le
Fiche Cabinet de M. le Comte de Vence.
M. Surugue n'a pas cherché à imiter la maniere
de graver qui étoit particuliere à
Rembrant , & qui n'a été faiſie par perfonne
; mais il a eu le courage d'ofer ce
qu'aucun de ſes confreres n'avoit jugé à
propos d'entreprendre , & il l'a exécuté
avec un ſuccès qui doit étendre ſa réputation.
८
Le Maître de Clavecin pour l'accompagne
ment , Méthode théorique & pratique , qui
conduit en très-peu de tems à accompagner
à livre ouvert , avec des leçons chantantes
où les accords ſont notés , pour faciliter
l'étude des commençans. Ouvrage
utile à ceux qui veulent parvenir à l'excellence
de la compoſition ; le tout felon la
régle de l'octave & de la baſſe fondamentale
; par Michel Corretto , prix 9 liv . A
Paris , chez l'Auteur , à l'entrée de la ruede
Montorgueil , à la Croix d'argent .
On connoîtra mieux l'ouvrage que notis.
annonçons par le plan qu'en a tracé l'Au-
:
164 MERCURE DE FRANCE.
teur qui a de la réputation , que par tour
ce que nous pourrions en dire.
>>>Depuis que Corelli a inventé legente
>> de la Sonate du Concert , la Muſique ,
>> dit M. Corretto , a fait des progrès éton-
>>mans dans toute l'Europe ; c'eſt à cet il-
>>>luſtre Auteur à qui on eſt redevable de
>> la bonne harmonie & de la brillante
>>ſymphonie. Avant lui lesConcerts en
>>France étoient médiocres. Nous voyons
>>dans l'Harmonie univerſelle du P. Mer-
" fenne , & dans le P. Parran , imprimé en
>>1646, qu'on n'exécutoit de leur tems dans
>>les Concerts de Paris que du plain chant
>>figuré , avec quelques petites chanfons
>>d'un chant lugubre & lamentable ; plus
>> elles étoient trikes & languiſſantes ,&
>>plus les amateurs de ces tems les trou-
>>voient admirables ,&leur donnoient par
>>excellence le nom de Muſique de ſenti-
>>m>ent. Tels étoient les airs de Boëffer,de
>>l>e Camus, de Lamberti , &c.
>>A peine connoiſſoit-on la Mufique
>>inſtrumentale , qui fait préſentement
>>l'amusement de tous les honnêtes gens.
" On ne jouoit que quelques petits airs
>>de danſe ſur la harpe ,le luth , la gui-
> tarre , la vielle , la muſette , enfan , pour
» ainſi dire , la Muſique étoit au berceau.
2»2L'Auteur desDons des enfans de Las
NOVEMBRE. 1753 . 165.
tonne , dit que c'eſt par M. Mathien ,
Curé de Saint André des Arts , ſur la fin
du dernier fiecle , que la Muſique Ita-
>> lienne a été introduite à Paris ; il don-
>>> noit un Concert toutes les ſemaines où
>>> l'on ne chantoit que de la Muſique la-
» tine des meilleurs Maîtres d'Italie , de
>> Caſſati , Cariffimi , Baſſani , Scartati &
autres.
"Ce fut à ود ceConcertque ueparurentpour
>> la premiere fois les trio de Carelli , im-
» primés à Rome ; cette Muſique d'un gen-
>> re nouveau encouragea tous les Auteurs
>> à travailler dans un goût plus brillant ,
>>tel fut le Caprice de Rebel , le pere.
>>Tous les Concerts prirent une autre for-
>>me : les Scénes & les ſymphonies d'O-
>> péra céderent la préféance aux ſonates ;
»M. Morin , à l'exemple des Italiens , don-
» na le premier des Cantates Françoiſes ,
> enſuite parurent celles de M. Bernier
>>Clerembault , Batiſtin ; M. Dornel &
» Dandrieux , Organiſtes , donnerent les
>> premiers des fonnates entrio. Dans le
» le mêine tems Corelli donna fon cinquié-
» me oeuvre , chef- d'oeuvre de l'Art. Feu
>>M. le Duc d'Orleans , depuis Régent du
>>Royaume , étant extrêmement amateur
>>de Muſique , voulut entendre ces ſona-
>>tes, mais nepouvant trouver alors aucun
C
4
166MERCURE DEFRANCE.
>> violon dans Paris capable de jouer par
>> accords , il fut obligé de les faire chan-
>> ter par trois voix. Mais cette fterilité de
>>>violon ne dura pas long-tems ; chacun
>> travailla jour & nuit à apprendre ces
>> fonates ; de ſorte qu'au bout de quelques
>>années parurent trois violons qui les exé-
>> cuterent ; Chatillon , qui étoit auſſi Or.
>>ganiſte, Duval& Baptiſte ; ce dernier fat
>> après à Rome pour les entendre jouer
>par l'Auteur.
> On peut juger par la quantité de bons
violons qu'il y a préſentement à Paris,
combien la Muſique a fait de progrès
>>depuis l'invention des fonates , car les
> ſymphonies d'Opéra n'auroient jamais
> formé de ſi grands fujets.
>>Or c'eſt le nouveau genre de Muſique
>>>qui a fait diſparoître tous les inſtrumens
>>>>qui ne jouoient que des pièces , deve-
>> nans pour lors inutiles dans le Concert.
Le clavecin ſeul eſt reſté comme l'ame de
>>>> l'harmonie , le ſoutien & l'honneur de
»la Mufique.
>> En effet , entre l'avantage qu'il a au-
>> deſſus des autres , par la beauté des pié-
>> ces que l'on joue deſſus , il a encore ce-
>>lui de l'accompagnement , de régler , de
>>guider , de foutenir & de donner le ton
» à la voix , c'eſt enun mot lui qui tient
1
NOVEMBRE. 1753. 167
les rénes du Concert. Celui qui ſçait
>>l'accompagnement, ſçait bientôt la com-
>>>poſition ; fans cette connoiſſance on eft
>> toujours médiocre compoſiteur , comme
>>>le ſoutient très bien M. Rameau dans ſon
>>nouveau ſyſtême page 7. Tous les Ita-
>>>liens accompagnent du clavecin ; la plû-
>> part des grands Muficiens ont été Orga
>>>niſtes en Angleterre. Meſſieurs Handel ,
>> le Docteur Pepuſch , en Allemagne ; M.
>> Tellemann , en Eſpagne ; M. Scarlatti ,
>> en France ; Meſſieurs de la Lande , Couprin
, Rameau , Clerambault , & beau-
>> coup d'autres qui joignent à la belle
>> exécution la compoſition & le génie.
» M. Cambert , le premier qui ait compo-
>>ſé des Opéras François , étoit Organiſte ;
de Saint Honoré .
>>M. de Lully ne compoſoit jamais que
➤ ſur le clavecin , & Collaſſe à côté de lui
>> notoit ſous ſa dictée.
>>Comme le clavecin eſt préſentement
>> une des parties de la belle éducationdes
Demoiselles de condition , & que j'ai
» remarqué qu'elles ne le quittoient plus
> dès qu'elles étoient mariées , quand el-
>>les poſſédoient une fois l'accompagne-
» ment ; c'eſt ce qui m'a engagé à travail
>>ler depuis long-tems àleur compoſer une
»Méthode courte & facile , pour leur ap
168 MERCUREDEFRANCE.
>>p>lanir les prétendues difficultés que les
>>ennemis de la bonne harmonie ont ſoin
>>de répandre. ১১
>> Jedéveloppedans cette Méthode tous
>> les principes les uns après les autres ,
avec des leçons démonſtratives qui en..
> ſeignent en très-peu de tems l'accompa-
>> gnement , ſelon les régles de l'octave
» qui nous a été donnée par M. Campion
» en 17 &felon labaſſe fondamentale ,
>> trouvée par M. Rameau , imprimée en
1722 .
>>J'ai compoſé pour la facilité & l'avan-
>> cement des écoliers des leçons chantantes
, où les accords ſont notes ; ce qui
donne promptement lapratique , la ré
>>gularité& la mefure.
» Les doigts acquerentune certaine mé.
chanique, le plus ſouvent ſur les touches
>>qui conviennent aux accords , ſans que
l'eſprit y ſoit entierement attaché.
» Ceux qui ſuivront cette Méthode feront
plus de progrès en ſix mois qu'ils
>>n'en feroient d'une autre maniere en
» dix ans , j'en ai fait l'expérience pluſieurs
> fois par ce moyen ; ſi on n'eſt pas à la por-
> tée d'avoir des maîtres , on pourra ap-
>>prendre tout ſeul, ſi l'on ſçait la muſique.
>> Il ne faut pas cependant négliger les
leçons de vive voix d'un bon Maître
ود
>>qui
le 24 Août dernier : cet Acteur , né au mois de
Mars 1696 , & reçu le premier Mars 1725 , jouoit
différentes fortes d'emplois , & tous avec ſuccès :
il avoit ſurtout le talent fingulier de rendre vraie
H
C
> tée d'avoir des maitres , on pourra up-
>>prendre tout ſeul,ſi l'on ſçait la muſique.
>>Il ne faut pas cependant négliger les
leçons de vive voix d'un bon Maître
>>qui
NOVEMBRE. 1753 . 169
usqui n'étant point eſclave de la préven-
>>tion ni du préjugé, peut lever ſeul les dif-
>> ficultés que l'on trouve dans un Livre.
Q
CHANSON.
Uandje lis Deſcartes , Newton ,
Je'ſens que tous deux ont raiſon ,
Et j'adopte chaque ſyſtême.
Sans me mêler de leurs débats ,
Tout eſt plein quand je ſuis auprès de ce que j'ai
me,
Tout eſt vuide où Philis n'eſt pas.
3
:
L
SPECTACLE S.
A Pipée , Intermede Italien , n'ayant pas eu
tout le ſuccès qu'on en eſpéroit , l'Académie
Royale de Muſique a donné le Mardi 16 du mois
dernier , à la ſuite des Artiſans de qualité , l'Interméde
de la Bokémienne , qui avoit beaucoup réuffi
cetEté , &dont le Public paroît également ſatisfait
à la repriſe.
LesComédiens François ont perdu M. Poiſſon,
le 24 Août dernier : cet Acteur , né au mois de
Mars 1696 , & reçu le premier Mars 1725 , jouoit
différentes fortes d'emplois , & tous avec ſuccès :
il avoit ſurtout le talent fingulier de rendre vraie
H
170 MERCUREDEFRANCE.
ſemblables des caracteres qui ne le ſont point , ou
du moins qui ne le fontplus dans ce ſiécle.; tels
que le Bourgeois Gentilhomme , Pourceaugsac
Dom Japhet d'Arménie , le Marquis ridicule
dans la Mere coquette , & Bernadille dans la
Femme Juge& Partie. Les perſonnages où il s'eft
leplus généralement diftingué , ſont les Jodelets
dans Jodelet, Maître & Valet & Jodelet Prince
& les Criſpins , dans les Comédies du Légataire
univerſel , des Folies amoureuſes , de CriſpinMuficien
, de Criſpin Médecin, de Criſpin bel eſprit ,
& de Criſpin rival de ſon maître. Il jouoit aufli
d'une maniere ſupérieure quelques Financiers fubalternes
, entr'autres Turcaret. C'étoit de tous
les Acteurs qui ſont au Théatre François , celui
qui avoitle plus de naturel,il étoit même fouvent
d'une naiveté inimitable , comme dans le
rôle de Lafleur , de la Comédie du Glorieux. 11
étoit petit , laid & affez mat fait, mais il avoit
une figure ſi comique , qu'il excitoit un tire univerſel
dès qu'il paroiffort. Il avoit furpaffé fon
pere & fon grand pere qui etoient auſſi des Acteurs
deréputation,mais ils ne réuffiflorentgueres
que dans les Crifpins. Potioneſt mort âgé de
cinquante-sept ans ; il a été environ vingt-huit ans
à la Comédie. Après avoir rendu justice à ſes
talens , nous ne pouvons nous diſpenſer de dire
qu'il avoit deux grands défauts , celui de manquer
de mémoire , qui eſt inſupportable principalement
dans les Scenes comiques qui exigent une repartie
vive & prompte , & celui de bredouiller qui empê
choit les ſpectateurs, furtout ceux qui n'étoient
pas bien accoutumés à ſavoix , d'entendre une
partie de ce qu'il débitoit.
Il paroît que M. Préville conſolera le Pu
blic de la pertede Poiffon. Cet Acteur a débuté
1
: NOVEMBRE. 1753 . 17
le20 Septembre , par le rôle de Criſpin , dans
le Légataire, univerſel , & par celui du Valet
dans la Famille extravagante. Ses autres rôles de
debut ont éré le Marquis , dans le Joueur ; Crifpin,
dans les Folies amoureuſes , le Menechme
dans la Comédie des Ménechmes ; le principal rôle
dans celle de Criſpin Médecin ; Strabon , dans
Démocrite ; Sganarelle , dans leMédecin malgré
lui , & le Valet dans la Surprite de l'Amour . II
aeu le ſuccès le plus éclatant dans les trois rôles
deCriſpin,dans le Ménechme , dans Strabon &
dans Sganarelle ; mais il a été trouvé médiocre
dans le Marquis du joueur , & dans les Valets
de la Famille extravagante , & de la Surpriſe
de l'Amour. M. Préville est bienfait , il a une
jolie figure , de la jeuneſſe , une intelligence fupérieure
, une mémoire admirable , une grande
aiſance au Théatre , beaucoup de préciſion dans
fon jeu , & un jeu qui eſt entierement à lui , il a
peut-être plus d'agilité que de vivacité , & plus
d'épanouiſſement dans la phiſionomie que de
fond de gayeté.
Les mêmes Comédiens ont donné avant leur
départ pour Fontainebleau , trois repréſentations
del'Amasis , de M. de la Granche Chancel , qui
n'avoit pas été répréſenté depuis 1740. Cette Tragédie
fut ſuiviedans ſa nouveauté , mais elle eut
le ſuccès leplus complet à la repriſe de 1731. Les
rôles d'Amaſis , de Seſoftris , de Phanès & deMenès
furent alors repréſentés par Mis Sarrafin , Dufreſne,
leGrand & Dubreuil ; & ceux de Nitocris
&d'Artenice , par Miles Ductos & Dufreine : ces
rôles font maintenant remplis par Mrs Paulin ,
Grandval , le Grand & Dubreuil , & par Miles
Dumeſnil & Hus.
Les mêmes Comédiens ont remis le Jeudi Ir
1
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
Octobre , pour le début du ſieur Armand , fils
de l'Acteur qui faitdepuis long-tems les plaifirs
du Public , les Comédies de la Femme Juge &
P'ertie , & des Vendanges de Surène , dans leſquelles
le débutant a joué les rôles de Bernardille & de
P'Orange : une timidité qu'il n'a pu furmonter le
premier jour , l'a rendu froid &monotone , & il
a été peu goûté ; mais il a pris ſa revanche le Dimanche
ſuivant , & aété fort applaudi.
;
Christine-Antoinette-Charlotte Deſmares , une
des plus célébres Actrices qui ait paru au théatre
François , eſt morte à S. Germain-en-Laye le iz
Septembre dernier , âgée de 71 ans. Sa naiſſance
ne ſembloit pas la deſtiner au Théatre ; fon grand
pere qui qui étoit Préſident du Parlement de Rouen
deshérita ton fils parce qu'il s'étoit marié ſans ſon
confentement. De ce mariage fortirent Defmares
&Mlle Champmelé, qui ſe trouvant fans fortune
prirent le parti de la Comédie. Deſmares & fa
femme allerent àCopenhague, où ils furent reçus
dans la troupe des Comédiens François du Roi
deDanemarck; ils plurent tant à cette Cour que
le Roi & la Reine de Danemarex tinrent fur les
Fonts de Baptême Mile Desmares , qui y naquit
en 1682. Mlle Champmêlé étoit reſtée à Paris, où
elle faiſoit les délices du Théatre ; elle joua d'ori
ginal preſque tous les premiers rôles des Tragédies
de Racine; elle ſe diſtingua fingulierement dans
ceux de Berenice , de Phedre & d'Iphigénie. La
Fontaine & Deſpréaux onttranſmis fon nom à la
poſtérité. Comme elle aimoit beaucoup fon frere,
elle lerapellade Copenhague , & obtint de Louis
XIV qu'il fût reçu ſans débutdans la troupe dont
elle faiſoit l'ornement. Defmares avoit beaucoup
de talent pour les rôles de Payſans , & c'eſt pour
lui que Dancourt afait leMati retrouvé; DelorNOVEMBRE.
1753 . 173
me, dans les Trois Couſines ; Thibaud , dans les
Vendanges de Sureſne , &c.
Mlle Champmeſlé quitta le Théatre en 1698.
Ledernier rôle qu'elleyjoua fut celui d'Iphigénie
en Tauride , dans la Tragédie d'Orefte & Pilade
de M. de laGrange , & le ſuccès de l'Actrice fut
égal dans l'Iphigénie ſacrifiante , à celui d'lphigénie
ſacrifiée . Mile Deſmares parut alors , & elte
eut le couragede débuter par le rôle que fatante
venoit de quitter ; elle y réuſſit au-delà de ſes efpérances
, ainſi que dans ceux d'Emilie & d'Hermione:
on la chargea après de quelques rôles
d'Amoureuſes dans le consique , & elle joua d'original
Rodope , dans Eſope à la Cour , avec un
grand ſuccès ; mais ce qui mitle comble à ſa ré.
putation , ce fut le rôle de Pfiché , à la brillante
remiſe qui en fut faite au mois de Juin 1713 .
Mile Defmares ne fut pas moins goûtée dans le
rôle de Thereſe , de la Comédie du Double veuvage
, & elle y mit tant de gayeté & de vérité ,
qu'on la crut ſeule capable de remplacer , dans
les Soubrettes , Mile Beauval qui commençoit à
vieillir. Elle reçut un ordre de la Cour d'appren
dre les rôles de cet emploi ; non- feulement elle y
furpafla Mile Beauval, mais elle devint un modele
en ce genre. Elle n'abandonna pas pour cela
lespremiers rôles tragiques ; c'eſt elle qui a joué
d'original les rôles d'Athalie , d'Ino , d'Electre ,
&de Jocaſte , dans l'Oedipe de M. de Voltaire ;
elle reſta au Théatre juſqu'à Pâques de l'année
1721 , & ſon dernier rôle fut celui d'Antigone ,
dans la Tragédie des Machabées , de la Motthe.
Mile Deſmares a laiſſé encore une plus grande
réputationdans le comique que dans le tragique ;
elle avoit une figure& une voix charmantes,beaucoup
d'intelligence , de feu , de volubilité , de
Hij
174 MERCURE DEFRANCE.
gayeté & de naturel , on lui a l'obligation d'as
voir pris plaifir à former Mlle Dangeville ſa niéce,
qui réunit toutes les graces & tous les genses
de Comique. Indépendamment des talens de
Mile Deſmares pour le Théatre , elle joignoit au
donde plairedans la ſociété , un caractere admirable
& un coeur excellent ; elle a même fait des
actions d'une générofité héroïque.
Les Comédiens Italiens ont donné le Mercredi
26 Septembre , la premiere repréſentation de
P'Origine des Marionnettes , Parodie dePigmalion ,
qui a été trouvée froide. M. Gaubiés , qui en est
l'Auteur , ayant retranché un rôle entier & fait
d'autres retranchemens pour le Samedi ſuivant,
Ja Piéce a été reçue favorablement. :
L'Opéra Comique a donné le Mardi 25 da
même mois , les Nymphes de Diane , Opéra Comique
de M. Favart , qui n'avoit jamais été repreſenté
àParis. Cet Ouvrage qui eft, undes plus
jolis de l'Auteur , n'a pas été moins gouté à Paris
qu'il l'avoitété au théatre de Bruxelles , pendant la
derniere guerre.
La clôture de l'Opéra Comique s'eſt faite cette
année le Samedi 6 Octobre par la repréſentation
da Plaisir & de l'Innocence , des Nymphes de Diar
ne , & des Troqueurs.
LETTRE à l'Auteur du Supplément aux
Tablettes Dramatiques pour les années
1752 1753 ..
:
N furetant , Monfieur , chez un Libraire dans
Eſes nouveautés , le hazard a voulu que jeren
contraſſe votre ouvrage ; le titre me l'a fait acheNOVEMBRE.
1753. 175
ter , & en le parcourant j'ai trouvé mon article
dans ceux des débutans au Théatre François de
Pannée 1742. Vous m'accuſez d'avoir harangué
le parterre , en lui diſant que je travaillois depuis
5 ans à ramener le naturel au Théatre , & que
j'eſpérois l'avoir trouvé Je réponds à ce que vous
avancez d'après moi. Oui , je l'ai dit & fait ; & few
Baron , dont je ſuis l'élève , m'a inculqué dans
Peſprit par ſes principes , qu'il valoit mieux pécher
par un trop grand naturel que d'emphafer
avec outrance , ou de parler en chantant avec trois
notes égales , qui forment la monotonie. Ce fut
feuMonſeigneur le Duc de la Trémouille qui fut la
cauſe que je débutai pour la premiere fois en 1740 ,
&je puis l'avancer , avec un grand applaudiflement.
Des amis que j'avois alors qui n'étoient pas
vrais , s'employerent fi bien pour moi , que l'on
me préféra le parent de celui qui fut mon maître.
Je pris mon parti alors , & je retournai en Province.
En 1752 je revins à Paris pour des affaires
d'intérêt , on me perſnada de débuter pour la ſeconde
fois, àcauſe qu'il faut quelqu'un pour dou
bler M. Sarrazin en cas d'accident ; je le fis. Ma
façon de parler a plu aux gens qui ont toujours la
sperſpective de ce grand naturel de celui dont je
Tuis élève , &elle n'a pas été auſſi du goût de ces
-Novateurs dramatiques , qui ont établi leur goût
par le moyen de l'aifance & de la fortune quils
poſſédent. Comme vous faites une compilation
chronologique des faits qui ſe paſſent au Théatre
ce n'eft point à la fin du rolle d'Auguste dans
Cinna que j'ai haranguéle Public ; c'eſt à la fin de
celui de Mithridate , ayant repréſenté avant Auguſte
, Mithridate & Pharafimane . L'Acteur Toulouſain
jadis le fit comme moi. Ses complimens
valoient autant que les rolles qu'il venoit de re
1
Hinj
176 MERCURE DEFRANCE.
préſenter : & fi la débauche ne l'eût pas entraf
né dans le moment qui aété la cauſedu terme de
ſes jours , c'étoit un homme qui , tant par l'art
que par l'eſprit , ſeroit admiré aujourd'hui. Je dizai
avec Ciceron , omni ope atque operâ enixus fui.
J'ai tâché de travailler pour gagner une penſion ,
jen'ai pas réuffi. Vous n'avez pas parlé des autres
rolles que j'ai repréſenté. J'ai joué auſſi Lifimon
dans le Glorieux, & Argant dansle Préjugé
àla mode ; j'y ai pourtant été applaudi , & ce
ſans avoir donné de billets pourmandier des ſuffrages.
J'attendois tout de mes travaux , car je
vous avoue que j'ai riſqué beaucoup en voulant
jouer après ces grands Comédiens qui font aujourd'hui
l'ornement&les plaiſirs de la Scène. Comme
je fuis général ,&que les maſques de Térence
font gravés dans mon optique , je joue les
Rois , les Payſans, les Financiers , les Peres nobles
, les. Raiſonneurs , & tant d'autres qui ſont
utiles à un Comédien dans la Province , ſoit dans
P'Italien , ſoit dans les Opéra Comiques. Je ſuis
même en état de faire un pari , fi on le veut , de
jouer un rolle nouveau chaque jour pendant le
cours d'une année , tant j'ai la mémoire libre &
fraîche. J'ai même repréſenté le Tuteur dans la
Pupille , un peu froidement à la vérité , mais
s'il falloit le rejouer aujourd'hui , ce ſeroit un autre
genre , tant il est vrai qu'on ſe corrige ſur les
bons modeles. Je vous prens pour un de mes arbitres
, on ne récompenſe pas toujours les gens qui
cherchent à l'être. Je ſuis en état de parler de
mon art par principe ;& fiune profonde pareſſe
nem'avoit pas ſaiſi depuis long-tems ,j'aurois tenu
parole àM*** , en lui faisant part d'un Traité que
j'ai commencé , touchant la façon de parler au
Théatre , non de déclamer... ce dernier n'eft
:
NOVEMBRE. 1753. 177
pas de mon gente. Quoique Meſſieurs de Sainte-
Albine& Riccoboni ayent analiſé les qualités néceſſaires
à un Comédien , j'ai tâché d'aprécier
leur ſentiment avec le mien , en faiſant un détail
par principe de gradations , pour donner un
acheminement folide à ceux qui font amateurs
du Théatre. Il est vrai qu'aujourd'hui ce n'eſt
plus le Comédien qui ſe fait au Public ; c'eſt le
Public qui ſe fait au Comédien. Les tems ſe ſuccedent
& les modes changent. Les Pantins ont
remplacé les Bilboquets , les Mantelets , les Echarpes;
on a beau faire , les anciennes modes reviendront
,je ſuis pourtant de celles du premier
quart dece fiecle. M. de Crebillon &M. de Voltaire
vontde pair avec les Corneilles & les Racines
; it ne feroit donc pas ſurprenant que je puſſe
plaire encore. Je me fais un ſenſible plaiſir de débiter
leurs Ouvrages , & fans prévention je ne les
ai jamais marqués. Je vous convie donc , Monfieur
, d'être dorénavant un peu plus prolixe fur
mon.compte ,&de ſuivre le ſentiment de Pline ,
qui dit , que pour foutenir le droit d'une bonne
cauſe,on ne peut l'être trop . Vous ajoutez en lettres
italiques, retiré , c'eſt ſans penſion , je vous en
avertis.Pai l'honneur d'être , & c. ROUSSELET,
:
洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗
NOUVELLES ETRANGERES.
DE
P
DU LEVANT.
CONSTANTINOPES ,le 17 Août.
ARMTles Curdes , les uns ont desdemeures
& foutetrans le longdes rives du Tigre depuis les
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
environs de Moſuljuſqu'aux fources de l'Euphrate.
Une partie de ces derniers , étant venus camper il y
aquelque temps ſur la frontiere du Gouvernement:
de Bagdad, y faiforent des courſes fréquentes. So-
Jiman, Beglierbeg de la Province , avoulu la dé
Jivrer de ces dangereux voiſins. Avec un corps de
quinze millehommes , il a inveſti les bois qui leur
fervoient de retrate , &pluſieurs détachemens de
fes troupes y ont pénétré par differensendroits. Les
Curdes preffés de tous côtés , & privés de l'eſpéran
cede pouvoir fuir , ſe ſont deffendus avec beaucoup
d'opiniâtreté, mais enfin ils ont été obligés.
de ſe rendre à difcrétion. Le Begliebeg en a fair
décapiter trois cens cinquante. Sa Hautefle , pour
lui témoigner combien elle eft fatisfaite de la con.
duite qu'il a tenue dans cette expédition , fui a envoyé
úne pelillede grand prix& un fabre garnide
diamans.
:
DUNORD.
DE PETERSBOURG , le 19 Septembre.
Les vaiſſeaux de guerre & les Frégates qu'on
a fait fortir du Port de Cronſtadt pour exercer les.
Matelots , doivent y rentrer inceſſamment. Cette
Eſcadre s'eft avancée dans la mer Baltiquejuſqu'à
la hauteur de l'Iſle d'Oëfel.
DE STOCKHOLM , le 23 Septembre.
L'Obſervatoire , auquel on travailloit depuis
l'année 1748 , étant achevé , l'Académie Royale
des Sciences s'y afſſembla le 20 de ce mois pour la
premiere fois. Cette ſéance fut honorée de lapréſence
du Roi . Le Baron de Hopken , Préfident de
cette Académie , ainſi que de celle des Belles-Ler-
:
NOVEMBRE. 1753 . 179
tres ,prononça un difcours , fur le beſoin que les
Sciences ont de la protection du Gouvernement.
Dans la même ſéance,le Comte de Teſſin , Grand-
Maréchal de la Cour , & Gouverneur du Prince
Guftave, préſenta à la Compagnie plufieurs é hevaux
de foie , du produit des vers que la Reine
fait élever à Drowningholm: On a trouvé cette
foie de bonne qualité , & cent vers en ont fourni
unedemi-once.
DE COPENHAGUE , le 20 Septembres
Sa Majefté a rendu depuis peu l'Ordonnance fuiwante.
>> Nous Frederic , par la grace de Dieu
>>>Roi de Danemark , de Norvege , &c. Sçavoir
>> faiſons : Qu'ayant été informé , qu'en divers endroits
des terres& états de notre domination il
>>>ſe trouve des Enrolleurs , qui , par des promelles
>> auſſi vaines que trompeuſes , cherchent à dé-
>> baucher nos ſujets , & àles obliger de s'expa-
>> trier pour påfſfer à certaines Colonies de l'Amé
>>>rique , Nous avons par une fuite de l'affectionn
>> paternelle que nous leur portons , non ſeule-
>> ment jugé à propos de les avertir , qu'ils euf
>> ſent à ſe garantir des piéges que de parcils gens
>> tendent à leur crédulité , mais nous leur deffen-
*dons en outre très expreffément par la préſente
>> de s'enroller pour les ſuſdites Colonies , ſous
>>peine aux contrevenans , d'avoir tous leurs biens
>> confiſqués , tant ceux qu'ils poffedent actuelle-
" ment, que ceux dont ils pourroient hériter par
>> la fuite, Ordonnons de plus , que tous les ſul-
>>> dits Enrolleurs ou émiſſaires , qui feront con
>> vaincus d'avoir débauché quelques-uns de nos
>> ſujets , & de les avoir , par de ſemblables pro..
>>>meſſes ou autrement , portés à entreprendre um
Hvj,
180 MERCURE DE FRANCE.
>> voyage fi préjudiciable à leurs véritables inté
>>rêts , foient condamnés , fans autre procédure
>> ultérieure , à travailler durant le reſte de leur
>> vie aux fortifications , & que même , ſuivant
>> l'exigence du cas,on leur fafle ſubir des punitions
>encore plus rigoureuſes.
Le Préfident Ogier , Envoyé extraordinaire &
Miniſtre Plénipotentiaire du Roi de France , eft
depuis hier en cette Ville. Sa Majefté Catholique
ayant envoyé ordre au Marquis de Puente Fuerte ,
ſon Envoyé auprès du Roi , de quitter cette Cour ;
ce Miniftre partira demain pour Stoccolm , où il
va reſider en la unême qualité auprès de Sa Majesté
Suédoife. La ſemaine derniere , il fit publier que
toutes les perfonnes qui avoient des créances fur
lui , ſe rendiffent àfon Hôtel , afin de recevoir.
leurs payemens; ildoit s'embarquer à Helſingbourg.
Il a été réſolu dans la derniere Aſſembléede la
Compagniedes Indes Orientales , d'envoyer cette
année deux vaiſſeaux à la Chine , & deux autres
àTranquebar.
Pluſieurs Pêcheurs des côtes Septentrionales de
JaNorvege ne donnant pas l'attention néceflaireàla
préparation & à la ſalaiſon du poiſſon , le
Gouvernement a fait publier un Réglement à ce-
Sujet. Il paroît une autreOrdonnance , qui regar
de la policedes ſpectacles..
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 29 Septembre.
Tout cequi concerne l'Académie Militaire étalie
à Newſtadt ſous la direction du Comte de
Daun , Général d'Infanterie , eft maintenant réglé.
Le Comte de Tierhem , Major- Général , en est
NOVEMBRE. 1753. 18r
Vice Directeur , & il y fera ſa réſidence ordinai
re Il aura ſous lui un Lieutenant Colonel , un
Major , & vingt- fix autres Officiers choiſis dans
les troupes de l'Impératrice Reine. Les Eleves
feront le même ſervice qu'on fait dans les Places
deguerre.
DE HAMBOURG , lez Ottobre.
Depuis la fufpenfion du commerce entre l'Ef
pagne & le Danemark , les Négocians de cette
Ville ont reçudes commiffions conſidérables pour
-les Etats de Sa Majesté Catholique.
ESPAGNE.
DE LISBONE , le 13 Septembre.
Une Flotte venantde laBaye de Tous les Saints,
entra le 6de ce moisdans le Tage. Elle eft com.
poſée de 18 Navires , de deux Corvettes & dừn
-Yacht, & elle a apporté quatre millions de cruzades
,vant pour le compte de Sa Majesté que
pour celui des particuliers.
DE MADRID , le 18 Septembre.
Dom Julien d'Arriaga , Préſidentdu Tribunal de-
Ja Contractation , a mandé à Sa Majesté , que le
le Vaiſſeau la Sainte Famille étoit entré dans la
Baye de Cadix., & que ce Bâtiment qui vient da
Port de Callao , avoit apporté cinq cens quatrevingt
treize mille huit cens quarante-quatre piaf
tres en eſpéces , la valeur de cinq cens trentehuit
mille neuf cens, quarante-trois piaftes e
doublons , cinq mille cent quintaux de cacao,
deux mille cent livres de laine de Vigogne , &
plufieurs autres marchandises.
১
182 MERCURE DE FRANCE.
Sa Majesté a difſpoſé de l'Evêché de Zamora en
faveur de Dom Joſeph Gomez , Ecolâtre de l'Eglife
Cathédrale de Sarragoffe.
ITALIE.
DE NAPLES , le 28 Août.
On a préſenté au Gouvernement troisprojets;
dont le premier eſt de changer le cours du Volturno
, & de le faire paſſer par Caferte ; le ſecond
d'établir un grand chemin depuis Salerne juſqu'à
Reggio ; le troiſieme , de couper une montagne ,
pour faire communiquer le chemin du Pofilipe à
celui de Bagnuoli.
DE ROME , le 25 Septembre.
La Congrégation de Propaganda Fide a reçu
avis de la Chine , que l'orage qui s'y étoit élevé
contre les Chrétiens étoit entierement calmé: Selon
les mêmes nouvelles , l'Ambaſſadeur que le
Roi de Portugal a jugé à propos d'envoyer à l'Empereur
de cette vaſte partie de l'Afie , eſt arrivé à
Масао .
DE FLORENCE , le 20 Septembre.
L'action courageuſe d'une Payſanne des envi
rons de Sienne fait ici le ſujet de tous les entretiens.
Le mari de cette femine étoit detenu dans
lesprifons de cette Ville pour une dette de quarante
écus. Après avoir trouvé le moyen de ramaf
fer cette fomme , elle partit de fon village pour
faire remettre fon époux en liberté. Elle fut attaquée
ſur laroute par un voleur armé d'un coûteau
àdeux tranchans. Feignant que fon argent étoit
NOVEMBRE 1753 . 183
couſu dans ſon corps-de-juppe , elle engagea le
Brigand à lui prêter ſon coûteau pour le découdre..
Aufſi-tôt elle ſe jetta fur ce miférable , & l'étendit
par terre ſans vie. On a reconnu que c'étoit un
fameux Chefde voleurs , nommé Pedrillo , pour la
priſe duquel le Gouverneur avoit promis cinq cens
écus.Cetterécompenſe a été payée à la Payſanne ,
&les Magiſtrats ont rendu la liberté à fon mari
en ſe chargeant d'acquitter la dette pour laquelle:
il étoit priſonnier..
:
1 DE GENES , le 22 Septembre.
&
Le Gouvernement vient d'accorder aux habis
tans de San- Remo une amnistie , dont quator
ze perſonnes ſont ſeulement exceptées.
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 1 Octobre.
Il a été réſolu de renforcer les garniſons deGi
braltar & de Port- Mahon, Le 30 du mois dernier ,
Alderman. Ironfilde fut élu Lord- Maire de Lon.
dres. Les lettres de l'Ifle de la Barbade annoncens
que les Vaiſſeaux de guerre le Saint-Albans &
PAſſiſtance , & la Chaloupe le Faucon , y font arrivés.
On écrit de la Nouvelle Angleterre , qu'à la
fin du mois de Juillet dernier il y a eu à Boſton.
un incendie , qui a réduit en cendres un grand
nombre de maiſons & pluſieurs magaſins.
184 MERCURE DE FRANCE.
L
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
E Prince de Soubize a donné le 16 Septembre
dernier dans le camp d'Aymeries , une fête
éclatante , à l'occafion de l'heureux accouchement
de Madame la Dauphine.
Le 20 , le Te Deum fut chanté dans l'Egliſede
PHôtel Royaldes Invalides , pour remercierDieu
du même évenement , & l'Evêque de Vannesy
officia. Le Comte d'Argenſon , Miniftre & Secrétaire
d'Etat, vint exprès de Verſailles pour affifter
àcette cérémonie , après laquelle ce Miniſtre ,accompagné
de M.de la Courneuve , Commandeur
de Fordre Royal & Militaire de Saint Louis , &
Gouverneurde l'Hôtel , du Comte de la Marck ,
Lieutenant de Roi , & des autres Officiers de l'Etat-
Major , mit le feu au bucher qu'on avoit préparé.
Avant & après le Te Deum , il yeutune
falved'artillerie&de mouſqueterie.
L'Académie & le College de Chirurgie firent
chanter le 27 le Te Deum dans l'Egliſe Paroiſſiale
de Saint Côme , en action de graces de l'évenement
qui fait le fujerde l'atlegreſſe publique.
On chanta le 21 le Te Deum dans l'Eglife de la
Paroiffe du Château de Versailles , en action de
graces de la naiſſance de Monſeigneur le Ducd'Aquitaine.
Pendant cette cérémonie , les Invalides,
qui compoſent la Garde de cette Ville , firentplu.
freurs falves de mouſqueterie. Le Portail de l'Eglite
étoit illuminé , ainſi que toutes les maiſons
de Versailles. Monfeigneurele Dauphin & Meſdames
de France ſe promenerent en caroſſe dans les
principales rues , pour voir les illuminations .
NOVEMBRE. 1753 . 135
Leurs Majestés , accompagnées de Monſeigneur
le Dauphin , de Madame Infante Ducheſſe de Par
me , & de Mesdames de France , aſſiſterent le 23.
au Salut , célébré par les Miſſionnaires.
Le même jour , le Comte de Looff, Ambaſſadeur
Extraordinaire du Roi de Pologne Electeur de
Saxe , eut une audience particuliere du Roi , dans
laquelle il prit congé de Sa Majeſté. Il fut conduit
à cette audience , ainſi qu'à celle de la Reine,
de Monſeigneur le Dauphin , deMadame la Dauphine
,de Monſeigneur le Duc de Bourgogne ,
deMonseigneur le Duc d'Aquitaine , de Madame ,
deMadame Infante , de Madame Adélaïde , & de
Meſdames Victoire , Sophie & Louiſe , par M.
Dufort , Introducteur des Ambaſſadeurs.
Le même jour , M. l'Eſtevenon de Berkenrode ,
Ambaſſadeur Ordinaire des Etats Généraux des
Provinces Unies , eut une audience particuliere du
Roi , dans laquelle il remit à Sa Majesté une Lottre
des Etats Généraux fur l'heureux accouchement
de Madame la Dauphine , & fur la naiſſance
de Monſeigneur le Duc d'Aquitaine. Il fut cons
duit à cette audience par le même Introducteur.
Le même jour , le Roi ſoupa au grand couvert
chez la Reine avec la Famille Royale.
M. de Barailh , qui avoit été préſenté le 21 au
Roi par M. Rouillé , Miniftre & Secrétaire d'Etat
ayant le Département de la Marine , prêta ſerment
de fidélité le 23 entre les mains de Sa Majeſté
pour la Charge de Vice-Amiral , vacante par
la mortdu Comte de Camilly.
Sa Majesté a nommé Commandeur de l'Ordre
Royal & Militaire de Saint Louis , M. de Bor
ville , Maréchal de ſes Camps & Armées.
Le Roi a diſpoſé du Régiment de Navarre,
qu'avoit le feu Comte deChoiſeul , en faveurde
186 MERCURE DEFRANCE.
L
Comte du Chatelet- Lomont , Colonel du Régiment
de Quercy. Sa Majesté deſtine la place du
Colonel desGrenadiers de France , qui aura le Rea
gimentde Quercy', an Marquis de Bouzols , Offi.
cier dans le Régiment d'Infanterie du Ro .
L'Académie Royale de Chiturgie préſenta le 23
-leſecond tome de ſes Mémoires à leurs Majestés &
à Monseigneur le Dauphin , ainſi qu'au Roi de
Pologne Duc de Lorraine .
Le même jour , leurs Majeftés & la Famille
Royale fignerent le Contrat de mariage de M.
de Beaucheſne de Montdragon , Maître d'Hôtel
Ordinaire du Roi , & Secrétaire des Commandemens
de Madame la Dauphine , avec Demoiselle
Marie Jeanne Duval de l'Epinoy.
Le Marquis de Paulmy , Secrétaire d'Etat de
la Guerre en ſurvivance du Comte d'Argenſon ,
revint le 24du voyage qu'il a fait dansdiverſes
Provinces du Royaume pour en viſiter les Places ,
&pour voir les troupes qui y ſont en quartier.
Le 25 , le Comte de Sartirane , Ambaſſadeur
Ordinaire du Roi de Sardaigne , eut une audience
particuliere du Roi , dans laquelle il remit une
Lettre du Roi ſon Maître , à Sa Majesté, ſur l'heureux
accouchement de Madame la Dauphine , &
fur la naiſſance de Monſeigneur le Duc d'Aquitaine.
Il fut conduit à cette audience , ainſi qu'à celle
dela Reinnee ,,&à celles de toute la Famille Roya-
Je , par M. Dafort , Introducteur des Ambaffadeurs.
Mademoiselle de Penthiévre mourut à Verſail-
Jes le 25 fur les huit heures du ſoir , âgée d'un an
onze mois & fept jours, étant née le 18 Octobre
1751.
M. de Vandiere fit voir le même jour à Sa Majeſté
le modéle en relief de l'Hôtel de l'Ecole
NOVEMBRE . 1753 . 187
RoyaleMilitaire , exécuté ſous la conduite &d'après
les deſſeins & profils de M.Gabriel , premier
-Architecte du Roi. Sa Majesté a paru en être trèsfatisfaite
.
Les Penſionnaires du Collège de Louis deGrand,
voulant témoigner leur reconnoiſſance pour la
protection dont le Roi les honore, & leur zéle
pour la proſpérité de la Famille Royale , firent
tirer le 23 Septembre dernier , un feu d'artifice , en
réjouiſſancede la naiſlance de Monſeigneur leDuc
d'Aquitaine.
Le 30 , la Reine , accompagnée de Monfeigneur
Ie Dauphin , de Madame Adélaïde , & deMeſdames
Victoire , Sophie & Louiſe , aſſiſta aux Vêpres
& au Salut dans la Chapelle du Château.
Don Jaime Maſſones de Lima , Ambaſſadeur
Extraordinaire & Plénipotentiaire du Roi d'Eſpa
gue , eut le même jour une audience particuliere
du Roi,dans laquelle il remit une Lettre du Roi
fon Maître à Sa Majesté , fur l'heureux accouches
ment de Madame la Dauphine ,& fur la naiſſance
deMonſeigneur le Duc d'Aquitaine. Il fut cons
duit à certe audience , ainſi qu'à celle de la Reine,
& à celles de toute la Famille Royale , parM.
Dufort , Introducteur des Ambaſladeurs.
Le même jour , le Roi partit pour le Château
de Crécy , d'où Sa Majeſté revint le 4 Octobre.
Le Roi de Pologne Duc de Lorraine & de Bar ,
partit le 6 Octobre pour retourner à Lunéville.
L'Abbé Nollet , de l'Académie Royal des
Sciences , a reçu la Lettre ſuivante au ſujet du malheur
arrivé au Sr Richtman. Cette Lettre eft de
M. Sanchez , ci-devant premier Médecin de l'Impératrice
de Ruffie .
Il vous appartient de droit , Monfieur , d'être
•inſtruit de toutes les nouvelles qui intéreſſent la
88 MERCURE DE FRANCE .
Phyſique Expérimentale. Ainfi je nedois pas
>>m>anquerde vous communiquer celleque vient
-de me donner le Docteur de Shreiber , de A-
>>cadémie de Pétersbourg , homme reſpectable
dans la République des Lettres par pluſieurs
écrits fur la Médecine. Notre Académie , me
>>marque-t'il dans ſa Lettre datée de Pétersbourg
le 14Août , a perdu le Profeſſeur Richtman. Le
26 du mois dernier , pendant qu'il étoit occupé
> à électriſer , dans un moment où il faiſoitdes
>>>éclairs , il fut tué ſubitement. J'ai été préſent le
>>lendemain à l'ouverture du corps. On a remar-
>> qué des traces comme de brûlure , au front, fans
>>> que les cheveux en euſſent ſouffert ; aux deux
>> côtés de la poitrine , & au pied gauche dont le
foulier a été déchiré par le travers. La partie
>poſtérieure du poulmon étoit noisatre & rem
plie de ſang: la partie membraneuſede la trachée
étoit comme afée. En preſſant les bronches,
>> il eſt ſorti du ſang écumeux. Le coeur étoit ſain,
"On a trouvé beaucoup de ſang dans la partie
"poſtérieure des inteftins grèles. M. Sozoloff,
Graveur de l'Académie , a été ſeul témoin de la
**tragédie. Il dit avoir vu ſortir un globe bleuâtre
"de la Régle Electrique , dontM. Richtman étoit
>> éloigné d'un pied lorſqu'il tomba mort .
On mande de Rennes , que le Préſident de
Langle de Coêruhan , Premier Préſident de la
Chambre des Vacations du Parlementde Bretagne,
adonné une fête très-brillante , à l'occaſion de la
naiſſance de Monſeigneur le Duc d'Aquitaine.
Le 4 Octobre , la Reine entendit la Meſſe dans
KEgliſe des Récollets ,& communia par les mains
de l'Abbé du Chaſtel , ſon Aumônier en quartier,
Le même jour , le Rai revint du Château de
Crécy
:
NOVEMBRE. 1753.1 189
Le Roi de Pologne , Duc de Lorraine &de
Bar , ayant entendu parler avec éloge de l'éducation
que le Duc de Chaulnes a établie dans la
Compagnie des Chevaux-Légers de la Garde du
Roi , qu'il commande ; ce Prince a voulu juger
par lui-même du mérite de cette Ecole militaize.
Il alla le deux de ce mois à l'Hôtel des Chevaux-
Légers , fuivi d'une nombreuſe Cour , &
il honora pluſieurs exercices de fa préſence. On
commença par la courſe des têtesdans laCarriere.
Le Roi de Pologne monta enſuite au Balcon du
Manége , pour y voir cet exercice. Le Manége
étant fini , ce Prince ſe renditdans la grande Salle
des exercices. Les Chevaux-Légers , Eleves , y
étoient ſous les armes. Ils firent l'exercice du
maniement des armes , conformément aux dernieres
Ordonnances, enſuite quelques évolutions .
puis l'exercice du Fleuret. Ils finirent par celui
de voltiger ſur des chevaux de bois ordinaires ,
& ſurun grand cheval d'une nouvelle conftruction.
On rendit compte enſuite au Roi de Pologne
des autres études qui ſe font dans la même
Salle , où l'on enſeigne aux Eleves les Mathématiques
, l'Histoire , la Géographie , le Defſein&
laDanſe. Le Roi de Pologne laiſſa voir
toute la fatisfaction que lui cauſerent également
tous les exercices. Rien n'échappa à ſa pénétration.
Il approuva toutes les nouvelles méthodes
inventées pour lesperfectionner , & il eut la bonté
de louer la juſteſſe & la précision de leur exécution.
Leurs Majestés ſigboerent lesle contrat demariage
du Duc de Beauvilliers , & de Demoiselle
Deſnos de la Feuillée.
M. Burner , Sçavant Botaniſte , & petit-fils du
célébre Sthall , étant venu en France pour y paffer
190 MERCURE DE FRANCE .
quelque tems , il fut préſenté au Roi par leDuc
d'Ayen.
Madame Infante Ducheſſe de Parme , eſt partie
le 27 Septembre pour retourner à Parme. Cette
Princefle a couché le même jour à Montargis , où
M. Barentin , Intendant d'Orléans , s'étoit rendu
pour la recevoir. Le 28 , elle coucha à Cofne ,
qui dépend auſſi de laGénéralité d'Orléans. M.
Barentin a rempli , àla fatisfaction de cette Princeffe
& de ſa fuite , tous les devoirs qui le regar.
doient. Madame Infante alla le 29 à Moulins . Elle
n'a pas été moins contente des préparatifs faits
pour ſa réception par M. de Bernage de Vaux ,
Intendant du Bourbonnois. Le 30 , Madame Infante
ſe rendit à Roanne , & le premier Octobre à
cinq heures du foir , elle eſt arrivée à Lyon. Elle
fut reçue à la porte au bruit du canon , par le
Marquis de Rochebaron , Commandant dans la
Ville , à la tête des Compagnies Militaires & de
celles de la Bourgeoiſie , qui étoient ſous les armes
, & qui bordoient les rues juſqu'au Palais
Archiepifcopal . Lorſque Madame Infante defcendit
à ce Palais , M. Flaſchat de Saint-Bonnet ,
Prévôt des Marchands , & les Echevins , la reçurent
au bas de l'escalier , étant préſentés par le
Comte de Noailles , Grand d'Eſpagne de la premiere
Claſſe , chargé des ordres du Roi pour
conduire cette Princeſſe à Antibes. Madame Infante
ayant été menée à ſon appartement , on lui
porta les préſens de la Ville qui conſiſtoient prin
cipalement en pluſieurs pièces de riches étoffes.
Le même jour , le Corps de Ville fit tirer ſur l'eau
in feu d'artifice vis-à-vis du Palais Archiepifcopal.
Après le feu , Madame Infante ſe mit à table ,
&elle voulut bien admettre toutes les Dames à la
voir ſouper. Toute la Ville fut illuminée , chaque
NOVEMBRE. 1753 . 191
0
citoyen s'empreſſant de témoigner ſon amour &
fon reſpect pour Madame Infante. Le 2, cette
Princefle entendit, dans la Chapelledel'Archevêché
, la Meſſe chantée par la Muſique. L'aprèsmidi
, elle alla ſe promener au Château d'Oullins ,
qui appartient au Cardinal de Tencin. A fon retour,
elle affifta au concert qu'on lui avoit préparé
, & après lequel on tira un nouveau feu d'artifice.
Elle foupa enſuite en public , & il y eut ,
de même que la veille , des illuminations dans
toute la Ville. Madame Infante ſe rendit le 3 à
l'Eglife Métropolitaine , & elle y entendit laMefſe,
après avoir été reçue à la porte par le Cardinal
de Tencin à la tête des Comtes de Lyon. Cette
Princefle partit le même jour pour continuer ſa
route. Pendant ſon ſéjour à Lyon , elle a éré traitée
aux dépens du Roi ſuivant les ordres adreſſés
àM. Roffignel , Intendant , par Sa Majefté. Madame
Infante a paru latisfaite des preuves qu'elle a
reçues du zéle deshabitans. Elle a donné des marquesde
bonté à toutes les perſonnes qui ont en le
bonheur de l'approcher ; & l'ardeur des voeux que
les Lyonnois font pour cette Princefle , égale la
vivacité du regret qu'ils ont eude fon départ.
LeDuc de Villars , Gouverneur de Provence ,
acélébré dans la Ville d'Aix , par une fêtedes plus
éclatantes , la naiſſance de Monseigneur le Duc
d'Aquitaine.
On mande de Beaucaire , que la fête donnée
par M. de Cremille à la même occafion , n'a pas
été moins somptueuſe.
Il y eut le 8 un Concert Italien chez Madame
la Dauphine, & l'on y exécuta un Oratorio , dont
M. Cafarieli chanta le principal rôle .
Sa Majesté ſe rendit le 6 à Choiſy , d'où Elle eft
revenue le 8. Elle retourna le ro à ce Château,
192 MERCURE DE FRANCE.
La Reine & Meſdames de France font allées le
même jour y joindre le Roi , & le 12 leurs Majeſtés
enpartirent pour Fontainebleau.
LeRoi ſoupales & le9 au grand couvert chez
la Reine avecla Famille Royale.
,
LeJo , M. Kleferer , Syndic , & M. d'Hugier ,
Sénateur , Députés de la Ville de Hambourg ,
curent leur audience publique de congé du Roi .
Ils furent conduits à cette audience , ainſi qu'à celles
de la Reine , de Monſeignent le Dauphin
de Madame la Dauphine , de Monſeigneur le
DucdeBourgogne , de Monſeigneur le Duc d'Aquitaine
, de Madame , de Madame Adélaïde , &
deMeſdames Victoire , Sophie & Louiſe , par M.
Dufort, Introducteur des Ambaſſadeurs .
Madame Infante Ducheſſe de Parme arriva le
3Octobre vers les ſept heures du ſoir à Vienne en
Dauphiné. L'Archevêque , le Commandant , &
le Corps de Ville , recurent cette Princeſſe à la
deſcente de ſon carroffe. Toutes les rues étoient
illuminées. Le 4 , Madame Infante entendit la
Meſſe dans l'Egliſe Métropolitaine. Cette Princeſſe
alla le même jour coucher à Saint-Valier.
Elle ſe rendit le 4 à Valence , où elle entra au
bruit du canon. Les troupes& la Bourgeoifie
étoient ſous les armes. Madame Infante logea à
P'Hôtel du Gouvernement. Elle coucha le 6 à
Montelimar , & le 7 à Pierrelatte. Dans la premiere
de ces deux Villes , elle fut reçue de même
qu'à Valence. Le 8 , elle dina à Bollene , Ville du
Comtat d'Avignon. Le Vice-Légat s'y étoit rendu
avec les troupes du Comtat. Madame Infante
continua l'après midi ſa route ,& alla coucher à
Orange. On fit à cette Princeſſe la même récepsion
qu'à Valence & à Montelimar. Elle dina le 9
à Sorgue , où le Vice-Légat d'Avignon & les
troupes
NOVEMBRE. 1753. 191
troupes du Comtat l'avoient devancée. Cette Prin.
ceſſe y trouva auſſi le Duc de Villars , qui l'y attendoit
à la tête de beaucoup de Nobleſle. Madame
Infante coucha le même jour à Orgon , & le
lendemain elle est arrivée à Aix .
LeComte de la Marche ,Prince du Sang , qui
avoit été attaqué d'une petite vérole volante , eſt
parfaitement rétabli .
Les Secrétaires du Roi , Maiſon , Couronne de
France , &de ſes Finances , firent chanter leTe
Deum dans l'Egliſe des Célestins , en actions de
graces de la naiſſance de Monſeigneur le Duc d'Aquitaine.
Les payeurs des Rentes de l'Hôtel de Ville s'acquiterent
du même devoir le 12 dans l'Egliſe des
Religieux de la Mercy ; & les Controlleurs des
Rentes, le 17 dans celle des Blancs-Manteaux.
M. de Chevert, Lieutenant-Général , qui a
commandé le Camp ſous Sarre-louis , &le Marquisde
Caftries , Maréchal de Camp , qui étoit
employé ſous ſes ordres , ſe ſont auſſi diſtingués
parune fête éclatante .
Le 12 Octobre , le Roi arriva à Fontainebleau
du Château de Choiſy; Sa Majesté deſcendit de carofle
à Chailly , & chaſſa le Sanglier. La Reine
arriva le même jour avec Madame Adélaïde , &
avec Meſdames Victoire , Sophie & Louiſe.
On exécuta le 13 à Verſailles , chez Madame
la Dauphine , l'Opéra Italien , intitulé , Didon
abandonnée , dont la Muſique eſt de M. Haſſe ,
Maître de Muſique du Roi de Pologne , Electeur
de Saxe. Les principaux rôles furent chantés par
Mrs Cafarieli , Guadagni , Champalante & Albaneſe.
M. Guadagni artive d'Angleterre. Sa grande
exécution & la beauté de la voix lui ont acquis
beaucoup de réputation .
I
194 MERCURE DE FRANCE.
Leurs Majestés ont ſigné le Contrat de ma.
riage du Marquis de Canify & de Demoiselle de
Vaily.
Leurs Majeſtés , accompagnées de Meſdames
de France, affifterent le 14 au Salut dans la Chapelle
du Château.
Le lendemain , la Reine alla entendre laMeſſe
dans l'Eglife du Couvent des Carmes des Loges ,
àun quart de lieue de Fontainebleau.
Meldames de France ſe rendirent l'après midi à
la même Eglife , où ces Princeſles aſſiſterent au
Salut.
Le Roi ſoupa le 14 au grand couvert.
Les ſpectacles ayant recommencé à laCour ,
les Comediens François y repréſenterent le 16les
Ménechmes & le Retour imprévú. On a profité de
la reflemblance qui ſe trouve entre M. Préville ,
nouveau Débutant , & M.,Chanville ſon frere ,
Acteur de la Comédie Italienne , pour leur faire
jouer dans la premiere Piéce , les rôles des deux
Menechimes.
Le 17 , il y eut chez la Reine un concert , dans
lequel on chanta le Prologue & le premier acte de
l'Opéra de Medée Jason .
Le 14 , l'Abbé Lambert eut l'honneur de préſenter
au Roi les Mémoires de Martin & de Guil
laume du Bellay-Langey , mis en un nouveauſtyle ,
auxquels sont joints Les Memoires du Maréchal de
Fleuranges , qui n'avoient pas encore été publiés, &
le Journal de Louile de Savoye ; avec des notes histo
riques critiques , & un grand nombre de Pieces Juftificatives
, pourfervir à l'Histoire du Regne de Fran
çois I. Ce Recueil contient ſept Volumes in 12 .
Monſeigneur le Dauphin & Madame la Dauphine
vinrent le 16 à Paris , pour rendre à Dieu
leurs actions de graces dans l'Egliſe MétropoliNOVEMBRE.
1753. 195-
caine. Ce Prince & cette Princefle attiverent à
quatre heures après midi , & furent reçus à la porte
de l'Eglife par l'Archevêque , qui , revêtu de ſes
habits Pontificaux , & à la tête de ſon Chapitre ,
les complimenta , & leur préſenta l'eau benite.
Ayant été conduits dans le Choeur , ils affifterent
au Te Deum , auquel l'Archevêque officia. Monſeigneur
le Dauphin & Madame la Dauphine firent
enfuite leur priere à la Chapelle de la Vierge. Ce
Prince & cette Princeſſe ſe rendirent de l'Egliſe
Métroplitaine à celle du Noviciatdes Jéſuites , où
ils entendirent le Salut. En arrivant à l'une & l'autre
de ces Egliſes , ils ont trouvé une Compagnie
des Gardes -Françoiſes & une des Gardes- Suifles ,
ſous les armes, Le foir , Monſeigneur le Dauphin
& Madame la Dauphine retournerent à Verfailles.
Par-tout , le peuple s'eſt empreflé d'accourir
ſur leur paflage. Le 18 , ce Prince & cette Princeffe
partirentde Verſailles pour aller jondre leurs
Majeftés à Fontainebleau.
Le Duc de Geſvres donna le 14 une fête brillante
dans le Château de Monceaux. Après un dîner
ſplendide , auquel le Duc d'Orléans ſetrouva,
le Te Deum fut chanté dans laChapelle de l'avant
cour du Château , qui étoit éclairée & décorée
magnifiquement. L'Evêque de Meaux y officia ;
& le Duc de Gefſvres y aſſiſta avec un grand nombre
de Seigneurs & de Dames , qu'il avoit invités à
la cérémonie. On tira le ſoir un très beau feu d'artifice
, précédé de quantité de boëtes & de fuſées
d'honneur. La fête fut terminée par un ſouper
qui nefut pasmoins ſomptueux que le dîner , &
qui fut ſervi au bruit des timbales & des trompettes.
M. Loriot , qui a trouvé le ſecret de fixer le
Paſtel , ſans tomber dans le mat , & fans rien ôter
I ij
196 MERCURE DEFRANCE:
de la fraîcheur des couleurs , a montré différentes
épreuves à l'Académie Royale de Peinture & de
Sculpture. La Compagnie , après les avoir examinées
, a décidé que le secret de M. Loriot ſemble
devoir perpétuer la durée des ouvrages en Pastel,
des deffeins qui méritent de paſſerà la postérité. De
plus , elle a déclaré que de toutes les tentatives qui
ont étéfaites jusqu'ici pour découvrir unpareilſecret ,
iln'en est venu à ſa connoissance, aucune qui puiſſe
entrer en comparaison avec la réuſſite deM. Lorist
dont la méthode paroit tendre au dégré de perfection
qu'on avoit toujours souhaité. L'Académie en conſéquence
a chargé ſon Secrétaire , de délivrer un
Extrait de ſa délibération à l'Inventeur , comme un
témoignage de l'estime qu'elle a pour l'excellence de
Jadécouverte.
Le 18 , les Actions de la Companie des Indes
étoient à dix-fept cens vingt-deux livres dix ſols ;
les Billets de la premiete Lotterie Royale à fix cens
foixante-quinze , & ceux de la ſeconde à fix cens
trente.
Dans toutes les circonstances où des événemens
agréables raniment la joye publique , Meſſieurs les
Fermiers Généraux ne manquent jamais à être des
premiers à témoigner leur zéle. L'objet de la naiffanced'un
nouvel appui du Trône étoit trop intéreſſant
pour toute la Nation , pour qu'ils négligeaflent
de prendre part à l'allegreffe commune.
Au lieu des dépenſes de pure décoration qui accompagnent
affez ordinairement les cérémonies
d'uſage en ces occafions , ces Meſſieurs ont coutume
d'employer en bonnes oeuvres , les ſommes
qu'ils pourroienty deſtiner : c'eſt ce qu'ils ont
conrinuéde faire cette année , ainſi qu'ils l'avoient
pratiqué précédemment dans des circonstances
ſemblables. Le Mardi 25 Septembre à onze heuNOVEMBRE.
1753. 197
Fes du matin , la Compagnie ſe rendit à l'Egliſe de
Saint Eustache , Paroiſſe de l'Hôtel des Fermes ,
qui étoit ornée comme elle l'eſt dans les jours
des plus grandes folemnités. On y célébra une
Meſſe ſolemnelle d'actions de graces , qui fut fuivie
du Te Deum , le tout fans autre appareil , que
celui qu'inſpiroit aux aſſiſtans la pieré & la reconnoiffance
envers Dieu du don qu'il a fait à la France
; & par une délibération de la Compagnie , les
ſommes qui auroient pu être employées en décorations
, mufique , fymphonie , &c . ont été envoyées
àcettemême Paroiffe pour contribuer à la dépente
des nouveaux édifices qu'on y entreprend , & pour
la perfection de certe Eglife ,&pour la commodité
& utilité des Paroiffiens .
RELATION de la Fête donnée à la
Nouvelle Orléans , au sujet de la Conva.
lefcence de Monseigneur le Dauphin.
L
'AMOUR des François pour leur Roi & leur
zele pour ſa gloire ſe confervent & ſemaoifeſtentdans
toutes les régions où le ſort les conduit :
la grande diſtance qui ſépare ceux qui font établis
àla Louiſianne n'a jamais purallentir en eux l'ardeur
fidéle qui fait leur principal caractére. Cette
contrée etentit encore du nom auguſte &chéri de
Louis le bien-aimé , & des cris d'allégreſſe occaſionnés
par la nouvelle de l'heureuſe convalefcence
deMonfeigneur le Dauphin. La Colonie entiere
animée par l'exemple de ſes Chefs a exprimé ſa
joye par tout ce que le coeur peut inſpirer , & par
tout ce que l'art a pu exécuter.
Monfieur de Kerleret , Gouverneur de laPro
I iij
198 MERCURE DEFRANCE.
vince de la Louiſhanne ayant fixé au dernier jour
d'Avril 1753 la Fête qu'il devoit donner au ſujet
de la convaleſcence de Monſeignent le Dauphin ,
fe rendit avec Monfieur de Vaudreuil , ancien
Gouverneur , & Monfieur d'Auberville , Commiſsaire
Ordonnateur , à l'Egliſe Paroiſſiale de la
Nouvelle Orléans , où il fut chanté un Te Deum
folemnel en actions de graces , enſuite duquel ceś
Metſieurs accompagnés de Monfient le Lieutenant
de Roi & de M. de Brunolo , Chevalier de l'Ordre
de Saint Louis , Commandant le Vaisseau du
Roi le Chariot Royal , avec Meſſieurs les Officiers
de la Marine , & Meſſieurs du Conſeil, allumerent
le feu de joye qu'on avoit préparé fur la place
d'armes au bruitdes ſalves répéréesdela mouſque.
revie des troupes de la Garniſon & de la Milice
Bourgeoife , &de plufieurs décharges du canonde
la place & des vaisseaux de la rade. Alors on fir
couler des fontaines de vin dans pluſieurs boſquets
formés artiſtement avec des branches d'arbres. Le
peuple au fon des fifres , des cors de chasſe &des
tambours exprima par ſes tranſports , par ſes danſes&
par fes acclamations la joie dont il étoit
agité ; joye vive & fincére , inſpirée par l'amour
que la Nation Françoiſe, quelque part qu'elle
foit tranſportée , nourrit fans cefle dans ſon coeur
pour la perſonne ſacrée de ſon Roi & pour ſonau
gufte Famille..
: De la Place d'armes Meſſieurs les Gouverneurs
& leur fuite ſe rendirent au Gouvernement , of
ils trouverent cent trente Dames parfaitement
'bien parées , &un beaucoup plus grand nombre
d'hommes , qui tous devoient être du ſouper. C'eſt
là que cette aiſance attentive , cet air gracieux&
engageant qui gagne tous les coeurs , ces polirefles
naturelles , réſervées aux ſeules perſonnes
:
NOVEMBRE. 1753 . 199
nées pour commander , furent abondamment rés
pandues: tout le monde y eut part , & chacun admirant
la belle ordonnance de cette Fête , la rendit
encore plus vive par l'expreſſion particuliere de
ſa joye & de ſon contentement.
Quelqu'avantage qu'une galerie d'environ cent
trente pieds , qui ſe trouve devant le Gouvernement
, offiſt pour réunir une aſſemblée auffi nombreuſe
, il eſt difficile d'imaginer avec quel art on
enavoit ſçu tirer parti . Un treillis de fleurs en garniffoit
le tour, & ne donnoit paſſage qu'à un air
parfumé. Les colonnes étoient ceintesde guirlandes
de fleurs : le plancher qu'on avoit tapiſſé , re.
préſentoit les chiffres les plus galans tracés par
d'autres guirlandes . La table étoit ornée de trois
beaux cristaux qui répétoient les lumieres d'un
nombre infini de bougies , dont la gallerie étoit
éclairée ; enfin une abondance bien entendue de
mets délicats & choiſis fiatoient également la
vûe & le goût.
La ſanté du Roi & celle de Monſeigneur le
Dauphin furent bues au bruit du canon de la Place
&des Vaiffeaux. L'on vit quels ſoins & quel plaifir
prenoit M. le Gouverneur à faire tomber tous
les honneurs ſur Monfieur & Madame de Vaudreuil
, & toutenfin fat dirigé avec un ordre &une
décence qu'il eſt auſſi rare que difficile de faire
obſerver dans un ſi grand concours .
,
D'autres plaiſirs devoient fuccéder à tant de magnificence.
Les illuminations de la façade duGou
vernement celles des Vaiſſeaux ranges fur le
bord du fleuve , & celles des maiſons des Particu
liers qui avoient voulu ſe ſignaler , attiroient tour
àtour les regards , & faifoient redoubler les acciamations.
Les Révérends Peres Jeſuites ſur tout
faifoient briller par de belles fuſées , des fontaines
Iiiij
200 MERCURE DE FRANCE.
de vin&des illuminations , leur bon goût ordi
naire.
Le ſouper fini , on ſe rendit àla maiſon du fieur
du Breuil , au devant de laquelle il avoit fait dref-
Ser un amphithéatre où les Dames ſe placerent
pour voir l'exécution du feu d'artifice qu'il avoit
préparé. Sa maifon étoit illuminée avec goût ; au
deffus d'une colonnade feinte s'élevoient quatre
ſtatues repréſentant les quatre ſaiſons avec leurs
attributs , & des inſcriptions appliquées au fujer,
Il y avoit fur la facede ſa maiſon trois galleries
P'une fur l'autre , & fur chacune un dépôt d'artifi
ce en fulées , feux volans, étoiles & ferpentaux.
Mesdames les Gouvernantes y mirent le feu par
le moyen de deux colombes artificielles On vit à
Pinſtant tout le ciel en feu & plein d'étoiles',
dont la clarté brillante diſſipa pour quelque momentl'obfcurité
de la nuit. On admira la grande
variété d'objets que préſenta cette décoration en.
flammée , & la diſtribution élégante & fage des
foleils , tourbillons , gerbes , pluye de feu , &c.
En un mot , l'exécution fut auſſi heureuſe que le
plan avoit été bien conçu. Le ſpectacle terminé
tout le monde ſe retira avec une entiere fatisfaction.
Les François ne furent pas les ſeuls, qui profiterent
de cette Fête : des Sauvages de plufieurs nations
qui ſe trouvoient à la Nouvelle-Orléans ,
voyant au nom du Roi jaillir des fontaines de
vin, dont la ſource leur étoit inconnue , & le
ciel s'embellir par des aſtres nouveaux , auront
remportédans leur retraite une haute idée de Louis
lebien aimé , & lui auront payé par ignorance
un tribut d'admiration , qu'ils lui offritoient par la
force de la vérité , s'ils avoient le bonheur de la
connoître.
NOVEMBRE. 1753. 201
L
BENEFICE DONΝ Ε' .
"
, E Roi a accordé l'Abbaye de Marcheroux
Ordre de Prémontré , Diocéte de Rouen , à
Abbé Clément , Doyen de l'Eglite Collégiale de
Ligny , en Barrois
:
MARIAGES ET MORTS.
:
E 18 Septembre , Jean-Etienne-Bernard de
Lugar de de
,
gneur de Pralay , Conſeiller au ParlementdeBour.
gogne, épouſa Charlotte-Theréſe Tardieu deMa
leiſſie , fille de Charles-Gabriel Tardieu , Marquis
de Maleiffie & de Anne - Philiberte de Barilon .
M. de Clugny eſt fils d'Etienne de Clugny ,
Seigneur de Nuis- fur-Armançon , Conſeiller au
Parlement de Dijon , & de Clairode Gilbert de
Voiſins , fille de Pierre- Gilbert de Voiſins , Cointe
de Crapado & de Lohuc , Commandant pour
le Roi en l'iſne de Guadeloupe , de la même famille
que M. Gilbert de Voiſins , Conſeiller d'Etat.
Etienne avoit pour pere un autre Etienne de Clugay
, Conſeiller au même Parlement , Auteur du
Traité des Droits de Juſtice , mort en 1741 avec la
réputation d'un grand Magiſtrat ; celui- ci avoir "
épousé Chriſtine Lefoul de Pralay , & étoit d'une
famille ancienne originaire d'Autun , dont étoit
forti Ferri de Clugny , Evêque de Tournay , fait
Cardinal en 1480. Ses armes ſont d'azur à deux
clifs d'or posées en pal , les anneaux en lozange pomés
enlacés. Voyez le Supplément de Moreri ,
de l'édition de 1735 .
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
Quant à la famille de Tardieu , elle eft origi
naire de Normandie , & a donné dans le dernier
fiécle pluſieurs Chevaliers à l'Ordre de Malte.
François Tardieu de Malleville , Maitre des Requêtes
, épouſa en 1620 Anne - Martin de Maleiffie,
fcoeur de Henri- Martin , dit le Marquis de Maleiſſie,
Gouverneur des Ville & Citadelle de Pignerol ,
& fille de Mathieu- Martin de Maleiſſie , Chevalier
de l'Ordre du Roi , Gentilhomme Ordinaire de ſa
Chambre ,& Gouverneur de la Capelle ; &de Madelaine
Alamani , qui avoit pour mere Anne de
Bricqueville. Leur poſtérité qui a depuis porté le
furnom & les armes de Maleiſſie, fut continué par
leur 3. fils Charles Gabriel Tardieu , Chevalier ,
Seigneur & Maquis de Maleiffie , Maréchal de
Camp en 1667 , marié avec Genevieve Hebert de
Buc ; de ce mariage naquit Jacques-François Tardieu,
Marquisde Maleiffie , Capitaine aux Gardes
Françoiſes , allié avec Anne Barentin , Dame de
Mons, en Poitou ; celui ci eſt le pere du Marquis
de Maleiffie , & l'ayeul de Charlotte-Theréfe de
Maleiffie quidonne fieu àcet article. Elle apour
freres Antoine Charles Tardieu , Comte de Maleiffie
, Sous- Lieutenant aux Gardes Françoiſes ,
Lieutenant de Roi de Compiegne ; & Charles -
Philibert Tardieu , Chevalier de Malte , aufk
Sous-Lieutenant au même Régiment. Ils portent
pour armes écartelé, au premier d'azur , à trois
pointes traverſées d'or , qui eft de Martin de Maleiffie;
au ſecond de Caumont , d'azur à trois lions
d'or , paffans l'un ſur l'autre , au troifiéme d'Ala
mani , bandé d'argent & d'azur de quatre piéces ;
au quatrième , de Briquerille , paflé d'or & de
gueules ſupports de lions.
Le 26 du même mois , N... de Beauchine de
Mondragon, Confeiller d'Etat , Maître d'Hôtel
NOVEMBRE. 1753 . 203
ordinaire du Roi , & Secrétaire des Commandemens
de Madame la Dauphine, épouſa N... Duval
de l'Epinoy , fille de Louis Duval de l'Epinoy,
Seigneur du Marquiſat de Saint Verain , & de
Marie Berfin . Leur Contrat de mariage avoit été
honoré le 23 de la ſignature du Roi , de la Reine ,
&de la Famille Royale.
Le premier Juillet fut enterré à Saint Sulpice
Demoiselle Catherine Browne, fille de Milord Valentin
Kenmare , décedée rue du Regard.
Le 8 mourut , rue des Foflés Saint Victor, Dame
Anne le Maiſtre , épouſe de M. Jean - Pierre
Guignace de Villeneuve , Seigneur de Villoifeau ,
Lemée , &c. Conſeiller au grand Confeil
M. Armand- François-Joſeph de Barral de
Montferrat , fils de M. Jean-Baptiste François
Barral de Montferrat , Marquis de la Baſtie , Con
feiller du Roi en tous ſes Conſeils d'Etat & Privé ,,
Préſident à Mortier en ſa Cour de Parlement ,
Aydes & Finances de Dauphiné , mourut le même
jour rue Saint Dominique Fauxbourg Saint Germain.
Voyez les Tablettes hiſtoriques V. part..
page 147. & VI. partie , page 159.
Joſeph Lamoureulx , Seigneur de la Javelliere
en Bretagne , Maréchal des camps & armées du
Roi , Commandeur de l'Ordre de S. Louis , &
ancien Gouverneur de Philifbourg , eſt mort à
Paris le 2 Juillet , âgé de 88 ans. Il eſt enterré
en l'Eglife de S. André ſa Paroiſſe. Il avoit épousé-
Marguerite Trudaine , Dame de Tartigny en Pi
cardie , dont il laiſſe deux filles Religieuses à S.
Paul-lez Beauvais , & deux autres filles mariées..
Paînée ,
Marguerite-Sébastienne Lamoureulx, mariéele
10 Septembre 1739 à Charles-Cefat Favier de
Uvjl
204 MERCURE DEFRANCE.
Lancry , Marquis de Bains ,Capitaine de Dragons
au Régiment de Nicolai , tué d'un coup de fauconneau
au ſiége du Château de Rhinsfelds en
Briſkau , le 24 Septembre 1744, âgé de 32 ans ,
laiſſantun fils &une fille.
Et la cadette , Geneviève Lamoureulx , mariée
le 4 Mars 1745 à Denis- François Marquis de
Mauroy , Lieutenant Général des armées du Roi ,
&Gouverneur de Taraſcon , dont un fils né le 1s
Juin 1750.
Gui- Félix d'Egmont Pignatelli , Comte d'Egmont
, Prince du Saint Empire , Grand d'Eſpagne
de la premiere claſſe , Pair du Pays & Comté de
Hainault , Brigadier , Mestre de camp du Régiment
de Dragons de ſon nom, mourut àParis le
3 Juillet , âgé de 33 ans.
Dame Marie-Edmée de Boullongue , époufe
du Marquis de Bethune , Maréchal des camps &
armées du Roi , & Mestre de camp général de la
Cavalerie , eſt morte à Brunei le même jour dans
fa vingt huitième année.
Meffire François-Olivier de Saint Georges ,
Marquis de Verac , Lieutenant Général pour Sa
Majefté auGouvernement du Haut- Poitou , mourut
le to âgé d'environ quarante ans. Il étoit fils
aîné du feu Marquis de Verac , LieutenantGénéral
des armées du Roi & Chevalier des Ordres de
Sa Majeſté .
Louiſe de Beauvau , veuve de Meffire François
Comte de Rochefort , mourut à Paris le 14, âgée
de 68 ans .
Meffire Jean Gourdon de Legliziere , Lieutenant
Général des armées du Roi ,& Directeur
des fortifications des villes & ports de la haute.
&baffe Normandie , & Chevalier de Saint Louis ,
eft mort le même jour dans ſa ſoixante fixieme.
année.
NOVEMBRE. 1753. 205
Meffire Pierre Blouet , Comte de Camilli ,
GrandCroix de l'Ordre Royal & Militaire de
Saint Louis , & premier Vice-Amiral de France ,
ci -devant Grand- Bailli Honoraire de l'Ordre de
Saint Jean de Jerufalem , mourut à Paris le 22 ,
âgé de quatre-vingt-fept ans. Il ſervoit dans la
Marine depuis 1689 ; après avoir paffé ſucceſſivement
par tous les grades ; il fut fait Vice-Amiral
du Ponant le 15 Mai 1751. Il avoit été Ambaſſadeur
de la Religion de Malte en 1714 , au Congrès
de Bade , & en 1723 à celui de Cambrai ; en 1726
il avoit été nommé Ambaſſadeur du Roi à la Cour
deDannemarck , place qu'il a occupée pendant les
années 1726 , 1727 & 1728 .
Le même jour montut dans ſa ſoixante-huitiéme
année , Meffire Samuel - Jacques Bernard ,
Conſeiller d'Etat ordinaire , Doyen des Doyens
des Maitres des Requêtes , Sur- Intendant des Finances
de la Maiſon de la Reine , & Prévôt-Maΐ
tre des Cérémonies de l'Ordre Royal & Militaire
de Saint Louis . Voyez la IV. part. des Tablettes
hiſtoriques , page 70.
Gui Michel de Durfort , fils de Louis de Darfort,
Comte de Lorges, Lieutenant Général des
Armées du Roi , & Menin de Monſeigneur le
Dauphin ; & de Marie-Marguerite-Reine Butau
de Keremprat de Marfan , Dame de Compagnie
de Madame la Dauphine , mourut à Paris le 24
dans la troifiéme année .
Meffire Alexis-Céſar de Talhouet de Bonamour,
Abbé de l'Abbaye de Saint Aubin-des-Bois ,Ordre
de Citeaux , Diocéſe de Saint Brieu , & Vicaire
Général de l'Evêché de Rennes , eſt mort à Rennes
le même jour , âgé de quarante ans.
Meſfire N...de Gould , Abbé de l'Abbaye de
Saint Laon deThouars , Ordre de Saint Augustin,
1
206 MERCURE DEFRANCE.
Diocéſe de Poitiers , eſt mort à ſon Abbaye dans
ſa ſoixante quinziéme année.
Le 23 , eft mort à Paris François de la Celle ,
Vicomte de Chanteauclou , Mouſquetaire de la
premiere Compagnie.
M. Pierre-Louis François de Perochelle de
Morinville , auffi Mouſquetaire de la premiere
Compagnie , mourut à Paris le 26.
Meſſire le Lages de Cuilli , Maréchal des Camps
&Armées du Roi ,eſt mort à ſa Terre de Cuilli
le même jour ; il avoit fervi long-tems avec diftinction
dans la Marine d'Eſpagne. Le conimandement
du Vaiſſeau Eſpagnol le Saint Ifidore lui
ayant été donné pendant la derniere guerre , il fur
attaqué ſur les côtes de l'Ile de Corſe par trois
Vaiſſeaux Anglois , il ſoutint leur feu pendant
pluſieurs jours, & s'étant fait échouer plutôt que
de ſe rendre, il ſe ſauva à terre avec ſon équipage.
Meffire Jean- François , Marquis de Creil ,
Grand-Croixde l'Ordre Royal & Militaire de Saint
Louis , Lieutenant Général des Armées du Roi ,
Gouverneur de Thionville , &ci-devantCapitaine-
Lieutenant Commandant de la Compagnie des
Grenadiers à cheval , eſt mort à Thionville le 27 ,
agé de ſoixante dix- huit ans .
Marie Magdelaine de la Grange-Trianon , venve
de Jacques d'Auxi de Monceaux , Marquis
d'Auxi , Chevalier des Ordres du Roi , mourut en
ſon Château de Deuil le 28 , âgée de ſoixante-fix
ans. Le Marquis & la Marquite d'Auxiont laiflé
de leur mariage une fille unique , qui eſt Anne-
Magdelaine- Françoiſe d'Auxi de Monceaux , Dame
du Palais de la Reine,& épouse d'André
Hercule de Roffet , Duc de Fleuri , Pair de France ,
Lieutenant Général des Armées du Roi ,Gouver
NOVEMBRE. 1753. 207
neur & Lieutenant Général des Duchés de Lorraine
& de Bar , Gouverneur particulier des Ville
& Château de Nanci , & premier Gertlhomme
de la Chambre de Sa Majeſté.
Dame Louiſe Marthe de Meſſey , épouse de
Meffire Albert- François Clérambaut , Comte de
Vandeuil , eſt morte à Paris le 4 Août , âgée de
$38 ans.
Marie- Gabriel Florent , Comte de Choiſeul-
Beaupré , Colonel du Régiment de Navarre , Lientenant
Général des Provinces de Champagne &
deBrie , en ſurvivance du Marquis de Choiſeul
fon pere , mourut à Strasbourg le 6. âgé de 24
ans. Voyez la IV part. des Tablettes Hift. page
178.
Claude Gros de Boze , Préſident - Tréſorier
de France au Bureau des Finances de la Généralité
de Lyon , Garde des médailles du Cahinet
du Roi , & l'un des quarante de 'Académie
Françoiſe , ci-devant Intendant des deviſes & inf.
oriptions des édifices royaux , & Secrétaire perpétuel
de l'Académie des Inſcriptions & Belles-
Lettres , eft mort à Paris le 10 dans ſa ſoixantequatorziéme
année..
Le ſieur Mouffle de la Thuillerie , Tréforier
Général de l'Ordre de Saint Louis , & ci-devant
Tréſorier Général de la Marine , eft mort à Paris
le 10dans ſa quatre- vingt- quatrième année.
Meffire Louis- Jacques de Calonne , Marquis de
Courtebonne , Maréchal des Camps &Armées du
Roi , Lieutenant de Roidans la Province d'Artois
, & ci-devant Capitaine- Lieutenant dans la
Compagnie des Gendarmes Bourguignons , eſt
mort le ir dans ſes terres en Picardie , âgé de
5 ans. Voyez la V. part. des Tablettes hiftor.
Page 53,
208 MERCURE DE FRANCE.
Le même jour mourut Meffire Jean Altermar,
Grand-Juge de la Compagnie Générale des Gardes
Suifles , Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire
de Saint Louis , âgé de 75 ans.
Le 12 eſt morte Dame Renée Baroux , venve
de Meffire Claude Dubois , Marquis de Couruziers
, Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire
de Saint Louis , Capitaine au Régiment du Roi infanterie.
Marie-Françoiſe-Cafimire de Froulay-de-Teflé ,
Dame du Palais de la Reine , épouſe de Charles-
Michel-Gaspard de Saulx-Tavannes , Comte de
Saulx , Lieutenant-Général des Armées du Roi ,
Meninde Monſeigneur leDauphin , Gouverneur
du Château du Taureau en Bretagne, & élu de la
Nobleſſe de Bourgogne , mourut à Paris le 15
âgée de 38 ans. Voyez la III Part. des Tablettes.
hiftor. page 63. quatrième part. page 246 cinquiéme
part. page 170.
Le 17 eſt mort M. LouisGaſton de Lowendiere ,
Seigneur de l'Arpoix , Conſeiller au Parlement.
Anne-Rofalie-Félicité de Montmorenci , fille de
Louis- Anne-Alexandre de Montmorenci , Prince
de Robecq , premier Baron Chrétien de France ,
Grandd'Eſpagne de la premiere Claſſe , Brigadier
d'infanterie &Colonel du Régiment de Limoſin ,
& d'Anne - Maurice de Montmorenci . Luxembourg
, eſt morte le 18 dans ſa quatrième année
.
Le 22 on inhuma à Saint Germain PAuxerrois
Louiſe Genevieve Julien du Bellay , fiile de feu M.
Jacques Louis Julien ſieur du Bellay , Conrôleur
des Guerres , & Commandant pour le Roi au Fort
de Gregoy , Royaume de Juda .
Le 24 fut inhumé à Saint Sulpice M. Louis René
de Malenas de Moreuil , Mouſquetaire de la
NOVEMBRE. 1753 . 200
premiere Compagnie , Seigneur de Launay , la
Roche- Marteau , &c.
Meſſire Emmanuel Freſlon de Saint-Aubin , Bri
gadier des Armées du Roi , & Capitaine d'une
des.Compagnies de Grenadiers du Régiment des
Gardes-Françoiſes , mourut à Paris le même jour ,
âgé de 52 ans.
Charles-Albert François de Gelas-Voiſin Dambre
, fils de Daniel François de Gelas-Voiſin-
Dambre , Comte de Lautrec , Chevalier des Ordres
du Roi , Lieutenant-Général des Armées de
Sa Majesté , un de ſes Lieutenans Généraux dans
la Province de Guyenne & Gouverneur du Quer
noi ; & de Marie- Louiſe de Rohan Chabot , eft
mort à Paris le 28dans ſa dixieme année. Voyez
la ſeconde partie des Tablettes hiſtoriques page
320.
Edme Sainſon , Ecuyer Conſeiller Secrétaire du
Roi , Maiſon Couronne de France & de fes Finances
, mourut le premier Septembre 1753 , âgé de
77 ans. Un eſprit net , une mémoire prodigieufe
&un grand amour pour le travail , Ini faifoient
remplir les fonctions de ſa Charge avec une grande
distinction.
Le même jour on inhuma à Saint Germain l'Auxerrois
Dame Françoiſe Angélique Lecuyer de
Balagny , femme de M. Pierre-Auguste Baronde
Brink , ci devant Commiſſaire Ordonnateur de la
Marine , ſur tous les Ports Hollandois pour la
France.
Le 2mourut Dame Marie Genty , veuve de M.
de Bouthilier , Marquis de Chavigny.
Les . on enterra à Saint Sulpice M. Claude-
Nicolas Motel , Seigneur de Vindé , &c. Conſeiller-
Honoraire , & ancien Doyen du Grand Con
ſeil, âgéde 87 ans.
210 MERCURE DE FRANCE.
Le même jour fut inhumé à Saint Eustache M.
Daniel Louis Denis de Lauſac , Conſeiller au
Parlement décédé rue Vivienne.
Le même jour fut enterré à Saint Roch M.
Aléxis-Rolland Fillion de Villemur , l'un des quarante
Fermiers Généraux de Sa Majesté , décédé
àNeuilly.
M. François- dant , Baron d'Holbach , Seigneur
de Héze , le Ende , &c. mourut le même
jour.
Le 6 eſt morte , âgée de foixante-ſeize ans ,
Anne Marie Marguerite Trinquand , épouse de
M. Nicolas Favieres , Conſeiller au Parlement.
Le is eſt morte Dame Marie Marguerite de
Faverolles , veuve de M. hilibert-Michel Huerne,
Maître des Comptes.
Le même jour mourut Dame Marie-Anne Boyer,
Dame de Juſas , épouſe de M. Pierre Billard , Seineur
de Vaux , Confeiller Honoraire auGrand
Confeil , Premier Préfident au Bureau des Finan
es , Chambredu Domaine & Tr for .
Le 14 eſt inhumé à Saint Jean- en-Grêve M.
alexandre Foizon,, Seigneur de Blamond , Genlhomme
Ordinaire ,Honoraire de laChambre
du Roi.
Le 15 eſt morte Dame Elifabeth Bibiane d'A
ſigny , veuve de M. Guillaume Gouyon , Ecuyer
ordinaire du Roi en ſa grande Ecurie , & Lieutenant
pour Sa Majesté des Ville & Château du
Pont-de-Cé.
Mefire N.....de Montginord , Chanoine de
Meaux , Abbé de l'Abaye de Marcheroux , eſt
mort à Meaux le 18 , dans ſa ſoixante-dixiéme
année.
Jules Frederic Mazarini Mancini , fils de Louis
Jules Barbon Mazarini- Mancini , Duc de Niver-
:
NOVEMBRE. 1753. 211
nois & Donzieres , Pair de France , Grand d'Ef
pagne de la Premiere Claffe ,Prince du Saint Empire
,Noble Vénitien , Chevalier des Ordres du
Roi, Brigadier d'Infanterie , Ambafladeur de Sa
Majesté auprès du Saint Siege ; & d'Helene Fransoiſe
Angélique Phelypeaux de Pontchartrain ,
mourut àParis le 19 , âgé de près de huit ans.
A
ARRESTS NOTABLES.
RREST du Conſeil d'Etat du Roi , du ro
Avril 1753 , qui diſpenſe les Fabriquans de
toiles , batiſtes & linons , de ſe ſervir du miniftere
des Courtiers de Valenciennes pour vendre leurs
toiles.
AUTRE du 12 Juin , portant nomination des
perſonnes qui figneront les coupons pour le renouvellement
des Reconnoiffances qui doivent
être fournies par le Tréſorier de la Caifle générale
des Amortiſſemens .
REGLEMENT du 22 Juin , pour la police
&difcipline des équipages des Navires expédiés
pour les Colonies de l'Amérique.
INSTRUCTION du 29 Juin , ſur l'exer
cice de la Cavalerie.
AUTRE , du même jour , ſur le ſervice que les
Régimens de Cavalerie devront faire dans les camps
qui s'aſsembleront pendant la préſente année.
ARREST du Conseil d'Etat du Roi , du ro
Juillet 1753 , qui ordonne que les Particuliers qui
212 MERCURE DE FRANCE.
1.
feront compris dans les états de répartition de le
Capitation de l'année 1754 , feront tenus de
payer, outre la portéede leurs taxes , les quatre
fols pour livred'icelles .
AUTRE , du même jour , qui proroge jul.
qu'au premier Octobre 1754 , le pouvoir accordé
àMrs les Intendans des Généralités où la taille
eſt perſonnelle , de faire procéder pardevant eux ,
ou ceux qu'ils commettront , à la confection des
rôles des tailles , dans les Villes , Bourgs & Pasoiſſes
où is le jugeront à propos.
ORDONNANCE du Roi , du zo Juillet;
pour établir quatre Sous- Aides Majors dans
ſon Régiment d Infanterie.
AUTRE , du premier Août , pour régler le
nombre des Officiers de ſes Troupes de Cavalerie
&de Dragons , qui auront congé par ſemeſtre.
AUTRE , du même jour , pour régler le
nombre des Officiers de ſes Troupes d'Infanterie
Françoiſe , qui auront congé par ſemeſtre.
ARREST du Conſeil d'Etat du Roi , du 19
Août , qui accorde à Eloi Brichard le privilége de
laManufacture Royale de Porcelaine , établie à
Vincennes.
ARRESTde la Cour des Monnoyes , du
29 Août , qui fait défenſes à toutes perſonnes ,
fur les peines y portées , de refufer les pièces
de vingt- quatre deniers pour leur valeur entiere :
condamne le nommé Arbois en cinquante livres
d'amende pour le refus qu'il en a fait ;& ordonne
NOVEMBRE. 1753. 213
qu'il fera informé ,tant contre ceux qui les refuferont
, que contre ceux qui font courir des bruits
de diminution & de décri deſdites eſpéces.
LETTRES Patentes du Roi , en forme de
Commission , données à Versailles le 18 Septembre
; portant établiſſement d'une Chambre des
if Vacations dans le Couvent des Grands. Auguſtins
deParis.
ARREST du Conſeil d'Etat du Roi, du 24 Septembre
; qui , en interprétant les réglemens cidevant
rendus , explique dans quel cas les Marchands
ſur leſquels il pourroit être ſaiſi des étoffes
en contravention auſdits réglemens , auront leur
recours contre les fabriquans qui les leur auront
vendues.
ARREST du Conſeil d'Etat du Roi , & Lettres
Patentes ſur icelui , données à Verſailles le
30 Septembre , regiſtrées en la Chambre des Vacations
les Octobre ; qui caſſent la Sentence du
Châtelet de Paris, du 28 Septembre , & déclarent
nulle la Délibération du Châtelet du même jour.
ARREST de la Chambre des Vacations , du
Octobre ; portant enregistrement de l'Arrêt du
Conſeil du 30 Septembre, & des Lettres Patentes
ſur icelui ; & commiſſion à des Députés de ladite
Chambre , à l'effet de ſe tranſporter au Châ
telet , pour y faire exécuter ledit Arrêtdu Conſeil ,
leſdites Lettres Patentes & Arrêt de la Chambre,
AUTRE du même jour , qui ſupprime un
imprimé portant pour titre : Mandement de M.
PErêque de Boulogne.
214 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE du 16 Octobre , qui condamne
Edouard- François Labattu , au fouer , à la marque
des lettres GAL , & aux galeres pour trois ans ,
pour vol de mouchoirs dans l'Eglife de Saint Euftache.
२
AVIS.
COPIE de la partie de la Lettre écrite par
M. le Marquis de Breteville , au Pere
Potaire , Confeffeur des Religieuses de l'Ave.
Maria , à Paris ; dattée defon Château
près Cherbourg , du 10 Juillet 1753 :
contenant l'éloge de la Poudre purgative de
M. Vacoffain , Marchand Epicier , rue
Ovis à vis S. André des Arts.
J
E ne puis aſſez vous remercier , mon R. Pere
&ami , de la connoillance que vous m'avez
donnée de la Poudre purgative du ſieur Vacoſſain.
Les bons effets qu'elle a produits ſur les perſonnes
qui enont fait uſage dans ina Paroiſſe , à moi parculierement
m'obligent d'en faire toutes les
louanges qu'elle mérite ; lui donnant la préférence
àtous autres Purgatifs , par la douceur de ſes
opérations , purgeant parfaitement fans aucune
tranchée , & différant des autres remédes qui affoibliffent
le tempéramment : celui ci le fortifie
en effet , comme il eſt marqué dans le Mémoire
inſtructif de ladite Poudre. Et fi j'avois un avis à
vous donner , mon R. Pere , dans la ſituation cù
vous êtes , je vous conſeillerois en bon ami , d'en
faire uſage plutôt que d'aller aux Eaux de Bourbon
, où vous m'avez marqué devoir aller au mois
d'Août prochain; mais puiſque vous avez deſſein
NOVEMBRE . 1753. 215
de ſuivre les ordres de vos Médecins dans cette
occaſion , je vous prierois avant votre départ ,
de m'envoyer encore deux paquets de chacun dix
priſes de la même Poudre , pour en donner à mes
pauvres Sujets; & fi ledit ſieur Vacoffain veut bien
par charité y en ajouter quelques priſes , il participera
à une bonne oeuvre.
AUTRE.
Le ſieur Pastel , Chirurgien , poflefleur d'un
Reméde Anti - vénérien , avertit le Public , que
quelques opiniâtres & invétérées que ſoient toutes
fortes de maladies ſecrettes , dans les deux ſexes ,
de tout âge , il les guérit parfaitement & radicalement
, fans friction ni falivation , en très peu de
tems , & n'empêche pas les malades de vaquer à
leurs affaires. Sa demeure eſt rue d'Anjou , la premiere
porte cochere à droite en entrant par la rue
Dauphine , au premier étage,
APPROBATION.
'Ai lû , par ordre de Monſeigneur le Chancelier
, le volume du Mercure de France du mois
de Novembre. A Bonbar le 24 Octobre 1753 .
LAVIROTTE,
TABLE.
P
IECES FUGITIVES en Vers &enProfe,
Vers fur la naiſſance de Monſeigneur le Duc
d'Aquitaine , page 3
Differtation fur la Deviſe du Roi Louis XII , 6
Eglogue fur la naiſlance de Monteigneur le Duc
d'Aquitaine 13
Suite de la Differtation ſur le Droit & le Barreau
deRome , 19
216
Ode ſur la naiſſance de Monſeigneur le Duc d'A
quitaine ,
Séance publique de l'Académie de Rouen ,
32
38
La Tendreſſede Louis XIV pour ſa Famille ; Poë.
me qui a remporté le Prix de l'Académie Françoile,
Séance publique de l'Académie de Dijon , 56
La Calomnie ; Ode aux Manes de Rouſleau , 66
Séance publique de l'Académie des Sciences de
Besançon , 73
Songe. Mile Forquerai à ſa mere , 77
Séance de l'Académie des Belles- Lettres de Mon -
tauban , 79
Mandement de M. l'Evêque de Valence , ſur la
naiſſance d'un Duc d'Aquitaine , 92
Mots de l'Enigme & des Logogtyphes du dernier
Mercure , 95
Enigme & Logogryphes , ibid.
Nouvelles Littéraires , وو
Prix propoſés par l'Académie Royale des Sciences
deToulouſe , 135
Aflemblée publique de l'Académie des Sciences
d'Amiens , 139
Lettre à M. le Chevalier de Caufans , 141
Réponſe à la Lettre de M. *** 142
Beaux Arts , 149
Chanfon , 169
Spectacles , ibid.
Nouvelles Etrangeres , 177
France. Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 184
Bénéfice donné ,
Mariages & morts ,
Arrêts notables ,
Avis,
201
ibid.
211
214
LaChanson notée doit regarder la page 169.
Del'Imprimerie de J. BULLOT.
DE FRANCE ,
DÈDIÈ AU ROI.
SEPTEMBRE .
CIGIT
UT
SPARGAT
1753 .
Chez
Pupillon
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
, Quai de Conty , à la PISSOT
deſcente du Pont-Neuf.
DUCHESNE , rue Saint Jacques,
au Temple du Goût,
M. DCC. LIII .
Avec Approbation & Privilégedu Roi.
AVIS.
'ADRESSE du Mercure est à M. MERIEN
LCammisauMercure,rue des Foffez S. Germain
PAuxerrois , au cain de celle de l'Arbre-fec , pour remettre
à M. l'Abbé Raynal.
1
Nous prions très-instamment ceux qui nous adreffe
ront des Paquets par la Poſte , d'en affranchir le port ,
pour nous épargner le déplaisir de les rebuter , &à eux
celui de ne pas voir paroître leurs Ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays Etrangers ,
quisouhaiteront avoir le Mercure de France de la premiere
main , & plus promptement , n'auront qu'à
écrireà l'adreſſe ci-deſſus indiquée.
On l'envoye auffiparla Poſte, aux perſonnes de Province
qui le defirent , les frais de la pofte ne sont pas
confidérables.
On avertit auſſi que ceux qui voudrontqu'on leporte
chez euxà Paris chaque mois , n'ont qu'à fairesçavoir
leurs intentions,leur nom & leur demeure audirfieur
Merien,Commis auMercure; on leurportera le Mercure
très- exactement , moyennant 21 livres par an , qu'il
payeront ,sçavoir , 10 liv, 10f. en recevant le ſecond
: volume de Juin , & 101. 10ſ. en recevant leſecond
volume de Décembre. On les supplie instamment de
* donner leurs ordres pour que ces payemens Soientfaits
dans leur tems.
On prie auſſi les perſonnes de Province , à qui en
envoye leMercure par la Poste , d'étre exactes à faire
payeu Bureau du Mercure à la fin de chaqueſemeftre
,jans cela on ſeroit hors d'état de soutenir les
avances conſidérables qu'exige l'impreſſion de ces
auvrage.
On adreſſe la même priere aux Libraires de Province.
On trouvera le ſieur Merien chez lui les mercredi
, vendredi , & samedi de chaquesemaine.
PRIX XXX. SOLS .
Compl. sets
mppioff
MERCURE
DE FRANCE ,
1 1
DÉDIÉ AU ROI.
SEPTEMBRE. 1753 .
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
ORITHIE ET BORE'E.
L
CONT E.
:
E froid Borée , au retour du zephir ,
Revoloit vers les lieux ſoumis à fon
empire ,
Lorsque ce Dieu , ſous un feuillage
frais
Apperçut la jeune Orithie
Qui , ſur un lit de fleurs mollement endormie ,
Lui ſembla mériter qu'il la vit de plus près.
Il s'approche , & touché des charmes de la belle
Aij
4 MERCURE DE FRANCE.
Quelle eſt , dit- il , cette immortelle
Qui vient par la préſence embellir ce ſéjour ?
Souvent Venus , dit- on , ſe dérobe à ſa Cour;
Mais non , Mars ſeroit auprès d'elle .
Quel trouble à chaque inſtant en moi ſe renouvelle
?
,
Applaudis- toi , cruel amour ;
D'un coeur qui te fut trop rebelle
Tu ſeras , je le ſens , bien vengé dans ce ſéjour.
Mais que dis -je .... où m'emporte une ardeur inſenſée
?
Me convient-il , hélas ! d'oſer former des voeux ?
Cet air froid, ce front nébuleux ,
Cette barbe toujours de glaçons hériſſée ,
Cette couronne verglacée
D'où ſemblent à longs fils diſtiler mes cheveux ;
Tout ne détruit il pas une ardeur inſenſée ?
Etdois-je m'expoſer à des rebuts honteux ?
Non , mais pour plaire à cette nymphe aimable
Inventons quelque adroit détour ,
Și tant d'attraits excuſent mon amour ,
Tant d'amour rend ma feinte pardonnable ,
Sousdestraits tout nouveaux je vais me rajeunis
J'aime , il ſuffit : & pleinde ma tendreſle ,
Je veux devoir à mon adreſle
Cequ'en vain de mes feux je voudrois obtenir,
Il dit , & fecouant ſes aîles ,
-DuRoi des aquilons il dépouille les traits ,
SEPTEMBRE .
S 1755.
Il ſe déguiſeen un petit vene frais ,
Puis ſur un litde fleurs nouvelles ,
Queſon ſouffle fit naître auprès
Comme un zéphir il ſe promene ,
Etde leurdouce odeur parfumant fon haleine ,
D'un air carefſſant & badin
१
Vers la Nymphe endormie , il s'envole ſoudain:
Dieux ! que d'attraits touchans s'offrirent à fa
vûe !
Et quel fut ſon raviſſement?
Dirai - je les déſirs qui dans ſon ame émuc
S'éleverent confufément ?
Peindrai je les baiſers que ſa bouche amoureuſe
Enlevoit en paſſant ſur le ſein delicat :
Faveur d'autant plus précieuſe
Qu'il falloit qu'il la dérobât.
Mais non. En vains efforts j'épuiſerois ma veine.
Apeindre ces tranſports , qui pourroit réuffit ?
Plus on lesgoûte avec plaîfir
Plus on les décrit avec peine.
LaNymphe cependant, féduite par l'appas
D'un ſommeil léger & tranquille ,
Seule& fans crainte en cet azile ,
Du piége de l'Amour ne ſe méfioit pas.
Oſurpriſe ! 8 mortelle crainte !
De quel effroi ſubit elle ſe ſent atteinte
A l'aſpect d'un amant qu'elle voit dans ſes bras ?
Quel obſtacle oppoſer aux feux d'un téméraire !
Aiij
6 MERCURE DE FRANCE.
Sans ſecours , ſans défenſe , en vain à ſes tranfports
,
Parune prompte fuite elle veut ſe ſouſtraire :
Hélas !le Dieu rioit de ſes foibles efforts ;
Mais für enfin que ſa conquête
Ne pouvoit plus lui réſiſter ,
De ſon déguiſement il voulut profiter ,
Et réparer , du moins , ſon audace indiſcrete ,
Par l'air tendre& foumis qu'il cut ſoin d'affecter.
Pourquoi vous défier de l'ardeur la plus pure ?
Pourquci , lui diſoit- il , refuſez-vous un coeur ,
Dont la fidélité pour jamais vous affure
Le triomphe le plus flatteur ?
Les voeux d'un Dieu qui ſoupire
Peuvent-ils vous offenſer ?
C'eſt le volage zéphir
Que vous venez de fixer.
Je vois ce qui vous anime :
Vous voulez me faire un crime
De mon tendre emportement ,
Etpar un reſſentiment
Qui vous paroît légitime ,
Punit quelques baiſers cueillis furtivement.
Eh quoi ! ſur les ſoupirs , ſur les pleurs d'un amant
Ce ſouvenir fatal l'emporte-t'il.encore ?
Ah! perdez-le , du moins , auſſi facilement
Que j'ai perdu celui de Flore :
Mais je le vois , votre coeur outragé
Du ſeul titre d'amant & s'allume &ſe bleſſe..
SEPTEMBRE. 1753 . 7
१
Que j'aime en vous cet heureux préjugé !
Et qu'il ajoûte encor à ma tendreſſe .
Nymphe , non ce n'eſt plus un amant qui vous
prefle ;
C'eſt un époux foumis qui vous donne ſa foi :
Er qui pour être heureux fans ceſſe ,
Veut àjamais vivre ſous votre loi .
Qu'eût fait la Nymphe ?,& comment le défendre
D'un diſcours qui marquoit tant de ſincérité ?
Tout parloit pour le Dieu , ſon reſpect , ſon ait
tendre ,
Et ſes ſermens & la beauté ;
Que de raiſons ! d'ailleurs , ſeul au fond d'un bow
cage
Il avoit mis un frein à ſa témérité.
Quelque indiſcret qu'il eûtété ,
Il pouvoit aisément l'être encor davantage.
Tout bien confidéré , la Nymphe ne crut pas
Lui devoir plus long tems diſputer ſa conquête.
Ces lieux furent témoins de leurs tendres ébats ,
Er l'hymen & l'amour éclairerent la fête.
Que fit le Dieu vainqueur ? ſans doute, un feufi
prompt
Promettoit un époux , tendre , empreſſé de plaire.
Ce qu'il fit ? dites vous : ce que les autres font.
Il revint à ſon caractere ,
Caraftere des plus glacés :
Les triſtes dons que d'ordinaire
Aiiij
8 MERCURE DE FRANCE .
Sa main répand ſur nous le témoignentaſſer :
Mais lorſque les fimats curent chaſſe l'Automne
Qui pourroit d'Orithie , exprimer la douleur ,
En voyant que l'époux qui poſſédoit ſon coeur
Etoit , non le zéphir , mais la biſe en perfonne ?
Nymphe , calmez pourtant un frivole courroux.
Plus de pareils regrets ſont communs parmi nous ,
Moins on feroit touché des vôtres.
Du redoutable hymen tels ſont les jeux malins ,
Ceſſez-donc , croyez -moi , de gronder les deſtins ,
Et de votre accident riez avec bien d'autres.
Rien ne coûte à qui veut contenter ſes défirs ;
Mais on fait peu de cas des faveurs aſſurées.
Que d'Aquilons l'amour change en Zéphirs !
Que de Zéphirs l'hymen change en Borées !
SEPTEMBRE.
1753% و
abotababatabatabattab
ASSEMBLE'E PUBLIQUE
/
De la Société Royale de Lyon , du 19 Avril
1752 .
.Chriſtin , Directeur & Secrétaire
Mepetu , adonné les extraits fuivans
des Mémoires qui ont été lus à cette:
Académie , depuis le 28 Avril 1751 , que
fut tenue la derniere Aſſemblée publique..
M. Mathon a donné la ſuite d'un Mémoire
fur la force des roues mûes par des
courans , dont il avoit lû le commence--
1
ment en 1749.
Il y développe les principes pour calcu
ler l'effort fur des aubes frappées perpen
diculairement ou obliquement , en entier
ou en partie , mobiles ou immobiles ; il
donne enſuite des formules pour connoî
tre les viteſſes qui procurent les effets les
plus avantageux à chaque fituation de la
roue , & pour trouver la viteſſe lorſque
l'effort eft connu.
*De là il paſſe à l'examen de la force d'aneroue
, dont on ſuppoſe le nombre des
aubes multiplié juſqu'à l'infini , ou ce qui
revient au même , dont le nombre des aubes
eſt le plus grand qu'il foit poſſible de
Av
to MERCURE DE FRANCE .
lui donner : il cherche combien elle doit
être plongée dans l'eau , & quelle doit
être la viteſſe , pour que l'effet ſoit le plus
grand. Selon les calculs , ſi le rayon de
cette roue eſt diviſé en cent parties égades
, le centre doit être élevé de près de
23 de ces parties au deſſus de la ſurface
de l'eau , & fa viteſſe doit avoir à celle
du courant le rapport de 23 à 100 : ſon
effet étant comparé à ceux des roues à 4 &
à 8 aubes , plongées juſqu'au centre , fe
trouve moins conſidérable , mais elle a ,,
d'un autre côté , l'avantage d'être plus.
égale dansfon mouvement.
Sur la Lumiere.
M. l'Abbé Cayer parcourt dans cet ouvrage
, les différentes propriétés de la lumiere
quiont un rapport effentiel avectoutes
les parties.dont la Phyſique fait l'objet
de ſes recherches ; Astronomie , Géographie
, Peſpective , Optique , Anatomie ,
Hiſtoire naturelle , & lereſte .
L'Auteur, a promis d'entrer dans des détails
académiques qui pourront être réunis
, & qu'il fait précéder par ce diſcours
qu'il qualifie de préliminaire.
M. de laMonce nous a donné un Mémoire
dans lequel il s'eſt proposé de fixer
pardes époques fûres , les points de perSEPTEMBRE.
1753. It
fection dans les Arts libéraux tels que l'Architecture
, la Peinture & la Sculpture ancienne
& moderne .
La néceſſité & la Religion ſemblent
avoir produit l'Architecture , mais où étala-
t'elle le plus ſa magnificence ? En Egypte;
laGrece la perfectionna- t-elle enſuite ,
ainſi que les autres arts ? ce ſoin lui étoit
réſervé : le gouvernement de Periclès à
Athènes , eſt une époque eſſentielle en ce
point.
S'agit il du Moderne le 15 & le 16°
fiécle ſont des tems recommandables pour
l'Italie ; que de grands noms ne ſe rappelle-
t- on point ſur ces époques !
La France a eu aufſi ſes héros dans les
trois derniers fiécles .
M. de la Monce les parcourt tous , &.
le récit de pareils traits dans l'hiſtoire
quoique connus , ſemble offrir néanmoins
toujours le plaiſir de la nouveauté,
Sur l'état des Sciences chez les Arabes.
Après un dérail abrégé des ſuccès de
Maliomet & de ceux qui les premiers ,
fous le nom de Califes , furent à la tête ,
après lui , de l'Empire Muſulman ; M.
l'Abbé Audras paſſe aux Califes Abbaffides
, deſcendus d'Abbas , oncle du Pro;
A vj
12 MERCUREDE FRANCE.
phête. Ces Princes connurent les premiers
desMahometans , l'utilité des Sciences &
des Arts.
Rien ne fut épargné, il båtit des Colléges,
il éléva des Obſervatoires , il établit des ſociétés
reglées de Sçavans. Ses ſucceſſeurs
protégerent de ſi beaux établiſſemens , &
P'Orient fous l'empire des Abbaſlides pofféda
des hommes habiles dans tous les genres
de ſciences. L'Auteur les fait connoî
tre par leurs noms & leurs talens , & continuant
juſqu'à l'entiere deſtruction de
l'empire des Califes , il nous préſente une
fuite de Sçavans dont les Croiſades nous
mirent à portée d'admirer le ſçavoir : ce
ne fut pas fans fruit ,& c'eſt de cette époque
que les Sciences & les Arts commencerent
à s'établir parmi nous.
Pour entrer dans le détail , l'Auteur s'arrête
à l'Algebre , il prouve que nous tenons
des Arabes un art fi important ; il en
développe le méchaniſme admirable , qui
ſert à nous découvrir les vérités les plus
compoſées. C'eſt dans la differtation qu'on
voit débrouillée l'eſpéce de magie de cet
art fingulier..
SEPTEMBRE.
1753. 13
Description&usage d'un instrument très-fim
ple pour ſuppléer àla ligne des parties égales
, &à la ligne des cordes du compas de
proportion.
M. l'Abbé Dugaiby a rempli les deux objets
qu'il s'étoit proposés en conſtruiſant
ces inſtrumens de fon invention ,& en a
démontré toutes les opérations dans fon
Mémoire. Nous paſſerions les bornes de
nos extraits fi nous entrions dans des dérails
que l'inſpection ſeule des figures
éclairciroit au premier coup d'oeil , fi nous
pouvions les faire voir ici .
Il ſuffiva de dire que l'inſtrument n'eſt
autre choſe qu'un triangle , rectangle iſocelte
, dont la baſe eſt diviſée en un grand
nombre departies qui ſervent à diviſer les
Baſes paralelles de plus petits triangles ,
que l'on conſtruira dans le grand , ſelon le
beſoin ; & cela en tirant des lignes de
l'angle droit , conſtruit à la baſe du triangle.
Pour les cordes du cercle , l'opération eſt
àpeu prèsſemblable , avec cette différence
que le triangle doitêtre inſcrit dans le cer
cle.
14 MERCURE DE FRANCE.
Sur l'origine , la circulation , l'accroiffement
la nature des polypes dans te corps
bumain.
M. Olivier perfuadé que les polypes
font la cauſe la plus ordinaire des morts
inopinées , qui de tems en temsjettent le
deuil& la déſolation dans les familles , a .
fait pluſieurs recherches touchant cette
maladie ; & à mesure que par l'ouverture:
& la diſſection de pluſieurs cadavres , il
s'eſt inſtruit de l'exiſtence des polypes , de
leurs cauſes prochaines & éloignées , de
la manieredont ils ſe forment ,, circulent ,.
s'arrêtent & croiffent en différens endroits .
de nos corps ; il s'eſt ſérieuſement appliqué
à découvrir les expédiens , & les
moyens capables d'en diſſiper les germes ,
&d'en prévenir la naiſſance..
Les polypes , ſelon le fentiment deM.
Olivier , donnent lieu à une multitude
innombrable de maux :les pleureſies, par
exemple , les aſthmes les plus rebelles , la
jauniſſe , l'hydropiſie , la ſyncope cardialgique
, l'apoplexie dépendent ordinai--
rement de quelques concrétions polypeuſes
qui ont germé dans le ſinus de la dure
mere , dans les poulmons , dans le foye ,
&dans les parties précordiales des malades.
Dès qu'on ſera parvenu à empêcher
SEPTEMBRE. 1753 . 15
ou à fondre les concrétions ,, on pourra ſe
flater d'avoir coupé la racine à des milliers
de maladies d'autant plus formidables
qu'elles ne finiſſent preſque jamais que par
la mort prévûe ou inopinée des malades.
2
Pour remplir cette indication importante
, c'est- à-dire , pour empêcher la naifſance
des polypes , ou pour les détruire
quandils font nouvellement nés.,M. Olivier
propoſe pluſieurs moyens ; mais il recommande
fur tout l'uſage du firop alexitere
de Ginseng , dont il eſt l'inventeur.
M. Olivier aſſure que ce ſirop ayant ſpécifiquement
la vertu d'entretenir les vaiffeaux
dans une ſoupleſſe extrême , & celle
de rendre le fang très fluide , prolongera.
la vie de ceux qui en uſeront , & leur fera
paffer la vieilleſſe ſans qu'ils s'apperçoivent
des infirmités de cet âge.
On perd beaucoup par un ſimple extrait,
des détails importans du Mémoire.
Sur-deux instrumens de l'invention deM.
Saverien .
L'Auteur Académicien aſſocié a envoyé
à l'Académie la deſcription de ces deux
inſtrumens , dont le premier eſt deſtiné à
connoître la falubrité de l'air , en ſuppofant
qu'elle dépend de ſa plus grande pureté
,&que celle- ci eſt indiquée par l'élaſti16
MERCURE DE FRANCE.
cité , que le mélange des vapeurs nuiſibles
altere & diminue infailliblement ; cet inftrument
eſt donc propre à meſurer l'élafticité
de l'air . On en peut concevoir une
idée en le comparant à ces barometres à
l'Angloiſe , je veux dire aux barometres
racourcis , dans lesquels un peu d'air fermé
au haut du tube , contrebalance le
poids du Mercure & de l'atmosphere , &
empêche plus ou moins le mercure de s'élever
à la hauteur des barometres ordinaires
, ſelon qu'il s'eſt trouvé plus ou moins
élastique , lorſqu'on l'a renfermé dans ce
tube , ou qu'il y eſt en plus grande ou en
moindre quantité : toute la difficulté conſiſte
à changer aisément cette portion d'air,
afin de lui ſubſtituer un même volume de
celui dont on veut faire la comparaiſon
avec le premier , par la différence de la
hauteur à laquelle s'élevera le niercure
qui la preſſe & qui la condenſe. M. Saverien
a tâché de procurer cet avantage à fon
inſtrument par des combinaiſons de tuïaux
& de robinets qu'il ſeroit trop long de
décrire ici.
L'autre inſtrument eft pour connoître las
dérive de différens vaiſſeaux ſuivant les
angles de la voile avec la Quille . Le commun
des marins ne ſçauroit s'accoutumer
auxrégles decalcul , ni à l'uſage des tables;
SEPTEMBRE. 1753. 17
ils préferent des inſtrumens qui leur en
donnent le réſultat , ſans étude & fans travail;
c'eſt ce que M. Saverien a tâché de
leur procurer. Il leur préſente une ſimple
platine taillée en ſecteur de cercle , fur
laquelle font tracées quelques arcs concentriques
, deſtinés à répréfenter chacun
un angle différent de la voile & de la quille
; ces arcs ſont coupés tranſverſalement
par des courbes qui partent d'un même
point , & qui marquent chacune , pour
une forme différente de vaiſſeau , le point
de chaque arc concentrique par lequel il
faut faire paſſfer un fil bientendu , attaché
par une extrêmité au centre du ſecteur ,
pour que ſon autre extrêmité indique l'angle
de la dérive ſur le limbe extérieur de
ce même ſecteur. Les ſcavantes tables dur
traité du navire réduites à la forme de cet
inſtrument , en paroiſſent plus à la portée
du Pilote , & d'un uſage plus commode &
plus facile pour eux.
Sur les pierres gravées.
Cene ſontpas les ſeuls objets d'intérêt
quidans la ſociété donnent lieu à des difficultés
; les Sciences & les Arts en ref.
ſentent auſſi quelquefois l'amertume. M.
Mariette , dont le nom eſt ſi connu parmi
les Artiſtes du premier ordre , a fait
18 MERCURE DE FRANCE.
part au Public , comme tout le monde
Içait ,d'une deſcription hiſtorique de toutes
les pierres gravées , antiques , du Cabinet
du Roi , à la ſuite d'une collection
d'empreintes qui peut tenir lieu des antiques
mêmes ; cet ouvrage qui ne paroiffoit
fait que pour être admiré , comme it
a été en effet de toutes parts en France ,
a excité une critique des plus vives qui lui
aété ſuſcitée par un Sçavant d'Italie. M.
de Fleurien s'eſt chargé du ſoin de venger
le St Mariette , par un diſcours où le
travail de la diſcuſſion autant que la force
des moyens , conferve & afſſure la gloire
que devoit ſe promettre notre Artiſte
François.
Nous n'en ſçaurions dire davantage , il
faudroit avoir les pièces du procès ſous
les yeux.
Sur la clarification &sur un nouvel instru
mentpourſervir àfiltrer les liqueurs.
Rien n'eſt à négliger dans le procédé
des Arts; les moyens ſont comme les caufes
, ilsy ont leurs principes , & ces principes
ne font jamais ſans un intérêt qui y
eft attaché.
M. Gavinet nous en a faitjuge dans un
point de méchaniſme aſſez ſimple : aucun
des moyens employés juſqu'ici pour la file
SEPTEMBRE.
1753 . 19
tration des liqueurs ne lui a paru répondre
véritablement à fon objet.
Après avoir examiné les différens filtres.
artificiels que la Chymie met en oeuvre ,
il rend à chacun la juſtice qui lui eſt dûe ,
& remarque en même tems les petits inconvéniens
qui en font inséparables , &
qui forment autant d'obstacles à une dépuration
parfaite ; c'eſt pour les lever que
notre Académicien a imaginé une forme
de vaſe , exécutée en fer blanc & qui répond
au mieux à ſes vûes.
Sa deſcription eſt ſimple ; ce vaſe qui a
un couvercle eſt percé dans le fond de la
largeur d'un pouce , & cette ouverture
communique dans une boule vuide au dedans
, au bas de laquelle eſt une petite
grille , à laquelle eſt adaptée un bec par
où la liqueur fort ; la boule doit être remplie
de coton , en auſſi grande quantité
qu'il en peut entrer , & cette maniere de
retenir le coton eſt ingénieuſe , en ce qu'il
ne peut ſe ſoulever.
Obſervations Météorologiques faites à Tours
pendant l'année 1751 .
M. Burdin , Académicien aſſocié , continue
ſes obſervations , par le moyen dư
Thermometre de Lyon , des dégrés de
10 MERCURE DE FRANCE.
froid & de chaud , tant de l'air libre que
de ceux de la terre à diverſes profondeurs ,
la Botanique peut tirer ſes avantages de
ces derniers. Telles font ees obſervations,
Le dixiéme de Février , jour le plus
froid , le Thermometre n'eſt defcendu qu'à
3 dégrés au datſous de la congelation ;
celui qui étoit enterré à 18 pouces a été
às dégrés au deffus : d'où il ſuit que la
terre avoit S dégrés de chaleur de plus que
P'air extérieur. Le 16 Juin , le Thermometre
à l'air libre eſt monté à 32 dégrés fupérieurs.
Le même jour , trois thermometres
enterrés à différentes profondeurs dans
un jardin où le Soleil donne preſque tout
le jour , étoient ,
Sçavoir :
Le it enterré à 1 pouce de prof.
Le 20
Le 3
Un4e
à 23 dég. ſup..
à 2 à18
à 3 à14
à 18de profi placé
Au Nord où le Soleil ne donne jamais ,
étoit à todeg. fupi.
Le 18 Juin , jour le plus chaud , le ther-,
mometre eſt monté à 3-3 dégrés ſupérieurs .
M. Burdin raconte que le 16 Mars , le
barometre érant à 27 pouces 3 lignes ,
un vent d'Ouest devint ſi impétueux que
toutes les maiſons en furent endommagées ,
vant à la Ville qu'à la Campagne ; quel
SEPTEMBRE .
21 1753.
4
ques- unes même renverſées; la plus grande
partie des grands arbres ,arrachés ou
briſés , & s'ils euffent eû leurs feuilles ,
on ne croit pas qu'il en fût reſté un ſeul
fur pied.
Un autre évenement a encore affligé la
même Ville de Tours , depuis le premier
Novembre 1750 , juſqu'au 26 Mai 1751 .
Il y a eû des pluyes preſque continuelles
par les vents d'oueſt. & ſud- ouest. M. Burdin
a obſervé qu'il n'y a eu pendant ces ſept
mois que 23 jours fans pluyes , & les rivieres
de Loire & du Cher ont débordé
huit fois chacune. La plus grande hauteur
du barometre a été à Tours le 16 Novembre
, à 28 pouces 6 lignes , & la moindre
le 16 Mars , jour des grands orages , à 27
pouces 3 lignes.
Observations Aftronomiques & Météorologiques
, faites à l'Obfervatoire du Collègede
cette Ville, pendant l'année 1751 , parle
P.Beraud.
OBSERVATIONS ASTRONOMIQUES .
L'on ſçait que M. l'Abbé de la Caille ,
de l'Académie Royale des Sciences , en
partant pour le Cap de Bonne Eſpérance ,
invita tous les Aſtronomes à faire chacun
de leur côté des obſervations correfpon22
MERCURE DE FRANCE.
dantes à celles qu'il alloit faire au Cap
de Bonne Eſpérance , par ordre du Roi ,
&ſous la protection des Etats Généraux ,
pour déterminer les paralaxes des planetes
de la Lune , de Mars &de Venus .
Le P. Beraud , pour répondre aux vûes
de ce ſçavant Académicien , s'eſt appliqué
pendant l'année 175 1 à meſurer la diſtancede
ces Planetes , aux étoiles auprès defquelles
elles ſe ſont trouvées à leur paffage
par le Méridien ; il nous a remis ces
obſervations , & c'eſt en les comparant
avec les correſpondantes que M. de la
Caille a faites auCap de Bonne Eſpérance,
qu'on en déduira dans ſon tems , la paralaxe
horizontale de ces Planetes pour la
latitudede Lyon.
Obſervations Météorologiques en 1751 .
Les jours les plus froids ont été le 22
&le 26 Décembre. Le 22 , à 7 heures du
matin , le thermometre de Lyon étoit à
10 dégrés un quart , au deſſous du point
de la congélation ,&celui de M. de Reaumur
qui eſt à l'eſprit de vin , à 8 dégrés.
Le 26 , le thermometre de Lyon étoit à
10 dégrés & demi ; & dans le même tems
celui de M. de Reaumur ſe trouva à 7 dé.
grés trois quarts , où l'on voit que tandis
SEPTEMBRE.
1753. 23
que l'un deſcendit l'autre monta. On ne
peut pas ſoupçonner le mercure d'avoir
une fauffe marche , le thermometre de
Lyon en eſt conſtruit .
Les plus grandes chaleurs ſe ſont fait
ſentir les 20 & 25 Juillet. Le 20 , le thermometre
de Lyon étoit monté à 34 dégrés
, & celui de M. de Reaumur à la
diviſion de 80 étoit à 30 dégrés. Le 25 ,
le thermometre de Lyon étoit à 34 dégrés
, & celui de M. de Reaumur à 30 dégrés
.
La plus grande hauteur du barometre a
été à 27 pouces II lignes le premier Janvier
, la plus petite le 14 Janvier , à 26
pouces 11 lignes.
Le P. Béraud a reçu la continuation des
obſervations faites à Cayenne , des dégrés
de chaleur par le thermometre de mercure
; leur réſultat fait toujours voir que
nos plus grandes chaleurs à Lyon , furpafſent
d'environ 4 dégrés celles de Cayenne
, qui eſt preſque ſous la ligne.
Le P. Beraud rapporte auſſi l'obſervation
d'un phénomene fingulier arrivé à
Cayenne , dont il a eu une relation bien
détaillée que nous abrégerons.
Le cinquiéme Novembre 1750 , à deux
heures environ après minuit , le Ciel étant
très-clair , ferein & fans nuages , on vie
:
24 MERCURE DE FRANCE.
i
dans toutes les parties de cette Colonie ,
du côté du couchant , une lumiere ſi éclatante&
fi étendue , lorſqu'elle fut montée
au zénith , qu'on pouvoit à ſa faveur lire
aiſément , l'on en fut effrayé. Après la durée
d'un gros quart d'heure , il en ſortoit
des feux comme des gerbes de fuſées ; elle
ſe diviſa en trois parties , dont la plus
baſſe étoit très-noire : alors on enterdit
un bruit ſemblable à celui d'un coup de
canon de dix-huit livres de balles ; il ſe
répéta juſqu'à cinq fois , &dans leur intervalle
c'étoit un fracas tel que celui du
tonnerre qui gronde; enfin tout ſe diſſipa
, & une odeur très- forre de bithume
ſe répanditdans le pays .
Trois ſemaines après , à la même heure
, on vit une autre lumiere du côté de
l'Orient ; elle monta juſqu'au zénith où
elle parut à peu près ſemblable à la premiere
; celle-ci dura trois quarts d'heure ,
après leſquels elle diſparut tout à coup.
M. le Directeur a annoncé ſuivant l'uſage
, la mort de deux Académiciens afſociés
de la Société Royale , M. l'Abbé
Goiffon , correſpondant de l'Académie
Royale des Sciences , & M. Cramer , de
la Société Royale de Londres , Profefſeur
à Genève ; tous deux profonds dans
les Mathématiques &la Phyſique : les ouvrages
SEPTEMBRE .
1753. 25
vrages qu'ils ont donnés au Public , leur
ont aſſuré après leur mort , une réputation
qui fait ſeule leur éloge.
Le fheur Colignon , ouvrier en fer , avoit
préſenté un modéie de moulin à eau , de
ſon invention , avec un mémoire ſur ſes
avantages à MM. du Conſulat ; ils en ren.
voyerent l'examen à la Société Royale ,
où cette machine , après le rapport des
Commiſſaires , fut reconnue par la Compagnie
, très-bonne pour des courans où
les atterriſſemens ne ſeroient pas à craindre.
(
Les ſicurs Geay & Pacot ont inventé &
fait le modéle d'une batterie de pilotis ,
qu'ils ont préſenté à l'Académie , elle y a
été trouvée fort ingénieuſe pour des courans
ſeulement : on a renvoyé d'en voir
le jeu après l'aſſemblée.
Après le Diſcours de M. le Directeur ,
M. Soumot a lû un Mémoire affez étendu&
affez intéreſſant pour remplir le tems
ordinaire de la Séar. e.
Diverſes Remarques sur l'Italie. Etat du
Mont Vesuve , dans le mois de Juin 1750 ,
dans le mois de Novembre de la même
année.
M. Soufflor , Auteur de ce Difcours ,
étant à Naples en 1750 , monta ſur le Vé-
B
26 MERCURE DE FRANCE .
ſuve , & en prit des meſures exactes avec
tous les inftrumens néceſſaires ; il futaidé
dans ce deſſein par M. Taitbout , Conful
de France , &M. de Lair, ſon Chancelier ,
qui ſe font un plaifir d'accompagner dans
ce pénible voyage , ceux qui leur font recommandés
comme l'étoit notre Académicien.
