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1752, 07-09
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MERCURE
DE
FRANCE ,
7
DEDIE AU ROI,
JUILLET . 1752 .
IGIT
UT
SPARGA
Chez
A PARIS ,
La Veuve PISSOT, Quai de Conty,
à la defcente du Pont- Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais.
JACQUES BARROIS , Quai
des Auguftins , à la ville de Nevers.
DUCHESNE rue Saint Jacques ,
au Temple du Goût.
>
M. DCC . LII.
Avec Approbation & Privilege du Roi ,
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
ASTOR, LENOX
A VIS.
TILDEN FOURSALADRESSE du Mercure eft à M. MERIEN ,
1995 Commis au Mercure , rue des Foffez S. Germain
l'Auxerrois , au coin de celle de l'Arbre fec , pour remettre
à M. l'Abbé Raynal.
Nous prions très inftamment ceux qui nous adreſſe
ront des Paquets par la Pofte , d'en affranchir le port ,
pour nous épargner le déplaifir de les rebuter , & à eux
clui de ne pas voir paroître leurs Ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays Etrangers ,
qui fouhaiteront avoir le Mercure de France de la premiere
main , plus promptement , n'auront qu'à
écrire à l'adreffe ci - deffus indiquée .
On l'envoye auffi parta Pofte, aux personnes de Province
qui le defirent , les frais de la pofie ne font pas
confidérables.
Ón avertit auffi que ceux qui voudront qu'on le porte
chez eux à Paris chaque mois , n'ont qu'à faire fçavoir
leurs intentions , leur nom & leur demeure audit fieur
Merien,Commis au Mercure, on leur portera le Mercure
très exactement , moyennant 21 livres par an , qu'ils
payeront , fçavoir , 10 liv.. 10f. en recevant le fecond
volume de Juin , ❀ 10 l. 10 f. en recevant le ſecond
volume de Décembre. On les supplie inftamment de
donner leurs ordres pour que ces payemens foient faits
dans leurs tems.
On prie auffi les perfonnes de Province , à qui on
envoye le Mercure par la Pofte , d'etre exactes à faire
payer au Bureau du Mercure à la fin de chaque femeftre
, fans cela on eroit hors d'état de foutenir les
arances confidérables qu'exige l'impreffion de ces
ouvrage.
On adreffe la même priere aux Libraires de Province,
Les perfonnes qui voudront d'autres Mercures que
4eux du mois courant ,.
Pilot , Quai de Conti.
les trouveront chez la veuve
PRIX XXX , SOLS .
MERCURE
DE FRANCE ,
1
DEDIE I E AURO I.
JUILLET. 1752 .
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
L'UTILITE' DES FABLES.
Ο
ODE.
Vous , dont les leçons aimables
Infpirent pour le vice une fidelle borreur
:
Ecrivains enjoués , qui par de fimples-
Fables
Corrigez les humains fans fiel & fans rigueur :
Qui fuivant toujours la Nature ,
Par une naïve peinture
Sans bleffer l'amour propre inftruifez Univers ;
Yous enfin , dont la voix enchantant les oreilles ,
A ij
MERCUREDEFRANCE.
Sur les coeurs les plus durs opére des merveilles,
Venez , & revivez aujourd'hui dans mes vers,
Que dis je dans le moment même
Que je vous offre ici l'encens qui vous eft dû ,
Je me fens animé par un charme fuprême :
Mon coeur eft tranfporté , nion efprit fufpenda,
La vérité s'offre à ma vue .
Ciel d'une lumière imprévue
Far elle en cet inftant mes yeux font éclairés:
Vous , qui fûtes toujours à fa voix infenfibles ,
Venez , & que vos coeurs devenus plus flexibles ;
Soient foumis en ce jour à fes ordres facrés.
Affez , & trop long - tems , dit-elle ,
Vous avez , malheureux , au mépris de mes loix )
Suivi de votre coeur la pente criminelle ;
Mais enfin , il eft tems , reconnoiffez ma voix,
Puifque les plus affreux fupplices
S'armans contre vos injuftices.
N'ont pu vous faire aimer le joug de la raison
Je veux que maintenant des animaux ſtupides ,
Pour fuivre la vertu foient vos uniques guides ,
Et du crime enchanteur vous montrent le poiſon .
Elle dit : la nature entiere
A les ordres foudain me paroît, s'animer :
Tout devient éloquent , tout parle à fa maniére ,
Tout donne des leçons qui fçavent nous charmer.
Déja par un heureux délire .
JUILLET. ་ 1752.
Des Poëtes pour nous inftruire
Font converfer entr'eux les agneaux & les loups .
Les êtres les plus vils opérent des miracles :
Les plantes , les oifeaux deviennent nos oracles ;
Et ce nouveau langage eft entendu de tous .
Ah ! l'Univers change de face.
Le vice pour toujours perd les adorateurs :
Et je vois la vertu fucceder à la place
Des défordres honteux qui favageoient les coeurs
Oui , par une douce impofture ;
L'avare rit de la peinture
D'un avare fouvent fur lui - même tracé .
Un mortel inhumain , cruel , peròde , traitre ,
A fes traits reffemblans ne peut fe méconnoître :
Il fe voit , il le bait , & n'eft point offenfé.
C'eft ainfi qu'un divin Prophéte , *
Voulant faire à David détefter fon forfait
Des ordres du Très -Haut ce fidele interpréte
Sous un emblême obfcur lui trace fon portrait.
David à cette voix fenfible ,
Frappé d'une main inviſible ,
D'un jufte repentir fent fon efprit rouché :
De la vertu pallée il regrette les charmes :
De les yeux attendris coulent des flots de larmes;
Ah ! dit- il , Dieu Puiflant , il eft vrai : j'ai péché
Nathan
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Ainfi lorſqu'un peuple rébelle *
S'enfuit , & ne veut plus obéir au Sénat :
Par un court Apologue Agrippa le rappelle ;
Et le peuple à l'inftant eft dompté fans comba
La jaloufie au teint livide ,
La difcorde au bras homicide ,
Font pour le foulever d'inutiles efforts :
Quittant le mont fatal qui lui fervir d'azile ,
Tranquille & fatisfait il rentre dans la ville ,
Et lui- même il rougit de fes trop vifs tranſports,
Ceffez , Philofophes auftères ,
De nous vanter les fruits de vos réflexions ,
Vos longs raifonnemens , vos préceptes févèles ,
Veulent éteindre envain le feu des paflions.
Quand par des raiſons légitimes ,
Vous m'engagez à fuir les crimes
Dont l'Empire honteux me retient affervi :
Je me fens convaincu ; mais mon coeur infidele
N'en écoute pas moins cette voix criminelle ,
Du malheureux penchant qu'il a toujours ſuivi,
Elope dans toute la Grèce ,
Des Peuples & des Grands fçait le faire écouter :
Son art ingénieux , fon innocente adreſſe ,
* Lepeuple Romain s'étant retiré ſur le Mont facré,
Ménénius Agrippa le fit revenir en lui contant la Fa-
Ule des Membres de leftomach.
JUILLET
. 1752 7
Combattent nos penchans , mais fans nous révol
ter .
Aimable , même en fes caprices ,
Il livre la guerre à nos vices ,
Et de leur esclavage il fçait nous dégager.
Si contre le Tiran tout un peuple s'obſtine , *
Il calme d'un ſeul mot cette fureur mutine ,
Et de fes vains projets lui montre le danger.
Phédre , & toi , charmant la Fontaine ,
Dans vos écrits , pour nous quel précieux tréfor !
Ah ! quoique moiffonnés par la Parque inhumaine ,
A nos yeux chaque jour vous revivez encor .
Au lieu de préceptes fauvages ,
Par de naturelles images
1
Votre Mufe nous plait , nous charme & nous inftruit.
Qui connut mieux que vous cet important principe
,
Ignoré de Zénon , méconnu de Chryfippe ,
Que pour gagner le coeur il faut plaire à l'eſprit?
Par M. C. de l'Oratoire. A Saumur en Anjou.
Lorfque les Athéniens vouloient fe révolter contre
Pififrate , Efope les re:int par la Fable des Grenouil
Les qui demandent un Roi .
A inj
8 MERCURE DE FRANCE.
១៥ .
DISSERTATION
Sur les caufes naturelles des cruës prodigieu
fes du fleuve du Nil dans l'Egypte.
Par M. de Montfort - Lautour , de la ville d'Argentan
, en Normandie.
Dédi'e à M. le Comte de Levignen , Intendant de la
Généralité d'Alençon.
L
Es inondations annuelles & periodiques
du Nil , ont été regardées de
tout tems comme un Phénoméne fi merveilleux
, ( a ) que les anciens Egyptiens
avoient fait de ce fleuve , une Divinité , à
laquelle ils facrifioient tous les ans une
jeune fille. On égorgeoit inhumainement
cette victime , lorfqu'on faifoit l'ouverture
des Hhalis , ou des Canaux ( b ) , pour
recevoir les eaux du Nil qui couvrent chaque
année , toutes les plaines de ce Royaume
depuis le mois de juin , jufqu'à l'Equinoxe
d'Automne ( c ) . Ils efperoient fans
doute toucher le Dieu du Nil par ce fàcri-
(a) Ouv. des Sçav . Mars 1692. f . 296. P. Lucas,
tom . 3. pag. 256.
(b) Thevenot . tom. 2. pag. 745 .
(c) Hift. Anc. tom . I. pag. 38.
JUILLET. 17528
9
fice , & obtenir de lui une inondation.
conforme à leurs défirs.
C'eft de ce débordement que dépend la
fertilité des terres de l'Egypte , & l'abondance
de toutes fortes de grains , proportionnelle
à la hauteur , qui monte en certaines
années jufqu'à 40 & 48 pieds au
deffus de fon niveau naturel & ordinaire ,.
fuivant les mesures données par Paul Lucas
, tom. 3. pag. 249. Cependant M.
Thevenot (d) obfervateur méthodique
qui rapporte jour pour jour les crues du.
Nil de l'année 1658. ne les fait monter
qu'à la hauteur de 522 doigts , ce qui fait
32. pieds , 7 pouces & demi , à raifon de
9 lignes pour doigt (e).
2.
Quoiqu'il en foit , cette hanteur prodigieufe
d'inondation , dans une région
féche & brulante , où il ne pleut prefque.
jamais , & dans une faiſon , où les eaux de
toutes les riviéres des Zones tempérées .
font ordinairement les plus baffes , a tou
jours fait l'admiration des peuples , & excité
la curiofité des fçavans (f) ; Elle avoit
même fait une telle illufion fur l'efprit des
premiers habitans de l'Egypte , qu'ils firent
de ce fleuve non feulement l'objet de
(d ) Thevenor , tom, 2. pag. 735.
(e ) Theven. tom. 3. pag. 306 ..
(f) Dapper , defcr. de l'Egyp. p. 38 .
A vi
10 MERCURE DE FRANCE.
leurs adorations , comme on l'a dit , mais
encore dans la fuite ( g ) ils imaginérent,
d'en faire le mariage avec la jeune Memphis
, qui , dit-on , enfanta la Baffe Egypte
(b).
Sous le voile de cette Fable , on conçoit
1 °. que toute la Baffe- Egypte , que
nous nommons le Delta , à caufe de fa.
figure ( i ) , étoit dans les premiers tems .
couverte des eaux de la mer Mediterranée ,
& compofoit , fuivant le fentiment d'Herodote
, un Golphe qui s'étendoit dans les
terres , environ 50 lieues , jufqu'à la ville
de Memphis , fituée alors fur le bord de la
mer , à l'embouchure du Nil , vis- à- vis de
l'endroit où l'on a bâti depuis la ville du
Cairë. 2 °. Qu'infenfiblement toute l'étendue
de ce Golphe ( 1 ) , s'eft remplie du limon
que le Nil charie journellement , &
(g) P. Lucas . tom. 3 pag. 274.
* Memphis étoit la Capirale de l'Egypte , fituée
fur la rive occidentale da Nil , à la pointe méri
dionnale du Delta , & bâtie , fuivant Jofephe , par
le Roi Menès , vers l'an du Monde 1820. Diodore
cependant ne met fa fondation que plas d'un fiecle
après , fous le regne d'Uchoreus . Cette ville
eft actuellement détruite. Hift . des Juifs. liv. S. ch.
2.
(b) Diod . trad. tom. 1. pag. 112.
( i ) Diod , tom. 1. pag. 339 .
(4) Dapper , defcr. de l'Egyp. p . 32. & 3
JUILLET. 1752. IT'
particuliérement dans le tems de fes inondations.
3 °. Que ce fleuve s'étant frayé divers
chemins à travers ces marais , pour fe
rendre à la mer , avoit laiffé entre les bras ,
différentes Ifles fangeufes, qui fe font confolidées
dans la fuite des temps. 4°. Qu'à
chaque inondation , le Nil y a dépofé des
vafes nouvelles , dont les differentes couches
, accumulées les unes fur les autres ,.
ont formé un terrein affez folide , pour
être cultivé après l'écoulement des eaux .
5°. Que les peuples profitant de cette difpofition
, ont achevé l'ouvrage de la Nature
, par des travaux manuels , en creufant
& élargilant tous les bras de ce fleuve,
que le hazard avoit formés , & en élevant
des digues autour de ces is ,
par le
moyen des terreins que cette excavation
leur produifoit. Enfin ces habitans laborieux
firent de nouveaux canaux à travers
ces terreins abandonnés par le fleuve ( m ) ,»
& amoncelerent les terres à une fi grande
Kauteur , pour y établir leurs villes , que
par cette précaution elles fe trouverent à
l'abri des plus grandes inondations : &
voilà fans doute , l'enfantement & le fruit
des amours du Dieu du Nil avec la Nimphe
Memphis. Il feroit à fouhaiter que
toutes les Fables des Anciens puifent fouf
( 2) Hits Aac..tom. 1. pag. 4.5. &.136 .
A. vj .
12 MERCURE DEFRANCE.
frir une explication auffi naturelle..
Quoique dans la faite le Paganifme fe
foit affoibli, on n'a pas difcontinué de faire
des facrifices lors de l'ouverture des Hhalis ,
ou Canaux du Nil ( 2 ) , mais ils ne font plus
fanglans ( o ) . On fe contente d'offrir au
fleuve , de l'orge , du bled , & des fruits ,
que l'on jette dans fes eaux , & de bruler
fur fes canaux , deux figures humaines &
coloffales (p) , de l'un & l'autre ſexe , faites
de bois. fi artiftement travaillé & découpé
, que ces figures paroiffent toutes
en feu , pendant les trois nuits de rejouif
fances par le moyen de plus de deux mille
lampes allumées , dont elles font remplies..
De femblables offrandes nous font entendre
, que les Egyptiens font encore perfuadés
qu'il y a quelque chofe de furnaturel
dans les inondations de ce fleuve.
Cette expofition des opérations du Dieu
du Nil , eft trop myftique , pour contenter
les efprits qui veulent des raifons phyques
du mécanisme de la Nature. Voyons
donc ce que nos plus grands Philofophes ,
tant anciens que modernes , ont penfé de
cette crue extraordinaire & périodique du
Nil , avant d'expofer notre fentiment .
(n) Thevenot. tom . 2. pag. 459.
( o ) P. Lucas . tom . 3. pag. 25.50
(p ) Theven. tom. 2 pag. 744.
JUILLET. 1752. 13

*
Quelques-uns ont cru que c'étoit les
eaux de la mer Rouge , qui par des canaux
fouterrains le dégorgeoient dans ce fleuve
, & caufoient , par ce moyen , ſes immenfes
inondations. Ils raifonnoient de
cette forte , parce qu'ils ne pouvoient s'imaginer
que les eaux du Ciel puffent produire
cet effet , fous un climat auffi fec &
brûlant que celui de l'Egypte (9) , dans l'étendue
duquel il ne pleut jamais , ou du
moins trés- rarement ; mais on leur répond,
que fi ces débordemens provenoient de la
mer , ils feroient perpétuels , ou cafuels ,
& non pas périodiques : D'ailleurs il fau
droit fuppofer que le niveau de la mer
Rouge feroit beaucoup plus haut que la
furface des eaux naturelles du Nil , ce qui
eft contre l'expérience ; car Sefoftris (r )
ancien Roi d'Egypte , qui vivoit en l'an
1490. avant Jefus Chrift , & Néchao qui
vint enfuire , avoient fait creufer un canal
de 25 toifes de largeur , & de so lieues de
longueur , qui paffoit par la ville de Coptos
( ) dans la Haute Egypte , & qui devoit
communiquer les eaux du Nil à celles
de la mer Rouge. Ce canal fut mis dans
Euthymenès , & les Prêtres Egyptiens.
(9 ) Dapper , defcr. de l'Egyp p . 94.
(r) Hift . anc. tom . I. pag. 47. & 163 .
(S) P. Lucas , tom . 3. pag. 176. &, 189.
14 MERCURE DE FRANCE.
fa perfection fous le regne de Ptolomée
Philadelphe ( 1 ) , & fervit long- tems pour
le tranfport des marchandiſes du Levant
dans toutes les Provinces , ou Nômes de
l'Egypte. Or ce canal devoit être , à peu.
près , de Niveau avec les eaux du Nil &
celles de la Mer rouge : Donc cette mer ne
ppoouuvvooiitt pas caufer , par des fouterrains ,
les inondations du Nil , qui montent en
certaines années à plus de 40 pieds de hau
teur , comme on l'a remarqué ci - devant.
Enfin on n'auroit pas été jufqu'àprefent
fans découvrir , lors des baffes eaux , les
orifices de ces fouterrains ; & le bouillonnement
qu'auroit produit le dégorgement
des eaux de la mer , auroit fans doute dé
celé leur fortie.
Une feconde preuve que la mer Rouge
eft même plus baffe que le lit du Nil , fe
tire de fa communication par deffous terre
, avec la Méditerranée , vers l'Iftme de
Suèz. C'eft Abulfen qui nous l'affare tom .
I. pag. 502 , & qui rapporte « qu'un Baſfa :
» de Suèz , ( u ) ayant pris un Dauphin
» dans la mer Rouge , fut touché de labeauté
de ce poiffon. Il lui fit attacher
>> une lame de cuivre fur laquelle fon nom
fut gravé , ainfi que l'année 1541 , tems.
( ^) Diod . trad, tom. 1. p . 124 .
22
»
( ) Rhiliq , du P. Regnault tom. 2 , pag. 207 .
JUILLET.
1752. IS
de cet évenement . Il le fit remettre dans.
» la même mer ; mais quelques mois après.
→ ce Dauphin fe fit reprendre dans la Méditerranée
, ce qui fit connoître la communication
fouterraine de ces deux 2
mers. »
Or , la Méditerranée étant fans contredit
, plus baffe que le lit du Nil , puifque.
ce fleuve coule dedans , il s'enfuit que la
mer Rouge , qui eft de niveau avec la
Méditerranée , ne peut jamais inonder le
Royaume d'Egypte .
D'autres fpéculatifs , tels qu'Anaxagore
& Euripide , fe font imaginés que ces
débordemens prodigieux du Nil , ne pou
voient provenir que de la fonte des neiges
entaffées fur les montagnes de l'Abiffinie
, ( x ) où ce fleuve prend' fa fource
& que femblable au Rhin , il ne produi
foit fes plus grandes crues qu'en Eté ; mais .
ils n'ont pas fait réflexion que l'Abiffinie
étant totalement enclavée dans la Zone
totride , on y doit confidérer la neige comme
un prodige ; ( y ) auffi n'y en tombe-
t i jamais , fuivant le Philofophe Démocrite
, ou du moins très rarement . I
n'en eft pas de même du fleuve du Rhin ::
( x ) Dapper , pag. 40:
(y ) Dapper, delcr . de l'Egyp . pag. 417. Diod.
trad, tom. 1. pag. £5.
18 MERCURE DE FRANCE.
fon cours occupe le milieu de la Zone tem
perée , depuis le 45°. jufqu'au 52 °. dégréde
latitude feptentrionale : les fources font:
envéloppées des montagnes des Alpes , &
fes rives font bordées par celles des Grifons
& des Suiffes . Il n'eſt donc pas étonmant
que les neiges qui fe font amaffées.
fur ces montagnes pendant tout l'hyver &
le printems , venant à fondre fubitement
par les chaleurs de l'Eté , ne doivent caufer
des inondations d'autant plus furprenantes
, que dans le même tems prefque toutes
les autres rivieres de ce climat , font à fec.
On obfervera encore que les cataractes de
Schaffoule en Suiffe , empêchent les eaux
du Rhin ( z ) . de refluer fur elles vers le
midi , & font le même effet que les cataractes
du Nil dans fes débordemens , ainfi
qu'on l'expliquera ci - après.
Thalès un des fept Sages de la Grèce , &
même quelques nouveaux obfervateurs ( a )
attribuent aux vents Etéfiens ou Septentrionaux
, la caufe des crues du Nil. J'a
voue qu'ils y contribuent ; mais ils ne font
pas fuffifans pour faire feals une telle opération
. Ces vents Etéliens commencent à
fouffler dans l'Egypte , ( b ) vers la mi-
(2 ) Dict. Morery , art. Rehim.
( a .) Diod. trad. tom. 1. pag. 82 .
(6 ) Spect de la nat, tom , 3. pag. 279, Hißt, da
JUILLET. 1752. 17
May , & fuccedent ou pour mieux dire ,
chaffent fort à propos certains vents da
Sud très- brulans & peftilentiels , qui regnans
régulierement fur l'Egypte pendant
le mois d'Avril & le commencement de
Mai , corrompent les eaux du Nil , empoifonnent
l'air , & amenent de la Zone
torride , une infinité d'infectes & de ferpens
volans , ( c ) qui défolent ce Royaume
jufqu'à l'arrivée des vents feptentrionaux.
Ces ferpens , fuivant le rapport des
voyageurs ( d) ont quatre pates , & leurs
alles font découpées , comme celles des
chauves -fouris. Le tems que durent ces
mauvais vents s'appelle Hhamchin , qui fi
gnifie cinquantaine . ( e )
Hérodote veut nous perfuader que la
grandeur naturelle du Nil , (f) eft telle
qu'elle paroît dans fes plus grands débordemens
; ainfi le merveilleux de ce fleuve
tombe fur la diminution , & non pas fur
fes crues. Il prétend qu'à proportion que
le foleil s'éloigne des fources & du cours.
Ciel , tom . 1. pag 40. Dapper defcr. de l'Egypt.
pag. 93. Hift. du Ciel , tom . 1. pag. 37. P. Lucas
tom. 3. pag. 251 .
( @ ) P. Lục . tom , 3. pag 203. & 262 ,
( d ) Jofephe. Hift . des Juifs. 1. 2. c . Sa
(e ) Thevenot , tom. 2 . pag. 836 .
(f) Diod. trad. tom. 1. pag. 84..
18 MERCURE DE FRANCE.
du Nil , ce qui arrive depuis le mois de
Septembre jufqu'au mois d'Avril , cet Aftre
fufpend & attire à lui une partie des
eaux de ce fleuve , ce qui caufe les baffes
eaux dans l'Egypte pendant notre hyver ;
mais lorsque le foleil revient fur notre hé
mifphere feptentrional , alors les eaux reprennent
leur cours , & le Nil remonte à
fa hauteur naturelle . Voilà un paradoxe
affez plaifamment imaginé ; mais il répugne
à l'ordre de la nature & au bon fens;
car fans entrer dans le détail des différentes
objections qu'on pourroit faire , on s'en
tiendra à l'oppofition feule des grandes cataractes
qui doivent empêcher l'effet de ce
fyftême.
Le gonflement des eaux renfermées dans
les terres fpongieufes de l'Egypte , ( g ):
ne peut jamais opérer d'auffi grandes inondations
que celles du Nil : c'eft cependant
le fentiment d'Ephore , qui ne vaut pas
mieux que celui des Philofophes Egyptiens
dont parle Diodore , ( h ) qui prétendent
que le Nil prenant fa fource dans la Zone
temperée antartique , où regne l'hyver ,
pendant que nous avons l'Eté , les caux qui
en proviennent doivent caufer les inondations
de l'Egypte pendant notre Eté. Tous.
(g ) Dapper , pag. 40 ,
( b ) Diod. tom. I. pag. 884
JUILLE T. 1752. ཉི་
es raisonnemens n'étant appuyés que fur
de faux principes , on s'abtiendra d'y ré
pondre.
On n'auroit jamais fait fi l'on vouloit
rapporter tous les différens fentimens des
Auteurs fur les crues du Nil , entr'autres
de ceux qui les attribuent au Nitre dont
les terres de l'Egypte font pénétrées ( i ) ;
& d'autres à l'amoncellement du limon &
des fables qui le forme à l'embouchure des.
canaux de ce fleuve. Sans beaucoup de
réflexions , on s'apperçoit que tous ces
moyens font trop foibles pour s'y arrêter.
Enfin Agatarchides de Cnides & Stra
bon , entre les anciens ( k ) & quelques.
nouveaux écrivains , * mieux inftruits que
les précédens , ont penfé que ce devoient
ête les pluyes continuelles qui tombent
dans les régions de l'Afrique , intercep
tées entre les deux Tropiques , qui procu
roient ces inondations dans l'Egypte ; mais
cette raiſon ſeule , n'eft pas fuffifante ,
puifque le même effet devroit fe manifef
ter également à toutes les rivieres qui fe
trouvent fituées fous cette Zone torride',
( i ) Diod, trad. tom . 1. pag.340:
( k ) Diod tom 1. pag 92 Strabon 1. 17. pag..
709. Hift. anc . tom 1. pag. 34 .
* Le P. Kircher Jefuite , Ifaac Voffius , Dape
per , & autres
20 MERCURE DE FRANCE.
tellles que la Coanza ou le Zaire , la Gam
bra , le Senegal , la Cuama , dans l'Afrique
, & la riviere des Amazones , dans
l'Amérique ; & c'eft ce qu'on ne trouve
point. Ces rivieres à la vérité font fujettes
à des débordemens ; mais ils ne font
pas plus forts , proportion gardée , que
ceux qui arrivent à toutes nos rivieres de
l'Europe. Il n'eft pas étonnant qu'une ri
viere fe déborde , lorfqu'il pleut continuellement
le long de fon cours , ( 1 ) pendant
plufieurs mois de fuite , & l'on regarderoit
même comme un prodige , fi cela
étoit autrement. Il n'en eft pas ainfi des
crues du Nil : elles montent à une hauteur:
fi demefurée , qu'on ne voit rien de comparable
dans le refte de l'Univers ; & cela,
dans le temps que le Soleil eft pour ainſi
dire , au zenith de l'Egypte , & qu'en certains
endroits il n'y tombe pas la moindre
pluie. Qu'est- ce qui peut donc produire
un phenomene auffi furprenant ? C'eſt ce
qu'il s'agit d'expliquer.
Quatre caufes générales & effentielles
concourent pour cette opération , fans
l'une defquelles les crues du Nil feroient
foibles , & n'auroient rien de plus extraor
dinaire que celles qui arrivent univerfellement
à tous les autres fleuves & rivieres..
(1) Dampier, tom. 2. pag. 103,
JUILLET. 17520 2f
La premiere confifte dans la direction
du cours du Nil , qui charie fes eaux du
Sud au Nord , & dans fa pofition & fon
étendue , depuis le dixième , jufqu'au
trente- deuxième dégré de latitude Septentrionale
direction & fituation uniques
entre tous les grands Fleuves du monde.
Cette obfervation n'avoit peut - être jamais
été faite. C'eft cependant de cette fituation
dont dépendent les crues étonnantes de ce
Fleuve , comme il fera démontré ci - après.
та ,
On pourroit peut - être objecter que plufieurs
rivieres de la Lybie & de la Barbarie
( m ) , telles que le Rachel , la Mefrata
, la Guadilbarbara & autres , qui roulent
leurs eaux du Sud au Nord , auffi bien
que le Nil , devroient par la même raifon
être fujettes à de femblables inondations ,
ce qui n'arrive point ; mais on fupplie de
faire reflexion , que la naiffance de toutes
ces rivieres , eft en deçà du tropique du
Cancer , & par conféquent ne peuvent
participer comme le Nil , aux pluyes de la
zône Torride.
Le Nil prend fa fource dans le Royaume
de Goyam , qui fait partie de l'Abiffinie
*. Il coule d'abord vers l'Equateur pen
*
(m) Diod. tom . I. pag 91.
Voyez la.defcription des fources du Nil , par
le P. Lobo Jefuite raportée par le P. Regnaul
22 MERCURE DE FRANCE.
re ,
dant 75 à So lieues , jufqu'au dixiéme
dégré ou environ de lattitude Septentrionale,
puis il fe recourbe vers l'Oueſt ; enfin
fon cours fe fixe vers le Nord . Après
avoir traversé la Nubie & autres pays de
la zône Torride , il parvient aux grandes
Cataractes qui font aux confins de l'Egypprefque
fous le tropique du Cancer.
Il parcourt enfuite la haute & moyenne
Egypte , dans une longueur de 240 lienes ,
jusqu'à la ville du Caire ( z ) . Alors il fe
divife en deux bras principaux qui forment
le Delta , ou triangle équilateral ,
dont la mer Mediterranée fait la baze Septentrionale
. Ces deux bras fe fubdivifent
en une infinité de canaux faits de mains
d'homme , qui par le moyen des inondations
, fertilifent les terres ; enfin ce Fleu
ve fe décharge dans la Mediterranée , par
plus de trente embouchures ( o ) , dont la
plûpart fe font fermées par la négligence
des habitans , depuis que les Turcs le font
rendus maîtres de ce Pays , à l'exception
cependant de quatre principales , qui font
Damiette , Brullos , Rofette , & Alexandans
fa Phyfiq. tom. 2. pag. 270. Voy. auffi le P.
Kircher , & laac Voffius , dans Dapper . pag. 38,
& 39.
C
( n ) P. Lucas , tom, 3. pag. 287.
46 ) P. Luc . tom. 3. pag. 300.5 ), o
JUILLET . 1752. 23
drie les autres ne fervent plus que dans
le tems des inondations. Ce cours du
Nil dans le Delta , eft d'environ 50 lieues.
(P ).
On voit par ce détail , que le fleuve du
Nil coule du Sud au Nord ; que fon cours
en la plus grandes partie , c'est - à- dire , depuis
fes fources , jufqu'aux grandes Cata
ractes , fe trouve fous la Zone torride ,
où il pleut continuellement pendant tout
notre Eté ; & que ce qui eft compris dans
l'étendue de la haute & baffe Egypte ( 9 ) ,
de 250 lienës de longueur , eft fitué fous
une partie de la Zone tempérée , où il ne
pleut prefque jamais , particulierement
dans la moyenne Egypte , entre le Caire &
Benefoucf; car dans la baffe fur les côtes
de la Mer, & dans la haute proche des Cataractes
( ) , il y pleut affez ſouvent . C'eſt
donc fur cette difpofition du fleuve , que
ce nouveau fyflême eſt établi .
La feconde caufe des inondations du
Nil , provient d'un vent général & reglé
, qu'on nomme Alizé , qui com uence
à foufler d'Orient en Occident ( s ) ,
( p ) P. Luc. tom. 3. pag. 286.
( q .) P. Luc. tom. 3. pag. 287.
( r ) Thevenot. tom 2.· pag. 789.
(s ) Dampiere , tom . 2. pag. 7. Dapper. Defer:
d'Afr . pag. 4.
24 MERCURE DE FRANCE.
dans la partie feptentrionale de la Zone
torride , depuis la mi - Avril , juſqu'au
mois d'Octobre. Ce vent eft formé par le
imouvement propre de la terre , qui tourne
perpetuellement fur elle même , d'Occident
en Orient , fuivant l'hypoteſe de
nos Philofophes modernes. Par ce mouvement
, la rencontre de l'air , fans aucune
autre cauſe étrangere , doit produire
cet effet ; & nous éprouvons tous les jours
qu'un vent nous foufle au vifage , quand
nous marchons un peu vite. La rotation
de la terre de l'Oucft à l'Eft , doit donc
nous faire fentir un vent continu de l'Est
à l'Oueft ; particulierement fur la partie
de la terre la plus éloignée des deux Poles
( 1 ) , c'eft- à dire , entre les deux Tropiques.
Il eft encore excité par l'oppofition
des rayons du Soleil , dont la chaleur.
rarefie l'air devant eux , & lui fait prendre
fon cours vers l'Occident. C'eft auffi
la raifon pourquoi ces vents alizés regnent
toujours fous cet Aftre , tantôt en deçà de
l'Equateur , & tantôt en de- là , comme on
l'expliquera ci - après.
Ce vent reglé charie devant lui toutes
les vapeurs qu'il rencontre : elles s'épaiffiffent
de jour en jour , & de plus en
( ) M. Mariote. pag. 42 , & 43 .
plus :
JUILLET. 1752: 25
plus : elles s'accumulent à la rencontre des
montagnes de la Cochinchine , des Indes ,
de l'Arabie , & de l'Abiffinie ( z ) : elles forment
enfin des nuages épais , qui couvrent
-toute cette région, & qui par leur frotement
contre ces montagnes , & par la chaleur fupérieure
qui les rarefie ,fe refolvent en une
pluye continuelle , qui dure ordinairement
dans cette partie Septentrionale de la Zône
torride , depuis le commencement du
mois de Mai , jufqu'au mois de Septem-
- bre ( x ) . Voilà ce qui concerne la bande
du Nord , fous la zône Torride ( y ) , qui
fait , ainfi que le vent Alizé , le tour de la
terre , de l'Eft à l'Oueft , dans une largeur
de 24 dégrés ou environ , à prendre
du 3 ou 4º . dégré de latitude Septentrionale
, jufqu'au 26 ou 27 , quelquefois
un peu plus , & d'autre fois un peu inoins.
Il en arrive autant , de l'autre côté de la
ligne , vers le Sud ; à la différence feulement
, que ce vent Alizé de l'Eft à l'Ouest,
ne cominence à s'y faire fentir ; que lorf
qu'il a ceffé dans la Bande du Nord ( z ) ,
c'est-à-dire , dans les mois de Novembre ,
( u ) Sepect . de la nat . tom. 3. p. 140.
(x ) Spect. de la nat. tom. 3. p. 143. Dapper ,
pag. 41. & fuiv.
(y ) Dampiere , tom . 2. pag. 71. & 103 .
(z) Dampiere , tom. 2. pag. 102.
B
26 MERCURE DE FRANCE,
Décembre , Janvier , Fevrier , & Mars ;
de façon que quand il pleut dans la Bande
du Sud , il fait beau tems dans la Bande
du Nord , & toujours à l'alternative : Cela
nous fait voir que dans la zône Torride
, les pluyes & le froid fuivent toujours
le Soleil ( a ) , ce qui eft différent dans nos
climats tempérés , où le retour de cet
Aftre fur notre hémiſphere Boréal , amene
ordinairement les chaleurs & le beau
tems.
On remarquera pour la curiofité feulement,
que comme la largeur des Bandes
du Nord & du Sud , ne commence qu'à
3. à 4 dégrés de latitude , de chaque côté
de la Ligne , il doit fe trouver un intervalle
de 6 à 8 degrés aux environs de l'Equateur
, qui n'eft point affujetti aux vents
Alizés. Cette largeur n'eft pas toujours
uniforme ; mais pour l'ordinaire , elle est
occupée par des vents irréguliers & incertains
( b ) comme dans la France , l'Angleterre
, l'Allemagne , & c. quelquefois
par des calmes , & fouvent par des tourbillons
& des orages.
On obfervera encore , que quoiqu'on
( 4 ) Journ. des Sçav . 1666. p . 386. Dapper ,
defer. d'Afr. pag. 4. & 43 .
(b ) Dampiere , tum . 2. pag. 13.
JUILLET. 1752. 27
en ait dit ci devant que les vents Alizés
fouflent de l'Eft à l'Oucft ; cependant lorſque
les vents Etéfiens , ou de Nord ( c ) ,
arrivent à la mi- Mai , ils font faire diverfion
aux premiers , & les contraignent à
prendre une direction oblique , qui tend
de l'Eft-Nord- Eft , à l'Oueſt Sud- Oueſt ( d) :
& enfuite du Nord - Eſt , au Sud- Oueſt.
La troifiéme chofe qui contribue à rendre
les inondations de l'Egypte fi prodigieufes
, provient de ces vents Etéfiens ( e )
dont on vient de parler , qui fouflent régulierement
du Nord au Sud , fur ce
Royaume , & qui arrivent periodiquement
vers la mi-Mai. On les attend avec
impatience , pour chaffer ceux du Sud ,
qui tous les ans brûlent & infectent l'Egypte
(f) pendant le mois d'Avril . Enfin
ces vents de Nord , par leur direction vers
le Sud , enfilent les canaux du Nil , arrê
tent fes eaux , & fufpendent fon cours. La
Mer fe met de la partie , enflée par ces
vents continuels & reglés , elle éleve fes
(c ) Spect . de la nat. tom. 3. p. 272. Damp.
dom. 2. p. 5. & la Carte,
( d ) M. Mariote , pag . 43.
( e) Hift du Ciel , tom . I. pag. 38. Spect, de
la nat, tom. 3. pag. 141.¨
(f) P. Luc. tom. 3. p . 251. & 262. Hift, dự
Ciel, tom. 1. pag. 37.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Alors ( g ) , & repouffe les eaux du Nil ;
au lieu de les recevoir. Il fe fait alors une
efpéce de flux continu femblable au plus
grand de l'Ocean , excepté qu'il eft fans
retour . Cette barre formée par les vents
Etéliens & qui s'étend fur toute la côte
Septentrionale de l'Afrique , prévient de
quelques jours l'arrivée des grandes eaux
qui defcendent de l'Abiffinie , & des autres
contrées de la bande Septentrionale
de la zône Torride , où depuis près d'un
mois , il n'a ceffé de pleuvoir , comme
on l'a dit ci -devant . Les inondations commencent
donc par la fufpenfion des eaux
du Nil (b ) , caufées par les vents Septentrionaux
, ce qui arrive vers la mi-Mai.
Les habitans des Pays apellent cette fufpenfion
, émotion , parce que les eaux du Nil
fe trouvent combattues par deux mouvemens
oppofés , l'un du Sud , qui eft le
cours naturel du Fleuve , & l'autre du
Nord , excité par le vent Etefien , & par
le gonflement de la Mer. Le progrès de
l'inondation fe manifefte ( i ) au commencement
de Juin , & fa cruë étant parvenue
à la hauteur de douze pieds , ce qui arrive
t
(g ) Jofephe , guer. des Juifs , liv . 4. ch. 37 .
( b) P. Lucas, tom, 3. pag . 248.
(i) P. Lucas , tom . 3. pag. 249.
JUILLET. 17521 29
>
ordinairement le 28 ou 29 de Juin ( k )
on l'annonce alors dans la ville du Caire
à cri public ; ainfi fes
que augmentations
nouvelles & journalieres , jufqu'à
ce qu'elles foient montées à 24 pieds
de Roi.C'eft alors que l'on taille les'Hhalis,
tant au Caire ( 1 ) , qu'en plufieurs autres
endroits * . Comme les pluyes de la
zône Torride continuent , & que le vent
de Nord ne ceffe point de foufler ; les
innondations augmentent encore tous les
jours : Enfin parvenus à leur plus grande
hauteur , elles fe maintiennent dans cet
état , jufqu'aux approches de l'Equinoxe
d'Automne (m ) , quelles commencent à
décroître peu à peu , parce que la faifon
pluviale de la zône. Torride eft paffée .
Les crues du Nil n'alloient autrefois
qu'à 15 ou 16 coudées. C'eft le fentiment
de Pline ( n ) ; mais les nouveaux voyageurs
les font monter jufqu'à 40 , même
( k ) Thevenot , tom. 2. pag. 499 .
( 1 ) Thevenot , tom . 5. pag 735 .
Un Hhalis , eft une levée , ou digue de terre ;
qui ferme l'entrée des canaux du Nil , que l'on
n'ouvre que quand les eaux de ce Fleuve font
montées au moins , à la hauteur de 16 pieds ,
mefure d'Egypte , ou 384. doigts ; ce qui revient
à 24 pieds de France , à 9 lignes pour doigt.

( m) Hift. du Ciel , tom . I. pag. 55.
( n ) Pline , liv. 5. Chap. 9.
Bij
30 MERCURE DE FRANCE.
jufqu'à 48 pieds de Roi d'hauteur ( 6 ).
Cette différence de mefure peut proveair
des tems de l'obfervation , des lieux
où elle fe fait , & de l'étendue des anciennes
coudées , comparées avec les nouvel
les (p) : du tems , en ce que les crues ne
font pas fi hautes en Juin & Octobre ,
qu'à la fin du mois d'Août ( 9 ) : des lieux ,
parce qu'elles font beaucoup plus foibles
dans le Delta , où les eaux peuvent s'étendre
librement , que dans la haute Egypte
qui reçoit l'inondation la premiere , & où
les eaux fe trouvent ferrées par les montagnes
, & dont les finuofités de leurs bazes
caufent des engorgemens : enfin par la
différente évaluation des mefures anciennes
avec les nouvelles. Nous fixons aujourd'hui
la coudée à un pied & demi de
longueur , & les anciens pouvoient lui
en donner davantage ** : c'eft le réſultat
de nos plus grands obfervateurs , & enentr'autres
de M. Maillet Conful en Egypte
( r ) .
C'eſt par la hauteur de l'inondation que
( o ) P. Lucas , tom . 3. pag. 249.
(p ) Hift. anc, tom. I. pag. 37.
(q ) P. Luc. tom . 3. pag. 249.
**. Le P. Lamy dans fon Apparat de la Bible ;
pag. 357. fixe la coudée d'Egypte , à 20 pouces &
demi de Paris.
(r) Hift . du Ciel , tom. I. pag. 45 .
JUILLET. 17527
3r
les laboureurs du Pays , connoiffent leur
deftinée fur la récolte prochaine ; car fuivant
qu'elle a été forte ou foible , ils reglent
leurs femailles & leurs efpérances .
Lorfque le Nil eft rentré dans fon lit , &
que les terres font égoutées , on jette le
bled fur le limon , & on y paffe enfuite
legérement la charue ou la herfe ( s ) . Cela
fe fait au mois de Novembre , & dès le
Printems fuivant , on en fait la récolte":
fçavoir , en Mars dans le Saïdy , ou haute
Egypte ( 1 ) en Avril , dans la moyenne
, nommée Heptanome , depuis le Caire
jufqu'à Benefouëf : & en Mai , dans la baffe
, qu'on appelle le Delta.
Les grandes Cataractes font enfin la quatriéme
caufe des crues immenfes du Nil.
Elles font fituées prefque fous le tropique
du Cancer , & fervent de bornes à la haute
Egypte , du côté du Midy . Des rochers
efcarpés d'une hauteur prodigieufe * forment
cette Caſcade , dont le bruit des
( s ) Pline , Hift. Nat . liv. 18. fect . 47. Hift du
Ciel , tom. I. pag. 22. Dapper .pag. 86.
( t ) Hift. du Ciel , tom . I. pag. 122. Hiſt. anc;
tom . I. pag. 11.
* La hauteur des Cataractes , fuivant Dapper ,
pag. 47. eft de 200 pieds , non pas ' , dit -il , en
ligne droite & perpendiculaire , mais un peu en
ligne penchante.
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE .
caux ( u ) fe fait entendre à plus de trois
lieues a la ronde ; & les montagnes qui
l'acompagnent de chaque côté , s'éten
dent vers le Nord , le long des bords du
Nil : celles de l'Orient ( x ) , côtoient le
cours du Fleuve jufqu'au Caire , & ne
laiffent d'intervalle entr'elles & lui , que
cinq à fix lieues au plus , & quelquefois
beaucoup moins de - là elles tirent au
Nord- Et vers l'Ifthme de Suèz , & permettent
par ce moyen , au Delta , de s'élargir
de ce côté-là ( y ) . La chaîne des
montagnes qui regnent à l'Occident vers
la Lybie , s'étend fans difcontinuation
depuis les Cataractes , jufqu'à la Mer , &
laiffe entr'elle & le Fleuve une plaine
fertile de 20,25 juſqu'à trente lieues de largeur.
Cette difpofition , dont on vient de
faire le détail , forme un baffin naturel
qui retient l'eau de trois côtés ; elles ne
peut donc s'échaper par aucun endroit ,
que par celui de la Mediterranée ; mais
les vents de Nord , qui fouflent avec
violence dans ce tems là , s'oppofent à fon
paffage Ils font enfler la Mer , dont les
flots s'accumulant les uns fur les autres ,
font une quatriéme digue qui ferme la
( u ) Hift. anc . tom . I. pag. 32 .
( x ) P. Luc. tom . 3. pag. 126.
( y ) Idem,

>
JUILLET. 1752. 33
porte aux eaux qui defcendent continuellement
des contrées de l'Ethiopie . Il ne
faut donc pas s'étonner , fi les inondations
du Nil montent à une hauteur fi prodigieufe
, puifqu'elles ne peuvent s'évacuer
dans la Mer ni s'étendre à droite ni à gauche
, & encore moins du côté de leurs
fources, par l'interpofition des Cataractes ,
qui les empêchent de refluer & de s'épancher
fur les plaines de la Nubie , qui
font au de -là , vers le Midi . L'Egypte eft
donc comme un vafe qui reçoit , & qui
ne rend rien (z ; mais les pluies d'au - de - là
du Tropique venant à ceffer au commencement
de Septembre , dans la partie Septentrionale
de la zône Torride , & les
vents Etefiens , dans le même tems , fe
tournant tout-à- coup du Nord au Sud
( a ) la digue formée par la Mer fe diffipe ,
& permet aux eaux qui couvrent toute l'Egypte
de s'écouler.
Voilà les quatre principes qui dévelopent
le myftere des immenfes débordemens
du Nil. Ces principes font liés enfemble
fi étroitement , que fans leur concours
, ces inondations ne feroient pas
plus fortes que celles du tous les autres
( z ) Dampiere , tom. 2. pag. 103.
( 4 ) Hift. du Ciel , tom . I. pag. 44.
BY
34 MERCURE DE FRANCE!
Fleuves. Que l'on fupprime les vents Eté
fiens ou de Nord , les eaux qui viennent
de la zône Torride , auront leur écoule
ment libre dans la mer Méditerranée.
Que les Cataractes foient anéantics , le
Fleuve aura la liberté de refluer vers fa
fource , & de s'étendre dans les Plaines
fabloneufes de la Nubie , ce qui diminuera
confidérablement la hauteur de fes
crues. Que les vents Alizés ceffent de foufler
d'Orient en Occident dans la partie
Septentrionale de la zône Torride , ils ne
produiront plus ces pluyes continuelles
qui inondens pendant notre Eté toutes
les terres de cette Region , & qui fe répandent
enfuite fur toute la furface de l'Egypte
; ce qui paroît d'autant plus extraordinaire
aux habitans , que le Ciel y eft
toujours ferein , & fans pluye. Enfin que
le cours du Nil foit tourné d'un autre côté
qu'il n'eft , & dans telle autre direction
que ce puiffe être , il ne fe trouvera plus
barré à fes embouchures , par les vents Ētefiens
, & fes fources , ni fon cours , pendant
plus de soo lieues 500 , ne recevront point les
eaux de la zône Torride ; il faut donc
pour faire cette operation dans l'Egypte ,
que le Nil foit dirigé du Sud au Nord ,
qu'il traverfe le Tropique , & que fon
étendue foit précisément depuis le dixiéme
JUILLET. 1752. 35
jufqu'au trente-deuxième dégré de latitude
Septentrionale. Les chofes étant ainfi difpofées
, le prodige s'évanouit : les crues
du Nil deviennent indifpenfables & néceffitées
: on reconnoît un jeu & un méchanifme
naturel de l'eau , des vents , &
de la terre , qui concourent pour rendre
fécond & abondant, un lieu qui fans cela ,
feroit demeuré inculte & inutile.
Mainly anal
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
ΙΜΙΤΑΤΙΟΝ
DE LA FABLE FAVORITE
SOCRATE
DE SOCRATE.
La Vertu & la Molleffe.
OCRATE , en fes diſcours toujours grand , tone
jours fage ,
A fon Alcibiade adrefloit ce langage.
Envain de la jeuneſſe on priſe la beauté ,
On cherche les plaifirs & la profpérité.
Penfons-nous que les Dieux excufant la foibleffe;
Ainfi que la Vertu couronnent la Molleffe ?
S'ils étoient fourds , muets , ou bien indifferens
Ils verroient d'un même oeil , le crime & les
talens ;
Mais le Dieu de Socrate eft plein d'intelligence ,
Du bien , du mal feul Juge , il frappe , il recom
penfe .
Hercule peut fervir d'exemple en ce moment ;
Il étoit jeune encor , moins fort , mais plus char
mant :
Après un court fommeil dans un lieu folitaire
Il alloit rêver chaque jour ,
'Animé du défir & d'aimer & de plaire
Il fe livroit au penchant de l'Amour
28
JUILLET. 1752. 37
Souvent auffi la voix de la Victoire
L'appelloit fur les pas de la brillante gloire ;
Incertain de fon choix il pouffoit des foupirs :
Les Héros font- ils faits pour céder aux plaifirs
Deux femmes tout- à- coup s'offrirent à ſa vuë ,
Toutes deux avoient pris une route inconnue.
La premiere s'avance & marche gravement ,
Son air noble eft aimable & toujours impofant ,'
Elle ne doit qu'à la Nature
Les modeftes appas de fa rare figure ;
On voyoit fur fa route une foule d'enfans ,
Le Génie inventeur des Arts & des talens ;
La Force & la Raiſon , l'Amitié , la Prudence
Tirent tous leurs Eclats de fa feule préſence.
La feconde la fuit ; fon air eft éfronté ,
Son regard eft beau , mais farouche ,
Le menfonge flatteur eft ſouvent dans ſa bouche ,
C'eft l'Orgueil qui l'annonce & l'Impudicité ;
Eprife d'elle même , elle admire fon ombre ,
Le luftre de fon teint ne provient que du fard ,
L'éclat de fa beauté n'eft qu'un effet de l'art ;
Malgré les faux attraits ſes amans font fans noma
bre ,
D'un voile tranſparent ſe fervant à propos ,
Les plis de fon habit dérobent fes défauts ;
Elle éblouit les yeux à force d'artifice ,
Elle veut tout foumettre au gré de ſon caprice
Et laiffant la rivale eile preffe fes pas ,
Four offrir la premiere un bien qu'elle n'a pas
38 MERCURE DE FRANCE:
Hercule , écoute moi ; je fuis tendre & fidelle ,
Tes yeux peuvent juger fi je fuis la plus belle ;
Si tu te lie à moi , par des chemins de fleurs
Je conduis tes beaux jours de faveurs en faveurs
Ne fois plus incertain du choix que tu dois faire ,
Je fuis le vrai bonheur , je viens te fatisfaire ;
Envain mes plus grands ennemis
Infultent lâchement au nom de la molleffe ,
Je tiens tout ce que j'ai promis ;
Et mes vrais Sectateurs font ceux de la Sagefle,
Vous êtes le bonheur , dit Hercule étonné ,
Ce don fi précieux par vous nous eft donné ;
Pour mériter vos biens que faut- il entreprendre 1
Je veux , répondit - elle , un amant doux & tendre
Ardent à m'enflâmer quoiqu'ami du loisir ,
J'épargne les dangers à qui veut me choifir ;
Yous ferez difpenfé des travaux de la guerre ,
Dans le fein du repos au gré de vos défirs
Les Jeux , les ris & les plaifirs
Vont accourir des deux bouts de la terre
Je n'exige de vous que d'aimer conftament
Le loifir , les douceurs d'une agréable vie ,
D'oublier pour jamais les foins de la Patrie ,
Et de n'être occupé que de vous feulement,
Ha ! croyez celle qui vous aime ,
C'est la félicité fuprême
De vivre fans foucis , fans amis , fans parens ,
Et de fuivre pour loix les défirs de vos fens.
A ce difcours trompeur l'autre femme s'enflåme?
JUILLET.
39 17520
Hercule , je le vois , tu rougis dans ton ame ,
Tu cheris trop la gloire , on ne pent te tromper ,
Et c'est par d'autres coups qu'il falloit te frapper.
Tu ne peux démentir une fource divine ,
Je reconnois l'effet de ta noble origine ,
Non pour t'en orgueillir , mais bien pour imiter
Le Dieu qui t'a fait naître & qu'on vient d'irriter.
Ecoutez mes confeils , digne enfant du Tonnerre,
Venez dans mon palais apprendre à gouverner ,
Soyez par vos travaux l'exemple de la Terre ,
Votre bras doit punir , votre coeur pardonner :
Les Dieux ont arrêté dans leur confeil fuprême ;
Queles projets d'éclat , que la gloire elle - même
Coûteroient aux mortels du travail , des foupirs ;
La peine bien fouvent fait valoir les plaifirs .
La route de l'honneur eft par fois périlleuse¿
Il aime à couronner une vie épineufe ,
On obtient fon fuffrage après de grands travaux ,
Pour mériter fes biens on doit braver les maux
Plus l'obftacle s'accroft, plus grand eft l'avantage
S'il n'étoit des dangers , que feroit le courage ?
Des ennemis vaincus il faut brifer les fers
Pour fervir les amis parcourir l'Univers ;
Combattre nuit & jour pour fauver la patrie ,
Et mettre enfin l'honneur au deſſus de la vic.
Prononcez maintenant , confultez votre choix ;
Le fentier des travaux eft celui des grands Rois .
Jaloufe des progrès que faifoit fa rivale ,
La Mollelle interrompt la fuite trop fatale .
40 MERCURE DE FRANCE:
Des difcours genereux de l'aimable Vertu.
N'écoute plus , Hercule , un récit fuperflu ;
Que t'offre la ctuelle ? une palme fterile
Dont l'éclat fe va Alétrir
Après t'avoir fait périr.
Je mène au vrai bonheur & ma route eft facile ;
Elle brille de fleurs & conduit aux plaifirs.
Ceffe , dit la Vertu , ton horrible artifice ,
Tu trompes les Mortels en flattant leurs défirs
Te caches avec art le fond du précipice ;
Des biens que tu produis ofe -tu te vanter ?
En voici les effets , fi je puis les compter.
Ton temple & les Autels font l'ouvrage des cri
mes ,
Aux antres du mépris tu menes tes victimes ;
Les regrets dévorans , la douleur , les ennuis
Précipitent tes jours & confument les nuits ;
Tes fujets font privés des biens de la jeuneffe ,
Et même avant le tems reffentent la vieilleffe ;
Le fommeil n'eft point fait pour leurs corps pa
refleux ,
L'appetit n'a jamais rien apprèté pour eux ,
Et de l'emploi du jour leur ame embaraffée ,
De tes fauffes douceurs eſt ſouvent courroucéc
Leur ruine eft le fruit de ton oifiveté
Et ton perfide coeur en tire vanité .
! fils de Jupiter , fuyez avec conftance
Les appas dangereux d'une aveugle puiflance
1
JUILLET. 1752 41
Je viens vous fecourir pour obéir aux Dieux ,
Les genereux Mortels font les amis des Cieux .
De la Mollefle enfin feccuez la pouffiere ,
Je vole fur vos pas , entrez dans la carriere ,
Par de nobles efforts méritez mes bienfaits ,
Mes dons font immortels ainfi que mes attraits
C'eſt par moi qu'on devient l'arbitre de la terre ,
Et qu'on donne la paix , on que l'on fait la guerrei
M es Sectateurs font furs d'éprouver un plaifir
Que les voluptueux n'ont point dans leur loifir ;
Aux Mortels fans honneur le repos eft un crime ;
Mon Héros peut dormir dans les bras de l'eſtime§
Il eft en la jeuneſſe admiré des vieillards ,
Eft-il fur le retour les apprentifs de Mars
Se preffent d'écouter l'Hiftoire de fa vie ,
On veut fçavoir comment il fauvá la Patrie ;
Cha cun fe preffe enfin d'honorer mes Guerriers
Ils goûtent le repos à l'ombre des lauriers ;
Les monumens publics racontent leur hiftoire ,
Chacun avec refpect en garde la memoire ;
La vertu vous permet la noble ambition
Qui foutient le travail par l'émulation .
Illuftre enfant des Dieux , fuivez votre courage
La Vertu vous cherit , la Gloire vous engage ,
Elle va vous conduire à l'immortalité ,
N'attendez que de moi votre félicité.
Hercule avec tranfport embraffe la Déeffe ;
Et devient un Héros en fuyant la mollefle.
Par M. du T...
42 MERCUREDE FRANCE.
************
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie Royale des Sciences , Infcriptions
& Belles- Lettres de Touloufe , du fen-
13 Avril 1752. di
Onfieur de Niquet , Préfident , &
vice- Président de l'Académie pour
la préfente année , ouvrit la féance par
un difcours fur l'amour de l'eftime publique.
Le P. Reynal , de la Doctrine Chrétienne
, lut un Mémoire fur l'exiftence & la
néceffité du tourbillon lunaire. Ce Phyficien
qui a de la fagacité , de la méthode ,
de l'élegance continue à répandre dans
l'Académie des lumieres qui ont donné
durant un grand nombre d'années au Collége
de l'Esquile un éclat qu'il n'avoit jamais
eu.
mie
M. Marcorelle , Directeur de l'Acadé
, & Correfpondant de l'Académie
Royale des Sciences de Paris , fit part de
fes obfervations fur une concretion formée
dans les Bronches de la trachée-artère &
arrachée par un effort de toux.
M. Martin de S. Amand , de l'Acadé
JUILLET. 1752. 43
mie de Cortone fit la lecture d'une differtation
fur l'utilité de l'étude des Médailles.
Cet antiquaire joint des connoiffances fort
étendues à un gout fûr , qui les accompa
gne rarement.
M. Mareorelle , en qualité de Directeur
de l'Académie , termina la féance par une
réfomption vivement & agréablement
tournée des trois mémoires , & par l'annonce
de l'ouverture d'une nouvelle école
publique de Grec & d'Hébreu , dans
l'Hôtel de l'Académie. Il s'exprima en ces
termes :
MESSIEURS ,
Defcartes eft le premier qui ait ofé entreprendre
de débrouiller le cahos , de lui
donner une forme & d'établir un arrangement
dans toutes les parties qui compofent
l'Univers . L'Impulfion eft la loi'feule que ce
grand Philofophe a reconnue pour mettre
les corps en mouvement ; avec ce principe
unique , mais univerfel , il a rendu raifon
de tout ce qu'il y avoit de plus général ,
& de plus inconnu dans la Phyfique. Un
fyftême fi éclatant , fi original & fi honorable
pour l'efprit humain ne pouvoit manquer
de trouver des contradictions ; les
premieres qu'il eut à effuyer , bien loin de
44 MERCURE DE FRANCE:
l'affoiblir ne fervirent qu'à l'accréditer ;
elles en attaquoient l'enfemble & l'univerfalité
des vues. C'eft la partie la plus har-'
die de l'entrepriſe de Defcartes , & celle
cependant où il avoit le mieux réuffi.Il s'éleva
dans la fuite d'autres adverfaires qui
fçurent profiter de la fauffe attaque de
ceux qui les avoient devancés ; ils adopterent
le projet formé par ce rare genie de
donner une explication méchanique des
Phenomenes de la Nature , mais aidés des
fecours que fournit la nouvelle Geométrie
dans la connoiffance des loix du mouvement
, ils difcuterent avec plus de rigueur
le méchaniſme de fes explications : c'eft
par cet examen qu'ils ont crû appercevoir
des contradictions palpables dans la maniere
dont il rendoit raifon de la formation
des tourbillons , de la rotation des
Planetes fur leurs axes , du cours indéterminé
des Cometes & de la caufe de la pefanteur.
On ne peut mieux juger de la force
des difficultés qu'ils ont élevées que par
les folutions qu'on en a données. Les difciples
de Descartes n'ont prefque retenu
de fon fyftême que les tourbillons dont ils
ont même fouvent changé le nombre , la
forme & la direction .
Ces variations font pour les Neutoniens
un fujet de triomphe ; ils avancent qu'il
JUILLET. 17528 45
eft impoffible d'expliquer les Phénoménes
de la Nature au moyen des tourbillons , &
par le feul principe de l'impulfion ; ils font
plus, ils foutiennent que toutes les obſervations
Celeftes s'accordent avec une loi qui
fuppoferoit que toutes les parties de la matiere
s'attirent en raiſon renversée du quarré
des diſtances , & de- là ils concluent qu'on
ne fçauroit fe difpenfer de recevoir cette
nouvelle loi de la nature.
Bien loin que les Cartefiens veuillent
admettre les attractions & ces grands efpaces
vuides où fe meuvent les Planettes
obligés à décrire des courbes par des gravitations
mutuelles , ils aiment mieux fou
tenir leurs explications qu'ils appuyent
tous les jours de nouvelles preuves & dont
ils tirent des conféquences nouvelles . Tel
eft le but d'un mémoire du P. Reynal dont
on vous a rendu compte dans la derniere
feance publique : zelé deffenfeur des tourbillons
, le P. Reynal y repouffe avec force
les coups les plus rudes qui leur ayent été
portés,
Il reftoit une queftion délicate & fur
laquelle les Cartéfiens eux- mêmes font
partagés. La lune a- t- elle un tourbillon
ou n'en a - t- elle pas ? C'eft le fujet d'un
des mémoires dont vous venez d'entendre
la lecture. Le P. Reynal y fuppofe les
46 MERCURE DE FRANCE.
preuves qu'il avoit données dans le premier
pour établir l'exiſtence & la néceffité
des tourbillons , & il s'y attache unique
ment à faire voir que la Lune a un tourbillon
propre & qu'elle n'eft point renfermée
dans celui de la Terre.
la
Pour bien déveloper cette idée , le P.
Reynal avec cette clarté & cette élegance
qui le caracterifent , expofe d'abord que
Lune fait une révolution autour d'ellemême
dans le tems qu'elle en fait une au
tour de la Terre. Pour rendre raifon de ce
double mouvement , il faudroit , fi la Lune
étoit renfermée dans le tourbillon de la
Terre , qu'elle circulât avec les molecules
du tourbillon comme fi le tout étoit folide,
ou d'une feule pièce. Une telle difpofition
eft contraire aux loix de l'équilibre des
tourbillons qui exigent que la viteffe des
couches voisines du centre augmente dans
le même rapport que leur furface & leur
maffe diminuent. Il faut donc avoir recours
à la cauſe générale qui fait tourner
les Planettes principales fur leurs axes ; les
Planettes fecondaires leur font parfaite
ment ſemblables à cet égard , la plus grande
vitefle du fluide inférieur doit produire
fur elles le même effet , elles doivent de
même tourner fur leurs axes & occuper le
centre de leur tourbillon.
JUILLET. 1752. 47
Celles des objections qu'on peut faire
au P. Reynal , qui lui paroît la plus forte ,
eft la lenteur du mouvement de la Lune fur
fon axe ; il la réfout en répondant que
toutes les Planettes fecondaires doivent
tourner plus lentement que leur Planette
principale , parce que le fluide du grand
tourbillon refferré du côté de la Planette
fecondaire accelere fon mouvement &
agit avec plus de force fur la Planette principale
qu'il entraîne ; au lieu que la Planette
fecondaire deffendue par fon propre
tourbillon eſt à l'abri de ce mouvement ,
de là vient que la terre tourne environ
vingt-fept fois plus vite que la Lune , &
Jupiter qui eft entouré des quatre Satellites
près de deux fois & demi plus vite que la
Terre.
Quoiqu'il en foit de ces vues génerales
fur l'ordre oeconomique des corps inanimés
, l'Univers lui- même feroit comme
anéanti , fi l'homme qui en eft le ſpectateur
& pour qui tous ces objets brillans
ont été faits , ne fe prémunifloit contre les
dangers qui le menacent , en apprenant à
quels défordres l'oeconomie animale eft expofée
, & jufqu'où vont les reffources de la
Nature pour les réparer.
C'eft à cet égard furtout qu'il faudroit
ménager des obſervateurs attentifs à épier
48 MERCURE DE FRANCE.
les démarches de la Nature & prêts à déceler
fon fecret ; quand il arrive qu'elle le
trahit dans quelqu'un de fes mouvemens
involontaires.
Il n'appartient qu'à vous , Meffieurs , de
décider fi j'ai été affez heureux pour le faifir
dans le rapport que je vous ai fait de
l'accident arrivé à M. Terrade & des réflexions
qu'il m'a fait naître.
Vous avez vu qu'un corps de couleur
blanchâtre & fans cavité , ni dans fon tronc,
ni dans fes ramifications , femblable en
tout à une branche d'arbriffeau dépouillé
de fes feuilles , avoit été arraché par les efforts
d'une toux violente des branches de
la trachée artêre , où il paroiffoit , à raiſon
de fa figure & de fes dimenfions , avoir été
formé.
Que dès lors le malade avoit été foulagé
de fon oppreffion , & que les fymptômes
qui faifoient craindre peu auparavant
pour la vie avoient difparu pour faire place
à une fanté
peu efperée.
De ce peu de faits j'en ai conclu :
1°. Qu'il falloit s'en tenir à l'opinion
des Auteurs qui affignent pour caufe à
l'aſtme , la diminution de la cavité de la
trachée-artère ou des bronches occafionnée
par quelque pituite épaiffe ramaffée & formée
dans ce tuyau,
JUILLET. 1752. 49
2º. L'on doit agir de concert avec la
Nature , laquelle rend la refpiration fréquente
à caule des embarras du fang en
diminuant ces embarras par les faignées .
3 °. Qu'au lieu de calmer la toux par
des Narcotiques , on doit au contraire la
favorifer quelquefois pour l'explosion
du corps étranger qui forme l'embarras.
4°. Que pour rendre cette exploſion
plus facile aux efforts de la toux , il faut
aider la Nature par l'ufage des délayans
qui ramoliffent la concretion & diminuent
fon adhesion .
5°.Que l'éternument qui n'eft qu'une forte
expiration pourroit en quelque forte , &
dans quelques circonftances tenir lieu des
émetiques que confeille le grand Riviere.
Etranger à l'art fur lequel j'ai entrepris
de parler , je ne me fuis engagé dans cette
carrière périlleuse qu'entraîné par la fingularité
de l'accident , qu'il importoit de
ne pas laiffer périr dans l'obfcurité d'un
filence , en quelque forte injurieux à l'humanité
.
Mais dans le mémoire de M. de Saint
Amand fur l'utilité des Médailles , on
vous a préſenté des recherches faires par
un Antiquaire fur l'objet de fes veilles &
de fa paffion .
Oui , Meffieurs , l'Auteur a raifon de
C
50 MERCURE DEFRANCE.
parler d'un amour affez vif pour mériter
le nom de paffion , puifque tel doit être le
caractere de l'inclination qui entraine ceux
qui s'adonnent à l'étude des Médailles , &
plus encore ceux qui entreprennent des
collections
en ce genre.
ր Des petits tiroirs.recelent les livres qui
font à leur ufage , mais quels livres ! un
amas choiſi de Médailles , auparavant éparfes
çà.& là qu'il a fallu avoir le courage de
chercher avec un foin attentif, de ravir à
des curieux rivaux obſtinés , d'acquérir à
haut prix & de leur facrifier le luxe & les
plaifirs , eft le fruit d'un goût vif , perfeverant
& génereux. La fortune & une curiofité
éclairée doivent concourir pour le
fuccès de ces doctes conquêtes , comme
la force du tempérament & l'inftinct doivent
concourir pour le fuccès de celles du
Botaniſte.
Peu de gens en état de former des cabinets
de Médailles en ont le goût , ou peu de
gens qui en ont le goût font en état d'en
former ; on ne fçauroit donc trop applaudir
au penchant genereux de celui qui a pu
& voulu le faire tenaître dans cette ville.
Sans crainte même dans l'avenir le plus
reculé de voir diffiper le tréfor litteraire
qu'il a acquis avec tant de follicitude , on
peut & l'on doit fe remettre à ſa jalouſie
JUILLET . 1752.
51
légitime du foin de le conferver dans le
fein même où il a été formé . » Il n'eft rien
» de plus heureux que de pouvoir faire
» du bien , & rien de plus honorable que
» de le vouloir. Les difpofitions les plus
nobles ont devancé les préceptes en M. de
Saint Amand .
"
Jouiffons long-tems de lui & de fes lumieres
accompagnées de cette modeſtie
qui releve le merite & qui feule tiendroit
lieu de mérite.
Soit que d'après M. le Baron de Labatie
il nous trace l'abrégé de l'hiftoire métallique
& de fes révolutions .
Soit qu'il rapporte l'ufage des Médailles
aux généalogies Romaines.
Soit qu'il les employe à lever les doutes
du Pirrhoniſme fur la Chronologie , les
faits obfcurs & les contradictions des hifto- .
riens.
Soit qu'il s'attache à nous en faire fentir
la commodité par la facilité du tranſport
ou par l'avantage d'affocier les yeux
aux opérations de l'efprit.
Soit qu'il entre dans le détail des faits
interreffans qui auroient toujours demeuré
ignorés fans le fecours de ces monumens .
Soit enfin qu'il s'en ferve à réfuter les
erreurs , les mécomptes & les fauffes
plications des Scholiaftes .
ap-
Cij
2 MERCURE DE FRANCE.
Ce jour , Meffieurs , eft un jour heureux
& digne d'être infcrit dans les faftes litteraires
de cette ville , puifque je fuis chargé
de vous annoncer encore une nouveauté
importante pour le progrès de l'efprit
humain , & l'avancement de nos Concitoyens.
Toulouſe vit autrefois établir des chaires
pour les langues fçavantes , que les
Turnebe & les Muret ne dédaignerent pas
de remplir.
Mais par une de ces révolutions que la
fatalité & la négligence amenent , foutes
nos études publiques des langues ſe bornent
depuis long- tems à celle du Latin.
Le Grec , cette langue abondante & harmonieufe
qui feule peut nous donner l'entrée
dans le fanctuaire du bon goût & de
la belle nature , fi bien traitée par le peuple
d'Athènes , cette langue autrefois naturelle
à cette Province par le voifinage de la
Colonie des Phocéens Fondateurs de Marfeille
, cette langue fans laquelle on ne
peut fe dire fçavant qu'à demi , eft preſque
devenue une langue barbare pour nous
faute de guide .
L'Hébreu , cette Langue mere à la faveur
de laquelle on peut pénétrer dans l'original
des Livres faints & purifier fa Religion en
la puifant dans fa fource , n'a point percé
JUILLET. 1752: 53
jufqu'ici au delà de l'enceinte de quelques
murs Monaftiques.
Le projet d'ouvrir une école publique
de ces deux Langues , paroiffoit un projet
chimérique de la part d'une Académie bor
née aux fecours qu'elle tire de laliberalité
de quelques-uns de fes Membres .
Mais que ne peuvent des coeurs fortement
pénetrés & occupés de l'utilité gene .
rale , qui en font l'objet de tous leurs
voeux & de toute leur ambition ?
Ce projet a été enfanté , fuivi & confommé
par l'Académie en attendant les
regards favorables de l'autorité publique ,
qu'un établiffement de cette nature ne
femble pas devoir réclamer envain .
Un Prince auffi grand par fa vertu que
par fa naiffance , qui a arraché les larmes
toutes récentes de la France & de la Religion
, avoit fondé dans la Sorbonne peu
de tems avant fa mort une chaire d'Hé
breu .
Quel exemple & quel objet d'émulation
pour Touloule , qui ne le céde point aux
Capitales pour les encouragemens qu'elle
donne aux progrès des Sciences , des Lettres
& des Beaux-Arts !
En confequence de cette annonce , Dom
Pont , Religieux de la Congregation de S.
Cij
54 MERCURE DE FRANCE.
Maur , & Membre de l'Académie fit le 17
Avril 1752. dans l'Hôtel de l'Académie ,
l'ouverture de la nouvelle Ecole publique
de Grec & d'Hébreu , par un difcours fur
l'étude de la Langue Grecque & par une
Analyſe d'Hécube , tragedie d'Euripide ,
accompagnée de réflexions critiques & de
quelques fcenes traduites . Le concours des
auditeurs fut fi confidérable , qu'au lieu de
l'école ordinaire , l'Académie fe vit obligée
de fubftituer la Sale de fes affemblées publiques.
JUILLET. 1752
55
ODE ,
A M. Daviel , Chirurgien Oculifte du Roi.
HE quoi ! des mains intelligentes ( * )
Dirigent un trait acéré
Dans ces Tuniques transparentes
Dont l'oeil fragile eft entouré :
DAVIS , guidé par fon génie ,
Quand le fang trouble l'harmonie
De cet orbe précieux ,
Va ſous l'envelope flexible ,
Déployant le tranchant terrible ,
Porter la lumiere des Cieux.
REV BRONS l'effence premiere
Qui daigna former de fes mains ,
L'organe par qui la lumiere
Eft tranfmife aux Humains .
Trois humeurs en l'oeil difpofées , ( ** )
Quelques membranes enchaffées
Compofent les corps agiffans ,
(* )M. Dariela guéri l'Auteur d'un mal d'yeux
confiderable , par une opération .
( ** ) On fçait que l'humeur aqueuse , l'humeur
cristalline , l'humeur vitrée & fix membranes , forment
l'organe dela vûe.
C.iiij
16 MERCURE DE FRANCE.
Qui , par fa parole féconde ,
Porterent la clarté du mon de
Dans les ténebres de nos fens.
SOUSTRAIT aux ombres ténébreules
L'honime femble être reproduit :
Il voit ces Spheres lumineufes
Qu'une invifible main conduit ,
A fes regards la terre s'ouvre , ( * )
L'univers entier ſe découvre ;
Mais quel effet prodigieux !
Des corps fi vaftes à ſa vûe
Tracent leur furface étendue
Dans le cercle étroit de fes yeux.
MAIS quand de cet orbe mobile
Le mal vient brifer les refforts ,
Quel mortel eft aſſez habile ( ** )
Pour en ranimer les accords ?
Quelle main flexible & légere
Ofe trancher en hémiſphere
Ce globe privé de clarté ;
Et par une audace intrépide
(* ) Les objets , felon plufieurs Auteurs, ſe peignen®
au fond de la rétine , & felon d'autres fur la choroïde
.
( *) M. Daviel fait l'opération de la Cataracte ;
d'une maniere qui lui eft particuliere & dont il eft
l'Inventeur : il ouvre circulairement la cornée transparente
, & extrait le criſtalin de la chambre pofterieure
de loeil.
JUILLET .
$7 1752
Emporte le cristal liquide
Loin de l'organe épouvanté.
TEL qu'on voit un épais nuage ;
Qui long-tems obfcurcit les airs ,
Pouffé par le vent de l'orage
Se diffiper au fein des mers :
Tell'oeil voit forcer la barriere
Où mille failceaux de lumiere
Alloient s'éteindre fans retour ,
Et déchirer ce voile fombre
Qui par l'épaifleur de fon ombre
Lui cachoit le flambeau du jour .
DAVIEL , quelle lumiere fûre-
Guide tes pas audacieux ,
Le fein profond de la Nature
Se découvre- t'il à tes yeux ? ( * )
Quoi ! frappé par le trait terrible
Le fang dans les canaux paifible
N'a plus ce cours impétueux ,
Dont on vit l'étonnant ravage
Nous offrir fi fouvent l'image ,
D'un oeil langlant & ténébreux .
SANS doute il respecte l'organe ( ** )
( * ) La maniere ordinaire d'operer la Cataracte eff
fujette à des accidens terribles qui cauſent très-fourrent
la perte de l'oeil , ce qui n'arrive prefquejamais
dans la nouvelle méthode .
( ** ) Cette opération fe fait prefque toujours fans
stufion defang.
$ 8 MERCURE DE FRANCE.
Où ta main fait entrer le jour ,
L'acier tranche en vain la membrane
Rien ne le trouble en fon féjour.
Et l'aveugle ouvrant la paupiere
Reçoit à grands traits la lumiere
Jufqu'alors voilée à fes yeux ( . * ).
Quel agent ? quelle force active
Lui porte cette clarté vive
Qu'il n'obtint pas même des Cieux ?
DEVANT lui tout femble renaître ,
Tout frappe , étonne fes regards ,
L'aftre du jour vient de paroître
Quels corps dans l'étenduë épars !
Le nombre , l'ordre , la ſtructure ,
D'un Etre auteur de la nature
Lui retracent le fouvenir ,
Sa ſurpriſe en les yeux eft peinte ,
Par-tout il retrouve l'empreinte
D'un Dieu qu'il doit craindre & fervir.
La nuit , il le voit dans l'espace ,
Déployant des mondes divers
Fixer à chaque Aftre la place
Qu'il doit avoir dans l'univers.
I admire la main puiffante
Qui traça la route éclatante
Que fuivent ces célestes corps ,
( * ) M. Daviel a guéri plufieurs aveugles , nés.
avec la Cataracte
JUILLET.
1752 5.9
Et l'Art d'une force motrice
Qui meut un fi vafte édifice
Sans épuifer tous les refforts.
ON ne le voit point de fa fphére-
Forçant le cercle limité ,
Porter une main téméraire
Au voile de l'éternité ;
Il fent que fa foible paupiere ,
D'un Dieu rayonnant de lumiere ,
Ne peut foutenir la fplendeur ;
Et que l'humaine intelligence ,
Loin de pénétrer fon effence ,
Doit adorer fa profondeur.
DAVIEL , que de mortels ftupides-
Des ombres de la nuit tirés ,
Te doivent ces tranfports rapides
A l'Etre éternel confacrés !.
En arrachant le voile fombre
Soudain , des miracle fans nombre :
Qui frappent l'orbe radieux ,
Portent à leur ame attentive
Cette intelligence fi vive.
Du pouvoir du maître des Cieux:
VA jufquesaux bornes prefcrites , ( ** ) .
Par les ordres de l'Eternel ,
Etendre les vaftes limites
( * * ) ,M. Daviel a été appellé dans différentess
Cours de l'Europe pour diverfès matadiès dés praxe
3.Y
60 MERCURE DEFRANCE
D'un Art que tu rends immortel ,
Parcours les deux pôles dų monde ,
Et que ta fcience profonde
Serve à mille peuples divers.
Sois tel qu'un Aftre falutaire
Dont l'influence paffagere
Se répand fur tout l'univers.
DISCOURS
Sur le goût trop vif qui regne dans la
Litterature pour les chofes de pur amufement
, par M. Gaftumeau , Secretaire
perpetuel de l'Académie de la Rochelle.
CEn'eft pas une vaine curiofité qui attire
des Spectateurs aux féances publiques
des Académies , de quoi pourroitelle
être fatisfaite ? On n'y parle qu'à l'ef
prit & à la taifon , on en bannit le fel piquant
de la Satyre ; les talens , Férudi
tion , l'Eloquence même ne s'y montrent
que fous des dehors modeftes .
C'est d'un principe plus noble que
part l'empreffement du Public pour ces
fortes d'Affemblées . Il aime les Arts , ᎥᏞ
protege les Artiftes , il s'intereffe à leurs.
productions . Juge éclairé , il croiroit fe
manquer à foi -même , s'il n'applaudidſoit à
JUILLET. 1752% GD
des efforts qui favorisent les progrès du
goût , du moins s'il n'encourageoit de fes
regards ceux que leur ardeur entraîne dans
la carriere .
pa-
Quand les Académies veulent fe flatter
fur l'utilité de leurs Etabliffemens , elles
n'oublient pas de mettre au rang de leurs
fuccès ce défir même que le Public fait
roître pour l'accroiffement de l'empire Littéraire.
Elles fe félicitent de l'avoir inf
piré , d'avoir étendu la fphere de la raifon
, d'avoir fait connoître à la Nation
toutes les reffources pour les Arts de génie
; & furtout d'avoir affujetti aux régles
du beau & du vrai , un Peuple né fpirituel,
mais dont le feu & la vivacité l'empor
toient fouvent furlaprécifion & la jaſtelle .
Que les Académies nous ayent procuré
ces avantages , ou qu'on n'en foit redevable
qu'à l'heureufe étoile du Siecle , il eft.
certain qu'il n'y a jamais eu dans les efprits
plus de délicateffe , plus de facilité ,
joferois dire , plus d'attraits même pour les
connoiffances folides , fi le goût de l'amufement
& du frivole n'étouffoit ces germes
précieux .
Mon deffein n'eft pas d'exagerer ici les
défauts de notre Nation, ni de foufcrire au
fentiment de ceux qui ofent avancer qu'el
le ne peut faire dans les fciences que des
progrès médiocres..
62 MERCURE DE FRANCE.
Quand elle n'auroit pas donné dans
tous les genres d'érudition des preuves.
éclatantes du contraire , nous fçavons que
du côté de l'efprit & du génie rien n'y
manque pour réuffit . Que faut il pour épui
fer les fciences les plus vaftes & les plus
profondes , pour y faire même des découvertes
& enchérir fur ceux qui en ont
frayé les routes ?. De l'activité , de la pénétration
, de la facilité , de la jufteffe :
ces qualités forment le caractere du génie:
François , & peut- être l'emporterons- nous
à cet égard fur les autres peuples ; dumoins .
s'accordent-ils fur ce point , que le François
portent dans les feiences un goût délicat
& méthodique , qui en les débaraffant
des inutilités que la vanité des premiers
Sçavans y avoit introduites , leur:
donne un ordre , une clarté qu'on ne voit:
guères regner dans les écrits de nos voisins..
Mais il faut l'avouer , de fi heureuſes
difpofitions demeurent affez. fouvent inutiles
, par une façon de penfer qui parmi.
nous n'eft que trop commune. L'amufement
& le plaifir qui depuis long- temps
femblent décider de tous nos goûts , tourneat
infenfiblement les efprits aux objets
de pur agrément on ne fe plait qu'aux :
Ouvrages , où tout eft efprit , fentiment &
délicateffe ; les recherches fçavantes fe né--
JUILLET. 1752 63
gligent , ou n'occupent que le plus petit
nombre.
Combien les fuites d'un pareil préjugé
doivent- elles être fumeftes aux Beaux-Arts!
L'Auteur & le Lecteur en deviennent égament
les victimes . L'efprit s'amollit & perd
le goût des chofes folides , & par une conféquence
néceffaire on tarit enfin la fource
de ces agrémens pour lefquels on eft.
fi paffionné,
A parler en général , il n'eft point de
Peuple où la mode & l'opinion ayent plus .
d'empire que parmi nous. On voit affez
communément ailleurs des génies fermes ,
qui heurtant de front les fentimens reçus ,
le font à eux- mêmes des régles de conduite.
qu'ils n'affujetiffent jamais aux idées ou
aux caprices des autres. Ils ofent être originaux
au hazard de demeurer fans imitateurs
mais en France où le penchant pour
l'imitation eft fi actif , fi univerſel , & où
la crainte du ridicule eft peut- être la plus
vive de toutes les craintes , une opinion
reçue eft un tyran qui enchaîne le coeur &
la raifon il n'y a plus de liberté , plus :
d'examen , il faut obéir & fe laiffer entraîner.
:
Je conviens que le préjugé contre le..
quel je m'élève a des charmes bien ſéduifans.
Quoi de plus flateur pour l'homme.
64 MERCURE DE FRANCE!
2.1
de Lettres qu'une érudition légere dont la
variété l'amufe plus qu'elle ne l'occupe
qui n'offrant au coeur que fes fentimens ou
fes foibles lumieres , les lui peint encore.
avec les couleurs les plus riantes , & qui
malgré le peu d'application qu'elle exige
orne l'esprit de connoiffances aufquelles la
vogue donne le prix ..
L'attrait eft ici d'autant plus puiffant
que l'efprit dégagé des réflexions pénibles,
& accoutumé à courir rapidement fur tous
les fujets , en devient plus facile , plus enjoué
, & dès- là plus propre à l'amufement
des autres. Une foule d'idées vives & mobiles
, qu'un fimple coup d'oeil fur la furface
des objets réunit, & que le goût mer en
oeuvre , donne àl'efprit une légéreté , un
brillant qui étonne. De là les faillies , les
bons- mots , les rapports finement faifis
l'allufion , l'allégorie , tous ces traits vifs
qu'infpite le défir de plaire , & qui font
la bafe des converfations polies.
Sûr des fuffrages du plus grand nombre
avec un fçavoir qui coûte fi peu , l'hom
me de Lettres ira-t-il au de- là? Livré à la liberté
& à l'enjouement , la France femble
fe repofer du progrès des Arts fur quelques
Solitaires & fur les Compagnies qui
les cultivent par devoir. D'ailleurs . comment
fe réduire à l'état auftére & médio
JUILLET. 1752 69
cre de Sçavant dans une Nation qui adore
le plaifir & l'opulence ?
Mais où doit conduire un préjugé fi
dangereux ? Vous en voyez les effets dans
ces Ouvrages frivoles qui depuis quelques
temps inondent la République des Lettres .
Les Auteurs n'y cherchent point à nous
rendre meilleurs , ils ne veulent que nous
plaire. Eh ! par quelles routes y arriventils
Des Hiftoires fabuleufes , des anecdotes
incertaines ou inutiles , des contes
des romans , des féeries : voilà le fond de
ces écrits. Le style , les moeurs , les bienféances
y répondent à la gravité des fujers.
Les images les plus licentieufes y faififfent
le coeur , tandis que l'efprit oifif y reçoit
des mains de la volupté des maximes qui
allarment toutes les vertus.
Cependant ces Ouvrages , tout inutiles
qu'ils font , la mode veut qu'on les life.
Ils fourniffent au plaifir , c'en eft affez , le
Beau Sexe les accredite ; il ofe les lire du
moins en fecret ; il ofe même fe perfuader
qu'indifférent pour le fond des chofes , il
n'eft touché que de l'art & de la maniere
de l'Auteur.
Voilà la partie la plus fertile de notre
Littérature , voilà les fources où il faut
puifer les objets dont on doit fe remplir :
à la place de ces Ouvrages immortels , où
66 MERCURE DEFRANCE.
brille la plus pure raifon ornée de tous les
agrémens de l'efprit , & de tout ce que l'imagination
a de plus riche & de plus majestueux
, on eft obligé de confacrer fon
tems & fes études à des productions qui
feront la honte de notre fiècle , fi jamais la
poſtérité jette les yeux fur ces mépriſables
écrits.
por-
Encore s'ils n'avoient cours que chez
un certain Public , toujours fans conféquence
dans le jugement qu'on doit
ter d'une Nation : mais ils fe répandent
parmi ce qu'on appelle le monde poli ,
où il femble que le mérite d'être amufant
doive tenir lieu de tous les mérites .
Etrange opinion ! Que faifons - nous
en préferant les objets de pur agrément
aux connoiffances utiles ? Nous éreignons
infenfiblement en nous la force & l'activité
de l'efprit , & nous en venons enfin
à le dégoûter de toutes les occupations férieuſes
. Car il en eft des qualités du génie
comme de celles du tempérament : une nou
riture trop délicate , des foins exceffifs
des commodités trop recherchées fervent
plutôt à l'affoiblir qu'à le former. Sans
compter que l'habitude de ces rafinemens
cauſe à la longue des dégoûts invincibles
pour tout ce qui ramene à la fage fimpli
cité de la Nature..
JUILLET. 1752 67
Les progrès de l'efprit ne fe développent
que par des opérations fucceffives &
réitérées ; l'analyfe donne les principes ,
le raifonnement mene aux conféquences.
Tout cela n'eft qu'habitude , mais il faut
la former. Si ces opérations font pénibles,
la fcience qui fait l'objet de l'étude eft
appuyée fur des notions fines & difficiles
à faifir , fi elle a de la profondeur & de
l'étendue ; fi elle préfente un fyftême bien
lié dans toutes fes parties qu'il faille embraffer
d'une vue générale , & appliquer
toutes les hypothefes particulieres , fi ſa
marche méfurée & methodique ne permet
aucun écart , alors l'efprit exercé par la
méditation & le raifonnement s'éleve ,
s'étend , fe fortifie : fes vues s'augmentent,
fa pénétration devient plus vive , fes refforts
plus fermes , fes mouvemens plus.
fouples rien ne lui coûte , il peut atteins
dre à tout ce que les connoiffances humaines
ont de plus recherché & de plus.
fublime.
:
>
L'Athelete accoutumé de bonne heure
aux pénibles travaux de la luthe ou de la
courfe , fe faifoit un jeu de fes efforts
qui aux yeux des Spectateurs tenoient du
prodige. C'est l'exercice qui forme à tous
les Arts. La main de l'Ouvrier n'acquiert
que par des progrès infenfibles ces mouS
MERCURE DE FRANCE
vemens dont la fureté , la légèreté & la
jufteffe produifent les morceaux finis.
Des études frivoles , d'où le deffein de
plaire & d'occuper agréablement a banni
tout ce qui peut gêner la réflexion , fourniront
elles de pareils fecours ? Est- ce dans
une inaction , dans une léthargie prefque
continuelle que l'efprit acquerera l'habi .
Lude de penfer fortement & d'approfondir
des fujets difficiles ? Quelle application
exigent de l'Auteur & du Lecteur quelques
faits hiftoriques noyés dans des ornemens
fabuleux & fuperflus , l'art de peindre
des fituations délicates , d'enflammer
l'imagination & le coeur , ouvrage dont la
paffion fait la moitié des frais , & fi on
veut un peu plus de fineffe & de liberté.
dans les penfées & dans le ftyle ?
Mais ne fe doit- on pas à foi -même , ne
doit-on pas à la fociété de perfectionner fa
raifon & fes talens ? Eh. ! En vérité eft - ce
par-là qu'on y peut réuffir.
Je n'ai garde de m'ériger en Cenfeur du
fiécle ; cependant qu'on y faffe attention :
jamais peut- être on ne vit regner dans les
goûts , dans les moeurs , dans les caractères.
plus de légèreté , plus d'inconféquences ,
qu'aujourd'hui. Tout eft problême , hors
le plaifir & l'indépendance ; plus de regle,,
plus de contrainte , plus d'émulation pour
JUILLET. 1752. 69
Les travaux utiles. Qu'on n'attende rien
des ſentimens , il faut que la néceffité en
tieane lieu , & que la fociété doive à des
fituations forcées ce qu'elle avoit droit de
de fe promettre de la liberté & du choix.
C'est que l'efprit eft fans principes , &
que perdant peu à peu l'habitude du raifonnement
, comme l'idée des vertus , il
devient ou affez foible pour fe livrer aux
premieres impreffions , ou affez faux pour
les juftifier toutes.
Les Arts périffent , s'écrioit un Ancien ,
la jeunefle Romaine enyvrée du goût des
parures, confume à perfectionner de vains
ajuſtemens , un tems qu'elle dérobe à l'étude
. Que n'eft- ce-là le feul défaut qu'on
puiffe reprocher à la Nation ! La facilité
du génie la dédommageroit de cette perte.
Le dirai-je ? Ce rafinement , cette délicateffe
infpirent enfin un dégoût uuiverſel
& prefqu'infurmontable pour les occupations
gênantes : tous les devoirs en fouffrent
une affaire de difcuffion , furtout fi
elle eft de quelque étendue , paroît un
fardeau redoutable . On n'ofe le toucher ;
& fi l'on en approche , ce n'eft que pour
en voir les dehors , fur lefquels on a ſouvent
la témérité de décider.
Eh ! Comment ramener au travail des
gens qui mettent la pareffe en fyftême
70 MERCURE DE FRANCE.
qui effrayés de l'idée feule de l'ennemi
croyent le trouver par tout où le coeur n'eſt
pas de la partie ; qui fe formant à eux mêmes
je ne fçai quelle Philofophie , où l'indolence
& le repos font érigés en précep
tes , en viennent enfin à étouffer en eux
l'émulation & l'ardeur pour la belle gloi
re : fentimens généreux , dont la Nature
a fait prefque l'unique reffort des grands
fuccès & des grandes vertus.
Mais , dit-on , le fiécle eft aujourd'hui
plus éclairé que jamais , l'efprit plus univerfel
, plus délicat , il fe fait remarquer
dans toutes les conditions , dans toutes
les profeffions.
A la bonne heure : mais cela n'eft- il point
un défaut de plus pour la nation ? Je m'explique.
A prendre les chofes en général ,
on ne peut trop défirer les progrès de l'ef
prit , quand il marche d'un pas égal avec
le progrès des Arts & des Sciences ; mais
fi pour courir après l'efprit & tous les
agrémens dont on le croit la fource unique
, on abandonne les connoiffances utiles
, on mépriſe la ſcience & les fçavans ,
on néglige la raiſon , le travail & le devoir
, doit- on beaucoup fe féliciter d'un pareil
avantage ?
Où conduit-il en effet ? A rendre un
peuple aimable , facile , poli , humain fi
?
JUILLET. 1752 71
l'on veut ; car il faut paffer cette vertu à
des gens qui ne réclament qu'elle , mais
un peuple qui fera en même tems inapli.
qué , inutile , fans conftance , fans moeurs,
fans caractere , auffi peu propre à infpirer
à fes voifins l'eftime & la confiance , qu'il
eft prêt d'être leur dupe dans les affaires
d'intérêt.
Qu'on le rappelle les moeurs & le génie
des Grecs dans ces tems , où la Poëtie
l'Art oratoire , les moralités mêmes de la
Philofophie , avoient comme atteint leur
dernier période. Le goût des fpectacles
l'oifiveté , l'amour du plaifir , la diffipa
tion , l'art de faifir le ridicule, formoient le
caractere de ce Peuple . Il connoiffoit peu
les fciences , il avoit même peu de reffources
pour s'y perfectionner : les Philofophes
& les Grands en faifoient myſtere au Peuple
: le Conquerant de l'Afie crut devoir
revendiquer pour lui feul toutes les découvertes
d'Ariftote .
Que parut la Gréce aux yeux des autres
Peuples à mesure qu'elle en fut plus connue
? Une Nation , à la vérité fpirituelle ,
délicate , polie , qui feule gardoit le dépôt
des Beaux - Arts , mais chez qui regnoient
des vices revoltans , la raillerie
la fourberie , le mépris des bonnes loix ,
une recherche exquife dans tous les Arts
>
72 MERCURE DE FRANCE .
fuperflus , mille befoins inutiles , que les
fatyriques Romains nous peignent avec
indignation , & qu'on ne peut attribuer
qu'à la frivolité de ce Peuple , qui ure
fois forti des bornes de la nature couroit
fe précipiter dans tous les excès.
:
Que faifons-nous ? Nous manquons certainement
le but car enfin des efprits
amollis & fans culture doivent épuifer
bien vîte tout ce qu'ils ont de reffources
pour nous amufer & nous plaire. Les plus
heureux génies ont leurs bornes , & quelque
fécondité qu'ils ayent , leur fond s'altere
par les productions , fi des fecours
étrangers ne les renouvellent.
Eh ! Où puifera- t- on ces fecours ailleurs
que dans les fciences ? Ciceron vouloit
que fon Orateur les poffédât toutes : il ne fe
promettoit que des fuccès médiocres de
ceux qui fe fioient à leur feul génie.
C'est que l'Eloquence ne peut fe foutenir
fans une imitation exacte de la na,
ture , fans une abondance majeſteuſe d'idées
, de tours , d'expreffions qui nous
rendent les traits fous autant de formes ,
qu'elle varie elle même fes mouvemens &
Les opérations. Le coup d'oeil d'un homme
feul peut- il embraffer le contour d'un ra
bleau fi vafte ? Ou plutôt accablé de la mul
titude des objets auta- t- il affez d'activité
pour les difcerner tous ? Il
JUILLET. 1752. 73
L.
Il faut donc fe livrer à des guides , les
écouter , penfer d'après eux , s'enrichir de
leurs découvertes , fans cela on doit s'attendre
à tous les défauts d'efprit inféparables
de l'ignorance , mépriſes , ſtérilités
vues fauffes , fentimens outrés , & tous ces
égaremens où donnent la plupart de ceux
qui trop occupés de leurs talens naturels
ofent négliger les grands modeles , & marcher
fans eux dans des routes inconnues.
Ce que je dis de l'Eloquence doit s'appliquer
à tous les Arts qui contribuent à
l'agrément il faut pour les foutenir
:
recourir à ces fciences mêmes dont on
croit qu'ils infpirent le dégoût. Quelle
étendue de connoiffances , quelle littéra
ture , quelle étude des bons originaux dans
tous les Modernes qui ont illuftré l'empire
des Lettres ! Ceux mêmes qui réuffiffent
le mieux dans les Ouvrages contre lefquels
je parle , ne doivent ils pas à l'étude les
traits brillans qui y font répandus , la douceur
du coloris , & je ne fçar quel air de
maître , qui malgré lui décéle l'Auteur
& fait regretter les momens qu'il perd à
des occupations de ce genre ?
On objectera fans doute que le férieux
des Sciences eft incompatible avec les graces
& l'enjouement , qu'une application
laborieuſe deflèche l'efprit , lui fair perdre
D
>
74 MERCURE DE FRANCE
cette fleur , cette vivacité fi propre à en
relever le prix.
L'étude à la vérité peut produire cet ef
fet , elle le produit même furement fur
ceux qui , portant dans les Sciences plus
d'ardeur que de génie , fe confument en
travaux pénibles & infructueux . Toujours
audeffous de leur objet , incapables de faifir
les principes & le fond des chofes ,"
de découvrir dans une fcience le terme où
elle s'arrête , fes foibles & fes obfcurités
comme fes clartés , fes évidences , ils en
font réduits à fe charger la mémoire d'opinions
& de faits, échos ou Hiftoriens idolâtres
des fentimens d'autrui , fans pouvoir
fe faire à eux mêmes aucun fyftême
qui leur foir propre. Alors la carriere
n'ayant plus de bornes, la longueur du travail
jointe à une folitude opiniâtre,épuifera
infailliblement le peu de forces qui refte
: trop heureux , fil'ignorance des bienféances
, l'yvreffe du fçavoir , l'orgueil inféparable
des hommes médiocres né les livrent
à tout l'ennui & à tout le ridicule de
la pédanterie.
Mais qu'on ne craigne rien de pareil
Dour les bons efprits , car on leur facilite
les portes à tout, ou par une espece d'inf
zint ils fentent tout d'un coup jufqu'où
ils peuvent atteindre , & ne s'engagent
JUILLET. 1752. 75
point dans des fciences qui fe refufent à
leur pénétration . Ainfi ils fe prêtent plutôt
à l'étude qu'ils ne s'y livrent , & tou
jours fupérieurs au genre qu'ils ont choifi ,
leur application ne leur dérobe rien de la
liberté & des graces du génie.
Ce n'eft point-là un tableau d'idée , nous
avons encore de ces fçavans aimables , qui
affujettiffant l'érudition à un goût exquis,
fçavent la dégager de ce qu'elle a on 'd'épineux
ou de trop profond ; qui prenant
fur eux tout le dégoût des recherches
n'apportent dans le commerce du monde
que les idées vives & les fentimens agréa
bles qu'elles leur ont fait naître ; quelle fécondité
, quel naturel , quelle folidité dans
tout ce qui fort des mains de ces hommes
cultivés par le fçavoir ! Que l'on en rapproche
ces miférables écrits , où l'afférerie
du ftyle & des penſées cache le vuide &
l'ignorance de l'Auteur , pourront-ils foutenir
la comparaiſon ?
nou-
A quel étrange paradoxe ces
veaux Auteurs ont-ils accoutumé la Nation
? Quoi ! Des efprits noyés dans la moleffe
, redoutant l'inftruction & le travail,
dédaignant le travail des grands Maîtres
auront les mêmes reffources , le même fuccès
que des efprits folides , laborieux
exercés dans tous les Arts , qui joigent à la
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
richeffe de leur propre fond des tréfors
ramaflés par les plus beaux génies du
monde ?
Il faut pour réuffir dans les Ouvrages
les plus méchaniques , des préceptes , de
l'imitation , de l'habitude ; & pour s'élever
aux Arts les plus fublimes , pour plaire
& fe rendre utile à un fiécle poli , on
n'aura befoin ni d'inftruction ni de modele
? Peintres téméraires ! que vous
fert l'entente du coloris , fi à chaque inf
tant les fujers vous manquent , fi dépour
vus de fond & d'invention vous en êtes
réduits à peindre des caprices ou des grotefques
? Croiroit -on qu'un fyttême fi infenfé
pût devenir dans la pratique la régle
de conduite de prefque tout un
peuple.
Je dis dans la pratique : car malgré les
efforts qu'on paroî faire pour le fouftraire
à la railon , on l'écoute encore affez pour
appercevoir le défordre , peut- être même
pour en rougir.
L'expérience fera le refte : malgré le
penchant rapide qui entraîne la Nation à
'amufement & au plaifir , elle verra
enfin qu'on lui donne le change
qu'il eft des amuſemens plus folides &
plus dignes d'elle , Si la légèreté & la folie
ont droit de tems en tems de dominer fes
> &
JUILLET. 1752. 77
goûts , ce n'eft qu'un empire paffager qui
ne preferira jamais contre celui de la fageffe
& de la raiſon.
Epitre à Monfieur D. C.
Quoiqu'éloigné des bords délicieux
Où vous vivez fous un aftre tranquille ,
Un trifte fort me retienne à la Ville
Emprifonné dans certain domicile
Où l'on refpire un air fort ennuyeur ,
Le fouvenir de vos aimables lieux
Toujours préfent occupe ma pensée ,
Et leur image à mon eſprit tracée
Semble m'offrir ce fejour gracieux
Où de concert l'Art joint à la nature
Forme un tableau dont la vive peinture
Charme le coeur , & fatisfait les yeux.
Pour vous , Damon , pour chomer votre fête ;
Dès le matin j'invoquois Apollon ;
Ce Dieu fans peine a reçu ma requête ,
Et du bouquet dont il ornoit ſa tête ,'
Il a voulu détacher ce fleuron ,
Qu'à vous offrir mon amitié s'aprête.
Il vous convient très - aimable Damon.
Vous n'y verrez oeillets , jaſmin , ni rofes ,
Entrelaffés marier leurs couleurs :
Pour peu d'inftans on goûte leurs odeurs,
Ces Beurs, hélas ! à peine font éclofes ,
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Qu'on voit bientôt leur éclat ſe flétrir.
Leur teint pâlit à la moindre froidure.
Faut un bouquet d'éternelle verdure
Toujours nouveau , qui ne puiffe périr
Tel eft Damon , du laurier la nature ,
De nos jardins immortel ornement ,
Des noirs frimats il mépriſe l'injure ;
De plus , je crois y trouver la figure
De cet égal & gay temperamment
Qu'en bon fuppôt du joyeux Epicure
Dans tout état , dans tout évenement .
Suivant l'attrait d'une volupté fûre ,
Toujours fçavez retenir conftamment.
A ce bouquet fi fimple en fa parure ,
Je vais mêler pour accompagnement
Des voeux que forme un tendre fentiment ,
Bon appétit , fanté longue & fleurie ,
Elprit content , plaifirs toujours nouveaux
Loin du bigot à la fombre manie ,
Loin du pédant au gotique génie ,
Bon vin à table , & délicats morceaux
Sur tous ces points , dans les lieux où vous êtes
Devez trouver parfait contentement ;
Societés, fêtes toujours complettes
Y font goûter un libre amuſement.
On n'y voit point de dévots en lunettes
Du vrai plaifir qui font l'enterrement
Qui fredonnant de pieufes fornettes ,
Hors de propos fermonent triftement .
JUILLET.
79 1752.
Là fe raffemble une efpece choifie
De vrais amis dont l'aimable enjouement
Sçait égayer le froid raifonnement
Et les leçons de la Philofophie,
Et dans les bras d'une douce folie ,
Aux doux plaifirs ſe prétent fagement.
Là , par Arrêt prefcrit très-juſtement
N'ofe paroître en noir habillement.
Le fpectre affreux de la mélancolie ,
A l'oeil cavé , fa foeur milantropie
Dans ce fejour ne trouvent logement ,
L'à , n'entrent point Paigreur , la jalouffe ;
On y connoît l'amitié feulement.
'Ah ! livrez -vous aux fenfibles délices
Qu'un tel féjour vous offre en ces inftans ,
Scachez jouir des faveurs du Printems
'Aux ris , aux jeux conſacrez ſes prémices ,
Tandis , Damon , que vos charmans climats
De doux parfums exhalent l'ambroisie ,
Que des amours la troupe rajeunie
Fait naître exprès les plaifirs fous vos pas ;
Tandis que Flore étalant les appas
De nouveaux dons émaille la prairie ,
Allez fouler l'herbe tendre & fleurie ,
Et qu'avec vous toute la confrérie
Grand appetit apportant au repas.
Avec ardeur à la table officie •
Et leftement vuideflacons & plats.
De Paris , le & Mai 1752. RAOULT.
D.iiij
80 MERCURE DE FRANCE,
************:❀❀❀❀❀❀❀❀❀❀
DISCOURS
Qui a été lû dans une Séance de l'Académie
des Jeux Floraux, tenuë le 2 1 Mars 1752.
pour la réception de M. Rafin , Confeiller
au Parlement ; par M. de Ponfan , Tréſorier
de France , un des Académiciens.
MESSIEURS ,
Il n'eft rien de fi géneralement reconnu
que l'utilité des Académies ; on a fait voir
dans plufieurs Ouvrages que les Corps Litteraires
procurent de grands avantages à
l'Empire des Lettres , & ce qu'on a dit fur
ce fujet fe juftifie tous les jours par autant
d'experiences qu'il y a d'Académies . Mais
plus l'utilité des Académies eft démontrée,
plus il importe de foutenir les exercices
d'où naiffent tous ces avantages.
Pour y parvenir dans cette Compagnie,
il faut fur-tout s'attacher à réparer folidement
nos trop fréquentes pertes. Il n'eft
rien de plus effentiel pour maintenir l'ancien
éclat de cette Académie , que de nommer
des fujets dignes de fuccéder aux Confreres
qu'elle a le malheur de perdre ; fans
cette attention tout ce qu'on pourroit faire
JUILLET. 1752. 8 &
à fon avantage feroit entierement inutile ;
fe négliger fur cet article important , c'eft
anéantir ce Corps litteraire & le faper par
les fondemens.
Ces réflexions m'ont déterminé d'examiner
aujourd'hui quelles font les qualités
que doivent avoir les fujets propres à remplir
les places de Mainteneurs.
Je me flate , Meffieurs , de mériter votre
attention par l'importance & la nouveauté
de cette matiere ; perfonne que je fçache
ne l'a encore traitée.
Si l'Académie pouvoit efperer d'être auffi
heureufe à l'avenir fur le choix de fes
Confreres qu'elle l'a été jufqu'à préfent ,
rien ne feroit plus évidemment inutile que
de parler fur ce fujer. Les dernieres nominations
fourniffent de nouvelles preuves de
fon extrême bonheur dans les élections .
Le génie qui depuis plus de quatre fiécles
foutient avec honneur cette célébre
Compagnie , ne l'abandonne jamais dans
ces occafions importantes ; il a toujours
écarté malgré les follicitations & les brigues
tout ce qui auroit pû ternir fa gloire.
Nous éprouvons en ce jour les utiles , les
agréables effets de fa favorable protection ;
en fournirois avec plaifir des preuves
victorieufes s'il m'étoit permis d'empiétes
fur les droits de M. le Modérateur.
D.Y
82 MERCURE DE FRANCE.
Continuons , Meffieurs , de faire de bons
choix , il importe beaucoup de ne pas nous.
laiffer furprendre par des apparences quelquefois
trompeufes , les méprifes font fur
cette matiere d'une grande conféquence
elles deviennent irréparables.
Aucune confidération ne doit nous empêcher
d'examiner fi les Prétendans ont
toutes les qualités néceffaires pour être
admis dans cette Compagnie.
Mais , me dira-t'on , quelles font ces
qualités ne fuffit- il pas d'avoir cultivé
les Belles Lettres & de les aimer ?
Non , Meffieurs , cela ne fuffit pas ; vous
fçavez mieux que moi qu'il faut encore
avoir des moeurs douces & faciles , & polféder
ce qu'on appelle dans le monde le
fçavoir vivres fcience rare , plus difficile
à acquerir & tout au moins auffi néceffaire
dans les Compagnies académiques
que le bon goût & les connoiffances hu
maines.
On peut à tout âge fe perfectionner
dans l'étude des Belles- Lettres ; mais la
politeffe ne s'acquiert gueres que dans la
jeuneffe , c'est le fruit d'une heureuſe naiffance
, accompagnée d'une excellente édu
cation , bien difficile à prendre fi l'on ne
fréquente un peu jeune les, bonnes compagnies.
JUILLET.
1732 83:
Ce n'eſt
que par l'ufage du monde qu'on
peut acquerir des manieres de vivre , d'a
gir & de parler , civiles , polies & honnê
tes ; fans ce fecours on conferve prefque
Foujours des moeurs rudes & groffieres ,
on manque aux égards & aux bienséances ;,
on s'oublie jufqu'à tenir à fes confreres
des difcours defobligeans , qui les déterminent
quelquefois à s'éloigner de nos
affemblées .
Les perfonnes les mieux élevées font:
fouvent peu endurantes ; remplies d'atten
tions envers tout le monde , elles ont droit
d'être plus fenfibles quand on les offenſe .
Il faut remarquer , Meffieurs , qu'aucun
motif intéreffant n'engage à l'affiduité dans
les Académies ; de là vient qu'on prend
aifément le parti de fair les occafions d'ef
fuyer des propos impolis : un homme
fage & délicat ne veut s'expofer ni à les
fouffrir , ni à la néceffité de les repouffer .
Cet objet a paru fi important à notre
fage Légiflateur , dont la bonté , la douceur
&la politeffe faifoit le caractere dominant ,
qu'il a jugé néceffaire d'établir une Loi
bien rigoureufe. Voici comment il s'explique
à l'article 22 des Statuts qu'il a dreffés
pour cette Compagnie , & que Louis XIV.
a autorifés par fes Lettres Patentes.
Si quelqu'un de ce Corps offenfe le Chan-
Dvj.
84 MERCURE DE FRANCE.
celier ou un des Mainteneurs ou des Maîtres,
il pourra être exclu du Corps.
Vous voyez , Meffieurs , que pour des
paroles outrageufes on encourt une peine
des plus griéves , que feroit- ce fi cette of
fenfe étoit fous les yeux du Public ?
M. de Laloubere n'a pas prévu ce cas ,
il a cru fans doute qu'il n'étoit pas poffible
qu'un Membre de cette Compagnie pût jamais
être Auteur d'un Ecrit injurieux , it
n'a craint que ce qui peut quelquefois
échaper dans la vivacité & le feu de la
difpute.
Le prudent Réformateur de nos Jeux a
cru également inutile d'exclure du nombre
des Propofés pour remplir une place vacante
, tous ceux qui auroient eu la témérité
de parler ou d'écrire contre la Compagnie
ou contre quelqu'un de ceux qui
la compofent ; il a fans doute jugé que
la fage Loi qui exclut du Corps celui qui
offenfe le Chancelier ou un des Mainteneurs
, en interdit l'entrée à toutes les perfonnes
qui feroient tombées dans un des
cas que je viens d'expofer. Pourroit- on
penfer d'y admettre un fujet qui devroit en
être exclu s'il en étoit ?
Mais fi l'Anteur d'une offenfe publique
contre une Académie ou quelqu'un des
Académiciens.ofoit y folliciter une place,
JUILLET. 1752. 85
he feroit-on pas bien furpris de fon au
dace ? Tous les Membres de cette Compagnie
fe croiroient fans doute obligés d'en
défendre les intérêts , & d'époufer ceux
d'un Confrere offenfé ; ils feroient fes vengeurs
s'il avoit la générofité d'étouffer fon
jufte reffentiment.
L'honneur du Corps & les égards que ſe
doivent les Particuliers qui le compofent,.
fuffiroient non feulement pour refufer les
fuffrages à ce téméraire Prétendant , mais.
pour l'exclure à jamais du nombre des
Propofés.
Etre en pareil cas favorable à l'offenfeur,
ce feroit lui applaudir & fe déclarer complice
de fa faute , ce feroit lui accorder
une grace dans le tems qu'il mériteroit
répréhension , ce feroit faire une nouvelle
injure à un Confrere à laquelle il devroit
être plus fenfible qu'à la premiere , & qui
le banniroir fans doute pour toujours des
Séances Académiques.
Gardons- nous , Meffieurs , de donner entrée
dans cette Compagnie à des Sujets
qui puiffent être incompatibles avec quel
qu'un ou plufieurs de nous. En acquerant
de nouveaux Mainteneurs , ne manquons
jamais à ce qui eft dû aux anciens; évitons
avec foin de multiplier les moyens de perdre
nos. Confreres ; ne nous privons pas.
86 MERCURE DE FRANCE.
de leur préfence, tandis que nous pouvons
enjouir, l'inexorable mort doit feule nous .
en féparer.
Pour prévenir les divifions dans les
Corps Littéraires , on doit être extrêmement
attentif à n'y donner entrée qu'à des
Sujets dont l'efprit foit d'un bon caractere,
& qui aient des moeurs faciles & agréables ; -
ees précieufes qualités font dans toutes les
Académies auffi effentielles que les talens.
Aucun motif ne doit engager d'intro--
duire dans ces afyles de la douceur & de
la paix , ni les faifeurs de Libelles , ni ces›
perfonnes dont les propos indifcrets &
hardis peuvent faire craindre de voir naî→
tre des diffentions & des troubles ; la faute
la plus legere doit allarmer ; tour peut être
en ce genre fuffifant pour donner l'exclufron.
Y a- t'il rien à ménager pour ne pas
courir le rifque de fe trouver un jour
dans la cruelle néceffité de procéder extraor
dinairement contre un Confrere ?
$
Il eft de la prudence des Académies de
n'expofer pas à ce danger ces efprits critiques
& malins ; c'eft un bonheur pour
eux & pour toutes les Sociétés Littéraires
qu'ils ayent fait connoître leur caractere.
avant d'y être reçus. Il vaut bien mieux
n'être pas admis dans un Corps que d'en
être retranché , car fuivant la penſée d'Q--
vide ,
JUILLET. 87 1752 1952 .
Turpiùs ejicitur quàm non admittitur hofpes..
Pour fixer nos idées d'une maniere exacte
& préciſe fur tout ce que nous devons
confiderer dans le choix de nos Confreres,,
il faut faire attention à ce qui nous a été
preferit fur ce fujet important dans l'arti
cle 26 de nos Statuts , il s'explique en ces
termes ::
La place d'un Mainteneur doit être remplie
par un homme de mérite , fociable
aimant les Lettres.
Ce peu de paroles renferment un grand
fens ; elles comprennent tout ce qu'on..
peut defirer dans un excellent Académi
cien , il ne faut qu'en pénétrer toute l'étenduë
Un homme de mérite digne d'occuper:
une place dans cette Compagnie , eft un
homme qui poffède un heureux affemblage..
des principales qualités naturelles & ac-.
quifes de l'efprit & du coeur.
Cette définition renferme tout ce qu'on
doit entendre par un homme de mérite
relativement à tous les Corps Académiques.
Il y a des qualités qui font un riche pré
fent de la Nature , & que nous tenons de
fa liberalité ; il en eft d'autres dont nous
fommes redevables au travail & à l'étude ; ,
88 MERCURE DE FRANCE.
elles fe prêtent toutes de mutuels fecours
l'art perfectionne les qualités naturelles
mais fes préceptes feroient vains & inutiles
s'ils n'étoient pas fecondés par d'heureufes
difpofitions. L'efprit eft une pierre
précieufe qui a befoin de la main du Lapidaire
pour jetter tout fon feu.
Ce que je dis des qualités de l'efprit , on
peut le dire également de celles du coeur ,
les unes & les autres doivent être mifes
en oeuvre pour briller de tout fon éclat.
C'est le concours & l'affemblage de tout
tes ces qualités bien cultivées qui forment
cet homme de mérite , propre à remplir
la place d'un Mainteneur , & c'eft ce qui
doit déterminer les fuffrages dans tous
les Corps Littéraires pour en réparer dignement
les pertes.
Notre Législateur ajoûte que cet homme
de mérite doit être fociable , qualité qui
en fuppofe un grand nombre d'autres.
Pour être fociable dans une Académie ib
faut fur-tout avoir des moeurs , c'eft le premier
fondement de toute fociété parmi les
honnêtes gens. Il faut avoir les inclinations
bierifaifantes , une humeur affable , un ef◄
prit doux , un naturel facile & complai
fant, qui tend toujours d'un bon & agréas
ble commerce.
Un homme fociable eft celui qui pofléde
JUILLET. 1752. 89
le précieux fecret de fçavoir vivre avec
les perfonnes qui ne le font pas , & de ſe
ménager avec toutes fortes de caracteres ;
fes manieres font toujours accompagnées
d'égards , & les difcours remplis de politeffe
.
Il fçait combattre le fentiment de fes
Confreres fans altercation ; il eft auffi fatisfait
de fe rendre à leur avis que de les
ramener au fien , la vérité ne l'offenfe
jamais , il l'écoute toujours avec plaifir ,
elle lui eft également précieufe , foit qu'on
la lui faffe connoître , foit qu'il la découvre
; il l'embraffe avec le même empreffement
d'où qu'elle parte ; il ne difpute que
pour l'éclaircir & la faire briller de tout
fon éclat.
Un homme fociable eft fur- tout l'ennemi
juré de toutes fortes de malignité , il détefte
la médiſance & la calomnie , jamais
il ne lui échape ni dans fes paroles ni
dans les écrits des traits piquans & injurieux.
La qualité d'homme fociable ne fçauroit
compâtir avec les vices qui troublent
le repos public , & dont la peine eft d'être
banni de la fociété.
Enfin , Meffieurs , cet homme de mérite
fociable , pour être digne d'occuper une
place dans cette Compagnie , doit aimer
les Lettres.
90 MERCURE DE FRANCE.
Quoique ce goût bien cultivé foit ef
fentiellement ce qui conftitue un véritable
Académicien , il faut remarquer que c'eſt
néanmoins la derniere chofe dont il eft
ici parlé.
Notre Légiflateur plein de droiture &
de probité , a eu l'attention de placer les
qualités de l'ame à la tête du portrait qu'il
nous a tracé d'un Mainteneur digne de
ce titre ; il a voulu fans doute nous faire
entendre par là qu'elles doivent tenir par
tout le premier rang , & que dans nos
élections l'amour & la connoiffance des
Lettres ne peuvent fixer notre choix que
lorfque ces avantages fe trouvent heureutement
raffemblés dans le même fujet avec
les vertus de l'ame & les qualités du
coeur.
Je ne puis , Meffieurs , me difpenfer pour
l'honneur de toutes les Académies de rapporter
ici ce qu'a dit à leur avantage l'Au
teur du Difcours couronné à Dijon l'année
derniere.
Ce bel efprit qui a répandu & prodigué
tant d'éloquence pour décrier les Sciences,
a fait voir feulement d'une maniere brillante
qu'on peut abufer des meilleures cho-.
fes. Mais voulant rendre juftice aux Compagnies
Académiques , il s'eft expliqué en
Ces termes..
JUILLET. 1752. 9%
Les Sociétés Littéraires , dit- il , font
chargées à la fois du dangereux dépôt
» des connoiffances humaines & du dépôt
» facré des moeurs ; elles ont attention d'en
» maintenir chez elles toute la pureté , &
» de l'exiger dans les Membres qu'elles,
» reçoivent.
"
»
» Ces fages inftitutions , ajoûte-t'il , fervent
de frein aux gens de lettres ; afpirant
tous à l'honneur d'être admis dans.
les Académies , ils veilleront fur eux-
» mêmes , & tâcheront de s'en rendre di
» gnes par des ouvrages utiles , & furtout
par des moeurs irréprochables.
M. Rouffeau malgré fon déchaînement
contre les Arts & les Sciences , a épargné
les Corps Littéraires , en faveur de leur
utilité pour les bonnes moeurs ; ſes ménagemens
& les égards pour les Académies
ne pouvoient pas avoir une caufe ni plus:
honorable ni plus glorieufe.
N'oublions donc jamais , Meffieurs , en
nommant aux places. vacantes , que nous
#devons conferver avec foin ce dépôt facré
des moeurs dont nous fommes dépofitaires
, ne le confions qu'en de mains fûres ,
évitons de nous relâcher fur cet article
capital .
3
La crainte d'émouffer ce précieux frein
qui contient les Gens de fettres ,, & qui
92 MERCURE DE FRANCE...
les oblige de veiller fur eux- mêmes, doit
exciter toute notre attention pour refufer
conftamment l'entrée de cette Compagnie
à tous les Sujets que ce puiffant frein n'a
pas été capable de contenir .
Ne perdons jamais de vûë , que les con
noiffances humaines ne peuvent mériter
notre attention qu'autant qu'elles fe trouvent
réunies avec des moeurs irréprocha
bles , avec beaucoup de prudence , de difcrétion
& de fagetle dans les écrits , dans
les paroles & dans les actions.
Ces maximes ont toujours été inviolables
dans toutes les Académies , elles en
ont exclu de nos jours un Littérateur périodique,
de beaucoup de mérite , mais noté
par fon indifcrétion & fa malignité.
Ce petit épiſode ne me fait pas oublier,
Meffieurs , qu'il me reste à vous parler de
cette partie effentielle d'un Académicien,
qui confifte à fe connoître en Eloquence
& en Poëfie.
M. de Laloubere s'eft contenté de dire
que pour mériter une place de Mainteneur
il faut aimer les Lettres. Ce peu de
paroles lui ont paru fuffifantes , parce qu'il
n'ignotoit pas que quand on aime ces précieux
Arts , il n'eft rien de plus attrayant
que le plaifir de les cultiver , & que cette
culture dirigée par de bonnes études , eft
JUILLET. 1752. .9 $
E rarement infructueufe ; les vrais amateurs
des Lettres font toujours d'excellens Académiciens.
ད་
Cette inclination eft ordinairement accompagnée
des talens néceffaires pour faire
de grands progrès dans les Sciences ; ces
progrès donnent de nouvelles forces à ce
noble penchant , on s'attache malgré foi
à ce que l'on entend , on n'abandonne jamais
ce que l'on aime.
pour N'apréhendons pas que l'affection
les Belles -Lettres foit volage & paffagere
chez les perfonnes de goût & de génie ,
il feroit plutôt à craindre qu'elles s'y adonnaffent
avec trop d'ardeur , & jufqu'à négliger
les Sciences de leur état.
Tout ce que notre Législateur nous à
preferit fur le choix d'un Mainteneur at
toujours été très- fidelement obfervé dans
cette Compagnie , nous n'aurions rien à
défirer fi nous pouvions jouir de tous nos
Confreres , mais nous voyons avec regret
que quelques- uns ne font par leur abfence
utiles à l'Académie que pour décorer fa
lifte , & lui faire honneur dans les villes
où ils ont fixé leur féjour. Plufieurs autres
que nous voyons rarement o nt de très- légitimes
excufes , les raifons qui nous privent
de leur préfence font des éloges pour:
sux ; les fonctions de leurs charges rem96
MERCURE DEFRANCE.
guliere érudition que par leur profond fça
voir dans la ſcience du Droit & de la Ju
risprudence.
Les noms des Minuts , des Dufaurs , des
Bertiers , des Catels , des Fieubets , & d'un
grand nombre d'autres font gravés dans le
Temple de Mémoire , ils ont été célébrés
par tous les Auteurs qui ont élevé des
monumens à la gloire des amateurs des
Lettres.
Ces refpectables & fçavans Magiftrats qui
étoient des Aigles aauu PPaallaaiiss ,, auroient pû
être en même tems des ornemens de l'A-
- cadémie Françoife , ils auroient tenu leur
place avec diftinction & dans l'Areopage
& fur le Parnaffe. Themis & les Mufes les
occupoient tour à tour dès leurs plus tendres
années .
Car , Meffieurs, l'étude des Belles Lettres
dans laquelle on peut toujours le perfectionner,
ne sçauroit être commencée dans
cet âge fait pour jouir des avantages qu'elle
procure ; il faut en avoir pris dans la jeuneffe
le goût & les principes , il feroit fans,
cela bien difficile d'y faire des progrès dans
un âge un peu avancé , l'ignorance déter- .
mine alors à regarder comme peu néceffaire
un art dont on ignore les premiers
élemens. On fait ordinairement peu de cas
des Sciences pour lesquelles on ne fe fent
aucune
JUILLET.
17528 97
aucune difpofition ni aptitude , & dont
on n'a aucune teinture.

