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1752, 03
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MERCURE
DE FRANCE ,
1 1
DÉDIÉ AV ROİ.
MARS. 1752 .
SPARGAR
LIGITUT
"
Cepillon
S
Chez
APARIS ,
La Veuve PISSOT, Quai de Conty,
à la defcente du Pont-Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais.
JACQUES BARROIS , Quai
des Auguftins , à la ville de Nevers.
DUCHESNE rue Saint Jacques,
au Temple du Goût.

M. DCC . LII.
vec Approbation & Privilege du Roi,
439
A VIS.
'ADRESSE du Mercure eft à M. MERIEN ,
L Commis au Mercure , rue de l'Echelle Saint Honoré,
à Hôtel de la Roche-fur - Yon , pour remettre à
M. l'Abbé Raynal.
Nous prions très-inftamment ceux qui nous adrefferont
des Paquets par la Pofte , d'en affranchir le port ,
pour nous épargner le déplaifir de les rebuter , & à eux
celui de ne pas voir paroître leurs Ouvrages.
a
Les Libraires des Provinces ou des Pays Etrangers ,
quisouhaiteront avoir le Mercure de France de la premiere
main, plus promptement , n'auront qu'à
écrire à l'adreffe ci- deffus indiquée.
On l'envoye auffi par la Pofte, aux personnes de Province
qui le defirent , les frais de la pofte ne font pas
confid érables.
On avertit auffi que ceux qui voudront qu'on le porte
chez eux à Paris chaque mois , n'ont qu'à faire fçavoir
leurs intentions , leur nom & leur demeure auditfieur
Merien,Commis au Mercure; on leur portera le Mercure
très - exactement , moyennant 2 1 livres par an , qu'ils
payeront , fçavoir , 10 liv, 10f. en recevant lefecond
volume de Juin , & 10 l . 10 f. en recevant le ſecond
volume de Décembre. On les ſupplie inftamment de
d nner leurs ordres pour que ces payemens foient faits
dins leurs tems.
*
On prie auffi les perfonnes de Province , à qui on
envoye le Mercure par la Pofte , d'être exactes à faire
payer au Bureau du Mercure à la fin de chaque fémestre
, fans cela on feroit hors d'état de foutenir les
avances confidérables qu'exige l'impreffion de cet
ouvrage.
On adreffe la même priere aux Libraires de Province.
Les perfonnes qui voudront d'autres Mercures que
cux du mois courant , les trouveront chez la veuve
Pilot , Quai de Conti.
PRIX XXX, SOLS.
REGIA
MERCURE
DE FRANCE ,
1
DEDIE AU ROI.
MARS. 1752.
ဦး
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
EP IT RE
A Monfieur le Marquis de Crillon , Député
de la Ville d'Avignon pour complimenter
le Roi fur la Naiffance de M. le Duc de
Bourgogne.
H
Eritier d'un nom Héroïque
Dont vous relevez la fplendeur ,
Dans huit jours , la chofe eft publique
Traîné dans un char magnifique
Vous irez brillant Orateur ,
Sur le ton du Panégyrique
Etaler votre Rhétorique
A ij
4 MERCURE DE FRANCE.
Dans le pays de la Grandeur :
Du Peuple le plus pacifique ,
O le plus brave Ambaſſadeur !
C'est bien l'entendre , Menfeigneur ;
Lorsque la paix vous fait défenfe
De fignaler votre grand coeur
Votre ame ardente s'en offenfe
Et s'ouvre un chemin à l'honneur ,
Par quoi votre docte Excellence
Ne pouvant montrer ſa valeur ,
Va nous montrer fon éloquence.
C'eft-à dire , qu'avec douleur
Voyant que le Dieu de la Thrace ,
Dieu de Mefle & de Fontenoy ,
'A la Paix a cédé la place ,
Par l'ordre abfolu d'un grand Roi ,
Et fouffrant fous la dure loy
Qui tient captive votre audace ,
Dans les Camps du Dieu du Parnaffe
Vous avez cherché de l'emploi .
Dans ces Camps , paiſibles retraites ,
Où les Auteurs font des Guerriers ,
On les Lyres font des trompettes ,
Où les rofes font des Lauriers ;
Où l'on attaque l'ignorance ,
Où , fans le mouvoir , on agit ,
Où l'on cft Héros quand on penfe ,
MARS.
1752 .
;
Où l'on combat quand on écrit ,
Où l'on couronne la ſcience ,
Où la force eft dans l'éloquence ,
Et le courage dans l'efprit.
Puifqu'il n'en faut pas davantage
Pour prétendre aux premiers honneurs ,
Vous avez affez de courage ;
Sur ce poëtique rivage
Yous ferez Héros comme ailleurs .
Admis dans la docte Brigade
Qui campe au fommet d'Hélicon
Vous conferverez votre grade :
N'en doutez pas , brave Crillon ;
Vous ferez au moins , j'en répond ,
Au retour de votre Ambaffade
Maréchal de Camp d'Apollon.
;
Suivez ce Dieu noins fanguinaire ,
Son calte entraîne moins de foins
Si vous marchez fous fa banniere
L'Autriche ne vous craindra guère ,
Mais vous nous allarmerez moins.
Paffez fur un nouveau Théatre ,
On fçait déja que vous avez
Un coeur que rien ne peut abattre ;
Faites- nous voir que vous fçavez
Tour à tour écrire & combattre ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE,
Et forcez la Cour d'avouer
Qu'ailleurs que dans une bataille
La gloire vous fait , foit qu'il faille
Servir nos Rois où les louer.
A Lettre fuivante eft d'un des plus
grandsMiniftres de l'Europe , & d'un
Citoyen digne de l'ancienne Rome . Quoique
le foin de foutenir la gloire & de faire
le bonheur de la Suede fa Patrie , alt
paru fixer toute fon attention , il eft parvenu
à exceller dans la morale , dans les
Belles Lettres & dans la connoiffance des
Aris , parce que les hommes de génie ont
du temps pour tout . La France qui a long
tems joui de tant de talens & de vertus a
reçu en les perdant , l'unique confolation
qu'elle pouvoit efpérer : le plus ancien de
fes alliés lui a donné une nouvelle marque
de confidération & d'attachement par le
choix du Succeffeur de M. le Comte de
Teffin .
洗潔洗洗潔洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗
LETTRE à Monfieur Pirrhon.
J'A
'Ai cru , avec raifon , ne pouvoir
mieux m'adreffer qu'à vous Monfieur
, pour le rafinement & l'exécution

MARS. 1752:

d'une idée , peut-être mal digerée , qui
m'eft venue ; mais entre vos mains elle
prendra aifément & furement , fi vous
voulez vous en donner la peine , le poli
& l'air de jufteffe qui lui manque dans fa
premiere naiffance .
Voici ce que je défire : je voudrois que
l'on s'appliquâr à caractériſer & à analy
fer dans les Piéces comiques , les vertus ,
avec la même force , la même jufteffe &
le même pinceau dont jufqu'ici on a caractérisé
les vices ; & qu'on en fît exactement
voir le contrafte . Par exemple , fi
l'on entreprennoit de peindre le Généreux
par oppofition à l'Avare ; le prudent ou
l'homme de confeil pour figurer contre
l'Etourdi ; le vrai Brave contre le Fanfaron
; l'honnête homme contre mille caracteres
de fourbes ; le fincere obligeant
contre le Flatteur ; la femme vertueufe
contre la Coquette , & ainfi des autres.
Les trais brillans du vrai mérite animeroient
, à mon avis , pour le moins autant ,
& toucheroient furement davantage , que
le ridicule du vice ne caufe de l'indignation
, puifque ce dernier fait quafi toujours
rire , & perd par - là de fon effet
au lieu que l'autre eft toujours refpectable ,
& n'a rien qui puiffe divifer ou diftraire
l'attention .
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE.
: ?
ne
J'en juge par moi - même : j'aime mieux
m'appliquer à imiter les exemples vertueux
qu'à connoître & fuir les vicieux
les derniers par eux mêmes
peuvent m'inspirer qu'une inaction , au
lieu que les autres réveillent , animent &
font agir ; car la différence eſt très - réelle
entre n'être pas vicieux , ou être vertueux .
Je pense que tout le monde fent cela
comme moi .
Il réfulte encore un autre inconvenient
de ce qu'on néglige de faire voir le bien
avec la même exactitude que le mal , en ce
que l'on voit tous les jours que pour éviter
l'excès que l'on repréfente , on tombe
, faute de connoître le vrai , dans le
défaut contraire ; de forte que , pour fe
garantir de l'avarice on devient prodigue
; pour n'être pas coquette , on 'fe fait
prude ; & nos jeunes gens , pour ne pas
paffer pour poltrons , deviennent fouvent
bretteurs.
On pourroit objecter , que ce que je
fouhaite eft le but des Tragédies ; mais
outre qu'elles nous tracent , la plupart du
temps , des vertus ou farouches , ou uniquement
propres à l'Héroifme , elles conduifent
toujours à un dénouement fanglant
, qui intereffe , faifit l'attention entiere
, & fait négliger les caracteres.
MAR S. 1752 .
7
Ce n'est donc pas là ce que je demande
; mais des actions plus unies , des
vertus à l'ufage de tout le monde & plus
à portée de l'humanité , & de la vie
journaliere ; & qu'au lieu de blâmer le
vice , on s'attachât principalement à ho
norer la vertu .
A mon avis , c'eft la feule chofe qui
manque au Théâtre François , d'ailleurs
fi parfait , tant à l'égard des Auteurs
que des Acteurs , qu'il fait le modéle
de tous les autres Théâtres du monde
& l'admiration d'une Nation , dont les
-jugemens fur le produit de l'efprit font
flûrs & fi juftes.
D'où vient donc ce manquement ? Se
toit- ce que les traits groffiers du vice font
plus aifés à faifir que les trais fins &
délicats de la vertu ? Car pour le jeu du
Théâtre , il feroit le même , & je pente
que fi l'on repréfentoit la femme fage du
monde , on y pourroit mêler des fajets
qui tenteroient fa vertu , dont les fauffes
démarches produiroient des Scenes trèsréjouiffantes.
En un mot , je voudrois
qu'on fît du moins quelques Piéces où
fe Héros für parfait & où l'on ne
connût les vices que par oppofition à ce
premier perfonnage , c'eft- a-dire , tour
le contraire des Comédies jouées , juf-

J
A v
10 MERCURE DEFRANCE.
>
qu'ici , & que l'on donne encore journellement
: & par - là on apprendroit qu'il
ne fuffit point de n'être pas ingrat
mais qu'il faut être reconnoiffant : que
ce n'eft pas affez de ne point mentir ,
mais jufqu'où il faut dire vrai : & une
infinité d'autres mérites & bienséances ,
dont on ignore la jufte définition.
Si j'en difois davantage , je pafferois
ma portée , & excederois le plan que je
me fuis propofé de ne vous offrir , Monfieur
, qu'une piéce appareillée , & qui
refte à limer par la main du Maître.
Que ne doit-on pas attendre de l'Aureur
de Guftave ?
Guftave , ce grand Roi , doit ſa nouvelle gloire ,
Et fon nouvel éclat , Pirthon , à tes écrits ,
Et fon nom , juftement immortel dans l'Hiftoire
Qui ne paroiffoit plus connu qu'aux beaux efprits ,
Graces à tes talens , & ta Mufe feconde ,
Sous des traits raviffans , reparoît dans le monde.
Je fuis ; avec une parfaite confidération .
MONSIEUR ,
Votre très- humble & trèsobéiffant
ferviteur •
1
LE COMTE DE TESSIN .
MARS. II 1752.
1
ELOGE DE LA POESIE
Epitre à Monfieur F ***.
Voulez- vous qu'en rimes fleuries ,
"
Da Pinde Eleve ambitieux ,
J'offre à vos regards curieux
Un Tableau de mes rêveries ;
Que par des traits faſtidieux
Je compofe mes broderies
D'Amours de Diables , de Furies;
De Bergers , de Rois , & de Dieux ?
Non, non , d'un pareil aſſemblage
La bifarre difformité ,
Loin de gagner votre fuffrage ,
S'oppofe à la naïveté
Dont le bon goût vous a doté.
C'est par lui que , Juge équitable,
Amant de la folidité ,
Vous préférez la Vérité
Aux vains ornemens de la Fable.
Ce n'eft pas qu'un conte agréable ,
Fils d'une heureuſe invention ,
Quelquefois, par un tour aimable ,
Ne flate votre attention ;
Mais notez que la fiction
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Marquée au coin de la jufteffe ,
Doit unir dans l'expreffion
La force à la délicateffe .
Envain , effort par un nouveau ,
Pour créer telle mignature ,
A la contrainte la plus dure
J'abandonnerois mon cerveau ;
Rebuté d'un travail extrême ,
Plein de dépit contre moi même,
Je briferois Lime & Rabot.
C'eft dans le vrai que je réfide ;
Lui feul m'enhardit , & me guide,
La Nature en a fait mon lot :
Aimable don , fimple avantage
Banni du précieux jargon ,
Que fourde aux cris de la raifon ,
Des François arbitre volage ,
La Mode introduit en ufage.
Qu'elle accorde à fes Favoris ,
Pour prix d'un hommage fidéle ,
La qualité de beaux efprits ;
Que maint Lecteur feduir par
Applaudiffe à leurs faux écrits
elle
Mafqués d'un fade coloris ;
Qu'ils reçoivent de l'artifice
Vagues recueils , objets profcrits
D'un choix aux vrais talens propice ,
Mots ambigus , tiens aff: és.
MARS. 1752. 13
Qui par le caprice enfantés ,
Seront détruits par le caprice.
Du bon fens efclave foumis ,
Je regle mes pas affermis
Dans une route plus unie.
Ennemi de la nouveauté ,
Je fouftrais mon foible génie
A la faftueuſe manie .
Dont notre fiecle eft entêté ;
Et j'ofe au gré de mon envie ,
D'un preffant délire agité ,
A l'immortelle Poëfie "
Par une breve apologie ,
Donner un Encens mérité.
Des vaftes Cieux Etres fublimes ,
Pour jamais , brûlans Seraphins ,
Dans vos Cantiques magnanimes ,
Dévouez fes Charmes divins
Aux louanges du Saint des Saints.
De vos coeurs aimable interprête ,
Courez au pied de vos Autels ,
Signalez vous , heureux Mortels ,
Par le fecours qu'elle vous prêtes
Livrés à fes accords puiſſans ,
Qu'ils foient Pame de votre zele' ,
Qu'elle difpenfe à vos accens
Une force toujours nouvelle.
Volez dans les Plaines de Mars ,
34 MERCURE DE FRANCE.
Suivez une fougue rapide ,
Héros ; au milieu des hazards
Prenez un effor intrepide ;
*
Ardens , à déployer vos bras ,
Pénétrés du feu de la gloire ,
Cherchez dans l'horreur des combats ,
Ou le trépas , ou la victoire.
Une Muſe bien-tôt , de vos Exploits fameux
Va d'un crayon leger tracer la noble image ,
Ou vainqueur de l'oubli , leur pompeux étalage
Inftruira nos derniers neveux
Des efforts de votre courage.
Et vous , Monarques fortunés ,
Qui libres fous vos Diadêmes ,
Vrais Philofophes couronnés ,
Louiffez toujours de vous- mêmes
Que foutenus par vos bienfaits
Amoureux de votre puiffance ,
Les beaux Arts , Enfans de la Paix ,
Heureux germe de l'abondance ,
Comblent vos utiles fouhaits ,
Des Fruits de leur reconnoiffance.
Toujours craints , & toujours aimés,
Toujours contre le vice armés ,
Rois vigilans , Amis finceres ,
Zélés , tendres , généreux Peres,
Scachez , à la vertu formés ,
MARS.
1752.
Embellir de fes caracteres
Les coeurs de vos Peuples charmés.
Que voi-je loin de la barierre ,
Affervis aux regles du tems ,
Vous touchez , conduits par les ans ,
Au terme de votre carriere !
Un voile affreux dérobe à vos regards pefans
Les Rayons affoiblis d'un refte de lumiere ,
La Mort ètend fur vous une main meurtriere :
Déja vous expirex fous les coups triomphans....
Déja l'augufte Poëfie ,
Vous ravit au fein des Tombeaux ,
Glorieufe par les travaux
De vous donner une autre vie ,
Et
que de vos
vertus
P'Univers
enchanté
Vous
confacre
par
elle
à l'immortalité
.
Des plaifirs de la Scene arbitre favorable,
Elle y devient fertile en préceptes chéris ;
Et tantôt fa morale eft un fel agréable ,
Qui corrige les moeurs par le fecours des ris : (a)
Tantôt elle nous montre au milieu des allarmes (¿-)
Des vives paffions l'effet précipité.
Elle nous plaît , nous touche , & maintient par nos
larmes ,
(a) La Comédie.
(b) La Tragédie,
14 MERCURE DE FRANCE.
L'Empire de l'humanité.
Vous dont l'aftre vainqueur , par fa douce in
Auence ,
De Defpreaux en vous confirme la fentence ;
Vous qui cedant aux Loix d'un penchant précieux ,
Loin du vaſte ſentier des rimeurs ennuyeux ,
Soutenus , enflammés par les Leçons d'Horace ,
Suivez en liberté les routes qu'il vous trace ;
Partiſans du bon goût , que fon mâle fecours
Attache à vos fuccès la fplendeur de nos jours.
Le vieux Timon vous hait , contre un talent fu
prême
Il lance injuftement un frivole anatheme ?
Accablé fous le joug de la prévention ,
Il doit piquer encor votre émulation.
Gardez - vous , entrainés par une ardeur cauftique
De fuivre les fureurs du Démon Satyrique .
Auteurs gays & badins , mais fans obfcurité ,
Et plus graves bien- tôt , mais fans auftérité ;
Soigneux de contenter un défir ſalutaire :
Jouiffez du bonheur & d'inftruire & de plaire.
Montrez qu'on peut enfin » par d'invincibles
noeuds ,
Allier le Poëte à l'homme vertueux.
Qu'un Zoile infenfible aux traits de la nature ,
Oppofe à vos écrits une indigne cenfure ;
Contens de mépriſer un foible jugement ,
Soyez toujours par eux l'écho du Sentiment
MARS. 1752 . 17
punane :nununu
LETTRE
De M. de la Sauvagere , Chevalier de l'Ordre
Royal Militaire de S. Louis , Ingénieur
en chefdu Port Louis , à l'Auteur
du Mercure , fur la perfuafion où l'on eft
que le Port Louis eft un lieu fort ancien ,
connu autrefois fous le nom de Blavet.
T
Out le monde eft perfuadé , Monfieur
, que
le lieu où eft aujourd'hui
la ville & citadelle du Port Louis , s'appel
loit anciennement Blavet. Cette croyance
fe trouve répandue dans plufieurs ouvrages
imprimés , & particuliérement dans ceux
qui ont été publiés fur la Géographie depuis
160 ans : il n'y a qui que ce foit qui
ne fuive le torrent qui entraîne à le penfer.
Ce fentiment ne fait aucun doute , même
dans cette Province de Bretagne ; & les
Habitans du Port Louis & des Villes voifines
le croyent fermement.
Il est étonnant , Monfieur , qu'une telle
erreur fe foit tranfmife depuis le premier
qui l'a dit , fans être fcrutée & relevée par
perfonne jufqu'aujourd'hui. Il m'a paru
que le Public , & furtout ceux qui ont de
l'amour pour tout ce qui peut tendre à la
18 MERCURE DE FRANCE.
perfection de la Géographie , recevroient
avec plaifir , les preuves que je vais effayer
de rapporter , qui ont fervi à me déſabufer
fur cette prétendue antique origine.
Il feroit trop long de faire ici la nomenclature
de tous les livres où il eft parlé du
Port Louis , comme d'une ville ancienne
appellée autrefois Blavet : les uns la placent
à une demie lieue au- deffus , fur la riviere
de Blavet , les autres veulent qu'elle ait
été rebatie fur fes mêmes ruines.
Ces deux fentimens ont auffi peu de
vraisemblance l'un que l'autre. Quiconque
connoitra la Topographie des environs
du Port Louis , ne pourra difconvenir de
l'abfurdité de cette pofition , puiſque
l'embouchure de la riviere de Blavet en
eft éloignée de plus d'une lieue ; on ne
connoît d'ailleurs aucuns veftiges aux en
virons , qui puiffent donner le moindre indice
qu'il y ait eu une autre ville autrefois
au voisinage du Port Louis.
Cependant on s'eft tellement mis dans
l'efprit que le Port Louis s'étoit de tous
les tems appellé Blavet , que plufieurs fçavans
des derniers fiécles ont employé toute
leur fagacité pour en chercher l'origine
dans la haute antiquité , entr'autres Ortelius
(a) & le célebre Hiftoriographe M
(a) Ortelii Thefaurus Geographicus.
MARS. 1752. 19
de Valois (a) , lequel rapportant un paffage
de l'ancienne notice (b ) de l'Empire
Romain foutient que le mot Bablia , que
l'on y lit , doit s'expliquer par Blavet ,
nom ancien du lieu où eft le Port Louis :
Prafectus militum Carronentium Bablia , où
il remarque qu'il faut lire Blabitta ou Blavitta
: ce lieu appellé par les Anciens Bablia,
étoit une fortereffe importante , où les
Romains tenoient une garnifon de troupes
appellées Carronenfes , fous les ordres d'un
Duc ou Général de l'Armorique , qui cer- .
tainement doit s'entendre de Blaye , ville
du Bourdelois fur la Garonne , que Ptolemée
(c ) appelle Portus Santonum , Promontorium
Santonum ; & le Poëte Aufone (d) à
la fin du quatriéme fiécle Blavia Militaris ;
Gregoire de Tours ( e) Blavia , & l'Itineraire
d'Antonin met Blavetum , Blavia &
Blavium , fur le chemin de Bourdeaux à
Autun , & par confequent ne peut s'appliquer
à l'endroit où eft placé le Port Louis.
Ce qui confirme de plus en plus qu'il
(a) Valefius notitia Galliarum : Voyez les Preuves
de la Nouvelle Hift. de Bret. de Dom Hyacinte-
Maurice. T. I. col. 163 .
(6) Notice de l'Empire Romain ; fect. 61 .
(c) Ptolomai Cofmographie five Geographia lib. 2.
(d) Aufoni Burdigalenfis Opera ep . X. ad Paulum
(e) Gregor. Tur, glor. Conf.
20 MERCUREDE FRANCE.
n'y a jamais eu anciennement de villé du
nom de Blavet , fur cette partie meridionale
de la Côte de Bretagne , c'est qu'il
n'en eft rien dit dans aucun des anciens
Hiftoriens de ce Duché : il n'en eft fait aucune
mention dans la collection des Titres
de la Province , par le fçavant Benedictin ,
de la nouvelle Hiftoire de Bretagne , où
on ne la trouve nulle part , foit dans les
archives du Domaine du Roi , dont le fond
televe , foit dans les titres des Seigneurs
voifins , ou ceux des vaffaux qui en poffedoient
le terrein ou les cabanes qui y
étoient , lófqu'en 1486. François II . Duc
de Bretagne (a ) y envoya Jean Prince d'Orange
, & Jean Sire de Rieux accompagnés
de quantité de Gentils - Hommes & de
commerçans , pour en examiner la fituation
& le Port , où le Duc de Bretagne dèslors
avoit deffein d'y faire l'établiſſement
d'une ville de commerce , dont il fut fait
un Procès-verbal , dans lequel ce lieu eft
nommé Loc- Peran , petit Hameau habité
par des Pêcheurs, qui fignifie en Langue du
pays, Lieu de S. Pierre , à caufe d'une chapelle
fous l'invocation de ce Saint qui exifte
encore aujourd'hui.
Le petit Hameau de Loc Peran étoit encore
le même l'an 1590. dans le tems des
(a) MS.
M.AR S. J752. 21
révolutions de la Ligue. Le Duc de Mercoeur
( a ) y attira 4000 Efpagnols qu'il
avoit demandés au Roi d'Efpagne PhilippeII
, qui débarquerent le 12 Octobre ,

Le premier foin de ces troupes , fut
de s'y retrancher du côté de la terre , dont
quelques veftiges des murs & les foffés fe
remarquent encore aujourd'hui ; & comme
le Port ou Golphe ( à l'entrée duquel
eft placé le Port Louis ) s'appelloit Blaver
( du nom de la principale Riviere qui
sy jette les Espagnols nommerent l'endroit
où ils avoient débarqué , du nom
du Port. Voilà l'époque du nom Blavet
donné à l'endroit où eft le Pott- Louis :
& par la raifon que dans ces temps de
guerres civiles le débarquement des
Efpagnols en Bretagne , faifoit l'attention
de toute l'Europe . Le lieu où ils
avoient pris pofte fit grand bruit ; toutes.
les Hiftoires en firent mention , fous le
nom de Blavet , ainfi que les Espagnols le
nommoient , & il a continué à être appellé
de même fans toutes les circonftances
où il en a été depuis ce moment
queſtion , jufqu'au temps qu'il a pris le
nom du Port Louis. Il eft dit dans le
>
>
+
(a) Voyez le P. Dan, Hift . de Fr. in-4 °. T. IX.
P. 511,561 . T. X. p . 33 , 207 , 203. & Pr. de fa
nouv. Hift. de Bret. T. III . col . 1715.
22 MERCURE DE FRANCE
Traité de Paix deVervins , l'an 1598 , que
le Roi d'Elpagne fera reftitution de la fortereffe
de Blavet au Roi Henry I V.
Les Géographes Blaeu ( a ) & Janffon (b)
par une fiction Géographique tracée
dans le Cabinet , ont placé cette fortereffe
dans leurs Cartes , ifolée au milleu
du Golphe. Le fçavant Abbé de Longuerie
(c) , Piganiol de la Force (d) , dans la
defcription qu'ils font du Port Louis
difent , qu'il s'appelloit anciennement
Blavet.
Les Princes mécontens ( e ) en 1610 ,
y établirent un Fort fur la pointe la plus
avancée dans la mer , précisément dans
le même emplacement de la citadelle actuelle
, à l'entrée du Port , dont les vaiffeaux
rangent les murs de très - près. Ce
Fort ayant enfuite été remis au Marquis
de Coeuvre par le Duc de Vendôme , le
Roi en ordonna la démolition .
Le Roi Louis XIII . peu de temps
après , prit la réfolution , par le confeil
du grand Cardinal de Richelieu , d'y
établir une Ville deCommerce , & d'y conf-
(a) Geograpbia Blaviana.
(b) Atlas de Jean Janffon.
(c) Defcription de la France , p . 91 .
(d) Defcription de la France , T. 6. p . 23.5 .
(e) Moreri & un Manufcrit.
MARS. 175.2. 23
traire une Citadelle : la direction en fut
confiée à M. le Maréchal de Briffac. Sa
Majefté voulut que cette nouvelle Ville
fût nommée de fon nom , & les Lettres
Patentes en furent expédiées le 18 Juillet
1618 .
9
La Citadelle n'étoit point achevée en
1625 , lorfque M. de Soubife , ( a ) commandant
une flotte de vaiffeaux Rochelois
( dans ces temps malheureux qu'ils ne
fe rapellent qu'avec douleur , ) étant entré
dans ce Port , dans le deffein de faire
le fiége de la Citadelle , & de s'en emparer
, les Ducs de Vendôme , de Retz &
de Briffac , inftruits de cette invafion
accoururent au fecours : le Marquis de
Molac fe jetta avec cent Gentils- hommes
Bretons dans la Citadelle , ce qui obligea
M. de Soubife à fe rembarquer précipitamment
pendant la nuit avec toutes
fes troupes qui commirent avant que de
partir , mille defordres dans la Ville
où ils mirent le feu par tout , entrerent.
dans les Eglifes , les faccagerent , briſerent
les images des Saints , les vafes facrés
, & même poufferent leur exécrable
fureur jufques fur les Hofties .
Ce ne fut que dans la fuite › que la ,
(a) Mezeray, Hift. de France , & le P. Daniel ,
Tom. X. p. 25. 18 , 27 Jan.
24 MERCURE DEFRANCE.
Ville fut fermée de murs par les foins &
les frais du Maréchal de la Meilleraye
qui en fut fait Gouverneur après le Duc
de Briffac , par l'alliance qu'il contracta
avec la fille de ce Prince il paroît que
certe enceinte fut finie avant l'an 1655 ;
& en confidération des dépenfes que le
Maréchal de la Meilleraye avoit faites
pour enfermer la Ville de murs , on lui
accorda , en forme de dédommagement ,
la perception des droits fur les Boiffons
dans l'intérieur de la Ville , dont le revenu
avoit paffé en fucceffion à la Maiſon
de Mazarin comme leur patrimoine qui
par un arrangement qui vient tout à
l'heure de fe faire entre le Roi & la Maifon
de Mazarin , font actuellement perçus
au nom de Sa Majesté.
La Compagnie des Indes (a) avoit cu
deffein , fous le regne du Roi Louis XIV.
de former au Port Louis fon établiffement
; Sa Majesté en accorda la permiffion
, par une Déclaration de l'an 1666 ;
mais cette Compagnie préféra un terrain
vague à l'intérêt de la riviere de Ponfcorf
, à une lieue au nord de l'autre
côté du Port Louis dans le même Golphe
(a) Preuves de l'Hift. de la Compagnie des
Indes. p . 208.
MARS. 1752 25
phe que l'on a nommé l'Orient , à caule
de la partie du monde , où cette Compagnie
fait fon commerce , qui eft un
des plus confidérables établiſſemens qu'il
y ait jamais eu , tant par la conftruction
d'une quantité confidérable de vaiſſeaux ,
que par les magnifiques Magazins que
l'on y a bâtis , & que l'on augmente
chaque année.
J'ai infenfiblement , Monfieur , étendu
ma Lettre au delà des bornes qui
en étoient le motif ; mais on ne peut
guères fe difpenfer en parlant d'une Ville,
de dire les principales chofes qui peuvent
l'intéreffer. J'en paffe beaucoup fous
filence dans la crainte d'abufer plus longtemps
d'une place , qui peut être plus
effentiellement remplie dans votre Mercure
je fuis , &c.
26 MERCURE
DE FRANCE
.
EPITRE
De M. Desforges
Maillard à fa femme ,
le premier de l'an 1752 .
Envoi à M. le Marquis du C ** . Capitaine
dans le R. D. G. D.
INtime moitié de moi-même ,
Toi qui naquis pour m'enflâmer
,
Peut-on aimer plus que je t'aime ?
Et pourrois-je te moins aimer ?
Il femble à te voir entourée
Des Graces , des Jeux ingénus ,
Que la Sageffe s'eſt parée
De la ceinture de Venus.
Ta volonté qui fuit la mienne ;
Prévient mon goût & mes défirs ;
Ma volonté qui fuit la tienne ,
Prévient & cherche tes plaifirs.
C'eft le ftile de la Nature ,
Que ton entretien fi charmant ,
Dont chaque terme eft la peinture
D'un agréable fentiment.
MARS. 27
1752.
Mais quand aux rives du Permeffe ,
Nous allons moiffonner des fleurs
C'est là que brille ton adreffe ,
Dans l'art d'affortir les couleurs.
C'eft-là que ta jufte critique
Reſpire la fagacité ,
Et joint au piquant fel attique ,
La douceur de l'urbanité .
Nous fommes délicats fans gêne ;
Et de notre étroite union
Nous recueillons les fruits fans peine ,
Conftans par inclination.
Mais quoi ! funefte à toutes chofes ,
Le temps même , loin de fléttir ,
Semble avoir oublié tes roſes ,
Ou fe plaire à les embellir.
Par quelques filtres efficaces
Entretiens- tu ma vive ardeur ?
Non , tout ton art eft dans tes graces ;
Et tout le charme eft dans ton coeur.
"
Oui , ma Chloé tout renouvelle
Les tendres feux de mon amour
Et je te trouve encor plus belle ,
Ce premier de l'an , que le jour
Qu'un Miniftre en une chapelle ,
Suivi de notre parentelle ,
Au bord du liquide Elément ,
48
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
to
Prononça pathétiquement
Une formule folemnelle ,
Qui nous permit, publiquement
D'avouer qu'une ardeur fidelle
Nous embrafoit également.
Les Tritons , les Nymphes de l'onde,
Jouoient ensemble fur les flots ,
Comme le jour que vint au monde
La belle Reine de Paphos ;
Et la cohorte qui défole
Les plus habiles Matelots ,
Captive dans l'antre d'Eole ,
Au gré d'une fage bouffole ,
Les laiffe voguer en repos.
Mais le fublime miniſtère
Que la raiſon doit reſpecter ,
Et que l'honneur fage & févère
Eut intérêt d'acréditer ,
S'il confacra nos pures flames ,
Et l'attachement de nos ames ,
Il ne put y rien ajouter ,
Ce jour , quelque beau qu'il put être ;
le même jour ,
N'eft pour nous que
Que feront à jamais renaître
La foi , les Talens & l'Amour .
Louer la femme fut la mode
Au bon fiécle des Amadis ,
MARS. 1752 29 .
T
Je fuis cette antique méthode
Et j'aime comme au temps jadis.
» Aimable , s'il en eſt en France
» Marquis l'exemple des Epoux ,
» A qui le Ciel pour récompenfe
» Donne une Epouſe comme vous.
» Je vois que de mon mariage
» Faifant ici mon entretien :
» J'ai peint votre charmant ménage ;
» Ne croyant peindre que le mien.
» Puiffe pour vous deux fans vîreſſe
Lachéfis tourner les fufeaux ,
» Sa Soeur à l'heureuſe vieillefe
» Laiffant le foin de fes cifeaux.
» Alors dans vos douceurs fuprêmes
» Du froid dégoût vos yeux vainqueurs
» Vous trouveront toujours les mêmes ,
» Vous retrouvant les mêmes coeurs ,
» Et d'une courſe fortunée ,
» Libre de foucis fuperflus ,
» Pour l'un & l'autre chaque année
Ne fera qu'un nombre de plus.
B iij
30 MERCURE DEFRANCE.
502 502 502 : 06385 50% 30% 30% 50% 50% 50:50 386 500
REFLEXIONS
Sur l'exil , écrites en François par Mylord
Bolingbroke , mort en Angleterre le 26
Décembre 1751.
L
A diffipation de l'efprit & la longueur
du temps font les remedes aufquels
la plupart des hommes ont recours dans
leurs afflictions ; mais le premier n'opere
que pour un temps , le fecond a un ef
fet tardif : l'un & l'autre font indignes
d'un homme fage.