L'on comprend aisément tout l'intérêt
que peut offrir le récit fingulier d'un voyage
de cette forte , fait la nuit aux Hambeaux
au milieu des vapeurs& des fumées,
& où l'on ſe partage continuellement entre
l'admiration & la crainte . M. Soufflor
en curieux décidé ,ne s'arrêta point où les
autres bornent la plupart leur attention ;
il voulut deſcendre dans le baſſin que la
montagne forme ſur ſa crête , &duquel
fortent par différentes ouvertures , & s'élevent
les flames & les bitumes.
Ce baſſin eſt décrit avec ſoin ; notre
habile voyageur en a pris toutes les meſures
, & a fixé par un deſſein l'état de l'éruption
qu'il a vûe pour lors : on ne ſcauroit
le ſuivre dans le récit d'une pareille
marche , ſans être frappé d'étonnement &
faifi de la plus vive frayeur.
CeDifcours nous inſtruit en même tems
de tout ce que l'on peut ſouhaiter de ſçavoir
, par rapport à la matiere liquefiée par
SEPTEMBRE. 1753. 27.
l'action du feu , & que les Napolitains
appellent lava . M. Soufflot finit ſa Relation
par le détail de tout ce qu'il a vû
àHerculane , dans les découvertes faites
juſqu'à l'année 1750 .
३८ ३८ ३८ ३८ ३८ ३८ ३८ ३८ ३८ ३८३८ ३८०
LES OISEAUX GALANS
Trompés par une Fauvette.
FABLE.
AM. Guerg*** , Capitaine d'Infanterie.
U
1
Ne Fauvette eut pour premier amant
Un Moineau qui comme elle , étoit en eſclavage ;
Or le hazard permit que dans la même cage,
Onles logea tousdeux ; dès- tors l'oiſeau ſervant
N'eût pas voulu changer ſon état de fervage ,
Avec la liberté des Dieux.
Il étoit vif , adroit , ingénieux ,
Doux , complaiſant ,& d'un noble corſage,
Tel enfin qu'il falloit pour tenter d'être heureux ,
Point n'y manqua , je n'ai peine à le croire;
Fauvette en cage avec moineau ,
Le fait feroit vraiment nouveau ,
Et digne de l'hiſtoire ,
Si tel matois ainſi gitant
Avec tant gentejouvencelle ,
Bi
28 MERCURE DE FRANCE.
N'eût ſaiſi cet heureux moment
Fait pour fléchir & timide & cruelle ;
Il le faifit , parla , fut écouté
De la facile cloſtriere ,
Qui lui promit à ſa maniere,
Attachement , fidélité.
Qui fut content ? le Moineau le dut être,
Le ſera-t'il long-tems ?
Aquel amant le pourroit- on promettre ?
Venons au fait , lors donc que nos galans ,
Dans leur priſon ſe trouvoient à merveille ,
Et qu'ils croyoient être à la veille
De traiter enſemble en époux ,
Il arriva par l'un de ces imprévus coups ,
Où de la joie on paſſe à la triſteſſe,
Ordre au Moineau de s éloigner
De la Fauvette , lamaîtreffe ;
Quel contre-tems !qui le peut exprimer
Larmes , vous n'en doutez , coulerent à la belle ,
Et bien penſez que l'affligé Moineau
Lui jura , foi d'honnête oiſeau ,
Une amitié ſempiternelle.
Quoiqu'il en ſoit , il fallur ſe quitter,
Le galant partit donc , quelques jours la Fauvette
De ce départ paroiffoit s'attiſter ;
Paroiſſoit ! j'ai bien dit ; déja toute coquette,
Il ne lui manquoit qu'un oiſeau ,
Pour la tranquiliſer au ſujet du Moineau .
Il en vint un , il calma ſa triſteſſe ,
SEPTEMBRE . 1753 . 29
C'étoit un Serin bien diſant ,
( Ces oiſeaux , en fait de tendreſſe ,
S'expriment toujours galamment. )
Il lui dit donc , dans ſon touchant ramage ,
Que tout plaifoit en elle , & qu'elle étoit d'unâge
Ane pas pleurer un abfent ;
Telles douceurs ſur un oiſeau femelle ,
Ne tardent pas à faire impreſſion ;
Maître Serin poffedoit fa leçon ,
Et le drôle àplus d'une belle ,
Avoitavec ſuccès jà tenu ce jargon ;
Bien le tint- il encor... La Fauvette ravie ,
Sourit , prêta l'oreille aux diſcours du plaiſant.
Moineau , tu n'esdonc plus cet oiſeau ſi charmant ,
Cet oiſeau qu'on aimoit ? c'eſt affaire finie ,
N'eſpére plus ,ta compagne t'oublie.
Cependant le Serin, ſans prévoir l'avenir ,
Profitoit du préſent , & c'étoit fort bien faire ;
Il ne quittoit l'aimable priſonniere ,
Et jouiſſoit.... trop triſte ſouvenir !
Quand un Argentelet né ſur l'Indien rivage ,
(Cet oiſeau doit ce nom à ſon riche plumage , )
Parut devant la Dame ,& lui fit les doux yeux ,
(Il étoit récemment débarqué dans ces lieux ; )
Lui plaira- t'il ? je gage
Qu'il eſt déja plus qu'écouté ,
Il porte , je l'ai dit , un plumage argenté.
Ceffez Serin , ceſſez votre ramage ,
Vos airs ne touchent plus cette jeune volage ,
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Allez chanter ailleurs ; non , jamais votre chant
N'écartera rival , ſur qui brille l'argent,
D'un amoureux moineau , vous aviez pris la place ;
Vous êtes ſupplanté ? fort bien .... à votre tour
Vous voilà dupé par l'Amour.
Taiſez , taiſez cette diſgrace ,
Mais publiez que ce gentil galant ,
Quoiqu'il accorde , ou quoiqu'il faffe ,
D'un tel revers ne ſera pas exempt.
Oui , qu'il ſe préſente à la belle ,
Pluvier aux plumes d'or ,
De nouveau perfide , infidelle ,
On la verra changer encor.
ENV0 1.
AM 1, telles ſont ces maîtrefles ,
Dont ſouvent on eſt entêté ;
:
Elles nous font promeſſes ſur promeſſes ,
Etd'un ton de voix apprêté ,
,
Pour borne à leur amour , ne donnent que la vie;
Nous les croyons ? quelle folie !
Détrompons-nous,&connoiſſons les mieux
Elles ſont autant de fauvettes ,
Au changement toutes ſujettes ;
Non , fuffions-nous des Demi-Dieux ,
Ne comptons pas ſur leur conſtance ;
Le plaiſir , l'intérêt , le caprice , & l'atience
SEPTEMBRE . 1753 . 3 T
Leur fourniront toujours des motifs pour changer' ,
A ces belles , eft fou qui cherche à s'engager .
AChâteaugontier , ce 14 Janvier 1753 .
B......
- ESS Al ſur l'origine&les progrèsdes
connoiſſances humaines.
N s'eſt apperçu depuis long- tems,
O qu'ils'estfait unerevolution extraor
dinaire dans les eſprits de ce ſiécle ; on
lit dans les hommes d'aujourd'hui , le
plaiſit qu'ils ont à ſecouer le joug des loix
qu'on fuivoit autrefois , & pour mieux
faire perdre la mémoire des uſages anciens
,ils leur ont ſubſtitué des régles &
des loix differentes; mais parmi ces diverſes
inventions des hommes , fur lefquelles
cette révolution a influé , la Littérature
s'eſt particulierement reſſentie des
effets de ce changement. Examinons foigneuſement
qu'elle peut en avoir été la
caufe ,& voyons ſi nousne pourrions pas
la découvrir , en remontant à l'origine
des connoiffances humaines , & en fuivant
exactement le fil des progrès de l'efprithumain.
A peine la raiſon de l'homme avoit
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
échapé aux premieres ténébres de l'enfance,
qu'elle ſentit ſes propres forces ,
& voulut pour la premiere fois les eſſayer ;
elle laiſſa d'abord tomber ſes regards ſur
cette foule d'objets admirables , où la nature
étale toute ſa magnificence ; à la vûe
de ce ſuperbe ſpectacle , des mouvemens
de ſurpriſe s'emparerent aufſfi-tôtdu coeur
de l'homme , & il ſe livra à toute l'érendue
de l'admiration que ces objets faifoient
naître ; mais la vûe de tant de beautés
excita en lui le chagrin de n'en être
que le témoin immobile , il deſirade pouvoir
du moins tranſmettre dans ſon ſein
l'empreinte de tant de merveilles , ſi la
nature avare envers lui ne lui permettoit
d'en produire de ſemblables : ſes voeux furent
preſque auffi-tôt exaucés , il n'eut pas
plutôt arrêté ſes regards ſur ces objets raviſſans
, que , comme pat une intelligence
ſecrete , tous leurs traits vinrent ſe tracer
dans le fond de ſon ame .
Il n'eſt pas poffible d'exprimer quelle
fut ſa ſatisfaction ; enchanté de ſe voir
doué du rare avantage de pouvoir peindre
à ſon gré dans lui-même l'image de
tout ce que la nature a de plus beau , cette
prérogative ne ſatisfit pas encore pleinement
ſes deſirs ; une noble ambition d'enfanter
des productions qui puſſent le dif
SEPTEMBRE. 1753. 53
puter à celles de la nature , vint s'emparer
de lui ; il n'eut pas plutôt formé un pareil
projet , qu'il fut étonné de voir ſon eſprit
éclairé d'une foule de connoiſſances qui
entrerent rapidement dans ſon ame. Il ſe
ſentit animé du noble deſir d'étendre plus
loin les progrès de cette découverte ; conduit
par un inftinct qui le maîtriſoit , on
le vit ſe plonger dans les réflexions les
plus profondes , & regardant la raiſon
comme un oracle infaillible qui devoit
fixer l'incertitude de ſes doutes , on vit
qu'il l'interrogeoit avec tout l'art poſſible
pour en arracher tous les ſecrets qu'elle
cherche àdérober à ſa curioſté.
C'eſt dans ces détours cachés que la nature
a mis comme en réſerve , le dépôt des
plus rares connoiſſances que l'eſprit peut
avoir en partage; on diroit qu'elle a renfermé
, comune dans un ſanctuaire , un
tréſor d'idées rares & précieuſes , elle femble
les avoir enſévelies au fondde l'eſprit,
pour ne les livrer qu'aux regards pénétrans
des hommes ſupérieurs , qui franchiffant
tous les obſtacles , pénétreront
juſqu'à eux pour les en arracher; c'eſt envain
que des nuages épais paroiffent les
leur dérober , rien ne ſera capable d'arrêrer
les entrepriſes de leur curiofité , rien
n'eſt impénétrable aux efforts audacieux
Bv
34 MERCURE DEFRANCE.
de ces génies rares ; on les verra après
avoir profondément réflechi ſur eux-mêmes
, s'élancer par un vol rapide comme
des aigles audacieux dans la ſphére immenſe
de l'ame , en parcourir toute l'étendue
, s'enfoncer dans ſes plus ſecrets replis
, comme s'ils vouloient toucher , pour
ainſi dire , aux bornes de l'eſprit humain :
parvenus enfin au terme , ils trouveront
renfermés , comme dans une retraite facrée
, lesmonumens de tout ce que la raifon
humaine a de plus beau ; ils y verront
gravés en caractéres ſuperbes , les traits
des objets tes plus rares ; c'eſt- là qu'on
pourra les aller puiſer pour les placer enfuite
à l'endroit le plus élevé & le plus remarquable
, & , s'il m'eſt permis de m'exprimer
ainfi , fur les éminences de l'eſprit
humain , afin qu'ils foient apperçus de
tout le monde : c'eſt alors que l'homme
ſentira ſon eſprit enrichi des plus belles
connoiffances qu'il puiffe avoir en partage;
& à n'examiner que la rapidité avec laquelle
il acquiert tant de connoiſſances ,
ne diroit on pas que c'eſt par révélation
qu'il connoît toutes les vérités qu'il recherche
, elles ſemblent ſe préſenter comme
d'elles-mêmes. à ſon eſprit ; on ſeroit
tenté de croire que ces connoiffances ne
font point étrangeres à l'humanité ,& que
SEPTEMBRE. 1753. 35
lui ayant appartenu autrefois , elle ne fait
que les recouvrer.
C'eſt ſur ces principes qu'on doit ſe ré
gler , pour expliquer l'action de l'eſprit
dans la formation des idées ; ce n'eſt point
en les tirant du néant que nous les pro .
duiſons , c'eſt au talent plus ou moins
grand d'interroger habilement notre ef.
prit , qu'on doit attribuer le plus ou le
moins de profondeur dans les idées qu'on
met au jour. Les eſprits ordinaires à qui
cet art eſt inconnu , s'égarent dans des recherches
immenfes , pour trouver des idées
qui les touchent ſouvent de fort près , &
qui font , pour ainſi dire , ſous leurs yeux ;
au lieu que les eſprits véritablement ſupérieurs
, loin de fe morfondre dans des efforts
inutiles , yont aboutir par la voie la
plus courte au lieu où ces idées ſe trouvent
renfermées : de là vient que nous nous
reprochons quelquefois d'avoir fait de
vains efforts , pour trouver des idées qui
devroient nous éblouir par leur éclat ; la
vérité ſemble quelquefois nous furprendre
fans que nous y foyons préparés,& nous
venir tout d'un coup , & comme par.infpiration.
Toute la méchanique del'eſprit ſe
réduit donc à découvrir ce qui étoit déja
contenu dans les replis fecrets de l'ame .
Nous ne tirons pas du néant ,nous ne fai
Bvj
36 MERCURE DEFRANCE.
ſons que reconnoître ce que l'eſprit avoit
déja en dépôt , mais ce qu'il n'avoit pas
encore apperçu ; cela ſemble donner une
nouvelle force au ſyſtème déja avancé par
de grands Philoſophes , que les idées ſont
toutes innées , & que la ſcienee eſt infuſe
dans l'eſprit de l'homme .
,
Tels furent les premiers pas qu'on fit
dans la carriere , tels furent les moyens
par leſquels on vint à bout de rompre les
fers qui tenoient enchaîné l'eſprit de
l'homme encore pufillanime. A peine euton
fait tomber le bandeau qui tenoit ſes
facultés encore captives , les premiers
rayons qu'on avoit pû dérober à la vérité ,
n'eusent pas plutôt commencé à éclore
que la raiſon humaine , affranchie à peine
de ſa captivité , frappée par cette lumiere
fubtile, en fut tout d'un coup éblouie ;
cela fit craindre , que peu accoutumée à
un éclat i brillant , & n'ayant point
paffé par tous les degrés qui devoient lui
ménager la vue d'un ſi beau ſpectacle , elle
n'en fût offuſquée ,& qu'elle ne ſe crût
autoritée par là à fermer les yeux à cette
lumiere.
On fut d'abord frappé du malheur qu'on
efſuyeroit , & l'on voyoit replonger dans
Poubli cette foule de connoiffances pré
cieuſes qu'on avoit arrachées avectant de
SEPTEMBRE. 1753 . 37
peines à l'obſcurité à laquelle elles paroiffoient
condamnées; on craignit, ſi fort d'encourir
cette diſgrace , qu'on ne fut occupé
que du ſoin de l'éviter ; on avoit beſoin
pour y réuffir , de grands ménagemens
pour faire agréer fes idées à l'eſprit ; la
difpofition tingulis e dans laquelle il ſe
trouvoit , rendit ce travail encore plus
dangereux ; la raiſon de l'homme encore
timide , ne s'étoit pas dégagée de ces ténébres
épaiſſes qui la couvroient : cependant
, malgré cette foibleſſe dont elle n'avoit
encore pu ſe dépouiller , elle étoit
profondément pénétrée de ſa haute capa.
cité ; dénuée d'intelligence , & fes vues
ſuffiſant à peine pour difcerner les objets
à une partie ordinaire , elle avoit en partage
la vanité la plus intraitable .
Dans quelle ſituation plus critique pouvoit
on ſe rencontrer ? on étoit obligé
tout à la fois de ménager la foible raifon
des hommes , pour ne pas la révolter par
des dehors trop éblouiſſans ,& de flatter
en même tems un amour propre toujours
délicat , qui auroit pû s'effaroucher ſi on
eût pris des ſoins humilians pour lui monwer
par degrés les objets. Ce qui rendoie
encore l'attache de ceux qui étoient chargés
d'inftruire les hommes , plus pénible
c'eſt qu'on avoir mis aurang des condi
38 MERCURE DE FRANCE.
tions néceſſaires pour plaire , celle d'employer
des idées d'une eſpéce un peu relevée
, & on étoit obligé de mettre en oeuvre
tout ce qui renfermoit en foi quelque
utilité , parce que tout ce qui a par foimême
quelque prix , appartient fans contredit
à l'eſprit humain , fait pour être la
patrie naturelle de la vérité. Ces efprits
encore ſauvages ſe ſeroient également revoltés
, s'ils n'euſſent pas pû pénétrer le
voile , dont on couvreit les idées pour
ménager leurs foibleſſes , ou s'ils cuffent
trouvé trop de facilité à le percer.
Il paroiffoit donc également dangereux
de n'avoir point d'égard pour la foibleffe
humaine , en expoſant les objets avec tout
leur éclat , ou de s'y conformer trop , en
ménageant avec un excès de précautions
la vûe & la perception des idées ; l'un
choquoit trop ouvertement fa vanité
l'autre ne s'aſſortiſfoit pas àſon impuiffance.
Il parut donc de toute néceſſité ,
pour éviter de tomber dans aucun excès ,
de tempérer l'éclat des objets qu'on préſentoit
à l'eſprit ; on voit qu'il étoit néceſffaire
pour apprivoiſer l'amour propre encore
farouche des hommes , & le mettre
dans ſes intérêts , de chercher la conformité
qui peut faire reſſembler les produc
tions les plus fublimes & les idées les plus
SEPTEMBRE. 1753. 3.9
ordinaires ; dès lors ce qu'il y a de plus
magnifique dans la nature , fut obligé de
prendre les dehors de la ſimplicité ; on tâcha
d'exercer la médiocrité des lumieres
ordinaires par des idées miſes à leur portée
, ſans que par leur trop grand éclat elles
puiffent jamais les fatiguer ; quelque
droit qu'on eût de prétendre àl'admiration
par des productions relevées , on ſe
contenta cependant de l'eſtime ..
C'eſt ainſi que les productions les plus
fublimes , portant avec elles des traits de
conformité aux idées les plus ordinaires ,
pourront s'ouvrir un accès favorable dans
les eſprits , & mériter d'y être introduites.
Les génies les plus ſimples , en voyant cette
reſſemblance qu'elles ont avec leur propre
production , ſe laifferent tromper par
cet extérieur commun , & croyant n'adop .
ter que leur propre ouvrage , ils ſe ſentirent
atracher leurs éloges , parce qu'elles
ne leur paroiſſoient point étrangeres ; des
menagemens ſi obligeans devinrent l'ob
jet reſpectable de leur reconnoiſſance , ils
crurent en leur accordant leurs éloges ,
rendre un double hommage aux fucces
qu'eut cette nouveauté , & à l'honneur
qui en réjailliſſoit fur eux-mêmes ; enfin
s'appropriant , pour ainſi dire , ces idées
à caufe de leurs traits de reſſemblance , ils
2
40 MERCURE DE FRANCE.
ſe perfuaderent avoir à partager en même
temnss ,,& les découvertes des autres & leur
gloire ; tels furent les premiers progrès de
l'eſprit humain , tels furent les premiers
pas qu'on fit dans les connoiſſances humaines
, on voit qu'ils ſe reſſentent de la foibleſſe
de ces premiers tems.
les
C'etoit alors où la raifon encore dans
fon enfance ,ne faiſoit que begayer , où
ſes yeux timides ſe déſilloient à peine ,
qu'on étoit obligé de cacher ſous un voile
la lumiere trop éclatante que ces idées répandoient
; il falloit qu'il en coûtât leſacrifice
de tout ce que ces idées ont de
brillant , pour pouvoir ſe préſenter au tribunaldu
public avec cet appareil modeſte :
ce n'étoit pas affez alors de mériter les
fuffrages , on devoit les ſolliciter encore
avec reſpect ; enfin il falloit pour que
idées relevées qu'on vouloit introduire
dans l'efprit y fuflent bien reçûës , qu'on
rabaiſsât de leur élevation naturelle ; on
ſe laſſa enfin d'un uſage auffiincommode,
la raiſon plus civiliſée , éclairée par
une foule de lumieres que le tems lui fit acquérir
, ne fit plus aucun cas de cette belle
& ancienne fimplicité , qui ne lui parut
qu'un mépris pour ſon intelligence ; elle
ne regarda plus que d'un oeil dédaigneux
tous cesménagemens mépriſans , plus huSEPTEMBRE.
1753. 41
milians pour la raiſon humaine , qu'ils ne
lui apportoient d'avantage par les égards
qu'on a pour ſa foibleſle. Cer extérieur
fimple& commun , ſous lequel on préſentoit
les idées , ne lui parut qu'un reproche
ſecret qu'on lui faisoit de ſon impuiſſance;
mais fi cette maniere d'habiller les
idées devint infipide à ceux qui n'en
étoient que les juges indifferens , à quel
degré ne dut elle pas être faſtidieuſe à
ceux qui étoient chargés du ſoin de les
mettre en oeuvre ? qu'il devoit leur paroî
tre dur d'être obligés de dépouiller les
idées ſublimes qu'on tiroit du plus profond
de l'eſprit , de tous les ornemens
dont elles étoient embellies ! quel fupplice
que celai de faire prendre les dehors de
la médiocrité aux plus fublimes productions
de l'eſprit ! ne devoit-on pas être naturellement
revolté ,lorſqu'on voyoit mettre
au rang des conditions néceſſaires pour
plaire , celle de ſe rabaiſſer foi même , pour
ſe mettre au niveau du vulgaire ? valoit- il
donc la peine de puiſer ſes idées dans un
fond riche , lorſqu'on doit être avare d'ornemens
avec elles ?
Enfin les eſprits fatigués de voir paroître
toujours les mêmes idées ſous les dehors
de la médiocrité , s'apperçurent que
loin de piquer la curioſité de l'eſprithu
42 MERCURE DEFRANCE.
main , elles n'inſpiroient plus qu'un froid
dégoût &un ennui mortel; il ne fallut pas
beaucoupde tems pour que les idées qu'on
n'aiguiſoit point d'un ſel trop piquant ,
s'émouſſaſſent à la fin ; les couleurs fades
qu'elles préſentoient ne tarderent pas à ſe
ternir ; quoi de plus rebutant que de s'engager
dans les plus immenſes recherches ,
pour trouver des traits de conformité entre
les idées les plus fublimes & les productions
les plus ordinaires ? mais quel
feradonc le moyen auquelon aura recours
pour réveiller de nouveau la curioſité ?
Il paroît preſque impoſſible de trouver
des objets neufs qui puiſſent ranimer un
goût languiſſant , à préſent que toutes les
fources fe trouvent épuiſées ; mais quoi ,
une obſcurité éternelle ſera-t-elle le partage
de ces idées qui étoient autrefois füresde
captiver l'admiration ? Sommes nous
condamnés à ne voir jamais plus revenir
ces tems heureux , où l'eſprit emporté ,
plutôt que conduit par cette premiere ardeur
qui s'empara de lui , le portoit éga-
✔lement vers tout où ſa curioſité ardente
cherchoit à ſe repaître de tout ce qui pouvoit
ſervir d'aliment à ſon activité , &
n'en devenoit cependant que plus enflamé
? ne nous reſtera-t- il plus de ces tems
heureux ,que le regret de ne pouvoir plus
SEPTEMBRE. 1753 . 43
les faire revivre ? Quoi ! une affreuſe indigence
aura attendu pour mieux nous accabler
, le tems où notre goût plus uſé que
jamais , par la multitude des objets qui
l'ont occupé tour à tour , auroit beſoin de
ſe réveiller de ſa langueur ? Faudra-t- il que
nous cédions à la cruelle deſtinée de voir
retomber les Lettres dans le premier cahos
d'où on les avoît tirées avec tant de peine
? Non , non , & il s'éleve une foule de
nouveaux réformateurs , qui charmés de
ſecouer le jougdes Anciens , vont répandre
par tout des principes heureux d'un
changement ſalutaire ; nous ne ferons pas
condamnés à cette fatale extrémité. C'eſt
parce que nous ſommes menacés de voir
les Lettres périr à jamais , qu'il faut les
reſſuſciter,& en renouveller pour ainſi dire
la face. Rendons à l'eſprit , s'écrient- ils ,
cette premiere activité qu'il avoit autrefois
en partage ; redonnons aux traits qui
aiguiſſoient autrefois le goût , ce ſel qu'ils
avoient jadis que nos anciens s'applaudiſſent
d'avoir tiré du néant ces idées , de
leur avoir donné l'être & la vie ; maintenant
nous aurons celui de la leur avoir
rendue : ils avoient tiré les Lettres dur
néant , & nous empêchons qu'elles n'y retombent
ſur le déclin des beaux jours de
la Littérature: faiſons revivre cette pres
44 MERCURE DE FRANCE.
miere aurore qui éclairoit autrefois les
hommes.
Tel fut le projet qu'on enfanta : rien
n'étoit plus beau que cette idée dans la
théorie ; mais l'exécution pouvoit-elle y
répondre , & achever de la justifier : ne
ſemble-t-il pas que des difficultés infurmontables
ſe préſentent par tout ? pourrat-
on varier fans ceſſe les objets de l'attention
publique , tandis qu'on eſt dans l'impuiſſance
d'occuper les vûes d'une intelligence
ordinaire a quelle reſſource pourroit-
on avoir pour ſe démêler d'un ſi grand
embarras ? eſt-ce lorſque tout ſera épuisé ,
qu'on pourra ſe flatter de trouver des materiaux
neufs propres à réveiller la curiofité
languiſſante ? Pourquoi s'impoſer la loi
d'attacher les eſprits par des nouveautés
brillantes , lorſqu'on ne peut pas l'intéreſ
fer , en lui préſentant des objets ſimples&
naturels ? on s'étoit apperçu que les idées
avoient perdu tout leur prix pour être devenues
trop communes , & que cet air de
ſimplicité les avoit infiniment fait décroître
de la réputation qu'elles avoient autrefois
; la lumiere qu'elles répandoient ne
faiſoit plus aucune impreffion , parce que
les yeux s'y étoient accoutumés.
Onconnutdonc bien la fource du mal ,
& ce fut pour y apporter le remede con
SEPTEMBRE.
1753. 45
venable, qu'on conclut ſagement qu'il falloit
rendre aux idées leur premiere vivacité
, pour qu'elles fiſſent le même effer
fur les eſprits ; mais rien ne paroiſſoit plus
difficile que de rajeunir des idées uſées &
les faire paroître neuves à des yeux fur
leſquels elles avoient déja épuisé toute
leur force ; voici le moyen qu'on imagina.
Ces idées paroilloient communes à cauſedes
dehors ſimples dont elles étoient
revêtues : il n'y a donc , s'écria t- on , qu'à
les préſenter ſous un extérieur plus orné
, & à leur donner un air profond & ré-
Aéchi. Autrefois on auroit expoſé avec
fimplicité les idées , maintenant elles prendront
un extérieur mysterieux , & il femblera
qu'il faut s'engager dans des réflexions
profondes pour en pénétrer l'obſcurité
; chaque idée deviendra une énigme
dont il faudra deviner le ſens , le voile
obſcur qui les couvre tentera la curiofité
de l'eſprit , d'autant plus aiguillonné de
percer au travers de ces dehors énigmatiques
, qu'il étoit accoutumé à ne trouver
que des objets aiſés à comprendre : les
hommes regarderont comme des chefsd'oeuvres
de méditation , des productions
cependant fort ordinaires , & il arrivera
par làquedes idées avec leſquelles ils font
familiarifés, transformées ſous cette eſpéce
16 MERCURE DEFRANCE.
de déguiſement , paroîtront renaître une
ſeconde fois , & reprenant ſous cette nouvelle
forme tous les agrémens de la nouveauté
, elles pourront reparoître ſans
crainte d'être jamais reconnues.
L'ambition detout innover qui animoit
ces nouveaux réformateurs ne ſe borna pas
là. Ce n'étoit pas tout d'avoir fait paroître
profondes des idées extrêmement ſimples,
on alla plus loin , & on voulut fimplifier
les idées les plus abſtraites. Autrefoison
ne les auroit fait voir que par dégrés
, pour ſe conformer à la portée de
tous les eſprits ,& pour ne point les bleffer
par des dehors trop brillans : on trou
ve à préſent ces ménagemens puériles &
ridicules , on veut voir d'un ſeul coup
d'oeil toutes les parties d'une idée, on veut
qu'on nedérobe rien de ſes replis , & par
une opinion ſupérieure de ſes forces , on
ſe croit placé au rang des premiers génies
lorſqu'on vient à les comprendre. Loin
donc de faire parvenir par de longs détours
à des vérités un peuécartées , comme
on faiſoit autrefois , on vous y conduit
par le chemin le plus court , & pour ainfi
dire de plein ſaut; il réſulte de là des effets
extraordinaires , c'eſt qu'on a le ſecret
d'éblouir les eſprits enmontrant tout
d'un coup des vérités qu'on n'auroit fait
SEPTEMBRE. 1753 : 47
1
voir autrefois que par dégrés ; leur lumiere
étant plus ſubite , elle frappe par conſéquent
davantage les yeux; on pourroit
la comparer à un diamant dont l'éclat ſeroit
foible, ſi l'art en le taillant n'avoit pris
ſoin de relever ſon éclat.
Dès qu'on eut fait la découverte du projet
qu'on imagina pour ranimer de nouveau
les goûts , il fut facile de trouver les
moyens propres à l'exécuter ; en voici un
des principaux , ce fut d'oppoſer les idées
dont les dehors ſimples avoient affoibli le
mérite , à celles qui leur ſont contraires ,
&qui paroiffoient les heurter defront ;on
les mitenjeu les unes avec les autres comme
ſi on eût voulu les faire lutter enſemble
: embellies par ce contraſte, elles nereçurent
que de l'éclat de cette oppoſition ;
ilſemble que des vérités dont ontenoit peu
de compte autrefois , à cauſe de leur trop
grande ſimplicité , étoient alors en péril ;
on commence à s'intéreſſer pour elles , on
eſt ſurpris que des vérités qui paſſoient
autrefois pour incontestables & à l'abri
d'atteinte , éprouvent cependant des difficultés
,& foient expoſées à être conteſtées
& combattues ; cela les rend plus eſtimables
à nos yeux , & nous augmentons de
conſidération pour elles ; on ſouhaite qu'elles
triomphentde ce danger , & qu'elles
MERCUREDE
FRANCE .
en ſortent plus brillantes : c'eſt une eſpé
cedecombat dont la vérité qu'on a mis ,
pour ainſi dire , aux priſes avec le menfonge
, fort victorieuſe; plus de vaines
difficultés paroiſſent retarder ſa victoire,&
plus elles l'augmenteront lorſqu'elles auront
été aplanies. Il ſemble qu'on fait fortir
, pour ainfi dire , la vérité du ſein de
l'erreur , & qu'on force cette derniere de
lui rendre un hommage public , & d'avouer
ſa défaite : on tire d'elle un aveu
muet de ſon infériorité , il en eſt de ces
vains obſtacles comme de ceux qu'oppoſe
un rival foible à un homme ſupérieur ;
cette oppoſition loin d'obſcurcir ſon mérite
le réleve de plus en plus , & affermit
àjamais fur des fondemens inébranlables
fa réputation & ſa gloire : c'eſt à ce ſoin
de relever le prix des idées auparavant peu
eſtimées , en les faiſant contraſter avec
d'autres qui leur ſervent d'ombre , qu'ou
doitreconnoître l'antitheſe .
Tels furent les moyens qu'on mit en
oeuvre pour donner un air de nouveauté à
des objets déja uſés ; on ne montra qu'au
travers d'un voile la vérité aux perſonnes
auxquelles elle auroit paru trop commune
, ſi on ne la lui eût pas dérobée ; le bandeau
ſous lequel on la leur fit voir , piqua
leur curiofité, & la leur rendit intéreſſante
&
SEPTEMBRE. 1753 . 49
& nouvelle : ils brûlerent d'envie de
connoître ce qui paroiſſoit ſe déroberà
eux ſous ce déguiſement , & charmés de
retrouver la vérité ſous ce traveſtiſſement ,
ils s'applaudirent de l'avoir reconnu ; ils
crurent avoir fait de grands efforts pour
pénétrer des vérités cachées , la découverte
leur en parut tout à la fois chere &glorieuſe
; lorſqu'on ne dut attribuer tout
leur mérite qu'au ſoin de l'art qui les avoit
ainſi traveſties , ils ſe crurent afſociés à
l'honneur de ceux à qui l'invention feule
appartenoit : il en eſt de ces reſſorts de
l'art comme de ceux qu'on employe , lorſqu'on
cache dans des replis quelque choſe
dont le mérite auroit été enfoui , fi on
n'avoit pris foin de le relever en lui donnant
l'avantage de la rareté.
Le ſuccès qui avoit ſuivi les principes
de réforme , qui dirigeoient ces hommes ,
avoit été trop heureux pour qu'ils bornaſſent
là leurs progrès ; ils formerent le
deſlein de s'éloigner avec ſoin de tout ce
qui avoit l'air de l'antiquité : on ſimplifioit
dans ces tems gothiques les idées les
plus ingénieuſes , maintenant on rend d'une
maniere ſpirituelle les penſées les plus
ſimples ; quelque écartée que fût la ſource
d'où elles venoient , on ſe faiſoit un devoir
de les rapprocher , au lieu qu'à pré-
C
SO MERCURE DEFRANCE .
ſent on ſe fait une loi d'éloigner & de
porter à une diſtance extraordinaire les
productions les plus communes.
C'eft à cette réſolution qu'on prit de rehauſſer
le prix des idées uſées, que doit fon
origine l'antitheſe , figure dans laquelle on
relève le prix de certains objets ; on les fait
fortir , pour ainſi dire , en les oppoſant à
d'autres qui en paroiſſant obfcurcir leurmérite
par la maniere dont ils ſemblent le contredire
, ne font au contraire que le faire
éclater davantage ; on rend par là à des véritéscommunes
& décréditées , le luftre &
la réputation dont elles jouiſſoient auparavant
, & qu'il ne paroiſſoit pas qu'elles
puſſent jamais reprendre.
Le ſuccès qu'eut cette nouvelle inven
tion ne manqua pas de réveiller les critiques
; ils accuſerent la foibleſſe du génie
de l'homme que des apparences brillantes
amuſent beaucoup plus que des réalités
moins pompeuſes , & ils répetent ſans ceffe
, que ſujets ànous laiſſer ſeduire par des
preſtiges ingénieux , les dehors ſeuls de
l'eſprit nous plaiſent : réduits dans notre
malheureuſe condition à nous paſſer de la
réalité qui nous fuit , l'image ſeule , la
fimple ombre du génie nous ſuffit ; ils
ajoûtent que Python & tant d'autres Philo-
Lophes avoient raiſon de foutenir , que la
SEPTEMBRE. 1753 . SE
Fonction d'inſtruire ou d'amuſer les hommes
étoit une vaſte carriere , où une foule
de charlatans venoient ſediſputer entr'eux
le frivole avantage de divertir l'eſprit de
l'homme , comme un enfant dont il faut
égayer la foibleſſe par des illuſions agréables
.On diroit que c'eſt une eſpéce d'enchere
, où celui qui fait le plus de frais pour
amuſer l'oiſiveté de l'eſprit, eſt le plus louable
; c'eſt pour ſe conformer à cette idée ,
continuent- ils , qu'on embellit les objets les
plus laids , qu'on exagere leur prix , &
qu'on fait ſuivre de l'admiration des idées
qui auroient à peine été ſupportables , a
on les eût laiſſées à leur obſcurité naturelle
: il arrive de là , continuent-ils dans
leur humeur chagrine , que des fauſſetés
embellies , font plus eſtimées que des vérités
modeſtes , & loin d'imiter la belle
nature à force de la ſurcharger , & de l'étouffer
par des parures affectées , on la défigure
au contraire.
C'eſt par une ſuite de l'humeur bilieu
ſe , qu'allume dans ces critiques le ſeul
nom de mérite , qu'ils trouvent à redire
encore à la maniere & au ſtyle brillant
avec lequel on peint les objets les plus
ſecs. Les Auteurs rebutés par cette façon
groffiere avec laquelle on traitoit autrefois
les matieres abſtraites , voulurent
}
Cij
52 MERCURE DE FRANCE,
étendre ſur cela leurs réformes; ils crus
rent que pour ne pas augmenter leur fee
chereife naturelle , il falloir répandre ſur
elles un vernis agréable & gracieux ; ce fut
alors qu'on vit prendre aux Auteurs , que
les Sciences les plus profondes avoient le
plus occupés , un caractere enjoué , au lieų
de cet air auſtere & rade dont ils étoient
auparavant hériſſés ; on les vit répandre
fur ces endroits , où on ne voyoit auparavant
que des épines , une aménité & une
fine fleur d'agrément , qui les dépouilloir
de leur âpreté.
Ce changement ne manqua pas d'allus
mer la bile des critiques , ils traiterent
d'affecté & de précieux ce ſtyle ; tous les
écrits de ce ſiècle en parurent à leurs yeux
infectés. Il eſt bon de fixer quelle eſt la
nature de ce qu'on appelle précieux , pour
faire connoître la justice de l'accufation .
Le précieux dont tout le monde parle &
que perſonne nedéfinit , conſiſte , ſi je ne
me trompe , dans le déſir immodéré de
plaire qui en eſt le fondement , & dans
la perfuafion où l'on eſt d'y avoir réuſſi :
de là il eſt facile d'expliquer quels font les
effets naturels de cette manie ; il ſuit que
celui qui eſt occupé de ee déſir laiſſe tranfpirerdans
toutes ces occaſions , la douce
conviction où il eſt de ſon mérite. Sem
SEPTEMBRE. 1753. 53
blables à une femme qui ſe complaît ſans
ceffe en elle-même , & qui ſourit mollement
à fescharmes , on voit ces Auteurs
dans la fureur perpétuelle de briller , dont
ils font travaillés , chercher à enjoliver
toutes leurs idées , careffer , pour ainſi dıre
, avec mignardiſe toutes leurs exprefſions
, & fe mirer à chaque inſtant dans
tout ce qu'ils diſent , comme dans des
miroirs qui leur retracent l'image agréable&
flatteuſe de leur eſprit ; on les voit
occupés ſans ceſſe à jetter de l'agrément ,
&pour ainſi dire , un air de galanterie
fur les matieres les plus ſéches , apprivoifer
leur air ſauvage , & chercher à adoucir
la groffiereté & la rudeſſe de leurs
traits : de la encore ce ton apprêté&doucereux
avec lequel ils expriment tout. Enfin
occupés à remplacer le natutel qui leur
manque , par un faux air de naïveté , ( car
il faut remarquer qu'un des principaux caracteres
du précieux , eſt de s'efforcer d'imiter
les couleurs& les tours naïfs & fimples
) on diroit que cette maniere d'écrire
en apparence n'eſt pas ſi répréhenſible ;
il ſemble d'abord que rien n'eſt plus louable
que de voir des idées naturellement
graves& philofophiques , embellies d'un
vernis agréable , dépouillées de leur féchereſſe
, prendre ſous la plume de ces
2
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
Auteurs des dehors gracieux & rians : on
devroit , ce ſemble ,être charme de voir
prendre une teinture enjouée à des idées ,
qui hériffées de difficultés ne paroiffent
pas fufceptibles d'agrémens .Quelques profondes
qu'elles fuſſent , faites pour piquer
la curiofité du Sçavant , elles ne pourroient
cependant pas fauver pour lui l'ennui
& le dégoût. Peut-on ne pas être ravi&
enchanté , lorſqu'on voit cette forme
nouvelle& gracieuſe , qui rend les idées
riantes , & pour ainſi dire , acceffibles
fubſtituées à la maniere féche & rebutante
,aveclaquelle onles peignoit autrefois
C'eſt ſous cette forme que M. de Fontenelle
a préſenté les idées de fcience ; il
ſemble que les épines diſparoiſfent fous ſa
plume , & que tout prend je ne ſçais quel
vernis d'urbanité &de galanterie qui embellit
tout , & rend la façon d'écrire ini
mitable.
2
Mais , diſent les critiques , ce n'eſt pas
toujours le terme où l'on s'arrête ; on affecte
d'ignorer juſqu'à quel point on doit
embellir les objets , & les principes qui
doivent régler ſur cette matiere : on doit ,
il eſt vrai , donner aux idées tout l'agrément
dont elles ſont ſuſceptibles ; mais
il eſt une meſure juſte d'ornemens dont
on doit fobrement uſer ; pour embellir
SEPTEMBRE. 1793 . 55
Jes objets , il faut qu'ils gardent toujours
fous cette parûre agréable leur caractere
ſérieux ; on ne doit pas leur faire perdre
leur gravité naturelle , & prodiguer les
agrémens ſur eux juſqu'à les défigurer &
les tendre méconnoiffables , on reconnoît
à la fin que tous ces ornemens leur font
étrangers , & qu'ils ne font point faits
pour eux ; & l'on diftingue facilement au
travers dece tour gracieux& galant qu'on
veut leur donner , un air gauche& contraint
, qui les rend mauſades& ridicules
: c'eſt ainſi que M de *** & tant d'autres,
vrais fingesdu grand maître dont nous
avons parlé , à force d'outrer les agré
mens , n'ont paru que précieux &riſibles .
Telle eft la couleur qu'ont voulu répandredes
caustiques chagrins , ſur le ſtyle
&la maniere qui eſt à préſent en regne;
le vice dont elle ſemble infectée pouvoit-
il ne pas foulever leur bile ? ils ne
manqueront pas de reprocher aux Auteurs
de ne point créer des idées nouvelles ,
mais de ne faire que traveſtir les anciennes
; ils leur conteſteront d'avoir fait la
découverte d'un nouvel or , & ils foutiendront
qu'ils ne font qu'en donner la
couleur à du plus vil métail. Toute la
fonction des nouveaux Auteurs , ſi on en
sroit ces ſatiriques détracteurs , ſe réduit
C iiij
16 MERCURE DE FRANCE.
déguiſer la forme qu'avoient auparavant
les idées, & à lui en fubſtituer une nouvelle.
Le beau mérite qu'il y a s'écriérentils
, à traveſtir ainſi les objets pour les défigurer
, & leur faire perdre leur forme
naturelie ; ce n'est qu'à la faveur d'un
preſtige plus ou moins groſſier, qu'on vient
à bout de faſciner les eſprits , & en déguifant
les idées ſous un maſque brillant &
trompenr , on fait paffer impunément la
laideur & la groſſiereté de leurs traits , &
on ſurprend ainſi les fuffrages ; telle eft
la ſatyre injuſte qu'on voudroit accrédi
ter contre le ſtyle qui fleurit à préſent.
Mais les vains efforts que font ces cri
ziques , font l'hommage le plus vrai qu'on
puiſſe rendre au mérite du nouveau ſtyle ,
&fi une prévention aveugle ne leur fafcinoit
les yeux , ne s'appercevroient ils
pas du mérite qu'il y ade donner avec les
mêmes matériaux qu'on employoit autrefois
, un air de nouveauté à des idées déja
uſées & reproduites ? Pent- on ne pas voir
que plus elles font ternies , plus y a de la
gloire à rehauffer leur éclat ? c'eſt parce
qu'elles feroient peut-être vilipendées , a
elles ſe préſentoient fous leur forme ancienne&
naturelle , qu'il eſt plus louable
de lui en ſubſtituer une plus brillante.
Autrefois que les productions de l'efpric
SEPTEMBRE. 1753 . 57
voient par elles-mêmes un éclat & un
prix propre à captiver l'admiration publi
que , on n'avoit pas beaucoup de mérite
a le faire ſentir au Public ; on étoit même
condamnable d'effacer ce que leurs traits
avoient de brillant , pour leur faire pren--
dre des dehors bas & obfcurs : c'eſt maintenant
qu'elles ſont d'un ordre inférieur
, & que leur genre médiocre & commun
ſembleroit devoir ne les faire regarder
qu'avec des yeux de mépris ou du
moins d'indifférence ; c'eſt à préſent , disje
, qu'il y a plus de gloire à en recevoir
toute labeauté , & à l'établir avec faſte
Enfin dans ces premiers tems de la Litté
rature , la matiere ſeule des idées étoit ef
timable , c'eſt ſeulement à préfent l'art
qui les met en oeuvre : peut- on donc faire
un ſujet de reproche aux Auteurs de co
qui devroit leur mériter des éloges ??
Qu'on ceffe donc de déclamer contre la
maniere dont on habille maintenant les
idées embellies des ornemens dont on less
pare , elles pourront braver fans crainte
les regards les plus jaloux & les plus criti
ques; les eſprits les plus en garde contre:
routes fortes de preſtiges , feront les premiers
les victimes de la ſéduction ; ils ſen
tiront que leurs fuffrages leur échappent ,
pour ainſi dire , malgré eux. C'eſt parune
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
ſuite de la même illufion que ce ſtyle défarmera
la critique la plus maligne , & par
un phénomene dont on ne çutoit donner
raifon , il fe feta imirer de ceux-mêmes
qui en paroiffent les plu ennemis ,&
ſe les foumettra par là . Combien d'Auteurs
pouttoient fournir lexemple de cette vérité!
enfin cette maniere d'écrire aura le
rare privilége de regagner en faveur des.
objets ufés & anciens , l'eſtine & l'admiration
qui ſembloient leur être enlevées,
pourjamais.
Par M. R ... Avocat au Parlement d'Aix
enProvence.
VERS
AMile Pellerin , pour lui annoncer la mort
deſon Serin.
JAmais les Dieux dans leur vengeance
Ne montrerent tant de courtoux
Non , jamais leur trifte puiflance
Ne porta de fi ro les coups.
DansTroye abandonnée aux flammes,
Les cris des enfans & des femmes.
Inſpiroient beaucoup moins d'horreur
L'aſpectde Berg- op zoom en cendre,
SEPTEMBRE. 1733. 59
Tombant ſous lefer des vainqueurs ,
Et les foldats forcés d'attendre
Le prix ſanglant de leurs fureurs ,
N'exciterent pas tant de pleurs
Que nous en venons de répandre
Pour leplus affieux des malheurs.
Qui peut , ſans mourir de douleur ,
Faire un tel récit ou l'entendre ?
Juſqu'à quand éprouverons-nous
Du ſort l'indigne perfidie?
Quoi ! de notre bonheur jaloux ,
Faut- il toujours qu'il s'étudie
Atroubler nos plaiſirs ſi doux ?
Déja ſa fureur aflaffine
Avoit eſſayé ſur Bobine (a)
Les coups deſtinés au Linot ( b ) ;
Et quand nous croyons voir bientôt
La fin des maux qu'il nous prépare,
Quand nous prodiguons par devoir
Des pleurs dont il n'est pas avare ,
Il réunit tout ſon pouvoir ,
Pour montrer que fa main barbare
Veut nous réduire au déſeſpoir.
Quels fortaits ! le pourrai-je dire
Non , non , dans cet érat affreux
La voix fur mes lévres expire :
(a) Chatte morte d'un abeis.
(b) Mort defaim.
.
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
Les pleurs qui coulent de mes yeux
M'ôtent la force de l'écrire ,
Et mes fanglots interrompus
Prouvent bien ma douleur amére.
O fort ! 6 regrets ſuperflus !
Votre Serin ... hélas !..... n'eſt plus !....
Il a vu ſon heure derniere ,
Et nous la fin de nos plaifus .
Il meurt au printems de ſon âge ,
Lui qui , témoin de notre hommage,
Etoit par ſon tendre ramage
L'interprête de nos foupirs..
11 meurt , ce Serin ( quel dommage ! )
Qui prévenu dans ſes déſirs ,
Recevoit content dans ſa cage ,
Sans rivaux& fans embarras ,
Cent fois le jour par fon treillage;
Des faveurs dont chacun tout bas"
Priſoit mieux que luil'avantage ;
Et dont tout autre en pareil cas
Eût fait beaucoup meilleur uſage..
Qui n'eût envié ſes appas ,
Son bonheur& fon eſclavage!
Mais il goûtoitun fort trop beau
Méditant un crime nouveau ,
Le bras d'une Parque ennemie
Arméde ſon fatal cilear ,
N'a pas craint d'attaquer favie.
TEMBRE. 17536
64
Alors on a vú ce héros
Plus grand quand le malheur l'accable
Avec un courage incroyable ,
Oler infulter à la faulx
Du tyran qui d'un front terrible
Trembloitde le voir invincible.
Sa valeur ſeconde ſon bras ;
D'un coeil fier il voit le trépas ,
Il l'affronte , & de la tempête
Les coups ſuſpendus ſur ſa tète
Ne font que l'animer encor.
Aprèsun généreux effort ,
Vaincu , couvert de gloire , il tombe....
Eh! ſous le crime du plus fort ,
Bien ſouvent la vertu ſuccombe....
Jadis ſous les yeux de leur Roi ,
On vit aux champs de Fontenoi
Les François montrer moins d'audace
Eux qui renverſés ſur la place ,
Bravoient encor par leur menace
Leurs ennemis remplis d'effroi.
Ou tel dans les murs de Lutèce
Un infortuné débiteur ,
Affailli par la lâche adreffe
Dela cohorte qui le preſſe ,
Se rit de leur vaine fureur.
Onle voit long-tems intrépide
Epouvanter par lavaleur ,
Cette troupe avare & timide
MERCURE DE FRANCE..
A qui l'or inspire du coeur.
Enfin e le devient plus forte:
Malgré le feu qui le tranſporte,
Environné de toutes parts ,
Il eſt friſi par la cohorte
Qu'u fait trembler de fes regards..
N'attendez pas qu' ci je falle
La peinture de nos tommens ,
Et qu'à vos yeux je les retrace
Augmentant à chaque moment
Que j'offre l'image touchante
Etd'une amie & d'une tante ,
Pouffant de longs géillemens;
Et qu'enfin je vous repréfente
Vos amis pâles & troublés ,
Les uns larmoyant en cadence ,,
D'autres de douleur accablés
Qui n'interrompent leur filence-
Que par des langiots redoublés..
Un Linot en ces jours funeftes ,
Er deux Chats vos uniques reſtes ,
Unirent leurs cris à nos voix ,
Et émoignerent cette fois
A leur façon ( quelle muſique ! )
Qu'ils prétendoient nous imiter..
S'al ett besoin , je puis citer
P'us d'on témoin très-authentique ,
Qui peut fans mentir atteſter ,.
Queje fais en tout véridique.
,
SEPTEMBRE. 1753,65
Dansun fi triſte événement
Chacun raiſonne à la maniere ,
Et veut porter ſon jugement
Sans fonger qu'il devroit ſe taire..
Tous trouvent le noeud du nyſtére..
Les uns ſoutiennent hardiment
Qu'on doit accuſer l'influence
Des Aftres qui malignement
Prefiderent à ſa naiſſance ;
Et d'autres plus modeſtement ,
Difent , felon toute apparence ,
Qu'on peut s'en prendre au mauvais tema;
Celle-ci , non fans fondement ,
A certain bouton l'attribue ;
Celle-là plus ſolidement ,
Vous aſsure que c'eſt la mue;
Tous prouvent que conféquemment;
Leur raiſon doit être reçues
Mais s'il m'eſt permis humblement
D'expoſer net à votre vue ,
Sans fard mon petit fentiment:
Je vous dirai tout uniment
Que votre départ ſeulement,
Etle chagrin de votre ablence ,
L'ont plongé dans le monumenta
Nous allons fubir surement ,
(Je vous l'annonce par avance )
Le fortde cet oiſeau charmant,
Si vous differez unmoment
4 MERCURE DE FRANCE
De nous rendre à votre préſence..
C'est bien aſsez , coupable fort ,
D'être privé de ſa Maîtreſse ,
Sans redoubler notre triſteſse ,
Par l'injuſte & barbare mort
Du ſeul objet de ſa tendreſse.
Mais, à vos regrets mettez fin
Iris , ſuſpendez vos allarmes ,
Arrêtez le cours de vos larmes ,
Ne plaignez plus votre Serin.
Vous ſçaviez bien que ſur la terre ,
Vous n'étiez que dépoſitaire
D'un bien réſervé pour lesCieux.
Il a rempli ſa deſtinée :
Admis àla table des Dieux ,
Il enyvre à longs traits comme eux,
Son ame à jamais fortunée
Du Nepenthe délicieux ;
Et par ſes chants-mélodieux
Il charme leur Cout étonnée.
Ou bien loin des regards jaloux ,
Retiré dans quelqu'autre azile
Où je le crois content , tranquille,
Si l'on peut l'être loin de vous ,
Il ranime ſa voix plaintive ,
Et montre à ceux qu'un fort plus doux
Retient captifs fur cette rive ,.
A fornier d'aimables concerts ,
Pour redire les tendres airs ,
SEPTEMBRE. 1753. 69
Qu'autrefois ſa chere Maîtreſse
Lui faiſoit répéter fans ceſse ;
Et joindre leurs fons enchanteurs
Pour chanter ſon eſprit , les graces ,
Les amours qui ſuivent ſestraces ;
Enfin tous ces attraits flatteurs
Qui ſçavent triompher des coeurs,
De quelques plaiſirs qu'il jouiſse ,
Libre de peine & de fouci ,
Ils ne ſont qu'une foible eſquiſſe
De ceux que nous goûtons ici.
Pourquoi tant tarder à lui rendre
L'hommage que nous lui devonsa
Dans l'excèsde nos maux , ſongeons
Auxhonneurs qu'exige ſa cendre,
Que fur mille autels préparés
On porte à ſes månes ſacrés ,
Le tribut qu'il a droit d'attendre,
Qu'à jamais l'on vante ici-bas
Ses accens vainqueurs du trépas;
Qu'a Paphos ſes attraits célébres ,
Soient par des éloges funébres ,
Loués à l'égaľ des héros ;
Qu'enfin au Temple de Mémoire
On grave en lettres d'or , ces mots
Qui rappellent nos pleurs, ſagloire :
GY GIST L'AIMABLE SERIN
DE L'ALMABLE PELLERIN
66 MERCUREDE FRANCE.
ENVO 1.
Daignez , belle Iris , pardonner
Si , plein d'une ardeur téméraire ,
Nous oſons ambitionner
Par ces vers le bien de vous plaire.
Si nous l'obtenons , quel ſalaire
D'un travail ſans art médité !
Qüi , l'honneur de votre ſuffrage
Que notre zéle a mérité,
Sera pour ce premier ouvrage
Le ſceau de l'immortalité..
DeMutorin..
Duséjour des douleurs , ce 20 Avril 1755.
AVIS AU PUBLIC
Sur les Charrois.
Es charriots ordinaires ſont d'une ex-
Ltrême ſimplicité , mais ils ont le défaut
de ne pouvoir tourner leur timon
que trente degrés , alors la roue intérieure
dedevant touche le charriot , & fi les chevaux
forcent à tourner davantage , la roue
extérieure de devant s'éleve en l'air , & le
sharriot verſe ou le timon briſe .
Ce défaut de ne pouvoir tournerqua
SEPTEMBRE. 1753. στ
trente ou trente-undegrés , rend les charriots
impropres au roulage des villes où il
faut ſouvent tourner court , ſoit aux coins
des rues , ſoit pour entrer dans les portes
cocheres des petites rues ,&il y en a beaucoup
de petites , car comme l'eſpace eſt
précieux dans les villes , la plupart des
rues y ſont étroites.
Pour rendre le tournage court poſſible ,
on a anciennement inventé les arcs de caroſſes
, mais on a été contraint de faire les
soues de l'avant-train fort petites , fans
quoi les arcs de fer ſe ſeroient trouvés
d'une péfantear exceſſive , mais en faiſant
les roues petites , les caroffes ne ſe ſont
trouvé propres qu'à rouler ſur le pavé des
villes ou fur les chauſſées entretenues ;mais
dans la campagne , lorſque l'orniere étoit
profonde , le moyeu touchoit à terre , &
Feffieu labouroit aux Aancs de l'orniere.
Ces inconvéniens ont dégoûté des caroffes
, fur tout à cauſe du grand poids
des arcs de fer &de leurs ferrures ligatoires
; on a inventé les berlines , mais à l'exception
qu'elles font plus legeres que les
caroffes , elles ont encore preſque les mêmes
défauts , car leur effieu de devant eſt
à peine deux pouces plus élevé que celui
des caroffes , & à la campagne le moyeu
touche encore la terre dans les ornieres.
68 MERCURE DE FRANCE.
profondes , & l'eſſieu laboure les flancs
des ornieres , ſur tout dans les cavées ou
dans les forêts qui font ſujettes aux ornieres
profondes , & foutenues hautes par les
dehors , par les racines des chepées du
bois.
En réflechiſſant fur ces défauts ,j'ai reconnu
qu'on pouvoit y remédier par une
autre poſition de la cheville ouvriere. De
tout tems aux voitures à quatre roues , on
aplacé la cheville ouvriere au milieu de
P'eſſicu de devant , & perſonne que je
ſcache , ne s'eſt encore avité de la placer
hors de l'eſſieu du côté du train de derriere.
J'en ai fait un eſſai en petit , il y a environ
deux ans,& comme il m'a réuffi , j'en
ai fait un autre eſſai en grand , à Foccafion
d'une voiture que je ne pouvois pas faire
avec les autres charriots. Pour en modérer
la dépenſe , je me fuis fervi de toutes les
parties d'un charriot qui pouvoient ſervir
au mien ; ſçavoir , de fon train de derriere
& de ſes deux roues de devant , à
quoi j'ai fait convenir un eſſieu de devant
neuf, une fourchette & un timon neuf,
une allonge neuve , & un écamiau neuf
ayant aſſemblé le tout à mon gré avec une
cheville ouvriere un peu plus longue. Je
l'ai fait eſſayer à charrier duboisde corde,
&y ayant réufſi , j'ai fait les voitures
SEPTEMBRE. 1753. 69
dont j'avois beſoin ; j'ai été préſent au
charroi , j'ai même monté ſur la premiere
voiture , pour ſentir le mouvement du
roulage ,& je l'ai trouvé fort doux & fort
aifé.
Pour placer la cheville ouvriere hors de
l'effieu , j'ai fait une fourchette à l'ordinaire
, mais un peu plus courte ;j'ai em
braſſé les deux cornes de la fourchette par
leur extrêmité avec deux fortes planches ,
faiſant la ligature avec quatre chevilles
de fer à vis , qui traverſent les cornes de
la fourchette , j'appelle cet aſſemblage la
tenaille, C'eſt au milieu de cette renaille
qu'eſt le trou de la cheville ouvriere , à
ſeize pouces du milieu de l'eſſieu de dez
yant.
Cette fourchette eſt appliquée à l'ordi
naire ſur l'eſſieude devant ,& par-deſſus
la fourchette , au lien de lizoir eſt poſéc
horisontalement une piéce courbe en formede
gante de rouë , le milieu du convexe
furpaſſe l'effieu en avant ,& les deux extrêmités
le ſurpaſſent en arriere ; deux
groſſes chevilles de fer aſſemblent la courbe
ou portion de centre , avec la fourchette
& l'effieu; les têtes des chevilles entrent
en gravure dans la courbe pour être
fous ſa ſurface , & permettre le mouvement
du bout de l'allonge qui repoſe ſur
1
70 MERCUREDE FRANCE.
cette courbe pour avoir un appui ſur l'ef
fieu.
L'allonge du charriot n'eſt pas percée à
ſon extrêmité d'un trou pour la cheville
ouvriere , comme les charriots ordinaires
mais elle eſt percée àvingt- fix pouces du
gros bout ,& lorſqu'elle eſt en place &
que la cheville ouvriere tient ce trou faik
aumilieu de la tenaille , le gros bout de
l'allonge repoſe ſur la courbe horisontale
de l'eſſieu de devant , & y peut gliffer circulairement
quarante- cinq degrés à droite
&àgauche de la direction du charriot , &
laiſſe par conféquent braquer le chariot ,
au moins quinze degrés de plus qu'il ne
fait ordinairement .
L'écarmiaun'eſt pas ſur l'eſſieude devant
comme à l'ordinaire , mais ſur la tenaille ,
il a au deſſus un cranqui embraſſe en croix
l'allonge , & l'allonge eſt platte depuis
l'oeil de la cheville ouvriere , juſqu'au bout
qui repoſe ſur la courbe horisontale de
P'effieu ; la mienne étoit de bois blanc , &
par conséquent plus large &plus épaiſſe ,
àcauſe de la foibleſſe de ce bois ; mais en
chêne ou frêne , j'eſtime que depuis l'oeil
de la cheville ouvriere juſqu'à ſon extrêmité
ſur l'effieu , elle doit avoir neufpouces
de large , au lieu de douze qu'avoit la
mienne ; à l'égard de l'épaiſſeur ,je la crois
SEPTEMBRE . 1753. 75
fuffiſante de quatre pouces , ou quatre pouces&
un quatriéme , au reſpect d'un charriot
qu'on ne charge pas au-delà de quatre
milliers .
Dans l'aſſemblage , après que la cheville
ouvriere a traverſe l'écamian & l'allonge ,
elle traverſe les deux membres de la tenaille
, & il y a une clef en- deſſous qui
empêche la cheville ouvriere de remonter.
Par cette conſtruction , lorſque le timon
tourne à gauche , la cheville ouvriere recule
à droite & fuit la roue ,& il faut que
le timon ſoit braqué plus de cinquante
degrés avant que la roue touche l'allonge ,
énforte que le charriot ainſi compoſé,tour.
ne quinze degrés au moins plus que les
charriots ordinaires , & ces quinze degrés
de plus les rendent capables d'entrer dans
la plûpart des portes cocheres où les berlines
entrent , & de tourner dans les cours
qui ne font pas fort petites. On pourroit
appliquer cette eſpéce de train aux berlines
même , alors elles pourroient rouler à la
campagne , car on pourroit donner plus
de quatre pieds de diamétre à leurs petites
roues. Lorsque cette conſtruction paſſera
en uſage pour les charriots , les charrettes
fablogeront peu à peu , parce qu'elles ruinent
les chevaux lemoniers , & qu'elles
ne ſont néceſſaires, que parce que les charfiots
ne tournent pas allez court.
72 MERCURE DE FRANCE.
:
:
:
२
VERS
Pour Mlle Coleb , qui accompagnoit sa voix
en jouant du clavecin. Par L. Dutens de
Tours,
AVec combien d'indifference
L'inſerſible produit les ſons les plus touchans ?
Avec quel air de négligence
Elle tranſporte tous nos ſens ?
Sous ſes doigts gracieux chaque corde animée,
Raviſſant tour à tour notre admiration ,
Arecevoir ſes loix met ſon ambition ;
: Et d'un ſi beau deſtin charmée ,
Nous exprime en tremblant ſa ſatisfaction :
Touché de cette main par les graces formée ,
Qui ne reffentiroit la même émotion !
Tandis qu'à l'écouter chacun de nouss'empreſſe,
L'Amour à ſes côtés , profitant de l'yvreſſe ,
Où ſemblent plongés nos eſprits,
Des beaux yeux de cette Syrene
Emprunte quelques traits dont il bleſſe ſans peine
Des coeurs par ſes accens déja trop attendris .
Ainſi du Dieu charmant aſſurant la victoire
Par ſes accords mélodieux ,
Elle célébre en ſes jeux
Notre défaite & fa gloire ;
Et prenant à nos yeux un viſage ſerein ,
Elle
SEPTEMBRE. 1753 . 73
zile goûte en ſecret le plaifir inhumain ,
D'avoir lancé les feux qui conſument nos ames :
Tel Néton autrefois , une harpe à la main ,
Chantoit en contemplant le funeſte deſtin
De Rome , qu'il livroit à la fureur des flâmes.
:
:
VERS par L. Distens de Tours ,
pour Mlle B... Ν...
T
Aiſez- vous , indiſcréte lyre ,
Il eſt trop dangereux d'irriter un vainqueur ;
Taiſez- vous , redoutez le courtoux de Thémire ,
Ses beaux yeux refuſent de lire
La paſſion qu'ils gravent dans mon coeur.
Souvent à vous entendre elle paroît ſe plaire;
Alors vous pouvez ſans danger
Lui parler des rigueurs d'une ingrate bergére ,
Pour l'amour d'un tendre berger :
1
Chantez-lui les malheurs , peignez bien la ten
dreſſe
Du plus fidéle des amans ;
Et ſi ſon ceoeur enfin touché de vos accens ,
A le connaître s'intéreſſe
1
Ne nommezpoint l'objet de vos regrets touchans;
N'en dites rien encor , ma lyre ,
Il eſt trop dangereux d'irriter un vainqueur ;
Taiſez-vous , redoutez le courroux de Thémire;
Ses beaux yeux refuſent de lire
La paſſion qu'ils gravent dans mon coeur.
D
74 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLE DECOUVERTE.
Eis Février 1752 , des ouvriers ,, en
LFouillant une carriere ſur la montagne
deMontmartre près deParis, ont trou-
"vé à environ quarante toiſes de l'ouverture
, un corps ſolide , en table , lequel n'eſt
cependant ni de l'eſpéce du marbre , ni
du caillou , mais plutôt de la nature de la
pierre à plâtre que de toute autre pierre.
Cette eſpéce de bloc eſt beaucoup plus
durpar fa fuperficie que par l'intérieur lla
déja été vû par pluſieurs Sçavans, &a paru
de la forme la plus antique à tous ceux qui
l'ont examiné avec attention. Sa couleur
tire ſur celle dela pierred'agathe , mêlée
de quelques veines abſolument noires.
Les plus habiles Médecins , tels que défant
M. Ch.. & autres, ayant voulu éprouver
ſa vertu par pluſieurs expériences , one
déja trouvé qu'il prévient & même guérir
pluſieurs maladies ,& eſt ſurtout un antidote
ſouverain contre les laſſitudes dans
les jambes , courbatures , & autres qui
proviennent detenſionde nerfs.
Après avoir été meſuré très exactement,
il s'eſt trouvé avoir 4 pieds 7 pouces 2 lignes
de longueur , ſur 22 pouces 2 lig. de
largeur , & fur une épaiſſeur de 27 pouces.
SEPTEMBRE. 1753. 75
On y trouve appliquées d'une façon
indelebile , fans néanmoins aucune cavité
, 23 lettres de différens caracteres ,
deſquelles forment fix lignes. On ignore
ſi celles où il paroît manquer quelques
lettres , ne font point des lacunes.Les deux
O. qui terminent la ſeconde & la quatriéme
ligne, ainſi que les deux E. par leſquels
finiſſent la troifiéme ligne & la ſixiéme ,
pourroient indiquer que ce ſeroit des vers
Italiens , ou quelque épitaphe Latine .
Enfin , on ſoumét ce phénomene terreſtre
à l'examen des curieux , foit Académiciens
, foit ſimples particuliers ; & une
perſonne fort riche& de très grande conſidération
, promet une ſomme conſidérable
à celui ou celle qui prouvera avoir expliqué
ce Hierogliphe , & qui en rapportera
un Acte ſigné de lui ou d'elle , paſſé
par devant tel Notaire qu'il lui plaira de
choiſir.
M
O.n
M
S
V
٢٠
•
•
•
Figuredu Hierogliphe.
• • •
u.R.a. Y.n.O
E
T.u.N.e.b.O.
•
r
• •
U
•
I.
ة •
• •
E.
•
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Ex faled food fors to takg Eates fora fake foks fok for
ESOPE , PHEDRE ET LA FONTAINE
AUX CHAMPS ELISEʼES .
* NOUVELLE. Par M. des- Forges Maillard
, des Académies Royales des Belles-.
Lettres d'Angers de la Rochelle , de la
Société Littéraire d'Orléans , & de l'Académie
des Ricovrati de Padone.
:
LAFontaine arrivant dans les champs Eliſées ,
Phedre le fabuliſte aſſis près d'un ruiſſeau
Que bordoient mille fleurs de ſon onde arroſées ,
Se leve, & faluant ce confrere nouveau ,
Lui dit d'un air de ſuſfifance ,
Salvusfis , Domine : l'on m'a conté qu'en France
Vos jaloux partiſans vous préferent à moi.
La Fontaine répond, ma foi ,
Ami du fimple badinage ,
J'ai ſuivi le penchant qui me faiſoit la loi ,
Et je n'en ſçais pas davantage.
Vous me raillez encor , je croi ,
DitPhédre; mais allons en traverſant la plaine
Chez Eſope, entre nous il pourra décider.
Qui ! moi ? j'aime la paix & ne veux point plais
der,
Repart l'ingénu la Fontaine ;
Va tour ſeul , mon ami , ſois ce que tu voudras,
SEPTEMBRE . 1753 .
77
Eſope même , ce n'eſt pas
De quoi mon ame eſt fort en peine.
Ent'attendant ſous ce cyprès ,
Au doux bruit de cette eau , je vais prendre mon
ſomme ;
'Au retour , s'il te plaît, tu m'informeras comme
Tout ſe ſera paflé. Tu dormiras après ,
Dit Phédre , en le tirant avec impatience ;
Eamusfubitò ; le ſage Phrygien
Peſera nos talens dans ſa juſte balance ,
Nous ne ſommes tous deux riches que de fon
bien ;
* Il fut & ton maître & le mien ,
Je m'en rapporte àſa ſentence,
La Fontaine par complaiſance
Dit , allons donc , je le veux bien .
Ils partent à l'inſtant , les ombres marchent vite;
Les voila comme un trait dans la grotte qu'habite
L'enjoué Philoſophe au minois ſapajou :
Quand il eut oui Phédre , orgueil de l'autre vie ,
Ainfi les morts ſous terre emportent ta manie ,
Dit-il: & d'un débat qui lui ſembloit ſi fou ,
Faifant danſer ſa boſſe , il rioit tout ſon ſaoul.
Il convient toutefois que je vous remercie ,
Ajoûta - t- il : par les traits du génie ,
Les tours légers , les vers heureux ,
Vous m'avez fait honneur en m'imitant tousdeux.
Mais vous voulez , Meſſieurs, que ſur la préférence
Diij
78 MERCURE DE FRANCE,
De l'un ſur l'autre en ce moment ,
Je vous diſe ce que je penſe
Sans amphibologie & ſans déguisement.
Je ſçais fort qu'en pareille affaire ,
Témoin du beau Pâris le fatal jugement ,
Aquelqu'un , quoiqu'on faſſe, on riſque dedéplaire.
Ah ! fi dans les climats du monde ſublunaire
D'où Sire la Fontaine arrive récemment ,
Les hommes penſoient ſainement ,
Pour fonAréopage & pour fon Parlement
Chacun auroit ſon coeur ſans autre miniſtere.
Puiſqu'enfin vous voulez que ma bouche uncere
Entre vous , mes amis, décide librement ,
Vous ferez fatisfaits : pour cette fois Eſope
N'ayant à s'expliquer qu'avec deux beaux eſprits
L'un élevé dans Rome & l'autre dans Paris ,
De l'apologue antique omettra l'envelope.
Ecoutez-donc : en deux mots l'Orateur
Va débuter, dire & conclure.
Toi Phédre , ſelon moi tu contes en Docteur ,
Du langage Romain réputé Précepteur ;
Ta dition , ſans doute , eſt élégante&pure :
Mais ce bon homme-là s'exprimant ſans façon,
En plaiſant à l'eſprit fait au coeur la leçon ,
Et conte comme la nature.
SEPTEMBRE. 1753. 79
**************
SEANCE PUBLIQUE
Del'Académie Royale de Chirurgie , tenue
le Jeudi 3 Mai 1753 .
A
Près que M. Morand , Secrétaire
Perpétuel , eut annoncé que l'Académie
n'avoit pas jugé devoir accorder le
Prix aux Mémoires qui avoient concouru
cette année , M. le Dran , Directeur , lut
une obſervation ſur les moyens dont il
s'eſt ſervi pour rétablir le mouvement de
lajambe , perdu à l'occaſion d'une fracturede
la rotule , qui n'avoit pas été réduite.
Une Religieuſe de l'Abbaye S. Antoine
ayant fait ſa priere à genoux , ſe caffa
la rotule dans le mouvement qu'elle fit
pour ſe relever. Il eſt prouvé que l'action
des muſcles extenſeurs de la jambe , &
le contre-effort du poids du corps , font
des cauſes ſuffiſantes pour fracturer cet os.
Le gonflement & l'inflammation confiderable
qui ſurvinrent au genou , empêche.
rent , ſelon toutes les apparences , leChirurgien
qui fut mandé d'abord , de reconnoître
l'état de la rotule : il n'eut d'autre
indication que celle de combattre les ſymptômes
manifeftes par les ſaignées , & par
Diiij
80 MERCURE DE FRANCE .
,
l'application des cataplafmes , capables de
calmer la douleur & d'ôter l'inflamma
tion. La malade ſe crut guérie , lorſque
ces accidens furent diſſipes :il lui reſtoit
une difficulté de mouvoir la jambe ; mais
elle croyoit que cette difficulté venoit de
l'affoibliſſement du membre. Au bout de
cinq mois les choſes étant dans le même
état , M. le Dran fut mandé. Par l'examen
des parties il reconnut que la rotule
avoit été fracturée en travers , les deux
piéces de cet os étoient à un pouce de diftance.
Il jugea qu'il ſeroit impoſſible de
rapprocher ces portions diviſécs , parce
que le racourciſſement des muſeles extenſeurs
de la jambe , implantés ſur la portion
ſupérieure de la rotule , feroit un
obſtacle à ce rapprochement. M. le Dran
ne déſeſpera cependant pas de pouvoir
rendre cette jambe utile à la malade. Réfléchiffant
que quand on a été obligé pour
quelque raiſon que ce soir , de tenir le
bras fléchi pendant fix ſemaines ou deux
mois, on ne peut plus l'étendre , parce
que les muſeles qui fervent à la flexion
ſont devenus roides , par rapport au racourciſſement
habituel qu'ils ont contracté
pendant une inaction auſſi tongue
il crut que ſi l'on tenoit , dans le cas dont
il s'agit , la jambe étendue pendant un
و
SEPTEMBRE. 1753. 81 .
tems ſuffifant , ſans que le genou pût ſe
fléchir , les fibres des muſcles extenſeurs
contracteroient une roideur & une inflexibilité
, qui pourroient permettre à la malade
de ſe ſoutenir ſur ſa jambe & de marcher.
M. le Dran aſſure avoir réuſſi dans
fon projet. Dans l'eſpace de deux mois il
procura une fauſſe ankiloſe dont la malade
reçut tous les avantages qu'il avoit efpérés.
Peu à peu les muſcles reprirent les
mouvemens dont ils avoient perdu l'uſage
, & felon l'Auteur , quoique les deux
portions de la rotule ſoient reſtées dans
leur écartement , la malade a pû ſe ſervir
de ſa jambe comme avant la fracture.
Cette lecture fat ſuivie de l'éloge de
M. Cheſelden , célébre Chirurgiende Londres
, & le premier aſſocié étranger de l'Académie
; par M. Morand.
M. Louis , Commiſſaire pour les extraits
, lut enſuite un Mémoire fur la cure
des hernies avec gangrene. On ſçait qu'une
portion d'inteſtin étranglée dans une
defcente , eft bientôt attaquée de gangrene
, fi elle ne rentre naturellement , ou
ſi l'on n'employe pas à tems les ſecours de
l'art pour en faire la réduction. La pourriture
d'une portion de boyau avec ouverture
extérieure dans undes points de
la circonférence dubas ventre par où for
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
tent les excrémens , préſente à l'idée des
perſonnes les moins inſtruites , l'image
d'une maladie très dangereuſe : il y a ce
pendant des exemples & même en affez
grand nombre , de perſonnes qui ont
échappé très heureuſement à des accidens
de cette eſpéce. La pratique des Anciens,
étoit très bornée ,& ſelon M. Louis , l'art
a été en défaut fur ce cas , juſqu'au commencement
de ce fiécle ; on attendoit tout
des reffources de la nature : il eſt vrai que
fon fecours eſt quelquefois ſuffisant. M.
Louis aſſure même qu'il ya descirconſtances
où il faut preſqu'entierement confier à
la nature le foin de la guériſon ; mais il y
en a d'autres où cette confiance ſeroit
dangereuſe &meurtriere. La distinction
de ces deux cas généraux est très-importante
; il n'y a aucune obſervation fur les her
nies avec gangrene qui ne s'y rapporte.
Dans le premier cas on doit tout eſpérer
de la nature ; c'eſt elle qui opére effentiellement
la guérifon : dans le ſecond on
n'obtiendroit tien ſans le ſecours de l'art
la vie du malade dépend des foins& de
l'intelligence du Chirurgien. M. Louis,
s'attache particulierement à diftinguer ces,
deux cas généraux , dont l'un exige une
conduite fi différente de celle qu'il faut
tenir dans l'autre. Voici l'expoſition da
9、
SEPTEMBRE.. 17538 83
premier , comme l'Auteur l'adonnée dans
fon mémoire.
» Le premier cas , celui dont les fuites
>> font le moins dangereuſes , & qui ne
>>demande du Chirurgien que des atten-
>>tionsqui ne fortent point des réglés con-
>> nues , & les plus aiſées à mettre en pra-
>>>>tique , c'eſt celui où tout le diametre
>>de l'inteſtin n'eſt pas compris dans la tu-
>>>meur herniaire. L'inteſtin n'eſt pas tou-
>>jours engagé dans l'anneau par une por-
>> tion affez longue de ſa continuité pour
>>y former une anſe ſouvent il n'eſt que
>> pincé dans une ſurface plus ou moins
>>>grande.. C'eſt ce cas qui fournit le plus
>> d'exemples de hernies avec gangrene ,
> guéries avec le plus grand ſuccès. La
>>pourriture ſurvient fréquemment à certe
eſpéce de hernie , parce que les ſymp-
>>tômes de l'étranglement dans ce cas , ne
>> ſont pas à beaucoup près , ſigraves , ni
>> ſi violens que dans la hernie où tout le
>>diamétre de l'inteſtin eſt compris : ainfi
>il n'eſt pas étonnant que des perfonnes
>>>pen délicates , ou celles qu'une fauffe
>>> honte retient , ne ſe déterminent pas
>> à demander du ſecours dans le tems
>> où il feroit poſſible de prévenir l'acci-
>>dent dont il s'agit. En effet , lorſque
l'intestin eſt ſimplement pincé , les ma-
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
ود lades ne ſouffrent que quelques dou
>>leurs de colique : il ſurvient quelque-
» fois des nauſées & des vomiſſemens ;
» mais le cours des matieres dans le canal
>> inteſtinal n'étant point interrompu , ces
>> ſymptômes peuvent paroître ne pas mé-
» riter une grande attention. La négli-
>> gence des ſecours néceſſaires donne lieu
» à l'inflammation de la portion pincée de
> l'inteſtin ,& elle tombe bientôt en pour-
>> riture . L'inflammation & la gangrene
> gagnent ſucceſſivement le ſac herniaire
>& les tegumens qui le recouvrent : on
>> voit enfin les matieres ſtercorales ſe fai-
» re jour à travers la peau qui eſt gangre-
>> née dans une étendue conſcripte plus ou
>>>moins grande , ſuivant que les matieres
qu fortent du canal intestinal
>> font infinuées plus ou moins dans les cel-
>> lules graiſſeufes du voiſinage.Les moyens
» que l'art doit employer alors ne font
» pas bien recherchés. Il ſuffit d'empor-
>> ter les lambeaux atteints de pourriture ,
>> fans toucher aux parties ſaines qui les
>> avoifinent. On procure enfuite, par l'u-
>>ſage des médicamens convenables , la
>>fuppuration qui doit détacher ce qui ref-
> te de parties putréfiées ; on s'applique
>>enfin à déterger l'ulcere , & il n'est pas
>> difficile d'en obtenir la parfaite confoli
>dation.
fe
SEPTEMBRE. 1753. 8 .
M. Louis prouve par des obſervations
qui lui font particulieres , la juſteſſe de
l'expoſition dogmatique qu'on vient de lire
, & il fortifie ſes obſervations du témoignage
qui réſulte de celles que pluſieurs
Auteurs ont faites ſur la même matiere
. Celles- ci ne ſont pas purement empruntées
pour multiplier les preuves ; car
lesAuteurs les ont écrites d'une façon fort
indéterminée ; mais M. Louis en fait l'application
à ſon ſujet , & démontre par les
circonstances qui accompagnent ces faits ,
qu'ils doivent être rapportés au cas dont
il s'agit. De la diſcuſſion de ſept obſervations
très-détaillées , l'Auteur tire cette
conféquence .. » que dans les hernies avec
>>gangrene où l'inteſtin eſt ſimplement
>> pincé dans ſa furface , les ſecours de la
>>Chirurgie , quoique très- utiles , ſe ré-
>>duiſent néanmoins à des procédés fami-
» liers. Le défaut de ſecours ne ſeroit pas
>> mortel , & je ſuis perfuadé que les ref-
>ſources de la nature abandonnée à elle-
>>même , ſont plus fûres dans cette cir-
>> conſtance , que les ſecours de la Chi-
>>rurgie opératoire qui ſeroient mal diri-
>> gés » : & en effet , l'étranglement ayant
tracé les bornes de la gangrene , l'infammation
qui ſe fait à la circonférence de
la partie gangrenée , produit des adhé
16 MERCURE DE FRANCE.
rences qui uniſſent la portion pincée à la
circonférence de l'anneau . Une opération
pourroit détruire ces adhérences, & procurer
l'épanchement des matieres ſtercorales
dans la cavité du bas ventre , & la mort
parune ſuite néceſſaire de cet accident.
Le ſecond cas que M. Louis diſtingue
eſt celui où une affez grande portion d'inteſtin
eſt compriſe dans la tumeur , &
qu'elle y forme une anſe. Si cette portion
eſt longtems étranglée , l'inflammation
gagne intérieurement toute la continuitéducanaldesinteſtins
;,& fi les malades ne
font pas ſecourus à tems , ils périſſent par
la corruption gangreneuſe des parties du
bas ventre , dont la cavité ſe trouve quelquefois
remplie de matieres ſtercorales ,
quoique les tégumens de la tumeur her
niaire n'ayent reçu aucune altération. Ainfis
lorſque dans une opération trop différée
on trouve que lanſe d'inteſtin qui a ſouf
fert étranglement , eſt livide , molle , &
qu'il n'y a aucune apparence qu'elle puiffe
ſe révivifieraprèsſa réduction dans le ventre
, il feroit très-dangereux de l'y replacer..
La ſéparation de la partie gangrenée quis
fe feroit naturellement , ou le poids de la
colonne d'excrémens qui créveroit la par
tie mortifiée , cauſeroient l'épanchement
des matieres ſtercorales dans la cavité, dun
1
SEPTEMBRE. 1753 87
bas ventre , & par conféquent la mort du
malade.Les grands praticiens qui ont ope
ré dans cette circonstance , ont toujours.
coupé la portion gangrenée de l'inteftin ,,
quelle qu'en ait été la longueur. Il n'y a
de reſſources que dans ce parti : mais il
demande beaucoup d'attention pour en affurer
le ſuccès. M. Louis décrit d'abord
les différens procédés que l'art a preſcrits
juſqu'ici pour remplir les indications que
préſente un cas auffi grave. On ne peut
prévenir l'épanchement des matieres ſter.
corales ,qu'en fixant dans la playe , avec:
grand foin , le bout de l'inteſtin qui ré,
pond à l'estomac , & l'on peut procurer:
dans cet endroit un anus artificiel , c'eſt.
à dire , une iſſuë permanente pour la dé.
charge habituelle des matieres ſtercorales ,
en liant& abandonnant dans le ventre le
bout d'inteſtin qui va à l'anus. Telle étoit
la pratique qu'on ſuivoit au commence
ment de ce ſiècle. M. Littre en rapporte
un exempledans les Mémoires de l'Acadé
mie Royale des Sciences , année 1700. Le
fuccès de cette pratique dans ce cas , &
ceux qu'elle a eus depuis dans quelques.
accafions ſemblables, l'ont fait regarder
comme une merveille de l'art.
Des obfervations plus récentes dues à
l'habileté de M. de la Peyronie ont appriss
88 MERCURE DE FRANCE.
qu'en retirant les deux bouts de l'inteſtinn
dans la playe , on pouvoit obtenir leur
réunion , & guérir le malade en rétabliſfant
la route naturelle des matieres fécales.
Il ne paroiſloit pas qu'on pût former le
moindre doute ſur la préférence que femble
mériter cette façon de procéder à la
guériſon , fi on la compare à la méthode
qui procure l'anus artificiel. Cependant M.
Louis démontre , par la difcuffion même
des faits que M. de la Peyronie a avancés
enpreuve de la ſupériorité de ſa méthode
, que l'autre eſt plus fûre , & que l'incommodité
qu'elle laiſſe eſt plus avantageuſe
que le rétabliſſement de la route
naturelle , en ſuivant la conduite que M.
de la Peyronie a rendue publique dans le
premier volume de l'Académie de Chirurgie.
Les bornes d'un extrait ne permettent
pas d'expoſer ici les raiſons & les preuves
de la doctrine que M. Louis a établie à cet
égard: il fuffira de dire que les perſonnes
qui ont été guéries radicalement par la
réunion des deux bouts de l'intestin dans
la playe , ont été habituellement ſujettes
àdes coliques , & qu'elles font mortes
les unes quelques mois , & les autres quek.
ques années après leur guériſon ; mais
toujours par la crevaſſede l'inteſtin au deſ
fus de l'endroit de ſa réunion. On a trou
SEPTEMBRE. 1753. 89
vé à l'ouverture des corps les matieres
épanchées dans la cavité du bas ventre. Ce
funeſte accident a été déterminé méchaniquement
par la diſpoſition de l'inteſtin ; il
n'eſt pas difficile d'en donner la raiſon .
Dans l'état naturel le canal inteſtinal eſt
libre & flottant , les tuniques des inteftins
font dilatées par le paſſage des matieres
qui en parcourent la cavité , & elles
agiffent réciproquement par une vertu
contractive , ſur ces mêmes matieres. Les
choſes ſont diſpoſées différemment après
la réunion de l'inteſtin , ſuivant la méthodedont
on parle : le méchaniſme naturel
n'a plus lieu , la cavité du canal inteſtinal
eſt retrécie dans un point , l'inteſtin forme
un coude & eſt adhérent dans cet en
droit , ſon organiſation naturelle y est détruite
, & ce détroit de l'inteſtin ne peut
jamais s'élargir : voila des cauſes ſuffilantes
pour produire les effets qu'on a obfervés
à la ſuite de cette réunion. C'eſt d'après
ces faits que M. Louis a crû devcię
enviſager ce qu'on a crû pouvoir appeller
la guériſon parfaite des malades , comme
une diſpoſition très fâcheuſe , par laquelle
leur vie eſt continuellement expoſée. Il
prouve d'ailleurs , & démontre par pluſieurs
obſervations , que ſi dans les hernies
avec gangrene , on prenoit d'abord
90 MERCURE DEFRANCE.
le parti de procurer un anus artificiel , on
mettroit les malades à l'abri des accidens
confécutifs , & de tout danger. M. Louis
expoſe les moyens de rendre cette incommodité
ſupportable ; cette diſcuſſion le
conduit à faire ſentir tout le prix d'une
méthode par laquelle on pourroit guérir
radicalement les malades auxquels on auroit
emporté une portion d'inteſtin gangrenée
,& fans qu'ils reſtaſſentexpoſés au
danger qui a ſuivi la réunion de l'inteſtin.
Le génie de M. Rhamdor , Chirurgien
duDuc de Brunswick , lui a ſuggéré une
maniere de réunir l'inteſtin qui a cet avantage.
Après avoir amputé environ la longueur
de deux pieds du canal intestinal
avec une portion du meſentere gangrené
dans une hernie , il engagea la portion fupérieure
de l'inteſtin dans l'inférieure , &
les maintint aina par un point d'aiguille
auprès de l'anneau ; les excrémens cefférent
de paſſer par la playe , & prirentd'abord
leur cours par l'anus. La perſonne
guérit en très peu de tems , & ajoui d'une
ſanté parfaite ; elle eſt morte depuis d'une
maladie qui n'avoit aucun rapport à l'opération
: àl'ouverture de ſon corps on vit
que l'inteſtin réuni formoit un canal trèsbiendiſpoſé
, adhérent au peritoine à l'endroitde
l'anneau. M. Louis loue cette mé
SEPTEMBRE. 1753. 91
thode , mais elle lui paroît ſuſceptible de
quelques perfections. >> Je ne ſerois pas
>> ſurpris , dit il , qu'en la pratiquant con..
>> formément à la deſcription qu'on en a
>>>donnée , le ſuccès ne juſtifiât pas une ine
>> vention auſſi utile. Il eſt certain que ,
>> toutes chofes égales d'ailleurs , il fera
>>bien plus avantageux de guérir radica-
> lement un malade qui a une hernie avec
>>gangrene , que de lui procurer l'incom-
>modité d'un anus artificiel :dans la mé
>>thode du Chirurgien Allemand , la réu-
>> nion ſe fait ſans inconvénient ; les ma-
>> tieres ne paſſent point du tout par la
» playe dès l'inſtant même que l'opération
>> eſt faite : il n'eſt pas néceſſaire que l'in-
>>teſtin ſoit retenu dans l'anneau , il fuf-
>>fit qu'il appuye ſur fa ſurface interne
>> ily contracte , à la vérité , une adhéren-
> ce avec le péritoine ; mais il n'y forme
>>pas l'angle aigu qu'il fait dans l'autre
>>méthode après la guériſon ; le canal in-
>> teſtinal n'eſt pas ſujet au froncement &
>> à la diminution de ſon diametre , com-
» me quand les deux bouts de l'inteſtin
>>reſtent long- tems dans la playe , car dans
>> ce dernier cas , non- ſeulement l'inteſtin
>>ſe reſſerre par la contraction de ſes fibres,
>>mais ſon diamétre diminue auſſi par la dépreſſion
des parties, à la circonférence des
MERCURE DE FRANCE.
>>orifices retenus vis à- vis l'un de l'autre ,
> dans le trajet qui eſt ouvert du ventre à
» l'extérieur. La méthode de Rhamdor aа
>> donc fur celle- ci l'avantage de pouvoit
> guérir radicalement le malade , ſans l'in-
> convénient du paſſage des matieres ſter-
>>corales par la playe , pendant le tems de
» la cure , &fans faire craindre les ſuites
>> funeſtes de l'autre pratique.
Le cas que fait M. Louis d'une méthode
auſſi utile , ne doit pas laiſſer perdre
de vûe deux conſidérations qu'il croit effentielles.
La premiere , c'eſt que l'opé
tation de Rhamdor n'eſt pas pratiquable
dans toutes les hernies avec pourriture où
il y a eu étranglement d'une grande portion
d'inteſtin. La ſeconde , c'eſt que dans
les cas où elle peut avoir lieu , il faut que
certaines précautions en aſſurent le ſuccès.
La vérité de la premiere réflexion ſur l'impoſſibilité
de pratiquer la méthode de
Rhamdor , dans tous les cas où l'anſe de
l'inteſtin eſt gangrenée ,ſe démontre par
l'expérience. Pour faire cette opération ,
il faut que les portions faines de l'inteſtin
ſoient libres; ſans cela , un bout ne pourroit
être introduit dans l'autre : or cette
infinuation ſera impratiquable , toutes les
fois que les portions ſaines auront contracté
des adhérences avec les parties qui
SEPTEMBRE.
1753 . 93
les avoifinent. Ces cas font allez communs
dans la pratique ; M. Louis en donne pluſieurs
exemples. Enfin , voici les précautious
qu'il indique , lorſqu'on pourra procéder
à la réunion des deux bouts de l'inteſtin
, dont une portion gangrenée aura
été retranchée.
» Il eſt important , dit M. Louis , que
>> ce ſoit la portion ſupérieure de l'inteſtin
» qui ſoit infinuée dans l'inférieure ; cette
>attention doit décider de la réuſſite de l'o-
>> pération : or il n'eſt pas facile , comme
>>nous l'avons déja remarqué , ( dans le
>>corps du Mémoire) de distinguer d'abord
>&dans tous les cas, quelle eſt préciſé-
>>ment la portion de l'inteſtin , qui ré-
>>pond à l'eftomach , & quelle eſt celle
>> qui conduit à l'anus. Cette difficulté ne
>> doit point être un motifpour rejetter
>>une queſtion , dont la premiere tenta
>> tive a été ſi heureuſe ; je crois qu'il faut
>>> d'abord retenir les deux bouts de l'in-
>>teſtin dans la playe , & qu'il ne con-
>>vient pas de procéder à leur réunion qu'a-
>>près avoir laiſſe paſſer quelques heures ;
>>& pendant ce tems on fera prendre de
l'huile d'amandes douces au malade , &
fomentera l'inteſtin avec du vin
>>>chaud , afin de conſerver ſa chaleur &
ſon élasticité naturelles. Le délai que je
ود
94 MERCURE DE FRANCE.
> propoſe me paroît abſolument néceſ
>>ſaire , non-feulement pour pouvoir re-
> connoître , ſans riſque de ſe méprendre ,
» quelle eſt précisément la portion ſupé-
> rieure de l'inteſtin ; mais je penſe que
>ce délai est très-utile , quand même on
>> auroit fait avec la plus grande certitude
• la distinction de chaque bout de l'in-
-teſtin. Il ſera en effet beaucoup plus sûr
>>pour le ſuccès de la réunion , & pour la
>> facilité du dégorgement des matieres
• que l'étranglement a retenues dans le
>> canal intestinal , depuis l'eſtomach juf-
» qu'à l'ouverture de l'inteſtin; il eſt , dis-
>>je , beaucoup plus avantageux que ce
»dégorgement ſe falle par la playe , que
> d'expoſer la partie réunie par l'infertion
»des deux bouts de l'inteſtin à donner
» paſſage à ces matieres , & à leur laiſſer
> parcourir toutela route qui doit les con-
>>duire àl'anus,
M. Louis propoſe un procédé auſſi intéreſſant
, pour faciliter Pinfinuation da
bout ſuperieur de l'inteſtin dans l'infé
rieur ; & pour la rendre immuable , il conſeille
de couper tranſverſalement leméſentere
auprèsde la portion ſupérieure de
l'inteſtin , dans toute la longueur dont
on veut infinuer cette portiondans le bout
inférieur. L'Auteur a fait des expériences
SEPTEMBRE. 1753 . 95
de cette opération ſur des animaux vivans,
&elles ont toujours réuffi. L'inſertion eſt
difficile ſans cette précaution : Mebius ,
le premier Panégyriſte de la méthode de
Rhamdor , n'a pû réuffir à la pratiquer ;
&elle est très-aiſfée , moyennant l'incifion
que M. Louis recommande. On ſent qu'il
est néceſfaire dans ce cas de lier le méſentere
; mais ne faudroit- il pas le faire également
, ſans l'inciſion que l'on propoſe ?
En effet toutes les fois qu'on a emporté
une portion de tout le diametre du canal
inteſtinal , on a dû faire un pli au méſentere
pour aſſujettir les deux bouts de l'inteſtin
vis à vis l'un de l'autre. Cette pratique
eſt à plus forte raiſon néceſſaire ,
lorſqu'on doit les engager l'un dans l'autre.
M. de la Peyronie nous apprend
qu'il a paflé un fil à travers le méſentere ,
& qu'enfuite il a formé , en nouant ce
fil , une anſe capable de retenir le paquet
des parties qu'il vouloit empêcher de rentrerdans
la cavitédu ventre. Il ne paroît
pas que Rhamdor , ni M. de la Peyronie
ayent été engarde contre l'hémorrhagie
des artéres méſaraïques , dont les ramifications
ſe diſtribuoient à la portion de
l'intekin qu'ils ont coupée. Il n'y a point
eu d'hémorragie dans ces cas , mais elle
pourroit ſurvenir dans d'autres : les aftrin
96 MERCURE DE FRANCE.
gens de quelque nature qu'ils foient , ni
la compreſſion ne pourroient alors avoir
lieu ; il faut avoir recours à la ligature.
Ainfi il eſt de la prudence du Chirurgien ,
de faire , ſuivant la remarque de M. Louis,
un double noeud ſur la portion du méſentere
qui formera le plis , par lequel les
portions de l'inteſtin doivent être retenues
& fixées dans la ſituation convenable.
On peut enſuite , comme M. de la
Peyronie l'a fait , nouer les extrémités de
ce fil qu'on contiendra en dehors , pour
retenir l'inteſtin réuni au voiſinage de
l'anneau où il doit contracter adhérence.
Aini M. Louis a ajouté des perfections à
une méthode ingénieuſement imaginée ,
&plus recommandable encore par la grande
utilité dont elle ſera dans le cas où
elle pourra être employée,
Après ce Mémoire , M. Coutavoz lut
une obſervation ſur une fracture de la
jambe , compliquée avec un grand fracas
d'os. Les accidens furent très -graves ; il
fallut faire des ouvertures , & tirer une
portion conſidérable de l'os principal. La
nature l'a réparé , & M. Coutavoz a guéri
fort heureuſement ſon malade. Il a montré
à l'Académie la machine qu'il a imaginée
pour tenir le membre dans le degré
d'extenfion convenable , & pour contenir
les
SEPTEMBRE. 1753. 97
1
les os dans la ſituation la plus favorable.
Nous nous diſpenſons de donner l'extrait
de cette obſervation , parce qu'on ne peut
connoître l'étendue des refſſources de l'Art
dans ce cas , que par la deſcription & la
figure de la machine. On pourra ſe ſatisfaire
à ce ſujet dans le ſecond volume des
Mémoires de l'Académie , qui paroîtra inceſſamment;
on y a inſeré l'obſervation de
M. Coutavoz , & la machine dont il s'eſt
ſervi yeſt gravée.
M. Sue , le cadet , a terminé la Séance
par la lecture d'un Mémoire ſur le ramoliſſement
des os. L'Auteur a fait des recherches
ſur cette maladie , il a rapporté
les cas dont les obſervations ont confervé
l'hiſtoire; il a fait part de pluſieurs
faits particuliers analogues à ces cas , & il
a faitvoir les figures du ſquelette de la
nommée Supiot , ſur la maladie de laquelle
il a fait des remarques curieuſes.
98 MERCURE DE FRANCE.
Le mot de l'Enigme du Mercure du
mois d'Août , eſt Fille. Celui du premier
Logogriphe , eſt Victoire, & celui du ſecondeſt
Infanterie , dans lequel on trouve
tarif , ta ,, Enfer , Irene , Anne ,fat , rétif,
if, air , étain & fer , nef, Teare , rat ,
tiare , ire , Até , Atrée , tyrannie de Denis
, Infant , aire , Saint Jean , Eina , Are
tin , Arné , rien,
J
ENIGME.
E fuis l'ajustement mignon
De laide , ou gentille femelle ,
Sur moi j'attire un oeil fripon
Et jette très-vive étincelle ;
Sous l'aiguille & l'or travaillé ,
J'occupe mondaine & nonette;
Je ſuis l'ame d'une toilette ,
Et tiens ſouvent lieu de beauté;
Si je dépens d'une coquette
Je ſuis rarement à ſon gré ;
Bientôt dédaigné , rejetté ,
Je finis avec la ſoubrette
Qui m'a ſi ſouvent envié.
De Bouffanelle , Capitaine au Régiment de
Cavalerie de Beauvilliers.
SEPTEMBRE. 1753.
و و
LOGOGRYPHE.
Lecteur , dix pieds forment mon être .
Utile à la ville & aux champs ,
Sous les lambris & ſous le hêtre ,
Je ſuis le plus doux pafle- tems :
J'enfante le diſcours frivole ,
Detout caquet je tiens l'école ,
On me trouve juſqu'aux enfers ;
Jadis je ſçus donner des fers
Aun Héros : mais je m'arrête ,
Paſſons à des êtres divers.
Joins , romps mes pieds , fais à ta tête :
Je ſuis la fille d'Inachus ,
D'Aaron , Lévite& Prophéte ,
Dumonde la plus grande fête ,
L'aſtre qui ſuccéde à Phébus ,
L'indocile & commune mere ,
De l'univers le ſecond pere ,
L'idole de tous les mortels ,
L'heureux trône des immortels ;
Ce fleuve , Dieu du Paganiſme ,
Une erreur du Mahométiſme ,
Les deux ſens à l'homme ſi chers ,
Un coup de fortune ou revers ;
Cet inſtrument de même forme ,
Plusgrand que celui d'Apollon ,
E ij
100 MERCUREDE FRANCE,
Un crime déreſtable , énorme ,
Un jeu vil , un très-bon poi Ton ;
Ce nombre par qui tout commence;
Certain abus de la finance ,
Undes ſept péchés capitaux ;
Un précepte de l'Evangile ,
L'animal le plus imbécile,
Unde nos précieux canaux;
Une femelle dangereuſe ,
Le nom d'une Tribu fameuſe .
Laplus fatale paffion ,
-Cette plante par tout utile ,
Des hommes le vrai domicile;
L'ennemi de toute boiſſon :
Une petite République ,
Ce cercle étroit & magnifique .
Lecteur, j'ai dit , cherche mon nom.
Bouffanelle.
UTRE.
:
Mon être, cher Lecteur ,conſiſteenpeude
choſe,
Tu peux me deviner ſans être connoisseur ;
Je ſuis un trait malin ,j'ignore mon auteur;
Et ſouventj'inquiéte un quelqu'un qui repoſe:
Ces traits ſeuls fuffiroient pour paroître à tesyeuxt
Mais il eſt cependant une toute plus sûre ,
Par oùpeut-être tu me verras mieux,
همان
SEPTEMBRE. 1753 . 101
Raſsemble bien neufpieds prisde bonne meſure,
Tutrouveras d'abord deux des quatre élémens ;
Le plus mélodieux de tous les inftrumens ;
Ce qui fait quelquefois l'ornement d'une Eglife;
Un homme impertinent que le monde mépriſe ;
Ce qu'on doit rendre à Dieu , ce que craint un
enfant;
Un coquillage , un mont,un Saint,l'être penfant,
Une étoffe de laine , un certain lieu ſous terre ;
Un mot qui coupe court , connu des gens de
guerie;
Ce réduit où dormoit le Prélat de Boileau ;
Une piéce de bois , nécessaire au vaisseau.
En voilà bien aſsez , Lecteur , pour meconnoître.
Cherche donc à préſent ce que je pourrais être.
Q
AUTRE.
Ue feroit ceHéros ſi vanté dans l'Histoire ?
Ce Prince , le vainqueur de tout le genre humain ,
Dont les faits font gravés auTemple de Mémoire ;
Réponds-moi , cher Lecteur , quel ſeroit ſondeftina
Si pour faire ſentir quelle étoit ſa puiſſance ,
Atant de Roisjalouxde ſes plus beaux exploits ,
Il n'eût eu pour ſecours que fon expérience ,
Auroit-il jamais mis l'Orient ſous ſes loix ?
Non , non , mais ſecondé de toute mon audace ,
Ledanger le plus grand n'étoit rien à ſes yeux ,
Eiij
102 MERCURE DE FRANCE :
Et forçant l'ennemi de lui céder la place ,
Il parvint par ma voie au rang des demi Dieux.
Tu vois donc , cher Lecteur , quel eſt mon ap
panage ,
Etque le bon ſuccès m'échappe rarement ;
Si par fois cependant j'ai du deſavantage ,
Malgré tous mes revers , je brille également.
Voici bien plus , ami , pour ton intelligence ,
Cherche dans mes huit pieds l'avant coureur du
jour ,
Un fruit qui vient ſous terre ,un fleuve de Province;
Ce qu'eſt aux yeux d'Iris Pobjet de ſon amour;
Un de ces élemens que connoît le vulgaire ,
Ce qu'on voit plus ſouvent en hyver qu'en été
Ce qu'en confeſſion l'on doit rendre ſincére ;
Un gage très-certain de notre piété ;
Maint homme mépriſé, quoique ſouvent utile ,
Une forte de drap tiſſu groſſierement ;
Un précieux méral , un animal reptile ;
Ce qui fert de lévier le plus communément ;
Je me borne à ces mots , dont un ſeul peut ſuffire
'Ainfi , mon cher Lecteur , devine maintenant ,
Si tu mets àprofit ce que je viens de dire ,
Je ne veux t'en donner que pour un ſeul inſtant.
SEPTEMBRE. 1753. 10
******: **:******
NOUVELLES LITTERAIRES.
ISTOIRE critiquedu calcul des In-
Home contenant la Métaphyſique
& la théorie de ce calcul. Par
M. Saverien. Satius eft de re ipsâ quærere
quam mirari. Seneque. 1753 , brochure
in-4°.
M. Saverien ne ceſse de bien mériter
des Sçavans & de la Nation. Après un ouvrage
auſſi conſidérable que celui qu'il
vient de publier , nous voulons dire ſon
Dictionnaire univerſel de Mathématiques
&de Physique , dont nous avons rendu
compte , il étoit naturel que l'Auteur pric
quelque repos. Mais tel eſt l'avantage
qu'on retire de l'étude des Sciences exactes
, que quand on eſt parvenu au point
que l'Auteur a atteint , rien ne coûte
preſque plus. L'imagination agit alors
avec liberté , parce que les ſecours néceffaires
pour exécuter ſes productions , ne
lui manquent point. L'ouvrage que nous
annonçons aujourd'hui , prouve bien ce
que nous avançons. Il a pour objet ce que
l'eſprit humain a peut- être découvert jufqu'ici
de plus ſublime , & on conviendra
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE .
que pour le mettre à découvert , il falloir
unMathématicien du premier ordre .
M. Saverien ſe plaint d'abord de la
précipitation avec laquelle on a ſaiſi les
opérations du calcul avant que de l'examiner
; précipitation qui a donné lieu aux
objections ſuſcitées pluſieurs fois contre la
certitude de ce calcul. »C'eſt une choſe
■à laquelle on ne ſçauroit faire trop d'at-
> tention , dit- il , que de s'aſſurer bien de
> la vérité d'un principe avant que de
> l'admettre , vérité , qui doit être de na-
»ture à faire impreſſion ſur tous les ef
>>prits. Sans cela, on ne ſçaitla route qu'on
tient , quelque sûre qu'elle paroifle , & on
eſt exposé à être arrêté en chemin pour la
moindre difficulté. C'eſt précisément ce
qui eſt arrivé à l'égard du calcul des Infiniment-
petits. L'Auteur fait enfuite l'Hiftoire
de ce calcul. Il remonte au tems ,
où les premiers Géométres voulurent déterminer
les lignes courbes. M. Saverien
expoſe ici leur méthode .
On trouve de ſuite les découvertes
d'Archimede, de Cavallieri, de Wallis, de
Barrow , & enfin de Leibnitz & de Newton
. Ces découvertes ſont développées
par ordre chronologique des tems & des
connoiſſances ; de forte qu'on voit dans
cer Hiſtoire de M. Saverien cet enchaî
SEPTEMBRE. 1753. 105
nement de vérités , qui ont donné l'être à
un calcul , dont on n'avoit point encore
eu juſqu'ici une idée bien nette. On s'affurera
de ſon véritable objet , en lifant
avec attention cet ouvrage , & on ſçaura
enfin en quoi conſiſte la théorie de ce calcul,
ſa fin , les avantages & ſes inconvéniens.
A propos d'inconvéniens , M. Saverien
en remarque pluſieurs ſur la maniere
dont on compoſe la plupart des
Livres de Mathématiques & de Phyſique ,
il ne viſe à rien moins qu'à une réforme
générale. Nous finirons cet extrait par
ces vûes utiles de l'Auteur , en inferant le
morceau où elles ſont expoſées. » Tant
»qu'ils ( la plupart des Mathématiciens )
>>ne ſe propoſeront de réſoudre que des
» queſtions détachées , des problêmes iſo-
» lés , qui ne demanderont qu'une adreſſe
>> de combinaiſon , ils excelleront. S'agira-
t'il de former un ouvrage , d'établir
>>une théoire , de joindre &d'allier con-
> venablementdes principes ou des pro-
> poſitions ? leur production ſans liaiſon
■&fans nuances, ne ſera plus qu'un monf-
>> trueux aſſemblage de vérités , un cahos
>> d'idées mal aſſorties ,les matériaux épars
>> d'un édifice , & non un bâtiment véri-
» table.
>> Voilà les défauts qui regnent dans le
Ev
106 MERCUREDEFRANCE.
>>plus grand nombre des Livres de Mathe-
>>>matiques. Quelleque foit la cauſe de
>> l'imperfection de ces ouvrages , quant à
>> la forme& à l'ordre , rien n'y eſt à ſa place.
On trouve à la fin ou au milieu du
>>Livre , ce qui auroit dû être au commen-
>> cement. Tout eſt par lambeaux & par
>> coupons , & fur tout ſans gradation de
>> connoiffances. Ce font des ouvrages
> fondus par repriſes , & non d'une ſeule
» & même coulée ; je veux dire par là ,
> qu'on compoſe un Livre endétail , &
> qu'un chapitre eſt achevé avant qu'on
>>>ait formé le plan de celui qui doit fui-
>> vre. Cela forme un recueil de problê-
>> mes ou d'eſpéces de differtations , où
>>rien ne tient. Il est vrai qu'il eſt bien
>>>difficile &bien pénible de ſoutenir dans
>>>ſa tête , ſans s'égarer , tout le plan d'un
>> ouvrage , d'en arranger intellectuelle-
>>ment les parties , & de le mettre dans
» le point de vue où l'eſprit ſeul puiſſe
>>juger de ſon enſemble. Peu de génies
>> ont affez de force pour ſoutenir la con-
>> tention que demande un ſemblable tra-
>> vail. Il faut , outre cela , être bien au-
>>deſſus de ſon ſujet , pour le maîtriſer
>avec cette facilité. C'eſt là cependant
>> le ſeul moyen de rendre un Livre inté-
>>>reſſant & utile; & fi telle étoit la méSEPTEMBRE.
1753 . 107
:
thode des Mathématiciens , on verroit
>> moins de Livres & plus de vérités. Le
>> ſuperfla n'inonderoit pas le nécessaire ,
>>& le tems ſeroit mieux employé pour
>> celui qui écrit ,& pour celui qui étudie.
>>Je développerai ces vérités dans l'ou-
>>vrage que j'ai annoncé ſur la maniere
» d'étudier , d'enſeigner , & de traiter les
«Sciences Mathématiques , & il auroit été
>> à déſirer qu'elles cuſſent été plutôt di-
>> vulguées ; on auroit plus de Sçavans ,
» & moins de diſputes. J'oſe même avan-
>> cer que ſi l'on ne ſe hâte de ſuivre dans
>>les Sciences exactes une route qui foit
>> également lumineuſe & folide , & qu'on
>>veuille ſéparer ou facrifier l'un de ces
>>>avantages à l'autre , où la ſolidité nuira
>>à l'imagination , mere de preſque tou-
>> tes les découvertes , ou l'imagination
>>fera tort au jugement , qui peut ſeul
>>conſtater les découvertes. Cette pre-
>>>miere faculté de l'entendement , ſacri-
>>fiée à l'autre , fera un ſtupide ; & la ſe-
>>conde , ſubjuguée par l'imagination ,
>> formera un inſenſé.
Et plus bas , il ajoute : >> En un mot le
>> vrai art de découvrir les vérités les plus
>>oppoſées , fans nuire aux facultés prin-
>> cipales de l'entendement , c'eſt de ne
>>point ſéparer le lumineux du ſolide , de
E vj
108 MERCURE DE FRANCE .
>>>réunir la clarté à l'évidence , & de ne
>>laiſſer jamais agir l'eſprit ſans lui faire
>> connoître la route qu'il tient.
>Aces ſages attentions , il ſeroit à dé-
>> firer qu'on en joignît une autre , pour le
>>moins auſſi eſſentielle que celles- là ; ce
>> ſeroit de chercher la vérité pour l'amour
>> de la vérité même ; car ſi l'on n'éprouve
» pas en la découvrant une ſatisfaction
capable d'étouffer tous les ſentimens
>> d'orgueil & de dédain , l'eſprit n'eſt
>>point encore aſſez épuré ,& il eſt dan-
>>gereux de vouloir l'éclairer en l'occu-
>>pant d'objets étrangers. Deſcartes fou-
>>>haite qu'on commence par ſe dépouiller
>> de tous les préjugés , afin que l'ame
>> n'ayant aucun intérêt particulier à pren-
>> dre un parti plutôt qu'un autre , fuive
>> celui de la vérité , qui l'affecte alors de
>> la maniere la plus forte & la plus ſenſi-
>>ble. C'eſt dans ce tems que peut agir
l'amour propre , qui ſoutient ſeul dans
les grands travaux , parce qu'il ſera tou-
>>jours ſagement réprimé par la raiſon.
ANATOMIE Chirurgicale , ou deſcription
exacte des parties du corps humain ,
avecdes remarques utiles aux Chirurgiens
dans la pratique de leur art. Publiée cidevant
par M. Palfin , Chirurgien AnaSEPTEMBRE.
1753. 109
tomiſte , & Lecteur en Chirurgie à Gand.
Nouvelle édition , entierement refondue ,
& augmentée d'une Oſtéologie nouvelle.
Par M. A. Petit , Docteur Régent de la Faculté
de Médecine en l'Univerſité de Paris
, & Profeſſeur d'Anatomie & de Chirurgie
, & de l'art des Accouchemens. 2 .
vol. in. 8 °. enrichie d'un grand nombre de
figures en taille-douce. A Paris , chez la
Veuve Cavelier , Libraire , rue S. Jacques ,
au Lys d'or . Le prix eſt de 15 liv. relić.
Le Livre que nous annonçons a de la
réputation : les plus habiles Chirurgiens
de l'Europe en ont toujours fait beaucoup
de cas , & n'ont jamais ceſſé d'en recommander
la lecture à leurs éleves ; il eſt
très-propre à les inſtruire dans l'Anatomie
& à leur donner le goût de la bonne Chirurgie.
Il n'eſt que trop vrai que les détailsAnatomiques
rebutent la plus grande
partie des étudians , & qu'ils les négligent
, parce qu'ils en ignorent l'utilité :
c'eſt donc leur rendre le ſervice le plus fignalé
que d'ajouter à ces détails ce qui
peut ſervir à en faire connoître l'importance
& la néceffité , & c'eſt ce que M.
Palfin a fait avec tout le ſuccès poffible.
M. Petit , Docteur Régent de la Faculté
de Médecine de Paris , & Profeſſeur d'Anatomie
,de Chirurgie &de l'art des ac110
MERCURE DE FRANCE.
T
couchemens , a pris ſoin de cette nouvelle
édition ; il a enrichi le Livre d'un traité
d'Oſtéologie de ſa compoſition que les
connoiffeurs eſtiment.
Les ſoins de M. Petit ne ſont pas bornés
à cette addition : il a encore changé
l'ordre entier de l'Ouvrage qui étoit fort
défectueux , il a corrigé un grand nombre
de fautesde tous les genres qui s'étoient
gliſſées dans l'édition précédente , & il a
augmenté le Livre de plus d'un tiers , par
un grand nombre de remarques utiles &
ſçavantes qu'il y a inferées .
DISSERTATION ſur les Eaux minérales
de Bourbon-Lancy en Bourgogne ,
avec quelques réflexions ſur la ſaignée.Par
Jean-Marie Pinot , Docteur de la Faculté
de Montpellier , Médecin Juré du Roi en
la Ville & Bailliage de Bourbon- Lancy ,
Intendant en ſurvivance des Eaux de la
même Ville , & correſpondant de l'Académie
des Sciences de Dijon.A Dijon , de
l'Imprimerie de Defay. 1753. Un volume
in-12.
Cet Ouvrage contient une bonne analyſe
des Eaux de Bourbon- Lancy , une expoſition
très -ſage des effets qu'elles produiſent
, avec la maniere de les mettre en
uſage. L'Auteur ſe fonde principalement
SEPTEMBRE. 1753 .
,
fur l'expérience & ſur l'obſervation. Il ne
craint pas de braver les préjugés établis
quand il croit que l'intérêt de la vérité
l'exige de lui. Il n'a eu pour but que de
ſe rendre utile aux malades ; & il paroît
très propre à les ſoulager , tant par fon zéle
que par ſes lumieres. Ilpropoſe auffi
diverſes réflexions ſur l'uſage de la ſaignée
, qui font très- ſolides & très -judicieuſes..
RECUEIL des Piéces qui ont remporté
les Prix de l'Académie Royale des
Sciences , depuis leur fondation en 1720,
juſques & compris 1747 ; avec celles qui
y ont concouru. Six volumes in- 4° . avec
figures gravées en taille-douce ; propoſé
par ſouſcription. A Paris , chez Gabriel
Martin , H. L. Guerin & L. F. Delatour ,
rue S. Jacques ; Charles-Antoine Jombert ,
rue Dauphine , Antoine Boudet , rue Saint
Jacques.
L'empreſſement avec lequel les gens de
Lettres ont acquis le Recueil des Mémoires
de l'Académie Royale des Sciences , auffi - tôt
qu'il a été propoſé en ſouſcription , eſt
un témoignage aſſuré de l'eſtime qu'ils font
des ouvrages de cette célébre Académie.
On peut donc préſumer que tout ce qui
eſt relatifà cet importantRecueil, ne peut
112 MERCURE DE FRANCE.
être que favorablement reçu .
C'eſt dans cette confiance que l'on propoſe
aujourd'hui une collection des Pièces
qui ont remporté les Prix de cette même
Académie , depuis leur fondation en 1720,
juſques& compris l'année 1747 .
Toutes ces Piéces avoient été déja rendues
publiques dans les tems qu'elles ont
été couronnées ; mais comme les éditions
de quelques- unes ont été épuisées , &
qu'il étoit devenu depuis long-tems trèsdifficile
de les raſſembler toutes , les Libraires
ſe ſont déterminés à réimprimer
celles dont on ne trouvoit plus d'exemplaires
, & à former du tout un Recueil
en fix volumes in-4°. , avec toutes les figures
qui y ont rapport.
Ils en propoſent deux cens exemplaires
ſeulement en ſouſcription .
Le prix de chaque exemplaire que l'on
voudra affurer par la voye de la ſouſcription
, ſera de 75 liv. en feuilles , dont 42
livres feront payées en ſoufcrivant , & les
33 livres reſtantes , lorſqu'on délivrera le
Recueil complet , c'eſt à-dire , au premier
Octobrede la préſente année 1753 .
On ne délivrera des ſouſcriptions que
juſqu'au premier jour dudit mois d'Octobre
, paflé lequel tems , ceux qui n'auront
pas ſouſcrit , payeront chaque exemplaire
SEPTEMBRE. 1753. 113
en feuilles cent quatre livres.
Les ſouſcripteurs auront ſoin de retirer
leurs exemplaires avant la fin de cette préſente
année , paſſé lequel tems leurs avances
feront perdues ; condition ſans laquel
le cet avantage n'auroit pas été propofé.
LE R. P. Simplicien , fi connu par fon
Hiſtoire des grands Officiers de la Couronne,
ſe diſpoſe à publier l'hiſtoire généa
logique de la maiſon de Mailly. Le défir
qu'a ce ſçavant & laborieux Auteur de
donner à fon Ouvrage tout le prix qu'il
peut avoir , le détermine à joindre à la
généalogie de la maiſon de Mailly, un précis
des généalogies de toutes les maifons
qui ontdes alliances avec elle. Comme un
projet ſi bien conçu ne peut être heureuſement
exécuté que par le concours de
toutes ces maiſons , le Pere Simplicien
leur demande la communication de leurs
titres. Il eſpére que l'honneur de tenir à
une maifon qui remonte aux tems les plus
reculés , & qui a pluſieurs alliances avec
la Famille Royale , déterminera ceux auxquels
fon invitation s'adreſſe, à lui fournir
tous les fecours dont ils ont la diſpoſition .
On pourra les lui adreſſer francs de port ,
aux-Augustins de la Place des Victoires ,
ou les remettre au ſieur Durand , Libraire , 4
114 MERCURE DE FRANCE.
rue S. Jacques , qui eſt chargé de l'impref
ſionde l'Ouvrage.
MEMOIRES ſur la Langue Celtique ,
contenant , tº. l'hiſtoire de cette langue
& une indication des ſources où on
peut la trouver aujourd'hui. 2º. Une defcription
étymologique des villes , rivie.
res , montagnes , forêts , curioſités naturelles
des Gaules , de la meilleure partiede
l'Eſpagne & de l'Italie , de la Grande-Bretagne
, dont les Gaulois ont été les premiers
habitans. 3. Un Dictionnaire Celtique
renfermant tous les termes de cette
Langue. Par M. Bullet , premier Profef.
feur Royal , & Doyen de la Faculté de
Théologie de l'Univerſité de Besançon ,
de l'Académie des Sciences , Belles-Lettres
&Arts de la même Ville. Trois volumes
in-folio, propoſés par ſouſcription.ABefançon
, chezCl. Jof. Daclin.
LeProspectus de ce grand Ouvrage anoncedesconnoiſſances
immenfes &des découvertestout-
à-fait piquantes.Voici à quelles
conditions il ſera permis de jouir de tous
ces avantages. Ce Dictionnaire ſera imprimé
ſur le même papier que le Prospectus
qui eſt bien , & avec un caractere de cicero
neuf à gros oeil . Il aura trois volumes
in-folio, qui contiendront environ 850 pp.
SEPTEMBRE. 1753. IM
On ne ſera admis à ſouſcrire que juſ
qu'au premier Janvier 1754,& l'on payera
en ſouſcrivant , 17. liv.
En Juin 1754 , en reeevant le
premier volume 12
En Juin 1755 , le ſecond vol . 8
En Juin 1756 , le 3º volume 8
TOTAL , 45 liv.
Les Souſcripteurs ſont priés de retirer
les volumes à meſure qu'ils paroîtront , &
tout l'Ouvrage un an après la livraiſon
dudernier volume ; faute de quoi ils per
dront les avances qu'ils auront faites
c'eſt une clauſe expreſſe des conditions
propoſées.
Ceux qui n'auront pas ſouſcrit, payeront
les volumes à raiſon de 24 livres en feuilles
, ce qui formera la ſomme de 72 liv.
Les Souſcripteurs font avertis , qu'outre
les 45 livres auxquelles le prix de cer
Ouvrage eſt porté , ils ſeront obligés de
payer le port de chaque volume à ceux
qui le leur fourniront.
On s'adreſſera pour avoir des ſouſcriptions
, à Paris , chez Briaffon , ou chez Delaguette
, Libraires , rue S. Jacques , ou
chez de Nully , Libraire , au Palais.
OSTEO- GRAPHIE , Ou Deſcription des
osde l'adulte , du fætus , des muſcles , &
16 MERCURE DE FRANCE.
précédée d'une introduction à l'étude des
parties ſolides du corps humain. Par M.
Tarin , Médecin. A Paris , chez Briaſſon ,
rue S. Jacques. 175.3 . in-4°. 2. vol . orné
d'un très-grand nombre de Planches bien
gravées.
>>Nous traiterons , dit M. Tarin , dans
> la premiere partie de cet Ouvrage , de
> l'érat naturel des différentes parties fo-
>>lides ; nous en décrirons les maſſes ,
>>les contours , & tout ce qu'elles préfentent
à leur extérieur ; & pour jet-
>>ter ſur cette partie toute la clarté dont
>>elle eſt ſuſceptible , non- feulement nous
>décrirons de ſuite des parties qui n'ont
»pas été conſidérées ſéparément , mais
>> encore après avoir parcouru tout l'exté
>>rieur de chaque partie en particulier ,
>>nous les préſenterons toutes enſemble
>dans des figures de grandeur naturelle ,
» pour qu'on ſoit plus àportée de juger
>>de leur rapport mutuel, & pour corriger
les défauts des figures des parties
>>qui auront été répréſentées en petit.
» La ſtructure ou la tiſſure de chacune
>>>de ces parties fera le ſujet de la ſeconde
>> partie de notre Ouvrage. Dans la troi-
>> ſieme , nous entrerons dans le détail des
> variétés des parties. Nous traiterons dans
→laquatrième de la maniere dont diffé
SEPTEMBRE. 1.753.
rentes maladies altérent chacune de ces
> parties ; les monftrofités qui les ont
défigurées feront le ſujet de la cinquiéme.
Dans la ſixiéme nous ferons voir les
>> rapports des différentes parties du corps
>>humain avec les mêmes parties des autres
animaux , qui pourront aider à en
» mieux développer la ſtructure. Nous rap .
>>porterons dans la ſeptiéme , les réſultats
>>des différentes expériences faites , foit
fur l'homme à l'occafion de quelques
>>>maladies , ſoit ſur les animaux vivans.
>> Voici comme nous nous y prendrons
» pour exécuter cet Ouvrage. Nous ferons
»entrer autant de figures qu'il ſera nécef-
• faire pour mieux faire ſentir l'extérieur
> des parties , & ce qu'il y a de plus re
>> marquable dans chacune , ſoit par rap-
>> port à celles qui ſont couchées deſſus ,
•&aux autres qui s'y attachent ou qui les
>> traverſent. Nous les donnerons pour cet
>> effet repréſentées chacune ſur autant de
faces qu'il ſera néceſſaire , pour qu'on
»s'en puiſſe former une idée plus juſte
» qu'on ne la peut donner dans la def-
>> cription. Tous les ouvrages qui renfer-
>>>meront des faits intéreſſans & reconnus
>>pour vrais, feront autant de ſources dans
>> lesquelles nous puiſerons pour rappro-
> cher ſous un ſeul point de vue des trag
118 MERCURE DEFRANCE.
vaux épars , & qui paroiſſent ſansuti
lité.
>>Notre Ouvrage pourroit paroître immenſe
, s'il falloit rapporter tout ce qu'il
→y a de vrai dans le grand nombre de trai-
→ tés ſur l'Anatomie. (Voy. la Bibliothé-
→que Anatomique. ) Ce n'eſt pas là ce que
>> nous nous proposons. Nous ne voulons
➡donner quedes élémens , & pour cet ef-
> fet nous choiſirons ſimplement pour chaque
partie les faits les plus effentiels
>d'expérience que le meilleur Auteur aura
>communiqué en ce genre. Quant aux
>obſervations qui ſont des faits qui ne ſe
>> préſentent pas toujours , nous n'en rap-
>>>porterons qu'une ou deux données ſur
> un même fait , par des Auteurs dignes
» de foi , & en même tems confirméespar
→le plus grand nombre.
>>Nous donnerons dans la partie des
> os , les figures de preſque tous les os de
> l'adulte que M. Winflow a bien voulu
> nous communiquer , ſon nom ſuffit pour
» en faire l'éloge ; elles étoient toutes
-dans la proportion d'un ſujet de cinq
> pieds , réduites à deux pieds & demi ;
nous les avons encore fait réduire d'un
>>tiers, pour que le nombre des planches
>>fûtmoinsgrand. Nous avons ajoûté à
cette partie les figuresdu fætus , don
SEPTEMBRE. 1753. 119
nées par M. Albinus , &quelques autres
> que nous avons fait deſſiner d'après na-
>ture. Toutes les figures de la partie des
>>ligamens en général , des cartilages , des
>>>aponévroſes , le feront auſſi dans la ſuite.
Les belles figures des muſcles que
>> nous a données M.Albinus, nous ont fer-
» vi dans la deſcription de ces parties.
>>> Nous nous conduirons de même dans le
>> choix des meilleures planches pour les
>> autres parties , nous réſervant de ſup-
>pléer aux vuides qui ſe trouveront , d'in-
>> corporer dans cet Ouvrage les obſerva-
»tions particulieres que nous avons cu
>occaſion de faire depuis douze ans pen-
>>dant les hyvers que nous avons paffés
> dans ces diſſections , deſquels nous en
• avons employé trois à la Charité , où la
>>grande quantité de cadavres que nous
>>avons ouverts à la ſuite des maladies ,
» nous a fourni un affez grand nombre
>>d'obſervations , tant ſur les variétés des
>> parties , que ſur les maladies. Nous ter-
>> minerons tout l'Ouvrage ſur les parties
>>ſolides , par degrandes planches; nous
>les ferons exécuter d'après les deſſeins
» de grandeur naturelle ; on en verra
> bientôt leſſai ſur les extrêmités ſupé-
> rieures,
1
La Préface eſt ſuivie de deux Difcours
1
120 MERCURE DE FRANCE.
fort longs, fort clairs& fort méthodiques
Le premier donne une idée générale des
parties ſolides du corps humain ,&de leur
proportion ; & le ſecond roule ſur la méthode
qu'on peut ſe propoſer dans l'étude
purement anatomique des parties ſolides
du corps humain. Ces deux Diſcours, ainſi
que le reſte de l'Ouvrage , ont paru d'une
grande utilité à ceux à qui il appartient
d'enjuger.
LES délices du ſentiment ; dédiés à
S. A. S. Madame laDucheſſe d'Orléans. Par
M. le Chevalier de Mouby , de l'Académie
de Dijon. A Paris , chez Jorry , Quai des
Augustins , & Duchesne , rue S. Jacques.
1753. in-12. 2. vol.
LETTRES du Commandeur de ***.
àMademoiſelle de ***, avec les réponſes,
Publiées par M. le Chevalier de Monby.A
Paris , chez les mêmes Libraires, in- 12 .
2. vol.
Le talent de M. le Chevalier de Mouhy
pour les ouvrages d'imagination eſt connu
depuis long- tems. Ceux qu'il préſente aujourd'hui
au Public ne ſont pas inférieurs
àceux qui les ont précédés.On y trouvera
furtout de l'invention , mérite auffi effentiel
que rare dans les Romans modernes .