Mais le don de la parole , l'art d'écrire
avec quelque pureté de ftile & de diction
feroient des avantages vains , quelquefois
dangereux , s'ils n'étoient pas accompagnés
de beaucoup de capacité ; les armes trèsnéceffaires
pour combattre font d'un foible
fecours fans la force & le courage.
>
J'ajoute , Meffieurs , que le profond fçavoir
fourniroit des alimens à l'erreur , s'il
n'étoit pas dirigé par la jufteffe de l'efptit.
Cette précieufe qualité eft plus rare que
les talens , il eft plus difficile de l'acquerir
que les connoiffances , c'eft un riche préfent
de la Nature dont elle n'eft pas prodigue.
Tout le monde croit le poffeder
parce que perfonne n'en peut fentir la
privation. L'efprit faux ne fe connoit pas
lui - même s'il fe connoiffoit , il cefferoit
d'être faux , fes lumieres font trop
bornées ou trop vaftes , le jour ne l'éclaire
pas , ou il l'offufque & l'éblouit , la lenteur
& la fougue de l'efprit égarent également,
l'un n'arrive pas au terme , l'autre va audelà
, & lorſqu'on paffe le but , dit Montagne
, on y touche auffi peu , que quand
on n'y arrive pas .
Ce défaut eft la fource d'une infinité de
défordres dans la fociété , il fe fair princi-
E
98 MERCURE DE FRANCE.
palement fentir dans les corps , & plus ils
font nombreux ,plus il y devient dominant .
C'eft la fauffeté de l'efprit qui fait fourmiller
les procès , & qui fournit du travail
à toutes les Jurifdictions , ce défaut
eft caule qu'on foutient les droits les plus
injuftes , & que les Arrêts juftifient fouvent
la témérité des plaideurs.
Dans toutes les Compagnies quelquesuns
des Membres , faute de juſteſſe , n'en
connoiffent pas les véritables intérêts ,
quelques autres en les connoiffant les facrifient
à des intérêts particuliers . Ceux
qui ont de bonnes vues & une volonté
conftante de les fuivre fe trouvant en petit
nombre , on ne doit pas être furpris que
les corps prennent rarement le bon parti
dans leurs délibérations ; de- là vient que.
la République Romaine dans les tems les
plus difficiles remettoit toute l'autorité
entre les mains d'un Dictateur.
Quand on a reçu de la Nature ce précieux
fondement de toute forte de connoiffances
, qui confifte dans la jufſteſſe de
l'efprit , on ne doit rien négliger pour entretenir
& fortifier cette heureufe difpofition.
Il feroit aifé de faire voir combien les
Belles - Lettres peuvent être utiles à cet
ufage ; on s'accoutume en les cultivant à >
JUILLET. 1752. 99
former des raifonnemens qui faffenr fenur
la jufte liaifon que les conféquences ont
avec les principes : ce n'eft pas là ou les
termes de l'art peuvent tenir lieu de preuves
, il n'eft pas permis de s'envelopper
dans de mifterieufes obfcurités. La clarté
& l'évidence eft ce qu'on exige principalement
dans les ouvrages d'efprit & de
littérature , tout ce qui manque de cette
qualité effentielle eft toujours réprouvé.
J'abandonne brufquement cette matiére
qu'il feroit très important d'approfondir
pour l'avantage de ces perfonnes que leur
mérite rend très- dignes d'être défabufées
de leurs préventions ; mais ce fujet mêneroit
aujourd'hui trop loin , & je ne puis
me difpenfer de dire encore un mot de nos
élections qui font mon principal objet
dans cette féance .
J'ai parlé , Meffieurs , des qualités néceffaires
pour être admis dans les Académies,
& de celles qui en doivent exclure , j'ajoute
qu'aucun de nous ne devroit le déterminer
fur le choix d'un fujet & prendre
à coeur fon élection , fans être affuré
que ce fujet eft en général agréable & à la
Compagnie & à celui qui en remplit la
premiere place . Conviendroit-il à un particulier
d'entreprendre de nous donner un
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Confrere fans avoir pris cette fage précaution.
Permettez moi , Meffieurs , d'obferver
encore que quand on nomme dans un jour
d'élection les afpirans à une place vacante,
on ne parle que de leurs bonnes qualités ,
mille confidérations engagent alors à garder
le filence fur tout ce qui ne feroit pas
à leur avantage
.
Les circonfpections & les égards ont
fait des progrès dans nos moeurs , à mefure
que les chofes dignes de blâme le font
multipliées ; à proportion qu'il y a eu à cacher,
on a étendu les bienféances de déguifer
& de fe taire , ce qu'on condamne en
fecret eft fouvent la matiére des éloges
publics.

De- là vient , Meffieurs , que nous ne devons
pas nous attendre un jour d'élection
d'être informés de ce qu'il conviendroit
de fçavoir fur les fujets propofés. C'eſt à
chacun de nous en particulier de découvrir
à l'avance par des informations fecrettes
leurs inclinations & leur caractere , tâchons
de les connoître avant de les nommer.
Gardons-nous fur tout , je le répete encore
une fois , gardons- nous , Meffieurs , de
nous laiffer impofer par les qualités de
JUILLET . 1752. ΤΟΥ
l'efprit , par les lumieres & les connoiffan
ces , n'héfitons pas de compter pour rien
tous ces avantages quand ils ne contribuent
pas à la beauté de l'ame..N'oublions jamais
que dans tous les Corps l'enquête de vie &
moeurs précede toujours l'examen du réci
piendaire.
Les Compagnies littéraires , fur tout
celles qui ont les mêmes occupations que
l'Académie Françoife , ont toujours été expofées
aux railleries indifcretes & aux
iniques improbations. Sur cet article la.
Province & la Capitale éprouvent le même
fort , nous ne pouvons éviter , autant
qu'il eft poffible , la cenfure du Public
qu'en nommant aux places vacantes des
perfonnes dignes de l'eftime publique &
par leurs vertus & par leurs talens .
Les Académies qui fe multiplient tous
les jours au grand avantage des lettres , ſont
les feuls Corps dans lefquels la vénalité ne
s'eft pas encore introduite ; ils ont par là
un grand avantage pour
être bien compofés
, & s'ils ne l'étoient pas , ils ne pourroient
l'imputer qu'à eux mêmes , & en
cela le blâme & la critique du Public ne
feroient pas injuftes à leur égard .
Pour rappeller en finiffant toutes nos
obligations fur le choix d'un Académicien
digne de ce titre , il fuffit de dire que nous
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
devons avoir une grande attention d'élire
des Sujets que la Nature ait favorisés des
biens de l'efprit , mais furtout des biens de
l'ame , & qui ayent donné avec fuccès tous
leurs foins à cultiver ces précieux biens.
C'eft la Loi qu'on doit fuivre dans toutes
les Académies ; elle a été obſervée juſqu'au
jour prefent avec beaucoup d'exactitude
dans cette Compagnie. Vous en
fourniffez , Meffieurs, les preuves victorieufes
, & je fournis l'exception qui confirme
cette belle régle.
Le mot de la premiere Enigme du fecond
volume de Juin , eft l'Epingle. Celui de la
feconde , eft le Temps. Celui du Logogryphe
eft Compartiment ; dans lequel on trou
ve or , Rapée , cors , Icare , Mort , nectar ,
arme , Art , Port , pain , Caron , Paon , tente
, Mentor , Noé , Pô , re , mi , Rome , porc.
保險
JUILLET. 1752. 103
*************
ENIGM E.
PAR un effort léger & même imperceptible ,
Je foutiens , je fépare & la terre & les cieux.
Mon corps eft immenfe , invifible ;
J'obféde l'Univers , & réfide en tous lieux.
Quoique je fois fans forme & fans figure ;
Je fuis pourtant à tous les animaux
La plus utile nourriture .
Je pénetre & j'agis dans les plus dur métaux ;
Je fuis l'ame de la Nature ,
Et je ne fuis pas fans défauts .
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE.
JE
LOGOGRIPHE.
E devrois être jufte , & cependant j'avoue
Que j'abufe fouvent de ma vivacité
Aux dépens de la vérité :
Auffi perfonne ne me loue
De mon trop de fincérité.
Avec fept pieds l'on me rencontre
Parmi des peuples envieux ,
Qui fans examiner ni le pour ni le contre ,
M'exposent aux regards curieux.
Lecteur , afin qu'on me devine ,
Et te donner pourtant un inftant de fouci ,
Je vais tirer en racourci
Les juftes dérivés de ma vieille origine .
D'abord j'offre aux faiſeurs de vers
Un tour , une grace infinie ;
Racine & Defpreaux auroient eu des revers ,
S'ils n'euffent pas fuivis ma pompeufe harmonie.
Mais changeons vîte de deffein ,
Cette phrafe , à mes yeux , paroît un peu trop
claire.
Pour me couvrir encor fous l'ombre du miftere ,
Je t'offre ce qu'un Médecin
Par le feul hafard a pû faire ;
Ce qu'une Coquette à propos
Sçait employer pour nous féduire ,
JUILLET.
105. 1752
Et que les gens d'efprit auffi bien que les fots
Ne peuvent pas prévoir ni ne peuvent détruire ;
Un mot latin en queſtion ;
Une nocturne illufion ;
Le grand chemin de chaque ville
Dont les détours font très - utiles
A ceux qui veulent arriver
Aux lieux qu'ils aiment à trouver
De plus on y voit fans étude
Le compagnon de certitude ;
Ce qu'une femme avec pudeur
Ne fçauroit ſe ſouffrir fans honte ,
Le langage des Dieux , la langue d'Amathonte
Un infecte rampant qui fera le vainqueur
Du fot orgueil qui nous furmonte.
Pour finir , cher lecteur , je jure fur ma foi
Que tu me crains fur ton paflage ;
Quand tu me vois , figne d'orage ,
Je porte la foudre avec moi.
L. C. D.V.
AUTRE
C'eft moi , cher Lecteur , dont Moliére
comique & charmant Auteur
A peint fi bien le caractère ,
Et qui lui fais toujours honneur ,
Lorfque je parois fur la ſcène
'
106 MERCUREDE FRANCE
Aux
yeux
d'un Public connoifleur.
Tu vas me connoître fans peine ,
En faifant la diffection
Des membres qui forment mon nom.
Leur nombre eft dix , pas davantage :
Ils t'offrent certain perſonnage
Qu'on trouve en tous lieux à foifon ,
Et qui fait un mauvais ufage
De l'efprit & de la raiſon ;
Deux oifeaux que l'on met en cage
Et qui charment par leur ramage.
Deux villes de très - grand renom ,
Par leur beauté , leur opulence ,
Leur grandeur , leur magnificence.
Ce qu'on défire avec ardeur ,
Que l'on n'amaffe qu'avec peine ,
l'on quitte avec douleur ;
Un homme fameux par la haine
Qu'il portoit à tous les humains ;
Ce que les anciens Romains
Aimoient d'un amour très -fincère ,
Ce
Et
que
que doit être tout Chrétien ,
( Mon cher Lecteur penfez y bien ; )
Ce qui n'eft efprit ni matiere ,
Et dont bien des gens cependant
S'occupent ordinairement ;
Des hommes fimples , reſpectables ,
Dans les travaux infatiguables ,
JUILLET. 87521 107

Qu'on vit traverſer les déſerts ,
Et parcourir de vaftes mers ,
Pour abolir l'idolâtrie ,
Des hommes , qui dans les tourmens
Mouroient tranquiles & contens ;
Un vafte Empire de l'Afie ;
De l'affaffin & du fripon
Une jufte punition ;
Une machine compofée
De cuivre , d'acier , de laiton :
D'or ou d'argent fouvent ornée ;
Que l'on voit moins communément
A la Campagne qu'à la Ville
( Quoiqu'elle y foit bien plus utile )
Et qui fert à l'homme ignorant ,
Autant qu'à l'homme très -habile;
Un illuftre Législateur ;
Un Poëte dont la mémoire
Vivra pour jamais dans l'Hiftoire ;
Et qui des Grands fut la terreur
Par fon ardeur pour la fatyre.
En voilà bien affez , Lecteur ;
Tu te laffes je croi de lire ,
Et moi d'écrire ; ferviteur.
Par M. Af *****.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
蓁蓁洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗
NOUVELLES LITTERAIRES.
R
ไม่
1:
EEGISTRES de la Nobleffe de France,
ou Armorial général, Regiftres 3 & 4.
A Paris , chez Prault pere , Quay de Gêvres
1752 , 3 vol . in fol. par M. de Serigny ,
Juge d'armes , en furvivance de M. d'Hozier
fon pere , Chevalier , Doyen de l'Ordre
du Roy , Confeiller en fes Confeils ,
Maître ordinaire de fa Chambre des
Comptes de Paris , &c. OLA
Les Préfaces qui font à la tête du premier
& du fecond Regiftres , mettront le
Lecteur au fait de l'ancien plan de l'Ouvrage
, & lui en feront voir l'utilité &
même la néceffité. On y verra que ce droit
de dreffer le Registre des Nobles eſt un
des principaux attributs de la Charge de
Juge d'Armes de France , qui conftitue
M. d'Hozier Juge de la Nobleffe en cette
partie. Une des prérogatives de cette
Charge eft de ne pouvoir être poffédée
que par un Gentilhomme d'ancienne race
lequel feroit ordinairement à la fuite du Roy,
aux termes de l'Edit de création en date
de l'an 2615. Cette Charge n'a été poffédée
avant M. d'Hozier que par M. Che

JUILLET. 1752. 109
e
2
vriers- de Saint - Mauris Gentilhomme d'une
très - ancienne Nobleffe du Mâconnois ,
dont on peut voir la Généalogie dans
Moreri ; M M. d'Hozier l'exercent depuis
l'an 1641 , & M. de Serigny en a la furvivance
.
Depuis 1742 on n'avoit donné aucun
Volume de l'Ouvrage que nous annonçons
; mais en récompenfe on en donne
aujourd'hui trois à la fois , beaucoup mieux
-travailléss que les précédens. Dorénavant
chaque Registre ne fera compofé que d'un
,feul tome , comme le Regiftre quatriéme
qu'on vient de donner avec le troifiéme ,
enforte qu'on fera en état de donner un
nouveau Regiftre tous les trois ans.
Il eft impoffible de rendre pic de
toutes les découvertes qu'on doit au travail
& à la fagacité de M. de Serigny ;
nous nous bornerons à indiquer quelquesuns
des articles qui méritent le plus l'attention
d'un Lecteur curieux & intelligent.
Troisième Registre.
Article d'Aluye . Il y a dans cet article
beaucoup de Chartes & plufieurs anciens
Sceaux. Page 14 , note i , on rapporte une
charte de l'an 181 , qui a été communiquée
à l'Auteur en original , & il y eft
dit que Hugues ( d'Aluye ) Seigneur de
Saint- Chriftophe , fcella cette charte de
1
110 MERCURE DE FRANCE.
fon fceau , appliqué avec trois poils de fa
barbe , cum tribus pilis barba mea . Page 35
il y a une Differtation curieufe . Page 48
on trouve des principes fur la façon dont
il faut fe conduire dans les Généalogies
difficiles ; & page 49 , l'application de ces
principes à la généalogie d'Alés de Corbet.
Les pages 50 , 51 & 52 font intéreffantes.
Les articles Braque , Gerin & Chamborant
font remplis de recherches & de dé-
Couvertes.
Celui de Chapt- Raftignac ( voyez pag. 2 ,
note c ) ce qui , felon M. de Serigny , a
donné lieu au nom de cette Maiſon . Cet
article eft celui de tous qui a dû le plus
couter , le plus grand nombre de chartes
& autres piéces fur lesquelles on l'a dreffé ,
la famille les doit aux recherches de M. de
Serigny ; fon attache aux anciens Sires de
Chabanois dont elle n'avoit pas la moindre
idée , nous paroît un fait prefque démontré.
Aimeri Chapt , Evêque de Volterre
en Tofcane , puis de Boulogne en Italie ,
& en cette qualité Prince de l'Empire ,
occupoit le Siége de Limoges en 1371 ,
( pages 42 & fuivantes. ) Raimond Chapt
de Raftignac , Seigneur de Meffillac , Gouverneur
de la haute Auvergne , & nommé
à l'Ordre du S. Efprit fous Henri IV.
JUILLET. 1752. 111
( page 89 ) leur a fait beaucoup d'honneur.
Feu M. l'Archevêque de Tours ,
Commandeur du même Ordre , étoit auffi
de cette Maiſon . Il y a plufieurs chartes
très-anciennes à la fin de cette généalogie .
Article d'Hozier . La note 6 de la premiere
page prouvera que M. de Serigny
a exercé la critique fur fa propre famille ,
pour donner l'exemple. Etienne Hozier
deuxième du nom , fon trifayeul , ( page
4 & fuivantes ) Ecuyer , Capitaine de la
Ville de Salon , né en 1547 , avoit un
goût décidé pour l'étude de l'Hiftoire ; il
a compofé des Chroniques prifes dès la
création du monde , & conduites jufqu'à
fon fiécle . Page 7 , on remarque qu'étant
Capitaine de la Ville de Salon en 1580 ,
il fit l'inventaire des Archives de l'Hôtel
de Ville , qui étoient dans une grande
confufion .
Pierre d'Hozier , Sieur de la Garde en
Provence , Juge d'Armes de France , Confeiller
d'Etat , Chevalier de l'Ordre du
Roy , Gentilhomme ordinaire & Généalogifte
de fa Maifon , l'un de fes Maîtres
d'Hôtel , & Gentilhomme à la fuite de
Gafton Duc d'Orleans , né à Marſeille en
1592 ) page 13 & fuivantes ) s'eft fait
de fon tems une grande réputation dans
l'exercice des mêmes Charges que M.
112 MERCURE DE FRANCE.
d'Hozier exerce encore aujourd'hui. Pages
25 , 26 & 27 on trouve en caractere Italique
un précis de tout ce qui
qui a été dit à
la louange de Pierre d'Hozier. A la fuite
du Difcours généalogique de la famille
d'Hozier , il y a un corps de Piéces juſtificatives.
Sous les numéros XXIII & XXXIV
de ces Piéces on trouve deux lettres affez
,curieufes , écrites par Cefar Noftradamus,
Auteur de l'Hiftoire de Provence , à Pierre
d'Hozier fon coufin .
Chorier dans fon Hiftoire de Dauphiné
imprimée en 1674 , donne à MM . d'Ho
zier un degré de plus , en difant qu'Etienne
Hozier premier du nom , étoit fils d'un
Thomas d'Hozier , vieux Officier du Roy
Charles VIII. & l'un de fes Penfionnaires,
fuivant un acte de l'an 1516. M. de Serigny
reconnoît l'autenticité de ce titre &
l'existence certaine de ce Thomas d'Hozier
; mais au lieu de fe prévaloir du témoignage
de Chorier , quoiqu'ancien , il
ne le cite , & Morery auffi ( Edition de
Lyon 1681 ) qui a copié Chorier , que
pour les critiquer l'un & l'autre , en aflurant
( contre leur fentiment ) que ce Thomas
d'Hozier ne fut pas pere d'Etienne
Hozier premier du nom , & qu'ils devoient
être de deux familles différentes , entre
lefquelles il y a feulement une reffemblance
JUILLET. 1752. 113
de nom , à la lettre d près , qui n'étoit
pas alors en ufage dans la famille d'Hozier
, & qui même n'a commencé à fe mettre
en tête de leur nom qu'environ cent
ans après , l'an 1616. Voyez auffi ( même
note b de la page premiere ) ce que M. de
Serigny dit de la famille noble du nom
d'Hozier en Angleterre , dont il y a eu de
nos jours un Vice- Amiral , & combien il
eft éloigné de l'idée d'y aller chercher une
origine étrangere dont il n'a nulle preuve,
pas même cette efpéce de preuve qui fe
tire d'une ancienne tradition , n'ayant dans
les papiers de fa famille aucun Mémoire
qui fafle mention de cette origine Angloife.
On trouvera fous la note a de la page
24 , deux Sixains faits par Boileau -Defpreaux
en l'honneur de Pierre d'Hozier ;
ils peuvent fervir de contrepoifon au fameux
vers d'une des Satyres du même
Poëte , celle qu'il a faite fur la Nobleffe.
N'eût-il de fon vrai nom ni titre ni mémoire ,
' D'Hozier lui trouvera cent ayeux dans l'Hiftoire .
C'eft de Charles-René. d'Hozier , fils de
Pierre , dont le Poëte a voulu parler dans
ce vers ; il étoit cependant fon ami , & il
y a apparence que même en le mordant .
il n'avoit nulle envie de l'attaquer. Mais
la mefure & le fens du vers demandoient
114 MERCURE DE FRANCE:
néceflairement ce nom ; c'en fut affez
pour
déterminer le Poëte Satyrique à facrifier
la réputation d'un homme de nom , & que
d'ailleurs il confideroit. Au refte , le fecond
vers détaché du premier , devient un éloge;
& plus d'une famille , du nombre de celles
qui font comprises dans les trois nouveaux
Volumes , pourroient l'appliquer à juſte
titre à M. de Serigny ; celle de Chapt-
Raftignac , par exemple , & celle d'Orléans
de Rere , pour lesquelles cet Auteur a fait
des recherches prodigieufes qui ont réuffi
à leur avantage
.
par
On trouve dans l'article d'Orléans beaucoup
de chartes & d'anciens fceaux . Il y a
( note a de la page 20 ) une Differtation
curieufe fur la charte de Challo - Saint-
Mard , dont on démontre évidemment la
fauffeté , quoiqu'elle ait été confirmée
plufieurs Rois depuis Philippe de Valois
en 1336. Payen d'Orléans ( pages 20 &
fuivantes ) étoit Bouteiller de France en
1106 ; autre Payen d'Orléans , Chevalier ,
( page 28 ) fe diftingua dans les Croifades
vers l'an 1200 ; & Jean d'Orléans , auffi
Chevalier , ( page 35 ) fous celle de Saint
Louis. Le Pere d'Orléans , célébre Jésuite,
Auteur de plufieurs Ouvrages qui lui ont
acquis un grand nom dans la République
des Lettres , étoit auffi ( page 79 ) de cette
Maiſon.
JUILLET. 1752. 115
L'article de Pracomtal. Corps de preuves
à la fin , depuis l'an 1264 , & plufieurs
fceaux .
Celui de Virieu . Corps de preuves à la
fin , depuis l'an 1108. Un ancien fceau ,
page iv. des preuves.
Quatriéme Registre.
Article d'Aroux de la Serre. Corps de
preuves à la fin.
Celui de Guifcard. L'Abbé de la Bourlie
( page 24 ) fi connu par la fin tragique
qu'il a faite de nos jours en Angleterre ,
étoit de cette Maifon. Corps de preuves
à la fin , depuis 1246. L'acte compris fous
le n° . XLV. eft très curieux.
Celui du Quefnoy . Corps de preuves à
la fin , depuis l'an 1181 .
Celui de Rechignevoifin . L'article de
Jean de Rechignevoifin , auteur du feptiéme
dégré ( pages 14 & fuivantes ) eſt intéreſfant
par les relations intimes qu'il avoit
avec le Cardinal de Richelieu ( pages 16
& 17. ) M. de Serigny a mis à la fuite du
Difcours généalogique toutes les lettres
que ce Miniftre lui écrivit , qui la plûpart
ont rapport au fameux Siége de la Rochelle
Il y dans les trois nouveaux Volumes
beaucoup d'autres articles conſidérables ,
par l'ancienneté des familles qui en font
116 MERCURE DE FRANCE.
l'objet , par leurs fervices & par leurs
alliances.
Il y a à la fin de l'un & l'autre Regiftres
des tables fort exactes , l'une de tous
les noms de famille qui fe trouvent , foit
par alliances ou autrement , répandus dans
les trois Volumes , & l'autre de tous les
noms de terres joints aux noms de famille.
Nous devons obferver que le plan de
l'Ouvrage eft d'y comprendre tout ce qu'il
y a de Nobleffe en France à mesure qu'elle
produit fes titres , Nobleffe ancienne &
moderne , illuftrée ou nom , ne fût - ce
qu'un annobli , Secrétaire du Roy , ou
autre , s'il en a la fantaifie. Ce font les
Regiftres : donc tous ceux qui en joüiffent
'ont droit d'y être compris , & on ne pourroit
en refufer aucun par la feule raifon
que fa Nobleffe eft trop nouvelle . Au
refte , l'ordre alphabétique que l'on garde
dans l'Ouvrage ne permet pas aux anciens
Nobles de fe plaindre du mêlange qu'on
fait d'eux avec la Nobleffe de nouvelle
date .
Une autre obfervation , c'eft que cet
Ouvrage ne peut être fini qu'à force de
fiécles ; ainfi l'on peut affurer qu'il durera
autant que la Monarchie même , puifque
tous les jours il y a des familles que le
Roy annoblit , par Charges , par Lettres ou
JUILLET. 1752. 117
autrement. Ces familles aujourd'hui n'ont
rien à montrer au public ; mais dans le
cours d'un fiécle ou deux feulement , il y
aura eu chez elles des alliances , des fervices
, des illuſtrations , des grands hommes
, des Ducs peut- être ; & ces familles
auront à coeur d'en faire paffer la connoiffance
à la pofterité ; de là de nouvelles
généalogies à comprendre dans les Regiftres
de la Nobleffe par ceux qui pofféderont
alors la Charge de Juge d'Armes
de France. Il nous paroît , & nous l'avons
oui dire à des Généalogiftes habiles , que
M. de Serigny a enfin trouvé la vraye façon
de dreffer des Généalogies ; ceux qui
contiueront l'Armorial de France après lui
ne peuvent rien faire de mieux , ni même
d'auffi bien , que de fuivre fon plan , fon
goût de recherches , fes régles de critique, &
d'imiter fon impartialité & fon courage.
Il eft bon que le public foit averti qu'on
n'a fait tirer les trois nouveaux Volumes
que nous annonçons , qu'à 350 , 300 en
petit papier , & 50 en grand , à la différence
des quatre premiers Volumes , qui
furent tirés dans leur temps chacun à 1200 .
Il arrivera de là que ces trois nouveaux
Volumes deviendront rares ; le Libraire
a déja rencheri chaque Volume de 6 liv.
118 MERCURE DE FRANCE.
RECUEIL de Differtations anciennes &
nouvelles fur les Apparitions , les Viſions
& les Songes, avec une Préface hiftorique
& un Catalogue des Auteurs qui ont écrit
fur les efprits , les vifions , les apparitions,
les fonges & les fortiléges ; par M. l'Abbé
Lenglet du Freſnoy. A Avignon , & ſe
trouve à Paris , chez Leloup , Quai des
Auguftins 1752. 2 vol . in- 12 en quatre.
parties.
Ce Recueil vient très-bien après le Traité
hiftorique & dogmatique fur les apparitions
, &c. & il réſulte de ces deux Ouvrages
un tout bien complet fur une matiere
auffi importante. L'Auteur réduit , après
les Théologiens , les apparitions à quatre
chefs : 1 °. les apparitions vifibles aux yeux
du corps ; 2 ° . celles qui font fenfibles par
l'oüie ; 3. d'autres font connues feulement
par l'imagination ; 4° . les dernieres.
réfident uniquement dans l'efprit , c'eſtà-
dire dans l'intelligence.
L'Auteur , de la nature des différentes
fortes d'apparitions , paffe aux objets qu'elles
repréſentent , il les réduit à fix : 1º .
la Divinité même ; 2 ° . les bons Anges ;
3 les mauvais Anges ou les Démons ;
4. les Ames bienheureufes ; 5. les Ames
qui font dans la peine , mais avec eſpérance
d'en fortir ; 6 °. les Ames réprouvées
JUILLET. 1752. 119
1
condamnées aux peines éternelles.
Les caufes des apparitions font en affez
grand nombre ; la premiere fert à faire
connoître l'état des ames féparées de leurs
corps ; la feconde eft d'inftruire & confirmer
les Fidéles dans la foi ; la troifiéme
eft le fecours & la confolation que la Divinité
a réfolu d'accorder aux vivans ; la
quatriéme eft d'annoncer des choſes futures
, utiles au falut des ames ou à la gloire
de Dieu ; la cinquiéme eft de prédire au
Fidéle le tems de fa mort , & l'engager
par là à fe difpofer à bien mourir , la
fixiéme eft la guérifon des malades ; la
feptiéme eft de reprendre ou punir les
hommes des fautes commifes contre Dieu
même ; la huitiéme eft de révéler les endroits
où font les reliques & les corps des
Saints , & engager par là les Paſteurs à les
placer d'une maniere convenable au culte
de la Religion .
M. l'Abbé Dufresnoy joint aux recherches
qu'il lui a fallu faire pour compofer
fon Ouvrage , de la critique & de la Philofophie
; les régles qu'il prefcrit pour rejetter
ou pour admettre des apparitions ,
nous ont paru fort fages.
TRAITE' de l'Ortographe françoife en
forme de Dictionnaire, enrichi de notes cri120
MERCURE DE FRANCE.
tiques & de remarques fur l'étymologie &
la prononciation des mots , le genre des
noms , la conjugaifon des verbes irréguliers
, & les variations des Auteurs. Quatriéme
édition , confidérablement augmentée
, revûë & corrigée par M. Reſtaut ,
Avocat au Parlement & aux Confeils du
Roy. A Poitiers , chez Faulcon , & le trouve
à Paris , chez Martin , ruë S. Jacques ,
1752. Gros volume in.8°.
L'Ouvrage dont nous annonçons une
nouvelle édition , eft parfait en ſon genre
depuis que M. Reftaut , un de nos meilleur
Grammairiens, l'a corrigé & augmenté.
Il n'a rien de trop ni de trop peu ; les
jeunes gens en ont un befoin indifpenfable
, & il fera très - utile aux autres .
POESIES facrées de M. Lefranc , divifées
en quatre Livres , & ornées de figures en
taille -douce. A Paris , chez Chaubert ,
Quay des Auguftins. Un volume in - 8 ° .
On voit à la tête de ce beau Recueil un
Difcours qui annonce un Ecrivain profond
dans la connoiffance des Langues , de l'antiquité
, des Livres faints , & de la Science
Eccléfiaftique . M. Lefranc ne s'eft pas borné
à y tracer le caractere des genres de Poëfie
qu'il a traités , il y a rendu à la religion
un hommage qui fait honneur à fon coeur
& à fon efprit.
Dicu
JUILLET. 1752 121
Dieu ( dit- il ) a lui - même infpiré la
Poëfie aux hommes ; il a voulu que pour
célébrer les grandeurs , fa puiffance , fes
miféricordes , fa bonté , que pour exprimer
fa colere , fon indignation , on fe fervît
d'un langage figuré , hardi , mélodieux ,
affujetti à des mefures fonores & cadencées
, qui le diftinguaffent de la marche
unie du difcours ordinaire & commun . Il
a dicté des vers à Moïſe , à David , aux
Prophétes , & même au malheureux Job ,
fuivant S. Jerôme. Un art dont l'origine
remonte au fouverain Créateur , eft un
art infiniment précieux ; l'abus qu'en ont
fait l'idolâtrie , le libertinage & l'impiété
ne deshonore que les profanateurs de cette
invention fublime ; c'eft la ramener à fa
deftination primitive que de la consacrer
à des objets inftructifs ou édifians. Quelque
imparfaites que foient donc à certains
égards les Poëfies facrées , on doit toujours
applaudir à l'intention des Auteurs . Ceux
qui réuffiffent le plus médiocrement dans
ce genre , n'ont pas du moins à s'imputer
d'avoir par leurs Ecrits étouffé dans de
jeunes coeurs les femences de la vertu ou
les principes de la religion . Quoi qu'en
difent les plaifans du fiécle , il vaut mieux
ennuyer fon prochain que le corrompre
oa le pervertir.
122 MERCURE DE FRANCE.
Je fçai qu'une pareille doctrine aura pen
de fectateurs ; elle cût été fupportable du
tems de nos peres ; c'étoient de bonnes
gens qui croyoient de vieilles vérités , &
qui ne marchoient pas comme nous à pas
de géans dans le pays des découvertes ; ils
rêvoient des mots , nous penfons des chofes.
Les fictions des hommes ne nous en
impofent plus ; c'eft aujourd'hui le fiécle
de la Philofophie , tout eft à préfent Philofophe
; expliquons - nous , tout prétend
J'être. Notre profe & nos vers retentiffent
de ces grands mots , Philofophie , fagefle,
vérité , vertu on diffipe nos préjugés ,
on éclaire nos efprits . Quelle lumiere affreufe
, ou plutôt quelles ténébres ! Pour
allumer le flambeau de la Philofophie , on
éteint celui de la foi : la Religion Naturelle
eft l'unique religion des prétendus
honnêtes gens du monde ; le Déïlme a levé
le mafque , il paroît à découvert dans des
Livres accrédités : Phyficien , Naturaliſte ,
Aftronome , Métaphyficien , Géométre ,
Moralifte , chacun dans fon diftrict s'érige
un tribunal fuprême , où il examine , apprécie
, calcule , péfe des caules qu'il ne
voit point , des effets qu'il ne voit qu'à
demi . Les opérations myftérieufes de la
Divinité font mefurées le compas à la
main ; on difcute les Livres divins comme
JUILLET. 1752. 123
une queſtion de Phylique ou comme un
point d'Hiftoire ; Moife n'eft pas mieux
traité que Defcartes. Phyficiens de mauvaife
foi , dont les expériences fur le même
fait font détruites par des expériences contraires
. Philofophes aveugles , Artiftes impuiffans
, qui ne fçauroient expliquer la
manoeuvre d'une fourmi , imiter le nid
d'un oifeau , & qui veulent foumettre à
leurs obfervations incertaines , à leurs chi
meres métaphyfiques , celui même qui
leur donna la faculté de penfer & de raifonner.
1.as
J'oferai dire plus , & je ne craindtai
as de déplaire à ces puiffans génies ar
rivés de nos jours fur la terre pour l'éclairer
, un incrédule eft néceffairement un
mauvais Logicien ; je fuppofe pour un moment
que ce foit un Philofophe très -accoûtumé
non feulement à tirer des conféquences
& à former une chaîne de railonnemens
qui dérivent d'un principe connu ,
mais encore à s'élever de conféquence en
conféquence à des principes cachés ; s'il
oublie fa méthode dans une matiere, bien
plus digne de fes méditations que la Philofophie
profane , & fi d'une vérité inconteftable
, telle que l'existence d'un Etre
infini , il ne deſcend pas par une fuite
d'argumens naturels qui naiffent l'un de
Fij
124 MERCURE DEFRANCE.
l'autre , aux vérités & aux pratiques de la
religion ; ce n'eft plus qu'un efprit faux ,
ou qu'un raisonneur dangereux , qui aban
donne volontairement les régles fondamentales
de fon art.
Un des plus beaux génies de l'univers ,
fi on peut donner à un Saint des loüanges
purement humaines , l'Apôtre des Nations,
difoit aux Romains , moins en Prédicateur
de l'Evangile qu'en Philofophe fenſé , en
Dialecticien très - exact : Les grandeurs invifibles
de Dieu deviennent en quelque façon
vifibles dans les chofes qu'il a créées , & qui
font fous nos yeux depuis le commencement
du monde. Ce qui rend inexcufables les Idolâtres
même , juftifiera- t'il des Chrétiens ?
Déplorons une fcience qui n'eft qu'erreur ,
une fageffe qui n'eft que folie.
Le Difcours préliminaire eft fuivi d'Odes,
de Cantiques , de Prophéties & d'Hym
nes. L'Auteur parle alternativement dans
ces différens Ouvrages le langage de l'ima
gination , du fentiment , de la raiſon , &
toujours celui de la religion & de la Poëfie.
Son ftyle nous a paru pur , élégant
& naturel ; ſes rimes riches & variées ,
fa verfification facile & nombreuſe , fes
tours nobles & heureux , fes images bien
choifies & bien renduës. M. Lefranc eft
tendre , fublime , pathétique , felon les
JUILLET. 1762. 125
fujets qu'il traite & le génie des Ecrivains
infpirés qu'il a entrepris de rendre . Nous
voudrions pouvoir mettre fous les yeux
de nos Lecteurs une Piéce de chaque
genre traité dans le Recueil que nous
annonçons , mais les bornes de ce Journal
ne le permettent pas ; nous nous bornerons
à tranfcrire le chapitre premier de la
Prophétie d'Habacuc que nous prenons
au hazard .
Vfquequò , Domine , clamabo , & non exaui
dies ? vociferabor ad te vim patiens , & non
falvabis ?
Se peut -il que ma voix , Seigneur , vous impor
tune ?
Etes-vous infenfible aux cris de l'infortune ?
Aux larmes d'un mortel qu'épuiſent ſes tourmens ?
Hélas ! vit- on jamais des Tyrans plus barbares ,
De plus durs Magiftrats , des Riches plus avates ,
Et fi peu de juftice , & tant de jugemens ?
Par d'indignes Arrêts les Loix font violées.
La candeur , l'innocence aux crimes immolées ,
Confultant fans fuccès un oracle vénal ,
L'Equité tout en pleurs briſe fon Trône augufte ;
Le méchant , dont la brigue a triomphé du Juſte ,
Digne de l'échafaud , s'affied au Tribunal,
Peuple vil , la trompette fonne ,
La Guerre embraſe l'univers ;
1
Fij
26 MERCURE DE FRANCE.

"
t
.
Voi ces Nations , & friffonse
Au bruit des chaînes & des fers.
Tu me braves , rien ne t'arrête ;
Le châtiment que je t'aprête ,
Nuls fleaux ne l'ont égalé ;
Et dans ta malheureufe hiftoire
L'avenir aura peine à croire
Les maux qui t'auront accablé.
Pour détruire la race ingrate
Que je protégeai fi long - tems ,
Des bords du Tygre & de l'Euphrate
J'appellerai les Habitans :
Nation terrible & féroce ,
L'injuftice la plus atroce
N'eft qu'un jeu de fes cruautés,
Et fon impétueufe rage
En un inftant pille & ravage
Les Royaumes épouvantés.
Ses Courfiers fondent fur la plaine ,
Plus légers que des léopards ;
Couverts d'écume , leur haleine
Souffle le feu de toutes parts :
Le vol de l'aigle eft moins rapide ,
Dans la nuit fur un fable aride
Les lions font moins furieux ;
Et je vois un Peuple innombrable ,
Du Roy qui l'enchaîne & l'accable
Suivre le char viЯorieux,
JUILLET. 1752. 127
Par-tout il laiffera des marques
De fes effroyables tranfports ,
Il le rira de vos Monarques
Vaincus dans leurs murs les plus forts.
Mais bientôt ce Tyran fuperbe ,
'Abruti , tempera fur l'heibe ,
Errant & profcrit en tout lieu ;.
Seul monument de fa victoire ,
C'est là qu'aboutira fa gloire-
Et la puiffance de fon Dieu.
Mais vous êtes le mien , Dieu puiffant que a
dore ,
Vous le futes toujours , & le ferez encore ;
Nous vivrons : Ifraël attend votre retour .
Ce Prince deſtiné pour punir nos offenſes ,
Ce Miniftre de vos vengeances ,
En fera l'objet à fon tour.
Vos yeux font purs , vos yeux font effrayés du
crine ,
Et vous fouffrez , Seigneur , que l'Idolâtre opprime
Des hommes moins cruels , moins injuftes que lui ,
Sous la marche écrafés comme d'humbles reptiles !
Sommes-nous devenus des Peuples inutiles ,
Rebuts de l'univers , fans maître & fans appuit
Ce farouche Vainqueur autour de lui raffemble
Des milliers de Captifs qui gémiffent ensemble ,
Qui tombent à fes pieds , ou meurent à fes yeux
F. iv.
128 MERCURE DE FRANCE.
Il s'enyvre d'orgueil en contemplant fa proye ;
Et dans les vains tranfports de fon horrible joye
Il infulte la Terre , & provoque les Cieux.
Auffi n'eût- il jamais de Dieu que fon épée :
Ce fer par qui la terre eft fi fouvent frappée ,
Reçoit l'hommage impur de fes voeux ſatisfaits :
C'est par le fer qu'il régne , & ce monſtre ſauvage
Raffafié de pleurs , engraiffé de carnage ,
Boit le fang des mortels , & vit de fes forfaits.
ORATIO die natali trigefimo Patris
Patria Augufti Frederici V , Regis Dania &
Haunia.
Le but de l'Orateur , Recteur de l'Univerfité
, dans le difcours que nous annonçons
eft de faire le tableau de l'amour du
Roi de Dannemark pour fes fujets . Après
avoir rapporté en abregé les fentimens de
quelques Auteurs fur l'origine & fur la
forme des différentes efpeces de Gouvernemens
, il s'arrête à cette penfée de Seneque
, que les Rois ont été appellés les peres
de la Patrie , afin qu'ils fçuffent que la
puiffance qu'ils ont fur leurs fujets n'eſt
pas différente de celle qu'un pere a fur fes
enfans dont il doit préférer les intérêts
aux fiens , ou plutôt dont les intérêts ne
font pas différends des fiens . Selon cette
idée il entreprend de faire voir qu'il n'y
JUILLET. 1752. 129
a point de pere qui aime plus fes enfans
que le Roi de Dannemark aime les fajets .
Un pere , dit -il , confie de l'argent à fes
enfans pour les accoûtumer de bonne heure
à prendre foin de leurs affaires domeftiques
; le Roi pour exciter l'induftrie des
Iflandois , & pour les mettre en état de
s'appliquer à la pêche qui fait la meilleure
partie de leurs richeffes , a répandu dans
cette île une fomme de dix mille impé
riaux imperialium , fomme immenſe pour
un Pays, où le commerce ne fe fait que par
échanges , & dont les habitans ne conoiffoient
prefque d'autre argent que les poiffons
& les agneaux . Pour protéger le
commerce de les fujets dans les Indes &
fur les côtes d'Affrique , il y envoye de
tems en tems , & à fes dépens , quatre
vaiffeaux de guerre , qu'il prête , pour ainfi
dire , aux Négocians pour augmenter
leurs richeffes , il décharge d'une partie
de leurs impôts les habitans de la campagne
, qui avoient été ruinés par la pefte de
leur beftiaux qu'une maladie contagieufe
leur avoit enlevés. Enfin fon amour paternel
à l'égard de fes fujets ne fe borne pas
feulement à leur prêter fans intérêt de l'argen:
pour le procurer le néceffaire mais
encore pour le donner le commode & le
fuperflu . L'amour d'un pere pour fes en-
>
Fiiij
130 MERCURE DE FRANCE :
fans paroît principalement dans l'éduca
tion qu'il leur donne : or c'eft en cela que
le Roi de Dannemark furpaffe tous les peres.
Sans parler des Académies & des différens
Colléges qu'il a fondé , & où l'on
cultive toutes les parties de la Littérature.
Il a doté une Académie de Peinture , &
il donne tous les ans un fonds pour faire
faire la deſcription des anciens monumens.
En un mot fes bienfaits de répandent fur
Tous les Arts , & il excite dans fes Etats
une émulation utile. Nous ne fuivrons.
point l'Orateur dans tous les détails de l'amour
du Roi de Dannemark pour fes fujets
, on doit les lire dans le difcours même
où font rapportés avec exactitude tous
les établiffemens que le Roi de Dannemarck
a fait pour le bien de fon Royaume.
Ce difcours , quoique fort court ren-
Ferme pourtant plus de chofes que la plupart
des autres difcours latins que nous.
avons eu occafion de lire , parce qu'on s'eft
plutôt attaché à rapporter avec fimplicité ,
des fairs remarquables : qu'à érendre des
riens avec emphafe . C'eft le difcours d'un
cytoyen vivement pénétré de la bonté de
fon Roi. L'amour & la réconnoiffance en
ont dicté les expreffions . On ne peut le lire
lans une espéce d'attendriffement à la
vue d'un Roi qui fait confifter fon bonJUILLET.
17521 737
·
¿
Beur à faire celui de fes fujers dont il eſt
Fidole. Les lieux communs , le langage de
la flatterie ne fe trouvent point dans fes
diſcours , c'est par des faits qu'on a loué le
Monarque , & c'eft la feule maniere dont
un Roi puiffe être loué .
PANEGYRIQUE de la Bienheureufe
Jeanne de Chantal , Fondatrice de l'Or
dre de la vifitation , prononcé à la Solemnité
de fa Béatification dans l'Eglife du
Couvent de Sainte-Marie de Meaux , le
4 Mai 752 , par M. l'Abbé Seguy , Chanoine
de l'Eglife de Meaux , l'un des Quatante
de l'Académie Françoife. A Paris ,
chez Prault , pere , quai de Gêvres 1752.
:
Ce difcours , d'un Orateur qui a excellé
dans les Pänégyriques , eft bien envi--
fagé , bien diftribué , écrit d'un ftyle noble
& nombreux . Des avantages fi confidé
rables , font cependant peu de chofe en
comparaifon du talent qu'a fupérieurement
M. l'Abbé Seguy de faire aimer la Reli
gion & la vertu. On jugera par trois traits
que nous allons rapprocher fi nous nous
fommes formés une jufte idée de l'Ouvra
ge que nous annonçons.
» Alors parut dans la chaire de Dijon un
homme incomparable , que les preffantes
follicitations de toute la Bourgo-
Fy
132 MERCURE DE FRANCE .
» gue avoient comme arraché pour quel
» ques tems du théâtre ordinaire de fes
» travaux ; un homme , l'exemple & l'or-
» nement de fon fiécle , le Héros de la
» douce perfuafion pour le feul intérêt de
» la vertu , l'aimable Prédicateur de la
» voye du falut qu'il fembloit élargir >
tant il y faifoit marcher avec joye ;
» le glorieux éleve de la piété , fouvent
» deshonorée par des coeurs indignes d'el-
» le ; le plus droit de tous les hommes , le
» meilleur de tous les coeurs , le modele
» des juftes , la reffource des Pécheurs , les
» délices de tous , en un mot Saint Fran-
» çois de Sales » . . . .
93
Ce grand Saint donna à Madame de
Chantal la regle qu'on fuit dans la Congregation
de la vifitation . » Regle , dit
l'Orateur , qui commençant par fou-
» mettre , fuivant l'ancienne difcipline de
l'Eglife l'ordre entier à la jurifdiction
» naturelle des Evêques Diocéfains , tient,
» quant à les préceptes , un jufte milieu
» entre le relâchement nuifible à l'ame , &
» l'excès deftructeur du corps ; regle peu
tendante au merveilleux , infiniment au
» folide ; fouverainement jaloufe de l'in-
» térieur en même tems qu'elle a foin de
» l'extérieur;ennemie par fa nature de l'infenfé
Pharifaifme qui anéantit l'Evan-
ور
JUILLET. 1752. 133
ود
و ر
gile en faifant grace aux vices de l'efprit
, pourvû qu'on évite ceux des fens.
» Une Regle également aimable & pure ,
» fondée fur le grand principe de là charité
fraternelle , de la douceur ; & dont
» les pratiques n'ont rien d'effarouchant
» pour la foibleffe de l'humanité ; mais
» qui par la mortification du coeur , par
» l'obligation d'être toujours occupée , par
» le facrifice continuel de la volonté
"propre , par l'abfolue defappropriation,
" par l'uniformité conftante d'exercices
» journaliers impofée à l'inconftante na-
»ture , tend toute à fa perfection , fous
» l'apparence d'une vie affez commune.
" Une Regle , qui pour ôter à l'amour
"propre du moins fes appuis fenfibles , fi
» on ne peut les lui ôter tous , ne fouffre
» nulle diftinction féculiere , nulle prérogative
ou d'efprit ou de naiffance , parce
qu'elle ne connoît avec Jefus Chrift
d'autre avantage que l'humble vertu , &
» dont la conftitution accoûtumée à ce
goût d'égalité , par l'habitude d'être toujours
enſemble comme une nombreuſe
» famille. Une Regle qui par une fuite de
l'efprit de zéle & de charité dont elle
» eft l'ouvrage , foutenables aux fantés dé-
» licates , aux tempéramens , aux fujets
divers , ne refuſe ni vieilleffe , ni état
»
"
ود
33
34 MERCURE DE FRANCE.
de viduité , ni état d'infirmité ; & qu
» du refte , tenant ferme fur fes moindres
obſervances , de peur du relâchement ",
» veut qu'on ne regarde fous fon joug.
» rien comme peu confidérable , hors foi
» même ».
Cette Regle annonce un gouverne
ment modéré. » La douceur , dit M. l'Ab
» bé Seguy , eft au fond le grand efprit de
>> votre Regle , Vierges Chrétiennes ; la
» douceur a pour perfuader le bien une
» force fupérieure à celle de la raifon même
, fupervenit manfuetudo & corripis
mur , Pfalmo 89 , la douceur a de tour
tems gagné plus de coeurs que les plus.
fiers conquerans n'ont fait d'efclaves ,
non pas cette douceur de fimple ton &
de feules manieres extérieures ; cette
» douceur de la plupart des mondains empreffés
de fe voir, de fe chercher récipro-
» quement , fans amitié , fans eftime mê
" me : cette douceur fouvent fans entraik-
» les , fouvent compatible avec les fécre
tes indignités de la haine la plus noire
>> & la plus honteufe ; mais cette douceur
qui eft bonté réelle , effective ; cette
» douceur que produit la charité , pleine
des fentimens dont elle eft la fource.
" La Mere de Chantal s'appliquoir à inf
pirer à fes Religieufes une fainte joye
JUILLET. 1752. 2.3.5
qui leur faifoit fervir le divin Maître
» fans contrainte , par l'effet d'un attrait
» aimable heureulement confondu avec
le devoir ».
TRAITE' d'Optique , où l'on donne
la théorie de la lumiere dans le fyftême
Newtonien , avec de nouvelles folutions.
des principaux Problêmes de Dioptrique
& de Catoptrique. A Paris , chez Durant
& Piffot , 1752 , I vol . in-4°. Nous parlerons
de cet important Ouvrage dans le
prochain Mercure.
JUSTIFICATION des Mémoires:
de l'Académie Royale des Sciences de
1744 , & du livre de la figure de la terre
déterminée par les obfervations faites au
Pérou fur plufieurs faits qui concernent
les opérations des Académiciens par M.
Bouguer. A Paris chez Jombert , rue Dauphine
, 1752. in-4°. PP. 54 .
Toute l'Europe jouit du fuccès des travaux
de Meffieurs Godin , Bouguer & la
Condamine , & l'utilité de leurs obfervations
a été univerfellement reconnue. Les
trois célebres Académiciens ont contribué
à ce qui s'eft fait d'important durant ce
voyage ; mais il y a des nuages fur la pare.
qu'ils y ont eu. Ceux qui font curieux de
136 MERCURE DE FRANCE:
fçavoir quel eft précisément le dégré de
gloire qui appartient à chacun de ces célébres
Aftronomes peuvent confulter les
pieces du procès , & en particulier le Mémoire
que nous annonçons .
OBSERVATIONS phyfiques & mé
décinales fur les eaux minérales d'Epoigny
, de Pourain , de Dige & de Toucy
aux environs d'Auxerre avec une confultation
à l'uſage de ceux qui en boivent.
Par M. Berryer , Confeiller Médecin ordinaire
du Roi , Intendant de ces eaux
minérales , Correfpondant de l'Académie
Royale des Sciences de Paris , & Membre
de la Société des Sciences & Belles Lettres
d'Auxerre . A Auxerre chez F. Fournier,
Imprimeur de la Ville , & c. 1752:
in- 12.
On trouve dans le petit livre que nous
annonçons le réſultat des expériences
Chymiques faites far ces quatre fontaines
d'eaux minérales , d'où il fuit qu'elles font
toutes ferrugineufes , mais que la fontaine
de Toucy fituée à fept lieues & demie
d'Auxerre , eft plus légére , qu'elle contient
bien plus de parties minérales
qu'on en retire plus de fel & qu'enfin elle
fe conferve plus long- tems , fans rien
perdre de fon activité. Elle eft d'ail
JUILLET. 1752. 137
leurs fituée dans un lieu fort agréable
; mais il eft encore plus commode
' de boire ces eaux à Auxerre , où M.
Berryet à qui l'on doit la découverte de
cette fontaine , a établi un bureau pour
leur diftribution ; afin qu'on puifle être)
affûré de les avoir en très -bon état . Il
prouve enfuite par quatorze obfervations
de pratique que ces eaux font excellentes
pour rendre le fang plus fluide , & en
faciliter le mouvement , pour rétablir le
ton des vaiffeaux & des viſceres , & pour
entraîner les matieres étrangeres qui peuvent
y caufer quelqu'engorgement , furtout
le gravier qui fe forme dans les reins,
& qui y caufe des douleurs fi violentes.
Il explique auffi la maniere dont les malades
doivent fe conduire en buvant ces
eaux. M. Chycoineau dit dans fon approbation
que l'Auteur de cette differtation
est également verfé dans la théorie
& la pratique de la Médecine ; qu'il eft
très-capable de mettre dans un grand jour
les eaux minérales des environs d'Auxerre
, de la direction defquelles il eft pourvû
, & dont l'uſage ne peut être que d'un
très-grand fecours pour la guérifon de plufieurs
maladies , furtout lorfque les malades
feront dirigés par un Médecin auffi
éclairé
que M. Berryet, L'Approbation de
138 MERCURE DE FRANCE.
l'Académie Royale des Sciences lui eft
auffi favorable.
MEMOIRE fur l'huile de Pétrole en
général , & en particulier fur celle de Ga
bian , lû à l'Académie des Sciences & Bel
les- Lettres de Beziers , approuvé par l'U
niverfité de Médecine de Montpellier , &
imprimé par l'ordre de M. de Bauffer de-
Roquefort' , Evêque & Seigneur de Beziers.
A Beziers , chez François Barbu
Imprimeur du Roi & de M. l'Evêque ,
1752 , in- 4°.
Će Mémoire curieux & encore plus utile
eft du à M. Bouillet , Médecin Sécretaire
de l'Académie des Sciences & Belles
Lettres de Beziers , & Correfpondant
de l'Académie Royale des Sciences de Paris.
Il a cru devoir informer le Public que
la fontaine de Gabian qui fourniffoit une
très grande quantité d'huile de Pétrole ,
ayant paru tarie , M. l'Evêque de Beziers
y a fait faire de fi bonnes réparations que
cette huile minérale coule maintenant avec
aflez d'abondance pour en envoyer nonfeulement
par tout le Royaume , mais même
dans les Pays étrangers. On le donne
dans des bouteilles bien bouchées & cachetées
aux armes de M. l'Evêque de Beziers
qui eft Seigneur de Gabian en fortë.
JUILLET. 1752. 139
qu'on peut être sûr de l'avoir très- pure &
très-naturelle . M. Bouillet avertit qu'elle
ne perd rien de fa vertu par le tranſport.
Il rapporte ce qu'on connoît jufqu'à préfent
de la nature de cette huile , il la compare
avec le naphie , & croit qu'elle lui
eft analogue. Il trouve auffi qu'elle a les
mêmes vertus que celles que les Anciens
attribuoient à cette derniere fubftance
c'eſt- à- dire qu'elle eft balfamique , apéritive
, diurétique , diaphorétique , vermifuge
, emmenagogue , antifpafmodique ,
anodyne , antihystérique , & qu'appli
quée à l'extérieur elle eft très refolutive. Il
entre dans un détail fort inftructif à ce
fujet , & il fait différentes obfervations
qui lui donnent lieu de conjecturer quel'ufage
de l'huile de Pétrole pourroit être
encore beaucoup plus étendu ; mais c'eſt
à l'expérience à confirmer fes doutes.
L'ARITHME'TIQUE reſtrainte à
l'addition , & c. par P. J. Cofte . A Paris ,
chez de Bure l'aîné , quai des Auguftins ,
1752 , I vol. in- 16. Ꮮ
Cer Ouvrage eft fondé fur la regle du
cent , c'est -à- dire que tout y eft fuppofé
à cent livres , au moyen de laquelle fuppofition
& d'un tarif de cent , on réfout
avec le fecours de plufieurs petites tables,
140 MERCUREDE FRANCE.
une infinité de queftions aritméthiques ,
curieufes & utiles , on y trouve de plus le
moyen de réfoudre par l'addition une régle
qui n'eft foluble que par l'algebre.
Celivre , qui eft in - 16 & portatif , paroît
pouvoir être utile dans le commerce
& dans la Finance , furtout dans les calculs
longs & pénibles , où il entre des
multiplications & divifions , comme dans
les contributions & répartitions au fols
& marc la livre , ainfi que dans les calculs
d'intérêts pour plufieurs années , mois &
jours , lorfqu'il fe rencontre dans ces fortes
de calculs des années & portions d'année
fans déduction , d'autres avec déduction
du dixiéme denier , d'autres avec déduction
des deux fols pour livre de ce
droit , & d'autre avec déduction du vingtiéme
denier , même du cinquantiéme denier.
Les perfonnes qui commercent à tant
pour cent de bénéfice ou de perte, foit endedans
ou en dehors du principal y trouveront
le moyen de réfoudre ces fortes
de calculs par l'addition , & avec la der
niere facilité.
Les Arpenteurs & Teifeurs y trouveront
une nouvelle methode pour la multiplication
du toifé .
Et ceux qui défirent avoir une conJUILLET
. 1752. 141
noiffance du Calendrier y trouveront un
nouveau Calendrier perpétuel , qui quoique
court, contient plufieurs chofes qui fatisferont
le lecteur curieux fur cette matiere.
RECUEIL de pieces en profe & en vers,
lues dans les affemblées publiques de l'Académie
Royale des Belles Lettres de la
Rochelle. A Paris , chez Thibouft , Place
de Cambray, 1752. un volume in -8°.
Le Recueil que nous annonçons commence
par un difcours fur le gout trop
vif qui regne dans la litterature pour les
chofes de pur amuſement. Ce morceau
nous a paru fi fagement penfé , & écrit
d'un fi bon goût que nous n'avons pû réfifter
à la tentation de le donner tout énrier
dans le Mercure.
La Differtation fur les caufes & les fuites
de l'esclavage chez les Romains , les
Gaulois & les Francs , & fur les moyens
employés en France depuis plufieurs fiécles
pour y ramener la liberté , eft curieufe :
M. Artus nous paroît bien capable d'approfondir
cet important fujet , & nous
ofons l'y inviter.
Les réflexions fur l'impieté, par le Pere
Lombard , Jeſuite , font un très- bon préfervatif
contre les fophifmes des incrédules.
Un peu plus de naturel dans le ftile
142 MERCURE DE FRANCE.
un peu plus de fuite dans les raiſonnemens
, un peu plus de modération dans
la controverfe , auroit rendu l'ouvrage
plus utile .Que ceux qui ont le malheur d'a
voir perdu la foi fe permettent dans leurs
écrits des ornemens recherchés , des écarts
& de l'aigreur , c'eft une fuite prefque néceffaire
de la foibleffe de leur cauſe . I1.
nous convient d'éviter ces défauts à nous
qui marchons d'un pas fi ferme dans le
chemin de la vérité. M. de Fenelon , &
M. l'Evêque Dupuy doivent fervir de mo
dele aux Apologiftes de la Religion .
Le Pere Lombard fait dans un ouvrage
mêlé de profe & de vers l'Hiftoire des
complimens : il décrit leur naiffance , leus
éducation , & leur destinée. Après un détail
ingénieux de ce qu'ils ont d'odieux ,
de bas & de ridicule , l'Auteur ajoute : 1
feroit bien à fouhaiter pour nous & pour
les autres que nous n'euffions jamais be
foin de recourir au verbiage des compli
mens. Mais cela fuppoferoit un fond inét
puifable de fentimens , & nous fommes
malheureuſement à cet égard dans une efpece
d'indigence . Je comparerois nos complimens
à ces dehors d'opulence fous lefquels
fe produit une nobleffe ruinée &
prefque dégradée , pour cacher la réalité
d'une pauvreté humiliante. Il feroit dan❤
JUILLET. 17527 143
pagereux
de profcrire le commerce des
roles fateufes , il tient fouvent aux bienféances
, & les bienféances mafquent les
défordres de l'ame au profit des moeurs.
De deux rivaux l'ingénieufe adreffe
Dérobe aux yeux leurs jaloufes fureurs :
Je rends grace à la politeſſe ,
Qui jette un voile fur leurs coeurs.
Ce perfide qui me careffe
Pour guider le fer dans mon fein ,
Qui fous un mafque de tendreffe ,
N'eft qu'un plus cruel aflafin :
Dieux protecteurs de ma foibleffe !
La foudre doit fous votre main .. :
Mais pourquoi du tableau furcharger la peinture
Du vicieux déguifer les portraits ,
C'eft du vice émouffer les traits ;
Envain la candeur en murmure ,
Ce voile au moins bannit l'exemple des forfaits,
Ainfi de la vertu les fouverains attraits
Et
Pour le coeur même qui l'abjure
Ont toujours des charmes fecrets :
pour l'honneur de l'humaine nature
On exige du compliment
Qu'il ait recours à l'impofture ,
Qui le revet de la parure
Et des dehors du fentiment.
La differtation de M. de Chaffiron fur
144 MERCURE
DE FRANCE
.
les Tragédies-opéra , a été impriméo autrefois
dans le Mercure. On la trouva écrite
avec foin , & remplie de chofes bien vues.
Nous ofons affurer l'Auteur qu'on verroit
avec plaifir des réflexions fur les ballets ,
pourvu qu'elles fuffent du ton de celles
dont nous rappellons au Public le fouvenir.
On trouvera dans le Mémoire
de M.
Mercier du Paty fur lesBouchots à moules
beaucoup de chofes nouvelles fur la nature
& la forme de ces coquillages
. Trois
planches magnifiquement
gravées aideront
à comprendre
la ftructure des moules , leur
fituation entr'elles , la maniere dont on les
raffemble
dans des clayes élevées fur le
bord de la Mer , & dont on en fait la pêche.
M. Girard de Villars prouve dans fon
Mémoire fur les qualités de l'If, que l'ombre
de cet arbre n'eft point dangereux ,
& que le fruit n'en eft pas pernicieux aux
oiſeaux , comme les Anciens , Pline fur
tout, l'avoient avancé. Cependant il convient
avec tous les Auteurs que les feuilles
& les jeunes branches de cet arbre font
un poifon violent pour les chevaux . Il en
a diffequé quelques - uns qui en étoient
morts , & il conclut de fes obfervations
que ce poifon eft corrofif. Il a éprouvé
aufi
JUILLET. 1752. 145
uffi que la thériaque délayée dans du vin
étoit un très-bon remede contre ce poifon.
L'éloge de M. Jaillot de l'Oratoire , pat
M. Arcere de la même Congregation eft
plein de chaleur. Les vertus du mort ont
fait fur fon Panegyrifte une impreffion
profonde également honorable pour tous
les deux .
Des deux Odes de M. Arcere fur l'air ,
& fur le danger des fpectacles ; la feconde
qui a été couronnée à Toulouſe , nous paroît
la meilleure ; nous n'en citerons qu'une
trophe.
J'apperçois une Reine au fein de l'indolence.
A fes pieds font les foins & les tendres foupirs ;
Son trône eft entouré des Jeux , de l'Eſpérance
Plus piquante que les Plaifirs.
Souveraine elle doit fa grandeur à fes charmes ;
Elle fçait triompher fans combat & fans armes;
Ses appas lui fervent de traits ;
Elle étend fon pouvoir fur la terre & fur l'onde ;
'homme eft né fon efclave , & les maîtres du
monde ,
Les Rois , font fes premiers fujets.
L'apologie d'Eleonor , Ducheffe d'Aquitaine,
par M. Arcere, nous paroît adroite &
ingénieufement écrite. Si toute l'Hiftoire
de la Rochelle , dont le morceau que nous
G
146 MERCURE DE FRANCE .
annonçons eft un fragment , étoit travail
lée avec le même foin , ce feroit un ouvrage
agréable .
Le mémoire du P. Valois Jefuite , fur le
Sel marin renferme des détails inftructifs.
fur la conftruction des Marais falains , &
fur la maniere dont le Sels'y forme. Nous
n'avions rien d'aufli exact fur ce fujet . Les
conjectures de ce Phificien fur la nature &
les propriétés du Sel marin nous ont paru
bien préſentées.

On lira avec plaifir cinq Odes facrées
de M. de Bologne. Ce Poëte réunit deux.
avantages affez rares , le naturel & l'harmonie.
Voici la premiere de ces Odes , elle
eft tirée du Pleaume , Beatus vir qui non
abiit.
Heureux celui qui plein d'horreur
Pour les maximes dangereuses ,
Fuit loin des routes tenebreuſes ,
De l'injuftice & de l'erreur !
Heureux qui dans la vérité
Inftruit par le fouverain maître ,
Fait fon bonheur de le connoître
Et d'accomplir fa volonté !
Tel qu'un arbre majeſtueux
JUILLET .
147 1752.
Aux bords d'une eau délicieuſe
Brave la fougue audacieuſe
Des Aquilons impétueux.
**
A tous les traits de fes jalouz
'Ainfi le jufte invulnerable ,
Dans un afile impénétrable
Rit des efforts de leur courroux.
Dans fes projets audacieux
Toujours fondés fur la droiture ,
Tout eft pour lui dans la Nature
D'intelligence avec les Cieux.
**
Du pecheur quel eft le deftin ?
Celui d'une fleur paflagere ,
Dont la couleur vive & légere
Brille & s'efface en un matin.
X
Tyrannifé par les défirs ,
Aimable paix , il vous ignore ;
Un ver importun le devore
Dans le fecret de fes plaifirs.
Ingénieux à s'égarer ,
G ij
148 MERCURE DE FRANCE.
Il n'a cherché que le menfonge;
Un inftant diffipe le fonge
Dont la vapeur fçut l'enyvrer.
Il y a bien de la jufteffe & de la fagacité
dans les Obfervations de M. Bourgeois
, fur le lieu où fe livra la bataille de
Poitiers en 1356.
Le difcours dans lequel M. Boutiron
veut prouver que les connoiffances de
l'homme font proportionnées à fes befoins
dans l'ordre de la Religion , dans
l'ordre de la Nature , dans l'ordre de la
Société , eft un morceau d'une grande
force. Nous ofons en confeiller la lecture
aux gens les plus difficiles .
LES régles du Médiateur , recueillies &
expliquées pour l'utilité du beau fexe , &
des perfonnes qui n'ont aucune notion de
jeu. A Paris chez Delaguette & Duchefne
, rue S. Jacques , 175 2. un volume .
OBSERVATIONS fur l'Hiftoire naturelle,
fur la Phyfique & fur la Peinture , avec
des planches imprimées en couleur . Tome
premier , troifiéme partie , par M. Gautier.
A Paris , chez Delaguette , rue S. Jacques ,
752. un vol, in- 1 2 .
JUILLET 1752. 149
INSTRUCTIONS Morales , fur les Evangiles
des Dimanches , par M. Barthelemy ,
Docteur de la Faculté de Théologie de
Paris . Se trouve a Paris , chez Delaguette
Imprimeur , rue S. Jacques , à l'Olivier ,
& Gueffier , Libraire , Parvis Notre- Dame .
A Rouen , chez Herault. A Lyon , chez Regnault.
A Toul , chez Louis Vincent.
L'explication de l'Evangile des Dimanches
a toujours fervi à la plus grande édification
des fideles. Le choix que l'Eglife
elle- même a fait des traits les plus inftructifs
& les plus touchans , renfermés.
dans ce divin livre , & dont elle propofe
la lecture à fes enfans , leur rappelle , felon
les tems , les Myſteres de J. C. fes dogmes
& fa morale , & leur annonce , tantôt les .
mifericordes du Seigneur & fes promeffes ,
tantôt fes juftices & fes vengeances. On ne
peut donc rien faire de mieux que de leur
en développer le fens , & de leur rompre
ce pain folide , que cette mere tendre &
attentive à leurs befoins leur diftribue au
jour des Saintes affemblées , & dont elle
veut qu'ils fe nouriffent.
*
Auffi les hommes zélés pour le bien
fpirituel des Peuples , ont ils fenti dans
tous les tems de quelle importance il eft
de les inftruire fur les fublimes & falutaires
vérités que l'Eglife propofe à leur mé
Giij
140 MERCURE DE FRANCE:
ditation . Dès les premiers fiécles , les $ S.
Peres s'attacherent à les expliquer dans des
Homélies & des Traités ; elles font encore
le fujet ordinaire des prédications des Docteurs
& des Miniftres de la parole ; & nous
avons un fi grand nombre d'excellens livres
en ce genre , qu'on ne pourroit s'empê
cher de reconnoître l'inutilité de celui - ci ,
fi on ne convenoit qu'on ne fçauroit trop
éclaircir des matiéres auffi importantes.
La forme qu'on a donné à cet Ouvrage ,
peut encore le rendre utile & le faire rechercher
des fideles qui veulent s'inftruire
& s'édifier , on y préfente d'abord fur
deux colonnes l'Evangile de chaque Dimanche
par verfets Latins & François ,
ce qui mettra le Lecteur à portée de le lire
dans l'une ou l'autre de ces deux Langues ,
felon les circonftances & les befoins ; on
a cru devoir fuivre la méthode dont quelques-
uns fe font fervis , en donnant à la
fuite du Texte , une inftruction par quef
tions & par réponſes. Le plan de l'Ouvrage
que nous venons d'expofer d'après l'Au
teur nous paroît très - bien executé.
LETTRE au R. P. Dufour , Dominicain,
par un Religieux du même ordre éleve de
M. de Villefroy , Abbé de Blaſimont , Profeffeur
Royal en Langue Hébraique , au
JUILLET. 1752. 151
fajet d'une Critique inferée dans le Journal
de Verdun , Février 1752 , contre le
premier volume de fes Lettres . A Paris,
chez Quillan , pere , rue Galande.
REGRETS de M *** fur la mort de fa
femme. Brochure in 4° . de huit pages .
Ce petit Ouvrage part du coeur , il eft
tout fentiment , & le fentiment infpire des
chofes éloquentes Un peu de defordre fied
bien aux perfonnes qui expriment leur
douleur , & la brochure que nous annonçons
a encore ce mérite . On jugera du ton
qui y régae par le morceau que nous allons
tranfcrire .
Quelle Epoufe , grand Dieu ! née avec
la vertu la plus pure , non feulement tu
ne pouvois pas imaginer qu'une femme
pût jamais manquer effentiellement à celui
à qui fa deftinée eft unie , mais tu ne concevois
point qu'il dût n'être pas fans ceffe
l'objet de toute fa tendrelle. A peine auffi
m'eus tu donné ta main , que ton devoir
te prévenant en ma faveur , tu me fuppofas
tout ce qui pouvoit me la mériter. Dès lors
que ne fis- tu pas pour moi ? Tu ne femblois
vivre que pour m'aimer : quelles in◄
quiétudes à la plus courte abfence ! quelles
allarmes à la plus légere indifpofition
qu'elle joie de pouvoir lire dans mon coeur
Giv
152 MERCURE DE FRANCE:
!
d'imaginer de nouveaux moyens de te
l'acquerir ! quel empreffement, à partager
mes peines tu eus voulu les fouffrir pour
moi. Que dirai-je ? tout ce que l'amour
peut infpirer à une tendre Amante , le devoir
à une vigilante Epoufe , l'amitié à une
ame faite pour elle , je le trouvai dans ton
coeur , & rien n'auroit pû m'en bannir. O
trop aimables noeuds ! ô jours charmans
deviez- vous fi-tôt finir ? Egalement éloignée
de ces épargnes fordides que l'avarice
appelle oeconomie , & de ces dépenfes fuperfluës
que les gens les moins ailés fe.
croient néceffaires , quel ordre ! quel arrangement
régnoit dans ta maiſon ! Elle
étoit peu confidérable ; mais il n'en eft
point que tu n'eus pû conduire ; tout te
coûtoit fi peu , que quand tu allois audelà
du devoir de la femme la plus attentive
, tu croyois encore n'en point affez :
faire. Ou prie les autres de fe retrancher
de certains amufemens ruineux , il falloit:
te prier de te prêter à la fociété ; & ce
-n'eft point trop avancer de dire que tu
quittois quelquefois l'ouvrage avec autant
de peine qu'une femme dont le plaifir eft
l'élément , quitte une affemblée où ellevoit
qu'elle prime . Enfin pour tout dire en
un mot , bien différent de ces maris qui ,
¿cuant le bonheur , approuvent hautement:
JUILLET. 1752. 153
se qu'ils condamnent tout bas , il falloit
prefque que je te créaffe des défauts pour
trouver moins d'incrédules.
BEAUX - ARTS.
Académie Royale de Peinture & de Sculpture..
Du Vendredi 25 Juin 1752.
Difcours prononcé par M. Lepicié , Sccrétaire
perpétuel de l'Académie , en notifiant
à la Compagnie la mort de Mcffire
Charles Antoine Coypel , Ecuyer, premier
Peintre du Roy & de Monfeigneur le Duc
d'Orleans , Directeur & Recteur de l'Académie
, Garde des Deffeins du Cabinet de
Sa Majefté , & Cenfeur Royal , arrivée enfon
logement aux Galleries du Louvre , le
Mercredi 14 Juin 1752 , âgé de 58 ans.
MESSIEURS ,
Je me garderai bien de chercher des expreffions
, qui par leur énergie puiffent
vous faire fentir la grandeur de la perte
que nous déplorons aujourd'hui ; ce feroit
vous connoître mal , fi pour exciter vos
justes & tendres regrets , je croyois qu'il
fût néceffaire de vous rappeller tous les
G v
134 MERCURE DE FRANCE.
avantages que M. Coypel a procurés à
Académie dans le court efpace de cinq
ans & demi ,
Né avec des talens diftingués pour la
Peinture & pour les Belles- Lettres , il fçur
joindre à la jufteffe de l'efprit la délicateffe
du fentiment tout portoit chez lui l'empreinte
de la probité & de la candeur ; ſes
ouvrages & les actions annonçoient toujours
l'habile homme & l'honnête homme.
Occupé des intérêts de fes Confrerès ,
il fe faifoit un devoir d'oublier les fieus ,
& le defintéreflement le plus parfait fut
toujours la régle de fa conduire. A peine
joüiflions- nous du bonheur de le pofféder
, qu'il a difparu ; mais il vivra fans
ceffe dans nos coeurs : immortalifons fa
mémoire par notre reconnoiffance , c'eft
le feul tribut digne de lui , le feul qui
puiffe répondre à fes vertus , & faire hoaneur
à notre difcernement..
La premiere Planche de la Chapelle des
Enfans trouvés eft enfin terminée . Cette
nouvelle ne peut être indifférente ni pour
les Soufcripteurs ni pour le Public . Une en
treprife auffi confidérable mérite une attention
férieufe , & M. Feffard doit plutôt
fouhaiter que craindre un examen rigou
reux de fon travail . Le fuffrage de pluficus
JUILLET. 1752. 153
connoiffeurs fort difficiles nous autorife à
prononcer hautement que c'eft un bel
Ouvrage , & que l'habile Graveur qui l'a
commencé ne peut le fair trop τότ pour
fa gloire & pour le plaifir des amateurs .
Les Soufcripteurs qui fe plaignent fi fouvent
avec raifon qu'ils ont été trompés ,
fe loueront fûrement de M. Feffard ; fes
Planches auront plus de hauteur & de largeur
qu'il ne l'avoit promis , & le papier
en fera beaucoup plus beau .
Noms des Soufcripteurs pour la Gravure
de la Chapelle des Enfans trouvés.
Madame Geofrain , ruë S. Honoré .
MESSIEURS ,
De Bachaumont , aux Filles S. Thomas:
Schreiber , Aumônier de l'Ambaffade Danoife
, rue des Francs - Bourgeois.
Wafferfchlebe , chargé des affaires de
Sa Majesté Danoife.
Thibouft , Imprimeur du Roy , Place do
Cambray.
Joullain , Marchand d'Eftampes , Quai
de la Megifferie , 2 .
Madame Duronceray , Porte S. Honoré
MESSIEURS ,
Le Marquis de Croifmate , rue S. Nicaife
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
Watelet , Receveur général des Finances,
rue du Sentier.
De la Live de Bellegarde , Fermier géné
ral , rue S. Honoré.
Lorimier fils , rue de Vendôme.
Mylord Clare , ruë de Séve .
Le Chevalier de Breteüil , ruë de Séve .
Le Duc de Chevreufe, ruë S. Dominique.
D'Ormeflon du Cheray , Confeiller au
Parlement , Place Royale.
Boutin fils , Receveur général des Finances
, ruë de Richelieu .
Boutin de la Columiere , Maître des Requêtes
, rue de Richelieu .
1
De Julienne pere , aux Gobelins..
De Boullogne fils , Maître des Requêtes,
ruë Neuve des Petits Champs.
Watelet , Receveur général des Finan
ces , 2 .
Le Comte de Caylus , à l'Orangerie.
Le Duc de Luynes , rue S. Dominique.
Boutin fils , Receveur général des Finances
, 4 .
De Selle , Tréforier général de la Marine.
Le Duc de Bethune , à l'Hôtel de Charoft..
Le Roy de Pologne , Electeur de Saxe..
Le Comte de Bruhl , premier Miniſtre
du Roy de Pologne.
Monfieur le Baron de Thiers , Place de
Vendôme..
JUILLET. 172. 157'
Madame Le Daulceur , rue de Richelieu.
MESSIEURS ,
De la Haye , Fermier général , à l'Hôtel
de Bretonvilliers.
Spinhirn , Secrétaire des Ambaſſades de
Pologne.
Wafferfchlebe , chargé des affaires de
Sa Majesté Danoiſe , 3 .
Le Commandeur d'Egrieux , ruë de Berri.
Dubocage , rue de la Sourdiere.
Madame de la Popliniere , ruë de Ven
tadour.
MESSIEURS ,
Corberon , Confeiller d'Etat.
L'Abbé Chevalier , rue S. Thomas diz :
Louvre.
Moreau , Avocat du Roy au Châtelet .
Dulivier , Député au Confeil du Com
merce , ruë Therefe .
Gamard , Avocat , rue Ste . Croix de la
Bretonnerie.
Gaucherel fils , Marchand , rue des Bour
donnois.
D'Argouges , Maître des Requêtes , ruë
Bourribour .
Ducheſne , Prévôt des Bâtimens du Roy.
158 MERCURE DE FRANCE
MESSIEURS ,
Bonnert de Saint - Remy , Directeur géné
ral des Fermes , à Chalons.
De Bofe , de l'Académie Françoife , Cub
de- fac du Coq .
Thirouft d'Arconville , Préfident au Par
lement , Cul- de - fac des Blancs- Manteaux.
Le Duc de Saint- Agnan , Quai des Théa
tins.
Dubrocard , Secrétaire du Gouvernement
de Bourgogne.
D'Expilly , Libraire , rue S. Jacques , 2 .
De Champigny , Confeiller au Parlement
, rue S. Martin .
Le Duc de Beauvilliers , rue des Saints
Peres.
De Caumont , de l'Oratoire.
Bombarde , ruë de l'Univerfité.
Lallemant de Nantouillet , Fermier gé
néral , ruë Neuve S. Auguftin.
Lallemant de Bets , Fermier général , mê
me ruë.
Fraifier , Directeur général des Fortifica
tions de la Province de Bretagne , à Breft.-
L'Abbé Langeraie.
Brochant , Marchand , ruë de l'Arbre-fec.
De Pifain , Maître des Comptes , ruë
Montmartre.
L'Abbé Soucier,
JUILLET. 1752 159
MESSIEURS ,
L'Abbé Turaudin , Chanoine à Boulogne
fur mer.
Barrois , Libraire , Quai des Auguftins.
Dupleix , rue des Capucines , près le
Boulevard ,
Franqueil , Receveur général des Finances
de Metz & Alface , rue Plâtriere.
Madame la Marquife de Pompadour , 2 .
MESSIEURS ,
Le Chevalier Valory , rue des Capucines.
Herbert.
Remy de l'Académie de S. Luc , ruë
Percée.
Bruté , Curé de S. Bénoît.
Lambert , Vicaire de S. Severin .
De Dachelet , Fermier général , ruë S
Honoré.
De Grimond , Avocat au Parlement , rue
S. Martin .
De Grammont , rue des Tournelles .
Le Président de Cotte , aux Galleries du
Louvre.
Duchefne , Sous Infpecteur des Ponts &
Chauffées , rue Geoffroy - Langevin ..
Trelaguet , Sous - Infpecteur des Ponts &
Chauffées , rue S. Martin.
160 MERCURE DE FRANCE
MESSIEURS ,
Louis - François - Gabriël d'Orléans la
Mothe , Evêque d'Amiens .
De Lafont , Employé aux Fermes.-
Monfeigneur le Duc d'Orléans .
Rouffeau , rue des deux Ecus .
Le Baron de Scheffer , rue Taranne..
Le Marquis de Voyer d'Argenfon.
L'Abbé Caron , Chanoine d'Amiens.
Le Duc de Chaulnes , rue d'Enfer. -
Phillippe , Ecuyer.
Bellet , au Havre.
Bailly , Garde des Tableaux de la Cou
ronne , aux Galleries du Louvre .
De l'Efperonniere , rue Thevenot .
La Romance fuivante n'eſt pas nouvelle
mais elle eft fi touchante , elle à une fi grande
réputation , elle est devenue firare que nous
croyons faire plaifir au Public en la lui remettant
fous les yeux.
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
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ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
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JUILLET. 1752. 160
(LES INFORTUNE'S AMOURS.
DE
GABRIELLE DE VERGI ,
ET DE
RAOUL DE COUCY
HElas
ROMANCE.
Elas ! qui pourra jamais croire:
L'amour de Raoul de Coucy ,
Qui fans pleurer lira l'Histoire
De Gabrielle de Vergi.
Tous deux s'aimerent dès l'enfance
Mais le fort injufte & jaloux
L'avoit miſe fous la puiffance.
Dan barbare & cruel époux..
****
Fayel , époux de Gabrielle ,
Tourmenté de jaloux foupçons .
Avoit enfermé cette belle ,
Dans les plus affreufes prifons ::
Tout amant étoit redoutable ,
Mais furtout Coucy l'allarmoit
Et Gabrielle fut coupable ,
Dès qu'il fçut que Coucy l'aimoit
162 MERCURE DE FRANCE
Elle employoit en vain les larmes ,
Pour parvenir à le calmer ,
Ni la jeuneſſe , ni ſes charmes ,
Rien ne pouvoit le défarmer :
Quel est mon crime , difoit- elle ,
L'innocence devroit toucher ,
Je fuis & je ferai fidelle.
Qu'avez vous à me reprocher?
Partage les maux que j'endure ,
Répondoit l'inflexible époux ,
J'ai tout app is. Crois - tu , Parjure ,
Eviter un jufte courroux ?
Coucy n'a que trop fçu te plaire ,
Et bien -tôt je m'en vengerai ;
Ce nom allume ma colere ,
Mais dans fon fang je l'éteindra
***
Cependant , Coucy le modéle
Des vrais & des parfaits Amans ,
Ayant appris que Gabrielle ,
Souffroit les plus cruels tourmens ;
Par un effort que l'amour même ,
N'approuva pas fans en frémir ,
Des lieux qu'habite ce qu'il aime,
Il réfolut de fe bannir.
JUILLET. 1752. 163
Je vais , dit- il , par mon abfence ,
Calmer le barbare Fayel ;
Je quitte pour jamais la France ,
Ah! que ce départ eft cruel !
N'importe , je me facrific ,
Au cher objet de mes amours
Trop heureux en perdant la vie ,
Si je conferve fes beaux jours.
Il part & va joindre l'armée
Dans les pays les plus lointains ;
Elle étoit alors occupée
A combattre les Sarrazins :
Il fe met d'abord à la tête
De deux cent Chevaliers choifis ,
Avec leur fecours il arrête ,
Tous les efforts des ennemis.
L'amour , le défeſpoir , la rage ,
Tour à tour animant fon coeur ›
Redoubloient encor fon courage ;
Enfin il revenoit vainqueur ,
Quand d'une bleffure cruelle ,
Il fe fent déchirer le fanc ;
Frappé d'une atteinte mortelle ,
Il tombe baigné dans fon fang..
*3***
164 MERCURE DE FRANCE,
Alors fentant ſa fin prochaine ,
Il demande fon Ecuyer ;
D'une main qu'il conduit à peine ..
Il écrit fur fon bouclier :
Monlac arrive tout en larmes ;
Ne plains point , dit - il , mon deſtin ,,
Mais plutôt celle dont les charmes
N'ont pû fléchir un inhumain.
*3X
Tu connois mon amour extrême
Pour m'obéir , c'en eft aflez ;
Forte mon coeur à ce que j'aime ,
Avec ces mots que j'ai tracés ,
Je remets ce foin à ton zèle :
Il expire & prononce encor ,
Le nom cheri de Gabrielle ,
Jufques dans les bras de la mort.
Victime de l'obéiffance , -
Monlac ayant executé ,
D'un Maître adoré dès l'enfance , ‹
La trifte & tendre volonté ,
S'embarque à l'inftant pour la France .
It arrive près du Château
Du Tyran qui fous la puiſſance ',
Renfermoit l'Objet le plus beau.
JUILLET.
1752.165
Seul confident de l'entreprife ,
Il attend un heureux moment ;
Avec grand foin il ſe déguiſe
Pour réaffir plus fûrement ;
Quand Fayel , que l'inquiétude
Ne laiffoit jamais en repos ,
Le voit près de fa folitude ,
Le prend pour un de ſes Rivaux.
Ille
Il l'arrête & croit le connoître ,
perce de mille
coups ;
Craignant tout des projets du Maître ,
Rien n'échappe à ſes yeux jaloux ;
Quel plaifir enyvre fon ame !
l voit le coeur , il en jouit :
Quel coup funefte pour fa flamme !
llit la lettre , il en frémit .
*XX
Dès qu'il les eut en fa puiffance ,
N'écoutant plus que fa fureur ,
De la plus barbare vengeance
Il médite en fecret l'horreur :
La fombre & pâle jalouſie ;
Ce monftre , fuivi des regrets ,
Pour venger fa flamme trahie ,
Lui fouffle les plus noirs projets.
166 MERCURE DEFRANCE
Il goûte déja par avance ,
Les douceurs qu'elle lui promet ,
De cette flateufe espérance ,
Il craint de retarder l'effet :
Je veux , dit- il , que l'impofture
Cacha t l'affreuſe vérité ,
Ce coeur , aimé de la Parjure ,
Comme un mets lui ſoit préſenté.
On obéit & l'heure arrive ,
Où l'on fert ce repas cruel ;
Gabrielle trifte & craintive
Approche en tremblant de Fayel :
Pour hâter l'inftant qu'il efpere ,
Il offre , il preffe , elle fe rend ,
Ce mets , dit-il , a dû te plaire ,
Car c'eft le coeur de ton amant .
**
Elle tombe fans connoiffance,
Fayel , que la fureur conduit ,
Craignant de perdre la vengeance ,
La rappelle au jour qu'elle fuit :
Jufte Ciel ! Quelle barbarie !
S'écria-t-elle avec effroi ,
Moindre encor que ta perfidie ,
Vois cette lettre & juge-toi.
*XX
JUILLET. 167 1752.
Ses
Alors la forçant à la lire,
yeux l'obfervent avec foin ,
Il croit adoucir fon
martyre ,
Si de fa honte il eft témoin;
Elle prend d'une main tremblante
L'écrit qui doit combler les maux
Et d'une voix foible & mourante
Prononce avec peine ces mots.
***
» Bien- tôt je vais ceffer de vivre ;
Sans ceffer de vous adorer ,
» Content fi ma mort vous délivre
»Des maux qu'on vous fait endurer ,
» Elle n'a rien qui m'épouvante ,
» Sans vous la vie eſt fans attraits ,
Un regret pourtant me tourmente ;
Quoi ! Je ne vous verrai jamais !
00
» Recevez mon coeur comme un gage
» Du plus vif, du plus tendre amour ;
» De ce trifte & nouvel hommage ,
33
ז כ
J'ofe efperer quelque retour :
Daignez l'honorer de vos larmes ,
Qu'il vous rappelle mes malheurs
Cet espoir a pour moi des charmes ,
Je vous adore : adieu , je meurs.
168 MERCURE DE FRANCE
Elle veut repeter encore
Des mots fi tendres , fi touchans ,
En prononçant . Je vous adore, ....
Un froid mortel faifit fes fens.
Pár un excès de barbarie ,
Fayel prend des foins fuperflus
Pour la rappeller à la vie ;
Mais elle n'étoit déja plus.
SPECTACLE S.
'Académie Royale de Mufique con-
L'inue avec fuccès les repréſentations
d'Acis & Galatée .
Les Comédiens François n'ont point
donné de nouveauté ; mais ils ont eu un
début. M. Rouffelet a paru Jeudi 22 pour
la premiere fois dans la Tragédie de Cinna,
& depuis dans celle de Mithridate ; il
joue les rolles de Roy.
On donne toujours à la Comédie Ita
lienne l'agréable Parodie de Daphnis &
Chloé.
Paris
JUILLET. 1752 169
JE
Paris , ce 23 Juin 1752.
E viens d'être témoin , Monfieur , d'une
petite difpute qui s'eft élevée entre deux
hommes de Lettres , fur la maniere de rendre
un vers de la Tragédie de Cinna que
les François donnerent hier. Je voudrois ,
pour mieux déterminer le fujet de cette
querelle , qu'à l'exemple des Grecs nous
euffions une déclamation notée , qui pût
faire fentir le ton que les deux perfonnes
dont j'ai l'honneur de vous parler , veulent
employer pour exprimer ce vers :
Cinna , tu t'en fouviens , & veux m'affaffiner.
Le dernier hemiftiche forme feul la
difpute : veux m'affaffiner. Doit- il fe
rendre avec un fentiment de force , où une
indignation violente eft peinte ; ou doit- il
s'exprimer d'un ton qui annonce un reproche
mêlé de pitié & de tendrelle .
Les différentes queftions que j'ai vữ
propofer dans vos Journaux , fur des matieres
égales à celle- ci , me déterminent à
vous prier d'inférer cette Lettre dans votre
premier Mercure .
CHEVRIER.
H
170 MERCURE DE FRANCE:
CONCERTS A LA COUR.
Mois de May 1752. A Marli.
Le 24 on chanta le Prologue & le premier
Acte de l'Opéra d'Armide , Mufique
de M. de Lully , paroles de M. Quinault.
Mlles . Chevalier , Mathieu , de Selle ;
Mrs. Chaffé & Joguet en ont chanté les
Rôles .
Les 27 & 29 May à Marli , & le 10 Juin
à Verſailles , on a chanté le Prologue & les
cinq Actes de la Tragédie de Pirame &
Thiſbée , de Mrs. Rebel & Francoeur , Sur-
Intendans de la Mufique de la Chambre
du Roy ; les paroles font de M. de la
Serre.
Mlles . Lalande , Fel , de Selle , Mathieu ;
Mrs. Geliotte , Chaffé & Joguet en ont
chanté les Rôles .
Pendant l'Octave de la Fête- Dieu il y a
eu tous les jours à la Chapelle du Château
, des Saluts en Mufique , où Leurs
Majeftés ont affifté ainfi que la Famille
Royale. Le Jeudi 8 le Sr. Richer , Page
de la Mufique , chanta au Salut une Elévation
nouvelle de M. l'Abbé Blanchard ,
Maître de Mufique de la Chapelle , en
quartier , qui fut fort applaudie.
1
JUILLET. 1752 : 171
蔬洗洗送:洗洗洗:洗洗洗洗光:洗洗洗洗
NOUVELLES ETRANGERES.
DE DE CONSTANTINOPLE , le 11 Mai.
E goût pour les bâtimens à l'Européenne fait
chaque jour de nouveaux progrès parmi les
Miniftres & les premiers Officiers de cet Empire :
on voit de tous côtés s'élever ici des Palais , & le
Grand Vifir en a fait bâtir un fuperbe , dans lequel
il doit recevoir inceffamment le Grand Seigneur.
Les ravages caufés par la pefte font amplement
réparés . On a tiré des Provinces un très -grand
nombre d'Artifans , pour fuppléer à la perte de
ceux dont la contagion a privé cette Capitale .
Dix Vaiffeaux de guerre & pareil nombre de
Galères le préparent à mettre à la voile fous le
commandement du Capitan Bacha . Une partie de
ces Bâtimens ira vers les côtes de Barbarie , l'autre
croifera dans l'Archipel pour ramaffer les tributs
des Ifles . Les Miniftres Etrangers , fuivant l'uſage,
font allés complimenter le Grand Amiral , & lui
fouhaiter un heureux voyage.
DU NORD .
DE PETERSBOURG , le 24 Mai.
Il est arrivé ici le 14 de ce mois un Courier
'dont les dépêches ont donné lieu à un grand Confeil
tenu en préſence de l'Impératrice. Le voyage
que cette Princeffe a réſolu de faire à Moscou eft
remis à l'hiver prochain. Sa Majesté Impériale a
donné ordre de réparer les bâtimens deftinés pour
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
loger la Cour , & d'en conftruire de nouveaux
Les troupes qui font en garnifon dans la Ville feront
employées à ces travaux .
DE STOCKHOLM , le 19 Mai.
On renouvelle le projet de faire un Port franc
de Marstrand , & d'y établir l'entrepôt général de
la pêche. Ce Port , outre les avantages de fa double
entrée & de fa fituation en pleine mer, a celui
d'être défendu par une forte Citadelle ; il pent con
tenir plufieurs centaines de Navires marchands , &
il a aflez de fond pour les plus grands Vaifleaux
de guerre . Le feur de Marteville , Envoyé extraordinaire
des Etats Généraux en cette Cour , eft
arrivé ici le 17 .
DE STAWANGER EN NORVEGE ,
le 28 Avril.
Le 1s de ce mois , le tems ayant été très - beau
depuis le lever du Soleil jufqu'à deux heures après
midi , il parut du côté de l'oueft un nuage , qui
s'augmentant à vue d'oeil , enveloppa tout l'horizon.
A quatre heures il s'éleva un ouragan fi furieux
, & l'on fentit de fi violentes fecouffes de
tremblement de terre , que tous les habitans de
cette Ville abandonnant leurs maiſons qui étoient
ébranlées jufques dans les fondemens , s'enfuirent
en rafe campagne. Une forte grêle , accompagnée
d'éclairs & de coups de tonnerreieffroyables , mit
le comble à la défolation . Quantité de femmes &
d'enfans qui s'étoient cachés dans des foûterreins,
craignant à tous momens d'être étouffés par le
feu du Ciel , ou fubmergés par les torrens d'eau
qui tomboient des montagnes avec une impétuofité
JUILLET . 1752. 173
qu'on ne peut décrire , faifoient entendre des cris
affreux. Plufieurs maifons de la campagne ont été
englouties , & une grande partie du bétail a été
entraînée par les eaux . Un nombre infini de cerfs ,
de liévres & d'autres animaux ont été noyés ou
tués par la grêle. Lorſque la tempête fut finie , on
apperçut du côté du Nord une étoile de figure octogone
, qui pendant toute la nuit fuivante ne cella
de lancer de chaque angle une gerbe de feu.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 6 Juin.
Il a été publié un Edit , qui affigne le payement
de tous les Billets de banque dont l'échéance tombe
dans cette année ; & le Miniftere a pris plufieurs
nouveaux arrangemens , foit pour faire ffeurir le
commerce , foit pour affurer le crédit public.
DE BERLIN , le 3 Juin.
le
L'Académie Royale des Sciences & des Belles-
Lettres tint avant-hier une affemblée publique pour
l'anniverſaire de l'avénement du Roy au Tiône , &
elle prit poffeffion du nouvel appartement que
Roy lui a deſtiné. Le Prince Frederic - Guillaume ,
fils aîné du Prince de Pruffe , honora l'aſſemblée
de fa préfence. Le fieur Formey , Secrétaire perpétuel
de l'Académie , ouvrit la féance par un Difcours
inaugural . Enfuite il proclama les deux Pix
adjugés cette année . Celui des Belles - Lettres a été
remportépar le fieur Ewald- Frederic de Hertzberg ,
Confeiller de Légation du Roy ; & celui de Mathématiques
, par le fieur Jacques Adami , Docteur en
Droit à Aurifch en Ooft - Frife. Le fieur Formey
Hiij.
174 MERCURE DEFRANCE.
annonça que l'Académie propofoit pour le prix de
l'année 1754 , les queftions fuivantes à réfoudre.
Si le mouvement diurne de la Terre a été de tout tems
de la même rapidité ? Par quels moyens on peut s'en
affurer ? Supposé qu'il y ait quelque inégalité, quelle
en eft la caufe ? Après cette annonce , le fieur de
Maupertuis , Préfident de l'Académie , prit la parole
, & lut un éloge du feu Maréchal Comte de
Schniettau. Cette lecture fut fuivie de celle d'un
Mémoire du fieur Eller fur la Végétation , & d'un
éloge du Comte de Dohna par le fieur Formey .
La Baronne de Trachenberg , époufe du Colonel
de ce nom , eft morte ici le premier de ce mois ,
âgée de foixante - fix ans.
On attend le 23 de ce mois à Charlottenbourg la
Princelle de Heffe , que le Prince Henri doit époufer,
& tout eft préparé pour la réception . Le Comte
de Kameсkе eft chargé de la complimenter à fon
arrivée fur la frontiere. Les Dames choifies pour
être auprès d'elle , iront la prendre à Magdebourg.
Le Baron de Lentulus eft parti le 7 pour Caffel , afin
d'affifter de la part du Roy aux premieres cérémonies
du mariage , dans lefquelles le Landgrave réguant
repréfentera le Prince Henri, Sa Majefté qui
étoit allée faire la revûe des troupes dans le Duché
de Magdebourg , eft revenue le 7 à Potſdam . Elle
partira le 12 pour Stettin , où elle fera la revûë
des Régimens qui font en Pomeranie.
DE KELHEIM EN BAVIERE ,
le 23 Mai.
Il y eut le 17 de ce mois dans ce canton & dans
fes dépendances , un des plus terribles orages dont
on ait confervé le fouvenir . Des troupeaux entiers.
ont été affommés par la grêle. Prefque tous les
JUILLET. 1752 175
Fruits de la terre ont péri fans reffource , & les
champs , par la quantité d'eau qui les inonde , në
peuvent être de long- tems enfemencés.
DE HAMBOURG , le 3 Juin.
On affure ici que le Roy de Dannemarck doit
époufer la Princeffe Julie-Marie , foeur du Duc de
Brunfwic- Wolffenbutel.
ESPAGNE.
DE LISBONNE , le 8 Mai.
Le 21 du mois dernier la Flotte de la Baye de
Tous -les - Saints entra dans ce Port . Sa charge confifte
principalement en cinq cens mille livres d'efpéces
pour le Roy , & deux millions pour le Commerce
, douze mille caiffes de fucre , quinze mille
fept cens balots de tabac, & treize mille quatre cens
cuirs . Un des Vaiffeaux de guerre qui eſcortoient
cette Flotte , ne pouvant plus foûtenir la mer par
le mauvais état où il ſe trouvoit , fut abandonné
vers la fin de Février par le Capitaine Bulhois qui
le commandoir . On a perdu dans le trajet 16 hommes
des Navires marchands. La Flotte de Maranham
eft arrivée auffi le 26 du mois dernier.
DE MADRID , le 6 Juin.
Le 30 du mois dernier , jour auquel on célébre
en Efpagne la fête de S Ferdinand dont le Roy porte
le nom , une Frégate & deux Chabecs que la
Reine avoit fait conftruire à l'infçu de Sa Majeſté,
remonterent le Tage jufqu'au Château d'Aranjuez .
La Frégate étoit montée de feize canons , & il y en
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE .
avoit douze fur chacun des Chabecs. Ces bâtimens
dorés & peints avec autant de goût que de magnificence
, avoient leurs pavillons & leurs flammes
de toile d'or , garnie de galons & de franges d'argent.
Lorfqu'ils furent arrivés vis- à- vis du grand
balcon de l'appartement du Roy, ils firent une falve
générale de leur artillerie . Les Muticiens quiétoient
a bord , exécuterent enfuite diverfes fanfares. A
cinq heures après midi , Leurs Majeftés accompagnées
de l'Infant Cardinal , defcendirent dans les
Jardins pour examiner de plus près la Frégate &
les Chabecs . Le foir la Cour affifta à la repréfentation
d'un Opéra intitulé la Naiffance de Jupiter, dont
les paroles font du célébre Métaftale , & la Mufique
de Gaetan Latilla . Ce ſpectacle fut fuivi d'un Feu
d'artifice , après lequel Leurs Majeftés & l'Infant
Cardinal allerent voir l'illumination des Jardins.
Entre les différentes parties dont elle étoit compofée
, on a admiré fur - tout l'effet que produifoient
deux arcs de triomphe & quatre pyramides en tranf
parent. Dans l'éloignement on appercevoit la Frégate
& les Chabecs , qui étoient auffi illuminés.
ITALI E.
DE NAPLES , le 15 Mai.
On a repris les négociations entamées en 1742 ;
pour parvenir à un Traité de commerce entre ce
Royaume & la République des Provinces -Unies ,
& l'on en attend un heureux fuccès.
DE ROME , le 18 Mai.
On doit travailler inceffamment au nouveau cămal
qu'on a projetté de faire à Ponte - Galera , pour
JUILLET. 1752. 177
procurer aux bateaux du Tibre plus de facilité
d'emboucher ce fleuve . Le fieur Lepri , fort verlé
dans l'Architecture hydraulique , doit en confé
quence aller vifiter l'étang de Maccarefe où commencera
le canal . Le Pere Bofcowits , chargé de
fixer le méridien de l'Etat Eccléfiaftique , vient d'achever
fes obfervations à Rimini , & va les continuer
fucceffivement à Bologne & à Ferrare.
DE LIVOURNE , le 17 Mai.
Le Traité conclu à Madrid caufe ici beaucoup
de fatisfaction aux Négocians. Suivant ce Traité
les Vaiffeaux chargés de denrées & de marchandifes
de Tolcane , pourront commercer librement
dans les Ports d'Efpagne , & les Vaileaux Efpagnols
auront la même liberté dans tous les Ports
de ce Grand- Duché..
DE GENES , le 28 Mai.
Diverfes modifications ajoûtées au Décret qui
regarde la franchiſe de ce Port , ont produit un bon
effet , & les expéditions de la Douane ont repris
leur cours ordinaire .
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 15 Juin.
Par une Proclamation que le Gouvernement
vient de faire publier , les Bâtimens venans de
Smirne font exemtés de la Quarantaine , mais on
y affujettira encore pendant quelque tems ceuxqui
viennent d'Alexandrette. Il eſt défendu par
la même Proclamation , de recevoir dans aucun
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
Port de la Grande Bretagne le Navire Hollandois
le Ruggenhoff, à bord duquel eft la pefte . On équi
dix huit Vaiffeaux de guerre , pour les envoyer pe
à différentes ſtations . Le Penzance , commandé par
le Capitaine Saunders , à fait voile de Portſmouth
pour l'ile de Terre- Neuve. Selon les dernieres
Lettres de Cadix plufieurs Bâtimens Anglois ,
qui y étoient détenus fous prétexte d'avoir fait un
commerce ilicite , ont été relâchés . La Compagnie
des Indes Orientales a reçu avis que fon Vailleau
le Dodington , après avoir mouillé quelques jours à
Lifbonne , avoit continué fa route vers Madraff.
On a appris par un Bâtiment , arrivé ces jours - cr
de l'Amérique , le naufrage du Navire le Robert-
Nelly , qui avoit été chargé aux Canaries pour la
Caroline. Deux Vaiffeaux Suédois , qui reviennent
de la Chine , pafferent le 8 à la hauteur de Dunge
neff , en retournant à Stockholm .
I
FRANC E.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
Eurs Majeftés affifterent le z de Juin dans la
Chapelle du Château au Salut , pendant le
quel la Mufique chanta une élévation de la compofition
du fieur Blanchard , Maitre de mufique
de la Chapelle , en quartier.
Le même jour , le Comte de Bafchy , que le
Roi a nommé fon Ambatfadeur à la Cour de Porngal
, prit congé de Sa Majefté , & il doit partir
inceffament pour Lifbonne.
Le 3 , le Roi prit le divertiffement de la chaffe
près de Rambouillet , & fe rendit enfuite à Crecy,
You Sa Majesté revint le 7 au foir.
JUILLET. 1752 : 179
Le Cardinal de la Rochefoucauld arriva le même
jour de fon Dioceſe.
Le 4 , la Reine , Monfeigneur le Dauphin &
Meldames de France, entendirent la Grande- Melfe
dans la Chapelle du Château, & y affifterent l'a
près-midi aux Vêpres & au Salut,
Madame la Dauphine communia le même jour
par les mains de l'Abbé de Poudens , ſon Aumô,
nier en quartier.
Monteigneur le Dauphin alla lez , avec Ma
dame la Dauphine & Mefdames de France à l'Abe
baye de Poifly , & les , à celle de la Haute-
Bruyere , avec Mefdames Sophie & Louiſe , entendre
le Salut.
Le 6 , & le 7 , Monfeigneur le Dauphin a pris
les eaux de Vals & Madame la Dauphine celles
de Vichy.