Nous fairons - nous nous-mêmes pour
fuir nos infortunes , & nous imaginerons-
nous follement que le mal eft guéri
, parce que nous trouvons quelques
momens de relâche dans nos peines ?
Nous lamenterons- nous jufqu'au dernier
foupir & pleurérons- nous , jufqu'à ce
que nos yeux ne puiffent plus fournir des
larmes ? Attendrons -nous du temps une
délivrance languiffante & incertaine ?
différerons-nous à être heureux juſqu'à
ce que nous ayons oublié que nous fommes
miférables , & donnerons - nous à la
foibleffe de nos facultés une tranquilité
qui doit être l'effet de leurs forces ? MetMARS.
1752.
tons au contraire toutes nos afflictions
paffées & préféntes à la fois devant
nos yeux.
tôt
que
Réfolvons - nous de les furmonter plude
les fuir , & au lieu d'en ufer
le fentiment par une longue & ignominieufe
patience , cherchons le fond de la
playe , & opérons une cure immédiate
& radicale.
Laiffons les foupirs , les pleurs , les foibleffes
& l'accablement fous les moindres
coups de la mauvaiſe fortune , à ces malheureux
, dont les efprits tendres & délicats
ont été énervés par un long cours
de profpérités ; que ceux qui ont paffé
des années de calamité furmontent le
poids des plus rudes coups avec une
immuable & noble conſtance .
Les malheurs non interrompus produifent
ce falutaire effet : ils endurciffent.
Vous me demanderez fi je prétends
être arrivé à la perfection de la vertu
Stoïque je vous répondrai que non .
,
Foible & connoiffant ma foibleffe ,
je ne préfume pas de ma force ; je fuis
l'avis que l'Oracle donna à Zenon &
foumis à la conduite de la Philofophie
j'en emprunte la force dont j'ai besoin ,
& j'y trouve un port affuré contre les
orages de la fortune.
Biiij
32 MERCUREDE FRANCE.
&
Il eft vrai que la Philofophie a fes
fanfarons auffi -bien que la guerre
c'eſt une raisonnable précaution , que de
prendre garde que , pendant que nous
vifons à nous élever audeffus de l'homme
nous ne tombions au deffous.
Mais fi évitant avec foin le merveilleux
& toutes les extravagances du Portique
, nous adhérons aux feules doctrines
aufquelles notre raifon exempte
de préjugés fe foumet avec plaifir ; nous
nous mettrons dans une heureuſe indépendance
, & deviendrons fupérieurs aux
infortunes de la vie .
>
Pour parvenir à cette grande fin , ik
eft néceffaire que nous foyons attentifs
à découvrir les fecrettes rufes , & les attaques
ouvertes de la fortune avant
qu'elles nous atteignent lorfqu'elles
tombent fans être attendues , il eft difficile
de leur réfifter ; mais ceux qui les
attendent les repoufferont ailément .
L'invafion foudaine d'un ennemi renverfe
ceux qui ne font pas
fur leurs gardes
, mais quiconque prévoit la guerre &
s'y prépare , foutiendra fans difficulté
la plus rude attaque. J'ai appris depuis
long- tems cette importante leçon , & ne
me fuis jamais fié à la fortune , quand
même elle fembloit être en paix avec
MARS. 1752 . 33
moi. J'ai placé les richeffes , les honneurs
, la réputation & tous les avantages
que la perfide indulgence verſoit
fur moi , de façon qu'elle pût les reprendre
fans me caufer de trouble . J'ai
mis un intervale entr'eux & moi ;
elle les a pris mais elle n'a pu me les
arracher.
>
Nul homme ne fouffre par la mauvaife
fortune que celui qui a été déçu
par la bonne : fi nous nous paffionnons
pour les dons ; fi nous nous imaginons
qu'ils nous appartienent , & qu'ils
doivent nous refter perpetuellement ;
fi nous nous appuyons fur eux , & que
nous fondions en eux notre confidération
nous nous abîmerons dans toute
l'amertume du chagrin , auffi-tôt que
nous aurons perdu ces biens faux & paffagers
, & notre vain & puérile efprit
vuide de folides plaifirs fe trouvera deltitué
de ceux mêmes qui font imaginaires
; mais ſi nous ne nous laiffons point
emporter à la profpérité , l'adverfité ne
pourra nous abbattre. Notre ame fera à
l'épreuve des dangers de l'une & de l'au
tre. Ayant fondé nos forces , nous en.
ferons furs , & nous aurons appris au
milieu de la félicité à foutenir l'infor
tune.
By
$4 MERCURE DE FRANCE.
Il est beaucoup plus difficile d'exa
miner & de juger par foi- même que de
former fes opinions fur la parole d'autrui ;
c'est pourquoi la plupart des hommes.
empruntent des autres celles qu'ils ont
fur toutes les affaires de la vie & de la
mort de- là vient qu'ils font fi unanimement
ardens à la pourfuite des chofes
qui n'ont qu'un fpécieux & trompeur
éclat. De-là vient auffi que dans
les chofes qui font appellées des malheurs
, il n'y a rien qui foit auffi dur &
aufli terrible que le cri général nous le
fait entendre. Le mot d'exil , par exemple
, paroît rude , parce que la multitude
en a ainfi ordonné ; mais ce jugement
fera abrogé aux yeux du Sage qui
ne juge pas des chofes par les apparences
, mais par ce qu'elles font : c'eft un
point que nous allons diſcuter .
Queft - ce que l'exil ? C'eſt un changementde
place , & pour que vous ne difiez
pas que je diminue le mal , j'ajoûterai
que ce changement de place eft fréquemment
accompagné de beaucoup d'autres
inconvéniens de la perte des biens
dont vous jouiffiez , du rang que vous
teniez du pouvoir que vous exerciez ,
de la féparation de votre famille & de
vos amis , du mépris dans lequel vous
>
MARS. 1752. .35
pouvez tomber , de l'ignominie dont
ceux qui vous ont chaflé , effayeront de
noircir votre innocence. Je parlerai dans
la fuite en détail de toutes ces chofes ,
Préfentement confidérons quel malheur
il y a dans un changement de place
folitairement pris & en lui- même.
Vivre éloigné de fa Patrie eft un inconvénient
qui vous paroît intolérable ;
mais fi cela eft ainfi > comment arrivet-
il à un nombre infini de gens de paffer
leur vie par choix hors de leur propre
Pays.
Confidérez combien les rues de Lon
dres & de Paris font remplies ; appellez
ces millions d'hommes par leur nom ,
& leur demandez de quel Pays ils
font : combien en trouverez- vous de différentes
parties de la terre qui font venus
habiter ces grandes Villes , lefquelles
fourniffent la plus grande diffipation &
les plus grands encouragemens de vertu
& de vices. Quelques- uns y font attirés
par l'ambition , & quelques autres y
font conduits par le devoir. Plufieurs fe
rendent là pour perfectionner leur efprit
, & plufieurs pour augmenter leur
fortune. Les uns apportent leur beauté ,
& les autres leur éloquence au marché.
Allez plus loin , & examinez les zones
B vj
36 MERCURE DEFRANCE.

brûlantes & glacées , les extrêmités les
plus reculées de l'Orient & du Couchant :
vilitez les Nations fauvages de l'Afrique
ou les plus barbares régions du Nord
vous ne trouverez point de climat fi
mauvais ni de Pays fi fauvage , où
il n'y ait quelques gens qui viennent
l'habiter par choix .

Parmi les innombrables extravagances
qui paffent par l'efprit des hommes
nous pouvons juftement compter l'idée
d'une fécrette affection indépendante &
fupérieure à notre raiſon , que nous fuppofons
avoir pour notre pays , comme
s'il y avoit quelque vertu phyfique en
chaque canton de terre qui produisît furement
cet effet en ceux qui y naiſſent.
L'amour de la Patrie eft plus puiſſant que
la raison , & comme fi le Heimrey étoit
une maladie univerfelle inféparable d'un
corps humain & non particuliere aux Suiffes
qui femblent n'avoir été faits que pour
leurs montagnes , comme leurs montagnes
pour eux.
Cette notion peut avoir contribué à
la fureté & à la grandeur des Etats , &
pour cet effet elle a été habilement cultivée
& appuyée des préjugés de l'éducacation
. Il eft arrivé aux hommes fur
ce fujer ce qui leur arrive fur plufieurs
MARS. 1752.
37
autres; à force d'entendre dire qu'une chofe
doit être , ils parviennent à perſuader
aux autres & à croire eux mêmes
qu'elle eft,
Nous aimons le pays dans lequel
nous fommes nés à cauſe des biens particuliers
que nous en recevons & que "
nous pourrions auffi-bien recevoir d'un
autre . Un homme fage fe regarde
comme citoyen du monde & quand
vous lui demandez où eſt ſon Pays , ainfi
qu'Anaxagoras , il vous montre le
Ciel.
Il y a encore d'autres perfonnes qui
ont imaginé que comme tout l'Univers
fouffre une continuelle rotation , & que
la Nature femble fe délecter ou fe conferver
par cette révolution perpétuelle ,
de inême il y a dans les efprits des hommes
une naturelle inquiétude laquelle les
porte à changer de place & d'habitation.
Cette opinion a au moins une apparence
de vérité dont les autres manquent ,
& eft autant favorisée par l'expérience ,
que l'autre en eft contredite .
Mais quelques foient les raifons qui
ont du varier infiniment en un nombre
infini d'occafions & en un espace de
tems immenfe , c'eft un fait vrai que les
familles & les Nations du monde ont été
38 MERCURE DE FRANCE.
dans une continuelle agitation autour de
la face du globe , chaffant & étant chaffées
tour à tour . Quel nombre de Colonies
l'Afie a-t- elle envoyé à l'Europe ;
les Phéniciens ont planté les côtes de
la mer méditerrannée , & pouffé leurs établiffemens
même dans l'Océan . Les Etruriens
étoient Afiatiques d'extraction , &
fans aller plus loin , les Romains , ces
Maîtres du Monde , reconnoiffoient un
Troyen exilé pour Fondateur de leur
Empire.
Combien de tranfmigrations ont été
en retour de celle - ci d'Europe en Afie
elles ne pourroient être nombrées . Car
outre l'Eolique , l'lonique & d'autres
à peu près d'égale renommée , les
Grecs , durant plufieurs fiécles firent de
continuelles expéditions , & bâtirent des
Villes en plufieurs parties de l'Afie les
Gaulois y pénétrerent auffi , & y établirent
un Royaume. Les Scythes Européens
pafferent dans ces vaftes Provin
ces ,
& porterent leurs armes jufqu'aux
confins de l'Egypte . Alexandre fubjugua
tout depuis l'Hélefpont jufqu'à l'Inde , batit
des villes , & établit des Colonies pour
affurer ces conquêtes & éternifer fon nom.
L'Afrique a reçu de l'une & de l'autre de
ces parties du Monde des Habitans &
MARS. 1752.
39
des Maîtres. Comme elle en a reçu ,
elle en a donné les Tyriens bâtirent
la Ville , & fonderent la République de
Carthage , & le grec a été le langage
d'Egypte.
Dans l'Antiquité la plus reculée nous
entendons parler de Belus en Caldée , &
de Séfoftris , établiffant ces Colonies bazanées
dans Colchos. L'Eſpagne n'a- tel!
e pas été dans ces derniers fiécles
fous la domination des Maures.
Si nous venons à l'Hiftoire Runic
nous trouverons nos Peres les Gots conduits
par Woden & par Thors premiement
leur Héros & enfuite leurs Divinités
, de la Tartarie Afiatique en Europe
; & qui peut nous affurer que c'étoit
leur premiere tranfmigration ? ils revinrent
peut-être en Afie par l'Eft du
continent auquel leur fils ont depuis navigé
de l'Europe par le Wouft ; & ainf
dans la progreffion de trois ou quatre
mille ans la même race d'homme a
pouffé fes conquêtes & fes habitations
autour du globe.
Le monde est un grand défert où tous
les hommes ont erré & joûté l'un contre
l'autre depuis la création. Quelquesuns
ont changé de place par néceffité , &
quelques autres par choix. Une nation
40 MERCUREDEFRANCE.
a défiré de fe faifir de ce qu'une autre
étoit laffe de pofféder , & il feroit dif
ficile de marquer quel Pays eft aujourd'hui
entre les mains de fes premiers
Habitans .
Ainfi le Deftin a ordonné que rien
ne peut être long-temps dans le même
état ; & que font toutes ces tranfplantations
de Peuples , finon autant d'exils ?
Varon le plus fçavant des Romains difoit
que , puifque la Nature eft la même
par tout , il ne devoit y avoir rien de
fâcheux dans un changement de place
pris en lui-même , & dépouillé des autres
inconvéniens qui fuivent l'exil . Marcus
Brutus ajoûtoit , que puifqu'on ne.
peur empêcher ceux qui vont dans un
baniffement de porter leur vertu paron
ne peut les rendre malheureux.
Que fi quelqu'un croit que chacune
de ces confolations prife féparément
ne fuffit pas , il doit avouer au moins.
que l'une & l'autre jointes enſemble.
font un grand acheminement à diffiper les
terreurs de l'exil . Car ne devons- nous pas
regarder comme des bagatelles tout ce
que nous laiffons derriere nous , en comparaifon
des deux plus précieufes chofes
dont les hommes puiffent jouir , & que
nous ſommes affurés qu'ils nous ſuitout
>
MARS. 1752. 41
vront par tout où nous tournerons nos
pas , la même nature & notre propre
vertu ? Croyez-moi ; la Providence a établi
un tel ordre dans le monde que ,
de tout ce qui nous appartient , la moins
eftimable part peut feule tomber fous la
volonté des autres , la meilleure eft hors
de la portée du pouvoir humain.
>
Ainfi marchant intrépidement la tête
haute par tout où nous ferons menés
par.
le cours des accidens humains , en quelque
lieu qu'ils nous conduifent fur
quelque côte que nous foyons jettés
nous ne nous trouverons pas abfolument
étrangers nous rencontrerons des hommes
, créatures de la même efpéce.
doués des mêmes facultés , & nés fous
les mêmes loix de nature : nous verrons
les mêmes vertus & les mêmes vices
partir des mêmes principes généraux
, mais variés en mille façons différentes
& contraires ; felon cette infinité
de loix & de coutumes qui font établies
pour la même fin univerfelle , c'eftà-
dire pour la confervation de la Société.
Nous reffentirons la même révolu-,
tion de faifons , le même Soleil , la même
lune ; cette même voûte azurée &
› parfemée d'étoiles fera par tout étendue
fur notre tête. Il n'y a point de
42 MERCURE DE FRANCE.

partie du Monde d'où nous ne puiffions
admirer ces planettes qui roulent
comme la nôtre en différens orbites autour
du même Soleil , & tandis que je
fuis ravi par de telles contemplations
tandis que mon ame eft ainfi élevée au
ciel , que m'importe quelle terre je foule
à mes pieds. Brutus rapportoit dans
le livre qu'il a écrit fur la vertu , qu'il
avoit vu Marcellus en exil à Mitilene
vivant dans tout le bonheur dont la nature
humaine eft capable , & cultivant
avec autant d'affiduité que jamais , toutes
fortes de louables connoiffances ; il ajoûtoit
que ce fpectacle lui fit croire que ,
s'en retournant fans Marcellus c'étoit
lui - même , & non ce dernier qui étoit
banni .

O Marcellus beaucoup plus heureux
quand Brutus approuva ton exil ,, que
quand la République approuva ton Confulat
Quelle plus forte preuve du mérite
de ce grand homme , que de voir
que ceux qui le laiffoient en exil , fe regardoient
eux-mêmes comme bannis , &
qu'il s'attiroit l'admiration de celui qui
paroiffoit un objet d'admiration à fon
Caton même !
Brutus rapportoit encore que Cefar
paffa fans s'arrêter à Mitilene , parce
MARS. 1752:
43
qu'il ne pouvoit foutenir la vue de Marcellus
dans un état fi indigne de lui.
Son rétabliſſement fut enfin obtenu par
la publique interceffion du Senat entier ,
qui étoit tellement affligé , que tous les
Senateurs paroiffoient avoir les mêmes
fentimens que Brutus , & au lieu de les
fupplier pour Marcellus , fupplier pour
eux-mêmes, ils regardoient comme un exil
de vivre plus long - tems fans Marcellus ; il
s'en retournoit dans fon pays avec honneur
, mais furement il demeuroit en exil
avec un plus grand honneur encore
lorfque Brutus ne pouvoit le réfondre à
le quitter , ni Cefar à le voir. L'un &
l'autre portoient témoignage à fon méri
te Brutus affligé , & Cefar rougillant
d'aller à Rome fans lui.
:
Métellus Numidicus avoir éprouvé la
même deftinée quelques années auparavant.
Pendant
que le peuple qui eft toujours
le plus fûr inftrument de fa propre
fervitude étoit occupé à paffer fous la conduite
de Marius , les fondemens de cette
tyrannie qui fut achevée par Cefar
Métellus feul , au milieu d'un Senat timide
& d'une infolente populace , refu
fa de confirmer les pernicieufes Loix du
Tribun Saturninus ; fa conftance devint
fon crime , & l'exil fa punition , une Fac44
MERCURE DE FRANCE:
:
tion effrenée prévalant contre lui . Les
meilleurs Citoyens armés pour fa défenfe
, étoient prêts à donner leur vie pour
conferver tant de vertu à leur République
; mais ayant manqué de la perfuader
, il ne trouva pas jufte de la contraindre
i jugea dans cette phrénéfic
de la République Romaine comme le
divin Platon jugea dans la décadence de
celle d'Athenes. Métellus fçavoit que
fi fes Citoyens fe corrigeoient , il feroit
rappellé , & s'ils ne fe corrigeoient pas
qu'il ne pouvoit être nulle part plus mal
qu'à Rome il alla volontairement en
exil , & par tout où il paffoit , il portoit
avec lui les fymptômes d'un Gouvernement
malade , & le prognoftic d'une
République expirante. L'efprit qui l'anima
pendant fon exil paroitra mieux par
un fragment d'une de fes Lettres , qu'Aulugelle
, pour l'amour du mot Amilcar,
nous confervé dans une pédantelque
compilation de phrafes ufitées par
l'Analifte Claudius , illi verò omni jure
atque honeftate interdicti , ego neque aquâ
neque igne careo & fummâ gloriâ trunifcor.
Heureux Métellus , heureux en ta
propre vertu
heureux en ton pieux fils
& en cet ami qui te reffembloit en mé-
?
MARS.
1752. 45
1
:
pour.
rite & en fortune . Rutillius avoit défenfendu
l'Afie contre les exactions des Publicains
, conformément à l'étroite juftice
dont il faifoit profeffion, Cette probité
l'avoit rendu odieux à la faction de
Marius cette haine fit jurer fa perte.
L'homme le plus integre fut accufé de
corruption , le plus vertueux fut
fuivi par le méprifable Apicius , nom
dévoué à l'infamie. Ceux qui avoient
fufcité la fauffe accufation étoient les Juges
, & prononcerent l'injufte ſentence
contre lui à peine daigna-t-il défendre
fa caufe , mais il fe retira dans l'Orient ,
où la vertu Romaine , que Rome ne
pouvoit plus foutenir , fut reçue avec
honneur or Rutillius fera- t il réputé
avoir été malheureux ? quand ceux qui
le condamnerent , ont été par cette action
tranfmis comme des criminels au tribunal
de la postérité ; quand il fut plus
facile de l'obliger à quitter fon Pays
que de l'obliger à fouffrir que fon exil
finit ; quand lui ſeul ofa refuſer le Dictateur
Silla , & étant rappellé chez lui
non- feulement refufa d'y aller , mais s'en
éloigna encore davantage. Vous me direz,
que vous propofez- vous par ces exem
ples dont une multitude peut être re
cueillie dans l'Hiftoire des fiécles paffés
46 MERCURE DE FRANCE.
Je me propofe de montrer que comme
le changement de place confidéré en
lui-même ne peut rendre nul homme
malheureux : ainfi les autres maux qui
font généralement reprochés à l'exil ne
peuvent arriver aux hommes fages &
vertueux , où s'ils leur arrivent , ne peuvent
les rendre miférables. L'effet de ces
maux dépend non de leur propre natu
re , mais du caractere de celui auquel
ils tombent en partage .
› Les pierres font dures les glaçons
font froids , & tous ceux qui les touchent
les fentent de même ; mais les
bons ou les mauvais évenemens de la fortune
fe font fentir par rapport aux qualités
qui font en nous : ils font en eux .
mêmes indifférens , & ne font que des
accidens communs . Ils n'acquierent des
forces que par notre vice ou par notre
foibleffe , la fortune ne peut difpenfer ni
félicités ni malheurs , à moins que nous
ne coopérions avec elle .
L'homme qui eft malheureux par la
perte de fon bien , ne feroit pas heureux
en le poffédant.
Ceux qui méritent de jouir des avantages
qu'ôte l'exil , ne feront point malheureux
quand ils en feront privés . Je
fuis fâché de faire une exception à cette
MARS . 1752. 47
régle : mais Ciceron en eft un exemple
fi remarquable , qu'il ne peut être ni caché
ni paffé fous filence. Ce grand homme
qui avoit fauvé la Patrie , qui
n'avoit craint en foutenant cette cauſe ,
ni les infultes d'un parti furieux , ni les
poignards des Affaffins , quand il vint à
fouffrir pour cette même caufe , fuccomba
fous le poids , il deshonora ce baniffement
que l'indulgente Providence
deftinoit comme un moyen de rendre
fa gloire complette : incertain où il iroit
& ce qu'il feroit ; craintif comme une
femme , ou chagrin comme un enfant
il lamentoit la perte de fon rang , de fes
richeffes , de fa confidération : fon éloquence
ne fervoit qu'à peindre fon ignominie
avec de plus vives couleurs , il
pleuroit fur les ruines de fa belle maiſon
que Clodius avoit démolie : & fa féparation
de Térentia qu'il répudia peu de
temps après , étoit peut -être une afflic
lui dans ce moment.
tion
pour
>
Tout devient infoutenable à l'homme
qui eft une fois fubjugué par la douleur
; il regrette ce dont il jouiffoit fans
plaifir , & furchargé déja , il fuccombe
fous le poids le plus léger : enfin cette
conduite de Ciceron fut telle que fes
amis , auffi-bien que fes ennemis , crurent
48 MERCURE DE FRANCE.
crurent qu'il avoit perdu le fens. Cefar
voyoit avec une fécrette fatisfaction
l'homme qui avoit refufé d'être fon Lieutenant
pleurer fous la verge de Clodius :
Pompée efperoit de trouver quelque excufe
à fon ingratitude , dans le mépris
auquel s'expofoit l'ami qu'il avoit abandonné
Atticus même le trouva trop
miférablement attaché à fa premiere fortune
, & le lui reprocha : Atticus de qui
les plus grands talens étoient l'afure &
l'art de le ménager entre les deux partis
; qui plaçoit fon principal mérite à
être riche , & qui auroit été noté d'infamie
à Athenes pour garder des mesures
avec les deux partis . Atticus même rougiffoit
pour Ciceron , & l'homme le moins
fincere qui vêcût prit le ftyle de Caton ,
J'ai infifté fur cet exemple qui autorife
la vérité que nous venons d'établir
& qui nous en enfeigne une autre de
grande importance.
>
Les hommes fages font certainement
fupérieurs à tous les maux de l'exil
mais dans un étroit & ftoïque fens. Celui
qui a laiffé dans fon ame une feule
paffion fans être fubjuguée , ne peut mériter
ce nom. Ce n'eft pas affez que nous
ayons étudié tous les devoirs de la vie
publique & privée , que nous les ayons
parfaitement
MARS. 1752. 49
parfaitement connus , & qu'aux yeux
du monde nous vivions conformément
à ces devoirs. Une paffion qui n'eft
qu'affoupie dans le coeur , & qui a échap
pé à notre examen , ou que nous avons
regardée avec indulgence comme pardonnable
, ou même que nous avons peutêtre
encouragée comme un principe propre
à exciter notre vertu , peut dans un
tems ou dans l'autre détruire , notre tranquilité
, & gâter notre caractere entier .
Quand la vertu a encuiraffé l'ame de tous
côtés , s'il m'eft permis de me fervir de
cette expreffion , nous fommes de tous
côtés invulnerables , mais Achille fut bleſfé
au talon.
La moindre partie qui ne fera pas
apperçue ou qui fera négligée , peut nous
expofer à une bleffure mortelle . La raifon
ne peut obtenir l'abfolue domination
de nos ames par une feule victoire.
Le vice a plufieurs corps de réſerve
qu'il faut battre , plufieurs fortereffes
qu'il faut emporter. Nous pouvons réfifter
aux plus rudes attaques de la fortu
ne , & céder aux plus foibles. Nous pouvons
avoir gagné le deffus de l'avarice
la plus générale maladie de l'efprit , &
néanmoins être efclave de l'ambition.
Nous pouvons avoir délivré notre ame
C
so MERCURE DE FRANCE.
de la peur
de Лa mort , & néanmoins
quelqu'autre
peur pourra le cacher en
elle. C'étoit le cas de Ciceron : la vanité
étoit fon vice capital. Cette vanité avoit
échauffé fon zéle animé fon habileté
·
encouragé l'amour de fon Pays , & foutenu
fa conftance contre Catilina ; mais
elle donna à Clodius une entiere victoi
re fur lui , il n'etoit pas effrayé de per
dre la vie , & de quitter biens , honneurs
& toutes les chofes dont il pleuroit
la perte , mais il étoit effrayé de
vivre & d'en être privé : il auroit probablement
vû la mort dans cette occafion
avec la même fermeté avec laquelle il
dit à Nopilius Lenas , fon Client & fon
meurtrier : Approche véreran , & fi au
moins tu peux faire ceci , coupe- moi la
tête ; mais il ne pouvoit foutenir de fe
voir lui-même & d'être vû par d'autres ,
dépouillé de ces ornemens dont il avoit
accoutumé d'être entouré : ce qui le fit
fe répandre ainfi en plufieurs honteules
expreffions.
Poffum oblivifci qui fuerim ; non fentire
qui fim ; quo caream honore , quâ gloriâ.
Et parlant à fon frere , citavi ne vide
rém , ne aut illius luctum fqualloremque afpicerem
, aut me perditum illi afflictumque
il y
offerrem. Il avoit penfé à la mort ,
MARS. 17520 ST
avoit préparé fon efprit ; il y avoit eu
même des occafions , où fa vanité auroit
été flattée par cette mort. La même vanité
l'avoit empêché dans la profpérité
de fuppofer qu'un pareil revers pût lui
arriver , celui-ci arrivant , le furprit &
le frappa d'étonnement. Il étoit encore
entêté de la pompe & du tracas de Rome
,fumum opes ftrepitumque Roma. 11
G I
étoit encore attaché à toutes ces chofes
que l'habitude rend néceffaires > &
que
la nature
a laiffées
indifférentes
: nous
en avons
fait
l'énumération
ci -deffus
il eft
tems
de
defcendre
à un
examen
plus
particulier
.
La fuite dans le prochain Mercures
Cij
32 MERCURE DE FRANCE.
LA MORT DE LOUISE
Reine de Dannemarc.
ODE AU RQI ,
Par M. Angliviel de la Beaumelle.
IL eft donc vrai ! de fes années
Les Dieux ont terminé le cours ;
Jamais , barbares deftinées ,
Refpectâtes-vous de beaux jours ?
Jufques à quand , Mort implacable ,
Ton glaive avide , infatiable
S'étendra-t- il fur les vertus :
Le Ciel irrité fur vos têtes ,
Danois affemble fes tempêtes ;
Pleurez: Louiſe hélas n'eft plus.
Vous n'êtes que de vains fantômes
Plaisirs , jeunefle , biens , honneurs !
Serons-nous toujours , foibles hommes
Séduits par vos charmes trompeurs ?
Difparoiffez , erreurs brillantes ;
Sous mille formes différentes
Notre néant fe reproduit.
Venez , voyez , Grands de laterre ,
MARS.
$ 3 1752.
Qu'êtes-vous ? un peu de pouffiere
Qu'un fouffle organife & détruit.
D'un vil peuple la flatterie
Vous place au deffus des mortels,
Du Courtifan l'idolatrie
Ofe vous dreffer des Autels ;
Que de l'immortelle Louife
Le funefte trépas inftruife
Et terraffe enfin votre orgueil :
Vous ferez malgré la Couronne ,
Affis aujourd'hui fur le Trone ,
Demain couchés dans le cercueil
+ X+
Tendre amour , fidele hymenée ;
Jettez des fleurs fur fon tombeau ;
Elle aimoit , elle étoit aimée ;
Vites- vous un deftin plus beau?
Elle aimoit en toi l'homme aimable,
FREDERIC ! Ce coeur adorable
Au Heros préferoit l'Amant ,
Hé ! les couronnes les plus belles ,
Toutes les grandeurs , que font- elles
Au prix d'un tendre fentiment a
**+
Vous ne verrez plus ane mere ,
Princes , vous preffer dans fes bras ;
C iij
54 MERCURE DEFRANCE.
Suivre votre courfe légere ,
Et fourire à votre embarras :
Croiffez tendres fleurs , fon ouvrage ,
De fes traits offrez - nous l'image ,
Montrez à l'Univers furpris
Que fidéle à fon origine
La grandeur d'une Héroïne
Circule dans le fang des fils.
+ &+
Heureux enfans de l'abondance ,
Beaux Arts ! elle vous aimoit tous :
Elle réunit dès l'enfance
Tous les talens & tous les goûts :
Sur elle , difoit la nature ,
Verfons nos prefens fans mefure
Formons- là digne de Titus ;
Soudain marcherent fur fes traces
De fon fexe toutes les graces,
Du nôtre toutes les vertus,
Placez Louife fur un Trône
'Avili par un de ces Rois
Qui ne peuvent de la Couronne
Soutenir le penible poids ,
Automates , que la moleffe
Tient dans une éternelle ivreffe
D'un Miniftre efclave jaloux ,
SMARS.58139952562059
Louiſe cût ſçû régir l'Empire ,
Pourvoir à tout , à tout fuffire ,
Venger fon fexe & fon époux.
冻肉六
Cette main à qui l'harmonie
Accordoit les plus tendres fonso )
Qui d'une riche broderie
Avec grace animoit le fonds ,
Eût triomphé de nos Achilles ,
Soutenu les Arts , pris des Villes
Réuni Bellone & Thémis ,
Et Superieure aux obftacles.
Renouvellé tous les miracles
D'Irene & de Semiramis .
Tu fçais , Monarque infatigable
Tu fçais obfcurcir ces talens :
Louiſe ne paroît qu'aimable ,
L'amour remplit tous les momenss
Vois , admire avec quel courage,
Ce coeur fublime fe
Et
partage
par tendreffe & par vertu
Comme une humble & fimple bengeré
Entre le défir de te plaire
Et le plaifir de ' avoir plu.
***
C. iiij
36 MERCURE DEFRANCE
Majs quelle voix fe fait entendre
» Cher Epoux, féche enfin tes pleurs ,
» C'eſt affez honorer ma cendre ,
» Tu l'offenfes par tes douleurs ;
>> Prince trop cheri , fi tu m'aimes
30
Je vis encore , les Dieux mêmes
» De mon bonheur feront jaloux ,
» Tout eft en deuil : pour ta tendreffe
» Quel plaifir plus pur : ta triſteſle
» Devient la trifteffé de tous.
Que le pere de la lumiere
Se livre un inftant au repos ;
C'en eft fait la nature entiere
Rentre dans fon premier cahos :
Pour tes Provinces fortunées ,
Tes inftans valent des années ;
Ceux que tu donne à tes ennuis ,
Grand Roi , font perdus pour l'Hiftoire ,
Tu les voles tous à ta gloire ,
Tu les voles à ton pais.
JAL
MARS. 1752. 57
LETTRE
Ecrite à l'Auteur du Mercure , par un Gar
con - Marchand qui voudroit bien être
Bel Esprit.
V
MONSIEUR ,
Ous êtes en poffeffion de réunir dans
votre Journal l'inftructif & l'amufant
, le férieux & le badin . Le Public
trouve fon compte dans ce mêlange judicieux
; il a de quoi contenter toutes
fortes de Lecteurs : les uns fongent à s'orner
l'efprit , les autres cherchent à fe ré
créer. Pour la fatisfaction de ces derniers
, je veux vous raconter une avanture
finguliere , dont hier au foirje fus le témoin
oculaire. Faites , s'il vous plaît ,
bien vîte imprimer ma Relation je
n'ai point encore vu de ma profe en
lettres moulées ; il me femble que cela
doit être bien chatouilleux . Etre Au
teur ! ...
. Figurer dans un Livre ....
Je commence.
Au centre ou à peu près de notre
vieille cité ( nous dattons du Déluge ) .
Au centre donc de notre Ville 2
Cv
48 MERCURE DE FRANCE.
eft un réduit public où s'affemblent
tous les foirs les Fainéans de profeffion
& ceux qui quittent leur ouvrage au
jour tombant. Je me vante d'être un des
plus exacts à m'y rendre dès que ma
boutique eft fermée , je vais , je vole
à l'Académie ; c'eft ainfi que par décence
, & faute d'Académie littéraire , nos citadins
ont nommé ce tripot . Là , on tue le
temps comme on peut les uns jouent ,
ou parient : les autres mangent ou boivent :
plufieurs parlent , differrent , exagerent ,
chantent , crient ; quelques-uns regardent
, fe taifent écoutent , fe mocquent ,
s'ennuient. Cet hôtel , véritable tour de
Babel , vraie Cour du Roi Petaut , eft
diftribué en plufieurs appartemens , dont
deux principaux : Fappartement haut ,
c'eft proprement l'Académie l'Académie , l'affemblée
du beau - monde , la Chambre des Pairs ;
je n'y vais que les Dimanches : l'apartetement
bas où je vais tous les jours ,
fera , fi vous le voulez la Chambre des.
Communes , vulgairement un billard
une taverne à bierre , un poële enfumé.
Clercs de Procureur Garçons -Marchands
, Huiffiers , Rats de cave Ecoliers
, tous bons enfans & gens du pays ,
forment le gros de la bruyante affemblée.
Les Etrangers y font admis , com
>
MARS. 1752.
me de raiſon ; auffi font- ce deux Etrangers
qui vont jouer le principale rôle
dans la Scene que j'ai à détailler. Scene
vraiment comique , quoique enfanglantée
mais allons au fait ; je crains de
m'être un peu trop arrêté fur la defcription
du lieu de laScene ; en tout cas,fi j'ai eu tort,
qu'on me pardonne ; je fuis apprentif
Relateur moi - même , j'ai fouvent cu
de l'indulgence pour les Maîtres de
FArt.
:
Un Arracheur de dents qui ne ment
jamais , du moins à ce qu'il dit , exer ~
ce depuis quelque temps fon Art en cette
Ville. Il fe nomme le fieur N. ***
C'eſt un petit homme fingulier , gros
& court , borgne & grimacier , parlant
haut & toujours , vantant fa dextérité &
fes proueffes , aimant fon métier juf
qu'à la fureur , regardant les dents qu'il
a arrachées , comme autant d'efcadrons
renverfés ,brave d'ailleurs & fur la hanche
faifant trembler les vieux corps , fans en
excepter ceux des pieds , dur à lui- même
jufqu'à l'Héroïfme , bravant les ri
gueurs faifon , couvert de la plús:
de b
mince papeline ; ennemi juré des façons
, & furtout des vifites du premier
jour de l'an , ayant eu foin de diftri
buer trois jours avant , force billets impri
€ vj
60 MERCURE DE FRANCE.
més , où il affure qu'il arrachera les dents
à toutes les perfonnes qui lui feront l'honneur
de le venir voir. Tel eft mon Héros
principal. Nous le voyons tous les jours
avec plaifir , nous l'entendons avec admiration.
Il opere fous nos yeux en plein.
billard ; & je dois dire en Hiftorien fidelle
, qu'il opere fort heureufement.
Hier pourtant , hier , fa gloire auffi
brillante , mais auffi fragile que le cryf
tal , vint fe brifer contre un chicot obftiné.
Le Laquais d'un de nos Magiftrats
, qui s'amufoit bonnement avec nous:
jufqu'à ce que fon Maître defcendît de
la Chambre des Pairs , fe plaignit à notre
Artiſte d'un refte de dent qui l'incommodoit.
L'examiner , offrir fes fervices
, la manquer , la remanquer deux ou
trois fois , tout cela fut exécuté. Le Laquais
faignoit fort & fe plaignoit : l'Opérateur
juroit gros , & rougiffoit le
Public affemblé s'étonnoit ; un mauvais
Plaifant haaffoit les épaules & rioit. Le
colérique N *** s'en apperçut : vous
riez , Monfieur , lui dit-il ; fachez qu'il
n'y a point de Dentifte en France qui
puiffe tirer ce chicot ; point d'homme
en Europe ... Monfeu , Monfeu , ajouta
-t-il , en hauffant le ton & ôtant fon
chapeau , j'ai eu l'honneur de travailler
MARS . 1752. 61
?
dans toutes les Cours d'Allemagne , de
Pruffe, de Hollande , d'Angleterre , j'en ai
de bons certificats , & fi ce chicot ...
Il en auroit dit davantage , fi le Rieur ,
qui alors ne rioit plus , ne l'eût interrompu,
J'arracherai pourtant ce chicot
tout-à l'heure , fi M. la Fleur me le permet
, dit-il modeftement ; M. la Fleur
mettez vous là : oui oui , Monfieur , mettez-
vous là , dit auffi l'éhonté Opérateur
nous allons voir. Le complaifant la Fleur
s'affied , ouvre la bouche , préfente la mâchoire
; le nouveau Dentifte y met le
davier , le chicot eft . enlevé ...... Eh
dong ! Monfu de la Fleur , faites gargarifme
à l'alvéole . Ce terme de l'Art prononcé
d'un accent biſcayen , la vûe du
chicot enfanglanté , le regard malin des
Affiftans , pétrifierent le pauvre N ***
Je le vois bien , Monfieur , dit-il , vous.
êtes du métier ; mais morbleu ! Si je
n'euffe ébranlé cette dent , de votre vie
vous ne l'euffiez tirée. Le garçon Chirurgien
, car en effet c'en étoit un , picqué
de cette rodomontade qui fembloit
le ravaler, pâlit de colere , & rougir
d'indignation. Je parie , dit-il à N *** , je
parie vous arracher à vous- même à l'inftant
toutes les dents l'une après l'autre ; & fi
j'en manque une feule , je veux ...Tope ,
2 MERCURE DE FRANCE.
"
repondit l'autre. Je parie un louis d'or ..!
la difpute étoit trop plaifante un membre
de la Chambre des Communes fe
députe à la Chambre des Pairs ; les Pairs
defcendent ...... Dans cet intervale la
gageure
d'un louis d'or avoit été réduite à
rrois livres , & l'expérience à trois dents.
N *** , le cul par terre indiquoit à
fon rival celles de toutes les dents qui
étoient le mieux enracinées ; le jeune
Chirurgien faifit la premiere , la renverfe
, la jette fans parler aux pieds de N ***
& d'une main victorieufe alloit froidement
continuer l'abatis , forfque N **
tout enfanglanté fe releve , vous avez
gagné , dit- il en l'embraſſant , vous êtes un
habile homme , je ne l'aurois pas mieux
arrachée l'écu eft à vous .... Mais le
riomphant Chirurgien fçut ufer de la
victoire ; content de fes lauriers
fufa d'empocher le prix de fes travaux
rendit l'écu.N*** de fon côté fe picqua de
générofité ; on apporta des pots , des liqueurs.
Tous les Affiftans furent engagés à
fe joindre aux trois Acteurs principaux ;
beaucoup accepterent , je fus de ce nombre
, & au lieu d'un écu nous en bu
mes au moins quatre. Inftabilité des chofes
humaines pourrois je m'écrier ici ::
vanité des biens de ce monde ! N ***
>
>
il res
MARS. 1752 . 6
1
perd en un quart d'heure au plus fa ré
putation , une dent faine & quatre écus.
Voilà , Monfieur , la fingularité dont
j'avois à vous rendre compte. Je fens
combien une Scene auffi plaifante perdra
à être lue : le tout eft d'en avoir été Spec- ·
tateur . La honte , le dépit de l'un le:
tiomphe & la joye de l'autre , les mufeaux
faignants des deux édentés , des
rieurs de toutes parts ; les attitudes va-
Fiées des Spectateurs
, ces différens objets
formoient un tout inimitable . Jamais
je n'ai vu un tableau aufli original..
C