TRADUCTION
SEPTEMBRE. 1753. 121
la Médecine ,
TRADUCTION des ouvrages d'Aurelius
Cornelius Celſe , fur
par M. Ninnin , Docteur-Régent de la Faculté
de Médecine de Rheims , & Médecin
ordinaire de S. A. S. M. le Comte de Clermont
, Prince du Sang. A Paris , chez
Deſſaint & Saillant , Briaſſon & Thiboust ,
1753. Deux volumes in- 1 2 .
L'ouvrage que nous annonçons a paru
admirable , dit le Traducteur , à tous ceux
qui l'ont lû; & en effet , fi on l'examine
en Grammairien , quelle ſource de mots
choiſis n'y trouve t'on point ? quelle richeſſe
dans les termes de l'Art , quelle pureté
dans le ſtyle , quelle élegance ? le
choix des expreſſions , le tour noble &
concis , l'éloquence , tout marque un Auteur
fleuri. L'Hiſtorien y trouve à profiter
dans le détail des ſectes ,des opinions ,
des découvertes & des noms des anciens
Médecins ; l'Antiquaire ,dans ſes obfervations
ſur le manger , le boire , la diéte ,
&en général ſur toute la gymnaſtique des
Romains ; le Philologue dans la valeur de
leurs poids & de leurs meſures , qui y eſt
mieux marquée que dans aucun autre Auteur
de ce tems- là. Enfin le corps de l'ouvrage
eſt le plus parfait& le plus méthodique
que nous ayons en Latin , de toutes
les parties de la Médecine pratique des
F
122 MERCURE DE FRANCE.
anciens , réduite dans un abregé qui n'eſt
qu'un tiſſu de préceptes , & comparable ,
felon Mahudel , aux inſtituts de Juſtinien.
Cet ouvrage eſt diviſé en huit Livres.
Le premier renferme une Préface fort
étendue , dans laquelle l'Auteur rapporte
l'origine , les progrès de la Médecine , les
differentes ſectes des Médecins , & leurs
differentes opinions. Cette Préface contient
la moitié du Livre , le reſte eſt em.
ployé à donner des préceptes ſur la ma
nierede ſe conſerver en ſanté. Dans le ſecond,
ſont décrits tous les ſignes qui précédent
, qui accompagnent les maladies, &
qui donnent lieu d'eſpérer la guériſon , ou
decraindre la mort du malade. Celſe pafſe
enſuite à la cure des maladies en général;
il rapporte les indications qu'elles préfentent
a remplir & les differens moyens
de les remplir. Tout ce ſecond Livre ne
renferme abſolument que des préceptes
généraux; ce n'eſt que dans le troiſieme
Livre , où il commence à être queſtion des
maladies en particulier. Elles font diviſées
en deux claſſes principales ; en maladies
univerſelles , qui ſemblent attaquer
tout le corps , & en maladies particulieres
qui font propres à chaque partie du corps .
Le troifiéme Livre traite des maladies de
la premiere claffe ;& le quatrième , de cel
SEPTEMBRE. 1753. 123
les de la ſeconde. On trouve au commencement
de celui- ci , un Traité de Splanchnologie
, peu étendu à la vérité , mais
très-intéreſſant , puiſqu'il peut ſervir à
nous donner une idée des connoiſſances
anatomiques des Anciens. Ces quatre premiers
Livres ſont entierement du reſſort
de la Médecine proprement dite ; l'Auteur
n'y parle que des maladies internes , de
leurs cauſes , de leurs ſymptômes & de
leur curation. Les quatre derniers regardent
la Pharmacie & la Chirurgie. La
Pharmacie des Anciens étoit beaucoup
moins étendue quela nôtre. Celſe n'employe
que la moitié de ſon cinquiéme Livre
à décrire les differens remédes , tant
ſimples que compoſés , qui étoient en vogue
de ſon tems , & qu'on appliquoit à
l'extérieur , ou qu'on faiſoit prendre intérieurement
: il traite dans le reſte de ce
Livre & dans le ſuivant , des maladies
qu'on guériffoir , furtout par le ſecours des
médicamens extérieurs : il diviſe aufli ces
maladies endeux claſſes ; en maladies qui
attaquent indiſtinctement toutes les par
ties du corps , & en maladies qui ſont pro..
pres à chaque partie. Il commence par les
differentes eſpéces de playes fimples , fur
leſquelles il s'eſt fort étendu ; it en rapporte
les differens fignes & les differens
Fif
124 MERCURE DE FRANCE.
ſymptômes ; de là il patſe à la curedes ac.
cidens qui accompagnent les bleſſures;
après quoi , il donne le traitement général
des playes , la maniere de les réunir , de
les déterger , de les incarner& de les cicatriſer.
Il parle enſuite des playes qui
font accompagnées d'ulceres , de perdition
de ſubſtance & de contufion. Après les
playes viennent les differentes fortes de
tumeurs & d'ulceres . qui ſont occafionnées
par quelques vices intérieurs , & qui
peuvent naître ſur quelques parties du
corps que ce ſoit ; c'eſt à ces maladies que
ſe borne le cinquiéme Livre. Il s'agit dans
le fixiéme , de celles où l'uſage des topiques
eſt auſſi néceſſaire , mais qui font
propres à certaines parties. Ces maladies
font traitées avec beaucoup de ſoin & d'exactitude
, principalement celles des yeux
&des oreilles. Les Anciens s'étoient ſurtout
attachés aux maladies de ces organes ,
dont les fonctions ſont ſi eſſentielles aux
differens uſages& au bonheur de la vie ; &
ilsn'en avoientrien omisde ce qui pouvoit
en aſſurer la guériſon. Dans le ſeptiéme
& huitiéme Livre , il eſt queſtion de la
Chirurgie proprement dite ; c'eſt-à- dire ,
des maladies qui demandent le ſecours de
lamain &de l'opération. On ſera ſurpris ,
fans doute , de voir àquel point de perSEPTEMBRE.
1753. 125
fection cette partie de la Chirurgie étoit
portée chez les Anciens Nos Chirurgiens
modernes exécutent aujourd'hui peu d'opérations
qu'on ne trouve décrites dans
notre Auteur. M. Boerhave , dans ſa Méthode
d'apprendre la Médecine , avoue
que les opérations de Chirurgie ſe faifoient
du tems de Celſe , avec autant d'habileté
, d'adreſſe&de dextérité qu'aujourd'hui
, & qu'on donne pour nouvelles
quantité des choses qui ſont dans les ouvragesde
cet illuſtre Romain. Il l'appelle
le premier de tous les anciens , & même
des modernes , en fait de Chirurgie. On
trouve décrites dans le ſeptiéme Livre , la
plupart des grandes opérations , telles que
L'opération de la fiſtule à l'anus , de la fiftule
lacrymale , de la cataracte , du ſtaphylome
,de la taille , du bubonocele & des
differentes eſpéces de hernies. On y voit
auſſi une Méthode de retirer les differentes
fortes de traits & de fléches. Ce morceau
eſt des plus curieux , & l'on fent qu'il
part de la main d'un grand Maître. Le
huitiéme Livre concerne les os. Il commence
par un Traité d'Oſtéologie. Viennent
enſuite les maladies des os , la carie ,
les fiffures , les fractures &les luxations.
C'eſt dans ce Livre qu'on trouve la
deſcription du trépan ; il eſt tout- à-fait
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
ſemblable au nôtre. Il paroît même que
les Anciens en faisoient plus d'uſage que
nous. Ils appliquoient ſouvent fur un même
os ,quatre ou cinq couronnes de trépan.
Les fractures &les luxations ne font
pas traitées avec moins de ſoin que la carie
& les fiffures , dont Celſe parle d'une maniere
qui ne laiſſe rien à défirer ; & l'on *
peut dire que ce que l'on trouve de mieux
dans les modernes , au ſujet des maladies
des os', ſemble copié d'après cet Auteur.
Nous terminerons cet article par une
remarque intéreſſante de M. Ninnin
c'eſt celle qu'il fait dans ſa Préface , page
xxvij , au ſujet des caractéres employés
dans les formules de Celſe. Sans cette re
marque , il eſt abſolument impoſſible d'en .
tendre les formules de cet Auteur. Sess
doſes ſont monstrueuſes , ſi l'on croit ce
que dit Rhodius ſur le caractére P , qui
n'a jamais pû déſigner la livre , ainſi que
celui-ci le prétend , mais qui n'est qu'une
abbréviation , dont Celſe ſe ſert pour déſigner
le poids en général , & non la livre.
On en peut juger par la compoſition 28de
l'emplâtre adouciſſant , décrit page 461 .
tome premier.
Prenez de cire , de réſine , de térébenthine
, de chaque P. V. * ; de Ceruſe , P.
viij. *. de litharge d'argent , de recrément
SEPTEMBRE. 1753. 127
de plomb , de chaque P. X. * ; d'huile de
Palme de Chriſt , & de myrrhe , de chaque
, le tiers d'une chopine. Il eſt sûr qu'il
faut lire cette formule de la façon fuivante.
Prenez de cire , de réſine , de térébenthine
, de chaque le poids de cinq deniers
ou cinq drachmes ; de ceruſe , le poids de
huit deniers on huit drachmes ; de litharge
d'argent , de recrément de plomb , de cha
que le poids de dix deniers ou dix drach
mes , &c. Il en eſt de même des autres
formules , qui doivent être toutes lûes de
la même façon . Sans cette remarque judi.
cieuſe de M. Ninnin , on ne peut rien entendre
aux formules de Celſe. Perſonne
n'ignore cependant que dans un ouvrage
de Médecine , les formules ſont la choſe
qu'il importe le plus de connoître au juſte ,
&fur laquelle il eſt le plus dangereux de
ſetromper.
Tel eſt le plan de l'ouvrage , tel qu'on
le trace dans une Préface , qui eſt fort
bien. La Traduction nous a paru faite avec
beaucoup de ſoin & d'intelligence. On
trouvera, auffi dans le texte des corrections
heureuſes . En tout le travail de M. Ninnin
ne peut manquer d'être utile.
TRAITE' raiſonné de la diſtillation ,
F iiij
128 MERCURE DE FRANCE.
ou la diſtillation réduite en principes,
avec un Traité des odeurs ; par M. Dejean,
Distillateur . A Paris , chez Nyon , fils ,
& Guillyn , Quai des Auguſtins , 1753. Un
volume in- 12 .
La diſtillation eſt une des parties les
plus étendues & les plus eſſentielles du
Commerce de la France , parce qu'elle
fournit elle ſeule plus de matieres à diftiller
qu'aucun Pays de l'Europe. La confommation
immenfe qui ſe fait des eauxde-
vie , les préparations ou mêlanges qui
en facilitent ou accélerent le débit , font
des preuves ſans réplique de la néceſſité
de la distillation . Si on fait attention d'ailleurs
à ſes produits agréables , comme de
conferver & de perfectionner toutes les
ſubſtances fur leſquelles elle opére , & à
ſes produits effentiels , comme ce qu'elle
extrait pour la ſanté ,des plantes & des
fleurs , tant aromatiques que vulneraires ;
on trouvera qu'il convient d'accueillir
l'ouvrage d'un Distillateur habile , qui
nous donne d'une maniere claire & méthodique
tous ſes procédés.
MODELES d'éloquence , ou les traits
brillans des Orateurs François les plus célébres
; eſpéce de Rhéthorique , moins en
préceptes qu'en exemples , & où l'on voit
SEPTEMBRE. 1753. 129
l'application qu'ont faite des régles de
l'Art oratoire , ceux qui l'ont poffédé
dans le plus haut degré. Ouvrage propre
aux jeunes Rhétoriciens , & à tous ceux
qui veulent ſe former à l'éloquence de la
Chaire . A Paris , chez Quillau , rue Saint
Jacques , & chez Babuti , fils , Quai des
Augustins , 1753. Un volume in 12 .
C'eſt une Rhétorique dans laquelle on
trouvera des préceptes courts , mais fuffifans
; des exemples longs , mais bien choifis
. L'Auteur a puiſe ſa doctrine dans
Quintilien , Boileau , &c. & les traits dont
il ſe ſert pour la confirmer , ou pour enſeigner
à la mettre en oeuvre ,dans Flechier
, Boffuet , Bourdalou , Maffillon ,
Maſcaron , Larue , Lamotte , le Cardinal
de Polignac , Meſſieurs de Fontenelle ,
Voltaire , Monteſquieu ,le P. de Neuville ,
&c. La Rhétorique de l'Auteur reſſemble
à la Poëtique qu'il nous adonnée il y a
quelques années : les jeunes gens pour qui
les deux collections ont été faites , y trouveront
peu d'épines & beaucoup de rofes.
LES INSTITUTIONS du Droit Fran.
çois, ſuivant l'ordre de celles de Juſtinien ,
accommodées à la Jurisprudence moderne
& aux nouvelles Ordonnances , enrichies
Fy
130 MERCURE DE FRANCE....
d'un grand nombre d'Arrêts du Parlement
de Toulouſe. Par M. Serres , Avocat &
Profeſſeur en Droit François en l'Univerſité
de Montpellier. A Paris , chez de
Nully , Grand' Salle du Palais , à l'Ecu de
France & à la Palme , 1753. Un volume:
in-4° . 10 liv. relié en veau.
COMMENTAIRE fur les nouvelles
Ordonnances , concernant les Donations
les Testamens , le faux principal , faux incident
, & la reconnoiffance des écritures
& fignatures privées en matieres criminelles
, & fur la Déclaration concernant
les cas Prévôtaux ou Préſidiaux , avec des
Sommaires inſtructifs en tête des principaux
articles de la nouvelle Ordonnance
des Subſtitutions. Par feu M. Guy du Rouffraud
de la Combe , Avocat au Parlement .
A Paris , chez le Gras & de Nully , Grand'
Salie du Palais , 1753. Un volume in- 4° .
7 liv. 10 f. relié en veau .
1 SUPPLÉMENT an Recueil de Jurifprudence
Civile du Pays de Droit Ecrit&
Coûtumier , par ordre alphabétique ; édition
de 1746. Par M. Guy du Rouffeaud
de la Combe , Avocat au Parlement ; contenant
les additions & corrections inférées
en la nouvelle édition de 1753. A
SEPTEMBRE. 1753. 131
Paris , chez de Nully , & Compagnie ,
Grand' Salle du Palais , à l'Ecu de France
& à la Palme , 1753. Brochure in-4° . I
liv. 16 f.
TRAITE' de la Goutte , dans lequel
après avoir fait connoître le caractére propre
& les vraies cauſes de cette maladie ,
on indique les moyens les plus sûrs pour
la bien traiter & la guérir radicalement.
Par M. Charles- Louis Siger , Docteur-Régent
de la Faculté de Médecine en l'Univerſité
de Paris. A Paris , chez de Nully ,
Grand' Salle du Palais , à l'Ecu de France
& à la Palme , 1753. Un volume in- 128
zaliv. broché.
M. Gallimard , connu par differens ou
vrages utiles de Mathématiques , vient de
donner une Méthode théorique & pratique ,
d'Arithmétique , d'Algébre & de Géométrie..
C'eſt un petit volume in- 16. où l'on trouvedans
un ordre tres clair & très -métho
dique , 1º. les quatre premieres régles
d'Arithmétique , la régle de Trois , ou de
proportion Géométrique , & les quatre ré
gles des fractions ; 2°. les premieres notions
de l'Algébre avec ſes quatre premie.
res régles ; celles des fractions littérales ,
& pluſieurs problêmes inſtructifs & amu
Fvj
132 MERCURE DEFRANCE:
fans ; 3 °. Les élémens de la Géométrie ,
contenus en dix-huit pro poſitions , & fon
application à differens uſages utiles aux
Arts.
Le zéle de l'Auteur pour le progrès des
Sciences , & pour le public en général , ſe
fait ſentir dans cet ouvrage , par le prix
modique de 8 f. auquel il l'a fixé , afin
d'en rendre l'acquiſition facile à tout le
monde. On le trouve à Paris , chez l'Auteur
rue de la Tiſſerandrie , attenant
l'Enſeigne de la Macq , & chez Ballard ,
rue Saint Jean de Beauvais.
e
,
GUILLYN , Libraire , Quai des Auguſtins
, à Paris , & Compagnie , donnent
avis , que pour procurer aux Sçavans des
Livres d'Allemagne , d'Italie , de Hollande
, d'Angleterre , de France & autres ,
ils tiendront à cet effet dans leur maiſon
de Paris , un magaſin qui fera ouvert toute
l'année ; & à Francfort fur le Mein dans
le Buegaff, à commencer cette préſente
année 1753 , pendant la Foire de Septembre
& les ſuivantes , où ils réuniront les
Livres les plus intéreſſans qui ſe trouvent
dans les Royaumes ſuſdits : ils auront ſoin
d'avoir à leur maiſon de Paris , & pendant
le tems des Foires ſeulement , à leur maifon
de Francfort , tous les Livres nouSEPTEMBRE.
1753. 133
veaux , avec des Catalogues que l'on pourra
confulter , pour ſe procurer ceux que
l'on déſirera avoir , qu'ils feront venir
pour les perſonnes qui leur en donneront
commiſſion.
Ils ſe propoſent auſſi d'avoir des Catalogues
des Biblothéques qui ſe vendent
après décès , ou autrement , que l'on pourra
voir en leurs maiſons de France & d'Allemagne
, ſe chargeant de faire acquérir
les articles qu'on leur demandera , ſe faiſant
un devoir d'être exacts à remplir leurs
engagemens , & à donner tous les éclair.
ciſſeinens dont ils ſeront capables : ils
ofent ſe flatter que dans le dernier cas , on
affranchira les Lettres , ainſi qu'en toutes
occaſions où il ne s'agira que de petits
objets .
Les Libraires aſſociés invitent leurs confreres
des Pays Etrangers & de France ,
de vouloir bien leur donner avis des Livres
nouveaux qu'ils mettent au jour .
N. B. Les Curieux ſont avertis qu'ils
trouveront à la maiſon de Paris , au mois
de Juinde chaque année , des Catalogues
des Livres étrangers , afin qu'ils puiſſent
donner leurs commiſſions juſqu'au 30 du
mois d'Août , pour la Foire de Francfort ,
qui ouvre en Septembre chaque années
& depuis le premier de Décembre , juf134
MERCURE DEFRANCE.
qu'à la fin de Mars , pour la Foire de Pâques.
Les mêmes facilités & correſpondances
ſe trouveront auffi à Dijon , chez Defventes,
Libraire , rue de Condé , à l'image de
la Vierge.
Livres nouvellement arrivés chez Briaſſon ,
:
-Libraire , rue S. Jacques , à la Science.
E
AUXMinérales ( Expériences &Obſervations
ſur les ) traduit du Latin , 4
de Frederic Hoffman , par Coſte , in. 8 °..
Berlin , 1752.
Ebauche des Loix naturelles &du Droit pri
mitif, par Strube de Piermont ,in-4°
Amst. 1744.
Eccard , Jo. Georg. de Origine Germanorum
& Coloniis , in 4°. Gottingæ , 1750 .
Eichel ,Joan. de Experimentis cum Sanguine
, in 4 ° . Erfordiæ , 1749 .
Elémens de la Philoſophie moderne , par Mal--
fuet , in- 12. 2 vol. fig. Amſterd. 1751 .
Elementa Philofophiæ rationalis , in- s .
Burgardiæ , 1751 .
Eloge de quelques Auteurs François , in-8 °.
Dijon , 1742.
Eraſmi , Defid. Epiſtolæ Selectiores , in - 8
Wratislaviæ , 1752 .
3
Erasti , Thæſes de Excommunicationibus ,
in-40. Peſclavii , 1689 .
SEPTEMBRE. 1753. 1355
Erhartus de Belemnitis Suevicis , in - 4 .
Auguft. 1727.
!
Eschborn , Lud. Explicatio Libri Ruth ,
in S. Bambergæ , 1752 .
Eſchenbach , 70. Chrift. Realitas Monadarum
, in-4 . Vifmariæ.
-Id . Univerfum non eſſe Machinam,
in- 4°. Roſtochii.
Esprit humain , ( Traité de l' ) par Crouzas ,
in 48. Bale , 1741 .
Esprit des Loix , ( Source de l' ) par Caſtaneo
, in - 8 ° . Berlin , 1752 .
Effais de Physique , par s'Gravezande , in-
4°. 2. vol. fig. Leyde , 1746 .
parMuffembroek , in-4 . 2. vol. fig.
Eslai historique &philoſophique ſur le Goût ,
par Cartant de la Villate , in- 8 °. 1737.
Sur la bonté de Dieu , là liberté de
l'Homme , & l'origine du mal , traduit de
l'Anglois , de Chubb , in 12. Amst. 1732 .
- Sur la conformité de la Médecine ancienne
& moderne , in- 12 . Amſterdam ,
1749 .
Sur laNobleffede France , par Boullainvilliers
, in- 80 . Amſterd. 1732 .
Etat de la France , dreſſe ſur les Mémoires
des Iniendans des Provinces ; par M. le
Comte de Boullainvilliers , in- 12.8 . vol.
Londres , 1752 .
Eiat des troupes de Prufſfe , in- 8 . Biele ,
1752 .
136 MERCURE DE FRANCE.
Euclides , Henrici Coetſii , in- 88 . Amſterdam
, 1705. fig.
Evénemens fortuits , Piéce qui a remporté le
prixàl'Académie de Berlin , & celles qui
ont concouru , in-4°. Berlin , 1751 .
Euleri L. , Conjectura Phyſica de propagatione
Soni ac Luminis , in-4°. Berolini,
1750.
-Id. Sciencia Navalis , in 4º. fig. 2.
vol . Petropoli , 1749 .
Examen des préjugés légitimes ,par Pajon ,
in- 12. 2. vol. 1673 .
Expédition de Charlemagne pendant ſa jenneffe
, in- 8°. Berlin , 1745.
Expofition des Loix , in- 8°. 2. vol. Paris ,
1751 .
Expoſition du Catéchifme de l'EgliseAngli.
cane , par l'Archevêque de Cantarbery .
in. 8°. Londres , 1722 .
۱
F.
t
FABRICII , Jo . Alb. Bibliotheca Eccleſiaſtica
, in-fol. Hamburgi , 1718.
-Id. Centuria Fabriciorum , in- 8 . 2.
vol. Hamb. 1708. à 1727 .
-Id. Codex Veteris Teſtament. Pſeudepigraphus
, in- 8 °. 2 vol. Hamb. 1722 .
-Id. Fragmenta de Auguſti temporibus,
&c. in-4°. Hamburgi , 1727 .
SEPTEMBRE. 1753. 137
-Id. Jubileum Hamburgenfe , cui accedunt
memoriæ Hamburgenfium , in-
8°. Hamburgi , 1715 .
-Id. Scriptores de Veritate Religionis
Chriftianæ , in - 4°. Hamburgi , 1725 .
-Id. Sylloge Opufculorum , in- 4°.
Hamburgi , 1738 .
Fabricii , Georg. Hiſtoria Sacra , cum notis
Philolog. Theologicis Chronolog. &
Hiſtor. in- 8°. Vaiſſemberg , 1687.
Facciolati , Jac. Orationes variæ , in .
Lipfiæ , 1751 .
Faerni Fabulæ , in- 8 ° . Venetiis , 1559 .
- Les mêmes Lat . & Fr. avec des notes
des figures , in-4°. Londini , 1743 .
Fenelon , Fr. Salignac de la Motte , Telemachus
verfibus redditus , in-8°. 2. vol .
fig . Berolini , 1733 .
Ferrarii , Col. Opera per Fabricium , in- 8°
2. vol. Volfenbutelæ , 1711 .
Ficini , Hygiena Sacra & Mofaica , in. 12.
Filzhoffer , Abr. Balt. de Adminiculis Servitutum
, in -4 °. Erlangæ , 1750.
Fiſchel , Christ . de Arteriis Bronſchialibus
& Esophagiis , in - 4°. Gottingæ , 1743 .
Fiſcheri , Danielis , de Remedio ruſticano
Variolas per Balneum lactis curandas ,
in 4°. Erfordiæ .
Fiſcheri , Jo . Frid. in GrammaticamGracam
obſervationes , in-8°. 2. vol. Lipfiæ,
1751. & 1752,
138 MERCURE DEFRANCE.
Flores Bibliorum ordine alphabetico , in
8°. Vindoboni , 1752 .
Foibleſſe de l'esprit humain ( Traité Philoſophique
de la ) par Huet , in- 12. 1741 .
Formey , Samuel , Elementa Philofophiæ ,
ſeu Medullæ Wolfiano , in- 8°. Berolini ,
1746.
Fortification Françoise, par Rozard , in 4 .
Nuremberg , fig. 1731 .
Fortification nouvelle , par Pfeffinger , in-
8°.fig . la Haye , 1740.
Fracaſtoris ( Hyer.) & aliorum Carmina ,
in- 12. Veronæ , 1740.
-Id. in- So.
Franckenau , Georg. Fr. Palingeneſia , five
de reſſuſcitatione artificiali plantar. ho-
• minum & animalium è ſuis cineribus ,
in-4°. Halæ , 1717 .
Franckii , Jo. Christ. jus Cambiale diverſar.
gentium , cum notis , in- 8°. ffi . 1751 .
Frezenius , Jo. Phil. de Prudentia Paſtorali,
in. 8°. Gottingæ , 1749 .
Freytag , Fr. Goth. Analecta Litteraria ,
in -8°. Lipfiæ , 1750.
-Ejufd. Oratorum & Rhetorum Græ
corum Statuæ , in- 8 . Lipfiæ , 1752 .
Frixius , Elias , de Cura veterum circa
Hærefes , in- 8 ° . Ulmæ , 1736.
Frobefii , Jo. Nic. Introductio in Mathefin,,
in-4°. Helmitad , 1750.
SEPTEMBRE. 1753 139
-Id. Logica Wolfii in Compend. re--
dacta , in- 8 °. Helmstad , 1746..
Froelich , Erafmi , Tentamina de re Nummaria
veteri , in - 4°. Vienne , 1737. fig.
Frontonis , Joan. Epiftolæ & Diflertationes
, &c. ex editione Jo. Alb. Fabricii .
in- 8°. Hamb.
Fueſlini , Jo . Conr. Epiftolæ reformator . &
reſponſæ , in- 8 °. fig . 1742 .
Funccius , Jo. Nic. de virili ætate Latinæ
Linguæ , in- 4 °. 2. vol. Marburgi , 1727 .
-Ejufd. de puerilitia Linguæ Latina,
in-4°. Marburgi , 1736.
- Ejufd. de Stilo Latino & Idea
Epistolarum , necnon Orationum , in
8. Marburgi , 1752 .
Furer , Jo. Guil. Haur. de vocis Comecicæ
ſignificatione , in-4 ° . Altorfii , 17500 )
:
G.
GAUBIUS , Hier. de Formulis , in-8°..
Lugd. Bat. 1752 .
Gehlii , Aug. Gab. de Ordinatione Verborum
Latinorum , in- 4°. Hamb. 1746 .
Gerbezii , Merci , Chronologia Medica
Practica , in- 4° . ffi. 1743 .
Gericke , Petri , Fundamenta Chimiæ , in-
8. Lipfie , 1741 .
Geſta & veftigia Danorum , in-8°. 3. vol.
Lipfiæ, 1740 .
140 MERCURE DE FRANCE.
Giovanii , Germania Princeps , in- 88. 2.
vol.
Glaffey , Ad. Frid. Anecdota in jus publicum
, in- 8° . Lipfiæ , 1734 .
Glaffey , Sigilla Italiæ & Galliæ , in- 4 °. fig .
Lipliæ , 1749 .
Gnuge , Frid. G. Lud. de Clavo Hiſterico,
in-4°. Erfordiæ , 1750.
Gomari , Fr. Opera omnia , in-fol. a. vol.
Amft. 1661 .
Gonne , Jo. Goth. de Evictione Feudi obla-.
ti , in 4°. Erlange , 1751 .
Id . de neutralitate circulorum Imperii
Rom. in- 4°. Erlangæ , 1746.
Gotha Nummaria , autore G. S. Liebe , in
fol. Amſterd. fig. 1730.
Gouvernement Civil , traduit de l'Angloisde
Locke , in 12. 1749 .
Grabe , Jo. G. Henr. de Sale ammoniacali,
in-4°. Erfordiæ , 1750 .
Grabeneri , Chrift . Gott. Evocationes Divinæ
, in 4° . Dreſdæ , 1751 .
Grabii, Joan. Ern. Spicilegium SS. Patrum
ut & Hæreticorum Gr. & Lat. in- 8°. 2.
vol. Oxon. 1714.
Graff. Jo. Chrift. de Attrahentibus , in-4º .
Jenæ.
Id. de Calore in genere , in-40.
Jenæ , 1748 .
Grammaire Allemande & Françoise, par
Pepliers , in- 8 °. Leipfic , 1749 .
SEPTEMBRE. 1753. 141
Grammaire Françoise & Allemande , par
Beautour , in 8 °. Str.sbourg , 1751 .
Grammaire Allemande & Françoise ,par
Gottſched , in- 8 °. Strasbourg , 1753 .
Grashoff, Benig. Chrift. de Antiquitatibus
• Civitatis Mulhuſæ, in- 4°. Lipfiæ, 1749 .
Gratiani , Ant. Mar. de Scriptis invitaMinerva
, in- 4°. 2. vol . Florentiæ , 1745
& 1746 .
Gravii , Gerhardi , Tabulæ Apocalyptica ,
in-fol. Lugd. Bat. 1647.
Gravure ( de la ) & des Estampes en bois&
en taille-douce , in-8 . Berlin , 1712 .
Greve, Arn. Memoria Pauli ab Eitzen ,
in-4 . Hamb. 144.
Grofchii , Jo. And. Definitionis Logica
fundamenta , in 8°. Jenæ , 1750.
Gruner , Chr. Alb. G. Concilium Biblio-
:
thecæ Phyſiologicæ , in-4" . Altorfii ,
1747.
-Ejufd. de Pericardii motus ſanguinis
, in-4 . Altorfii , 1748 .
Gruneri , Jo . Frid. Miscellanea Sacra , in-
49. Jenæ , 1750.
Gruteri , Jani , Lampas ſeu fax Artium
Liberalium , in-fol. 3. vol. Lucæ , 1737.
à1747.
Gude , M. Gof. Ritus Liberos in terram
iſtendi , in- 8º . Zitaviæ , 1727,
Guntzii , Just . God. Obſervationes deHerg
niis , in- 4° . Lipfiæ , 1744.
142 MERCURE DEFRANCE.
Gutbirii , Ægid. Novum Testamentum,
&Lexicon Syriacum, in- 8 °. 3 vol. Hamburgi
, 1674 .
EXTRAIT d'une Lettre de M. D....
àM. de P... , fur un Dictionnaire Anglois
, dans lequel on apprendra à prononcer
cette Langue.
L
AGrammaire Angloiſe de M. Lavery,
Monfieur , vous adéja fait eſtimer fon
Auteur; c'eſt la ſeule où l'on trouve une
ſyntaxe , & avec laquelleon ſe puiſſe pafſer
d'un Maître. Encouragé par le ſuccès,
M. Lavery a imaginé de forcer ceux qui
apprennent l'Anglois , pour l'entendre à
le ſçavoir prononcer. Ilm'acommuniqué
fon projet avant de l'exécuter , & m'a fait
part auſſi de l'exécution. Je vous affure
que j'ai été très-ſurpris de la façon heureuſe
dont il s'eſt tiré d'une entrepriſe
auſſi pénible. Voici ſon plan en deux mots :
àcôté de chaque mot Anglois , il écrit la
maniere dont il ſe prononce , enſorte que
l'on ne peut s'y tromper : par exemple.
... King S. Roy , pron. Kigne.
Ce ſon qui eſt un des plus aiſés à rendre
, me revient par hazard ; mais il n'eſt
pas plus embarraſléde rendre les fons les
plus éloignés de notre prononciation , il
SEPTEMBRE. 1753. I 148
ſe ſert de fignes connus de tout le monde,
tels que les accens , les breves & les longues.
Par le même moyen il faiſoit prononcer
un difcours tout entier à un hom
me qui ne sçavoit pas un mot de la Lan
gue. Voici deux vers de M. Pope , écrits
à ſa façon ; ce ſont les deux premiers de
l'Effai sur la Critique.
Liz-hazarde-to- fé - iff-gré-torr-quânnt-taff-frill
Ap-pire-rinn-rait-tigne-gnârr-rinn dgod-jigne ill.
Pour connoître quelque choſe à cela , il
faudroit avoir une clef très- courte & trèsintelligible
, que l'Auteur ne veut pas
communiquer au public avant de faire
imprimer ſon Livre. Je crois qu'il prendia
le parti de propoſer inceſſamment une
ſouſcription. L'ouvrage eſt fini , & perſonne
n'en étoit plus capable que notre
Auteur ,&c .
ANALYSE du Proſpectus pour la
Quadrature du Cercle.
L
Es trois démonſtrations deGéométrie
queM. le Chevalier de Caufans apropoſé
de faire , font , r , de décrire un
quarré parfaitement égal à un cercle quelconque.
2º. De prouver que le contenu ,
&le contenu du contenu , ſont géométriT144MERCUREDE
FRANCE.
€
quement égaux au contenant ; ce qui n'a
jamais été dit. 3°. D'expliquer le véritable
rapport du diamétre du Cercle à ſa circonférence.
Finalement , la Quadrature
géométrique du Cercle.
Il y auroit un moyen le moins onéreux
& le plus flatteur , afin que du petit au
grand,chacun participât à la gloire de
contribuer à connoître des vérités & des
avantages qui ont été déſirés de tous les
Sçavans dumonde , qui ſeroit des ſouſcriptions
nationales ,& des ſouſcriptions particulieres
de mille livres. Le ſimple aveu
des Souverains, par leurs Miniſtres , ſuffira
pour les Nationsreſpectives ,&ceux à qui
ilplairade ſouſcrire , ſe feront mettre fur
l'état chez Meſſieurs lesNotaires prépofés
, ſçavoir :
MESSIEURS
Le Verrier , rue de la Monnoye,à ladef
ceme du Pont-neuf.
Aleaume , rue de Condé.
Laideguive , rue des Grands Augustins.
Chomel , rue Pavée , vis à vis la rue Fran.
coife.
Quinquet , très le Marché Saint-Germain.
Boulard , rue S. André des Arts .
Ces Meſſieurs tiendront des Regiſtres
pourParis juſqu'au 15 Septembre.
Pour
SEPTEMBRE. 1753. 145
Pour les Provinces , juſqu'au premier
Octobre.
Pour les Pays étrangers , juſqu'au 15.
Alors , s'il y a foumiſſion pour quatre
mille ſouſcriptions , M le Chevalier de
Cauſans les réaliſera pour cinq cens livres
chacune ès mains des Notaires nommés , le
14 d'Octobre , & ceux qui auront fait
leurs foumiſſions , les réaliſeront pour
mille livres chacune du 15 au 20 ; lef
quels Notaires donneront lors du ſecond
payement, des ſouſcriptions en forme d'acte
de dépôt , comme il ſuit :
Je ſouſſigné Notaire au Châtelet de
Paris , reconnois qu'il m'a été déposé la
ſomme de quinze cens livres , ſçavoir ,
500 liv. par M. le Chevalier de Caufans ,
& 1000 liv. par le Porteur , pour appartenir
& être remiſes , auſſi-tôt après le
Jugement de Meſſieurs de l'Académie des
Sciences de Paris , & des Députés des
Académies des Pays étrangers qui voudront
s'y trouver , dûement ſigné deM.
le Secrétaire de l'Académie , &à moi délivré
par Duplicata fut les trois démonftrations
propoſées par M. le Chevalier de
Caufans , dont copie eſt en tête du préſent
récépiſſé ; ſçavoir , au Porteur , fi le
Jugement eſt contraire audit Sieur Chevalier
de Caufans , ou au Sieur Chevalier
G
146 MERCURE DE FRANCE.
& à fon ordre , ſi ledit Jugement lui eſt
favorable ; & pour ma décharge , le double
du préſent récépiſfé numeroté me
ſera remis acquitté par celui qui aura droit
de recevoir en lui remettant ledit dépôt ,
au moyen de quoi l'autre demeurera nul ,
&c. le 1753 .
Quoique les ſouſcriptions ne ſoient que
de 1000 liv. on rendra 1500 liv. aux conditions
ci-deſſus mentionnées ; on connoîtra
par ce moyen labonne volonté de
ceux qui auront contribué à vérifier des
propofitions auſſi ſurprenantes qu'intéreſſantes;&
du moment que les Souverains
auront agréé les ſouſcriptions nationa.
les , Meſſieurs les Députés des Pays étrangers
pourront ſe rendre à Paris avec un
Certificat , fur la foi duquel M. le Chevalier
de Cauſans fera remettre à chacun
3000 liv. avant les démonſtrations qui ſe
feront le 21 , 22 & 23 d'Octobre . Si on
différe de ſouſcrire juſqu'après les termes
marqués , M. le Chevalier de Cauſans
ſera dégagé de ſa parole. Il fera ufage de
l'Algèbre le moins qu'il ſera poſſible dans
les démonstrations , pour ne pas abuſer de
l'attention des ſpectateurs qui feront à
l'Académie Royale des Sciences à Paris.
Les conditions que M. le Chevalier de
Cauſans propoſe aux Souſcripteurs font
SEPTEMBRE. 1753. 147
Gavantageuſes , que nous ne doutons point
que les ſouſcriptions ne foient bientôt
remplies. Si contre notre eſpérance cela
n'arrivoit pas , l'Auteur reſteroit maître de
la campagne , ce qui eſt après la victoire
ce qui peut arriver de plus glorieux.
,
ETATdes Tables annuelles à compoſer d'a-.
vance , afin d'être ajoutées à celles desEphémérides
, ou de la connoiſſance des tems ,
pour déterminer les longitudes &les latitu
desfurmer.
L
Es plus verſés même dans l'Aſtronomie
, s'ils veulent comprendre la deftination
, l'importance & l'uſage de ces
Tables, font priés de lire le Mémoire publiédans
le ſecond volume du Mercure de
Juin 1753 , les Ephémérides coſmographiques
de 1751 , 6. 21. de 1752 , §. 18 &
19 , & de 1753 , p. 84.
Heure du paſſage diurne de la Lune,
par chacun des 360 méridiens terreſtres ,
diſtans d'un dégré , dont le premier feroit
le méridien de l'Obſervatoire de Paris ,
de même que le premier des 360 méridiens
célestes ſeroit la moitié du colure
des équinoxes , du côté du point d'Ariés ,
où l'Equateur coupe le plan de l'Eclipti-
:
Gij
148 MERCURE DE FRANCE
que,&défigne ſon premier dégré par cet
te ſection.
Une pareille Table pour Saturne , Jupiter
, Mars , Venus & Mercure .
Heure du lever & coucher diurne du
Soleil , de la Lune & des cinq Planettes
majeures , pour chaque degré de longitude
& de latitude boréale & auſtrale , où la
navigation eſt facile ou poſſible.
Etat des principales étoiles qui chaque
jour ſe leveront , ou coucheront , ou médieront
peu avant ou après le Soleil , ou la
Lune ou une des cinq Planettes.
Heure du paſſage diurne de chacun des
méridiens terreſtres ſous des principales
étoiles, ou ſous chacun des 360 méridiens
célestes , du moins fous ceux du Belier ,
de l'Ecreviſſe , de la Balance & du Capricorne
, & encore des Gemeaux , du Taureau,
du Lion, de la Vierge, du Scorpion,
du Sagittaire , du Verſeau , des Poiffons .
Heure diurne où ces étoiles ſe trouveront
au zenith des angles ou des ſections
des 360 méridiens terreſtres , avec chacun
des 76 paralléles de latitude boréale &
auſtrale , les 14 autres n'étant pas navigables
probablement.
Heure des éclipſes diurues des 4 ſatellices
de Jupiter pour chacun de ces 360
méridiens.
SEPTEMBRE. 1753. 149
C'eſt propoſer bien du travail pour chaque
année , encore plus que de la dépenſe;
qu'est-ce en comparaiſon de l'intérêt
qu'ont toutes les Puiſſances maritimes , les
Négocians ſur mer,& les Marins, à la compoſition
de ces Tables ? toutes ne ſont pas
également eſſentielles pour s'aſſurer des
longitudes & latitudes ſur mer : mais loin
d'en diminuer la liſte , il faudroit la dowbler
& tripler , indépendamment de cette
découverte ; en pourroit-on compofer
trop , pour aſſurer la navigation mieux
que par la bouſſole ,& pourperfectionner
P'Aſtronomie , ou pour procurer aux Pilores
& aux Obſervateurs la même facilité ,
& le même ſervice que rendent aux Calculateursdetoute
eſpéce, les Comptes faits
de Barrême , & les Livres ſemblables d'Arithmétique
?
La fonction de ces eſpèces de compres
faits pour l'Aſtronomie ſeroit bien plus
avantageuſe , ſi c'eſt à l'exacte compofition
, à la publicité anticipée , & à l'uſage
de ces Tables annuelles ,que tient l'importante
connoiffance des longitudes en
mer, comme au vrai & unique moyen *
*En liſant au Dictionnaire Univerſel l'article
Hiftiodromie ; ce moyen ſi ſimple , quoique fort
laborieux chaque année pour deux ou trois Aſtronomes
, ſera ſeul reconnu excellent , & n'avoir
Giij 1
ISO MERCURE DE FRANCE.
dont elle a dépendu : fans s'en douter plus
qu'avant les Comptes de Barrême , on n'imaginoit
la facilité de faire toutes fortes
de calculs , ſans être fort exercé dans l'Arithmétique
.
Ces nouvelles Tables ne feront pas
moins utiles pour l'avantage & la perfection
de la Géographie & del'Aſtronomie
quede la navigation ,& feront même plus
exactes &faciles fans comparaifon , pour
les plages de mer que des continens ; s'il
eſt vrai& incontestable que le niveau de
l'Océan formant un cylindroïde terminé
par des continens , tous les degrés de longitude
font égaux fur mer , comme tous
inégaux fur les continens , à proportion
de la courbure & élevation de leur fol ,
au deſſus du niveau marin , ſi par même
raiſon , tous les degrés de latitude doivent
avoir fur l'Océan une égale étendue , du
moins entre le ſoixante- feiziéme degré de
latitude boréale & auſtrale.
On verta dans les Ephémérides cofmographiques
de 1754 , que le degré de
J'Equateur ne peut être que de 37607 &
demie toiſes au fommet de la montagne
des Cordelieres , où le degréde latitude a
été trouvé de 56748 toiſes , fi ce ſommet
jamais été propoſé, ni conçu dans la même perfection.
SEPTEMBRE. 1753 . 151
eſt élevé de 2450 toiſes au-deſſus du niveau
marin; que le degré de l'Equateur
fur l'Océan , ne doit être que de 37440
toiſes , comme au paralléle de Paris , fuppoſé
que ſon ſol ſoit élevé de 30 toiſes
préciſes ſur ce niveau qui eſt égal. Bien
loin d'être plus élevé de 512 lieuës fous
l'Equateur , qu'au paralléle , comme l'exigeroit
une étendue plus grande dans le
diamétre de l'équinoxial , que dans celui
des méridiens , quelque modique qu'elle
fût.
ON VIENT de diſtribuer depuis quel.
ques jours une prétendue nouvelle édition
du fiécle de Louis XIV. en deux gros volumes
, ſous le titre de Berlin , 1753 .
Nous nous croyons obligés de prévenir le
Publicque cette édition eſt très-informe ,
& qu'iln'y a eu juſqu'à préſent d'éditions
complettesde ce Livre , que celles qui ſont
ſous le titre de Leipfic , en quatre parties
grand in- 12.& en quatre parties petit in-
12. & qui ſe trouvent àParis , chez Lambert
, Libraire , rue & à côté de la Comé
die Françoiſe , au Parnaſſe.
G
152 MERCURE DE FRANCE:
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
BEAUX
M
OYREAU ,
ARTS.
Graveur du Roi ,
vient de mettre au jour une nouvelle
Eſtampe , intitulée la Fontaine du
Dauphin , qu'il a gravée d'après Pierre
Wouvermens. LeTableau original eſt au
Cabinet de M. Peilhon, Secrétaire du Roi.
C'eſt le 74°. Nº. de ſa ſuite ; ſa demeure
eſt rue des Mathurins , la quatriéme porte
cochere à gauche , en entrant par la rue de
Ja Harpe.
M. l'Abbé de la Grive , Géographe de
la ville de Paris , vient de mettre au jour
un plan des boſquets & jardins de Marly ,
&un autre demême grandeur des boſquets
deVerſailles . Chacun de ces deux pendans
eſt accompagné d'une Table ou état des
morceaux de Sculpture , dont ces jardins
font décorés ; & cet état eſt arrangé de forre
, qu'en le fuivant par ordre on peut parcourir
tous les boſquets ſans revenir ſur
ſes pas. Ces plans qui n'ont qu'environ
15 pouces fur 10 , ſe débiteront auffi imprimés
ſur peau , pour être portés dans la
poche. Il vient auſſi de renouveller ſon
plan de Paris , & y a mis l'emplacement
SEPTEMBRE. 1753 . 153
de la ſtatue de Louis XV. l'eſplanade des
Invalides , telle qu'elle eſt aujourd'hui ,
& la portion de l'Ecole Militaire qui a
pû y entrer. Il vient de graver à part le
plan de cette Ecole en entier.
Le ſieur Lepaute , encouragé par le
ſuccès qu'il eut à Marly le 23 Mai dernier ,
à l'occaſion d'une fonnerie fans rouage ni
cadrature , & d'une pendule à ſecondes
qu'il eut l'honneur de faire voir à Sa Majeſté
, lui a préſenté ces jours derniers une
montte qu'il vient d'exécuter ſur les principes
de cette pendule.
Le mérite de ces deux piéces confifte
principalement dans l'échappement ; il y
a néanmoins d'autres avantages particuliers
à l'une & à l'autre qui ne font pas
médiocres , & qui doivent les faire rechercher.
La Pendule eſt de la conſtruction ordinaire
: l'Auteur y a adapté un échappement
en repos mû par des chevilles , qui
tombent alternativement ſur un ancre ,
dont les deux leviers font égaux & naturels.
A l'égard de la montre en queſtion ,
l'Auteur a réduit le même échappement&
l'y a appliqué avec ſuccès. Il a de plus
trouvé le moyen de ſupprimer entierement
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
la potence&contre- potence que l'on ſçait
être compoſées de huit piéces , en plaçant
l'un des pivots de l'échappement dans la
platine des piliers , & l'autre à l'ordinairedans
le cocq.
Rien de ſi ſimple & de ſi facile pour
l'exécution, que les montres de cette conftruction
: les régles en ſont auſſi infaillibles
que faciles. L'échappement ſe trouve
exempt de renverſement , d'accrochement
&de bartement ; & les chûtes qui n'arrivent
que trop fréquemment aux montres
nepeuvent y caufer aucun défordre ; on
ne courroit riſque que de caffer un des
pivots du balancier , qui ſeroit réparé dans
un inſtant fans que la montre en reçût aucun
échec fàcheux.
M. Lepaure a préſenté à l'Académie des
Sciences les deux ouvrages dont nous venous
de parler , & il y a développé fon
mechaniſme , qu'il a avoué avec candeur
avoir trouvé en partie dans le Traité fi
connu de M. Thiout , célébre Horloger.
M. Thiout ſe piquera , ſans doute
de la même juſtice , & il conviendra qu'il
y a du mérite à avoir réduit en pratique ,
une idée qui n'avoit jamais été exécutée.
4
On peut voir aux Ternes , maiſon de
campagne de M. Maſſe , une Horloge horiſontale
de la conſtruction dumême ſieur
SEPTEMBRE. 1753. rss
Lepaute. Cette piéce ſonne les heures &
les quarts : elle a l'avantage d'être la premiere
de ce genre qui marque les heures ,
les minutes & les ſecondes au centre . Le
Propriétaire de cette maiſon a jugé cet ouvrage
ſi digne de ſon attention , qu'il a
fait toutes fortes de dépenſes pour ſa confervation
& ſa décoration. On voit une
glace à l'extérieur ſur le cadran pour garantir
les éguilles des révolutionsde l'air.
J
LETTREà l'Auteur du Mercure.
3
E vous prie , Monfieur , de vouloir
bien,par votre plus prochain Journal ,
déſabuſer le Public fur l'impreſſion qu'a
pû faire l'annonce de ma Carte du Canada
, dans votre Mercure de Juiller.
Mon intention , Monfieur , n'a pas été
de faire entendre que j'euſſe reçu aucun
mémoire du Ministere.
۱
Quant à ce qui conſtitue le travail de ma
Carte , je me ſuis fait un devoir de raffembler
fur cette partie ce que j'ai connu
de meilleur , tant dans les morceaux déja
publiés que dans les manufcrits dont j'ai
cu connoiffance. Je me garderai bien de
m'arroger pour cela aucune ſupériorité ſur
ceux qui ont couru la même carriere que
moi ,& dont je reconnois tout le mérite.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
Le Public a leurs ouvrages entre ſes mains,
ainſi que le mien , c'eſt à lui ſeul à en juger.
J'ai l'honneur d'être , &c .
D
Robert de Vaugondy.
CHANSON.
E Tircis ou, de moi , quel ſera le vainqueur
Sur cette innocente fougere ,
Ce ſoir mon aimable Bergere
Doit du plus amoureux récompenſfer l'ardeur
Eh! comment puis-je me méprendre
Dans l'excès de mon bonheur ?.
C'eſt à moi qu'elle ſe va rendre ,
Si j'en juge par mon coeur ,
ralens
qu'on
SEPTEMBRE. 1753. 157
۱۰
5252525252
SPECTACLES.
'Académie Royale deMuſique a ceflé
Llesrepresentations desFees Grecques
Romaines , de l'Acte de Pygmalion , du
Chinois , de l'Acte du Bal , & de la Bohêmienne
, pour remettre au Théatre leBallea
des Fêtes do Polymnie , premier ouvrage lyrique
de M. de Cahuſac , de l'Académie
Royale des Sciences & Belles Lettres de
Pruſſe , mis en muſique par M. Rameau
& répréſentée pour la premiere fois le 10
Octobre 1745 .
CetOpéra eſt rempli des plus grandes
beautés , & autant qu'on peut en juger
par une premiere répréſentation , elles ont
été ſenties. Les rôles d'Hebé & d'Argalie
en ſont remplis au premier &dernier acte,
par Mile Fel , qui y met toutes les
graces & l'expreffion du chant François.
Celui de Stratonice , dans le deuxième acte
, eſt très-bien joué par Mlle Chevalier.
M. de Chaffé répand beaucoup de pathetiquedans
celui de Seleucus , dans le même
acte , & M. Poirier qui eft chargé des rôles
d'Alcide & d'Antiochus , dans le premier
acte & le ſecond , y développe, des
ralens qu'il eſt à ſouhaiter qu'on cultive &
qu'on encourage.
,
158 MERCURE DEFRANCE.
On rendra un compte plus exact de cet
Ouvrage& de ſon ſuccès,dans le Mercuse
prochain .
Les Comédiens Italiens ont donné le
Jeudi deux Août , la premiere répréſentation
des Femmes , Comédie- Ballet. La Comédie
eſt certainement d'un homme d'efprit
, & l'idée du Ballet eſt très-piquante.
Le Samedi quatre , on donna ſur le même
théatre les Amours de Bastien & de Bastienne
, Parodie tout-à fait plaiſante & véritablement
comique du Devin du Village.
On a ajoûté à ces deux Piéces leJoueur, Interméde
Italien , que M. Sodi a remis affez
heureuſement en muſique , pour qu'on y
ait eu du plaiſir , après avoir entendu celui
qui a été donné à l'Opéra. Ces trois Ouvrages
réunis forment un ſpectacle qui at.
tire tout Paris. Voici des Vers qu'on a addreſſés
à Mile Favart , Actrice charmante ,
&un des Auteurs de la parodie du Devin
du Village.
A MLLE FAVART ,
Sur les Amours de Bastien & de Bastienne.
Toi , dont les accens flatteurs
Prétent des charmes enchanteurs,
Al'ingénieuſe harmonie
SEPTEMBRE. 1753. 199
:
Des ſons brillans de l'Italie ;
Unique& charmante Favart ,
Toi , qui toujours d'une main fire ,
Sçais ſi bien ajuſter les agrémens de l'art ,
Aux naïves beautés de la ſimple nature :
C'étoit trop peu pour toi de voir le ſpectateur
T'applaudir ſur la ſcene&te rendre juſtice ,
Tu veux encore aux lauriers de l'Actrice
Unir les lauriers de l'Autent,
Ton coup d'eſſai ravit notre fuffrage ;
Vois le ſuivi du plus brillant ſuccès ,
Vois le plaiſir que en nous fais ,
Et jouis de ton propre ouvrage.
Pour ajouter à ce nouvel honneur
Tu n'as plus qu'à ſuivre res traces :
D'Aarice inimitable , & d'agréable Auteur
On te connoît & l'eſprit & les graces ;
Il ne reſteroic plus qu'à connoître ton coeur.
Mais ſur ce pointilfaut ſe taire ,
Ton époux ſeul en connoît tout le prix :
Pour tout autre c'eſt un myſtère ;
Et cemyſtère au ſein des amours & des ris ,
De ton portrait ouvrage de leur mere ,
Rend immortel le rare coloris.
GAUBIER ,
Ancien Valet de Chambre
duRoi.
160 MERCURE DE FRANCE.
EXTRAIT des Fêtes des environs de
Paris , Parodie des Fêtes Grecques &Romaines
, répréſentées aux Italiensle Mer.
credi quatre Juillet.
Dans le premier acte , la ſcene ſe paſle
à Charenton , ſur les bords de la Seine :
Duraillon , Receveur de la terre d'un Frnancier
, vient avecGrippet, fon Commis,
pour recevoir de l'argent de la Meuniere
Farinette , qui en doit beaucoup , & à laquelle
on a donné une affignation . Grippet
exhorte Dutaillon à ne ſe pas laiſſer éblouir
par les charmes de la Meûniere , dont on
vante beaucoup les attraits ; Dutaillon ,
qui ſecroit un coeur de roche , dit qu'il
n'aime que la bouteille , & qu'il verra la
Meûniere fd'un air tranquille. Farinette
après avoir fait précéder ſon arrivée d'an
divertiſſement de Meûniers & de Meûnieres
, s'avance d'un air humble , & dit à
Dutaillon :
Je viens à vos genoux ,
Monfieur , confentirez-vous
Am'entendre ?
Dutailion.
Ai qu'elle a l'air tendre !
Qui,levez-vous.
SEPTEMBRE. 1753 . 161
Farinette.
Je vous apporte tout mon argent,
Mon bail me ruine abſolument ,
Etce Placer
Va bientôt vous mettre au fait.
Dutaillon prenant le Placet.
Donnez , je le lirai ,
Je me charge de l'affaire ,
Ma chere ,
Pour vous je ferai
Ceque je pourrai.
Dutaillon lifant , air : deJoconde.
AMonfieur , Monfieur d'Orpeſane ,
Ceci fort mal commence ,
Oſe ſupplier humblement :
Point affez de diſtance , 5
Il faudroit mettre à Monſeigneur
Tout au haut de la page ,
Car à tout Seigneur tout honneur ,
D'ailleurs c'eſt un uſage.
Farinette , air : Pour foumettre mon amo
Jedemande justice ,
Je ſuis fans protection ;
L'on me dit par malice ,
La plus richedu canton :
Monfieur , j'ai bien quelque choſe ,
162 MERCURE DE FRANCE.
Mais les tems ſont ſi fâcheux
Que je ne puis & je n'ofe
Faire tout ce que je veux.
Farinette , air : les Fleurettes .
Il eſt vrai qu'à mon aiſe ,
Si je l'euſſe voulu ,
J'aurois , ne vous déplaiſe
Unjoli revenu ;
Mais juſqu'ici peu coquette ,
Loin de vouloir l'écouter ,
J'ai toujours ſçû réſiſter
Ala fleurette .
ร
Farinette fait enſuite préſent à M. le
Receveur , d'un tonneau de vin rare , &
donne quatre lonis au Commis : Dutaillon
ſéduit par les agaceries de la Meuniere
conſent à lui rendre ſon argent ; il accepte
ſon vin , pourvû que dans le jour elle
veuille boire avec lui tête-à-tête. Farinette
après quelques façons , dit :
ACharenton ,
Venez , vous en êtes le Maître
Nousy rirons ,
Et nous verrons
Si tous deux nous nous conviendrons.
Dutaillon , air : Spera forfan.
C'eſt combler mesdéſirs ;
SEPTEMBRE. 1753. 163
Ah! que de doux plaifirs
Naîtrontde mes ſoupirs ,
Et de nos loiſirs !
Oui , je vais pour toujours ,
Puiſſant Dieu des amours ,
Te conſacrer le cours
De mes plus beaux jours ;
Puiſque tout mon bonheur
Dépend de mon ardeur ,
Pour jamais ſur mon coeur
Regne , amour enchanteur :
Tout à toi déſormais ,
Adoranttes bienfaits ,
Et ſoumis à tes loix ,
Je dirai mille fois :
Puiſque tout mon bonheur
Dépend de mon ardeur ,
Pour jamais ſur moncoeur
Regne , amour enchanteur ,
Regne , amour , amour , amour enchanteur ,
Amour , amour , amour , amour enchanteur ,
D'un eſpoir fi flatteur ,
En m'offrant la douceur,
Ah ! c'eſt une faveur
Qui me rendra vainqueur ;
Etdéja dans vos yeux ,
Où je vois les Cieux ,
Je lis un fort heureux.
C'eſt combler mes défirs , &c.
164 MERCURE DE FRANCE.
L'Acte finit par une ronde générale.
ACTE SECOND.
Le Théatre repréſente un jardin ,audeſſus
de la porte duquel eſt écrit en gros
caractére : Jardin de l'Arquebus..
Egléfeale , fur l'air : Des Sabotiers Italiens.
Σ
Loin d'écouter l'ardeur
De mon coeur ,
Que n'avois-je d'un trompeur
Peur ?
N'ai-je pû dans ſes yeux
Lire mieux ?
J'étois de ſi bonne foi ,
Moi ;
De ſes ſermens
Fréquens ,
Je doute long-tems;
Jecéde enfin
A mon malheureux deſtin:
Funeſte jour !
Ah, cruel Amour !
Tu me réſervois ce trait,
Prêt ,
Avec éclar
Me quitte l'ingrat !
Quand tout rioit à ſes voeux ;
Dieux- !
SEPTEMBRE. 1753. 165
Liſette , amie d'Eglé , l'exhorte envain
àprendre un nouvel amant , & à oublier
l'infidélité de Viſembrette , Chevalier Gafcon;
Eglé en demeure toujours inconfolable.
Viſembrette arrive avec Pezenas :
Eglé fort pour l'écouter , & elle entend
avec peine l'éloge de l'inconſtance que ne
ceſſe de faire Viſembrette , en annonçant
qu'il a aimé trois differentes femmes depuis
Eglé , & qu'il vient de donner ſon
coeur à Nanette. Eglé revient faire les reproches
les plus vifs àViſembrette , qui
la reçoit en petit- maître ; elle le quitte en
voyant la porte du jardin s'ouvrir , d'où
l'on voit fortir les Chevaliers de l'Arquebuſe
deux à deux , armés de fufils , portant
des drapeaux , & un blanc couronné
de lauriers. La marche commence au fon
des trompettes , timbales , tambours , fifres
, &c. Les Chevaliers ſont ornés de
rubans , & ſuivis de coureurs & de ſauteurs
, qui viennent tous faire compliment
à Viſembrette , ſur le prix de l'Arquebuſe
qu'il a remporté. Nanette qui vient enſuite
à la tête de jeunes payſannes , acheve
le triomphe de Viſembrette , en lui préfentant
une couronne de laurier.
Nanette à Viſembrette. Air , la Royale.
De cesjeux , vous avez cu la gloire ;
166 MERCURE DE FRANCE.
Nous a llons au mieux
Chanter votre victoire ,
▲grands choeurs ;
L'on ne peut s'en défendre ;
Vous allez l'entendre ;
Nous voulons vous rendre
Tous les honneurs ,
Au fon des muſettes,
Au bruit des trompettes ,
Tout à la fois.
Viſembrette , vivement.
Ah , point de muſettes ,
Je veux des trompettes ,
Sij'ai le choix.
Nanette lui préſentant la couronne.
Commencez
Par prendre la couronne.
T
La marche recommence ; Viſembrette
ſe place ſous les drapeaux , & s'en va au
bruitdes trompettes , tambours & timbales.
Le divertiſſement finit l'Acte.
АСТЕ 11Ι.
Le Théatre repréſente unbeau jardin ,
où l'on a préparé une fête : le jardin eſt
en avant d'une jolie maiſon de campagne
qui donne ſur le Petit- Bezons , où il y a
une Foire.
SEPTEMBRE. 1753. 167
Cenie ouvre la Scéne avec Martin , à
qui elle avoue ſon penchant pour Damon ,
dont elle eſt également aimée. Ce Damon
eſt un homme de condition qui s'eft déguiſé
en valet , & eſt entré au ſervice de
Cenie , pour découvrir ſi elle n'a point
d'autre inclination. Cenie l'appercevant
ſous un habit de livrée , dit à Martin , fur
l'air : Chantez petit Colin.
,
Mais je le vois venir ,
Il craindra ta préſence ;
Fais ſemblant de ſortir
Et laiſſe- moi l'entretenir,
Je veux de ſon filence
Forcer la réſiſtance ,
Et pour un moment
Feindre un ſentiment
Pour un autre amant.
:
Elle s'éloigne un peu , & fait ſemblant
de ſe promener.
Damon dans l'éloignement , air : DeM. de
Mondonville, dans l'Iſbé , Nº. 9.
Ah, qu'elle est belle !
Puis-je approcher ?
L'amant fidéle ,
Doit- il ſe cacher ?
Tendre & fincére ,
Pourrois-je , hélas !
168 MERCURE DEFRANCE .
Encor me taire ;
Non , non , volons ſur ſes pas.
Ah , qu'elle eſt belle !
Puis - je approcher ?
L'amant fidéle
Doit-ilſe cacher ?
Dieu d'amour ,
Triomphe en cejour;
Ses beaux yeux
Redoublent mes feux.
Ah , qu'elle est belle !
1
Puis je approcher ?
L'amant fidéle,
Doit- ilſe cacher ?
:
Cenie indifferemment air : Ne m'entendez
vouspas.
Vous venez àpropos ,
J'ai juſtement , la France ,
D'un ſecret d'importance
A vous dire deux mots,
Vous venez à propos.
Air : De s'engager , il n'est que trop facile.
J'ai pluſieurs fois remarque votre zéle ,
Et je cherchois à vous entretenir.
1
Damon.
Il n'enfera jamais de plus fidèle :
Dites un mor,je ſuis prêtd'obéir.
Cenie
SEPTEMBRE. 1753. 169
Cenie air : Aimons-nous , belle Thémire.
Vous me ferez néceſſaire.
Damon .
Parlez , pour vous que puis-je faire ?
Je n'aſpire qu'à vous plaire.
Cenie.
Je veux..... hélas!
Damon.
Pourquoi cet embarras ? :
Cenie , air: De mon berger volage ,j'entens.
le chalumeau.
Juſqu'ici ſans alarmes ,
Dans le ſein de la paix ;
De l'amour , de ſes charmes
J'ai bravé tous les traits ;
Mais d'une indifference
Qui fit tous mes plaiſirs ,
L'Amour , l'Amour s'offenſe ,
Etcauſe mes ſoupirs.
Damon inquiet , air : Quoi , vouspartezfans
que rien vous arrête.
Quoi , vous aimez , voilà donc ce myſtéret
Cenie , & Dieux !
àpart.
N'a point connu mes feux;
H
170 MERCURE DEFRANCE.
Et cet amant ,
à Cenie avec vivacité.
Sans doute, a ſçu vous plaire a
L'Amour , ſans doute , a ſçu le rendre heureux
Quoi , vous aimez ! voilà donc ce myſtére ?
Cenie , ô Dieux ! n'a point connu mes feux.
Cenie , air : Si des galans de la ville.
L'aimable Dieu de Cythere
N'a pas toujours un bandeau ;
Le choix qu'il a ſçu me faire
Me flate autant qu'il eſt beau:
Mon amant eſt ſon image ,
Ce Dieu me dit de l'aimer ;
Par ſon plus parfait onvrage,
Puis je ne pas m'enflâmer ?
L'aimable Dieu de Cythére
N'a pas toujours un bandeau ,
Le choix qu'il a ſçu me faire ,
Me flate autant qu'il eſt beau.
Sans vous je ne puis l'inſtruire ,
Il ignore mon ardeur :
Dans mes yeux s'il ſçavoit lire ,
Ily liroit fou bonheur.
L'aimable Dieu de Cythère , &c.
Damon , air : Le bonheur de ma vie n'a duré
qu'un inftant.
Trop funeſtes amours ,
Inutile eſpérance.
SEPTEMBRE . 1753. 171
Cenie.
Quel est donc ce diſcours ?
Que dites - vous , la France
Damon.
Oui , vous m'êtes ravie ;
J'en mourrai , je le ſens ;
Le malheur de ma vie
Naît de mes ſentimens.
Cente , air : Pour héritage.
De ma ſurpriſe
Je ne puis revenir ;
Je me ſuismile
Dans le cas d'en rougir,
De me fecrets
Abuſant , téméraire ,
Mais ſçachez éteindre , ou me taire
Ces feux indifferens .
Damon , air : Votre coeur , aimable Aurore.
J'ai long- tems ſçu le contraindre,
Ce feu qui fait mon plaiſir ,
Quoique j'eufle tout à craindre ,
Mon coeur l'a voulu nourrir ,
Et s'il peut jamais l'éteindre ,
C'eſt par ſondernier ſoupir.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
Cenie , air : Dans l'objet qu'on aime,
A l'objet que j'aime ,
Je veux qu'en ce jour
Vous alliez vous-même ,
Vous-même exprimer mon amour.
Vous alliez , &c.
Damon , air : Le Seigneur Turc araiſon.
Non , non, c'eſt trop m'outrager ,
Ma rage eſt extrême.
Cenie.
Où courez - vous ?
Damon.
Me vanger,
Cenie.
Quoi , du ſeul objet que j'aime ?
Damon,
Il va tomber fous mescoups.
:
Cenie.
Eh bien , cruel , vangez - vous ,
Vangez-vous... ſur vous- même,
Damon tranſporté de joie , ſe jette aux
genoux de Cenie. Le Théatre change ; il
repréſente une illumination de toute forte
de couleurs, & le Spectacle finit par un divertiſſement
comique qui est très-joli.
SEPTEMBRE. 1753. 173
L'Opéra Comique a donné , le Lundi
30 Juillet , la premiere repréſentation des
Troqueurs , intermede en un Aste . Voici
F'idée du Poëme qui eſt de M Vadé.
PERSONNAGES.
Lubin , amant de Margot.
Lucas , amant de Fanchon.
Margot , fiancée avec Lubin.
Fanchon ,fiancée avec Lucas.
Lubin ouvre la Scéne , en chantant fur
L'air : Tout cela m'eft indifferent .
Quand ſur ſes vieux jours un garçon
Devient le mari d'un tendron ,
Ungalant rit de ſa folie ,
Le reſte eſt bientôt projetté :
Mais qu'un bon vivant ſe marie,
Les rieurs font de ſon côté.
1
ARIETTE.
On ne peut trop tôt
Semettre en ménage,
J'ai beaucoup d'ouvrage ,
Et lemariage
Eſt mon vrai ballot :
Un contrat m'engage ;
J'épouſe Margot ;
Sonhumeur volage ,
1
Hiij
174 MERCUREDE FRANCE..
Eft preſque le gage
D'un mauvais lot ;
Mais contre l'orage ,
Onmet en uſage
Les moyens qu'il faut.
Une femme eſt ſage ,
Quand l'homme, en un mot ,
N'eſt pas un fot.
Lucas vient trouver Lubin ; ils ſe fontune
confidence réciproque des ſentimens qu'ils
ont pour leurs fiancées ; Lubin aimeroit
mieux Fanchon que Margot , & Lucas
préféreroit volontiers Margot à Fanchon
&au moyen de quoi ils ſe déterminent à
faire un troc , qui paroît avantageux pour
l'an& pour l'autre.
Lubin Lucas , ensemble.
و
Troquons , troquons ,
Changeons , compere;
Point de façons,
Foin du Notaire ;.
Tien,déchirons
Ils déchirent leurs Contrats..
Ce beau chiffon .
Troquons , troquons ,
Changeons , compere ;.
Rien n'eſt ſi.bon ..
SEPTEMBRE. 1753. 175
Lubin.
Mais de chacun de nous , s'avance la future.
Lucas.
Faiſons-les conſentir.
Lubin.
Va, nous allons conclure.
Lubin court à Fanchon , & Lucas court
à Margot ; elles en font fort ſurpriſes.
Lubindit à Fanchon :
Ecoute , c'eſt moi qui t'épouſe.
LucasàMargot.
C'est moi qui ſerai ton mari.
Margot lui montrant Lubin.
Ariette en quatuor.
Et non , c'eſt lui.
Lucas.
Et non , c'eſt moi.
Lubin à Fanchon..
Nous nous verrons aujourd'hui.
Fanchon.
Pás avec toi ,
C'eſt avec lui.
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE.
Lubin.
C'eſt moi qui ſerai ton mari.
Fanchon montrant Lucas
C'est lui.
Lubin.
Moi , moi.
Margot.
Lui , lui.
Quatuor.
Eh non , c'eſt lui ;
Eh non , c'est moi.
=
Après que Fanchon & Margot ſe ſont
parlées à l'oreille , elles font ſemblant de
toper à la propoſition de Lucas & Lubin
& ce dernier emmene Fanchon ; Margot
reſtée ſeule avec Lucas , le traite ſi mal
que Lucas eft déſeſpéré du changement
qu'il avoit projetté . Lubin n'a pas été plus
content de Fanchon , de forte que les deux
amans veulent s'en tenir à leur premier
marché. Alors Margot & Fanchon font les
difficiles , & diſent que le troc étant
fait il n'y a plus de retour..
Lucas a Fanchon.
Ariette : En quatuor..
Ne me rebute pas.
:
SEPTEMBRE . 1753 . 177
Fanchon , montrant Margot.
Oh ! laiſſe moi : voilà la tienne.
Lubin.
Non, c'eſt la mienne.
Margot , montrant Fanchon à Lubin.
Voilà la tienne.
Lucas.
Non , c'eſt la mienne.
Margotſe ſaiſiſſant de Lucas.
Je prens le mien
Fanchon , Sautant fur Lubin.
Chacun le fien:
Lubin , à Fanchon qui le tient au coter.
Le Diable t'emporte.
Lucas , benu par Margot.
Ah, quel embarras !
Margot & Fanchon.
Tum'épouferas.
Lubin.
Peut-on ,hélas I me punir de la forte
Fanchon.
Tu m'épouſeras.
Lubin , s'échappant..
Ah !Margot.
H
178 MERCURE DEFRANCE..
Lucas, s'échappant.
Ah , Fanchon !
Margot & Fanchon..
Quel accès te tranſporte ?
LubinàMargot...
Reprend moi.
Lubin & Lucas..
Que je fois ton époux..
Margot & Fanchon..
Vous avez fait la loi .
Lubin& Lucas..
Je t'en prie à genoux..
Margot, riant.
Fanchon , ah , ah ,ah , ah , ah !:
Fanchonriant.
Margot , ah , ah , ah , ah , aht:
Gruelle,.
Lucasi
Lubin..
Traitreffe,
Pardonne- nous.
१ Lucas,.
Pardonne-nous.
Fanchon..
Filerez-vous doux ?
Lucas & Lubin confentent à tout co
SEPTEMBRE. 1753. 179
qu'exigent Fanchon & Margot , qui leur
pardonnent.
Lubin & Lucas.
Quelle allégreſſe !
Margot.
Fanchon.
Levez-vous.
Nous en ferons ,ma foi , de commodes épouxs.
Tous quatre.
Quelle allégreſſe !
La muſique de cet Intermede , le pre
mier que nous ayons eu en France danss
legoût purement Italien , eſt de M. Dau--
vergne. Il n'y a perſonne qui n'ait été
étonné de la faciliré qu'a eue ce grand
harmoniſte à ſaiſir un goût qui lui étoit
tout- à- fait étranger. Le déſit de voir une
choſe ſi ſinguliere a attiré tout Paris à ce
ſpectacle , & le plaifir y a rappellé ceux
qui ſont ſenſibles aux charmes d'une bon--
ne muſique.
On a donné ſur le même theatre , le
Mardi quatorze Août , la premiere repré--
ſentation des Filles , Opéra ComiqueBal--
let , qui a réuffi.
7
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗
NOUVELLES ETRANGERES.
DU LEVANT.
DE CONSTANTINOPLE ,le 10 Juin.
S
Elon les avis requs de Perſe , la guerre inteſtina
qui déſole ce Royaume , a rendu preſque
toutes les campagnes défertes ; les arts font négligés
, & l'on eft obligé de tirer des Etats voiſins las
plupart des chotes néceflaires. Plufreurs Provinces
de Ruffie profitent de cette circonſtance pour vendteavantageuſement
leurs denrées , ainh queleurs
chevaux&leurs beftiaux.
DU NORD.
D'E Moscou , le 21 Juin.
On a révoqué juſqu'à nouvel ordre la permif
fron de faire for ir des grains de l'Eſthonie , de la
Livonie , & de la Courlande. L'abus de conſtruire
lesmaifons entiérementde bois , contribuant beau
coup aux fréquens incendies , il a été réſolu d'em
ployer à l'avenir de la pierre , du moins dans les
principales parties des bâtimens
DE STOCKHOLM , ie 7 Juillet.
L'es Comtes de Teffin, d'Eckebland de Spaar&t
de Lieven & les Barons de Hopken & de Schef
fer font allés vifiter le nouveau Canal & les Eclu
ſes qu'on aconftruites àTrolhatta. Ce grand ou
7
SEPTEMBRE. 1753 . 151
rage , entrepris dans le deffein de faciliter la
jonctiondes deux mers , vient enfin d'être conduit
à ſa perfection .
On fera dans le mois prochain l'ouverture de la
nouvelle Académie de Belles Lettres , dont le projet
a été annoncéil y a quelque tems. Pluſieurs
Seigneurs le font d'avance un honneur d'être
Membres de cette Compagnie , & de contribuer à
la rendre utile & Abruflante. De ce nombre ſont
le Comtede Teſſin, le Baron de Scheffer , & le
Gomte de Neels.
DE COPPENHAGUE , le 15 Fuillet.
On a fait la ſemaine derniere , dans l'Ile d'Amagh
, l'épreuve de quelques canons & d'un mortier
, de nouvelle invention. Le Maréchal Comte
de Schulembourg , Secrétaire d'Etat ayant le Départementde
laGuerre, le Général Sturop", & le
freur de Seitzenſtein , qui commande PArtillerie ,
y furent préſens , ainſi que le ſieur Ringx , Confeiller
de Conférence ; & le ſieur Braem , Conſeiller
d'Etat, l'un &l'autre Députés au Commrffariat
Général.
EesFrégares le Doke & la Frédérique-Louife , de
PEſcadre que le Roi avoit envoyée à Saffia , ſont
de retour d'Afrique. Elles ont ramené une partic
des Danois qui étoient détenus à Maroc. Le refte
des priſonniers eſt ſur une troſiéme Frégate qu'en
attend.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 14 Juillet..
Les Commiffaires préposés pour liquider les
182 MERCURE DE FRANCE.
dettes contractées par les troupes pour les fournis
tures & les avances faites à divers Régimens pendant
la derniere guerre , continueront de vaquer
cette liquidation juſqu'à la fin de cette année..
Après ce terme , les créanciers ne feront plus re
çus à produire leurs prétentions.
DE DRESDE , le 3 Juillet.
La Princeſſe épouſe du Prince Royal , eſt de
nouveau enceinte ,& elle ſe porte auffi-bien qu'on
puiſſe le défirer.
DE BERLIN , le 14 Juillet.
Le nouveau Canal qu'on a creusé dans les envi
rons de Guſteliefe , fut ouvert le deux de ce mois
avec tout le ſuccès imaginable. Quoique les eaux
de l'Oder ſoient plus baſſes qu'elles n'ont été de--
puis quelques années , leur chûte ſe fit très impétueuſement
, & l'on peut ſe promettre des avanta
ges réels de cette entrepriſe. Une grande étendue
de terrein ſera garantie par là des inondations ,
&pluſieurs cantons où l'on n'oſoit former aucun
établiſſement , pourront être habités . Le Roi a
ordonné qu'on diſtribuât une certaine ſomme aux
Sergens & aux Caporaux des Régimens d'Infanterie,
qui ſont en quartiers dans la Marche de
Brandebourg. La Baronne de Vernezobre eſt accouchée
le to d'une fille .
On a reçu avis que le 6 le Vaiſſeau le Roi de
Pruffe , appartenant à la Compagnie Aſiatique ,
étoit revenu de la Chine à Embden.
Une ſociété a offert de faire , avec le ſel come
mun , d'auſſi bon ſalpêtre que celui qu'on tire de
l'étranger , & le Roia accordéun privilége pour
xet établiſſement..
SEPTEMBRE. 1733. 183
:
DE HAMBOURG , le 20 Juillet,
,
Rien n'érant plus important dans une Ville de
commerce que d'empêcher les banqueroutes
frauduleuſes , les Magiſtrats & les principales perſonnes
de la Bourgeoisie ont tenu une affemblée
extraordinaire , dans laquelle on a délibéré fur ce
qu'il conviendroit de ſtatuer à cet égard. Divers
plans relatifs à cet objet ont été examinés ; on n'en
aadopté aucun en total , mais on a pris quelques
articles de chacun , & l'on dreffe actuellement le
Réglement , qui doit être mis en exécution .
DE BAMBERG , le 26 Juillet..
Avant-hier , le Chapitre de l'Egliſe Cathédrale
s'aſſembla pour procéder à l'Election d'un nouvel
Evêque , &tous les fuffrages ſe réunirent en faveur
du Comte François - Conrad de Stadian ,
Doyen du Chapitre. Les Cointes de Stadian , originaires
du pays de Prettigau , étoient connusdès
le onzième ſécle. Un d'eux ſe diftingua en 1080)
dans le tournoi d'Auſbourg. Jean de Stadian fut
à ceux de Zurich en 1165 ; Wolff à ceux de
Worms en 1209 ; Burchard à ceux de Schweinfurt:
en 1296 ; Wolfang à ceux de Ravenſpurg en
1311. Vers le milieu du quinziéme fiecle , Chriftophede
Stadian étoit Evêque d'Auſbourg : Jean-
Gaspard de Stadian étoit Grand Maître de l'Ordre
Tentonique en 1650 & l'on a vu Chriſtophe-Rodolphe
de Stadian au commencement de ce fiécle ,
remplir les dignites de Prevêt de l'Egliſe Métropolitaine
de Mayence , & du Chapitre de Saint
Barthelemi & Saint Alban à Francfort. Il étoit en
même tems Préſident de la Cour de Juftice
-
184 MERCURE DE FRANCE.
Conſeiller d'Etat de l'Electeur de Mayence. En
1723 , François- Charles , Conſeiller d'Etat du mê
me Electeur , & oncle du nouvel Evêque Prince
de Bamberg , fut élu Doyen du Chapitre de l'Eglife
Cathédrale de cette Ville. La maiſon de Stadian
poftéde héréditairement la charge de PremierMaître
d'Hôtel de l'Evêque d'Auſbourg.
ESPAGNE.
DE LISBONE , le 21 Juin.
Le Roi aynt réſolu de réunir à ſon Domaine
pluſieurs diſtricts , dont divers particuliers par des
conceffions de ſes Prédéceſſeurs jouiffent dans le
Bréfil , on a commencé par la Seigneurie que le
Vicomte d'Affeca poſlédoit dans la Capitaineric
de Rio-de-Janeiro. Sa Majesté , pour le dédomaget
, l'a gratifié d'une penſion de mille crufades ,
& lui a conféré le titre de Comte. On traite actuellement
avec le Comte d'Iſola , pour la Sei
gneurie de l'Ifle aux Princes.
DE MADRID , le 24 Juillet.
Par des dernieres lettres de Don Julien d'Arriaga
, Préſident de la Contractation des Indes , le
Roi a reçu avis que le 18 de ce mois , les Vaifſeaux
le Saint Jean-Baptiste , la Notre- Dame de
Guadeloupe,le Saint Raymond & la Notre- Dame
duMont Carrel , étoient arrivés à Cadix. Le premier
vient de la mer du Sud ; le ſecond , de Cartagêne
en Amérique ; les deux autres , de la Ve
ra Cruz & de la Havane. Ils ont apporté , tant
pour le compte de Sa Majesté que pour celui
des Particuliers , la valeur de quatre millions
SEPTEMBRE. 1753 . 189
fept cens ſoixante & un mille trois cens quatrevingt
piastres , ſoit en eſpéces , ſoit en vaiſſelle &
en lingots. Le reſte de la charge de ces bâtimens
confifte en cent cinquante- ſept mille quatre cens
livres de cochenille fine , quatre mille de cochenille
filveftre ; trois cens quarante & un mille
deux cens quatre-vingt quatorze vanilles ; neuf
mille quatre- vingt fix balles de cacao : trois cens
foixante& trois caiſſes de ſucre ; dix-huit mitle
neuf cens ſoixante- fix livres de laine de Vigogne ,
douze mille neuf cens quatre-vingt- quinze de coton
foixante deux mille neuf cens ſoixantedeux
de caſcarille , deux cens trente- neuf de bezoard
, cinq mille deux cens quatre-vingt-dix- fept
de
,
;
jalap', ſept cens trente-deux d'anil deux
cens quintaux d'étain , neuf cens cinquante de
cuivre , ſept cens de bois de Bréfil , trois mille
de bois de Campêche , quatre mille quatre cens
trente- quatre cuirs , & une grande quantité de tabac.
Il eſt entré auſſi dans la Baye de Cadix un
Navire appartenant à la Compagnie des Cara
ques , à bord duquel il y avoit neuf mille quatre
cens quatre vingt-quatre boifleaux de cacao , &
trente huit mille piaftres,
ITALIE.
DE NAPLES , le 20 Juin.
i
Pluſieurs Officiers Generaux compoſent la Junte
, chargée de l'exécution des arrangemens en
faveur des veuves des Officiers . Il eft réglé qu'elles
auront en penſion la moitié des appointemens
dont jouifloient leurs maris . On ne permettra
plus aux Officiers d'épouſer des filles ou des femmesfans
dot.Lorſqu'elles feront de condition com
186 MERCURE DE FRANCE .
mune , il faudra qu'elles apportent du moins trois
mille ducats en mariage. Celles d'extraction noble
feront obligées ſeulenient d'en apporter mille ,
&l'on ſe contentera de cinq cens , fi elles ſont
Alles ou veuves de Militaires.
DE ROME , le 17 Juillet.
Comme les fortifications des places de l'Etat
Eccléſiaſtique ont beſoin de réparations , on a réfolu
d'employer à ces travaux , tous les Forçats
dont le ſervice ne ſera pas néceſſaire ſur les Galeres.
La Chambre Apoftolique aſſignera de nouveaux
fonds dans les premiers jours du mois prochain
, pour achever d'acquiter les dettes occa.
fionnées par le paſſage des troupes étrangeres pendant
laderniere guerre.
Le Pere Orlandi , Jeſuite , mourut le is en
odeurde fainteté. Son corps fut inhumé le lendemaindans
l'Egliſe de Saint Ignace , & il y eut un
grandconcours de peuple à ſes obfeques .
DE FEORENCE , le 15 Juillet.
Toutes les nouvelles de mer confirmant que la
peſte s'eſt de nouveau manifeſtée dans Alger , le
Gouvernement a ordonné qu'on obligeât les Vaifſeaux
qui viennent des côtes d'Afrique , de faire
une rigoureuſe quarantaine.
L'Académie , établie depuis peu par l'Abbé des
Chanoines Réguliers de Fieſole pour perfectionner
l'Agriculture , tient régulièrement deux fois
par ſemaine ſes ſéances. On ſe promet detirer de
grands avantages d'une Société d'hommes judicieux
, qui , laiffant à d'autres le ſoin de cultiver
des arts frivoles , conſacrent leurs veilles aux pro
grès du plus utile de tous les arts..
SEPTEMBRE. 1753. 187
DE GENES , le 20 Juillet.
On conftruit à San Remo une Citadelle , au
moyen de laquelle on ſera en étatde foudroyer la
Ville, files habitans ont de nouveau la hardieffe
de ſe mutiner. Le Marquis Augustin Pinelli a fait
publier un Décret , pour ordonner à ceux qui ſe
font abſentés , de revenir à leurs domiciles dans
un,terme prefcrit , ſous peine de confiſcation de
leursbiens. Il vint ici de Patrasle 7deux Pinques
chargées debled.
DE TURIN , le 31 Juillet.
Sur la réquisition de la République de Gênes ,
le Roi a défendu à ſes Sujets , ſous des peines ri
goureuſes , de fournir aucunes armes ni manitions
de guerre aux Rebelles de l'iſſe de Corſe.
En même tems , le Roi a exigé de la République ,
que les défenſes dont il s'agit , n'expoſaſſentpoint
les Bâtimens qui navigent avec Pavillon & Paffeports
de Sa Majesté , à être inquietés fous des
prétextes frivoles .
On affure quele Roi ſe propoſe de conclure
avec le Pape , pour la Collation des Bénéfices de
Sardaigne ,de Piémont&de Savoye , un Concor.
dat ſemblable à celui qui vient d'être établi entre
le Saint Siége & l'Elpagne.
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , les Juillet.
LesNavires , tant Anglois qu'Ecoſſois , qui ont
été employés cette année à pêcher des Baleines ,
enont pris cent quatre-vingt-quatre. Pendant cers
188 MERCURE DE FRANCE.
re pêche, un des Bâtimens Ecoſſois fut pouffé f
avant à l'Ouest , que le Capitaine prétend avoir
apperçu diſtinctement les côtes de l'Amériquer Il
étoit pour lors à ſoixante-douze dégrés , quarante-
cinq minutes de latitude Septentrionale . Ces
jours- ci , on a fait à Woolwich l'épreuve de cent
canons , nouvellement fondus ici par ordre &
pour le ſervice du Roi de Sardaigne. On doit embarquer
ineeſſamment cette artillerie , pour la
tranſporter à Nice.
L
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
AReine entendit le 20 Juillet laMeffe dans
l'Eglife des Religieuſes Carmelites de Compiegne
, & dîna dans le Monastere.
Le 21 , le Roi & la Reine entenditent la Meffe
de Requiem , pendant laquelle le De profundis fut
chanté par la Muſique pour l'Anniverſaire de
Madame la Dauphine , Infante d'Eſpagne .
,
Le 22 , M. Kleferer , Syndic , & M. d'Hugier ,
Sénateur , Députés de la Ville de Hambourg ,
eurent une audience publique du Roi , dans laquelle
ils remercierent Sa Majesté de la protectiod
qu'Elle a bien voulu accorder à la Ville de
Hambourg auprès du Roi d'Eſpagne. Ces Députés
furent conduits à cette audience , ainſi qu'à
celles de la Reine , de Madame Infante, de Madame
Adélaïde ,& de Mesdames Victoire , So
phie & Louiſe , par le M. Dufort , Introducteur
des Ambaſſadeurs .
Le 20 & le 22 , leurs Majestés ſouperent at
grand couvert avec la Famille Royale .
SEPTEMBRE. 1753. 189
Le Régiment d'Infanterie du Roi arriva le 20
ſous Compiegne Sa Majesté en a fait le 22 la revue.
Elle paſſa à pied dans tous les rangs. La Reine
, accompagnée de la Famille Royale , longea
de la droite à la gauche les quatre Bataillons , &
fut ſaluée de tous les Officiets , après qu'ils eurent
ſalué le Roi. Lorſque le Roi eut fini fa revue
, Sa Majesté ſe plaça au centre du Régiment ,
pour voir faire l'execice ſuivant la nouvelle Or
donnance : Elle parut très fatisfaite de la façon
dont il fut exécuté. Le Régiment défila enſuite dewant
le Roi , laReine , & toute la Famille Royale ,
par deux Compagnies , les Officiers faluant , en
marchant , Sa Majefté . Le Marquisde Guerchy
Lieutenant Général , & Colonel- Lieutenant dudit
Régiment , étoit à la tête. Le Roi trouva que
ſon Regiment étoit fort bien exercé aux differentes
façons de marcher , & au nouveau maniement
des armes , que Sa Majesté a ordonné depuis peu.
Il y eut le 21 & le 23 , concert chez la Reine.
On y a exécuté le Prologue & les trois Actes de
la Paſtorale de Daphnis & Chloë , dont les paroles
ſont de M. Laujon , & la muſique de M. Boiſmortier.
Leurs Majeſtés retournerent le 25 à la Plaine
de Venet , où le Régiment est campé . Le Roi , à
cheval , la Reine & la Famille Royale , en carrofſe
, paſſerent devant ce Régiment , qui étoit en
bataille. Enſuite , leurs Majestés le virent manoey.
vrer. Il fit feu huit fois de pied ferme , & par diviſions.
Après différens exercices , il ſe reforma
enbataille , & il défila devant le Roi , pour rentrerdans
le camp. Le foir , le camp fut illuminé ,
&le Roi fit l'honneur au Marquis de Guerchy de
ſouper ſous ſa Tente avec pluſieurs Dames & Soigneurs
nommés par Sa Majesté,
190 MERCURE DE FRANCE.
Le Roi a accordé au Chevalier de Croiſmare,
Brigadier , Lieutenant- Colonel de ſon Régiment ,
la premiere place de Commandeur , qui vaquera
dans l'Ordre de S. Louis. Sa Majesté , en même
tems abien voulu lui permettre d'en porter dès-àpréſent
les marques. Elle a conféré le grade de
Brigadier à M. de Champagne de Morfins , Commandant
de Bataillon ; & Elle a auſſi accordé dans
le Régiment deux Commiſſions de Colonels , dix
Croix de Saint Louis , & pluſieurs penſions &
gratifications.
Sur la démiſſion du Comte de Prunier de Saint-
André, le Roi a donné à M. de Bathéon de Vettrieu
, Capitaine dans le Régiment de Cavalerie de
Bourbon-Buffet , le Gouvernement de Vienne en
Dauphiné.
,
Le chargement , apporté par le Vaiſſeau la Reine,
eſt le ſecond que la Compagnie des Indes a
reçu du Gange. Elle a appris par les dépêches du
Conſeilde Pondichery , datées du mois de Novembre
, que Sarajet-Doullack , petit-fils d'Anaverdikan
, Nabab du Bengale , & fon ſucceſſeur
préſumé , étant venu faire un voyage àHougly
avoit reçu de grands honneurs des Chefs des trois
Nations Européennes ; que comme il n'avoit jamais
vu de Vaiſleau , il s'étoit adreſſé aux François
pour fatisfaire ſa curiofité ; qu'il étoit monté
àbord de l'Hercule, dans lequel il étoit entré au
bruit de Partillerie de ce Vaiſſeau & de tous ceux
qui ſe trouvoient alors dans le Port ; & qu'en re .
connoiſſance il avoit déclaré qu'il vouloit prendre
ſoin de leurs intérêts auprès de ſongrand-pere.On
croit qu'il a fait le même compliment aux Anglois
& aux Hollandois. Les lettres du 31 Décembre
marquent , que depuis fon retour àMouxoudabat
, il a fait partir trois éléphans , qu'il def:
SEPTEMBRE . 1753 . 191
tine aux Chefs des trois Nations Il a réalisé les
offres qu'il a faites aux François , en employant
ſes bons offices pour faire relâcher lesBâtimens de
cette Nation,qui,montant ou defcendant leGange,
avoient été arrêtés au paſſage de Morchia à la follicitation
du Grand-Douanier, & cet Officier a
été contraint de céder aux ordres du Nabab .
La Compagnie attend encore deux autres Vaifſeaux
du Gange , quatre Navires de la Chine , un
de Pondichery outre les deux déja arrivés , & un
des Ifles de France & de Bourbon .
On a reçu avis de Malte , que leChevalier de
Fleury , nommé Général des Galéres de la Religion
, & qui doit entrer en exercice au mois de
Janvier 1755 , avoit été déclaré Grand Croix de
l'Ordre.
Le 2.5 , l'Evêque d'Arras , aſſiſté de Dom Pierre.
Louis Chomel , SupérieurGénéral de la Congrégation
de Saint Rufe , & de Dom François Duriez
, Abbé de l'Abbaye Réguliere de Moncel , fit
dans PEglife des Feuillans la cérémonie de bénir
Dom Martin le Févre , Abbé de l'Abbaye de Saint
Eloi d'Arras,
Il eſt arrivé un funeſte accident dans une mine
de charbon du Forez , près du Château de Clapier
, qui appartient au Baron de Vaux , frere de
'Abbé de Saint-Cyr , Conſeiller d'Etat ordinaire ,
& ci-devant Précepteur de Monſeigneur le Dauphin.
Les Charbonniers ayant imprudemment
percé une maſſede plus de cent pieds de hauteur,
en un endroit qu'on leur avoit recommandé de
ſonder avec la tariere, avant que d'y travailler ,
P'eau en eſt ſortie avec abondance. Tout à coup ,
la Tonne où étoient les ouvriers a été fubmergée,
& trois hommes ſe ſont noyés , avec une femme
& ſept chevaux. Le malheur auroit été beaucoup
192 MERCURE DE FRANCE.
plus grand , s'il n'y avoit pas eu deux iſſues , pac
Jeſquelles cinquante Charbonniers ont échappé au
pétil ,& fi dix autres ouvriers n'avoient été promptement
ſecourus par un plongeur , qui expoſa ſa
vie pour les ſauver. Le Baron de Vaux a fait ſentir
les effets de ſagénérosité aux veuves de ceux
qui ont péri.
L'Abbé de la Caille , de l'Académie Royale des
Sciences , après avoir achevé au Cap de Bonne-
Eſpérance ſes obſervations pour la paralaxe de la
Lune , qui faifoient le principal objet de ſon voyage,
a meſuré le trente-fixieme degré de latitude
auſtrale. Il a trouvé ce dégré plus grand qu'il ne
s'y attendoit , & approchant des dégrés méridionaux
meſurés en France . Au reſte , il eſt d'accord
avec les Académiciens qui font allés , il y a quel
ques années, au Cercle Polaire & à l'Equateur, en
ce que la grandeur de fon dégré eſt moindre que
celle des dégrés du Nord , & qu'elle ſurpaffe celle
des dégrés équinoxiaux. Il eſtpartiles Mars du
Cap de Bonne Eſpérance , pour ſe rendre aux Iles
de France & de Bourbon , en conféquence des
ordres qu'il a reçus , & dont l'exécution retardera
fon retour de près d'un an .
On mande de Toulouſe , que le 16 du même
mois la Dame de Maupeou , à qui le Roi a donné
J'Abbaye Réguliere d'Azile , Ordre de Sainte
Claire ,Diocéſe de Narbonne , fut bénite dans la
Chapelle des Pénitens Noirs , par l'Evêque de
Lombez. Ce Prélat lui expoſa les devoirs de ſa
nouvelle dignité avec la ſimplicité noble & touchante
, qui caractériſoit l'éloquence des Apôtres.
Après qu'il eut célébré la Meſſe, on chanta le
TeDeum , de la Lande .
Les mêmes Lettres ajoutent , que le Marquis de
Paulmy , Secrétaire d'Etat de laGuerre en ſurvivance
SEPTEMBRE. 1753 . 193
vance du Comte d'Argenſon , eſt arrivé le 20 à
Toulouſe. Il y fit le 22 la revûe du Régiment
d'Anjou & de celui de Royal- Allemand , & il en
partit le 24. Pendant le ſéjour qu'il y a fait , il a
demeuré chez le premier Préſident.
Monſeigneur le Dauphin arriva de Verſailles
le 26 , à Compiegne.
Madame Infante &Mesdames de France , allerent
le 26 ſe promener au camp du Régiment du
Roi. Le Marquis de Guerchy , LieutenantGénéral
des Armées de Sa Majesté , & Colonel- Lieutenant
de ce Régiment , préſenta des rafraîchiſſe
mens à ces Princeſſes ,& eut l'honneur de les fervir.
Pluſieurs Officiers du Corps partagerent cet
honneur avec le Marquis de Guerchy.
Le 27 , le Reine donna le Voile Noir à une Religieuſe
dans le Monaſtére des Carmélites. L'Ar.
chevêque de Rouen célébra la Meſſe , & le Ser.
mon fut prononcé par le Pere Blondel , Recteur
des Jéſuites de cette Ville.
Le lendemain , Monſeigneur le Dauphin ſe rendit
au camp , & le Régiment fit enpréſence de
ce Prince les mêmes évolutions , & les mêmes
exercices à feu , de pied- ferme , & par diviſions ,
qu'il avoit faits le 22 & le 25 devant leurs Majeftés.
La nuit le camp fut illuminé. Monſeigneur le
Dauphin y retourna le 28 , ſur les neufheures du
foir , & ce Prince ſoupa ſous la tente du Marquis
deGuerchy avec la Ducheſſe d'Orléans , le Prince
de Conty , & pluſieurs Dames & Seigneurs de
la Cour. La Marquiſe de Guerchy fut aſſiſe àtable,
à gauche de Monſeigneur le Dauphin. Elle
avoit eu de même l'honneur d'être placée auprès
du Roi , lorſque Sa Majesté ſoupa aucamp le 15.
Le foir, il y eut dans le camp une nouvelle illumination.
:
194MERCURE DE FRANCE.
Monſeigneur le Dauphin , & Madame Infante
Ducheffe de Parme tinrent le 28 fur les Fonts ,
dans la Chapelle du Château , l'enfant dont la
Marquiſe deGouy, l'une des Dames de Compagnie
deMadame Adélaïde , eſt accouchée le 1s.
Le Prince Conſtantin , Premier Aumônier du Roi,
a ſuppléé les cérémonies du Baptême à cet enfant ,
qui a été nommé Louis-Marthe.
L
1
Le 28 , le Roi fit la cérémonie de recevoir les
nouveaux Chevaliers de l'Ordre de Saint Louis
que Sa Majesté a nommés dans ſon Régiment.
Madame la Dauphine continue de ſe porter
auſſi-bien qu'on puitſe le déſirer.
Il y eut le même jour 28 , à Verſailles chez cette
Princefle unconcert, dans lequel on chanta le
premier Acte du Ballet du Prince de Noisy , dont
lesparoles font de M. de la Bruere , & la Muſique
de Meſſieurs Rebel & Francoeur, Sur- Intendans de
laMuſique de la Chambre du Roi.
Leurs Majestés ſouperent le 27 & le 29 au grand
couvert avec la Famille Royale.
Leurs Majestés aſſiſterent le 29 au Salut du Monaſtére
des Carmelites. La Reine avoit entendu
le matin la grande Meſſe dans l'Egliſe de Saint
Jacques , Paroifle du Château.
Le 29 , le Préfident Henault, Préſident Honoraire
en la Premiere Chambre des Enquêtes , l'un
desQuarante de l'Académie Françoiſe , &Aſſocié
Etranger de l'Académie Royale des Sciences &
Belles-Lettres , établie par le Roi de Pruffe , prêta
ferment de délité entre les mains de la Reine
pour la Charge de Sur- Intendant des Finances de
La Maiſon de Sa Majesté,
Le 30 , pendant la Meſſe du Roi , on a chanté
le Deprofundis pour l'Anniverſaire de la feue Reine
Marie-Théreſedd''AAuutriche, époufede LouisXIV,
E
T
SEPTEMBRE . 1753. ros
:
Le 28 & le 30 , il y eut concert chez la Reine.
On y exécuta le Prologue & les deux premiers
Actes du Ballet des Talens Lyriques , dont la Mufique
eſt de M. Rameau .
Le Marquis de Pignatelli , qui depuis la mort
du Comte d'Egmont , ſon frere , a pris le nom de
Comte d'Egmont , & le Duc de Chevreuſe , en
longs manteaux de deuil, ont eu l'honneur de
rendre le 27 leurs reſpects à leurs Majeftés , à
Poccaſion de cette mort.
Le Régiment du Roi décampa le 30 au matin
, & reprit la route d'Arras . Sa Majeſté a créé
quatre nouvelles places d'Aldes Majors dans ce
Corps. Elle a fait diſtribuer aux foldats une fomme
de fix mille livres .
Le 3t , le Comte de Loſſ, Ambaſſadeur Extraordinaire
du Roi de Pologne Electeur de Saxe ,
eut ſon audience publique de congé du Roi ,
érant accompagné par le Comte de Brionne , & *
conduit par M. Dufort , Introducteur des Ambaf
ſadeurs , qui étoient allés le prendre dan les caroffes
de leurs Majestés. Il trouva dans l'avantcour
du Château les Compagnies des Gardes-
Françoiſes & Suiffes , ſous les armes , tambours
appellans ; dansla cour , les Gardes de la Porte &
ceux de la Prevôté de l'Hôtel , auſſi ſous les armes
à leurs poſtes ordinaires. Il fut reçu far le Perron
de l'Eſcalier par le Marquis de Brezé , Grand-
Maître des Cérémonies. Sur Peſcalier étoient les
Cent Suiffes , la hallebarde à la main. Le Duc de
Villeroy, Capitaine des Gardes , reçut l'Ambaſſadeur
à la porte en dedans de la Salle , où les Gardes
du Corps étoient en haye ſous les armes.
Après l'audience du Roi , l'Ambaſſadeur fut con.
duit à celles de la Reine & de Monſeigneur le
Dauphin , par le Comte de Bionne & par M.
۱
Iij
196 MERCURE DEFRANCE.
Dufort. Il eut enſuite audience de Madame Infante
, de Madame Adélaïde , & de Mesdames
Victoire , Sophie & Louiſe , & il fut reconduit
dans les caroſſes de leurs Majestés , avec les cérémonies
accoûtumées.
Le premier Août vers les deux heures après
midi , Monſeigneur leDauphin partit pour retourner
à Verſailles.
L'Abbé de Bernis , Comte de Lyon , & Ambaffadeur
du Roi auprès de la République de Venife,
aobtenu l'expectative de la premiere place , qui
vaquera parmi les trois Confeillers ordinaires Eccléſiaſtiques.
Sa Majefté a accordé au Marquis de Péruſſe
d'Eſcars , Colonel dans les Grenadiers de France ,
l'agrément du Régiment de Normandie , qu'avoir
le Comte de Périgord , nommé Mestre-de-Camp
Lieutenant du Régiment Dauphin , Cavalerie.
Il eſt tombé dans les environs de Lyon , de la
grêle d'une groſſeur a extraordinaire , qu'il s'eft
trouvédes grains qui peſoient plus d'unelivre.
Deux Voituriers , chargés de conduire de la poudre
à Niort , s'étant arrêtés le 23 du mois dernier
dans Poitiers , près du Pilori ; leurs mulets inquiétés
par les mouches , enfammerent en frappant
du pied , cette poudre qu'on avoit eu l'imprudenced'enfermer
dans de ſimples facsde toile.
Ces animaux & les Muletiers ont été mis en piéces
, & leurs membres ont été diſperſés dans differentes
parties de la Ville. Pluſieurs maiſons ont
été fort endommagées. Celle de M. Vogelade ,
Procureur du Roi ,a été détruite de fond en comble.
Preſque toutes les vitres & une partie des tuiles
des autres ont été briſées.
Les Vaiſſeaux la Paix & le Duc deBethune , ap.
partenans à laCompagnie des Indes , font arrivés
SEPTEMBRE . 1753. 197.
Ju Port de l'Orient , l'un le premier , l'autre le 3
de ce mois. Ces Bâtimens qui viennent de la Chine
, font richement chargés.
Le 2 , le 3 , le 6 & le 7 , la Reine entendit la
Meſſe dans l'Egliſe du Monaftére des Religieuſes
Carmelites. Sa Majesté s'acquitta le 4 du même
acte de piété dans l'Egliſe des Dominicains , qui
célébroient la Fête de Saint Dominique. Elle alla
enſuite faire la priere dans l'Egliſe des Capucins ,
& avant de revenir au Château , elle vifita l'Hôpital
de cette Ville .
Dom Martin le Fevre , Abbé de l'Abbaye Réguliere
de Saint Eloi d'Arras , fut préſenté le 4 à
leurs Majestés.
Le Roi , la Reine , Madame Infante & Meſdames
de France entendirent les les Vepres & le
Salut dans l'Egliſe de Saint Corneille. Leurs Majeſtés
furent reçues par la Communauté revêtue de
chapes,&baiferent la vraie Croix entre les mains
de Dom Pierre Louis de Gonfreville , Grand-
Prieur de l'Abbaye , qui eut enſuite l'honneurde
les complimenter.
Leurs Majeſtés ſouperent le 3 & le sau grand
couvert avec Madame Infante , Madame Adélaïde
&Meſdames de France.
Le 4 &le 6 , ily eut concert chez la Reine. On
aexécuté dans ces deux concerts le Prologue &
les trois Actes de l'Opéra d'Acis & Galatér , dont
lesparoles ſont de Campiſtron , & la muſique de
Lulli.
La Reine dîna le 7 dans le Monaſtéré des Carmelites.
Le même jour , M. le Breton prêta ſerment de
fidélité entre les mains du Roi , pour la ſurvivance
de la charge de Premier Préſident du Parlement
de Bourdeaux , dont M. le Breton ſon pere , conſerve
l'exercice.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Ily eut , le 4& le 8, concert à Verfailles chez
Madame la Dauphine , & l'on y exécuta le Prologue
& les trois Actes du Ballet des Amours des
Dieux,dont les paroles ſont de Fuzelier , & la
muſique de Mouret
Le 9 , la Reinepartit de Compiegne pour retourmer
à Verſailles , où elle arriva le même jour .
Le Roi partit de Compiègne le 11 , Sa Majesté
ſerepoſa en chemin à Arnouville chez M. de Machault
, Garde des Sceaux , anſi qu'elle a fait eny
venant. Elle tira dans la Plaine de Saint-Denis ,
&elle fut fouper & coucher au Château de la
Meute,
Madame Infante , Madame Adélaïde & Mel
dames de France , qui demeurerent à Compiègne
juſqu'au 11 avec le Roi , accompagnerent Sa
Majefté.
Le 12 , le Roi ſe rendit àVerſailles avec ces
Princeſſes .
Le Roi ayant jugé à propos d'augmenter de
quatre lenombre des Colonels atrachés au Régi
ment des Grenadiers de France , Sa Majesté a difpoſé
de ces quatre nouvelles places de Colonels
en faveur du Comte de Brancas , Capitaine dans
le Régiment Royal- Rouffillon , Cavalerie ; des
Marquis du Roure & de Chaftillon , Mouſquetaires
de la Premiere Compagnie , & du Comte de
Talleyrand , Lieutenant Réformé à la ſuite du
Régiment de Cavalerie de ſon nom .
Selon les Lettres de Bourdeaux , il y eſt arrivé
depuis peu deux Navires de la Martinique , un de
Saint- Domingue , un de la Guadeloupe , & fept
de differens Ports de l'Europe.
On écrit de Marseille , que le Navire du Capitaine
Louis-Genty-Couture a été pris à deux lieues
du Cap de Gaette par une Galiotte qu'on croitde
Salé.
:
SEPTEMBRE. 1753. 199
Le 7, M. Ogier , Préident Honorairede laSeconde
Chambre des Requêtes , & Sur-Intendant
de la Maiſon de Madame la Dauphine , lequel eft.
nommé Envoyé Extraordinaire & Miniſtre Plénipotentiaire
du Roi auprès de Sa Majesté Danoiſe ,
prit congé de leurs Majestés.
Le 12, le Roi alla fouper & coucher au Château
de Bellevue. Sa Majesté revint le 14 , après avoir
tiré dans la Plaine de Saint Denis.
Le 14 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient àdix-ſept cens vingt-cing livres , les Billets
de la premiere Lotterie Royale à fix cens foixante
& onze , & ceux de la ſeconde à fix cens vingt.
Le 15 , Fête del'Aſſomption de la Sainte Vierge,
le Roi & la Reine accompagnés de Monſeigneur
le Dauphin , de Madame Infante , de Madame
Adélaïde , & de Mesdames de France , entendirent
dans la Chapelle du Château la grande Meffe
célébrée par l'Evêque d'Arras , & chantée par la
Muſique.
Leurs Majestés aſſiſterent l'après-midi aux Vêpres
& à la Proceffion , auſquelles le même Prélat
officia.
Madame la Dauphine entendit l'Office du matin
, & celui de l'après-midi , dans la Tribune.
Il y eut le même jour grand couvert chez la
Reine.
Le Roi a nommé pour ſon Envoyé Extraordinaire
& Miniſtre Plenipotentiaire auprès de la République
de Génes , à la place du ChevalierChauvelin,
qui va réſider à Turin en qualité d'Ambaſfadeur
de Sa Majesté , M. de Neuilly , Conſeiller
Garde des Sceaux Honoraire au Parlement de
Bourgogne , frere de M. de la Marche , Premier
Préfident du même Parlement.
LeMarquisde Cruſſol , Chevalier des Ordres
I inj
200 MERCURE DE FRANCE.
du Roi , Maréchal des Camps & Armées de Sa
Majesté , & ſon Miniſtre Plénipotentiaire auprès
de l'infant Duc de Parme , devant retourner inceffſamment
à Parme , prit auſſi congé du Roi , de
la Reine , & de la Famille Royale .
Le même jour , Fête de l'Afſomption de la Sainte
Vierge , la Proceſſion folemnelle , qui ſe fait
tous les ans à pareil jour en exécution du voeu de
Louis XIII. ſe fit avec les cérémonies ordinaires ,
& l'Archevêque de Paris yofficia . La Chambre
des Comptes , la Cour des Aides , & le Corps de
Ville y affifterent.
Sa Majesté a accordé à M. de Lamoignon , Préfident
Honoraire du Parlement , l'agrément de la
charge de Prévôt Maître des Cérémonies de l'Ordre
Royal & Militaire de Saint Louis , vacante
parla mort de M Bernard , Conſeiller d'Etat ordinaire
, Doyen des Doyens des Maîtres des Requêtes.
En faveur du Vicomte de Prouvay , ancien Capitaine
deDragons,& pour récompenſe, tantde ſes
fervices que de ceux de ſes ancêtres connus ſous
le nom de Nazelle , le Roi vient d'ériger en Marquiſat,
avec ladénomination de Ducaufé Nazelle,
Ja Vicomté de Neufchatel , ſituée dans la Généra,
lité de Soiſſons .
Le 16 , le Roi partit pour Choiſy , d'où Sa Majeſté
revint le 18 .
Dans l'aflemblée générale que le Corps-de-Ville
tint le même jour , M. Paschalis , Conſeiller de
Ville , & M. Caron , Notaire , ancien Syndic de ſa
Compagnie, furent élus Echevins.
A la derniere Foire de Beaucaire , le prix des
ſoyes de lapremiere qualité a été depuis dix- neuf
livres quinze ſols, juſqu'à vingt liv. cinq; celui des
toyes de lafeconde , depuis dix huit livres quinze ,
SEPTEMBRE. 1753. 201
juſqu'à dix- neuflivres dix ; celui de la foye ordiraire
,depuis dix-huit livres douze , juſqu'à dix.
huit livres cinq ; & celui des doupions , depuis dix
livres dix , juſqu'à dix livres quiaze. On compte
qu'il s'y eſt vendu , en Grege-Alais , neuf à dix
mille ballots , chacun de cent livres peſant. Le débit
des étoffes de foyerie a été beaucoup plus confidérable
que les années dernieres. Il s'eſt trouvé
un grand nombre d'Etrangers à la Foire , & l'argent
y a été très-abondant.
BENEFICES DONNE'S.
So A Majesté a donné l'Abbaye de Coetmaloën
Ordre de Citeaux , Diocéſe de Quimper , å
l'Abbé Laurent , Vicaire Général de l'Evêché de
SaintMalo.
Le Roi a nommé l'Evêque de Bayeux à l'Archevêché
de Sens ; l'Evêque de Blois , à l'Archevêché
de Toulouſe ; l'Evêque d'Evreux , à l'Evêché de
Bayeux ; l'Abbé de Termont , Aumônier de Sa
Majesté , à l'Evêché de Blois , l'Abbé Dilon ,
Grand Vicaire de Pontoiſe , à l'Evêché d'Evreux ,
l'Abbé de Sainte Aldegonde , Aumônier de S. M.
àl'AbbayedeBreteuil, Ordre de S Benoît, Diocéſe
de Beauvais ; l'Abbé de Colincourt, auſſi Aumonier
de Sa Majesté , à l'Abbaye de Saint Juſt , Ordre
de Prémontré , même Diocéſe ; l'Abbé de Saint-
Aubin , Vicaire Général de l'Evêché de Rennes , à
celle de Saint Aubin des Bois , Ordre de Cîreaux ,
Diocéſe de Saint Brieu ; l'Abbé de Buffy , à celle
de Saint Laonde Thoars , Ordre de SaintAuguftin
, Diocéſe de Poitiers ; Dom Jacquot , à l'Abbaye
Réguliere de Salival , Ordre de Prémontré ,
Diocéſe de Metz ; Dom Opinel , à celle de Doë ,
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
même Ordre Diocéſe du Puy ; la Dame de Baufſet
de Roquefort àcelle du Saint Eſprit de Beziers,.
Ordre de Saint Auguſtin ; & l'Abbé de Treffan ,
au Doyenné de l'Egliſe Collégialede Saint Gengoul
, Diocéſe de Toul.
NAISSANCE , MARIAGES
L
&Morts.
E 3 Août , Madame la Comteffe de Balincourt
, épouſe du Colonel dans les Grenadiers
de France , accoucha d'un garçon qui a été baptilé
le même jour à S. Sulpice , & a été nommé
Amedée- Claude-Guillaume-Rosalie. Il a eu pour
parain le Marquis de S. Point , ſon ayeul maternel
, & pour maraine Madame la Marquiſe deBalincourt
fon ayeule paternelle Voy. les Tab. Hift.
We part. pag. 364.& la VIe part. pag. 126.
Meffire Joſeph Razaud , Commandeur de l'Ordre
royal & militaire de S. Louis , Lieutenant Général
des armées du Roi , & Directeur des fortiffcations
de Eranche Comtë , a épousé le 28 Juin
en fecondes noces , au Château de Manville , Dame
Marie Charlote de Malortie , veuve du Comte
de Bapaume , proche parente de la maiſon de
Boutteville-la-Ferté,& coufine du Comte de Spaar,
Commandeurde l'Ordre de S. Louis , Maréchal
des camps & armées de Sa Majesté , & Colonel
du Régiment Royal-Suédois.
Meffire Pierre-Gui-Balthazard- Emé de Guiffres
de Montainard , Comte de Marcieu , Marquis de
Boultieres , Maréchal des camps & armées du
Roi , Gouverneur de la ville & citadelle de Gre
noble & Sous. Lieutenant des Gendarmes de la
وم
SEPTEMBRE. 1753. 203
Garde ordinaire du Roi , époufa le 3 JuilletDemoiſelle
Marie- Marthe Landri . Leur contrat de
mariage avoit été ſigné le 24 du mois précédent
par leurs Majestés & par la Famille Royale. Voy . la
IV.part. desTabl , haft. pag. 158 , & laVe pag.408 .
Le 24, fut célébré dans la Chapelle du château de
Montfrin à 3 lieues de Nîmes , le mariage de Mre
Louis François de Montainard , Chevalier , Marquis
de Montainard, &de la Pierre , &c. Maréchal
des Camps & Armées du Roi , Inſpecteur
Général d'Infanterie , Chevalier de l'Ordre Roïal
&Militaire de S. Louis , avec Demoiselle Frangoiſe-
Marie de Montainard , fille de Meffire Jo-
Teph de Montainard , Chevalier , Marquis de
Montfrin,Comte de Souternon , Sénéchal de Ni
mes & de Baucaire , & de Dame Diane- Henriette
de Baſchi d'Aubais.
La maiſonde Montainard eſt originaire duDar
phiné , & fans contredit une des plus anciennes da
Royaume. Elle a un avantage affez rare , qui ef
de pouvoir remonter par une ſuite d'ayeux , prou
vés par des titres authentiques , juſqu'au milieu dur
Xe fiécle , c'est-à dire, vers l'an 95o. Rodolphe ,
le premier de cette maiſon qui foit connu , étoit
un des plus puiſlans Seigneurs du Greivaudam ,&
un de ceux qui aiderent farn , Evêque de Greno
ble vers l'an 965 , à chaſſer les Sartafins qui s'étoient
emparés d'une partie de ſon Diocese. Ainard,
fon fils aîné , fonda veisl'an 1027, ducon
fentement de fon pere &de ſes freres Arnout ou
Athanulfe & Gui , dans fa terre de Doméne , un
Prieuré de l'Ordre de Cluni qui fubfifte encore
préfent. Ainard , laiſſa quatre enfans, dons if efts
fait mention dans un titre de la fin du XIe fiéele ,
dutems de Pontius-Clodius , Evêque de Grenoble
,& Pons , l'aîné de ſes enfans, prit lefurnonr
Ivj
204 MERCURE DE FRANCE.
d'Ainard , qui devint propre à ſa postérité juſqu'a
Pierre Ainard ſon fixieme deſcendant , qui le premier
prit le ſurnom de Montainard , Terre du
Greſivaudan , dont il fit hommage au Dauphin
Guigue l'an 1329 , & lai ſoumit en même tems
tout ce qu'il poflédoit dans le Pays de Triéves. Il
fut pere de Raimond de Montainard II . du nom ,
Lieutenant de Roi de Dauphiné , qui demanda
l'ouverture de la ſubſtitution du Comté de Diois ,
faite en faveur de ſes ancêtres. De ſon mariage
avec Marguerite de Rochefort , il eut entr'autres
enfans Jean de Montainard , pere de Raymond
III . Lieutenant-Général de la Province de Dauphiné
en 1455 , &dont le fils Hector , Seigneur
de Montainard , de la Motte-Chalençon , Montfort
, la Pierre , & c. étant Gouverneur du Comté
d'Aſti pour le Roi Louis XII . épouſa Marguerite
Paléologue , fille du Marquis de Montferrat. De
cette alliance fortitent trois garçons , ſçavoir ,
Louis , Laurent & Jean-Jacques , qui formerent
trois branches. Celle de Marcieu , dont Laurent
fut auteur fondit l'an 1622 dans la maiſon des
Eme-de- Saint -Julien , & la troifiéme venue de
Jean-Jacques fondit en 1627 dans celle de la
Vergne de Treffan.
१
La postérité de Louis de Montainard , fils aîné
d'Hector s'eſt ſubdiviſée en deux autres branches ,
lesſeules qui ſubſiſtent actuellement , par les deux
enfans de fon petit fils Marius de Montainard ,
Seigneur de Montfrin. François de Montainard ,
fils aîné de Marius eſt le quatrième ayeul de la
nouvelle mariée , & fon frere Gui-Baltazard de
Montainard , Seigneur de Chatelaid eft le biſayeul
du Marquis de Montainard qui donne lieu à cet
article. Voyez lesTablettes Hiſtoriques , IV. partie
, p. 110. & Ve. partie , page 402.
SEPTEMBRE. 1753. 205
Le 25 , Hubert de Boucher , Comte de la Tourdu
Roch d'Allas , épouſa Dlle Elifabeth Brunet
de Neuilly fille de feu Meſſire Jean-François de
Neuilly , Lieutenant-Colonel du Régiment de
Bourbon Cavalerie , & de Dame Angélique- Eu.
phemie Hébert , ſoeur du ſieur Hébert , ancien
Introducteur des Ambaſſadeurs. La bénédiction
nuptiale leur fut donnée par l'Evêque d'Arras ,
dans laChapelledu Curé de S. Nicolas-des-Champs.
Meſſire Pierre de Lentivi , Chevalier , Seigneur
de Kerlon & de Danteuil , Marquis de Limur ,
Comte de S. Urcin , mourut le 10 Juin âgé de
64 ans , dans fon Chateau de .... près de Ségur
enGuyenne.
Lamaiſon de Lentivi eſt une des plus anciennes
&des mieux alliées de la Bretagne où elle est connue
dès le treiziéme ſiécle. Elle a produit dans les
différens tems de la recherche de la Nobleffe en
1480 , 1483 , 1513 , 1669 & 1671 , & a obtenu
des jugemensqui reconnoiſſent l'anciennetéde ſon
extraction .
Onprétend qu'elle eft originaire d'Angleterre ,
&quedeux freres Jean & Pierre de Lentivi paſſerentde
ce Royaume enBretagne,& s'y fixerent par
des mariages avantageux. Ceux que fit l'aîné ,
Jean de Lentivi , Chevalier , Baron d'Arches , Seigneur
des Combes , avec Julienne de Rochechouart
, & Françoiſe de Cramezel , dit de Queramezel
qui furent ſtériles. Pierre de Lentivi ,
Chevalier , Seigneur de S. Urcin & de Vaudemont
, devenu veufſans enfans d'Alienor de Lanvault
, des anciens Batonsde Lanvault , ſe remaria
en 1298 avec Adélaïde de Baud , fille héritiere
de Guillaume de Baud, Chevalier , & de Béatrix
de Lanvault. On rapporte qu'il avoit le don fin-
1
206 MERCURE DEFRANCE .
gulier de guérir par le toucher d'une eſpèce demal
appellé Malitouche , don qui ne peut être qu'une
faveurdu Ciel , & dont les defcendans de Pierre
ſe vantent de jouir & de guérir encore entouchant
ceux qui leur ſont préſentés.
0
Pierre de Lentivi eut pour fils aîné Raoul de
Lentivi , Chevalier , Seigneur de Quernazel , S.
Urcin , Quervenallée , Querviti , &c . Celui- ci fut
marié trois fois, 1 ° . avec Alliete de Lannouan dont
il eut pluſieurs enfans. 29. Avec Alienor de Querſeu
, de laquelle il n'eut point de poſtérité. 3º. Avec
Alix de Baud. Eon de Lentivi , aîné des enfans
du trofiéme lit, forma la branche des Seigneursdu
Croſco , qui , quoique cadette , devint la plus riche&
la plus renommée ; cette branche finit àla
huitiéme génération , dans la perſonne de Claude-
François de Lentivi , Seigneur du Croſco ; lequel
de ſon mariage avec N ..... l'Evêque laiſſa pour
falle unique Florimonde de Lentivi , riche héritiére
qui épouſa N...... Rouge , Marquis du Plef
fis-Belliere , pere d'Innocente-Luce de Rougé de
Belliere aujourd'hui Princeſſe d'Elboeuf.
Du premier mariage de Raoul de Lentivi na
quirent entr'autres Jean de Lentivi qui continua
la branche aînée , & Olivier de Lentivi qui ratifia
la paix de Guerrande entre le Roi & le Duc
de Bretagne , comme il ſe voit en l'acte rapporté à
S. Brieu , de l'an 1381 , ſcellé du ſceau dudit Lentivi.
Cet acte eſt déposé à Paris , chez M. Dupuis,
Garde des Chartes de France.
Jean de Lentivi premier du nom , Seigneur de
Queranazelle , Quervenallée , Quenars , Querian
, Querandreno , Querviti , &c. épouſa en
premieres noces Marion de Malétroit , & en ſe
condes Marguerite Hilari. Son fils aîné Jean de
Lentivi II. du nom eut de fon mariage avec Ca-
1
SEPTEMBRE. 1753. 207
therine Phelipot , pour fils aîné Guillaume de
Lentivi , allié avec Louiſe de Querboutier. De ce
mariage fortirent entr'autres Alain , dont la fille
unique Blanche de Lentivi épouſa Guillaume de
Lentivi , cadet de la branche de Croſco , dont la
poſtérité eſt fondue dans la maiſon de Kerſauſon ;
François qui a fait la branche de Talhouet , mentionnée
ci après , & Guillaume , dont la poſtérité
s'eſt éteinte dans le dernier fiécle .
Branche de Talhouet ..
François de Lentivi frere puîné d'Alain , eut en
partagede fon pere & en Jouvignerie , la terre de
Querandreno , par acte du 14 Août 1516 , & acquit
conjointement avec ſa femme Nouele de Quilien,
la Seigneurie de Talhouet. Son fils aîné Raoul
de Lentivi , Seigneur de Talhouet , s'allia le premier
Mai 1525 avec Marie de Buléon , elle le fir
perede Jacques de Lentivi , Chevalier , Seigneur
de Talhonet , qui fut Gouverneurde Pontivi , qu'il
défendit contre le Duc de Mercoeur , un des Chefs
de laLigue. Il épouſa Marguerite de Tenouel. De
ce mariage fortirent Michel & Jacques de Lentivi
dont l'aîné a continué la branche de Talhouet&
l'autre a formé celle du Reſte.
Michelde Lentivi , Seigneur de Talhouet , par
tagea en 1604 avec ſon frere , & épousa Anne de
Quervafie de Malétroit , dont il eut pour fils aîné
Jean de Lentivi , Seigneur de Talhouet , allić
avec Françoiſe de Tregouet. Leur fils aîné Louis
de Lentivi fut aſſaffiné àQuimpercorentin le 2
Février 1673 laiſſant de la femme Gilette Abil-
Jan , Dame de Quejo , Hervé de Lentivi , Chevalier
, Seigneur de Tallhouer, marié avecJeanne le
Bondoul , Dame de Bonherve. De ce mariage
fontnés:
,
208 MERCURE DE FRANCE .
1°. Vincent Louis , Seigneur dé Thalhouet , allié
à Claudine Robert , fille de l'Intendant de la
Marine au Département deBreſt , ſans enfans.
2º. Clément , marié avec N..... de Lage , ſans
enfans.
3 °. Pierre , qui a épousé N..... de Salarunde
Coué.
4°. Louiſe, femme de Meffire Alexandre du
Bouenil-Campel , Chevalier.
:
Il
Branche du Reste .
Cettebranche a été formée par Jacques de Lentivi
, fils puiſné de Jacques , Seigneur deThalouer.
tranfigea 1le 8Janv. 1604avec ſon frere Michel ,
fur la ſucceſſion paternelle , & établit ſa demeure
au Reſte , Paroiſſe de Noyal , Evêché de Vannes ,
où a été bâtie une belle maifon par ſon fils aîné
Jean de Lentivi , qui avoit pour mere Perinne le
Douarin, de la maiſon du Mizs , & qui épouſa
par contrat du 6 Septembre 1647 NicoleHamon ,
fille unique de François Hamon , Ecuyer , Seigneur
de Quermau, il eut entr'autres enfans Bernard
,'Jacques & François qui ont laiſſe poſtérité.
I. Bernard de Lentivi , Chevalier , Seigneur du
Reſte & de Frémur , fut marié par contrat du 27
Juillet 1686 à Catherine Menardeau de Monbreuil.
Leur fils Jerome- François de Lentivi , Seigneur du
Refte & de Fremur, dont la foeur Catherine s'eſt
alliée à Meffire Hilarion-Eléonor de Forfan , Chevalier
, Seigneur du Houx & Confeiller au Parlement
de Bretagne , & a épousé par contrat du 27
Janvier 1727 Guyonne-Françoiſe Pélagie Robert
de la Bellangeraye. Leurs enfans font :
Julien Hilarion-Jerome de Lentivi , reçu
Confeiller au Parlement de Bretagne en 1740.
2°. François Claude Camille , ci devant CorSEPTEMBRE.
1753. 209
netre Dragons dans le Régiment d'Harcourt , &
actuellement dans les Chevaux- Légers.
3º. Innocent Louis-Bretagne , Eccléſiaſtique.
4°. Guyonne- Claire de Lentivi .
II . Jacques de Lentivi , Seigneur de Querlor ,
eut pour fils Joſeph de Lentivi , Seigneur de Pendelan
, qui épouía N...... de Chef-du-Bois , de
Gueguiomart ; il en a laiſlé pour fils unique Jacques
de Lentivi, âgé de 21 ans.
III . François de Lentivi avoit épousé Michelle-
Jeanne de la Chenaye du Belliquet , de laquelle
font nés :
1º. Jean Louis de Lentivi , Seigneur de Kerlogondenne
, marié à Julienne Guêpin , ſansenfans.
29. Joſeph- Maurice de Lentivi , Seigneur du
Liveri , dont la veuve , Marie Joſephe de Cramezel
, fille unique de Pierre de Cramezel , Chevalier
, Seigneur de Kerjaut , s'eſt remariée avec
N..... du Gouvelle , Chevalier , Seigneur de
Keriaval , Capitaine au Régiment de Mailly , Infanterie.
Il y a encore une branche de Lentivi , dite de la
Lande , établie dans le Craonnois en Anjou ; il
en eſt ſorti deux Conſeillers au Parlement de Bretagne
, & l'unique héritierde cette branche vient
d'époufer Mlle Milon , niéce de l'Evêque de Valence
,&parente de M. le Garde des Sceaux.
i Les armes de la maiſon de Lentivi font de geules
, àune épée d'argent en pal la pointe en bas , &
pourdeviſe : Qui defire n'a repos.
Dom Pierre- Emmanuel de Vienne , Abbé de
l'Abbaye Réguliere de Doë , Ordre de Prémontré,
Diocèſe duPuy , mourut àBleſle en Auvergne le
16 Juin , âgé de 47 ans .
Dominique-Jean Camuſet , Sécrétaire du Roi
210 MERCURE DE FRANCE.
Maiſon , Couronne de France &de ſes Finances,
l'un des quarante Fermiers Généraux de Sa Majeſté
, décéda à Nantes le 23 .
Le 26 , Marie-Joſeph , fils de Meffire Guillaume
François- Louis Joli de Fleury , Procureur Général
du Parlement , mourut à Paris , âgé de 14 mois.
L
AVIS.
E Sieur Maille , Vinaigrier Distillateur ordi
naire de l'Impératrice-Reine , donne avis aux
François & aux Etrangers , qu'à commencer dư
premier Septembre juſqu'à ce qu'il avertira le pu
blic, il ne pourra point vendre du vinaigre philofophique.
Ledit Sieur travaille à la compofition
dedifferens vinaigres qui n'ont point encore paru,
&dont les noms font ci après : vinaigre Gnaphantom
, vinagre Naphe , vinaigre de Puſelle ,
vinaigre Impérial , vinaigre de Mufcat , & diffesens
autres qui feront annoncésdans peu ; l'on continue
la vente du vinaigre de Venus à l'uſage des
Dames, & à celui des opiſamides ſur le prix de 96
liv. la bouteille ; les moindres bouteilles de ce
vinaigreſe vendent 6 liv ..Le vinaigre du Turby &
le vinaigre Romain continue à faire des progrès
infinis chacun dans leur utage , le vinaigre de
Turby pour la guériſon radicale du mal de dents,
& le vinaigre Romain qui les blanchit , raffermit
les gencives , & diffipe les eaux glaireuſes
qui contribuent à les gâter , arrête le progrès de
Ja carie ,& que les autres dents ne ſe cariflent , &
en ſe ſervant de ce vinaigre par habitude , il prévient
la douleur de dents, Phaleine forte , & guérit
tous les petits chancres & ulceres qui viennent
dans la bouche.