Le 7 ,les actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix - huit cens quatre-vingt livres , les
Billets de la premiere Lotterie Royale à fix cens
foixante huit & ceux de la feconde à fix cens
vingt- deux,
·
Le 8 , jour de l'Octave du Saint Sacrement , le
Roi , accompagné de Monfeigneur le Dauphin
de Madame la Dauphine , de Madame Adelaide,
& de Mefdames Sophie & Louife , furent à la
Paro ffe du Château , où ils ont entendu la
Grande- Meffe , après avoir affifté à la Procef
fion.
On a reçu avis que le 12 , la Reine des deux4
Siciles eft accouchée d'un Prince.
Le 9 , pendant la Meffe du Roi , l'Evêque
d'Apt piêta ferment de fidélité entre les mains de
Sa Majefté.
Le même jour , le Roialla dîner à Trianon.
Hvi
180 MERCURE DE FRANCE.
Sa Majefté partit le 10 pour le Château de
Crecy , d'où elle eft revenue le 14.
Le 10 , le 12 , & le 14 , le Roi a pris le diver
tiffement de la chaffe du Cerf.
Pendant quelques jours la Reine fut incommodée
d'un rhume , qui l'obligea de garder fon appartement.
Le 14 , Monfeigneur le Dauphin fe promena
dans les jardins du Château , & Madame la Dauphine
, ainfi que Meldames de France , autour de
'la piece d'eau des Suiffes.
On a repeté plufieurs fois les Expériences ,
dont l'objet eft de vérifier l'analogie de la matiere
électrique avec le tonnerre. Celles qui furent faites
le 7 Juin dernier à Paris par Meffieurs Dalibard
& de Lor , n'eurent pas le fuccès ordinaire ,
parce que les rideaux de taffetas & les gâteaux de
réfine avoient été mouillés M. le Monier , Médecin
de la Faculté de Paris , & Affocié de l'Académie
Royale des Sciences , a trouvé un moyen
pour que l'humidité ne nuisît pas aux effets de la
barre électrifée. Il a fait en conféquence à Saint
Germain en Laye une expérience , qui a parfaitement
réufi.
On mande d'Espagne , qu'un Chabec Saletin ,
de quatorze canons , & de cent quarante hommes
d'équipage , étant entré avec fix Prifes dans le
Port d'Arfeunitante , à huit lieues d'Oran , le
Commandant de cette derniere Place avoit en .
voyé , fous les ordres de Dom. Amaro Perez , trois
petits Bâtimens montés de cent vingt Soldats & de
trente- fix Bannis , pour attaquer ce Corfaite . Les
mêmes lettres marquent que le vaiffeau ennemi a
été coulé à fond , & qu'il n'y a eu qu'un très- petit
nombre de fes Matelots, qui le foient ſauvés à la nage.
Cette action s'eft paflée le même jour que trois
JUILLET. 1752. 182
Galliotes des Maures ont été brûlées par les Efpagnols
près de l'embouchure de la Riviere de
Tétuan .
Les Galeres de la Religion , que le Grand- Maître
a fait fortir cette année beaucoup plutôt qu'à
l'ordinaire ont pris à l'abordarge le 15 de Mai
dernier deux Chabecs Algeriens , l'un de quatorze
canons , l'autre de douze. Le fuccès de ce
combat fait d'autant plus d'honneur aux Commandans
& aux Equipages de ces Galeres , que
les Chabecs s'étoient retirés fous le canon de la
Galipia , qui a fait un feu très-confidérable. Les
Turcs ont eu foixante hommes tués , & cinquante
bleffés . Il y a eu une quainzaine d'hommes de
tués , & une quarantaine de bleffés du côté des
Maltois. Parmi leurs bleffés on compte deux
Chevaliers , dont les bleffures font légeres .
>
Le 15 les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à 1890 liv . les Billets de la feconde Lotterie
Royale étoient à 624 ;. ceux de la premiere
n'avoient point de prix fixe.
Le même jour , la Reine s'étant trouvée encore.
indifpofée , le grand couvert fut mis dans l'appar
tement du Roi , & Sa Majefté y foupa avec Monfeigneur
le Dauphin , Madame la Dauphine , &
Meldames de France.
On fir jouer le 15 toutes les eaux du Parc pour
les Députés des Etats de Bretagne.
Le même jour , le Fils du Roi d'Anamabou fe
rendit ici , pour voir le Château & les jardins .
Le 16 , le Roi courut le Cerf dans les environs .
de Rambouillet.,
Le Duc des deux Ponts après avoir paffé ici
quelque tems fous le nom de Comte de Sponheim
, prit congé le même jour de Leurs Majeftés,
& de la Famille Royale.
182 MERCURE DE FRANCE.
Sa Majefté dîna le 17 à Trianon , & partit en
fuite pour Cho fy , d'où elle revint le 19 avec
Monfeigneur le Dauphin & Mefdames , qui y
étoient allés le matin .
Le 20 , le Comte de Kauniz - Rittberg , Ambaf.
fadeur de l'Empereur & de l'Impératrice Reine de
Hongrie & de Bohême , eut une audience parti
culiere du Roi , à laquelle il fut conduit , ainfi
qu'à celle de la Reine , par le Marquis de Ver
neuil , Introducteur des Ambaffadeurs ,
Le Roi retourna le même jour à Trianon , &
Sa Majefté y demeura jufqu'au lendemain.
Le même jour le Prince d'Anhalt- Zerbft prit
congé de leurs Majeftés .
Le tirage des Lotteries pour le remboursement
de partie des Capitaux de rentes fur les Poftes
tant de l'Edit de Novembre 1735 , que de l'Edit
de Juin 1742 , s'eft fait le 20 de ce mois dans l'hô
tel de Vile , en préſence des Pievôt des Mar
chands & Echevins-
On fir le 21 dans le même Hôtel le cinquiéme
tirage de la Lotterie pour le remboursement de
partie des Capitaux de rentes far la caiffe des amortiflemens
.
La Reine , dont la fanté eft parfaitement reta
blie , alla dîner le même jour à Putaux chez la
Ducheffe de Penthiévre.
Tour eft rég'é pour la nouvelle Commiffion que
le Roi a réfolu d'établir L´s Commiffaires chorfis
dans l'Ordre Epifco al font le Cardinal de
la Rochefoucauft , le Cardinal de Soubize , Archevêque
de Rouen & l'Evêque de Laon. Ceux
nommés dans la Magiftrature font MM . Tru
daine Bidé de la Grandville , Caftanier d'Au
riac , Confeillers d'Etat Ordinaires , & M. Joy
;
JUILLET. 1752. 189
By de Fleury , ancien Procureur Général du Parle
ment. Ils fe font déjà allemblés , pour conférez
fur l'objet de leur commiffion.
Il paroît une Declaration , par laquelle le Roš
ordonne que toutes les Requêtes Civiles , qui ont
été miles aux grands Rôles du Parlement depuis
la Saint Martin de l'année 1745 , & qui n'ont pas
été plaisées demeurent appointées à la fin de ces
Rôles , & qu'elles foient renvoyées dans les Chambres
, où auront été rendus les Attêts contre lef
quels lefdites Requêtes ont été obtenues .
Sa Majefté par des Lettres Patentes a déclaré
que les portions du Domaine & de la Châtellenie
de Goneffe , qui fe trouvent dans l'intérieur
des limites de la Capitainerie de Livry & de Bondy
, n'ont jamais fait , ni dû faire partie de cette
Capitainerie.
On a reçu avis que le Doge de la Répulique
de Gênes avoit enfin determiné le Sénat à confentir
qu'il abdiquât , & qu'on devoir procéder inceffamment
à lui donner un Succeffeur.
Le 22 , les actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix huit cens quatre-vingt- quinze livres;
les Billets de la premiere Lotterie Royale à fix
cens foixante -neuf , & ceux de la feconde à fix
cens vingt- quatre.
BENEFICES DONNE'S.
Le Roi a donné l'Abbaye de Villemagne , ordre
de Saint Benoît , Diocèle de Béziers , vacante par
la mort de l'Abbé Guyet , à l'Abbé de Boizay-
Courcenay , Vicaire Général de l'Evêché , d'Agde,
& l'Abbaye régulière d'Argenfolles , ordre de Citeaux
, Diocèle de Soiffons , laquelle vaquoit par
la mort de la Dame de Villefort , à la Dame de
Maupas, Religieufe du même ordre.
84 MERCURE DE FRANCE.
Lettre de Monfieur le Marquis d'Argens
Chambellan du Roi de Pruffe , à Monfieur
de B ***.
V
Ous aviez bien raifon , Monfieur , de m'annoncer
que je ferois étonné du nombre de
fautes dont fourmille le dernier livre que le fieur
Grangé a imprimé , & qui eft intitulé , Réflexions
Critiquesfur les différentes Ecoles de Peintures. En.
relifant mon Ouvrage j'ai trouvé fix cent quarante-
deux fautes d'impreffion parmi lefquelles il y
en a qui caufent des contre - fens terribles : il y a
des phrafes totalement changées & renversées , des
demi lignes omifes , des mots tranfpofés . Enfin ,
Monfieur , je ne crois pas qu'on puifle voir un Ouvrage
imprimé plus miférablement que le mien."
Ce qui me confole c'eft que les Lecteurs feront
fi frappés de la négligence du Libraire , que je ne
doute pas qu'ils n'ayent affez de juftice pour ne
pas mettre sur mon compte les bevues étonnantes
qu'ils appercevront en grand nombre dans toutes
les pages de ce livre. Car fans parler des adjectifs
mis fouvent au fingulier lorfque les fubftantifs
font au plurier , des ils pour des elles des terminaifons
mafculines au lieu de féminines. Il y a
des phrafes entieres qui n'ont pas le fens commun
par le changement ou par l'oubli de quelques
mots. Je me contenterai d'en citer ici deux ou
trois exemples. Si l'on donnoit un crayon à ces gensla
, apeinefauroient - ils deffiner un oeil , cependant à
les ouir ils apperçoivent des corrections dans les Tableaux
des plus grands Peintres François . Vous fentez
, Monfieur , combien le mot de corrections miss
JUILLET. 1752. 185
åla place d'incorrection rend ma pensée fauffe
puifqu'il s'agit des perfonnes qui trouvent les Tableaux
François incorrects . Voici quelque chofe de
plus ridicule,c'est ce qu'on peut conjecturer de fon Tableau
de la transfiguration de Saint Jean qui eft dans
le Cabinet de M. le Duc d'Orleans , pag. 40. Ne
trouvez vous pas plaifant , Monfieur , qu'un Libraire
choififle un Correcteur affez peu attentif
pour ne pas s'appercevoir que Saint Jean n'a jamais
été transfiguré , & qu'un Tableau de la tran figuration
de Saint Jean ne fçauroit exifter : l'oubli
de deux mots eft ce qui fait cette faute groffiére.
Voici comment doit être cette phrafe , c'est ce
qu'on peut conjecturer de fon Tableau de la transfigu
vation , de celui de Saint Jean qui eft dans le Cabinet
de M. le Duc d'Orleans . Vous voyez , Monfieur
, qu'elle énorme bévue cauſe l'oubli du mot
de celui.
Dans la page 45 il y a encore deux mots qui
rendent non -feulement toute une phrafe louche
mais même abfurde , Comme dans le Tableau de
Saint Paul préchant à Ephéfe , qui eft à Notre- Dame,
ceux qu'on voit dans l'Eglife de Saint Gervais ,
dans plufieurs autres confiderables qui font le plus
bel ornement de quelques - unes de nos Eglifes de Paris
dans cette phrafe le mot dans eft tranfpofé ,
& celui de compofition eft oublié .
Voici la phrafe telle quelle doit être.
Comme dans le Tableau de Saint Paulpréchant à
Ephefe , qui eft à Notre -Dame , dans ceux qu'on voit
à l'Eglife de Saint Gervais , & dans plufieurs autres
compofitions très confidérables qui font le plus bel ornement
de quelques - unes de nos Eglifes de Paris . Il
y a peu de pages où il n'y ait des mots omis. On
trouve dans la foixantiéme , par le clair obſcur qui y
eft très-fagement er ufage , le mot de mis eft oublié.
186 MERCURE DE FRANCE.
Il faut lire par le clair- obfcur qui y eft tres-fage.
ment mis en ufage. Dans la foixante & douzième
page le mot defini eft placé pour celui de fourni.
Cette différence rend ridicule toute une phrafe.
Ces deux Artistes ont fini à peu près la même
carriere , pour dire ont fourni à peu près la même
carriere. Dans la page foixante & feizième pour au
lieu de
par
n'eft pas moins abfurde . André del Sarto
peignit des têtes defantaifies qu'il décora pour l'alégorie.
Il faut être bien peu inftruit pour ne pas fem
tir qu'il faut par l'alégorie. Combien de fois , Monfieur
, ai je dit en voyant des fautes auffi lourdes,
que je plains les Auteurs dont les Ouvrages font
entre les mains de certains Libraires , lorfque ces
Auteurs font à deux cens lieues du Pays où on in
prime leurs Ouvrages. Dans la page foixantedix-
neuvième de mis au lieu de dans , rend une
phrafe inintelligible. Tont le mondefait l'avantage
que l'Albane & Rubens ont retiré de leur art , de
leurfemme. J'efpere que les Lecteurs intelligens
ne m'auront pas attribué une pareille abfurdité
& qu'ils auront compris qu'il falloit lire ont reti
ré dans leur Art de leur femme. Dans la page cent
quatre il y a deux bevues énormes , nous en cite=
Tons iciplufieurs exemples qui pourront être ufités aux
Peintres au lieu de plufieurs exemples qui pourront
être utiles aux Peintres . Quant à la feconde
faute qui le trouve dans cette page, j'avoue qu'elle
m'a fait rire aux larmes , je parle d'un Tableau
de la Cêne peint par le Teintoret . Je trouve manvais
qu'il ait fait affeoir les Apôtres fur des chaifes
de paille faites à la moderne, au lieu de les placer fur
des lits felon l'ufage des Anciens qu'il leur ait fait
tenir à la main au lieu d'urnes , des flacons garnis de
jonc, comme ceux où l'on merle vin de Monte Pulcia
Da, l'habile Libraire & ſon Correcteur ont ſubſti
JUILLET. 1752. 187
tué le mot d'armes à celui d'urnes , & ont cru que
je condamnois le Tentoret pour n'avoir pas fait
faire aux Apôtres la Cêne les armes à la main
comme la font les Reformés du Vivarez dans
leurs Affemblées fécrettes . Il y a plufieurs endroits
où l'on a changé les mots : dans la page cent foi.
xante-neuf on a mis l'Eglife Saint Germain
pour l'Eglife Saint Martin . Dans la page cent
quatre-vingt- neuf on a fubftitué eu, au lieu de a en
ungoût audeffein , il faut , un got de deffein ; dans
la page deux cent quinziene aux eft mis à la place
en a peint aux pieds , il faut peint en pieds :
dans
la
page deux cent vingt- neuf on a oublié le mot
de Flamand , il faut lire d'ailleurs presque tous ces
Tableaux Flamands péchent par la correction. Enfin ,
Monfieur , j'abuferois de votre patience fi je faifois
ici mention de toutes les autres fautes groffieres
qui fe trouvent dans ce livre . Je finirai par
une qui met en évidence le peu d'attention des
perfonnes qui ont pris foin de cette Edition : je .
parle à la page cent quatre- vingt dix - neuf des portraits
hiftoriés qu'a peint Defportes , & je dis il a
peint plusieurs portraits dans lesquels il aplacé des
Animaux quifont fort beaux. On peut regarder ces
portraits comme des Tableaux d'histoire , ayant employé
dans plufieurs des Jujets de la Fable. Les Editeurs
ont mis le mot de portail à la place de celui
de portrait. Enfuite ne trouvant pas que ce que je
difois convint à un portrait , ils ont cru devoir
accommoder à l'idée d'une porte ce qui avoit été
écrit dans l'idée d'un vifage ; & voici comment
ils ont imprimé la phrafe que je viens de
tranfcrire . Il a peint plufieurs portails dans lesquels
it a placé des animaux qui font beaux , & qu'on
peut regarder comme des Hiftoires . Affurement je ne
crois pas que le fieur Grangé veuille que la porté
188 MERCURE DE FRANCE.
·
rité regarde fes Editions comme auffi correctesque
celle des Elzevirs , ce n'eft pas la feule fois
où les Editieurs de cet Ouvrage le foient avifés
de fubftituer quelques expreffions de leur façon
Je dis à la page cent quatre- vingt deux , que le nud
des figures du Pouffin tient beaucoup de la Pierre ,
porte avec lui plutôt la dureté du marbre que la délicateffe
de la chair. Cela a paru avoir beſoin de
correction aux Editeurs , & ils ont ajouté l'épi
thete de Peintre au mot de pierre , épithete ridicule
pour quiconque connok le ftyle des Peintres.
En voilà affez, Monfieur , je n'abuferai pas davantage
de votre patience , je vous avoue que
je fuis confus que mon nom paroiffe à la tête
d'an Ouvrage autfi mal imprimé. Je ne fçaurois
affez remercier ceux qui en faveur du fond des
chofes dont je parle ont bien voulu excufer les
bevues fans nombre qui fe trouvent dans ce livre
; bévues dont je fuis bien plus fâché qu'eux,
& qui me dégoûtent pour toujours de faire imprimer
dans une Ville où je ne ferai point . Rendez
fi vous le jugez à propos , Monfieur , la Lettre
que je vous écris publique , elle pourra fervir
d'avis aux Auteurs qui pourroient tomber
dans le même piége que moi . Je fuis , &c .
A Poftdam, le 22 Avril 1752,
JUILLET.. 1752. 189
Article particulier.
L'Arrêt rendu en faveur de la Maifon de Montpefar
eft du 24 Mars dernier & non du 14 comme
on l'a dit dans le précedent Mercure. Les Lettres
Patentes accordées à raifon de ce , font du 9 Avril,
fignées par le Roi.
DO
ם כ
Il n'a été fait mention dans le précédent Mer
cure que du débourement porté par ledit Arrêt
contre M. de Dyons , Préfident à Nifmes , & M.
Ramiere de la Boiffiere , fon frere , parce que M.
de Cadolle , Seigneur de Trefque & du Marquifat
de Monclus , autre neveu de M. l'Evêque d'Alais
à donné un défiftement comme il eft dans l'Arrêt
du 24 Mars. » Le fieur de Cadolle déclara qu'étant
pleinement inftruit des conventions paffées le 14
» Avril 1749. entre l'Evêque d'Alais fon oncle &
ale Suppliant en préfence du Duc d'Uzès , par
lefquelles ledit Evêque d'Alais le départ du Pro-
» cès qu'il avoit intenté au Marquis de Montpefat
au Confeil des dépêches , reconnoiffant ( ajoute
» le fieur de Cadolle ) que les Montpefat ont droit
de porter le même nom depuis environ trois
» fiécles , & de jouir de tous les titres de leur maifon
qui font évidens & inconteſtables , il le dé-
» part & fe défifte purement & volontairement du
procès dans lequel le fieur Evêque d'Alais l'a
obligé d'intervenir , pendant au Confeil des dé-
"pêches , & que s'il arrivoit que ledit Evêque malgré
l'abandon de fes pourfuites porté par les con-
» ventions voulut les reprendre contre les Suppliant
, foit à raison de fon nom de Montpelat ,
» & des titres de Baron & de Marquis , ledit fieur
Evêque d'Alais ne pourroit en rien fe fervir de
20
ל כ
20
כ
a
190 MERCURE DE FRANCE.
fa procuration précédente , confentant ledit fiear
de Cadolle , qu'en vertu dudit défiftement , fa
» demande au Confeil des dépêches , contre la
» Maifon de Montpefat foit comme non avenue ,
ne prétendant porter aucun préjudice au chef &
aîné des Montpefat, & c. Ce défiftement annonce
la bonne foi du fieur de Cadolle & la juſtice des
droits qui étoient difputés à la Maifon de Montpefat
, plus anciennement connue fous le nom de
Tremolety, ainfi qu'il paroît par différens actes.
Elle poffede celui de Montpefat fucceffivement depuis
environ trois fiécles : en effet les Trémolety de
Bucelly qui étoient confidérables en Italie avant
leur établiffement en France , ne font connus que
fous le nom de Montpefat , illuftré & recommendable
par les differentes maifons qui l'ont porté :
celle du Marquis de Montpefat , dont le fils aîné
eft Lieutenant de Roi de Languedoc & l'un des
quatre premiers Barons du Dauphiné, le poffede en
effet fort anciennement comme nom de famille &
a été illuftré fous ledit nom qui a été donné à raifon
de ce , à fes Terres de Languedoc , par les Let
tres Patentes de 1745 confirmées par le Roi ; Sa
Majefté y accorde les titres des Montpelat au Marquis
de ce nom , & à défaut de mâles aux Demoifelles
de cette maifon. Le Roi y ordonne encore
que tous autres qui n'auront pas les mêmes titres
que les Montpelat ne pourront pas en porter le
nom & que le fils ainé du Marquis de Montpefat
fera titré du vivant même de fon pere , en confidération
d'ane action diftinguée qu'il fit au dernier
fiége de Philifbourg , où il étoit dans le Régiment
du Roi Cavalerie & aide de Camp du Maréchal
Duc de Belle- Ifle .
Les autres Maifons de Montpefat font éteintes
La plupart même ne portoient ce nom que comme
nom de Terre,
JUIN. 1752. 101
Pierre III. du nom , ayeul du Marquis de Mont
pefat étoit Maréchal de bataille & avoit eu un Regiment
connu fous le nom de Montpefat , felon la
Lettre dont le feu Roi l'honora , en date du mois
de Juin 1656. lorfqu'il commandoit ledit Regiment.
Le grand oncle de George de Montpelat ,
pere dudit Pierre III . étoit Commandeur de Montpellier
en 1550 ; on le connoiffoit fous le nom de
Bucelly. Georges eut un frere également Chevalier
de Malthe & reçu en 1696.
Le pere & les oncles du Marquis de Montpefat
avoient ſervi avec diſtinction ; l'un d'eux avoit
commandé un autre Régiment de Montpefat qui
eft aujourd'hui Limoufin. Indépendamment des
alliances des Maiſons confidérables de Baut , de
Tertulis , & de Briges , répréfentée par le Marquis
de Briges , Ecuyer du Roi , la Maiſon de Montpefat
, qui joint à préfent à fes armoiries celles de
Tertulis qui font un lys d'argent fur un champ
d'azur , a encore les alliances des l'Efdiguieres repréfentés
par la maifon de Villeroy , & de la maifon
auffi ancienne qu'illuftre de Bernis repreſentée
par le Marquis de Cenan & le Comte de Bernis
fon frere , Comte de S. Jean de Lyon de l'Acadé
mie Françoife , Ambaffadeur pour le Roi à Venife,
192 MERCURE DE FRANCE.
NAISSANCES , MARIAGES
& Morts.
Le 2 Mars , naquit & fut baptifé le même jour ,
Pierre - Charles-François d'Elparbez de Luffan
& eu pour Parrein Pierre - Charles- François Bouchard
d'Efparbez , de Luflan , d'Aubeterre
Comte de Jonfac , Marquis d'Ozillac , Maréchal
des Camps & Armées du Roi , Gouverneur des
Ville & Château de Colliouvre & du Port-vendre,
Capitaine Châtelain de Caftel- Cuillier , Lieute
nant général des Provinces de Xaintonge & Angoumois
, & pour Mareine Magdelaine d'Elparbez
de Luffan , fille de Frix d'Efparbez de Luflan , Che
valier , Seigneur d'Arlens & de Thereſe d'Argelé.
Pierre Charles- François eft fils de Pierre d'Efparbez
de Luffan , Chevalier , Seigneur de Flou
rés , demeurant dans fon Château noble dudit
Flourez , Diocèle d'Auch : & de Thereſe du Clos ,
fille de François du Clos , Seigneur de Gouts , &
de Catherine du Clos qu'il a épousé par contrat du
13 Fevrier 1749. Pierre d'Efparbez à pour pere
François d'Efparbez de Luffan premier du nom
Chevalier , Seigneur de Flourés , qui avoit épousé
en 1708 Marie de Malvin fille de Henri de Malvin,
Seigneur de Caffaignau , & de Marguerite de
Beuftes. François avoit pour freres Pierre d'Efparbez
de Luflan de Flourés , Chanoine de Marciac,
& François d'Efparbez de Luffan deuxième du
nom , qui a épousé en Juin 1749 , Rofe de Reffeguier
, de Coutens , fille de François de Ref
feguier, Seigneur de Juillac & de Coutens , &
d'Andrée de Riviere. François premier du nom
étoit troifiéme fils de Dominique d'Efparbez de
2
Luffan 2
JUILLET. 1752. 193'
Laffan , Chevalier , Seigneur d'Arlens , qui en
Janvier 1648 avoit époufé Angelique de Montaut.
Dominique avoit pour pere Jean- Jacques d'Ef
parbez de Luffan , qui en Mai 1594 s'étoit allié à
Jeanne du Clos d'Arlens , & pour ayeul Jean
d'Efparbez de Luffan , Seigneur de Coignax , qui
en Septembre 1564 avoit épousé Marguerite Monboyée
de Payminet.
Jean étoit fecond fils de Pierre Defparbez de
Luffan , Seigneur de Bellot & de Beaulieu , dont
le pere Jean Defparbez de Lufſan , étoit troilìéme
fils d'Odet premier , ou Armand Deſparbez , vivant
en 1439 ; ce qui eft juftifié par les preuves que
Jean- Pierre Delparbez de Luffan , Seigneur de
Coignax fit en 1667 devant le Subdelegué de M.
Pellot Intendant de Guienne , & en 1698 fut maintenu
avec François Michel Defparbez de Luffan
fon frere & Arnaud Guillem Defparbez de Luffan,
Seigneur d'Arlens fon coufin , par jugement de M.
le Pelletier , Intendant de Montauban. Il avoit
époulé Jeanne de Labarre , par contrat du 30 Septembre
1660. Voyez fur cette Maiſon , l'Hift. des
Gr. Off. toin. VII. p. 460. & le Mercure du mois
Aout , 1750. p . 206.
Le 24 Avril 1752. La Marquife de Gamaches
accoucha d'une fille , baptifée le même jour à S.
Sulpice. Elle eut pour Parrein le Maréchal de la
Motte Houdancourt , & pour Marreine la Marqui
fe de Pomponne .
Marie- Therèle de Broglie , née le 11 Mai 1732 .
Fille de François- Marie Duc de Broglie , Maréchal
de France , Chevalier des Ordres du Roi , &
de Thérèſe- Gillette Loquet de Grandville époufa
le 20 Décembre 1751. M. le Marquis de Lameth
auquel le Roi a donné depuis , la charge de Mef.
tre de Camp d'un Régiment de Cavalerie qu'avoit
I
194 MERCURE DE FRANCE.
le Comte de Broglie fon beau frere .
Le Marquis de Lameth , dont la foeur a épousé
en 1747 le Comte de Clermont- Thoury , eft chef
du nom & armes de fa Maiſon , & fils d'Hentie
Louis de Lameth , Seigneur de Hennencourt & de
Jofeph-François Lefournier de Wargemont , marié
le 13 Décembre 1722. Leur trifayeul , Jean de
Lameth , Seigneur de Bournonville avoit épousé
le 17 Janvier 1600 Louife de l'Ile -Marivaux
Dame de Traflereux .
Jean avoit pour pere Adrien de Lameth- Bournonville
qui avoit époufé Anne d'Efourmel.
Adrien étoit fils de Philippe de Lameth de Henencourt
qui avoit époüfé en 1541 Anne , heritiere
de Bournonville.
Philippe étoit fils de Jacques de Lameth dit de
Henencourt , Gouverneur de Corbie , mort le 14
Juin 1541. né du Mariage contracté en 1460. par
Jacqueline de Henencourt , avec Antoine de La
meth mort le 22 Décembre 1494 , célebre fous le
regne de Louis XI . au fervice duquel il pafla après,
la mort du dernier Duc de Bourgogne.
Cet Antoine avoit pour Bifayeul Thiebaut de
Lameth , Seigneur de S. Martin fur Cayeu , en
Artois , lequel ayant épouſé Iſabeau de Neuville ,
fat tué à Azincourt en 1415 portant l'étendart de
la Maifon de Neuville dont les armes freté de
gueule fur or , forment encore le troifieme quartier
de Meffieurs de Lameth , qui portent d'Henen .
court au fecond d'argent à trois Maillets de Sable
, & au premier & quatre les armes de Lameth ,
qui font de gueulles à la bande d'argent accompagnée
de 6 croix de même recroifettées au pied.
fiché , il n'y a de différence que l'émail des croix
qui font d'or aux armes de Tyrel, Maifon des Seis
gneurs de Poix en Picardie
JUILLET. 1752. 195
Ce Thiebaud avoit pour trifayeul Robert de La
meth vivant en 1212. qualifié Ecuyer de Baudouin,
Comte de Flandre & de Hainault , Empereur de
Conftantinople.
Du mariage de l'héritiere de Henencourt forti
rent deux autres fils puînés ; le plus jeune Claude ,
Seigneur de Beaurepaire fur Oife , étoit trifayeul
de la Ducheffe de Charoft décédée le 22 Novem
bre 1712.
L'autre , Antoine , Seigneur du Pleffier fur Saint-
Juft , né le 17 Juin 1479 , eft mort en 1541 ,
avoit été Général des Finances de François I. en
Picardie , Champagne & Brie , & Ambafladeur vers
les Ligues Suiffes ; fa pofterité qui fubfifte a été
célébre fous le nom de Buffy - Lameth. Ce nom de
Buffy fur Aifne eft l'ancien fief dit de Locres , acquis
d'Ifabeau de Bethune le 16 Août 1480 , avec
la Seigneurie d'Anify- le- Chatel , par Guillaume
de Biche , Chevalier , Préfident des Finances , Confeiller
& Chambellan de Louis XI . fon Gouverneur
de Peronne , Mondidier , Roye , & Seigneur de
Clery près Peronne.
Sa petite- fille Michelle de Clery , Dame de Pinon
, Buffy , Anify- le-Chatel , Vicomteffe de Laon,
née de Jean de Biche & de Jeanne de Crevecoeur,
mariée le 29 Janvier 1498 , époufa cet Antoine de
Lameth , qui ne laiffa qu'un fils unique Chriſtophe
mort en 1572 , mari d'Iſabeau de Bazencourt,
béritiere de Bouchavanes. Leur fils aîné Charles
de Lameth , Seigneur de Pinon , Buffy , Vicomte
de Laon , laifla de Louiſe de Lannoy deux fils
Louis & Charles.
Charles fut le célébré Buffy- Lameth , Gouverneur
de Mezieres , tué en Septembre 1637 , pere
de la Baronne de Pont- Saint- Pierre ( bifayeule de
Madame de Rothelin ) & d'Autoine de Lameth ,
I ij
496 MERCURE DE FRANCE.
Comte de Buffy , Lieutenant général , Gouverneur
de Mezieres , décédé le 22 Juin 1652 , laiflant la
Frince le de Gourtenay & la Marquife du Châtelet-
Cirey , defquelles la poftérité eft éteinte , & la
mere du Comte de Mainville , lequel en a hérité.
Louis frere aîné de Charles , a été le bifayeul
par ſa ſeconde femme Marie le Sénéchal , de Louis-
René Comte de Buffy , & de fon frere confanguin
Claude François Comte de Buffy -Lameth , premier
Gentilhomme de la Chambre de S. A. S. M.
Je Prince Souverain de Dombes.
Claude-François de Lameth Comte de Buffy,
eft veuf du 24 Septembre 1740 de Marie- Elifabeth
Maron , qu'il avoit épousée le 15 Février 1738 , &
en a un fils Louis -Claude Matthieu , né le 21
Septembre 1739 , en la maifon noble & Seigneurie
de Bully en Poitou , Paroiffe de S. Secondin
Diocéfe de Poitiers .
Gabrielle- Elifabeth Galland , âgée de vingt ans ,
fille unique de Meffire Pierre- Edme Galland , Seigneur
Baron d'Eftrepagny en Vexin , & Seigneur
de Changy , Confeiller du Roy , Maître ordinaire
en la Chambre des Comptes , & de Dame Elifabeth
Boulet , fille de Nicolas Boulet , Conſeiller au Parlement
, fut mariée le 17 Mars 1752 avec Meffire
Michel-Jacques Turgot , Chevalier , Marquis de
Soubs- Mons & autres lieux , Confeiller du Roy en
tous fes Confeils , Préſident de fon Parlement , fils
de défunt Meffire Michel -Etienne Turgot , Chevalier
, Marquis de Soubs- Mons , Seigneur de
Saint-Germain ſur Eaulne , Confeiller d'Etat ordinaire
, Préfident honoraire du Parlement , ancien
Prévôt des Marchands de la Ville de Paris , & de
Dame Magdeleine - Françoife Martineau . La céré
monie de ce mariage fut faite en la Chapelle par
siculiere de M. le Préfident Turgot , dont le coa
JUILLET. 1752. 197
rat de mariage avoit été honoré le 14 du même
mois de la fignature du Roy , de la Reine , & de
toute la Famille Royale.
M. le Préfident Turgot eft né le 21 Août 1719,
reçu Avocat du Roy au Châtelet le 21 Décembre
#738 , & fucceffivenient Confeiller au Parlement
en la feconde Chambre des Enquêtes le 7 Août
1742 , Maître des Requêtes de l'Hôtel du Roy
les Juillet 1743 , & Préfident du Parlement le
Mai 1747.
Meffire Jofeph - Marie de Covet , Chevalier
Marquis de Marignane & des Ifles d'Or , Seigneur
de Vitroles-Gignac , Saint-Victorer , Pléfiau- Guibert
& Bezaure , Lieutenant général des Armées
du Roy , Commandeur de l'Ordre Royal & Militaire
de S. Louis , Gouverneur des Forts & Châ
teau de Portecrots , ci- devant premier Sous - Lieutenant
des Chevau légers de la Garde du Roy,
mourut à Aix en Provence , fa patrie, le 25 Février,
âgé de cinquante - trois ans. Il étoit au fervice de
puis 1713 ; il fut fait Sous Lieutenant des Chevaulégers
de la Garde en 1718 ; il a fervi depuis ce
tems avec diftinction à la tête de cette Troupe
fur tout dans les deux dernieres guerres. Il avoir
époufé en 1722 Marie- Marguerite d'Orcel , fille
de Meffire Jacques d'Orcel , Seigneur de Pléfiau-
Guibert & Bezaure , & de Dame Dorothée d'AIbert
du Chaîne . Il étoit fils de Meffire Gafpard de
Cover , Marquis de Marignane & des Ifles d'Or ,
Seigneur de Vitroles , & Gouverneur de Portecrots
, Capitaine au Régiment de Noailles Cavalerie
, & de Dame Marie de Cruffol d'Amboiſe ,
qu'il avoit épousée en 1692 , & neveu du Comte
de Marignane , Lieutenant général des Armées du
Roy , mort en 1738. Voyez la quatrième Partie
des Tablettes hiftoriques , page 97.
Liij.
198 MERCURE DE FRANCE.
Meffire N ... Roullin de Bellebat , Chevalie
de l'Ordre Royal & Militaire de S. Louis , Commandant
du Château de Sedan , y eft mort âgé
de quatre-vingt-treize ans . Il avoit fervi cinquante
ans , pendant lefquelles il avoit été à dix Batailles
& vingt Siéges , où il avoit été plufieurs fois bleffé,
& avoit eu le bonheur & 1 honneur , par fa prudence
& fon courage , de fauver la vie à feu M.
Philipe Duc d'Orléans , Régent du Royaume ,
au Siége de Lerida : ce Prince en rendit témoignage.
Cette famille eft anciennement connuë par
les fervices qu'elle a rendus à l'Etat , tant dans les
négociations étrangeres , que dans l'épée , & ceux
qu'elle continue encore de rendre aujourd'hui. H
avoit époufé N. de Monrefier , four cadette de
Madame la Comteffe de Raymond & de M. de
Monrofier , ancien Commiffaire ordinaire des
guerres , Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire
de S. Louis, de laquelle il n'a point laiffé de pof.
tezité.
JUILLET. 1752. 199
LETTRE de M. Robert , Géographe
ordinaire du Roy , à l'Auteur du Mercure,
ce 23 Mai 1752.
MONSIEUR ,
J'ai eu dans le tems communication des Obfer
vations qui paroiffent fous le nom des Demoiselles
Jaillot , mais j'ai cru ne pas devoir y répondre. Il
n'en eft pas de même de l'Avis que vous avez mis
dans votre Mercure du mois de Mai , page 212.
Vous dites , Monfieur , que les Demoiselles Jaillot
prouvent dans ces Obfervations que le nouvel Atlas
proposé par foufcription ( que je fais ) non feulement
ne peut être complet & fuffifant en cent Cartes , mais
auffi qu'il ne donne rien qui ne fe trouve chez elles o
leurs Confreres ; comme auffi que c'est à tort que
feur Boudet dans for Proſpectus me donne tous les tréfors
de MM. Nicolas , Guillaume , Adrien & Mou-
Lard Sanfon , puifqu'elles feules poffédent la Géogra.
phie moderne de Guillaume Sanfon.
le
Vous me permettrez , Monfieur , de vous faire
obferver que les Demoifelles Jaillot ne prouvent
rien . 1 ° . M. Boudet a dit dans fon Profpectus que
cet Atlas étoit complet & fuffifint pour le plus grand
nombre ; ce qui eft vrai , & c'eft mon intention de
remplir cette condition . Si l'on veut malignement
omettre ces mots , pour le plus grand nombre , &
prendre le mot complet dans la rigueur , il eft cer
tain que jamais il n'y aura d'Atlas qui puiffe remplir
ce titre. Pourquoi faire un procès fur le mot
complet Avant nous M. Emanuel Bower , Géographe
de Sa Majefté Britannique , a publié en
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
7739 un fyftême complet de Géographie en deux
volumes in- folio , dans lequel il ne fe trouve que
foixante- onze cartes , fçavoir , trente dans le premier
volume , & quarante- une dans le deuxième ,
petit format , qu'on ne pourroit regarder que comme
grand in- 4°.
2º. Vous dites , Monfieur , que mon nouvel Atlas
ne donne rien qui ne fe trouve chez elles & leurs
Confreres : la Géographie a tellement changé de
face depuis 1670 , tems auquel les principales cartes
du fonds des Demoiſelles Jaillot ont été faites,
qu'on peut dire qu'elles font abfolument hors d'ufage
aujourd'hui . De plus , je foutiens , & il me
fera aifé de le prouver , qu'il eft impoffible de faire
unAtlas complet , uniforme & fi fifant, même pour le
plus grand nombre , avec les cartes qui fe trouvent
chez tous les Géographes François & Etrangers , &c.
qu'elles font préfentement défectueuſes , les unes
plus & les autres moins.
2º. Vous dites enfin , Monfieur , que c'est à tort
que le fieur Boudet dans fon Profpectus me donne
tous les trésors de Nicolas , Guillaume , Adrien ¿o
Moutard Sanfon : M. Boudet a dit vrai , & il ne
fçait ce qu'il avance que de moj ; j'en puis donner
des
preuves convaincantes. Je vous prie , Monfieur
, d'obferver que quand on parle des trésors &
travaux d'un Sçavant , on entend les matériaux
qui lui fervent à compofer des Ouvrages utiles au
Public or je pofféde feul ces tréſors & travaux
géographiques des Sanfon ; j'ai donc eu raifon de
faire dire à M. Boudet ce qu'il avance dans fon
Profpectus. De plus , je pourrois dire la même
chofe des cartes , puifque celles que Guillaume &
Adrien Sanfon ont faites en deux feuilles pour
M. Jaillot ( qui fe trouvent réduites en une feuille,
contre la convention expreffe de l'Auteur avea
JUILLET . 1752. 201
PEditeur )font des copies de celles de Nicolas
Sanfon pere , dont je pofféde feul le fonds , la bibliotheque
& les matériaux.
Je fuis , &c.
ROBERT, Géogr. ord.'du Roy:
REPONSE
Itaff,de café,s'er et neque fitas lesconditions
qu'on lui attribuë ; de prefque complet & de fuffifant:
› Dans tout ce qu'il renfermera de cartes des Provin
ces de France ( ce qui eft un article confidérable ,
fans en difcuter d'autres ) on peut démontrer que
le point d'échelle de ces cartes eft trop court au
moins de moitié , pour pouvoir contenir d'une ma
niere complette tout ce qui eft de même qualité
ou condition dans le détail géographique d'une
Province , çavoir , les clochers fimplement , fans
exiger d'autre circonftance locale plus recherchée:
-Cependant de deux clochers ou Paroiffes qui tien
nent le même rang , & font en égalité à d'autres
égards , comment & par quel choir ou confidéra
tion l'une de ces Paroifles fera- t-elle admiſe , &
Pautre rejettée ? L'exemple d'un Géographe Anglois
, qui pour prévenir le Public & lui en impo
fer , aura abufé du terme de complet , ne juftifieroitpaass
un autre Ouvrage, quand il feroit un peu moins
incomplet.
L feroit aifé , s'il étoit queftion d'entrer en dé
avons dit
M. Robert fe plaint en fecond lieu que nous
que le nouvel Atlas ne donneroit rien que
ce qui fe trouve dans d'autres cartes : nous attendons
pour changer d'opinion, que M. Robert nous
prouve le contraire .
On ne trouvera point à redire que M. Robert
1.
202 MERCURE DE FRANCE.
fafle valoir les travaux de MM, Sanſon , puiſqu'i
revendique le fonds de cattes de ces célébres Géographes
Mais après avoir qualifié de trésors ce qu'ils
ont fait d'ouvrages , il n'eft pas conféquent de dire
que la Géographie a bien changé de face depuis le
tems où les travaux de ces Géographes l'emportofent
fur ceux des autres. Il n'y a point d'exactitude
à dire que les Cartes de Guillaume & d'Adrien
Sanfon font des copies de celles de Nicolas. En confrontant
les parties du monde dreffées par Guil
laume, avec les précédentes de Nicolas fon pere ,
on diftingue aisément l'amélioration qui a été faite
dans les compofitions de Guillaume . Les Tréfors
géographiques de MM. Sanfon renferment - ils
quelque travail de réſerve , qui par une grande
fupériorité couvre les cartes dreflées par Guillaume
pour le fieur Jaillot , fur lefquelles M. Robert
s'explique , comme étant abfolument hors d'uſage
aujourd'hui ?
Enfin M. Robert alléguant , pour donner du crédit
à fon Atlas , que les Cartes chez tous les Géographes
François , ainfi que chez les Etrangers , fons
préfentement défectueuses , les unes plus , les autres
moins , on eft en droit de lui demander qu'il expofe
les moyens qui lui donnent l'avantage de fubiti
tuer des cartes plus parfaites. D'ailleurs , M. Robert
ignore -t'il que la protection d'un grand Prince
procure au Public depuis quelques annees une fuite
de cartes , aufquelles il ne manque rien pour les
recherches , pour l'exactitude , pour l'élégance
même.
JUILLET. 1752. 203.
ARRESTS NOTABLES.
A
RREST contradictoire de la Cour des Aides,
du 15 Décembre 1751 , qui infirme une Sentence
du Grenier à fel de Tours , du 21 Avril 1751 ,
en ce qu'elle n'a prononcé ni confifcation niamende
fur un Procès verbal de ſaiſie d'un pannier rempli
de langues de moruës , dans lequel il s'eft trouvé
du fel au-delà de la quantité néceffaire pour la
confervation du poiffon ; & faifant droit fur l'appel
du Fermier , confifque les chofes faifies , & condamne
la Partie en trois cens livres d'amende :
confirme au furplus ladite Sentence , en ce qu'elle
ordonne qu'à l'avenir toutes les marchandiſes de
faline deftinées pour la ville de Tours , feront con
duites au dépôt du Grenier , pour le fel fuperflu
en être ôté & fubmergé.
Autre du Confeil d'Etat du Roy , & Lettres Patentes
fur icelui , régiftrées en la Chambre des
Comptes , des 22 Novembre & 20 Décembre 1751 ,
qui commettent le fieur Defbarres pour faire &
continuer au lieu du feu fieur Gaudion , les recettes
& dépenses du Tréfor royal , des années 1742 ,
1745 & 1748.
Autre du Confeil d'Etat du Roy , du 21 Décem
bre 1751 , qui modere , à commencer du premier
Janvier 1752 , les droits de marc d'or , d'enregiftrement
chez les Gardes des rôles , fceau & autres
frais de provisions des Offices vacans , & autres
réputés tels , qui feront levés aux Revenus cafuels.
Autre du même jour , qui proroge pour un an ,
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
à compter du premier Janvier 1752 juſqu'au premier
Janvier 1753 , l'exemption des droits fur les
Beitiaux venant de l'Etranger , accordée par celui
du 22 Décembre 1750.
Déclaration du Roy , donnée à Verſailles le 21
Décembre 1751 , qui prefcrit aux Officiers des
Greniers à fel les formalités qu'ils doivent ſuivre
pour la vérification des échantillons de faux fel
faifi par les Gardes & Employés des Fermes ; &:
fre les droits qui leur feront payés pour cette
vérification .
Ordonnance du Roy , du 30 Décembre 1751 ;
pour l'établiffement d'une mafle fur la fomme fixée
par homme par mois , aux Capitaines des douze
Régimens d'Infanterie Allemande ,
du premier Juillet 1752 .
commencer .
Autre du premier Janvier 1752 , portant réglement
pour un fupplément de décompte de la
folde & des payes de gratification , à faire aux
Compagnies d'Infanterie Françoife & Etrangere ,
depuis le premier Juillet si jufqu'au dernier
Juin 1754.
Autre du même jour , concernant l'affemblée
des Bataillons de Milice & de Grenadiers Royaux.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roy , du même jour,"
qui renvoye aux Commiffaires députés pour juger
fes conteftations ou la Compagnie des Indes eft
Partie , la vér fication des titres des droits maritimes
, pour être par lefdits fieurs Commiffaires
Ratué fur lefdits droits en dernier reffort.
JUILLET. 17527 205
Arrêt du Confeil d'Etat du Roy , du 3 Janvier
1752 , qui proroge pour trois années l'attributiondonnée
à M M. les Intendans , par le Réglement
du 27 Janvier 1739 , pour connoître des conteftations
mûes & à mouvoir concernant la fabrication.
du papier.
Autre du 4 Janvier 1752 , qui homologue les
deux Délibérations de la Compagnie des Indes ,
des 24 & 29 Décembre 1751 ; en conféquence au-,
torife ladite Compagnie d'emprunter à conſtitution,
de rentes la fomme de dix- huit millions.
- Déclaration du Roy , donnée à Verſailles le 22
Janvier 1752 , en interprétation de l'Edit du mois
de Novembre 1750 , portant création d'une No-.
bleffe militaire .
Autre , donnée Verſailles le 4 Février 1752
qui ordonne que les Villes & Communautés qui,
ont ci - devant acquis & réuni , ou qui acquerront
& réuniront ci- après à leurs Corps , les Offices de
Receveurs & de Contrôleurs des octrois , deniers .
patrimoniaux , tarifs ,fubventions & autres reve
nus , en jouiront en vertu de leurs fimples quittan ,
ces de finance ou de fupplément de finance feulement
, lorsque le prix de leur acquifition n'excédera
pas fix mille livres , fans qu'il foit beſoin d'ob
tenir aucunes Lettres patentes fur les Arrêts qui
auront ordonné lefdites réunions.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roy , du 7 Février,
172, qui ordonne que les deux premiers volumes,
de Ouvrage intitulé : Encyclopédie ; ou Diction
naire raisonné des Sciences , Arts & Métiers , par une
Société de Gens de Lettres , feront & demeureront
fupprimés.
206 MERCURE DE FRANCE .
Arrêt du Conſeil d'Etat du Roy , du 8 Février
1752 , portant réunion des Offices d'Infpecteurs &
Contrôleurs créés par Edit du mois de Février 1745 ,
aux Corps & Communautés des Marchands & Artifans
établis dans l'étendue de la Généralité de
Paris.
Autre du 22 Fevrier 1952 , portant que les toiles
de lin & chauvre qui entreront par les Bureaux
établis fur les frontieres des Provinces d'Alface on
des Trois Evêchés , feront réputées de fabrique
étrangere , & comme telles affujetties aux droits
établis par l'Arrêt du Confeil du 22 Mars 1692 .
Autre du même jour , qui permet la fortie des
graines de lin du crû des Provinces de Flandre ,
Haynault , Picardie & Artois , pour être tranſpor
tées dans celles de Normandie & Bretagne
prenant des acquits à caution pour en affurer la
deftination .
en
Edie du Roy , donné à Verſailles au mois de Février
1752 , portant création de cent places de
Barbiers- Perruquiers , Baigneurs & Etuviſtes en la
ville de Verlailles.
Ordonnance du Roy , du premier Mars 1752 ,
pour la levée d'un Régiment Suiffe , du Canton de
Zurich.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roy , du 14 Mars
1752 , qui permet l'entrée des Drogueries & Epiceries
venant de l'Etranger , par le Bureau de
Saint-Dizier.
Autre du 19 Mars 1752, qui ordonne que le bail
JUILLET. 1752. 201
général des fruits & revenus de l'Archevêché de
Narbonne aura fon exécution , à commencer de
premier Janvier 1752 ; & que les Fermiers fortans
feront tenus de remettre à ceux entrans , les lieux ,
fermes , maifons & bâtimens , circonftances & dépendances
, à compter dudit jour , nonobftant tou
tes claufes contraires.
1
Arrêt da Confeil d'Etat du Roy , du 21 Mars
1732 , qui en interprétant celui du 10Février 1750,
& les Lettres patentes expédiées fur icelui le même
jour , registrées en la Cour des Aides le 24 Mars
fuivant , portant établiffement d'une ligne fur la
frontiere du Poitou , limitrophe des Provinces
d'Angoumois , de la Marche & du Limofin , contient
de nouvelles précautions pour prévenir les
abus , & affurer la régie & perception des droits
d'entrée , de fortie , & de la traite de Charente.
:
Autre du Avril 1752 , qui ordonne qu'il ne
pourra être publié & affiché aucunes Loteries dans
le Royaume , qu'elles ne foient autorisées par Sa
Majefté & fait défenfes à toutes perfonnes , de
quelque qualité & condition qu'elles foient , de fe
charger de la diftribution d'aucuns billets de loteties
, fans au préalable en avoir obtenu la permiffion
par écrit du fieur Lieutenant général de Police
dans la ville de Paris , & des feurs Intendans dans
les Provinces .
Ordonnance du Roy, da 23 Avril 1752 , portant
réglement pour un fupplément de décompte de la
folde & des payes de gratification à faire aux
Con agnies d'infanterie des Troupes légeres ,
du premier Juillet 1751 au dernier Juin 1752.
208 MERCURE DE FRANCE.
AVIS AU PUBLIC..
Un remede très- efficace pour guérir radicalė➡
ment , & en peu de tems , les Vapeurs des
Femmes , de toute espèce.
$
Par Brevet & Permiffion de M. Chicoyneau?
Confeiller ordinaire du Roy en fes Conſeils d'Etat
& Privé , Premier Médecin de Sa Majeſté , Surintendant
des Eaux Minérales du Royaume , &
Chancellier de l'Univerfité de Montpellier ; Le
fieur Pitara compofera , vendra & diftribuera dans
toute l'étendue du Royaume , un Emplâtre fpéci
fique pour guérir radicalement , & en peu de
zems , les vapeurs des Femmes de quel âge que
ce foit , quand même la Perfonne en feroit atta
quée depuis vingt, à trente ans , dans l'efpace d'un
mois ou fix femaines , fans que ledit Emplâtre
cauſe la moindre incommodité ni douleur. La
Perfonne qui s'en fervira doit l'appliquer fur le
nombril , & l'ylaiffer jufqu'à ce qu'il fe détache de
lui même. Cet Emplâtre n'eft pas plus grand de
la largeur d'un petit Ecu .
Le Sieur Pitara demeure rae S. Sauveur , la
porte cochere attenante à l'Hôtel de Navarre , au
deuxième Etage fur le derriere .
Le prix eft de 6 liures.
JUILLET. 175.2. 209
AUTRE AVIS.
Le fieur Maille , Vinaigrier , Diftilateur ordinaire
de la Reine d'Hongrie , donne avis aux Curieux
tant des Cours Etrangeres que de celle de
France dont il reçoit des Lettres tous les jours
qu'il le trouve dans l'impoffibilité de fatisfaire
leur demande pour du Vinaigre Philofophique ,
attendu que la grande quantité qu'il en a vendu
fait qu'il n'y en a plus , & que l'on ne recommencera
la vente dudit Vinaigre , qu'au premier
Septembre 1752. Ledit fieur travaille à la compofition
de differens Vinaigres & d'un efprit de
Vinaigre nommé Alkalifé , dont la qualité fera
de refifter avec plus de force à la putréfaction de
diffoudre les métaux avec plus de facilité , & de
précipiter les corps plus promptement : chofe extrêmement
utile à bien des perfonnes , qui font
dans le cas d'en faire ufage. L'on continue fans
aucune interruption , la vente de toutes fortes de
Vinaigres , tant pour la table que pour la toil
lette , qui font an nombre de quatre-vingt-deux
fortes , qui ont toutes une qualité parfaite pour
fe conferver & fe tranfporter foit par mer ou par
terre , fans aucune crainte .
Les perfonnes de Province qui fouhaiteront
pendant le courant de l'été avoir de la Moutarde ,
en trouveront chez le fieur Maille , une nommée
de fix graines , qui à la qualité de fe conferver
dix huit mois avec la même bonté . Il vend auffi
toutes fortes de fruits confits au vinaigre , qui
font pavie , bigarreau , pommes- d'amour , bru
410MERCURE DE FRANCE.
niots , cornichons , bled de Turquie , pois ver
ron d'Efpagne , arricots à la Genoife , & melons
marinés .
Il demeure à Paris , rue de l'Hyrondelle aux
armes Imperiales.
AUTR E.
Fauvel demeurant fous la grande porte de S
Jean de Latran , à Paris , fait & vend des bandages
d'yvoire pour toute efpece d'hernies , qui
ont les avantages fuivans.
Un feul fuffit pour la vie , comme ils font aftringens
, ils referrent & compriment les par
ties qui donnoient iffue à la hernie , ils excellent
furtout pour les hernies naiffantes , & plufieurs
jeunes gens en font guéris radicalement après
s'être fervis des autres inutilement durant plufieurs
années, ne pouriflant pas, il n'y a rien à regarnir,
comme ils ont très- peu de volume , ils ne chargent
ni ne groffiflent les culates de ceux qui s'en fervent,
érant fans fer ni acier ils n'écorchent & ne fatiguent
pas , n'ufent pas la chemife , & ne font pas porter
des bretelles comme les bandages ordinaires
aucun exercice n'oblige de les quitter , ce qui eft
prouvé par l'expérience de ceux & celles qui en
font ufage , c'eft auffi ce qui fait que la hernie
n'eft pas fujette à l'étranglement , ce qui eft un
très -grand avantage , enfin ils ont cela de particu
lier fur les autres que d'un bandage fimple on en
peut faire un double fans toucher au premier , en
y ajoutant un autre morceau d'yvoire , outre que
le point fixe en eft beaucoup plus sûr , & qu'on
&
JUILLE T. 1752. 211
peut rapprocher ou écarrer à fon gré & au besoin
l'une des deux piéces qui le compofent , les avantages
&, l'utilité de ces bandages font atteftés par
les certificats de plufieurs Médecins , tels que Meffieurs
Chomel & Morand , Docteurs , Régens de
la Faculté de Paris , & M. Miffa , Médecin de la
même Faculté , & de plufieurs autres perfonnes
dignes de foi , il prie les perfonnes de Province
qui voudront bien s'adreffer à lui , de lui envoyer
leur groffeur avec un fil , expliquer le côté
affligé , s'il le faut double , le côté qui l'eft le plus,
la groffeur de la hernie , fi la perfonne eft graffe
ou charnue , & fi l'aîne eft creufe , & d'affranchir
les Lettres.
AUTR E.
Madame de Launay , Veuve du fieur de Lau
nay fon epoux , Maftre en Chirurgie , & de l'Académie
Royale , fait à fçavoir au Public , qu'el
le tient la même manufacture , & les mêmes Ouvriers
, pour les bandages élaftiques , extrêmement
légers , folides , & commodes pour aller
à cheval , & faire toute forte d'exercice , fans
craindre de les caffer,

Il y a nombre d'années qu'elle a été reçue à S.
Côme Experte pour la guérifon des Décentes , &
qu'elle exerce dans Paris avec affez de réputation
& de fuccés , furtout pour les femmes , les enfans
les Religieufes, &c. Elle en envoye beaucoup dans
les Provinces pour les deux Sexes . Ces bandages
peuvent le porter la nuit étant couché , fans être
gênés.
212 MERCURE DE FRANCE.
Il fuffit de lui envoyer la meſure prife autour
du corps , fur les aînes , marquant furtout l'état.
de la Décente & le côté malade , fi elle fe rencontre
des deux côtés il faut défigner fi une tumeur
eft plus groffe que l'autre , & on peut être afluré
de les avoir parfaits , auffi - bien que ceux qu'elle
fait pour le nombril & pour la matrice en or ,
en argent , en yvoire , en buis , en cire , & c . avec
lefquels on peut faire toute forte d'exercice , fans
rien craindre ; le tout à jufte prix.,
"
Elle a auffi plufieurs remedes convenables : elle
donne fon avis quand on la confulte , en lui marquant
l'âge , le fexe & le tempérament du malade.
Sa demeure eft rue Saint Honoré vis - à - vis l'Qpera
, elle avertit qu'elle ne reçoit pas de Lettre fans
que le port ne foit payé.
EAU DES SULTANES ,
AVIS.
Le Public eft averti qu'il n'y a que le fieur
GARROT qui poffede le fecret & la con
pofition de la véritable Eau des Sultanes du feu
fieur Richard de Marolles , dont les vertus &
propriétés font incomparables pour l'embelliffement
de la
peau.
On peut s'en fervir le matin & le foir : Elle
rafermit la peau , la fortifie & l'adoucit confidérablement
en la blanchiffant . Elle a auffi la vertu
de rafraîchir. Elle convient non - feulement au
beau Sexe , mais encore aux hommes qui ont le
JUILLET. 1752. 213.
wifage brulé du foleil en courant la pofte ou la
chale. Il ne faut qu'imbiber un petit linge fin ou
une éponge avec cette eau , & s'en étuver pour
fe trouver promptement foulagé. Cette Eau eft
très-convenable dans les Bains de fanté & de propreté.
On la peut mêler avec l'eau du bain à vo◄
lonté. Lorsqu'on fera forti du bain , on peut l'employer
toute pure. On peut auffi après s'être bien
lavé les mains & les avoir effuyées , le les frotter
de ladite eau pure , puis la laiffer fecher fans les
effuyer que très légèrement. Cette Eau eft auffi
très bonne pour les taches de rouffeurs & les rougeurs
de la petite verole elle les effacent entierement.
Plufieurs Seigneurs & Dames s'en fervent ac
tuellement.
Il demeure prefentement , rue Saint Honoré ,
entre la rue des Poulies & le cul -de -fac de l'Ora
toire , chez M. Poirier , à la Couronne d'or.
Cette Eau fe débite en différentes Provinces.
Le prix du Flacon eft de fix livres , & le demi
Flacon eft de trois livres.
214 MERCURE DE FRANCE .
AUTR E.
Le Public eft averti que M.Seignette Confeiller
au Préfidial de la Rochelle , y demeurant rue des
Auguftins , continue de compofer & débiter le
véritable Sel Polychrefte , ainfi qu'il l'a toujours
fait depuis la mort de fon pere , Médecin de S.
A. R. Monfeigneur le Duc d'Orleans , il inet cont.
me ci -devant fon paraphe dans chaque paquet , & ;
tous ceux qui ne l'ont pas ne fortent pas de chez
lui , ceux qui en auront befoin peuvent s'adreffer
directement à lui , à l'adreſſe ci - deffus . On trouve
à Paris du Sel de fa compofition chez M. Lefebvre,
Marchand Epicier , rue des Arcis , à côté de la
petite vertu ; chez M. Manceau , Marchand Epi- ,
cier, rue S. Severin ; chez M. Guignon , Marchand :
Epicier rue Ferou ; chez M. Chenu , Marehand
Epicier , rue S. Martin , vis - à- vis S. Nicolas des
Champs , & chez M. Bourjot , Marchand Epicier ,
rue S. Thomas du Louvre , vis -à- vis l'Eglife.
J
APPROBATION.
'Ai lû , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le Mercure de France du mois de Juillet. ;
A Paris , les Juillet 1752 .
LAVIROTTE.
215
TABLE.
PLACES FUGITIVES en Vers & en Profes
L'utilité des Fables , Ode , 3
Diflertation fur les caufes naturelles des crues prodigieufes
du Fleuve du Nil dans l'Egypte ,
Imitation de la Fable favorite de Socrate. 38
Seance publique de l'Académie Royale des
Sciences , Infcriptions & Belles - Lettres de
Touloufe , du Jeudi 13 Avril 1752 , 42
Ode , à M. Daviel , Chirurgien Oculifte du Roi ,
SS
Difcours fur le goût trop vif qui regne dans la
Litterature pour les chofes de pur amuſement ,
0)
Epître à M. D. C.
60
77
Difcours qui a été lû dans une Séance de l'Académie
des Jeux - Floreaux , tenue le 21 Mars
1752 , pour la réception de M. Rafin , Confeiller
au Parlement , 80
Mots des Enigmes & du Logogriphe du fecond
volume du Mercure de Juin ,
Enigmes & Logogriphes ,
Nouvelles Littéraires ,
Beaux- Arts ,
102
103
108
153
Les infortunés Amours de Gabrielle de Vergi , &
de Raoul de Coucy , Romance .
Spectacles ,
Concert fpirituel ,
Nouvelles Etrangeres ,
161
168
170
171
France , nouvelles de la Cour , de Paris , & c. 178
Benefices donnés , 183
216
Lettre de Monfieur le Marquis d'Argens , Cham
bellan du Roi de Prufle , à M. de B ***
Article particulier,
Naiflances , Mariages & Morts
184
189
192
Lettre de M. Robert , Geographe ordinaire du
Roi , à l'Auteur du Mercure ,
Réponse ,
Ariêts notables .
Avis ,
La Chanson notée doit regarder lapage 161
De l'Imprimerie de J. BULLOT.
f
199
201
203
209
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
A O UST. 1752 .
LICIT
||
UT
SPARGAT
Non
Chez
A PARIS ,
La Veuve PISSOT, Quai de Conty ;
à la defcente du Pont- Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais.
JACQUES BARROIS , Quai
des Auguftins , à la ville de Nevers.
DUCHESNE rue Saint Jacques
au Temple du Goût.
?
M. DCC. LII.
Avec Approbation & Privilege du Roi,
AVIS.
'ADRESSE du Mercure eft à M. MERIEN ,
L Commis au Mercure, rue des Foffez S. Germain
l'Auxerrois , au coin de celle de l'Arbre -fec , pour remettre
à M. l'Abbé Raynal,
Nous prions très-inftamment ceux qui nous adreſſeront
des Paquets par la Pofte , d'en affranchir le port ,
pour nous épargner le déplaifir de les rebuter , & à eux
celui de ne pas voir paroître leurs Ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays Etrangers ,
quifouhaiteront avoir le Mercure de France de la premiere
main , & plus promptement , n'auront qu'à
écrire à l'adreffe ci- deffus indiquée.
On l'envoye auffi par la Pofte, aux perfonnes de Province
qui le defirent , les frais de la pofte ne font pas
confidérables.
On avertit auffi que ceux qui voudront qu'on le porte
chez eux à Paris chaque mois , n'ont qu'àfairefçavoir
leurs intentions , leur nom & leur demeure auditfieur
Merien,Commis au Mercure; on leur portera le Mercure
très-exactement , moyennant 21 livres par an , qu'ils
payeront , fçavoir , 10 liv, 10f. en recevant leſecond
volume de Juin , & 10 l. 10 S. en recevant le ſecond
volume de Décembre. On les fupplie inftamment de
donner leurs ordres pour que ces payemens foient faits
dans leurs tems.
a
On prie auffi les perfonnes de Province , à qui on
envoye le Mercure par la Pofte , d'être exactes à faire
payer au Bureau du Mercure à la fin de chaque femeftre
, fans cela on feroit hors d'état de foutenir les
avances confidérables qu'exige l'impreſſion de ces
ouvrage.
On adreffe la même priere aux Libraires de Province.
Les perfonnes qui voudront d'autres Mercures que
ceux du mois courant , les trouveront chez la veuve
Fot, Quai de Conti.
PRIX XXX. SOLS.
MERCURE
DE FRANCE ,
1.
DEDIE AUROI. ROI.
A O UST. 1752.
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
A Monfeur l'Abbé de Voifenon , Abbé
Commandataire de l'Abbaye
Royale du Gard .
RONDEAU IRREGULIER.
A
L'Amitié qu'eft- il de comparable ?
Rien fous les Cieux : en elle tout eft
beau ,
Tout eft flatteur , & tout eft agréable .
Toujours la même , elle eft fans ceffe aimable ;
Elle nous fuit jufques dans le tombeau.
Voilà les traits , le portrait véritable
ij
4 MERCURE DE FRANCE.
De la beauté qui te fert de flambeau ,
Et que tes mains rendent fi refpectable
A l'Amitié,
Puiffent long tems , fur le plus bel exemple,
Tous les Mortels fur nous avoir les yeux !
Dans l'Empirée Apollon nous contemple :
Déja fa lyre apprend à tous les Dieux
Que ,dans mon coeur , pour toi j'éleve un Temple
A l'Amitié.
LAFFICHARD
A O UST. 1752. 1752. 5
M選洗洗淡淡洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗
ASSEMBLE'E PUBLIQUE
De l'Académie Royale des Belles - Lettres
de la Rochelle , tenuë le 19 Avril 1752.
un Mi
Mouverture
de
Thilorier , Avocat , Directeur , fit
l'ouverture de la Séance pa par
Difcours fur la perfonne & fur les ouvrages
de Rabelais , qui doit fervir d'introduction
au Commentaire hiftorique qu'il
promet fur le Roman de grand Goufier ,
Gargantua & Pentagruel.
ور
Il feroit à fouhaiter , felon lui , que cer
Auteur fût entre les mains de tout le monde
; mais les obfcenités dont il eft rempli
, la critique trop amere des defordres
» du Clergé dans le quinziéme fiécle , &
» l'abus qu'il fait des paroles de l'Ecriture
» Sainte , rendroient cette lecture trop
dangereufe pour les moeurs ; il eft abfolument
néceffaire de le préfenter fous
» une nouvelle forme , de lui donner la
» décence moderne , en retranchant fes
» naïvetés fcandaleuſes ; ce n'eſt qu'à cette
>> condition qu'il doit être permis de con-
» ſerver ſes beautés originales , & de dé-
" voiler , autant qu'il eft poffible , les faits
hiftoriques fur lefquels roulent toutes
» fes allégories. A iij
"
30
MERCURE DE FRANCE.
M. T. a fenti toute la difficulté qu'il y
avoit à faire goûter fon idée , il ne l'a
point diffimulé ; & ayant à parler de Rabelais
devant une Affemblée refpectable ,
il débuta ainfi :
» A ce nom fi fameux dans la Républi-
» que des Lettres , fi vanté par un grand
» nombre de Critiques , fi décrié par d'au-
» tres , quel penfez - vous , Meffieurs , que
» doive être le deffein que je me fuis propofé
? Ne craignez - vous point que voulant
tirer l'or du fumier d'Ennius , je
n'éleve des vapeurs , dont les malignes
influences terniroient également la pu-
39 deur , & deffécheroient le germe de toute
religion ? C'eft ce qui arriveroit infailli-
» blement je voulois , Commentateur
trop exact, m'appefantir fur tous les traits.
» qui font fortis de la plume de ce célébre
» Ecrivain , &c.
20
L'Auteur paffa enfuite condamnation
fur tout ce qu'il y a de repréhenfible dans
Rabelais ; & après avoir obfervé que quelques
Auteurs érotiques ou polémiques
avoient trouvé dans la régularité de leur
conduite de quoi fauver leur perfonne du
blâme que méritoient leurs Ecrits , il convient
qu'on ne pouvoit rien dire de ſemblable
pour Rabelais . » Ses moeurs étoient
encore plus dépravées que fes Ecrits ne
AOUST. 17527 9
»
#font licentieux ; il ne faifoit l'éloge du
" vin & des buveurs , qu'après avoir pratiqué
à outrance les leçons qu'il leur
donnoit , & fes expreffions annoncent
fouvent que les Halles n'étoient pas
» les plus mauvais lieux qu'il fréquentât.
Cet aveu amenoit naturellement fon portrait
& le caractere diftinctif de fes Ouvrages.
M. T. après l'avoir repréſenté dans
tous les états qui ont partagé fa vie ,
» trop
Rabelais , dit-il , rapprochoit dans fa
» perfonne , comme dans fes Ecrits , toutes
» les extrémités ; fans effort il paffoit de la
» converſation des grands à celle des plus
» petits ; l'imagination encore falie des
brocards de la plus vile populace ; il re-
» venoit faire les délices de la Cour de
François I. pour tenir un moment après
» une place diftinguée au milieu des doctes
de l'Univerfité. Les Cercles de la Cour,
» les Hôtels de Paris , les tavernes des
» Provinces le poffédoient tour à tour , &
il avoit le talent fingulier de primer
» dans toutes ces fituations . Aufli comme
» il écrivoit de génie , du ftyle le plus
» harmonieux , il tombe tout à coup dans
» le plus bas & le plus rempant à côté
» d'une morale auftere , quelquefois même
» fublime , on lit des Contes poliffons ;
» tantôt la vertu y eft peinte des couleus
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE.
les plus vives & les plus aimables , &
» tantôt le vice s'y montre à découvert &
» avec tout l'odieux qui l'accompagne
» d'ordinaire chez les gens mal élevés ...
Tant de monftrueules inégalités ont dâ
faire porter de Rabelais des jugemens bien
différens. M. T. les examine & les apprécie
. Selon lui , Montagne , la Bruyere ,
Bayle & Voltaire ne donnent point de
Rabelais une idée affez jufte ; mais leur
fentiment peut fervir de correctif aux
éloges , peut être trop magnifiques , qui
lui ont été prodigués par M M. de Thou ,
de Sainte-Marthe , Sorbieres , Ménage
le Clerc , & quantité d'autres Sçavans du
premier ordre. Il rapporte enfuite ce que
les Critiques ont dit de Rabelais ; & avec
tous les égards dûs à ces grands Maîtres ,
il ofe , ou confirmer leurs éloges , ou réformer
leur cenfure , ou modifier leurs
décifions .
و د
>
» Le jugement de Montagne , dit - il ,
» n'eft ni affez exact ni affez détaillé ; ce-
» lui de Bayle n'eft ni affez libre ni affez
» précis ; celui de la Bruyere renferme trop
» de difparates ; la préférence décidée que
» M. de Voltaire a toujours donnée aux
Anglois fur les François , rend fon témoignage
fufpect . . . . . C'eft d'ailleurs
» un parallelle que M. de Voltaire a pré-
و ر
" ....
A O UST. 1752 .
tendu faire entre Rabelais & le Docteur
» Swift , & l'on fçait que ce genre d'Ouvrages
eft celui de tous où l'impartialité,
» fi néceffaire , fe trouve le plus rare-
» ment.
"
"
»
?
M. T. fouhaiteroit que » pour appuyer
» la préférence , M. de Voltaire eût donné
quelques morceaux de comparaifon ,
qu'il pouvoit prendre aifément dans les
» dix volumes du Docteur Swift , traduits
en François ; fans cela , dit- il , il est bien
difficile de ne pas fe laiffer entraîner au
»jugement des deux Nations réunies en
faveur de Rabelais. Les Anglois le lifent,
ils l'entendent , ils le goûtent , fans être
obligés de faire un petit voyage en for
Pays..
»
"
33
»
"
Le Temple du Goût paroît encore a
M. T. » un monument qui confervera à
» Rabelais une place que M. de Voltaire
n'auroit ofé donner au Docteur Swift.
» Quoique Marot n'ait pû y introduire
» que huit à dix feuillets de fes Poëfies ,
» Voiture & Sarrazin que foixante pages
» de leurs OEuvres . . . . . nous y voyons
» cependant dans un rang éminent l'Ouvrage
de Rabelais placé par la main des
» Mufes parmi ces Auteurs.
"
Qu'on lit , qu'on eftime & qu'on aime ,
Et dont la fageffe fuprême
Av
10 MERCURE DE FRANCE
و د
N'a ni trop ni trop peu de fleurs.
» Ceux qui doutoient que Rabelais valût
la peine d'être lû , en jugeront plus
» favorablement fans doute d'après tant
» de grands hommes ; mais les préjugés ne
» cefferont pas pour cela , & il s'en éleve
» contre Rabelais de plus d'une efpéce....
M. T. prétend qu'on peut
aifément le
défendre jufqu'à un certain point contre
fes Cenfeurs ; mais il refpecte les confciences
timorées , & il croit que leurs plaintes
font les feules qui méritent d'être écoutées
.
On ne sçauroit juftifier Rabelais , continue-
t-il , des reproches qu'on lui fait
fur la licence de fes expreflions & la
» liberté de fes penfées , fur les armes qu'il
prête à l'héréfie contre la vraye Eglife ,
» & qu'il lui ôte enfuite pour fapper les
»fondemens de toute Religion .
20
"
.... Si
» l'on difoit qu'il a dû faire parler les perfonnages
de fon Roman d'une maniere
»convenable à leur caractere , & que ces.
» perfonnages étant vicieux & groffiere-
» ment débauchés , il n'a pû que leur
laiffer leurs expreffions obfcenes ou im-
» pies , la réponſe feroit que de pareils
Héros ne doivent point fortir de leur
obfcurité.
"
A OUST 1752: It
M. T. avoue même qu'ils ne font point
effentiels au deffein que Rabelais avoit
de faire dans fon Roman la fatyre de tous
les états. » Il pouvoit contrafter avec les
» Héros vertueux qu'il fçair fi bien repré
>> fenter , fans leur oppofer ce que la lie
» du peuple offre de plus outré. On auroit
» fort bien compris jufqu'à quel point le
défordre régnoit dans plufieurs Monaf-
»teres du quinziéme fécle , quoique le
» Frere Jean des Entosimeures eût mis plus
de modeftie dans fes difcours , & qu'il
» n'eût pas franchi fr fouvent les bornes
» même de l'impiété. Quelque foit l'original
de Panurge , on fe feroit bien paffé .
d'avoir de lui un portrait & reffem-
» blant.
» Mais s'il n'eft pas poffible de juftifier
» entierement Rabelais de ce côté-là , il y
>> auroit cependant de l'injuftice à lui faire
» un crime de toutes les expreffions dont
» il fe fert , & qui font aujourd'hui inter-
» dites aux honnêtes gens. Pour en juger.
» fainement , il faut fe tranfporter au tems
» où il écrivoit ; on n'étoit pas alors fi
fcrupuleux fur le choix des mots , plufieurs
même n'avoient pas un fens auffi
» obfcene qu'ils l'ont à préfent....
Cere différence entre le quinziéme
fiécle & le nôtre donne occafion à M. T.
A vi
12 MERCURE
DE FRANCE.
d'examiner en paffant , fi les moeurs ont
beaucoup gagné au changement ; » fi ce
n'eft point plutôt à un raffinement de
"
volupté qu'à la modeftie de notre fiécle
» que nous devons ces périphrafes étudiées,
» ces tours fins & délicats qui difent tout
» en paroiffant ne rien dire , & qui donnent
à un fexe aimable , dont la pudeur
fait le principal ornement , le dangereux
plaifir de déveloper , d'approfondir , de
» favourer délicieufement une idée , qui
» l'auroit effrayé , fi elle lui eût été pré-
» fentée fans aucune enveloppe ...
و ر
ور
و د
...
Si nos moeurs , continue- t- il , reprenoient
un jour leur premiere fimplicité , il n'y
auroit pas tant de corrections à faire dans
Rabelais ; mais comme ce retour lui paroît
fort incertain , il ſe détermine à faire
» main- baffe fur tout ce qui pourra allarmer
la pudeur. Le même trait qui effacera
les baffes équivoques & les difcours
trop libres , retranchera auffi tout ce
qui tend à favorifer les opinions de la
» nouvelle Réforme , les critiques trop
améres contre les fouverains Pontifes ,
lorfqu'elles pourront bleffer le refpect
dû au Sacerdoce en aviliffant fes Miniftres
, les impies & froides alluſions
» aux paroles de l'Ecriture , & tout ce que
» Rabelais appelle fi improprement , ma
tiere de Bréviaire,
و ر
و ر
و د
A OUST. 1752. 13.
M. T. infinuë que tous ces retranchemens
peuvent fe faire fans intéreſſer la ſubftance
de l'Ouvrage , fans interrompre
même le fil de la narration , fans lui ôter
l'érudition , la vivacité , la gaieté qui en
caracteriſent le ftile . » Les Lecteurs n'y
»trouveront pas moins à s'inftruire dans
» un fonds inépuifable de richeffes litté
raires , & à s'amufer en même tems par
» une tournure d'efprit la plus finguliere ,
la plus agréable qui ait jamais paru.
27
ور
ور
99
و ر
A la faveur de ces corrections , on verra
déformais les Ouvrages de Rabelais » dans
les Cabinets les plus décens & les plus
» aufteres : cette Ville fur- tout les recevra
» avec la reconnoiffance qu'elle lui doit ,
pour avoir fouvent fait d'elle une men-
» tion honorable , pour avoir confervé
quelques - unes de fes anecdotes , &
pour avoir acquis en quelque forte le
» droit de naturalité parmi fes Citoyens .
"Les Magiftrats , les Médecins , les Artifles
amateurs de tous les Pays pourront
l'accueillir fans danger , & y pren-
» dre d'autant plus de plaifir , comme l'a
dit Scévole de Sainte Matthe , qu'ils
autont plus de goût & d'érudition .
» tes ,
M. T. pour donner une idée du ftyle
de Rabelais , choifit l'hiftoire du Préfident
Bridoye , dont il abrégea le récit , il fe
14 MERCURE DE FRANCE:
propofoit d'y joindre l'explication de quel
ques ftrophes de la fameufe allégorie intisulée
, les Fanfreluches antidotées , & d'effayer
le goût du Public en lifant un fragment
de fon Commentairehiftorique ; mais
les bornes que l'Académie a preferites pour
fes Séances publiques , ne lui permirent
pas d'aller plus loin.
Ce difcours fut fuivi d'une feconde dif
fertation de M. Martin de Chaffiron
Chancelier , fur les tragédies en muſique.
L'Auteur fe propofe de la donner inceffam
ment au public avec la premiere qui fera
confidérablement augmentée .
M. Arcere , de l'Oratoire , lur enfuite
la relation de l'entrée de François Premier
à la Rochelle.
A ce morceau de l'Hiftoire de cette
Ville , fuccéda une differtation de M. Defforges
Maillard , affocié de l'Académie ,
fur un vers de Saint -Amant
Il feroit à fouhaiter , dit M. Desforges-
Maillard , que tous les critiques reffemblaffent
à cet excellent Gladiateur , que
Martial loue avec raifon , de ce qu'il fçavoir
vaincre fans bleffer ; mais pour peu
qu'on trouve où frapper , le penchant à la
fatire fait illufion , & décidant fur la premiere
idée , on néglige d'examiner attenti
vement ce qui pourroir excufer ou dimi
AOUST 1752.
mer les fautes. C'eft ce qui eft arrivé à l'il
Juftre Defpreaux en plufieurs endroits de
fes oeuvres. Ce Poëte a égayé fon imagination
au fujet d'un vers du Moïse fauve
de St. Amant , qui met , fuivant Fobfervation
du Critique , les poiffons aux fenêtres
pour voir paffer le Chef des Ifraëlites à la
tête de fes troupes.
Les poiffons ébahis , le regardent paffer.
La chofe à la vérité pouvoit s'exprimer
avec plus de jufteffe ; cependant ce vers eft
il bien auffi extravagant que Defpreaux l'a
penſé L'Ecriture Sainte eft remplie de figures
pareilles ; & les figures , l'expreffion
de la voix de Dieu même , produisent un
effet fi merveilleux , partout où fes interpréres
fublimes les ont employées , qu'elles
font paffer les étincelles de leur entoufiafme
dans l'efprit de tous ceux qui les
lifent ou qui les entendent prononcer.
Mare vidit & fugit ; fordanus converfus
eft retrorum montes exultaverunt ut arietess
& colles ficut agnı ovium.
Devant le camp facré , la mer reſpectueuſe
Retenant la fureur de l'oude impétueuſe ,
De fon liquide fein , fit deux folides bras ,
Et le fameux Jourdain , interrompant la courfe
Retourna vers la fource
16 MERCURE DE FRANCE.
Et fufpendit fes pas.
Ces monts de qui le front fe cache dans les nues,
Treffaillirent de crainte en leurs cimes chenuës ,
Comme font les agneaux au milieu des valons
Et la terre fous eux fut légère & mobile ,
Comme un rofeau débile
Devant les Aquillons .
Malleville à qui nous devons cette bel
le paraphrafe , a rendu dans la premiere
ftrophe , la penfée du Pleaume d'une maniere
moins figurée que St.Amant ; mais
c'étoit l'expreffion du quatorziéme Chapitre
de l'Exode , & non celle du Pfeaume
que le Chantre du Moïfe fauvé avoit en
vue. Erat enim aqua quafi murus à dextrâ
eorum & levâ. Les eaux pour leur donner
paffage s'étoient élevées , comme deux murailles
à droite & à gauche.
{ Ce font fans doute ces murailles qui ont
donné fujet à S. Amant d'y placer des poiffons
ébabis , à l'afpect d'une armée qui
s'ouvroit une voye dans des lieux où ils
avoient coutume de nager , & c'eſt à l'occafion
de cet ébahiffement des poiffons qui
regardent le paffage d'une armée , que
Defpreaux rencheriffant fur l'idée de St.
Amant , pour en augmenter le ridicule ,
bâtit dans ces murailles des fenêtres pour
y mettre les poiffons.
AOUST 1752. 17
Virgile , celui de tous les Poëtes profanes
, dont on admire le plus la fageffe &
le jugement , ne prête - t -il pas du fentiment
& même de la connoiffance aux êtres
inanimés?
Labitur uncta vadis abies , mirantur &unde
Mirantur nemus infuetum , fulgentia longè
Scuta virum fluvio , pietafque innare larinas .
"'
Le fapin noir de poix coule fur l'onde unie.
Le Fleuve & la Forêt femblent s'émerveiller
A l'aspect des pavois que l'airain fait briller ,
Au fpectacle nouveau de ces Galeres peintes.
par Cette traduction qui m'eft fournie
Segrais , ajoute le mot femblent , qui n'eft
point dans l'original , & par cette addition
, le Traducteur fait perdre à cet endroit
une partie de fa vivacité. Telle eft
l'obligation que les Poëtes Grecs & Latins
ont fouvent à ceux qui prennent le foin de
les faire paffer dans une Langue étrangere.
Virgile non content de tirer des larmes
des Forêts à caufe de la mort du Prêtre
Umbro , fameux Enchanteur , fait encore
pleurer les riviéres & les Lacs. Quelles
Jarmes peut- on prêter aux eaux , toutes
formées de la matière même des larmes
18 MERCURE DE FRANCE
Te nemus angitis, vitred te fuxinus undâ
Teliquidi flevere lacus .....
Fueine & de for ac le liquide criftal --
Le rocher le plus dur pleura ce coup fatal.
Je fçais que Virgile vouloit figurer par
là les Divinités des eaux , quoiqu'il ne le
marque point affez , & ces idées s'accordoient
avec fa Religion ; mais Defpreaux
a- t- il eu plus de droit de perfonnifier le
fleuve du Rhin dans l'élégante profopopée
, qui commence par ces vers :
Un pied du Mont Adulle entre mille roſeaux
Le Rhin tranquille & fier du progrès de les eaux
& C.
que St. Amant de prêter de la connoiffan
ce aux poiffons , à qui David en donne luimême
en plufieurs endroits de fes Pleauainfi
qu'au refte des animaux. Lau
date Dominum montes & colles ..... beftia &
univerfa pecora , Ú6.
mes ,
Ces images font rendues avec beaucoup
de grace & d'énergie dans quelques para
phraſes de Godeau.
Humides citoyens des ondes ,
Legers & fertiles poìffons ,
Qui fans crainte des hameçons
Nagez dans vos grotes profondes ;
AOUST.
1752
Et vous que Dieu fit en beautés
Auffi divers qu'en qualités
Pour peupler la terre nouvelle ,
Animaux farouches & doux ,
Louez la fagefle immortelle
Qui ne dédaigne pas de prendre foin de vous.
Cette ftrophe n'eft pas la plus belle de
la paraphrafe , & je ne l'ai choifie qu'à
caufe du rapport prochain qu'elle a avec
mon fujet..
Defpreaux donne de grandes louanges
à la defcription qu'Homere fait de la marche
de Neptune .
Il attele fon char , & montant fiérement ,
Lui fait fendre les flors de l'humide élément ;
Dès qu'on le voit marcher fur les liquides plaines ,
D'aiſe on entend fauter les pefantes baleines .
Cette defeription est belle , & j'en rapporte
les quatre premiers vers , fur ce que
la figure qui en fait le mérite approche
beaucoup de celle que Defpreaux condamne
dans St, Amant avec des termes fi
peu
ménagés. Des baleines qui fautent d'aife reffemblent
fort à des poiffons ébahis , & c'est ce
qui m'a fait dire que la plupart des critiques
ne louent & ne blâment fouvent que
par caprice , plus curieux de montrer de
10 MERCURE DE FRANCE .
l'efprit que de rendre à chacun la justice
qui lui eft duë ....
Defpreaux fe mocque avec plus de raifon
de ces deux vers du Poëte Theophile
dans la Tragédie de Pirame & Thifbé.
Ah voici le poignard , qui du fang de ſon maître
S'eft fouillé lâchement , il en rougit le traître .
Que de puérilités que d'extravagances
à la fois ! ....
Notre fatirique qui traite St. Amant à
toute rigueur , s'eft trouvé à fon tour embaraflé
pour juftifier ce fameux vers de fon
ami Racine.
Le flot qui l'apporta , recule épouvanté,
Il ne paroît guéres raifonnable de perfonifier
un flot , & j'admire l'imagination
du Poëte qui infpire à la mer un effroi fi
prodigieux à l'afpect d'un monftre qu'elle
avoit nourri dans fon fein & auquel elle
devoit être accoutumée . Virgile qui a fervi
de modéle à Racine n'eft point fi outré
dans ce vers.
Diffultant ripa , refluitque exterritus amnis.
Le Dieu du fleuve repréfenté par ce mot
amnis fortant de fa grotte, un bruit terrible
que fit la caverne de Cacus écroulée fous
AOUS T.
2 [ 1752 .
les efforts d'Hercule , pouvoit bien être
effrayé à la vue de ce Géant énorme, & des
débris des rochers dont la chûte faifoit
encore bouilloner fes ondes , au lieu
que
le flot de Racine n'offre & ne peint à l'eſprit
aucune divinité de la Mer.
Au furplus je fuis de l'avis de Defpreaux
contre Lamotte & tous ceux qui
prétendent que le récit de Théramene eft
trop
animé & trop ajusté pour un homme
qui ne doit être pénétré , difent- ils , que du
fentiment de fa douleur. Je penfe au contraire
que ce Gouverneur , le confident ,
l'ami d'Hyppolite , ayant été témoin de
l'affreux défaftre de ce vertueux & jeuné
Prince , la frayeur & la pitié dont il eſt
templi , ne peuvent lui fuggérer des peintures
trop vives , ni lui fournir des expreffortes
& trop pathéthiques.
fons
trop
On feroit bien mieux fondé à condamner
dans le grand Corneille deux vers de
la defcription que Philippe affranchi de
Pompée , fait à Cornelie de la maniére
dont il a trouvé le corps de fon malheureux
époux .
Où la vague en courroux fembloit prendre plaifir
A feindre de le rendre & puis s'en reffaifir.
Ces deux vers font tout-à-fait déplacés ,
le badinage & l'affectation étant infoute22
MERCURE DE FRANCE.
nables dans des conjonctures auffi triſtes....
Je n'ajouterai plus fur le vers de Moïſe
fauvé qu'une réflexion qui me paroît effentielle
; ce n'eft pas dans le fens , mais dans
la maniére dont il eft exprimé que je le
trouve digne de critique.
Ebahis ne paroît convenir qu'à l'homme:
on en peut dire prefque autant , de
regarder. Qu'à la place de ces deux mots ,
le Poëte eût mis ceux d'étonnés & de voir &
qu'il eût rendu fa penſée en deux vers ,
tels que ceux ci , par exemple :
Les poiffons arrêtés par des remparts nouveaux
S'étonnent de le voir paffer entre les eaux.
L'image ainfi rendue , en donnant pour
objet de furpriſe aux poiffons toute la multitude
des Ifraëlites fugitifs , eût peut- être
fauvé St. Amant de la raillerie de Defpreaux
qui prétend que les poiffons avoient
loué des fenêtres pour voir paffer le peuple
Hebreu ; comme on l'a fait à Paris à
l'entrée d'un Ambaffadeur de Turquie.
Ce célébre Satirique , fans s'arrêter à ce
vers , trouvoit un vaſte champ à exercer ſa
critique dans l'ordre & le ftile du Moïse
fauve. , le Poëme le plus fou que nous ayons
après celui de la Magdelaine ; il avoit fous
La main mille expreffions pareilles à celleci,
où le Poëte nomme un Ange qu'il fait
AOUST. 1752. 23
apparoître en fonge à Amram pere de
Moïfe , un.meffager du Ciel , un faint &
vrai Mercure,
M. Lafaille , Contrôleur ordinaire des
guerres , termina la Séance par un Mé
moire fur les différens changemens arrivés
aux côtes de la Rochelle , pour fervir à
l'Hiftoire naturelle du Pays d'Aunis .
Au milieu de cette variété étonnante
d'objets que la mer offre à nos réflexions ,
fes opérations fur nos côtes ont paru à
M. Lafaille mériter une attention particuliére.
"
»
» Cette Ville , dit- il , eft aujourd'hui
placée dans le fond d'une anfe affez
» étendue , dont les deux rives fermées
" par une chaîne fucceffive de rochers , de
» banches ou de cailloux , fembloient oppofer
en tout tems à la mer une barriere
" infurmontable ; mais la violence de fes
flots n'a point refpecté ces limites , &
elle s'eft même d'autant plus fait fentir
» que la réfiftance a été plus forte & plus
» foutenuë , tandis que d'un autre côté elle
» a abandonné un terrein immenfe , dont
» la poffeffion ne lui étoit pas difputée....
S'appliquer à reconnoître l'état primitif
des côtes de l'Aunis , à découvrir les cauſes
des mouvemens irréguliers qui y ont
apporté de fi grands changemens , & à
24 MERCURE DE FRANCE.
chercher dans de juftes rapports la combinaifon
des effets , ce feroit , felon M. Lafaille
, une entrepriſe aufli vaine que celle
d'interroger la nature fur fes fecrets , fes
deffeins & fes actions. Un Naturaliſte doit
fe contenter d'obferver l'ordre & la fuite
des événemens dont il ne peut rendre raifon
, & fe permettre fimplement quelques
conjectures .
Paffant enfuite à la defcription des côtes,
M. L. obferve que les dunes , les atterrif
femens & les collines qui les défendent ,
ne font pas de nature à pouvoir réſiſter
également à l'effort de la mer ; que c'eft
principalement vers la digue , l'auliere &
le rocher , dont il examine en Phyficien là
fubftance & la qualité des terres , qu'elle
fait le plus de ravages . » La violence du
» flux & du reflux qui tous les jours en
» couvre une partie , mine tellement le
"
pied de ces dunes , qu'on y trouve fou-
»vent des enfoncemens ou cavités en for-
» me de cavernes , de dix & quinze pieds
» de profondeur , & à la moindre tempête
» ces voûtes mal foûtenuës s'écroulent avec
» tant de fracas , que non feulement le
rivage de ces côtes en est tout encombré,
» mais encore que vers le rocher il eft affez
» ordinaire de voir le chemin public chan-
» ger d'une année à l'autre .
"9
De là
AOUST. 1752. 25
30
De là M. L. s'engage dans quelques détails
: il remarque » que le port de la Ro-
» chelle , inconnu ou de peu d'importance
» dans le dixiéme fiécle , ne doit fon accroif-
» fement & le dégré de fplendeur où il eſt
» parvenu , qu'à la ruine de Châtellaillon ,
» englouti enfin par les flots de la mer ...
Qu'il n'y a pas long- tems que l'on voyoit
» encore à cinq cens toifes du rivage les
» triftes débris de cette ancienne ville , &
que la mer a fait depuis fur cette plage
» tant de progrès , qu'elle ne menace pas
» moins aujourd'hui le nouveau village de
» ce nom , quoique bâti depuis cet acci-
» dent , à une grande diftance de la côte...
» 11 préfume que le golfe formé entre les
» pointes des Minimes & de la digue , qui
» ne faifoient probablement dans l'origine
» qu'une chaîne ou continuation de la mê-
» me côte , entr'ouverte feulement par un
-38
"
foible ruifleau , n'a pû être que l'effet
» naturel des courans foutenus des vents
» de Sud- oueſt , qui après avoir forcé ce
premier point de réfiftance , n'ont pas
» difcontinué de ronger à fleur d'eau tout
» ce qui dominoit la fuperficie.
99
33
· •
L'égalité de l'élévation des deux rives ,
» les couches parallelles de leurs pierres ,
» cette fymétrie , cette régularité fi unifor-
» me dans la nature du fol , femblent ne
B
26 MERCURE DE FRANCE.
» laiffer rien à defirer fur cette vrai- femblance
, qui d'ailleurs fe trouve fortifiée
» & foutenue de plufieurs autres exemples
» auffi extraordinaires. . . .
»
99

· •
» Tout le monde fçait , continuë M. L.
» que la violence des flots acheva de ruiner
» en 1750 les mafures de la digue ; qu'une
» maiton réparée avec toutes les précau-
» tions de l'art , & qui mettoit même entre
» elle & la mer un affez grand eſpace , n'a
» pas été épargnée , enforte que par une
fupputation exacte des entreprifes de la
» mer de ce côté- là , il eft vérifié qu'elle a
englouti un terrein de vingt - quatre pieds
» de largeur dans l'efpace de douze an-
» nées. Mais ce qui eft plus furprenant
encore , cette dune énorme , appellée
le Rocher , qui marque la moitié
» du chemin de la Rochelle à Rochefort ,
& dont l'épaiffeur de la maffe fembloit
» devoir affronter & foutenir l'effort des
tempêtes & des vents , n'en a pas moins
été obligée de reconnoitre cette puiffance
fupérieure. Les excavations qui fe for-
» ment fucceffivement au pied de cette
» montagne , qui en laiffent une grande
partie hors de fon affiette , ne permettent
pas de douter que la mer ne fe joue
» bientôt de fes débris. . . D'autre
le Couvent des Minimes n'a pas
و و