J'aurois peut être mieux réuffi dans la
copie que j'en ai faite , fi j'euffe ofé y
employer plus de temps , mais j'ai eu
peur d'être prévenu. Nous avons ici plufeurs
Beaux - Efprits qui auroient faifi cette
occafion d'augmenter leur gloire . On
vient même de m'affurer que Mademoifelle
... avoit paffé toute la nuit pour en
faire le fujet d'une Epître à une Ducheffe;
Mademoiselle ...la matiere d'uneEglogue
; M. l'Abbé .... le canevas d'une
Ode Anacréontique . Pour moi je ne fais
point de vers , ou du moins fi par malheur
j'en fais , ils font affez méchans,
Mais je me garde bien de les montrer aux gens.
J'ai l'honneur d'être , & c,
64 MERCURE DE FRANCE.
洗洗洗洗洗洗洗潔洗洗洗洗洗洗洗
***
IMITATION DE L'ITALIEN.
D
Ans cet ge heureux , innocent ,
Où le plaifir et fans nuage ,
Je folâtrois au pâturage ,
Avec un chevreau bondiffant :
Je vis Cloris ... qu'elle étoit belle !
De fon port mon coeur enchanté ,
Crat voir dans la jeune mortelle
Les traits de la Divinité.
#
Aimable Cloris , je t'adore ,
( A fes genoux , lui dis-je un jour , }
Mon coeur te dit ce que j'ignore ,.
Je n'ai jamais connu l'amour .
Vás , reprit Cloris , d'un air tendre
En me donnant un doux baiſer 23
Bel enfant , crains de t'expofer
Aux pieges que ce Dieu peut rendre.
Cependant, Lycas à Cloris
Scut bientôt infpirer fa flamme ,
Et je parte encor dans mon aruc
Le trait cruel que je cheris
MARS. 1732.
65
Ingrate ! ... j'ai grandi .... . je t'aime
Et tu te ris de mes amours ,
Vois mon malheur , il eft extrême,
Ton baifer m'enflamme teajours,
Par M. Feutry.
P************** *******?
LETTRE
De M.le Chevalier de Monhy , à l'Auteur
du Mercure
JE
E ne dois point laiffer ignorer au Public
, Monfieur , que l'ouvrage que je
vais lui donner dans quelques jours fous le
titre de Tablettes Dramatiques , ne renfer
me point des obfervations critiques fur
les Auteurs qui ont écrit avant moi dans
ce genre , comme on l'annonce déja. Bien
lain d'avoir penfé à relever les fautes
qu'ils ont pu faire , je ne me fuis occupé
que du foin de les éviter ; & quand par
des recherches réïtérées je n'ai pû douter
qu'ils ne fuffent tombés dans l'erreus , ję
n'en ai profité que pour m'en garantir
fans les citer , ni m'en faire un mérite. Mon
unique vue , Monfieur , en entreprenant
cet ouvrage , a été de renfermer dans un
feul volume tout ce que l'hiſtoire du Théâ
66 MERCURE DE FRANCE.
tre François offre de plus intereffant , &
de le faire avec affez d'ordre , pour qu'à
Fouverture du livre , on trouvât fans pei
ne ce qu'on avoir deffein d'y chercher.
Pour vous mettre en état de comprendre
fi l'exécution a répondu au projet , je
vais vous donner une efquiffe de l'ouvra
ge.
1. Il commence par une préface nécef
pour l'intelligence du Livre .
faire
*
2. On trouve enfuite un abrégé trèscourt
de l'Hiftoire du Théatre François
depuis fon origine , jufqu'à l'établiffement
de l'Hôtel de Bourgogne.
3. H eft fuivi d'un effai chronologique
far l'établiffement des différens Théâtres
à Paris depuis celui de S. Maur , en
jufqu'en 1689.
4. Le Dictionnaire fe prefente après. II
renferme toutes les piéces du Théâtre Fran
çois jouées ou imprimées depuis 1552,
jufques & compris l'année 1791 , & les
mois de Janvier & de Fevrier 1752.
5. Les Hiftoires , en abregé des Awteurs
dont les piéces font répandues dans
cet ouvrage fuivent immédiatement. Je
les ai partagées en deux claffes : la premiere
contient une vie très-abrégée de
ceux qui font très-connus , & la feconde
renferme ce qui a rapport aux Auteurs qui
le font moins.
MARS. 1752. 67
6. Enfin l'Ouvrage finit par un petit
traité chronologique de tous les Acteurs
François qui ont paru fur le Théâtre de
puis 1510 jufqu'à ce jour .
Sur l'expofé que je viens de vous faire
je fuis perfuadé , Monfieur , que vous avez
déja pensé que je n'ai qu'effleurré ces différentes
parties , ou que je n'ai écrit que
fur les principales. Non Monfieur , j'ofe
avancer qu'à l'exception des détails , j'ar
faifi tout ce qui s'appelle Faits , que je n'ai
rien obmis de tout ce qui eft connu ; &
pour ce qui a rapport aux piéces de Théâtre
François , que mon Dictionnaire eft
plus étendu que tous les differens catalo
gues qui ont paru jufqu'aujourd'hui.
Mais comment le peut- il , m'allez- vous
dire , que vous foyez parvenu à renfermer
tant de parties différentes dans un feul
volume ? Par un moyen tout fimple , Monfieur
: c'eft par la maniere de les imprimer
qui refferre dans une feule ligne ce qui en
exigeoit naturellement plufieurs. Un exem
ple donné fur une pièce de Théâtre va
vous mettre à portée d'en juger. Suppofé
que vous vouliez fçavoir de qui eft l'Hom
me à bonnes fortunes , en quel jour & en
quelle année cette Comedie a été répréfentée
, combien elle a eu de repréfentations
, le tems où elle a été imprimée , &
68 MERCURE DE FRANCE,
en quel format eft l'édition : une feule li
gne ne vous laiffera rien à défirer fur toutes
ces choſes ; & vous trouverez fous cette
ligne partagée en cinq colonnes ce qui
vous refte à apprendre pour l'hiftorique
de la Piéce .
Exemple.
Nom des Pieces. Noms des An des
Le An. des
Auteurs. reprefent Nomb. \ Editions
GOMME (1 ) | BARON. [ †86 | 25 [16800 12
bonnes fortunes , Comédie en cinq actes en profe
donnée le 30 Janvier , très agreable , reft e au Théatre
& toujouts revue avec plaifir quoiqu'écrite avec un peu
de négligence. Bien des gens ont prétendu que Baron
En'en étoit que le prête nom , mais i's n'en ont apporté
aucune preuve.
Suppofant que quoique fuffilament inf
truit de ce qui a rapport à cette pièce ,
votre curiofité s'étende plus loin , & que
vous vouliez fçavoir quelques particulari
tés de l'Hiftoire de l'Auteur ; vous verrez
après le Dictionnaire à la tête des pages ,
les Auteurs à la lettre B., vous trouverez
Baron à la place.
Exemple pour les Auteurs.
Les Auteurs. Qualité | Naiffance. | Mort.
BARON (M.) POETE. né en 1653. | m. en 1729%,
On trouve dans le Parnaffe François de du Tilet
un article étendu fur ce Comédien . Il étoit
vain , & avoit une fi grande opinion de lui-même,
MARS. 1752. 69
qu'il penfa refufer la penfion que le Roi lui avoit
accordée , parce que l'Ordonnance portoit : payez
au nommé Michel Boyron , dit Baron , &c . Il
quitta le Théatre deux fois. C'eft le plus grand
Acteur qu'il y ait jamais eu. Sa rentrée acheva de
Létablir le naturel au Théatre ; ouvrage qui avoit
déja été commencé par Mademoiſelle le Couvreur .
Avant eux la déclamation érott devenue une espece
de chant ; ce mauvais goût avoit été introduit par
Mademoiſelle de Champmeflé , & augmenté par
Mademoiſelle Duclos. Beaubourg qui avoit été
long-tems en poffeffion des premiers rôles , avoir
pris auffi le genre de déclamation forcée , qu'il
corrigeoit cependant par beaucoup d'ame.
Après les Auteurs , on trouve , Monfieur
, un petit Traité Chronologique de
tous les Acteurs qui ont été reçûs depuis
1510jufqu'aujourd'hui, Mon premier projet
avoit d'abord été de les placer dans le
même ordre que les piéces , afin que la recherche
en fût plus facile ; mais outre que
je combois par - là dans une monotonie
qu'on m'auroit fans doute reprochée , cet
arrangement m'auroit mis dans la néceffité
de groffir le volume d'une huitième partie
pour y placer les anecdotes relatives & effentielles
à l'hiftoire du Théâtre, que je ne
pouvois obmetre fans rendre mon ouvrage
imparfait ; au lieu qu'en fuivant l'ordre.
chronologique , ces anecdotes fe trouvent
portées naturellement aux années qui leur
conviennent.
70 MERCURE DE FRANCE.
Je ne finirai point ma lettre , Monfieur ,
fans vous avoner que la partie des Alteurs
n'étoit point faite quand j'ai préfenté l'ou
vrage , dont je viens de vous donner l'idée,
à M. le Duc de Chartres après avoir eu la
complaifance de le parcourir , ce Prince
s'en apperçut d'abord , & eut la bonté de
me dire que les Acteurs tenant auffi effentiellement
à l'hiftoire du Théatre , je ne
pouvois me difpenfer d'en parler , il n'en
a pas fullu davantage pour me déterminer
à traiter cette partie . Je ne compterai pour
rien les veilles que j'ai employées pour ce
nouveau travail , fi j'ai été affez heureux
pour réaffir.
J'ay l'honneur d'être parfaitement ,
MONSIEUR ,
Votre très-humble & très
obéiffant ferviteur ,
DE MOUнY.
MARS.
1752.
新新派洗洗洗洗洗洗法:洗洗洗燾絲
DISCOURS
Prononcé par M. l'Abbé de Pomponnes:
Doyen du Confeil d'Etat , Commandeur.
Chancelier - Surintendant des Finances des
Ordres du Roi , le jour de la Purification .
pour la réception de M. le Prince de
Condé , nommé par Sa Majefté Chevalier
de fes Ordres le premier Janvier de ceue,
année,
SIRE ,
CPrince de Condé eft un de cesjours
E jour deſtiné à la réception de M. le
heureux qui acquiert un nouveau luftre à
l'ordre du S. Elprit , en le décorant d'un
Prince de votre Sang.
I
M. le Prince de Condé a fatisfait ,
SIRE , anx preuves de Religion ordonnées
par les Statuts .
Les bontés dont les illuftres ayeux ont
honoré mes ancêtres , s'étant perpetuées
jufqu'à moi , je croirois , SIRE , manquer
au devoir & à la reconnoiffance fi je
ne profitois de l'occafion préfente pour
rappeller à la mémoire de Votre Majeſté ,
72 MERCURE DE FRANCE.
ces Héros de là branche de Condé , & entr'autres
ce Héros de Rocroy , de Norlinghen
, de Lens , de Senef, & c. dont les
exploits glorieux feront toujours l'admiration
de la pofterité & annoncent un avenir
favorable au digne heritier qui le reprefente
aujourd'hui comme une fuite néceffaire
de fes heureufes qualités naturelles
& de fon excellente éducation .
M. le Prince de Condé attend que Votre
Majefté veuille bien ordonner de l'introduire
auprès d'elle pour commencer la cérémonie
de fa réception.
EPITRE
MARS.
75 1752.
洗洗洗洗:洗洗洗:洗洗洗洗洗洗洗:洗洗
EPITRE
De M. Angliviel de la Beaumelle , à
M.le Colonel Comte de Schmettow.
*
IL n'eft rien tel que la bouteille
Pour infpirer des vers charmans ;
Un Poëte gris fait merveille ;
Que les vers font vifs & coulans ,
Quand le Dieu badin de la treille
Eft l'Apollon de nos accens !
Le Champagne échauffe & réveille
Mon expirante gayeté ;
De fang froid , mon ame ſommeille
Gris , j'ai de la vivacité.
Avec quel plaifir je me livre
'Aux charmes de la volupté !
Boire du Champagne , c'eſt vivre
Bacchus , à tes loix révolté ,
Je n'ai pas encor fçu te fuivre
J'abjure ma fobrieté ,
Et je préfere , en vérité ,
Au plaifir de faire un beau livre.
La féve d'un nectar vanté :
Dieux ! que ne fuis- je toujours yvre !
D
74 MERCURE DE FRANCE.
Eleve du grand Lowendahl ,
Eleve de l'aimable Horace ,
COMTE , qui fçais d'un pas égal
Suivre l'un & l'autre à la trace ;
Aujourd'hui , tu n'es que rival
Du Poete & du Maréchal ;;
Un jour au fommet du Parnaſſe ,
'A côté de La Fare , occupant une place ,
Nous te verrons affis en grave Général .
Pour en venir là , le mérite
En ce fiécle, ne fuffit pas ;
Et voilà ce qui me dépite ,
C'eft l'âge qui régle nos pas.
Tout prêt à defcendre au Cocyte ;
Commencerions nous d'être heureux ?
L'âge, de la gloire eft l'arbitre ;
Quand l'âge a blanchi nos cheveux ;
Quand , rifibles à plus d'un titre ,
Nous fomnies triftes & gouteux :
La gloire lentement couronne
De nos jeunes ans les ſuccès
Dans la faifon , où fes attraits
Ne flattent le goût de perſonne.
De fes inutiles lauriers
Permets que fa main environne
Le front ridé de ces guerriers ,
"
'
MARS . 1752 . 75
Grands coeurs , efprits faux , que Bellone
Occupa vingt luftres entiers.
Pour toi dont l'ame ambitionne

Deux genres de gloire à la fois ,
Toi, qui joins au coeur militaire
L'efprit , le fçavoir , l'art de plaire ,
Toi , qui fuis tour à tour les loix
Des folâtres plaifirs & du bon fens auftère ,
Sans que la Sageffe fevere
Empiete jamais fur les droits
De cette volupté légere ,
Fruit de ton goût , fruit de ton choix ,
En attendant que la vieilleffe .
Trop tôt propice à tes defirs ,
En t'anéantiflant foutienne ta foibleffe ,
En égalant ton nom aux plus beaux noms de
Gréce ,
Ufe des précieux loifirs
De la fugitive jeuneffe ;
Nos jours coulent avec viteffe ;
Qu'ils foient du moins filés par les mains des
plaifirs !
On a toujours affez de gloire ,
>
Toujours trop peu d'amufemens ;
On arrive aſſez tôt au Temple de Mémoire ,
Et la faifon des agrémens ,
Cet âge , où l'on fe plait à folâtrer , à boire ,
N'eft qu'un tiflu de courts momens,
Dij
76 MERCURE DEFRANCE.
Oui ; duffes- tu ne pas m'en croire ;
De ces vins mouffeux , petillans ,
Qui chaffent de l'efprit toute humeur fombre &
noire ,
J'en préfere deux doigts au gain d'une victoire.
Que fervent les fuccès brillans ?
S'ils fixoient la courfe du tems ,
S'ils faifoient exifter ailleurs que dans l'hiftoire ';
J'adorerois les conquérans.

Mais eft ce un plaifir que l'encens ?
Le titre de foudre de guerre
Fait-il de ces Héros qui font trembler la terre ,
Des Etres heureux & contens ?
L'eſpoir de l'obtenir en trente ou quarante ans
Peut en impofer au vulgaire ,
Mais l'erreur n'indemnife guére
Ces valeureux extravagans ,
Qui , trop épris d'une chimère ,
Vont lui facrifier le rapide printems
D'une existence paffagére .
Eft- on grand ? on eſt reſpecté ,
Couru , courtisé , je l'avoue ;
Mais que m'importe qu'on me loue >
Que m'importe d'être flatté
Par gens qui , dans l'adverfité ,
Me feroient peut- être la moue ?
Je dirois volontiers à ces ames de boue ;
» Flattez ma fenfualité ,
MARS.
17522 778
» Et laiffez - là ma vanité ;
Meffieurs , qui m'encenfe me joue.
» Tel , qui d'un éloge apprêté
ל כ
Veut que mon coeur foit enchanté ,
Rira , quand , du haut de fa roue ,
» La Fortune , à mon tour , m'aura précipité .
Et puis , quel trifte perfonnage ,
Soutient- on , quand du haut étage
D'une héroique gravité ,
On eft prefque néceffité
A profcrire le badinage,
Le goût , l'efprit , l'aménité , ´
Les graces & la liberté;
A s'honorer de l'esclavage
D'une infipide urbanité ;
A rire avec austérité ;
A faire un groteſque étalage
D'un cordon bien cher acheté
Et fouvent très-peu mérité :
A fe donner l'air , le langage ;
Le ton d'une Sérénité ;
A fe fillonner le vilage
Au moindre trait de gayeté ,
A former un épais nuage
Entre foi & la volupté ?
Le refpectable , en vérité ,
Joue un ennuyeux personnage.
D iij
78 MERCURE DEFRANCE.
Qu'il eft dur de fe refufer ,
COMTE , aux vrais plaifirs de la vie !
Entre les bras de la folie
Ah ! qu'il eft doux de repofer !
A la fombre milantropie
La fombre raifon nous conduit ,
Et , dès que fon flambeau nous luit ,
Il mene à la mélancolie.
C'eſt dans les écarts de Feſprit 、
Que la félicité refide ,
Boit-on La fortune nous rit ,
Et Caton même ſe déride ;
Un
repas où Bacchus préfide ,
De tous nos chagrins nous guérit.
Choifit- on le bon lens pour guide ?
En nous , que d'erreurs il nourrit !
Soucis , projets , vapeurs , dépit
Affiégent notre ame timide',
Et la tourmentent jour & nuit.
La raison du bonheur avide ,
Envain le cherche & le pourfuit ;
Elle croit le tenir , il fuit
Et vole fur l'aile rapide
Du moment qui s'évanouit,
L'Epicurien feul eft Sage ,
L'Epicurien feul joüit
Du tems , dont il fçait faire ufage ,
MARS.
79% 17521
Seul il fçait recueillir le fruit :
De fon aimable. compagnie
L'ennui volontiers fe bannit
Couvert des ailes de la nuit ,
Le Dieu de la plaiſanterie ,
Momus , fans fracas & fans bruit ,
De fon fel , de fa raillerie,
Y cherche & trouve le débit.
Alors ,fuivant que l'ambroifie
Dans les veines circule , agit ,
Ou l'on chante , ou l'on s'affoupit ;
O Dieux ! la douce létargie !
On est tout glace , ou tout génie ,
Tout fentiment, ou tout efprit.
Au naturel on s'abandonne ,
Tout plait , tout rit , tout eft fans fard;
Chaque propos eft un écarr ,
Et l'enjoument eft fur le trône;
Ces riens , dont foi-même on s'étonne ;
Ces riens , l'ouvrage du hazard ,
Sont créés fans fuite & fans art :
On s'amufe , on jafe , on raiſonne ,
Suivant que d'Aï le nectar
Dans le fang plus ou moins bouillonne.
A Copenhague peu connus ,
Innocens plaifirs de la table ,
D iij
So MERCURE DE FRANCE:
Vous formez des coeurs ingénus ,
Vous rendez l'homme fociable ,
La férocité de fes moeurs
Par vos leçons eft adoucie :
Plaifirs délicats , ſur la vie
Vous répandez mille douceurs .
Que j'aime à marcher fur les fleurs ,
Dont votre route eft embellie !
Et que je hais la frénéfie
De ces efprits chagrins réveurs ;
Qui penfent, qu'une ame amollie
A fuivre vos drapeaux vainqueurs
Ne vaut pas celle , où la folie
Fait naître de triftes erreurs >
Noirs enfans des pâles vapeurs !
Inftruit à votre école aimable
Le pareffeux devient actif;
Vous déridez l'homme penfif,
Vous chaffez l'ennui qui l'accable :
Par vous le quinteux eft affable ,
Et le laborieux , oifif:
A votre ton perſuaſif,
Plaiſirs , quand on eft attentif ,
Ah ! qu'il eft aifé d'être aimable !
C'est vous qui formâtes Chapelle,
Ce délicat voluptueux ,
Qui toujours à vos loix fidele ,
MARS. 8x 1752
Vécut content , mourut heureux.
'A Deshouliere , à Fontenelle
'Aux La Fontaines , aux Rouffeaux
Vous avez de mille bons mots
Dicté l'amufante Kirielle.
C'est vous , qui fur le ton naïf
De Chaulieu montâtes la lyre
Par vous , il eut , juſqu'au délire ,
Le teint frais , Pair galant , l'oeil vif ;
Quand du nocher rebarbatif
Ce bon vieillard paffa l'eſquif,
C'estpar vous qu'il fe prit à rire.
Vous rallumez les feux divers
D'un efprit qui s'éteint , qui s'ufe
Que Voltaire vous doit de vers !
Qu'à table , oubliant l'univers ,
Il étoit facile à la Sufe
De préluder de jolis airs !
C'est vous qui créâtes la Muſe
Du pere du charmant Ververs.
C'est vous... Quoi ! ma verve eft glacée !
Mon feu fe feroit-il éteint ...
Avec les vapeurs du bon vin
Hélas ! ma chaleur eft paffée.
Ma tête eft libre. Après demain
Le Champagne à ma veine uſée
Donnera cet air enfantin ,
By
$2 MERCURE DEFRANCE;
Ce brillant , cette grace aifée ,
Ce ton quelquefois libertih ,
Tirant un peu fur PAretin.
Encore un mot , & j'ai fini :
Aimable COMTE , chez Le Maire
Nous nous reverrons vendredi.
Donne aux grands maitrès de la guerse ;
A Puységur , Folard , Quincy ,
Congé juſques à famedi ,
Viens animer la bonne chere ;
Les bagatelles & les riens
( Soit dit en paffant fans déplaire
A ton Volfianifme auftère)
Sont l'ame des bons entretiens.
Ces diners de cérémonie ,
Magnifiques , mais dégoûtans ,
Où pompeuſement on s'ennuie ,
Où les cordons réglent les rangs.
Où l'Excellence , à chaque inſtant,
Vient frapper l'oreille étourdie ,
COMTE , te plaitoient - ils autant ,
Que ceux où Le Maire aſſocie
A l'élégance Penjoument a
MAR S. 8.2
17522
Cet enjoument auquel s'allie
La réflexion , le bon fens,
Le goût , & de rares talens
Effentiels à la Patrie.
Cet enjoument , qui de fa vie
Transforme les jours en momens?
N
L
Venez , Monfieur le Militaire ,
Q

F.
D

· ·
·
· ·
Venez , vous verrez en Le Maire
Et l'honnête homme & l'homme heureux
Que puis-je vous offrir ? rien qui puiffe vous plaire;
Mais à coup fur en moi vous verrez fans miſtere
Le ferviteur de tous les deux.
A Copenhague mois de Janvier.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE
Nous ne connoiffions jufqu'ici de Livres
Allemans que ceux qui rouloient fur des
objets de fcicnce au d'érudition. M. Grimm
nous a avertis dans fes Lettres écrites tout-à
fait agréablement , & remplies d'une critique
très- délicate , que fa Nation avoit des
Ouvrages de goût & de génie. Un autre
Allemand vient de nous en couvaincre par
la traduction des Poëfies de M. Haller.
Les Lecteurs les plus difficiles y ant trouvé
de l'élévation , de la force , des images ,
de la Philofophie & affez fouvent des graces.
Comme le recueil que nous annonçons
eft peu répandu , nous croyons devoir tranf
crire ici pour l'intérêt des Lettres , celui
des Poemes de M. Haller , qui a réuni um
plus grand nombre de fuffrages .
LES ALPES.
Cherchez, Mortels , à changervotte
fort , profitez des inventions de
l'Art , & des bienfaits de la Nature ;
animez par de fuperbes jets- d'eau vos
parterres , taillez des rochers fuivant les
loix de Corinthe > couvrez vos marbres
de riches tapis mangez dans l'or des
nids de Tonquin , buvez des perles dans
MARS. 1752. 85
'des
meil
coupes d'émeraude ; appellez le fompar
les accords les plus doux ; reveillez-
vous au bruit des trompettes ; applaniffez
des montagnes , changez en
parcs des Domaines entiers , que le Deftin
rempliffe tous vos defirs , vous ferez
pauvres dans l'abondance même , & la
mifere vous fuivra au milieu des richefles.
L'ame fait elle - même fon bonheur , ce
qui eft hors d'elle n'eft que l'occafion du
plaifir & de la peine ; une humeur égale
adoucit les chagrins les plus amers , pendant
qu'un efprit inquiet empoifonne
tous les plaifirs. Le Monarque ne poffede
aucun bien qui manque au Berger ,
il fe dégoûte du fceptre , comme celui- ci
de la houlette . Malheur à lui fi l'avarice
ou l'ambition le dévore , les Gardes qui
l'environnent , n'écartent pas les noirs
chagrins . Mais celui dont l'ame eit dans
une affiete tranquille , ne demande pas
des plumes de prix pour fe procurer un
fommeil délicieux .
Heureux Siécle d'or ? préfent de la
bonté fuprême ! Pourquoi le Ciel a-t- il
borné ta durée : Nous ne regrettons pas
le printems éternel de la jeuneffe du
monde , où jamais un froid Aquilon
ne moiffonna les fleurs , où le bled
86 MERCURE DE FRANCE ,
couvroit les champs fertiles fans exiger
de culture , où les fleuves couloient de
miel & de lait , où le téméraire Lion
n'allarmoit pas les foibles troupeaux , &
où un agneau égaré dormoit tranquillement
au milieu des loups. Nous le regrettons
, parce que l'homme ne cherchoit
pas encore fon malheur dans le
fuperflu , parce qu'il trouvoit des richeffes
dans la fimple nature , & que
l'or n'allumoit pas encore des defirs infatiables.
Difciples de la Nature , vous connoiffez
encore cet âge d'or ; non pas à la
vérité ce fiécle pompeux imaginé par les
Poëtes. Peut -on défirer l'éclat extérieur
des brillantes vanités , quand la vertu
fait trouver le plaifir dans le travail , &
le bonheur dans la pauvreté ? Le ciel , il
eft vrai , ne vous a pas fait naître dans
les vallées délicieufes de la Theffalie :
les nuages , qui vous couvrent , font chargées
de neiges & de foudre un long
hyver abrege vos printems tardifs , & vos
froids vallons font entourés, d'une glace
éternelle ; mais la pureté de vos moeurs
adoucit ces incommodités , la rigueur
même des Elémens augmente votre
bonheur.
Peuples heureux & contens à qui le
MARS. 1752. 87
Deftin favorable a refufé l'abondance
cette riche fource de tous les vices. Celui
qui eft fatisfait de fon état , trouve fon
bonheur dans l'indigence même , pendant
que la pompe & le luxe fapent les fondemens
des Etats. Dans le tems que Ro
me comptoit fes victoires par fes combats
, le lait faifoit la nourriture des Héros
& fes Dieux habitoient des Temples
de bois. Mais lorfque les richeffes
devinrent immenfes , Pennemi le plus
foible confondit bientôt fon lâche orgueil
. Garde- toi d'afpirer à quelque chofe
de plus grand , ta profpérité durera auffi
long- tems que la fimplicité de tes moeurs.
>