SEPTEMBRE. 1753. 218
Ledit Sieur Maille vendtoutes fortesde vinaigres
pour blanchir & entretenir la peau, guérir
les boutons , dartres farineuſes , macules & taches
du viſage. Pour la facilité des perſonnes de Province
qui fouhaiteront avoir de ces vinaigres ,
l'on joint ci-après les noms & propriétés de chaque
eſpéce.
Vinaigre de Storax, blanchit , unit & affermis
la peau; vinaigre de fleurs de citrons , pour ôter
toutes fortes deboutons ſur le viſage ; vinaigre
d'écaille ,pour guérir les dartres farineuſes ; vinaigre
de racines , pour ôrer les macules & taches
du viſage, il ſe trouve chez lui toutes fortes de
vinaigres pour la table & la toilette au nombre de
cent trente fortes , le tout compoſé d'un goût
nouveau , comme auffi toutes fortes de fruits con
fits au vinaigre , qui ſont pavis de pomponne , à
l'Italienne , bigareaux à la Reine , champignons
au vinaigre , brugnons , poivrons d'Eſpagne , confits
à la façon de Turin , graine de capucine confite
, criſte marine confite melons marinés à
PAngloiſe , bled de Turquie mariné , cornichons,
pommes d'amour , haricots à la Génoiſe ,paſſepierre
confite. Les perſonnes des Provinces de
France , ou celles des Royaumes étrangers qui
defireront avoir des vinaigres , ſoit pour les dents
ou pour le viſage , qui font énoncés ci-deſſus , les
recevront en écrivant une Lettre à Paris , & en remettant
l'argent à la Poſte. Les moindres bouteillesde
chaque eſpéce de vinaigre ſe vendent trois
liv. Le Sieur Maille demeure à Paris , rue de l'Hi
rondelle , aux Armes Impériales.
:
,
AUTRE.
1
La Commiffion Royale de Médecine aſſemblée
212 MERCURE DE FRANCE.
le9 du mois de Mai , a permis au Sieur Cartier
d'adminiſtrer ſon reméde pourdiſſoudre la Pierre
dans la veffie , &débaraſſer les reins & autres vifceres,
de tout ſable&gravier. Lesbons effets de
cediffolvant font atteſtés par pluſieurs perſonnes
de la profeffion , & autres dignes de foi ; les uns
par des actes devant Notaires publics , confirmés
par M. le Duc de Mirepoix , Ambassadeur Extraordinaire
de Sa Majefté auprès du Roi de la
Grande-Bretagne ; les autres par M. le Comte
d'Albemarle , Ambaſſadeur Extraordinaire & Plénipotentiaire
de Sa Majesté Britannique à la Cour
de France ; d'autres par les certificats de pluſieurs
particuliers qui en ont été guéris.
Certe poudre eft compoſée de ſimples fans au
cune mixtion chimique , comme M. de Senac ,
premier Médecin du Roi , eſt en état de le certifier.
Elle diſsout ces coucrétions pierreuſes , en chan .
geant la qualité des fluides qui les produiſent ; la
naturedes liqueurs étant changée , le corps étranger
tombe & fe diſsout infailliblement.
Quoique ce reméde ſoit long dans ſon opération
àdiſsoudre la pierre , il a cela de particulier .
qu'à peine les malades ont-ils pris vingt à trente
priſes de la poudre , qu'ils ne ſentent preſque plus
aucune incommodité de la pierre; ils peuvent
vacquer àleurs affaires , & même aller en voiture
ſans ſouffrir.
Trente àquarante priſes de ladite poudre font
capables de détruire la gravelle la plus invétérée.
Pour une plus ample certitude de ce fair , & pour
convaincre le Public de ſon efficacité , Meſſieurs
lesMédecins ſont priés de vouloir bien inettre en
uſage le reméde du Sieur Cartier , il ſe fera gloire
d'adminiſtrer ſa poudre ſous leur propre direction;
&ceux qui ſe préſenteront à lui directement, aa
SEPTEMBRE . 1753. 213
feront entrepris qu'ils n'ayent apporté un certificat
du Chirurgien qui les aura fondés auparavant.
Cette poudre eſt extrêmement agréable au goût
& à l'odeur , & ne peut faire le moindre tort ou
préjudice au corps ; même plus les malades en
prennent , mieux ils s'en trouvent pour la gayeté
&l'embonpoint.
Son adreſse eſt rue Mazarine , chez M. Nihell,
Chirurgien , ou au gros Raisin ,àcôté. On payera
le port des lettres.
AUTRE.
L'Eau des Sultanes ſe diſtribue toujours avec
beaucoup de ſuccès. Ily a peu de ſemainesque le
Geur Garrot , ſeul poſſeſſeur du ſecret de le compoſer,
ne reçoive des lettres de Province , qui lui
fontadreſſéesde la partdes perſonnes de diſtinction
, pour des envois qu'il a ſoin de faire tenir
régulierement. Ces perſonnes véridiques qui font
l'éloge de cette eau , ont remarqué par l'uſage
qu'elles en ont fait , qu'elle poſſéde non ſeulement
toutes les vertus annoncées déja dans le Mercure
de Juillet 1752 , mais encore celles d'être excellente
pour preſſer la guériſon des éreſipeles , dar
tres vives&farineuſes , & enfin de toutes les maladies
de la peau qui ont un trop grand feu pour
principe.
On peuts'en ſervir le matin& le ſoir. Elle raffermit
la peau , la fortifie & l'adoucit conſidérablement
en la blanchiſſant ; elle a auffi la vertu
de rafraîchir. Elle convient , non-ſeulement aux
femmes , mais encore aux hommes qui ont le viſa.
ge brûlé du ſoleil en courant la poſte ou la chaffe;
il ne faut qu'imbiber un petit linge fin ou une
éponge avec cette cau , & s'en étuver , pour ſe
214 MERCURE DE FRANCE.
trouver promptement ſoulagé. Cette eau est trèsconvenable
dans les bains de ſanté & de propreré ;
on la peut mêler avec l'eau du bain , à volonté ;
lorſqu'on ſera ſorti du bain , on peut l'employer
toute pure ; on peut auſſi , après s'être bien lavé
les mains&les avoir eſſuyées , fe les frotter de ladite
eau pure , puis la laiſſer ſécher fans les eſſuyer
que très-légerement. Cette eau eſt auſſi très bonne
pour les taches de roufleur& les rougeurs de la
petite vérole , elle les efface entierement. Pluſieurs
Seigneurs & Dames s'en fervent actuellement.
Cette eau ſe débite en différentes Provinces, Le
prix du flacon eſt de 6 liv. &ledemi flacon eſt
de 3 liv. Le ſieur Garrot prie les perſonnes qui lui
écriront , d'affranchir le port de leurs lettres.
Ildemeure préſentement rue d'Orléans S. Honoré,
shezM. Dreau, Chaudronnier , auſecond étage,
AUTR E.
Mlle Mutin , approuvée de M. le premier Médecin
du Roi & de la Commiſſion Royale deMédecine
, donne avis au public qu'elle guérit avec
ſuccès les maladies des yeux , tayes naiſſantes ,
ulceres de la per te verole , fluxions, inflammations,
ſans opération , ni ſans ſouffrir aucune douleur.
On trouve chez elle l'eau qu'elle poſſéde
ſeule, pour fortifier toutes les foibleſſes de vûe ,
ſoit qu'elles foient cauſées par des ſuites de maladies
, ou autrement. On y trouve auſſi l'eau pour
la paralyfie parfaite & imparfaite des yeux. Elle
guérit les pauvres pour rien.
On la trouve chez elle depuis huit heures du
matin juſqu'à midi , &depuis deux heures juſqu'à
fix du foir. Elle demeure chez M. Rouffel , MarchandMercier
Quincaillier , que Montmartre , entre
La rue du Mail la rue des Foſſés. Son tableau eft,
fur la porte.
SEPTEMBRE . 1755 , 25
J
APPROBATION.
'Ai lû , par ordre de Monſeigneur le Chancelier
, le volume du Mercure de France du mois
de Septembre, A Paris , le 1 Septembre 1753 .
LAVIROTTE .
TABLE.
P
IECES FUGITIVES en Vers & en Profe.
Oritie & Borée ; Conte ,
page3
Aſſemblée publique de la Société Royale de Lyon ,
ril 1752 , du 19 Avril
و
Les Oiſeaux galans trompéspar une Fauvette, Fable
, à M. Guerg *** , 27
Eſſai ſur l'origine & les progrès des Connoiſſanceshumaines
,
31
Vers à Mlle Pellerin , pour lui annoncer la mort
de ſon Serin , 18
Avis au Public fur les Charrois , 66
Vers pour Mile Coleb , qui accompagnoit ſa voix
en jouant du clavecin. Par M. L. Dutens de
Tours , 72
Vers par le même , pour Mlle B .... N ... 73
Nouvelle découverte ,
74
Eſope , Phédre & la Fontaine aux champs Eliſées ,
Nouvelle . Par M. Desforges Maillard ,
76
Séance publique de l'Académie Royale de Chiturgie
, tenue le Jeudi 3 Mai 1753 . 79
Mots de l'Enigme & des Logogryphes du dernier
Mercure ,
1
107
Enigme & Legogryphes , ibid.
216
Nouvelles Littéraires ; 103
Beaux Arts , 132
Chanſon , 156
Spectacles , 157
Nouvelles Etrangeres , 180
France. Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 1.88
Bénéficesdonnés , 201
Naiſſance , mariages & morts , 202
Avis , 210
LaChanson notée doit regarder la page 156
De l'Imprimerie de J. BULLET.
:
:
MERCURE
DE FRANCE ,
DDEÉDIÉ AU ROI.
OCTOBRE . 1753 .
LIGIT
UT SPARGAT
Papillon
S.
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT Quai de Conty ,
defcente du Pont-Neuf.
,
àla
DUCHESNE , rue Saint Jacques,
au Temple du Goût.
M. DCC. LIII.
Avee Approbation & Privilége du Roi.
AVIS.
'ADRESSE du Mercure eft à M. MERIEN
LCommis au Mercure, rue des Foffez S. Germain
l'Auxerrois , au coin de celle de l'Arbre-fec , pour remettre
à M. l'Abbé Raynal.
Nous prions très-instamment ceux qui nous adreſſeront
des Paquets par la Poste , d'en affranchir le port ,
pournous épargnerle déplaisir de les rebuter , & à eux
selui de ne pas voir paroître leurs Ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays Etrangers ,
quiſouhaiteront avoir le Mercurede France de la premiere
main , & plus promptement , n'auront qu'à
écriveà l'adreſſe ci-deſſus indiquée.
On l'envoye auſſipar la Poſte, aux perſonnes de Province
qui le defirent , les frais de la pofte ne sont pas
confiderables.
On avertit auffi que ceux qui voudront qu'on le porte
chezeuxàParis chaque mois , n'ont qu'àfairesçavoir
Beurs intentions, leur nom & leur demeure audisfieur
Merien,Commis au Mercure, on leur portera leMercure
très - exactement , moyennant 21 livres par an , qu'il
payeront ,sçavoir , 10 liv. 10f. en recevant le second
volume de Juin , & 101. 10 f. en recevant leſecond
volume de Décembre. On les supplie instamment de
donner leurs ordres pour que ces payemens foientfaits
dans leur tems.
On prie auſſi les personnes de Province , à qui on
envoye le Mercure par la Pofte , d'être exactes à faire
payer au Bureau du Mercure à la finde chaquefemeftre
,fans cela on ſeroit hors d'état de foutenir les
arances conſidérables qu'exige l'impreſſion de ces
okvrage.
On adreſſe lamême priere aux Libraires de Province.
On trouvera le ſieur Merien chez lui , les mercre
di , vendredi& Samedi de chaque semaine.
PRIX XXX, SOLS.
!
MERCURE
DE FRANCE ,
1 1
DÉDIÉ AU ROI.
OCTOBRE. 1753 .
PIECES FUGITIVES,
en Vers & en Profe.
VERS
Pour Mlle B **, de Tours, par L. Dutens
deTours .
Arrête, où porte-tu tes pas?
Divin Soleil , arrête , & borne à nos climats
Une infructueuſe carriere ;
Ce monde , àqui tu cours diſpenſer ta lumiere,
Ne peut jamais t'offrir d'auſſi charmans appas ,
Que t'en offrent les yeux de l'aimable Glycère.
DesSçavansde l'antiquité ,
Aij
4 MERCURE DE FRANCE.
Rien ne me prouve mieux l'ignorance profonde
Que le ſyſtême faux qu'ils nous ontdébité
Sur ta marche conſtante autour de notre monde
S'il étoit vrai , Glycère eût changé cette loi ;
Ses regards enchanteurs , qui peuvent tant ſur moi
Auroient bientôt fixé ta courſe vagabonde ,
Si la terre en fuyant ne l'éloignoit de toi.
VERS A UN MENTEUR ,
Par lemême.
LEs larmes d'une Courtiſanne ;
Les careſſes d'un favori ,
Le chagtin d'une veuve en deuil de ſon mari;
D'un Normand adroit qui chicane ,
Les détours & les fauſſetés
Sont près de tes diſcours autantde vérités.
U
Ne perſonne très- aimable &très- aimée
, à qui j'ai ſucceſſivement fait
préſent d'une Fauvette &d'un Serin , qui
ſont morts tous deux , m'envoya ces jours
paffés les vers ſuivans , qu'elle intitule :
Epitaphe deſon Serin & de fa Fauvette.
Cy gît auprès d'une Fauvette,
Un Serin dont l'Amour fit choix,
Pour être près de moi ſon fidéle interprête,
Que l'Amour cherche une autre voix;
OCTOBRE. 1753 .
5
C'eſt le ſecond que je regrette ,
Je n'en regretterai pas trois.
Par Mile L***.
Je lui ai répondu par les quatre vers
fuivans.
RÉPONSE.
L'Amour ſe rend à vos deſirs ;.
De mon attachement extrême
Ecoutez les tranſports , mon ardeur , mes ſoupirs ,
C'eſt l'Amour qui parle lui-même.
Le 29 Mai 1753 . Bidault.
REFLEXIONS fur l'utilité des Compagnies
Littéraires , à l'occaſion d'un Difcours
lû dans la Société Royale de Nancy ,
rendu public au mois de Mars dernier. Par
M. Roupnel de Chenilly , Avocat.
T
Outes les Profeffions qui font en
honneur dans les Etats policés , doivent
leurs principes à des vérités primitives
qui en paroiſſent comme indépendantes ,
qui étant ignorées en retardent les progrès,&
une fois apperçues, les conduiſent
à leur perfection : plus ces principes élémentaires
ſont ſimples , plus ils ſont difficiles
à ſaiſir , ils demandent tout l'effort
Aiij
MERCURE DEFRANCE.
des grands génies. Les Compagnies deſtinées
à régler les premiers tems de la jeuneffe
, rendent des ſervices importans au
public ; mais l'âge tendre eſt trop foible
pour l'abſtraction des raiſonnemens , &
dès qu'on a quitté l'ombre de l'école , les
objets frivoles s'emparent de l'eſprit & du
coeur. Comment donc maintenir le goût
du vrai & du beau pour en faire d'utiles
applications ? Par des Bibliothéques qui
renferment d'excellentes productions . Ces
dépouilles du monde littéraire ne peuvent
ſervir , qu'autant qu'on ſcait profiter de
leurs richeſſes.
Il n'y a que ces Compagnies d'hommes
ſçavans , réunis en differens corps de ſociété
dans les mêmes vûes & dans les mêmes
intérêts , quoiqu'ils ne tiennent pas
la même route , qui puiſſent faire eſpérer
d'auſſi précieux avantages .
Elles s'occupent à pric
re
Der dans leur fourles
plusheureuſes découvertes ; utiles
dans leurs recherches , elles ne le font pas
moins par l'émulation qu'elles excitent ,
elles tournent la jeuneſſe vers le folide
&ſe remplacent par des ſucceſſeurs qu'elles
ont pris foin de former ; c'eſt ainſi
qu'on peut perfectionner de plus en plus
par la théorie , ce que la pratique enfeigne
pour communiquer à tous les états impor
OCTOBRE. 1753. 7
rans un effor avantageux au bien commun.
Je ne puis donner une idée de ce que
font ces compagnies , par rapport au gouvernement
, qu'en faiſant connoître les
objets de leurs travaux , leur maniere de les
approfondir , les ſervices qu'elles rendent
à la jeuneſſe , dans un tems où elle a un
beſoin preſſant d'être dirigée ; d'où je dois
établir par conféquent la liaiſon qui eſt
entre leurs ſuccès & la gloire des emplois
les plus ſérieux. Tel eſt en effet le plan de
mes réflexions .
Les differens phénoménes de la nature ,
les Sciences mathématiques , l'étude des
Langues , l'Hiſtoire , la Poësie , l'Eloquence
, enun mot les genres de Littérature ,
font foumis à la recherche & à l'examen de
ces hommes célébres. Il faudroit être un
Peintre parfait pour expoſer ſous des couleurs
également vives & reſſemblantes , la
beauté, la nobleſſe , la dignité des matériaux
qui font dans leurs mains , les queftions
fameuſes qu'ils font naître , ſi cette
entrepriſe ſeroit redoutable au plus grand
Maître : je vais ſubſtituer une eſquiffe au
tableau , quoique je laiſſe àdefirer de la
force ou de la délicateſſe ,j'aurai tenté de
m'acquitter de l'amour que j'ai pour les
Sciences& lesBeaux Arts qui découlent de
Tamour ſocial, A iiij
* MERCURE DEFRANCE.
J'entre d'abord dans un détail qui a rapport
aux differentes claſſes de la Philoſophie
; mais j'évite , autant que je puis , ces
termes mystérieux qui défendent l'entrée
de ſon ſanctuaire , parce que j'écris pour
être à la portée de toutes perſonnes qui
penfent.
La terre , les plantes qu'elle produit ,
les dépôts qu'elle récele dans ſon ſein , les
élemens qui l'animent , leSoleil , le Ciel ,
les Aſtres , les animaux , l'homme , la divinité
même , quelle carriere pour un génie
élevé !
La terre qui nous paroît ſi groffiere , &
qu'on foule aux pieds , ne manque point
aux hommes ; mille générations ont paffé
dans ſon ſein , & fa fécondité n'eſt point
épuisée ; toutes les plantes ont un terme
aſſigné pour leur durée , mais elles tombent
en diffolution pour vivre d'une vie
nouvelle , où elles ſont en mourant le fouzien
d'autres plantes dont elles ſont ſuccédées
: placées dans leur lieu , elles forment
un ordre ſymétrique qui n'échape point
au ſpectateur attentif; les fleurs récréent
la vûe , flatent l'odorat ; les fruits reffafient
le goût , ou calment une foif importune ;
des ſimples falutaires précautionnent contre
les langueurs , confervent ou rendent
la ſanté , tandis que croiffent ailleurs des
OCTOBRE. 1753 و .
poiſons ennemis , des ſucs meurtriers ,
rien n'a été fait envain ; mais quel rapport
ſi délicat entre ces végétatifs ! quelle difference
de principes fondus & mêlangés !
9alle dépendancedu terroir ! combien de
propriétés encore inconnues !
Fouillons dans le ſein de la terre , on découvrele
régne des minéraux , qui de nos
jours ont été convertis à des uſages ſi utiles
, ces métaux dont quelques-uns femblent
mettre tant de difference parmi les
hommes , & en mettent une plus ſenſible
parmi les moeurs & le caractere des Nations.
De quelle exactitude n'a t'on pas
égalementbeſoindans les analyſes ? quelle
activité , quelle profondeur , quelle modération
n'exigent pas les ſuccès !
Le liquide élement qui environne la terre&
l'arroſe comme un jardin , ſe produit
ſous mille formes pour le ſervicede l'homme
: tantôt unie comme une glace , l'eau
procure l'abondance dans les campagnes ;
tantôtelle ſouleve ſes flots pour tranſporter
les plus lourdes machines dans les lieux
voiſins , & puis elle les abaiſſe : ſi on la
conſidére dans le vaſte Océan , elle eſt le
lieu de l'an & de l'autre monde ; foumiſe
à notre induſtrie , elle eſt retenue dans
d'immenſes réſervoirs , où elle s'élance
avec effort du dédale de mille canaux ,
Av (
TO MERCURE DE FRANCE .
ouvrage de l'art ; ſuſpendue au-deſſus de
nous , elle ſe répand dans un pays en des
pluyes abondantes ,& dans un autre en
de fertiles roſées , mais quelquefois des
plantes languiſſantes de ſéchereſſe ſur leurs
tiges , où n'aguéres des hommes timides
ſe croyoient deſtinés à périr par un nouveau
déluge. D'où proviennent tant de
ſources bienfaiſantes ? qui caufe leur afféchement
comment un élément ſans conſiſtance
entraîne-t'il des poids immenfes ?
comment l'aſſujettir à un eſclavage réglée
comment élevé ſur nos têtes ſe diſtille-t'il
fi à propos ? ſur quoi les vagues mugiſſantes
ſe briſent- elles contre un grainde fable
, ou ſe tournent-elles du côté oppoſé
au rivage ?
Quel est ce corps qui tranſmet la lumiere
, qui frappe les yeux , qui me fert
de véhicule , qui , tantôt plus fubtil , tantôt
plus peſant , paroît fi different de luimême
, qui ſe renouvelle pour moi dans le
lieu que j'habite , de forte qu'on croiroit
qu'il change å ſon gré la face du Ciel ? Je
ne puis méconnoître l'air , mais je recherche
ſes propriétés ; comment tempere t'il
la lumiere pour l'accommoder à ma foibleffe
comment puis-je vivre au milieu
de ce fluide , qui pénétré des corps:
hétérogenes , ſe charge du parfum des
OCTOBRE. 71 1753 .
fleurs &des principes tranchans de l'aconit
ou de la peſte ? quelle foule de queſ
tions ſur ſon poids , fes variétés , ſes altérations
!
1
Mais j'apperçois un météore enflâmé
rêt à toutdétruire , ſans doute le feu rompant
fon étroite priſon vient d'opérer ce
prodige ; s'il produit ſouvent les plus
grands maux par ſes éruptions & fes exploſions
fubites , lui ſeul eit , à proprement
parler , le pere & le nourricier de ce qui
exiſte ; il confume ce qui eſt impur dans
les germes , & anime le principe vital en.
gourdi ; il concourt aux plus grandes entrepriſes
de l'homme , il détruit les villes ,
il gagne les batailles , il peut auffi égayer
les charmes d'une fête ordonnée par l'amour
ou par la reconnoiſſance. Comment
reſte- t'il dans l'inaction au ſein de la terre,
ou déploye- t'il tant d'activité ou de refforts
? par quel art l'homme en ſuſpend il
l'effet , ou le force-t'il d'obéir àune deſtination
qu'il lui marque
L'aurore m'avertit de la préſence du Soleil
, la préſence de cet Afſtre excite mes
réflexions , c'eſt lui qui éveille les puiſſances
productrices de la nature , il régle la
durée des jours &des nuits , & le cours
conftamment alternatif des ſaiſons : parcourt-
il en conquérant les liens qu'ilécla
Avj
12 MERCURE DE FRANCE:
re , ou tel qu'un Monarque paiſible , eſt- il
placé au centre de l'univers ? s'il route autour
des globes qu'il rencontre fur fon
paſſage , pourquoi ne les embraſe t'il pas ?
&par quel charme eſt il retenu dans des
limites dont il ne s'écarte jamais ? mais s'il
eſt immobile , qui ſoutient la marche non
interrompue de ces corps qui ſont ſi durs ?
Cependant il ceſſe déja de luire fur notre
hémisphère , le Ciel m'invite par une
harmonie de couleurs qui m'enchantent
la douceur & la vivacité des nuances qui
ſe multiplient , ſemble ſe confondre pour
m'offrir les plus beaux accidens de lumiere
; quel fonds pour perfectionner l'Art
du Pinceau ! mais quelle matiere aux réflexions
des grands hommes qui doivent
des principes aux Arts !
Bientôt un nouveau flambeau brille d'un
éclat emprunté &diſpenſe un feu ſombre,
mais doux & bienfaiſant. Comment reçoit-
il cet éclat qu'il me rend ? Une multitude
d'autres flambeaux , dont la clarté
ne paroît pas moins variée à l'oeil que la
grandeur forme une nouvelle décoration :
quel eſt en effet leur rapport , leur diflance,
leur fin ? pourquoi brillent- ils ? ne
brillent- ils que pour nous éclairent- ils
desmondes fans nombre ?
Quand je reviens à la terre ,quelle gra-
>
OCTOBRE. 1753 . 13
dation d'êtres depuis l'homme juſqu'au
néant ? la diverſitédu plumage dans les oifeaux
, l'harmonie de leur chant , la force
ou la foupleſſe parmi les hôtes des bois ,
l'étonnante féconditédans le peuple muet
des ondes , l'art avec lequel les reptiles
graviffent , ferrent , embraſſent ; la beauté
des aîlesdorées des inſectes , les métamorphoſes
des vers à ſoye , ce ſpectacle eſt
bien digne d'attirer l'homme de génie ;
quel mechaniſme dans la conſtruction des
membres de ces êtres differens ? l'ordre de
leur police eſt admirable. Qui a appris à
l'abeille ou à la fourmi leur gourvernement
? qui régle les phalanges des oiſeaux
depaſſage ? quelle induſtrie dans les périls ?
voyez les évolutions du reptile. Eft-ce la
raiſon , est - ce l'inſtinct qui dirige les animaux
? ne jouiffent-ils point d'une faculté
moyenne entre l'Ange & l'homme ? ou ,
ce qui est un objet plus intéreſſant de notre
curioſité , de quel uſage font- ils par
rapport à nous ? juſqu'à quel point peuvent-
ils nous fervir ou nous nuire ?
+ L'homme m'offre une ſtature qui correſpond
à l'utilité & aux besoins de fon
eſpéce; ſes traits ſont nobles ,hardis , proportionnés
, tous ſes membres font diſpo .
ſés de maniere à ſe ſecourir mutuellement
ſitôt qu'ils font avertis par les eſprits qui
14 MERCURE DE FRANCE.
partent du cerveau ; la plupart des organes
ne contribuent pas moins à la beauté de
l'ouvrage qu'à ſa confervation ; mais il
s'éleve en lui des combats qui altérent ou
tariffent les ſources de la vie: l'ame qui
eſt ſa forme , eſt ſans comparaiſon plus
précieuſe que le corps ,elle lui commande
en ſouveraine , les nerfs , tous les refforts
exécutent ; libre dans ſes modifications
, elles ne font pas l'ouvrage de la
contrainte ou de la néceſſité ; douée de
connoiſſances éternelles , immuables , elle
adans ſoi une régle sûre qui ne peut tromper;
ſes vûes pénétrent dans l'infini , une
par effence , elle ne connoît ni parties , ni
diviſions : cependant elle eſt ſujettre à l'égarement
, ſes idées ſont ſuſceptibles d'une
eſpéce d'accroiſſement qui lui eſt propre
, elle tient donc ſon exiſtence d'un être
qui en eſt indépendant , cet être lui communique
par conféquent fes perfections ,
d'ailleurs le corps la prévient par ſes révoltes;
quelles armes à oppofer pour défendre
la liberté de l'homme , ſans bleſſer
le ſouverain domaine de l'Etre ſuprême ,
& ſans méconnoître les effets trop certains
de l'économie animale a comment
diſtinguer les opérations de deux fubſtances
eſſentiellement differentes , & formellement
unies ? pourquoi la diverſité des
OCTOBRE. 1753. 15
Religions , de climat , d'éducation , d'âge
, de condition , influc-elle fur les
moeurs ?
Ma foiblefle m'oblige à tâcher de découvrir
mon Auteur ; je conçois que je
n'ai pû recevoir l'être de tout ce qui m'environne
, ni de moi-même , que tout a un
principe , hors lequel il n'est qu'un affreux
néant , ce principe eſt donc l'être par effence
: s'il eſt l'être par effence , il eſt unique
, il eſt ſimple , il eſt tout-puiſſant , il
eſt bon , il eſt immuable , il eſt éternel , il
eſt immenſe , il renferme en un mot la plénitude
& la totalité de la perfection de
l'être ; mais comment concilier ſa ſimplicité
avec fon immenſité, ſon immutabilité
avec ſa liberté , ſon éternité avec la création
ſucceſſive de ſes ouvrages , ſa toutepuiſſance
& fa bonté avec les défauts qui
ſe rencontrentdans le monde phyſique &
dans le monde moral ?
J'abandonne ici le fil de mes réflexions
fur la Philofophie , pour paffer aux differens
genres de Littérature.
Je ne puis réflechir ſur l'étude des Langues,
fans me rappeller le zéle avec lequel
la plus célébre Académie de l'univers s'oc
cupe depuis un ſiècle à perfectionner la
Langue qui s'approchoit déja le plus de fa
perfection ,& les progrès dont elle lui e
16 MERCURE DE FRANCE.
redevable. Sans entrer dans le génie&
dans le caractere des Langues (ce qui feul
mériteroit un ouvrage ) je puis dire , généralement
parlant , que de même que
toute pensée de quelque prix est vraie , il
eſt auſſi à ſa maniere un vrai d'expreſſion ;
l'expreſſion réguliere prend la forme de la
penſée dont elle eſt le ſigne; fi la penfée
eſt ſimple , elle ne l'exagére point par une
pompe vaine ; s'agit- il d'un ſeul coup de
pinceau de peindre un tableau tout entier,
de rendre d'un trait une vérité importante
, elle ne décrédite point , elle ne trahit
point la penſée par un air de foibleffe ou
un défaut de fidélité : ce n'eſt pas qu'elle
défire qu'on ne ceſſe d'avoir le compas en
main , une noble hardieſſe mérite des éloges.
On convient de tout cela, mais quel.
le énergie , quelle fineſſe , quelle précifion
ne faut- il pas pour fatisfaire au goût , &
même au jugement des oreilles ? de quelle
fobrieté doit-on uſer ,lorſqu'on veut paiſer
dans les Langues mortes ou vivantes
pour enrichir , & non pas furcharger celle
qui eſt l'objet de notre application?
L'Hiſtoire attache par un ſpectacle toujours
varié : l'origine , les progrès , la chûte
, la décadence des Empires , les évenemens
fameux qui ont occupé fucceffivement
la ſcene du monde ,depuis sa naifOCTOBRE.
1753 . 17
,
fance fixéeà une époque certaine les
moeurs , les loix de chaque Nation auſſi
differente d'elle-même , ſuivant les diverſes
poſitions où elle ſe trouve , que differente
des autres Nations , ces hommes extraordinaires
, ces fublimes intelligences
qui ont attiré les regards de l'univers par
leurs vertus ou par leurs vices ; voilà ce
que renferme l'Hiſtoire dans des monumens
plus durables que le bronze & l'airain.
Mais quelles qualités exige -t'elle ?
une unité de deſſein qui viſe à un tout
exact , un coup-d'oeil juſte qui démêle les
faits eſſentiels , un eſprit étendu qui s'éleve
au-deſſus des difficultés , un zéle pour
la vérité qui obſerve une neutralité parfaite
entre les intérêts oppoſés , un ſtyle
&des tours proportionnés à ces differentes
parties : la connoiſſance des Langues
contribue beaucoup à ce dernier avantage,
quoique les autres qualités doivent plus à
la nature qu'à l'art; comment les développer
dans les Auteurs , ou les reconnoître
dans ſoi-même ?
La Poësie eſt un art digne des plus
grands éloges ; dans des accords majeftueux
elle s'éleve juſqu'à la divinité , elle
célébre la gloire du Très-haut , & la
beauté de ſes ouvrages , ou elle peint ſous
des couleurs différentes , un héros ver18
MERCURE DEFRANCE :
tueux que l'intérêt de ſes Etats conduit à
l'immortalité au travers des périls ; un tyran
cruel, la terreur de ſes ſujets , le fléau de
la terre & fon propre bourreau : monitrice
aimable , elle s'infinue adroitement dans
les cercles pour en extraire les travers
& les ridicules , les apprécier , & nous
corriger avec plus ou moins d'éclat ſous le
maſque de la plaifanterie : amie tendre &
généreuſe, elle conſole la douleur , elle
arrête le cours des larmes : écho des plus
doux ſentimens , ſous des images ingénues
, elle ſe plaît à tracer une flamme légitime
, ou à célébrer le bonheur de deux
époux nouvellement unis ſous les aufpices
de l'amour ; toujours fidéle à l'obſervation
des régles , elle n'en laiſſe point appercevoir
la contrainte , elle fort triomphante
de leurs entraves ; mais quelle
ſcience des hommes , quelle étude de la
ſageſſe ne ſuppoſe-t-elle pas ? quelle force
ou quelle délicateſſe dans le pinceau ?
L'Eloquence avec un maintien plus ſimple
, quoique majestueux , employe des figures
moins hardies , des reſſorts moins
multipliés pour parvenir à ſon but ; mais
dequels intérêts ne ſe charge-t-elle pas ?
organe du Tout- puiſſant , dont elle intime
les volontés , elle excite de ſaintes
frayeurs , ou elle inſpire une ſalutaire
OCTOBRE. 1753. 19
confiance ; protectrice de l'innocence , elle
faitpâlir le crime au milieu de la ſplendeur
&de l'éclat qui l'environne ; admife dans
le conſeil des Princes, elle veille au bien des
peuple, dans leGouvernement , ou médiatrice
puiſſante , elle eſt le lien des nations ,
elle éteint les foudres de la guerre ou en
ſuſpend les coups. Mais comment ſaiſir le
dégé d'activité & de mouvement propre
à opérer des fins ſi nobles , faire marcher
tour- à- tour la terreur ou l'infinuation , rencre
le calme ou exciter les tempêtes ?
C'eſt ainſi que je me ſuis répréſenté le
plandes occupations des différentes Acadéinies
; j'ai propoſé des queſtions intéreffantes
, j'en ai obmis d'autres qui ne le
font pas moins , foit pour ne pas excéder les
bornes des fimples réflexions , foit dans
I'Mimpoffibilité d'atteindre toute l'étendue
des objets qu'elles embraffent. Je ſouhaite
m'être aſſez expliqué pour faire preſſentir
au Public leur importance. Je paſſe maintenant
aux ſecours précieux que les grands
hommes qui les compoſent ont pour ſeconder
, pour étendre leurs talens à proportion
de la difficulté des matieres qu'ils
traitent.
L'Académicien , en effet , ſous les loix
d'un travail réglé a fans ceſſe la faculté
d'acquérir de nouvelles connoiſſances la
20 MERCURE DE FRANCE.
communication des lumieres de ſon corps
lui fait franchir , pour ainſi dire , d'un pas
cette longue route , qu'il eût éré obligé de
tenir s'il eût été iſolé ; des conférences oй
préſident la méthode & le goût , abrégent
le cercle qu'il auroit été forcé de décrire ,
& aidé des découvertes de ceux qui l'ont
devancé& de celles de ſes contemporains ,
il applique toute ſa vigueur aux difficultés
qu'ils n'ont point réſolues , ou à placer
leurs ſolutions dans un plus grand jour.
Auparavant de paroître au tribunal du
Public , il vient s'eſſayer à ce tribunal particulier
. Le Phyſicien averti qu'il doit allier
les faits avec le raiſonnement , ſe perfectionne
dans l'art de faire des expériences
délicates , d'où il tire les plus lumineuſes
conféquences. Le Chymifte , que
dans ſa ſphere il y a des bornes au de-là
deſquelles on ne trouve que de brillantes
impoſtures , eſt ſans ceſſe en garde contre
lui dans ſes analyſes. Le Géometre, que fon
art ne conſiſte point uniquement à meſurer
des lignes , des ſurfaces & des corps ,
enviſage bien moins la difficulté que futilité
des problêmes , & ſe livre aux phénomenes
qui entrent dans la philoſophie
naturelle. Le Métaphyficien , que la ſcience
qui conſidére les eſprits où les corps
entant que repréſentés par nos percepOCTOBRE.
1753. 21
tions , eſt extrêmement périlleuſe , procéde
avec cet eſprit philoſophique qui régle
les dégrés d'aſſertiment par les dégrés de
certitude. Le ſpectateur des moeurs , que ſi
dans les maximes il doit regner un vrai
abfolu dont le compas eſt dans l'eſprit , les
réflexions doivent être priſes dans les cauſes
qui en voilent la juſteſſe , recherche
avec l'empreinte ſaillante de la vérité , les
menaces qui par le pouvoir de ces agens ,
déclinent imperceptiblement de la régle.
L'Hiſtorien , qu'il doit être conftamment
étayé de la plus exacte critique , balance ,
confronte les opinions ; s'il écrit ſurun
ſujet déja eſſayé , ou ſi ſon ſujet est neuf ,
il cite devant lui dans leur ordre , non .
ſeulement les principaux acteurs qu'il a
réſolu de faire entrer dans ſon plan , mais
toutes les circonstances des faits pour les
apprécier &déterminer ſon choix. Le Poëte
, que les véritables ſuccès dans tous les
genres de Poëſie dépendent de la régularitédans
les louables imitations , craint de
confondre la foibleſſe d'une raiſon qui s'éblouit
avec la hardieſſe du génie , le raffinement
avec la délicateſſe. L'Orateur, que
l'éloquence doit porter le trait de la lumiere
& de la perfuafion & faire concerter le
combat des paſſions pour aſſurer ſon triomphe
, s'étudie à découvrir dans toutes les
22 MERCURE DE FRANCE.
fituations , & fur tous les théatres les
moyens sûrs d'intéreſſer le coeur , & de
pénétrer dans le fond intime de l'ame.
Chaque Compagnie ſeconde le zéle de
ſes membres par ſon application & fon
équité dans les jugemens : perfuadée que
l'éloge dans lequel la complaiſance a la
moindre part , eſt un ſacrifice de la réputation
, & que dès qu'on peut mieux faire
, le héros littéraire doit regarder ſes
plus beaux exploits comme de ſtériles travaux
, elle diſcute , examine ,peſe tout au
poids du ſanctuaire.
Mais ſi malgré les lumieres de ſa compagnie,
l'Académicien éprouve encore des
doutes ; eh! qui peutt out pénétrer ? Dans
tous les pays où le goût eſt parvenu , il y
a lieu d'eſpérer des éclairciſſemens. Je conviens
que les vertus ſociales ſont étroitement
unies avec les ſciences & les beauxarts
; mais n'eſt - il pas vrai qu'on ſe dévoile
avec'un retour plus ſérieux ſur ſoi-même
avec une candeur particuliere à un
homme à talens , qui a fait comme un
voeu folemnel de les cultiver ? Qui , il eſt
pour lui un langage unique , ce n'eſt point
le langage de l'eſprit précisément , ce n'eſt
point le langage du coeur , c'eſt le ton du
Sentiment.
C'eſt ainſi que l'Académicien excite ,
OCTOBRE. 1753.23
entretient dans lui le génie créateur :
ainſi les Compagnies qui raſſemblent de
ſemblables hommes , doivent être les dépoſitaires
des dogmes de la plus ſaine Philoſophie
,des tréſors des langues , des monumens
d'Hiſtoire , des chefs- d'oeuvres de
'Eloquence , des beautés de la Poëfie , &
desplus rares productions de la Littérature .
La gloire & l'eſtime , cette monnoye
dont on paye ce qui eſt au deſſus de toute
évaluation , & qui eſt le prix du mérite
ſupérieur , produit l'émulation ; la jeuneſſenée
avec d'heureuſes diſpoſitions , mais
qui ne font pas encore développées , tourne
ſes regards vers ces aſtres éclatans ,
elle réſiſte au torrent qui ſemble devoir
l'entraîner , elle triomphe dans la carriere
des Lettres , des périls qui ſont comme
inſéparables de ſon inconstance& de ſa légéreté
, périls que je ne puis bien faire
concevoir qu'après avoir expoſé le goût
&l'état de la Littérature par rapport à cet
âge.
Quel est le goût & l'état de le Littérature
par rapport à la jeuneſſe ? Invitée par les
graces du ſtyle , charmée par une certaine
variétéde tableaux , intéreſſée par des fituations
extraordinaires , foutenue par des
incidens ménagés avec artifice , elle ſaiſit
avec avidité les Romans , fruit d'une ima
24 MERCURE DE FRANCE.
gination peu réglée ( ſi on en excepte un pe
tit nombre dont il ne peut être queſtion )
qui , pour laiſſer quelquefois appercevoir
dans le lointain un air de nobleffe & de
grandeur, n'en ont pas plus de beautés ſolides
; ouvrages biſarres qui ne peignent les
hommes ni tels qu'ils font , ni tels qu'ils
pourroient être , ou tels qu'ils devroient
être , qui exaltent des vertus fauſſes , outrées
, ou le triomphe du fol amour ſur les
devoirs& les bienféances: je ne parlepoint
de ces Romans mal écrits , où la licence ſe
montre à découvert , monstrueux afſfemblage
de ce que l'eſprit uni à la dépravation
du cour peut produire de plus défectueux.
Les ouvrages de Poësie revendiquent
également leurs droits , ouvrages lus indifféremment
; ſouvent ces Comédies dans
leſquelles tantôt Thalie trop peu inſtruite
de ſes devoirs ou s'en écartant à deſſein
laiſſe douter ſi elle veut inſpirer du goût
ou de l'oppoſition pour les défauts & les
vices qu'elle combat ; tantôt grave à l'excès
ſous l'habit des Scapins , introduit les
moralités de la Rochefoucault & de Pafchal
; tantôt par des tranſports déplacés
s'efforce d'émouvoir & d'arracher des larmes
: ces Tragédies où Melpomene érige
en vertus les préjugés nationaux , appuye
malgré
OCTOBRE. 1753. 25
malgré la ſévérité des loix , des ſentences
impoſantes , des dogmes proſcrits , ou par
unedégradation de ſon caractere, proſtitue
la dignité du cothurne aux foibles accens
de l'Elegie ou de l'Idyle; ces Elégies où
l'amour abuſe du langage des graces , pour
exprimer des tranſports illégitimes ; ces
anecdotes , archives_immortelles de ſes
honteux trophées ; flattée uniquement par
la ſurface , la pompe , le coloris de l'Ode ,
ſi les idées paſtorales affectent plus la jeuneſſe
, le guindé , le doucereux lui tiennent
lieu du ton de la nature .
Emportée par le torrent de la mode ,
ſéduite par des noms qui impoſent , elle
s'occupe d'une foule d'écrivains , qui jaloux
de l'indépendance ſappent en mille
manieres les fondemens de tout culte , ſous
les dehors de la vertu ou d'un zéle déſintéreſſé
, qui s'efforcent de contrarier les
notions les plus certaines de l'exiſtence
d'un Dieu , l'époque de la création du
monde , & le ſentiment intime qui nous
avertit de la dignité de notre ame , ou qui
dans les objets de la révélation conſeillent
indiſtinctement un doute qui doit être
éternel , d'autant qu'aucun genrede preuve
ne paroît leur convenir ; de ces Auteurs
qui débitent à l'abri de perſonnages
poftiches , ou ſous le voile de l'allégorie ,
B
1
26 MERCURE DE FRANCE.
des réflexions également dangéreuſes ,ra
rement originaux , très-ſouvent mauvais
imitateurs , & toujours trop peu circonfpects
.
,
Mais le déſir de briller dans les cercles
ne porte- t- il pas à cultiver de bonne-henre
la mémoire , & à l'enrichir d'une claſſe
de faits célébres que l'on prévoit pouvoir
placer ? J'en conviens, pourvû qu'on m'accorde
qu'il est très -facile de l'égarer dans
la carrière de l'Histoire. Il y a en effet
dans ce genre , des Auteurs minutieux qui
ne font que des Journaux fecs & ſtériles ;
de ces eſclaves du bel eſprit , qui chargent
leur portrait de couleurs qui ne ſympatifent
point avec le fujet ; des Philofophes
mornes qui noyent les faits dans des réflexions
infipides; des politiques ſuperficiels
, qui donnent à entendre contre la
vraiſemblance qu'ils ont pénétré dans les
fecrets de tous les partis : des fourbes
des impoſteurs , qui vendent leur plume
au plus offrant ; des hommes partiaux par
humeur , qui excluent tout mérite dans le
parti qui leur eſt oppoſé.
Les genres de littérature auxquels ſe
livre lajeuneſſe ſont donc pernicieux au
bon goût, aux moeurs & à la Religion ; ils
énervent l'efprit , ils corrompent le coeur ,
**pervertiſſent les inclinations , détruiſent
OCTOBRE. 1753. 27.
fouvent les principes d'une doctrine pure
qu'on avoit confiés à l'enfance,&cultivée
dans les tems deſtinés à l'éducation , & ce
qu'on peut dire de moins défavorable ,
c'eſt que les travaux de la jeuneſſe doivent
être en pure perte , & ne contribuent point
àſon inſtruction. Où trouver un reméde
contre une contagion ſi générale , dansles
Compagnies dont je parle?
Avez- vous des compatriotes , des conci-.
toyens , de vos proches qui s'y diftinguent
, & êtes-vous doué de talens ? Ils
n'échappent point à leur pénétration ; dès
que vous leur montrez un éléve qui puifſe
foutenir l'empire des Lettres , ils ſe
font une gloire de vous former , ils oppoſent
leur lumiere aux preſtiges & aux illu-
- fions qui ufurpent le ſacrificedu bel âge ,
ils étudient votre goût , & ils vous offrent
ce qui peut le fatisfaire; ce commerce fupérieur
à toutes les leçons ne tarde pas à
vous apprendre vos forces , ou vous prodiguer
à propos les encouragemens ; mais
en même tems , on ne vous montre les objets
qu'autant qu'ils font à votre portée ;
de la ſurface extérieure on parvient par
dégrés juſqu'au fond. Je ne puis mieux
comparer ces éléves , d'après un célébre
Académicien ( a ) dont j'emprunte les pro-
(a) M. l'Abbé de S. Cyr. 1
Bij
28 MERCUREDE FRANCE.
pres termes , de peur de les affoiblir , » qu'à
> ces rares métaux , ces pierres exquiſes que
>> l'art n'a point mis en oeuvre , tout y eſt
>>précieux , mais tout y eſt encore obfcur
»& enſéveli : ces heureux génies , polis
>>par les ſoins des grands maîtres , ne tar-
>>dent pas à rendre l'éclat & le feu qu'ils
>>>cachoient : devenus maîtres à leur tour ,
> ils forment des éléves dignes de les ré-
> préſenter.
De là ſe perpétuent les citoyens propres
à remplir les fonctions les plus importan--
tes de la vie civile ; les diverſes claſſes de
la Philoſophie fourniſſent des principes
fondamentaux à tous les genres d'Architecture
, à l'art Militaire , à la navigation ,
à la Médecine , à la Théologie , & à la Légiflation
; l'Histoire entre plus particulierement
dans le gouvernement politique&
civil. Dans la Chaire , au Barreau, dans les
affaires publiques , la connoiſſance des
langues & l'éloquence donnent d'indifpenſables
fecours , la Poëfie fait paffer dans
les coeurs les grandes qualités , les qualités
ſociales avec l'attache du plaiſir.
L'objet des Académies n'eſt donc point
précisément de raſſembler des Philoſophes
, des Grammairiens , des Orateurs ,
des Hiſtoriens , des Poëtes ; on prépare
par là des Méchaniciens , des Aſtronomes ,
OCTOBRE. 1753. 29
des Théologiens , des Médecins , des Miniftres
,des Guerriers , des Juges , des Prédicateurs
, des Avocats qui éterniſent leurs
noms par leurs ſervices : en un mot , on
répand un nouveau jour ſur tous les états
&toutes les conditions .
Qu'on me demande maintenant pourquoidans
l'Europe les profeſſions ſont portées
de nos jours à un ſi haut dégréde perfection
? Le problême ne peut m'embarafſer
, je répondrai qu'elles font particulierement
redevables de leurs progrès aux
compagnies de Sçavans , aux ſociétés Littéraires
, qui s'y ſont multipliées depuis
un fiécle.
Mais pourquoi au milieu de tant de lumieres
un figrand nombre de productions
imparfaites & dangéreuſes ? C'eſt ce qui
ſembleroit plus difficile à décider , ſi ce
n'eſt que ces lumieres ſe répandant de proche
en proche , excitent des eſprits trop
bornés , qui voulant s'élever au-deſſus
d'eux mêmes , ſont ſubjugués par leur art ,
ou qu'il y a toujours des hommes paffion.
nés différemment , indociles à tout frein ,
qui communiquent à ce qu'ils font , la
teinte & l'impreſſion du poiſon qui les
dévore.
B iij
30 MERCURE DEFRANCE.
dbdbdbdbdbdbdbdbdbtot
CORINE ET ATHIS.
POEMEPASTORAL ET ALLEGORIQUE.
Sur
Sur le retour de Mile *** à Paſſy.
Ur ces bords fortunés , (a) fur cette aimable
rive,
Qu'arroſe , en ferpentant, la Seine fugitive;
Athis ( 6 ) , le tendre Athis , en proye à ſes dour
leurs ,
Aces eaux chaque jour venoit mêler ſes pleurs.
Dans ces lieux pour ſe plaindre il devançoit l'Aurore
,
Et la nuit dans ces lieux le retrouvoit encore.
Couché nonchalamment ( c ) au fond d'un antre
creux ,
De ſes cris importuns il fatiguoit les Cieux ;
Ses yeux depuis deux mois , toujours ouverts aux
larmes ,
Jamais du doux repos n'ont reſſenti les charmes.
Ces lieux à ſes regards autrefois pleins d'attraits ,
Ne ſont plus que l'objet de ſes triſtes regrets .
La verdure des ( d) bois , & l'émail des prairies .
( a ) Boisfur lebord de la Seine près Paſſy.
(b) M. G ***,, c'est le nom del'Auteur,
(c ) Petite caverne à quelque diſtance du bois..
( d ) Bois de Boulogne.
CTOBRE.
1753 . 31
Semblent entretenir ſes triſtes rêveries .
Tout accroît , tout aigrit ſon déſeſpoir mortel ,
Tout rappelle à ſon coeur un ſouvenir cruel.
De fes plaiſirs paſſés , ces beaux lits de verdure
Lui retracent en vain l'agréable peinture.
Son coeur mort aux plaiſirs qu'il ne peut plus goû
ter ,
Ne s'en souvient , hélas ! que pour les regretter.
Les échos de ces bois , ces prés & ces fontaines ,
Tour , fur ces bords heureux , ſemble irriter fes
peines;
Des hôtes des forêts les plus tendres accens ,
Loin de les alléguer , redoublent ſes tourmens ;
Sa Aûte , ſon troupeau , ſon chien & få houlette
Se reffentent aufſi de ſa douleur fecrette.
Chargé du poids fatal d'un malheureux amour ,
Il maudit le moment qui lui donna le jour.
Ce qu'il aimoit jadis , maintenant il l'abhorre ,
Accablé de douleurs , il en défire encore ,..
Afin que ſuccombant ſous le faix de ſes maux ,
Dans la nuit du trépas il trouve le repos ,
Et qu'à l'abri des traits du plus ſanglant outrage ,
Il meure ſans ſentir ceux que fon coeur préſage.
Quels font donc ces revers ? Ô malheureux Athis !
Qui changent vos beaux jours en de ſoudaines
nuits ;
Vos regards , fatigués du jour qui les éclaire ,
Ne ſemblent qu'à regret jouir de ſa lumiere.
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
Mais tandis que je parle , il me fuit , & ſes cris
Redemandent ( a ) Corine aux échos attendris :
Corine à ſon amour venoit d'être ravie ,
De ces lieux , depuis peu , Corine étoit partie.
Il l'appelloit en vain , & ſoins trop ſuperflus !
L'inſenſible fuyoit , & ne l'entendoit plus.
Tantôt, dans les accès de ſa douleur mortelle,
Il déchirait les vers qu'il avait fait pour elle ;
Il briſait ſa houlette ,& laiſſait ſes troupeaux
A la merci des loups , errer ſur ces côteaux :
Tantôt , pour écarter une image effrayante ,
Il ſoupiroit aux pieds d'une ( 6 ) nouvelle aman
te,
'Accablé malgré lui d'un cruel ſouvenir ,
Il lui jurait un feu qu'il ne pouvait ſentir ,
Et d'autant moins épris qu'il s'éforçait de l'être ,
Il lui donnaitun coeur dont il n'était plus maître.
Enfin un jour cédant au fardeaude ſes maux ,
Il confia ſa plainte aux indiſcrets échos .
Tout pour l'entendre , alors ſe tut dans la nature ;
Lesruiſſeaux s'arrêtant ceſfférent leur murmure ;
Les Déeſſes des bois , &les Nymphes des eaux ,
(a)Mlle ***. L'Auteur l'avoit long- tems aimée
lorſqu'elle partit dePaſſy pourſe rendre chezſes parens.
(b) Mile *** avoit quelque inclination pour l'Auteur,&
comme en raillant en lui faisoit souvent la
guerre de ſa froideur pour elle , il fit ſemblant de lus
rendre des ſoins d'autant plus que l'intérêt qu'il avoit
à cacherson amourpour la promierely forçait.
1
OCTOBRE. 1753.33
: Voulurent prendre part au récit de ſes maux ;
Le zéphire craignit d'agiter le feuillage ;
Et les tendres oiſeaux cefferent leur ramage.
Grands Dieux , s'écria t- il , ou privez moi du jour ,
Ou rendez à mes voeux l'objet de mon amour ;
Amour , cruel auteur du chagrin qui m'opreſſe ,
Ou ramene Corine , ou chaſſe ma tendreſſe ;
Oui , fi tu prens pitié de mes tourmens cruels ,
Le ſang de mes agneaux rougira tes autels ;
Je te facrifirai deux fuperbes géniſſes ,
Quijuſques à ce jour avoient fait mes délices ;
J'y joindrai (a ) deux chevreaux que je reçus pour
prix
D'un combat de chanſons où fut vaincu Tirfis ;
Etje ne croirai point acheter trop encore
Le plaiſir de revoir la beauté que j'adore .
Maís , quedis-je , inſenſé ! quel eſpoir ſéducteur ,
En ce triſte moment , s'empare de mon coeur ?
Hélas ! je forme en vainune agréable image :
Corine, loinde moi , va devenir volage ;
D'autres bergers plus ( 6 ) beaux , mais moins tendres
que moi ,
En m'enlevant fon coeur , vontme ravir ſa foi.
( a ) Ceci joint allégoriquement fait alluſion au petit
combat de Poësie que M. *** , ici ſous le nom de
Triſis livra à l'Auteur : le prix étoit deux Livres
magnifiquemens reliés , que M. *** qu'ils avoientpris
pour Juge
accordaà l'Auteur.
(b ) M.*** . & M. ***. L'Auteur les soupçon
noii de partager l'inclination qu'elle avoit pour lui.
By
34 MERCURE DE FRANCE ..
, Paſſant rapidement du dégoût à la haine
Elle rompra les noeuds de ſa premiere chaine ;
Pour reſter ſans amans Cotine a trop d'appas ,
Et j'ai trop de malheur pour ne la perdre pas :
Je crois déja la voir , en proye à ſon yvrefle ,
Suivre d'un feu nouveau l'amour enchantereffe
Et flatter mille amans , contre moi conjurés .
Par les mêmes ſermens qu'elle m'avoit jurés.
Ah barbare! ... Il ne put en dire davantage ,
Ses (anglois de la voix lui raviſſent l'uſage ;
Ses genoux affoiblis ſe dérobent ſous lui ;
Il friflonne , il chancele , & tombe évanoui.
Mais l'amour qui prit part à ſa douleur fincere,
L'amour à les regards vient rendre la lumiere ;
Le berger ſe releve , & ſes yeux éperdus
Cherchent au loin Corane , & ne la trouvent plus.
Les accens redoublés de ſes plaintes ameres ,
Attirerent (a.) Daphnis dans ces lieux ſolitaires.
(6)Aux charmes naturels d'un génie élevé ,
Daphnis joignoit encor un eſprit cultivé ;
Mais n'abuſant jamais d'un ſi rare avantage ,
Parmi tous les bergers il eut le nom de ſage.;
seur.
(a ) M. ***, un des plus grands amis de l'Au..
(b ) L'Auteur a crû devoir faire ici le portrait
d'un homme àqui il a de fi grandes obligatioms ,
viſque une disgreffion pour s'acquiter de ce qu'il doit :
le défir de répondre à une Piéce de Vers qu'il lui avoit
envoyée y a beaucoup contribué
:
ОСТОBRE.
17530 35
Ilsſeſoumettoient tous à ſa déciſion ::
Et de berger enfin il n'avoit que le nom.
Si- tôt qu'il vitAthis , du mal quile conſume ,
Il tâcha par ces mots , d'adoucir l'amertume.
Par les noeuds immortels d'une tendre amitié ,
Avec le triſte Athis Daphnis étoit lié.
Quelle est donc , lui dit il , cette mélancolie
Qui trouble , cher ami , le cours de votre vie
Pourquoi , toujours en proye à vos vives douleurs
, 1
Vos yeux ne s'ouvrent-ils que pour verfer des
pleurs?
Pour votre coeur noyé dans ſa langueur mortelle ,
Vainement la nature ici ſe renouvelle.
Rien ne vous touche plus , & vainement Cerès
De ſes dorés épics enrichit vos guerèts.
Vos inſenſibles yeux voyent en vain éclore ,
Et les dons dePomone , & les préſens de Flore ;
En vain à vos regards , de ſes pampres fleuris
Bachus vient étaler les brillans coloris
Aux ombres de la nuit en vain le jour fuccéde;
Rien ne peut foulager l'ennui qui vous poſſéde.
Pourquoi , lui répondit Athisen l'embrallant ,
Pourquoi veuxtu , cruel, accroître mon tourment
?
:
١٠٠
P
Va, plains un malheureux (a) , dont le ſecret funefte
:
t
(a ) L'Auteur plus difcret que le commun des
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
Eſt parmi tant de maux , le ſeul bien qui lui reſte.
Ingrat , m'envîrois-ta , repartit le berger ,
Ladouceur de les plaindre &de les partager.
Eh bien , lui dit Athis , je céde à ta tendreſſe ;
En apprenant mes maux , ami , plains ma foibleſſe.
'Alors il lui fit part des préſages affreux ,
Qu'offroit à ſon amour un départ malheureux :
Et Daphnis, pour bannir ſes craintes incertaines ,
Tâcha , par ce diſcours , de foulager ſes peines.
L'Amour va , lui dit-il , ramener dans ces lieux
Ton amante brûlant toujours des mêmes feux.
Etdans les doux tranſports d'une vive allégreſſe
Noyer les noirs accès du chagrin qui t'opreſſe.
CeDieu prendra pitié des maux que tu reſſens ,
Et te promet des biens plus grands que tes tourmens
.
Au lieu de s'affoiblir (a) , l'amour né dans l'en
fance,
Ameſure qu'on croît, voit croître ſa puiſſance:
amans , avoit fait à son ami même un myſtere du
fujet deſes peines , & ce ne fut qu'à force d'instances
que cedernier en obtint l'aveu.
(a ) Quoique beaucoup de perſonnes trouveront
cette définition déplacée dans la bouche d'un berger
l'Auteur n'a pas craint de la mettre dans la bouche
d'un homme auffisçavantque M. *** . Elle ne par
roît pas bien jointe aux yeux de pluſieurs mais il a
fallu s'aſſervir aux circonstances : on objettera encore
qu'elleest unpeu trop emphasée : oui , mais ce n'est
point une Eglogue , répondrat - on , c'est un Poëme..
OCTOBRE. 1753. 37
Dans les coeurs la nature établiſſant ſes loix ,
Du tems qui détruit tout fait reſpecter fes droits ,
L'inconſtance à ſon char pourjamais enchainée ,
Sur ſes propres débris lui conſtruit un trophée ;
Elle fixe l'amour , l'entretient , & fes feux
Nés avecque nos jours , ne meurent qu'avec eux.
En vain les préjugés , en vain l'indifférence
S'unit , pour le détruire , aux rigueurs de l'abfen-
се ,
Ledégoût vainement voudroit diſſoudre un jour
Des liens qu'ont tiſlus la nature & l'amour ;
La nature ades droits qu'on ne sçauroit enfraindre
Le feu s'irriteroit , loin de pouvoir s'éteindre.
Et de l'amour laſſé rallumant le flambeau ,
Elle lui préteroit un triomphe nouveau.
Ainſi parloit Daphnis , &d'une affreuſe image ,
Il tâchoit d'écarter le malheureux préſage :
Mais du timide Athis , de noirs preffentimens
Sembloient , malgré ſes ſoins , irriter les tour
mens.
Cependant le berger le conſole , & l'entraîne
Vers un (3) hameau voisin, peu diſtant de la plaine.
Mais Achis eſt à peine arrivé dans ces lieux,
Que Corine ſoudain ſe préſente à ſes yeux.
Quels furent les tranſports de ce berger fidele
Il la voit , il l'embraffe , & doute si c'eſt elle.
(a ) Paffyon l'Anteur prenoit alors les Eaux.
38 MERCURE DE FRANCE.
Sonétonnement ceffe ,& fon coeur enfammé ,..
Sabandonne à l'eſpoir d'aimer & d'être aimé.
Mais, & fort ! &diſgrace ! à fon ame éperdue:
Dans quel éta: Corine étoit-elle rendue ?
Une fombre froideur , & d'injuſtes mépris
De l'amour du berger furent le tuiſte prix.
AutantCorine , avant cette funefte ablence,
Avoit été ſenſible à ſa tendre conſtance ,.
Autant & plus cruelleencot à ſon retour ,.
Corine , avec fierté rejetta ſon amour.
Quels furent les excès de ſa douleur extrême ?
Quel coup pour un amant qui perd tout ce qu'il
aime !
En proye au trouble affreux qui déchiroit ſon
coeur
1fortit pour jamais de ce lieu plein d'horreur;
Etdans l'obſcur réduit d'un antre folitaire
Vinttendre de ſes maux l'écho dépofitaire...
ODieux ! s'ecria-t-il , juſtes Dieux! est-ce ainfi
Qu'à la foible vertu vous prétez votre appui ?
Sivous deviez un jour , pour mon malheur extrê
me,
Eteindre un feu, dans (a) elle allumé par vous
même ;.
Si vous devrez ainſi la rendre à mes ſouhaits ,
Grands Dieux , il ne falloit me la rendre jamais
Calme les vains tranſports de ta douleur mor
telle.,
(a) Elle,se rapporte à Corine.
OCTOBRE. 1753 390
Séche tes pleurs , Athis , Corine t'eſt fidelle ....
Mais il ne m'entend plus , ( a ) & plein de ſon,
tranſport
Hale bras levé pour ſe donner la mort.......
Arrête , malheureux.... Elle vient elle - même
Calmer l'emportement de ton erreur extrême..
Arrête , Athis , Corine a voulu t'éprouver ;
De ta propre fureur elle vient te ſauver :
Tourne les yeux , vois la partes cris altérée ,
Venir calmer l'horreur où ton ame eſt livrée ;
Et volant dans tes bras , par un charmant ſecourss
Faired'unjour affreux , le plus beau de tes jours..
Son amante , en effet , (b ) près d'un buiſſon cachée
,.
Venoitd'être témoin de ſa rageinſenſée.
L'amour lui découvrit qu'elle en étoit l'objet ;.
Et l'amour ſe hâta d'en prévenir l'effet..
(a)Cette allégorie est un peu outrée ; quoiqu'il
enfoit ,l'Auteur ayant cru Mlle *** infidélle , s'abandonna
à un déjeſpoir si grand qu'on craignit pour
ſa vie ; il fallut qu'elle - même vint l'affurer defafidélité
, pour en prévenir les effets.
(b) Tout ceci est allégorique, &se rapporte àla
nateprécédente.
Par7. Guerineau de Janville.
40 MERCURE DE FRANCE.
******: **:******
DISSERTATION HISTORIQUE
I
Sur le Droit& le Barreau de Rome.
L eſt peu d'Empires qui ayent ſouffert
autant de révolutions que celui des
Romains , auſſi la Jurisprudence qu'ils
nous ont laiffée , a-t'elle éprouvéde continuelles
viciffitudes.
Néanmoins rien n'eſt ſi beau que l'harmonie
de leurs Loix , il ſemble que les
troubles fréquens dont Rome a été déchirée
, ayent en quelque forte contribué à
affermir la tranquillité domeſtique de ſes
Citoyens.
Difference étrange entre le Droit Civil
& le Droit Canon ! celui-ci fondé fur la
ferveur & le zéle des premiers Fidéles
étoit magnifique , divin dans ſon origine :
la tiédeur , le relâchement , les fchifmes
Pont énervé dans ſes progrès , & en ont fi
fort fouillé l'ancienne pureté , qu'il eſt
aujourd'hui méconnoiſſable. L'autre , ouvrage
du génie& de la politique , étoit informe
dans fon principe. Laſuite des tems
l'a développé par degrés , & l'a preſque
conduit à un état de perfection : le berceau
de l'un devoit être l'époque de ſa
OCTOBRE. 1753 . 41
grandeur , la piété ne gagne point à vieillir.
Le Droit Civil au contraire fut néceffairement
foible dans ſon enfance , la raifon
ne vient qu'avec l'âge .
§. PREMIER.
Le peuple Romain fut d'abord compolé
de trois mille hommes de pied , & de
trois cens hommes de cheval. Cette troupe
ayant reconnu Romulus pour ſon Roi ,
il la diviſa en trois tribus , dont chacune
contenoit dix Décuries.
Il partagea les terres en trois portions ,
l'une pour les Dieux , l'autre pour les befoins
de l'Etat , la derniere pour ſes ſujets.
Il diſtingua ceux-ci en deux claffes , les
Praticiens & les Plébéiens. Comme les
Plébéiens étoient pour la plûpart extrémement
pauvres , il leur permit de ſe choiſir
dans les Patriciens , des protecteurs aufquels
ils ſe vouoient , & promettoient
toutes fortes de fervices ; les Patriciens à
leur tour étoient obligés d'aider de leur
crédit &de leur bourſe ceux qui les avoient
prispour patrons.
Malgré la dépendance de ces premiers
cliens ils n'étoient pas Serfs , on ne les regardoit
que comme de vrais Cenfitaires.
Romulus élut centd'entre les Patriciens
dont il ſe fit un Conſeil ou Sénat. Ce Tri-
د
42 MERCURE DE FRANCE.
bunal qui devint dans la ſuite ſi redoutable
, n'eut point au commencement le pouvoir
législatif , & n'exerça aucune Jurifdiction
contentieuſe : il ne lui appartenoit
pasde faire des loix dans les affaires particulieres
, il ſe contentoit de commettre
des Juges , & auroit crû s'avilir s'il eût
jugé en corps un procès ; il manioit les finances
, il ordonnoit la levée des impôts ,
il régloit la maniere dont on recevroit les
Ambaſladeurs , ceux qu'on députeroit ; il
diſpoſoit des troupes , & de toutes les
affaires de la guerre , lorſqu'elle avoit été
réſoluë .
Quant à celles qui concernoient l'Etat
en général ou le droit public , elles ſe jugeoient
par le peuple à la pluralité des ſuffrages.
On convoquoit les Curies , cetre
aſſemblée s'appelloit Comitia Curiata. Dans
ces Comices le peuple faiſoit des loix ,
approuvoit ou rejettoit celles qui lui
étoient propoſées , nommoit les Magiftrats
, & décidoit ſi on feroit la paix ou la
guerre.
Romulus fit agréer au peuple pluſieurs
loix , & fingulierement celle qui donnoit
aux peres le pouvoir de vie &de mort
fur leurs enfans; il en fit d'autres touchant
ledroit divin, les Magiſtrats , les mariages
, elles s'appellerent Curiates , comme
reçues par l'affemblée des trois Tribus.
OCTO BRE. 1753 . 43:
Son Succefleur , Numa Pompilius , en
ajouta beaucoup , ſurtout concernant le
culte; il fonda les Veſtales , créa un fouverain
Pontife , & un Collége de Prêtres;
il ordonna que les fonds de chaque particulier
fuſſent ſéparés par des bornes , il
reſtraignit le droitde vie&de mort accordé
aux peres fur leurs enfans , àceux qu'ils.
avoient eu en légitime mariage.
Ce fut fous Tullus Hoſtilius , troifiéme
Roi , que les Curies s'aſſemblerent pour
la premiere fois , à l'effet de juger une
cauſe privée. Le meurtre de la ſoeur d'Horace
donna lieu à cette convocation extraordinaire
; le Prince avoit nommé à
Horace deux Duumvirs pour lui faire fon
procès , ces Duumvirs avoient condamné
Horace à mort; il en appella au Peuple ,
qui en faveur de l'important ſervice que
le Vainqueur d'Albe venoit de rendre à
l'Etat , le renvoya abſous ; cela ſe paſſa
l'an 85 de Rome.
Ancus-Marcus fit bâtir une priſon pour
les malfaiteurs , placée vis- à-vis le Forum ;
il mit des impôts ſur les ſalines.
Tarquin l'Ancien , Auteur de ces fameux
égouts , leſquels firent dire qu'il avoit
creusé une autre Rome ſous Rome même
élut cent Sénateurs parmi les Plébéiens ;.
le nombre de ceux, choiſis par Romulus
9
44 MERCURE DE FRANCE.
avoit crû juſqu'à trois cens , il y en eut au
tems de Tarquin quatre cens en tout ; il
fit pratiquer des Galeries &des Portiques
autour du Forum , c'étoit le lieu où s'aſſembloient
les Curies .
Sous Servius - Tullius , Rome qui étoit
déjadevenue conſidérablement plus grande
, fut diviſée en quatre quartiers ou Tribus
; la Colline , la Subarrine , la Palatine,
l'Esquiline ; le Peuple fut partagé en fix
claſſes dont chacune en Centuries , elles
étoient formées de telle ſorte qu'en convoquant
par Centuries les aſſemblées , l'aurtorité
paſſoit néceſſairement aux Patriciens.
En effet les plus riches étoient dans
les premieres Centuries & opinoient les
premiers; on ne prenoit les ſuffrages des
ſuivantes , que quand celles qui précédoient
ne s'accordoient pas entr'elles , ce
qui étoit rare ; à cette époque les Comices
par Curies furent entierement éteintes.
Enfin le crime de Tarquin le Superbe
fitque Rome ne voulut plus s'aſſujettir à
ladomination des Rois ;elle conçut pour
eux une horreur fi forte que les Souverains
de toutes les Nations s'en reffentirent.
Le regne des fept Rois de Rome avoit
duré 244 ans ; après leur expulfion Sextus
Papirius recueillit les diverſes loix qu'ils
avoient formées , ce recueil fut appellé le
OCTOBRE. 1753 : 45
Droit Papirien , ſon autorité fut bientôt
abolie par la loi Tribunitia , de ſorte qu'il
n'en reſte plus aucuns veſtiges.
Aux Rois chaſſes ſuccéderent les Confuls
, ils eurent la même puiſſance que les
Rois avoient eue. Comme eux ils rendoient
la juſtice aux particuliers , & exerçoient
ledroit public concurremment avec
le Sénat & le Peuple , ſelon ce qui étoit
du reſſort de l'un & de l'autre .
Onn'avoit point de Tréſor public , Valérius
Publicola en établit un l'an 246de
la Fondation de Rome ; il y propoſa des
Queſteurs , autrement des Tréſoriers des
Finances ; leur foin ne ſe bornoit pas à
l'inſpection & à la garde des monnoyes ,
ils confervoient les Enſeignes & les Drapeaux
, ils pourvoyoient au logement des
Ambaſſadeurs , ils étoient comptables de
leur geſtion au Sénat.
Ce Tréſor , autrement dit Aerarium ,
fut placé dans le Temple de Saturne ; c'eſt
là qu'on dépoſoit les Loix , les Sénatus
Confultes , l'Album des Décuries ( leſquelles
étoient marquées par les Cenſeurs ) les
libelles d'accuſation , en un mot tous les
inftrumens de Mémoire publique.
Cependant le bas peuple accablé par la
dureté des Patriciens , auſquels toute l'autorité
étoit paſſée , au moyen des Comices
46 MERCURE DE FRANCE.
1
par Centuries , eut avec eux de fréquentes
conteftations pour l'ordre du Gouverne.
ment ; elles furent ſecondées par Caffius ,
qui lors de fon troifiéme Confulat chetcha
às'aſſurer la bienveillance des Plébéiens ;
afin de ſe les aſſervir , il demanda que les
terres conquiſes fuſſent partagées entr'eux
&les alliés de Rome. Le Sénat eut la foibleffe
d'accorder cette diviſion aux Plébéiens
par le célébre decret Agraire ; Caffrus
fut puni de ſa témérité ; car aufſi- tôt
après fon Conſulat fini , il fut cité comme
perturbateur du repos de l'Etat , & en conféquence
précipité du roc Tarpéien.
むLedécretAgraire néanmoins ſubſiſtoir ,
le Sénat en éloignoit l'exécution , le Peuple
ne ceſſoit de la réclamer , on l'enrolple
loit pour faire la guerre aux voiſins ; voilà
toute la fatisfaction qu'il pouvoit tirer du
Sénat & des Conſuls , tout étoit en combuftion
, on ne ſuivoit plus de loix , mais
de fimples uſages qui de jour à autre ſe détruifoient
par des coûtumes contraires.
Dans ces circonstances fâcheuſes , il fut
réſolu qu'on enverroit dix hommes àAthénes,
& dans les autres villes de la Gréce
pour y faire une collection des loix , qu'ils
croyoient les plus propres à calmer les
troubles de la République , & à la rendre
floriſſante; les noms de ces Décemvirs font
OCTOBRE. 1753. 47
rapportés dans le Canon 2. diſt. 7.du Décret
de Gratien.
Ces Députés revinrent avec le choix
qu'ils avoient fait des meilleures loix de
Solon& de Licurgue ; on les grava ſur dix
Tables d'yvoire , leſquelles furent expoſées
au Peuple ſur la Tribune aux Harangues;
on fut fi content du travail des Dé.
cemvirs qu'on leur accorda une année
pour ajouter à ces loix & les interprêter ,
ils ſuppléerent à ce qui y manquoit par
deux nouvelles Tables ; on nomma dans la
ſuited'autres Décemvirs pour l'adminiſtration
de la Juſtice.
Telle eſt la fameuſe Loi des douzeTables,
elle embraſſoit trois parties , le culte , le
droit public , ledroit privé ; les Pontifes la
ratifierent avec des cérémonies religieuſes,
le Sénatpar un Décret, les Comices en
Centuries par un Plébiſcite.
Cet ouvrage admirable , ſurtout par l'excellente
politique qui y regnoit , périt
dans les flammes , lorſque Rome fut faccagée
par les Gaulois ; on en raſſembla quelque
tenis après les plus précieux fragmens,
&du mieux que l'on put , on les grava fur
l'airain , & on eut ſoin de les apprendre
aux enfans dès le bercenu .
Mais avant ce déſaſtre , la Loi des douze
Tables , avoit déja ſouffert une dangé48
MERCURE DE FRANCE.
reuſe atteinte , par l'interprétation que lui
avoient donnée les Patriciens avec de certaines
formules qu'il falloit ſuivre à la lettre
, à peine de nullité ; par exemple , la
Formule de l'action petitoire , étoit H. E.
R. J. Q. M. E. A. ce qui ſignifioit , Hanc
ega remjure Quiritum meam effe año , celle
de l'exception ſe trouvoit ainſi conçue A.
E. C. E. V. At ego contra eam vindico.
Appius Claudius, le plus éclairé & le
plus méchant des Décemvirs , inventa ces
differentes formules. Leur connoiſſance
revelée aux Patriciens étoit un ſecret auſſi
impénétrable pour le peuple que la ſcience
des Augures. Le Livre d'Appius fut furpris
parGneus Flavius qui le rendit public,
&dévoila tout le myſtére. De là le Droit
Flavien.
Les Nobles ayant cherché d'autres Formules
plus ténébreuſes & plus embaraſſantes
, elles furent encore divulguées par
Sextius Ælius , ſon ouvrage s'appella le
Droit Alien : ces deux collections ſe ſont
entierement perdues.
Il y eut auſſi d'autres diſputes ſur le vrai
ſens des Loix des douze Tables ; on eut
recours à d'habiles Juriſconſultes pour
l'explication de ces Loix , mais leurs réponſes
furent preſque toujours contraires
les unes aux autres ; cette ſcavante incertitude
49 ةم OCTOBRE. 1753 .
certitude , fut honorée du nom de Drit
Civil.
Bientôt les Décemvirs qui avoient la
fuprême Magistrature , devinrent des tyrans
, peu de tems après leur création , ils
furent chaſſfés de Rome. Le libertinage &
les cruautés du même Appius dont on
vient de parler , ayant occaſionné la mort
de Virginie , donna licu àune ſédition
qui fit changer tout à coup l'Etat & la Juriſprudence.
Excité par les plaintes de Virginie , indigné
de la ſcélérateffe des Décemvirs ,
chargé de dettes , le Peuple ſe déſunit des
Patriciens , & ſe retira fur le mont Aventin
; Menerius Agrippa lui fut député avec
neuf Sénateurs pour prendre des arrangemens;
c'eſt là qu'il fit ſon bel apologue ;
le peuple en fut touché ,&conſentit de
rentrer dans Rome , à condition qu'il lui
ſeroit permisde ſe nommer des Juges.
On ne les choiſit au commencement
que dans l'ordre des Plébéiens ; on les
appella Tribuns , comme nommés par les
Tribus.
Ces Protecteurs furent originairement
au nombre de cinq , on en créa par la ſuite
cinq autres ; ils arrêtoient toute déciſion
duSénat, par un ſeul mot Veto ou Vetamus ;
ils la confirmoient par un T. fignifiant les
Tribuns, C
So MERCUREDE FRANCE.
Parurent à peu près en même tems les
Ediles , ils connurent des poids & des
meſures ; ils furent encore chargés d'avoir
ſoin que les édifices fuſſent alignés , &
d'empêcher qu'ils ne défiguraſſent la Ville.
Ces Magiſtrats s'éliſoient dans les afſemblées
du Peuple ; aſſemblées d'un nouveau
genre , & qui participoient beaucoup
desComices par Curies autrefois proſcrits.
Chacun youvroit ſon avis ſans être adſtraint
à fuivre aucun rang pour opiner, ni aucune
distinction d'âge & de fortune dans l'ordre
des fuffrages ,on les tenoit tant dans
la Ville que dans leChamp de Mars , &
il falloit abſolument les finir en un jour.
Ces nouveaux Comices étoient convoqués
à ladiligence d'un Tribun ; on les appelloit
Comitia Tributa.
Les réſolutions qui y étoient formées
curent , comme celles priſes autrefois dans
les affemblées par Centuries , le nom de
Plebiscites ; mais d'abord elles ne lioient
que le Peupledont elles étoient l'ouvrage ;
enfin la Loi Hortenfia voulut qu'elles obligeaſſent
tous les membres de la Répu
blique.
,
Ce qu'il y a d'étonnant , c'eſt que le bas
peuple jaloux de faire lui-même ſes loix
tranfmit au Sénat un pouvoir , pour la
conſervation duquel il avoit diſputé fi
OCTOBRE. 1753 .
31 .
long- tems. Ces nouveaux Senatus-Confultes
ſe rendoient ſur la réquisition d'un
Conful , & portoient pour l'ordinaire le
nom de celui qui les avoit follicités ; par
exemple , le Trébellien , le Pégaſien , le
Velleien , l'Orfician , furent ainſi appellés
àcauſe de Trebellius , Pegasus , Velleius,
Orficius , qui avoient requis ces fortes de
décrets.
Cependant les Conſuls ſe voyoient tour
àtour occupés au Sénat , à l'armée & à juger
les cauſes des particuliers; ils ne pouvoient
ſuffire à tant de ſoins , il fallut démembrer
une partie de leur pouvoir pour
en revêtir d'autres Magiſtrats qu'on nomma
Préteurs , & qui furent uniquement
chargés de veiller au Barreau, leurs fonc
tions furent renfermées dans l'exercice du
droit privé.
Si on croit Eufebe , les Préteurs commencerent
l'an 82 , après la publication de
ła Loi des douze Tables , & le premier
qui parvint à cette dignité fut Sp. Furius
Camillus.
Quoiqu'il en ſoit , ils eurent les mêmes
marques d'honneur que les Confuls , ils
ne pouvoient d'abord être que de l'ordre
des Patriciens , mais les Tribuns qui devinrent
trop puiſſans , firent paſſer cette
dignité aux Plébéiens ; le premier Prêteur
Cij
52 MERCURE DEFRANCE.
choiſi parmi ces derniers , fut Q. Publius
Phelo , d'un autre côté les Nobles ne dédaignerent
pas le Tribunat.
Tout l'office du Prêteur étoit renfermé
dans ces trois paroles , Do , dico , addico ;
il donnoit les actions , maniere impropre
de parler , qui ne veut dire autre choſe ,
finon qu'il les recevoit en décernant des
commiſſions exécutoriales pour aſſigner les
parties ,il envoyoit en poffeſſion ,relevoit
les mineurs , les abſons ,& cela regardois
l'Empire pur , Imperium merum , qui de
droit appartenoit au Préteur ,&étoitcaractériſé
par le terme Do. 1
Au contraire dico & addico , ſçavoir dica,
quand le Prêteur connoiſſoit d'une affaire ;
addico , lorſqu'il ajoutoit à ſon jugement
par l'exécution , regardoient l'un laJurif
diction , l'autre l'Empire mixte , qui réfie
doient également & éminemment en ſa
perſonne.
Ontrouve dans le Droit beaucoup d'actionsPrétoriennes.
Régulierement elles ſont
annales , à la difference de celles réfultantes
desSenatus Confultes &des Plébiſcites , de
la Loi des douze Tables , des réponſes des
Sages , parce que tous les ans on nommoit
un nouveau Préteur : chacun d'eux annonçoit
par un Edit gravé ſur un carton blanc,
Album Pretoris , la maniere dont il exerçoit
1a Jurisdiction,
OCTOBRE. 1753 . 53
Cette multitude d'Edits renfermoit néceſſairement
beaucoup de contrariétés. Le
Jurifconfulte Julien réunit dans un recueil
très court & très clair , les meilleures actions
Prétoriennes , il en compoſa le fameux
Edit perpétuel , ſa collection n'étoit
point comme celle qu'avoit fait précédemment
Aulus Offilius fons Auguſte ,
Pouvrage d'un homme ſans caractere ; elle
fut rédigée par les ordres du Sénat , & de
l'Empereur Adrien , aufſi eut- elle force
de loi.
Au reſte le même motif, qui avoit engagé
à dépouiller les Conſuls d'une partie
de leur puiſſance pour en revêtir les Préteurs
, détermina encore à augmenter le
nombre de ces derniers , tellement qu'au
lieu d'un ſeul Préteur , il y en avoit douze
àla fois au tems de Ciceron .
Les Romains avoient étendu les bornes
de leur Empire , on reconnut qu'un ſeul
Préteur ne pouvoit pas juger toutes les
cauſes: la Préture quelque tems après fon
origine , fut d'abord partagée entre deux
Magiftrats , dont l'un demeura chargé de
terminer les differends qui ſurvenoient entre
lesCitoyens ,&porta le nom de Pretor-
Urbanus , l'autre fut créé pour appaifer
ceux desEtrangers , ſoumis à la domination
de Rome ,& on l'appella Pretor-Peregrinus.
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE .
De nouveaux Etats conquis , & trop
éloignés pour qu'un ſeul homme pûtjuger
toutes les conteſtations privées qui y naiffoient
, donnerent lieu à envoyer dans chaque
Province des Préteurs.
Ces Préteurs s'appellerent tantôt Proconfuls
, tantôt Provinciaux , tantôt Recteurs on
Préſidens , voici à quelle occaſion :
La Loi Sempronia mit enfin à exécution
l'ancien décret Agraire , elle ordonna que
les Provinces conquiſes ſe tireroient au
fort , & fe partageroient entre le Sénat &
le Peuple.
En conféquence de ce partage , le Sénat
envoyoit dans les Provinces qui lui étoient
tombées , des Préteurs qu'il qualifia du
nom de Proconfuls.
Dans celles échûes au Peuple , les Tribuns
députoient des Préteurs Provinciaux ,
qui avoient à vrai dire , la même autorité
que les Proconfuls.
Tibére enleva aux Tribuns le droit de
décerner des Provinces , il ſoumit celles
qui étoient au Peuple à l'autorité des Gouverneurs
qu'il nomma , de là ces Préteurs
appellés Rectores , Prafides : les Empereurs
qui vinrent après Tibére imiterent fon
exemple.
L'exercice du droit public , le pouvoir
de faire des loix , ne réſiderent plus ſous
OCTOBRE. 1753 . 55
les Empereurs , dans le Sénat & le Peuple ,
l'un & l'autre s'en défirent l'an 731 de
Rome , en faveur d'Auguſte , le premier
des Céſars ; celui- ci eut l'attention de'
communiquer les loix qu'il faiſoit au Peuple
aſſemblé , afin de conſerver par cette
formalité quelque image de République ;
mais fon Succeſſeur abrogea ces aflemblées,
fous prétexte que le nombre des Citoyens
les rendoient trop difficiles & trop tumultueuſes.
Quant au Sénat , il commença à juger
encorps les procès importans ,& furtout
ceux du grand Criminel; par ce moyen
il perdit inſenſiblement de vue les affaires
politiques dont les Empereurs s'attribuerent
la connoiſſance.
Le Droit Sacré leur fut pareillement
tranfmis , il appartenoit auparavant aux
Pontifes ſeuls; les Empereurss'emparerent
du Pontificat , ils furent par droit de ſucceffion
Rois des Sacrifices .
Pour ce qui eſt du Droit privé ordinaire
, ils en laiſſoient l'exercice aux Préteurs ,
encore firent- ils des conſtitutions dans les
affaires épineuſes , c'eſt de ces loix dont le
Code eft formé.
Avant eux les Juriſconſultes ne répondoient
pas publiquement ſur les queftions
qui leur étoient propoſées , ils
C iiij
56 MERCURE DEFRANCE.
donnoient de ſimples avis , à peu près
comme font aujourd'hui les Avocats ,&
dont par conféquent il étoit libre de s'écarter.
Auguſte permit àquelques- uns d'expliquer
publiquement le droit ; Maſſutius
Sabinus fut le premier à qui il accorda
cette permiffion; beaucoup d'autres égalelement
autorisés ſuivirent Maſſutius ; les
noms des plus célébres font dans la Loi 2 .
ff. de orig. Jur.
Les déciſions mémorables de ces hom
mes illuftres , qui preſque tous étoient des
plus grandes familles de Rome , amis des
Empereurs , ou recommandables par les
ſervices qu'ils avoient rendus à l'Etat , furent
appellées Reſponſa prudentum , il falloit
les ſuivre & s'y conformer . C'eſt de
leurs réponſes que les cinquante Livres
des Pandectes font principalement compofés
:ils faifoient auſſides Formules tirées
des principes du Droit ; Gallus Æquilius
paſſe pour avoir inventé les plus heureufes.
A peine fut- il permis aux Juriſconſultes
du premier ordre , de répondre publiquement
fur le fensde la Loi , qu'ils ſe ſéparerent
en deux ſectes , ce qui a occaſionné
une foule d'antinomies dans le digeſte :
Ateius Capito & AutiſtiusLabeo en fu
OCTOBRE. 1753 . 57
rent les chefs. Le premier obſervoit rigidement
les principes qu'il avoit appris :
le ſecond , qui avoit l'eſprit plus pénétrant
&plus fubtil , fit beaucoup d'innovations ;
cependant comme les Chefs de parti fout
encore moins diviſés que ceux qui leur
fuccédent ,les diſputes furent beaucoup
plus vives entre Sabinus , Succeſſeur de
Capito , & Proculus qui remplaça Labeo ,
qu'elles ne l'avoient été entre Capito &
Labeo eux-mêmes ; auſſi ces deux ſectes
ne font-elles connues que ſous le double
nom de Sabiniens&desProculſiens , quoique
Sabinus & Proculus n'en fuſſent pas
les auteurs.
Il s'en éleva une troiſſeme pour les mettre
d'accord', ce fut celle des Herciſcundes,
leſquels tâcherent de concilier les uns&
les autres ; autant qu'il leur fut poſſible , ils
prirent toujours le parti mitoyen. Juſtinienſe
rangeade leur côté.
Le droit étoit donc compoſé alors de la
Loi'des douze Tables , des Plébiſcites , des
Senatus-Conſultes , des Edits des Préteurs,
des réponſesdesSages & des Conſtitutions
desEmpereurs.
Cesdernieres s'étoient conſidérablement
multipliées . Gregoire &Hermogenes les
réunirent en deux Codes ſous Dioclétien ,
ces Codes contenoient les refcrits & dé
Cv
SS MERCURE DE FRANCE.
crets des Princes , depuis Adrien juſqu'a
Constantin.
Théodoſe , le jeune , fit recueillir par les
plus éclairés Jurifconfultes de ſon ſiècle ,
les conſtitutions faites depuis Conſtantin
juſqu'à lui.
Mais ces trois ouvrages devinrent fuperflus
, parce que les loix qu'ils renfermoientétoient
obſcuresou ne s'accordoient
pas entr'elles ; auſſi l'Empereur Macrin ,
qui étoit conſommé dans l'étude delaJurifprudence
, diſoit il que pour ramener le
droit à des principes surs , il feroit àpropos
de ſuprimer tout ce qui avoit été écrit
juſqu'alorsdans ce genre.
Juſtinien parut enfin ,il mit la ſcience
des Loix dans un nouveau jour, & ladiſtribua
dans le corps de Droit que nous ſuivons
aujourd'hui ,& qui a quatre parties.
D'abord il fit rédiger un Code de toutes
les Conſtitutions depuis Adrien , c'est-àdire
, qui avoient été faites pendant le
cours de cinq cens ans , il le fit publier la
troiſième année de ſon regne ; il s'apperçut
que ce Code avoit été fait trop précipitamment
, il le fit revoir & corriger , il
y ajouta cinquante déciſions nouvelles ,
& le donna en cet état cinq ans après ,
fous le nom de Codex repetite pralectionis.
OCTOBRE. 1753. 59
Il y avoit trop d'excellentes choſesdans
la Loi des douze Tables , les Plébiſcites ,
les Edits des Préteurs , les décrets du Sénat
,& fur tout dans les réponſes des Sages
pour ne pas les recueillir ; mais il falloit
beaucoup de choix , fingulierement
dans les déciſions des Jurifconfultes , dont
les Livres montoient à près de deux mille
volumes. La Compilation abregée de toutes
ces loix forma le Digeſte qui parut la
ſeptiéme année du regne de Juſtinien ;
cettecollection fut encore appellée du nom
de Pandectes , comme comprenant tout le
droit : tout y eſt lié &digeré avec art &
méthode.
Juſtinien ordonna enſuite qu'on fit les
Inſtituts , ils renfermerent les élemens de
la Jurisprudence , & en font un précis
exact , quoique travaillé poſtérieurement
au Digeſte ; ils devinrent publics avant lui.
Pour parvenir à la compoſition de ces
trois chefs-d'oeuvres , Juſtinien employa
ſeize Jurifconfultes , dont les noms font
rappellés au Code de Jur. vet. envel. On
convient affez généralement que Tribonius
, qui étoit ſon Chancelier , y eut la
meilleure part ; c'étoit un autre Appius , il
n'avoit pas le coeur auffi droit que l'efprit,
quelques-uns prétendent qu'il vendoit les
loix; du moins il eſt certain qu'il en ac
Cvj
60.MERCURE DE FRANCE.
commoda pluſieurs ſelon les circonstances
où se trouverent ſes amis , & ceux qu'il
vouloit obliger. Ces interpollations ſe
noinment des Tribonianiſmes.
و ن
Dans le cours du reſte de ſon regne
Juſtinien fit encore 168 Conſtitutions trèsétendues
, qui furent inferées dans le corps
de Droit , & qui ſont un fupplément du
Code;on les appelle Novelles , non-feulement
, parce qu'elles ſont les dernieres
loix que cet Empereur ait compoſées , mais
parce qu'elles dérogent preſque toujoursà
la Jurisprudence , qui étoit en vigueur
avant qu'elles paruffent.
Tellement que le Droit Romain ſe diftingue
en trois fortes ; l'ancien , Jus vetus,..
c'eſt celui du Digeſte ; le nouveau , Jus novum
, c'eſt celui du Code ; le dernier , Jus
noviſſimum , c'eſt celui des Novelles ; ces
Novelles furent écrites en Grec , & ont
été traduites en Latin , l'exactitude de leur
verſion leur a procuré le nom d'autentiques.
Ceux qui font nourris dans l'étude div
DroitCivil , & qui en connoiſſent le beau
& l'admirable , s'étonnent àjuſte titre
qu'après la mort de Juſtinien cet ouvrage
n'ait eu lieu que pendant trois ſrécles dans
L'Orient , & ait demeuré preſque ignoré
durant près de fix cens ans dans l'Occident
OCTOBRE. 1753 . 61
les uns attribuent ce malheur à l'embraſement
de Conſtantinople , ſous l'Empereur
Zenon , & à l'invaſion des Goths , en Italie
, qui conſommerent dans les flammes
tous les Livres qu'ils trouverent.
D'autres croyent que lajalouſie des Succeſſeurs
de Juſtinien ,& fingulierement
de Baſile & de Léon le Philoſophe , fut
cauſe que cette immortelle compilation
demeura enſévelie dans l'oubli ; mais cette
derniere idée ne s'accorde pas avec le caractere
de Baſile , qui fut un grand Prince,
& à qui d'ailleurs on doit un abregé du
Code..
Quoiqu'il en ſoit , Charlemagne paffe
pour être le premier qui ait témoigné vouloir
remettre le Droit Romain en vigueur.
Les ténébres épaiſſes où les Sciences& les
Lettres étoient plongées lors deſon regne ,
ne lui permirent pas de réuſſir dans ce
deſſein.
Les déſordres de la guerre frent se
queCharlemagne n'avoit pû exécuter. Lothaire
II. ayant conquis Melphe , dans
la Pouille , y trouva un exemplaire des
Loix Romaines , il en gratifia les Pifans ,
fesAlliés.
En conséquence de cette découverte ,
Irenies profeſſa en 1128 le Droit Romain
à Boulogne , il le fit d'abord de fon
}
62 MERCURE DE FRANSE.
propre mouvement; il n'y fut autoriſé,fi
onencroit Berthold Nihuſius, qu'en 1137,
Lothaire II. ayant ordonné par un Edit
que la collection deJuſtinien ſeroit publiquement
enfeignée dans les Ecoles , &
fuivie au Barreau .
Dans le quatorziéme ſiécle les Florentins
s'emparerent de Piſe ,& tranſporterent
à Florence les Pandectes qu'ils avoient
enlevé à leurs ennemis. La France ne voulut
point le céder à l'Allemagne & à l'Italie
, elle cut auſſi ſes Docteurs ; ils font
connus.
J. Lacoste , fils , Avocat.
Dijon, le 16 Avril 1753 .
4
La fuite au prochain Mercure.
VERS
AS. A. S. Mgr le Comte de Clermont ,
Princedu Sang, à l'occaſion deſa Fête.
LA folemnité lapluschere ,
Dujour qui la voit naître éprouve le deſtin ;
Eclatante , mais paſſagere ,
Elle ne compte qu'un matin:
Il n'en eſt pas ainfi de celle qu'on s'apprête ,
Grand Prince , à célébrer dans votre heureuſe
Cour ;
OCTOBRE. 1753 . 63
Pour la gloire & les arts dont vous êtes l'amour ,
Tous vous jours ſont des jours defêre.
Le Chevalier de Laurès.
३८ ३८ ३८ ३८ ३८ ३८ ३८ ३८ ३८ ३८ ३८ ३८
VERS
AMlle Gauſſin , à l'occaſion du rôle d'Aglaé
qu'elle a joué dans une Comédie nouvelle,
répréſentée àBerny , pour la fête de
SA. S. Mgrle Comte de Clermont , Prin
ceduSang.
Q
Ue votre voix enchantereſſe ,
Votre air naïf, votre délicatefle ,
Quetout , belle Gauſſin , en vous plaît , attendrit!
On vous admire , on vous chérit ,
Voscharmes paflent dans ma Piéce ;
Par un preſtige heureux qui voile fa foibleſſe;
Le coeur ſoupire & l'eſprit rit.
Ainfi , quand zéphire careſſe ,
Les bois , les champs que l'Aquilon Aétrit ;
Le calme renaît , l'horreur ceſle ,
Tout s'anime , tout rajeunit ,
Et la ronce même fleurit .
Que n'embelliroit pas l'art joint àtant de graces !
Qui ,le vain Mathias , ſur le Dieu du Parnaſſe
Eût remporté le prix des Vers ,
Si vous cuffiez prété vos accens à ſes airs,
Par lemême.
64 MERCURE DEFRANCE.
洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗装
ASSEMBLE'E PUBLIQUE
De l'Académie des Belles- Lettres de la Rochelle,
tenuele 175.3
Gaſtumeau , Directeur , ouvrit la
M. Séance par un Diſcours dignedes
plus grands Ecrivains , dans lequel it
examine ſi nous devons craindre pour
les Lettres , la même révolution qu'ont
éprouvée les Lettres Romaines.
>>On ne poſſéde point , dit l'Auteur ,
>> de grands tréſors ſans inquiétude. La
» perfection où la France s'eſt élevée dans
>> les Arts de tout genre eſt un bien dont
>`>elle connoît le prix. Elle craint donc de
>>le perdre , & dès- là il ne faut plus s'é-
>>tonner qu'au premier danger qu'il pa-
>> roît courir , on s'arme de toutes parts
>> pour ſa défenſe.
>>C'eſt ſur tout pour les arts de génie
* que les alarmes paroiſſent plus vives.
>>Comme leur poſſeſſion a quelque choſe
>>de plus flatteur pour l'eſprit , qu'elle dé-
>> cide beaucoup plus du mérite d'une nation
, & que dépendante d'ailleurs d'une
infinité de vues extrêmement déli
>> cates , le trouble & le déſordre s'y introduiſent
d'une maniere preſque infen
OCTOBRE. 1753. 65
fible , toute nouveauté y devient l'ob-
>>jet de défiance&de précaution .
>>Telle eſt le plus ſouvent la ſource de
» ces plaintes , qu'on entend s'élever ſur
>> la corruption du goût plaintes qui
>>quelquefois ſe ſont changées en cris
>>> amers , & ont plus inquieté la républi-
>> que des Lettres , que le fujet même qui
>> les faiſoit naître.
>>La fameuſe diſpute ſur les anciens &
>> les modernes fut une de ces entrepri-
> ſes téméraires qui effraya le plus l'empi-
>> re Littéraire. Les grands maîtres alloient
>> être abandonnés , on étoit menacé de
>>>l'anarchie , & tout étoit prêt à rentrer
>>dans cette épaiſſe nuit dont l'ignorance
avoit couvert le monde.
>> Mais qu'avoit- on à craindre ? La guer-
: re ſe faiſoit à force ouverte : le fameux
> adverſaire des anciens , trop foible pour
>> la grandeur de ſa cauſe , ne gagna point
>>>de terrein , & fit preſqu'autant de fautes
>> que de pas les deux grands hommes
>>qui après lui entrerent en lice , & qui
>> auroient eu infailliblement raiſon s'ils
>>avoient pû l'avoir , ne donnerent pas
» à beaucoup près , à la diſpute , ni autant
>>de vivacité , ni autant d'étendue que
>> Perrault : on réduiſit la queſtion aux ter-
» mes du vrai , & après avoir reconnu
66 MERCURE DE FRANCE.
>> qu'Homere & Platon avoient på tom-
>>ber dans quelques négligences , on leur
>> laiſſa le nom de Divins , que leurs
» avoient décerné tous les ſiécles....
>>Cependant la longueur de la diſpute
>> accoutuma peu à peu les eſprits à des
>>ſyſtèmes finguliers , ſur le progrès &
>>la chûte des Arts.On ne douta plus qu'il
» n'y eût un terme fatal , aude- là duquel
>> ils ne peuvent monter ,&d'où enfin ils
>> doivent deſcendre , par notre inconf.
>>tance naturelle qui nous dégoûte de la
>> perfection même , par la ſeule raiſon
>> qu'elle tend à nous fixer. On crut voir
>>> ce terme , on en marqua l'epoque : les
>> fiécles d'Auguſte & de Louis le Grand
>>parurent avoir fourni dans tous les gen-
>>res des modéles achevés ; c'eſt à ce point
» qu'on s'arrêta , & comme par un préju-
"gé déja fort ancien , oncroyoitque tous
>> les arts étoient tombés immédiatement
> après la mort d'Auguſte , il falloit par
>>une conféquence néceſſaire du ſyſtème ,
>>qu'ils dégeneraſſent après celle de Louis
XIV.
>>La prévention ſe changea preſque en
>> conviction : on compara Auteur à Au-
» teur; on nous montra nos Seneques ,
>>>nos Lucains , &tous ceux qui avoient ,
>>> dit-on , hâté dans Rome la décadence
•desArts.
OCTOBRE. 1753 . 67
>>Croiroit-on que malgré les preuves
>> éclatantes de goût&de génie qu'a four-
>>nies notre ſiècle ,pour la perfection de
>> tous les objets des connoiſſances humai-
>> nes , cette crainte de les voir périr trou-
>> ve encore placedans les eſprits , & qu'on
> la fonde toujours ſur le triſte évene-
» ment de la chûte des arts dans Rome ?
n
"un ود
Mais ceux qui craignent pour nous
pareil événement , ont-ils affez réflé-
>>chi ſur les vrayes cauſes de la corrup-
>> tion du goût chez les Romains , & fur
>> l'état actuel où se trouvent les beaux-
>> Arts en Europe ?
Examinons ces deux objets , & avant
>> de nous livrer aux alarmes , voyons du
>> moins fi elles ſont fondées .
Dans la premiere partie , après avoir
parcouru les cauſes auxquelles on attribue
ordinairement le déperiſſement des arts
dans Rome , telles que la révolution du
Gouvernement , l'aſſerviſſement de la République
, la dureté de ſes maîtres , les
troubles& les diviſions inteſtines qu'exita
tant de fois la concurrence pour l'Empire
, &c. l'Auteur cherche dans Rome
même les cauſes particulieres du déſordre
: elle en fournit qui lui font propres ,
&qui fortent , pour ainſi parler , du fonds
de ſa conſtitution.
68 MERCURE DE FRANCE.
Il s'arrête principalement à ces quatre
objets . Le caractere du génie des Romains,
le peu d'étendue qu'eut chez eux l'empire
des Lettres , même dans les tems les plus
heureux ; le peu d'objets ſur leſquels ils
purent exercer leur talens ; le manque de
fecours pour les cultiver : » en falloit- il
>>tant pour précipiter la ruine des Let-
> tres ?
• Quoique tous les peuples ayent à peu
>>>près les mêmes diſpoſitions pour les
>>beaux Arts , on remarque pourtant que
>> tous ne les cultivent pasde la même ma-
* niere , & que chacun y porte fon carac
>>> tere , & le goût dominant dont la na-
> tion eſt affectée.
Ceux que l'imagination gouverne
> avec plus d'empire , ſe livrent par pré-
> férence à la Poësie , & ne veulent dans
>>>les écrits que des ſymboles , des peintu-
>>res vives , des figures hardies ; tout s'y
traite en vers , la Philoſophie , laMo-
>> rale , l'Hiſtoire même.
4
>>D'autres plus portés aux choſes de
>>ſentiment , ſemblent ne devoir chanter
>> que l'amour & ſes plaifirs.
>>Tout ce qui eſt du reſſort de l'eſprit ,
>> tout ce qui reſpire l'enjouement & la
>> délicateſſe , paroît dans une nation faire
- le ſeul objet qui l'occupe , tandis que
OCTOBRE. 17;3 . 69
> l'autre uniquement livrée aux choſes
مد graves& férieuſes ,ſemble facrifier tout
»à la raiſon , & ne ſe plaire qu'aux ouvra-
>> ges qu'elle a dictés.
>>>Jecrois , ſans prononcer trop hardi-
» ment ſur le caractere d'eſprit du peuple
>> Romain , qu'on peut le ranger dans cet-
>> te derniere claſſe. Il avoitdes moeurs ,
»& en général quelque choſe d'auſtere
» dans la conduite , l'ame naturellement
» élevée & courageuſe , le coeur dévoré
>> d'ambition , & toujours au deſſus de ſes
>> ſuccès , quelque grands qu'ils fuffent ,
>>une inclination vive pour toutes les cho-
» ſes où il y avoit de la grandeur , une
>> raiſon exquiſe& folide , un jugement
»sûr dans la conduite des affaires. Mais
ces qualités mêmes , toutes eſtimables
>> qu'elles font , ſemblent exclure la viva-
>> cité , l'enjouement , le jeu des paffions ,
>>le deſir de ſe communiquer &de plaire ,
>> le penchant à l'imitation , &dès là ôter
>> à l'eſprit une partie de ſes agrémens &
>de ſes reſſources .
» Aufſi les Romains , qui dans les ou-
»vrages ſérieux ont réuſſi juſqu'à devenir
>> eux-mêmes d'excellens modéles , n'ont-
>> ils eu que de médiocres ſuccès quand ils
« ont voulu traiter le ſentiment ou don-
>nerdans le badinage. Térence, lui même
70 MERCURE DE FRANCE:
>>dont le jeu eſt par tout plein de fineſſe
" & de, décence , a dans tout le tiſſu de
>>ſes pièces je ne ſçai quel ſérieux qui
>>ſuſpend ou amortit le plaiſir des choſes
> agréables & délicates qui y ſont répan-
>> dues. Plaute qui avant lui avoit donné
>>>plus de liberté au comique étoit ſouvent
>>tombédans labouffonnerie plate & grof-
> ſiere ; peut être est-ce ſa gayeté autant
>que ſes pointes& ſes jeux de mots , qui
>>lui a fait trouver un cenſeur ſi rigide
>>dans la Cour d'Auguſte.
>>>Croiroit - on que cette auſtérité de
»moeurs , & ce goût dominant pour les
>> choſes férieuſes &raiſonnables fit pref-
>> que méconnoître aux Romains l'uſage
>>des paſſions douces& modérées , & que
dans leur conduite comme dans leurs
>> écrits, ils n'ont preſque jamais apperçu
>> cette ſituation de la ſociété , où ſans vi-
>> ces comme ſans vertus elle fait l'amuse-
"mentde tous ?
>>Leurs femmes avoient de la fierté ,
>>des ſentimens , l'eſprit d'une trempe auf-
» ſi ferme que les hommesdont elles vou-
>>loient partager la gloire & les travaux.
>>Calpurnie fit une harangue publique :
>>Porcie , après la mort de ſon mari , ava-
>>la des charbons ardens : on leur permet-
> toit à peine les jeux innocens de la jeuOCTOBRE.
1753 . 71
nefle ,&c'étoit pour elles un crime que
d'y réuſſir trop. Mais dès-là quelles dif-
>>poſitions devoient-elles apporter dans
>>la ſociété , leur orgueil comme leur ver-
» tu en étoit le fléau , & à cet égard la
>>ſumple villageoiſe devoit , aux yeux de
• Juvenal , l'emporter ſur la mere des
»Gracches.
>>>Auſſi dès que les richeſſes eurent intro-
>> duit dans Rome le luxe & les plaiſirs ,
» on y paſſa preſque ſans milieude la ré-
>>ſerve la plus auſtere à la débauche la
>>plus groſſiere . Toutes les productions des
» Auteurs en furent infectées ,tout s'y pei-
» gnit ſans ménagement & fans pudeur ;
»& par un retour qui marque bien le
>> penchant que nous avons à courir vers
>>tous les excès , ceux qui tenterent de ta-
» mener les autres au devoir , endonne-
>>rent des régles que perſonne ne put fui-
» vre. L'élévationdes ſentimens reparoiſſoit
>> dans les écrits , mais elle y étoit outrée
» & giganteſque. Le plan de vertu qui
regne dans les ouvrages moraux de Sé-
>> neque , ſemble avoir fourni le fond des
>>idées & du ſtyle des tragédies qu'on lui
>>attribue; peut- être a t'il paſſé juſquesdans
>>>l'économie& les expreſſions ampoulées
» de la Pharſale.
» Ce qu'il y a de certain , c'eſt que la
72 MERCURE DE FRANCE.
>> forte d'eſprit qu'ont eu les Romains ;
» n'a dû que très- médiocrement étendre
>> l'empire des Lettres. Mille eſpéces d'ou-
>> vrages leur étoient inconnues , ceux en-
> tr'autres que produit le ſimple amuſe-
>>ment dans des ſociétés ſpirituelles & po-
>>lies , qui ſçavent ſoumettre le plaiſir ,
>> les paſſions , l'érudition même aux loix
>de la bienséance.
Deplus , ce goût qu'ils avoient pour
tout ce qui portoit l'empreinte de la
> grandeur , après s'être exercé ſur des ob-
>>jets réels , & qui en étoient véritable
> ment ſuſceptibles , devoit être lui-mê-
> me une diſpoſition fort prochaine à don-
>> ner dans l'hyperbole & l'enflure , fur
>>tout quand il étoit queſtion de feindre
ou d'inventer.....
T
?
>>C'eſt en partie à cette diſpoſition d'ef-
>>prit que nous devons ces déclamations
>>qui après le regne d'Auguſte , firent pen-
>> dant fi long-tems preſque toute l'éduca
»tion littéraire de la jeuneſſe Romaine,
» Ouvrages bizarres , où l'art ſeul croit
>> remplacer la nature , où les mots tien-
» nent lieu des choſes , où des riens ſont
→parés des plus riches ornemens de l'élo-
>> quence ..... Comment les Romains ne
>> ſe dégoûterent- ils pas de ce yain étalage
>>des Rheteurs ? ... ,
» C'eſt
ОСТОBRE. 1753 . 73
»C'eſt que dans ces déclamations ils
> voyoient encore l'image de cettegrande
» éloquence , dont les Orateurs dela Ré-
» publique avoient fait uſage. Ils n'a-
> voient plus de Rois à accuſer ou à dé-
> fendre , des citoyens plus grands que les
>> Rois à proſcrire ou à ſauver ... Mais ils
>>lifoient les diſcours où s'étoient difcutées
> ces cauſes importantes , & pleins de leur
>> antique grandeur , ne croyant pas que
>>l'éloquence pût ſans ſe dégrader prendre
>>un autre ton , ils aimoient mieux fein-
>>dre des ſujets qui s'élevaſſent juſqu'à el-
- le, que de la faire deſcendre aux objets
> que leur ſituation actuelle leur permettoitde
traiter.
»Cette mépriſe dans le choix des ſujets
• où l'éloquence devoit s'exercer, fut peut-
► être chez les Romains une des principa-
•les cauſes de la corruption du goût ....
>>Du moins nous fait-elle connoître com-
>> bien peu les écoles Romaines ſervoient
>>>aux progrès des Sciences .
C'eſt qu'en effet , les maîtres eux-mêmes
>>n'avoient que très peu de connoiſſances ;
» & où les auroient- ils puiſées ? Jamais
> les Sciences n'ont fait dans Rome que
▸ de médiocres progrès , & dans les tems
»même les plus favorables,elles ne furent
>cultivées que par le plus petit nombre ,
D
74 MERCURE DE FRANCE.
→le gros de la nation n'yprit aucune part
»On ne peut gueres faire remonter
» l'époque de l'introduction des beaux
» Arts dans Rome , plus haut que la ſe-
> conde guerre Punique ; & combien en-
> core ces commencemens dûrent- ils être
foibles ! ....
Ainſi ceux qui placent le commence-
»ment de la décadence des Arts dans Rome
, immédiatement après la mort d'Au-
> gufte , ne leur donnent guéres que 200
» ans de durée.
>> Il eſt vrai que dans ce court intervalle
>> l'Eloquence & la Poësie furent portées
>>>au plus haut point de perfection ; mais
>>les Sciences purent-elles , en ſi peude
>>tems , faire un progrès égal ?
» Les Romains étoient un peuple de
> foldats& d'eſclaves.Durant les cinq fié-
>> cles qu'ils paſſerent à ſoumettre l'Italie ,
>> ils méconnurent preſque entierement le
>> reſte du monde. ....
» Ils trouverent les Sciences dans la
>>Grece , mais ennyvrésdu ſuccès de leurs
armes au dehors , & troublés au dedans
» par les jaloufies du Sénat & du peuple ,
>>pouvoient-ils les cultiver avec quelque
> fruit ? .. Qu'on juge par la Géographie
>> du peu d'accroiſſement des autres Scien-
>> ces. Quand Polybe écrivit ſon hiſtoire ,
ОСТОBRE.
1753. 75
bil fut obligé de voyager en Afrique , en
» Afie , dans les Gaules , en Eſpagne , pour
s'aſſurer de la poſition des lieux dont il
>>devoit parler ; & plus d'un fiécle après ,
► Diodore de Sicile fut contraint d'en
>> faire autant pour ſon Hiſtoire univer-
>felle.
• Les beaux Arts même ne faifoient
› alors que des progrès très- lents.
L'Auteur rappelle ici la ſtupidité de ce
Conful , qui ayant ſauvé de l'embraſement
de Corinthe des tableaux admirables, étonné
du prix qu'on lui en offroit , croyoit
quequelque vertu ſecrettey étoit attachée;
le mauvais goûtdu peuple , qui à larepréſentation
des plus belles pièces de Térence
, quittoit quelquefois le théatre pour
courir àdes mimes oudes farceurs : l'aveu
que fait Virgile lui-même de la ſupériorité
que laGrece avoit encore de ſon tems
fur Rome , dans l'exercice de tous les arts ;
l'uſage où étoient les Orateurs d'y aller
étudier les Sciences , &c .
• Combien peu de citoyens encore s'adonnerent-
ils à l'Eloquence & à la Poë-
>> ſie ? Dans la liſte des grands Orateurs
>> dont l'hiſtoire nous a conſervé les noms ,
>on ne voit que des hommes Confu-
>> laires , des Patriciens , les plus grands ,
les plus riches de Rome. L'Eloquence
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
>>leur étoit néceſſaire pour s'attirer l'ad-
>> miration& les ſuffrages du peuple ; mais
>>pour arriver plus sûrement au but , if
>>falloit parler à un peuple peu inſtruit ,
» à qui l'art , la marche , & les ref-
>>forts ſecrets de l'éloquence fuſſent en-
>>tierement cachés; car la ſurpriſe & l'ad-
>> miration ceſſent dès que l'objet eſt con-
>> nu , & il y a bien de l'apparence que
>> ces harangues qui ſoulevoient fi facile-
>>ment la multitude n'auroient eu que de
>> très foibles ſuccès , ſi l'auditeur avoit pû
→découvrir l'adreſſe dont uſoient les Ora-
>>teurs , pour lui inſpirer ces mouvemens
>> furieux qui le jettoient hors des bornes
» du devoir. Les Prédicateurs de la Ligue
>> trouveroient- ils aujourd'hui des audi-
>> teurs auffi dociles que l'étoient ceux de
>> leur tems ? ....
>> L'Eloquence commença avec les trou
» bles de la République , lorſque les ci-
>>toyens les plus puiſſans & les plus ac-
>>crédités ſe faisoient des partis pour op-
> primer leurs concurrens : d'un côté les
>>haines , les inimitiés , les accuſations ;
➤de l'autre , la néceſſité de la défenſe dans .
» des cauſes où il s'agiſſoit toujours de fon
état & de ſa fortune , & où il falloit
→répondre de vive voix par ſoi-même &
fans le ſecours d'autrui ; le ſuccès prefOCTOBRE.
1753 . 77
,
> qu'infaillible qu'avoit auprès du peuple
, non pas l'innocent ou l'homme de
»bien mais celui qui parloit avec plus
>> de grace & d'éloquence ; le préjugé du
» fiécle qui ne croyoit dignes du gouver-
>> nement que ceux qui tenoient le premier
rang parmi les Orateurs ; ce cri
» éternel de la ſainteté des loix , de la ma-
» jeté du nom Romain dont retentiſſoient
>> les tribunes ; la foule qu'attiroit un ſpec-
> tacle ſi propre à nourrir la vanité & la
>malignitédu peuple; tout cela dut nécef-
>>ſairement produire un grand nombre
» d'Orateurs , & tourner à l'étude des
>> Sciences &des exercices oratoires l'édu-
>> cation de lajeuneſſe , que la naiſſance
>>& les talens appelloient aux premieres
>>dignités.
>>Mais une éducation ſi ſupérieure &
>> dont le ſuccès dépendoit d'une infinité
>> de connoiſſances qu'il falloit acquerir à
>> grands frais , ne pouvoit guères être le
>>partage du peuple. Auſſi dès qu'Auguſte
en pacifiant la République , eut fermé
>> les routes à l'ambition des Grands , &
» que la tribune eut été forcée au filence ,
» il n'y eut plus d'Orateurs , & leur art
>>tomba preſque dans l'oubli ..... 1
>>Ala vérité , ce triomphe de l'éloquence
& les flateuſes récompenfes qui y
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
» étoient attachées , avoient dû inſpirer
>> une très-vive émulation à pluſieurs ci-
>> toyens d'un ordre inférieur , qui ne pou-
> vant ſe procurer une éducation ſi recherchée,
s'attachoient du moins à cultiver les
>> parties de la Littérature qui étoient plus
>de leur reſſort .
» C'eſt ce qui prépara au fiécle d'Au-
>>guſte ce grand nombre de Poëtes , d'Hif-
> toriens , qui voyant à leur tour leurs ta-
>> lens accueillis , préférés même à ceux
>> des anciens Orateurs dont on n'ofoit
>>>plus prononcer le nom , produiſirent ces
>> chefs- d'oeuvre qui ont immortaliſé leur
>> goût , & celui du Prince & du Minif-
>> tre qui les protégerent.
>>Pourquoi de fi brillans efforts ne fu-
> rent- ils pas foutenus plus long-tems ?
>>Pourquoi ne proportionna-t'on pas les
>>ſecours aux ſuccès ? comment ne prévit-
> on pas qu'une émulation qui avoit cu
>dans l'origine des cauſes bien plus inté-
>>reſſantes que les ſimples regards du Prin-
се , & qui n'avoit percé qu'à travers
>> mille obſtacles , dégénéroit bien vîte ,
> ſi l'on ne multiplioit les reſſources & les
>>facilités de l'éducation , qui elle même
>> devoit naturellement multiplier les ama.
» teurs des Lettres ?
>> Car ce ſont ces facilités qui ont tou
OCTOBRE. 1753. 79
> jours manqué à Rome. Les Rheteurs s'y
>>étoient introduits quelque tems avant
>>>Ciceron : mais quelle école pour lajeu-
> neſle ! Preſqu'au moment de leur établif-
> ſement ils s'attirerent le mépris des gens
> ſenſés , & les Confuls furent obligés de
> mettredes bornes à leur licence. Cepen-
>>dant c'étoient là les ſeuls maîtres que
➤ l'on pouvoit commodément entendre.
>>Une telle conſtitution devoit expoſer
les Arts à une décadence inévitable ...
> On ſçait par quels dégrés ils font ar-
» rivés à leur ruine ſous les ſucceſſeurs
>> d'Auguſte. Ces monſtres qui immédiate-
>mentaprès lui occuperent le thrône , ne
>>favoriſerent plus les lettres , quelques-
>> uns meme leur furent contraires. Cali-
>> gula vouloit abolir les écrits d'Homere ,
•& ôter des Bibliotheques publiques Ti-
» te- Live & Virgile : Neron affez fou
» pour ſe croire le premier des Poëtes , &
>>affez cruel pour punir en ce genre la ri-
>>valité commeun crime , glaça les eſprits,
» ou les força à s'envelopper d'un voile
>>ténébreux qui déroboit toutes leurs gra-
» ces.
» Mais ce n'étoient làque des momens
>> critiques , contre leſquels les beaux Arts
>> auroient infailliblement prévalu , s'ils
avoient été plus répandus dans Rome.
Diiij
30 MERCURE DE FRANCE.
En effet , un Gouvernement plus doux ,
>> tel que celui de Veſpaſien , de Trajan ,
> de Marc Aurele devoit les rétablir , s'ils
>>avoient eu dans l'origine une confiftance
plus fixe.....
>> Pour donner plus de jour à ces preu-
>>ves , il ſuffiroit de jetter les yeux ſur l'é-
>>> tat des Lettres dans la Grece. D'où vient
qu'elles s'y ſont maintenues ſi long-
>>>tems , & pluſieurs fiécles après la chûte
des Lettres Latines ? C'eſt qu'elles y fu-
> rent plus répandues , que tous les ci-
>>toyens les cultiverent , que les Acadé-
>> mies établies dans toutes les Villes y
>> formoient la jeuneſſe : c'eſt que toutes
>> les Sciences , toutes les partiesde la Lit-
>> térature y étoient enfeignées par d'ex-
>>cellens maîtres , & que les Grecs natu-
>>rellement ſpirituels & curieux, aimoient
>>toutes les belles connoiffances & s'y
> appliquoient par goût : l'Eloquence &
> la Poëfie faifoient l'amusement du peu-
> ple même : on y entretenoit des ſpectacles
aux dépens de la République , &
>le plus indigent n'en étoit pas exclus...
Dans la ſeconde partie du Diſcours , M.
Gaſtumeau indique , mais en géréral , nos
richeſſes littéraires , & les ſecours infinis
qui de toutes parts s'offrent au génie , &
rendent l'étude auſſi facile que commode.
OCTOBRE. 1753 . St
Toutes les Villes ont des écoles publiques
; les Bibliotheques , les cabinets
>>des Sçavans , qui dans les Capitales ren-
> ferment des tréſors immenfes , ne font
> pas ſans quelque prix dans pluſieurs Villes
de Province.....
» Un difcernement fin & exquis , un
vif attrait pour tout ce qui orne l'ef-
>>>prit& la raiſon , un goût éclairé de la
>> politeffe& des bienséances , plus pré-
> cieux peut-être que l'érudition même ,
>> un ardent amour pour la gloire , for-
» ment aujourd'hui le caractere de toutes
> les nations de l'Europe.
>>>Manquer-at-on de ſujets & d'occaſions
pour exercer ſes talens ?
» D'un côté , une Religion ſainte dont
les dogmes imajestueux & la morale fu-
>> blime ne ſe déroberoient que trop à nos
>> regards , ſi elle ne chargeoit ſes orateurs
>> de nous rappeller continuellement à el-
>> le , leur fournit un fonds inépuiſable de
>> ſentimens , de pathétique , de vérités
>>impérieuſes , d'invitations preſſantes ,
>> qui aſſurent à l'éloquence un ſuccès mal-
>> heureuſement auſſi durable que nos éga-
> remens & nos foibleſſes.
>> D'un autre côté , les haines , l'aveu-
>>glement , l'intérêt , font retentir de leurs
>> clameurs les tribunaux de la justice : les
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
> paſſions s'y cachent avec art , le men-
• fonge même oſe y emprunter les cou-
→leurs de la vérité : mais enfin la vérité y
>> triomphe , & elle doit ſa victoire à l'E-
> loquence , &c .....
>> Je ne dis rien de la Poësie , elle ne
» gagne pas à beaucoup produire ; ſa fé-
>> condité même lui nuit :il faut en ce
>> genre ou des chefs d'oeuvre ou rien du
>>tout , & les chefs-d'oeuvre ſont toujours
- rares. Mais malgré cela l'Europe peut
>> montrer d'excellens Poëtes , & même en
> affez grand nombre , pour n'être pas à
> cet égard accuſée d'indigence. Ce qu'il
>> y a de certain c'eſt que jamais l'art n'a
» été mieux connu ; que le goût de la
» bonne Poëſie eſt aujourd'hui fi sûr & fi
» répandu , que tout le monde eſt en état
>>de juger du mérite des Poëtes , & que
> ſansy penſer , les eſprits ſe tournent
» d'eux-mêmes aux figures & aux images
>> poëtiques , affez pour faire ſouhaiter
> que le penchant n'aille pas plus loin. ...
>>Mais ce qui fait le mérite particulier
>> de notre ſiècle , c'eſt que dans cette éten.
>> due immenſe que renferme aujourd'hui
» le cercle des connoiſſances humaines ,
>> nous n'admettons que des idées claires
> des principes vrais , des raiſonnemens
>> exacts , des expériences ſures. Tout ce
OCTOBRE. 1753.83
"qui ſe cache dans l'obfcurité ou ne ſe
>>laiſſe entrevoir qu'à demi , tout juge-
>> ment confus , tout objet enfin que l'ef-
>> prit ne peut ſaiſir d'une vûe ferme , eſt
> rejetté ou rangé dans la claſſe des cho-
> ſes douteuſes& incertaines.
>>Ce goût du vrai paſſe dans tous les
> Arts : la ſeule nature eſt en droit au-
>jourd'hui de guider la main des Ar-
> tiſtes : elle eſt elle-même le plus beau &
>> le plus fécond de tous les modéles ....
>> Quelle abondance , quelle variété d'i-
» dées ne doit pas produire cette multitu-
>> de d'objets nouveaux que les Arts met-
>> tent ſous nos yeux , & combien le ſtyle
>> en doit- il être orné & enrichi ? C'eſt de
>> cette ſource que coulent dans nos bons
--ouvrages ces métaphores , ces images , ces
>>comparaiſons qui animent l'expreffion ,
» & donnent une eſpéce de corps & de
>> vie à des objets que ſans leurs ſecours
>> la vûe diſcerneroit à peine.
L'Auteur ne diffimule point le reproche
aſſez juſtement fondé qu'on fait à notre
fiécle , de vouloir briller & montrer de
l'eſprit.
>> Je ſçais , dit- il , que cette fureur de
>> courir après l'eſprit eſt un peu le mal de
>> notre ſiècle , que le brillant eſt ſouvent
>> préféré au folide , & qu'à force de vou
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
>> loir préſenter aux Lecteurs des choſes
» agréables ou délicatement rendues , on
:
s'écarte quelquefois de cette noble ſim-
>plicité d'idées qui caractériſent la vérita-
>>ble éloquence.Mais que ce petit défordre
>> ne nous alarme point : il eſt bien plus la
>> preuve de notre abondance & de nos ri-
>>cheſſes, que d'un goût qui change ou qui
>> s'altere. Dans les maiſons opulentes , le
>>ſuperflu occupe autant que le néceſſaire.
» Un fiécle auſſi éclairé que le nôtre peut
ſans danger ſe livrer à l'amusement :
d'ailleurs tous ces frivoles écrits où les
>>régles ſe violent ſans ſcrupule , ne vi-
>> vent qu'un jour , & les Auteurs eux-mê-
>>mes ne les donnent pas pour bons. Le
> goût eft fixé par de plus sûrs modéles :
>> les ornemens renverſés dont ſe pare aujourd'hui
l'Architecture , ne nous feront
»jamais oublier la majestueuſe ſymétrie de
la façade du Louvre , & fi quelqu'un
>>pouvoit craindre pour les beaux Arts ,
>je ne lui nommerai point pour le raſſurer
les Rollin , les Montesquieu , les
»Voltaire ; qu'il jette ſeulement les yeux
>> fur le Diſcours préliminaire de l'Ency-
>> clopédie.
M. Boutiron , pere , Chancelier , lut enfaite
un Diſcours qui a pour titre : Réflexions
fur les principes qui doivent guider
l'homme de Lettres.
OCTOBRE. 1753. 85
Il commence par établir qu'un homme
de Lettres n'est vraiment eſtimable qu'autant
qu'il réunit la bonté & la droiture
du coeur aux talens & à l'agrément de l'efprit
,& il en conclut que l'homme de Lettres
qui veut rendre ſes travaux utiles à la
ſociété , & glorieux pour lui-même , doit
autant s'appliquer àremplir ſon coeur de
l'amour de la vérité & de la vertu , qu'à
orner , embellir , élever ſon eſprit par les
belles connoiſſances ; ce qui forme la divifion
de ſon diſcours .
» Je ſçais , dit- il , que la diſtinction du
>> coeur d'avec l'eſprit n'eſt qu'une préci-
>> ſion d'idées ; cependant comme ces mots
>> repréſentent deux facultés de l'ame fuf-
>> ceptibles de differens attributs , c'en eſt
>> affez pour qu'on en puiſſe faire la diftinction
avec fondement. Le coeur de
> l'homme eſt , s'il m'eſt permisde parler
>> de la forte , la matiere de l'édifice dont
» l'eſprit eſt l'ordre de l'architecture , &
> forme les ornemens qui l'embelliffent ...
>> Un coeur qui eft vrai & rempli de l'a-
>> mour du bon , éleve l'efprit ; il le con-
>> duit & l'empêche de s'égarer : l'eſprit
>> polit le coeur , il le rend aimable : ainſi
>> tour à tour ils ſe rendent ſervice. Ou
>>l'un d'eux manque d'être ce qu'il doit
-être , l'ouvrage eſt imparfait , mais avec
86 MERCURE DE FRANCE.
>>difference. L'homme qui ne péche que
» par l'eſprit , eſt encore eſtimable ; celui
> qui péche par le coeur ne peut , tout au
>plus être qu'amusant , & ſouvent il eſt
>> pernicieux.
Après une courte digreſſion ſur le point
de ſçavoir ſi les idées ſont innées en nous ,
ou ſi nous les acquérons par les ſens , il
entre ainſi dans ſa premiere partie.
>> Se livrer à l'étude des Sciences & des
>>>Lettres par goût , uniquement pour oc-
>> cuper ſon loifier , c'eſt un amusement honnête
; s'y livrer dans la ſeule vûe de ſe
>> faire une réputation , c'eſt vanité: ni
>>l'un , ni l'autre n'est vraiment eſtimable ,
» quelque louable que ſoit l'amour des
>>>Lettres . Pour donner à ce travail tout le
>> prix qu'il doit avoir , il faut l'annoblir
>> par un motif & des vûes propres à faire
>>reſpecter la ſcience , faire rapporter la
> ſcience à la vérité , & la vérité à Dieu ;
> tel eſt l'ordre des choſes , ſeul digne de
»la raiſon .