93
""
"
» part ,
A OUS T. 1752. 27
» été exempt de fes ravages. En vain pour
» en arrêter le cours , ces Religieux lui
» ont-ils opposé une digue , dont la force
> entretenoit leurs efpérances, elle ne pour
» ra , fans des travaux redoublés , les mettre
" pour long- tems hors d'infulte.
L'Auteur ne borne pas là fes obfervations
; il parcourt les Ifles Madame , de Ré ,
d'Oleron , d'Anet , d'Aix , de la Rive , & c .
L'inégalité de leur diftance du continent ne
l'empêche pas de conjecturer qu'elles en
ont toutes été détachées , à l'exemple de
plufieurs autres dont la féparation ne peut
être révoquée en doute : il emprunte de la
Phyfique , de l'Hiftoire & de la Géographie
tout ce qui peut far cela conduire à
la perfuafion.
A cette defcription des entreprifes continuelles
de la mer fur nos côtes bordées
de dunes , M. L. fait fuccéder celle des divers
cantons qu'elle a abandonnés , & qui
de marécageux qu'ils étoient autrefois ,
font aujourd'hui pour la plupart des terres
extrêmement fertiles.
C »
"
N'eft- ce pas , dit- il , à fa retraite que
» l'on eft redevable de la plus grande par-
» tie des côtes voifines du Poitou ? Et ne
» peut-on pas regarder comme un terrein
» inconnu à nos ancêtres fept lieuës dé
» pays depuis l'Armeneau jufques fur les
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
"
confins de cette Province ? On en peut
dire autant du Luçonnois. La ville de
Luçon , autrefois environnée d'eau , étoit
» du nombre des Villes maritimes renom-
-» mées par leur port...... Tout le terri-
» toire de Maillezais , actuellement éloigné
des côtes de plus de quatre lieuës ,
» paffera avec d'autant plus de raifon pour
"9
un pays de création nouvelle , qu'il en
» porte encore dans fon fein des témoi-
» gnages autentiques . Si l'on foüille en
» certains endroits à un pied de profon-
» deur feulement , on y découvre des lits
» entiers de coquillages de plufieurs efpe-
» ces , anciens & précieux veftiges du féjour
primitif des mers fur ce vaſte
» Pays.
"
*
»
» Čes différens terreins réunis qui for-
» ment une étenduë de quatorze lieuës fur
fept , depuis Pied- de- loard , Vouillé ,
Mouzeil , l'Angle , Saint- Vincent , &c.
» nous dédommagent abondamment des
ufurpations journalieres de la mer fur
» nos Falaifes ; il eft même à remarquer , &
> ceci doit achever de nous tranquilifer ,
» que ce fougueux élément compenfe encore
aujourd'hui par fes reftitutions fur
quelques plages , ce qu'il nous enleve ailleurs.....
On en peut juger par les
" atterriffemens continuels qui le forment
»
AOUST . 1752 . 2
ود
»
» du côté de Champagné , de Saint- Michel
» en l'Herm , de Brouage , & c . . . . C'eſt
" ainfi que peu à peu le rocher de Chaillé,
auquel , fuivant une tradition fidéle , on
voyoit attachés , il n'y a pas long tems ,
les anneaux de fer propres à l'amarrage
» des vaiſſeaux , ſe trouve à préfent à une
diſtance du rivage de la mer de plus de
deux lieuës , & que l'Abbaye de Saint-
» Michel en l'Herm a maintenant pour
» rempart une étendue d'une grande lieuë,
protegée par des bancs de trente pieds
» de hauteur , entierement compofés d'écailles
d'huîtres à demi pétrifiées....
>>
...
De tous ces événemens M. L. conclur ;
que les côtes baffes , quoique les plus
exposées à être envahies fans retour par
» la mer , ne font pas celles dont elle fe
plaît à faire fon domaine ; l'expérience
prouve au contraire qu'elle les comble
» ou éléve peu à peu par le limon qu'elle
» y dépofe journellement. Ce n'eft
» pas , ajoûte-t-il , qu'il n'arrive quelque-
" fois dans les endroits où la pente
» eefftt douce , les flots ne franchiffent par
» des vents forcés les petites élévations
qui couvrent ces terres baffes , & n'en
faffent des efpéces de lacs ; mais lors
» même de ces débordemens la mer ap-
» portant des cailloux & du gravier , les
B nj
33
que
30 MERCURE DE FRANCE .
" gréves fe fortifient infenfiblement ; d'où
» il arrive qu'après s'être trouvées en état
» de rompre l'effort du flot , en lui pré-
» fentant un front mobile , leur inaffe s'af-
» fermit à tel point , qu'elles font capables
» de réfifter aux plus furieux ouragans....
L'Auteur en finiffant fes obſervations
propoſe un moyen facile & peu difpendieux
pour recouvrer la plus grande partie
des différentes Anfes dont la mer fe
maintient encore en poffeffion. Le fuccès
des travaux feroit d'autant plus heureux ,
que l'on obligeroit cet élément même d'y
concourir. " Par là on refferreroit la mer
dans des bornes plus étroites , & en
» étendant les limites du continent , l'on
enrichiroit confidérablement la Pro-
→ vince.
»
2
A O UST.
1752. 31
285 286 286 287 288 289 20C 300ROSROPROT 20720
SUR LE DETACHEMENT
DE CETTE VIE.
Par M. Teralde , Gentilhomme d'Anjoua
J E dois un tribut à la Parque ;
Dès ma naiffance je le dûs ,
Et d'un oeil fec je vois la Barque
Ou tous Mortels font confondus.
Vous qu'attache un monde fragile ,
Quelle illufion vous féduit !
Aux beaux jours que Cloto vous file
Succéde une éternelle nuit.
Une éternité commencée
Depuis le cours de deux mille ans ,
Eft à jufte titre cenfée
Commencer depuis deux inftans.
Que fervent donc cinq à fix luftres
De plus accordés à nos voeux ?
A mourir plus ou moins illuftres ,
Et trop fouvent moins vertueux.
Je ne parle point d'un dédale
De foins , de procès , d'embarras ,
Qu'à nos yeux ce bas monde étale ,
Et qui nous fuit jufqu'au trépas .
Biiij
12 MERCURE DE FRANCE
Je tais les maux de l'hymenée
Quand les noeuds en font mal formés ,
Et ceux qu'enfante une lignée
Qui vous hait & que vous aimez.
Perd- on une épouſe fidéle ;
De nos jours la félicité ,
C'est une douleur éternelle
Qui fuccéde à la volupté. ·
Ses vertus faifoient vos délices
Vous en étiez l'adorateur ;
Elle n'eft plus, & vos fupplices.
Naiflent de ce même bonheur.
Du célibat la folitude'
Woit fur les pas marcher l'ennui ;
L'amour toujours par habitude
Mene l'impofture avec lui .
Je fupprime les maladies
Où l'homme eft fujet tant qu'il vit ¿
Les démenfes & les folies
Où le Deftin nous affervit.
J'obmets nos ténébreux ſyſtêmes ,
Et la nuit fombre où nous vivons ,
Jufqu'à nous ignorer nous- mêmes,
Tant qu'ici bas nous exiſtons .
Telle eft de ces lieux la peinture
AOUST.
17520
33
Qui peut donc t'attacher , morteli ?
Parcours à ton gré la Nature ,
Et m'y découvre un bien réel.
Que l'équité foit notre guide ;
Par nos bienfaits comptons no jours ;
Qu'Atropos enfuite décide
S'ils doivent être longs ou courts.
SEANCE PUBLIQUE
De la Société Littéraire d'Arras , tennë lë
18 Mars 175,2 ..
M
l'Abbé Galhaut , Chanoine de la
Cathédrale d'Arras , Directeur de
la Société , fit l'ouverture de cette Séance:
par la lecture d'une continuation de fess
Mémoires pour fervir à l'Hiftoire Ecclé
fiaftique des Diocéfes d'Arras & de Cambray
; ce morceau commence à l'année 705 »
tems de la mort de S. Vindicien , & finit
à celle de l'Evêque Treuvar , arrivée em
750..
M.. Binot , Avocat & Tréforier des char
tes d'Artois , Chancelier de la Société , lut:
un Difcours , dans lequel il s'attacha à
combattre le fentiment de certaines perfonnes
, qui foutiennent que l'Hiftoire
ดี
B V
34 MERCURE DE FRANCE.
d'Artois ne fçauroit être intéreffante. If
parcourut les principaux événemens dont
cette Province a été le théatre depuis le
tems des Atrebates jufqu'à nos jours , &
démontra par une analife fuccinte & fidéle ,
que le développement des faits qu'il indiquoit
, pouvoit former une hiftoire également
inftructive & curieufe .
M. le Roux , Avocat , nouvellement reçu
dans la Société , prononça fon difcours de
remerciment , dans lequel il prouva avec
éloquence les avantages des Belles- Lettres.
Le Directeur répondit au nouvel Aſſoeié
, & rendit juftice à fes talens .
M. Cauwet , Avocat & Echevin de la
Ville d'Arras , fit la lecture d'un Mémoire
hiftorique & topographique concernant la
riviere de Scarpe . Il y parla des fources
de cette riviere , des lieux qu'elle arrofe
des ruiffeaux dont elle eft groffie , de fa
navigation , & de fon utilité par rapport
au commerce.
M. Enlart de Grandval , Confeiller au
Confeil Provincial d'Artois , Affocié honoraire
de l'Académie de Montauban , fit
part à l'Affemblée de quelques nouvelles
idées fur les Dictionnaires , & principalement
fur un Dictionnaire des Synonimes
François ; le but & la briéveté de fon difcours
engagent à le tranfcrire en entier à
la fuite de cet extrait.
A OUST.
1752. 35
M. Brunel , Avocat , lut des réflexions
fur différens fujets de morale & de littérature
, où il fit entrer les portraits de plufieurs
Ecrivains célébres.
M. Maſſon termina la féance par une
Epître mêlée de profe & de vers , fur les
agrémens de la campagne .
Des Dictionnaires , & particulierement d'un
Dictionnaire des Synonimes François.
>
Le goût du Public pour les Dictionnaires
paroît bien décidé. Je ne prétends pas
entrer dans la difcuffion de l'utilité ou des
inconvéniens de ces fortes d'Ouvrages , ni
examiner fi la facilité qu'on y trouve de
s'inftruire légerement de toutes choles
n'eft pas le moyen d'introduire parmi nous
la pareffe & l'ignorance . Il eft des Dictionnaires
dont on ne fçauroit fe paffer : ceux
qui ont les Langues pour objet font d'une
néceflité abfolue , auffi ne nous les a-t- on
pas épargnés. Malgré cela , peut être la
matiere n'eft- elle pas épuifée ; pent - être
feroit- il à fouhaiter qu'en réduifant tous
ceux de cette derniere efpéce en un feul ,
on ouvrît en même tems une carriere plus
vafte , & qu'outre le fens & la fignification
de chaque mot on trouvât le moyen d'y
fondre toutes les parties de la Grammaire
& les décifions qui ont été portées fur les
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
différentes difficultés de la Langue . Il eft
vrai qu'il faudroit de la fobriété dans le
choix de ces décifions ; il faudroit même
des réfutations . Les Grammairiens n'ont
que trop fubtilifé fur les régles de notre
Langue , à qui ils ont fait fubir bien des
jugemens arbitraires. Il y a des efprits métaphyfiques
, & d'autres prévenus d'une
fauffe jufteffe , qui fe plaifent à reftraindre
ce qu'il faut étendre , le vrai cherche la
liberté.
Un Dictionnaire tel que je le demande
deviendroit auffi utile pour la conftruction
des phrafes que les autres l'ont été juſqu'à
préfent pour la définition des termes ; &
au lieu d'un fimple vocabulaire , on y
trouveroit un traité complet de tout ce
qui concerne la connoiffance de la langue.
Sans cela un Dictionnaire fera toujours.
fort imparfait.
Je fuis perfuadé qu'un Compilateur ,
bon Grammairien , qui auroit un efprit de
méthode & d'arrangement , parviendroit
à remplir toute l'étendue de cet objet , &
à imaginer , malgré l'ordre de l'alphabet. ,.
un enchainement commode pour les matieres
qui devroient s'y rapporter entr'elles.
Des renvois bien entendus fuffiroient peutêtre
pour cela ; & en ce cas l'Encyclopé
die pourroit fervir de modéle.
AOUS T. 1752 ..
37
N'eft- ce pas dans un Dictionnaire qu'il
feroit facile de déterminer , comme l'a
fouhaité M. l'Abbé d'Olivet , quels adjectifs
doivent préceder ou ſuivre le fubftantifs
, quels font ceux qui peuvent occuper
les deux places ? il en eft de même du régime
des verbes & de tant d'autres chofes
qui jufqu'à préfent n'y ont pas été allez
foigneufement exprimées. On a coutume
d'apporter plufieurs exemples fur chaque
mot : ces exemples bien choifis fixeroient
feuls fur beaucoup de difficultés , la régle
& l'ufage.
"
Ce qui m'étonne , c'eft que parmi cette
foule de Dictionnaires de toute efpece
perfonne ne fe foit encore avifé d'en produire
un des Synonymes François. Je fçai
que plufieurs de nos fçavans ont prétenda
qu'il n'y avoit pas dans notre langue de
véritables fynonymes . On nous a donné
fur cela un traité fort ingénieux : ce n'eſt
pas mon intention de le contredire . Je remarquerai
feulement que peu d'efprits
s'accordent fur l'exacte fignification de certains
termes . Il eft difficile de fe rencontrer
dans les mêmes idées en matieres de définition
de mots , quand on pouffe les chofes
jufqu'à un certain point de fineffe ou
de fubtilité. Je donnerai pour exemple ces.
termes : Bravoure , valeur . Si deux Gram38
MERCURE DE FRANCE.
mairiens veulent y chercher une fignification
differente , l'an attachera au mot bravoure
l'idée que l'autre attache au mot valeur.
Cela peut dépendre de l'impreffion
que chacun d'eux aura reçue , foit du fon,
foit de l'emploi de ces mots .
Quand je parle d'un Dictionnaire de
Synonymes , je prends ce terme dans fa
plus grande étendue , & j'entends , non -feulement
les mots qui fignifient à peu près la
même choſe ; mais encore ceux qui ont un
rapport prochain pour le fens ; car quoiqu'en
difent certains fçavans trop rigides ,
on n'eft pas toujours dans le cas du mot
propre ; & il est évident qu'en plufieurs
occafions un mot peut fuppléer à un autre.
Sans cela deux hommes , pour parler bien
fur un même fujet , feroient obligés de fe
rencontrer exactement dans leurs termes.
Peu de perfonnes ont porté la délicateffe
jufqu'à donner toujours au même mot la
même nuance de fignification ; & fi nos
meilleurs écrivains s'en étoient rendus efclaves
, peut - être trouverions - nous dans
leur ftil , beaucoup de fechereffe & de fterilité.
Je crois donc qu'un Dictionnaire de Synonymes
feroit d'une grande utilité . Tous
les écrivains , & fur tout ceux qui veulent
differter fur quelque matiere en particu
AOUST. 17528 མཚ་
lier , retrouvent à chaque inftant le même
mot fous leur plume. Pour peu que la dif
fertation ait d'étendue , ce mot & quantité
d'autres que la matiere rend acceffoires ,
reviendront toujours fatiguer le Lecteur ,
fi on ne trouve le moyen de les varier .
On les vatie en effet ; mais fouvent la fécondité
de l'auteur s'épuife. L'efprit occupé
de raifonnemens , de diftinctions , de
modifications , &c. devient ftérile pour
une nouvelle expreffion . Les Poëtes forcés
par la meſure & par la rime à trouver des
termes qui y conviennent , font les plus
expofés à ces difficultés . Quelquefois on a
le mot prefque fur les lévres , on s'en rappelle
un fouvenir confus , & toujours il
échappe. Comment le chercher dans nos
vocabulaires à fon rang alphabétique , fi
la premiere Syllabe ne revient pas même
à la mémoire ? Tout le monde éprouve cer
embarras , mais furtout ceux que des occupations
affidues privent du fréquent ufa
ge de la converfation & de la lecture
fources ordinaires d'une facile élocution .
On a beau dire qu'une penfée conçue
clairement s'exprime aifément. Il n'eft pas
moins vrai que la poffeffion du mot propre
fait fouvent la clarté & la force de la
penfée.
Un Dictionnaire de Synonymes reme40
MERCURE DE FRANCE.
dieroit à toutes ces peines. C'eſt là qu'en
cherchant le mot qu'on connoît , on trouveroit
à côté celui qu'on ignote ou qu'on
a oublié. Ce nouveau mot feroit même
éclore en bien des occafions une nouvelle
penfée.
Mais quelle doit être la forme & l'arrangement
de ce Dictionnaire ? Le modele
en est tout trouvé. On en a compofé en
Latin pour la commodité de la jeuneſſe à
qui on enfeigne la Poëfie Latine. On les a
même beaucoup plus étendus on y a
ajouté la quantité de chaque fyllabe , les
épithetes , les exemples tirés des Poëtes.
Cela feroit inutile ici . Je ne parle pas
d'ailleurs pour la Poëfie Françoife plûtôt
que pour la Profe. Il me femble que les
écrivains en tous genres y trouveroient
une nouvelle facilité.
On m'a objecté qu'un tel ouvrage auroit
un grand inconvénient en ce qu'il induiroit
les ignorans en erreur fur l'exacte propriété
des mots . Mais cela doit-il faire perdre
aux autres leur avantage ? On n'a pas
craint ce danger , quand on a raſſemblé les
fynonymes Latins. Nos Dictionnaires de
Langues , fans vouloir faire un recueil de
Synonymes , & dans la feule vue de déterminer
les fignifications , ont rapproché les
termes principaux , en eft- il réfulté quel
A OUST. 1752 41
qu'embaras pour ceux qui les confultent ?
ne fent-on pas au contraire , par le profit
qu on en a tiré , combien feroit utile le
rapprochement de tous les termes qui ont
du rapport entr'eux ? plus il y auroit de
difference dans le fens propre , & moins
on pourroit s'y méprendre.
2828985-209 269 200 7892020 20
EPITRE
DE M. DE LA SORINIERE ,
Des Academies Royales de la Rochelle , &c.
à M. l'Abbé d'Artigny , Auteur des cing
volumes des nouveaux Mémoires d'Hiftoire,
de Critique & de Littérature , fi eftimés du
Public , pour l'inviter à nous en donner
encore un fixiéme.
UN Tome encor , laborieux Auteur ;
9
Ton bel Ouvrage au Temple de mémoire
Aura le rang que t'aigne ta gloire
Et jouira de toute fa fplendeur.
Quels tons charmans ! quelle douce harmonie
Dans les accords des faits & du génie !
Chacun te lit , raconte fur ta foi
Cent traits exquis qu'on ignoroit fans to
42 MERCURE DE FRANCE.
Clio * t'infpire , & ta plume élégante
Retrace aux yeux ce que ta Mufe enfante.
Intéreffant , tu conduis ton Lecteur
Vers les objets que ta main reffufcite ;
Et loin des faits que l'erreur accrédite ,
Sûr de ton choix , ſçavant reftaurateur ,
D'Hiftorien tu deviens créateur.
A l'Auteur du Mercure.
D %% ®
De S. P. dans fa Lettre à M. de B.
M.fur le bon goût dans les Arts &
dans les Lettres , inférée dans un des Mercures
de France de l'année derniere , rapportoit
une ancienne Epitaphe Grecque
en deux vers , dont il donne la traduction
en fix vets François . It invite les Poëtes à
employer leurs talens à la traduire & à lui
conferver fa fimplicité & fa préciſion . Les
diftiques n'ont pas de grace dans notre
Langue . Voici deux effais de traduction
en quatre vers : pour en mieux juger , il eſt
bon d'avoir l'original fous les yeux .
AEIYANA AOTKIAAHC AIATMATOKOT
ΕΝΘΑΔΕ ΚΕΙΤΕ .
H ΜΕ ΜΕΡICTO ΒΡΕΦΗ ΖΩΟΝ ΠΑΤΡΙ
ΘΑΤΕΡΟΝ ΑΥΤΗ .
* Mufe de l'Hiftoire.
AOUST.
1752. 43
Voici la verſion littérale en profe que
donne M. de S. P.
Ici repofent les restes de Lucile : elle accoucha
de deux jumeaux qui furent partagés ,
le vivant au pere , & l'autre à la mere.
Mere de deux jumeaux , Lucile perd le jour :
Le fort en fermant fa paupiere ,
A voulu partager les fruits de fon amour ;
Le mourant à Lucile , & le vivant au pere.
Autre Traduction .
Lucile expire à la ffeur de fes ans ,
En devenant de deux jumeaux la mere ?
Le fort aux deux époux partagea les enfans ; *
L'un meurt & fuit Lucile , & l'autre reste au peres
On pourroit auffi la rendre en deux vers
affez exactement.
Lucile meurt , de deux jumeaux la mere ;
L'un la fuit au tombeau , l'autre reste à ſon pered
Ce vers eft emprunté de M. de S. P.
44 MERCURE DE FRANCE
MUSETTE ,
Sur l'air , Efpoir flateur , &c. de la Parodie
des Bergers de qualité.
Dans nos
forêts ,
Sous l'ombrage frais ,
Accourez , Amans , goûter mille charmes
Les doux amours
Y régnent toujours ,
On n'y craint point d'allarmes ,
Là , fans danger ,
L'heureux Berger
De fon tendre coeur
Peint la vive ardeur
L'aimable Bergere ,
De ce feu fincere
Reffent la douceur ;
Les petits oifeaux
;
Deffus leurs rameaux ,
Par leurs accens , par leur touchant ramage,
Dans ce féjour
A l'Amour
Nuit & jour
Rendent un pur hommage.
J. F. P. 7. Duru .. de Corbeil,
AOUS T. 1752. 45
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie Royale de Chirurgie , tenuë
te Jeudi 13 Avril 1752 .
M
Morand , Secrétaire perpétuel ,
ouvrit la Séance par l'annonce d es
Mémoires qui ont remporté les prix , &
de ceux qui y ont concouru. L'Académie
avoit propofé pour le prix de 1750 , de
déterminer le caractere des Tumeurs fcrophulenfes
, leurs efpèces , leurs caufes , leurs
fignes & leur cure. Elle ne crut pas devoir
adjuger le prix aux Ouvrages qu'elle reçut
alors. La matiere eft des plus difficiles :
l'Académie defiroit que ce fujet fût traité
avec toute l'exactitude & la folidité qu'il
méritoit ; c'eft pourquoi elle jugea à propos
de propofer le même fujet pour le
prix de l'année 1752. Si elle a eu
lieu d'être fatisfaite de ce délai par le
nombre des Mémoires qui lui ont été
adreffés , elle fe croit obligée de dire
qu'aucun n'a rempli exactement toutes les
parties de la propofition . Dans quelques
Mémoires la théorie feulement a paru
brillante , d'autres ont femblé mériter la
préférence par la partie pratique ; il y en
46 MERCURE DE FRANCE.
a de recommandables par les remédes que
l'on y propofe , & par les bons effets dont
on affure que l'ufage de ces remédes a été
fuivi. Ces diverfes confiderations ont embarraffé
les Commiffaires chargés de l'examen
des Mémoires admis au concours. Le
prix étoit double , & confiftoit en deux
médailles d'or , chacune de la valeur de
500 liv . fondé par feu M. de la Peyronie :
il a été partagé entre les deux Mémoires
qui ont paru les meilleurs. Le premier a
été adjugé au nº. 1 2 ; l'Auteur eſt M. Faure,
Maître ès Arts & en Chirurgie à Lyon.
Le fecond prix a été donné au Mémoire
n°. 13 ; il eft de M. Bordeu fils , Médecin,
Correfpondant de l'Académie Royale des
Sciences.
II Les Mémoires numéros 6 , 11 , 9 & 10
ont paru mériter d'être à la fuite de ceux
qui ont remporté les prix .
L'Auteur du n ° . 6. ne s'eft fait conpas
noître ; il a pour marque diftinctive deux
mots latins , Ad , Hoc , avec deux lettres
initiales J. M. formant enſemble une crois
dans un cercle. L'Auteur annonce qu'il a
fait une quantité prodigieufe de guérifons
avec des remédes différens de ceux qu'on
employe ordinairement ; il en donne la
compofition. Cette marque de definteref
fement lui fait honneur, & les remédes
AOUST. 1752. 47
paroiffent très - bons : l'Académie defire
qu'il fe faffe connoître . Le n° . 11 eft de
M. Charmetton , Maître ès Arts & en Chirurgie
à Lyon , & ci - devant Chirurgien
en chef de l'Hôpital général de la Charité
de cette ville. Le n° . 9. eft de M. Gourfaud
, Eléve en Chirurgie à l'Hôpital des
Petites- maifons , qui a gagné le prix l'année
derniere . Le n° . 10 eft de M. Majault,
Licentié en Médecine dans l'Univerfité
de Douay , & Etudiant en Chirurgie à
Paris.
Après cette annonce on lut pour M. Simon
, qui étoit abſent , une differtation fur
l'opération céfarienne. L'Auteur dans un
Mémoire publié dans le premier volume
de ceux de l'Académie , a rapporté l'origine
de cette opération , les différentes difputes
qu'elle a occafionnées , les autorités & les
faits qui font juger du fuccès qu'on peut
en attendre. L'objet du fecond Mémoire
qu'il vient de lire , eft d'examiner les cas
où cette opération peut être pratiquée , &
de déterminer ceux où il n'eft pas néceffaire
d'y avoir recours . Ce double point de
vûe eft fort important ; car il eft prouvé
par les faits mêmes qui établiffent avec le
plus de certitude la poffibilité de cette
opération , qu'elle a quelquefois été pratiquée
fort inconfidérément , & dans des cas
48 MERCURE DEFRANCE.
où les reffources de la Chirurgie font com.
munément avantageufes , pour procurer
l'accouchement par les voyes ordinaires :
tels font la groffeur confidérable d'un enfant
, l'union de deux foetus , les tumeurs
charnues & fquirreufes du col de la matrice
, l'attache du placenta fur l'orifice de
cet organe , & c. En général on ne doit
faire l'opération céfarienne que quand il
y a une impoffibilité phyfique bien démontrée
de tirer l'enfant par les voyes ordinaires
, & de conferver en même tems
la vie à la mere & à fon fruit . L'opération
céfarienne a ce double & précieux avantage
. M. Simon en déterminant les différens
cas qui exigent cette opération fur
la femme vivante , rapporte fur chaque
point des obfervations confirmatives des
principes qu'il avance , & qui font euxmêmes
déduits des différens faits qui ont
été communiqués à l'Académie fur cette
matiere .
M. Moreau fit enfuite la lecture d'un
Mémoire fur les reffources de la nature
dans le cas de luxations qui n'ont pas été
réduites. Lorfque la tête d'un os eft fortie
de la cavité où elle eft jointe dans l'état
naturel , un effet affez ordinaire de ce déplacement
eft la perte de l'action de la
partie. La luxation de l'os de la cuiffe ,
deftiné
A O UST. 1752 49
deſtiné à fupporter le poids du corps , &
qui eft une des principales parties de l'or
gane de la progreffion , devroit être fuivie
plus qu'aucune autre luxation , de la perte
du mouvement de l'extrémité inférieure .
Cependant on obferve que des perfonnes
abandonnées aux feuls foins de la nature ,
après un déplacement de la tête du fémur,
ont pû au bout de quelque tems fortir de
leur lit , fe foutenir , & marcher avec le
fecours d'une canne avec plus ou moins
de facilité. L'on n'avoit jamais douté que
dans ces fortes de cas à la tête de l'os ne fe
formât une cavité dans le lieu où elle étoit
fixée par fon déplacement ; mais perfonne
n'avoit démontré quel étoit l'ouvrage de
la nature dans cette circonftance. M. Moreau
l'a fait voir , en préfentant à l'Académie
les os du baffin & le fémur d'une
femme de foixant huit ans , morte depuis
peu de jours à l'Hôtel -Dieu , & qui avoit
eu dans fa jeuneffe une luxation de la cuiffe
qui n'avoit pas été réduite ; la tête du
fémur étoit reçue dans une cavité formée
accidentellement fur l'os ileum . M. Moreau
penfe que cette cavité s'eft faite peu à peu
par la compreffion de la tête du fémur ,
fixée par le mufcle petit -feffier fur des
fibres offeufes , trop peu dures pour avoir
réfifté à cette compreffion ; le fuc olleux
C
50 MERCURE DE FRANCE.
trouvant de la difficulté à pénétrer les fibres
& les cellules de l'os , s'eft rejetté dans
celles du voisinage , & a formé , en les dilatant
, les bords ou fourcils de la cavité ,
dans laquelle au lieu de cartilage uni &
poli , dont les cavités naturelles font incruftées
, il n'y avoit qu'un periofte épaiffi;
la cavité cotyloïde naturelle avoit beaucoup
perdu de fon étendue , elle étoit devenue
ovale,
A cette obfervation M. Moreau joignit
encore la démonftration d'une piéce anatomique
que M. Morand lui avoit communiquée
; c'est un fémur avec l'os des
iles. La tête du fémur avoit été portée par
ane luxation en bas &c en dedans fur le trou
ovalaire les productions offeufes qui ferment
la plus grande partie de ce trou , &
qui font une cavité artificielle à la tête du
fémur ; celles qui lui prêtent divers points
d'appui qui ne gênent point fes mouvemens
; une autre qui rentoute le col du
fémur , & qui femblable à un anneau affez
large , l'embraffe fans avoir foudé & fixé
invariablement les deux os , comme cela a
coûtume d'arriver dans les épanchemens
de fucs offeax : ces particularités préfentent
un travail merveilleux de la part de
la nature. Ces piéces , qu'on fera graver ,
feront mémorables dans l'hiftoire des ma
AOUST. 1752. SI
ladies des os : il eft bon de connoître ce
que l'on peut attendre du travail de la nature
, afin de l'aider , ou au moins de ne
la pas troubler dans fes démarches lorfque
l'art n'offre aucune reffource .
M. Louis dans un Mémoire fur la faillie
de l'os après l'amputation des membres ,
examina les canfes de cet inconvénient , les
moyens d'y remédier , & ceux de le prévenir.
C'est un fentiment généralement
adopté par tous les Auteurs , tant anciens
que modernes , que la plus grande perfection
d'une amputation confifte à conſerver
aux chairs qui forment l'extrémité du moi.
gnon , le plus de longueur qu'il eft poffi-
'ble ; l'os qui excéde le niveau des chairs
eft un obftacle à la guérifon : cet inconvé
nient rend toujours la cure fort longue ,
& fi l'on obtient la guérifon radicale ,
l'on a le defagrément de voir que les parties
molles ne font pas capables ( dans les
amputations de la cuiffe ) de foutenir le
poids du corps , parce que le moignon
étant conique , elles ne prêtent pas affez
de points d'appui aux machines destinées
à fuppléer au défaut du membre amputé.
M. Louis qui reconnoît les avantages de
la confervation des chairs , rapporte les
différens avis qu'on a propofés pour parvenir
à ce but , & il fait voir que malgré
Cij
52 MERCURE DE FRANCE .
toutes les mesures qu'on a prifes jufqu'ici ,
on n'a pas toujours prévenu l'inconvénient
que l'on fe propoſoit d'éviter.
Les Anciens recommandoient expreffément
de tirer les muſcles en haut vers la
partie faine , & de ferrer fortement le
membre un peu au- deffus du lieu où fe
doit faire l'amputation , » afin , dit Am-
» broife Paré , qu'après l'oeuvre ils recou-
» vrent l'extrémité des os qui auront été
» coupés ; ce qui abrége la cure , & fait
"
qu'après la confolidation de la cicatrice
» ils fervent comme de couffinet aux ex-
» trémités des os, » Feu M. Petit a ajoûté
à ce précepte celui de faire l'amputation
en deux tems , c'eft-à-dire qu'après avoir
coupé d'abord les tégumens par une incifion
circulaire , un aide retire la peau vers
la partie fupérieure , & l'on incife enſuite
les chairs au niveau de la peau .
Toutes ces attentions de la part des Chirurgiens
anciens & modernes , n'ont pas
toujours rempli l'objet qu'ils s'étoient propofé
; aufli voit- on qu'ils n'ont pas été
moins attentifs à déterminer les moyens
de remédier à l'inconvénient de la faillie
des os , qu'à preferire ceux de l'éviter.
Paré dit qu'il faut faire quatre points
d'éguille en croix aux lévres de la playe ,
ramener les chairs & les mettre au
pour
A O UST. 17528 53
même état où elles étoient avant la rétraction.
L'on s'eft contenté de ne pas
adopter cette pratique . Les modernes fe
font tûs fur l'inutilité & le danger de ce
précepte , & leur filence a été funefte..
M. Louis a vû pratiquer deux fois ces
points d'aiguille dans un grand Hôpital
de Province ; ils n'ont point ramené les
chairs , & les malades font morts des accidens
que ces points avoient caufés. L'autorité
d'Ambroife Paré a empêché le Chirurgien
de reconnoître la caufe de ces accidens
dans un moyen qu'il croyoit falutaire.
Pour ramener les chairs fur l'extrémité du
moignon, les Modernes ont recours aux languettes
d'emplâtre agglutinatif; quoiqu'on
puiffe en faire ufage avec fruit dans quelques
cas , M. Louis prétend qu'elles n'ont
pas l'avantage qu'on leur attribuë communément
. Ces emplâtres n'ont d'action que
fur la peau ; peuvent donc ramener
les chairs. De quelle utilité des bandes
d'emplâtre appliquées fur la peau , & croi,
fées au centre du moignon , pourroientelles
être pour parer aux inconvéniens de
la rétraction des parties mufculeufes ? L'application
des bandes agglutinatives , & le
précepte de faire l'amputation en deux.
tems , partent du même principe : mais ce
principe eft- il bien folide ? Il eft utile fans
ils ne
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
doute de conferver de la peau ; on ne peut
trop louer la précaution de la tirer vers la
partie fupérieure du membre , & de l'afſujettir
avec une ligature avant l'amputation ;
mais il paroît inutile de faire fouffrir les
malades par l'amputation en deux tems , fi
la confervation de la peau ne prévient
point la faillie des os . M. Louis le démontre
par des raifons très- folides puifées dans
l'expérience . Pour que la guérifon foit
prompte , & qu'elle fe faffe fans exfoliation
, il faut que l'os foit coupé net au
niveau des chairs qui l'environnent immédiatement
; & les précautions de tirer la
peau avant l'amputation vers la partie
faine , & de la ramener après l'opération
fur le moignon , quoique fort louables
d'ailleurs , ne font rien contre la faillie
des os.
Pour remédier à cet inconvénient , les
Anciens cauterifoient la portion d'os excédente
: plufieurs Chirurgiens fe font déterminés
à la fcier , & ils l'ont fait avec
fuccès ; M. Veyret en a donné un exemple .
Mais comme la réuffite n'eft pas toujours
un fûr garant de la bonté de la méthode
qu'on a fuivie , M. Andouillé crut pouvoir
propofer des doutes fur les avantages
de la feconde amputation , il promi: de
traiter ce fujet. M. Bagieu le prévint par
A O UST. 1752. 55
um Mémoire qu'il lat à la féance fuivante ,
& dans lequel après avoir expofé les différences
accidentelles dont un os faillant eft
fufceptible , il conclut que dans tous les
cas il faut avoir recours à la feconde amputation.
M. Louis , qui eft l'Hiftorien de
cette conteftation littéraire , dont l'émulation
étoit le motif , dit que M. Andouillé
rapporta des faits & des raifons contre le
Mémoire de M. Bagieu . Chargé d'examiner
le pour & le contre , M. Louis a fair
des recherches fur la conduite que tenoient
les anciens Maîtres de l'art dans des cas
femblables ; il a apprécié les raifons des
Modernes , & concilié leurs différentes
opinions par la diftinction des différens
cas qui ont été le fujet de leurs obfervations
; iilt fait voir par les faits même qu'on
a rapportés contre la feconde amputation ,
que les accidens qui l'ont fuivie , dépendoient
de l'état des parties molles , parce
qu'on avoit incifé trop haut dans une grande
épaiffeur de chairs , à la bafe du cône
que faifoit le moignon . On ne peut donc
en tirer aucune conféquence contre la pure
& fimple réfection du cylindre offeux
faillant.
Après avoir expofé les avantages refpectifs
des différens moyens que l'art fournit
pour
remédier à la faillie.des os , M. Louis
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
dit qu'il refte un point plus important à
difcuter , c'eft de trouver des moyens de
prévenir cet inconvénient ; il expofe les
différentes caufes qui y donnent lieu , &
dans le détail qu'il en fait , il ne diffimule
pas qu'il ne puiffe y avoir de la faute de
l'opérateur mais les impérities ne donnent
point lieu d'établir de nouvelles régles . Il
eft prouvé par plufieurs obfervations qu'en
prenant toutes les mesures prefcrites par
les régles , on n'a pû éviter cet accident.
M. Louis fait les recherches les plus exactes
à ce fujet 5 il en pénétre les cauſes , &
donne des moyens faciles d'y remédier .
On ne craint point cet inconvénient à
la jambe ni à l'avant bras , parce que la
plupart des muſcles que l'on coupe , font
adhérens aux os , & contenus par des apo
névrofes , qui les fixent dans leur fituation
dans l'amputation du bras ; il n'y a que le
mufcle biceps qui pourroit fe retirer vers
la partie fupérieure . Le bout de l'humerus
n'en feroit pas moius enveloppé des mufcles
brachiaux & des extenfeurs , qui font
retenus par leurs attaches fixes à l'os même;
& c'eft une propofition inconteftable que,
la faillie des os n'aura jamais lieu tant
qu'ils feront environnés immédiatement
jufqu'à l'extrémité coupée , par des maffes
charnues. Mais pourquoi le mufcle biceps
A OUST. 1752 . 39
.
au bras & les jumeaux à la jambe ne fe retirent-
ils pas , quoique rien ne gêne leur ,
rétraction? M. Louis croit en trouver la
raifon dans le parallélifme de ces muſcles
avec l'axe des os qui leur fervent de foûtien.
Il n'en eft pas de même à la cuiffe ,
il n'y a que le mufcle crural qui foit fixé à
l'os dans toute fon étenduë ; mais ce mufcle
eft très mince , & fes fibres font fort
courtes. Les muſcles vafte interne , vafte
externe , & la longue branche du triceps ,
ont auffi des adhérences au fémur , mais
ils n'y font attachés que par leur bord in
térieur : le plan de ces maffes mufculeufes
eft libre , & par conféquent capable de
changer de direction & de faire des plis
après leur réfection . Tous les autres mufcles
font féparés les uns des autres , de
même que les précédens , par le tiffu cellalaire
, & il n'y en a aucun qui dans fa di
rection foit parallelle à l'axe du fémur ,
tous le coupent par des angles plus ou
moins aigus ; de là il arrive que quand
ces muſcles font coupés , ils changent de
direction , rien ne les maintient , pour
former une furface égale à l'extrémité du
moignon ; il n'y a aucun moyen d'empêcher
ce changement de fituation des muſcles de
la cuiffe après l'amputation de cette partie :
mais M. Louis croit qu'il y en a un fort
C v
18. MERCURE DE FRANCE.
fimple de prévenir les mauvais effets de ce
changement par rapport a la faillie des os .
Al eft de régle qu'outre le tourniquet que
l'on met pour prévenir l'hémorragie pendant
qu'on opére , on applique une bande
ferrée immédiatement au- deffus de l'endroit
où l'on doit faire l'incifion circulaire .
Tous les Auteurs ont recommandé l'ufage
de cette ligature , afin d'affermir les chairs ,
de maniere que l'inftrument puiffe les couper
uniment & avec facilité . Nous fommes
dans l'ufage de n'ôter cette ligature qu'après
que l'os eft fcié , nos livres même le
prefcrivent. Mais dans l'amputation de la
cuiffe , fi l'on veut prévenir la faillie de
l'os , inévitable malgré toutes les précautions
que l'on a indiquées jufqu'ici , il faut
avoir celle d'ôter la ligature qui affermiffoit
les chairs , dès que la fection des parties
molles fera faire : les mufcles mis en
liberté , fe retireront fur le champ , ils
changeront de fituation ; on pourra alors.
relever les chairs avec une compreffe fenduë
, porter le biftouri fur le muſcle crural
, & couper les points d'adhérence des.
vaftes & du triceps à l'épine poftérieure du
fémur. Par cette méthode on pourra trèsfacilement
fcier l'os trois travers de doigt
plus haut qu'on ne l'auroit fait fi on l'eût
fcié au niveau des chairs affermies par la
ligature.
AOUST. 1752. 59
و ر
On voit par cette remarque , qui peut
paroître fort fimple , qu'il y a dans les
opérations de Chirurgie , comme le dit trèsbien
le célébre M. Monro , Profefleur d'Anatomie
à Edimbourg , » une infinité de
petites circonstances qui ne paroiffent
» pas d'abord fort importantes , & dont
cependant l'obfervation ou l'omiffion
» dans la pratique ont des fuites confidé
rables
pour rendre la guérifon plus
» prompte ou plus longue , pour attirer ou
» pour prévenir des fymptômes dangereux ,
» pour ga anrir le malade de douleurs , ou

pour les lui augmenter & le mettre en
» danger ; circonftances dont il faut par
» conféquent examiner avec attention les
bons & les mauvais effets , & touchant
lefquelles ceux qui traitent ces matieres
» en vue de l'utilité publique , doivent
» donner les avis néceffaires.
Cette lecture fut fuivie de celle d'une
obſervation de M. Morand , fur une hydropifie
de poitrine guérie par opération .
Un Eccléfiaftique âgé de vingt -deux ans ,
fur attaqué d'une rougeole fimple , avec
une fueur abondante qui fembloit trèsfavorable
; la fuppreffion fubite de cette
fueur produifit une augmentation de fiévre ,
des douleurs dans différentes parties , une
difficulté de refpirer , & enfin un étouffe-
C vj
60 MERCURE DE FRANCE:
ment qui s'annonça avec tous les fignes
d'un épanchement dans la cavité gauche
de la poitrine. M. Munier , qui étoit le
Médecin du malade , fit appeller M. de
Vernage en confultation ; ces Meffieurs
déciderent pofitivement qu'il y avoit un
épanchement confidérable d'eau & de pus
dans la cavité gauche de la poitrine , qu'il
n'y avoit pas de tems à perdre pour faire
l'opération de l'empyeme , & que c'étoit
la feule reffource qui reftoit au malade dans
l'extrémité à laquelle il fe trouvoit réduit.
M. Morand qui fut appellé enfuite , porta
le même jugement , & fit la ponction à la
poitrine dans le lieu d'élection ; il tira en
viron fix pintes d'eau , le dernier verre
avoit un peu de purulence. Par cette opé
ration le malade parut revenir de la mort
à la vie ; il fe coucha à fon aife , cut du
fommeil & des moiteurs douces ; mais l'op
preffion revenue infenfiblement , & portée
en fept jours à un point qui n'étoit plus
fupportable , obligea M. Morand à faire
l'opération de l'empyeme ; il tira environ
cinq pintes d'eau , mêlée fur la fin de
l'évacuation d'une plus grande quantité de
pus que la premiere fois.
Le malade fut extrêmement foulagé de
l'oppreffion ; mais malgré tous les fecours
qu'on lui donna d'ailleurs, il toma dan s
A O UST. 1752. 61
un marafme qui faifoit craindre pour fa
vie . La fuppuration continuoit par la playe ;
on le mit au lait pour toute nourriture ,
avec affez de fuccès : les forces revinrent ,
& la playe diminuoit peu à peu de grandeur
; il fuintoit toujours un peu de matiere
qui venoit de l'intérieur . Il y avoit
plus d'un mois que l'opération étoit faite ;
il étoit important de laiffer une iffuë libre
à la matière. Cette confidération porta
M. Morand à faire porter une canule au
malade , au rifque de voir la playe devenir
fiftuleuſe : on continua l'ufage de la canule
jufqu'à la parfaite déterfion de la poitrine ;
on lui en lubftitua une d'emplâtre de Nuremberg
, & après fix mois on obtint la
cicatrice parfaite de la playe.
M. Morand tire trois réflexions principales
de ce fait.
1º. Il y a fort peu d'exemples d'hydro
pifie de poitrine guérie par opération ; ce
n'eft pas , comine il le remarque , que cetre
opération foit dangereufe , c'eft qu'on ne
la pratique pas ; beaucoup de gens meurent
avec la maladie , qui auroient été fou
lagés & guéris par les fecours employés à
propos. Combien n'ouvre - t- on pas de cadavres
, furtout dans les Hôpitaux , où l'on
ne voit d'autres caufes de mort que l'épan
chement dans la poitrine ? M. Morand a
62 MERCURE DE FRANCE.
fouvent vû l'Ecole anatomique des Hôpitaux
où il a fait la Chirurgie , inondée des
eaux qui fortoient de la poitrine des fujets
devenus l'objet de fes recherches , & qui
ne préfentoient point d'autre caufe de
mort.
Dans la feconde réflexion l'Auteur propofe
de ne pas tirer l'eau tout à la fois ,
afin de donner au poumon le tems de fe
dilater ; car l'eau épanchée comprime le
poumon , de façon qu'il eft comme pelotonné
vers le centre , & réduit à un fort
petit volume ; il ne peut fe dilater fur le
champ après l'évacuation de l'eau.
Une troifiéme réflexion , qui eft une conféquence
de la précédente , c'eſt qu'il feroit
pen -être à propos de ne procéder à l'opération
de l'empyeme qu'après une ou deux
ponctions , pour permettre au poumon une
expanfion graduće .
Après ce Mémoire , M. Fabre en lat un
fur le méchaniſme de la réunion des playes
& des ulceres , avec perte de fubſtance .
Lorfqu'une playe ne peut lſee réanir réunir par la
cohésion de fes parois , elle fuppure , &
l'on voit naître fur fa furface des tubercules
charnuës , dont le caractere varie fuivant
l'état de la playe : ces tubercules ont
été regardées julqu'à préfent comme les
bourgeons d'une nouvelle fubftance qui fe
AOUST. 1752 . 63
régéneroit , pour réparer en quelque forte
celle qui a été détruite.
M. Fabre croit que la régénération des
chairs eft une fuppofition gratuite : la nature
, felon lui , fuit une voye plus fimple
que celle qu'on lui fait tenir dans tous les
fyftêmes de végétation & de régénération
qu'on a imaginés pour expliquer la réunion
des playes avec perte de fubftance. Tous
les phénoménes qui fe préfentent dans cet
ouvrage de la nature , excluent l'idée de la
régénération . M. Fabre en appelle à l'expérience.
Dans la playe , par exemple , qui
refte après l'amputation de la cuiffe , il eft
fenfible qu'il n'y a aucune régénération ;
on ne remarque pas que les chairs acquierent
pendant la cure aucun accroiffement
réel ; il est évident au contraire que toutes
les parties coupées fe dépriment &
s'affaiffent , pour permettre à la peau de
fe rapprocher du centre , & de fe coler à
l'extrémité de l'os . Si l'on confidere en effet
l'état du moignon lorfqu'il eft fur le
point de fe cicatrifer , on voit que le tiffu
graiffeux s'eft entierement effacé ; que les
mufcles font tellement déprimés à leur
extrémité coupée , qu'ils n'ont prefque plus
d'épailleur , & que l'os même perd quelquefois
de fon volume , enforte que toutes
ces parties enfemble préfentent très peu
64 MERCURE DE FRANCE:
de furface du côté de leur fection.
On obferve pareillement qu'il ne fe fait
point de réparation de fubftance dans une
divifion profonde . Qu'on fuppofe un ulcere
large & profond , dans lequel l'os
foit découvert & alteré ; on remarque qu'il
Le fait une dépreffion des parties qui forment
les parois de cet ulcere ; la peau s'enfonce
infenfiblement , en le raprochant
du centre de la divifion , au point de paroître
le coller immédiatement à l'os , &
fe confondre avec lui par une cicatrice
commune. La fubftance détruite n'eft répa
rée dans aucun de ces deux cas ; il eſt évident
que les parties fe dépriment dans l'un
& dans l'autre ; dans le fecond fur tout , il
eft fenfible que la cavité de l'ulcere ne
s'efface pas parce qu'elle fe remplit d'une
nouvelle fubftance , mais parce que fes
bords s'affaiffent infenfiblement , jufqu'à
ce qu'ils foient parvenus au niveau du fond.
M. Fabre explique les moyens que la nature
employe pour opérer la dépreffion du
tiffu des parties folides ; il confidere la
nature de la fuppuration dans fes différens
tems , & il prouve par plufieurs faits , que
fi les playes fe rempliffoient , elles ne fe
confolideroient jamais ; car on remarque
que plus les tubercules qui paroiffent fur
la furface des chairs ulcerées , acquierent
AOUS T. 1752. 65
de volume par le relâchement & l'extenfion
des vaiffeaux , plus les dimenfions de
la playe augmentent.
Enfin M. Fabre expofe fes idées fur la
nature des tubercules dont il eft queftion ;
il les regarde comme autant de petits phlegmons
qui fupurent & fe tournent en abfcès.
Quand ces tubercules n'ont pas le caractere
phlegmoneux , les chairs font molles
& baveufes , ou calleufes ; dans le premier
cas , les tubercules participent de
l'oedéme , dans le fecond ils font ſchirreux .
Quand les chairs font molles & fpongieufes
, il faut employer des remédes déterfifs
, & même des cathéretiques , pour rappeller
dans ces chairs le degré d'inflammation
qu'elles doivent avoir , afin de fournir
une fupuration louable. La fupuration
vicieufe que produifent les chairs endurcies
, & la difficulté de guérir l'ulcere
exigent l'extirpation ou l'ufage des confomptifs
: les qualités de la fupuration font
toujours relatives an caractere des tubercules.
Tel eft le précis du Mémoire de M.
Fabre , qui jette avec beaucoup de folidité
de nouvelles lumieres fur la théorie & la
pratique de la Chirurgie , & d'autant plus
utiles qu'elles font fur un point fondamental
, tel qu'eft celui de la réunion des
playes.
66 MERCUREDE FRANCE.
1
M. Daviel termina la féance par la lecture
d'un Mémoire fur l'opération de la
cataracte , faite par une nouvelle méthode .
La vûe eft de tous les fens le plus précieux ;
les découvertes qui tendent à en rendre
l'ufage à ceux qui l'ont perduë , font des
bienfaits rendus à l'humanité ; les hommes
même qui paroiffent le moins dans le cas
d'en avoir befoin , doivent y être extrêmement
fenfibles . M. Daviel qui a toujours
fait fa principale occupation des maladies
des yeux , avoit pratiqué avec fuccès l'opération
de la cataracte avec les aiguilles or
dinaires. Cette opération confifte à placer
ou ranger au fond de l'oeil le cristallin ,
devenu par fon opacité un obftacle à la
pénétration des rayons de la lumiere. Cette
méthode a des inconvéniens : la cataracte
peut remonter après l'opération la mieux
faite ; elle n'eft pas pratiquable lorfque la
cataracte n'a pas acquis affez de folidité
Four foutenir l'effort de l'aiguille ; on déchire
le corps vîsré , & il en résulte quelquefois
des inflammations intérieures ,
qu'aucun fecours ne peut calmer. La nouvelle
opération que M. Daviel a imaginée,
n'a pas ces inconvéniens : il fait une incifion
à la cornée tranfparente près de la
conjonctive ; il incife la capfule du crif
tallin antérieurement , & en comprimant
A O UST. 1752. 67
enfuite légerement le globe de l'oeil , il
fait paffer la cataracte dans la chambre antérieure
, d'où elle tombe fur la jouë. M.
Daviel fait l'extraction du criftallin : la
cataracte ne peut donc remonter après
l'opération . Il opere également les cataractes
molles comme les folides . Enfin les
fuccès prouvés de cette méthode pratiquée
fur un grand nombre de fujets , en préfence
des plus habiles Chirurgiens , mettent
cette opération au - deffus de tour
éloge. M. Daviel a démontré dans l'Académie
les inftrumens particuliers dont il
fe fert , & il a réfuté à la fin de fon Mémoire
quelques objections faites contre fa
méthode , par des perfonnes trop peu inftruites
pour que leur témoignage foit d'un
grand poids. M. Daviel a opéré en préfence
de toutes les perfonnes curieuſes , &
qui paroiffent s'intereffer au progrès des
Sciences & des beaux Arts ; & perfonne
ne lui peut contefter légitimement la qualité
d'Inventeur de cette belle opération .
*
88 MERCURE DE FRANCE.
A Mademoifelle SO DULF.
N amour véritable
U.
Triomphe du refpect ,
Le mien eft pardonnable
S'il vous dit fon fecret.
Jamais plus tendre Aâme
Ne s'alluma pour vous ,
Vous faites de mon ame
Les plaifirs les plus doux.
Si votre coeur approuve
Le plus ardent amour
Faites que je le prouve ,
Belle Iris , en ce jour.
XX

AOUST . 1752. 69
Les Réflexions fuivantes font d'un homme
de qualité qui a eu une grande réputation d'efprit.
Si elles plaifent autant qu'il nous femble
qu'elles doivent plaire , on nous en fait
efpérer d'autres pour les Mercures fuivans."
REFLEXIONS
Que j'ai faites fur moi - même. Par * *
Es perfonnes pour qui je fens du goût,
dont l'efprit , les manieres & les moeurs
me conviennent , font avec moi comme il
leur plaît ; je fais les premiers pas avec vivacité;
mais s'ils ne font pas les feconds ,
je m'arrête ; je fuis pour eux ce qu'ils veulent
que je fois ; s'ils ne veulent être que
ma connoiffance , je ne fuis que leur connoiffance
; s'ils veulent de mon amittié &
de ma confiance , ils n'ont qu'à me donner
la leur ; ils en poufferont le dégré auffi loin
qu'il leur plaira ; je marcherai volontiers
le premier , mais je veux qu'ils me ſuivent,
car l'efprit de juftice eft tellement dans
mon coeur que je vais toujours la balance
à la main ; je paſſe beaucoup de choſes à
mes amis , & furtout je les quitte de tous
70 MERCURE DE FRANCE .
les foins qui ne vont qu'à contraindre &
à ôter la liberté : mais je reviens difficile .
ment d'une mauvaiſe fineffe , d'un manque
de confiance , & de tout ce qui me
marque qu'ils ne prennent pas en moi un
certain interêt : ce n'eft point fur des foupçons
mal fondés que j'en juge ; il faut que
cela foit bien vrai pour que je le croye ,
car je ne fuis point difficile , ni aifé à bleffer
; & jamais mon efprit ne va trop loin ,
il demeure plutôt en deçà du but ; je ſuis
pourtant affez clairvoyant. Quand je fuis
convaincu qu'ils ne font pas pour moi ce
que je fuis à leur égard, je ne romps pas pour
cela avec eux , je continue d'y vivre ; mais
dès ce moment je ne les regarde plus que
comme des connoiffances , & pour lors
perfonne n'eft fi facile que moi , je ne fuis
plus bleffé de rien & je m'accomode de
tout. Autrefois j'étois à peu près de même
en amour , j'étois fort facile pour les femmes
avec qui j'avois des galanteries , je
prenois pour bonne toute la monnoye
qu'elles vouloient me donner ; mais cela
étoit différent à l'égard de celles dont je
comptois d'être aimé à un certain point .
Le poids de la raiſon m'accable ; il n'y
a je crois perfonne fur qui elle ait tant de
pouvoir , & je la vois volontiers dès qu'on
me la montre , mais il faut me la faire voir ;
1
A O UST . 1752. 71
car réputation d'efprit , autorité , mode ,
maniere de penfer du pays où je fuis , en
un mot toute prévention ne peut rien fur
mon efprit ; je me rends pourtant quelque
fois en apparence à toutes ces chofes , parce
qu'il y auroit de la folie à les vouloir
combattre : je quitte auffi mon opinion , &
je prends celle d'un autre quand on me
fait voir qu'elle eft meilleure , mais il faut
me le faire voir , alors je ne fuis point jaloux
qu'on ait mieux penfé que moi : l'amour
propre ne m'aveugle point , & ne
m'empêche pas de l'avouer fans peine.
Il n'y a jamais rien à perdre dans le
commerce qu'on a avec moi ; on n'y trouve
ni bizarerie , ni fineffe , ni envie , ni
mauvais procédés ; je ne prends rien de
travers , & on ne fçauroit m'offenfer hors
qu'on en ait envie ; on eft en toute fureté
fur le fecret , & fur les tracafferies , & je
ne fuis point à charge , même dans les plus
petites chofes ; mais s'il n'y a rien à perdre
, il n'y a rien à gagner auffi ; je demêle
affez promptement les vues qu'on peut
avoir ; il eft difficile de me conduire où
l'on voudroit bien me faire aller : je paye
les gens avec qui je fuis en fociété de la
même monnoye qu'ils me donnent ; je ne
prends rien fur eux , mais je ne peux ſouffrir
qu'ils prennent rien fur moi ; je veux
72 MERCURE DE FRANCE.
une égalité entiere en toutes chofes , & ils
s'apperçoivent bien vîte qu'il n'y a rien à
efperer , non pas même de me donner leurs
opinions ; & qu'on ne doit avoir d'autre
but en vivant avec moi que le plaifir qu'on
y peut trouver , fuppofé qu'on y en trouve :
je n'exige rien d'eux , je ne m'informe
point de ce qu'ils font , je ne trouble jamais
leurs plaifirs , mais je veux qu'ils en
ufent de même à mon égard ; je fuis affez
complaifant ; je n'ai point d'humeur , mais
je fouffre avec beaucoup de peine celle des
autres , & quelquefois elle m'impatiente
au point que je leur réponds avec des paroles
& des tons qui font trop forts. Les
perfonnes qui tiennent des difcours faux
ne font pas non plus en fureté avec moi ,
& j'ai bien de la peine à m'empêcher de
leur faire voir que je ne fuis pas leur dupe.
Des nouvelles faulles que l'efprit de parti
ou la malignité font débiter & foutenir
comme vrayes , remuent encore ma bile ,
& je les contredis avec trop de vivacité.
Au jeu comme dans toutes les affaires d'intérêt
, je conferve toujours le même efprit ;
je ne veux pas faire le moindre tort aux
perfonnes avec qui je joue , je ne veux
pas. non plùs qu'elles m'en faffent ; je ne
fais jamais ni plaintes , ni incidens , ni
mauvaiſes difficultés , mais je fouffre avec
impa
AOUST. 1752. 73
impatience celles que l'on m'a faites ; je
ne dis rien qui puiffe bleffer les autres ,
mais quand ils me difent quelque chofe
qui me bleffe , je fens un mouvement de
colere plus fort que moi , qui me fait répondre
avec affez d'aigreur : fi je perd , je
paye dans le moment , je veux être payé
de même ; je ne veux point qu'on me dɔnne
& je n'emprunte jamais rien ; je n'aime
pas
auffi à donner ni qu'on m'emprunte ;
je ne plains point l'argent pour les chofes
utiles & agréables , & il me paroit que c'eft
être fou de s'en priver par avarice quand
on eft en état de fe les donner ; mais je
plains les dépenfes fuperflues , faftueuſes ,
& inutiles , & naturellement toute diffipation
m'eft opposée : comme tout le monde
trouve fon compte avec un homme qui
donne , qui prête , qui laiffe tout diffiper ,
& enfin qui eft affez fot ou affez vain pour
laiffer manger fon bien aux autres , il eft
bien plus eftimé que celui qui ne demandant
rien que ce qui lui appartient , veut
dépenfer ce qui eft à lui en chofes qui lui
conviennent , & on l'accufe volontiers d'être
avare. Le commerce réciproque de fe
donner & de fe prêter les uns aux autres
me paroiffoit tout -à- fait raisonnable , mais
l'expérience m'a fait connoître qu'on en
eft quafi toujours la dupe.
1
D
74 MERCURE DE FRANCE.
Voilà une grande partie des défauts ,
que j'ai dans la fociété , il me paroît qu'on
ne fçauroit les blâmer à un certain point ;
cependant il y a fort peu de gens qui falfent
de liaiſon avec un homme de ce caractere
; cela vient je crois de ce qu'on ne
veut point être démafqué ; l'amour propre
en eft trop bleffé ; je parle trop franchement
, & on dit que je fuis brutal ; cela
vient encore de ce que prefque tout le mon
ds n'agit que par quelque forte d'intérêt ,
& on n'en fçauroit trouver aucun à vivre
avec moi.
J'avoue auffi que j'ai le malheur d'être affez
difficile dans le choix desperfonnes pour
me plaire avec elles , en les voyant de près ,
connoiffant que je ne le devrois pas être ;
mais je le fuis malgré moi & malgré ma
raifon , & j'éprouve que les raifonnemens
ne fçauroient empêcher le fentiment.
J'ai oublié de dire que perfonne n'eft
plus régulier que moi dans le commerce
de la vie , mais je ne m'accomode pas des
gens irréguliers , ce qui me paroît un grand
deffaut dans la fociété.
La juſtice & la vérité ont un tel pouvoir
fur moi que je n'ai jamais pû être d'aucune
cabale , trouvant que chacune eft injufte ,
& impofe à l'autre des chofes fauffes ; je
ne fuis pas non plus ce qu'on appelle dant
A OUS T. 1752. 75
le monde un bon ami , car fi mon ami a
des deffauts , ou s'il a tort dans une affaire,
je ne peux m'empêcher de le voir , & je
n'ai pas la force de parler contre la vérité ,
ni de le fervir contre la Juftice ; & je pourrois
encore bien moins lui accorder des
choles injuftes ; il peut entrer en cela un
coin d'amour propre , qui fait que je fuis
bien aiſe de faire voir que je ne fuis point
dupe , & que je connois les chofes comme
elles font. Je crois que c'eſt un deffaut d'être
ainfi , & certainement c'eft un malheur :
car cela fait qu'on fe trouve feul de fon
parti fur la terre ; quelque efprit & quelque
mérite qu'on ait , on eft loué foibla
ment , parce qu'il n'y a perfonne qui ait
intérêt à vous faire valoir ; & dans les occafions
on trouve peu d'amis qui agiffent
vivement. Si j'avois été dans les grands
emplois cela m'auroit attiré beaucoup d'ennemis
, & je me ferois fait peu de créatures
, car la plupart des graces qu'on nous
demande , font des injuftices qu'on veut
que nous faffions ; & on n'en accorde guéres
à un homme , qui ne foient aux dépens
de quelqu'autre : connoiffant tous les inconvéniens
où me fait tomber cet amour
déreglé pour la Juftice & pour la vérité ,
j'ai cent fois réfolu de me corriger , & je
n'en ai pû venir à bout.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Dans une affaire , quand j'ai dit ce que
je penfe , & les raifons que j'ai de le penfer
, pour l'ordinaire j'en demeure là , fans
me flatter de perfuader les autres ; je n'ai
ni affez d'éloquence , ni une affez bonne
poitrine ; & il y a long-tems que j'ai connu
la vanité de cette efpérance ; quand la
choſe me regarde , & que j'en fuis le maître
, je laiffe dire & je fais ce qui me convient
, & quand je n'en fuis pas le maître ,
& qu'elle regarde les autres , je les laiſſe
faire & demeure en repos.
Je me foumets fans peine à la loi , mais
toute ma nature fe révolte contre l'autorité.
Je ne fouhaite ni les grands biens , ni les
grandes charges , ni la faveur ; tout cela
ote la liberté , donne trop de peine , & cau
fe trop d'inquiétude ; je ne fuis point ambitieux
, & je ne l'ai jamais été , mais je
fuis plus touché de la confidération que
perfonne ; je ne me foucie point d'être
plus qué les autres , mais je fouffre impatiemment
qu'on foit plus que moi : (otium
cum dignitate ) a toujours été l'objet de mes
défirs.
Toute contrainte , tout affujettiflement
m'eft infuportable , les plus legers me font
pénibles je me fers d'un Médecin , d'un
Avocat , d'un Architecte comme d'un ou
AOUST.
1752. 77
til ; & pour rien je ne fouffrirois qu'ils
priffent la moindre autorité fur moi , me
réſervant toujours à juger fi ce qu'ils me
difent eft bon ou mauvais.
Les opinions & les raifonnemens fingu
liers & recherchés ne font point de mon
goût;je n'aime que ce qui eft fimple & uni ;je
penfe de même à l'égard des mets , des ajuftemens
, & des ornemens des maisons ; &
j'ai toujours porté le même efprit dans mes
affaires ; étant perfuadé que le plus grand
ennemi du bien eft le mieux .
Je ne fçaurois voir fouffrir perfonne ,
pas même les animaux ; naturellement j'ai
me à faire du bien , & je ne comprends pas
comme on peut faire du mal à ceux qui ne
nous en ont pas fait ; mais je comprends
parfaitement comme on en fait aux gens
qui nous ont attaqué injuſtement ; & je reviens
avec peine quand on m'a offenfé.
Je peux dire comme Montagne , je ne
donne pas mon fentiment pour bon ; mais
il eft mien : l'opinion des autres n'entraîne
pas la mienne , quelque autorité qu'elle
ait , & je juge & des hommes & des chofes
par mes propres lumieres.
Je crois fentir en moi de l'admiration
pour les vertus & de l'horreur pour les
vices , indépendament de tous préjugés ;
je crois fentir auffi que j'agis avec liberté :
Dirj
78 MERCURE DE FRANCE.
je fçais ce qu'on peut dire contre ces deux
opinions , mais étant convaincu que tous
les raifonnemens que l'on a fait & que l'on
fait pour & contre , n'ont fervi & ne fervent
qu'à faire voir que l'efprit des hommes
ne fçauroit connoître des chofes qui
lui font cachées par des voiles impénétrables
à fes lumieres : ne pouvant être éclairci
par mon efprit , je me détermine par le
fentiment qui eft gravé dans le fond de
mon coeur , & j'ai en horreur l'abominable
opinion de l'indiférence des actions.
On ne prend point d'empire fur moi &
je n'en fçais point prendre fur les autres ,
ce qui me nuit beaucoup ; car il y a des
hommes qui dans la fociété prennent une
forte d'empire , & prefque tous les autres
hommes font conduits par ceux - là ; je blef-.
fe l'amour propre de ces maîtres du monde
qui veulent que tout leur foit foumis ; &
les autres eftiment fort peu un homme qui
eft défaprouvé par ceux qui les font
fer.
pas
pen-
Voici ce qui me nuit encore : quand un
homme me dit des chofes qui ne me paroiffent
mériter d'attention , ou qu'il
parle après que j'ai entendu ce qu'il vouloit
dire , mon efprit s'en va malgré moi ,
& il lui eft aifé de s'apparcevoir que je ne
l'écoute plus.
A O UST . 1752 79
Quand il eft queftion de parler de quelqu'un
, je ne contente ordinairement ni fes
amis , ni fes ennemis ; je n'en dis pas affez
de bien au gré des uns ni affez de mal au
gré des autres ; & tout cela vient de ce
que je tâche à en juger fans prévention ,
difant indifferament les bonnes & les mauvaifes
qualités que je crois voir en lui ; un
portrait fimple & vrai ne fatisfait la paffion
de perfonne , & fatisferoit encore
bien moins l'amour propre de celui dont
on le fait , s'il lui étoit rapporté : il feroit
plus offenfé d'un défaut découvert qu'il
ne fe fentiroit obligé de mille louanges
qu'on lui auroit données .
Je m'en irai fans avoir débalé ma marchandife
, & comme on ne m'a jamais mis
en oeuvre , on ne fçaura point fi j'étois pro.
pre à quelque chofe ; je ne le fçaurai pas
moi même ; je m'en doute pourtant , &
croyant me fentir des talens , il y a eu des
tems dans ma vie , où je me fuis trouvé affligé
en fongeant qu'ils étoient perdus , &
en les comparant avec ceux des perfonnes
à qui je voyois occuper les premieres pla
ces .
Ce qu'il y a de meilleur dans mon efprit
c'eft le goût , le difcernement & la
connoiffance des hommes : & les qualités
de l'ame qui font nées avec moi , font l'hu-
D iiij
So MERCURE DE FRANCE.
manité & la Juſtice : & pour la conduite
de mon bien & de mes affaires , l'ordre &
l'arangement. C'eft ma raifon qui fait naître
ma peur , l'animal n'étant pas d'une nature
timide : peut- être qu'il y a trop de
vanité à dire tout cela de foi. Il y en a encore
plus à ce que je vais dire ; il n'importe
, car je ne prétends pas qu'il foit vû de
perfonne tant que je vivrai. Si mon étoile
avoit eu quelque proportion avec les qualités
qui font en moi , je ferois plus élevé
que je ne fuis , mais elle eft foible & commune
, je l'ai éprouvé cent fois ; elle a porté
même fur mon efprit ; il a eu moins de
réputation qu'il n'en méritoit ; fi on me
demande ce que c'eft qu'étoile , je répondrai
que je ne le fçais pas ; je fçais feulement
que c'eft quelque chofe de réel qu'on
ne connoit point.
Je connois mieux que perfonne du
monde le prix de l'amitié , & j'ai un coeur
fait pour aimer ; cependant je n'ai pas eu
d'amis à un certain point , & il y a grande
apparence queje mourrai fans en avoir :
cela vient peut -être de ce que l'amitié n'eſt
qu'un nom , & qu'il y a peu d'hommes
qui en foient capables ; peut- être que je
fuis trop difficile & que je demande trop
de perfections pour donner la mienne ';
peut- être auffi c'eft la faute de ma forque
A O UST. 1752 81
tune qui a toujours été fi mediocre , que
perfonne ne s'eft donné de peine pour
avoir l'amitié d'un homme qui n'étoit pas
en état de nuire ou de fervir ; qui pourtant
eft incapable d'avancer fi on ne le fuit &
qui regarde l'égalité comme le premier
fondement de l'amitié , fans quoi on ne
fçauroit avoir la fienne ; peut-être encore
que j'approfondis trop ce qui fe paffe dans
Le coeur des hommes , & que je ne me
contente pas de ce qui contente ceux qui
ne voyent pas fi clair. Il y en a auffi beaucoup
qui difent par vanité qu'ils font aimés
des perfonnes dont l'amitié les hono
re; fur tout quand ils font morts & qu'ils
ne peuvent plus les contredire ; ils parlent
à tout propos de la perte effroyable qu'ils
ont faite , qui fouvent eft très médiocre.
Les poltrons & les femmes galantes font
en fureté avec moi ; bien loin de les décrier
, je voudrois les pouvoir cacher ; mais
les fripons , les raporteurs , ceux qui trom
pent au jeu , ou qui ne payent point , font
en grand danger ; un chien enragé eft fait
comme un autre chien ; ne doit-on pas
avertir les paffans qu'il eft enragé : il en eft
de même de ces perfonnes-là qui tiennent:
Les difcours que tiennent les honnêtes gens
qui font faits tout comme eux & qui font
quafi auffi dangereux pour la fociété que
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
les chiens enragés . A l'égard de la poltro
nerie des hommes , & de la galanterie des
femmes elles ne nuifent à perfonne .
Je ferois un fort mauvais gouverneur
de filles & d'enfans ; mais je le ferois fort
bon de jeunes gens qui entrent dans le
monde ; c'eft le tems où on leur ôre leur
gouverneur , & celui où ils en ont le plus
de befoin , car dans les deux ou trois premieres
années qu'ils y font , ils forment
leur caractere pour le refte de leur vie : ce
ne feroit pas un fubalterne qu'il leur
faudroit , mais un ami galant homme
en qui ils auroient confiance , qui auroit
paffé fa vie à la guerre & à la Cour , dans
la bonne compagnie , & qui feroit eftimé
des honnêtes gens .
J'ay tant vecu avec ce qu'il y a de plus
grand & de plus merveilleux , que je ne
m'en foucie plus du tout ; je ne fonge qu'à
m'amufer , tout m'eft égal ; & je ne vois le
monde que comme on voit l'opéra & la
comédie : quand on a 80 ans paffés , je ſuis
perfuadé que c'eft ce qu'il y a de meilleur
& de plus fenfé à faire .
Ma vieilleffe & l'extrême foibleſſe dans
laquelle je fuis , font que je n'ai plus ni
crainte , ni défirs : ce que je peux perdre
eft G peu de chofe , & je jouirois fi peu de
tems de ce que je pourrois acquerir , que
A OUS T. 3752. $3
ce n'eſt
rer.
pas la peine de craindre ni de défi-
Les Philofophes difoient en voyant
tout ce que le luxe & la magnificence ont
fait trouver , que de chofes dont nous n'avons
que faire ! & moi en voyant de jolies
femmes , les différens mêts qui flattent le
gout des hommes , & les differens plaifirs
qui divertiffent leur efprit , je dis triftement
, que de chofes dont je ne peux plus
rien faire !
Je paffe ma vie fans être ni fain ni malade
; j'ai des fontes qui me rendent cour
batu la moitié de l'année ; le froid & le
vent me font fort contraires ; je fouffre
prefque toujours fans avoir de grandes
douleurs ; pour peu que je parle de fuite ,
cela me fait beaucoup de mal , je mange
fort peu & fans apetit, de tout indifféremment
fans en être incommodé , pourvû
que ce foit en petite quantité ; je mange
plus volontiers des chofes que les autres
appellent des ordures , que de celles qu'ils
regardent comme faines , & je ne bois que
de l'eau ; je dors bien & facilement , & le
fommeil me ranime , je ne me porte point ,
je me traine ; cependant je vas toujours &
je n'ai point de maladies , ni de ces maux
qui menacent ruine ; je ne fais point de remedes
, & quand j'en ai voulu effayer ,
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
3
preffé par ce que je fentois & par ce qu'on
me difoit , j'ai trouvé qu'ils me faifoiens
plutôt du mal que du bien.
Les hommes ont fait une belle acquifition
quand ils font parvenus à la vieilleffe,
objet de leurs défirs ; dans cet âge malheureux
, ils ne font plus occupés qu'à étayer
un vieux bâtiment qui croule de tous côtész
la fin d'une maladie ou d'une incommodité
eft le commencement d'une autre : on
perd peu à peu l'ufage des jambes , des
oreilles , des yeux ; chaque jour nous ôte
quelque chofe & nous fait fentir de la diminution
dans notre corps & dans notre
efprit , enfin on meurt en détail avant que
de mourir tout-à- fait , & on ne porte au
tombeau qu'une partie de foi- même , ayant
laiffé le refte en chemin , on ne vit plus
que pour les peines ; on eft livré aux remedes
, à un régime ennuyeux & contraignant
, aux Medecins & fouvent aux Di
recteurs , qui fe prévalent tous de notre
foibleffe pour établir leur empire tirannique
: on fent que le monde ne nous compte
plus pour rien ; & quand nous fommes
arrivés à cette trifte vieilleffe , nous ne devons
attendre des devoirs de notre faque
mille , & une certaine confidération du
public , fi on a mené une vie honnête ; les
gens qui nous aimoient & que nous ai
AOUST. 17521 85
mions ne font plus , il ne nous en refte
qu'un douloureux fouvenir , & on ſe trou
ve feul fur la terre ; il faudroit au moins
vieillir & mourir comme Beaucis & Philemon.
Un malheur encore attaché à la vieilleffe
eft de ne pouvoir plus faire de projets , ni
même de s'amufer à faire des châteaux en
Eſpagne , on voit une fin trop prochaine à
fa vie. Malgré cet état déplorable dans lequel
on eft réduit , l'animal craint ſa def
truction ; quelle mifere & quelle honte
La raifon ne devroit - elle pas nous dire ,
que , quoique nous puiflions trouver en
fortant de ce monde , qu'il vaut mieux que
les reftes d'une vie délabrée ? fr nous mourons
tout entiers , un fommeil tranquile
n'eft-il pas plus fouhaitable & plus doux ?
& fi l'ame eft immortelle , comme on n'en
peut pas douter , peut- on s'imaginer que
T'Etre Suprême , tel que je me le repréfente
, & tel qu'il eft certainement , rende
malheureuſes des créatures qu'il a faites
& qui l'ont adoré du meilleur de leur
coeur ? La mort n'eft terrible que pour les
fcelerats .
L'ignorance où nous fommes de ce qui
eft au delà de cette vie , nous peut faire
penfer encore que peut-être nous retrouverons
les perfonnes que nous avons ai86
MERCURE DE FRANCE.
mées au moins nous fortons par la même
porte , & nous fommes bien fürs que nous
ne les reverrons plus , tant que nous ferons
dans ce monde.
Quand on eft arrivé à cer âge malheureux
, du repos avec de la confidération
eft ce qu'il y a de plus fouhaitable.
Songer à fa fanté , & avoir toutes fortes
d'amufemens , eft ce qu'il y a de plus fenfé
à faire.
Dieu par une grace finguliére m'a fait
trouver une perfonne aimable , & qui
m'aime ; mais c'eft un miracle auquel on
ne doit pas s'attendre , & dont je ne sçaurois
trop le remercier ; en revanche ma
condition eft plus malheureufe que celle
des autres hommes , car ils ne craignent
qu'une mort , & moi j'en crains deux.
Cette perfonne eſt Madame ***
voici ce que j'ai fait mettre au bas de fon
portrait :
Depuis dix ans entiers tout le jour je la vois
Avec le même goût que la premiere fois,
&
*
A OUST. 1752.
ODE
Sur la Solitude.
Eureux qui dans la Solitude
par les doctes Soeurs , Careffé
Au fein d'une facile étude ,
Du calme goûte les douceurs !
L'impofture , la pâle envie
Refpectent le cours de fa vie
Libre de foins & de défirs .
La feule vertu l'intéreffe ,
Sesjours filés par la Sageffe
Le font encor par les Plaifirs.
Loin des grandeurs & du tumulte
Fidele esclave du devoir ,
Il ne profane point fon culte
Par l'ivreffe d'un fol eſpoir.
Il s'élance , il perce la nue.
Fille du Ciel , chaſte , ingénue
La vérité luit à fes yeux.
Frappé de fes accens fublimes
Il quitte les fauffes maximes
Et s'entretient avec les Dieux.
Les noirs frimats , & la verdure
>
Sont les Spectacles innocens.
38 MERCURE DEFRANCE
A fes yeux la fimple nature
Offre mille jeux raviflans.
Le bruit des eaux , un frais ombrage
Philomele par fon ramage
Etonnent les fens tranfportés.
L'éclat d'une naïffante aurore
Les dons de Cer, > & de Flore
Le captivent par leurs beautés.
;
Tantôt affis fur la fougere
ly prend un frugal repas :
Tantôt une jeune Bergere
Le voit fourire à fes appas
Il aime tout , rien ne l'enflâme;
Nul objet ne fixe fon ame :
11 eft fon Roi , fon Univers:
Le préfent le flatte & le charme,
L'avenir n'a rien qui l'allarme ,
Infenfible à tous les revers,
toi , chez qui la nonchalance
Affaifonne la volupté ,
'Ami qui dans l'indépendance
Sçais trouver la félicité !
Quand reverrar je ces prairies
Ou de nos douces rêveries
Nous entretenions les ruiffeaux ,
Où cette Nymphe aimable & tendre,
Four mieux te voir & mieux t'entendre ,
A O UST. 1752.
Daigna fortir de fes Roſeaux ?
Le fombre Zenon m'éfarouche
Chryfippe veut- il m'affliger ?
La vertu trifte dans leur bouche
Rebutte , loin de corriger.
La voix du fentiment t'infpire
Dépofitaire de la lyre
Dont fe fervoit Anacreon ;
Vertueux , fans être fauvage';
Toujours l'élégant badinage
Sçut humanifer ta raison.
J. LACOSTE, fils , de Dijon.
90 MERCURE DE FRANCE.
DESAVE U
De l'Académie de Dijon , au sujet de la Ré
futation attribuée fauffement à l'un
de fes Membres.
' Académie de Dijon a vû avec ſurpriſe
L'dansuneLetreimprimée de ff.
feau , qu'il paroiffoit une brochure intitu
lée : Difcours qui a remporté le prix de l'Académie
de Dijon en 1750, accompagné d'une
réfutation de ce difcours par un Académicien
de Dijon qui lui a refufe fon fuffrage.
L'Académie fçait parfaitement que fes
décifions , ainfi que celles des autres Académies
du Royaume reffortiffent au Tribunal
du Public , elle, n'auroit pas relevé
la réfutation qu'elle défavoue , fi fon Auteur
, plus occupé du plaifir de critiquer
que du foin de faire une bonne critique ,
n'avoit crû , en fe déguifant fous une dé
nomination qui ne lui eft pas duë , interreffer
le Public dans une querelle qui n'a
que trop duré , ou tout au moins lui laiſſer
entrevoir quelque femence de divifion
dans cette fociété , tandis que ceux qui l'a
compofent , uniquement occupés à la reAOUST
. 1752. 91
cherche du vrai , le difcutent fans aigreur
& fans fe livrer à ces haines de parti qui
font ordinairement le réſultat des difputes -
littéraires .
Ils fçavent tous le reſpect qui eft dû aux
chofes jugées , la force qu'elles doivent
avoir parmi eux , & combien il feroit indécent
que dans une affemblée de gens de
Lettres un particulier s'avifât de réfuter
par écrit une décision qui auroit paffé conrre
fon avis.
Il paroit par la lettre de M. Rouſſeau
que ce prétendu Académicien de Dijon
n'a pas les premieres notions du local d'une
Académie où il prétend qu'il occupe une
place , lorfqu'il parle de fa Terre & de fes
Fermiers de Picardie , puifque en fait il eft
faux qu'aucun Académicien de Dijon poſfede
un pouce de terre dans cette Provin
ce. L'Académie défavoue donc formellement
l'Auteur Pfeudonyme , & fa réfutation
attribuée à l'un de fes membres par une
fauffeté indigne d'un homme qui fait profeffion
des Lettres , & que rien n'obligeoit
à fe maſquer .
Mais de quelque plume que parte cet
ouvrage , & quelqu'ait pû être le deffein de
celui qui l'a compofé , il fera toujours honneur
au Difcours de M. Rouſſeau , qui
ufant de la liberté des problêmes ( la feule
92 MERCURE DE FRANCE.
voye propre à éclaircir la vérité ) a eu affez
de courage pour en foutenir le parti , & à
l'Académie qui a eu affez de bonne - foi
pour la couronner.
PETIT , Secretaire
A Dijon le zz de l'Académie des Scien
Juin 1752. ces de Dijon.
PROBLEM E.
On demande la raison phyfique qui a pù
déterminer le fouverain Législateur à ordonner
aux Juifs de garder & de fanctifier par
la ceffation de travail & la priere la fepués
me année.
AO UST. 1752
Le mot de l'Enigme du Mercure de Juillet
eft l'Air. Celui du premier Logogryphe
et cenfure ; dans lequel on trouve céfure
, cure , rufe , cur , rêve , rue , fur , nue
vers, ver & nuée. Celui du fecond Logogryphe
eft Misantrope ; dans lequel on
trouve fet , Serin & Terin , Rome & Paris ,
or , timon , patrie , Saint , rien , Apôtres ,
Japon , prifon , montre , Moife & Aretin,
****************
ENIGM E.
MAforme eft de mode & d'uſage ,
Ma nature dépend du bien ,
Et fers par un double avantage
Au fexe mâle & féminin.
J'ai , Lecteur , une four jumelle
Qui de moi ne différe en rien ;
On ne me voit jamais fans elle ,
Et mon état devient le fien :
On peut nous voir à la toilette ,
Et dans plus d'un fens différent ,
Occupant l'art d'une coquette ,
Servir à fon ajustement.
Pour ne te plus mettre à l'enquête,
Et nous faire connaître mieux
94 MERCURE
DE FRANCE .
Depnis les pieds juſqu'à la tête .
Nous nous préfentons à tes yeux.
Par M. Castaing fils , à Alençon .
ESSAI
D'une efpéce nouvelle d'Enigmes plus utiles
que celles qu'on lit ordinairement.
Qu
Ui pourroit nier que mon existence
eft plus ancienne que la Création , ne
palleroit pas pour fenté. Les Auteurs &
Ecrivains ont dit & fait dire de moi plus
de mal de bien ; entr'autres un raique
fonneur , ou , fi l'on veut , un Philofophe,
a trouvé le moyen de me caracteriſer fingulierement
en peu de mots : un Poëte
moderne a prétendu donner à peu près
de moi la même idée par un feul mot ,
en m'attribuant
encore une qualité plus
finguliere . Deux hommes d'efprit de ce
tems , très-connus dans le monde littéraire,
ont auffi penſé de moi d'une maniere fort
ingénieufe . Un autre Philofophe de ce fiécle
s'eft expliqué plus amplement à charge
& à décharge fur mon compte , & l'on
peut inférer de fes éloges & de fes blâmes
, que j'ai de tout tems été la meilleure
& la plus détestable de toutes les choles ,
AOUST. 1752. 95
1
fans même en excepter la langue . Que ne
me doit- on pas , & que ne me devra- t- on
pas ? Ma puiflance égale au moins celle
de ma fille. Je fuis cependant réduite fouvent
à defirer. Mes voeux les plus ardens
aujourd'hui font de fignaler mon pouvoir,
en rendant au plus aimable & mieux aimé
des Souverains quelque hommage , digne
de lui , & en m'appliquant à devenir de
plus en plus utile à fes Sujets.
*
LOGO GRIPHE.
ON me dit néceffaire , & cependant , Lecteur ;
On me voit fort fouvent de bien des maux l'auteur;
Mais fort fouvent auffi j'ai le doux avantage
D'établir & fixer de vrai bonheur du Sage.
J'ai toujours exifté , j'exifterai toujours ;
Les Grands & les Petits à moi tous ont recours
Deviens-tu curieux ? Ne perds pas le courage ;
Mes fept pieds combinés t'inftrairont davantage,
Tu trouveras d'abord dans ma diffection
Ce qui devient pour nous mortification .
Pourfuis , tu me verras tyran de la vieilleſſe ,
Et c'est moi qui toujours corrige la jeuneſſe.
Je fuis un élément : j'embarraffe fouvent ,
Et j'en fais bien l'épreuve , ami , dans cet inftant
En tranchant ma moitié , tu me vois fans partage ,
Etre aimé d'une femme & vertueuſe & ſage.
MERCURE DE FRANCE
Pourfuis encore , ami ; je porte d'affreux coups
A celui qui fubit l'effet de mon courroux.
Yveux-tu joindre un pied , tu me dois ta naiffance
Chacun dans tous les chiens me craint avec prud
dence.
Un cocher dans Paris me crie à tous inftans.
Dans les oifeaux par-tout j'annonce le Printems.
Je fuis le premier point qu'on apprend en mufique
Une Science unie à l'Art aftrologique,
Et pour tout terminer enfin , mon cher Lecteur,
Je fuis pour un enfant un préfent bien flateur.
Par M. Castaing fils , à Alençon,
NOUVELLES
AOUST. 1752 97
NOUVELLES LITTERAIRES.
A
NALYSE chronologique de l'Hiſtoire
univerfelle depuis le commencement
du monde jufqu'à l'Empire de Charlemagne
exclufivement. I vol. in - 8°. A Paris,
chez Michel Lambert , Libraire , rue S. Jac
ques , 1752.
Get Ouvrage qui eft précédé d'un petit
catalogue des Livres les plus néceffaires pour
l'étude de l'Hiftoire , le partage en douze
époques comme l'Abrégé de Leclerc : il
paroît fait à peu près fur le même plan ;
mais quoiqu'avec autant d'exactitude , il eft
moins concis , moins fec , & par confequent
plus agréable . Ce que nous y avons
principalement remarqué , & ce qu'on
trouve rarement dans les ouvrages de ce
genre , c'eft la conduite du fil hiftorique
qui par-tout fe lie & fe dévelope avec
beaucoup de netteté , & fans la moindre
confufion .
L'Auteur y a concilié l'ancienne chronologie
, qui fuppute par les années du
monde , avec celle qui compte en rétrogradant
par les années écoulées avant &
depuis Jefus Chrift jufqu'à nous : il y a
E
98 MERCURE DE FRANCE.
joint le calcul des Olympiades & les années
de la fondation de Rome. Pour donner en
deux mots une jufte idée de ce Livre , on
peut le confiderer comme une mappemonde
bien faite , où tout le local de l'antiquité
le trouve réuni , & où tous les objets
fe préfentent avec clarté. Ce premier
tome fera fuivi d'un fecond , qui commencera
au regne de Louis le Debonnaire , &
ira jufqu'à notre tems.
RECUEIL de Piéces contenant l'opération
de la Taille , qui contient la defcription
de plufieurs lithotomes compofés ;
celle d'une tenette à brifer la pierre , celle
des diverfes fituations du pierreux dans
T'opération de la taille , leurs avantages &
leurs inconvéniens , difcutés par les critiques
réciproques , où fe trouve la réponſe
aux derniers écrits de l'Anonyme , Auteur
du Recueil in - 12 des Piéces importantes
fur l'opération de la taille , faite par le
lithotome caché . Par Claude - Nicolas le
Cat. A Rouen , chez la veave Dumefnil ; &
fe trouve à Paris , chez Barois , ainfi que
la réfutation du Difcours du Citoyen de
Geneve ; par le même Auteur , 1 vol. in-8® ,
1752.
M. le Car eft fi connu comme fçavant
& comme Chirurgien , & le titre de fon
AOUS T 1752 .
Recueil eft fi détaillé , que nous fommes
difpenfés de parler de fa perfonne & de
fon ouvrage . Les gens du métier feront à
cette production l'accueil qu'elle mérite ,
& les perfonnes , en affez grand nombre ,
qui y font attaquées , répondront ou ne
répondront pas aux reproches qu'on leur
fait , felon qu'il conviendra à leur gloire
& à leurs intérêts . Nous croyons que lorfque
le feu des difputes fera tombé , M. le
Cat qui eft fait pour répandre des lumieres
fur plus d'une matiere , aura quelque
regret d'avoir entretenu fouvent & longtems
le Public de fes démêlés .
ESSAI fur la Peinture , la Sculpture &
L'Architecture. Par M. de Bachaumont.
Seconde édition , revûe , corrigée & augmentée
; ſe trouve à Paris , chez le Mercier,
1752.
Cet agréable Ouvrage a la deſtinée qu'il
mérite : la nouvelle édition qu'on vient
d'en donner , mettra plus de perfonnes à
portée d'en profiter & d'en aimer l'Auteur.
PENSE'ES de Seneque , recueillies par
M. Angliviel de la Beaumelle , Profefleur
Royal en Langue & Belles Lettres Françoifes
dans l'Univerfité de Copenhague ,
& traduites en François. A Paris , chez le
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Mercier , Defaint & Saillant , & le Prieur
1752. 2. vol. in-12 ,
de
Les penfées que M. de la Beaumelle a
recueillies , forment une efpéce de cours
de morale dans les principes des Stoïciens ;
il les a placées fous les titres fuivans , de
Dieu , de la Providence , de l'Homme ,
la Vertu , de la Conſcience , des Paffions,
de la Vie heureuſe , de la Philofophie , de
la conftance du Sage , du loifir du Sage ,
de la briéveté de la Vie , de la Colere , de
la paix de l'Ame. La traduction a le double
mérite qu'elle doit avoir ; elle eft:
exacte , & rend le génie de l'original ; elle
eft précédée d'une vie de Seneque , qui
mérite d'être lue : l'Auteur y a jetré beaucoup
de réflexions . hardies & brillantes ,
fur la morale , fur la politique & fur la
critique. Ce morceau , qui eft affez étendu ,
n'a rien de la fécherefle ordinaire aux Ou
vrages de cette nature : on jugera de la
maniere de M. de la Beaumelle par deux
ou trois traits que nous allons copier.
« Helvia , mere de Seneque , étoit une
» Dame douée d'excellentes qualités , d'un
efprit agréable , d'un caractère char-
» mant ; elle n'étoit pas de ces meres qui.
» n'aiment dans leurs enfans qu'elles- mêmes
, qui les élevent pour profiter de
leur éducation , qui les pouffent dans le
AOUST. 1752. ΤΟΥ
7

monde pour le prévaloir de leur crédit.
» Modefte & retenue , elle ne ſe condui-
»foit que par
que par les principes de la fageffe :
» uniquement occupée de l'éducation &
» des affaires de fa famille , elle faifoit fon
» plaifir de fon devoir ; fa moindre qua
» lité étoit d'être belle , qualité qui tient
» lieu de mérite à la plupart des femmes
qui le font : elle avoit un goût décidé
» pour la Philofophie ; mais fon mari , qui
» vrai - ſemblablement ne le fçavoit pas ,
» vint à bout de l'en éloigner. En un mot,
Helvia étoit une de ces femmes dont le
» coeur , l'efprit & la figure font également
» aimables , & aufquelles tout homme rai
» fonnable dit de bon coeur :
99
Tecum vivere amem , tecum abeam libens.
99
Seneque joignit à l'efprit le jugement,
» au clinquant le folide , à l'ampoulé le
» fublime , à la délicateffe l'énergie , aux
» graces la jufteffe , à la douceur la viva-
» cité , aux faillies de l'imagination la force
» du raifonnement , aux figures de mots
les figures de penfées , au bel efprit le
fçavoir , à l'éloquence la Philofophie.
» Plein de beautés raviffantes & de défauts
agréables , il ne reconnoît d'autres loix
» que fon génie , & il l'avoit le plus fin ,
- le plus élevé , le plus vif que la nature
و ر
39
»
E iij
102 MERCURE DE FRANCE
ait encore produit. Il a les trois grandes
qualités de l'Orateur de Ciceron ; il inf
» truit , il plak , il touche ; mais il ne les
a pas toutes au même degré , fon imagi-
» nation l'emporte trop , il eft trop orné ,
il a gâté l'eloquence d'une infinité d'O-
» rateurs qui l'ont voulu imiter , fans con-
» fiderer que Seneque eft un de ces Auteurs
originaux qui font inimitables.
» Burrhus & Seneque rempliffoient con-
» jointement le pofte le plus important
» de l'Empire ; ils étoient également Gou-
» verneurs d'un Prince qui y étoit deftiné
» l'un & l'autre avoit fon mérite diſtinctif
» & fon emploi particulier ; leur pouvoir
» étoit égal , leur intelligence parfaite ,
>> mais chacun avoit fon département . Bur-
» rhus , Officier , qui avoit blanchi dans
les travaux de Mars , enfeignoit à Neron
» le métier de la guerre ; Seneque le for-
» moit dans l'art de parler , dans la litté
» rature , dans la fcience de l'Hiftoire , &
» dans la connoiffance des Loix. Burrhus.
lui infpiroit l'amour de la fageffe , Se-
» neque lui en dévoiloir les principes &
les devoirs : l'un avoit une morale auftere
, affortie à la fevérité de fes moeurs ;
l'autre adouciffoit prudemment la féchereffe
de fes leçons par la douceur de fon
» naturel ; l'aménité de fes difcours apla
A O UST. 1752. 103
وو
.
niffoit toutes les routes de fon Eléve , &
femoit de fleurs tous les chemins par où
il falloit paffer ; le premier s'y prenoit
» en militaire Stoïcien , le fecond en hom
» me adroit , fe pliant avec habileté au
génie de Neron , mais fans fe départic
» dans le fond de l'inflexibilité des principes
ftoïques : l'un & l'autre s'attachoient
» à former ton coeur ; mais Seneque , vrai
» femblablement plus éclairé , cultivoit fon
efprit : ils ne réuffirent ni l'un ni l'autre .
» Neron eft d'autant plus déteftable , qu'il
ne profita point des leçons des deux plus
habiles Gouverneurs qui aient jamais
élevé un Prince Païen. »
33
33
MEMOIRES de M. de Berval . A Anf
terdam , & fe trouvent à Paris. 1752. 1
vol. in- 12 .
. Ce Roman eft fûrement d'un homme
qui connoît les bienféances , qui refpecte
les moeurs , & qui fçait écrire. Si les Ouvrages
de ce genre reffembloient à celui
que nous annonçons , ils éviteroient les
reproches des gens aufteres , & mériteroient
Jes éloges des Critiques judicieux.
M. le Baron de Rodes fouhaite que le
Public foit averti qu'il va paroître fous
fon nom un Recueil de vers qu'il defavoue.
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE.
TRADUCTION en vers latins du Vert
vert , de M. Greffet , par M. *** Docteur
en Médecine. A Paris , chez d'Houry fils,
rue de la Vieille Bouclerie. 17 £ 2.
Pour faire connoître à nos Lecteurs le
talent que M. *** a pour la Poëfie latine,
nous allons tranferire le commencement
du quatriéme Chant , qui eft un des morceaux
les plus agréables de ce charmant
badinage.
Intereà mentem nequeunt explere tuendo ,
Jure quidem ; nam latro , animus licet improbus ,
ora
Grata gerit , decoratque ferox audacia vultum ,
Quin fit fera fides fronti ? quin proditor unas
Accufet vultus latebras nigrofque receffus
Explicet obtutu defixo immobilis hæret
Tota domus , tantifque cient crepitacula linguis ,
Ut Pater omnipotens tonitru licet omne cieret ,
Incaflum . Non ille refert pia verba ; tumultus
Hos inter volvens huc illuc luminis orbes
Effert grande fupercilium , nota prima pudoris
Amiffi . Frons & vultus fublimior omnes
Infeftas facit , hunc dictis contendit amica
'Affari mater explodit inertia verba ,
Et furit , exclamans infanas effe Sorores .
Dicitur effatum à nauta accepiffe per undas
Auguftina Soror concinnans ora , volucri
Retulit, eia , precor, mi frater, comprime linguame
AOUST. 1752: 105.
Hic magus
At frater tetrum increpitans opprobria torquet
Pinguia , romano quæ non eft dicere veríu .
O Deus ! infanit , Mater ; quifnam impius , eheu
eft. Sic fic defertur Pfittacus. Ore
Pfittacus infrendens , adigat te peftis ad umbras ,
Evomit extemplò advolat undique turba furentem
Quæ linguam impediat: fed cunctas fpargere acero
Tinnula mox juvenum , vetutas deridet ineptè ,
Rancidulas fimulans barbâ denare loquelas
Infeftus rugis. At at ecce incenditur irâ
Majori , fervet limphato in pectore bilis ,
Vertitur in rabiem , fcintillant lumina flammid
Dejectat rabido violenta è gutture dicta
Deblaterans potuit quæ à nautis fcire viator.
Intonat horrendum B. F. infunda precatur ,
Sacrilegâque rotat Furias & Tartarâ lingua.
Dæmona adeffe putant Matres , dant mille per ho
ram
Signa crucis , credantque diem adveniſſe ſupre
mum.
Idem omnes agitat terror , fugitantque per antra
Coenobii celeres . Rapido conterrita curfu
In nafum Cunegunda cadens Matercula dentems
Expulit extremum ; Bibiana refolvit hiatu
Verba fepulchrali longum & miferabile clamat ,
Clamat atrum : Pater ô fanctiflime ! monftrum
Quis dedit hoc , Deus ? ut Stygia evocat agmina !
Fratres
Tartarei venient, reprobum credas . Bona quondam
F v
106 MERCURE DE FRANCE
Quò fugit pietas , doctrina & gratia morum ?
Quin ventis undas reperat , quin longiùs abfità
Niverni Matres fic atra vocabula dicunt.
Proh ! Benedictinas talem docuiffe Sorores
Credere quis poffit ? Juvenilia pectora Matres
Sic forment. Sacri , ah ! non tangat limina Clauftri
Hæc fecum ftigris impleret te&ta catervis .
DISCOURS fur le Roy, prononcé dans
une Société de Gens de Lettres , par M. de
la Soriniere , des Académies d'Angers &
de la Rochelle . A la Haye , & fe vend à
Paris , chez Ganean , rue S. Severin . 1752.
23 pages in -4°.
NOUVEAUX GLOBES.
M. Robert de Vaugondy fils , chargé
des ordres du Roy le 4 Juin 175 i pour
conftruire des Globes céleftes & terreftres
de 18 pouces de diamètre , & un autre
de fix pieds deffiné à la main , & conforme
à la figure de la terre applatie , a eu l'honneur
de préfenter les premiers à Sa Ma--
jefté & à Monseigneur leDauphin le 4 Avril
de cette année. La réception favorable dont
l'Auteur a été honoré , & l'approbation des
Sçavans que ces Ouvrages ont méritée par
la jufteffe & l'élégance de leur exécution
mous difpenfent d'en faire l'éloge.
AOUST. 1752. 107
L'Auteur a publié un Profpectus , dans
lequel après avoir parlé des Globes que
l'on avoit faits jufqu'alors , fait voir que
les meilleurs font préfentement hors d'ufage
, par le défaut d'emploi que l'on auroit
dû Y faire des nouvelles découvertes.
Le Globe terreftre renferme toutes celles
que l'on a faites jufqu'à préfent , & qui
ont été reconnues & approuvées autentique
ment. Le Globe céleste eft dreffé fur le Catalogue
Britannique de Flamfteed , a près
avoir réduit le calcul à l'année 1770.
Pour ce qui concerne l'élégance de
l'exécution de ces Globes , il fuffit de dire
que le fieur Guillaume de la Haye a gravé
fe terreftre , & le fieur Gobin a deffiné &
gravé les figures du céleste .
La monture de ces Globes n'eft pas moins
élégante que nouvelle ; c'eft une efpéce de
caffolette à trois pieds , portant un faux
horizon , dans lequel le véritable horizon
s'emboîte & tourne concentriquement. Le
méridien de cuivre qui entre dans cet horizon
mobile , fe meut verticalement fur
une roulette encaftrée dans un cylindre
orné de feuillage en fonte , lequel par fon
mouvement fur fon axe , fait tourner tout
le Globe , & par conféquent fert à l'arienter
.
M. de Vaugondy a fait conftruire un
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.