La Nature , il eft vrai , couvre de
pierres ton Pays raboteux , mais ta chafue
s'ouvre un paffage , & tes grains.
meuriffent, Elle éleva les Alpes pour te
féparer du monde , parce que les hommes
procurent aux hommes les plus
grands malheurs. L'eau pure eft ta boiffon
, & le lait fait ta nourriture , mais
l'appétit prête du goût aux glands mêmes.
Les mines profondes de tes montagnes
ne te donnent qu'un fer groffier
mais le Pérou t'envie ta pauvreté. Toutes
les peines font légères , où regne
la liberté , les rochers y portent des
88 MERCURE DE FRANCE.
fleurs & Borée radoucit fon fouffe.
*
impétueux.
:
y
Heureux , qui eft privé de ces avantages
dangereux les richeffes n'ont aucun
bien qui égale votre indigence . Chez
vous l'union habite dans des ames pacifiques
, parce que la vanité ſéduifante n'y
feme jamais des pommes de difcorde. Ici
le plaifir n'eft accompagné d'aucune crainte
inquiéte , on aime la vie fans haïr la
mort.La raifon y regne guidée par la Nature
, elle ne cherche que le néceffaire
& regarde le fuperflu comme une charge
pefante on obferve ici fans étude & fans
contrainte ce qu'Epictete pratiqua
ce que Seneque ne fit qu'enfeigner.
> &
Ici l'on ne connoît point ces diftinctions
inventées par l'orgueil , qui affujettiffent
la vertu , & qui annobliffent le vice ;
T'oifiveté chagrine n'y fait pas craindre la
longueur des heures , le travail remplit le
jour , & le repos occupe la nuit : un efprit
fublime ne s'y laiffe pas éblouir par l'ambition
, les foins de l'avenir n'empoiſonnent
point les plaifirs du préfent. La liberté
difpenfe d'une main impartiale , & avec
ane mefure toujours égale , le contentement
, le repos & la peine. Aucun eſprit
mécontent n'accufe ici la fortune on
MARS. 1752:
So
mange , on dort , on aime , & l'on rend
grace à fon Deftin.
Le fçavoir n'étale point ici fes tréfors
dans les livres ; on ne meſure pas les
chemins de Rome & d'Athènes > on
ne foumet point la raifon aux loix de
l'Ecole , & perfonne ne preferit au Soleil
la route qu'il doit fuivre. Mais qu'y perdez-
vous ? Le Sage vit- il avec plus de
contentement ? Il connoît la ftructure du
monde , mais il meurt fans fe connoître
lui-même. Sans triompher de la volupté ,
il s'en refuſe les douceurs , & fa délicateffe
le dégoûte de fon fort ; c'eft dans le coeur
des hommes , & non pas dans le cerveau
que la Nature a gravé l'art de bien
vivre.
La fortune inconftante ne diftingue
point chez vous les tems. Les larmes n'y
fuccedent pas à une joie paffagere : la vie
s'écoule dans une paix inaltérable , le préfent
reffemble au paffé , & l'avenir fera
comme le préfent. Aucune difgrace ne
marque ici les jours d'une diftinction funefte
, comme une fortune fubite n'en
met point au nombre des fêtes. Les plaifirs
& les peines de la vie fe foutiennent
dans une balance égale , & il n'y a point
d'époque entre la naiffance & la mort.
A peine la gaieté arrache- t- elle quelques
go MERCURE DE FRANCE.
7
momens à ce peuple , uniforme dans fes
devoirs.
"Quand les tiédes zéphirs commencent
à faire fentir leurs haleines , & qu'un
fang plus vif ranime la jeuneffe , tout un
village s'affemble fous l'ombre d'un grand
chêne , l'adreffe & la beauté y vont mériter
l'applaudiffement & l'amour ici
deux jeunes combattans fe faififfent , &
luttent avec effort , le férieux fe mêle au
badinage.La pouffée d'une main vigoureufe
, une pierre pefante vole au travers de
l'air au but marqué . Un berger , guidé par
une efpérance plus relevée , s'avance vers
la troupe attrayante des jeunes Bergeres.
Ici le plomb part avec une viteffe pa-.
reille à la foudre , l'éclair brille , & dans
fe même inftant l'air & le but font percés .
Là une boule roule en bondiffant dans
une ligne preferite , frappe au terme choifi
. Ici une troupe bigarée foule l'herbe
naiffante , en s'entrelaçant les mains &
en danfant au fon de la mufette ; l'art ne
leur apprend pas à fe tourner en cadence
, mais la gaieté leur préte des aîles . Les
vieillards fe repofent dans une autre
place ; ils forment de longues lignes , &
le plaifir de leurs enfans ranime leur
coeur.
Car ici où la nature feule donne des
MARS. 1752.
Joix , aucune contrainte ne borne l'agréable
empire de l'amour ; on aime fans hon
te ce qui eft aimable ; le mérite rend
tout eftimable , & l'amour rend tout égal.
La beauté eft adorée même dans la pauvreté
; l'on ne vend point les faveurs pour
les richeffes ; l'ambition ne fépare jamais
ce que le mérite & la tendreffe ont uni ;
la politique ne forme pas des liens malheureux
; l'amour brûle fans gêne , & ne
craint point d'orage ; on aime pour foimême
& non pour des parens ambitieux
.
- Dès qu'an jeune Berger éprouve cette
douce flamme , que les beaux yeux d'un
objet aimé allument dans un coeur fenfible,
la crainte ne l'arrête point , un difcours
fincere déclare fon tourment ; la Bergere
l'écoute , & fi la flamme du Berger mérite
d'être couronnée elle avoue fes fentimens
, & répond à fes defirs. Les tendres
mouvemens ne deshonorent point les belles
, quand l'agrément les a produits , &
que la vertu les foutient . Refus d'une
fauffe pudeur , finge de la véritable chafteté
, l'orgueil ne vous a créé que pour
notre fuplice.
un
Ici les défirs de deux Amans ne font
point gênés par une vaine pompe ,
amour réciproque acheve le contrat ; fouMERCURE
DEFRANCE.
vent le contrat n'eft confirmé que par
la fidélité de deux Amans ; de fimples
promeffes tiennent lieu de ferment , &
un baiſer en eft le ſceau. Le tendre roffignol
les falue d'une branche voifine ; la
volupté leur prépare un lit fur la mouffe
mollement enflée , un arbre leur fert de
rideaux , la folitude eft leur témoin , &
l'amour conduit l'époufe entre les bras de
fon berger. Amans fortunés , dignes de
l'envie des Princes , la tendteffe embaume
le gazon , & le dégoût regne fur
la foye.
a
Dans ces lieux charmans la foi conjugale
n'eft jamais violée , elle n'a pas befoin
de gardes , la pudeur & le bon fens
veillent fur elle ; la curiofité ne porte
point aux plaifirs ddééffeenndduuss , celle
celle que
l'on aime eft encore belle après la jouiffance.
Le chaſte amour répand des rofes
fur les travaux . Le devoir à des charmes
quand on travaille pour ce qu'on aime.
Si l'on n'apprend pas l'art d'aimer fuivant
les regles , le langage le plus ruftique eft
doux , pourvû que ce foit le coeur qui
parle. La complaifance & le badinage
aimables compagnes de l'union , animent
les bailers , & regnent dans les cours.
Eloignée de la vanité des occupations
pénibles & du tumulte des Villes
la
MARS. 1752.
9.3
tranquilité de l'ame habite dans ces
lieux. La vie active de ces peuples augmente
la force de leurs corps robuftes ;
ils ne s'engraiffent point d'une oifiveté
pareffeufe , le travail les éveille , le même
travail tranquilife leurs efprits , le plaifir
& la fanté adouciffent leurs peines. Un
fang pur coule dans leurs veines , aucun
poifon héréditaire , fruit des déréglemens
d'un pere vicieux ne s'y eft gliflé ; il
n'eft ni corrompu par le chagrin , pi enflâmé
par des vins étrangers , ni gâté par
un venin lafcif , ni aigri par des ragoûts
artificieux .
>
Dès que le rude aquilon a perdu
l'empire des airs , dès qu'une féve animée
pénétre les plantes , & que la terre s'orne
d'une nouvelle parure , qu'un doux zéphir
lui apporte fur des aîles échauffées
dans des climats plus doux ; auffi - tôt le
peuple fuit les vallons , dont la neige s'écoule
en formant des ruiffeaux d'une eau
trouble : il s'empreffe à retrouver fur les
Alpes l'herbe printanniere , qui pouffe à
peine à travers la glace. Le bétail qui quite
l'étable , falue avec joie la montagne ,
ornée pour fon ufage par le printems &
par la Nature.
Auffi -tôt les alloüettes annoncent
que
la naiffance dujour , & que la lumiete du
94 MERCURE DE FRANCE.
"
monde nous jette fes premiers regards , le
berger s'arrache aux careffes de fon époufe
, qui hait fon départ , fans le retarder.
Les lents troupeaux de fes géniffes marchent
pefamment devant lui avec un mugiffement
joyeux , fur des fentiers couverts
de rofées , ils fe promenent fans fe
hâter dans les prairies , où fleuriffent le
trefle & le fainfoin , en fauchant l'herbe
tendre avec des langues tranchantes. Le
Berger affis auprès d'une chûte d'eau , appelle
du cor les échos des environs.
Lorfque les rayons obliques allongent
les ombres , & que le Soleil fatigué fe
baiffe pour rappeller un repos rafraîchiffant
, le troupeau raffaffié , regagne avec
un meuglement confus fes gîtes ordinaires
, la Bergere falue fon mary , qui la
revoit avec plaifir ; là la troupe empreffée
des enfans badine & fe réjouit autour de
"lui , & dès que l'écume du lait eft tirée
le couple fatigué va goûter un repas ruftique
: l'appétit donne du goût à ce que
la fimplicité a préparé , le fommeil & l'amour
les menent à leur couche paifible.
Quand la chaleur de l'été commence à
brûler la campagne , & que l'efpoir des
peuples meurit dans la couleur blonde des
prés , le Berger induftrieux vole dans les
vallons couverts de rofées , avant même
MAR S. 1752.
95
qu elau rore ait doré le fommet des montagnes.
Flore eft chaffée de fon aimable
royaume , la parure de la terre tombe fous
les coups obliques de la faulx , une odeur
agréable compofée de mille odeurs différentes
s'élève des rangs émaillés des herbes
abattues. Les boeufs amenent d'un pas
pefant la provifion de l'hyver , & leur
marche eft accompagnée de chanfons que
dicte la joie.

Quand la trifte Automne fait tomber les
feuilles fanées & que l'air plus frais
s'enveloppe dans des brouillards épais , le
fein de la terre fe pare d'une décoration
nouvelle. Pauvre en éclat & en fleurs
elle eft riche en production utile. L'agréa
ble coup d'oeil du printemps cede à des
biens plus folides . Les fruits brillent à la
place des fleurs , des pommes d'or parfe
mées de rayes pourprées , font ployer la
branche érayée pour s'approcher de la
bouche , la poire parfumée , les prunes
auffi douces que le miel , invitent la main
du Maître & l'attendent fur l'arbre,
L'Automne ne couronne pas ici les côteaux
de fes vignes , on n'y preffe point
des grapes foulées un jus qui fermente .
La terre ne préfente à la foif que des fontaines
; aucunes liqueurs artificielles ne
nous précipitent dans le tombeau. Ne .
6 MERCURE DEFRANCE.
pas
>
vous plaignez pas , Peuples heureux , vous
gagnez en paroiffant perdre. Ce n'eſt
d'un bien ni d'une boiffon néceffaire
c'eft d'un poifon que vous êtes privés. La
bienfaifante Nature a défendu le vin aux
bêtes , l'homme feul en boit , & devient
brute. Le Deftin qui s'intereffe pour vous
a caché à vos yeux le chemin qui vous
conduiroit à la ruine.
,
Votre Automne ne manque pas de tréfors
que l'induftrie & la vigilance vous
font trouver fur les montagnes les plus
élevées . Dès l'aube du jour quand les
brouillards tombent , le Chaffeur fait retentir
fon cor , & appelle l'écho , l'enfant
des rochers . Là un daim timide à qui'
la peur donne des aîles , franchit d'un
faut le vafte intervalle de deux rochers . Un
plomb rapide arrête la courfe d'un chamois
agile ; un chevreuil léger fuit , chancelle
, & va tomber. Les cris de la meute
, l'éclat mortel du métal raiſonne dans
les vallons couronnés , & fait retentir
les bois .
Pour ne pas être furpris par l'hyver , le
peuple laborieux tire du lait le pain des
Alpes. Ici le lait s'épaiffit fur la braiſe ardente
, il fe condenfe , & fe change en
huilé figée. Une liqueur acide fépare l'eau
de la graiffe. Ici l'on cuit la feconde priſe
pour
MAR S. 1752. 97
י
pour les Pauvres , & là le nouveau fromage
prend fa forme dans un cercle de bois .
Tout le ménage y prête la main ; on auroit
honte de ne pas s'occuper , il n'eft
point d'esclavage plus pénible que
l'oiveté.
Lorſque la terre eft enterrée fous le
froid , que les vallons font couverts de
glace , & les montagnes de neige , que les
champs épuifés fe repofent pour une nouvelle
récolte , & qu'une digue de cristal
arrête le cours des eaux ; le Berger fe retire
dans fa cabane chargée de neige , la
fumée des pins réfineux y noircit les pontres
defléchées ; un doux repos le dédommage
de la peine qu'il a fouffert , les
jours s'écoulent fans foucil au milieu des
jeux , & lorfque fes voifins s'affemblent autour
du foyer , leurs entretiens méritent
l'attention d'un Philofophe .
Un Berger apprend à la compagnie à
prévoir le tems que les nuages nous préparent
, il prédit la route des vents &
des tempêtes , & il voit de loin l'orage
qui s'approche. Il connoît l'influence de
la lune , & l'effet de fes couleurs , il dif
tingue les menaces d'un brouillard , qui
fort d'une montagne avec le jour.Il compte
dès le printems les gerbes d'une moiffon
éloignée , & pendant que tout le
E
98 MERCUREDE FRANCE.
monde et occupé à faucher , il s'arrête
pour éviter une pluie prochaine : il eft
l'Oracle du hameau , fa décifion inſpire
de la confiance , & l'expérience lui tient
lieu de mille livres ..
?
Un jeune Berger accorde fa lyre , &
l'accompagne d'une chanfon nouvelle
un doux tranfport l'anime , la nature &
l'amour lui infpirent une flâme fécrette
qui brûle dans le coeur , & que l'art ne
fçauroit imiter. L'étude n'a point de part à
fes éclogues , fon génie convient à fon
état , & fa chanfon dépeint fon génie ;
les moutons font l'objet de ſes vers , & fa
mufe parle comme fa Bergere , le coeur lui
dicte ce qu'il chante fa belle eft fon
Appollon , c'eft le fentiment qui fait la
Poësie , & non pas des fons mefurés.
>
Tantôt c'eft un vieillard qui prend la
parole ; des cheveux gris afoûtent un nouveau
poids à fes difcours : nos Peres l'ont
déja vu , le fardeau d'un fiécle n'a affoibli
que fon corps , il a donné des forces à
fon efprit. Exemple vivant de nos Ancêtres
héroïques qui , la foudre à la main ,
avoient Dieu dans le coeur , il peint les
batailles , compte les drapeaux conquis
retrace les remparts des ennemis , & décrit
les victoires qu'il a aidé à remporter.
La jeunelle étonnée l'écoute attentiveMARS.
77526 99
ment , elle marque dans fes geftes une noble
impatience de furpaffer fa gloire.
Un autre vieillard également vénérable
, eft la loi vivante & la régle de fon
peuple ; il apprend à fes voifins comment
le monde entier s'eft foumis lâchement au
joug , & comment le luxe des Princes
confume les forces des peuples. Il retrace
le courage audacieux de Tell , qui ofa
brifer ce joug péfant , fous lequel la moi- .
tié de l'Europe gémit encore. Il fait fentit
la mifere de nos voisins , qui gémiffent
dans la pauvreté & dans les chaînes. L'Ita
lie n'a que des Habitans indignes & malheureux
; l'union , la fidélité & le courage
attachent les aîles de la fortune à l'é
tat le plus foible .
2

Un cercle d'Auditeurs s'aflemblent autour
d'un vieillard vigoureux , qui fonde
la nature & qui en connoît toutes les
beautés . Ses recherches ont épuifé les
vertus merveilleufes des plantes & leurs
formes variées ; il jette des regards péné
trans dans les voûtes fouterraines ; en vain
la terre dérobe l'or à fa vue.Il perce l'air , &
voit ces vapeurs chargées de foufre, qui ren- .
ferment dans leur fein humide un tonnerre
qui gronde avec fureur. Il connoît fa Pa- -
trie , fes yeux y trouvent tous les jours
de nouveaux tréfors .
E ij
100 MERCURE DEFRANCE .
P
1
Car ici , où le fommet de Golthard
perce les nues , où le Soleil éclaire de plus
près un monde élevé , la Nature variée a
renfermé dans un petit Pays tout ce que la
terre peut produire de curieux. La Lybie
offre plus fouvent de rares objets , & fes
déferts voyent tous les jours quelques
monftres nouveaux ; mais le Ciel plus fa-..
vorable à notre Patrie , lui fournit fes
dons fecourables , & ne lui refafe que le
fuperflu & l'inutile . Ces glaces mêmes qui
S'amoncelent entre les montagnes , ces ro
chers efcarpés font faits pour notre ufage :
ils produifent les fleuves qui arrófent les
plaines fertiles.
Quand les premiers rayons du Soleil dorent
les pointes des rochers , & qu'un de
fes regards diffipe les brouillards , on découvre
du fommet d'une montagne avec
un plaifir toujours nouveau . Le fpectacle
le plus fuperbe de la Nature , le théâtre
d'un monde entier s'y préfente dans un
inftant au travers des vapeurs tranfparentes
d'un nuage léger . Le féjour immenſe
de plufieurs peuples fe découvre à la fois.
Une agréable confufion nous force à fermer
les yeux , trop foibles pour parcourir
un cercle fans bornes qui s'étend fous
nos pieds.
Un mêlange agréable de montagnes ,
MARS. J752. 101
de lacs & de rochers , s'offre à la vue ,
les couleurs s'en affoibliffent peu à peu ;
mais, on y diftingue mille objets. L'éloi
gnement eft terminé par des hauteurs , où
de fombres forêts étouffent les derniers
rayons. Une montagne peu éloignée préfente
des collines qui s'élevent infenfiblement
;le mugiffement des troupeaux en fait
retentir les vallons . Un lac qui s'étend en
tre les montagnes offre un miroir immenfe
, une lumiere tremblante brille fur fes
flots unis.Là les vallons tapiffés de verdure.
s'ouvrent à la vue , ils forment des replis
qui fe rétréciffent dans l'éloignement.
"
Une montagne chauve revêt fes préci
picés d'une glace éternelle , qui femblable
au cristal , renvoye les rayons du Soleil
la chaleur brûlante de la canicule
fait de vains efforts contr'elle . Une autre
montagne fertile fe couvre de pâturages
abondans ; fa pente infenfible brille de
l'éclat des bleds qui meuriffent , & les côteaux
font couverts de cent troupeaux.
Des climats fi oppofés ne font féparés que
par un vallon étroit qu'habite une ombre
toujours fraîche . :
Là une montagne efcarpée & taillée er.
précipices auffi rapides que des murs ; un
torrent paffe avec fureur entre les rochers ,
it tombe
par une ouverture , une chûtes
1
E iij.
102 MERCUREDEFRANCE.
fuit l'autre , fes flots écumeux s'élancen
avec une force impétueufe au delà du roc
L'eau difperfée par la vîteffe de fa châte
profonde , forme une vapeur grife & mor
bile , qui eft fufpendue dans un air épaif
fi :un arc- en - ciel brille au travers de ces
gouttes légères , & la vallée éloignée s'abbreuve
d'une rofée continuelle.L'Etranger
voit avec furpriſe des rivieres couler dans
les airs , qui fortent des nues , & forment
elles- mêmes des nuages .
L'oeil éclairé par l'art & par la fcience ,
ne fçauroit s'arrêter ici fans trouver une
merveille qui l'arrête & qui l'étonne..
Portez le flambeau de la Phyfique juſques.
dans le fein de la terre , vous verrez l'argent
végeter dans les mines , vous y dé
couvrirez l'or qui enrichit nos rivieres :
parcourez l'aimable empire des plantes bigarées
qu'un zéphir amoureux couronne le
matin des perles de la rofée , vous trouverez
par tout des beautés toujours différen-.
tes , & vous découvrirez tous les jours
des tréfors fans les épuifer.
L'affre du jour perce les brouillards légers
, il effuie du front de la terre les
larmes que les nues y ont répandues :
voyez les plantes qui brillent d'un éclat
nouveau qui nage fur les feuilles , & qui
rafraîchit la Nature. L'air fe remplit
MARS. 1752. 103
d'une odeur agréable ; c'eſt un tribut que
les enfans de Flore payent aux doux zéphirs.
Les fleurs panachées femblent ſe dif
puter le rang, un vifazur combat l'or d'une
plante voifine ;une montagne entiere paroît
un tapis de verdure brodée d'arcs
en- ciel,
La noble gentiane éléve fa tête altiero
au deffus de la foule rampante des planres
plébéiennes , tout un peuple de Aleuts
fe range fous fon étendart , fon frere même
couvert d'un tapis bleu s'humilie devant
elle . L'or de fes fleurs eft formé en
rayons ; il embraffe fa tige , fes feuillles
rayées d'un verd foncé , brillent du feu
d'un diamant humide. La Nature y fuit la
plus jufte des loix ; elle unit la vertu.
avec la beauté , un beau corps renferme
une ame encore plus be He.
Ici une plante rampante étale fes feuilles
cendrées , qui formées en pointes par la
Nature , font rangées en croix , fa fleur
porte deux becs dorés , qui foutiennent
an oifeau d'Améthifte : là une herbe luiante
, dont les feuilles imitent des mains,
voit fon image verte refléchie fur une
onde pure : là la tendre neige de fes fleurs
onnée d'une pourpre affoiblie , eft environnée
de rayons blancs d'une étoile fohide.
L'émeraude & la roze. fleuriffentjuf
Fiiij
104 MERCURE DE FRANCE.
ques dans les bruyeres qu'on foule au
pieds , & les rochers fe couvrent d'un
tapis de pourpre.
Dans les lieux mêmes où le Soleil ne
jette jamais fes doux regards , une glace
éternelle prive le vallon défolé de l'honneur
de la verdure , le fein des rochers eft
orné d'une parure , que le tems ne flétrit
jamais , & que l'hyver ne peut lui enlever.
Le limon humide forme des voûtes
d'un cristal brillant & des grottes natu
relles ; un roc de diamant où le jouent
mille couleurs éclate à travers l'air ténébreux
, & l'éclaire de fes rayons. O richeffes
de la Nature ! difparoiffez foibles
productions de l'Italie ; ici le diamant de
l'Europe porte des fleurs , il croît , & forthera
bientôt un rocher folide .
Vous voyez un vallon formé par des
glaces d'uue hauteur immenfe , le froid.
aquilon y a élevé fon trône glacé. Une
riche fource en fort , fon onde eft brûlante
, elle roule fes flots fumans à travers
l'herbe flétrie , & brûle tout ce qu'elle
touche. Son eau tranfparente eft chargée
de métaux liquides : un fer falutaire dore
fa route , le fein de la terre l'échauffe
& fes veines bouillonnent par le combat
intérieur des élémens : en vain les vents
& la neige conjurent contre les flots , le
>
MARS. 1752. FOS:
fau eft leur effence , & fes ondes reffemblent
aux flâmes.
Là où le rapide Avançon entraîne des
forêts dans les goufres écumeux de fes
ondes , les montagnes voifines fourniffent
des fources fouterraines qui fondent
le fel des rochers : une colline creufe >
voûtée d'albâtre renferme cette mer dans .
des baffins profonds ; mais fes eaux rongent
le ciment du marbre , pénétrent les :
fentes des rochers , & s'empreffent à for---
tir pour notre ufage ; l'affaifonnement de:
la Nature , le plus grand tréfor d'un pays ,
fe préfente de lui- même , il fe hâte de
venir au devant de nos befoins.

La Fourche produit de fes cimes glacées
, les plus grands fleuves de l'Europe
& les eaux qu'elle verfe , nourriffent less
deux mers. L'Aure y prend la fource
qui fe précipite avec un bruit terrible ,
& des chûtes rapides par des rochers couverts
d'écume : les riches mines des Alpes
dorent fa courfe ; elle mêle à fes ondess
cristallines le métal le plus précieux ; .le:
fleuve chargé d'or en jette fur, fes bordsdes
grains folides , comme un fable gri
facre ,couvre les rivages ordinaires le:
Berger voit les tréfors : quel exemple:
pour le monde ! Il les voit , il les laiffe
Touler: !!
100 MERCUREDE FRANCE.
:
>
Aveugles mortels , que l'avarice , l'ambition
& la volupté amorcent par de
vains appas jufqu'au bord du tombeau
vous qui empoilonnez les plaiſirs bornés
d'une vie paffagere , par des foins toujours
nouveaux , & par des peines inutiles
vous qui méprifez le tranquille bon ..
heur de la médiocrité , qui demandez plus
au Deftin que la Nature n'exige de vous ,
& qui prenez pour des befoins , ce que
la folie vous fait fouhaiter : croyez - moi ,
une étoile rayonnante ne rend pas heu
reux ; un colier de perfes n'enrichit pas ,
le coeur voyez ce peuple que vous méprifez
; il eft content au milieu des tra..
vaux & de la pauvreté ; apprenez de lui,
que la Nature fuffit pour nous rendre
heureux .
४ Malheureux , ne vantez pas la fumée
de vos villes , où la malice & la trahiſon ,
fe parent du mafque de la vertu . La pompe
qui vous environne , vous retient dans
des chaînes d'or , elle accable celui qu'el
le couvre , & n'a du brillant que pour
des yeux étrangers. L'ambition entraîne
fes efclaves avant le lever du Soleil , aux
portes fermées des citoyens puiffans. La
foif infatiable d'un profit inutile vous
ravit le repos de la nuit . Le feu célefte de
l'amitié ne fçauroit s'allumer dans vos
MAR S.
1751
107
ames , car l'envie & l'intérêt defuniffens
les coeurs des freres.
C'est là qu'un tyran inhumain fe jouede
la vie de fes efclaves ; fa pourpre eft:
teinte du fang de fes fujets : la calomnie ,.
la haine & le mépris payent la vertu de
honte , & l'envie enflée de venin ronge
le bien de fon voifin ; la volupté abrége:
des jours qui s'échapent à nos plaifirs , &
le tonnerre éclate autour de fon lit femé
⚫ de roſes : l'avarice couvre des tréfors ramallés
pour fon fuplice , & pour celui
des autres humains ; des tréfors dont per---
fonne ne jouit moins que celui qui les
poffede : les defirs faccedent aux cha
grins , votre vie entiere n'eft qu'un fon
ge inquiet.
Peuple heureux , la noire engeancedes
vices ne s'empara jamais de vos coeurs,.
la Nature vous raffafie de fes biens , ils
s'offrent d'eux mêmes , l'opinion ne les
rend pas difficiles , & la jouiffance ne les
change pas en dégoûts ; aucun ennemi
fecret ne ronge-vos coeurs , & la repentance
tardive ne paye point vos plaifirs
de larmes de fang ; le torrent impétueux
des paffions , à qui la raifon des Philo~ -
fophes oppofe de foibles barrieres , ne
Vous entraîne jamais , rien ne vous abbaiffe,
rien ne vous éleve , votre vie eft tow-
Evj ,
108 MERCURE DE FRANCE.
jours égale , & votre mort eſt auffi unie
que votre vie.
Heureux qui comme vous laboure fon
héritage avec des boeufs qu'il a élevés luimême
; qui couvert d'une laine pure , &
couronné de guilandes , fe contente d'un
fimple repas de lait doux , à qui le foufle
agréable des zéphirs , & la fraîcheur des
cafcades font goûter un fommeil tranquile
fur le tendre gazon ; que jamais le bruir
des vagues furieufes n'éveille fur les mers ; "
irritées , ni le fon des trompettes fatales .
fous des tentes voifines de la mort ; content
de fon fort , il n'en fouhaite point
d'autre affurément , le Ciel ne peut rien
ajoûter à fon bonheur.
MAR S. 1752. tog
trente ,
vent
>
Le mot de la premiere Enigme du Meraure
de Fevrier , eft la Barbe. Celui de la
feconde , eft le Feu. Celui du premier Logogriphe
, eft la Tarentule , dans lequel.
on trouve Ury en Chaldée , où naquir
Abraham ; Tareme , Frente , Tulle , ralle ,
até , lait , Lunelerne , lute , Atrée , Laerte ,
rue , Ere , Eté , ver , Avent , Ténare , Etna,
rat , âne , tente , tante , ea ,.
vente , rente , ruelle , truelle , & la tête. Celui
du fecond Logogriphe
, eft République ,
dans lequel on trouve , Relique , Bil , bile ,
Livre , lire , Elie , Biére , jeu , pie , ire , jupe
, biere , brique , blé , fule , pique , lie
ivrée , ville , Brie , puer , rei , liber , pure,
biévre , liévre , Elbe , Elvire , Ifle de Ré ,
Fort de Laprée , ré , livrée , vipére , levier
& Luque , République
. Celui du troifiéme,
eft. Logogriphe , dans lequel on trouve ,.
poile pour les morts , ou poile , ou dais ,
pore , pie , lie , gril , ire , or , horloge , gloire, orge , gorge , Pô , loge , role , live , Joel , Prophête
, & un des douze petits Prophètes ,
Ipl , lo , Maîtreffe de Jupiter , & pole.
Suffer
waMERCUREDEFRANCE.
● ࿉ གུ
EN IG. ME..
Comme un Guerrier je fuis armée ;
Et d'une ardeur cruelle en tour tems animée :
Pour affouvir ma faim je cours avidement
Après le fang & le carnage ,
Et m'élançant rapidement
Sans ceffe je perce & ravage.
Je puis feule exercer & fatiguer les Rois;
Ma figure eft petite & je n'ai point de voix :
On me connoît bientôt faus me voir ni m❜eną
tendre ;
Le corps le mieux nourri , le plus frais , le plus
tendré
Souvent détermine mon choix.
Lorfque mon ennemi m'a féduite à la fuite ,
Par cent mille détours , j'évite la pourſuite :
S'il me prend il me traite en vainqueur offenfé
Mais je ne meurs du moins qu'aprés l'avoir bleffé.
MARS.. 1752..
DE
LOGO GRIP HE
E mes pieds , cher Lecteur , le nombre ef
inégal ?
Le nom de certain animal
Fait les deux tiers du mien . Si tu brouilles les
cattes
*
Tu trouveras premierement ,
Le nom d'un fluide élement ;
Sur lequel le fçavant Descartes ,
Sans nommer mainte autre Ecrivain ,
A difputé long- tems en vain.
Un menton portant barbe , &, pourtant féminin ,
Un inftrument de pénitence.
Un mets de trois couleurs qu'on ne fait point c
bouillir.
Un théâtre de l'éloquence ;
Ce qui n'eft proprement ni veiller ni dormir ;;
Un nom très défité , quoique peu , defitable ,
Un énorme animal , dont le front menaçant r
Porte une armure formidable ;
Et cependant moins redoutable .
Qu'il n'eft utile & bienfaifant.
Le nom d'un homme tout celeste ,
Et que s'ils l'avoient vu les Payens auroient :
pris.
L12 MERCURE DE FRANCE.
Four ce Dieu rayonnant , dont le malheureux
Fils
Effraya l'anivers par fa chûte funefte.
Un fynonime de fureur ,
Une herbe falutaire ,
Une autre affez forte en odeur
Une femme fans mere ;
Un meuble aux Ecoliers fouvent fort odieux;
Un mot bien rimant avec grive :
Et qui , dès qu'on le nomme , offre d'abord aux
yeux ,
Des anchres , des batteaux , des mâts & des cor
dages.
Deux notes de mufique , un terme de Blafon ;
Un amas d'eau par tout entouré de rivages :
Ce que l'homme à l'argent préfere avec raiſon ;
Mais dont jamais l'honneur fans crime ,,
Ne peut devenir la victime :
L'excrément d'un tonneau :
Les rames d'un oyſeau :
Un des ouvrages de l'Abeille ,
Ce qui fur le vifage eft de couleur vermeille .
L'ennemi de l'efprit , le féjour des heureux.
Mais j'en dis trop . Adieu, Devine fi tu peux.
Par M. de Meaux de Boifoudrama.
MAR S. 1752.
A ÜTRE .
Ille des jeux , des ris , charme de la jeuneffe
On me conftruit fans frais , & fans beaucoup d'adreffe
,
Je fuis le plus fouvent dans de charmans vergers ;
Où mainte Bergerette avec jeunes Bergers ,
Sans crainte , fans défirs , guidés par l'innocence
Viennent goûter en paix les plaifirs de l'enfance.
En me voyant aller , le bon vieillard fourit ,
La tendre mere tremble , & bientôt me détruit
Elle à grande raifon , & prend un parti fage
Le philofophe en moi , reconnoît une image
De l'aveugle Déeffe , à qui tous les morteis
Plus aveugles encore élevent des Autels ,
Si je viens à caffer , je caufe des allarmes ,
Quelque fois des malhears , & fais verfer des
larmes.
"
2
On peut parer ce coup par quelqu'attention :
Mafquons un peu mes traits. Ma compofition
Six confonnes raffemble aveque fix voyelles
Suivons notre Protée , & fes formes nouvelles ,.
Dette , qu'un homme prudent a grand foin de
payer ;
Meuble très- néceffaire en byver au foyer ,
Deux bons poiffons d'eau douce un fleuve d'I
salie ,,
F14 MERCURE DEFRANCE.
Où Mazale le Comte acquit gloire infinie ;,
Fléau dont la peinture excite latterreur ;
Ce qu'un Abbé vondroit voir changer de couleur,
Piéce utile , importante à qui fait fon ménage ,
Ce qui fur la toilette eft d'un fréquent ufage
Grains qui dans un ragoût éguifent l'appétit ,
Un fort gras animal , d'un excellent débit ,
Ce qui fait des heureux trente fix fois l'année ,
Et dans quoi l'on vous fert foupe bien mitonnée ; ,
Ce que fille éloignée attend de fon Amant ,
"
Argent que fans regret on paye fort fouvent.
C'eft affez , cher. Lecteur cher. Lecteur , vous peindre une
amufette:
Comme le cache- cache , ou bien la climufette..
MARS. 10 17520
S Erai - je
AUTRE
Erai-je donc toujours auditeur bénévole z
Ne pourrai- je pas à mon tour
Exercer mon efprit. fur un objet, frivole
Compofer Logogriphe ? Oui , je veux en ce jour
Prendre fur moi le grave rôle
D'ennuyer , d'exceder un Lecteur morfondu
Et me vanger ainſi du tems que j'ai perdu ,
En m'arrêtant fur telle faribole.
Je ferois attrapé , fije n'étois pas lu.
A mes pareils choſe très- ordinaire :
Voyons , cachons- nous bien fous l'aile du myf
tere ,
Car fi j'étois , par malheur entendu ,
Cela gâteroit mon affaire.
Chez les Anciens mon nom eft très- fameux,
Je fus préfent à plus de cent batailles ,
Fai vu tomber les plus fortes murailles ;
Un Capitaine , un foldat valeureux.
Combattoit près de moi , jufqu'à l'heure deze
niere ,
Ma préſence augmentoit fon audace guerriera,
De l'ennemi victorieux
Si je devenois la conquête ,
Un guerrier généreux
Ne vouloit point furvivre à ma défaite .
116 MERCURE DE FRANCE.
Je méritois par mes exploits
Les regrets dont ma perte étoit toujours fuivie
On m'a vu mille & mille fois
A mes dépens fauver la vie
Aux Héros rangés fons mes loix.
Trempé de fang & couvert de pouffiere ,
On me vit au milieu des plus affieux hazards
Braver la lance meurtriere ,
M'expofer fans défente à tous les coups de Mars .
Ces Phalanges prefqu'invincibles
Qui femoient fous leurs pas le carnage & l'effroi
C'étoit ma valeur , c'étoit moi
Qui les rendois fi fortes , fi terribles .
Aujourdhui , vieux foldat , on me compte pour riem
Et l'on m'a mis au rang des Invalides ,
Quoique je pûffe encor fort bien
Parer plufieurs traits homicides."
Vous trouverez en renverfant mon nom
L'inftrument d'un jeu d'exercice ,
: 0
Et le lit fur lequel expire maint laron
Condamné par le juge au plus affreux fuplice ,,
L'art dans lequel excelle tout Aatteur ;
Une piéce d'argent qui vaut plus d'une obole ,.
Du Réprouvé le vrai fimbole ,
La bafe de la tête , un ton , une couleur ,
y
Ce qu'on trouve à Paris dans la plupart des rues
Ce que font jour & nuit des gens aux mains
crachues ;,
M. AR S.
17521 117
Un folitaire au cloître condaniné ,
Ce que fait le jus de la treille ,
Lorfque le doux glou glou vient frapper notre
oreille ;
Le titre faftueux d'un homme couronné ;
Un fer armé de pointe. & pourvû d'une tête ;
Ce que pour le dîner tous les jours on apprête ,
Ce qui fait des cheveux la grace & l'ornement,
De notre corps la plus -noble partie
Que tout le monde fçait néceffaire à la vie
Et qui bat & fe trouble , auffi -tôt que Siivie ,
Voit approcher fon tendre Amant.
Cen eft affez ; devincz maintenant.
2
18 MERCURE DE FRANCE.
1
I
#
KERARMÆRKERKRÆERR
NOUVELLES LITTERAIRES.
HISTOIRE du petit Pompée traduite
de l'Anglois par M. Touffaint, 175-2
Ce petit livre cft , comme l'a dir le
Traducteur dans fa Préface , une eſpéce
de lanterne magique , veur, un on fi l'on
cabinet garni de différens tableaux , où di
verfes fcenes de la vie font exprimées
fort au naturel. Le chien dont le nom
fert de titre à l'Ouvrage eft l'objet dont
l'Auteur paroît s'être le moins occupé
il ne l'a fait fervir que comme une machine
imaginée uniquement pour mettre
en jeu tous fes tableaux . Quelques
Lecteurs trouvent à redire que le petie
animal joue un fi mince rôle dans une
Hiftoire qui eft annoncée comme la fienne
: mais je ne fçais ce n'eft pas employer
de la critique hors de propos
que de faire féricufement un pareil reproche
à un Ecrivain qui , traitant un
fujet auffi frivole , a pu s'en jouer à fon
gré, Aimeroit- on mieux qu'il eût négligé
fes tableaux , dont plufieurs font
agréables , bien peints , & auffi intereffans
qu'ils pouvoient l'être , pour def
MARS. 1752. 119
cendre dans les particularités baffes &
minucieuſes , où l'auroit mené l'’Hiſtoire
bien circonftanciée du Chien ?
Au refte , le Traducteur a de beaucoup
enchéri fur l'Ouvrage Anglois , & l'a confidérablement
enjohvé. L'Auteur original
n'a guéres en propre que les faits. La
tournure du récit , les propos des perfonnages
, les maximes les réflexions
férieules & badines , & le coloris des
tableaux , font de la main du Traducteur,
On lui connoiffoit déja le talent de
peindre mais il s'eft montré dans ce petit
Ouvrage par de nouveaux côtés ; il
>
fait voir qu'il fait narrer & plaifanter
agréablement : témoin l'Hiftoire des
deux Lords , la généalogie de Mopfa
le Nouvelliſte , les portraits des Amans
d'Aglaé , le bel efprit de Londres , les
vapeurs , & la differtation fur rien , qui
eft , au titre prés , toute entiere de fa
façon.
Quelques Lecteurs , peut-être trop délicats
, relevent dans cet Ouvrage bon
nombre d'expreffions qu'ils appellent triviales
: mais ces pretendues trivialités
font de nature à pouvoir être fup.
portées dans la bouche d'un honnête
homme qui raconteroit les mêmes hiftoriettes
en bonne compagnie : le Trae
# 20 MERCURE DE FRANCE.
ducteur n'a fait qu'affortir fon ton à fa
matiere & peut - être que des gens
moins entêtés du ftyle noble , loin de
F'en blâmer , lui en fçauroient gré. Il
eft au moins fûr , s'il a employé des expreffions
tirant un peu fur le burlefque ,
qu'il l'a fait en connoiffance de caufe
& parce qu'il a cru le devoit.
Avis fur l'Abregé Chronologique de l'Hiftoire
Eccléfiaftique , qui fe vend à Paris , chez Jean-
Thomas Heriffant , rue Saint Jacques.