>>>Les premiers Sçavans l'ont compris de
>>>la forte; ils ramenoient à la morale ce
>> qu'ils acquéroient de connoitſances ;
>> c'eſt par là qu'ils ont mérité le nom de
>>Philoſophes & de Sages....
>> Qu'importe de beaucoup ſçavoir , G
» l'on ne fait pas ſervir ſes connoiſſances à
OCTOBRE. 1753. 87
>> la vertu , en eſt on plus heureux ? le Sça-
>>vant qui ſe conduit de la ſorte , n'eſt pas
>> plus ſage que l'avare qui amaſſe des ri-
>> cheſſes pour le plaifir de les contempler ;
>>>l'un & l'autre ſe rendent inutiles le tré-
>> for qu'ils poſſédent....
>>On abuſe de la Science dès que la ver.
>> tu n'en eſt pas le fruit. ...
>>Quel homme peut ſe former de plus
>>nobles idées de la puiſſance du Créa-
>> teur , que celui qui connoît mieux la
>> grandeur & la marche de ces globes cé-
>>leſtes , qui roulent ſur nos têtes avec tant
>> de majeíté , ou qu'un Phyſicien attentif,
» qui , avec des yeux toujours appliqués ,
> obſerve la nature dans le détail Peut- il
>>douter que des ouvrages où la puiflance
»& la ſageſſe brillent avec une magnificen-
>>ce égale , n'ayent été produits pour une
> fin , & par conséquent que l'homme
>>lui -même qui leur eſt ſupérieur , n'ait
>> été créé pour une deſtination qu'il doit
>> s'attacher à remplir ? ...
» Des objets non moins perfuafifs , s'of-
> frent aux réflexions du ſimple Lit éra-
>> teur : il lui fuffit de jetter un regard fur
>> lui-même. Son eſprit , ſa raiſon , ſon
>> coeur , tout lui découvre que ſon origi-
>> ne eſt divine ,& qu'il ne peut avoir d'au .
>> tre fin que l'être qui l'a formé. Mais
88 MERCURE DE FRANCE.
quel éclat de lumiere ne frappera pas ſes
-yeux à la vûe de cette ſociété ſubſiſtante
-parmi les hommes , malgré le choc impé-
> tueux des paſſions quiles agitent ? tous
> avides de commander , preſque tous
>>obéiſſent . Animés par leur intérêt parti-
>>culier toujours en oppoſition entr'eux ,
>>comment une diſcordance preſque uni-
> verſelle , peut- elle produire l'harmonie ?
> n'eſt- il point étonnant que l'ordre de la
»ſociété naiffedu ſein même des paffions
» qui la troublent ? c'eſt ainſi qu'à un ef
*prit qui réflechit , la conſervation du
>> monde politique , ne prouve pas moins
> la Providence que la conſervation du
monde phyſique.
>>Mais s'il importe àla ſociété que tout
>>> homme ſoit vertueux , elle y eſt encore
>>plus intéreſſée par rapport à un homme
>de Lettres....
>> Il y a long- tems qu'on adit que l'efprit
étoit au ſervice du coeur , &on
>> a eu raiſon de le dire . Quand le coeur
> eſt mauvais , c'eſt beaucoup ſi l'eſprit ſe
>>>borne à l'excuſer ; il ſe rend preſque tou-
> jours l'apologiſte de ſa corruption. Il eſt
>> rare qu'un homme de Lettres ne peigne
>ſon coeur dans ſes ouvrages , & qu'il ne
le justifie. Outre le penchant preſque
> invincible àparler de ce qui nous plaît ,
OCTOBRE. 1753 .
c'eſt qu'on y gagne de ſe confirmer ſoi-
» même dans le parti qu'on a pris ; car ce
> qu'on a fait adopter à d'autres , en paroît
> d'autant plus vrai ....
» Dans un Auteur voluptueux , d'un ef-
>>prit vif , leger , agréable , le coeur pein-
>>dra ſes ſentimens avec des images rian-
>> tes , parées des graces de la naïveté&
» de l'enjouement. C'eſt la volupté elle-
>> même qui s'offre aux yeux du Lecteur
> tantôt mollement couchée ſur un lit de
>> fleurs , tantôt dans l'agitation de l'yvreſſe
» du plaifir.
6
>>Si ſon imagination eſt moins ornée
>> que ſon eſprit ſoit plus ſérieux , mais
>>plus fort & plus élevé , ce ſera par des
>> raiſonnemens qu'il enſeignera de ſe li-
>> vrer à fes penchans , &de ſe débaraſſer
>>de toute contrainte ; il en fera un ſyſtê-
> me raiſonné , qui aura pour principes le
>> renverſement des vérités les plus ſain-
» tes....
» Quel bien au contraire ne peut pas
• faire à la ſociété un homme de Lettres ,
»qui en travaillant d'abord ſur lui-même ,
» s'eſt appliqué à perfectionner ſon coeur ?
>> oſerai-je le dire ? il rend la vertu même
>>plus reſpectable , ſon exemple entraîne.
• S'il écrit , loin de ſe permettre rien
qui puifle remuer les paſſions , ou faire
१० MERCURE DEFRANCE.
>> naître des doutes dangereux , il tire du
>>fond des ſujets mêmes les plus indiffe-
>> rens , de quoi faire briller la vérité &
>>encourager la vertu....
>>Obligé d'être toujours en garde con-
>> tre lui-même , qu'un Auteur ſage ne crai-
>> gne pas de manquer de plaire par ſa re-
>>tenue. Les graces décentes & modeftes
>> d'un ouvrage où la vertu préſide , rem-
> placent avantageuſement les faillies ma-
>>lignes , ou les images trop libres d'un
>>écrit licentienx. La verta eſt toujours
>> pure , mais elle ne pouſſe pas l'austérité
» au-delà des bornes : elle admet quelque-
> fois à ſa ſuite des plaiſirs paiſibles & des
➤ris innocens. Le chemin où me fait mar-
>> cher une plume vertueuſe , eſt une campagne
cultivée , qui n'a pour ornement
>> qu'une noble ſimplicité & ſa verdure ;
>>>mais elle me plaît,&plus long-tems, que
>ces jardins ſi bien ſymétriſes où l'Art
» s'eſt épuisé à varier les perſpectives ...
>>Si tous les gens de Lettres s'étoient
➡ appliqués à perfectionner leur coeur , on
>>n'auroit pas hazardé cet étonnant pro-
>>b>lême , ſi les Lettres ont moins ſervià
» épurer qu'à corrompre les moeurs....
M. B. paſſe enſuite à ſa ſeconde partie ,
dans laquelle il ſe borne à des réflexions
générales ſur la maniere de cultiver ſon
efprit.
OCTOBRE. 1753. 91
Il conſeille de ne pas ſe livrer à de
grands efforts , ſi l'on ne ſent en foi un
fond par lequel on puiſſe être dédommagé
de ſes peines , ou ſi l'on n'eſt conduit par
état dans la carriere.... » En multipliant
» les travaux , on force , dit- il , une terre
>>ſablonneuſe àquelque production ; mais
>>la dépenſe ſurpaſſe toujours le profit
» qu'on en retire.
Il conſeille auſſi de ne pas entreprendre
de tout ſçavoir : " Il ſeroit à craindre
» qu'on n'apprêt rien avec profondeur. Il
> vaut mieux être excellent dans un genre
>>que médiocre en plufieurs ... Cependant,
>>>continue-t'il , ſans ambitionner de tout
>> ſçavoir , on doit s'efforcer d'acquérir au
>>moins une teinture des principaux ob-
» jets des connoiſſances de l'eſprit hu-
>> main . Quelque vaſte que foit le pays des
>>Sciences , & quoiqu'il foit partagé en
>> un grand nombre de climats differens ,
• il ne fait qu'un Empire ; tous ceux qui
>> cultivent les Lettres ſont Concitoyens.
>> Il eſt donc juſte qu'ils ſe connoiſſent les
>>uns les autres ; & pour cela ils doivent
>> mutuellement voyager dans les differen-
> tes parties du pays qu'ils habitent : mais
> il eſt de la prudence qu'ils reviennent
enfuite au climat ſous lequel ils ſont nés,
pour s'y fixer. Le tempéramment y eft
92 MERCURE DE FRANCE.
>>d'ordinaire plus fort. En courant fans
>> ceffe d'un endroit à l'autre , on diffipe
>> autant qu'on acquiert.
Après quelques réflexions ſur la maniere
de diriger ſes études , ſur le ſoin
qu'on doit avoir de ne puiſer ſes premieres
connoiſſances que dans les écrits des
meilleurs Maîtres ,ſans néanmoins négliger
dans la ſuite les Ecrivains d'un moindre
mérite , M.B. en vient à définir legoûr,
qu'il croit ſe former inſenſiblement par
cette lecture réflechie des bons ouvrages.
>>>Le goût eſt , dit-il , ce difcernement
» vif , sûr , délicat , par lequel l'ame ap-
>>précie les objets. Il ſuppoſe la ſolidité
»& la profondeur du jugement , mais il y
ajoute la vivacité & la délicateffe. La
» vérité eſt l'objet du jugement ; l'agré-
>> ment & la beauté ſont l'objet du goût.
>> Le jugement ſe raffermit par la difcuf-
>> fion , & ſouvent elle émouſſe le goût ;
>> c'eſt que le beau & le gracieux ſont com-
>me l'air que nous ne voyonspas , mais
>>que nous fentons.
>>> Ceci , continue l'Auteur , peut réſou-
> dre un problême littéraire propoſé il y
>> a quelques années , ſçavoir ſi c'eſt par la
>>diſcuſſion ou par le ſentiment qu'on ju-
» ge mieux des ouvrages d'eſprit . En ce
qui concerne la vérité , l'ordre & le rapa
OCTOBRE. 1753. 93
port des idées , on en juge plus sûrement
>>par l'analyſe & par la diſcuſſion ; mais
>>le ſentiment juge mieux de la beauté ,
>>de l'agrément & de la fineſſe des pen-
>> ſées , & le ſentiment en cette partie ſe
>> confond avec le goût ; mais il y ajoute ,
>>car le goût n'eſt parfait qu'autant qu'il
>> réunit à la fineſſe du ſentiment la folidité
>>de la diſcuſſion ....
>> On reçoit de la nature le feu de l'ima
>>gination , le brillant de l'eſprit , l'éten-
>> due du goût ; mais le goût qui met en
>> oeuvre ces heureux dons , forme les bons
>> ouvrages ; on ne le reçoit point , on
>l'acquiert. Le principe de ce difcerne-
>>ment qui fait le goût , confifte en cer-
➡taines notions du vrai , du beau , du gra-
» cieux , du délicat , que l'ame ne par-
>> vient à s'approprier que par le ſecours
» de ceux qui les ayant déja ſaiſies y ont
>>conformé leurs productions. Elles fer-
>> vent à l'ame comme d'une eſpéce de mi-
- roir , qui en lui réflechiſſant ſes propres
» penſées , lui donne le moyen deles ap-
>>précier. Telle une bergére qui trouve
» ſous ſa main les fleurs dont elle forme
•ſa parure; elle ne choiſiroit point celles
•qui lui ſeyent le mieux , &ne les ajuſte-
- roit point avec grace , ſans le ſecours du
cryſtal d'une fontaine....
94 MERCUREDE FRANCE.
«
C'eſt parce qu'on avoit oublié les
>> bons modéles , qu'on remarque tant de
> fautes& tant d'écarts dans les ouvrages
>> des fiécles qui ont précédé celui de Louis
>>>XIV. quoique les Auteurs euſſent de
l'imagination , de l'eſprit , quelques-uns
> même du génie. De la vient auſſi que le
>> goût s'altére aisément par l'inconſtance
»qui nous empêche de nous fixer , & de là
>>>vient encore que quand il eſt perdu on
> le recouvre fi difficilement : il faut une
→ révolution pour y ramener. On va tou-
>>>jours s'éloignant des bons modéles ,
•parce qu'on ne remonte pas plus haut
>>que ſes contemporains , ou qu'on eſt en-
>> traîné par la foule....
M. B. ajoute encore quelques autres ré
flexions ſur la néceffité d'aſſujettir les talens
au goût , & il finit par dire: » que
→quoiqu'on ait du talent &du goût , cela
ſeul ne doit pas décider pour ſe livrer à
>> l'ambition d'être Auteur ; que l'homme
>de Lettres ne doit pas oublier qu'il eſt
> Citoyen , & que c'eſt à remplir plus par-
>> faitement les devoirs de l'état où il ſe
>> trouve qu'il lui convient d'appliquer ſon
> ſçavoir& fes connoiſſances .... Quand
> rien n'oblige à écrire , pourſuit- il , il ne
>> faut donner au public que du bon & du
>> parfait , ou du moins quelque choſe
OCTOBRE.. 17536 95
d'utile... L'envie d'écrire , telle qu'elle
▸ regne aujourd'hui , eſt , ce me ſemble ,
> dans l'Empire des Lettres , ce qu'eſt le
>>luxe dans l'Etat politique. Il paroît ren-
>>dre au-dehors un empire plus floriſſant ,
tandis qu'inſenſiblement il l'énerve &
l'affoiblit. Il faudra bien enfin dans les
fiécles qui nous ſuivront , ou qu'on re-
> nonce au titre de ſçavant , ou qu'on ou-
>>blie juſqu'au nom d'une partiede cette
» multitude de Livres dont les Lettres ſont
> ſurchargées.
Cediſcours fut ſuivi d'un autre que lut
M. Durand de la Vaumartin , Préſident
duPréſidial ,fur les avantages que la douceur
procureà laſociété.
>> La ſociété , dit l'Auteur , eſt la ſource
»& l'origine de ces biens néceſſaires , ſans
>>leſquels l'homme ne sçauroit vivre. Il
>> fent qu'il fait partie d'un corps , dont
→ tous les membres ſont liés entr'eux par
>>des obligations réciproques. Trop foi-
>>ble pour ſe ſuffire à lui-même , il faut
»qu'il trouve dans ſes ſemblables les ſe-
> cours & les avantages qu'il ne pourroit
>>jamais ſe procurer ; & par retour il doit
>> employer tous ſes ſoins àcontribuer au
>>biende la ſociété.
• A voir agir les hommes , on croiroit
»néanmoins que la ſociété , loinde faire
96 MERCURE DEFRANCE.
>> l'agrément de la vie eſt la ſourcede leur
•malheur. Les Sages les plus éclairés ne
voyent qu'à travers le nuage de leur hu-
>meur & de leur prévention ; d'autres ne
>> cherchant qu'à s'aveugler & à pallier
>>leurs défauts , enviſagent comme une
>>ſuite néceſſaire de la ſociété les maux
» qu'il dépend d'eux d'en bannir , & qu'ils
»y répandent ou par caprice ou pour ſe
fatisfaire . Jaloux d'un bonheur qui les
> frappe ſans trop examiner s'il eſt réel ,
>ils cherchent à l'acquérir , & dans l'im-
» poſſibilité où ils ſe trouvent preſque
>> toujours de l'obtenir , ils ne négligent
>> rien pour en priver ceux qui par induf-
> trie , ou par ſageſſe ont ſcu ſe le procurer....
M. de L. M. en diſant que la douceur eſt
le ſeul lien de la ſociété , n'entend pas parler
» de la douceur chrétienne , qui fui-
>> vant les préceptes de laReligion doit
- être générale & fans bornes , qui ſupérieure
aux offenfes & aux injuftices ,
>>comprendles ennemis& les perſécuteurs,
>>& qui eſt le principe de toutes les ver-
»tus fociales ; il parle uniquementde cette
douceur de caractere , qui marchant
> toujours d'un pas égal & aſſuré , ſçait
→ éviter ou prévenir les maux que la dif-
@corde a préparés de tout tems à la ſocié-
»τέ ;
OCTOBRE.
1753 . 97
►té ; de cette vertu morale qui rendant
>> l'homme doux , affable & maître de fes
>> paſſions , lui fait enviſager le commerce
>>civil des hommes entr'eux , comme le
>>moyen le plus propre à ſuivre leur ſureté
>>& leur bonheur.
Après quelques réflexions , M. de L. M.
confidérant l'homme dans les differens
états où la nature l'a placé , ſe propoſe de
montrer>> que la douceur eſt également
> utile & néceſſaire à ceux qui ont droit
>>de commander & à ceux qui doivent
>>obéir ; que ſes avantages ſe font égale-
>>ment reffentir dans le ſein des familles
»& dans les ſociétés particulieres , auf-
>> quelles l'homme eſt obligé de ſe livrer.
>>>La douceur , dit M. de L. M. dans la
>>premiere partie , eſt le principe de cet
>>ordre & de cette union qui font fleurir
>>les Erats , & qui perpétuent leur durée ;
>> elle eſt d'autant plus néceſſaire que les
>> Empires ne ſçauroient ſe ſoutenir ſans
>>l'autorité d'une part & la ſubordination
>> de l'autre. L'autorité ſans douceur eſt un
>joug trop peſant pour l'homme : dépour-
» vûe de la douceur, la fubordination n'eſt
»qu'une ſervile crainte ; elle n'agit qu'a-
>> vec répugnance , & ne cherche qu'à ſe
>>ſouſtraire à une autorité légitime.
> Fier de ſon pouvoir , un Grand en
E
9S MERCURE DEFRANCE.
>> fait- il ſentir le poids par ſes manieres
» dures & altieres ; un inférieur dont l'ef-
> prit indocile ſe conduit par ſes foibles
• lumieres , mépriſe t'il le rang , la naif-
» ſance , le pouvoir de ſes ſupérieurs ; ce
>> n'eſt de part & d'autre que faute de dou-
>> ceurdans le caractere ; auſſi ſans elle ne
>>connoît on plus ni autorité , ni ſubordination
: mais que la douceur reprenne
» ſes droits , l'autorité paroiſſant alors
>> ſans ce fol orgueil qui ne ſert qu'à révol-
» ter les eſprits , la ſubordination ne coû-
>> tant plus d'efforts à celui qui doit obéir ,
>>on verra renaître ces accords qui font
> l'effence & l'être de la ſociété....
L'Auteur apporte en preuve l'exemple
de Rome. Ces diſſenſions &ces jalouſies
>>qui partagerent fi long-tems cette Répu-
>>blique en deux factions , celle du Sénat
»&celledu Peuple , auroient enfin préci-
>> pité ſa ruine , ſi la douceur des Chefs ,
» des Orateurs , des Confuls & des Tri-
>>buns n'eût ramené la paix , & fi la mo.
>> dération n'eût ſçu la perpétuer parmi
>> les Citoyens qui ſe croyoient tous libres
» & indépendans.... Dans quelles diſpofitions
dûrent être ces ames hautaines
» lors de la révolution qui changea le
»Gouvernement de cette République , &
»qui l'aſſervit enfin àl'autorité des EmOCTOBRE.
1753 .
pereurs ; la douceur fut ſeule capable
»d'arrêter les conjurations..... Célar &
>>Auguſte par leur clémence vinrent à
>> bout de calmer les eſprits , & ramene-
>> rent à leur parti ceux qui y étoient le plus
»oppoſés.
Notre Hiſtoire ne fournit pas à l'Auteur
des preuves moins heureuſes.
>>La France , dit-il , Royaume depuis
>> pluſieurs Gécles le plus floriſſant de l'Eu-
>>rope; la France , à qui doit elle ſon éten-
>> due , ſa force & le haut point de gloire
» où elle eſt parvenue ? eſt- ce à la valeur ,
>> aux vertus guerrieres de ſes Rois ? nos
» ennemis même n'en ſçauroient diſcon-
>>venir : le courage héréditaire dans cette
>>auguſte tige , leur a affez fait éprouver
>>ce que peuvent les grandes ames , & les
>> tristes effets de leur reſſentiment , lorf-
>>qu'il y va de leur gloire ou de l'intérêt
<>> de leurs peuples. Mais , il ne faut point
>> craindre de le dire , la valeur ſeule de
>> ſes Souverains n'auroit jamais fait le
» bonheur de la Monarchie Françoiſe , ſi
>>>leur douceur & leur clémence n'eût con-
>> quis plus de coeurs au dedans du Royau-
» me , que leurs armes n'ont foumis d'en-
>>nemis au dehors. Louis XII. pat l'hen-
» reux accord de toutes les vertus , mérita
» également le titre de Juſte& de Pere du
Eij
100 MERCURE DE FRANCE .
Peuple. La bonté , la clémence d'Henri
>> IV. l'ont rendu encore plus grand que
>>ſes vertus militaires qui lui ont attiré
> l'admiration de l'univers ; enſorte , dit
>> ſon Hiſtorien , qu'on doute encore au-
>>jourd'hui , s'il a reconquis fon Royaume à
>>force de combattre ou de pardonner. Louis
>>> XIV. dont les ſeuls deſſeins faifoient
>>trembler les Nations les plus éloignées ,
> ne devoit pas moins le ſurnom deGrand
>>à ſon amour pour ſes Sujets , qu'à ſes
>>brillantes & rapides conquêtes. Louis
» XV. enfin , modéle des Rois , quelque
>> puiſſant, quelque redoutable qu'il ait pa-
>>ru dans la guerre, n'a fait paſſer ſes enne-
> mis de l'admiration àl'amour, que par fon
» affabilité , ſa douceur & la bonté. Moins
>> jaloux de l'éclat de ſes lauriers que de
» l'affection des François , le ſurnomde
» Bien-aimé , qui lui a été donné à ſi juſte
» titre , fera à jamais ſa gloire & fon élo-
>>ge ; ſurnom plus beau , plus grand que
>>tous ceux de ſes Prédéceſſeurs , puiſque
>> pour le mériter il faut poſſeder toutes
>les vertus , & ce qui fait les vrais Héros.
M. de L. M. paſſant enſuite àſa ſeconde
partie, dit : >> Detoutes les ſociétés il n'en
>> eſt point dont les engagemens foient
>> plus étendus que celle qui nous unit par
>les liens du ſang & par les ſentimensdu
OCTOBRE. 1753. 1ΟΙ
>>coeur. Obligés de vivre enſemble par
>> devoir & par intérêt , comment pour-
>> rions-nous remplir nos divers engage-
>> mens , ſi par la douceur nous ne ſcavions
>> nous conformer à ce qu'ils nous preſcri-
>> vent ? c'eſt dans cette eſpéce de ſociété
» que les avantages de la douceur ſe font
>>>encore mieux connoître . ...
>> Sans elle , quelque probité , quelque
>> ſentiment d'honneur qu'on eût , on ne
>pourroit entretenir l'harmonie..... Un
>> homme dont la douceur fait le caractere ,
>>peut ſeul répandre dans ſa famille cette
>*>paix&cette tranquillité , qui font éga-
>> lement les charmes de la ſociété , & le
>>bonheur de la vie ....
Après un détail abregé des differentes
circonstances dans lesquelles la douceur
contribue le plus àl'union des familles ,
l'Auteur paffe à l'amitié , qui eſt un des
plus forts liens de la ſociété , & montre
qu'elle n'eſt pas moins redevable à la douceur.
>>Sans elle il ne sçauroit y avoir cette
» égalité d'humeur , cette uniformité dans
» les actions , cette conſtance dans les ſen-
>> timens qui forment les noeuds de l'ami-
» tié..... Quelque forts cependant que
>>ſoient les liens de l'amitié , l'intérêt particulier
les briſcroit bientôt , s'ils n'é
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
>>toient refferrés par la modération. Un
>> caractere violent , ou qui rapporte tout
>>à lui , ignore les droits de l'amitié , ou
>> ſe trouve gêné dans lesdevoirs qu'elle
>>impoſe.... Les qualités du coeur & de
>>l'eſprit font le mérite de l'homme , elles
>> le repréſentent tel qu'il eſt , & le pei-
>>gnent avec des couleurs ſi naturelles ,
>> qu'il eſt comme impoſſible de s'y trom-
>>per. De toutes ces qualités , la douceur
>>eſt celle qui ſe fait le plus remarquer .
>>Celui qui la poſléde , trouve le ſecret de
>>plaire ſans contrainte-& ſans effort....
>>Le bonheur de ſe faire aimer dépend en
>> effer , plutôt des façons douces& infi-
>> nuantes que de toute autre qualité ; la
>> douceur attire l'eſtime & l'amour d'un
>>chacun , elle a des charmes auſquels on
>>ne peut réſiſter.
La troiſième partie commence par ces
réflexions. >> L'homme naît avec le défir
>>>d'être heureux ; livré à lui- même , com-
» bien ne trouveroit- il pas de momens
>>vuides ? la triſteſſe & l'ennui l'obſéde-
ود
roient fans ceſſe , ſon imagination & fes
>> ſens ſeroient dans une eſpéce de lan-
> gueur ; loin de s'élever au deſſus de tout
>> ce qui reſpire , il ne feroit que ramper ,
>> & fa raiſon qui doit faire fon bonheur ,
>>ne fervitoit qu'à le rendre encore plus
:
OCTOBRE. 1753 . 103
>> malheureux : il n'y a que la ſociété qui
>> puiffe lui procurer les agrémens de la vie .
>>Qu'il ne regarde pas néanmoins ces agré-
>>mens comme ſon bien propre & com-
>> me lui appartenant de droit ; ils font
>>partie du commerce civil ; c'eſt une ef-
>>péce de préſent que les hommes ſe font
>>réciproquement , & celui qui n'y met
>>pas du fien ne doit pas y participer...
» Се
M. de L. M. fait voir enſuite qu'un homme
ſans douceur ne peut être d'aucune
utilité à la ſociété ,& il ajoute :
>> n'est qu'en s'accommodant à l'humeur
» des autres qu'on peut vivre avec eux.
>>La parole , don le plus précieux après la
>>raiſon , que l'homme ait reçude la na-
>> ture , lui ſeroit un préſent funeſte , ſi el-
>> le n'étoit miſe en oeuvre par la douceur.
» Sans cela la faculté de s'énoncer & de
>>>converſer avec ſes ſemblables , ſeroit
>>>une ſource intariſſable de diviſions .....
> Que deux hommes également bruſques,
>>également cauſtiques ,également contra-
>>rians , ſe trouvent enſemble , ils ne pour-
>> ront ſe ſouffrir : qu'il paroiſſe un hom-
> me d'une humeur douce , modérée , com-
>>plaiſante , les contradictions ceflent , la
>> converſation recouvre ſes charmes & fes'
» agrémens....
>> La politeſſe & la bienséance qui font
Eiiij
104 MERCURE DEFRANCE .
>une ſuite naturelle de la douceur , ſer-
>> vent auſſi à en retirer les avantages; dans
>> leur effet elles ſont les mêmes , mais leurs
>> régles changent ſuivant l'humeur & le
>> caractere des Nations . Semblables à ces
>> loix arbitraires que les peuples ſe ſont
>>impoſées , elles obligent ſeulement ceux
>> qui s'y ſont ſoumis . Parmi nous un An-
>>glois , quelque politeſſe qu'il ait , fera
» gêné : chez les Etrangers un François ne
>>paroîtra pas aſſez réſervé. L'un & l'autre
plairont pourtant , s'ils ont cette
>> douceur qu'exige la politeſſe de toutes.
>>les Nations , & ils ſçauront également
>> ſe concilier l'estime & la bienveillance
>> de ceux avec qui ils ſeront obligés de
> vivre....
>>Mais il ne faut pas confondre la poli-
>> teſſe avec la fauſſe douceur , & la lâche
>> complaiſance qui encenſe le vice comme
» la vertu , défauts également contraires à
>> la ſociété ....
M. de L. M. finit par le portrait d'un
homine dont la douceur fait le caractere
foutenu ; douceur qui lui fait goûter les
vrais plaiſirs , qui les communique, aux
autres , & qui les affranchit des dégoûts
qui paroiſſenr en être inséparables.
Ce Discours fut auſſi ſuivi d'un autre
que lut M. Gilbert , Procureur du Roi
OCTOBRE . 1753 . 105
à la Police , ſur les dangers de l'émulation .
>>>Le but des Académies , dit- il , eſt de
>> contribuer aux progrès des Sciences &
>>des Arts : quelle obligation pour ceux
» qu'elles aſſocient à ce généreux deſſein !
» A-t'on juſtifié un choix honorable , c'eſt
>> alors teulement qu'on peut fans rougir
>> prendre un titre qui doit ſervir de ré-
>> compenfe & d'éguillon aux talens. Ré-
>> flexion affligeante , quand on eſt éga-
> lement convaincu de ſes devoirs & de
> ſon infuffiſance. Mille routes s'offrent ,
>> toutes plus attrayantes , mais la timidi-
>> té ne permet pas de s'y engager , ni la
>> foibleſſe de s'y foutenir l'exemple mê-
>> me , quand il eſt au deſſus des forces , in-
>> timide plus qu'il n'encourage .
>>Laiſſons donc le ſoin de preſcrire des
» régles à ceux qui ſont en état de les ſui-
>>vre , de dévoiler la nature àceux pour
>> qui elle n'a point de myſtere ſecret , de
>> débrouiller le cahos de l'Hiſtoire à ceux
>> qui ont aſſez de diſcernement pour voir
» la vérité , affez de force d'ame pour la
>>dire. Le langage des Dieux n'appartient
» qu'à ces génies inſpirés en qui les
>> moeurs épurées ſont le plus digne pré-
>> ſent du Ciel ; plus glorieux des couron-
>>nes qu'ils reçoivent des mains de la ver-
» tu , que des lauriers dont les Muſes ont
,
Ev
106 MERCURE DEFRANCE.
>> tant de fois chargé leur front. Il n'ap-
>> partient d'apprécier les Littérateurs de
>> tous les âges , & de leur aſſigner despla-
>> ces , qu'à ces maîtres qui pourroient occu-
>> per les premieres. Enfin , c'eſt à ces ef-
>>prits réfléchis qui ont percé les profon-
>> deurs du coeur humain , à nous dévelop-
>> per l'autorité & les préceptes de lamo-
>> rale. Heureux de trouver dans leur pro-
» pre coeur les traits dont ils peignent la
» vertu & de ne voir qu'à leur imagi-
>> nation , les couleurs dont ils chargent le
>> vice.
و
Après un retour de défiance fur lui-même
, le nouvel Académicien hazarde quelques
réflexions ſur l'imitation : elles font
le fruit de l'étude des Anciens & de la lecture
des bons modernes. Les ouvrages du
jour trouvent leur place dans ſes obſervations
judicieuſes.
>>La galanterie , dit- il , & ce qu'on ap-
>> pelloit alors une affaire d'honneur , &
>>plus communément aujourd'hui une af-
>> faire malheureuſe , faifoient parmi nos
>>ancêtres la réputation d'homme à la mo-
>>de. La politeſſe de notre fiécle a ſubſti-
>> tué à cet uſage , l'obligation moins coû-
> teuſe d'acquérir le titre d'Auteur. On
>>ne peut parvenir au temple de Mémoire
>> tans le ſecours d'une brochure. De là ce
OCTOBRE. 1753 . 107
> déluge d'opuſcules groſſis à un tel point,
» que l'homme le plus laborieux ne peut
>>pas même avoir la ſcience des préfaces.
>>Dès que la Religion & les moeurs y font
»ménagées , la multiplicité des Livres
n'eſt pas un ſi grand mal qu'on le pen-
>>ſe , elle prouve du moins nos richeſſes
>>littéraires.
,
>>On peut les comparer aux cabinets cu-
» rieux de nos Craffus , où après vous
>> avoir fait courir une ſuite de médaillons
» d'or & d'argent , des buſtes de jafpe &
> de porphyre des tableaux des plus
>>grands maîtres , on vous conduit à une
>> armoire de chenilles & de papillons ,
>>dont la collection eût abſorbé une for-
» tune médiocre . Quel malheur , fi notre
>> goût pour les frivolités convertiſſoit
>> tout en papillon ! C'eſt toutefois l'écueil
* qui perd la plupart des Auteurs nouveaux
nés. Ils ont vû le Public s'arra-
» cher Tanzaï , dévorer le Sopha , épuiſer
>> dix éditions d'Angola ; jaloux de la réputation
brillante de bel eſprit , c'eſt
>ſous ces maîtres trop féduiſans qu'ils
>> font leurs Académies d'écrivains à la
> mode. Mais , quoi ! l'empire de la mode
>>s'étendroit donc juſques ſur l'eſprit ? 11
>> faudra penſer , parler , écrire comme
>> l'auteur de cinq ou fix brochures , ou fe
Evj
108 MERCURE DEFRANCE.
» voir condamné à garder le ſilence , ou à
>> n'être point écouté .... Je ne puis m'en-
>> pêcher de renoncer au patriotiſme , &
> de me réunir aux partiſans de l'antiqui-
>> té en faveur des Grecs , chez qui on ne
>> demandoit que de la ſincérité aux Hil
>> toriens , de l'imagination aux Poëtes ,
>& du bon ſens aux Epigrammatiſtes .
>> Je fuis trop bon François pour cenfu-
>>>rer avec ſévérité le frivole. Auſſi les co-
>>>lifichets m'amuſent ils chez cet Auteur
>> léger & enjoué , qui leur communique
>>plus d'agrémens qu'il n'en reçoit ; mais
>par réflexion , je ſuis fâché de les trou-
>>>ver chez cet Auteur ſenſé , dont la beau-
>>té eſt trop mâle pour ſe parer de ces gra-
>> ces enfantines. En un mot , malgré la
>> faveur de la mode , les frivolités ne
>>peuvent ſe ſoutenir ſeules. Les pantins
> ont tombé , parce qu'ils n'étoient que
>>pantins. Quand les Arts ont réuſſi par
>>>leurs preſtiges à rendre intéreſſans des
>>objets qui l'étoient pen d'eux mêmes , on
>> leur a fait grace de la frivolité en faveur
>> de l'intérêt , & ces puériles amuſemens
> ſont devenus dignes de l'admiration des
» Sçavans même.
Peu tranquille fur ces précautionscontre
le goût du frivole établi dans notre
fiecle , Monfieur Gilbert qui n'a indiqué
OCTOBRE. 1753 . 109
juſqu'ici que la ſtérilité de l'imitation , y
voit encore desdangers réels qu'il préſente
ainſi.
>> Que de gens affoibliſſent leurs talens
>> naturels par une mauvaiſe imitation ! Ils
>> auroient pû être de bons originaux , &
>> ils ſe réduiſent au rôle obſcur de pitoya-
>> bles copiſtes. Heureux encore s'ils mar-
>>choient d'après d'excellens guides ! C'eſt
» à quoi devroient faire attention ces
>> Auteurs à la mode , doublement coupa-
>> bles d'avoir mal choiſi leurs modéles ,&
>>d'en donner encorede pires à ſuivre. Si les
>> copiſtes , du moins , ſaiſiſſoient les traits
> avantageux de leurs modéles ! ... Mais ,
>>>non ; ils outrent lears excès : on ne rend
» que les ombres groſſieres du tableau . Tel
» n'imite Corneille que dans ſes vers am-
>> poulés ; tel ne prendra de Marot que
>> ſon ſtyle gothique.
. >> D'où vient que chaque nation s'eſt
>> formé un caractere particulier dans la
>>Littérature , qui donne toujours un air
> national à ſes Auteurs ? L'Allemand ſe
>> croit riche dès qu'il a beaucoup ; l'Ef-
>>pagnol , dès qu'il imagine du grand ;
>>>l'Italien , dès qu'il a du brillant ; l'An-
>>glois , dès qu'il conçoit du rare;le Fran-
> çois , dès qu'il enfante du neuf.
>Dirons-nous que la nature ,quoique
110 MERCUREDE FRANCE.
> prodigue envers les hommes , économi-
> ſe cependant ſes faveurs , & diſperſe ſes
>>tréſors pour le plaiſir de la variété ? ne
>> nous en prenons qu'à l'imitation. Lu-
>> cain a formé les Eſpagnols ; Seneque ,
>> les Anglois ; les graces d'Ovide ont far-
>>dé les Italiens ; nous sommes originaux ,
>& la plupart da tems nous ne reſſemblons
> pas à nous-mêmes. Par tout ailleurs les
>>Ecrivains confervent un caractere per-
> manent ; ils ſe tranſmettent d'âge en âge
>>un goût qui indique toujours le terroir ;
>> chez nous tout varie juſqu'aux régles du
>> goût , quelquc invariables qu'elles duf-
>> fent être. Que ne puis-je dater par
>>Olympiades , pour mieux fixer les épo-
» ques de nos révolutions littéraires ? en
>>revanche , rien de plus monstrueux que
>>le goût , le ſtyle , la matiere même des
>>ouvrages du jour.
Qu'on ne ſe laiſſe pas éblouir par le
> ſuccès de quelques imitateurs. Mettez à
>>part ce qu'ils doivent à leur génie , il
>> ne reſte rien au mérite de l'imitation . La
>>Fontaine effaça Bocace dans preſque
>> tous les ſujets qu'il traita d'après lui .
>> Où l'un & l'autre eſt original , Bocace
>> ſoutient trop bien l'équilibre , il auroit
>>eu ſa revanche s'il avoit travaillé d'après
>>la Fontaine. Bocace nous a donné JoconOCTOBRE.
1753. III
ود de preſque ſans autre parurequecelle
>>>que la beauté tient toujours de la nature,
>>& cependant elle parut charmante. La
>> Fontaine donna à ſon négligé un air qui
>> ſentoit moins la négligence : fi Bocace
>> l'eût vû dans cet état , il étoit trop bon
>>connoiffeur pour ne pas fentir ce que la
>> nature doit à l'art ; & je ne doute pas
» qu'entre ſes mains , une fleur artiſte-
>> ment placée n'eût ajoûté de nouvelles
> graces à des attraits d'eux-mêmes ſi tou-
>> chans. Encore une fois , fi ces grands
>>maîtres ſe fufſſent copiés ſucceſſivement
>> l'un l'autre , à quel dégré de perfection
>>n'auroient ils pas porté leur art.
> Voyons le Brun & le Sueur aux priſes
>> chez le Préſident Lambert. Le Sueur mit
>dans ſon cabinet des Muſes un coloris
>> ſéduisant , ſeule perfection qui manquât
>> à ce grand homme ; & le Brun mit dans
>> celui de l'Amour une correction de def-
>> ſein , à laquelle il n'avoit pû atteindre
>>juſqu'alors. L'un des deux ouvrages rend
>> raiſon de la force pittoreſque qu'on dé-
>> couvre dans l'autre .
>>C'eſt à de pareils génies qu'il appar-
>> tient d'imiter avec ſuccès : ils étoient
>> nés pour créer l'art qu'ils ont enrichi.
>>>Si quelques- uns font allés plus avant
>> dans la carriere que leurs prédéceffeurs ,
112MERCURE DEFRANCE .
>> c'eſt qu'ils font partis d'un terme moins
>>éloigné du but. Il faut ſentir ce génie
>> créateur avant d'imiter , alors les modé-
>les deviendront des guides qui entraî-
>>neront à la gloire , & les imitateurs ne
>>feront plus des eſclaves rampans ſur les
> traces de leurs maîtres.
» L'imitation inftruira des règles de
>>>l'art , mais il faut que la nature ait com.
> mencé l'ouvrage , afin que l'art puiffe
>>>l'achever. Homere ſeul a eu le génie
>>>d'Homere ; Scarron ſeul a eu le ſien ;
> (qu'on me pardonne le contraſte ) ils ſe
>>>ſeroient mal tirés de leur perſonnage s'ils
>> en avoient changé. Il faut être original
» pour percer. Le premier devoir d'un
>>homme qui aſpire à la gloire littéraire
>> eſt donc de ſe mettre à ſa place , alors
>> il lui eſt permis d'imiter ; mais qu'il ſe
>> ſouvienne qu'il n'y a que ceux qui ſont
>>en état de ſe paſſer d'un modéle , qui
>> puiſſent s'en ſervir avec fruit .
>> Rien ne nous fait mieux ſentir les
>> dangers de l'imitation & les inconvéniens
de la mode dans les Sciences & les
» Arts , que les écarts de tant de Sçavans.
>> Nous voyons des ſiécles entiers dévoués
> au mauvais goût. Quiconque aura le cou-
>>rage de s'engager dans l'immense déda-
>>>le des in folio , s'étonnera encore plus de
OCTOBRE. 1753. 11;
leur indigence , en voyant qu'il ne te-
>>noit qu'à eux d'être riches. Tous ces lit-
>>térateurs gothiques ont vû des objets
>>trop éloignés , pour que nous les accu-
>> ſions de n'avoir pû appercevoir ceux qui
>> étoient en deça. Neron , génie auffi ty-
>> ranique dans l'empire des Lettres que
>> dans l'empire Romain , proſcrivit éga-
>> lement les loix de la vertu & les régles
» du bon goût. Sous ſon regne on crut
» que pour être grand il falloit être gi-
>> ganteſque. Lucain , entraîné par le goût
>> dominant , imita ſes concurrens , & les
>> ſurpaffa ; peut- être eût il égalé Virgile
>> ſous le ſiècle d'Auguſte.
>>La difficulté de ſuivre degrands mo-
>déles détourne , ſans doute , les Auteurs
» commençans , de la plus sûre & peut-
> être de l'unique voye de réuſſir. Le dé-
>>couragement eſt ſouvent près de la té-
> mérité. Ce fonds de vanité qui nous jet-
>> te dans les hazards d'une brillante car-
>>riere , s'épuiſe & nous trahit dans le
>> cours d'un travail long & pénible. Si le
> feu de l'imagination nous emporte quel-
>> quefois au-dela de nos forces , ſi on
>>juge alors du prix des choſes par ce
» qu'elles ont coûté , & qu'on ſe paye de
>> la peine d'un ouvrage par l'eſtime qu'on
>> lui donne , ce n'eſt qu'une évaluation
114 MERCURE DE FRANCE .
>> imaginaire , & l'Auteur qui le ſoir s'eſt
>> couronné de ſes propres mains , ſe dé-
>>pouille ſouvent lui-même de ſes lau-
> riers à ſon réveil. Le même amour pro
> pre fait fuccéder une rigueur outrée à
» une extrême indulgence. Il a honte de
» s'être applaudi gratuitement ; il rougit
>> alors de ce qui doit faire rougir ſes ri-
» vaux. Comment ſe produire aux yeux
> du Public , quand on voudroit ſe déro-
>>ber à ſes propres yeux ? C'eſt à un ami
>>éclairé de ménager les intérêts du Pu-
>> blic , & la modeſtie de l'Auteur. Le voi-
>> le de l'anonyme pourra les concilier.
>> Une déclaration à une perſonne qu'on
> reſpecte , ſe pardonne ſous le maſque.
» Est- ce le même principe qui a introduit
>> l'uſage des eſſais, ſous le nomde traduc-
»tion ? Si l'on ne prétend que ſonder le
>> gout du Public , & profiter de ſon ref-
>> pect pour tout ce qui vient de loin ,
» pourquoi blâmer cette politique ? C'eſt
>>Patrocle qui combat fous les armes d'A-
>> chille ; il en impoſe à tout autre qu'Hec-
>>tor : autre avantage , il peut tomber ſans
>> honte. Veulent ils ufurper le privilége
> d'une nation , d'ailleurs ſi réfléchie , de
>>porter la liberté quelquefois juſqu'à la
>>> licence ? abandonnons-les à tout l'ennthouſiaſme
des zélateurs. Ces prétendus
OCTOBRE. 1753. 115
>> traducteurs ne ſont la plupart que de
>> faux monoyeurs , qui par une fauffeha-
>>bileté à imiter la marque du Prince &
» la couleur du métal , peuvent ſurpren-
>>dre au premier coup d'oeil ceux qui ne
>>font pas fur leurs gardes ; mais le trébu-
>> chet les trahit bientôt , & fait voir que
>> leur monnoye n'eſt pas de poids.
L
>>N'avons- nous pas affez de nos ridicu-
>>les , fans emprunter les défauts de nos
>>>voiſins ? imitons leur hardieſſe , mais ne
>> la pouflons pas juſqu'à l'audace.
La Séance fut terminée par des obfervations
de M. Desforges Maillard , Affocié
de l'Académie , de celle d'Angers , &
de la Société Littéraire d'Orléans , fur le
génie & le ſtyle du Cavalier marin .
>> Les Poëtes Italiens , dit M. D. M. fe
>>laiſſent entraîner le plus ſouvent par la
>> fougue de leur génie , ſans conſulter ni
>>les rapports que les objets ont entre eux ,
>>ni la vraiſemblance que l'art doit employer
pour embellir la nature. Le Ca-
>>valier marin eſt de tous les Poëtes d'Ita-
>>lie , celui qui a le plus d'abondance & le
>>moins de raifon , le plus de brillant &
>>le moins de folidité. Son immenfe Poоё-
>>me d'Adonis reſſemble à un prodigieux
>> animal , qui auroit la tête d'une ſyré-
>> ne , les yeux d'un lynx , les aîles d'un
»
16 MERCURE DEFRANCE.
>>aigle , la peau d'un tigre , la queue d'un
>>paon. Toutes ces beautés différentes &
>>>mal afforties , ne préſentent qu'un monf-
>>>tre produit malgré la nature , & qu'elte
>>déſavoue.
>>>L'Auteur , dans ſon premier Chant in-
>>titulé Fortuna , embarque Adonis par ha-
>>>> zard dans une chaloupe ou quelque cho-
>>ſe de moins encore , puiſqu'il l'appelle
» palis Chermo ( terme qui ſignifie , ſuivant
>> les meilleurs Vocabulaires , une petite
>>barquette ou canot , qu'on met à la traî-
>>>ne derriere le vaiſſeau , ou qu'on porte
>>dans le vaiſſeau pour s'en ſervir au be-
>>>ſoin. ) Il faut que ce fût bien peu de cho-
>>ſe que le palis Chermo , puiſque l'Arioſte
>>dans ſes peintures chimériques & plai-
>>>ſantes , dit que Roland entra avec un pa-
>>reil eſquif dans la gueule d'un monftre
>marin.
»
» Le généreux Roland , fort de ſa vertu ſeule ,
>>>S'élance , & fon eſquif , ce me ſemble , y paſſa.
>>Le Cavalier marin voulant égarer fon
>>>Berger ſur les ondes , & le faire aborder
>>enſuite à l'ifle de l'amour avec le petit
>>batteau , il ne lui falloit qu'un léger ora-
>>ge , ou ſeulement les ténébres de la nuit
nou de quelque brouillard ; cependant
>>pour ſe donner carriere , il éleve contre
OCTOBRE. 1753. 117
toute raiſon , la plus furieuſe tempête
>>qu'on puiſſe imaginer. La verve impé-
>> tueuſe du Poëte agite la mer d'une ſi
>>terrible force , qu'au lieu d'un ſimple
>>batteau , elle eût englouti dans ſes aby-
>>>mes pluſieurs armées navales.
Le fier Borée * prenant en main la
trompette guerriere , défie au combat les
tourbillons & la tempête ; courbant fon
arc brillant de couleurs diverſes , Iris au
lieude traits ne lance que des éclairs ; le
ſuperbe Orion tire contre le Ciel ſon fer
enſanglante ; il frappe la nuë , & par fes
coups redoublés il en fait fortir tout à la
fois l'onde & le feu bruyant dont elle
étoit remplie......
La mer en mugiſſant dans ſes gouffres
profonds , éleve ſes flots bouillonnans de
colere ; fon orgueil indigné franchit ſes
barrieres , & porte juſqu'aux aſtres ſes ondes
menaçantes . En vain des torrens de
pluye tombent ſur elle avec le fracas des
plus épouvantables ruines , elle ne reconnoît
plus que l'olyimpe pour rivage.....
L'oiſeau nage , le poiffon vole , les eaux
foulevées contre les eaux , les vents déchainés
contre les vents , les nuées s'entrechoquent
avec fureur ; tous les élémens
*Cant. 1. Stroph. 120, 121 , &c.
118 MERCURE DEFRANCE.
1
mêlés & confondus vont replonger l'univers
dans les horreurs du cahos.....
La chienne céleſte peut déſormais éteindre
ſa brûlante ſoifdans les eaux de l'Océan
; le navire Argo dans un ciel ondoyant
craint de s'y voir ſubmergé....
>>>Et vous , ourſes glacées ,
>>N'y lavâtes-vous pas , malgré l'eſprit jaloux
>>De Junon toujours en courroux ,
Les brillantes toiſons de vos peaux étoilées ??
» Je me ſuis principalement attaché ,
>>>continue M. D. M. à rendre en notre
>>langue le génie de l'Auteur , ſans m'af.
>>ſervir trop fcrupuleuſement à chacune
>>de ſes expreſſions ; mais j'ai tâché du
>>moins de ne lui rien faire perdre des gra-
>ces que pourroient lui trouver ſes com-
>>patriotes , les plus paſſionnés pour le
>>goût emphatique. Il me ſemble qu'un
>>honnête homme ne doit traduire qu'à
>>ces conditions. Je ſçais qu'en donnant
>des couleurs burleſques à la poësie du
>>Cavalier marin , je pouvois aisément la
>>charger de ridicule ; mais je ſçais aufli
» qu'il faut de la probité par tout , & que
>>la probité ne va jamais ſans la vérité &
»labonne foi,
>>Le Taſſoni dans l'ébauche du Poëme
» de l'Ocean , dont il n'a fait que le pre.
OCTOBRE. 1753. 119
»mier Chant , eſt plus retenu que le Ca-
> valier marin , & met plus de fublime
>>dans ces quatre vers , tirés auſſi de la
>>deſcription d'une tempête , qu'il n'y en
» a dans les giganteſques tirades que j'ai
>> rapportées .
Tuto quel di , &i .
Ils errent diſperſés
Par des chemins affreux que la mort a tracés.
La pluye tombe avec tant de violence
qu'on croiroit que c'eſt une nouvelle mer
qui vient ſe joindre à la nôtre , pour en
augmenter les horreurs......
LeCavalier marin continue de prouver
dans le ſecond Chant , intitulé le Palais
d'amour , la futilité de l'eſprit , quand il
n'eſt pas guidé par le jugement. Les trois
Déefſſes y attendent le jugement de Pâris ,
qui doit donner la pomme à la plus belle.
Pour les contempler le Soleil arrête ſa
courſe ; la terre pouſſe des fleurs , les pins
portent des pommes délicieuſes , les buif.
ſons ſe parent de violettes , les oiſeaux
ceſſentde chanter , les ruiſſeaux interrompent
leur murmure ; enfin toute la nature
eſt attentive. » Mais après toutes cesjolies
>>choſes , le Poëte améne les viperes à ce
> ſpectacle , & falit l'imagination par d'in-
>>décentes apoſtrophes .
120 MERCURE DE FRANCE:
Et voi di tanta gloria ſpettatrici ,
Sentiſte altro velen , vipere crude , &c.
M. D. M. s'étonne que l'Auteur n'y
ait point auffi appellé les araignées ſufpendues
entre les branches des arbuſtes ,
pour avoir occafion de décrire à cette vûe
leurs tranſports amoureux. Il ſemble , ditil
, qu'après avoir fait intervenir les viperes
dans cette ſcene , il n'eſt point d'animal
ſi odieux dans la nature qui ne pût y
prétendre ſon droit d'entrée.
Telles font les rebutantes images qui
défigurent le Tableau de la ſolitude du
Poëte Saint-Amant , & contre leſquelles
Deſpréaux s'eſt ſi juſtement récrié, ...
Dans le ſixiéme Chant , qui a pour titre
LeJardindu plaisir , le Cavalier marin promene
Adonis & Venus accompagnés de
Mercure. » Ce Dieu pour amuſer Adonis ,
>>lui fait une deſcription anatomique de
>» l'oeil , qui occupe plus de quatre- vingt
>>vers , & dans le même chant il le recrée
>>encore par une deſcription du nez. Je
>>crois qu'il n'eſt perſonne, quelque décidé
>>qu'il ſoit pour les digreſſions , qui ne
>trouve ces peintures tout-à- fait dépla-
»cées.
Le correctif qu'il donne dans la 137
Stance du même Chant , avant de commencer
OCTOBRE. 1753 . 121.
mencer la deſcription de laGrenadille
ne ſuffit point pour juſtifier l'extravagancede
ſon imagination , quand ſous les
yeux d'Adonis on y voit le pieux éloge
de cette fleur , où la ſuperſtition toujours
prête à ſaiſir les plus légeres apparences
du merveilleux , s'eſt perfuadée que les inf
trumens de la Paſſion étoient empreints.
Fleur! que dis-je ? ah plutôt livre miraculeux , &c.
La deſcription de cette fleur eſt ſi diffaſe
, Mercure & l'Auteur y font tellement
` confondus , qu'il ſemble que ce ſoit Mercure
même , qui par anticipation des
>>tems devenu Profélite de bonne- foi ,
>>d>onnedes larmes&des ſoupirs à la Paf-,
>>ſion du Sauveur ,& qui pour terminer le
>>panégiryque de la Grenadille , invite les
>>eſlains des Anges à defcendre ſur cette
>>>fleur en forme d'abeilles .
Ces fictions ſeroient peut-être admiſes
dans un ouvrage de piété ; mais elles ne
font pas ſupportables dans un Poëme fur,
les amours d'Adonis , aggrégé au nombre
des faux Dieux ...... C'eſt d'ailleurs , n'y
pas regarder de fort près , en fait d'anachroniſme
, que de parler des inſtrumens
de la Paſſion, en préſence du favori de Ve
nus...... 4
A
Ce Poëme où l'on trouve des peintures
F
122 MERCURE DE FRANCE:
ſt dévotes , eſt d'ailleurs parfémé de ga
lanteries , dont l'Auteur ne s'eſt pas mis
en peine de voiler les nudités même d'une
gaze légere..... LeCardinal Bentivoglio
lui en fait une réprimande très- vive. » Sou-
>>>venez-vous sur toutes chofes ,lui dit-il ,
>>mon chet Chevalier , je vous le demande
» par grace , de retrancher de votre Ado-
>>nis , tout ce que vous y avez mis de laſ-
>>cif ... Ne l'expoſez point à périr une ſe-
>>conde fois , fous des coups plus funeſtes
>>pour vous , que ceux dont ilmourut la
>>premiere fois , ne le furent pour lui.
M. D. M. ne refuſe point au Cavalier
marin la justice d'avouer , qu'après Ovide,
dont il n'a pas à beaucoup près , le
goût& le difcernement , il eſt cependant
peud'Auteurs qu'il n'égale pour l'eſprit &
l'imagination. Il convient même qu'on
trouve dans ſon Poëme des choſes nonfeulement
d'une grace & d'une légereté
charmante , mais encore d'une beauté &
d'une force admirables. L'eſprit abonde
dans le Poëme , mis le goût y manque...
Si le Cavalier matin avoit été pénétré de
la maxime omnefupervacuum ,&c. il auroit
réduit fon ouvrage au quart , & en faiſant
moins de vers par rapport au nombre , il
en eût fait davantage pour ſa gloire.
200
1
OCTOBRE. 1753 123
Le mot de l'Enigme du Mercure de Septembre
, eſt le foulier d'unefemme. Celui
du premier Logogriphe eſt Quenouille ,
dans lequel on trouve Jo , Elie , Noël , Lune
, Eve , Noë , vie , nue , Nil , vin , onie ,
vûe , quine , viole , viol , quille , vive , un ,
vol , envie, jeune , oie , veine , louve, Levi,
jeu , lin , ville , lie , Luque , oeil. Celui du
ſecond Logogriphe eſt Camouflet , dans lequel
ſe trouve ean , fen , flute , Autel , fat ,
culte , fouet , moule, Oeta , Luc , ame , camelot
, cave , alte , alcove , mât. Celui du troiſieme
eſt Bravoure , où l'on trouve Aurore ,
rave , Var , eau , boue , aven , væn , Bourreau
, bure , or , ver , barre.
J
ENIGME
LOGOGRYPHIQUE.
Ugez , chere Philis , fi j'ai ledonde plaire ,
Je contente le goût , l'odorat & les yeux :
Ma premiere moitié eſt au ſein de la terre,
Et l'autre moitié dans les Cieux.
1
M
Fij
124 MERCURE DE FRANCE,
N
LOGOGRYPΗ Ε.
• E'e pour adoucir les chagrinsde lavie
Pour mériter l'eſtime en diſſipant l'ennui ,
Pour comble de vertus utile à la Patrie ,
Le génie & le goût, euxſeuls ſont mon appui ;
Att fublime , art brillant , art enfin ſalutaire ,
Le tyran à ma voix rallentit ſa fureur ,
Mon accens de l'ennui diſtrait le ſolitaire ,
Et dans les champs de Mars j'écarte la terreur.
Souveraine des coeurs , ils ſont ſous mon empire;
Mais pour ne rien célleerr , à lahonte des moeurs,
Mon art ſert quelquefois ( je rougis de le dire )
Apeindre de l'amour tous les plaiſirs impurs.
A ce portrait , Lecteur , tu ne peurte méprendre,
Et pour te raſſurer , je veux bien plus m'étendre,
Moyennant le ſecours de la combinaiſon.
Dehuit lettres formée ony trouve un pronom;
Unmartyre en amour , fi c'eſt une cruelle,
Maisleplusdouxplaisir , pourvu qu'onſoitffiiddeellll;ee
UngrandMuficien redevable à ſon art ,
S'il échapé à lamort ſous les coups du poignard;
Cette Ville autrefois le ſéjour de la gloire ;
Ce nom de tant de Rois d'une illuſtre mémoire ;
Celui dont nous tenons ce nectar précieux ;
Qui charme tous nos ſens, mais ſouvent dange
reux ;
ET
:
OCTOBRE. 1753. 125
La fource & le ſujet des vertus & des vices ;
D'une tendre moitié les pluscheres délices ;
Un habitant de l'air , un Roi Syracufain ;
La fille de Lamech , & foeur du Tubalcain.
Inventrice , dit on , du chant de la quenouille;"
Une interjection , le nom d'une grenouille ,
Certainqui de nos jours fait la félicité,
S'il a d'un Régulus toute la probité .
C'en eſt aſſez , Lecteur , tu dois me reconnoître ,
De feindre plus long-tems je ne fuis pas le maître.
AUTRE EN VAUDEVILLES.
Air : Nousfommes Précepteurs d'amour.
Cinq pieds forment tout mon terrain ,
Mais j'ai bien un autre étalage ;
Lecteur , en François , en Latin ,
Décompoſez mon aſſemblage.
Air des Sabotiers Italiens : Sous un ombrage
frais fait exprès.
J'offred'abord en mon joli nom ,
Des amours maint compagnon
Sans me changer
Ce tendre berger ,
Bon ;
Qui fit un Grec d'un feul coup ,
Cou ;
Des menuets
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
Les actes les plus parfaits ;
Plus la lettre a ;
Un adverbe après cela .
En Latin le bord d'un élement ,
Que l'onde toujours gliffant
Rend.
Air:Quand l'Auteur de la nature.
Une note de mufique ,
Quelque part un bain très-ſpécifique;
Dansl'Egypte,
Hypocrite ,
Un taureau
Fêté plus qu'un poireau.
En Latin l'infecte illuftre ,
Dont les biens des Autels font le luftre,
Ce qu'à Rome
L'honnête homme
Débourfoit ,
Quand ſa dette il payoit.
Air : Ah , le bel oiſeau , maman.
'Augénitif le pays
Fertile en marbre & porphyre ,
Une ville dont Louis
Dépouilla ſes ennemis;
De l'Elide une cité ;
Dans nous un fougueux délire ,
Honte de l'humanité ,
Que la raifon doit détruire ,
CTOBRE. 1753 . 127
Cequ'au retour de ſon pré
La fermiere prefle & tire ;
Du nouvellifte entêré ,
L'argent promis , non compté.
Air : Nous venons de Barcelonette,
Un terme Latin dont Catale
Se fert pour rendre un petit pain ,
Mais que Juvenal intitule ,
Gordon d'un menton enfantin.
Air : De M. le Prevêt des Marchands.
D'égal fingulier génitif,
Du mal triſte ſuperlatif.
Dites en Latin, tu m'écorches ,
L'impératif du verbe alter,
Je vous donne afſez d'anicroches ,
Tâchez de me déceler.
Air : Quej'aime mon cher Arlequin.
Mon Edipe eſt embarraſſé,
Que je fuis folle !
Dansmon ſein peut être enfoncé ,
De mes plaiſirs il eſt laffé ,
Car je fuis ſon idole ;
Trop long-tems je l'ai tracaffé ;
Mon nom.... ah , qu'il eſt drôle !
}
F iiij
128 MERCURE DEFRANCE .
NOUVELLES LITTERAIRES .
L
ETTRES hiſtoriques & philoſophiques
du Comte d'Orreri , fur la vie
& les ouvrages de Swift , pour ſervir de
fupplément au Spectateur moderne de
Steele. A Londres , & ſe trouvent àParis ,
chez Lambert , rue de la Comédie Françoiſe
1753. Un volume in- 12 .
Le Docteur Swift a une ſi grande réputation
en France , qu'il n'eſt pas poſſible
qu'on n'y falle accueil à des Lettres où
l'on trouve des détails très - inſtructifs fur
ſa perſonne & ſur ſes ouvrages. On y verra
cet homme célébre décompofé en quelque
maniere , & on ſera étonné de la variété
de ſes talens &de les connoiſſances.
PRINCIPES de Religion , ou préſervatif
contre l'incrédulité , par M. Rouffel,
Prêtre. A Paris , chez Prault , le jeune ,
Quai des Auguſtins 1753. Deux volumes
in 12. ſeconde édition .
Ce Livre où l'on voit l'union affez rare
du raifonnement & du ſentiment , a eu le
ſuccès que nous avions prévû. Les augmentations
importantes , & en quelque maniere
néceſſaires , qu'on trouvera dans la
OCTOBRE. 1753 .
129
nouvelle édition , rendront l'ouvrage plus
précieux & d'un uſage plus général.
HISTOIRE de l'ancien Théatre Italien
, depuis fon origine en Francejuſqu'à
ſa ſuppreſſion en 1697 , ſuivie des extraits
ou carevas des meilleures Piéces Italiennes
qui n'ont jamais été imprimées . Par
lesAuteursde l'Hiſtoire du Théatre François.
A Paris , chez Lambert , rue de la
Comédie Françoiſe 1753. Un volume
in- 12.
On trouvera dans cet ouvrage le même
ordre & les mêmes recherches qui font, le
mérite du Théatre François : Meſſieurs
Parfait ne ſe laffent pas d'écrire& ne ſe
négligent pas en écrivant.
DISCOURS prononcé dans l'Académie
Françoiſe , le Samedi 25 Août 1753 ,
à la réception de M. de Buffon. A Paris ,
de l'Imprimerie de Brunet. Vingt- une pages
in-4°.
Le Diſcours de M. de Buffon , que fon
Hiſtoire naturelle a placé parmi les plus
grands Phyſiciens & les plus grands Ecrivains
de tous les âges , roule preſqu'entierement
ſur le ſtyle. Le Lecteur nous ſçaura
gré d'en tranfcrire le morceau le plus important.
ام
:
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
Le ſtyle n'est que l'ordre & le mouvement
qu'on met dans ſes penſées. Si on
les enchaîne étroitement , ſi on les ferre
le ſtyle devient fort , nerveux & concis ;
ſi on les laiſſe ſe ſuccéder lentement , &
ne ſe joindre qu'à la faveur des mots ,
quelqu'élégans qu'ils foient , le ſtyle en
fera diffus , lâche & traînant.
Mais avant de chercher l'ordre dans lequel
on préſentera ſes penſées , il fauts'en
être fait un autre plus général , où ne doivent
entrer que les premieres vûes & les
principales idées : c'eſt en marquant leur
place ſur ce plan qu'un ſujet ſera circonfcrit
, & que l'on en connoîtra l'étendue :
c'eſt en ſe rappellant fans cefle ces premiers
linéamens , qu'on déterminera les
jufs intervalles qui ſéparent les idées
principales , & qu'il naîtra des idées accefſoires
& moyennes qui ſerviront à les
remplir. Par la force du génie , on tepré.
ſentera toutes les idées générales & particulieres
fous leur véritable point de vûe ;
par une grande fineſſe de difcernement ,
ondiftinguera les penſées ſtériles des idées
fécondes ; par la ſagacité que donne la
grande habitude d'écrire , on fentira d'avance
quel ſera le produit de toutes ces
opérations de l'eſprit. Pour peu que le
ſujet ſoit vaſte ou compliqué ,il eſt bien
OCTOBRE. 1753 . 131
/
, on
rare qu'on puiſſe l'embraſſer d'un coup
d'oeil , ou le pénétrer en entier d'un ſeul
& premier effort de génie ; & il eſt rare
encore , qu'après bien des réflexions
enſaiſiſſe tous les rapports.On ne peutdonc
trop s'en occuper , c'eſt même le ſeul
moyen d'affermir , d'étendre & d'élever
fes penſées: plus on leur donnerade ſubſtance&
de force , plus il ſera facile enſuite
de les réaliſer par l'expreſſion.
Ce plan n'eſt pas encore le ſtyle , mais
il en eſt la baſe ; il le ſoutient , il le dirige
, il régle ſon mouvement ,& le ſoumet
àdes loix: ſans cela le meilleur Ecrivain
s'égare , ſa plume marche ſans guide , &
jette à l'avanture des traits irréguliers &
des figures diſcordantes. Quelque brillantes
que foient les couleurs qu'il employe ,
quelques beautés qu'il ſeme dans ſes détails
,comme l'enſemble choquera , ou ne
ſe fera point ſentir ,l'ouvrage ne ſera point
conſtruit ; &en admirant l'eſprit de l'Auteur
on pourra ſoupçonner qu'il manque
de génie. C'eſt par cette raiſon que ceux
qui écrivent comme ils parlent, quoiqu'ils
parlent très-bien , écrivent mal ; que ceux
qui s'abandonnent au premier feu de leur
imagination , prennent un ton qu'ils ne
peuvent foutenir ; que ceux qui craignent
de perdre des penſées iſolées , fugitives ,
F vj
132 MERCURE DE FRANCE .
&qui écrivent en differens tems des morceaux
détachés , ne les réuniſſent jamais
ſans tranſitions forcées ; qu'en un mot il y
a tant d'ouvrages faits de piéces de rapport
, & fi peu qui ſoient fondus d'un mêmejet.
Cependant tout ſujet eft un; &quelque
vaſte qu'il ſoit , il peut être renfermé dans
un ſeul Diſcours ; les interruptions , les
repos , les ſections ne devroient être d'uſage
que quand on traite des ſujets differens
, ou lorſqu'ayant à parler de choſes
grandes , épineuſes &diſparates , la marche
du génie ſe trouve interrompue par la
multiplicité des obstacles , & contrainte
par la néceſſité des circonstances ; autrement
, le grand nombre des diviſions , loin
de rendre un ouvrage plus folide , en détruit
l'affemblage ; le Livre paroît plus
clair aux yeux , mais le deſſein de l'Auteur
demeure obſcur , il ne peut faire imprefhon
ſur l'eſprit du Lecteur , il ne peutmême
ſe faire ſentir que par la continuité
du fil , par la dépendance harmonique des
idées , par un développement fucceffif ,
une gradation foutenue , un mouvement
uniforme que toute interruption détruit
ou fait languir .
Pourquoi les ouvrages dela nature fontils
fi parfaits ? c'eſt que chaque ouvrage
OCTOBRE. 1753 . 135
و
eſt un tout , & qu'elle travaille ſur un plan
éternel , dont elle ne s'écarte jamais ; elle
prépare en filence les germes de ſes productions
; elle ébauche par un acte unique
la forme primitive de tout être vivant
'elle la développe , elle la perfectionné par
un mouvement continu & dans un tems
preſcrir. L'ouvrage étonne , mais c'eſt l'empreinte
divine dont elle porte les traits qui
doit nous frapper. L'efprit humain ne peut
rien créer , il ne produira qu'après avoir
été ſecondé par l'expérience & la méditation
; ſes connoiffances ſont les germes de
ſes productions ;mais s'il imite la nature
dans. fa marche & fon travail , s'il s'éleve
par la contemplation aux vérités les plus
ſublimes , s'il les réunit , s'il les enchaîne,
s'il en forme un ſyſtême par la réflexion ,
il établira ſur des fondemens inébranlables
des monumens immortels .
C'eſt faute de plan , c'eſt pour n'avoir
pas aſſez réflechi ſur ſon ſujet , qu'un homme
d'eſprit ſe trouve embaraſfé , & ne
fçait par où commencer à écrire ; il apper
çoit un grand nombre d'idées , & comme
il ne les a ni comparées , ni fubordonnées,
rien ne le détermine à préferer les unes
aux autres ; il demeure done dans la perplexité
: mais torſqu'il ſe ſera fait un plans
forfqu'une fois il aura raffemblé && mis en
134 MERCURE DE FRANCE.
ordre toutes les idées eſſentielles à ſon
ſujet , il s'appercevra aiſément de l'inſtant
qu'il doit prendre la plume , il ſentira le
point de maturitéde la production de l'efprit
, il ſera preſſé de la faire éclore , il
n'aura même que du plaiſir à écrire , les
penſées ſe ſuccéderont aisément ,& le ſtyle
ſera naturel & facile ; la chaleur naîtra de
ce plaiſir , ſe répandra par tout , & donnera
de la vie à chaque expreſſion ; tour
s'animera de plus en plus,le ton s'élevera,
les objets prendront de la couleur , & le
ſentiment ſe joignant à la lumiere , l'augmentera
, la portera plus loin , la fera
paſſer de ce que l'on dit à ce que l'on veut
dire , & le ſtyle deviendra intéreſſant &
lumineux.
Rien ne s'oppoſe plus à la chaleur , que
le défir de mettre par tout des traits faillans
; rien n'eſt plus contraire à la lumiere
quidoit faire un corps & ſe répandre uniformément
dans un écrit, que ces étincelles
qu'on ne tire que par force en choquant
les mots les uns contre les autres ,
&qui ne vous éblouiſſent pendant quelques
inftans , que pour vous laiſſer enſuite
dans les ténébres. Ce ſont des penſées qui
ne brillent que par l'oppofition , l'on ne
préſente qu'un côté de l'objet , on met
dans l'ombre toutes les autres faces , &
1
OCTOBRE. 1753. 135
ordinairement ce côté qu'on choiſit eſt une
pointe , un angle ſur lequel on fait jouer
l'eſprit avec d'autant plus de facilité ,
qu'on l'éloigne davantage des grandes faces,
ſous lesquelles le bon ſens a coûtume
de conſidérer les choſes.
Rien n'eſt encore plus oppoſé à la véritable
éloquence , que l'emploi de ces penſées
fines, & la recherche de ces idées legeres
, déliées , ſans conſiſtance , & qui ,
comme la feuille du métal battu , ne prennent
de l'éclat qu'en perdant de la ſolidité
: auſſi plus on mettra de cet eſprit mince
& brillant dans un écrit , moins il y
aura de nerf , de lumiere , de chaleur &
de ſtyle , à moins que cet eſprit ne ſoit luimême
le fond du ſujet , & que l'Ecrivain
n'ait pas eu d'autre objet que la plaiſanterie
, alors l'art de direde petites choſesdevient
peut être plus difficile , que l'art
d'en dire de grandes .
Rien n'eſt plus oppofé au beau naturel,
que la peine qu'on ſe donne pour exprimer
des chofes ordinaires ou communes ,
d'une maniere finguliere ou pompeuſe ;
rien ne dégrade plus l'Ecrivain. Loin de
l'admirer , on le plaint d'avoir paſſé tant
de tems à faire de nouvelles combinaiſons
de ſyllabes , pour ne dire que ce que tout
le monde dit, Ce défaut eſt celui des ef136
MERCURE DE FRANCE.
prits cultivés , mais ſtériles ; ils ontdes mots
en abondance , point d'idées ; ils travaillent
donc ſur les mots , & s'imaginent
avoir combiné des idées , parce qu'ils ont
arrangé des phraſes , avoir épuré le langage
, quand ils l'ont corrompu en détournant
les acceptions. Ces Ecrivains n'ont
point de ſtyle , ou ſi l'on veut , ils n'en ont
que l'ombre ; le ſtyle doit graver des penſées,
ils ne ſçavent que tracer des paroles.
Pour bien écrire , il faut donc poffeder
pleinement ſon ſujet , il faut y réflechir
affez pour voir clairement l'ordre de ſes
penſées &en former une ſuice, une chaîne
continue , dont chaque point repréſente
une idée ; & lorſqu'on aura pris la plume
, il faudra la conduire ſucceſſivement
fur ce premier trait , ſans lui permettre de
s'en écarter , ſans l'appuyer trop inégalement
, ſans lui donner d'autre mouvement
que celui qui ſera déterminé par l'eſpace
qu'elle doit parcourir. C'eſt en cela que
conſiſte la ſévérité du ſtyle, c'eſt auffi ce qui
en fera l'unité, & ce qui en réglera la rapidité
; & cela ſeul auſſi ſuffira pour le rendre
précis& fimple , égal & clair , vif& ſuivi.
Acette premiere régle dictée par le génie,
ſi l'on joint de la délicateſſe& du goût ,
du fcrupule fur le choix des expreffions ,
de l'attention à ne nommer les chofes que
OCTOBRE. 1753. 137
par les termes les plus généraux , le ſtyle
aura de la nobleſſe ; ſi l'on yjoint encore
de la défiance pour ſon premier mouvement
, du mépris pour tout ce qui n'eſt que
brillant , & une répugnance conftante
pour l'équivoque & la plaiſanterie , le ſtyle
aura de la gravité , il aura même de la majeſté.
Enfin , fil'on écrit comme l'on penſe,
& l'on eſt convaincu de ce que l'on veut
perfuader , cette bonne foi avec ſoi-même,
qui fait la bienséance pour les autres ,&
la vérité du ſtyle ,lui fera produire tout
fon effet , pourvû que cette perfuafion intérieure
ne ſe marque pas par un enthoufiaſme
trop fort , & qu'il y ait par tout plus
de candeur que de confiance , plus de rai
fon que de chaleur.
On voit à la ſuite du Diſcours que nous
venons de copier en partie , une réponſe
de M. de Moncrif, dont tout le monde
connoît l'eſprit orné & délicat ; elle finit
par le portrait qu'on va lire de M. l'Archevêque
de Sens , Prédéceſſeur de M. de
Buffon.
Auſtére par état , modéré , & même facile
par un penchant naturel ( que peutêtre
il ne ſe permit pas affez de ſuivre ) il
ſe montroit impétueux , inflexible , quand
ildéfendoit ſes principes qu'il croyoit atraqués;
il devenoit doux , conciliant , lorf
(
138 MERCURE DEFRANCE.
qu'il ne s'agiſſoit que d'en inſpirer la pratique.
Ilregnoit une certaine onction dans
ſes prédications preſque journalieres ; car
quelles fonctionsde ſon miniſtere ne rempliſſoit-
il pas affiduement ? on l'a vû fuivre
conſtamment la chaîne de ſes devoirs ,
à commencer par ceux qui font les plus
obſcurs & les plus pénibles. Jamais le Prélat
n'a éclipſé le ſimple Eccléſiaſtique ; &
dans un état d'élévation , la ſimplicité approche
plus de la perfection chrétienne
que ne fait la modeſtie.
La vraie ſimplicité porte un caractére ,
qui la diftingue entre les autres vertus ;
elle s'ignore elle même : c'eſt entre nous
un entier oublide nos avantages perfonnels
; au lieu que la modestie ſe contente
de les mettre au-deſſous de ce qu'ils paroif
ſent aux yeux des autres.
M. l'Archevêque de Sens joignoit à certe
heureuſe ſimplicité , l'aménité dans le
commerce de la vie ; les actions charitablesdans
tousgenres ,& toujours éclairées ;
enfindesmoeurs irréprochables. Quel bonheur
pour le Diocéſe , de trouver les mêmes
vertus dans le Succeſſeur de ce Prélat.
PRINCIPES de Jurisprudence ſur les
viſites & rapports judiciaires des Médecins
, Chirurgiens , Apoticaires & SageOCTOBRE.
1753. 139
!
femmes ; avec les indications des ſources
d'où ces principes ont été recueillis. Par
feu M. Prevost , ancien Bâtonnier de l'Ordre
des Avocats.AParis , chez Guillaume
Desprez , Imprimeur du Clergé , rue S. Jacques
, 1753. in- 12 . vol. 1 .
Le mérite de l'Ouvrage que nous annonçons
, confiſte dans l'exactitude avec
laquelle l'Auteur a recueilli toutes les autorités
concernant la matiere qu'il s'eſt
propoſé de traiter , tant par rapport au
fond qu'à la forme. Le Droit naturel , les
Ordonnances de nos Rois , les Arrêts des
Cours Souveraines , tous les Tribunaux ,
tous les Greffes ont été ouverts à l'Auteur ;
les Experts dans toutes les profeſſions qui
onttrait à fon objet , ont été confultés ,
rien n'a été omis. Quiconque lira ce Livre
y trouvera une collection de tout ce
qui peut être épars dans les Bibliothéques
& les dépôts publics , ſur les viſites & rapports
dans les matieres ſoumiſes aux lumieres
de la Médecine priſe dans ſon acception
la plus étendue , qui comprend
autant le traitement manuel, la compoſition&
la diſtribution des drogues , que la
connoiſſance des maladies.
Outre la Jurisprudence ſur les matieres
de rapports, onyen trouvera la forme & le
ſtyle redigés d'après de bons modéles. Ces
140 MERCURE DEFRANCE.
formules de rapports font très utiles pour
les Experts dans les différentes parties de
LaMédecine , lors qu'ils feront dans le
cas de viſiter les malades , des bleſſés , des
filles ou des femmes groffes , ou les enfans
nés d'elles , vivans ou morts , afin
d'en faire leurs rapports en Juſtice. Elles
ferviront auffi à des Juges de Province &
àtous autres , qui n'ayant pas ſous la main
les ſources d'où émane la Jurisprudence
des rapports , ſeront bien aiſes de la trouver
recueillie en un ſeul volume , léger ,
portatif , & qui contiendra ce qu'ils ont
beſoin d'en ſçavoir.
M. Prevoſt , de qui vient cet Ouvrage ,
n'étoit pas un homme à écrire un Livre
pour étaler ſes talens& ſon érudition . Il
n'avoit fait celui-ci comme toutes les autres
actions de ſa vie , que par zéle pour le
bien public. Il vouloit être utile ; cependant
il n'a pas eu la conſolation de jouir
des fruits de ſon zéle, Son Livre étoit encore
ſous preſſe lors qu'une prompte maladie
l'emporta .
POESIES variées de M. de Coulange .
diviſées en quatre Livres. A Paris , chez
la veuve Cailleau , rue S. Jacques. 1753 .
in- 12, vol. 1 .
Ce Recueil qui eſt fort confiderable
1
OCTOBRE. 1753. 141
oſt extrêmement varié. Le premier Livre
contient des Poësies badines. Le ſecond
des Poëfies héroïques , le troiſfiéme des
Odes facrées& prophanes , & le quatriéme
des Poëſies diverſes. Ce qui caractériſe
le recueil de M. de Coulange , c'eſt le
naturel & la facilité.On en jugera par une
Piéce que nous allons tranfcrire,
Adieux àla ville de Paris , à l'occaſiond'un
voyage que l'Auteur étoit prêt de faire ,
pour allerSéjourner dans une Ville de Previncefort
éloignée.
f
Il faut donc tequitter , 6 Ville incomparable :
Ode mille beautés aſſemblage admirable :
Il faut donc te quitter ,& fuyant tant d'appas ,
Au fond d'une Province aller porter mes pas !
Jet'adorois en vain, une loi trop ſévere
M'interdit à jamais ta vûe aimable &chére.
Cependantun faquin, un valet décraſſé,
Un clerc , un vil commis de rapine engraiffé ,
Un uſurier enfin qui ſçait avec adreſſe ,
Profitantdes erteurs de lafolle jeuneſſe ,
Ou du dépouillement d'un guerrier généreux ,
Former ſon embonpoint du fuc des malheureux ;
Tousont droit d'habiter cette ſuperbe Ville ,
Dejouir des douceurs d'un ſi charmant azile ,
Au gré des paſſions , d'y prodiguer l'argent ,
Et de fouler aux pieds l'honnête homme indigent;
1
:
:
:
142 MERCURE DE FRANCE.
Pourquois'en étonner ?dans le ſiécle oùnous ſom
mes ,
Eſt-ce au poids des vertus que l'on peſe les hom
mes ?
Dans ce ſièclede fer , l'exacte probité ,
Les talens , la candeur , la générosité
Sont pour nous élever des dégrés inutiles ;
On laiſſe aux imprudensces reſſources futiles.
Il eſt d'autres ſecrets pour les ambitieux :
Il faut un coeur d'airain , un front audacieux;
Il faut par les refforts d'une ſubtile intrigue
Intéreſſer pour ſoi la faveur & la brigue ,
Aux prix de l'honneur même acheter des amis ;
Courtifer lâchement juſqu'à ſes ennemis ,
D'une femme effrontée adopter les caprices,
Et rougir des vertus pour carefferdes vices.
Mais, que fais-je ? Et pourquoi prophaner mon
pinceau
Par les noires couleurs de cet affreux tableau ?
Eloignons- nous plutôt d'une ville prophane ;
Puiſqu'à m'en exiler enfin tout mecondamne ;
L'univers m'abandonne en l'état où je ſuis,
Je n'ai qu'un vain talent pour charmer ines en
nuis.
Inconnue à la Cour , rma Muſe trop fincere
Dédaigne des flatteurs le métier mercenaire.
Formé dès mon enfance aux loix de la vertu ,
Sous le faix des malheurs triſtement abattu ,
Jene ſçaurois deſcendre àce bas artifice ,
OCTOBRE. 1753. 145
Dût- il de mon deſtin corriger l'injuſtice.
Il vaut donc mieux ſortir d'un ſéjour ſi vanté ,
Avec mon innocence & ma fimplicité ,
Et fuir de tant d'heureux la préſence importune ,
Que d'y traîner ma vie au ſein de l'infortune ,
Ou de me voir forcé pour trouver le bonheur
De lui ſacrifier juſques à mon honneur.
Allons , arrachons-nous d'un lieu plein de déli
ces,
Qui , pour moi déſormais n'auroit que des ſups
plices.
Adieu donc , peuple vain , léger , capricieux ,
Peuple fol , mais toujours charmant & gracieux.
Adieu les beaux eſprits de la Cour , du Parnaſſe,
Quej'ai tant admirés , & dont ma folle audace
Avoulu quelquefois ſuivre les pas fameux.
Adieu libres réduits , ſéjours des pareſſeux ,
Qu'embaume du caffé la vapeur agréable ,
Où s'érige en tout tems un tribunal aimable
De Sçavans , de Marquis , de conteurs indiſcrets,
Qui du conſeil des Rois divulguant les ſecrets ,
Se plaiſent à forger cent nouvelles brillantes ,
Quevont ſemer par tout des bouches éloquentes.
1
Adieu Scene Comique , où j'ai vû peu d'Aus
teurs
Applaudis , & beaucoup fifflés des ſpectateurs.
C'eſt là qu'on vient de voir le fublime Voltaire
De fon nouveau chef- d'oeuvre enchanter le Par
terre.
144 MERCURE DE FRANCE!
Moi-même par la foule entraîné dans ces lieux ,
Des larmes de tendreſſe ont coulé de mes yeux.
Adieu Spectacle heureux , noble amas de mer
veilles ,
Fait pour charmer les coeurs , les yeux &les oreilles;
Je ne verrai donc plus tes décorations
Frapper mes ſens ſurpris de leurs illuſions ;
Etje n'entendrai plus la juſteſſe infinie
Des accords de Rameau , ce Dieu de l'harmonie.
Adieu Palais des Rois , ſuperbes bâtimens ,
Deleur magnificenceéternels monumens ;
Et vous Roi des Jardins , riantes Thuilleries ,
Oùj'ai tant promené mes douces rêveries :
Vous ne meverrez plus , ſous vos feuillages verds
Reſpirer la fraicheur , & méditer des vers,
ODieu , trop digne objet d'une innocente fla
me,
Je vous laiſſe , en partant & mon coeur & mon
1
1
:
ame.
Des feux les plus ardens fans ceſſe confumé,
Je n'emporte , où je vais , qu'un corps inanimé.
Mon coeur eſt à Paris ; ce coeur tendre & fidéle
*
Ne m'accompagne point dans ma courſe nouvelle;
Il reſte entre vos mains : gardez ſoigneuſement
Ce précieux dépôt d'un malheureux amant.
Si de ſes triſtes jours , la Parque meurtriere ,
Dans
OCTOBRE. 1753. 145
Dansde lointains climats vient borner la carriete ,
'A fon cher ſouvenir donnez du moins des pleurs ,
Et n'oubliez jamais ſa flame & ſes malheurs.
Adieu , Paris enfin , 6 ma chere patrie !
Combien , dans cet Adieu , mon ame eſt atten
drie ?
Que pourrai -je trouver ailleurs que des déſerts ?
Je crois , en te quietant , ſortir de l'univers ;
Mais du moins , dans l'horreur du lieu le plus fanvage
,
Je me retracerai ſans ceſſe ton image ,
Et de ces régions les volages zéphirs
T'apporteront toujours mes voeux & mes foupirs.
Finiſſons toutefois une inutile plainte :
Inſenſible aux douleurs dont mon ame eft attein
te ,
Le Ciel a prononcé , que ſert de murmurer ?
Le Coche eſt déja prêt , partons ſans differer.
INTRODUCTION à l'Hiſtoire moderne, générale
& politique de l'Univers , où l'on
voit l'origine, les révolutions &la ſituation
préſente des différens Etats de l'Europe ,
de l'Aſie , de l'Afrique & de l'Amérique :
commencée par le Baron de Puffendorf ,
augmentée par M. Bruzen de la Martiniere.
Nouvelle Edition , revûe , conſidérable.
ment augmentée , corrigée ſur les meilleurs
Auteurs , fur des Mémoires particu-
G
146 MERCURE DE FRANCE.
liers de pluſieurs Sçavans , & continuée
juſqu'en 1750. Par M. De Grace. Six voin-
4°. propoſés par ſouſcription. AParis ,
chez Merigot , Quai des Auguſtins , à la
Deſcente du Pont S. Michel , près la rue
Git-le-coeur ; Grangé , au Palais ; Hochereau
l'ainé , Quai de Conti , vis-à- vis la
defcente du Pont-Neuf, au Phenix ; Robuftel
, Quai des Auguſtins , près la rue
Pavée , & le Loup , Quai des Auguſtins.
1753 .
L'Edition qu'on préſente au Public , eft
ornée de frontiſpices , vignettes , culs-delampes&
de lettres griſes ; le tout exécuté
par les plus grands maîtres de l'Art , fur
lesdeſſeins de M. Eſéin. On a outre cela
fait fondre des caracteres exprès.
Quoique le papier que les Libraires
nomment ordinaire , ſoit choiſi dans les
plus beaux papiers fins , cependant pour
Tatisfaire le goût de pluſieurs curieux , on
afait tirer cent cinquante Exemplaires en
grand papier , & cinquante ſeulement ſur
grand papier de Hollandeſuperfin,
CetOuvrage ſera imprimé ſur le même
papier , ( pour le papier ordinaire ) dans la
même forme & avec les mêmes caracteres
que le Profpectus.
H y aura fix Volumes in- quarto. A
OCTOBRE. 1753 . 147
Conditions proposées aux Souſcripteurs .
On ne ſera admis à ſouſcrire que pendant
fix moix , à compter du jour que les
ſouſcriptions ſeront ouvertes. On les délivrera
en donnant le premier Volume ,
le vingt d'Août de cette année 1753. Les
autres volumes paroîtront ſucceſſivement
de fix mois en fix mois , à commencer au
premier Septembre.
Prix des Soufcriptions.
On payera pour le papier ordinaire 72
livres ; ſçavoir , en délivrant le premier
Volume , 18 liv. dont 6 liv. à déduire ſur
ledernier : les autres ſeront à raiſon de 12
livres.
Et pour ceux qui n'auront point foufcrit
, 96 livres.
Legrand papier 108 liv. les fix Volumes
; ſçavoir 27 liv. dont 18 liv. pour le
premier , & 9 liv. à déduire ſur le dernier
, les autres à raiſon de 18 livres.
Ceux qui n'auront pas ſouſcrit , les
payeront 144 livres.
Le grand papier de Hollande ſuperfin ;
180 liv. ſçavoir 45 liv. en livrant le premier
Volume , dont 15 liv. à déduire ſur
le dernier Volume , & les autres à raiſon
de 30 livres.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
Ceuxqui n'aurontpas ſouſcrit ,les payeront
240 livres.
Nota. Dans le cas où la matiere de cet
Ouvrage fourniroit un Volume de plus ,
on le payera ſuivant les conditions énoncées
ci deſſus .
REFLEXIONS fur la Longitude de
Toulouse.
Es éclairciſſemens que l'on a deman
Mercure de France du mois Lase
d'Août 1753 , ( p.114 ) m'ont paru d'autant
plus néceſſaires , que la difficulté que
l'on propoſe eſt bien fondée ; car dans les
Mémoires de l'Académie de 1744 ( p.237)
M. de la Caille détermine la différence des
méridiens entre Toulouſe & Montpellier
de 10'40" , de laquelle retranchant la différence
des méridiens entre Paris & Montpellier
, déterminée par le même Aſtrono-
The ( p. 238 ) de 6'5", on aura 4'35" pour
la différence en longitude entre Paris &
Toulouſe ; or dans le Livre de la Connoiffance
des Tems , l'on trouve que Toulouſe
eſt de 3 ' 35 " de tems à l'Oueſt du méridien.
de Paris , il y a donc une différence d'une
minute dans les différens réſultats .
::
//
Pour réfoudre cette difficulté , je ferai
obſerver que la détermination de M. de
ОСТОBRE. 1753. 149.
la Caille réſulte d'une longue ſuite de calculs
, & de l'obſervation d'un Astronome
très exact ; je n'entreprendrai pas ici-de
vérifier le calcul de M. de la Caille , & je
ne peux ſoupçonner de l'erreur dans l'obſervation
de M. Garipuy ; il me ſuffira
d'expoſer les fondemens de la détermination
de Toulouſe marquée dans la Connoiſſance
des tems.
,
Ayant calculé par la ſuite des triangles de
laméridienne vérifiée , la diſtance de Tourlouſe
à la méridienne de 37074 toiſes &
à la perpendiculaire de 298687 toiſes
nous avons trouvé par la réſolution d'un
ſeul triangle ſpherique , la différence de
Iongitude entreParis& Toulouſe de 0° 53'
47" ou de 3 ' 34" & demie de tems , &
la latitude de 43 ° 35' 54" . Pour diffiper
tous les doutes que l'on pourroit avoir fur
la poſition de Toulouſe , où l'on aſſure que
l'on n'eſt monté qu'une ſeule fois ſur le
clocher de cette Ville , je vais rapporter
les triangles qui fixent la poſition de cette
Ville , au cas que l'on veuille les vérifier .
Vacquiers 44 27 57 S. P. David 75 18 20
Moulin Puchaudran 36 24 25 M. Puch. 10 21 47
Toulouſ. (laDalbad: ) 99 7 38 Toulouſe 94 1913
La baſe commune aux deux triangles
eſt celle de Toulouſe au Moulin Puchaudran
, que l'on a eu la ſatisfaction de trou
Giij
ISO MERCUREDE FRANCE,
ver lamême de 12118 toiſes , en ſuppofant
la baſe de Vacquiers au Moulin Puchaudran
de 17081 , & celle du S. Pech
David au même Moulin ,de 12472 toiſes .
"
L'on pourroit , avec raiſon , ſoupçonner
quelques erreurs dans une auſſi longue
ſuite de triangles depuis Paris juqu'à
Toulouſe , laquelle avoit changé la vraye
direction de la méridienne , & auroit rapproché
Toulouſe de la méridienne plus
qu'il ne l'eft en effer; mais ſi l'on fait attentionque
cette même erreur auroit influé
également ſur la poſition de Montpellier
, déduite des opérations géométriques
de 6' 11'' de tems , laquelle cependant
ſe trouve conforme avec l'obſervation
de M. le Monnier faite à Paris , &
calculée par M. de la Caille dans le même
volume de 1744 , où il détermine la différence
des méridiens entre Paris & Montpellier
de 6'5 '' , avec une différence ſeulementde
fix ſecondes du réſultat des trian
gles ; l'on ne pourra plus raiſonnablement
douter de la préciſion des opérations trigonométriques
, qui ont d'ailleurs l'avanrage
de s'accorder avec la détermination
de la latitude de Toulouſe , déterminée
par M. Garipuy , avec toute l'exactitude
que l'on ſçait qu'il apporte dans ſes obfervations
de 43 ° 354 47" . Mais indépen
OCTOBRE. 1753. 15I
dammentde cette dérermination , l'on en
trouve deux autres rapportées dans les
Ephémerides du ſieur Deſplaces ,de 1735
& 1745. ( p. VI. & VII . ) La premiere eft
le M. Caffini le pere , qui donne la longi-
-ude de Toulouſe de o' 3 ' 40'" , & la latiude
de 43 ° 37' 2" ; la ſeconde eſt de Mrs
le la Société Royale de Montpellier , qui
lonnent la différence de longitude entre
Toulouſe & Montpellier de o' 9' 50" , &
la latitude de Toulouſe de 43° 37′0″ :
après ces trois déterminatons je laiſſe au
Public à prendre un parti ſur la difficulté
qui a fait le ſujet de nos recherches.
"
LETTRE de M. ** à M. *** , an Cha
teau de Prepatour , près de Vendôme.
L
E Livre ſur laMinéralogie qui paroît
depuis peu de jours , & dont l'Auteur
eft M. Wallerius , Suédois , me paroît
écrit avec plus d'ordre &de méthode , que
ceux des Naturaliſtes qui ont avant lui
traité cette matiere. Ce Sçavant a acquis
par un grand travail , des connoiffances
dont nous jouiſſons ſans peine. Mais ſi le
public lui eſt redevable de cet ouvrage ,
notre Nation doit beaucoup auſſi à M***
pour le foin généreux qu'il s'eſt donné
d'en faire une très- exacte traduction que
Giiij
152 MERCURE DE FRANCE.
je vous envoye . Ce n'eſt pas le premier
préſent qu'il fait aux Sciences , & fon Art
de la Verrerie annonce à la République des
Lettres , ce qu'elle doit attendre de ſes
talens &de ſes lumieres. Mais ſa Traduction
de la Minéralogie nous eſt d'autant
plus utile , que nous n'avons dans notre
Langue aucun Traité qui répande autant
de jour ſur cette matiere. Je ne veux pas
dire néanmoins , qu'il n'y ait encore beaucoup
d'articles très- obſcurs. En la parcourant
, prenez la peine de marquer en marge
ceux que vous jugerez tels , afin que je
ſcache , ft c'eſt ma fautede ne les avoi
pas compris ; & faites , je vous prie , une
attention particuliere fur les idées de
l'Auteur , V. I. page 7. qui commence :
Les terresfont la base &le principe des pierres
, &c. & V. II. page 107 : Les noyaux
nefont pas des pétrifications , maisdes pierres
ordinaires du genre des calcaires , c. Je
foumers , Monfieur , à votre critique celle
que je vais faire pour mon aniuſement fur
ce dernier article. Elle ſervira auſſi d'attaque
au premier , en démontrant que les
noyaux qu'il repréſente comme des pierres
ordinaires , ont une autre bafe & un
autre principe que les terres.
Les noyaux , ſuivant M. Wallerius , font
des pierres ordinaires du genre des cal
OCTO BRE. 1753 . 153
caires. Pour s'expliquer ainfi , il faut qu'il
n'en ait jamais vû , ( quoiqu'il s'en trouve
pluſieurs , ) d'argile , de grais , de roche ,
d'agathe & autres , qui ne font pas du genre
des pierres calcaires. De plus , il prétend
que ces noyaux ne ſont pas des pétrifications;
c'eſt encore une erreur , d'ignorer
que leur vraie origine eſt la même que
celle de toutes les autres pétrifications , ou
corps convertis en pierres. Les obſervations
ſuivantes conſtatent , il me ſemble ,
cette vérité ; mais avant de les détailler ,
je veux vous dire comment je croi que
ces noyaux ont été composés.
,
Les coquilles , agitées dans le fond de
la mer , après la deſtruction des animaux
qu'elles contenoient ont été remplies
d'autres petites coquilles , & de détriment
ou ſable de coquilles , qui étant plus foibles
que la coquille principale , ſe ſont
plutôt décompoſées ,&converties en pierres
plus ou moins dures , après que la mer
s'eſt retirée des lieux où elle les avoir dépoſées
; ces petits corps ont ainſi ſervi à la
formation des noyaux.
Objection I. On trouve dans diverſes.cou
ches des montagnes de ce pays , une infinité
de coquilles foffilles , remplies d'autres
petites coquilles , les unes & les autres
encore en nature. Les petites en ren.
Gv
154MERCURE DEFRANCE:
ferment encore de plus petites , qui ch
ſont de même pleines par gradations ; les
unes dans les autres , ou jointes les unes
aux autres , mêlées de détriment ou fable
de coquille , juſques aux plus petits objets
qu'il eſt poſſible d'appercevoir , ſans mêlange
d'aucune matiere terreſtre , ni d'autres
hétérogénes , elles ſortent des plus
grandes en les ſecouant.
II . On y trouve des coquilles confervées
, dont les cavités ſont pleines d'autres
petites coquilles encore en nature , mais
qui paroiffent comme ſoudées , ou liées
par de la matiere d'autres coquilles imperceptibles
, converties en pierres ; tout l'intérieur
de celles- ci , eſt comme difpoſé à
ſe décompoſer , pour former le noyau c
le convertir en pierres.
III. On en trouve d'autres , dont les
petites coquilles qu'elles renferment font
la plupart détruites , cependant encore
connoiſſables ; les noyaux de celles -ci
commencent à reſſembler à la pierre.
IV. On voit encore des coquilles conſervées
, pleines de noyaux pierreux , compoſés
d'autres petites coquilles détruites ,
quiunis enſemble forment ceux des grandes
coquilles ; les noyaux principaux de
cette obſervation , ont beaucoup plus de
confiftante que ceux des précédentes.
OCTOBRE. 1753. 155
V. On voit de plus , des coquilles conſervées
dans leurs formes extérieures , mais
changées de nature , qui ont été remplies
de petites coquilles &détrimens entierement
fondus ,& convertis en pierres- calcaires
& autres ; la plupart de ces grandes
coquilles , étant ſciées & polies avec leurs
noyaux , laiffent découvrir des veſtiges &
traces , qui font aisément connoître que
ces noyaux ont été composés de coquilles.
Je dois ajouter une remarque ; c'eſt que le
volumede ces petits corps qu'on apperçoit
dans l'intérieur , n'est jamais plus gros que
la proportion de la bouche , ou autre ouverture
de la coquille principale.
VI Tous les noyaux qu'on trouve en ce
pays , ſéparés des coquilles , ſont compoſés
d'autres petits noyaux de coquilles ,
converties en pierres ; ce qui eſt plus ou
moins apparent , ſuivant qu'ils font plus
ou moins durement pétrifiés. On le connoît
, à la premiere vûe , dans ceux qui
font de pierres tendres. Il est vrai qu'on
l'apperçoit aux autres plus difficilement ;
mais après avoir ſcié & poli ceux qui peuvent
l'être , on voit dans pluſieurs ſur les
parties polies , un mélange de coquilles
qui en renferment de petites , leſquelles
encontiennent encore de plus petites.
Remarquez qu'il y a des millions in
Gvj
J156 MERCURE DE FRANCE.
nombrables de coquilles & noyaux , de
chacune de ces eſpéces .
VII . Il eſt dans les collines des environs
de Paris , une nombreuſe quantité de couches
de pierres tendres ( que les Carriers
appellent banc coquillel) qui ne ſont compoſées
que de noyaux de coquilles , dont
on diftingue aifément les differens genres :
ces noyaux font quelquefois renfermés
dans des coquilles , telles que M. Wallerius
les décrit dans l'eſpéce 439 ; que l'on
trouve encore dans leur figure naturelle ,
mais qui ſe réduiſent en poudre impalpable
en les maniant. D'autres fois on trouve
la place qu'occupoit la coquille , remplie
de pareille poudre. Le plus ſouvent
on ne voit autour des noyaux qu'une cavité
de la forme qu'avoit la coquille qui
l'enveloppoit ; ces noyaux & ces cavités
dans ce dernier cas , font ordinairement
vernis & colorés de cette même poudre ,
qui par l'analyſe eſt de ſemblable fubſtance
, & a les mêmes propriétés que les coquilles
foffilles pulvérifécs.
Quel eft , Monfieur , votre fentiment
fur ce qu'eſt devenue cette poudre impalpable
de coquille , qui rempliſſoit ces cavités
? j'en ai tiré juſques à une once de la
ſeule place d'une coquille. Ne peut- on pas
conjecturer avec quelque certitude , qu'elle
OCTOBRE. 1753 . 157
(
s'eſt écoulée par filtration avec les eaux
dans les interſtices ou vuides des couches
inférieures , & dans les fentes perpendiculaires
, pour compoſer d'autres corps foflilles
, auſquels les anciens Naturaliftes ont
donné des noms , ſans avoir connoiſſance
de la matiere des corps décompoſés , qui
ont fervi à la compoſition de ces nouveaux
corps.
Si l'on avoit en Suéde les mêmes facilités
que nous avons pour de pareilles obſervations
, il eſt conſtant qu'un Sçavant ,
tel que M. Wallerius , feroit des découvertes
très-utiles. Il feroit convaincu que
les noyaux ayant été compofés de matiere
de coquilles , font de véritables pétrificatrons.
Et s'il avoit en cette connoiſſance
avant la publication de ſon ouvrage , il
auroit pû retrancher une partie de ſondétail
fur les noyaux & ſur les empreintes
pour obſerver feulement que toute coquille
qui a un vuide intérieur , peut avoir
fon noyau ; & qu'on ne peut détacher
de la maſſe avec adreſſe ,aucune pétrification
, foit animale , ſoit vegétale, ſans voir
fon empreinte ou ſa forme , cavée dans la
place qu'elle a quittée. J'ai l'honneur d'être
, & c .
*
AParis, ce 25 Août 1753 .
158 MERCURE DEFRANCE.
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
BEAUX ARTS.
Expofinon des ouvrages de l'AcadémieRoyale
de Peinture&de Sculpture , faite dans une
Sale du Louvre le 25 Août 1753 .
L
Es richeſſes & les malheurs d'un Erat
n'ont pas une influence plus néceſſaire
dans les finances & le commerce des Etats
voiſins , que les Arts d'une partie de l'Europe
dans les Arts de l'Europe entiere. Ilne
ſe fait pas une découverte dans un pays ,
que les peuples voiſins ne foient curieux de
la connoître ,& jaloux de la pouffer plus
loin. Cet eſprit d'émulation devenu plus
général qu'il ne l'a jamais été , doit caufer
une fermentation bien vive à la vûe
des productions que l'Académie de Painture
& de Sculpture vient d'expoſer. Jamais
ſon ſalon n'a été fi brillant , fi beau ,
fi varié & ſi nombreux : tour y répondoit
àla répuration des Artiſtes , & aux foins
deM. de Vandieres , dont les connoiſſances
acquiſes dans un voyage de deux ans
en Italie , ont perfectionné le goût naturet.
Qu'on s'imagine un peuple d'amateurs
de tous les âges &de toutes les conditions,
OCTOBRE. 1753. 759
Vémoignant une égale avidité pour étudier
les talens , pour les juger, pour entretenir
ſes connoiſſances , ou en acquérir de nouvelles
, auſſi chagrin de voir fermer le ſalon
au bout d'un mois qu'il avoit été impatient
de le voir ouvrir , & on aura quelque
idée du ſpectacle que préſentoit à chaque
inſtant du jour le ſalon où étoient expoſés
les ouvrages de Peinture&de Sculpture.
On y voyoit réunile noble & le galant ,
l'austére & le badin , l'Hiſtoire & la Fable ,
l'héroïque & le paſtoral , les barailles &
les allégories ; rien n'y manquoit de ce qui
a le deſſein pour principe & pour baſe , &
de ce qui peut flatter l'eſprit , les yeux ou
l'imagination .
Il ne nous convient pas de prononcer
fur le mérite des differens ouvrages qui
ont fait l'objet de la curioſité publique :
ces déciſions ne conviennent à aucun particulier
,& encore moins à nous qu'à d'autres.
Nous nous contenterons de rapporter
quelques-uns des jugemens que nous
avons entendu le plus répéter.
Les deux grands tableauxde M. Reſtour ,
dont l'un repréſente Aſſuerus qui pronon -
ce l'arrêt de mort contre Aman , & l'autre
Jeſus Chriſt , qui donne les clefs à Saint
Pierre , prouvent la grande maniere de
160 MERCURE DEFRANCE.
ce célébre Artiſte , & la belle pratique qui
lui a mérité ſa réputation. Le repos en
Egypte eſt piquant par ſa lumiere. Ces
trois tableaux indiquent un beau faire , &
une grande liberté de pinceau , en confervant
des maſſes biendiſttribuées , qui
feront toujours beaucoup d'honneur à
l'Ecole.
M. Carle -Vanloo a fait voir dans dix
tableaux de differente grandeur , & d'une
compofition abſolument variée , toutes les
graces de fon pinceau & la fécondité de
ſon génie : l'action , le repos , la dévotion
, la grande machine , les tableaux
de chevalet , le portrait même , tout eſt la
preuve éclatante d'un mérite ſupérieur.
,
M. Boucher a continué de ravir par les
graces & les agrémens de ſa compoſition ,
dans les tableaux de Thetis & du Soleil
dans les deſſus de portes faits pour Bellevûe
, & dans les ſaiſons peintes pour un
plafond de Fontainebleau : fa maniere
qui eſt aimée & fuivie , mérite l'accueil
qu'elle reçoit.
Quoique les quinze tableaux de M.
Oudry ayent fait le plaiſit que les ouvrages
de cet habile Artiſte ſont dans l'uſage
de faire , le public a été fingulierement
frappé d'une chienne blanche avec fes
petits de même poil; ils ne voyent pas
OCTOBRE. 1753. 161
ب
encore le jour. La vérité de leur action eſt
auſſi belle & auſſi bien rendue , que les
oppoſitions de ce tableau ſont recommandables
: les ombres ne cachent rien à
l'oeil ; il voit clair par tout ; un rayonde
couleur qui ſeroit un obſtacle pour un au
tre , vient embellir la couleur & enrichir
la compoſition.
La délicateſſe & les détails du Chriſt en
Croix que M. Pigalle a expoſé , ont mérité
une attention particuliere. Ce bel ouvrage
de marbre , de vingt- deux pouces de
proportion , a fait dire aux Connoiffeurs
qu'il falloit être grand pour faire fi bienle
petit ,& pour conſerver tant de feu
dans un ouvrage qui demande une ſi grande
patience.
Le portrait de Madame du Four , eſt de
tous les ouvrages qu'a expoſé M. Nattier ,
celui qui lui a fait le plus d'honneur.
Les graces & les fineſſes que M. Saly
a exprimées dans ſon Amour , & furtout
dans ſon Hebé , ont été généralement ſenties.
Son buſte en marbre de M. le Duc de
Beauvilliers , a paru frapper encore plus
vivement les Connoiffeurs. De long- tems
nous ne reverrons des ouvrages de ce brillant
& fage Artiſte ; ſa réputation l'a fait
appelter en Dannemarc , où il doit faire le
modéle de la ſtatue équeſtre d'un Roi , que
162 MERCURE DE FRANCE.
la poſtérité placera parmi lepetit nombre
deSouverains qui auront vêcu pour lebonheurdes
peuples.
M. Chardin a continué de plaire par
tine maniere piquante qu'il ne doit qu'à lui
&que perſonne n'a que lui ; ſon pinceau
qui n'ajamais été ſi fécond , s'eſt ſurpaſſé
dans le tableau qui repréſente un Philoſopheoccupéde
ſa lecture ,&dans des animaux
de même proportion , fairs avec toute
labeautéde la touche , & la vérité d'une
couleur des plus riches.
Le portrait de Madame Danger a ſoutenu
, augmenté peut-être la grande réputationde
M. Tocqué.
La reflemblance jointe aux autres gran.
des parties de l'Art , a rempli complettement
cette année , tout ce que le public
étoitendroit d'attendre des beaux paſtels
de M. Delatour : cet Artiſte,Citoyen &
Philoſophe , donne à l'Europe entiere un
ſpectacle , dont il nous paroît qu'on n'eſt
pas affez fappé; il préfere la confolation
de faire le portrait des hommes illuftres , à
l'avantage de faire celui des gens opulens.
M. Servandoni a donné des preuves qui
lui font ordinaires de la fécondité da ſon
génie, de ſon profond ſçavoir dans la
perſpective ,&de la facilité de ſon pin
ceau
OCTOBRE. 1753. 163
La figure de M.Vaſſé , pour une des
façades du bâtiment des Quinze-Vingts ,
lui a fait avec raiſon beaucoup d'honneur ;
elle eſt bien diſpoſée ,& tournée d'une
façon riche&nouvelle pour la place qu'el.
le doit occuper .
Quoique toutes les productionsdeM.
Bachelier ayent attiré les regards , ils ſe
font fixés ſur un morceau peint ſur la porcelaine
de Vincennes : cet ouvrage fait voir
quel eſt le degré de perfection auquel cette
brillante Manufacture eſt parvenue. On
connoît depuis long-tems la ſupériorité
de ſa matiere ; le bon goût de ſes formes
ſe fait tous les jours remarquer de plus
enplus ; enfin on voit par cette pratique
que la peinture , déja plus belle que toute
autre de ce genre , ne peut qu'augmenter
en mérite & en pratiques plus ſçavantes ,
&cependant plus faciles.
M. Peronneau a mérité des applaudifſemens
par la legereté de ſa maniere& cellede
ſa touche ,dans les ſept portraits qu'il
apréſentés.
1
M. Vernet a cu cette année le plaiſir de
juger lui-même de l'accueil que le public
de Paris eſt dans l'habitude de faire à ſes
beaux paysages: il eſt venu d'Italie ſe faire
recevoir dans unCorps conſidérable, dont
il étoit depuis long-tems un membre difting
gué,
164 MERCURE DEFRANCE.
Les éloges qu'on a donné aux ouvrages
de M. Vien , jeune Artiſte , un des derniers
reçus à l'Académie , font efperer qu'il
ne s'écartera jamais de la grande maniere
dont il vient de donner des preuves éclatantes.
Nous ne pouvons mieux finir qu'en parlant
d'une entrepriſe qui ſeroit encore
agréable , quand elle ne feroit pas aufli
parfaitement exécutée qu'elle l'eſt : il s'agit
des portraits que M. Cochin , le fils , a
deflinés d'après nature , avec ſon goût &
ſa facilité ordinaires ; talens que l'on n'eſt
pas dans l'habitude d'exiger des Graveurs.
Ce charmant Artiſte a donc deſſiné & expoſé
un très-grand nombre de profils des
Artiſtes&des Amateurs des Arts ,qui font
de la même grandeur , & dont la reffemblance
eſt frappante. On ne peut s'empêcher
de ſouhaiter vivement qu'ils foient
gravés & qu'ils forment une ſuite : M.
Cochin eſt ſi exact & fi laborieux , qu'il eſt
permis d'eſperer qu'il terminera cette entrepriſe
: elle ſera d'autant plus agréable ,
que c'eſt une eſpéce de tableau , par lequel
on pourra connoître fans erreur ceux qui
donnant dans le même goût ont vêcu dans
le même ſiécle ; il ſeroit à déſirer que cette
idée eût éré miſe en pratique dans les fiécles
antérieurs , on se trouveroit plus aiſéOCTOBRE.
1753. 165
ment tranſporté dans les ſociétés paſſées ,
l'imagination entireroit des ſecours , & les
meilleurs ouvrages en ſeroient embellis.
Le Vendredi 7 Septembre , l'Académie
de Peinture & de Sculpture tint ſon affemblée
générale. M. Watelet , ReceveurGénéral
des finances , & Honoraire aſſocié
libre de l'Académie ,y lut les deux premiers
chants de ſon Poëme ſur la Peinture :
ces deux chants ont pour objet le deſſein
& la couleur. La ſolidité des principes , la
juſteſſe des images , les graces du ſtyle ,
tout aſſure à la France un ouvrage qui lui
fera un honneur infini : c'eſt le jugement
unanime d'une aſſemblée nombreuſe , &
formée par des connoiffeurs véritables &
des amateurs zélés .
Après cette importante& agréable lectu
re , M. de Vandieres , Directeur & Ordonnateur
Général des Bâtimens , fit la diſtributiondes
Médailles d'or & d'argent pour
les grands prix de Peinture & de Sculpture
remportés l'année derniere ; ſçavoir :
3 Le premier prix de Peinture , àM. Fragonard.
Le prix de Sculpture , à M. Brener.
Le ſecond prix de Peinture , à M.
Monet.
Le 2d prix de Sculpture , à M. Duhez .
166MERCURE DE FRANCE.
M. le Directeur Général a auſſi diſtribué les pe
tits prix du quartier de Janvier 1753 , juſques&
compris celui d'Octobre de la même année.
CARTE générale de l'Empire de Ruſſes , en Europe,
en Afie , dreſſée d'après les Cartes de l'Atlas
, Ruffien ; par Robert de Vaugondy , Géographe
ordinaire du Roi. AParis , chez l'Auteur , fur le
Quai de l'Horlogedu Palais , proche le Pont-neuf
1753 .
Philippe Buache , Premier Géographe du Roi
& de l'Académie des Sciences , vient depublier
avec l'approbation & ſous le Privilége de l'Académie
, fix Cartes grand in-4°. ſur les nouvelles découvertes
auNord& à l'Orient de la grandeMer,
appellée vulgairement la Mer du Sud, accompagnéesd'une
explication , qui a pour titre : ConfidérationsGéographiques
& Physiques, &c. Ceque ces
ouvrages nous propoſent ſur les bornes&l'étenduede
l'Amérique ſeptentrionale , comme voiſine
de l'Aſie, ſe préſente avec des preuves de toute efpécequi
lui donnent un grand poids ;& il ſferoit
très-utile qu'en publiant de nouvelles Cartes , on
rendît ainſi compte de leurs fondemens.
Celles dont il eſt queſtion ,& qui font gravées
&enluminées avec goût & propreté , rempliffent
Peſpace qui étoit vuide ſur nos Globes , depuis les
côtes ſuppoſées par feu M. Guillaume Deliſſe en
1724 ( d'après les Mémoires que l'on avoit alors )
juſqu'à la partie du Canada , voiſine du lac ſupé.
rieur , & aux côtes occidentalesde la Baye d'Hud
fon ( c'est- à- dire depuis le 160 degré de longi.
tude juſqu'au 287 ) & depuis l'Iſle de leſo ouYeço,
& les environs de la Californie & du Nouveau
Mexique , au 43 degré de latitude ſeptentrionale
juſqu'au so.
OCTOBRE. 1753. 167
Pour donner une idée claire de tout le travail
de M. Buache , nous commencerons par tranſcrire
les titres des Cartes .
La premiere eſt intitulée ; Carte des nouvelfes
découvertes entre la partie orientale de l'Aſie &
l'occidentale de l'Amérique , avec des vues ( parriculieres
) ſur la grande Terre reconnue par les
Ruſſes en 1741 , & fur la mer de l'Oueſt & autres
communications de mers. Dans cette Carte qui
eſt la générale , on a diſtingué par quatre differentes
teintes de couleurs , ce qui est nouveau
d'avec ce que l'on connoiffoit ci -devant ; & ces
teintes ont rapport aux quatre eſpéces de découvertesdont
nous parlerons dans un moment. Cette
maniere de préſenter les objets , qui n'a point été
miſe en uſage juſqu'à préſent , eſt très-utile pour
faire connoître le progrès des connoiſlances,
La ſeconde a pour titre : Carte desdécouvertes
de l'Amiral de Fonte, ſelon la Carte Angloiſe
donnée par l'Ecrivain du Vaiſſeau la Californie
dans ſon voyage à la Baye d'Hudſon , avec lesTerres
vûes &reconnues par les Ruſſes, &une comparaiſondu
réſultat des Carres du 16 & 17 fiécle
au ſujet du détroit d'Anjan. On ytrouve d'ailleurs
pluſieurs notes intéreſſantes , qui rappellent ce qui
eſt plus au long dans l'écrit , où l'on refute leſyſtême
de l'Ecrivain du Vaiſſeau la Californie , qui
fait entrer l'Amiral de Fonte dans les Terres au
53 degré de latitude , au lieu du 63 comme ilparoît
par les diſcuſſions.
La troifiéme Carte expoſe le Géométrique des
découvertes de l'Amiral de Fonte &de ſonCapitaine
Bernarda , comparé avec le ſyſtême de la
Carte Angloiſe ; & un Extrait ( ou Abregé ) de la
Relation de l'Amiral , fait d'après un manufcrit
*communiqué en 1748 , par M. de l'Iſſe l'Aftrono
168 MERCURE DE FRANCE.
me. C'eſt d'après le travail de M. Buache à ce
ſujet , que l'Académie ajugé le 7 Juillet dernier ,
qu'il étoit utile de conſerver les découvertes de
PAmiralde Fonte , &d'en faire voir l'accord avec
toutes les connoiſſantes & les indications qu'on
peut raſſembler ſur l'Amérique ſeptentrionale.
La quatriéme offre deux objets : 1º . la réduction
de celle qui a été publiée à Nuremberg ( il y
a 25 ans ) & où l'on voit l'une des premieres idées
qu'on s'eſt formé du Kamtchatka &de ſes environs
: 2º, la vue des Glaces , au milieu deſquelles
P'on voit la Péche quiſe fait au Nord-est de l'Afie ,
extraitede la Cartede l'Empire Ruffien, en Langue
Ruffe. M. Buache a tiré de ces deux moreeaux des
inductions pour la proximité de l'Amérique.
La cinquiéme Carte eſt un effai que feu M.
Guillaume Delifle joignit en 1717 au Mémoire
qu'il préſenta à la Cour , ſur l'existence de la mer
de l'Ouest, & l'on y apprend pourquoi il n'a pas
faitmention de cette mer ſur ſes Cartes.
Enfin , la fixieme eſt diviſée en deux parties ;
qui doivent être comparées enſemble pour recti
fier le plan de l'une par celui de l'autre, C'eſt 1 °
un extrait d'une Catte Japonoiſe de l'Univers ,
apportée en Europe par Kæmpfer , & où l'on voit
les Terres qui font au Nord & à l'Oueſt du Japon ,
avecpluſieurs notes curieuſes. 2°. Une réduction
des Cartes préſentées à l'Académie des Sciences ,
le 9 Août 1752 par M. Buache ( qu'il publie aujourd'hui
) & l'on y voit la route des Chinois en
Amérique vers l'an 458 de J. C. tracée ſur les
connoiflances géographiques, que M.deGuignes,
de l'Académie des Belles- Lettres , a tirées des Annales
Chinoiſes. Voilà pour ce qui concerne les
Cartes.
M. Buache a réduit dans un Exposé, qu'il eut
l'honneur
OCTOBRE. 1753 . 169
Phonneur de préſenter au Roi avec ſon ouvrage ,
le 2 du mois dernier , les découvertes dont il eſt
queſtion , à quatre chefs qui ſont diftingués par
couleurs quileur fontpropres.
1º. Les découvertes des Ruffes depuis vingt ans ,
comparées avec les idées qu'on avoit ci-devant
( en Europe , & que l'on a au Japon ) ſur le Nordeft
de l'Afie& les Terres voifines de l'Amérique ,
comme en étant ſéparées par un détroit , ſouvent
glacé : ce qui a facilité le paſſage des premiers ha
bitans de l'Amérique venus d'Afie.
2º. Les découvertes des François depuis quinze
ans, ſçavoir , la partie la plus occidentale de la
Nouvelle France ou du Canada , juſqu'à trois cens
lieuës au-delà du lac ſupérieur : ce qui étend nos
poffeffions bien au-delà de ce que préſente la nouvelle
Carte du Canada , où l'on a prétendu diftin.
guer exactement les poſſeſſions Françoiſes. M. Buache
nous apprend entr'autres choses àce ſujet
( page 39 ) que nos Officiers envoyés par M. le
Comtede Maurepas , ont bâti fix Forts , & fait fix
Etabliſſemens dans ces nouveaux Pays..
3º. Résultatde diverſes recherches , faites par feu
Guillaume Deliſle & Philippe Buache , dont l'objet
eſt d'un côté la mer de l'Oueſt , au Nord de la Californie
& à l'Oueſt du Canada , avec ſa prolongation
juſqu'à la Baye d'Hudſon ( indiquée par les
matées & par diverſes Relations de Navigateurs )
&de l'autre côté , une grande preſqu'Iſle qui forme
un long détroit , entre le Nord-Eſt de l'Aſie & le
Nord-Ouestde l'Amérique. Ce détroit reſſemble
fort au détroit d'Anian , & c'eſt ce qui adonné occafion
à M. Buache de nous inſtruire de diverſes
particularités intéreſlantes à ſon ſujet.
4°. Les découvertes de l'Amiral de Fonte, au
Nord des précédentes ,& qui ſe trouvant enchali
H
170 MERCURE DE FRANCE.
"
féesavecelles , s'accordent avec tout ce qu'on cong
noît d'ailleurs.
M. Buache nous apprend dans une eſpèce d'A
vertiſſement qui fuit ſon Exposé ,que fon travail
a éré occaſionné par les diſcuſſions , auſquelles la
Relation de l'Amiral de Fonte a donné naiſſance,
mais qu'il avoit auparavant l'idée de ce travail ,
comme on le peut voir par ce que dit M. de l'iſſe
l'Aſtronome , à la fin de fon Mémoire fur les nouvelles
découvertes, lû à l'Aſſemblée publique de
Pacadémie des Sciences le & Avril 1750. Il yat
reſte (page 11 de ſon Ex lication ) que M Buache
>>par la cennoillance qu'il avoit de la ſtructure de
>>tout le reſte de la Terre connue ayant conjec-
> turé que l'Afie devoit être liée à l'Amérique au
>Nord , par une ſuite de montagnes &par des
mers de peu de profondeur , a eu le plaifir de
>>voir fon opinion confirmée par les découvertes
des Rufles &de l'Amiral de Fonte , dont je viens
{ diſoit M. de l'Ifße) de faire le récit abregé.
Lesraiſonsde cette conjecture de M. Buache , lont
expliquées dans les deux premieres notes de ſes
Corſidérations Géographiques Physiques fur les
nouvelles découvertes au Nord de lagrande mer , dont
on peut avoir une idée par ce que nous venons de
dire, ſans que nous nous étendions davantage.
D
AIR.
Ansle Salon avec moi l'autre jour
LajeuneEglé dit : ah , voilà l'Amour !
Dans fa bouche ce mot étonne mon oreille ,
Et l'eſpoir dans mon coeur anſſi-tôt ſe réveilles
Eglé , quoi , lui dis-je àmontour,
Ах М.
jeune Fale, dit:
OCTOBRE. 1753 . 171
L'Amour vous eſt connu ! quellerare merveille !
Mais hélas ! cet Amour , l'auteur de mon fouci ,
Ne le connoîtrez -vous qu'ici ?
L
J. F. Guichard.
SPECTACLES.
'Académie Royale de Muſique continue tou
jours lesfêtesdePolymnie. Elle en a donné le
Dimanche16,une repréſentation gratis à l'oce hon
dela naillance de Monſeigneur le Duc d'Aquitaine.
Cette Académie a remé les fetes de i olymnie ,
pour les remettre au retour de Fontainebleau ,&
adonné Dimanche 23 Sep embre , la premiere
repréſentation des Artijans de qualité&de la Pipér
Intermédes Italiens. Nous rendrons compteicmois
procham de cette nouveauté.
Les Comédiens François ont donné le Samedi
ας Août Merope , Tragédie , dans laquelle M.le
Jeune , Acteur nouvellement arrivé de Province ,
a repréſenté le rôle d'Egiſthe ; il a joué le lendem
main celui de Valére dans la Comédie du Mé
chant ; ſes autres rôles de début ont été Frederic,
dans Gustave ; dipe , dans la Tragédie de ce
nom; & Titus , dansBrutus. Il s'en taut bienque
cet Acteur foit formé ; mais il n'est pas lans elpérance,
ayant la voix & la figure agreables ; ila meme
montré de l'intelligence ,& de l'ame danspluſieurs
Scenes. Les mêmes Comédiens ont remis
au Théatre , le Lundi 10du mois dernier , le Bourgeois
Gentilhomme, avec tous ſes agrémens , certe
Comédie eft auſſi bien rendue qu'elle pouvoitl'être.
Les rôles du Bourgeois, de Madame Jourdain,
Hy
<
172 MERCURE DE FRANCE .
de Lucile , de Nicole & de Dorimene , font rem
plis par M. Armand , Miles la Mothe , Grandval ,
Dangeville & Brillant ; & ceux de Cléonte , de
Corielle &du Comte , par M. Grandval , Dubois
& la Noue. On a jugé M. Armand ſupérieur à
feu Poiffon dans quelques Scénes , & inférieur
dans d'autres ; le public lui a témoigné par les applaudiſſemens
, combien il étoit fatisfait de cequ'il
s'eſt prêté à jouer un rôle qui n'eſt pas de ſon em -
ploi. Comme cet Acteur a des talens ſupérieurs ,
plus il jouera le Bourgeois Gentilhomme , & plus
il s'y distinguera. Le ſuccès de la Piéce n'eſt pas
aufli complet qu'on l'avoit cru ; bien des gens y
trouvent peu de vraiſemblance , des longueurs ,
trop de ſcénes de farce , & un mauvais dénoue- .
ment. Nonobſtant ces défauts , il nous paroît que
les beautés des deux premiers Actes , l'excellence
du dialogue , la variété du Spectacle , & la maniere
heureuſe dont les divertiſſemens font amenés
, doivent faire réuſſir cet ouvrage dans tous les
tems. Mlle Grandval joue avec une fineſſe inexprimable
la Scéne du dénouement qu'on ne daignoit
pas écouter autrefois : c'eſt le propre des
grandes Actrices de créer des ſituations. Onaunia
verſellement approuvé les Ballets ; ils font deM.
Sodi , qui danſa à la fin du dernier divertiſſement
avec la Dile Betina Buggiani ,&le Sieur Coſima
Maraneſi , un pas de trois dont on ne peut trop applaudir
l'exécution .
Les mêmes Comédiens ont donné le Mardi 18
Septembre gratis , pour la naiſſance de Monfeigneur
le Duc d'Aquitaine , le Philoſophe marié
Luivi d'un Ballet; & pour petite Piéce , le mari re
rouvé , avec le divertiſſement des Charbonniers .
OCTOBRE. 1753. 175
EXTRAIT des Femmes , Comédie-Ballet
en un Acte , parM. Mailhol , représentée
pour la premiere fois par les Comédiens Italiens
, le 2 Août 1753 .
ACTEURS .
La Folie ,
:
L'Amour ,
Pfiché ,
Arlequin.
Mlle Coraline ;
Mlle Fulquier ;
Mlle Favart ;
M. Carlin .
La Scéne eſtſur la terre.
EThéatre repréſente des côteaux , dont lebas
eſt arroſé de quelques ruiſſeaux ; on voit dans
l'éloignement des hommes & des femmes occupés
à travailler à la terre. Le Temple de la Folie paroît
dans l'un des côtés : un autel occupe le fond
du Théatre; il eſt couvert de fruits & de victimes.
La premiere Scéne ſe paſſe entre la Folie & Arlequin.
Ce dernier dit à la Folie que les hommes
ontraiſonde ſe plaindre de leur fort , &qu'il vaudroit
mieux n'être pas , qu'exifter & fouffrir ; la
Folie lui répond , que c'eſt la faute des hommes
s'ils font malheureux; que la raiſon leur a été
donnée avec la vie , qu'ils ont dédaigné ſes conſeils
, & que pour les en punir les Dieux les ont
foumis à ſa puiſſance ; que lui Arlequin , ne doit
pas être ſi fâché que les autres , puiſqu'elle lui a
donné la belle Pfiché. Arlequin replique à la Folie
que Pfiché le refuſe. Pfiché arrive toute effrayée ,
en diſant à la Folie que tout eſt perdu , que les
hommes ſe révoltent contre les Dieux , ſans être
épouvantés du fort des Titans , & que loin de
craindre la foudre , ils l'implorent , puiſqu'elle
Hiij
174MERCURE DEFRANCE.
peut terminer leurs maux. La Folie-eft fort embar
raflée du parti qu'elle doit prendre : Arlequin lui
conſeilledepartir pour les Cieux , & la prie de le
mettre du voyage , ainſi que Pfiché.
On entend un bruit confus & terrible ; les hommes
& les femmes qui travaillent dans le lointain ,
diſparoiſſent ; la Folie ſe renferme dans fon Temple,
Pfiché veut la ſuivre , mais Arlequin l'arrête.
Arlequin qui craint la fureur des hommes révoltés
, parle en tremblant de ſon amour à Pfiché ,
elle eſt également effrayée , & elle ne peut ſouffrir
Arlequin ; cependant pour Pobliger à la fecourir ,
elle lui promet de Paimer , elle lut jure même
qu'elle l'adore . Cela n'empêche pas à Arlequin ,
qui est plus poltton qu'amoureux ,de lalaiffer
feule ; il s'enfuit d'un côté du Théatre , & Pfiché
défeſpérée , fuit de l'autre. Un grand bruit , une
Symphonie vive annoncent les hommes; ilsparoif
fentarmés dehaches , de maſſues &de débris d'arbres
; ils expriment par une danſe terrible leurs
noirs deſſeins ; ils ſe diſperſent dans les campagnes,
détruiſent tout , & renverſent Pautel. La
Folie revient , & menace les hommes de la vengeance
des Dieux , s'ilsne les déſarment pas par
leurs remords. Les hommes loin d'écouter la Folie
, s'indignent de fes diſcours , ils l'environnent
endanſant ,& la contraignentde rentrer dans fon
Temple , qu'ils cabrafent avec des torches allumées.