inftrument propre à réfoudre tous les pro
blêmes de Trigonométrie fphérique fur le
Globe célefte. M. Gouffier , Géométre , Inventeur
de cet inftrument , lui a donné le
nom de Sperico- Goniometre , ou de Raporteur
fpérique. L'on en trouve la defcription
dans le livre de M. de Vaugondy , intitulé
Ufage des Globes , in 12 .
La Préface de ce livre inftruit fuffifam
ment le Lecteur de ce qu'il contient de néceffaire
pour l'ufage des Globes,& tient lieu
de l'analyfe que nous aurions pû en faire.
A la fin du Profpectus l'on trouve les
conditions propofées pour faciliter aux
curieux l'acquifition de ces Globes. Ceux
qui voudront s'en pourvoir , devront fe
préfenter dans le cours de cette année , en
defignant la qualité & le goût des pieds
qu'ils fouhaiteront , d'après les détails qui
fuivent , ainfi que les prix , dont on
dont on payera
la moitié d'avance en fe faifant infcrire ;
fçavoir , les deux Globes ,
Montés fur des pieds fimples , mais de
bon goût , & verniflés à la capucine ,
600 liv.
Sur des pieds plus compofés , & relevés
'de bronzure , Soo liv.
Enfin fur des pieds riches , en ornemens
tels que la vignette du Prospectus les repréfente,
& avec les armes du Soufcripteur,
1000 liv.
AOUST. 1752% Lay
L'Auteur avertit que les différences établies
ici , ne regardent que les pieds des
Globes , & nullement les boules , le méri
dien , ni leur mouvement horizontal , qui
feront les mêmes , quel que foit le choix
des pieds.
Il ne fera employé pour faire exécuter
les Globes retenus , que deux mois après le
jour où l'on fe fera fait infcrire , & le
Soufcripteur devra faire retirer fes Globes
immédiatement à l'échéance de ce terme.
Ceux qui voudront qu'on ajoûte le Spherico-
goniometre , payeront à part soliv..
Le livre intitulé Ufages des Globes , & c.
relié proprement en veau , fe délivrera
gratis aux Soufcripteurs.
Ces trois fortes de pieds de Globes font
propres pour orner les cabinets ; mais com
me il y a des perfonnes qui préferent avec
raifon l'utilité à l'ornement , & le principal
à l'acceffoire , l'Auteur a trouvé le moyen.
d'en faire exécuter , qui ne coûteront que
400 liv. & pour lefquels les conditions feront
les mêmes.
L'ouverture des Soufcriptions ne s'eft
faite que le Lo du mois de Juillet , parce
que M. de Vaugondy a voulu avoir de ces
différentes fortes de pieds pour faire voin
au Public .
Il demeure Quai de l'Horloge, près le Pont
neuf.
ro MERCURE DE FRANCE:
DISCOURS prononcé par M. Péfant Secretaire
de l'Académie de Ville franche en
Beaujollois , fous la protection de M. le
Duc d'Orléans , en Avril 1752 à la rentrée
de ladite Académie.
MESSIEURS ,
Si vous n'euffiez confulté que l'es qua
lités propres aux fonctions
aux fonctions que vous m'avez
confiées ; votre choix feroit tombé fur
un fujet plus digne de les remplir Votre
indulgence m'ouvre les yeux fur ma reconnoiffance
& fur mes devoirs , mais me fuffit
il d'en être pénétré pour juftifier l'honneur
que vous m'avez fait ?
En l'acceptant , j'ai compté , je l'avoue ,
fur mon zele ; fur des efforts qu'une émulation
indiſcrette m'a fans doute trop exagérés
: je me fuis flatté , qu'éclairé par votre
exemple & par vos lumieres , je parvien
drai peut-être à en partager les fuccès. Mais
au moment de l'éxecution , j'éprouve combien
la pureté du motif m'a féduit . Vous
avez droitd'exiger de moi des forces & non
de fimples efforts ; des talens décidés plutôt
qu'un zèle infructueux . Que je fuis loin
de votre attente !
Non , Meffieurs , l'amour prop , cet
apologifte fi complaifant , ne fe déguiſe
A O UST. 1752.
point dans cet aveu fous le voile d'une
fauffe modeftie. La place à laquelle vous
m'avez appellé eft encore couverte des
feurs qu'y a femées mon illuftre prédeceffeur
; elles vont fe faner fous des mains
moins habiles , & malgré tous mes foins
je ne prévois que trop combien vos regrets
feront légitimes.
Envain pourrois je me le diffimuler à
la vue des Regiftres qui renferment les faf
tes de cette Académie. Jufques ici vous
n'avez confié le foin de leur collection
qu'à des plumes fçavantes , exercées pendant
long- tems dans les Cirques Litteraires
& déja couronnées par les fuffrages du Pu
blic ; chaque page en eft marquée au coin
de ce goût fin & délicat qui anoblit les productions
du génie ; de ce difcernement judicieux
qui les apprécie ; de cette élégance ,
de cette pureté , de cette politeffe de ftile
qui fçait tout orner , tout embellir. Tel eft
le fçeau précieux & diftinctif de vos dernieres
collections . Quel paralelle va vous
préfenter l'avenir ?
Si mes craintes à ce fujer n'ont un fondement
que trop réel , je fens d'un autre
côté , combien la circonftance du renouvellement
de nos affemblées va donner
d'effor à mon émulation.
Enfin , Meffieurs , après ce calme fa
12 MERCURE DE FRANCE.
cheux , où les Arts difperfés ont paru lar
guir parmi nous dans une oifiveté fi humiliante
pour notre Patrie ; nous touchons
done à ce jour heureux , où leur culte va
s'y ranimer avec un nouvel éclat . Forcés
pour un tems de fufpendre nos travaux ;
abbattus fous le poids des pertes que nous
avions faites d'une partie des membres qui
compofoient cet établiffement ; effrayés du
petit nombre où nous étions réduits pour
en foutenir tout le luftre ; nous n'avons
que trop cedé à la néceffité des circonftances.
Il femble même que la mort , en nous
enlevant notre Augufte Protecteur , ait
voulu confpirer encore plus cruellement
contre les tentatives , que nous failions
pour nous relever.
Tant d'obftacles réunis ont à la vérité
ébranlé pendant un temps notre conftance;
mais ils n'ont pû ralentir les effets de
notre zèle . En donnant les regrets les plus
finceres à la mémoire d'un Prince , dont
les vertus folides & les faveurs multipliées
ont fait tant de fois l'objet de notre admiration
& de notre reconnoiffance ; qu'il
a été confolant pour nous de concevoir les
efpérances du même appui dans l'auguſte
héritier de fon nom & de fa bienfaifance !
C'eft , Meffieurs , fous les influences
de ce nouvel aftre que cette Académic
A O UST. 1752. 123
doit le promettre les plus beaux jours ; c'eft
Tous les aufpices d'un Prince , jaloux d'allier
à l'éclat de la grandeur , le goût & l'amour
des Lettres que nous allons voirre fleurir un
établiffement formé par fes illuftres ayeux,
Cette Province a le bonheur de faire
une partie de fon appanage. Tâchons de
lui rendre déformais cet héritage précieux,
par un hommage plus digne de lui ; par
des refpects plus affidus ; par ce tribut enfin
que le coeur a droit de porter jufques
au pieds même du trône. Ofons ambitionner
à l'envi par des talens plus cultivés la .
gloire de lui plaire & d'en être protegés.
Appellons à ce deffein tous les Citoyens
qui , depuis quelques années , fe font mon
trés dignes d'être admis dans cette Compagnie
; nous ne ferons jamais affez pour
célébrer le nombre de fes vertus.
I
TABLEAU des dégrés de parenté , fuivant le
Droit Civil , le Droit Canon & le Droit François ,
rapporté à la perfonne de Louis XIV . Dédié à
Monfeigneur le Dauphin . Par M. Caziot , Avocat
en Parlement & Docteur aggrégé en l'Univerfité
d'Orléans. Se vend i liv 4 I. A Paris , chez l'Auteur
, à l'Hôtel de Tanchou , rue du Marché neuf
& de la Calandre ; chez Lattré , Graveur , rue S.
Jacques , au Papillon ; au Palais , chez De Neuilly
& Debats , Libraires. C'est une feuille très -exactement
gravée , dont on trouvera un très-bon extrait
dans le Journal des Sçavans du mois d'Août.
114 MERCURE DE FRANCE
LETTRE
AM. D. L. C. ou examen de quelques Re
marqu's critiques inférées dans le premier
volume du Mercure de Décembre 1751.
page 196.
Ans connoître , Monfieur , l'édition
de
1745. que m'indiquent vos remar
ques fur ma differtation imprimée dans le
Mercure du mois d'Août 1751.j'ai pu fuppofer
que le fyftême de M. Ribaud , prés
fenté dans un nouveau jour , & étayé de nouvelles
preuves s étoit toujours le même ,
quant au fond , c'eft à dire , que Drufus
prétendu fils d'Augufte & de Livie , étoit
toujours l'enfant illuftre dont Virgile célébre
la naiffance dans fa quatrième églogue:
Aujourd'hui que je connois cette édition
je fuis für de ne m'être pas trompé.
Or je voudrois fçavoir comment le fentiment
de M. R. peut s'accorder avec le
paflage de Pline , que vous m'oppoſez dans
votre Poft fcriptum . Le Naturalifte cite Augufte
& Livie pour un exemple deflérilité : il
eft donc faux , felon cet écrivain , que
Drufus ait été le fruit de leur commerce
illicite. La diffociatio corporum , qui fe trouAOUST.
17528 715
voit entre ces deux perfonnes , étoit l'ou
vrage de la nature , d'un obftacle invinci
ble à leur fécondité : au lieu d'adopter les
rêveries de Suétone & de Dion , M. R. devoit
donc s'en tenir au paffage de Pline ,
Auteur diftingué par fes emplois &fon érudition
, lequel citoit Augufte & Livie pour un
exemple de fterilité , environ quarante ans
après la mort de celle- ci : il faut donc expliquer
les termes de Pline , même dans le
fyftême de M. R. Comme vous êtes intime
ami de ce docte Litterateur , votre zèle ,
Monfieur , vous engagera fans doute à le
faire : c'eft , je penfe , une fatisfaction que
vous devez au Public , à l'amitié , à votre
propre goût.
Au fujet de mes conjectures , vous pourvez
confulter de fçavantes notes fur le Pline
in quarto imprimé à Paris en 1685. chez
François Muguet . Vous y apprendrez que
le paffage du Philofophe ne détruit pas celui
de l'Hiftorien . Le célébre Auteur de ce
bon ouvrage , pour donner plus d'autorité
à ces mots de Pline : Eft quadam privatim
diffociatio corporum : & inter f fteriles , ubi
cum aliis junxêre , gignunt , ficut Auguftus &
Livia , rapporte fidellement les termes de
Suétone , qui ont donné lieu à l'opinion
que vous attaquez. Le Pere Hardouin n'a
donc pas cru comme vous , Monfieur
216 MERCURE DE FRANCE.
T
4
qu'il y eût une contradiction dans les té
moignages de ces deux Auteurs , & il a eu
raifon de ne le pas croire. Augufte n'eut
point d'enfans de Livie : ex Livia nihil liberorum
tulit , dit Suetone : ces deux époux
pouvoient donc être cités par Pline pour
un exemple de fterilité . La fauffe couche que
fit l'impératrice ne méritoit point l'attention
du Naturalifte : il fçavoit qu'on peut
regarder comme ftérile un chanp où les
fruits ne parviennent point à leur maturité.
Ainfi , Monfieur , le témoignage de
Pline , que vous faites tant valoir , ne donne
pas la moindre atteinte à mon nouveau
fyftême .
Voulez-vous vous renfermer dans les
termes de Pline , & les interprêter à la rigueur
? En ce cas , je vous dirai qu'ici fon
autorité doit le céder à celle de Suétone :
& afin que vous ne preniez point ceci pour
un paradoxe , je vais vous en donner la
preuve. Pline veut Gimplement confirmer
Te fentiment de quelques anciens , Philofophes
: pour cet effet , il donne le premier
exemple qui lui vient à l'efprit ; il fe conforme
au préjugé populaire , & cite Augufte
& Livie pour un exemple deférilité. Suétone
au contraire entreprend d'écrire une
Hiftoire , fouille dans tous les cabinets &
dans toutes les Bibliothèques , confulte ,
A O UST.
1752. 11721
lis , examine de bons mémoires , & ne publie
que le réſultat de fes recherches & de
fes lectures. Or fi on ne pouvoit pas concilier
enfemble les deux écrivains dont il
s'agit , qui héfiteroit à abandonner le Na-:
turaliſte pour s'attacher à l'Hiſtorien ? Perfonne
, fans doute : Il est donc vrai que Lim
vie a mis an monde un enfant né avant terme
qu'elle avoit eu d'augufte ; infans qui conceptus
erat immaturus eft editus ; & il eft fort
probable que ce même.enfant eft celui que
le Prince des Poëtes Latins célébre dans fa
quatrième églogue.
Mais , dites vous , comment concilier le
paſſage , immaturus eft editus , avec ces deux
vers de Virgile ;
Incipe parve puer , rifu cognofcere matrem ;
Matri longa decem tulerunt faftidia menſes.
Rien de plus aifé . Suetone parle en Hif
torien & raconte les chofes dans l'ordre
qu'elles fe font paffées : Virgile , au contraire
parle en Poëte , & même en Prophête
, confond le paffé , le préfent , l'ave
nir , s'abandonne à un beau défordre qui
fait l'ame & la beauté de la poëfie fublime,
& envifage comme préfent & paffé ce qui
eft réellement futur . Une courte analyſe.
du Poëme ne laiffera aucun doute fur ce
point,
118 MERCURE DE FRANCE.
D'abord Virgile confidere l'enfant qui
fait le fujet de les chants , dans l'état où il
eft effectivement , je veux dire , dans le
fein de fa mere , & il invite Lucine à favorifer
fa naiffance : enfuite il fe le répréſente
fucceffivement au berceau ,dans le cours de
fés études , à l'âge d'homme : puis il le conduit
dans la carriere de la gloire où il le
fuit : enfin revenant fur fes pas , il fe le
peint à l'âge d'environ fix femaines : il
l'exhorte à fourire à fa mere pour fe montrer
reconnoiffant envers elle , & pour la dédommager
en quelque forte des longs dégoûts que lui a
caufe une groffeffe de dix mois.
Il n'y a là rien de contraire aux régles
de la bonne poësie , Monfieur , & conféquemment
je peux fort bien expliquer les
deux vers qui vous paroiffent inexpliquables
dans le fyftême que je propofe.
Au refte , fi notre Poëte confond le prefent
, le paffé , l'avenir , comme je le dis à
la fixiéme page de ma Differtation , c'eft
que tout cela eft confondu dans l'original
qu'il copie , c'est-à-dire , dans les livres
de la Sibylle. Voilà précisément le fens
que j'ai voulu infinuer à l'endroit cité.
Vous en imaginez un autre , Monfieur ;
mais il vous appartient en propre , auffibien
que
les conféquences que vous en ti»
rez. Non , jamais je n'ai refufé à M. Re
AOUST 1752. 119
:
une licence que je prenois moi - même
Hanc veniam petimufque damufque viciffim :
m'accufer de cette bévue , c'eſt ne me point
entendre .
Autre objection fur le paffage de Suétone.
Cet Auteur ne du rien qui fixé l'année
où Livie , éponſe d'Augufte , devint enceinte,
J'en demeure d'accord , fe place cet évenement
quelque temps après la naiffance de Drufus:
cela eft vrai. On ne peut le placer plus à
propos , dites-vous ; il n'y manque que la
preuve.
Quand vous aurez prouvé vous même
que je me trompe , Monfieur , vous mériterez
mon attention & ma reconnoillance.
En attendant je profiterai de la liberté que
Suétone me laiffe , & je m'applaudirai toujours
d'avoir placé à propos l'époque qu'il
ne fixe point. S'il vous faut une preuve,
tirez- la de Virgile : le temps où il a écrit
fon églogue est l'époque que vous cherchez.
Etant un critique que rien n'arrête , vous
vous attendez bien que je ne resterai pas
muet fur le refte de vos difficultés. Vous
demandez fi c'eſt un enfant qui ne voit
pas encore le jour , que le Poëte invite à
contempler le monde chancellant fous fon
-propre poids. Pourquoi non ? Un enfant
de quelques femaines n'étoit pas plus ca
20 MERCUREDE FRANCE.
pable de répondre à cette invitation , qu'un
'enfant qui étoit encore dans le fein de fa
mere : elle pouvoit donc être également
adreffée à l'un & à l'autre .
Votre interprétation touchant l'invocation
faite à Lucine , étant plus propre à
affermir , qu'à ébranler mon fyftême , je
la paffe fous filence , pour réfuter en deux
mors les réflexions que vous y ajoûtez . Un
Poëte vulgaire fe feroit énoncé à peu près
'dans le goût que vous l'exigez , c'eft - à - dire,
qu'il auroit nommé Augufte & Livie , &
décidé fans énigme que l'enfant à naître de
leur mariage , étoit l'enfant annoncé par
la Sibylle de Cumes. Virgile , moins crédule
& plus refervé , fe contente de laiffer
entrevoir ce qu'il veut dire ; appréhendant
d'être démenti par l'évenement , il n'avance
rien de lui-même , ce font les termes de
l'oracle qu'il employe dans fes vers . Que
Livie accouche d'un enfant vivant ou mort,
d'un Prince ou d'une Princeffe , cela ne le
regarde point , c'eft au Ciel qu'il faudra
s'en prendre fi la prédiction n'eft point accomplie
; pour lui il ne peut être trompé
que dans l'application qu'il en fait, & cette
même application , il l'enveloppe de tant
d'obscurité que quelque chofe qu'il arrive,
on ne pourra jamais le convaincre évidem
ment de mépriſe.
Cette
1
AOUST . 1752. Y2F
Cette réponſe n'est que le développement
d'un principe poté dans ma differtation
, où je dis que les prédictions de la Sibille
de Cumes pouvoient être claires , mais
que Virgile devoit être obfcur , parce qu'il
ignoroit fi elles regardoient effectivement l'enfant
que Livie portoit dans fon fein. N'étoitce
pas , Monfieur , prévenir vos réflexions
& les réfuter d'avance ?
Mais , dites - vous enfin , Virgile pouvoitil
fçavoir fi cet enfant , encore renfermé dans
Le fein defa mere , viendroit à terme ou non ,
fi l'Impératrice le feroit vivant ou mort , fi ce
feroit un Prince ou une Princeffe ? Voilà ,
ajoutez- vous , un fistême neuf & fi vraisemblable
, que vous êtes furpris qu'à l'imitation
deVirgile , quelques- uns de nos bons François
nefe foient point avifés , il y afept ou kuit mois,
de chanter lanaiffance de Monfeigneur le Duc
de Bourgogne.
Cette objection eft propofée avec un air
de confiance capable de faire juger que vous
la croyez très forte ; cependant rien de plus
foible. En la faifant vous aviez apparemment
oublié que dans mon fyftême , notre
Eglogue n'est que le refultat de ce qu'on publioit
à Rome fur les prédictions réelles ou prétendues
de la Sibylle de Cumes. Avec un peu
plus d'attention à ce principe fondamen
jal de mon opinion, vous auriez conçu fans
E
22 MERCURE DE FRANCE.
fans peine que Virgile , guidé par des Ora
cles regardés comme infaillibles , pouvoit
fort bien chanter la naiffance future d'un
Prince qui devoit faire le bonheur de l'Univers
: penfez - vous donc , Monſieur
qu'avec de pareils garants , nos Orphées
modernes auroient attendu la naiffance du
Prince que le Ciel vient d'accorder à nos
voeux , pour fe livrer à leur enthouſiaſme ,
& pour annoncer à toute la terre le jufte
fujet de nos tranfports ? S'ils n'ont ofé
marcher fur les traces de Virgile , c'est qu'il
leur manquoit une Sibylle. A la faveur
d'une femblable lumiere ils auroient hardiment
fuivi le Poëte Latin , fans craindre
de choquer la vraisemblance .
Voilà , Monfieur , ce que j'avois à répondre
à vos prétendues démonftrations.
Vous devez être d'autant plus content de
moi , que j'ai préfenté vos objections dans
tout leur jour , & que j'ai exactement réfuté
tout ce qui pouvoit intéreffer le fond
de mon fyftême. J'aurois fouhaité que
vous vous fuffiez donné la même peine.en
faveur de votre ancien ami , & que vous
euffiez travaillé à applanir au moins les
principales difficultés que je lui oppoſe.
Vous ne l'avez pas fait. Vous avez fans
doute vos raifons : il ne m'appartient pas
de les approfondir. J'ai l'honneur d'être ,
Monfieur , votre , & c .
AOUST.
1752. 123
MONSIEUR ,
Ce n'eft qu'un fupplément à ma differtation
imprimée dans votre Mercure du
mois d'Août dernier , que je prens la liberté
de vous adreſſer aujourd'hui ; mais un
fupplément que la critique a rendu néceffaire.
Comme je m'attache à y développer
certains principes que je n'avois fait qu'indiquer
en paffant , il pourra répandre la
Lumiere fur quelques endroits , que la trop
grande précision a fait paroître obfcurs à
des perfonnes peu attentives. L'exacte neu-
.tralité que vous faites profeffion de garder
dans toutes les guerres litteraires , me fait
efperer que vous voudrez bien rendre publiques
des réflexions propres à appuyer &
à éclaircir un fentiment que vous n'avez
pas jugé indigne de voir le jour. Je fuis
fort refpectueufement ,
MONSIEUR ,
A Crépy , le 22
Janvier 1752 .
Votre très-humble &
très obéiffant ferviteur .
A. BOURGEOIS ,
Principal de Collége
de Crépy en Valois.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE
謝潔洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗澡洗洗洲
BEAUX - ARTS.
ATALOGUE raifonné des Tableaux
C du Roy , avec un abrégé de la vie des
Peintres, fait par ordre de Sa Majefté, tome
premier , contenant l'Ecole Florentine &
Î'Ecole Romaine. Par M. Lépicier , Secré
taire perpétuel & Hiftoriographe de l'Académie
royale de Peinture & de Sculpture,
Profeffeur des Eléves protégés par le Roy,
pour l'Hiftoire , la Fable & la Géographie.
A Paris , de l'Imprimerie Royale , 1752. I'
vol. in-4°.
Parmi la multitude d'Ouvrages frivoles
ou mauvais que Paris voit tous les jours
naître & mourir , il en paroît de tems en
tems quelqu'un dont le projet eft grand ,
dont le plan eft fage , dont l'exécution eft
heureuſe : tel eft le Catalogue que nous
annonçons. Le titre n'annonce pas des faits
agréables , des difcuffions profondes , une
critique legere , un ftile facile , élégant &
correct ; on y trouvera tous ces avantages
joints à l'exactitude , aux recherches , àla
netteté , à l'ordre , à l'impartialité & à la
précifion .
M. Lépicier commence fon Ouvrage par
A O UST. 1752. 125
faire dans une Preface l'hiſtoire du Cabinet
dont il donne la defcription . » François I.
" dit- il , a commencé cette collection de-
>> venue immenfe dans les mains de Louis
s
>>
XIV. Ce Mona que qui étonnoit l'uni
vers par la rapidité de fes victoires , n'en
» étoit pas moins attentif à veiller à la
» confervation des Arts ; fon amour pour
» la Peinture lui fit defirer de fe former un
» cabinet de tableaux qui répondît à l'idée
» de fa magnificence , & il chargea de ce
» foin M. Colbert . Ce grand homme fi
digne de nos éloges , exécuta ce projet
» avec d'autant plus de vivacité , qu'il
» fuivoit fa propre inclination . Tout feconda
les vues du Prince & le zéle du
Miniftre. M. Colbert eut le bonheur de
trouver chez le fieur Jabach un merveil .
» leux affemblage de tableaux dont Louis
XIV. ft l'acquifition ; ce Curieux les
» avoit achetés en différens rems , & fur-
» tout à la vente que l'on fit à Londres
»par les ordres de Cromwel , après la
» mort de Charles I. Roy d'Angleterre.
Louis XIV. acquit encore les beaux
» Pouffins de M. le Duc de Richelieu ,
les
principaux tableaux du Cardinal Maza-
» rin , & une infinité d'autres également
» recommandables , qui rendirent ce Ca-
» binet un des plus diftingués de l'Europe.
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
>>
» Le Roy a ajoûté de nouvelles richeffes
» à ce tréfor. Indépendamment de tous les
» tableaux qu'il a fait faire par les Peintres
» de fon Académie , feu M. Rigaud fut
chargé de choisir ce qu'il y avoit de
» meilleur & de plus rare en fait de pein-
» ture dans la collection de M. le Prince
de Carignan : perfonne n'ignore les foins
» & les dépenfes avec lesquelles ce Prince
» avoit raffemblé les plus beaux ouvrages
qui fe trouverent dans fon Cabinet . De
»
39
وو
pareilles occafions fourniffent feules , &
» ce ne peut être qu'à des Souverains , les
" moyens de réunir une quantité confi-
» dérable de morceaux précieux . La col-
» lection de Sa Majesté eft actuellement de
» dix- huit cens tableaux. » Dans l'impoffi
bilité où nous fommes de rendre compte
de tout ce qu'il y a de précieux dans l'Ỏuvrage
que nous annonçons , nous indiquerons
ce qui nous a le plus frappé , & nous
nous fervitons toujours des expreffions de
M. Lépicier.
LEONARD DE VINCI.
« Le premier Peintre dont il eft parlé
» dans le Catalogue que nous annonçons,
c'eft Leonard de Vinci . La Peinture
» n'ayant d'autre objet que l'imitation de
» la nature , & la nature étant infiniment
A OUST. 17521 127
variée , tout Ouvrage qui péchoir par
trop d'uniformité ne pouvoit avoir l'ap-
" probation de Leonard ; il faifoit confifter
» la beauté d'un tableau dans cette agréa-
» ble diverfité de formes , qui fans doute
» eft le principal ornement de la nature .
» Pénétré de ces principes , il fe propofa.
» de peindre une affemblée de Payfans
» dont les ris fimples & naïfs puffent fe
» communiquer aux Spectateurs . Pour y
parvenir , il affembla quelques gens de,
» plaifir qu'il invita à dîner ; & lorfque
» le repas les eut difpofé à la joie , il les
» entrétint de contes plaifans qui les animerent
encore davantage : cependant
Leonard étudioit leurs geftes , examinoit
avec attention les mouvemens de
» leur viſage , & dès qu'il fut libre il fe
» retira dans fon cabinet , où il deflina fi
parfaitement de mémoire cette ſcene.
comique , qu'il étoit impoffible , felon
» Paul de Lomazzo , de s'empêcher de rire
en la voyant, Cet Auteur ajoûte que Leo-
» nard fuivoit les Criminels jufqu'au lieu
» du fupplice, pour faifir fur leur vifage les
impreffions de la terreur & de la crainte.
Leonard n'étoit pas moins attentif à faire
» une exacte recherche des phifionomies ;
lorfqu'il rencontroit quelque tête bizar-
» re , il l'auroit fuivi tout un jour plutôt
F iiij
128 MERCURE DE FRANCE .
»
n
و د
que de la manquer ; il avoit toujours fur
lui des tablettes , dans lesquelles il rap-
» portoit les objets qui le frappoient le
plus vivement ; il confeilloit à tous les
» Peintres d'en ufer ainfi , & de faire des
collections de nez , de bouches , d'oreil-
» les & d'autres parties , de formes & de
proportions différentes , telles qu'on les
trouve dans la nature ; c'étoit , felon lui,
a la meilleure méthode pour repréſenter
» les objets avec vérité ; fon exemple le
prouvoit : il donnoit à fes portraits la
plus grande reffemblance , quelquefois
il les chargeoit dans les parties dont le
» ridicule étoit le plus fenfible. Les Caraches
, & depuis eux plufieurs autres Pein
tres , ne fe font gueres exercés à faire des
charges que par un fimple badinage ;
» mais Leonard , dont les vûes étoient plus
étendues & plus folides , avoit pour ob
jet l'étude des paffions . » De tous les rableaux
de Leonard de Vinci que poffède
le Roy , & dont M. Lépicier donne la def
cription , nous ne parlerons que d'un feut ,
méthode que nous fuivrons dans l'article
de tous les Peintres.
33
ور
"
99
C
La Vierge & Sainte Anne.
Le deffein de Leonard de Vinci eft , fuivant
la remarque de M. de Piles , d'une
AOUST. 1752. 129
grande correction & d'un grand goût ,
quoiqu'il paroiffe avoir été formé fur le
naturel plutôt que fur l'antique , mais fur
le naturel de la même maniere que les
anciens Sculpteurs l'en ont tiré , c'est- à- dire
par de folides recherches , en attribuant à
la nature , non pas tant fes productions
ordinaires que les perfections dont elle eft
capable.
Il fera aifé de faire l'application de ce
fentiment fur le tableau dont je parle : la
fainte Vierge affife fur les genoux de fainte
Anne , fe baiffe pour prendre l'Enfant Jefus
, qui careffe un agneau. Les expreffions
& les attitudes de ces trois figures font
connoître combien Leonard fçavoit donner
à chaque objet le caractere qui lui convenoit
le mieux.
Il faut que ce tableau ait été répété par
Leonard de Vinci , car il y en a un prefque
femblable à celui- ci dans la Sacriftie
de l'Eglife de S. Celle à Milan.
!
BARTHELEMI DE SAINT - MARC
D
Jamais Peintre ne prit autant de foins
& de précautions pour amener fes ouvrages
au point de la perfection ; dans toutes
fes opérations la nature fut toujours fon
guide. Avant de fe mettre à peindre , il
faifoit des deffeins arrêtés en forme de
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
cartons , où les jours & les ombres étoien
exactement marqués , & ils les faifoit fur
de naturel ; pour les draperies , il fe fervoir
d'un mannequin à reffort , qu'il avoit inventé
: enfin , on ne peut lui refuſer d'avoir
bien deffiné le nud , d'avoir donné de
la grace à fes figures ; de les avoir merveil
leufement bien drapées , & d'avoir joint à
ces grandes parties celle d'une couleur vi
goureufe & fondue .
L'ANNONCIATION DE LA STE. VIERGE..
La Vierge eft affife fur une eftrade , placée
dans un enfoncement en forme de ni--
che , au milieu de deux colomnes : elle regarde
, avec une crainte refpectueule ,
Ange qui vient lui annoncer le Myftere.
Des deux côtés de la Vierge , on voit S..
Jean - Baptifte , la Magdeleine ; S. Paul , S ..
Jérôme , une Sainte & un Religieux.
Les anachronifmes font fréquens dans.
les Tableaux des plus grands Maîtres :
vrai- femblablement ces houupes célébres
n'ont fait ces fautes que par excès de complaifance
pour ceux qui leur demandoient
ces Tableaux .
1
La figure de la Sainte , placée fur le devant
, eft très belle , & tout- à - fait dans la
maniere de Raphaël.
Ce tableau à appartenu à François E...
AOUST . 1752. 831
MICHEL-ANGE BUONAROTI.
Michel-Ange ne pouvant s'accommoder
du caractere emporté de Jule ſecond ,
abandonna fon maufölée , & partit pour
Florence : le Pape adreffa fucceffivement
Erois brefs aux Florentins , pour leur demander
ce grand homme qui fut obligé
d'aller joindre le Pontife à Bologne. Il en
reçut un accueil plus doux qu'il ne l'efperoit
, Jules le combla de careffes , & même
de préfens , pour lui faire oublier lesjfujets
de mécontentement qui avoient occafionné
fa fuite : il fouhaita que Michel Ange
fit fa ftatue de la hauteur de cinq braffes ,
& qu'elle fûr jettée en bronze. Le Pape
vint voir le modele ; la figure élevoit un
bras avec tant de fierté , que le Pape de .
manda à Michel - Ange fi elle donnoit la
bénediction ou la malediction , il lui répondit
qu'elle avertiffoit le peuple de Bologne
d'être plus fage à l'avenir. Il propofa
au Pape de mettre un livre dans l'autre
main mettez-y plutôt une épée , lui repartit
le Pontife , car je ne fuis point homme
de Lettres .
Michel- Ange termina cette figure es
fcize mois : elle fut placée fur le frontifpice
de l'Eglife de Sainte Petrone , cù elle
ne demeura pas long- tems : les Bentivoglio
132 MERCURE DE FRANCE.
étant rentrés dans Bologne , elle fut mife
en pieces par ceux de leur faction : le Duc
de Ferrare en acheta les débris ; il n'en
conferva que la tête , qui étoit entiere , &
fit fondre le refte pour en faire une piéce
d'Artillerie , qui fut nommée la Julienneà
Cette deftinée eut peut- être flatté l'humeur
guerriere de Jule fecond , s'il eût pû
la prévoir.
Michel- Ange fe difpofoit à finir le tombeau
de ce Pape ; mais le Bramante qui ne
pouvoit voir fans jaloufie la faveur dont
jouiffoit cet Artifte confeilla au Pontife de
l'employer plutôt à peindre la voûte de la
Chapelle que le Pape Sixte , oncle de Jules
, avoit fait conftruire dans le Vatican
ke Bramante fe flatoit que fon rival échoue
roit dans ce travail . Michel- Ange décou
vrit le piége ; & lorfque le Pape lui parla
de cet ouvrage , il fit des efforts inutiles
pour le faire donner à Raphaël : l'imperieux
Pontife voulut abfolument qu'il s'en
chargeât.
Michel -Ange avoit befoin d'être fecon
dé dans cette entreprife : il fit venir plu
fieurs Florentins , entr'autres Granaccio
Bugiardino , & Julien Difan Gallo ; ce der
nier avoit une grande pratique de la Frefque
, qui étoit prefque inconnue à notre
Artifte. Mais tous ces Peintres ne lui furens
AOUST. 1752 .
733
aucun fecours , il fut obligé d'abbatre ce
qu'ils avoient commencé de peindre fur
fes deffeins; & depuis ce tems- là , n'ofant
fe fier à perfonne , il voulut que l'execution
d'un auffi grand morceau de peinture
Foulât entiérement fur lui :il fit des efforts
furprenans , & il fe furpaffa lui même .
Bramante , à qui feul il avoit confié la
clef de la Chapelle , à condition de n'y
laiffer entrer perfonne , en ouvrit l'entrée
à Raphaël , qui frappé du grand goût de
deffein qui regne dans cet ouvrage , y puifa
cette fierté & cette élévation , qui font
le principal caractere de Michel Ange ; en
effet dans le Tableau du Prophète Haie que
Raphaël peignit auffi- tôt après , & qui fut
placé dans l'Eglife de S. Auguftin , Michel-
Ange reconnut l'infidélité du Bramante.
Ce trait eft le plus grand éloge qu'on puiffe
donner aux ouvrages de Michel - Ange.
La chapelle fut finie en vingt mois : ce
grand morceau de peinture qui confiftoit
en neuf fujets de l'Ancien Teftament , environnés
d'une multitude de figures de
Prophètes & de Sibylles , excita l'admiration
des connoiffeurs , les applaudiffemens
des grands Peintres , & la jaloufie des médiocres.
34 MERCURE DE FRANCE:
La Vierge , l'Enfant Jefus & S. Jofeph.
Michel- Ange a été le plus profond & le
plus fçavant deffinateur qui ait paru juf
qu'à préfent ; mais ce n'eft pas fur le tableau
dont nous allons parler qu'il en faut
juger : on n'y découvre point dans le caractere
du deffein , ce fier & ce terrible ,
qui font reconnoître Michel- Ange : auffi
eft il douteux que le Tableau foit de lui.
Il reprefente la Vierge de bout , que
l'enfant Jefus embraffe , & S. Joſeph , qui
regarde avec reſpect cette action . Il faut
encore convenir que les carnations donnent
trop dans la couleur de brique pour
les clairs , & dans le noir pour les ombres.
BACCIO BANDINELLI.
Ce Peintre naquit à Florence en 1487;
fon nom de Baptême étoit Barthelemi , car
Baccio en eft le diminutif dans le langage
qu'on parle à Florence . Il eut pour maître
François Ruftici , qui fut , ainfi que Leanard
de Vinci , éleve d'André Verrochio ,
qui joignoit les talens de Sculpteur , de
Peintre & d'Architecte , à une grande connoiffance
des Mathématiques. Baccio Bandinelli
étudia fous ce maître avec tout le
foin que l'on peut apporter pour devenir
un des premiers de fon art ; mais un colo
AOUST . 17527 230
is foible n'eft pas le feul défaut de fes tableaux
; ce qui les rend encore plus déplai
fans , c'est la mauvaife compofition , c'eft
un choix d'attitudes , qui peut montrer
ła fcience du Peintre dont la bizarrerie
produit des effets tout à fait choquans.
Baccio Bandinelli peint par lui -même.
Il y a beaucoup d'apparence que Bac
cio Bandinelli fit fon portrait lorfqu'il eur
quitté la peinture pour fe livrer à la Scub
pture , il s'eft repréſenté coëffé d'une toque
, la main droite pofée fur une tête de
Sculpture ; & le bras gauche appuyé fur
une plinthe de pierre qui porte un cifeau
En conféquence de ce que j'ai obfervé
dans la vie de ce Peintre , on ne peut trou
ver dans ce Portrait qu'un deffein chargé ,
& du goût le plus auftere..
ANDRE DEL SARTE .
Un Tableau qu'il plaça dans une cha
pelle de l'Eglife de S. Gallo , porta fa ré
putation naifante au plus haut dégré . La
beauté, l'union & le fuave des couleurs qui
fe faifoient remarquer dans cet ouvrage ,
frapperent d'étonnement tous les connoiffeurs
, & tous les Peintres de jalousie . Plufleurs
tableaux de l'Hiftoire du Bienheu
Ecux Philippe Benizi , qu'il peiguit dans le
136 MERCUREDE FRANCE.
Couvent des Freres Servites de l'Annon
ciade ne furent pas moins applaudis ; mais
ce qui mit le comble à fa gloire , fut une
Sainte Famille , qu'il exécuta à freſque fur
une des portes du cloître de ce même Monaftere.
Le deffein , la compofition , la
couleur , tout en eft admirable. L'envie de
fe faire un nom l'avoit guidé dans ce travail
plutôt que l'interêt , car toute fa recompenfe
fe borna à un fac de bled , & il
eut foin d'en conferver la mémoire dans ce
Tableau , en y repréfentant ce fac , qui l'a
rendu fameux . Un defir unanime d'avoir
des morceaux de fa main , s'empara alors
de tous les efprits. Les Marchands même ,
chargés par leurs Correfpondans de leur
procurer des Tableaux des Maîtres les plus
célebres d'Italie ne pouvoient le réfoudre à
laiffer fortir de leurs mains les ouvrages
qu'il leur avoit livrés , ils lui en faifoient
exécuter de nouveaux ; ce fut ainfi qu'une
Vierge , que l'on devoit envoyer en France
, fut gardée; & pour la remplacer , il
peignit an Chrift mort environné de
quelques Anges qui le foutiennent , &
dont la douleur eft parfaitement expri
mée.
Ce Tableau fut fi goûté par François I.
que ce Prince donna ordre qu'on lui fi
venir d'autres Ouvrages du même Maître,
A OUST. 1752. 137
L'approbation d'un fi grand Monarque
infpira au Peintre l'envie de faire un voyage
en France.
La Charité.
Ce Tableau , du même faire que celui
du Tobie conduit par l'Ange , ne pouvoit
pas aller loin , la planche fur lequel il étoit
peint , étoit entierement vermoulue , &
bientôt il feroit tombé en pouffiere. M.
le Directeur Général des Bâtimens , toujours
attentif à la gloire des Arts , & aux
intérêts du Roi , penfa qu'on pourroit lui
redonner la vie , en faisant ufage du ſecret
du fieur Picault , qui a trouvé le moyea
d'enlever la couleur des Tableaux peints
fur bois , & de la tranfporter fur une toile.
Le Tableau fut remis au fieur Picault ; it
eut ordre d'y travailler & la reftauration
s'eft faite avec un fuccès étonnant ; car le
Tableau eft actuellement fur toile , fans
qu'on puiffe s'appercevoir de l'opération
en aucun endroit . Il n'a pas fouffert la
moindre altération , ni dans la partie du
delfein , ni dans celle de la couleur.
La Charité repréfentée par une femme
affife , tient deux enfans fur elle , l'un defquels
attaché à fa mamelle gauche prend
fa nourriture avec avidité , tandis que
l'autre la regarde , & d'un air enjoué luk
montre des noiſettes
738 MERCURE DE FRANCE.
A fes pieds , & fur le bord de fa Dra
perie , on voit un troifiéme enfant qui
dort.
La figure principale de ce Tableau eft
noble & d'une grande maniere , les enfans
d'un bon goût de deffein . On reconnoit
par toutes les expreffions , cette tendreffe
active , l'attribut de la Charité , & dont
les effets ne tendent qu'au foulagement des
malheureux .
LE PONTORME .
Jacques Pontorme naquit én Tofcane en
1493. Il s'attacha à la peinture dès l'âge de
treize ans ; il eut fucceffivement pour maî
tres , Leonard de Vinci , Mariotte , Albertinelli
, Pierre del Coffino , & André del
Sarte ; il quitta ce dernier Maître à l'âge
de dix- neufans , pour travailler feul & felon
fes idées ; la pauvreté lui fervit d'aiguillon
pour animer & redoubler fes efforts
: fes premiers ouvrages lui firent tant
d'honneur , que Michel - Ange dit en les
voyant , que ce jeune homme éleveroit la
peinture jufqu'au Ciel . Quel homme eût
ôfé démentir une telle prophétie ? Cependant
elle ne fut point accomplie ; Pontorme
ne donna que de fauffes efpérances , &
ne put
obtenir la place qui lui étoit défignée.
Quel exemple pour nous rendre moAOUST.
17527
dérés & retenus dans nos jugemens ! mais
auffi , quelle excufe !
La caufe de fa décadence vint de ce qu'il
douta trop de fes forces , il étoit perfuadé
que les autres faifoient mieux que lui , &
il changeoit continuellement de maniere ,
dans l'efpérance d'en trouver une meilleure.
Il vit des Estampes d'Albert Duren , il
en fut touché , & avec raifon ; mais en
voulant les imiter , il fit des Tableaux encore
plus dans le goût Allemand , & qui
n'étoient pas fupportables.
Quelle difference entre ces Tableaux
gothiques & ceux qu'il avoit peints autrefois
, & qui avoient été capables d'infpirer
de la jaloufie à André del Sarte même ! Sur
la fin de fa vie , le Pontorme entreprit de
peindre pour le Grand Duc la Chapelle de
S. Laurent : il travailla douze ans de fuite à
cet ouvrage , qu'il vouloit , à force de
foins , rendre fupérieur à tous ceux qui
avoient paru jufqu'alors ; mais quand il
fut découvert , on trouva qu'au lieu de
furpaffer les autres peintres , il étoit devenu
inférieur à lui-même. )
Le portrait d'un Graveur.
Il eft difficile de juger fur ce Tableau
du mérite du Pontorme , quant à la partie
de l'Hiftoire , qui fut toujours l'objet de
140 MERCURE DE FRANCE.
fes travaux. Il ne peut indiquer au plu
que fa maniere de peindre , & fon goût
de deffiner.
Ce Tableau repréfente un Graveur
dont le bras droit eft appuyé fur une table
; irent un burin , & paroît méditer
fur fon Art. Sa coëffure eft une espéce de
chapeau à oreilles , dont la forme eft finguliere.
On ne fçait pas le nom de ce
Graveur,
La tête eft d'un beau pinceau , ainfi
que la main ; le deffeing en eft précis , &
d'un bon caractére.
BALTHAZAR PERÚZ Z I.
On ignore de qui ce Peintre apprit les
premiers élemens de la Peinture : tout ce
qu'on fçait , c'eft qu'il étoit déja un excellent
homme lorfqu'il vint à Rome ,
& qu'il peignit au Palais Chigi , dans
quelques Eglifes , & fur les façades de
plufieurs Palais de cette grande Ville .
Son goût de deffein étoit folide , & tenoit
beaucoup de celui de l'antique. La connoiffance
des Mathématiques & de l'Architecture
, portée à un degré fupérieur ,
le diftingua de tous les Peintres de fon
fiécle ; & à l'aide de ces Sciences , il inventa
, ou pour mieux dire , il renouvella
les décorations de Théatre , dont le goût
AOUST. 1752. 141
fibien connu & pratiqué dans l'antiquité ,
s'étoit perdu avec tant d'autres partiies des
Arts . Balthazar donna des preuves de fon
profond fçavoir en ce genre devant Léon
X. à l'occafion fuivante.
Le Cardinal de Bibienne , ayant fait
repréfenter devant ce Pape une Comédie
Italienne , intitulée la Calandra , qu'il
avoit compofée à l'imitation de celles des
anciens , Balthazar fut choisi pour en
faire les décorations ; il les varia de tant
de façons , & les orna , felon que la
Scéne le pouvoit permettre , de tant de
rues , Places publiques , Maiſons , Palais
& Temples , qu'il furprit & charma tous
les Spectateurs . Il porta fes compofitions
en ce genre à un tel degré de génie & de
perfection , qu'on le peut regarder comme
le modéle de tous les Ingénieurs &
Machiniftes modernes : il exécuta diffe
rens ouvrages de décorations , foit à Rome
, foir dans d'autres Villes d'Italie , &
ce fut à fes foins que l'on commit le magnifique
appareil du couronnement de
Clément VII.
La Vierge , découvrant l'Enfant Jeſus
qui dort.
Ce Tableau tient de la maniere de Pietre
Perrugin : on y trouve le fini de l'exé
42 MERCURE DE FRANCE.
cution , la fimplicité des attitudes , l'éclat
des couleurs , & le gracieux des têtes ;
cela pouvoit faire croire , que s'il eft réellement
de Balthazar de Sienne , c'eſt un
ouvrage de fa jeuneffe.
La Vierge , vêtue d'une robe rouge &
d'un manteau bleu , découvre avec ref
pect l'Enfant Jefus , qui dort ; il eft couché
dans un berceau orné de fculpture.
La Vierge , dont les cheveux font nat
tés , eft coëffée d'un voile blanc.
Dans le fond du Tableau eft un rideau
verd & une croisée à travers , de laquelle
on découvre des fabriques & des mon
tagnes.
FRANÇOIS DE ROSSI ,
dit le Salviati.
La Nature l'avoit doué d'un efprit vif
& pénétrant , d'un amour conftant pour
le travail , & d'une prodigieufe facilité
dans l'exécution . Avec ces dons heureux
il eut le chagrin de fe voir fouvent préferer
des Artiftes d'un mérite très- inferieur
, mais qui , par leurs moeurs fociables
,fe faifoient aimer & rechercher.
Adam& Eve chaffés du Paradis terrestre.
Adam , honteux de fa défobéiffance
fuit avec Eve la préſence du Seigneur ;
1.
AOUST. 87528 143
te ,
le mouvement qu'il fait de la main droiparoit
indiquer la compaffion qu'il
a pour fa compagne : les remords & la
crainte précipitent leurs pas. Eve fe retourne
, & femble reprocher au ferpent
la funefte fituation où elle fe trouve.
Ce Tableau eft en fort mauvais état .
il a été prefque repeint par tout , ce qui
ne permet pas de pouvoir porter un jugement
certain fur la couleur. Ce que l'on
peut dire par rapport au deffein , c'est que
l'on y apperçoit , malgré des incorrec
tions , un grand caractére.
La maniere du paysage eft large & de
bon goût.
MATTHIEU ROSSELL 1.
Un Peintre qui n'eft jamais forti de
chez lui , & qui n'a été occupé pendant
toute la vie qu'à des ouvrages publics ,
faits pour demeurer en place , ne doit pas
efperer d'être autant connu , ni autant célébré
que celui qui, à mérite égal , fait des
Tableaux portatifs : car ces derniers ont
l'avantage de fe montrer à un plus grand
nombre de perſonnes ; & en le produifant
dans les meilleurs cabinets , ils étendent
plus promptement & plus sûrement la réputation
de leur Auteur.
Les exemples n'en font pas rares , Ma144
MERCURE DE FRANCE.
thieu Roffelli en fournit un bien'fenfible.
Ce Peintre né à Florence en 1578 , cut
une affez longue vie ; il commença de trèsbonne
heure à manier le Pinceau , & il ne
le quitta qu'à la mort : cependant , comme
il ne fit prefque jamais d'autres Tableaux
que ceux qui lui furent ordonnés pour des
Eglifes , ou pour des lieux publics , à pei
ne eft il fait mention de lui hors de Florence.
Il faut convenir que ce n'eft pas un
Peintre de la premiere claffe ; il eft maniéré
, ainfi que l'ont été la plupart des maîtres
avec lefquels il a vécu. Son deffein n'a
rien de grand ni de mâle ; on peut , au contraire
, lui reprocher d'être mol , & de pencher
vers le mefquin ; fes compofitions ,
fes figures font fans verre , & ne font pas
affez animées. Il manquoit lui même de
feu ; un caractere doux & paifible l'avoit
toujours tenu éloigné des paffions violentes
, & comment eût- il pû exprimer ce que
fon ame n'avoit jamais reffenti ? Malgré
ces défauts , ces Tableaux ont de l'agrément
; quelques-uns ont mérité de paffer
fous le nom du Civoli ; on les regarde avec
plaifir , ce qui vient fans doute de ce que
les fujets en font bien pris , & traités avec
fageffe , & de ce que les têtes qui y font
employées , font d'un beau choix . Quant
à fa couleur , elle n'eft ni vraie , ni fort piquantes
A O UST. 1752. 145
quante , mais il y a de l'accord & de l'harmonie
dans les tours ; & lorfque le Roffelli
a peint à frefque , il a prefque toujours
été fûr de réuflir ; auffi perfonne n'y a - t - il
apporté de plus grandes précautions . Sa
parfaite expérience , fon affiduité au travail
, lui ont fait mettre dans fes fresques
une fraîcheur & une pureté qu'on voit rarement
dans celles des autres Peintres . Jamais
il ne fut obligé de retoucher les fiennes
à fec , il étoit fûr de leur effet ; des
peintures à l'huile ne font pas plus vigoureuſes.
David tenant la tête & l'épée de Goliath.
Ce fujer repréfente le triomphe de David
, après la défaite des Philiftins . Le
jeune Berger tient la tête & l'épée de Goliath.
Plufieurs femmes qui jouent de differens
inftrumens , l'accompagnent en
chantant fes louanges , & la grandeur du
Dieu d'Ifraël .
La compofition de ce Tableau eft agréa
ble , les têtes en font gracieufes , & la
couleur , fans être vraie , a de l'accord &
de l'harmonie dans les tons.
Les deux Lettresfuivantes n'étoient pas
deftinées à l'impreffion. Nous n'avons obtenu
qu'avec peine la permiffion de les rendre
G
146 MERCURE DE FRANCE.
publiques . On nefçauroit trop répéter les louanges
d'un homme auſſi vertueux & auſſi éclairé
que M. Coypel , fur tout quand elles font
donnees par deux hommes tels que M. le Pré
fident Haudiqué, M. Maffe. Le dernier
Peintre du Roi , fut reçu à l'Académie en
1717 , pourfes talens divers. Toute l'Europe
connoît celui qu'il avoit pour la miniature.
Il a eu l'honneur de peindre le Roi d'après
nature à Vincennes , aux Thuilleries , à Verfailles.
Sa principale occupation était defaire
tous les portraits que Sa Majesté donnoit
aux Miniftres des Cours Etrangeres , & à
tous ceux qu'elle vouloit honorer de cette marque
de bienveillance .
M. Maffe commença en 1723 , à deffiser
tous les Tableaux de la grande Gallerie
de Versailles , & des deux falons qui l'accompagnent.
Il afait exécuter fes deffeins que Sa
Majefté a acquis depuis , par les plus célébres
Graveurs du Royaume , & par conféquent
de l'Europe . Cette entreprife auffi ho.
norable pour la Nation qu'utile au pragrès
des Aris , eft fur ſa fin. Le Public jouira
avant lafin de l'année de ce travail ; nous le
difons d'après les plus grands Connoiffeurs ,
on trouvera une exécution parfaite.
A O UST. 1752 : 147
LETTRE
De M. Maffe , Peintre du Roi , & Confeiller
en fon Académie Royale de Peinture & de
Sculpture , à M. le Préfident Haudiqué ,
Exécuteur teftamentaire de feu M. Coypel,
Ecuyer , Premier Peintre du Roi,
MONSIEUR,
*
Vous avez appris fans doute , par M. &
Mme . de Saint Philippe , la perte irrépatable
que nous venons de faire dans la
perfonne de l'illuftre M. Coypel . La douceur
& la convenance de votre caractère
avec le fien , vous avoient fi intiment liés
de fociété , & vous connoiffiez fi bien le
bonheur de l'avoir pour ami , que comme
je jouiffois auffi de cet avantage depuis
plus de cinquante ans , je mêle avec confiance
mes larmes avec les vôtres , & je
cherche auprès de vous la confolation ,
dont j'ai besoin dans l'accablement où cette
mort ine plonge.
J'étois dans ma douzième année , quand
j'entrai aux Galleries du Louvre , chez
M. de Chatillon ; M. Coypel n'en avoit
alors que fept , je fus témoin de fes pre-
1
Gij
948 MERCURE DEFRANCE.
miers progrès pendant neuf ans que je
le vis tous les jours , & vous avez vû depuis
, Monfieur , à combien de juftes titres
je lui étois attaché. Son enpreffement
à m'obliger ,fon amour pour l'avancement
de l'Art , & fon zéle pour tout ce qui
pouvoit y contribuer ; en particulier la
chaleur avec laquelle il avoit bien voulu
époufer més intérêts auprès de M. de
Tournchem & de M. de Vandieres , relativement
à mon entreprife : toutes ces
chofes , dis-je , quand mon coeur n'auroit
pas été formé comme il l'étoit pour l'aimer
, m'auroient pénétré de la reconnoiffance
la plus vive , & du retour le plus
fincére. Hélas , Monfieur , je perds en un
inftant ces divers avantages : notre ami
n'eft plus , il ne nous refte que la trifte
reffource de nous en entretenir ; fi mon
zéle dans l'ébauche que j'en vais tracer
pouvoit être retenu par les plus fortes raifons
, il le feroit fans doute , par la connoiffance
que j'ai de mon incapacité pour
remplir un fi digne fujer , mais l'amitié
fera mon guide.
Né dans le fein des vertus & des talens,
fils & petit- fils d'hommes fameux , diftingués
dans la Société & célébres dans la
Peinture , il honora encore fon origine ;
dès fa plus tendre enfance , élevé au PaAOUST.
1752. 149
y
Tais d'Orleans auprès de M. de Chartres ,
fils du Régent ; il fut auffi cher à cette
Maiſon augufte , dont il conferva toujours
l'eftime & l'amitié , qu'il l'étoit à fa
propre famille ; loué , flatté fur fes agrémens
naiffans careffé en tous lieux ,
on le regardoit dès l'âge de dix ans comme
un prodige ; il fembloit que tant de
careffes dûffent retarder fes progrès , elles
ne firent qu'exciter fon émulation . Si
j'entreprenois de le peindre exactement
il faudroit le fuivre pas à pas , & entrer
dans les détails intéreffans de fa vie , de
fes vertus , & de fon amour pour l'étude
mais alors quelle carriere immenfe n'aurois-
je pas à parcourir ? Que n'embrasfoitil
pas ? Son génie vafte & étendu ne lui
laiffoit rien envifager d'impoffible , &
malgré fa deftination particuliere pour la
Peinture où nous l'avons vû parvenir à
un degré fi éminent , fes lois étoient
remplis par les exercices des talens les
plus aimables ; accoûtumé à vaincre les
difficultés & à varier fes occupations , il
paffoit du familier au férieux avec enjouement
, & de fon Cabinet dans les cercles
les plus brillans , là il paroiffoit n'être
formé que pour les plaifirs raviffans de
l'harmonie du chant & de la déclamation :
quels applaudiffemens , dangereux pour
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
tout autre , ne lui ai -je pas vû prodiguer
dans ces genres differens ? l'on eût dit
que ces fortes d'agrémens faifoient feuls
les délices de fa vie , ils n'en étoient que
les délaffemens ; fon application à joindre
toujours l'utile à l'agréable , le rendoit
de plus en plus l'objet des empreffemens
des fociétés les plus diftinguées ;
chaque fuccès étoit pour lui un nouvel
aiguillon & un nouveau motif d'acquérir
encore toujours mécontent de luimême
, & toujours inſatiable de gloire ,
toutes fes démarches tendoient à la per
fection . C'est à vous ,
Monfieur
, que
j'ouvre mon coeur fur le compte de cet
ami refpectable , je vous écris fans contrainte
& le fentiment feul conduit ma
plume. Je ne crains point d'être accufé de
flatterie , quoique peut-être je ne puiffe
me garantir d'en être foupçonné : ceux
qui ont eû des liaiſons particulieres avec
M. Coypel me rendront juftice ; c'eſt à
eux que j'en appelle ; s'ils trouvent que
je ne rende pas fes qualités dans tout leur
jour , ils reconnoîtront du moins mon
fcrupuleux attachement pour la vérité , &
fentiront que mon amitié pour lui indépendamment
de la Peinture qu'il profeffoit
avec diftinction , s'eft principalement propolé
d'expofer fes fentimens délicats
A O UST. 1752. 151
éclairés , nobles & juftes qui le caractérifoient.
En effet par fes études profondes
& philofophiques fur le coeur humain
& fur les paffions , il avoit acquis une
connoiffance fi étendue fur tous les ref
forts divers qui font mouvoir les hommes
dans les differens états de la vie , qu'il
n'en eft prefque point qu'il n'ait traité
avec fuccès ; il ne faut qu'avoir entendu
fes ouvrages pour en être convaincu . Son
coeur & fes moeurs étoient fi
pures , qu'il
n'étoit fenfible à d'autre diftinction qu'à
celles qui étoient marquées par les vertus
: fon expérience , fes réflexions & le
grand monde , lui avoient fi bien appris
le peu de fonds qu'un fage doit faire fur
les dehors affectueux des plus vives caref
fes , qu'ils ne faifoient aucune impreffion
fur lui , parce qu'il ne les regardoit que
comme des témoignages équivoques &
frivoles , qui ne font fouvent que des
marques de légéreté , ou des piéges intéreffes
tendus à la crédulité & àl'amour
propre plus folide que prévenant , fon
extérieur étoit tranquille , quoiqu'extrê
mement vif & pénétrant . 11 étoit fenfible
à l'excès , & enclin à la critique , mais il
fçavoit mettre un frein à fes paflions les
plus fouguenfes , & il avoit le coeur fi
excellent qu'il ne lui échappa jamais un
G iiij
152 MERCURE DE FRANCE .
mot de fatyre , ni dans fes difcours ni dans
fes écrits , pas même contre ceux qui l'avoient
le plus vivement offenfé. Eloigné
de toute fuperftition , il joignoit à une
véritable piété beaucoup d'humanité ; fils.
tendre & refpectueux , frere affectionné ,
parent utile , ami zélé & empreffé , maî
tre charitable , homme de goût & profond
, il étoit dans tous les cas auffi exact
à remplir fes devoirs , qu'il étoit fimple &
aimable dans le particulier . Ses actions
etoient fi conformes à fes principes , qu'on
ne le vit jamais en contradiction avec luimême
; il employoit fans relâche tous fes
fins à mériter l'approbation de fes amis ,
mais il en rejettoit les éloges. Sa maiſon
étoit l'azile de ceux de fes proches qui
avoient beſoin de fes fecours , & il difoit
fans aucune oftentation qu'il regardoit à
cet égard le partage de fes biens , comme
une chofe auffi utile à fon existence que
le boire & le manger. Bien loin de jouer
le rôle d'homme néceffaire , & d'affectet
aucun dehors avantageux , il avoit l'air
timide & embarraffé , fouvent il s'enfermoit
pour n'être point interrompu dans
fon travail qu'il aimoit avec paffion : fes
amis pour fe conformer à fes goûts , ne
fe rendoient chez lui qu'aux heures qu'il
leur avoit deftinées ; d'ailleurs il fe déroA
OUST 1792. 153
boit à toutes vifites inutiles , & il avoit
.contracté dans cette efpéce de retraite un
air fi réflechi & fi réſervé , qu'en général
fes confreres qu'il voyoit peu l'avoient
taxé d'être froid & d'un accès trop difficile.
Ce préjugé fe feroit peut- être perpétué
parmi eux , mais M. Coypel fut bientôt
à portée de le détruire par la confiance
intime , dont l'honora M. de Tournehem
, Directeur & Ordonnateur Général
des Bâtimens , qui lui offrit en 1747 ›
avec l'agrément de Sa Majefté , la place
de Premier Peintre du Roi , diftinction
d'autant plus flatteufe pour notre ami
qu'il ne l'avoit pas follicitée. D'un autre
côté , l'Académie perfuadée que fes intérêts
ne pouvoient être mieux qu'entre fes
mains , le nomma Directeur , & quoique
fa fanté fut très - délicate , il en remplit
toutes les fonctions avec autant de nobleffe
que d'exactitude. Dès ce momentlà
, il ne fe regarda plus comme un fim--
ple particulier qui pouvoit fe livrer à fesgoûts
; ce facrifice de fa liberté lui coûta
bien des regrets , mais le bien public
P'emporta chez lui fur toute autre confi--
dération, I accueillit & fervit fi utile..
ment les plus prévenus de fes confreres ,
qu'ils devinrent bientôt fes plus zélés
partifans ; il ne fut occupé qu'à faire va
Gys
154 MERCURE DE FRANCE.
loir leurs talens divers , & à leur montrer
fa fenfibilité pour leur bien être . Enfin
il ne vit plus rien d'intéreflant pour lai
que leur profpérité & la gloire de l'Académie
; il eut le bonheur de la voir monter
au plus haut degré par la protection
immédiate , dont le Roi voulut bien l'honorer
à la follicitation de M. de Tournehem
, qui ne ceffa de la combler de
nouvelles graces. Il n'eft aucun Artiſte
qui n'ait été témoin du plaifir que ce fage
& zélé bienfaiteur prenoit à voir M.
Coypel remplir fi noblement toutes les
vûes pour l'illuftration de l'Académie.
Eh , quel autre que lui s'y fût jamais
conformé avec tant de plaifir & de zéle ?
Notre félicité étoit le but de fes defirs
il aimoit à nous raffembler chez lui , &
par les lectures de fes doctes ouvrages
il ne cherchoit en bon patriote , qu'à refferrer
entre nous les liens de la concorde ;
il développoit à nos regards fous des emblêmes
ingénieux , ce que la variété des
caractéres & des paffions a de plus piquant.
Ses ouvrages intéreffans renfermoient
toujours la plus faine morale , &
les avantages réels que procurent les qualités
ineftimables de l'efprit & de la raifon
: c'eft par ces moyens qu'il s'élevoit
des autels dans nos coeurs fes jours
A O UST. 1752. 155
étoient devenus purs & fereins depuis
qu'il avoit réuni les efprits en fa faveur.
Mais fon bonheur à cet égard , & fa tranquillité
furent bientôt troublés par le
coup le plus accablant. M. de Tournehem
nous fut enlevé , nous le pleurâmes enfemble
, non-feulement comme un Protecteur
refpectable , mais encore comme
un pere & comme un ami : nous crûmes
avoir tout perdu en lui , cependant l'éve
nement nous a fait voir que cette perte
pouvoit être réparée. M. de Vandieres.
fon digne Succeffeur , releva nos efpérances
, en donnant auffi toute fa confiance
à M. Coypel , dont il connoiffoit
les lumieres & le mérite , & pour fe l'attacher
davantage il lui fit accorder , de
fon propre mouvement , par le Roi une
nouvelle penfion de trois mille livres , audelà
des bienfaits dont il jouiffoit déja .
Mais dépouillé de rout intérêt particu
lier , M. Coypel ne fe fervit de fon crédit
fous l'un & fous l'autre ministére ,
qu'en faveur de l'Académie , à laquelle il
procura par fes repréſentations plufieurs
avantages confidérables qu'elle defiroit ,
mais qu'elle n'ofoit fe flatter d'obtenir.
Je m'arrache à mille détails fur des faits
particuliers , auffi honorables pour notre
ami , qu'intéreflans par eux - mêmes , fur
G vj
156 MERCURE DE FRANCE,
)
fes liaiſons avec les Grands , fur la quan
tité immenſe des Tableaux qu'il a produits
, ainfi quefur le grand nombre de fes
ouvrages , où l'utile & l'agréable étoient
fi ingénieuſement réunis.
-
J'aurois bien voulu , Monfieur , repréfenter
ici M. Coypel , tel qu'il eft gravé
dans mon coeur , mais cette entrepriſe
étant de beaucoup au deffus de mes forces
, je vais finir cette efquiffe , en difant
que fes heureufes difpofitions pour la
Peinture & pour les Belles- Lettres avoient
été cultivées fous les yeux d'un pere illuftre
dans l'un & l'autre talent , & fes
moeurs formées fous la conduite d'une
mere refpectable , tendre , pieuſe , affectionnée
& fpirituelle ; qu'ainfi fon ame
naturellement élevée , avoit acquis encore
par leurs foins cette tranquillité intérieure
, cette modération & cette douceur
, que nous avons vû fe foutenir jufqu'au
dernier inftant de fa vie , où Philofophe
& Chrétien tout enſemble , il ne
parut occupé que de perpétuer fa juftice
& fes bienfaits , au-delà même du trépas.
Sans inquiétude fur fon état préfent ,
il ne cherchoit qu'à diffiper les craintes
de fes proches , & ce fut dans cette paix
profonde , que refigné aux ordres de la
A O UST. 17520 157
Providence , & plein des grands exemples
qu'il avoit toujours eû devant les
yeux , il eft devenu lui- même un modéle
accompli des perfections aufquelles less
humains peuvent l'élever , en rendant le
dernier foupir le 14 Juin 1752 âgé de
cinquante-huit ans.
pour
Je regarde comme un bonheur
vous , Monfieur , que vous ne vous ſoyez
pas trouvé à Paris dans ce cruel inſtant ,.
& que vous n'ayez pas été témoin d'une
fcéne auffi touchante & auffi douloureu--
fe vous connoiffez toute la tendreffe de
Monfieur & de Madame de Saint Phi-
Hippe pour leur frere , jugez de leur trifte:
fituation , de leurs larmes & de leurs fan-.
glots , par leur fenfibilité , & par toute
Pétendue de cette perte.
J'ai l'honneur d'être , &c .
J. B. MASSE .
A Paris , ce 18 Juin 1752.
ISS MERCURE DE FRANCE
REPONSE
De M.le Préfident Haudiqué , Exécuteur
Teftamentaire de feu M. Coypel , Ecuyer ,
Premier Peintre du Roi , à M. Maſſe, Pein
tre du Roi , & Confeiller en fon Académie
Royale de Peinture & de Sculpture.
MONSIEUR ,
Quoique je doive retourner dans vingtquatre
heures à Paris , pour remplir les
triftes devoirs que m'impofe la confiance ,
dont M. Coypel m'a honoré dans les derniers
momens de fa vie , je ne puis differer
de vous remercier de la vivacité àvec
laquelle vous reffentez une douleur qui
nous eft commune. Je ferois infiniment
Aatté que quelque rapport d'efprit , ou de
caractére eût formé l'intime & tendre
liaifon qui m'uniffoit avec feu notre illuftre
ami . Je la devois à l'amitié que
j'avois pour lui , & à une confiance que je
me flatte d'avoir en quelque façon mérité
par celle que j'avois en lui. Il ne doutoit
pas que je ne lui rendiffe une entiere juf
tice , & que je ne lui payaffe ce tribut
d'eftime qui lui étoit filégitimement dû
A OUST. 1752. 159
par le petit nombre de ceux , qui comme
vous , & comme moi avoient le bonheur
de vivre dans fon intimité , je n'entreprendrai
pas d'ajouter à fon éloge. Je pourrois
comme vous , Monfieur , louer avec
toute la chaleur d'un ami , mais non avec
le goût d'un Artifte vrai & éclairé. Quel
le confolation pour nous , de découvrir
dans le public des fentimens , que depuis
fi long- tems nous trouvions dans nos
coeurs ! fi je fuivois mon penchant , je ne
manquerois pas , Monfieur , de m'étendre
fur les raifons qui ont formé votre
liaison avec l'ami que nous regrettons ,
mais il faudroit vous louer , & je connois
votre répugnance pour les louanges.
J'ai l'honneur d'être , &c.
HAUDIGUE.
Herminie cachée fous les armes de Clorinde.
Cette Planche dédiée à M. le Duc de
Chartres , a été gravée l'année paffée par
le Sieur Feffard, Des raifons particulieres
l'ont empêché de la publier plutôt ; c'eſt
un très-bel ouvrage , le travail en eſt large
& facile , l'harmonie eft bien confervée
, le goût du Tableau eft bien rendu.
Enfin tous les contraftes que M. Pierre a
160 MERCURE DE FRANCE.
9
placés dans fon élegante compofition ,
produifent également leur effet dans la gra
vure. Les grands talens & les progrès rapides
du Peintre , Auteur de ce Tableau
nous font prévoir avec fatisfaction que
nous aurons fouvent occafion de parler
de fes ouvrages . M. le Duc d'Orleans
vient de le nommer fon Premier Peintre ;
& le Prince qui déclare fon goût pour les
Arts , indique par la bonté d'un choix.
pareil , que non- feulement il veut rendre
fon Palais fuperbe par les bâtimens , mais .
qu'il le veut bien décorer .
L'aîné des fils de M. Julien le Roy ,
dont nous avons déja parlé plufieurs fois ,
& qui fuit d'une maniere diftinguée lestraces
de M. fon pere , vient de donner
de nouvelles preaves de fes talens pour
l'Horlogerie , par une addition confidé
rable qu'il a faite à fa Pendule à une roue.
Lorfqu'il préfenta cette Pendule au
Roi , Sa Majesté parut defirer qu'il y appliquât
la fonnerie. Un Artifte ordinaire
rebuté la difficulté de rien changer
par
dans cette partie des Pendules , auroit
cru , en employant les moyens deja connus
, fatisfaire aux defirs du Roi , mais-
M. le Roy fentit bien que ce n'eût été les
A O UST. 1752. 161
remplir qu'imparfaitement , & qu'ainſi il
falloit tâcher d'inventer une fonnerie qui
fûr auffi fimple que le mouvement de fa
Pendule. Le uccès a pleinement répondu
à fes effets ; celle qu'il vient d'imaginer
eft auffi ingénieuſe & auffi fimple que fa
Pendule même.
*
Dans les fonneries ordinaires , il y a
toujours quatre roues , & un volant pour
ralentir l'action du moteur , & mettre un
intervalle raitonnable entre chaque coup
de marteau . Dans celle de M. le Roy ,
il n'y a , comme dans fon mouvement ,
qu'une roue unique , dont l'action eſt réglée
& ralentie par le régulateur même ,
fans que les vibrations de celui - ci en
foient nullement troublées ; de plus , en
Méchanicien éclairé , il a fçu tirer parti
de fa fonnerie pour rendre fon mouvement
même beaucoup plus parfait. Cette
nouvelle conftruction a cet avantage ,
qu'elle devient fort utile dans la plûpart
des obfervations aftronomiques & dans
quelques expériences de Phyfique ; car
en levant fimplement une piéce , appellée
détente , elle fonne les fecondes avec la
plus grande exactitude pendant 28 minutes
; on peut même prolonger ce tems:
à volonté.
Cette ingénieufe invention a encore le
162 MERCURE DE FRANCE.
mérite de pouvoir s'appliquer à toutes
fortes d'ouvrages d'Horlogerie , aux carillons
, aux Pendules , & aux Montres à
répétition , aauuxx PPeenndduulleess àà quarts , &c.
il en eft ainfi du mouvement fimple . M.
le Roy a imaginé les moyens de conftruire
, par la methode employée dans fa
Pendule à une roue , des Pendules de toutes
les efpéces , allant pendant tel tems
qu'on le voudra.
L'Auteur recueillit le 26 du mois paſſe
le principal fruit qu'il s'étoit propofé dans
fon travail ; il eut l'honneur de préfenter
au Roi à Bellevûe , la nouvelle Pendule ,
& de lui en expliquer la conftruction &
les avantages. Il profita de la même occafion
pour montrer à Sa Majesté une
Montre qu'il a inventée dès l'année 1748 ;
ce qu'elle a de plus particulier conſiſte
dans fon échappement , mais comme nous
ne pourrions en donner une idée nette
fans une figure , nous nous contenterons
de rappeller ici le jugement que l'Acadé
mie en a porté.
Extrait des Regiftres de l'Académie Royale
des Sciences , du 6 Septembre 1748 .
Monfieur Camus & moi , qui avions
été nommés pour examiner un nouvel
Echappement à repos , préfenté par M. le
A OUST . 1752. 163
Roy , fils , en ayant fait notre rapport ,
l'Académie a jugé que cette idée étoit
bonne , & méritoit d'être fuivie par l'Auteur
qui eft en état d'en tirer tout le parti
qu'on en peut efperer , en foi de quoi ,
j'ai figné le préfent Certificat. A Paris ,
ce 7 Septembre 1748. Signé , GRANDJEAN
DE FOUCHY , Secretaire
Perpétuel de l'Académie des Sciences.
Nous croyons que c'est ici le lieu de placer
ane Lettre , que M. le Roy nous écrivit quelque
tems après avoir préfenté fa Pendule à
l'Académie , & que nous ne pumes inferer
dans le Mercure dernier , parce qu'elle arxiva
trop tard.
LETTRE
De M. Le Roy , à l'Auteur du Mercure.
MONSIEUR ,
Quelques perfonnes n'ayant pû réuffir
dans le projet qu'elles avoient formé de
s'approprier une partie de mon travail ,
jugent actuellement à propos de l'attribuer
à d'autres. J'ai cru que ce procédé feul fuf
164 MERCURE DE FRANCE.
fifoit pour montrer le cas qu'on devoit
faire de leurs difcours , & j'ai pensé que
mon tems feroit beaucoup mieux employé
à perfectionner ma découverte qu'à leur
répondre. En conféquence , j'ai ajouté à
ma pendule une nouvelle fonnerie qui
comme le mouvement n'a qu'une feule
roue ;il y a quelque jours que le l'ai préfentée
à l'Académie , Meffieurs Camus ,
Montigny , & Déparcieux ont été nommés
Commiffaires par cette illuftre Compagnie
pour l'examiner. J'ai prié ces Meffieurs de
nepoint fe preffer d'en faire le rapport , &
je mets ici leur nom afin que ceux qui difent
avoir imaginé quelque chofe qui a du rap
port à certaines parties de ma découverte .
fachent à qui s'adreffer , faffent valoir leurs
prétentions devant le Tribunal de l'Académie
, & ne perdent point leurs tems en
difcours inutiles. Quant à moi je fuis prêt
à donner tous les témoignages qu'on peut
exiger d'un homme d'honneur , qu'il n'eft
rien de plus faux que les difcours aufquels
on a eu recours pour me dépouiller d'une
partie de mon travail . Je fuis fi éloigné de
rien craindre à cet égard , que je déclare ici
que fi quelqu'un peut montrer devant leſdits
Commiffaires qu'il a la plus légere
part dans ma découverte , & que j'ai pû
profiter de fes vues , je lui abondonnerai
1
AOUST. 1752.
165
non-feulement la partie qu'il réclamera ,
mais encore tout le refte de mon ouvrage.
Au refte je dérogerois , Monfieur , à la ma
niere défintereffée dont mon pere en a agi
par rapport à fes découvertes en Horlogerie
, fi d'autres motifs que l'honneur me
guidoient en tout ceci ; pour le prouver
j'avertis ici que loin de faire un fecret de
ma découverte , tous les Artiftes feront les
maîtres de voir ma pendule au logement
de mon pere aux Galeries du Louvre ; &
je me ferai un plaifir de leur en expli
quer la conftruction & les propriétés ;
car je crois qu'il eft du devoir d'un bon
Citoyen de ne point faire miftere des cho
fes qu'il penſe devoir tendre au progrès de
fon art.
J'ai l'honneur d'être , &c.
LE ROY , l'aîné , fils.
A Paris ce 10 Juin 1752.
166 MERCURE DE FRANCE
CEPHALE ET PROCRI
Romance , par Mlle de ***.
Vousqui d'un Dieu rempli de charmeş
Faites un tyran odieux ,
Qui change en de triftes larmes
Le plaifir , ce bien précieux ,
Amans legers , ames parjures ,
L'Amour par vous trop outrage ;
Se vangera de tant d'injures
Comme autrefois il s'eft vangé.
***
Des crimes dont vous faites gloire ,
Apprenez quel fera le prix ;
Tremblez en écoutant l'Hiftoire
Du beau Cephale & de Procris :
De l'union la plus parfaite
Ces amans goûtoient la douceur ,
Leur ame éprife & fatisfaite
S'enivroit d'un commun bonheur,
**
Mais à la trompeuſe inconftance
Cephale abandonne fon coeur ,
Procris voit fon indiférence.
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
THE
NEW
YORK
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LIBRARY
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ASTOR
, LENOX
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FOUNDATIONS
.
AOUST.
1752 167
Elle apprend la nouvelle ardeur :
Qu'elle fut fa douleur mortelle ? .
Quel fut hélas fon déſeſpoir ?
Vous qui pleurez une infidele ,
Vous feuls pouvez le concevoir.
**
Elle voudroit de fa Rivale
Voir les trop dangereux appas ,
En tous lieux de l'ingrat Cephale
Elle fuit en fecret les pas ;
Mais ce myftere redoutable
Bientot fe dévoile à les yeux ,
De Diane une Nymphe aimable
Etoit cet objet odieux.
Pour chercher celle qu'il adore ,
Cephale parcourt les Forêts ;
Et de l'amour qui le dévore
Il exprime envain les regrets e
Aure , cette beauté cherie
Eft infenfible à son tourment ;'
Et Procris à la jaloufie
Joint la douleur de ſon amant.
**+
O Dieux , dit- elle , eft- il poffible
Cephale envain peut foupirer ,
Quoiqu'ingrat , parjure , inſenſible ,
68 MERCURE DE FRANCE
Je n'ai ceffé de l'adorer ;
Ses regards penetrent mon âme
Malgré leur cruelle froideur ;
Aure , tu les vois pleins de fime ,
Et tu peux défendre ton coeur.
+3
Mais fans doute l'Arrêt,fupreme
Du Dieu qui produit nos ardeurs ,
Veut , Cephale , que mon coeur t'aimes
Lui feul , pour tous les autres coeurs ;
Hélas par quelle barbarie
Te foumet- il à d'autres loix;
A ces mots de douleur faifie
Procris eft fans force & ſans voix.

+3X+
Fuis , Procris , fais , de ton parjure
Evite le bras meurtrier ,
Cephale d'une main trop füre
Croyant abbatre un Sanglier
Va percer ce coeur qui l'adore ;
Mais le trait part dans cet inſtant ,
Et Procris ne refpire encore
Que pour confoler fon amant.
*XX+
Je meurs & d'une main cherie
Quand je reçois le coup mortel,
Le trait qui m'arrache la vie
M'efi
D
A
OUST.
169 1752.
M'elt plus précieux que cruel ,
Que nul regret ne le tourmente ,
Dit elle, ne plains point mon fort ,
Cephale dut à fon Amante
Donner au fon coeur , ou la mort.
De l'Amour la jufte vangeance
Puiffe ne tomber que fur moi ,
Puiffe mon lang & ma conftance
Expier ton manque de foi :
Que le feu qui brula mon ame
Puiffe après moi , pour ton bonheur,
Revivre en celle qui l'enflame ,
1.
Que les Dieux lui donnent mon coeur,
Cephale d'une main tremblante ,
En voulant arrêter le fang
De cette malheureuſe amante ,
Hâte encor fon dernier inftant :
Il l'embraffe , Proctis expire
Par l'excès d'un fi doux tranfport ,
Que fur fon vilage on peut lire
Quel plaifir lui donna fa mort.
L'Amour rejetta la priere
De la trop fidele Proctis,
H
**
170 MERCURE DE FRANCE..
Aure devint encor plus fiere ,
Cephale encore plus épris ,
Pour lui feul , elle eft infenfible ,
Il voit heureux tous les rivaux ;
Et des remords la voix terrible
Redouble l'horreur de fes maux.
***
Vous qui d'un Dieu rempli de charmes
Faites un tyran odieux ,
Qui changez en de triftes larmes
Ce plaifir , ce bien précieux ;
Amans legers , ames parjures ,
L'Amour par vous trop outragé
Se vangera de tant d'injures
Comme autrefois il s'eft vangé
A O UST. 1752. 171
302 303 302 303 304 305 306 : 50% 506 502 58 58 : 586 R
SPECTACLE S.
'Académie Royale de Mufique continue les
qu'on y ajoûtoit autrefois , & qui avoit tant de réputation
, a été réduit à un pas de cinq.
Mile. Dalilo qui n'avoit jamais paru fur au
cun Théatre public , a débuté le lundi 17 Juillet ,
au Théâtre François par le Rolle de Phédre. Le
Public qui a marqué fon jufte mécontentement fur
la maniere dont les Rolles de la Tragédie ont été
diftribués , a diſcerné les talens de la débutante ,
qui a une voix admirable , beaucoup de feu & des
entrailles : il ne lui manque que de l'uſage & des
confeils pour devenir une bonne actrice.
>
Le Samedi 22 la même Actrice a joué le Rolle
d'Hermione dans la Tragédie d'Andromaque
avec Mr. le Quain , Mlle . Gauffin & Mr. Dela
noue qui ont repréfenté les Rolles d'Orefte , d'Andromaque
& de Pirrhus. On a été charmé de l'exécution
de la piece , & Mlle Dalilo a été fort
plaudie.
ap-
Le Mercredi 26 l'Actrice nouvelle a repréfenté
pour fon troifiéme Rolle , Zenobie dans la Tragé
die de Radamiſte avec les mêmes applaudiflemens
que dans les Rolles précédens .
L'Opera Comique a fait le Vendredi 30 Juin
l'ouverture de fon Théatre à la Foire S. Laurent ,
dans une Salle que M. Monnet , Directeur de ce
Spectacle , vient d'y faire conftruire . Cette Salle
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
eft admirée de tous les gens de goût , & le feul dea
fir de la voir , indépendamment des Piéces qu'on
y repréſente & de leur exécution , attire un grand
nombre de Spectateurs.
Le jour de la premiere repréſentation on a
donné le Temple de Momus , Prologue nouveau ,
le Déguiſement Paftoral , & la Coquette fans le
fçavoir : on y a joint le charmant Ballet pantomime
de l'Eil du Maître , qui a reçu les mêmes applaudiflemens
que dans la nouveauté ,
On n'a point trouvé d'invention dans le fonds
du Prologue , mais il y a de jolis couplets & un
éloge de Mlle. Rofaline qui a été fort applandi.
Le Samedi 8 Juillet on a repréfenté à la place
du Déguisement Paftoral le Coq du Village , qui eft
bien remis ; le Sr. Defchamps remplit le principal
tolle au gré du Public , & Mlle. Rofaline rend ce
lui de Therele avec beaucoup de graces & de
naturel.
Le Jeudi 13 on a ôté le Temple de Momus pour
reprendre la Servante juftifiée , où le Sr Léclufe a
reparu avec applaudiffement , & l'on a exécuté au
Hieu de l'OEil du Maître un nouveau Ballet pantomime,
qui a pour titre le Jardin des Fées , dans lequel
Mile. Bettina Bugiani & le Sr. Cofimo Marranefi
, Danfeurs Italiens , ont paru pour la premiere
fois on leur trouve une précifion & une
legéreté furprenantes.
M. Fleury eft Auteur du Temple de Momus ,
M. le Bret du Déguisement paftoral , M. Rouffeau
de la Coquette fans le fçavoir , M. Favard du Coq
du Village , & M. Fagan de la Servante juſtifiée :
M. Dourdet dont on connoît depuis long- tems les
talens , eft toujours Compofiteur des Ballets.
AOUST. 17 { 2 . 173
CONCERTS A LA COUR.
Fin du mois de Juin 1752.
Le Lundi 19 Juin , à Verſailles , on chanta chez
la Reine les deuxième & cinquiéme Actes de l'Opera
d'Armide ; Miles. Chevalier & Selle , Mrs.
Jeliotte , Befche , Joguet & Challé en ont chanté
les rolles.
Mois de Juillet , à Compiegne.
Le Mercredis , le Samedi 8 , le Lundi ro & le
Mercredi 12 on chanta chez la Reine le Prologue-
& les cinq Actes du Ballet des Fêtes Grecques &
Romaines , paroles de M. Fufelier , Mufique de
M. de Blafmont , Chevalier de S. Michel , Sur-Insendant
de la Mufique de la Chambre du Roy ;
Mlles. Mathieu , Selle , Lalande & Canavas , Mrs.
Poirier , Befche & Joguet en ont chanté les rolles.
C'
Lettre à l'Auteur du Mercure.
' Eft avec tous les égards qui vous font dûs
Monfieur , que je me vois contraint de mettre
la main à la plume , pour vous faire remarquer
que vous mettez tel Débutant qu'il puifle être dans
un moment de defagrément pour fa propre fortune,
en n'analifant pas le talent avec lequel il a paru
devant le Public.
Vous annoncez dans votre Mercure du mois de
Juin dernier, Les Comédiens François n'ont
point donné de nouveauté , mais ils ont eu une
»
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE ,
30
debut ; M. Rouffelet a paru Jeudi 22 Juin pour
la premiere fois dans la Tragédie de Cinna , &
depuis dans celle de Mithridate ; il joue les rolles
» de Roy. Vous avez obmis celui de Pharafmane
dans Rhadamifte. Qu'il me foit permis de vous
intimer cette annonce. Ce n'eft pas la premiere
fois que je parois fur le Théatre des Comédiens du
Roy , lifez le Mercure de Juin 1740 , & vous ver
rez la façon dont votre devancier parle de moi : je
n'ai point dégénéré depuis ce tems . Vous n'ignorez
pas , Monfieur , qu'il faut être beaucoup appuyé
par la protection pour faire nombre avec les grands-
Sujets qui compofent le Théatre François ; je me
fuis déclaré , avant d'y redébuter , que je n'y prétendois
point , ( fçachant parfaitement les attentes
de ceux & celles qui font chaque jour tous leurs
efforts pour pouvoir augmenter la récompenfe dûe
légitimement à leurs peines & à leurs talens . )
Quelque mon début ait été , je me trouve trèshonoré
de n'avoir pas déplu aux connoiffeurs,puif
que Mgr. *** m'a fait l'honneur de me dire que
mon fon & ma diction formoient le parallele du
débit de feu ce fameux Acteur qui rétablit la ſcene
après un temps confidérable qu'il avoit donné à
fes loifirs. Il a rencontré jufte avec quelques Mrs.
de l'Académie , qui m'ont fait l'honneur de me
dire la même choſe. Il eft vrai que c'eft un genre
que je me fuis fait , aidé des confeils de ceux qui
ont aimé & fuivi ce fameux Comédien dont je
parle. J'avoue , à ma honte , que je ne me fuis
point apprécié à cette déclamation heureufe qui
fait la réputation des grands Sujets qui brillent au
jourd'hui : le naturel et mon appanage ; & fi j'ai
quelques défauts dans le gefte , on ne blâmera jamais
ma figure , ma voix , ma mémoire , mon raifonnement
& mon bọn fens ; à l'égard de l'efprit,
A O UST . 17521 175
je ne vous en parle point , je n'ai que le moyen de
l'adorer , & c'est mon occupation effentielle : je
fuis Geométre dans mon art , fans avoir recours
aux fyntefes qui acheminent par énumération à la
probabilité d'un tout. ' C'eſt à vous , Monfieur , à
tirer maintenant parti de moi - même : ne vous fież
point aux partifans de ceux qui ne font pas les
miens. Je refpecte tout l'univers , & fi le fuccint
de votre programme ne m'eût pas fait ouvrir les
yeux , je ferois demeuré dans la même fécurité ,
qui me fait réverer ce qui eft établi par la vogue
& qui fait dire hautement , c'eft le goût d'à préfent
. La monotonie a eu fon régne ; les modes fe
fuccédent , mais on revient toujours aux anciennes ;
il ne faut qu'un inftant pour confondre une dif
corde. Le Légiflateur a toujours confulté la Loi
naturelle , & la juftice a toujours été appuyée par
la verité.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Paris , ce 20 Juillet 1752..
ROUSSELET
Lettre à Monfieur Chevrier.
Es deux hommes de lettres , Monfieur , qui ont
élevé la petite difpute dont vous faites mention
par votre lettre datée du 23 Juin dernier à l'Auteur
du Mercure , eft une queftion à laquelle je me crois
en droit de répondre. Il est vrai que les Grecs
avoient une déclamation notée , mais ce genre
étoit autorisé par le fcandé de leurs vers & de leurs
accens , & je crois qu'il en eft de même de la prononciation
de la Langue Hébraïque , qui eft plutôt
un chant qu'un parler . Mais pour répondre au mo
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE.
ment de votre curiofité ſur la façon d'exprimer ce
wers :
Cinna , tu t'en fouviens , & veux m'aſſaſſiner.
Je crois que le premier hémiftiche doit être dit
en fronçant le fourcil , avec un fentiment d'indignation
, & le fecond avec un fentiment de pitié
& de tendreffe ; le premier fait fentir à Cinna les
obligations qu'il doit à Augufte , & le fecond l'amitié
qu'Augufte a pour Cinna : le premier jour
je le dis avec trop de force & d'indignation , mais
le fecond je le rendis tel que je vous le décris . Trop
heureux fi je fuis d'accord avec vous ; vos propofitions
font des inftructions pour moi , je voudrois
être à portée de vous connoître pour en profiter ,
& pour vous prouver la déférence que j'aurai toute
vie pour les perfonnes qui parlent raifon,
J'ai l'honneur d'être , &c.
ROUSSE LET
Paris , ce 20 Juillet 1752.