Nous croyons devoir dérromper plufieurs perfonnes
, qui confondent cet ouvrage avec deux
autres Abreges de l'Hiftoire Eccléfiaftique qui
paroiffent depuis quelque tems. L'un eft en dix
volumes in 12 & à é é imprimé à Avignon. On
fent affez qu'il n'eft nullement portatil , & qu'il
s'éloigne entierement du plan & de la forme de
celui de M. le Préfident Hainaut : l'autre en fix
volumes , faus nom d'Auteur ni d'Imprimeur ,
s'en écarte également . Au contraire , celui dont
nous parlons , & que nous avons annoncé dans les
précédens Mercures eft abfolument fait fur le
même plan que l'Abregé Chronologique de l'Hif
toire de France. Les matieres y font diftribuées de
même par années , & divifées par époques , au
commencement defquelles on trouve une Table
Chronologique partagée en quatre colonnes , &
à la fin des Remarques particulieres . Ce Recueil eft
en deux volumes in 8 ° . portatifs , format d'Hollande.
L'édition eft correcte & ornée de vignettes
& fleurons en taille douce, Nous pouvons
affurer , après avoir lû exactement cet ouvrage ,
qu'il fe reffent à tous égards de la perfection du
modéle que l'Auteur a eu devant les yeux..
LETTRE
MARS. 1752 121
LETTRE de M. *** à un ami au fujet
du livre intitulé , Nouvel examen de
l'ufage général des Fiefs en France , pendant
les X I. XII . XIII . & XIVe.
fiécles , par M Bruffelles , Confeiller du
Roi , Auditeur ordinaire de fes Comptes.
A Paris , Grande Salle du Palais , chez
de Nully , à l'Ecu de France 2 vol.
in-4 . , 18 liv . reliés .

Vous me demandez , Monfieur , quel
cas l'on fait à Paris du Livre de M. de
Bruffelles , que vous trouvez cité avec de
fi grands éloges dans les obfervations de
M. le Prefident Bouhier , fur la Coutume
de Bourgogne. Vous faut- il donc un
autre garant du , mérite de ce livre , que
le fuffrage de l'illuftre Autheur qui vous
l'a fait connoître , & qui l'a pris pour
guide dans tout ce qu'il a écrit fur l'origine
des Fiefs , & fur les principes de
cette importante matiere ; vous devez
auffi avoir , fans doute , apperçu en lifant
les differtations qu'a faites M. le Préfident
Haynaut , dans fon abrégé chronologique
de l'Hiftoire de France , que ce que
les differtations ont de plus curieux & de
plus intereflant , eft apuyé fur l'autorité
du Livre de M. de Bruffelles : enfin je puis
vous dire que tout ce qu'il y a de perfonnes
à Paris qui cherchent à aprofondir
F
122 MERCURE DE FRANCE.
le Droit François & l'Hiftoire de la Nation
, applaudiffent à cet Ouvrage , qui
les conduit par une roure certaine & ailée
à la découverte des points les plus effentiels
qui font l'objet de leur étude ; mais
la fatisfaction que vous aurez en lifant ce
livre , vous convaincra encore mieux que
ne feroient les fuffrages les plus éclatans
vous verrez avec plaifir que M. de Bruffelles
a rempli le fouhait que nous avons renouvellé
enſemble tant de fois , de trouver
des preuves fans nuages de ce que
dit Mezeray , que le Royaume de France a
été tenu pendant plus de trois cens ans durant
felon les loix des Fiefs , fe gouvernant comme
un grand Fief , plutôt que comme
une
Monarchie. M. de Bruffelles avoit été
frappé de cette propofition , & il s'étoit
attaché à la développer , & à l'établir .
Entraîné par un goût décidé pour l'étude
de l'Hiftoire , & ne fe rebuttant jamais
des recherches & du travail , il avoit acquis
de grands éclairciffemens ; mais fes
principales preuves lui manquoient . Le
choix que firent de lui Mellieurs de la
Chambre des Comptes , fes Confreres
pour mettre en ordre le dépôt des Terriers
de la Couronne , & de tous les titres
concernans le Domaine du Roi , devint
pour lui une occafion de perfection-
,
MARS. 1752. 123
Y
ner fes progrès Il fit des Extraits des
Chartres & des Titres qui paffoient par
fes mains , dans la vue de parvenir à faire
un Dictionnaire des Terriers qui lui a
attiré de la part de fa Compagnie des
témoignages folides de leur fatisfaction
& ce font ces mêmes Extraits qui l'ont
mis à portée , en nous apprenant les évenemens
les plus curieux & les plus intéreffans
de notre Hiftoire , d'écarter toute
l'incertitude , & tous les doutes que l'éloignement
des tems , & les contradictions
des Auteurs avoient jettés fur ces
matieres,
Son Ouvrage eft diftribué en trois livres
qui plaifent & qui inftruifent éga
lement .
Après avoir expliqué dans le premier
l'origine des Fiefs , leurs différentes natures
& qualités , & comment ils devinrent
héréditaires , il s'attache dans le fecond
à nous retracer le réfultat bizarre &
fingulier de ce partage monftrueux de
l'autorité fouveraine entre le Roi & les
-hauts Seigneurs du Royaume , pendant
les onze , douze & treiziéme fiècles . Le
fpectacle de cette confufion & de ce defordre
qui avoient fait éclipfer la Monarchie
, qui avoient rendu les peuples fi
malheureux
, eft préfenté avec tant de
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
"
methode & de netteté , que rien n'échappe
ni ne fatigue. Nous voyons quels
étoient les principaux Seigneurs , nous les
voyons fe faire la guerre les uns aux au-
Ares de leur autorité privée ; nous voyons
que plufieurs d'entr'eux , & même des
Evêques jouiffoient du droit de battre
monnoye , qu'ils donnoient grace aux criminels
, qu'il y en avoit qui jugeoient
fouverainement toutes les caufes civiles
qu'ils recommandoient aux Evêchés de
leurs terres , qu'ils s'emparoient des meubles
des Evêques décédés , qu'ils avoient
des Baillifs & Senéchaux , qu'ils conteftoient
au Roi le droit d'établir des coutumes
& des loix dans leurs Seigneuries ;
que le vaffal à qui le Roi différoit trop
long tems de rendre juftice en fa Cour
pouvoit lui déclarer la guerre , que le valfal
qui remettoit au Roi le Fief qu'il tenoit
de lui , s'eftimoit quitte de tous
devoirs à fon égard .
L'Auteur dans ce même livre entre dans
un grand détail des revenus du Roi & de
ceux des Seigneurs pendant ces trois fiéeles
: comme le produit des Juifs faifoit
le principal objet de ces revenus , il
prend occafion de nous dépeindre la dure
condition de ces malheureux , tour à tour
victimes de la fuperftition & de la cupiMARS.
1752.
125
dité , que l'on expulfoit fréquemment ,
pour ne point leur rendre l'argent qu'ils
avoient préré , & que l'on rappelloit
après , pour procurer de nouvelles
reffources .
fe
Le troifiéme livre offre encore plus
d'inftruction pour l'Hiftoire & la Jurif
prudence. L'Auteur examine ce que c'étoient
que les Vicomtés , les Chatellenies
, Vigueries , Voyries , Vidamies
Avoueries ; il parle des terres données
aux Abbayes & aux Monafteres , des Cazemens
des hommes cazés , des terres tant
nobles que non nobles , poffédées par les
Clercs mariés , des affuremens tant des
Maifons fortes , que des Seigneuries &
des perfonnes des terres nobles , tenues ei
partage , des terres tenues par Baronies
des Bourgeoifies , des Aubains , des Bârards
, de la preuve par bataille ou duel
du parcour & entrecour . Toutes ces matieres
font épuisées & traitées à fond . Les
autres Auteurs n'avoient fait que les ef-
Heurer ; prefque toujours réduits à des
conjectures , ils confondent les tems & les
lieux , ils donnent comme un ufage général
, ce qui étoit particulier à quelques
Seigneurs & à quelques lieux ; & de là la
difficulté de les concilier les uns avec les
autres mais M. de Bruffelles éclaircit
>
E i
126 MERCURE DE FRANCE.
tout , diftingue tout ; il n'avance rien
que fur la foi des Ordonnances , des Chartres
, des traites , des comptes qu'il rapporte
dans toute leur étendue ; il nous ouvre
le dépôt de la Chambre des Comptes ; il
nous met à la main ce qu'il renferme de
plus précieux fon préfent merite d'au
tant plus notre reconnoiffance , que les
piéces qu'il a tranfcrites, ayant pourla plûpart
été incendiées , depuis qu'il en avoit
tiré des copies & des extraits , ces copies
& ces Extraits rapportés dans fon livre ,
tiennent lieu d'originaux , & renden : ce
livre un monument , qui à tous égards
elt bien digne d'être tranfmis à la poftérité.
Je compte vous l'adreffer inceffament s
la beauté & l'exactitude de l'impreffion
augmentent le plaifir de cette lecture,
SELECTA latini Sermonis exemplaria
è Scriptoribus probatiffimis . Secunda & ultima
Poëtica Orationis excerptio. Editio altera.
Lutetia Parifiorum , apud Hyppolitum
- Ludovicum Guerin , Ludovicum-
Francifcum Delatour , viâ Jacobaâ , fub
figno Sancti Thoma Aquinatis , 1752. C'eftà
dire , Modeles choifis de latinité tirés
des meilleurs Auteurs : fecond & dernier.
extrait de Poëfie. A Paris , chez Hypolite
Louis Guerin , & Louis François DelaM
A. RS. 1752. 127
"
tour , rue Saint Jacques , à Saint Thomas
d'Aquin.
C'est partir d'un bon principe , que
d'employer les véritables originaux , pour
enfeigner une langue , & après avoir
exercé les enfans long tems avec la plus
belle profe , de paffer infenfiblement à
la Poëlie dont le langage eft bien différent.
Voici la feconde & derniere partie
des extraits de Poëfie que nous annonçons .
L'Avertiffement fur ce dernier recueil mérite
d'être lu . M. Chompré y rend compte
agréablement de ce qui l'a déterminé
à fuivre l'ordre des Auteurs , dont il a
tiré des morceaux . Cette compilation ne
fçauroit manquer d'épargner bien de la
peine aux Maîtres qui en feront uſage
& de piquer la curiofité des jeunes gens
pour les originaux mêmes.
La Traduction de cette partie paroît
en même tems : ainfi ce ſecours & les remarques
fur quelques endroits du texte
fuppléent abondamment à ce qui peut
manquer aux jeunes Maîtres éloignés des
Bibliotheques. L'impreffion de cette Parthe
latine eft belle & nette , comme les
précédentes : & c'eft rendre un vrai fervice
aux enfans que de ménager leur vue
dès le commencement des études .
Nous espérons que la fin des Extraits ,
Fiiij
128 MERCURE DE FRANCE.
ne fera pas la fin du travail
de M. de
Chompré
. Un homme
qui a tant de goût & tant d'expérience
peut nous donner des chofes très- utiles pour perfectionner
l'é- ducation
qui eft encore
dans fon enfance.
Il eft fâcheux
que la Philofophie
, qui a influé fi heureufement
fur tant d'autres
chofes , n'ait encore
rien fait pour ce qu'il
ya de plus important
parmi les hommes
.
MEMOIRES pour fervir à l'Hiftoire
de plufieurs hommes illuftres de Provence.
A Paris , chez Claude Heriffant fils
rue neuve Notre- Dame , 1752 , un volume
in. 12 .
Le Pere Bougerel , de la fçavante &
polie Congrégation de l'Oratoire > a entrepris
, & fini l'Hiftoire des hommes ILluftres
de Provence . Il a détaché de ce
grand Ouvrage quelques morceaux fi
exacts & fi curieux , qu'ils font vivement
fouhaiter la publication du refte.
Pierre Puget , le plus grand Sculpteur
qu'ait eu la France , eft le premier dont
on voit l'Hiftoire. dans le volume
que nous annonçons. M. de Louvois ;
le preffant un jour de lui dire ce qu'il
fouhaitoit qu'on lui donnât pour les ſtatues
qu'il feroit pour le Roi , Puget
lui demanda ane fomme très - considéraMARS.
1752. 129
ble ; le Roi n'en donne pas davantage à
fes Généraux d'Armée , dit le Miniftre .
J'en conviens , répliqua Puget , mais le
Roi n'ignore pas qu'il peut trouver facilement
des Généraux d'Armée dans ce nombre
prodigieux d'excellens Officiers qu'il
a dans fes troupes ; mais qu'il n'eft pas
en France plufieurs Pugets.
Jean de Pontevès , Comte de Garces ,
dont la vie fuit celle de Puget , a été un
des plus grands hommes de guerre qu' ait
produit la Provence. A l'âge de vingtquatre
ans , il fauva cette Province attaquée
par Charles - Quint. Pour ôter à ce
Prince le moyen de fubfifter , il pric un
Bambeau , mit le feu à les bleds & à fes
fourages , fit défoncer fes tonneaux d'hui
le & de vin , & abattre fes moulins =
exemple qui fut heureuſement fuivi par
Toute la Province. Les foldats manquant
ainfi de tout , & mourant de faim , fe jer
terent dans les vignes , & mangerent avec
rant d'avidité des raifins qui n'étoient pas
encore mûrs , que la diffenterie fit périr las
moitié de l'Armée . L'Empereur pour fauver
le refte , fut obligé de fe retirer à la bâte..
Louis Duchefne , Préfident à Mortier
au Parlement de Provence , fut un des
plus grands Magiftrats de fon tems , &:
rendit des fervices effentiels à la Couron
Ev
130 MERCURE DE FRANCE.
ne, du tems de la Ligue. Nous avions , dit
M. Duvair , dans le parc de notre juftice
un grand chêne facré , plein de révérence ,
plein de religion , femblable à celui que
décrit le Poëte :
Qualis frugifero quercus fublimis in agro ,
Exuvias veteres , populi facrataque geftans
Dona Ducum ,
Simon Duperrier eft le plus célebre
Avocat qu'ait eu le Parlement de Provence.
L'attention de fon pere pour fon édu
cation fut pouffée jufques là , qu'il ne vou-
Jût louer qu'à des Libraires les boutiques,
qui tenoient à fa maifon , dans la vue
que fon fils s'y arrêtant , il prît du goût
pour les Lettres.
Le Chevalier Paul, qui devintVice-Amiral
de France , naquit fingulierement . Un
bateau allant de Marſeille au Château d'If ,
au mois de Décembre 1997 , fut battu
d'une fi violente tempête , qu'on appréhenda
pour la vie de tous ceux qui y
étoient embarqués ; mais furtout pour celle
d'une blanchiffeuffe , fort avancée dans
fa groffeffe. Cette femme fut en effet fi
effrayée , qu'elle accoucha du Chevalier
Paul.
Baltazar de Vias fut très-bon Poëte latin ,
Aftronome & Antiquaire. Jean Bertet ,
MARS. 1752. r3r
Jéfaite , fut connu par fon érudition , par
fa connoiffance des Langues , & par des
Poëfies latines , françoiles , italiennes
efpagnoles & Provençales. Louis Ferrand ,
réuffit dans la controverfe . Le Pere An-.
toine Pagi devint célebre par la critique
qu'il fit des Annales de Baronius. Son Neveu
le Pere François l'agi , a fait une Hiftoire
des Papes.
Jean Gilles a beaucoup réuffi dans la
mufique d'Eglife. M. de Berthier , Evêque
de Rieux , témoin du fuccès qu'il avoit
eu à l'ouverture des Etats du Languedoc
en 1697 , voulut lui procurer la Maîtrife
de Saint Etienne de Touloufe. Il en écrivit
au Chapitre qui venoit de difpofer de
cette Place , en faveur d'un autre Muficien
nommé Farinelli ; celui- ci inftruit de
tout ce qu'on écrivoit en faveur de Gilles,
pouffé par une générofité dont on n'a pas
d'exemples , partit fur le champ de Touloufe
pour Montpellier , prefenta à Gilles
qu'il n'avoit jamais vu , la démiffion de fa
place , & lui fit tant d'inftance qu'il le détermina
à l'accepter. La délicateffe de
confcience de ce Muficien étoit fi grande ,
qu'il faifoit dire des Meffes le lendemain
des grandes fêtes , & des proceffions , où
il avoit fait exécuter fa mufique , pour
tâcher d'appaifer le Seigneur , à caufe des
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
irrévérences & des fcandales aufquels it
craignoit d'avoir donné lieu en ces occafions.
Claude Terrein poffédoit les Belles-
Lettres & les Beaux Arts , & une grande
connoiffance des monumens antiques .Jean
Pierre Gibert fut un homme très - vertueux
, & un des plus grands Canoniftes
du Royaume.
Jean- Baptifte Maffillon , le plus grand
Prédicateur du fiécle , écrivoit au Pere de
Sainte Marthe , Général de l'Oratoire : je
confidere que je ne fuis dans la Congrégation
que pour être utile ; & comme
mon talent & mon inclination m'éloi
gnent de la Chaire , j'ai cru qu'une Philofophie
ou une Théologie me conviendroient
mieux .
ELEMENS de Fortification , contenant
les principes & la defcription raifonnrée des
différens Ouvrages qu'on employe à la Forti
fication des Places ; les Syftemes des principaux
Ingénieurs , & un Trané abrégé de la
Fortification irréguliere . Troifiéme Edition
augmentée de plus d'un tiers. Par M. le
Blond , Maître de Mathématique des Enfans
de France , des Pages de la grande,
Ecurie du Roi , & c. A Paris , chez Charte-
Antoine fombert , Libraire rue Dau- 2
>
MARS. 1752. 13:37
>
phine , à l'image Notre- Dame , 1752 .
Les augmentations que l'Auteur a ajoutées
à cette nouvelle Edition en font ,
pour ainsi dire , un Ouvrage nouveau .
Les remarques & les différentes obfervations
qu'il contient fur tous les ouvrages
de la Fortification ', peuvent le faire regarder
comme un corps complet de la théorie
de cet Art , & propre à faire acquerir
facilement les connoiffances néceffaires à
tout Officier fur cette importante Partie
de la Guerre .
NYON fils , & Guillyn , ont mis fous
preffe unHorace qui formera quatre petits.
volumes in 12. Cette Edition contiendra le
texte de ce grand Poëte , la traduction en
vers de tous fes: Ouvrages , & des notes.
fur les endroits difficiles . L'Edition fera
jolie , & paroîtra dans trois mois . Si quelques
Sçavans , difent les Libraires dans
leur avertiffement imprimé , avoient
des traductions en vers de quelque mor.
ceau d'Horace qui n'euffent pas été im.
primées , dont il voulût nous faire part ,
nous ne manquerions pas de les inférer
fi elles venoient à tems , & de donner
aax Auteurs des marques particulieres &
publiques de notre reconnoillance .
Les mêmes Libraires donneront incef134
MERCURE DE FRANCE.
famment une Edition en 4 vol . in.12 , de
l'excellente traduction de Quintilien , par
M. l'Abbé Gedoin.
LA Cuisiniere Bourgeoife fuivie de
l'office , à l'ufage de tous ceux qui fe mêlent
des dépenfes de maifons , contenant
la maniere de diffequer , connoître & fervir
toutes fortes de viandes . Tom. 2. A.
Paris , chez Guillyn , Quai des Auguftins ,
du côté du Pont Saint Michel , au lys
d'or و . 1752
:
Le premier volume de cet Ouvrage a
réuffi le fecond eft d'un ufage encore
plus général . Je me fuis attaché dit l'au
teur , à fimplifier les methodes , & à ré- ,
duire en quelque forte au niveau des cuifines
bourgeoifes , des apprêts qui ne fem :
bloient devoir être réfervés qu'aux Cufines
opulentes. Si le coup d'oeil & le goût
y perdent quelque chofe , la fanté y ga-.
gnera , & le Bourgeois aura le plaifir de
jouir de la diverfité des mets peu de
frais.
RECUEIL de Poëfies fur la naiffancede
Monfeigneur le Duc de Bourgogne
par les Peres de la Compagnie de Jefus du
College d'Avignon . A Avignon chez :
Jacques Garrignan , 17.5.1,
2
MARS. 1752. 135
Les Jefuites font en poffeffion de célébrer
tous les événemens qui intéreffent le
bonheur ou la gloire de la Nation , avec
une vivacité & un éclat qui font des preuves
certaines de leur zéle & de leur magnificence.
Nous avons rendu compte des
Fêtes tout à fait brillantes & bien entendues
qu'ils ont données à Paris & à Marfeille.
Celles du College d'Avignon ont
été plus fimples , & ne font pas moins
touchantes : elles ont produit un volume
de vers où les fentimens que doit infpirer
Ja Naiffance de Monfeigneur le Duc.de
Bourgogne à des coeurs bien faits ,
font
exprimés avec goût & avec efprit . L'im
poffibilité où nous nous trouvons de rien.
tranfcrire du recueil que nous annonçons
, ne doit
pas nous empêcher de nommer
les Auteurs qui ne fe font pas nommés
dans l'Imprimé . L'Epître dédicatoireà M.le
Vice-legat , le Confeil des Dieux , & une
Elégie latine font duPere Feraud : laPaſtorale
& le Compliment à Monfeigneur le
Duc de Bourgogne , du Pere Bernard : les
Chanfons du premier intermede de la Paftorale
, les Stances à la Reine , & un
Rondeau qui eft à la fin , du Pere Borelly :
les Chanfons du fecond intermede , du
Pere Joubert la Cantate du troifiéme intermede
, l'Ode à Monfeigneur le Dau-
.
136 MERCURE DE FRANCE.
phin , une autre Ode Françoife , les
triomphes de la Religion , & l'Epître à
Monfeigneur le Dauphin, du Pere Bellon :
l'Epître au Roi , l'Ode à Madame la Dauphine
, & une autre Ode Françoiſe , du
Pere Roubaud : une Ode & une Eglogue
latine , du Pere Veillet,
:
JUBILE' Univerfel de l'année fainte
avec le Mandement de Monfeigneur l'Evêque
de Nantes , l'ordre du Jubilé , &ˆ
ce que chacun fera obligé de faire pour
le gagner les retraites des hommes & des
femmes pendant ledit temps , & les prieres.
pour les Stations. ANantes , chezJofephatar,
Imprimeur duRoi, & de Monfeigneur
l'Evêque , haute-grand- rue , au coin de la
rue de Beau- Soleil , 175 1 .
On trouve chez le même Libruire , les:
Inftructions dogmatiques , hiftoriques &
morales , fur les Indulgences & fur le Jubilé
, imprimées par l'ordre de Monſeigneur
l'Evêque de Nantes .
ELEMENS de Mufique théorique &
pratique , fuivant les principes de M. Rameau.
A Paris , chez David l'aîné , le Bretan
& Durand,
Cet Ouvrage , dont M. d'Alembert eft
l'Auteur & que le Public attendoit
>
MARS . 1752 . 137
nous a paru très- clair , très méthodique ,
& renferme dans un petit volume un affez
grand nombre de chofes . Nous en parlerons
plus au long , mais nous croyons
devoir nous hâter de l'annoncer ; il eſt à
la portée de ceux - mêmes qui n'ont aucune
teinture de mufique . Le prix eít de
3 livres.
ALMANACH hiftorique & Chronologique
de Languedoc , & des Provinces.
du reffort du Parlement de Touloufe
contenant tout ce qui concerne le Clergé ,
l'Etat civil & littéraire , & le commerce
de ces Provinces , 1752. Se vend à Tɔuloufe
, chez Jean François Crozat , volume
in- 8 ° de 312 pages.
L'Ouvrage que nous annonçons n'eft pas
auffi frivole que fon titre pourroit le faire
foupçonner. C'eft une Hiftoire très fuivie
& affez détaillée de ce qui eft arrivé
d'important dans une des plus confidérables
, & la plus agréable Province
du Royaume. La Religion , le Gouvernement
les Sciences , le Commercen'ont
point effuyé de révolutions dans
les Pays qui font du reffort du Parlement
de Toulou fe , dont on ne trouve l'époque
, quelquefois même l'origine & les
fuites dans le livre dont nous parlons. On
138 MERCUREDE FRANCE.
y . traite fuperficiellement les chofes peu
importantes , & on appuye davantage fur
les plus confidérables : on n'infift e pas autant
fur les fiécles paffés que fur celui - ci ,
Il n'eft point d'Etranger qui , en lifant cet
Almanach , ne parvienne à connoître le
Languedoc comme s'il y étoit né , ou s'il
y avoit fait un long féjour . Nous croyons
que les autres Provinces devroient fe procurer
, & procurer au Royaume entier
un pareil fecours . L'Auteur judicieux &
laborieux dont nous annonçons le travail
peat fervir demodele .
SUPETS propofés par l'Académie
Royale des Sciences & Beaux- Arts , établie
à Pau , pour deux prix qui feront
diftribués de premier Jeudy du mois de
Fevrier , 1753 .
i
L'Académie ayant jugé à propos de réferver
le prix de la Profe de 1752 , en i
donnera deux en 1753 : Fun , à un Ouvrage
en Profe dont le fujet fera , la calomnie
donne plus d'éclat à la vertu que la flatterie.
Et l'autre , à un Ouvrage de Poëfie , qui :
aura pour fujet , les avantages de l'éducation
. Les Ouvrages ne pourront excéder
une demie heure de lecture , ils feront
adreffés à M. l'Abbé de Sorberio , Secretaire
de l'Académie ; on n'en recevra aucun
MARS.
1752 139

après le mois de Novembre , & s'ils ne
font affranchis du port.
Chaque Auteur mettra à la fin de fon
Onvrage , la fentence qu'il voudra . Il la
repetera au- deffus d'un billet cacheté
dans lequel il écrira fon nom . M. Mailhol
eft l'Auteur du Poëme qui a remporté
le prix de la Poësie en 1752 .
LETTRE de M. Grimm fur Omphale ,
Tragédie lyrique reprife par l'Académie
Royale de Mulique , le 14 Janvier 1752.
Brochure de 52 pages.
Tous ceux qui connoiffoient l'Auteur de
cette lettre , fçavoient qu'il avoit l'efprit
étendu , des connoiffances fort variées ,
& un goût fûr. Le Public fçait maintenant
que c'est un homme qui entend fupérieurement
la Mufique , & qu'il en parle trèsagréablement
fa brochure eft pleine de
difcuffions fines , de réflexions neuves , de
traits forts & hardis . Quoique l'examen
du récitatif d'Omphale foit fon principal
objet , fes vues s'étendent à d'autres chofes
& finguliérement au génie de M,
Rameau . Tout le monde n'a pas adopté
les opinions de M. Grimm , mais nous ne
croyons pas que perfonne ait refuféde l'eftime
à fon Ouvrage : nous invitons ceux
qui ne l'ont pas lu à le lire , & ceux qui
l'ont lu à le relire.
1
1.40 MERCURE DE FRANCE.
MANIERE d'enfeigner l'Ortographe
& la Langue Françoife par principes , utile
aux Maîtres & aux peres de Famille
qui voudront inftruire leurs enfans , par
M. Jacquier. On la vend à Paris , chez le
Gras , grande Salle du Palais ; Prault
quai de Gêvre ; la veuve Piffot , à la décente
du Pont- neuf , & Piffot , quai des
Auguftins , au coin de la rue Gît- lecoeur
.
Les Libraires de Paris , de Province &
des Pays Etrangers qui auront befoin des
Ouvrages de M. Jacquier , & qui les
voudront de la premiere main , s'adrefferont
aux fufdits Libraires : ils y trou
veront ,
1º. Sa methode pour apprendre l'ortographe
& la langue françoile par principes
. Elle est très - utile à ceux qui ont un
Dictionnaire François , parce que l'Ortographe
de chaque mot y eft prouvée par
regles, Prix trois livres , brochée & de
fix livres , reliée , avec la maniere d'en-.
feigner.
2°. La maniere d'enfeigner l'Ortographe
& la Langue Françoife par principes , uti
le aux Maîtres & aux peres de Famille
qui voudront inftruire leurs enfans : volume
in-8 ° , prix 3. livres , broché , & de
livres relié , avec la methode.
MARS. 1752. 141
·3 °. Le coup d'oeil de Dictionnaires François
, où l'Ortographe de chaque mot eft
prouvée par régles . On y voit auffi comment
tous les mots de la Langue fe forment
les uns des autres prix trois livres
relié.
4°. La table des Matieres contenues
dans la cinquiéme Edition de fa methode
& de la maniere d'enfeigner , fervant de
feconde clef pour tous ceux qui ont un
Dictionnaire François ou une Grammaire.
Brochure in S ° de trente-huit pages :
prix , fix fols.
La nouvelle Edition de la preuve
par témoins, de Danty, in - 4 °. , qui ſe vendra
à Paris chez Meffieurs.de Nully , Libraire
au Palais ; Defpilly pere & fils , Libraires
rue Saint Jacques , à la vieille pofte
; Vincent , Libraire , rue Saint Severin ;
& à Rennes , chez Vatard fils , Libraire
rue Dauphine à la Science .
LES préceptes de la vie civile , mis
en diftiques latins , attribués à Caton , &
traduits en vers François avec quelques
Poëfies facrées , dédiés à Mefdames de
France , par M. l'Abbé S *** : à Paris ,
chez Nyon fils, & Guillyn , quai des Auguftins.
142 MERCURE DE FRANCE.
-
L'HISTOIRE Littéraire du Regne de
Louis XIV. par M. l'Abbé Lambert , fe
trouve à Paris , chez Prault fils , Quillan
fils & Guiltyn . Elle fe vend 24 1. brochée ,
& 30 livres reliée .
BIBLIOTHEQUE Loraine , ou Hiftoire des
Hommes illuftres qui ont fleuri en Lorrai
ne , dans les trois Evêchés , dans l'Archevêché
de Tréves , dans le Duché de Luxembourg
, &c. En un volume in - folio .
Ce nouvel Ouvrage du R. P. D. Calmet,
Abbé de Senones , eft attendu depuis longtems.
Il manquoit à la Littérature ; à ceux
qui ont la premiere Edition de l'Hiftoire
de Lorraine ; on le devoit aux Soufcripteurs
de la feconde Edition . Il ne pouvoit
paroître dans des circonftances plus heureufes
, que celles où S. M. Polonoife , par le
magnifique établiffement d'une Bibliothéque
publique , & d'une Société Littéraire
dans la Capitale de ſes Etats , y fait renaî
tre les Lettres , excite les génies , les Sçavans
& les Artiftés de tous les ordres , à
mériter les couronnes qui leur font préparées.
L'Ouvrage que l'on annonce au Public ,
eft précédé d'une fçavante préface de 28
pages. L'Auteur , dans ce Livre , ne s'eft
point affujetti à l'ordre des tems , mais à
MARS. 1752. 143
C
celui de l'Alphabet , fuivant lequel font
rangés un grand nombre d'Hommes illuftres
dans lesSciences , dans lesLettres & dans
les Arts , qui ont fleuri dans ces contrées .
Outre des Anecdotes intéreffantes fur leur
naiffance,leurs caracteres & leurs Ouvrages,
foit imprimés , foit manufcrits , on y trou
vera quantité de points de critique difcutés
& éclaircis , & beaucoup de chofes jufqu'alors
inconnues , ou laiffées dans le fecret &
l'obfcurité des Bibliothèques qui les receloient.
On y parle , non feulement , des
Sçavans nés dans la Lorraine & le Barrois ,
les trois Evêchés , le Trévirois & le Luxembourg
; mais encore des François & des
Etrangers , qui s'y font diftingués par leurs
Ouvrages. Celui - ci est tout-à - fait propre
à juftifier ce qui a été avancé depuis peu ,
dans un difcours public : Qu'il n'eft aucune
fcience , aucun art , dont on ne trouve
des modéles dans cette Province . En effet ,
près de quatre cens hommes , nés dans la
Lorraine & le Barrois , fe font illuftrés
dans les Sciences & dans les Arts . La plûpart
de ces Hommes célébres étoient déja
connus en France ; mais on ignoroit beaucoup
de chofes fur leurs perfonnes fur
leurs Ouvrages , que le R. Pere Dom Calmet
a inférées dans la Bibliotheque Lorraine
; d'autres , en affez grand nombre , &
144 MERCURE DE FRANCE.
fur-tout des Artiſtes diftingués , étoient ou
trop peu connus , ou entiérement ignorés .
Comme les ans ont refpecté un grand
nombre de leurs Ouvrages qui exiftent encore
à Rome , en France & en Lorraine ,
le Public qui en jouit , fera bien aiſe d'en
connoître les Auteurs. Ainfi on eft perfuadé
que cet Ouvrage recevra un accueil favorable.
On le trouve à Nancy , chez A.
Lefeure , Imprimeur ordinaire du Roi ,
près la Paroiffe S. Sébastien , & chez Nicolas
Marchand , proche la Place , Ville-
Neuve.
Le prix , pour ceux qui n'ont pas foufcrit à
la nouvelle édition de l'Hiftoire de Lorraine ,
eft de quatorze livres de France , broché.
BEAUX-ARTS
MARS. 1752.
145
0% 30% 50% 50% : 50% 50% 502 30
BEAUX ARTS.
Difcuffion Sommaire de la conftruction d'une
premiere partie de la Carte d'Afie , par
M. D'ANVILLE.
a
Yant mis au jour des Cartes très amples
de l'Amérique Septentrionale ,
de la Méridionale , & de l'Afrique , qui
fe font fuccédées les unes aux autres , je
me ſuis déterminé à compofer celle de l'Afie
; nonobftant que la difficulté de traiter
convenablement ce morceau de Géographie
, auffi intéreſſant qu'il eſt vaſte , me
fût connue. Il ne me convenoit pas de
m'acquitter de ce travail plus legérement
que des Cartes précédentes , d'autant
moins que celle de l'Afie pouvoit tirer de
beaucoup de chofes nouvelles dans le détail
, un avantage auffi évident que de la
difpofition des parties en général . Ce fujer
ne devoit donc pas être refférré dans des
bornes , qui ne puffent admettre ce qu'un
affemblable confidérable de matériaux , &
une longue étude lui avoient acquis . En
donnant à la Carte de l'Afie , l'étendue &
la richeffe qui étoient néceffaires , pour
la rendre plus utile & plus fatisfaifante
G
1
146 MERCURE DE FRANCE.
c'étoit procurer à la Géographie tout le
profit qu'elle peut retirer des bienfaits
par lefquels Monfeigneur le Duc d'Orleans
veut bien faciliter les ouvrages , que ce
grand Prince a daigné me propofer de
faire.
Par ces confidérations , en entreprenant
la Carte de l'Afie , il m'a paru qu'il
ne lui falloit pas moins de fix feuilles ;
en fe tenant même un peu au- deffous de
l'étendue d'échelle , fur laquelle j'ai dreffé
les Cartes de l'Amérique. J'ai commencé
de traiter mon fujet , comme ne devant
compofer qu'un feul morceau , par
l'union des fix feuilles ; l'affujettiſfant à
une projection en concave , qui par la
preffion & l'enfancement même qu'elle
fait de la furface convexe d'une partie
quelconque du Globe , en refferre le milieu
, & dilate les extrémités ; & l'effet
doit en être fort fenfible dans une Carte
de l'Afie , vû la grande étendue qu'elle
prend fur le Globe. Le mérite de cette
projection confifte , à faire que les méridiens
coupent par tout les parallelles perpendiculairement
, comme fur la furface.
fphérique mais elle a un inconvénient
confidérable , par l'inégalité que produit
cè contrafte de refferrement & de dilatation
, qui eft de ne point admettre une
MARS. 1792. 741
,
mefure égale pour les diftances : de maniere
que dans le cas , où l'on veuille fe
- fervir d'une échelle on foit obligé de
s'en faire une particuliere en chaque endroit
de la Carte , rélativement à la graduation
qui lui eft propre , ou à ce qui fe
rencontre d'intervalle entre les paralleles .
Outre cet inconvénient , je n'ai pu
diffimuler un autre , qui eft l'étendue de
fix feuilles , pour former une feule Car
te , ce qui peut paroître incommode dans
l'ufige. On renfermera dans le portefeuille
, ou dans un Atlas , une Carte de
deux feuilles
mais non pas une Carte
de fix feuilles affemblées.

m'en
>
&
Quoique j'euffe employé près de fix
mois à travailler fur le plan que je viens
d'expofer , le défir d'en écarter les inconvéniens
que j'y fais obferver , m'a déterminé
à abandonner ce travail , pour recommencer
fur un plan différent
mieux conçu à ce qui m'a paru . J'ai remarqué
que mon fujet fe pouvoit diviſer
en trois parties affez diftinctes , à chacune
defquelles je trouvois convenable de donner
deux feuilles. Cette divifion , rédui
fant à une bien moindre portion de la
furface du globe chaque partie du fujet ,
qui par conféquent fouffre beaucoup
moins de l'applatiffement inévitable fur
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
1
Je papier , j'ai été en état d'ufer d'une
projection qui maintient l'égalité de me
fure dans toute l'étendue de la Carte.
Cette projection eft exécutée dans l'efprit
de celui des deux modes de projection
décrits par Ptolemée dans les préliminaires
de fa Géographie , lequel plus difficile
à pratiquer , prend avantage fur l'autre
, par la jufteffe de proportion que l'intervalle
des Méridiens doit avoir avec la
diſtance des paralleles à différentes hautears.
Il est vrai que l'interfection des
Méridiens & des paralleles , ne fe faitpas
par tout auffi régulierement que dans
la projection en concave. Mais ce que
produit cet inconvénient en chacune des
trois parties aufquelles j'ai divifé l'Afie
n'eft pas , à mon avis , comparable à celui
d'une diverfité d'échelle répandue en différens
endroits d'une même Carte .
Voici maintenant quelle eft la divifion
que j'ai faite de l'Afie en trois Cartes :
dans la premiere je me fuis étendu depuis
l'Archipel juſqu'aux bouches du Gange
; & j'y renferme par conféquent la
Turquie , l'Arabie , la Perfe , l'Inde en
deçà du Gange, & m'étant élevé juſques
aux Palus- Mæotis inclufivement cette
hauteur fait entrer dans la Carte la partie
de la Tartarie qui fe joint à la Perfe & à

MARS. 17528 149
I'Inde : dans la feconde , en reprenant les
bouches du Gange , l'Inde au delà de ce
fleuve eft jointe à la Chine , & à celle- ci
le Tibet , & la partie de la Tartarie qu'on
peut appeller Chinoife . Le Japon fe rencontre
à la hauteut du Nord de la Chine;
& on juge bien que les Ifles de l'Afte ,
Sumatra , Java , Borneo , les Moluques ,
& les Philippines , font comprifes dans le
même carré de Carte. Enfin la troifiéme
Carte reprefentera tout le Nord de l'Afie
depuis la frontiere de l'Europe , jufqu'à
la mer Orientale , entre la mer Cafpienne
d'une part , & la mer Glaciale de l'autre .
A l'égard des deux premieres parties , les
deux feuilles dont chacune eft compoſée
font néceffairement l'une au - deffus de
l'autre ; la troifiéme partie ayant fon éten-
" due d'Occident en Orient , les feuilles s'y
rangent l'une à côté de l'autre. On doit
fentir que c'eft la forme & la convenance
des Continens qui décide fouverainement
de cette difpofition des feuilles ; & j'ofe
dire , qu'on ne peut la vouloir autrement
fans abfurdité.
coup

Mais , dira- t-on peut-être , on voudroit
avoir l'Afie raffemblée en une Carte , pour
faifir aifément & d'un d'oeil le rapport
des différentes contrées qu'elle renferme.
A cela je réponds , que me propo
Giij
150
MERCURE DE FRANCE.
fant de dreffer
inceffamment deux grands
hémiſpheres , on y verra l'Afie auffi étendue
que dans une feuille , ce qui tiendra
bien lieu d'une Carte générale de cette
partie du Monde : & ce que je dis actuellement
de l'Afie , conviendra de même à
l'Amérique & à l'Afrique , vû la maniere
également ample & étendue , dont je les
ai repréfentées dans les Cartes qui ont
précédé celle de l'Afie . Mais au lieu de
chercher à reprendre fur la forme , que
l'on confidere le grand fond de Géographie
que renfermera la nouvelle Carte
d'Afe ; & qui eft tel , que fi on excepté
quelques endroits
particuliers , où en
certains cas on défireroit les Cartes les
plus
circonftanciées , & même quelque
fois des plans plutôt que des Cartes , il
fournit de quoi fatisfaite
amplement au
befoin , & rend fuperflu un grand nombre
d'autres
morceaux
Géographiques
qui n'y fuppléeroient même pas également
par tout , fans parler du plus ou moins
de juftefle dans la maniere de traiter les
mêmes chofes,
Des trois parties de la Carte d'Afie ,
la premiere eft fortie des mains du Graveur
, & rendue publique la feconde
s'exécute actuellement au burin , & je
fuis occupé à dreffer la troifiéme . S'il
MARS. 1752. 151

étoit queftion d'analyfer fort en dérail
tous les moyens employés à la compofition
de ces divers morceaux & fur tout
de la premiere partie , il en téfulteroit un
gros volume. Ce n'eft donc pas mon objet
actuel , quelque perfuadé que je fois
de l'utilité d'une femblable difcuffion pour
le fond de la Géographie , & pour faire
connoître en même tems ce qu'il falloit
de recherches & d'étude pour mettre cet
Ouvrage dans l'état où on le produit .
Mais il femble que le coup d'oeil de la
Carte , & quelque comparaifon avec celles
qu'on avoit auparavant , préviendront
fur ce fujet ; & je me contenterai ici d'une
expofition fuccinte des principales circonftances
& de ce qui domine plus généralement
dans la Carte , & influe davantage
dans fa compofition.
>
Il n'y a point de morceau de Géographie'
que j'aye autant travaillé , & dont je fois
plus flaté , s'il m'eft permis de le dire , que
ce qui eft compris dans la Carte d'Alie
depuis la Propontide ou Mer de Marmara
jufqu'à Ormus. Je n'exagererai point en
difant , que j'ai employé plufieurs années
à étudier à plufieurs reprifes , & à repeter
divers effais de compofition fur les différentes
parties renfermées dans cet efpace.
Rien en effet de plus intereffant dans la
G iiij.
152 MERCURE DE FRANCE.
Géographie , par la liaifon de l'ancienne
avec la moderne , par les évenemens hiftoriques
qui ont rapport à ces contrées ,
par les routes des Voyageurs qui les ont
traversées. En m'expliquant fur ce fujet ,
comme d'un Ouvrage dont je fuis Alaté ,
ce n'eft pas que je croye y avoir mis le
dégré de perfection qui feroit à défirer .
Il est bien conftant que la Carte d'Europe
aura plus de précifion ; que dans
I'Afie même , la partie de la Chine que
l'ont doit aux RR . PP . Jefuites , eft plus
décidée dans les circonstances locales .Mais
il faut confidérer l'état auquel j'ai trouvé
les chofes , & le point duquel je fuis parti
. Pour peu que l'on confronte à la nouvelle
Carte d'Afie , ce qui exiftoit antérieurement
fur les Pays contenus dans
l'espace dont il eft queftion , on ne difconviendra
pas que la Géographie de ces
Pays n'ait bien changé de face ; enforte
que l'expreffion du détail , indépendamment
de ce qui concerne la difpofition générale
, ait tout le mérite de la nouveauté
.
Les diverfes parties qui compofent ce
grand efpace , ayant fait le fujet de plufieurs
morceaux que j'ai traités en particulier
, & plus
& plus en grand qu'ils ne patoiffent
dans la Carte d'Afie ; lorsqu'il
MARS. 1752. 15.3
a été queftion de les y faire entrer ,
& de les réduire , j'ai voulu ne perdre
que le moins de circonftances qu'il étoit
poffible , par un fentiment qui n'eft point
à blâmer , & qui tourne au profit du Public
. De- là vient que cette partie de la
Carte eft extrêmement chargée : & fi on
m'en faifoit reptoche , bien loin d'en être
touché , je dirois volontiers que c'eft bien
malgré moi , & par faute de connoiffance
, qu'en d'autres parties la Carte ne ſe
foutient pas fur le même ton . Il ne convenoit
pas auffi de prendre le parti de
faire la Carte plus grande , par la confidération
d'un Canton en particulier
lorfque l'étendue de cette Carte eft fuffifante
à ce qu'elle contient d'ailleurs , &
que dans la combinaiſon qui a fervi à
déterminer la grandeur du point de la
Carte d'Afie en fa totalité , il falloit avoir
plus d'égard à l'univerfalité du fujet , qu'à
quelques-unes de fes parties.
Cette richeffe de détail , fur ce qu'il eft
plus effentiel de connoître en Afie , eft le
fruit d'une recherche qui auroit voulu tour
épuifer. Pour donner la forme & les couleurs
aux objets répréſentés , toute l'Antiquité
, y compris même les principaux
Auteurs Byzantins , & non - feulement ceux
des Orientaux qui ont traité fpécialement
G.v
154 MERCURE DE FRANCE.
de la Géographie , mais auffi plufieurs de
leurs Hiftoriens , avec ce que les récits
plus ou moins bien circonftanciés des
Voyageurs y peuvent ajoûter , ont été mis
en oeuvre. J'ai véritablement pris le plus
vif intérêt à cette partie du Continent de
l'Afie . Car dès l'an 1727 & 28 , j'en avois
dreffé une Carte , qui quoique avec quelque
amélioration , me déplairoit aujourd'hui
, fi dès- lors je l'avois publiée. Entre
les Géographies Orientales , outre celles
de l'Edrifi & d'Abulfeda , une Géographie
Turque , intitulée Gehan-numa , ou
le miroir du Monde , compilée par Kiatib-
Shelebi , m'a inftruit de beaucoup de
circonftances particulieres à l'égard de diverfes
contrées , mais fur tout en ce qui
regarde l'Afie - Mineure. L'Ambaffadeur
Turc qui eft venu en France en dernier
lieu , m'avoit fait connoître cette Geographie
par plufieurs morceaux qu'il
avoit eu la complaifance de m'expliquer :
mais elle a été traduite par M. Armain
à la follicitation de M. Melor , Confrere
de M. l'Abbé Sallier , dans la place de
Garde de la Bibliotheque du Roi. Au refte
, je fouhaiterois que cette Géographie
fût connue ; on fentiroit ce qu'il falloit
employer d'étude & de critique , & combien
d'autres inftructions devoient con-
>
"
MAR S. 1752 . 155
courir , pour donner un état de folidité
& de jufteffe à la répréſentation Géographique.
Je fuis obligé de m'expliquer fut
ce fujet par rapport à ceux qui croyent
fans aucun examen , que l'efpéce de certains
matériaux fuffit pour faire tout le
mérite d'un Ouvrage , & qui ne font aucune
attention au fçavoir , & j'ofe dire à
l'intelligence , néceffaires pour en faire
ufage & s'en bien fervir.
Je vais maintenant entrer dans quelque
détail de ce que contient la premiere par
tie de la Carte d'Afie. En partant de la
pofition de Conftantinople , déterminée
en longitude comme en latitude , fi l'on
commence par s'avancer le long des bords
de la Mer noire , on ne peut mieux fe
gouverner pour la diftance des lieux , que
par les indications que les anciens Périples
de cette Mer nous en donnent dans un
fort grand détail , tant en mefure de fta
des qu'en milles ; & la comparaifon de
ces différentes mefures fert même à vérifier
chaque diftance particuliere. D'ail
leurs , on ne fe méprend point fur le rap
port des noms anciens & des modernes
qui prefque tous confervent entr'eux fur
le bord Méridional du Pont-Euxin une
analogie évidente. Comme je me propofe
d'être fort abrégé dans cette analyfe , je
G vj
156 MERCURE DEFRANCE.
ne ferai point d'énumération des lieux
qui fe retrouvent de cette maniere. Lor
que je publierai les Cartes du Monde Ro .
main , il fera aifé d'en faire la remarque ,
en conférant la répréfentation de l'ancienne
Géographie avec la moderne. Ce qui
m'a foutenu en latitude dans cette courfe
d'Occident en Orient , le long du rivage
de la Mer Noire ; c'eft de fçavoir qu'à Sinub
ou Sinope elle eft à peu près la même
que celle de Conftantinople . Il me paroît
incontestable , qu'au de - là de Sinope
, la Mer Noire forme un Golfe profond
, tanti receffus , dit Pline , que l'Afie
en devient peninfule : & ce qui me perfuade
que le fond de ce Golfe eft à peu
près bien établi dans ma Carte , c'eft
d'avoir recueilli des Anciens la mefure
d'efpace qui convient entre ce Golphe &
le rivage de la Méditerranée aux environs.
de Tarfe & d'Iffus , dont la latitude ne
fçauroit être fort incertaine , vû le rapport
immédiat de ces points & leur proximité
avec celui d'Alexandretre , déterminé
par obfervation . Inftruits même par les
Anciens , que la longitude du Sinus Amifenus
qui eft celui dont je parle , répond
à celle du Golfe d'Iffus , il eft remarquable
que la détermination qu'on a d'Alexandrette
en longitude , foit propre à
MARS. 1752: 157
juftifier celle où le Golfe en queftion fe
range en effet dans la compofition de la
Carte .
J'ai dit que les anciens Périples du
Pont-Euxin nous fixoient de lieu en lieu
par des diftances le long de cette Mer : ils
en font même le circuit entier , pour répondre
au titre de Périple mais le détail
qu'ils donnent fe fignale furtout jus
qu'à Trébifonde , & jufqu'à l'extrémité
de la Colchide . Nous fommes fixés en latitude
à Trébifonde par les obfervations
du Pere Beze , Jéfuite ; & felon qu'Atrien
l'a remarqué , la côte de cette Mer
jufqu'à l'embouchure de l'Apfarus , qui
eft fous le Château de Gonié , court gé
néralement parlant vers l'Eft ; & depuis la
bouche du Phafe , elle commence à s'incliner
du Nord vers le Couchant ,. ce dernier
point étant confirmé parl'orientement
d'une Carte particuliere de la Mingrelie
publiée par Thevenot .
De l'extrémité de la Colchide à Diof
curias ou Ifgair , on fe replie vers le Bofphore
Cimmérien . La pofition de ce Bofphore
dépend d'ailleurs de fon rapport au
point d'Azof , en corrigeant quelques
Cartes récentes fur la longueur du Palus-
Maotis , où il eft conftamment trop raccourci
, puifqu'il y a des mefures tant an158
MERCURE DE FRANCE:
ciennes que modernes qui le déterminent
plus allongé. La pofition d'Azof eft conclue
d'une correfpondance établie avec
celle de Moskou , par le moyen du cours
du Don , levé dans le plus grand détail
par le Vice- Amiral Cruys , fous le regne
de Pierre I. Car le rapport de pofition
entre Moskou & Woronez , où commence
la grande Carte du Don , ne paroît pas
fufceptible de quelque erreur confidérable
, fi on le tire de la Carte de l'Empire
de Ruffie , publiée par l'Académie de Peterfbourg
, dont ces pofitions font en
quelque maniere le centre. Je ne dirai
rien ici du refte de la Mer Noire , patce
que cette partie intereffe plus l'Europe que
Afie. Ce n'eft pas qu'elle ne foit autant
travaillée qu'il m'a été poffible , & qu'el
le ne paroiffe avec des circonftances qui
mériteroient d'être obfervées .
Reprenons le point de Conftantinople.
La Mer de Marmara & le détroit des
Dardanelles font l'extrait d'une grande
Carte particuliere que j'en ai dreffée avec
beaucoup d'étude , & qui eft accompa
gnée dans mes papiers d'une difcuffion
par écrit des pofitions , diſtances , &c.
de forte que j'ai lieu de regarder cette
partie comme une des plus folides de la
Carte. J'en dirai prefqu'autant de la côte
MAR S. 1752. ISD
qui fuccede fur la Mer Egée ou l'Archipel
, & des Iffes voifines de cette côte
jufqu'à Rhodes inclufivement. On peut
s'appuyer fur une détermination de longitude
à Smyrne , qui influe directement
fur la pofition de l'ancien Ephele , aujourd'hui
Aio- zoluk. L'Ile de Rhodes qui
termine cette partie , eft décidée dans la
latitude par obfervation .
De Rhodes , en rangeant la côte Mé
ridionale de l'Afie-Mineure , j'ai cherché
à m'affurer de la diftance & de la hauteur
du Cap Kelidoni , point important en ce
que la pointe Occidentale de Cypre s'y
lie par la combinaifon de diverfes diftances
& je me tiens prefque affuré du juf
te éloignement où fe trouve le point
d'Antalia ou de Satalie , parce qu'indépendamment
de la pofition que donne la
fuite de la côte , j'ai eu lieu d'en vérifier
la diftance par la traverfe des terres , depuis
Smyrne. L'Antiquité nous fournit
des mefures très- convenables de l'étendue
de l'lfle de Cypre d'une pointe à
l'autre , & de l'intervale entre la poinre
Orientale & l'embouchure du fleuve
Piramus ou Gihon , près de l'ancien If
fus. La latitude de certe Ifle eft affurée
par celle d'Arnako ou Lerneca , obfervée
par M. de Chazelles. Elle influe même
760 MERCURE DE FRANCE.
fur celle de la côte du Continent oppofé ,
parce que nous trouvons dans Strabon
une indication de la diftance entre le Promontoire
Crommyon ou Cap Cormakiti
de Cypre , & la pointe d'Anemur. De
cette pointe fituée en pofition intermédiaire
d'Antalia & de la bouche du Pyrame
la côte s'élevant infenfiblement
vers le Nord , forme un enfoncement de
Mer , au fommet duquel Tarfe fe rencontre.
C'eſt par cet enfoncement , repondant
à celui du Golfe d'Amifus dont j'ai
parlé , que l'Afie fe trouve refferrée dans
un efpace qui ne vaut fur la Carte que
trois dégrés de la graduation de latitude
; ce qu'il feroit aifé de juftifier , en
fixant même la hauteur qui convient à
Céfarée de Cappadoce dans cet intervale ,
fi je pouvois me permettre toute cette
difcuffion dans un écrit auffi abregé que
celui ci : & il faut convenir que la con
noiffance de ces régions intereffoit aflez
les Anciens , & leur étoit affez familiere ,
pour qu'ils méritent d'en être crus.
Diverfes routes tirées ou des Itinérai
res Romains , ou décrites par des voyageurs
modernes , fe font jointes au dérail
de la Géographie Turque , pour fixer un
grand nombre de points dans l'intérieur
de l'Afie mineure. Je compte que la pofi
MARS. 1752 161
C
K
tion de Burfa, rapportée à Conftantinople,
eft établie avec quelque précision. J'ai apporté
une attention particuliere à reconnoître
celle d'Angora , celle de Konié ; &
je les juge furtout convenables , par, rapport
à leur diſtance de divers points qui
font en liaiſon immédiate avec la poſition
de Conftantinople. Ces points d'Angora
& de Konié importent d'autant à cet égard,
que de l'un comme de l'autre , par d'autres
diftances affez bien déterminées , on eft
conduit jufqu'au fameux paffage des Pyle
Cilicia , dans le voifinage de Tarfe ; d'où
il refte peu d'intervalle jufqu'à l'entrée de
la Syrie , & au terme que prend la Méditerranée
près d'Alexandrette. Strabon nous
donne la traversée de l'Afie mineure entiére
, depuis Ephèfe jufqu'à un lieu fitué
fur l'Euphrate , vis - à- vis de Melitene ou
Malatia. Et ce lien qu'il nomme Tomifos ,
je l'ai retrouvé fubfiftant encore fous le
nom actuel de Tzemish , qui ne differe de
l'ancien que par une altération du T. en
-Tz. dont je pourrois apporter grand nombre
d'exemples.
Je pafferois beaucoup trop les bornes
que je me fuis prefcrites ici , fi je me livrois
à la difcuffion d'un plus grand détail ,
où le goût & l'intérêt même de la chofe
m'entraîneroient affez. Si outre les poli162
MERCURE DE
FRANCE.
tions de lieu , on examine le cours des rivieres
,
l'enchaînement & la
difpofition
des montagnes , & quelques autres circonftances
, on ne pourra
difconvenir que
cette partie de l'Afie n'ait acquis un détail
de
connoiffance , qu'on ignoroit , ou dont
on étoit mal inftruit. La divifion des contrées
qui partagent
actuellement ce pays ,
eft dans le cas dont je viens de parler. On
lui donne
communément le nom de Natolie
en général . Mais , on verra que le nom
d'Ana doli ne convient
fpécialement qu'à
une de fes parties. Karaman , ou la Caramanie
, en fait une autre trés- diftincte , &
féparée précisément par les limites que
montre la Carte. Ces deux parties ne fe
confondent point avec une troifieme , qui
prend quelquefois le nom du lieu dominant
, de Siwas ; mais qui étant propre à
une ville en particulier , eft moins convenable
pour une région que celui de Roum ,
qui lui eft donné. Et quand on fe rappelle ,
que le pays qui étoit refté aux Empereurs
Grecs de
Conftantinople du tems de l'Empire
Mahométan fous les Khalifes , étoit
appellé Roum en général , on n'eft point
furpris que ce qui faifoit la frontiere de
ce pays , ait confervé cette dénomination ,
ce qui mérite bien qu'une carte en inftruife.
Ces parties ont encore leur fubdivifion
MARS. 1752: 163
en Jurifdictions de Sangiaks , qu'on appelle
Liva. Mais , quant à ce détail , pour
lequel l'étendue de la Carte d'Añe ne fuffit
pas , un point d'Echelle beaucoup plus
grand dans la Carte d'Europe , qui admet
L'Afie mineure dans fon quarré , me procurera
la fatisfaction de donner une repréfentation
plus ample de ce même pays . Et
en général , tout ce que la Carte d'Europe
me donnera lieu de répéter de l'Afie plus
en détail , je ne le croirai pas hors de propos
, ni que le Public m'en fçache mauvais
gré.
A l'Afie Mineure je fais fuccéder la Syrie
, &c.
La fuite dans le Mercure prochain .
164 MERCURE DEFRANCE.
REPONSE
Du Sieur Lepaute , Horloger du Roi au
Luxembourg , à une Lettre du Sieur le Roi ,
fils aîné , inferée dans le premier Mercure
de Janvier. 1752.
P
Lus je réflechis , Monfieur , fur le motifqui a
pu vous porter à faire inferer dans le premier
Mercure de Janvier , la Lettre qué j'y ai lûe au
fujet de notre Pendule , moins je découvre quel
eft en cela votre intérêt .
Comme vous avez eu foin de la qualifier la
vôtre dans cette Lettre , vous ne devez donc pas
trouver mauvais que je l'appelle la nôtre à l'avenir
, ainfi que j'ai crê avoir droit de le faire jufqu'ici.
Je connois à la vérité votre répugnance à ce
que le public fçache , comme vous , la part que
j'y ai; mais entre vous & moi feulement , Monfieur
, & fans que ce public , à qui vous paroiffez ,
ce me femble , réfolu de déguiſer le vrai , foit informé
de quelques aveus que je me propoſe de
tirer de vous ; refuferez- vous de m'accorder que
vous m'ayez l'obligation de l'état actuel de cette
Pendule Avec une auffi bonne mémoire que
vous l'avez , vous n'aurez pû oublier , que
lorfque
vous vintes m'en communiquer le projet , il
y a un an, ce ne fut point avec le fecours d'aucune
defcription , ni d'aucun deffein , & que ce
que vous avez fait mettre dans le Mercure , a été
copié , comme je l'ai dit ailleurs , d'après les chan
gemens que j'avois faits , ayant paffé deux
MARS.
' 1752: 165
mois entiers à tirer vos idées du cahos , & à changer
toute la difpofition de votre projet , qui ,"
vous en conviendrez, étoit avant cela imprati
quable.
;
Si vous vous en fuffiez tenu à l'expofition de ce
projet originaire, vous vous feriez épargné le déplaifir
que , malgré moi , je vous renouvelle ici
& certainement vous ne m'auriez point pour
rival : mais comme ce font mes opérations , & le
fruit de mes veilles & de mes dépenses , que vous
vous appropriez avec fi peu d'égards , permettezmoi
, Monfieur , de les réclamer ; vous m'y forcez
.
&
Je conviens , que quand j'eus pouflé l'entreprife
au point de voir , à peu près à quoi nous en
tenir , je voulus bien , par l'Acte que nous fimes ,
confentir à vous laiffer la gloire de l'invention.
Mais vous ne pouvez pas non plus me nier , que
la premiere ébauche qui parut nous flatter ,
qu'accompagné de vous , j'eus l'honneur de préfenter
à Sa Majefté , à Bellevue , n'ayant pas
réuffi , je fus obligé de faire , fans aucun fecours
de votre part , de nouvelles épreuves qui me couterent
beaucoup de recherches & de frais , pour
amener les chofes au point de perfection où elles
font aujourd'hui. Ce fut alors que je commençai
à fentir quelque peine de vous abandonner toute
l'invention : car enfin , Monfieur , que reftoit-il
de votre projet ? très- peu de chofe , vous ne l'ignorez
pas , l'idée générale feulement , & c'eft
tout.
J'ai dit que je produifis la Pendule à Bellevue.
Qui pourra s'imaginer que ce fut moi qui préfentai
cette pièce à Sa Majefté , après ce qui fe
trouve dans le Mercure , & peut- être ailleurs encore
? Mais entre nous , Monfieur , oferiez-vous
166 MERCUREDEFRANCE.
foutenir ce que vous avancez en public à ce ſujet
Je ne le penfe pas.
.
·
Pour ce qui regarde l'invention de la Pendule ;
je vous ai déja fait obferver qu'il fut un tems
où je fouffrois avec répugnance de vous voir vous
décorer feul d'un honneur qui nous étoit tout au
moins commun . J'ajouterai ici , à votre louange
, que vous vous en apperçûtes , que vous
fûtes affez judieux pour m'accorder un nouvel arrangement.
&
Suivant notre Acte , il vous étoit permis de
faire graver votre nom avec le titre d'Inventeur
en tête de la Pendule : & moi , je pouvois fimplement
m'annoncer l'Exécuteur de vos découvertes ;
mais non pas fous vos yeux , comme vous affectez
de le publier , ainfi que je l'ai déja démontré évidemment
dans la Lettre que j'ai fait imprimer le
17 de ce mois.
Si ce premier état étoit bien flatteur pour vous ;
il étoit par contre-coup bien humiliant pour moi ;
auffi le théatre de votre gloire s'étant malheureufement
écroulé , je m'empreffai d'autant plus
volontiers à chercher les moyens de le rétablir ,
que je compris que je pouvois par- là me réhabi
liter dans mes droits. Le fuccès favorifa mes travaux
. Alors nos avantages devinrent égaux , &
notre condition la même ; vous foufcrivîtes à la
loi qui me plaçoit à l'avenir fur une même ligne
avec vous , fans aucune attribution à l'un ni à
l'autre de l'invention . Telle eft la Pendule que
livrée avons pour Conftantinople.
nous
Dans la fuite vous trouvâtes plus convenable
de ne faire graver aucun nom d'une maniere apparente
, mais feulement en abregé fur la confole
& toujours dans la même ligne ; j'y confentis à
mon tour. Telles font les Pendules du Roi , de
1
MARS. 1752: 167
Madame la Marquife de Pompadour , celle que
vous avez envoyée à Turin , & plufieurs autres.
Voilà où nous en étions , lorfque vous avez
jugé à propos de tenter de , me chagriner , & de
me ravir même un ouvrage qui m'a coûté plus de
mille écus , pour lequel vous n'avez pas débourfé
un fol , & dont au contraire vous avez tiré quelque
fruit. Je fuis , &c.
Paris, 19 Janvier 1752 .
Lepante.
168 MERCURE DE FRANCE :
LE CHOIX D'UN BERGER .
CHANSON
NOUVELLE
CEffant enfin de fe contraindre
Delphire va dire fon choix ;
Dieu ! que ce moment eft à craindre
Pour tous ceux qui ſuivent les loix !
Mais fi ma Delphire préfére
Le Berger le plus amoureux ,
Le plus tendre , le plus fincere ,
Je ferai l'Amant heureux.
*****
Mes Rivaux célébrent des charmes
Que dans l'Onde on aime à mirer ,
Que leurs chants me cauſent d'ailarmes
A moi qui ne fçais qu'admirer !
Mais fima Delphire , &c.
**
i
Avec un brillant étalage
J'ai vu Silvandre de retour
La fimplicité du Village
Tiendra -t-elle contre la Cour
Mais fi ma Delphire , &c.
Lorfque
MARS твя 7528
168 MERCURE DE FRANCE.
MARS.
17523 769
Lorfque Daphnis fur la fougère
De ma Bergere fuit les pas ,
De fa danfe vive & légère
Que je redoute les appas !
Mais fima Delphire , &c.,
De Tityre on vante la grace ,
D'Adonis il a les attraits ,
Je prévois déja ma diſgrace ,
Tityre plaita par les traits ;
Mais fi ma Delphire , & c.
***
Si la richeffe a l'avantage ,
Puis - je efperer quelque retour ?
Je n'ai pour tout bien en partage
Que ma houlette & mon amour
Mais fi ma Delphire , & c.
炒茶
Près d'elle Hilas s'eft fait entendre ;
Il forme d'agréables fons ,
Qu'ai - je déformais à prétendre ,
Si l'on écoute fes chanfons
Mais & ma Delphire , & c.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
Palés a pris dans un Parterre
Des fleurs qu'il arrange avec art ;
Les miennes font comme la terre
Les a fait éclore au hazard .
Mais fi ma Delphire , &c.
腐劑
Reffentir l'Amour doit fuffire ;
Quand on ne fçauroit Pinfpirer ;
Si je ne puis plaire à Delphire ,
Je pourrai du moins l'adorer ;
Mais fi ma Delphire , &c,
Peffelier.
89
MARS .
171 1752.
106 500 500 500600 602-6060 500 500 500 500
SPECTACLES.
La mort de Madame Henriette a fait interrompre
tous les Spectacles depuis le 10
jufqu'au 23.
EXTRAIT DE VARON.
Aton , après avoir exterminé toute la Famille
Royale de Siracuſe , en eft devenu le Tiran.
Softrate , feul rejetton de ce Sang illuftre , res
monte fur le throne ; la tête de l'Ufurpateur qui
prend la fuite , eft miſe à prix : Softrate , c'est ici
le commencement de l'action , s'entretient avec
Pharès fon confident de ce qui s'eft paffé le jour
heureux de la révolution ; il adore Zoraïde , fille
de Varon , elle gémifloit dans les horreurs d'une
prifon cruelle , Softrate fe contente de brifer fes
fers fans prétendre à fon coeur , la gloire lui défend
de foupirer pour elle , mais il ne peut le réfoudre
à lui permettre de quitter Syracufe , Pharès
le détourne de ce deflein .
Ah ! loin de confoler une aimable captive ,
Souffrez qu'elle abandonne une funeſte rive ;
Où ſa vertu baiffant un front humilié
Ne voir que le mépris où fon fort eſt lié.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE
Softrate .
Quoi ! Pharès il faudra qu'une fuite barbare
L'enlève à Syracufe & qu'elle nous fépare .
Je me rappelle encor ces momens pleins d'horreur,
Cette nuit qu'au trépas confacra ma fureur ,
Ou je crus que d'accord avec ma vigilance
Le fommeil livreroit un traître à ma vangeance!
Inutiles projets ! inftruit de fon danger ,
Varon trompa la main qui devoit l'égorger ;
La fuite à mes tranfports déroba la victime ,
Je parcourus ces lieux habités par le crime.
J'apperçus Zoraïde. Ah ! Pharès , quel inftant !
Mon bras entre la rage & le reſpect flotant ,
Ne fçavoit que réfoudre en ce moment terrible¸´
L'aimable Zoraïde à la mort infenfible
Rendoit fon ennemi d'autant plus incertain
Qu'au poignard fans murmure elle tendoit le fein.
Le reſpect l'emporta , mon courroux moins fevera
L'envoya dans les fers achever fa mifere ;
J'ai depuis de fon fort adouci la rigueur ,
Je l'ai dû pour calmer le trouble de mon coeur.

Pharès exhorte Softrate à étouffer un amour
fans efperance , lorfque Palmire , fuivante de Zoraïde
, vient demander audiance au Roi de la part
de fa Maitreffe .
Pharès.
eft temps que ce coeur rappelle fa vertui
MARS. 1752. 173
Zoraïde paroît.
Zoraïde.
Une trifte captive
Que l'opprobre a dû rendre incertaine & craintive
,
Pourra done de fon maître embraffer les genoux,
Softrate.
Ah ! Madame , prenez des foins dignes de vous.
Il lui fait enfuite l'aveu de fa paffion . Zoraïde
étonnée & un peu attendrie demande pour unique
bienfait l'exil où elle veut renfermer la mifere.
Ne le refufez point à mes défirs preffans ,
Cu permettez , Seigneur , que mes cris impuiffans
Soient encor étouffés dans certe tour funefte
Qui devoit de mes jours enfevelir le refte.
Softrate.
Hé-bien , fuyez , Madame , & loin de ce rivage
Dérobez -vous au foins d'un odieux hommage ;
Je vais de ce départ ordonner les apprêts ;
Souffrez que leur éclat égale mes regrets ,
Qu'il m'aide à réparer une injufte vangeance",
Jufques- là jouiffez d'une entiere puiffance :
Libre dans ce palais , daignez en écarter
Le premier dont l'afpect pourra vous irriter.
Zoraïde ne peut s'empêcher de découvrir à Pala
mire la tendreffe pour Softrate, Euriban ami de
H iij
174 MERCURE DEFRANCE.
Varron vient avertir Zoraïde que fon pere eft
échappé à la pourfuite de fon ennemi.
Zoraïde.
Ce Prince infortuné voit encor la lumiere !
Hé quels font les climats où je le dois chercher ?
Euriban.
Madame , parmi nous il vient de fe cacher.
Zoraide.
Dans Syracufe, & ciel!
Euriban.
Renfermez cette crainte ,
J'ai prévu la fraieur dont votre ame eft atteinte ;
Le danger de ce Prince entouré d'ennemis
Allarme avec raison ce coeur tendre & ſoumis ;
Mais , Madame, fongez que de votre prudence
Dépendent les complors que trame fa vangeance ;
Il brûle de paroître à vos regards furpris .
Je viens à ce moment préparer vos efprits.
Sous les pas de Varon un abîme eft ouvert ,
Donnez le temps , Madame , au parti qui le fert ,
D'affuter des projets dont l'écueil eft terrible,
Je vais joindre ce Prince à vos maux ſi ſenſible ,
Sous les traits d'un Efclave il viendra vous trouver:
Que comme vous Palmire ait foin de s'éprouver,
Qu'elle fonge qu'un cri , qu'un geſte involontaire
Peut dans fon propre piége entraîner votre pere,
}
MARS. 1752. 175
Zoraïde partagée entre la nature & l'amour
laiffe voir fon agitation par ces vers qui terminent
le premier acte.
N'as- tu pas vû toi- même avec quelle clémence
Softrate uſe envers nous du droit de la vangeance ?
Je ne m'aveugle point , mon pere eft fon fujet ,
Et loin d'en approuver le barbare projet ....
Mais que dis-je ? Eft- ce à moi de condamner un
pere !
Malheureuſe ! ou portai - je un regard téméraire ?
Ah ! par refpect du moins je devois le baiffer ,
Le danger d'un amant a droit d'intéreffer ;
Mais l'auteur de nos jours ,fut- ce un pere coupable;
N'eft pas moins revêtu d'un titre reſpectable ;
Et dans quelques projets qu'il fe laiffe entraîner ,
Il n'appartient qu'aux Dieux de les examiner.
Varon & Euriban ouvrent le fecond acte . Varon
eft fur le pied de reveler un fecret important,
lorfqu'il apperçoit fa fille , qui ne doit pas en être
informée. Euriban fe retire.
Zoraïde.
Le voici , quel inftant ! qu'il a pour moi d'appas !
(En avançant.)
Eft- ce une illufion ? mon pere dans mes bras !
Varon.
Ma fille!
Zoraïde.
Ici quel Dieu vous rend à ma tendreffe ?
Hiiij
176 MERCURE DEFRANCE:
Mon pere ! Ah , que ce jour répándroit d'allégreffe
Si parmi tant d'écueils vos jours infortunés
N'offroient point votre perte à mes fens étonnés !
Quelfoin peut vous conduire en ce lieu redoutable
Varon.
Quoi , ma fille , un cruel dans fa rage implacable
Ofe y faire gémir fous un joug odieux
Le feul de mes enfans que m'ont laiffé les Dieux !
Et tu crois que muet aux cris de la nature
Je me déguiſerai ta honte & mon injure ,
Tu crois que fans fremir apprenant tes douleurs
Ma tendrefle pourra fe borner à des pleurs ;
Joins-y le défeſpoir d'un pere déplorable
Obligé de traîner un fort fi miférable.
Pourrois tu fans frémir concevoir le deftin
D'un pere à chaque pas preflé d'un affaffin è
Je fçais que le barbare ofe avec inſolence
Offrir à tes appas un culte qui t'offenſe ;
Vange-toi , ma fureur n'exige de ton bras
Que de tendre le piége & d'y guider fes pas.
Je frapperai , choifis le lieu du facrifice ,
Dis- moi l'heure qu'il faut que ma haine ſaiſiſſe;
Je préviendrai tes voeux , tu n'as qu'à la régler.
Zoraïde.
Mon pere !
MARS. 1752. 177
Varon.
Hé quoi ! ton coeur femble encor fe troubler
;
.
Quel foupçon fais-tu naître , ô fille infortunée !
Zoraïde.
Ah , que n'ai- je au berceau rempli ma deftinée !
Je n'aurois pas du moins par de coupables voeux..
Que dis-tu ?
Varon.
Zoraïde.
Vous voyez mon déſeſpoir affreu
Je me meurs , je ure puis en dire davantage.
Varon.
Ah ! tu m'en dis affez , & je vois mon outrage.
Varon indigné ordonne à fa fille de farmonter
une paffion qui fait horreur , il veut lui- même
percer le fein de Softrate , il faut que l'un des deux
periffe dans le jour , il faut donc que Zoraïde fe
détermine , il faut qu'elle livre fon Amant ou fon
Pere,
Mon Pere !
Zoraïde .
Varon.
Je te laiffe & cours à mes amis
Annoncer le fignal que je leur ai promis ;
Le trépas de Softrate eft ce fignal terrible;
H
178 MERCURE DE FRANCE.
Ma prudence ne veut en ce palais horrible
En attirer qu'alors les flots tumultueux :
Adieu , fais avertir cet amant malheureux ,
Et prens loin qu'à tes pieds la fureur qui m'anime
N'ait plus à mon retour qu'à frapper la victime. "
Zoraïde , au defefpoir , ne fçait quel parti prendre
, ce defefpoir augmente par l'arrivée imprévue
de Softrate qui vient lui annoncer que tout eft
prêt pour fon départ , qu'envain fes fujets en murmurent
& difent qu'elle doit fervir d'otage pour
arrêter les attentats de Varon : il veut aux yeux
de ces mêmes fujets lui procurer un azile affuré.
Zoraide le conjure de différer ce départ ; Softrate
qui n'est pour lors occupé que de fon amour
confent à tout ce qu'elle fouhaite .
Zoraide , au commencement du troifiéme acte ,
voudroit également éviter fon Pere & fon Amant ;
mais Varon , dévoré l'ambition , de par
n'a pas
tems
à perdre
, & dit à fa fille en l'abordant
:
Zoraïde , eft - ce ainfi que tu fers ma fureur?
Je croiois que fidele au tranſport qui m'anime ,
Ta voix eût dans le piége attiré ma victime ,
Ton devoir fuffifoit pour t'y déterminer.
Zoraide.
Mon pere , à quel emploi m'ofez - vous deffiner p .
Dans un tendre refpect élevé dès l'enfance
Mon coeur voudroit garder un modefte filence ;
Mais daignez voir vous- même à quelle extrémisé
Vous réduifez ce coeur en fecret révolté ;
MARS. 1752: 179
Vous voulez que ma main à vos ordres foumife
Serve un courroux aveugle & que rien n'autorife
Sujette de ce Roi , dont il veut fe vanger ,
De quel droit dans fon fang irai-je me plonger ?
Mon Pere , au nom des Dieux , au nom d'une ten
dreffe ,
Qu'autant que mon repos votre fort intereffe ,
Daignez fuivre mes pas , abandonnez des lieux
Od vous avez à craindre & la terre & les Cieux ;
Venez dans un azile à vos jours moins funefte
Vons affurer du moins le feul bien qui vous refte
Venez y contempler votre fort de plus près;
Venez y comparer aux douceurs de la paix
L'éclat de ces grandeurs qué foule la fageffe,
Et vous verrez alors , fi leur trompeufe yvreffe ,
Si le fort de ces Rois avec fafte honorés ,
Vaut le fort des mortels de leur maître ignorés,
Varon. 1
tu n'es point mon fang , va , je te défavoue?
Il veut partir pour attaquer Softrate à force ou
verte , lorfque Palmire vient annoncer ce Prince.
Varon.
Qu'il periffe , je vais obferver en ces lieux
L'inftant où doit perir ce vainqueur odieux;
Prens foin de renfermer le trouble qui t'agite ,
Le hazard me le livse , il faut que j'en profite.
Hvi
180 MERCURE DEFRANCE.
A peine le Roi eft-il entré , que Varon reparo
"dans l'enfoncement du théatre , & dit à part:
Profitons d'un inftant fi propice à ma rage.
Zoraide appercevant fon pere qui léve le
poignard.
O mon pere ! arrêtez .
Softrate.
Votre pere ! grands Dieux!
Varon.
Oui , c'eft lui que tu vois , c'eft cet ambitieux ,
C'eft Varon , en un mot , qu'on livre à ta colere,
Hola , Gardes !
Softrate.
Zoraïde.
O Ciel ! que prétendez- vous faire ?
Varon àfa fille.
Perfide , il te fied bien de marquer cet effroi ,
Quand Varon n'eft trahi , n'eft livré que par to
Retiens , retiens des pleurs dont la feinte m'ou
trage ,
Ou plûtôt , malheureufe , acheve ton` ouvrage,
Acheve , ofe plonger dans ce fein paternel
Le poignard que mon bras levoit fur un cruel ;
Ofe verfer ce fang contre qui tu confpires ,
સે
Ce fang à qui tu dois le jour que tu reſpires.
Zoraïde.
Je me meurs.
MARS. 1752: 180
Rentrez.
Softrate à Palmire .
Profitez du trouble de fes fens
(s'adreflant à Varon. )
Et toi , Tiran dont lesvoeux impuiffans,
Dont l'aveugle fureur arme un bras téméraire ,
Sors & va dans les fers attendre ' ton falaire.
Que ce monftre à l'inftant par vous en foit charge
Soldats....
Cruel , je veux ici que
Varon.
fous une autre chaine
Tu fremiffe toi -méme & redoute ma haine ;
Pere de cet objet , qui paroit te troubler ,
Du fond de ma prifon je te puis accabler ;
Je prévois ton défordre , & loin que je te craigne;
Je veux qu'il soit la honte ou l'écueil de ton regne,
Softrate.
'Ah! connois mieux ce coeur que tu veux outrages,
L'amour moins que la gloire a droit de le guider.
Ce Prince ordonne à Pharès de faire arrêter Euriban
, dépofitaire des fecrets de Varon ; il veut ,
avant que de fe vanger , effaier par la crainte &
l'aspect des tourmens , de connoître les complices
de la conjuration.
Au quatriéme acte Pharês vient informer le Roi
qu'il a fait inutilement pourfuivre Euriban , ce traître
s'eft échapé mais Euricles un des principaux
conjurés vient d'être arrêté , tout le peuple a pris
Pallarme au feul nom de Varon , il faut hâter for
182 MERCURE DE FRANCE.
fupplice & calmer les inquiétudes de Syracufe.
Sa mort eft néceffaire & le peuple la preffe ,
Je fens qu'il eft affreux de dicter un Arrêt ,
Où l'amour malgré nous mêle un tendre intérêt ;
Mais , Seigneur , il le faut.
Softrate veut interroger Varon avant de le faire
périr une voix que fon coeur ne peut démêler ,
femble lui annoncer un fecret qu'il brule d'appren
dre , il ordonne à Pharès de l'amener ; Zoraide
vient demander avec un air également tendre &
humilié la grace de fon pere , c'eft moi , lui ditelle
, qui ai ſauvé vos jours , pourrois- je m'en re
pentir ? Qu'ordonnerez -vous de mon malheureux
pere ?
Moins pour lui que pour moi ma frayeur vous in
plore ,
Faut il à vos genoux me profterner encore?
Softrate.
Que faites -vous, Madame ? Ah , quel combat cruel
Venez-vous joindre encor à mon trouble mortel ?
Je voudrois adoucir la perte que vous faites ,
Et frémis plus que vous de l'état où vous êtes. •
Zoraïde redouble fes inftances , elle s'emporte
jufqu'à menacer la vie du Roi,
Softrate.
J'y confens , & vous pouvez reprendre
Ces jours que vos frayeurs ont pris foin de defendre
,
MARS. 1792.
183
Ils font à vous. . ..
Varon qui arrive chargé de fers , rend la fituation
encore plus intéreflante.
Zoraïde.
Mon pere , qu'ai - je fait ? Dans quel abîme horrible
L'excès de mon allarme a - t- il pû vous plonger ?
Ab,combien mes remords ont foin de vous vanger!
Varon.
Va , connois mieux ce coeur qu'offenfent tes allarmes
,
:
Et qui n'a que tes maux pour objet de fes larmes.
Si ton crime d'abord a pû me révolter ,
Pardonne un mouvement que j'ai bien fçû domp-
Mon
ter ;
amour eft encor plus fort que ma colere ,
Et ton remords fuffit défarmer ton pere.
pour
Pharès farvient avec précipitation , ila découvert
la retraite d'Euriban qui lui a revelé , à force des
tortures un fecret important. Cleonice fille du der .
nier Roi n'eft point morte , Varon trompé par un
heureux artifice a fait périr Zoraïde fa fiile au lieu
de Cleonice , & cette Zoraïde que le barbare inftruit
de la tromperie qui lui a été faite , veut faire
paffer pour fa fille, n'eft autre que Cleonice.Varon
fans s'étonner , dit en s'adreffant au Roi :
J'efperois jufqu'au bout défer ta fureur ,
D'un oeil fixe tantôt j'envilageois ma chûte ;
Mais ô ciel ! à quels coups ma conftance eft en
butte !
184 MER CURE DEFRANCE .
Tu Pemportes , cruel , tu viens de raffembler
Tous les traits dont ta main me pouvoit accabler:
La tendreffe du pere & de la fille éclatent enfuite
plus que jamais. Softrate après avoir inutilement
tâché de déſabuſer Zoraïde , ordonne qu'on
traine Varon au fupplice .
Zoraïde.
O ciel ! que dites- vous ?
Quoi , vous le livreriez aux traits de ce courroux !
Ah ! s'il eft vrai , cruel , que fa mort foit jurée,
Ne fouffrez pas du moins que j'en fois féparée ,
Tranchez mes triftes jours puifqu'il eft condamné.
( Elle fe jette entre les bras de fon pere. )
Me voilà dans les bras d'un pere infortuné ,
Ofez de vos fureurs remplir ce Sanctuaire ,
Et frapper d'un feul coup & la fille & le pere
Softrate.
Qu'on l'éloigne , Soldats , & que dans ce Palais
Loin du trouble avec elle , on le garde de près.
Le Roi ſe retire en même tems & proteſte qu'il
va tout tenter pour arracher le fecret de Varon .
Zoraïde commence le cinquième acte par un
monologue rempli de plaintes touchantes fur le
fort déplorable de fon pere , dont elle vient d'être
féparée , on ne laiffe pas cependant d'entrevoir
que malgré toute fa douleur elle ne feroit pas fåchée
d'être Cléonice ; mais comment s'en flatter ,
furtout lorfque Varon entraîné vers elle par ordre
du Roi , s'écrie :
MARS. 1752. 185
Les cruels à mes yeux te déroboient à peine
Que fans me préparer à leur rage inhumaine ,
L'un d'entr'eux eft venu m'annoncer ton trépas
Sans doute en obfervant mon cruel embarras ;
Le perfide croioit furprendre la nature ,
Et voir fi ma tendreffe étoit une impofture ;
Hélas ! mon coeur déja te ſuivoit au tombeau ,
Je croiois ... mais ma fille , écartons ce tableau .
Les Dieux n'ont point encore affuré la vengeance
Du cruel dont tes yeux confondent la prudence,
Son heureuſe lenteur favorife un parti
Qui malgré les efforts n'eft point anéanti,
Non , ma fille , j'ai fçu par un ami fidele
Que tandis que le Roi délibere & chancelle ,
Refolu dans ces lieux de vaincre ou de périr ;
L'intrepide Euricles nous y doit fecourir .
Seche tes pleurs , l'inſtant n'eſt pas bien loin peut
être ,
Où la foudre à la main je vais parler en maître.
Softrate revient tenter un nouvel effort en faifant
enviſager à Varon la grace que Cleonice eft
en droit de lui accorder ; mais Varon n'en paroît
que plus inébranlable. Pharés éperdu vient appren
dre qu'un tefte de mutins a pris les armes pour fau
ver ce perfide.
Euricles paroît fur le champ à leur tète , & dit à
Varon :
Seigneur , vous êtes libre , ofez fuivre mes pas
156 MERCURE DE FRANCE.
Varon alors le découvre tout entier , & dit ing
folemment à Softrate :
Oui cruel , c'eft ici qu'au défaut du tonnerre
Je veux de ton fardeau débaraffer la terre ;
Ta lenteur à la fin t'a mis en mon pouvoir :
Meurs imprudent rival avec ce défeſpoir ,
Et pour fentir encore une mort plus cruelle
Reconnois Cléonice , & péris avec elle .
Euricles.
Perfide , cet aveu vient de régler ton fort:
Soldats , c'en eft affez , qu'on le mêne à la mort.
Varon.
Ciel , que vois- je ? O noir coeur ! O trahiſon hor
rible. !
Leur foule m'environne , & de ce lieu tertible
M'arrache avec opprobre , au lieu de me jurer...
Softrate.
Oui , reconnois le piege où j'ai fçu t'attirer ,
Ce n'est point ce parti dont l'intrigue fecrette
Te flatoit d'un triomphe ou bien d'une retraite,
Tu ne vois que tes bras voués à ma fureur,
Ta haine a d'autant moins reconnu fon erreur,
Que ce même Euriclès foutenoit ton audace ,
Et qu'il trompe ta rage affuré de ſa grace.
Va trouver fous ces mars le trépas qui t'attend ;
Qu'on éloigne ce monftre allez & qu'à ".
l'inftant ,
MAR S. 1752.
187
Traîné ſur l'échaffaut , le barbare y périffe.
'Ah Dieux !
Varon , en fortant.
Softrate à Zoraïde.
Grace au fecours d'un heureux artifices
Nous avons de fon coeur pénétré les replis ;
Vous triomphez , Madame & mes voeux font
remplis .
"
Reprenez votre rang , vous me voyez defcendre
D'un trône qu'à mon bras il fuffit de défendre.
Cleonice,
Ah! Seigneur , penſez vous qu'après tant de bienfait
>
Ce trône fans Softrate ait pour moi des attaits a
De ma reconnoiffance il doit être le gage ,
Heureufe qu'avec moi la vertu le partage.
L'Auteur a retiré fa Tragédie , après ſeize répréſentations
brillantes , nombreuſes & toutes
également applaudies ; elle a principalement
réuffi par des fituations bien ménagées : celle du
troifiéme Acte , où Varon armé d'un poignard ,
eft prêt de l'enfoncer dans le fein de Softrate
n'eft pas neuve , elle pouvoit même faire échouer
la pièce , puifqu'elle paroiffoit la terminer. En
effet , il n'étoit pas naturel de penfer que Softrate
dans un moment aufli fenfible pour lui , con.
noiffant tous les attentats & tous les crimes de
Varon , prit le parti de différer fon fupplice. Le
188 MERCURE DE FRANCE.
Spectateur qui ne pouvoit alors deviner le fecret
de l'Auteur , ou pour mieux dire , prévoir les
les reffources de fon génie , a été agréablement
furpris au quatriéme Acte , qui eft le plus beau
de la Piéce. Le faux pathétique de Varon , l'incertitude
de Softrate , & l'impétuofité de Zoraïde
qui après avoir fauvé les jours de fon
Amant n'en eft que plus ardente à défendre
ceux de fon pere , forment un tableau frappant.
L'arrivée de Pharés qui annonce un nouvel être à
Zoraïde , l'embaras de cette Princeffe , la joie
du Roi , les réponſes fermes & artificieufes de
Varon , augmentent encore le trouble & la curiofité.

On ne conçoit pas aifément au cinquième
A&te , comment Varon dans le fonds de fa priton ,
peut avoir des intelligences au dehors ; & quelques
Critiques foutiennent que la double trahifon
d'Euricles n'eft pas affez développée ; elle a
cependant décidé le fuccès par un dénouement
fatisfaifant & inattendu.
Cette Piéce eft toute d'invention , nous en
avons peu où il y ait autant d'art & de conduite,
On auroit fouhaité y trouver plus d'action &
plus d'intérêt.
Euriban , qui devroit faire un rôle confidéraple
, puifqu'il eft l'ami de Varon & le chef des
Conjurés , n'eft qu'un froid Confident ; le caractere
de Varon eft bien foutenu on le compare
au Phocas de la fameufe Tragédie d'Héraclius
; mais ce Varon , quel eft- il ? Par quels exploits
s'eft-il fignalé Quels fervices a -t-il rendus
à la Patrie ? Comment a-t - il pu devenir le
Tyran de Syracufe on eft fâché de le dire , on
n'aperçoit en lui qu'an fcéletat déterminé ; il
faudroit au moins qu'il fût illuftre.
MARS. 1752. 189
Le Perfonnage de Zoraïde eft beau , intéreflant,
& celui de la Piéce qui eft le plus en fituation .
Mademoiſelle Clairon l'a très bien rendu.
>
On n'a point été content du caractere de
Softrate , il n'eft ni véritable Amant , ni grand
Roi ;il ne devoit refpirer que la vengeance , il
fçait que toute fa Famille a été maffacrée par
Varon il s'eft vu lui même fur le point d'être
affaffiné par ce traître , pourquoi donc ne le
fait.il pas périr dès l'inftant qu'il eft en fa puiffance
: Pharés qui n'eft qu'un Perfonnage fubal.
terne , penfe plus noblement que lui . Eh comment
s'intereffer pour un Prince qui n'a pas des
fentimens dignes du rang , où l'Auteur a jugé à
propos de le placer.
Le ftile de la Tragédie eft clair & naturel
l'Auteur n'y a pas mis ce qu'on appelle beautés
de détail ; tout y eft à fa place , rien n'eſt étranger
au fujet. On auroit exigé dans un Ecrivain
de profeffion plus de correction , d'élégance &
de nerf dans l'expreffion.
Cette piéce eft imprimée , chez Ducheſne , rue Si
Jacques.
Les Comédiens François ont donné le 3 Février
la premiere repréfentation d'une Comédie nouvelle
, en cinq actes , & en vers , intitulée : Les effets
du caractere. Le premier acte de cette piéce qui
n'a été jouée que trois fois , a été trouvé bien écrit ,
& rempli de détails agréables,
L'Opera Comique que nous ne comptions plas
au nombre de nos Spectacles depuis fept ou huit
ans , a reparu le 3 Fevrier à la Foire S. Germain .
Il a donné pour fon ouverture , le Retour favorable,
dont les Auteurs nous font inconnus ; les Amours
190 MERCURE DE FRANCE.
val ;
de Nanterre de MM. Autreau , Le Sage & d'Orne
& la Servante juftifiée de MM. Fagan & Favart.
Mile Rofaline , & MM. de Leclufe & Des
champs , font les Acteurs qui ont été le plus applaudis
dans ces différentes piéces. M. Monnet ,
dont on connoît la vivacité , le zèle & l'intelligence
a fait, pour bien monter ſon Théatre , des
efforts plus heureux qu'on ne devoit naturellement
l'efperer du peu de tems qu'il a eu pour s'y préparer.
Il fent mieux que perfonne ce qui manque à
ce Spectacle , & certe connoiffance produira furement
quelque chofe,
CONCERT SPIRITUEL,
Du jour de la Purification.
Après une fymphonie fort agréable , on executa
Super flumina Babylonis , Motet nouveau à grand
choeur , de M. Giraud ; le premier récit & le premier
choeur furent trouvés d'une grande beauté &
d'une très-belle expreffion . Le refte du motet ne
fut pas jugé de la force des deux morceaux dont
nous venons de parler. Mlle Bourgeois chantą
avec un très-bel organe le Benedictus Dominus , petit
Motet de M. Mouret. M. Gavinies joua feul &
très -bien. Le petit Moret de M. Martin Latentur
coeli , & vif, fi varié , fi gai , fi bien coupé , fut
chanté divinement par Mile Fel. Le Concet finit
par le Nifi Dominus de M. Mondonville , qu'il eft
inutile de louer,
MARS . 1752 . 190
NOUVELLES ETRANGERES,
DUNOR D.
DE STOKHOLM , le 14 Janvier.
Létant le point de vacquer par les inf-
A charge de Préfident de la Chancellerie
tances que le Comte deTeffin a faites pour qu'on
lui permit de donner la démiſſion , quelques Députés
des Etats vouloient qu'on proposât à Sa
Majefté trois Sujets , afin qu'elle en choisit un
pour remplir cette importante place. Après de
longs débats , la Diette a décidé à la pluralité de
quatre cens fix voix contre deux cens vingtdeux
, qu'on n'en préfenteroit qu'un , ainſi qué
cela s'eft pratiqué pendant le dernier regne. Cette
affemblée a réfolu d'accorder au Roi une fomme
extraordinaire pour le voyage que Sa Majefté
doit faire l'Eté prochain pour aller voir les Troupes
dans lesProvinces. Il a été auffi réglé qu'à commencer
de cette année , on fuivroit en Suede le
Calendrier Grégorien . Depuis quelques jours , les
Etats ont fufpendu leurs délibérations.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 9 Janvier.
Il y aura cette année un camp conſidérable
dans le Royaume de Bohême. Les ordres font
donnés de rendre complets tous les Régimens ,
92 MERCURE DE FRANCE.
1
qui doivent s'y affembler. L'Impératrice Reine a
refolu de former deux Compagnies de Cadets
compofées chacune de quatre -vingt jeunes gens .
Pour être reçu dans la premiere , il faudra faire
preuve d'ancienne Nobleffe. Pour entrer dans
la feconde , cette condition ne fera pas néceffaire
, fi l'on eft fils d'un Officier qui ait vingt ans
de fervice.
DE BERLIN , le 18 Janvier.
Selon les lettres de Drefde , les Princes Xavier
& Charles , fils du Roi de Pologne Electeur de
Saxe , fe difpofent à faire un voyage à Vienne ,
d'où ils fe rendront en Italie.
On a reçu avis de Dantzice , que les Com
munautés Proteftantes de la Pruffe Polonoiſe &
du Grand Duché de Lithuanie avoient envoyé des
députations au Roi de Suede , pour le prier de
les protéger à l'exemple de fes Prédéceffeurs , &
d'employer fes bons offices , lorfque les occa-
Gons s'en préfenteront , pour les faire rétablir
dans la jouiffance des privileges qui leur ont été
accordés par le Traité d'Oliva.
On apprend de Leipfick , que le Prince Jean
Augufte de Saxe -Gotha , Chevalier de l'Ordre.
de l'Aigle-noir , Géneral de Cavalerie au fervice
de l'Impératrice , Reine de Bohême & de Hongrie
, & Colonel d'un Régiment de Dragons des
troupes de cette Princeffe , a épousé à Roda la
Princefle , veuve du Duc Chriftian-Guillaume de
Saxe-Gotha.
Selon les Lettres de Vienne , le Comte Fredederic
Melchior de Schonborn Buekeim , Grand-
Tréforier de l'Eglife Métropolitaine de Mayence
Prevôt du Chapitre de Saint - Alban , & le
Comte
MARS. 193 1752
Comte Adam-Frederic-Jofeph de Seinskeim >
Grand-Tréforier de l'Eglife Cathédrale de Bamberg
, ont obtenu des places de Confeillers Inti
mes de l'Empereur.
DE RATISBONNE , le 30 Janvier.
Ces jours derniers , le Prince de la Tour Takis
, premier. Commiffaire de l'Empereur à la
Diette del'Empire , remit à cette Affemblée un décret
de commiffion Impériale , portant , Que
> l'année derniere les Etats Proteftans de la Con-
• feffion d'Aufbourg ont écrit à l'Empereur une
lettre , dans laquelle , fous prétexte de juftifier
les voies d'exécution employées à l'occafion
de l'affaire de Hohenloë , ils ont avancé
plufieurs propofitions nouvelles , contraires aux
Conftitutions de l'Empire , à la Paix de Religion
, au Traité de Weftphalie , ainfi qu'aux
Ordonnances pour accelerer les exécutions , &
tendantes à troubler le repos du Corps Germanique
; que non -feulement ils ont paru vouloir
foutenir la validité de leurs allégations , mais
qu'ils le font arrogé le pouvoir de fe faire droit
» eux-mêmes,fans avoir égard ni aux loix de l'Em-
> pire, ni aux prérogatives attachées à la dignité de
S. M. Impériale , ni à la ferme réfolution qu'elle
a toujours montrée de rendre juftice à chacun
fans partialité & fans acception des perfonnes ni
des Religions ; que comme il ne feroit pas
jufte que les Etats de la Confeffion d'Aufbourg
fiffent un Corps léparé contre la teneur des
Conftitutions de l'Empire , & empiétaffent fur
l'autorité de celui qui en eft le Chef , l'Empereur
defaprouve hautement une telle condui
te ; qu'il annulle la réſolution prife le 30 du
"
194 MERCURE DEFRANCE.
+
mois d'Octobre dernier par le Corps Evangélt.
» que ; que Sa Majesté Impériale déclare com
>> me non avenue tout ce qui a été entrepris en
» conféquence , & qu'elle recommande à la
» Diette , de donner la plus grande attention à
» cette affaire , afin de prévenir les inconvéniens
qui pourroient en réſulter. "
ESPAGNE,
4
DE MADRID , le 25 Fanvier.
la
Par des Lettres Patentes du 10 de ce mois
le Roi s'eft déclaré Protecteur de l'Académie Lit
téraire de Barcelone. L'Académie de Médecine ,
établie dans cette Capitale fous la protection de
l'Infant Cardinal , a diftribué les deux prix qu'el
le a coutume de donner tous les ans Le premier
prix a été remporté par le Docteur Jean -Mathieu
Vanbergman , Médecin de Culembourg dans le
Duché de Gueldres , & le fecond par Don Raymond
Brunet de la Selva Prêtre , exerçant
Médecine à Saint Vincent dans l'Eftremadoure.
Cette Académie avoit propofé l'année derniere
d'examiner Pourquoi les femmes enceintes prennent
fouvent de l'averfion pour certains alimens , qui auparavant
leur paroiffoient agréables , & du goût
pour quelques autres , qui jusqu'à leur groffeffe ,
leur avoient été indifférens , particulierement d'où
peut venir le goût que plufieurs d'entr'elles montrent
pour le plâtre , la chaux , le charbon , &c. elle demande
cette année Qu'on explique la nature
la vraie caufe de la Paralyfie , qu'on cherche
pour laguérifon de cette maladie , des remedes plus
efficaces que ceux qui font communément en ujage.
Les Afpirans aux Prix font avertis de faire rem
,
MARS. 1752 .
795
mettre leurs Mémoires , avant le premier Octobre
, à Don Pedre Bedoya de Paredes , Medecin
du Roi , & Secretaire de l'Académie.

DE CADIX , le 18 Janvier.
>
2
Perfonne ne fe fouvient ici d'avoir vu un ouragan
femblable à celui qu'on vient d'effuyer
dans cette Baye. Il commença le is de ce mois
à neuf heures du foir par un vent d'Eft- Sud - Eft ;
impétueux que tous les navires chaffoient fur
leurs anchres , & heurtoient les uns contre les
autres. Tous tiroient du canon pour demander
un fecours que l'obfcurité ne permettoit pas de
leur fournir. Le 16 le jour ne parut que
pour éclairer les defaftres arrivés pendant la nuit,
De toutes parts on n'apperçut que des Nawires
brifés fur la plage , ou d'autres prêts à
être engloutis par les flots. L'horreur de ce fpectacle
étoit augmenté par les cris d'une infinité
de malheureux , qui tâchoient de gagner à la
nage les murs de la Ville , & qui jettés avec violence
par les vagues de la mer contre ces mê.
mes murs , y trouvoient la mort qu'ils vouloient
éviter. Chaque inftant de cette affreuſe journée
fut marqué par quelque nouveau malheur. Un
Vailleau de Marfeille , richement chargé , avoit
réfifté pendant 18 heures à la tempête . Le Capiraine
Caudiere qui le commandoit ; fut obligé de
l'abandonner , & de fe fauver avec fon équipa
ge , dans fa chaloupe , qui ne put arriver au
Port qu'après trois heures d'un travail inexprimable
. La nuit de 16 au 17 ne fut pas moins terri
ble que la précédente. Hier à la pointe du jour ,
le vent fe calma & > dernier fpectacle , le
rivage n'offrit plus que des débris de Navires
pour
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
tant
& des cadavres. De tous les hommes qui étoient
reftés la veille en danger , on n'en trouva aucun
en vie. Le vaiffeau du Capitaine Caudiere
avoit coulé à fond. Cinquante Navires ,
grands que petits , & un nombre prodigieux de
barques , de bateaux & de chaloupes , ont péri
dans la Baye. Plufieurs autres bâtimens , qui
ont effayé de prendre le large , les uns fans
mats , les autres fans gouvernail , ont fans doute
eu le même fort . Il n'eft point de couleurs propres
à bien peindre tous les objets effrayans
qu'a préfentés cette horrible tempête , & la plume
ne peut rendre fidelement tout ce que les yeux ont vû.
ITALI E.
DE MESSINE , Le 24 Décembre.
Un monftre marin s'étoit montré plufieurs
fois dans une plage voifine de Trapani , & même
il avoit dévoré un Pêcheur , qui avoit eu le
malheur de tomber dans la mer. On avoit tenté
divers moyens de fe délivrer d'un ennemi fi
dangereux , mais aucun n'avoit réuffi . Les Pêcheurs
, fans fe rebuter par l'inutilité de leurs premiers
efforts ,préparerent il y a quelques jours un
noeud coulant , au milieu duquel étoit un appas,
Le monftre fut pris par cette rufe. Il avoit vinge
palmes de long , & quatorze de circonférence . Sa
gueule étoit d'une largeur exceffive , avec trois
rangs de dents à la mâchoire fupérieure. Il pefoit
près de quatre cens livres. En l'ouvrant on
lui a trouvé dans le corps deux jambes , une partie
de l'épine du dos , & le crâne d'un homme
qu'on a jugé être les reftes du malheureux Pê
M.AR S. 197 1752.
theur qui , peu de tems auparavant avoit été la
proye de cette bête carnaffiere .
DE NAPLES , le 31 Décembre.
Le Mont-Vefuve jetta le 13 & le 14 de ce mois
beaucoup de cendres , qu'un vent impétueux de
Nord-Eft emporta jufqu'au pied de la montagne.
Le 15 , la matiere bitumineufe couloit avec le
même dégré de viteffe que de l'eau , qui a fix li -`
gnes de pente dans un espace de cent toifes . Une
des branches de la Lava s'arrêta le 16 , & l'on
entendit des bruits fouterrains . Le 17 au foir ,
quoiqu'il fût tombé pendant la journée une gran
de abondance de pluie , le fommet & le flanc
Oriental de la Montagne parurent de nouveau
en feu. On vit le 18 , le fommet couvert d'une
neige épaifle . Depuis il n'eft arrivé rien de remarquable.
L'éruption continue toujours , & la
Lava dirige fon cours comme auparavant
avers les bois d'Ottaïano .
9
DE ROME , le
4 Janvier.
Quelques difficultés ont obligé de fufpendre
les travaux commencés pour le rétabliffement du
Port d'Anzio. La Ville de Ferrare ayant repré.
fenté qu'on ne pouvoit , fans lui caufer un préjudice
confidérable , procurer l'écoulement des
eaux du Bolonois par la vallée de Comachio , le
plan propofé à ce fujet a été rejetté. Sa Sainteté
a donné ordre au Pere Bofcowitz , Mathémati .
eien célebre , de continuer fes Obfervations pour
la mefure du Méridien.
Lii118
198 MERCURE DE FRANCE.
DE LIVOURNE , le 8 Février.
Une Tartane Françoife , venue d'Afrique en
quatre jours , a rencontré le jour de fon départ de-
Porto- Farina un Corfaire , qui y conduifoit 3 Navires
Catalans dont il s'étoit emparé . On a été infruit
par la même Tartane , qu'il y avoit actuellement
en deça du Détroit de Gibraltar 18 autres Vaiffeaux
Africains , & qu'ils avoient formé trois Efcadres
, afin d'être plus en état de ſe défendre contre
les Efpagnols . Dans l'intervalle de huit jours ,
il eft arrivé ici neuf Bâtimens Anglois , deux Sue
dois & un Danois.
DE MILAN , les Janvier.
Des grains , deftinés pour quelques -unes des
Troupes de l'Impératrice Reine , qui font en quar
tiers dans la Lombardie , ont été arrêtés à Ferrare.
fur le refus que les Conducteurs ont fait de payer
les Droits de Péage . Ces Conducteurs , pour juftifier
leur refus , alléguent une convention ,
faite en
1736 , & par laquelle il a été ftipulé que tant pen .
dant la paix que pendant la guerre , les grains , qui
defcendront ou remonteront le Pô pour les Trou .
pes de l'Impératrice Reine , auront une navigation
libre & franche de tous Droits.
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 20 Janvier.
On vient de recevoir la nouvelle , que le fieur
Keppel , Commandant l'Efcadre du Roi dans las
Méditerranée , a conclu, au nom de Sa Majesté
MARS. 17523 199
deux Traités de paix & de navigation , l'un avec la
Régence de Tripoli , l'autre avec celle de Tunis.
Le premier de ces Traités a été figné le 30 Septembre
de l'année derniere , & le fecond le 30 du
mois fuivant.
Un Navire Espagnol de deux cens tonneaux ,
chargé de vin de Madere , de bois de teinture , &
de quelques autres Marchandifes , à échoué le s
près de la pointe de Cornouaille , & tout l'Equipage
a été nové. Afin d'éviter de femblables accidens
, on s'eft déterminé à poſer en cet endroit un
Fanal , au modele duquel on travaille actuellement .
Le Capitaine d'un Bâtiment , arrivé de la Virginie ,
a rapporté qu'une Nation de Sauvages , voiſine de
cette Colonie , avoit envoyé des Députés , pour
offrir d'entretenir avec les habitans une liaiſon de
commerce , & que la Colonie , dans le deffein de
S'acquérir l'amitié de ces Députés , leur avoit fait
divers préfens. Ce Capitaine a ajouté que le Gouverneur
de la Virginie , après leur avoir expofé
d'une maniere pathétique la perfection du Chrif
tianifine , les avoit exhortés d'envoyer leurs enfans
au Séminaire de la Colonie , pour y être inftruits
des vérités de la Religion . On frete dans divers
Ports d'Angleterre un grand nombre de Navires ,
qu'on deftine à la Pêche de la Baleine.
La Compagnie de la Pêche du. Hareng fe propofe
d'engager à fon fervice les Enfaas Trouvés ,
qui voudront & pourront lui être utiles . Pendant
PHyver , elle les fera travailler à des filets , & elle
les employera à la Pêche pendant l'Eté . Sur l'avis
qu'on a eu que plufieurs Ouvriers des Manufactures
de laine fe difpofoient à paffer dans les pays
Etrangers , on leur à défendu , fous des peines ri
goureufes , d'exécuter leur projet .
Biiij
200 MERCURE DE FRANCE:
*********** ès- és és és és és és és és és ÉðÃ
FRANC E.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
Lde
Choify
E 8 Janvier , le Roi partit pour le Chârea
de Choify , d'où Sa Majesté revint le 1
avec Mefdames de France qui s'y étoient rendues
le 11.
Le 11 , Monfeigneur le Dauphin alla y diner
avec le Roi .
Jufqu'au 29 Février dernier inclufivement
les porteurs de Billets fignés pour la Compagnie
des Indes par M. Pechevin , ont été reçus à les
faire convertir en reconnoiffance d'un nouvel
emprunt , où en promeffe de pafler contrat , qui
porteront intérêt du jour de l'échéance defdits
Billets. Après ce ternie , la Compagnie des Indes
remboursera ces mêmes Billets à leur
échéance.
?
On a ouvert le 10 Janvier , à la caiffe de la
Compagnie des Affurances , établie dans cette
Capitale , le payement des dividendes à cinq pour
cent , qui font dus pour l'année derniere aux
Porteurs de reconoiffances d'intétét de cette
Compagnie.
Le 7 , on commença le quatriéme Tirage de la
feconde Loterie Royale. Le principal lot de ce
tirage eft échu au numero2416 ; le fecond lot au
Numero 33176 , & la premiere Prime au Numero
27829.
Le 13 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix huit cens trente- fept , les Billets
de la premier Lotterie Royale à fept cens vingtMAR
S. 1752 . 201
fix , & ceux de la feconde , à fix cens foixante-
fix.
Le 13 , le Roi alla à Trianon . Sa Majefté revint
à Versailles l'après midi , & fit une promenade
en traîneaux au tour du Parc . Le Roi étoit
dans le premier avec Madame Henriette. Dans
le fecond étoit Monfeigneur le Dauphin avec
Madame Adelaïde : Madame Sophie , & Madame
Louife étoient dans le troifiéme. Il y avoit
un grand nombre d'autres traîneaux pour les Seigneurs
& les Dames de la Cour.
Sa Majefté partit le 15 pour le Château de
Bellevue , d'où elle revint le 19.
Le 18 , M. de Reventlau , Envoyé Extraordi
naire du Roi de Dannemark , eut en long manteau
de deuil , une audience particuliere du Roi ,
dans laquelle il donna part à Sa Majefté de la
mort de la Reine de Dannemark. Il fut conduit
à cette audience , ainfi qu'à celle de la Reine ,
par le Marquis de Verneuil Introducteur des
Ambaffadeurs.
>
Le Roi retourna le même jour au Château de
Bellevue .
Le même jour au matin , la Reine fe trouva
un peu incommodée , & elle entendit la meffe
dans fon appartement. Heureufement l'indifpofi
tion de Sa Majeſté n'a point eu de fuite .
Madame Victoire a été attaquée d'un rhume
& d'un mal de gorge , mais cette Princeffe , dès
le 19 , a commencé à fe mieux porter.
Le 21 , le Roi prit le deuil pour trois semaines ,
à l'occafion de la mort de la Reine de Dannemark.
Le vailleau l'Augufte , appartenant à la Compagnie
des Indes , & qui étoit parti de l'Orient
le 15 Avril 1750 , y eft de retour depuis les de
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
ce mois. Ce Bâtiment étoit attendu beaucoup plu
tôt , mais les mauvais tems qu'il a effuié dans la
route , l'ont obligé de relâcher à l'Ile de Fran
ce & enfuite à la Baye de tous les Saints , d'ou
il n'a pu remettre à la voile que le 20 du mois de
Septembre dernier.
·
9 Le Navire le Saint Thomas qui revient du
Canada , & qui eft entré dans le port de la Ro
chelle , a eu fon grand mâts emporté par un coup
de vents.
L'Académie Royale des Sciences a élu en
qualité d'Adjoint Anatomiſte , M. Lieuteaud
Médecin de la Charité à Verſailles , & ci - devant
Profeffeur d'Anatomie à Aix en Provence.
Le 20 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix huit cens trente-cinq livres ; les
Billets de la premiere Loterie Royale à fept cens
quarante-cinq , & ceux de la feconde , à fix cens
quarante-cinq
Le 21 , le Roi revint de Bellevue , à Versaillesi.
Sa Majesté fe rendit le 24 au Château de Choi
fy , d'où elle revint le 26 au foir.
La fanté de Madame Victoire eft parfaite
ment rétablie.
Leurs Majeftés fignerent le 24 le Contrat de:
Mariage du Duc de Montmorency , & de Louiſe
Françoife Pauline de Montmorency- Luxembourg,
fille du Prince de Tingry.
,
M. de Maffiac , & le Comte du Guay , Chefs
d'Efcadres des armées navales du Roi ont été
nommés par Sa Majefté , à la place de feu M.
d'Orves , & de feu M. le Chevalier d'Epinay
pour commander la marine , le premier à Tou
1on , & le fecond à Breft.
L'Evêque de Riéz fut facré le 23 , dans la Cha
pelle . de L'Archevêché par l'Archevêque de Pa
MARS. 1752
203
is , affifté des Evêques de Troyes & de Rhodeza
La Compagnie des Affurances , qui a chez M.
le Verrier , Notaire , le fond de fix millions dé
pofés pour fureté des engagemens qu'elle prend
avec le Public , a maintenant vingt- fix chambres
dans les différens Ports de France. Le grand
nombre d'affaires , qu'elle a faites depuis fon inf
titution , pouve l'utililité d'un établiſſement , qui
s'attire de plus en plus la confiance générale , &
qui à acquis une telle folidité , que la Compa
gnie fe trouve en état d'affurer en tems de guerre
comme en tems de paixa
Cette Compagnie a reçu avis que le Navire
Ve Lion , venant de l'Ifle Royale , avoit eu le
malheur de périr le premier de ce mois , à la
pointe de Guibron , fur la côte de Bretagne.
L'Académie Royale des Sciences ayant charge
des Conmiffaires , d'examiner une methode propofée
par M. Gaillard , pour fixer d'une maniere
invariable la fituation , la figure & l'étendue de
chaque corps d'héritages , ces Commiffaires ont
jugé que ladite methode , qui confifte principale
ment à lever géometriquement les plans de chaque
Seigneurie , & à les orienter fuivant la ligne
Méridienne , feroit três- utile , fi elle pouvoit être
exécutée par tout avec la précifion néceffaire.
Le 29 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix - huit cens trente livres , les Billets
de la premiere Loterie Royale à fept cens quinze:
& ceux de la feconde , à fix cens trente-huit..
Le Roi , qui étoit depuis le 29 à Trianon , en
revint le 31.
L'Evêque de Glandeves fut facré le 30 Janvier
dernier dans la Chapelle du Séminaire de Saint
Sulpice par l'Evêque de Beauvais , affifté des Evê
ues de Rhodez & de Riez.
Ivj
204 MERCURE DEFRANCE.
Le 31 , le Duc de Rohan- Rohan , Prince de
Soubize , fut recu au Parlement en qualité de Pair
de France. Il donna le même jour un repas
Splendide , auquel tous les Ducs & Pairs , ainfi
que la Grande Chambre , furent invités , & qui
fut fervi fur deux tables , chacune de cinquan
te couverts. Le foir , l'intérieur de l'Hôtel de Soubize
fut illuminé avec autant de goût que de
magnificence.
Le premier Février , le Roi accompagné par
le Chevaliers , Commandeurs & Officiers de
P'Ordre du Saint- Efprit , affifta dans la Chapelle
du Château au fervice , qui fut célebré pour le
repos des ames des Chevaliers morts pendant
de cours de l'année derniere .L'Archevêque de
Rouen , Prélat , Commandeur de l'Ordre , Y
officia pontificalement.
Le même jour , la Reine communia par les
mains de M. l'Abbé Gouyon- Launay Comats
fon. Aumônier en quartier. Madame la Dauphi
ne communia par celles de l'Evêque de Bayeux ,
fon premier Aumônier.
Le 2 , Fête de la Purification de la Sainte
Vierge , les Chevaliers Commandeurs & Officiers
de l'Ordre du Saint Efprit , s'étant affemblés vers
les onze heures du matin dans le Cabinet du
Roi , Sa Majesté tint un Chapitre , & nomma Chevalier
, le Comte de Brionne , Grand- Ecuyer de
France . L'information des vie & meurs , & la
profeffion de foi du Prince de Condé , qui avoit
été proposé le premier du mois dernier pour être
Chevalier , ayant été admifes dans le même Chapitre
, ce Prince fut introduit dans le Cabinct du
Roi , & recu Chevalier de l'Ordre de Saint Michel,
Le Roi fortit enfuite de fon appartement ,
pour aller à la Chapelle, Sa Majefté , devant la
MARS. 17521 204
quelle les deux Huiffiers de la Chambre portoient
leurs maffes , étoit en manteau , le colier de l'Or
dre par deffus , ainfi que celui de l'Ordre de la
Toifon d'or. Elle étoit précédée de Monfeigneur
le Dauphin , du Comte de Chatolois , du Comte
de Clermont , du Prince de Conty , du Comte
de la Marche , du Prince de Dombes , du Comte
d'Eu , du Duc de Penthievre & des Chevaliers
Commandeurs & Officiers de l'Ordre . Le Prince
de Condé en habit de Novice , marchoit entre
les Chevaliers & les Officiers . Le Roi affitta à la
bénédiction des cierges , & à la proceffion qui fe
fit autour de la Chapelle . Après la Grande - Meffe
, célebrée par l'Archevêque de Rouen , Sa
Majefté monta à fon trône , & le Prince de Condé
fut recu Chevalier , ayant pour Parains Monfeigneur
le Dauphin & le Comte de Clermont
Prince du Sang. Cette cérémonie étant finie , le
Roi fut reconduit à fon appartement en la maniere
accoutumée,
en-
L'après-midi , le Roi & la Reine , accompa
gnés de Monfeigneur le Dauphin , de Madame
la Dauphine ; & de Mefdames de France ,
tendirent le Sermon du Pere Dumas , de la Compagnie
de Jefus. Enfuite Leurs Majeftés affifterent
aux Vêpres & au Salut , chantés par la Mufique
, aufquels l'Abbé Gergois , Chapelain ordinaire
de la Chapelle de mufique , officia .
Plufieurs Gazettes Etrangeres ont publié fans
fondement , que le Prince d'Anhalt- Zerbst étoit
mort en Allemagne. Ce Prince eft encore actueltement
à Paris , où il jouit d'une parfaite fanté.
Le 3 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix huit cens trente deux livres , les
Billets de la premiere Loterie Royale à fept , cens
quinze , & ceux de la feconde ; à fix cens quaran
te-cing.
206 MERCURE DE FRANCE.
"
Le même jour Madame Henriette , étant allée
avec Monfeigneur le Dauphin & Mefdames Ade
delaïde , Victoire , Sophie & Louiſe , voir le Roi
Trianon , s'y trouva indifpofée. Cette Princeffe
eut la nuit une fiévre violente , qui fe foutint avec
la même force pendant trente - fix heures. Les à
fept heures du matin , les ardeurs de la fièvre fe
calmerent , & Madame Henriette dormit jufqu'à
dix heures & demie. Un redoublement , qui furvint
, & qui fut accompagné d'une fréquente
foux , détermina les Médecins à faire faigner
cette Princeffe . La fiévre & la toux ne diminuant
point , Madame Henriette fut faignée à minuit
pour la feconde fois , & le 7 au matin pour la
troifiéme. Pendant la nuit du au 8 , Madame
Henriette fut plus tranquille . Elle eut le 8 à deux
heures après -midi un redoublement & comme
il ne dura que jufqu'à quatre heures du foir , on
conçut quelqu'efpérance ; la joie qu'avoit caufée
ce changement favorable , n'a pas été de longué
durée . La fievre redoubla tellement la nuit du 8
au 9 , que le 9 , à onze heures du matin , les Mé
decins ordonnerent une faignée du pied . Mada
me Henriette , dont l'état de moment en mo
ment devenoit plus dangereux , demanda le Vial
tique & il lui fut adminiftré par l'Evêque de
Meaux , premier Aumônier de cette Princefle &
de Madame Adelaide. Le Roi qui étoit revenu le
4- de Trianon , affilta , ainfi que la Reine , Monfeigneur
le Dauphin & Mefdames Adelaïde , Vic
toire & Louife , à cette trifte cerémonie . La nuit
du 9 au 10 a été plus fâcheufe encore que les pré
dentes. Le 10 au matin Madame Henriette a per
du toute connoiffance , & elle eft morte le même
jour vers une heure & demie après midi. Cette
Ptincelle qui fe nommoit Anne- Henriette , étoit

MARS. 1752 .. 207
gée de vingt- quatre ans , cinq mois & vingtfept
jours , étant née le 14 Août 1729, Son extrê
me affabilité , fon humeur bienfaifante , & les autres
vertus qui formoient fon caractere , lui attiroient
l'affection & le refpect de toutes les per
fonnes qui avoient l'honneur de l'approcher
Leurs Majeftés & la Famille Royale font dans la
plus grande affliction , & la Cour & la Ville par
tagent leur plus jufte douleur.
sada da sta6
DESCRIPTION
Des Fêtes données à Versailles par ordre du
Roi le 19 le 30 Décembre 1751. àc
Loccafion de la Naiffance de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne.
A Naiffance de Monfeigneur le Duc de Bour
gogne ayant comblé les voeux de la France
le Roi voulut qu'elle fut celebrée à Verfa illes par
des Fêtes dignes d'un évenement auffi cher à la
Nation.
M. leDuc deGefvres PremierGentilhomme de la
Chambre du Roi , en exercice , donna des ordres
en confequence. Ces Fêtes furent conduites par
Monfieur de Curys , Intendant & Contrôleur Général
de l'Argenterie , Menus Plaifirs , & Affaires
de la Chambre de Sa Majesté .
On n'eut que fixfemaines, environ , pour les préparatifs
, & tout fat prêt au teraps marqué , malgré
les incommodités d'une faifon contraire & ris
goureufe..
208 MERCURE DE FRANCE.
En face de la grande Gallerie , on avoit formé u
vafte plancher qui s'étendoit depuis l'allée de Saturne
jufqu'à celle qui conduit au Baffin du Dragon
: ce plancher conftruit fur un terrain inégal
commençoit au bout du parterre d'eau à quatre
pieds de hauteur & s'avançoit de 30 toifes jufqu'au
Baffin de Latone , au deffus duquel il avoit 36
pieds d'élévation .
Là fur un plancher circulaire de 142 toifes regnoient
trois grands corps d'Architecture dont le
principal étoit un Arc de Triomphe ifolé confacté
à la Félicité .
Cet édifice étoit d'ordre Corinthien ; on y
montoit par 9 dégrés de marbre blanc , la porte
triomphale avoit 40 pieds d'élévation , elle étoit
accompagnée de deux autres qui terminoient leur
forme quarrée au deffous de l'impofte à 28 pieds.
Au devant des maffifs qui les divifoient étoient
accouplées des Colonnes de lapis canelées & eutourées
de Guirlandes de roſes .
Leurs Pied- d'eftaux de marbre breche violette
encadroient des Paneaux de lapis , fur lesquels
éclatoient des Feftons en or.
Les Baffes & les Chapiteaux étoient de bronze
doré , la Corniche de marbre breche violette , l'Im.
pofte & les Archivoltes de marbre blanc veiné
ainfi que le Corps d'Architecture .
La Frife étoit feftonnée de Guirlandes de laurier
en or fur un fond de lapis , & à l'endroit ou
l'entablement faifoit reffaut fur chaqne Grouppe
de Colonnes elle étoit enrichie de Palmes furmontées
d'une Fleur de Lis.
Deux Bas reliefs en or de 14 pieds de longueur
fur 8 de hauteur , décoroient le deflus des Portes
laterales .
Dans l'un paroiffoit Apollon diſtribuant aux MuMARS.
1752. 209
Tes les différents attributs des Sciences & des
Beaux Arts.
On voyoit dans l'autre , Cérés fur fon Char ;
répandant l'abondance , elle étoit fuivie de la Concorde
& des Graces , & dans le fond du Tableau ,
on découvroit un Soleil naiffant.
Un Socle de marbre verd s'affermiffoit fur la
Corniche , & portoit à l'endroit des Colonnes ,
les Statues de la Juftice , de la Prudence . de la
Modération & de la Magnanimité.
Entre ces figures s'élevoit fur cinq dégrez de mar
bre jaune antique , un pied - d'eftal de forme circu
laire orné de canelures avec des ornemens en or ,
& ceint par le haut d'un tors de feuilles de Chêne
en bronze doré.
Sur ce pied- d'eftal on voyoit le Globe des Ar
mes de France , foutenu par la force & par diffé
rens Génies , la Victoire & la Paix le préſentoient
à la Félicité , cette derniere figure dominoit le
Grouppe , elle tenoit un Caducée , fimbole de l'u
nion , & felon les Egyptiens le Hyerogliphe de la
naiffance des Grands Hommes. D'une Corne d'abondance
qui étoit à fes pieds , fortoient des fruits
mêlés de Яeurs. De l'autre côté la Renommée
prenoit fon vol pour aller annoncer à l'Univers la
Naiffance du Prince & fes heureux deftins.
Toutes les Figures étoient de bronze doré , le Glo
be étoit de lapis , & fes Fleurs de lys d'or , de mê
me que fa Couronne qui terminoit Parc de triomphe
pat amortiffement à 97 pieds d'élévation.
Les deux autres corps d'architecture étoient
d'un ordre compofé , ils formoient des deux côtés
de l'Arc de triomphe une continuité d'arcades en
niches ornées de Paneaux & de Coquilles , ces niches
étoient féparées par des pilaftrcs revêtus de
Trophées en bronze doré qui fe détachoient far
Z10 MERCURE DE FRANCE.
un fond verd d'émeraude incrufté dans un marbre
blanc veiné.
Au- deflus des Trophées étoient des Camayeux
en azur en forme de médaillons , répréfentans
tous les Arts qui contribuent au bonheur & tous
les Etats qui y participent.
Des Guirlandes de fleurs de toute espéce leur
fervoient de bordures & le réunifloient en feftons
au deffus des Ceintres & des Pilaftres .
Des avant corps terminoient les aîles , ils étoient
órnés de Statues de différentes Divinités en bronze
doré , on y remarquoit d'un côté Jupiter , Junon
Mercure & Minerve , & de l'autre , Apollon , Dia
ne , Mars & Venus.
2
Les Balluftres d'or bordoient les galleries ou
plates-formes qui regnoient généralement fur les
édifices des parties laterales , ils étoient interrom➡
pus fur les avant corps feulement par des Frontons
on s'appuyoient des Faunes & des Tritons de
bronze doré , tenant des tors de feuilles de chêne
entremêlés de coquillages & fupportans des vaſes
de lapis furchargés de Girandoles .
On avoit auffi diftribué des Girandoles fur tous
les couronnemens , plufieurs luftres pendoient du
fein des archivoltes , & toutes les niches étoient
garnies d'Orangers dans des vafes d'or , autour
de quels jouoient des guirlandes de fleurs naturelles.
Trois grands efcaliers de fept degrez ſe preſentoient
au-devant de toute la décoration .
Le principal occupoit 20 toiles de face ; les deux
autres qui répondoient aux avant - corps avoient
chacun 12 toifes d'ouverture , des baluftres s'éten
doient entre ces eſcaliers d'un aîle à l'autre & for
moient carrément , & par des angles coupés des
retours en faillies pour accompagner les Corps
avancés.
MARS. 1752 211
Ces baluftrades étoient divifées par feize
Pied-d'eftaux portans des girandoles fur des for
mes d'ornemens en lapis , rehauffées d'or &
entourées de guirlandes de fleurs.
A travers les portes de l'arc triomphal
& par les espaces qui divifoient les trois grands
corps d'architecture , on découvroit dans l'éloignement
le Temple de la Félicité fur une
vafte terraffe , audevant de laquelle étoit une
fontaine ornée de Pilaftres ruftiques & de
Statues.
On montoit à cette terraffe par deux grands
efcaliers des colonnades d'Ordre Dorique
conduifoient aux dégrés du Temple.
Ce Temple étoit une rotonde d'Ordre Com
pofite , dont le corps étoit de Porphire , les
Colonnes & les Frifes d'émeraudes , & les Chapitaux
, Bazes , Architraves , & Corniches.
d'or , de même que les courbes & les feftons
qui enrichiffoient la Coupole..
:
·
On entroit dans ce Temple par huit Portiques
au milieu du Sanctuaire étoit un riche
baldaquin , dont les rideaux retrouffés , laiffoient
voir fur un Pied- d'eftal de marbre verd
antique , la Statue en or de la Félicité. Des
baluftres entouroient l'eftrade : au devant étoit
un Autel de Sacrifice , où brûloient des parfums
en actions de graces.
On appercevoit au de-là du Temple & des
colonnades , une partie des jardins de la Félicité
, où s'élevoient des Palmiers , des Lauriers
, des Myrthes , des Oliviers & autres Arbres
chargés de fleurs & de fruits .
Le Roi ordonna que cette décoration feroit
illuminée le 17 , & qu'elle ferviroit le 30
pour un feu d'artifice . Sa Majefté devant tenir
412 MERCURE DE FRANCE.
ces mêmes jours grand appartement , on décors
l'intérieur du Château avec autant de foin
que les jardins.
Trois rangées de luftres étoient attachées au
platfond de la gallerie par des gazes bouillonnées
, où s'entrelaçoient des feftons de rozes.
Ces gazes , & ces feftons étoient difpofés de
maniere qu'ils laiffoient voir tout l'éclat des
Peintures , & toute la richeffe des lambris .
Une multitude de girandoles s'élevoient à
la hauteur des luftres de chaque côté de la gallerie
, fur une longue file de gueridons dorés ,
& de torcheres d'argent d'une compofition ga
lante.
Des Amours affis fur ces torcheres , entre
des palmes & des mirthes , jouoient avec des
guirlandes de fleurs en cristaux , fous des berceaux
d'étoiles.
Les Sallons de la Guerre & de la Paix ter
minoient aux deux extrémités cette brillante
perſpective ; les autres appartemens étoient
décorés à proportion.
Le 19 , fur les fix heures du foir , le Roi &
toute la Conr s'étant rendus dans la gallerie ,
la décoration qui faifoit face au Château , parut
tout à coup illuminée , & malgré la con
trariété du vent , on fentit l'effet que devoient
produire les différentes efpéces d'illumination ,
que l'on n'avoit point encore hazardé d'employer
fous un même point de vue.
Leurs Majeftés , après avoir joui quelques
momens de la beauté de ce fpectacle , continuerent
de tenir appartement jufqu'à dix heures.
Il y eut enfuite grand couvert , pendant
lequel tout le monde eut la liberté d'entrer
dans les appartemens.
MARS. 17528 215
Le 30 du même mois , jour indiqué pour le
feu d'artifice , la décoration de l'arc de triomphe
& des ailes parut toute différente. Des
Mofaiques dorées & découpées , rempliffoient
les Piedeftaux , les Frifes , les Bas- reliefs , les
Pilaftres , les Médaillons.
Les Colonnes étoient cannelées à jour , &
ceintes de bandeaux. Leurs Bazes & leurs Cha
piteaux étoient découpés,
Des Piramides fpirales remplaçoient les
orangers qui avoient décoré les niches.
Aux luftres & aux girandoles en fuccederent
d'autres compofés d'artifice,
En face des corps d'Architecture étoient
plufieurs grandes Cafcades d'artifice en amphithéâtre
de quarante & cinquante pieds de
hauteur.
Au-devant de l'enceinte , on avoit placé
tout le long de la balustrade & vis- à- vis les
efcaliers de grandes Piéces figurées en compartimens.
Şur les côtés on voyoit des treillages en
berceaux qui s'étendoient jufqu'aux dégrés de
la terraffe du Château .
L'arangement de toutes ces différentes pié
ces compofoit une décoration légere & ga-
Jante , qui conftraftoit avec celle que l'on avoit
vû les jours précédens,
Sur les cing heures du foir , la gallerie fut
éclairée comme elle l'avoit été le 19 .
Au moment que Leurs Majeftés s'y rendirent
avec toute la Cour , on donna le fignal
pour tirer le feu d'artifice , qui devoit être
exécuté felon les difpofitions fuivantes.
Des fufées d'honneurs & des fufés de table
airées de l'arc de triomphe & des aîles , au
214 MERCURE DE FRANCE..
bruit d'une infinité de boëtes diftribuées dans
plufieurs endroits du Parc , devoient fervir
de prélude , & annoncer la premiere décoration
d'artifice , compofées de Piéces figurées ,
formant en feu brillant différentes Mofaïques
fucceffivement variées.
Après ce tableau , des gerbes , des Ifs , &
des napes de feu devoient occuper toute l'étendue
comprife entre les édifices , en même
tems que les grandes Cafcades paroîtroient ,
& donneroient naiffance à douze grands jets
portans leur feu à quarante pieds d'élévation.
On devoit voir enfuite tous les contours de
l'Architecture deffinés par des feux de lance ,
ainfi que les luftres , les girandoles & les piranides
tournantes , pendant que les Colonnes
les Bas-reliefs , les Pilaftres & les Médaillons
feroient pronnoncés par des feux mouvants
jouant derriere leurs découpures & leurs Mofaiques.
Au tiers de la durée des lances , devoient
paroître les treillages en berceaux qui bornoient
la terraffe , les Gloires qui couronnoient les
entablemens , & les Soleils fixes , dont le principal
fo moit un globe de feu de foixante pieds
de diametre.
Sur les trois corps d'Architecture étoient difpofés
des vafes lumineux , jettans continuellement
des étoiles & des ferpentaux , pour fervir
de cadre à cette brillante decoration .
Des bombes , des pluyes d'or , des grenades
à étoiles , de très groffes fufées de chevalet ,
des pots-à-feu , des pots-à-égrettes & des
feux de caiffes de toute e fpéce , etoient deftinés
à garnir les airs pendant toute la durée du
feu , qui devoit finir par une guirlande coma
MARS. 1752. 215
pofée d'une multitude infinie de fufées couromées
de bombes brillantes , s'élevant toutes
à la fois de l'arc de triomphe & des aîles.
Après le feu d'artifice , il y eut appartement
jufqu'à dix heures , & cette journée fe
termina , comme la premiere , par un grand
Couvert.
Ces Fêtes furent exécutées fur les plans &
deffeins des Sieurs Slodtz , Deffinateur du Cabinet
du Roi , Peintre & Sculpteur de fes menus
plaifirs.
Les Sieurs Dumas , Girault & Plenet furent
chargés de la conſtruction des charpentes , &
le Sieur Vedy , de la partie concernant la ferrurerie.
Le Sieur l'Evêque , Garde- Magazin des menus
, & toutes les perfonnes employées dans
cette partie , fe diftinguerent par leur exactitude
à exécuter les ordres dont on les avoit
chargés .
APPROBATIO N.
J'ai ld ,
Ai lú , par ordre de Monfeigneur le Chances
lier , le Mercure de France , du préfent mois,
A Paris , le 7 Mars 1752.
>
LAVIROTTE.
16
P1
TABLE .
IECES FUGITIVES en Vers & en Profe
Epitre à Monfieur le Marquis de Crillon , 3
Lettre à Monfieur Pirrhon ,
Eloge de la Poëfie. Epître à M. F * * *.
II
Lettre de M. de la Sauvagere à l'Auteur du Mercare
,
17
Epître de M. Desforges Maillard à ſa femme , 26
Réflexions fur l'exil écrites en François , par Mylord
Bolingbroke ,
30
La mort de Louife Reine de Dannemarcx . Ode
au Roi ,
Lettre écrite à l'Auteur du Mercure ,
Imitation de l'Italien ,
52
17
64
65
Lettre de M. le Chevalier de Mouhy à l'Auteur
du Mercure},
Difcours prononcé par M. l'Abbé de Pomponne ,
à la réception de M. le Prince de Condé , nommé
par Sa Majesté Chevalier de fes Ordres ,
Epître de M. Angliviel de la Beaumelle , à M. lo
"Colonel de Schmetow ,
Les Alpes ,
71
Mots des Enigmes & des Logogriphes du Mercure
de Février ,
Enigme & Logogriphes ,
Beaux- Arts ,
Nouvelles Littéraires
Spectacles ,
Nouvelles Etrangeres ,
73
84
109
110
118
141
J
3
190
"
200 France , nouvelles de la Cour , de Paris ,
Deſcription des Fêtes de Verſailles .
La Chanfon notée doit regarder la page 168
De l'Imprimerie de J. BULLOT,
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le