Le tonnerre gronde , le fonds du Théatre ſe
couvre de nuages , qui s'entr'ouvrent enſuite ,&
Jaiflent voir da les airs l'Amour fur un
nuage
de feu , environné de génies : les hommes prennent
la fuite ; la Folie fort des minesde ſon Temple.
L'Amour & ſa ſuite deſcendent rapidement
furle Théatre. La Folic appercevant l'Amour,ne
L
OCTOBRE. 1753. 175
peut s'empêcher de rire de ceque le plus petis
desDieux eſt chargé du ſoin de leur vengeance :
'Amour mépriſe les railieries de la Folie, qui alors
affecte de prendre un ton ſérieux ,& lui demande
fi c'eſt à l'Amour de détruire le genre humain ?
l'Amour lui répond qu'il oublie ſon intérêt particulier
, quand il s'agit de la vengeance commune
des Dieux , d'ailleurs il prétend qu'il eſt un des
plus outragés : C'est moi , dit-il , qui pour diminuer
les maux des hommes , leur fis donner des femmes ; les
méchans , les ingrats qui par ce moyen participoient à
notre félicité, sefont arrogés far elles un pouvoir deſpotique,
les traitent en esclaves , & me puniſſent de mes
bienfaits. La Folie implore envain la clémence de
P'Amour en faveur des hommes ; l'Amour lui ordonne
de difparoître ,& la Folie le quitte en faifant
degrands éclars de tire. Alors les Génies atrivent,
l'Amour leur ordonne de le préparer àleconder
fon courroux.
Dans le tems que lesgénies s'excitent parune
danſe vive àbien remplir ſes ordres , on entend
une douce mélodie qui ralentit peu à-peu leurs
mouvemens , & enfin les rend immobiles ; une
Troupe de femmes couvertes de feuillages & de
fleurs , danſent autour d'eux ; la vue de ces ob
jets commence à adoucir l'Amour , && lui fait dif
férer la vengeance ; les génies paroiffent vouloir
fe défendre des careſſes des femmes , mais elles
les enchaînent avec des guirlandes de fleurs , Pfiché
paroît plus brillante que les autres femones
&après avoir danté autour de l'Amour , ellel'enchaine
ainſi que fes compagnes ont enchainé les
génies. L'Amour ne peut réſiſter anx charmes de
Piché , il lui offre ſes hommages , que Pliché reçoitavec
beaucoup de tendreſſe ; cela donne lieu
àune ſcene de galanterie , à la fin de laquelle
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE.
l'Amour tombe aux genoux de Pfiché. La Foliele
furprenant dans cette poſture , vient lui apprendre
que les Dieux ſont irrités de ſes lenteurs, qu'ils
ont entendu ſon entretien , & l'ont chargée de
venir l'interrompre : l'Amour ſe trouve dans une
cruelle alternative , d'un côté il craint de perdre
Pſiché , qui ne veut conſentir à ſon bonheur qu'à
condition qu'il pardonnera aux hommes ; de l'au
tre , il ne veutpas trahir la vengeance des Dieux :
dans cet état il prend la réſolution d'aller demander
dans l'Olympe la grace de l'univers. La Folie
qui s'eſt amuſée à ſes dépens , l'arrête , en lui diſant
qu'il n'en eft pas beſoin ; que le deſtin s'eſt
rendu , qu'il fait grace aux hommes en faveur des
femmes , qu'il immortaliſe Paché , que Venus
veut leur donner une fête , & les emmener enſuite
dans les Cieux : écoutez maintenant , ajoûte
la Folie , la suite de l'arrêt du deſtin. Les hommes
pour avoir eté ſauvés par les femmes qu'ils avoiens
outragées , feront à jamais foumis à leur puiſſance ;
elles les rendront heureux ou malheureux , fuivant
leur volonté , &peut- être leur caprice : d'elles seules
dépendra leurfort ; s'ils leur réſiſtent quelquefois , ce
ne ſera que pour céder ensuite avec plus d'éclat , &
pourmieux cimenter leur pouvoir ; enfin elles partageront
avec les Dieux les hommages de l'univers .
Les génies fortent , les femmes les ſuivent , &
Arlequin arrive bien ſurpris de trouver Pfiché immortelle
, & adorée par l'Amour. Il la réclame en
vain ; l'Amour lui dit que Pfiché ne l'aime pas ,
& qu'à ſa place il lui donne la Folie. Ce marché
eft accepté , & la Folie prend Arlequin pour fon
amant ,dans l'eſpoir que ſes ſingeries affermiront
ſon empire. Le ſpectacle eſt terminé par le Divertiffement
de l'Amour piqué par une abeille , &
guéri par un baifer de Venus . a
OCTOBRE. 1753. 177
EXTRAIT des Amours de Baſtien
& Baſtienne , Parodie du Devin du Village,
par Mile Favart & M. Harny.
ACTEURS
Baftien , M. Rochard.
Bastienne ,
Colas,
Mlle Favart.
M. Chanville.
Paysans,Paysannes.
Baſtienne ouvre la Scene par un Monologue ;
dans lequel elle ſe plaint de l'infidélité de Baftien ,
parqui elle ſe croit entierement abandonnée. Elle
apperçoit Colas qui deſcend d'une coline en chantant&
s'accompagnant de ſa cornemuſe ; comme
elle croit ce Colas un grand magicien , elle l'aborde
pour le conſulter ſur ſes amours avec Baftien,
& au lieu d'argent dont elle manque , elle
lui offre des boucles d'or fin pour le déterminer
la ſervir : Colas la tient quitte pour un baifer ,
qu'elle lui refuſe , en difant que tous ſes baiſers
font à Baftien , qu'elle les garde pour leur mariage.
Colas raflure Baſtienne à moitié , en lut
diſant que Baftien continue de l'aimer , mais que
cependant il eſt infidéle : Baſtienne répond qu'elle
ne veut point de partage. Colas lui apprend que
Bastien qui eft coquet , n'a pu s'empêcher de rendre
ſes hommages à la Dame du lieu , qui lui fait
des préſens conſidérables ; il conſeille en même
tems à Baſtienne d'affecter auprès de lui de la
gayeté& de la légereté pour le rendre conftant.
Baſtienne promet de ſuivre la leçon du magicien s
Baſtienne eſt bien malheureuſe , elle a refuſé un
Hv
178 MERCURE DEFRANCE .
Financier , & un petit Collet , qui vouloit la faire
lagouvernante , pour n'écouter que Baſtien qu'elle
adore; elle prend la réſolution de paroître co--
quette, & de faire ſemblant de fuir ſon amant ;
lle quitre enfuite Colas , en lui fafant d'humbles A
remercimens de ſes bons conſeils. Colas reſté ſeul,
xit de la fimplicité & de l'ingénuité de Baſtienne ,
qui ne reflemble pas à tant de filles de Paris qui
en revendent à leur mere. Bastien s'échappe desbras
de la Dame du Château , & vient trouver
Colas , pour ſçavoir des nouvelles de ſaBaſtienne.
Colas lui affure qu'elle a fait un nouvel amant ,
qui eft gentil au poffible. Baſtien en eſt déſefpéré,
& confulteColas ſur la maniere dont ils'y
prendra pour ravoir ſa belle : Colas tire de ſa befaceun
Livre de la Bibliotheque bleue , & faiten
liſant , pluſieurs contorſions qui font enfuirBaftien
: il revientun peu après , & Colasl'exhortte
mystérieuſement de prendre un air galant , & de
n'être pas un ignorant dans le tête-à-tête avec
Bastienne , finon il lui déclare qu'il la perdra pour
jamais. Baſtien eft bien inquiet de la maniere dont
il s'y prendra; la timidité le prend en appercevantBaftienne;
il ſe détermine cependant à luậ
parler , ce qu'il fait d'un air très-niais: Baſtienne
lai répond ſur le même ton : l'amour réciproque
qu'ils reffentent les échauffe inſenſiblement.
Baftienne , air : Des niais de Sologne..
Non, infidele ,
Cours à tabelle ;
Soins fuperftus ;
Non , Baſtien , je ne vous aimeplus.
Baltien.
Alabonne heur
1
4
OCTOBRE. 1793. 179
Tu veux que je meure ;
Eh bian, je vais ....
Du hamiau fortir pour jamais .
Bastienne.
L'ingrat me quitte.
Bastien.
Oui , tout de ſuite ;
Voudrois-tudone
Que j'aillions comm- çaſans façon
Etre de ton joli Monfieur
Le ſerviteur ?
Baftien,Bastien.
Baftienne.
Bastien.
Vous m'appellais.
Baftienne.
Vous vous trompais ;
Quand j'te plaifois ,
Dam' , tum'plaifois.
Baftien.
La belle marveille !
Quand tu m'aimois ,
Moi , j't'aimois.
Ensemble.
Tu me fuis; va,je te rend la pareille;
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE .
Deviens volage ,
Je me dégage ;
D'un autre amour
J'prétendons tâter à mon tour ;
Nouviau ménage
N'eſt qu'avantage ,
Et chacun m'dit
Que ça réveille l'appétit..
Baftien.
Quoique l'on priſe ,
Bastienne,
Quoique l'on dife ,
Bastien.
Cesgrand'maîtreſſes ,
Bastienne.
Desgrand'richeſſes ,
Bastien.
Si tu voulois
Baftienne.
Si tuvoulois
Ensemble.
Renouer nos amours ;
Jete pourrois
Bastien.
Toujours aimer.
OCTOBRE. 1753. 181
:
Bastienne.
Aimer toujours.
Baftien.
Rends moi ton coeur ;
Fais mon bonheur;
Viens dans mes bras.
Baftienne.
Hélas?
Qu'il eſt charmant
De faire un heureux dénoument !
Ensemble.
Vaje m'rengage ,
Et fans partage,
Tian, v'la ma foi.
Baftien. Ton cher Baſtien eſt tout à tois
Bastienne. Ta chere Baſtienne eſt toute à toi.
P
Plus de langage ,
De varbiage ;
Anos dépens
Ne faiſons pas rire les gens.
Colas revient voir Baftien avec Baftienne , &
un choeur de Payſans &de Payſannes chante leurs
amours.
Les mêmes Comédiens ont auſſi donné gratis le
Mardi 18 Septembre les Brouilleries nocturnes , piéce
Itali noe en deux Actes , fuivie des Masques de
Bezons , Ballet pantomime ; & pour petite Piéce
ร่
182 MERCURE DE FRANCE.
Ie Retour d'Arlequin , avec le Ballet des Savoyards.
L'Opéra Comique a repréſenté pour la premiere
fois le Lundi so Septembre ,le Plaisir&
P'Innocence, Piéce nouvelle en un Acte , qui a été
reçûe favorablement du Public. On avoit donné
leDimanche précédent la derniere repréſentation
des Troqueurs , qui ont attiré juſqu'à la fin des afſemblées
fort nombreuſes,
CONCERT SPIRITUEL.
L
EConcert du huit Septembre jour de laNaif
ſance de Monfeigneur le Duc d'Aquitaine ,
commença par leTeDeum, de Lalande. Le zéle&
P'activitédes Directeurs furent remarqués. Après
cemorceau que les diſpoſitions où on étoit rendoient
encore plus agréable qu'il ne l'eſt, on
exécuta une Symphonie de M. Pla , ce délicieux
Hautbois Eſpagnol , que nous avons le regret de
neplus entendre. Enſuite Deus venerunt gentes ,
Motetàgrand choeur de M. Fanton, M. Baptifte
joua une Sonatede violoncelle, de la compoſition
deM. Berteau , qui fut applaudie. M. Albaneze
chanta deux morceaux Italiens. M. Canavas joua
feul & avec goût. Le Concert finit par Diligam te,
Moter à grand choeur de M. Madin.
&B
4
- OCTOBRE. 1753.18
洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗海
NOUVELLES ETRANGERES.
C
DU NORD.
DE WARSOVIE ,le 10 Août.
Onſtantin & Matheo Woyda ont écrit au
Grand-Général de l'Armée de la Couron
ne , pour lui annoncer l'échange qu'ils ont fait de
leurs Principautés , par ordre de la Porte. En même
tems , ils l'ont affuré que le Grand Seigneur
leur avoit recommandé d'apporter toute l'atten.
tion poſſible au maintien dubon voifinage avec
laPologne.
DE STOCKHOLM , le 12Août..
La nouvelle Académie de Belles Lettres , for
mée ſous les aufpices & la direction de la Reine
atenu ſa premiere afſſemblée dans une Salle de
P'appartement de cette Princeffe. Sa Majesté dri
gna faire elle-même l'ouverture de la ſéance par
un Diſcours , auquel le Baron de Hopken , Préfident
de la Chancellerie , répondit pour l'Aca
démie. Le fieur Dalin , Bibliothéquaire du Roi ,
Précepteur du Prince Royal , & Sécrétaire de la
Compagnie , lut une Differtation fur la naiſſance
&le progrès des Sciences en Suéde. Il annonça ene
faite que la Reine avoit fondé un Prix d'Histoire ,
un d'Eloquence& un de Poefte , & que l'on commenceroit
l'année procchhaaiinnee àfairela diſtribution
de ces trois Prix , qui confiftent chacun en une
Médaille d'or de la valeur de trente ducats. L'A- $
184 MERCURE DE FRANCE.
cadémie propoſe pour le Prix d'Hiſtoire , d'éclaira
cir Si la Famille de Folkunger , qui a occupéfilongtems
le Trône de Suéde , étoit Suédoise ou Etrangere:
Le fujet donné pour le rix d'Eloquence eſt l'Eloge
de Gustave Adolphe , & l'on deftine le Prix de
Poësie à la meilleure Piéce de Vers ſur le Paſſage
des deux Belts par le Roi Charles -Gustave aves
Son Armée en 1658. On prie les Auteurs qui voudront
concourir , d'envoyer leurs ouvrages à M.
Dalin avant le premier Avril. Les loix du concours
feront les mêmes que celles qui s'obſervent
dans les autres Académies .
On doit travailler inceſſamment à l'érection de
la Pyramide que Sa Majesté Très-Chrétienne a
réſolu , avec l'agrément de cette Cour , de faire
élever à Tornéo.
DE COPPENHAGUE , le 24 Août.
Deux Bâtimens de la Compagnie générale du
Commerce font de retour de la côte de Groënlande
, d'où ils ont rapporté ſept Baleines & la
moitié d'une Le Navire le Prince Chriſtian , deftinépour
Saint Thomas en Guinée , ſe mit avanthier
en rade. On a ſéparé de l'Artillerie de la Masine
trois Compagnies de Matelots , qui ont tiré
au fort pour être incorporés dans d'autres Divifions.
Les Officiers de ces trois Compagnies ſesont
diſtribués dans les Provinces , & ils ſerons
chargés d'y faire la levée des Matelots dont on
aura beſoin,
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 4Août.
: Il paroît une Ordonnance , par laquelle le
OCTOBRE. 1753. 185
Gouvernement menace de peines rigoureuſes , les
foldats qui ſuppoſent des infirmités , ou qui s'en
procurent de réelles, pour ſe diſpenſer de fervir.
DE DRESDE , le 7 Août.
Cet Electorat , ainſi que tout l'Empire , était
innondé d'une multitude d'eſpéces de mauvais
aloi , le Gouvernement a réſolu d'en faite frapper
de nouvelles.
DEBERLIN , le 4 Septembre.
Le Prince Héréditaire de Brandebourg Anſpach
s'eſt rendu en cette Cour , ainſi que le Duc & le
Prince Héréditaire de Brunswic-Wolfenbuttel. fl
s'y trouve actuellement vingt- deux Princes de
l'Empire , attirés par la curioſité de voir le Camp
de Dobritz , dont l'ouverture s'eſt faite le premier
de ce mois. On ſert tous les jours dans ce Camp
aux dépens du Roi , differentes tables compoſant
enſemble trois cens couverts. Tous les Princes
Etrangers mangent à celle de Sa Majefté. Lestrois
Princes, freres du Roi , tiennent chacun une table
de cinquante couverts ,& chacun des trois Maréchaux
de laCour en tient une de quarante. Outre
cela , chaque Général a une table ouverte pourtous
les Officiers de ſon Régiment .
D'EMBDEN , le 9 Août.
: On commencera le 27 de ce mois la vente des
marchandises , que la Compagnie Aſiatique a reçues
de la Chine par le Vaiſſeau le Roi de Pruffe.
Le thé qu'on achetera de cette Compagnie , & qui
ſera deftiné à être conſommé dans les Etats de Sa
186MERCURE DEFRANCE.
Majesté , ne payera que dixGroſches de droit par
livre.
Comme pluſieurs Négocians Etrangers ont écrir
la Compagnie Afiatique , pour ſçavoir fi le paye.
ment des marchandises , qu'elle doit mettre en
vente le 27 , pourroit ſe faire en Lettres de change,
cette Compagnie déclaré qu'elle recevra celles
ſurdes maiſons fuffisamment connues à Amfterdam
, Anvers . Hambourg , Berlin & Francfort,.
pourvû que ces Lettres foient payables un mois au
plustard après leur acceptation.
DE RATISBONNE , le 11 Αοй!.
Les trois Colléges nommerent le &de ce mois,
ladignité de Feld-Maréchal de l'Empire , vacanse
par la mort du Prince Maximilien de Hetle
Caffel ,le Prince Louis de Brunswic-Wolfenbur
tel, Feld-Maréchal des Armées de l'Impératrice
Reine , & des troupes de la République des Pro
vinces Unies. Le Prince de Salm, Duc de Hoog
ftraten, Gouverneur de la Citadelle d'Anvers ,
s'eſtmis ſur les rangs pour laCharge de Général
d'Infanterie de l'Empire , dont le fen Comte de la
Marcx-Schleiden étoit revêtu.
ESPAGNE.
DE MADRID , le 21 Août.
Don Julien d'Arriaga , Préſident du Tribunal
de la Contractation des Indes , a donné avis au
Roi , que les Vaiſſeaux le Saint Joseph & Saint
Antoine, le Saint Michel , la Notre-Dame duRofai
re&le FoudreBiscayen , étoient entrés le 19 de cé
mois dans la Baye de Cadix. Les deux premiers
OCTOBRE. 1753 . 187
viennent de la Vera-Crux , & les deux autres de
Carthagène. S'étant joints à la Havane , ils en
ont fait voile pour l'Europe. Ils ont apporté la valeur
de deux millions quatre cens douze mille neuf
cens trente&une piaſtres , tant en eſpéces d'or &
d'argent qu'en vaiſſeile , fix mille trois cens trentequatre
émeraudes , cent quarante cinq mille deux
cens vingt cing livres de cochenille , ſeize mille
einq cens ſoixante & quinze d'anil ,dix-neuf cens
de cacao , cent de baume , cinq cens quatre-vingtquatre
de jalap , deux cens quinze de ſang-de-dragon,
ſept cens quatre vingt- ſept mille cinq cens
de tabac, quatre mille deux cens cinquante de
laine de Vigogne; cinquante trois caiffons de vanilles
, huit cens quatre vingt trois cailles de ſucre ,
quinze cens cuirs , & quinze cens ſoixante- fix quin.
tauxde bois deBrefil. Le Paquebot le SaintMichel,
appartenant à la Compagnie de la Havane , et
venude conſerve avec cesBâtimens.
ITALIE.
DEROME , le 31 Juillet.
Des voleurs ont arrêté le Courrier de Génes
entreMonte-Roffi & Ronciglione ,& ſe ſont ſaifis.
d'une malle, dans laquelle ilportoit pluſieurs effets
précieux.
Une Felouque , qui conduiſoiten Sicile les deux
célébres Muficiennes , Banderata & Gallinarina , a
été priſe par les Algériens .
Quelques particuliers propoſent de faire arriver
les eaux de la mer à ſept milles de cette Capitale,
encoupant une langue de terre du côté de Macareſe.
Ils offrent même de fournir l'argent néceffaire
pour ce travail , à condition de percevoir
188 MERCURE DE FRANCE.
ſeuls pendant trente ans le droit d'ancrage ſur les
Vaiſleaux qui mouilleront dans ce nouveau Port.
:
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 16 Août.
On fit le 4 de ce mois , en préſence des principaux
Officiers de l'Artillerie , l'épreuve d'une pié.
ce de canon , de l'invention du Sieur Bowen. Cette
piéce est très- courte , & n'eſt que de fix livres
de balle. En trois heures ſept minutes quarantecinq
ſecondes , elle tira trois cens coups , la charge
pour chaque boulet étant de dix- sept onces & demie.
Après cette épreuve , on vifita le canon , &
l'on reconnut qu'il n'avoit fouffert aucune altération.
Il eſt , au jugement des perſonnes qui l'ont
examiné , le meilleur en ce genre qu'on ait fait
juſqu'àpréſent pour le ſervice du Roi.
PAYS - BAS.
DE LA HAYE , le 7 Septembre.
La négociation pour un Traité de Commerce ,
entre le Roi des Deux Siciles & les Etats Généraux
ayant eu le ſuccès déſiré , ce Traité fut ſigné le 27
du mois dernier. Il contient quarante ſept arti
cles.
:
OCTOBRE. 1753. 189
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
18 Août dernier , le Roi revint du Château
Ldechory
Leurs Majeſtés , accompagnées de la Famille
Royale , aſſiſterent le 19 aux Vêpres & au Salut
dansla Chapelle .
LeursMajestés ont ſoupé le même jour au grand
couvert.
Le Contrat de mariage du Comte deMorangiés,
&de Marie- Paule-Théreſe de Beauvilliers, fille du
Duc de Saint-Aignan , fut figné le 19 par leurs
Majestés & par la Famille Royale.
Le 20, les Députés des Etats de Languedoc eurent
audience du Roi étant préſentés par le Prince
de Dombes , Gouverneur de la Province , & par le
Comte de Saint- Florentin , Miniſtre & Secrétaire
d'Etat , & conduits en la maniere accoûtumée par
le Marquis de Brezé ,Grand-Maître des Cérémonies.
La députation étoit compoſée pour leClergé,
de l'Archevêque de Narbonne , qui porta la parole;
du Marquis de Lanta , pour la Nobleſle; de
Meſſieurs de Baillarguet & de Voiſins , pour le
Tiers -Etat ; de M. de Montferrier , Syndic Général
de la Province , & de M. Guilleminet , Greffier des
Etats.
Ces Députés eurent enfuite audience de la Rei.
ne , de Monſeigneur le Dauphin , & de Madame
la Dauphine.
Le Roi alla le même jour tirer dans la Plaine de
Grenelle. Sa Majesté ſoupa le ſoir àMMontrouge
chez le Ducdela Valliere. Outre latable du Roi ,
790 MERCURE DEFRANCE.
ilyen eut pluſieurs autres ſervies avec autant de
délicatelle que de magnificence. Après le repas,
Sa Majesté te rendit àChoify.
Il y eut auffi le même jour , unConcert chez la
Reine. On y exécuta le Prologue & le premier
Acte de Roland.
La Ducheſſe de Mirepoix a été nommée Dame
du Palais de la Reine , à la place de la feue Comseffe
de Saulx-Tavannes.
Le 20 , M. de Lamoignon, Preſident Honoraire
du Parlement , prêca ferment de fidélité entre les
mains du Roi , pour la Charge de Prévôt Mait e
desCérémonies de l'Ordre Royal & Militane de
Saint Louis.
Sa Majesté a accordé au Marquis de Fontarge,
Mouſquetaire de la Premiere Compagnie , & àM.
de Vallory Capitaine de Cavalerie dans le Régis
ment d'Ecquevilly , les deux places d'Exempts des
Gardes du Corps , qui vaquoient dans la Compagnie
deCharoft par la retraite de M. de Treflos&
de Savy.
Le Roi ayant jugé à propos de donner unUnis
formeMilitaire aux Cent Suiſſes de ſa Garde, &de
leur Ster ſa Livrée , le Marquis de Courtanvaux
Capitaine Colonelde cette Compagnie , a préſenté
a Sa Majesté le modéle de l'Uniforme , & des Surtouts
de campagne , tant pour les Cent Suiffes que
pour leurs Tambours & pour leurs Fifres. L'habillement
des Cent Suiſſes eſt bleu , galonné d'or en
brandebourgs , avec deux galons ſur le parement
de la manche , lequel est d'écarlate. Il n'y a qu'un
bordé d'or au Surtout, Les Tambours & les Fifres
fontgalonnés de même que les Cent Suiſſes , mais
avecle galon de la Livrée du Roi , dans lequel il y
ade l'or melé avec la ſoye. Cette Compagnie a
pris fon nouvel Uniforme le jour de la Fête de Saint
OCTOBRE. 1753. 1
Louis. Eile conſerve toujours ſes anciens habits
pour les cérémonies.
Madame Victoire prit des eaux le 20 & leat ;
pour ſe purger par précaution.
Le23 , le Roi revint du Château de Choiſy
avecMonſeigneur le Dauphin , Madame Infante
Duchetſe de Parme , Madame Adélaïde , & Mel.
dames de France , qui étoient allés la veille y
joindre Sa Majesté .
Le 24 , le Corps de Ville ſe rendità Verſailles,
& ayant à la tête le Duc de Gelvres , Gouverneur
de Paris , il eut audience du Roi avec les cérémonies
accoutumées. Il fut préſenté à SaMajeſté
par le Comte d'Argenſon , Miniſtre & Sé.
crétaire d'État , & conduit par M. de Gifeux ,
Maître des Cérémonies en ſurvivance de M. Def
granges. Mrs Pafchalis & Caron , qui ont été
élus Echevins dans l'Aſſemblée du Corps de Ville
, tenue le 16 , pretérent entre les mains du
Roi le ferment de fidélité , dont le Comte d'Argenſon
fit la lecture , ainſi que du Scrutin , qui
fut préſenté à Sa Majesté par M. Moreau , Avocat
du Roi au Châtelet .
Le Corps de Ville eut enſuite l'honneur de ren
dre ſes reſpects à la Reine , à Monſeigneur le
Dauphin , à Madame la Dauphine , à Monſei
gneur le Duc de Bourgogne , à Madame , à Madame
Infante , à Madame Adélaïde , & à Melda
mes de France , étant préſenté & conduit en la
maniere ufitée.
Le 25 , jour de la Fête de Saint Lonis , le Roi
& la Reine , accompagnés de la Famille Royale ,
entendirentdans la Chapelle duChâteau la grande
Meſſe , les Vepres & le Salur , chantés par les
Miſſionnaires .
Suivant l'ufage , les Hautbois de la Chambre
:
192 MERCURE DEFRANCE.
jouerentdes Fanfares pendant le lever du Roi.
Leurs Majestés ſoupérent le foir au grand cou
vert avec Monſeigneur le Dauphin , Madame infante
, Madame Adélaïde , & Mesdames de Fran-.
ce. Pendant le ſouper , les vingt- quatre Violons
de la Chambre exécuterent différentes fuites de
ſymphonies de Mrs Rebel & Francoeur .
Le même jour , la Proceſſion des Carmes du
Grand Couvent , à laquelle le Corps de Ville affiſta
, alla fuivant la coutume à la Chapelle du
Palais des Thuilleries , où ces Religieux chanterent
la Meile .
L'Académie Françoiſe célébra auſſi le même
jour la Fête de Saint Louis dans la Chapelle du
Louvre. Pendant la Meſſe , le célébre Cafarieli
chanta divers morceaux de muſique. Il étoit accompagné
par pluſieurs Symphoniſtes qu'il avoit
choiſis lui- même. M. Bon , Theologal d'Autun ,
prononça après la Meſſe le Panegyrique du Saint.
La même Fête fut célébrée par l'Académie
Royale des Inſcriptions & Belles- Lettres , & par
celle des Sciences , dans l'Egliſe des Prêtres de
Poratoire , où le Panégyrique du Saint fut prononcé
par le Pere la Berthonie , Religieux Dominicain,
du Couvent de la Rue Saint Honoré.
L'après-midi , l'Académie Françoiſe tint une
Aſſemblée publique , dans laquelle elle donna le
Prix de Poësie , fondé par feu M. de Clermont-
Tonnerre , Evêque de Noyon . C'eſt M. le Miere ,
qui a remporté ce Prix. Le ſujet propoſé étoit ,
La tendreſſe de Louis XIV pour sa Famille. Lorf.
qu'on eut fait la lecture du Poëme de M. le Miere
, M. de Buffon, que l'Académie a élu à la place
du feu Archevêque de Sens , prononça fon Difcours
de remerciment , auquel M. de Moncrif ,
Directeur, répondit.
Cette
OCTOBRE. 1953 : 195
Cette année , l'Académie devoit diſtribuer trois
Prix , mais elle a jugé à propos d'en réſerver deux.
Ainti , le 25 Août 1754 , elle diſtribuera un Prix
d'Eloquence &deux de Poësie. Elle propoſe pour
le Prix d'Eloquence , qui eſt celui fondé par feu
M.de Balzac , le même ſujet qu'elle avoit propolé
pour 1753 : La crainte du ridicule étouffe plus
de talens & de vertus , qu'elle ne corrige de vices
de défauts : Parentes & Cognati irridebant vitam
ejus. Tob. c. 2. verf. 15. Les deux Prix de Poëfie
que l'Académie donnera l'année prochaine , font
de la fondation de M. Gaudron. Un des ſujets
propoſés eſt , l'Amour de la Patrie. L'autre eft,
'Empire de la Mode.
Le Roi partit le 26 pour Bellevue.
Le même jour , l'Académie Royale des Inf
criptions & Belles-Lettres eut l'honneur de pré-
Tenter à Leurs Majestés & à la Famille Royale les
Tomes XVIII , XIX & X X. de ſes Mémoi
tes. Ces trois Volumes comprennent les années
1744 , 1745 & 1746.
M. Guignon étant dans l'uſage dedonner tous
les ans un Concert à Monſeigneur le Dauphin
pour ſon bouquet , fit exécuter le 26 au foir ,
pendant le ſouper de ce Prince & de Madame la
Dauphine , pluſieurs morceaux de ſymphonie de
ſacompoſition.
Le départ de Madame Infante Ducheſſe de
Parme a été fixé au 26 Septembre. La ſanté de la
Marquiſe de Lede , Dame d'Honneur de Madame
Infante, ne lui permettant pas de l'accompagner à
Parme, la Comteſſe de Noaillesa été nommée par
le Roi , pour faire les fonctions de Dame d'Hon
neur auprès de cette Princeſſe juſqu'à Antibes , ou
Madame Infante s'embarquera. La Marquiſe de
Crufſol, épouſe du Miniſtre Plénipotentiairede Se
I
194 MERCURE DE FRANCE.
,
Majesté auprès de l'Infant Duc de Parme, aecompagnera
Madame Infante à Gênes , ainſi que
la Vicomteſſe de Narbonne * attachée à cette
Princeſſe. Le Comte de Noailles , Grand d'Eſpagnede
la premiere Claſſe , chargé des ordres du
Roi pour conduire Madame Infante juſqu'à Antibes
, ſe rendra à Parme après que la Princeſſe ſera
einbarquée. Le Bailly de Champignel , Exempt
desGardes du Corps dans la Compagnie de Villeroy,
commande le Détachement des Gardes ,
qui ſuit Madame Infante juſqu'à Antibes. Cette
Princeſſe trouvera à Gênes ſa Maiſon , qui la conduira
à Parme.
Le 27 , le Roi chaſſa dans la Plaine de Ge
nevilliers. Après la chaſſe , Sa Majesté alla ſo
repoſer dans la maiſon du Maréchal Duc de Richelieu
, & elle y foupa. Le repas fut précédé
d'un feu d'artifice dans le goût Chinois qui a
très-bien réuſſi , & dont le Roi a paru fort fatisfait.
Il y a eu pluſieurs tables magnifiquement
ſervies , en même tems que celle du Roi , pouf
toute la ſuite de Sa Majesté.
,
Ilyeut concert le 27& le 29 , chez la Reine:
Le 21 , il y en eut un chez Madame la Dauphine.
* La Vicomtesse de Narbonne dont nous parlons ,
attachée à Madame Infante Ducheſſe de Parme ,
n'est point la Vicomteſſe de Narbonne , foeur du Duc
de Fleury , épouse du Vicomte de Narbonne- Pellet ,
Lieutenant- Général des Armées du Roi , laquelle vit
dansſes terres avecson mari , n'étant attachée à aucune
Princeſſe ; mais la femme du Vicomte de Nare
bonne- Lara , Colonel du Régiment de Soiffonnois , d'une
maison différente de lapremiere. Voyez l'Histoire
généal. des Maiſons de France,par les PP. Anfelme
Simplicien.
OCTOBRE. 1755. 195
On y exécuta un Concerto de M. Mondonville. Un
Moter , composé par ce Muſicien ſur le même
Concerto , & dont les paroles font tirées du Pleaume
Laudate Dominum de Coelis , fut chanté par M.
Richer , Page de la Muſique. On chanta enſuite
In exitu Ifraël , nouveau Motet à grands choeurs ,
du même Auteur.
Le 25 & le 28 , M. Cafarieli , Muficien du Roi
des Deux Siciles , chanta pluſieurs airs Italiens
chez Madame la Dauphine , & il s'accompagna
du Clavecin.
Le Roi a accordé à M. de Barailh , Lieutenant-
Général des Armées Navales , la place de Vice-
Amiral vacante par la mort du Comtede Camilly,
& au Comte de Vaudreuil , Chef-d'Eſcadre , un
Brevet de Lieutenant Général des Armées Navales.
M. de Bart , premier Vice-Amiral , & le Comte
de Berchiny , Lieutenant Général des Armées du
Roi , ont été nommés Grands- Croix de l'Ordre
Royal & Militaire de Saint Louis. La place de
Commandeur à la penſion de trois mille livres ,
que la promotion du Comte de Berchiny fait va
quer dans l'Ordre , a été donnée par Sa Majeſté au
Chevalier de Croiſmare , Brigadier , Lieutenant-
Colonel du Régiment du Roi , Infanterie , qui
avoit obtenu , en attendant cette penſion , la permiſſion
de porter les honneurs de Commandeur.
Sa Majesté a diſpoſe du Gouvernementde Thion.
ville , qui vaquoit par la mort du Marquis de
Creil, en faveur du Comte de Courtomer , Lieutenant
Général des Armées du Roi , & Lieutenant-
Colonel du Régiment des Gardes Françoiſes .
Le 25 , M Heré , Premier Architecte du Roi
de PologneDuc de Lorraine & de Bar , préſenta
à Leurs Majestés & à la Famille Royale , un Res
I ij
196 MERCURE DEFRANCE.
cueil contenant non- ſeulement le Plan & les dife
rens aſpects de la Place Royale , bâtie à Nancy
par ordre de Sa Majesté Polonoiſe , pour y placer
Ja Statue du Roi , mais encore les Plans & les
Elévations des Edifices dont cette Place eſt entourée.
Ce Recueil eſt dédié au Roi.
Le 29 , le Roi ſe rendit au Château deChoiſy ,
d'où Sa Majeſté revint le 31 avec Mesdames de
France qui y étoient allées le 30.
Oncélébra le premier Septembre dans l'Egliſe
de l'Abbaye Royale de Saint Denis , avec les cérémonies
accoutumées , le Service qui s'y faic
tous les ans pour le repos de l'ame de Louis XIV ,
& l'Evêque d'Arras y officia pontificalement. Le
Prince de Dombes & le Duc de Penthievre y affifzerent
, aina que pluſieurs Seigneurs de la Cour .
Le 2, la Reine ſe trouva un peu incommodée
& le Roi foupa dans ſon appartement avec la Famille
Royale.
LaComteffe de Morangiés & la Marquiſe de
Marcieu rendirent le 2 pour la premiere fois leurs
reſpects à Leurs Majeftés.
Le même jour , l'Académie Royale des Scienees
ayant à ſa tête M. Rouille , qui préſide cette
année à la Compagnie , & le Comte d'Argenſon ,
qui eft, Vice-Préfident, eut l'honneur de préſenter
Leurs Majeftés & à la Famille Royale le Tome
de ſes Mémoires pour l'année 1749.
L'indiſpoſition de la Reine n'ayantpoint eu de
fuite , il y eut concert le 3 & les chez Sa Majeſté.
On a exécuté dans ces deux concerts les trois
derniers actes du Ballet des Elémens , dont les
paroles font deM. Roi , Chevalierde l'Ordre de
Saint Michel , & la Muſique de feu Deſtouches.
Le 4, M. Klefker Syndic, & M. d'Hagier ,
Sénateur , Députés de la Ville de Hambourg
OCTOBRE. 1753. 197
curent audience de Monſeigneur le Dauphin , de
Madame la Dauphine , de Monſeigneur leDuc de
Bourgogne & de Madame. Ils furent conduits à
ces audiences par M. Dufort , Introducteur des
Ambaſſadeurs.
Hier , Madame Infante Ducheſſe de Parme a
été purgée par précaution.
Le 6 , Madame Infante Ducheſſe de Parme continua
ſes eaux , & certe Princefle fut purgéeley
Madame Sophie eut le 6 unmouvementde fiévre.
Le 8 , M. de Labergement prêta ſerment entre
les mains de Sa Majesté , pour la Charge de Lieutenant
de Roi au Département de Châlons en
Bourgogne , vacante par la démiſſion du Comte
de Fueilleus.
Le même jour , à midi , Madame la Dauphine
ſentit des douleurs. Leurs Majestés , la Famille
Royale , les Princes & Princeſſesdu Sang , ſe rendirent,
ainſi que le Chancelier de France , les autres
Grands Officiers de la Couronne , & les Miniſtres ,
l'appartement de cette Princeſſe , où toute la
Cour ſe préſentaen foule. Madame la Dauphine
eut le tems d'entendre la Meffe , qui fut célébrée
dans ſonCabinet. Adeux heures après midi , cette
Princeſſe fut heureuſement délivrée ,& elle accoucha
d'un Prince , à qui le Roi a donné le titre de
Ducd'Aquitaine. Le Cardinal de Soubize , Grand.
Aumônier de France , fit la cérémonie de l'ondoyement
en préſence du Curé de la Paroiſſe du
Château. Le Garde des Sceaux , Grand Tréſorier
de l'Ordre du Saint Eſprit , apporta le Cordonde
eet Ordre , & il eut l'honneur de le paffer au cou
du Prince , qui fut remis entre les mains dela
Ducheffe de Tallard , Gouvernante des Enfans de
France. Elle préſenta Monſeigneur le Ducd'Aquitaine
àMadame la Dauphine. Enfuite elle porta
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
cePrince à l'appartement qui lui étoit deſtiné. Il
yfut conduit ſelon l'uſage par le Due de Villeroy ,
Capitainedes Gardes du Corps , en Quartier .
Le Roi , la Reine , Monſeigneur le Dauphirr ,
& Meſdames de France, ont laiſſé éclater la joye
que cet heureux évenement leur cauſe , & que la
Cour & la Ville partagent également.
Sur les cing heures , Leurs Majestés accompagnées
de la Famille Royale , ainſi que des Princes
& Princeſſes du Sang, & précédées des deux
Huiffiers de la Chambre , qui portoient leursMaffes
, allerent à la Chapelle. Elles entendirent les
Vêpres , chantées par la Muſique , &enſuite le
TeDeum, entonné par l'Abbé Gergoy , Chapelain
Ordinaire de la Chapelle-Muſique. M. Francoeur,
undes Surintendans de la Muſique de la Chambre
, fit exécuter le Motet compoſe ſur ce Pleaume
par feu la Lande.
Après le Salut , le Roi , là Reine , Monseigneur
leDauphin , Monſeigneur le Duc de Bourgogne ,
Monſeigneur le Duc d'Aquitaine , Madame , &
Mesdames de France , reçurent dans leurs appartemens
les révérences des Princes & Princefles da
Sang, des Grands Officiers de la Couronne , des
Miniſtres & des Seigneurs & Dames de la Cour.
Leurs Majeftés ſouperent au grand couvert avec
la Famille Royale.
و
Aminuit, par les ordres du Maréchal Duc de
Richelieu , Premier Gentilhomme de la Chambre
en exercice on tira dans la Place d'Armes un
beau bouquet d'artifice , dont l'exécution n'a laiffé
rien àdéfirer. Elle a été conduite par M. de Font
pertuis, Intendant des Menus Plaiſirs .
Lorſque Madame la Dauphine reſſentit les premieres
douleurs , le Roi chargea le Comte de
Saint- Florentin , Miniftre & Secrétaire d'Etat , de
OCTOBRE . 1753. 199
mander à l'Archevêque de Paris d'ordonner des
prieres publiques pour l'heureuſe délivrance de
cette Princeffe. Aufſi-tôt après les couches , la
Comte de Saint- Florentin dépêcha par ordre de Sa
Majefté un ſecond Courier à l'Archevêque , pour
lui annoncer la naiſſance deMonſeigneur leDuc
d'Aquitaine.
Le Roi a envoyé à Luneville M. de Lorme , un
de fes Gentilshommes ordinaires , pour donner
part de cette naiſſance au Roi de Pologne , Duc
de Lorraine & de Bar.
Les Prévôt des Marchands & Echevins , qui
s'étoient aſſemblés à l'Hôtel de Ville ,dès qu'ils
avoient appris que Madame la Dauphine avoit
fenti quelques douleurs , reçurent le 8 , à trois
heures après midi , la nouvelle de la naiſſance de
Monſeigneur le Duc d'Aquitaine , par M. de Pu
jol , Enſeigne des Gardes du Corps , qui ſert acsuellement
auprès de Madame la Dauphine , &
que le Roi avoit envoyé pour en donner part au
Corps de Ville. Dans le moment , les Prévôt des
Marchands & Echevins fitent annoncer à toute la
Ville par une ſalve de l'artillerie & par la cloche
de l'Hôtel de Ville , qui a ſonné juſqu'à minuit ,
Ja nouvelle faveur qu'il a plû à Dieu de répandre
fur la Famille Royale.
M. Deſgranges , Maître des Cérémonies , vint
fur les trois heures & demie à l'Hôtel de Ville , &
il y apporta les ordres du Roi , ſuivant leſquels les
Prévôt des Marchands & Echevins firent commencer
les réjouiſſances.
A ſept heures& demie du ſoir , il fut fait une
ſeconde ſalve de l'artillerie , après laquelle, les
Prévôt des Marchands & Echevins allumerent
avec les cérémonies ordinaires , le bucher qui
avoit été dreſſé dans la Place devant l'Hôtel de
I iiij.
200 MERCURE DE FRANCE:
Ville. On tira enſuite une grande quantité de fu
fées volantes : on fit couler dans les quatre coins:
'de la Place ,des Fontaines de vin ,& l'on diſtribua
dupain au peuple. Pluſieurs orcheſtres , remplis
deMuſiciens , mêlerent le ſon de leurs inſtrumens
aux acclamations dictées par l'allégreſſe publique.
La façade de l'Hôtel deVille fut illuminée pendant
la nuit par pluſieurs filets de terrines , ainſi
que l'Hôtel du Duc de Geſvres , Gouverneur de
Paris; celui du Prévôt des Marchands , & les
Maiſons des Echevins & Officiers du Bureau de la
Ville.
Cette même nuit , il y eut des illuminations
dans toutes les rues.
Le 9, pendant la Meſſe du Roi , on chanta le
Te Deum de la compoſition de M. Blanchart ,
Maître deMuſique de la Chapelle.
Le 11 , l'Abbé Branciforte , Nonce Extraordi
naire du Pape , eut une audience particuliere du
Roi , dans laquelle il prit congé de Sa Majesté.
Il fut conduit à cette audience , ainſi qu'à celles
de la Reine , de Monseigneur le Dauphin , de
Monſeigneur le Duc de Bourgogne , deMonfeigneur
le Duc d'Aquitaine , de Madame , deMadame
Infante , de Madame Adélaïde , & de Mefdames
Victoire , Sophie & Louiſe , par M. Dufort,
Introducteur des Ambaſſadeurs.
Le 16 , les Cours Supérieures & le Corps de
Ville , conformément aux ordres du Roi , aſſiſterent
au Te Deum , qui fut chanté folemnellement
dans l'Eglife Métropolitaine. Les Prévôt des Marchands
& Echevins firent tirer enfuite un magnifique
feu d'artifice dans la Place devant l'Hôtel
de Ville.
Le Roi ayant réſolu de faire camper annuellement
une partie de ſes troupes pour les exercer,
OCTOBRE. 1753. 201
Sa Majesté a fait former cette année ſix Camps ,
Içavoir un à Aymeries dans le Hainault , commandé
par le Prince de Soubize ; un près de Mezieres
ſur la frontiere de Champagne , commandé
par leMarquis deBrezé ; un ſous Sarrelonis , que
commandeM. deChevert ; un à ErſteinenAlface,
ſous les ordres du Marquis de Saint-Pern ; un à
Gray , dans le Comté de Bourgogne , fous ceux
du Duc de Randan, & un àBeaucaire en Languedoc
, commandé par M. de Crémille. Les troupes
qui compoſent ces Camps, demeureront affemblées
pendant tout le mois de Septembre.
La Chymie , indépendamment des lumieres
qu'elle fournit aux Phyſiciens & aux Médecins ,
étant utile à pluſieurs Artiftes , même à de ſimples
Artiſans , les Apothicaires de Paris veulent contribuer
, autant qu'il eſt en eux , à en faciliter
l'étude. Dans cette vûe , ils donneront à l'avenir
chaque année un Cours de Chymie gratuit dans
leur Laboratoire , rue de l'Arbalête , Faubourg
Saint Marceau. Ils doivent tour à tour , à cet effer ,
accorder leur temps , & faire la dépenſe néceffaire
pour les Opérations & les Démonſtrations.
Le premier Cours a commencé le 17 Août derpier.
Il continue tous les Lundis & les Jeudis à
trois heures après midi .
Le 14 , le Comte de Sartirane , Ambaſſadeuror
dinaire du Roi de Sardaigne , ent une audience
particuliere du Roi , dans laquelle il fit part à Sa
Majesté de l'heureux accouchement de Madame
la Ducheſſe de Savoye , & de la naiſſance d'une
Princ effe. Le Comte de Sartirane fut conduit à cette
audience , ainſi qu'à celle de la Reine , par M.
Dufort , Introducteur des Ambaſladeurs .
Le Roi ayant écrit à l'Archevêque de Paris ,
pour faire rendre à Dieu de ſolemnelles actions
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
de graces , à l'occafion de la naiſſance de Monfer
gneur le Duc d'Aquitaine , on chanta le 16 leTe
Deumdans l'Eglife Métropolitaine , & PArchevêt
que de Paris y officia pontificalement. Le Chancelier
& le Garde des Sceaux , accompagnés de
plufieurs Confeillers d'Etat & Maîtres des Requê
res , y'affifterent , ainſi que la Chambre des Comptes
, la Cour des Aides ,& le Corps de Ville , qui
y avoient été invitésde la part de Sa Majesté par
M. Deſgranges , Maître des Cérémonies.
Orrira le même jour dans la Place de l'Hôtel
de-Ville, par ordre des Prevêt des Marchands&
Echevins , un très-beau feu d'artifice . La décora--
tion repréſentoit un Temple d'Architecture Ionfque
, bâti fur une niontagne. L'édifice à l'exté
rieur étoit de forme quarrée. Deuxgroupes de colonnes
, placés de chaque côté des entrées princi
pales,portoient au-deſſus de leurs corniches l'écuffondes
armes de Monſeigneur le Duc d'Aquitaine,
auſquelles des Génies fervoientde fupports.
Les entre- colonnes étoient occupées par des Vertus
exécutées en bronze doré ,& portées fur des:
piedouches. Des Amours , qui voltigeoient autour
des colonnes, paroiffoients'empreffer d'y attacher
des guirlandes de fleurs. Au frontiſpice du grand
Portique étoit un Tableau , dans lequel on voyoit:
tous les Dieux affemblés . Le deſtin venantd'exau--
cer les voeux de la France ,la Déeſſe Iris affiſe fur
P'Arc- en- ciel , annonçoit à la terre cet heureux
événement. De pareils Tableaux ſervoient de corronnement
aux autres façades. La Gloire ,les Ver
tus & les Graces , exprimoient par leurs attitudes
lapart qu'elles prenoient à la naiſſance d'un Prins
ce, dont l'éducation alloit devenir l'objet de leurs:
foins. Dans les quatre angles de la décoration
Koient la Jeuneſſe , la Force,la Santé, laTempé
OCTOBRE. 1753. 203
vance , en bronze doré , ſur des piédeſtaux de marbre
bleu-turquin. L'intérieur du Temple étoit de
forme circulaire , & avoit pour fond un maffiforné
de pilaſtres qui ſoutenoient un entablement
furmonté par des caſſolettes de parfums. Une colonnade
entouroit le Sanctuaire. Au milieu étoit
un Autel , ſur lequel la France offroit un Sacrifice
en actions de graces. Tous les fonds de l'édifice ,
ſoit en dedans , ſoit en dehors , étoient feints de
marbre bleu-turquin ; les colonnes & les friſes , de:
marbre blanc- veiné ; les moulures des entablemens
, & les ornemens des friſes , de bronze doré
De la montagne , qui ſervoit de baſe à l'Architecture
, naiſſoient pluſieurs côteaux , dont less
plans diverſifiés , après avoir formé de grands bofquets
de verdure fur les angles , s'abaſſoient imperceptiblement
vers le milieu des façades de la
décoration. On appercevoit au centre de chaque:
boſquet un groupe de Fleuves en marbre blanc..
Les eaux qui fortoient des urnes ſur lesquels ils
étoient appuyés , ſe partageoient en differentess
caſcades pour l'embelliſſement du payſage dont:
l'édifice étoit environné. Elles alloient enſuite fe:
réunir au-devant des façades dans de riches baf--
fins , au milieu deſquels des Nayades & des Tritons
célébroient par leurs jeux & par leurs danſess
le ſujet de la fête.
L'artifice commença par une grande quantitéde
fuſées d'honneur , mêlées de fufées à quatre bran
ches , de compoſition Chinoife. A ces fufées fuc
céda une cascade de quarante pieds de haur , com
poſée auſſi en feu Chinois , & placée en facede
'Hôtel de Ville. Elle fut accompagnée de plusſſeurs
caifles. Enfuite parut danstout le pourtourt
duParc une cascade double , alternativement cot
ronnée d'arbres , de pots d'ordonnance & de potss
Ilvji
204 MERCURE DE FRANCE.
àaigrettes. Le haut de la Terraſſe dans les quatre
angles étoit garni de quatre piéces compoſéesen
feu brillant , à pluſieurs changemens. Cet effet
d'artifice fut ſuivi de trois ſoleils dans la principale
face,&dans les deux faces latérales. Celui de la
face , vis-à- vis de l'Hôtel de Ville , étoit de deux
cens rayons. Il portoit au centre les Chiffres de
Monſeigneur le Dauphin &de Madame la Dauphine.
Ces ſoleils furent accompagnés de caiſſes
&de pots d'ordonnance. Le feu fut terminé par
une guirlande de pots d'ordonnance&de fuſées
Chinoiſes. Il a été exécuté par M. Pierre Ruggieri ,
Artificier Italien .
Après l'artifice , la façade de l'Hôtel de Ville
fut illuminée , avec autant de goût que de magnificence.
Toutes les colonnes dans leur poustour
étoient garnies de lampions. Des filets de lumiere
regnoient le long des entablemens. Pluſieurs luf-.
tres , ſuſpendus par des neoeuds de gaze d'or , éclai
roient les autres parties. fronton,devant la
figure de Lutece , étoient les Armes de France en
transparent. La Place vis-à-vis de l'Hôtel de Ville
étoit entourée d'ifs ,portant chacun plus de cent
cinquante lumieres.
Au
Ily eut auſſi de magnifiques illuminations aux
Hôtels du Duc de Gevres & du Prevôt des Marchands
, ainſi qu'aux maiſons des Echevins , & des
principaux Officiers du Corps de Ville.
Des fontaines de vin coulerent dans ces differens
endroits , &dans p'uſieurs autres lieux de la
Ville , & l'on diftribua du pain& des viandes au
peuple. On avoit placé des orcheſtres par tout où
Je faifoient ces diftributions.
La cloche de l'Hôtel-de-Ville fonna en tocin ,
depuis cinq heures du matin juſqu'à minuit. Pendant
la journée,il y eut quatre ſalves d'artillerie,
OCTOBRE. 1753. 205
une à cinq heures du matin, une à midi , une pendant
leTeDeum , & la derniere avant le feu d'artifice.
Le17 , le Corps de Ville alla àl'Egliſe Paroifſialede
SaintJean en-Grêve , pour rendre àDier
ſes actions particulieres de graces , & il aſſiſta àun
Te Deum , qu'il fit chanter en muſique. L'Hôtel
de Ville , les Hôtels du Duc de Gêves &du Prevõt
des Marchands , & les maisons des Echevins
&des principaux Officiers du Corps de Ville , fu
sent de nouveau illuminés.
Le Roi alla le 16 à Trianon , & en revint le 19.
Le 20 , Sa Majesté s'eſt purgée avec des eaux , &
a continué le 21 & le 22..
Le Roi de Pologne , Due de Lorraine &deBar,
eſt arrivé le 19 de Luneville , entre fix & ſeptheu.
resdu foir. Les Compagnies des Gardes Françoiſes
& Suiſſes étoient en bataille dans la premiere Cour
du Château , & elles battirent aux champs.
Madame la Dauphine &Monseigneur le Duc
d'Aquitaine , ſe portent auſſi bien qu'on puiffe le
défirer.
Le Marquis de Biffy , Lieutenant Général des
'Armées du Roi , & ci devant Ambaſſadeur de Sa
Majesté auprès du Roi des Deux Siciles , a obtenu
du Roi la permiſſion de fe démettre du Gouvernement
des Ville & Château d'Auxonne en faveur
du Comte de Biſſy , fon neveu , BrigadierdeCavalerie
, & Enſeigne de la ſeconde Compagnie des
Mouſquetaires de la Garde de Sa Majefté.
Le Paſtel , lorſqu'il eſt employé par des mains
habiles , a tant de beauté , qu'on avoit vu longtems
avec peine que cette peinture , qui eſtune
eſpéce de crayon ,& qui ne tient aux tableaux
que par la tenuité de ſes parties , fürſujette à s'affoiblir
& à ſe dégrader par divers accidens inévita206
MERCURE DE FRANCE.
bles. DesPeintres célébres étoient enfin parvenus
àla fixer , mais ils étoient dans la néceſſité de redonner
après l'opération quelques touches dans
les clairs , pour leur rendre tout leur éclat. M.
Loriot , déja connu par pluſieurs machines d'Hydraulique
& de Statique , de ſon invention ,a
trouvé le moyen , non-feulement de fixer d'une
maniére folide toutes les parties d'un tableau en
pastel , mais encore de n'en point changer les
nuances , & de n'en point altérer la fraîcheur. Il
adéja fait l'eſſai de ſon ſecret ſur les ouvrages de
quelques-uns des plus grands Maîtres de l'art , &
tous conviennent qu'on ne pouvoit porter ce ſecret
àun plus hautdegré de perfection .
Le 20, les Actions de la Compagnie des Indes
étoient àdix- ſept cens trente- ſept livres dix ſols,
& les Billets de la ſeconde Lotterie Royale à fix
cens vingt- huit. Ceux de la premiere Lotterie
Royale n'ont point de prix fixe.
M. le Comte d'Argenſon eſt arrivé àlaFere
en Picardie, le 2 Août , a vû en arrivant le Bataillon
de Chabrié , de Royal Artillerie , lesCompagnies
de Mineurs de Douville , Châteaufer,
Gribeauval , & celle d'Ouvriers de Guille , qui
étoient en bataille ſur la Place des Cazernes : la
pluye abondante qui tomboit alors l'empêcha de
voir faire l'exercice & les évolutions à toutes ces
troupes , il fe contenta de les voir défiler devant lui
dans la cour des Cazazeerrnneess ,,& fut toutde ſuite à la
Salle des Mathématiques , oùles Officiers , Cadets
& Volontaires du Bataillon de l'Artillerie , des
Mineurs & Ouvriers démontrerent pendant trois
heures , des propoſitions ſur toutes les parties de
làGéométrie & Phyſique , les plus relatives à leur
métier. M. le-Comte d'Argenſon très- content de
OCTOBRE. 1753 . 207
Vapplication de tous les Corps , & de la façon
dont ils étoient inſtruits , en témoigna ſa fatisfaction
à M. le Pelletier , Meſtre-de- Camp , & commandant
l'Ecole de la Fere.
En fortant de là , fur les neuf heures du ſoir , il
vit tirerun Feu d'artifice que le Bataillon lui avoit
préparé, qui fit un effet admirable, qui fut précédé
par trois ſalves de mouſqueterie en feu de rempart;
le Miniſtre le regarda avec beaucoup de
complaiſance , & eut la bonté de dire qu'il n'en
avoit point vû de mieux exécuté. Un bouquet de
deux cens fufées qui terminoit l'artifice , fervit de
fignal pour illuminer les trois faces des Cazernes
&les Pavillons , par cinq cens lampions brillans
qui parurent à l'inſtant ; M. le Comte d'Agenſon
ne voulut pas ſe retirer qu'il n'eût parcouru cette
illumination , qui formoit un très-beau coup
d'oeil.
Le lendemain à fix heures du matin , il ſe rendir
au Polygone,où il trouva les troupes diſpoſéespour
Rattaque & la défenſe de la Place ; on fit d'abord
àfon arrivée jouer les fourneaux du premier étage
des mines des Aſſiégés ſous le glacis , & les Affiégeans
ſe ſervirent des entonnoirs que les mines
avoient formées pour s'y loger , & y établir une:
batterie qui fut conſtruite en moins de quatre
heures.
Il vint enfuite voir l'exercice des canons &
mortiers ; les ſalves furent très bonnes , il y eur
pluſieurs blancs emportés par le canon ,& quelques
bombes jettées au pied du but , & malgré la
pluye qui ne diſcontinuoit point pendant toutes
ces manoeuvres , le Miniſtre parcourut toutes les
piéces , & s'arrêta à chacune pour interroger les
Canonniers ſur toutes les differentes parties du canon&
de ſes agrêts , & généralement fur tout ce
quia rapport à leur métier,
L
208 MERCURE DE FRANCE.
Le tems s'étant un peu éclairci , il partit pour fe
rendre ſur la rive oppoſée de l'Oiſe , & voir jetter
deux ponts fur cette riviere. Pendant ce tems le
Bataillon ſe poſta partie en deça &partie en delà ,
pour en faire , avec la Compagnie d'Ouvriers de
Guille , la manoeuvre , ainſi que l'attaque & la
défenſe. L'opération commença parune faufle atsaque
ſur ladroite , & pendant qu'une partie des
troupes deſtinées à la défenſe , s'y porta ; on éta
blitun pont-volant , fur lequel on fit pafſferune
Compagnie de Grenadiers & deux piquets , dont
un ſe poſta à la tête du pont-volant , & l'autre
coula le long de la rive gauche avec la Compagnie
deGrenadiers , pour aller foutenir le grand pont
qui fut établi en moins d'un quart-d'heure. Toutes
lestroupes chargées de ladéfenſe ſe poſterent
alors vers les piquets & la Compagnie deGrenadiers;
mais la manoeuvre ayant été faite promptement
, le Bataillon paſſa ſur le pont avesquatre
piécesde canons ,&par un feu continuel àfonarrivée
, il força les troupes chargéesde la défenſe ,
àſe retirer.
Le Miniſtre parut auſſi ſatisfait de lapromptitude
de cette manoeuvre , que des mouvemensdes
troupes &de la vivacité de leur feu ; il rentra tout
de fuite à la ville pour dîner chez M. d'Abouille ,
Lieutenant Général , commandant l'Artillerie au
Département de Flandres , où il a logé pendant
ſon ſejour , & en partit à cinq heures pour s'en retourner
au Polygone , où l'on fit jouer les fourneaux
de mines des deux derniers étages; celui
de Châteaufer du fecond étage, fit ſauter labatterie
qu'on avoit établie de deux piéces de canon ,
dont une fut portée dans un ouvrage de la Place ,
à11 toiſes de la batterie ; & l'autre dans le follé
de cet ouvrage , à 7 toiſes. On fit jouer auffi pluOCTOBRE.
1753. 209
feurs fourneaux du ſecond étage , qui ont fait un
bon effet ; & les deux derniers du troifiéme étage ;
ſçavoir , celui de Gribeauval , de Douville &de
Châteaufer , ont formé chacun un entonnoir ; le
premier , de 18 toiſes de diametre , & l'autre de
60 ,&tous les deux de 20 à 25 pieds de profon
deur.
Ces opérations durerent juſqu'à la nuit , & le
Miniſtre en ſe retirant, donna ordre à M. de Chabrié
de tenir ſon Bataillon , avec les Compagnies
de Mineurs & Ouvriers ſous les armes , pour le
lendemain à dix heures du matin , ſur la Place des
Cazernes : il s'y rendit àl'heure indiquée pour en
faire la revue , & après avoir exactement viſité
tous les rangs , M. de Chabrié lui propoſa de voir
faire l'exercice à tous les Oficiers ſubalternes &
Cadets de ſon Bataillon , ce qui fut exécuté avec
grace &préciſion de la part de ces Meffieurs. Le
Miniſtre le vit faire enſuite àtout le Bataillon , ain
que tous les pas ſuivant la nouvelle inſtruction ,
&les évolutions à feu ; après quoi il vit défiler le
Bataillon qui ſe reforma enſuite devant lui pour
senvoyer ſes drapeaux , & rentrer après dans les
Cazernes , ſans que le Miniſtre ait voulu perdre
de vue une ſeule de ces démarches.
Il eut la bonté de témoigner ſa ſatisfaction de
tout ce qu'il avoit vû àtous les Corps , & ſurtout
àM. de Valliere , leur Inſpecteur , qui avoit dirigé
toutes ces differentes opérations ; après quoi il
pastit de là pours'en retourner àCom piégne.
210 MERCURE DEFRANCE!
LETTRE à M. le Comte de *** ,fur le
titre de Duc d'Aquitaine.
M
Onfieur , vous me faites trop d'honneur de
me confulter comme une perſonne ſçavante
dans notre Hiſtoire , & de m'inviter à faire une
Differtation fur l'Aquitaine , dont vous souhaiteriez
que j'apprifſſe au public l'étendue, les limites,
& les differentes révolutions arrivées dans cette
partie de notre Monarchie. Il ne m'en coûteroit
pour fatisfaire votre curiofité,que de copier ce qui
fe trouve imprimé dans deux ouvrages modernes.
Il ſera donc plus count , & pour vous & pour moi ,
que je me contente de vous les indiquer.
La feconde partie des Tablettes Historiques , page
219, en donne une idée qui peur ſuffire à biendes
perſonnes. Vous trouverez dans un autre ouvrage
dumêmeAuteur * , intitulé : GénéalogiesHſtoriques
de laMaiſonRoyale de France, in 4º, un détail plus
circonstancié , extrait du ſecond volume de l'Hiltoire
générale de Languedoc , par Don Vaiflette ,
fur les premiers Ducs d'Aquitaine , qui étoient de
la race de Clovis , & qui après avoir poſſedé pendant
plus de cent ans ce Duché , le premier Fief
Kéréditaire de la Couronne , en furent dépouillés
par Pepin & Charlemagne. 1
Ce volume qui réunit les avantages d'un bon
abrégé de l'Hiſtoire de France , & d'un détail Génealogique
des trois Races , eſt le ſeul ouvrage od
P'on trouve cette branche de la Race Mérovingienne
ſubdiviſée enpluſieurs autres , que l'Anteur a
expoſées d'une maniere très-claire dans des Tables
* M. de Chasot , qui demeure à l'Académie, rue
des Canettes , faubourg Saint Germain..
OCTOBRE. 1753. 211
généalogiques. La derniere , qui eſt la XXII .
page 86, eſt très-curieuſe : on y montre comment
Les trois Races Royales ſe trouvent réunies dans la
perſonne de Henri IV. de forte que l'on voit clai
rement que le nouveau Duc d'Aquitaine , dont la
naiſſance comble de joie tous les François , deſcend
des premiers Ducs de ce nom , & même de toutes
les branches formées par leur poſtérité , comme on
le démontre dans la même Table. Je ſuis , &c.
1
NAISSANCES ET MARIAGE.
Lepenier
E premier Août , la Marquiſe de Crufſol ,
Marquis de Cruffol , Miniſtre Plé
nipotentiaire du Roi auprès de l'Infant Duc de
Parme , eſt accouchée d'une fille , qui a été tenue
fur les Fonts par Monſeigneur le Dauphin &Madame
Infante , & nommée Louise-Henriette-Philippe-
Marie-Adelaide- Perette-Emanuelle.
Le 12 eſt né , & a été baptisé dans la Paroiſſe de:
Saint Roch , Marie-Louis-François , fils de Louis-
Hilaire de Boufchet , Chevalier , Comte de Sourches
, ci -devant Capitaine de Dragons au Régi--
ment de Languedoc , Chevalier de Saint Louis;,
&de Louiſe-Françoiſe le Vayer , mariée le 18 Jan--
vier 1747. Le parrein a été Louis de Bouſcher ,
Chevalier , Seigneur , Marquis de Sourches& du
Bellay , Comte de Montſoreau , &c. Lieutenant
Général des Armées du Roi ,Conſeiller d'Etar,
Prévôt de l'Hôtel du Roi , & Grand Prévôt de:
France , coufin germain du Comte de Sourches ;
la marreine Marie-Françoiſe de Catinat, épouſe de
Jean- François le Vayer , Chevalier,Conſeiller du
Roi en tous ſes Conſeils , Maître des Requêtes
ordinaire de ſon Hôtel, Seigneur desChâtelleniess
de Sable, Janſé , Bonperou , Saint- Cellerin , &c.
212 MERCURE DE FRANCE.
Nous avons eu lieu de parler de cette Maiſon
enpluſieurs occaſions. Voyez lesTablettes génea
logiques , vol. IV.page 116 , & vol. VI. page 10.
Voyez auffi fur cette Maiſon les Mercures deJuin
1746, le ſecond volume de Décembre 1747 , Juine
1748 , le ſecond volume de Décembre 1750 ,
P'Histoire des Grands Officiers de la Couronne ,
vol. IX. page 197
Le 26 , Madame la Comteſſe de Brionne accоц.
cha à Verfailles d'une Princeſſe.
Le 22 Août, Meffire Jean François- Charles de
Molette , Comte de Morangiés , Colonel du Régiment
d'Infanterie de Languedoc, épousa Marie-
Paule-Théreſe de Beauvilliers , fille de M. le Duc
de Saint Aignan,Pair de France, Chevalier des Or
dres du Roi , Lieutenant Général de ſesArmées ,
Gouverneur & Lieutenant Général pour Sa Majeſté
en ſes Provinces de Bourgogne , Breſſe , Bugey ,
Valromey & Gex , Gouverneur particulier'des
Ville & Citadelle du Havre & Pays en dépendans
des Ville & Château de Loches , Beaulieu ,Dijon ,
Saint Jean-de-Loſne , & Seurre , Grand-Bailli
d'Epée du Pays de Caux; l'un des Quarante de
P'Académie Françoiſe , & Honoraire de l'Acadé
mie Royale des Inſcriptions & Belles- Lettres , cidevantConfeiller
au Conſeil de Régence ,& Ambaſſadeur
du Roi à la Cour d'Eſpagne , enſuite auprès
du Saint Siége ; & de feue Marie-Geneviève
de Montlezun de Beſmaux. La Bénédiction nuptiale
leur a été donnée dans la Chapelle de l'Hôtel
de Saint-Aignan par l'Evêque de Meaux. Leur
Contrat de mariage avoit été ſigné le 19 du même
mois par Leurs Majeſtés & parla Famille Royale,
OCTOBRE. 1753. 21
J
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
E vous envoye , Monfieur , le calcul de l'é
clipſe du Soleil du mois d'Octobre prochain
qui a été lêû à l'Académie des Sciences , & auquel
onpeut joindre quelques additions.
,
Calcul de l'Eclipse du Soleil du 26 Octobre
1753. par M. Pingré , Chanoine Régulier
, Correspondant de l'Académie des
Sciences , de l'Académie de Rouen .
Le commencement à Paris à8heures 35 minu
tes 25 ſec. Le diametre de la Lune ſera pour lors
égal à celui du Soleil , ſçavoir de 32 min. 26fec.
La fin à .... 11 h.3 min. 29 fec . , & le diamétrede
la Lune ſurpaſſera pour lors celui du Soleil
de 7 à 8 ſecondes.
La plus grande quantité de l'Eclipſe ſerade8
doigts 53 min. & demie , c'est- à dire , qu'il y aura
àtrès peudechoſe près ,les trois quarts du Soleil
éclipſé; ce qui excéde d'environ un demi-doigt
ce qui a été annoncé dans nos Almanachs. M.
Pingré a fait le calcul ſur les Tables de M. Halley,
qu'il a rectifiées par les obſervations antérieures.
Il établit le milieu de l'Eclipse à 9 h. 46 min.
43 ſec. Le diamétre de la Lune étant alors de 4
fec. ſeulement plus grand que celui du Soleil.
Réflexions ſur les annonces que l'on fait vulgairement
aux Astronomes à l'occaſion de
cesEclipses.
Ces fortes d'annonces ou avis mériteroient bien
214MERCURE DE FRANCE.
d'être difcutés , & de ſubir en quelque façon une
critique rigoureuſe , avant que l'on expolât ceux
qui fe préparent à obſerver les Eclipſes dans le
cours de leur voyage , à faire des préparatifs fouvent
inutiles pour la fin qu'ils ſe propoſent , ſur la
foi de ces avis , lorſqu'on les a rendus publics.
Il a été publié un écrit en 1748 à Paris , & des
Cartes à Nuremberg , qui annonçoient l'Eclipſe
du mois de Juillet de cette année là , preſque centrale
& annulaire à Berlin , & aux environs d'Edimbourg
: il yavoit dans cette annonce de grandes
erreurs , car on y établiſſoit d'abord les latitudes
de ces deux Villes toutes les deux défectueuſes de
pluſieurs minutes. C'eſt pourquoi le reſte de la
differtation rouloit ſur un fondement bien peu folide
; mais ce qu'il y eut de plus fingulier dans
l'événement , c'eſt que l'une & l'autre Ville ſe
trouvât au terme de l'Eclipſe annulaire , & qu'il
auroit fallu monter près de 20 à 30 lieues plus
vers le Nord , pour voir cette Eclipſe centrale.
La même choſe , ſi l'on n'y prend pas garde ,
pourroit arriver cette année ci , s'il paroît quelqu'annonce
à l'occaſion de l'Eclipse; & nous fommes
bien fâchés que cela n'ait pas été dilcuté depuis
fix mois , afin qu'en Eſpagne on pût mieux,
reconnoître les ſituations qui conviennent à la
trace de l'Eclipse centrale , qui paſſera ſur ce
Royaume. 1
Car pour revenir aux latitudes corrigées , qui
doivent avant toutes choſes , précéder le calcul
de l'Eclipse , M. *** qui a difcuté dans des momens
de loiſir , la ſituation des principales Villes.
& Ports de la Méditerranée , nous a fait part
d'une remarque aſſez finguliere , & qui a un rap
port bien immédiat avec notre Eclipſe .
Carthagêne eſt un lieu trop connu pour qu'on
OCTOBRE. 1753. 115
oublie plus long-tems d'en inſerer la poſition dans
les Tables Géographiques. Cependant quoique ſa
Jatitude ſoit connue , on pourroit s'y tromper , &
tomber par là dans de grandes erreurs dans lecalcul
de l'Eclipſe, ainſi que M. *** l'a déja remarqué,
Car la Carte de Guillaume Deliſle donne la latitude
de Carthagêne de 37 dégrés 20 minute s; au
lieu que ſi l'on cherche à la page 93 des Obſervations
Aftronomiques , &c. du P. Feuillée Minime,
l'on y trouvera cette latitude de 16 minutes & demie
plus grande ; c'est-à-dire de 37 deg. 36 à 37,
minutes.
Je ſuis toujours étonné de trouver Carthagêne
des Indes Orientales dans les Tables Géographi
ques, & qu'on y ait oublié Carthagêne d'Europe
Aſſurément unGéographe qui annonceroit l'Eclipſe
centrale & annulaire du mois d'Octobre , ſe
donneroit , ſans doute , bien de garde de laiſſer
entreprendre à ſes amis, le calculde l'Eclipfe centrale
pour cette Ville-là avant que d'en corriger
la latitude; car ſans cela le calculateur ne tomberoit-
il pas dans une mépriſe encore plus dangereuſe
que celle dont nous avons été témoins en 1748 .
,
Errata du Mercure de Septembre.
Page 88 , ligne I , en retirant , lifez en retenanta
Page 93 , lig . 20 , queſtion , lifez opération.
Page 95 , lig. 26 , méſoraïques , lifez méféraïques.
J
APPROBATION.
'Ai lû , par ordre de Monſeigneur le Chance
lier , le volume du Mercure de France du mois
d'Octobre. A Chaſſagne , le 25 Septembre 1753 .
: LAVIROTTE,
216
PVC
TABLE.
IECES FUGITIVES en Vers & en Profes
Vers pour Mlle B **. Par L. Dutens , page 3
Vers à un Menteur , par le même ,
Réflexions ſur l'utilité des Compagnies Littéraires.
Par M. Roupnel de Chenilly ,
Corine & Athis. Poëme Pastoral , &c. 30
Differtation historique ſur le Droit & le Barreau
de Rome., 40
Vers à S. A. S. Monſeigneur le Comte de Clermont
, à l'occaſion de la fête, 62
Vers à Mile Gaudin , 63
Aſſemblée publique de l'Académie des Belles-Lettres
de la Rochelle , 64
Motsde l'Enigme & des Logogryphes du dernier
Mercure, 123
Enigme& Logogryphes , ibid,
Nouvelles Littéraires , 103
Réflexions ſur la longitude de Toulouſe , 148
Lettre de M. *** *** , au Château de Prepatour
, 151
Beaux Arts , 158
Air , 370
Spectacles, 171
Concert Spirituel , 182
Nouvelles Etrangeres , 183
France. Nouvelles de la Cour ,de Paris , &c. 189
Lettre à M. le Comte de *** ſur le titre de Duc
d'Aquitaine , 210
Naiſſances & mariage , 211
Lettre à l'Auteur du Mercure , ſur l'Eclipse de
Soleil du 26 Octobre , 213
LaChanson notée doit regarder lapage 170.
De l'Imprimerie de J. BULLOT.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÈDIÈ AU ROI.
NOVEMBRE.
IGITUT SPARGAT
1753 .
apillon
S
Chez
S
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix:
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT , Quai de Conty ,
defcente du Pont-Neuf.
à la
DUCHESNE , rue Saint Jacques,
au Temple du Goût.
M. DCC. LIII.
Avec Approbation &Privilégedu Roi.
AVIS.
'ADRESSE du Mercure est à M. MERIEN
LCommis auMercure, rue des Foffez S. Germain
PAuxerrois , au coin de celle de l'Arbre-fec , pourremettre
à M. l'AbbéRaynal.
Nous prions très -instamment ceux qui nous adrefferont
des Paquets par la Pofte, d'en affranchir le port ,
pour nous épargner le déplaisir de les rebuter ,&à eux
celu de ne pas voir paroître leurs Ouvrages .
Les Libraires des Provinces ou des Pays Etrangers ,
quisouhaiteront avoir le Mercure de France de la pre.
miere main , & plus prompiement , n'auront qu'à
écrireà l'adreſſe ci-deſſus indiquée.
On l'envoye auſſi par la Poſte, aux perſonnes de Province
qui le defirent , les frais de la pofte ne font pas
confid rables.
On avertit auſſi que ceux qui voudront qu'on le porte
chez eux àParis chaque mois , n'ont qu'àfairesçavoir
leurs intentions , leur nom & leur demeure auditſieur
Merien,Commis au Mercure, on leur portera leMercure
très - exactement , moyennant 21 livres par an , qu'il
payeront ,sçavoir , 10 liv. 10f. en recevant le ſecond
volume de Juin , & 101. 10 f. en recevant leſecond
volume de Décembre. On les supplie instamment de
donner leurs ordres pour que ces payemens foient faits
dans leur tems.
On prie auffi les personnes de Province , à qui en
envoye leMercure par la Pofte , d'étre exactes à faire
payer au Bureau du Mercure à la fin de chaquefemeftre
,fans cela on eroit hors d'état de soutenir les
avances confidérables qu'exige l'impreſſion de cer
ouvrage.
On adreſſe lamême priere aux Libraires de Province.
On trouvera le ſieur Merien chez lui , les mercredi,
vendredi& samedi de chaque semaine.
ΡΚΙΣ ΧΧX. SOLS.
MERCURE
DE FRANCE ,
1 1
DÉDIÉ AU ROI.
NOVEMBRE. 1753 .
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
VERS
Sur la naiſſance de Monseigneur le Duc
d'AQUITAINE.
:
:
Virg. Eclog. 4.
Incipe , parve puer , riſu cognofcere matrem.
4
Uel eſt , dans ce brillant ſéjour ,
Q
Le ſpectacle qui ſe déploye ?
Un nouveau Bourbon voit le jour :
La Vertu , la Gloire & l'Amour
En ont pouſſé des cris de joye.
A ij
MERCURE DEFRANCE.
:
L'Amour triomphant & charmé
Contemple ſon nouvel ouvrage :
Avec lui la Gloire partage
L'honneur de l'avoir animé :
A ſon tour la Vertu s'engage
A faire adorer d'âge en âge
L'auguſte ſang qui l'a formé ,
Et dont le plus bel héritage
Fut toujours le don d'être aimé.
Quelle Divinité nouvelle
Sourit en voyant ce berceau ?
Rubens , que n'ai-je ton pincean ;
Qu que n'avois-tu mon modéle !
Auguſte enfant , reconnoiſlez ,
A ce ſourire plein de charmes ,
A ces yeux tendrement fixés
Sur le cher objet de leurs larmes,
L'Héroïne dont vous naiffez .
En vous , de la plus belle flamme
Elle adore le nouveau fruit :
En vous , elle voit reproduit
L'Epoux qui regne dans ſon ame &
Cet Epoux tendre & fortuné ,
Cet Epoux, le plus digne Pere ,
Après celui dont il eſt né ,
Que jamais le Deftin profpere
Au plus heureux Fils ait donné.
:
NOVEMBRE. 1753. 5
FRANCE , le tendre amour de Mere ,
N'eſt pas dans ce moment flatteur ,
Le ſeul intérêt de ſon coeur :
Dans fon Fils elle voit ton Pere.
Aini les Palmiers amoureux
Dont l'Inde embellit ſon rivage ,
Etendent leur riche feuillage ,
Et ſe coaronnent moins pour eux ,
Que pour les habitans heureux
Qui repoſent ſous leur ombrage.
Déja ces deux Aſtres nouveaux
Qui viennent d'ouvrit leur carriere ,
Des premiers traits de leur lumiere
Semblent foudroyer nos rivaux,
La paix ſe faitde leurs berceaux
Une impénétrable barriere :
La Diſcorde éteint ſes flambeaux,
Et fuit cette vaſte Frontiere ,
Comme on voit du milieu des eaux
Les vents retourner en arriere
Au figne brillant des Jumeaux.
Tige des Lys , d'où ſont éclos
Les gages du bonheur du monde ,
Aſſure à jamais ſon repos.
On ne peut être affez féconde ,
Lorſqu'on enfante des Héros.
ParM. Marmontel.
Aiij
6 MERCURE DE FRANCE..
DISSERTATION
Sur la Devise du Roi Louis XII.
Rantôme & après lui le Pere Daniel
B
nous diſentque Louis XII. avoit pour
deviſe un Porc épi , avec ces paroles cominus
& eminus ; mais il ne nous apprennent
point quelle en étoit l'origine. Ils ſemblent
feulement vouloir infinuer que ce Prince
l'avoit choiſie , & l'avoit compoſée luimême
; au lieu qu'ils auroient dû nous
dire que c'étoit la deviſe d'un Ordre de
Chevalerie dont les Ducs d'Orléans
étoient les Chefs , & qui avoir été inſtitué
plus de cent ans avant que Louis XII.
parvint à la Couronne.
د
Ce fut en effet Louis d'Orléans , frere
du Roi Charles VI , qui en 1393 , à l'ocfion
de la naiſſance de Charles d'Orléans
fon fils & fon ſucceſſeur , inſtitua cet Ordre
, qui fut appellé l'Ordre du Porcépi
, ou du Camail , ou d'Orléans. Car
on lui donnoit également ces trois noms.
Quelques Auteurs doutent de cette époque&
de cetre ancienneté de l'Ordre d'Orléans
, entr'autres M. Gueret , Doyen Préfident
de la Chambre des Comptes de
NOVEMBRE. 1753 .
Blois , qui inféra dans le Journal de Trévoux
du mois d'Août 1725 , trois Problêmes
hiſtoriques ſur cet Ordre. Le premier
, pour prouver qu'il s'appelloit uniquement
l'Ordre du Camail ; l'autre ,
pour prouver qu'il tiroit ſon étymologie
de Cap maille , à cauſe que le camail ou
colier de cet Ordre étoit une eſpéce
d'hauffe-col , ou un manteau , ou Capmaillé
, comme le reſte des armures des
Chevaliers ; le troiſieme , pour prouver
que l'inſtitution de cet Ordre ne remontoit
pas plus haut que l'an 1435
Lesdeux premiers points font aſſez indifférens
, mais les preuves qu'allégue cet
Auteur pour appuyer for ſentiment fur le
troiſieme , qui concerne le tems de l'inftitution
de l'Ordre , ne ſont rien moins
que déciſives . Il ne s'en trouve rien , dit- il ,
dans la Chambre des Comptes de Blois , qui
conſerve les titres , &c . concernant la maison
d'Orléans , depuis 1191 jusqu'en 1498 ; &
les premieres listes de Chevaliers qu'on y trouve
nefont que de l'an 1435 &ſuivans.
J
Mais M. Gueret ne fait pas attention
que ſi cette preuve avoit quelque force
contre l'époque que je propoſe , elle détruiroit
également celle qu'il a lui-même
adoptée : le titre de l'inſtitution de l'Ordre
ne ſe trouvant pas plus à la Chambre des
Aiiij
• MERCURE DE FRANCE:
Compres de Blois ſous l'année 1435 que
ſous l'an 1393 , ou bien il faudroit en
conclure abſolument que cet Ordre n'a
jamais exiſté ; ce que M. Gueret ne voudroit
pas , puiſqu'il en trouve des traces
évidentes dans ce même dépôt , où il ne
trouve point le titre de ſon inſtitution. II
faut donc plutôt en induire , ou que ce
titre s'eſt perdu par le laps de tems , ou
que l'Ordre a été établi ſans qu'il ait été
dreffé des Lettres de ſon inſtitution. Ce
qui ne paroîtra pas étonnant , lorſque l'on
Içaura que l'Ordre de la Toiſon d'or , auquel
celui- ci a fervi de modéle , a été pareillement
établi ſans l'appareil d'aucunes
Lettres Patentes , comme l'aſſure Monſtrelet,
ſous l'an de ſa Chronique 1429 .
Il ne faut , au reſte , que conſulter Mrs
'de Sainte- Marthe & Favin pour y trouver
de bonnes preuves de l'inſtitution de cette
Chevalerie en 1393 ; & Favin en particulier
nous aſſure qu'il a vû une Chronique
Françoiſe manufcrite , compoſée par
un héraut d'Orléans , avec cet air de fimplicité
qui n'annonce point le deſſeind'en
impoſer , qui rend compte de la maniere
dont elle fut inftituée , & du motif qui
engagea le Duc d'Orléans à l'établir .
Ce fut dans l'intention de ce Prince
pour s'attacher de braves Chevaliers , &
L
NOVEMBRE. 1753 . 2
ſe rendre redoutable au Duc de Bourgogne
, avec qui il étoit dans une guerre
perpétuelle. L'inſtitution de l'Ordre dans
Ia circonſtance de la naiſſance d'un héritier
, & par conféquent d'un défenſeur de
la maiſon d-Orléans , tendoit à montrer
qu'il ne redoutoit plus l'inimitié de fon
oncle , & que de près & de loin il ſeroit
déſormais en état de combattre & d'attaquer
; ce qu'exprimoit le ſymbole qu'il
avoit choifi , & les paroles qu'il avoit
données pour deviſe : cominus & eminus.
Une preuve bien certaine que cet Ordre
étoit du moins établi du vivant de Louis
premier Duc d'Orléans , & par conféquent
avant 1435 , c'eſt qu'en 1406 nous voyons
dans l'Hiſtoite de Charles VI , traduite
par le Laboureur , que ſept Chevaliers du
Duc d'Orléans demanderent la permiffion
de ſe battre pour la gloire de la Nation
contre un pareil nombre de Chevaliers
Anglois .
La Chronique de des Urſins nous ap
prend encore qu'en 1407 , le Dimanche
20 Novembre , trois jours avant l'affaffinat
de l'infortuné Duc d'Orléans , ce Prince
& le Duc de Bourgogne ſe réconcilierent
par l'entremiſe du Duc de Berry ,
qu'ils entendirent enſemble la Meffe , où
als communierent , qu'il y eut enfuite un
Av
TO MERCURE DE FRANCE.
grand dîner à l'Hôtel de Nefle , après lequel
le Duc d'Orléans préſenta le colier de
fon Ordre au Duc de Bourgogne , qui le
reçut en ſigne de réconciliation .
Enfin , pour fixer avec M. Gueret , l'inftitution
de l'Ordre d'Orléans à l'an 1435 ,
il faudroit néceſſairement l'attribuer à
Charles d'Orléans , qui pour lors étoit en
Angleterre , où il étoit détenu prifonnier
depuis la battaille d'Azincourt , perdue
par les François en 1415. Or à quel propos
ce Prince eût- il penfé, dans la vingtiéme
année de ſa priſon , à établir un Ordre
de Chevalerie ? l'auroit- il pû même dans
l'état & dans le pays où il ſe trouvoit ? au
lieu que l'occaſion dont parle Favin , que
je viens de citer , a par elle même quelque
chofe de frappant , eu égard aux circonftances
dans leſquelles ſe trouvoit alors la
maiſon d'Orléans ; & fi nous avons des
liſtes de Chevaliers reçus en 1435 & dans
les années ſuivantes, on peut bien en conclure
que Charles , quoique prifonnier ,
ait rempli les places vacantes de l'Ordre ,
mais non pas qu'il l'ait inſtitué , ſur tout
après les preuves que nous venons de donner
du contraire.
Quoiqu'il en ſoit , voici comment cet
Ordre étoit compoſé. Il étoit de vingtquatre
Chevaliers , non compris le Grand
NOVEMBRE. 1753. TF
6
Maître qui étoit le Duc d'Orléans , & ce
nombre fut augmenté dans la fuite. Chaque
Chevalier étoit tenu de faire preuve
de quatre races de nobleſſe. L'Ordre de la
Toiſon d'or inftitué par Philippe le Bon
Duc de Bourgogne , fur le modèle de ce
lui-ci , étoit composé pareillement de
vingt- quatre Chevaliers ; il exigeoit les
mêmes conditions pour la nobleſſe , & le
Prince avoit pareillement déclaré que le
nombre des Chevaliers pourroit être aug
menté , quand les conjonctures l'exigeroient.
Les Chevaliers d'Orléans portoient , fe
Ion Sainte-Marthe , le manteau violet de
velours , le mantelet d'hermine , & par
deſſus des chaînes d'or , au boutdeſquelles
pendoit un Porc-épi d'or fur une terraffe.
Chaque Chevalier faiſoit ferment au
Ducd'Orléans lors de fa réception : ce qui
fe prouve par les Lettres Patentes de Charles
d'Orléans , datées de S. Omer en 1440 ,
P'année de ſon retour. Elles autorifent
Henri de Villeblanche , grand Officier de
la maiſon d'Orléans , à recevoir le ferment
d'onze Chevaliers Bretons qui y font
nommés ,&que le Duc faiſoit Chevaliers
de fon Ordre. Quant à la teneur du fer
ment , nous l'ignorons encore ; & il feroit
à ſouhaiter que l'on pût en trouver la fort .
Avj
12 MERCURE DE FRANCE .
mule dans les Archives de la Chambre des
Compres de Blois. Au reſte , il eſt naturel
de préſumer que ce ſerment ſe rapportoit à
l'intention du Prince , inftituteur de l'Ordre
, & qu'il avoit pour but la défenſe &
l'honneur de la maiſon d'Orléans .
Ce qu'il y a de ſingulier , c'eſt que cet
Ordre avoit auſſi des Chevalieres , comme
il paroît par une liſte tirée de la Chambre
des Comptes de Blois , elle eſt du huit
Mars 1438 ; on y trouve nommés vingtcinq
Chevaliers ou Chevalieres. Mlledu
Murat & la Dame épouſe de Poton de Saintraille
étoient de ce nombre.
Louis XII . ſuccéda à fon pere & à fon
ayeul dans les fonctions de Chef de l'Ordre
d'Orléans. Il en donna des Lettres aux.
Cottereaux en 1498 , peu de tems avant
que de monter ſur le Trône. Mais dès
qu'il y fur affis , il l'abandonna pour celui
de S. Michel qui étoit encore dans tout
l'éclat de ſa nouveauté . Ce Prince netint
ſeulement le ſymbole & la deviſe de l'Ordre
qu'il ſupprima. Il appliqua au Royaume
ce qui avoit d'abord été imaginé pour
ſamaifon .
Il eſt donc évident que Brantôme &
ceux qui ont écrit d'après lui n'ontpas rencontré
juſte , quand ils ont voulu nous
donner à entendre que Louis XII . avoit
.NOVEMBRE.
1755. rp
été l'inventeur de la deviſe ſymbolique
qu'il a portée ; puiſqu'au contraire , ce fut
ce Prince qui éteignit l'Ordre de Chevalerie
auquel cette deviſe avoit été affectée, &
auquel elle devoit ſon origine. M. Gueret
n'a pas été plus heureux , en nous donnant
pour époque de l'inſtitution de l'Ordre
d'Orléans l'an 143.5 , au lieu de 1393 ,
qui eſt le vrai tems de ſa naiſſance.
Par feu M. Chesneau , Membre de la
Société Littéraire d'Orléans.
EGLOGUE
SUR la naiſſance de Monseigneur le Duc
d'Aquitaine , préſentée à Monseigneur le
Dauphin.
TIRCIS , ANNETTE. ::
ANNETTE. Elle estuninſtant ſuppoſéeſeule.
DAns ce verger déſert je devance l'Aurore
Pour implorer vos dons, Dieux puiſſans que j'a
dore!
Lebonheur de nos champs fut toujours aſſuré
Lorſque ſur les leçons d'un Paſteur révéré
Nous vîmes ſe former les bergers du village ,
Et, ſous lui de nos moeurs , faire l'apprentuflages
14 MERCURE DE FRANCE.
Louisdans ſes Etats eſt ce Paſteur vanté;
De ſes nombreux enfans modéle reſpecté ,
Il les formera tous aux vertus- les plus cheres :
En lui donnant des fils,vous nous donnez des peres
Aſſurez donc en eux le deſtin qu'il nous fait ,
Grands Dieux ! d'un Prince encor j'implore le
bienfait.
Qu'il naiſſe ! & c'en eſt fait , quoique pauvre ber
gére ,
Réduite par état au ſimple néceſſaire,
N'importe... j'y confens , & mon coeur l'a juré..
Un agneau m'est bien cher... je vous l'immolerai.
: TIRCIS .
Ah! rempliſſez vos voeux , ce Prince vient de nat
tre.
ANNETTE .
Tircis! .... d'un vain eſpoir vous me flatezpeut
être ! ...
Mais non ! trop de gaîté garantit vos diſcours !
TIRCIS.
Je ſuivois ce ruiſſeau dont le tranquille cours
En deux bras diviſé traverſe les prairies ,
Où nos mains au Printems cueillent des fleurs ché
ries;
Quand Coridon accourt d'un myrthe couronné,
Criant : Vive la France ! un Prince nous est né.
• Da fils de notre Roi l'Epouſe aimable & chere ,
• Eft d'un Prince nouveau la glorieuſe mere.
:
NOVEMBRE . 1753 . rf
>>Pour nous en rejouir j'aſſemble le hameau ;
>>>>Berger ,nous t'attendons avec ton chalumeau.
- Letendre Céladon y doit conduire Amynthe :
>>>On nouspromet auſſi le vieux Pasteur Philynte .
ANNETTE .
Nous les verrons , Tircis: jamais un jour plus
beau
Aux champêtres plaiſirs n'invita le hameau.
Ce qu'eſt à la brébis l'herbe qui vient d'éclore ,
Ala fleur de nos champs les larmes de l'Aurore ,
Ces deux enfans le ſont aux peuples enchantés ::
C'eſt à notre Soleil des rayons ajoutés ..
TIRCIS.
Si nos bergers jamais ont lû dans la Nature ;
De leurs talens divins ſi j'ai quelque teinture ,
De ce préſent des Cieux j'avois d'heureux ſoups
çons.
Hier , au jour naiſſant , un aigle & trois aiglons
En groupe réunis aux environs planerent ;
Sur la plus haute tour trois fois ils repoferent.
D'innombrables oiſeaux , accourus de nos bois,
Reſpectueux , ravis à l'aſpect de leurs Rois,
Firent de leur concert retentir le bocage.
Delongs battemens d'aîte honorant leur hommage
Ces aigles paroiffoient émus , reconnoiſſans.
Ils alloient , revenoient , empreflés , careſſans
Oquede chants nouveaux leur préſence fit naître
Que les Rois font aimés quand ils défirent l'être..
16 MERCURE DEFRANCE.
ANNETTE .
Je forme ici peut- être , un étrange ſouhait ;
Amon état privé fidéle par attrait ,
Je voudrois cependant de nos champs éloignée ,
Ala Cour de Louis paſſer quelque journée.
Ne vous allarmez point , & vertueux Tircis !
Je n'y chercherois pas ces ſuperbes lambris ,
Ces danſes , ces feſtins , ces plaifus magnifiques.
Que pour notre bonheur , ſous nosréduits ruftiques,
Notre ſimplicité veut que nous ignorions ,
La paix habite- t'elle avec les paffions!
Je n'y chercherois pas fille ſans modeſtie ,
Ces jardins où , dit- on , avec art traveſtie
Des femmes quelquefois l'importune laideur,
N'achete des attraits qu'au prix de la pudeur.
Une propreté ſimple , un vêtementde burre ,
Une fleur de nos champs , faut- il d'autre parure ? ...
Jechercherois Louis dans un moment ſi beau
Louis & fon Dauphin entourant un berceau.
Quels font là leurs tranſports, & que doivent- ils
dire?
Oquel heureux berger , habile às'introduire ,
De tout ce qu'on y voit ſe rendoit ſpectateur !
TIRCIS.
'Annette , à cet emploi m' nommé dans ſon coeur!
Mes voeux ſont prévenus. Loin de ces lieuxchampêtres
1
NOVEMBRE. 1753 . 17
Demain , dans leur palais j'adınirerai nos Maîtres
Que Tircis ne peut-il vous y voir avec lui !
Mais d'un pere caduc , unique & cher appui ,
Lui dérober en vous l'objet de ſa tendreſſe ,
Ce ſeroit au tombeau conduire ſa vieilleſſe .
J'irai ſeul; mais du moins j'irai pour tous les deux ;
Mon coeur y confondra mon hommage & vos
voeux...
Je puis plus. Mes ayeux m'ont tranfmis la hour
lette ,
Dont Apollon fit choix , lorſque du Prince Admete
On prétend que ce Dieu conduiſoit les troupeaux.
Je puis y joindre encor deux rares chalumeaux ,
Par qui , fur nos bergers , j'eus trois fois la victoire
Quand de Louis vainqueur nous exaltions la gloire
?
Anos Princes Enfans j'irai les préſenter.
NNETTE.
Que dites- vous , Tircis , oſez- vous vous flater,
Que de vos dons obſcurs on recevra l'hommage ?
Ah ! lorſqu'àvos regards s'offrira l'étalage
Des ſuperbes rubis , des métaux précieux ,
Confus ,déconcerté , vous baiſſerez les yeux.
TIR CIS .
Non , non : ma pauvreté n'a rien qui m'épou
vante ; -F
Tout hommage a ſon prix , quand le coeur le préſente.
18 MERCURE DEFRANCE.
1
Ces tréſors dont ici nous ferions éblouis ,
Annette , ne font pas le bonheur de Louis.
Chéris de ſes ſujets, leurs coeurs font ſes richeſſes
Des heureux contre moi , que prouvent les largeffes
?
Pour être mieux reçus aiment ils plus que moi ?
ANNETTE.
Vous m'inſpirez , Tircis , l'eſpoir que je vous voi.
Ecoutez : j'élevois deux jeunes tourterelles
D'une tendre union intéreſſans modéles ,
De ces époux chéris , c'eſt le ſymbole heureux.
Portez-leur.... Puiffiez-vous de retour en ces
lieux
De vos brillans ſuccès étonner nos bergeres !
Je me charge du ſoin de conduire aux fougeres
Vos troupeaux & les miens enſemble confondus .
Mais déja du Soleil les rayons étendus ,
Nous font de ſa chaleur fentir la violence ,
De la fêre au hameau l'heureux inftant s'avance:
Allons la célébrer , & par vos mains , Tircis ,
Sacrifier l'agneau que mes voeux ont promis.
Dupainde Friel.
2
NOVEMBRE. 1753 . 19
SUITE de la Differtation ſur le Droit
Ole Barreau de Rome.
Près avoir parlé de l'origine &du
A engi il reſte
à donner une idée légére des Avocats &
du Barreau de Rome.
Dans les premiers tems , les Avocats
n'avoient aucune connoiſſance du Droit.
Ils étoient de ſimples parens ou amis qui
de l'affaire d'un client faiſoient la leur propre
, & la follicitoient. Ils afſfembloient
tun grand concours de Citoyens par leurs
acclamations ou par leurs pleurs ; arrivés
au lieu où le jugement devoit ſe rendre ,
ils tâchoient de toucher les Juges par ce
concours , voilà ce qu'on nommoit advocation
du mot advocare.
Les Avocats étoient d'abord de vrais
Supplians , le cortége qui les accompagnoit
influoit beaucoup ſur le ſuccès de la conreſtation.
Céſar , au Livre premier de ſes
Commentaires , parle d'un certain Vigetorix
, qui le jour que ſa cauſe devoit ſe
plaider , vint à l'audience ſuivi de ſa famille
, compoſée de près de dix mille hommes
, de ſes débiteurs en plus grand nombre
,&par ce moyen ſe tira d'affaire.
20 MERCURE DE FRANCE.
A ces premiers Avocats ſuccéderent les
Cogniteurs , fur quoi on peut voir Alciat
Parergon , Juris lib. 2. cap. 5. Ils étoient
habiles dans la Science du Droit , & parurent
lorſque Cneius Flavius eut publié le
Livre des Actions Appiennes , & les formulesdans
leſquelles elles étoient conçues.
Inſtruits des uſages du Barreau , ils confultoient
& aidoient les plaideurs , non par
leur ſimple préſence , ainſi que les Avocats
dont on vient de parler , mais par leurs
lumieres.
On vit en même tems des Cogniteurs
fubalternes , nommés Formulaires ou Praticiens
: ils s'occupoient uniquement de
l'ordre de la procédure , ils n'entendoient
ni la loi ni ſon eſprit , ils dreſſoient les libelles
, & conduiſoient l'inſtruction des
procès , ils ne portoient point la parole.
Cet avantage étoit réſervé aux Cogniteurs
de la premiere eſpéce qu'on nomma
Patrons , il n'étoit pas permis à ceux- ci
de s'étendre autant qu'ils le jugeoient à
propos , ils ſe reſſerroient ſelon les Clepsidres
, qui leur étoient donnés par les Juges,
&dont l'uſage venoit des Grecs.
LaClepfidre fut inventée par Clebibias :
c'étoit une machine hydraulique , ou une
eſpéce d'horloge d'eau , compoſée d'une
double phiole ; l'eau tomboit goute à goute
NOVEMBRE. 1753 . 21
de lapremiere qui étoit remplie , dans la
ſeconde qui étoit vuide ; le tems de l'écoulement
marquoit à l'Orateur celui dans
lequel il devoit finir ſes diſcours , les Juges
diſtribuoient des Clepſidres plus ou
moins grandes , ſelon la nature de l'affaire
qui étoit àdiſcuter ; on obſervoit néanmoins
que l'accuſé eût pour ſe juſtifier une
moitié de tems plus que l'accuſateur pour
le convaincre : cette difference équitable
fut introduite par Cneius Pompeius.
Derriere les Patrons étoient des Moniteurs
: ils avoient attention de réprimer les
faillies de l'Avocat lorſqu'il s'échauffoit
trop. Ils lui rappelloient auſſi les circonf
tances qu'il avoit omiſes.
Ces Moniteurs differoient peu des Gardiens
, nommés Cuftodes , dont l'office principal
conſiſtoit à tenir les boëtes ou lesfacs
dans leſquels les pièces du procès étoient
enfermées ; leur office avoit lieu ſur tout
pour les matieres criminelles , afin d'empêcher
la colluſion entre l'accuſateur &
l'accufé.
Dans les cauſes importantes , au lieu de
Patrons ordinaires , on avoit recours aux
Orateurs. Ceux- ci avoient rarement une
étude foncée du Droit, mais ils étoient éloquens
, leur ſtyle plus concis& plus châtié
que celui des ſimples Avocats , ils mon
:
22 MERCUREDEFRANCE .
toient quelquefois dans la Tribune , ils
haranguoient le Peuple& le Sénat , ce que
les Cogniteurs même du premier ordre ne
pouvoient faire.
On voit dans l'Hiſtoire que les Confuls,
les plus célébres Magiſtrats , les plus illuftresd'entre
les Patriciens , ſe faiſoient une
gloire d'exercer les fonctions d'Orateurs ,
tels furent Hortenfius ,Ciceron , Antoine,
Pline le jeune , & néanmoins il devoit
paroître indécent que ceux qui impofoient
Alence aux autres fuſſent ſujets à l'horloge
d'eau.
Dans le commencement les honoraires
des Avocats n'étoient pas fixés , l'Empereur
Claude fut le premier qui leur mit
des bornes. Il défendit de prendre au delà
de dix ſeſterces pour une cauſe , ce qui
revient à deux cens cinquante écus de notre
monnoye.
Le nombre des Avocats étoit réglé , &
non pas arbitraire comme parmi nous , ils
étoient exempts de ſubſides & autres charges
ſemblables : on appelloit ceux qui
avoient atteint la vétérance , du nom de
Comtes & de Clariffimes , qualité rare &
qui n'étoit même pas accordée à ceux qui
avoient ſervi vingt ans dans la guerre ; ils
avoient le pas fur les Chevaliers , on mettoit
des palmes devant leur maison , pour
NOVEMBRE. 1753 . 23
marquer que l'honneur étoit l'ame & l'objetde
leur profeſſion.
Non-feulement les Avocats parloient
debout , mais ils n'avoient point de barre
devant eux qui leur cachât la moitié du
corps. Avoient- ils fini ? pour peu que leur
diſcours eût eu de ſuccès , l'auditoire prodiguoit
fes éloges à voix haute , les Juges
eux mêmes ſe levoient ſouvent de deſſus
leurs fiéges &joignoient leurs acclamations
àcelles du public.
Si à Rome , les Avocats acquirent une
plus grande réputation que chez nous ,
cela vient moinsde la difference des talens,
quede la maniere d'étudier & de la nature
des cauſes.
Apeine un jeune homme qu'on deſtinoit
au Barrean, avoit-il atteint ſadix-feptiéme
année , qu'il y étoit préſenté en
pompe par les perſonnes de la premiere
diftinction ; on lui donnoit la robe virile ,
on le confioit à un Avocat célébre qu'il ne
quittoit preſque pas , qu'il voyoit préparer
, avec lequel il ſe formoit& qu'il prenoit
pour modéle.
Les cauſes étoient chez les Romains
beaucoup plus ſolemnelles que les nôtres
&plus ſuivies. Tantôt c'étoient des Gouverneurs
qui rendoient compte de leur
adminiſtration en public , & qu'on ac
24 MERCURE DE FRANCE.
cuſoit de'péculat , tantôt c'étoient des Provinces,
dont les Avocats étoient Protecteurs
& dont ils défendoient les intérêts ; ils
parloient ſouvent pour les Rois ou contre
cux.
Il y avoit cependant beaucoup moins
de jours pour vacquer à la diſcuſſion des
procès que parmi nous. De même qu'à
l'armée on distinguoit les jours de repos ,
dies juſti , de ceux appellés praliares ; ainſi
au Barreau ils étoient diviſés en jours de
filence, jours de parole ,jours intercis , nefastos
, faſtos , interciſos.
On regardoit les jours néfaſtes comme
privilégiés , le Préteur avoit alors la bouche
fermée. Ils ne pouvoit connoître d'aucun
differend. Tels étoient les jours religieux
ou de triomphe , ceux des jeux facrés
, de la naiſſance des Empereurs , &c .
Quant aux jours faſtes , il y en avoit de
pluſieurs eſpéces , ceux des Comices , Comitiales
; ceux des Foires , Naudina ( depuis
la Loi Hortensia ) car auparavant ils étoient
ſacrés ; ceux deſtinés àjuger les caufes des
Etrangers , des ſtati ; ceux des délais d'affignation
, comperendini ; ceux où le Sénat
avoit coûtume de s'affembler , ſçavoir , les
Calendes& les Ides , dies legitimi ; les jours
faſtes & néfaſtes ſe prenoient depuis le lever
du Soleil juſqu'au coucher.
Il
NOVEMBRE. 1753 .
25
Il n'en étoit pas de même des intercis,
fis étoient tronqués & imparfaits , partagés
entre les devoirs du culte & le ſoin des
affaires temporelles , on ne jugeoit ces
jours là ni le matin , ni le foir , mais dans
l'intervalle de l'un à l'autre , & entre les
facrifices , inter hoftiam caufam.
,
Telles étoient les Feries des Romains :
quant au lieu où ils rendoient la juſtice ,
ce fut d'abord dans le Forum , c'eſt à-dire
dans l'endroit où les Curies s'aſſembloient.
Ce Forum n'étoit pas couvert. En plaidant
fub dio , les Romains ſuivirent l'uſage de
la Gréce .
On distingua dans la ſuite les cauſesparticulieres
des publiques : comme les premieres
intéreſſoient plus de perſonnes ,
on crut que pour les traiter il ſeroit plus
commode de conſtruire un édifice , qu'on
appella Bafilique ; on continua d'agiter les
ſecondes dans les lieux des Comices, auprès
de la Tribune aux Harangues. Il faut remarquer
que ces dernieres étoient ou de
fait ou de droit , celles de fait fe jugeoient
fur le rapport d'un Tribun , celles de droit.
étoient du Reffort des Centuries , c'est-àdire
, des Juges des Décuries , tellement
que les cauſes privées devinrent Bafilicanes,
les autres reſterent fubdiales.
Il arriva ſouvent que pour être plaidées
B
26 MERCURE DE FRANCE.
dans l'Aire nuë , les cauſes publiques furent
très- mal jugées , ou ne le furent point du
tout ; on lit par exemple dans Valére-
Maxime , que Lucius Seſo obtint ſon renvoi
de la maniere qui ſuit : il tomba une
pluie violente, Lucius Piſo profita de cette
circonstance , il ſe proſterna aux piedsdes
Juges , il fe couvrit le viſage de boue , &
par ce moyen ramena les eſprits à la clémence;
felon le même Auteur , Appius
Claudius plaidoit en ſon nom lorſqu'ilfurvint
un orage , les Juges extrêmement
incommodés de la pluie leverent la Séance ,
crurent que les Dieux s'intéreſſoient à la
cauſe d'Appius , &n'oferent le faire recommencer.
Cependant le Peuple ſe contenta de cet
ancien Forum , juſqu'à ce que Jules-Céfar
en eût fait conſtruire un autre qui coûta
des frais immenfes , &dont on peut voir la
deſcription dans Vitruve , Livres. Les af.
faires s'étant multipliées avec le nombre
des Citoyens , Auguſte en fit élever un
troifiéme qui fut très-orné ; il y en eut un
quatrième , commencé par Domitien &
achevé par Nerva Céſar , mais le plus richede
tous fut celui de l'Empereur Trajan ;
on y voyoit une colonne de cent quarante
coudées, où étoient gravées les principales
actions de ſa vie ,ce fut au faîte de cette
NOVEMBRE. 1753 . 27
colonne que les cendres de cet Empereur
furent.conſervées ; Dion Caffius aſſure que
l'Architecte de ce ſuperbe édifice fut le célébre
Appollodore.
Nous avons vû plus haut que la connoiſſance
des cauſes privées appartenoient
au Préteur , excluſivement àtous autres;
dans les affaires ordinaires on lui demandoit
par un libelle , la permiſſion de citer
pardevant lui le défendeur , l'affignation
ſe donnoit par la partie même , le Créancier
alloit trouver ſon Débiteur , & en
préſence de deux témoins , il le ſommoit
de venir devant le Juge.
Il tiroit l'oreille aux témoins pour qu'ils
ſe reſſouvinſſent de l'aſſignation donnée ,
de là aurem vellere aurectari ; ſi le défendeur
n'étoit pas d'humeur àvenir ſur le
champ , ou à promettre de comparoître ,
il étoit permis de l'amener par force ; fi
au contraire il venoit ou promettoit de
venir, dicebatur radimonio adſtrictus , les délais
des aſſignations étoient de trois jours .
L'affaire étoit- elle purement de fait ? le
Préteur déléguoit des Juges pour en connoître;
étoit-elle de droit ? il la jugeoit
par lui - même avec ſes Centumvirs , ou il
leur en renvoyoit la déciſion .
Les Centumvirs étoient les Aſſeſſeurs
du Préteur. On en nommoit trois par Tri-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
bu , c'est-à-dire , que quand le Peuple fot
partagé en trente- cinq Tribus , il y avoit
cent cinq Centumvirs. Leur nombre augmenta
dans la ſuite juſqu'à cent quatrevingt.
Ils furent divités en quatre Tribunaux
ou Conſeils. Dans chacun ils avoient
un javelot . On les appelloit Judices ordi.
narii.
Quant aux Juges délégués , c'étoient de
fimples Commiſſaires. Ilsn'avoient pas un
pouvoir étendu , tel que celui desCen.
tumvirs. Ils étoient adftraints à ſuivre la
formule qui leur étoit donnée. Par exem
ple , on les chargeoit d'examiner fi Quintius
avoit contrevenu à tel Edit du Préteur,
Ils n'avoient qu'une connoiſſance de fait.
Leur jugement étoit un rapport. Ils décidoient
conformément à la formule qui leur
avoit été preſcrite , & ne ſtatuoient rien
au fonds. Si pareat Q. dare opportere , &c .
Dans les affaires criminelles il y avoit
toujours un accuſateur& un accuſé. Le libelle
d'accuſation ſe dépoſoit au tréſor public.
Il y reſtoit juſqu'à ce que l'abolition
cût ſuivi. Les récompenfes desdélateurs
victorieux étoient marquées par la loi Pa--
pia. Quelquefois elles étoient arbitraires .
On trouve pluſieurs titres dans le Droit
contre ceux qui calomnioient , tergiver.
foient , ou s'entendoient avec l'accufé,
NOVEMBRE. 1753 . 29
Du jour de l'accuſation , l'accuſé donnoit
un ſurveillant à ſa partie adverſe ,
crainte que celui- ci ne pratiquât contre
Fui des manoeuvres défendues , & n'eûr
recours à de dangereux fubterfuges. L'accuſateur
faifoit placer fon ſiége dans l'endroit
du Forum qui lui paroiſſoit le plus
commode.
En matiere criminelle , le délai de la ci
ration au jugement étoit au moins detrente
jours , c'est- à- dire , qu'il falloit qu'il y
eût trois marchés trinundinum , entre l'af
Agnation& la Sentence. Ciceron ſe plaint
amérement de ce que cette formalité ne fut
point obſervée lorſqu'on le condamnaà
Fexil.
Après le troiſtéme marché l'accuſé paroiffoit
devant le Préteur. L'accuſateur expliquoit
en peu de mots le ſujet de la
plainte. V. G. Aioteſiculos ſpoliaffe. Alors
de deux choſes l'une , ou l'accuſé nioit
ou il gardoit le filence , & ne diſconve
noit point.
Au premier cas on accordoit du tems
pour adminiſtrer des témoins , pour acquérir
des preuves , fournir des reproches &
des exceptions.
An ſecond cas , on régloit ſur le champ
les dommages & intérêts réſultans ,à ceux
qui avoient fouffertdudélit. Lis eftimaba
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
zur ,& on prononçoit fur la peine corporelle
s'il y avoit lieu .
Quant aux crimes publics, le Préteur
convoquoit divers particuliers de chaque
Décurie pour avoir un nombre ſuffisant
de fuffrages , on écrivoit ſur des billets les
noms de tous les convoqués ; on remuoit
ces billets dans une urne , on en tiroitjuſ.
qu'à ce qu'on cût le nombre que demandoit
l'importance de la cauſe , ce nombre
étoit ordinairement de ſoixante-quinze.
L'accuſateur & l'accuſé pouvoient reprocher
ceux qui étoient de mauvaiſes moeurs
& qu'ils croyoient ſuſpects. Alors on tiroit
d'autres billets du ſcrutin , pour remplacer
les Juges qui au moyen de la récufation
n'avoient plusde voix.
On donnoit à ceux qui devoient juger
trois tablettes , fur l'une étoit la lettreA ,
ſignifiant le renvoi de l'accuſé , Absolvatur
; fur l'autre les lettres V. P. qui
marquoient que l'affaire n'étoit pas ſuffifamment
inſtruite , non liquet ; ſur la troifiéme
étoit un C, figne de la condamnation.
Après que les Avocats avoient fini de
part & d'autre , le Préteur prononçoit à
haute voix , dixerunt. Auffi tôt les Juges
ſe levoient pour opiner , ils jettoient tous
dans une boëte l'une de leurs tablettes , on
NOVEMBRE. 1753. 31
ignoroit par ce moyen ceux qui avoit condamné
ou abſous . Néanmoins comme chaque
Décurie avoit ſes tablettes differentes
, on ſçavoit en général que telle Décurie
avoit été plus ſévére ou plus favorable.
Enſuite le Préteur quittoit ſa prétexte ,
&prononçoit le jugement qui avoit été
rendu; il étoit permis d'appeller de ce jugement,
foit au Peuple , ſoit au Sénat.
L'uſage des tablettes pour opiner venoit
des Grecs. On s'en ſervoit encore , lorfque
les Comices s'aſſembioient au ſujetde
l'établiſſement d'une loi , alors deux tablettes
ſuffifoient , ſur l'une étoientles let.
tres V. B. ati rogas ; ſur l'autre la lettre A,
abrogetur .
On ne parle point ici desTribunaux
domeſtiques , où les peres jugeoient leurs
enfans , où les parens de la femme jugeoient
ſur les plaintes du mari ; ces Tribunaux
furent abolis par la ſuite. Ils n'étoient
pas auffi odieux que pluſieurs ſe le
perfuadent ; ils furent fondés par la politique
des Romains qui ne vouloient pas ,
que pour le crime ou la fauted'un ſeul ſa
famille fût deshonorée ; le châtiment étoit
fecret , les Juges intéreſſés eux-mêmes à
ſauver le coupable , étoient préſumés ne le
condamner , que pour éviter aux proches
B iiij
32 MERCUREDE FRANCE.
la flétriſſure qui auroit réjailli ſur eux par
une condamnation notoire & folemnelle.
J. Lacoste , fils , Avocat..
ADijon , le 16 Avril 1753 .
ODE.
SUR la naissance de Monseigneur leDuc
d'Aquitaine , présentée àMonseigneur le
Dauphin ; par M. l'Abbé Roman.
Toi , Déité (a ) reverte,
6
Soeur du Dieu qui régle les jours ,
Deſcens de la voûte azurée ,
Et porte en ces lieux ton ſecours..
Deſcends , & puiſſante Déeſſe
Viens délivrer une Princefle ,,
Dignede tes foins généreux,
Accours , ta divine préſence
Hâtera l'heureuſe naiſſance
D'un Prince , l'objet de nos voeux
Déja de ta main ſecourable ,
Marie ( b ) éprouve les bienfaits :
Je vois un enfant adorable
S'offrir à mes yeux fatisfaits,
(a)Lucine. (b ) Madame la Dauphina.
NOVEMBRE 1753 . 33
Je vois les graces de fa mere ,
La noble douceur de fon pere ,..
Briller à l'envi dans ſes yeux :
Digne de ſon auguſte Race ,
On le verra ſuivre la trace
De ſes ancêtres glorieux.
Mais , quelle ſubite allégreſſe!
Mille cris ont fendu les airs :
Quels tranſports ! quelle douce yvreſſe !
Quel bruit ſe mêle à nos concerts !
J'entends les foudres de la guerre ;
Las de faire trembler la terre ,
Leur bouche annonce ſon bonheur.
L'air brille , la flame étincelle ,
Une clarté pure & nouvelle ,
De la nuit diffipe l'horreur.
La Renommée impatiente
Vole aux deux bouts de l'univers;.
Et déja ſa voix éclatante ,
De ces accens remplit les airs.
Peuples du couchant , de l'aurore ,; ,
Un nouveau lis , qui vient d'éclore
De la Seine pare les bords..
Elle dit : la terre charmée ,
D'une même joie animée ,
Seconde nos juſtes tranſports?
By
34 MERCURE DE FRANCE.
Mais je veis de loin Cytherée,
Son char s'élance dans les cieux
Degraces , d'amours entourée,
Elle s'avance vers ces lieux.
Elle vient embellir la fête
Que la main des plaiſirs apprête
Pour célébrer un ſi grand jour.
LaDéeſſe au tendre myſtére ,
Préfere à l'aimable Cythere
Les charntesde ce beau ſéjour.
Sur le Prince qui vient de naître ,
Elle a déja fixé les yeux.
Surpriſe,elle croit reconnoître ,
De ſon fils les traits gracieux.
L'Amour , trompé comme la mere,
Leprend lui même pour ſon frere ,
Et veut lui donner ſon flambean .
De myrte , de lis& de roſes ,.
Par leurs foins fraîchement écloſes,
Les Gracesjonchent ſon berceau.
Filles qu'on adore à Cythère , ( a );
Prenez cet enfant dans vos bras ;
Aux yeux de ſon auguſte mere ,
Découvrez ſes naiſſans appas.
Acet aſpect , fur fon viſage,
(a) Les Graces.
NOVEMBRE. 1753 . 35
Où la douleur forme un nuage ,
Brille ſajoie & fon amour.
L'aimable enfant par un fourire
A la Princeſſe ſemble dire ,
C'eſt de vous que je tiens le jour.
^
Divinités inexorables ,
,
vous , qui tenez dans vos mains
Les jours , hélas ! trop peu durables
Des peuples & des Souverains :
Fieres Soeurs , rigoureuſes Parques ,
Pour ce fils de tant de Monarques ,
Prenez vos plus heureux fuſeaux.
Puiſſent ſes hautes deſtinées ,
Et le tiſſu de ſes années ,
Echaper à vos noirs ciſeaux.
Le premier bruit de ſa naiſſance
Va raſſembler les jeux épars.
Pour amuſer ſa tendre enfance ,
Ils accourent de toutes parts.
Mais dans un âge plus folide,
Pallas , de ſa puiſlante Egide ,
Couvrira ce Prince chéri,
Les doctes Filles de Mémoire ,
A ſes yeux , offriront l'hiſtoire
De ſon Ayeul & de Henri (4 ).
(a) Louis XV. & Henri IV.
1
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE..
Ces Princes des Rois les modéles ,
Préferoient , au fond de leurs coeurs ,
L'amour de leurs Sujets fidéles ,
A la gloire d'être vainqueurs.
Parmi les feux & le ravage ,..
Od ſe borne unhéros ſauvage .,.
Ils pratiquoient d'autres vertus.
Au milieu des villes en cendre
S'ils combattoient comme Alexandre ,
Ils pardonnoient comme Titus .
,
On vitpar cet accord illuſtre ,
L'héritier du meilleur des Rois ( a ) ,..
Gagner , à ſon troifiéme luftre ,
L'eſtime & l'amour des François.
Aux Champs de Mars ( 6 ) , où la victoire
Couronnoit ſon pere de gloire ,
Sa valeur le fit admirer.
AlaCour , humain , équitable,
Généreux , bienfaiſant , affable
Sa bonté le fait adorer.
N'endoutonspoint : d'un vol rapide ,,
Le nouveau Prince ,juſqu'aux cieux ,
Va , tel qu'un aiglon intrépide ,
Suivre ſes fublimes ayeux.
(a)Monseigneur le Dauphin...
(b)AFontenoy.
NOVEMBRE .. 1753 . 37
Bourbon , ſeconde eſpérance
Que le Ciel accorde à la France
Quitte les jeux de ton berceau ;
Hâte-toi : lagloire t'appelle ;
Aton ſang , à ton nom fidéle
Tu leur dois un éclat nouveau .
9
Fitoi, Province fortunée ( 4) ;,
Cetenfant qui te doit son nom ,
T'unifſſant à ſa deſtinée ,
Te rendra ton ancien renom ...
Il arrachera des ténébres ,
Le nom de ces Héros célébres
Qui jadis te donnoient des loix ;
Mais en rappellant leur mémoire,.
Ton Prince effacera leur gloire ,
Et furpaſſera leurs exploits.
O mihi tam longa maneat pars ultima vite ;
Spiritus , & quantumfat erit tua dicere factos
Virg.Egl
(a) L'Aquitaine
38MERCURE DEFRANCE.
*****
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie de Rouen.
'Académie des Sciences , Belles Lettres,
L & Arts de Rouen , tint ſon affemblée
publique le Jeudi 2 Août , dans la ſale de
'Hôtel-de- Ville . On distribua d'abord les
prix , fondés par Meſdames de Marle & le
Cat , pour les Eleves de l'école de deſſein,
& donnés au jugement de l'Académie ;
ſçavoir , le premier d'après le modéle , à
M. Jacques Nevay , d'Edimbourg .
Le ſecond à M. Etienne de la Vallée-
Pouffin , de Rouen.
Le prix d'après la Boffe , à M. Michel
Loyer , de Rouen.
Le prix du deſſein , à Mile Dor. Henriette
Ribard , de Rouen.
Les prix d'Anatomie , fondés parM. le
Cat , pour les Eleves de l'Ecole chirurgisale
dont il eſt Profeſſeur , ont été remportés
:
Le premier par M. Jacques. Philippe
Fremanger ,de Cy , près Bayeux.
Le ſecond , par M. Auguſtin de Lanney,
deGlanville , près Beaumont , enAuge.
Le troifiéme , par M. Louis Dauplcy >
de Rouen.
NOVEMBRE. 1753 . 39
Acceffit . M. Antoine Doubleau , de Dernetal.
L'Académie avoit propoſé pour ſujetdu
prix de Phyſique de cette année , l'Histoire
desminesde Normandie , &c . comme on ne
lui a adreſſé aucuns Mémoires ſur cette matiere
, elle s'eſt déterminée à propoſer un
nouveau ſujet ; ſçavoir , quelssont les animaux
venimeux qui se trouvent en France,
la nature de leur venin , & les remèdes qui y
conviennent.
Le ſujet du prix de Poëſie propoſé pour
1752, & encore en 1753 , étoit l'établiſſement
de l'Ecole gratuite du deffein en celle
Ville. Les Piéces que l'on a envoyées
n'ayant point encore paru remplir ſuffifamment
toutes les parties du programme,
inferé dans le Mercure de Décembre ſecond
volume 1751 , & dans le Journal
de Verdun , Novembre 1751. L'Académie
indique de nouveau le même ſujet , dans
l'eſpérance que les Auteurs feront des efforts
pour perfectionner leurs ouvrages.
L'Académie propoſe encore le prix alternatif
des Belles Lettres ,pour une Differtation
littéraire , dont le ſujet eſt : En
quel genre de Poësie les François ſont ſupérieurs
aux anciens; cette Differtation , ainſi
que le Mémoire de Phyſique , ferontd'une
heure de lecture ou environ. Ces trois prix.
40 MERCURE DE FRANCE.
fondés par M. le Duc de Luxembourg ,
Protecteur , conſiſtent en chacun une médaille
d'or de 300liv. & feront diſtribués
en l'affemblée du premier Août 1754. Les
Auteurs adreſferont leurs ouvrages correctement
écrits , le port franc , avec leurs
noms&deviſes ſous une enveloppe cachetée
, avant le premier de Juin ; ſçavoir les
Mémoires de Phyſique à M. le Cat , Secrétaire
pour les Sciences ,& les Piéces de
Poëfie & de Littérature à M. de Premagny,
Secrétaires pour les Belles Lettres.
Après l'annonce des prix , M. de Premagny
rendit compte des Mémoires qui
ont été lûs à l'Académie pendant le cours
de cette année , & entr'autres :
La deſcription d'une tortue monftruen--
ſe , jettée par la mer dans le portde Dieppe.
Par M. des Groffilles , Affocié.
Détailde deux maladies extraordinaires,
dont les ſujets âgés au moins de foixante
ans , ſe ſont trouvés àl'ouverture des cada- .
vres, n'avoir que le rein droit. Par M. de
-la Roche.
Deux volumes de Tables des Nombres
compofés & compoſans ; ouvrage impor.
tant de M. de Mercaſtel , de l'Oratoire ,
de Rouen , Aflocié.
Lettres ſur les expériences d'électricité
de-M. Franklin , & Mémoire ſur un far
NOVEMBRE. 1753 . 41
cocele-ou tumeur des ovaires , & un projet
pour l'extirpation de cette tumeur ; par
M. leCat.
Deſcription de l'Aurore Boréale du 13
Octobre 1752 ; Préface d'un ouvrage , in
titulé : Etat du Ciel pour la Marine , &
l'ouvrage même : obſervation de l'éclipſe
de Lune du 17 Avril , & de pluſieurs occultations
des fixes par la Lune. Un Mémoire
précédant le paſſage de Mercure fur
le Soleil , le 6 Mai ; Théorie de cette Pla
nette , & l'obſervation exacte de ſon pafſage.
Par M. Pingré
Mémoire ſur l'uſage & les vertus du ſel
d'Epson , & Recherches ſur les plantes
qui croiſſent aux environs de Rouen. Par
M.du Fay.
Mémoire ſur les maladies des enfans..
par M. le Danois .
Traduction de pluſieurs ouvrages Anglois.
Par M. Yart.
Traduction de pluſieursOdes en vers.
Par M. Fontaine .
Mémoire fur l'Histoire de Normandie..
Par M. du Boullay.
Premier volume des vies des Peintres
Flamands. Par M. Deſcamps.
Traduction en vers & en proſe , de quel .
ques épigrammes choiſies d'Owen , par
M.de Premagny , & des obſervations fai42
MERCURE DE FRANCE.
tes avec unexcellent microſcope du Sieur
Canu , Opticien , & de l'Académie.
Mémoire hiſtorique ſur le Havre-de-
Grace , & autres Mémoires d'hiſtoire naturelle.
Par M. Dubocage de Bleville , Af
focié.
Mémoire ſur la vie de Leonard Aretin.
Par M. l'Abbé Goujer , Affocié.
M. le Cat lut enſuite le réſultat des obfervations
météorologiques , qu'il a faites
dans l'année académique 1752 53. La plus
grande hauteur du barométre a été à Rouen
de 28 pouces & demi , &fon degré le plus
bas 27 pouces une ligne & un quart. Le
grand froid du 28 Janvier n'y a porté le
thermometre qu'à 6degrés au-deſſous de
a. Le plus grand chaud du 7 Juillet ,n'a
été qu'à 29 degrés. Les jours les plus humides
, ont été le premier& 14 Février.
Le plus ſec a été le 24 Juillet. La quantité
de pluye a donné 21 pouces d'eau fur le
territoire de Rouen . La déclinaiſon de
l'aiguille aimantée aété toute l'année à
l'Oueſt , depuis 17 degrés 40 minutesjuf
qu'à 19 degrés.
Le dernier article de ces obſervations
contenoit les maladies qui ont regné dans
chaque faifon.
Chaque article étoit accompagné de
quelques remarques : celui des variations
NOVEMBRE. 1753. .43
de l'air , contenoit les obſervations faites
par M. le Cat en 1746 , de la ſenſibilité
du thermometre à air , ou manométre aux
deux eſpéces de raréfaction ou de condenſation
de l'air ; ſçavoir , celles que lui
donne le chaud ou le froid , & qu'il appelle
thermometrales , & celles qui annoncent
le tems pluvieux ou ſec , & qu'il nomme
barométrales. Il rapporte à cette occa
Gonun projet , communiqué à l'Académie
par M. Mailhot , Chanoine Régulier , de
déterminer ſur un manométre ces deux
eſpéces de variations de l'air , en aſſociant
le thermometre de M. de Réaumur au manométre
; & de mettre par là les Navigateurs
en état de ſe paſſer du barométre
que le roulis des navires rend infidéle ; &
comme l'air eſt généralement plus rare en
efté , & que le barométre pour annoncer
de la pluye y deſcend plusbas qu'en hyver,
il faudra pour le manométre une graduation
pour l'eſté & une pour l'hyver . M. le
Cat donne la cauſe phyfique de cet effet .
A l'occaſion de la déclinaiſon de l'aiguille
aimantée , il rapporte & explique
Pobſervation d'un aimant artificiel qui
avoit perdu toute ſa vertu ,& qui ſe trouva
revivifié pour avoir voyagé avec un aimant
naturel , non armé.
Parmi les maladies qui ont regné cette
44 MERCURE DE FRANCE.
année , M. le Cat en a particulierement
décrit une , qui ſous les apparences d'une
peripneumonie , confiftoit dans une in-
Aanitnation ſuppuratoire du péricarde qui
tuoit les malades comme ſubitement le s
ou le 7 par oppreffion ,& qui n'a cédé
qu'aux remédes laxatifs aiguiſés d'émétique.
M. le Cat avoit déja obſervé les années
précédentes que la plupart des autres
fiévres malignes avoient pour caufe des efpéces
d'éruptions , ou ébullitions inflammatoires
, placées dans l'eſtomac & les inteſtins
, & qui en ne ſe terminant ni par
réſolution , ni par ſuppuration , devenoient
gangreneuſes , & pat là mortelles.