A O UST. 1752. 177
洗洗洗洗:洗洗洗:洗洗洗洗洗:洗洗洗洗
NOUVELLES ETRANGERES.
DU NORD .
DE PETERSBOURG , le 31 Mai.
I'Impératrice a paffe huit jours à Czarska Zelor
& Sa Majefté y fera encore un autre voyage
avant de fe rendre à Petershoff. Elle a ordonné
que le Lieutenant- Colonel Pofnakow fût dégradé
de fon rang , & réduit à la condition de fimple Sole
dat , pour punition de l'imprudence qu'il a commile
à Pégard du Baron de Greiffenheim , Envoyé
de Suede. On croit que ce Miniftre aura bientôr
fon audience de congé , & qu'il partita pour Ra
tifbonne , fans attendre l'arrivée du Baron de Poffe
qui doit venir ici le remplacer.
Un Courier a apporté la fâcheuſe nouvelle que
le feu avoit pris dernierement dans la ville de Mofcon
près de la porte d'Arbar ; la violence du vent -at
poullé les famines vers les quartiers de Nikitska
& de Twerskaja , elles fe font conímuniquées de
Là à celui de Jamskoi ; leur progrès a été fi rapide ,
que malgré toute la diligence dont on a ufé pour
arrêter les fuites de l'embrafement , il y a eu cinq
mille maiſons brûlées ; plufieurs édifices publics &
plufieurs Couvens ont été , les uns entierement
confumés, les autres endommagés confidérablement
; un grand nombre d'habitans ont eu le mal
reur de périr dans les flammes.
Dans l'audience publique de congé que le Barou
Greiffenheim , Envoyé extraordinaire de Suede
178 MERCURE DE FRANCE.
eut de l'Impératrice le 6 de ce mois , ce Miniftre
fit à Sa Majesté le difcours fuivant en Langue Allemande
. Madame , le Roy mon Maître , en me
» rappellant , m'a ordonné de remettre à Votre
Majefté Impér ale la lettre que j'ai l'honneur de
lui préfenter , & de témoigner en même tems à
» Votre Majefté la fincérité des affurances de fa
» haute conſidération pour votre Perlonne . Après
» la fatisfaction qu'a cue le Roy mon Maître de
monter fur le Trône dans une conjoncture auffi
heureufe que celle où l'Europe jouilloit d'une
tranquillité générale , rien ne pouvoit le toucher
plus fenfiblement que la continuation du bon
voifinage entre la Ruffie & la Suéde ; auffi Sa
Majefté eft - elle fermement réfoluë de le main-
» tenir avec la plus foigneufe attention . C'eſt dans
»cette vue qu'elle a fait choix du Baron Maurice
و د
25
de Poffe , Colonel dans les Troupes , & Cheva- ,
» lier de l'Ordre de l'Epée , pour venir me remplacer
avec le caractere de fon Envoyé extraor
dinaire. En quittant cette Cour , Madame , rien
» ne pouvoit m'arriver de plus avantageux que d'a-
» voir pu vous être agréable ; une approbation fi
flateule , en comblant mes voeux , fera le fonde-
" ment fur lequel j'aſpirerai toute ma vie à la confervation
de la bienveillance de Votre Majesté
Impériale. " Le Comte de Beftuchef Rumin ,
Grand Chancelier , répondit à ce Miniftre :
"
Les
affurances que l'Impératrice reçoit de l'amitié
» de Sa Majefté le Roy de Suéde , ne peuvent que
» lui caufer une fatisfaction finguliere. Sa Majefté
» Impériale fera difpofée à donner des preuves de
»fes fentimens à cet égard dans toutes les occafions.
Au furplus , elle fait affurer de ſa bienveil–
» lance Impériale Morfieur 1 Envoyé extraordi-
> naire. » Après l'audience de l'Impératrice , lə
(
AOUST. 1752. 179
22.
"
Baron de Greiffenheim fut admis à celle du Grand
Duc , & le complimenta ainfi en François . » Mon
feigneur , les liens du Sang qui uniflent le Roy
» mon Maitre à Votre Altefle Impériale , oat quel-
» que chofe de plus fort que tout ce que je pourrois
dire , pour lui prouver à combien de juftes
" titres l'eftime & l'affection de Sa Majesté lui font
acquifes . Chargé cependant , à l'occafion de mon
"rappel , de confirmer Votre Alteffe Impériale
» dans la perfuafion où elle ne peut manquer d'être
» à ce fujet , je m'en acquitte avec toute la joie
que m'infpire une commiffion fi agréable. Afi
de ne pas oublier mes propres intérêts , je profite
, Monfeigneur , de cette circonstance , pour
demander très - refpectueufement à Votre Alteffe
" Inipériale la continuation de fa haute & trèsgracieuſe
bienveillance . » La réponse que le fieur
Alexandre Narifkin , premier Chambellan du Grand
Duc , fit au nom de ce Prince , fut conçue en ces
termes . « Monfeigneur le Grand Duc reçoit avec
une parfaite reconnoiffance les témoignages
» d'affection dont l'honore Sa Majefté le Roy de
» Suéde ; il tâchera d'y répondre par les attentions
» les plus refpectueufes , dans toutes les occafions
» qu'il aura d'obliger Sa Majefté ; & il fera toujours
bien aile de donner des marques de for
eftime à Monfieur l'Envoyé extraordinaire. »~
"
"
c
DE STOCKHOLM , le 10 Juin.
On vient de publier le premier Tome des Mémoires
de l'Académie Royale des Sciences établie
dans cette Capitale ; il contient plufieurs Mémoires
intéreffans , entr'autres deux Diflertations fur les
Infectes qu'on trouve quelquefois dans le corps
kumain , la defcription de quelques fouterrains
H° vj
180 MERCURE DE FRANCE,
très-profonds qui font dans les montagnes de Sca
nie près de Robloff , & la relation d'un voyage faitau
Levant , aux dépens de l'Académie , par le Doc
teur Haffelgreen mort à Smyrne l'année derniere.
DE COPPENHAGUE , le 23 Juin.
Le Roi doit déclarer le 26 fon prochain mariage
avec la Princeffe de Brunfwic-Wolfenbutel. C'eft
le Baron de Dehn , Miniftre d'Etat , qui a été
chargé de faire la demande de cette Princeffe. La
Maifon de la nouvelle Reine partit le 13 pour
Salzdahl , où le Duc de Wolfenbutel l'époufera au
nom du Roy.
ALLEMAGNE.
DE
BERLIN , le 14 Juin.
L'Académie Royale des Sciences & des Belles-
Lettres élut le 8 de ce mois en qualité d'Académicien
honoraire le Comte de BotсKе , Gouverneur
du Prince Frederic - Guillaume de Pruffe . Dans une
affemblée que la même Académie tint le 15 , les
Marquis de Sant Onorio ; le fleur Duclos , Hifto-
Hographe de France , & l'un des Quarante de l'AS
cadémie Françoile : les fieurs d'Aubenton , de PAcadémie
Royale des Sciences de Paris ; de Montigny
, de la même Académie , & Jean- Jacques.
Weftein , Profeffeur à Amfterdam , ont été nomnés
Allociés Etrangers.
Sa Majesté alla le 24 du mois dernier au matin
de Porfdam à Charlottenbourg. L'après- midi les
deur Reines y joignirent le Roy. Le Prince de
Pruffe & les Princes Henry & Ferdinand s'y rendirent
de Spandau. Le même jour à fept heures da
AOUST. 1752. 181
Toir la Princeffe Guillelmine de Heffe y arriva
avec une fuite de douze caroffes , elle étoit accompagnée
dans le fien de la Comteffe Douairiere de
Denhoff, Grande Maîtreſſe de ſa Maiſon , les autres
caroffes étoient remplis par fes Dames de com .
pagnie & par fes principaux Officiers. Le Roy alla
au devant de la Princeffe jufqu'à la grande portedu
Château , & la reçut à la defcente du caroffe ;
après l'avoir embraffée , il la conduifit chez les
deux Reines , qui lui firent le plus tendre accueil .
La Princeffe paffa enfuite dans fon appartement ,
où elle reçut les complimens de la Cour. Sur les
dix heures il y eut un magnifique fouper à deux
grandes tables ; celle du Roy étoit de trente couverts
, & fut fervie en or. Le lendemain à fix heu
res du foir , la Princeffe de Heffe , conduite par le-
Prince Henry fon futur époux , fe rendit de la
grande Salle d'Audience à la Chapelle ; ils étoient
précédés par les Maréchaux & les Chambellans de
Ja Cour , & fuivis d'un grand nombre de Pages &
de Valets de pied ; la queue de la robe de la Princeffe
étoit portée par quatre Demoiselles d'Hon
neur. Le Roy donnoit la main à la Reine Douai-
Tiere , & le Prince de Pruffe à la Reine régnante.
La Margrave de Schwed , foeur du Roy , étoit menée
par le Prince Ferdinand , la Princeffe Ameliepar
le Margrave Charles , & la Princeffe de Prufse
par le Margrave Henry. Les Princes Etrangers
venoient enfuite ; après eux marchoient les Miniftres
& les Officiers Généraux . La Bénédiction nuptiale
fut donnée au Prince Henry & à la Princefse
de Helse par le fieur Sack , Confeiller Confiftorial
& Prédicateur de Sa Majefté , & à l'échange des
anneaux on fit une triple falve de douze piéces decanon.
Les époux , après la cérémonie , revinrent
dans le même ordre à la grande Salle d'Audience
182 MERCURE DE FRANCE .
+
où ils furent complimentés par la Famille Royale
& par toute la Cour. On tira à huit heures un trèsbeau
feu d'artifice , & le Château ainfi que les Jardins
furent illuminés. Le fouper fut lervi fur huit
tables de cinquante couverts chacune . Vers les
onze heures il y eut une danſe aux flambeaux
après laquelle la Famille Royale le retira . Le Roy.
a fait préfent d'une riche garniture de pierreries
la Reine , & d'un très- magnifique carofse à la
Princesse . On repréfenta le 27 dans l'Orangerie de.
Charlottenbourg un Interméde Italien , qui ne fut
pas plutôt fiai , que le Théatre difparut , & laifsa
voir tous les Jardins illuminés . Ce spectacle fur.
fuivi d'un fouper à fix tables , celle du Roy étoit
de quarante couverts , & les cinq autres enſemble
de trois cens foixante- fix . Après le repas le Prince
Henry ouvrit le bal avec la Princeſse ſon épouse.
Le 28 Sa Majesté retourna à Potſdam , & toute la
Famille Royale revint en cette ville . La Reine
donna le 29 un fomptueux dîner , & le foir il y
eut un fouper également fplendide chez la Reine
Douairiere. Le 30 au matin les Seigneurs de la
Cour rendirent leurs refpects à la Princesse nouvellement
mariée , & l'après - midi les Dames s'ac
quitterent du même devoir. Hier au foir il y eut
chez le Prince Henry , dans le Palais de Schwe
rin , illumination , fouper & bal . Demain le Prince
de Prusse donnera auffi une fête. Il y en aura une
les à Schonhaufen chez la Reine , & le 7 à Monbijou
chez la Reine Douairiere .
L'Académie Royale des Sciences , dans fon
Afsemblée du 19 , élut Académiciens le fieur
de Premonval & le feur Bertram , Miniftre de:
Berne .
A O UST.
1752 . 183
DE WOLFEMBUTTEL , le 27 Juin.
Le 24 de ce mois deux Gentilshommes du Duc
régnant , avec les carofses de la Cour , allereng
prendre le Baron de Dehn , Miniftre de Sa Majefte
Danoife , & le conduisirent au Château de Salzdabl
, où le Prince étoit avec la Duchefse fa mere
& la Princesse Julie- Marie . Après que le Baron de
Dehn eut été fucéeffivement introduit à l'audience
du Duc & à celles de la Duchefse mere & de la
Princesse , on fit la publication du mariage de la
Princefse avec le Roy de Dannemarck. Le refte
de la journée fe pafsa en divertissemens de toute
eſpéce ; ils continuérent le 25 , & hier la Princesse
reçut la Bénédiction nuptiale , le Duc régnant reprefentant
Sa Majefté Danoife dans cette cérémo
nie. Le foir la nouvelle Reine fe mit en chemi
pour aller joindre le Roy fon époux.
ESPAGNE.
DE MADRID , le 20 Juin.
Le Roi a établi dans cette Ville une Académie
de Peinture , de Sculpture & d'Architecture , &
Sa Majesté en a nommé Protecteur Don Jofeph,
de Carvajal de Lancaftro , Miniftre d'Etat & Se
cretaire del Despacho Universal . Cette Académie
tint le 13 fa premiere Affemblée publique. Don:
Alfonfe. Clement d'Aroftegui , Confeiller da Confeil
de Caftille , & Vice Protecteur de l'Académie
fit l'ouverture de la féance par un Difcours fur
les principaux ouvrages expofés par les Acadé
miciens dans la Salle de l'Aemblée . On lut enfuite
diverfes Piéces de Poefie , com olées en
184 MERCURE DE FRANCE.
Batin & en Caftillan , à l'honneur des trois ArtS
dont l'Académie fait fon objet. Dans les intervalles
entre ces lectures , un Orcheſtre rempli d'habiles
Muficiens executa un grand nombre de
fymphonies choifies.
ITALI E.
DE MALTE , le 22 Mai.
le
15
Depuis le retour des Galères de la Religion,
en a été plus exactement inftruit des particularités
du combat , dans lequel elles fe font emparées de
deux Chabecs Saletins. Voici les principales circonftances
de l'action. Ces Galères , qui fuivant
les ordres du Grand Maître , croiſoient ſur les côè
tes de Barbarie , furent contraintes par les vents de
Nord Oueft , de mouiller à l'Ile de Lampedoufe .
Elles y furent retenues juſqu'au 13 qu'elles prirent
le large pendant la nuit. Le 14 au foir , elles découvrirent
l'ile Pantalaria , & demeurerent à la
cappe une partie de la nuit . On apperçut
la pointe du Jour deux Bâtimens de bas- bord
qu'on reconnut pour des Barbarefques. Les Galères
de la Religion étoient alors à peu de diftance
de la terre , à la hauteur de la Galipia , Fortereffe
de la Régende de Tunis. Elles firent force de ra
mes & de voiles , pour couper aux ennemis la reraite
vers la terre . Les Corfaires , voyant le combat
inévitable , déployerent le Pavillon d'Alger
& lâcherent une bordée qui ne porta point . Il étoit
déja plus de huit heures , lorfque le combat s'engagea
. Un des Chabecs voulut profiter d'un vent
qui s'éleva , & il tâcha de gagner la côte . Il fut ar
rêté par la Galère du Grand -Maître , laquelle alla
Labordage , en même tems que la Capitane ace
AOUST. 1752. 18%
arochoit le fecond Chabec . Les grapins ayant la
ché prife dans l'inftant que trois foldats Maltois
étoient fautés fur le Vaiffeau ennemi , le premier
de ces braves gens fut taillé en piéces . Le fecond ,
tout bleffé qu'il étoit , coupa la tête à un Turc , &
s'étant jetté à la mer , regagna fon bord à la nage ,
ce que fit auffi le troifiéme. L'abordage manqué
poulla le Chabec à travers la Capitane . Celle- ci
ayant reviré de bord , & préſenté fon éperon au
Chabec, le Chevalier Aldobrandini , qui commandoit
la Galère la Victoire , aborda fans peine le Ba
timent Saletin. Les deux Chabecs firent une réfiftance
d'autaut plus longue , qu'avant d'être accrochés
, ils avoient eu le tems de fe retirer fous le
canon de la Galipia , qui faifoit un feu très-vif fur
les Galères. Après un combat de cinq heures , les
vaiffeaux ennemis céderent à la valeur opiniâtre
des Maltois , & fe rendirent. Le premier avoit quatorze
piéces de canon , & cent vingt - cinq hommes
d'équipage , dont trente-huit ont été tués , & vingt.
neufbleflés dangereufement . Le fecond , qui étoit
de douze canons & de cent fept hommes , a eu
vingt - deux, morts & vinge trois bleffés. Il y a eu
du côté des Maltois quinze hommes tués , & qua
rante bleffés , entre lefquels on compte le Chevalier
de Pennes , & le Chevalier d'Elvemond , l'un
& l'autre François. Le Chevalier de Valence , qui
commandoit la Sainte Catherine , & le Chevalier
Tefta , Commandant de la Galère du Grand Maître
le font extrêmement diftingués par la bravoure
par la conduite.
DE ROME, le 8 fuin.
Il paroît que le projet du Canal de Ponte-Galera
abandonné , & l'on doit travailler inceflama
186 MERCURE DE FRANCE.
ment à la Chauffée de Fiumicino.
On a trouvé près de Tivoli , dans un terrain
dépendant de la vigne d'Adrien , & appartenant au
Marquis Gabrielli , une Mofaique fort précieufe .
Cette découverte a été faite préciſément au même
endroit , d'où l'on a tié les deux Centaures de
pierre de touche , qui font actuellement ici , & qui
font l'admiration des connoiffeurs. En creuſant
dans une vigne près de Saint - Sébaſtien , on a trou
vé plufieurs Tombeaux antiques , & trois belles
Médailles , une de Commode & deux de Marc-
Aurelle. Le Pape les a fait acheter , pour les join.
dre à la collection du Capitole. On a découvert
' auffi dans les fondemens du Couvent de Saint Auguftin
, au Champ de Mars , un Camée large d'un
pouce & demi , d'une grande beauté , & repréfentant
Ariane & Bacchus . Il eft actuellement entre
les mains du fieur Borrioni , célebre parmi les cus
Lieux de cette Ville.
DE GENES , le 16 fuin.
Toutes les inftances qu'on a faites , pour enga
ger le Marquis Etienne Lomellini à ne point ab
diquer , ayant été inutiles , on a enfin accepté fa
démiffion . En conféquence , on procéda le 7 de ce
mois à l'élection d'un nouveau Doge , & la pluralité
des voix s'eft déclarée pour le Marquis Jean-
Baptifte Grimaldi. Immédiatement après qu'il eut
été élú , il reçut les complimens des différens Colléges
de la Nobleffe. Depuis long- tems il jouie
d'une grande réputation dans le Sénat.
AOUS T. 1752 187
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 6 Juillet.
Indépendamment des Vaiffeaux de guerre , on
équipe plufieurs Frégates & Chaloupes , dont la
croifiére fera établie dans la Manche. Tous les
Bâtimens , qui étoient arrivés de Rotterdam à
Portimouth , à Cowes & à Gofport , ont mis à la
voile pour les diverfes Colonies Angloifes de l'Amérique
, où l'on commence à fe reffentir des
bons effets que produit l'augmentation des habitans
. Le Gouvernement a reçu particulierement des
avis du fuccès , avec lequel on cultive à préfent
dans la Nouvelle Georgie les vers à foye . Non-feu
lement on y en nourrit une très-grande abondance
, mais fi l'on doit ajoûter foi aux relations , ils
rendent un tiers de foye de plas que ceux d'Italie.
Cet article étant très effentiel , le Gouvernement
eft réſolu de ne rien négliger pour favorifer les
progrès de cette culture . On a porté auffi celle de
I'Indigo dans la même Colonie à la plus grande
perfection. Le bruit court qu'on y a découvert des
vers aîlés , femblables à ceux dont on tire la coche
nille.
La Compagnie des Indes Orientales fe propoſe
de préfenter au Parlement un état des pertes qu'el
le a fouffertes pendant la derniere guerre , & de de
mander qu'on la mette en état de les réparer Le
Lord Anfon ayant rapporté de l'Amérique quel
ques indications d'un remede , pour guérir en peu
de jours les bleflures faites par le fer ou par l'acier,
on dit que le Parlement propofera une récompenfe
à ceux qui pourront donner la recette complette
de ce remede , ou en trouver une propre au même
effet . L'Evêque de Durham eft mort à Bath le 27
du mois dernier.
188 MERCURE DE FRANCE
FRANC E...
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
A Reine communia le 24 Juin dernier par les
mains de l'Archevêque de Rouen , fon Grand.
Aumônier.
Le 23 , le Roi revint à Verſailles de Trianon . Sa
Majefté le rendit le 25 à Bellevue , d'où Elle en revint
le 28 Le 29 au foir , Elle futfouper & coucher
à la Meute , & le lendemain Elle en partit
pour Compiegne . Elle chaffa , en y arrivant .
Madame la Dauphine & Mefdames de France
prirent le 24 le divertiffement de la promenade
dans les Jardins Potagers.
Le même jour , le Marquis de la Salle , Lieute
nant Général des Armées du Roi , & Sous- Lieute◄
nant de la Compagnie des Gendarmes de la Garde
de Sa Majefté , prêta ferment de fidelité entre les
mains du Roi pour le Gouvernement de la Haute
& Baffe- Marche , & pour la Lieutenance Générale.
de cette Province.
La Comteffe de Lillebonne fut préfentée le mê
me jour à Sa Majesté .
Le 25 , les Grands - Croix , Commandeurs &
Chevaliers de l'Ordre Royal & Militaire de Saint
Louis , nommés pour affifter pendant la préfente
année avec les Officiers de cet Ordre aux Conſeils,
qui doivent être tenus pour fes affaires particuliéres
& pour la reddition de fes comptes , s'affemblerent
chez le Marquis de Paulmy , Secrétaire
d'Etat de la Guerre en furvivance du Comte d'Ar
genfon, & Chancelier Garde des Sceaux.de l'Or
A OUS T. 1752 189
Bre . De - là ils allerent préfenter au Roi & à Monfeigneur
le Dauphin les Bourfes de Jettons , qui
fent d'ufage lors de la reddition des comptes. Ils
revinrent enfuite chez le Marquis de Paulmy , où
il fe tint un Confeil , dans lequel les comptes des
années 1746 & 1747 furent arrêtés.
Lego , le Roi arriva à Compiegne avec Mefdames
de France. La Reine s'y rendit de Verfail .
les le premier Juillet . Monfeigneur le Dauphin &
Madame la Dauphine s'y rendirent le 6.
Ali Effendi , Envoyé de la Régence de Tripoly,
qui eft arrivé depuis quelque tems à Paris , y eut
le 30 du mois dernier une audience de M. Rouillé,
Miniftre & Secrétaire d'Etat , ayant le Département
de la Marine , fur la nouvelle que le Pacha
avoit réparé les lujets de plainte , donnés par fes
Corfaires à la France , & qu'il avoit fait au Roi
les fatisfactions & les foumiffions que Sa Majesté
avoit exigées.
Leurs Majeftés , accompagnées de Meldames
de France , affiftèrent le z au Salut dans l'Eglife
de la Paroiffe du Château.
Le 3 , le Marquis de Paulmy partit pour aller
vifiter les Places des Provinces Méridionales du
Royaume , & pour voir les Troupes qui y font en
quartiers ou dans les garnisons.
Le 28 du mois dernier , les Actions de la Compagnie
des Indes étoient à dix- neuf cens deux liv.
dix fols ; les Billets de la premiere Lotterie Royale
à fix cens foixante- huit , & ceux de la feconde à
fix cens vingt quatre.
Le premier & le 3 , le Roi courut le Cerf, Sa
Majefté prit les le divertiffement de la chaffe du
Sanglier.
Il y eut le s un Concert chez la Reine,
196 MERCURE DE FRANCE
Mefdames de France fe promenerént le 3 & le s
dans la Forêt.
Le Comte de Noailles , Grand d'Espagne , Chevalier
de l'Ordre de la Toifon d'Or , Lieutenant
Général des Armées du Roi , & Gouverneur deVerfailles
, a été nommé par S. M.pour recevoir à Marfeille
Madame Infante Ducheffe de Parme , qui
y arrivera dans le mois de Septembre prochain.
Les Caroffes du Roi , & un détachement des Gardes
du Corps , commandé par M. de Monithe ,
Exempt de la Compagnie de Bethune , doivent
aller y attendre cette Princeffe .
Le Duc d'Orléans vient de mettre le Duc de
Chartres entre les mains des hommes , quoique ce
jeune Prince ne foit entré que dans fa fixiéme année
, étant né le 13 Avril 1747. Le Public fçavoit
déja , que le Duc de Chartres devoit avoir pour
Gouverneur le Chevalier de Pons , Maréchal des
Camps & Armées du Roi , & pour Sous-Gouverneur
M. de Foncemagne , de l'Académie Françoïfe
& de celle des Infcriptions & Belles - Lettres .
La veille du départ du Roi pour Compiegne ,
Monfeigneur le Dauphin & Madame la Dauphine
allerent fouper au Château de la Meute avec Sa
Majefté.
Le Duc de Villars , Gouverneur de Provence ,
fe difpofe à fe rendre dans fon Gouvernement ,
afin
d'avoir l'honneur d'y recevoir Madame Infante
Ducheffe de Parme.
L'Académie Royale des Infcriptions & Belles-
Lettres a élu pour remplir la place d'Affocié , quí
acquoit dans cette Compagnie par la mort de
P'Abbé Geinos , Mr. de Sigrais , Capitaine dans le
Régiment de Cavalerie de Berry. Mr. de Sigrais
eft connu dans la République des Lettres par une
C
A O UST.
1752. 190
Traduction qu'il a donnée de Vegece en 1743,
Les Bacheliers Emérites de la Faculté de Méde
cine de Paris , ayant fini le cours de leur Licence,
eurent le 7 audience de toutes les Chambres du
Parlement , ainfi que de la Chambre des Comptes,
de la Cour des Aides , du Châtelet , & du Bureau
de la Ville , pour les inviter aux Paranimphes qui
devoient le célébrer le lendemain aprés- midi aux
Ecoles de Médecine.
On mande d'Avignon que le 19 du mois dernier
entre fix & fept heures du matin , le ciel étant fort
ferein & le vent de nord- eft très- vif , on entendit
dans cette ville & aux environs , à plus de fix lieues
de diſtance , un violent coup de tonnerre , qui ne
caufa pas moins d'effroi que d'étonnement ; le bruit,
dura près de neuf minutes avec la même force.
Des voyageurs qui étoient alors dans la plaine de
Tarafcon , fur le grand chemin , ont rapporté qu'ils
avoient apperçu trois gros nuages , l'un pouflé du
nord- oueft au fud- eft , l'autre du fud- oveſt au nord.
eft , & le troifiéme du nord au ſud , & que leur choc
avoit été fuivi immédiatement de ce coup de tonnerre
.
Le , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix- huit cens quatre-vingt- deux livres
dix fols ; les Billets de la premiere Loterie royale à
fix cens foixante- dix , & ceux de la feconde à fix
cens vingt- fix.
Le 9 , jour auquel les Religieufes de la Vifitation
établies à Compiegne , commençoient la folemnité
de la Béatification de Vénérable Jeanne-
Françoiſe Fremior de Chantal , Fondatrice & premiere
Supérieure de leur Ordre , la Reine accompagnée
de Madame la Dauphine & de Meſdames
de France , entendit dans le Monaftere de ces Religieufes
, les Vêpres & le Panégyrique de la Bien192
MERCURE DE FRANCE.
heureuſe , prononcé par l'Abbé de la Tour-du
Pin , Prieur de Mortagne . Le Roi , accompagné de
Monfeigneur le Dauphin , fe rendit à la même
Eglife pour affifter au Salut. Dom Delrue , Grand
Prieur de l'Abbaye Royale de Saint Corneille ,
officia.
Le même jour le Roi fit rendre à la Paroiſſe du
Château les Pains benits , qui furent préſentés par
l'Abbé du Chatel , un des Aumôniers de Sa Majesté.
La Reine a entendu la Meffe le 7 dans l'Eglife
du Monaftere de la Congrégation ; le 9 , dans l'Eglife
Paroiffiale de Saint Jacques , le 10 , dans l'Eglife
des Carmelites.
Tous les jours , excepté le 9 , le Roi a pris le
divertiffement de la chaffe.
Il y a eu pendant quelques jours deux Concerts
chez la Reine.
Monſeigneur le Dauphin & Madame la Dauphine
fe promenerent le 10 dans la Forêt.
Sur les repréſentations du Duc de Chaulnes , Ca
pitaine-Lieutenant de la Compagnie des Chevaulégers
de la Garde du Roi , Sa Majesté a créé deux
nouvelles places d'Enfeigne dans cette Compa
gnie , afin qu'elle ait déformais , ainfi que celle
des Gendarmes de la Garde , huit Officiers fupérieurs
. Les deux plus anciens Cornettes ayant été
nommés à ces Enfeignes , le Roi a donné l'agrément
des deux Cornettes vacantes au Marquis de
Montalembert & au Comte de Durfort.
Pendant trois jours les Religieufes de la Vifitation
de Paris ont célébré la Béatification de la
Vénérable Mere de Chantal. Le Clergé de la Pa
roiffe & du Séminaire de S. Nicolas du Chardonmet
fe rendit proceffionnellement le premier jour
à l'Eglife du Monaftere de ces Religieufes , & y
chanta la Grand- Meſſe , à laquelle officia l'Abbé
de
A O UST. 1752. 195
de Nicolaï , ci - devant Agent général du Clergé.
L'après-midi le Panégyrique de la Mere de Chantal
fut prononcé par l'Abbé de la Tour- du- Pin ,
& l'Evêque Duc de Langres donna la Bénédiction
du Saint Sacrement . Le lendemain la Grand- Meffe.
y fut célébrée par le Curé de S. André des Arcs ,
qui s'y étoit rendu proceffionnellement avec fon
Clergé. Après les Vêpres & le Panégyrique prononcé
par le Pere de Saint - Calais , de la Compagnie
de Jefus , l'Archevêque de Paris officia au
Salut. Le troifiéme jour le Curé de S. Jacques du
Haut-pas , accompagné de fon Clergé , alla y dire
la Grand-Meffe . Le Pere Laugier , de la Compagnie
de Jefus , prononça l'après - midi le Panégyrique.
Le Salut , auquel l'Archevêque de Sens officia
, fut fuivi du Te Deum en musique.
Le Duc d'Orléans a choifi pour fon premier
Peintre Mr. Pierre , Profeffeur de l'Académie
Royale de Peinture & de Sculpture.
Un violent orage , accompagné de grêle d'une
groffeur extraordinaire , a caufé des dommages
confidérables à Saint Maur & dans les environs.
Le feu ayant pris dernierement à Saint - Fargeau
dans la maifon d'un Boulanger , non feulement
trente-deux maifons ont été réduites en cendres ,
mais le Château , fur les toits duquel le vent porta
en plufieurs endroits diverfes matieres embratées ,
a été entierement brûlé , les feuls bâtimens qui
font dans les baffes.cours , ont été épargnés par'
les Aimmes. Cet incendie a duré pendant trois
jours : on eſtime la perte à 400000 liv. fans y
comprendre celle des maifons de la ville .
On a reçu avis que le navire le Soliman , Capitaine
Courrége , avoit fait naufrage en venant de
Saint-Domingue ; l'équipage s'eft ſauvé à bord du
navire la Jeanne-Victoire qui accompagnoit ce bâ¬
I
194 MERCURE DE FRANCE,
timent , & qui eft arrivé au Havre ,
Le 13 les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix- huit cens quatre- vingt - douze livres
dix fols , & les Billets de la feconde Loterie Royale
à fix cens vingt- fept ; ceux de la premiere n'avoient
point de prix fixe.
BENEFICES DONNE'S.
LE Roi anommé à l'Evêché de Caftres l'Abbé
2
de Barral , Abbé de l'Abbaye d'Aurillac . Sa
Majesté a donné cette Abbaye à l'Abbé de Barral
un de fes Aumôniers ; celle de Sainte Marguerite,
Ordre de S. Auguftin , Diocèfe d'Autun , à l'Abbé.
de Gague , Doyen du Chapitre de l'Eglife Cathé
drale de Dijon ; celle de Réau , mème Ordre ,
Diocèfe de Poitiers , à l'Abbé de Mazancourt de
Viviers,Chanoine de l'Eglife Cathédrale de Noyon ;
l'Abbaye Réguliere de Tafque , Ordre de S. Benoît
, Diocèle de Tarbes , à Dom Defcours du
Vignau ; celle de Lancharre , Diocèſe & ville de
Châlon fur Saone , à la Dame de Tavannes ; l'Ab,
baye Réguliere & Elective du Nouveau- Cloître
Beques , Ordre de S. Auguftin , Diocèle d'Ypres
, à la Dame Havard , & le Prieuré de Saint
Thomas d'Epernon, Diocèfe de Chartres , à l'Abbé
de Caraman , Chanoine de l'Eglife Métropolitaine
de Paris.
A O UST. 1752. 195
MARIAGES ET MORTS.
LE & Mars Meffire Claude- Thomas Sibile-
Gafpard- Nicolas Dorothée de Roncherolles
dit le Marquis de Roncherolles , Lieutenant Gé .
néral des armées du Roi , Enfeigne des Gardes
du Corps , Compagnie de Luxembourg , épouſa
Marie-Louife -Amelot , fille de Jean Jacques
Amelot , Miniftre & Secretaire d'Etat au Dépar
tement des Affaires Etrangeres , Prévôt & Maî
tre des Cérémonies , & Commandeur des Ordres
du Roi , & de Marianne de Vougny , la feconde
femme.
La Maifon de Roncherolles eft une des plus illuftres
de la Province de Normandie , tant par
l'ancienneté de fon origine que par fes alliances ;
elle tire fon nom de la Terre & Seigneurie de
Roncherolles , fituée dans le Vexin , qu'elle pofféde
de tems immémorial. Geoffroi I. Sire de
Roncherolles , confirma l'an 1251 , les donnations
faites par les ancêtres . Il eft qualifié dans *
ce titre Chevalier , & étoit Sénéchal de Beaunaire
es années 1258 , 12:59 & 1260 , emploi qui n'étoit
donné qu'aux plus grands Seigneurs ; il fut
établi la même année 1260 , Bailli de Vermandois
. Son fecond fils , Guillaume IV . du nom
continua la postérité , & fut pere de Jean , Sire
de Roncherolles , lequel acquit la Baronnie de
Pont- Saint-Pierre , & la Seigneurie de Hugue
ville par fon alliance en 1367 , avec Iſabelle de
Hangeft , fille & héritiere d'Aubert , Sire d'Angeft
; leur fils Cuillaume , Chevalier , Sire de
Roncherolles , Baron de Pont - Saint Pierre , & c.
fut tué en 1415 , à la bataille d'Azincourt , laif
Iij
196 MERCURE DE FRANCE.
fant de Marguerite de Leon , Dame de Haque
ville , Louis I. Site de Roncherolles , Baron de
Pont Saint Pierte , alié avec Iſabeau de Rouville .
Leur fils , Pierre , Sire de Roncherolles , Baron
de Pont- Saint- Pierre , Confeiller & Chambélan
des Rois Louis XI . & Charles VIII. époula
par Contrat du 12 Septembre 1452 , Marguerite
de Chaftillon , du chef de laquelle fon fils Louis
II. du nom , hérita de la Seigneurie de Chaftillonfur-
Marne , celui- ci qui fur Chevalier de l'Ordre
du Roi , fon Confeiller & Chambellan , & Gouverneur
des Villes de Peronne , de Roye & de
Mondidier , fonda à perpétuité une Chapelle en
fon Château de Roncherolles , fous le nom &
titre de Saint Hubert ; Louis II . mourut en 1538
laiffa de Françoife Halwin ,fa premiere femme ,
entre autres enfans Philippe , Sire de Roucherolles
, Baron du Pont Saint - Pierre , Gouverneur
de Pontoile , de Caen & de Beauvais , décedé en
1570. Suzanne de Guiſencourt, ſa premiere femme
, le fit pere de Pierre IV . du nom , Sire de
.Roncherolles , Baron de Pont Saint- Pierre , & c.
Sénéchal du Comté de Ponthieu , premier Baron
de Normandie , auquel le Roi Henri III . confirma
par Lettres de Mars 1577 , le titre & les droits de
Confeiller d'honneur , né au Parlement de Nor--
mandre avec voix & féance pour lui & les aînés
de la Maifon à perpétuité.
Pierre de Roncherolles , qui mourut le 10 Février
1621 , avoit épousé en 1571 , Charlotte de
May , & en eut entr'autres enfans , Pierre V. du
nom , Baron de Pont Saint- Pierre , &c. Gentilhomme
ordinaire de la Chambre du Roi , Capi
raine de cinquante hommes d'armes de fes ordonnances
, auquel le Roi Louis XIII . confirma
par Lettres Patentes du 20 Mars 1623 , celles qui
C
fo
17
<g
R
J
I
A O UST. 1752 . 197
avoient été données à fon pere par le Roi Henri
III. en 1570. Il mourut en 1627 , & il cut de
Marie-Nicolaï , Charles , Sire de Roncherolles ,
Baron de Pont- Saint- Pierre , &c . Sénéchal héré .
ditaire de Ponthieu , Premiet Baron de Norman,
die , décedé en 1643 , il avoit épousé Françoile-
Jeanne de Lamet- Buffy, & fut pere de Claude
de Roncherolles , Marquis de Pont - Saint - Pierre ,
&c. Meftre-de- Camp d'un Régiment de Cavalerie
, allié à Catherine le Veneur de Tillieres •
de laquelle naquit le ao Avril 1669 , Michel de
Roncherolles , Marquis de Pont - Saint - Pierre
&c. Premier Baron de Normandie , Baron
d'Ecouy , Confeiller d'honneur né au Parlement
de Rouen , marié le 24 Février 1792 , avec Ma
rianne- Dorothée Etard le Gris , Marquife de
Montreuil & d'Echaufour , Comteffe de Cizei
morte le 29 Janvier 1739 ; de ce mariage font
fortis , 1 °. Michel- Charles Dorothée , Comte de
Pont-Saint -Pierre , né le 19 Avril 1703 , Lieutepant
Général des armées du Roi , de Décembre
1748 , marié le 11 Mars 1728 à Charlotte- Marguerite
de Romillé de la Chennelaye .
2. Claude- Thomas Sibile- Gafpard Nicolas- Do
tothée de Roncherolles,qui donne lieu à cet article.
3° . Michel Marie- François , dit le Chevalier de
Roncherolles , né le 3 Octobre 1719 , reçu de
minorité Chevalier de Malte , Exempt des Gardes
du Corps , tué à la bataille d'Ettingen le 27,
Jain 1743.
4°. Marie - Catherine Dorothée , née le 27 Septembre
1707 , mariée 1º . par Contrat du 13 Mai
1723 , à François de Rivoire , Marquis du Palais ,
mort fans enfans le 11 Juin 1737. 2 ° . Par Contrat
du mois de Juin 1739 , avec Alexandre d'Orleans
, Marquis de Rothelin , Comte des Deux
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Mouffy , Vicomte de Lavedan , Marquis de Bemac
, Marechal de Camp & armées du Roi , &
Gouverneur du Port Louis , veuf depuis le 3 Février
1728 , fans enfans de Marie Philippe- Hen.
riette Martel de Clere , fa niéce .
Louis Marie Florent , Comte du Châtelet ,
Menin de Monfeigneur le Dauphin , Chambellan
du Roi de Pologne , Grand Duc de Lorraine &
du Bar , Colonel du Régiment d'Infanterie de
Quercy , fils du Marquis du Châtelet Lomous ,
Lieutenant Général des armées du Roi , Grand
Chambellan du Roi de Pologne , Due de Lorraine
& de Bar , époufa le 26 Avril Diane - Ade.
laide de Rochechouart , fille de François Charles
, Comte de Rochechouart , Lieutenant Général
des armées du Roi , & de Marie- Françoiſe de
Conflans d'Armentieres. La célébration en fut
faite à Puifeux par M. l'Evêque de Eaon. Les
Maifons du Châtelet & de Rochechouart font
tropconnues pour en parler ici.
Le 25 Mai , Adelaide Felicité de Fiennes ,
foeur de la Comtefle de Maulévrier , époufa
Marie-Jofeph de Matharel , né en 1720 , fils
d'Antoine- Auguftin , Seigneur Patron de Montreuil
, Cefny- aux- Vignes , mort le 12 Mars
1722 , Brigadier des armées du Roi , Gouverneur
des Ville & Château d'Honfleur , Pont- l'Evêque
& Pays d'Auge , qui avoit épousé par Contrat du
S Février 1715 , Marie Henriette Armand , fille
d'Alexandre , décédé le 21 Mai 1718 , Gouver
Deur d'Honfleur & Pont- l'Evêque . Antoine Auguftin
avoit pour four Marie - Madelaine , morte
le 21 Novembre 1738 , qui avoit épousé en
Avril 1697 Gabriel - François Jofeph du Poulpry ,
Marquis du Poulpry , Comte de Kravel , mort en
1726 , Premier Ecuyer de Madame , laiſſant un
A O UST. 1752 . 199
fils & deux filles , lefquelles ont été legataires de
Marguerite- Françoife le Sec , leur grande -tante
maternelle , décédée le 12 Février 1738 , veuve
du 2 Août 1711 , de Pierre -Louis du Reig , Sieur
de Pennautier.
Le premier Mars 1752 , au matin , Charles-
Germain , Marquis de Bournel , Baron de Monchy,
Cayeux & autres lieux , Meftre - de - Cainp ,
& Capitaine dans le Régiment d'Efcarts , Cavalerie
, Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire
de Saint Louis , mort en fon Hôtel à Paris , âgé
de vingt- neuf ans & onze mois , marié en Décembre
1749 , avec N... Menage , veuve en premieres
nôces de N.. le Breton . Il a laiffé de ce
mariage N ... Bournel , âgé de dix - huit mois ;
Il étoit fils de Jean Charles Bournel , Baron de
Monchy , Lieutenant Général des armées du
Roi , Commandeur de l'Ordre de Saint Louis ,
Grand- Mitre de la Garde - robe de feu M. le Duc
de Berri , & de Dame Catherine Forcadel , Dame
d'Atour de feue Madame la Ducheffe de Berri .
La Maiſon de Bournel eft une ancienne & il-
Juftre Maifon de Picardie & Artois , il y a eû plufieurs
hommes illuftres , entre autres Jean Bournel
, Seigneur de Puiffeux , vivant en 1330 , bifayeul
de Guillaume Bournel , Seigneur de Lambercourt
, Grand. Maître de toute l'Artillerie de
France , & Hugues Bournel , Seigneur d'Eftemberg
, d'Efcames & de Lambercourt , qui fus
Gouverneur de Lille , de Douai , d'Orchies &
de Bapaume , & un des grands Capitaines de fon
tems.
Cette Maiſon a pris alliance avec les Maiſons
de Thiembrouffe , de Villiers , de l'Isle - Adam ,
de Croy , de Craon & de Monchy , par laquelle
Ja Baronnie de Monchy a paffé dans cette Mai-
I iiij
200 MERCURE DE FRANCE.
fon , par le mariage de Julienne de Monchy ;
fille unique & héritiere de Pierre , Seigneur de
Monchy , Gouverneur de Saint Omer , & de
Jeanne de Ghiftelles avec Jean Bournel , fecond
du nom , Chevalier Seigneur de Thiembrouffe ,
de Bouchain , Confeiller & Chambellan du Roi
en 1467 , de Melun , Winoug , de Sarquefpée ,
de Noyelles , de Luxembourg , d'Alwaigne , du
Chevalart & du Palais , de Ligues , de Riencourt ,
Montmorency , Bours , de Fleury & de Bourmonville.
Marguerite d'Eftrées , foeur de Gabrielle
d'Eftrées , Ducheffe de Beaufort , épousa
Gabriël Bournel , Chevaller Baron de Monchy ,
Cayeux , Vicomte de Lambercourt , Seigneur
de Namper , de Fafques , eut pour enfans Gabrielle
de Bournel II . du nom , Baron de Monchy,
allié avec Louiſe d'Hervilly. Leur fils Jean - Paul
Bournel , Baron de Monchy , épousa en 1663
Marguerite Bochard de Champigny , ayeule du
Marquis de Bournel , dont nous annonçons la
mort.
Voyez l'Hiftoire génealogique du Pere An
felme , troifiéme édition , tome 8 , page 152 , article
des Grands Maîtres de l'Artillerie de France ;
du Frefny & Moreri.
Voyez l'Hiftoire des Grands Officiers , tom,
8. p. 156.
"
Meffice Ifidore - Marie Lottin Marquis de
Charny , Seigneur - Châtelain de Charny , mourut
à Paris le premier Mars , âgé de 86 ans .
Le même jour mourut en cette même Ville
Meffire Charles Germain de Mouchy , Marquis
de Bournel , Meftre de Camp de Cavalerie & Capitaine
au Régiment d'Efcars , dans la trentiéme
année de fon âge.
Le 23 , Mefire Jean-Charles Folard , Colonel
A O UST. 1752. 201
'Infanterie , & ci- devant Commandant de Bourbourg
, eft mort à Avignon dans la quatre- vingtquatrième
année de fon âge. Il étoit de la Société
Royale de Londres , & les Commentaires
qu'il publia en 1727 , fur Polybe l'avoient rendu
également recommandable dans la République
des Lettres & parmi les Militaires ; par fon Tel
tament il laiffe fes Manufcrits , fes Plans & fes
Cartes à M.le Maréchal de Belle Ifle , & il inftitue
pour fon Legataire univerfel M. Folard ,
Miniftre du Roi à Ratifbonne.
Louiſe Bellinzamy , veuve de Meffire Girar
din de Vauvré , Confeiller d'Etat , & au Confeil
Royal de la Marine , & Intendant de la Marine.
da Levant , mourut à Paris le 27 Avril , âgée de
87 ans.
Meffire N.... de Coriolis , Abbé de l'Abbaye
de Gaillac , Diocéfe d'Alby , fecularifée & érigée
en Collégiale , & de celle de Cruas , Ordre de
Saint Benoît , Diocéfe de Viviers , eft mort à Aix ,
en Provence , le 21 Avril , dans la foixanteonzième
année de fon âge.
M. François Geinoz , Aumônier des Gardes
Suiffes , & Affocié de l'Académie Royale, des
Infcriptions & Belles Lettres , mourut à Paris le
23 Mai 1752 , dans la cinquante fixième année
de fon âge.
Le 25 Mai , Dame Claire - Françoife de la Farre ,
veuve de M. Jean - Gabriel de Charpin , Comte de
Genetines , décedée au Palais Royal , fut inhumée
à Saint Euftache.
Le 27 , Anne - Madelaine de la Chaife , femme
de M. Henault de Saint Laurent , Ecuyer de la
feconde Compagnie des Moufquetaires du Roi ,
décedée en l'Hôtel des Moufquetaires , rue de
Charenton , fut inhumée à Sainte Marguerite,
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
M. Philippe Thomé , Chevalier , Seigneur de
Rentilly, Confeiller du Roi en fa Cour & Grand'-
Chambre de Parlement décédé place Royale , fus
inhumé à S. Paul .
Mefire François de Laftic de S. Jal , Evêque de
Caftres , mourut en fon Diocèfe le 24 du mois de
Mai 1752 âgé de 5 ans.
Le 25 Mai , fut inhumé dans l'Eglife Royale &
Paroiffiale de Sainte Hypolite le feur Charles
Parrocel , Peintre ordinaire des conquêtes du Roi ,
Profeffeur de l'Académie Royale de Peinture &
Sculpture , & Penfionnaire du Roi , décédé en la
manufacture Royale des ouvrages de la Couronne
au Gobelins.
Marie-Marguerite d'Alégre , veuve de Maximilien
- Philippe - Jofeph de Boulogne- Lens de Licques
, Comte de Rupelmonde , Maréchal des
Camps & Armées au Service d'Efpagne , eft morte
à Bercy le 31 de Mai 1752 dans la foixante- quatriéme
année de fon âge. Elle avoit été Dame du
Palais de la Reine.
A OUST.
1752. 203
LETTRE de M. André, Maître ès Arts &
en Chirurgie à l'erfailles, Chirurgien de la
Charité de la Paroiffe Royale de S. Louis ,
ancien Chirurgien de la Maifon de Saint
Cyr , & Prévôt de fa Compagnie , touchant
les maladies de l'urétre à M. Hoin , Maitre
ès Arts & en Chirurgie à Dijon , Penfionnaire
dans la Claffe de la Médecine à
L'Académie des Sciences & des Belles- Let
tres de Dijon.
MONSIEUR ,
L'accueil favorable que vous avez fait à ra
Differtation fur les maladies de l'urétre , & la bonté
avec laquelle vous avez bien voulu m'en communiquer
votre fentiment , méritent un témoignage
public de ma reconnoiffance.
Rien de plus flateur pour moi , Monfieur , que
de pouvoir compter votre fuffrage au nombre de
ceux des plus grands Maîtres de l'art , qui ont bien
voulu approuver & mes principes & ma méthode
Après de pareils témoignages , j'ai tout lieu d'ef
pérer que ceux qui faute d'avoir lû mon Ouvrage,
ou qui pour l'avoir lû trop rapidement ( car je n'oferois
fuppofer d'autre motif ) fe font récriés contre
mes idées , feront obligés de s'y rendre , fur- tour
lorfqu'ils apprendront qu'un homme comme vous,
Monfieur , qui avez enrichi l'Académie autant
par les productions de notre Art que par celles de
la Littérature , n'avez cependant pas dédaigné de
I vj
204 MERCURE DE FRANCE:
prendre mon reméde , de l'employer felon ma mé
thode , & de rendre témoignage à fon efficacité.
Perfonne n'eft mieux en état que vous , Monfieur
, de juger entre mes adverfaires & moi ; j'en
appelle volontiers à votre tribunal . J'ai dit dans
ma Differtation que la plupart des maux de l'urétre
avoient pour cauſe un vice général , qui ne pouvoit
être guéri par les remèdes fimplement anti - vénériens
ordinaires , & fouvent même par l'ufage des
bougies ; qu'ils devoient être regardés comme des
fignes d'une maladie vénérienne particuliere & locale
, & qu'ils ne pouvoient être détruits que par
tes grands remédes , en y joignant l'ufage des bougies.
J'ai dit encore que les maladies de l'urétre
étoient pour l'ordinaire la caufe principale de celles
de la veffie . J'ai prouvé en troifiéme lieu comment
les fongus , les carnofités , les tubercules
chancreufes fe formoient dans l'urétre ou dans le
col de la veffie , comme elles y accroiffent , &
comment elles peuvent y féjourner des quarante
ou cinquante années fans caufer des accidens confidérables
. J'ai ajoûté que l'expérience m'avoit
autorilé à me convaincre que prefque toutes les
rétentions d'urine font caufées par les feuls embarras
qui fe trouvent dans le canal à la fuite des guérifons
des ulceres gonorrhoïques , aufquels il fuc .
céde des digues fenfibles & réelles qui s'oppoſent
au cours des urines . J'ai été même perfuadé par la
même expérience , que l'atonie des fibres de ce
vifcere n'y auroit prefque jamais de part , files
caufes que je viens de déduire n'exiftoient dans
J'urétie ou dans le col de la veffie. J'ai encore affuré
que les bougies ne pouvoient refter quelques
heures dans un canal malade , fans en faire voir les
vifcofités , & qu'elles ne faifoient dans un canal ſain
d'autre effet que celui que fait un corps étranger.
AOUST . 209 1752
J'ai dit enfin que les réflexions & les obfervations
que j'ai été à portée de faire dans la guérifon de
différens malades , m'ont procuré des moyens fûrs
& diftinctifs qui peuvent tendre à une uniformité
générale , qui ne peut que beaucoup éclairer fur
les principes & guider dans la pratique de l'art.
Voilà , comme vous le voyez , Monfieur , le précis
de ma Differtation en même tems que celui de mes
principes & de mes idées : font- ce là des paradoxes
& des fophifmes ?
Je ne finirai point , Monfieur , fans vous marquer
ma reconnoiffance des éloges que vous voulez
bien donner à mon zéle pour mes Confreres & pour
le Public , fur l'offre que je fais d'envoyer mon reméde
préparé , & capable d'être adminiftié par des
gens de l'art aux perfonnes qui ne font pas à portée
de le recevoir par moi- même , tous les hommes
font mes freres , & je me regarde comme redevable
à tous. Il me reste encore à vous remercier de
Ja permiffion que vous me donnez d'entrer en correfpondance
avec vous , je me ferai toujours un
devoir de la cultiver & de l'entretenir , & de profiter
de toutes les occafions de vous prouver l'eftime
& la confidération finguliere avec laquelle je fuis ,
ANDRE'.
& c.
206 MERCURE DE FRANCE,
MANIERE d'accommoder le Riz , de
façon qu'avec dix livres de riz, dix livres
de pain , dix pintes de lait & foixante
pintes d'eau , foixante- dix perfonnes fe font
trouvé nourries parfaitement pendant vingtquatre
heures.
N lavera la quantité de dix livres de riz dans
deux eaux différentes ; il faut que cette eau
foit tiéde.
On les jettera enfuite dans foixante pintes d'eau
bouillante , ou le riz crevera ; on le fera bouillir à
petit feu pendant trois heures ou environ , & on le
remuera pour l'empêcher de s'attacher.
Lorfque ledit riz fera bien crevé & renflé , l'on
jettera dans la marmite ou chaudron dix livres de
pain coupé par petits morceaux fort minces , lequel
par fa cuiffon fe mêle & s'incorpore parfaitement
avec ledit riz , & forme une liaiſon à l'eau dans
laquelle le riz a cuit.
On ajoûte enfuite par deffus le tout dix pintes
de lait , & l'on remue la totalité fur le feu juſqu'à
ce que le riz ait pû être pénétré par le lait.
Sur cette quantité de liquide on met huit onces
de fel & huit gros de poivre.
Si le lait eft rare , on peut y fubftituer dix onces
d'huile de noix ou d'olive.
Pour donner un goût agréable à cette nourri
ture , on peut y ajouter une douzaine de feuilles
de laurier- cerife.
La diftribution ne s'en fait que lorfque le tout
eft refroidi , & que cette nourriture à acquis la
1
AOUST.
1752. 207
tonfiftance d'une espéce de bouillie , dans laquelle
le riz feul fe conferve en grain.
Une demi - livre de cette nourriture foûtient plus
qu'une livre & demie de pain.
Méthode de faire la Soupe au riz pour
cinquante perfonnes.
Il faut fe pourvoir d'un chaudron affez grand
pour contenir quarante pintes d'eau meſure de
Paris; s'il eft plus grand, il en fera plus commode.
L'on mettra dans ce chaudron neuf pintes d'eau
ladite meſure de Paris ; quand elle fera chaude ,
on y mettra fix livres de riz , qu'on aura foin auparavant
de bien laver avec de l'eau chaude .
Le chaudron étant mis fur le feu avec le riz , on
aura attention de le faire cuire lentement , & de le
remuer fans ceffe de peur qu'il ne s'attache au
fond.
A mesure que le riz crevera & qu'il s'épaillira ,
on yverfera fucceffivement trois autres pintes d'eau
chaude.
L Pour faire crever & revenir le riz , il faut environ
une heure ; c'eft pendant ce tems qu'il faut
l'humecter & lui faire boire encore fucceffivement
vingt-huit pintes d'eau , ce qui fera en tout envi
ron quarante pintes d'eau , qu'il faut verfer peu à
peu & par intervalle , de peur de noyer le riz . Cela
fait , il faut laiffer le riz fur le feu pendant deux
autres heures , & l'y faire cuire lentement & à petit
feu , en le remuant fans cefle , fans quoi il s'at
tacheroit au poëlon ou chaudron .
Le riz érant bien cuir , on y mettra une demilivre
de beurre , ou de bonne graiffe fi l'on ne peut
avoir de beurre , avec trois quarterons de fel , &
pour deux liards de poivre noir en poudre , en
208 MERCURE DE FRANCE.
obfervant de remuer le tout enſemble pendant une
demi- heure.
la
Au lieu de beurre on peut mettre du lait ,
quantité de fix pintes de lait fuffit pour la chaudronnée
, mais il faut prendre garde que le lait
ne foit trop vieux , car il s'aigriroit à la cuiffon,
On ôtera enfuite le chaudron de deffus le feu ,
pour y mettre auffi-tôt , mais peu à peu , fix livres
de pain bis ou blanc qu'on coupe en foupes trèsminces
, en obfervant de mêler le pain avec le riz,
de maniere qu'il aille jufqu'au fond pour l'imbiber
& faire corps enfemble.
Si l'on fe fert de lait au lieu de beurre , il faut
quelques pintes d'eau de moins dans la préparation
du riz , autrement le riz feroit trop clair. Et auffi
fi l'on employe le lait , il faut mettre du pain blanc,
parce que le pain bis feroit aigrir le lait .
La diftribution doit être faite fur le champ pour
trouver les cinquante portions : chaque portion
fera de deux cuillerées , qui contiendront chacune
Ja valeur d un demi- feptier ou quart de pinte mefure
de Paris .
Pour les enfans de neuf ans & au- deffous , la
portion d'une de ces cuillerées fera fuffilante.
En diftribuant les foupes chaudes , on aura foin
de remuer le riz avec la cuillere à pot , & de prendre
au fond du chaudron , pour que la diftribution
le faffe également tant en riz qu'en pain .
On avertit ceux qui ne mangeront pas fur le
champ leur portion , de la faire réchauffer à petit
feu , en y mêlant un peu d'eau ou de lait pour la
faire revenir & la rendre plus profitable.
AOUST. 209 1752 .
Méthode pourfaire la bouillie au riz, au lieu
de farine , pour les petits enfans.
On prend un demi-feptier de lait,un demi-feptier
d'eau , un gros & demi de fel , une once & demie
de riz mis en farine ; il faut délayer cette farine
avec le lait , l'eau & le fel , faire bouillir le tour.
jufqu'à ce qu'il commence à y avoir une croûte légere
au fond du poëlon , l'ôter enfuite de deffus
la flamme , & le mettre un quart d'heure environ
fur la cendre rouge ; on remettra enfuite cette
bouillie fur la flamme jufqu'à cuiffonu parfaite , laquelle
cuiffon fe connoît à l'odeur & lorfque la
croûte qui eft au fond du poëlon eft fort épaiffe ,
fans cependant qu'elle fente le brûlé.
LETTRE de M. *** de la Société
Royale de Lyon , à l'Auteur du Mercure.
MONSIEUR ,
Parmi les Obfervations fur l'Histoire naturelle, la
Physique & la Peinture que M. Gautier donne au
Public depuis cette année , il vient d'inférer dans
la troifiéme Partie une Differtation que je me crois
obligé de defavouer , Quoique ce foit peu de chofe
& qu'elle ne foit pas précifément fous mon nom ,
je ne dois pas moins refpecter ma qualité d'Académicien
de la Société Royale de Lyon , fous laquelle
je fuis défigné Cette Differtation qui eft
comprife fous l'Obſervation XIV . eft tellement
défigurée par les changemens que l'Editeur a pris
fur lui d'y faire , que je ne puis reconnoître mon
210 MERCURE DEFRANCE .
Ouvrage. Je profite de cette même occafion pour
defavouer auffi PObfervation VI. qui eft dans la
feconde Partie du même Journal , d'autant qu'elle
y eft fous mon nom ; l'Editeur en attribue un
morceau à une perfonne qui n'y a aucune part ;
Ja planche ne fe rapporte point à la Differtation ,
&c.
Il y a tout feu de préfumer que M. Gautier ne
fe fait point un fcrupule d'en faire autant de toutes
les Differtations qu'il ramaffe , & qu'il le donne
Ja peine d'habiller ainfi à la fantaisie tous les fecrets
des Arts , les nouvelles découvertes , les difputes des
Philofophes des Artifes modernes qu'il renferme
dans fa collection ; dans ce cas , je laifle à juger fi
cet Ouvrage doit être auffi utile & auffi agréable
au Public qu'il pourroit l'être .
J'ai l'honneur d'être très -parfaitement , & c.
De la Société Royale de Lyon.
1
A O UST . 1752. 211
LETTRE à M. d'Arcy.
La deftination du petit Ouvrage que j'ai l'honneur
de vous préfenter fe botnoit , Monfieur , dans
fon origine à la Société Royale de Lyon , que je
voulois dédommager de la defcription de la Caverne
de la Balme , que j'avois envoyée à l'Académie
des Sciences ; mais ce morceau vient de paroître
dans le public , tout autre qu'il eft forti de
ma plume , ce qui me met dans le cas , pour fuppléer
à des changemens faits fans ma participation
, de le donner en particulier : le but que je
me fuis propofé, n'a pas été feulement de relever
quelques fautes répandues dans la defcription de
M. Perrault que je cite , mais de donner , fi cela
fe peut, une idée de cette Caverne , prefqu'auffi
exacte à ceux qui ne l'ont point vû , qu'à ceux qui
l'ont vu je me fuis de plus attaché particuliére
ment à faire une defcription qui puiffe fe trouver
dans tous les tems , vraie & exacte , malgré les
changemens qui s'y paffent , quoiqu'infenfiblement
; c'eft en quai j'ai taché d'encherir fur
ceux qui ont travaillé avant moi fur ce fujet ,
qui n'a rien de neuf que la tournure ; je fuis trèsflatré
, Monfieur, en vous prefentant ce petit Ouvrage
, de trouver une occafion de vous montrer
que je n'ai oublié ni les manieres obligeantes avec
lefquelles vous me fêtes Phonneur de me recevoir ,
ni les facilités que j'eus , fous vos aufpices , pour
faire mon voyage dans la grotte , je vous en réitere
mes remercimens , & vous prie d'être perfuadé
des fentimens , avec lefquels j'ai l'honneur d'être,
&c.
12 MERCURE DE FRANCE.
A VIS .
DESNOS éleve & fucceffeur du fieur Hardy,
donne avis au curieux qu'il a une très- belle ſphere
mouvante , felon le fyftême de Prolomée à vendre.
De plus il fait & vend des globes & des fpheres ,
qu'il monte lui-même. On trouve auffi chez lui
un très beau planifphere de vingt pouces de dia
métre qu'il monte auffi. Il vend des impreffions de
globes & de ípheres en feuilles depuis quatre jufqu'à
douze pouces de diamettre , comme les globles
de tous les fyſtèmes à très jufte prix . On trou
ve anffi chez lui des Cartes de Geographie des
meilleurs Auteurs , & des plus nouvelles. Il de◄
meure toujours même maiſon , ruë S. Julien le
pauvre à côté du Commiffaire entre la rue Galande
& la rue de la Bucherie à côté du petit Châtelet
à Paris ,
AUTRE.
Le fieur GAROT , annoncé dans le dernier
Mercure , pour fon Eau des Sultanes , demeure
prefentement , rue d'Orléans Saint Honoré , chez
le fieur Dreau , Marchand Chaudronnier , au fecond
étage.
AOUST.
17521 212
ARRESTS NOTA BLES.
Rdonnance du Roi , du 16 Octobre 1750,
chefort.
Autre , du premier Mai 1752 , pour régler la dif
tribution des Congés d'ancienneté.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 2 Mai 1752,
qui modere les droits d'entrée du tarif de 1664 ,
ceux de fubvention par doublement , & de jauge
& de courtage , à cinq livres trois fols dix deniers
par tonneau de vin contenant trois muids & demi
mefure de Paris , fortant du Comté Nantois pour
entrer par terre dans plufieurs paroifles des Provinces
d'Anjou & du Poitou ; & à fept livres quinze
fols neuf deniers fur le même vin qui fera voituré
par la riviére de Loire dans lefdites paroifles ,
non compris les quatre fols pour livre,
Autre , da 9 Mai 1752. qui établit des précau
tions pour affurer la perception des droits d'Aides
fur les boiffons qui fe confomment dans les forêts
de la Province de Normandie , prévenir les fraudes
& abus qu'occafionnent les exceffives confommations
qui fe font dans lesdites forêts , tant par les
ventiers , bucherons , ouvriers qu'autres : ordonne
aux adjudicataires des bois de défarmer lefdits bu
cherons & ouvriers , defquels ils font déclarés refponfables
: & attribue à Meffieurs les Intendans la
Connoillance des contraventions audit Arrêt,
214 MERCURE DE FRANCE.
Ordonnance du Roi , du 15 Mai 1752 , concer
nant l'habillement , l'équipement & l'armement
des Régimens de Huffards.
Autre ,
des Sujets de Sa Majefté , qui s'étant engagés
dans les Régimens étrangers , font reclamés &
rendus à des Capitaines François.
du 23 Mai
1752
, Concernant
le fervice
Autre , du 30 , pour la création de quatre places
de Colonel au Régiment des Grenadiers de France.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du même jour ',
qui fupprime différens Ecrits & Gravure.
Edit du Roi , donné à Verfailles , au mois de
Juin 1752 , portant fuppreffion de deux charges
d'Intendans & Contrôleurs généraux de l'Argenterie,
menus- plaifirs & affaires de la Chambre du
Roi; & création de trois pareilles charges.
Ordonnance du Bureau des Finances de la Généralité
de Paris , du 23 Juin de la même année ,
portant défenfes , à peine de vingt livres d'amende
, & en cas de récidive , cinquante livres , à toutes
perfonnes , de quelque rang & condition qu'elles
foient , de poler & étaler aucune chofe
embarraffer les rues , chemins , paffages , quais ,
pouts & voie publique.
pour
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 28 , portant
fuppreffion d'un Livre imprimé fans permiffion ,
qui a pour titre, J. J. Languet Archiepifcopi Senonenfis
, antea Epifcopi Sueffionenfis , opera omnia , & ,
A O UST.
1752. 215
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , da 25 Juillet
1752. qui fupprime deux Ecrits imprimés fans
permiffion , l'un intitulé , Lettre de M. l'Evêque
'Amiens au Roi, l'autre fans titre , mais qui paroît
être une Lettre écrite au Roi par dix - neuf Evê,
ques :
J
APPROBATION.
'Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chance
lier , le Mercure de France , du mois d'Aoûr.
A Paris , le 2 Août 1752,
P

LAVIROTTE.
TABLE.
IECES FUGITIVES en Vers & en Profe
A M. l'Abbé de Voifenon ; Rondeau irrégu-
3
lier ,
Affemblée publique de l'Académie Royale des
Belles- Lettres de la Rochelle , tenue le 19 Avril
1752 . S
31
Sur le détachement de cette vie. Par M. Teralde ,
Gentilhomme d'Anjou ,
Séance publique de la Société Littéraire d'Arras ,
tenuë le 18 Mars 1752 , 33
Epitre de M. de la Soriniere , à M. l'Abbé d'Artigny
, Auteur des cinq volumes des nouveaux
Mémoires d'Hiftoire , de Critique , & c.
A l'Auteur du Mercure ,
41
42
Mufette , fur l'air , Espoir flatteur , & c, de la Parodie
des Bergers de qualité ,
44
45.
Séance publique de l'Académie Royale de Chirur
gie , tenue le Jeudy 13 Avril 1752 ,
216
A Mademoiſelle Sodulf. 68
Réflexions que j'ai faites fur moi - même. Par
***.
Ode fur la folitude.
69
87
Defaveu de l'Académie de Dijon , au ſujet de la
réfutation attribuée fauffement à l'un de fes
Membres ,
Problème ,
90
92
Mots de l'Enigme & des Logogriphes du Mercure
de Juillet ,
Enigme ,
93
Ibid.
Eflai d'une efpece nouvelle d'Enigmes , plus utiles
que celles qu'on lit ordinairement.
Logogriphe ,
Nouvelles Littéraires ,
Beaux- Arts ',
94
95
97
124
Cephale & Procris , Romance , par Mlle de *** .
Spectacles ,
Concerts à la Cour ,
Lettre à l'Auteur du Mercure ,
Lettre à Monfieur Chevrier ,
Nouvelies Etrangeres ,
166
171
173
Ibid.
175
177
France , nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 188
Benefices donnés , 194
Mariages & morts ,
195
Lettre de M. André , &c. 203
Maniere d'accomoder le Riz , 206
Lettre de M. *** à l'Auteur du Mercure , 209
Lettre à M. d'Arcy ,
211
Avis ; 212
Arrêts Notables , 213
La Chanfon notée doit regarder lapage 166
De l'Imprimerie de J. BULLUT.
MERCURE
DE FRANCE ,
DĚDIE AU ROI.
SEPTEMBRE . 1752 .
LIGITUT
SPARGAT

Chez
Ter
A PARIS ,
La Veuve PISSOT, Quai de Conty;
à la defcente du Pont- Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais.
JACQUES BARROIS , Quai
des Auguftins , à la ville de Nevers.
DUCHESNE rue Saint Jacques ,
au Temple du Goût.

M. DCC. LII.
Avec Approbation & Privilege duRoi,
L
A VIS.
'ADRESSE du Mercure eft à M. MERIEN,
Commis au Mercure , rue des Foffez S. Germain
l'Auxerrois , au coin de celle de l'Arbre foc , pour remettre
à M. l'Abbé Raynal .
Nous prions très-inftarnment ceux qui nous adreſſe
ront des Paquets par la Pofte , d'en affranchir le port,
pour nous épargner le déplaifir de les rebuter , & à eux
celui de nepas voir paroître leurs Ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays Etrangers ,
quifouhaiteront avoir le Mercure de France de la pre
miere main, plus promptement ,
n'auront qu'à
écrire à l'adreffe ci-deffus indiquée.
On l'envoye auffi par la Pofte, aux personnes de Province
qui le defirent , les frais de lapofte ne font pas
confidérables.
On avertit auffi que ceux qui voudront qu'on le porte
chez eux à Paris chaque mois , n'ont qu'à fairefçavoir
leurs intentions ,leur nom & leur demeure auditfieur
Merien,Commis au Mercure ; on leur portera le Mercure
très-exactement , moyennant 21 livres par an , qu'il:
payeront , fçavoir , 10 liv.. 10f. en recevant lefecond
volume de Juin , & 10 l . 10 s. en recevant le fecond
volume de Décembre On les supplie inflamment de
donner leurs ordres pour que tes payemensfoient faits
dans leurs tems.
envoye
On prie auffi les perfonnes de Province , à qui on
le Mercure par la Pofte , d'être exactes à faire
payer au Bureau du Mercure à la fin de chaque femeftre
, fans cela on feroit hors d'état de foutenir les
avances confidérables qu'exige l'impreffion de ces
ouvrage.
On adreffe la même priereaux Libraires de Province.
Les perfonnes qui voudront d'autres Mercures que
eux du mois courant , les trouveront chez la veuve
Pilot , Quai de Canti..
PRIX XXX. SOLS.
MERCURE
DE FRANCE ,
1
DÉDIÉ AU ROL
SEPTEMBRE. 1752 .
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
t
ODE
AU ROI DE POLOGNE ,
Duc de Lorraine & de Bar , & c.
Es bords fortunés de la Seine ,

Où des Lys brille la fplendeur ,
Quel pouvoir inconnu m'entraîne
Aux lieux que STANISLAS remplit de
fa grandeur ?
Moins ébloui d'une couronne
Que de la vertu qui la donne ,
A ij
4 MERCURE DE FRANCE.
Je cherche l'homme dans le Roi.
Objet digne de mon hommage ,
Le Guerrier , le Sçavant , le Sage ,
Grand Prince , tout l'homme eft en toi,
****
De tes brillantes deftinées
La victoire annonça le
cours ,
Tes palmes de ton fang baignées
Intereffent l'Europe au falut de tes jours.
Sous les yeux d'un autre Alexandre , (a)
Je te vois dans le Nord en cendre
Semer la mort & les débris :
Charles te voit , Charles lui- même
Admire ta valeur fuprême ,
Et la Pologne en eft le prix.
Quelle gloire pour ta patrie ,
Mere fertile en demi- Dieux ,
Si moins d'elle- même ennemie
Elle eût connu le prix de ce préfent des Cieux !
Plus heureuſe encore que jufte ,
Elle trouve dans un Augufte
Le feul qui put te fucceder.
Toi, STANISLAS , le Ciel te donne
Un autre peuple , un autre trône
Plus digne de te poffeder.
(a) Charles XII.
SEPTEMBRE. 1752
fea
Ouvre tes portes triomphales ,
LORRAINE , & reçois ton Titus.
Dans tes immortelles annales ,
Par un jufte retour , confacre fes vertus.
Pere tendre , Héros magnanime ,
Le Romain vainqueur de Solyme
Compta fes jours par fes bienfaits :
Ton Roi plus fenfible & plus tendre ,
'A pleines mains court les répandre ;
Les grands coeurs ne comptent jamais,
炒菜
Il regne: déja je vois naître
La troupe Sçavante des Arts .
Je vois déja ton nouveau maître
Animer les talens du feu de fes regards .
Devant lui la molle indolence ,
L'erreur aveugle & l'ignorance
S'abîment au fonds des enfers.
Sa voix enfante les prodiges ,
Elle anéantit les preftiges ,
Et crée un nouvel Univers .
XX
Quel immenfe amas de volumes
Aflemblent fes foins vigilans !
Ranimez vous , célébres plumes ,
La demeure des Rois & celle des Talens. ( a)
(a) Le Roi a fait placer dans fon Falais une nom
brenfe Bibliothéque , qu'il a voulu rendre publiques
A iij
6 MERCURE DE FRANCE
C
Dans ces monumens autentiques ,
Ouverts aux recherches publiques ,
On puife l'immortalité.
Refolvez -vous , fombres problêmes,
Difparoiffez , hardis fiftêmes ,
Regnez aimable vérité,
Envain la chicane affamée ,
Par des fophifmes captieux
Plonge l'innocence opprimée
Dans le dédale obfcur des droits litigieux
Envain les fleaux de la terre
Aux Mortels déclarent la guerre ,
STANISLAS , tu leur tends la main .
Des Dieux & des Loix noble organe ,
Tu triomphes de la chicane , (4)
Des eaux , (6) des feux (b ) & de la faim. (6)
炒茶
Nobleffe illuftre & malheureuſe , (c).
Reprenez votre antique éclat ;
(a ) Le Roi a établi un Tribunal , qu'on appelle
Chambre des Confultations , où les plus habiles
Avocatsjugent les procès des Pauvres gratis .
(b) Fondations pour réparer les malheurs caufés
par les eaux , les incendies , les maladies épidémiques
la perte imprevue des biens , & la difette.
(c) Etablissement pour douze Gentils- hommes , fondé
a Pont à Mouffon , avecfalle de Mathématique.
2
SEPTEMBRE.
1752 7.
D'un Roi la bonté généreuse
Vous rend à votre gloire , à vous même , à l'Etat .
Et toi , dans la grande ame empreinte ,
Religion fublime & fainte , (a)
Tonne , inftruit , éleve ta voix ;
Et qu'une crainte falutaire
Change les enfans de colere
En vrais difciples de la Croix.
Toujours paisible & triomphante ,
Dans le fein d'un calme profond ,
Que la Lorraine Aoriflante
Jouifle des beaux jours dont fon Roi lui répond!
Que fon tutelaire génie
Conferve long- tems une vie
Qui ne devroit jamais finir.
Loin du tumulte de la guerre ,
Faire le bonheur de la terre ,
Lft plus que de la conquerir.
***
Mais déja la reconnoiffance
Lui prodigue les plus beaux noms. (b)
Quel nom lui donnera la France ,
Qui reçut de fa main le plus cher de fes dons !
Le Ciel choifit dans fa famille
(a) Miffion Royale.
(b) On a donné au Roi le titre glorieux de Biene
faifant.
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE.
Une Efther ,fon augufte fille ,
Pour remplir le trône des Lys.
Son fein , fource pure & féconde ,
Va donner des maîtres au monde ,
Et des fuccefleurs à Louis.
*XX
Grand Prince , de ma foible lyre
Agrée & l'hommage & les chants &
C'est la vérité qui m'inſpire ,
Le zèle m'a dicté ces fideles accens .
Né François , envain la cenfure
Voudroit m'accufer d'imposture ;
L'avenir ne la croiroit pas.
Mais qu'elle apprenne à me connoître
Si je n'avois Louis pour Maître ,
Je voudrois avoir STANISLAS.
J. B. GUIS , de Marſeille
SÈPTEMBRE . 1752.
LETTRE
AM. de Voltaire , fur quelques endroits du
buitiéme volume de fes Euvres , in- 12 .
édition 1751 , par M. des Forges Mail-
Lard.
S'The
' Il vous refte , Monfieur , quelque étincelle
de cette amitié , dont vous m'a
vez prodigué de fi précieux témoignages
dans vos Lettres , non- feulement pendant,
qu'un hazard , dont je crois vous avoir
rendu compte , me fit jouer fur la fcéne littéraire
le rôle de Tiréfie , mais encore
depuis que j'ai reparu au Parnaffe avec ma
toge virile & ma barbe ; & enfin , fi vous
pouvez être un peu flatté du fuffrage de
quelqu'un , qui vous eft attaché par les
fentimens d'une fincére eftime & d'une
jufte vénération , vous trouverez bon que
je vous dife , avec combien de plaifir je
viens de lire le huitiéme volume de vos
Euvres , imprimées en 1751. Vers ou
profe , vos ouvrages ont un caractéré de
beauté , qui leur eft propre , & qui fait
reconnoître par tout M. de Voltaire .
C'eût été la lecture de votre Recueil ,
A v
IC MERCURE DE FRANCE.
qu'auroient pû recommencer toujours avec
le même plaifir & le même goût , ces folitaires
campagnardes , qui croyoient que
Dom Quichotte étoit le feul Livre qui fût
au monde , outre les grands Livres du Lutrin
de leur Paroiffe , & les Heures qu'elles
portoient à l'Eglife . Je vais vous en
faire le conte en peu de mots , fi VOS OCcupations
vous permettent de me donner
un moment d'audiance. Une perfonne de
mes amis me dit qu'un procès , ce monftre
qui fouvent fait trouver des parentés heureufement
perdues , & qui produit des
connoiffances plus qu'on n'en veut , l'avoit
obligé d'aller voir une Dame qui vivoit
retirée dans fa Terre , avec les deux
filles . I la trouva dans un Château qui
ne fentoit pas l'opulence , en compagnie
de fes deux Demoifelles , & toutes trois
avec des vifages , tels qu'on les peint aux
anciennes Sabines ,
Sabina qualis aut peruftafolibus
Pernicis uxor Appuli.
Il demanda à cette Dame en converfant
avec elle , s'il y avoit long- temps qu'elle &
fesDemoifelles n'avoient été en ville ; 20 ans
au moins , répondit la Dame , que nous ne
nous fommes éloignées de cette campagne
& des bois , dont elle eft environnée . Vous
SEPTEMBRE. 1752. II
devriez , lui dit - il , vous bien ennuyer
d'une folitude fi fuivie ; point du tout , interrompit
l'aînée des filles , nous nous promenons
, nous veillons aux affaires ruftiques
, & nous lifons . Me feroit - il permis ,
reprit-il , de vous demander quels font
les beaux livres dont la lecture vous divertit
ou vous occupe ordinairement ?
Dom Quichotte , dit une des filles . Mais
Dom Quichotte , ajouta t- il , ne fuffit pas
pour fournir à vos lectures depuis tant
d'années. Pardonnez - moi , dit la Dame
quand nous l'avons tout lû , nous le recommençons
. Vous voyez que ces trois
perfonnes s'imaginoient que leur territoire
étoit , pour ainfi dire , toute la terre habitable
, & qu'ayant lû Dom Quichotte , on
avoit tout lû . C'eft ce qui me fait dire ,
Monfieur , qu'elles ne fe fuffent pas trompées
, fi avec une teinture d'éducation elles
avoient poffedé le Recueil de vos OEuvres
, où l'on trouve morale , Hiftoire ,
Philofophie , Critique , Poëfies fublimes ,
légères , & toujours exquifes , Hiftoriettes
, dont les fictions naturelles & variées
peignent avec élégance & vérité , les fitua
tions , les mouvemens & les fecrettes avantures
du coeur humain , en un mot où l'on
trouve tout ce qui peut inftruire & délaffer
l'efprit. Quand je dis l'efprit , j'entend
A vj
12 MERCURE DE FRANCE:
: auffi le coeur car c'eft à mon avis quelque
choſe de fingulier & même de rifible , que
cette diftinction perpétuelle , que l'on fait
depuis plus d'un demi fiécle , de l'efprit
& du coeur ; fubtilités creufes , que la faine
raifon ne peut pénétrer , & qui doivent
leur origine , fi je ne me trompe , à cette
réflexion morale de M. le Duc de la Rochefoucault
, l'efprit eft toujours la dupe du
coeur , & à plufieurs autres maximes du même
Auteur , qui roulent fur la même fineffe.
Depuis cette époque le ballotage cimétrifé
d'efprit , coeur , fentiment , penſée ,
conftitue l'homme de Lettres , & le Philofophe
à la mode. On fait avec ces quatre
termes , tournés & retournés des Opera ,
des Elégies , des Epîtres en vers , & l'on
trouve dans leur anatomie chimérique , de
quoi compofer des Livres en profe qui ne
finiffent jamais.
Votre huitiéme volume , dont j'ai parlé
ci-devant , Monfieur , commence par de
fages confeils , que vous donnez à un Journalifte.
Vous lui indiquez les moyens de
plaire à tous les goûts , dans une carriere
moins aifée à remplir , que le Public ne ſe
l'imagine.
Quoique vous fçachiez tout , Monfieur ;
& que je ne fçache rien , mais affez raifonnable
pour en être convaincu , &
SEPTEMBRE. 1752. I
pour ne m'être point aveuglé par cette
mauvaiſe honte , dont Horace fe mocque
dans fon Art Poëtique :
Cur nefcire pudens pravè , quam difcere malo !
Cependant après avoir lû votre chapître
intitulé , Des mêlanges de littérature & des
anecdotes littéraires , où vous donnez cet
équitable précepte , n'oubliez jamais en rapportant
les traits ingénieux de tous ces livres ,
de marquer ceux qui font à peu près femblables
chez les autres peuples & chez nos Anciens
, je me fuis étonné que vous eufliez
omis d'avertir , que la chanfon de l'Aureur
du Double veuvage , qui m'a toujours paru ,
comme à vous fort jolie & que vous rapportez
page 19 de ce volume , ait été toute
imitée de la foixante - quinziéme Epigramme
du dixiéme Livre de Martial. Pour
prouver ce que j'avance , je vais tranfcrire
ces deux petits ouvrages ;
Philis plus avare que tendre ,
Ne gagnant rien à refufer ,
Un jour exigea de Liſandre
Trente moutons pour un baifer.
Le lendemain nouvelle affaire ,
Pour le Berger le troc fur bon ;
Car il obtint de la Bergère ,
Trente bailers pour un mouton.
14 MERCUREDE FRANCE .
Le lendemain Philis plus tendre
Craignant de déplaire au Berger ,
Fut trop heureuſe de lui rendre
Tiente moutons pour un baiſer.
Le lendemain Philis plus fage
Auroit donné moutons & chien
Pour un baifer , que le volage
A Lifette donnoit pour rien.
Si ces vers font le procès à l'avarice des
femmes , ils le font auffi à l'avarice des
hommes; & je me défie bien que votre Lifandre
ne lâcha prife , qu'après qu'il cut
ratrapé le mouton , qui reftoit à Philis ,
outre les trente qu'elle lui avoit rendus.
Ms font en même tems connoître l'inconf
tance des Amans , qu'un nouvel objet dégoûte
bien vite de celui qu'ils avoient le
plus tendrement aimé . Lifandre méritoit
bien à fon tour que Lifette , après lui avoir
efcamoté toute fa Bergerie , l'eût planté là
pour reverdir. Les belles femmes font les
plus parfaits chef d'oeuvres de la Nature.
Elles n'ont été formées avec tant de charmes
, que pour être aimées des hommes
avec fidélité. Je fuis toutefois prefque fûr
que les hommes ont été infideles les premiers.
La multiplicité des femmes qu'ils fe
fontpermifes peu de tems aprèsleur création ,
SEPTEMBRE. 1752. 15
par des loix qu'ils ont faites fans la parti
cipation de ce fexe enchanteur , qu'ils fe
font bien gardé de confulter là- deffus , eft
une preuve indubitable du fond de leur frumeur
volage & de leur facilité à s'ennuyer
de tout . Nous ne voyons pas que les Amazones
ayent eu envie d'établir des loix
femblables fur les bords du Thermodon
où leur fouveraineté les laiffoit maitreffes
d'en faire à leur gré.
Mais revenons à nos moutons , Monfieur
, & vous conviendrez que votre petite
Ode Françoife avec toute fa gentilleffe
n'eſt que la copie de l'Epigramme de Martial
que voici :
Millia viginti quondam me Galla popofcit ,
Et fateor magni non erat illa nimis.
Annus abit , bis quina dabis feftertia dixit ,
2
Pofcere plus vifa eft quam prius illa mihi.
Jam duo pofcenti poft fextum millia menfem ,
Mille dabam nummos , noluit accipere.
Tranfierant bine forfan ternave kalenda ,
Aureolos ultrò quatuor ipfa petit.
Non dedimus , centum juffit me mittere nummos
Sed vifa eft nobis hac quoque fumma gravis
Sportula nos junxit quadrantibus arida centum ,
Hanc voluit , puero diximus effe datam.
Inferius numquid potuit defcendere ? fecit.

Datgratis, Ultrò dat mihi Galla , nego.
1
16 MERCURE DE FRANCE :
Quoiqu'il foit très- clair que le François
eft une imitation fuivie du Latin , il faut
avouer que la copie eft bien fupérieure à l'original
, qui n'a ni la même fineffe ni la même
précision. Le fond de la piece Françoife
eft mieux choifi. C'est un tableau allégori
que & naïfdu fort des femmes galantes à différens
âges. Les couleurs en font fimples
mais agréables , & la pudeur la plus fufceptible
n'en peut être offenfée ; au lieu que
dans la plupart des meilleures épigrammes
de Martial , l'efprit & l'élegance y font
falis comme dans Catulle & Petronne ,
par les obfcenités les plus crues & les plus
groffieres. C'est ce qui dégoûte un efprit
honnête & délicat , & ce qui le fait fou
vent renoncer à la lecture du livre entier.
Le parallelle des deux piéces ci devant
rapportées , préfente une jufte application
de ces deux vers de l'Art Poëtique de Defpreaux
,
Le Latin dans les mots brave l'honnêteté ,
Mais le Lecteur François veut être reſpecté.
C'eft penfer au profit de la Litterature ,
Monfieur , que de dire , comme vous fai
tes , que ce feroit perfectionner le goût
fans nuire aux moeurs , de rapporter une
chanfon auffi jolie que celle de l'Auteur
du Double veuvage. Ces petits ouvrages
SEPTEMBRE. 1752. 17
de l'efprit reffemblent à des pierres précieufes
qui bien que la nature ne les ait pas
formées du même volume que d'autres ,
gagnent quelquefois par l'éclat vif & pur.
qu'elles répandent , ce qui leur manquent
du côté de la groffeur. Mais c'eft rendre à
l'exacte probité un tribut qu'elle exige ,
que de juger avec vous , qu'il eft d'un
coeur reconnoiffant ( & la reconnoiffance
n'eft jamais de trop ) de faire honneur aux
Auteurs , anciens propriétaires , des richeſ
fes qu'ils nous ont communiquées .
Un certain Petit a dit dans je ne fçais
quel endroit de fes Poëfies ,
Ah ! fi fur le Parnaffe on pendoit les voleurs ;
Que l'on verroit en l'air de fquellettes d'Auteurs
Mais ce n'eft point voler dans le grand.
chemin des Belles- Lettres , que d'avouer
la dette , & c'eft payer le bienfaiteur dans
le cas dont il s'agit , que de lui témoigner
de la gratitude.
Faites-moi la grace de me dire auffi ,
Monfieur , s'il ne vous femble pas que Matherbe
ait fait le fonnet que je vais rappor
ter d'après l'épitaphe Latine que je tranfcrirai
d'abord. Elle eft de Jean Second ,
Poëte , Peintre & Graveur , né à la Haye
en 1511 & mort à l'âge de 25 ans en 1536,
environ vingt années avant la naiffance de
18 MERCURE DE FRANCE.
+
Malherbe. Je m'étonne de ce que Moteri
à l'article de Jean ſecond , ayant parlé de
la gloire qu'il s'eft acquife par fes Epîtres
& fes Elegies , n'ait fait aucune mention.
de la partie de fes Poëfies intitulée Baſia ,
laquelle a plus étendu fa réputation que le
refte de fes oeuvres ; je crois bien que cette
remarque ne fera point échapée à l'intelligence
& à la fagacité de mon illuftre ami
& confrere dans l'Académie d'Angers , le
fçavant Abbé Goujet , dans fes Supplémens
au Dictionnaire de Moréri. Il eft vrai
que
le Livre des Bafia du Poëte Hollandois ,
eft peut -être
-être ce que l'on a jamais fait de
plus galant & de plus délicat en ce genre.
Je mets Jean fecond bien au-deffus de Bonnefonds.
Celui - ci n'eft , pour ainfi dire
qu'un Poëte de mots , & l'autre avec toute
l'élégance & toutes les graces du ftile , eft
un Poëte de fentimens . On en peut juger
par ce feul morceau , dont le titre eft Ba
Sium 3 .
Da mihi fuaviolum , dicebam , Blandapuella ,
Libafti labiis mox mea labra tuis.
Inde velut preſſo qui territus angue refultat ;
Ora repentè meo vellis ab ore procul.
Non hoc Suaviolum dare , fed dare tantùm
Eft defiderium flebile fuavioli.
i 19
SEPTEMBRE . 1752 .
Je fuis furpris de ce que ce joli Poëte foit
fi peu connu de nos François . Mais dès que
nos jeunes gens fçavent les regles des vers,
il s'imaginent être affez habiles , & toute
fois , comme dit Petrone : Non magis fapere
poffunt quam bene olere qui in culina habitant.
Reprenons le parallele du Sonnet de
Malherbe & de l'Epitaphe faite
fecond.
par Jean
Margareta Maximiliani Cafaris filia,
EPITAPHIUM.
Cafaribus proavis & cafare clara Nepote ,
Margaret& Auftriaci fata femine Maximiliani ,
Illa ego , qua mihi veri moderamine Belgos ,
Et per foemineas percuffo foedere dextras
Difcordes populos tranquilla pace beavi ,
Hicfato depreffa cube , tellus que tenebit
Nefcio quid noftro de corpore pulveris atri .
Luftra decem vita Lachefis vix noverat ; &mox
Stamina Parcaferox fatalia rupit , iterque
Ire per obfcurum nulli remeabile juffit.
At vos plebeio geniti de fanguine quandò
Ferrea nec nobis didicerunt fata , nec ullis
Parcere nominibus ; patientiùs ite fub umbras
to MERCURE DE FRANCE:
Voici le fonnet de Malherbe ;
EPITAPHE.
De feu M. Le Duc d'Orleans.
Plus Mars, que Mars de la Thrace
Mon pere victorieur ,
Aux Rois les plus glorieux
Ota la premiere place.
Ma mere vient d'une race ,
Si fertile en demi-Dieux ,
Que fon éclat radieux
Toutes lumieres éface.
Je fuis poudre toutefois
Tant la Parque a fait les loix
Egales & néceflaires .
Rien ne m'en a fçû parer ;
'Aprenez , ames vulgaires ,
A mourir fans murmurer.
Le titre de ce Sonnet a quelque chofe
de fort fingulier , Epitaphe de feu Monfieur,
c. Qui doute qu'un Prince , dont on faifont
l'Epitaphe ne fût mort. Cefen eft donc
inutile & devoit être fupprimé par Malherbe
, & par MM. de Port Royal , qui
ont copié cette faute dans le recueil de
Poëfie, qu'ils ont donné fous le nom de La
Vil
15
SEPTEMBRE. 1752. 21
Fontaine , parce que c'eft comme fi l'on difoit
Epitaphe de M. le Duc d'Orleans qui
eft mort. Au furplus ce Sonnet eft extrêmément
enflé , Aut dùm vitat humum nubes &
inania captat. Sa vraye beauté confifte feulement
dans la fin qui eft toute prife de
Jean fecond , comme on l'a vû. Si Malherbe
avoit fait fon profit de la lecture des
Ouvrages de ce Poete Latin , le fameux
Rouffeau le connoiffoit auffi ; & il paroît
qu'il l'avoit lû avec la même attention . Ce
que vous allez voir encore dans une de fes
Epigrammes . Elle feroit une traduction
litterale du 13 baiſer de Jean ſecond , s'il
avoit donné à la copie toute l'étendue de
l'original :
Languidus è dulci certamine , vita jacebam;
Exanimis fusâ per tua colla manu .
Omnis in arenti confumptus fpiritus ore
Flamine non poterat cor recreare novo.
» Jam Stix antè oculos , & regna carentia fole¦
Luridaque annofi cymba Carontis erat.
ל כ
» Cùm tu fuaviolum educens pulmonis ab imo ,
Afflafti ficcis irriguum labiis ;
ל כ
» Suaviolum ftygia , quod modo valle reduxit ;
» Et juffit vacua currere nave ſenem:
» Erravi , vacua non remigat ille carina ,
» Flebilis ad manesjam natat umbra men
22 MERCURE DE FRANCE.
» Pars anima , mearita , tus hoc in corpore vivit ,”
Et dilapfuros fuftinet articulos.
Que tamen impatiens in priftina jura reverti ,
Sapè per arcanas nititur agra vias,
Ac nifi dilecta per tefoveatur ab aura ,
Jam collabentes deferit articulos.
Ergo age , labra mers innecte tenacia labris ,
Affiduèque duosfpiritus unus alat ,
Donec inexpleti per tadia fera furoris ,
Unica de gemino corpore vita fluet.
Cette petite piece vaut , felon moi tout
ce qu'Anacréon & Tibule ont fait de plus
délicat. Rouffeau avoit donc bien choisi .
Cependant en quelque vénération que foit
dans mon coeur la mémoire de ce grand
Poëte , qui me faifoit l'honneur de m'aimer
,je ne puis m'empêcher de dire , combien
je fuis fâché que l'original ait perdu
une partie de fes graces dans la copie que
vous allez relire , & qui ne devoit certai
nement point être faite en ftile de Marot ;
mais fon penchant l'avoit féduit ,
Prêt à defcendre au manoir ténébreux ,
Jà de Caron j'entrevoyois la barque ,
Quand de Califte un baifer amoureux
Me rendit l'ame , & vint frauder la Parque ;
Lors de fon Livre Eacus me démarque ,
Et le Nocher tout feul l'onde palla ;
SEPTEMBRE.
1752 . 23
Tout feul je faux , mon ame traversa
Le fleuve noir ; mais Califte , Caliſte ,
En ce baifer dans mes veines gliſſa
Part de fon ame , avec quoi je fubfifte.
Il eſt une obſervation critique à faire
fur le cinquiéme vers de l'épigrame , c'eſt
que le bureau d'Eacus eft censé être au-delà
du Stix , & qu'il devroit être en - decà ,
pour la jufteffe du fens de cette petite piéce
: car ce Juge d'Enfer ne pouvoit pas démarquer
Rouleau de fon Regiftre , qu'il
ne l'y eût marqué , ce qui eft fans apparence
puifqu'il ne faifoit jufques - là
qu'entrevoir la barque du Nocher infernal
qui devoit enfuite paffer fon ame de
l'autre bord. D'ailleurs Rouffeau avoir mis
Themite , & non Caliſte , dans l'edition
de Soleure ; & j'aimois mieux ,
,
Mais Themire , Themire,
En ce baifer dans mes veines gliſla
Part de fon amie avec quoi je refpire.
que le changement qu'il a fait dans les
éditions fuivantes ; mais il faut qu'il ait
cru que fubfifte qui rimoit avec Califte ,
étoit plus propre à rendre l'expreffion de
la penfée de Jean Second ,
Et dilapfuros fuftinet articulos
24 MERCURE DEFRANCE.
Dans la multitude des friponneries littécaires
, que j'ai remarquées , il n'en eft
point qui m'ait autant déplû que celle que
l'Auteur de l'Hiftoire amoureuſe des Gaules
a faite à Petronne . Il a traduit de fon
Roman fatirique & plus que galant , la
Lettre de Cercé à Poliénos , avec la réponſe
& le reste de l'avanture , pour mettre toute
la fcene , comme d'original , fur le compte
de perfonnes refpectables par leur naiffance
& peut-être par leur vertu . Elles fe
fuffent fort bien paffées , ce me ſemble , de
la réputation d'écrire en ftile épiftolaite
avec l'élégance & le feu de Petronne &
de s'être fi parfaitement rencontré avec
lui.
Je ne me fuis jamais plus figuré que
vous , Monfieur , que le Roman eût été
compofé du temps de Néron , ni que ce
Prince en pût être le Héros. Son caractere
ne s'y trouve aucunement repréſenté , &
le ftile de cette Satire n'eft point celui de
fa Cour. Elle eft l'ouvrage de quelque petit
Maître libertin du bas Empire , d'un
voluptueux , qui avec de l'efprit & de l'étude
, fe jouoit au gré de fa fantaiſie dans
une langue qu'il poffedoit , & dont l'élégance
déchue étoit devenue arbitraire. Il
eft dans ce Roman des mots latinifés de
diverfes langues . L'Italienne en a tourné
quelques -uns
SEPTEMBRE. 1752. 25
quelques- uns à fon ufage , comme il eft facile
de le remarquer. Mais entre plufieurs
exemples que je pourrois citer , je me contenterai
de celui- ci , planè mattus fum , je fuis
entierement hors de mon bon fens ; n'eft il
pas
vifible que les Italiens ont tiré de là leur
matto qui fignifie la même choſe ?
Ce qui fuit & ce qui precede le repas
de Trimalcion , les obfcénités à part , eft
femé d'uniques & vrayes beautés en leur
genre , & qui fentent le fumet de la bonne
antiquité. Pour ce qui eft de la Fête Bachique
, c'eft un ramas de contes de vieilles ,
de fuperftitions folles , de goinfreries exceffives
& chimériques , de fentences ufées,
& d'injures & de proverbes des Halles . Il
en faut pourtant excepter quelques endroits
qui font fort bien frappés. Je ne trouve par
exemple rien de plus admirable que la furprife
de Trimalcion , quand le Rhéteur
d'Agamemnon , qu'il invite à lui répeter la
déclamation qu'il a faite ce jour - là , ayant
commencé de cette maniere , Pauper &
dives inimici erant , un pauvre & un riche
étoient mal enfemble, Trimalcion l'arrête &
lui dit , Quid eft pauper ? Qu'est - ce qu'un
pauvre l'Auteur fair connoître par l'étonnement
de ce fameux débauché , que
les grands & les riches au milieu de leur.
opulence ignorent juſqu'au nom pauvre
du
B
26 MERCURE DE FRANCE.
& du malheureux . La vérité & la falfifica
tion de cette Orgie hétéroclite ont été for .
tement débatues dans les fçavantes differtations
de Wagenfeilius , d'Adrien de Va
lois & de Statileus . A l'égard des fragmens
que Nodot prétend avoir été trouvés à Bellegrade
, il eft certain qu'ils ont été fup ...
polés ; ils n'ont l'air que de morceaux poftiches
, affectés ; & ils font fi mal coufus ,
que le fil qui paroît par tout , décele les
piéces de rapport. Vous avez lû fans doute,
Monfieur , dans le Poëte Theophile une
Hiftoriete intitulée Lariffa. Les chofes y
font contées naturellement ; le Latin en eft
léger , expreffif & cavalier. Penfez vous
que s'il eût fait ferpenter dans le Public
que c'étoit un morceau d'antiquité , trouvé
dans une caffette de bois de cedre , en
fouillant d'anciennes ruines à Nîmes ou à
Arles , bien des gens ne l'euffent pas cru de
bonne-foi ?
Le Roman de Pétronne ou de celui qui
s'eft donné ce nom , eft un monstrueux
compofé de diffolu , d'honnête , de fou ,
de fenfé , de boufon , de férieux , de groffier
, de délicat , d'impertinente & d'exquife
Latinité . Mais que de vérité & de
feur dans fes peintures , quelle variété dans
fes penfées , que de fens dans fa morale.
Eft il rien de plus charmant & de plus aig
SEPTEMBRE. 1752 .
27
mable que le portrait de la courtilanne
Circé ? de plus frapant que les réflexions
d'Encoffe à la vue de Lycas noyé & pouffé
par le flot au rivage ? celles qu'il ajoute fur
les différentes manieres , dont l'homme eft
fujet à terminer le cours de cette vie fragile
, font d'une fi grande beauté , que je
ne fais aucun doute , que Thomas à Kempis
, ou Gerfon , n'ait puifé dans cette fource
les réflexions qu'il fait fur la mort. L. 1.
cap. 3. de fon Ouvrage de l'Imitation de
J. C. ouvrage le plus précieux que nous
ayons après nos faintes écritures ; ouvrage
traduit en toutes les langues , & qu'un Roi
de Maroc en le faifant voir à un Religieux
dans fa Bibliotheque , traduit en Langue
Turque , difoit être celui de tous les Livres
, dont il faifoit le plus d'eftime. Rapprochons
les deux morceaux de Thomas à
Kempis & de Petronne , fans prétendre
routefois comparer au furplus un livre G
faint , avec un Roman où le fcandaleux eft
fi multiplié qu'il ne peut être racheté par
l'édifiant ; mais Saint Paul ne cite t- il pas
les Poëtes Grecs , un paffage pouvant être
pris féparément , & fans conféquence pour
le refte ? je commence par celui de Petronne
, parce qu'il eft l'ancien : c'eft Lycas
noyé , comme on l'a dit , qui donne matiere
à ces Reflexions ; Sed non fola morta-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
libus hanc maria fidem præftant ; illum bel.
Lantem arma decipiunt , illum diis vota reddentem
penatum fuorum ruina fepelit , ille
vehiculo lapfus properantem fpiritum excuffit
, cibus avidum ftrangulavit , abftinentem
frugalitas. Si bene calculum ponas : ubique
naufragium eft. Voyons s'il eft poffible que
Thomas à Kempis fe foit fi parfaitement
rencontré avec Petronne , fans en avoir jamais
rien lû. Quoties audiftis à dicentibus ,
quia ille gladio cecidit , ille fubmerfus eft , ille
ab alto ruens cervicem fregit , ille manducando
obriguit , ille ludendo finem fecit , alius
igne , aliusferro , alius pefte , alius latrocinio
interiit , &fic omnium finis mors eft. Le détail
des fortes de périls eft plus étendu
dans celui- ci. Mais ou je ne connois rien à
la touche de ces deux Peintres , ou bien
cet endroit de Petrone eft l'original , dont
l'autre eft la copie . Ce chapitre 23 du L.
1. de Thomas à Kempis eft peut- être celui
que Pierre Corneille a traduit avec le plus
de fuccès dans la verfion en vers François
qu'il a faite de l'ouvrage entier. Voici la
ftrophe qui rend une partie des mots & dụ
fens du Latin que j'ai rapporté ,
Combien de fois entends- tu dire ;
Celui- ci vient d'être égorgé ,
Celui-là d'être fubmergé ,
SEPTEMBRE. 1752 .
༣ .
Cet autre dans les feux expire .
L'un écrasé fubitement
Sous les débris d'un bâtiment
A fini fes jours & les vices .
L'autre au milieu d'un bon repas ,
L'autre parmi d'autres délices.
S'eft trouvé furpris du trépas.
La ftrophe enfuite exprime le refte du
paffage avec la même force , cependant fi
ces vers n'étoient pas l'ouvrage d'un Auteur
auffi refpectable que l'eft le grand Corneille
, nos petits Maîtres en lifant ce vers :
l'autre dans d'autres délices , ne manqueroient
pas de matiere pour égayer leur
verve.
Thomas à Kempis ne feroit pas le feul
des Auteurs Eccléfiaftiques , qui fût redevable
de quelque chofe aux anciens Auteurs
profanes. Les Peres de l'Eglife , &
plufieurs même des plus célébres , tels que
S. Auguftin & S. Jerôme nous témoignent
en plufieurs endroits de leurs Ouvrages ,
que la Litterature Grecque & Latine n'étoit
pas pour eux un pays inconnu , c'eſt
pourquoi le Concile de Trente ad Regulam
VII, indicis lib . prohibit , ne deffend
qu'à ceux qui font dans un âge jeune en-
Core & fufceptible , la lecture des anciens
Auteurs du Paganiſme , Ethnicorum vete-
Bij
30 MERCURE DEFRANCE .
rum libri qui res lafcivas feu obfcoenas tractant
, narrant , docent , propter fermonis elegantiam
& proprietatem viris ad legendum ,
non pueris ad interpretandum permittuntur.
C'eft même , fi je ne me trompe , quelqu'un
de ces refpectables Auteurs , qui a
qualifié Petrone de ce titre laconique &
expreffif , Autor puriffima impuritatis .
Cependant il ne faut point affurer que
tout ce qui a du rapport dans une Langue
à tel ou tel paffage que l'on a lû dans une
autre , en foit une imitation faite à deffein.
On ne penfe plus que ce qui a été penſé ;
& c'eft ainfi que j'explique ce que Salomon
dit dans le premier chapitre de l'Eccl .
Nihilfub fole novum , nec valet quifquam dicere
hoc recens eft , jam enim praceffit in faculis
que fuerunt ante nos. Mais c'eft créer
& donner un nouvel être aux mêmes penfées
, que de les embellir d'un nouveau
tour & d'une nouvelle forme ; c'eſt pourquoi
Horace annonce qu'il va chanter des
chofes , non pas qui n'ont jamais été penfées
, mais qui n'ont jamais été ni entendues
, ni dites jufques à ce moment.
Carmina non prius
Audita , Mufarum facerdos ,
Virginibus pueris que canto . Lib. 3. Od. și
Dicam infigne , recens , adhuc
SEPTEMBRE . 1752 : 33
Indictum ore alio. Lib . 3. Od. 25:
La charmante Madame Deshoulieres a
fait un extrêmement joli Madrigal , qui
paroîtroit imité de ces quatre vers de la
quatorziéme élégie de Tibulle L. 1 .
Tunc tibi mitis erit , rapias tunc cara licebit
Ofcula , pugnabit , fed tamen apta dabiti
Rapta dabit primo , poſt offeret ipfa volenti
Poft etiam collo fe implicuiffe volet,
Alcidon contre fa Bergere
Gagea trois baifers que fon chien
Trouveroit plutôt que le fien
Un chalumeau caché fous la fougere.
La Bergere perdit & pour ne rien payer
Elle voulut tout employer.
Mais contre un tendre coeur c'eſt envain qu'on
s'obftine ;
Si des bailers gagés par Alcidon,
Le premier fut une rapine ,
Les deux autres furent un don,
Je ne crois pas que Madame Deshoulicres
fçût affez de Latin pour lire Tibulle ;
& il ne prendra envie à perfonne de traduire
en vers les beaux endroits des anciens
Poëtes , quand il n'y fera engagé que
par des traductions . Elle a imité , dira- t-on ,
la premiere Ode d'Horace ; j'en conviens ,
Biiij
32 MERCURE DE FRANCE.
mais il faut diftinguer entre les piéces de
détail , & celles d'enthoufiafme & de penfées.
La premiere Ode d'Horace n'eft qu'un
compliment à Mecènes ; c'eft un détail qui
peut fort bien fe rendre en vers François
fur une fimple traduction . A l'égard de fes
grandes Odes , qui font pleines de feu &
de penféės , comme Defcende coelo , &
prefque toutes celles du troifiéme Livre ,
je foutiens qu'on ne peut réuffir à les mettre
en vers François équivalens , à moins que
d'être animé & pénétré de tout le talent &
de tout l'efprit de l'original , conditions
qui ne peuvent être le fruit de la lecture
d'une traduction en profe . Ne fembleroitil
pas que M. le Cardinal de Polignac cût
traduit dans ce vers du premier Livre de
fon Anti- Lucrece , Sedatur potius victrix
quam victa cupido ,, ce que l'aimable Madame
la Préſidente Dreuillet , difoit en plaifantant
, & dont nos petits maîtres ont fait
une des principales maximes de leur Religion
, que le plus fur moyen de triompher de
la tentation , c'étoit d'y fuccomber. Je fuis trèsperfuadé
que ce célébre Cardinal , dont
tout le monde connoit la fcrupuleufe vertu
, n'avoit point en vue ce badinage ; Auffi
n'ai-je prétendu inferer de là que ces deux
obfervations , la premiere , que le feul hafard
peut produire des rencontres fembla
ce
SEPTEMBRE. 1752 .
33
bles , la feconde , que les mêmes pensées
peuvent avoir des applications tout- à- fait
différentes.
J'ai l'honneur d'être , & c.
MADRIGAL.
A Madame la Marquise d'Aubeterre
Enus , je fçais qu'Amour a fui de ton Empire?
Et qu'en proye au plus vif chagrin
Tu promets un bailer , à qui pourra te dire
Ou fe cache ce Dieu malin.
Ah! ceffe les regrets , où ton coeur s'abandonne į
Déeffe, dorne-moi ce doux baiſer promis
Ou fais qu'Ilmène me le donne ,
C'eſt dans les beaux yeux qu'eft ton fils
DELAUNAY, Payeur des Rentes,
By
34 MERCURE DE FRANCE:
A LA MEMOIRE D'UNE DAME
morte depuis peu.
POEME ANGLOIS.
Traduit par M. Defmars , Docteur en Meż
decine.
E
1.
Nfin dérobé à tous les regards , libre
de tous foins , & de tous devoirs , qui
puiffent partager mes triftes penfées , &
me forcer à fécher mes pleurs , je puis ,
dans ces fombres allées , retraite favorable
aux fouhaits amoureux , laiffer un libre
Cours à mes foupirs , & m'abandonner entierement
au déplaifir mortel , dont je fuis
penetré. Eft- il des maux que l'excès des
miens ne furpaffe autant que le bonheur le
plus parfait , dont jouit un Amant fortuné,
l'emporte fur les joyes vulgaires , objets de
nos défirs les plus communs ?
II.
Bocages épais , ruiffeaux qui coulez lentement
, & vous collines qui répandez au
SEPTEMBRE. 1752. 35
loin vos ombres , riantes prairies revétues
d'une immortelle verdure , vous avez fouvent
vû ma Lucie ! mais hélas ! vous ne la
reverrez jamais . Elle ne goutera plus vos
charmes champêtres , dont elle étoit fi fort
éprife. Ses beaux yeux font couverts d'une
éternelle nuit , fes beaux yeux où brilloient
la lumiere pure de la raiſon , & les divines
étincelles de la vertu.
III.
Dryades de ces Bois vous quittiez les
plas doux chantres du printems pour accourir
au fon de fa voix , quand elle daignoit
la faire entendre , la Fauvette & la
Linotte interrompoient leurs tendres accords
; le Roffignol gardoit le filence , & le
Berger oublioit fa flutte , tandis que toute
la nature prétoit une oreille attentive à fes
divins accens . Maintenant Fauvettes & Linottes
reprenez vos chants , & vous plaintive
Philomele , répetez l'hiftoire de vos
malheurs ; la mort vient d'éteindre cette
voix feule capable de furpaffer vos ramages.
IV.
Envain je porte mes regards vers tous
les endroits d'alentour , pour découvrir les
traces de ma chere Lucie ; envain je par-
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
cours nos promenades ordinaires , & cet
lieux où fouvent au milieu d'un tendre entretien
, nous avons vû le foleil en été terminer
fa carriere , elle ne peut fe trouver
ni au bord de cette fontaine , ni dans le
vallon qui en reçoit les eaux . Et dans cette
vafte étendue que mes regards embraffent ,
je ne puis rien appercevoir d'elle que cette
terre infortunée où repofent fes os..
སV.
O Jardins d'Hy ! qu'eft devenue
toute votre gloire la beauté qui vous habitoit
n'eft plus : vous , qu'elle préferoit à
tous les lieux où brillent avec éclat la vanité
des femmes , la pompe des Villes &
l'orgueil des Cours . Vos bocages écartés &
vos vallons fleuris lui fervoient de refuge
contre les regards d'un monde qu'elle rempliffoit
d'admiration : là n'ayant d'autre
compagne dans fa folitude que la Nature
& le Dieu de la Nature , elle marchoit
dans les fentiers de la vertu , & n'admet
toit dans fon ame que ces paffions excellentes
, dont la flamme facrée par fon énergie
divine anime un coeur vertueux , l'a
mour conjugal & maternel.
SEPTEMBRE. 37 1752. 1792.
VI.
Tendres enfans , qui femblables aux pe
tits de la biche , fuiviez votre mere le long
de ces vertes prairies , toujours attachés à
fes côtés ; qui déformais guidera vos pas
chancelans ? Ah ! qu'eft devenue cette
main fecourable qui vous auroit formé à la
vertu ' , & parfemé de fleurs les chemins
épineux de la vérité ? O perte irréparable !
opere infortuné , qui ne furvis que pour
pleurer leur malheureux fort & le tien !
comment pourra ton ame accablée fous le
poids de tes maux , & refoute en larmest
fur le tombeau de Lucie , s'acquitter des
devoirs que tu dois doublement , aujourd'hui
que le deftin te l'a ravie , & fauver
ces malheureufes victimes du vice & de la
folie.
que
VIL
Où étiez vous , Mufes , quand la Parinexorable
arracha de mes bras votre
aimable difciple , de ces bras , dont les efforts
fecondés par un amour impuiffant ,
repouffoient envain le trait mortel qui lui
a percé le fein. Ne pouviez-vous donc pasy.
filles de l'Hélicon , prolonger le deftin de
celle à qui vous aviez ouvert fans referve
votre Sanctuaire , lorfque , fous ces om1S
MERCURE DE FRANCE.
brages propres à recevoir vos infpirations,
vous lui reveliez les connoiffances des Sages
de l'antiquité , & les penfées de vos
Poètes les plus fublimes , en allumant dans
fon ame ravie votre propre efprit ?
VIII.
Ni le Pinde , ni les plaines de Caftalie
ni la fontaine d'Aganippe ne devoient arrêter
vos pas. Il ne devoit plus être queftion
de vos jeux dans les vallées de Thefpie. Les
bords du Mincio couverts d'ofiers , les
campagnes où le Clutumne roule lentement
fes flots , & ces Bois qui s'inclinent vers la
rive du rapide Anio , ainfi que le Mefl: &
l'Iliffe qui s'égarent dans leur route , devoient
être oubliés. Vous deviez tous vos
foins à cette éleve chérie , & il étoit de
votre honneur de ne la point abandonner
aux rigueurs d'une cruelle maladie , & de
la mort même.
IX.
Que lui fert-il maintenant d'avoir facrifié
le printemps de fa vie , & tous les
amuſemens frivoles , feuls plaifirs que ce
fexe connoiffe en cette faifon , pour fe livrer
fous vos aufpices à l'étude des Auteurs
Grecs & Latins , & de toutes les ri
ches, productions de l'Italie émule de la
SEPTEMBRE. 1752. 32
gloire de les anciens habitans ? Avec vouselle
fe laiffoit pénetrer de ce feu qui brille
dans les écrits des François , & qui femble
temperé & épuré par les graces ; vous approfondiffiez
enfemble les chefs d'oeuvre
des Anglois , qui ont tant de
part à vos
faveurs , dans lefquels la raifon & l'imagination
femblent confpirer mutuellement
pour atteindre la plus haute perfection .
Mais hélas ! de quelle utilité lui feront déformais
tous ces tréfors dont fon ame étoit
enrichie , & qui font enfevelis avec elle
dans les ténebres de l'oubli ?
X.
Au moins , Nymphes du Permeffe , c'eft
à vous de fauver fon nom du trépas , & de
le graver en caracteres d'or au Temple de
Mémoire . Venez donc , chaftes foeurs , venez
& repandez des fleurs choifies fur fon
tombeau;& vous plaintive Mufe, invoquée
jadis par l'infortunéPetrarque à venir pleurer
fur l'urne de fa Laure, venez la premiere
revêtue de vos habits de deuil , Faites entendre
des accens mêlés de douceur & de
trifteffe , verfez des larmes plus paffionnées
, & que vos fons foient plus touchans.
Ma Laure le mérite davantage.
40 MERCURE DE FRANCE:
XI.
Dites comment chaque trait de ce beau
vifage , & chaque belle qualité de fon amė
étoient accompagnées de quelque grace
touchante qui en relevoit l'éclat ; comment
fes regards éloquens annonçoient fidélement
fa penfée exprimée diftinctement
dans fes yeux . Dites comment fes
manieres épurées par l'ufage du monde
étoient abfolument exemptes des vices à
la mode , & allioient les charmes des Cours
les plus polies avec la fimplicité de la vé
rité & une innocence incorruptible. Par
quel art elle joignit une tendreffe au- delà
de celle de fon fexe à un jugement fupérieur
à celui du nôtre. Comment enfin
dans ces jours de profpérité & de joye ,
fouvent obfcurcis par les foucis que nous
caufe l'intérêt que nous prenons pour au
trui , fon coeur tendre & compatiffant aux
befoins & aux malheurs même des crimi
nels cherchoit à adoucir tous les maux en
procurant tous les foulagemens , que fa
bonté pouvoit lui fuggerer. Le rendre
agneau ou le chevreau expirant fous le cou
tean fanguinaire étoient capables de lui ar
racher des larmes , comme fi elle eût été la
mere commune de tous les Etres animés.
SEPTEMBRE. 1792. 43
XII.
Vous admiriez la force & l'élévation
d'efprit qui alloient de pair chez elle avec
la bonté & la douceur . Une ame également
fupérieure aux faveurs de la fortune & à
fes revers , capable de facrifier fans regret
au moindre devoir fes plus chers intérêts
ou ce que l'ambition a de plus flatteur , qui
ne connut jamais d'autre vengeance pour
maintenir fa dignité offenfée que celle
d'un genereux mépris. Un efprit vif &
brillant , mais temperé , & répandant fur
toute forte de fujets une lumiere agréable
fans jamais paffer les bornes de la fagefle ,
de la bienveillance , & de la modeftic.
Egalement éloignée de la méfiance & de la
crédulité , fa prudence la mettoit à l'abri
d'être trompée ou de tromper les autres.
Elle fçavoit méprifer les foupçons injuftes
qui ne font propres qu'à allarmer les ames
baffes , & fa fincerité étoit exempte de foibleffe
. Telle étoit Lucie , quand , dans fes
plus beaux jours , au milieu des louanges
qu'elle s'attiroit de toutes parts , à la fleur
de la vie & au fommet de fa gloire , l'impitoyable
mort vint trancher fes jours , &
la précipita dans le tombeau .
42 MERCURE DE FRANCE,
XIII.
Ainfi lorſque le Liris roule les eaux en
filence dans les vallées de Campanie ,
après que les tempêtes de l'hyver ont fait
place au zéphire qui fouffle pendant l'été ,
le verd oranger leve fa fuperbe tête ; de
chaque branche naiffent des fleurs d'une
odeur fuave , aufquelles fuccedent des
fruits dorés. Le parfum qui en exhale remplit
les airs. Les Nymphes des bois le gar
dent avec foin , & la Reine d'Idalie s'intereffe
à fa confervation . Mais au plus fort
de cette gloire brillante un tourbillon defcend
de l'apennin , fon fouffle impétueux
porte partout le froid & la glace , & répand
des monceaux de neige. La tendre
plante fe fanne , refferre fes feuilles & pésit.
XIV.
Accours à ma voix , ô Petrarque ! quitte
les berceaux Elyfiens entrelaffés de myrtes
toujours verds & parfumés de fleurs odoriférantes
, où tu t'es vu une feconde fois
poffeffeur de ta chere Laure , viens & apporte
ici ta lyre d'argent , dont ta main
adroite a réglé les accords pour exprimer
la douceur & l'élegance de tes défirs . C'eſt
à elle que tu dois le bruit de ton défaftre
SEPTEMBRE. 1752 .
43
amoureux répandu dans tant de contrées ;
céde la moi aujourd'hui , & enfeigne- moi
l'art de raconter l'hiftoire tragique de mes
malheurs avec affez de paffion pour attendrir
même les Etres inanimés , les chênes
des montagnes & les roches défertes .
XV.
Hélas tes maux , qu'étoient- ils en comparaifon
des miens ? Jamais ta maîtreffe
n'a recompenfé tes feux par l'hymen . Tu
n'as jamais connu les joyes de l'amour nuptial.
Elle n'a jamais pris part à tes foins domeftiques
, & ne t'a pas fait éprouver cer
art fi plein de charmes , par lequel une
époufe guérit le coeur de fon époux bleffé
par de fecrettes peines. Elle n'a point paffé
les jours & les nuits auprès de ton lit , &
foutenu ta tête languiffante pendant les
affauts d'une cruelle maladie , en tâchant
de calmer le fentiment de la douleur ; votre
flamme enfin n'a point été couronnée par
de précieux gages & par le doux nom de
pere.
XVI.
O la plus aimable des femmes ! O mille
fois plus chere , que dans le moment où
mon amour heureux parvint enfin à jouir
de tous tes charmes ! comment mon ame
44 MERCURE DE FRANCE.
poarra-t - elle endurer cette perte affreuſe ?
Dans quels lieux puis - je vivre feul &
abandonné & ne voyant par tout que des
déferts affreux depuis que j'ay perdu mon
aimable compagne ? Que puis - je entreprendre
aujourd'hui , n'étant plus encouragé
par ce fouris charmant , précieuſe récompenfe
des actions vertueules ? Non le
plaifir exquis des louanges bien méritées
pas même capable de rarimer mes elprits
languiffans , puifque ce plaifir ne peut
plus fe partager avec toi .
n'eft
XVII.
Quel fecours puis-je attendre ? & de qui
efpererai- je quelque confolation ? Amis ne
m'abandonnez point. Mon ame en proye
aux plus vives douleurs a befoin de toute
votre affiftance . Eh quoi ! ai - je des amis qui
ne foient les tiens , ô cher objet de mes regrets
? & dans la trifteffe qui les accable ,
quel foulagement peuvent-ils me procurer?
Mes livres , remede fi fûr pour tout autre
déplaifir , me font maintenant odieux , &
chaque Auteur favorŕ que nous avons lû
enſemble , bleſſe ma mémoire & ne me par
que de ma Lucie qui n'eft plus. le
1
SEPTEMBRE . 1752 45
XVIII
Nous étions le couple le plus heureux de
l'efpéce humaine . Une année fuccédoit à
une autre , & plufieurs fucceffivement , fans
que notre bonheur connût aucune altéra
tion. La chaîne d'or de la concorde embraffoit
tous nos fouhaits . Mêmes études , mê
mes plaifirs , mêmes goûts. O coup
fatal
qui renverfe cet édifice de félicité fans
exemple , que l'amour avoit pris foin d'élever
, objet de la jaloufie de tous les vices ,
& détruit en un moment tous les projets
que nos coeurs pleins d'efpérances Aatteufes
avoient formés pour l'avenir . Toutefois,
ô mon ame , étouffe res murmures , gardetoi
d'accufer le fage arbitre de l'Univers ,
ou de former des plaintes impies contre
fon fuprême décret . C'étoit fon ordre rigoureux
que toute ta félicité s'évanouît à
fon plus haut période : que cette volontá
foit accomplie.
XIX.
Ton amour pour Lucie voudroit- il s'op
poſer à fon bonheur , & retenir injuftes
ment pour ton avantage particulier fon
ame pure & exaltée dans ces demeures terreftres
de péché & de douleur ? non, . . . ¿
46 MERCURE DE FRANCE.
plutôt efforce-toy d'élever ta penfée vers
cette lumiere éternelle dans laquelle elle
réfide maintenant , & d'où elle jette des re
gards de pitié fur la fragilité , l'incertitude
& le néant des plaifirs d'ici bas , de l'amour
même , à moins que s'élevant par dégrés
au delà des bornes de cet état imparfait
dont les joyes fugitives ont une fi courte
durée , il ne remonte vers fon fouverain
bien. Conçois- donc , ô mon ame , de hautes
efperances , & recherche avec ardeur
ces régions céleftes , féjour du bonheur pur,
dont les fentiers paifibles & les portes toujours
ouvertes ne font innacceffibles qu'aux
coeurs endurcis dans le crime. Là la mort
même te rendra ta Lucie , & tout fon pou
voir ne pourra plus déformais vous féparer
l'un de l'autre .
2
SEPTEMBRE. 1752. 47
洗洗‧送送送送送送送送送送送送送送
LA
GLOIRE ,
ODE
A M. l'Abbé de Braneas.
Sed fulgente trahit conftrictos gloria curru
Non minus ignotos generofis.
Qu
Horace , Sat. 6. L, xã
Uelle eft cette Déeffe altiere
Qui le front couronné de ſuperbes lauriers
Des honneurs ouvre la barriere ,
A cette foule de Guerriers .
Affife fierement fur les débris des Trônes ,
Sous les pieds orgueilleux foulant mille couron
nes ,
Ses mains embraffent l'Univers .
Minerve à fes côtés fuit le Dieu de la guerre,
Et l'Amour qui dompta le Maître du tonnerre
Gémit enchaîné dans les fers.
***
Ce n'eft point une image vaine ;
C'eft la Gloire qui s'offre à mes regards furpris
Oui je la reconnois fans peine
4E RCURE DE FRANCE.
Son éclat frappe mes efprits.
Déefle , le Mortel dont tu foutiens l'audace ,
Peut encor fur les pas du Chantre de la Thrace
Penetrer jufqu'aux fombres bords.
Il peut par les accens toucher les Eumenides ,
Sufpendre les douleurs des triftes Danaïdes ,
Et charmer le Tyran des Morts.
Voulut
**+
Une main fure & bienfaifante ,
graver dans l'homme avec des traits vaing
queurs
Un défir dont la fougue ardente ;
Vers la gloire entraîne nos coeurs.
Quel que foit notre rang nous fentons tous dans
l'ame ,
Les rapides progrès de cette vive flamme ;
Rien n'en peut arrêter le cours.
Et cette paffion qu'inſpire la nature
Par des honneurs fans fin nous venge avec ufur
Du court espace de nos jours.
炒菜
Gloire , c'est toi dont la puiſſance
Fut toujours le foutien de l'Empire des arts,
Les tenebres de l'ignorance
Se diffipent à tes regards.
Sans toi connoîtroit on les accords de la Lyre ;
Si la toile s'anime & le bronze reſpire ,
C'eft
SEPTEMBRE. 1752. 49
C'eft ton triomphe le plus beau ,
Envain du fond du Nord une nue orageufe
Enfevelit les arts dans une nuit affreuſe ,
Tu les fis fortir du tombeau .
*XN
Que le fommeil de l'indolence
Dans les bras de l'amour affoupiffe nos fens ,
La gloire s'offre , & fa prefence
Ranime nos coeurs languiffans ;
Auffi-tôt des plaifirs la troupe féduifante
Ne leve plus vers nous qu'une voix impuiffante
Nous fuyons un repos honteux .
Et les plus durs travaux d'une route épineufe
Nous paroiffent légers dans l'attente flatteufe
D'être eftimé de nos neveux .
**
Toi , dont la douceur homicide
Cache un écueil affreux fous un calme ferein ,
Volupté ; Sirene perfide ,
Tes fons nous enchantent envain.
Entre l'éclat des fleurs à leur midi fanées ,
Et l'orgueil des lauriers qui bravent les années ,
Qui balanceroit de choisir?
Laiffe-nous donc voler au Temple de Memoire ,
L'honneur de toujours vivre eft le prix de la
gloire ,
La honte eft le fruit du plaifir.
C
so MERCURE
DE FRANCE
.
Mais fous ces voûtes ténébreuſes ,
A quels travaux je vois Demofthene livré
De fes veilles laborieufes
Quel eft donc le prix aſſuré ?
Rien ne réfifte aux flots de fa mâle éloquence ,
Le fils d'un Forgeron eft malgré fa naiſſance
L'oracle des Athéniens .
C'eft ainfi que domptant les plus rudes obftacles
La Gloire a mille fois enfanté des miracles ,
Dans les plus obfcurs citoyens.
炒菜
Arbitres de nos deſtinées ,
Farouches Déités , qui tenez dans vos mains
Le fil trop court de nos années ;
Vous que redoutent les humains ,
Vous pouvez fur les jours d'une fragile vie
Exercer le pouvoir de votre tyrannie ,
Au gré de vos cruels fufeaux.
Tout reconnoit vos loix , la houlette & le trône ,
Mais le fil de ces jours que la gloire nous donne ,
Ne dépend point de vos cifeaux.
***
De vos ayeux l'augufte race
Envain , enfans des Dieux , vous éloignede nous ,
La Gloire remplit cet efpace
En nous élevant juſqu'à vous.
Ceffez donc d'étaler une vaine nobleffe;
SEPTEMBRE.
31 1752.
L'éclat d'un grand mérite illuftre la baffeffe
D'un rang que donne le haſard.
Etre Auteur de fon nom eft un honneur fuprême ,
Le fang de Ciceron annobli par lui- même
Egale celui de Cefar.
Qu'avec les traits la calomnie
Attaque d'un Héros la fublime vertu ,
L'eſpoir d'une feconde vie
Releve fon coeur abbatu .
Envain en fremiffant l'envie au tein livide
S'empreffe d'obfcurcir les exploits d'Ariftide
Par les plus horribles complots.
Sans être épouvanté de tous ces vains phantômes
Il place dans l'honneur du fouvenir des hommes
Le jufte prix de ſes travaux.
Quel est donc ton pouvoir immenſe,
Gloire , que de Mortels enchaînés à ton char!
Je vois fléchir fous ta puiffance
Silla , Themistocle , Cefar ;
C'eft pour toi qu'Annibal franchit les Pyrennées ,
Qu'il brave les frimats des Alpes étonnées ,
Et donne aux élémens des fers.
Par des fleuves de fang fignalant ſon paſſage ,
A Cannes je le vois qui venge l'esclavage
Et la honte de l'Univers,
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
Couvert d'une noble pouffiere
Quel Guerrier fur les pas traîne les Rois confus ?
Dieux ! j'apperçois dans la carriere
Le jeune vainqueur de Porus ;
C'eft un foudre , un torrent , que rien ne peut
fufpendre.
Que de Palais détruits ! que de Villes en cendre !
Je ne vois qu'un carnage affreux.
Il a déja foumis la terre ainſi que
l'onde ,
Et fierement chargé des dépouilles du Monde ,
Sa valeur forme encor des voeux.
炒茶
Arrête , Mufe téméraire ,
Sur un Autel impur tu brules ton encens ,
Un Guerrier fier & fanguinaire
Ne mérite point tes accens.
Le Temple de la Gloire eft-il celui du crimė ?
Le glorieux honneur d'un culte légitime
< Eft-il donc le prix des forfaits ?
Ne place point au Ciel un monftre de la terre ,
Suffit- il qu'un Guerrier foit Héros dans la Guerre?
Il doit l'être encor dans la paix.
++
La Gloire écarte de fon Trône
La fougueule valeur que fuit la cruauté ,
Et fa main pure ne couronne
Que la Juftice & l'Equité.
SEPTEMBRE. 1752. 53
Ainfi vit-on , BRANCAS , ceux de ton fang illuftre,
Mériter nos Autels par l'éclat & le luftre
De milles folides vertus .
Ennemis des combats où la fureur préfide ,
Toujours grands , ils joignoient au courage d'Al
cide
La fagefle des Fabius.
Où m'emporte une ardeur nouvelle ,
Veux-je d'un vol hardi m'élever jufqu'aux cieux à
Eft-ce à la timide hirondelle
D'imiter l'aigle audacieux ?
Non , docte Abbé , je laiffe à l'ami de Mecène ,
Au cigne harmonieux des rives de la Seine,
Le foin de chanter les Héres.
Mais j'offrirai mes fons au rival d'Uranie ;
Et m'animant au feu de ton divin génie ,
J'en célebrerai les travaux .
SABATIERA
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE
A M LE MARQUIS DE
Sur le Roman de Caffandre.
' Eft au nom d'une Société affez heu-
Crufe pour aimer les talens & pour ſe
plaire à les admirer , que je vous remercie ,
Monfieur , du plaifir que lui a caufé le Roman
de Caffandre , réduit avec tant d'art
& de goût à fes beautés effentielles , &
émondé de tout ce qui en pouvoit affoiblir
l'intérêt ou ternir le coloris.
On fe plaint depuis long- tems que les
Poëmes Epiques anciens , admirables à tant
d'égards , manquent d'intérêt & de pathérique.
Les paffions , en effet , n'y jouent
pas d'affez grands rôles , & l'intérêt ne
prend fa fource que dans les paffions. La
colere d'Achille prolonge ce tiffu de périls
& de combats qui forment l'action de l'Iliade
; mais cette colere, toute fatale qu'elle
eft , ne fe manifefte que par l'inaction d'Achille,
& la peinture des paffions n'agit fur
nos ames que par leur développement.
L'amour & la douleur d'Andromaque ne
produisent qu'un intérêt momentané. Pref.
SEPTEMBRE . 1752. SS
que tout le reste du Poëme fe paffe en affauts
& en batailles ; & quoique rien ne
-dût être plus intéreffant pour T'humanité
que ces fcenes fanglantes , où l'on voit un
million de fes femblables s'entr'égorger
avec fureur , foit que la familiarité de l'habitude
nous y ait rendus moins fenfibles ,
foit qu'on ne s'attache fortement qu'à des
malheurs particuliers , & , pour ainsi dire,
d'homme à homme , il eft certain
tableaux ne font fur nous qu'une impreffion
vague & légere , qui ne va jamais jufqu'à
l'émotion.
que ces
La Calprenede a bien connu les hommes
, lorfqu'à la chaleur & à la variété des
peintures d'Homere il a joint cet intérêt
de fentiment qui en eft l'ame. Si Menelas
vengeoit lui -même fon injure contre Pâris
avec l'emportement d'Ajax ou de Diomede,
on s'intérefferoit pour Menelas ; mais Ajax
& Diomede ne font en péril que pour une
cauſe étrangere , ils n'intéreffent point.
Votre Auteur a rendu perfonnels à ſes
Héros les motifs qui les font agir ; il place
le mobile des événemens dans le coeur , & .
le coeur eft la fource du pathétique. Aufſi
je ne crains pas de dire qu'en cette partie
il a un grand avantage , même fur Homere,
auquel je le compare de préférence , parce
qu'il en approche le plus fouvent dans ce
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
que ce modéle a de plus fublime , c'eſt - àdire
, dans la véhémence des defcriptions,
Soit que la Calprenede n'eût point le talent
de la Verfification , talent inféparable
de celui de l'Epopée , foit qu'il regardât
la monotonie de nos vers & les bornes de
notre Langue comme des obftacles invincibles
pour la Poëfie Epique , erreur excufable
avant la Henriade , il a eu la modeftie
de fe borner au deffein de faire des Romans
, & il s'eft permis en conféquence ,
des détails peu dignes de la majefté du
Poëme Héroïque
.
Ces défauts rachetés par des beautés du
plus grand genre , n'empêchoient pas les
meilleurs efprits de dévorer ces Romans.
Caffandre & Cléopatre fur tout ont réuni
tous les fuffrages , & je connois peu de Livres
qui ayent aujourd'hui un plus grand
nombre d'Entoufiaftes , fi l'on peut nommer
ainfi d'excellens Juges en Littérature ;
mais on étoit effrayé de la volumineuſe
étendue de ces Ouvrages , & l'on fouhaitoit
depuis long-tems qu'un homme de
goût fe donnât la peine d'en retrancher
tout ce qu'il y avoit de défectueux & d'inutile.
C'eft ce que vous avez entrepris &
exécuté , Monfieur , avec un fuccès qu'on
ne pouvoit attendre que de vous. Vous ne
fçauriez croire la ſenſation qu'a faite ſur
SEPTEMBRE. 1752. 57
mes amis & fur moi la lecture de Caffandre
dans l'état où vous l'avez mife. A quelques
endroits près , qu'il ne dépendoit pas de
vous de rendre plus dignes de l'Epopée ,
nous avons cru lire un Poëme Epique animé
de tous les mouvemens de la Tragédie ;
mêlange d'où réfulte , à mon fens , le genre
le plus parfait que l'imagination & le fentiment
réunis puiffent produire.
-La lecture de Caffandre devoit nous engager
naturellement
à relire Cléopatre, que
beaucoup de perfonnes mettent au- deffus.
Nous l'avons relue, Monfieur , & plus nous
y avons trouvé de ces défauts dont vous
avez purgé le Roman de Caffandre , plus
les beautés qui en font obfcurcies , nous
ont fait fouhaiter de les voir fe purifier
fous votre plume , de l'alliage qui les ternit .
Nous prenons la liberté , Monfieur , de
vous exhorter à ce nouveau travail : vous
épargnerez aux Lecteurs à venir , dont vous
allez multiplier le nombre , ces petits détails
, ces galanteries fades , ces fentimens
foibles & communs , ces converfations
d'une langueur & d'une froideur infoûtenables
, qu'on trouve dans l'original à côté
des traits les plus hardis , des peintures les
plus animées , des fituations les plus théatrales
, des caracteres les plus fortement
conçus & les plus noblement deffinés. La
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
pu
profe de la Calprenede , nombreuſe , mais
diffufe , recevra de la préciſion & de la
reté connues de votre ſtyle , plus de vivacité
, de nobleffe & de rondeur & fes
beautés rapprochées par là formeront un
enſemble continu , dont la perfection fera
votre ouvrage.
J'ai l'honneur d'être , &c.
>
VERS
A MADAME L. D. D. L. V.
L
Sur fa convalescence .
Es Dieux enfin vous rendent à nos pleurs ;
Le calme fuccéde à l'orage ;
Des jours heureux & fans nuage
Vont fuivre des jours de douleurs.
Telle aux feux du jour exposée ,
Une fleur pendant fon éclat ,
D'une bienfaifante rofée
Reçoit la vie & l'incarnat.
Tel de vos maux calmant la violence ,
Le Dieu dont on chérit les traits ,
SEPTEMBRE. 1752 .
39
Des aftres ennemis détournant l'influence ,
Vous rend le jour & vos attraits.
***
Vivez , adorable Julie ,
yous dont les graces , le génie
Egalent les talens flateurs :
Sans föins , fans crainte , fans envie
Coulez une tranquille vie
Entre l'amitié , les neuf Soeurs,
Et la douce Philoſophie .
Jouiffez d'un fort plein d'appas ,
Epargnez-nous de fi vives allarmes ;
Que vingt luftres remplis de charmes
Vous fallent braver le trépas .
Ofouvenir cruel ! ... vous penchiez vers la tombe ,
Le monftre deſtructeur lançoit un dard affreux.
Ah ! que fur moi plutôt ce coup retombe ,
M'écriai - je foudain , en invoquant les cieux ;
Je ne puis en mourant faire des malheureux .
+ X+
J'immolai cependant une jeune colombe ;
Le facrifice plut aux Dieux :
Mais fi vous rempliffez mes voeux,
Vous devez à Venus offrir une hécatombe .
Par M. Feutry.
C vi
60 MERCURE DE FRANCE:
LETTRE DE M. DE B ……….
CAPITAINE AU REGIMENT DE B :.
V
à M. L. C. D. V.
Ous voilà quitte , Monfieur, du tribut
qu'il faut payer à l'hiver..... Il a
fait ici pendant quelques jours un tems
bien propre à procurer des rhumes , & précifément
je me fuis trouvé alors en chemin
pour venir de Bellegarde ; mais tout paroît
doux à qui en revient. C'eſt le féjour des
vents & de l'ennui ; la lecture y a été ma
reffource.
Sur ce Mont qui de l'lbérie
Sépare notre région ,
L'illuftre & fçavante Emilie ,
Et l'Interpréte de Newton ,
Ont daigné par mainte leçon
Eclairer mon foible génie .
Quoiqu'éloigné du Rouffillon ,
V .... pour mon inſtruction
S'eft joint à cette compagnie .
Que je l'écoute avec ardeur !
Il m'apprend que l'ordre du monde ;
J
SEPTEMBRE . 1752. 61
Tout brillant qu'il eft de fplendeur ,
N'eft dû qu'à la caufe féconde
Qui fait naître une fimple fleur.
Une force ( * ) qui tout dirige ,
Fait à fa racine , à fa tige ,
Prendre deux chemins différens :
Quoiqu'en difent nos Zoroaftres ,
C'est cette force qui des aftres
Caufe les divers mouvemens ;,
C'eft cet efprit qu'un grand Prophéte ,
Des Loix du Très- haut l'Interpréte ,
Voyoit le mouvoir fur les mers ;
C'eſt cette ame , à qui Pythagore
Donnoit le foin de faire éclore
Les merveilles de l'Univers .
Vous voyez , Monfieur , que Bellegarde
a été pour moi le Parnaffe ; il a réveillé ma
veine mais c'eft le dernier effort d'une
mufe expirante ; recevez - en l'hommage ,
avec les voeux que je fais d'avance , & c .
A Colliouvre le 15 Décembre 1750:
(*) La force centrifuge . L'Auteur de la nouvelle
Théorie du mouvement , qui se trouve à Paris chez
Duchefne , a donné en 1746 une petite Brochure intitulée
, Effai fur les principes de la Phyfique : il
établit dans cet Ouvrage que bien loin que la gravi
tation ou l'attraction foit le feul principe , ce principe
fuppofe une force antagoniste dont il doit dépendre
praisemblablement .
62 MERCURE DE FRANCE.
REPONSE
A la Lettre précédente.
il
CE
E n'eft pas Bellegarde , Monfieur , c'eft,
n'en doutez pas , la compagnie des
Philofophes , très-bonne dans un pareil
féjour , qui a réveillé votre veine . Les
fyftêmes philofophiques font de vrais Poëmes.
Tous ceux qui veulent rendre les caufes
ou naturelles ou morales des événemens
du monde , que ce foit le renverſement
d'une montagne ou celui d'un Empire ,
n'importe , tous ces gens - là font des Poëtes
, tous ont befoin de dire , Mufa , mihi
caufas memora. On peut regarder la colere
d'Achille , de Junon & de Satan comme
les hypothefes d'Homere , de Virgile & de
Milton ; & les tourbillons , l'attraction &
les monades , comme les machines de
Defcartes , de Newton & de Leibnitz . Le
merveilleux & le fublime ſe trouvent également
dans les Ouvrages des uns & des
autres.
C'est dommage que vous n'ayez pas vû
la fuite du nouveau fyftême qu'il vous a
plû de crayonner vous qui ayez dit ,
Monfieur , de fi jolies chofes fur un prin.
C
SEPTEMBRE. 1752. 63