Il a même fait peindre d'après nature ces
éruptions , pour en mieux distinguer &
faire connoître les eſpéces. Il marque &
explique le bon effet des émetiques dans
le commencement , des laxatifs émetiques.
& des limonades dans le courant de ces
maladies:
M. leCat lut encore une grande Differ
tation ſur l'état actuel des Sciences & des
Beaux Arts , & fur la poſſibilité de les perfectionner.
Dans cette Differtation M. le
Catdonne une hiſtoire ſuccincte des Sciences&
desBeaux Arts dans les fiécles fameux
d'Alexandre , d'Auguſte , de Louis XIV ..
&dans le nôtre. Il fait voir , que malgré
NOVEMBRE. 1753 . 45
des grands progrès qu'ils ont faits , ils font
encore pour la plupart ſuſceptibles de perfections
; & que les Ecoles & Académies
que l'on multiplie aujourd'hui , ſont trèspropres
à y ajouter celles qui leur manquent
, à y conſerver celles qu'ils ont acquiſes
, & à leur reſtituer celles qu'ils pourroient
avoir perdues .
M. l'Abbé Yart lut un Diſcours ſur les
Contes,il remonta à leur origine : il en fixa
da nature: il en retraça les régles les plus
eſſentielles : il y ajouta la Traduction d'un
Conte Anglois très- fingulier , de Thomas
Parnell , intitulé , l'Hermite , que M. de
Voltaire a imitédans ſon Roman de Zadig .
On ne donnera pas un plus long extraitdu
Diſcours & du Conte de M. Yart. L'un &
l'autre vont paroître , avec d'autres Poëmes
du même genre dans le ſixiéme volume
de ſon Livre , intitulé : Idée de la Poësie
Angloife.
M. Maillet du Boullay lut un Diſcours ,
intitulé : Idée d'une Hiſtoire de Normandie ,
& des moyens d'y travailler avecſuccès.
Il fit obſerver d'abord,que l'objet le plus
important de l'Académie , avoit toujours
été l'utilité particuliere de la Province où
elle eſt établie ; il donna pour preuve de
fon zéle les leçons publiques de Deſſein ,
d'Anatomie , de Phyſique & de Botanique,
46 MERCURE DE FRANCE.
établies par ſes ſoins , & données par ſes
Membres dans la Ville de Rouen , & il
ajouta qu'elle avoit encoreun deſſein d'une
plus grande conféquence , foit pour fon
utilité , ſoit pour le nombre des recherches
qu'il exigeoit , que ce projet étoit
de ſe mettre un jour en état de donner à
la Province une Hiſtoire Civile , Eccléfial
tique , Littéraire & Naturelle de la Normandie.
M. du B. fit voir , que ſi on n'avoit fous
le nom d'Hiſtoire de Normandie , que des
compilations incomplettes pour le fond ,
&encore moins parfaites pour le ſtyle , il
ne falloit point s'en prendre à la ſtérilité du
ſujet , encore moins au défautde grands
hommes que la Normandie a produits en
très-grand nombre , & qui auroient cu
tous les talens néceſſaires pour le bien
traiter.
Pour montrer combien l'Histoire de
Normandie eſt intéreſſante , M. du B. fit
un tableau en racourci de tous les évenemens
qu'elle renferme depuis l'invaſion
des Normands en 912 , originaires des
pays du Nord , que les Romains nommoient
Jugermance, & qu'ils ne purent
foumettre. Ces peuples ſcurent toujours
conſerver leur liberté , après avoir fait
trembler toute l'Europe pendant près d'un
NOVEMBRE. 1753 . 47
fiécle , ils forcerent enfin nos Rois à les
recevoir pour vaſſaux , & à donner à leur
Chef une Princeſſe de leur ſang , & une
des plus belles Provinces de leur Royaume ;
ils adoucirent alors la férocité de leurs
moeurs , ils apprirent à connoître les vertus
& les devoirs de la ſociété , & s'attirerent
l'eftime de ceux dont ils avoient été
la terreur ; bientôt les bornes de leur Province
parurent trop étroites à leur ambition
& à leur courage. Guillaume , Duc
de Normandie , conquit l'Angleterre , il
civiliſa les Anglois , comme Wollon avoit
civiliſé les Normands , & il devint comme
le Fondateur de cette floriſſante Monarchie
, qui rivale de la France prétend
àl'empire des mers ,&tient un des premiers
rangs parmi les Puiſſances de l'Europe.
C'étoit la deſtinée des Normands de
fonder & de conquérir des Royaumes .
M. du B. rapporte ici la fondation du
Royaume de Naples ,& les exploits des
Chevaliers Normands dans la Calabre ,
dans la Sicile , & enfin au fameux ſiége de
Jerufalem.
>>Conquérans comme Annibal , dit- il ,
>>dans des plus délicieux pays du monde ,
>>ils ne laiſſferent pas comme lui amolir
» leur courage dans l'oiſiveté &dans les
1
48 MERCURE DE FRANCE .
>>plaiſirs , ils allerent porter encore une
fois juſqu'au fond de l'Orient la gloire
>> de leur nom , & s'immortaliſer par ces
> exploits fameux qui ont mérité d'être
>> chantés par le Virgile de l'Italie moder-
>> ne : les noms de Bremont & de Tancrede
, Princes Normands , dureront au-
> tant que l'admirable Poëme qui les a cé-
>>>lébré , c'eſt à-dire , tant qu'un des plus
beaux chef- d'oeuvres de la Poësie épique
trouvera des admirateurs.
M. du B. parcourt enſuite les guerres
longues & ruineuſes ,dont la Normandie
fut le ſujet & le Theatre , & qui pendant
près de trois cens ans déſolerent la France.
La réunion de la Province à la Couronne
ſous Philippe- Auguſte : » Epoque flateuſe
»& remarquable pour nous , dit- il , qui
» ne contribua pas peu à illuſtrer le regne
>> de ce grand Prince , & qui nous rendant
> entierement François , nous deſtina à par-
>> tager le bonheur & la gloire d'une Na-
» tion que la poſtérité mettra à côté des
» Grecs & des Romains. L'invaſion des
Anglois , qui mit le Royaume ſur le penchant
de ſa ruine. Enfin leur expulfion totale
ſous Charles VII.
Aux évenemens des regnes ſuivans ,
où la Normandie eut toujours beaucoup
de part , & pendant lesquels elle donna a
la
NOVEMBRE. 1753. 49
Ja France pluſieurs ſages Miniſtres , & plufieurs
grands Capitaines. M. du B. fait
fuccéder l'Hiſtoire de ces tems malheureux
où le fanatiſme & la ſuperſtition obfcurciſſoient
toutes les lumieres , où la fureur
des guerres civiles dont la Religion étoit
le prétexte ,& l'ambition la cauſe , inonda
la France du ſang de ſes propres enfans .
La Normandie eut le malheur d'avoir plus
de part qu'aucune autre Province aux
troubles de la Patrie. M. du B. cita lesbarailles
d'Arques , d'Yvry & le fameux fiége
de Rouen par Henri IV . » Valeur mal-
>>>heureuſe , pour laquelle elle s'oppoſoit
>> à fon propre bonheur , & qu'elle répara
» bientôt par les plus vifs témoignages
>> d'amour , de reſpect & de fidélité pour
» fon Roi. Henri le Grand ne ſe crut vraiment
Roi de France qu'après la réduction
de la Normandie ,& fon entrée triomphante
dans la Ville de Ronen.
>>Sous le regne à jamais fameux de Louis
le Grand , lorſque la France reſpectée
» de toute l'Europe par ſa puiſſance , de-
>>>vint la rivale de la Grèce & de l'Italie ,
>>par la culture des Lettres ,des Sciences
» & des Arts ; quelle Province contribua
* davantage à la gloire que la Normar -
>> die? quelle foule de grands hommes en
» tous genres ne lui a-t'elle pas donnée a
C
1
So MERCURE DEFRANCE.
>>Sçavans du premier ordre , grands Ora-
» teurs , Poëtes ſublimes & élégans , Hif.
>> toriens d'un mérite diſtinguć , Artiſtes
> fameux , il n'eſt aucune eſpéce de talens
» que nos compatriotes n'ayent poſfédés
>>à un dégré éminent; quelle,gloire pour
>> notre Patrie ! quel ſujet d'émulation
» pour nous ! quelle abondance de richeſ.
>> ſes pour notre Hiſtoire Littéraire !
:
M. du B. prit de là occaſion de parcourir,
les trois autres branches de l'Hiſtoire ,
'Hiftoire Littéraire , Eccléſiaſtique & Naturelle;
il fit voir que toutes étoient abondantes
& intéreſſantes ,& il finit par exe
horter au nom de l'Académie tous ceux
qui poſſédent des monumens précieux ,
ou qui en ont connoiſſance , de l'aider de
leurs lumieres &de leurs recherches , les
affurant de la reconnoiſſance qu'elle aura
pour tous ceux qui concourerent avec elle
àun projet få utile.
La Séance fut terminée par la lecture de
deux Odes d'Horace ,traduites en vers par
M. l'Abbé Fontaine.
2
On trouvera dans le Poëme qu'on1va lire
toute la ſenſibilité & le feu d'un jeune Poëte .
avec la correction que l'Académie exige.
NOVEMBRE. 1753.51
********************
LA TENDRESSE DE LOUIS XIV.
POUR SA FAMILLE.
POEME , de M. Lemiere , qui a remporté
le Prix de l'Académie Françoise en 1753.
Loin d'ici , dogme affreux ; ſyſteme criminel ,
Langage de Tibere & de Machiavel ,
Qu'un coeur tendre & ſenſible eft fait pour le
vulgaire;
Qran Prince ne doit être époux , frere , ni pere ,
Et que toujours exempt de la commune loi ,
Un Roi , pour être grand , ne doit être que Roi.
Accorder la tendreſſe avec la politique ,
Telle fut de Louis la ſcience héroïque ;
Telle auſſi fut ſa gloire ; il chérit ſes enfans ,
Sur eux il épancha ces heureux ſentimens ,
Des coeurs nés vertueux richeſſe intéreſſante ,
Qu'on répand , qu'on prodigue , & qui ſans ceffe
augmente.
LeCiel lui donne un fils ; ſous quel guide éclairé
Va croître cet enfant , dépôt cher & facré ?
Boffuet , Montauſier , couple illuftre & fidelle ,
Venez , un Roi vous nomme , un pere vous appelle
;
Venez , près de ſon fils , juſtifiant ſon choix ,
Cij
12 MERCURE DE FRANCE:
Former ce jeune Augufte aux vertus desgrands
Rois.
Sous leurs yeux , ſous les tiens, Louis , ton Fils
s'éleve ;
Ce qu'ils ont commencé,ton exemple l'acheve,
L'enfant adiſparu , l'homme eſt déja formé ,
LeHéros va paroître ,àte ſuivre animé.
Veux tu du fierGermain mettre les murs enpoudre
,
C'eſt aux mains de ton fils que tu remets la foue
dre;
TuPexpoſes , n'importe , il s'élance aux combats ,
Tu veux voir au retour un Héros dans tes bras :
Tuſouffres , comme lui , d'une abſence funeſte ;
Mais enfin dans ſes Fils , ce Fils encor te reſte.
Palais qui renfermez ces rejettons chéris ,
Ouvrez-vous devant moi , laiſſez moi voir Louis ,
Touràtour carefſfer , interroger , inſtruire ,
Corriger d'un regard , animer d'un fourire ,
Veiller ſur eux fans ceſſe,&ſe plaire avec eux,
Témoin de leurs travaux , quelquefois de leurs
jeux :
Sur leurs moindres périls il s'inquiéte , il tremble;
Sarendreſſe ſouventprèsde lui les aſſemble ,
Confeil de la nature , où le coeur ſeul a voix ,
Odl'amour paternel dicte de douces loix ,
Il n'eſt point de moment que fa bonté n'ymarque;
NOVEMBRE. 1753 . 53
!
Ainfi le Pere enlui délaſſe le Monarque ,
Peut-être au milieu d'eux digne d'être admité ,
Plus qu'aux bords de l'Eſcaut , de périls entouré.
Malheur à qui t'ignore , & tendreſſe ! Ô nature !
Malheurs fur tout aux coeurs qui bravent ton murmure
!
يف
Pierre , qui de tantd'arts enrichit ſon pays ,
Se fût montré plus grand en épargnant ſon fils ;
Il ſuit l'exemple affreux de ce Roi des Iberes ,
Illuſtre politique, & le plus dur des péres :
Le monde à leur génie auroit plus applaudi ;
Mais l'un ſouilla le Nord ,&l'autre le Midi.
Quel coup inattendu ! Charles fort de la vie ,
Il appelle Philippe au Trône d'Ibérie :
Cejeune Souverain , foutenu par Louis ,
Doity porter le Sceptre entrelaTé de lys .
Il part accompagné de ſon auguſte pere ,
DeLouis ſon ayeul , eſcorte heureuſe & chere ;
Quel ſpectacle touchant ! m'abuſai-je ? où va-t-il ?
Sa pompe annonce un Trône , & ſes fleurs un
exil ;
Louis pleure avec lui l'éclat qu'on lui prépare ,
Et ſans voir qu'il l'éleve , il voit qu'il s'en ſépare.
Mais Ciel , quel changement ! Philippe à peine
eſt Roi ,
L'Aigle fond ſur le Tage, yveutdonner la loi,
Le Léopard ardent ſert ſa jalouſe rage ;
Louis défend contre eux ſon ſang& ſon ouvrage ,
L'honneur & la tendreſſe animent cet effort ;
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
Mais il ſuccombe enfin , PAiglea pour lui le fort:
On propoſe à Louis moins un traité qu'un crime ;
Sa main ſoutient Philippe , on veut qu'elle l'op-
::1
prime ,
Ainſi qu'on voit la mer , ſous fo ſes flots irrités ,
Submerger les vaiſſeaux qu'elle-même a portés.
Combattreeſt ſa réponſe au Traité qu'il dédaigne
;
L'Anglois fuit , Charles céde , & Philippe enfin
regne, 1
O Louis ! hâre- toi , goûte ces courts momens :
Pour ta tendreſſe , hélas ! je voisde longs tourmens
:
Ton fils tombe , il expire ; une perte ſi rude
Des fureurs de la mort n'est qu'un affreux prélude;
Sur ta poſtérité ce monftre dévorant
S'acharne , &de ſa faulx la moiſſonne en courant:
Sur un triple cercueil je vois la Parque aſſiſe ;
Quels affauts pour Louis ! quelle horrible ſurpriſe!
Quoi !tant de rejettons, de ſon Trône l'appui ,
Sonttombés àla fois , frappés autour de lui !
Tels près d'un chêne altier , ſont brifés par l'orage
Detendres arbriſſeaux plantés ſous ſon ombrage.
Louis n'eſt donc plus pere , il n'eſt donc plus
ayeul,
Dansſes vaſtes Palais errant& reſté ſeul ,
NOVEMBRE. 1753. 55
Il ne voit après lui qu'un rejetton débile ,
Ademi confumé , du Trône eſpoir fragile ;
Enfin lui-même il tombe : approche , auguſte enfant
,
Viens , reçois les ſoupirs de ſon coeurexpirant ;
C'eſt ſur toi qu'il épanche , à ſon heure derniere ,
Les projets du Monarque & tout l'amour d'un
pere.
Vous étiez cet enfant , vous fur ce Trône heureux
Placé par la naiſſance , ainſi que par nos voeux ;
Né pour les ſentimens que la nature imprime ,
Vous ſucceſſeur en tout de ce Roi magnanime,
Vous qui comme Louis , de la gloire jaloux ,
Luidonnez un rival qu'il n'eût point cu fans vous.
PRIERE A DIEU POUR LE ROI,
GrandDieu , qui dans des tems d'allarmes ,
Nous privant du meilleur desRois ,
Daignas, par le Héros qui nousdonne des loix,
De la France ſécher les larmes ,
Rends de mon Roi tous les jours triomphans ,
Veille ſur lui , veille ſur ſes enfans
Tréſors ſi chers pour lui , têtes pour nous fi cheres;
Laiffe un exemple aux Rois, laiffe un modele aux
Peres.
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
******: ** : *********
SEANCE PUBLIQUE
L
De l'Académie de Dijon.
'Académie tint ſa Séance publique le
19 Août.Eile fut ouverte par M. ***
Académicien honoraire , qui lut un Difcours
ou amusement littéraire , ſurun ſpécifique
contre la triſtelle & les chagrins
dela vie.
Si le corps a ſes maladies , l'eſprit a fes
indifpofitions qu'il eſt plus difficile encore
de prévenir. En effet , il n'eſt aucun
régime qui puiffe nous garantir du chagrin
; ce bourreau de l'homme , qui répand
dans l'ame le poiſon & l'amertume , rend
la vie même à charge. L'impoſſibilité de
prévenir ,& la difficulté de détruire cette
indiſpoſition , ne nous laiſſe de reſſource
qued'en affoiblir le ſentiment : quels en
feront les moyens ? La Médecine , cet art
lumineux & ſecourable , ne nous en offre
que très peu ſur leſquels on puiſſe fonder
quelque eſpérance. Homere , cet ami des
jeux& des ris , parle d'une plante dont il
vante l'efficacité ; mais la graine en eſt
peut- être à jamais perdue , du moins ne
croît-elle plusdans nos jardins. Un Poëte
NOVEMBRE. 1753 . 57
, de la Franconie Orientale , Conrad Celte
nous offre en forme de dédommagement ,
quatre ſpécifiques , qu'il nomme les véhicules
de la vie ; le vin , le ſommeil , un
ami , la Philoſophie. En adoptant ce ſentiment
, on ſe propoſe de faire voir que
l'on peut trouver un adouciſſement aux
chagrins de la vie , dans l'uſage modéré
d'un vin exquis , dans les douceurs du
fommeil , dans les agrémens d'une amitié
fincere & réciproque , & dans les maximes
de la Philoſophie. L'Auteur convient
que l'on ne peut regarder ceci que comine
un purbadinage; mais ſansunpeu d'amuſement
( dit il ) un Orateur n'eſt ſouvent
qu'un ingénieux artiſan d'ennui . Ce Difcours
fut ſuivi de celui de M. Lantin ,
contre les mercenaires de la Littérature ,
qui travaillant pour les Académies , ſont
plus ſenſibles à l'intérêt fordide qui les
dévore , qu'à la réputation &à la gloire
d'avoir bien fait..
M. l'Abbé Richard lut enſuite un Mémoirefur
les moeurs des Gaulcis.
Les actions du particulier , ſa façon de
vivre & ſes inclinations , caractériſent un
peuple ; on peut juger des moeurs d'une
nation pat pluſieurs de ces caracteres ralſemblés&
comparés. C'eſt par cette méthode
que l'on est parvenu à nous faire
Cy
58 MERCURE DEFRANCE .
connoître les moeurs des Grecs & des Romains
, c'eſt ainſi que les voyageurs modernes
nous ont ſi bien expliqué le goût
& le génie particulier des peuples des Indes
& de l'Amérique , dont la plupart
font ſauvages par rapport ànous , qu'il
n'y auroit que le premier abord de ces
peuples qui nous étonnât ; ce que nous en
aurions lû , ce que l'on nous en auroitdit,
nous mettroit bientôt au fait de ce que
nous en aurions à craindre ou à eſpérer.
Mais où trouver des mémoires pour
nous inſtruire de ce qui regarde les Gaulois
, aufli parfaitement que nous le ſommes
, de ce qui ſe rapporte aux Romains
& aux Grecs ? Les mêmes Auteurs qui ont
écrit l'hiſtoire de ces peuples fameux , nous
apprendront à connoître nos ancêtres.
Diodore de Sicile , Paufanias , Plutarque
, Athenée , Tite- Live , Ceſar , Tacite ,
Strabon , Pomponius Mela , Aulagelle ,
Clément d'Alexandrie ; les Philofophes
même & les Poëtes , Platon , Ariftote ,
Ciceron , Juvenal , Martial ; on trouve
dans leurs écrits une infinitéde traits qui
nous mettent au fait des moeurs des Gaulois
: c'eſt d'après eux que l'Auteur du Mémoire
a travaillé.
Il n'avance rien de poſitif ſur l'origine
desGaulois . Nous ne trouvons rien , dir-
,
NOVEMBRE, 1753 . 59
il , qui nous faſſe connoître leur établiſfementdans
la partie de l'Europe qu'ils occuperent.
Les Auteurs les plus anciens en
parlent comme d'un peuple connu depuis
long-tems , & vivant ſelon ſes loix. Les
différentes émigrations des Gaulois qui ſe
répandirent de tous côtés pour y former
des établiſſemens nouveaux , qui s'emparerent
d'une grande partie de l'Italie& de
l'Eſpagne , qui pénétrerent juſqu'en Afie
qui peuplerent lesIſles voiſinesde l'Europe,
devinrent la tigede pluſieurs peuples qui
confervent encore aujourd'hui leur nom.
Toutes ces circonstances raſſemblées dépoſent
en faveur de l'antiquité des Gaulois .
د
On dit un mot de leur nom , que l'on'
croit, avec Bodin , pouvoir tirer du pays
même qu'il habitoient , & du mot Wal ,
qui en langue Celtique ſignifie Forest. Du
mot Wal on a fait Walli , & fuivant la prononciation
Romaine qui employe le Gau
lieu du double W, on a dit Galli , Ganlois
, ou habitans des forêts. Hova
L'Auteur donne enſuite une idée de la
conformation extérieure desGaulois ,qui ,
au rapport de Paufanias , étoient les plus
grands , les plus forts , & les mieux faits
de tous les hommes. Ils naiſſoient avecdes
cheveux blonds ; cette couleur leur paroiffoit
trop fade ,& ils avoient une attention
:
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE .
particuliere à ſe rendre roux; ils s'imagi
noient que cette couleur ſanglante les rendroit
plus formidables à la guerre. La façon
même dont ils tournoient leurs cheveux
avoit quelque choſe d'horrible. Ils ſe rafoient
le menton& conſervoient de longues
moustaches qui retomboient juſques
fur la poitrine ; les principaux de lanation
les regardoient comme une parure auffi
néceflaire qu'agréable.
Leurs habillemens n'étoient pas toujours
les mêmes ; on en diftinguoit de trois efpéces.
La ſaye , ou le vêtement long &
large , avec lequel on paroiſſoit dans les
affemblées publiques ; la braye ( Bracca )
étoit un juſte-an-corps ferré & court , on
le portoitdans les voyages & à la guerre ,
la tunique , le plus léger de tous , fervoit
au peuple & aux ouvriers. L'habillement
des femmes reffembloit beaucoup à celui
des hommes ; il étoit de toile ou d'étoffede
laine fort légere , il étoit taillé de façon
qu'elles avoient les épaules , les bras &
la gorge preſqu'entierement à découvert.
L'uſage de l'or étoit commun parmi eux ,
ils ſçavoient le fondre & l'employer à leur
parure , pour laquelle la nation a toujours
eu un goût décidé ; on en trouve une
preuve fans réplique dans l'hiſtoire de TitusManlius
, qui enleva le colier d'or du
NOVEMBRE. 1753 . 61
Gaulois qu'il vainquit ſur le pont du Teveron
, & qui en prit le nom de Torquatus.
Mais c'eſt par un examen plus important
ducoeur & de l'eſprit desGaulois , de leur
façon d'agir & de penſer dans ce qui regarde
les principes fondamentaux de la
fociété , & ce qui en aſſure le repos & la
gloire , que l'on doit ſe former une idée
des moeurs des Gaulois.On commence par
l'éducation de la jeuneſſe .
Quel étoit parmi eux le ton de l'éducationeil
ſe rapportoit tout au bien de l'Etat
, & il en faifoit en partie la conftitution.
Les Egyptiens & les Spartiates n'ont
rien eu dans ce genre qui leur mérite la
préférence. Les Gaulois, il eſt vrai , ne
formoient ni Sçavans ni Artiſtes , mais ils
formoient des hommes , & les élevoient
reſpectivement les uns pour les autres.
Leur eſprit ſe développoit à peine , qu'ils
étoient perfuadés de ce principe impor
tant , qu'on ne peut trouver ſon avantage
particulier que dans le bien général. C'eſt
de ce tems qu'il eſt permis de dire qu'il ne
naiſſoit pas plus de bons hommes que de
bons patriotes Que fon nerévoque point
en doute ce que l'on raconte de ces tems
éloignés. Le confentement unanime des
Hiſtoriens dépoſe en faveur d'une vérivé
62 MERCURE DE FRANCE.
que l'on ne refuſe d'admettre que parce
que l'on eſt intéreſſé à ſe perfuader que les
hommes de tous les récles ſe ſont reſſemblés
, & que les mêmes cauſes ont toujours
du produire les mêmes effets. Un
détail exact& ſuivi prouve le contraire.
La nourriture de la jeuneſſe , ſes exerci
ces , ſes jeux , le ſoin que l'on avoit de ſes
moeurs , l'exactitude de ſes maîtres , & la
ſévérité des châtimens , concouroient à
en former des citoyens robuftes& fideles à
l'Etat .
On parle de leurs mariages , des cérémonies
qui s'y obſervoient , des conventions
matrimoniales, de l'autorité deſpotique
des maris ſur les femmes& les enfans
, du rang que les femmes tenoient
dans la fociété. Les coutumes n'étoient
pas les mêmes à ce ſujet dans toutes les
Gaules ; on en rapporte les différences
confirmées par les témoignages des Hiſtoriens
qui en ont écrir.
D'autres uſages nous préſentent les
moeurs des Gaulois ſous un aſpect plusheureux.
Nous y trouvons avecplaifir une inclination
marquée pour le bien , & un
amour décidé pour Thumanité ; ils exer.
çoient l'hoſpitalité avec un déſintéreffement
& un zele qui leur étoit unique. Ils
établirent en faveur de leurs hôtes une loi
NOVEMBRE. 1753. 6
qui fait honneur à l'humanité. On parle
de l'Architecture civile , des feſtins , & des
meubles des Gaulois. Ces détails forment
un tableau agréable , varié , & d'autant
plus inſtructif , que malgré les changemens
que les révolutions des ſiécles ont néceffairement
introduit , nous retrouvons dans
nos uſages mille traits qui ſe rapportent à
cequepratiquoient anciennement lesGaulois;
& plus nous remontons dans les fiécles
paflés , plus nous voyons augmenter
le nombredes rapports ; de forte qu'iln'eſt
pas impoffible de former une chaîne qui
remonte depuis nous juſqu'à l'antiquité
la plus reculée.
Le Mémoire eſt terminé par ce qui regarde
les qualités de l'eſprit national des
Gaulois. Les Auteurs étrangers les ont taxé
d'inconſtance & de légereté ; ceux qui les
ontmieux connus , ont trouvé la cauſe de
ces défauts prétendus ,dans la vivacité de
l'inclination des Gaulois , & dans leur facilité
à réfondre ſur le champ ce qui convenoit
aux circonstances du tems. On leur
a reproché une curioſité infupportable aux
étrangers ; c'étoit le vice de la nation ,
que l'on ne peut jamais détruire , & qui
ſouvent lui fut préjudiciable , attendu ſon
inclination à croire tout ce qu'on lui racontoitdesdeffeins
de ſes ennemis ou de
64 MERCURE DE FRANCE.
fes voiſins. Le Gouvernement ne trouva
d'autre moyen de l'arrêter , qu'en défendant
ſous des peines très féveres , de s'entretenir
en publicdes nouvelles étrangeres
,& de prendre en conféquence aucune
réſolution ſans l'ordre du Conſeil national
, auquel on devoit rapporter tout
ce que l'on auroit entendu dire , pour ſuivre
fes ordres fur les précautions qu'il y
auroit à prendre.
Ils avoient beaucoup de vanité , & fe
eroyoient invincibles. Les Romains leur
apprisent le contraire , quoiqu'il ſoit vrai
de dire que de toutes leurs conquêtes ,
aucune ne leur a autant coûté , & qu'il a
falu la valeur & le génie ſupérieur de Céfar
pour en venir à bout.
On s'eſt mocqué de leur crédulité , elle
paffa en proverbe à Rome , & les Grecs
regarderent les Gaulois comme un peuple
fans efprit& fans difcernement ; & pourquoi
? c'eſt qu'ils n'avoient jamais trompé
perfonne ,& qu'ils ne croyoient pas qu'on
pût les tromper. Ils ne mirent pas la défiance
au rang des vertus. Une fi grande
crédulité eſt peut-être un défaut ; mais
quand c'eſt celui de la nation , & qu'il a
pour principe la fimplicité des moeurs &
l'ingénuité du coeur , ce défaut même devient
honorable à la nation , que l'on ne
NOVEMBRE. 1753. 65
doit regarder que comme un peuple chez
lequel la vérité ſeule a le droit de ſe faire
entendre , & qui n'ajamais imaginé que
ta diffimulation & la fraude puffent entrer
dans le commerce ordinaire de la vie .
Le Prix qui avoit été remis l'an paſſé ,
lesAuteurs n'ayant pas rempli les vûes de
l'Académie fur le ſujet fuivant; sçavoir ,
fi la température de l'air d'un climat influe
fur le tempéramem & la force de ses habitans
, a été adjugé à M. Gravier , Docteur
en Médecine , à Paray en Charolois , qui
s'eſt annoncé l'Auteur du Mémoire Nº. 20
qui a pour deviſe , mutas omnia coli tempe
ries .
Programmes proposés.
Le Prix de morale pour l'année 1754 ,
conſiſtant en une médaille d'or de la valeur
de trente piſtoles , ſera adjugé à celui
qui aura le mieux réſolu le Problême furvant
: Quelle est la ſource de l'inégalué parmi
les hommes , &fi elle est autorisée par la loi
naturelle.
Il ſera libre d'écrire en François ou en
Latin , il ne faut pas que la lecture excéde
trois quarts d'heure. Les Mémoires ,
francs de pore , feront adreſſés à M. Petit ,
Secrétaire de l'Académie , rue du Vieux
Marché , à Dijon , qui n'en receyra point
66 MERCURE DE FRANCE .
paílé le premier Avril. Il en ſera ufé de
même à l'avenir à l'égard des paquets
adreſſés à l'Académie ; elle n'en recevra
aucun , dont le port n'ait été acquité aux
Bureaux d'où ils font partis.
L'Académie déſirant donner aux Auteurs
le tems de travailler leurs ouvrages
&de faire les recherches néceſſaires , s'eſt
déterminée à annoncer les ſujets un an
plutôt qu'elle n'avoit coutume de faire.
Celui de Médecine pour l'année 1755 ,
conſiſte à déterminer la maniere d'agir du
bain aqueuxſimple , fes avantages &ses inconvéniens
, par rapport aux différens tempėrammens
, & en particulier dans quelgenre
de maladies il peut être utile. Lesouvrages
qui n'excéderont pas une heure de lecture
feront reçus ſous les mêmes conditions que
ci-deſſus , juſqu'au premier Avril 1755.
::
LA CALOMNIE ,
ODE AUX MANES DEROUSSEAU. (a)
Qui a remporté le prix , par leJugement de
l'Académie des Jeux Floraux , en 1753.
QUel eſt ſous ce cyprès funébre ,
Cetrifte monument arroſé de tes pleurs ,
(a) Voyez la remarque qui està lasuite de l'Ode.
NOVEMBRE. 1755. 67
Polymnie ? & pourquoi cette lyre célébre
N'exprime-t'elle , hélas ! que tes vives douleurs ?
Je vois auprès de toi l'Amour briſer ſes armes ,
Et les Graces en deuil les yeux baignés de larmes
Jetter des fleurs fur ce tombeau :
Parmi les noms fameux de Pindare & d'Horace ,
Le doigt de la gloire y retrace
Le nom&les malheurs de l'immortel Rouſſeau,
Manes ſacrés , ombre chérie ,
Omon Maftre , reçois ce tribut de mes pleurs...
Mais quel deſtin jaloux a privé taPatrie
Du déplorable ſoin de tes derniers honneurs
Ah ! j'apperçois autour de ton urne plaintive ,
Ce Tyran dont la rage, à re nuire attentive
Troubla le repos de tes jours ;
Sahaine contre toi toujours plus obſtinée ,
Contre ta tombe profanée ,
D'un vol impétueux d'implacables vautours.
L
Omonstre, enfant de l'impoflure ,
,
Affreuſe Calomnie , execrable fléau ,
C'eſt par toi que la fraude & l'effronté parjure ,
De la Vérité même éteignent le flambeau.
Du prix de la vertu le crime ſe couronne :
La perfidie aiguife & l'envie empoiſonne
Les traits dont s'arme la fureur ;
Sur ton char effrayant attelé par la Haine,
Je vois la Difcorde inhumaine
Semer autour de toi le trouble & la terreur.
De tes loix , Miniſtres dociles ,
י"
68 MERCURE DEFRANCE .
L'artifice odieux , la ſombre Trahiſon ,
Allumentdans le coeurde cent nouveaux Zoiles
Les tranſports effrenés qu'excite ton poifon.
Aux plus noirs attentats l'injustice enhardie ,
Dans l'ombre dela nuit conduit leur troupe impies
Et la Vengeance, aux yeux hagards ,
Abbreuve dans le fiel les féches homicides ,
Qu'à ch que inſtant leurs mains perfides
Surl'Innocence en pleurs lancentde toutes parts,
Voyez leur cohorte barbare ,
Pénétrer ces Palais conſacrés an loiſir ,
La Licence y compoſe un tribunal bizarre ,
Oùtout cede à la loi que dicte le plaiffr.
Sur un tiône de fer Podieuſe Satyre ,
Acôté du Menſonge exerce ſon empire
Sur l'innocence& la vertu ;
Et ſabouche cruelle , au gré de fon caprice,
De l'affreuſe empreinte du vice
Fait rougir leMérite à ſes pieds abbatu.
Non, il n'eſt plus pour vous d'aſyle ,
Vertus,talens , honneur , l'éclat dont vous brik
lez,
Attire le veninque leur bouche diſtile ;
Ces aſpics affioupis par lui ſont éveillés.
Leur gloire ſe meſure à la grandeur du crime ;
S'il tombe ſous leurs coups une illuſtre victime ,
Leur triomphe en paroît plus beau.
NOVEMBRE. 1713 . 69
L'obſcurité contre eux eſt la ſeule défenſe ,
Et la foudre que leur main lance
Ne frappe que le cédre &fait grace au roſeau,
Dans leur audace meurtriere ,
Ces nouveaux Ixions , ces Titans furieux ,
Du Trône &de l'Autel franchiſlant la barriere ,
Attaquent ſansreſpect , & les Rois , & les Dieux &
La foudre vengereſſe, àpartir toute prête ,
Envaingronde ſur eux , menace envain leur tête,
Ledanger accroît leur fureur,
Etjuſques aux Enfers leurs langues irritées ,
Sur lesOmbres épouvantées
De leur mortel venin repandent la noirceur,
Et quoi ! ce terme lamentable ,
Ce ſéjour éterneld'une éternellepaix ,
La mort , qui du ſupplice affranchit le coupable;
Ne peut- elle fauver l'innocent de leurs traits ?
Au fondde ces tombeaux qui vous force àdeſcen
dre ,
Cruels de ces Héros laiſſez en paix lacendre:
Pourquoi , de leur grandeur jaloux ,
Vos efforts veulent- ils ravir à leur mémoire
La ſplendeur de l'antique gloire ,
Dont leurs mânes fameux jouiront malgré vous
O Themis , furton Trône auguſte ,
La Juftice s'affied avec la Vérité ,
Ton temple reſpectable eſt Paſyle du juſte,
Laterreur dumenſonge & de l'iniquité.....
70 MERCURE DEFRANCE.
Que vois-je? ſur tes yeux la fraude & le parjure
Ont étendu leur voile ourdi par l'imposture:
:
Atravers ce nuage épais ,
Des plus noirs attentats innocemment complice,
Ta main , que ſéduit l'injustice ,
Accable la vertu , couronne les forfaits.
Ainfi l'infâme Calomnie-
Trompa l'oeil vigilantdes Miniſtres des Loix ,
Quanddu feinfortuné d'une ingrate Pattie
Le Pindare François s'exiloit àta voix.
Il part , & loin des bords de nostriſtes contrées
On voitauprès de lui les Muſes éplorées ,
Errer de climats en climats :
D'un exil rigoureux partageant les diſgraces ,
Elles ſçavent fixer les Graces ,
Par tout où le deſtin daigne guider ſes pas.
1
Tandis que la Seine indignée ,
DefonChantre fameux regrettoit les accorde ,
Le fortuné Batave & l'Autriche étonnée
De ſon brillant génie admiroient les efforts ;
Le Danube , ſortant de fes grotes humides ,
Interrompoit le cours de ſes ondes rapides ,
Au fon de ſes concerts nouveaux ;
Et l'Escaut enchanté , ſur ſes paiſibles rivés ,
Voyoit ſes Nymphes atten ives ,
Pour entendre ſa voix quitter le ſein des eaux.
Quel feu divin , quelle harmonie ,
Surcesbords animoient ſes ſons mélodieux !
NOVEMBRE.1753078٤٠
Tantôt du fier Pindare adoptant le génie ,
Il chantoit du Héros les exploits glorieux;
Quelquefois , d'une main inconſtante & légére,
Nouvel Anacreon , de l'Enfant de Cythèse,
Il retraçoit les jeux divers ;
Et tantôt de David imitateur fidéle ,
Il touchoit ſa harpe immortelle ,
Et célébroit les dons du Dieu de l'Univers.
Souventde ta chere Patrie
Le tendre ſouvenir irritoit ta douleur ,
Illuftre malheureux ,& ton ame attendrie ,
D'un deſtin ennemi déploroit la rigueur.
Peut- être , difois-tu , qu'à mes larmes propice,
>> Le Ciel de mes tyrans confondra l'injuſtice ;
>> Peut- être que la vérité ,
>>De ma Muſe profcrite embraſſant ladéfenſe,
>> Fera briller mon innocence
>>Aux regards éclairés de la poſtérité.
Nos yeux ont percé le nuage;
La vérité tardive a recouvré ſes droits ;
Deta vertu flétrie elle a vengé l'outrage ,
Et la poſtérité te parle par ma voix.
Lepreſtige eſt détruit : les aîles de la gloire
Aux fiécles à venir porteront ta mémoire ;
Et cet opprobre injurieux ,
Dont les fiers ennemis d'une main envieuſe ,
Noircirent ta vie orageuſe ,
Effacé de ton front , ne tombe que ſur eux.
72 MERCURE DE FRANCE.
1
Chere ombre , & tu peux m'entendre ,
Si la voix des Vivans peut percer chez lesMorts,
Daigne accepter les fleurs que je mêle àta cendre,
Et ne mépriſe point mes timides accords.
Ta gloire& tes malheurs ont dicté mon hommas
ge:(a)
Dutendre ſentiment l'affectueux langage,
Eſt le langage de mon coeur.
Telle jadis la Muſe aux månes de Malherbe (1) ,
Drefa ce monument fuperbe
Qui bravera du tems l'impuiſſante rigueur.
(a) Les talens , lagloire&les malheurs deRouf-
Sean,doiventfaire regarder la découverte defon innosence,
comme un objet intéreſſant pour la République
des Lettres; des preuvesréitérées lui ont donn un degréd'évidence
quiforce le douteàse taire. L'Auteur
de cetteOde aévitédes perſonalitésqui auroient paru
contrevenir aux régles de l'Académie ; d'ailleurs les
accusateurs de ce Poëte n'exiftentplus. Al'égard de
l'Arrêtdu Parlement qui le bannit defa Patrie, commelesJuges
font obligés de se déciderſur lafoi des témoins
, quelquefois corrompus , la juftification d'un innocent
condamnésur unfaux témoignage , nedoit point
paroître attaquerleur intégrité.
(b ) L'Ode àMalherbe est la cinquiéme du traiſieme
Livre des Odes de Rousseau,
SEANCE
NOVEMBRE. 1753 . 75
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Sciences , Belles- Lettres
Aris de Besançon, tenue le 24 Août
1753 .
C
Ette Séance , qui fut précédée le ma
tin d'une Mefle avec un Moter , célébrée
dans l'Egliſe des Peres Carmes , &
du Panégyrique de Saint Louis , prononcé
par M. l'Abbé Robert , Curé de Liefle ,
fut ouverte le ſoir dans une ſale de l'Hôtel
de M. le Duc de Tallard , par un diſcours
de M. de Quinſonas , Premier Préſident
du Parlement , & Préſident de l'Académie
: ladiſtribution des prix lui en fournit
la matiere.
Il obſerva combien le nombreux concours
d'ouvrages préſentés à l'Académie ,
& les efforts redoublés de leurs Auteurs ,
pour mériter les premieres couronnes
qu'elle ait eu à diſtribuer , les rendoient
glorieuſes pour ceux qui les recevroient ,
honorables pour ceux qui les avoient établies
, & flateuſes pour ceux qui les décernoient.
Les ouvrages d'éloquence lui rappellerentle
ſouvenir de ce chef-d'oeuvre , auffi
D
74 MERCURE DE FRANCE.
connu dans toute l'Europe que fon Aureur
y eſt diſtingué , dont la Société Littéraire
de Nancy avoit procuré la lecture à
l'Académie de Besançon dans le cours de
cette année ,& qui fut le premier lien de
leur correſpondance.
Les Differtations ſur l'Hiſtoire des Séquanois
& les Mémoires pour les Arts ,
firent naître ſous la plume de M. de Quin.
fonas l'occaſion de déſigner par avance la
place que les bienfaits de M. le Duc de
Tallard lui aſſurent dans l'Histoire de certe
Province , & de remarquer qu'elle n'eſt
pas moins la Patrie des Artiſtes que des
Guerriers , des Négociateurs & des Sçavans.
Le diſcours de M. le Premier Préſident
fut accompagné des applaudiſſemens d'une
nombreuſe aſſemblée , & ſuivi de la diſtribution
des prix. Il déclara que l'Académic
avoit adjugé le prix d'éloquence audifcours
Nº. 16 , qui a pour deviſe : Nec
rude quidprofit video ingenium. Horat, Art.
Poët. & l'Acceffit au diſcours N°. 41 , qui
a pour deviſe : Ego nec ſtudiumfine divite
venâ , nec rude quid profit video ingenium.
Horat. in Art. Poët.
M. le Premier Préſident annonça enſuite
, que le prix d'Hiſtoire avoit été adjugé
à la Differtation No. 4 , qui a pour
NOVEMBRE. 1753 . 75
deviſe : Terra antiqua potens armis atque
ubere gleba. Virg. Æneid. lib. 3. que le prix
des Arts avoit été adjugé au Mémoire Nº.
12 , qui a pour deviſe : Dedit inculta doctrina
natura ; & que l'ouvrage No. 6 , qui
a pour deviſe : Ha tibi erunt artes mihi ,
ainſi que celui Nº. 13 , qui a pour deviſe :
Le travail produit la ſcience , avoient obtenu
l'Acceffit.
M. l'Abbé Bergier , Curé de Flangebouche
en Franche-Comté , reconnu pour
l'Auteur du Difcours & de la Diſſertation
couronnés , reçut des mains de M. le Premier
Préſident les deux médailles d'or qui
lui étoient deſtinées ,& du Public les acclamations
que méritoit un double triomphe.
Le prix des Arts fut remis à M. le
Secrétaire , pour être délivré à l'Auteur du
Mémoire couronné , lorſqu'il ſe ſera fait
reconnoître.
La lecture des divers ouvrages qui
avoient fixé le jugement de l'Académie ,
fut affez longue pour occuper le reſtede
la Séance ; elle fut terminée par la lecture
du Programme des ſujets des prix pour
1754 , dans lequel l'Académie propoſe
pour celui de l'éloquence : Le danger de la
louange prématurée ou exceffive. Le Diſcours
ſera d'environ une demi-heure de lecture.
Pour celui de l'Hiſtoire : Quelles étoient les
Dij
1
76 MERCURE DEFRANCE .
Villes principales de la Province Séquanoiſe
Sous la domination Romaine , & quelle étoit
leurfituation. La Diſſertation ſera d'environ
trois quarts d'heure de lecture , non
compris le chapitre des preuves , qui devra
être ajouté à la fin de la Diſſertation.
Les Auteurs font avertis de ne pas mettre
leurs noms à leurs ouvrages , mais une
marque ou un paraphe , avec telle deviſe
ou ſentence qu'il leur plaira. Ils la répéteront
dans un billet cacheté , dans lequel
ils écriront leurs noms & leurs adreſſes.
Les piéces de ceux qui ſe ferontconnoître,
ſoit par eux mêmes , ſoit par leurs amis ,
ne feront pas admiſes au concours.
4
Le troiſième prix fondé par la Ville de
Besançon , eſt une médaille d'or de la valeur
de deux cens livres , deſtinée à celui
qui indiquera les meilleurs moyens de conferver
,& même d'augmenter l'action du feu
dans lesfourneaux des Salines , en diminuant
la consommation des bois deſtinés àla cuitedes
fels,fans en diminuer le produit , &en leur
confervant le même grain.
Ceci doit s'entendre d'une Saline , dans
laquelle quatre- vingt muids d'eau oude muire
de vingt-un dégrés defalure , produisent communément
fix mille quatre cens livres defel
par chaque cuite , qui dure quinze heures ,&
qui confomme au plus cing cordes&demie de
buis.
NOVEMBRE. 1753. 77
Les Auteurs pourront joindre des plans
& profils de leurs inventions , de façon
qu'au moyen, des lettresde renvoi le defſein
puiſſe être connu , ainſi que les proportions
de leurs machines ſur une échelle.
Ceux qui prétendront aux prix ſont
avertis de faire remettre leurs ouvrages
avant le premier du mois de Mai prochain,
au Sieur Daclin , Imprimeur de l'Acadé--
mie àBesançon ,& d'en affranchir le port ,
précaution fans laquelle ils ne ſeroient pas
retirés.
SONG F.
MILE FORQUERAT A SA MERE.
CoOmmmmee lejourde votre fête
Toute la nuit m'a croté dans la tête ;
,
En ſonge , j'ai crû voir ſur le ſacré vallon
Les Nymphes qui ſous Appollon ,
Cultivent à l'envi de leurs mains immortelles ,
Ces fleurs que rien ne fane & qui toujours font
belles.
Mon coeur treſſaille à cet aſpect :
Muſes , leur ai - je dit , ſans manquer de reſpect ,
Puis- je vous faire une priere ?
Vous connoiſſez maman , elle eſt votre écoliere ;
De vos doctes leçons qui ſçut mieux profiter ?
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Sur le clavier de Polymnie
Elle fait admirer les talens , le génie
Dont vous daignâtes la doter ,
Etpar tout elle cherche à vous accréditer.
Pour cette maman que j'aime
Je ſollicite vos faveurs :
Enla couronnant de vos fleurs ,
Vous vous couronnerez vous-même ;
Exaucez-moi , çavantes Soeurs.
Non , dirent- elles , non : ceſſe de le prétendre :
Ates voeux empreſſés nous ne ſcaurions nous rendre.
Tandis que , parmi les mortels ,
L'encens qui nous eſt du brûle ſur ſes autels;
Tandis que ta maman ufurpe nos offrandes ,
Pour elle on nous verroit préparer des guirlandes !
Puiſque par ſon eſprit & ſes talens divers
Elle fait oublier nos fublimes concerts ,
Cherche ailleurs des bouquets; les Filles du Parnalle
Ne chanteront jamais celle qui les efface.
Après ces mots par l'envie inſpirés ,
Les Muſes & Phébus,tous ſe ſont retirés.
Alors vers les jardins de Flore
Je porte un pas précipité ,
J'y vois des fleurs quine font que d'éclore ,.
Dont l'éclatant émail & la variété
Sont l'ouvrage chéri des larmes de l'Aurore ;
Un enfant les cueilloit : c'étoit le tendre Amour
7
NOVEMBRE. 1753 . 79
Je m'approche , empreſtée à lui faire ma cour :
Aimable Dieu , ſecondez mon envie ;
Celle qui m'a donné la vie
Attend , lul dis- je , un bouquet de ma part;
A ma priere ayez égard :
Les fleurs que vous cueillez ſont ſeules dignes
d'elle ,
Et votre main leur donneune fraicheur nouvelle:
Si vous êtes ſenſible à mon deſir preſſant ,
Mon coeur fera reconnoiſſant .
Apeine eus -je fini ma tendre plaidoirie ,
Que l'Amour me donne ces fleurs ,
En me diſant ces mots flateurs :
Tien, mon enfant , porte-les àMarie.
Le plaifir que j'en eus me réveille en ſurfaut,
Et je vois fur mon lit le bouquet qu'il me faut.
Ce n'eſt point une menterie ;
Maman , mon reſpect en ce jour
Vous préſente le don que vous a fait l'Amour.
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Belles- Lettres de Montauban
, du 25 Août 1753 .
L
'Académie des Belles Lettres de Montauban
célébra le 25 Août la Fête de
Saint Louis avec la folemnité accoutumée.
Diiij
80 MERCURE DEFRANCE .
Elle aſſiſta le matin à la Meſſe , qui fut
ſuivie de l'Exaudiat pour le Roi , & au
Panégyrique du Saint , qui fut prononcé
par M. l'Abbé Courtade , Curé de Cours ,
dans le Diocèſe de Cahors.
L'après midi , l'Académie ſe renditdans
la grande Salle de l'Hôtel de Ville , cù
elle fut reçue conformément au cérémonial
preſcrit par le Roi ; & M. l'Abbé Bellet
, Directeur de quartier , ouvrit la Séance
par un Difcours où il ſe propoſa d'expliquer
la nature du goût , ſa néceflité , la
maniere dont il ſe forme , & la cauſe immédiate
de la courte durée de ſon regne
chez tous les peuples. Il fit remarquer Pinſuffisance
des définitions que pluſieurs Auteurs
en ont données , & il ajoûta que l'on
réuffiroit peut- être mieux à le définir , ſi
l'on ſe bornoit à le conſidérer plutôt comme
tenant à l'ame en général , que comme
attaché à une de ſes facultés en particulier
; qu'il n'en eſt aucune à laquelle il
paroiſſe appartenir à l'excluſion des autres;
qu'elles contribuent toutes à ſon exiftence
, mais qu'à ſon tour , il influe auffi
fur toutes; qu'il s'exerce par elles , & que
l'on diroit qu'il réſulte ſimplement de leurs
diverſes fonctions réunies . Il diſtingua les
différentes fortes de beautés ou de défauts
qui peuvent être dans un ouvrage , & qui
NOVEMBRE. 81
1753 .
ſervent à diſtinguer les goûts différens des
hommes de Lettres. Il prouva que le bon
goût eſt unique & toujours le même ; &
qu'il eſt également néceſſaire à l'écrivain
& au lecteur , à celui qui compoſe & à
celui qui juge. Pour expliquer la maniere
dont le goût ſe forme , il montra comment
la nature l'ébauche , & comment l'art le
perfectionne. C'eſt par là qu'il eſſaya de
Tendre raiſon des goûts nationaux , de la
différence de goût qu'on remarque dans
les deux ſexes , & du genre de goût qui
ſemble caractériſer chaque homme de Lertres
en particulier. Enfin il prétendit qu'en
va communément chercher trop loin la
cauſe immédiate de la chûte du goût , parce
que , diſoit-il , elle est toute en nous. Une
génération ne tranſmet point à l'autre ſon
goût comme ontranſmet un héritage. C'eſt
unbienque chacune en particulier eſt obligée
d'acquérir , s'il eſt permis de parler
ainfi , à ſes frais & dépens. Nous naiſſons
tous également ignorans , & l'ignorance
eſt une forte de mal auquel il n'eſt pas
poſſible de remédier une fois pour toutes.
Il faut donc , concluoit cet Auteur , que
pour retenir , pour fixer le bon goût parmi
les hommes , en ſe ſuccédant les uns
aux autres , ils marchent conſtamment
dans la route de ceux qui ont eu le bonheur
de le faifir .
Dv
82 MERCURE DEFRANCE.
M. l'Abbé de Verthamont , Grand Archidiacre
de l'Eglise de Montauban &
Grand Vicaire de l'Evêché , lut enſuite une
traduction de l'Oraiſon de Ciceron pour
le Poëte Archias . Tout le monde fçait que
dans cet Ouvrage l'Orateur Romain plaide
la cauſe des Lettres , & que , fuivant la
remarque de M. Patru , il y étale en leur
faveur tous les myſteres de ſon art. Pour
bien faire connoître la maniere du nouveau
Traducteur , il faudroit donner un
trop long extrait de ſa traduction. On ſe
contentera dedire que ſans avoit rien de
contraint & de gêné , elle eſt exacte &
fidele..
Ona dit que nul ouvrage ne mérite fi
bien le nom d'Odes que les Pſeaumes de
David ;& M. Bernoy fit la lecture de deux
Odes,tirées l'une du Pleaume XXXVII
&l'autre du Picaume L , qui font les deux
plus touchans de ceux qu'on appelle de la
Pénitence.
S
Voici comme il a rendu les accens plaintifs
de David Pénitent.
#. 10 du Pfeaume XXXVII.
Seigneur , toi qui lis dansle fond de mon ame;.
Qui connoisles déſirs dont ton amour l'enfâme ,,
Tuvois auſſi quel eft l'excès de mes tourmens.
Mafoible voin reinte
NOVEMBRE. 1753. 83.
Pour exprimer la plainte
Ne ſçauroit plus pouſſer que des gémiſſemens.
*. 22 & 23 du même Pseaume. J
Ne m'abandonne pas , Dieu puiſſant de nos peres,
:
i
Donne-moi le ſecours qu'attendent mes miſeres :
Etends ſur moi ta main ; change mon triſte fort.
Où trouver ſans ton aide ,
Cet unique remede
Qui ſeul peut garantir mon ame de la mort ?
21 du Pfeaume L.
ODien , fita voulois d'éclatans facrifices ,
J'aurois fur tes autels de cent jeunes génifles
A tes pie is épuiſe le flanc ;
Mais ce ne font pas les offrandes
Que de mon amour tu demandes ,
Tu veux le coeur & non du fang.
Rempli de zéle pour la gloire de l'Acadé
emie, M. de Saint Hubert, ancien Capitaine
-de Cavalerie & Chevalier de l'Ordre Mili
taire de Saint Louis , lut un Diſcours fur le
choix des Académiciens. Si l'on a égard ,,
difoit-il , à toute autre choſe qu'au mérite
-lorſqu'on opine pour ſe donner un confrere
, c'eſt manquer au Corps auquel on
a l'honneur d'être affocié ; c'eſt manquer
au public ; c'eſt ſe manquer à foi-même ;
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
&c'eſt rendre un mauvais ſervice à celui
que l'on croit favorifer , parce que tel qui
auroit peut- être joui pendant toute ſa vie
de la réputation d'homme d'eſprit , la perd
àla premiere épreuve qu'exige l'uſage des
Corps littéraires . Il fit obſerver qu'on ne
Le forme pas une aſlez grande idée des devoirs
de l'Académicien ; qu'une Académie
n'eſt pas une école , mais un tribunal où
l'on prononce pour ou contre toute forte
d'ouvrages de Littérature , &c. Il s'appuya
en particulier ſur un motif bien intéreſfant
pour des coeurs François , & qui a
beaucoup de force dans la bouche d'un
ancien Militaire. Une ſociété d'hommes
de Lettres eſt , ſelon lui , comptable à la
poſtérité des exploits nombreux & éclatansdu
Monarque qui l'a fondée , & l'on
ne doit point affocier à de fi nobles travaux
, des ouvriers foibles & fans expérience.
Pour écarter de plus en plus toutes les
conſidérations étrangeres , M. de Saint-
Hubert ajoûta que l'amour propre devroit,
ce ſemble , ſuffire pour rendre les ſociétés
Littéraires plus attentives à cet égard ; &
querienne feroit même plus capable d'intpirer
l'ambition d'y être reçu , que le mérite
reconnu de ceux qui auroient le bonheur
d'y entrer. LesAcadémies fontd'ail
NOVEMBRE. 1753. 85
leurs le ſeul corps auquel on ne ſe préſente
point avec un ordre ſcellé de l'autorité
fupérieure. Pourquoi , diſoit- il , voudroientellesſe
dépouiller elles-mêmes d'une préroga
tive unique qui doitſervir àſignaler leur difcernement
? Mais l'Auteur voulant indiquer
les défauts , incompatibles , ſelon lui ,
avec la qualité d'Académicien , il ajouta
avec autant de force que de juſteſſe: » Fermez-
donc les portes du temple à ces génies
lents , ſtériles , ſuperficiels , infipi-
>>des , pareſſeux , ou doués d'une fauffe &
>> frivole vivacité , toujours ennemie de la
>>juſteſſe & de la précifion : à ces génies
>>aigres , inquiets& jaloux , dont la prin-
>>cipale occupation eſt de chercher àdé-
>>truire ceux qu'ils ne sçauroient imiter :
»à ces génies précieux & guindés courant
toujours après le merveilleux , qui croi-
>>roient ſe dégrader par un ſtyle ſimple &
->naturel à ces génies durs& peſans , for-
>>més à force de travail , portant par tout
>>l'empreinte d'une étude pénible & fau-
>>vage: à ces génies impérieux , qui comp-
>>tant pour rien les avis des autres , veu-
>>lent toujours tout ramener au leur : à ces
>>génies ſouples par malice ou par foiblef.
» ſe , qui louent par politique ou par habitude
, génies d'autant plus dangereux
que l'amour propre eſt intéreſſé à les
86 MERCURE DEFRANCE .
*
wcroire connoiffeurs & finceres : à ces génies
avantageux , qui croyent trouver
dans l'eſtime ridicule qu'ils ont d'eux-
>>mêmes , le droit d'une raillerie inful-
>>tante : à ces génies enfin libres , hardis
>>& inconſidérés , qui ſe permettent tour ,
» & qui cherchent dans une expreffion
>>>heureuſe , dans une tournure nouvel-
>>l>e , l'excuſe de l'indécence & de l'im-
>>piété » . M. de Saint Hubert n'oublia pas
de joindre les vertus aux lumietes , les
qualités du coeur à celles de l'eſprit , pour
tracer le portrait d'un veritable Académicien;
& il conclut que ce titre doit annoncer&
ſuppoſer dans celui qui le porte ,
tout ce qui caractériſe l'honnête homme
P'homme ſcavant , le citoyen, l'homme du
monde , que l'agrément de ſes manieres
rend aufli recommandable que la ſupériorité
de ſes connoillances...
,
M. Cathala toujours occupé du ſoin de
faire connoître les grands hommes de cette
Province , avoit compoté depuis quelque
tems l'éloge hiſtorique deGuill. de Car--
daillac , Evêque de Cahors. En ſon abfence
M. de Savignac , Juge Mage , fit
pour lui la lecture de cet ouvrage , où
l'Auteur a eſſayé de raſſembler quelques
anecdotes du douziéme ou treizieme fiéole.
NOVEMBRE. 1753. 87
L'Académie venoit d'eſſuyer de vives
allarmes ſur le compte de M. de la Morthe
, qu'un fâcheux accident avoit manqué
de lui enlever , lorſqu'elle le vit , contre
fon eſpoir & fon attente, paroître à fon
Aſſemblée publique. Comme ſa Muſe eft
toujours la même , en dépit des ans & des
infirmités , il lut un ouvrage de Poëfie ,
où un agréable badinage égayoit ſes leçons
& ſa morale. Voici fon début :
Graces à ce Nocher du rivage des morts ,
Je reſpire , & j'entends vos fublimes accords
Caron a rejetté mon ombre désolée
De perdre ce grand jour pour paſſer chez Plutong
Et de crainte ma vue eſt encore troublée.
J'ai vu l'affreux Cerbere & la triſte Alecton
Or après un pareil effroi
Pouvez-vous attendre de moi
•
De nouveaux efforts de ma veine ?
Ai-je la force ; enfin , parlonsde bonne foi
De courir juſqu'à la fontaine ,
Ou d'Helicon on d'Hypocrêne ?
Quandje chantois jadis les attraits , les beauxyeux
De Philis ou de Célimene ,
Jouvrois avec lesdoigts le robinet fans peine;
Lamain tremble quand on eft vieux.
88 MERCURE DE FRANCE.
O vous , illuſtre Fontenelle ,
Chez qui malgré le froid de quatre-vingt-feize
ans,
Le feu divin d'un glorieux Printems*
Se conferve & ſe renouvelle :
Que ne puis-je en ce jour fur les rives duTarn ,
Ainſi que vous aux bords de la Seine étonnée ,
Amuſer la meilleure part
D'uneVille qui ſemble à l'ennui condamnée !
:
S'amufer toujours & s'inſtruise ,
Perdre quelque défaut , gagner quelque agré
ment ,
C'eſt à quoi je voudrois réduire
Mon difcours , mon raiſonnement.
M. de la Motthe empruntant alors le
langage de Thalie , lut une petite Piéce ,
où il eſſayade tracer un modéle du genre
d'amusement qu'il croyoit pouvoir fervir
à corriger les hommes ſans leur déplaire.
Enfin M. de Saint-Hubert , qui comme
on va voir , s'exerce & réuffit dans plus
d'un genre , adreſſa les Vers ſuivans à M.
de la Motthe ..
Tu reviens des bords du Cocyte ,
Nous te revoyons en ces lieux ;
Le beau ſexe s'en félicite ,
Et nous ne demandons auxDieux
NOVEMBRE.
1753. 89
Quedete voir long-tems par un heureux comique
Egayer le ton ſérieux
D'une Séance Académique.
Mon cher Doyen* je ne ſuis point ſurpris
Que l'on trouve dans tes écrits
Cet ingénieux badinage ,
Ce tour galant , ces mots choifis
Qui feroient honneur à tout âge ,
Et qui ne ſont point le partage
Des Poëtes à cheveux gris.
Lorſqu'Apollon monta taLyre ,
Les Graces lui faisoient la cour
Et les Muſes le faiſoient rire ;
Tu dois tout le reſte à l'Amour.
Il ſoutient ta verve féconde ;
C'eſt lui qui rajeunit tes chants.
Qu'il eſt rare à quatre- vingt ans
D'amufer la brune & la blonde ,
De conſerver tous ſes talens ,
Etde jouir dans la vieilleſſe
Des reſſources de la jeuneſſe ,
Sanscraindre les égaremens !
Que ce foit folie ou foibleſſe ,
Les vieillards n'en ſont pas exempts.
Que fervent les raiſonnemens
Contre cette fatale yvreſſe
Qui malgré nous s'empare de nos ſens ?
*M. de laMotthe est leDoyende la Cour desAs
des &del'Académie.
9. MERCURE DE FRANCE.
J'ai fait pour l'éviter des efforts impuiſſans;
Mais fima raiſon me ſeconde ,
Celle dont je reçois la loi ,
Ne connoîtra fon empire ſur moi
Que par celui qu'elle a fur tout le monde.
La Séance fut terminée par la diſtribu
tion du prix d'Eloquence ,& par la kcture
du Programme ſuivant.
M. l'Evêque de Montauban ayant deftiné
la fomme de deux cens cinquante livres
, pour donner un Prix de pareille valeur
à celui qui , au jugement de l'Académie
des Belles- Lettres de cette ville , ſe
trouvera avoir fait le meilleur Difcours
fur un fujer relatif à quelque point de morale
tiré des Livres ſaints , l'Académie
diſtribuera ce Prix le 25 Août prochain ,
Fête de Saint Louis , Roi de France.
Le ſujet de ce Diſcours ſera pour l'année
1754 , Si l'on peut dire des Académies
ceque l':ſpritfaint a dit des Sages , que leur
grand nombre tourne au profit de la Société :
multitudo autem Sapientium ſanitas eſt orbis
terrarum. Sap. G. 26 .
L'Académie avertit les Orateurs de s'atracher
à bien prendre le ſens du ſujet qui
leur eſt propofé , d'éviter le ton de déclamateur
, de ne point s'écarter de leur plan ,
& d'en remplir toutes les parties avec
NOVEMBRE.
1753.91
juſteſſe & avec précifion .
Les Diſcours ne feront tout au plus ,
que de demie heure ,& finiront toujours
parune courte Priere à Jeſus-Chrift.
On n'en recevra aucun qui n'ait une approbation
ſignée de deux Docteurs en
Théologie.
Les Auteurs ne mettront point leur nom
à leurs ouvrages , mais ſeulement une marque
ou paraphe , avec un Paſſage de l'Ecriture
Sainte , ou d'un Pere de l'Egliſe
qu'on écrira auſſi ſur le regiſtre du Secrétaire
de l'Académie.
Les Auteurs feront remettre leurs ouvrages
par tout le mois de Mai prochain , entre
les mains de M. de Bernoy , Secrétaire
perpétuel de l'Académie , en ſa maiſon
Fue Montmurat ; ou en fon abfence , à M..
P'Abbé Bellet , en fa maiſon , rue Cour- de-
Toulouſe.
Le Prix ne ſera délivré à aucun , qu'il
ne ſe nomme & qu'il ne ſe préſente en
perfonne , ou par Procureur , pour le récevoir&
pour figner leDifcours .
Les Auteurs font priés d'adreffer à M.
le Secrétaire trois copies bien liſibles de
leurs ouvrages , & d'affranchir les paquets
qui ſeront envoyés par la Poſte. Sans ces
deux conditions les ouvrages ne feront
point admis au concours.
92 MERCURE DE FRANCE.
Le Prix de l'année 1753 a été adjugé au
Diſcours qui a pour ſentence , Artes, ingenium
, fenfum , premit una libido ; dontM.
Fromageot , Avocat au Parlement de Dijon
, & Secrétaire perpétuel de l'Académie
des Sciences & Belles-Lettres de la
même Ville, eſt l'Auteur * . Il fut auſſi couronné
l'année derniere.
:
MANDEMENT
De Mgr. l'Evêque de Valence , ſur l'heureuse
accouchementde Madame la Dauphine
la naissance d'un Duc d'Aquitaine.
A
Lexandre Milon , par la grace de
Dieu, & l'autorité du Saint Siége
Apoftolique , Evêque , Comte de Valence,
&c.
Unſecond Prince nous eſt donné , mes
très- chers Freres , & ce nouveau préſent
du Ciel qui augmente la Famille Royale ,
doitnous pénétrer avec elle de reconnoiffance&
dejoie.
Graces à celui qui perpétue les Empires ,
en perpétuant la Race des bons Rois , notre
tranquillité devient tous les jours plus
aſſurée , &de plus en plus s'éloignede nous
l'idéede ces troubles domeſtiques , qu'une
NOVEMBRE. 1753 . 93
fucceſſion interrompue excite ſouventdans
les Monarchies les plus floriſſantes & les
mieux établies.
La bénédiction que Dieu promet à ceux
qui le craignent , eſt abondamment accordée
à Madame la Dauphine , déja ſi chere
àſon auguſte époux par toute ſa tendreſſe ,
& le lui devientencore davantage par une
heureuſe fécondité .
Chaque jour affermit , pour le bonheur
des peuples , les doux liens qui réuniſſent
enſemble tant de vertu , & nous en
voyons fortir de précieux rejettons qui enrichiffent
annuellement le Trône , & qui
répondant à la beauté de leur tige , porteront
la gloire des Lys dans les ſiècles les
plus reculés.
Cultivés par les mains de la Religion ,
ſous les yeux d'un Roi qui ne cefle d'en
être le Protecteur , quelle ſatisfaction pour
nous , de penſer qu'ils en prendront de
bonne heure les ſentimens ,& que formés
fur ſes exemples ils pourront l'aider un jour
dans une vieilleſſe couronnée de ſuccès ,
à foutenir le fardeau pénible de la Royauté
, & ſçauront enfin dans les tems marqués
par la Providence , gouverner les peuples
dans la justice &dans la paix .
De quelque côté qu'ils jettent les yeux,
ils ne verront par tout que des leçons vi
94 MERCURE DE FRANCE...
vantes de ſageſſe & de vertu , qui leur
feront aimer le bien avant même que de le
connoître.Unenouvelle Either auffi reſpectable
par ſa piété que par l'éclat du diadême
, & qui femble n'être ſur le Trône que
pour en faire couler des charités plus abondantes.
Un Dauphin , le modele de tous
les fils par ſa ſoumiffion & fon reſpect :
c'eſt regner pour lui , que d'obéir au Roi
fon pere. Une Dauphine , épouſe courageufe
& tendre , de qui le coeur devenu
tout François , ſemble ne reſpirerque pour
la conſervation de ce Prince , la gloire du
Roi , & l'avantage de la Nation .
Que nous reſte t'il , mes très-chers Freres
, après tant de bienfaits , que d'en rendre
à Dieu les plus vives actions de graces ,
de lui demander avec inſtance de nous
conferver ces jeunes Princes , de veiller
autour de leur berceau , d'en écarter tout
ce qui pourroit nous allarmer ſur leurs
jours , & de verſer dans leurs coeurs ces
ſentimens d'humanité , de religion &
d'héroiſme , qui ſont comme l'appanage
de leur fang , & les véritables ſources de
la fûreté& de la félicité publique. Donné
à Valence ce 24 Septembre 1753. Signé ,
Alexandre , Evêque de Valence.
NOVEMBRE. 1753. 95
Le mot de l'Enigme du Mercure d'Octobre
est Orange. Celui du premier Logogryphe
eſt Harmonie, dans lequel on trouvemien
, aimer , Arion , Rome , Henri , Noë,
ame
,
nom ;
mari , heron , Hieron , Noéma , ha ,
Raine , ami . Celui du ſecond , eſt Paris ,
dans lequel on trouve les ris ; Paris ,pas ,
ipas , adv. ripa , rive ; fi ; Spa ; Apis,
boeuf; apis , abeille , as , monnoye ; Pari ,
genit, de Paros ; Ipra , Ypres ; Pifa , Piſes
ira ; pis , pari , Spira , petit pain , on cordon
; paris , genir, de par ; Pis ; raſis , de
l'indicatif rado ; i , imper. du verbe eo , &
la lettre a.
ENIGME.
REgarde- moi parler : je ſuis depuis long-tems;
Ettoutefois , Lecteur , je nais à chaque inſtant :
Tel medonne la mort , qui m'a donné la vie ,
Ettel me rend au jour , qui m'a donné la mort :
Je peins également l'eſprit & la folie ;
Je fais honneur à Pun , à l'autre je fais tort :
Je raſſure ſouvent la trop tendre Silvie ,
Qui rendue à Tircis , craint de le perdre au port :
Utile , dangereuſe , au bien , au mal propice ,
6 MERCURE DE FRANCE:
J'excite à la vertu , j'autoriſe le vice.
Mais c'eſt trop , cher Lecteur , oui , c'eſt trop
m'annonçer ;
Tu me vois , tu me tiens ; peux-tu donc m'is
gnorer ?
D
LOGOGRYPH Ε.
Eneufppieds , cher Lecteur , eſt compoſémon
nóm ;
En les changeant de lieu , tu trouveras , je gage ,
Un péché qui ſouvent nous voile la raiſon ;
Le nom d'un animal qui naît pour notre uſage ;
Celui que nous donnons à ceux qu'un même ſort
Arangé ſous les loix de l'objet qui nous charme;
Cequi nous eſt ravi par la cruelle mort ,
Etdont nous redoutons la perte avec allarme.
Mon nom est fort commun , cependant diftingué ;
Pluſieurs de mes Lecteurs le portent ,oui ,j'en
jure ;
L'un s'en faitgrand honneur, l'autre en eft fatigué:
Lecteur, tu dois connoître à ces traits ma nature,
J
TRE.
Ene ſuis tout au plus qu'un leger accident,
Source de plaiſirs cependant ;
Quoiqu'univerſelle , la France
Eſt mon ſéjour de préférence ;
Ses peuples ſont mes favoris ,
Et
NOVEMBRE. 1753 . 97
Et de leurs coeurs je ſuis la Déité ſuprême ,
Petits maîtres , héros , belles , & beaux eſprits ,
Tous pour mon culte y font voir une ardeur extrême
;
Auſſi de leurs attraits , de leurs legers écrits ,
C'est moi qui bien ſouvent fais l'unique mérite .
Aux plus minces objets je donne un fort grand
prix;
Mais , malgré mon pouvoir , le tems me décrédite,
Et les jette dans le mépris.
Je change , & varie ſans ceſſe ,
Et c'eſt à cette heureuſe adreſſe
De m'offrir chaque jour ſous des traits differens
Que je dois des mortels , & l'hommage & l'encens;
Mais il faut que je le confeſſe ,
Dans l'eſprit des François , tel qu'il eſt aujourd'hui
,
Inépuiſable ſource ,
Je trouve une reſſource ,
L'honneur de mes autels ,&leurplus ferme appui.
Tu meparois rêveur , allons , Lecteur , courage;
Dans mes neuf pieds je préſente àtes yeux ,
Le foible bois qui ſur un tronc ſauvage
Promet des fruits délicieux ;
Cet élément ſur qui l'on nage ;
Cet amas qui formé des vapeurs de la terre ,
Renferme dans ſon ſein la grêle& le tonnerre ,
Et l'eſpérance des moiſſons ;
E
98 MERCURE DE FRANCE.
Un des cinq ſens , & l'une desfailons ;
Cequi les contient toutes quatre ;
Deux quadrupedes animaux ,
Dont l'un eſt fort opiniâtre ;
Celle qui fut la cauſe de nos maux ,
Pour n'avoir du ſerpent repouſſé l'artifice ;
Le comble intérieur d'un pieux édifice ;
Un inſtrument qui ſert à nettoyer le grain ,
Et de tout mélange l'épure ;
Ce qu'un Marchand tient à la main ,
Quand toiles , ou draps il meſure ;
Le fier tyran des flots ,
La terreur & l'objet des vænx des matelots.
Ceque forme la voi'x; ce juſte Patriarche
Aux yeux daquel dans l'air , Dieu au ſortir de
l'Arche
Etala l'Arc brillant des plus vives couleurs ;
Ceque dans le danger la crainte nous fait faire ,
Dont ſouvent on déroge à l'obligation ;
Un adverbe local , actif ou ſédentaire ,
Qui dans un autre ſens devient conjonction ;
Des bienheureux le ſigne ſalutaire ;
Unterme muſical , qui pris differemment
D'un texte obſcur eſt l'éclairciſſement ;
Une négation ; certaine particule ;
Ce qui trop grand , ou trop petit
Rendun viſage ridicule ;
Je crois , Lecteur , t'en avoir aſſez dit.
NOVEMBRE. 1753. 99
洗清洗洗洗洗洗
NOUVELLES LITTERAIRES.
R
ECUEIL de plufieurs piéces d'Eloquence&
de Poësie , préſentées à l'Académie
des Jeux Floraux 1,753 , avec les
Diſcouts prononcés & les affemblées publiques
de l'Académie. A Toulouse , chez
Pijon , & ſe trouve à Paris , chez Delaguette,
rue Saint Jacques.
Le recueil commence par une Ode ſur
la Calomnie , adreſſée aux manes de Roufſeau
, & qui eſt rapportée toute entiere
parmi les piéces fugitives du Mercure.
Cette piéce qui a remporté le prix de l'année
, eſt ſuivie d'une Ode qui a remporté
un prix réſervé. Elle roule ſur la mort de
Madame de Montégut , qui a honoré l'Académie
, dont elle étoit membre , par des
talens , des graces &des vertus . Quelques
ſtrophes feront connoître la maniere du
Poëte , M. Carquet,
Montégut , du Printems quand tu peins l'allégreffe,
En dépit des frimats , tu bannis la triſteſſe
Des rigoureux hyvers :
Dans les champs dépouillés, je crois voir la verdure.
Les charmes dont Borée a privé la nature ,
Renaiſſent dans tes vers .
E ij
100 MERCURE DE FRANCE .
Si d'un antique bois tu plains la deſtinée ,
Le fer ſemble frapper mon oreille étonnée
Par ſes coups redoublés :
Je vois fuir les Oiseaux : les Driadestremblantes
Quittenten ſoupirant les tiges chancelantes
Des chênes mutilés .
Prêt à voirde ſes feux couronner la conſtance
Tircis ne revient point : Iſmene , ſon abfence
Allarme ton amour.
,
Par tes regrets touchans , tu m'arraches des larmes ;
Mais que vois- je ? bannis de frivoles alarmes ;
Tircis eſt de retour .
On a lû dans un des Mercures précédens
le Diſcours de M. l'Abbé Foreſt , qui a été
couronné , & on y a trouvé une grande
abondance de ſtyle , d'idées & de connoifſances.
Ce ſujet dont le but eſt de prouver
combien les Sciences ſont redevableş
aux Belles-Lettres , a été encore traité par
le Pere Pont , de la Congrégation de Saint
Maur. Son ouvrage , qui a été jugé digne
d'un prix réſervé , eſt clair , ſenſé & méthodique
: on trouve , qui arrive
ment , que l'Auteur a raiſon .
ce rare-
Le prix de l'Idylle a été adjugé à l'Idylle
de M. Viguier de Legadenne , fils , qui a
pour titre : Le triomphe du langage de l'Amour.
Voici le Dialogue d'une bergere &
d'un berger , qu'on trouve dans cette agréa
blePoëfie,
NOVEMBRE. 1753 . 101
De tant d'êtres divers qui brillent à ma vue ,
Vous ſeul , vous me ſemblez d'ane eſpéce incon
nue;
Mais qui que vous ſoyiez , apprenez qu'aujours
d'hui ,
Votre ſeule préſence a chaſſé mon ennui.
Chaque étre dansces lieux a trouvé ſon ſemblable,
Pour n'être pas lemien vous êtes trop aimable.
Je n'ai juſqu'en ce jour connu que le deſir :
A votre aſpect charmant j'ai goûté le plaifir...
A ce diſcours naïf , mais augré de ſa flame ,
Licas ne contraint plus les tranſports de ſon ame ;
Tous les feux de l'amour ont paflé dans ſon ſein ...
Thémire , lui dit-il , en lui ſetrant la main
Le Dieu qui charmetout, le Dieu que tout adore ,
Que votre coeur chérit ſans le connoître encore ,
M'a fait pour vous aimer , & pour être à vosyeux,
Ce que ſont les zephirs aux Heurs de ces beaux
lieux.
,
Seule , que faifiez-vous , quand tout lui rend
? hommage a
C'eſt lui que les oiſeaux chantent dans leur ramage;
C'eſt l'Amour... A ce nom Themire treſſaillit ! ...
Pour la premiere fois Thémire l'entendit ,
Ce nom qui lui découvre un Dieu qu'elle deſire .
Et pourquoi dans ces lieux ne tient- il ſon Empire?
Dit-elle : je voudrois pour prix de ſes faveurs
E iij
102 MERCURE DE FRANCF:
Qu'il regnât dans ce bois ainſi que dans nos
coeurs .
Ah ! lui répond Licas , avec un regard tendre ,
L'abſence de l'Amour ne doit point vous furprendre
;
Vous êtes ſon portrait , il brille dans vos yeux ,
Unregard vous ſuffit pour allumer ſes feux .
Vous connoiſſez enfin le pouvoir de vos charmes.....
L'Amour pour triompher vous a laiſſe ſes armes.
Le dernier ouvrage couronné du recueil,
c'eſt l'Idylle de M. Dutour , qu'on a déja
vûe dans le Mercure.
SCALPTURA , Carmen ; Autore Ludovico
Doiffin S. J. Apud P. G. le Mercier , via
San- Jacobaâ , fub figno Libri aures. La Gravûre
, Poëme par le R. P. Doiffin , Jefuite
. A Paris , chez P. G. le Mercier , rue
Saint Jacques , au Livre d'or.
,
Le Pere Doiffin , déja bien connu dans
la Littérature , par un très beau Poëme fur
la Sculpture qu'il donna l'an paſſé , vient
d'en donner tout nouvellement un autre
en trois chants fur la Gravûre , qui plaira
également aux amateurs & aux gens de
Lettres. Il eſt dédié à l'Académie Royale
de Peinture & de Sculpture , & traduit en
François , pour la commodité de ceux à
NOVEMBRE. 1753. 103
qui les Muſes latines ne ſont pas aſſez familieres
. Le Poëte dans le premier chant
décrit les differentes eſpéces de Gravûre
qui font en uſage , & apprend à donner
aux Eſtampes , toute la perfection dont
elles ſont ſuſceptibles. Il traite dans le ſecond
des talens naturels ou acquis , que la
Gravûre exige dans ceux qui s'y appliquent.
Le troiſiéme renferme les uſages de la Gravûre
& fon utilité. La verſification nous a
paru coulante & naturelle , les tours fimples
& aifés , les comparaiſons riches &
fleuries , les figures nobles & élevées , le
tout enfin digne de l'Auteur du Poëme fur
la Sculpture. Le Lecteur en jugera lui-même
par les morceaux que nous allons citer,
comme ils ſe préſenteront ,& que nous
accompagnerons de la Traduction.
Voici comme le Poëte décrit laGravûre
coloriée.
Necte præteream , Picturæ fimia felix ,
Ambiguum , Scalptura , genus , ſoboleſque bifor
mis.
Nimirum ligno , rigidove effingit in ære
Tres ſcalptor tabulas : proprium unicuique ſaum
que eft
Munus & officium ; nec totam fingula formam
Exprimit ; at ſolum partes habet una colore
Ungendas flavo , partes habet altera rubro ,
Eiiij
104 MERCURE DE FRANCE.
Altera cæruleo pingendas : nec mora ſuccos
Diluit , & proprio linit unamquamque colore
Lamnam opifex : deinde imprimitur madefacta pa
pyrus ,
Et bibit alternos prælo ſubjecta liquores.
Hinc optata venit lævi ſub imagine forma ,
Quam nec tu pictam , nec ſcalptam dicere poffis ,
Participans ab utroque fimul ; quippe ipſa colores
Suppetiit Pictura ſuos , Scalptura tabellas ;
Et meritò egregiam fibi vindicat utraque prolem.
Je ne paſlerai point ſous filence cette
eſpéce de Gravûre , qui imite la Peinture
au point de tromper les yeux , & de patoître
autant l'ouvrage du pinceau quedu
burin. Trois planches de bois oude cuivre
, deſtinées à des emplois differens ,
éprouvent tour à tour le burin de l'Artiſte ;
aucune ne contient le ſujet entier de la
Gravure , chacune en poffede une partie ;
toutes trois doivent fournir une couleur
particuliere , le jaune , le rouge , le bleu.
On les couvre des couleurs qui leur font
aſſignées : un papier humide appliqué fucceflivement
fur chacune d'elles , porté enſuite
ſous la preſſe , s'y imbibe des nuances
qui lui manquent , & n'en fort que
chargé de la figure que l'on y vouloit tracer.
Production ambigue qui n'appartient
féparément ni à la Gravure , ni à la PeinNOVEMBRE.
1753 . 105
ture ; qui naît cependant de la réuniondes
deux Arts; que tous les deux par conféquent
peuvent s'attribuer , › parce que
Gravûre lui prête ſes traits , & la Peinture
fon coloris.
la
Nous pallons au ſecond chant, & nous
tombons ſur l'éloge de Martin Rota , célébre
Graveur Italien, dont le talent étoit de
tendre en petit ſur une Eſtampe les plus
grands morceaux de Peinture. Rien n'eſt
plus délicat&plus ingénieux que ce qu'en
dit le Poëte.
Nam quis te tacitum , celebris Martine , relinquat
,
Innumeras doctum ſpatio breviore figuras
Ponere , & exili multum comprendere charta.
Nimirum pictam fi redderet ille tabellam
Arecavo, formas punctum attenuando , gigantas
Noverat in nanos mutare , in fila rudentes ,
Ades in cafulas , in tenues grandia lembos
Navigia , expanfis quos parvula muſca volando
Contegeret pennis , &guttula mergere poffet.
Extremum fic ille diem, mundique ruentis
Funera , quæ vaſto Michaël fub fornice tecti
Finxerat in parva defcripfit site papyro ,
Aligerum ingentes turmas , atque agmina mille ,
Et Aygias acies angufto limite claudens :
Sic tamen, ut membris maneant difcreta lociſque
Corpora , & in toto regnet pax æquore charte,
Ev
100MERCURE
DEFRANCE
.
Pourrai-je t'oublier , célébre Rota , to
dont le burin l'emporta ſur tous les autres ,
quand il s'agit de réduire à peu d'eſpaces
les ſujets les plus étendus , & de tracer des
figures ſans nombre dans une Eſtampe bornée
. Les objets en paſfant de la toile ſur
l'airain , changent par ton art magique de
nature & de proportions.. Un géant devient
un nain ; le plus gros cable n'eſt plus
qu'un fil délié & imperceptible ; les Palais
fe métamorphoſent en petites cabanes , &
les plus grands vaiſſeaux en batteaux legers
qu'un moucheron couvriroit de ſess
aîles , qu'une goute d'eau fubmergeroit &
feroit diſparoître. Ainfi gravastu autrefois
Pappareil formidable
vengeances
de l'Eternel , & la ruine de l'univers prêt
àrentrer dans le chaos. Sujet grand & terrible
, dont le fier pinceau de Michel Ange
avoit orné une voûte immenfe , & que
ton burin merveilleux a renfermé tout entierdans
les bornes étroites d'une Eſtampe..
Ha tout rendu , & les bataillons divers
de l'armée céleste , & la troupe nombreuſe
des anges rébelles ; chaque partie eſt difsinguée
, chaque objet occupe le lieu qui
lui eſt propre , fans ſe mêler , ſans ſe confondre;
& il regne dans le tout enſemble
un parfait accord & un repos agréable.
Le troifiéme chant offre des beautés égaedes
NOVEMBRE. 1753 107
les à celles des deux premiers. Le Poëte
après avoir parlé des chefs d'oeuvres de
l'Antiquité , dont il ne reſte plus de veſtiges
, parce que la Gravure qui n'exiſtoit
pas encore , n'a pû en conſerver les traits
dans des Estampes fidelles , adreſſe la parole
aux Peintres , qui font nés après l'invention
de la Gravûre , & s'exprime ainſi
Vos meliore igitur queis nafci contigit ævo ,
Plaudite , Pictores , grateſque rependite Divisa
Veſtra olim ad feros pervadet fama nepotes ,
Nec doctas Scalptura finet marcefcere lauros.
Nam tandem caries cum exederit uda tabellas ,
Ingenii monumenta fimul , dextiæque peritæ,
Hæc lætus rediviva iterum mirabitur orbis ,
Haud equidem tela , liquidove expreſſa colore
Aft ære incuſa ,& lævi commiſla papyro.
Suerii fruftra pictas lacerare tabellas
Tentaſti livor , nomenque abolere periti
Artificis : Scalptura malum reparavit abunde,
Famaque Suerii manet æternumque manebit
:
*
O vous donc , que le Ciel propice fitt
naître dans des ſiécles plus heureux , Pein--
tres de nos jours , reconnoiflez le bienfaits
des Dieux ; votre gloire triomphera dut
tems & de l'oubli ; votre nom ſeraconnut
de la poſtérité , & la Gravûre ne laiffera
point flétrir fur vos têtes illuſtres les lau
E vj
108 MERCURE DE FRANCE .
riers dont on les couronne aujourd'hui.
Lors qu'enfin vos raviſſantes Peintures ,
fruits admirables de l'adreſſe & du génie
auront fuccombé ſous le nombre des années
, l'univers ſurpris les retrouvera , les
admirera encore , non plus ſur une toile
animée par des couleurs parlantes , mais
dans une eſtampe fidéle , & dans les traits
admirables du burin. Rivaux clandeſtins ,
ennemis jaloux , en vain vos mains téméraires
dans ce Cloître où Bruno ſemble
reſpirer encore , ſe ſont-elles efforcées de
défigurer les ſçavantes peintures du Zeuxis
des François , & d'enſévelir dans un
éternel oubli fon nom & fa mémoire ; le
burin a réparé les mauxque votre main a
faits , & la gloire du Suear portée ſur les
aîles de la Renommée , ira malgré vous
juſqu'à nos derniers neveux.
Nous ne finirions pas ſi nous voulions
tranſcrire tout ce qui nous a paru mériter
l'attention du Lecteur ; il faudroit tranfcrire
le Poëme entier. Nous renvoyons à
l'ouvrage même , perfuadés que ceux qui
liſent Virgile & Ovide avec plaiſir , liront
velontiers le P. Doiſſin qui les imite
heureufement tous deux. Son Poëme mérite
d'autant plus les éloges finceres que
nous lui donnons ici , que la matiere étoit
plus difficile à traiter , & prétoit peu aux
NOVEMBRE. 1753 . rog
images riantes & gracieuſes , ſans leſquel-
Jes la Poësie n'est que de la Proſe toiſée.
En parcourant ſon Ouvrage nous nous
ſommes rappellés ces tems heureux où les
Commire , les Rapins , les Laruë , les Vanieres
faifoient retentir les rives de la
Seine des chants qu'Apollon leur avoit
dictés. Nous exhortons le P. Doiſſin de
continuer à marcher ſur les traces de ces
Poëtes célébres dont il a embraffé l'état .
LA Trentaine de Cythère. A Londres ,
& ſe trouve à Paris , chez Hochereau l'aîné
, Libraire , Quai de Conti , à la deſcente
du Pont-Neuf. Brochure in- 12 .
La Jardiniere de Vincennes. Par Madame
de V *** . A Londres , & fe vend à
Paris chez le même. in- 12. Cinq vol.
Un jeune homme de condition , eft
amoureux d'une jeune perſonne qui ne paroît
être que la fille d'une Jardiniere. Elle
devient l'époufe de ſon amant parune ſuite
d'évenemens , qui forment le fond véritablement
intéreſlant du Roman que nous
annonçons.
ESSAI hiſtorique ſur les différentes finations
de la France , par rapport aux inances
fous leRegne de Louis XIV , & la
TIO MERCURE DEFRANCE.
Régence du Duc d'Orléans. Par M. Deon
de Beaumont. A: Amsterdam 1753. in - 12 .
Un volume..
Après un tableau ferré & agréable des
grandes choses qui ſe ſont faites ſous le
regne de Louis XIV , l'Auteur entre en
matiere. Il ne dit qu'un mot en paſſant de
l'adminiſtration de Meſſieurs d'Emeri , la
Meilleraye , de la Vieuville , Servien &
Fouquet; mais il s'arrête ſur M. Colbert...
Lorſque M. Colbert fut appellé au
Gouvernement des Finances , fon premier
foin fut moins de corriger la forme & l'établiſſement
de leur adminiſtration , que
'de réparer les abus & les diffipations des
adminiſtrateurs . Ce re fut qu'en augmentant
le mouvement & la circulation , qu'il
parvint à porter l'ordre & l'étendue des
Finances du Royaume , au point de perfection
où elles arriverent. En effet , il
n'oublia rien pour augmenter de plus en
plus les relations& les correfpondances fi
néceſſaires entre tous les Ordres & les
Etats du Royaume. Ce fut par l'exactitu--
de , & par la religieuſe obſervation des
engagemens , qu'il acquit au Roi un crédit
immenfe fur tous fes Sujets , & qu'il
donna lieu aux Sujets de trouver entre eux
des reffources infinies dans leur confianceréciproque
, & dans leur créditmutuel.
NOVEMBRE. 1753 .
Sa grande & principale attention fur
de faire fleurir le commerce au dedans &
au dehors ; s'il exigea des peuples des ſubfides
plus forts qu'on n'avoit encore fait ,
il ſçut bien leur procurer les moyens de
les fournir ; les Manufactures , les Arts
les Métiers trouverent leur accroiſſement ,
leurs ſalaires & leur récompenfe ; les fonds
& l'induſtrie des particuliers ne furentjamais
fans emploi & fans action . Comme
les Négocians ſe prétoient à toutes ſes
opérations , il venoit auſſi volontiers à leur
fecours , parce qu'il ne craignoit rien tant
que ce qui pouvoit interrompre le mouvement
, même dans ſes plus petites par--
ties.
Une conduite fi habile , fi active & fi
folide l'avoit , pour ainſi dire , rendu maî
tre de tous les eſprits&de tous les biens
du Royaume , & ce fut à la faveur de cette
confiance & de ce mouvement que le
Prince & l'Etat trouverent long tems dans
l'abondance , de quoi foutenir les entrepriſes
les plus étendues & les plus diffici--
les , fans en aliérer les fources que la cir--
culation empêchoit de tarir. Quoique la
guerre coûtât des ſommes immenfes , l'intérieur
de ce Royaume ne s'étoit preſque
pas apperçu qu'il fallût entretenir des armées
; &fous le Gouvernement d'un Prince
!
112 MERCURE DE FRANCE.
qu'on peut regarder à juſte titre , comme
un des plus ſplendides de tous ceux qui
juſques alors avoient gouverné la Monarchie
, non- feulement l'argent ne manqua
jamais, mais on ne l'avoit jamais vû fi
commun. Enfin l'éclat & la proſpérité de
ce regne , la grandeur du Souverain , le
bonheur des peuples feront regretter à jamais
le plus grand Miniſtre qu'ait eu la
France ; & fi elle n'eût pas eu le malheur
de le perdre trop tôt , ſa profonde capacité
lui auroit fans doute fourni les moyens de
foutenir tout le fardeau du miniſtere , ſans
épuiſer les ſources de l'abondance qu'il
avoit ouvertes. Qui le croira ? la mort de
ce grand honime cauſa de lajoye au peuple
, que l'expérience de tant de ſiècles
n'a pas encore détrompé d'eſperer toujours
un avenir plas heureux , ſous le ſucceſſeur
d'un homme en place .
Il s'en fallut beaucoup que celui de M.
Colbert fût en état de remplir ces vaines
eſpérances de la multitude.Ce fut M. Pelletier
, & après lai Meſſieurs de Pontchartrain
& Chamillart. Les Finances étoient
dans un défordre affreux lorſque M. Defmarets
en fut chargé. Le public ſembloit
le défirer avec ardeur , il fut mis à la tête
des affaires comme le ſeul homme capable
d'apporter quelques remedes à la ſituation
NOVEMBRE. 1753. 113
violente où le Royaume ſe trouvoit. Le
nouveau Controleur Général trouva les
Finances dans un déſordre affreux. L'Etat
étoit chargé de dettes immenfes , les revenus
de la Couronne , ſur lesquels on anticipoit
depuis long-tems , étoient confumés
pluſieurs années à l'avance , point d'argent
dans l'épargne & peu dans les coffres des
particuliers , épuisés par les impôts qu'ils
Papportoient depuis fi long-tems.. Toutes
les richeſſes du Royaume étoient paſſées
où dans les pays étrangers , où entre les
mains des partifans , qui après s'être engraiffés
du fang des peuples,tenoient leurs
tréſors renfermés , & n'en laiſſoient fortir
qu'autant qu'il leur en falloit pour figuter
d'une maniere à effacer les premiers
Seigneurs du Royaume & même les Princes.
Les troupes n'étoient pas payées depuis
long-tems ; les Officiers & les foldats
manquoient de tout , ces derniers
avoient à peine des fouliers. Lesbillets de
monnoye , & toutes autres fortes de papier
, juſques là d'une aſſez grande refſource
,étoient tombés dans un diſcrédit
abſolu par le défaut de payement , ce qui
avoit tellement anéanti le crédit de la
Cour , qu'il ne falloit plus compter ſur des
emprunts.
Tels étoient l'épuiſement & le déſor.
114 MERCURE DE FRANCE.
dre des Finances , lorſque M. Deſmarets
fut appellé au miniſtere. Le premier objer
auquel il donna toure ſon attention , fut
de reconnoître les dettes de l'Etat , & les
papiers qui étoient, décrédités , & qui
avoient fait refferrer l'argent à un tel excès
que les payemens de toute nature étoient
devenus impoſſibles. On ne pouvoit fans
imprudence eſſayer de parvenir publiquement
à cette connoiſſance , il falloit au
contraire cacher le mal. Il crut donc devoir
commencer cette difficile adminiſtration
par un coup décisif , & qui marquant
au Publie qu'il connoiſſoit l'ordre & l'économie
d'une bonne régie , fût ſeul capable
de donner à l'eſpéce ſa premiere circulation
, & de ranimer la confiance. Il
comprit que le tréſor Royal , comme le
centre des Finances , devoit recevoir tout
le produit des revenus du Roi , & il s'atracha
à les y faire remettre à l'échéance
de chaque payement. Cet arrangement fut
applaudi , & eut tout l'effet qu'on en pouvoit
attendre.
Tout promit une nouvelle face , & des
commencemens ſi ſages annonçoient des
fuites les plus heureuſes , lorſque la famine
vint joindre ſes horreurs auxautres difgraces
que la France eſſuya pendant plu-
Geurs campagnes. Le froid exceffif& la
NOVEMBRE. 1753. 115
ſtérilité de l'année 1709 , porterent les
malheurs du Royaume à leur dernier période.
Le ſeul remede à tant de maux étoit
le retour d'une confiance qui ſembloit être
bannie pour jamais ; mais plus le mal étoit
grand , & plus on eut lieu d'être furpris
d'un prompt changement qui ſe fit dans
le mouvement des Finances , dèsles premiers
jours de ſon miniſtere. La haute
idée que tout le Royaume avoit de la capacité
du Miniſtre , ſuffit en effet pour ramener
la confiance autant que les circonftances
pouvoient le permettre, & fi M.Defmarets
ne fit pas l'impoffible , c'est-à-dire ,
s'il ne donna pas aux Finances toute l'étendue&
la facilité que M. Colbert y avoit
établies , il ſçut du moins faire revivre lo
crédit & le mouvement dans preſque toutes
les branches où il étoit éteint .
Quoique tous les revenus du Roi fuffent
engagés par anticipation pour deux
ou trois années , & que le défaut de confiance
& de bonne conduite eût preſque
généralement ſuſpendu la circulation ,
dans un tems où l'Etat en avoit un plus
grand beſoin que jamais , il préſenta avec
tant d'intelligence différens objets de débouchement
pour les effets qui émanoient
du Roi , & il fit 6 bien mouvoir les refforts
du crédit & du mouvement en ſubſti116
MERCURE DE FRANCE.
tuant toujours de nouveaux moyens ,
meſure que les premiers s'épuiſoient ou
s'affoibliſloient , qu'il parvint à trouver
non-feulement de quoi mettre le travail&
l'induſtrie des peuples en état de ſubvenir
plus facilement aux charges qui leurs
étoient impoſées, mais encore de quoi empêcher
la France de fuccomber faute de
ſecours extraordinaire , ſous l'accablement
d'une guerre longue & malheureuſe. Pour
foulager ceux qui étoient encore chargés
de billets de monnoyes , dont il reſtoit
alors pour la valeur de ſoixante & douze
millions répandus dans le public , & dans
les caiſſes Royales , il ne trouva point de
plus für moyen que la reſſource des efpéces.
Il fit rendre un Edit qui ordonnoit
que ceux qui apporteroient aux Changes
&auxHôtels des Monnoyes, cinq fixiémes
ou en eſpéces anciennes ou réformées , &
un ſixiéme en billets de monnoye , recevroient
le tout en argent comptant , en
nouvelles eſpéces , & que les billets de
monnoye ſeroint biffés en leur préſence.
Le bénéfice de cette refonte montoit à la
concurrence de ſoixante- douze millions
que l'on vouloit acquiter. Enfin , ſa conduite
& fa bonne foi furent telles que
tous ceux qui avoient contribué par leurs
moyens & leur crédit à l'aider dans une
NOVEMBRE . #753. 117
tems ſi difficile , il n'y en eut aucun , quelque
embaras où ſa confiance pour lui l'eût
engagé , qui crût avoir lieu d'en attribuer
la cauſe à l'irrégularité de ſon adminiſtration;
& fans entrer dans tout le détail
des opérations que fit M. Deſmarets pendant
ſon miniftere , on est encore furpris
qu'il ait eu affez de courage & de prudence
pour mettre la France en état de
rejetter les propoſitions humiliantes des
Conférences de Gertruydemberg , & de
foutenir l'immenſe fardeau dont elle éroit
accablée par la néceffité de continuer la
guerre contre des ennemis fort unis ,
qui avoient déja partagé entre eux toutes
les Provinces du Royaume , dont la
conquête leur paroiſſoit aſſurée. L'épuiſement
du Royaume étoit aſſez connu.
On n'avoit ni aſſez de moyens différens
à choiſir pour la foutenir , ni aſſez de
tems pour déliberer ; à peine avoir- on celui
d'agir & de mettre en oeuvre tous les
refforts qui pouvoient ſans violence produire
de l'argent.
Le ſalutde l'Etat conſiſtoit uniquement
à faire la paix ; contre toutes fortes d'efpérances
elle fut heureusement conclue ,
& loin de blâmer quels moyens que la
force & l'extrêmité obligerent de mettre
en uſage , ne doit-on pas donner des
118 MERCURE DEFRANCE.
éloges aux Miniſtres , qui dans des tems
fi malheureux ont eu aſſez de fermeté
pour n'être pas effrayés ,& pour continuer
des efforts vifs & redoublés , qui ont enfin
rendu à la France une paix auſſi néceſſaire
que déſirée ?
L'adminiſtration de M. Deſmarets fut
ſuivie de celle de M. le Pelletier des Forts,
& enſuite du ſyſtème des Billets de Banque.
Il nous paroît que l'Auteur a trop
adopté le préjugé populaire , qui attribue
à cette fameuſe criſe la foibleſſe de la
France. Nous n'avons pas encore vû
d'homme inſtruit qui ne penſe que c'eſt
l'époque de notre grandeur & de notre
opulence. Nous ne connoiſſions avant
cette opération , ni le crédit public ni le
commerce maritime. Il eſt bien vrai qu'il
feroit poſſible que nous euſſions troqué
nos meurs contre de l'argent. Les déclamations
qu'on trouve vers la fin de l'Ouvrage
ſur le luxe , pourroient bien être
encore la ſuite du préjugé : c'eſt aux Prédicateurs
, dit quelque part M. Melon ,
àtonner contre le luxe , & aux Politiques
à le tourner au bien de l'Etat.
L'Ouvrage que nous venons d'annoncer
n'eſt qu'une eſquiſſe , mais pleine de
feu , d'idées claires , bien enchaffées , &
bien écrites. L'Auteur , quand il aura le
T
NOVEMBRE. 1753. 19
tems & la volonté , pourra faire un Livre
utile , d'une brochure agréable.
PHÆDRUS appendice triplicifuffultus.
Parifiis , apud Deſſaint & Saillant , via S.
Joannis Bellovacenfis. 1753.in- 12 . 1 vol.
Cette édition de Phedre ſera très - utile
pour les jeunes gens. Elle réurit outre la
correction du texte trop négligé ordinairement
dans les éditions claſſiques , trois
Appendices bien entendus. Le premier eft
compoſé d'un choix de Fables & d'Epigrammes
tirées d'Avien , de Faerne , &c.
Le ſecond Appendice eſt un Recueil de
traits d'Hiſtoire , dont chacun répond à
une Fable de Phedre. Le troiſiéme n'eſt
compoſé que de Fables de Phedre , dont la
plupart ont rapport à celles d'Eſope.
LETTRE d'un Bourguemaître de Mid
delbourg à un Bourguemaître d'Amſterdam
, ſur le différend entre les Rois d'Angleterre
& de France , traduite du Hollandois.
1753. Cette Brochure ſe trouve
chez Lambert , Libraire , rue de la Comé
die Françoiſe.
HISTOIRE ancienne des Francs . Tome
premier . A Paris , chez Chaubert , près le
Pont S. Michel , & Claude Hérifſſant fils ,
suc neuve Notre-Dame. 1753. in- 8 °. t. 1 .
120 MERCURE DE FRANCE.
Nous rendrons compte dans la ſuite de
cetOuvrage.
Le Directeur dans les voyes du ſalot ,
fur les principes de S. Charles Borromée.
Par le R. P. de Courbeville , de la CompagniedeJeſus.
Nouvelle édition.AAmiens,
chez la veuve Godart , & le trouve àParis
, chez Giffart , rue S. Jacques , & chez
Ganneau , rue S. Severin .
C'eſt un des meilleurs Ouvrages de ſpiritualité
que nous connoiſſions.On y trouvera
une raiſon droite , de la connoiſſance
des voyes intérieures , un grand eſprit de
Religion , & toute la politeſſe du ſtyle qui
convient aux ouvrages de cette nature.
Les Evêques d'Amiens &deNoyon , en
l'adoptant pour l'uſage de leurs Diocéſes ,
viennentde lui donner une autorité qui
lui manquoit.
DISSERTATION ſur l'état du commerce
en France , ſous les Rois de la premiere
& la ſeconde race , qui a remporté
le Prix au jugement de l'Académie des
Sciences , Belles Lettres & Arts d'Amiens
en 1752. Par M. l'Abbé Carlier. AAmiens,
chez la veuve Godart , & ſe trouve à Pa
ris , chez Ganneau , rue S. Severin ; Chanbert
,Quai des Auguſtins ; Lambert , rue
de
NOVEMBRE. 1753. 12
de la Comédie Françoife. in 12. Un volume
de 166 pages .
Nous parlerons dans la ſuite de cette
importanteDiffertation.En attendant nous
obſerverons que l'Académie d'Amiens eft
preſque la ſeule du Royaume qui ſoit dans
l'uſage de propoſer pour ſes Prix , des ſujetsutiles.
LES Comptes faits fur les bois équarris
&de ſciage , Ouvrage très utile aux Marchands
de bois , Architectes , Entrepreneurs
de bâtimens , Charpentiers & autres:
dans leſquels ils trouveront la réduction
toute faite de toutes les piéces dont
ils pourront avoir beſoin pour la conſtruction
de toutes fortes d'édifices , tant ſur
terre que fur mer; avec un tarif ſur le
prix du bois. Par Louis Soutin. A Sens ,
chez André Jannot , & ſe trouve à Paris ,
chez Theodore Legras , Brunet , le Mercier
, Hériſſant. 1753. in- 12 . I volume,
M. le Cat vient de publier à Rouen &
on trouve à Paris , chez Delaguette , fa
cinquiéme Lettre contre le Litothome caché.
Le Frere Côme ne répond à tant d'attaques
qu'en continuant à ſe ſervir de cet
inſtrument avec un ſuccès d'une ſi grande
publicité , qu'il eſt enfin avoué générale-
F
4
122 MERCURE DE FRANCE.
ment. M. le Cat a une grande ſagacité ,
un eſprit créateur , des connoiſſances profondes
& variées , beaucoup de zéle pour
ſon art , le goût du travail , de la facilité
à écrire , l'ambition des grandes chofes &
un déſintéreſſement fort rare : que lui
manque til pour jouir ſans inquiétude &
ſans contradiction de la réputation , que
tant d'avantages luiont faite en Littérature
& enChirurgie ? d'avoir des diſputes moins
frequentes , moins longues &moins vives.
TABLE générale des matieres contenues
dans le Journal des Sçavans , de l'édition
de Paris , depuis l'année 665 qu'il
a commencé , juſqu'en 1750 incluſive.
ment ; avec les noms des Auteurs , les
titres de leurs ouvrages , & l'extrait des
jugemens qu'on en a portés. 1753. in-4°.
vol. 1. Tome troiſieme. A Paris , chez
Briaffon , rue S. Jacques.
OBSERVATIONS fur l'Hiſtoire na
turelle , fur la Phyſique & fur la Peinture ,
avec des Planches imprimées en couleur .
CetOuvrage renferme les ſecrets des Arts ,
les nouvelles découvertes , & les diſputes
des Philoſophes & des Artiſtes modernes
; année 1752. in-4°. & in- 12. A Paris
, chez Delagusite, rue S. Jacques.1753 .
i
NOVEMBRE . 1753. 123
DISSERTATION fur les maladies des
dents , avec les moyens d'y remédier &
de les guérir. Par G. P. Lemonier , Chirurgien
Dentiſte . A Paris , chez Auguſtin
Lottin , Imprimeur-Libraire , rue S. Jacques
, vis- à- vis S. Yves , au Cocq. 17530
Cette Differtation eſt diviſée en cinq
articles ou traités. Il s'agit dans la premiere,
de la formation & l'accroiſſement des dents.
Dans la deuxième , des accidens qui
arrivent à la fortie des dents , & des
moyens d'y remédier .
Dans la troiſieme , de la douleur des
dents & des remédes propres à les guérir .
Dans la quatrième , de la carie & de fes
progrès , & des moyens de la détruire .
Dans la cinquiéme , du limon & des
congreffions plâtreuſes , & de la maniere
de ſe conſerver la bouche propre,
C'eſt la premiere production des prefſes
du ſieur Lottin , jeune Imprimeur , qui
a les moeurs douces , du zéle pour ſa profeffion
, le talent d'écrire , & des connoifſances
étendues , comme on a pû s'en convaincre
par trois ou quatre excellentes Lettres
de lui ſur l'Imprimerie , qui ont paru
ſucceſſivement dans le Mercure. Il est heureux
pour les Lettres qu'il ſe forme de
tems en tems des Imprimeurs qui ayent
aſſez de goût pour connoître les bons Ou
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
vrages , & affez d'amour de la gloire pour
les préſenter au Public d'une maniere digne
de lui .
MEMOIRES de l'Académie Royale de
Chirurgie. Tome ſecond. AParis , chez
Delaguette , Imprimeur de l'Académie
rue S. Jacques , à l'Olivier. 1753. in-4°.
1. volume.
Toute l'Europe a les yeux fur cette Académie.
Une école où ſont formés ou d'où
ſortent tant de gens actifs & habiles , qui
vont opérer dans les Cours étrangeres ,
dans les Etats voiſins , juſques dans les
' armées des Puiſſances ennemies de la Franee
, ne peut ni fleurir ni décheoir que tous
les peuples n'y prennent ungrand intérêt.
On apprendra donc avec joye que
l'Académie eſt remplie d'exellens ſujets ,
que ſes Séances ſe paſſent en diſcuſſions
paiſibles& ſçavantes , & que le volume
de ſes Mémoires qu'elle publie actuelle.
ment , eſt digne de toute ſa réputation.
Nous donnerons dans les Mercures ſuivans
une idée de ce qui nous paroîtra de
plus précieux dans l'important Ouvrage
que nous annonçons.
Outre le Volume des Mémoires , l'A-'
cadémie a publié un Recueil des Piéces qui
ont concouru pour les Prix qu'elle a diſtriNOVEMBRE.
1753. 125
bués depuis 1732 , juſqu'en 1743. On le
trouve chez le même Libraire , qui s'eſt
fait beaucoup d'honneur par le ſoin qu'il
a porté à fon édition .
TRAITE' des Légions , ou Mémoires
fur l'Infanterie. Quatrième Edition. A la
Haye, & ſe vend à Paris , chez Pierre-
Guillaume Simon , Imprimeur du Parlement
, rue de la Harpe à l'Hercule. 1753 .
in- 16. pp. 161 .
CetOuvrage qui a paru d'abord ſous le
nom impoſantdeM. le Maréchal de Saxe ,
eſt d'un Officier général qui excelle dans
la théorie &dans la pratique de la guerre.
Cet art, fur lequel les François font feuls
en poffeffion d'écrire & d'écrire avec ſuceès
, devroit beaucoup aux talens de l'il-
Juſtre Auteur duTraité des légions , quand
il n'auroit jamais fait que cetOuvrage :
que ne lui devra-t-on donc pas , s'il vient à
bout de tous les grands projets qu'il a formés
?
L'Edition du Traité des Légions que
nous annonçons , eſt la ſeule qui ne ſoit
pas défectueuſe. Cet Ouvrage , dit l'Editeur
, eſt diviſé en quatre parties. Dans
la premiere , il traite de la diſcipline ;
dans la ſeconde , de la légion ; dans la troi-
Géme , de l'ordonnance de la légion ; &
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
enfin dans la quatrième , de la formation
&de la dépenſe des légions.
La premiere partie a deux objets ; le
premier , de faire voir les effets admirables
d'une bonne diſcipline , & les avantages
infinis qu'elle procure à un état ,
lorſqu'elley est ferme& exacte : le ſecond,
dedéplorer la chûte de cette même diſcipline
dans l'Infanterie Françoiſe , les malheurs
que cette décadence a déja attirés à
la France , & ceux qu'on a lieu d'en craindre
pour l'avenir , ſi on n'apporte à un mal
fi dangereux , un remede auſſi prompt
qu'efficace.
L'Auteur ne voit point de moyen plus
propre à arrêter le mal préfent , & à prévenir
les ſuites funeſtes qu'il prévoit , que
de former en légions toute l'Infanterie
Françoiſe. C'eſt ce qu'il propoſe dans la
ſeconde partie , où il développe fon plan
avec tant de netteté , & fait voir fi clairement
les avantages iminenſes , qu'il ne
paroît paroît pas poſſible de ſe refuſer à
l'évidence de ſes idées.
Mais que de difficultés , que d'objections
à faire à l'Auteur ! que d'obstacles à
lui oppofer ! Combien de tems, quelle
dépenſe pour l'exécution d'un projet fi
nouveau ſi ſingulier , ſi inoüi ! Il eſt
vrai : nous ajouterons même que la guerre
4
NOVEMBRE. 1753. 127
•
dans laquelle la France ſe trouvoit engagée
en 1744 , qui eſt l'année où un ſi beau
plan vit le jour pour la premiere fois
rendoit l'opération encore plus difficile .
Mais de quoi ne vient pas à bout une intelligence
ſupérieure Toutes les difficultés
s'applaniſſent , tous les embarras diſpa .
roiſſent ſucceſſivement devant notre Auteur.
८
LE Guide des Accoucheurs , ou le Maître
dans l'art d'accoucher les femmes , &
de les foulager dans les maladies & accidensdont
elles fonttrès ſouvent attaquées.
Ouvrage des plus utiles pour les perſonnes
qui veulent faire une pratique particuliere
de l'opération des Accoucheurs.
Seconde Edition , revûe , corrigée & augmentée
par l'Auteur , le tout en forme
d'examen. Par Jacques Meſnard , Chirurgien
Juré , ancien Prévôt de la Communauté
des Chirurgiens de la ville de Rouen,
& Accoucheur. A Paris , chez Debure
l'aîné , Quai des Auguſtins ; le Breton ,
rue de la Harpe ; Durand , rue S. Jacques.
1753. in- 8 °. Un volume.
Discours qui a remporté le prix
d'éloquence , propoſé par l'Académie des
Belles-Lettres de Montauban en l'année
F iiij
128 MERCUREDE FRANCE.
1753 , par M. Fromageot , Avocat auParlement
de Dijon , & Secrétaire Perpétuel
de l'Académie des Sciences & Belles- Lettres
de la même Ville. AMontauban , chez
Teulieres , & ſe vend à Paris , chez Chaubert
1753. Brochure in-octavo de quarante
pages.
Le ſujet proposé par l'Académie étoit :
la corruption du goût ſuit toujours celle
des moeurs. » Oüi , dit M. Fromageot , le
> déſordre des moeurs eſt le germe fatal de
>>>toute corruption ; elle ſe répand d'abord
>>ſur les Arts , dont elle change la diſtinc-
>> tion qu'elle défigure & qu'elle déprave
>> à ſon gré ; elle gagne enſuite les talens
qui les cultivent, elle les affoiblit, les
énerve & les glace ; enfin elle en vient
›juſqu'à pervertir le goût même , qui ne
>> ſent preſque plus rien ,& qu'elle anéan-
» tit bientôt. Quelle hiſtoire que cellede
>> cette terrible corruption ! contagion ra-
>>pide qui empoiſonne les ſources de la
>>f>élicité publique ,&qui enveloppedans
>> la même ruine les ſervices des Arts , le
>> génie de l'Artiſte , & le difcernementdu
>>Connoiffeur.
1
>> Qui ne ſçait , dit l'Orateur dans ſa
>>premiere partie , que l'éloquence , la
>>Poëfie & la Muſique , naquirent dans
les aſſemblées de Religiona nous devons
NOVEMBRE. 1753 . 129
le premier Poëme au premier Hiſtorien
>> des oeuvres du Seigneur. L'Architecture
» éleva des Temples , avant de bâtir des
>>>Palais. C'eſt au Peintre & au Sculpteur
> que fut confié le ſoin de tranſmeture à
>> la poſtérité les traits des grands hommes.
>>Avec le ſouvenir de leurs actions , le
>>marbre & la toile ne nous parlent que
>>>pour nous inſtraire. Les Poëtes furent les
> premiers Philofophes , & formerent les
»hommes mieux que Crantor ou que Chrylippe:
uniquement occupésdubien public
>>l'un ramene le courage d'une armée prênte
à combattre , l'autre donne des leçons
> ſur les travaux de la campagne ; le plus
>>célébre inſtruit tous les Grecs , par le ré
>> cit des ſuites funeſtes de la colere d'un
>> d'entr'eux. Athenes , devenue licenn
tieuſe , n'oublia point même alors que
le but de la Poësie étoit d'inſpirer la
>>vertu; le choeur fut introduit ſur ſon
Théatre pour en donner les plus vives
>> leçons , & l'on exigea du Poëte que fa
>>fiction ne fût point fterile pour les
" moeurs.
>>Ainſi les Beaux Arts , loin de flater
l'homme par un agrément inutile & paf-
>>ſager , ne cherchent au contraire qu'à le
ſervir d'une maniere plus parfaite &
>>plus durable. Sûr de ſe faire mieux en
Fv
130 MERCURE DEFRANCE.
> tendre , ils inſtruiſent en lui portant la
>>langue de ſes plaiſirs &de ſes ſens. Pré--
>cieuſe ſéduction ! puiſſe-t'elle faire cha-
»que jour de nouveaux progrès , & en
→nous invitant à la vertu nous faire aimer
» un joug qu'il nous eſt ſi utile de porter b
>>Mais hélas ! nous ſommes ingénieux
» à tourner à notre perte tout ce qui eſt
>>>fait pour notre bonheur , & les préfens
même de ces divinités ſont devenus dan-
>> gereux pour nous. Les moeurs des hom-
>mes étant corrompues , tout le corrompt
»entre leurs mains , & ils ont introduit
>dans les Beaux Arts le même déſordre
» qui étoit déja dans leur coeur. Avides du
>> plaifir , & ennemis de l'inſtruction , ils
ont ſéparé dans les arts ces deux objets ,
» qui devoient y être perpétuellement
>>unis; ils ont confentia en recevoir ton-
>> tes les impreſſions agréables ,& en ont
>>banni l'utilité réelle , qui en étoit la fin
principale. Qu'arrivera-t'iladès- lors ré-
>>duits au filence par notre perverſité , les
>>Arts n'inſtruiront plus ; on voudra qu'ils
> ſe bornent à plaire , & pour plaire à des
>>coeurs corrompus , il faudra , ou entre-
>>tenir leurs paffions , ou amuſer leur inconſtance.
C'eſt à cet honteux miniſtére
qu'on affervira lesBeaux Arts. Doiventils
s'attendre à un anite fortdepuis que
NOVEMBRE. 1753. 131
nous forçons la nature entiere à ſe pré-
>>ter à notre déréglement , & que nous
>>faiſons de chaque créature l'inftrument
>>de nos délices ? Il faudra de même que
>> toutes les productions du génie favori-
>>fent , ou la licence de notre conduite,
>> on notre goût pour la frivolité.
La ſeconde& la troiſième partie duDifcours
font écrites avec autant de force &
d'élégance , que le morceau qu'on vient
de lire. On trouve à la fin de l'ouvrage
une Lettre ſur la morr de l'Auteur qui
avoit des moeurs & du talent .
Debure l'aîné , Libraire , a reçu d'Anvers
le volume fuivant: Alta Sanctorum
menſis Septembris , tomus quartus , quo dies
duodecimus, decimus- tertius &decimus-quartus
continentur :fol. 1. vol. du prix de 30 liv .
en feuilles.
CATALOGUE des Livres du Cabinet
de M. de Boze. A Paris , rue Saint Jacques
, chez G. Martin , H. L. Guerin , &.
L. F. Delatour , 1753 .
Ce Cabinet , quoique celui d'un fimple
particulier , eſt peut être plus riche en Livres
curieux & en éditions rares que ceux
de beaucoup de Souverains. Le Lecteur
pourras'en former une premiere idée parles
titres de quelques uns que nous allons co
pier. Fvj
32 MERCUREDEFRANCE.
Biblia Vulgata Sixti V. cum Bulla Clementis
VIII. Roma , ex Typographia Vasicana
1592 , infol.
Pfalmorum Codex latinus , edit. fecunda ,
Moguntiæ per Johan. Fust &Petr. Schoëffer
1459 , in-fol. Cette édition n'a été connue
d'aucun Bibliographe.
Réflexions curieuſes d'un eſprit déſintéreflé
, ſur les matieres les plus importantes
au ſalut , tirées & traduites du Tractatus
Thealogico- Politicusde Spinofa.Amst. 1678,
in- 12 .
L'Opinione tiranna ne gliaffari del mondo,
da Claro Flori , Mondovi , de Roffi , 1691,
31-12 .
Homeri opera , editio princeps , Florentia
1488 , in fol. 2. vol. avec des notes margipales
du célébre Guillaume Budée.
Mémoires du Marquis de Laſſay , in-4" .
2. vol. rien n'eſt plus rare que d'en trouver
le recueil complet ,tel que celui- ci auquel
il ne manque rien.
Cymbalum mundi , Lyon , Bonin 1538 .
in- 8 . ſeconde édition , on ne connoît que
trois ou quatre exemplaires de cette édition.
HugonisGrotiiEpistole, Amſt, Blaeu,fol.
NOVEMBRE. 1753. 155
1687.Dans cet exemplaire les lacunes ſont
remplies à la main , les noms propres font
reftitués ,& les caracteres particuliers ou
chiffres font expliqués entre lignes, d'après
P'original de Grotius , communiqué par
M. P'Archevêque d'Upfal .
Méthode pour étudier l'Hiſtoire , par
l'Abbé Lenglet du Freſnoy , nouv. edit.
Paris 1729. Cet exemplaire eſt ſingulier
en ce qu'il n'a point de carton , & que
l'on trouve àla fin un cahier de remarques
fur les changemens faits par ordre duMagiftrat.
Petri de Boiffat opera , & operumfragmenta
Hiſtorica & Poetica , in-fol. abfq. loct
vel anni indicat. Cet exemplaire est vraiſemblablement
unique .
On peut juger par ces Livres qui ne
ſont pas aſſurément les plus rares de M.
de Boze , du Cabinet de ce grand Littérareur
, de ce ſçavant Antiquaire Comme
fon éloge appartientà l'Académie Françoiſe
dontil étoit undes plus anciens membres
, & à l'Académie des Belles Lettres ,
dont il a été long-tems avec beaucoup de
ſuccès le Secrétaire , nous nous bornerons
à rapporter ſon Epitaphe.
134 MERCURE DE FRANCE.
In obitum
Viri ampliffimi , clariffimi & doctiſſimi
CLAUDII GROS DE BOZE ,
Gallice , Regia elegantiorum Literarum
Inscriptionum Parifienfis , Berelinenfis
Regiæque Londinenfis Academiarum
Socii celeberrimi ,
Regiorum Ælificiorum Infcriptionibus
Prafecti ,
Numifmatum & Antiquitatum Cuftodis
longè perfpicaciſſimi .
Plangite Caftalides , longo extabefcite luctu.
Ehen! vixit amans ; delubra haud fole refulgent.
Dixerat Æs , marmor , fuperata cupidine forti ,
Diverſa edebant veteris mysteria mundi.
Odolor ! ifte filet Bozeus mactantur avara ;
Relligio , Doctrina , Decor , facundia , virtus .
Hoc fincerum honoris ſtudii
amoris monumentum extruit
PETRUS MAYER , ejusd.
GROS DE BOZE Secretarius.
Piffot , Libraire , demeurant Quai de
Conti, mettra en vente à la fin de ce mois,
l'Hiftoire & Regne de Charles VI . en neuf
volumes in 12. Par Mlle de Luffan.
NOVEMBRE. 1753. 139
PRIX proposés par l'Académie Royale des
Sciences , Inſcriptions &Belles- Lettres de
Toulouse , pour les années 1754 , 1755
1756.
L
A Ville de Toulouſe , célébre par
les prix qu'on y diſtribue depuis longtems
à l'Eloquence , à la Poësie & aux
Arts , voulant contribuer aufli au progrès
des Sciences & des Lettres , a fous le bon
plaifir du Roi , fondé un prix de la valeur
de 500 liv. pour être diſtribué tous les ans
par l'Académie Royale des Sciences ,
Inſcriptions& Belles-Lettres , à celui qui,
au jugement de cette Compagnie , aura le
mieux traité le ſujetqu'elle aura propoſé.
Le fujer doit être alternativement de
Mathématique , de Médecine & de Littérature.
L'Académie avoit propoſé pour ſajet du
prix de cette année 1753 , de déterminer la
direction & la forme la plus avantageuse,
d'une digue , pour qu'elle réſiſte avec tout l'a
vantage poſſible à l'effort des eaux , en ayant
égard aux diverſes manieres dont elles tendent,
àla détruire.
Quoique dans le nombre des Piéces
qui ont été préſentées , quelques unes
contiennent des vûes & des principes uti136
MERCURE DEFRANCE.
1
les : l'Académie a réſervé le prix , à cauſe
que les Auteursqui avoient le mieux réuffi
n'ont traité qu'une partie du ſujet ,&
que ſe bornant aux digues qui ont pour
objet de défendre les bords de la mer ou
ceux des rivieres , ils ont négligéde parler
des digues qui font deſtinées à élever les
caux , ou à changer leur direction .
La grande utilité de ce ſujet a engagé
l'Académie à le propoſer encore pour le
prix de 1756 , qui fera double.
L'Académie qui s'est déterminée auffi à
doubler le prix de 1755 ,propoſe de nouveaupour
ſujetde ceprix, l'étatdes Sciences
des Aris à Toulouſe,ſous les Rois Visigots
quelles étoient les loix & les moeurs de cette
Vüle,fousle gouvernement de ces Princes.
Les bornes étroites que pluſieurs des Auteurs
, qui ontdéja traité ce ſujet s'étoient
prefcrites , engagent à avertir , que par
Toulouſe l'Académie entend , non-feulement
l'eſpace renfermé dans l'enceinte de
cette Ville , mais encore toute l'étendue
du Royaume dont elle étoit la Capitale.
د
Les Sçavans furent informés l'année
derniere que l'Académie propoſoitde
nouveau pour ſojet du prix double de 1754
laThéorie de l'Ouie , & qu'elle exige des
Auteursune expoſition exacte & circonftanciée
des fonctions propres à chaque
NOVEMBRE. 1753. 137
partie de l'oreille , & des avantages qui réfultent
de leur figure & de leur jeu pour la
perception du ſon.
Les Auteurs qui ont déja remis des ouvrages
ſur ces ſujets , pourront les préſenter
derechef , après y avoir fait les changemens
qu'ils jugerontconvenables.
Les Sçavans font invités à travailler ſur
ces ſujets , & même les Aſſociés étrangers
de l'Académie. Les autres Académiciens
ſont exclus de prétendre au prix .
Ceux qui compoſeront font priés d'écrire
en François ou en Latin , & de remettre
une copie de leurs ouvrages , qui
foit bien liſible , ſurtout quand il y aura
des calculsalgébriques.
Les Auteurs écriront au bas de leurs ouvrages
, une ſentence ou deviſe ; mais ils
n'y mettront point leur nom. Ils pourront
néanmoins y joindre un billet ſéparé &
cacheté , qui contienne la même ſentence
ou deviſe , avec leur nom , leurs qualités
& leur adreffe : l'Académie exige même
qu'ils prennent cette précaution ,lorſqu'ils
adreſſeront leurs écrits au Secrétaire . Ce
billet ne ſera point ouvert , ſi la piece n'a
remporté le prix .
Ceux qui travailleront pour les prix ,
pourront adreffer leurs ouvrages à M.
l'Abbé de Sapte , Secrétaire Perpétuel de
>
138 MERCURE DEFRANCE.
l'Académie , ou les lui faire remettre par
quelque perſonne domicilée à Toulouſe.
Dans ce dernier cas , il en donnera ſon
Récépillé , ſur lequel ſera écrite la ſentence
de l'ouvrage avec ſon numero , ſelon
Pordre dans lequel il aura été reçu.
Les paquets adreſſés au Secrétaire , doivent
être affranchisde port.
Les ouvrages ne seront reçus que jufqu'au
dernier Janvier des années , pour le
prix deſquelles ils auront été compoſés .
L'Affemblée proclamera dans ſon Affemblée
publique du 25 du mois d'Août de
chaque année , la pièce qu'elle aura couronnée.
Si l'ouvrage qui aura remporté le prix ,
a eté envoyé an Secrétaire àdroiture , le
Tréſorier de l'Académie ne délivrera ce
prix qu'à l'Auteur même , qui ſe fera connoître,
ou au porteur d'une procuration
de ſa part.
S'il y a un Récépiſfé du Secrétaire , le
prix ſera délivré à celui qui le repréſentera.
L'Académie qui ne preſcrit aucun ſyſtême
, déclare auſſi qu'elle n'entend point
adopter les principes des ouvrages qu'elle
couronnera.
1
NOVEMBRE . 1753. 139
L
'Académie des Sciences , Belles-Lettres
& Arts d'Amiens , célébra le 25
Août la Fête de Saint Louis , dont le Pané.
gyrique fut prononcé par M. Dairé , Curé
d'Epinai.
L'Aſſemblée publique avoit été tenue
le 13 du même mois ,& honorée de la
préfence de M. le Duc de Chaulnes , Prorecteur
de l'Académie , qui le 12 avoit fait,
comme Gouverneur Général de Picardie
fon entrée folemnelle dans Amiens.
M. Diret , Directeur , ouvrit la Séance
par un Diſcours ,dans lequel il prouva
combien l'étude des Lettres étoit propre à
former le commerçant.
Les autres ouvrages qui remplirent la
Séance , furent les éloges que M. Baron ,
Secrétaire Perpétuel de l'Académie , fit de
M. Berfin de Villers , Maître des Requêtes
, Académicien Honoraire ; & de M.
Bernard , Avocat , Académicien réſident ,
morts dans le cours de l'année ; des réflexions
ſur l'imagination , par M. de Vuailly :
une Ode fur la fincérité , par M. le Picart,
trois Fables par M. de Riveri ; une Ode
de M. l'Abbé Clergé , ſur l'entrée ſolemnelle
de M. le Gouverneur Général.