cipe abftrait & purement hypothétique ,
avec quelle grace & quelle poëfie n'auriezvous
pas chanté le feu & la lumiere ? Rien
n'eft plus merveilleux que l'action du feu ,
principe phyfique de tous les phénomenes
de la nature .
Oui , mon cher B ... il eft l'ame du monde ;
Sa chaleur le pénétre , & fa clarté l'inonde ;
Effets d'une même action ,
L'un maintient les refforts de la machine ronde ,
Et l'autre tend fans ceffe à leur deftruction .
Sa plus belle production
Eft cette lumiere étherée ,
Dont Newton le premier , d'une main inſpirée ,
Sépara les couleurs par la réfraction ;
Il y voit aujourd'hui , du haut de l'Empirée ,
La caufe de l'attraction .
Les rayons convergens de ce brillant Fluide ,
Vers mille & mille points de ce vafte Univers ,
Balancent tous les corps fur leurs centres divers .
D'un unique Soleil l'impulfion rapide
Les difperferoit tous dans un immenfe vuide.
Dieu compaffa d'abord leurs grandeurs & leurs
rangs ;
11 élance le feu du centre à la furface ,
Allume les Soleils : de lumineux torrens
Auffi-tôt rempliflent l'eſpace ,
Entraînent les globes errans.
64 MERCURE DE FRANCE.
Tout le meut ; & felon les degrés différens
De la diftance & de la maffe ,
·
Tout s'approche , ou s'éloigne , ou conferve fa
place ,
Par l'effort des feux confpirans.
Celui que je viens de faire , Monfieur ;
m'a mis hors d'haleine . L'enthouſiaſme que
vous m'avez communiqué m'abandonne.
Je reprends la profe , pour vous affurer ,
& c.
SEPTEMBRE. 1752. 65
CONJECTURE NOUVELLE
fur la nature de la matiere électrique ; à
l'Auteur du Mercure de France.
PE
Ermettez-moi de m'adreffer à vous ;
Monfieur , pour annoncer au Public
les découvertes que je viens de faire fur les
expériences actuelles fur le tonnerre qui
exercent les plus grands Phyficiens de l'Europe
, & aufquelles tout le monde prend
intérêt . Depuis la famenfe expérience de
M. Mufchenbroek , connue fous le nom
d'Expérience de Leyde , les merveilles de
l'électricité fe font accrues chaque jour ,
fans que la cauſe en ait été mieux connuë,
malgré le grand nombre de fyftêmes qu'on
a publiés. M M. l'Abbé Nollet, le Monnier,
Delor, &c. en France ; M M. Watſon, Freke,
Martin , &c. en Angleterre ; M M. Bofe ,
Wai , Wincler , &c. en Allemagne , &
ailleurs M M. Jallabert , Pivati , de Sanvages,
&c. en variant l'expérience de M.
Mufchenbroek , ont fait plufieurs belles découvertes
; mais M. Franklin fur tout à Philadelphie
en Amérique , a décompofé cette
propriété finguliere des corps d'une maniere
furprenante, Le Public eft en poſſeſ66
MERCURE DE FRANCE.
fion du fruit de fes travaux . On fçait qu'une
de fes plus confidérables expériences eft
qu'une pointe de fer bien aiguë attire l'électricité
, & qu'on voit alors au bout de
cette pointe une flamme bleuâtre , ſemblable
à celle d'un feu follet ou du mercure
dans le vuide. Après avoir reconnu que les
phénoménes de l'électricité avoient quelque
rapport avec la foudre , M. Franklin
conclut de cette découverte , que fi l'on
élevoit au faîte d'une guérite une longue
barre de fer , dont la pointe fût extrêmement
aiguë , elle pourroit attirer la matiere
du tonnerre. Cette conclufion qui n'étoit
qu'une conjecture , s'eft trouvée vraie, lorfque
M M. d'Alibard & Delor en ont fait
l'épreuve. Ce fuccès a été annoncé à toute
l'Europe , & il eft devenu la nouvelle du
jour. Les Curieux font allés en foule chez
M. Delor , & bientôt les toits d'un grand
nombre de maiſons ont été armés d'une
longue barre de fer pointuë. Cependant ,
Monfieur , ce phenoméne qui attire l'admiration
du Public , a été déja obſervé .
Voici ce que j'ai lû depuis dans différens
Ouvrages , où je me rappellois avoir vû
quelque chofe de femblable .
Il eft rapporté dans les Queftions naturelles
de Séneque , Liv. 1. chap. 1. que PhiSEPTEMBRE.
1752. 67
lippe allant à Syracufe , vit un feu qui s'arrêta
au haut de fa lance. Dans les camps
des Romains on a ſouvent vu les javelots
des Soldats éclairés par des feux , qui tomboient
quelquefois à la maniere de la foudre
, frappoient les animaux & les arbuſtes ,
& quand ils étoient pouffés avec moins de
force , ils s'envoloient ou demeuroient fans
frapper ni bleffer perfonne . Julius obfequens,
dit ( art. 107. ) que dans le cirque un feu
defcendit fur les javelots des Soldats . On
lit dans l'Effai de Phyfique de M. Muſchenbroek
, tom, 2. pag. 857. qu'on a vû de petites
flammes au fer des piques qu'on avoit
frottées d'huile pour les nettoyer. Enfin
tout le monde fçait que le feu Saint- Elme
elt une flamme qui s'attache au haut des
mâts fans les brûler , ni les endommager
en aucune façon.
Voilà donc les pointes en poffeffion bien
reconnue depuis long -tems d'attirer la matiere
du tonnerre . Il y a plus. La lumiere
bleuâtre qui fuit la main quand on frotte
le bulle de verre électrique , étoit connue
avant qu'il fût queftion de l'électricité.
Ezechiel- à- Caftro , dans fon Traité de Igne
Lambente, raconte que quand on paffoit la
main fur les bras de Madame Caffandre
Buri , époufe de J. François Rambault de
Veronne , on voyoit une traînée de fen
68 MERCURE DE FRANCE.
·
qui fuivoit la main. L'Auteur anonyme
(M. Vallemont ) du tome 4 des Récréations
mathématiques , a écrit à la page 199 de ce
livre , que François Guide , Docteur en Médecine
, ne frottoit jamais fes bras dans fon
lit , qu'ils ne paruffent brillans par une
flamme légere qui s'en détachoit. On apperçoit
fur la furface du mercure du barometre
lumineux une flamme bleue qui fuit
le mouvement de ce métal fluide ; & on a
encore le Phoſphore de verre de M. Nuguet
& les découvertes de M. Poliniere fort
antérieures aux expériences du tube de
verre électrique .
Le petillement qui fe fait fentir & entendre
quand on approche le doigt d'une
barre de fer électrifée , n'eft point encore
un phénomene tout-à- fait inconnu . Coelius
Rhodiginus connoiffoit un homme dont le
corps étoit tellement difpofé , qu'il en fortoit
une grande abondance de flammes ,
qui pétilloient , en formant un petit bruit
tel que celui qu'on entend lorfque les grains
de poudre s'enflamment ; bruit qui eft le même
, à une moindre tenuité près , que celui
de l'étincelle électrique . Suivant Liet
tus , un Libraire de Pife , nommé Antonius
Zamfius, ne tiroit jamais fa chemife qu'une
efpéce d'embrafement ne fe fit voir fur
fon dos & fur fes bras , & qu'on n'entendit
SEPTEMBRE. 1752. 69
un bruit fourd . Jean de Viana , dans fon
Traité de Pefte Malagenfi, rapporte pag. 46,
que la femme du Docteur Frilas, Médecin
du Cardinal de Roïas, Archevêque de Toléde
, exhaloit naturellement par la tranfpiration
une matiere ignée , telle que quand
elle ôtoit fon corfet , qu'elle portoit fur fa
chemife , & qu'elle l'expofoit à l'air froid ,
il s'enflammoit auffi-tôt , & lançoit comme
des grains de poudre . Pierre Borelli , dans
fes Obfervations , parle de ces écoulemens
qui produifent non feulement de la lumiere
, mais du feu, ( Obf. 76 , pag. 174. )
Il y a encore plufieurs métcores qui font le
même effet , &c. ( Voyez la Differtation
fur les Méteores dans l'Effai de Phyſique de
M. Mufchenbroek.
Je pourrois pouffer plus loin ces fimilitudes
, & les rapprocher davantage ; mais toutes
ces comparaifons de différens genres que
j'ai recueillies, & qui épuifent tous les phénomenes
de l'électricité,font la matiere d'un
jufte volume. Le titre de maLettre porte une
nouvelle conjecture fur la nature de la matiere
électrique , & c'eſt à quoi je dois me
borner maintenant. Je dis donc que la matiere
électrique eft celle d'un Phoſphore
compofé de foufre principe , tel que le
reconnoiflent les Chimiftes , & tel que l'admet
l'illuftre M, de Mairan dans fa belle
70 MERCURE DE FRANCE.
Differtation fur les Phoſphores & les
Noctiluques , qui a remporté le prix de
l'Académie de Bordeaux en 1717 , eft
compofé , dis-je , du foufre principe &
de molécules de nitre. Le foufre donne
la flamme bleue , & l'efprit de nitre forme
le petit pétillement. Cette derniere matiere
fond le fer , le plomb , l'argent , &c. &
n'agit point fur le foufre , la cire , la poix ,
la gomme , &c. (a) Dans le verre ces deux
matieres fe trouvent , & fuivant que l'une
domine fur l'autre , le verre eft plus ou
moins électrique , où ne l'eft pas du tout.
Je développerai & prouverai cette propofition
par T'odeur de l'ail & de foufre de
la matiere électrique , par fa réunion dans
l'eau , par la néceffité d'un frottement modéré
, par toutes les variétés de l'électricité
, communes avec celles de ce Phofphore
, &c. En un mot , j'ai tellement décompofé
, analyfé cette matiere par la comparaiſon
& autrement , que tous les phénomenes
de l'électricité découlent néceffairement
de ma découverte ; j'ai ofé calculer
même par l'expanſion & la raréfaction
de la matiere dont je parle , le coup de la
commotion électrique. Tout cela fe trou-
( a) Caufa rerum naturalium non plures ad zitti
debent quam qua & vera fint , & earum phænomenis
complicandis fufficiant. Newton.
SEPTEMBRE . 1752. 78
vera dans le Livre auquel je travaille actuellement
, & dont le titre eft : Parallele
des Phénomenes & effets de l'électricité avec
ceux des Méteores ignés, des Phofphores & des
Noctiluques , & c.
Comme l'été n'eft point encore fini , &
qu'on peut avoir encore de l'orage à la fin
de ltomne , j'ai cru devoir faire part de
mes remarques aux Phyficiens , afin de leur
éviter , & les dépenfes qu'ils pourroient
faire , & les peines qu'ils pourroient prendre
pour découvrir par là la matiere électrique.
La flamme qu'ils attendent eft une
chofe fort cafuelle , fur laquelle on ne doit
pas toujours compter , & qui ne pourra
point certainement détourner le tonnerre ,
quand on defélectriferoit continuellement la
barre que la nuée auroit électrifée. Qu'on
juge après cela des effets qu'ont pû produire
les globes de feu obfervés par un
Curé d'Auvergne ( M. Paulet ) au bras d'une
croix , terminés en pointe , fuivant la lettre
qu'il écrivit à M. Delor , & que ce Phyficien
communiqua à M M. de l'Académie
Royale des Sciences dans une de leurs af
femblées particulieres. Les globes de feu
font connus depuis long- tems ; mais j'ai
découvert encore quelque chofe de plus
erveilleux fur ce fujet , & que j'expofc
ns mon Livre,
72 MERCUREDE FRANCE.
Satiùs eft de re ipsâ quærere quàm mirari)
Seneque .
J'ai l'honneur d'être avec beaucoup d'ef
time , & c.
Ce 20 Juillet 1752 .
LES
S *
OISEAUX
ET LE DIEU DU GOUST.
Dans un
FABLE.
Ans un bofquet orné d'un immortel feuillage;
Où fans ceffe on entend d'agréables ruiſſeaux
Mêler leur doux murmure aux chants de mille
Oiseaux ,
Dont le feul Dieu du Goût doit former l'afsem
blage ,
* De la Linotte & du Pinſon ,
'Ainfi que du Serin l'on goûte la chanſon.
On prend plaifir aux chants de l'Alloüette ,
On fouffre le Pivert , on vante la Fauvette ,
Le Chardoneret même a quelquefois fon tour,
Mais le Chantre aîlé de l'Amour ,
Le Roffignol fur tout y plaît par fon ramage ;
Il charme les Bergers & les Dieux du bocage ,
Il attendrit juſqu'aux échos ,
Jufqu'aux rochers voiſins & juſqu'à ſes rivauxa
Avint
SEPTEMBRE.
1752. 73
Avint que notre Oifeau fit une courte abfence ,
Et voilà le Concert d'abord en difcordance ,
Car le Dieu du goût s'abfenta .
Qu'on ne s'étonne plus fi , pleine d'arrogance ,
Une Corneille en profita.
Par des fons glapiffans elle étonne l'oreille ,
Et des faux connoiffeurs l'effain nombreux la fuit ;
On l'entoure , on la prône ainfi qu'une merveille ,
On l'entend d'autant moins qu'elle fait plus de
bruit ,
Moins on l'entend , & plus on l'applaudit.
Contente d'eux autant que d'elle ,
Elle fe crut alors égale à Philomele ;
Mais fon orgueil fut bientôt rabaiffé.
Et quand le Dieu du goût eut fini fa tournée ;
Par lui , fur cette affaire à fond examinée ,
Ce fage Arrêt fut prononcé :
Qu'à fon gré, Corneille indifcrette ,
Que Clairon , que Fifre ou Trompette,
Ou tel autre instrument jurant à l'uniffon ,
Enchante l'oreille mal- faite
De tout Corbeau , de tout Ofon .
Mais pour charmer , par une chanſonpette ;
Les amateurs de G- ré -fol ,
Pour célébrer l'Amour fur un tendre B- mol ,
En un mot , pour me plaire , ah ! vive la Muerte,
Vive , vive cent fois le charmant Roffignol.
Par M. de Saintard
і
D
74 MERCURE DE FRANCE.
****:*:******
LETTRE D'UN PRUSSIEN
A M. L'ABBE' RAYNA L.
Sur la Littérature Allemande.
E Sage doit être Coſmopolyte , Mon-
Lfieur, il ne doit avoir de patrie que là
où regnent le bon fens & la raifon , & de
compatriotes , que ceux qui , comme lui ,
s'attachent à la recherche du vrai : vous
fuivez l'exemple d'un tel homme , vous
croyez que le fçavoir & le génie font de
tout pays , & ce fage principe vous fair
fouhaiter de connoître de plus près le mérite
littéraire des Allemands.
J'aime trop ma Nation , pour ne pas
tâcher , Monfieur , de vous fatisfaire ; j'entreprends
avec plaifir de vous faire leur
apologie , en vous parlant des Sciences qui
fleuriffent en Allemagne , des grands hommes
qu'on y admire , & des excellens Ou
vrages qui , fortis de leur plume , ne font
pas parvenus jufqu'à vous.
Je vous parlerai de Philofophes , de
Poëtes , de Jurifconfultes , de Mathématiciens
, de Muficiens , & , s'il le faut , de
Théologiens ; impartial par-tout , je ne
chercherai que la vérité .
SEPTEMBRE. 1752. 75
Ce n'eft pas dans l'antiquité la plus reculée
, qu'il faut chercher à faire briller le
fçavoir d'une nation : ces temps incertains
ne nous offrent que des fables. Lorſqu'il
s'agit de faire voir le beau d'un Peuple , il
faut au moins avoir de furs garants de ce
qu'on avance , il nous en manque pour les
temps qui ont précédé Charlemagne. L'état
des Lettres chez les Germains avant le regne
de cet Empereur nous eft inconnu : il
faut laiffer débrouiller ce cahos à des gens ,
qui , comme Arndius , s'imaginent qu'Adam
étoit fort habile dans l'Hiſtoire littéraire
(a).
Tout le tems qui s'est écoulé depuis
Charlemagne jufques vers la fin du feiziéme
fiécle , m'arrêtera peu. L'Allemagne n'a cu
dans ces temps malheureux , que fort pea
de grands hommes ; elle s'eft reffentie plus
qu'aucun pays du monde des troubles & des
guerres civiles , qui ont ravagé pendant
fi long - temps fes plus belles contrées.
La guerre ddee RReelliiggiioonn ,, celle de trente
ans , & les diflenfions perpetuelles qui
naiffoient entre l'Empereur & les membres
de l'Empire , à l'occafion des droits que
ces Chefs de l'Empire vouloient injuftement
s'arroger , ont été des obftacles in-
(a) Voyez Arndiifyftema Litterarium 1714, & cm
2 vol. 1750.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE,
vincibles à l'accroiffement des Sciences ,
furtout à celui de la Philofophie & de la
Poëfie ; car pour le droit & la Théologie ,
ils ont quelque chofe de trop analogue au
bruit & aux malheurs de la guerre , pour
n'avoir pas eu de grands hommes dans ces
temps- là.
Jettons un coup d'oeil fur ces huit fiécles,
& tâchons d'en tirer ce qu'il y a eu de
plus grand , ce fera le fujet de quelques
lettres ; de là je pafferai aux tems de Leib.
nitz, & commencerai par vous faire connoître
tous les Philofophes , qui depuis lui
fe font fait un nom en Allemagne,
On ne peut pas douter , que Charlemagne
n'ait cherché avec foin , à faire revivre les
Sciences. Ce Prince s'étoit lui - même longtems
appliqué à l'étude : & on a mal enten .
du un endroit de fa vie , écrite par Egin
hard ,lorfqu'on a tâché de prouver par- là ,
qu'il ne fçavoit pas même écrire (4) . Les
lettres , quand il parvint à la Couronne ,
étoient comme enfevelies fous les ruines
de l'Empire Romain : on en peut juger par
(a) Voyez là -deffus deux piéces fort curieufes :
Pune dans les Mifcellanea Lipfienfia T. III . p. 124.
& l'autre écrite en forme de Diflertation par J.
David Koeler fous le titre de Bibliotheca Caroli Al
torfii 1727.
SEPTEMBRE . 1752. 77
ée que dic Alcu.nus ( a) : cet Auteur rapporte
, que la langue Grecque étoit alors
entiérement inconnue à toute l'Eglife Latine
: & l'on prétend que Rabanus Maurus ,
difciple d'Alcuinus , fut le premier , qui
introduifit cette langue : mais cette petite
lumiere , qui venoit de paroître fous le regne
de ce Prince , fut bientôt éteinte . La fuperftition
deLouis dit le Débonnaire , qui lui
fucceda , tint les Sciences & les arts comme
enchaînés. L'étendart de la Religion étoit
le feul qu'on arboroit , & l'on ofoit croire
que cultiver fa raifon c'étoit le préparer un
trifte avenir , & peut- être l'enfer. Charles
le Chauve fut moins fuperftitieux , il fut
une espéce d'Augufte dans ce fiécle ténébreux
, & il y a lieu de croire , que fi kes
troubles , dans lefquels il fut obligé de vivre
, ne l'euffent pas diftrait pendant fi
long- tems , l'on auroit vû l'efprit & le fçavoir
revendiquer leurs droits. L'Orient
avoit alors Photius & Leon le Philofophe.
Dans ce fiécle ( neuvième) les Allemands
eurent quelques grands hommes , qui méritent
bien que j'en dife un mot ; je les
prendrai comme ils fe préfenteront à ma
memoire.
(a) Dans fon Livre contre le culte des images . L. II.
c. 17. que quelques- uns ont fauffement attribué à
Charlemagne.
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
Haimo , Evêque d'Halbeftadt vers l'am
850 , & difciple d'Alcuinus , feroit encore
plus d'honneur à fon païs qu'il n'en fait ,
s'il avoit eu le bonheur de trouver un maître
, qui ne l'eût pas toujours tenu attaché
à tout ce que la Theologie a de plus impénétrable
. Le petit abrégé (a) , qu'il nous a
donné , de ce qui s'eft paffé de mémorable
dans l'Eglife depuis J. C. jufqu'à Theodofe
le Grand , lui fait plus d'honneur , quoiqu'il
l'ait tiré de Rufin & d'Eufebe , que
tous fes Commentaires fur les Livres facrés.
Otfridus , moine de Weiffemburg , en Alface,
a écrit plufieurs ouvrages dont la plûpart
font dans la langue vulgaire de ce
tems- là . On remarque que fes traductions
en vers de quelques cantiques facrés , font
foi d'un génie poëtique. Son Epitre en
vers adreffée à Louis le Germain fe trouve
encore , & elle fe liroit peut-être avec
plaifir , fi le langage en étoit intelligible à
ceux qui n'étudient
l'ancienne langue
des Allemands .
pas
fes
Eginhard fut furnommé le Sage pour
vertus & fes talens : on admire encore aujourd'hui
fon Hiftoire de la vie de Charle-
(a) Divifé en 1o Livies. La premiere édition parut
en 1531.
SEPTEMBRE. 1752. 79
magne , écrite avec autant d'exactitude ,
que d'élégance.
Udalricus , Evêque d'Augsburg, né de l'illuftre
famille desComtes de Dillingen & Kılburg,
joignit à fa naiffance des talens & un
goût décidé pour les Sciences. Il foutint
avec fermeté l'inconvénient du célibat des
Prêtres contre le Pape Nicolas I.
Je pourrois , Monfieur , vous parler encore
de Norkerus (a) , habile Medecin ; de
Milon , Moine de S. Amand , bon Poëte ;
de Walafride Strabon , Benedictin très fçavant
; de Nigellus ( b ) &c. mais je crains
de m'étendre un peu trop.
Le dixiéme fiécle eft , à en bien juger ,
le plus malheureux de tous . C'étoit alors
que la raifon & l'efprit croupiffoient
dans les ténébres de la plus craffe ignorance
: On ne voit guères pendant tout ce
temps- là , que trois ou quatre perfonnes
dont l'Hiftoire parle avec quelqu'éloge ,
je veux dire le Pape Sylveftre II . Conftantin
Porphyrogenete , Luitprandus , & la Bene-
(a) On le furnomma le grain de poivre , à caufe
de fon efprit.
(b ) Ermoldus Nigellus étoit aflez bon Poëte . Il
eut le malheur de déplaire à Louis le Débonnaire &.
fut envoyé en exil. Il fit pendant ce temps -là usc
Epitre en vers adreffée à Louis , qui fait bien juger
du Poëte.
D iiij
30 MERCURE DE FRANCE .
dictine Rofwide (c). L'Allemagne peut fe
vanter d'avoir donné le jour à cette favante
fille : Elle vivoit fous le regne d'Otton
II.Née d'une famille très- conſidérable dans
la Saxe , elle entra de bonne heure dans
l'Ordre de S. Benoit , dans le Couvent det
Gandersheim , & s'appliqua avec tant de
fuccès à l'étude , qu'après avoir appris pla- .
fieurs Langues , elle écrivit un nombre affez
grand d'ouvrages en vers Latins ; & fix
Comédies en profe , dans lesquelles elle a
tâché d'imiter Terence. Parmi fes Poëfies
il y a une Epître à la louange d'Otton_I.
adreffée à Otton II. quelques autres fur
differens fujets , & quelques épigrammes ,
qu'on eftime encore à préfent. Quelquesuns
de fes Ouvrages ont été imprimés en
dernier lieu à Wittemberg en 1727. Eu
égard à ces temps-là , ce petit prodige eft
bien plus furprenant , que ne l'eft la barbarie
de ce même fiécle : car que pouvoiton
attendre d'heureux pour les Lettres ,
dans un temps où l'on paffoit pour héréti-
(e) Ou plutôt Hrofvide : Voyez Oudinus dans
fon Commentaire fur les Ecrivains Ecclefiaftiques ,
T. II. p 5oz. Confultez cependant Fabricius dans
fa Bibliotheque latine du moien & bas age L. VIII .
p. 833 : on fe tromperoit en fe fiant uniquement au
premier , qui n'a pas affez bien diftingué les quatse
perfonnes , qui ont porté ce même nom.
SEPTEMBRE . 1752 . 81
que ,
dès que l'on s'adonnoit aux Sciences
(a ) profanes? Leibnitz a eu foin de rechercher
une des piéces de cette célébre Benedictine
, & de l'inférer dans le fecond volume
de fes Scriptores de rebus Brunfvicenfibus
: C'eft un Poëme fur la fondation du
Couvent de Gandersheim. On auroit tort
de lui reprocher d'avoir employé quantité
de noms fort durs à prononcer , pouvoitelle
les changer? Une vie de cette illuftre
fille ne pourroit que faire plaifir à ceux
qui aiment le grand.
Je paffe fous filence Rhegino & Wittekin
dus , deux Hiftoriens de ce fiécle .
Le fiécle fuivant ( l'onzieme ) n'eft pas
fort au deffus du précédent : les diffenfions
qui regnoient, dans l'Eglife portoient les
Ecclefiaftiques (b) à s'attacher uniquement
à l'étude de la Théologie , & à la diſcuſfion
de matieres fort peu intereffantes pour
ceux qui aiment la vérité & la paix. Que
l'on confulte les archives litteraires de ce
tems - là , & on ne trouvera parmi les gens
de Lettres , que des Moines occupés à copier
les ouvrages des anciens , fans s'attacher
à penfer eux -mêmes ; des Evêques oc-
(a) Epithete due à la fuperftition.
(b) Il n'y avoit qu'eux qui étudioient , les La
ques étoient ignorans par devoir.
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
cupés à difputer fur le célibat des Prêtres ,
& des ouvrages qui ne contiennent que la
vie de quelques Saints , ou bien des Cantiques
, des Priéres , & des Loix pour le
Clergé.
Dithmarus Evêque de Merseburg (depuis
1008 --- 1019 ) defcendant de la famille
des Comtes de Walbec de Saxe , eft de tous
ceux , qui ont fleuri pendant ce temps- là
en Allemagne , celui dont on doit faire le
plus de cas . Il eft le premier & prefque le
Teul , qui ait donné une Hiftoire fidéle &
détaillée de ce qui s'eft paffé pendant fa
vie : Nous devons à Leibnitz cette Chronique
des évenemens mémorables arrivés
fous les Empereurs Henri 1.Otton 1. Otton IL.
Otton III. & Henri II. Car avant lui elle
n'avoit paru que mutilée , & remplie de
fautes groffieres. Si fon ftile étoit moins
rude , & quelque fois plus clair , il feroit
peut-être un des meilleurs Hiftoriens que
l'Allemagne ait jamais eu ,
Adam , furnommé de Breme , eſt un Hiftorien
moins exact & moins fidele ( a ) . Il
naquit en Mifnie , vint enfuite à Breme ,
(a) Voyez ce que Lambecius lui reproche dans .
le II.T. de fon Liv , de Reb. Hamburgenfibus , pag.
577. feq. Moreri & d'autres fe trompent lorsqu'ils
croient qu'il étoit natif de Breme. Voyez Meibom
dans le tile T. de fes Scriptores Germania , P.37 .
SEPTEMBRE. 1752. 83
où il parvint à être Chanoine . Ila écrit une
efpéce d'Hiftoire Eccléfiaftique, qui s'étend
depuis l'an 755 , jufqu'à l'an 1076 , & à laquelle
il a joint en forme d'Appendice un
petit écrit ,fur lafituation du Dannemarc .
Hermannus , furnommé le Contracte (a)
à caufe de la foibleffe de fes Membres , fur
un Benedictin très- fçavant : il étoit verfé
dans les langues Grecque , Arabe & Latine
: Nous avons de lui une Chronique qui
s'étend depuis la création jufqu'à l'an 1054,
dans lequel il mourut , la Vie de Conrad &
d'Henri III. & quelques Poëmes , entr'autres
un fur le Mépris du monde : On lui attribue
auffi un Livre fur la Quadrature du
cercle : Un autre fur les Eclipfes , & un fur
la Mufique. Il y en a même , qui ont prétendu
qu'il a été l'inventeur de l'Aftrolabe
; mais il est très - certain que cet inftrument
a été connu même avant Ptolomée :
tout cela , cependant , fait foi du génie &
du fçavoir d'Hermannus . Nous pourrions
nommer encore ici Lambert d'Afchaffenburg
en Franconie , Sigebertus Temblacén .
fis du Brabant , & Burchardus , Evêque de
Worms , dont les deux premiers font Hiftoriens
, & le dernier un Compilateur ju-
(a ) Il étoit de Suabe , fils du Comte de Voering
& Sulgou.
D vj
84 MERCURE DEFRANC É.
dicieux ; mais j'ai de la peine à m'étendre
fur des fujets , auxquels les Belles - Lettres
& les Sciences ont fi peu d'obligation , dès
qu'on enviſage la Litterature dans l'état où
elle fe trouve à préfent .
Plus nous avançons , & plus nous trouvons
d'un côté , que l'efprit humain a travaillé
à fe délivrer du joug de l'ignorance ,
& de l'autre que des obftacles prefqu'invincibles
fe font oppofés à l'accroiffement
de fes lumieres. Jufques là nous n'avons
guères eu , ou plutôt nous n'avons point
eu ni de Poëtes , ni de Mathématiciens
encore moins de Philofophes : mais le douziéme
fiécle nous en a fourni quelques uns ,
nous les devons à l'école de Paris , qui a
eu dans ces tems des hommes que la poſtérité
n'oubliera jamais . Le zèle pour l'étude
commença à fe répandre ; on vit des Jurif
confultes joindre la faine Philofophie à
l'étude du Droit Romain , & le goût des
Belles -Lettres comme fortir du tombeau ,
dans lequel elles étoient enfevelies. Elles
refterent , il eft vrai , un peu défigurées ,
mais toujours reconnoiffables. Cet amour
pour les Sciences s'étendit alors jufqu'aux
Juifs : ce peuple opprimé & né pour ainft
dire , pour être ignorant , eut dans ce fié
cle un Salomon facide , un Maimonide ( a)
(4) Son Livre fur l'Imn.artalité de l'ame , prouvé
SEPTEMBRE. 1752. $55
Le premier des Sçavans Juifs & un homme,
qu'on n'eftime peut-être pas affez aujourd'hui
.
Les Allemans eurent alors Irnerius ( a )
Sçavant Jurifconfulte , qui jugea qu'il
n'étoit pas indigne de lui de finir fa vie
en enfeignant le Droit , ce qu'il fit à Boulogne
, où il mourut à la fin , ou felon d'autres
, au milieu du douziéme fiècle . Il eft
le premier qui ait donné des éclairciffemens
fur les Loix Romaines , que bien des
gens eftiment encore aujourd'hui avec raifon
: ce fut lui auffi qui dreffa le premier
des formulaires pour fervir dans le Barreau.
Hugo de S. Victor , fleurit dans ce même
fécle. Il étoit né d'une illuftre famille de
Saxe (b) . L'élegance de fon ftile , la pureté
qu'il étoit un Philofophie profond.
(a) Allemand , quoiqu'en difent quelques autres,
quiveulent le faire paffer pour un Milanois ou pour
un Florentin : cela paroit par fon nom , qui étoit
originairement Warner. Voyez Breneman dans
fon Hiftoire du MSS . Florentin des Pandectes L. I
C. 5. p . 30.
(b) Comme le prouve très - bien Leibnitz dans la
Preface du II. Tome de fes Acceffiones hiftorica , &
dans les remarques , qui fe trouvent dans les Ada
Fruditorum de Leipfig 1698. p . 354. Il fut furnom
mé de S. Victor , parce qu'il fut quelque tems Charoine
Regulier de ce Couvent fitué alors près de
Paris.
86 MERCURE DE FRANCE.
de fa doctrine & de fes moeurs , lui firent
donner le furnom d'un autre S. Auguftin :
il mourut en 1142. Il a beaucoup écrit ; la
plupart de fes ouvrages regardent la morale
Chrétienne : on en peut voir le Catalogue
dans le VIII ' Livre , p . 889 , de la Bibliotheque
Latine du moyen & bas age de Fabricius.
Helmoldus du Holftein , Evêque de Lubec
, Aleurit auffi dans le cours de ce fiècle.
Il nous a donné une Chronique des Slaves
& des Venedes depuis Charlemagne , jufqu'à
l'an 1170. On y trouve bien des chofes ,
qui regardent les anciens Pomeraniens , le
Dannemarc , & la Baffe Saxe , qu'on chercheroit
vainement ailleurs.
Gunther , Moine de l'Ordre des Chartreux
, vécut dans le même fiècle : C'eſt un
Poëte qui n'eft pas fans feu & fans génie .
Il a chanté la prise de Jerufalem par Gode-
*froy de Bouillon , & les exploits de Frederic
Barberoffe contre les Milanois : le premier
Poëme n'eft pas encore imprimé , le fecond
Feft , & fe trouve divifé en dix Livres ,
écrits en vers hexametres : Nous avons
auffi de lui l'Hiftoire de la délivrance de
Conftantinople par le même Godefroy.
Enfin l'Allemagne eut encore alors Otron
, Evêque de Freyfingen , & petit fils de
l'Entpereur Henri IV. C'eft un Hiftorien
SEPTEMBRE. 1752 . 87
fidele , on eftime encore fa Chronique ,
qui s'étend depuis la création jufqu'à l'an
1146.
Dans le treiziéme fiécle l'Allemagne a
eu un Empereur dont le nom eft cher aux
Lettres , c'eft Frederic II. Il eut foin qu'on
traduisît les ouvrages d'Ariftote , la grande
Syntaxe de Ptolomée , les Livres fur la nature
de l'Homme , de Gregoire de Nyffene , &
plufieurs autres traités de Médecine & de
Mathématique. Il fonda une Univerfité à
Naples en 12-24 , rétablit celle de Boulogne
& de Salerne. Et que n'auroit- il pas fait , lí
Gregoire IX, pouffé par des motifs particu
liers , ne l'eat forcé à porter le flambeau
de la Guerre dans un pays bien éloigné de
fes Etats , & à fuivre les traces de Godefroi.
Ce Pape l'excommunia deux fois , la premiere
, parce qu'après avoir époufé Jeanne
de Brienne , il fembloit renvoyer de jour
en jour l'expédition de la Terre- Sainte : la
feconde , pendant qu'il éroit à Jerufalem ,
pour avoir fait une trève avec le Sultan ;
& non content d'avoir banni ainfi Fréderic
du fein de l'Eglife , ibcrut devoir lui en
lever fes Etats , difant qu'un Prince qui re
fufoit d'exterminer les infidéles , étoit indigne
de porter la Couronne , & de come
mander à des Sujets Chrétiens . Il fit marcher
des Troupes fur les Terres de cet Em3S
MERCURE DE FRANCE .
pereur , & promit l'Empire à Henri le jew
ne , qu'il engagea à fe joindre à lui pour
faire la Guerre à ce Prince .
C'eft ainfi qu'on traverfa les de ffeins de
Frederic , Prince de qui l'on pouvoit atten
dre le rétabliffement des Sciences . L'Allemagne
en fouffrit le plus , elle ne put tirer
aucun fruit de l'amour que cet Empereur
avoit pour les Sciences : Elle refta dépouil
lée de Sçavans & dePhilofophes.L'Italie (a)
fut feule en état d'en profiter. Frederic s'y
étoit arrêté quelques tems , & y avoit encouragé
tout ce qui étoit fufceptible d'étu
de. Leibnitz (6) prétend que ce fiécle a été
le plus ignorant de tous pour les Allemands
, & il ne fait pas difficulté de dire
que le dixiéme étoit un fiécle d'or en comparaifon
; mais il me paroît qu'il s'eft trom-
(a) Voyez combien Vincentius Bellovacenfis le
loue de ce fiecle dans fonfpeculum hiftoriale , L. I.
c. 2. Il avoue pourtant que l'étude de l'Hiftoire'
Eccléfiaftique étoit alors négligée.
(b) Dans les Prolegomenes mis à la tête du pre
mier tome de fes Scriptores de R. B. §.63. Il eft hors
de doute que le diziéme fiécle a été le plus ignorant
de tous , fi nous n'envilageons que l'Allemagne,
C'eft une autre queftion , s'il s'agit de l'Europe'
enticre ; & j'aurois peut être raifon de dire que le
dix & onzième font plus d'honneur à l'efprit Fran
çois , que les trois fuivans . Il ne feroit pas difficile
den alleguer plufieurs raifons
SEPTEMBRE. 17 ( 2. 89
pé : les hommes illuftres qui vêcurent alors ,
& que je vais nommer ,
femblent prouver
le contraire .
L'Allemagne eut alors Albert le Grand ,
fa) il étoit né en Suabe , & parvint à être
Evêque de Ratisbonne , après avoir été Docteur
en Theologie à Paris , & y avoir enfeigné
quelque tems. Pierre Labbé prétend
qu'il a écrit 80 volumes d'ouvrages ; tous
ne nous font pas parvenus ; ce que nous
en avons fait 21 volumes in-fol. & renferme
des traités de Métaphyfique , de
Phyfique , de Mathématique , & de Théologie
( 6) . On a cru long- tems qu'il étoit
l'Auteur du Livre des fecrets des femmes ,
mais perfonne ne le croit aujourd'hui . Albert
étoit un génie profond , & qui fait
honneur à fa nation .
>
Je dois vous avertir , Monfieur , que l'on
fe trompe beaucoup , lorfqu'on s'imagine ,
que le furnom de Magnus ait été donné à
Albert à caufe de fon génie : non , c'étoit
un nom de famille , qu'on exprimoit par
(a) Il ne faut pas confondre celui - ci , avec un
autre de même nom , qui naquit à Morlaix , & ne
vêcut que dans le XVII fiécle , comme quelquesuns
l'ont fait.
(b Voyez le Catalogue de fes Ouvrages dans le
L. I.de la Bibliotheque Latine du moyen bas age de
Fabricius , P. 114
go MERCURE DE FRANCE.
le mot de Grot , ce qui fignifie en
en Allemand
Grand , & lorfque dans la fuite des
tems , il plut aux Sçavans de latinifer
tout , on a fait de Grot , Magnus ; c'eſt
ainft que Gerhardus Grot a été appellé dans
le fiécle fuivant Magnus (a).
Dans ce même fiécle , l'on vit en Allemagne
Jean Semeca , un des bons Jurifconfultes
Allemands ; il étoit attaché à l'Eglife
de S. Etienne à Halberstadt , & a donné
quelques remarques fur le Decret de Gra
tien. Le Sçavant ( Henri ) Meibom a raffemblé
dans fa Chronique de Marienthal tout
ce qui pouvoit le regarder (6) .
L'on y vit auffi alors Conrad de Lichte.
nau , Abbé d'Aversperg dans le Diocèſe
d'Augsburg. Il nous a donné une Chroni
(a) Confultez le fçavant Heuman dans fes Ada
Philofophorum T. III. p. 256. Je dois cela à ce célybre
Docteur de Goettingen.
(6) Elle fe trouve dans le IIIe T. de fes Scriptores
de R. B. On ne fera peut- être pas fâché de juger de
fa Poëfie Latine des Allemands de ce fiécle , par
l'épitaphe qu'on drefla à Jean Semeca , & que voici
telle qu'elle fe trouve encore à Halberſtadt : je
la tiens de Fabricius.
Eft , erit , atque fuit , qui defiit effe Joannes
Dogma viget , viguit , florebit , & omnibus annis
Lux decretorum , dux Doctorum , via morum.
Hicjacet, & placet , ut vacet à poenis miferorum.
SEPTEMBRE . 1752, 98
que qui s'étend depuis Belus 1. Roi des Affyriens
jufqu'à l'an 1229. C'eſt un Hiſtorien
digne de foi.
Albert de Stade , Abbé du Couvent de
la Sainte Vierge , près de la ville de Stade,
eft encore un bon Hiftorien de ce tems : il
nous a donné une Chronique fort eftimée ,
qui s'étend depuis le commencement du
monde jufqu'à l'an 1256. On a tenté de
l'enlever à l'Allemagne , mais les argumens
qu'on allegue pour prouver qu'il étoit de
Pife (a) , font fi foibles , que je n'ai pas balancé
un moment à le placer ici : On a autant
de tort à nier , ( b ) qu'il foit Allemand
, qu'on en a à vouloir que Pierre des
Vignes le foit : ce dernier eft fûrement de
Capoue, (6) comme on le prouve par deux
de fes Lettres.
Le quatorziéme fiécle eftpour ainfi dire ,
celui où on a fait en Allemagne le premier
(a) Il n'y a qu'à diftinguer deux Alberts qui ve
curent alors . Celui de Pife étoit , Minifter Generalis
Francifcanorum , dit Fabricius.
(b) Voyez fa vie écrite par Tobie Ekard & imprimée
à Golar en 1726 in-4 .
(c) Ceux qui veulent le faire Allemand font
trompés par Tritheme . Je penfe que cet Auteur
n'ayant vêcu qu'à la fin du quinziéme fiécle , puif.
qu'il eft mort en 1516 , n'eſt pas d'un affez grand
poids , pour l'emporter fur l'argument dont je viens
de parter.
92 MERCURE DE FRANCE.
pas , pour y établir à jamais le goût & l'étude
des Sciences. L'Empereur Charles IV.
fonda en 1360 l'Univerfité de Prague : auparavant
, en 1346 , on avoit fondé celle
d'Heidelberg, qui eft la premiere Académie
établie en Allemagne celle de Vienne en
Autriche fut établie en mil trois cent cinquante-
fix ; ce fut Buridan , qui , après avoir
été chaffé de Parts , par les Nominaux , ob
tint du Pape Urbain V, les priviléges néceſfaires
pour cette Univerfité. En 1392 on
en établit une autre à Erfort. Cependant
malgré tous ces encouragemens l'efprit des
Allemands refta encore engourdi : les Théologiens
ne s'attachoient alors qu'à des queftions
pueriles & inutiles , les Philofophes
étoient Sophistes , les hiftoriens ne rappor
toient que des fables , & les Poëtes n'étoient
que verfificateurs. Parmi tous ceux
dont les noms font encore connus , je crois
n'en devoir nommer que trois .
Le premier e'eft Henri de Langenftein ( a)
(a ) Il ne faut pas le confondre avec un autre du
même nom , qui a vêcu plus tard. Voyez Pezius
dans fa préface au I. T. du Thefaurus Anecdotorum
P. 74. On fe trompe en croyant que celui dont je
parle ait été de l'ordre de S. Auguſtin , ou bien
de celui des Chartreux. Voyez encore Oudinus dans
fon Commentaire fur les Ecrivains Ecclefiaftiques . Te
HI. p. 1292.
SEPTEMBRE . 1752 .
natif du païs de Helle : il a été un des plus
fçavans hommes de fon temps . Il enfeigna
d'abord la Théologie à Paris , & y fut Vice-
Chancelier , de- là il parvint à être Chanoine
à Worms , & alla enfin à Vienne ,
preffé par les follicitations du Duc Albert,
prendre une chaire de Théologie , qu'il
garda depuis 1384 jufqu'à la mort , qui ar
riva en 1397. Il fut le premier qui introduifit
le goût des Mathématiques en Allemagne.
Nous avons beaucoup d'ouvrages
de lui , la plupart ne font pas encore imprimés
quelques -uns font en vers , beaucoup
regardent la Théologie , & deux ou
trois les Mathématiques .
Le fecond eft Jean Laulerus de Strasbourg,
où il mourut auffi en 1361. C'eſt un des
plus grands & des meilleurs Theologiens
de fon tems : on a traduit quelques uns de
fes ouvrages en Latin ; on ne les trouve pas
tous imprimés enfemble , & il y a plufieurs
éditions , où les piéces mêmes font défectueufes
& mutilées .
Le troifiéme enfin eft Henri Sufo de Suabe,
Théologien myftique , qui fit beaucoup
de bruit dans fon temps. Il mourut à Vim,
en 1465. Il nous a laiffé quelques ouvrages
en Latin , qui ont été imprimés très-
Louvent.
Les Italiens & les Anglois étoient plus
94 MERCURE DE FRANCE,
heureux que les Allemands dans ce fiècle.
Les premiers avoient Petrarche , dont la
mémoire fera toujours chere à ceux qui
aiment les Lettres : les derniers avoient
Wiclef, Burley, & l'incomparable Suiffet.
Voilà , Monfieur , ce que je penfe fur
ces fiécles d'ignorance : ceux qui fuivent
font beaucoup moins ingrats , les recherches
que je pourrois faire feront plus
d'honneur à l'efprit Allemand : J'attends
le jugement , que vous porterez de cet ef
fai , pour me décider fur la correfpondance
que vous me demandez.
J'ai l'honneur d'être , & c.
A Paris ce premier Août 1752 .
P. S. Je viens dans ce moment de recevoir
un ouvrage , qui a pour titre Progrès
des Allemands dans les Sciences , les Belles
Lettres & les Arts. Il eft imprimé à Amſterdam.
On m'a affuré que Monfieur le
Baron de Bielefeld en étoir l'Auteur. Je
vous en rendrai compte , Monfieur , dans
la premiere Lettre : j'aurai de la peine à
me réfoudre à continuer l'ouvrage , que j'ai
commencé , vous voyant à même de lire
quelque chofe d'auffi bon.
SEPTEMBRE, 1752 .
M. Marmontel eft dans l'ufage de faifir
pour l'objet de fes veilles , des fujets chers à
la Nation. Le Public n'a pas oubliéfon Epitre
au Roi fur la création de la Nobleffe , &
fon Poëme fur l'Ecole Militaire. On trouvera
les mêmes preuves de talent & de zèle
dans l'Ouvrage que vient de lui infpirer un
venement qui a fucceffivement rempli la
France entiere de terreur & de joye.
VERS
Surla Maladie & la Convalescence de Mon
feigneur le Dauphin. Par M. Marmontel.
Orfque dans fon Temple d'airain
La Guerre frémit enchaînée ,
Que la Paix de Lis couronnée ,
Eleve aux Cieux un front ferein ;
France , quels nuages funébres
Changent en des jours de ténébres
Tes plus beaux jours évanouis ?
Quel lugubre & funefte voile
Obfcurcit la brillante étoile.
Qui préfide au fang de LOUIS
Des Bourbons immortel Génie ,
6 MERCURE DE FRANCE.
Qui femblois dans tes mains tenir , du haut des
airs ,
La Balance de l'harmonie ,
Et les rênes de l'Univers ;
Tu n'es plus cet Ange invincible ,
Qui difpenfoit d'un front paisible
Les triomphes & les revers.
Ce calme inaltérable a fait place à la crainte,
Sur ton front paliffant la douleur eft empreinte:
Tes cris font retentir & la terre & les mers.
Je tourne en frémiffant mes regards vers le três
ne.
Que vois-je le fils de nos Rois ,
L'héritier de Louis , que la mort environne !
J'interroge les coeurs : leur douleur eft fans voix.
Dieu protecteur des Lys ! un Prince qui t'adore,
Un Prince dont le coeur eft pur , même à tes yeux ,
L'espoir du nom François s'eclipſe à fon aurore.
Un venin redoutable , un feu contagieux ,
Dans les veines caché , l'embraſe & le dévore.
O Puiflances de l'art , redoublez vos fecours ,
Secondez la nature ; Hélas ! trop foible encore ,
Un obftacle mortel en artête le cours.
Tout gémit au loin , tout foupire.
Déja dans tous les coeurs l'épouvante a paſſé
La Cour , & Paris & l'Empire
}
Ne
SEPTEMBRE . 97 1752 :
Ne font plus qu'un feul corps ,que la crainte a glacé.
Toi,qui chéris ton peuple avec l'amour d'un Pere.
Quels font tes fentimens pour ton fils menacé ?
Grand Roi, pour fecourir une tête fi chere ,
Ni cet air infecté des germes du trépas ,
Ni le prix de tes jours pour un peuple qui t'aime
Ne peuvent retenir tes pas.
Tout entier à ton fils,tu n'es plus à toi -même.
C'est à vous , qui veillez fur fes jours précieux ,
Garde inébranlable & févère ,
De défendre à LOUIS l'aproche de ces lieux:
Méconnoiffez le Roi , pour réfifter au pere.
Grand Roi , fais à ton peuple , à ta Religion
De cet exil cruel un digne facrifice .
Ton fils , dans les horreurs de la contagion ,
T'entraîneroit toi- même au bord du précipice
Affez d'autres périls nous troublent aujourd'hui,
La Nature & l'Amour les affrontent pour lui,,
sous de fi nobles traits quelle fimple mortelle
Lui rend ces tendres foins , ces offices pieux ?
Pour fon courage & pour fon zèle
Les plus humbles devoirs font les plus précieux .
Plus le danger paroît extrême
Plus il redouble fon ardeur.
On croit voir un efclave ! & glorieuſe erreur !
C'eft l'augufte Dauphine ! oui , la vertu ſuprême ;
E
98 MERCURE DE FRANCE.
Pour fervir , pour fauver la moitié d'elle - même ;
Dans fon abaiſſement met toute la grandeur.
Aux pieds de lon époux , où le tombeau s'entrou
vre ,
Elle veut partager , compagne de fon fort ,
Jufques au voile ( a ) qui le couvre ;
Fut-il le voile de la mort,
7
La mort du devoir qui l'engage
Pourroit feule la détacher.
LOUIS tremble de fon
courage ,
Des bras de fon cher fils il la veut arracher ;
FRANCE , écoute ton Héroïne !
Je rends grace aux bontés du Roi ( b ) .
» Il ne peut manquer de Dauphine ;
» Qu'il ceffe de craindre pour moi.
Des foins de la plus tendre épouſe
La plus tendre mere eft jaloufe.
Du pied des faints Autels , où ſa plaintive voix
· Vient d'offtir ſa douleur au Souverain des Rois ;
Elle accourt. Quel objet pour le coeur d'une meres
Les jours de fon fils en danger !
Sa frayeur la trahit , fon viſage s'altère ,
Le Prince voit fon trouble & va le
partager.
( a) Madame la Dauphine obfiinément attachée
auprè de Monfeigneur le Dauphin , &juſques fous
Les rideau defon lit , pendant fa maladie.
(6) Paroles de Madame la Dauphine.
SEPTEMBRE: 87521 99
Qui le raffurera dans ce moment terrible ?
O triomphe d'un coeur courageux & fenfible !
Une épouſe , une amante , un prodige d'Amour
Obferve la pâleur d'une mere troublée ,
Elle voit fon époux s'effrayer à fon tour ;
Et domptant la douleur dont elle eft accablée ;
» Confolez-vous , dit- elle , avec un doux fouris ,
» Reine , je vous réponds des jours de votre fils.
» Les lumiéres de l'Art , d'abord trop incertaines ,
» Viennent d'éclairer mes efprits .
Ses douleurs ne font point les atteintes foudaines
» Du poifon qu'en naiffant nous portons dans nos
» veines.
و د
Il ne refpire point un air contagieux ,
» Et pour vous en convaincre il fuffit de vos yeux.
A ces mots , du poiſon bravant la violence ,
Dans les bras de fon Prince on la voit qui s'élance,
Le preffe dans fon fein , & d'un fublime effort,
De fes chaftes baifers le couvre avec tranſport.
Vils efclaves de la moleffe !
Ce tableau n'eſt point fait pour vos coeurs abatus ,
Et le triomphe des vertus
Feroit frémir votre foibleffe .
Il étoit fait pour vous , ce tableau fi touchant ,
O Reine vertueufe ! O mere refpectable !
Sur ces époux unis , vous même vous penchant ,
Vous imitez l'effort d'une amante adorable ;
Ej
roo MERCURE DEFRANCE.
Et votre fils confond dans fes embratlemens ,
Du fang & de l'Amour les tendres mouvemens.
A res loix rien ne met obſtacle ,
OMort! tu fus toujours infenfible à nos pleurs
Mais peux-tu l'être à ce fpectacle ?
Sur ce Théâtre de douleurs ,
Sur ce lit , que ton ſouſe a rendu fi terrible ,
Tu vois trois coeurs'unis d'un lien invincible ;
Frappe , & choifs de ces trois coeurs
Le moins grand , ou le moins fenfible."
Mais vous , dans ces momens fi chers , fi dange
reux ,
Grande Reine , illuftre Princeffe ,
Souvenez - vous de la tendreffe
D'un Roi , d'un pere malheureux ,
Qui dans le trouble qui le preffe
Compte par fes foupirs ces inftans douloureux .
Votre abfence le livre à des tourmens affreux;
Il n'oſe fe flatter de l'efpoir qu'on lui donne.
Dans fon inquiétude il croit tout ce qu'il crainta.
Dans les yeux de la Cour fi l'effroi ſemble peint
C'est à l'effroi qu'il s'abandonne.
La Nature accablée appelle le fommeil ;
Le fommeil vient s'offrir à l'ennui qui le ronge
Mais fi fa foibleffe l'y plonge ,
De la mort le fombre appareil
A fes yeux vient s'offrir en fonge.
1
SEPTEMBRE. 101 1752 .
I demande , en tremblant , fon fils à ſon réveil.
» Grand Dieu , fauvez , dit -il , l'appui de ma fa
» mille (a) .
ל כ
Quand la mort m'a ravi ma fille ,
Accablé , mais foumis dans mes juftes douleurs,
De vos profonds décrets adorant la Juftice ,
Je n'ai point murmuré de mes propres malheurs,
» Ma fille étoit à moi . De fes jours , de mes pleurs
Je vous ai fait le facrifice ;

» Mais mon fils eft à mes fujets.
» Sur lui tout leur efpoir fe fonde.
C'est pour eux que je crains. Mes voeux ont pour
33
objets
Le bonheur de mon Peuple , & le repos du
» monde.
Tandis que dans les Cieux la Ferveur & la Foi
Aux pieds de l'Eternel préfentent ta priere ;
Et la France & l'Europe entiere
LOUIS , l'implorent avec toi.
Tu trembles pour un fils ; nous pour un fecond
pere.
Chacun de tes fujets a ton coeur aujourd'hui,
La timide vertu , l'innocence éperdue
Demandent au Ciel leur appui.
Avec lui va renaître , ou périr avec lui
Leur efpérance fufpendue.
(a) Difceurs du Roi,
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
Mais le Dieu qui feul ouvre & ferme les tome
beaux ,
Qui cherit la vertu , l'éprouve & la couronne ,
Le Dieu qui menace & pardonne ,
Veut prolonger le cours des deftins les plus beaux
La mort fur fa victime avoit levé la faulx
Dieu commande ; elle l'abandonne.
Du venin , lent à s'exhaler ,
La fubtile vapeur , au dehors épaiffie ,
Ne menace plus de couler
Vers les organes de la vie .
Du feu féditieux qu'elle avoit allumé ;
Déja l'aliment confumé
-
Laiffe aux efprits un cours plus libre:
Le fang , dans les veines calmé ,
Reprend fon premier équilibre.
Du jour brillant de la fanté ,
De ce jour long- tems fouhaité
On voit luire le crépuscule.
La nuit de nos douleurs reculé
Devant cetre douce clarté.
De notre espoir , trop foible encore ;
Bientôt les rayons de l'aurore
Raniment la timididé ' ;
Et le beau jour qu'elle devance ;
Va fur la face de la France
Répandre la férénité.
Marcellus des François , le danger de ta vie
SEPTEMBRE . 1752. 103
A plus caufé de pleurs , que n'en couta la mort
Du vertueux fils d'Octavie ;
Mais que d'un vif & doux tranfport
Tu vois notre douleur fuivie !
L'air ne retentit plus que de tendres accens ,
Où des coeurs enchantés le bonheur le déploye .
Nos pleurs coulent encor ; mais par l'excès de joie
Qui pénétre & faifit nos fens.
Le Temple brille , l'Autel fume ,
Mais ce n'eft plus que de l'encens
Que la reconnoiffance allume.
O digne fils du plus grand Roi ,
O Pere vertueux , dont ce fils eft l'image !
D'un peuple heureux fous votre loi ,
Recevez le plus rendre hommage.
A vos puiffans deftins nos deftins font liés.
Vivez , foyez des Rois la lumière & l'exemple ;
Et qu'au gré de nos voeux tout l'Univers contemple
La Vertu fur le trône , & l'Amour à fes pieds.
Envoi à M. Chalut de Verrin , Treforier
Général de Madame la Dauphine .
Tandis que de la Faculté
On vante par tout le miracle ;
Qu'enfin de peril en obftacle
Notre espoir eft reflufcité ,
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE .
Quand l'Empire eft en fureté
Quand Senac eft fur le pinacle ;
Ami comment payer tes foins
A me tranfmettre le fpectacle
Dont tes yeux étoient les temoins ?
Tu connois cet ami fenfible ,
Ce Philofophe citoyen ,
Dont le coeur infpire le mien;
Juge , dans ce moment terrible ,
De mon effroi d'après le fien .
De l'inconftante Meffagete
Envain j'écoutois les cent voix ;
Cette Déeffe menfongére
L'eft furtout en parlant des Rois .
Tantôt flatteule & confolante ,
Elle rafluroit mes efprits :
Tantot éperdue & tremblante
Elle me glaçoit par les cris.
Quelquefois ( j'en fremis encore )
Funefte augure du trépas ,
Elle ofoit me dire tout bas ,
Son dernier Soleil vient d'éclore
D'un trouble mortel agité ,
J'ai recours à la vérité .
Ma plainte , mon effroi la touche ;
Et follicitant ta pitié
Elle me parle par la bouche
SEPTEMBRE . 1752. 105
"
e
De la fecourable amitié .
Chez toi , de tous temps refpeée ,
La verité fait fon féjour :
Tes Buletins , deux fois le jour ,
Etoient écrits fous fa dictée .
Ah! que ces billets , tour à tour
Mêlés d'amertume & de charmes ,
M'ont caufé de joye & d'alarmes !
Que ma douleur & mon amour
Les ont fouvent mouillés de larmes!
Je voyois pâlir le flambeau
Du nouvel aftre de la France ,
Et chanceler notre eſperance
Entre le trône & le tombeau .
Tremblant d'une frayeur mortelle
Au feul afpect de ce danger ,
Injufte par excès de zèle ,
J'accufois la lenteur cruelle
De ton diligent meſſager.
Il arrive ; ma main timide
Reçoit en tremblant fon dépôt ,
Er l'effroi fuccéde auffi - tôt
A mon impatience avide.
O Ciel ! que va-t- il m'annoncer ¿
Difois-je au bord du précipice 2
Quel Arrêt va me prononcer
Ce billet fatal ou propice ?'
François , il contient votre fort.
上v
106 MERCURE DE FRANCE!
Helas ! ces mots que je vais lire
Jettent l'espoir de cet Empire
'Ou dans l'abîme , ou dans le port.
Je lis. Chaque mot me pénetre.
Sur mon front l'allarme ou l'eſpoir ,
Comme en un fidele miroir ,
Peignent tous les traits de ta Lettre
Que ne m'as-tu pas fait fouffrir ?
Tantô: le calme vient s'offrir ,
Et je m'y livre en affurance :
Tantôt un moment dangereux
Vient ébranler mon efperance.
J'ai vu l'inftant qu'un voile affreux
Couvroit la face de la France.
Que dans cette longue fouffrance ,
Tu m'as peint de vives couleurs
Un père qui dans les douleurs
Demande au Ciel la délivrance
D'un fils digne objet de ſes pleurs
Une mere , une époufe en larmes ,
Tantôt embraffant les Autels ,
Tantôt dans leurs vives allarmes ,
Partageant des périls mortels :
Des Soeurs qu'un ſoin tendre a bannies
Loin de leur frere languiffant ,
Qui demandent en gémiffant
De quel crime on les a punies :
L'oubli de leurs jours , de leur rang,
SEPTEMBRE. 1752. 107.
En un mot dans le même fang
Toutes les vertus réunies.
Ami , ce font là les tableaux
Que , d'après toi , j'ai voulu peindre ;
Mais à des modeles fi beaux
L'effort de l'Art peut-il ateindre ?
Toi, qui fens fi bien tout le prix
Des vertus que tu m'as tracées ,
Toi , dont nos allarmes paffées
Glaçoient le coeur & les efprits s
Jouis de la faveur durable.
De ces Maîtres fi généreux.
Près d'une Princeffe adorable ,"
Sois le dépofitaire heureux
Des dons que fa main fecourable
Repand fur le fort rigoureux
Du merite humble & miferable.
Que le plus doux de fes bienfaits ;
Le digne objet de ta tendreffe
Chere à ſon augufte Maîtreſſe ,
La ferve & l'admire à jamais.
Trop heureux fi le fort propice ,
Près de ces illuftres Epoux ,
M'eût fait partager avec vous
Et leurs bontés & leur fervice !
E vj
CS MERCURE DE FRANCE ;
Mais je ne puis que célebrer
Des vertus qu'au loin je contemple,
Je ne puis qu'en tracer l'exemple
Aux coeurs faits pour s'en pénetrer.
Puiffe du moins ce foible
gage
De mon refpect religieux ,
Puiffe mon zèle , d'âge en âge
Faire paffer la foible image
De tout ce qu'ont formé les Cieux
De plus digne de notre hommage.
I
(
SEPTEMBRE. 1752. 109
Le mot de la premiere Enigme du Mercure
d'Août , eft les Boucles ; celui de la fe
conde , eft l'Imagination *. Celui du Logogryphe
eft Mariage , dans lequel on trouve
maigre , âge , air , rime , mari , mer , mere ,
rage , gare , ramage , game , magie & image.
* N'a- t- elle pas caufé la révolte & la chûte
des Anges ? Le nombre des mauvais
écrivains n'eft-il pas plus grand que celui
des bons Auteurs ? Montagne a dit que
l'Imagination eft la folle de la maison. La
Motre , dans une de fes Fables , nomme
l'Imagination Demoifelle : Dom Jugement,
Dame Mémoire , & Demoiſelle Imagination
. M. de Fontenelle dans fon Eloge du
Pere Malebranche , dit que l'Imagination
fervoit en lui un ingrat , & ornoit fa raifon
en fe cachant d'elle. M. Raymond de
Sainte- Albine a dit dans une Lettre imprimé
, que l'Imagination croit appercevoir
des Geans où la raifon pareffeufe à inventer
ne voit que des Moulins à vent. Voyez ce
que le Pere Malebranche a écrit pour &
contre l'Imagination dans fon Livre de la
Recherche de la vérité. L'opinion qu'on dit
être la Reine du monde eft la fille de
l'Imagination .
710 MERCURE DE FRANCE.
蔬菜洗洗:洗洗洗:洗洗洗洗:洗洗洗洗
ENIGM E.
JE fuis ,Lecteur , un inftrument
Que chacun à fon gré manie.
Je fers fouvent à la manie ,
Et je fais plus d'un mécontent.
Je duis à l'homme de pratique ,
Marchand & Ecclefiaftique .
A tous je fuis d'utilité ,
Et dans tout pays ufité.
Si tu veux fçavoir ma ftructure ;
Côtés Pelus , un pied fendu
Feront toute mon encoulure :
A fort bas prix je ſuis vendu.
Puis-je , Lecteur , mieux me dépeindre?
Non. Telle eft ma condition :
Telle ma définition .
Parle ; car je cefle de feindre.
Par l'Abbé, de VINCHEGUERL
1
"
C
TH
SEPTEMBRE. 1752. TIL
AUTR E.
JE fuis faite pour divertir ,
Et le plus fouvent j'embarafle ;
Je fuis toujours cachée , & j'ai fi peu d'audace ;
Qu'à tout moment je crains de me trop
découvrir ?
Veux-tu fçavoir pourquoi je n'ofe point paroître?
J'ai de juftes raifons , tu vas en convenit ,
Dès qu'une fois tu viens à me connoitre ,
Tu me quittes alors , & n'a plus de plaifir.
LOGOGRIP HE.
CHer Lecteur , ici bas tout n'eft que trahiſon ;
Depuis que la fatale pomme
Fit tant de tort au premier homme ,
Tout fous un bon appas , n'offre que du poifon.
C'eſt ainfi , qu'infultant au fort d'un miſérable
Je fais d'un miel perfide éprouver la douceur
Mais plus le goût en eft flateur ,
Plus le coup en eft redoutable .
Entrons dans le détail , quelques combinaiſons
Te mettront mieux au fait du refte.
Douze pieds auffi- tôt te produifent deux noms ,
Qu'à jamais pourfuivra la vengeance celefte.
L'ouvrage qui du Createur
Sans ceffe annonce la puiſſance ,
12 MERCURE DE FRANCE;
Celui que trop de complaifance
Précipita dans le malheur :
L'Hebreu qui d'un édit infâme
Aidé de quelques Jones fe fauva par hafard ;
Celle dont la beauté fans fard
Dans le coeur de Sichem répandit tant de flame
me.
Faut -il un peu plus de façon ?
Tu rencontres felon la fable ,
Du manoir infernal le Juge impitoyable
Le heros qui conquit cette riche toiſon ,
Cette Déefle fi coureufe ,
Qui ( quoique affez fage , dit - on
D'un berger de certain canton
Rechercha la flamme amoureuſe .
Celle dont la fatale cour
Ne fut qu'un vain obftacle aux rufes de l'amour,
Une de ces femmes cruelles ,
Qui ne vouloient fouffrir aucun mâle auprès
d'elles.
Ce Roi dont les heureuſes mains
Plus fertiles que le Pactole
Auroient en peu de tems enrichi les humains ;
S'il eût pû foutenir fon rôle.
Ce mont où fut tant en concours
Un prix ou trois beautés avoient droit de prétens
dre ;
Ce Romain dont le coeur trop tendre
Soupira dans l'exil le refte de fes jours
SEPTEMBRE . 113 1752 ,
Un fage de la Grece , un Apôtre , un Prophete ;
Un endroit où cent fois a folatré Lifette ,
Ce bouclier dont Homere étale le pouvoir ,
Ce qui paffe à Paris plutôt que dans nos Villes ,
Un fruit affez commun propre pour les Vigiles ;
Ce qu'on voit rarement & que l'on croit avoir ;
Deux efpeces de gens bien différens de taille ;
Ce qu'on n'eft pas sûr d'être au fortir du combat ;
Ce fans quoi le meilleur foldat
Ne fçauroit valoir une maille
Ces efprits qu'il falloit jadis
Appailer par le facrifice ,
Celui qui d'Hébé prit l'office ,
La fleur qui reçut Adonis ,
Quatre beaux Evêchés en France ;
Trois Villes dans le Pays- bas ,
Dans un autre deux beaux Etats ,
Une riviere d'importance ,
Un oifeau fans lequel Rome étoit aux abois ,
Un adroit animal tout propre à faire rire .
Je ferois infini fi je voulois tout dire ;
En voila bien affez , Lecteur , pour cette fois.
Par M. de B. Officier d'Artillerie.
A Agen ce- 25 Septembre.
114 MERCURE DE FRANCE.
****************
NOUVELLES LITTERAIRES.
UGEMENT de l'Académie Royale des
Sciences & des Belles - Lettres de Pruffe
fur une Lettre prétendue de M. Leibnitz.
A Berlin 1752 .
Voici le fujet de cet Ecrit. M. de Maupertuis
ayant démontré que dans l'état d'équilibre
des corps & dans les mouvemens
produits par des forces quelconques , ily
avoit toujours la moindre quantité d'action
poffible , principe qu'on doit regarder,
dit l'Ecrit que nous annonçons , comme la
loi la plus générale de la nature , M., le
Profeffeur Koenig a tenté dans les Journaux
de Leipfic ( Mars 1751 ) de contefter la
vérité de ce principe. 2º . D'en ôter la propriété
à M. de Maupertuis.
Pour remplir le premier objet , il indique
quelques cas dans lefquels ce que M.
de Maupertuis prétend devoir être un minimum
, eſt abfolument nul ; à quoi il eſt
aifé de répondre , qu'il y a en effet des cas
où cette quantité eft zero , ce qui ne l'empêche
point d'être un minimum , puifque
rien n'eft au- deffons de zero ; mais que
d'ailleurs il y a une infinité de cas où fans
SEPTEMBRE . 1752. 115
être zero , elle eft réellement un minimum :
- Pour remplir le fecond objet , M. Koenig
allégue une prétendue lettre de M. Leibnitz
à M. Herman , qui n'a jamais été publiée
; comme ce fragment contient d'une
maniere affez nette le principe de la quan .
tité d'action , qui ne fe retrouve d'ailleurs
dans aucune des lettres imprimées de M.
Leibnitz , malgré la beauté & fa généralité,
ce fragment a été regardé comme fufpect.
M. Koenig prié par M. de Maupertuis d'indiquer
où étoit cette Lettre , a répondu
qu'elle lui avoit été communiquée par un
homme décapité à Berne il y a trois ans ,
& envoya à M. de Maupertuis une copie
entiere de la lettre , dans laquelle le fragment
ne fe trouve pas tel qu'il avoit été
cité dans les Journaux de Leipfic , dont le
paffage renfermoir une contradiction.Cette
différence augmenta les foupçons de M.
de Maupertuis ; il obtint qu'on vifiteroit
juridiquement à Berne tous les papiers du
décapité , & il ne s'y trouva rien de la prétendue
lettre ; on vifita de même , & avec
auffi
peu de fruit , tous les papiers de feu
M. Herman à Bâle , où il eft mort.
L'Académie ayant plufieurs fois fommé
inutilement M. Koenig d'indiquer d'une
maniere plus pofitive la fource du prétendu
fragment , prononce que ce fragment eft
116 MERCURE DE FRANCE.
fuppofé . L'Académie , à la priere de M. de
Maupertuis , n'a pas voulu étendre fon jagement
jufques fur M. Koenig. Tel eft l'ob
jet de cet Ecrit , compofé en Latin par le
célébre M. Euler , traduit en François , &
publié par ordre de l'Académie Royale
des Sciences de Pruffe.
QUINTILIEN , de l'inftitution de l'Orateur
, traduit par M. l'Abbé Gedoyn , de
l'Académie Françoife . Edition faite d'après
un Exemplaire corrigé par l'Auteur. A Pa
ris, chez Nyon fils & Guillin , Quai des Auguftins
, 1752. 4 vol . in - 12 .
L'éloquence. Romaine , après avoir été
portée à la plus haute perfection par plu
fieurs grands Orateurs , mais fur tout par
Hortenfius & par Ciceron , éprouva bientôt
, dit l'Abbé Gedoyn , le fort des chofes
humaines, qui ne demeurent pas long - tenis
au même état , & qui ne font jamais plus
près de leur déclin que lorfqu'elles femblent
avoir atteint le point d'accroiffement
& de grandeur qui leur étoit réfervé . Cependant
Meffala & Pollion la foutinrent
encore quelque tems ; mais après eux on
la vit pencher de plus en plus vers la ruine.
Quintilien forma le deffein de lui rendre
fon premier luftre ; il combattit le mauvais
goût de fon fiécle , prit la défenfe des AnSEPTEMBRE.
1752 17
ciens , foutint hardiment qu'il étoit dangereux
de vouloir avoir plus d'efprit que
Demofthene & que Ciceron , qu'Homere,
que Virgile & qu'Horace ; lui - même il
retraça aux yeux des Romains l'image d'une
éloquence mâle , noble & folide , qui fonge
moins à plaire qu'à fe rendre utile ; il
la fit refleurir au Barreau par fes propres
Plaidoyers , qui en étoient des modéles
achevés. Dans la fuite il profita de fa retraite
pour compofer l'Ouvrage que nous
annonçons , & qui eft la meilleure Rhéto
rique qui ait jamais été faite. Ce devroit
être le Livre de toutes les perfonnes qui fe
deſtinent à la Chaire , au Barreau , à parler
en Public , & de tous ceux qui veulent les
juger.
La Traduction de M. l'Abbé Gedoyn
épargnera beaucoup de peine à ceux qui
ne font pas extrémement familiers avec le
Latin , & fera quelquefois utile à ceux
qui le fçavent le mieux. On la trouvera
naturelle , ferrée , élégante & communé
ment exacte. On voit à la tête du premier
volume un éloge hiftorique des Traducteurs
, qui eft de fort bonne main : il y eft
dit que la probité , la franchife , la candeur
formoient le fond de fon caractere ;
il joignit à cela une extrême politeffe , fans
ombre d'affectation . Son ame jouiffoit tou
118 MERCURE DE FRANCE.
jours de cette paix qui eft la compagne
ordinaire de la vertu ; mais avec un naturel
fi doux , il étoit vif & impétueux dans
la difpute ; contrafte que l'on rencontre
fouvent , parce que peut -être il naît moins
d'entêtement ou d'orgueil,que d'un amour
fincere de la vérité .
LA CUISINIERE BOURGEOISE , fuivie
de l'Office , à l'ufage de tous ceux qui fe mêlent
de dépenses de maifons ; contenant la
maniere de difféquer , connoître & ſervir
toutes fortes de viandes . Nouvelle édition,
augmentée de plufieurs ragoûts des plus
de différentes recettes pour
liqueurs. A Paris , chez Guillin , Quai des
Auguftins , au Lys d'or. 175 2. 1 vol . in- 12,
nouveaux ,
les
HISTOIRE des Monts de piété , avec des
réflexions fur la nature de ces établiffemens.
Par M. Ċerreti , Docteur en Droit .
A Padoue , 1752. 153 pag . in- I 2.
Vers le milieu du quinziéme fiécle des
perfonnes charitables de Perouſe , Ville
d'Italie , touchées des malheurs d'un peuple
qui gémiffoit fous la tyrannie des Juifs &
des ufuriers , fe réunirent , & formerent
une maffe d'argent pour être employée à
fecourir les habitans dans leurs befoins :
on la dépofa dans un Bureau , où ceux qui
SEPTEMBRE. 1752. 119
manquoient d'argent pour leur fubfiftance
journaliere & celle de leur famille , trouverent
à emprunter de legeres fommes fans
intérêt , en y laiffant feulement un gage
pour la fûreté du prêt. Ceux qui furent
obligés d'emprunter des fommes plus confidérables
pour foutenir leur commerce &
leur crédit , y trouverent les mêmes fecours
, en dépofant un gage équivalent à
la fomme empruntée , & en payant pour
les frais un dédommagement médiocre ,
felon le tems que leur gage reftoit en dépôt.
Ce pieux établiffement fut nommé ;
Mont de piété. On en forma depuis de pareils
dans la plupart des Etats d'Italie , &
enfuite dans plufieurs Villes de Flandres ;'
on a fait quelques tentatives en France
pour procurer des fecours fi fûrs & fi fages
aux Citoyens ; mais les meſures ont été fi
mal prifes que nous fommes reftés fans
Monts de piété . Le Livre de M. Carreti
paroît bien propre à infpirer du goût &
du zéle pour une fi bonne oeuvre.
METHODE ailée pour conferver la ſanté
jufqu'à une extrême vieilleffe , fondée ſur
les loix de l'oeconomie animale , & les obfervations
pratiques des meilleurs Médecins
, tant anciens que modernes. Traduite
de l'Anglois par M. L. de Preville. A Pan
120 MERCURE DE FRANCE;
ris , chez Prault , jeune , Quai des Auguf
tins , près la rue Git - le- coeur . 1 vol . in- 12 .
ORAISON FUNEBRE de très- haut , trèspuiffant
& très - excellent Prince , Louis
d'Orléans , Duc d'Orléans , premier Prince
du Sang , prononcée le 15 de May 1752
dans l'Eglife de Paris , par M. l'Abbé de
la Tour- du - Pin . A Paris , chez Chaubert ,
Quai des Auguftins , près le pont S. Michel.
1752. 49 pag. in-4° .
L'Orateur fi accoutumé à célébrer les
vertus des Saints , s'eft furpaffé dans l'éloge
que nous annonçons , parce que ce
qu'on a vu fait plus d'impreffion , & eft
rendu par conféquent avec plus de viva
cité & de force que ce qu'on a entendu
raconter. Il a fait voir dans les deux parties
de fon Difcours comment M. le Duc
d'Orléans a facrifié fa grandeur par un
principe de religion ; comment il a confer
vé fa grandeur par un principe de religion.
Ces vérités touchantes & fublimes font dé
veloppées avec un ſtyle noble , nombreux,
& chrétien , tel que nos grands Maitres
l'ont employé dans ce genre d'écrire . Nous
citerons en preuve de ce que nous venons
de dire le morceau fuivant.
Monde injufte ! ferez vous un crime au
Duc d'Orléans de n'avoir cultivé que des
vertus pailibles , que vous ofez nommer,
des
SEPTEMBRE. 1752. 121
1
des vertus obfcures ? Mais quel eft donc
le Héros le plus digne de nos éloges , ou
celui qui triomphe des ennemis de l'Empire
, ou celui qui triomphe de lui- même ?
Des récompenfes temporelles , une réputation
qui le borne à la terre , des actions
qui ne rendent grand qu'aux yeux des
hommes , un vain defir de gloire ; voilà le
plus fouvent ce qui excite , ce qui allume
le courage de l'un. Des récompenfes éternelles
, une réputation qui vole jufqu'au
ciel , des actions dont Dieu feul eft le principe
, le témoin ; des defirs que la ferveur
enflamme , que la loi couronne : voilà ce
qui anime l'autre à faire un éternel divorce
avec tous les objets qui l'attachent
à la terre. L'un par fes fentimens ſe montre
quelquefois au- deffous de la gloire qu'il
acquiert ; l'autre par fes vertus , fe montre
plus grand que les grandeurs qu'il quitte.
Qu'apperçoit- on à la fuite du premier ?
Des peuples malheureux , des victimes
immolées à l'ambition , des cadavres fanglans
, des Villes faccagées , des Trônes
ébranlés , des Rois vaincus , l'Univers devenu
un horrible théatre de meurtres , de
carnage , un defert. La conduite du fecond
offre fans ceffe des facrifices multipliés ,
des foibleſſes évitées , des défauts corrigés ,
des paffions enchaînées , l'efprit affujetti ,
F
.122 MERCURE DE FRANCE..
I
la chair domptée , les fens appaiſés , le
coeur captivé , l'homme tout entier attaché
à la croix , victime de l'abnégation ,
martyr de la pénitence. Décidez , Meffieurs,
lequel des deux remporte les victoires les
plus difficiles , les plus glorieufes ; mais
du moins vous avouerez que les exemples
& les prieres d'an Prince vertueux font
plus utiles encore à un Empire , que la fageffe
& la valeur des Héros qui le défendent.
Celui qui commande à fes ſens , à
fes paffions , eft fupérieur à celui qui force
des remparts , qui prend des villes : Me
lior eft qui dominatur animo fuo, expugnatore
urbium.
-
ORAISON FUNEBRE de très- haut , trèspuiflant
& très excellent Prince Louis
d'Orléans , Duc d'Orléans , premier Prince
du Sang ; prononcée dans l'Eglife Cathédrale
de Sainte Croix d'Orléans le 23 Mars
1752 , par M. Befault , Curé de S. Hilaire
S. Mefmin. A Orléans , chez Couret de Villeneuve
, le jeune. 30 pag. in-4° .
On ne fe laffe point de louer le grand
Prince que la France a perdu , parce qu'ou
tre les vertus chrétiennes qu'il poffédoit à
un dégré fort éminent , il avoit la vertu
morale la plus utile aux hommes , la bienfaifance.
Le nouveau Panegyrifte nous reSEPTEMBRE.
1752. 123
préfente dans les trois points de fon Dilcours
, M. le Duc d'Orléans humble dans
la plus haute élévation , pauvre dans l'opulence
, pénitent au milieu des délices qui
s'offroient à lui. La feconde partie offre un
trait qui nous a paru remarquable.
» Differtateurs modernes , dit M. Befault,
» vous prétendez autorifer le luxe comme
» un moyen efficace de faire circuler l'ar-
» gent , & de le répandre fur tous les
» membres de la fociété ; mais vos prin-
» cipes s'accordent - ils avec la fainte levérité
de l'Evangile ? N'en font ils point
» condamnés dans toutes les pages des Li-
» vres faints ? Il eft pernicieux dans un
» Etat , que l'avarice ramaffe & cache l'or
» & l'argent dans fes coffres ; il eft plus
» avantageux que le luxe les répande :
» l'avarice eft donc un vice plus dangereux
» aux fociétés que le luxe ; nous y con-
» fentons. Mais enfin ce font deux vices
également profcrits par le Chriftianifme ,
» également frappés des anathémes de Je-
" fus Chrift ; il faut donc les bannir tous
» deux de la fociété chrétienne . Qu'on
» mette la vanité du luxe en la place de
» l'humilité & de la fragilité que Jeſus-
» Chriſt ordonne à fes Difciples , on ren-
» verfe le plan de la morale de l'Evangile ,
» on détruit le Royaume éternel d'un Dieu
"
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
*
"
"
»
» crucifié , on fait céder la pénitence à la
volupté , la croix du Sauveur à tout l'étalage
de la vanité , fans peut être rendre
» les Etats temporels plus heureux . Dans
les principes du luxe établi , s'il deve-
»noit fur tout un goût général de Nation ,
» ne fe précipite- t - on point dans des abî-
» mes de dettes ? Les plus illuftres familles
» ne tombent elles point fouvent dans l'indigence
L'Artifan , le Marchand ne
" font- ils point fouvent enveloppés dans
leurs ruines ? La prodigalité ne produit
>> elle point la dureté du coeur , les injuf-
» tices , l'oppreffion ? le Bourgeois qui veut
» imiter le luxe des Grands , ne ſuccombe-
» t-il point dans ces téméraires efforts ?
» Quelles fuites ! que de révolutions ! que
» de renversemens de fortunes dans les
principes du luxe ! heureux fur tout ceux
» qui poffédent l'art dangereux de divertir,
‹ » d'amuſer , de flater les vices , de fervir
les paffions ; c'eft fur eux que l'argent
» fera répandu : mais malheur aux pauvres,
» aux malades , aux infirmes ; malheur à
» tous ceux que Jeſus- Chrift prend ſpécia-
» lement fous fa protection, ils feront aban-
» donnés. Qu'on grave donc plutôt pro-
» fondément dans le coeur de tous les riches
» les principes de l'Evangile , la religion
& la charité de notre Prince , on verra
>>
"
و د
SEPTEMBRE. 1752. 125
"
une noble oeconomie , de l'ordre dans
»les affaires , de la fageffe & de la proportion
dans les dépenfes ; les dettes feront
ignorées , l'injuftice & l'oppreffion
» ne feront point connues , toutes les conditions
fe foutiendront avec honneur
» les pauvres feront abondamment foula-
» gés , Jefus Chrift ne fouffrira plus dans
» fes Membres , la religion fera d'accord
» avec les richelles , les intérêts du bonheur
temporel des Etats fe concilieront
» avec les intérêts de la félicité éternelle :
quel heureux moyen de faire circuler
» l'argent , & de le répandre dans la fo-
» ciété ! Seigneur , qui avez formé le coeur
» de notre religieux Prince , infpirez fes
»fentimens à tous les riches qui font profeffion
d'être de vos Difciples ; ce ne peut
» être que l'ouvrage de votre grace . Puiffe
» cet heureux goût de religion bannir de
» la France le goût trop général du luxe &
» de la vanité.
ESSAI fur l'expreffion muficale ; par
Charles Avifon , Organiſte de Newcastle.
En Anglois. A Londres , 1 vol . in - 8 ° . Ce
Livre réuffit beaucoup en Angleterre , &
il paffe pour agréable & pour profond.
SERMON fur la petite vérole & fur
Fij
126 MERCURE DE FRANCE.
;
l'inoculation par l'Evêque de Worcester.
En Anglois. A Londres , 24 pag. in-4° .
L'objet de ce Sermon eft de recommander
la pratique de l'inoculation . Les calculs
paroiffent favorables à l'opinion du Prélat
Anglois.
ou les
LE DOM GUICHOTE FEMELLE
Aventures d'Arabelle; 2 vol . in - 8 °. en Anglois.
A Londres , 1752. L'Auteur de cet
Ouvrage , qu'on dit être une femme , a
voulu garantir fon fexe des vifions romanefques
de la galanterie , en les tournant
en ridicule , à la maniere de Cervantes.
L'Héroïne du Roman , pour mieux reffembler
à Dom Quichote , a , comme lui , fon
Ecuyer ou fa Suivante ; & l'Auteur Anglois
a voulu que la Lucie de fon Arabelle fût
en femme une efpéce de Sancho Pança .
L'idée de l'Ouvrage eft fimple . Arabelle ,
fille d'un homme de qualité qui s'eft retiré
fur fes terres , joint aux avantages de
la nature ceux d'un efprit délicat & orné ;
mais malheureuſement trop tôt maîtreffe
d'elle- même , elle s'eft gâtée le goût par
la lecture des grands Romans ; elle les regarde
comme contenant à la fois les plus
pures fources de l'hiftoire & les modéles
les plus parfaits de la galanterie & des
vertus : c'eft fur le caractere des Mandanes
SEPTEMBRE. 1752. 127.
& des Clelies qu'elle s'eft formée : elle
s'habille comme elles , agit comme elles
dans les diverfes circonftances où elle fe
trouve , & comme elles croit ne devoir
trouver en fon chemin que des Héros , des
Amans , d'illuftres malheureux ; elle réduit
fes adorateurs aux foupirs & au filence ;
elle veut que les déclarations qu'ils ofent
lui faire ayent été précédées par de longs,
fervices , & fans s'engager à devenir fenfible
, elle condamne à l'exil , ou ordonne
de vivre ; fon imagination faifie ne lui
préfente que traveftiffemens à deviner , ou
qu'enlevemens à craindre. Un coufin , à
qui fon pere la deftine , & qui digne d'elle
par fes vertus , s'attache à elle par amour ,
fe voit obligé de parcourir lentement la
carte du tendre, Après avoir rifqué de la
perdre par les artifices d'un rival , qui fe
fert des extravagances même d'Arabelle
pour la prévenir contre fon coufin , il a
enfin le plaifir de la voit revenue de fes
chimeres , & pour toujours unie avec lui ....
Quoique ce Roman ait eu des partiſans en
Angleterre , il y eft en général médiocrement
eftimé.
VINDICIA Actorum Murenfium , pro &
contrà R. D. P. Mafquardum Hergott, Genealogia
diplomatica Augufta Gentis Habf-
E iiij
128 MERCURE DE FRANCE.
búrgica Auctorem , feu A&a Fundationis Mw
renfis Monafterii , tanquam ejufdem Genealogie
fundamenta fidei fuæ afferta , folidiſque
rationibus & documentis fobriè & juftè vin
dicata. Opera P. Fridolini Kopp , Monachi
Murenfis. Typis ejufdem principalis Monafterii.
1750, in -4° . cum fig.
Cet Ouvrage , le plus exact qui ait en- '.
core paru fur la Généalogie des anciens
Comtes de Habfbourg , eft d'autant plus
cftimable qu'il eft appuyé par les titres les
plus autentiques , tous tirés de l'Abbaye
de Muri en Suiffe . On fçait que cette Abbaye
fondée dans l'onzième fiècle , eft le
plus ancien monument de la piété des
Comtes de Habfbourg. L'Auteur de cet
Quvrage est aujourd'hui Abbé de Muri , &
en cette qualité Prince du Saint Empire >
Romain, Non feulement il a donné une
copie fidéle des actes de fon Abbaye , actes
qui avoient été autrefois imprimés avec
bien des fautes ; mais il a prouvé , contre
le fentiment du P. Hergott , qu'on ne peutpas
former la généalogie des Comtes de
Habfbourg depuis Gontran dit le Riche ,
qui vivoit au dixième fiécle , juſqu'à l'Em -¡
pereur Rodolphe I. , fans le fecours des
actes de Muri. Vincent , Imprimeur , rue
S. Severin , a reçu quelques exemplaires
de cet ouvrage , qui eft d'autant plus rare,
SEPTEMBRE . 1752. 129
qu'ayant été imprimé aux dépens de l'Abbaye
de Muri , il n'a pas encore été mis
en vente , mais a été feulement diftribué en
préfens.
INTRODUCTION à la defcription de la
France & au droit public de ce Royaume ;
2 vol. in- 12 . A Paris , chez Theodore le
Gras , grapde Salle du Palais , à l'L cou-
Tonnée ; Charles- Nicolas Poirion , & Guillaume
Defprez , rue S. Jacques. -
Dans le premier volume l'Auteur traite
du Roy & de toutes les cérémonies qui
s'obfervent auprès de fa perfonne, depuis
fa naiffance jufqu'à fa mort ; il y traite auff
des Officiers de la Couronne & de fa Maifon
; il entre à ce fujet dans un détail trèsinftructif
& curieux , que l'on ne trouve
point ailleurs.
Le fecond volume traite du Gouvernement
Eccléfiaftique , Civil & Militaire de
1a France , qui fait une matiere importante
: on y voit l'efprit & les refforts qui
animent & font mouvoir tous les ordres de
l'Etat ; on y voit auffi toutes les Jurifdictions
civiles & militaires émaner de la puiffance
royale comme d'une fource bienfaifante
, qui foumettant chaque particulier
à une autorité légitime , établit en mêmeems
des Juges pour le protéger contre
E v
130 MERCURE DE FRANCE.
1
toute oppreffion étrangere , & le conferver
dans tous les droits qui peuvent lai appartenir
.
ESSAI fur la Comédie moderne , où
l'on réfute les nouvelles obfervations de
M. Fagan au fujet des condamnations prononcées
contre les Comédiens ; fuivi d'une
Hiftoire abrégée des ouvrages qui ont paru
pour & contre depuis le dix-feptiéme fiècle.
Par M. M. L. J. D. B. . . . . O pueri !
fugite hinc , latet anguis in herba . VIRG.
A Paris , chez la veuve Piffot , Quai de
Conti , à la defcente da Pont neuf; &
chez Duchesne , rue S. Jacques , au Temple
du goût. 1752.
On a imprimé à Berlin une pièce en vers
& en un acte , qui a pour titre : Alzate ,
ou le Préjugé détruit ; par M. G ..
Dourx ·
L'Auteur annonce que cet Ouvrage fut
compofé & joué dans une Société en 1748 ,
& qu'on ne s'appercevra que trop en le
lifant qu'il étoit alors dans une extrêmejeuneffe.
Sa modeftie & fes talens naiſſans
font également dignes de louange : le fujet
qu'il a choifi n'eft peut être pas théatral ;
anais il y a dans fon ouvrage des fcenes.
pleines de feu & de fentiment,
SEPTEMBRE. 1752. 131
Oronte a deshérité Valere fon fils , parce
qu'il a épousé une Comedienne ; la mere
a approuvé la rigueur d'Oronte , mais
elle fe repent de fa facilité , & fe réunit
avec Arifte , ami de la famille, pour fléchir
Oronte ; elle s'y détermine avec d'autant
plus d'empreffement , qu'Alzate , c'eft le
nom de la Comedienne , loin d'être une
fille fans moeurs , poffède toutes les qualités.
qui peuvent rendre un honnête homme
heureux. Les foins de la mere & d'Arifte
ont tout le fuccès que Valere pouvoit efperer.
Oronte s'attendrit & confirme le
mariage.
Nous allons rapporter quelques vers de
la huitiéme Scene , entre Arifte , Valere
& Alzate , pour donner une idée du
ftile & du génie de l'Auteur..
Valere après avoir retrouvé Alzate qui
avoit pris la fuite , pour éviter le courron
Oronte.
Confas , defefpéré , je rougis , chere Alzate ,
De t'avoir foupçonnée un inftant d'être ingrate ,.
Comment reparerai - je un tel excès d'horreur ?
Mon trouble & mes remords ont déja dans mon
coeur
Porté les premiers traits d'une jufte vengeance...
C'eſt à toi d'achever de punir mon offenfe.
Evi
32 MERCURE DE FRANCE
Cependant fi le crime eft dans ta volonté ,
Je fuis peut- être encor digne de ta bonté;
Mon foupçon fut l'effet de ma delicateffe ,
Ta fuite m'enlevoit l'objet de ma tendreffe :
Jaloux , j'ofai douter un moment de ta foi ,
Et mon crime eft parti de mon amour pour toi ; .
Ce n'eft pas que mon âme ouverte à l'artifice
Veuille de les tranſports excuſer l'injuſtice ;
Il fuffit que mon coeur ait pû te foupçonner
Et fi le tien s'obſtine à me le pardonner ,
Je ferai le premier à m'en punir moi-même ,
Qui , je jure à tes pieds, tendre épouſe que j'aime ;
Que coupable envers toi.
Alzate.
Valere , levez- vous.
C'est bien plutôt à moi d'embraffer vos genoux ›
A moi qui par ma fuite & par mon imprudence
Ai mérité l'affront de votre défiance
Oublions , l'un & l'autre , un écart criminel ,.
Ouvrage infructueux d'un amour mutuel .
Ma fuite n'eut pour but que d'employer mon zele
A réparer vos maux , & votre coeur fidele
N'a foupçonné le mien durant quelques momens,
Que parce que l'abſence aigriſſoit vos tourmens.
"Pardonnons à nos coeurs cette injure commune ;
Nous mêmes n'allons pas combler notre infor
une
SEPTEMBRE. 1752. 133
Quittons donc , cher époux , d'inutiles remords
Livrons-nous feulement à nos tendres tranfports .
Soyez toujours certain de la foi d'une épouſe.
Alzate en amour ſeul de vous vaincre eſt jalouſe ;
Difputez , s'il le peut , ce triomphe à mon coeur
Et jurons-nous fans ceffe une éternelle ardeur .
THALIE CORRIGEE , Piece en
vers libres qui a fervi de Prologue à la.
Comédie du Légataire univériel , reprefentée
fur le Theatre de Nîmes au mois.
de Mars 1752 .. Par M. le Beau de Schofne.
Il y a de l'efprit dans ce petit Ouvrage ,.
& le ftile en eft facile & naturel. C'eft une.
critique affez vive du comique Larmoiant.
L'Auteur annonce qu'il n'a d'autre deffein
en l'imprimant que celui de célébrer l'émulation
d'une Ville aimable dont l'amour
pour les Arts n'a befoin que d'être encouragé
, & dont on feroit l'éloge fi l'on ne
craignoit d'être foupçonné du défir de furprendre
fon indulgence pour un encens
mercenaire. I ajoûte qu'il n'a pas eu en
vûe de jetter un ridicule fur le
genre dont
M. de la Chauffée et l'inventeur , & qu'il
ne s'eft proposé d'autre but que de fronder
le mauvais goût de fes imitateurs.
Nous ne connoiffons gueres les imitaueurs
de M. de la Chauffée , & nous ofons:
34 MERCURE DE FRANCE.
aflurer qu'il n'eft qu'en partie l'inventeur
du genre dans lequel il excelle. Terence
a mis des Scenes d'attendriffement dans.
fon Andrienne , & dans l'efpece de traduction
qu'on en a faite fur notre Theâtre
, le larmoyant va au moins de pair
avec le Comique. La Scene où Rodope
reconnoît fa mere dans Efope à la Cour
cft auffi touchante que les plus belles de
Policucte , d'Iphigenic & de Zaïre , fans.
compter le Glorieux où il y a deux Scenes.
du plus grand pathétique. Il eft vrai que
M. de la Chauffée a perfectionné le genre
dont il s'agit dans fa Melanide , ouvrage
immortel qu'on ne ceffe de reprefenter &
d'applaudir. A l'égard des imitateurs
pourquoi M. de la Chauffée , en le ſuppofant
inventeur , n'en auroit- il pas , c'eſtà-
dire , comme Corneille & Moliere en
ont eu ? La difficulté eft de faire un bon
ouvrage , c'est le génie qui doit décider
genre , & il n'y a point de bon ouvrage
de pure imitation. Nous ne pouvons
nous empêcher de tranfcrire des Vers
adreffés à la ville de Nîmes , à la fin du
Prologue de Thalie corrigée .
le
En vain mille voiúins jaloux ,
Par leurs cris impuiffans s'élevent contre vous.
Loin de déprecier vos immortels ouvrages ,
Votre gloire s'accroît même par leurs outrages g.
1
SEPTEMBRE. 1752 . 135
Faites taire l'envie en n'y répondant pas.
Avancez toujours à grands pas.
Dans votre carriere brillante :
Appliquez- vous toujours à perfectionner
De vos travaux publics l'élégance frappante
Qui doit vous immortalifer.
Єe féjour enchanteur que le Taffe nous vante
Ca la coupable Armide enchainoit un guerrier ,
Au lieu où vous vivez n'eft que trop comparable ,
Ils ont le même charme & le même danger ,
Et vous avez conduit une ifle delectable ( a )
Dont l'abord offre aux yeux un ſpectacle flateur..
Mille beautés dans ce lieu redoutable
Y viennent exercer fous un dehors trompeur
L'air dangereux , mais l'art aimable
D'enchanter les regards en féduifant le coeur.
Eh pourquoi tendre encor ce piége inévitable :
Quand vous avez déja ſubjugué nos efprits .,.
Par les foins que vous avez pris :
Par votre zele inaltérable
A préferver des ouvrages des tems
Ces refpectables monumens
Dont nous verrions bien tôt la chûte déplorable ;
Mais vous les reparez : on voit avec tranſport
Ce cirque prefqu'entier , & ce temple funebre (6 )
Que la reconnoiffance a rendu fi célébre ,
(a) C'est unparterre formé en Ile par le canal de
la Fontaine,
( b ) Les antiquités de la ville de Nimes. Les
Arênes & la Maifon quarrés.
136 MERCURE DE FRANCE.
Et qui brave les tems , la vengeance & le fort.
Cestémoins vivans de l'hiſtoire
Et du vrai goût de vos ayeux,
Confervez- les toujours , ces reftes précieux ,
Vos foins affureront à jamais votre gloire.
LE Sieur Royllet , le Maître à écrire de
Paris , qui a le plus de réputation , & qui
eft le plus connu dans les Pays étrangers ,
d'où il lui vient très-fouvent des Eleves ,
a trouvé une méthode de montrer à écrire,
qui abrege le travail & le tems des deux
tiers. L'utilité reconnue des ouvrages qu'il
a mis au jour fur les matieres de fa profeſfion
, doit infpirer de la confiance pour
ce qu'il annonce aujourd'hui . Il loge rue
de la Verrerie ; il prend des Penfionnaires
, & montre à des Externes. Ceux qui
voudront lui écrire , pour fçavoir en détail
en quoi confifte fa nouvelle méthode , affranchiront
leurs Lettres.
La mort de M. de la Briffe a affligé toute
la Généralité de Caën. On y louoit
les meurs , le défintéreffement , l'impar
tialité , l'application de ce Magiftrat. Nous
venons de recevoi un écrit de l'Univerfité
de Caen qui rend juſtice à tant de belles
qualités.
LE Sieur Duchefne , Libraire rue Saint
Jacques , a réuni en fix volumes tous ces
morceaux fuivans de Mufique.
SEPTEMBRE. 1752 . 137
L'Amufement des Dames , ou Recueil
de Menuets , Contredanfes , Vaudevilles
rondes de Table , Air à boire , Duo avec
accompagnement , 10 parties finies.
-
La Toilette de Venus , dreffée par l'Amour
, contenant des Menuets , Contredanfes
, Vaudevilles , Airs nouveaux &
choifis , 10 p. f.
Le Paffe tems agréable & divertiffant .
Ce Recueil eft rempli de Vaudovilles , Rondes
de Table , Duo , Brunettes & autres ,
10 p. f.
Le Deffert des petits Soupés de Mad.
de *** . à M. de ***. 5 p.
- Amuſemens Champêtres , ou les Avantures
de Cythére , Chanfons nouvelles à
danfer , 1 p .
- Recueil des Menuets , Contredanfes &
Vaudevilles , chantés aux Comédies Françoifes
& Italiennes , 12. p.
Recueil d'Airs , Menuets , Contredanfes
, Parodies, chantée fur les Théatres de
l'Académie Royale de Mufique , & de
l'Opéra Comique , 9 p.
Menuets nouveaux en Concerto , &
Contredanfes
, 4 P.
Choix de differens morceaux de Mufrque
, 3 p.
Les Loix de l'Amour , ou ' Racueil de
differens Aist , 3 P. -
138 MERCURE DE FRANCE.
BEAUX - ARTS.
MOYREAU
continue avec ſuccès fa
belle fuite de Wouvermens. Il vient
de graver les occupations champêtres de
ce grand Peintre; l'Eftampe eft dédiée à M.
de Julienne , qui mérite bien cet honneur
par le zéle & le goûr qu'il a pour les Arts.
M. Moyreau demeure rue des Mathurins.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
part
Ouvez-vous croire , Monfieur ,
P
, que
votre amour pour les Arts , vous expofe
à un reproche obligeant de la
du Public : la promenade que je fis hier
aux Invalides & à Belle-Vue , pour y accompagner
plufieurs perfonnes refpectables
, tant par leur naiffance , que par leurs
dignités & leur Littérature fupérieure
me met à portée de vous adreffer le voeu
de tous les Amateurs. Ils defireroient que
vos foins allaffent jufqu'à leur faire la
deſcription des ouvrages des Artiftes , à
mefure qu'ils font finis ?
Une Chapelle des Invalides nous offrit
une figure de Saint Jerôme , de près do
SEPTEMBRE.
139
buit pieds de haut , nouvellement exécu
tée en marbre par M. Adam , l'aîné ,
Sculpteur ordinaire du Roi , & Profeffeur
de l'Académie : il faut convenir que cette
figure eft une école complette pour l'expreffion
& pour le grand .
Ce Pere de l'Eglife paroît pénétré de
la plus vive & de la plus jufte indignation
contre l'héréfie de Pélage , qui par hypocrifie
s'étoit fait fon Difciple : dans la
fainte chaleur de cette indignation , il
tient d'une main un Livre ouvert , appuyé
fur fa cuiffe gauche , ayant le pied fur la
tête d'un lion , fymbole de la force de fon
éloquence : fa main droite élevée avec un
art raifonné , qui joint au caractère de la
tête , annonce le mouvement intérieur du
Docteur , eft armée d'une plume prête à
foudroyer l'héréfiarque. Nous remarquâmes
que cette figure , dont tout le détail
eft énergique , le trouve furtout parfaite--
ment éclairée fur les quatre ou cinq heures
de l'après- dîné , quand le Soleil n'eſt
point embarraffé de nuages.
Nous vîmes dans le cours de notre
promenade à Bellevue , une figure du
même Auteur d'un autre genre , dans une
des niches du veftibule du Château : cette
figure auffi de marbre , qui a fix pieds de
hauteur , repréfente l'enthoufiafme poëti
que , fous les traits de la plus belle fem
140 MERCURE DE FRANCE.
me : elle a des aîles à la tête , & le front
couronné de laurier , fes regards attachés
au Ciel , la fuppofent fur le Parnaffe
dans cet inftant où elle eft faifie de cette
fublimité qui fait les grands Poëtes : des
bords de la fontaine Hypocrêne , qui coule
à fes pieds , s'éleve un laurier qui fert
d'appui à un cahier qu'elle tient d'une
main , tandis que de l'autre elle va y écrire
les faftes de notre augufte Monarque.
Tout eft ingénieufement & légerement recherché
dans cette figure : la draperie y
voltige ; & fur une partie du roe , croît
un lierre qui vient lui former une ceinture.
La précifion & la correction du deffein ,
l'expreffion , les graces & la délicateffe du
cizeau , frappent agréablement dans l'exa
men de cette figure.
Comme de pareils morceaux , Monfieur,
ne peuvent être trop connus , je me flatte
que vous ne refuferez pas d'inferer ma
Lettre dans votre Mercure. Si d'un côté
la modeftie de M. Adam peut en fouffrir ;
d'un autre, il n'eft pas jufte que les gens de
goût , & les amateurs foient privés d'un
avantage fi flatteur.
J'ai l'honneur d'être , & c.
VOISIN , Avocat en Parlement.
Paris , ce 30 Juillet 175 2º
SEPTEMBRE. 7411
CATALOGUE raifonné des Tableaux du
Roi , avec un abregé de la vie des Peintres
, fait par ordre de Sa Majesté , tome
premier , contenant l'Ecole Florentine &
Î'Ecole Romaine. Par M. Lepicié , Secretaire
Perpétuel , & Hiftoriographe de l'Académie
Royale de Peinture & de Sculp
ture , Profeffeur des Eléves , protégés par
le Roi pour l'Hiftoire , la Fable & la Geographie.
A Paris , de l'Imprimerie Royale,
1752 , in-4°.
Nous avons rendu compte dans le dernier
Mercure des meilleurs ouvrages de
l'Ecole Florentine que le Roi pofféde ;
nous parlerons aujourd'hui d'une partie
des richeffes qu'il a de l'Ecole Romaine
-& nous continuerons à nous fervir des expreffions
du Catalogue même : il n'est pas
poffible d'écrire fur ces matieres avec plus
de clarté , de goût & de précision que le
fait M. Lepicié.
PIERRE PERRUGIN.
Les principaux ouvrages du Perrugin
ont été faits pour des Eglifes ou pour des
Couvens on raconte de lui l'Hiftoire
fuivante. Il travailloit à frefque pour les
Religieux Jefuates , dont le Monaftére
étoit fitué près de la porte Pinti , à Florence
; le Prieur avare & défiant , ne lui
742 MERCURE DE FRANCE.
fourniffoit l'outremer qu'à mesure qu'il
l'employoit en fa préfence : Perrugin , piqué
de ce procédé , nettoyoit à tous momens
dans un pot plein d'eau , aux yeux
même du Prieur , les broffes dont il fe
fervoit ; par ce moyen il fortoit des pinceaux
autant d'outremer qu'il en étoit entré
dans l'ouvrage. Le Prieur , étonné que
l'enduit en abforbât une fi grande quantité,
fortit en aller chercher de nouveau ,
pour
mais le Perrugin fit couler l'eau , & fécher
Poutremer qu'il rendit au Prieur , en lui
faifant une leçon fur fon inutile & injurieuſe
défiance .
Saint Jerôme.
Saint Jerôme , à genoux devant un Crucifix
& dans un payfage , femble , par fa
priere , mettre un lion en fuite. On voit
auprès du Saint un chapeau de Cardinal
pendant à un arbre : le Perrugin l'y a pla
cé , fans doute , pour indiquer le préten
du Cardinalat de Saint Jerôme ; ce qui eft
un anachroniſme des plus marqués , car
cette dignité n'étoit pas encore établie du
tems de ce Pere de l'Eglife.
Il y a de la vérité dans le trait de la
figure , mais une vérité dénuée d'élegance
& de
grace .
La couleur en général de ce Tableau eft
SEPTEMBRE. 1752 143
affez bonne : mais on fent ,, par le peu de
gradations dans les plans , & par l'uniformité
des tons , que le Perrugin n'avoit
aucune idée du clair- obfcur.
ANDRE' MANTEGNE.
Mantégne a mérité d'être mis au nombre
de ceux qui ont bien difpofé leurs figures
, qui les ont deffinées correctement ,
& qui ont exprimé leurs fujets avec beaucoup
de connoiffance . 11 grava lui- même
plufieurs planches d'après les propres def
feins , & les Italiens le regardent cnmme
un des inventeurs de la gravûre au burin.
La Sainte Vierge & l'Enfant Jefus.
Les Tableaux de ce Maître font extrê
mement rares , auffi le Roi n'en a- t'il qu'un ,
qui repréfente la Vierge affife fur un banc :
elle a une mammelle découverte pour allaiter
l'Enfant Jefus qu'elle tient entre
fes bras.
Sur le même banc , on voit un vaſe de
crystal templi de differentes fleurs.
Le fond du Tableau repréfente un corps
d'architecture en arcades , orné de deux
'feftons de fleurs.
La tête de la Vierge eft d'un caractére
noble , ainfi que l'Enfant Jefus. Les attitu
des des figures font fimples & élégantes, &
144 MERCUREDE FRANCE.
P'exécution d'un grand fini . En général ,
on peut reprocher à ce Peintre de la féchereffe
dans le nud , de la roideur dans les
plis de fes draperies , & trop peu
tion dans fa couleur.
RAPHAEL.
de rup-
Il regnoit entre Raphaël & Michel-
Ange , une rivalité qui étoit un fujet continuel
d'inquiétudes pour l'un & pour
l'autre , mais qui n'en étoit pas moins utile
pour l'avancement de l'Art. Ces deux
grands hommes , pour me fervir de la remarque
qu'a faite M. Mariette dans fa
Defcription fommaire des deffeins de M.
Crozat , ont en effet partagé la gloire
» d'avoir été les deux plus grands Déflina-
» teurs qui ayent paru depuis le renouvellement
des Arts. Si l'un eft dans fon
deffein d'une fageffe , & d'une fimplicité
qui gagnent le coeur , l'autre eft fier , &
montre un fond de fcience où Raphaël
lui-même n'a pas eu honte de puifer. Les
caracteres differens de ces deux hommes
rares influoient fur le goût. Raphaël , né voluptueux
, facrifioit aux graces , tandis que
Michel-Ange , livré à la mélancolie , ne
méditoit que des idées graves & ſérieufes.
Raphaël avoit des moeurs douces , il
étoit
SEPTEMBRE: 1752 145
toit d'une politeffe qui annonçoit le
Courtifan le plus exercé , en même tems
que fa modeftie & fa retenue donnoient
un nouveau luftre à la grandeur & à la
fublimité de fes talens. Il parvint à une
fi grande fortune & à un fi haut degré
de faveur , que le Cardinal de Bibiena
crut s'honorer en lui offrant fa niéce en
mariage. Raphaël accepta la propofition ;
mais l'attente d'un Chapeau de Cardinal ,
dont Leon X. le flattoit , le fit renoncer à
cette alliance. Une faignée faite à contretems
lui ôta la vie.
Saint Michel victorieux du démon.
Saint Michel en l'air , armé d'une cuiraffe
& d'une épée , & foulevant avec grace
une lance , foule d'un pied le démon ,
& paroît vouloir lui porter les derniers
coups. L'orgueil , la fureur & le défefpoir
caractérisent le vifage du Prince des téné
bres ; tandis que la modeftie , l'amour divin
& la tranquillité héroïque brillent fur
celui du guerrier célefte , qui va couronner
la victoire, en précipitant fon ennemi
dans un gouffre de feu , placé ſur la gauche
du Tableau .

La fcéne fe paffe dans une campagne déferte
, où l'on n'apperçoit que des rochers
de l'eau , & le gouffre dont on vient de
parler,
G
146 MERCURE DE FRANCE.
On ne fçauroit trop appuyer fur la Poëfie
qui domine dans cette compofition ,
& fur la pureté & l'élegance du trait dans
les figures : l'expreffion de la tête du Saint
Michel eft fublime ; c'eſt un caractére Angelique
qui tient peu de l'humanité , &
qui étonne par la douceur & la fierté qui
s'y trouvent réunies.
L'attitude de l'Archange eft admirable
pour la nobleffe & pour la fimplicité ;
toutes les parties du corps font contrastées
fçavammant , & avec un beau choix ; le
racourci de la jambe gauche eft d'une
grande précifion ; tout enfin eft digne de
Raphaël.
Le démon terraffé au pied de l'Archange
eft deffiné d'un grand goût , & compofé
avec beaucoup d'art.
:
A l'égard de la couleur & de l'exécu
tion , quoique ces deux parties foient
portées à un haut degré dans ce Tableau
elles font pourtant inférieures à celles qui
regardent le deffein & la pureté des contours.
FRA - BASTIEN DEL PIOMBO.
>
C'eft à ce Peintre que l'on doit l'invention
de peindre fur des marbres, où d'autres
pierres de couleur , en fe fervant pour le
fond des Tableaux , de la couleur natuSEPTEMBRE
. 1752.
147
telle des marbres . Cette nouvelle invention
fut goûtée ; & pour la rendre plus recommandable
, Sebaftien trouva encore le,
moyen d'empêcher les couleurs à huile de
fe perdre , comme il arrive ordinairement,
lorfqu'elles font employées fur des pierres
& contre les murailles : il y imagina
une compofition de poix & de maftic fondus
& mêlés enfemble , dont il enduifoit
le derriere de fon marbre , fur lequel il
mettoit encore une couche de chaux vive.
Ses ouvrages ainfi garantis de l'humidité ,
confervoient la beauté des couleurs &
brayoient l'injure du tems.
La Vifitation de la Vierge.
Le Tableau est très- beau , & renferme.
deux des plus effentielles parties de la
Peinture , une bonne couleur , & un grand
caractére de deſſein ; on y voit l'Eleve du
Giorgion adopté par Michel- Ange.
Il repréſente l'entrevûe de Marie avec
fa coufine Elifabeth , & l'inftant où ces
deux faintes femmes fe felicitoient , l'une,
de recevoir la vifite de la Mere de fon
Dieu , & l'autre , des graces qu'elle en a
reçues.
La Sainte Vierge eft accompagnée de
deux femmes derriere Sainte Elifaheth , on
voit un efcalier , au haut duquel eft un
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
homme , qui s'entretient avec plufieurs autres
perfonnes , & qui paroît les inftruire
de l'évenement qui fe paffe : c'eft fans
doute Zacharie.
Les Figures principales de ce Tableau ne
font repréfentées que jufqu'aux genoux.
JULES - ROMAIN.
Jules Romain aéte le premier , le plus
fçavant & le plas conftant des difciples de
Raphaël , il femble qu'il n'ait été occupé
que de la grandeur de fes penſées poëtiques
; & que pour les exécuter avec le mê
me feu qu'il les avoit conçues, il ſe ſoit contenté
d'une pratique de deffein , dont il
avoit fait choix , fans varier ni fes airs de
têtes , ni fes draperies . Il eft même affez
vifible que cette façon de confidérer fon
Art a fait tort à fon coloris , qui n'a jamais
été fort bon , & qu'il a négligé de plus en
plus ; car les couleurs locales , qui donnent
dans la brique & dans le noir , font rarement
foutenues par l'intelligence du clairobfcur,
Ce qui caractérise particulierement Jules-
Romain , c'eft la fierté de fon deffein ,
quoiqu'on lui puiffe reprocher un peu de
pefanteur ; c'eft la fublimité & l'abondance
de fon génie , qui fouvent lui ont fait trop
charger les compofitions , & qui d'ailleurs
1
SEPTEMBRE. 1752. 149
étoient nourries d'une parfaite connoif
fance de l'antique , qu'il avoit étudié avec
foin , & dont il avoit fçu profiter en Peintre
& en homme de Lettres.
La Circoncifion de Notre - Seigneur
Jefus Chrift.
Jules - Romain femble avoir donné
l'effor à la nobleffe de fes penfées , pour
exprimer dignement dans ce Tableau tou
te la richeffe du Temple de Jerufalem,
Cet édifice eft foutenu par de magnifi
ques colonnes torfes : des plâfonds riche
ment décorés , le chandelier à fept branches
, ornement de caractéré , par conféquent
placé à propos , tout cela donne la
plus grande idée du lieu qu'il a voulu repréfenter
, & eft amené avec d'autant plus
d'adreffe , que ce Tableau ne peut indiquer
qu'une très petite partie de ce fuperbe
Temple. La foule dont il eft rempli ;
femble , en augmenter la magnificence , en
même tems qu'elle fait fentir le génie du
Peintre , qui , fans faire tort au fujet principal
, a fçu , par la difpofition de fes
grouppes , repréfenter à la fois &fans confufion
tant d'objets differens.
L'Enfant Jefus , pofé debout fur un
Autel , & foutenu par la Vierge , ſe ſoûmet
à la Circoncifion , comme pécheur &
Giij .
150 MERCURE DE FRANCE.
comme homme. Deux femmes qui s'inté
reffent à cet évenement , fixent l'attention
du fpectateur , & plus bas , entre l'Autel
& le Grand Prêtre , on voit un jeune Levite
qui préfente à ce Miniftre les inftrumens
, dont il a befoin pour cette cérémonie.
Le refte de la compofition repréfente
Saint Jofeph , & beaucoup de femmes qui
viennent apporter leurs préfens. La multitude
des regardans eft plus ou moins affectée
, mais toujours attentive à ce grand
évenement.
POLIDORE DE CARAVAGE.
On n'a pas beaucoup de Tableaux de
chevalet de ce Maître ; prefque toutes les
productions furent des frefques , en maniere
de camayeux d'une feule couleur ,
mais où l'intelligence du clair - obfcur eft
portée auffi loin qu'elle peut aller . Polidore
fir auffi quelquefois ufage dans ces
forres de travaux , de la maniere qu'on
appelle égratignée , qui n'étant pas connue
de tout le monde , demande qu'on
enfeigne la pratique , & voici comme on
y procéde. On applique fur le mur un pre
mier enduit de couleur noire , & fur cet
enduit , on en met un autre qui eft blanc ;
tous deux étant fecs , avec une pointe de
SEPTEMBRE. 1752. 151
fer , faite en maniere de crochet , on fait
fur l'enduit blanc les mêmes traits qu'un
Graveur feroit avec le burin fur fon cui
vre ; & le noir du premier enduit paroiffant
dans le fond de ces traits , il en réfulte
un travail qui imite en grand l'effet
d'un deffein , encore plutôt d'une Eftampe.
Cette maniere réfifte plus que le frefque
aux injures du tems , mais elle flatte
moins la vûe ; elle a quelque chofe de
rude , & l'on ne fçache pas que depuis Polidore
elle ait beaucoup été pratiquée.
Affemblée des Dieux.
Ce Tableau , le feul que le Roi poffede
de ce Maître , n'eft qu'une efquiffe peinte
en détrempe fur bois : cependant elle est
affez arrêtée pour donner une idée de l'élevation
du genie de Polidore , & faire
fentir quel étoit le beau choix de fes attitudes
& de fes difpofitions , l'excellente
maniere dont il fçavoit jetter les draperies,
& furtout fes excellens principes fur le
clair.obfcur .
Jupiter , affis fur un nuage avec les autres
Dieux , paroît leur propofer Ganimé
de
pour Echanfon. Ce jeune homme tient
une coupe , dans laquelle on verfe de
l'ambroifie.
L'Amour , aux pieds de Jupiter , & la
Ġ iiij
152 MERCURE DE FRANCE:
main droite appuyée fur les genoux
de ce
Dieu , regarde avec malignité la troupe
céleste .
Les Figures de ce Tableau font bien contraftées
, & les airs de têtes fiers , nobles
& expreffifs.
PERRIN DEL VAGUE.
C'est celui de tous les difciples de Raphaël
qui a peut être le mieux faifi fa maniere
de deffiner : cette expreffion ne doit
pas cependant être prife à la rigueur , elle
ne peut regarder que l'exécution , & cette
merveilleufe facilité d'operer qu'avoit Ra
phaël ; car pour la penfée , l'expreffion !, &
même la jufteffe du trait , il n'y a aucun
parallele à faire entre les deffeins du maître
& ceux du difciple. Perrin avoit un
génie fingulier pour décorer les lieux avec
richeffe , & fuivant l'ufage auquel ils
étoient deftinés. Il faut d'ailleurs convenir
que fi dans fes Tableaux fes difpofitions
font mediocres , elles font merveilleufes
dans les ornemens , par l'ordre & la grace
qu'il fçavoit y repandre.
Mars & Venus.
Ce Tableau qui repréſente Mars & Venus
avec un amour tenant un foudre , eft
d'une compofition fi obfcène , qu'on ne
SEPTEMBRE.
153 1752 .
peut en donner la defcription ; je dirai
Teulement que la couleur eft vigoureufe
mais il y a peu de correction dans le def
fein.
Le caractère de Mars eft bas & lubri
que , l'Amour eft deffiné d'un goût mef
quin : la figure feule de Venus a quelque
chofe d'un peu plus élégant dans les contours.
LE PARMESAN.
Les Ouvrages du Parmefan fe diftinguent
par la grace , la facilité , & par un
excellent goût de couleur : il feroit feulement
à fouhaiter que le caractère de fon
deffein , quoique fvelte & fçavant , fût
un peu moins outré dans la longueur de
fes proportions ; mais ce grand homme ſe
trouva toujours emporté par les graces , la
délicateffe & la fineſſe : ainfi l'on peut dire
qu'il a fçû faire oublier dans fes Ouvrages
le reproche qu'il mérite , d'avoir quelquefois
outré la nature pour devenir plus élégant.
La Vierge & l'enfant Jefus.
Ce Tableau de Parmefan eft très-précieux
pour l'effet , la couleur & la belle
touche.
L'Enfant Jefus , fur les genoux de la
Vierge , embraffe avec tranfport le petit
3
Gv
154 MERCURE DE FRANCE .
S. Jean , dont le retour refpectueux &
careffant paroît faire l'entretien de S. Jofeph
& de fainte Elizabeth .
Les attitudes font d'un beau choix , bien
contraſtées , les têtes gracieufes , & le païfage
d'un grand goût .
JOSEPH - CESARI DARPIN.
Ce Peintre contracta à Rome une maniere
de deffiner legere & agréable. Cette
facilité dégenera bien-tôt dans une pratique
qui ne tenoit ni de l'antique ni de
la nature ; mais un génie fouple & propre
à l'intrigue , partage ordinaire de la médiocrité
, contribua plus que fon talent à
lui procurer des occupations confidérables.
La Nativité de Jefus-Chrift.
Ce Tableau du Jofepin a de très belles
parties pour la compofition de la couleur
, il eft deffiné d'une maniere fpirituel
le , mais peu fçavante.
Sur le premier plan , on voit S. Joſeph
affis , & la Vierge à genoux qui préſente
l'enfant Jefus aux Pafteurs.
Plufieurs troupes de Bergers arrivent
avec des agneaux & des fruirs , leurs attitudes
& leurs expreffions font connoître le
zele qui les anime. Sur la gauche du Ta-
1
SEPTEMBRE.
1752. 155
bleau , le Peintre a placé une femme de
bout , ce qui fait contrafte avec les autres
figures : elle porte fon enfant , & tient un
panier rempli de légumes.
Ce fujet a pour fond une grotte & du
payfage.
DOMINIQUE FETY .
La couleur du Féti eft vigoureufe , fouvent
un peu noire dans les ombres , mais
elle fait un grand effet ; aucun Peintre
n'eut une plus belle touche , & ne donna
tant de relief aux chofes qu'il exprimoit.
Ses penfées font affez fines , fes expreffions
nettes , il y a toujours du neuf dans fes
compofitions ; mais le moelleux de fon
faire, & la vérité de fes teintes feront toujours
les parties qui rendront fes tableaux
plus précieux : ils feroient recherchés ,
quand ils ne feroient pas auffi rares qu'ils
le font. Ce Peintre a peu travaillé pour les
lieux publics , il n'a prefque fait que des
tableaux de Chevalet , qui fe font répandus
en plufieurs endroits .
Loth & fes deux Filles.
On ne peut rien voir de plus piquant
que ce Tableau , pour la compofition , la
belle couleur , la force des expreffions , &
la fierté de la touche ; c'eft un beau dia-
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
mant qui feroit encore plus précieux , fi
le Peintre ne s'étoit pas écarté des bornes
de la modeftie en exprimant la foibleffe de
Loth.
Ce Vieillard dont l'attitude defigne l'yvreffe
, embraffe de la main droite une de
fes deux filles , & la regarde avec un air
paffionné : l'autre eft debout , elle tient un
vale & une coupe , dans laquelle elle va
verfer du vin .
Le fond du Tableau eſt un payſage d'un
goût exquis.
CERQUOZZI , DIT MICHELANGE
des Batailles.
Le dégré fuperieur auquel ce Peintre
porta le genre de Pierre de Laïr , dit Bamboche
, lui fit donner le nom de Michel
Ange des Bambochades , de même que fon
grand talent pour peindre des batailles le
fit auffi appeller Michel Ange des Batailles
Il étoit bien fait de fa perfonne , & très aimable
dans la fociété : fon attelier étoit
toujours rempli d'Italiens & d'Etrangers ,
qui prenoient un plaifir égal à le voir
peindre & à converfer avec lui . Il avoit
une imagination fi vive , que fur le fimple
récit d'une bataille , d'un naufrage ,
d'une fête , d'une nôce de Village , ou
d'une foire , il en compofoit le tableau ſur

SEPTEMBRE. 1752 157
le champ:fa couleur étoit vigoureufe, & fa
touche étoit légere , il ne faifoit jamais de
deffeins ni d'efquiffes , mais mettoit beaucoup
de tems à terminer fes tableaux ; il
les retouchoir à diverfes repriſes , jufqu'à
ce qu'ils euffent atteint toute la perfection
qu'il étoit capable de leur donner.
Operateur Italien.
Il faut que ce Tableau foit un des premiers
ouvrages de Michel Ange des Batailles
, car il eft foible dans toutes fes parties
, & on n'en fait mention que pour l'ordre
du catalogue. Il repréfente un Theâtre
où trois Acteurs font entr'eux une fçene
comique, tandis que l'Operateur fait diftribuer
à l'affemblée des écrits & des drogues.
Sur la droite du Tableau on voit un
Carrofle arrêté & rempli de perfonnes qui
regardent cette farce .
PIETRE DE CORTONE.
Pietre Berretini , furnommé de Cortone
, lieu de fa naiſſance , ne fut pas extrêmement
correct dans le deffein , ni сара-
ble peut- être de rendre de fortes expreffions
; mais fon génie agréable & facile ,
même dans les grandes ordonnances , joint
à fon beau pinceau , lui a fait une réputation
que le tems paroît augmenter de jour
en jour.
158 MERCURE DE FRANCE.
Le Triomphe de Bacchus.
Bacchus , fur un char doré traîné
par
des Panthéres , eft entouré de Bacchantes
& de Faunes qui danfent : tout annonce
le délire que ce Dieu fait inspirer.
Silène accablé des fumées du vin , accompagne
le char : il eft prefque renversé
fur fon âne , qui lui - même eft abattu , &
dont un fatyre releve la tête.
Sur différens plans , des Sylvains , des
enfans & des Dryades célébrent à l'envi la
gloire & la puiffance de ce nouveau Dieu.
On voit à la gauche du Tableau deux
Eléphans , montés chacun par des fuivans
de Bacchus ; à la droite paroît un Temple
, dont le Prêtre eft debout fur les dégrés
du Portique : il attend l'arrivée des
victimes pour commencer le facrifice .
Le refte du fond.repréſente un payſage
de bon goût , avec des fabriques.
Ce Tableau eft d'une compofition charmante
, & d'une belle couleur .
ROMANELLI .
Ce Peintre inventoit avec facilité , fon
deffein fe reffentoit un peu trop de cette
facilité ; il n'étoit pas affez étudié , fa couleur
à frefque étoit fraîche , brillante &
préférable au ton dans lequel il tomboit
SEPTEMBRE.
17528 159
:
lorfqu'il peignoit à l'huile fes compofi .
tions ne font pas moins agréables que celles
de Pietre de Cortone fon maître , mais
il s'en faut beaucoup qu'elles foient animées
du même feu. Il avoit des graces :
heureux ! s'il avoit fçû les faire valoir par
une plus grande maniere de deffiner.
Minerve affife fur un trophée d'armes.
Minerve eft affife fur unTrophée d'armes
pofé fur un pied- d'eftal ; le Peintre a placé
la Renommée & la Victoire à fa gauche:
cette derniere préfente à Minerve une
couronne de laurier & de palme.
On voit au bas du pied d'eftal un fleuve
avec deux génies , dont l'un tient une
fleur de lys ; l'abondance, & quatre autres
figures qui peuvent défigner la prudence
, la justice , la temperance & la force ,
font placées fur le devant du Tableau.
que
Il ne refte rien à defirer pour la confervation
de ce Tableau , qui eft plus fait
les autres , & il peut fervir à juger du mérite
de Romanelli. L'ordonnance en eft
belle , la couleur brillante , & le deffein
d'une grande maniere .
La figure de Minerve eft fçavamment
drapée.
Il fert de plafond dans le Cabinet où
font les Tableaux de l'Hiftoire de Moyfe.
60 MERCURE DE FRANCE;
CARLE MARATTE.
C'étoit un grand Deffinateur , fes pen.
fées étoient nobles & fages , fes ordonnances
riches & magnifiques , fes expreffions
gracieufes & touchantes. Il étoit furtour
admirable par fes beaux airs de tête :
l'on a dit de lui qu'aucun Peintre n'avoit
donné aux têtes de la Sainte Vierge & des
Efprits celeftes, plus de graces & de majefté.
Plein de zele pour le progrès de l'Art
qu'il profeffoit , il fe plaifoit à inftruire
ceux qui fe mettoient fous fa conduite , &
aucun de ceux qui lui demanderent des
avis ne peut
fe plaindre d'avoir été refuſé.
Tant de grandes qualités lui acquirent une
eftime & un refpect univerfel qui durent
encore , & qui fans doute , furvivront
long-tems à fes inimitables ouvrages.
S. Jean prêchant dans le Défert.
S. Jean debout , & les bras élevés , exhorte
avec vehémence les Juifs à fe convertir
, & leur annonce l'accompliffement
des Prophéties.
Une attention vive regne parmi les
fpectateurs , chacun ne paroit occupé que
du retour qu'il fait fur lui - même ; & la diverfité
des caracteres n'eft pas moins admirable
que le contrafte des grouppes & des
figures.
SEPTEMBRE. 1752: IGR
La Scene fe paffe dans un lieu tranquille
& agréable , orné d'un beau payfage , &
d'un lointain piquant .
Ce Tableau eft d'un grand mérite pour
la compofition , le goût de draper , & là
dégradation des plans.
CIRO FERRI.
Ce Peintre étoit éléve de Pietre de Cortone
, il étoit regardé comme le plus habile
de tous ceux qui avoient étudié dans
cette école célébre ; comme fon illuftre maî
tre , il ne demeura jamais court fur tous
les fujets qui lui furent propofés ; il fembloit
avoir hérité de fon beau génie ; la
même facilité & la même magnificence fe
faifoient remarquer dans fes compofitions;
fes figures portoient le même caractere , il
employoit les mêmes tours , les mêmes at
titudes , les mêmes airs des tête ; jufqu'au
drapperies, il les traitoit dans un goût femblable
. Souvent il fut difficile de difcerner
les ouvrages du difciple d'avec ceux du
maître , & il en eft beaucoup fur lesquels
il ne feroit pas honteux de prendre le
change.
Une Allégorie à la gloire de Louis XIV.
La renommée accompagnée de génies
qui portent des couronnes & des palmes ,
162 MERCURE DE FRANCE.
vole vers le Temple de Memoire ; elle va
y inferire les actions heroïques de Louis
le Grand . Le tems voudroit s'y oppoſer ;
mais il fait de vains efforts, d'autres génies
l'éloignent, & ne lui permettent pas de faire
ufage de fa faulx meurtriere.
Ce Tableau qui a beaucoup fouffert ,
mérite confideration . La Renommée eft
très-belle , bien en l'air , drapée d'un grand
goût , & digne , en un mot , de Pietre de
Cortone. La couleur en eft légere & agréa
ble , ainfi que celle des génies , dont le
deffein eft d'un affez bon caractere. La fi
gure du tems eft ce qu'il y a de plus foible
dans ce morceau : elle eft lourde , d'une
maniere ronde & peinée , & d'une couleur
tirant fur la brique.
A l'égard de l'effet , il eft peu piquant ,
& ne produit aucun repos à la vûe , la
maſſe de lumiere fe trouvant partagée également
dans les deux grouppes.
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SEPTEMBRE . 1752 163
CHANSON.
FLore en nos champs rétablit ſon Empire ;
Et fait déja l'espoir de nos vergers ;
L'Echo des bois s'éveille pour redire
Les tendres chants des amoureux Bergers ;
Mais c'eft envain que le Printemps commence
Tu ne viens point Daphnis , mon cher Daphnis
Ah !fije vois prolonger ton abfence ,
Tous les beaux jours pour moi feront finis.
Auprès de toi mon ame eft fatisfaite ,
Rien ne me plaît où je ne te vois pas ;
D'un lieu défert , d'une affreufe retraite
Tu me ferois un féjour plein d'apas .
Doux fentiment vous me troublez fans celes
Mais je cheris mon trouble & ma langueur .
Sans les tranfports d'une amoureufe ivreffe
Sentirions-nous que nous avons un coeur ?
La jeune Iris au lever de l'Aurore ,
De ce recit entretenoit l'écho ,
Et le rendoit bien plus touchant encore
En y joignant un air tendre & nouveau ,
Daphnis parut , répondit à la belle
Je n'en dis rien , car la fille de l'air
Diferetement a réſervé pour elle
chanfon les paroles & l'air,
1
164 MERCURE DE FRANCE,
Solution du Problême propofe dans le
Mercure précédent.
ONdemande la raifon phyfique , qui
a pû déterminer le fouverain Légiflateur
à ordonner aux Juifs de garder &
de fanctifier , par la ceffation du travail
& par la priere , la feptiéme année.
Pour réfoudre ce problême , il faut 1 °.
fe fouvenir , qu'avant d'ordonner la ſanctification
de la feptiéme année , Dieu avoit
commandé de fanctifier le feptiéme jour.
2°. Que les Loix de Dieu , quand elles
font connues
, font obligatoires dans tous
les lieux .
Cela pofé , tranfportons un ou plufieurs
Juifs de la Terre promife au Pôle , leur
premier foin eft de fçavoir , quel jour ſera
le jour du Sabbat ; mais comment le diftingueront-
ils ? La nuit ne fuccéde au jour
qu'au bout de fix mois , & cette nuit dure
autant que le jour ; ils n'ont point de
moyen pour faire des jours de vingt- qua
tre heures , tout ce qu'ils fçavent , c'eft
qu'un jour eft compofé du jour & de la
nuit , ou d'une révolution du Soleil ; ils
partent de là , & la feptième fois que
Soleil fe montre à eux , ils commencent
le
SEPTEMBRE. 1752. 165
leur Sabbat qui dure le jour & la nuit , ce
qui répond à une année , & ce fepriéme
jour eft la feptiéme année des autres , par
ce moyen la Loi de Dieu fe trouve exactement
gardée , & dans le même tems par
tous les Juifs qui font répandus fur la
terre , ce qui n'auroit pû arriver ( dans la
fuppofition du Pôle habité par des Juifs )
fit Dieu n'avoit ordonné la fanctification
de la feptiéme année ; par conféquent , il
eft à préfumer que la raifon phyfique qui
a pû déterminer le fouverain Législateur'
à ordonner la fanctification de la feptiéme
année , eft la difference qu'il y a néceffairement
entre les jours du Pôle & les jours.
des autres climats , & la parité de durée ,
qui fe trouve entre les jours du Pôle , &
les années dont la meſure commune eft
une révolution réelle du Soleil , par conféquent
cette difference & cette parité ,
font la raison phyfique qu'il falloit trous
yer,
DIENS
166 MERCURE DE FRANCE:
* 28 28 28 28 28 28
SPECTACLES.
E Vendredi 28 Juillet , M. Langlois ,
Lnouvelle Haute - contre , a débuté
dans le rolle d'Acis. On a trouvé à ce nouvel
Acteur affez. d'aiſance pour un débutant
, une prononciation très- nette , le mé.
dium de la voix fonore & fenfible , de
belles cadences , qu'il multiplie cependant
& qu'il prolonge un peu trop. Il y a lieu
de croire qu'il remplira les efpérances que
le Public a conçues de lui , s'il peut acquerir
dans le haut des fons plus affurés &
plus foutenus.
Le Mardi premier Août on fupprima le
Prologue d'Acis , & on donna à la place la
Serva Padrona , Interméde Italien , & un
nouveau Ballet pantomime.
L'Interméde eft en deux actes ; il n'y a
que deux Acteurs parlans , & un Valet ,
perfonnage muet. Le fond du ſujet eſt trèspeu
de chofe ; & fi le Poëte a quelque mérite
, c'est tout au plus dans le Dialogue ,
qui eft affez naturel . Serpina , fervante
d'Huberto , impatiente fon maître qu'elle
veut gouverner , & à qui elle refufe d'o
béir ; le maître veut prendre une femme
SEPTEMBRE. 1752. 167
pour le débarraffer de l'empire de fa fervante
, & finit par époufer Serpine , trompé
par un affez mauvais ftratagême que Serpine
imagine pour l'y forcer.
Tout le mérite de cet Ouvrage eft dans
la Mufique , à laquelle on ne fçauroit donner
trop d'éloges , & qui jouit en Italie &
chez les Etrangers , de la plus grande réputation
; elle eft du fameux Pergolefe , Auteur
de quelques autres beaux Ouvrages ,
fur tout d'un Stabat Mater & d'un Salve
Regina très-admirés des connoiffeurs. Il eût
été à fouhaiter pour le progrès de l'art ,
que cet illuftre Muficien n'eût pas été enlevé
au commencement de fa carriere.
Le récitatif de la Serva Padrona dans le
goût Italien , eſt très- vrai & très- naturel ;
c'eft une véritable déclamation notée , &
foutenue par un accompagnement trèsfimple
, quoique très-harmonieux . On peut
remarquer entr'autres celui par où commence
le monologue d'Huberto au fecond
acte , & qui eft fuivi de l'air Son imbrogliati
io ; les différens mouvemens dont l'Acteur
eft agité , y font très bien rendus & le
chant & par l'orchestre.
par
A l'égard des Ariettes & des morceaux
d'exécution , il faudroit parcourir tout cet
admirable Interméde pour en développer
toutes les beautés ; rien n'eft plus rempli
168 MERCURE DE FRANCE.
de génie , d'efprit , d'expreffion & de vérité.
Dans le premier monologue , Afpettare
& non venire , le Muficien a parfaitement
bien peint la gradation de l'ennui à
l'impatience , & de l'impatience à la fureur.
L'Ariette Sempre in contrafti , eft un chefd'oeuvre
de déclamation ; il en eft de même
de celle de Serpine , Stizzofo , mio
fizzofo , que le Muficien a fçu varier de
plufieurs manieres , toutes très-heureuſes .
Rien n'eft plus agréable que l'air à Serpina
penferete , du fecond acte ; le chant en eft
de la plus grande beauté , & les fanglots
d'Huberto , durant cet air chanté par Serpine
, font admirablement exprimés par
l'accompagnement . Mais l'Ariette d'Huberto
, Son imbrogliato , &c. eft peut -être
encore au- deffus de toutes les précédentes ,
pour la vérité & pour l'effet. L'Huberto
penfa à te , eft peint fur- tout avec une énergie
& un naturel capable de frapper les
oreilles les moins fenfibles : l'accompagnement
de cette Ariette n'eſt point inférieur
au chant .
Il nous refte à parler des deux Duo , l'un
à la fin du premier Acte , l'autre à la fin
du fecond ; le dialogue & le fentiment y
font exprimés avec une jufteffe & une fineffe
qui font au - deffus de tous les éloges.
Les deux Acteurs ont rendu ces différens ;
morceaux
SEPTEMBRE. 1752. 169
morceaux à la fatisfaction du Public , avec
beaucoup de préciſion, de facilité & de naturel.
Le premier jour ils eurent peu de fuccès,
parce que n'étant encore accoutumés
ni au Théatre fur lequel ils fe trouvoient
ni aux Spectateurs , ils vouloient , pour
ainfi dire , effayer le goût du public , &
ne fe livretent pas à toute la vivacité de
leur jeu. D'ailleurs , comme on étoit peu
au fait du fujet , & peu accoutumé au récitatif
Italien , ce récitatif parut long , &
la mufique même des Ariettes , toute excellente
& toute frappante qu'elle eft , ne
fut goûtée que d'un petit nombre de connoiffeurs.
A la feconde repréfentation , on
fit des retranchemens , & l'ouvrage réuffic
beaucoup mieux . A la troifiéme , les Acteurs
encouragés , & plus à leur aife , fe livrerent
davantage à leur jeu , & furent
très- applaudis. Il en fut de même à la
triéme , & le fuccès paroît augmenter de
jour en jour ; il eft à fouhaiter cependant
qu'ils n'excédent pas dans la charge.
qua-
On a mis à la tête de la Serva Padrona
une Ouverture de Telemann , dont l'Adagio
eft affez harmonieux , & le Prefto , foible,
Cette Ouverture paroît un peu trop trancher
avec le Prélude du premier monologue
de la Serva Padrona , qui eft dans un
goût different & bien ſupérieur .
H
170 MERCURE DE FRANCE.
La premiere partie de la musique & de
la compofition du Ballet a été goûtée ; la
feconde partie de l'une & de l'autre a paru
froide & médiocre ; mais le tout a été trèsbien
exécuté , avec beaucoup de gaieté ,
de légereté & de précifion par Mlle Reix
& par Mrs Laurent & Beat.
L'Académie Royale a retiré le 22 Acis
& Galathée & la Serva Padrona , & a donné
le Prologue des Fêtes de l'Eté , Alphée &
Arthufe , Ballet en un Acte , & le Joneur,
Interméde Italien. Nous rendrons compte
de ce Spectacle dans le Mercure prochain .
Les Comediens François ont donné
Jeudi 17 Aoûr , Le Duc de Foix , Tragédie
de M. de Voltaire , qui avoit été
jouée en 1734 fous le titre d'Adelaïde
du Guefclin. Le Public a trouvé la piéce
bien conduite , les changemens qui y ont
été faits , tout- à- fait fages , le ftile , les
détails , les vers & les fentimens dignes de
l'Auteur. Le cinquiéme Acte en particulier
produit le plus grand effet , & le rolle de
Lifois a paru également neuf & beau. M.
Grandval l'a rendu très bien , & M. le
Kain s'eft furpaffé dans celui du Duc de
Foix.

Mlle Dalilo a fait fon début comique
dans le courant du mois dernier elle a
SEPTEMBRE. 1752. 171
repréfenté Conftance dans le Préjugé à la
mode , Celimene dans le Misantrope , &
Melanide dans la Piéce de ce nom . On continue
d'efpérer de cette Actrice , & ce fera
un fujet utile en plus d'un genre . M. de
Lanoue a joué à fon ordinaire Durval dans
le Préjugé à la mode , M. Grandval a fait le
Milantrope en perfection , & M. Belcourt
a rempli le rolle de Darviane dans Melanide.
Ce dernier Acteur s'applique extrêmement
, & fait des progrès dans les Amoureux
du haut Comique.
Les Comédiens Italiens ont donné Lundi
14 Août une nouveauté en quatre Actes ,
intitulée , Arlequin Genie. On ne peut pas
voir plus de diverfité qu'il y en a dans cette
Piéce ; on y trouve de tout , du tragique
& du comique , de la déclamation & du
chant , des vers & de la profe , de l'Italien
& du François , des décorations & des.
machines , des chofes écrites & d'autres
qui ne le font pas , des parodies , &c. Les
amours d'Arlequin & de Coraline nous ont
paru très plaifantes , & le dernier Ballet
fupérieurement deffiné & bien exécuté. Si
on envifage ce que nous annonçons comme
fpectacle , il mérite d'être vû ; on n'a rien
négligé pour y jetter de la diverfité & pour
lui donner de l'éclat .
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
Le fuccès de l'Opera Comique va toujours
en augmentant . On a remis le Miroir
magique de M. le Sage , qui a été auffi fuivi
que la nouveauté la plus piquante : il y a
des chofes un peu libres dans cette piéce ;
mais elle eft extrêmement variée & femée
de traits vifs , ingénieux , naturels & gais.
On a remis auffi la Reine du Baroftan de
Mrs. le Sage & Dorneval , à la place de
la Servante juftfiée ; le rolle de Pierrot eft
rendu d'une maniere plaifante par le fieur
Parent.
Le Lundi 7 de ce mois on a ôté le Mi
roir magique , pour donner la premiere
repréſentation du Poirier , Piéce nouvelle
en un Acte de M. Vadé , qui a été applaudie
; il y a un rolle de Bâtelier extrêmement
plaifant , qui eft parfaitement exécuté
par le Sr Leclufe . Mlle Eulalie y
chante le rolle d'Amoureufe ; elle a la voix
tendre & gracieufe ; & Mile Defchamps
dont on connoît les talens naiffans pour
la danfe , y joue un rolle de petite fille
avec une fineffe au deffus de fon âge . Le
fujet du Poirier eft tiré d'un Conte de la
Fontaine ; nous en parlerons plus au long
dans le prochain Mercure.
Le Samedi 12 on a mis à la place des
Amours de Nanterre le Pigmalion de Mrs
SEPTEMBRE . 1752. 175
Pannard & Laffichard ; Mlle Morphy y a
débuté par le rolle de la Statue animée ;
elle a la voix un peu foible , mais elle a
de la grace , affez de naturel & un air décent.
Le même jour on a donné un Ballet
pantomime nouveau , qui a pour titre , les
Batteurs en grange , qui a été reçu avec
les applaudiffemens les plus vifs & les plas
réitérés : le Sr Sodi cadet , qu'on ne connoiffoit
point , & les Danfeurs Italiens
contribuent beaucoup au fuccès de ce Ballet
, dans lequel il y a une contre- danfe
agréable.
J
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
E viens de lire , Monfieur , dans le Mercure
du mois de Juillet dernier , p. 169.
une queftion propofée par M. Chevrier
au fujet du ton dont on doit rendre le dernier
hémiſtiche de ce vers de la Tragédie
de Cinna ,
Cinna , tu t'en fouviens , & veux m'affaffiner.
» Si c'eſt avec un fentiment de fureur ,
» où une indignation violente eft peinte ;
» ou fi on doit s'exprimer d'un ton qui
annonce un reproche mêlé de pitié &
» de tendreffe .
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
Pour décider cette queftion & faire fentir
toute la force de ces mots , & veux m'affaffiner
, il faut remonter aux premiers vers
de cette fcene , qui commence le cinquiéme
Acte de cette Tragédie , que l'on peut
regarder comme le chef- d'oeuvre du grand
Corneille , & que j'ai vu plufieurs fois
repréſenter , tant à Sceaux qu'à Paris , par
Baron , cet incomparable Acteur ; il com
mençoir cette fccne d'un ton de maître ,
mais avec une douceur majeftueufe ; &
après ces mots , Cinna , tu v'en fouviens , il
faifoit un petit filence , & prononçoit ces
derniers mots , & veux m'affaffiner , d'un
ton plein de tendreffe, en regardant Cinna
avec bonté , & d'un air de pitié qui attendriffoit
les Spectateurs & lui -même.
Je ne crois pas que l'on puiffe prendre.
un meilleur Juge pour décider la queſtion
propofée.
Ce 8 Août.
J. B. D. D. N.
1
SEPTEMBRE. 1752. 175
CONCERT SPIRITUEL.
Mardi 15 Aoûr , jour de l'Affomption ,
le Concert a commencé par une fymphonie
nouvelle de M. *** enfuire Domine in
virtute tua , Pf. 20 , Motet à deux choeurs
de M. Cordelet , Maître de Mufique de
l'Eglife de S. Germain l'Auxerrois, dans lequel
Mlle Fel a chanté la premiere Ariette,
Il y a eu une fymphonie à cors de chaſſe de
M. Filippo Palma , Italien ; Mlle Bourgeois
a chanté Benedictus Dominus , Récit
de M. de la Lande , tiré de Nifi quia Dominus
, Pf. 123. M. Gaviniés a joué ſcul ;
Mlle Violantina de Veftris a chanté deux
Airs Italiens. Le Concert a fini par Dominus
regnavit , Pl. 92 , Motet à grand choeur
de M. Mondonville.
CONCERTS A LA COUR.
A Compiegne. Fin du mois de Juillet 1752 .
Le 17 on chanta chez la Reine un Acte
intitulé , Amarillis , Paftorale , de la compofition
de M. Cardonne , Ordinaire de la
Mufique de la Chambre du Roy. Mlle Canavas
& de Selle , Mrs Joguet & Befche
en ont chanté les rolles.
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE.
Les 19 , 22 & 24 on chanta le Prologue
& les cinq Actes du Ballet des Elémens ,
Mufique de feux Mrs Lalande & Deftouches
, Sur- Intendans de la Mufique de la
Chambre , paroles de M. Roy , Chevalier
de l'Ordre de S. Michel.
Mlles Lalande , Canavas , de Selle , Mathieu
& de Saintreufe , Mrs Joguet , Poirier
, Befche & Godonefche en ont chanté
les rolles.
Les 26 , 29 & 31 on chanta le Prologue
& les cinq Actes de la Paftorale d'Iffé , Mufique
de feu M. Deftouches , &c. paroles
de feu M. de Lamotte.
Mlles Lalande , Canavas , de Selle , Mathieu
& Godonefche en ont chanté les
rolles , ainfi que Mrs Benoit , Poirier ,
Dubourg , Joguet & Bazire.
SEPTEMBRE. 1752. 177
NOUVELLES ETRANGERES.
DU LEVANT.
DE CONSTANTINOPLE , le 11 Juillet.
Par
le
Ar le dernier incendie arrivé dans cette Capitale
, le quartier des Armeniens & celui des
Grecs ont été prefque entierement réduits en
cendres, le feul quartier des Francs a été préfervé
des flammes. Pour l'ordinaire les accidens .
de cette nature font ici l'effet de quelque mécontentement
, foit de la part des Habitans ,
foit de celle des Janniffaires , & la difgrace
de quelques Miniftres en eft le plus fouvent Fa
fuite. Le Grand Vifir vient d'en faire l'expérience.
Il fut arrêté le lendemain de l'incendie &
le même jour il fut embarqué fur une Galere ,
pour être conduit en exil dans 1 Ile de Rhodes ;
fa place a été donnée à l'Imbrahor ou Grand
Ecuyer de Sa Hautefle.
DU NORD.
DE PETERSBOURG , le 22 Juin.
La ville de Mofcou n'étoit point encore revenue
de la confternation générale caufée par l'em-
» brafement du 13 Mai , lorfque le feu reprit le 3
de ce mois près de la rue d'Arbat , à peu de dif-
2 - tance du Palais de l'Impératrice. Pendant le refte
du jour & la nuit fuivante , le vent qui étoit zu.
H. v
178 MERCURE DE FRANCE.
» fud-ouest , pouffa les flammes vers lept quar
tiers différens , & plus de treize mille mai-
» ſons fùrent réduites en cendres . Le 6 un nouvel
» incendie fe manifefta dans le centre de la ville ,
» & il ne ceffa qu'après avoir fait encore un très-
לכ
grand ravage . Actuellement les deux tiers de
» Mofcou fe trouvent détruits ; il n'y a aucune fa-
» mille confidérable de l'En pire qui ne ſe reflente
du defaftre , & l'Amiral Frince de Galiczin y
perd feul plus de cent cinquante mille roubles.
Les Ecuries de Sa Majefté impériale fituées près.
» du quartier de Chamowna , ont été entierement
» confumées. On regrette particulierement la belle
» Manufacture de toiles du fieur Jean Tameſz ,
» dont on n'a pû fauver les atteliers ni les moulins;
la maifon feule qu'habite ce Fabriquant a
été préfervée , parce qu'elle eft bâtie de pierres,.
" L'Aporicairerie Impériale , utile & vafte éta-
» bliffement d'où fe fait aux dépens de l'Impéra-
» trice une diftribution de médicamens dans plu◄
»fieurs Provinces de l'Empire , a été auffi brûlée
avec une partie des laboratoires , des magaſins
» & des bâtimens qui en dépendent . » Tel eft
P'affreux tableau que préfente une lettre écrite de
la ville même de Mofcou . Il est très - certain que.
ce font des Incendiaires qui ont mis le feu . Quelques-
uns de ces fcélérats font actuellement en
prifon , & on leer prépare des fupplices capables.
d'effrayer les plus intrépides . Toute la Cour envifageant
le trifte état de Mofcou , a fait les efforts
-pour détourner l'Impératrice du deffein qu'elle a
d'y faire un voyage ; mais l'idée même de la defolation
, dont on craint que la vûe ne faffe une
trop vive impreffion fur elle , l'a confirmée dans
fa réfolution ; elle s'en eft expliquée à table il y
a quelques jours en ces termes : Plus mes- Sujets:
SEPTEMBRE . 1752. 179
de Mofcou font malheureux , plutôt je veux me rendre
aupres d'eux , pour les confoler & pour leur proearer
du foulagement . Il n'y a cependant point
d'apparence que cette Princeffe puiffe partir auffitôt
qu'elle le voudroit , parce que fon Palais mê
me a fouffert plufieurs dommages .
L'Impératrice a permis à une Nation Grecque
qui étoit répandue dans la Hongrie & dans quel -
ques Provinces voisines , de s'établir dans l'Ukraine .
On appellera Nouvelle Servie le pays qu'occuperont
ces nouveaux Sujets de Sa Majesté Impériale .
Els choifiront eux mêmes leur Général , dont l'autorité
fera femblable à celle des Hettmans de la
Petite Ruffie . Ces peuples ont commencé de bâtir
dans une Ile du Borifthene , une ville , à laquelle
ils ont donné le nom d'Elizabeth - Stadt , & qu'ils
fortifieront , afin qu'elle puiffe fervir de rempare
contre les courſes " des Haydamaxis & des autres
Colaques.
DE STOCKHOLM , le
27 Juin.
Le réſultat des délibérations de la Diette eft
compofé de dix- neuf articles. Il s'agit premierement
de la levée d'un impôt pour payer les frais
des obféques du feu Roi , ceux du couronnement
de Leurs Majeftés , & quelques autres dépenfes .
Les fonds néceffaires pour l'augmentation de la
Marine & pour l'entretien du Corps des Cadets y
font réglés & affignés . On y propofe des moyens.
pour augmenter le nombre des Habitans du
Royaume , pour améliorer la culture des terres
pour établir une direction fûre dans les Magafins ,.
pour remettre fur un bon pied le cours du change,
pour encourager & multiplier les Fabriques & les
Manufactures . Les autres points capitaux font l'in
2
E vi
180 MERCURE DE FRANCE.
troduction du nouveau Style , un arrangement pour
affurer la folidité de la Banque , enfin l'exécution
du projet qu'on a de dreffer des Cartes exactes de
toutes les Provinces , & de bien établir les limites
du Royaume.
DE COPPENHAGUE , le 1 Août.
Le 23 du mois
dernier
les Secrétaires
d'Ambaffade
de Suéde
& de Prufle
, fe promenant
à dix
heures
du foir
fur les remparts
de la ville
, furent
infultés
par deux
Couriers
du Cabinet
qui étoient
pris
de vin. Un Domestique
voulut
faire
quelques
représentations
aux aggreffeurs
; pour
toute
éponfe
is tirerent
l'épée
, le poursuivirent
jufqu'à
Î'Hôtel
de l'Envoyé
de Pruffe
, & maltraiterent
le
Maitre
d Hôtel
, qui fe trouvoit
à la porte
, & qui
s'oppofa
à leur
paffage
. Comme
enfin
, par l'entremile
du peuple
affemblé
autour
de l'Hôtel
, ils
venoient
de fe retirer
, l'Envoyé
de Pruffe
arriva
de Freienfberg
. Ce Minifie
ayant
fait le lendemain
fes plaintes
au Roi , les coupables
furent
arrêtés
fur le champ
, & conduits
à la Tour
bleue
;;
depuis
ils ont été privés
de leurs
emplois
, & trans
ferés
à la Citadelle
..
On fait de magnifiques préparatifs pour l'entrée
folempelle de la Reine . Le Roi vint il y a trois
jours en cette ville , & il fe rendit à l'Hôtel de
la Compagnie des Indes Orientales , pour voir les
marchandifes que cette Compagnie doit mettre
inceffamment en vente. Sa Majesté vit auffi lancer
à l'eau un vaiffeau nouvellement conftruic ;
elle retourna le foir à Fredensberg .
Cette année la pêche de la baleine a été trésabondante
fur les côtes du Groenland: Le Theodore,
un des deux vaiffeaux qquuii ffoonntt partis
d'ici pour
SEPTEMBRE . 175 2 181
cette pêche , a apporté neuf baleines , & l'autre
vaifleau eft attendu de jour en jour avec une
charge auffi confidérable."
ALLEMAGNE
DE VIENNE , le 10 Juillet..
Il paroît trois Ordonnances nouvelles ; la premiere
contre les Sujets de l'Imperatrice Reine ,
qui paffent dans les pays étrangers , & contre ceux
qui favorifent leur évafion ; la feconde , contre
ceux qui font des recrues pour des Puiflances érrangéres
dans les Pays Héréditaires de Sa Majefté ; la
tro fiéme concernant les duels , que l'impératrice
Reine défend fous de rigourenfes peines. Cette
Princeffe a recommandé aux Ecclefiafticq
ues de
Hongrie , de ne caufer aucun trouble aux Prote
tans qui viennent de s'y établir.
DE HAMBOURG , le 28 Juillet
La Régence a mandé au fieur Kleferer ,. qu'elle
fe foumettoit à toutes les conditions , qu'il plaifoit
à Sa Majefté Catholique de mettre au rétablillement
du commerce de cette Ville avec l'Espagne.
En même tems , on a envoyé ordre au fieur Forth,
notre Conful à Alger , de fe retirer , & de faire
connoître au Dey l'impoffibilité dans laquelle on
eft d'obferver le dernier Traité.
DE MAGDEBOURG , le 6 Aout..
L'affaire de la fucceffion au Duché de Saxe-
Lawembourg paroît prête à fe renouveller. A la
mort du dernier Duc , les Maifons de Saxe , de
132 MERCURE DE FRANCE.
Neubourg , de Lunebourg- Zell , de Bade-Baden ;
de Mecalenbourg , d'Anhalt , & de Holftein- Sonderbourg
, firent valoir leurs prétentions . Sans
avoir égard aux autres Contendans , Jean - Geor
ge , Electeur de Saxe , en 1689 , prit le premier
poffeffion , fuivant les formalités juridiques , de
la fucceffion ouverte . Le Duc Georges- Guillaume
de Lunebourg-Zell , de fon côté , fit entrer des
Broupes du Cercle de la Baffe - Saxe dans Lawembourg
, pour mettre le Duché en féqueftre , & en
retint la poffeffion à titre de réunion & de pacte
de confraternité. Cependant l'Electeur de Saxe
obtint du Confeil Aulique de l'Empire des Mandata
Reftitutoria ; mais ils demeurerent fans effet.
La Maiſon d'Anhalt , d'autre part , protefta contre
tout ce qui s'étoit paffé . Enfin en 1690 , l'Empereur
ordonna aux Prétendans , de remettre leurs
titres devant le Conſeil Aulique.
ESPAGNE.
DE MADRID , le Juillet,
Plufieurs Sçavans ayant formé depuis quelques
années à Séville avec la permiffion du Roi une So.
ciété litteraire , & Sa Majesté érant informée que
les perfonnes , dont cette Société eft compofée ,.
avoient déja donué au Public divers ouvrages eftimés
; le Roi , pour favorifer le progrès des . Sciences
, a jugé à propos de l'ériger en Académie. Sa
Majefté en confequence a fait expédier des Lettres
Patentes , par lesquelles Elle accorde divers
priviléges aux Membres de cette nouvelle Compagnie
, & leur preferit les Réglemens aufquels
il doivent fe conformer..
1
SEPTEMBRE. 1752 185
ITALI E.
DE FLORENCE , le 27 Juin.
La Régence d'Alger a offert au Gouvernement
de fournir exactement chaque année , aux Etats.
dépendans de ce Grand Duché , tout le grain néceffaire
, à raifon de fept livres le fac rendu à Livourne
, en prenant des draps pour le payement
des deux tiers. On examine actuellement ce Projet
, qui fouffe quelques difficultés .
Selon les nouvelles de Venife , des Négocians
étrangers établis à Conftantinople ont propofé au
Grand Vifir l'érection de deux Ports francs dans
les Etats de la Domination Ottomane , l'un au
Golfe Arabique , l'autre à Alexandrie , & l'on affure
que cet établiffement a paru fi avantageux.
pour les Sujets du Grand Seigneur , qu'il aura fom
exécution .
DE LIVOURNE , le 30 Juin.
Depuis long- tems , on n'a point vû de fi belles
apparences d'une abondante récolte en grains , en
vins & en huiles , mais celle de foye , qui ne promettoit
pas moins , n'a pas rempli à beaucoup près .
les efpérances qu'elle avoit données . On annonce
au contraire de Piedmont , qu'il y aura une grande
quantité de cocons , fi les chaleurs extraordinaires
ne leur font aucun toit..
DE PLAISANCE , le 28 Juin.
Le 16 de ce mois , le célebre Cardinal Alberoni
, Doyen de l'Ordre des Cardinaux Prêtres ,
184 MERCURE DE FRANCE.
mourut ici dans la quatre vingt - neuviéme année
de fon âge. 11 fe nonimoit Jules , & il étoit né en
cette Ville le 31 Mai 1664. Lorfque le Duc de Vendôme
commandoit en Italie , ce Général s'attacha
l'Abbé Alberoni , & le mena avec lui en France .
L'Abbé Alberoni accompagna enfuite le Duc de
Vendôme en Espagne , où la fortune l'attendoit
pour le combler de fes faveurs, Ce fut lui que Philippe
V. chargea de négocier fon mariage avec la
Princeffe de Parme , aujourd'hui Reine Douairiere
d'Eſpagne. Peu de tems après , il parvint en Ef..
pagne aux premieres dignités de l'Eglife & de l'Gtat
, & Philippe V. le nomma fon Premier Minif
tre. Clément XI . le créa Cardinal en 1717. -
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 13 Juillet.
Les Propriétaires de la nouvelle Géorgie vienment
de faire à perpétuité une pleine ceffion de ce
pays à la Couronne , & ils fe font défiftés de la
Chartre , qui leur avoit été accordée en 1719. On
en efpere un changement favorable pour cette Colonie.
Selon les derniéres nouvelles de la Jamaïque
, divers Bâtimens Eſpagnols , armés en guerre,
croifent vers la partie de la côte de Mufqueto , où
Pon dit que les Anglois ont formé un établiffement.
Les mêmes avis portent que plufieurs familles de
cette derniereNation avoient quitté cette côte, pour
fe retirer à la Jamaïque . On eft informé par des
Lettres de la Nouvelle Ecoffe , que cette Colonie
jouir à préfent d'une parfaite tranquillité.
*
SEPTEMBRE. 1752. 185
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
E 13 Juillet dernier , la Reine , ainfi que Monfeigneur
le Dauphin , Madame la Dauphine
& Meldames de France , entendit la Meffe dans
l'Eglife des Carmelites.
La Reine communia le 16 dans la même Eglife ,
& le 1 Elle y donna le voile à une Religieule .
Le même jour la Reine dîna dans le Monaftére
des Carmelites . Manfeigneur le Dauphin , Madame
la Dauphine , & Mefdames Victoire , Sophie
& Louiſe , dînerent chez Madame Adelaïde .
Le 14 , M. Durini , Archevêque de Rhodes ,
Nonce Ordinaire du Pape , eut une audience particuliere
du Roi , dans laquelle il préfenta à Sa Majefté
M. Brancir forte , Nonce Extraordinaire , qui
eft arrivé depuis quelques jours à Paris , pour ap
porter à Monfeigneur le Duc de Bourgogne les
Langes bénits de la part de Sa Saintete . Le fieur
Durini fut conduit à cetre audience , ainſi qu'à
celles de la Reine , & de Monfeigneur le Dauphin ,
& le lendemain à celles de Madame la Dauphine ,
de Madame Adelaïde , de Mefdames Victoire , Sophie
& Louife , par M. du fort , Introducteur des
Ambaffadeurs .
Le 13 , le 14, le IS
) le 17 & le 18 , le Roi a
pris le divertiffement de la chaffe .
Le Roi , accompagné de Monfeigneur le Dauphin
, de Madame la Dauphine , & de Mefdames ,
affifta le même jour au Salut . Monfeigneur le
Dauphin , Madame la Dauphine & Mefdames ,
186 MERCURE DE FRANCE,
avoient entendu le matin la grande Meffe dans
l'Eglife Paroiffiale de Saint Jacques , & l'après midi
les Vêpres au Couvent des Minimes.
Le même jour , la Reine fit rendre à la Paroiffe
du Château les Pains Benits , qui furent préfentés
par l'Abbé du Parc , Chapelain de Sa Majeſté , en
quartier.
Il y eut Concert le 17 & le 19 chez la Reine .
Le Roi a donné au Comte de Saulx - Tavannes
Lieutenant Général des Armées de Sa Majefté , &
Menin de Monfeigneur le Dauphin , le Gouvernement
du Château du Taureau dans la Province
de Bretagne , vacant par la mort du Comte de
Goefbriand.
Le 16 M. de Life , Profeffeur de Mathématiques
au College Royal , & Affocié Vétéran de l'Académie
Royale des Sciences ; & M. Buache , de
la même Académie , eurent l'honneur de prélenter
au Roi la Carte des nouvelles découvertes que
M. de Lifle a faites au Nord de la Mer du Sud.
Cette Carte remplit tout l'efpace , qui avoit été
jufqu'à préfent inconnu entre l'Amérique Septentrionale
& l'extrémité Orientale de l'Afie , & elle
eſt le fruit des recherches qui ont occupé cet Académicien
pendant fon long séjour en Ruffie , & depuis
qu'il eft de retour en France. L'attention que
Sa Majefté voulut bien prêter à l'explication que
M. de Lifle lui fit de cette Carte , doit être regar
dée comme une preuve de fon mérite . On peut effectivement
la compter au nombre des ouvrages
les plus importans , qui ayent été donnés depuis
long- temps fur la Géographe , tant par rapport à
la grande étendue des terres & des mers qu'elle
préfente & qu'on ignoroit , que par rapport
la conféquence dont ces nouvelles découvertes
font pour le paffage de l'Europe aux Indes Orien
tales par le plus court chemin.
SEPTEMBRE. 1752 .
1752. 187
M. Buache préfenta auffi au Roi use Carte ,
qui montre toutes les routes , qu'on a tenues juſ
qu'à préfent pour faire le tour du monde . D'un
coup d'oeil , on apperçoit dans cette Carte , de
combien les nouvelles routes , qu'offre la Carte de
M. de Lifle , doivent être plus courtes que celles
qu'on fuit ordinairement.
Depuis quelque tems , on travaille à former une
très-belle promenade à l'une des extrémités de la
Ville de Poitiers. Les Ouvriers , en y remuant la
terre , ont découvert plufieurs Urnes , les unes de
pierre , les autres de verre , fort artiftement tra
vaillées , dans lesquelles étoient des off meus &
des cendres. On à trouvé auffi prés de ces Urnes
quelques autres Vafes , qui renfermoient des Fioles
de terre , luttées avec foin .
On apprend de Morlaix , que les Navires 'Union
, les deux Soeurs & la Parfaite , commandés
par les fieurs Cral , Piquerel & Kerfbieu - Siochan ,
doivent mettre inceffamment à la voile , pour fe
rendre à Cadix . Les Lettres de la Rochelle marquent
que l'Esperance , Capitaine Marelle , eit prêt
à partir pour Québec . Selon les avis reçus de Bordeaux
, les Bâtimens l'Infante , la Couronne , le
Mars , la Pureté , le Faucon , la Famille de Jacob ,
PAquilon , la Vierge , l'Aimable Jeanne , le Débonnaire
, la Patience , la Nymphe de la Mer , la Badine
& la Sainte- Anne , font arrivés , les huit premiers
de l'Ile de Saint- Domingue , & les autres de celle
de la Martinique.
Le 20 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix - huit cens quatre-vingt - douze livres ;
les Billets de la première Lotterie Royale à fix
cens quatre-vingt - trois , & ceux de la Seconde à
fix cens trente quatre.
Le Comte de Sartirane , Ambaffadeur Ordinaire
du Roi de Sardaigne , qui eft arrivé depuis quel
188 MERCURE DE FRANCE.
ques jours à Paris , fur à Compiègne le 20 , avec
le Marquis de Saint Germain , auquel il fuccéde.
Il eut le 21 une audience particuliere du Roi ,
daus laquelle il préfenta à Sa Majeſté les Lettrés
de Créance . Cet Ambafladeur a été conduit à cet
te audience , ainfi qu'à celles de la Reine & de
Monfeigneur le Dauphin , & le lendemain à cel
les de Madame la Dauphine , de Madame Ade,
laide , de Mefdames Victoire , Sophie & Louife ,
par M Dufort , Introducteur des Ambaffadeurs .
La Reine affifta le 20 au Salut dans l'Eglife des
Carmelites Le 22 , Sa Majefté entendit la Meffe
à la Congregation : Elle fe rendit le 23 avec
Monfeigneur le Dauphin , Madame la Dauphine ,
& Mefdames de France , & le 21 avec Mefdames
de France , à l'Eglife de Saint Jacques , Paroiffe
du Château , pour entendre la grande Meffe.
Le Roi & la Reine entendirent le 21 la Meffe
de Requiem , pendant laquelle le De profundis fut
chanté par la Mufique , pour l'Anniverfaire de
feue Midame la Dauphine Marie- Thétéſe , Infante
d'Espagne.
Le même jour , le Marquis de Saint - Germain ,
Ambaffadeur Ordinaire du Roi de Sardaigne , eut
une audience particuliere du Roi , dans laquelle
il prit congé de Sa Majefté . Il fut conduit à cette
audience par M. Dufort , Introducteur des Ambaffadeurs
, qui le conduifit enfuite à celle de la
Reine & de Menfeigneur le Dauphin , & le lendemain
à celles de Madame la Dauphine , de Madame
Adelaide , & de Mefdames Victoire , Sophie
& Louife.
Le 23 , M. d'Aligre , Préfident du Parlement';
fut préſenté au Roi.
Le même jour le Roi & la Reine affifterent aux
Vêpres & au Salut dans l'Eglife de la Congréga
SEPTEMBRE. 1752. 189
tion. Leurs Majeftés affifterent le 25 après - midi
aux mêmes Offices dans l'Eglife Paroiffiale de Saint
Jacques , & le Panégyrique de cet Apôtre fut prononcé
par M. de la Croix , Curé de Verberies.
Le 23 , Monfeigneur le Dauphin fit rendre à la
Paroifle du Château les Pains Bents , qui furent
préfentés par l'Abbé de Sainte Aldegonde , Aumônier
du Roi.
Monfeigneur le Dauphin & Madame la Dauphine
partirent le 24 pour retourner à Verfailles.
Madame Adelaïde fit rendre le 25 les Pains
Benits à la Paroiffe du Château , & ils furent
présentés par l'Abbé d'Arembure , fon Aumônier
en Semeftre.
Le 20 , le 24 & le 26 , il y eut Concert chez la
Reine ..
Le 26 , Madame Victoire donna , dans le
Monaftere des Filles de Sainte Marie , le Voile
Noir à la Demoifelle de Beauval , fiile de M. de
Beauval , Chevalier de l'Ordre de Saint Louis , & -
Lieutenant des Chaſſes de la Capitainerie de Compiégne.
Le Roi a accordé au Comte de Gramont - Vachere
le Gouvernement des Villes & Château de
Creft , en Dauphiné , dont le Marquis de Gramont-
Vachere a donné fa démiffion.
La Troifiéme Chambre des Enquêtes , où le
Marquis de Nefle a obtenu le renvoi de fes affai
res , à rendu le 27 un Arrêt , qui ordonne la vifite
des Bois du Marquifat de Nefle & d'autres Terres,
aux frais de la Direction des Créanciers , & qui
commet le Lieutenant Général des Eaux & Forêts
de Paris , pour informer des auteurs des dégrada.
tions , recevoir les déclarations qui pourront être
faites par les babitans des lieux , & en dreffer un
190 MERCURE DE FRANCE.
procès verbal qui fera communiqué au Procureur
Général.
Le même jour , le Comte de Sartirane , Ambaffadeur
Ordinaire du Roi de Sardaigne , eut une
audience particuliere du Roi , à laquelle il fat
conduit , ainfi qu'à celle de la Reine , par M. Du
fort , Introducteur des Ambaffadeurs.
Le 28 , le Roi prit le divertiffement de la chaffe
au fufl.
Le 29 , le Roi & la Reine entendirent la Meffe
de Requiem , pendant laquelle le De profundis fut
chanté par la Mufique , pour l'Anniverſaire de la
feue Reine Marie- Théréfe d'Autriche , épouse de
Louis XIV.
La Reine fe rendit le 30 à l'Eglife de Saint Jacques
, Paroifle du Château , & y entendit la grande
Meffe .
Leurs Majeftés , accompagnées de Meſdames de
France , affifterent l'après- midi au Salut , dans
P'Eglife des Jéfuites .
Il y eut , le 29 & le 31 , Concert chez la
Reinc.
Le 31 , les Docteurs de la Maiſon & Société
de Sorbonne , célébrerent dans l'Eglife de la Sorbonne
un Service folemnel pour le repos de l'ame
du feu Duc d'Orleans. Toute la Maiſon de ce
Prince affifta à cette cerémonie.
Le Comte de Broglie , que le Roi a nommé
fon Anbafladeur auprès du Roi & de la Républi
que de Pologne , a pris congé de leurs Majeftés .
Le 2 Août , Madanie Adelaide a été faignée du
pied pour une legere indifpofition .
Monfeigneur le Dauphin , en rentrant le premier
de ce mois à neuf heures du foir , fe plaignit
d'un mal de tête & d'un leger friflon , & eut des
baillemens avec un mouvement de fiévre . Ce
SEPTEMBRE . 1752. 197
& comme
Prince pendant la nuit eut un fommeil interrompu
, auquel fuccéda le 2 au matin un calme apparent.
Vers midi , la févre angmenta ,
elle devint très - vive , Monfeigneur le Dauphin fut
faigné à fept heures du foir , & une feconde fois
à onze heures. La fiévre , nonobftant ces deux
faignées , s'eft foutenue la nuit du 2 au 3 au même
degré , & elle a été accompagnée d'accablement
& d'un affoupiflement mêlé d'agitation.
Le 3 au matin , elle a été plus modérée , mais à
midi il y a eu un redoublement , qui a obligé de
faire, à trois heures après midi, une faignée du pied.
Sur la nouvelle de l'état de Monfeigneur le
Dauphin , le Roi eft parti le 3 de Compiègne en
pofte , & Sa Majeſté eſt arrivée à Verſailles entre
dix & onze heures du matin .
Le même jour , l'Univerfité fit la diftribution
des Prix , fondés par le feu Abbé le Gendre , & le
Parlement y afifta . Cette cérémonie fut précédée
d'un Difcours Latin que prononça M. le Beau , de
l'Académie Royale des Infcriptions & Belles - Lettres
, Profeffeur de Rhéthorique au Collège des
Craffins. M. de Maupeou , Premier Préfident du
Parlement , donna le premier Prix . Les autres Prix
furent diftribués par M. Guerin , Recteur.
On apprit le 4 de Verfailles , que vers les cinq
heures du matin , Monfeigneur le Dauphin avoit
été faigné une feconde fois du pied . Une demie
heure après cette quatrième faignée , ce Prince
prit un lavage émétifant , qui a produit des évacuations.
Les Médecins , foupçonnant la petite
vérole , ont adminiftré les remédes propres à favorifer
l'éruption . Quelques boutons qui ont paru ,
ont confirmé le prognoftic.
Le même jour , à cinq heures du matin , la
Reine accompagnée de Meldames Sophie & Loui
192 MERCURE DE FRANCE.
fe , arriva de Compiègne à Versailles . Madame
Adelaide & Madame Victoire y arriverent à une
heure après midi .
La Dame de Couhé de Lufignan , qui plaidoit
en réclamation de voeux , contre la Dame de Saint-
George , fa foeur , & contre les Religieufes du
Tiers- Ordre de Saint François , établies à Poitiers,
a gagné fa caute à la Grande Chambre , & par Arrêt
du 31 du mois dernier , rendu au rapport de´t
l'Abbé Langlois , Confeiller Clerc , fes voeux ont
été déclarés nuls , & fes Parties condamnées aux
dépens.
Une Académie des Sciences , des Belles -Lettres
& des Arts , vient d'être établie à Besançon par
Lettres Patentes de Sa Majesté. Cette Compagnie
fera compolée de quarante Académiciens , du
nombre defquels feront toujours le Gouverneur
de la Province , le Lieutenant Général qui y com
mandera en l'abfence du Gouverneur , l'Archevêque
de Besançon , le Premier Préfident du Parlement
, & l'Intendant . Les Affemblées ſe tiendront
au Palais de Granvelle , qui eft actuellement
l'Hôtel du Gouvernement. Le Duc de Tallard ,
Gouverneur de Franche- Comté , & Protecteuf de
l'Académie , a fondé deux Prix , l'un de trois cens
cinquante livres , pour un Difcours d'Eloquence ;
l'autre de deux cens cinquante pour une Diflerta
tion hiftorique ou critique , dont les ſujets feront
donnés par l'Académie.
Le 3 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix- huit cens quatre- vingt fept livres dix
fols. Les Billets de la Premiere Lotterie Royale ,
& ceux de la Seconde , n'ont point de prix fixe.
Don Jaime Maffones de Lima , Ambaffadeur Extraordinaire
& Plénipotentiaire du Roi d'Espagne ,
eut le 6 fa premiere audience particuliere du Roi
SEPTEMBRE 1752. 193
à laquelle il fut conduit , ainfi que le 8 à celle de
la Reine par M. Dufort , Introducteur des Ambaffadeurs
.
L'éruption de la petite verole de Monfeigneur le
Dauphin , s'étant faite autfi heureuſemeut qu'on
pouvoit le defirer , la fuppuration commença la
nuit dus au 6 par les boutons du vifage & de la
poitrine . Elle a continué avec fuccès. Cependant
Monfeigneur le Dauphin a eu tous les foirs quelque
augmentation de fiévre , & ce Prince à été
fort agité pendant la nuit du 9 au 10. La fuppuration
fut univerfelle , & les boutons de bonne qualité.
Le 10 , depuis cinq heures du matin , la fièvre
diminua , la micëteur fe rétablit , & la tête le rendit
plus libre .
Le 27 Juillet dernier , les Vaiffeaux le Duc de
Chartres & le Saint Prieft , appartenant à la Compagnie
des Indes , arriverent au Port de l'Orient .
La charge de ces Bâtimens , & celle du Vailleau
le Montaran , qui eft arrivé le 19 Juin , confifte en
deux cens cinquante mille cent quarante fept
livres de thé verd , onze cens vingt ſept mille feize
livres de thé bouy , quinze mille cinq cens quatre
livres de thé d'autre qualité , cent foixante - deux
caiffes de porcelaines , fept cens vingt - huit cabarets
vernis , cinquante fept caiffes de lacque en
feuilles , & une grande quantité d'étoffes de foye ,
de toiles de coton , & d'autres marchandiſes .
Suivant les avis reçus de Marfeille , les Bâtimens
, arrivés dans ce Port depuis le 19 Juillet
dernier , font le Vaiffeau l'Espérance , venant de
Cadix , avec un chargement de bled , Capitaine
Jacques du Pin ; la Pinque le Sain Jean l'Evange
lifte , partie de Safia , côte d'Afrique , & chargée
de diverfes marchandiſes , Capitaine Paul Giraud ;
la Corvette le Saint Jofeph , arrivée de Sour , Capi-
I
194 MERCURE DE FRANCE.
taine Jean- François Amic , & la Corvette la Marie-
Therefe , venant de Smyrne , Capitaine Nicelas
Reboul .
M. Romas , Lieutenant Aflefleur de Nerac , dans
le Bazadois , & Correfpondant de l'Académie de
Bordeaux , écrit qu'ayant réïtéré plufieurs fois les
Expériences , concernant l'analogie du tonnerre
avec la matiere électrique , il a toujours éprouvé
les mêmes effets , dont on a rendu compte an Public.
Il ajoute , comme une particularité digne
d'attention , qu'après un orage qui s'étoit formé
loin de Nérac , & qui ne s'y étoit annoncé que par
un bruit fourd , & par quelques gouttes de pluye
affez groffes , le Soleil étant dégagé de nuages &
le Ciel très - clair , les barres de fer furent électrifées
. M. Romas , fans fortir de fa chambre ,
fut averti de leur électriſation par le fon de deux
petites cloches qui répondoient à ces barres , &
que l'attraction & la répulfion de l'Electricité fait
fonner. Il vient d'adreffer à M. de Secondat , Secrétaire
perpétuel de l'Académie de Bordeaux ,
une Lettre dans laquelle il propoſe de nouveaux
moyens de fe garantir du tonnerre.

Une Lettre écrite de Sarlat marque que la
nuit du 10 au 11 du mois de Juillet , les Paroifles
de Saint- Front , de Bourniquel & de Pontour ,
fituées dans ce Diocéfe fur la rive gauche de la
Dordogne, ont été ravagées par une grêle affreufe .
On trouva fur les dix heures du matin des grêlons
qui , malgré la diminution de leur maffe ,
depuis la nuit qu'ils étoient tombés , pefoient encore
quatre à cinq livres . Tous les toits des mai
fons ont été brifés , & plufieurs maiſons entierement
renversées . Il n'eft refté fur la terreni grain ;
ni paille. La grêle a tout haché ; les Vignes ont
eu le même fort , & prefque tous les arbres ont
SEPTEMBRE. 1752. 195
été déracinés . Des Procès - verbaux de ce défaftre
ont été dreffés par ordre de la Cour , & l'Intendant
de la Province eft actuellement occupé à
chercher les moyens de faire ſubſiſter les habitans
de ces trois Paroisses .
On mande de Châteauneuf, en Chárolois
qu'on a trouvé dans le Domaine du Roi un tréfor
eftimé environ cinquante mille livres . Il confifte
en Uftenciles d'argent , Vales , Médailles & anciennes
Monnoyes . Parmi les Médailles eft un
Médailllon d'or , fur lequel font repréſentés les
Anglois battus & chassés de France.
Le 9 , les Actions de la Compagnie des Indes ,
étoient à dix-huit cens quatre-vingt - quinze livres
les Billets de la Premiere Lotterie Royale à fix cens
quatre-vingt- fept , & ceux de la Seconde à fix cens
trente-deux.
Une Statue , de onze pieds de haut , repréſen
tant la Santé , fut fondue le 8 d'Août à la Fon
derie de l'Arfenal , par M. Jean Baptifte le Moyne
, Sculpteur ordinaire du Roi , & Membre de
l'Académie Royale de Peinture & de Sculpture ;
& par M. Gor , Commissaire Général des Fontes
de l'Artillerie. Cette opération , à laquelle ont affifté
plufieurs des principaux connoisseurs en matiere
de fonte , a eu un entier fuccés. Après le dépouillement
du moule , il ne s'eft trouvé aucun
défaut fur la Figure , & l'on peut la regarder comme
une des plus parfaites en ce genre , qui ayent
été coulées d'un feul jet. Elle eſt deſtinée , ainfi
qu'une autre Statue qui repréfentera la Province de
Bretagne , à accompagner , la Statue pédestre du
Roi , qui doit être placée à Rennes par les ordres
des Etats de la Province .
Don Jaime Mafsones de Lima , Ambaſsadeur
Extraordinaire & Plénipotentiaire du Roi d'Efpas
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
gne , eut le 10 audience de Monſeigneur le Due
de Bourgogne de Madame , & de Madame Ade-
Jaide . Cet Ambafsadeur fut conduit à ces audiences
, ainfi que le lendemain à celles de Mefdames
Victoire , Sophie & Louife , par M. Dufort , Ins
troducteur des Ambassadeurs.
Le Roi chafsa le 11 , pour la premiere fois depuis
la maladie de Monfeigneur le Dauphin.
Il y eut le même jour grand couvert chez la
Reine , & Sa Majesté tint le 16 appartement.

Le 14 Monſeigneur le Dauphin prit médecine,
& changea de linge & de lit. Ce Prince dormit
neufheures la nuit fuivante . Le 16 , il fe trouva
abfolument fans fiévre ,& il fut purgé pour la feconde
fois. Tout continua les jours fuivans d'annoncer
fa parfaite convalefcence. A de vives allarmes
fuccéda une joie générale , celle de leurs Majeftés
& de la Famille Royale fut inexprimable ,
& l'on ne fut plus occupé qu'à rendre à Dieu des
actions de graces , d'avoir accordé la confervation
de Monfeigneur le Dauphin aux voeux de toute la
Nation . Madame la Dauphine , tant que fon augufte
Epoux a été en danger , n'a point quitté le
Chevet du lit de ce Prince. Le courage qe'elle a
montré , & les tendres foins qu'elle a pris d'une vie
i précieuſe , feront à jamais gravés dans la mémoire
& dans le coeur des François.
Le 15 , Fête de l'Assomption de la Sainte Vierge
, le Roi & la Reine , accompagnés de Mesdames
de France , entendirent dans la Chapelle du Châ
teau la grande Mefse , célébrée par l'Evêque Due
de Laon , & chantée par la Mufique . Leurs Ma
jeftés affifterent l'après - midi aux Vêpres & à la Proceffion
, aufquelles le même Prélat officia.
La Reine communia le même jour par les mains
de l'Archevêque de Rouen , fon Grand Aumo
mier.
SEPTEMBRE. 172. 197
Le même jour , le Baron de Scheffer , que le Roi
de Suéde a nommé fon Miniftre Plénipotentiaire
pour réfider auprès de Sa Majefté , eut une au
dience particuliere du Roi , dans laquelle il préfenta
à Sa Majefté fa Lettre de créance . Il fut conduit
à cette audience , ainfi qu'à celles de la Reine
, de Monfeigneur le Duc de Bourgogne , de
Madame , de Madame Adelaide , & de Mefdames
Victoire , Sophie & Louife , par le même Introducteur.
Le même jour , M. Durini , Archevêque de
Rhodes , Nonce Ordinaire du Pape , eut une audience
de Monfeigneur le Duc de Bourgogne ,
dans laquelle il préfenta M. Branciforte , Nonce
Extraordinaire . M. Durini fut conduit à cette audience
, ainfi qu'à celle de Madame , par le même
Introducteur.
Le même jour , Fête de l'Assomption de la
Sainte Vierge , la Proceffion folemnelle , qui fe
fait tous les ans à pareil jour , en exécution du væu
de Louis XIII . fe fit avec les cérémonies ordinaites
, & l'Archevêque de Paris y officia . Le Parle
ment , la Chambre des Comptes , la Cour des Aides
, & le Corps de Ville , y affifterent .
Ali Effendi , Envoyé de la Régence de Tripoli ,
fut conduit le 16 à Verfailies , & préfenté au Roi
par M. Rouillé , Miniftre & Secrétaire d'Etat´
ayant le Département de la Marine Cet Envoyé.
a fait à Sa Majesté le Difcours fuivant : » Très-
» Haut , Très-invincible & glorieux Empereur , le
" Pacha de Tripoly , mon Maître , m'envoye aux
pieds du Trône de Votre Majefté Impériale ,
"pour l'aflurer dans le plus profond refpect , de
» la fincére douleur que lui ont caufée les défor-
> dres & les infultes que quelques- uns de fes Corfaires
ont commis , contre fes intentions & fa
"
I iij
198 MERCURE DEFRANCE.
30
5 כ
C
» volonté , envers le Pavillon de France , & qui
» avoient juftement offenfé Votre Majefté Impériale.
Le Pacha , mon Maîtte , en demande ,
pour les coupables grace & pardon à Votre
Majefté Impériale , & la fupplie d'effacer de fa
mémoire le fouvenir du paffé , en faveur des
fortes affurances qu'il lui donne , tant en fon
» nom qu'en celui de la Régence , que les Corfaires
de Tripoly ne lui donneront plus le moindre
fujet de plainte, ou qu'ils en fubiront telle peine
» qu'il plaira à Votre Majesté Impériale d'exiger.
Votre Majefté Impériale peut juger de la réfolu-
» tion où eft le Pacha de févir contre ceux qui
oferont enfraindre les ordres rigoureux qu'il a
donnés à ce fujet , par les fatisfactions qu'il a
faites à Votre Majefté Impériale , en préfence du
» Commandant de fes Vaifleaux , & qu'elle a en
" agréable d'accepter . Quoiqu'elles ayent été réglées
conformément aux defirs de Votte Majefté
Impériale , le Pacha les auroit encore portées
plus loin pour lui plaire , & lui marquer
une entiere foumiffion , fi la conftitution de fon
" Pays lui avoit permis de le faire fans rifque.
" Mais il n'en eft pas moins difpofé à donner en
toute rencontre à Votre Majefté Impériale les
plus fortes preuves de l'envie qu'il a de mériter
fes bontés , la bienveillance , & fa puiffante protection.
Comblé des faveurs & des graces que
j'ai reçues dans les Etats de Votre Majefté impériale
, depuis le féjour qu'elle m'a permis d'y
faire , j'afpirois après le moment où j'aurois le
bonheur de paroître devant elle , & d'admirer
les auguftes qualités qui ont porté fon nom audelà
des mers , autant que les triomphes & fes
» victoires. La majefté & la douceur de fes re-
» gaïds qui annoncent fa clémence , me flattent
>>
כ ל
>>
SEPTEMBRE. 1752. 199
qu'elle daignera recevoir avec bonté les hommages
de ma vénération profonde , & me permettre
de rapporter au Pacha , mon Maître ,
» après avoir exécuté fes ordres auprès de Votre
Majefté Impériale , les affurances du retour de
» fes bonnes graces. Pourrois- je ne pas m'enhardir
à les lui demander , dans l'heureuſe conjoncture
où une faveur marquée du Tout -Puiffant
vient de rendre à Votre Majesté Impériale
un Prince , qui lui eft d'autant plus cher , que fa
» confervation doit affurer à fes Sujets la conti-
» nuation du bonheur , dont ils jouiffent fous fon
Regne j'ofe mêler ma voix à celle de tout un
peuple , qui a porté fes voeux au Ciel pour la
précieuſe fanté de Monfeigneur le Dauphin . Il
» ne me reftera rien à defirer , fi , après avoir été
l'inftrument dont le Pacha , mon Maître , s'eft
fervi , pour s'humilier aux pieds de Votre Majefté
Impériale , je puis être honoré d'un regard fa-
> vorable de fa part . L'après- midi du même jour ,
Ali Effendi fut conduit dans les Jardins de Veifailles
& de Trianon , pour en voir les eaux & les
differentes beautés.
35
93
Ily eut pendant quelques jours chez M. Saly ,
de l'Académie Royale de Peinture & de Sculpture,
un très-grand concours , pour voir la ftatue du
Roi , que cet habile Sculpteur a faite pour la Ville
de Valenciennes. Cette Statue eft de marbre , & a
neuf pieds de hauteur . Le Roi eft repréſenté en
pied , donnant les ordres de la main droite , & tea
nant de la gauche fon épée avec une branche d'olivier.
Sa Majefté eft vêtue à la Romaine , & couronnée
de laurier , & a pour attribut une Colonne,
fymbole de la force. Le pied-d'eftal , fur lequel on
pofera la Statue , fera orné de deux bas - reliefs de
bronze , repréfentans l'un la Bataille de Fontenoy ,
Liiij
200 MERCURE DE FRANCE.
l'autre l'entrée du Roi dans Valenciennes. On placera
fur le même pied - d'eftal deux infcriptions , &
les Ecuflons des Armes de France & de la Ville . Le
20 ou le 21 , la Statue fera embarquée au Port de
la Conférence . Elle defcendra la riviére julqu'à
Conflans Sainte - Honorine , remontera l'Oife julqu'à
Choigny , ira par le Canal jufqu'à Saint
Quentin , & de- là fera conduite par terre jufqu'à
Valenciennes , où elle fera mife dans la principale
Place . Le Prince de Tingry , Lieutenant Général
de la Province de Flandre , & Gouverneur de Va →·
lenciennes , fe difpoſe à partir pour aller faire les
honneurs de cette cérémonie.
L'année prochaine , M.Saly, dont le nom n'eft
pas moins connu dans les pays étrangers qu'en
France doit fe rendre à Coppenhague , pour faire
une Statue Equeftre de Sa Majesté Danoiſe .
Les Médecins & les Phyficiens ont , dans un
Phénomène qui attire l'attention de Paris , un
ample fujet d'exercer leurs réflexions . Depuis cinq
ans la nommée Supiot , femme d'un Artiſan , eft
affectée d'un amoliffement fucceffifdes os . La maladie
a commencé par les jambes , a paffé enfuite
au refte du corps , & gagne maintenant les os de
la tête . On a eu quelques exemples de ſemblables
mala lies , mais on ne fe fouvient d'aucune , qui
ait produit les effets extraordinaires qu'éprouve la
femme dont il eft queftion. C'eft M. Dupouy ,'
Membre du College de Chirurgie , qui prend actuellement
foin de cette malade.
Il s'eſt débité en un feul jour à la derniere Foire
de Beaucaire plus de 4500 quintaux de foye grêze
d'Alais . Celle de la premiere qualité s'eft vendue
21 liv . 10 fols , celle de la feconde , 20 liv . 15 fols ,
& celle de la troifiéme , 20 liv s fols . Les Fabriques
d'étoffes de foye travaillent beaucoup plus que
l'année derniere.
SEPTEMBRE . 1752 201
Le 17 le Roi partit pour Choify.
Le même jour , les Actions de la Compagnie
des Indes étoient à dix - huit cens quatre -vingt dix
livres ; les Billets de la premiére Lotterie Royale
à fix cens quatre- vingt quatre , & ceux de la feconde
à fix cens trente- cinq.
MARIAGES ET MORTS.
LE25 Mai ,Meffire Thomas Charles de Morant,
Colonel des Dragons de la Reine , époufa
Anne -Françoise de la Bonde d'Iberville , & leur
contrat avoit été honoré le 8 de la fignature du
Roi, de la Reine & de la Famille Royale. La célé
bration du mariage fe fit près Rouen , chez le Préfident
de la Londe , oncle de la mariée.
M. de Morant , qui porte pour armes d'azur,
trois cormorants , 2 en chef, & 1 en pointe , l'Ecu
timbré d'un cafque , avec cette devile , A candore
decus , eft ifsu de Thomas de Morant , Chevalier ,
Seigneur du Mefnil- Garnier , d'Eterville & de Ru
piere , qui mourut Confeiller d'Etat en 1621. II
avoit épousé en 1978 Mariolle Morelle , dont il
laifsa trois filles & deux fils , fçavoir , Thomas de
Morant Baron du Mefnil- Garnier , & Gafpard ,
Baron de Rupierre . La branche de celui - ci eft fondue
dans Charles - François de la Bonde , Chevalier,
Seigneur d'Iberville , pere d'Anne- Françoife d'Iberville
, dont nous annonçons le mariage . La
premiere des trois filles époufa Jacques de Cauvigny
, Chevalier , Seigneur dudit lieu & de Vierville
. La deuxième , appellée Jeanne , épousa Charles
de Becdeliévre , Chevalier , Seigneur d'Ocqueville
, dont eft defcendu le Marquis de Cany. La
oiléme , appellée Magdeleine , époufa Pierre
1 Y
202 MERCURE DE FRANCE .
Boutin , Chevalier , Seigneur de Victot , Baillif
de Caën.
Thomas de Morant ,Chevalier , Seigneur & Baron
du Mefnil - Garnier , d'Eterville , de Courceuls &
d'Orbeville , époufa en premieres nôces Jeanne de
Cauchon de Trelon , fille de Laurent Cauchon ,
Chevalier , Seigneur de Brienne , & de Dame Anne
Bulard de Silleri ; & en fecondes , le 17 Septembre
1614 , Françoife de Vieuxpont , fiile de Jean de
Vieuxpont & de Dame Marie- Catherine de Beaufremont.
Il eut d'Anne Cauchon fa premiere fem
me , un fils nommé Thomas , dont il fera parlé ciaprès
, & une fille appellée Anne , mariée à Louis
Olivier , Marquis de Leuville . Elle fubftitua à N...
de Givry fon neveu , la terre de Leuville , à condition
d'en porter le nom & les armes. Sa feconde
femme Françoile de Vieuxpont le fit pere d'un fils*
qui a continué la branche d'Eterville de Morant ,
établie près Caen . Il fonda & dota en 1620 un
Coivent de Jacobins à la Terre du Mefnil - Garnier
; il fonda auffi la même année les prix qui fe
diftribuent au Collége des Jefuites de Caen , &
mourut en 1661 Grand Tréforier Commandeur
des Ordres du Roi , & Confeiller d'Etat.
Thomas de Morant , Baron du Mefnil-Garnier,
fit ériger le Mefnil- Garnier en Marquifat pour fon
nom. Il époufa en premieres nôces Catherine Bordier
, dont il eut un fils mort , fans poftérité , Premier
Préfident du Parlement de Touloufe ; & en
fecondes avec Marie Aveline , dont il eut une fille
mariée au Marquis de Givry ; & en troifiémes avec
Louife le Meneuft de Brequigny , fille de Jean &
de Sufanne de Coetlogon . De ce dernier mariage
naquit en 1692 Thomas- Gui de Morant , Comte
de Penfes , lequel mourut le 23 Juillet 1722 Lieu-'
tenant- Colonel du Régiment de Laſsay , avec breSEPTEMBRE
. 1752, 203
vet de Colonel. Il avoit épousé Anne-Jofeph de
Kerninon , dont il eut Thomas - Charles - Marie de
Morant , Comte de Penfes , allié en 1726 avec
Gabrielle -Félicité de la Riviere , fille de Charles-
Yves-Jacques de la Riviere , Comte de Ploeuc , &
de Marie- Françoife -Célefte de Paulmy d'Argenfon
, dont eft né M. de Morant qui a donné lieu
à cet article . Voyez l'Hift. des Grands Officiers ,
tome IX . pag. 321 .
Meffire Charles- Louis de Preifsac de Mareftan ,
Comte d'Efclignac , Meftre de camp de Cavalerie ,
fils de feu Meffire Jean - Emeric de Preifsac de
Mareftan , Marquis d'Efclignac , & de feue Dame
Louiſe de Tilladet Caftagnet - Narbonne - Lomagne
de Fimarcon , a époulé Dame Elizabeth Therefe
Marguerite Chevalier , veuve de Meffire
Charles - Louis Kadot de Sébeville , Enſeigne de la
feconde Compagnie des Moufquetaires de la Garde
de Sa Majesté .
·
Meffire Henri d'Harcourt , Comte de Lillebonne
, fils d'Anne Pierre Duc d'Harcourt , Pair
de France , Lieutenant Général des Armées du
Roi , & de feue Dame Thérefe Eulalie de Beaupoil
, a été marié le 13 Juin à Françoife - Catherine-
Scholaftique d'Aubufson de la Feuillade , fille de
feu Meffire Hubert-François d'Aubusson , Vicomte
de la Feuillade , Meftre de Camp du Régiment de
Cavalerie de Royal- Piémont , & de Dame Catherine-
Scholaftique Bazin de Bezons. La Bénédiction
nuptiale leur fut donnée par l'Evêque de Carcafsonne
dans la Chapelle particuliere du Marquis deLambert
. Leur contrat de mariage avoit été figné le 8
par Leurs Majeftés & par la Famille Royale. Le
Comte de Lillebonne eft Brigadier des Armées du
Roi , & Mestre de camp d'un Régiment de Dragons .
Le 14 Juin Meffire François de Barague de Gar-
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
douge , Marquis de Belleftat , Enfeigne de la Com
pagnie des Gendarmes de Berry , fut marié à Denofelle
Marie Charlotte de Roufseler de Châteaurenaud
, fille de feu Meffite Emmanuel de
Rousseler , Comte de Châteaurenaud , & de Dame
Anne- Julie de Montmorenci.
Meffire Louis- Jofeph Marquis de Querhoent-
Coetanfao , Brigadier des Armées du Roi , & Sous-
Lieutenant de la Compagnie des Chevaux - légers
d'Anjou , époufa le 14 Juin Demoiselle , Félicité
de Lopriat de Donges , fille de Meffire Guy.Marie
de Lopriat , Comte de Donges , Maréchal des
camps & armées de Sa Majefté , & de Marie- Louiſe
de Roye de la Rochefoucauld.
Il eft fils de Louis - René de Querhoent , Sei
gneur de Locmaria , qui avor époulé le 3 Avril
1717 Marie de Rumeau , décédée en Mars 1723 .
Louis- René avoit pour ayeul Claude fecond ,
fils de Charles , Seigneur de Coetanfao , dont le
fus aîné François III . étoit ayeul des deux derniers
Marquis de Coetanfao , oncles maternels dư
Comte du Rumain , qui en a herité le 9 Avril
1744 par la mort du premier mari de la Princeffe
'Elboeuf
La Maiſon de Querhoent eft des anciennes du
Minihy de Saint - Pol , Evêché de Leon , où le
Château de Querhoent eft fitué , poffédé par les
Seigneurs de Koetanſcourt , aufquels il eft vent
de la Maifon de Kerjan , qui l'avoit eu par fuccef
fion depuis le mariage d'Ifabeau , héritiere de
Querboent , avec Henri de Nevet , contracté le
16 Fevrier 1452.
Pierre de Querhoent , oncle de l'héritier , étoit
le quatriéme ayeul d'Olivier de Querhoent , Sire .
de Kergournadec , à caufe de fa mere dont il prie
les armes . Il époufa le 7 Octobre 1999 Marie da
SEPTEMBRE . 1752. 205
Ploeuc , Dame & héritiere de Coetanfao , & fuz
pere de Charles , trifayeul du Marquis de Querhoent-
Coetanfao , qui a donné lieu à cet article.
Les armes de Querhoent font , lozangé d'or &
de fible.
Meffire Nicolas- Elie-Pierre Camus de Pontcarré
de Viarme , fils de Meffire Jean- Baptifte- Elie Camus
de Pontcarré , Intendant de Bretagne , fur
marié le 22 à Demoiſelle Angelique - Elifabeth Camus
de Pontcarré , fille de Meffire Geoffroy Macé
- Camus de Pontcarré , Premier Préfident du Parlement
de Normandie , & de Dame Marie- Mar
guerite- Elizabeth de Bauffan.
Le 13 Avril dernier eft morte à Paris Demoiſelle
Marie Magdeleine de Vion de Cottainville , & a
été inhumée à S. Jacques du Haut-pas fa Paroiffe.
Elle étoit née le 14 Février 1715 , & étoit fille de
Meffire Guy de Vion , Chevalier , Seigneur de
Cottainville , d'Abbeville & autres lieux , Capitaine
dans le Régiment Royal- Artillerie , & de
Dame Marguerite Grignon . Elle a un frere qui
eft Chevau-leger de la Garde de Sa Majesté. Elle
étoit coufine des Meffieurs de Vion de Gaillon &
de Vion de Teflancourt , & avoit épousé le 16
Mai 1744 Meffire Claude-Jofeph Darc , Gentil
homme du Comté de Bourgogne.
Meffire Jean- François de Macheco de Premeaux,
Evêque de Couferans , & Abbé de l'Abbaye de
Sainte Marguerite , Ordre de S. Auguftin , Diocèle
d'Autun , eft mort en fon Diocèfe à la fin
d'Avril , âgé de foixante ans . Il avoit été Agent
général du Clergé en 1710 ; le Roi lui avoit donné
l'Abbaye de Sainte Marguerite , & l'avoit nommé
en 1726 à l'Evêché de Couferans , & il avoit été
facré le 12 Janvier 1727
Françoile-Antoinette Kadot de Sebeville , épous
206 MERCURE DE FRANCE.
4
fe de Louis Marquis de Mailly , Brigadier des Armées
du Roi , & Colonel d'un Régiment d'Infanterie
de fon nom , mourut à Chaillot le 28 Mai ,
âgée de vingt-fix ans.
Melfire Pierre de Guyet , Vicaire général de
l'Evêché de Beziers , & Abbé de l'Abbaye de Villemagne
, Ordre de S. Benoît , même Diocèfe , eft
mort à Beziers le 19 Mai , dans la quatre - vingt-
Leptiéme année de fon âge.
Meffire Jean Gabriel de Mazancourt , Doyen
de l'Eglife de Noyon , & Abbé de l'Abbaye de la
Réau , Ordre de S. Auguftin , Diocèle de Poitiers,
eft mort à Noyon le 27 Mai , âgé de quaranteun
an .
Le feur René - Pierre de Villeneuve , Bourgeois
de Paris , eft mort le 9 Juin fur la Paroiffe de
S, Etienne du Mont dans la cent deuxième année
de fon age.
Le fieur Charles - Antoine Coypel , premier
Peintre du Roi , mourut en cette ville le 14 Juin ,
âgé de cinquante-huit ans . Il étoit Directeur &
Recteur de l'Académie Royale de Peinture & de
Sculpture .
Le 18 Juin mourut à Paris Louis-Vincent Comte
de Goefbriant , Gouverneur d'Aire , Maréchal de
camp. Il avoit épousé le 27 Décembre 1714 Marie-
Rofalie de Chaftillon , morte à quarante- neuf
ans le 29 Décembre 1736 , dont il laiffe trois filles ,
fçavoir ; Marie-Rofalie , mariée en 174 à Jofeph
Durey , Marquis du Terral . N ..
en Avril 1743 , à N
mariée
de Montfaucon , Marquis de Viffec , Exempt des
Gardes du Corps du Roi , mort en fa vingt-uniéme
année , le 6 Juillet 1744 , d'une b'effure au Siége
d'Ypres. Il ne laiffe point d'enfans . N
qui épousa en Février 1744 , N
SEPTEMBRE. 1752. 207
Suffren , Marquis de Saint- Tropez , dont une fille ,
Le Comte de Goefbriant étoit fils de Louis-
Vincent Marquis de Goefbriant , le 4 Mai 1744
Sous Doyen des Chevaliers des Ordres du Roi
Lieutenant Général , & de fa premiere femme
Magdeleine Defmaretz , morte le 8 Mai 1736.
Ce dernier avoit pour frere puîné Jean - Charles
de Goesbriand , qui a laiffe de Gillette - Urbane de
Buffic , 1. le Vicomte de Goesbriand qui fert
en Provence ; 2° , Charles Jean- Samuel , qui étoit
Cadet de Marine en Décembre 1716 ; & deux
filles Mathurine - Gabrielle & Gillette-Urbaine.
Le nom de Goesbriand eft connu avant le treiziéme
fiécle en Bretagne , les armes font d'azur ,
à une face d'or.
Le 19 Juin 1752 François Louis de Louet de
Nogaret de Murat , Marquis de Calviffon , l'un
des vingt quatre Barons des Etats de Languedoc ,
eft mort en fon Château de Marfillargues dans
cette Province , âgé de trente- huit ans.
208 MERCURE DE FRANCE .
1
LETTRE
De M. Gautier , Penfionnaire du Roi , à
l'Auteur du Mercure.
R
Ien , Monfieur , ne m'a plus furpris que les
expreffions peu ménagées d'une Lettre inferée
au Mercure d'Août dernier , page 209. M.
Gautier , dit on fans aucun fondement , ne fe fait
point defcrupule de défigurer & de changer les differ- *
tations qu'il ramaffe & qu'il ſe donne la peine d'habiller
àfa fantaisie, Tous les fecrets des Arts , les nouvelles
découvertes , les difputes des Philofophes & des
Artiftes Modernes font dans ce cas . Je laise à juger
dit l'Academicien de Lyon , fi cet ouvrage doit être
auffi utile au Public qu'il pourroit l'être.
Comme il s'agit d'un fait qui ne fe peut juftifier
que par l'expofition du fait même , j'aurois volontiers
ajouté , s'il avoit éré poflible , à ma Lettre la
piéce dont il s'agit , telle qu'elle m'a été remife ,
avec toute la féchereffe & la dureté qui la décorent ,
& j'aurois auffi mis en marge quelques mots qui
en adouciffent un peu les expreffions , qu'on a pris
la liberté d'y ajouter du confentement de l'Académicien
même. Ces corrections font dans l'in- 12 .
de mes Obfervations . L'Auteur les trouvoit d'abord
à la fantaisie , il s'eft enfuite ravifé , & a été ,
de mon confentement , chez mon Imprimeur , pour
revoir , corriger & augmenter dans l'in -4° . * fa difin
1
* Je fais deux éditions de mes Obfervations , l'une
1-12. fans planches , & l'autre in - 4°. avec des planches
colorées renfermées dans le livre même.
=
SEPTEMBRE . 1752. 209
fertation. Ce qui prouve inconteſtablement , 1º .
Que j'ai communiqué à l'Auteur les petites correc
tions que j'avois déja faites . 2°. Que je ne déſaprouvois
pas celles qu'il vouloit y faire.
La defcription des Grottes d'Arcy , qui fait le
fujet de l'Obfervation en queftion , eft un fujet,
à la vérité un peu rebattu , je ne l'ai acceptée que
par complaifance , ayant par moi- même quantité
de matériaux plus intéreffans , où je défie qui que
ce foit d'y revendiquer une fyllabe . Il y a certainement
un peu de malice de la part de l'Auteur de
me faire aujourd'hui une querelle fur les changemens
qu'il prétend que j'ai faits dans fon Ouvrage
fans fa participation : On verra dans la quatrième
partie de mes Obfervations du cours de cette an
née 1752. la nature de ces changemens. En atten
dant , j'ai l'honneur de vous affurer que parmi les
Sçavans qui m'ont communiqué des remarques
plus effentielles que celles - ci , & que j'ai foin de
féparer des miennes , il ne s'en trouvera pas un
feul qui s'avife de me faire un pareil reproche , &
je puis vous protefter , Monfieur , que je n'aurois
garde , au contraire , de toucher aux écrits que l'on
me confie , fans le confentement de leurs Auteurs.
Je fuis trés-parfaitement ,
Monfieur ,
Votre très-humble ferviteur ;
GAUTIER.
Paris 10 Août 1782.
210 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE
De M. Bruhier , à l'Auteur du Mercure-
L'extrait avantageux que vous avez fait , Monfeur,
de l'ouvrage de M. Louis , intitulé Lettres
fur la certitude des fignes de la mort , où l'on raffure
les citoyens de la crainte d'être enterrés vivans ; la
profufion avec laquelle on en a femé les affiches.
à Paris , & même à Verfailles ; l'affectation avec
laquelle on le vente en une infinité d'endroits , me
paroiffent fi préjudiciables aux interêts de la vérité,
& par une fuite néceffaire , au bien public ,
qu'en attendant qu'il paroiffe une réponse , à laquelle
je fçais qu'on travaille , & que les circonftances
me permettent d'y répondre moi-même , je
crois devoir vous donner une idée fur la maniere
dont je dois le faire , avec priere de l'employer
dans votre Mercure. L'objet eft trop intereffant , &
vous êtes trop ami de l'humanité, pour que je dou
te que vous le faffiez.
Je démontrerai donc à M. Louis, 1 ° . Qu'il ignore
les premiers principes de la critique: 2 ° . Que je
n'ai point tronqué le paffage de Celfe , & que ce
n'eft pas ma faute s'il ne l'a point entendu ; 3 ° .
Qu'il lui convient moins qu'à tout autre de faire
ce reproche, puifqu'il tronque exprès , & très-exprès
, nes preuves pour n'avoir pas l'embarras d'y
répondre. 4°. Que quoiqu'il ait bien lû mon ouvrage
, il n'en connoit pas l'objet ; objet que je
m'attacherai à fpécifier fi clairement,que perfonne
ne pourra s'y méprendre à l'avenir. 5 ° . Qu'il ne
combat qu'un fantôme qu'il s'eft fait. 6 ° . Que les
*
SEPTEMBRE. 1752 . ZIT
"
fignes caractéristiques de la mort , qu'il donne, ne
font rien moins que certains , & que celui qui lui
paroît le plus infaillible l'eft moins que l'autre . 7° .
& enfin , je releverai dans fon ouvrage bien des
fautes moins effentielles , mais qui lui donnent un
mérite auprès de ceux qui ne le connoiffent pas ,
ou qui ne font point en état d'en juger. C'eſt au
Public à voir fi un ouvrage de la nature de celuilà
eft bien propre à raffurer les citoyens judicieux de
la crainte d'être enterrés vivans. Le plutôt que vous
pourrez employer cette Lettre fera le mieux pour
le public & pour moi. Je fuis , & c.
A Paris le 21 Juillet 1752 .
LETTRE
De M. Louis , à l'Auteur du Mercure ·
anfujet de la precedente.
MONSIEUR ,
Je ne doute pas qu'on ne voye avec plaifir les
engagemens que M. Bruhier prend avec le public
fur une matiere auffi importante que l'eft celle que
nous avons traitée l'un & l'autre. Il dit que mon
ouvrage eft vanté en une infinité d'endroits. Je fçavois
qu'il a été reçu favorablement , & j'ay été
d'autant plus flatté des fuffrages qu'on lui a accor.
dés , qu'il n'ont pu être l'effet d'aucune illufion .
On connoiffoit tout le mérite de l'ouvrage de M.
Bruhier fur l'incertitude des fignes de la mort . La
prévention étoit en fa faveur : les chofes ont chan
gé de face , & felon M. B. ce font des fautes qui
212 MERCURE DE FRANCE.
donnent à mon ouvrage un mérite auprès de ceux qui
ne le connoiffent pas , ou qui ne font point en état d'en
juger. Le reproche eft grave , il porte contre le
plus grand nombre , dans une matiere mife à la
portée de tout le monde , & jugée contradictoirement.
La comparaifon qu'on a pu faire du traité
de M. B. avec le mien ne lui laiffe pas la refſource
de faire penfer que le public ait jugé fans connoilfance
de caufe. Mon ouvrage eft fondé fur des
faits que les allégations de M. Bruhier ne détermi
nent pas. Il prétend que j'ignore les premiers principe
de la critique : la politeffe eft du nombre de
ces principes : la lettre me donne le droit de lui en
rappeller le fouvenir. Elle me préfente auffi l'occafion
de me difculper d'une chofe qui paroît le
choquer étrangement : c'eft la profufion avec laquelle
on afemé les affiches de mon Livre à Paris
même à Versailles . J'efpere que M. Bruhier fe difpenfera
de traiter ce point intereffaat dans les motifs
de la réponse qu'il médite , après l'aveu fincere
que je lui fais , qu'en cela l'afficheur n'a fait vraifemblablement
que fuivre les ordres du Libraire ,
& que je ne m'en fuis mêlé ni directement ni indirectement.
Je fuis , &c.
A Paris ce 4 Août 1752 .
SEPTEMBRE. 1752. 213
A VIS.
Il paroit une troifiéme édition avec privilége
du Roi , chez la veuve Lormel , Libraire rue du
Foin , à Paris , d'une Differtation en forme de lettre
fur l'effet des Topiques , & en particulier fur
celui du fieur Arnoult contre l'apoplexie , écrite
par un Medecin de Paris à un Medecin de Province
; l'objet de cette brochure eft de prouver la
vertu de ce celebre remede , l'Auteur y a bien
réuffi , il a furtout infifté fur les certificats & l'éloge
que feu M, le Cardinal de Polignac a fait de ce
remede en pleine Académie , & fur celui de M. le
Duc de Gefvres Gouverneur de Paris , ceux des
Gens du métier font encore plus importans , on
en trouvera fans nombre ; entr'autres ceux de MM .
Garnier , Médecin de la Faculté de Paris & premier
Medecin du Roi à la Martinique ; Tuyard , Medeein
à Sens ; Mauran , Medecin à Bergerac ; l'Archevêque
, Medecin à Rouen ; le Mercier , Médecin
des Hôpitaux du Roi , Wolter , Premier Médecin
de l'Empereur Charles VII. Gaulard , Médecin ordinaire
du Roi , Sylva , Médecin de la Faculté de
Paris & Confultant du Roi ; Santeuil , Médecin de
la Faculté de Paris ' , les Lettres de MM. Lecomte ,
de la Croix & Fels Medecins , méritent une attention
particuliere , par les prodiges qu'elles racontent
du Sachet ; & le plus autentique de tous , eft
le certificat de feu M. le premier Médecin du Roi,
qui confirme la vertu de ce remede , & prouve
évidemment que le fieur Arnoult , Droguifte , rue
Quincampoix , eft le feul & unique poffeffeur de
ce precieux Topique , & que tous les autres qu'on
Aribue fous fon nom font faux , & contrefaits
214 MERCURE DEFRANCE.
puifqu'il arrive tous les jours des rechûtes d'apoplexie
, avec ces faux remedes , qu'au contraire
les fuccès du remede du fieur Arnoult ne fe font jamais
démentis depuis plus de 52 ans,puifqu'on n'a
jamais pu prouver qu'aucun appoplectique ait eu
de rechûte en le portant ; ainfi pour la fureté du
public , le fiear Arnoult ne commet perfonne ni à
Paris ni en Province pour la diſtribution de fon remede
, qui doit être toujours accompagné d'un
imprimé figné de fa main.
Nous fommes fâchés d'être obligés de renvoyer
au Mercure prochain une Lettre de M. Faure ,
Profeffeur Royal de Médecine dans l'Univerſité
d'Aix cet habile Médecin y rend un compte
exact & raiſonné des différentes maladies qui
peuvent être guéries par la machine ingénieufe
que le fieur Guerin de Montpellier a inventée &
executée dans la rue des Jeûneurs pour l'adminif
tration des bains , fumigations & douches de toute
efpece dans les maladies chroniques. La Faculté
de Medecine & les Académies des Sciences & de
Chirurgie ont approuvé avec de grands éloges lá
machine que nous annonçons.
N B. Traduction des OEuvres d'Horace en Vers
François , avec des extraits des Auteurs qui ont
travaillé fur cette matiere , & des notes pour l'éclairciffement
du texte . A Paris chez Nyon fils &
Guillyn , quay des Auguftins. 1752. 5 vol . in- 12.
C'est une entreprife importante , & executée
avec foin de la part desLibraires. Nous en rendrons
compte le mois prochain.
215
Ji
APPROBATION.
' Ai lû , par ordre de Monſeigneur le Chance
lier , le Mercure de France , du mois de Septembre.
A Paris , le 4 Septembre 1792.
LAVIROTTE.
TABLE.
INCES FUGITIVES en Vers & en Profe
Pode au Roi de Pologne , Duc de Lorraine &
de
Bar ,
3
Lettre à M. de Voltaire , fur quelques endroits du
huitiéme volume de fes OEuvres , in- 12, & c.
Madrigal à Madame la Marquife d'Aubeterre , 33
A la Mémoire d'une Dame morte depuis peu .
Poëme Anglois , traduit par M. Defmars , Doc-
&teur en Médecine ,
La Gloire , Ode à M. l'Abbé de Brancas ,
34
47
Lettre à M. le Marquis de *** fur le Roman de
Caffandre ,
Vers à Madame L. D. D. L. V, fur fa convalefcence
,
54
59
Lettre de M. de B.... Capitaine au Regiment de
B ... à M.L C. D. V.
Reponse à la Lettre précédente ,
60
62
65
Conjecture nouvelle , fur la nature de la matiere
électrique , à l'Auteur du Mercure ,
Les Oiseaux & le Dieu du goût. Fable. 72
Lettre d'un Prufſien à M. l'Abbé Raynal , fur la
Litterature Allemande ,
74
216
Vers fur la maladie & la convalefcence de Monfeigneur
le Dauphin . Par M. Marmontel , 95
Mots des Enigmes & du Logogriphe du Mercu
re d'Août ,
Enigmes , & Logogriphe
Nouvelles Littéraires ,
Beaux- Arts ,
Chanfon ,
109
110
114
138
163
164
166
175
Ibid.
177
Solution du Problême propofé dans le Mercure
précédent ,
Spectacles ,
Concert Spirituel ,
Concerts à la Cour ,
Nouvelles Etrangeres ,
France , nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 185
Mariages & morts ,
201
Lettre de M. Gautier à l'Auteur du Mercure , 208
Lettre de M. Bruhier à l'Auteur du Mercure , 210
Lettre de M. Louis , au mêine , fur la précédente ;
Avis ,
211
213
La Chanfon notée doit regarder la page 165
De l'Imprimerie de J. BULLOT.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le