M. Greffet , de l'Académie Françoiſe
140 MERCURE DE FRANCE.
termina la Séance par la lecture de l'Ouvroir
, ou le Laboratoire de nos Soeurs ; l'un
des deux nouveaux chants , ajoutés au Poëme
de Vert-vert.
M. Greffet proteſte contre tous les pretendus
recueils de ſes ouvrages , qui one
été publiés juſqu'ici : aucune de ces éditions
n'a été faite de ſon aveu , ni en France
, ni ailleurs ; c'eſt une vérité que nul
Editeur , ni Libraire ne peut démentir ;
ainſi M. Greffet n'a aucune part à l'abus
qui ſe fait de la confiance publique par
des éditions multipliées , toujours chargées
de piéces qu'il délavoue , & de fautes qui
ne font pasles fiennes. Il compte être bientôt
affranchi des obſtacles qui l'ont empêché
juſqu'à préſent de donner une édition
avouée & augmentée de plufieurs
piéces qui n'ont point encore été mifes au
jour.
L'Académie ayant jugé à propos de réferver
les prix de cette année , pour ſujets
de ceux qu'elle diſtribuera le 25 Août
1754, propoſe à réſoudre les queſtions
fuivantes : Quelles font les differentes qualités
de laines , propres aux Manufactures de
France? Si on ne pourroit point ſe pafferdes
laines étrangeres ? Comment on pourroit perfectionner
la qualité & augmenter la quantité
de laines de France ?
NOVEMBRE. 1753. 141
:
Le prix de cette Differtation ſera une
Médaille d'or de la valeur de 600 liv . donnée
par M. le Ducde Chaulnes , Protec
teur de l'Académie .
Quelle est la nature de la tourbe de Picardie
? Si elle.craît ? Si elle recroît ? Comment on
pourroit diminuer les dépenses qui ſefont ordinairement
pour la tirer ? Le prix de cette
Diſſertation ſera une Médaille d'or de la
valeur de 300 liv. donnée par l'Hôtel-de-
Ville d'Amiens,
Il ſera libre aux Auteurs qui ont envoyé
au concours des Diflertations ſur les laines
, de les renvoyer avec de nouvelles
obſervations ; l'Académie même les y exhorte.
Ils adreſſeront leurs ouvrages , affranchis
de port , avec leurs noms & leurs
déviſes cachetés , avant le premier Juin
1754 , à M. Baron , Secrétaire Perpétuel
de l'Académie , àAmiens.
LETTRE à M. le Chevalier de Caufans.
M
Onſieur , il court un bruit dans le
Public que vous êtes sûr d'avoir fait
la découverte de la Quadrature du Cercle.
Je ne doute point de vos lumieres ,
mais je me crois indiſpenſablement obligé
d'avoir l'honneur de vous dire , que fi vous
vous êtes conformé aux principes Eucli
42 MERCURE DE FRANCE .
diens , vous n'êtes point parvenu précifement
à la quadrature , parce qu'elle n'eſt
point du reffort des démonſtrations algébriques.
Et fi vous l'avez trouvée numériquement
, je vous devance de beaucoup
d'années dans cette découverte ; Gueffier ,
Libraire , Parvis de Notre-Dame , à Paris ,
peut vous en donner des preuves. Je ſerai
toujours prêt à reconnoître votre ſupériorité
ſur moi dans cette cauſe célébre ,
vous en avez effectivement; & j'ai tout
lieu d'eſpérer de la nobleſſede vosſenimens
, la justice que j'en dois attendre.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Liger, Commis au Bureau
Guerre , à Versailles.
A Verſailles , le 4 Septembre 1753 .
dela
REPONSE à la Lettre de M. **. de
Paris, du 25 Août dernier.
M
Onfieur , je vous renvoye , les deux
Volumes fur la Minéralogie dont
M. Wallerius eſt l'Auteur ; je conviens
avec vous que la matiere y eſt traitée avec
beaucoup d'ordre , & que fa nouvelle méthode
donne beaucoup de facilité pour la
connoiſſance des différens corps fotfilles.
Il ſeroit néanmoins à ſouhaiter que cet
NOVEMBRE. 1753. 243
Ouvrage fût moins chargé de ſubdiviſions
&de ſuppoſitions abſolument démenties
par les obſervations qu'on peut faire journellement.
J'ai marqué en marge , ſuivant
vos déſirs , celles que j'ai jugées telles. En
voici une que je n'ai pû paſſer ſans critique.
>>L'Auteur dit V. 1. page 174 , Obfer-
>>vation premiere : qu'on n'a point encore
>> trouvé de cailloux , de pierres à fufil , &
agathes , enroches , en couches , veines
<><>& filons. Que ces eſpéces de pierres ſont
» iſolées , répandues dans les campagnes ,
» dans les ſables , & fur les bords de la
<mer ; & plus bas , page 175 & 176 ,
>>>Obſervation cinquième , que l'on auroit
>>droit de conclure , qu'une partie de ces
<>> pierres eft de toute antiquité , & qu'el-
->les ſe ſont coagulées & durcies , ſous une
> forme ſphérique dès le commencement
>>du monde.
Les remarques fuivantes prouventnonſeulement
, qu'on trouve dans les couches
-ces trois eſpéces de pierres ; mais auſſi que
-les pierres ſemblables , qu'on trouve ailleurs
iſolées & répandues , ſont ſorties des
couches après y avoir été formées.
Remarque premiere. Sur les Cailloux.
Dans quelques montagnes de cette Pro
144 MERCURE DE FRANCE:
vince , on voit des couches compoſées de
coquilles & détrimens mêlés d'un grand
nombre de cailloux , foit arrondis , ſoit
d'autres formes , qui ont comme une
croûte blanche de même matiere de coquilles
& détrimens ; quelques unes des
coquilles ſont adhérentes aux cailloux
en forte que la partie qui eſt dans le caillou
eſt convertie en pierre , &la partic
faillante eſt encore en nature de coquille.
Lorſqu'on a caffé ces cailloux, on trouve
dans le centre de pluſieurs , des coquilles
&détrimens ſemblables à la matiere qui
compoſe la couche ; fi l'on jette dehors
cette matiere , il reſte dans la cavité de ces
cailloux , de petits corps marins qui y font
adhérens , de la même façon que la ſuperficie.
Ils prennent un poli très-vif après
la taille ; alors on découvre dans leur capacité
, nombre de veſtiges de coquilles
ouautres corps marins. Ces cailloux ayant
donc des coquilles ſur leurs croûtes , d'autresdans
leurs centres ,& d'autres dans le
corps de la pierre , on peut avec quelque
aſſurance , conjecturer qu'ils ont été compoſés
de lamême ſubſtance que celle qui
compoſe la couche , & qu'ils ont pris leurs
figures déterminées en ſe condenfant
comme font les grains de ſel , qui prennent
la lear en ſe criſtaliſant. :
Dans
NOVEMBRE. 1753. 145
Dansd'autres couches , j'ai trouvé des
cailloux arrondis , compoſés entierement
de corps marins , ſoit coquilles & noyaux
de coquilles; ces cailloux ne font que formés,
mais point encore convertis en pierre
dure: ceux que j'ai caſſés de cette forte ,
ſont dans toutes leurs maſles , de même
matiere de coquille , ſans qu'il paroiſſe de
différente dureté dans aucune partie.
Il eſt d'autres cailloux tirés des couches
de pierres très-dures , ſur leſquelles on ne
découvre plus aucune matiere de coquilles
mais les noyaux qu'on diſtingue encore
aiſément, ſoit ſur leur ſuperficie , ſoit en
les caffant , me perfuadent qu'ils ont été ,
comme les précédens , compoſés de même
matiere de corps marins.
Deuxième. Sur les Pierres àfufil.
On voit dans pluſieurs montagnes , des
couches compoſées de pierre à fufil , en
groffes & petites maſſes ſéparées , mais
néanmoins liées dans la couche par une
eſpéce de craye blanche médiocrement
durcie , dans laquelle on découvre des
veſtiges de corps marins , que l'on apper
çoit de même dans les pierres à fuſil. Cel
les qui ſont de figures arrondies ſe déra
chent des couches avec afſſez de facilité
G
146 MERCURE DE FRANCE .
ſans emporter ſur leurs ſuperficies que bien
peu de cette matiere de craye. Il eſt des
couches où la quantité de pierres à fufil
excéde le volume de la craye ; & d'autres
où le volume de la craye eſt beaucoup plus
conſidérable que celui des pierres à fufil .
Les couches que j'ai vûes de cette eſpéce ,
n'ont au plus qu'un pied & demi d'épaifſeur
, mais pluſieurs lieues d'étendue.
Troisième. Sur lesAgathes.
Dans une très haute colline ſur les bords
de la riviere de Seine , j'ai vu une couche
de pierre blanche affez dure , de trois pieds
d'épaiffeur , & de pluſieurs lieues d'étendue
, mêlée de noyaux de divers gentes
de coquilles , convertis en agathe brune
leſquels prennent un poli des plus unis &
des plus vifs ; on apperçoit tant dans la
couche de pierre blanche , que ſur les
noyaux après les avoir polis , une ſi prodigieuſe
quantité de veſtiges de corps marins
, qu'on ne peut douter que ces couches
& ces noyaux n'en ayent été compofés.
End'autres couches j'ai trouvé nombre
de cornes d'Ammon , des noyaux d'Echi
nites, & d'autres coquilles de pure agathe .
Obſervez , Monfieur , au ſurplus que les
4
NOVEMBRE. 1753. 147
trois eſpéces de pierres ſurnommées qu'on
trouve dans les couches , donnent des
étincelles de feu en les frappant avec l'acier
, ainſi que les pierres des mêmes eſpéces
qu'on trouve répandues dans les campagnes
& autres lieux; & que les unes
comme les autres , portent preſque toutes
des veſtiges de coquilles , ou d'autres marques
de productionsmariness preuve qu'elles
ont toutes la même origine .
Je ne dois pas négliger de vous communiquer
une autre remarque que j'ai faite
nouvellement , & qui me paroît mériter
L'attention des Naturaliſtes. J'ai trouvé
dans des couches , & dans les vignes du
Vendomois , parmi des cailloutages , des
coquilles encore dans leur nature de coquille
, affez bien conſervées , &d'autres
conſervées dans leurs ſtructures , mais un
peu calcinées , qui donnent toutes ( tant
celles des couches que celles des vignes )
des étincelles de feu en les frappant avec
T'acier.
Sur ce que je viens d'expoſer , ne vous
paroit-il pas ſurprenant , Monfieur , qu'un
Sçavant tel que M. Wallerius , ignore que
ces trois eſpéces de pierres qu'on trouve
dans les lieux qu'il défigne , ſont forties
des couches de la terre , qui compoſent les
montagnes , les collines & les plaines ;
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
& qu'il ne ſcache pas que celles de figures
ſphériques , celles preſque arrondies , &
celles à angles émouſſés, ſe ſont plus aifément
détachées des couches que cellesdes
autres formes ; & que par même faiſon
d'arrondiffement , elles ont roulé dans les
campagnes& autres lieux , où on les trouve
iſolées & répandues.
C'en eſt aſſez , il me ſemble , pour
prouver qu'on trouve dans les couches
ces trois eſpéces de pierres , pour détruire
l'origine que leur donne M. Wallerius
& pour anéantir par conséquent ſa con.
cluſion ſur leur âge.
J'ai l'honneur d'être , &c .
DuChâteau de Prépatour , ce 20 Septembre
1753 .
LES Libraires aſſociés diſtribuent actuellement
le troiſiéme volume de l'Encyclopédie.
L'Auteur de l'article Concile ,
avertit qu'à la page 808 , lig. 62. col. 1 .
& à la pag . 810. lig. 10 col. 1 , il faut lire
Binius , au lieu de M. Bignon. Le nom de
Severin Binius n'a point dû être ainſi franciſé
, & on pourroit le confondre avee
Jerôme Bignon , dont on trouve des notes
dans la collection des Capitulaires , tandis
que celles de Severin Binius regardent
lesConciles , & font inſerées dans laCol-
L
NOVEMBRE. 1753. 149
lection du Pere Labbe . Au reſte , on corrigera
cette faute dans l'Errata du troifiéme
volume de l'Encyclopédie , qui ſera mis
an volume ſuivant du même Dictionnaire.
L
BEAUX ARTS.
E Vendredi 28 Septembre , l'Académie
de Peinture &de Sculpture étant
affemblée par convocation genérale , M.
le Comte de Vence fut élû par ſerutin ,
honoraire Affocié libre. C'eſt une acquifition
que tout doit rendre précieuſe à
l'Académie : le nouvel Académicien réunit
tous les avantages qu'on peut déſirer , une
grande naiſſance , des moeurs faciles
goût sûr , une eſpéce de paſſion pour les
Arts , & un cabinet fort riche.
un
LA Peinture. Ode de Milord Telliad ,
traduite de l'Anglois. A Londres , & fe
trouve à Paris , chez Prault fils , Quai de
Conti. 1753. Brochure in 12 de 22 pages.
Il y a bien du feu , de l'enthouſiaſme ,
& du zéle pour l'honneur de notre Ecole
de Peinture , dans cette brochure prétendue
traduite de l'Anglois. Peut-être y déſireroit-
on un peu plus d'économie dans l'éloge
de quelques-uns de nos Artistes. Ce
Giij
1
150 MERCURE DE FRANCE.
reproche, ſi c'en eſt un, ne peutpas tomber
fur les ſtrophes que nous allons copier.
Répond-moi , célébre Chardin : quand
la Peinture jalouſe , ſurmontant enfin ta
Philofophie & ta pareſſe , peut te faire
reprendre en main ſes pinceaux , & tracer
à loiſir ces images de la nature ſi ſinceres
, fi affectueuſes , fi naïves ; quelle
magie , quel art inconnu juſqu'à toi
peut diriger ſon mechaniſme enchanteur ?
Tout plaît dans la décoration de tes tableaux
, leur fujer & leur exécution. L'oeil
trompé par leur agréable légereté , & la
facilité apparente qui y regne , voudroie
en vain , par fon attention&ſes recherches
multipliées , en apprendre d'euxle
fecret : il s'abîme , il ſe perd dans la touche;
& laſſe de ſes efforts , ſans être jamais
raffafié de ſon plaiſir , il s'éloigne .
ſe rapproche , & ne la quitte enfin qu'avecle
ſermentd'y revenir.
Tant de talens& fi peu flattés , me rappellent
cetArtiſte qu'on a vû trop long-tems
triompher ſur les bords du Tibre , & que
Paris déſormais ſe promet de voir repoſer
dans ſon ſein. Que de lauriers il rapporte
de ces bords jaloux ! & qui pourra jamais
croire qu'une ſeule main en aittant cueillis
? Que de naturel ! quel feu ! quelle
verve & quelle abondance ! Vernet , uniNOVEMBRE.
1753. 151
que dans ſon genre , laiſſe bien loinderriere
lui tous ceux qui l'ont précédé dans
la même carriere , & fait le déſeſpoir de
quiconque ofera le ſuivre. A la fougue
épurée des Vander- cable , au naturel exquis
des Lorrains , il joint tout l'eſprit ,
toute la correction , & la touche ferme &
faillante des Salvator. Auſſi Poëte , mais
fur tout intéreſſant que ce dernier , jamais
le coeur ne reſte indifférentà la vue de ſes
tableaux : il ſe trouble comme l'élément
en fureur qu'il repréſente ; il eſpére , il
craint avec ceux qui luttent contre les
flots amers , prêt à les ſubmerger ; il fe
briſe de douleur à l'aſpect de ceux que leur
triſte ſort en a rendu la victime . Quelquefois
auſſi , plus tranquille , mais non plus
content , il goûte en paix fur le rivage ,
avec de moins infortunés , les délices du
port.
Quelle aimable variété dans les talens !
&quelle ſageſſe la nature fait paroître
dans leur différente diſtribution ! quels
éloges ſur-tout ne méritent pas ceux qui
ſçavent reconnoître le leur propre , & s'y
attachent ! Je vois des portraits qu'Apelles
cût admirés . Ce grand homme , dit l'Hiftoriende
la nature , exprimoit distinctement
, dans l'image de ceux qu'il repréſentoit,
l'âge , le tempérament , l'eſprit .
Giiij
132 MERCURE DE FRANCE.
:
3
:
l'humeur , les paſſions & le caractere. La
Tour est l'Apelle de nos jours. La Tour
femble ravir à ceux qu'il peint l'eſprit , qui
nous enchante dans leurs Ouvrages. Son
art réunit le double avantage d'exprimer
également bien l'eſprit & la beauté , qualités
ſi incompatibles quelquefois dans la
nature. La beauté , ſous ſes crayons enchanteurs
, loin de perdre rien de ſa fleur ,
ſemble acquérir au contraire de ces graces
païves & ingénues , qui en font le plus
grand charme. Il ſcait par ſon tact fubtil
& magique , ſaiſir & fixer le ſel volatil
de l'eſprit , fi facile à s'évaporer des mains
de qui que ce foit , & de ceux même qui
le poſſédent.
Sçavant Restout , perfonne n'a connu
mieux que toi l'avantage de ce privilége ,
ni n'en a ufé plus abondamment. Digne
neveu du Turpilius moderne , ta main
ſous lui s'eſt exercée à mouvoir ſans effort
les plus grandes machines. Rien n'égale
la fierté de ta touche & de ton deffein;
tes airs de têtes ſe ſentent de ſa fureur.
Mais bien différent de ces Peintres
modernes , qui cherchent à flater un ſexe
foible , & le vain pouvoir que nous lui
attribuons , juſques dans la repréſentation
des évenemens les plus reculés , ton génic
bruſque & inventif n'a jamais ployé ſous
NOVEMBRE. 1753. 153
1
cette fervitude. Dans eux , c'eſt le triomphede
labeauté ; dans toi , c'eſt celui de
lagrace que nous admirons..... Je recon.
nois dans tes tableaux l'ordre admirable
de la providence. Ce font là les inclinations
dignes de fixer l'amour permanent
de nos Patriarches ; ce ſont là les beautés
males , feules dignes de figurer dans l'ancien
Teſtament.
On peut parvenir aux honneurs de ſon
art par des chemins différens. Les ris &
l'amour en ont frayé la route au Corrège
moderne. Sa main cueillit des roſes où les
autres ne rencontrerent que des épines.
Quel feu , que d'eſprit , quelle onction &
quelle harmonieuſe aiſance ! Platon jadis
accuſoit certains Philoſophes de n'avoir
jamais facrifié aux Graces; je n'ofe faire
aux Peintres François le même reproche ;
mais Boucher ne l'encourra jamais. Son
imagination vive & abondante ne s'eſt
point bornée à ce nombre : Boucher en
connoît plus de trois. Ses yeux ont vû
plus d'une Venus : il ſemble , dans ſes rêveries
tendres &paffionnées , que ce Peintre
privilégié ait aſſiſté à tous les myſteres
de l'amour.
Un Athléte fier & majestueux s'avance.
Il marche , dédaigneux de courir , il marche
; & le dernier de ſes pas doit remplir
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
la carriere. Sa main triomphante ſemble
lever le sideau , qui juſqu'à nous avoit
paru voiler la nature. Il découvre à nos
yeux les tréſors dont les différentes ſaifons
ont coutume de l'enrichir. C'eſt des
mains même de cette Déeſſe qu'il tient ſes
pinceaux : elle ſemble ſe plaire moins dans
fes propres productions que dans ſes ouvrages.
Elle s'y trouve auſſi ſimple , auffi
vraye , auſſi touchante , &de plus embellie.
Son génie actif& puiſſant parcourt à
la fois la mer , la terre & les Cieux. C'eſt
dans l'Olympe qu'il prend ces traits riches
& lumineux dont il teléve notre humanité
& la décore. Il oſe repréſenter tour- àtour
,& de leurs vrayes couleurs , les plai
firs & la majesté des Dieux : demi-Dieuw
lui même , ce n'eſt ni le Corrège , ni le
Titien , ni Rubens , c'eſt Vanloo.
La grandeGallerie de Versailles , & les
deux Salons qui l'accompagnent , peints par
Charles le Brun , premier Peintre de Louis
XIV , deffinés par Jean Baptiste Maſſé ,
Peintre& Confeiller del'Académie Royale
de Peinture &de Sculpture , & gravés
fous ſes yeux par les meilleurs maîtres du
tems.
Tous les Curieux de l'Europe atten
doient avec impatience le plus grand ow-
4
NOVEMBRE. 17530 155
vrage de Gravûre qui ait été entrepris &
exécuté dans le ſeul Pays où la gravûre
foit cultivée avec ſuccès. Nous leur annonçons
que cette immenſe entrepriſe eſt
enfin finie , & qu'elle ſoutient très-bien
l'honneur de notre Ecole. Voici comment
s'exprime M. Mallé à la tête d'un petit
Livre dans lequel il dévelope les idées du
Peintre dont il immortaliſe les ouvrages.
Charles le Brun , ce grand Peintre , dont
le nom ſeul eſt devenu un éloge , confacra
les dix plus belles années de fa vie à peindre
la Galerie de Verſailles & les deux fa
lons qui l'accompagnent.
Les Tableaux dont cette Galerie eſt or--
née , contiennent la plus brillante partie
de l'Hiſtoire de Louis XIV , c'est- à- dire ,
depuis 1661 qu'il prit en main les rênes
du Gouvernement , juſqu'en 1678 qu'il
borna le cours de fes exploits par une paix
plus glorieuſe encore.
Le zele& la reconnoiſſance de leBrun ,
pour un Prince qui ne ceſſoit de le combler
de bienfaits , l'éleverent en quelque
forte au-deſſus de lui même. Il répandit
dans cet ouvrage , toute la variété , toute
Ja nobleffe des pensées &des expreſſions
qui caractériſent un Poëme héroïque ; &
le Roi frappé de l'effet de ſes premiers
Tableaux , ſe propoſa dès lors de les faire
Gvj
156 MERCURE DEFRANCE .
graver ſucceſſivement , pour en former un
recueil qu'il pût donner aux Princes , aux
Miniſtres étrangers , & aux perſonnes diftinguées
qu'il voudroit honorer d'une marque
particulierede ſa bienveillance.
:
Dans cette vûe , M. Colbert commença
par charger Charles Simonneau , degraver
celuide ces Tableaux dont le ſujet eft la
ſeconde conquête de la Franche-Comté;
mais la planche n'ayant pû être finie qu'en
1688 , cinq ans après la mort du Miniftre,
le malheur des guerres qui ſuivirent immédiatement
, fit oublier , pour ne pas
dire abandonner totalement , une entrepriſe
auſſi honorable pour la Nation
qu'elle auroit été utile aux progrès des
Arts : quelle apparence qu'un ſimple particulier
osât jamais s'en charger !
,
Je l'avouerai cependant , j'eus l'heureuſe
témérité de former ce projet en 1723 ,
&M. le Duc d'Antin à qui je le communiquai
, réchauffant mon courage par tout
ce que les éloges ont de plus flatteur dans
la bouche des Grands , me remit peu de
jours après un brevet du Roi , qui m'autoriſoit
à élever dans les appartemens de
Verfailles , les échaffauts dont j'aurois beſoin
pour mon opération.
Huit années me fuffirent à peine pour
terminer les deſſeins.On ne prévoir point,
NOVEMBRE. 1753. 157
&il eſt bon que cela ſoit ainſi , on ne pré
voit point , dis-je , ce qu'il en coûte de
tems , de foins & de peines pour deſſiner
dans une attitude contrainte , des plafonds
où le Deſſinateur n'eſt éclairé que par des
jours de reflet . La ſeule circonstance qui
m'aidoit à foutenir un travail ſi pénible ,
c'eſt que le Roi Thonoroit ſouvent de ſes
regards , & en paroiſſoit toujours fatisfair.
Lesgravûres ont eu des inconvéniens
d'une autre eſpéce , & elles ont emporté
un eſpacede plus de vingt années , fans
qu'il y ait lieu de s'en étonner , fion com
fidére , premierement , qu'on s'eſt aſſujetti
àgraver tout au miroir , pour rendre les
actions à droite comme elles font dans les
Tableaux , ce qui , à la vérité , eſt d'une
longueur infinie , mais qui a paru abfolument
néceffaire pour la fidélité de la repréſentation
,& pour la beauté des eſtampes.
En ſecond lieu , que n'ayant voulu
confier l'exécution d'un pareil ouvrage
qu'à des Graveurs d'une habileté reconnue
, ceux qui jouiſloient déja d'une grande
réputation étant auffi fort avancés dans
leur carriere , ils ont dans cet intervalle
payé à la nature le tribut dont nul talent
ne peut affranchir ; que ceux qui les ſuivoient
de près , ſe ſont inſenſiblement
trouvés hors de combat par l'âge qui lesa
158 MERCURE DEFRANCE.
gagné , ou par les infirmités qui leur font
furvenues; que d'autres enfin , éblouis par
les avantages qu'on leur faisoit eſpérer.
dans les Pays étrangers , font allés s'y
établir.
Je m'arrache au détail de ces fatalités
preſquetoujours inséparables des grandes
entrepriſes , pour témoigner publiquement
que je dois une partie de la réuſſite
de celle-ci , aux foins obligeans de Mefſieurs
Galoche , Boucher , Natoire & Bouchardon
, & fur- tout de feu M. le Moyne ,
que je voudrois pouvoir immortalifer par
ma reconnoiffance , comme il s'eft immortaliſé
lui-même par les chefs-d'oeuvres qui
font fortis de ſes mains.
Je ne ſuis pas moins empreffé de publier
que l'amour des beaux Arts qui animoit le
miniſtere de M. de Tournehem , & qui
diftingue également celui de M.de Vandiere
ſon digne ſucceſſeur , m'a fait trouver
dans les bontés du Roi , les derniers
ſecours dont j'avois beſoin pour mettre ce
recueil au jour , & que ce qui me flatte
le plus dans le ſuccès de mon entrepriſe ,
c'eſt qu'indépendamment de l'avantage
qu'elle me procure de tranſmettre à la poſtérité
une juſte idée de la grandeur de nos
Rois , elle a ſervi dans le tems , à entretenir
enFrance nombre d'excellens Artif
NOVEMBRE. 1793. 199
tes , à y foutenir le bon goût de la Gravêûre
, & à lui affurer en ce genre la même
prééminence que la Peinture & la Sculpture
luidonnent fur toutes les Nations.
Tout ce que M. Maſſe vient de dire eft.
fort au-deſſous de ce qu'on penfa de fon
entrepriſe à Versailles le 23 Novembre.
Toute cette belle ſuite d'eſtampes y fut expoſéedans
la grande Gallerie , & y fixa
T'attention de toute la Cour. Le Ror dit ;
Voilàma Gallerie éternifée , car cela restera
Paris , où le goût des Arts eſt plus vif , a
montré encore plus d'empreſſement. Le
Salon qu'on a prolongé pour donner le
tems d'examiner cette grande collection ,
qu'on n'avoit pû y porter que tard , n'a
pas déſempli. Nous rendrons compte le
mois prochain des impreſſions du Public
qui ont été extrêmement favorables .
6
Nous avertirons en attendant , que la
Collection que nous annonçons eft compoſéede
55 ſujets , dont deux ſont imprimés
ſur legrand Louvois , & les autres fur
legrand Aigle, & qu'elle ſe vend actuelle.
ment chez l'Auteur , à Paris , Place Danphine.
Le prix en blanc eſt de 300 liv .
Les perſonnes qui voudroient l'avoir reliée
, peuvent s'adreſſer au fieur Padeloup
Relieur du Roi , au coin de la Place de
Sorbonne. C'eſt le ſeul qui en ait relié julqu'àpréfent.
160 MERCURE DE FRANCE.
Comme cet Ouvrage eſt dans ſon plus
grand éclat ſous verre , ceux qui le déſireroient
ainfi , peuvent s'adreſſer au ſieur
Billette , Vitrier , rue du Harlay , proche
la Place Dauphine. C'eſt lui qui l'a monté
pour le Roi, pour le Roi de Pologne,Duc
de Lorraine , & pour l'Auteur.
M. Peffelier toujours attentif à louer
'tout ce qui ſe fait d'utile pour les Arts , a
envoyé à M. Maſſé les Vers ſuivans.
Des chefs-d'oeuvresque l'artne peut trop publier ,
Ta main incomparable aſſure la mémoire :
Du Peintre & du Heros tu partages la gloire ,
Comme tu ſçais l'étendre&la multiplier.
C'EST avec plaifir que nous annonçons
aujourd'hui le débit d'une Eſtampe
qui a quatorze pouces neuf lignes de hauteur
, & douze pouces huit lignes de largeur
; c'est-à - dire , qu'elle eſt grande comme
le Tableau original que le public a
fort admiré dans le dernier ſalon. Le beau
morceau peint par M. Chardin , & tiré
du Cabinet de M. de Vandiere , eſt gravé
par M. Cars. Quand deux Artiſtes de ce
mérite ſe réuniffent , on annonce leurs
productions avec hardieſſe. Les compofitions
du Peintre , quoique ſimples & foumiſes
aux moeurs dutenis , ne prétendent
NOVEMBRE. 1733 . 161
point à l'héroïque ; mais la juſteſſe du
choix & l'agrément des images préſentent
une vive critique des Peintres Flamands
en général. En effet , des tabagies , des
combats àcoups de poing ,des beſoins du
corps ; enfin la nature priſe dans ce qu'elle
a de plus abject , font les ſujets les plus osdinairement
traités par les Braures , les
Oſtades, les Ténieres, &c. M. Chardin s'eſt
toujours écartéde ces images humiliantes
pour l'humanité , il a eu , à la vérité , tou
jours pour objet une action petite , mais
intéreſſante , au moins par le choix des
figures qui n'ont jamais rienpréſenté de
aid ni de dégoûtant. Ici l'on voit une
femmejeune , dont la figure eſt touchante ,
& dont l'ajustement ſimple eſt étoffé , en
même tems qu'il indique la propreté ; elle
eſt à côté de ſon métier , auquel il paroît
qu'à l'art de travailler, elle a ſubſtitué une
ſerinette ; elle regarde finement , mais
avec une curioſité convenable , le ſerin
dont la cage eſt au coin du Tableau , &
placée ſur un guéridon : la chambre eſt parée
convenablement au caractere & à l'écar
de la perſonne repréſentée ; onyvoit quelques
tableaux , & celui qui paroît en: en-
Bier repréſente l'ingénieuſe allégorie de
M. Coypel , le dernier mort. Il avoit exprimé
dans ce morceau avec aurante de
১
162 MERCUREDEFRANCE .
graces que de nobleſſe , la Peinture qui
chaſſoit Thalie de ſon attelier : ouvrage
qu'il avoit fait dans un de ces inftans de
dégoût , qu'un homme occupé de deux
maîtreſſes croit reſſentir pour celle qui le
lendemain mériteroit lapréference. C'eſt
en compoſant comme M. Chardin , qu'il
eſt permis de traiter les actions de la vie
familiere ; il faut la faire aimer & la faire
envier : auſſi l'on peut dire ſans hyperbole
que le modéle dont M. Chardin a
fait choix dans cette occafion , indique
une perſonne attachée à ſes devoirs , honnête
, pleine de douceur , enfin qui ſçait
s'occuper ; c'eſt du moins l'idée qu'elle
nous adonnée. Le Graveur a menagé&
conſervé toutes les fineſſes ; il a exprimé
celles de l'accord&des grandes partiesde
la peinture , mais ce qu'on appelle la couleur
en terme de gravûre ; & pour la rendre
avec vérité , il a ſçu placer à propos
& oppoſer les differens genres de
travail. Enfin l'Eſtampe fait voir la blancheur
de la peau d'une blonde , en oppofition
avec une coëffe & un mantelet de
mouffeline ; hardieſſe de la peinture , que
la gravûre a rendue avec une juſteſſe &
une vérité qui lui étoient peut-être plus
difficiles .
Cette Eſtampe ſe vend chez le Sr Car's
vue Saint Jacques, vis-à-vis le Pleſſis.
NOVEMBRE. 1753. 163;
SURUGUE vient de graver le Philofophe
en méditation , de Rembrant , & il ſe
propoſe de graver ſon pendant l'année
prochaine. Ces deux Tableaux uniques
dans leur eſpéce , & qui étonnent
par la vérité de leur lumiere , ſont dans le
Fiche Cabinet de M. le Comte de Vence.
M. Surugue n'a pas cherché à imiter la maniere
de graver qui étoit particuliere à
Rembrant , & qui n'a été faiſie par perfonne
; mais il a eu le courage d'ofer ce
qu'aucun de ſes confreres n'avoit jugé à
propos d'entreprendre , & il l'a exécuté
avec un ſuccès qui doit étendre ſa réputation.
८
Le Maître de Clavecin pour l'accompagne
ment , Méthode théorique & pratique , qui
conduit en très-peu de tems à accompagner
à livre ouvert , avec des leçons chantantes
où les accords ſont notés , pour faciliter
l'étude des commençans. Ouvrage
utile à ceux qui veulent parvenir à l'excellence
de la compoſition ; le tout felon la
régle de l'octave & de la baſſe fondamentale
; par Michel Corretto , prix 9 liv . A
Paris , chez l'Auteur , à l'entrée de la ruede
Montorgueil , à la Croix d'argent .
On connoîtra mieux l'ouvrage que notis.
annonçons par le plan qu'en a tracé l'Au-
:
164 MERCURE DE FRANCE.
teur qui a de la réputation , que par tour
ce que nous pourrions en dire.
>>>Depuis que Corelli a inventé legente
>> de la Sonate du Concert , la Muſique ,
>> dit M. Corretto , a fait des progrès éton-
>>mans dans toute l'Europe ; c'eſt à cet il-
>>>luſtre Auteur à qui on eſt redevable de
>> la bonne harmonie & de la brillante
>>ſymphonie. Avant lui lesConcerts en
>>France étoient médiocres. Nous voyons
>>dans l'Harmonie univerſelle du P. Mer-
" fenne , & dans le P. Parran , imprimé en
>>1646, qu'on n'exécutoit de leur tems dans
>>les Concerts de Paris que du plain chant
>>figuré , avec quelques petites chanfons
>>d'un chant lugubre & lamentable ; plus
>> elles étoient trikes & languiſſantes ,&
>>plus les amateurs de ces tems les trou-
>>voient admirables ,&leur donnoient par
>>excellence le nom de Muſique de ſenti-
>>m>ent. Tels étoient les airs de Boëffer,de
>>l>e Camus, de Lamberti , &c.
>>A peine connoiſſoit-on la Mufique
>>inſtrumentale , qui fait préſentement
>>l'amusement de tous les honnêtes gens.
" On ne jouoit que quelques petits airs
>>de danſe ſur la harpe ,le luth , la gui-
> tarre , la vielle , la muſette , enfan , pour
» ainſi dire , la Muſique étoit au berceau.
2»2L'Auteur desDons des enfans de Las
NOVEMBRE. 1753 . 165.
tonne , dit que c'eſt par M. Mathien ,
Curé de Saint André des Arts , ſur la fin
du dernier fiecle , que la Muſique Ita-
>> lienne a été introduite à Paris ; il don-
>>> noit un Concert toutes les ſemaines où
>>> l'on ne chantoit que de la Muſique la-
» tine des meilleurs Maîtres d'Italie , de
>> Caſſati , Cariffimi , Baſſani , Scartati &
autres.
"Ce fut à ود ceConcertque ueparurentpour
>> la premiere fois les trio de Carelli , im-
» primés à Rome ; cette Muſique d'un gen-
>> re nouveau encouragea tous les Auteurs
>> à travailler dans un goût plus brillant ,
>>tel fut le Caprice de Rebel , le pere.
>>Tous les Concerts prirent une autre for-
>>me : les Scénes & les ſymphonies d'O-
>> péra céderent la préféance aux ſonates ;
»M. Morin , à l'exemple des Italiens , don-
» na le premier des Cantates Françoiſes ,
> enſuite parurent celles de M. Bernier
>>Clerembault , Batiſtin ; M. Dornel &
» Dandrieux , Organiſtes , donnerent les
>> premiers des fonnates entrio. Dans le
» le mêine tems Corelli donna fon cinquié-
» me oeuvre , chef- d'oeuvre de l'Art. Feu
>>M. le Duc d'Orleans , depuis Régent du
>>Royaume , étant extrêmement amateur
>>de Muſique , voulut entendre ces ſona-
>>tes, mais nepouvant trouver alors aucun
C
4
166MERCURE DEFRANCE.
>> violon dans Paris capable de jouer par
>> accords , il fut obligé de les faire chan-
>> ter par trois voix. Mais cette fterilité de
>>>violon ne dura pas long-tems ; chacun
>> travailla jour & nuit à apprendre ces
>> fonates ; de ſorte qu'au bout de quelques
>>années parurent trois violons qui les exé-
>> cuterent ; Chatillon , qui étoit auſſi Or.
>>ganiſte, Duval& Baptiſte ; ce dernier fat
>> après à Rome pour les entendre jouer
>par l'Auteur.
> On peut juger par la quantité de bons
violons qu'il y a préſentement à Paris,
combien la Muſique a fait de progrès
>>depuis l'invention des fonates , car les
> ſymphonies d'Opéra n'auroient jamais
> formé de ſi grands fujets.
>>Or c'eſt le nouveau genre de Muſique
>>>qui a fait diſparoître tous les inſtrumens
>>>>qui ne jouoient que des pièces , deve-
>> nans pour lors inutiles dans le Concert.
Le clavecin ſeul eſt reſté comme l'ame de
>>>> l'harmonie , le ſoutien & l'honneur de
»la Mufique.
>> En effet , entre l'avantage qu'il a au-
>> deſſus des autres , par la beauté des pié-
>> ces que l'on joue deſſus , il a encore ce-
>>lui de l'accompagnement , de régler , de
>>guider , de foutenir & de donner le ton
» à la voix , c'eſt enun mot lui qui tient
1
NOVEMBRE. 1753. 167
les rénes du Concert. Celui qui ſçait
>>l'accompagnement, ſçait bientôt la com-
>>>poſition ; fans cette connoiſſance on eft
>> toujours médiocre compoſiteur , comme
>>>le ſoutient très bien M. Rameau dans ſon
>>nouveau ſyſtême page 7. Tous les Ita-
>>>liens accompagnent du clavecin ; la plû-
>> part des grands Muficiens ont été Orga
>>>niſtes en Angleterre. Meſſieurs Handel ,
>> le Docteur Pepuſch , en Allemagne ; M.
>> Tellemann , en Eſpagne ; M. Scarlatti ,
>> en France ; Meſſieurs de la Lande , Couprin
, Rameau , Clerambault , & beau-
>> coup d'autres qui joignent à la belle
>> exécution la compoſition & le génie.
» M. Cambert , le premier qui ait compo-
>>ſé des Opéras François , étoit Organiſte ;
de Saint Honoré .
>>M. de Lully ne compoſoit jamais que
➤ ſur le clavecin , & Collaſſe à côté de lui
>> notoit ſous ſa dictée.
>>Comme le clavecin eſt préſentement
>> une des parties de la belle éducationdes
Demoiselles de condition , & que j'ai
» remarqué qu'elles ne le quittoient plus
> dès qu'elles étoient mariées , quand el-
>>les poſſédoient une fois l'accompagne-
» ment ; c'eſt ce qui m'a engagé à travail
>>ler depuis long-tems àleur compoſer une
»Méthode courte & facile , pour leur ap
168 MERCUREDEFRANCE.
>>p>lanir les prétendues difficultés que les
>>ennemis de la bonne harmonie ont ſoin
>>de répandre. ১১
>> Jedéveloppedans cette Méthode tous
>> les principes les uns après les autres ,
avec des leçons démonſtratives qui en..
> ſeignent en très-peu de tems l'accompa-
>> gnement , ſelon les régles de l'octave
» qui nous a été donnée par M. Campion
» en 17 &felon labaſſe fondamentale ,
>> trouvée par M. Rameau , imprimée en
1722 .
>>J'ai compoſé pour la facilité & l'avan-
>> cement des écoliers des leçons chantantes
, où les accords ſont notes ; ce qui
donne promptement lapratique , la ré
>>gularité& la mefure.
» Les doigts acquerentune certaine mé.
chanique, le plus ſouvent ſur les touches
>>qui conviennent aux accords , ſans que
l'eſprit y ſoit entierement attaché.
» Ceux qui ſuivront cette Méthode feront
plus de progrès en ſix mois qu'ils
>>n'en feroient d'une autre maniere en
» dix ans , j'en ai fait l'expérience pluſieurs
> fois par ce moyen ; ſi on n'eſt pas à la por-
> tée d'avoir des maîtres , on pourra ap-
>>prendre tout ſeul, ſi l'on ſçait la muſique.
>> Il ne faut pas cependant négliger les
leçons de vive voix d'un bon Maître
ود
>>qui
le 24 Août dernier : cet Acteur , né au mois de
Mars 1696 , & reçu le premier Mars 1725 , jouoit
différentes fortes d'emplois , & tous avec ſuccès :
il avoit ſurtout le talent fingulier de rendre vraie
H
C
> tée d'avoir des maitres , on pourra up-
>>prendre tout ſeul,ſi l'on ſçait la muſique.
>>Il ne faut pas cependant négliger les
leçons de vive voix d'un bon Maître
>>qui
NOVEMBRE. 1753 . 169
usqui n'étant point eſclave de la préven-
>>tion ni du préjugé, peut lever ſeul les dif-
>> ficultés que l'on trouve dans un Livre.
Q
CHANSON.
Uandje lis Deſcartes , Newton ,
Je'ſens que tous deux ont raiſon ,
Et j'adopte chaque ſyſtême.
Sans me mêler de leurs débats ,
Tout eſt plein quand je ſuis auprès de ce que j'ai
me,
Tout eſt vuide où Philis n'eſt pas.
3
:
L
SPECTACLE S.
A Pipée , Intermede Italien , n'ayant pas eu
tout le ſuccès qu'on en eſpéroit , l'Académie
Royale de Muſique a donné le Mardi 16 du mois
dernier , à la ſuite des Artiſans de qualité , l'Interméde
de la Bokémienne , qui avoit beaucoup réuffi
cetEté , &dont le Public paroît également ſatisfait
à la repriſe.
LesComédiens François ont perdu M. Poiſſon,
le 24 Août dernier : cet Acteur , né au mois de
Mars 1696 , & reçu le premier Mars 1725 , jouoit
différentes fortes d'emplois , & tous avec ſuccès :
il avoit ſurtout le talent fingulier de rendre vraie
H
170 MERCUREDEFRANCE.
ſemblables des caracteres qui ne le ſont point , ou
du moins qui ne le fontplus dans ce ſiécle.; tels
que le Bourgeois Gentilhomme , Pourceaugsac
Dom Japhet d'Arménie , le Marquis ridicule
dans la Mere coquette , & Bernadille dans la
Femme Juge& Partie. Les perſonnages où il s'eft
leplus généralement diftingué , ſont les Jodelets
dans Jodelet, Maître & Valet & Jodelet Prince
& les Criſpins , dans les Comédies du Légataire
univerſel , des Folies amoureuſes , de CriſpinMuficien
, de Criſpin Médecin, de Criſpin bel eſprit ,
& de Criſpin rival de ſon maître. Il jouoit aufli
d'une maniere ſupérieure quelques Financiers fubalternes
, entr'autres Turcaret. C'étoit de tous
les Acteurs qui ſont au Théatre François , celui
qui avoitle plus de naturel,il étoit même fouvent
d'une naiveté inimitable , comme dans le
rôle de Lafleur , de la Comédie du Glorieux. 11
étoit petit , laid & affez mat fait, mais il avoit
une figure ſi comique , qu'il excitoit un tire univerſel
dès qu'il paroiffort. Il avoit furpaffé fon
pere & fon grand pere qui etoient auſſi des Acteurs
deréputation,mais ils ne réuffiflorentgueres
que dans les Crifpins. Potioneſt mort âgé de
cinquante-sept ans ; il a été environ vingt-huit ans
à la Comédie. Après avoir rendu justice à ſes
talens , nous ne pouvons nous diſpenſer de dire
qu'il avoit deux grands défauts , celui de manquer
de mémoire , qui eſt inſupportable principalement
dans les Scenes comiques qui exigent une repartie
vive & prompte , & celui de bredouiller qui empê
choit les ſpectateurs, furtout ceux qui n'étoient
pas bien accoutumés à ſavoix , d'entendre une
partie de ce qu'il débitoit.
Il paroît que M. Préville conſolera le Pu
blic de la pertede Poiffon. Cet Acteur a débuté
1
: NOVEMBRE. 1753 . 17
le20 Septembre , par le rôle de Criſpin , dans
le Légataire, univerſel , & par celui du Valet
dans la Famille extravagante. Ses autres rôles de
debut ont éré le Marquis , dans le Joueur ; Crifpin,
dans les Folies amoureuſes , le Menechme
dans la Comédie des Ménechmes ; le principal rôle
dans celle de Criſpin Médecin ; Strabon , dans
Démocrite ; Sganarelle , dans leMédecin malgré
lui , & le Valet dans la Surprite de l'Amour . II
aeu le ſuccès le plus éclatant dans les trois rôles
deCriſpin,dans le Ménechme , dans Strabon &
dans Sganarelle ; mais il a été trouvé médiocre
dans le Marquis du joueur , & dans les Valets
de la Famille extravagante , & de la Surpriſe
de l'Amour. M. Préville est bienfait , il a une
jolie figure , de la jeuneſſe , une intelligence fupérieure
, une mémoire admirable , une grande
aiſance au Théatre , beaucoup de préciſion dans
fon jeu , & un jeu qui eſt entierement à lui , il a
peut-être plus d'agilité que de vivacité , & plus
d'épanouiſſement dans la phiſionomie que de
fond de gayeté.
Les mêmes Comédiens ont donné avant leur
départ pour Fontainebleau , trois repréſentations
del'Amasis , de M. de la Granche Chancel , qui
n'avoit pas été répréſenté depuis 1740. Cette Tragédie
fut ſuiviedans ſa nouveauté , mais elle eut
le ſuccès leplus complet à la repriſe de 1731. Les
rôles d'Amaſis , de Seſoftris , de Phanès & deMenès
furent alors repréſentés par Mis Sarrafin , Dufreſne,
leGrand & Dubreuil ; & ceux de Nitocris
&d'Artenice , par Miles Ductos & Dufreine : ces
rôles font maintenant remplis par Mrs Paulin ,
Grandval , le Grand & Dubreuil , & par Miles
Dumeſnil & Hus.
Les mêmes Comédiens ont remis le Jeudi Ir
1
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
Octobre , pour le début du ſieur Armand , fils
de l'Acteur qui faitdepuis long-tems les plaifirs
du Public , les Comédies de la Femme Juge &
P'ertie , & des Vendanges de Surène , dans leſquelles
le débutant a joué les rôles de Bernardille & de
P'Orange : une timidité qu'il n'a pu furmonter le
premier jour , l'a rendu froid &monotone , & il
a été peu goûté ; mais il a pris ſa revanche le Dimanche
ſuivant , & aété fort applaudi.
;
Christine-Antoinette-Charlotte Deſmares , une
des plus célébres Actrices qui ait paru au théatre
François , eſt morte à S. Germain-en-Laye le iz
Septembre dernier , âgée de 71 ans. Sa naiſſance
ne ſembloit pas la deſtiner au Théatre ; fon grand
pere qui qui étoit Préſident du Parlement de Rouen
deshérita ton fils parce qu'il s'étoit marié ſans ſon
confentement. De ce mariage fortirent Defmares
&Mlle Champmelé, qui ſe trouvant fans fortune
prirent le parti de la Comédie. Deſmares & fa
femme allerent àCopenhague, où ils furent reçus
dans la troupe des Comédiens François du Roi
deDanemarck; ils plurent tant à cette Cour que
le Roi & la Reine de Danemarex tinrent fur les
Fonts de Baptême Mile Desmares , qui y naquit
en 1682. Mlle Champmêlé étoit reſtée à Paris, où
elle faiſoit les délices du Théatre ; elle joua d'ori
ginal preſque tous les premiers rôles des Tragédies
de Racine; elle ſe diſtingua fingulierement dans
ceux de Berenice , de Phedre & d'Iphigénie. La
Fontaine & Deſpréaux onttranſmis fon nom à la
poſtérité. Comme elle aimoit beaucoup fon frere,
elle lerapellade Copenhague , & obtint de Louis
XIV qu'il fût reçu ſans débutdans la troupe dont
elle faiſoit l'ornement. Defmares avoit beaucoup
de talent pour les rôles de Payſans , & c'eſt pour
lui que Dancourt afait leMati retrouvé; DelorNOVEMBRE.
1753 . 173
me, dans les Trois Couſines ; Thibaud , dans les
Vendanges de Sureſne , &c.
Mlle Champmeſlé quitta le Théatre en 1698.
Ledernier rôle qu'elleyjoua fut celui d'Iphigénie
en Tauride , dans la Tragédie d'Orefte & Pilade
de M. de laGrange , & le ſuccès de l'Actrice fut
égal dans l'Iphigénie ſacrifiante , à celui d'lphigénie
ſacrifiée . Mile Deſmares parut alors , & elte
eut le couragede débuter par le rôle que fatante
venoit de quitter ; elle y réuſſit au-delà de ſes efpérances
, ainſi que dans ceux d'Emilie & d'Hermione:
on la chargea après de quelques rôles
d'Amoureuſes dans le consique , & elle joua d'original
Rodope , dans Eſope à la Cour , avec un
grand ſuccès ; mais ce qui mitle comble à ſa ré.
putation , ce fut le rôle de Pfiché , à la brillante
remiſe qui en fut faite au mois de Juin 1713 .
Mile Defmares ne fut pas moins goûtée dans le
rôle de Thereſe , de la Comédie du Double veuvage
, & elle y mit tant de gayeté & de vérité ,
qu'on la crut ſeule capable de remplacer , dans
les Soubrettes , Mile Beauval qui commençoit à
vieillir. Elle reçut un ordre de la Cour d'appren
dre les rôles de cet emploi ; non- feulement elle y
furpafla Mile Beauval, mais elle devint un modele
en ce genre. Elle n'abandonna pas pour cela
lespremiers rôles tragiques ; c'eſt elle qui a joué
d'original les rôles d'Athalie , d'Ino , d'Electre ,
&de Jocaſte , dans l'Oedipe de M. de Voltaire ;
elle reſta au Théatre juſqu'à Pâques de l'année
1721 , & ſon dernier rôle fut celui d'Antigone ,
dans la Tragédie des Machabées , de la Motthe.
Mile Deſmares a laiſſé encore une plus grande
réputationdans le comique que dans le tragique ;
elle avoit une figure& une voix charmantes,beaucoup
d'intelligence , de feu , de volubilité , de
Hij
174 MERCURE DEFRANCE.
gayeté & de naturel , on lui a l'obligation d'as
voir pris plaifir à former Mlle Dangeville ſa niéce,
qui réunit toutes les graces & tous les genses
de Comique. Indépendamment des talens de
Mile Deſmares pour le Théatre , elle joignoit au
donde plairedans la ſociété , un caractere admirable
& un coeur excellent ; elle a même fait des
actions d'une générofité héroïque.
Les Comédiens Italiens ont donné le Mercredi
26 Septembre , la premiere repréſentation de
P'Origine des Marionnettes , Parodie dePigmalion ,
qui a été trouvée froide. M. Gaubiés , qui en est
l'Auteur , ayant retranché un rôle entier & fait
d'autres retranchemens pour le Samedi ſuivant,
Ja Piéce a été reçue favorablement. :
L'Opéra Comique a donné le Mardi 25 da
même mois , les Nymphes de Diane , Opéra Comique
de M. Favart , qui n'avoit jamais été repreſenté
àParis. Cet Ouvrage qui eft, undes plus
jolis de l'Auteur , n'a pas été moins gouté à Paris
qu'il l'avoitété au théatre de Bruxelles , pendant la
derniere guerre.
La clôture de l'Opéra Comique s'eſt faite cette
année le Samedi 6 Octobre par la repréſentation
da Plaisir & de l'Innocence , des Nymphes de Diar
ne , & des Troqueurs.
LETTRE à l'Auteur du Supplément aux
Tablettes Dramatiques pour les années
1752 1753 ..
:
N furetant , Monfieur , chez un Libraire dans
Eſes nouveautés , le hazard a voulu que jeren
contraſſe votre ouvrage ; le titre me l'a fait acheNOVEMBRE.
1753. 175
ter , & en le parcourant j'ai trouvé mon article
dans ceux des débutans au Théatre François de
Pannée 1742. Vous m'accuſez d'avoir harangué
le parterre , en lui diſant que je travaillois depuis
5 ans à ramener le naturel au Théatre , & que
j'eſpérois l'avoir trouvé Je réponds à ce que vous
avancez d'après moi. Oui , je l'ai dit & fait ; & few
Baron , dont je ſuis l'élève , m'a inculqué dans
Peſprit par ſes principes , qu'il valoit mieux pécher
par un trop grand naturel que d'emphafer
avec outrance , ou de parler en chantant avec trois
notes égales , qui forment la monotonie. Ce fut
feuMonſeigneur le Duc de la Trémouille qui fut la
cauſe que je débutai pour la premiere fois en 1740 ,
&je puis l'avancer , avec un grand applaudiflement.
Des amis que j'avois alors qui n'étoient pas
vrais , s'employerent fi bien pour moi , que l'on
me préféra le parent de celui qui fut mon maître.
Je pris mon parti alors , & je retournai en Province.
En 1752 je revins à Paris pour des affaires
d'intérêt , on me perſnada de débuter pour la ſeconde
fois, àcauſe qu'il faut quelqu'un pour dou
bler M. Sarrazin en cas d'accident ; je le fis. Ma
façon de parler a plu aux gens qui ont toujours la
sperſpective de ce grand naturel de celui dont je
Tuis élève , &elle n'a pas été auſſi du goût de ces
-Novateurs dramatiques , qui ont établi leur goût
par le moyen de l'aifance & de la fortune quils
poſſédent. Comme vous faites une compilation
chronologique des faits qui ſe paſſent au Théatre
ce n'eft point à la fin du rolle d'Auguste dans
Cinna que j'ai haranguéle Public ; c'eſt à la fin de
celui de Mithridate , ayant repréſenté avant Auguſte
, Mithridate & Pharafimane . L'Acteur Toulouſain
jadis le fit comme moi. Ses complimens
valoient autant que les rolles qu'il venoit de re
1
Hinj
176 MERCURE DEFRANCE.
préſenter : & fi la débauche ne l'eût pas entraf
né dans le moment qui aété la cauſedu terme de
ſes jours , c'étoit un homme qui , tant par l'art
que par l'eſprit , ſeroit admiré aujourd'hui. Je dizai
avec Ciceron , omni ope atque operâ enixus fui.
J'ai tâché de travailler pour gagner une penſion ,
jen'ai pas réuffi. Vous n'avez pas parlé des autres
rolles que j'ai repréſenté. J'ai joué auſſi Lifimon
dans le Glorieux, & Argant dansle Préjugé
àla mode ; j'y ai pourtant été applaudi , & ce
ſans avoir donné de billets pourmandier des ſuffrages.
J'attendois tout de mes travaux , car je
vous avoue que j'ai riſqué beaucoup en voulant
jouer après ces grands Comédiens qui font aujourd'hui
l'ornement&les plaiſirs de la Scène. Comme
je fuis général ,&que les maſques de Térence
font gravés dans mon optique , je joue les
Rois , les Payſans, les Financiers , les Peres nobles
, les. Raiſonneurs , & tant d'autres qui ſont
utiles à un Comédien dans la Province , ſoit dans
P'Italien , ſoit dans les Opéra Comiques. Je ſuis
même en état de faire un pari , fi on le veut , de
jouer un rolle nouveau chaque jour pendant le
cours d'une année , tant j'ai la mémoire libre &
fraîche. J'ai même repréſenté le Tuteur dans la
Pupille , un peu froidement à la vérité , mais
s'il falloit le rejouer aujourd'hui , ce ſeroit un autre
genre , tant il est vrai qu'on ſe corrige ſur les
bons modeles. Je vous prens pour un de mes arbitres
, on ne récompenſe pas toujours les gens qui
cherchent à l'être. Je ſuis en état de parler de
mon art par principe ;& fiune profonde pareſſe
nem'avoit pas ſaiſi depuis long-tems ,j'aurois tenu
parole àM*** , en lui faisant part d'un Traité que
j'ai commencé , touchant la façon de parler au
Théatre , non de déclamer... ce dernier n'eft
:
NOVEMBRE. 1753. 177
pas de mon gente. Quoique Meſſieurs de Sainte-
Albine& Riccoboni ayent analiſé les qualités néceſſaires
à un Comédien , j'ai tâché d'aprécier
leur ſentiment avec le mien , en faiſant un détail
par principe de gradations , pour donner un
acheminement folide à ceux qui font amateurs
du Théatre. Il est vrai qu'aujourd'hui ce n'eſt
plus le Comédien qui ſe fait au Public ; c'eſt le
Public qui ſe fait au Comédien. Les tems ſe ſuccedent
& les modes changent. Les Pantins ont
remplacé les Bilboquets , les Mantelets , les Echarpes;
on a beau faire , les anciennes modes reviendront
,je ſuis pourtant de celles du premier
quart dece fiecle. M. de Crebillon &M. de Voltaire
vontde pair avec les Corneilles & les Racines
; it ne feroit donc pas ſurprenant que je puſſe
plaire encore. Je me fais un ſenſible plaiſir de débiter
leurs Ouvrages , & fans prévention je ne les
ai jamais marqués. Je vous convie donc , Monfieur
, d'être dorénavant un peu plus prolixe fur
mon.compte ,&de ſuivre le ſentiment de Pline ,
qui dit , que pour foutenir le droit d'une bonne
cauſe,on ne peut l'être trop . Vous ajoutez en lettres
italiques, retiré , c'eſt ſans penſion , je vous en
avertis.Pai l'honneur d'être , & c. ROUSSELET,
:
洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗
NOUVELLES ETRANGERES.
DE
P
DU LEVANT.
CONSTANTINOPES ,le 17 Août.
ARMTles Curdes , les uns ont desdemeures
& foutetrans le longdes rives du Tigre depuis les
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
environs de Moſuljuſqu'aux fources de l'Euphrate.
Une partie de ces derniers , étant venus camper il y
aquelque temps ſur la frontiere du Gouvernement:
de Bagdad, y faiforent des courſes fréquentes. So-
Jiman, Beglierbeg de la Province , avoulu la dé
Jivrer de ces dangereux voiſins. Avec un corps de
quinze millehommes , il a inveſti les bois qui leur
fervoient de retrate , &pluſieurs détachemens de
fes troupes y ont pénétré par differensendroits. Les
Curdes preffés de tous côtés , & privés de l'eſpéran
cede pouvoir fuir , ſe ſont deffendus avec beaucoup
d'opiniâtreté, mais enfin ils ont été obligés.
de ſe rendre à difcrétion. Le Begliebeg en a fair
décapiter trois cens cinquante. Sa Hautefle , pour
lui témoigner combien elle eft fatisfaite de la con.
duite qu'il a tenue dans cette expédition , fui a envoyé
úne pelillede grand prix& un fabre garnide
diamans.
:
DUNORD.
DE PETERSBOURG , le 19 Septembre.
Les vaiſſeaux de guerre & les Frégates qu'on
a fait fortir du Port de Cronſtadt pour exercer les.
Matelots , doivent y rentrer inceſſamment. Cette
Eſcadre s'eft avancée dans la mer Baltiquejuſqu'à
la hauteur de l'Iſle d'Oëfel.
DE STOCKHOLM , le 23 Septembre.
L'Obſervatoire , auquel on travailloit depuis
l'année 1748 , étant achevé , l'Académie Royale
des Sciences s'y afſſembla le 20 de ce mois pour la
premiere fois. Cette ſéance fut honorée de lapréſence
du Roi . Le Baron de Hopken , Préfident de
cette Académie , ainſi que de celle des Belles-Ler-
:
NOVEMBRE. 1753 . 179
tres ,prononça un difcours , fur le beſoin que les
Sciences ont de la protection du Gouvernement.
Dans la même ſéance,le Comte de Teſſin , Grand-
Maréchal de la Cour , & Gouverneur du Prince
Guftave, préſenta à la Compagnie plufieurs é hevaux
de foie , du produit des vers que la Reine
fait élever à Drowningholm: On a trouvé cette
foie de bonne qualité , & cent vers en ont fourni
unedemi-once.
DE COPENHAGUE , le 20 Septembres
Sa Majefté a rendu depuis peu l'Ordonnance fuiwante.
>> Nous Frederic , par la grace de Dieu
>>>Roi de Danemark , de Norvege , &c. Sçavoir
>> faiſons : Qu'ayant été informé , qu'en divers endroits
des terres& états de notre domination il
>>>ſe trouve des Enrolleurs , qui , par des promelles
>> auſſi vaines que trompeuſes , cherchent à dé-
>> baucher nos ſujets , & àles obliger de s'expa-
>> trier pour påfſfer à certaines Colonies de l'Amé
>>>rique , Nous avons par une fuite de l'affectionn
>> paternelle que nous leur portons , non ſeule-
>> ment jugé à propos de les avertir , qu'ils euf
>> ſent à ſe garantir des piéges que de parcils gens
>> tendent à leur crédulité , mais nous leur deffen-
*dons en outre très expreffément par la préſente
>> de s'enroller pour les ſuſdites Colonies , ſous
>>peine aux contrevenans , d'avoir tous leurs biens
>> confiſqués , tant ceux qu'ils poffedent actuelle-
" ment, que ceux dont ils pourroient hériter par
>> la fuite, Ordonnons de plus , que tous les ſul-
>>> dits Enrolleurs ou émiſſaires , qui feront con
>> vaincus d'avoir débauché quelques-uns de nos
>> ſujets , & de les avoir , par de ſemblables pro..
>>>meſſes ou autrement , portés à entreprendre um
Hvj,
180 MERCURE DE FRANCE.
>> voyage fi préjudiciable à leurs véritables inté
>>rêts , foient condamnés , fans autre procédure
>> ultérieure , à travailler durant le reſte de leur
>> vie aux fortifications , & que même , ſuivant
>> l'exigence du cas,on leur fafle ſubir des punitions
>encore plus rigoureuſes.
Le Préfident Ogier , Envoyé extraordinaire &
Miniſtre Plénipotentiaire du Roi de France , eft
depuis hier en cette Ville. Sa Majefté Catholique
ayant envoyé ordre au Marquis de Puente Fuerte ,
ſon Envoyé auprès du Roi , de quitter cette Cour ;
ce Miniftre partira demain pour Stoccolm , où il
va reſider en la unême qualité auprès de Sa Majesté
Suédoife. La ſemaine derniere , il fit publier que
toutes les perfonnes qui avoient des créances fur
lui , ſe rendiffent àfon Hôtel , afin de recevoir.
leurs payemens; ildoit s'embarquer à Helſingbourg.
Il a été réſolu dans la derniere Aſſembléede la
Compagniedes Indes Orientales , d'envoyer cette
année deux vaiſſeaux à la Chine , & deux autres
àTranquebar.
Pluſieurs Pêcheurs des côtes Septentrionales de
JaNorvege ne donnant pas l'attention néceflaireàla
préparation & à la ſalaiſon du poiſſon , le
Gouvernement a fait publier un Réglement à ce-
Sujet. Il paroît une autreOrdonnance , qui regar
de la policedes ſpectacles..
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 29 Septembre.
Tout cequi concerne l'Académie Militaire étalie
à Newſtadt ſous la direction du Comte de
Daun , Général d'Infanterie , eft maintenant réglé.
Le Comte de Tierhem , Major- Général , en est
NOVEMBRE. 1753. 18r
Vice Directeur , & il y fera ſa réſidence ordinai
re Il aura ſous lui un Lieutenant Colonel , un
Major , & vingt- fix autres Officiers choiſis dans
les troupes de l'Impératrice Reine. Les Eleves
feront le même ſervice qu'on fait dans les Places
deguerre.
DE HAMBOURG , lez Ottobre.
Depuis la fufpenfion du commerce entre l'Ef
pagne & le Danemark , les Négocians de cette
Ville ont reçudes commiffions conſidérables pour
-les Etats de Sa Majesté Catholique.
ESPAGNE.
DE LISBONE , le 13 Septembre.
Une Flotte venantde laBaye de Tous les Saints,
entra le 6de ce moisdans le Tage. Elle eft com.
poſée de 18 Navires , de deux Corvettes & dừn
-Yacht, & elle a apporté quatre millions de cruzades
,vant pour le compte de Sa Majesté que
pour celui des particuliers.
DE MADRID , le 18 Septembre.
Dom Julien d'Arriaga , Préſidentdu Tribunal de-
Ja Contractation , a mandé à Sa Majesté , que le
le Vaiſſeau la Sainte Famille étoit entré dans la
Baye de Cadix., & que ce Bâtiment qui vient da
Port de Callao , avoit apporté cinq cens quatrevingt
treize mille huit cens quarante-quatre piaf
tres en eſpéces , la valeur de cinq cens trentehuit
mille neuf cens, quarante-trois piaftes e
doublons , cinq mille cent quintaux de cacao,
deux mille cent livres de laine de Vigogne , &
plufieurs autres marchandises.
১
182 MERCURE DE FRANCE.
Sa Majesté a difſpoſé de l'Evêché de Zamora en
faveur de Dom Joſeph Gomez , Ecolâtre de l'Eglife
Cathédrale de Sarragoffe.
ITALIE.
DE NAPLES , le 28 Août.
On a préſenté au Gouvernement troisprojets;
dont le premier eſt de changer le cours du Volturno
, & de le faire paſſer par Caferte ; le ſecond
d'établir un grand chemin depuis Salerne juſqu'à
Reggio ; le troiſieme , de couper une montagne ,
pour faire communiquer le chemin du Pofilipe à
celui de Bagnuoli.
DE ROME , le 25 Septembre.
La Congrégation de Propaganda Fide a reçu
avis de la Chine , que l'orage qui s'y étoit élevé
contre les Chrétiens étoit entierement calmé: Selon
les mêmes nouvelles , l'Ambaſſadeur que le
Roi de Portugal a jugé à propos d'envoyer à l'Empereur
de cette vaſte partie de l'Afie , eſt arrivé à
Масао .
DE FLORENCE , le 20 Septembre.
L'action courageuſe d'une Payſanne des envi
rons de Sienne fait ici le ſujet de tous les entretiens.
Le mari de cette femine étoit detenu dans
lesprifons de cette Ville pour une dette de quarante
écus. Après avoir trouvé le moyen de ramaf
fer cette fomme , elle partit de fon village pour
faire remettre fon époux en liberté. Elle fut attaquée
ſur laroute par un voleur armé d'un coûteau
àdeux tranchans. Feignant que fon argent étoit
NOVEMBRE 1753 . 183
couſu dans ſon corps-de-juppe , elle engagea le
Brigand à lui prêter ſon coûteau pour le découdre..
Aufſi-tôt elle ſe jetta fur ce miférable , & l'étendit
par terre ſans vie. On a reconnu que c'étoit un
fameux Chefde voleurs , nommé Pedrillo , pour la
priſe duquel le Gouverneur avoit promis cinq cens
écus.Cetterécompenſe a été payée à la Payſanne ,
&les Magiſtrats ont rendu la liberté à fon mari
en ſe chargeant d'acquitter la dette pour laquelle:
il étoit priſonnier..
:
1 DE GENES , le 22 Septembre.
&
Le Gouvernement vient d'accorder aux habis
tans de San- Remo une amnistie , dont quator
ze perſonnes ſont ſeulement exceptées.
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 1 Octobre.
Il a été réſolu de renforcer les garniſons deGi
braltar & de Port- Mahon, Le 30 du mois dernier ,
Alderman. Ironfilde fut élu Lord- Maire de Lon.
dres. Les lettres de l'Ifle de la Barbade annoncens
que les Vaiſſeaux de guerre le Saint-Albans &
PAſſiſtance , & la Chaloupe le Faucon , y font arrivés.
On écrit de la Nouvelle Angleterre , qu'à la
fin du mois de Juillet dernier il y a eu à Boſton.
un incendie , qui a réduit en cendres un grand
nombre de maiſons & pluſieurs magaſins.
184 MERCURE DE FRANCE.
L
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
E Prince de Soubize a donné le 16 Septembre
dernier dans le camp d'Aymeries , une fête
éclatante , à l'occafion de l'heureux accouchement
de Madame la Dauphine.
Le 20 , le Te Deum fut chanté dans l'Egliſede
PHôtel Royaldes Invalides , pour remercierDieu
du même évenement , & l'Evêque de Vannesy
officia. Le Comte d'Argenſon , Miniftre & Secrétaire
d'Etat, vint exprès de Verſailles pour affifter
àcette cérémonie , après laquelle ce Miniſtre ,accompagné
de M.de la Courneuve , Commandeur
de Fordre Royal & Militaire de Saint Louis , &
Gouverneurde l'Hôtel , du Comte de la Marck ,
Lieutenant de Roi , & des autres Officiers de l'Etat-
Major , mit le feu au bucher qu'on avoit préparé.
Avant & après le Te Deum , il yeutune
falved'artillerie&de mouſqueterie.
L'Académie & le College de Chirurgie firent
chanter le 27 le Te Deum dans l'Egliſe Paroiſſiale
de Saint Côme , en action de graces de l'évenement
qui fait le fujerde l'atlegreſſe publique.
On chanta le 21 le Te Deum dans l'Eglife de la
Paroiffe du Château de Versailles , en action de
graces de la naiſſance de Monſeigneur le Ducd'Aquitaine.
Pendant cette cérémonie , les Invalides,
qui compoſent la Garde de cette Ville , firentplu.
freurs falves de mouſqueterie. Le Portail de l'Eglite
étoit illuminé , ainſi que toutes les maiſons
de Versailles. Monfeigneurele Dauphin & Meſdames
de France ſe promenerent en caroſſe dans les
principales rues , pour voir les illuminations .
NOVEMBRE. 1753 . 135
Leurs Majestés , accompagnées de Monſeigneur
le Dauphin , de Madame Infante Ducheſſe de Par
me , & de Mesdames de France , aſſiſterent le 23.
au Salut , célébré par les Miſſionnaires.
Le même jour , le Comte de Looff, Ambaſſadeur
Extraordinaire du Roi de Pologne Electeur de
Saxe , eut une audience particuliere du Roi , dans
laquelle il prit congé de Sa Majeſté. Il fut conduit
à cette audience , ainſi qu'à celle de la Reine,
de Monſeigneur le Dauphin , deMadame la Dauphine
,de Monſeigneur le Duc de Bourgogne ,
deMonseigneur le Duc d'Aquitaine , de Madame ,
deMadame Infante , de Madame Adélaïde , & de
Meſdames Victoire , Sophie & Louiſe , par M.
Dufort , Introducteur des Ambaſſadeurs.
Le même jour , M. l'Eſtevenon de Berkenrode ,
Ambaſſadeur Ordinaire des Etats Généraux des
Provinces Unies , eut une audience particuliere du
Roi , dans laquelle il remit à Sa Majesté une Lottre
des Etats Généraux fur l'heureux accouchement
de Madame la Dauphine , & fur la naiſſance
de Monſeigneur le Duc d'Aquitaine. Il fut cons
duit à cette audience par le même Introducteur.
Le même jour , le Roi ſoupa au grand couvert
chez la Reine avec la Famille Royale.
M. de Barailh , qui avoit été préſenté le 21 au
Roi par M. Rouillé , Miniftre & Secrétaire d'Etat
ayant le Département de la Marine , prêta ſerment
de fidélité le 23 entre les mains de Sa Majeſté
pour la Charge de Vice-Amiral , vacante par
la mortdu Comte de Camilly.
Sa Majesté a nommé Commandeur de l'Ordre
Royal & Militaire de Saint Louis , M. de Bor
ville , Maréchal de ſes Camps & Armées.
Le Roi a diſpoſé du Régiment de Navarre,
qu'avoit le feu Comte deChoiſeul , en faveurde
186 MERCURE DEFRANCE.
L
Comte du Chatelet- Lomont , Colonel du Régiment
de Quercy. Sa Majesté deſtine la place du
Colonel desGrenadiers de France , qui aura le Rea
gimentde Quercy', an Marquis de Bouzols , Offi.
cier dans le Régiment d'Infanterie du Ro .
L'Académie Royale de Chiturgie préſenta le 23
-leſecond tome de ſes Mémoires à leurs Majestés &
à Monseigneur le Dauphin , ainſi qu'au Roi de
Pologne Duc de Lorraine .
Le même jour , leurs Majeftés & la Famille
Royale fignerent le Contrat de mariage de M.
de Beaucheſne de Montdragon , Maître d'Hôtel
Ordinaire du Roi , & Secrétaire des Commandemens
de Madame la Dauphine , avec Demoiselle
Marie Jeanne Duval de l'Epinoy.
Le Marquis de Paulmy , Secrétaire d'Etat de
la Guerre en ſurvivance du Comte d'Argenſon ,
revint le 24du voyage qu'il a fait dansdiverſes
Provinces du Royaume pour en viſiter les Places ,
&pour voir les troupes qui y ſont en quartier.
Le 25 , le Comte de Sartirane , Ambaſſadeur
Ordinaire du Roi de Sardaigne , eut une audience
particuliere du Roi , dans laquelle il remit une
Lettre du Roi ſon Maître , à Sa Majesté, ſur l'heureux
accouchement de Madame la Dauphine , &
fur la naiſſance de Monſeigneur le Duc d'Aquitaine.
Il fut conduit à cette audience , ainſi qu'à celle
dela Reinnee ,,&à celles de toute la Famille Roya-
Je , par M. Dafort , Introducteur des Ambaffadeurs.
Mademoiselle de Penthiévre mourut à Verſail-
Jes le 25 fur les huit heures du ſoir , âgée d'un an
onze mois & fept jours, étant née le 18 Octobre
1751.
M. de Vandiere fit voir le même jour à Sa Majeſté
le modéle en relief de l'Hôtel de l'Ecole
NOVEMBRE . 1753 . 187
RoyaleMilitaire , exécuté ſous la conduite &d'après
les deſſeins & profils de M.Gabriel , premier
-Architecte du Roi. Sa Majesté a paru en être trèsfatisfaite
.
Les Penſionnaires du Collège de Louis deGrand,
voulant témoigner leur reconnoiſſance pour la
protection dont le Roi les honore, & leur zéle
pour la proſpérité de la Famille Royale , firent
tirer le 23 Septembre dernier , un feu d'artifice , en
réjouiſſancede la naiſlance de Monſeigneur leDuc
d'Aquitaine.
Le 30 , la Reine , accompagnée de Monfeigneur
Ie Dauphin , de Madame Adélaïde , & deMeſdames
Victoire , Sophie & Louiſe , aſſiſta aux Vêpres
& au Salut dans la Chapelle du Château.
Don Jaime Maſſones de Lima , Ambaſſadeur
Extraordinaire & Plénipotentiaire du Roi d'Eſpa
gue , eut le même jour une audience particuliere
du Roi,dans laquelle il remit une Lettre du Roi
fon Maître à Sa Majesté , fur l'heureux accouches
ment de Madame la Dauphine ,& fur la naiſſance
deMonſeigneur le Duc d'Aquitaine. Il fut cons
duit à certe audience , ainſi qu'à celle de la Reine,
& à celles de toute la Famille Royale , parM.
Dufort , Introducteur des Ambaſladeurs.
Le même jour , le Roi partit pour le Château
de Crécy , d'où Sa Majeſté revint le 4 Octobre.
Le Roi de Pologne Duc de Lorraine & de Bar ,
partit le 6 Octobre pour retourner à Lunéville.
L'Abbé Nollet , de l'Académie Royal des
Sciences , a reçu la Lettre ſuivante au ſujet du malheur
arrivé au Sr Richtman. Cette Lettre eft de
M. Sanchez , ci-devant premier Médecin de l'Impératrice
de Ruffie .
Il vous appartient de droit , Monfieur , d'être
•inſtruit de toutes les nouvelles qui intéreſſent la
88 MERCURE DE FRANCE .
Phyſique Expérimentale. Ainfi je nedois pas
>>m>anquerde vous communiquer celleque vient
-de me donner le Docteur de Shreiber , de A-
>>cadémie de Pétersbourg , homme reſpectable
dans la République des Lettres par pluſieurs
écrits fur la Médecine. Notre Académie , me
>>marque-t'il dans ſa Lettre datée de Pétersbourg
le 14Août , a perdu le Profeſſeur Richtman. Le
26 du mois dernier , pendant qu'il étoit occupé
> à électriſer , dans un moment où il faiſoitdes
>>>éclairs , il fut tué ſubitement. J'ai été préſent le
>>lendemain à l'ouverture du corps. On a remar-
>> qué des traces comme de brûlure , au front, fans
>>> que les cheveux en euſſent ſouffert ; aux deux
>> côtés de la poitrine , & au pied gauche dont le
foulier a été déchiré par le travers. La partie
>poſtérieure du poulmon étoit noisatre & rem
plie de ſang: la partie membraneuſede la trachée
étoit comme afée. En preſſant les bronches,
>> il eſt ſorti du ſang écumeux. Le coeur étoit ſain,
"On a trouvé beaucoup de ſang dans la partie
"poſtérieure des inteftins grèles. M. Sozoloff,
Graveur de l'Académie , a été ſeul témoin de la
**tragédie. Il dit avoir vu ſortir un globe bleuâtre
"de la Régle Electrique , dontM. Richtman étoit
>> éloigné d'un pied lorſqu'il tomba mort .
On mande de Rennes , que le Préſident de
Langle de Coêruhan , Premier Préſident de la
Chambre des Vacations du Parlementde Bretagne,
adonné une fête très-brillante , à l'occaſion de la
naiſſance de Monſeigneur le Duc d'Aquitaine.
Le 4 Octobre , la Reine entendit la Meſſe dans
KEgliſe des Récollets ,& communia par les mains
de l'Abbé du Chaſtel , ſon Aumônier en quartier,
Le même jour , le Rai revint du Château de
Crécy
:
NOVEMBRE. 1753.1 189
Le Roi de Pologne , Duc de Lorraine &de
Bar , ayant entendu parler avec éloge de l'éducation
que le Duc de Chaulnes a établie dans la
Compagnie des Chevaux-Légers de la Garde du
Roi , qu'il commande ; ce Prince a voulu juger
par lui-même du mérite de cette Ecole militaize.
Il alla le deux de ce mois à l'Hôtel des Chevaux-
Légers , fuivi d'une nombreuſe Cour , &
il honora pluſieurs exercices de fa préſence. On
commença par la courſe des têtesdans laCarriere.
Le Roi de Pologne monta enſuite au Balcon du
Manége , pour y voir cet exercice. Le Manége
étant fini , ce Prince ſe renditdans la grande Salle
des exercices. Les Chevaux-Légers , Eleves , y
étoient ſous les armes. Ils firent l'exercice du
maniement des armes , conformément aux dernieres
Ordonnances, enſuite quelques évolutions .
puis l'exercice du Fleuret. Ils finirent par celui
de voltiger ſur des chevaux de bois ordinaires ,
& ſurun grand cheval d'une nouvelle conftruction.
On rendit compte enſuite au Roi de Pologne
des autres études qui ſe font dans la même
Salle , où l'on enſeigne aux Eleves les Mathématiques
, l'Histoire , la Géographie , le Defſein&
laDanſe. Le Roi de Pologne laiſſa voir
toute la fatisfaction que lui cauſerent également
tous les exercices. Rien n'échappa à ſa pénétration.
Il approuva toutes les nouvelles méthodes
inventées pour lesperfectionner , & il eut la bonté
de louer la juſteſſe & la précision de leur exécution.
Leurs Majestés ſigboerent lesle contrat demariage
du Duc de Beauvilliers , & de Demoiselle
Deſnos de la Feuillée.
M. Burner , Sçavant Botaniſte , & petit-fils du
célébre Sthall , étant venu en France pour y paffer
190 MERCURE DE FRANCE .
quelque tems , il fut préſenté au Roi par leDuc
d'Ayen.
Madame Infante Ducheſſe de Parme , eſt partie
le 27 Septembre pour retourner à Parme. Cette
Princefle a couché le même jour à Montargis , où
M. Barentin , Intendant d'Orléans , s'étoit rendu
pour la recevoir. Le 28 , elle coucha à Cofne ,
qui dépend auſſi de laGénéralité d'Orléans. M.
Barentin a rempli , àla fatisfaction de cette Princeffe
& de ſa fuite , tous les devoirs qui le regar.
doient. Madame Infante alla le 29 à Moulins . Elle
n'a pas été moins contente des préparatifs faits
pour ſa réception par M. de Bernage de Vaux ,
Intendant du Bourbonnois. Le 30 , Madame Infante
ſe rendit à Roanne , & le premier Octobre à
cinq heures du foir , elle eſt arrivée à Lyon. Elle
fut reçue à la porte au bruit du canon , par le
Marquis de Rochebaron , Commandant dans la
Ville , à la tête des Compagnies Militaires & de
celles de la Bourgeoiſie , qui étoient ſous les armes
, & qui bordoient les rues juſqu'au Palais
Archiepifcopal . Lorſque Madame Infante defcendit
à ce Palais , M. Flaſchat de Saint-Bonnet ,
Prévôt des Marchands , & les Echevins , la reçurent
au bas de l'escalier , étant préſentés par le
Comte de Noailles , Grand d'Eſpagne de la premiere
Claſſe , chargé des ordres du Roi pour
conduire cette Princeſſe à Antibes. Madame Infante
ayant été menée à ſon appartement , on lui
porta les préſens de la Ville qui conſiſtoient prin
cipalement en pluſieurs pièces de riches étoffes.
Le même jour , le Corps de Ville fit tirer ſur l'eau
in feu d'artifice vis-à-vis du Palais Archiepifcopal.
Après le feu , Madame Infante ſe mit à table ,
&elle voulut bien admettre toutes les Dames à la
voir ſouper. Toute la Ville fut illuminée , chaque
NOVEMBRE. 1753 . 191
0
citoyen s'empreſſant de témoigner ſon amour &
fon reſpect pour Madame Infante. Le 2, cette
Princefle entendit, dans la Chapelledel'Archevêché
, la Meſſe chantée par la Muſique. L'aprèsmidi
, elle alla ſe promener au Château d'Oullins ,
qui appartient au Cardinal de Tencin. A fon retour,
elle affifta au concert qu'on lui avoit préparé
, & après lequel on tira un nouveau feu d'artifice.
Elle foupa enſuite en public , & il y eut ,
de même que la veille , des illuminations dans
toute la Ville. Madame Infante ſe rendit le 3 à
l'Eglife Métropolitaine , & elle y entendit laMefſe,
après avoir été reçue à la porte par le Cardinal
de Tencin à la tête des Comtes de Lyon. Cette
Princefle partit le même jour pour continuer ſa
route. Pendant ſon ſéjour à Lyon , elle a éré traitée
aux dépens du Roi ſuivant les ordres adreſſés
àM. Roffignel , Intendant , par Sa Majefté. Madame
Infante a paru latisfaite des preuves qu'elle a
reçues du zéle deshabitans. Elle a donné des marquesde
bonté à toutes les perſonnes qui ont en le
bonheur de l'approcher ; & l'ardeur des voeux que
les Lyonnois font pour cette Princefle , égale la
vivacité du regret qu'ils ont eude fon départ.
LeDuc de Villars , Gouverneur de Provence ,
acélébré dans la Ville d'Aix , par une fêtedes plus
éclatantes , la naiſſance de Monseigneur le Duc
d'Aquitaine.
On mande de Beaucaire , que la fête donnée
par M. de Cremille à la même occafion , n'a pas
été moins somptueuſe.
Il y eut le 8 un Concert Italien chez Madame
la Dauphine, & l'on y exécuta un Oratorio , dont
M. Cafarieli chanta le principal rôle .
Sa Majesté ſe rendit le 6 à Choiſy , d'où Elle eft
revenue le 8. Elle retourna le ro à ce Château,
192 MERCURE DE FRANCE.
La Reine & Meſdames de France font allées le
même jour y joindre le Roi , & le 12 leurs Majeſtés
enpartirent pour Fontainebleau.
LeRoi ſoupales & le9 au grand couvert chez
la Reine avecla Famille Royale.
,
LeJo , M. Kleferer , Syndic , & M. d'Hugier ,
Sénateur , Députés de la Ville de Hambourg ,
curent leur audience publique de congé du Roi .
Ils furent conduits à cette audience , ainſi qu'à celles
de la Reine , de Monſeignent le Dauphin
de Madame la Dauphine , de Monſeigneur le
DucdeBourgogne , de Monſeigneur le Duc d'Aquitaine
, de Madame , de Madame Adélaïde , &
deMeſdames Victoire , Sophie & Louiſe , par M.
Dufort, Introducteur des Ambaſſadeurs .
Madame Infante Ducheſſe de Parme arriva le
3Octobre vers les ſept heures du ſoir à Vienne en
Dauphiné. L'Archevêque , le Commandant , &
le Corps de Ville , recurent cette Princeſſe à la
deſcente de ſon carroffe. Toutes les rues étoient
illuminées. Le 4 , Madame Infante entendit la
Meſſe dans l'Egliſe Métropolitaine. Cette Princeſſe
alla le même jour coucher à Saint-Valier.
Elle ſe rendit le 4 à Valence , où elle entra au
bruit du canon. Les troupes& la Bourgeoifie
étoient ſous les armes. Madame Infante logea à
P'Hôtel du Gouvernement. Elle coucha le 6 à
Montelimar , & le 7 à Pierrelatte. Dans la premiere
de ces deux Villes , elle fut reçue de même
qu'à Valence. Le 8 , elle dina à Bollene , Ville du
Comtat d'Avignon. Le Vice-Légat s'y étoit rendu
avec les troupes du Comtat. Madame Infante
continua l'après midi ſa route ,& alla coucher à
Orange. On fit à cette Princeſſe la même récepsion
qu'à Valence & à Montelimar. Elle dina le 9
à Sorgue , où le Vice-Légat d'Avignon & les
troupes
NOVEMBRE. 1753. 191
troupes du Comtat l'avoient devancée. Cette Prin.
ceſſe y trouva auſſi le Duc de Villars , qui l'y attendoit
à la tête de beaucoup de Nobleſle. Madame
Infante coucha le même jour à Orgon , & le
lendemain elle est arrivée à Aix .
LeComte de la Marche ,Prince du Sang , qui
avoit été attaqué d'une petite vérole volante , eſt
parfaitement rétabli .
Les Secrétaires du Roi , Maiſon , Couronne de
France , &de ſes Finances , firent chanter leTe
Deum dans l'Egliſe des Célestins , en actions de
graces de la naiſſance de Monſeigneur le Duc d'Aquitaine.
Les payeurs des Rentes de l'Hôtel de Ville s'acquiterent
du même devoir le 12 dans l'Egliſe des
Religieux de la Mercy ; & les Controlleurs des
Rentes, le 17 dans celle des Blancs-Manteaux.
M. de Chevert, Lieutenant-Général , qui a
commandé le Camp ſous Sarre-louis , &le Marquisde
Caftries , Maréchal de Camp , qui étoit
employé ſous ſes ordres , ſe ſont auſſi diſtingués
parune fête éclatante .
Le 12 Octobre , le Roi arriva à Fontainebleau
du Château de Choiſy; Sa Majesté deſcendit de carofle
à Chailly , & chaſſa le Sanglier. La Reine
arriva le même jour avec Madame Adélaïde , &
avec Meſdames Victoire , Sophie & Louiſe.
On exécuta le 13 à Verſailles , chez Madame
la Dauphine , l'Opéra Italien , intitulé , Didon
abandonnée , dont la Muſique eſt de M. Haſſe ,
Maître de Muſique du Roi de Pologne , Electeur
de Saxe. Les principaux rôles furent chantés par
Mrs Cafarieli , Guadagni , Champalante & Albaneſe.
M. Guadagni artive d'Angleterre. Sa grande
exécution & la beauté de la voix lui ont acquis
beaucoup de réputation .
I
194 MERCURE DE FRANCE.
Leurs Majestés ont ſigné le Contrat de ma.
riage du Marquis de Canify & de Demoiselle de
Vaily.
Leurs Majeſtés , accompagnées de Meſdames
de France, affifterent le 14 au Salut dans la Chapelle
du Château.
Le lendemain , la Reine alla entendre laMeſſe
dans l'Eglife du Couvent des Carmes des Loges ,
àun quart de lieue de Fontainebleau.
Meldames de France ſe rendirent l'après midi à
la même Eglife , où ces Princeſles aſſiſterent au
Salut.
Le Roi ſoupa le 14 au grand couvert.
Les ſpectacles ayant recommencé à laCour ,
les Comediens François y repréſenterent le 16les
Ménechmes & le Retour imprévú. On a profité de
la reflemblance qui ſe trouve entre M. Préville ,
nouveau Débutant , & M.,Chanville ſon frere ,
Acteur de la Comédie Italienne , pour leur faire
jouer dans la premiere Piéce , les rôles des deux
Menechimes.
Le 17 , il y eut chez la Reine un concert , dans
lequel on chanta le Prologue & le premier acte de
l'Opéra de Medée Jason .
Le 14 , l'Abbé Lambert eut l'honneur de préſenter
au Roi les Mémoires de Martin & de Guil
laume du Bellay-Langey , mis en un nouveauſtyle ,
auxquels sont joints Les Memoires du Maréchal de
Fleuranges , qui n'avoient pas encore été publiés, &
le Journal de Louile de Savoye ; avec des notes histo
riques critiques , & un grand nombre de Pieces Juftificatives
, pourfervir à l'Histoire du Regne de Fran
çois I. Ce Recueil contient ſept Volumes in 12 .
Monſeigneur le Dauphin & Madame la Dauphine
vinrent le 16 à Paris , pour rendre à Dieu
leurs actions de graces dans l'Egliſe MétropoliNOVEMBRE.
1753. 195-
caine. Ce Prince & cette Princefle attiverent à
quatre heures après midi , & furent reçus à la porte
de l'Eglife par l'Archevêque , qui , revêtu de ſes
habits Pontificaux , & à la tête de ſon Chapitre ,
les complimenta , & leur préſenta l'eau benite.
Ayant été conduits dans le Choeur , ils affifterent
au Te Deum , auquel l'Archevêque officia. Monſeigneur
le Dauphin & Madame la Dauphine firent
enfuite leur priere à la Chapelle de la Vierge. Ce
Prince & cette Princeſſe ſe rendirent de l'Egliſe
Métroplitaine à celle du Noviciatdes Jéſuites , où
ils entendirent le Salut. En arrivant à l'une & l'autre
de ces Egliſes , ils ont trouvé une Compagnie
des Gardes -Françoiſes & une des Gardes- Suifles ,
ſous les armes, Le foir , Monſeigneur le Dauphin
& Madame la Dauphine retournerent à Verfailles.
Par-tout , le peuple s'eſt empreflé d'accourir
ſur leur paflage. Le 18 , ce Prince & cette Princeffe
partirentde Verſailles pour aller jondre leurs
Majeftés à Fontainebleau.
Le Duc de Geſvres donna le 14 une fête brillante
dans le Château de Monceaux. Après un dîner
ſplendide , auquel le Duc d'Orléans ſetrouva,
le Te Deum fut chanté dans laChapelle de l'avant
cour du Château , qui étoit éclairée & décorée
magnifiquement. L'Evêque de Meaux y officia ;
& le Duc de Gefſvres y aſſiſta avec un grand nombre
de Seigneurs & de Dames , qu'il avoit invités à
la cérémonie. On tira le ſoir un très beau feu d'artifice
, précédé de quantité de boëtes & de fuſées
d'honneur. La fête fut terminée par un ſouper
qui nefut pasmoins ſomptueux que le dîner , &
qui fut ſervi au bruit des timbales & des trompettes.
M. Loriot , qui a trouvé le ſecret de fixer le
Paſtel , ſans tomber dans le mat , & fans rien ôter
I ij
196 MERCURE DEFRANCE:
de la fraîcheur des couleurs , a montré différentes
épreuves à l'Académie Royale de Peinture & de
Sculpture. La Compagnie , après les avoir examinées
, a décidé que le secret de M. Loriot ſemble
devoir perpétuer la durée des ouvrages en Pastel,
des deffeins qui méritent de paſſerà la postérité. De
plus , elle a déclaré que de toutes les tentatives qui
ont étéfaites jusqu'ici pour découvrir unpareilſecret ,
iln'en est venu à ſa connoissance, aucune qui puiſſe
entrer en comparaison avec la réuſſite deM. Lorist
dont la méthode paroit tendre au dégré de perfection
qu'on avoit toujours souhaité. L'Académie en conſéquence
a chargé ſon Secrétaire , de délivrer un
Extrait de ſa délibération à l'Inventeur , comme un
témoignage de l'estime qu'elle a pour l'excellence de
Jadécouverte.
Le 18 , les Actions de la Companie des Indes
étoient à dix-fept cens vingt-deux livres dix ſols ;
les Billets de la premiete Lotterie Royale à fix cens
foixante-quinze , & ceux de la ſeconde à fix cens
trente.
Dans toutes les circonstances où des événemens
agréables raniment la joye publique , Meſſieurs les
Fermiers Généraux ne manquent jamais à être des
premiers à témoigner leur zéle. L'objet de la naiffanced'un
nouvel appui du Trône étoit trop intéreſſant
pour toute la Nation , pour qu'ils négligeaflent
de prendre part à l'allegreffe commune.
Au lieu des dépenſes de pure décoration qui accompagnent
affez ordinairement les cérémonies
d'uſage en ces occafions , ces Meſſieurs ont coutume
d'employer en bonnes oeuvres , les ſommes
qu'ils pourroienty deſtiner : c'eſt ce qu'ils ont
conrinuéde faire cette année , ainſi qu'ils l'avoient
pratiqué précédemment dans des circonstances
ſemblables. Le Mardi 25 Septembre à onze heuNOVEMBRE.
1753. 197
Fes du matin , la Compagnie ſe rendit à l'Egliſe de
Saint Eustache , Paroiſſe de l'Hôtel des Fermes ,
qui étoit ornée comme elle l'eſt dans les jours
des plus grandes folemnités. On y célébra une
Meſſe ſolemnelle d'actions de graces , qui fut fuivie
du Te Deum , le tout fans autre appareil , que
celui qu'inſpiroit aux aſſiſtans la pieré & la reconnoiffance
envers Dieu du don qu'il a fait à la France
; & par une délibération de la Compagnie , les
ſommes qui auroient pu être employées en décorations
, mufique , fymphonie , &c . ont été envoyées
àcettemême Paroiffe pour contribuer à la dépente
des nouveaux édifices qu'on y entreprend , & pour
la perfection de certe Eglife ,&pour la commodité
& utilité des Paroiffiens .
RELATION de la Fête donnée à la
Nouvelle Orléans , au sujet de la Conva.
lefcence de Monseigneur le Dauphin.
L
'AMOUR des François pour leur Roi & leur
zele pour ſa gloire ſe confervent & ſemaoifeſtentdans
toutes les régions où le ſort les conduit :
la grande diſtance qui ſépare ceux qui font établis
àla Louiſianne n'a jamais purallentir en eux l'ardeur
fidéle qui fait leur principal caractére. Cette
contrée etentit encore du nom auguſte &chéri de
Louis le bien-aimé , & des cris d'allégreſſe occaſionnés
par la nouvelle de l'heureuſe convalefcence
deMonfeigneur le Dauphin. La Colonie entiere
animée par l'exemple de ſes Chefs a exprimé ſa
joye par tout ce que le coeur peut inſpirer , & par
tout ce que l'art a pu exécuter.
Monfieur de Kerleret , Gouverneur de laPro
I iij
198 MERCURE DEFRANCE.
vince de la Louiſhanne ayant fixé au dernier jour
d'Avril 1753 la Fête qu'il devoit donner au ſujet
de la convaleſcence de Monſeignent le Dauphin ,
fe rendit avec Monfieur de Vaudreuil , ancien
Gouverneur , & Monfieur d'Auberville , Commiſsaire
Ordonnateur , à l'Egliſe Paroiſſiale de la
Nouvelle Orléans , où il fut chanté un Te Deum
folemnel en actions de graces , enſuite duquel ceś
Metſieurs accompagnés de Monfient le Lieutenant
de Roi & de M. de Brunolo , Chevalier de l'Ordre
de Saint Louis , Commandant le Vaisseau du
Roi le Chariot Royal , avec Meſſieurs les Officiers
de la Marine , & Meſſieurs du Conſeil, allumerent
le feu de joye qu'on avoit préparé fur la place
d'armes au bruitdes ſalves répéréesdela mouſque.
revie des troupes de la Garniſon & de la Milice
Bourgeoife , &de plufieurs décharges du canonde
la place & des vaisseaux de la rade. Alors on fir
couler des fontaines de vin dans pluſieurs boſquets
formés artiſtement avec des branches d'arbres. Le
peuple au fon des fifres , des cors de chasſe &des
tambours exprima par ſes tranſports , par ſes danſes&
par fes acclamations la joie dont il étoit
agité ; joye vive & fincére , inſpirée par l'amour
que la Nation Françoiſe, quelque part qu'elle
foit tranſportée , nourrit fans cefle dans ſon coeur
pour la perſonne ſacrée de ſon Roi & pour ſonau
gufte Famille..
: De la Place d'armes Meſſieurs les Gouverneurs
& leur fuite ſe rendirent au Gouvernement , of
ils trouverent cent trente Dames parfaitement
'bien parées , &un beaucoup plus grand nombre
d'hommes , qui tous devoient être du ſouper. C'eſt
là que cette aiſance attentive , cet air gracieux&
engageant qui gagne tous les coeurs , ces polirefles
naturelles , réſervées aux ſeules perſonnes
:
NOVEMBRE. 1753 . 199
nées pour commander , furent abondamment rés
pandues: tout le monde y eut part , & chacun admirant
la belle ordonnance de cette Fête , la rendit
encore plus vive par l'expreſſion particuliere de
ſa joye & de ſon contentement.
Quelqu'avantage qu'une galerie d'environ cent
trente pieds , qui ſe trouve devant le Gouvernement
, offiſt pour réunir une aſſemblée auffi nombreuſe
, il eſt difficile d'imaginer avec quel art on
enavoit ſçu tirer parti . Un treillis de fleurs en garniffoit
le tour, & ne donnoit paſſage qu'à un air
parfumé. Les colonnes étoient ceintesde guirlandes
de fleurs : le plancher qu'on avoit tapiſſé , re.
préſentoit les chiffres les plus galans tracés par
d'autres guirlandes . La table étoit ornée de trois
beaux cristaux qui répétoient les lumieres d'un
nombre infini de bougies , dont la gallerie étoit
éclairée ; enfin une abondance bien entendue de
mets délicats & choiſis fiatoient également la
vûe & le goût.
La ſanté du Roi & celle de Monſeigneur le
Dauphin furent bues au bruit du canon de la Place
&des Vaiffeaux. L'on vit quels ſoins & quel plaifir
prenoit M. le Gouverneur à faire tomber tous
les honneurs ſur Monfieur & Madame de Vaudreuil
, & toutenfin fat dirigé avec un ordre &une
décence qu'il eſt auſſi rare que difficile de faire
obſerver dans un ſi grand concours .
,
D'autres plaiſirs devoient fuccéder à tant de magnificence.
Les illuminations de la façade duGou
vernement celles des Vaiſſeaux ranges fur le
bord du fleuve , & celles des maiſons des Particu
liers qui avoient voulu ſe ſignaler , attiroient tour
àtour les regards , & faifoient redoubler les acciamations.
Les Révérends Peres Jeſuites ſur tout
faifoient briller par de belles fuſées , des fontaines
Iiiij
200 MERCURE DE FRANCE.
de vin&des illuminations , leur bon goût ordi
naire.
Le ſouper fini , on ſe rendit àla maiſon du fieur
du Breuil , au devant de laquelle il avoit fait dref-
Ser un amphithéatre où les Dames ſe placerent
pour voir l'exécution du feu d'artifice qu'il avoit
préparé. Sa maifon étoit illuminée avec goût ; au
deffus d'une colonnade feinte s'élevoient quatre
ſtatues repréſentant les quatre ſaiſons avec leurs
attributs , & des inſcriptions appliquées au fujer,
Il y avoit fur la facede ſa maiſon trois galleries
P'une fur l'autre , & fur chacune un dépôt d'artifi
ce en fulées , feux volans, étoiles & ferpentaux.
Mesdames les Gouvernantes y mirent le feu par
le moyen de deux colombes artificielles On vit à
Pinſtant tout le ciel en feu & plein d'étoiles',
dont la clarté brillante diſſipa pour quelque momentl'obfcurité
de la nuit. On admira la grande
variété d'objets que préſenta cette décoration en.
flammée , & la diſtribution élégante & fage des
foleils , tourbillons , gerbes , pluye de feu , &c.
En un mot , l'exécution fut auſſi heureuſe que le
plan avoit été bien conçu. Le ſpectacle terminé
tout le monde ſe retira avec une entiere fatisfaction.
Les François ne furent pas les ſeuls, qui profiterent
de cette Fête : des Sauvages de plufieurs nations
qui ſe trouvoient à la Nouvelle-Orléans ,
voyant au nom du Roi jaillir des fontaines de
vin, dont la ſource leur étoit inconnue , & le
ciel s'embellir par des aſtres nouveaux , auront
remportédans leur retraite une haute idée de Louis
lebien aimé , & lui auront payé par ignorance
un tribut d'admiration , qu'ils lui offritoient par la
force de la vérité , s'ils avoient le bonheur de la
connoître.
NOVEMBRE. 1753. 201
L
BENEFICE DONΝ Ε' .
"
, E Roi a accordé l'Abbaye de Marcheroux
Ordre de Prémontré , Diocéte de Rouen , à
Abbé Clément , Doyen de l'Eglite Collégiale de
Ligny , en Barrois
:
MARIAGES ET MORTS.
:
E 18 Septembre , Jean-Etienne-Bernard de
Lugar de de
,
gneur de Pralay , Conſeiller au ParlementdeBour.
gogne, épouſa Charlotte-Theréſe Tardieu deMa
leiſſie , fille de Charles-Gabriel Tardieu , Marquis
de Maleiffie & de Anne - Philiberte de Barilon .
M. de Clugny eſt fils d'Etienne de Clugny ,
Seigneur de Nuis- fur-Armançon , Conſeiller au
Parlement de Dijon , & de Clairode Gilbert de
Voiſins , fille de Pierre- Gilbert de Voiſins , Cointe
de Crapado & de Lohuc , Commandant pour
le Roi en l'iſne de Guadeloupe , de la même famille
que M. Gilbert de Voiſins , Conſeiller d'Etat.
Etienne avoit pour pere un autre Etienne de Clugay
, Conſeiller au même Parlement , Auteur du
Traité des Droits de Juſtice , mort en 1741 avec la
réputation d'un grand Magiſtrat ; celui- ci avoir "
épousé Chriſtine Lefoul de Pralay , & étoit d'une
famille ancienne originaire d'Autun , dont étoit
forti Ferri de Clugny , Evêque de Tournay , fait
Cardinal en 1480. Ses armes ſont d'azur à deux
clifs d'or posées en pal , les anneaux en lozange pomés
enlacés. Voyez le Supplément de Moreri ,
de l'édition de 1735 .
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
Quant à la famille de Tardieu , elle eft origi
naire de Normandie , & a donné dans le dernier
fiécle pluſieurs Chevaliers à l'Ordre de Malte.
François Tardieu de Malleville , Maitre des Requêtes
, épouſa en 1620 Anne - Martin de Maleiffie,
fcoeur de Henri- Martin , dit le Marquis de Maleiſſie,
Gouverneur des Ville & Citadelle de Pignerol ,
& fille de Mathieu- Martin de Maleiſſie , Chevalier
de l'Ordre du Roi , Gentilhomme Ordinaire de ſa
Chambre ,& Gouverneur de la Capelle ; &de Madelaine
Alamani , qui avoit pour mere Anne de
Bricqueville. Leur poſtérité qui a depuis porté le
furnom & les armes de Maleiſſie, fut continué par
leur 3. fils Charles Gabriel Tardieu , Chevalier ,
Seigneur & Maquis de Maleiffie , Maréchal de
Camp en 1667 , marié avec Genevieve Hebert de
Buc ; de ce mariage naquit Jacques-François Tardieu,
Marquisde Maleiffie , Capitaine aux Gardes
Françoiſes , allié avec Anne Barentin , Dame de
Mons, en Poitou ; celui ci eſt le pere du Marquis
de Maleiffie , & l'ayeul de Charlotte-Theréfe de
Maleiffie quidonne fieu àcet article. Elle apour
freres Antoine Charles Tardieu , Comte de Maleiffie
, Sous- Lieutenant aux Gardes Françoiſes ,
Lieutenant de Roi de Compiegne ; & Charles -
Philibert Tardieu , Chevalier de Malte , aufk
Sous-Lieutenant au même Régiment. Ils portent
pour armes écartelé, au premier d'azur , à trois
pointes traverſées d'or , qui eft de Martin de Maleiffie;
au ſecond de Caumont , d'azur à trois lions
d'or , paffans l'un ſur l'autre , au troifiéme d'Ala
mani , bandé d'argent & d'azur de quatre piéces ;
au quatrième , de Briquerille , paflé d'or & de
gueules ſupports de lions.
Le 26 du même mois , N... de Beauchine de
Mondragon, Confeiller d'Etat , Maître d'Hôtel
NOVEMBRE. 1753 . 203
ordinaire du Roi , & Secrétaire des Commandemens
de Madame la Dauphine, épouſa N... Duval
de l'Epinoy , fille de Louis Duval de l'Epinoy,
Seigneur du Marquiſat de Saint Verain , & de
Marie Berfin . Leur Contrat de mariage avoit été
honoré le 23 de la ſignature du Roi , de la Reine ,
&de la Famille Royale.
Le premier Juillet fut enterré à Saint Sulpice
Demoiselle Catherine Browne, fille de Milord Valentin
Kenmare , décedée rue du Regard.
Le 8 mourut , rue des Foflés Saint Victor, Dame
Anne le Maiſtre , épouſe de M. Jean - Pierre
Guignace de Villeneuve , Seigneur de Villoifeau ,
Lemée , &c. Conſeiller au grand Confeil
M. Armand- François-Joſeph de Barral de
Montferrat , fils de M. Jean-Baptiste François
Barral de Montferrat , Marquis de la Baſtie , Con
feiller du Roi en tous ſes Conſeils d'Etat & Privé ,,
Préſident à Mortier en ſa Cour de Parlement ,
Aydes & Finances de Dauphiné , mourut le même
jour rue Saint Dominique Fauxbourg Saint Germain.
Voyez les Tablettes hiſtoriques V. part..
page 147. & VI. partie , page 159.
Joſeph Lamoureulx , Seigneur de la Javelliere
en Bretagne , Maréchal des camps & armées du
Roi , Commandeur de l'Ordre de S. Louis , &
ancien Gouverneur de Philifbourg , eſt mort à
Paris le 2 Juillet , âgé de 88 ans. Il eſt enterré
en l'Eglife de S. André ſa Paroiſſe. Il avoit épousé-
Marguerite Trudaine , Dame de Tartigny en Pi
cardie , dont il laiſſe deux filles Religieuses à S.
Paul-lez Beauvais , & deux autres filles mariées..
Paînée ,
Marguerite-Sébastienne Lamoureulx, mariéele
10 Septembre 1739 à Charles-Cefat Favier de
Uvjl
204 MERCURE DEFRANCE.
Lancry , Marquis de Bains ,Capitaine de Dragons
au Régiment de Nicolai , tué d'un coup de fauconneau
au ſiége du Château de Rhinsfelds en
Briſkau , le 24 Septembre 1744, âgé de 32 ans ,
laiſſantun fils &une fille.
Et la cadette , Geneviève Lamoureulx , mariée
le 4 Mars 1745 à Denis- François Marquis de
Mauroy , Lieutenant Général des armées du Roi ,
&Gouverneur de Taraſcon , dont un fils né le 1s
Juin 1750.
Gui- Félix d'Egmont Pignatelli , Comte d'Egmont
, Prince du Saint Empire , Grand d'Eſpagne
de la premiere claſſe , Pair du Pays & Comté de
Hainault , Brigadier , Mestre de camp du Régiment
de Dragons de ſon nom, mourut àParis le
3 Juillet , âgé de 33 ans.
Dame Marie-Edmée de Boullongue , époufe
du Marquis de Bethune , Maréchal des camps &
armées du Roi , & Mestre de camp général de la
Cavalerie , eſt morte à Brunei le même jour dans
fa vingt huitième année.
Meffire François-Olivier de Saint Georges ,
Marquis de Verac , Lieutenant Général pour Sa
Majefté auGouvernement du Haut- Poitou , mourut
le to âgé d'environ quarante ans. Il étoit fils
aîné du feu Marquis de Verac , LieutenantGénéral
des armées du Roi & Chevalier des Ordres de
Sa Majeſté .
Louiſe de Beauvau , veuve de Meffire François
Comte de Rochefort , mourut à Paris le 14, âgée
de 68 ans .
Meffire Jean Gourdon de Legliziere , Lieutenant
Général des armées du Roi ,& Directeur
des fortifications des villes & ports de la haute.
&baffe Normandie , & Chevalier de Saint Louis ,
eft mort le même jour dans ſa ſoixante fixieme.
année.
NOVEMBRE. 1753. 205
Meffire Pierre Blouet , Comte de Camilli ,
GrandCroix de l'Ordre Royal & Militaire de
Saint Louis , & premier Vice-Amiral de France ,
ci -devant Grand- Bailli Honoraire de l'Ordre de
Saint Jean de Jerufalem , mourut à Paris le 22 ,
âgé de quatre-vingt-fept ans. Il ſervoit dans la
Marine depuis 1689 ; après avoir paffé ſucceſſivement
par tous les grades ; il fut fait Vice-Amiral
du Ponant le 15 Mai 1751. Il avoit été Ambaſſadeur
de la Religion de Malte en 1714 , au Congrès
de Bade , & en 1723 à celui de Cambrai ; en 1726
il avoit été nommé Ambaſſadeur du Roi à la Cour
deDannemarck , place qu'il a occupée pendant les
années 1726 , 1727 & 1728 .
Le même jour montut dans ſa ſoixante-huitiéme
année , Meffire Samuel - Jacques Bernard ,
Conſeiller d'Etat ordinaire , Doyen des Doyens
des Maitres des Requêtes , Sur- Intendant des Finances
de la Maiſon de la Reine , & Prévôt-Maΐ
tre des Cérémonies de l'Ordre Royal & Militaire
de Saint Louis . Voyez la IV. part. des Tablettes
hiſtoriques , page 70.
Gui Michel de Durfort , fils de Louis de Darfort,
Comte de Lorges, Lieutenant Général des
Armées du Roi , & Menin de Monſeigneur le
Dauphin ; & de Marie-Marguerite-Reine Butau
de Keremprat de Marfan , Dame de Compagnie
de Madame la Dauphine , mourut à Paris le 24
dans la troifiéme année .
Meffire Alexis-Céſar de Talhouet de Bonamour,
Abbé de l'Abbaye de Saint Aubin-des-Bois ,Ordre
de Citeaux , Diocéſe de Saint Brieu , & Vicaire
Général de l'Evêché de Rennes , eſt mort à Rennes
le même jour , âgé de quarante ans.
Meſfire N...de Gould , Abbé de l'Abbaye de
Saint Laon deThouars , Ordre de Saint Augustin,
1
206 MERCURE DEFRANCE.
Diocéſe de Poitiers , eſt mort à ſon Abbaye dans
ſa ſoixante quinziéme année.
Le 23 , eft mort à Paris François de la Celle ,
Vicomte de Chanteauclou , Mouſquetaire de la
premiere Compagnie.
M. Pierre-Louis François de Perochelle de
Morinville , auffi Mouſquetaire de la premiere
Compagnie , mourut à Paris le 26.
Meſſire le Lages de Cuilli , Maréchal des Camps
&Armées du Roi ,eſt mort à ſa Terre de Cuilli
le même jour ; il avoit fervi long-tems avec diftinction
dans la Marine d'Eſpagne. Le conimandement
du Vaiſſeau Eſpagnol le Saint Ifidore lui
ayant été donné pendant la derniere guerre , il fur
attaqué ſur les côtes de l'Ile de Corſe par trois
Vaiſſeaux Anglois , il ſoutint leur feu pendant
pluſieurs jours, & s'étant fait échouer plutôt que
de ſe rendre, il ſe ſauva à terre avec ſon équipage.
Meffire Jean- François , Marquis de Creil ,
Grand-Croixde l'Ordre Royal & Militaire de Saint
Louis , Lieutenant Général des Armées du Roi ,
Gouverneur de Thionville , &ci-devantCapitaine-
Lieutenant Commandant de la Compagnie des
Grenadiers à cheval , eſt mort à Thionville le 27 ,
agé de ſoixante dix- huit ans .
Marie Magdelaine de la Grange-Trianon , venve
de Jacques d'Auxi de Monceaux , Marquis
d'Auxi , Chevalier des Ordres du Roi , mourut en
ſon Château de Deuil le 28 , âgée de ſoixante-fix
ans. Le Marquis & la Marquite d'Auxiont laiflé
de leur mariage une fille unique , qui eſt Anne-
Magdelaine- Françoiſe d'Auxi de Monceaux , Dame
du Palais de la Reine,& épouse d'André
Hercule de Roffet , Duc de Fleuri , Pair de France ,
Lieutenant Général des Armées du Roi ,Gouver
NOVEMBRE. 1753. 207
neur & Lieutenant Général des Duchés de Lorraine
& de Bar , Gouverneur particulier des Ville
& Château de Nanci , & premier Gertlhomme
de la Chambre de Sa Majeſté.
Dame Louiſe Marthe de Meſſey , épouse de
Meffire Albert- François Clérambaut , Comte de
Vandeuil , eſt morte à Paris le 4 Août , âgée de
$38 ans.
Marie- Gabriel Florent , Comte de Choiſeul-
Beaupré , Colonel du Régiment de Navarre , Lientenant
Général des Provinces de Champagne &
deBrie , en ſurvivance du Marquis de Choiſeul
fon pere , mourut à Strasbourg le 6. âgé de 24
ans. Voyez la IV part. des Tablettes Hift. page
178.
Claude Gros de Boze , Préſident - Tréſorier
de France au Bureau des Finances de la Généralité
de Lyon , Garde des médailles du Cahinet
du Roi , & l'un des quarante de 'Académie
Françoiſe , ci-devant Intendant des deviſes & inf.
oriptions des édifices royaux , & Secrétaire perpétuel
de l'Académie des Inſcriptions & Belles-
Lettres , eft mort à Paris le 10 dans ſa ſoixantequatorziéme
année..
Le ſieur Mouffle de la Thuillerie , Tréforier
Général de l'Ordre de Saint Louis , & ci-devant
Tréſorier Général de la Marine , eft mort à Paris
le 10dans ſa quatre- vingt- quatrième année.
Meffire Louis- Jacques de Calonne , Marquis de
Courtebonne , Maréchal des Camps &Armées du
Roi , Lieutenant de Roidans la Province d'Artois
, & ci-devant Capitaine- Lieutenant dans la
Compagnie des Gendarmes Bourguignons , eſt
mort le ir dans ſes terres en Picardie , âgé de
5 ans. Voyez la V. part. des Tablettes hiftor.
Page 53,
208 MERCURE DE FRANCE.
Le même jour mourut Meffire Jean Altermar,
Grand-Juge de la Compagnie Générale des Gardes
Suifles , Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire
de Saint Louis , âgé de 75 ans.
Le 12 eſt morte Dame Renée Baroux , venve
de Meffire Claude Dubois , Marquis de Couruziers
, Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire
de Saint Louis , Capitaine au Régiment du Roi infanterie.
Marie-Françoiſe-Cafimire de Froulay-de-Teflé ,
Dame du Palais de la Reine , épouſe de Charles-
Michel-Gaspard de Saulx-Tavannes , Comte de
Saulx , Lieutenant-Général des Armées du Roi ,
Meninde Monſeigneur leDauphin , Gouverneur
du Château du Taureau en Bretagne, & élu de la
Nobleſſe de Bourgogne , mourut à Paris le 15
âgée de 38 ans. Voyez la III Part. des Tablettes.
hiftor. page 63. quatrième part. page 246 cinquiéme
part. page 170.
Le 17 eſt mort M. LouisGaſton de Lowendiere ,
Seigneur de l'Arpoix , Conſeiller au Parlement.
Anne-Rofalie-Félicité de Montmorenci , fille de
Louis- Anne-Alexandre de Montmorenci , Prince
de Robecq , premier Baron Chrétien de France ,
Grandd'Eſpagne de la premiere Claſſe , Brigadier
d'infanterie &Colonel du Régiment de Limoſin ,
& d'Anne - Maurice de Montmorenci . Luxembourg
, eſt morte le 18 dans ſa quatrième année
.
Le 22 on inhuma à Saint Germain PAuxerrois
Louiſe Genevieve Julien du Bellay , fiile de feu M.
Jacques Louis Julien ſieur du Bellay , Conrôleur
des Guerres , & Commandant pour le Roi au Fort
de Gregoy , Royaume de Juda .
Le 24 fut inhumé à Saint Sulpice M. Louis René
de Malenas de Moreuil , Mouſquetaire de la
NOVEMBRE. 1753 . 200
premiere Compagnie , Seigneur de Launay , la
Roche- Marteau , &c.
Meſſire Emmanuel Freſlon de Saint-Aubin , Bri
gadier des Armées du Roi , & Capitaine d'une
des.Compagnies de Grenadiers du Régiment des
Gardes-Françoiſes , mourut à Paris le même jour ,
âgé de 52 ans.
Charles-Albert François de Gelas-Voiſin Dambre
, fils de Daniel François de Gelas-Voiſin-
Dambre , Comte de Lautrec , Chevalier des Ordres
du Roi , Lieutenant-Général des Armées de
Sa Majesté , un de ſes Lieutenans Généraux dans
la Province de Guyenne & Gouverneur du Quer
noi ; & de Marie- Louiſe de Rohan Chabot , eft
mort à Paris le 28dans ſa dixieme année. Voyez
la ſeconde partie des Tablettes hiſtoriques page
320.
Edme Sainſon , Ecuyer Conſeiller Secrétaire du
Roi , Maiſon Couronne de France & de fes Finances
, mourut le premier Septembre 1753 , âgé de
77 ans. Un eſprit net , une mémoire prodigieufe
&un grand amour pour le travail , Ini faifoient
remplir les fonctions de ſa Charge avec une grande
distinction.
Le même jour on inhuma à Saint Germain l'Auxerrois
Dame Françoiſe Angélique Lecuyer de
Balagny , femme de M. Pierre-Auguste Baronde
Brink , ci devant Commiſſaire Ordonnateur de la
Marine , ſur tous les Ports Hollandois pour la
France.
Le 2mourut Dame Marie Genty , veuve de M.
de Bouthilier , Marquis de Chavigny.
Les . on enterra à Saint Sulpice M. Claude-
Nicolas Motel , Seigneur de Vindé , &c. Conſeiller-
Honoraire , & ancien Doyen du Grand Con
ſeil, âgéde 87 ans.
210 MERCURE DE FRANCE.
Le même jour fut inhumé à Saint Eustache M.
Daniel Louis Denis de Lauſac , Conſeiller au
Parlement décédé rue Vivienne.
Le même jour fut enterré à Saint Roch M.
Aléxis-Rolland Fillion de Villemur , l'un des quarante
Fermiers Généraux de Sa Majesté , décédé
àNeuilly.
M. François- dant , Baron d'Holbach , Seigneur
de Héze , le Ende , &c. mourut le même
jour.
Le 6 eſt morte , âgée de foixante-ſeize ans ,
Anne Marie Marguerite Trinquand , épouse de
M. Nicolas Favieres , Conſeiller au Parlement.
Le is eſt morte Dame Marie Marguerite de
Faverolles , veuve de M. hilibert-Michel Huerne,
Maître des Comptes.
Le même jour mourut Dame Marie-Anne Boyer,
Dame de Juſas , épouſe de M. Pierre Billard , Seineur
de Vaux , Confeiller Honoraire auGrand
Confeil , Premier Préfident au Bureau des Finan
es , Chambredu Domaine & Tr for .
Le 14 eſt inhumé à Saint Jean- en-Grêve M.
alexandre Foizon,, Seigneur de Blamond , Genlhomme
Ordinaire ,Honoraire de laChambre
du Roi.
Le 15 eſt morte Dame Elifabeth Bibiane d'A
ſigny , veuve de M. Guillaume Gouyon , Ecuyer
ordinaire du Roi en ſa grande Ecurie , & Lieutenant
pour Sa Majesté des Ville & Château du
Pont-de-Cé.
Mefire N.....de Montginord , Chanoine de
Meaux , Abbé de l'Abaye de Marcheroux , eſt
mort à Meaux le 18 , dans ſa ſoixante-dixiéme
année.
Jules Frederic Mazarini Mancini , fils de Louis
Jules Barbon Mazarini- Mancini , Duc de Niver-
:
NOVEMBRE. 1753. 211
nois & Donzieres , Pair de France , Grand d'Ef
pagne de la Premiere Claffe ,Prince du Saint Empire
,Noble Vénitien , Chevalier des Ordres du
Roi, Brigadier d'Infanterie , Ambafladeur de Sa
Majesté auprès du Saint Siege ; & d'Helene Fransoiſe
Angélique Phelypeaux de Pontchartrain ,
mourut àParis le 19 , âgé de près de huit ans.
A
ARRESTS NOTABLES.
RREST du Conſeil d'Etat du Roi , du ro
Avril 1753 , qui diſpenſe les Fabriquans de
toiles , batiſtes & linons , de ſe ſervir du miniftere
des Courtiers de Valenciennes pour vendre leurs
toiles.
AUTRE du 12 Juin , portant nomination des
perſonnes qui figneront les coupons pour le renouvellement
des Reconnoiffances qui doivent
être fournies par le Tréſorier de la Caifle générale
des Amortiſſemens .
REGLEMENT du 22 Juin , pour la police
&difcipline des équipages des Navires expédiés
pour les Colonies de l'Amérique.
INSTRUCTION du 29 Juin , ſur l'exer
cice de la Cavalerie.
AUTRE , du même jour , ſur le ſervice que les
Régimens de Cavalerie devront faire dans les camps
qui s'aſsembleront pendant la préſente année.
ARREST du Conseil d'Etat du Roi , du ro
Juillet 1753 , qui ordonne que les Particuliers qui
212 MERCURE DE FRANCE.
1.
feront compris dans les états de répartition de le
Capitation de l'année 1754 , feront tenus de
payer, outre la portéede leurs taxes , les quatre
fols pour livred'icelles .
AUTRE , du même jour , qui proroge jul.
qu'au premier Octobre 1754 , le pouvoir accordé
àMrs les Intendans des Généralités où la taille
eſt perſonnelle , de faire procéder pardevant eux ,
ou ceux qu'ils commettront , à la confection des
rôles des tailles , dans les Villes , Bourgs & Pasoiſſes
où is le jugeront à propos.
ORDONNANCE du Roi , du zo Juillet;
pour établir quatre Sous- Aides Majors dans
ſon Régiment d Infanterie.
AUTRE , du premier Août , pour régler le
nombre des Officiers de ſes Troupes de Cavalerie
&de Dragons , qui auront congé par ſemeſtre.
AUTRE , du même jour , pour régler le
nombre des Officiers de ſes Troupes d'Infanterie
Françoiſe , qui auront congé par ſemeſtre.
ARREST du Conſeil d'Etat du Roi , du 19
Août , qui accorde à Eloi Brichard le privilége de
laManufacture Royale de Porcelaine , établie à
Vincennes.
ARRESTde la Cour des Monnoyes , du
29 Août , qui fait défenſes à toutes perſonnes ,
fur les peines y portées , de refufer les pièces
de vingt- quatre deniers pour leur valeur entiere :
condamne le nommé Arbois en cinquante livres
d'amende pour le refus qu'il en a fait ;& ordonne
NOVEMBRE. 1753. 213
qu'il fera informé ,tant contre ceux qui les refuferont
, que contre ceux qui font courir des bruits
de diminution & de décri deſdites eſpéces.
LETTRES Patentes du Roi , en forme de
Commission , données à Versailles le 18 Septembre
; portant établiſſement d'une Chambre des
if Vacations dans le Couvent des Grands. Auguſtins
deParis.
ARREST du Conſeil d'Etat du Roi, du 24 Septembre
; qui , en interprétant les réglemens cidevant
rendus , explique dans quel cas les Marchands
ſur leſquels il pourroit être ſaiſi des étoffes
en contravention auſdits réglemens , auront leur
recours contre les fabriquans qui les leur auront
vendues.
ARREST du Conſeil d'Etat du Roi , & Lettres
Patentes ſur icelui , données à Verſailles le
30 Septembre , regiſtrées en la Chambre des Vacations
les Octobre ; qui caſſent la Sentence du
Châtelet de Paris, du 28 Septembre , & déclarent
nulle la Délibération du Châtelet du même jour.
ARREST de la Chambre des Vacations , du
Octobre ; portant enregistrement de l'Arrêt du
Conſeil du 30 Septembre, & des Lettres Patentes
ſur icelui ; & commiſſion à des Députés de ladite
Chambre , à l'effet de ſe tranſporter au Châ
telet , pour y faire exécuter ledit Arrêtdu Conſeil ,
leſdites Lettres Patentes & Arrêt de la Chambre,
AUTRE du même jour , qui ſupprime un
imprimé portant pour titre : Mandement de M.
PErêque de Boulogne.
214 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE du 16 Octobre , qui condamne
Edouard- François Labattu , au fouer , à la marque
des lettres GAL , & aux galeres pour trois ans ,
pour vol de mouchoirs dans l'Eglife de Saint Euftache.
२
AVIS.
COPIE de la partie de la Lettre écrite par
M. le Marquis de Breteville , au Pere
Potaire , Confeffeur des Religieuses de l'Ave.
Maria , à Paris ; dattée defon Château
près Cherbourg , du 10 Juillet 1753 :
contenant l'éloge de la Poudre purgative de
M. Vacoffain , Marchand Epicier , rue
Ovis à vis S. André des Arts.
J
E ne puis aſſez vous remercier , mon R. Pere
&ami , de la connoillance que vous m'avez
donnée de la Poudre purgative du ſieur Vacoſſain.
Les bons effets qu'elle a produits ſur les perſonnes
qui enont fait uſage dans ina Paroiſſe , à moi parculierement
m'obligent d'en faire toutes les
louanges qu'elle mérite ; lui donnant la préférence
àtous autres Purgatifs , par la douceur de ſes
opérations , purgeant parfaitement fans aucune
tranchée , & différant des autres remédes qui affoibliffent
le tempéramment : celui ci le fortifie
en effet , comme il eſt marqué dans le Mémoire
inſtructif de ladite Poudre. Et fi j'avois un avis à
vous donner , mon R. Pere , dans la ſituation cù
vous êtes , je vous conſeillerois en bon ami , d'en
faire uſage plutôt que d'aller aux Eaux de Bourbon
, où vous m'avez marqué devoir aller au mois
d'Août prochain; mais puiſque vous avez deſſein
NOVEMBRE . 1753. 215
de ſuivre les ordres de vos Médecins dans cette
occaſion , je vous prierois avant votre départ ,
de m'envoyer encore deux paquets de chacun dix
priſes de la même Poudre , pour en donner à mes
pauvres Sujets; & fi ledit ſieur Vacoffain veut bien
par charité y en ajouter quelques priſes , il participera
à une bonne oeuvre.
AUTRE.
Le ſieur Pastel , Chirurgien , poflefleur d'un
Reméde Anti - vénérien , avertit le Public , que
quelques opiniâtres & invétérées que ſoient toutes
fortes de maladies ſecrettes , dans les deux ſexes ,
de tout âge , il les guérit parfaitement & radicalement
, fans friction ni falivation , en très peu de
tems , & n'empêche pas les malades de vaquer à
leurs affaires. Sa demeure eſt rue d'Anjou , la premiere
porte cochere à droite en entrant par la rue
Dauphine , au premier étage,
APPROBATION.
'Ai lû , par ordre de Monſeigneur le Chancelier
, le volume du Mercure de France du mois
de Novembre. A Bonbar le 24 Octobre 1753 .
LAVIROTTE,
TABLE.
P
IECES FUGITIVES en Vers &enProfe,
Vers fur la naiſſance de Monſeigneur le Duc
d'Aquitaine , page 3
Differtation fur la Deviſe du Roi Louis XII , 6
Eglogue fur la naiſlance de Monteigneur le Duc
d'Aquitaine 13
Suite de la Differtation ſur le Droit & le Barreau
deRome , 19
216
Ode ſur la naiſſance de Monſeigneur le Duc d'A
quitaine ,
Séance publique de l'Académie de Rouen ,
32
38
La Tendreſſede Louis XIV pour ſa Famille ; Poë.
me qui a remporté le Prix de l'Académie Françoile,
Séance publique de l'Académie de Dijon , 56
La Calomnie ; Ode aux Manes de Rouſleau , 66
Séance publique de l'Académie des Sciences de
Besançon , 73
Songe. Mile Forquerai à ſa mere , 77
Séance de l'Académie des Belles- Lettres de Mon -
tauban , 79
Mandement de M. l'Evêque de Valence , ſur la
naiſſance d'un Duc d'Aquitaine , 92
Mots de l'Enigme & des Logogtyphes du dernier
Mercure , 95
Enigme & Logogryphes , ibid.
Nouvelles Littéraires , وو
Prix propoſés par l'Académie Royale des Sciences
deToulouſe , 135
Aflemblée publique de l'Académie des Sciences
d'Amiens , 139
Lettre à M. le Chevalier de Caufans , 141
Réponſe à la Lettre de M. *** 142
Beaux Arts , 149
Chanfon , 169
Spectacles , ibid.
Nouvelles Etrangeres , 177
France. Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 184
Bénéfice donné ,
Mariages & morts ,
Arrêts notables ,
Avis,
201
ibid.
211
214
LaChanson notée doit regarder la page 169.
Del'Imprimerie de J. BULLOT.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères