→ Vous voyez ici les données brutes du contenu. Basculez vers l'affichage optimisé.
Nom du fichier
1751, 10-11, 12, vol. 1-2
Taille
32.30 Mo
Format
Nombre de pages
891
Source
Année de téléchargement
Texte
MERCURE
DE
FRANCE ,
1 1
DÉDIÉ
AU
RO I.
OCTOBRE.
1751 .
SPARG
LIGIT
UT
"
Chez
A
PARIS ,
La Veuve
CAILLEAU , rue Saint
Jacques , à S André .
La Veuve
PISSOT, Quai de
Conty ,
à la defcente du Pont-Neuf.
JEAN DE
NULLY , au Palais .
JACQUES
BARROIS , Quai
des Auguſtins , à la ville de Nevers .
M.
DCC . LI.
Avec
Approbation &
Privilege du Roi.
HE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
A VIS.
ASTOR, LEO ADRESSE du Mercure eft à M. MERIEN
TILDEN FOUNDATIONS Commis au Mercure , rue de l'Echelle Saint Honoré
à Hotel de la Roche-fur - Yon, pour remettre à
M. l'Abbé Raynal..
1905,
Nous prians très -inftarnment ceux qui nous adreſſeront
des Paquets par la Pofte , d'en affranchir le port ,
pour nous épargner le déplaifir de les rebuter , & à eux
celui de ne pas voir paroître leurs Ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays Etrangers ,
quifouhaiterons avoir le Mercure de France de la premiere
main, plus promptement , n'auront qu'à
écrire à l'adreffe ci- deffus indiquée.
On l'envoye auffi par la Pofte , aux perfonnes de Province
qui le defirent , les frais de la pofte ne font pas
confiderables.
On avertit auffi que ceux qui voudront qu'on le porte
chez eux à Paris chaque mois , n'ont qu'à faire fçavoir
leurs intentions , leur nom & leur demeure auditfieur
Merien ,Commis au Mercure ; on leur portera le Mercure
très exactement , moyennant 21 livr s par an , qu'il s
payeront , fçavoir , 10 liv .. 10 f. en recevant le fecond
volume de Juin , & 10 l . 10 f. en recevant le fecond
volume de Décembre. On les fupplie inftamment de
donner leurs ordres pour que ces payemens foient faits
dans leurs tems.
*
On prie auffi les perfonnes de Province , à qui on
envoye le Mercure par la Pofte , d'être exactes à faire
payer au Bureau du Mercure à la fin de chaque fémeftre
, fans cela on feroit hors d'état de foutenir les
avances confidérables qu'exige l'impreffion de cet
ouvrage.
On adreffe lamême priere aux Libraires de Province:
Les perfonnes qui voudront d'autres Mercures que
ceux du mois courant , les trouveront chez la veuve
Pilot, Quai de Conti.
PRIX XXX. SOLS,
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ
AU
ROI.
OCTOBRE.
1751 .
PIECES
FUGITIVES ,
en
Vers & en
Profe.
EPITRE
A M. de
Vaumale,
Commiffaire des
Guerres.
Par M.
Clément ,
Chanoine de
Saint
Louis du
Louvre.
T
Andis qu'au fein de la
pareffe ,
Sourd aux doux &
frivoles fons ,
Du Dieu qui
préfide au
Permeffe ,
Je mets à profit les leçons
Que me fait
l'aimable
fageffe :
Cher
Vaumale ,
pourquoi viens-tu ,
Par ton Epitre
enchantereffe .
A ij
4
MERCURE DE
FRANCE.
Troubler ma
naiffante vertu ,
Et réveiller avec adreſſe
La folle &
poëtique yvreffe
D'un
penchant que j'ai combattu ›
Laiffe-moi ,
nouveau
Philofophe ,
Doubler la trop légere étoffe ,
Dont le Ciel dota ma raiſon ?
L'efprit dans l'arriere- faifon ,
N'a prefque plus rien qui
l'échauffe ,
Eft-on encor propre à la ſtrophe ,
Quand dix luftres rendent barbon ?
Il eft tems que je me retire ;
Phébus ceffe de me fourire ,
Pégaze
méconnoît ma voix ;
Je rime fans goût & fans choix ,
Et quand je veux pincer ma Lyre ,
Les cordes jurent fons mes doigs ;
Qu'eft devenu ce beau délire ,
Qui me fit honneur autrefois !
Ces jours brillans que je regrette ,
Pour moi feroient naître des Aeurs ;
Le Printems feul fait le Poëte ,
L'Automne fait les rimailleurs .
Ainh ton amitié fincére ,
Sentant le froid de mes propos ,
Auroit du laiffer en repos
Une Mufe
quinquagénaire ,
Et ménager de ton encens
La vapeur Aatteufe & légere ,
1
A
OCTOBRE.
S 1755.
Dont tu viens
d'enyvrer mes fens.
Si comme toi dans les
prairies ,
Conduit par l'attrait du loifir ,
Et
nourriffant mes
rêveries ,
Du fouffle léger du
Zéphir ,
Je pouvois exciter ma Mufe ,
Et de ce
charme qui
t'amuſe ,
Mefaireun
innocent plaifir ;
Peut-être qu'alors moins rebelle ,
Erato ,
qu'envain je
rappelle ,
Viendroit encore à mon fecours ,
Et pour
reffufciter ma veine ,
Je
verrois les eaux
d'hipocrêne ,
De
nouveau
reprendre leur
cours ;
Mais le
devoir qui me
maîtriſe ,
Des Offices qu'il
éterniſe ,.
Compofe mes
triftes
ennuis ;
A quoi
fommes- nous donc
réduits ,
Nous autres
pauvres gens
d'Eglife ,
Nous
chantons les jours & les nuits ,
Et ne
fortons
jamais de crife ;
Je te
l'avoue avec
franchiſe ,
Ce que
l'Aumuffe a de
flateur
N'adoucit
point
l'ennui du
Choeur.
Qu'importe
qu'elle me
décore ,
Si tous les jours avant
l'Aurore ,
Fixé vis-à-vis d'un
Lutrin ,
Baillant &
rebâillant
encore
Sur un gios Livre en
parchemin ,
A iij
6
MERCURE DE
FRANCE.
A côté de mainte pécore ,
J'exhale , en attendant la fin ,
La trifteffe qui me dévore.
Heureux le gros Bénéficier ,
Dont le revenu journalier
N'eft jamais le fruit de Matine ,
Et , qui pour fonder fa cuiſine ,
Et remplir un vafte cellier ,
N'a befoin que de fon Fermier ;
Et qui par pure fantaifie ,
Sans ferveur par fois balbutie ,
Cinq ou fix lignes du Pfeautier.
Tandis qu'une importune cloche ,
Par les fons aigus me reproche
Les douceurs d'un tendre fommeil ,
Qu'il faut
interrompre à l'approche
Du trop prompt lever du Soleil.
Lui , couché fur un lit de plume ,
Bravant le ferein & le rhume ,
Dans les bras d'un heureux repos ,
Loin du bruit, au fond d'une alcove ,
Végé.e s'engraiffe , ſe ſauve ,
Ronfle & réveille les échos.
Mais d'une fage,
Providence ,
Sans ceffe adorons les decrets ,
Et des dons qu'elle nous a faits
Marquons notre reconnoiffance ;
Jufques dans le facré bercail ,
Le Ciel mit de la diffonnance ,
OCTOBRE,
7 1751.
Le Chanoine eft pour le travail ,
L'Abbé n'eft que pour l'indolence ;
Celui-ci fous un beau camail ,
En gros gagne la récompenfe
Qu'après la mort Dieu nous diſpenſe ,
Et l'autre la gagne en détail.
Mais laiffons- là ce parallele ;
De mes foins le tableau fidelle
En ma faveur t'atendrira ,
Ton coeur fenfible me plaindra,
En penfant qu'un
Compatriote ,
Qui t'aime & toujours t'aimera ,
Loin de toi tous les jours marmote
Des Gaude & des Libera.
Ah ! fije pouvois de ma chaîne
Defferrer le noeud trop preffant ,
Bientôt des rives de la Seine
Je volerois à
Valcroiffant , (a)
Où l'enjoûment & la décence , (b)
L'efprit , les graces ,
l'agrément ,
Entr'eux toujours
d'intelligence
Prennent le ton du ſentiment ,
Et de concert forment l'enfance
D'Hébé , (c) qui fortant du Convent ,
Je crois regrette peu l'abfence
Du Monacal
amuſement.
(a ) Maison de campagne de M. de Vaumale.
(b) Mad. de Vaumale.
(c) Mlle de Vaumale.
A iiij
& MERCURE
DE FRANCE
.
Là fur les bords d'une fontaine ,
Des erreurs de la race humaine
Nous amuferions nos loiſirs ,
Et nous formerions nos plaifirs
De cent fottifes où l'entraîne
L'ambition de fes defirs .

Tantôt du haut d'une terraffe ,
Aflis , le Télescope en main
Nous lorgnerions avec dédain
Ces défoeuvrés , qui de la Place , (a)
Arpentant mille fois l'eſpace ,
Sçavent fi le Ciel eft ferein
3. Et le tems qu'il fera demain
Et qui croupiffant dans la caque ,
Où les fit naître le Deftin ,
Sçavent par coeur. George Dandin ,
Et trouvent que le Télémaque
Plaît moins à leur efprit opaque ,
Que les Chanfons de Pelegrin.
Tantôt .... Mais pourquoi me repaître
De ces chimériques plaifirs !
Ces chers climats qui m'ont vû naître ,
Excitent envain mes defirs ,
Contre eux Paris difpofe en Maître
De mon goût & de mes loisirs,
J'ai beau me retracer l'image
(a Rendez-vous pour les Nouvelliftes d'une Ville
de Province.
OCTOBRE.
1751.
Des biens qui m'y feroient offerts
Cet air pur , le Ciel fans nuage ,
Ces arbres (a) qui bravant l'outrage
Et des Etés &des Hyvers ,
De fleurs , de fruits toujours
couverts .
Font de cette fertile Plage
Le plus beau lieu de l'Univers ;
Tout cela de mon indolence
Ne fçauroit vaincre la lenteur ,
Mon efprit feul eft en Provence ,
Mais Paris occupe mon coeur.
(a) Les Orangers.
*AAA
****** ásásésés és ésés és és 232
REFUTATION
D'un Difcours qui a remporté le Prix de l' Académie
de Dijon en l'année 1750 , fur
cette Question propofée par la même Académie:
Si le
rétabliffement des Sciences
& des Arts a contribué à épurer les
moeurs. Cere réfutation a été lêve dans une
Séance de la Société Royale de Nancy , par
M. Gautier , Profeffeur de
Mathématique
d'Hiftoire.
L
Etabliffement
que fa Ma efté a procuré
pour
faciliter
le
développement
:
des talens
& du génie , a été
indirectement
attaqué
par un
ouvrage
, où l'on
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
tâche de
prouver que nos ames fe font corrompues
à mesure que nos Sciences & nos
Arts fe font perfectionnés
, & que le même
phénomène s'eft obfervé dans tous les
tems & dans tous les lieux. Ce Difcours
de M. Rouffeau renferme plufieurs autres
propofitions
, dont- il eft très important
de montrer la fauffeté , puifque felon des
fçavans Journalistes
, il paroît capable de
faire une révolution
dans les idées de notre
fiéele. Je conviens qu'il eft écrit avec
une chaleur peu commune , qu'il offre des
tableaux d'une touche mâle & correcte :
Plus la maniére de cet ouvrage eft grande
& hardie , plus il eft propre à en impofer ,
à accréditer des maximes pernicieufes. Il ne
s'agit pas ici de ces paradoxes littéraires ,
qui permettent de foutenir le pour on le
contre , de ces vains fujets d'éloquence où
l'on fait parade de penfées futiles , ingénieufement
contraftées. Je vais , Meffieurs
, plaider une caufe , qui intéreffe
votre bonheur. J'ai prévu qu'en me bornant
à montrer combien la plûpart des raifonnemens
de M. Rouffeau font défectueux
, je tomberois dans la féchereffe du
* Il y auroit de l'injuftice à dire que tous les raifonnemens
de M. Rouffeau font défectueux. Certe
propofition doit être modifiée ; il mérite beaucoup
d'éloges pour s'être élevé avec force contre les
ebus qui le giiffent dans les Arts & dans la République
des Lettres,
OCTOBRE. 1751 II
genre polémique. Cet inconvénient
ne
m'a point arrêté , perfuadé que la folidité
d'une réfutation de cette nature , fait fon
principal mérite.
Si , comme l'Auteur le prétend , les
fciences dépravent lesmoeurs , Staniflas le
bienfaifant fera donc blâmé par la poftérité
d'avoir fait un établiſſement pour les
rendre plus floriffantes , & fon Miniftre d'avoir
encouragé les talens & fait éclater les
fiens ; files fciences dépravent les moeurs ,
vous devez donc détefter l'éducation qu'on
vous a donnée , regretter amérement le
tems que vous avez employé à acquérir des
connoiffances & vous repentir des efforts
que vous avez faits pour vous rendre utiles
à la Patrie. L'Auteur que je combats eft l'apologifte
de l'ignorance , il paroît fouhaiter
qu'on brule les Bibliothéques;il avoue qu'il
heurre de front tout ce qui fait aujourd'hui
l'admiration des hommes & qu'il ne peut
s'attendre qu'à un blâme univerfel ; mais il
compte fur les fuffrages des fiécles à venir ;
il pourra les remporter ,n'en doutons point,
quand l'Europe retombera dans la barba
rie , quand fur les ruines des Beaux - Arts
éplorés , triompheront infolemment l'ignorance
& la rufticité.
Nous avons deux queftions à difcuter
l'une de fait , l'autre de droit. Nous exa-
A v
12 MERCURE DE FRANCE.
minerons dans la premiere partie de ce
Difcours , les Sciences & les Arts ont
contribué à corrompre les moeurs , & dans
la feconde, ce qui peut réfulter du progrès
des Sciences & des Arts confiderés en euxmêmes
: tel eft le plan de l'ouvrage que je
critique.
PREMIERE PARTIE.
Avant , dit M. Rouffeau , que l'Art eût
façonné nos maniéres , & appris à nos palfions
à parler un langage apprêté , nos
moeurs étoient ruftiques , mais naturelles ,
& la différence des procédés marquoit
au premier coup d'oeil celle des caractéres .
La Nature humaine au fond n'étoit pas
meilleure , mais les hommes trouvoient
leur fécurité dans la facilité de fe pénétrer
réciproquement , & cet avantage dont
nous ne fentons plus le prix ,leur épargnoit
bien des vices ; les foupçons, les ombrages,
les craintes , la froideur , la réferve , la
haine , la rrahifon , fe cachent fans ceffe
fous ce voile uniforme & perfide de politeffe
, fous cette urbanité fi vantée que nous
devons aux lumiéres de notre fiécle . Nous
avons les apparences de.e toutes les vertus
fans en avoir aucune .
Je réponds qu'en examinant la fource de
cette politeffe , qui fait tant d'honneur à
notre fiécle , & tant de peine à M.RoufOCTOBRE.
179 11
feau on découvre aifément combien
elle eft eftimable. C'eft le défir de plaire
dans la Société qui en a fait prendre l'efprit.
On a étudié les hommes , leurs humeurs
, leurs caractéres , leurs défirs , leurs
befoins , leur amour propre . L'expérience
a marqué ce qui déplait : On a analyfé les
agrémens , dévoilé leurs caufes , apprécié
le mérite , diftingué fes divers dégrés.
D'une infinité de réflexions fur le beau ,
l'honnête & le décent s'eft formé un Art
précieux , l'Art de vivre avec les hommes ,
de tourner nos befoins en plaifirs , de répandre
des charmes dans la converfation ,
de gagner l'efprit par fes difcours & les
coeurs par fes procédés. Egards , attentions,
complaiffances , prévenances , refpect ,
autant de liens qui nous attachent mutuellement
.Plus la politeffe s'eft perfectionnée ,
plus lafociété a été utile aux hommes ; on
s'eft plié aux bienféances , fouvent plus
puiffantes que les devoirs ; les inclinations
font devenues plus douces , les caractéres
plus lians , les vertus fociales plus communes.
Combien ne changent de difpofitions
que parce qu'ils font contraints de
paroître en changer ! Celui qui a des vices
pour
eft obligé de les déguifer , c'est lui
un avertiffement continuel qu'il n'eft pas
ce qu'il doit être fes moeurs prennent
14 MERCURE DE FRANCE.
infenfiblement la teinte des moeurs reçues.
La néceffité de copier fans ceffe la vertu ,
le rend enfin vertueux ; ou du moins fes
vices ne font pas contagieux , comme ils le
feroient, s'ils le préfentoient de front avec
cette rufticité que regrette mon adversaire .
Il dit que les hommes trouvoient leur
fécurité dans la facilité de fe pénétrer réciproquement
, & que cet avantage leur
épargnoît bien des vices ; il n'a pas confidéré
que la Nature humaine n'étant pas
meilleure alors , comme il l'avouë , la rufticité
n'empêchoit pas le déguifement . On
en a fous les yeux une preuve fans réplique:
On voit des Nations dont les maniéres ne
font pas façonnées , ni le langage apprêté ,
ufer de détours , de diffimulations & d'artifices
, tromper adroitement fans qu'on
puiffe en rendre comptables les Belles -Lettres
, les Sciences & les Arts.
D'ailleurs fi l'Art de fe voiler s'eft perfectionnné
, celui de pénétrer les voiles a
fait les mêmes progrès . On ne juge pas
des
hommes fur de fimples apparences , on
n'attend pas à les éprouver , qu'on foit
dans l'obligation indifpenfable de recourir
à leurs bienfaits. On eit convaincu qu'en
général , il ne faut pas compter fur eux ,
moins qu'on ne leur plaife, ou qu'on ne leur
foit utile , qu'ils n'ayent quelqu'intérêt à
OCTO BR E.
1751 IS
nous rendre fervice On fçait évaluer les of
fres fpécieufes de la politeffe & ramener fes
expreffions à leur fignification reçue . Ce
n'eft pas qu'il n'y ait une infinité d'ames no.
bles,qui en obligeant ne cherchent que le
plaifir même d'obliger. Leur politeffe a un
ton bien fupérieur à tout ce qui n'eft que cérémonial
, leur candeur , un langage qui lui
eft propre,teur mérite eft leur Art de plaire.
Ajoutez que
fuffic pour acquérir cette politeffe dont fe
pique un galant homme ; on n'eft donc
pas
fondé à en faire honneur aux Sciences.
A quoi tendent donc les éloquentes
déclamations de M. Rouffeau ? Qui ne
feroit pas indigné de l'entendre affûrer
que nous avons les apparences de toutes
les vertus fans en avoir aucune. Eh ! pour.
quoi n'a- t-on plus de vertu ? c'eft qu'on
cultive les Belles Lettres , les Sciences &
les Arts ; fi l'on étoit impoli , ruftique ,
ignorant , Goth , Hun ou Vandale , on
feroit digne des éloges de M. Rouffeau .
Ne fe laffera- t- on jamais d'invectiver les
hommes ? Croira- t-on toujours les rendre
plus vertueux , en leur difant qu'il n'ont
point de vertu ? -fous prétexte d'épurer les
moeurs , eft- il permis d'en renverfer les ap .
puis O doux noeuds de la Société
charmes des vrais Philofophes , aimables
le feul commerce du monde
16 MERCURE DE FRANCE.
vertus , c'eſt par vos propres attraits que
Vous regnez dans les coeurs , vous ne devez
votre empire ni à l'âpreté ftoïque ,
ni à des clameurs barbares , ni aux confeils
d'une orgueilleuse rufticité.
M. Rouffeau attribue à notre fiècle des
défauts & des vices qu'il n'a point ou qu'il·
a de commun avec les Nations qui ne font
pas policées, & il en conclud que le fort des
moeurs & de la probité a été réguliérement
affujetti aux progrès des Sciences &:
des Arts. Laiffons ces vagues imputations
& paffons au fait.
Pour montrer que les fciences ont corrompu
les moeurs dans tous les tems , il
dit que plufieurs peuples tomberent fous
le joug , lorsqu'ils étoient les plus renommés
par la culture des fciences . On (çait
bien qu'elles ne rendent point invincibles,
s'enfuit- il qu'elles cotrompent les moeurs ?
Par cette façon finguliére de raifonner ,
on pourroit couclure auffi que l'ignorance
entraîne leur dépravation , puifqu'un grand
nombre de Nations barbares ont été fubjuguées
par des peuples amateurs des
Beaux-Arts. Quand même on pourroit
prouver par des faits que la diffolution des
moeurs a toujours regné avec les Sciences ,
il ne s'enfuivroit pas que le fort de la probité
dépendît de leurs progrès. Lorfqu'une
OCTOBRE . 1751. 17
Nation jouit d'une tranquille abondance ,
elle fe porte ordinairement aux plaifirs &
aux Beaux -Arts . Les richeffes procurent
les moyens de fatisfaire fes paffions , ainfi
ce feroient les richeffes & non pas les
Belles-Lettres qui pourroient faire naître
la corruption dans les coeurs , fans parler
de plufieurs autres caufes qui n'influenc
pas moins que l'abondance fur cette dépravation
, l'extrême pauvreté eft la mere
de bien des crimes, & elle peut être jointe
avec une profonde ignorance . Tous les
faits donc qu'allegue notre adverfaire ne
prouvent point que les Sciences corrom-
Fent les moeurs.
Il prétend montrer par ce qui eft arrivé
en Egypte , en Grèce , à Rome , à Conftantinople
, à la Chine que les Arts énervent
les peuples qui les cultivent. Quoique
cette affertion fur laquelle il infifte principalement
paroiffe étrangere à la queftion
dont il s'agit , il eft à propos d'en montrer
la faufferé . L'Egypte , dit- il , devint
la mere de la Philofophie & des Beaux-
Arts & bientôt après la conquête de Cambife
mais bien des fiécles avant cette
époque , elle avoit été foumife par des
bergers Arabes , fous le regne de Timaus.
Leur domination dura plus de cinq
cens ans. Pourquoi les Egyptiens n'eurent-
:
18 MERCURE DE FRANCE.
ils pas même alors le courage de le défendre
? Etoient - ils énervés par les Beaux- Arts
qu'ils ignoroient ? Sont- ce les Sciences qui
ont efféminé les Afiatiques & rendu lâches
à l'excès tant de Nations barbares de
l'Afrique & de l'Amérique .
Les victoires que les Athéniens remportérent
fur les Perfes & fur les Lacédémoniens
même , font voir que les Arts
peuvent s'affocier avec la vertu militaire.
Leur Gouvernement devenu vénal fous
Périclés , prend une nouvelle face , l'amour
du plaifir étouffe leur bravoure , les fonctions
les plus honorables font avilies, l'im
punité multiplie les mauvais Citoyens
les fonds deftinés à la guerre , font employés
à nourrir la moleffe & l'oifiveté ;
toutes ces caufes de corruption , quel rap
port ont- elles aux ſciences ?
De quelle gloire militaire les Romains
ne fe font- il pas couverts dans le tems
que la Lireérature étoit en honneur à Rome?
Etoient-ils énervés par les Arts ,
lorfque Cicéron difoit à Célar , vous avez
dompté des Nations fauvages & féroces ,
innombrables par leur multitude , répandues
au loin en divers lieux ? Comme un
feul de ces faits fuffit pour détruire les raifoanemens
de mon adverfaire , il feroit
inutile d'infifter davantage fur cet article..
E. 19 OCTOBRE. 1751 .
fen On connoît les caufes des révolutions qui
-Arts arrivent dans les Etats. Les ſciences ne
s qui pourroient contribuer à leur décadence
qu'au cas que ceux qui font diftinés à les
de défendre , s'occuperoient des fciences au
point de négliger leurs fonctions militai❤
emres ; dans cette fuppofition , toute occuédé
pation étrangere à la guerre auroit les mê-
Arts mes fuites.
Lire M. Rouffeau , pour montrer que l'ifous
gnorance préferve les moeurs de la corrupout
tion , paffe en revûe les Scithes , les prenc
miers Perfes , les Germains & les Rom
mains dans les premiers tems de leur Réms
, publique , & il dit que ces peuples ont par
leur vertu , fait leur propre bonheur &
té l'exemple des autres Nations. On avoue
que Juftin a fait un éloge magnifique des
Scithes , mais Hérodote & des Auteurs
as citéspar Strabon , les repréfentent comme
sune Nation des plus féroces. Ils immoloient
au Dieu Mars , la cinquième partie
de leurs prifonniers & crevoient les yeux
Z aux autres. A l'anniverfaire d'un Roi ils
étrangloient cinquante de fes Officiers.
Ceux qui habitoient vers le Pont- Euxin ſe
nourriffoient de la chair des étrangers qui
arrivoient chez eux. L'Hiftoire des diverfes
Nations Scithes , offre par tout des
traits ou qui les deshonorent , ou qui font
>
20 MERCURE DE FRANCE.
par
horreur à la Nature . Les femmes étoient
communes entre les Maffagetes ; les perfonnes
âgées étoient immolées leur
parens , qui fe régaloient de leurs chairs.
Les Agatyrfiens ne vivoient que de pillage
& avoient leurs femmes en commun. Les
Antropophages , au rapport d'Hérodote ,
étoient injuftes & inhumains. Tels furent
les Peuples qu'on propofe pour exemple
aux autres Nations .
A l'égard des anciens Perfes , tout le
monde convient fans doute avec M. Rolin
qu'on ne fçauroit lire fans horreur julqu'où
ils avoient porté l'oubli & le mépris
des Loix les plus communes de la Nature.
Chez eux toutes fortes d'inceſtes étoient
autorifés. Dans la Tribu Sacerdotale , on
conféroit prefque toujours les premieres
dignités à ceux qui étoient nés du mariages
d'un fils avec fa mere. Il falloit qu'ils
fuffent bien cruels pour faire mourir des
enfans dans le feu qu'ils honoroient.
Les couleurs dont Pomponius - Mela
peint les Germains , ne feront pas naître
non plus l'envie de leur reffembler : Peuple
naturellement féroce , fauvage jufqu'à
manger de la chair crue , chez qui
le vol n'eft point une chofe honteufe &
qui ne reconnoît d'autre droit que fa
force.
OCTOBRE.
1751. 21
Que de reproches auroit eu raifon de faire
aux Romains , dans le tems qu'ils n'étoient
point encore familiarifés avec les
Lettres , un Philofophe éclairé de toutes
les lumières de la raifon . Illuftres Barbares
, auroit- il pu leur dire , toute votre
grandeur n'est qu'un grand crime.
Quelle fureur vous anime & vous porte à
ravager l'univers ; tigres altérés du fang
des hommes , comment ofez-vous mettre
votre gloire à être injuftes , à vivre de pillage
, à exercer la plus odieufe tyrannie ?
Qui vous a donné le droit de difpofer
de nos biens & de nos vies , de nous
rendre efclaves &
malheureux , de répandre
par tout la terreur , la défolation
& la mort ? Eft ce la grandeur d'ame dont
Vous vous piquez ? O déteftable grandeur
qui fe repaît de miféres & de calamités
! n'acquerez - vous de prétendues vertus
que pour punir la terre de ce . qu'elles
Vous ont couté ? Eft- ce la force ? Les Loix
de l'humanité n'en ont donc plus ? Sa voix
ne fe fait donc point entendre à vos coeurs ?
Vous méprifez la volonté des Dieux qui
vous ont deſtiné , ainſi que nous , à paffer
tranquilement quelques inftans fur la terre
; mais la peine est toujours à côté du
crime ; vous avez eu le bonheur de paffer
fous lejoug , la douleur de voir vos armées
22 MERCURE DE FRANCE.
par
taillées en piéces , & vous aurez bientôt
celle de voir la République fe déchirer
Les propres forces . Qui vous empêche
de paffer une vie agréable dans le fein de
la paix , des Arts , des Sciences & de la
vertu ? Romains , ceffez d'être injuftes ,
ceffez de porter en tous lieux les horreurs
de la guerre & les crimes qu'elle entraîne.
Mais je veux qu'il y ait eu des Nations
vertueufes dans le fein de l'ignorance , &
je demande fi ce n'eft pas à des loix fages
maintenues avec vigueur , avec prudence ,
& non pas à la privation des Arts qu'elles
ont été redevables de leur bonheur. En
vain prétend- on que Socrate même & Caton
ont décrié les Lettres , il ne furent
jamais les apologistes de l'ignorance. Le
plus fçavant des Athéniens avoit raifon de
dire que la préfomption des hommes d'Etat
, des Poëtes & des Artiftes d'Athénes ,
terniffoit leur fçavoir à fes yeux , & qu'ils
avoient tort de fe croire les plus fages des
hommes ; mais en blâmant leur orgueil &
en décréditant les Sophiftes , il ne faifoit
point l'éloge de l'ignorance , qu'il regar
doit comme le plus grand mal. Il aimoit à
tirer des fons harmonieux de la lyre avec
la main dont il avoit fait les ftatues das
graces. La Rhétorique , la Phyfique , l'Af
E.
OGTOBRE. 1751. 23
bien tronomie furent l'objet de fes études , &
hire felon Diogène de Laerce il travailla aux
ech Tragédiesd'Euripide. Il eft vrai qu'il s'apinpliqua
principalement à faire une fcience
del de la morale & qu'il ne s'imaginoit pas fçates
voir ce qu'il ne fçavoit pas : eft ce là favorifer
l'ignorance ? Doit- elle fe prévaloir
reur
age
Ca
en
en du déchaînement de l'ancien Caton contre
ces difcoureurs artificieux , contre ces
Grecs qui apprenoient aux Romains l'Art
funefte de rendre toutes les vérités douteufes.
Un des Chefs de la troifiéme Académie
, Carnéade montrant en préfence de
lle Caton la néceffité d'une loi naturelle , &
Erenverfant le lendemain ce qu'il avoit établi
le jour précédent , devoit naturellement
prévenir l'efprit de ce Cenfeur contre
la Littérature des Grecs. Cette prévention
à la vérité s'étendit trop loin , il en
Efentit l'injuftice & la répara en apprenant
la langue Grecque, quoiqu'avancé en âge ;
il forma fon ftyle fur celui de Thucydide
& de Demofthéne & enrichit fes ouvrages
des maximes & des faits qu'il en tira. L'Agriculturé
, la Médecine la Médecine , l'Hiftoire &
beaucoup d'autres matiéres exercerent fa
plume. Ces traits font voir que fi Socrate
&Caton cuffent fait l'éloge de l'ignorance ,
ils fe feroient cenfurés eux-mêmes , & M.
Rouffeau , qui a fi heureufement cultivé
es
-
24 MERCURE DE FRANCE.
les Belles Lertres , montre combien elles
font eftimables par la maniere dont il exprime
le mépris qu'il paroît en faire ; je dis
qu'il paroît, parcequ'il n'eft pas vrai-femblable
qu'il faffe peu de cas de fes connoiffances
. Dans tous les tems on a vû des Auteurs
décrier leurs fiécles & louer à l'excès desNa
tions anciennes . On met une forte de gloire
à fe roidir contre les idées communes
de fupériorité , à blâmer ce qui eft loué ,
de grandeur à dégrader ce que les hommes
eftiment le plus.
La meilleure maniére de décider la
queſtion de fait dont il s'agit , eft d'examiner
l'état actuel des moeurs de toutes les
Nations . Or il réfulte de cet examen fait
impartialement , que les peuples policés &
& diftingués par la culture des Lettres &
des Sciences , ont en général moins de vices
que ceux qui ne le font pas. Dans la
Barbarie & dans la plupart des
pays Orientaux
regnent des vicesqu'il ne conviendroit
pas même de nommer. Si vous parcourez
les divers Etats d'Afrique ,vous êtes étonné
de voir tant de peuples fainéans , lâches ,
fourbes , traîtres , cruels , avares , voleurs
& débauchés. Là font établis des ufages
inhumains , ici l'impudicité eft autorilée
par les Loix . Là le brigandage & le meurtres
font érigés en profeffions ; ici on eft
pas
tellemen t
OCTOBRE. 1751 25
ex
dis
bla
20
Va
mes
1.
nes
f∙ILL
les
&L
tellement barbare qu'on fe nourrit de chair
humaine. Dans plufieurs Royaumes les maris
vendent leurs femmes & leurs enfans ;
en d'autres on facrifie des hommes au démon
, on tue quelques perfonnes pour
faire honneur au Roi , lorfqu'il paroît en
public , ou qu'il vient à mourir. L'Afie &
l'Amérique offrent des tableaux femblables.
*
L'ignorance & les moeurs corrompues
des Nations qui habitent ces vaftes Contrées
font voir combien porte à faux cette
réflexion de mon adverfaire : Peuples , (çachez
une fois que la Nature a voulu vous
préferver de la fcience , comme une mere
arrache une arme dangereufe des mains de
fon enfant , que tous les fecrets qu'elle
vous cache font autant de maux dont elle
vous garantir , & que la peine que vous
trouvez à vous inftruire n'eft pas le moindre
de fes bienfaits. J'aimerois autant qu'il
eût dit , peuples , fçachez une fois que
la Nature ne veut pas que vous vous nourriffiez
des productions de la terre. La peine
qu'elle a attachée à fa culture eft un avertiffement
de la laiffer en friche.
pour vous
Il finit la premiere partie de fon Difcours
• * Les bornes étroites que je me fais prefcrites
m'obligent à renvoyer à l'Hiftoire des Voyages
& àl'Hiftoire Générale par M. l'Abbé Lambert.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
par cette réflexion ; Que la probité eft fille
de l'ignorance & que la fcience & la vertu
font incompatibles . Voilà un fentiment
bien contraire à celui de l'Eglife ; elle regarda
comme la plus dangereufe des per
fécutions la défenfe que l'Empereur Julien
fit aux Chrétiens d'enfeigner à leur enfans
, la Rhétorique , la Poëtique & la
Philofophie,
SECONDE PARTIE,
M. Rouffeau entreprend de prouver
dans la feconde partie de fon Difcours que
l'origine des fciences eft vicieuſe , leurs ob.
jets vains & leurs effets pernicieux .C'étoit,
dit- il, une ancienne tradition paffée de l'Egypte
en Grèce , qu'un Dieu ennemi du repos
des hommes étoit l'inventeur des fcien .
ces , d'où il infére que les Egyptiens , chez
qui elles étoient nées , n'en avoient pas
une opinion favorable. Comment accor
der fa conclufion avec ces paroles : Reme
des pour les maladies de l'ame : Infcription
qu'au rapport de Diodore de Sicile on li
feit far le fontifpice de la plus ancienne
des Bibliothéques , de celle d'Ofymandias
Roi d'Egypte.
Il affure que l'Aftronomie eft née de la
fuperftition , l'éloquence de l'ambition ,
de la haine , de la flaterie , du menſonge ;
OCTOBRE. 1751. 27
C
1
la Géométrie de l'avarice , la Phyfique
d'une vaine curiofité; routes & la morale
même de l'orgueil humain , Il fuffit de rapporter
ces belles découvertes pour en faire
connoître toute l'importance. Jufqu'ici on
avoit cru que les Sciences & les Arts devoient
leur naifance à nos befoins , on
l'avoit même fait voir dans plufieurs onvrages.
Vous dites que le défaut de l'origine des
Sciences & des Arts ne nous eft que trop
retracé dans leurs objets. Vous demandez
ce que nous ferions des Arts fans le luxe
qui les nourrit. Tout le monde vous répondra
que les Arts inftructifs & miniftériels
indépendamment du luxe fervent aux
agrémens , ou aux commodités , ou aux
befoins de la vie.
Vous demandez à quoi ferviroit la
Jurifprudence fans les injuftices des hom .
mes. On peut vous répondre qu'aucun
corpspolitique ne pouroit fubfifter fans
loix , ne fût-il compofé que d'hommes juftes.
Vous voulez fçavoir ce que devien
droit l'Hiftoire s'il n'y avoit ni tyrans , ni
guerres , ni confpirateurs. Vous n'ignorez
cependant pas que l'Hhiftoire Univerſelle
contient la defcription des Pays , la religion
, le gouvernement , les moeurs , le
commerce & les coutumes des Peuples , les
Bij
"
28 MERCURE DE FRANCE.
dignités , les Magiftratures , les vies des
Princes pacifiques , des Philofophes & des
Artiftes célébres ; tous ces fujets qu'ont-ils
de commun avec les tyrans , les guerres ,
& les Confpirateurs?
pour
Sommes-nous donc faits , dites vous ,
mourir attachés fur les bords du puits
où la vérité s'eft retirée ; cette fenle vérité
devroit rebuter dès les premiers pas tout
homme qui chercheroit férieufement à
s'inftruire par l'étude de la Philofophie.
Vous fçavez que les fciences dont on occupe
les jeunes Philofophes dans les Univerfités
,
font la Logique , la Métaphyfique , la
morale , la Phyfique , les Mathématiques
élémentaires. Ce font donc là felon vous
de ftériles fpéculations. Les Univerfités
vous ont une grande obligation de leur
avoir appris que la vérité de ces Sciences
s'eft retirée au fond d'un puits. Les grands
Philofophes qui les poffèdent dans un dégré
éminent font fans doute bien furpris
d'apprendre qu'ils ne fçavent rien . Ils ignoreroient
auffi , fans vous , les grands dangers
que l'on rencontre dans l'inveftigation
des Sciences. Vous dites que le faux eft
fufceptible d'une infinité de combinaiſons
& que la vérité n'a qu'une maniere d'être ;
mais n'y a-t-il pas différentes routes , dif
férentes méthodes pour arriver à la vérité .
OCTOBRE. 1751 .
29
Qui eft- ce d'ailleurs , ajoutez- vous , qui
la cherche bien fincérement ? A quelle
marque eft on fur de la reconnoître ? Les
Philofophes vous répondront qu'ils n'ont
appris les Sciences que , pour les fçavoir &
en faire ufage & que l'évidence , c'est- àdire
, la perception du rapport des idéés
eft le caractére diftinctif de la vérité &
qu'on s'en tient à ce qui paroît le plus probable
dans des matiéres qui ne font pas fufceptibles
de démonftration. Voudriezvous
voir renaître les fectes de Pyrrhon
d'Arcéfilas ou de Lacyde ?
Convenez
que
vous auriez
Vous pu dif
penfer de parler de l'origine des Sciences &
leur's que vous n'avez point prouvé que
objets font vains. Comment l'auriez vous
pu faire , puifque tout ce qui nous environne
nous parle en faveur des Sciences &
des Arts habillemens , meubles , bâtimens
, Bibliothéques , ufuines , productions
des Pays Etrangers dues à la Navigation
dirigée par l'Aftronomie . Là les Arts
Méchaniques mettent nos biens en valeur.
Les progrès de l'Anatomie affûrent
ceux de la Chirurgie. La Chymie , la Botanique
nous préparent des remédes , les
Arts libéraux , des plaifirs inftructifs . Ils
s'occupent à tranfmettre à la postérité le
fouvenir des belles actions & immortali-
1
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
fent les grands hommes & notre reconnoiffance
pour les fervices qu'il nous ont
rendus. Ici la Géométrie appuyée de l'Algébre
préfide à la plupart des fciences ;
elle donne des leçons à l'Aftronomie ,
la Navigation , à l'Artillerie , à la Phyfique.
Quoi tous ces objets font vains !
oui , & felon M. Rouffeau , tous ceux qui
s'en occupent font des Citoyens inutiles ,.
& il conclu que tout Citoyen inutile peut
être régardé comme pernicieux . Que disje
, felon lui , nous ne fommes pas même
des Citoyens . Voici fes propres paroles :
Nous avons des Phyficiens , des Géomé ---
tres , des Chymiftes , des Aftronomes ,
des Poëtes , des Muficiens , des Peintres ,
nous n'avons plus de Citoyens , ou s'il
nous en refte encore, difperfés dans nos
Campagnes abandonnées , ils y périffent
indigens & méprifés ; ainti , Meffieurs ,
ceffez donc de vous regarder comme des
Citoyens. Quoique vous confacriez vos
jours au fervice de la fociété , quoique
vous rempliffiez dignement les emplois.
où vos talens vous ont appellés , vous
n'êtes pas dignes d'être nommés Citoyens .
Cette qualité eſt le partage des Payfans, &
il faudra que vous cultiviez tous la terre
pour la mériter. Comment ofe -t- on infulter
ainfi une Nation qui produit taot
2
OCTOBRE . 1751. T
on
ont
Als!
S₁
zat
Na
d'excellens Citoyens dans tous les Etats !
O Louis le Grand ! quel feroit votre
étonnement , fi rendu aux voeux de la
France & à ceux du Monarque qui la gouverne
en marchant fur vos traces glorieufes
, vous appreniez qu'une de nos Acadé
mies a couronné un ouvrage , où l'on fontient
que les Sciences font vaines dans leur
objet , pernicieufes dans leurs effets ,
que ceux qui les cultivent ne font pas
Citoyens Quoi pourriez- vous dire ,
j'aurois imprimé une tache à ma gloire
pour avoir donné un azile aux mafes , établi
des Académies , rendu la vie aux
Beaux Arts , pour avoir envoyé des Aftronomes
dans les Pays les plus éloignés ,
recompenfé les talens & les découvertes
artiré les Sçavans près du Trône ! Quor !
j'aurois terni ma gloire pour avoir fait
naître des Praxitéles & des Syfippes , des
Appelles & des Ariftides , des Amphions
& des Orphées ! que tardez - vous de brifer
ces inftrumens des Arts & des Sciences ,
de brûler ces précieufes dépouilles des
Grecs & des Romains , toutes les Archives
de l'efprit & du génie ? Replongez
vous dans les ténébres épaiffes de la barbarie
, dans les préjugés qu'elle confacre fous
les funeftes aufpices de l'ignorance & de
la fuperftition . Renoncez aux lumiéres de
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
votre fiécle ; que des abus anciens ufurpent
les droits de l'équité ; rétabliffez des
loix civiles contraires à la loi naturelle ;
que l'innocent qu'accufe l'injuftice foit
obligé pour fe juftifier , à s'expofer à périr
par l'eau ou par le feu ; que des peuples
aillent encore maffacrer d'autres peuples
fous le manteau de la religion ; qu'on faſfe
les plus grands maux avec la mêine tranquilité
de confcience qu'on éprouve à faire
les plus grands biens : telles & plus déplorables
encore feront les faites de cette
ignorance où vous voulez rentrer.
Non , Grand Roi , l'Accadémie de Dijon
n'eft point cenfée adopter tous les fentimens
de l'Auteur qu'elle a couronné.
Elle ne pense point comme lui que les travaux
des plus éclairés de nos Sçavans &
de nos meilleurs Citoyens ne font prefque
d'aucune utilité. Elle ne confond point
comme lui les découvertes véritablement
utiles au genre humain avec celles dont
on n'a pu encore tirer des fervices , faute
de connoître tous leurs rapports & l'enfemble
des parties de la Nature ; mais elle
penfe ainfi que toutes les Académies de
l'Europe, qu'il eft important d'étendre de
toute part les branches de notre fçavoir ,
d'en creufer les Analogies , d'en fuivre
toutes les ramifications. Elle fçait que
OCTOBRE .
30989 es
telle
connoiffance qui
paroît
ftérile pen- 1751.
33
dant un tems peut ceffer de l'être par des
applications dues au génie , à des
recherches
laborieufes , peut-être même au hazard.
Elle fçait que pour élever un édifice
, on
raffemble des
matériaux de
toutes
efpeces , ces piéces
brutes , amas
informe
ont leur
deftination ,
l'Art les
dégroffit
& les
arrange , il en
forme des chefs
d'oeuvre
d'Architecture & de bon goût.
On peut dire qu'il en eft en
quelque
forte de
certaines
vérités
détachées du
de celles dont
l'utilité eft
teconnue ,
corps
comme de ces
glaçons
errans au gré du
hazard fur la
furface
des
Aeuves ; ils fé
réuniffent , ils fe
fortifient
mutuellement
&
fervent à les
traverfer.
Si
l'Auteur a
avancé fans
fondement que
cultiver les
Sciences eft
abuſer du
tems ,
il n'a pas eu
moins de tort
d'attribuer le
luxe aux
Lettres & aux Arts. Le luxe eft:
une
fomptuofité
que font
naître les biens
partagés
inégalement. La
vanité à
l'aide
de
l'abondance
cherche à fe
diftinguer &
procure à
quelques Arts les
moyens de lui
fournir le
fuperflu ; mais ce qui eft
fuper-
Au
par rapport à certains états eft néceffaire
à
d'autres, pour
entretenir
les
diftinctions
qui
caractérisent
les
rangs
divers
de:
la
fociété
. La
religion
même
ne
condamne
:
Βγ
34 MERCURE DE FRANCE.
point les dépenfes, qu'éxige la décence de
chaque condition . Ce qui eft luxe pour
l'artifan peut ne pas l'être pour l'homme
de robe où l'homme d'épée. Dira- t-on quedes
meubles ou des habillements d'un
grand prix dégradent l'honnête homme.
& lui tranfmettent les fentimens de l'hom ,
me vicieux ? Caton le grand , folliciteur
des Loix fomptuaires , fuivant la remarqued'un
politique , nous eft dépeint avare
& intempérant , même ufurier & yvrogne;
au lieu que le fomptueux Lucullus , enco- .
re plus grand Capitaine & auffi jufte que
lui fut toujours libéral & bien- faifant.
Condamnons la fomptuofité de Lucullus.
& de fes imitateurs , mais ne concluons
pas qu'il faille chaffer de nos murs les Sçavans
& les Artiftes. Les paffions peuvent
abufer des Arts , ce font elles qu'il faut
réprimer. Les Arts font le foutien des
Etats ; ils réparent continuellement
l'inégalité
des fortunes & procurent le néceffaire
phyfique à la plupart des Citoyens...
Les terres , la guerre ne peuvent occuper
qu'une partie de la Nation
pourront fubfifter les autres fujets , files
Fiches craignent de dépenfer , fi la circulation
des espéces eft fufpenduepar une économie
fatale à ceux qui ne peuvent vivre
que du travail de leurs mains
comment
E.
OCTOBRE
1731 .
35°
edel
Dour
me
que
d'un
Om
que
are
res
•0-
Tandis , ajoute l'Auteur , que les commodités
de la vie fe multiplient , que les
Arts fe perfectionnent & que le luxe s'étend
, le vrai courage s'énerve , les vertus
militaires s'évanouiffent & c'est encore
me l'ouvrage des Sciences & de tous ces Arts
s'exercent dans l'ombre du cabinet .
Ne diroit-on pas , Meffieurs , que tous
nos foldats font occupés à cultiver les
Sciences & que tous leurs Officiers font des
Maupertuis & des Réaumur ? S'eft on apperçu
fous les regnes de Louis XIV. &
de Louis XV . que les vertus militaires
fe foient évanouies. Si on veut parler des
Sciences qui n'ont aucun rapport à la
re , on ne voit pas ce que les Académies
ont de commun avec les troupes, & s'il s'agit
de fciences militaires , peut - on les porter
à une trop grande perfection ? A l'é
gard de l'abondance , on ne l'a jamais vu
regner davantage dans les armées Françoifes
que durant le cours de leurs victoires ..
Comment peut- on s'imaginer que des foldats
deviendront plus vaillants , parce :
qu'ils feront mal vêtus & mal nourris ?
M. Rouffeau eft-il mieux fondé à fouteu
16
us
s
guernir
que la culture des Sciences eft nuifible :
aux qualités morales : C'eft, dir- il , dès nos
premieres années qu'une éducation infenfée
, orne notre efprit & courrompt no-
B. vj
36 MERCURE DE FRANCE.
tre jugement. Je vois de toutes parts des
établiffemens immenfes , où l'on éleve à
grands frais la jeuneffe pour lui apprendre
toutes chofes , excepté fes devoirs.
Peut- on attaquer de la forte tant de corps
refpectables , uniquement dévoués à l'inftruction
des jeunes gens , à qui ils inculquent
fans ceffe les principes de l'honneur,
de la probité & du Chriftianifme ? La
ſcience , les moeurs , la Religion , voila
les objets que s'eft toujours propofés l'U
niverfité de Paris , conformément aux
réglemens qui lui ont été donnés par les
Rois de Fance. Dans tous . les établiffemens
faits pour l'éducation des jeunes
gens , on employe tous les moyens pofibles
pour leur infpirer l'amour de la
vertu & l'horreur du vice , pour en former
d'excellens Citoyens ; on met continuel
lement fous leurs yeux les . maximes &
les exemples des grands Hommes de
l'antiquité. L'Hiftoire facrée & profane
leur donne des leçons foutenues par les
faits & l'expérience , & forme dans
leur efprit une impreffion qu'on atten
droit en vain de l'aridité des préceptes.
Comment les Sciences pouroient elles nui
re aux qualités morales ? Un de leurs premiers
effets eft de retirer de l'oifiveté &
par confequent. du jeu & de la débauche
E.
37
OCTOBRE
.
1751.
de qui en font les fuites. Sénéque que M.
Rouffeau cite pour appuyer fon fentiment ,
vei
di convient que les Belles - Lettres préparent
à la vertu ( Sénec, Epift. 88. ).
oras
Leut
205 cours ,
Que veulent dire ces traits fatiriques lancés
contre notre fiécle : Que l'effet le plus
cul évident de toutes nos études eft l'aviliffemeut
des vertus ; qu'on ne demande plus
La d'un homme s'il a de la probité , mais s'il a
oldes talens ; que la vertu refte fans honneur;
qu'il y a mille prix pour les beaux Diſ
aucuns pour les belles Actions..
Comment peut-on ignorer qu'un homme
qui paffe pour manquer de probité eſt
méprifé univerfellement ? La punition du
vice n'eft - elle pas déja la premiere récom
penfe de la vertu? L'eftime, l'amitié de fes.
Concitoyens , des diftinctions honorables,
voilà des prix bien fupérieurs à des lau
riers Académiques. D'ailleurs celui qui
fert fes amis , qui foulage de pauvres familles
, ira-t-il publier les bienfaits ? Ce
feroit en anéantir le mérite : rien de plus .
beau que lesactions vertueufes , fice n'eft
le foin même de les cacher.
C
is
M. Rouffeau parle de nos Philofophes
avec mépris, il cite les dangéreufes réveries.
des Hobbes & des Spinofa ,& les met fur une
mêmeligne avec toutes les productions de
Ja Philofophic, Pourquoi confondre ainfa
38
MERCURE DE FRANCE.
avec les ouvrages de nos vrais Philofophes
des fyftemes que nous abhorrons ? Doit- on
rejetter fur l'étude des Belles Lettres les opimions
infenfées de quelques écrivains , tandis
qu'un grand nombre de peuples font infatués
de fyftêmes abfurdes , fruit de leur ignorance
& de leur crédulité ? L'efprit humain
n'a pas befoin d'être cultivé pour enfanter
des opinions monftrueufes. C'eft en s'éle
vant avec tout l'effor dont elle eft capable
que la raifon fe met au deffus des chimères.
La vraie
Philofophie nous apprend à dé
chirer le voile des préjugés & de la fuperf
tition.Parce que quelquesAuteurs ont abufé
de leurs lumiéres , faudra-t-il profcrire
la culture de la raifon ? Eh de quoi ne
peut- on pas abufer ? Pouvoir , loix , Religion
, tout ce qu'il y a de plus utile ,
ne peut- il pas-être détourné à des ufages
nuifibles ? Tel eft celui qu'a fait M. Rouffeau
de fa puiffante éloquence pour inf
pirer le mépris des Sciences , des Lettres
& des
Philofophes. Au Tableau qu'il préfente
de ces hommes Sçavans ,
oppofons
celui du vrai
Philofophe . Je vais le tracer
, Meffieurs , d'après les modéles que
j'ai
l'honneur de
connoître parmi vous.
Qu'est-ce qu'un vrai Philofophe ? C'eſt un
homme très
raifonnable & trèséclairé.
Sous
quelque point de vue qu'on le confidé
7
NCE
39
OCTOBRE
. 1751
.
apabl
ilofopre , on ne peut s'empêcher de lui accorder-
Doit toute fon eftime , & l'on n'eft content de
sleso foi même que lorsqu'on mérite la fienne.
sa ne connoît ni les foupleffes rampantes:
nt i de la flaterie , ni les intrigues artificieuſes ,
rig de la jaloufie , ni la baffeffe d'une haine
huma
un produite par la vanité , ni le malheureux
fante talent d'obfcurcir celui des autres , car l'envie
qui ne pardonne ni les fuccès , ni fes
propres injuftices, eft roujours le partage de
éres l'infériorité. On ne le voir jamais avilir fes
à de maximes en les contredifant par les ac- .
pertions , jamais acceffible à la licence que
abcondamne la Religion qu'elle attaque ,
crit les loix qu'elle élude , la vertu qu'elle fousile
aux pieds. On doute fi fon caractére a
Replus de noblele que de force , plus d'élé- -
Elevation que de vérité. Son efprit eſt toujours
l'organe de fon coeur & fon expreffon
l'image de fes fentimens . La franchife
, qui eft un défaut quand elle n'eft
es un mérite , donne à fes Difcours cet airaimable
de fincérité , qui ne vaur beaucoup
, que lorfqu'il ne coûte rien . Quand
il oblige , vous diriez qu'il fe charge de
la reconnoiffance & qu'il reçoit le bienfait
qu'ilaccorde , & il paroît toujours qu'il
oblige , parce qu'il défire toujours d'obliger.
Il met fa gloire à fervir la Patrie qu'il
honore , à travailler au bonheur des hom-
T.
pas
.
40 MERCURE DE FRANCE.
mes qu'il éclaire. Jamais il ne porta dansi
la fociété cette raifon farouche qui ne
fçait pas fe relâcher de fa fupériorité , cette
inflexibilité de fentiment , qui fous le
nom de fermeté brufque les égards & les .
condeſcendances , cet efprit de contradic-.
tion qui fecouant le joug des bienséances .
fe fait un jeu de heurter les opinions qu'il
n'a pas adoptées , également haïffable.
foit qu'il défende les droits de la vérité
ou les prétentions de fon orgueil. Le vrai
Philofophe s'envelope dans fa modeſtie &
pour faire valoir les qualités des autres ,
il n'hésite pas à cacher l'éclat des fiennes..
D'un commerce auffi fur qu'urile , il ne
cherche dans les fautes que le moyen de
les excufer , & dans la converfation que.
celui d'affocier les autres à fon propre mérite.
Il fçait qu'un des plus folides appuis
de la juftice que nous nous flatons d'obtenir
eft celle que nous rendons au mérite
d'autrui , & quand il l'ignoreroit, il ne montreroit
pas fa conduite far des principes
différens de ceux que nous venons d'expofer
, perfuadé que le coeur fait l'homme ,
l'indulgence les vrais amis , la modeftie des
Citoyens aimables . Je fçais bien , Melfieurs
, que par ces traits je ne rends pas.
tout le mérite du Philofophe & furtout.
du Philofophe Chrétien ; mon deffein a
OCTOBRE. 1751. 41
ans
ne
tte
le
les
icces
ole
été feulement d'en donner une légere efquiffe.
Pour le connoître dans toute fon
étendue , il faut connoître celui du Prince
dont notre amour paye les bienfaits .
LE TRIOMPHE DE THE MIRE,
CANTATE .
Sur la petite vévole de Mile *** Par L.
A
Dutens de Tours.
Vec les graces qu'on admire ,
Chez la Déeffe des amours ,
La jeune & charmante Thémire
Faifoit fleurir le tendre empire
*
Sur lesbords que laVienne enrichit par fon cours.
Elle reçoit dès fon aurore
L'hommage de tous les bergers ;
Telle une fleur qui vient d'éclore
Fixe les papillons légers..
Le tendre Timante
Reconnoît les loix..
L'infenfible Achante
Imite fon choix .
Tircis à lui plaire
Borne tous fes voeux..
L'amant de Glycere
* Chatellerault.
42
MERCURE DE
FRANCE.
A rompu fes noeuds.
La fage bergere
Se rit de leurs feux,
Jaloufes de l'éclat d'une fi belle vie ,
Les
bergeres ,
qu'anime une aveugle fureur ',
Implorent le fecours de la cruelle envie ,
Monftre , né pour porter le
trouble & la terreut.
Déja la Déeffe
implacable ,
Quittant font antre
redoutable ,
Vole & trafne après foi les
chagrias , les foucis ,
Le crime fait de près cette pefte
infernale ,
Et de
l'haleine qu'elle exhale ,
Les champs font défolés , les airs font obfcurcis
Elle apperçoit
Thémire ;un fi rare
affemblage ,
D'appas , de graces , de vertus ,
Sufpend pour un moment fes efprits
combattus ,
Elle alloit
l'admirer ; mais
frémiffint de tage,
Eh quoi ! je fuis l'envie & j'ai pû
m'attendrir ,
Dit-elle,ah !
puniffons un fi
fanglant outrage ;
Thémire eft digne de périr ,
Puifqu'elle
arrache.mon fuffrage.
Elle dit : auffi tôt un funefte poifon ,
Trifte & cruel fleau des charmes,
S'empare de Thémire , accable fa raiſon :
Lesjeuxprennent la fuite en répandant des larmes;
Des roſes & des lis le féjour
enchanteur
Devient le fiége de l'horreur.
* La petite vérolė.
OCTOBRE.
43
175.1.
Arrête , Déefle inhumaine ,
Tourne ta rage contre moi.
Voi quel eft l'objet de ta haine ,
Les graces, tremblantes d'effroi ,
T'implorent pour fauver leur Reine.
Arrête ,Déeffe
inhumaine ,
Tourne ta rage contre moi .
25
Maisloin
d'écouter ma priere ,
Mes cris excitent fon
courroux ;
Thémire
fuccombe à les coups
La mort va fermer la paupière.
D'une
fi.brillante carriere ,,
Dieux cruels , étiez-vous jaloux ?
Arrête , Déeffe inhumaine ,
Tourne ta rage contre moi
Yois quel est l'objet de-ta haine
Les graces tremblantes d'effroi ,
T'implorent pour fauver leur Reine,
Arrête , Déeffe inhumaine ,
Tourne ta rage contre moi .
L'Amour voit le péril qui menace Thémire
1 ) pâlit de frayeur , ô Ciel ! de fon empire ,
L'ornement , la gloire & l'appui ,,
Thémire alloit périr fans lui.
Pour diffiper les maux dont il la voit atteinte ,
Il s'avance , fuivi d'un eflain de plaiſirs ;
L'envie à cet afpect gémit de la contrainte
44 MERCURE
DE FRANCE
.
Que ce Dieu met à fes defirs.
Elle fuit , & bientôt la troupe fecourable
Succéde aux horreurs du trépas.
Thémire ouvre les yeux , & l'Amour favorable,
Lui rendant fes premiers appas ,
Elle parut mille fois plus aimable.
Chantons , célébrons l'empire
Du puiffant fils de Cypris .
Il nous conferve Thémire
Accourez tous , jeux & ris;
Chantons , célébrons l'empire
Du puiffant fils de Cypris.
Que la colere célefte
M'accable de maux divers
Que la guerre , que la pefte
Ravagent tout l'Univers ;
Puifque Thémire me reffe ,
Je brave tous ces revers.
Chantons , célébrons l'empire
Du puiflant fils de Cypris ,
Il nous conferve Thémire ,
Accourez tous , jeux & ris ,
Chantons , célebrons l'empire-
Du puiffant fils de Cypris..
CEL
45
OCTOBRE
. 1751 .
able
SALNED ET
GARALDI ,
NOUVELLE
ORIENTALE .
Par feu M. de la
Motte.
UN jeune Garçon de Bafra vit un
jour entrer dans fa
boutique une
Dame
bienfaite qui
marchanda
quelques
étoffes. La voix & les
difcours de la
Dame
plûrent au
Marchand ; & il
engagea la
converfation avec elle ,
d'autant plus aifément
que lui-même
plaifoit auffi à la
Dame. Elle leva un peu fon
voile ,
prétexte de
chaleur ,
mais en effet ,
pour fous
laiffer
entrevoir fa
beauté , qui
acheva
d'enflamer le
Marchand. Il s'y prit fi bien ,
qu'il
s'informa fans
impoliteffe de
l'état
de la Dame. Il
apprit
qu'elle étoit fille
d'un
Bourgois de la Ville ,
d'une
fortune
affez
médiocre ; &
comme la
fienne étoit
confidérable , il
s'enhardit à
déclarer fon
amour , qui
s'accrut
encore par
fon
eſpérance,

Il fe
tiendroit le plus
heureux de
tous
les
hommes dit-il à la
Dame , fi elle
agréoit
qu'il la
demandât à fon
pere , &
il fe jetta à fes
genoux
pour
obtenir fon
46 MERCURE DE FRANCE.
,
agrément, Elle leva alors tout fon voile ,
& lui laila voir le plus beau vifage du
monde , embelli encore par la pudeur
qu'y venoient d'exciter le difcours & la
propofition du Marchand.Il n'eft pasjufte ,
dit- elle que vous vous engagiez plus
avant dans un deflein fi important , pour
une perfonne que vous ne connoîtriez pas
tout à fait, Regardez -moi ; voyez de quel
le compagne vous voulez vous charger;
& fi ma vûe ne vous donne pas de nouveaux
conſeils , je vous avoue que le fuccès
de votre recherche m'intérefferoit autant
que vous. Le Marchand fut tranfporté
de joye, & lui témoigna la plus vive impa
tience de réuffir. Hs fe féparerent avec ces
fentimens ; & le Marchand ne perdant
pas de tems à conclure cette affaire , il la
confomma en peu de jours. Le pere de
Salned ( c'étoit le nom de la Dame ) , fut
ravi d'établir fi avantageufement fa fille
& les nôces fe firent dès que tout fut prêt
pour les célébrer . Dans les mouvemens de
la fête , Salned fit une légere chûte ; mais
la joye ne fut interrompue que par la pre
miere frayeur qui fe diffipa dans le mo
ment. Les Epoux étant enfin demeurés
feuls , & s'étant couchés , Afem ( c'étoit
le nom du mari ) fit à fa femme de nouvel
les proteftations d'un amour éternel , &
NCE
OCTOBRE
. 1751.
47
Jec
nvol d'un ton plus paffionné qu'il n'avoit fait
ifage
encore. A peine pouvoit - il concevoir le
= pud bonheur dont iljouiffoit , & il ne deman
sdoit d'autre grace au Ciel , que de le lui
pas faire goûter long- tems auffi pur & aufli
ezranquile. Salned répondit à fes tranfports
t , par les fentimens les plus tendres . C'eft
rievous , dit-elle , qui m'avez fait connoître
de l'amour. Jufqu'au moment de votre vûë.
haravois regardé les hommes avec mépris ,
e & je m'étois bien propofé de ne leur jaemais
engager ma liberté. Vous m'avez
Dit donné un nouveau coeur , & je fuis plus
fpo ravie d'être votre efclave , que fi l'on me
donnoit l'Empire du monde. Șa voix s'altera
en prononçant ces mors. Elle fentit.
des douleurs violentes . Afem appella fes
domeftiques ; & les douleurs de Salned
croiffant toujours , elle accoucha enfin d'an
enfant dont fa chûte avoit avancé le terme ,
Afem demeura quelque tems immobile
& muet d'étonnement & de douleur. Sal
ned s'évanouit , on la fit revenir , & Afem
reprit enfin la parole . Ah ! perfide , s'écria-
t-il quel fpectacle venez - vous de
me donner Er quel difcours me tenicz ,
vous dans le moment ! vous êtes trop in
digne des fentimens que vous m'aviez inf
pirés , ils fe changent en haine & en mépris
, & je mets déformais mon bonheur
48 MERCURE DE FRANCE.
par
à ne vous plus voir . Salned fondoit en larmes
, & à peine pût- elle prononcer ce
peu de paroles , entrecoupées cent fois
les gémiffemens .... Mon cher époux ! fi
j'ofe encore vous donner ce nom , vos
reproches font raisonnables , mais je ne
les ai pas mérités . Me voilà mere ; & je ne
fçais comment cela s'eft fait . Si je vous en
en impofe , puiffiez vous me hair toûjours.
Vangez - vous d'une époufe innocente qui
doit vous paroître coupable. Je mourrai
contente, puifque je ne fçaurois me plaindre
, ni de vous , ni de moi ... Perfide !
répondit Afem , n'efperez pas m'abufer
par ce faux air d'innocence . il eft impoffi
ble d'imaginer rien qui vous juftific Je
devrois laver mon affront dans vo re fangi
mais je veux vous laiffer vivre : peut-être
en me vangeant moins , vous punis -je
mieux. Je vous répudie ; féparons- nous
pour jamais. Ah cruelle , pourquoi êtesvous
venue empoifonner ma vie ? ... O
ciel ! s'écria Salned , fais - tu donc un prodi
ge pour me rendre malheureufe ? Afem répudia
donc Salned ; & la renvoya chez
fon pere qui la défavoua pour fa fille , la
chaffa comme une infâme , & lui deffendit
de paroître jamais à fes yeux . Salned fortit
à l'inftant de la Ville , & marcha longtems
, fans fçavoir où elle alloit , ni ce
qu'elle
INCE
oitenl
OCTOBRE
1751
.
49
DIS
exc
Fro
The
noncer
nt fois
époux
om ,
ais je
; & je
evoust
τούχου
ente
qu'elle faifoit. Toute occupée de fon malheur
, elle n'avoit ni deffein ni crainte :
enfin la laffitude l'arrêta , & à l'entrée de
la nuit , elle fut obligée de fe repofer au
coin d'un bois , où elle fentit encore plus
amérement la funefte fituation où elle étoit
réduite. Quelques momens après , elle ertendit
à quelques pas d'elle , des foupirs
& des plaintes. Comme elle n'étoit pas en
état de rien craindre , elle eut le courage
d'aller vers la voix qu'elle entendoit . Elle
entrevit enfin une femme mourante qui
perdoit tout fon fang ; elle s'approche , &
lui demande par quel malheur elle fe trouve
en ce lieu & en cet état .... Je meurs ,
lui répondit Garaldi ( c'eft ainfi que fe
nommoit la Dame mourante ) je meurs de
la main du feul homme que j'aye aimé , &
mour
eplai
Perfid
abul
трой
farg
l'aime encore. La cruauté qu'il a exercće
fur moi , eft jufte , quoique je fois innoncente.
Ces mots excitérent de nouveau
toute la douleur de Salned , elle verfa un
torrent de larmes , tandis que Caraldi
s'affoibliffant , perdit toute
connoiffance.
Salned déchira fes voiles pour arrêter le
fang de la
malheureufe Garaldi ; & comme
elle tournoit fes yeux de tous côtés
pour chercher du fecours , elle
près de là une petite lumiere ; elle y traîapperçut
na , le mieux qu'elle put ,
l'infortunée
C
>
so MERCURE DE FRANCE.
qui au difcours qu'elle lui avoit tenu , lui
paroiffoit une autre elle même. Elles arriverent
enfin à la hute d'un Santon qu'elles
aperçurent tellement plongé dans la méditation
, qu'il n'avoit entendu auçun bruit ,
& qu'il ne s'en détourna pas même quand
elles entrerent. Salned l'appella , il revint
enfin à lui , & Salned lui demanda , du
fecours pour la Dame évanouie qu'elle tenoit
dans fes bras. Le Santon faifit cette
occafion de charité comme une récompen
fe de fa prière. Il fit revenir la Dame avec
quelques effences, vifita fes bleffures , qu'il
ne trouva pas dangéreufes, & il y appliqua
un beaume merveilleux qu'il faifoit luimême
, & dont il fecouroit les fidéles . Il
fit enfuite un lit de nattes pour les Dames ,
leur apporta des dattes & quelques autres
fruits , en leur faifant excufes de fa
pauvreté
, & pour les laiffer libres , il fe retira
hors de la cabanne , en leur difant
qu'il n'étoit pas loin d'elles & qu'elles n'avoient
qu'à l'appeller dans le befoin. Les
Dames furent extrémement fenfibles à la
charité & aux égards du Santon . Après un
léger repas , elle fe repoférent ; & le Santon
revenant le lendemain trouva la

Dame prefque guerie. Il s'informa alors
du fujet de leur difgrace. Salned lui racon.
ta la premiere fon avanture , dont le SanCE
OCTOBRE. 17517
u, ton parut fort furpris, avec la difcrétion cespendant
de ne laiffer paroître aucun douque...
med
bra
te de l'innocence de Salned .... Mon
avanture n'eſt moins extraordinaire pas
dit alors Garaldi ; & j'aurois tort de ne qua pas croire Salned innocente
ССТА
av
puifque
j'ai le malheur de paroître auffi coupable ,
fans avoir rien à me reprocher. L'homme.
lle qui me poignarda hier dans ce bois , eſt
un Seigneur de la Ville de Bafra qui me
recüeilit chez lui , il y a dix années . Je venois
de perde mes parens qui me laiffoient
dans la derniere mifere ; je n'avois encore
que fix ans , & perfonne ne s'offroit à me
fecourir. Carim , ce Seigneur dont je parle
, paffa par l'endroit où j'étois ; il s'attendrit
fur mon état , fut touché de ma
beauté naiffante , & ne put fouffrir qu'on
m'abandonnât à la charité incertaine du
Public , & dans la fuite aux confeils de la
mifere. Il m'emmena chez lui , m'y fit
élever comme fa fille , prir un foin
un foin particulier
de mon éducation , & fut charmé
du fruit que j'en tirai . Ma beauté , mon
efprit fe perfectionnoient tous les jours.
Carim s'attachoit tous les jours davantage
àmoi , & ma reconnoiffance croiffoit avec
fon amour ; il m'appelloit fa fille , je l'appellois
mon pere : mais à peine cus-je dix
ams , quefa tendreffe prit un autre air &
C ij
52 MERCURE DE FRANCE.
un autre ton ; il m'appelloit toujours fa
chere Garaldi , & fans qu'il me le dît , je
l'appellois mon cher Carim. Nous nous
trouvâmes amans fans y avoir pris garde.
Ses fentimens croiffant toujours , il me dé
clara le deffein de m'époufer ; & je lui parus
plus touchée du plaifir qu'il me faifoit , que
de l'honneur où il vouloit m'élever . Il y
a fix mois que nous nous mariâmes ; nous
étions charmés d'être l'un à l'autre ; mais
malheureuſement je plûs autant à un jeu
ne Seigneur du voisinage , que je plaifois
à Carim . Ce jeune homme nommé Zendor
, défefperant de m'amener à fes fentimens
, prit le parti de la rufe & de la vio,
lence . Il gagna par les préfens quelquesuns
de mes domestiques ; & une nuit qu'il
fçavoit que Carim ne reviendroit pas chez
lui , il fe fit introduire dans ma chambre ,
dès qu'il me crut endormie ; & ayant mis
fa robe & fon poignard fur une chaife auprès
du lit , il s'y coucha . Je me réveillai ,
épouvantée de fentir quelqu'un près de
moi. Il tâcha de me calmer par les difcours
les plus tendres & les plus paffionnés , mais
ne pouvant diminuer l'horreur que j'avois
de fon action , il voulut ufer de violence.
Je me jettai fur fon poignard , que je dé
couvris à la lueur d'une lampe qui étoit
dans ma chambre , & j'allois l'en frapper ,
OCTOBRE. · 1751 .
53
Dus
Se
US
IS
S
violent
quand fes cris attirerent des gens qu'il
avoit amenés avec lui en cas de péril . On
m'arracha le poignard , & le jeune homme
me dit alors vous voyez , Madame , que
je fuis encore le maître de votre honneur
& de votre vie ; mais votre courage &
votre vertu m'ont donné tout à coup d'autres
fentimens. Loin de fuivre le deffein
que mon amour m'infpiroit , me
voilà à vos genoux pour vous en demander
pardon. Oubliez mon crime , ne voyez
que mon repentir , & promettez -moi pour
prix de mes derniers fentimens , de ne
point révéler ma violence . Je lui jurai par
le Prophete de lui garder le fecret ; & il
me parut fi pénétré de douleur , que je ne
me repentis pas de l'égard que je lui accordois
. Le lendemain , étant couchée avec
Carim , & rêvant dans mon fommeil à l'avanture
de la nuit précédente , j'éprouvois
, fans me réveiller , les mêmes mouvemens
que j'avois éprouvés la veille : je
m'agitois en dormant , comme fi ce jeune
homme m'eût fait encore violence. Je me
jettai fur le poignard de mon mari qui
étoit à la même place , où , la veille , Zenodor
avoit mis le fien , & j'allois en frapper
Carim ; mais heureuſement
pour
& pour moi-même , puifqu'il vit encore ,
il fe réveilla au bruit que je faifois , en
lui
Cij
54 MERCURE DE FRANCE.
m'agitant & le faififfant du poignard : Ah !
malheureuſe , me dit il , eft-ce là la récompenfe
de tout ce que j'ai fait pour toi ;
mon innocence fit l'effet du crime , & je
demeurai muette d'étonnement ; quand je
pus lui dire que je dormois , & que mon
action étoit l'effet d'un rêve . Ah ! cruelle ,
me répondit il , que n'eft- il vrai , ou du
moins , que ne puis - je le croire ? La crainte
de ne pouvoir le défabufer , l'embarras
de ne pouvoir lui révéler l'avanture de la
nuit précédente , tout cela ne me permit
de parler qu'avec un trouble plus propre
à confirmer le foupçon , qu'à le diffiper.
Carim de fon côté me faifoit mille repro-.
ches entrecoupés de foupirs & de pleurs ,
je le preffai cent fois de me plonger le
poignard dans le fein , s'il refufoit de me
croire , & il
& il parut enfin reprendre quelque
confiance en moi , mais lorsqu'il fe leva ,
comme il me l'a dit , en me frappant dans
ce bois , il trouva une ceinture d'homme
que Zenodor avoit oubliée , & qui ne lui
laiffa plus douter que je ne fuffe infidelle .
Il réfolut de fe vanger , & pour y réuffir
il feignit de me croire , il reçut mes caref
fes , & fe fit la violence d'y répondre d'une
maniere qui me le fit juger fans foupçon.
Hier , nous vinmes nous promener dans
ce bois , & lorfque j'y penfois le moins ,
OCTOBRE. 1751
55
récol;
Ahje le vis tirer fon poignard & la ceinture
qu'il avoit trouvée dans la chambre : tiens ,
perfide , me dit -il , vois la preuve de ton
crime & reçois- en le prix. Il me frappa
d'une main tremblante , & s'éloigna
en melaiffant encore entendre fes foupirs.
i
non
le ,
du
in
ras
1
"
Le Santon fort étonné de la fingularité
de ces avantures , s'attendrit fur, le fort
des Dames ; il les exhorta à foutenir cette
épreuve avec réfignation & à ne pas mériter
par leurs murmures les difgraces
qu'elles n'avoieut pas méritées par leurs défordres
. Repofez vous , dit- il , fur la Providence
, du ſoin de votre juftification ,
elle s'en charge pourvû que vous vous
en rendiez dignes par la patience. Trois
ou quatre jours après , dès que les bleffures
de Garaldi furent guéries , le Santon leur
tint ce difcours ... Mes belles Dames ,
je vous ai fecourues , tant que vous avez
» eu befoin de moi , & je n'ai point craint
le danger de vos charmes , tant que la
charité m'a obligé de m'y expofer . Je ne
» ferois à préfent qu'un téméraire , fi j'ofois
vous voir davantage . Je me fuis
» retiré du monde pour en éviter lesten-
" tations , & pour vacquer fans trouble à
» la priere . Vous me devez le fecours que
»je vous ai prêté , & me rendre ma chère
»
»
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
ود

99
folitude. Voilà cent fequins que je tiens
» de la charité des fidéles ; je n'en fçau-
» rois faire un meilleur ufage que d'en
foulager votre mifére . Partez , confervez
» avec foin la vertu qui fait encore votre
confolation , & comptez que je ne vous
perdrai point de vue dans mes prieres .
Les Dames ne pûrent fe défendre de la générofité
du Santon , & elles s'en féparérent
avec tous les témoignages d'une profonde
reconnoiflance . Elles prirent une route
qui les éloignoit toujours de Bafra , &
Laifonnant en chemin fur ce qu'elles
avoient à faire , Salned imagina qu'à la
premiere Ville où elles arriveroient , ik
falloit acheter des habits d'hommes , faire
encore quelqu'argent des leurs , & que
fous ce déguisement , elles n'auroient point
à craindre les aventures que pourroient
leur attirer leur jeuneffe & leur beauté.
Garaldi trouva la propofition raiſonnable ,
& elle fut exécutée à la premiere Ville
qu'elles rencontrerent , c'étoit un Port de
Mer. Les nouveaux hommes réfolurent de
s'embarquer fur un Vaiffeau Marchand
qui étoit prêt à partir ; ils acheterent quelques
Marchandifes pour en
faire commerce
comme les autres. Le Vaiffeau où ils
s'embarquerent voguoit heureufement
quand il fut tout à coup attaqué par un
T
tiens
57
OCTOBRE
.
1751.
·
E.
cau
d'en
ervez
Potre
Vous
eres
-ge
rent
nde
Oute
&
lles
ire
ant
e
d
Corfaire , auquel on fut obligé de fe rendre.
Tout ce qui étoit fur le Vaiffeau conquis
, fut efclave , & ce que le Corfaire
eftima le plus de fa conquête , fut les deux
jeunes hommes qu'il s'attendoit à vendre
un bon prix. Le Corfaire alla vendre fes
efclaves en differens endroits ; après bien
des tournées , il amena les deux beaux efclaves
qui lui reftoient , à Bafra où il efpera
d'en trouver plus qu'on ne lui en
avoit offert ailleurs. Zenodor qui avoit
befoin d'efclaves s'adreffa à lui. Il fut
étonné de la reflemblance qu'il trouva entreun
des efclaves & Garaldi . Il ne balança
pas à en donner ce que le Corfaire vouloit;
mais Coldin ( c'étoit le nom qu'avoit pris
Garaldi ) pria Zenodor de vouloir bien ne
le pas féparer de fon camarade ; Zenodor
fut encore plus étonné d'entendre la voix
de la belle perfonne qu'il avoit aimée , &
comme s'il eût pris l'efclave pour elle même
, il lui obéit . Il acheta donc les deux
efclaves , & les emmena chez lui . Zenodor
les traitoit avec tous les égards d'un bon
maître , & ils le fervoient avec affection
Garaldi marchant tous les jours par la Ville
, rencontroit fouvent Carim , elle s'arrê
toit alors à le confidérer : Carim y prit
garde un jour , & s'étant plufieurs fois
apperçu de l'attention que l'esclave avoir
1
C v
58
MERCUREDE
FRANCE
.
pour lui , & fes traits lui rappellant fa
femme qu'il croioit avoir poignardée , il
s'informa de l'efclave où il demeuroit. Carim
& Zenodor, chacun de fon côté , étoient
continuellement occupés de la reſſemblante
de l'esclave avecGaraldi , & ne ſongeoient
qu'aux moyens d'éclarcir cette énigme.
Carim obferva un jour l'efclave qui fortoit
de chez Zenodor , & lui demanda s'il revien
droit bientôt ; l'efclave lui dit qu'il ne tarderoit
gueres ; j'aurois quelque chofe à
vous dire , lui dit Carim : attendez -moi ,
lui dit l'efclave , je fuis à vous dans un moment
. Coldia alla à fon affaire , & Carim
entra dans la maifon de Zenodor , & demanda
la chambre de Coldin pour l'y aller
attendre il n'y fut pas long- tems , qu'il
entendit Coldin qui y montoit avec Zenodor
; il fe cacha derriere un rideau , &
fut témoin de ce qui fe paffa dans le moment
entre Zenodor & Coldin. Mon cher
Coldin , lui dit fon Maître , ne me déguiſe
rien & reconnois les bontés que je te témoigne
par un fincere aveu de la vérité.
Turellembles fi parfaitement à une femme
que j'ai aimée , qu'à peine puis-je douter
que ce ne foit toi - même . Seigneur , lui
dit Coldin , je ne vous déguiferai rien ,
mais ayez auparavant la complaifance de
m'avouer aufli quelque chofe ; comment
:
E.
59 OCTOBRE.
1751 .
C
Dient
lan
pient
me
tolt
ien
tar
01 ,
10
Hel
et
,
avez-vous perdu certe femme dont je vous
rappelle le fouvenir ? Zenodor lui conta
naïvement ce qui lui étoit arrivé avec Garaldi
, & ajouta que quelques jours après
le péril qu'il avoit couru avec elle elle
avoit difparu , qu'il ne pouvoir douter
que fon mari ne s'en fût défait , qu'apparemment
les domeftiques de Carim qu'il
avoit gagnés, avoient trahi leur Maîtreffe,
& que Carim l'avoit punie comme une infidelle
. Seigneur , lui dit Coldin , aimezvous
encore cette femme ? Oui , lui répondit
Zenodor , fi c'est l'aimer , que de conferver
pour fa vertu l'admiration la plus
vive & la plus refpectueufe . Je n'ai pas
ceffé , depuis ma malheureufe audace , de
pleurer mon crime & les fuites funeftes
que je crois qu'il a eues pour l'innocente
Garaldi, Coldin verfa un torrent de larmes
, lui avoia qu'elle étoit cette infortunée
Garaldi , & lui aprit comment elle
avoit perdu l'amour de fon Epoux qui
croyoit lui avoir ôté la vie , & qu'elle
aimoit toujours avec la même ardeur
d'autant plus qu'elle ne pouvoit l'accufer
d'aucune injuftice ; qu'elle ne doutoit
pas même qu'il n'eût fouffert autant
qu'elle en rappellant toute fa conduite
qui du moins devoit lui avoir laiffé
quelque doute de fon inocence , fes lar-
C vj
60 MERCURE DE FRANCE:
mes redoublerent encore ; Zenodor ne put
retenir les fiennes , & Carim fortant tout
à coup de derriere le rideau , vint fe jetter
aux pieds de fa femme à qui il ne put
s'expliquer long- tems que par les fanglots
& par fes foupirs . Zenodor eut quelque
confufion de trouver dans Carim le témoin
dè fon crime , mais le repentir fincére qu'il
venoit d'en marquer , fans l'avoir vû , lui
obtint aifément fon pardon de Carim , qui
enimena fa femme chez lui avec qui il
· paſſa la vie la plus heureuſe.
Zunimam ( c'est le nom d'homme
qu'avoit pris Salned ) fut ravi du bonheur
de Garaldi , la compagne d'infortune , &
il s'en fit , malgré toute apparence , un
préfage heureux pour lui -même. Il continua
de fervir Zenodor avec fon exactitu
de & fon attachement ordinaire , mais toujours
occupé de la fatalité de fon fort ,
il alla un jour au lieu où s'affembloient
quelques Médecins de la Ville , & leur
propofa une queftion toute nouvelle , s'il
étoit poffible qu'une fille accouchât fans
avoir vu d'homme ; la queftion fit rire
d'abord la grave affemblée des Docteurs ,
mais Zunimam les fupplia d'y faire plus
d'attention ; il leur dit qu'il avoir une
feeur qui proteftoit que cela lui étoit arrivé
, & que fa vie dépendoit de l'éclairCE
OCTOBRE. 1751 61
пер
It to
Ce je
mo
ciffement du prodige . Quelqu'un de ces
Docteurs ramena les autres au férieux . On
faifonna , on difcuta l'affaire , & à foree
de raifonner , il fe trouva là - deffus des
partifans du prodige. L'efprit humain , qui
ne fuffit pas le plus fouvent à trouver les
raifons de ce qui eft , eft quelquefois affez
fubtilement ignorant pour trouver les raifons
de ce qui n'eft pas. La difpute des
Medecins fe répandit dans la Ville ; ce fut
l'entretien courant , & chacun prenoit pari
pour ou contre , la plupart des hommes
tenoit pour l'impoffible , & la plupart des
femmes pour le contraire. Pendant que
cette converfation étoit de mode , une
femme de la Ville qui régaloit deux de fes
amis , mir la queftion fur le rapis . Les deux
amies ne firent que rire & plaifanter fur
la queftion , mais celles qui les régaloit ,
leur dit , je fçai une fille qui jureroit bien
qu'elle eft dans le cas qu'on croit impoffi
ble , & comment cela , lai dirent les deux
commeres ? Je vous le dirois bien , leur
répondit Mandrice , fi vous vouliez être
difcretes ( c'eft ainfi que s'appelloit la femme
qui régaloit. ) Nous prenez-vous pour
des babillardes , s'écrierent à la fois les
deux commeres , je mourrois plutôt que
de donner lieu de foupçonner feulement
ce qu'on m'auroit confié. Eh bien , leur

62 MERCURE DE FRANCE.
répondit Mandrice , je vous avouerai
franchement que j'ai eu quelques galanteries
, nous n'avons rien à nous reprocher là
deffus. J'eus un enfant avant que d'être
mariée , cela fit quelque fcandale ; mon
frere & fa fille le fçûrent , & je m'aperçus
que ma niéce en conçut du mépris pour
moi. Je réfolus de m'en venger , mais je
diffimulai pour en mieux trouver l'occafion.
Je regagnai, le mieux que je pus, l'amitié &
la confiance de mon frere , en affectant
une conduite réſervée dont je me dédomageois
en fecret. Un jour je priai mon frere
de m'envoyer la fille qu'il me permit de
ne lui renvoyer que le lendemain . Quand
j'eus ma niéce , j'écrivis à mon amant de
venir à minuit dans ma chambre dont je
laifferois la porte ouverte , & où je ferois
couchée avec une amie qui feroit du côté
de la ruelle qu'il n'y auroit point de lumiere
dans la chambre ; qu'il s'y gliffât
fans bruit & qu'il fe couchât près de moi ,
en obfervant le filence que je garderois
auffi ; que j'étois fi impatiente de lui donner
des témoignages de mon amour , que malgré
toutes ces circonftances qui diminu
roient peat- être l'agrément de notre rendez
- vous , j'aimois mieux le lui donner ,
tout imparfait qu'il le trouveroit , que de
le differer plus long-tems. Je foupai enfuiOCTOBRE
. 1751. 6$
P

9
= 1St
0.
&
te avec ma niéce , & je mêlai dans fon
breuvage un fomnifere qui devoit l'endormir
profondément . Nous nous couchâmes
; je me mis du côté de la ruelle , &
mon amant devoit prendre ma niéce pour
moi. Il vint en effet à l'heure que je lui
avoit marquée , & le fruit de fon erreur
fut la groffeffe de ma niéce. C'étoit précifément
le fuccès que j'en attendois , & je
n'avois menagé tout cela , que pour me
venger du mépris de la petite prude , en la
mettant , malgré elle , dans le cas qu'elle
avoit à me reprocher . Elle s'en retourna
chez fon pere qui la maria cinq mois après.
La premiere nuit de fes nôces , elle accoucha
d'un petit garçon dont quelque chûte
avoit avancé le terme , fans qu'elle eût eu la
moindre idée de l'évenement qui la menaçoit
; les commeres ritent de l'aventure , en
défaprouvant pourtant un peu la malice
qu'elles trouvoient avoir été pouffée
trop loin. Le lendemain , chacune des
deux commeres dit ce fecret à l'oreille de
plus de vingt amies , qui ne fe piquerent
que de la même difcrétion . L'hiftoire fe
répandit dans Bafra , & parvint juſqu'à
Zunimam qui remontant à la fource , découvrit
qu'elle venoit de fa tante , & que
le Marchand même qui l'avoit épousée &
répudiée , avoit été l'amant de Mandrice.
64 MERCURE DE FRANCE.
Il alla trouver auffi - tôr le Cadis qui voulut
bien lui accorder une audiance particuliere.
Zunimam lui expofa toute fon
avanture & le fait qu'il venoit d'apprendre.
Le Cadis lui promit juſtice , & lui dit de ſe
trouver chez lui le lendemain à une certaine
heure; il manda pour la même heure le mari
de Satned, fon pere, fa tante & les deux co .
meres. Ii fit cacher Salned , avant que les
autres arrivaffent , & quand ils furent
arrivés , il interrogea Mandrice fur l'hiftoire
qui s'étoit répanduë ; Mandrice nia d'abord
, mais les commeres lui foutenant
qu'elles la tenoient d'elle , elle ne put en
difconvenir, & fe réduifit à dire que le mal
n'étoit pas fi grand , puifque l'homme qui
avoit abufé de Salned dans fon fommeil ,
étoit celui même qui l'avoit épousée . Ah !
Seigneur , s'écria le Marchand , en fe
le jettant aux pieds du Cadis , puniffez
cette malheureufe . J'ai répudié ma femme
qui étoit innocente ; fon pere l'a chaffée
Comme une infâme , elle s'eft exilée
elle -même & peut- être ne vit- elle plus ?
Le pere demandoit auffi juftice de la per-
·fide foeur mais Zunimam parut alors :
Seigneur , dit- elle au Cadis , contentezvous
du bonheur de Salned , & daignez
accorder la grace de ma tante à mes inftances
& à mes pleurs ! Gi elle a encore le
و
OCTOBRE. 65 17370
CE
i vou
par
foa
ndre
dele
taine
man
CO
les
ent
d'r
and
en
coeur auffi mauvais , elle ne fera que trop
punie de me voir heureuſe . Le mari & le
pere de Salned ne purent retenir leur joye ,
ils l'embrafferent mille fois , en préfence
du Cadis qui fit conduire Salned chez fon
Epoux , où regna depuis une félicité qui
ne fut plus interrompuë. Salned & Garaldi
n'oublierent point le Santon , & ne dou
tant pas qu'un dénouement auffi favorable
ne fût l'effet de fes prieres , elles lui envoyerent
de grands prefens dont il ne voulat
point , trop content , difoit- il , de les
fçavoir heureufes & d'avoir à remercier le
Ciel de fa fidélité à juftifier l'innocence. ,
veifor weiffin neg ska regjim reglan region region regijan retten regler
LES HONNEURS
Accordés au mérite militaire par Louis XIV,
& augmentés pas Louis XV.
CE politiq
POEME.
E politique heureux , dont le puiffant génie
Fit mouvoir ou trembler l'Europe réunie ,
Ce défenfeur des lys , ce Miniftre immortel ,
Tour-à- tour le foutien du Trône & de l'Autel ,
Richelieu n'étoit plus ; une guerre inteftine
De la France éplorée annonçoit la ruine ,
Lorfque de fon berceau fur le Trône monté ,
86 MERCURE DE FRANCE.
Louis , dans cette nuit , apporta la clarté.
Cet Aftre bienfaifant & vainqueur des nuages ,
Levé fur les Etats en bannit les orages ,
Et fit naître ces jours d'éclat & de grandeur ,
Qui des beaux jours de Rome effaçoient la fplen
deur .
Louis marche ; & déja l'Espagnol en allarnies ,
Préſage avec effroi le fuccès de nos armes :
L'Efcaut, enorgueilli de fes nombreux remparts ,
Sur fon onde à regret porte nos étendarts ,
Tes forces ni les tems ne peuvent te défendre ,
Besançon , & tes murs tombent réduits en cendre,
Les foldats de Louis combattent fous les yeux ,
Les travaux n'ont plus rien de pénible pour eux.
Ils fçavent que leur Roi , vraiment digne de l'être,
Connoît & leurs befoins & les devoirs du Maître.
Grand Prince , que d'exploits pour te plaire entrepris
!
La vertu , fous ton regne , eft sûre de fon prix.
Tout devient partes foins, l'inftrument de ta gloire.
Le figne révéré du Dieu de la victoire ,
Ce gage précieux du falut des humains ,
Ce prix de la valeur , accordé par tes mains ,
Enfiamme tes guerriers sûrs de leur récompenfe ;
Tous fignalent leur zéle ou leur reconnoiffance ,
Et brûlent de fceller de leur fang généreux
Les honneurs & les dons que tu répands fur eux.
Leurs jours te font bien dûs , puifqu'ils font ton
ouvrage ;
OCTOBRE. 17510
67
-
lea

La mort entend ta voix , & fufpend fon ravage :
Les victimes de Mars , après de longs travaux ,
Goûtent enfin les fruits de tes bienfaits nouveaux.
C'est pour les fecourir qu'à tes defirs fidéles ,
La gloire & l'équiéz, de leurs mains immortelles,
Elevent ce Palais habité par l'honneur ,
Ce Temple que l'amour confacre à la valeur.
Ouvrages immortels , monumens refpectables ,
Des vertus de Louis , témoins chers & durables ,
Annoncez fa grandeur à la Poftérité ;
Qu'il foit loué par elle & qu'il foit imité.
O toi , né de fon fang , toi né pour fa Couronne ,
Ton fortte la donnoit & l'amour te la donne.
Voiston peuple à tes pieds ; tes vertus l'ont charmé
Eft-ilun plus beau droit que celui d'être aimé ?
De ton augufte Aycul l'éclatante mémoire
Remplit les Nations , qu'allarme encor fa gloire ,
Et leur orgueil , jaloux du triomphe des lys ,
A tes nombreux exploits a reconnu fon fils.
Peuples qu'aux champs de Mars a terraffés mon
Maître ,
Ades traits plus chéris vous deviez le connoître;
Peignez-leur fa bonté , vous , qui dans Fontenoy
Rameniez la victoire aux pieds de votre Roi ,
Guerriers , que ce Héros , dans des plaines fanglantes
,
Couronnnoit de lauriers de fes mains triomphantes.
Vous ,illuftres témoins de fes pleurs précieux ,
Que la victoire même arrachoit de fes yeux.
68 MERCURE DE FRANCE.
Vainqueur des Nations , il veut par la clémence
Confaerer un pouvoir , qu'a fondé la vaillance ,
Et jaloux du feul nom de Pacificateur ,
Leur infpirer l'amour & non pas la terreur.
De tes vertus , grand Roi , l'humanité s'honore
L'Europe a dû te craindre , & l'Europe t'adore.
Tes mains portoient la foudre, & tu donnes la paix.
Que cejour te fut cher ! c'eft le jour des bienfaits.
Tu ne vis que par eux , & ton ame attendrie
Reffentoit tous les coups portés à ta Patrie.
Tes libérales mains vont efluyer fes pleurs ,
Tu répands fous tes pas les dons ou les honneurs;
Il étoit des guerriers d'une naiffance obfcure ,
Dont la valeur conftante , accufant la Nature ,
Sembloit lui reprocher , au milieu des combats ,
De les avoir placés dans un rang auffi bas.
Tu répares fes torts , & leur race annoblie ,
Tiendra de ton amour une nouvelle vie.
Vous , que guida mon Roi dans les champs de
l'honneur ,
Appuis de fon Etat , vous occupež
fon coeur.
Sa tendreffe pour vous change vos deftinées .
Et c'est par des bienfaits qu'il compte fes journées;
Vos enfans font les fiens , il veillera fur eux.
Sous ce nouveau Titus eft - il des malheureux ?
Sa bonté généreuſe & fertile en miracles ,
Embraffe tous les tems , franchit tous les obftacles
Déja je vois tracer par la main des Beaux - Arts
Ce berceau des enfans de Minerve & de Mars .
CE
OCTOBRE
. 1751.
69
émence
lance,
1.
nore
dore,
lapa
Puiffent les longs rameaux d'une tige
féconde ,
Cultivés fous tes yeux ,
ombrager tout le monde;
Grand Roi ,puiffe l'amour de tes fujets
heureux ,
Faire pour ton
bonheur , ce que tu fais pour eux.
PRIERE A
DIEU ,
pour le Roi.
enfais
Arbitre des mortels , Dieu qui créas mon Roi
Pour être ici bas ton
image ;
1
neur
e,
ats
Tous nos coeurs font à lui , fes vertus font à toi ,
Conferve ton plus bel
ouvrage.
AAKKAAKAAAA**
kšķi
SEANCE
PUBLIQUE
De
l'Académie
Françoife , le jour de Saint
Louis 25 Août.
E Prix
d'Eloquence ; dont le fujet
trui, a été
remporté par M. Soret,
Avocat ,
qui en avoit déja
remporté un autre. C'eft
M. le
Chevalier Laurés , qui avoit déja été
couronné deux fois par
l'Académie , qui a
remporté les deux Prix de Poefie , dont
les fajets étoient : les
Honneurs
accordés an
mérié
militaire par Louis XIV , &
augmentés
par Louis XV. & la
Paffion du jeu. Le
fujet du Prix
d'Eloquence pour l'année
70 MERCURE DEFRANCE.
prochaine eft , que l'amour des Lettres inf
pire l'amour de la vertu . Le fujet du Prix
de Poelie eft : la magnificence & la sûreté
des grands chemins fous Louis XIV. fous
Louis XV. M. de Marivaux & M. l'Abbé de
Berni ont lu à la fuire des Ouvrages couron.
nés , l'un une Epitre à M. de Fontenelle , &
l'autre des Réflexions diverfes . Nous allons
rapporter tous ces differens Ouvrages .
DISCOURS
Qui a remporté le Prix d'Eloquence, propofe
par l'Académie Françoise en l'année

1751. Par M. Soret , Avocat au Pariement.
L'indulgence pour les défauts d'autrui . Suivant
ces paroles de Saint Paul : Charitas patiens eft.
I. Cor. 13. 4.
Es
Les hommes naiffent avec un princi.
pe de dépravation dont le plus beau
naturel n'eft pas exemt , & que l'éducation
la plus faine ne put jamais détruire.
Ce principe funefte corrompt tous les
âges , il deshonore tous les états. Le Peuple
qui rampe dans l'obfcurité , traîne
avec fa mifere des défauts fans nombre,
Les Grands femblent n'être élevés au- def
fus des autres hommes que pour être vi ,
CE OCTOBRE
. 1751.
71
prop
Pay
tres
duPr
La sire
Abbé
Couro
nelle
sallo
es.
cieux avec plus d'éclat ; & les Héros de
l'humanité ne font eux -mêmes que des
compofés bifarres de vertus & d'imperfections
, de grandeur & de foibleffe .
A la vûe de ce défordre univerfel , la
Cenfure s'armera- t- elle de fes traits ; &
fous prétexte de réformer tous les abus
dans la Société , a - t- elle droit d'y répandre
le chagrin & l'amertume : Ne doit- elle
pas au contraire réprimer fes faillies , &
ménager dans tous les hommes l'amour
propre auffidifficile à corriger que promt
à fe révolter contre fes Cenfeurs ? Pour
en juger , examinons quels font , dans la
vie civile , nos devoirs & nos interêts.
Unis à la Société par cet attrait puiffant
qui nous y appelle , par ce charme invincible
qui nous y retient , il eft jufte que
chacun de nous contribue à l'ordre & au
bien général. Jaloux de notre propre bonheur
, nous le cherchons par- tout , & nous
faififfons avidement tout ce qui paroît
nous en tracer quelqu'ombre ; mais fi nous
manquons d'indulgence pour les défauts
d'autrui , fi nous refufons de nous fupporter
les uns les autres , cette conduite injufte
, en divifant les membres de la Société,
ne peut que détruire le Corps. La
Cenfure des vices de chaque Particulier
aboutira infailliblement à une défunion
72 MERCURE DE FRANCE.

1
univerfelle . Par une fuite néceffaire de ce
premier défordre , nous deviendrons nousmêmes
les victimes de notre peu d'indulgen
ce pour la Société , elle nous fera payer cher
le frivole avantage de lui marquer nos mécontentemens.
Si donc nous nous devons
indifpenfablement au bien public , fi nous
defirons effentiellement notre propre félicité
, il s'enfuit premierement , qu'avoir de
l'indulgence pour les défauts d'autrui , c'eft
juftice , parce que l'interêt de la Société l'exige
: en fecond lieu , que c'eft fageffe , parce
que notre bonheur particulier en dépend,
PREMIERE PARTIE.
Lorfque je dis qu'avoir de l'indulgence
pour les défauts d'autrui , c'eft juftice ,
parce que l'interêt de la Société l'exige ;
j'entens murmurer ce Philofophe auftere ,
plus porté à la cenfure par tempérament
& par humeur, que par raifon & par vertu .
Quoi donc , s'écrie- t - il , je verrai de toutes
parts les hommes livrés à l'efprit d'illufion
& de vertige , démentir par leurs actions
le bon fens ou le devoir, & je me condamnerai
à une injufte filence ? Mais ce filence
ne feroit-il pas même fatal à la fociété ?
La licence & la folie ne manqueroient pas
de s'en prévaloir : elles n'en feroient , dans
tous les ordres de la vie civile , que des
progrès
OCTOBRE. 1751 .
73
progrès plus rapides . Bientôt on les verroit
fever le mafque fans pudeur , fi elles pouvoient
le faire avec impunité.
Ce fyftême , quoique vrai à certains
égards , prend fa fource dans un fond d'orgueil
qui ne connoît pas ou qui méprife
les intérêts de la Société . Je fçai qu'on ne
peutquelquefois tolérer les défauts d'autrui
fans trahir fon devoir . Les épargner , c'eſt
fouvent s'en rendre complice . La licence
eft comme un torrent qui s'étend avec
impétuofité , fi l'on ne le hâte de lui oppofer
des digues. Il eft des homines qui ,
par état , doivent arrêter fes progrès .
Rome enveloppée dans les ténébres. du
Paganisme , mais inftruite dans l'art de
gouverner les hommes & de
¿
procurer
le
de la Société , Rome eut fes Cenfeurs
publics & fes délateurs
du vice . L'indulgence
pour les fautes d'autrui
, fi elle n'eft
reftrainte
à de juftes bornes , peut avoir
de funeftes conféquences
. Elle n'eft dans
certaines occafions
que défaut
de fageffe
ou de courage
, adulation
, baffeffe. En
pareilles circonftances
, lorfqu'on
a droit
de fe faire entendre
, fe taire eft un crime ;
mais je fçai auffi que dans la correction
mê- me,on doit laiffer entrevoir
une forte d'indulgence
, & que la prudence de celui qui
reprend doitménager la délicateffe de ce-
D
74 MERCURE DE FRANCE.
lui qui eft repris.Un zéle amer eft fembla
blable à un feu trop ardent , qui par fon
activité exceffive dévore ce qu'il devroit
feulement purifier. Les leçons trop févéres
font toujours odieufes & rarement effica
ces . On ne perfuade l'efprit qu'après avoir
gagné le coeur , & le coeur ne fe gagne que
par la douceur & par l'indulgence .
Cette morale eft d'autant plus fure , que
les interêts de la Société ont un rapport
intime , une liaiſon étroite avec ceux de
la Religion , parce que dans celle - ci ce
n'eft pas feulement la fouveraine Autorité
qui commande , c'eft encore la fuprême
Sageffe qui agit. Tout ce qu'elle opere
tend néceffairement au bon ordre. Le génie
le plus tranfcendant doit fe perfuader
qu'elle a mieux connu que lui ce qui convenoit
au bien public , puifque devant elle
nos' lumieres ne font que ténébres , la Politique
humaine n'eft qu'aveuglement &
que folie. Si le fouverain Etre a deſtiné
les hommes à vivre en Société , il a pouryû
fans doute aubonheur de cette Société
dans les Loix qu'il lui a prefcrites. La Religion
cette maîtreffe abfolue devant
qui doivent plier l'orgueil & la fageffe de
l'homme , elle à qui feule il appartient de
commander au Monarque comme au Sujet
, au Philofophe fublime comme au
>
OCTOBRE . 1751. 75
Valgaire ignorant , la Religion nous impofe
d'abord le tribut d'un amour inviolable
envers le Créateur qui étant notre principe
& notre fin , doit être l'unique centre
de nos actions & de nos defirs. Elle veut enfuite
que
nous traitions nos freres avec
bonté, que nous les fupportions avec
patience difons tout , elle mefure l'amour
que nous devons au prochain à celui
que nous avons pour nous- mêmes. Dans
ce double devoir confifte l'accompliffement
de toute la Loi . C'eft de la foumiffion
à cette Loi que dépend le repos de
la Société. L'indulgence pour les défauts
d'autrui eft donc effentielle au bonheur de
la vie civile.
En effet , & la malignité a droit de cenfurer
tout ce qu'elle rencontre , fi l'orgueil
peut écarter tout ce qui l'offufque ,
fi vous permettez même à la raifon de réprimer
tout ce qu'elle condamne , quelles
fcènes déplorables n'éclateront pas à la honte
& au malheur de l'humanité ? La terre,
loin d'offrir à nos regards une Société de
freres unis & dévoués à l'interêt public ,
nenous préfentera qu'une multitude confufe
d'ennemis acharnés les uns contre
les autres. Plus les hommes font imparfaits
, plus ils feront divifés. Leurs défauts
feront les femences d'une guerre in-
J
1
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
teftine & éternelle . On ne verra que des
Maîtres rigides & des Serviteurs infolens ,
des Peres intraitables & des Enfans rebelles
des Epoux mécontens & chagrins
, des Amis incommodes & redoutables
. De l'oppofition des efprits naîtra la
divifion des coeurs . Les corrections même
>
les plus juftes ne produiront que d'impla
cables haines. La difcorde déchirera le fein
des familles. Toute la Société fera en proie
aux ravages de l'animofité & de la vengeance.
Il est donc néceffaire , pour le bien
commun d'avoir de l'indulgence pour
les défauts d'autrui.Cette vérité eft fur- tout
importante pour les Grands. Accoutumés
qu'ils font à des hommages continuels , à
des déférences outrées , ils voudroient que
tout pliât felon leurs idées , & fût fubordonné
à leurs caprices ; mais loin de ſe
rechercher en toutes chofes , & de fe concentrer
ainfi dans leur propre fphére , c'eſt
à eux de fe fouvenir qu'ils doivent d'autant
plus d'égards & de ménagemens à la Société
, qu'ils ne font grands que par elle &
pour contribuer à fon bonheur. Plus ils
font à portée de réprimer les défauts d'autrui
, moins ils doivent y parcître fenfibles,
parce queleur gloire confifte non à faire
des efclaves, mais à fe procurer des amis,
1
OCTOBRE
. 77 1751 .
non à faire craindre leur puiffance , mais
à fe diftinguer par des trais de modéra
oublier qu'il
tion ; ils ne doivent pas
eft beau de renoncer à la vengeance
,
lorfqu'on peut lancer la foudre.
Si les défauts que nous remarquons
en
autrui font effentiels , laiffons à ceux qui
en font chargés par état le foin de purger
la fociété des défordres qui la trous
blent. Le glaive des Loix est toujours fufpendu
fur la tête des prévaricateurs
. N'allons
pas au gré de notre paffion
& fans au- torité , nous ériger
un tribunal
pour y décerner
des peines
contre
les membres
d'un Corps dont nous faifons
partie. No- tre zéle feroit infructueux
, parce
qu'il
feroit déplacé
il feroit
injufte
, parce qu'il feroit préjudiciable
au bien public.Si
au contraire
ces défauts
ne font pas for- mellement
oppofés
au devoir
, ne jettons fur eux que des regards
compatiffans
. Ne
vaut-il
les hommes
reftent mieux
pas
unis entr'eux
avec de légeres
imperfec- tions , que de fe défunir
en voulant
réci- proquement
fe corriger
? Joüiffons
de no- tre raifon pour nous préferver
de certaines
fautes , & non pour perfécuter
ceux qui en font coupables
. Souvenons
- nous qu'il
eft dû à la foibleffe
humaine
une forte de
que
refpect. Le plus fage n'eft pas celui qui fent
Diij.
18 MERCURE DE FRANCE-
-
le mieux les défauts d'autrui , c'eft celui qui
les fupporte avec plus de patience. Pour
voir ces défauts , il ne faut que de la raifon
; pour les voir avec indulgence , il
faut de la grandeur d'ame. Ici le vainqueur
de foi même eft plus grand que le cenfeur
du genre humain. Deux Philofophes bifarres
, en cenfurant les hommes , donnent
dans de pitoyables excès . L'un fe livre à un
rire extravagant ; l'autre verfe des pleurs
ridicules ; tous deux font les ennemis de
l'humanité , fans en devenir les réformateurs.
Ils euffent été vraiment fages , s'ils
euffent compris que le défaut le plus incommode
à la Société , c'eft de ne pouvoir
fouffrir les défauts des autres ; que pour
participer aux agrémens de la vie civile ,
il faut fçavoir en fupporter les inconvé
niens ; en un mot , qu'avoir de l'indulgence
pour les défauts d'autrui , c'eſt juſtice
parce que l'interêt de la Société l'exige :
montrons encore que c'eft fageffe , par
ce que notre bonheur particulier en dépend.
SECONDE PARTIE.
C'est le propre de l'homme paffionné
de foumettre tout à la paffion , & de facrifier
à fes penchans fes plus chers interêts
Ce principe de malice & d'orgueil qui
OCTOBRE. 1751. 79
nous fait découvrir avec tant de fagacité
& reprendre avec tant d'aigreur les défauts
d'autrui , nous dérobe en même tems le
danger qui réfulte pour nous d'une cone
duite fi odieufe. Affez injuftes pour vouloir
troubler le bonheur des autres , nous
fommes trop aveugles pour nous appercevoir
que par
là même nous altérons
nous détruifons notre propre félicité.
En effet , repréfentez vous quelle eft
dans la Société la fituation de ce Critique
impitoyable qui s'annonce pour le
fléau des vices , & qui fait profeffion
de ne faire grace à perfonne. Paroit- il
dans un cercle : A fon afpect les plaifirs
fuyent ou languiffent ; fa préfence répand
la contrainte & la réferve ; fes regards
fa contenance , fon filence même , tout
importune de fa part , tout fatigue . Par
les marques de froideur , d'impatience ,
ou de mépris qu'on lui donne , la Société
fe venge des ennuis qu'il lui caufe. S'if
parle , on aime à contredire fes idées les
plus judicieufes. La haine que l'on porte
à fon carectere réjaillit jufques fur fon métite
même ; & parce qu'il fe croit en
droit de cenfurer les défauts qu'il n'a pas ,
on refufe de reconnoître les bonnes qualités.
qu'il peut avoir . Que fera- ce , s'il vient à
lui échapper une de fes fautes dont il ne
9'
1
D iiij
80 MERCURE DE FRANCE.
peut pas toujours fe garantir , parce que
fouvent elles font inévitables à l'homme le
plus parfait ? Avec quel empreffement ne
la releve- t-on pas ? Avec quelle joie maligne
ne fe plaft-on pas à l'éxagérer ? L'abaiffement
du Cenfeur fait alors le triomphe
de la Société. C'est une victime publique
que chacun veut percer de fon trait.
Les rumeurs, les ris infultans , les railleries.
dont on l'accable ne lui laiment que la liberté
de fuir. Il part auffi mécontent de
lui même que des autres , & il ne lui refte
de fa trifte vertu que la honte & le dépit :
car ne nous y trompons pas , la fuperbe
Philofophie ne tient pas contre les affronts.
Cette prétendue infenfibilité pour
tout ce qui peut affliger l'amour propre
n'eft pas dans le coeur humain . On eft déconcerté
, humilié par le mépris de ceux
mêmes qu'on eftime le moins. Le Stoïcifme
n'eft qu'un fantôme.
Rapprochons maintenant de ce tableau
le fort de ces hommes qu'un heureux naturel
, ou une conduite circonfpecte &
réfléchie rend indulgens pour les défauts
des autres. Ennemis du vice par devoir ,
mais par fagefle amis de l'humanité , leur
indulgence , en contribuant au repos public
, eft pour eux un germe de félicité qui
produit au centuple. On leur rend avec
OCTOBRE. 1751 81
que
རྒྱ
ufure ce qu'il font pour le bonheur des
hommes.Parce qu'il n'affectent pas l'efprit
de critique & de domination , on diroit
la Société fe plaît à les dédommager
de cette fupériorité de raifon à laquelle
ils femblent renoncer , par l'afcendant
qu'ils ont fur tous les efprits. Ils poffédent
de tous les biens le plus précieux ; le plus
flatteur même pour l'orgueil humain
l'empire des coeurs. La douceur leur fou
met des caractéres qu'ils n'euflent jamais
domptés par l'aigreur & par la cenfure . Des
vant eux la fierté femble dépofer fes prétentions
& fes hauteurs. L'envie comme:
abattue à leurs pieds , rend hommage à
leurs vertus , refpecte jufqu'à leurs défauts..
Ils font eftimés , chéris de ceux - mêmesqui
font profeflion de hair ou de méprifer
le genre humain .
J'avoue que dans la vie civile il eft une
infinité d'occafions où il eft difficile à un
homme judicieux , à un homme qui pen
fe , de retenir les mouvemens d'une juſte
indignation ; mais ici je cite le Sage au
tribunal de fa raifon même . Tandis que
Cette fageffe qui l'éleve au- deffùs du vul.
gaire lui fait remarquer les défauts d'autrui
avec plus de difcernement , ne l'avertitelle
pas auffi de les foutenir avec plus de :
patience ? Ne lui dit- elle pas que poart
DY VA
82 MERCURE DE FRANCE.
être heureux dans le commerce des hommes
, il s'agit non de vouloir les réfor--
mer , mais de les ménager , non de les ren .
dre ce qu'ils ne font pas , mais de les fup--
porter tels qu'ils font ? Si nous fentons
malgré nous que nous ne pouvons être
contens fans plaire à la Société , il eft
donc de la fageffe d'épargner fes défauts ,
puifqu'il eft impoffible de les reprendre
fanslui déplaire.
Que le monde foit plein de ces hommes
licencieux , qui dans leurs actions comme
dans leurs difcours , ne connoiffent ni les.
égards qu'ils doivent à la Société , ni le
respect qu'ils fe doivent à eux- mêmes : de
ces hommes pétulans dont le brutal orgueil
, malgré les avantages de l'éducation
, & fous les apparences même de
l'urbanité , manque à chaque inftant aux
bienséances les plus indifpenfables : de
ces hommes dépourvûs de jugement ,
mais remplis de préfomption, qui ne prennent
part, aux converfations que pour y
propofer leurs rêveries avec emphafe , &
les défendre avec opiniâtreté , qui révol
tent également par la faulleté de leurs.
idées , & par le ton impérieux dont ils les.
foutiennent de ces hommes infipides qui
ne ceffent de parler avantageufement
d'eux-mêmes que pour médire d'autrui,,
OCT OBRE.. 175'11 83:
& qui ne fe montrent dans la Société que
pour y bleffer la probité , ou pour y
étaler
des ridicules. Laiffons - les jouir en paix de
leur prétendu mérite , ou donner fans rètenue
dans les travers les plus marqués..
Gardons nous de les aigrir par une leçon
qui ne les corrigeroit pas ; il vaut mieux
avoir un difciple de moins , que de rifquer
à fe faire un ennemi de plus.
L'amitié elle-même que deviendra- t ---
elle fans l'indulgence pour les défauts d'au
trui Retrancher l'une , c'eft anéantirs
l'autre . Les hommes , s'ils n'ufent entr'eux
d'une indulgence réciproque , ne fe verront
de plus près que pour le méprifer
davantage. Ils ne s'uniront plus étroite-.
ment que pour en venir bientôt à une rupture
plus éclatante. Aux douceurs d'une
amitié tendre fuccéderont la haine , la
folitude & l'ennui ; & pour contenter la
malheureufe paffion de tout cenfurer , il
faudra renoncer à ce commerce délicieux
de fentimens & de fervices , fi propre
à faire le bonheur & le charme de la
we..
En vain prétendrons nons donc erre:
Heureux , fans concourir par notre indul
gence à la félicité des autres. Il y auroit :
autant d'illufion que d'injustice à l'efpérer .
La raifon la plus épurée , en nous éclai
Divj:
84 MERCURE DE FRANCE.
rant fur les défauts de l'humanité , ne nous
en garantit pas toujours. Epargnons ceux .
d'autrui , les nôtres feront oubliés ; au lieu
que pour le foible plaifir de reprendre.
une faute légere , nous aurons peut-être
le chagrin de nous entendre reprocher
des vices effentiels. L'amour propre que
nous aurons bleffé dans nos freres , pouffera
fa vengeance jnfqu'à décrier nos vertus
mêmes. Il les altérera du moins , s'il ne
peut les détruire.
L'expérience apprend affez combien ils
font loin du bonheur & de la fageffe qui
y conduit , ces caracteres farouches , dont
le zéle imprudent veut tout reprendre ,
ou dont l'humeur altiere ne peut rien fouf
frir . Sans ceffe on les entend rappeller les
hommes à la raifon & au devoir : mais
qu'arrive-t-il ? C'eft qu'on leur applique
à eux-mêmes ces régles qu'ils propofent
avec tant de faſte. On fe plaît à rapprocherleurs
principes de leur conduite , & la
comparaison qu'on en fait tourne rarement
à leur avantage. On n'eft pas impunément
la terreur des autres. Les Cenfeurs de la
Société reffemblent à ces Tirans : dont on
ne fupporte le joug qu'autant de tenis .
qu'il en faut pour fe préparer à le fecouer.
Ils ufurpens un pouvoir qui fait leur malheut.
Leur cruauté en perfécurant les-amOCTOBRE.
175г $$
tres hommes , devient leur propre fuppliee
, & ils s'éloignent du repos qu'ils
cherchent , à proportion qu'il troublent
ou qu'ils détruifent la tranquilité publique.
PRIERE A. JESUS- CHRIST..
Souverain Légiflateur , dont la bonté
infinie ne nous a foumis au joug de la Loi
que pour nous conduire aux fources du
Bonheur , établiffez fur la terre le règne de
la paix. Faites-nous fentir combien eft
avantageux aux hommes le précepte de la
Charité fraternelle. Donnez- nous l'efprit
de douceur & de patience qui nous eft né .
ceffaire pour en remplir toute l'étendue ;
enforte que par notre indulgence pour les
défauts d'autrui , ménageant les interêts
de la Société & les nôtres , nous puiflions
atteindre à certe félicité temporelle , qui.
toute fois n'eft qu'une foible image de
celle que vous réservez.aux fidéles obfer .
vateurs de votre Loi ..
Manfuetusfibi ipfi dulcis & aliis eftutilis.
S. Joan Chiifoft. Homil. 6 .
$ 6 MERCURE DE FRANCE.
送洗洗洗洗洗洗洗洗洗:洗洗洗洗
PIECES DE POESIE
Qui ont remporté les Prix de l'Académie.
Françoife en l'année 1751. Par M. le
Chevalier Laurés.
LES
HONNEURS
Accordés au mérite militaire par Louis XIV,
augmentés par Louis XV.
C
POEM E.
Ent remparts orgueilleux fous la foudre bra
lans ,
De fuperbes rivaux humiliés , tremblans ,
L'héréfic effrayée , errante , fugitive ,
Du duel frémiffant la cruauté captive ,
Des Arts encouragés la foudaine fplendeur,
Tout du Vainqueur du Rhin célébroit la grandeur .
Mais du Trône terrible où brille fa puiffance
Du faîte de la gloire où la terre. l'encenfe
Ses yeux toujours tournés vers les peuples chéris
Sur de triftes objets fe fixent attendris .
11 voir de fes deffeins les foutiens intrépides ,
Ces guerriers, dont la mort fuivit les coups rapides,
Trainer dans l'infortune & les befoins preffans ,
De leurs corps m utilés les reftes languiffans..
les voit , mais en pere ; une pitié ſtérile -
OCTOBRE. 1.75r. 87
N'eftpas le prixd'un fang en- lauriers fi fertile .
Il accourt , & la voix. raffemble ces Héros
Dans un Temple où l'honneur confacre leur repos..
La bonté de Louis fur leurs pas s'y déploye ;
L'ordre ,l'humanité , l'abondance , la joye ,
Pénétrent avec eux dans ce pompeux féjour
Qu'environnent la paix , le refpect & l'amour.
O calme inefperé qui renaît fur leurs têtes !
O Portqu'an Dieu leur ouvre après tant de tempêtes
!
Ils n'ont à foupirer fous fon augufte appui ,
Que de ne pouvoir plus triompher avec lui .
Des victimes du fort cet afile paiſible ,
Ne borne pas les foins d'un Maître fi fenfible ::
Tel que l'Aftre du jour , qui prête fa fplendeur.
Aux champs fertilisés par fon feu créateur ,,
LOUIS verfe un rayon de fa gloire immortelle
Sur ces Chefs dont les yeux enflammerent le zéles
Sur ces Chefs, qui de fang & de palmes couverts,
Sousfes heureux drapeaux, ont comptétant d'hy
vers.
Du pere des Bourbons la précieufe image
= Et le fceau dont fa main honore leur courage ;
Leur fein en eft marqué ; cer ornement pieux;
Infpire la valeur , l'annonce à tous les yeux.
Le peuple à leur afpe &t s'applaudit , il s'écrie ::
Les voilà ces Héros , l'appui de la Patrie ;
Voilà ces bras vengeurs, qui guidés par mon Roi,
Devant nos Etendarts ont fair voler l'effroi
88 MERCURE DE FRANCE.
Nous leur devons nos jours ,nos victoires, nos fêtes,
Ajoutons à l'envi -nos coeurs à leurs conquêtes.
Nouveau prix des guerriers ,ô toi , qu'à leurs regards
La gloire fait briller du milieu des hazards ,
Par un vif aiguillon , aux ames belliqueules ,
Que tu feras franchir de routes périlleuſes !
Que d'ennemis vaincus , que d'exploits admirés ,
Pour s'élever à toi , vont fervir de degrés !
Mais Ciel ! ce Conquérant , l'Arbitre de la terre,
Qui , l'exemple des Rois dans la paix , dans la
guerre ,
Fit germer les vertus & les Arts fur ſes pas ,
Louis tombe entraîné dans l'horreur du trépas .
Il n'eft plus : Nations , qu'effrayoit fon empire ,
Quel espoir vous féduit ; Tremblez , fon fils refpire;
Contre lui la difcorde en vain vous réunit ,
Vous ofez l'attaquer , fon bras vous en punit ,
Il triomphe & vous force à rougir de vos haines ,
Vous recevez de lui la paix au lieu de chaînes.
Compagnons des périls d'un Roi toujours vain
queur ,
Plébéïens par le rang , demi Dieux par le coeur ,
O vous , qui dans les mains du Héros qui vous
guide ,
9 Retrouvez de Louis & l'épée & l'Egide ,
Reconnoiffez encore à fes dons paternels
Le digne imitateur du plus grand des mortels.
Ifait que la vertu , mere de la Nobleſſe ,
Releve les humains que la naiffance abaiſſe,
OCTOBRE . 1751 89
30
ces,
Et par l'Edit facré qui vous tient lieu d'ayeux ,
1 acquitte l'Etat , fa juftice & les Cieux.
Quelsnoms éclipferoient ces titres que la gloire
Traça de votre fang aux champs de la victoire !
Des fronts cicatrifés , blanchis dans les travaux ,
Voilà quels font vos droits , ce font ceux des Héros..
Les faveurs de mon Roi ne font point paffageres ,
Dans les fils à jamais il couronne les peres.
D'une tige fi chére illuftres rejettons ,
Sous un ciel rigoureux en butte aux Aquilons ,
Vous fechericz bientôt fans fruits & fans verdure,
Si fes foins des Hyvers ne prévenoient l'injure.
Sa bonté prévoit tout , par des fecours conftans.
Il vient vous garantir des ravages des tems.
Croiflez , heureux objets de fa reconnoiffance ,
Croiffez, ne craignez plus que l'affreufe indigence
Captive votre ardeur dans fes fers odieux ,
La libéralité vient vous ouvir les Cieux.
O bonheur !Que le fage orne le diadême !
Que fes loix font bénir la puiffance fuprême !
Ce n'est qu'à fes bienfaits que les coeurs font
foumis ;
Il n'a point de fujets , il n'a que des amis ;
L'avenir fe prépare à reproduire au monde
Les tréfors que fema fa tendreffe féconde .
Monarque dont le nom par l'amour confacré ,
Nous retrace fi bien ton empire adoré ,
Quelsmonumens plus beaux & plus dignes d'hom
majes
90 MERCURE DE FRANCE.
Pouvoient te présenter aux yeux de tous les âges !
Toujours heureux par toi , toujours reconnoiflans ,
Nos neveux empreffés t'offriront leur encens ,
Tandis que l'Univers dans la même balance ,
Comparant fes Héros au Héros de la France ,
Sur fon regne , par eux plus ou moins imité,
Jugera de leurs droits à l'immortalité.
Qu'il eft doux de chanter les vertus deſon Maître !
PRIERE POUR LE ROI.
A notre amour, grand Dieu , que ta bonté réponde,
Conferve - nous Louis , & comblant nos fouhaits ,
Donne au jeune Héros qu'il dut à tes bienfaits ,
Un fils , nouvel efpoir de la France & du monde.
LA PASSION DU JEU,
Q
O D E.
Uels pâles & fombres Miniftres:
Dans ce Temple fecret vienneut de pénétrer ?
Autour de ces flambeaux, quels myſtéres finiftres:
S'empreffent ils de célébrer ?
A l'afpect des dons qu'ils préfentent ,
Des defirs ardens les tourmentent ;
D'efpérance & d'effroi leur coeur eft agité.
Quel eft ce culte impie ? Er quel Dieu peut ſe plaire:
A l'encens toujours mercenaire ,
Par une main avide offert & regretté: ? -
OCTOBRE.
91 1751.
Intérêt , pere des grands crimes ,
Puis-je te méconnoître à ces traits odieux ?
Toi , quide vils mortels , tes Prêtres , tes victimes ,
Promenes la honte en tous lieux.
Pour déchirer leur fein avale,
Ta voix évoqua du Ténare
Le Jeu ,de leur fureur éternel châtiment..
Ils accourent , guidés par une faim cruelle ;
Mais du monftre qui les appelle ,
Eux -mêmes font bientôt la proye & l'aliment..
Un Sacrificateur déploye
Du fort fur un Aurel les decrets fouverains ;
Quel filence ! Quels voeux ! La douleur & la joye
Tour à tour naiffent de fes mains.
La troupe inquiéte & tremblante
Fixe fa vde impatiente
Sur un livre bifarre , arbitre du combat,
De fes adorateurs la fortune fe joue ;
L'inftant qui voit tourner la roue
Les éleve cent fois , & cent fois les abat.
+ x+
Déeffe aveugle , tu, décides ;
Ton caprice , à fon gré , décerne enfin le prix;
Sur les infortunés frappant des coups rapides ,
Tu couronnes tes favoris.
Soudain , ô défeſpoir horrible !
L'il étincelant , l'air terrible,.
91 MERCURE DE FRANCE. !
L'un dévore le livre ou fon fort eſt écrit ,
L'autre brife l'autel , & dans fa rage extrême ,
Tournant fon bras contre lui- même ,
Se punit d'un penchant qu'il détefte & chérit.
Minos dans fon urne effrayante ,
Roule- t'il parmi nous les arrêts du deſtin ș
Quoi , l'ivoire échappé de fa priſon bruyante ,
Va fixer le fort incertain !
Le Cube vagabond héſite ,
Il menace , il flatte , il.agite
Tous lesyeux,tous les coeurs dans fa route entraînés,
Il s'arrête : les airs de clameurs retentiffent ,
Les profcrits éperdus maudiffent.
L'irrévocable loi qui les a condamnés .
**
Dans le gouffre qui les dévore ,
Un téméraire en vain voit périr les tréfors ,
Pour les renouveller , pour les y perdre encore ,
Il tente les derniers efforts .
Infenfé , quel démon te guide ?.
Connois ta fureur parricide ;
Vois ton époule en pleurs de fes maux t'accufer ;
Vois tes fils languiffans privés de nourriture ,
Entends les cris de la Nature ,
Barbare , c'eftleur fang que tu vas épuifer..
OCTOBRE.
1751. 93
CE
11 ,
A leur fort cruel peu fenfible ,
Il revole au combat , & le Ciel l'en punit ;
Ilfuit,& pour jamais , par un ferment terrible,
Du Cirque affreux il ſe bannit ;
Vain ferment l'efpoir le ramene ,
A la voix de cette Syrene ,
Plus ardent il fe livre à des périls nouveaux,
Tel le Pilote à peine échappé du naufrage ,
Oubliant fes voeux & l'orage ,
Aueridel'intérêt s'élance fur les eaux.
La fortune enfin adoucie ,
A l'avide joueur prodigue ſes préfens ;
De fon coeur affamé l'ardeur ſe raflafie ;
Le fuccès égare fes ſens.
Du bonheur , & trompeufe image !
Ofonge enchanteur & volage ,
Qu'an reveil défolant va bientôt diffiper !
Déeffe , fous des fleurs tu lui caches l'abîme ,
C'estpour mieux parer ta victime ,
Que ta fureur fecrette eft lente à la frapper !
Sans doute au milieu des richeffes
Il goûte les plaifirs d'un jour pur & ferein ,
Il est heureux : Non , non , ces perfides careffes
Sement le trouble dans fon fein.
Avec le gain fa foif augmente ,
94 MERCURE DE FRANCE.
Le retour du fort l'épouvante ,
Il projette , il calcule , il pouffe des foupirs ;
Unfunefte poifon fe gliffe dans fes veines ,
L'enyvre d'efpérances vaines ,
Et nourrit dans fon coeur l'Hydre de fes defirs.
++
Les revers en foule renaiſſent ,
Sa moiſſon eſt en butte à de fongueux torrens ,
Il s'obtine , & bientôt fes trésors difparoiffent
Changés en remords dévorans .
Enfin l'indigence cruelle
Traînant tous les maux avec elle ,
Diffipe , mais trop tard , l'erreur qui l'a féduit.
Sans afile , rebut du monde qui l'abhorre ,
O mort , il t'appelle , il t'implore ;
Tu ferois un bienfait dans l'horreur qui le fuir,
Du coup rigoureux qui l'opprime ,
Heureux ! s'il peut du moins fauver la probité,
Mais trop fouvent alors dans les fentiers du crime
Par l'orage il eft emporté.
Du fort enchaînant les caprices ,
Sa main féconde en artifices
Dépouille des rivaux dont l'oeil eft faſciné.
Fatal excès d'un coeur que l'intérêt ſurmonte !"
Il grave les traits de la honte
Sur un front que l'honneur peut- être eût couronn
OCTOBRE.
95
1751.
Fuyez, à tant de barbaries ,
O Graces , gardez-vous de vous affocier !
Eh quoi ! meres des ris , fur l'autel des Furies ,
Vous avez pú facrifier !
A d'indignes tourmens livrées ,
De la perte défefperées ,
Vous ne connoillez plus ni repos ni douceurs ;
L'Amour en foupirant voit les fombres allatmes
Obfcurcir l'éclat de vos charmes ,
Et lui ravir un trône où voloient tous les coeurs.
+x axt
Mais , ô Ciel ! quelle horreur nouvelle
Parmi ces noirs tranfports vient de frapper mes
yeux !
La colere qu'enfante une injure cruelle ,
Arme le bras d'un furieux :
Rien ne peut arrêter ſa rage ;
L'orgueil fous les traits du courage ;
Dans lefang qu'il pourfuit, plonge un glaive vengeur.
France , benis ton Roi ; la bonté qui l'éclaire
Lui dicte une loi falutairė
Qui profcrivant le jeu , cimente ton bonheur.
Quid non mortalia pectora cogis
Aurifacrafames ? Virg. Eneid.
96 MERCURE DE FRANCE.
REFLEXIONS DIVERSES.
I
Par M. de Merivaux .
SUR LES ROMAINS. 1
L n'y a point eu d'Empire avant celui
des Romains , qui ait été fi difficile à
s'établir que le leur. Auffi n'y a-t'il point
eu de peuple qui ait été préparé de fi longue
main pour devenir le Maître du
monde.
Ce qui mit autrefois les Perfes en état
de fonder leur Monarchie , ce fut l'éducation
auftére qu'ils recevoient chez eux ,
Et pour parler plus exactement ce fut une
grande place où fuivant les âges , & dans
differentes claffes on les accoûtumoit à une
vie fobre , à des exercices qui les rendoient
fains & robuftes , où on leur infpiroit du
courage , de l'honneur , & de la foumiffion
à leurs . Chefs , où on lent apprenoit
à dire la vérité , & à détefter l'ingratitu
de ce qui donne en effet à l'ame un caractére
mâle & généreux ; & ce fut de
cette place que fortirent les vainqueurs
de l'Afie ; ce fut là qu'ils fe formerent;
il ne leur en fallut pas davantage alors ,
pour être fupérieurs à toutes les Nations ,
qu'ils
OCTOBRE 1751 . 97
qu'ils attaquerent lorfqu'enfuite les Macédoniens
vinrent renverfer leur Empire ,
ils eurent befoin à leur tour d'être plus
formés , & plus avancés que ne l'avoient
été les Perfes. Il n'étoit plus fi aifé de foumettre
le monde , il avoit déja éprouvé
plufieurs dominations , & il devoit être
capable de plus de réfiſtance , parce qu'il
avoit été plus agité.
Il estvrai que les Perfes,depuis la fondation
de leur Empire , étoient devenus bien
effeminés & bien mols , & on en conclu.
roit que dans cet état , on pouvoit les fubjuguer
auffi aifément qu'ils avoient fubjuguéles
gué les autres;mais il faut obferver que leur
molleffe n'étoit plus qu'un abus de la puiffance
& de la profpérité qu'ils avoient acquifes
, que c'étoit la molleffe d'une Nation
plus inftruite & moins neuve.
Ils avoient le reffouvenir orgueilleux
de leurs conquêtes paffées , auffi bien que
l'Hiftoire de tous les évenemens qui les
avoient précédés , & ce font là des lumieres
, & même de vraies forces.
Ajoutez-y leurs fréquens démêlés avec
les Grecs , les révoltes de leurs propres
Satrapes , qu'ils étoient obligés de réduite
, & tout cela enſemble en faifoit une
Nation plus fuperbe , qui fe croyoit plus
E
93 MERCURE DE FRANCE .
refpectable , qui avoit le fecours de plus
de connoiffances , & dont la défaite devoit
coûter plus de peine.
Ainfi ces leçons domeftiques de courage
& de vigueur , qui avoient autrefois
fuffi aux Perfes pour s'établir , n'auroient
pas fuffi aux Macédoniens pour les vaincre
.
Auffi en reçurent-ils de bien plus fûres ,
& de bien plus inftructives.
7
Ce fut dans les combats , & pendant
plus de vingt ans d'exercice , qu'ils apprirent
à devenir foldats fous les meilleurs
Maîtres de ce tems-là , fous Philippe qui
les commandoit , qui étoit le premier
homme de fon fiécle , & on peut dire aufli
fous les Grecs à qui Philippe avoit le plus
fouvent à faire , & qui étoient alors la
feule Nation du monde qui entendît la
guerre , & qui pouvoit par conféquent en
donner les meilleures leçons à fes ennemis
même.
Du tems des premiers Empereurs de
Rome , on ne pouvoit pas dire que l'Etat
eût un Maitre , eût un Gouvernement af
furé. Tout y étoit une efpéce de fiction
de République , & de Monarchie .
En voici la preuve , c'eft que depuis
Céfar , qui lui- même avoit affecté de gouOCTOBRE
1751.
ل و
verner avec le Sénat , Augufte qui lui fuccéda
ne fe difoit point le Maître , ou du
moins fe faifoit continuer fa Charge de
Maître par le Sénat , de qui il feignoit de
recevoir fon pouvoir à chaque fois qu'il
paroifloit expirer.
Enfin c'eft que Tibére en fit autant , de
façon qu'il n'y avoit rien de moins établi ,
tien de moins décidé dans les efprits que
les droits d'un vrai Maître .
Et à quoi pouvoit aboutir un pareil
Gouvernement , où le Citoyen n'étoit ni
fujer ni libre , où il n'y avoit que de lâches
efclaves qui affectoient une liberté qu'ils
n'avoient plus , & un Maître hypocrite
qui affectoit d'oblerver une égalité , dont
il ne laifloit que la chimére ?
Pourquoi foutenoit -on le menſonge de
part & d'autre pour ne pas fupprimer
l'idée que la République étoit toujours la
Maîtreffe , & cette idée , quoique réduite
à n'être que cela , fauvoit la fierté du nom
Romain , & diffimuloit l'infolence du nom
de Maître.
Sur les Hommes.
En général , il peut y avoir un degré
d'ignorance meurtriere parmi les hommies ,
en fait de morale.
E ij
13
100 MERCURE
DE FRANCE
.
Il y a un degré de connoiffance
, qui
Leur nuit peut-être encore davantage .
Il y a une médiocrité de connoiffance
,
dont ils fe trouveroient
mieux , & qui eſt
le point où il faudroit qu'ils fuffent.
Dans ce degré médiocre , ils en fçauroient
allez pour fçavoir le rendre fuffifamment
heureux , & pas affez pour fçavoir
échapper aux reproches d'être méchans.
Plus les hommes par la finele de lear
efprit , connoiffent
d'iniquités
de coeur ,
& plus ils commettent
de crimes .
Envain cette même fineffe lear ap
prend - elle de nouvelles vertus , il s'en
tiennent à les fçavoir , & ne les exercent
pas ; mais pour des crimes , malheur à
toute fociété d'hommes qui ont affez d'elprit
& d'expérience
pour fçavoir en com
bien de façons fines , fecrettes , & impu
nies , on peut manquer d'honneur , de juf
tice & de vertu .
Il faudroit donc pour le bonheur des
hommes , qu'ils ne fuffent ni trop ignorans
, ni trop avancés.
Trop d'ignorance
leur donne des moeurs
barbares
, le trop d'expérience
leur en donne d'habilement
fcélerates
.
La médiocrité de connoiffance
leur en
: OCTOBRE
101 1751
donneroit de plus douces.
Une des plus fortes raifons des conquêtes
& de la fupérioté des Romains fur
toutes les Nations , c'étoit la fierté qu'un
Romain recevoit avec fon éducation.
C'étoit cette opinion fuperbe qu'il avoit
de la dignité de fon nom . C'étoit l'opiles
autres peuples en avoient nion que
eux-mêmes.
Ce nom de Romain affujetiffoit
leur
imagination , c'étoit un titre fous lequel
elle plioit. La baine même qu'on avoit
pour les Romains , tiroit fon origine de
l'épouvante & du reſpect qu'ils infpirolent.
celle
Aujourd'hui cette haute opinion qu'un
peuple auroit de lui- même ,
que les
autres peuples
peuples en auroient , ne feroit plus
tant de fracas .
Les hommes ne font plus fufceptibles
de cet abbattement , ni de ce tour d'imagination
en faveur d'une autre Nation .
On s'eft trop éprouvé de part & d'autre ,
& l'orgueil d'une Nation n'en impoferoit
pasjufques là .
Mais cet orgueil , malgré la médiocrité
de l'effet qu'il produiroit aujourd'hui
, en
produiroit encore un affez grand , pour
rendre une Nation extrêmement
refpecta-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
ble , pour faire chez elle d'excellens foldars
, qu'on regarderoit comme excellens,
ailleurs.
Enfin , ce feroit en tout tems un furieux
avantage pour un peuple que cette idée
altiere qu'il auroit de lui- même. C'eſt une
efpéce d'arme qui ajoûteroit à fa force , &
qui feroit une partie de la foibleffe des
autres.
2
Il eft , pour ainsi dire , heureux de battre
les efprits , avant qu'on batte les
corps.
Combien y a t'il de Sylla , de Craffus ,
de Marius , de Céfar même , étouffés fous
un Gouvernement Monarchique.
Eh , tant mieux ! ces gens là ne font
bons que dans l'Hiftoire , où pourtant
nous aurions intérêt de ne les pas mettre ,
mais où nous avons la cruauté de nous
amufer des fpectacles fanglans qu'ils ont
donnés ; & fi jamais les hommes devien
nent fages , leur Hiftoire n'amufera gué♣
re.
Toutes les fois qu'un grand homme ,
un grand politique a befoin d'un crime
pour réuflir dans fon entreprife , dreffezlui
des ftatues , s'il ne le commer pas
Voilà l'homme digne d'exciter le fenti
ment de notre excellence , à le proclamer
grand .
A
OCTOBRE. 1751 103
Mais quand nous admirons des hommes
qui auroient mérité d'expier dans les
fupplices , les moyens dont ils fe font fervis
pour arriver au fuccès ; des hommes
qui ont prostitué leur ame au befoin qu'ils
avoient d'un crime , qui n'ont pas eu la
force de fe refufer aux expédiens de ces
fcélerats qu'on extermine . Notre admira
tion ici n'eft plus qu'une démence.
Les difcours d'enthousiaste & d'infpiré ,
que Cromwel tenoit fouvent dans l'armée
, & qui auroient dû le ruiner de crédit
, lui qui n'étoit encore qu'Officier Général
, la rénffite de ces mêmes difcours
la continuation de fa faveur auprès de tant
de bons efprits fes camarades , tout cela
marque que dans de longs démêlés , &
qu'à force de partis , de raifonnemens ,
& de cabales dans une grande affaire ,
tout cela marque , dis je , qu'il fe fait
une telle fermentation dans les meilleurs
efprits , qu'ils s'écartent tant de la raiſon
& du bon fens , qu'ils s'en éloignent par
un écart fi infenfible , quoique journalier ,
la tête des hommes
qu'on peut affurer que
en cet état , n'est plus la tête qu'ils avoient
avant leurs débats ; qu'elle eft totalement
altérée, & à leur infçu ; ce ne font plus les
mêmes hommes ; & ceux qui gardent tout
104 MERCURE DE FRANCE.

leur efprit , qui reftent comme ils étoient
auparavant , & avec le même flegme , font
des hommes vraiment fupérieurs aux autres
; mais peut-être par là même bien
plus hors de fervice alors que ces vigoureufes
imaginations , comme étoit celle
de Cromwel , de qui les efprits dans l'état
où ils étoient , relevoient bien plus
qu'ils n'euffent relevé d'une raiſon fagement
fublime , mais trop peu
ardente pour
eux .
A l'égard de Cromwel , on dira qu'il
jouoit les infpirations ; foit , mais il falloit
une furieufe ardeur d'imagination pour
efperer quelque fuccès de ces ridicules
infpirations , & pour être délivré de la
pudeur qui les lui auroit défendues : il ne
le croyoit pas infpiré , il n'avoit pas cette
folie- là , mais il avoit le degré d'emportement
qu'il falloit , pour ofer efperer qu'il
réuffiroit s'il fe difoit infpiré.
Cet emportement par l'évenement a
paffé pour une politique, prudentes mais
n'importe , tant de chaleur ne va pas fans
quelques grains de fine extravagance , qui
donnent le courage de hazarder de certains
moyens
.
Il y a les reffources d'une politique fenfément
profonde.
OCTOBRE.
1751. 105
ya Ily a les reffources d'une politique exceflivement
hardie , & prefque impudente
à force d'audace & de groffiereté dans fes
moyens ; il faut quelquefois de ces dernieres
reffources-là , c'est - à- dire , que dans
de certaines occafions , il faut des fous
d'un puiffant efprit.
Un fage avec les lumieres le plus fublimes
périroir là , un fou d'un puiſſant efprit
périroit ailleurs.
A quoi bon faire des Livres pout inf.
traire les hommes ; les paffions n'ont ja.
mais lû ; il n'y a point d'expérience pour
elles , elles fe laffent quelquefois , mais
elles ne fe corrigent guére , & voilà pourquoi
tant d'évenemens fe répétent.
Entre gens de même profeffion , de même
métier , ou de même talent , toute la
juftice que les hommes peuvent fe rendre ,.
s'eft d'eftimer très -fobrement ceux qur
font très eftimables.
It's ne s'avouent pas entr'eux plus d'eftime
que cela. Ce qu'ils en doivent de plus
eft dans le fond de leur confcience , où ils
ne veulent pas la voir. Leur amour propre
fait fi bien qu'il ne la fçait pas lui
même , quoi qu'il ait toujours befoin de fe
perfuader qu'il l'ignore.)
Qu'on demande par quel Art ce que je
dis là peut fe paffer dans l'efprit , & com
E v.
106 MERCURE DE FRANCE .
ment il eft poffible qu'un homme connoiffe
une vérité , & en même tems ſe garde
le fecret de la connoiffance qu'il en a.
C'eft ce qui feroit fi difficile à expliquer
qu'on ne s'entendroit pas..
EPITRE
A M. DE FONTENELLE,
N'vit heureux quand on eft ſage .
C'eft du fein des tranquilles nuits
Que naiffent les jours fans nuage ;
En moiffonnant trop tôt les roſes du bel âge ,
On n'en recueille point les fruits.
Ce Soleil brillant dès l'Aurore ,
Qui confume les fleurs de la jeune ſaiſon ,
Le plaifir n'eft pour la raison
Qu'un Aftre bienfaiſant qui féconde & colore ,
Et qui d'un voile d'or embellit l'horifon :
Reméde pour le Sage , il devient un poiſon
Pour les coeurs que fon feu dévore .
Tes jours comblés d'honneurs & tiffas de plaifrs ,
Tes beaux jours , fage Fontenelle ,
Semez d'heureux travaux & de rians loisirs ,
Dont au gré de nos voeux le fil fe renouvelle ,
Confacrent à jamajs la raiſon éternelle ,
OCTOBRE.
*75*. 3407
Qui dirigea tes pas & régla tes defirs.
On vit un célefte Génie
T'apporter tour à tour le compas d'Uranie ,
La plume de Clio , la lyre des Amours.
La Gloire répandit fes rayons fur ta vie ;
Mais la feule raifon en étendit le cours,
Les martyrs de l'orgueil prodiguent fans réferve
faifir des momens :
Leurs jours , pour
La Gloire fur fes pas fait périr fes amans ,
Et la Sageffe les conferve .
Sans jouir du préfent , vivre pour l'avenir ,
S'immoler aux races futures ,
D'un travail épineux endurer les tortures
Laiffer ,quand on n'eft plus , un foible fouvenir ,
O chimére d'orgueil ! O méprifable idole !
En s'éclairant foi -même , éclairer l'Univers ,
Mériter un grand nom , fentir qu'il eft frivole ,
Enlever fans effort ces lauriers toujours verds
Qu'emporte loin de nous la Gloire qui s'envole ;
Defirer d'être grand , fans ceffer d'être heureux
Enrichir fon efprit , en prolongeant la vie ,
Méprifer la faveur & confoler l'envie ,
Défarmer fes rivaux , iégner fur fes neveux ,
Tel eft l'objet da Sage , & telle eft ton hiſtoite.
Il faut , pour être mon Héros ,
S'approcher lentement du Temple de Mémoire ,
Travailler fans relâche en faveur da repos ,
Exercer , conferver les refforts de fon ame ;
Plus la vie eft tranquille , & plus fà foible trama
E.vj
IOS MERCURE
DE FRANCE.
Echappe au cifeau d'Atropos .
Nos paffions font nos furies :
Elles veillent fans ceffe , & leurs cris renaiffans
Viennent rompre le cours des douces rêveries ,
Et l'équilibre de nos fens .
Qui fçait les maîtrifer eft le Dieu d'Epidaure .
Qui , la Sageffe aimable eft foeur de la Santé:
Elle feule connoit ce fecret qu'on ignore
D'aflurer l'immortalité
.
Qu'un autre exalte le courage
D'Achille mort dans fon printems ,
Il faut plus de vertus pour vivre plus long-tems ;
Et le Neftor des Grecs fut encor le plus fage .'
PLAIDOYERS
,
Prononcés au Collège de Louis le Grand,
le 19 Août 175 .
L
Es Plaidoyers qui ont été prononcés ,
cette année au Collège de Louis le
Grand , étoient intéreflans ; & le fujer en
étoit nouveau.
Un Roi zélé pour la gloire de fon Regne
& le bonheur de fon peuple , apprend
qu'on va établir en France une Académie ,
où feront élevés cinq cens jeunes Gentils-
Hommes deftinés à la profetlion militaire
OCTOBRE. 1751. 107
fes
Charmé de la grandeur & de l'utilité de
ce projet , il fe prépare à l'exécuter dans
propres Etats. I charge un Miniftre
éclairé de confulter fur un établiffement ,
dont ils connoiffent la nature & les
loix , quelques François qui fe trouvent
à fa Cour. Le Miniftre , après les avoir
affemblés , leur dit que fon Maître » ja-
» loux d'augmenter le bonheur de fon
»peuple & la réputation de fon Trône ,
" a toujours été frappé des établiffemens
» que les Monarques François ont faits ,
» & des ouvrages que leur magnificence a
confacrés au bien & à l'utilité de leurs
»Sujets. Là , ce font des Temples érigés
» ou des revenus affignés aux Beaux Arts ,
qui jufqu'alors errans & fugitifs , fans
»Mecénes & fans Protecteurs , avoient
rampé dans la pouffiere avilis par
gence & le mépris . Ici , c'eft un hofpice
yafte & pompeux , où la valeur exercée
»par des périls & des victoires trouve un
» azile honorable , & goûte un noble repos
, acheté par des fervices & des bleſſures
..... Tant de monumens glorieux
empreints du fceau de l'immortalité
» ont fixé l'attention de l'Europe , excité
fon admiration , & fait éclore & circu-
» ler dans tous les Empires , fur tous les
»Trônes , dans tous les Confeils , cette
"
"
l'indi116
MERCURE DE FRANCE
» noble émulation qui anime aujourd'hui
» tous les Souverains , & préfage au mon
de un bonheur qui ne dépend que
» d'eux.
Après ce début , où l'on remarque de la
nableffe & de l'éloquence , le fage Minif
tre expofe un plan d'éducation pour au
tant de jeunes Gentilshommes , qu'on en
élevera en France dans la nouvelle Ecole:
de Mars. Il prie les François de lai direleur
fentiment fur les objets les plus effentiels
de cette éducation . Ces objets fe ré
duifent à la culture de l'efprit , à celle dú
» coeur & des fentimens , à la connoiffancedes
Langues étrangeres , aux exercices dú
corps. Il s'agit de régler fur l'importance
plus ou moins grande de ces quatre choles
effentielles à la profeffion de guerrier , la
diftribution des récompenfes deftinées aux
differens Maîtres , & aux éleves qui auront
profité de leurs leçons. Les avis partagés
produifent quatre difcoars.
Le premier difcours i prononcé par M.
de Boifriou ) étoit une ingénieúfe apologie
de la culture de l'efprit , contre un préjugé
fatal à l'Art militaire. L'Orateur
s'appuyoit fur deux principes , qui étoient
10. que fans l'étude & les lumieres qu'elle
procure , les Guerriers ne pouvoient prétendre
qu'à une gloire médiocre , qu'à des
OCTOBRE
1751.
triomphes ftériles ; 2 ° . que les connoiffances
puifées dans une étude folide , fuffifoient
prefque feules à la guerre , où l'Art
plus puiffant que les plus
nombreufes armées
, décide la plupart des
évenemens , &
enchaîne la fortune avec la victoire au
char d'un Héros inftruit , d'un Conqué
rant éclairé. La
feconde
propofition , plus
difficile en
apparence à
prouver que la
premiere , étoit juftifiée par plufieurs exemples,
& en particulier par celui des Grecs
& des
Romains.
...
» Les Grecs , peuple
induftrieux , l'e-
" xemple des Nations , les
Créateurs des
Arts... fçurent les premiers fe faire une
» étude de la guerre , &
foumettre fes fureurs
aux régles de l'Art.
Vainqueurs des
»Barbares , ils
érigerent en fcience cette
rage funefte , mais
néceffaire , qui.
"arme les Nations contre les Nations ..
» Ils
établirent l'ordre & la
difcipline au
» milieu du
tumulte & de
l'indépendance,
»formerent des
Capitaines & des foldats ,
apprirent à leurs Généraux à obferver la
»
fituation des lienx , à
fortifier les camps,
» à
combiner les
marches ,à
difpofer les
attaques , à employer par tout l'art &
» fes reflources.... Alors on vit éclore ces.
"miracles , ces chefd'oeuvres
militaires ,
ces
monumens de la
puiffance de l'Art ,
".
112 MERCURE DE FRANCE.
» confacrés dans les faftes du monde avec
»les journées de Marathon , des Thermopyles
, de Plattée aufquelles il faut joindre
cette célébre retraite de Xenophon
pourſuivi à la tête de dix mille Grecs ,
» par une foule d'ennemis barbares & fu-
» rieux……… .
» Les Romains ne penfoient pas que la
"guerre fûr une fcience .... mais le Vainqueur
des Alpes & des Pyrénées , le leur
apprit bientôt. Sans autre armée qu'un
» vil amas d'efclaves lâches & indociles ,
» fans difcipline & fans moeurs , la lie des
» Nations.... ce grand homme par fa
» feule habileté , triompha des Romains
» fiers & belliqueux.... & la victoire n'a-
» bandonna fes drapeaux , que quand fon
» ennemi inftruit par fes pertes réitérées ,
» perça le voile de l'ignorance , & fçut
» oppofet l'Art à l'Art , la Science à la
» Science....
Le fecond Orateur t( M. l'Abbé de Chimay
) fe déclara pour la connoiffance des
Langues étrangeres , & fonda la demande
qu'il fit de la préference , 1 ° . fur la difficulté
de l'étude de ces Langues , difficultéqu'il
prouva , en parlant avec une aifance
& des graces qui charmerent ; 2. furl'utilité
de cette étude , qu'il fit fentir par
un argument tiré de l'Edit même de Louis
OCTOBRE. 1751. 113
XV. & par plufieurs raifonnemens également
propres à convaincre,
39
$ » C'est la connoiffance des Langues
» dit-il , qui fixe le fort des batailles.
» C'estun mot Anglois dit à un Régiment
Anglois , qui le charme , qui le tranf
» porte , qui lui fait oublier qu'il fert une
» Couronne étrangere .... C'eſt un mot
» Allemand , dit à un Corps Allemand ,
» qui opére fur lui des effets merveilleux ,
» & le fait voler à la mort ou à la victoire.
C'eft cet éloge Italien de la vertu des
anciens Romains , qui infpire tout à
coup à des bataillons Italiens cette bra-
» voure , qu'à peine ils connoiffent . C'eſt
Den rappellant à un Efpagnol fa vertu
paffée , qu'on lui fait renouveller les
prodiges de valeur qui étonnoient encore
dans le fiécle dernier l'Europe
guerriere. Henri IV. combat pour un
Royaume . Il dir : vous êtes François ,
»je fais votre Roi , voilà votre ennemi .
» Il a parlé , & la victoire eft à lui.
"
Le troifiéme difcours ( prononcé par
M. de Buffy ) avoit le coeur pour objet ,
& portoit fut deux propofitions incontef
tables , d'où fortoit une conclufion décifi.
ye. L'Orateur prouva d'abord qu'il y avoie
un certain nombre de vertus qui conf
tituoient , l'effence de l'héroïíme . 11 dé
114 MERCURE DE FRANCE.
montra enfuite , avec le même fuccès , que
le germe de ces vertus étoit dans le coeur ,
où il falloit qu'une heureufe éducation les
fit éclore. Il conclut de- là que c'étoit à la
culture du coeur , qu'il falloir qu'on don
nât les premiers foins. Son difcours n'étoit
, comme on le voit , qu'un fyllogifme
développé , qu'un raifonnement embelli
par l'éloquence. Dans le détail des vertus
néceffaires aux Héros , le courage ne fut
pas oublié : c'eft la baze de l'héroifme.
» Repréfentez - vous , dit l'Orateur en
» prouvant la néceffié du courage , repréfentez
vous l'appareil menaçant d'une
» bataille , un vafte pays occupé par deux
» armées , prêtes à fe porter l'une contre
l'autre avec cette fureur qu'infpire le
» defir de la victoire , mille gouffres d'ai
و د
22
rain d'où fortent autant de tonnerres
» dont le bruit effroyable femble appeller
» les tempêtes , & préfager la ruine da
» monde. Voyez tomber çà & là la fleur
» d'un Empire , & s'élever des montagnes
de mourans . Peignez - vous des torrens
de fang qui vont enfler les rivieres , des
»
tourbillons de fumée , des nuages de
pouffiere , infectés de l'odeur du falpê-
« tre , d'épaiffes ténébres , fillonées d'é
» clairs avant- conreurs du trépas ... Là ,
dans le fein de la terreur ,
tranfportez.
J
OCTOBRE. 1751. 115
pun de ces Guerriers , enfans du luxe &
»de l'opulence ; un de ces Sibarites modernes
qui n'ont jamais affronté d'autres
ennemis , que les effains tumultueux
» des plaifirs ; fans courage enfin , parce
» que la molleffe eft effentiellement
foi-
»ble.... Le Héros évanoui abandonne à
d'autres la gloire d'un triomphe , dont
»les bruyans inftrumens ont verfé dans
fon ame la confternation
& l'effroi . D
Le quatriéme Orateur ( M. le Duc de
Fronfac ) peu étonné des prétentions de
fes concurrens , demanda la préference
pour les exercices du corps , avec une éloquence
fi vive , qu'il ne paroiffoit pas pof
fble de lui refufer la victoire. Il s'agit ,
dit- il , dans l'éducation de la jeune No-
» bleffe , de viſer au bien de l'Etat . Or
wil me femble , que dreffer le corps d'un
»jeune Guerrier aux exercices de fa pro-
»feffion , c'eft aller droit au but. J'éta
blis donc ces deux propofitions : former
n les jeunes Gentilshommes
aux exercices
» militaires , 1 , c'est ce qu'il faut , 2 ° .c'eft
" à peu près tout ce qu'il faut. Tel qui
» n'a condamné d'avance pourra changer
» d'avis.
ทา
L'Orateur entre dans le détail des preuves
, dont il étaye chacune de fes propoitions.
Il s'attache furtout à faire fentis
116
MERCURE DE FRANCE.
»
que les chofes qu'on lui a oppofées font
des qualités , ou
préfuppofées , on conféquentes
, tels font les fentimens d'honneur
, de Religion , de probité , tels le
courage & l'intrépidité ; ou acceffoires ,
» telles font les
connoiffances de l'efprit ,
» la Science des
Mathématiques.....
» Vous avez , dit- il , un Corps d'Ingé
» nieurs , hommes fçavans & néceffaires...
» Laiffez leur le foin de deffiner le plan
d'une Citadelle , de mefurer des angles,
» de conduire une tranchée , de diriger
» une attaque , de niveler un terrain.....
» Un Officier fubalterne , un Capitaine de
» Grénadiers , ignorera l'ufage de l'équer-
» re ou du compas , mais on verra ce que
» vaut une épée dans fa main. Il ne jugera
pas bien de l'endroit foible d'une place ,
» mais il le trouvera à l'affaut de la breche....
c'eſt fon métier , voilà fon ta
» lent . น
Après que les quatre Orateurs eurent
parlé , le jugement fut prononcé par M.
de Machault , Fainé , qui avoit ouvert la
carriere aux combattans . Il dit : » Nous
30
adjugeons la premiere place à la culture
» du coeur , parce qu'il eft d'une néceffité
abfolue au Guerrier d'avoir du courage ,
» de l'humanité , de la probité , de l'aamour
pour la Patrie ; amour poiffant
OCTOBRE 1751 117
-39.
enthoufiafme précieux , qui fit des Romains
un peuple de héros , & les rendit
les maîtres du monde. Sans les fenti-
» mens du coeur , & les vertus qui en dé-
"pendent , le Guerrier ne peut rien de
grand ni d'utile ; c'eft l'héroïsme du
» coeur qui produit les grandes actions ,
qui diftribue la gloire .... Nous affi-
» gnons la feconde place à la culture de
l'efprit , qui après le coeur doit être l'objet
de tout fage Gouvernement. Les
» connoiffances militaires font prefque
"auffi effentielles à l'Officier que le courage
& l'honneur... La troifiéme place
» eft due aux exercices du corps , qui comprennent
le manîment des armes , &
l'art des évolutions. On ne fera point
étonné que nous leur donnions la prépférence
fur le talent des Langues ; ils ont
un rapport plus immédiat , une liaiſon
» plus intime avec les exploits militaires ...
Nous fommes affligés de ne voir le ta
lent & la fcience des Langues qu'au
» dernier rang. L'Orateur en fera bien
vangé un jour par les places , aufquelles
wil eft appellé fur les traces d'un oncle
illaftre....
»
33
Chaque Orateur eut part aux éloges ,
dont le jugement étoit accompagné ; &
celui qui les donnoit en méritoit beaucoup
IS MERCURE DE FRANCE:
lui - même. Toute l'affemblée , à la tête de
laquelle étoit M. le Garde des Sceaux ,
parut fatisfaite & des difcours & de ceux
qui les avoient prononcés . De pareils fuc
cès ne doivent point étonner dans des Ecoliers
dirigés par le P. du Parc , l'un des
Profeffeurs de Rhétorique , & encouragés
par le P de la Tour , Principal du College
de Louis le Grand , depuis plufieurs an
nées , homme véritablement digne de la
confiance que lui rémoignent les familles
les plus refpectables .
>
ג
Les mots des Enigmes & des Logogry.
phes , du Mercure de Septembre font
bouton , manehette. Celui du premier Logogryphe
eft bagatelle , dans lequel on trouve
étable Albe , belle ,, galle , âge , agate ,
Galba , bal , balle , table , Légat , Aga des
Janiffaires & Aglaé. Celui du fecond Logogryphe
eft perfection , dans lequel on
trouve pere , porte , refection , coin , Pont ,
Pion , paint , or , fer , foin , Roi , ton , épice ,
fin , fets , Pin , tein , Poire , Préfet , foi & pet.
Celui du troifiéme eft Maure , dans lequel
on trouve Rome , orme , Saint Oner ,
mer , les deux tiers du nom de Merop;, &
tout autant de la Tragédie de M. de Voltaire.
Celui du quatriéme eft perfiflage , dans le
OCTOBRE. 119 1751 .
quel on trouve Paris , age , fage , péril , fire,
gale ,fi , fa , re , la , fer , plage , rafle , gile ,
rape , perfil & rage. Celui du cinquiéme
eft Peautier , dans lequel on trouve eau ,
air , Pie , ire , fatyre , Raye , ré ,fi , ut ,
Taupe , Ra , rate , rape , pet , fean , rave ,
vipere , rive ,ferpe , fire , Var, Pavie , Pife,
Paris , Pau , Satyre , demi Dieu fabuleux
Aftrée , Afrie , pefte , trépas , Ifere , Afturie,
pâte ,pair de Fris ce , Saturne , Rivar , feve
&jew.
ENIGM E.
Dans l'encios de mes murs eft une double
arêne ,
Où l'on voit tous les jours fe livrer des combats ;
Deux Champions armés y commencent la fcéne ,
Qui jamais ne finit par l'horreur du tipas :
Ons'y porte pourtant des coups de toute efpéce ;
Les fléches fous les yeux brillent de toutes parts ,
C'eft à qui fera voir fa force & fon adreffe ;
Qui ne penferoit être à l'école de Mars ?
Ce n'eft pas tout, Lecteur , acheve cette hiftoire ;
Qu'en luttant un coup poite , on voit un spectareu,
S'avancer à l'inftant pour marque de victoire ;
Qu'à fon tour le vaincu devienne le vainqueur ,
On fait plus . doublement on aunnoce la gloire ;
C'eftainfi qu'on anime au combat nos guerriers &
120 MERCURE DE FRANCE.
Et quand l'un douze fois par hazard a ſçû faire
Succomber fous les coups fon vaillant adverfaire ,'
On lui juge le prix ; c'eft pour lui les lauriers.
D
LOGOGRIP HE.
Ans mon intégrité j'offre tout à la fois,
Un mot Latin , un mot François ,
Qu'un amateur du bainage ,
Dans la fociété , met fouvent en uſage :
Mais fi de mes huit pieds tu veux , ami Lecteur ,
Changer à ton gré la ſtructure ,
Je préfente un oifeau , une méchante humeur ,
Un des cinq fens de la nature ;
Un mot funefte à maint époux ,
Un habitant du Ciel , un vieillard charitable ,
Un défaut de mémoire , un endroit remarquable ,
Où vifent rarement les foux.
Un lieu fale & vilain d'où fort maint Financier ,
Un jufte , un jeu , du corps une partie ,
Deux Saints , un meuble utile au Cavalier ,
Un endroit élevé , terme d'anatomie ,
Ce qui gêne un fujet , & ce que donne un Roi ;
Un Magiftrat ignare , ou qui paffe pour l'être ,
Ce qu'un Frocard porte de moins que toi ,
Un inftrument qui t'a ravi peut-être ,
Par fes effets prodigieux ;
Enfin un terme en Médecine ,
Déja
OCTOBRE. 1751. 121.
Déja conçû de nos ayeux ;
C'eft affez , Lecteur , pour que tu ine devines.
AUTRE.
V Oi , cher Lecteur , fi ma puiffance eft grande ;
Par mon fecours le malheureux
Touche les coeurs , obtient ce qu'il demande :
Durranfport le plus furieux
Je fçai calmer la violence ;
J'aime la paix & le filence ,
Et mon pouvoir s'étend jufques aux Cieux.
Si tu ne peuxencore à ces traits me connoître ,
De mes fix pieds fais la diffection ,
4 Tranche , coupe , c'eſt tout mon être ,
Je l'abandonne à ta diſcrétion :
Faifant ton opération
Dans moi tu trouveras one espéce de rage ;
Ce que fe croit celui qui voit en ſa maiſon ,
Après un an de mariage ,
Naftre un joli petit poupon.
Un lieu cher aux troupeaux qui de paître ont envie ;
Le nom du Saint que le coq avertit
D'aller pleurer fon nocturne délic ;
Ce que font un bon mot , une plaiſanterie
Un vieillard qui s'adonne à la galanterie ,
L'Ecolier qui fait l'amoureux
Pour la premiere fois de fa vie ;
Un animal par fon caquet fameux ;
Ce qui fait le rocher ; un Evêque de Rome ;
F
122 MERCURE DE FRANCE.
Une Province en Gréce ; un des foutiens de
Phomme.
Du bled le premier magaſin ,
D'où pour le porter au moulin
A grands coups il faut qu'on le tire,
Tout ce que je viens de te dire,
Pour me connoître eft plus que fuffifant ,
Tu fçais bien mon nom à préfent,
De Baux , près Rennes.
Par de L. C.
AUTRE.
Tu n'as qu'à faire un Logogryphe ,
( Me difoit l'autre jour Cloris )
Ipfo facto , s'il n'eft point apocryphe ,
Un baifer en fera le prix.
Tope. Duffai- je encourir la cenfure ,
Que jadis lança Colletet ,
A renverser un mot me voilà prêt,
Six lettres font ce mot : la faveur qu'il figure
Anime les tendres larcins
Qu'à Flore fait Zéphire en nos rians jardins,
N'en foyez pas furpris : la parfaite anagramme
Eft ce qui reste après la flamme ,
Un tiers de moins , l'état du vrai plaifir ,
Ne manquera pas de l'offrir.
Rognez encor , habitans de Cythère ,
Freres des jeux, Cloris eft votre mere,
OCTOBRE. 1751. 123
Décapitez & retournez ,
A la Mufique vous tenez ;
Mais fans m'écarter du mystére ,
J'y découvre deux fois. Quoi ? le bienfait promís,
Paiflé -je avoir un tel falaire ?
Qu'un amant s'érigeant en Edipe pour plaire ,
En ait autant de fa Cloris ?
Sic opus coronat finis.
Bigonnet.
NOUVELLES LITTERAIRES.
E Sfai fur la Peinture l'Architecture. Se t,rloauSveculàptPuarreis&,
chez le Mercier & Lambert , Libraires , rue
Saint Jacques , 1751.
Voici enfin une brochure fur les Arts ,
fans humeur , fans verbiage , fans flatterie ,
& fans pédentifme. L'Auteur paffionné
pour la Peinture , la Sculpture & l'Architecture
, cherche à en répandre le goût , &
il s'y prend en homme d'efprit . Il conduit
un de fes amis à Versailles , il le promene
dans les differens quartiers de Paris , & il
ne lui demande pour juger de toutes les
belles chofes qu'ils trouvent, que des yeux
& du fentiment. Pour foutenir l'attention
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
de fon Profelite , it mêle dans les obſervations
des anecdotes carieufes & intérelfantes
qu'on ne trouve pulle part , ou qui
ne font pas ailleurs auffi bien placées ;
trois morceaux que nous allons copier
le premier fur la peinture , le fecond fur
la Sculpture , le troifiéme fur l'Architecture
, feront connoître les moyens qu'employe
notre anonyme pour former un ama
teur.
J'étois un jour , dit l'Auteur , dans les
grands Appartemens du Château de Ver-
Tailles avec un ami , homme de beaucoup
d'efprit , qui devoit tour à la nature , &
à qui differentes occupations n'avoient pas
laiffé le tems de s'appliquer à ce qui regarde
les Sciences & les Beaux Arts. Je lui
avois toujours connu affez de fenfibilité &
de fineffe dans l'efprit , pour m'être perfuadé
qu'il eût pénétré plus que perfonae
dans ce qu'on appelle les myftéres de l'Art ,
fi fon genre de vie lui avoit permis de s'y
appliquer. Je voulus me procurer le plaifir
d'ellayer , fi je ne pourrois pas parvenir
à lui en donner quelques idées . Nous
Avions du loifir , l'absence de la Cour nous
Jaiffoit prefque en folitude , il faifoit le
plus beau tems du monde , le jour étoit
clair & ferein.. Je m'arrêtai à deffein devant
le magnifique Tableau de la famille
"
OCTOBRE 1751. 125
de Darius , par M. le Brun , & voici à peu
près ceque je dis à cet ami que je voulois
mettre en voie de s'inftruire.
?
Regardez , je vous prie , avec atten
tion ce Tableau il y a long- tems que vous
le connoiflez , mais obligé de paffer ici
rapidement pour aller vacquer a vos affaires
, peut- être ne vous y êtes- vous ja
mais arrêté affez long- tems pour le bien
examiner & pour en fentir toutes les
beautés. Arrêtons- nous y' , puifque nous
en avons le tems , & je fuis perfuadé que
Vous n'y aurez pas regret . Il repréfente ,
voyez le moment cou
Alexandre , après avoir mis en fuite Darius
& fon armée , entra dans la tente où la
famille de ce malheureux . Prince s'étoit
retirée.
comme vous le
Remarquez , que la premiere figure
qui attire les regards eft celle d'Alexandre
, cela devoit être ainsi , puifque ce
Prince eft le principal perfonnage de cette
fcéne intéreffante : il fe diftingue encore
par la beauté de fon vifage , & par la magnificence
de fon armures on voit tout
d'un coup qu'il eft le Héros de la piéce :-
Pair de fon vifage n'est point celui d'un
Héros fanguinaire échauffé par l'ardeur
du combat , c'est celui d'un Prince débonnaire
& rempli d'humanité . Il ne vient
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
point en vainqueur impitoyable triom
pher de les ennemis & de fes captifs , it
vient raffurer des Princeffes affligées , que
le fort des armes a fait tomber entre les
mains , il vient les confoler. da Tha
Il s'appuye légèrement fur le bras d'Epheftion
fon favori , & de fes principaux
Capitaines. Quoiqu'Epheftion foit jeune
& noblement armé , fa phifionomie eft
moins diftinguée que celle d'Alexandre,
on fent tout d'un coup que le favori n'eſt
là qu'en fecond. Voyez cette femme âgée ,
profternée aux pieds d'Alexandre , & qui
les lui embraffe ; c'eft Sizigambis , mere
de Darius remarquez la femme à genoux
qui eft derriere cette mere infortu
née la nobleffe de fon vifage , fon Diadême
, & un jeune enfant qu'elle préfente
à fon vainqueur , font connoître que c'eſt
la femme du malheureux Roi de Perfe.
Cet enfant , d'un âge trop peu avancé
pour fentir fon malheur , regarde Alexandresavec
la ſurpriſe que lui caufe la vûe
de ce Héros qu'il ne connoît point. Deux
des filles de Darius font auffi à genoux ,
comme vous voyez , derriere leur mere ;
l'aînée , en âge de fentit fon infortune ,
a les yeux baiffés , elle pleure , elle effuye
fes larmes. La plus jeune , derriere fon aînée
, joint les mains , comme pour deman
OCTOBRE. 1731. 127
der
de ,
grace ,
que
& regarde Alexandre avec un
air defurprife & d'émotion ; on croit même
y démêler une eſpèce d'admiration ,
dont elle ne fent pas les conféquences . On
croiroit volontiers qu'elle eft plus occupée
de la belle figure du Héros qu'elle regar
de l'évenement préfent. Une fem
me âgée qui eft derriere elle , femble vouloir
la détourner de cette application , en
lui montrant Sizigambis profternée , &
dansl'état de la plus profonde humiliation .
On voit fur le vifage de cette Princeffe
un air de nobleffe qui y conferve encore
quelques reftes de beauté , malgré la décrépitude
de l'âge . Enfin tous les vifages ,
toutes les attitudes des perfonnes repréfentées
dans ce magnifique Tableau , ont
les expreffions convenables à leur âge , à
leur fituation & à leurs conditions. On y
remarque de la furprife , de la curiofité
de l'étonnement , de la douleur , du refpect
, de l'admiration. Les uns prient , les
autres implorent leurs habillemens même
indiquent la difference de leur état . Voyez
dans ce coin derriere ces Princeffes , un
efclave profterné la face contre terre : accoûtumé
à l'humiliation de l'esclavage , il
fe cache le vifage , il a les mains jointes
par deffus fa tête , il n'ofe lever les yeux.
fur fes Maîtres . Cette héroique fcéne fe
T
Fiii
128 MERCURE DE FRANCE.
palle fous une tente magnifique , dont le
fond tient prefque celui du Tableau . Elle
eft fufpendue à des arbres de la nature de
ceux du Pays où elle eft fattention que
tous les Peintres n'ont pas toujours eue ).
On y voit des armes à l'ufage des Perfes ,
-differentes de celles des Grecs. En un mot,
tout dans ce Tableau décele l'efprit du
grand Peintre qui l'a compoſé : il a obſervé
les coûtumes des lieux dans les habillemens
, & dans tout ce que les Italiens
appellent it coustume , mot auquel nous
n'avons point encore trouvé d'équivalent.
Après cet examen que j'abregeai le plus
qu'il me fut poffible , car j'aurois eu encore
bien des chofes à dire en faveur de
ce beau morceau , j'eus le plaifir de voir
mon ami fentir & goûter tout le mérite de
cet ouvrage .
L'Auteur de l'ouvrage , dont nous don
nons l'extrait , employe pour faire aimer
la Sculpture à fon ami , les mêmes moyens
qu'il a employés pour lui faire aimer la
Peinture : en voici la preuve . Je le conduifis
, dit il , devant l'Androméde , du
Pujet ; ce beau groupe , lui dis-je , ( on entend
par ce mot un affemblage de plufieurs
figures ) eft une piéce originale : vous connoîtrez
bientôt la fupériorité de ce qui eft
original fur ce qui n'eft que copié . Pujet
OCTOBRE. 1751. 129
+
étoit un Sculpteur moderne , né à Mar
feille , il n'a pas fait un grand nombre
d'ouvrages ; mais ce qu'il en a fait , le difputeroit
peut-être à tout ce que nous
avons de la meilleure antiquité. Remarquez
comment ce morceau eft élegamment
compofé & exécuté ; c'eft un rocher qui
paroît vrai comme le naturel. Avec quelle
grace Androméde y eft attachée. ? Son
corps eft bien celui d'une jeune perfonne ,
délicate , dans la fleur de la premiere jeuneffe.
Quel air de douceur , de modeftie
& de trifteffe eft répandu fur fon vifage 2
Quelle molleffe & quelle foupleffe dans
toutes les parties de fon beau corps Elle:
paroît n'avoir pas encore toute la grandeur
qu'elle pourra avoir dans un âge plusavance
; ce qui eft peut-être caufe que
quelques perfonnes ont trouvé que fa figure
étoit trop petite ; fans doute par
comparaifon avec celle de Perfée , qui la
détache du rocher où elle eft enchaînée.-
>
Mais ne pouvoit-on pas dire que Perfée
eft dans la force de fon âge , & qu'il a acquis
toute fa grandeur.
D'ailleurs , qu'on faffe réflexion ques
e'eft un Héros , le fils d'un Dieu puiffant ;-
qu'il fait effort pour atteindre d'une mainá
la cime de la roche , au bas de laquelle
if eft pofé , & je crois qu'on ne le trou--

F. v
r30 MERCURE DE FRANCE. 130:
1
vera plus trop grand peut- être même
penfera t'on que c'eft un trait d'efprit de
la part du Sculpteur. Il a voulu , pourrat'on
dire , faire fentir la difference qu'il
peut y avoir entre la taille d'un demi,
Dieu , & celle d'une jeune mortelle qui
n'a pas encore toute fa connoiffance . Interprêtons
ainfi les idées des grands hom
mes , & croyons qu'ils ont voulu mettre
dans leurs ouvrages ce qu'ils nous infpirent
, quand nous les regardons avec attention
; nous ferons par là honneur à leur
efprit, au nôtre même , & à nos jugemens.
Obfervons encore , quoique le Sculptrur
ait repréfenté une femme nue , ila
prudemment difpofé fa figure de la façon
la plus modefte qu'il lui a été poffible :
elle fe cache autant qu'elle peut : elle raffemble
fon corps autant que fes chaînes le
lui permettent ; elle ne regarde point fon
libérateur. On croit voir fur fon vifage la
honte qu'elle éprouve en paroiffant ainfi
aux yeux d'un homme qu'eile ne connoît
point. Perfée , de fon côté , ne la ragardepas
, fes yeux font fixés vers la pointe du
crochet ; il n'eft occupé qu'à décrocher le
bout de la chaîne qui eft attachée au fommet
: il eût caufé trop de confufion à Androméde
, fi fes, regards fe fuffènt arrêtés
fur elle. Quelle décence , & que d'efprit
1
OCTOBRE 1757. BzT
le Sculpteur habile n'a- t'il pas répandu
dans toute cette grande compofition ?
Nous pouvons faire la même remarque
àl'égard de la Venus de Medicis , c'eft la
figure d'une femme nue. Cependant d'une
main elle couvre ce que la pudeur ne doit
jamais permettre de montrer , & de l'autre
elle cache une partie de fon fein ; elle
a la tête panchée fur le côté , elle fe courbe
tant foit peu ; enfin elle a un air de
modeftie fi marqué dans toute fa figure &
dans fon attitude , qu'on l'a appellée la
Venus pudique. Cette statue eft Grecque
& c'eft un des plus beaux morceaux qui
nous reftent de la fçavante antiquité..
Qu'elle nous ferve d'objet de comparaifont
pour juger les autres on croit remarquer
que le Pujet a donné à fon Androméde
lesmêmes proportions qu'on admire dans
la Venus. Revenons à Androméde. Re--
gardez l'enfant qui eft au bas du rocher ,
& qui rire à lui avec effort , un des bouts
de la chaîne , dont eft : liée Androméde.
Vous pouvez remarquer la vivacité de fon
action , comme il eft potelé , & fa belle
chair . C'eft un génie bienfaifant , ou c'eſt
l'Amour , enfin c'eft la Nature dans fon
plus beau.
Les bornes de notre Journal ne nous
permettent pas de nous étendre fur l'Ar
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
chitecture , comme nous nous l'étions propofé
; il fuffit de dire que cette partie est
traitée auffi -bien que les autres , dans l'agréable
brochure dont nous venons de
rendre compte ; l'Auteur mérite nos éloges.
comme amateur
comme Citoyen.
, comme Ecrivain` , &
On voit à la tête de l'ouvrage une eftam
pe dont l'idée tout- à-fait heureuſe , a été
joliment rendue par M. Pafquier.
HISTOIRE Militaire des Suiffes au fervice
de la France ; avec les piéces jufti.
ficatives. Par M. le Baron Zur- Lauben ,.
Chevalier de l'Ordre Militaire de Saint-
Louis , Brigadier des armées du Roi
Capitaine du Régiment des Gardes Suiffes.
de Sa Majefté , & Honoraire Etranger de
l'Académie Royale des Infcriptions &
Belles - Lettres . A Paris chez Defaint & Sail
lant , Jean Thomas Heriffant , & Vincent.
175.5 vol. in- 12..
L'Auteur de cet ouvrage , après avoir
expofé la conftitution du corps Helvéti
que , la fituation des Cantons & l'état de
leurs Alliés , donne le précis. hiftorique
depuis l'origine de la République jufqu'en
1514, & il l'appuie par les preuves les plus
autentiques. H rapporte enfuite dans un
ordre chronologique les Alliances contrac
OCTOBRE . 1751. 子
tées entre la France & la Nation Suiffe.
Ces notions générales le conduiſent infenfiblement
à fon principal objet , qui eft
Hiftoire des Troupes Suiffes au fervice
de la France .. Il développe l'origine de la
dignité de Colonel Genéral des Suiffes &
Grifons , les prérogatives qui y font atta,
chées , la lifte & les actions des Princes &
Seigneurs qui ont été revêtus de cette-
Charge . Les chapitres fuivans, expofent la
création des Gardes-Suiffes , la fuite des.
Colonels& Majors de ce Régiment , les.
noms des Lieutenans Généraux , Maréchaux
de Camp , Brigadiers , Infpecteursd'Infanterie
, &c. qui ont fervi ou fervent
actuellement dans ce Corps , l'énumération
des Régimens levés ou poffédés par
des Capitaines au Gardes- Suiffes , l'origine
& l'état actuel de la Compagnie Générale
des Suiffes & Grifons , l'ordre hiftoriquedes
Compagnies qui ont compofé le Ré--
giment des Gardes-Suiffès depuis fon inf
titution jufqu'à préfent , les mutations qui
yfontarrivées , les prérogatives , les batailles
, combats fiéges où ce Corps s'eft trouvé
. On donne enfuire la lifte des Officiers
Généraux qui ont fervi ou fervent dans
les autres Troupes Suiffes , & on rappor
te également l'Hiftoire Militaire des Rég
mens Suiffes & Grifons actuellement exif34
MERCURE DE FRANCE.
tant en France , avec la fuite de leurs Colonels
& Lieutenans Colonels ; on détaille
auffi l'inſtitution de la Compagnie des
cent Gardes- Suiffes ordinaires du corps du
Roi ; on donne l'analyfe du Traité de la
paix perpétuelle ; & les Alliances de 1663
& de 1715 , & afin de ne point laiffer
dans l'oubli les actions de valeur, de fidélité
& d'attachement que les troupes Suiffes ont
fait paroître en différens tems pour le fer
vice de la France , l'Auteur fait mention
des Régimens Suilles & Grifons qui ont
été réformés depuis la premiere Alliance ,
& il offre de même le précis des actions
de guerre aufquelles ils ont eu part.
les
L'ouvrage eft terminé par deux objets
également intéreffans . On donne un Recueil
des Ordonnances des Rois de France
, quiconcernent uniquement le fervice
des Militaires Suiffes , & on rapporte
noms , les Armoiries & l'Hiftoire abrégée des
principales Maifons & Familles de Suiffe.
L'Auteur a puifé dans les meilleures
fources , & il s'eft toujours fait une régle
de travailler fur les piéces originales. Il a
été affez heureux pour raffembler depuis
plufieurs années beaucoup de titres particu
liers & de manufcrits autentiques qui l'ont
aidé dans la compofition de cet ouvrage ;
mais il cite exactement au bas des pages
OCTOBRE.. 175-1 135
tous les Ecrivains tant imprimés que manufcrits
dont il a tiré du fecours . Tel eft
le plan de l'Histoire Militaire des Suiffesqui
nous paroit exécuté avec beaucoup de
recherches , mais d'une maniere un peu
trop feche.
INSTRUCTION PASTORALE de Monfeigneur
l'Evêque du Puy , adreffée aux nouveaux
Convertis de fon Diocèle. A Montauban
chez Jean François Teulieres , & fe·
trouve à Paris chez Chaubert 1751. in - 122
un vol. de 130 pages .
?
L'Euchariftie , la Communion fous une
feule efpece , la Confeffion des péchés
le Purgatoire & la Priere pour les morts ,
Invocation des Saints , le Culte des Ima
ges & des Reliques , les Commandemens
de l'Eglife ; tels font les points de religion
far lefquels M. l'Evêque du Puy entreprend
d'inftruire les Proteftans de fon
Diocèfe. Sa controverfe eft pleine de politeffe
, d'onction & de charité . L'illuftre
Prélat n'emploie que les preuves que lui
fournit l'Ecriture , & des argumens ad
Hominem , qui fans être toujours bons en
eux mêmes , ne laiffent pas d'être ordinairement
les plus convaincans. Il feroit à
fouhaiter que tous les ouvrages de contro
verfe fuffent écrits avec l'ordre & la préci
fon qui regnent dans celui que nous ane.
nonçons. !
36 MERCURE DE FRANCE.
MAXIMES fpirituelles qui peuvent con
duire une ame chrétienne à la perfection ,
avec des prieres extrémement utiles, tirées
des ouvrages du P. Jean Euſebe Nierembergh
de la Compagnie de Jefus . A Montauban
, chez Jean François Teulieres , & Le
trouve à Paris chez Chaubert. 1751. bro.
chure de 124 pages.
On trouvera dans ce Recueil de l'efprit
& du fentiment ; deux chofes qui font rarement
réunies dans les livres afcetiques.
Pour juftifier ce jugement nous allous copier
une partie du chapitre dixième qui
roule fur les moyens d'acquérir la paix &
le repos du coeur .
Abandonnez entre le mains de Dien
avec une parfaite pureté d'intention , &
votre perfonne , & tout ce qui vous regar
de. Placez votre fouverain confentement
dans fa divine volonté , & dans fes decrets
éternels. En quelque état qu'il vous réduife
, dans les ténébres ou dans la lu
miere , dans les tribulations ou dans la
profpérité , dans les angoifes de l'ame ou
dans l'abondance des confolations , pauvre
de fes dons ou riche de fes faveurs , rendez
toujours grace à la bonté. Les peines &
les accidens fâcheux , de quelque efpéce
qu'ils foient , recevez - les avec patien-
-ce & avec humilité , même avec joye
OCTOBRE. 1751. 137
des mains de fa tendreffe & de fa Providence
paternelle , étant bien fure que de toute
éternité Dieu n'a préparé les événemens
que pour votre avantage & pour votre
bien.
S'il vous eft impoffible de guérir les défauts
de votre prochain, priez pour lui, recommandez
- le à Dieu ; attendez qu'il le
corrige , & que par un effet de fa graceil
change le mal en bien .
S'il ne dépend pas de vous de fupporter
gayement un affront , au moins n'en ref-
Tentez pas trop de douleur. Votre Rédempe
teur en a fouffert pour vous de plus grands.
Modérez l'impétuofité de votre efprit :
c'eft avec juftice , & par un pur mouvement
d'amour pour vous , que Dieu perniet
que vous foyez plutôt affligé que
ceux qui vous affligent.
Soyez plus prompt à faire la volonté
d'autrui que la vôtre. Subordonnez fans
peine au jugement des autres , votre propre
jugement , & n'eftimez rien tant que
l'obéillance
.
N'ayez ni de l'eftime pour vous , ni du
mépris pour les autres . Regardez vous au
contraire comme la plus vile & la plus miférable
des créatures . Soumerrez vous à
bous & défirez de plaire à tous pour l'amour
de Dieu ; écoutez avec patience ceux .
138
MERCURE DE
FRANCE.
qui vous
avertiffent ou qui vous repren
nent , quand même ils feroient vos inférieurs.
Ilvaut mieux
reconnoître humblement
fa faure que de
s'excufer avec préfomption
& avec orgueil .
que
Ayez autant de fatisfaction & de plaifir
à paroître petit aux yeux des hommes ,
les Grands du monde en ont à étaler
leur prétendue grandeur. Souhaitez d'ê
tre rebuté & méprifé , pour reffembler par

davantage à J. C. votre
rédempteur ,
& à la
bienheureuſe mere.
NOUVELLES
obfervations au fujer des
condamnations
prononcées contre les Comédiens.
Par M. Fagan . A Paris , chez
Chaubert à l'entrée du Quai des Auguftins
avec privilége. 1751. brochure in- 124
M. Fagan fort connu par plufieurs Comédies
qui ont eu du fuccès dans leur nou
veauté , que le public revoir tous les jours.
avec plaifir, & qui font écrites du vrai ton
de la nature , s'eft propofé de réunir fous
les trois
obfervations fuivantes ce que fon
fajet lui a paru
tenfermer de plus impor
tant .
1°. Que les raifons que l'on a
rapportérs
jufqu'à préfent pour prouver que la Coinédie
condamnée n'eft point celle qui exifte
aujourd'hui , n'ont jamais été expoſées avec
affez de foin..
3
J
OCTOBRE
179
1755
.
2°. Que la Comédie , telle qu'elle a
été traitée par Moliere , eft fuffifament
bonne pour les maurs , à plus forte raifon
depuis les fages réglemens qui ont été
introduits.
་་ན
3. Que les défordres que l'on pourroit
reprocher aux perfonnes de théâtre font
indépendans de leur
profeffion.
Ces trois
propofitions font traitées avec
modération & avec politeffe ; on
trouvera
dans l'ouvrage plufieurs
obfervations qui
partent d'un homme qui connoit bien le
héâtre.
CENIE , mife en vers par M.des Longchamps
. A Paris, chez Mérigot , fils, Quay
des
Auguftins,
175.1.
A
VOYAGE de Paris à S. Cloud par Mer &
Retour de S. Cloud à Paris par terre. Troi
féme édition , revue ,
corrigée & aug
mentée d'une carte. Als Haye & le trou
veà Paris , chez de Poilly
Libraire , Quay
de Conti , au coin de la rue de Guenégaud..
1
C'eft une
plaifanterie gaye &
agréable
qui a réuffis il eftrare qu'on
réimprime ces.
fortesde
bagatelles ; & fur tout qu'on les
téimprime avec des
corrections & des augmentations.
340 MERCURE DE FRANCE.
HISTOIRE de Louis XIII. par Walfor
Nouvelle édition de Hollande , qui fe
trouve à Paris , chez David , le jeune ,
Quai des
Auguftins..
.
MANUEL des Dames de Charité , ou for
mules de
médicamens faciles à préparer
drellé en faveur des perfonnes charitables
qui
diftribuent des remédes aux pauvres.
des ville & dans les campagnes , avec des
remarques utiles pour faciliter la juſte application
des remèdes qui y fontcontenus ,
& un Traité abregé fur lufage des differentes
faignées . Nouvelle édition , revûe ,
corrigée & augmentée. A Paris , chez Debu
re, l'aîné , Quai des Auguftins , à l'Image
S. Paul. Volume in-12. 2 liv. 8. relié
TRAITE' fur les
apparitions des efprits ,
& fur les
Vampyres , Oupires, ou revenans
de Hongrie , de Moravie , &c. Par le R.
P. Dom Auguftin Calmet , Abbé de Senones.
Nouvelle édition , revûe , corrigée ,
&
augmentée par l'Auteur ; avec une Lertre
de M. le Marquis Maffei , fur la Magie.
Deux volumes in - 12. 6 liv. reliés. A Paris
, chez le même
Libraire , 1751.
DICTIONNAIRE
Etymologique de la
Langne
Bretonne , où l'on voit fon antiquité
, fon affinité avec les autres anciennes
Langues , l'explication de plufieurs paf
OCTOBRE.. 1751. 141
fages de l'Ecriture Sainte , & des Auteurs
profanes , & l'Etymologie de plufieurs
mots des autres Langues. Par Doin Louis
Pelletier , Religieux Benedictin de la Congrégation
de Saint Maur.Un volume in fol.
propofé par foufcription . A Paris , chez
François Delagueete , Imprimeur- Libraire ,
rue Saint Jacques , à FOlivier , 1751 .
Avec Approbation & Privilége du Roi.
Ce Dictionnaire étoit fini dès l'année
1728 , la mort a enlevé l'Auteur quelques
années après. Divers obftacles , dont il eft
inutile d'informer le Public , ont retardé
jufqu'ici l'impreffion de cet ouvrage. Les
Etats de Bretagne attentifs à tout ce qui
peut intérelfer la gloire & l'utilité de la
Province , ont levé ces obftacles dans leur
affemblée de 1750 , en foufcrivant pour
un nombre d'exemplaires
.
On fe fare que le Public n'aura rien à
defirer pour l'exécution , qui s'en fera en
beau papier & avec des caracteres neufs ,
conformément au Profpectus : & que les
conditions qu'on va propofer paroîtront
aifonnables , vû le petit nombre d'exem
plaires qui en fera tiré.
CONDITIONS.
Ce Dictionnaire formera un volume infio
de plus de deux cens feuilles , pour
142 MERCURE
DE FRANCE.
lequel l'on fera admis à foufcrire , depuis
le premier Août jufqu'au premier de Mars
# 752.
L'on payera en foufcrivant
, ci 12 liv.
Et en retirant l'exemplaire
, au
mois d'Octobre 1752 , ci
Total.
9 liv.
21 liv.
ON annonce le Dictionnaire Apoftoli
que , à l'ufage de Meffieurs les Curés des
Villes & de la campagne , & de tous ceux
qui fe deftinent à la Chaire . Cet ouvrage
eft dédié à M. le Chancelier.
Le but que l'Auteur
s'y propofe , eft de préfenter
des facilités
à ceux qui font
chargés
de l'inftruction
des peuples , furoù
la
tout des peuples
de la campagne
, difette des chofes fpirituelles
fe fair principalement
fentir, Voici le plan & la dif tribution
de ce Livre ; fon utilité fe mon
tre affez d'elle-même .
On s'engage à donner huit volumes
bien fournis in- 8°. Les cinq premiers con
tiendront
à peu près , cinquante
fujets de
la morale Chrétienne
; fujets choifis , inté
reffans , & les plus propres à régler les moeurs , & à porter à la pratique de la
vertu. Le fixiéme & le feptiéme renfer
meront tous les myftéres de Jefus-Chrift
·
CE
OCTOBRE
. 1751
.
143
& les Fêtes de la
Sainte
Vierge. Enfin le
huitiéme
volume fera
compofe d'un Commun
des Apôtres , des
Martyrs , des Evê
ques ,des
Confeffeurs & des
Vierges ; &
il fera
terminé par
plufieurs
extraits propres
à formerdes
difcours de
Vêtures & de
Profeffions
Religieufes.
L'ordre qu'on y garde ne
laiffera rien à
defirer ,les
matieres y
feront
rangées par
lettres
alphabétiques.
Chaque
volume contiendra
neuf à dix
Traités , &
chacun de
ses Traités fera précédé d'une
obfervation
fur le fujer
annoncé ; des
réflexions théolo
giques &
morales ,
differens textes de l'Ecriture
, les
fentimens des Saints Peres , les
noms des
Auteurs & des
Prédicateurs qui
ont écrit &
prêché avec le plus de
diftinction
,
fuivront le
préliminaire
,
On y
trouvera enfuite le plan
raifonać
de trois
Difcours fur le
même fujet , expofé
fous
differens jours. Le
troifiéme de
ces
Difcours fera un
Difcours
familier en
faveur de
Meffieurs les
Eccléfiaftiques de
la
campagne ;
chacun de fes
Difcours aura
fa
divifion & fousdivifions.
Les
preuves
des unes & des autres , fur-tout celles qui
regardent les
deux premiers Difcours , fe
fonttoutes extraites des meilleurs Traités
des
Afcétiques
les
mieux choifis , & des
plus
célébres Prédicateurs. Dans le troi
144 MERCURE DE FRANCE.
fiéme Difcours , tout fera lié & rapproché.
de façon , que le Pafteur qui n'auroit nul
talent pour la compofition , pourroit , en
le prononçant tel qu'il eft , fe flatter d'avoir
inftruic & édifié fon troupeau ; ainfi
avec un travail de quelques heures dans la
femaine , Meffieurs les Curés , quoique
fort partagés dans les diverfes fonctions
du miniftére , fe trouveront en état de
travailler à l'édification des peuples qui
leur font confiés , & du falut defquels ils
font comptables devant Dieu .
Il ne faut pas cependant que les jeunes
gens qui fe deftinent à la Chaire , regardent
cet ouvrage , comme propre à favo
rifer la pareffe. Ils y trouveront fans doute
de grands fecours : mais la maniere ,
dont les preuves des deux premiers Difcours
font arrangées , leur apprendra
qu'on n'a poit prétendu ne leur laiffer rien
à faire ; & une expérience plus laborieuſe
qu'ils ne penfent , les convaincra qu'il en
coûte pour s'inftruire foi même , avant
que de réuffir à inftruire les autres d'une
maniere folide , élevée , & fatisfaifante
à tous égards.
On ne pouffe pas plus loin le détail ,
pour ne point trop charger cet expofé ;
on avertit feulement que pour fournir plus
de facilité , il y aura à la fin de chaque volume
OCTOBRE. 1751. 45
lume une Table , où l'on trouvera ce qu'on
defire , fans être obligé de feuilleter tout
un Livre; on y verra l'exactitude portée ,
jufqu'à garder un ordre chronologique
dans les paffages des Peres ; ordre qui devient
néceffaire dans les matieres controverfées.
Le premier volume s'imprime actuelle,
ment chez la veuve Lottin & le Sr Buttard ,
affociés , rue Saint Jacques , à l'Enfeigne
de la Vérité. Le fecond volume s'impri
mera de fuite , & le troifiéme paroîtra entre
Pâque & la Pentecôte .
Les perfonnes de la Province qui fouhaiteront
en avoir , pourront s'adreffer indifferemment
au Sr Buttard , ou au Pere
Hiacynthe de Montargon , Auguftin de la
Place des Victoires , Auteur dudit Dictionnaire
Apoftolique
.
L'Auteur de cet ouvrage eft fi connu à Paris
par fes talens & par fes fuccès , que nous
ne hazardons rien à donner d'avance une idée
favorable de fon ouvrage.
LES Freres Duplain , de Lyon , viennent
de mettre en vente : Hiftoire Navale d'Angleterre
, depuis la Conquête des Normands
en 1066 , jufqu'à la fin de 1734:
Traduite de l'Anglois de Thomas Lediard,
ci-devant Secretaire du Roi d'Angleterre ,
G
146 MERCURE DE FRANCE.
& fon Envoyé Extraordinaire en Hollande.
Trois volumes in 4°, 1751. Cet ouvrage
fe trouve à Paris , chez David , le
jeune , Quai des Auguftins,
ELEMENS d'Hypiatrique , ou nouveaux
principes fur la connoiffance & fur la Médecine
des chevaux . Par M. Bourgelat
Ecuyer du Roi , Chef de fon Académie ,
établie à Lyon. Tome fecond , premiere
partie , contenant un Abregé Hyppoftéologique
, Miologique & Augéïologique.
Un volume in- 8 . 1751 .
HISTOIRE du Parlement d'Angleterre.
Par M. l'Abbé Raynal. Nouvelle édition ,
revûe , corrigée & augmentée . A Londres,
& le trouve à Paris , chez Durand , tue
Saint Jacques ; & chez Piffot , Quai des
Auguftins , 751 , in- 8° . deux volumes.
On trouve chez les mêmes Libraires la cinquiéme
édition de l'Hiftoire du Stadthou
derat , du même Auteur. Deux volumesin-
8°.
L'Hiftoire du Parlement d'Angleterre
eft divifée par époques : je vais les rappelpeller
ici pour faire connoître à
peu près
la marche de l'ouvrage. Premiere époque ,
Guillaume I. furnommé le Bâtard , & en
faite le Conquérant , établit le defpotifme
OCTOBRE .
1751. 147
en Angleterre , en 1066. Seconde époque,
le Roi Jean fans Terre dégrade l'autorité
Royale , en accordant la grande Chartre,
en 1217. Troifiéme époque , le Parlement
s'établit fous le Regne de Henri III, en
1234. Quatrième époque , les Députés des
Communes, qui étcient choifis par le Roi,
commencent à être choifis par les Villes
& par leurs Provinces , fous le Regne d'E
douard I. en 1272. Cinquième époque ,
les Barons ufurpent l'autorité légiflative
fous Edouard II. en 1308. Sixième époque
, les Communes ufurpent le pouvoir
légiflatif , fous le Regne d'Edouard IV.
en 1461. Septiéme époque , les Coumunes
s'emparent de l'autorité fouveraine.
fous Charles I. en 1648. Huitième épo
que , le Parlement s'attribue le droit de
difpofer de la Couronne , fous Jacques II.
en 1689. Neuvième époque , union des
Parlemens d'Angleterre & d'Ecoffe , fous
le nom de Parlement de la Grande Bretagne
, par les foins de la Reine Anne , en
1707. Dixième époque , l'ouvrage qui
commence par une introduction à l'Hiftoire
du Parlement , finit par l'état actuel
du Parlement.
T
Le Public ne s'attend pas que je lui dife
ni bien , i mal de mon ouvrage , qui d'ailleurs
eft déja jugé. Je vais en copier un
Gij
148 MERCURE DEFRANCE,
morceau pour en faire connoître la maniere.
à ceux qui ne l'ont point lû.
Elifabeth , que l'admiration univerfelle
a placée au- deflus de la critique , je dirois
prefque au deffus de l'éloge , prenoit les
rênes d'un Empire agité , dont mille enne
mis , tous redoutables & tous dangereux ,
avoient médité la ruine : un Philippe II.
dont la politique inquiéte & profonde
fçavoit faire des traîtres dans tous les
Confeils des Princes , & fufciter des partis
dans tous les Etats : Un Duc d'Albe , l'appui
de fon Maître par fes victoires , & le
deftructeur de la fociété par fes cruautés :
un Duc de Parme , qui joignoit aux rufes
Italiennes , l'avantage du phlegme Elpagnol
: une Catherine de Médicis , qui préferoit
d'achever par un crime , ce qu'elle
auroit pû auffi facilement emporter pat
une vertu ; un Duc de Guife , que le bon
heur de réuflir à tour rendoit hardi à tout
entreprendre : Un Sixte Quint, qui comptoit
pour rien de dominer , s'il ne fouloit
à fes pieds des Couronnes : Une Marie
Stuard, dont les malheurs ont été fi grands,
qu'ils ont plutôt obfcurci que relevé l'éclat
de les belles qualités . Quelques Ecrivains
paffionnés ajoutent la Société des Jefuites ,
qu'ils appellent calomnieufement une épée
në , doni la poignée est toujours à Rome,
OCTOBRE . 1751. 149
Après tout , Elifabeth voyoit autour de
fon Trône des écueils plus dangereux encore
que les orages qui la menaçoient au
loin. Les Catholiques qui foupçonnoient
fa croyance , quoiqu'elle fit encore profeffion
de leur Religion , paroiffoient difpofés
à lui contefter une Couronne , qui
dans leurs principes ne lui appartenoit pas,
puifque l'union d'Henri avec Anne de
Boulen n'étoit qu'un concubinage . Les
Novateurs que la perfécution avoit unis
étroitement , étoient réfolus à dominer
, ou à s'enfévelir fous les ruines du
Trône . Les Irlandois , efclaves de la Cour
de Rome , & penfionnaires de celle de
Madrid , époufoient aveuglément les fureurs
de ces deux Couronnes . Les Grands
formoient tous des prétentions , ou pour
gouverner la Reine , ou pour l'époufer ,
ou pour la détruire. Le Parlement étoit
d'autant plus avide d'autorité , qu'il y avoit
long-tems qu'il n'en avoit eu .
trop
La Reine vit tous ces écueils , & les évita
par de ces grands coups de politique
qui font un fpectacle rare fur la fcéne du
monde , parce qu'il n'eft pas commun d'y
voir des Acteurs du caractère d'Elifabeth.
On eft étonné aujourd'hui , comment une
jeune Princeffe , fans expérience , fans
amis , fans confeil , fans un droit trop

Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
cidé au Trône , a pû regner avec plus de
dignité , d'autorité , de tranquillité qu'au
cun Monarque qui portât alors la Cou
ronne. Tandis que l'Europe entiere étoit
en proye aux divifions domeftiques , aux
guerres étrangeres , aux factions , au poifon
, à la mifére , aux affaffinats , à toutes.
les horreurs qui rendront le feiziéme fiécle
odieux & célébre , l'Angleterre voyoit
fon Commerce s'étendre , fes Loix s'affer
mir , fa police fe perfectionner. L'Hiftoire
doit recueillir avec foin les principes fubli
mes d'une adminiftration fi parfaite.
Elifabeth , fans que le Parlement y ait
eu d'autre part que de faire exécuter fes
ordres , vint à bout de donner ce grand
fpectacle à la terre , par une modération .
judicieuſe , qui lui fit méprifer fagement
ia brillante folie des conquêtes ; par une
noble jaloufie du pouvoir fuprême qu'elle ,
fçut également maintenir par l'infinuation
& par la force ; par des principes fixes
& invariables de Gouvernement , dont
rien ne fut jamais capable de la faire écar
ter ; par une attention fcrupuleuse à répri
mer les abus naiffans , ou à les refferrer
dans les bornes préciſes qu'exigeoit la po
litique par une dextérité finguliere à ménager
les occafions , qu'elle ne perdit jamais
, ou faute de diligence ; par trop
·
OCTOBRE. 1751 . 35x
de précipitation , ou par le talent équivoque
, & qu'on peut louer & blâmer , de
faire naître des haines , d'éternifer les difcordes
parmi les ennemis ; par le choix
toujours décent , toujours éclairé , toujours
utile de fes Miniftres , de fes Généraux
de fes Favoris même. A ces grands talens ,
Elifabeth ajouta l'apparence des vertus folides
& éclatantes , qui font l'ornement &
l'appui du Trône. Quoique fouverainement
ambitieufe , elle parut défintéreffée ;
zelée pour la Religion Anglicane , quoiqu'indifferente
pour tous les cultes ; paffionnée
pour le bonheur de fes Sujets ,
quoique idolâtre feulement de fa
propre
gloire ; pleine de franchiſe & de probité,
quoique peu fcrupuleufe dans les affaires.
Elle unit les petites vanités des femmes
avec les grands fentimens des Héros , les
ridicules d'un fexe avec le travail de l'au
tre , beaucoup de défauts d'un particulier ,
avec toutes les qualités d'un Souverain
parfait. Pour être jugée comme il faut ,
Elifabeth ne le doit être que par des hom
mes d'Etat , des Miniftres & des Rois.
HISTOIRE Littéraire du Regne de Louis
XIV. dédiée au Roi par M. l'Abbé Lambert.
A Paris , chez Prault , fils , Quai de
Conty ; Guillyn , Quai des Auguftins ;
Giiij
152 MERCURE DE FRANCE
Quillan , fils , rue Saint Jacques , in- 4®.
Trois volumes.
M. l'Abbé Lambert ne forme que dė
grandes entreprifes , & il les exécute
avec foin & en peu de tems , parce qu'il
eft habile & laborieux. L'ouvrage que nous
annonçons n'intéreffe pas feulement la
France , mais encore toute l'Europe qui
doit une partie de fes lumieres , & prefque
tout fon goût aux grands hommes , dont
M. l'Abbé Lambert développe les talens
& le caractére ; nous rendrons compte le
mois prochain de cette importante nouveauté
, avec l'attention qu'elle mérite.
Nous apprenons dans l'inftant que la Cour
vient d'honorer l'Auteur d'une penfion.
Les vies des Hommes Illuftres de la
France , continuées par M. l'Abbé Pérau ,
Licentié de la Maifon & Société de Sorbonne
, tome 18 & 19 , entierement remplis
par la vie du Duc de Mayenne. A
Amfterdam , & fe trouve à Paris , chez le
Gras , Grand'Salle du Palais .
*
Cet ouvrage acquiert tous les jours un
nouveau mérite ; contre l'ordinaire , le
Continuateur eft fort fupérieur au premier
Auteur par le ftyle , & le ftyle , & par les recherches ;
Rous ne craindrons pas même d'ajouter ,
que M. l'Abbé Pérau a une maniere de raOCTOBRE
. 175.1. 153

conter plus vive & plus débarraffée , qu'il
ne l'avoit dans fes premiers volumes. Nous
le prions feulement d'exaininer s'il ne
lui feroit pas poffible de ferrer un peu certains
évenemens moins importans , & d'en
écarter quelques autres qui ne paroiffent
pas effentiels à l'Hiftoire qu'il écrit.
PANEGYRIQUE de Saint Louis , Roi de
France , prononcé dans la Chapelle da
Louvre , en préfence de Meffieurs de l'Académie
Françoife , par M. l'Abbé de la
Tourdupin. A Paris , chez Brunet, rue Saint
Jacques , 1751.
L'impreffion n'a pas nui à ce Difcours
& il a été lu avec le même plaifir qu'il
avoit été écouté. Pour donner une idée
du ftyle & de la maniere de l'Orateur ,
nous allons tranfcrire fon Exorde .
peu
Juftus , fortis & patiens. Il est juste , fort
& patient. Pf. 7. L'application de tous ces
traits réunis appartient à peu de Héros , à
de Saints . Les uns fe font immortalifés
par la jufticè ; d'autres par leur valeur
ont fait l'étonnement de l'Univers ; combien
par des miracles de patience , ont
mérité les éloges de la Religion même !
Mais parcourez , Meffieurs , les Annales du
monde , les faftes de l'Eglife , rarement
at'on vû dans un même homme ces diffe
GY
154 MERCURE DE FRANCE.
rens genres de mérite , ces differens carac
téres de fainteté .
Le Monarque , le Saint , dont j'ofe entreprendre
le panégyrique , eft peut-être
le feul , dont on puiffe dire : la juftice , la
valeur , la patience , caractérisent effen
tiellement & fon regne , & fa fainteté
Retranchez une de ces idées , le portrait
du Monarque n'eft qu'ébauché , l'éloge
du Saint eft imparfait. Dans leur réunion
feule , je trouve Louis tout entier.
à
Il a des peuples nombreux à gouverner ,
l'équité le guide ; il a de puiffans ennemis
combattre ,fon courage méprife les périls
. Il a de cruelles difgraces à foutenir ;
fa conftance eft fupérieure à tous les éve
nemens. Jufte fur le Trône , hardi dans.
les combats , libre , & plus que Roi dans.
les fers ; tel je dois vous repréfenter Saint.
Louis. Rendons à la Religion l'hommage
de tant de vertus : elle en eft le motif,
l'ame , la vie . Le Regne de Louis eft celui
de la Religion .
Elle éclaire fa juftice , juftus. Elle confacre
fa valeur , fortis. Elle foutient fa parience
, patiens.
PROGRAMMES
des Académies.
C ..
L'Académie de Dijon annonce à tous
OCTOBRE. 1731 . 155
les Sçavans , que le prix de Phyfique pour
f'année 1752, confiftant en une médaille
d'or , en valeur de trente piftoles , fera
adjugé à celui qui aura le mieux réfolu
le problême ſuivant :
La température de l'air d'un pays , influet'elle
fur le tempéramment , & fur la force de
fes habitans , & comment ?
Les Mémoires écrits en Latin ou en
François , feront adreffés francs de port à
M. Petit ,Secretaire de l'Académie , rue du
vieux Marché à Dijon , qui n'en recevra
aucun après le premier d'Avril.
L'Académie des Belles - Lettres de Marfeille
, ayant cette année réfervé le prix ,
en aura deux à diftribuer l'année prochai
ne. Elle avertit donc le Public , que le
vingt- cinquiéme Août , jour & Fête de
Saint Louis de l'année prochaine 1752 .
Elle adjugera un de ces prix à un Difcours
en profe d'un quart d'heure , ou tout au
plus d'une demi- heure de lecture , dont le
fajet fera . lequel des deux fait plus de tort a
la fociété , de l'ambition ou de la pareffe.
Et l'autre de ces prix , à une Ode , ou à
un Poëme à rimes plattes de cent vers au
plus , de quatre- vingt au moins , dont le
fujet fera l'hypocrifie
On adreslera les ouvrages , comme de
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
coûtume , à M. de Chalament de la Vifelede,
Secretaire perpétuel de l'Académie des
Belles - Lettres de Marfeille , rue de l'Evê
ché. On affranchira les paquets à la Pofte ,
fans quoi ils ne feront point retirés. Ils
ne feront reçus que jufqu'au premier Mai
inclufivement.
L'ACADEMIE des Belles - Lettres , Scienees
& Arts , établie à Bordeaux , diſtribue
chaque année un prix de Phyfique , fondé
par feu M. le Duc de la Force. C'eſt une
Médaille d'or de la valeur de trois cens..
livres.
Le prix propofé en 1749 , fur la nature
la formation de la grêle , a été adjugé à
une Differtation qui a pour dévife : Vique .
ferunt imbres gelidis concrefcere ventis , &c.
L'Auteur eft prié de le faire connoître.
M. Boiffier D. S. Académicien des Sociétés
Royales d'Upfal , Stockholm &
Londres , a remporté le prix de l'autre
fajet propofé la même année : S'il y a des
médicamens qui affectent certaines parties,
plutôt que d'autres , du corps humain : &quelle
Jeroit la caufe de cet effet.
L'Académie a déja donné pour fujet du
prix de l'année 1752 , la caufe qui corrompt
des grains du bled dans les épis , & quiles.
weircit avec les moyens de prévenir ces acci-
HARS
OCTOBRE . 175t . 257
Elle deftine le prix de l'année 1753 , à
celui qui expliquera le mieux, comment l'air,
fuivant fes differentes qualités , agit fur le
corps humain.
Les Differtations fur ce dernier fujet ne
feront
reçues que jufqu'au premier Mai
1753. Elles peuvent être en François , ou
en Latin. On demande qu'elles foient
écrites en caractéres bien lifibles..
L'ACADEMIE des Belles - Lettre de Cor
fe , a accordé au Pere Chaband , de l'Ora
toire , le premier prix , qu'elle avoit affigné
à celui qui démontreroir plus folidement
: quelle eft la qualité la plus néceffaire
1
un Héros , avec une Differtation fur ceux
qu'on a crit dignes de ce titre ,fans avoir eû la
qualité,pour laquelle l'Auteur fe déterminera .
Le fecond prix , deftiné à la Nation
Corfe , a été adjugé à M. l'Abbé Popgi
Profeffeur ca Théologie à Rome. Le fujet
étoit de prouver , quelle eft la vertu la plus,
néceffaire à un Citoyen..
les 21
Les Médailles d'or de la valeur de cing
cens livres chacune , qui devoien: former
prix ,s ayant été perdues à Marseille
par la négligence de celui qui étoit chargé
de les envoyer à Baftia . M. le Marquis
de Curzai , donne avis que l'on en diftri
buera la valeur en argent.
158 MERCURE DE FRANCE
BEAUX- ARTS.
Expofition des Ouvrages de l'Académie Royale
de Peinture , faite dans une dos Salee du
Louvre , le 25 Août 1751 .
E changement des ufages nous empe
che ſouvent de comparer nos Arts
avec ceux des anciens. La façon de faire la
guerre , par exemple , n'étant plus la mê→
me, les exercices ne doivent plus fe reffembler.
La Peinture n'eft point dans le
même cas : elle n'a fait qu'une découverte
qui ne regarde même que la pratique ,
c'eft l'emploi des couleurs avec l'huile .
Si ce nouveau moyen procure quelques
avantages , ne feroit-il pas poffible qu'il
entraînât d'auffi grands inconvéniens. Il
n'eft guere poffible de nier qu'il n'ait donné
une plus grande facilité dans l'exécu
tion , mais il faut avouer qu'il s'oppofe à
la confervation des ouvrages. Il fe peut
donc que nous n'ayons pas retiré autant
d'utilité de cette nouvelle pratique que
nous l'imaginons : Plufieurs morceaux qui
auroient été admirés très long- tenis ,
qui
n'auroient pas noirci & perdu tout leur
effet , ou qui n'auroient reçu qu'une mé
diocre altération avec la façon d'opérer
des anciens,fe trouvent perdus avec la nô
tre avant la fin du ſecond fiécle : tous les
OCTOBRE. 1751. 159
jours , nous les voyons périr fous nos
yeux , & nos neveux auront fucceffivement
les mêmes regrets.
Ces réflexions nous rappellent bien naturellement
au milieu de la Grece . Nous
admirons les chefs - d'oeuvres de Peinturequi
faifoient l'ornement d'an Pays où les
Arts obtenoient de fi grands honneurs.Notre
admiration n'eft pas fondée fur le témoignage
des Poëtes & des Hiftoriens qui
pouvoient être échauffés par un amour
propre national , ou n'être pas plus connoiffeursque
le font la plupart de nos Hiftoriens
& de nos Poëtes : nous admirons
la Peinture des Grecs fur la foi de la grandeur
de leur deffein & de l'élégance de
leur compofition ; & ce font leurs belles
Statues qui nous fourniffent des preuves
inconteftables de l'une & de l'autre. Deux
foeurs également careffées , élevées dans
les mêmes principes , ayant les mêmes
caractéres , faifant enfin les mêmes études,
pourroient- elles différer jufqu'à un certain
point ? Eft- il vraisemblable , eft- il
même poffible que l'une eût pu réunir l'élégance
, la jufteffe & le fablime , & que'
l'autre ett eu la féchereffe & les déffauts
que quelques modernes lui attribuent..
Cette erreur vient, à ce que nous croyons
de ce
que parmi nous on n'a pas affez dif
160 MERCURE DE FRANCE.
tingué les tems , & de ce que les anciens
ont fouvent répandu de l'obſcurité dans la
deſcription de leurs Tableaux ; car dans
tous les tems , le talent de faire des defcriptions
avec clarté a été une opération de
l'efprit affez rare.
L'hommage que nous venons de rendre
à l'excellence de la Peinture des Grecs ,
nous donne droit de dire que les bons
Peintres étoient fort rares en Grece;les jeux
qui étoient les plus belles affemblées de
l'univers n'offrent jamais ou prefque jamais
que deux Peintres qui fe difputent le prix.
Graces aux bienfaits de Louis XIV . & de
Louis XV , aux Penfions , aux Ecoles ,
aux Etudes que ces deux grands Princes
ont facilitées & multipliées , le concours
eft plus grand parmi nous : foixante Tablaux
de tous les genres & environ vingt
morceaux de Sculpture qui décorent le
Salon, ne font que la moindre partie du tra '
vail d'une feule année;on ne comprend dans
ce nombre ni les ouvrages de M. Coypel
PremierPeintre du Roi , ni ceux de Meffieurs.
de Troy , Nattoire , Boucher , ni les Tableaux
envoyés en Province , ou dans les
Pays Etrangers , ni les Plafonds d'Eglife
& de Chapelle, & c.Pour ce qui regarde la
Sculpture , on connoit la, longueur de
fes opératons : les. Artiſtes ont eu à peine
OCTOBRE . 1751. 161
pas
moins
pour
le tems de commencer les marbres dont les
modeles ont été les années précédentes
l'objet de notre admiration ; ainfi quoiqu'on
ne voie par fur la lifte les noms célebres
de Bouchardon , de le Moine , &c ,
ils n'en travaillent
la poftérité.
Le Tableau que nous venons de
tracer repréfente la fituation de nos Arts ,
il contribue à la gloire de la France , &
fait envier aux Artiftes étrangers les bontés
de notre augufte Monarque , & le zéle
ardent & efficace de M. de Tournehem à
qui il a confié le foin de les répandre.
Le public a continué de prouver par
fon affluence au Salon , que fon goût
pour les belles chofes augmente tous les
jours . Nous allons lui rapeller quelques
uns des jugemens tout à fait éclairés qu'il
a portés fur les ouvrages les plus confidérables
qui lui ont été préfentés . Les Provinces
prendront plus de confiance en nous
quand elles feront inftruites que nous ne
fomnes qu'Hiftoriens .
per- On auroit eu bien de la peine à fe
fuader que M. de Favanne pût avoir à 84
ans l'imagination auffi riante & auffi galan .
te qu'il l'ait jamais eue ,fi on n'avoit vu fes
deux Tableaux ,l'un repréfentantVenus qui
vient trouver Neptune pour le prier de
favorifer le voyage de fon fils Enée en
162
MERCURE DE FRANCE
pu-
Italie ; & l'autre : Adonis confié aux Naya
des
pour prendre foin de fon éducation.
Ces deux morceaux ont fixé l'attention
blique par la fermeté finguliere avec laquel
le il font peints. Il eft rare de pouffer auffi
foin l'amour de fon Art, & plus rare encore
de conferver la poffibilité de l'exécution.
L'exemple de M. Galloche dans fon
Buiffon Ardent , prouve le zéle des an
ciens Académiciens, & doit redoubler l'ardeurdes
jeunes gens .
M. Reftout nous a donné un des morceaux
destinés pour les tapifferies du Roi.
Cette tenture repréſente les Arts & l'on
ne sçauroit trop louer la nobleffe & l'élégance
avec laquelle ce grand Peintre les
a traités . On a vu dans les
expofitions précédentes
.
Aléxandre dans l'Atellier d'Apelles
pour célébrer la Peinture; la faveur
des Dieux en faveur de
Pigmalion , pour
exprimer le mérite de la Sculpture . Pour
donner une grande idée de
l'Architecture,
M. Reftout prend aujourd'hui le moment
où Didon fait voir à Enée les bâtimens
qu'elle a élevés & qu'elle éleve encore
s
Carthage.Ce fujet riche
l'eft
infiniment davantage par la maniére
par lui-même
dont il eft traité & dont il eft peint : l'op
pofition des échafauts & des ouvriers qui
travaillent avecune Cour brillante qui les
OCTOBRE. 1751 163
examine , ne pouvoit être ni plus heureufe
ni mieux rendue . L'oeil fe promene
agréablement dans cette Ville naiffante
& l'efprit applaudit à l'idée & à l'exécution
du Tableau,
>
Nous avons parlé dans un des précédens
Mercures du portrait du Roi en pied &
grand comine nature , par M. Carlo Vanloo
: on trouve , comme nous l'avions dit
que la noble fimplicité & le mouvement
de la figure y brillent avec les richeſſes &
les plus grands effets de la Peinture ...Le
Sacre de S. Auguftin nous donne occafion
de faire une réflexion qui n'échappera pro.
bablement à perfonne. Tour homme de
bonne foi connoit mieux fes défauts qu'ils
ne font peut être connus de fes rivaux ou
de fes ennemis malheureuſement , l'aour
propre & la pareffe lui fourniffent
prefque toujours des apologies qu'il adop
te ordinairement. Les exemples contraires
font fi rares qu'on ne fçauroit les préfenter
au public avec trop de foin . M. Vanloo
avoit fait & terminé fon Sacre de S. Auguftin
l'année derniere , il fut expofé au
Salon & jugé digne d'un grand Maître ;
cependant l'Auteur mécontent de fon ouvrage
a pris le parti , non de le retoucher
mais d'en faire un autre fort fupérieur au
premier . Ce Tableau a 16 pieds fut 12 ►
:
164 MERCURE DE FRANCE.
& fe trouve groupé d'une vingtaine de
figures plus grandes que nature : le jeu de
leur compofition , la convenance & la richeffe
du lieu de la fcene , la diſtribution
des lumieres , font les feuls fecours que
P'Artiſte ait employés dans cet ouvrage ,
puifque toutes les figures font drapées de
blanc ..... Les bornes de ce Journal nous
empêchent de parler d'une nativité du
même Peintre , deftinée pour S. Sulpice ;
la compofition , la couleur & le pinceau
mériteroient cependant les plus grands
éloges.
M. Collin de Vermont a prouvé par
fon Hiftoire de Cyrus en 52 morceaux ,
combien fon génie eft exact & fécond.
Une fuite auffi nombreuſe ne fçauroit être
également piquante dans toutes fes parties
; il fuffit que la plupart des fujets
ayent été rendus avec la jufteffe & la beauté
d'expreffion dont ils étoient fufceptibles.
Quoique ces morceaux ne foient que
des efquiffes arrêtées , il feroit à fouhaiter
qu'on les donnât au blic gravés & rendus
avec le foin qu'ils méritent.
M. Oudry a embelli à fon ordinaire le
Salon par la quantité , la variété & les dif
férences , foir dans les formes , foit dans
les objets de fes imitations d'après la natare
, rendues avec la beauté & la féduction
de fa couleur.
OCTOBRE. 17) 1 . 165
I
Quoique M. Pierre ait exposé plufieurs
aTableaux qui font tous des démonstrations
de fon application & de fes progrès , nous
ne nous arrêterons que fur fes deux plus
grandes compofi ions , la fuite en Egypte,
&Harmonia .On fçait affez l'hiftoire de cette
Princeffe de Sicile . Les grandes expreffions
font dans le Tableau qui la reprefente.
La fureur du meurtrier , & le couragė
d'Harmonia à la vue d'une mort prochaine
font des oppofitions dont l'artifte a profité
en homme de génie pour intéreffer : il
a fçu rapeller la générofité de l'eſclave ; &
c'eft un grand Art , à la vérité fouvent
impoffible , que de rapeller auffi heureuſement
dans un Tableau les actions qui ont
précédé celle que l'on reprefente. Cet
euvrage peint depuis plufieurs années a
acquis un ton de couleur que le tems donne
toujours aux ouvrages des grands Maîtres
.... La fuite en Egypte eft d'un goût
abfolument oppofé à Harmonia : c'eft une
compofition tranquille , mais en même
tems un morceau heureux & nouveau
foit pour l'ordonnance , foit pour l'effet .
La Vierge fuivie de S. Jofeph & de l'âne
, eft debout ; elle eft vêtue de blanc ,
& n'a qu'un ciel très lumineux pour oppofition
; elle préfente avec autant de noblefde
douceur l'Enfant Jefus aux gens
-3
Le
que
166 MERCURE DE FRANCE,
de la campagne , qui l'adorent . L'Artiſte
a de plus le mérite d'avoir produit tous
ces grands effets dans un champ très étroit
pour la hauteur.
Le Public eft toujours fenfibie au plaifir
de voir le Peintre rendre les idées des Poëtes
; ce goût l'a rendu très- attentif à un des
plus beaux inftans du Paradis perdu de
Milton , rendu dans un grand deffein au
biftre rehauffé de blanc par M. Nattier.
Ce Peintre , qui paroiffoit s'être fixé au
portrait , en a expofé plufieurs cette année
qui confirment l'idée qu'on a de fon
talent.
M. Tocqué a expofé des portraits où la
touche , le terminé , la compofition & la
vérité de la nature ont paru fans fe détruire
chaque Salon ajoûte à la réputa
tion de ce Peintre.
Le plus grand éloge qu'on puiffe faire
des fix Paftels de M. Delatour , c'eft de
dire qu'ils font peut être fupérieurs à ceux
des années précédentes. Le Public éclairé a
vû avec admiration les grandes parties de la
peinture énoncées dans tous ces morceaux.
On a été furtout frappé de l'Art avec lequel
le Peintre a furmonté dans le Portrait de
Madame de la Reiniere deux très grandes
difficultés : celle de conferver le brillant
de la couleur dans les ajuftemens fans déOCTOBRE.
1751. 167
truire les fraîcheurs de la tête , & celle de
faire reffemblerune jolie femme fans lui
faire de tort. Le portrait de Monfieur de la
Reiniere eft parlant. L'empatement & les
effets de chair dans la tête de M. Dille prefentent
la nature fous un afpect qui a ravi
les
amateurs.
M Perenneau a donné par 14 paſtels
des preuves de fa facilité & de l'agrément
de fa couleur.
M. Vernet , fi connu par le talent qu'il a
pour les Marines & pour les païfages, nous
en a envoyé cette année trois d'Italie , où
fon goût &peut- être les circonstances l'ont
fixé. Le morceau qui n'a point de pendant
& qui appartient à M. Lempereur , nous
paroît avoir réuni le plus de fuffrages.
Nous défirerions qu'il nous fût poffible
de nous étendre fur le mérite des autres
Peintres ; mais nous fommes forcés de
donner à quelques morceaux de Sculpture
le peu d'efpace qui nous refte.
M. Adam l'ainé a mis deux Groupes
chacun compofé de deux figures ; mais un
petit modéle de terre repréfentant Mercute
en pied & tout nud , nous a paru celai
des trois ouvrages qui a été le plus
goûré.
M. Pigalle a expofé un bufte du Roi
qu'il a préparé d'après nature pour la
168 MER CURE DE FRANCE.
ftatue en pied & de marbre dont on l'a
chargé. Il a accompagné cette belle étude
d'un groupe qu'il doit exécuter pour
Verfailles. Le choix qu'il a fait de fon fujet
est tout à fait heureux , c'eft l'éducation
de l'Amour confié à Mercure par
Venus. Cette compofition lui fournit l'expreffion
& le contrafte de trois différentes
natures , & dont la comparaifon pourra
fe faire d'un coup d'oeil . Une pareille entreprife
qui fera exécutée de la grandeur
naturelle ne pouvoit être en de meilleures
mains. Le public qui attend beaucoup du
cizeau de ce grand Artifte , ne fera pas
fâché de trouver ici un fait qui autorife
fes espérances , & qui peint le caractére
plein de modeftie de M. Pigalle. Il n'y a
perfonne en Europe qui n'ait entendu
parler de la ftatue de Mercure , on fçait
combien elle attira d'admirateurs . Un
d'entre eux s'écria dans un mouvement
d'enthouliafme : ah , l'antique na rien au
deffus de cela ! M. Pigalle qui étoit à côté
de cet amateur, lui dit , Monfieur : l'antique
a des morceaux capables de faire tomber
le cizeau des mains du plus habile hom
me : vous n'y penfez pas , Monfieur , lui
répondit l'admirateur ; vons n'avez pas
bien examiné ce Mercure,
Le modele de la Statue que M. Falconet
doit
OCTOBRE. ∙1751 . 169
doit exécuter en marbre pour le Château de Bellevue,
a été fort approuvé , il repréſente la Mufique :
la pofition & l'agencement de cette figure ont
fait plaifir au public , & conviennent à cette Mufe.
M. Sally a expofé en maibre le petit Faune qu'il
a donné à l'Académie pourfon morceau de réception.
Ce jeune & brillant Artiſte a été loué avec
raifon fur le choix de la Nature qu'il a fafie & rendue
convenable à fon fujet : c'eft en effet un Faune
, un Pâtre , un homme de la campagne ; mais
c'est un jeune homme dans toute la force , & que
tous les rapports rendent noble & agréable . Les
accompagnemens de cette figure ont prouvé que
fi l'Auteur fçavoit rendre la chair , il fçavoit aufli
couper le marbre avec une délicateffe fingulière.
Les modéles dont il a accompagné cette figure ont
donné des preuves de fon génie & de la fineffe de
fon ébauchoir.
Nous ne dirons rien des Eftampes qui décorent
le Salon , on en a rendu compte à mesure qu'elles
ont paru. Nous ajoûterons feulement que le zéle
de nos Graveurs doit redoubler depuis que leur
Art eft cultivé par les mains des Graces.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
Je ne fçai , Monfieur , par quelle fatalité on
m'a attribué une brochure fur le Salon , où nos
plus grands Artiftes fe trouvent attaqués fans ménagement.
Tout le monde connoît mon admiration
pour ces homines de génie , & mes liaiſons
particulieres avec eux . De tous les bruits que l'on
pouvoit répandre contre moi , on a choifi celui-là
comme celui qui devoit me mortifier davantage.
Je vous prie , Monfieur, de vouloir bien faire paffer
mon défayett au Public, Je fuis , & c .
Sireüil.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
La Lettre fort les Peintures d'Herculanum , que
nous avons inférée dans le dernier Mercure étoit
d'un des Amateurs les plus éclairés de l'Europe , &
le Public s'en eft apperça . La curiofité qu'il a mon
trée à cette occafion , nous rendra très- attentifs à
rallembler tout ce qu'une découverte aufli finguliere
fournira d'intéreflant . Quoique les difficultés
qu'on rencontre à deffiner les précieux monumens
qu'offrent les ruines d'Herculanum foient preſque
infurmontables , nous fommes parvenus à avoir un
deffein très- exact d'un des côtés de la belle Statue
équestre de marbre élevée à l'honneur du Proconful
Balbus : tous les Artiftes qui l'ont vue l'ont admirée
, & la mettent fort au- deffus de celle de
Marc Aurelle & des autres qui font venues jufqu'à
nous. Il ne nous a pas été poffible d'avoir les deux
principaux afpects de ce beau monument : nous en
fommes d'autant plus fâchés que la figure étant
moins enveloppée de draperies du côté hors le
montoir,laiffe voir l'habillement de deffous & l'ef
pece de cotte d'armes de cuir dont cette figure eft
ornée. Au refte cette Statue n'a été rapportée que
dans un Recueil donné par M. Goria , fous le titre
de Notizil del memorabile coprimento dell antica
Citta Ercolana , & c. Malgré les éloges que l'Auteur
donne au Peintre , d'après lequel il a fait graver
cette fuperbe Statue , ni celui - ci , ni le Graveur
dont il a fait choix , ne donneront jamais une idée
jufte & favorable des ouvrages qu'ils voudront
conferver à la Poſtérité .
Nous annonçons avec plaifir pour la premiere
fois au Public un jeune Graveur appellé Balan, qui
donne des espérances , & dont le burin eft déja fin
& agréable . Il vient de mettre au jour deux
Estampes , l'une a pour titre le Magifter Hollandois,
00-
tes
M. NONIO .
BALBO , P
THE
NEW
YORKI
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
OCTOBRE. 1751. 171
& eft d'après Terbourg , dont le tableau , composé
de deux figures affifes , eft dans le Cabinet de M.
le Comte de Vence.
L'autre tableau eft plus détaillé & fait par conféquent
plus d'honneur au Graveur : il repréfente
un groupe de quatre figures , & eft d'après Sckou
man ,dont l'original fe trouve dans le Cabinet de
M. Proufteaux , Capitaine des Gardes de la Ville.
L'Eftampe a pour titre , le Cordonnier Hellandois.
M. Bafan demeure Place Maubert , proche la
que de la Bucherie.
M. le Bas vient de mettre au jour trois des meilleures
Eftampes qu'il ait gravées depuis long tenis,
La premiere eft d'après le tableau de David Teniers
, connu fous le titre de l'Enfant Prodigue :
c'eft un des beaux ouvrages de ce Peintre , & la
gravure lui rend ici ce que très - fouvent elle lui a fait
perdre , c'eft à - dire,des fineffes de détail & d'effet.
Les deux autres Eftampes font d'après deux tableaux
de M. Vernet , dont l'un eft intitulé Départ
tour la pêche , & l'autre , Port de mer d'Italie. Tous
les détails de ces deux morceaux , foit du ciel , foît
des lointains , font d'un accord charmant avec les
ticheffes rapportées fur les premiers plans . Nous ne
craignons pas de dire , ce que nous fouhaiterions
dire plus fouvent , que nous annonçons trois belles
Estampes. M. le Bas demeure rue de la Harpe.
CARTE réduite des Côtes d'Efpagne & de Portugal
, depuis le Cap de Pinas jufqu'au Détroit de
Gibraltar , dreffée au Dépôt des Cartes & Plans de
la Marine,pour le fervice des Vaiffeaux du Roi , par
ordre de M. Rouillés, Miniftre & Secretaire d'Etat
ayant le Département de la Matine . Par M. Bellin ,
Ingénieur de la Marine , 1751 .
Hij
172 MERCURE DE FRANCE,
La belle Carte que nous annonçons eft accom
gnée d'un petit Mémoire de quatre pages inil
fert à en faire connoître le mérité , & à démo
trer la fupériorité fur les Cartes que les autres
tions de l'Europe ont publiées jufques ici .
Les Curieux ou les Navigateurs qui voudr
s'inftruire , trouveront dans ce Mémoire tous
élairciffemens qu'ils peuvent fouhaiter ; nous aj
terons que la Carte qu'on annonce ici eft exécu
avec une précifion & une beauté peu communes
qui diftinguent les Cartes Marines de M. Bel
de toutes les autres . Les airs de vent, quoiqu
très-grand nombre , n'y répandent aucune con
fion , étant tracés en rouge & le refte de la Carte
noir ; on y trouve des vûes & reconnoiffances
plufieurs endroits extrêmement importans pour
atterrages , & l'on a marqué l'air de vent &
diftance où il faut en être pour que ces terres
roiffent telles qu'elles font repréfentées. De
reils ouvrages font également honorables à l'A
teur & utiles à la fociété . La confervation
biens & de la vie des Navigateurs ne dépende
que trop fouvent de la jufteffe des Cartes Marine
Nous avons fouhaité que l'Auteur des Carte
Géographiques fit vendre féparément tous les fi
xains , & il s'y eft déterminé. Cet arrangement dé
terminera plus ailément les Maîtres & les parens
à faire effayer cette méthode aux jeunes gens
Outre les endroits que nous avons indiqués , on
trouvera les Cartes Géographiques à Besançon
chez la veuve Tiſſot.
SZAL
1,
THE
NEW
YORK PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
,
OCTOBRE. 17518 173
VAUDEVILLE
Sur la Naiffance de Monfeigneur le Duc de
Bourgogne. Par M. MESLE .
QuUe la Dauphine & le Dauphin
De nos Chanfons foient le refrein ;
Que ce couple charmant y brille.
Mais partageons plutôt nos tranfports en ce jour,
Et que le même zéle , exprime notre amour
Pour toute la Famille.
**
LOUIS fert de modéle aux Rois ,
De fes bienfaits , de fes exploits ,
Par tout notre Hiftoire fourmille ;
On l'admire,on le craint,mais on l'aime encot plus;
Et déja le DAUPHIN nous promet les vertus
De toute la Famille.
Belle DAUPHINE , objet chéri ,
Pour toi nos voeux ont réuſſi ,
Le fils fuit de bien près la fille.
Heureux de ton bonheur , notre coeur s'en réjouit j
Tout François en ce jour par fon amour féduit ,
Se croit de la Famille.
*X
H iij
174 MERCURE DE FRANCE
C4
Sur ce Fils nous nous raffurons
Il nous fuffit que des Bourbons ,
Le fang dans les veines petille.
>
Leurnom feul pour fon fort eft un préfage heureux,
Ils naiffent tous Héros , & la gloire chez eux ,
Eft un bien de famille..
Mais de MARIB , en vérité
Et la douceur , & la bonté

Méritent bien une apoftille.
گنج
Chantons , chantons auffi cette heureuſe Mamang
Puiffe t'elle d'un Prince encor voir dans un an
Augmenter la Famille.
Un effain de jeunes Beautés
Nous repréſente à les côtés ,
Des Graces la troupe gentille, 10
On y voit tout enſemble efprit , fageffe , attrait;
Le Ciel a pris plaifir à verſer fes bienfaits
Sur toute la Famille.
Tout peint le plaisir à nos yeux ; -´¡
Il fe reproduit en tous lieux;
Ici l'on chante , & l'on fautille ;
Plus loin le vin coulant avec rapidité ,
Chacun trouve moyen de boire à la fanté
De toute la Famille.
* Meflames de France.
OCTOBRE 1751 175
Uniffons-nous , qu'un jour fi beau ,
Sans choix mette au même niveau
Le bel habit , & la mandille.
Le rang doit s'oublier en des momens fi doux,
Pour les mieux célébrer , Francois , ne formons tous
Qu'une même famille.
SPECTACLES
.
le
Es trois Théatres ont donné le Spectacle gratis
à l'occafion de la Naiffance de Monfeigneur
le Duc de
Bourgogne
.
L'Académie Royale de Mufique a quitté les Indes
galantes après 44 repréfentations. Elle a reteu
de ce charmant Ballet l'Acte des Sauvages
qu'elle a joint le 21 Septembre à deux ouvrages
nouveaux. Le premier , qui eft de M. de Montcrif
& de Mrs Rebel & Francoeur , eft intitulé : -les.
Génies tutelaires , Divertiffement composé à l'occa
fion de la naiffance de Monfeigneur le Duc de
Bourgogne . Le fecond , qui eft de Mrs Marmon
tel & Rameau , eft intitulé : la Guirlande ou les
Fleursenchantées . Ces deux nouveautés qui étoient
attendues avec une impatience proportionnée à la
réputation des Auteurs ,ont été reçues avec applaudiffement
.Comme nous ne lesavons vues ni pu voir
que deux fois , nous attendons le mois prochain
pour parler de ces ouvrages & de leur fuccès.
M. le Noble a débuté dans le rôle de Carlos, A&te
des Incas . Le Public ne paroît fatisfait ni de la
voix ni du jeu de cet Acteur.
Les
Comédiens Erançois
n'ont point donné de
H. iiij.
176 MERCURE DE FRANCE.
Piéce nouvelle dans le mois , & n'en ont point,
repris d'ancienne .
Les Italiens ont joint aux Indes danfantes , fous
le titre de Parodie des Sauvages , une Bergerie fort
agréable , intitulée : les Amours champêtres . Elle eft
de M. Favart. On défireroit quelque chofe dans le
fonds & la coupe de cet ouvrage ; mais les détails
en font pleins d'efprit , de fineffe & de naturel.
Cette nouveauté attire tout Paris . M. de Heffe ,
Compofiteur du Ballet y foutient la réputation .
CONCERT SPIRITU EL.
N
Ous ne nous laffons pas de louer les efforts
tout à fait beureux des Directeurs pour rendre
le Concert intéreffant, Celui du 8 Septembre
fut agréable , & l'affemblée très - brillante."
Le Concert commença par la premiere ouverture
du quatrième OEuvre de M. Martin . Enfaite Domi
nus regnavit , Pl. 96 , Motet à grand choeur de M.
de la Lande, dans lequel M. Vée , Baffe- taille nouvelle
, chanta le récit Nubes & caligo; Mlle Chevalier
chanta le récit Adorate eum ; Mlle Frazi chanta
des morceaux Italiens ; M. Gavinies joua feul; Mlle
Frazi rechanta . Le Concert finit par Venite exul
temus de M. Davefne , Ordinaire de l'Académie
Royale de Mufique; Mlle Fel chanta dans les
deux Motets.
CONCERTS A LA COUR ;
Mois de Juillet.
1
L & les'sactesdu Kaller des Fêtes Grecques
E 17 , 19 , 21 , & 24 , on chanta le Prologue
Romaines. Paroles de M. Fuzelier , mufique de
M. de Blafmont , Sur Intendant de la Mufique de
OCTOBRE. 1751 : 177
la Chambre du Roi , Chevalier de l'Ordre de S.
Michel.Miles Lalande , Mathieu , de Selle , Cana-,
vas , Guédon , & de Saint Threufes ; Mrs Poirier ,
Befche & Joguet , en ont chanté les roles.
Le 16 , 28 & 31 , on chanta le Prologue & les
Actes du Balletde l'Europe Galante. Paroles de feur
Monfieur de la Motte , mufique de feu Monfieur
Campra. Mlles Lalande , Mathieu , Canavas , Godonnefche
, & Guédon ; Mrs Befche , Joguet , Ba
zire, & Dubourg , en ont chanté les roles.
Mois d'Août.
Lez & le 4 , on chanta le Ballet des Fêtes Véni
tiennes. Paroles de feu M. Danchet , musique de
feu M. Campra. Mlles Lalande , de Selle , Canavas,
Mrs Befche , Joguet , Benoît & Dubourg,
en ont chanté les roles.
Le 16 , 18 , & 21 , on chanta chez la Reine
le Prologue , & les Actes de l'Opera d'Amadis
de Grece. Mufique de feu M. Deftouches , Sur-
Intendant de la Mufique de la Chambre. Paroles
de feu M. de la Motte de l'Académie Françoiſe.
Mlles Lalande , Mathieu, de Selle ; MrsPoi
rier ,Dubourg & Joguet , en ont chanté les roles.
Le 28 , chez Madame la Dauphine , le 30 &
le 4 Septembre ,chez la Reine ; on chanta le Prologue
& les Actes du Baller des Caracteres de l'AMufique
de M. de Blafmont , Sur- Intendant
de la Mufique de la Chambre , & Chevalier,de
POrdre
de S.
Michel
; paroles de feu M. l'Abbé
Pellegrin. Mlles Romainville , Chevalier ,Fel , de
Belle , Mathieu & Godonne(che ; Mrs le Page ,
Joguet , Poirier , Befche , & Richer en ont chanmour.
télesroles.
2
H v
178 MERCURE
DE FRANCE.
LES Colifichets , ouvrage dédié à l'immortalité
On le trouve à Paris , chez Ballard , rue Saint
Jean de Beauvais .
Cette brochure commence par une Satyre fort
vive contre les Comédiens François & Iraliens
dont l'Auteur croit apparemment avoir lieu de fe
plaindre. Quoique l'aigreur domine dans cette ef
pece de Préface , on y trouve de tems en tems des
traits affez plaifans . La Comédie qui fuit & qui
eft intitulée les Colifichets , eft en un Acte & en
vers libres . Le but de cette piéce eft , autant que
nous l'avons pû comprendre , une peinture des .
moeurs du tems . Les Acteurs font la folie , la mode ,
Nugatine , Colifichet , un Nouvellifte , l'Elprit à
la mode ; la Rifon , l'Ennui , la Renommée. On
jugera du con & du ftyle de l'Auteur par le Monos
logue fuivant ; c'eft Nugatine qui y parle.
A parler avec vérité
Un ridicule au moins pourroit être excepté :
C'eft la coquetterie ,
Paffion du fexe chérie ;
Elle eft en nous comme une de ces Aeurs-
Que l'on nomme immortelles ;
Elle germe, s'accroît , ſe nourrit dans nos coeurs ,
Et chaque inftant produit des racines nouvelles ;
Ecloſe avant le printems de nos jours ,
On la voit s'éleve : àl'aspect des Amours ,
Comme une fleur fous l'afle du Zéphire ,
Soutenue avec foin par notre vanité ::
Il n'eft point de faifon qui puiffe la détruire ;
Elle fubfifte encore au déclin de l'Eté ;
Elle tient tête aux rigueurs de l'Automne
OCTOBRE * 179
Et ne craint point que le tems lá
moiffonne a
Mais le cruel byver qui la fuit de trop près ,
En chaffant les plaifirs ,
amene les
Ainfi que ces plaifirs , notre
beauté
s'envole ,
regrets ;
Et ne nous laifle alors que des
charmes ufés ;
Mais
l'illufion parle à nos yeux
abuſés ;
L'amour
propre
l'écoute & le coeur fe confole.
LETTRE
Sur les fêtes que vient de
donner M. le Duc
de
Bouillon à
Navarre , à
Madame la
Ducheffe de Bejar , foeur de
Madame la
Princeffe de
Turenne.
1. A
premiere fête fut dans l'Iſle
d'Amour : cette
partie de
jardin ,
délicieufe
étoit
illuminée avec tout l'art
poffible. Le
hazard par elle même
parut y
conduire
Madame la
Ducheſſe de Bejar ;
elle y fut reçue à
l'entrée par une
troupe de jeu-
Des enfans
élegamment
vêtus : l'un
d'eux lui
chanta les trois
couplets
fuivans , fur l'air d'un
Vaudeville fort
connu .
Premier
Couplet.
Le Dieu qui
regne en ce
féjour ,
Avec
l'amitié dans ce
jour ,
Partage (on
domaine ;
Donnez &
recevez
leurs loix ,
Ils vous ont rendus de leurs droits
Maîtreffe
fouveraine.
HY
180 MERCURE
DE FRANCE
:
J
Second Couplet.
Hatez-vous d'entrer en ces lieux ;
Ils n'offriront point à vos yeux
Une terre étrangere ;
L'amitié vous y guidera ,
Et quand l'Amour vous y verra ,
Il croira voir fa mere.
Troifiéme Couplet.
Par vous le céleste flambeau ,
Ici d'un éclat tout nouveau ,
Semble briller encore
Dans vos yeux il le reproduit ,
Ils font faits pour rendre la nuit.
Plus belle que l'aurore.
Enfuite s'enfonçant dans l'Ifie , on y rencontra
à diverfes reprifes , des quadrilles de danfeurs &
des danfeules , vêtus en bergers , & conduits par
hautbois , baſſons , &c .
Plus loin dans une niche , où il devroit y avoir
une ftatuë , M. Bourlet , Habitant d'Evreux , reb
préfentoit admirablement
fur un piédeſtal , profilé
en bois , l'Automate de Vaucanfon , il joua de la
Aure dans la plus grande perfection.
Plus loin encore , dès qu'on fut à l'extrémité du
berceau de l'Ile d'Amour , une toile qui le fermoit
fe leva , comme dans les fpectacles , & on entra
dans une falle , au fond de laquelle étoit un Théatre
, dont les couliffes étoient des colonnes ; pour
cela on avoit puis des chevrons , qu'on avoit entouré
de roſeaux , lefquels étoient entortillés d'une
OCTOBRE. 1751 .
181
guirlande de fleurs ; la proportion étoit obfervée
dans ces colonnes , dont la hauteur étoit de quin
ze pieds , elles étoient de l'ordre Corinthien , &
le couronnement étoit parfaitement exécuté avec
des feuilles de tabac ; fur ce Théatre , une troupe
de Comédiens , établis à Evreux , jcua la Cher
cheufe d'efprit ; enfuite , au lieu du Ballet , tous
danfâmes une contredanfe dans la falle , au fon des
inftrumens champêtres , & en préfence de tous les
Habitans du Pays. Madame de Bejar , avec M. le
Duc de Rohan figuroient , vis- à vis Madame de
Turenne & le Vicomte de Chabot , tandis que
le Prince Camille & le Marquis de Flavacour ,
figuroient vis- à- vis M. le Duc de Bouillon & M.
Doublet.
En revenant on rencontra une bande de Jardiniers
avec des habits de caractere ,& le Boftangi-
Bachi , un rateau à la main , chanta le couplet
fuivant , fur le même air que les précédens
Que je priferois mon métier ,
Si le zéle du Jardinier ,
Méritoit vos fuffrages;
Promettez que dans mon jardin
Vous reviendrez foir & matin ,
Je renonce à mes gages,
A quelques pas de là , une jeune & jolie fille ha
billée en Amour, & avec les attributs , arrêta la
Compagnie ,& dit :
Quoi donc ! on vient braver l'Amour ,
Jufques dans fon plus cher azile ?
Ces feux
ramenent le jour
Au milieu d'une nuit tranquille ,
182:
MERCURE DE
FRANCE
Ces jeux , ces danfes , & ces chants ,
Ces choeurs de bergers , de bergeres ,
Leurs tranfports , leurs tendres accens :
Dans ces bolquers , dans ces parterres >
Les vents , les Zéphirs fufpendus ,
Sous ces bérceaux autrefois folitaires ,
Les plus doux parfums répandus ,
Qui ne croiroit que ces hommages ,.
A moi feul font ici rendus ,
A tant d'apprêts dans ces boccages ,
Qui reconnoîtroit l'amitié ?
C'eft elle pourtant qui m'outrage ,
Les ris , les jeux fous cer ombrage ,
Avec elle font de moitié.
Deſtin , tu l'as voulu , je céde à ta puiffance ,,
Des deux Déelles qu'on encenfe ,
Toi même às fixé le pouvoir.
2i
Dès leurs plus jeunes ans les graces accoururent :
Près de leurs berceaux pour les voir ,
Et d'abord ellés réfolutent
D'unir en elles tous leurs traits ,
L'une leur donnant les attraits ,
L'autre les yeux , fon air & fon langage ,
Enfin pour achever l'ouvrage ,.
Elles épuiferent leur art ;
Et lorsque je devois m'y rendre ,
Pár malheur arrivé
trop tard ,
Je ne pus, à mon gré leur former le coeur tendre ;
Ainfi vous triomphez, ô trop aimable foeur !
Mais fi je perds l'efpoir de ma jufte vengeance ;
J
OCTO BRE. 183
1751
Du moins je regnerai par vous fur tous les coeurs,
Qai , victimes de vos rigueurs ,
Marqueront affez ma puiffance :
Je pars pour éviter une nouvelle offenfe ,
Et céde à l'amitié l'empire, de ces lieux ,
C'eft ainfi qu'en partant je vous fais mes adieux.
On fortit de l'lfle pour aller fouper , il étoit mi-..
auit.Le lendemain Lundi, dès que Madila Ducheffe
de éjar entra après fouper dans le falon & après»,
qu'elles'y fut aflife , on ouvrit la porte du contrefallon
qui étoit en face d'elle, & on commença un
Concert dont les paroles étoient relatives à la Fête
& la mufique très voluptueufe ; les Muficiens au
nombre d'environ 40 étoient dans ce conue-falon ;
les gens du métier s'étoient rendus de bonne heure
Navarre où ils avoient foupé egregie , & M. de
Bouil'on avoit envoyé chercher dans des Caleches
tous les Amateurs de la Ville & de la banlieue d'E
vreux. Chacun s'eft prété avec grace à les defirs ,
& comme il vouloir un coup de furprife , tous.
ces Amateurs ,hommes & femmes , n'arriverent a
Navarre que pendant notre foupé , le leur étoit
fait , ils fe rangerent dans le contre- falon ,
pella lesgens de métier , & lorfque notre fouper
finit on artera un moment Mad. de Béjar dans la
falle à manger , Mad . de Turenne fortit & fut fe
mettre au clavecin; M. le Vicomte de Chabot M.
de Luzebourg & M. Doublet la fuivirent . L'un de
Cesdeuxpremiers Mffieurs joua du violon de chelle
, l'autre de la flûte fort bien , & M. Doubler du
violon avec beaucoup de diftinction , le divertiffement
étoit fort joli & fut très bien exécuté , il dura
prèsd'uneheure , après quoi on ouvrit les fenêtres»»
du sonte falon ( ce font celles qui font face aw
on ap184
MERCURE DE FRANCE.
précipice ) cette côte escarpée étoit une riviere de
feu furmontée de piramides éclairées de lampions ;
celle du milieu avoit quarante huit pieds de hauteur
& on y lifoit en lettres de feu amititis.
Lorfqu'on eut fuffilament regardé cette élégante
illumination qui comprenoit auffi la grande piéce
d'eau qui eft entre le Château & le précipice , on
rentra dans le falon ; quelqu'un dit , c'eſt bien
dommage qu'il n'y ait rien de l'autre côté ( c'eſt
celui de l'orangerie ; ) on y regarda , les portes
s'ouvrirent , & à ce fignal commença un fort beau
feu d'artifice ; ajouez à cela une Comédie repréfentée
le lendemain dans l'orangerie d'hiver où
l'on avoit conftruit un vrai théâtre , & une illumination
le jour qu'arriva Mad . de Béjar , illumination
fur les cordons du Château & le long des ave
nues qui y conduifent , & vous conviendrez que
ces fêtes répondent à l'idée qu'on a de la magnificence
& du goût de M. le Duc de Bouillon.
Ce 12 Août 1751.
CHANSON.
Sur l'heureux accouchement de Madame la
Dauphine, Sur l'Air : De tous les Capu
cins du monde.
Q Ue notre charmante Dauphine
Eft bien une vraye Héroïne ,
Hé ! lequel de tous nos Héros ,
Fameux par plus d'une victoire ,
En fit plus pour notre repos ,
Notre bonheur & notre gloire
:
res OCTOBRE. 1751 .
Oui , conquérir une Province ,
Eft moins que nous donner un Prince ,
Cet objet de nos tendres voeux ,
Ce fruit de fes chaftes entrailles
Nous rend mille fois plus heureux
Que le gain de trente batailles.
Ce favori de la victoire ,
Ce vainqueur tout couvert de gloire
Objet de nos triftes regrets ,
Qui dumême fang prit naiffance
Par fes exploits & fes hauts faits ,
En fit moins qu'elle pour la France.
**
A ta joye , aimable Princeffe ,
Toute l'Europe s'intérefe ,
Et cet
évenement flatteur ,
Qui loin de nous chaffe la guerre 7
Ne fait pas notre feul bonheur
Mais celui de toute la terre.
"
Pourfuis , comble notre espérance ;
Remplis tous les voeux de la France ,
Donne des freres à ton fils ,
Au Peuple qui déja t'adore ,
Par des bienfaits d'un fi grand prix ,
Tu deviendras plus chere encore.
188 MERCURE DE FRANCE.
DE BERLIN , le Août.
Il paroît un ouvrage , qui n'intéreffe pas moins
la curiofité des Lecteurs ,Loft par fon excellence
foit par le nom de l'illuftre Auteur à qui le Public
l'attribute. Cet écrit eft intitulé : Diſſertationsfur
les raisons d'établir ou d'abroger les Loix. Sa Majefté
a fait préfent d'un terrein aux François , établis à
Porfdam , pour y conftruire une Eglife.
La Princeffe , époufe du Prince de Pruffe , ac-
Coucha ley de ce mois d'une Princeffe , dont la
iffance fut annoncée au public par une falve
d'artillerie .
L
ESPAGNE.
DE MADRID , le 17 Août.
E Marquis de la Enfenada , Secretaire d'Etat ,
ayant le Département de la guerre & des Indes
, fe difpofe à aller vifiter les Ports les plus confidérables
d'Efpagne . Quoique la tranquillité foit
entierement rétablie dans le Pérou , le Gouverne .
ment a réfolu d'y faire paffer un renfort de trou
pes. Quelques Ingénieurs ont auffi ordre de s'y
rendre , pour faire ajouter des ouvrages aux fortifi
cations de diverfes Places , & pour faire conftruire
un Fort dans l'Ile de Jean Fernandez . Selon les
dernieres Lettres de Cadix , on y'a reçu avis qu'un
Chabec de Barbarie , s'étant emparé de deux Bâtimens
Génois fur les côtes de la Sardaigne ,
des
Barques armées en courfe , non -feulement l'avoient
obligé d'abandonner l'une & l'autre prife ,
mais avoient enlevé ce Corſaire .
A
OCTOBRE, 1751. 159
ITALIE.
DE NOCERA , les Août,
Ette Ville , & plufieurs autres de l'Ombrie ;
ont fouffert de grands dommages par le
tremblement de terre du 26 du mois dernier ,
mais leurs malheurs n'égalent point celui de Gualdo
,Ville fituée près de la frontiere de cette Province
dans la Marche d'Ancône. Les fecoufles
y
ont été précipitées , que plufieurs habitans ,
n'ayant pas eu le tems de fe fauver en rafe campagne
, ont été enfévelis fous les ruines des bâtimens.
Le Couvent des Auguftins , celui des Francifcains
, & deux Monafteres de Religieufes , ont
été totalement renverfés , ainfi que les trois quarts
des maifonsde la Ville,A tuellement elle n'eft pref
que qu'un amas confus de pierres , & elle eft à peu
près dans le même état, où les Lombards réduifirent
autrefois laVille de Taudinum, des débrís de laquelle
elleavoit été bâtie, Les Propriétaires des maifons ,
qui fubfiftent encore , n'ofent pas y retourner,
parce que des bruits fouterrains qu'on entend
fréquemment , donnent de nouveaux fujets d'allarmes.
DE VENISE , le 31 Juillet.
Tar l'accommodement conclu entre l'Impératrice
Reine de Hongrie & de Bohéme & cette
République , le Cardinal Delfini conferve le titre
de Patriarche d'Aquilée , malgré la fuppreffion de
fon Patriarchat , à condition qu'il n'exercera au-
Cune Jurifdiction , & qu'après la mort fon Titre
demeurera éteint à perpétuité. Les revenus atta190
MERCURE DE FRANCE.
1
chés au Patriarchat feront féparés , ceux qui pro
viennent des Terres de la domination de la Répu
blique , feront dévolus à l'Archevêque d'Udine &
aux Chanoines , dont le Chapitre de fon Eglife
Métropolitaine fera compofé. L'Archevêque de
Goritz & fon Chapitre jouiront de ceux que le
Patriarche retiroit de la partie du Frioul , dépendante
de l'impératrice Reine de Hongrie. Cette
Princeffe a déclaré expreffement , que dans fes
differends avec la République , au fujet du Patriarchat
d'Aquilée , elle n'a jamais prétendu difputer
aux Vénitiens aucune de leurs propriétés.
DE TURIN, le 30 Août.
Dans le Faucigny eft la montagne de Plainejou ,
tuée près de Bonne Ville . Cette montagne s'é
tant entr'ouverte fubitement par le fommet , il
s'en eft écroulé une partie , fous laquelle plufieurs
perfonnes ont été enfévelies avec une trentaine de
beftiaux. A deux cens cinquante pas de la premiere
ouverture , il s'en eft fait une feconde , & il
fort continuellement de l'une & de l'autre une
quantité prodigieufe de cendres , & une fumée
1.ès - épaiffe . On allure même , que depuis quelques
jours une des deux ouvertures jette des flammes.
Si cette éruption continue , les habitans de Cervos
& de Pally feront obligés d'abandonner ces
bourgs , & la communcation entre Bonne - Ville
& Chamonis fera entierement interceptée .
Parmi les articles qui restent à régler entre cette
Cour & celle de Vienne , il en ett un important.
Les pays , cédés au Roi par Pimpératrice Reine
de Bohéme & de Hongrie , font redevables d'environ
quinze millions au Milanez. Sa Majefte
prétend n'être point chargée de ces dettes , parce
OCTOBRE 1751. 101
qu'il n'en a point été fait mention dans les Actes
de Ceffion . L'Impératrice Reine , de fon côté ,
allégue que s'il n'en a été rien dit dans ces Actes ,
c'eft que les Miniftres Plénipotentiaites ont jugé
inutile d'en parler : que c'eft une foi inconteftable
, que tout acquereur qui prend pofleffion d'u
ne terre , eft fubrogé aux charges , comme aux
droits de fon Prédéceffeur ; qu'ainfi l'omiffion ,
dont le Roi le prévaut , ne peut le difpenfer d'une
obligation , qui étant fondée fur le droit commun
, a été néceflairement fous - entendue ; que
d'ailleurs le Roi n'a point protefté de nullité contre
les dettes en queftion , & que fon filence doit
paffer pour une acceptation tacite . Les deux Puiffances
font actuellement occupées à terminer à
l'amiable cette conteftation , & quelques autres
affaires de même nature . Le Comte de Bogin.
Secretaire d'Etat du Roi au Département de la
Guerre , doit fe rendre à Milan , pour difcuter ces
differens objets avec le Comte de Chriftiani ', à qui
la Cour de Vienne a donné pour cet effet les pleins
pouvoirs néceffaires .
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 26 Août.
PAr l'accommodement dont on eft convenu
avec la Régence d'Alger , les Sujets de la
Grande Bretagne jouiront , pour commercer dans
tour le Pays dépendant de la domination de la
République , de la même liberté qu'ils viennent
d'obtenir dans les Etats de l'Empereur de Maroc .
Les Algériens ont accordé cet article en compen
fation du Paque bot le Frederic , dont on leur a
demandé envain la restitution.
192 MERCURE DE FRANCE.
Il fe répand un bruit que le Chef d'Efcadre
Rodney n'a pu découvrir l'Ille , dans laquelle on
projettoit de tenter un établiſſement . L'Elcadre ,
commandée par le Lord Edgecumbe , & qui étoit
Compofée des Vaiffeaux le Montmouth , le Monarque
& le Fougueux , eft revenue à Gofport . Elle a
Jamené de Gibraltar les Régimens d'Infanterie de
Wolf & de Skelton .
Si l'on en croit les avis qui viennent des differentes
Provinces de la Grande Bretagne , la récol
te y fera très abondante , & l'on fera en état de
fubvenir aux befoins des peuples voifins.
PAYS-BAS.
DE BRUXELLES , le 15 Août.
Onformément aux intentions de l'Impéra
Otrice Reine , les Evêques des Pays- Bas ont
fait publier dans leurs Diocétes la Bulle , par laquelle
le Pape difpenfe de la célébration de plufieurs
Fêtes les habitans de ces Provinces . L'Inf
truction Paſtorale , que l'Evêque d'Anvers a donnée
à ce sujet , eft pleine d'énergie. Ce Prélat y
expofe avec force , combien les pauvres fouffrent ,
& quel préjudice un Etat peut recevoir de la
trop grande multiplicité des Fêtes. Il employe en
même tems les raifons les plus propres à convain
cre les perfonnes fcrupuleufes , que dans plufieurs
circonſtances le travail , offert à l'Etre Suprême ,
& dirigé par des motifs fages & légitimes , peut
être auffi méritoire que la priere . Au refte , il exhorte
fes Diocésains , à employer à ce faint exercice
tout le tems qu'ils pourront y confacrer , &
même à continuer d'entendre la Meffe les jours
qu'on leur permet de ne plus fêter..
Le
OCTOBRE 1751. 193
Le Gouvernement , voulant pourvoir à l'entretien
d'un Hôpital pour les Militaires , il a été réfolu
de lever tous les ans fur les revenus des Com.
munautés Eccléfiaftiques une certaine fomme ,
qu'on deftine à cet ufage .
L'abondance des pluyes , qui font tombées de
puis quelques tems , a fait déborder diverſes rivieres
, & une digue , s'étant rompue dans les environs
de Gand , il y a près de trois lieuës de pays
entierément inondées .
洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
E 14 Août dernier , veille de la Fête de l'AL
fomption de la Sainte Vierge , la Reine communia
par les mains de l'abbé de Montazet , fon
Aumônier en quartier.
Monfeigneur le Dauphin communia le même
jour par les mains de l'Abbé de Saint Aldegonde ,
Aumônier du Roi , & Madame la Dauphine , par
celles de l'Evêque de Bayeux , Premier Aumônier
cette Princeffe. de
La Reine affifta l'après- midi , ainfi que Morfeigneur
le Dauphin , Madame Henriette , Madame
Adelaide , & Mefdames Victoire , Sophie &
Louife , aux Vêpres & au Salut , chantés par la
Mafique.
Le is , jour de la Fête , le Roi & la Reine ,
accompagnés de Monfeigneur le Dauphin & de
Meldames de France , entendirent dans la Chapelle
du Château la Meffe, célebrée pontificalement
par l'Evêque de Bayeux. Madame la Dauphine
entendit la mêine Meffe dans la Tribune.
T94 MERCURE DE FRANCE .
L'après-midi , leurs Majeftés , accompagnées
comme le matin , affifterent aux Vêpres , auxquelles
le même Prélat officia , & à la Proceffion
qui fe fit autour de la Chapelle.
Le 13 , pendant la Meffe du Roi , l'Archevêque
de Vienne & l'Evêque de Nevers prêterent
ferment de fidélité entre les mains de Sa Majesté.
Le 15 , le Roi tint Conſeil d'Etat.
Sa Majefté partit le 16 pour Choify , d'où elle
revint le foir avec Monfeigneur le Dauphin &
Mefdames de France , qui fe rendirent, la veille à
ce Château.
Le Roi a nommé Miniftres d'Etat le Comte
de Saint-Florentin , Secretaire d'Etat & des Ordres
de Sa Majefté , & Chancelier de la Reine , &
M. Rouillé , Secretaire d'Etat , chargé du dépar
tement de la Marine.
Sa Majefté a conféré le Grade de Brigadier de
fes Armées à M. Mannlich de la Chaunelas , Lieunant-
Colonel du Régiment Suifle , dont étoit Co
lonel feu M. de Bettens , Lieutenant Général , &
elle a difpofé de ce Régiment en faveur de M. Ienner
, Capitaine dans le même Corps avec rang de
Lieutenant -Colonel.
Le 15 , l'Académie Royale des Sciences préfenta
à leurs Majeftés & à la famille Royale , le
Volume de fes Mémoires de l'année 1746. Le
Comte de Maillebois , qui préfide cette année à
l'Académie , M. de Lamoignon de Malesherbes ,
qui en eft Vice- Préfident , & M. Hellot , Direc
étoient à la tête des Académiciens.
teur ,
M. Duclos , Hiftoriographe de France , l'un.
des Quarante de l'Académie Françoiſe , & Aflocié
de l'Académie Royale des Infcriptions & Bel
à la les -Lettres , préfenta le même jour au Roi ,
Reine , & à Monſeigneur le Dauphin , la feconde
OCTOBRE. 1751. Ter
édition de fon Livre intitulé : Confidérations fur les
Moeurs de ce Siecle . Cette nouvelle édition est dédiée
au Roi.
Le même jour le Roi & la Reine fignerent le
Contrat de mariage de M. Helvetius , Maître
d'Hôtel Ordinaire de la Reine , & ci - devant
Fermier Général : & de la Demoiſelle de Ligne
ville. Monfeigneur le Dauphin , Madame la
Dauphine , & Mefdames de France , ont fait à
M. Helvetius le même honneur.
Le 15 , Fête de l'Affomption de la Sainte Vierge
, la proceffion folemnelle , qui fe fait tous les
ans à pareil jour en exécution du voeu de Louis
XIII , fe fit avec les cérémonies ordinaires , &
l'Archevêque de Paris y officia pontificalement.
Le Parlement , la Chambre des Comptes , la
Cour des Aides & le Corps de Ville , y affifterent.
Le 16 , dans l'Affemblée générale du Corps.
de Ville , M. Gillet & M. Mirey furent élûs
Echevins.
Le feu Abbé le Gendre , Chanoine de l'Eglife
Métropolitaine de Paris , ayant legué par fon
Teftament une fomme confidérable , pour contribuer
aux progrès de quelques - uns des Arts Libéraux
, & les difpofitions indiquées par le Teftateur
ayant paru d'ane exécution trop difficile , le Parlement
donna en 1746 la propriété de ce legs à
l'Univerfité . En même tems il fut réglé que l'Univerfité
propoferoit tous les ans aux meilleurs Ecoliersde
Rhétorique , de Seconde & de Troifiéme
, pris indiftinctement dans tous fes Colleges ,
différens fujets fur lefquels ils puffent s'exercer , &
qu'elle diftribueroit des Prix à ceux qui auroient
le mieux réuffi. La diftribution de ces Prix s'eft faite
le 12 dans la Salle des Ecoles extérieures de Sorbonne
, & le Parlement y a affifta fuivant la cou-
1 ij
196 MERCURE DE FRANCE.
tume. Après un Difcours Latin que prononça
M. le Roy , Profeffeur de Rhétorique au Colle
ge du Cardinal le Moine , & dans lequel cet Orateur
entreprit de montrer Combien la Vertudoit aux
Lettres , M de Maupeou , Premier Préfident dy
Parlement , donna le premier Prix . Les autres
furent diftribués par M. Guerin , Recteur,
L'Univerfité à jugé à propos de réferver pour
l'année prochaine le Prix d'Eloquence Latine, tondé
pour les Maîtres - ès - Arts par M. Coignard , Im
primeur Libraire du Roi , & ci- devant de l'Academic
Françoife .
On mande de Beaucaire , qu'il s'y eft vendu ,
pendant la Foire, près de douze cens quintaux de
Soye , & que certte quantité , toute confidérable
qu'elle eft , n'a pu fatisfaire aux demandes des
acheteurs. La Soye de la premierre qualité a été
payée depuis quinze jufqu'à feize francs , & celle
de moindre efpece quatorze livres dix fols. Ainfi
le prix de cette marchandiſe eft diminué d'environ
vingt-huit pour cent.
L'ouverture de la Foire d'Alais s'eft faite à l'ordinaite
le 24 du mois , jour de la Fête de Saint
-Barthelemy.
Le 19 , les Actions de la Compagnie des Indes
n'ont point eu de prix fixe . Les Billets de la Premiere
Loterie Royale étoient à fix cens quatrevingt-
trois , & ceux de la Seconde à fix cens trente
-fept.
Le Comte de Loos , Ambaffadeur Extraordinai-
-re du Roi de Pologne , Electeur de Saxe , eut le 24
du mois une audience particuliere du Roi , à laquel
le il fut conduit par le Chevalier de Sainctot , Introducteur
des Ambaffadeurs .
Le 25 > les Etats d'Artois eurent auffi audience
de Sa Majefté. Ils lui furent préfentés par le Maréchal
d'Ifenghien , Lieutenant Général de la
OCTOBRE . 1751. 197
Province , & par le Comte d'Argenfon , Miniftre
& Secretaire d'Etat . La Députation étoit compolée
, pour le Clergé , de l'Abbé de Fumal
Abbé de Beauport , & Vicaire Général de l'Evê
che de Saint- Omer ; de M. Dorefmieux de Foucquieres
, pour la Noblefle , & de M. Harduin pour
le Tiers- Etat .
Le Roi alla coucher le 21 au Château de Bellévûe
, Sa Majefté y retourna le 25 au foir .
Depuis quelques jours , Madame la Dauphine
prend tous les foirs le divertiffement de la
pêche.
Le 13 ,Mefdames de France chafferentle Daim
dans les bois de Verriere .
Le 24 de ce mois , le Corps de la Ville de Paris
fe rendit à Versailles , & le Duc de Gêvres , Gou
verneur de la Ville de Paris étant à la tête , il eur
audiance du Roi avec les cérémonies accoutumées .
Il fut préfenté à Sa Majefté par le Comte d'Argenfon
, Miniftre & Secretaire d'Etat , & conduit par
le Marquis de Dreux , Grand Maître des Cérémonies.
Les deux nouveaux Echevins prêterent entre
les mains du Roi le ferment de fidélité , dont
le Comte d'Argenfon fit la lecture , ainfi que du
Scrutin , qui fut préſenté par le fieur Rolland
d'Erceville , Confeiller au Parlement.
Le même jour , le Corps de Ville eut l'honneur'
de rendre fes refpects à la Reine , à Monfeigneur
le Dauphin , à Madame la Dauphine , à Madame
& à Mefdames de France.
Le 25 , Fête de Saint Louis , la proceffion des
Carmes du Grand Convent , à laquelle le Corps
de Ville affifta , alla fuivant la coutume à la Chapelle
des Thuilleries , où ces Religieux chanterent
la Meffe .
L'Académie Françoife célébra le même jour la
Tête de Saint Louis dans la Chapelle du Louvre.
I iij
19S MERCURE DE FRANCE.
Pendant la Mcfl: qui fut dire par Pivêque de Ne
vers , on chanta un Pleaume en Mufique , & PAb
bé de la Tour du Pin prononça le Panégyrique du
Saint. Cette Abbé joint à l'avantage d'une nailfance
illuftre , celui d'être petit - neveu de M, de
Fontenelle .
La même Fête fut célébrée par l'Académie,
Royale des Infcriptions & Belles Lettres & par
celle des Sciences , dans l'Eglife des Prêtres de :
P'Oratoire , ou le Panégyrique du Saint fut pro.
noncé par l'Abbé Joffet , Chanoine de l'Eglife
Cathédrale de Metz.
La place de Confeiller d'Honneur du Parlement
vacante par la mort de M. Méliand , a été accordée .
par le Roi à M. Huguet de Semonville, Confeiller
de la Quatrième Chambre des Enquêtes.
Les Vaiffeaux la Reine & la Diane , appartenans,
à la Compagnie des Indes , font arrivés ces joursciau
Port de l'Orient , & fur le ſecond de ces Bâtimens
étoit M. de la Touche , qui a commandé.
les troupes Françoifes dans le dernier combat livré:
à Nazerfingue , ufurpateur du Trône de Golconde..
Cet Officier , que M. Dupleix , Gouverneur de
Pondichery , a dépêché à la Compagnie pour
l'informer du fuccès de ce combat , a confirmé
les nouvelles qu'on avoit déja reçues par des let ,
tres d'Angleterre. Voici les principales circonftances
de l'action dont il a apporté la Relation , & qui
a rétabli dans l'Inde une parfaite tranquillité . La
perte de la ville de Gingy , & les autres échecs effuiés
par Nazerfingue , n'avoient point découragé
cet ufurpateur. Il avoit raffemblédes forces.confidé
rables , dans le deffein d'attaquer de nouveau les
François & leurs Alliés. M. Dupleix , s'étant dé
terminé à le prévenir , donna ordre aux troupes
Françoifes qui étoient dans Gingy , de fe mettre en
marche. En conféquence , elles s'avance rent vess.
OCTOBRE. 1751. 199
les ennemis , les deux Armées camperent à quatre
heues l'une de l'autre. Une riviere qu'en cet endroit
onne pouvoit paffer à gué , les féparoit, Pendant
quelque tems , la mauvaife faifon & la difficulté
des fubfiftances empêcherent de rien entreprendre.
Lorfque le beau tems fut revenu , on réfolut
de haſarder le combat , malgré la fupériorité
du nombre des troupes de Nazerfingue . Après une
marche également longue & pénible , les François
trouverent un endroit propte pour traverser la
riviere , & le 15 Décembre à quatre heures du
matin ils arriverent à la vue du Camp ennemi. M.
de la Touche , dans fon ordre de bataille , donna
le commandement du centre à M. de Villeon ,
celui de l'afle droite à M. de Buffy , celui de la
gauche à M. de Kerjean. L'artillerie étoit commandée
par Meffieurs, Gallard , Sabadin & Pif
ciny. Toutes les difpofitions étant faites pour l'attaque
, on chargea les ennemis. Le combat dura
quatre heures , & les troupes de Nazerfingue furent
enfoncées de toutes parts. Dans le tems qu'on
les pourfuivoit , on apprit que Nazerfingue venoit
d'être tué , & que Monzaferfingue fon neveu
qu'il retenoit depuis long tems prifonnier , & à
qui le Royaume de Golconde appartenoit , avoit
recouvré la liberté. Les troupes de Nazerfingue',
aufi- tôt quecette nouvelle fut répandue, ayant reconnu
fon neveu pour leur Souverain légitime , ce
Prince
envoya en diligence un Officier , pour annoncer
le changement de fa fortune à M. de la
Touche , & alors le feu ceffa . La gloire de cette
journée eft due principalement aux troupes Fran
Coifes , & la Victoire remportée en cette occafion
leur fait d'autant plus d'honneur , qu'il n'y avoit
aucune proportion entre les forces des deux Parties.
Selon la Relation de M. Dupleix , Nazerfin
gue avoit 40000 hommes d'Infanterie , quarante
I iiij
200 MERCURE DE FRANCE.
&
cinq mille de Cavalerie , fept cens Eléphans ,
trois cens. foixante piéces de canon , tandis que
notre armée étoit compofée feulement de huit cens
François , de trois mil e cinq cens Sypayes , & cinq
cens hommes de Cavalerie . Toute notre Artilleric
ne confiftoit qu'en vingt piéces de campagne. M.
Dupleix fait de grands éloges de la prudence &
de l'habileté que M. de la Touche a montrées dans
le commandement qui lui avoit été confié. Il loue
auffi beaucoup M. de Villeon , de Buffy & de
Kerjean. Les autres Officiers qu'il marque s'être
le plus diftingués , font M. Lau , Major de l'Ar
mée M. de Caix qui en étoit Aide Major
Meffieurs Puymorin & du Grez , Capitaines de
Grenadiers ; Meffieurs de Saint - Ceorges & de
Ligny , qui commandoient les Volontaires .; Melfieurs
Kane , Aymard , Vanfandek , le Normandi, "
Figeac , Aubert & Very: Ce dernier a été blellé
d'un coup de feu à la tête .
ذ
Le 26 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix-huit cens quatre- vingt dix - fept livres
dix fols. Le Billets de la Premiere Loterie Royale
à fix cens quatre- vingt quatre , & ceux de la Seconde
à fix cens trente fept .
Le 27 du mois d'Août dernier , le Roi revint à
Verſailles du Château de Bellevûe .
Le 28 pendant la Mefle du Roi , les Evêques
de Lombez & de Belley prêterent ferment de fidélité
entre les mains de Sa Majesté . L'Evêque de
Tarbes le prêta le 30.
Lears Majeftés , accompagnées de Monfei
gneur le Dauphin & de Meldames de France ;
affifterent le 19 aux Vêpres & au Salut dans la
Chapelle du Château.
Le 30 , le Chevalier Morofini , Ambaffadeur
Ordinaire de la République de Venife , eut fon
Audience publique de congé du Roi , étant ac
OCTOBRE. 1751.
201
>
compagné par le Prince Camille , & conduit par
le Chevalier de Sainctor , Introducteur des Ambaffadeurs
, qui étoient allés le prendre , en fon
Hôtel à Paris , dans les Carolles de leurs Majeltés.
Il trouva à fon arrivée , dans l'avant Courdu Château
, les Compagnies des Gardes Françoiles &
Suiffes fous les armes , les Tambours appellant
dans la Cour , les Gardes de la porte , & ceux de
la Prevôté de l'Hôtel , auffi fous les armes , à leurs
poftes ordinaires , & fur l'efcalier les Cent-Suiffes
en habits de cérémonie , la hallebarde à la main.
Le Duc de Villeroy , Capitaine des Gardes , le
reçut à la porte en dedans de la Salle où les Gardes
du Corps étoient en haye fous les armes . Après
l'Audience du Roi , l'Ambafladeur fut conduit à
celles de la Reine , de Monfeigneur le Dauphin , &
de Madame la Dauphine , par le Prince Camille &
par le Chevalier de Sainctot . Il eut enfuite Audiance
de Madame , de Meldames Henriette & Adélaide
, & de Mefdames Victoire , Sophie & Louife
, & après avoir été traité par les Officiers du
Roi , il fut reconduit à Paris dans les Caroffes de
leurs Majeftés, avec les cérémonies accoutumées.
Le Roi partit le même jour à trois heures aprèsmidi
pour le Château de Choily. Monfeigneur le
Dauphin y fur le premier Septembre joindre
Sa Majefté , & Mefdames de France s'y font
rendues le lendemain.
Le 31 , la Reine dîna à Lucienne chez la Comteffe
de Toulouſe.
Madame la Dauphine , approchant du terme
de fa groffeffe , fur faignée le 27 par précaution.
Le Comte de Saint - Germain , Lieutenant Général
des Armées du Roi , a été nommé Commandeur
de l'Ordre Royal & Mitaire de Saint
Louis,
202 MERCURE
DE FRANCE.
Le premier Septembre , on célébra dans l'Eglife
de l'Abbaye Royale de Saint Denis avec les céré--
monies accoutumées le fervice folemnel , qui s'y
fait tous les ans pour le repos de l'ame du feu Roi
Louis XIV. L'Evêque de Bethleem y officia pontificalement
, & le Duc de Penthievre y affifta ,
-ainfi que plufieurs Seigneurs de la Cour, L'Evêque de Tarbes fut facré le 29 du mois .
d'Août dans la Chapelle du Palais Archiepifcopal
par l'Archevêque de Paris , affifté des Evêques de
Nevers & de Bellay.
La vente des marchandises,déposéesa &tuellement .
au Port de l'Orient dans les Magafins de la Compagnies
des Indes , commencera le 18.du mois prochain
. Dans cette vente fera compris le chargement
du Vailleau le Puyzieulx , qui doit arrivet in
ceffamment de la Chine . La Compagnie attend
aufli les Vaiffeaux le Bristol , PArgate & la Paix ,
venans le premier de Bengale , le fecond de Pondichery
& le troifiéme de Mahé , Sices Bâtimens
artivent-affez tôt , la Compagnie, en expofera les.
marchandifes dans la même vente indiquée cideffus
.
A
Le- 2 , les Actions de la Compagnies des Indes .
-étoient à dix - huit cens foixante & douze livres.
Les Billets de la Premiere Loterie , Royale n'ont
point eu de prix fixe ; ceux de la Seconde étoient
à fix cens trente-trois.
Le 4 Septembre dernier , le Roi-revint de Choify
avec Mefdames de France . Monseigneur le
Dauphin en étoit revenu le 2 .
Leurs Majeftés , accompagnées de Monfei
gneur le Dauphin & de Meldames affifterent le ,s
& le & aux Végres & au Salut dans la Chapelle du
Château
Ees , la Reine communia paz les mains de-
Abbé de Montazet , fon Aumônier en quartier
J
OCTOBRE .
1751 203
& Madame la Dauphine par celles de l'Evêque de
Bayeux , fon premier Aumônier.
Le Roi alla le 7 tirer dans la Plaine de Nanterre .
Madame Adelaïde , & Meſdames Victoire , Sophie
& Louife , chafferent le Daim .
Le Roi fut à Trianon le 8 .
Le 6 & le7 , Madame Henriette a pris lės caux
de Vichy.
L'Académie Royale des Infcriptions & Belles--
Lettres , ayant à fa tête M. de Sainte- Palaye
Directeur , prefenta le 8 de ce mois au Roi , à la
Reise & à Monfeigneur le Dauphin , le feizieme
& le dix feptiéme tomes de fes Mémoires . Ces
deux Volumes contiennent les années 1741 , 1744,
& 1743 , & ils ont été redigés par M. de Foncemagne,
Académicien de cette Compagnie , & l'un des
Quarante de l'Académie Françoife. M. de Foncemagne
a bien voulu fe charger de ce foin , pour
foulager M. de Bougainville , qui a trouvé l'impreffion
des Mémoires de l'Académie des Belles ---
Lettres extrêmement en retard , lorſqu'il a été
nommé Secretaire de cette Compagnie.
Le 9 , les Actions. de la Compagnie des Indes
étoient à dix - huit cens quatre - vingt livres ; les
Billets de la Premiere Loterie Royale à fix cens
quatre- vinge ceux . de la Seconde à fix cens trente
quatre..
La nuit du 12 au 13 de ce mois , vers une heure
& demie du matin , Madame la Dauphinefentit
quelques douleurs , & cinq ou fix minutes aprèselle
accouch. heureufement d'un Prince. Dans
toutes es occafions ', le Roieft fûr de voir les Sujets
partager fa joye ou fes chagrins. Il eft facile de
juger quelle impreflion un événement , qui étoit :
fifort défiré des François , moins encore pour leur
propre intérêt que pour la fatisfaction de leurs Ma ..
jeftés & de Monfeigneur le Dauphin , a produite
Ivj
204 MERCURE DE FRANCE.
fur un peuple , accoutumé à n'être véritablement
heureux, que par le bonheur de fon Monarque,
Auffi tot que le Roi fut averti que Madame
la Dauphine étoit dans les douleurs , Sa Majefté
vint de Trianon , où elle étoit retournée le 12 au
foir. Le Roi , en arrivant , fe rendit chez Madame
la Dauphine , & Sa Majefté chargea le Chevalier
de Sommery , Maréchal de Camp , & Enfeigne
d'une des Compagnies des Gardes du Corps , de
porter à l'Hôtel de Ville de Paris la nouvelle de la
naillance du Duc de Bourgogne.
A cinq heures du matin leurs Majeftés , accom
pagnées de Monfeigneur le Dauphin & de Meldames
de France , entendirent dars la Chapelle du
Château la Meffe , pendant laquelle M. de Blamont
; Chevalier de l'Ordre de Saint Michel ,
& Sur Intendant de la Mufique de la Chambre
du Roi fit exécuter le Te Deum de fa compofition.
Le foir , au fouper du Roi, il y eut une grande
fymphonie , avec Trompettes & Timballes , de
la compofition du même Auteur.
On tira le même jour un feu d'artifice dans la
Place d'Armes entre le Château & les Ecuries.
Le 11 le Pere Raynald -Marie de Saint Jofeph ,
Général des Carmes Déchauffés , accompagnéde
plufieurs Religieux de fon Ordre , eut audience dat
Roi , & enfuite de la Reine , de Monfeigneur le
Dauphin , de Madame la Dauphine , de Madame
, de Meſdames Henriette & Adélaïde , & de
Mefdames Victoire , Sophie & Louiſe . Il fut conduit
à ces Audiences parle Chevalier de Sainctor ,
Introducteur des Ambaffadeurs , qui étoit allé le
prendre dans les Caroffes de leurs Majeftés , &
après avoir été traité par les Officiers du Roi , il fut
reconduit à Paris au Convent des Carmes Déchauf
fés , dans les mêmes Caroffes , par le même Introducteur.
OCTOBRE . 1751. 205
Le Lord Marshall , que le Roi de Pruffe anom
mé fon Miniftre Plénipotentiaire , pour téfider auprès
de Sa Majefté , eut le 14 une Audience particuliere
du Roi , dans laquelle il préfenta à fa Maajefté
la Lettre de Créance . Il fut conduit à cette
Audiance , ainfi qu'à celles de la Reine & de Monfeigneur
le Dauphin , par le Chevalier de Sainctor,
Introducteur des Ambaffadeurs.
D Pendant long- tems le Marquis de Payzieu !t
par foumiffion aux volontés du Roi , a lutte contre
de fréquentes indifpofitions , pour continuer de
remplir les fonctions importantes , commiſes à les
foins. La foibleffe de fa fanté ne lui permettant
plus de vaquer au travail affidu dont elles impofent
la néceffité , il a réitéré la demande qu'il avoit déja
faite plufieurs fois de pouvoir fe démettre . Le Rot.
nes'eft rendu qu'avec peine aux inftances du Marquis
de Puyzieulx , & Sa Majefé , déterminée à
nepas fe priver
d'un
Miniftre
, qui
l'a
fervie
toujours
avec
autant
de
fuccès
que
de zéle
& de défintereffement
, lui
a ordonné
de
ne
point
ceffer
d'affifter
au
Confeil
, Comme
le
logement
, que
ce
Marquis
occupe
, eft
affecté
aux
Secretaires
d'E
tat chargés
du Département
qui
lui
étoit
confié
Sa Majefté
, pour
l'avoir
près
de fa Perfonne
, lui
a donné
l'appartement
vacant
dans
le Château
par
Ja retraite
du Cardinal
de Tencin
.
D
M. de Saint-Conteſt , Ambaffadeur du Roi auprès
de la République des Provinces - Unies , a été
nommé par Sa Majefté , pour remplacer le Marquis
de Puyziculx dans le Miniere des affaires
étrangers , & le 12 au matin il a prêté ferment de
fidelité entre les mains du Roito
Le Chevalier de Sommery étant arrivé de la part
du Roi le 13 de ce mots à trois heures du matin ,
pour informer le Corps de Ville de la naiffance du
Duc de Bourgogne , cette naiffance fut annoncée
206 MERCURE DE FRANCE.
fur le champ au peuple par plufieurs falves des canons
de la Ville & de la Baftille , ainfi que par le
tocfin de a cloche de l'Hôtel de Ville & par la
cloche du Palais .
Il y eut le foir , & les trois jours fuivans , des
illuminations dans toutes les rues , & les tranfports
de joye , que les habitans de cette Capitale ont
fait éclatter , ont été proportionnés à la vivacité de
leur refpectueux attachement pour leurs Majeftés
& pour la Famille Royale . Le Corps de Ville fe
difpofoit à fignaler le fren par des Fêtes , dignes de
l'évenement qui y donnoit occafion . Le Roi a défr
ré que cet heureux évenement fût célébré d'une
maniere beaucoup plus noble , & plus felon le
coeur d'un grand Monarque. Il a été envoyé des
ordres de fa Majesté à Paris & à toutes les autres
Villes du Royaume , pour qu'on y employât , à
dotter de pauvres filles , les fonimes deftinées aux
réjouiffances publiques.
Le Roi a accordé au Comte de Clermont , Prin
ce du Sang , le Gouvernement de Champagne &
de Brie , & le Prince de Soubize , en donnant fa
démiffion de ce : Gouvernement , a obtenu cel
de Flandre , vacant par la mort.du Duc de Bouf
fiers.
Le Vaiffeau le Bristol , qui revient de Bengale ,
arriva le 30 du mois dernier au Port de l'Orient
Le lendemain , le Vaifleaula Paix , appartenant
auffi à la Compagnie des Indes , & qu'elle atten
doit de Mahé , entra dans le même Port. La Coinpagnie
des Indes , dans la vente indiquée pour
18 du mois prochain , joindra aux autres marchandifes
, dont elle a donné l'état , celles apportées par
ces deux Bâtimens.
Cette Compagnie a fait faire de nouveaux-billets .
d'emprunt de cinq cens livres , pour les échanger
contre ceux, qu'elles a diftribuées au . Public en..
1 175T. 207. OCTO BRE ..
conféquence d'une Délibération du 23 Juin 1745-
Les nouveaux billets feront délivrés dans l'Hôtel
de la Compagnie à commencer du premier du
mois d'Octobre , aux Porteurs qui remettront les .
billets anciens , & l'on rendza numero pour numera
La diftribution qui fe fera pendant led mois,
fera depuis le N° . 1 , jufqu'au N ° , 10000. Dans le
cours du mois fuivanton délivrera les Billers dattés -
du mois de Noven:bre , & les arrangemeus feront
pris de forte que la totalité des nouveaux billets
foit diftribuée à la fin de Mars 1752. Chacun dė
ces billets aura en tête fix coupons , pour continuation
de la , rente au denier vingt jufqu'au rem-
Bourlement qui doit être fait pendant l'année 1752 .
& les cinq années foivantes Cette rente eft exemte.
du vingtieme , ainfi qu'il eft porté par la Délibération
du 8 Août 1750.
eur
Les dece mois , l'Abbé Lambert , Auteur d'une
Hiftoire Litteraire du Regne de Lous XIV
Phonneur de préfenter cet ouvrage au Roi . Cet
Abbé préfenta le lendemain le même ouvrage à tê
Reine & à la Famille Royale.
Le 16 , les Actions de la Compagnie des Indes ,
les billets de la Premiere Loterie Royale , ni ceur
de la feconde , n'ont point eu de prixfixe .
M.. l'Abbé de Clugny ,, cy devant Comte de
Brionde & fils de Charles Marquis de Clugny , &
de Marie de Choifeul , vient d'être nommé par
Meffieurs les Comtes de Lyon , à la Comté vacanids
par la mort de M. de Rouffillon ,
208 MERCUREDE FRANCE.
RELATION de l'Entrée de Campagne
de Son Excellence M. le Duc de Nivernois
, Ambaffadeur Extraordinaire de
France , auprès du Saint Siege Apoftolique
, faite à Rome le 4 Juillet 1751 .
Deux Couriers , en vefte verte de gros de Naples
, en forme de bavaroife , galonnée en argent
fur toutes les tailles , avec tout le refte de l'affortiment
fort riche.
Deux Suiffes avec la Livrée , qu'on appelle de
campagne , vefte & baudrier galonnés en argent.
Dix Coureurs en vefte de drap écarlatte , ga.
lonnée en argent fur toutes les tailles , & en Brandebourg
avec des iches juppons de foye , vefte à
frange & glands d'argent.
Trente Valets -de - pied avec la Livrée , précédés
de deux Décans , en habit de drap écarlatte galonné
d'argent.
Deux Trompettes , aux Livrées de M. l'Ambaf
fadeur , avec des riches galons aux manches , &
les tabliers des trompettes magnifiquement brodés
d'argent.
Dix-fept, Officiers , le Maître d'Hôtel à leur
tête en habit de drap écarlatte & vefte de foye
verte , le tout gaionné en argent .
Six chariots , repréfentant les bagages couverts
de magnifiques tapis aux armes & Livrées de Son
Excellence.
Huit Pages en habit de drap écarlatte , à paremens
de velours vert & vefte de loye verte, brodé
en argent , chaque Page ayant un Palfrenier à la
tête de fon cheval .
Un Sons Ecuyer à cheval , accompagné de
deux Palfreniers , & fuivi de plufieurs autres , marOCTOBRE.
1751, 200
chans à pied autour des Carroffes , tous en Livrée.
Le Sous- Ecuyer en habit de drap écarlatte , galonné
en argent.
1
Le Carroffe du Cardinal , Secretaire d'Etat ,
dans lequel étoit M. le Cardinal Portocarrero , en
habit de campagne , M. l'Ambaſſadeur , un Auditeur
de Rote François , deux Auditeurs de Rote
Espagnols.
Quatre attelages de M. l'Ambaffadeur , dont
deux de chevaux de Hollande noirs , & deux de
chevaux Danois pies.
Quatre attelages de M, le Cardinal Portocarrero ,
Dans ces huit Carroffes étoient le Maître de
Chambre , les Gentilshommes , le Secretaire
d'Ambaffade de Son Excellence , ceux de M. le
Cardinal Portocarrero , & tous les François de
marque qui fe trouvoient dans Rome .
Ces attelages marchoient en file , précédés du
Carroffe du corps de Son Excellence.
A la fuite étoient les attelages des trois Audi
teurs de Rote Efpagnols & François , fuivis de
neuf autres , contenant divers Seigneurs & Prélats
de Rome , affectionnés à la France & à l'Espagne .
Le rendez vous eft hors la Porte du Peuple ,
dans un Palais bâti par le Pape Jules II . & qu'on
appelle Papa Giulio , où M. l'Ambaffadeur reçut
les complimens de tous les Cardinaux , Prélats de
marque , Prices & Nobleffe Romaine qui y envoyent
à cet effet leurs Gentilshommes en Carroffes
à fix chveaux .
La marche qui eft d'environ deux milles , com
mença dudit Palais , entra par la Porte du Peuple ,
traverla tout le cours & la Place de Venife pour
fe rendre à celui de Son Excellence , où il y avoit
un fomptueux raftachiflement préparé Alors M.
le Cardinal Portocarrero quitta fon habit de voyage
, & vêtu en habit de cérémonie , accompagna
210 MERCURE DE FRANCE.
M. l'Ambaffadeur chez le Pape , auquel Son Exeellence
fit un compliment , paffa enfuite chez le
Cardinal Secretaire d'Etat , d'où il revint à fon
Palais .
Les Couriers , Suiffes , Officiers , Pages , Sous
Ecuyers, Trompettes & Valets de pied ," tousà che
val , marchoient en bon ordre , ce qui faifoit un
très bel effet .
La feconde marche du Palais de M. l'Ambaffadeur
chez le Pape , fut beaucoup plus fuccincte ;
dans les Carroffes , qui pour lors étoient tous à
deux chevaux , étoient les Gentilshommes & Pages
de Son Excellence. La Livrée à pied .
M. l'Ambaladeur de retour à fon Palais , reçut
un magnifique regalo , que Sa Sainteté lui avoit
envoyé par un de les Préla's domestiques : il étoit
compofé de trente- fix baffins , caiffes , corbeilles.
& cages, de divers comeftibies , vins étrangers ,
liqueurs , bougies , chocolat , & d'oiſeaux vivans ,
rares en leur efpéce , le tout accompagné , felon
Fétiquette , par un veau de lait vivant , capara
çonné de fleurs..
RELATION de la feconde Entrée de
Son Excellence M. le Duc de Nivernois ,
Ambaffadeur Extraordinaire de France ,
auprès du Saint Siege , appellée l'Audience
Publique du Pape , faire à Rome , le ri
Juillet 1751.
1
A marche , qui eft d'un petit mille , ou envi-
"
qu'au Palais de Montecavallo , étoit dans l'ordre
fuivant.
Un Valet-de-pied à grande Livrée , portant le
Paralot.
OCTOBRE 1701 .
La grande Livrée de M. l'Ambasadeur eft un
habit de drap écarlatte , vefte & parement du.
jufte-au- corps de drap vert , l'habit chamaré fur,
toutes les tailles de galons d'argent , entremêlé
avec les galons de livrée , la vefte richement ga
lonnée en argent , & les chapeaux en points d'Efpagne.
Une magnifique Berline , à fix chevaux pies ,
formant l'avant garde , dans laquelle étoir un
grand carreau de velours bleu , richement galonné,
avec quatre gros glands, à graine d'épinats dans les
angles.
Dix Suifes en grande Livrée galonnés en ar
gent, leurs chapeaux à points d'Espagne d'argent ,
garnis de plumets blancs , & leurs baudriers de
velours vert , chamarrés d'argent.
à
Trente Valets de pied en habits de Livrée ,
pareils aux Suiffes , buit Pages en habit, de velours
rouge à paremens verts , couverts de points d'E
pagne d'argent fur toutes les tailles , avec des
nuds d'épaules brodés , la vefte verte de foye ,
garnie de mênie , chapeaux à points d'Espagne &.
plumets blancs..
" Le Carroffe du corps de M. l'Ambaffadeur
doublé de velours cramoifi , brodé en or avec des
franges , & crépines d'or à graine d'épinars , ainfi
que le fiége du Cocher. Il étoit tiré par fix beaux,
chevaux noits richement enbarnachés , les harnois
de velours cramoify , galonnés . en or , & garnis
de bronzes magnifiquement dorés. Les deux
Decans , en habit de cérémonie , marchoient aux
portieres.
Un Ecuyer en habit de cérémonie , monté fur
un beau cheval blanc , fuperbement caparaçonné
en velours cramoily brodé d'or , ayant autour de
lui quatre Coureurs en vefte de drap écarlatte
galonnée en argent fur toutes les tailles , avec des
1
1
212 MERCURE DE FRANCE.
1
écharpes de foye verte , couvertes de galons &
garnies de franges & glands d'argent , & à côté
de la bride un Palfrenier en grande Livrée.
Le fecond Carroffe , doublé de velours bleu ,
brodé d'or , comme le premier , tiré par fix chevaux
noirs , les harnois en velours bleu , garnis de
même que ceux du premier Carroffe .
Le troifiéme Carrolle en velours cramoily & or,
tiré par fix chevaux pies , les harnois en velours
Cramoify galonnés d'or.
Les impériales de ces Carroffes étoient couvertes
de velours pareil au - dedans , garnis de fculptu
res dorées , de goûts & de defleins fort galans.
A la fuite étoient dix autres Carrofles de céré
monie , dont cinq in fiochetto.
Depuis le commencement du cortége , jufqu'à
la fin , étoient de diftance en diſtance , felon le befoin
, les Palfreniers & autres gens des écuries,
tous en grande Livrée , au nombre de foixante- fix.
Le Carroffe de M. l'Ambaffadeur , ainfi que
les autres attelages de la fuite , étoient remplies
d'Archevêques , Evêques & Prélats; après eux
étoient le Maître de Chambre , en habit de céré
monie , le Secretaire d'Ambaffade , ainfi que tous
les François de marque qui fe trouvoient dans
Rome , enfuite venoient les cinq Gentilshommes
de Son Excellence , également en habits de céré
monie , les places reftantes dans les carroffes de
fuite , étoient remplies indiftinctement par des
François , ou autres perfonnes affectionnées à la
France ; dans le dernier étoient fix Officiers de
M. l'Ambaffadeur avec leurs uniformes ..
Son Excellence avant de partir reçut les complimens
des Cardinaux , Prélats , Princes & Nobleffe
Romaine , qui lui avoient envoyé leuts Gentilshommes
à cet effet. On fervit un ráfrachiffe
ment fplendide à plus de cinq cens perfonnes qui
fe trouverent au Palais de France .
OCTOBRE.
1751 .
213
A l'ifue de l'Audience du Pape , M. l'Ambaffadeur
paffa chez le Cardinal Secretaire d'Etat ,
d'où un quart d'heure après il fe remit en marche ,
dans le mêmeordre qu'il étoit venu pour retourner
à fon Palais .
Son Excellence étoit en habit & en manteau de
drap d'or , fond bleu foncé , l'habit brodé en or ,
le manteau doublé d'un glacé d'or à fond d'or ,
& rebrodé d'or , portant un chapeau rehauffé de
plumes blanches , auquel il y avoit pour bouton
un fort gros rubis entouré de diamans , avec la
gance auffi de diamans . M.
l'Ambaſſadeur avoit
fur l'habit le Cordon de l'Ordre du Saint Efprit ,
auquel pendoit une riche Croix de diamans.
Le Lundi 12 , Son Excellence alla à Saint Pier
re , dans le même ordre & avec la même pompe
que la veille , & de- là fe rendit chez le Cardinal
Doyen. I continuera ainfi fes vifites à tout le
Sacré
Collège ,
en commençant par les Cardinaux,
Miniftres &
Majordome , enfuite aux autres , fans
diftinction
derang , & felon la
commoditépour en
fairedeuxou trois
dans un même jour.
洗濯:洗謠派
::
MARIAGE ET
MORT S.
E 22 Juin , M. Pajot de Marcheval , Maître
Ldes3
Grand Confeil , & fils de M. Pajot ,
Receveur
Général des Finances de la
Généralité
d'Alençon ,
époufa la fille de M. Moreau de Saint Juft , Čon .
feiller au
Parlement
.
Le même jour , mourut à Charleville Dame
Marie-Anne
dAverthont
> veuve d'Antoine de
Bobant ,
Maréchal
des
Camps
&
armées
du
Roi
,
Gouverneur
de
Longwi
,
214 MERCURE DE FRANCE.
Sei-
Gui - Augufte de Pardaillan , Marquis de Bonas-
Gondrin , Lieutenant Général des armées du Roi ,
Commandeur de l'Ordre Royal & Militaire de
Saint Louis , eft décedé fur la fin du mois de Juin
dans fes Terres en Gascogne . 11 étoit iffu dune
branche cadette des Ducs d'Antin , Son père
gneur de Bonas , au Diocéfe d'Auch , avoit épousé
la fille d'Antoine de Cous , Seigneur de Cous &
du Trancher , neveu d'Antoine de Cous , Evêque
de Condon , & mari de Claire- Catherine de Montlezun
, fille de Charles de Montlezun , Seigneur
de Monteaflin , & de Marguerite de Foix Candale
, Dame de Tournecoupe . Voyez la Genéa
logie de Pardaillan , dans les Grands Officiers ,
tome cinquième , p . 172 .
Le 6 Juillet au foir , Jean de Selve , Chevalier
Seigneur de Cerny , haut Chaftelain de Villiers ,
Seigneur de Tanqueux , de Boifly , & Cuti-Chaudevaux
, du Fief du Peage de la Ferté- Aleps , &c.
mourut daus fon Chateau de Villiers , Province
de Hurepoix , dans la foixante troifiéme année de
fon âge , il étoit fils aîné de Jean - Baptifte de
Selve , Seigneur des mêmes lieux , & de Dame
Marie- Theréfe Moret , fon époufe.
Cette famille eft d'une nobleffe très- ancienne ,
& a fourni plufieurs, hommes illuftres en differens
états , entr'autres Jean de Selve , Premier Préfident
au Parlement de Paris , qui fut chargé en 1514
d'aller à Madrid traiter de la rançon du Roi Fran
çois I. qui l'honoroit de fa confiance , plufieurs
Ambaffadeurs en Eſpagne , à Londres , trois Confeillers
d'Etat , deux Evêques , Georges & Jean-
Paul de Selve , qui ont rempli dignement les Siéges
Epifcopaux de Lavaur & de Saint Flour , plu
fieurs Chevaliers de Malte , & Officiers dans les
Troupes du Roi , Jean de Selve , qui donne lieu à
cet article , Chef du nom & armes , avoit époulé
OCTOBRE . 1751. 115
en 1723 , Damoiselle Marie- Elifabeth le Petit ,

dont il laiffe pour fille unique Charlotte- Elifabeth
de Selve , mariée au mois d'Avril dernier , comme
on l'a annoncé dans le Mercure de Mai de
cette année avec fon coufin iffu de germain
Jean , Comte de Selve , Chevalier Seigneur d'Audeville
, en Beauce , en partie , Capitaine de Cavalerie
au Régiment d'Harcourt , Chevalier de Saint
Louis ;
fils de Pierre , Comte de Selve, mort Maréchal
de Camp des armées du Roi, Gouverneurde $ .
Venant ; & de Dame Françoife- Eléonore Arnaud
de Rety. Cette double alliance réunit les deux
branches de cette Maifon , & y conferve la Terre
de Cerny , dont ils font Seigneurs depuis 1528
fes armes font d'azur à deux faces , ondées d'argent.
Voyez Blanchard , Eloges des premiers Préfidens.
P. 61 , Mémoires genéalogiques , Mémoire
d'Etat ,par Rebiez , Bayle , Moreri.
APPROBATION.
Aid , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le Mercure de France du préfent mois. A
Paris ,le premier Octobre 1751 .
LAVIROTTE.
TABLE .
PIECES FUGITIVES en Vers & en Profe .
Epitre à M de Vaumale , Commiffaire des
guerres. Par M. Clément Chanoine de Saint
Louisdu Louvre ,
Réfutation du Difcours qui a remporté le Prix de
l'Académie de Dijon en l'année 1710 ,
3
Le triomphe de Thémire , Cantate , fur la petite
vérole de Mile *** Par L. Dutems de Tours, 41
45
Sained & Garaldi , Nouvelle Orientale, Par fen"
M. de la Motte.
Les honneurs accordés au mérité militaire par Louis
XIV . & augmentés par Louis XV . Poëme , 65
Séance publique de l'Académie Françoife le jour
de Saint Louis 25 Août ,
Difcours qui a remporté le Prix d'Eloquence, propofé
par l'Académie Françoife, en l'année 1751 .
69
Par M. Soret , Avocat au Parlement , ༡༠
Piéces de Poëfie qui ont remporté les prix de l'Académie
Françoiſe én l'année 1751 , par M. le
Chevalier Laurés. Les honneurs accordés au mé
rite militaire par Louis XIV , augmentés par
Louis XV .
La Paffion du jeu , Ode ,
Réflexions diverfes , par M. de Marivaux ,
Epitre à M. de Fontenelle ,
86
90
96
106
Plaidoyers prononcés au Collège de Louis le
Graud , le 19 Août 1751 , IC8
Mots des Enigmes & des Logogriphes du Mercure
de Septembre ,
Enigmes & Logogriphes ,
Nouvelles Litteraires , & c.
118
119
123
158
Beaux- Arts. Expofition des Ouvrages de l'Acadé
nie Royale de Peinture , faite dans une des Sales
du Louvre , le 25 Août 1751 ,
Vaudeville fur la Naiflance de Monfeigneur le
Duc de Bourgogne. Par M. Meſlé ,
Spectacles ,
Concert Spirituel
Concerts à la Cour ,
173
175
176
ibid.
Lettre fur les fêtes que vient de donner M. le Duc
de Bouillon à Navarre , à Mad. la Ducheffe de
Bejar, foeur de Mad. la Princeffe de Turenne,179
Nouvelles Etrangeres , & c. 186
France , Nouvelles de la Cour , de Paris , & c . 193
Morts ,
La Chanfon notée doit regarder la page
214
173
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ
AU
ROI.
1
NOVEMBRE .
1751 .
IGIT
UT
SPARG
Chez
A
PARIS ,
La Veuve
CAILLEAU , rue Saint
Jacques , à S. André.
La Veuve
PISSOT, Quai de Conty ,
à la defcente du Pont- Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais,
ACQUES
BARROIS , Quai
des Auguftins , à la ville de Nevers.
M.
DCC . LI .
Avec
Approbation &
Privilege du Roi.
A VIS.
L
'ADRESSE du Mercure eft à M. MERIEN
Commis au Mercure , rue de l'Echelle Saint Honoré
, à l'Hôtel de la Roche-fur -Yon , pour remettre à
M. l'Abbé Raynal.
Nous prions très- inftamment ceux qui nous adrefferont
des Paquets par la Pofte , d'en afranchir le port ,
pour nous épargner le déplaifir de les rebuter , & à eux
celui de ne pas voir paroître leurs Ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays Etrangers ,
qui fouhaiteront avoir le Mercure de France de la premiere
main, & plus promptement , n'auront qu'à
écrire à l'adreffe ci- deſſus indiquée .
On l'envoye auffi par la Pofte , aux personnes de Province,
qui le defirent , les frais de la pofte ne font pas
confidérables. ་
On avertit auffi que ceux qui voudront qu'on leporte
chez eux à Paris chaque mois , n'ont qu'à faire fçavoir
leurs intentions , leur nom & leur demeure audit fieur
Merien , Commis au Mercure , on leur portera le Mercure
très - exactement , moyennant 21 livr´s par an , qu'ils
payeront , fçavoir , 10 liv. 10 f. en recevant lefecond
volume de Juin , & 10 l . 10 f. en recevant le fecond
volume de Décembre . On les fupplie inftamment de
donner leurs ordres pour que ces payemens foient faits
dans leurs tems.
On prie auffi les perfonnes de Province , à qui on
envoye le Mercure par la Pofte , d'être exactes à faire
payer au Bureau du Mercure à la fin de chaque fémestre
, fans cela on feroit hors d'état de foutenir les
arances confidérables qu'exige . l'impreffion de ces
ouvrage.
On adreffe la même priere aux Libraires de Province.
Les perfonnes qui voudront d'autres Mercures que
ceux du mois courant les trouveront chez la veuve
Piljot , Quai de Conti.

PRIX XX X. SOLS .
MERCURE
DE
FRANCE ,
1
DEDIE
AU
ROI.
NOVEMBRE.
1751 .
ဦး ဦး ဦး ဦး ဦး
PIECES
FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
EGLOGUE
Sur la
naiffance
de
Monfeigneur
le
Duc
de
Bourgogne
.
Par
M.
Peffelier
.
MIRTIL
,
SILVANDRE
,
ATIS
.
Mirtil
.
'Ai de loin entendu les fons de ta mufette ,
Et je fuis auffi-tôt accouru fur tes pas
De
Silvandre ou de Lifette ,
Tu t'apprêtois , fans doute , à chanter les appas
Silvandre.
Toujours tendre , topjours le même ,
A ij
4 MERCURE DE FRANCE.
Te voilà bien , Mirtil ; tu ne vois , tú n fens
Que l'amour dans tous nos accens .
Mirtil.
On voit par tout ce que
Silvandre.
l'on aime.
Je te laiffe jouir de ton bonheur fuprême ;
Mais de plus grands objets obtiennent mon encens
.
L'illuftre Enfant qui vient de naître ,
Doit faire évanouir tous les autres penchans :
Par de nobles accords , chantous ce nouveau
Maître.
Mirtil.
Je lui prépare auffi des chants :
Auprès des tiens , Silvandre , ils n'oferont paroi
tre ;
Mais , fi j'en croi mon coeur , les plus fimples
peut-être ,
Ne feront pas les moins touchans.
Silvandre.
Chacun aura foin de la gloire.
Atis vient à propos pour nommer le vainqueur
Atis .
Pour décider votre victoire ,
Je ne confulterai moi-même que mon coeur.
Silvandre.
Si , fur mes efforts , il t'éclaire ,
NOVEMBRE. 1751
3
Je regretterai peu ce qu'ils m'auront coûté.
Le vrai triomphe , c'eſt de plaire.
Mirtil.
Moi , je ferai content fi je fuis écouté.
Silvandre.
Unnouvel Aftre a lui parmi les autres Aftres ;
Et j'ai confulté fur fon cours
Le fçavoir de nos Zoroaftres :
Voici quels ont été leurs fublimes difcours....
Mirtil.
Pourjuger qu'ici-bas il fera des miracles ,
Interrogeons , fans art, l'ame de nos Bergers :
Voilà nos Devins , nos Oracles ,
Les autres nous font étrangers.
Silvandre.
Dans ce Prince , je voi le fier Dieu de la Guerre ;
Qui de nos ennemis défarme la fureur. , ..
Mirtil
Ah ! Berger , quelle eft ton erreur !
Il tient en main la paix , & non pas le tonnerre ;
D'un nouvel âge d'or il eft l'avant coureur :
Pour ranger à fes loix les peuples de la Terre ,
Il en fera l'amour , & jamais la terreur.
Silvandre.
J'envifage déja ce Héros intrépide ,
Comme un torrent impétueux ,
Entrainant dans fon cours rapide
La digue qui s'oppofe à les flots glorieux.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Mirtil.
Retenons - le dans l'esclavage
Ce Torrent , qui , par tout , porteroit le ravage
Je voi dans ce Prince naiffant
Un fleuve , qui , fur fon rivage ,
Offre de mille fleurs l'afpect ébloüiffant :
Sur les bords , le Zéphir à la brillante roſe ,
Vient payer en partant
Un tribut careffant ;
Et l'heureux Pays qu'il arrofe
Devient , grace à fes eaux , fertile & floriffant.
Silvandre.
Dans les timides foins , veux- tu languir fans ceffer
Pour t'élever rappelle - toi
Le Héros triomphant aux champs de Fontenoy!!
Son Petit- Fils , le Fils d'une augufte Princeffe ,
Et d'un Prince formé pour nous donner la loi ,
Apprendra-t'il chez nous les devoirs d'un Grand
Roi ?
Par les frivoles traits d'une image champêtre
Un Prince conquérant peut- il être féduit à
Ce font des hommes qu'il conduit ,
Et non pas des moutons , ami , qu'il méne paître,
Mirtil.
Mais aux Princes que nous chantons ,
Cette comparaiſon n'eſt pas tant étrangère ;
Le Monarque Berger fait les Sujets moutons s
Et fi nous préferons fur la fimple fougére ,
NOVEMBRE. 7.
"
1751.
A l'honneur d'être craints , le plaifir d'être bons ;
Le Sceptre auffi fe change en houlette légére ,
Entre les mains de nos Bourbons.
Silvandre.
L'illuftre Rejetton , d'une Tige fibelle ,
Etendra fur tout l'univers
Ses rameaux toujours verds ;
Et de cette branche nouvelle ,
L'ombrage couvrira mille peuples divers .
Mirtil.
Je voi croître dans la prairie
Le plus généreux des ormeaux :
Il deviendra l'appui des foibles arbriffeaux :
Je voi fur la Tige chérie
Se percher les tendres oifeaux
Et tandis que par leur ramage
Ils s'empreffent de rendre hommage
A leur aimable Souverain :
Les bergers , fous fon ombre, attirant les bergeres,
Célébrent chaque jour , par leurs danfes légeres ,
Les plaifirs , peu connus , d'un fort doux & ferain.
Silvandre .
Depuis qu'un fi beau jour a brillé fur nos têtes ,
J'écarte , avec mépris , tous les autres plaifirs :
De ce Héros naiffant les futures conquêtes ,
Occupent déja mes loisirs ;
Et celles
que l'Amour m'offriroit toutes prêtes ,
Flatteroient bien peu mes desirs.
A iiij
S MERCURE DE FRANCE.
Mirtil
Quoiqu'incertain du fort qui fera mon partage ,
Depuis cet heureux jour j'aime encor davantage :
L'allégreffe publique ajoute à mon ardeur ;
Tout s'embellit au gré de mon ame ravie ,
Et dans les yeux de ma Silvie
Je croi lire moins de rigueur.
Silvandre.
Je ne me borne point au frivole langage
Que fait parler le ſentiment :
On le peint inutilement ,
Si l'on n'en donne point un gage.
J'ai deux chevreaux charmans , l'efpoir de mon
troupeau ,
Que j'ai deux fois fauvés d'un affreux maléfice :
Pour célébrer un jour fi beau ,
Je vais en faire un facrifice.
Mirtil.
Crois-tu par-là faire ta cour ♪
Je deftinois à ma Bergere
Un fort joli moineau que je pris l'autre jour :
Qu'il ait fa liberté ; ...
que tout en ce féjour
Participe au bonheur d'une fête fi chere.
Atis.
Bergers , pour vos charmans vainqueurs ,
C'eſt affez chanter & prédire ;
Il faut fçavoir ne pas tout dire
Et laiffer quelque chofe à lire dans les coeurs.
NOVEMBRE. 1751*
Le même zéle vous anime ,
Sous des attributs differens ;
Recevez , l'un & l'autre , un fuffrage unanime
Nousne blâmons ici que les indifferens.
Jouiffez d'une égale gloire,
Sans obtenir le même prix' ;
De deux Couronnes , la Victoire
Vá payer le beau feu dont vous êtes épris
L'une , de lauriers eft formée ;
L'autre , le fut avec des fleurs :
Par l'une , des Céfars la gloire eft exprimée ;
L'autre , peint les Titus de riantes couleurs.
Que votre zéle les confonde :
Couronnez-en l'augufte Enfant :
Sur lui notre bonheur le fonde ;
Qu'il foit , comme LOUIS , aimable & trion
phant.
1040 MERCURE
DEFRANCE
.
NOUVEAUX DIALOGUES
DES MORTS.
PREMIER DIALOGUE
Sur le mérite du miftére.
OVIDE , ET LE CAMOENS.
Le Camoëns .
SLj'en croi ce que l'on dit ici de vous
& ce que j'ai par moi - même éprouvé ,
les conquêtes d'une certaine élevation ne
fient point aux gens de Lettres.
Ovide.
Il eft certain que leurs galanteries ont
quelquefois leurs dangers ; & qu'ils peu
vent par leurs talens faire naitre plus d'u
ne forte de jaloufie.
Le Camoëns.
C'eft un malheur pour les talens même ;
la Pocfie s'enrichiroit des bonnes fortunes.
des Poëtes ; on peint foiblement l'amour
que l'on ne reffent pas.
Ovide.
Ainfi , vous n'étiez pas du goût de ces
Auteurs , qui foupirent froidsment pour
des maîtreffes imaginaires ; & vous vouNOVEMBRE.
野建175 .
liez exprimer la tendreffe d'après vos propres
fentimens.
Le Camoëns.
J'en conviens ; mais ces amours véritables
, en affurant la gloirede mes vers , ont
fait le malheur de ma vie : les Grands
m'ont puni des faveurs des belles . Vous
n'avez pas , dit-on , été plus heureux que
moi ; & Rome ne vous a pas mieux traité,
que je ne l'ai été par le Portugal.
Ovide.
Mes écrits prouvent mon infortune
mais , qui vous a dit que mes galanteries
ont occafionné mon exil?
Le Camoëns.
On n'en doute pas , parmi nous, on
n'eft embarraffé que fur l'objet de vos
amours , & fur ce qui vous a fait releguer
dans l'Ifle de Thalaffie : les uns difent que
Vous avez trop plû à la fille d'Augufte ;
d'autres prétendent que vous aviez un
peu trop pénétré les affaires de l'Empereur....
Mais vous étiez fi galant , qu'il y
a plus à vous envifager comme un amant
trop heureux , que comme un Courtisan
mal- à-droit.
Ovide,
de va
On n'aura jamais là- deffus que
gues conjectures , incapables d'indiquer le
vrai ; je laiffe les. Commentateurs fpécula
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
tifs fe perdre dans leurs vains raifonnemens
, & je garde mon fecret .
Le Camoëns .
Je conçois que là haut vous pouviez
être intéreffé à n'en rien laiffer tranfpiter ;
mais ici - bas vous pouvez tout dire en fureté
& je ne vois pas l'utilité du miftére.
Ovide.
:
Vous m'étonnez , ne fçavez-vous pas
que le grand mérite de la plupart des anec
dotes confifte dans l'air miftérieux qui les
environne ? En jettant au hazard quelques
mots fur mes avantures , je donne nn
vafte champ à parcourir , & je continue
d'être dans l'Hiftoite des Poëtes , un perfonnage
d'autant plus intéreffant , que
mon rôle eft plus difficile à développer .
Je me garderai bien de m'expliquer plus.
clairement. Que de gens , que de faits ,
que de chofes , perdroient les trois quarts
de leur confidération , s'ils perdoient le
mérite de l'incertitude & de l'obfcurité !
DIALOGUE
Sur l'ufage des richelles.
BIAS ET LUQULLUS.
Bias.
Quoi ? vous ne rougiffez pas encore de
vos extravagantes prófufions..
NOVEMBRE. 1751. 13
Lucullus.
De quoi voulez - vous que je rougiffe ?
Bias.
Comment donc ? n'êtes- vous pas ce
voluptueux , ce prodigue Lucullus , qui
mettoit , pour ainfi dire , à contribution
toutes les Provinces de l'Empire Romain
pour contenter fon goût ? & qui dépeuploit
les airs , la terre , & les mers pour
fatisfaire fon luxe & fa fenfualité z
Lucullus.
Il eft vrai que ma dépenfe étoit confidérable
, mais peut - on me la reprocher ,
puiſque mes revenus étoient immenfes ?
Voudriez- vous que j'euffe imité la folic
de certain prétendu Sage de la Gréce ,
appellé Bias , que je ne connois que de
nom, & qui s'avifa , ( je ne fçais par quelle
raifon ,) de jetter.un jour toutes les richeffes
dans la mer pour s'écrier qu'il étoit
libre ?
Bias.
Ce Bias- là , c'èft moi .
Lucullus.
Je ne fçaurois me repentir d'avoir parle.
franchement , puifque c'eft ici l'Empire.
de la fincérité. Mais enfin quelle étoit
votre idée ?
La liberté.
Bias
14 MERCURE DE FRANCE.
Lucullus.
Falloit-il , pour l'acquerir , renoncer au
plaifir de faire du bien ? N'aviez -vous
point de famille à foûtenir , d'amis à ſecourir
, de talens à récompenſer ?
Bias.
Les Philofophes s'embaraffent ils de tout
cela ; Ils ne foagent qu'à fe dégager des
liens qui retiennent les profanes attachés
à la terre ?
Lucullus.
Vous me faites-là un furieux portrait de
la Philofophie !
(
Bias.
Croyez-vous qu'il eût été plus raifonnable
de conferver mes richeffes pour les.
employer à foûtenir la multitude de mes
efclaves , la magnificence de mes ameublemens
, & la délicateffe de mes repas ?
Lucullus.
Vous le deviez à l'humanité , autant
qu'à la Patrie. Le Citoyen opulent n'eft
que le Caiffier de fes compatriotes ; fes
fonds appartiennent à l'Etat , au Commerce
, à la circulation . La fageffe du riche
n'eft pas de méprifer les tréfors , mais.
d'en faire un bon uſage.
وہ
"
NOVEMBRE . 1751. 15
DIALOGUE
Sur la Pierre Philofophale & fur l'Amour
pur.
PLATON , RAYMOND-LULLE.
Platon.
Eft-il poffible , qu'avec une tête un peu
fenfée , vous vous foyez perfuadé de bonne
foi pouvoir changer les métaux en or ,
& parvenir à faire ce que l'on appelle le
grand oeuvre ?
Raymond- Eulle.
Que trouvez-vous de fi fingulier dans
mon projet ? L'extraordinaire feroit qu'il
eût effectivement réuffi.
Platon .
- Mais il me femble qu'avec un peu de
Philofophie & de bon fens , vous vous
feriez épargné bien de la peine & la
dépenfe énorme d'un travail fi
chi,
Raymond Lulle.
peu réflé
Le bon fens m'auroit dit cela , fi je l'euf
fe confervé ; mais la Philofophie me l'avoit
fait perdre .
Flaton .
Quel blafphême !
Raymond- Lulle.
Dites plutôt , quelle fincérité ! nos pro
16 MERCURE DE FRANCE.
pres idées nous enyvrent nous autres Philo
fophes ; & l'yvreffe de quelqu'efpece qu'elle
foit , mene plus loin qu'on ne veut.
On fe laiffe féduire par le fuccès de quelques
vaines fpéculations , & de quelques
opérations hazardées. Qu'arrive-t'il ? La
tête tourne , on s'égare , on veut toujours
marcher , & l'on finit par Le précipiter
dans les efpaces imaginaires. Mais je m'amuſe
à faire mon apologie , tandis que
je ferois en droit de vous demander la
vôtre.
Platon.
Je ne vois pas trop quelle peut être entre
nous la comparaiſon ?
Raymond- Lulle.
N'avez-vous pas voulu perfuader la pof
fibilité de l'Amour vif & pur , tendre &
dégagé des fens ?
Eh ! bien .
Platon.
Raymond-Lulle.
Eh! bien ; cet amour n'eft-il pas , foit
dit entre nous , la Pierre Philofophale de
la morale & de la métaphifique ? Qu'en
penfez vous ?
Platon.
Je ne veux pas être moins fincere que
vous ; cet amour , auquel mon nom eſt
zefté , en faveur de l'invention , ne me
NOVEMBRE 1751. 17
paroit plus actuellement qu'une belle &
fublime réverie qui ne fait honneur qu'à
mon imagination ; & c'eft une chofe affez
bizare que le changement qui s'eft fait en
moi : avec un corps , je foutenois l'amour
pur , & dégagé des fens ; délivré de la matiere
, cet amour pur ne me paroît plus
qu'une chimere contraire à toute vraifemblance
.
Raymond-Lulle.
C'eft que vous ne tenez plus affez à l'humanité
,pour que vous ayez interêt de faire
croire les hommes mieux qu'ils ne font..
Votre amour- propre étoit ce qui vous faifoit
le plus illufion .
Platon.
Il eft vrai qu'il entroit pour beaucoup
dans mon fyftême . J'etois enchanté de
l'idée noble & délicate que j'avois conçuë ;
les Etres céleftes font purement fpirituels ,
& vous fentez bien qu'en fpiritualifant la
plus féduifante des paffions , & la plus fenfuelle
, je me rapprochois en apparence de
de la divinité ; quel triomphe pour mon
orgueil ! & furtout pour celui d'un Philos
fophe ! car ils en ont tous.
Raymond- Lulle.
Ajoutez que les plus délicats font les.
plus orgueilleux , quoiqu'ils ayent le talent
de mieux cacher leur vanité. En géné
18 MERCURE DE FRANCE.
ral les hommes fe laiffent trop entraîner
par la progreffion de leurs idées : Oa conçoit
quelque chofe de fingulier , on s'y livre
, on l'approfondit, on s'en pénétre, on
veut le perfuader aux autres , & l'on s'égare
avec eux. Une petite paillette d'or fait
imaginer une mine entieres on entreprend
des travaux immenfes , on fouille la terre ,
elle s'écroule , on eft englouti , & le tréfor
eft encore à trouver. Les hommes font des
recherches , parce qu'ils font bornés , &
jufques - là , nous n'avons rien à leur dire ;
mais la moindre découverte les enyvre ,
parce qu'ils font vains ; & voilà ce qui
les perd .
Platon.
Je crains fort qu'ils ne demeurent toujours
le mêmes. Leurs facultez font bornées
, mais leurs défirs ne le font pas. J'aurois
feulement à leur dire qu'ils devroient
travailler à devenir honnêtes gens , avant
de vouloir être des Dieux.
Raymond- Lulle.
Ils ne feront jamais fi modeftes ; les hommes
, en un mot ; & ceux même qui fe piquent
le plus d'être raisonnables , ou , G
vous le voulez , bons raifonneurs , font
prefque tous comme Alexandre le Grand ;
ce Héros défiroit un nouveau monde à
conquérir au delà de celui qu'il avoit conNOVEMBRE.
19 175F.
quis ; nous voulons trouver des vérités au
delà du vrai .
DIALOGUE
Sur la Diffimulation.
TIBERE , STRATONICE.
Tibere.
Je ne devine pas pourquoi l'on m'a fait
un fi grand crime d'avoir diffimulé mes
fentimens la diffimulation tient fi fort à
la prudence , qu'elle doit être plutôt envifagée
comme une vertu que comme un
vice .
;
Stratonice,
Ne confondons rien s'il vous plait ; c'eft
une vertu , quand elle cache une vérité
qui doit refter voilée ; c'eft un vice, quand
elle tend à faire croire des vérités qui n'exiftent
pas ; & voilà quel étoit notre objet.
Tibere.
Etoit-il poffible que je fiffe autrement ?
Environné de Courtifans qui fe défioient
de moi ; & de flatteurs dont je me défiois ,
de fujets qui me redoutoient , & que
je craignois à mon tour ; d'Amis toujours
prêts à me trahir , & d'ennemis fauffement
réconciliez ; en butte en un mot à tout ce
qui peut allarmer un ryran qui fait trem20
MERCURE DE FRANCE.
perbler
tout le monde ; ma confervation de
venoit pour moi l'objet d'une étude
pétuelle , dont l'artifice dévoit néceffairement
être le premier fond ; & vous conviendrez
avec moi , qu'un travail de cette
cfpéce n'eſt pas fait pour toutes les têtes.
Stratonice.
Ni pour tous les coeurs ; je n'entrepren
drai pas néanmoins de faire le procès au
vôtre ; cela me meneroit beaucoup trop,
loin , mais ce que je ne puis fouffrir plus
long- tems , c'eft que vous prétendiez vous
faire un mérite fi confidérable de votre talent
pour la diffimulation ; quel éloge
exigeriez- vous donc , fi vous cuffiez rempli
ma place ?
Tibere.
Je ne fuis point affez inftruit de ce qui
vous regarde , pour fçavoir fi je dois m'aplaudir
de la comparaifon.
1 1
Stratonice.
Vous ne pouvez qu'y gagner , puifque
j'érois une des plus belles femmes de mon
frécle ; ce qui vaut bien , je penſe , le
role d'un Empereur. Mais ce n'eft point ce
dont il eft queftion maintenant. Seleucus
Roi de Syrie m'avoit époufée ; c'étoit un
vieillard refpectable , mais c'étoit un vieillard
. Son fils Antiochus prit pour moi la
paffion la plus vive & la cacha par refpect
NOVEMBRE.
1751. 21
pourfonpere & pour moi . Ma ficuation n'étoit
guere moins embaraffante . Je rendois
en fecret autant de juſtice au merite du jeune
Prince, qu'il étoit épris de mes charmes ;
cependant je fçus en dérober la connoiffance
à toute la Cour ; jugez des efforts
qu'il falloit me faire
continuellement pour
cacher mon amour aux yeux mème de celui
qui l'avoit fait naître ?
Tibere .
Croyez-vous qu'il m'en coutoit moins
pour diffimuler ma haine ?
Stratonice,
Beaucoup moins fans contredit , puifque
les hommes fe perfuadent bien plutôt qu'ils
font aimés , qu'ils n'imaginent pouvoir
être détestés. Vous étiez d'ailleurs le maître
de changer la face des chofes , & je n'étois
pas la maîtreffe de remédier à ma fituation
. Un
Gouvernement plus doux vous
cût réconcilié avec tous les cours , plus
de franchiſe n'auroit ni juftifié ni guéri le
mien.
Tibere.
Vous n'aviez à vous tenir en garde que
contre vous même ; j'avois à me deffier de
tout le monde.
Stratonice .
Oui mais j'étois plus à craindre mọi
feule , contre moi , que tout le monde en
22 MERCURE
DE FRANCE
femble ne l'étoit pour vous . On fe trahit
fi facilement quand on aime , & l'on nous
fait un fi grand crime d'aimer ! il faut s'ob
ferver fur les difcours , fur les regards ,
fur les actions , fur le filence même ; l'art
de la diffimulation n'eft jamais fi effentiel
que dans la femme raifonnable , ni fi difficile
que dans la femme tendre , & je l'étois
beaucoup .
Tibere.
Cependant grace aux efforts de votre
raifon votre amour fut inconnu .
Stratonice.
Point du tout . Certain Médecin , nommé
Erafiftrate , s'étant engagé de guérir
le Prince Antiochus de la langueur occafionnée
par la fecrete paffion qu'il avoit pour
moi , fit paffer devant lui toutes les femmes
de la Cour, & quand je parus , il connut
au mouvement du poulx du malade
que j'étois la caufe de la maladie , fa
remarque me fit rougir , & le Roi Seleucus
apprit deux fecrets à la fois.
Tibere.
Ainfi tous vos foins pour vous déguifer
furent dans un inftant en pure perte .
Stratonice.
mais
Je fuis obligée d'en convenir ;
vous même ne vous êtes vous jamais démenti
?

NOVEMBRE.
1751. 23
Tibere.
Plus d'une fois ; & je commence à croire
depuis que je fuis ici , qu'il en eſt de la
diffimulation comme de tous les autres
Arts ,dont les principes font fubordonnés
aux
circonftances;le
menfonge n'a fur nous
que des droits momentanés ;le fond de nôtre
coeur appartient à la vérité.
VERS
湯釀
Préfentés à Madame la
Dauphine , fur la
naiſſance de Monſeigneur le Duc de Bourgogne.
Q₁Vel bruit éclate ! Pairain tonne
Du haut des remparts ébranlés ;
Les jeux barbares de Bellonne
Vont-ils être
renouvellés ?
Dans les fuccès ce Roi ſi ſage ,
Quide tant
d'ennemis vainqueur ,
Borna le prix de fon courage
Au nom de
Pacificateur ,
LOUIS
détruifant fon
ouvrage ,
Releve- t'il un bras
vengeur ?
Mais quels cris publics
d'allégreffe
Répondent aux foudres de Mars ?
D'où naît la prompte & douce yvreffe
Qui fe répand de toutes parts ?
24 MERCURE
DEFRANCE
.
Un Berceau fe montre à ma vûe
Porté par l'Hymen & l'Amour ;
Les ris voltigent à l'entour ;
Mais des plus doux tranfports émue ,
Une vive & brillante Cour
Par le reſpect eft retenue .
Quel Enfant ravit tous les yeux !
Ah ! puis -je encore méconnaître
Le préfent que nous font les Cieux ?
C'est un BOURBON qui vient de naître ,
C'est un Fils de nos demi- dieux ;
C'étoit le fignal de la joye
Que l'airain donnoit à nos coeurs ,
Et c'est l'amour qui ſe déploye
Par ces cris ; ces tendres fureurs.
Plaifir pur ! Moment plein de charmes !
Sainte ardeur Doux emportement !
Juftes , délicieuſes larmes.
Que fait couler le fentiment !
Un BOURBON eft né : Dieux propices ,
Dieux , qui veillez fur les Français ,
Par quel encens , quels facrifices
Pourrons-nous payer vos bienfaits ?
Augufte Enfant , par ta naiffance
Nos voeux enfin font accomplis
De la Fortune avec les Lys
Tu viens confirmer l'alliance ;
Nos neveux vivront fous tes loix ;
Pour chanter le plus grand des Rois ,
L'Amour & la Reconnoiflan c
Α
NOVEMBRE.
1751 .
25
A l'envi
confondront leurs voix.
Quelsjours plus brillans & plus calmes
Pouvoient s'offrir à tes regards ?
Tes yeux s'ouvrent parmi les palmes
Qui couvrent LOUIS & les Arts.
Des
BOURBONS , compagne fidelle ,
La Gloire vole à ton
Berceau ,
A l'afpect de l'Amant nouveau
Que le Ciel prépare pour elle ,
Je la vois d'un
battement d'aîle
S'applaudir d'un deftin ſi beau :
Ellemontre aux Arts qu'elle appelle
L'efpoir de la postérité ,
Ce Prince , qui doit à leur zéle
Ouvrir un champ illimité
Et parmi la célefte troupe
Par un noble effor
emporté ,
Boire dans la
divine
coupe
Avec eux
l'immortalité
.
Que d'objets rians font
l'image
Des plus
légitimes
tranſports !
Pour
renouveller fon
hommage ,
Notre amour par
d'heureux
efforts
Aux
élemens prête un
langage ;
Sillonnant les airs de les feux ,
Le
falpêtre va dans la nue ,
Au bruit de fa
prifon
rompue
Tracer notre zéle & nos voeux.
Anos chants les échos
répondent ,
Toutes les mains
cueillent des fleurs ,
26 MERCURE
DE FRANCE
.
Le Peuple & les Grands fe confondent
,
C'eft la fête de tous les coeurs.
La vi illeffe n'eft plus glacée ,
Dans les joyeux empreffemens
,
Elle paroît débarraffée
Du pénible
fardeau
des ans.
mon Roi , que ta race eft chere
Aux peuples
qui te font foumis
!
Chaque
François
patoît un pere
Qui fe voit renaître
en fon fils .
Mais quoi ! Sur la voûte azurée
Je vois accourir
tous les Dieux ; Enfant
chéri , leur voix facrée
Te promet
l'amitié
jurée
A tout le fang de tes Ayeux. Sur ton front leur main même imprime
Les préfages
de ta grandeur
,
Ils verfentau fond de ton coeur
Le feu divin qui les anime ,
Er parcourant
' tes jours nombreux
,
Comptent
la foule des heureux
Que fera ta vertu fublime.
Source féconde de bienfaits ,
O toi , qui de l'Elbe amenée ,
Vins marier tes doux attraits
Au beau Lys dont la Seine ornée ;
Ne ceffe d'admirer
les traits.
Vis , PRINCESS
E ; notre eſpérance
;
Que de nouveaux
dons toujours
chers
Eternifent
notre puillance
,
1
NOVEMBRE,
1751. 27
Donne des Titus à la France ,
Et des Maîtres à l'Univers .
Le Chevalier Laurés .
VERS
A la plupart des Auteurs , qui ont chanté
la Naiffance de Monseigneur le Duc de
Bourgogne
.
Ous peignez un Enfant les foudres à la main,
Et dès l'inftant de fa naiffance
Vous le montrez armé du fer de la vengeance ;
Faut-il pour le louer nous l'offtir inhumain ?
Sortez, triftes Auteurs , de cette erreur profonde ,
C'eft fous des traits plus doux , des fignes plus
heureux ,
Qu'en imitant fon pere & fes ayeux ,
Il obtiendra l'amour de la France & du monde.
Par M. de Chevrier.
ODE
Sur la Naiffance du Duc de Bourgogne.
Andis qu'au fond de la retraite ,
Od le deſtin m'a ramené ,
Avec une douceur parfaite
J'entends la bruyante
trompette ,
Nous annoncer un Dieu donné;
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Fameux Virgile * de la France ,
Dots- tu dans le fein du repos ?
Ou d'un efprit d'indifference ,
Verrois tu l'heureufe naiffance
D'un des neveux de ton Héros ?
O que ne puis- je fur la lyre ,
Dont tu célébras fes hauts faits ,
Suivre le zéle qui m'inſpire ,
Et chanter dans un beau délire
Un bien qui comble nos fouhaits !
*****
France , jette des cris de joye ,
Le Ciel te préfente un appui ,
Goûte le bonheur qu'il t'envoye ,
Des jours filés d'or & de foye
Seront renouvellés par lui.
D'une branche toujours eurie ,
Rejetton cher à tous les coeurs ,
Que tu rends mon ame attendrie !
Et qu'à l'amour de la Patrie
Ta préfence offre de douceurs !
+44
Raffion des ames fublimes ,
Sentiment dont je fuis épri ;
M. de Voltaire .
NOVEMBRE.
29 17518
Souffle précieux qui
m'animes ,
Tesdélicieufes maximes
Viennent
échauffer mes efprits.
Que vois-je ? une augufte Déeffe
Tient ce noble enfant dans fes bras ;
Illui fourit , il la careffe ,
Il
s'abandonne à la
fageſſe ,
Elle doit
conduire fes
pas.
*XX
Déja fous
l'Egide
propice
Le vice tombe , eft abattu ,
Ettoujours loin du
précipice :
Le Héros court fous cet
aufpice
Dans lesfentiers de la vertu .
Mais bientôt de
nouveaux
ſpectacles
Viendront
furprendre
l'univers ,
Et forçant de plus grands
obftacles
Il juftifiera les oracles
Que j'ofe rendre dans mes vers.
**
Sur les ailes de la
Victoire ,
Au milieu des affreux
hazards ,
Il vole,fuivi dela
Gloire ,
Et dans le Tem,le de
Mémoire
Ilfe place à côté de Mars.
B iij
30 MERCURE
DE FRANCE.
Ainfi , furpaffant les exemples
Des grands hommes de tous les tems ,
Je le vois mériter des Temples ,
Et des Chroniques les plus amples ,
Obfcurcir les traits éclatans.
Sous les yeux d'un illuftre Pere ,
Croiffez , Enfant chéri des Dieux ,
Voyez long- tems le couts profpére
Des bienfaits que le Ciel opére
- Sous votre Ayeul victorieux.
Pour moi , dans cette douce attente ,
Si j'ofe invoquer Apollon ,
Ma Mufe fera trop contente
De la faveur , toujours conftante ,
De pouvoir louer votre nom.
'Alors , fans craindre les naufrages ;
Je paffe à la poſtérité ;
Du tems je brave les outrages ,
Il ne peut rien fur les ouvrages
Où mon Héros fera chanté,
L. Dutems
, de Tours.
NOVEMBRE . 1751. 31
VERS
Sur la Naiffance de Monfeigneur le Duc
de Bourgogne
.
LOUIS , penfant au bonheur de la France , L
( Et ce bon Roi toujours y penfe )
Dit un jour: demandons aux Dieux un petit- fils ,
Si je l'obtiens , tous mes voeux font remplis.
La Cour célefte empreſſée à lui plaire ,
Bientôt s'affemble & délibere.
Donnons à l'Empire des lys ,
Un demi-Dieu qui reſſemble à LOUIS.
Ce n'étoit point befogne aifée à faire ;
Il falloit épuifer tous les tréfors des Cieux .
L'Amour dit à l'Hymen : pourquoi tant de myſrére
?
Vous & moi valons tous les Dieux.
Ces bonnes gens ne s'y connoiffent guére ;
Faifons voir que nous feuls ,nous en fçavons plus
qu'eux ,
Surtout en pareille matiere .
L'Amour le regarde , le jeune Hymen ſourit ,
Le Duc de Bourgogne naquit .
Quant au refte , c'eft fon affaire ;
Il a fon ayeul & fon pere ,
Il eft affez grand , s'il les ſuit.
J. B. Guis de M *** .
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
OD E.
Sur la Naifance de Monfeignour le Duc
de Bourgogne.
Q Uels nouveaux Concerts d'allégreffe ,
Se font entendre dans ces lieux !
Quelle puiffance 1 enchantereffe
Forme ces fons harmonieux !
La terre , fans être implorée ,
Va t'elle comme au tems de Rhée
Prévenir les voeux des mortels ?
Triomphantes de Partifice ,
La Sincérité , la Juftice
Ont- elles de nouveaux Autels ?
N'en doute point , heureuſe France ,
Tu vois reproduire ces tems ;
Un demi- Dieu par fa naiffance
En marque les premiers inftans ;
Déja dans tes plaines fertiles ,
Tu vois les Laboureurs tranquilles
Recueillir les plus riches dons ,
Dans le fein d'une paix profonde
Tout confpire au bonheur du monde .
Ainfi s'annonçent les BOUR BONS.
NOVEMBRE. 1751. 33
Toi , dont la trompette fidelle
De la Paix a femé le bruit ;
Déeffe , ta voix immortelle'
Doit en publier l'heureux fruit :
Du nuage qui l'envelope
En cejour délivre l'Europe:
Vole , feconde fes defirs
Dans le Prince qui vient de naître
Les peuples fçauront reconnoître
Le jufte prix de leurs foupirs.
Mais quelle éclatante lumiere
Frappe mes yeux de toutes parts :
Où fuis je ! la Nature entiere
S'éclipfe à mes foibles regards :
Dans un azile impénétrable
Je vois le Deftin favorable
Dieter de paifibles Arrêts
Un Sanctuaire fe découvre ,
Le voile tombe , un Livre s'ouvre
Je lis dans ces fombres décrets ..
*3**
François , enfinde Crel couronne
?
Vos pleurs, votre amour & vos voeux¿
Au Prince que fa main vous donne ,
Il accorde des jours heureux :
Mais fi les juftes destinées
Sement fes plus tendres années
34 MERCURE DE FRANCE
De ris , de jeux & de plaifirs ,
Le Sang augufte qui l'anime ,
Vers une route plus fublime
Portera bientôt fes defirs .
**+
Bientôt guidé par la victoire,
Vous verrez ce jeune Héros
Dans la carriere de la gloire
Voler aux plus nobles travaux :
Eleve du Dieu de la Thrace ,
Je le vois , il frappe , il terraffe
Les victimes de fon courroux :
Ainfi dès l'âge le plus tendre ,
Dans les jeux le fier Alexandre
Traçoit l'image de fes coups.
***
Mais un fpectacle moins tragique
Vient rendre le calme à mon coeur;
J'admire un Prince pacifique ,
Où je ne voyois qu'un vainqueur §
Un Prince que la bonté guide ,
Qui fufpend fa courſe rapide
Pour fauver d'aveugles humains ;
Sourd à la voix de la
vengeance
La compaſſion , la clémence
Eteignent la foudre en fes mains.
NOVEMBRE. 1751 . 35
Tel fur les rives de la Meufe ,
Théatre de tes faits guerriers ,
LOUIS , ton ame généreuſe
Cueilloit à regret des lauriers :
Vainqueur du cizeau de la Parque ,
Dans ton Fils , augufte Monarque ,
On encenfera tes vertus :
Ton fiécle te loue & t'admire ,
Mais un fiécle peut-il fuffire
Aux hommages qui te font dûs.
A Monfeigneur le Dauphin.
Illuftre appui de la Couronne ,.
Digne Héritier du plus grand des Héros ;
Qu'au Prince que le Ciel te donne ,
Il en ajoûte de nouveaux :
D'une fource auffi
pure
Multiplier les ruiffeaux ,
C'eft enrichir la Nature.
M ** , Prêtre du Diocéfe de Means.
PAS
B vi
36 MERCURE DE FRANCE.
洗洗洗送送送送送洗:送洗洗絲湯
PROCE'S
COMIQUE
A
glorieufement terminé.
Deux lieues environ d'une Ville
de Province , il y avoit un bois de
haute futaye , percé d'un grand nombre
de routes fpacieufes & allignées , qui formoient
dans le milieu une valte efplanade ,
des riantes prairies , arrofées d'une jolie riviere
, environoient le bois & offroient de
toute part des promenades fi agréables
qu'elles attiroient les Fêtes & les Dimanches
, toute la bonne compagnie de la
Ville .
Un Préfidial , un Bailiage & une Maîtrifé
des Eaux & Forêts , fourniffoient
ungrand nombre d'Officiers de Juftice &
de femmes qui aimoient la parure & les
divertiffemens ; deux Receveurs des tailles
y figutoient encore , & leurs époules
ne le cédoient pas même à celles de plufieurs
Gentilshommes peu aifés qui habitoient
dans cette Ville .
Dans la belle faifon , les hommes montoient
à cheval pour fe rendre au bois , &
les Dames s'y promenoient dans de petites
voitures découvertes aufquelles on attel
NOVEMBRE . 1751. 57
loit des chevaux pris ordinairement chez.
les Fermiers , on n'épargnoit rien pour
les décorer , mais pour en fuporter la dépenfe
, deux Dames s'affocioient enſemble
& la partagcoient.
Le Préfident du Préfidial , homme grave
& déja fur le retour venoit , en feconde
nôce d'époufer une jeune & jolie femme
de la Province , lorfque le Lieutenant Général
du Baillage , amena de Paris , en
qualité de fa moitié , une femme du même
âge , pleine d'agrément & qui fe piquoit
des bons airs , parce qu'elle venoit de cette
grande Ville.
La jeune Lieutenante que l'on nommoit
Mad. de S. Aymar avoit été élevée à Paris
par la femme d'un Procureur qui étoit fa
tante ; cette femme avoit infpiré à fon
éleve lamême envie de plaire dont elle fut
poffédée dans fa jeuneffe : Madame de S.
Aymar étoit coquette , elle aimoit à briller
aux dépens des autres , mais elle étoit née
fage & s'en tenoit par goût & par princi
pe à la fimple fleurette, d'ailleurs elle avoit
l'efprit vif , enjoué & frivole jufqu'à l'excès
; fi elle eût vêcu en bonne compagnie
, elle auroit peut- être été capable d'en
prendre le ton , cette avantage lui manquoit
par fon état , & ce deffaut la faifoit
tomber dans des ridicules infuportables en
38 MERCURE DE FRANCE.
Provinces , quelle confondoit avec le bon
air du grand monde.
S. Aymar , fon mari étoit un homme
de quarante ans , très fage & qui paffoit
à fa femme bien des petites folies à caufe
de fa jeuneffe & en faveur de l'opinion
bien fondée qu'il avoit prife de fa fageffe
dans les chofes effentielles ; mais comme
il n'étoit pas riche , il la contenoit fur le
goût qu'elle auroit eu pour la dépense .
La Préfidente auffi coquette , mais plus
férieufe que Madame de S. Aymar , avoit
toute la fuffifance d'une femme de Province
qui fe pique de beauté & qui fe fent revêtue
de la premiere dignité d'une petite
Ville ; le Préfident occupé à des affaires
& content du bon ordre & de l'économie
qu'elle maintenoit dans fa maiſon , ne la
contraignoit pas dans fon goût pour les
plaifirs & ne lui fçavoit point trop mauvais
gré de fes hauteurs avec les autres femmes
de la Ville qu'elle fembloit n'envifager que
d'un air de protection.
Mais une femme de Paris lui en impofa
d'abord , elle jugea Madame de S. Aymar
feule digne de partager la moitié de fon
Char ; la Préfidente & la Lieutenante fe
lierent au premier coup d'oeil d'une ami
tié fans borne , leur intelligence dura près
d'un an , conftance inouie entre deux
NOVEMBRE. 175. 39
beautés ) au bout de ce long terme le deftin
fit naître une occafion fatale qui altera
violament cette belle union .
Madame de S. Aymar faifant de férieufes
réflexions fur le dépériffement des ponpons
qui ornoient leurs chevaux , propofa
à la Préfidente de les renouveller à frais
communs ; agréez ma chere bonne , lui
dit- elle , que j'en faffe venir de Paris , ma
tante a le goût exquis & poffede éminemment
l'économie honorable ; la Préfidente
malgré un peu d'avarice y confentit : mais
elles oublierent fort malheureuſement de
convenir de la couleur. Madame de S. Aymar
de retour chez elle & fort empreflée
de fatisfaire fa petite vanité écrivit à fa
tante. Elle commenca par lui demander
pour elle une robe de taffetas couleur de
rofe garnie à la derniere mode , & pour
affortir à cette brillante couleur , elle jugea
que des aigrettes , des treffes & des
bouffertes vertes & blanches pour leurs chevaux
, feroient un merveilleux effet à l'avantage
de fa beauté.
Il ne lui vint point dans l'efprit que
cette décision n'intereffoit pas moins vivement
qu'elle fon amie la Préfidente , la
lettre partit. D'autres foins auffi importans
fuccéderent à celui -là ; elle ne lui en parla
qu'à la réception de la lettre d'avis qui
40 MERCURE DE FRANCE.
annonçoit l'arrivée des emplettes par
le coche pour le Lundi fuivant , elles ne
pouvoient être reçues plus à propos , les.
promenades devoient commencer huit
jours après.
La petite Lieutenante toute glorieufe
courut vite chez fon amie pour lui appren
dre cette bonnne nouvelle , nous ferons.
en bel équipage, lui dit- elle, avec une joye
extrême , les ponpons de nos chevaux arrivent
Lundi, Cela eft bon , dit la Préfidente
d'un air affez froid , mais de quelle couleur
feront-ils ? Il font verts & blancs dit la
S. Aymar.. Ah veris & blancs , interrompit
aigrement la Préſidente , m'avez vous.confultée
11 pouroit fort bien arriver qu'ils
fuffent difcordans avec la couleur d'une
robe qui me vient dans la même voiture :
par exemple fi ma robe étoit bleue ou d'un
vert plus ou moins foncé que les harnois ,
pourrois- je compromettre enfemble det
couleurs fi peu d'accord , & franchement
en ce cas payeroit les ponpons qui voudroit.
Qu'entends je , reprit la Lieutenante
éperdue , & quoi vous fiéroit- il bien de
refufer le payement d'une emplette que
vous avez commandée ? Croyez moi , nous
verrions beau jeu ..... Eh Mesdames
s'écria une amie commune qui voulut préNOVEMBRE.
1751 41
venir une querelle plus férieufe , pourquoi
vous échauffer avant le tems , attendez à
Lundi , fi la couleur de la robe de Madame
la Préfidente eft favorable , vous ferez
au défefpoir de cette altération . Ce confeil
leur parut fage, il les calma , elles fe
remirent.
>
Le Char dont il étoit queftion confiftoit
en un fauteuil d'ofier à deux places travaillé
par un Vanier de la Ville , ce fauteuil
étoit fufpendu fur un train fort léger que
l'on avoit tiré d'une grande Ville voifine
&fur lequel étoit attaché un petit fiége arrondi
pour un ami des Dames qui menoit
communénement la voiture , les chevaux
que l'on y atteloit étoit fort petits ; les terres
auffi légeres que la tête des femmes
dans ce canton , n'éxigeoient pour le labour
ordinaire que des bidets qui abondent
en cette Province. A l'inftar du bel
équipage de la Préfidente , les maris des autres
femmes n'eurent aucun repos qu'après
en avoir mis fur pied au moins une demie
douzaine qui rouloient dans le bois à chaque
promenade.
Les Dames ainfi toutes à découvert met
toient leur gloire dans l'élégance des ornemens
& dans l'affortiment de ce frêle équipage
avec leurs propres parures ; tel étoit ce
point capital qui touchoit avec tant de vi42
MERCURE DE FRANCE.
vacité notre Préfidente , elle voulut bien
pourtant fe moderer jufqu'à l'arrivée du
coche.
Il fut convenu que pour moins languir
dans cette incertitude , les caiffes feroient
apportées chez la Préfidente , & que Madame
de S. Aymar s'y rendroit pour ouvrir la
fienne. Il n'y avoit que le Dimanche à paffer
; le caroffe arriva le Lundi à midi . La
caiffe de la Lieutenante fut ouverte la premiere
, on en tira d'abord une robe & un
ajuftement complet couleur de roſe &
blanc , de la derniere mode & qui n'avoit
encore paru qu'aux Thuilleries & au Palais
Royal à cette agréable vûe la Lieutenan
te fut auffi enchantée que la Préfidente en
conçut de jalousie.
:
Les harnois furent tirés enfuite &
étallés fur le plancher , ils étoient de
la plus exacte élégance & n'en réjouirent
pas davantage la Préfidente qui avoit
dans l'ame un fond d'amertume extraor
dinaire.
La caiffe qui devoit caufer fa joye
ou fon dépit avoit été fi difficile à ouyrir
, qu'i fallut avoir recours à un outil
qui n'étoit pas dans la maifon on :
eût dit que le deftin voyoit à regret
exécuter fes impitoyables décrets. Chacun
étoit attentif : un filence inquiet reNOVEMBRE.
1751 . 43
ghoit dans la Salle ; tous les mouvemens
étoient fufpendus ..... O ciel quelle fur
la confternation quand on vit paroître une
robe toute bleue & l'ajustement petit fou
fre & blanc. D'épouvante la main qui les
tenoit les laiffaéchapper & fe replonger par
lear proprepoids au fond de la caiffe .Tout
eft dit , Madame , s'écria la Préfidente
en lançant fur Madame de S. Aymar un
regard furieux , je ne fuis pas faite pour
illuftrer vos petits appas ; payera donc
qui voudra.
La S. Aymar pâle de colere , lui répondit
en balbutiant , non , non , Madame
tout n'eft point dit , on fçaura moderer
votre arrogance , & forcer votre avarice ;
en achevant elle fe faifit de la robe couleur
de rofe , & fortit la rage dans le coeur.
Elle arriva chez elle roulant dans fa tête
mille projets de vengeance . Son mari étoit
abfent , c'étoit déja avec beaucoup de peine
qu'il avoit confenti à payer la moitié du
prix des harnois. Comment lui en demander
la totalité.
Pour furcroit d'embaras la tante procu
reufe dans fa lettre d'avis , aprèsavoir bien
fait valoir fes avances , demandoit le rembourfement
de la fomme par le premier
caroffe ; il n'étoit pas poffible à Madame
de S. Aymar d'y fatisfaire de fes propres
44 MERCURE DE FRANCE.
forces ; elle dépenfoit à mefure le peu que
fon mari lui accordoit pour fon entretien ,
il ne revenoit en ville que le Samedi , & le
caroffe partoit le Vendredi.
Dans cette étrange perplexité , elle fe
détermina à faire donner un exploit à la
Préfidente , tendant à contrainte pour lui
faire payer fa corte part. Mais aucun Huiffier
, dont la Ville fourmilloit , ne fut af
fez hardi pour s'attaquer au Préfident . Madame
de S. Aymar défefpérée fut réduite
à mander franchement à fa tante le labirin
the ou elle fe trouvoit.
Elle s'occupoit de fon projet , lorfque fa
fureur acquit bien des degrés en voyant entrer
dans fa chambre deux fervantes de
fon ennemie qui jetterent fur le careau les
beaux harnois & s'enfuirent brufquement.
Le mouvement que ce procedé excita dans
fon ame , conduifit la plume dont elle écrivit
à fa tante , les outrages furent fi fort
exagerés , qu'ils perfuaderent à la Procureufe
que la vengeance devoit fuivre au
plutôt l'offenfe.
Dès qu'elle fut inftruite , elle fit partir
un Huiffier fur un cheval de pofte , elle le
chargea d'une lettre pour fa niéce dans la
quelle elle faifoit l'éloge du courage & de
l'intrépidité de l'Huiffier. Il fit tant de diligence
qu'il arriva le Samedi matin. PenNOVEMBRE.
1751. 45
dantcet intervale les chofes demeurerent
plus brouillées que jamais. Les Dames ne
fe virentpoint , & l'on étoit fort en peine
de ce qui arriveroit de la promenade du
Dimanche , heureufement le tems le mit
fi fort à la pluye qu'il ôta le regret d'en retarder
l'ouverture jufqu'au Dimanche fuivant.
Le Samedi matin l'Huiffier de Paris arriva
; à cet afpect Madame de S. Aymar ne
fentit que le plaifir de fatisfaire fon reffentiment
; renfermée chez elle depuis le Lundi
ellene voyoit que quelques amies particulieres,
qui lui donnoient encore de mauvais
confeils ; le refte de la Ville par politique
ne vouloit pas fe déclarer contre le
Préfident , mais plufieurs des Dames euffent
volontiers foufflé le feu entre deux rivales
qui ufurpoient une fupériorité, qu'elles
voyoient avec beaucoup de dépit augmenter
de jour en jour. On attendoit
avec la plus vive impatience la déciſion de
cette grande affaire , dont on ne pouvoit
prévoir la fin ; l'abſence du Lieutenant Général
la fufpendoit encore , la fiere Préfidente
à fon retour , fe promettoit de lui
demander raifon fur la conduite de fa femme
, qui n'étoit peut- être pas la plus répréhenfible.
Cependant la Lieutenante elle- même
46 MERCURE DE FRANCE.
craignoit extrémement d'être blamée par
un mari qui ne cherchoit qu'à conferver la
paix avec tout le monde ; mais malgré cet
te frayeur , emportée par fa paffion , la S.
Aymar refolut de prévenir la critique , &
le retour d'un tel Cenfeur ; elle fit dreffer.
exploit par l'Huiffier dans lequel les
termes n'étoient pas ménagés , & prenant
le tems du diné de la Préfidente , l'Huiffier
bien inftruit fut affez adroit pour le lâcher
dans la maifon fans être pourfuivi.
Fier de fon triomphe il accourut chez la
Lieutenante , vous êtes vangée, Madame ,
lui dit - il , mais comme il ne feroit pas bon
pour moi dans cette Ville , fatisfaites , je
vous prie fans tarder aux cent francs convenus
avec Madame votre tante & je partirai
fur le champ ..... Cent francs , Monfieur
, reprit cette femme qui ne poffedoit
pas deux écus , vous me paroiflez bien
cher ? En parlant elle rêvoit en elle même
au moyen de le contenter
ne pas rifpour
quer une fcene qui auroit fait rire tout
le monde à fes dépens , fon efprit étoit
à la torture , enfin elle imagina pour ref
fource , d'avoir recours à une vieille Demoiſelle
de fes amies , elle pria poliment.
l'Huiffier de l'attendre un moment chez
elle .
Ce fut avec beaucoup d'impatience &
NOVEMBRE.
175 I. 47
d'inquiétude que l'Huiffier la laiffafortir
en fongeant déja à fe payer fur les meubles
fiellelui
échapoit. Ma chere amie , dit- elle
à
Mademoiſelle
du
Verger , fauvez -moi
je vous conjure
du plus grand
embaras
ou
l'on puiffe fe trouver ; elle lui conta fes
peines avec tant de larmes , que la Demoifeille
du Verger fe laiffa
attendrir ; elle
tira d'un cofre
antique
les cent
livres
qu'elle
regarda plus
d'une fois
tendrement
& prit un billet qui lui en
affuroit le retour
dans la
quinzaine.
A l'âge de Madame de S. Aymar & d'un
tel caractere le moment fauvé est une victoire
, & les fuites ne font nulle impreffion
; elle courut gayement chez elle , &
fans
marchander elle paya
l'Huiffier qui
partit fort content de fa courfe.
Mais tandis que la S. Aymar le congédioit
, tout étoit en rumeur chez la Préfidente
, la morgue
Préfidentale fe trouvoit
bleffée à mort par cet
attentat ; quel
affront ? Difoit la
Préfidente , une femme
comme moi peut-elle
l'endurer ? Eh quel
eft le
téméraire qui ait ofé rifquer cette
démarche: Elle
exhaloit fa bile & fon couroux
lorfque le Préſident l'arrêta , calmez
ce tranfport , ma femme lui dit-il , il n'appartient
qu'aux petits génies comme la S.
Aymar , fon époux arrive ici ce foir , je

48 MERCURE DE FRANCE.
ne veux traiter qu'avec lui , demain en fa
préfence j'affemblerai les plus honnêtes
gens de la ville, & notre caufe fera décidée
par leurs avis , puifque je ne puis être juge
& partie. La Préfidente en gromelant
fut obligée de fe taire , quoi qu'il lui parut
bien injufte que cette affaire fût feulement
difcutée .
S. Aymar attendu avec des fentimens
tout oppofés de la part des adverfaires ar
riva chez lui vers les fix heures du foir.
Sa femme pietée pour conferver fon fang
froid , lui conta le cas dans les termes les
plus avantageux pour elle ; on dit même
qu'elle biaifa en plus d'un endroit pour
paroître moins coupable ; fa fituation étoit
critique , elle voulut l'adoucir.
S. Aymar en l'écoutant avoit le viſage
fort alongé , mais il ne s'étoit pas encerc
expliqué , lorfque le Préfident l'envoya
prier de fe rendre chez lui : la vivacité
avec laquelle il partit , caufa à la Lieutenante
les plus mortelles allarmes . Le Préfident
de fon côté qui craignoit les éclats
de fa femme en fureur , reçut S. Aymar
feul dans fon cabinet ; voici , lui dit-il ,
une querelle de femme fort échauffée ,
peut-être ferions nous mieux de ne nous
en pas mêler , mais Madame de S. Aymar
à des procédés fi violens que je ne puis
blâmer
NOVEMBRE.
1751. 49
les
blâmer ma fen mne d'y être fenfible , & ne
pas reffentir moi même , d'ailleurs je
craindrois de laifler enraciner une défunion
qui partageroit toute la Ville & qui
me priveroit tôt ou tard , de l'avantage
d'être de vos amis ; dites- moi votre avis
je vous conjure , & fans façon.
Le Lieutenant Général n'étoit inftruit
que par fa femme , il jugeoit bien qu'il
Pétoit mal , & qu'il lui manquoit des
éclairciffemens , mais il envifageoit fans
équivoque que l'affaire ne tenoit qu'à la
vanité, & à l'avarice de la Préfidente ; fi
S. Aymar eût été riche , les harnois euffent
peut être été renvoyés & remplacés à perte
, & tout auroit été pacifié ; il condamnoit
fincérement d'ailleurs l'étourderie
de la femme & furtout fon emportement
dans la démarche de l'exploit ; cependant
, pour ne la pas facrifier , &
n'être pas la dupe de l'orgueilleufe Préfidente
qui devoit luporter les faux frais
que fa coqueterie déplacée occafionnoit, il
ne voulut point fe déclarer.
Raportons
nous en , dit il , à quelques-uns de nos
amis ..... Ah , reprit le Préfident , c'eſt
auffi mon avis , & demain fans faute il
faudra les affembler . Cela convenu , les
deux Suprêmes Magiftats fe féparerent
en bonne amitié , & S. Aymar de retour
C
pour
50 MERCURE DE FRANCE.
chez lui , impofa filence à ſa femme juſqu'à
la décision des amis.
Leur féance ne fut pas longue , un vieux
Confeiller du Préfidial prit pefament la
parole : ce fait , dit-il , me paroit facile
à juger , que la robe bleue , pierre de ſcandale
, paffe à Madame la Lieutenante Générale
pour qu'elle expie par cette mortification
, le crime d'avoir agi fouveraine.
ment fans confulter Madame la Préfidente
, fur un point qui avec tant de fageffe
intéreffe également leurs charmes , & que
la robe couleur de rofe avec tout fon attirail
foit cédée en même tems à Madame la
Préfidente , pour récompenfer l'excellence
de fon goût & ce délicat difcernement fur
l'affortiment des couleurs , moyennant
cet échange elle payera fans appel la fomme
dont elle eft justement requife ...... oh
merveilleux jugement , s'écria l'aſſemblée ,
qu'il foit fuivi de point en point.
En effet chacun y trouvoit affez fon
compte, excepté Madame de S. Aymar, mais
elle s'étoit renduë réellement coupable par
la derniere entrepriſe . La Préfidente facrifia
fon avarice & la honte de l'ironie à l'en
vie d'être parée aux dépens de fa rivale ;
le Préfident n'étoit pas plus liberal , mais
jugeant qu'il faudroit payer tôt ou tard il
s'y foumit , & d'un ton goguenard il apNOVEMBRE.
1751. 5
plaudit au vieux Confeiller. Pour S. Aymar
, en diminuant la fomme qu'il lui en
coûtoit , il ne fut pás fâché de voir punic
fa femme , & fe flattaq ue cette affaire defagréable
la corrigeroit.
Qui pourroit exprimer la douleur que
reffentit Madame de S. Aymar en fe voyant
condamnée par ce foudroyant arrêt, en même
tems qu'il faifoit triomphet fa rivale ,
pour la premiere fois de fa vie , elle s'échapa
contre fon mari qu'elle accabla de
reproches fur fon indigne complaifance.
S. Aymar qui ne s'échaufoit pas ailément
effaia de la ramener par la douceur , mais
voyant qu'il y perdoit fon tems , il ne fongea
qu'à terminer cette fotte affaire , &
malgré les clameurs de fa femme défolée
il prit la robe couleur de rofe avec les accompagnemens
qu'il voulut porter lui
même à la Préfidente , pour rapporter
de chez elle , la robe bleue & la garniture
petit foufre , afin qu'il n'en fût plus
parlé.
Lá Préfidenté avec toute fon intrépidité
parut un peu embaraffée en faifant cet
échange ; honteufe de fa foibleffe elle ſe
remit & dit à S. Aymar ayec une effronterierévoltante
, je fuis bien fâchée , Monfieur
, que la néceflité du jugement me
force à caufer un peu de chagrin à Mada-
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
me de S. Aymar que j'avois trouvée fi aima
ble , c'eft dommage que l'humeur l'ait em-
' portée fi loin , affurez la s'il vous plait que
je me fens encore affez de fes amies pour
lui pardonner les torts.
1
S. Aymar indigné de l'impertinence de
cette femme hautaine, la laiffa dire fans lai
répondre , mais il ne lui fit pas grace fur le
payement de la fomme conteftée qu'il vou .
lut recevoir avant que de fe retirer. Ce
moment eût été dur pour la Préfidente fr
l'efpoir enchanteur d'effacer le Dimanche
fuivant les charmes de fon ennemie , ne
l'eût foutenue.
y
Plein d'un fouverain mépris pour cette
femme , S. Aymar retourna chez lui , il
trouva la fienne baignée dans un torrent
de larmes , fes cris redoublerent à la vue
de la fatale robe , plus cruelle à les yeux
que celle de Neffus. L'époux ne put s'empêcher
d'en être attendri ; elle étoit jolie ,
il l'aimoit , mais tout étoit perdu s'il flé
chiffoit , il fe raffermit & par fa fageffe ,
il arrêta les progrés d'une querelle qui
fermentoit fourdement dans les efprits &
qui pouvoit caufer un grand embrafement.
S. Aymard fe flatta feulement de trouver
un expédient pour fauver à fa femme ,
fans fe commetre lui même , le dégoût de
la premiere promenade , elle la redoutoit
NOVEMBRE . 1751. 53
plus que la mort & fans un coup inopiné
du fort , elle n'y auroit jamais paru ;
pour adoucir au moins ce fâcheux moment
où elle fe trouvoir , S. Aymard lui lâcha
les cent livres qu'elle avoit grande envie
de rendre avant l'échéance à Mademoiſelle
du Verger
.
Le lendemain dès qu'il fit jour , la Lientenante
s'en alla chez la vieille Demoifelle.
La du Verger pleura de joye en revoyant
Les écus , & ce retour imprévû la mit de
fibonne humeur qu'elle entra dans les peines
de fon amie avec beaucoup d'intérêr ;
enfuite pour parler de ce qui la touchoir
elle même , elle lui montra une lettre reque
de la veille par laquelle on lui mandoit
que le mariage de fa niéce étoit renoué
& conclu , & que par le coche du
Mercredi elle recevroit un beau trouffeau
pour qu'elle eût foin de le faire paffer par
d'autres voitures jufques dans la Ville où
faniéce habitoit.
On ne fçauroit comprendre , avec quelle
fagacité une femme coquette faifit jufqu'à
l'apparence des reffources , quand il s'agit
de l'intérêt de fa beauté. La lettre que Madame
de S. Aymar venoit de lire lui en
préfenta une dont elle réfolut de profiter.
Le Mercredi elle fe rendit de bonne
C iij
14 MERCURE DE FRANCE.
heure chez Mademoifelle du Verger , le
balot annoncé y arriva ; ce fut alors que
la Lieutenante fit jouer tous les refforts
dont elle étoit capable , elle fe jetta au col
de la vieille fille , elle l'appella fa libératrice
, fa toute bonne , fa meilleure amie , &
pour achever de réduire la place , elle tira
une petite bague de fon doigt qu'elle lui
donna ; cette galanterie fit fon effet
elle obtint contre toute raifon , que le
ballot feroit ouvert pour effayer de changer
la robe bleue , contre une autre de
couleur plus favorable ; ô prodige ! ô
tranfport pour la Saint Aymar , on y trouva
une robe couleur de rofe , pareille à
celle de la Préfidente , & un affortiment
vert & blanc , parfaitement femblable à
la couleur des harnois. On ne meurt point
de joie , puifque Madame de Saint Aymar
s'en fauva , la robe bleue , & la garniture
petit foufre remplacerent proprement ce
qu'on avoit tiré du ballot , il fut rétabli
fans témoins , & partit le lendemain pour
fa deftination .
Que d'effufion de tendreffe , que
d'affurances
d'une gratitude éternelle , furent
prodiguées par cette femme enchantée ,
elle attendit la brune pour emporter fon
tréfor qu'elle diffimula à tout le monde ,
même à fon mari , & dans le tems qu'on
NOVEMBRE. 1751.
la croyoit plongée dans la douleur , elle
s'épanouiffoit intérieurement , en penfant
au dépit qu'elle devoit caufer à la Préfidente
.
On raifonnoit cependant par toute la
ville fur cette avanture , & fur les apparences
, on fe préparoit à quelque fcéne
nouvelle le Dimanche fuivant. Il arriva
ce Dimanche , & les rieurs ne furent
du côté où l'on fe rejouiffoit le plus ouvertement
.
pas
Saint Aymar d'un caractere fort uni,
avoit trouvé pour tout expédient de feindre
une indifpofition , qui obligeât fa femme
de le garder chez lui , la promenade
du jour autoit été fauvée , mais ce moyen
n'étoit pas bien fin , auffi n'eut- il pas lieu.
Madame de Saint Aymar dit à fon mari
qu'elle auoit pris fon parti , & qu'elle feroit
bonne mine , puifque fon deftin l'ordonnoit
ainfi ; elle confentit même, que
les harnois verts fuffent reportés chez la
Préfidente ; l'époux parut fort content ,
& la promenade fut annoncée de route
part.
L'ufage étoit d'entendre les Vêpres le
Dimanche , dans une des Paroiffes de la
Ville , affectée par la bonne compagnie :
en attendant qu'elle commençaffent , on fe.
raffembloit ordinairement dans une falle ,
C ism
56 MERCURE DEFRANCE.
> ?
du logement du Curé. La Préfidente s'y
rendit de bonne heure , & bientôt elle y
fut jointe par dix ou douze femmes curieufes
, & qui devoient trouver leur voiture
toure prête en fortant de l'Eglile :
on ne tarda pas à s'impatienter de l'abfence
de Madame de Saint Aymar . Ah !
quel doit être fon dépit , dit une petite
Dame précieufe , qui vouloit plaire à la
Préfidente pour profiter de la place abandonnée
; elle eft cruellement blonde , dit
une autre , fa beauté fera bien fade , &
nous la verrons bien décontenancée : eh
non non dit une troifiéme , ( car on
eft charitable dans les petites villes ) la
Saint Aymar eft trop vaine pour paroître
à fon défavantage , non elle ne viendra
point.... Et moi , je croi qu'elle viendra
, dit Mademoiſelle du Venger d'un
ton fort doux , elle l'a promis à fon
époux de trop bonne grace pour y manquer
, & f'offre de parier contre qui voudra
.... Ah , je parie , s'écria la premiere
femme qui avoit parlé d'autres moins
mordantes fe joignirent à la du Verger ,
& prirent la défenfe de Madame de Saint
Aymard ; la Préfidente s'en offenfa , les
amies la foutinrent , on ne céda pas de
l'autre côté , & la bonne du Verger fat
toute furpriſe de fe trouver chef de parti ,
:
NOVEMBRE.¯ 1751 . 57
& de fe voir apoftrophée par une amie de
la Préfidente , qui apperçur la bague de
Madame de Saint Aymar : ah , ah ,ditelle
, en prenant la main de la du Verger ,
voici le de fes bons offices , il ne
gage
faut plus s'en étonner ; auffi- tôt mille rail-,
leries piquantes accablerent la pauvre fille
, l'aigreur devint générale , les paroles.
dures , & même les geftes menaçans s'en
mêlerent , tout étoit en combuftion , lorfque
la Lieutenante parut dans la falle ,
comme une rofe fraîchement épanouie.
la
A fon afpect , tout derreure en fufpens ,
un bruit confus d'admiration y fuccéda ;
la Présidente éperdue & rouge de dépit ,
parcourut d'un clin d'oeil des pieds à la
tête , & ne put , fans un défeſpoir affreux ,
envifager une petite toque couleur de
rofe , rehauffée d'une plume verte &
blanche qui compofoit toute la coëffure
de fa rivale , & qui lui froit à ravir. L'humiliation
d'être privée d'un ornement ,
qui avoit été négligé dans fa parure , &
les acclamations qu'elle entendit de toute
part , penferent faire évanouir la Préfidente
, ou tout au moins renoncer à la
promenade ; elle fçut pourtant contenir
fon dépit , en fe promettant bien de faire
imiter la toqire pour le Dimanche fuivant,
& de la furpaffer en élegance.
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
Les Vêpres commencerent , on les entendit
, non fans beaucoup de distraction ,
il fut queſtion enfuite de faire monter les
deux Dames enfemble dans le petit char ,
toute la Ville étoit fpectatrice , comment
ofer reculer Chacune renferma en foimême
fa joie ou fon chagrin , & l'on partit.
1
Madame de Saint Aymar contente de
fon triomphe , le favoura modeftement ;
elle fit des avances à la Préfidente , qui
3 d'abord les reçut affez mal , mais peu
peu , par le befoin qu'elles avoient l'une
de l'autre pour leurs plaifirs , les efprits
femblerent s'adoucir , & elles fe pardon
nerent , au moins en apparence. Cepen
dant , j'ai lû dans des Auteurs critiques
qu'il étoit toujours refté de la froideur
entre les héroïnes de cette piéce intéreffante,
qui mériteroit pour être bien décrite
la plume du charmant Auteur de la Sechia
rapita , où celle de l'inimitable Scaron.
Le vain orgueil dans fes excès,
Va jufqu'à la folie ;
N'importe des objets
Les plus minces ſujets ,
Peuvent caufer un incendie,
Par Mademoiselle deVillezet
NOVEMBRE. 1751
Voique le morceau fuivant ait été lû à
l'Académie de Peinture il y a quelques
annees , il ne fera pas déplacé ici , parce que
les grands principes , la Logique & l'élegance
quiy regnent font de tous les tems.
DIALOGUE
DE M. CO Y PEL ,
Premier Peintre du Roi.
Sur l'expofition des Tableaux dans le Saltors
du Louvre , en 1747.
DORSICOUR , CELIGNE.
Dorficour.
Ous me prévenez , mon cher Celigni
, je comptois aller chez vous
ce matin.
Celigni.
Je fuis charmé de vous avoir épargné
cette peine. Je viens vous avertir , que
dans une heure on doit ouvrir au public:
l'entrée du Salon où font expofés les Tableaux
.
Dorficour
Le beau jour pour vous !
Cvj
Go MERCURE DE FRANCE.
Celigni.
Je l'attendois avec impatience . Enfin ,
nous allons voir ces onze Tableaux ,
peints par d'habiles gens qui , fans doute ,
n'ont rien négligé pour étaler tout leur
fçavoir. Maître du choix de leur fujet ,
& invité à travailler , chacun dans le
genre auquel il fe fent le plus porté , chacun
d'eux va nous montrer aujourd'hui
ce qu'il eft capable de faire : pas un ne
pourra s'excufer fur la néceffité , dans laquelle
il s'eft trouvé de travailler pour an
licu fombre , ou pour un appartement
orné d'une menuiferie peinte de blanc ,
de vert , de jaune ou de bleu ; il eft vrai
que cette déteftable mode ne tend pas
à moins qu'à détruire en France le goût
de la couleur. Vû cette bifarrerie , le
Peintre ne fçait plus fur quel ton monter
fon Tableau , & malgré qu'il en ait , il fe
voit forcé d'immoler le vrai goût au caprice.
Nos Académiciens n'auront point
fe rejetter non plus fur la fingularité
des formes de leurs Tableaux . Car il faut
en convenir encore , depuis un tems on
les découpe de maniere que le plus ingé
nieux compofiteur fe trouve au milieu de
fa toile, environné d'obftacles prefque in
furmontables .
NOVEMBRE . 1751. GI
Dorficour.
Dans cette efpéce de concours , quelque
facilité qu'on ait pu donner aux Peintres ,
je ne ferois point furpris cependant , fi
d'habiles gens ne brilloient pas autant
qu'ils ont brillé dans d'autres occafions .
L'entoufiafme ne fuit pas toujours le defir
de bien faire je conviens pourtant que
pour mettre les talens divers dans leur
plus beau jour , & exciter une noble émulation
, on ne pouvoit employer un moyen
plusfage.
Celigni.
Nous fçaurons bientôt s'il a réuffi ; fur
toute chofe , faites - moi le plaifir de me
nommer d'abord les Auteurs de chacun
des onze Tableaux , il eft très important
de les connoître pour.....
Dorficour.
Je vous entends. Vous craindriez de
louer , fans le fçavoir , l'ouvrage de certains
Peintres aufquels mal-à propos ,
peut-être , les prétendus Connoiffeurs , &
les gens du bel air ne daignent pas accorder
leurs fuffrages . Adreffez-vous à quelque
autre , mon cher ami ; pour éviter de
tomber dans une pareille erreur , je veux
aujourd'hui yous entendre juger fans prévention
, ou jouir de votre embarras.
62 MERCURE DE FRANCE.
Celigni.
Quoi ? vous me foupçonnez de....
Dorficour.
Je fais plus que de vous foupçonner ,
je vous crois tel que bien d'autres . Oui ;
fans vous en appercevoir , le nom de l'Auteur
vous prévient pour ou contre fon
ouvrage. S'il a la réputation de bien colorier
, eût-il fait un Tableau dur ou fade ,
vous crieriez miracle fur la couleur :
comme au contraire , fi l'on s'acharne à
dire qu'il n'eft pas heureux dans cette
belle partie de la peinture , vous lui reprocheriez
de l'avoir négligée , eût- il employé
avec fuccès les teintes du Titien , de Paul
Veronese ou de Rubbens .
Celigni.
Ah, fi je voyois dans un Tableau mo
derne les teintes du Titien , de Paul Veronefe
, ou de Rubbens , je....
Dorficour.
Si vous étiez prévenu contre le Peintre
, les teintes du Titien vous paroitroient
noires dans fon ouvrage : vous trouveriez
celles de Rubbens outrées , & le coloris
de Paul Veronefe vous y fembleroit violet.
Ignorez- vous donc encore , mon
cher Celigni , à quel point les objers
changent , fitôt qu'on les regarde avec les
yeux de la prévention 2 Je vous parle
NOVEMBRE. 1751. 63
peut être avec un peu trop de franchiſe ,
mais pardonnez à l'amitié. D'ailleurs
nous fommes feuls , je ne fuis pas de ceux ,
qui fous le beau prétexte de rendre fervice
aux gens , en les avertiffant de leurs
défauts , font charitablement imprimer
de's Critiques , qu'un homme modefte &
vraiment zélé ne doit hazarder qu'en
particulier.
Celigni.
Quoi ? blâmeriez- vous ces brochures ,
où l'on rend compte des fentimens du
public ?
Dorficour.
Où l'on rend compte , dites- vous , des
fentimens da public ! Ah , convenez plutôt
, Celigni , que dans ces petits ouvrages
l'Ecrivain empruntant le nom du
public fous une humble , mais fauffe apparence
, ofe s'ériger en Juge fouverain ..
Le grand Corneille demandoit autrefois.
où logeoit le public ? Moi , je foutiens
que dans le Salon où l'on expofe les Tableaux,
le public change vingt fois le jour .
Ce qu'admiroit le public à dix heures du
matin eft blâmé publiquement à midi .
Qui , vous dise , ce lieu peut vous offrir
dans le cours d'une feule journée vingt pu
blics de caracteres & de tons differens.
Public fimple en certains momens , & co
64 MER CURE DE FRANCE.
public n'eft pas celui qu'on devroit le
moins écouter : public partial , public leger
, public envieux , public efclave da
bel air , qui pour décider veut tout voir ,
& n'examine rien. Que fçais -je enfin , l'énumeration
de ces publics divers me mé
neroit à l'infini . Cependant , je veux bien
fuppofer que le Salon pût être toujours
rempli des mêmes fortes de gens , croyez ,
qu'après les avoir écoutés , vous n'auriez
encore entendu que la multitude , &
point du tout ce public auquel on doit s'en
rapporter. Ne confondons point l'une
avec l'autre ; la multitude accourt d'abord
avec fureur , parle avec véhemence , craint
de perdre en réflechiffant le peu de momens
qu'elle confacre à prononcer fes
oracles. Mais le tems àla fin modére fes
emportemens : c'eft alors , Celigni , qu'on
peut entendre le fage public qu'elle cachoit
dans fon fein , & dont elle étouffoit
la voix. Ce fut la inultitude qui fit tom
ber Phédre & le Milantrope , c'eft le public
qui les a relevés .
Celigni.
En vous difant que dans ces brochures
F'on rend compte des fentimens
du public,
je réduis ce public à un petit nombre de
parfaits connoiffeurs
, que je fuppofe avoir
été confultés
par l'Ecrivain.
NOVEMBRE. 1751. 65
Dorficour.
Je connois grand nombre de Juges ,
mais très-peu de parfaits Connoiffeurs , &
vous me fuppofez là un public qui n'a plus
guéres que cinq ou fix têtes. Cependant ,
je veux bien y joindre ceux qui aiment la
peinture plus qu'ils ne connoiffent fes
myftéres , & qui à l'imitation de cinq ou
fix , dont je parle , fe forment des Cabinets
. Voulez vous fçavoir fi leurs juge .
mens font fondés fur des principes folides
, & fi leur goût eft für ? parlez à chacun
d'eux des acquifitions de Tableaux
que leurs émules font chaque jour ; celuici
vous dira qu'un tel a payé comme original
une médiocre copie ; cet autre vous
affurera , que ce prétenda Titien qui vient
d'être vendu fi cher , n'eft qu'un Patiche ,
ainfi du refte . Pourriez- vous vous en
rapporter à des juges qui s'accordent fi
peu ?
Celigni.
Quand même le nombre des vrais Connoiffeurs
fe réduiroit à cinq ou fix , celui
qui auroit recueilli leurs décifions ne
fuffifamment autorifé pour .....
Dorficour.
feroit-il
pas
Leurs décifions ! dites leurs fentimens.
Les vrais Connoiffeurs ne hazardent pas
volontiers des décifions. Ils propofent
66 MERCURE DE FRANCE.
leurs avis aux gens du métier , & ne fe
figurent point , que n'ayant jamais manić
le pinceau , ils puiffent fe connoître en
peinture mieux que les meilleurs Peintres.
Je crois tout homme d'efprit en droit de
propofer fon fentiment fur un Tableau ,
mais je n'en connois point qui raifonnablement
ofe porter des jugemens fans
appel , lorfqu'il s'agit d'une matiere qu'il
n'a jamais approfondie ..
Celigni.
' Si de Piles vivoit encore , peut- être
lui permettriez -vous de faire ce que vous
trouvez étrange que les autres faffent.
Dorficour.
de ma
Oui , je le lui permettrois , fans doute ;
mais à coup fûr , il n'uferoir pas
permillion. Sage & moderé comme il
Tétoit , il fentiroit trop les inconvéniens
de ces fortes, d'écrits. Auffi galant- homme
que profond connoiffeur , voici en ces
deux qualités ce qu'il eût répondu à quiconque
lui eût propofé de fe chatger
de cet emploi. Si fans diftinction ,
auroit- il dit , je loue tous les ouvrages
expofés aux regards du public , je déshonore
le Connoiffeur : & , fi pour foutenir
la réputation du Connoiffeur , je méprife
ou par mes difcours , ou par mon filence
un nombre de Tableaux , le galant-homNOVEMBRE.
1751 . 67
me fouffrira . 11 eft trifte d'être obligé
d'accabler d'honnêtes gens qui n'avoient
travaillé que dans l'efpoir de nous plaire,
& qu'un mauvais accueil a déja fuffifamment
mortifiés. S'il eft queſtion d'éclairer
ceux qui fur quelques parties de la peinture
peuvent être dans l'erreur , ce n'eſt
point en faifant imprimer une Critique
de leurs Tableaux que je pourrois efpérer
d'y parvenir. Relever publiquement les
défauts d'un ouvrage , avec le ton d'un
Juge compétent , & l'audace d'un Anonyme
, c'est un moyen cruel , qui loin
d'être utile à celui qu'on veut corriger ,
prefque toujours l'irrite ou le décourage.
Je me bornerai donc , ajouteroit de Piles ,
à donner , fije puis , de bons principes
fur la peinture. De pareils écrits feront
innocemment la critique des mauvais Tableaux
, & même de ceux qui avec du
mérite d'ailleurs , feront repréhenfibles
en certaines parties & fartout , je met
trai mon nom à la tête de ces écrits , afin
que ceux qui avec raifon pourroient y
trouver des fautes , ou des chofes hazardées
, fçachent à qui ils doivent s'adreffer
pour les rectifier ou les fupprimer.
Celigni.
Vous faites affez bien raifonner de Piles.
Cependant , convenons qu'une critique
68 MERCURE DE FRANCE.
jufte & faire avec modération a fon utili
té, & que ces brochures , au cas qu'elles
fuffent mauvaises , ne pourroient porter
coup à des ouvrages reconnus pour excellens.
Dorficour.
Je ne fuis pas abfolument de votre avis ,
fur le peu de tort que de mauvaifes critiques
imprimées peuvent faire aux Peintres
de nos jours. Elles ne paroiffent fouvent
que du tems après que le public a perdu de
vue les ouvrages critiqués , & ces ouvra
ges loin de les yeux ne peuvent plus plaider
leur caufes. D'ailleurs , ces brochures
paffent dans la Province & dans les Cours
Etrangeres , où elles répandent les préjugés
dont l'Ecrivain lui- même eft rempli.
Qu'on faffe une critique amére contre un
bon livre , le livre auffi multiplié que la
brochure fatyrique , court avec la même
viteffe de Pays en Pays , & partout le préfemte
pour la démentir . Mais en eft- il de
même d'un tableau ? Non . Le tableau reſte
enfermé , & la prévention injufte vole de
toutes parts.
Celigni.
Me voilà prefque convaincu que vous
avez raifon . J'entrevois de plus , que de
téméraires critiques faites au nom du
blic & foutenues par quelques graces
puNOVEMBRE.
1751. 69
de ftyle , peuvent jetter un Peintre timis
de dans une dangereufe incertitude , qui
le porte mal -à-propos à changer de manicre
, & à marcher en chancelant dans une
route nouvelle où il rifque de s'égarer. Je
crains encore que l'Ariifte , ferme dans
fes principes qu'avec raifon peut-être il
croit les meilleurs , ne le laffe de s'expo- .
fer à de fauffes décifions qui courent le
monde , & auxquelles il ne pourroit fe
foumettre que par une complaifance nuifible
à fon talent. Dorficour , en vérité
tout ce que vous venez de me dire à ce
fujet me jette dans une véritable inquiétude.
Nos Peintres peuvent le rébuter
voyant que les efforts qu'ils font pour nous
fatisfaire , loin de leur procurer des agrémens
excitent le François même à inftruire
l'Europe des deffauts qu'on peut leur reprocher
, ou qu'on leur fuppofe . Oüii ,
nous devons craindre de voir ces expofitions
de tableaux diminuer infenfiblement
& fe reduire à rien.
Dorficour.
Non. Je connois des Peintres qu'une réputation
acquife avec juftice met à couvert
de ces fortes de traits . Ils aiment leur
Art , ils ont bon efprit & fentent vivement
combien leur eft utile ce fpectacle
qu'ils donnent aux Amateurs.
70 MERCURE DE FRANCE..
Celigni.
Mais , s'ils ont affaire à des Juges pour
la plupart ignorans , prévénus ou injuftes ,
quel profit peuvent- ils tirer de ces expofitions
?

Dorficour.
Le voici. Ils y voyent leurs ouvrages
placés au milieu de ceux de leurs rivaux .
Si le défir de fe perfectionner les anime
véritablement , pour le fatisfaire, la fimple
comparaifon leur donne d'utiles leçons.
Le ton de couleur de mon voifin efface le
mien , ( dit un Peintre dépouillé d'uné
folle prévention ) il faut m'attacher à cette
partie de la Peinture plus que je n'ai fait
jufqu'ici , & tâcher de la joindre à celles
que je crois pofféder. Cet Artifte éxaminant
avec de profondes réflexions tous les
ouvrages qui environnent les fiens , trouvera
de quoi s'inftruire , non feulement
dans ceux de fes égaux , mais auffi quel
quefois dans les productions de fes inférieurs
. Je vous nommerois plufieurs Peintres
qui , avec une louable franchiſe
m'ont avoué que c'étoit là le feul avantage
qu'ils pouvoient tirer des expofitions qui fe
font au Salon du Louvre , & Funique motif
qui les déterminoit à y faire paroître leurs
Tableaux.Que d'ailleurs , ils fentoient trop
l'inutilité des jugemens divers prononcés
NOVEMBRE. 1751 71
par la multitude ; que fouvent on lui voyoit
admirer ce qui bleffoit les yeux des connoiffeurs
, & fronder fans ménagement
ce qu'eftimoient les gens du métier : qu'on
trouvoit fréquemment auffi dans les brochures
écrites fur ce fujet , la louange prodiguée
aveuglément & la critique hazar
dée avec témérité , mais que ces inconvé
niens ne les rebutoient point, parce qu'enfin
c'étoit trop peu de chofe en comparaifon
da bien folide que cette fête renouvellée
tous les ans pouvoit procurer à la Peinture.
Celigni.
>
Sur tout ce que nous venons de dire
je concluerois volontiers qu'un Peintre né
avec du génie , un bon efprit , & l'amour
de l'étude , peut fe fuffire à lui- même pour
atteindre , autant qu'il eft poffible à la
perfection de fon Art.
Dorficour.
C'eft trop dire , ce me femble : & je
penfe qu'il doit au contraire fe lier autant
qu'il le peut , avec des gens de mérite en
tous genres ; confulter en certains cas le
Poëte , l'Hiftorien , l'Antiquaire , le bon
Déclamateur , & les écouter avec la même
attention qu'il eût écouté ce de Piles dont
nous venons de parler. Mais je fouhaite
rois en même tems que le bon Déclama72
MERCURE DE FRANCE.
teur , le Poëte , l'Antiquaire & l'Hiftorien
fans prétendre parler comme de Piles ,
fe contentaffent d'examiner fi dans un
Tableau le trait d'Hiftoire qu'on s'eft propolé
de peindre éft bien rendu; fi le Coftumé
eft exactement obfervé , fi le Peintre
a le génie poëtique , & fi les perfonnages
qu'il met fur la fcène expriment ce qu'ils
ne peuvent dire . Souvent ces Meffieurs en
uſent tout autrement . Je fais des gens
de
Lettres , qui voyant un tableau , négligent
de parler fur les parties auquelles ils doivent
fe connoître , & font de pompeux
galimatias fur le clair obfcur , la couleur
, & l'exactitude du deffein. Le Peintre
alors rit en lui - même avec justice aux
dépens de ceux qui auroient pû lui donner
d'utiles confeils s'ils avoient fçû le ren
fermer dans d'honorables bornes. Mais s'il
eft quelques gens de Lettres qui en ufent
ainfi , en il est beaucoup d'autres , dont le
commerce eft infiniment profitable à ceux
qui veulent fe diftinguer dans la Peinture.
Ce n'eft pas tout. Je crois que le Peintre
doit encore écouter les gens , qui fans
prétendre à la gloire de paffer pour connoiffeurs
., fe laiffent attirer par la feule
image du vrai , & fentent une répugnance
naturelle pour tout ce qui tend à le défigurer
. Je poufferai même la choſe juſqu'à
dire
NOVEMBRE. 73 1751 .
dire que fi j'en excepte l'homme de prévention
& le demi fçavant , je ne fçache
perfonne qui ne foit capable d'ouvrir un
bon avis en voyant un ouvrage fait pour
parler à l'efprit & féduire les yeux . Mais
il eft tems de nous rendre au Salon ; partons
, mon cher ami ; allons voir les tableaux.
Sur toutes chofes réprimons en
nous l'orgueilleux défir de blâmer; l'amour
propre communément l'infpire aux gens
qui n'en fçavent pas affez pour applaudir.
Songeons encore que nous ne devons pas
elpérer de trouver partout le fublime le
Peintre, ainfi que le Poëte & l'Orateur , le
cherche inceffamment , mais il ne fe préfente
:
pas toujours , & jamais il ne fut aux
ordres ni du talent ni du fçavoir. Soyons
donc fatisfaits fi l'on nous offre du beau :
fuppertons le médiocre , fi par hazard
nous le rencontrons dans les ouvrages de
ceux qui nombre de fois ont mérité nos applaudiffemens.
D
74 MERCURE DE FRANCE.
Les mots de l'Enigme & des Logogriphes
du Mercure d'Octobre font richer.
Celui du premier Logogriphe eft quolibet ,
dans lequel on trouve oie , bile , foie , oui ,
élu , tobie , oubli , but , boue , lot , boule , all,
Saint Lo , Eloy , hote , bute , lobe , loy , éin ,
toile , tube , & bol. Celui du fecond Logogriphe
eft priere , dans lequel on trouve
ire , pere , pré, pierre , rire , pie , pierre , pie,
épire , pié épic. Celui du troifiéme eft
baifer , dans lequel on trouve braife , aire ,
ris , fi & bis.
C
JE
ENIG ME.
E fuis l'effroi du Courtisan ,
Souvent le foupçon eft mon pere ,
Le paffé qui me défefpere ,
Me fait de l'avenir un fupplice préſent ;
On me voit naître en un in ftant
Des noirs accès de la colére >
Qui trop crédule , ou trop fèvére ,
Epargne le coupable , & punit l'innocent,
NOVEMBRE. 1751 1751.75 .
LOGOGRIPHE.
CEitaine Ertaine pièce d'or , jointe à la lettre T ,
Vous donnera mon nom , ceci vous embaraffe
Je n'y vois pas pourtant grande difficulté :
Ce que toujours un chien cherche & ſuit à la
chaffe ,
Ce que chacun porte fur foi ,
Au moins qu'il n'ait point de chemife ;
Une Ville , qu'on nomme Pife ,
Se découvrent d'abord chez moi ;
Allez plus loin , vous trouverez encore
Une épithète qu'on abhorre ,
Et qu'à beaucoup de gens on donne avec raiſon;
Une légume , une note , un poiffon ,
Qui peut être fervi fur la meilleure table i
Ce qui quand on eft las à tout eft préférable ;
Lecteur , en avez-vous affez ?
Pour moi je finis , devinez .
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
A
AUTRE.
U Souverain , comme au Marchand ,
Je fuis également utile & néceffaire ,
Quoique mon corps foit groffier & pefant ,
Ma courfe eft rapide & legére.
Pour plaire à mon Lecteur avide & curieux ,
Je vais étaler à fes yeux
Quelque détail de ma nature .
Huit lettres feulement compofent ma ftructure ;
Un , deux , trois , fept & huit donnent un ornement
Aux Prêtres en cérémonie ,
Qui fortant de la Sacriftie
Marchent vers l'Autel gravement ;
Deux , cinq , fix , fept & huit unis artiftement ;
Sur leurs bonnets carrés dominent avec grace,
Quatre , cinq , fix & fept forment un animal
Carnacier , feroce , brutal ,
Et d'un naturel très - vorace.
Quel vafte champ de vouloir combiner
Tout ce que ce mot fignifie !
Ma Mufe feroit infinie ,
Et ne pourroit ceffer d'écrire & de rimer.
Pruno du Puget.
A Cuers , en Provence , le vingtiéme Mai
1751.
NOVEMBRE . 1751 . 77
AUTR E.
LA Phyfique , la plus fubtile ,
Jufqu'en ce jour impuiffante & ftérile ,
N'a pû de mes effets débrouiller le cahos .
Je fuis fans fentiment , prefque toujours mobile ,
Et rarement on me voit en repos ,
Pour éviter l'ennui , je vais en peu de mots
Vous tracer le détail de mon ſervice utile ;
Sans mon fecours un grand pays lointain ,
Refteroit inconnu juſqu'à la fin du monde ;
Et l'idolâtre Américain
Dans une ignorance profonde ,
Adoreroit encor l'ouvrage de ſa main.
Par un calcul exact huit lettres ajuftées ,
De mon individu font le compte parfait ;
Mais fi diverſement elles font combinées ,
Alors vous y verrez un homme contrefait ;
Une piéce d'argent , commune dans la Grèce z
La boue , l'excrément d'un groffier animal ,
Un poiffon délicat , d'une extrême fineſſe ,
Dont on ne mange point dans un repas frugal ;
Un petit globe enfin , propre aux jeux d'exercice
Pour le plaifir de l'homme agréable artifice.
Le 2
Juin
1751.
Par le même.
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES
LITTERAIRES .
H M,
ISTOIRE Littéraire du regne de
Louis XIV . Par M. l'Abbé Lambert
in-4°. 3 vol . à Paris,chez Prault fils , Guilyn
, & Quillau , fils .
Cha-
Ce grand ouvrage eft partagé en 14 Livres
, & chaque Livre contient les Eloges
des Sçavans d'un certain genre .
que Livre eft précédé d'un Difcours fur les
progrès qu'a fait chaque Art ou chaque
Science , fous le regne dont on fait l'Hiltoire
. Ces Difcours font faits fur des Mé
moires excellens , fournis par des Hom
mes de la plus grande réputation. Le premier
Difcours roule fur les progrès des
Sciences Sacrées. Le fecond fur les progrès.
de l'éloquence de la Chaire. Le troifiéme
qui eft compofé fur les Mémoires de M.
de Terraffon a pour objet les progrès de
l'éloquence du Barreau & ceux de la Jurifprudence.
M. l'Abbé Lenglet du Frennoi
a communiqué les matériaux du Dif
cours fur les progrès de l'Hiftoire . Le cinquiéme
Difcours traite des progrès de la
Philofophie. Le Difcours fur les progrès
de la Médecine eft fait d'après M. Laury » .
NOVEMBRE. 1751. 7༡
& celui qui concerne la Chymie d'apres
Meffieurs Lauri , Géofroi & Rouelle . Meffieurs
de Juffieu ont donné les progrés de
la Botanique. C'eft à M. d'Alembert qu'on
doit les Mémoires fur les progrès de la
Mufique qui font le fond du feptiéme
Difcours. Le huitiéme Difcours roule fur
les progrès de la Philologie. MM . Manfart
& de Beaufire le cadet , ont fourni les
matériaux du Diſcours fur les progrès de
l'Achitecture. On doit à M. Defportes le
Difcours fur le progrès de la Peinture , &
M. Mariette , celui qui roule fur les progrès
de la gravure . Meffieurs d'Argenville
, Lepicier & de Vigny , ont fourni les
progrès de la Sculpture. Les Difcours ou
on ne nomme perfonnne , font de fort
bonne main.

Le premier Livre eft confacré aux Théologiens
Scholaftiques , Moraux , Myftiques
, Polemiques & Canoniftes , en voici
la Lifte . Jacques Camus Sirmond , Jean Pierre-
, Denis Petau , Jacques Goa , Jean
Morin
, Jean Fonteau , Pierre de Marca
Blaife Pafcal ,Théophile Rainaud, Amable
deBourzeis
, Pierre l'Allemant,Jean Nicolas
Emanuel
Maignan , Jean Launoy , François
de Cambrefis , Jean Garhier , Luc
Dachery
, Godefroi Hermant , Antoine
Arnauld
, Pierre Nicole. Louis , Thomaffin ,,
D iiij
So MERCURE DE FRANCE.
Louis Ferrand , Jean Gerbais , Antoine Pa
gi , Jean le Bouthillier de Rancé , Jacques
Benigne Bofuet , Paul Pezron , Jean Gilbert
, Claude Fraffin , Richard Simon ,'
François de Fenelon , Bernard Lamy ,
Charles Wiraffe , Etienne Baluze , Louis-
Elie Dupin , Michel le Tellier , Eufebe
Renaudot , Pierre- Daniel' Huet , Nicolas
Alexandre , Pierre le Brun , Simon Gourdan
, Jean Hardoin , Michel le Quien
René Jofeph de Tournemine , Edmond
Martenne , Charles Dupleflis d'Argentré ,
Bernard de Monfaucon.
LIVRE SECOND.
Orateurs Sacrés.
Hardoin de Perefixe , Jean François Senault
, Claude de la Colombiere , Claude
de Lingindes , Jean Louis de Fromentieres,
Thimoléon Cheminais , Jules Maſcaron ,
Louis Bourdaloue , Efprit Fléchier , Côme
Roger , Jean de la Roche , Fabio Brulart
de Sillery , Mathieu Hubert Charles de la
Ruë, Pierre François d'Arerez de la Tour ,
Honoré de Quiqueron de Beau Jeu , Antoine
Anfelme , Jean Paul Bignon , Jean-
Baptifte Maffillon.
LIVRE TROISIEM E.
Orateurs Profanes & Jurifconfultes.
Pierre Dupuy , Jerôme Bignon , PomNOVEMBRE.
1791 . 81
ponne de Belliévre , Antoine le Maître ,
Charles Annibal Fabrot , Claude Henry
Charles Fevret , Louis le Grand , Claude-
Gautier , Pierre Seguier , Barthelemy Auzante
, Guillaume de Lamoignon , Jean
Marc Ricard , Olivier Patru , Michel le
Tellier , Rolland Vayer de Boutigny
François de Roye , Jean Bofcager , Gabriel
Gueret, Jean Doujat , Bonnaventure
de Fourcroy , François Pinfon , Pierre
Hevin , Jean Doumat , Jacques de la Lande
, Etienne Gabriau de Riparfon , Chrétien
François de Lamoignon , Pierre Taif
fand , Claude de Ferriere , Philibert Collet
, Nicolas Jofeph Foucault , Marc Renéd'Argenfon
, Nicolas de la Mare , Henry
Bafnage , Michel le Pelletier de Souzy
Guillaume Blanchard , Claude Pocquer
de Livonier , Jerôme Bignon , Barthelemy
Jofeph Bretonnier , Eufebe Jacob de Lau
riere , Mathieu Terraffon , Pierre-Jacques
Brillon , René Pageau , Auguſtin des Ha--
guais , Poufet de Montauban , Vautier ,
le Verier , Nouet Sachot , de Gaumont
Gafpard Thomas de la Thaurafiere , Julien
Brodeau , Etienne- Bardet , Martin Huf
fon , Claude Joly , Jean François des
Haguais , Charles Bartin de la Galliffonniere
, Omer. Talon , Denis Talon..
ག་
82 MERCURE DE FRANCE.
LIVRE QUATRIE ME .
Hiftoriens célébres.
Théodore Godefroy , Denis Godefroi ,
Mathieu Dupleix , Jerôme Vignier , Pierre
de Boiffat , Jean Sillion , Philippe Labbe
, Antoine Godeau , Jean le Laboureux,
Henry de Valois , François Bofquet , Char
les le Cointe , François Eude de Mezeray ,.
Gerard de Cordemoi , Louis Maimbourg ,
Cefar Vichar , de . S. Réal , Adrien Valois
, Paul Pelliffon Fontanier , Roger de
Rabutin Comte de Buffy , Anfelme de la
Vierge Marie , Honoré Caille du Fourny ,
Ange de Ste Rofali , Louis - Sebaſtien le
Naim de Tillemont , Pierre Jofeph d'Orléans
, Urbain Chevrau , Adrien Baillet ,
Louis Coufin , Jean Mabillon , François .
Thimoleon de Choiffi , Jacques Quien dela
Neuville , Gabriel Daniel , Louis le
Gendre , René Aubert de Vertot..
LIVRE CINQUIEME.
Les Philofophes célèbres , les Phyficiens , les :
Mathematiciens , Géométres , Aftronomes »
Ingenieurs, Méchaniciens , &c.
A
Martin Merfenne , René Descartes , Pierre:
Gaffendi , Pierre de Fermat , Blaife-François.
Comte de Pagan , Ignace Galton Pardies,
Jacques Rohault, Claude François de Chal
NOVEMBRE 15 83.
Yes, Ilmael Bouillau , Paul Hofte , François :
Blondel, Edme Mariotte , Cuillaume François
Antoine de l'Hôpital , Guillaume
Amoutons, Jean- Baptiſte Duhamel , Pierre
Sylvain Regis , Sebaſtien de Vauban
Jean Mathieu de Chazelles , Louis Carré
Jean Dominique Caffiny , Nicolas Malbranche
, Jofeph Sauveur , Antoine Parent
, Jacques Ozanam , Bernard Renau ,.
Philippe de la Hire , Pierre Varignon
Nicolas Malezieu , Sebaftien Truchet
Thomas Fanter de Lagny .
SUITE DES
PHILOSOPHES¸ .
SIXIEME LIVRE,
Les Médecins , les Anatomiftes , les Chi--
miftes , les Botanistes.
Medecins.
Gui Patin , Moyfe Choras , Charles
Barbeyrac , François Bayle , Denis Dodart
, Gui Crefcent Fagon , Adrien Helvetius
, Pierre Chirac , Philippe Hecquet ,
Pierre Jean Burette.
Anatomistes.
Jean Pecquet , Jean Mery , Alexis Eie--
tre , Guichard Jofeph Duverny , François
Pourfour du Petit.
Chimiftes.
Claude Bourdelin , Claude Bourdelin ,,
Nicolas Lemery , Guillaume Homberg
D. vj:
84 MERCURE
DE FRANCE.
Etienne François Geoffroi , Gille François
Boulduc , Louis Lemery..
Botaniftes.
Charles Plumier , Jofeph Piton de
Tournefort , François Poupart , Pierre
Blondin , Louis Morin , Pierre Magnol ,
Sebaftien Vaillant , Guillaume Niffol,
LIVRE SIXIE' ME.
Poëtes Latins & François , Poëtes Tragi
ques , Comiques , Liriques , Satyriques
& les Muficiens.
Nicolas Bourbon , François Maynard ,
Claude de Melleville
, Jean Rotrou, Fran
Guil- çois Sarrazin , François Triſtan , Jaume Colletet , Paul Scarron , Marc-
Antoine Gerard de Saint Amant , Guilaume
de Brebeuf , François le Metel de
Boifrobert
, Gautier de la Calprenede
,
Hippolyte
Jules Pillet de la Menardiere
,
Jean Ogier de Gombaud , George de Scu
dery , Honoré de Beuil de Racan , Jean-
Baptifte de Moliere , Jean Chapelain , Martin
de Gomberville
, Vincent Courard , Jean
Defmarais
de S. Sorlin, René le Boffu, Pierre
Corneille , Jean- Baptifte Lully , René
Rapin , Philippe Quinaut , Ifaac de Benferade
, Jean Barbier d'Aucourt , Jean de
la Fontaine , Michel Lambert , Jean- Baptifte
de Santeuil, Jean Racine, Jean Renardi
NOVEMBRE. 1751.
$
2
de Ségrais , Ednie Bourfaut , Jean Com→
mire , Jean François Regnard , Thomas
Corneille , Nicolas Boileau Defpréaux
François Seraphin Regnier Defmarets
Jean Galbert Campiftron , Jean de la Chapelle
, Michel de la Lande , Bernard de la
Monoye , Antoine Houdart de la Motthe ,.
Jacques Vanniere , Jean - Baptifte Rouffeau..
LIVRE
HUITIEME.
Philofophes célèbres , Critiques , Grammai-.
riens , Lexiographes , Bibliographes , Géo
graphes ,
Commentateurs , Interpretes
Mythologiftes , Blafonistes , Généalogiftes ,
Chronologiftes , Antiquaires , Médailliftès..
Claude Faure de Vaugelas , Jean Baudoin
, Gabriel Naudé , Jean Louis de-
Balfac , Nicolas Rigault , Pierre du Ryer
François Vavaffeur , Pierre d'Hozier , Nicolas
Perrot
d'Ablancourt , Samuel Bo-
Echard,
Nicolas
Sanfon
,
Denis
Sallo
, François
la
Mothe
le
Vayer
,
Gabriel
Coffart
Robert
Arnault
d'Andilly
,
Dominique
Bouhours
,
Claude
François
Méneftrier
,
François
Hedelin
,
Louis
Moréri
,
Denis
Salving
,
Charles
Spon
,
Antoine
Furetiere
,
Charles
du
Gange
,
Pierre
Hallé
,
Gille-
Menage
,
François
Tallemant
,
Philippe-
Goibaud
du
Bois
,
Barthelemy
de
Ber
thelot
,
Jean
de
la
Bruyere
,
Michel
A86
MERCURE DE FRANCE.
toine Audrau , François Charpentier
Jean Foi Vaillan , Jean Gallois , François
de Maucroix , Nicolas Amelot de la
Houffaye , JeanFrançoisVaillan fils , Marc-
Antoine Oudinet , Jacques de Tourreil
Antoine Galland , Jean Marie de Tillader ,
Nicolas Henrion , François Simon , Charles
Céfar Baudelot , André Dacier , Louis .
de Courfillon de Dangea , Louis Boivin ,
Guillaume de Lifle , Louis de Sacy , Jean
Boivin , Claude François Fraguier , Jean-
Baptifte Couture , Louis de Longuerue ,
Phillippe Bernard Moreau de Montour ,
Antoine Banier , Etienne Fourmont .
$
LIVRE NE UV LE ME.
Dames Sçavantes.
Marie Jars de Gournay , Charlotte Rofe
de Gaumont de la Force , Marie Dupré ,
Henriette Comteffe de la Suze , Marie-
Eleonor de Rohan , Marie Catherine Hortenfe
de Villedieu , Françoife Bertaud de
Motteville , Louife Anaftafie de Serment ,.
Anne de la Vigne , Charlotte de Chazan
Comteffe de Brégy , Marie-Magdelaine
de la Vergne , Comteffe de la Fayette ,
Marie-Henriette de Villadon , Antoinettedes
Houlieres, Marie de Sevigné, Magdeleine
de Scudery, Camus de Meffon , Marie
de Razilly, Catherine Defcartes , Elifabeth
Sophie Cheron , Catherine Bernard Maric
NOVEMBRE. 87 1751.
de Couvencourt , Louife Genevieve de
Saintonge, Therefe des Houillieres, Anne
le Fevre Dacier , Antoinette de Salvande
Salié , Louife Marie Bois de la Pierre ,,
Anne Therefe Lambert..
LIVRE DIXIE MË.
Architectes célébres ,
François Manfart , Claude Perrot , Aur
guftin Charles Daviler , Charles Peraul
Jules Hardouin Manfart , Antoine Deſgo-.
dets , François Romain , Robert de Cotte ,,
Jacques Gabriel , Louis le Vau , François
d'Orbay , Pierre le Muet , le Pautre ,.
Buller , Jean de la Quintinie , André le
Nôtre , Jacques de Soleyfelle.
LIVRE ONZIE ME.
Peintres célébrés .
Euftaele le Sueur , Nicolas Pouffin ,.
Charles Alphonfe du Frênoi , Nicolas
Mignard , Sebaftien Bourdon , Philippe·
Champagne , Nicolas Loir , Charles le
Brun , Antoine François Vandermeulen ,
Pierre Mignard , André Felibien , Jofeph
Parocel , Noël Coypel , Roger de Pilke ,
Charles de la Foffe , Jean Jouvenet , Jean-
Baptifte Santerre , Bon de Boulogne , An-
Coypel , Jacques Carret , François
deTroy
, Nicolas Bertin , François Def
portes , Hyacinte Rigaud.
&S MERCURE DE FRANCE.
LIVRE DOUZIE ME.
Graveurs , célébres , Orfeures &
Monetaires.
9.
Jean Varin , François Chauveau , Clau
de Ballin , Robert Nanteuil , Claude Melan
, François Poilly , Gafpard Audran
Gerard Edelinck, Sébastien le Clerc , Charles
Simonneau , Pierre Drevet , Bernard Picard,
Pierre- Germain , Gafpard du Change,
# LIVRE TREIZIEM E ..
Sculpteurs célébres..
2.
Jacques Sarazin , François & Michel
Auguier freres , le Chevalier Bernin
Martin Desjardins , Pierre Puget , François
Girardon , Antoine Coylevox , Ni
colas Couftou , Philippe Buifter , Louis
le Rembert , Gille Guerin , Gafpard &
Baltazard Marfy freres , le Comte , Mathieu
Lefpagnande.
Le quatorzieme Livre eft un abregé Cro
nologique de l'Hiftoire Civile & Militaire
du regne de Louis XIV.par des Médailles ..
Il n'y a qu'un homme auffi laborieux
que M. l'Abbé Lambert qui ait pû avoir.
le courage d'entreprendre ce grand ou
rage , & la patience de le finir..
TRADUCTION des modéles de Latinité ,
NOVEMBRE. 1751. 89
tirés des meilleurs Errivains , premier Recueil
de Poëfie , ou petites Comédies extraites
de Plaute & de Terence, à l'ufage de
la jeuneffe Chrétienne . A Paris,chez Louis-
François de la Tour, rue S. Jacques, 175 1 .
C'eft la continuation de la fage & utile
entreprife de M. Chompré. Nous avons
vû fi fenfiblement le fuccès de fon travail,
que nous ne balançons pas à fouhaiter
que tous les Colléges faffent ufage de ſes
Recueils. Il nous paroit que les perfonnes
qui ont le plus réflechi fur la maniere d'élever
les jeunes gens penfent comme nous ,
& nous apprenons avec joie , qu'un grand
nombre de Profeffeurs a adopté cette méthode.
Nous avons dit ailleurs les raifons
qui doivent faire préferer les extraits de M.
Chompré, aux ouvrages entiers des Auteurs.
anciens : tout ce que nous avons vû depuis ,
nous a confirmé dans notre opinion.
LETTRES fur M. de Fontenelle . A Paris
chez Bernard Brunet, rue S. Jacques, 175 r .
C'eft un éloge de M. de Fontenelle ,
d'autant plus flatteur qu'il eft fondé fur
fes
ouvrages
. L'Auteur
veut
prouver
que
fon Héros
a tous les genres
d'efprit
, & it
en trouve
la démonftration
dans les productions
qui font
forties
de la plume
de
cet Ecrivain
célébre
. Comme
les ouvra
90 MERCURE DE FRANCE.
ges de M. de Fontenelle font entre les
mains de tout le monde , nous croyons
inutile de copier ici ce qu'on peut voir
auffi- bien , & mieux , ailleurs . Nous devons
pourtant au Panegyrifte la juftice de
dire , que parmi les fleurs fans nombre
qu'il a trouvées fous fa main , il a cueilli les
plus agréables , il feroit à fouhaiter qu'il
eût un peu plus châtié fon ftyle. Voici le
portrait qu'on nous trace de M. de Fontenelle.
Il s'est trouvé un homme né avec l'amour
de toutes les Sciences , & l'heureufe
difpofition pour les acquérir ; c'eft bien
que l'on peut dire Tous les goûts à
de lui
La fois font entrés dansſon ame.
Il a le génie grand , élevé dans les ma
tieres qui le demandent , un efprit délicat
& facile où il ne faut que de l'efprit joi
gnez à cela les moeurs d'un Philoofophe
aimable , & les fentimens d'un bon Citoyen.
Son coeur eft exempt de ces fortes:
d'agitations que l'envie fait éclore , &
que la haine entretient. Il eft admiré fans.
cabale , & du confentement unanime de
la Nation. Incapable de jalousie , plutôt
par fa façon de penfer , où entre toute la
nobleffe d'une belle ame , qui par cette
étendue de lumiere qui le diftinguera tou
jours des autres hommes ; il converſe avec
NOVEMBRE.
1751 91
il
le Sçavant , parce que fon penchant pour
les Sciences l'y entraîne , & ne néglige
point les gens moins éclairés , parce qu'il
fçait fe prêter à tout , & fe proportionner
à ceux qu'il voit. Avec un Poëte , il parlera
des charmes de ce bel Art , joindra
l'exemple au précepte ; & s'il calcule avec
le Géométre , il fera ufage des figures les
plus hardies avec l'Orateur . Il ne négligera
même pas l'ignorant , c'eft un emploi
flatteur pour lui que de l'inftruire . Quoi !
y a un homme unique qui a véritablement
tous les efprits , tous les goûts , toures
les façons de s'exprimer , qui fçait tout
embellit , qui a éclairé toutes les Sciences
! Oui , M. de Fontenelle , je ne vous
pas encore dir , qu'il joignoit à des
connoiffances fi rares & fi vaftes , le précieux
talent d'être modefte : il ne parle.
jamais de lui fur le ton , dont tout le
monde en parle , tandis que beaucoup de
nos beaux efprits affurent eux-mêmes au
public qu'ils font tels ; ils prennent avec
aifance la trompette d'une main , les lautiers
de l'autre , & fans façon ils fe cou-
Tonnent ; lui au contraire , diminue toujours
de la gloire qui lui eft due ; & fi ſes.
Ouvrages parlent fi bien pour lui , il ne-
Yous en parlera pas fur le même ton.
Un Etranger , en entrant dans Paris , de
ai
92 MERCURE
DE FRANCE
.
mande à la barriere la demeure de M. de
Fontenelle
, curieux au dernier point de voir cet homme illuftre. Les Commis fort embarraffés
, & ne pouvant réfoudre la difficulté
lui , diſent nettemeut
qu'ils n'en fçavent
rien. Comment
, reprit avec colere l'Etran
ger , vous n'en fçavez rien ? vous voulez
donc vous moquer de moi ? Non , Monfieur
, difent humblement
les Commis.
Ah, c'eft affreux ! s'écrie -t'il , plus en colere
dit pas que vous
que jamais , il ne fera
me célerez plus long- tems la demeure de
ce grand homme. Déja il s'apprêtoit à
battre ces pauvres gens , il ne le pouvoit
plus retenir ; on vient au fecours , & la
chofe ne va pas plus loin. L'Etranger fu- rieux continue fon chemin , ne ceffant
de répéter : Quoi donc , aux barrieres ne
pas fçavoir la demeure de M. de Fontenelle ?
Quelle ignorance ! c'eſt un homme connu par
tout l'univers.
ESSAI de Cofmologie , par M. de Manpertuis.
On le trouve à Paris , chez Durand
, rue S. Jacques , 1751. Un volume
in. 12.
Le but de cet ouvrage eft de prouver ,
que dans toutes les diftributions de mouve
mens qui fe font dans la nature , la quantité
d'action , ( qui eft la famme des produits des
NOVEMBRE. 1751 93
maffes , par les espaces qu'elles parcourent ,
par les vitelles avec lesquelles elles les par-
Courent , ) étoit toujours la plus petite qu'il
fût poffible que dans le repos , les corps gni
fe tenoient en équilibre , devoient être placés
de maniere que , s'il y arrivoit quelque petit
mouvement, la quantité d'action fût la moindre.
Ce principe devient entre les mains de
M. deMaupertuis, une démonftration trèsclaire
& très- forte de l'existence & de la
fageffe de Dieu. L'effai de Cofmologie eft
précédé d'un très- beau diſcours , dans lequel
l'Auteur examine les preuves , dont
on fe fert ordinairement pour prouver
l'existence d'un premier être , & il les
trouve infuffifantes. Ce courage a déplû
à quelques Théologiens , il faut efperer
qu'ils fe rendront aux réflexions fines
& tout-à-fait religieufes de M. de Maupertuis.
S'il étoit queftion , dit cet illuftre Ecrivain
, d'examiner , fi pour établir une opinion
fauffe qu'on croiroit utile , il feroit
permis d'employer des argumens fpécieux
; on auroit bientôt répondu , en di
fant qu'il eft impoffible que le faux foit
jamais utile. Outre que l'admiffion du
faux , renverfant l'ordre & la fûreté de
nos connoiffances , nous rendroit des êtres
déraisonnables ; s'il eft question de porter
94 MERCURE DE FRANCE.
les hommes à quelque chofe qui foit véritablement
utile , la vérité prêtera toujours
de bons argumens , fans qu'on foit
obligé d'avoir recours au menfonge.
Mais nous fommes bien éloignés d'être
ici dans ce cas : l'existence de Dieu eft de
toutes les vérités la plus fûre : ce qu'il
faut examiner , c'eft , fi pour démontrer
une telle vérité , il eft permis d'employer
de faux argumens , ou de donner à des
argumens foibles une force qu'ils n'ont
pas ? Or cette question fera auffi d'abord
réfolue par le principe que nous avons
pofé le faux ne pouvant jamais être utile
, on ne doit jamais l'employer , & donner
à des preuves plus de force qu'elles
n'ont , étant une efpéce de faux , on ne
doit pas plus fe le permettre.

;
Non- feulement des principes contraires
dégraderoient la lumiere naturelle ,
ils feroient tort aux vérités même qu'on
veut prouver ; on rend fufpecte la vérité
la plus fûre , lorfqu'on ne préfente pas les
preuves avec affez de bonne foi , où avec
affez de jufteffe.
SELECTA è Cicerone præcepta moribus in
formandis idonea , in gratiam & ad capium
ftudiofa juventutis conquifita , ad ufumſcholarum
inferiorum, Parifiis , apud Petrum •
NOVEMBRE.
1751 . 95
Guillyn , ad ripam
Auguftinienfium , 1751 .
Un volume.
L'Auteur de ce Recueil , à force de lire
& de relire les ouvrages
philofophiques
de Ciceron , eft
parvenu à y trouver un
cours complet de morale pour les
jeunes
gens. Il faut efperer que les Profeffeurs
profiteront de ce nouveau fecours pour
inftruire leurs Ecoliers , & pour leur arracher
les Lives anciens où ils ne
comprennent
rien , ou les modernes où ils ne puifent
qu'une très-mauvaiſe latinité . Il regne
un ordre fort fage dans la compilation
que nous annonçons , & le ftyle eſt
celui de Ciceron lui -même.
L'ESPRIT des Loix
quinteffencié , par
une fuite de
Lettres
analitiques , 1751 .
Deux volumes in- 12 . On le trouve à Paris,
chez divers
Libraires .
L'Auteur de la Critique , M. l'Abbé
Debonaire , eft homme d'efprit.
L'Auteur
de l'ouvrage , M. de
Montesquieu , eſt
homine de génie. Cette
controverfe ne
peut donc pas manquer d'être intéreffante.
L'examen que nous
annonçons a paru par
Parties , & a été déja jugé.
THEATRE de M. Danchet , de l'Académie
Françoiſe , & de celles des Infcrip6
MERCURE DE FRANCE.
tions & Belles-Lettres. A Paris , chez
Grange , Robustel & Leloup , 1751. Qua
tre volumés in- 12.
` On lit à la tête de ce Recueil une vie .
de M. Danchet , qui eft fûrement écrite .
par un homme d'efprit . Voici l'idée qu'il
donne du caractére de l'Ecrivain , dont il
publie les ouvrages.
M. Danchet fut toujours fimple , uni ,
fage , réglé , plein d'égards pour tout le
-monde , & de reconnoiffance pour les
bienfaiteurs ; fils tendre & refpectueux ;
bon pere & bon ami , ſongeant à ſe ſervir
toujours moins utilement pour lai que
pour les autres , des protections dont il
étoit honoré , pour tout dire en un mot ,
il étoit d'une probité dont on voit peu
d'exemples. La candeur de fon ame étoit
fi bien peinte fur fon vifage , qu'elle lai
attira quelquefois des railleries qui ne lui
font qu'honneur. Sans fiel contre les ennemis
, il réfifta conftamment & fans ef
fort à la tentation fi délicate pour un Poë
te de fe vanger par fes propres armes ; il
les employa pourtant une feule fois , mais
d'une façon qui prouve bien qu'il étoit incapable
d'en abufer... Un homme de mérite
, que de faux rapports avoient indifpofé
contre lui , l'ayant attaqué dans une
fatyre , avec autant d'amertume que d'in-
,
juftice ;
NOVEMBRE. 1751. 97
juftice ; il répondit par une Epigramme
qui auroit couvert le fatyrique d'un ridi→
cule ineffaçable , fi elle eût été répondue.
M. Danchet lui en fit remettre une copie ,
en lui déclarant qu'il en étoit l'Auteur ;
celui ci prit fagement le parti d'aller s'expliquer
avec lui. M. Danchet le raffura,
en lui difant que l'unique copie de cette
Epigramme lui avoit été remile , qu'il ne
l'avoit montrée à perfonne ; que fon deffein
n'avoit point été de lui nuire , mais
feulement de lui faire fentir par fa propre
expérience l'injuftice de fon procédé , &
combien il étoit facile de fe vanger par ces
fortes de voies. Les meilleurs amis de M ,
Danchet ont toujours igncré avec qui cette
avanture lui étoit arrivée .
Le premier volume contient quatre
Tragédies , Cyrus , les Tyndarides , les He--
raclides & Nitetis. Ces piéces font affés
bien conduites , mais elles nous ont paru
foiblement écrites , & fans intérêt.
Le fecond & troifiéme volume contiennent
les ouvrages que M. Danchet a
compofés pour le Théatre de l'Opéra : on
ne peut nier que ce Poëte n'ait eu le ſtyle
très-lytique , il n'a pas eu au même degré,
le génie de l'invention . Hefione,,Tancréde
& les Fêtes Vénitiennes font ceux de fes
Poëmes qu'on revoit avec le plus de plaifir.
E
9S MERCURE DE FRANCE.
On trouvera dans le quatrième volume
les Piéces fugitives de M. Danchet. Ce
Poëte n'avoit ni la fineffe , ni la legereté
néceffaires pour réuffir dans ces fortes de
compofitions.
HISTOIRE générale d'Efpagne , traduite.
de l'Espagnol de Jean de Ferreras , enrichie
de notes hiftoriques & critiques , de
vignettes en taille-douce , & de Cartes
Géographiques. ParM . d'Hermilli . A Paris
chez Giffey , le Breton , Ganneau , Bordelet,
Quillan , fils , de la Guette , 1751. in- 4° .
10 Vol.
Le tome huitiéme renferme la meilleure.
partie du regne de Ferdinand & d'lfabelle
, & le commencement de celui de
Charles - Quint. Cenx qui connoiffent
Hiftoire d'Espagne font inftruits que c'eft
l'époque la plus brillante de cette Monarchie.
Ferreras eft entré dans des détails
inftructifs & le plus fouvent intéreffans.
Voici ce qu'il dit du caractére de Ferdinand
.
Sa mort fut pleurée de toute l'Espagne ,
& principalement de toutes les grandes
& petites Villes , à caufe de fon amour
pour la Religion , puifque ce fut pour
la conferver pure , qu'il chaffa les Juifs
de fes Etats , & les Mahometans du RoyauNOVEMBRE.
1751. 99
me de Grenade ; le même zéle pour la pureté
de la Foi , le porta à établir le S.
Tribunal de l'Inquifition, afin d'empêcher
qu'elle ne fût altérée par les erreurs de
l'héréfie .
Toujours jufte & équitable , il rabaiſſa
l'orgueil demefuré de quelques Grands en
foutenant & protégeant les foibles contre
leurs violences ; il réprima par le châtiment
le vol & la féduction , voulant qu'on
rendît toujours également la juftice à tout
le monde. Il aima , & fit cas des perfonnes
qui fe diftinguoient le plus dans la vertu
, dans la profeffions des Armes , ou dans
les Sciences . Ennemi du fafte majestueux ,
qu'il ne pouvoit fe procurer qu'au prix
de la fueur & du fang de fes fujets, il évita
autant qu'il put toute dépenfe fuperfluë.
Il ne fut ni généreux ni libéral , parce
que fes prédéceffeurs l'avoient été extrémement
du patrimoine de la Couronne ,
dont ils avoient détaché une partie confidérable
par leurs profufions ; mais la plus
grande preuve qu'il ne fut point avare ,
comme quelques-uns l'en ont taxé , c'eft
qu'on ne lui trouva pas feulement de quoi
faire les frais de fon enterrement .
Quelques-uns lui reprochent de n'avoir
feu tenir la parole , qu'autant qu'il y trou
voit fon avantage ; mais s'il eft vray qu'il
E ij
Too MERCURE DE FRANCE.
ait eu ce défaut , il avoit cela de commun
avec tous les Princes de ce fiècle .
Tout le monde fçait qu'il n'a pas non plus
été exemt de la fragilité humaine , puifqu'il
eft notoire qu'il a eu hors du mariage
, quelques enfans : du refte , il n'eft.
pas poffible de nier que ça été un des plus
grands Rois & des plus habiles politiques
qu'il y ait eu dans le monde , & l'on peut
le regarder comme le fondateur de la Monarchie
d'Espagne , par la réunion des
Royaumes de Caftille , d'Arragon , de Sici
le, de Sardaigne & de Naples, & par l'origi
ne de la vafte domination en Amérique.
Le neuviéme volume qui eft très curieux
>
commence par une differtation
fur l'abdication de Charles Quint ; nous
en allons copier ce qui nous paroit le plus
propre à faire connoître la fagacité & le
ftyle du Traducteur.
Les événemens les plus rares & les plus
finguliers caufent fouvent moins d'admiration
que de furprife. Accoutumés à ne
chercher qu'à contenter notre propre ambition
, à laquelle nous faifons communément
tant de fácrifices de toute espéce ,
nous ne pouvons comprendre comment
un homme peut fe réfoudre à fe dépouil
ler de fon vivant & de plein gré de tout
ce qu'il poffede. Plus il eft puiffant &
NOVEMBRE. 1751. 101
élevé en dignité , plus notre étonnement
eft grand ; & bien loin de l'admi
mirer , nous le traiterions volontiers d'infenfé
. Curieux de démêler la caufe d'un
fi grand défintéreffement
, nous mettons
notre efprit à la torture , pour la découvrir.
Nos propres affections font communément
nos guides dans les recherches , &
la bafe de notre jugement.
C'eft ce qui eft arrivé à l'égard du grand
Empereur Charles-Quint , lors qu'on lui
a vu abdiquer fes Royaumes & Etats héréditaires
en faveur de Philippe fon fils , &
céder enfuite l'Empire à Ferdinand fon frere
, pour ne plus vivre qu'en fimple particulier
dans la retraite qu'il fe choifit en
Elpagne. Tout le monde fut frappé de cet
abandon général , & très peu de gens y
applaudirent. Chacun voulut interpreter
& moriver cette action , & la plûpart
prévenus que ce Prince avoit toujours été
dévoré du défir ardent de regner , comme
fes envieux ne ceffoient de le publier , le
regarderent comme le trait de la politique
la plus raffinée. Ils prétendirent que ce
Potentat ne pouvoit digérer la perte de
trois Villes , de Metz , Toul & Verdun
qui avoient été démembrées de l'Empire
fous fon régne , ni deux autres affronts
qu'il avoir reçus , l'un à Infpruchk de la
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
:
part de Maurice , Electeur de Saxe , à qui
il n'avoit échappé que par un bonheur
fingulier , & l'autre à Metz , dont il avoit
été contraint de lever le fiége après avoir
perdu trente mille hommes , & prefque
toutes les munitions d'artillerie. D'autres
ajoutent le chagrin qu'il eut en 1955. de
l'élection de Jean- Pierre Caraffe à la Thiare
fous le nom de Paul IV. parce qu'ayant
une puiffante faction dans le Conclave ,
il s'étoit flatté de faire créer un Pape attaché
à la Maifon d'Autriche , & donner
l'exclufion à Caraffe , qui lui avoit toujours
été contraire à ces mortifications
ils en joignoient d'autres, telles que le peu
d'égard des Allemands pour fes ordres ,
& les mauvais bruits que les partifans du
nouveau Pape faifoient courir pour le décrier.
De là ils inférent , qu'il comprit que
la fortune , qui lui avoit prefque tou
jours été favorable , commençoit à l'aban--
donner, & fon autorité à décheoir. Enfin ils
veulent que ç'ait été là ce qui lui fit prendre
le parti de fe retirer, de peur que quel
que grand revers ne lui ravît toute la gloire
qu'il s'étoit acquis . Quelques- uns marquent
auffi , que la mort de Donna Janne fa mere
, Reine d'Espagne, qui arriva en 1555.
& une comete flamboyante , qui dans
le commencement de Mars de l'année fui
NOVEMBRE. 1751. 103
vante , fe fit voir durant quinze jours , au
huitième dégré de la balance , & qu'il
regarda comme l'annonce que la fin de
fa vie approchoit , acheverent de le dé
terminer à renoncer entiérement aux pompes
& aux grandeurs de ce monde.
Ce ne font là cependant que des raifon
nemens , & de pures conjectures denuées
de toutes preuves , même de vraisemblance.
Les abdications de Charles-Quint ne
farent point un projet enfanté , ni exécuté
avec précipitation . Depuis très long tems
ce Prince l'avoit conçu , & le nouriffoit dans
fon coeur. Guillaume Godelevaux dans
fon Hiftoire de l'Abdication de l'Empire ,
rapporte qu'on affuroit qu'il y avoit
plus de trente ans qu'il l'avoit formé .
Sandoval dit , qu'il étoit convenu avee
l'Impératrice Donna Ifabelle fa femme ,
de fe retirer tous deux dans des maifons
Religieufes , & que comme cette
Princeffe avoit terminé fa vie dès l'an
1539 , il ordonna en nfourant , par
fon
teftament , de les mettre tous deux , l'un
proche de l'autre , fous le maître Autel
du Monaftere de S. Juft , afin que ce qui
n'avoit pû être fait de leur vivant , fût du
moins exécuté après leur mort : quoique
l'Impératrice fa femme n'exiftât plus , il
n'en perfifta pas moins dans fa réfolution.
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE.
En 1542 , il en avoit fait confidence
à S. François de Borgia , comme le même
Saint en convint avec lui dans une des
vifites qu'il lui rendit au monaftere de S.
Juft. C'est ce qu'on apprend par une Relation
, que le Pere Martin Dangulo , Prieug
de cette Maiſon Religieufe , envoya à la
Princeffe Donna Janne , comme témoin
oculaire de la vie & des actions de cet Em
pereur dans fa retraite ; & Don Sandoval
dit avoir eu l'original figné de la main du
même Religieux. Il en avoit encore parlé
à un autre Seigneur de la premiere diftinc
tion , & le Pere Martin Dangulo affure
avoir oui dire plufieurs années avant les
abdications de l'Empereur , à un S. Reli
gieux appellé Diegne de S. Pierre , Confeffeur
du même Prince , qu'il fçavoit de
la bouche de ce Monarque , qu'il fe feroir
déja dépouillé de fes Etats , s'il avoit cru
pouvoir le faire en fureté de confcience.
Ce ne furent donc ni la vaine frayeur de
la Comete ni la mort de la Reine
Donna Janne, ni le chagrin de l'exaltation
de Paul IV . ni les autres mortifications.
dont on parle , ni la crainte de trop expofer
fa gloire , qui engagerent Charle-
Quint à faire fa retraite.
>
On peut pareillemment conclure contre
Mezeray , qu'il n'agit point dans cette
NOVEMBRE 1751. 105
occafion par un confeil de Femme comme
cet Hiftorien le lui reproche ; mais que
fon parti étoit pris , quand il en parla à
fes deux foeurs Eléonore , Reine Douairiere
de Portugal , & enfuite de France ,
& Marie Gouvernante des Pays-Pas , &
Reine Douairiere de Hongrie , qui l'approuverent.
A la vérité Pontus Heuterus
dit au livre XIV. de l'Hiftoire d'Autriche
qu'il agitoit depuis long- tems cette affaire
avec ces deux Princeffes , & qu'il avoir
pris leurs avis ; mais il ne marque pas
que ce Monarque ait été excité à fe déterminer
par leurs confeils. Il ajoute feules
ment que bien loin de chercher à le détourner
de fa réfolution , à caufe des foins
& des travaux fous le poids defquels il
fuccomboit , & de la cruelle maladie de.
la goute dont il étoit affligé , fes deux
foeurs inftruites du lieu qu'il avoit choif
pour fa pieufe retraite , le conjurerent
avec inftance de trouver bon qu'elles l'accompagnaffent.
par tout où il voudroit aller
. Qui ne voit pas par ce paffage
qu'Heuterus n'a jamais eu intention de
donner à entendre , que les deux Reines
confeillerent à l'Empereur leur frere de
dépofer la Souveraineté , mais qu'il l'avoit
réfolu de lui même , & de fon propre
mouvement , puifqu'avant de leur faire
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
part de fon intention , il avoit déja jettě
les yeux fur un endroit pour fe retirer ?
On peur donc croire
que Charles Quint
ne s'ouvrit à elles fur fon deffeim , avant
Pexécution , que parce qu'il ne crut pas
devoir faire une démarche fi délicate ,
fans avoir vu ce qu'en penferoient deux
Princeffes , dont la fageffe & la prudence
lui étoient auffi connues, que leur attachement
à fa perfonne.
*
-
Il fembloit en effet , que dans la pofition
où étoient les affaires , il y avoit fort
à craindre pour fes Royaumes & Etats héréditaires
, s'il s'en défaififfoit . Philippe
fon fils qui devoit les avoir , étoit encore
jeune & peu expérimenté dans l'Art Militaire,
la guerre duroit toujours avec laFrance
, & les Pinances étoient épuifées par les
dépenfes exceffives & indifpenfables qu'on
avoit faites . En falloit il davantage
pour arrêter ce grand Empereur ? Oui fans
doute ; ces mêmes raifons étoient ce qui
devoit l'exciter à paffer outre . Hors d'état
par fes infirmités , de vacquer avec
autant de foin & d'activité qu'il en falloit
, aux affaires militaires & politiques ,
n'étoit il pas d'un Prince fage , dans une
pareille conjoncture , de fe décharger du
fardean du Gouvernement fur celui qui
étoit deftiné à le porter , & qui à la fleur
Le
NOVEMBRE.
1751. 107
de fon âge , étoit moins expofé à fuccomber
fous le poids ?
Le défaut d'expérience dans Philippe
étoit à la vérité un grand point : mais
la fagefle de l'Empereur y pourvut , en
laiffant auprès de ce Prince d'excellens
Miniftres & Généraux , qu'il avoit dreffés
lui même , & qui étoient capables de le
foulager & feconder de leurs bras & de
leurs confeils . D'ailleurs Charles -Quinc
attentif à tout , n'eut- il pas encore foin de
ménager avec la France une trève de cinq
ans , qui fut arrêtée le cinquiéme Février
1556. fuivant Heaterus , quoique Ferreras
en mette la publication un jour plutôt
, afin de donner le tems à fon fils de
s'affermir fur le Trône , & fe former dans
l'Art de regner ? Que pouvoit-il faire de
mieux ? Il paroit qu'il avoit alors tout lieu
d'être tranquille pour fon fils & pour les
fujets . Si la trévé fut bientôt rompue
pouvoir il le prévoir , & devoit- il s'atten
dre que Paul IV . en feroit la caufe , tant
par envie de fatisfaire fa propre ambition
& celle de fa famille , que par animofité
contre la Maifon d'Autriche fans s'inquiéter
qu'en qualité de pere commun , ç'auroit
été à lui même à en éxiger la religieufe
obfervation , fi quelqu'un avoit
voulut y donner la moindre atteinte ?
E vi
108 MERCURE DE FRANCE.
l'on ne
Pour ce qui étoit des Finances , Charles
Quint devoit être moralement für , que
Philippe fon fils obtiendroit plus facilement
que lui , les fubfides & fecours dont
il avoit befoin pour remplir fes coffres ,
& continuer la guerre , en cas que
pût convenir de rien avec la France . Ses
Sujets étoient prefque rebutés par les demandes
continuelles qu'il avoit été obligé
de leur faire, & il y avoit tout lieu de croire
, que l'envie de mériter la bienveillance.
d'un nouveaux maître , leur feroit fupporter
leurs maux avec plus de patience , &
les engageroit même , malgré leur épuiſemeat
, à lui donner des preuves éclatantes
de leur attachement & de leur zéle. On .
fçait par expérience que c'eft ce qui arrive.
communément.
Après avoir abdiqué fes Royaumes &
Etats héréditaires , il étoit naturel que
Charles -Quint en fit de mêmeà l'égard de
l'Empire. Qutre fes infirmités qui exigeoient
de lui cet abandon , de même queles
précédens , ce n'étoit qu'en le faifant
qu'il pouvoit aller librement goûter les
douceurs de la retraite , après laquelle il
foupiroit depuis fi long tems. C'étoit ce
dernier facrifice qui devoit couronner fes
vx , & mettre le comble à la felicité.
Atli avoit-il deffein de le faire au plutôt
NOVEMBRE. 1751. 109
pas
la
quand il tranfporta fes Royaumes à fon fils .
N'auroit-il d'ailleurs été blâmable de
garder dans ce tems de trouble & de combuftion
, après s'être dépouillé de fes domaines
héréditaires , d'où il tiroir fa principale
puiffance , une dignité dont il avoit
déja cu tant de peine à foutenir l'éclat
avec toutes les forces contre des Vaffaux
& Sujets rébelles , qui vouloient l'obliger :
par la voie des armes d'approuver & autorifer
leur nouvelle Religion ? . S'il craignoir
que Ferdinand ,fon frere , Roi des .
Romains , ne pût la porter avec grandeur
convenable , quoiqu'il poffedât l'Autriche
& la Boheme , d'où vient qu'il voulut
plufieurs fois l'engager à céder fon
droit , en tout ou en partie , à Philipped'Espagne
, comme à un Prince qui devoir
être plus puiffant & plus en état que lui
de fe faire craindre & refpecter ? qu'auroit
il pû fe prometre à lui-même ? Cependant ,
quoiqu'il eût figné fon abdication de
l'Empire , le lendemain qu'il avoit fait
celle de fes Royaumes , c'eft - à- dire , le 17
de Janvier de l'an 1556 , fuivant Sandoval
, il differa plufieurs mois de la faire
remettre au Roi des Romains , fon frere ;
mais ce ne fut que pour faire auprès de ce.
Prince une derniere tentative en faveuz
de fon fils , & négocier avec la France la
t
710 . MERCURE DE FRANCE.
Trêve dont j'ai parlé. Déchû enfin de toute
efperance d'obtenir de Ferdinand , fon
frere , le défiftement qu'il demandoit pour
fon fils , pas même fon confentement pour
que Philippe fût au moins déclaré Vicaire
de l'Empire en Italie & dans les Pays - Bas ,
il lui envoya fa renonciation , & partit
par mer au commencement de Septembre
de la même année 1556 pour l'Espagne ,
où il arriva heureufement le 28 de ce
mois.
On doit donc avouer que la conduite
de Charles- Quint , dans fes abdications
fucceffives , a été dirigée par la fageffe , &
eft marquée à fon com ; qu'en fe dépouillant
ainfi , il n'avoit aucune vûe humaine .
Le dixiéme & dernier volume de l'Hif
toire d'Efpagne s'étend depuis l'an 1569,
jufqu'en 1598 , il finit par le portrait de
Philippe II . que nous allons tranfcrire.
Dom Philippe , deuxième Roi du nom
en Caftille , & premier en Arragon & en
Portugal , étoit d'une taille médiocre &
bien proportionnée . Il avoit un efprit
très-vif , & un zéle fi ardent pour la foi
Catholique , qu'il fit de grands frais , de
puiffans armemens contre les ennemis de
la foi , & dépenía des tréfors immenfes
pour ne point permettre la liberté de confcie
nce dans les Provinces Unies , & pour
NOVEMBRE. 1751 .
>
empêcher que la Couronne de France ne
tombât fur la tête d'un Prince qui ne fût
point Catholique. La magnificence de
l'Eglife & du Monaftére de Saint Laurentde-
l'Efcurial , publie fa piété & fa Religion
, ainfi que plufieurs autres Eglifes ,
Monattéres & Hôpitaux , aufquels il a
donné des fommes confidérables foit
pour leur conftruction , ou pour leur or
nement , comme le marque le Pere Siquença
. Il s'eft acquis dans la poftérité le
furnom de Prudent , par fa grande attention
à chercher toujours des hommes dignes
& capables pour les emplois , à récompenfer
les bons , & à punir févére
ment . Jamais Prince ne fut plus patient ,
ni plus réfigné à la volonté de Dieu ; &
ce qui fait enfin fon plus grand panégyrique
, c'eft qu'il fut autant pleuré & regretré
de fes Sujets & des honnêtes gens , que
détefté des hérétiques & des méchans , &
quoiqu'il n'ait point été exempt de défauts
, ils n'ont pû obfcurcir les grands.
éloges que les Papes lui ont donnés . On
fit les obféques à Madrid dans le Monaftére
de Saint Jerôme , avec toute la magnificence
poflible , de même que dans
toute l'Espagne , à Rome , & dans l'Empire.
EIZ MERCURE DE FRANCE.
TRAITE' fur la maniere de lire les Auteurs
avec utilité. A Paris , chez la veuve
Lottin & Butard , rue Saint Jacques ,
1751. Trois volumes in 12. Nous rendrons
compte le mois prochain de cette.
nouveauté , auffi-bien que des deux fuivantes.
DISSERTATION fur les raifons d'établir
ou d'abroger les Loix . Par l'Auteur des
Mémoires pour fervir à l'Hiftoire de Brandebourg
, à laquelle on a joint l'examen
de l'ufure , fuivant les Principes du Droit
Naturel Par M. Formey. A Utrecht . &
fe trouve à Paris , chez Briaffon , rue Saint
Jacques. Brochure in- 12.
OBSERVATIONS de Jean- Jacques Rouf
fean , de Geneve, fur la réponse qui a été
faite à fon Difcours couronné à Dijon ,
fur cette question : Si le rétabliſſement des
Sciences & des Arts a contribuè a épurer les
moeurs. On trouve cette brochure chez :
Fiffet , Quai de Conti .
LES hommages du Parnaffe , préfentés
au Roi , à l'occafion de la naiffance de.
Monfeigneur le Duc de Bourgogne. Par .
M. Gautier , ancien Valet - de Chambre de
Sa Majesté , 1751 A Paris , chez la veu
ve David. Brochure de & pages.
NOVEMBRE. 1751 . 113
Eloge hiftorique de Dom Jacques Martin.
Dom Jacques Martin naquit en 1694 ,
à Fanjaux , petite ville du haut Languedoc.
Il fit fes Claffes à Limoux , Ville du
Diocéfe de Narbonne , & à Tours , où il
finit par la Réthorique. Il entra dans la
Congrégation de Saint Maur , & y fit
Profeffion en 1709. Il fit fes études ordinaires
de Philofophie & de Théologie
avec diftinction , quoiqu'il fût travaillé
pendant tout ce tems -là de maux de tête
continuels, & qu'il donnât un certain tems
à l'érude du Grec & des Antiquités. Après
fes études , il enfeigna la Réthorique dans
le Seminaire de Sorefe. Il fut envoyé enfuite
à Toulouſe , pour être à portée de
ramaffer ce qui pouvoit fervir aux Auteurs
du Gallia Chriftiana , & à ceux du
Ducange. C'eft- là qu'il forma le projet de
fon ouvrage de la Religion des Gaulois .
Dom Bernard de Montfaucon , avec lequel
il étoit en commerce littéraire , &
à qui il en communiqua le plan , le fit
venir à Paris , & cet ouvrage parut en-
1727. En 1730 , il donna fes explications
de plufieurs textes difficiles de l'Ecriture.
En 1754 , il fit paroitre deux Lettres
de Saint Auguftin , fur un Manufcrie
du Monaftére de Gotwich , & il donna un
114 MERCURE DE FRANCE.
Traité fur l'origine de l'ame , felon le
fentiment de ce faint Pere. En 1736 ,
cinq Docteurs de Sorbonne donnerent
dans une Lettre à M. le M. Maffei un projet
de Bibliothéque alphabétique , fur
l'Hiftoire de Cave , & fur quelques au
tres ouvrages femblables , dans lequel ils
attaquoient quelques Auteurs de la Congrégation.
Dom Jacques Martin fit paroî
tre plufieurs Lettres pour leur défenſe , &
un petit ouvrage périodique , intitulé :
Eclairciffemens littéraires , fur un projet de
Bibliothéque alphabétique. En 1739 , parut
fon ouvrage , qui a pour titre : Expli
cations de divers monumens finguliers. Il
donna en 1741 une nouvelle Traduction
des Confeflions de Saint Auguftin , avec
des notes hiftoriques , critiques & chronologiques.
Enfin en 1744 , il fit paroître
les éclairciffemens hiftoriques fur les origines
Celtiques & Gauloifes , comme une
annonce du grand ouvrage de l'Hiftoire
des Gaules , & des conquêtes des Gaulois,
dont le premier volume eft imprimé , &
va paroître inceffamment fous la protection
de Sa Majefté , qui en a bien voulu
accepter la Dédicace . Après la mort de
l'Auteur , les Supérieurs ont donné la continuation
de cet ouvrage à D. Jean- François
de Brerillac , fon neveu , qu'il avoir affoié
à fon travail.
NOVEMBRE. 1751.
ACADEMIE
des Belles-Lettres
de Montauban.
Monfieur
l'Evêque
de Montauban
, ayant deftiné la fomme de deux
cens cinquante livres , pour donner un
prix de pareille valeur à celui qui , au jugement
de l'Académie
des Belles- Lettres
de cette Ville , fe trouvera avoir fait le
meilleur Difcours fur un fujet relatif à
quelque point de morale , tiré des Livres
faints ; l'Académie
diftribuera
ce prix le
25 Août prochain , Fête de Saint Louis ,
Roi de France.
l'an- Le fujet de ce Difcours fera pour
née 1752 : La vraie Philofophie eft incompatible
avec l'irreligion , conformément à
ces paroles du Livre de la Sageffe : Hac
cogitaverunt & erraverunt. Sap. 2 .
Les Auteurs feront remettre leurs ou
vrages , par tout le mois de Mai prochain ,
entre les mains de M. de Bernoy , Secrétaite
Perpétuel de l'Académie , en fa maifon
, rue Montmurat ; ou , en fon abſence
à M. l'Abbé Bellet ; en fa maiſon , rue-
Cour de Touloufe.
Le prix de l'année 1751 a été adjugé
au Difcours , qui a pour Sentence : Artes...
exercentur , vel ad fuppedia vite , vel ad
gloriam , dont- M. Soret , Avocat au Par
16 MERCURE DE FRANCE:
Iement de Paris , eft l'Auteur. Il remporta
l'année
derniere le prix du même genre ;
& en 1748 , il avoit
remporté celui de
l'Académie
Françoife.
Le prix réfervé de 1749 , deſtiné à une
Ode , ou à un Poëme fur l'Invention do'
l'Imprimerie , a été adjugé au Poëme qui a
pour Sentence :: Omnis profectus ex lectione
meditatione procedit , dont l'Auteur eft
M. de Vignier de Ségadennes , de Villefranche
, de
Lauragois , connu par plu
Geurs prix qu'il a remportés à Toulouſe .
BEAUX- ARTS.
ESSIEURS DE
PALMEUS , pere &
Mfils , ne laiffent échapper aucune
occafion de célébrer à leur maniere les
heureux évenemens de ce Regne. On fut
content de ce qu'ils firent à la paix , &
on l'a été peut- être davantage de l'Eitampe
allégorique en forme de médaille , repréfentant
l'heureuſe naiffance de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne , qu'ils ont
préfentée au Roi le 14 Septembre , avec
cette Epitre :
SIRE , Vos bontés , & la
part que l'univers
entier prend à la joie , dont vos
Sujets font comblés par l'heureufe naiffance
de
Monfeigneur le Duc de BourNOVEMBRE.
1751. 117 .
gogne , femblent nous permettre le reſpectueux
empreffement de célébrer le '
concours des voeux qu'ils font pour que le
Ciel perpétue la poftérité de Votre Majefté
autant que les fiécles.
Cette Epitre , l'Estampe , & la deſcription
de l'Eftampe , forment une petite brochure
de huit pages. Nous allons tranfcrire
la defcription telle qu'on nous la
donne.
Le Ciel accorde aux voeux des François
un nouveau gage de fa protection , par la
naiffance de Monfeigneur le Duc de Bourgogne
; l'Hymen reçoit ce don précieux ,
& le donne à la France. La Pologne exprime
par de tendres carreffes la fincérité
de fon amour pour le petit- fils de Louis
le Souverain des coeurs. L'Europe , l'Afie,
l'Afrique & l'Amérique , expriment l'allégreffe
de leurs Habitans , fur l'heureuſe
naiffance du Defcendant des Monarques
de l'Europe.
L'Eftampe que bien des gens ont mife
dans leur Tabatiere , à la place des mignatures
, a été joliment gravée par Pafquier.
Meffieurs de Palmeus demeurent rue neuve
des Petits champs , vis à-vis Hôtel
Saint Pouange
.
LA Ville de Paris , defirant de tranf
IS
MERCURE DE FRANCE.
mettre à la postérité les deux fêtes , qu'elle
a fait célébrer à l'occafion des deux mariages
de
Monfeigneur le Dauphin , a permis
au Sieur François Blondel , Architecte
du Roi , & de fon Académie Royale
d'Architecture , d'en faire graver les
deffeins originaux , dont la plus grande
partie font de fa
compofition.
Pour remplir cet objet , l'Auteur s'eft
fervi des plus habiles Deffinateurs & Graveurs
de Paris , & n'a rien négligé pour
rendre cet ouvrage digne de l'approbation
des
Connoilleurs.
Ces fêtes compofent deux volumes féparés
fur papier grand Aîgle.
Le premier mariage de
Monfeigneur le
Dauphin , avec Madame Infante d'Efpagne
, compofe le premier volume : il eft
orné d'un Tableau
allégorique du mariage
, & de vingt planches ,
répréfentans
Les fix Salles de Bals publics , qui ont été
élevées dans les differens quartiers de la
Ville , qui avoient pour allégories les
quatre faifons de l'année , le Temple de
l'Hymen , & le Palais de Momus : les Salles
de Bal de l'Hôtel- de - Ville de Paris ,
avec une defcription , contenant dixfept
pages d'écriture au burin , encadrées
dans de riches bordures
d'ornemens trèsvariés.

NOVEMBRE , 1751. 119 .
Son fecond mariage avec la Princeſſe
da Saxe , fille du Roi de Pologne , compofe
l'autre volume ; il eft pareillement
orné d'un . Tableau allégorique du mariage
& de fept planches , repréfentans les
cinq Chars , parcourans les differens quartiers
de la Ville , qui avoient pour allégories
Mars , l'Hymen , Cerès , Bacchus
& la Ville : la vûe perſpective de la Place
de Louis le Grand , oùfont repréfentés ces
mêmes Chars , avec tout le Cortége qui
les accompagne , & le Feu d'artifice tiré
devant l'Hôtel- de - Ville , avec une defcription
contenant douze pages d'écriture
au burain , encadrées dans des bordures
chargées de divers attributs relatifs au
fujet , & extrêmement variés .
Ces deux Livres fe vendront enſemble
brochés 144 liv. chez le Sieur Blondel ,
rue du Croiffant , près Saint Jofeph , quartier
Montmartre.
Et chez la veuve Chereau , rue Saint
Jacques , aux deux Piliers d'or.
MOYREAU , Graveur du Roi , vient de
mettre au jour une nouvelle Eftampe , gravée
d'après Wonvermens , intitulée : Marche
d'armée ; elle eft tirée du Cabinet de
M. Gaignat , Secrétaire du Roi ; c'eft le
No. 69 , de la fuite de M. Moyreau. La de720
MERCURE DE FRANCE:
meure de ce Graveur , et préfentement
rue des Mathurins , la quatriéme porte
cochere à gauche , en entrant par la rue de
la Harpe , vis- à- vis la rue des Maçons , à
Paris.
LA COMBE , rue Saint Jacques , près
Saint Yves , débite en vingt-fix Cartes un
Recueil de plufieurs fiéges de Villes de la
derniere guerre de Flandre.
OBSERVATION de M. de Blainville ,
fur la Lettre de M*** , inferée dans le
Mercure du mois de Septembre , pag.
E devois un remerciement à M. Roulfeau
, de la Lettre délicate & fenfée
qu'il a bien voulu publier à l'occafion de
mon Effai de fymphonie dans un troifiéme
mode , & je faifis avec plaifir l'occafion de
m'en acquitter.
Je ne me crois pas tout-à - fait fi obligé
envers M.... Car ceux qui n'auront point
lû ce que j'ai écrit depuis fur le même
fujet , pourroient s'en tenir à la parole de
M....& prendre l'invention du mode
mixte pour une frivolité. Je dis à la parole,
car pour les raifons , elles font à la portée
d'un fi petit nombre de perfonnes , que je
ne crois pas que celui de mes Approbateurs
foit beaucoup diminué , fi je ne perds que
ceux qui les auront bien entendues.
L'Auteur
NOVEMBRE . 1751. 121
L'Auteur de la Critique commence par
donner au mode que j'ai propofé , une
dénomination qui me paroît louche. Semi,
en terme de l'Art , veut dire moindre de
moitié ; on dit femiton , pour moitié d'un
ton . M....en appellant le mode mixte ,
femimineur , prétendroit-il que ce mode
n'a que la moitié des intervalles du mode
mineur , ou que fa tierce n'a qu'un demi
ton , & un quart de ton ? fi ce n'eft ni l'un
ni l'autre , que fignifie done cette épithète ,
Semimineur.
L'anonyme ajoute , que ce mode n'eft
autre chofe que le mode majeur renverfé.
Quelle idée ! il vaudroit autant dire , que
le mode mineur en defcendant , n'eft autre
chofe que le mode majeur en commençant
par la fixiéme note . Il s'enfuit de
ce principe , ( car c'en eft un felon l'Auteur
, ) qu'on découvre tour de fuite le
genre d'harmonie qui convient au mode
mixte , & le degré de perfection , ou
d'imperfection qu'on doit lui affigner.
On me difpenfera , je crois , de répondre
à de pareilles chiméres , fuppofé que pour
trouver le genre d'harmonie convenable
à ce mode , il n'y a qu'à fuivre tout uniment
le principe du renversement ; ce
ptincipe entraînant avec lui des differences
& des applications fans nombre , loin
F
122 , MERCURE DE FRANCE.
d'éclaircir la chofe , & en faire voir le
faux , c'eft l'envelopper encore davantage
, s'eft faire entendre que le mode
mineur en defcendant , trouveroit aufli
fon harmonie dans le renversement de
celle du mode, majeur.
D'ailleurs font ce les nottes du deffus ,
ou de la baffe ; font ce les notes confervées
dans la nature du mode mixte , ou
prife de comparaifon avec le mode majeur,
dont il faut renverfer l'harmonie ; fans
doute que M.... nous l'expliquera dans
une autre Lettre .
Quand on a reproché au mode mixte ,
que la quarte qui lui fert de dominante
paroît venit prendre fur l'oreille l'empire
de tonique , à caufe du fol dieze , il femble
que tout foit dit. On donnera facilement
tort à ce mode , lorfqu'on le pren
dra dans le même fens que les autres ;
mais il aura raifon , lorfqu'on voudra
bien le prendre , comme il eft jufte , dans
un fens contraire ou oppofé.
La caractériſtique des deux modes ad
mis , eft prife de leurs tierces , celle du
mode mixte en différe affez fenfiblement
par le demi ton au premier degré , fuivi.
d'un ton majeur , au lieu que le mode mineur
a un ton mineur , enfuite un demi
ton ; premiere difference & oppofition .
NOVEMBRE. 1751 123
Ces deux modes ont la cinquiéme note
pour dominante , avec tierce majeure ;
celui- ci au contraire a fa quatrième pour
dominante , avec tierce mineare . Seconde
oppofition.
Les deux modes procédent , en commençant
par la tonique & la mediante
& vont enfuite de la dominante à l'octave
. Celui- ci au contraire , paffe tout de
faite à fa quatrième , de- là à la fixiéme
& à fon octave. Troifiéme oppofition .
Les deux modes prennent leur harmonie
, des cordes mêmes qui lient les notes
de ces modes entr'elles , fans prefque
fortir de leur route . Celui- ci au contraire ,
ne pouvant fe tenir dans des bornes fi
étroites , parcourt dans fa gamme differens
modes. Quatriéme oppofition .
Enfin , jufqu'à préfent , nous avons décidé
nos modes par l'harmonie , & celuici
ne veut être décidé que par la melodie ,
qui conftituoit jadis le chant des Grecs ,
dont le fyftême , quoique fans harmonie ,
étoit fondé fur une théorie affez fuivie , &
affez exacte, pour mériter notre attention .
Si M ..... avoit voulu fe donner la
peine de faire ces obfervations , il n'auroit.
pas rejetté la poffibilité de ce mode , qui
peur fournir une variété de plus à notre
fyftême ; poffibilité que j'ai prouvée affez
Fij
124 MERCURE
DEFRANCE
.
autentiquement , par la fymphonie que
j'ai compofée dans ce genre .
M.... n'a peut- être pas encore confidéré
, que la melodie a bien plus de force
fur l'oreille que l'harmonie. Les accords
ne font que les reflects des chants . Pour
être Muficien , il ne faut pas entendre
feulement les proportions harmoniques ,
il faut encore fentir toute l'énergie des
chants. L'harmonie eft comme le deffein ,
& les chants comme les couleurs . Mais
fera-ce un Sculpteur qui décidera des régles
du coloris."
Ouvrages de M. Blainville.
Principes.
Traité d'harmonie , 6 liv.
Effai fur un troifiéme mode ,
3
liv.
Mufique inftrumentale.
Premiere fymphonie ,
6 liv.
Seconde fymphonie ,
6 liv.
f
Premier Livre ,'
3 liv. C Sonate de violon.
Second Livre , 6liv.
Quatrième , la Muſette ,
Mufique vocale. Cantatilles.
Premiere , la Prife de Bergopfom , 246.
Seconde , lé Serin perdu ,
Troifiéme , le Roffignol ,
24
1.
246
Cinquième , l'Heureufe furprife ,
246
naires de Mufique .
On les trouve chez les Marchands ordi
241
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ABTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
,
THE
NEW
YORK PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
.
NOVEMBRE. 1751. 125
E PASTOR FIDO ,
Chanfon trés-nouvelle.
effacer de ma mémoire , '
te qui m'a fçucharmer;
lui dérober fa victoire ,
rche ailleurs à m'enflammer.
SoinsfuperAas ! à ma bergere ,
Malgré moi , je reviens toujours :
Toute autre chofe eft étrangere
Au bonheur de mes jours.
ai dit cette jeune merveille :
adra-t'elle contre Bachus ?
uvrage du Dieu de la treille ,
truira celui de Venus.
Soins fuperflus , &c.
Qu'Apollon m'occupe & m'amufe,
efprit pourra guérir le coeur :
Défendons furtout à ma Muſe
De jamais chanter mon vainqueur
Soins fuperflus, & c.
Eh bien ! cherchons chez l'Amour même ;
F iij
126 MERCURE DE FRANCE
Un prompt
Doris eft aimable , elle m'aime ,
reméde à mes tourmens ,
Livrons-lui tous nos fentimens .
Soins fuperflus , &c.
La préfence de cette belle ,
Nourrit fans doute mon ardeur ,
Fuyons ; que mon ame loin d'elle
Reprenne une heureufe froideur .
Soins fuperflus , &c.
J'entends la trompette guerriere ,
Volons à de nobles hazards ,
Les amours dans cette carriere
Suivent-ils les pas des Céfars ?
Soins fuperflus , & c.
菜菜
Peut-être le fracas des villes
Diffiperoit mieux notre ennui ,
Les amours conftans & ferviles ,
N'y font plus de mode aujourd'hui ;
Soins fuperflus , & c.
Dans les forêts avec Diane
Oublions les chagrins mortels ;
L'Amour eft un maître profane ,
Dont elle a brifé les Autels ;
Soins fuperfus , & c .
X
NOVEMBRE.
127 1751
Sur le récit du long
martyre ,
Qu'elle avoit à fe reprocher ,
Eglé répondit à Titire ;
Saus pourtant encor l'approcher :
On touche à la fin la bergere ,
Quand on perfevere toujours ,
Notre rigueur eft étrangese ,
Au bonheur de nos jours.
SPECTACLES.
L'A
'Académie
Royale de Mufique
continue
les reprefentations
des Génies
Tutelaires. C'eft un ouvrage de M. de
Moncrif , qui en qualité d'homme qui vic
à la Cour , d'Ecrivain de réputation , &
de Poëte , couronné
plufieurs fois fur le
Théatre de l'Opéra , étoit
très propre à
célébrer la Naiffance de Monfeigneur le
Duc de Bourgogne
. La célébrité
de l'Auteur
, & la grandeur de l'évenement
nous
déterminent à tranfcrire l'ouvrage
entier.
LES GENIES TUTELAIRES.
Le Théatre estformé par un amas de nuages
lumineux . Ces nuages fe développent pendant
que l'Orchestre exécute l'ouverture ,
laiffent voir le globe du monde , portéfurle
ن م
Fij
128 MERCURE
DE FRANCE.
Jommet du Mont- Atlas. Le globe s'ouvre &
devient le Trône des Fées & des Genies , à qui
le Deftin afoumis la Terre.
La Fée de la France , le Génie de l'Amérique.
La Fée de l'Afie , le Génie de l'Afrique .
Ensemble , avec les Chours.
C'eft par nous ! ô Deftin , que ta voix fouveraine,
Vole dans l'univers ,
Dévoile - nous toujours la chaîne
De tes décrets divers.
La Fée de l'Afie.
On danfe.
Tout eft charmant dans mon Empire ,
Mille parfums divers font l'air qu'on y reſpire.
C'eft fur ces bords délicieux ,
Qu'au matin on voit naître une aurore nouvelle.
Spectacle encor plus doux toujours chaque
mortelle ,
Plus belle que l'Aurore enchante tous les yeux.
Le Génie de l'Afriqué.
On danfe.
Soleil , tu viens lancer tes plus ardentes flames ,
Sur les peuples divers que m'a foumis le fort ;
Pleines de tes rayons , leurs intrépides ames ,
Aux plus affreux périls volent avec tranſport.
On danfe
Vainqueurs implacables ',
To
NOVEMBRE. 1751. 129
Tout céde à leurs coups ;
Les feux effroyables ,
Du Ciel en courroux
Sont moins redoutables :
Vainqueurs implacables ,
Tout céde à leurs coups.
La Fée de la France.
Mesdeftins font plus favorables ,
Les dons que vous vantez n'attirent point mes
voeux ,
Mon Empire s'étend dans des climats heureux ,
Sur les mortels les plus aimables.
Qu'il eft doux de regner (ur eux ;
fur eux ,
De leur fidélité leur amour eſt le gage .
Qu'il eft doux de regner
Le penchant les conduit où l'honneur les engage
Le choix dans les plaifirs , les charmes du langage
Les talens enchanteurs employés dans leurs
jeux ,
Les tréfors appellés du plus lointain rivage ;
Le don heureux d'en faire ufage ,
Tréfor encor plus précieux ?
Par eux tout ce qui plaît s'embellit davantage.
Le Génie de l'Amérique .
Je conçois le bonheur qui caufe vos tranfports :
Mais connoiffez les biens , dont mon. Empire
abonde .
Sur mes pas naiffent les tréfors ,
Et les tréfors font les maîtres du monde.
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
Brillez , faites regner les jeux ,
Triomphez , aimable richeſſe ,
Vous devinez fans ceffe ,
Tout ce qui rend heureux ;
Brillez , faites regner les jeux.
Le Génie de l'Afrique .
Fuyons leurs vains plaifirs , cherchons -partout la
guerre ,
La paix n'eft qu'un fommeil , une trifte langueur
Parcourons , rempliffons la terre ;
Répandons par tout la terreur
t
Ah ! qu'il eft beau de lancer le tonnerre.
La Fée de l'Afie.
Ceffez un éloge fi vain ,
Bien,fouvent on prend fes captices
Pour des oracies du deſtin ,
Ne vantez plus nos injuſtices.
La Fée de la France , & le Génie
de l'Amérique.
Deftin dans l'univers répandez vos faveurs ,
Annoncez de beaux jours une fource nouvelle
Volez plaifirs , qu'une paix éternelle
Enchante à jamais tous les coeurs.
On entend une fymphonies.
La Fée de la France.
Le Deftin va parler , j'entends fa voix fuprême ::
Il eft d'heureux évenemens ,
Qu'il aime à déclarer lui - même.
Terre fois attentive à fes commandemens.
NOVEMBRE. 75. 231
Le Théatre eft change ; le Deftin paroîtfur un
Trône au milieu de fon Palais.
30
Le Deftin .
Vafte Empire des Lys , le Deftin te feconde ,
»Quel triomphe : quel heureuxjour !
ל כ
» Tu vois s'éternifer pour le bonheur du monde
» L'augufte Sang d'un Roi , l'objet de ton amour.
Le Deftin difparoît , & le Pavillon de la
France vient embellir le Palais
du Deftin.
La Fée de la France.
Les tranfports de nos coeurs ne peuvent trop paroitre
;
Confacrons ce grand jour par des voeux folemnels.
Les Chaurs.
Chantons le plus aimable Maître ,
Il enchaîne la gloire au bonheur des mortels.
Dans quelque rang que le Ciel l'eût fait naître 5
Il eût mérité des Autels.
La Fée de la France.
Lorſque la Victoire
On danfe
N'a d'objet qu'un repos heureux ;
Quel comble de gloire !
Le Héros qui triomphe et l'image des Dieux,
On danfe
F vi
132 MERCURE DE FRANCE.
Le Génie de l'Amérique , & la Fée de la
France , alternativement avec les Chours.
Soumettez les vents & les ondes ,
Voguez à l'aide des Zéphirs ,
Vous répandez dans les deux mondes,
Et les Beaux Arts & les plaifirs .
Nos immenfes tréfors qui caufent tant d'envie ,
Ne font que des biens fi charmans.
Les nôtres verfent la vie ,
Ce qui la fait couler dans les amuſemens.
Soumettez les vents & les ondes ,
Voguez à l'aide des Zéphirs ,
Vous répandez dans les deux mondes , 5
Et les Beaux Arts & les plaifirs.
E: Génie de l'Afrique.
On danfe
Que le Vainqueur fe plaife à fe voir redouter.
Que fan ronnerre en cent lieux fe déclare.
La Fée de la France .
Qu'inceffamment il fe prépare ,
Pour être difpenfé de le faire éclatter .
Le Génie de l'Afrique.
Que de remparts il peut réduire en cendres ,
S'il s'abandonne à fa valeur.
La Fée de la France.
Que de bienfaits on le verra répandre ,
Sue confulte que fon coeur.
On danfe
NOVEMBRE.
1751. 137
Les Chours.
Chantons le plus aimable Maître ,
Il enchaîne fa gloire au bonheur des mortels ,
Dans quelque rang que le Ciel l'eût fait naître ,
Il eût mérité des Autels.
>
La Mufique de ce divertiffement eft de
Meffieurs Rebel & Francoeur , dont le talent
eft fort connu . On a applaudi Pou
verture , le quatuor , un duo chanté par˝
M. Jeliote & Mlle Chevalier , & le tambourin.
En général on a trouvé de l'harmonie
dans cet ouvrage. Le Palais du
Deftin eft une des plus belles décorations
qu'on ait vûes depuis long- tems.
nous
Les Génies Tutelaires font fuivis de
l'Acte des Sauvages. Nous ne parlerons
pas d'un ouvrage fi connu
• pour
arrêter fur un qui mérite bien de l'être ,
c'eft la Guirlande . Le Poëme eft de M.
Marmontel , Auteur de plufieurs Tragé
dies , qui ont eu le plus grand fuccès :
l'idée en a paru neuve & charmante ; dans
la crainte de la défigurer en la mettant en
profe , nous copierons tous les vers néceffaires
pour former une action fuivie.
Mirtilfeul, tenant à la main une guirlande ,
dont lesfleurs fontfanées.
Peut- on être à la fois ,
Si tendre , & fi volage :
134 MERCURE DE FRANCE.
Zelide avoit fixé mon choix :
Non moins aimé qu'amant , je partis de ce bois;
Amarillis paroît , me fourit & m'engage :
Peut-on être à la fois ,
Si tendre & fi volage ?
Je reviens , je reprends mon premier eſclavage :
Mais j'ai perdu mes premiers droits,
Malheureux ! qu'ai - je fait ? Peut - on être à la fois,
Si tendre & fi volage ?
Il regardefa guirlande.
Vous allez donc dépofer contre moi ,
Fleurs , qu'un charme fecret devoit rendre immortelles
Dans les mains des amans fidéles !
Votre éclat s'eft terni , quand j'ai manqué de foi,
Ranimez-vous avec má flamme ;
Brillez aux yeux qui m'ont charmé.
J'aime encor plus que je n'aimai ,
Soyez l'image de mon ame.
Ranimez-vous avec ma flâme ,
Brillez aux yeux qui m'ont charmé.
Il s'adreffe à l'Amour.
Toi qui vis mon amour , toi qui vis mon retour ,
Préviens le défeſpoir où tu vas me réduire .
Ce charme eft ton ouvrage , Amour ! puiffant
Amour!
C'est à toi feul de le détruire.
Il pofe fa guirlande fur l'Autel de lamour..
Je remets ma guirlande au pied de ton Autel,
NOVEMBRE. 1751.
239
Zelide , feule.
Amour , que Mirtil penfe à moi,
Et que tout le refte m'oublie ,
Qui peut fufpendre fon retour ?
Ceux , dont il a reçu le jour ,
Auroient-ils refufé de couronner la flamme ? ...
Seroit-il retenu par un nouvel amour ?
Cher amant viens calmer le trouble de mos:
ame.
Qui peut fufpendre fon retour ?
Tout languit dans nos bois , quand l'hyver les .
} ravage ,
Mais lorsque le Zéphir commence à foupirer ,
Le roffignol s'éveille , il réprend fon ramage ;
L'abſence eft l'hyver des amours :
Le retour d'un amant eft celui des beaux jours.
Tout languit dans nos bois , quand l'hyver les
ravage :
Mais lorsque le Zéphir commence à foupirer ,
Tout renaît , tout fleurit , tout femble refpirer.
Le roffillon s'éveille , il réprend fon ramage.
De mon bonheur , amour , hâte l'inſtant ',
Rends- moi Mirtil , & me le rends fidéle .
Ces fleurs , gage d'un feu conftant ,
Font briller dans mes mains leur fraîcheur natue
relle ;
Mirtil , ta guirlande aura - t'elle
Ces perfums , ces couleurs , cet émail éclatante
136 MERCURE
DEFRANCE
.
Elle apperçoit la guirlande que Mirtil apofet
fur l'Autel de l'amour.
Mais quel objet frappe ma vûe !
Me trompai -je ? Approchons Que mon ame eft
émue !
Elle s'approche
de l'Autel.
Hélas il eft trop vrai , je reconnois ces fleurs ;
Nos chiffres enlaſſés………. Ah ! Mirtil !,
meurs .
je me
Elle tombefur l'Autel , puis revenant à elle-
Oublions un amant perfide ,
Méprifons
qui peut nous trahir.
Le méprifer ! hélas ! trop fenfible Zelide !
Tu ne peux même le hair.
Au pied de cet Autel il a mis fa guirlande:
Pour ranimer ces fleurs il imploroit l'Amour;
Ufons
d'un innocent détour.
pour le prouver
Elle met fa guirlande à la place de celle
de Mirtil.
Il croira que l'Amour a rempli fa demande.
Elle apperçoit Mirtil.
Il paroît , cachons- nous fous cet ombrage épais .
Mirtil, feul dans l'abbattement
.
Dans ma cruelle incertitude ,
Mon coeur ne peut trouver la paix
Et chaque inſtant ajoute à mon inquiétude.
Il apperçoit au pied de l'Autel la guirlande
dont l'éclat luiparoit ranimé.
Que vois je ! ô Ciel ! Amour ! ô prodige ! ô faveur !
}
137
NOVEMBRE
. 1751
.
Il s'approche
de l'Autel
.
Quels parfums ! quel éclat ! ces fleurs femblent
renaître.
Ah ! que mon coeur va reconnoître
Un bienfait qui m'éleve au comble du bonheur.
Il héfite à prendre la guirlande
.
Je n'ofe fur ces fleurs porter ma main tremblante
Je crains de les ternir encor.
'Amour , fur ton Autel conferve ce tréfor.
C'eft à toi d'éblouir les yeux de ton amante.
Ne crains pas que mon coeur fous fes loix enchaîné
Suive jamais une pente nouvelle.
Que je vais bien aimer ! que je ferai fidéle !
Pour la derniere fois tu m'auras pardonné.
Zelide , tón amant , ceffe enfin de te craindre ;
Viens confulter ces fleurs , viens lire dans mes
yeux.
Ces fleurs vont te tromper , mes yeux ne peuvent
feindre ;
Ils diront que je t'aime , & mon coeur le fent
mieux ,
Que mes yeux ne peuvent le peindre.
Il apperçoit Zelide.
Elle vient , c'eft l'Amour qui l'amene en ces lieuxà
MIRTIL >
ZELIDE.
Mirtil..
Je vous revois , belle Zelide !
Que mon coeur eût voulu hâter ce doux moment
138 MERCURE DE FRANCE.
Que le tems qu'avec vous je trouvois fi rapide .
Loin de vous coule lentement !
Je vous revois encor plus belle,
Je reviens encor plus tendre....
Zelide , ironiquement.
Et plus fidéle !!
Mirtil
Quelfoupçon vient vous allarmer ?
Yous offenfez mon coeur , & l'Amour & vous
même !
Peut-on vous voir , fans vous aimer ?
Peut- on changer , quand on vous aime
Zelide.
Souvent pour féduire un coeur ,
Il fuffit d'un doux fourire :
On rougit , l'Amour foupire
Mais le defir eft vainqueur.
Mirtil
Telle eft l'inconftance legére ,
Du Zephir volage & fans foi :
Mais le Zéphir lui-même aimé de ma bergere
Seroit auffi conftant que moi.
Zelide.
Auffi conftant que vous ?
Mirtil .
Vous connoiffez mon ame
Zelide
L'abfence eft l'écueil de l'amour.
NOVEMBRE . 1751. 1391
Mirtil.
Dans vos tendres adieux rien n'égaloit ma flame ; .
Elle eft ceat fois encor plus vive à mon retour . [
Tout inſpire à mon coeur une volupté pure :
Les concerts des oiſeaux me femblent plus touchans
:
Je crois voir mon bonheur exprimé dans leurs
chants.
Cette onde en jaillifant fait un plus doux murmure.
L'ombre a plus de fraîcheur , l'herbe a plus de
verdure ;
Le parfum de ces fleurs m'invite à les cueillir.
Avec vous à mes yeux tout femble s'embellir ,
Et le charme s'étend fur toute la nature.
Zelide.
Mais de votre fidélité ,
Je ne vois point encor le gage:
Mirtil , montrant avec empreffement la guirlande
qui eft fur l'Autel.
La voici. De ces fleurs l'éclatante beauté
Vous laiffe-t'elle quelque ombrage 2
Zelide.
Je fuis contente.
Mirt il.
Et vous ? un pareil témoignage:
Importe à ma tranquillité.
140 MERCURE DE FRANCEZelide
feint d'être embaraffée.
Zelide , vous baiffez la vûe !
Parlez. Qu font ces fleurs yous me faites trem
bler.
Vous foupirez ! & Ciel ! quelle atteinte imprévûe ♪
Non , je ne puis vous croire , & c'eft pour me
troubler......
Zelide n'eft point infidélle ;
Son coeur n'aima jamais que moi
Zelide.
Si vous êtes sûr de ma foi ;
Pourquoi m'en demander une preuve nouvelle 2
Pourquoi la refufer ?
Mirtil.
Zelide.
Ah, Mirtil ! je le voi $
Vous doutez de mon coeur.
Mirtil.
Vousm'y forcez , cruelle
Zelide.
Eh bien, s'il vous avoit trahi ,
S'il s'en faifoit lui - même un fenfible reproche
Et fi confus à votre approche ,
Il demandoit encor de n'être point hai…….-
Mirtil.
Vous me trahir ! & Ciel ! moi , l'amant le plus
tendre !
NOVEMBRE. 1751.
141
Zelide.
Il le faut avouer: un caprice leger
Avec plaifir , m'a fait entendre
Les foupirs d'un autre berger.
Mirtil.
Quoi ,Zelide , ton coeur n'a pas fçu s'en défendre!
Zelide,
Je vous l'ai dit , l'abfence expofe à ce danger ;
A vos reffentimens Zelfde
s'abandonne ,
Mirtil , vous pouvez vous vanger.
Mirtil.
Non , fi ton crime eft paffager ,
1
Aimons nous , Mirtil te pardonne.
Zelide.
C'eft toi , que tu viens de juger.
Qui ?moi !
Mirtil.
Zelide.
Voici res fleurs... * quelles couleurs nouvelles !
Mirtil.
C'estl'Amour qui les rajeunit.
Enfemble.
Dieu puiffant , dans nos mains rends ces fleurs immortelles.
* Elle va prendre la guirlande de Mirtil , qu'elle
a cachée parmi les arbres de l'un des côtés du Théatre
, elle la trouve refleurie .
12 MER CURE DE FRANCE
Rends fans ceffe nouveau comme elles ,
Le noeud charmant qui nous unit.
mis en
On a trouvé dans cet ouvrage ,
Mufique par le célébre M. Rameau , un
récitatif très-bien déclamé , un chant va
rié & agréable , que Mlle Fel & M. Jeliote
ont encore embelli par les graces & la legéreté
de leur voix . On a beaucoup ap
plaudi la Pantomime noble , les deux tam
bourins , la contredanfe , & un pas de fix,
exécuté fupérieurement
par Mrs Veftris ,
Beat & Lany , & par Mlles Veftris , Pu
vigné & Lany.
trois
LES Comédiens François ont remis au
Théatre , Jeudi 30 Septembre , le Maho
met de M. de Voltaire . Cette piéce que
P'Auteur avoit retirée en 1742 , après
repréſentations , a été reçue comme
de font ordinairement les ouvrages de
ce grand Poëte. Beaucoup de gens trèséclairés
prétendent que c'eft celle de fes
Tragédies , où il y a plus de beautés de
détail , & des idées plus fublimes . Le but
de ce Poëme , comme tout le monde fçait,
eft de rendre odieux le fantatifme , projet
que M. de Voltaire avoit ébauché dans la
Henriade. Le voyage de Fontainebleau a
interrompu le fuccès de Mahomet à la
huitiéme repréfentation .
NOVEMBRE.
1751 .
143
Le Mercredi 6 Octobre , les
Comédiens
Italiens ont donné les Voeux
accomplis .
Cette efpéce de farce , dans
laquelle on a
voulu
exprimer la joie
générale qu'a répandue
la
naiffance de
Monfeigneur le
Duc de
Bourgogne , fe fent
beaucoup de
la
précipitation avec laquelle elle a été
faite. M. Panart avoit donné dans diffe.
rentes occafions des
preuves de talent ; il
vient d'en donner de zéle. On a chanté
dans un des
divertiffemens des Voeux accomplis
, la fanfare fuivante , dont les
paroles font de M. Gautier , & la
Mufique
de M. le
Marquis de
Dampierre .
1.
Joignons au bruit du falpêtre
Le fon brillant de nos cors ;
Accourez troupe
champêtre ,
Et fecondez nos efforts :
Pour chanter un nouveau Maître ,
C
Mêlez-vous à nos
accords ;
Que nos jeux faffent connoître.
Notre zéle & nos
tranfports.
II.
Le berger far fa Mufette ,
Des Cieux chante les faveurs ;
La bergere orne fa tête ,
De guirlandes & de fleurs :
Et
Péclatante
trompette ,
144 MERCURE DE FRANCE
S'unit à nos chalumeaux ,
On diroit que c'eft la fête ,
Du Dieu qui regne à Paphos.
111.
Un Dieu plus cher à la terre ,
Eft l'objet de notre amour;
C'eft le fils de notre Pere ,
Que nous ferons en ce jour :
Vois Louis , dans notre hommage,
Le gage de notre ardeur ;
Des bois l'innocent langage ;
Eft toujours l'écho du coeur,
IV.
Qu'à ta famille féconde ,
Les Dieux laiffent pour jamais ,
Le foin de régler le monde ,
Et de verfer leurs bienfaits ,
Rendre ta gloire immortelle ,
C'eft nous marquer leur faveur ,
Rendre ta race éternelle ,
C'eft fixer notre bonheur.
CONCERTS
NOVEMBRE.
1751.
145
CONCERTS A
LA
COUR.
Mois de
Septembre.
L
E 6. & le
11.on
chanta le
Prologue &
le
premier
Acte du
Ballet des
Elémens .
Mufique de Mrs
Lalande ,
Chevalier de
l'Ordre S.
Michel , &
Deftouches , Sur- Intendant
de la
Mulique de la
Chambre du
Roi.
Paroles de M. Roy ,
Chevalier de
l'Ordre de S.
Michel.
Mlles
Romainville ,
Chevalier ,
Cana .
vas , &
Guédon ; Mrs le Page ,
Godonnefche
,
Dubourg ,
Poirier ,
Befche , en
ont
chanté les
Roles.
Le 13 jour de la
naiffance de
Monfeigneur
le Duc de
Bourgogne , à cinq heures
dumatin le Roi fit
chanter le Te
Deum
pendant fa meffe . Ce fut celui de M. de
Blafmont , Sur -
Intendant de la
Mufique
de la
Chambre &
Chevalier de
l'Ordre de
S.
Michel.
Le
même
jour
il
y
eut
un
Concert
de
Simphonie
pendant
le
fouper
de
leurs
Majeftés.
Le 15 on chanta chez la
Reine l'Acte
de la Terre , des
Elémens , & des
mêmes .
Auteurs.
Mlles
Chevalier &
Canavas.
Mrs
Jéliotte , & Joguet en ont chanté les
Roles.
G
>
146 MERCURE DE FRANCE
Le 18 Le Prologue & le premier Acte
de l'Opera d'Armide de Mrs Lully &
Quinault. Mlles Lalande , Canavas , &
de Selle , Mrs Poirier , Joguet & Godonnefche
en ont chanté les Roles.
La Mufique du Roi toujours attentive
à faifir les occafions où elle peut marquer
à Sa Majesté , & à la Famille Royale fon
refpectueux attachement , chanta le Mardi
21 Fête de S. Mathieu , un Te Deum
folemnel en mufique , dans la Paroiffe de
N. D. pour remercier Dieu de la naiffan
ce de Monfeigneur le Duc de Bourgogne.
M. l'Evêque de Bayeux l'entonna pontificalement
. La Reine , M. le Dauphin , Mefdames
Henriette , Adelaide , Victoire ,
Sophie & Louife y affifterent , ainfi que
les Seigneurs & les Dames de la Cour . La
décoration, & l'illumination intérieures &
extérieures de l'Eglife furent trouvées généralement
belles. On ne défira rien dans
l'exécution du Te Deum , dont la mufique
étoit de la compofition de l'Abbé Blanchart ,
Maître de Mufique de la Chapelle du
Roi , en quartier, Après le Te Deum , on
tira une grande quantité de boëtes & de
marons.
PARMI les fêtes fans nombre qu'a occafionnées
la naiflance de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne , il faut bien diftin-
D
NOVEMBRE.
1751.
147
guer celle
pour n'avoir
trop
que lesJefuites de Paris ont donnée.
Le public la trouva
digne de leur
goût & de leur zéie. Ces Peres font
attentifs à tout ce qui peut
former l'efprit
& le coeur de la
Nobleffe
qu'ils élevent
pas faifi une occafion fi précicufe
de lui
apprendre
Famour
qu'elle
doit à fon
Souverain , ou pour avoir négligé
de lui en donner
l'exemple. Nous
renonçons au plaifir que nous aurions eu
à décrire un
Spectacle fi brillant & fi varié
pour donner le détail
les Jéfuites
eux
mêmes en ont publié.
que
DESCRIPTION des
réjouiffances
faites au College de Louis le Grand , pour
l'heureufe naiffance de
Monfeigneur le
Duc de Bourgogne , par les PP. de la
Compagnie de Jefus.
Levand
E
Vendredi premier Octobre
ayant
une
décharge de boëtes les agnonça dès le
grand matin , & renouvella dans tous les
caurs les tranfports de joie qu'avoit excité
quelques jours auparavant l'agréable
& intéreflante nouvelle de la naiffance de
Monfeigneur le Duc de Bourgogne. On
penfa d'abord à rendre de nouveau de folemnelles
actions de graces à Dieu pour
l'heureux accouchement de Madame la
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
Dauphine , & pour la naiffance d'un Prin
ce fi néceffaire au bonheur de la Famille
Royale & au repos de la France . On fe rendit
en foule à l'Eglife , où Monfeigneur
l'Archevêque de Vienne célébra la Meffe ,
pendant laquelle on exécuta l'excellent
Motet Venite exultemus du fieur de Mondonville
. La Meffe finie , M. l'Archevêque
entonna leTe Deum au bruit des boëtes,
des tymbales & des trompettes. Dès que
ce bruit fut ceffé , les Muficiens continue
rent cette Hymne , dont la Mufique eft
du fieur Lalande . L'affemblée compofée de
beaucoup de Seigneurs & de Dames de la
premiere qualité applaudit au goût & à la
précifion avec laquelle toute cette mufique
,, dirigée par le fieur de Mondonville ,
fut exécutée . Parmi les voix qui s'y firent
admirer , on entendit avec un nouveau
plaifir & avec de nouveaux applaudiffemens
le fieur Jeliotte Ame , expreffion ,.
fentiment relevés par un goût exquis , pas
un air aifé & naturel , & par tout ce qui
peut donner au chant de la grace & de
la beauté , caractériſent , comme an fçait ,
le talent fingulier de ce célébre Muficien .
On fortit enchanté ; & plein de la plus
vive allégreife , on fit retentir l'air de
cris de joie redoublés ,
Les Penfionnaires du College animés
NOVEMBRE. 1751. 149
de fentimens d'amour & de refpect qu'il
'doivent autant aux foins des Maîtres chargés
de leur éducation , qu'à la nobleffe
du fang dont ils fortent , voulant partager
l'honneur de cette fête , imaginerent de
faire réciter pendant leurs repas , où ils fe
reffentirent de la célébrité du jour , un
Difcours Latin en profe mêlée de vers ,
confacré à la louange des Princes & des
Princeffes dont le fang augufte coule dans
les veines du Prince nouveau-né . L'un *
d'entre eux fut chargé , au nom de tous ,
de payer à la Famille Royale ce tribut de
leur refpect & de leur amour. Les autres
Y prirent part , en interrompant l'Orateur
-Poëte par des acclamations réitérées.
Après midi le Pere Duparc , l'un des
Profeffeurs de Rhétorique , prononça un
Difcours Latin en préfence d'une affemblée.
formée de Monfeigneur l'Archevêque de
Paris , d'un grand nombre de Prélats , **
de Seigneurs , de Magiftrats , & d'une
foule de perfonnes éclairées , que le plaifir
d'entendre célébrer un événement fi
défiré, y avoit attirées de toute part . L'Ofateur
envifagea la naiffasce de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne fous le jour
* M. du Cluzel de la Chabrerie , Penfionnaire..
** Ils étoient au nombre de quinze .
Giij
150
MERCURE
DEFRANCE.
qui la rend la plus
intéreffante , c'eſt àdire
, en ce qu'elle eft par fes
circonftances
le gage de la félicité publique . En effet
, elle fait la joie & le bonheur de la
Famille Royale , parce qu'en lui affurant
un nouvel appui , elle écarte tout ce qui
pourroit la troubler : elle fait la joie & le
bonheur de la
France , parce que le jeune
Prince recevra une
éducation Royale ,
qui le rendra l'amour & les délices du Peu
ple
François.
Avant que ce Difcours commencât ,
plufieurs
Penfionnaires préfenterent aux
Prélats un grand nombre de Pieces en vers
Hébreux , Grecs , Latins ,
Allemands &
François avec quelques Chanfons ;
>
& des
tribunes on en
répandir une
grande quantité dans
l'affemblée le
Difcours fut terminé par des cris unani
mes de joie , & par une décharge de Boëtes
.
La Salle
d'affemblée étoit ornée avec magnificence
& avec goût . A la droite de l'Orateur
s'élevoit fur un riche fond de tapifferies
ornées de feftons de gaze d'or &
de fleurs , un trône couronné d'un dais de
velours cramoi , enrichi de fleurs de lys
& de crépines d'or : fous ce dais étoient
placés les portraits de leurs Majeftés ; &
aux deux côtés du trône , ceux de MonNOVEMBRE.
1751. 151
feigneur le Dauphin & de Madame la
Dauphine , tous liés & entrelaffés
de
chaînes de fleurs.
:
d'or
Les trois autres côtés de cette Salle font
entourés de feize colonnes qui foutiennent
des tribunes & un pareil nombre de colonnes
fupérieures. Les tribunes étoient
Couvertes de tapis bleus à fleurs de lys &
à crepines d'or le bord fupérieur des tapis
étoit garni d'un cordon de gaze
abouillons chaque Pilaftre des tribunes
portoit une girandole de cristal , & dans
toure l'étendue des tapis regnoient des
guirlandes & des feftons de fleurs qui partoient
des Girandoles . Sur la face oppofée
au trône , on avoit placé les portraits
de leursMajeftés, les deux Rois de Pologne,
entre lefquels étoit celui de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne , que l'Hymen préfentoit
à la France , dont il combloit les
voeux les plus ardens par ce gage précieux
de la faveur du Ciel . Ces trois tableaux
des girandoles , étoient couronnés
& entrélaffés de feftons & de guir ..
landes.
féparés par
Toutes les colonnes inférieures étoient
cque
l'en- recouvertes de d'or , ainfi
gaze
tablement ; d'une colonne à l'autre redif
gnoient des feftons de la même gaze ,
tingués de l'entablement
par un cordon de
G iiij
152
MERCURE DE
FRANCE.
fleurs qui
tomboit aux
chapitaux fur des
emblémes & des
infcriptions qu'il environnoit
, & fe
terminoit par une chu
te au tiers de
chaque
colonne.
L'étage
fupérieur étoit orné dans lemême
goût, mais en gaze
d'argent , & les colonnes
déguifées par des
guirlandes de fleurs
en
fpirale ,
paroiffoient autant de colonnes
torfes. Dans les entrecolonnemens
des deux
étages ,
pendoient des luftres de
criftal , qui
formoient avec les
girandoles
un
compartiment en
quinconce très agréa
ble à la vûe : plus de trois cens
cinquante
bougies
éclairoient cette Salle , dont les
murs
étoient
revêtus des plus belles tapif
feries , qui
fervoient de fond à cette riche
Architecture , & en
relevoient l'éclat.
Cette
décoration a paru
mériter
l'approbation
des
Connoiffeurs , qui en ont
admiré la
richeffe ,
l'ordonnance & le
goût .
Voici les
emblêmes & les
infcriptions
qui
étoient
placées fur les
chapitaux des
colonnes
inférieures .
EMBLEME S.
Premiere. Un Soleil qui forme dans les
nuages deux
Parhélies.
Legende : Se videt
&
miratur in illis.
Elle
exprimoit la joie & la
confolation
NOVEMBRE.
1751.
153
du Roi , qui voit dans fon Augufte Fils ,
& dans fon Petit-Fils Monfeigneur le Duc
de Bourgogne , fon image .
Deuxième. Un Grenadier chargé de fruits.
Legende : Ex fructu decor.
Elle fignifioit que l'Augufte Dauphine
qui vient de nous donner un Prince ob..
jet de nos défirs , tire de la fécondité un
nouvel éclat , qui lui affure , ainfi que
fes vertus , les refpects & l'amour des
François.
Troifiéme. Une fufée volante élevée
dans les airs & répandant un grand nombre
d'étoiles brillantes. Legende : Tet lumina
fundet.
Elle faifoit connoître l'efpoir qu'a la
France , que Madame la Dauphine lui
donnera plufieurs Princes , qui affermifont
de plus en plus le Sceptre dans l'Augufte
Maifon qui occupe aujourd'hui le
Trône.
Quatrième . Un Tournefol naiffant, regardant
le Soleil au point le plus brillant de
La carriere. Legende : Sol formam , nomenque
dabit.
Elle marquoit que Monfeigneur le Duc
de Bourgogne , né pour la Couronne ,
devra au Roi fon Ayeul , l'éducation qui
lerendra digne du Trône que fa Nailance
lui affure .
154 MERCURE DE FRANCE.
Cinquième, Des oifeaux chantant & battant
des aîles au lever de l'Aurore . Legende
Nafcentem penna & voce falu
tant.
Elle peignoit les démonftrations & les
cris de joie avec lefquels toute la France
a appris la naiffance de Monfeigneur le
Duc de Bourgogne.
Sixième. La conftellation de la Couron
ne Auftrale formée de plufieurs étoiles
remarquables . Legende : Quot in una fydera
fulgent.
Elle repréfentoit la glorieufe poftérité
du Roi & de la Reine , que leurs Majeftés
voient s'augmenter par un grand
nombre de Princes & de Princeffes que le
Ciel accorde à leurs voeux.
Infcriptions.
Les Infcriptions font tirées des meil
Jeurs Auteurs Latins , & s'appliquent na
turellement au Prince dont on célébroit la
naiffance .
I. Prolemque fatetur
Jupiter ipfe fuam : fic à Jove tertius Ajax . Ovid.
11. Felix fi tantis animum Natalibus & quas . Luca:
III. Nobilifulget patre , Avoque clarum fole dedu.
cit genus. Sen.
IV. Vis animi crefcet cum corpore. Luck
V. Ingenium , rerumprudentia velox.
Ante pilos veniet . Perf.
VI. Clarus erit , fortis , juftus , fapiens , etiam &
Rex. Hora.
NOVEMBRE. 1751 ISS
Entre fept & huit heures du foir , une
décharge de boëtes annonça le feu d'artifice
. Il étoit compofé d'un grand nombre
de fufées volantes , de cailles , de pots à
aigrettes , de pots à feu , de girandoles ,
de cafcades , de foleils fixes & tournans
de magnifiques aigrettes & d'autres artifi
ces : Če feu fut terminé par une groffe girande
qui fit un effet merveilleux : on
admira fur-tout l'arrangement des piéces ,
la diverfité des couleurs , l'enfemble & la
vivacité du feu , le bel effet des fufées ,
qui s'élevant en arcades , formoient dans
Fair un très-beau coup d'oeil ; en un mot,
les Spectateurs parurent extrêmement fatisfaits
de l'exécution de cet artifice de la
façon du fieur le Marié, Artificier du Roi
dans les menus.
Les fombres ténébres qui remplacérent
Féclat de ces feux , furent bientôt diffipées
par une grande & belle illumina
tion . Tout- à-coup le corps de bâtiment
qui fait face à l'entrée de la Cour , parut
en feu : Au milieu paroiffoit le Temple d'u
Deftin , d'une belle & fage Architecture.
Les portes en étoient ouvertes , une vive
& éclatante lumiere qui éclairoit l'inté
rieur de ce Temple , y faifoit diftinguer
le genie de la France , conduit par l'Hymen
: il préfentoit aux Parques le Prince
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
nouveau-né , & follicitoit pour lui des
jours d'or & de foye , auffi durables que
nos voeux font ardens & fincéres pour
confervation de cet enfant des Héros &
la
des Rois : Les Parques par un doux fourire
& par leur attention fixée fur le Prince ,
paroiffoient foufcrire aux voeux du génie
de la France.
Au deffus du Temple,brilloit une haute
pyramide furmontée d'un grand foleil couronné
, le tout portant so à 55 pieds de
hauteur. Les deux côtés du même bâtiment
, dont la longueur eft de 94 pieds ,
étoient ornés de pyramides , de fleurs de
lys , de dauphins , d'étoiles , des chiffres
couronnés de la Famille Royale , & c. Ces
différentes piéces arrangées avec fymétrie.
& fans confufion , paroiffoient faire un
tout , & portoient fur une frife à feftons ,
d'où pendoient une grande quantité de
luftres. L'extérieur du Temple étoit éclai
τέ par une girandole haute de- 15 pieds ,
& par de grands ifs arrangés en face :
Toute cette illumination étoit couronnée
par un cordon de groffes lumieres , qui
bordant les frontons des fenêtres du trorfémé
étage , defcendoit & montoit alties
nativement pour le réunir par des confules.
illaminées.
Les trois autres bâtimens qui forment

NOVEMBRE. 1751. 157
avec le précédent une Cour quarrée ,
étoient garnis à chaque étage d'un cordon
de lumieres regnant au pourtour , & le
faîtede chacune des croifées hautes portoit
un pot à feu. Les grandes portes de ces
bâtimens étoient magnifiquement
éclairées
jufqu'au fecond , & celle qui fert d'entréeéroit
ornée d'un double ordre d'Architecture
à colones torfes , terminées par
deux grands vafes , au milieu defquels paroilloient
les Armes de Monfeigneur
le
Duc de Bourgogne , couronnées
& entourées
de lumieres.
*
Pendant tour le jour les tymbales & les:
trompettes ne cefférent de répéter des fanfares
L'afluence des perfonnes les plus
diftinguées , & du Peuple , fur grande ;
tout le monde eut la liberté d'entrer , &
la Cour ne defemplit que vers le milieu de
la nuit.
On
peut
dire
que
l'eil
fut
encore
plus
fatisfait
des différens
fpectacles
qu'on
lui.
préfenta
pendant
ce jour
d'allégreffe
, que
l'imagination
ne peut
l'être
de cette
defarption
.
Le Mercredi 20 Octobre , les Comédiens
François donnerent une pièce en
un Acte
Ecartelées de France & de Bourgogne,
158 MERCURE DE FRANCE.
D
& en vers intitulée le Muet par amour .
Cette nouveauté n'a pas réuffi & n'a été
jouée qu'une fois.
CÒVAVAEDEDPOPDYACH SACDED
NOUVELLES ETRANGERES.
DU NORD.
DE WARSOVIE , le 8 Septembre.
LE
Es nouvelles qu'on reçoit de Turquie , por
tent que les
troupes Ottomannes , qui fe font
avancées , il y a quelques mois dans les environs
de Choczin , de Bender & d'Oczakow , ſe tiennent
tranquilles dans leurs quartiers . Ces avis.
ajoutent que le Grand Seigneur a fait augmenter
les fortifications de ces trois Places. Ils n'annon
cent point encore , que la pefte commence à caufer
moins de ravage dans Conftantinople .
DE STOCKHOLM , le 3 Septembre.
Les Lettres de Pologne marquent que les diffe
rends entre les Magiftrats & la Bourgeoifie de
Dantzick , n'ayant pû être terminés à l'amiable ,
le Grand Chancelier & le Vice Chancelier de la
Couronne doivent s'y rendre dans le mois prochain
, pour examiner fur les lieux mêmes le fond
de l'affaire. Ces Lettres ajoutent que la Comteffe
Sollohub , époufe du Palatin de Brefch , étoit mor
te le 26 à Minsk , dans un âge avancé.
IDECEMBRE
. 1751. 159F
ALLEMAGNE
.
DE VIENNE , le 4 Septembre.
ON mande de Conftantinople
, que dans l'incendie du 19 , le Quartier des Janiffaizes
a été entierement réduit en cendres , & que
ces troupes font actuellement obligées de camper
dans l'Atmeidan, Près de deux cens foldats de ce
Corps ont péri , en travaillant à arrêter le progrès
des flammes.
ESPAGNE
.
DE GIBRALTAR
, le 28 Août.
FN conféquence
de la ceffion faite de Sainte
EN
par l'Empereur de Maroc , il a été fignifié aux
Négocians établis dans ces deux Ports , & qui ne
font fujets , ni de l'une ni de l'autre Puiflance ,
de fe retirer avant le S du mois prochain. Selon
les Lettres qu'on a reçues de quelques - uns d'eux , ils ont fait inutilement des représentations
, pour obtenir la liberté de conferver leurs établiffemens
.
N'ayant pú y réuffir , ils ont demandé , qu'attendu
la perte qu'ils fouffriroient
en faifant repaffer
leurs Marchandifes
en Europe , l'Empereur
de Maroc obligeât les Danois d'acheter ces Marchandifes
, & de les payer comptant Ils ont en même tems demandé , qu'il leur fût permis de faire
venir d'Europe les Vaiffeaux , dont ils auront be
foin pour tranfportér leurs autres effets , & que
les Maures & les Juifs , qui font leurs Débiteurs , fuffent tenus de s'acquitter avec eux dans un tems marqué. Ces deux derniers articles leur ont été
16 MERCURE DE FRANCE .
accordés. A l'égard du premier , on leur a ré
pondu qu'il ne feroit pas jufte d'impofer aux Danois
la néceffité de fe charger de Marchandifes
qui pourroient n'être point de leurconvenance.
C
ITALI E.
"
DE ROME , le 28 Août. X
Haque jour , on reçoit quelque nouvelle Relation
des dommages caufés par le dernier
tremblement de terre , & felon les détails qu'ont
envoyés ici les Habitans de Gubio ,de Foffato &
de Sigillo , ces Bourgs n'ont pas eu un fort moins
malheureux que Gualdo & Nocera . Le Pape ne
s'eft pas contenté de donner des fommes confidérables
, pour fubvenir aux befoins des perfonnes
que ce terrible accident a réduites à la mifére,
mais Sa Sainteté les a exemptées pour trois ans de
soute impofitian ..
DE LIVOURNE , le 6 Septembre.
Il eft parti depuis peu de ce Port un grand
nombre de Navires , qui vont charger des grains
dans le Levant. On s'apperçoit journellement des
avantages que la Tolcane retire du commerce
direct , établi entre cette Ville & celle de Triefte.
A l'abondance des pluyes qu'on a eues pendant le
Printems , a fuccédé une telle féchereffe , qu'en
plufieurs endroits les fources ont totalement tari.
Le grand nombre de faillites , arrivées dans dif
ferentes Villes , a caufé . un tort confidérable au
commerce de celle - ci , & il vient de recevoir un
nouvel échec par la banqueroute que Meffieurs
Leake & Prefcot ont faite à Petersbourg , &
qu'on dit être de cing, cens mille roubles . On
NOVEMBRE . 1751. » TỐI
craint qu'il ne fouffre auffi beaucoup de la réfolution
que les Génois ont prise de rétablir les franchifes
du Port de Gênes . Les maladies , qui regnent
parmi les équipages des Navires , employés
fur les côtes de Sardaigne à la Pêche du Corail ,
nuiront extrêmement cette année au fuccès de
cette pêche . Si la féchereffe continue , les vignes ,
quoique chargées de raiſins , ne produiront aucune
vendange , & les feps courent rifque d'être
brûlés jufques dans les racines .
DE LA BASTIE >
be
24 Août.
Moyennant les mesures , prifes de concert par
le Marqnis Grimaldi , Commiflaire Général de la
République , & par le Marquis de Curfay , qui depuis
le départ du Chevalier Chauvelin a repris le
commandement des troupes Françoifes , le leger
tumulte , qui avoir été excité dans la Pieve de
Niolo , eft entierement appaifé , & toute la Corfe
jouit d'une parfaite tranquillité .
15
Il s'eft répandu quelques copies du Difcours ,
prononcé le premier de ce mois , par le Chevalier
Chauvelin , dans l'Affemblée tenue à Oletta , près
de San Fiorenzo. Voici les termes dans lesquelsce
Difcours étoit concû. Ce n'eft point pour la
Corle un fpectacle nouveau que la préfence d'un
» Miniſtre du Roi de France dans vos Aſſemblées .
La Nation , réunie plus d'une fois fous les aufpices
de M. le Marquis de Curfay , a reçu par
» lui les affurances de l'intérêt que Sa Majesté pre-
" noit à fa tranquillité , & vous l'avez engagé à
porter au pied du Trône les témoignages de
"votre confiance & de votre foumiffion . Ses tramultipliés
, & jamais fufpendus , vous one
ouvert la route d'une félicité inaltérable. Sans
"ceffeoccupé à pourfuivre le crime , & à protéger
و ر
» vaux
162 MERCURE DE FRANCE.
ל כ
23
·
» l'innocence , il a fait germer dans vos coeurs des
» fentimens , dont vous allez recueillir le prix.
» Vous touchez au moment de jouir des avantages
que nos foins réunis vous ont préparés. Il ne
faut , pour vous les affurer , que renouveller
avec autant d'ardeur que de fincérité les fenti-
"mens de refpect & de docilité , qui vous ont
" mérité la protection du plus grand Roi de la
" Terre. Du fein de la gloire qui l'environne , ce
Monarque bienfaifant a daigné diriger les Ré
glemens qui doivent vous rendre la tranquillité,
& dont fa refpectable garantie rend l'exécution
indubitable. Si vous lui préfentez dans ce jour
une promeffe autentique , & indépendante de
toute circonftance , de recevoir avec autant de
» bonne foi que de foumiffion , cette tranquillité
que fa générofité vous procure , Vous confervez
des gages de fa bonté , & je repars pour aller
mettre le fceau à votre bonheur. Si au contraire
» vous héſitez à confirmer par ce témoignage lo-
» lemnel , les engagemens facrés que vous avez
pris , fon bras puiffant fe retire de deflus vous.
Le choix pourroit- il être douteux dans une relle
circonftance ? Quand je viens vous annoncer
bonheur après lequel vous foupirez , aurai je
la douleur & l'amertume de vous y voir renoncer
volontairement en même tems , qu'en
vertu de l'autorité militaire , que le Roi mou
" Maître m'a confiée , je puis , felon vos difpofi
tions , accélerer ou fufpendre le départ de fes
troupes Le Miniftére dont il m'honore , me
met en état de vous annoncer d'autres vérités
également confolantes. Que tout ce qui s'eft
paffé dans ces tems malheureux , dont vous gémiffez
, foit enféveli dans un éternel oubli La
République , votre Souveraine , vous tend les
مد
رد
>
le
NOVEMBRE. 1751. 163
bras. Jettez vousy avec confiance . Je dois , à
»la vérité & à la juftice le témoignage que je
rends ici de fes difpofitions. Soyez les enfans ,
»& vous ne trouverez en elle qu'une mere. Pelez
»bien toutes ces importantes confidérations dans
»une déliberation , dont je vous laifle toute la
liberté pour vous en conferver tout le mérite.
" J'autorife , j'exhorte même M. le Marquis de
Curfay à vous prêter le fecours de fes confeils
& de fes lumieres. Votre docilité fut fon ou-`
"vrage , que votre bonheur le foit également.
"Sans prétendre à fes talens , je viens être témoin
"de fon triomphe. Sans envier fa gloire , je viens
» partager la fatisfaction , & nous ne voulons l'un
»& l'autre , d'autre récompenfe que de vous voir
parfaitement & folidenient heureux .
'
DE SUISSE.
De SOLEURE , le 22 Septembre.
UN Courier arriva de Versailles le 16 de ce mois , pour annoncer au Marquis de Paulmy
, Ambafladeur du Roi de France , la naiffanfe
de Monfeigneur le Duc de Bourgogne . Cet événement
a caufé ici une joye générale . Le Confeil
de ce Canton , & le Chapitre de l'Eglife Collégiale
de cette Ville , font allés complimenter
le
Marquis de Paulmy , & il s'eft rendu chez lui
un concours extraordinaire
de perfonnes de tous
les Ordres , pour lui témoigner la part qu'elles
prenoient au bonheur de la France. Dès que cet
Ambaffadeur a reçu la nouvelle des couches de
Madame la Dauphine , il s'eft empreffé de faire
éclater fon zéle , en faisant chanter , dans l'Egli
164 MERCURE DE FRANCE
Le des Cordeliers , le Te Deum au bruit d'un grand
nombre de boëtes ; en faifant illuminer toutes les
nuits fon Hôtel , devant lequels des fontaines de
vin ont coulé prefque continuellement , & en
tenant matin & foir table ouverte . Non content
de ces premieres démonftrations de fes fentimens
, il donna hier au Confeil de ce Canton , au
Chapitre de l'Eglife Collégiale , & à tous les habitans
les plus confidérables, foit de cette Ville,foit
des environs , un dîner fpléndide , auquel fe font
trouvées plus de cent cinquante perfonnes . A cha
que fanté du Roi & de la Reine de France , de
Monfeigneur le Dauphin , de Madame la Dauphi
ne , de Monfeigneur le Duc de Bougogne , de.
Madame , & de Meldames de France , il y a eu
une falve de toute l'artillerie de la Ville , & plus
de fix cens coups de canons ont été tirés à cette
occafion. L'après- midi , outre les fontaines de vin
placées près de l'Hôtel du Marquis de Paulmy , on
en fit couler fix autres par l'ordre de cet Ambal
fadeur en différens endroits. Il fit jetter au peuple
dans ces mêmes endroits une grande quantité de
Médailles fur lefquels on lifoit d'un côté , Gallia
fot partu felix . & de l'autre , Latantur Amici. Au
commencement de la nuit , P'Hôtel du Marquis
de Paulmy , par une illumination qui definoit
l'ordre d'Architecture du bâtiment , offrit un des
plus beaux fpectacles qu'on puiffe voir en ce genre.
Le repas qu'on a fervi le foir chez cet Ambaffadeur
, n'a point cédé , ni pour la profufion ,
ni pour la délicateffe , à celui du matin . Un magnifique
Bal , qui a duré jufqu'au jour , & pendant
lequel on a diſtribué une abondance prodigieufe
de rafraîciflemens , a terminé cette
fête , dont l'éclat a d'autant plus frappé , que
le Marquis de Paulmy , étant obligé de faire
A
165
NOVEMBRE
. 1751 . 1751 .
33
93
très peu de tems
>
un voyage à Paris , n'a eu que
pour la faire préparer.
Voici le Difcours
que cet Ambaffadeur
prononça
, lorfqu'il
fe rendit à l'Hôtel
de Ville , pour
donner part au Confeil
de la naiffance
de Monfeigneur
le Duc de Bougogne
» Magnifiques
Sci-
» gneurs, les voeux de la France font comblés
; l'attente
de l'Europe
entiere eft remplie
. La naiffan-
" ce de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne
af
fute la tranquilité
d'une Monarchie
, dont la
» profpérité
aura toujours
la plus grande
influen-
» ce fur le maintien de votre liberté. Vous partagez
la joye vive & pure , dont tous les Sujets du
Roi , mon Maître , font pénétrés
dans ce mo-
» ment. Vous prenez
à l'heureux
événement
" que je vous annonce
, le même intéret
qu'eux
& s'il peut y avoir quelque
différence
dans la
maniere , dont on doit envifager
votre zéle &
le nôtre , elle est toute à votre avantage
, puif
" que nous ne faifons
que remplir
dans toute leur
étendue , envers le meilleur
des Peres & le plus
" aimable des Maitres de l'Univers
, des devoirs.
auxquels
nous ferions
coupables
de manquer
;
" au lieu que vous , Magnifiques
Seigneurs
, étran
" gers pour ainfi dire dans notre Famille
, vous
"avez le mérite d'adopter
librement
tous nos
fentimens
, & de vous les rendre propres. Quel
bonheur pour moi , de pouvoir
offrir à Sa Majeſté
letableau
touchant
de vos difpofitions
pour elle,
" & de pouvoir
ainfi lui faire connoître
jufqu'où
s'étend on empire
fur les coeurs ; genre de
»domination
, dont elle a fi conftament
montré
» qu'elle étoit uniquement
flattée . Je vous invite ,
Magnifiques
Seigneurs
, à venir encore aux pieds
des Autels renouveller
de concert nos Actions de
graces. Continuez
d'unir vos coeurs aux nôtres,
33
33
>>
F
166 MERCURE DE FRANCE.
29
» Que le zéle , que vous montrez aujourd'hui ,
» foit le préfage & le modéle de la conduite que
vous tiendrez dans tous les tems & dans toutes les
→ occafions. Que notre profpérité vous ſoit toujours
également chére. Votre bonheur fera tou-
» jours partie du nôtre . Puiffent nos deux Nations
reconnoître , pendant une longue fuite de fib
wcles , dans l'augufte Maifon qui donne des
» Maîtres à la France ; nous , des Souverains aufi
glorieux que juftes auffi dignes de notre amour
que de nos hommages , vous , Magnifiques Sei
gneurs , de puiffans défenfeurs de votre liberté,
» & de conftans amis de votre République.
ם כ
a
Après ce difcours , le Confeil fé rendit avec le
Marquis de Paulmy a l'Eglife Collégiale , où le
Te Deum fut chanté avec encore plus d'apareil &
pompe , qu'il ne l'avoit été dans l'Eglife des
Cordeliers.
de
La naiffance de Monfeigneur le Duc de Bour
gogne a produit la même impreffion fur tous les
Cantons , foit Catholiques , foit Proteftans , &
ils fe difpolent à célébrer cet événement par toutes
les démonstrations , qui peuvent prouver l'atrache
ment du Corps Helvetique pour la Maifon de
France.
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 16 Septembre.
Epuis le 15 Juillet jufqu'à la fin du mois der.
nier, il a paffé à laDouane environ 1000 mates
d'or & trente-fept mille cinq cens marcs d'argent ,
la Hollande a fait remettre ici que
la balan
pour
ce de fon commerce avec la Grande Bretagne. La
foye , qui pendant deux ans a été extrêmement
NOVEMBRE 1751. 167
tare en Angleterre , commence à y être trèsabondante
, & il en eft venu une grande quantité
d'Italie & des Indes Orientales.
Le Bureau du Commerce a reçu avis que les
Gouverneurs des Colonies Angloifes du Continent
avoient conclu une paix générale & perpétuelle
avec les Nations de l'Amérique
Septentrionale. Le
bruit, qui s'étoit répandu qu'une de ces Nations
avoit furpris la Ville de Darmouth dans la Nouvelle
Ecofle , étoit deftitué de tout fondement.
On prétend que les Commiflaires de l'Amirauté
ont envoyé ordre au Chef d'Efcadre Rodney ,
-de tenter de nouveau la découverte de l'Ile dont
il a déja fait inutilement la recherche . Les Naviresle
Prince Rupert & le Cheval Marin font arrivés
de la Baye de Hudfon.
P
PAYS - BA S.
DE LA HAYE , le 30 Septembre.
Lufieurs Négocians habiles ayant été confultés
par le Prince Stadthouder fur les caufes de la
décadence du commerce des Provinces Unies ,
& fur les moyens de le rétablir , ils ont répondu
qu'on ne pourroit que difficilement y réuflir , fi
les Etats Généraux ne fupprimoient une partie des
Péages , s'ils n'établifloient un Port franc , & fi
par un Tarif ils ne régloient les marchandiſes qui
jouiront du droit de franchife , celles qui feront
fajettes à payer des droits & celles qui feront tenues
pour marchandiſes prohibées. Le Prince
Stadthouder a communiqué cette décifion aux
Etats Généraux & aux Etats de Hollande & de
Weltfrife , qui ont réfolu de le remercier de fon
attention pour le bien de l'Etat. Ils ont envoyé en
163 MERCURE DE FRANCE.
même tems aux Colléges de l'Amirauté le Mémoi
re fur la matiere en queftion , afin que ces Colléges
l'examinent , & que fous la direction du
Prince Stadthouder , en qualité d'Amiral Général ,
ils puiffent dreffer un plan desarrangemens qu'ils
jugeront les plus avantageux.
選送送送洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗滤.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c .
Le 15 Septembre , le Roi & Madame Henriette
tinrent fur les Fonts dans la Chapelle du Château
le fecond fils du Marquis & de la Marquife de la
Riviere , qui fut nommé Louis -Henri. Le Cardinal
de Soubize , Grand Aumônier de France , fir la cé
rémonie du Baptême.)
Sa Majesté partit le 21 de Bellevue , d'où Elle
eft revenue le
24.
Le 20 à onze heures du foir , le Roi de Pologne
Duc de Lorraine & de Bar , arriva de Lunéville au
Chateau de Versailles . Le jour même des couches
de Madame la Dauphine , le Roi avoit chargé M.
Thevenin de Tanlay , l'un de fes Gentils hommes
Ordinaires , de porter à ce Prince la nouvelle de
la naiffance de Monfeigneur le Duc de Bourgogne,
Le même jour , le Lord Marshall , Miniftre Plé
nipotentiaire du Roi de Pruffe , eur Audience de
Monfeigneur le Duc de Bourgogne , de Madame ,
& de Meldames de France Il fut conduit à ces
Audiences par le Chevalier de Sainctot , Introduc.
teur des Ambaffadeurs.
Madame Louife eft indifpofée d'un rhume..
Les
NOVEMBRE. 1751. 169
Les Gardes du Corps , dans le tranfport de leur
joye , ont demandé au Roi & obtenu de Sa Majefté
la permiffion de donner le 20 un Bal dans leur
grande Salle du Château , pour célébrer la naiffance
de Monfeigneur le Duc de Bourgogne. Ce
Bal fut ouvert entie fept & huit heures du foir par
la Marquife de Villeroy , & par le Prince de Tu-
Tenne . Le Roi , la Reine , Monſeigneur le Dauphin
& Mefdames de France , l'ont honoré de leur
préfence.Les Princes & les Princeffes du Sang , les
Seigneurs & Dames de la Cour , & toute la Ville
de Verſailles , ont pris également part à cette Fête
. Plufieurs luftres fufpendus par des guirlandes
de fleurs , & un grand nombre de Girandoles ,
éclairoient la Salle qui avoit été décorée avec foin.
On avoit dreffé dans la Salle voifine un Buffer
galamment orné , fur lequel étoit un magnifique
ambigu . Pendant tout le Bal , les Gardes du Corps
fervirent continuellement des rafraîchiffemens aux
Dames . On a loué généralement la politeffe &
les attentions qu'ils ont montrées , & Pemprefle
ment avec lequel leurs Officiers les ont aidés à
faire les honneurs de la Fête .
L'heureux évenement , qui en étoit l'occafion ,
a produit une espéce d'enthoufiafme parmi les habitans
de Verfailles . On n'a entendu pendant huit
jours dans les Cours , dans les Jardins & dans les
Galleries extérieures du Château , que le bruit des
Tambours , le fon des Violons & des Hautbois ,
& les cris d'allegreffe des differentes Communautés
des Arts & Métiers de cette Ville , qui fe fuccédoient
fans ceffe, pour féliciter leurs Majeftés &
la Famille Royale.
Dans un Confeil tenu ces jours derniers , le Roi
enfaveur de fes Peuples a fait une remife de quatre
milions fur les Tailles .
H
170 MERCURE DE FRANCE.
Le Roi ayant réfolu de venir dans fa Capitale
rendre à Dieu de folemnelles actions de graces
pour la naiffance de Monfeigneur le Duc de
Bourgogne , Sa Majefté écrivit à l'Archevêque de
Paris ,pour que le Te Deum fût chanté le 19 Sep.
tembre dans l'Eglife Métropolitaine. Par ordre du
Roi , le Marquis de Brezé , Grand- Maître des
Cérémonies , alla le 15 inviter les Compagnies
fupérieures de s'y trouver , & il leur remit les
Lettres de Cachet à ce fujet. Le 19 à trois heures
après midi , leurs Majeftés partirent du Château
de Verfailles , le Roi étant accompagné , dans fon
Caroffe , de Monfeigneur le Dauphin , du Duc de
Chartres , du Prince de Condé , du Comte de
Clermont, & du Comte de la Marche ; & la Reine
étant dans le fien avec Meſdames de France , Les
autres Caroffes du Roi & de la Reine étoient remplis
par les principaux Officiers de leurs Maifons ,
& par les Seigneurs & Dames de la Cour, Un
nombreux Détachement des Gardes du Corps pré
cédoit & fuivoit les Caroffes de leurs Majeftés . Le
Vol du Cabinet , commandé par M. Forget , &
qui a l'honneur de fuivre le Roi dans les voyages ,
étoit devant le premier Caroffe de fuite du Roi,
Lorfque le Roi arriva dans le Cours de la Reine ,
il y trouva la Compagnie des Gendarines , celle des
Chevaux Legers , & les deux Compagnies des
Moufquetaires de fa Garde. Ces quatre Compa
gnies, prenant chacune leur rang , le joignirent au
détachement des Gardes du Corps qui étoit avec
le Caroffe du Roi , & leurs Commandans occu
perent les places qui leur ont été marquées par le
Réglement du 11 Novembre 1724. Leurs Majeftés
entrerent à quatre heures & demie dans Paris par
la Porte de la Conférence , au dehors de laquelle
le Guet à cheval les attendoit. Elles fe rendirent
NOVEMBRE. 1751 171
à l'Eglife Métropolitaine par le Quai des Thuilleries
, celui du Louvre , le Pont- Neuf , le Quai
des Orfévres , la Rue Saint Louis & le Marché-
Neuf. Par tout , fur leur paffage , les Régimens
des Gardes Françoifes & Suiffes , étoient rangés
en haye , & préfentoient leurs armes, & le Peuple,
qui étoit accouru en foule pour voir le Roi & la
Reine , témoigna par fes acclamations la joye
inexprimable que lui infpioit la préience de
leurs Majeftés . Les Princes du Sang , qui n'avoient
point accompagné le Roi , étoient allés
Pattendre à l'Eglife Métropolitaine . Le Roi &
la Reine furent reçus à la porte de l'Eglife par le
Chapitre , à la tête duquel l'Archevêque de Paris
les. complimenta , & leur préfenta l'eau benite .
Leurs Majeftés furent conduites dans le Choeur ,
le Roi étant précédé des Princes du Sang , devant
lefquels marchoient les Officiers des Cérémonies ,
ainfi que les Héraults d'Armes , & les Inftrumens
de Mufique de la Chambre de Sa Majesté. Au
milieu du Choeur oh avoir élevé un Dais , & préparé
un Prie-Dieu , fur lequel leurs Majeftés fe
placerent. Monfeigneur le Dauphin & Mefdames
de France prirent leurs places derriere le Roi &
la Reine , fur le même tapis . Les Princes & Princeffes
du Sang prirent les leurs auprès du Prie Dieu
de leurs Majeftés , ainfi que le Cardinal de Soubize.
Les autres places les plus proches furent oc
cupées par les Officiers de la Couronne , les principaux
Officiers de leurs Majeftés , & par les
Dames de la Cour . L'Archevêque de Paris officia
pontificalement au Te Deum , auquel le Chancelier
de France & le Garde des Sceaux affifterent ,
étant accompagnés de plufieurs Confeilers d'Etat
& Maîtres des Requêtes. Le Clergé , le Pailement
, la Chambre des Comptes , la Cour des
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
1
Aides & le Corps de Ville , s'y trouverent . Après
le Te Deum , leurs Majeftés furent reconduites à
la porte de l'Eglife avec les cérémonies qui avoient
été observées à leur arrivée .
Etant remontées en Caroffe , Elles fuivirent ,
pour le rendre au Château de la Meute , le même
chemin qu'Elles avoient pris en allant à l'Eglife.
Afin de fatisfaire le défir que les habitans de cette
Capitale avoient de voir leurs Majeſtés & la Famille
Royale , le Roi avoit ordonné que fon Caroffe
n'allât qu'au pas , tant à fon arrivée,qu'à fon
départ. Pendant la marche , les Offeiers des
Gardes du Corps jetterent au Peuple une grande
quantité d'argent . En fottant de l'Eglife , leurs
Majeftés trouverent toute la Ville illuminée.
Leurs Majeftes fouperent le foir au Château de
Ja Meute avec Monfeigneur le Dauphin & Mef
dames de France , & Elles retournerent enfuite à
Verfailles .
Le même jour , on tira dans la Place de l'Hôtel
de Ville , par ordre des Prevôt des Marchands &
Echevins , un très - beau feu d'artifice . La décora
tion répréfentoit le Temple de Lucine , & étoit
d'un Ordre d'Architecture compofite , peint en
marbre de differentes couleurs . Du côté de l'Hôtel
de Ville , à l'entrée du Veſtibule du Temple ,
étoient la France , recevant des mains de l'Hymen
le Duc de Bourgogne , & au pieds de la France ,
la Déeffe de la Santé , entourée de Génies . On
Toyoit dans les Faces Latérales les Déeffes de la
Gloire & de la Fecondité. Un Cartouche , dans le
quel étoient les Armes de Bourgogne , couronnées
de fleurs , & accompagnées de guirlandes , étoit
placé au deffus de la principale Porte du Temple.
Dans le Fronton de la Face opposée , deux renommées
portoient le Chiffre du Roi. Ceux de MonNOVEMBRE
. 1751 173
feigneur leDauphin & de Madame la Dauphine ,
étoient dans des Cartouches , fur les Portes des
Faces Latérales. Minerve , Hebé , Flore & l'Efpe-
Tance , en figures de rond de boffe dorées , fur
des piédeftaux , fervoient d'ornement aux quatre
angles du Corps de l'Edifice . Les Arriere corps des
quatre faces contenoient différens Bas reliefs ,
relatifs à l'évenement qui étoit l'objet de la Fête.
Au-deffus de l'Entablement des Colonnes , on avoit
placé plufieurs Groupes d'Enfans , qui tenoient
des Brandons & des Guirlandes , & au haut de la
Coupole du Temple , paroiffoit la Déefle Lucine .
Le Temple étoit élevé fur une grande Terraffe ,
avec une Balustrade dans le pourtour, & des Elcahiers
dans le milieu ainfi que dans les angles . L'appui
de la terraffe étoit décoré de Groupes & de
Trophées. Tout PEdifice avoit foixante pieds de
haut fur trente- cinq de face. La hauteur de la
Terraffe étoit de dix pieds , & chacune de fes faces
d'environ cinquante . Le feu d'artifice fut compofé
d'un grand nombre de gerbes , de globes lumià
pots aigrettes avec jets ,
de pots d'ordonnauce
garnis d'étoiles , de ferpentaux , de
foleils tournans & de foleils fixes , avec le Chiffre
de Madame la Dauphine en feu blanc dans le centre
, & de plufieurs autres piéces de feu figuré
qui produifirent des effets également beaux & va
riés . Selon la coutume ce feu fut terminé par
uneGirande d'une quantité innombrable de fufées ,
de marquifes , & de pots d'ordonnance.
neux , de
>
Après que l'artifice eut ceffé , la Façade de l'Hô
tel de Ville fut illuminée avec autant de goût que
de magnificence . Pendant toute la nuit , à l'Hôtel
du Duc de Gefvres , à celui du Prevôt des Mar--
chands , & aux Maifors des Echevins , on fit cou~
ler des fontaines de vin , on diftribua des viandes.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
au Peuple , & il y eut des Orcheftres qui ne cefferent
point de jouer jufqu'au lendemain matin .
Le Corps de Ville n'avoit pas attendu le jour du
Te Deum pour donner des marques éclatantes de
fon zéle . La nuit des couches de Madame la Dauphine
, les Prevôt des Marchands & Echevins , "
fur le premier avis que cette Princeffe avoit fenti
quelques douleurs , s'étoient rendus à l'Hôtel de
Ville. Auffitôt après l'arrivée du Chevalier de
Sommery , que le Roi avoit chargéde leur appor
ter la nouvelle de la naiffance du Duc de Bourgogne
, ils firent annoncer à toute la Ville cet heu-
Teux événemnt par le bruit du canon , ainfi qu'on
l'a dit dans la derniere gazette , & par la Cloche
de l'Hôtel de Ville , qui a fonné , fuivant l'ufa
ge, pendant trois jours & trois nuits. Le Corps
de- Garde de l'Hôtel de Ville , étant forti en même
tems au bruit des Trompettes , des Hautbois & des
Tambours , fit trois fois le tour de la Place , &
les Prevôt des Marchands & Echevins jetterent de
Pargent au Peuple. A midi on tira de nouveau le
canon , & fur les fept heures du foir on fit une
troifiéme falve d'artillerie , après laquelle le Duc
de Gevres , Gouverneur de Paris , les Prevêt des
Marchands & Echevins , & les Officiers du Corps
de Ville , defcendirent dans la Place . Ils jetterent
de l'argent pendant les trois tours qu'ils y firent ,
& le Duc de Gêvres mit le feu au Bucher qui y
avoit été préparé. Lorfqu'ils furent rentrés , on
tira une grande quantité de fufées volantes . Ily
eut le même foir à l'Hôtel de Ville une très- belle
illumination de Chiffres & de Lyres , tracés en
lumiere , & de trois filets de Luftres garnis de lanternes.
Le 14 & les deux jours fuivans , l'Hôtel de
Ville a été illuminé , chaque fois dans un goût
différent. On a allumé tous les foirs un feu dans
NOVEMBRE. 1751. 175
la Place ; on y a tiré des fufées , & le Corps de
Ville a renouvelle fes libéralités au Peuple . Tous
ces differens jours , ainfi que le 19 , le Duc de
Gêvres , & le Prevôt des Marchands , firent illu
miner magnifiquement leurs Hôtels , les Echevins
& les principaux Officiers du Corps de Ville en
aferent de même dans leurs maifons.
Ils avoient deffein de ne pas borner à ces démonftrations
de joye les preuves de leur amour
tendre & refpectueux pour le Roi , mais Sa Majef
té , comme on l'a déja annoncé , leur a prefcrit de
faire , des fommes deftinées à la Fête par laquelle
ils fe propofoient de terminer les réjouiffances publiques
, un afage plus avantageux au Peuple de
fa Capitale , & plus conforme aux fentimens de
fon coeur pour fes Sujets . Afin de fe conformer aux
intentions du Roi , le Corps de Ville a donc réfolu
de marier fix cens filles , qui feront choifies dans
les Familles des Artifans , Ouvriers , Manouvriers
& autres , que l'infuffifance de leurs fortunes , ou
du produit de leurs travaux , met hors d'état de
pourvoir à leurs établiffemens. Ce choix fera fait
par les Curés , & autant qu'il fera poffible , tous
les mariages d'une même Parroiffe feront célébrés
le même jour , en préſence des Prevôt des Mar
chands & des Echevins , ou des perfonnes qu'ils
députeront pour cet effet.
ce "
M. le Roy , fecond fils du célébre Horloger de
nom a été nommé pour remplir dans l'Académie
Royale des Sciences , la place d'Adjoint
Géometre , vacante par le paffage de M. Mahieu ,
à la Vétérance .
Me. Jean-Baprifte de Caftellane , Evêque de
Glandeve , & Abbé de l'Abbaye de Saint Léon ,
Ordre de Saint Auguftin , Diocéfe de Toul , eft
mort dans fon Diocéfe , âgé de quarante -huit ans.
Hiiij
175 MERCURE DE FRANCE.
Il avoit été nommé en 1747 à l'Evêché de Glan
deve , & facré l'année fuivante .
Le 23 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix- huit cens foixante cinq livres ; les
Billets de la premiere Lotterie Royale à fix cens
foixante-dix-neuf , & ceux de la Seconde à fix
cens trente quatre.
Le 24 Septembre , le Roi revint du Château de
Bellevue.
Le 28 , le Marquis de Saint Germain , Ambaſfadeur
Ordinaire du Roi de Sardaigne , eut une
Audience particuliere du Roi , dans laquelle au
nom du Roi fon Maître , il complimenta Sa Mas
jefté , fur la naiffance de Monfeigneur le Duc de
Bourgogne. Le Marquis de Saint- Germain fut
conduit à cette Audience , ainfi qu'à celles de la
Reine , de Monfeigneur le Dauphin , de Madame
la Dauphine , de Monfeigneur le Duc de Bourgogne
, & de Madame , par le Chevalier de Sainctor,
Introducteur des Ambaffadeurs.
Le même jour , M. de Berkenroode , Ambafladeur
Ordinaire de la République des Provinces
Unies , eut auffi du Roi une Audience particulie
re , dans laquelle il complimenta Sa Majesté fur
le même évenement , de la part des Ecats Géné
raux.Cet Ambaffadeur fat conduit à cette Audience
ainfi qu'à celles de la Reine , de Monfeigneur le
Dauphin , de Madame la Dauphine , de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne , & de Madame , par
le même Introducteur.
Le Roi partit le même jour pour le Château de
Choify.
Monfeigneur le Dauphin , & Mefdames Henriette
, Adelaide & Victoire , fe rendirent le 24
à l'Eglife de la Paroiffe du Chateau , & affifterent
au Te Deum que les Femmes & les Officiers de la
NOVEMBRE . 1751. 177
Chambre de Madame la Dauphine y firent chanter
, en action de graces de l'heureux accouchement
de cette Princeffe . L'Evêque de Bayeux
officia pontificalement , & le Motet , qui étoit de
la compofition de M. de Blamont , Chevalier de
l'Ordre de Saint Michel , & Sur- Intendant de la
Mufique de la Chambre du Roi , fut exécuté par
les Muficiens de la Chapelle de Sa Majeſté. L'Eglife
étoit ornée & éclairée avec la plus grande
magnificence.
Madame Sophie eft incommodée d'un rhume ;
& Madame Louife continue de garder la cham--
bre , à cauſe d'une pareille indifpofition .
Le 26 , le Prince de Soubize prêta ferment de
fidélité entre les mains du Roi pour le Gouverne
ment de Flandre & de Haynaut.
Le Roi a accordé un Brevetde Duc au Marquis
de Mirepoix , Ambafladeur Extraordinaire de Sa
Majefté auprès du Roi de la Grande Bretagne,
Sa Majesté a donné àl'Abbé Phelypeaux l'Ab
baye de Notre-Dame du Thoronet , Ordre de
Citeaux , Diocèle de Fréjus .
On a appris par un Courier dépêché de Madrid ,
que le Roi d'Espagne a nommé , pour fon Ambaffadeur
Extraordinaire auprès du Roi , Don
Jacques Mafonès de Lima y Soto- Mayor , Gen
til Homme de la Chambre de Sa Majeſté Catholique
, & ci- devant fon Ambaſſadeur Extraor
dinaire & Plénipotentiaire aux Conférences d'Aixla
Chapelle.
Aún de contribuer à décider la vraie courbure
des Méridiens & la diftance de la Lunera la Terre
, M. de la Lande eft allé par ordre du Roi ,
obferver à Berlin les Parallaxes de la premiere de
cos deux Planettes . L'Académie Royale des Scien
es a envoyé pour cet effet à ce Scivant le meil
11x
178 MERCURE DE FRANCE:
leur & le plus grand Inftrument d'Aftronomie ;
qui ait jamais été conftruit.
Il s'eft vendu deux mille cinq cens quintaux de
foye à la Foire d'Alais. La foye de la premiere
qualité a été payée dix- fept livres dix fols , celle
de la feconde feize livres dix fols , celle de la troifiéme
depuis quinze livres cinq fols jufqu'à quinze
livres dix.
Le 30 du mois dernier , les Actions de la Compagnie
des Indes étoient à dix - huit cens foixantedeux
livres dix fols ; les Billets de la Premiere Loterie
Royale à fix cens quatre -vingt-une , & ceux
de la Seconde à fix cens trente - cinq.
-Monfeigneur le Dauphin , qui s'étoit rendu le
29 du mois de Septembre à Choify , en revint le
lendemain vers les trois heures du matin.
Le ir Octobre , le Roi eft revenu de ce Château.
Le 3 , le Chevalier Morofini , Ambaffadeur Or
dinaire de la République de Venife , eut une Audience
particuliere du Roi , dans laquelle il com
plimenta Sa Majefté , au nom de la République ,
fur la naiffance de Monfeigneur le Duc de Bourgogne.
Le Chevalier Morofini fut conduit à cette
Audience , ainfi qu'à celles de la Reine , de Monfeigneur
le Dauphin , de Madame la Dauphine , de
Monfeigneur le Duc de Bourgogne , de Madame ,
de Meldames Henriette & Adelaïde , & de Meldames
Victoire & Louife , par le Chevalier de
Sainctor , Introducteur des Ambaffadeurs.
Le Roi partit le 4 pour aller paffer quelquesjours
au Château de Crécy .
Le même jour, la Reine entendit la Meffe dans
l'Eglife des Récolets , & communia par les mains
de l'Evêque de Chartres , fon Premier Aumônier.
NOVEMBRE. 1751. 179
Madame Sophie est toujours un peu indifpofée ,
mais la fanté de Madame Louife eft parfaitement
rétablie.
Le 3 , le Comte de Clermont , Prince du Sang ,
prêtaferment de fidélité entre les mains de Sa Majefté
pour le Gouvernement de Champagne & de
Brie.
Le Roi ayant accordé au " Marquis de Paulmy ,
'Ambaffadeur de Sa Majefté auprès du Corps Helvetique
, la furvivance du Comte d'Argenton ,
fon Oncle , pour la charge de Secretaire d'Etat
de la Guerre , le Marquis de Paulmy , qui eft ar
rivé de Soleure depuis quelques jours, remerciale
Sa Majesté.
Le 7 , la Reine accompagnée de Monfeigneur le
Dauphin , & de Meldames Henriette , Adelaïde ,
Victoire & Louife , vint à Paris au Monaftere des
Religieufes Carmelites de la Rue de Grenelle ,
Fauxbourg Saint Germain , & Sa Majesté y donna
le voile à la Comteffe de Rupelmonde. Le Corps
de Ville , en Robbes de Cérémonies , & ayant
fa tête le Duc de Gêvres , Gouverneur de Paris
regnt la Reine à la Barriere de la Rue de Grenelle
& étant préfenté par le Duc de Gêvres , & conduit
par le Marquis de Brezé , Grand -Maitre des Céré
monies , il complimenta Sa Majefté , M. de Bernage
, Prevôt des Marchands , portant la parole ..
A l'arrivée & au départ de la Reine , on fit une
falve de boëtes & des canons de la Ville , ainfi que
des canons de l'Hôtel Royal des Invalides.
L'Académie Françoife fit chanter le 30 du mois
dernier le Te Deum dans la Chapelle du Louvre
en action de graces de la naiffance de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne.
Les , l'Abbé de Brouain , Chapelain Ordinaire
du Roi dans le Château de Saint - Germain en Laye
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
1
fit la Bénédiction de la Cloche de la Chapelle de
ce Château , & cette Cloche fut tenue au nom du
Roi & de la Reine par le Comte d'Ayen & par la
Demoiſelle Dillon . On chanta enfuite le Te Denm
en Mufique , pour remercier le Ciel de ce qu'il lui
a plû d'exaucer les voeux de la France. Le foir ,
les cinq façades du Château de Saint- Germain en
Laye , furent entierement illuminées . Cette fête
avoit été annoncée à fix heures du matin par une
falve de douze piéces de canon , dont on fit fix
autres falves pendant la cérémonie.
Le Roi a nommé à l'Evêché de Riez l'Abbé de
Montauban , Abbé de Saint Pierre de Vienne , &
à l'Evêché de Glandeve , l'Abbé de Belloy , Vicaire
Général de l'Evêché de Beauvais. Sa Majesté
a accordé l'Abbaye de Saint Etienne de Vaux ,
Ordre de Saint Benoît , Diocèle de Saintes ,
l'Abbé de Termes ; l'Abbaye Réguliere de Gomerfontaine
, Ordre de Citeaux , Diocèle de
Rouen , à la Dame de Nadaillac , Réligieufe du
même Ordre , & l'Abbaye Réguliere de Braghac
, Ordre de Saint Benof , Diocèle de Cler
mont , à la Dame d'Auzers , Religieufe de l'Ordre
de Saint Dominique .
Par divers incendies qui font arrivés , tant à la.
fin du mois d'Août que dans le cours du mois der
nier , la plupart des forêts depuis le Var jufqu'auprès
de Toulon , ont été , ou totalement , ou en
-partie réduites en cendres . Ce malheur eft plus
confiderable par la rareté dont les bois font ea
Provence , que par la valeur de ceux qui ont été
brulés , & la perte , foit pour les Communautés ,
foit pour les Particuliers à qui les bois apparte
noient , n'eft eftimée qu'à un million. On prétend
que des Bergers ont occafionné ces incendies , en
etrant , fuivant leur ulage , le feu aux pâtures,,
pour les améliorer
2
NOVEMBRE . 1751. 18%
Le 7 , les Actions de la Compagnie des Indes ,
étoient à dix-huit cens foixante -cinq livres , les
Billets de la Premiere Lotterie Royale à fix cens
foixante dix -neuf, & ceux de la Seconde à fix cens
trente-trois.
Le 12 Septembre , le Roi , la Reine , Monfeigneur
le Dauphin , Madame la Dauphine & Mef
dames , fignerent, le contract de mariage de M..
Chalus de Verny avec Mlle Varauchace.
Lundi 11 Octobre , Meffieurs de l'Académie
Royale de Peinture & Sculpture , firent chanter
dans l'Eglife de Saint Germain l'Auxerrois,un Te
Deum en actions de graces de l'heureux accou
chement de Madame la Dauphine. Le Te Deum ,
le Motet tiré du P'feaume Exaltabo te Deus meus
le Domine Salvum fac Regem , & la fimphonie de ,
Trompettes & de Timbales qui coninença & qui ,
finit la cérémonie , tous ces morceaux de la com ,
polition de M. de Blamont , étoient beaux , & fu
rent très- bien exécutés par Meffieurs de la Mufique
du Roi . L'Eglife étoit ornée avec goût & avec .
magnificence. L'affemblée fut brillante & nombreufe
; les amateurs qui fe multiplient tous les...
jours , ont faifi avec empreffement cette occafion
de donner des preuves de leur eftime & de leur
attachement aux Artiftes ..
MANDEMENT de M. l'Evêque de
Saint Malo. Qui ordonne que le Te Deum
fera chanté dans toutes les Eglifes de fon
Diocéfe , en actions de graces de la naif
fance de Monfeigneur le Duc de Bourgogne..
Ean-Jofeph de Fogaffes de la Baftic , par la
miféricorde de Dieu & l'autorité du Saint Siége
182 MERCURE DE FRANCE.
Apoftolique , Evêque & Seigneur de Saint Malo ,
Confeiller du Roi en fes Confeils , & c. Au Clergé
Séculier & Régulier , & à tous les Fidéles de notre
Diocéle : Salut & Bénédiction en notre Seigneur.
Nous n'avons pas befoin , mes très-chers freres,
d'exciter votre joye & votre reconnoiffance . C'eſt
le plus ardent de vos voeux que Dieu vient d'exau
cer , & vous connoiffez tout le prix du bienfair.
Vous yvoyez le comble de la fatisfaction du Roi ,
la récompenfe de la piété de la Reine , les délices
des deux Auguftes Epoux , le plus cher interêt de la
France , & celui même de l'Europe.
Réjouiffez-vous donc , mes très- chers freres ,
mais réjouiffez -vous dans le Seigneur ; la Religion
approuve & authoriſe votre joye , mais elle
doit la fanctifier: & fi les Chrétiens ne doivent pas
s'affliger comme les Infidéles , ils ne doivent pas
non plus fe réjouir comme eux.
Joignez à vos chants d'allegreffe , & à vos Cantiques
d'actions de graces , les Prieres les plus ferventes
pour le Prince qui vient de naître ; qu'il
vive cet Augufte Enfant , & que le Seigneur lui
donne un efprit & un coeur dignes de les hautes
deftinées , & du Sang dont il fort. Nous n'aimons
encore en lui que ce Sang de nos Roys toujours fr
cher à la Nation , puiffions- nous dès fes premieres
années découvrir le germe de ce qu'il doit être un
jour pour la gloire , & pour la félicité du Royaume-
Puiffe- t'il croiffant de vertus en vertus , voir
s'acroître auffi notre amour. Puiffent enfin nos
Neveux benir encore plus que nous-mêmes , Ic
jour heureux qui l'a donné à la France .
A ces Caufes , & c.
NOVEMBRE. 1751. 183.
洗洗洗洗:洗洗洗:洗洗洗洗洗洗洗:洗洗
MARIAGE ET MORTS.
L
A Maifon du Marquis Pignatelli , dont nous
avons annoncé la mort dans le Mercure du
mois de Juillet , eft une des plus illuftres du
Royaume de Naples , par fon ancienneté , par fa
nobleffe , & par les titres d'honneur dont elle eft
décorée dans toutes fes branches . Il paroît par la
poffeffion des fiefs que ceux de cette maiſon étoient
comptez parmi les Barons du Royaume , dès le
régne des Rois Normands. Dans un Diplome de
l'an 1190 , rapporté par Charles Borelli , * eft ,
mentionné Jean Pignatelli , parmi les Décurions ,
appellés Conêtables , qui gouvernoient l'Etat de
Naples. Pierre Pignatelli fut au rapport des François
, élu Marchefi , un de ceux qui allerent au
nom de la Ville de Naples , offrir les Clefs de cette
Ville au Roi Charles I. d'Anjou . Richard Pigna
telli qui vivoit en 1280 , fut pere de Jacques Pi
gnatelli , Vice-Roi de la Pouille en 1326 , &
ayeul de Thomas , Majordome du Roi Robert.
Celui- ci fut pere de Thomas qui vivoit en 1400 ,
& qui de fa feconde femme Cecile Philomarini ,
eut entre autres trois fils , Etienne , Charles , &
Palaméde Pignatelli , qui formerent trois branches
principales . Celle de l'ainé s'eft fubdivifée en plufeursautres
,fçavoir : celle des Marquis de Cafalnovo
, des Ducs de la Rocca , de la Tolve , d'Allife
, de Montecalvo , & des Princes de Strongoli.
Charles ,frere d'Etienne , a fait la premiere bran
* Vindex Neapol. nokiļit. page 125,
184 MERCURE DE FRANCE.
che des Ducs de Montelcon & de Terranova ,
Grands- d'Espagne , centrée par alliance dans la
poftérité de Palamede Pignatelli, Celui - ci fut pere
de Jacques Pignatelli , Seigneur de Noja & de
Cerchiaro , dont le fils ainé Fabrice fut créé Premier
Marquis de Cerchiaro l'an 1556 , & le puine
Scipion Pignatelli fut créé Duc de Biloxia , ou Bi
fache , l'an 1600 , ſa postérité eſt établie en France
, & porte le nom & les Armes d'Egaront , à
caufe du mariage de Nicolas Pignatelli , Duc de
Bilache , Gouverneur Général des Armées dans
le Royaume de Naples , avec Claite Angelique
d'Egmont, devenue en 1707 Héritiere de la mai
fon , & de fon frere Procope François , Comte
d'Egmont , Prince de Gavre & du Saint Empire.
De ce mariage naquirent , Marie- Françoife Pi--
gnatelli , mariée le 29 Mars 1711 , à Léopold
Philippe Charles de Ligne , Duc d'Aremberg ,
Prince du Saint Empire , & c.
Second , Procope Marie Antoine d'Egmont
Pignatelli , Comte d'Egmont , Prince de Gavre &
du Saint Empire , Grand d'Efpagne , & mort au
mois de Mai 1743 , il avoit épousé en 1717 Henriette
Julie de Durfort , fille de Jacques Henri
Duc de Duras , & foeur de la Princeffe de Lambefc
, leurs enfans font.
1. Gui-Felix, Comte d'Egmont , Prince de Gavre
& du Saint Empire, fixiémeDuc de Bifache, Grandd'Efpagne
de la premiere Claffe , & marié le s
Février 1744 , avec Amable- Angélique de Villars,
fille unique d'Honoré Armand , Duc de Villars
Pair de France , Chevalier de la Toifon d'or.
2. Thomas Victor , dit le Duc de Bifache , mott
le 15 Janvier 1742.
3. Cafimir , dit le Marquis Pignatelli , Colonel
de Cavalerie , marié le 12 Décembre 17ƒo; avec
NOVEMBRE. 1751 185
la fille unique du Comte de Saint Severin d'Aragon
, Miniftre d'Etat , & Chevalier des Ordres
du Roi.
4. Henriette-Nicole- Marie d'Egmont Pignatelli,
mariée le 11 Juin 1738 , à Marie Charles- Louis
d'Albert , Duc de Chevreule .
La poftérité de Fabrice Pignatelli , premier Mar
quis de Cerchiaro , s'eft fubdivifée en trois branches
, par fes fils , Jule , Martius & Lucius . De
Martius eft fortie celle de Spinazzola remarqua-.
ble furtout par l'honneur qu'elle a eu de donner
à l'Eglife un Chef encore plus illuftre par les vertus
, que par fa dignité , dans la perfonne d'Antoine
Pignatelli , le dernier des Als de François
quatriéme , Marquis de Spinazzola , & premier
Prince de Mondervino. Exalté au mois de Juillet
1691 , il prit le nom d'Innocent XII . & fe conduifit
toujours en véritable Pere commun , fans
prédilection , faus partialité , & ne connut que les
pauvres pour fes parens. Ce Pontife fit une Bulle
expreffe pour abolir le Nepotifme , fonda plufients
Hopitaux , & mourut comblé de mérites & de bénédictions
le 27 Septembre.

Lucius Pignatelli , dernier fils de Fabrice , eft
le bifayeul de Jerome- Marie Pignatelli , Prince
de Marficonovo , mort l'an 1700 , laiffant de fa
feconde femme , Julie Cecile Conti , fille de
Charles Duc de Poli , Jean- Baptifte Pignatelli
onziéme Prince de Marficonovo , qui a épousé
Marie-Emanuelle Pignatelli , Ducheffe de Hijar
fille & héritiere de Ferdinand Pignatelli , Duc
d'Hijar , Grand-d'Efpagne , Vice- Roi de Galice
& d'Aragon , mort en 1729 , & de Jeanne Petronelle
de Silva , Ducheffe de Hijar , morte en
1710 , & dont fa foeur Iſabelle de Silva fut la feconde
femme de fon mari. Jules Pignatelli , deus
186
MERCURE DE
FRANCE.
ziéme Marquis de Cerchiora , fils ainé de Fabrice,
fut pere de Fabrice II , du nom créé en 1600
Prince de Noja. Ses deux fils , Jules & Jacques F
Pignatelli , ont formé deux branches , du dernier
defcendent les Ducs de Belrifguardo , & les Mar
quis de Saint Vincent , Princes de Belmont.
Fabrice Pignatelli , III du nom , fils ainé de:
Jules II. fut Vice Roi d'Aragon , Chevalier de la
la Toifon d'or , & devint V. Duc de Montelcon ,
par fon alliance avec Jeronime Pignatelli , leur
petite fille , Jeanne Pignatelli , VII Ducheffe de
Montelcon , époufa fon grand oncle , Nicolas
Pignatelli , frere de Fabrice III d'Agnelle , Prince,
de
Montecorvine , Duc de Saint Maure , & de
François Pignatelli , Archevêque de Naples , créé
Cardinalen 1703 , & mort en 1734.
Don Nicolas Pignatelli VIII , Duc de Monzelcon
& de Terranova , Vice- Roi de Sicile &
de Sardaigne , Confeiller d'Etat , Chevalier de la
Toifon d'or , eft mort le 36 Mars 1630 , & a laiffé
pour enfans
1. Don Diegue Pignatelli IX Duc de Montelcon
, Protonotaire du Royaume de Naples , en
1721 marié , 1º . avec Jeanne Caraccioli , fille de
Marin , Prince d'Avellino , 2 °. avec Marguerite
Pignatelli , Ducheffe de Belrifguardo , dont il a
trois enfans. 1. Fabrice Pignatelli , né en Septembre
1714 , marié avec Constance de Medicis ,
née en Janvier 1917 , fille de Don Jofeph de Me,
dicis , Prince d'Ortojano , Grand- d'Elpagne , &
d'Anne Caietani des Ducs de Sermonetta. 2°. Ma
rie-Françoife , 3°. Jeanne Pignatelli.
II. Don Ferdinand Pignatelli marié avec Lucrece
Pignatelli, Princeffe de Strongoli.
III. Antoine Pignatelli , qui a épousé Marie-
Françoise Moncayo , fille ainée du Marquis de
it. St
Oce
E
NOVEMBRE. 1751. 187
Cufcucola , dont font nés Joachim Pignatelli , 2
Vincent Pignatelli.
IV. Fabrice Pignatelli.
V. Marie-Therefe premiere femme de Jean-
Philipe Eugène de Merode, Marquis de Wefterloo.
VI. Stephanie, mariée à Jofeph de Saint Severin ,
Prince de Bifignano , dont elle eft veuve depuis
1727.
VII . Catherine qui a épousé le Comte d'Acerra.
VIII . Rofalie , alliée avec Antoine Spinelli ,
Prince de la Scalea.
Jacques Pignatelli Seigneur de Cafalnovo , 2. fils
de Fabrice, Prince de Noja , devint Duc de Belrifguardo
, par fon alliance avec Florence Vaez. II
en eut entre autres enfans , 1. Fabrice Pignatelli ,
pere de Jacques , & ayeul de Marguerite , Ducheffe
de Belrifguardo , deuxième femme de Don
Diegue , Duc de Montelcon 2, Dominique Pi ,
gnatelli , premier Marquis de Saint Vincent ,
Capitaine général d'Eftramadoure , Vice- Roi de
Navare & de Guipuifcoa , puis de Galice. Il épousa
Anne Aymerich , Marquife d'Aymerich , fille &
héritiere de Don Bernard , Marquis d'Aymerich
& Cruillas , dont font -nez.
,
1. Don Antoine Pignatelli , 2. Marquis de Saint
Vincent , Prince du Saint Empire & de Belmont
Genéral de Cavalerie au fervice de l'Empereur
retiré à prefent dans le Royaume de Naples, marié
le 2 Juin 1722 , avec Anne- Françoife Pinelli-Ravafchieri
, Princeffe de Belmont , Ducheffe d'Ac
crenza , dont font fortis neuf enfans. 1 Antoine-
Francois Pignatelli , 2 Michel , 3 Janvier Pignatelli
, 4 Dominique , s Jean 6 Vincent , 7 Marie-
Anne , 8 Elifabeth , 9 Therefe Yolant Pignatelli ..
II. Don François Pignatelli d'Aymerich , Baron
de Linas , dont la mort a donné lieu à cet article.
2
188
MERCURE DE FRANCE. La fam
1
Ce Seigneur avoit époufé 1. Anne de Cieves.
2. Marie Françoife Rubi , Baronne de Linas
fille du Marquis de Rubi , Gouverneur d'Anvers.
Du 1. lit eft né Dominique Pignatelli , Colonel
du Régiment de Galice , Infanterie.
Du 2. hit font nez , 1 ° . Don Jofeph-François
Pignatelli , Marquis de Rubi , Capitaine d'Infan
terie , mort à Barcelone en 1742. 2°. Marie- Anne
Pignatelli , mariée à Saragoffe avecPierre d'Orries.
3. Antoine de Pignatelli , ci-devant Colonel du
Régiment de Farnefe , Cavalerie , àpréfent Che
valier de Malte , & Chanoine de Malaga. 4° . Gaé
tancle Pignatelli , Marquis de Rubi , Baron de
Linas , Colonel du Régiment de Naples , Infan
terie.
III. Marie- Anne Pignatelli , née le 26 Juillet
1689 , mariée le 12 Fevrier 1709 , à Michel Jean ,
Comte d'Althan & du Saint Empire , Grand
Ecuyer de l'Empereur Charles VI. mort le 26
Mars 1722 , & pere de cinq enfans.
Voyez Imhtoff Imnil. 1. d'Italie & les généal.
Hiftoriq. Tom . II . p . 663 .
Les Armes de la Maifon Pignatelli , font d'or
à trois pots ou pignates de fable , les deux du chef
afrontées.
Le Marquis de Pignatelli d'Aymerich portoit
l'écu de Pignatelli fur un écartelé , au 1. d'Aragon
Sicile , au z . d'azur à la croix pleine d'argent , au
3. de Gueules à 24 croix d'or rangées en face ,
fix , fix , fix & fix , au Chef Pallé de 12 piéces
d'or & d'azur , au 4- d'argent àtrois pommes de
pin de fable.
Le 27 Juillet , a été marié dans l'Eglife de Saint
Nicolas- des - Champs , Claude-François , Comte de
Murat , Lieutenant au Régiment du Roi Infanterie
, avec Demoiſelle Marie de Mafcrany. Ils
font parens du 3 au 4.
N
NOVEMBRE. 1751. 189
La famille de Murat eft une des plus anciennes
de la Noblefle d'Auvergne , & eft alliée aux plus
grandes Maifons du Pays. Elle a poffédé le Vicomté
de Murat , depuis 1050 jufqu'en 1414 ,
qu'elle en a été dépouillée par les Comtes d'Armagnac
, aprés un fiége de buit mois.
Renaud de Murat dépoffédé de fon bien , fe
retira d'abord vers le Duc de Bourgogne , enfuite
il fe mit au fervice de Charles VII . qui le fit fon
Chambellan , & fon Lieutenant Général dans le
Pays de Languedoc. Il laiffa Armand de Murat
Baron de Roche-Mance , qui eut entre autres enfans
Triftan de Murat , Baron de Roche- Mance.
Son fils François a eu Claude de Murat , Général
de toute la Cavalerie , Lieutenant Général des
armées du Roi , employé fous le Ministère des
Cardinaux de Richelieu & de Mazarin dans des
Négociations les plus importantes , & qui a été
nommé pour être Gouverneur de Monfieur , frere
unique du Roi Louis XIV . Il fe maria à foixante
ans avec Louife -Marie de Malaval , & a laiſſé
Nicolas de Murat , Comte de Gilbertès , Baron,
de Cromce , Seigneur de Varillette , Colonel
d'an Régiment d'Infanterie , lequel époufa en
1686 en premieres nôces Marie de la Tour d'Auvergne
, dont il n'a eu qu'une fille mariée à Philibert
d'Apcher , Marquis de Montbrun ; & en
fecondes noces Henriette- Julie de Caftelnau , petite-
fille du Maréchal de ce nom , dont il a eu
Claude-Jacques- Célar de Murat , Marquis de
Montfort , Comte de Gilbertez , Colonel d'Infanterie
, Chevalier des Ordres Militaires de Saint
Louis & de Saint Lazare , pere du Comte de
Murat , ont donné lieu à cet article.
Marie de Mafcrani eft fille de M. de Mafcrani
Préfident Honoraire au Grand Confeil , & Maître
190 MERCURE DEFRANCE.
des Requêtes Honoraires. Voyez fur cette fan
mille le Mercure d'Avril 1747 , à l'occafion duk
Mariage de Louiſe de Mafcrani avec M. le Cointe
de Broyes.
N.... du Bois de Crancé , a épousé Dame Marie
Catherine de Tarrade , veuve de M. Jacques de
la Villette de Belfay.
Le 3 Août , François Erwin-Eugene , Comte de
Schonborn du Saint Empire , Chambellan de
P'Empereur , Colonel d'un Régiment d'Infantene
de l'Evêque & Prince de Wirtzbourg , époufa la
Princeffe Marie Elifabeth -Jofephe de Salm , née
le 4 Avril 1729 , quatriéme fille de Nicolas - Léo
pold , Prince de Salm & du Saint Empire , Duc
d'Hochitrat , Wild & Rhingrave , qui fueceda en
1738 , à fon beau- pere Louis- Othon , Prince de
Salm , en qualité de fon plus proche Agnat ,
en faveur duquel l'Empereur Charles VI . érigea
Pan 1739 , en Duché le Comté de Hochftrat ,
Brabant , qui lui appartient du chef de fon ayeule
Marie Gabrielle de Lalain . Le Prince de Salm eft
de l'illuftre Maiſon des Rhingraves , ou Comtes
du Rhin , que leur qualité d'Avoués perpétuels de
l'Abbaye de Laurefcham , fait préfumer être iffus
de Cancor , Fondateur de cette Abbaye fous lo
Regne de Pepin , ou au moins fon Bienfaiteur , &
qui eft qualifié Comte illuftre du Territoire du Rhin,
par l'Auteur de la Chronique de cette Abbaye ,
êcrite dans le treiziéme fiécle.
en
Deux alliances des Rhingraves avec les Wild.
graves , fçavoir de Jean I. Rhingrave , & de Jean
III.fon petit-fils , les mirent en poffeffion des
Seigneuries de Daun & de Kyrbourg , de forte
que Jean IV. fe trouvant héritier des deux bran
ches des Wildgraves , avec lefquels il avoit une
origine commune , joignit leurs noms & armes
Jane
NOVEMBRE. 1751. 191
aux fiens , & le qualifia Wild & Rhin- grave de
Daun & de Kyrbourg , ce que fe defcendans ont
continué de faire. Son fils Jean V. mort en 1490 ,
acquit la moitié du haut Comté de Salm , en
Volge , par fon alliance avec Jeannette , fille
anique de Simon II.Comte de Salm qui tiroit fon
origine de l'ancienne maifon de Luxembourg, par
Herman de Luxembourg , Comte de Salm , élû Em
pereur l'an 1081. Jean V. fut quatrième ayeul de
Philippe Othon , créé Prince du Saint Empire en
1624 , dans laquelle dignité fon fils Léopold-
Phil pe Charles fut admis à la Diette en 1654 ,
avec voix & féance dans le Collége des Princes.
L'alliance que fon petit fils Charies Théodore
contracta l'an 1671 , avec Marie Louiſe de Baviere
,fille aînée d'Eduoard , Comte Palatin , &
d'Anne de Gonfague , & petite-fille de Frederic V.
Electeur Palatin , & d'Elifabeth d'Angleterre ,
acquit à les defcendans des prétentions fur la Cou
ronne de la Grande Bretagne , & fur le Duché de
Montferrat ;prétentions qui ont été tranfmifes
aux freres & foeurs de la Princeffe de Schonborn
du chefde la Princeffe Dorothée- Françoile Agnès
de Salm , leur mere , & fille aînée de Louis-
Othon , Prince de Salm. Voyez ces enfans dans
les Tablettes hiftoriques , feconde partie , p. 116 ,
od eft auffi rapportée la branche des Princes de

* Lebas Comté de Salm eft dans les Ardennes. Le
Comte Henri VI. mort en 1413 , fe voyantfans poftérité
, inftitua pour fon héritier Jean , Seigneur de
Reifferfcheid , dont la postérité a pris le furnom de
Salm .
**
L'autre partie du haut Comté de Salm fut portée
en mariage par Chriftine , fille unique de Paul ,
Comte de Salm , à François de Lorraine , Comte de
Vaudemont , trifayeul de l'Empereur regnant.
192 MERCURE DE FRANCE.
Salm-Kyrbourg. Il y a encore de la Maifon de
Salm les branches des Wild & Rhingraves de
Grumbach , de Greenwiller , & de Daun.
Le Comte de Schonborn , qui eft né au mois
de Janvier 1727 , eft neveu de l'Archevêque Elec
teur de Tréves , & du feu Cardinal Evêque de
Spire , & fils unique d'Anfelme- François , Comte
de Schonborn , Chambellan de l'Empereur Charles
VI , Général de Cavalerie , Commandant Général
des troupes du Cercle duHaut- Rhin , &c.
& de Marie- Theréfe , Comteffe de Montfort , &
petit- fils de Melchior - Frederic , élevé l'an 1690
avec fa poftérité au rang de Comte du Saint Empire
, ou il a été admis dans la Claffe des Contes
de Franconie. Celui - ci avoit pour pere Philippe
Erwin , Baron libre de Schonborn & du Saint Em
pire ; & frere de Jean Philippe de Schonborn, éla
l'an 1647 Archevêque & Electeur de Mayence , à
laquelle dignité fut élevé , l'an 1695 ,fon neveu
Lothaire-François , Comte de Schonborn. La
Mailon de Schonborn eſt connue parmi la Nobleffe
du Rhin dès la fin du douziéme fiécle , & a
pour Auteur Euchaire de Schonborn , Chevalier ,
qui vivoit l'an 1180 & 1190 , fuivant une Genéalogie
imprimée l'an 1745 , par les foins de Jean
Goftfrid Biederman. 1-
Lc 2 Août , a été célébré dans l'Eglife de 5. Côme
, le mariage de M. Antoine- Nicolas le Camus
de Bligny , Lieutenant aux Gardes Françoifes, avec
Genevieve- Marie Angeard , née le 3 Février 1736,
fille de Mathieu Augeard , Confeiller-Secretaire
du Roi , & de Genevieve- Marguerite de Favero,
les. M. de Bligny eft fils de Charles - Germain le
Camus , Seigneur deBligny , Maréchal des Camps
Armées du Roi , & de Bonne de Barillon ,
coufin germain de Madame la Maréchale de Lan
geron
&
NOVEMBRE . 1753 . 193
geton , & de M. le Camus , ci devant Prévôt-
Maire des Cérémonies , Commandeur des Ordres
du Roi , & Premier Préfident de la Cour des
Aides , dans laquelle Charge il avoit fuccedé , en
1710 , à fon ayeul Nicolas le Camus , Seigneur
de la Grange Bligny , frere aîné d'Etienne le Camus
, Evêque & Prince de Grenoble en 1671 ,
nommé Cardinal du propre mouvement du Pape
Innocent XI . le 2 Septembre 1686. Piélat également
diftingué par la profonde érudition , par fa.
piété folide , & par fon zéle ardent pour le bien
de fon Diocéfe , dont il ne fortit depuis fa promotion
à l'Epifcopat que pour deux Conclaves. Il
mourut le 12 Septembre 1707 , dans la foixantefeizième
année de fon âge. Il avoit pour pere Nicolas
le Camus , Procureur Général de la Cour
des Aides en 1631 , Confeiller d'Etat en 1632 , &
Intendant de l'armée en Italie & en Languedoc ;
&pour ayeul Nicolas le Camus, Confeiller d'Etat
en 1610.
Le 10 , Louis-François -Claude Cauchon , Marquis
de l'Heri , mourut dans fon Chateau de
Prin,
en Champagne , âgé de 77 ans. LLa fainille de
Cauchon , originaire de la Ville de Rheims , eft
connue depuis Pierre Cauchon , Docteur en Théologie,
Maître des Requêtes de l'Hôtel ordinaires du
Roi , Charles VI , Evêque de Beauvais en 1420,
& nommé en 1432 , à l'Evêché de Lizieux- par le
Roi d'Angleterre , alors Poffeffeur de la Normandie
, pour le récompenfer de la Sentence que
ce Prélat avoit prononcée en 1430 , contre la Pu
celle d'Orleans , prife dans une fortie pendant le
fiége de Beauvais , & livrée aux Anglois .
La Mere Charité de Sainte Claire , décéda le
11 à Verdun , dans le Monaftére des Religieufes
Clarifles , âgée de 101 an, & dix mois.
I
496 MERCURE DE FRANCE.
régimens François qui s'abfentent en conféquence
de les ordonnances de fémeftre , pouvû néanmoins
qu'ils n'excedent pas le nombre des fémeftriers
réglé par lefdites ordonnances pour chaque ba
maillon & efcadron , & qu'ils rejoignent exactement
à l'expiration de leurfdits congés de fémestre.
A l'égard des Lieutenans- Colonels , Commandans
de bataillon , & Capitaines de Grenadiers des
régimens François , comme Sa Majefté , en ſe réfervant
de leur donner des congés pendant le tems
du fémestre , n'a pas eu intention de les priver.
d'un avantage dont ils jouiffoient lorsqu'ils avoient
la liberté de tirer le fémeftre avec les autres Officiers
des corps ; elle veut & entend qu'il reçoivent
pareillement leur logement en argent pendant le
tems de leur congé de fémeftre , comme ils le
recevoient lorsqu'ils jouifloient du fémeftre , en
vertu de l'ordonnance.
Mande & ordonne Sa Majefté aux Gouverneurs ,
& fes Lieutenans Généraux en les Provinces , a
ceux qui y commandent en leur abfence , aux Iurendaus
defdites Provinces , aux Infpe &teurs Géné
raux fur les troupes . aux Commiffaires de fes
guerres , & à tous autres les Officiers qu'il appar
tiendra,de tenir la main à l'exécution de la préfente
ordonnance ; laquelle fera lúe & publiée à la tête
des troupes , & dans toutes les Villes & autres
lieux où le réglement de 1716. eft exécuté , à ce
qu'aucun ne puiffe en prétendre caufe d'ignorance.
Fait à Versailles , le premier Mai 1751. Signé
LOUIS. Et plus bas , M. P. DA VOYER
D'ARGENSON.
ARRETS du Confeil d'Etat du Roi , du
premie: Juin. Pour l'ouverture de l'Annuel de l'an
mée 1753.
NOVEMBRE. 1751. IS .
DEGLARATION DU ROI , don
née à Compiegne le 27. Qui accorde aux Etats de
Bourgogne la continuation de la levée de quatre
eues de quarante & cinquanre fols par Minor
de fel , pendant les années 1771 ; 1772 &
1773.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , du 29.
Qui ordonne que les déclarations , les rôles arrêtés
en conféquence , les quittances , exploits , &
toutes les aurres expéditions qui auront lieu pourle
recouvrement du Vintiéme > pourront être
faites fur papier ordinaire & non timbré ; &
qu'elles feront déchargées du contrôle des exploits.
ARREST Contradictoire de la Cour des
Aides , du Juillet . Qui ordonne l'exécution des
a ticles XV & XVI du titre VI de l'ordonnance
de 1687 , & des arrêt & lettres patentes du 13
Juillet 1625 , par lefquels il eft enjoint aux marchands
, voituriers , rouliers , meflagers & autres ,
de prendre des acquits à caution dans les Bureaux
des cinq groffes fermes , pour les marchandifes
deftinées ou qui paffent dans l'étendue des quatrelieues
limitrophes des frontiers de la ferme : Dé
fend de prendre lefdits acquits & paflavans dans
les Bureaux des Aides ; & aux buraliftes d'en délivrer
, àpeine de nullité..
AUTRE du 15. Qui ordonne qu'il fera inceffamment
procédé au recouvrement des fommesdues
à Sa Majefté , fur le fupplément de finance
des Receveurs & Controleurs Généraux des domaines
& bois , & Receveurs particuliers des bois ,
entexécution de l'édit du mois de Décembre-
1727.
1: j
200
MERCURE
DEFRANCE.
ORDONNANCE DU ROI , du 20%
Concernant les
compagnies de bas-Officiers de
l'Hôtel Royal des Invalides.
A
VIS
E fieur
Nicolas
Thillaye ,
Privilégié par tout
Lie
à Rouen ) ayant été chargé par M. Duhamel de
l'Académie des Sciences de Paris , de faire plu
fieurs Pompes à incendie pour le Roi , a crû devoir
lui faire obferver par une annonce un peu détaillée.
les nouveaux dégrés de perfection où il fe flatte
d'avoir porté ces fortes de Machines.
Encouragé par la confiance de cet illuftre Aca
démicien qui lui a fait auffi l'honneur de faire acquifition
d'une de fes Pompes , il a fimplifié diffe
rentes piéces de ces Machines , & leur a encore pro
curé un nouvel avantage , qui eft de les garantir
d'engorgement.
Il a
annoncé fes Pompes au mois.de Juin 1749
pour
renfermer cinq
avantages effentiels , fans
être d'un prix
exorbitant,il a pris la voye du Mercure
d'Octobre 1750. pour inftruire encore mieux.
le public des additions & des corrections qu'il a
faites à fes Pompes , & pour l'avertir qu'il avoit
commencé à employer ces changem : ns utiles dans.
les Pompes qu'il avoit fournies cette année-là même
à Meffieurs de la
Compagnie des Indes , au
Corps de Ville de Falaife & aux Syndics de la Foire
de
Guybray.
Ainfi il peut aujourd'hui l'avancer fans beaucoup
redouter fes envieux , ( il en faut avoir quel
uns & cela contribue à la célébrité ) fes Pompes
ont fix avantages qui leur font propres , & il n'y
NOVEMBRE. 1751. 201
en a peut-être pas eu jufqu'à préfent d'auffi heureu
fement conftruites .
10 Elles font toutes de cuivre & ne font fu
jettes à aucun relâchement , il en fait de differen
res grandeurs,& dont le produit va par heure , depuis
fix muids d'eau jufqu'à foixanté , deux hommes
font agir celles qui donnent depuis quatorze
muids d'eau jufqu'à ving- quatre , & quatre hommes
fuffifent pour faire jouer celles qui fourniffent :
depuis le nombre de vingt quatre muids jufqu'à
celui de quarante. Un feul homme peut tranfporter
celles qui font au- deffous de dix muids . La plus
petite éleve l'eau du rez de chauffée à quarante :
pieds , & cela continuement & fans interruption ,
& quoiqu'elle ne foit compofée que d'un feul
corps de pompe , elle fuffit pour arrêter un incen ---
die qui n'a pas encore fait de grands progrès , les
autres qui font d'un plus grand produit por
tent l'eau depuis cinquante jufqu'à foixante - dix
pieds de haut,
2. Elles ont un genouil folidement imaginé
qui procure la facilité de diriger le jet de l'eau haut :
& bas , à droite & à gauche fans qu'il puiffe éprou
ver aucun dérangement dans fes differens mouve
mens, & de fe paffer , en cas de befoin , de boyauz:
de cuir que l'on n'a pas toujours fous la main
qui peuvent crever , & qui rendent toujours les
autres Pompes inutiles forfqu'ils viennent à leur
manquer.
3 Les Piftons font de cuivre enveloppés de
cair & conftruits de façon que s'ils deviennent
trop libres , ils peuvent être enflés dans le no
ment
D
4. Les Soupapes , les vis , & généralement :
les piéces qui racccordent toute la Machine , fontfaites
avec tant de foin & d'exactitude que l'aig c
202
MERCURE DE FRANCE.
le plus comprimé n'y peut trouver aucun paf
fage.
5. Elles font conftruites fi folidement que leur
durée eft fans fin , elles peuvent devenir un meu
ble de famille qui pale du pere aux enfans , elles
ne font fufceptibles d'aucun frais d'entretien , on
les trouve toujours en état de fervir , quand même
on auroit été vingt ans fans y toucher , & la perfonne
la moins inftruite peut fe mettre au fait de
démonter & de remonter celles dont il s'agit , en
moins d'une demie heure .
6. Ces Pompes font établies dans un réfervoir
d'une maniere fi fimple & fi exempte de tout embarras,
qu'elles ne peuvent point éprouver d'engor
gement malgré les eaux fales & bourbeufes qu'on
eft fouvent réduit à employer lors d'un incendie ;.
défaut capital auquel les Pompes publiquesfont
plus fujettes que les autres , & auquel il étoit im
portant de remédier..
pas
Ce font la fimplicité & la folidité réunies dans fes
Pompes qui lui donnent l'afurance de les propofer
au public comme un ouvrage à l'epreuve de tout ,
& d'une exécution fi facile qu'il n'eft
pour les faire agir d'avoir la moindre connoiffance
befoin
en méchanique , & que les gens les moins adroits
ne courent pas de rifque de les endommager ; on
offre de les garantir..
Outre l'avantage que ces Pompes ont d'être fort
atiles pour les incendies , elles ont encore celui
d'être très propres à arrofer des jardins , des gazons.
& à
écheniller les arbres fruitierspar le moyen
ajuftoir fait exprès..
d'un
Les perfonnes qui défireront s'affurer par leurs propres
yeux de la vérité de ces faits , pourront s'adreffer
ou directement au fieur Thillaye à Rouen , ou à Paris
aufieur. Barbier ,ruedes vieux Augufins , chez un
NOVEMBRE. 1751. 203
Tonnelier , feul chargé de la commiffion de l'Auteur ;
il en adepuis fix muids jurqu'a trente , dont il fera
les expériences & demonftrations aux personnes qui
en voudront faire acquifition en le faifant prévenir la
veille de fe trouver chez les RR. PP. Feuillans , visa-
vis la Place de Vendôme , où eft le Magazin.
Nota. Pour la facilité des Etrangers , ces Pompes
peuvent être envoyées à leur deftination toutes
montées dant leur réfervoir , même par les char
rois , il n'y a qu'une feule vis à remettre.
Comme on neprétend pas en être crû fur fa pa
role , on ne doit pas négliger de faire part aupu
blic de plufieursCertificats capables d'entraîner fon
fuffrage.
Certificat de M. Belidor.
Le fieur Nicolas Tillaye , Fabricateur de Pom
pes à Rouen , nous ayant invité de nous rendre
aux Feuillans , rue Saint Honoré à Paris , pour y
examiner des Pompes de fa façon qui s'y trouvent
dépofées , nous lui avons donné cette fatisfaction ,,
& avons même fait apporter dans notre Maifon
à Paris un corps defdites Pompes avee fes agrés
pour en confiderer plus en détail toutes les par--
ties , que nous avons trouvées faites avec beau
coup de foin , de propreté & de précision fuivant:
les regles que nous avons prefcrites fur ce fujett
dans notre Architecture hydraulique , que ledit:
fieur Nicolas Thillaye s'eft rendu très - familiere ,.
ne travaillant que fur des principes demontrés ,,
ayant l'avantage de joindre la théorie à la prati
que ,pour fe rendre digne des fuffrages du public,,
ayant fait jufqu'ici de fon mieux afin de les mérie
ter en foi dequoi nous lui avons délivré le préfent
Certificat comme un témoignage de la bonne opi
nion que nous avons de fa capacité. A Paris le
Juillet 17497 , Signé ,, Belidor..
Il vji
204 MERCURE DE FRANCE
Certificat de Meffieurs les Maire & Echevins
de la Ville de Falaife , Syndics de la
Foire de Guibray.
Nous, fouffignés , Maire & Echevins de la,
Ville de Falaife , & Syndics de la Foire de Guis
bray , reconnoffons , que le fieur Nicolas Thil-
Jaye Privilégié du Roi , demeurant à Rouen , nous
a livré deux Pompes en bon & dû état , fuivant ce
qui lui a été preferit par M. Turgot , Ancien , Prevôt
des Marchands de Paris , & le marché fait
avec nous le 22 Août de l'année derniere , & devis .
des additions remis à M. Thomas l'un de nous,
Jequel devis n'eft point infcrit dans le marché : ca
foi dequoi nous lui avons donné le préfent Certificat
pour lui fervir de décharge & de témoignage.
de la fatisfaction que nous avons de fon ouvrage.
A Falaife le 14 Août 1750 Signé , André , Syndic
général & Maire ; Moulin , Echevin. Syndic .
Frambert , de Paris ; du Preey , de Rouen ; G.
Lafoffe Chatry, de Caen ; Thomas de la Barberie
de Falaife.
Certificat de Meffieurs de la Compagniedes
Indes.
Nous Directeur de la Compagnie des Indes &
Commandant en ce Port , certifions que les deux
Pompes de la fabrication du fieur Nicolas Thil
Jaye , Pompier du Roi , que M. Baudouin notre
Commiffaire à Rouen , nous a fait paffer en Juillet
dernier par la barque l'Hector M. Loifel ,
fe font trouvés très bien faites & bien conditionnées
, & que d'ailleurs dans les expériences que
nous avons fait faire vis - à - vis d'une autre d'undiametre
beaucoup plus grand , elles ont produit.
beaucoup plus d'eau & l'ont élevée à 30 pieds
NOVEMBRE. 1757. 201
de haut , ces Pompes ont encore un autre avanta
ge , c'eft qu'il faut moins de monde pour les faire
agir en foi de quoi nous avons délivré le préfent
Certificat audit fieur Thillaye pour lui fervir
& valoir ainfi que de railon . A l'Orient le 305
Octobre 1750. Signé , Godheu .
* Certificat de M. l'Intendant de Marine de ›
Normandie, des Ponpes livrées pour le Roi.
Mathieu de Chieu , Chevalier Seigneur de
Derchigny , Confeiller du Roi en fes Confeils
Intendant de la Marine au département de Normandie.
Certifions à tous qu'il appartiendra que le ficur
Nicolas Thillaye de Rouen , Fabricateur des
Pompes à incendie , a livié en ce Port du Havre
de Grace , quatre defdites Pompes , dont deux
font definées pour le Canada , & les deux autrespour
l'ifle Royale , lefquels après l'épreuve qui
en a été faites en notre préfence & celles des Offi
ciers du Port , ont été reconnues bien conditionnées
, aifées dans leur manoeuvre , & propres à fer
vi utilement à éteindre le feu dans les cas d'incendie
en foi de quoi nous avons expédié le prefent
pour fervir & valoir audit fienr Thiliaye où befoin
fera . Fait au Havre le 18 Mai 1751. Signé , Derchigny.
Le feur Thillaye continue à délivrer gratuitement
les figures & defcriptions . Il prie les perlonnes
qui lui écriront d'affranchir leuis lettres.
206 MERCURE DE FRANCE
LETTRE.
De M. Saint Roman à l'Auteur du Mer
cure , fur des omiffions fautes dans fa Let
tre , qui eft dans le Mercure d'Août
~17510
I Lettre écrite àM. Mouret, que vous avez eu
L s'eft gliffé , Monfieur , deux fautes dans ma
la bonté d'inferer dans votre Mercure d'Août dernier..
La premiere , c'eft qu'on a oublié de mar
quer , que M. Mouret , Docteur en Médecine de
la Faculté de Montpellier , demeure à Tarafcon ,
en Provence la feconde ,
; c'est que mon adrefle
eft à l'Hôtel de Medoc , rue des Cordeliers , &
non à l'Hôtel de Languedoc : ceux qui font bien
aifes quelquefois de s'éclaircir par eux -mêmes de
certains faits avancés dans un recueil , tel que le
vôtre , auroient été induits par là en erreur , &
m'auroient vainement cherché à un Hôtel qui
n'eft point dans cette rue ; & ils auroient pu s'imaginer
qu'on avoit voulu en impofer à la vérité ;
ce qui feroit d'autant plus fâcheux , que rien n'eft
-plus vrai que le détail de la guérison finguliere
que contient ma Lettre Je vous prie donc , Monfieur
, de vouloir bien réparer cette erreurs, en inferant
dans le premier Mercure , celle que j'ai
l'honneur de vous envoyer aujourd'hui . C'eft un
témoignage que vous devez à la vérité , & à votre
exactitude. Je fuis , &c..
De Saint Roman..
De Paris , le premier Septembre 1751 .
Comme on n'a donné dans le Mercure de Sep
tembre dernier , qu'un extrait du Mémoire lú par
NOVEMBRE. 1751. 207
M. Daran , il offre , en attendant qu'il foit impri
mé tout entier dans les Mémoires de l'Académie
Royale de Chirurgie , de plus amples éclairciffe
mens aux Chirurgiens qui lui en demanderont
tant fur la conftruction de l'inftrument qu'il fera
devant eux , que fur l'afage qu'il en fait dans fa
pratique en plufieurs occafions .
>
AVIS,
34
E Sieur Maffol , Chirurgien Privilegié du
Roi, donne avis au Public que dans le cours
de les voyages dans le Nord , il a fait la découverte
d'un reméde particulier fpécifique pour la
guérifon radicale des maladies épileptiques ou mal
caduc , le dit reméde a été approuvé par Meflienis
les Médecins du Roi , & Commiffaires de la Commiffion
Royale de la Médecine. En conféquenceil
lui a été donné le privilége du Roi pour le mettre
en ufage tant dans Paris que
due du Royaume.
dans toute l'éten- /
Le Sieur Malol prend fes malades chez lui , guérit
les pauvres gratis , munis d'un certificat du
Curé & Médecin de leur Paroiffe.
On le trouve tous les jours chez lui depuis midi
jufqu'à quatre heures du foir .
Il demeure rue d'Orléans , Fauxbourg Saint
Marceau , près du Jardin du Roi , la premiere
porte à gauche du côté de la barriére , & donnant
fur le jardin , où l'on y verra fon Tableau ,
Paris..
Evaluation des dépenses néceffaires pour
faire ufage de la nouvelle découverte de
M. Boyer de Bergueroles .
Omme le Public paroît défirer fçavoir à quoi
peut monter la dépenfe pour l'élevation des
20S MERCURE DE FRANCE.
eaux ,par le moyen de la nouvelle découverte faite
par M Boyer de Berguerolles , Lieutenant refor
mé à la fuite du Régiment d'Infanterie de Saint
Chamont , qu'on a déja énoncée. Od va entrer
dans ce détail.
Si l'on veut conduire des eaux à dix toifes d'é
lévation perpendiculaire , dans une maifon de
campagne ou ailleurs , à quelque diftance que ce
foit , il en coûtera, pour un pouce cube d'eau
continuelle 3000o livres , non compris les tuyaux:
de fer ou de plomb , qui augmenteront la dépenfe
à proportion de la diftance . A 15 toiles d'éléva
tion , sooo livres , de 1 à 30 toifes 15000 livres;
de 30 à 60 toifes , 30000 livres , & de 60 jufqu'i
cent toifes , soooo livies , non compris les frais
d'un réfervoir qui fera néceffaire après foixante &
être quinze toifes d'élévation , & qui , ne peut
moindre , que de deux toifes quarrées fur neuf
pieds de profondeur. Au delà , la dépenfe n'aug
mentera que de 15000 livres par chaque cent toi
doivent être fes , non compris les réfervoirs , qui
placés à 75 toifes d'élévation les uns des autres,
La fituation du lieu plus ou moins favorable , ren
dra la dépenfe , plus ou moins grande,
Si l'on veut plus d'un pouce cube d'eau continuelle
, la dépen fe augmentera d'un tiers en
fus depuis un jufqu'à fix , à raison de chaque pouce
cube, & depuis fix jufqu'à douze pouces cubes elle
augmentera de moitié. Nec plus ultra……
Si le lieu où l'on veutconduire les eaux eft fitué
fur le fommet d'une montagne , M. Boyer s'offic
d'y porter l'élévation des eaux , à quelque hau
teur que ce foit ; mais leur fluidité ne fera pas continuelle
, & la dépenfe fera beaucoup plus confi
dérable. M. Boyer eft logé à Paris vis à - vis le gre
mier àfel
NOVEMBRE. 1751 2099
-
EXPLICATION d'un moulin à battre le
bled, venter , & cribler..
C
2.
E moulin eft compofé d'une cage carée , lon
gue , folidement conftruite dans la traverſe
d'en haut , d'un des bouts , on fait huit trous de
Jeuxpouces & demi en quarré, dans lefquels on
paffe huit baguettes de la même groffeur , qui
vont en diminuant à un pied & demi en quarré ,
elles doivent avoir quatorze pieds de longueur.
On arrête ces baguettes dans la traverse avec des
chevilles qui la traverfent verticalement avec les
baguettes on doit êter ces chevilles quand on
vent à un pied & demi de la traverfe , on pofe pardeffus
les baguettes un morceau de bois qui puiffe
faire reffort , il eft affujetti dans deux boulons quifont
pofés dans les côtés fupérieurs de la cage , on
ange & on approche ces boulons pour donner plus.
ou moins de reffort aux baguettes ; de l'autre bout
de ces baguettes à quinze pouces du bout on pofe
une auge de dix-huit pouces de large , qui n'eft.
pas plus long que les traverfes de la cage ; fur les
bords de l'auge on pofe des montans entre lef
quels jouent les baguettes, on ouvre des deux côtés
L'auge dans l'endroit où tombent les baguettes ,
pour que les baguettes tombent fur le fond del'auge
, entre le- vuide que laiffe les baguettes à
leurs côtés en frappant fur le fond de l'auge , on
fait des mortaifes de dix pouces de longueur furdix
lignes de largeur , pour faire tomber le bled.
au travers de Pauge à mesure qu'il eft battu , fur
le fond de l'auge on y fait un moulin à venter
que la machine fait tourner pour venter & cribler
le bled , au bout des baguettes il y a des
mantonets de fix pieds de longueur qui font po
y
110 MERCURE DE FRANCE
fés dans un arbre de telle maniere qu'ily a qua
tre baguettes qui montent & quatre qui defcen
dent , cet arbre porte une lanterne qu'un rouet
fait tourner par le moyen des clrevaux : on fait les
mantonnets de fix pieds pour que les baguetes
ne débordent pas beaucoup l'auge , afin que les
coups de baguettes foient plus fecs & faffent tref
faillir la paille pour déchaffer le bled , pour battre
le bled on le pofe fur une table qui joint au bout
de l'auge , on le fait paffer par une tremiée qui eſt
au bout de l'auge , afin qu'il n'y ait du bled fous
les baguettes que l'épaiffeur néceflaire , lorfque
le premier bled qu'on pofé fous les baguettes et
battu , on pouffe la paiile par la tremiée avec de
nouveau bled qu'on veut battre , ainfi coujours de
fuite , & la paille tombe de l'autre bout de l'auge
fon vouloit faire couper la paille pour donner
aux chevaux , on mettroit deux baguettes de plus
qui porteroient des couteaux , on doit mettre trois
Jeux fur l'arbre pour battre en trois endroits : avec
ce moulin , diz hommes ou femmes , & huit
chevaux , on peut battre dans un jour cent cinquante
quintaux de froment . Donné par Parant
de Martigné , à Martigné par Saumur.
AVIS.
tant pour
diftiller que
Efcription d'une chaudiere qui épargne les
fixiémes de bois , cinq
pour les leffives , la bierre , le falpêtre , & même
faire cuire la viande dans les navires ; dans ce cas
il faudroit pofer une grille de fil de fer dans la
chaudiere , on fuppofe une chaudiere à diftiller de
quatre pieds de hauteur , faite comme les autres ,
NOVEMBRE. 1751. TIT
on pofe dans fon intérieur un fourneau de vingtdeux
pouces de hauteur , qui eft fait de la même
mattere que la chaudiere ; la liqueur à diftiller ou
à faire bouillir circule , ce fourneau de tout côté de
cinq pouces d'épaiffeur , par deffous , par les côtés
& par deflus de foixante pouces , à l'exception de
deux ouvertures , une de neuf pouces en quarré
pour introduire le bois dans le fourneau , qu'on
ferme avec une porte de fer , & l'autre de quatre
pouces de diamètre pour faire fortir la fumée , on
fait cette ouverture à un pied du fond du fourneau,
on ferme & on ouvre cette ouverture pour donner
plus ou moins de chaleur , fur le fond du fourneau
on pofe une grille qui ne laiffe qu'un pouce &
demi de vuide entre elle & le fond du fourneau.
pour ôter les cendres qui empêcheroient le feu des
chauffer le fond du fourneau ; A on veut davantage
ménager la chaleur , on fera une muraille de brique
autour de la chaudiere qui laiffera un vuide de
trois pouces entre lui & la chaudiere , il joindra la
chaudiere dans le haut , & il la joindra d'une épail
feur de brique à côté de Louverture par où fort
la fumée du fourneau , de forte que la fumée fera
le tour de la chaudiere pour fortir de l'autre côté
cu fera fon iffue , elle lui donnera une petite cha
leur & empêchera l'air extérieur de la rafraichir
la caufe pour laquelle cette chaudiere épargne les
cinq fixièmes de bois , c'eft que toutes les parties
du feu fervent , au lieu qu'aux autres fourneaux
le feu qui échauffe le fond , les côtés du fourneau
& la fumée ne fert de rien pour échaufer la chaudiere
: il y a à fçavoir qu'on peut fouder le fourà
la chaudiere avea de l'étain , que l'eau- depar
cette chaudiere fent moins l'empireume
quefaite par les autres chaudieres , & que la
neau
vie faire
T12 MERCURE DE FRANCE
chaudiere ne brûle pas , à caufe que les craffes du
vin & des autres liqueurs à diftiller tombent fur le
fond de la chaudiere où ellesne peuvent être brûlées
parce que le feu ne les touchent pas directement
comme il fait aux autres chaudieres ; au fond de
la chaudiere on pofera un tuyau un peu large pour
faire fortir la vuidange & les craffes , on y mettra
un bouchon.
' On peut auffi épargner comme la moitié du bois
pour chauffer les fours , il ne s'agit que de faire
une grille comme un petit chariot qu'on met
dans le four quand on veut le chauffer , certe grille
ne laiffe qu'un pouce & demi de vuide entre elle
& le fond du four on allumera le bois dans la
grille , lorfque le feu a échauffé un côté du four
on range la grille dans un autre côté du four , de
cette façon le bois brûle mieux , on ôte mieux les
cendres qui empêchent de chauffer le fond da
four , & on ne dérange pas le feu , ce qui empê
cheroit fon activité , l'expérience a prouvé qu'en
fe fervant de cette grille , on épargne comme la
moitié du bois , avec une pareille grille on pour
roit chauffer un four avec du charbon de terre &
d'autres charbons.
Donné par Parant de Martigné , à Martigné
gar Saumur.
La
AVIS.
E Sieur le Marchand , Ordinaire de la Mufi
que du Roi , Chapelle & Chambre , vient de
traiter & guérir une Dame de Province d'une
loupe de trente pouces de circonférence , & d'environ
feize livres de pefanteur , placée fur l'épaule
gauche , prenant dans l'effelle & fur le bras ;
Cette Dame ne s'elt mife entre les mains dudit
NOVEMBRE . 1751 . 113
Sieur le Marchand , qu'après les informations faites
de nombre d'autres loupes , auffi confidérables
qu'il a traitées avec beaucoup de prudence &.de
fuccès , ne fe fervant point de ferrement , &
dértuifant ces objets fi confidérables en moins de
douze jours. Meffieurs les Médecins & Chirur
giens , les plus habiles de Paris , n'ont pú lui refufer
des Certificats autentiques de ces guérifons
n'y ayant aucun rifque d'hémorragie , ni d'accident
qui puiffe arriver , ni crainte d'aucun restour.
AUTRE AVIS.
Onfieur Sage , Marchand Apoticaire à Pamain
, au coin de la rue des Mauvais Garçons ,
vend une écorce , appellée Pocyereba , nouvellement
découverte , & arrivée des Indes Occiden
tales ; fouveraine contre les diarrhées , diffenteries
ou flux de lang. L'effet de ce reméde eft très-
Prompt ; ce n'eft qu'après plufieurs expériences
faites par les ordres & fous les yeux de la Faculté
de Médecine qu'on annonce ce reméde , comme
une découverte des plus heureufes qu'on ait faites
depuis long tems. Ce reméde n'a aucun mauvais
goût , on le boit en ptilanne. Le prix eft d'une
livre 10 f. Ponce , & n'eft ni purgatif, ni vo
mitif.
APPROBATION.
T
Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chance
lier , le Mercure de France du préfent mois. A
Paris , le premier Novembre 1751 .
LAVIROTTE.
P
TABLE.
3
ICES FUGITIVES. en Vers & en Prof.
Eglogue fur la naiffance de Monfeigneur le
Duc de Bourgogne. Par M. Peffelier,
Nouveaux Dialogues des Morts .
Vers préfentés à Madame la Dauphine ; fur la
naiſſance de Monfeigneur le Duc de Bour-
-gogne ,
TO
23
Vers à la plupart des Auteurs qui ont chanté la
naiffance de Monfeigneur le Duc de Bourgogne
,
2.9
31
Ode fur la nai Tance du Duc de Bourgogne , ibid .
Vers fur la naiflance de Monfeigneur le Duc de
Bourgogne ,
Ode fur la naiffance de Monfeigneur le Duc de
Bourgogne ,
Procès comique & glorieufement terminé , 36
Dialogue de M. Coypel , Premier Peintre du Roi,
fur l'expofition des Tableaux dans le Sallon du
Louvre , en 1747 ,
32
59
Mots de l'Enigme & des Logogriphes du Mercure
d'Octobre ,
Enigme & Logogriphes ,
74
ibin
Nouvelles Littéraires. Hiftoire Littéraire du regne
de Louis XIV . Par M. l'Abbé Lambert ,
Lettres fur M. de Fontenelle ,
> 78
89
Effai de Cofmologie , par M. de Maupertuis , 92
Théatre de M. Danchet , de l'Académie Françoiſe
,
Hiftoire générale d'Efpagne ,
92
98
1
Traité fur la mamere de lire les Auteurs avec
utilité
, 112
Diflertation fur les raifons d'établir ou d'abroger
les Loix , ibid.
Obfervation de Jean -Jacques Rouffeau , ibid.
Les hommages du Parnaffe , préfentés au Roi , à
l'occafion de la naiflance de Monfeigneur le
Duc de Bourgogne ,
ibid.
Eloge hiftorique de Dom Jacques Martin, 113
Académie des Belles- Lettres de Montauban , 115
Beaux-Arts , 116
Obfervation de M. de Blainville , fur la Lettre de
de M.
*** . inférée dans le Mercure du mois
"
de Septembre ,
Le Paftor Fido , Chanfon très- nouvelle ,
Spectacles. Les Génies Tutelaires ,
Concerts à la Cour ,
120
125
127
145
Defcription des réjouiflances faites au Collége
de Louis le Grand , pour l'heureuſe naiflance
de Monfeigneur le Duc de Bourgogne , par
les PP .de la Compagnie de Jefus , 147 .
Nouvelles Etrangéres . Du Nord, de Warfovie, 158
De Stockhom ,
Allemagne , de Vienne ,
Efpagne , de Gibraltar ,
Italie , de Rome,
De Livourne ,
ibid.
139
ibid.
160
De la Baftie
De Suiffe , de Soleure
ibid
161
163
Grand-Bretagne , de Londres, 166
Pays-Bas , de la Haye , 167
France . Nouvelles de la Cour, de Paris , &c . 168
Mariages & Morts ,
Arrers notables ,
183
194
La Chanfon notée doit regarder la page
De l'Imprimerie de J. BULLOR
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ
AU
ROI.
DECEMBRE .
1751 .
PREMIER
VOLUME.
LIGITE
UT
SPARGAT
Chez
APARIS ,
La Veuve
CAILLEAU , rue Saint
Jacques, à S André. às
La Veuve
PISSOT, Quai de Conty ,
à la defcente du Pont- Neuf.
JEAN DE
NULLY , au Palais,
JACQUES
BARROIS , Quai
des Auguftins , à la ville de Nevers.
M.
DCC. LI.
Avec
Approbation &
Privilege du Roi.
A VIS.
'ADRESSE du Mercure eft à M. MERIEN ,'
L
Commis au Mercure , rue de l'Echelle Saint Honoré
, à l'Hôtel de la Roche-fur -Yon , pour remettre à
M. l'Abbé Raynal .
Nous prions très-inftamment ceux qui nous adreſſe
ront des Paquets par la Pofte , d'en afranchir le port ,
pour nous épargner le déplaifir de les rebuter , & à eux
celui de ne pas voir paroître leurs Ouvrages.
>
Les Libraires des Provinces ou des Pays Etrangers ,
qui souhaiteront avoir le Mercure de France de la premiere
main, plus promptement , n'auront qu'à
écrire à l'adreffe ci- deffus indiquée.
On l'envoye auffi par la Pofte , aux perfonnes de Province
qui le defirent , les frais de la pofte ne font pas
confiderables.
On avertit auffi que ceux qui voudront qu'on le porte
shez eux à Paris chaque mois , n'ont qu'àfaire fçavoir
leurs intentions , leur nom & leur demeure audit fieur
Merien,Commis au Mercare; on leur portera le Mercure
très- exactement , moyennant 21 livr´s par an , qu'ils
payeront , fçavoir , 10 liv, 10f en recevant lefecond
volume de Juin , 10 l . 10 f. en recevant le fecond
volume de Décembre . On les fupplie inftamment de
donner leurs ordres pour que cespayemens foient faits
dans leurs tems.
On prie auffs les perfonnes de Province , à qui on
envoye le Mercure par la Pofte , d'être exactes à faire
payer au Bureau du Mercure à la fin de chaque femeftre
, jans cela on eroit hors d'état de foutenir les
avances confidérables qu'cxige l'impreſſion de ces
ouvrage.
On adreffe la même prière aux Libraires de Province,
Les perfonnes qui voudront d'autres Mercures que
ceux du mois courant les trouveront chez la veuve
Fifot , Quai de Conti,

PRIX XXX. SOLS .
MERCURE
DE
FRANCE ,
DEDIE
AU
ROI.
DECEMBRE.
1751 .
"
PIECES
FUGITIVES ,
en Vers & en
Profe.
L'AMOUR
ET
L'AMITIE ,
CONTE
ALLEGORIQUE.
Composé en profe par M. le
Marquis
de Laffé.
UN jour l'Amour & Amitié
S'en allant en
pelerinage ,
Se
rencontrerent au
paffage
D'un bois : tous deux
étoient à pied :
( C'étoit leurvoeu . )
L'amitié douce & fage
S'arrêta-là ,
l'enfant lui fit pitié ;
Il étoit las ,
défrifé , tout en nage
I. Vol. A ij
4 MERCURE
DE FRANCE.
Ses petits pieds plus rouges que du feu ,
Le front fuant : hélas ! mon Dieu ,
Dit l'Amitié , quel équipage !
Où courez- vous ? J'ai fait un veu ,
Reprit l'enfant , je vais en diligence
Pour l'accomplir. Vous , un voeu ! quelle enfance!
Vous , à qui l'on en fait , & qu'on rompt fi fou
vent !
Vous , le Dieu du parjure! il eft bien vrai pour
tant ; 21C
J'en ai fait un , & j'y Terai fidéle.
En vérité , l'avanture eft nouvelle.
Mais le Soleil eſt haut , arrêtons - nous ici :
Si vous faites des voeux , j'en ai fait un auffi :
En attendant que le grand chaud fe paffe ,
Racontez- moi-votre hiftoire de graces
Je dirai la mienne à mon tour 1
Je le veux bien , lui dit l'Amour.
On fçait affez , que je vois avec peine ,
Deux coeurs garder long - tems la même chaîne ,
Les mêmes fèrs laffent mes yeux ,
Quand on les rompt mon empire en va mieux ,
Et l'inconftance augmente mon
Cependant un beau jour j'eus curiofité
domaine
:
De voir jufqu'où pouvoit s'étendre la conſtance
Ce fentiment n'eft pas en ma puiffance ,
Il pafle mon autorité :
J'eus
donc recours à la Fidélité
Je lui promis double chandelles
DECEMBRE.
1751
S'il lui plaifoit rendre fidéle
Tel couple que je lui dirois ;
Auffi--tôt je choifis pour en faire l'épreuve ,
Non pas une ame toute neuve ;
Mais un coeur aguerri , que les plus doux attraits
Gardoient au plus quelque femaine ,
Er que Mars jufques -là ne me prêtoit qu'à peine
Si celui-là , difois- je , eft pris dans nos filets ,
Facquitterai mon vou : je fais plus ; je le mene
Versun magnifique Palais ,
Où fous une tutelle auftére ,
Redoutant fon coeur & fa mere ,
Logeoit une jeune beauté ;
Dans un lieu du monde écarté .
Le Myftére en manteau , marchoit à mon côté ??
Dès que l'un à l'autre fut préfenté ,
Je les bleffai bel & bien l'un pour l'autre :-
Et puis m'adreffant à la Fidélité ,
J'ai fait ma charge , allez faire la vôtre ;
Qu'ils s'aiment dans vingt ans ! les vingt ans font
paflés ,
C'eft pis qu'en commençant , ils font plus empreffés:
(
Avec même fcrupule ils honorent mon culte ;
Tantôt dans les Cités au milieu du tumulte ,
Tantôt fous un toit fimple , ou bien fous des or
meaux ,
L'un à l'autre toujours nouveaux ,
Ils ramenent ces jours pailibles ,
Qu'aux moitels heureux & fenfibles .
A iij.
MERCURE DE FRANCE.
Filoit la Parque au fiécle d'or .
Puiffent-ils voir les ans du vieux Neftor !
J'en ferois bien le vou , fi les Parques terribles
Se laiffoient toucher par des voeux ...
Mais qu'avez -vous ? ma furprife eft fort grande ;
Dit l'Amitié , nous allons tous les deux
Au même Autel porter la même offrande :
Laffe de ne plus voir de fidéles amis ,
Ainfi que vous , j'avois promis
Une offrande à notre Déeffe :
Elle m'en a tronvé dignes d'être égalés
Aux plus beau tems de Rome & de la Gréce:
Depuis un mois encore ils fe font fignalés ;
Hélas ! il a penfé leur en coûter la vie :
Elife & Lifidor , couple digne d'envie ,
Couple digne en effet , des honneurs immortels ;
Votre amitié tendre & fidéle
Servira quelque jour aux perfides mortels ,
Ou de reproche ou de modéle.
Qu'entens-je , dit l'Amour : quels noms pronon
cez-vous ?
E'ife & Lifidor ! étonnement extiême !
Eh ! quoi , ce font ces amans même ,
Qui goûtent fous mes loix le bonheur le plus doux !
Pour vous & moi quel avantage !
Ne nous féparons plus , ma foeur , embraffons
nous ;
Achevons notre heureux voyage ,
Et béniffons cent fois le jour
Où l'Amitié s'unit avec l'Amour.
DECEMBRE .
1751.
1
ARTS RESULTATS
Du Clavecin oculaire.
Mdefes
Qnfieur de Voltaire , à la page 148
de fes Elemens de la Philofophie de
Newton , Edit. de Londres 1738 , terniine
ce qu'il dit du Clavecin oculaire par
ces mots . Il meparoit que tout efprit équitable
ne peut que louer l'effort & le genie de celui
qui cherche à aggrandir la cariere des Arts
de la nature. Il avoit dit plus haut . On ne
peut que remercier un homme qui cherche à
donner aux autres de nouveaux Arts & de
nouveaux Plaifirs.
Un génie tel que celui de M. de Voltaire
, eft fair pour voir tout d'un coup bien
loin. Si le Clavecin étoit exécuté , le public
en verroit alors réfulter bien de nouveaux
Arts , & la carriere de la Muſique
& de la Peinture s'aggrandir chacune du
double , & les deux enfemble du quadruple.
En attendant cette exécution , toute
dépendante du public & peut être liée à
l'heureufe époque du renouvellement actuel
de l'augufte Tige de nos Rois , voici
un Art approprié au brillant des fêtes
ce renouvellement occafionne.
que
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE
Nouvel Art d'illumination ,
Tout a des principes dans la Nature.
Souvent l'inftinct nous les fair fuivre ,
mais de loin & mal , lorfqu'ils ne font pas
dévelopés. On choifit la nuit , & la nuit
la plus obfcure pour faire une belle illumination.
On en fait juſques-là. Et dureſte
on ne vife qu'à faire du clair. Ce qu'on
fait trop n'eft pas ce qu'on fait le mieux.
Ce n'eft même jufques là qu'un demi Art ,
dont la Nature pure fait l'autre moitié.
Voici une illumination toute artificielle ,
fçavante par conféquent , mais de goût ,
aut ego fallor.
Une pyramide dont le bas feroit chargé
de feux , fombres , obſcurs , rougeâ
gros
tres noirâtres même , dans de grandes.
terrines pleines de l'huile la plus groffiere
, de graiffes , de poix même , & qui.
par étages efpacés , porteroit des terrines
moins grandes & d'un feu de moins en
moins obfcur , & peu à peu de gros lam
pions entreme flés de plus en plus avec les
pots à feu , aboutiffant graduellement à
ce qu'il y a de plus petits lampions en
nombre comme infini , d'un feu blanc ,
clair & très vif , formeroit , fi je ne me
trompe , une belle illumination , & avec
un peu d'entente , un embrafement , une
DECEMBRE
1751. 2
fournaife , un Volcan , un Vefuve , pluheurs
même fi on vouloit ; portant en
eux mêmes leurs réchauts de clair obfcur.
Non fumum ex fulgore , fed ex furco darė
lucem en feroit la Devife ou l'Emblême .
Autres manieres d'illumination.
En général toute illumination doit fai--
re tableau par le contrafte du clair obſcur..
On peut faire un rond , un quarré, un triangle
, ou toute autre figure géométrique
ou Pittorefque , dont le clair foit graduellement
encadré d'obfcur comme on en-.
cadre un tableau pour le faire briller .
Au lieu d'aller de l'obfcur de la circonférence
au centre lumineux , on peut imi--
ter le foleil d'artifice , en mettant l'obf
cur au centre ou le moins clair , & en
dégradant ou graduant tout à fait au trèsclair
par rayons ondoyants ou non ondoyants.
On peut enfin exécuter toutes
forres de deffeins par compartiments , &
un par un mélange varié avec entente de
traits fombres & clairs pour repréſenter
un parterre ,
des pots de fleurs , &c.
Or tour cela , comme on a dit , n'eft
qu'un corollaire du Clavecin fufdit , car la z
Mufique fonnante eft le contrafte du
ve- aign . Ainfi la Mufique voyante doit être
le contratte du slair- obfcur. L'obſcur re-
AAYO
to MERCURE DE FRANCE .
Par
five
"
pond au grave , le clair à l'aigu . Une Mu
fique n'est que lorfqu'elle eft
bien deffinée , & contraftée de baffes &
de deffus , & qu'en un mot elle fait tableau.
Dans une illumination , d'artifice
même le chef- d'oeuvre de l'Art feroitde
faire jouer les 4 & les 6 parties de clair
obfcur , en imitation des balfes , tailles ,
contres & deffus.
Le parfait feroit d'affocier comme en
peinture le coloris au clair obfcur , & defaire
une pyramide , un encadrement ,
une façade , un deffein , un choeur de lu.
miere , par exemple d'une gradation de
violet , bleu rougeâtre , bleu put , verd ,,
jaune , orangé , feu clair , blanc vif ou
même fimplement , ce qui eft plus facile
& felon la pure nature , en allant du violet
au rouge , au jaune , au blanc , les
bleux , verds , orangés même en feu ,
étant jufqu'ici difficiles à exécuter.
2
Peut être ce dernier Art du coloris joint .
au clair obfcur , eft il réfervé au Clavecin ..
M. de Voltaire au même endroit cité diten
parlant de l'Auteur. Il y a eu des Paysoù
le Public l'auroit récompenfe. Que le Pu
blie exécute le Clavecin , Autenr fera
trop récompenfé par le plaifir du Public..
Voici une autre efpece de corollaire Théoique
du même Art de Musique voyante
C
DECEMBRE .. 17:17.
Comparaison de la Peinture , de la Poëfie &
de la Mufique.
Dieu a fait l'homme parfait de corps , de
coeur & d'efprit. La Fable l'appelle Saturne
, le pere du Tems , & le place au fiécle
d'Or dans le jardin des Hefpérides , féjour
de l'innocence & de la volupté ..
L'Hiftoire l'appelle Adam , & le place
dans un jardin de délices avec la même innocence
, & c .
L
2+
Ars longa , vita brevis difons nous
Art eft long & la vie est courte : & nous
le difons par le fentiment d'une vie trop
courte , trop miférable , trop coupable
trop
maudite pour inventer les Arts , dont
premiere invention vient en effet du Pa--
radis Terreftre & de Saturne , felon les.
Poëtes , d'Adam , felon moi . Qu'on examine
bien , l'Hiftoire furtour , on ne trou .
vera jamais qu'une vie mêlée de paffions
de crimes , de douleurs , d'infirmités , de
nuit & de mort foir propre pour inven--
ter les Arts. A peine fuffit- elle pour les exécuter
par lambeaux . Vingt- fix ans ont- ils:
fuffi pour exécuter ce Clavecin , dont
FAuteur rapporte bien furement l'invention
à Adam , ou du moins à Jubal qui eft
l'Appollon de la Fable.
93
Quoiqu'il en foit , voici un échantillom
A sj
12 MERCURE
DE FRANCE.
de la defcription du Paradis Tereftre , autre
ment intitulée l'Invention des Arts , tous,
liberaux alors , tous méchaniques & fervi
les aujourd'hui. L'ouvrage eft écrit en lettres
familieres à un ami , tel eft le com
mencement & la moitié de la foixante- feiziéme
Lettre.
"
» Il s'agit , mon cher ami , de choifir
» entre la Peinture & la Mufique , pour
fçavoir auquel de ces deux Arts vous
" voulez qu'Adam ait dû fon invention
de la Poëfie . Car à l'origine tous les Arts
feroient enfemble , & écloroient l'un
» de l'autre comme fleurs & fruits fortant
» de la même tige.
39
Horace eft pour la Peinture , ut Pictu
ra Poëfis erit. Pour moi qui ne vois pas
le rapport immédiat de ces deux Arts de
Peinture & de Poëfie, je dérive plus volon
tiers la Mufique de la Pocfie ou la Poëfie de
la Mufique , les confervant, fi vous voulez
, éclofes d'an feul jet , da même jeta .
Ear Adam alloit vîte , avec fon génie tout
neuf & fon coeur fubordonné à l'efprit ,
fans parler du corps docile à les feconder.
La Peinture eft un Art admirable , mais
ee me femble , fixe , pefant & fuperficiel
en comparaifon , & du refte peu reffèm-
Blant à cet Art naturel d'entoufiafme qui
aranfpofe le Poëte & évapore prefque te
DECEMBRE. 1751. 7:31
Muficien. Car je fais cas des caractéres:
reconnus & établis . Un grand Peintre eft:
communément un bel efprit , un homme
même cultivé & poli. Un grand Poëte eft
un grand génie. Il y a réellement de la
verve dans fon fait , fouvent même dans :
fa conduite. Pour le Muficien , il n'excelle
gueres fans être frappé d'un grand !
effor d'imagination & prefque de , & c.
Je ne dis pas que le Peintre n'ait fon
enthouſiaſme , & qu'il ne lui faille même
un génie grand & élevé pour réunir en
lui-même tutta l'Academia del Difegno..
Mais avouez qu'il y a cette différence enue
la Poëfie & la Peinture qu'il n'eft pas
permis à celle là d'être médiocre , Medio- .
ribus effe Poëtis non licet : au lieu que les
formes toujours fenfibles & furtout les
couleurs toujours gracieufes aident bien .
au Peintre , & remplacent aux yeux du
vulgaire les beautés de génie & de parfaites
imitations. Venons au fonds .
La Peinture ne peut faifir qu'un moment -
d'une Hiftoire , d'un Héros , du plus
grand événement-& cela même lui ôté le
mouvement qui fait marcher le Poëte &
fait voler le Muficien fer les ailes du tems
que la Mefure regle fans le retarder. Lo
Poëte marche , court d'action en action .
La fuite des évenemens donne un feu
14 MERCURE DE FRANCE.
tout à fait intéreffant à fon difcours comme
Prophétique & divin. Le Muficien
court , vole en effet de mouvement en
mouvement , & fans fouvent dire grand
choſe il dit toujours , & a toujours l'air
de dire du nouveau. Au premier coup
d'oeil la Peinture a tout dit..
Il s'agit furtout d'harmonie : le Peintre
s'en vante , & je ne dirai pas qu'il n'y ait
une forte d'harmonie dans le Deffein , &
furtout dans le coloris. Mais qui dit harmonie
, ne dir
ne dit pas Mufique pour cela.
La Mufique gît toute en mouvement Prefto,
Largo , allegro, preftiffimo. Les couleurs de
la Peinture font eflentiellement immobi
les. Ce n'eft tout auplus qu'à l'aide du Cla
vecin & de la Mufique , qu'elles peuvent
prendre du mouvement .
Quelle diverfité de tons qu'étale la Peinture
, elle ne les étale que trop , tous à la
fois. C'eft comme fi en mettant le coude &
le bras entier fur les touches d'un Orgue ou
d'un Clavecin: on en faifoit fonner tous les
tons à la fois . Quel concert ! mais plutôt
quelle confufion ! quelle cacophonie ! &
puis fes contraftes font trop nuancés , trop
fondus , les reffers feuls achevent de tout
empâter. Leur Art eft trop de proche en
proche , trop marqué , trop à découvert.
La Mufique eft inimitable par fes trane
DECEMBRE. 1751. 1

fitions brufques, grandes , & comme d'une
extrémité à l'autre par octaves , par quin-.
tes , quartes , tierces , dixtes , fut- ce tons :
& fémi-tons toujours tranchés & fenfibles
. Sans parler des diffonances , feptiémes
, tritons, quintes, fauffes & fuperflues..
La Peinture a des diffonances , mais à deviner
, & toujours préparées & fanvées de
trop près. J'ai vu des connoiffeurs qui ne
goûtoient que les Rhimbrants , ou les
Croquis de quatre traits de plume ou de.
Pinceau,
La Mufique eft la plus fiere maniere depeindre
par grands traits , à grands coups
de pinceau , de broffe ou de balais . Son
harinonie eft fortement prononcée , eftrapaçonnée
fi l'on veur . Un ton cft toujours
ce qu'il eft , & ne fe confond jamais avec
l'autre. Non feulement l'harmonie y eft:
comme chez elle , mais à chaque inftant
elle dit , me voilà , c'est moi .
A celle de la Peinture il manque un
interprête qui dife , la voyez -vous ? Elle eſt
effentiellement muette. De 30 , de 300.
Spectateurs , un feul la voit à peine. La
Mufique eft l'harmonie en perfonne . Un
tableau eft parfait , lorsqu'il n'y manque
que la parole ; mais elle y manque enfin
toujours. Ce qu'on appelle même lefilense
de l'harmonie, cft toujours bruyant L'harmo
16 MERCURE DE FRANCE.
nie des couleurs eft un filence tout court.
Quand on a entendu parler d'une Mu
fique de couleurs , les Peintres ont cru
qu'on leur adreffoit la parole , qu'on par
loit de quelque chofe d'analogue à leur
Art , les plus habiles d'entre les Sçavans
& les beaux Efprits , n'ont voulu jamais
imaginer que de la Peinture. Pas un mot ,
pas plus que fi on avoit parlé d'un papier
marbré ou d'un marbre naturel. Encore le
marbre eft-il froid & le papier marbré eſt
un barbouillage. En général l'Auteur a
toujours obfervé qu'il n'avoit parlé qu'an
Muficien , les feuls Muficiens l'ayant enten
du , il n'a jamais parlé que d'une Mufique &
jamais d'une Peinture de couleurs .
Que le vert brille après ou avec le violet
bien prononcés tous deux , que le jaune tout
de fuite contrafte avec le bleu , le cramoifi
avec l'orangé , le couleur d'or avec le celadon,
le bleu turquin avec l'aurore, l'ifabelle
avec le lilla , l'olive avee le gris de lin ,
cela ne fait jamais que la mi , mi ut , Soli
dieze , fa avec & dieze, &c de la Mufique,
en un mot & jamais de la Peinture , fice
n'eft allégorique. C'eſt un tableau mouvant
tout au plus mais le mouvement caufe lai
furprife , & tient toujours l'oeil éveillés
& l'ame en fufpens.
On aime affez à voir une fois un beau
DECEMBRE
. 1751. 17
tableau. Souvent il ne foutient pas à l'oeit
fa réputation d'oreille. Une belle Mufique,
un Opéra de Lulli fe revoit avec
plaifir mille fois , & paroit toujours nouveau,
& caufe du mouvement qui donne
à tout la vie , une légereté , un feu vital ,
un air même de nouveauté . Le Peintrepeut
valoir le Muficien ; mais la Mufique
a vingt degrés de fupériorité fur la Peinture..
Il faut bien du tems à un Peintre pour fai
re un tableau capable de me plaire pendant
peu de minutes. Encore ce tableau coûteil
beaucoup à voir , furtout à avoir , à acquérir.
Eft -il acquis ? Il orne une muraille
, une tapifferie , & on le laiffe là pour
les curieux à venir.
La Mufique eft plus facile à faire , j'en
conviens , & n'en vaut que mieux . La longueur
, la Méchanique
, la Mauffaderie
du
travail n'en rallentit pas le feu. A peu de.
als on peut fe donner des 3 , 4 & 5 heures
délicieufes par une riche variété de
Mufique de vingt Auteurs fameux , exécutés
chez le moindre Bourgeois de Paris .
Je doute que la vue de tous les tableaux:
du Luxemboug ou du Salon , ait jamais.
beaucoup réchauffé la verve d'un Poëte qui
paffe des heures à les lorgner. L'action:
même de lorgner fouvent avec peine &
18 MERCURE DE FRANCE.
effort , glace une tête Poëtique. C'eft le
fait que les fujets de tableaux fe prennent
le plus fouvent chez les Poëtes. Y a- t'il de
Poëte qui ait pris un fujet de Poëme dans
tous les tableaux ? J'ai vû bien des Poëtes
fortir pleins d'enthouſiaſme d'un concert
ordinaire de fimplement bonne Mufique.
Je n'avilis point les Peintres ; je les réve
re pour le moins autant que les Muficiens.
Les Peintres font communément des gens
de Lettres , des Sçavans , gens de converfation
& de bon commerce. Je ne dis rien
des Muficiens : on les connoit. Autre cho
fe eft l'Art , autre chofe l'Artifte . Je parle
même bien plus de l'effet de l'Art qué de
l'Art même. Tout ce que je veux dire eft
que la Mufique eft un Art plus fenfible, plus
extérieur que la Peinture qui eft un Artà
demeure , aulieu que la Mufique n'eft que
de paffage & comme de furérogation ,
fuperflu , de luxe par conféquent , plus que
de néceffité.
de
Je ne veux même bien dire , fi ce n'eft
que la Mufique a bien plus d'affinité avec
la Poëfie qu'avec la Peinture , avec qui
elle fait une efpece de difparate.
Tout étoit fort tranquille , je crois ,
dans le Paradis Terreftre , & tout y alloit
d'un grand ordre , l'orfqu'Adam ArchiDECEMBRE.
1751 19
tecte tenoit tous les animaux fes mancuvres
en haleine , chacun felon fon inf
tinct , occupés à le fervir pour la conftruction
d'un Autel , d'un Temple ou d'un
Palais . Tout étoit immobile & fédentaire ,
lorfque Adam Peintre , les tenoit en ref
pect autour de fon attelier , peignant le
bon Dieu , les Anges , Eve ou les animaux
mêmes.
Mais dès que Adam Muficien ou Poëte
prit la lyre , la flute , le violon , la trompette
, le clairon , ou qu'il chanta , j'imagine
que tous le Paradis s'ébranla , fauta
, d'anla , retentit , furtout fi l'enthou
fiafme Peëtique articula des fons pathéti
ques , vifs , gais , nobles , variés ou ſimå
plement mélodieux ou harmonieux . Les
Orpheés , les Anphions qui font danfer
les arbres , & portent les pierres en cadence
fur les murs de Thebes , paffent la Fable
de ces prétendus Héros , s'ils n'atteignent
à l'Hiftoire d'Adam innocent.
en
Ce qui rend la Mufique facile à faire ;
imparfaite même dans fes Portraits , inarticulée
dans fes caractéres rélativement à
la Peinture , & furtout à la Poëfie ,
fait les délices. Elle ne peint qu'à demi
mot il faut un peu la deviner à cet
égard , comme la Peinture à l'égard de
F'harmonie. Il faut courir après , elle eft
20
MERCURE
DEFRANCE.
de foi fugitive & volage. La Peinture refte
trop là. Elle parle trop aux yeux , aux badaux
, aux fots. A demi & à quart
de mot
Ia Mufique parle aux feuls efprits , aux Sçavans
furtout,
Auffi peint- elle les efprits. Ses tableaux
font aëriens , incorporels , & n'en font
que plus fenfibles & plus touchans. La
Peinture ne faifit que les corps , ou même
les furfaces. Je ne vois que différence entre
la Peinture & la Mufique . Je ne vois
qu'affinité , accord , intimité entre la Mufique
& la Poëfie.
Intimité , dis-je , car ces deux Arts s'embelliffent
, fe perfectionnent , fe font
valoir réciproquement. On n'ajamais mis
de la Peinture en Mufique , on y met
tous les jours de la Poëfie , & on met en
Poëfie de la Mufique . La décoration accompagne
bien le chant de l'Opéra ;
mais ce n'eft qu'un
accompagnementextérieur
de foi détaché , & auquel la
Mufique & la Poëfie n'ont qu'un rapport
affez éloigné , la Mufique furtout.
Au lieu que le même chant eft en même
tems Poëtique & Mufical . Le même organe,
le même gôfier , la même langue lesarticule
tous deux , & les adreffe tous
deux au même organe , à la même oreille ,
qui les reçoit indivifiblement , tandis
DECEMBRE. 1751 . 2X
qu'au contraire la Peinture ne parle qu'à
Fail . Il eft vrai que le Clavecin oculaire
parlera indivifiblement à l'oeil & à l'oreille
par le mariage plus intime des fons & des
couleurs , & que par là la Mufique & la
Peinture ne laifferont pas enfin de fe raprocher
beaucoup : ce qui les perfectionpar
l'autre , au double & au
nera l'une
quadruple.
J'oubliois que la Peinture n'a point de
cadences qui foient de vrayes chûtes , &
n'en a que par métaphore : au lieu que la
Mufique comme la Poëfie eft un enchaînement
de cadences bien prononcées , &·
d'un effet marqué. Ainfi la Poëfie eft fille
ou mere de la Mufique : & pour le moins
cefont les deux foeurs.
Je croirois qu'Adam a commencé par
la Poëfic , foit parce qu'il a fans doute
commencé par parler avant que de chanter
, foit parce qu'à tout il y a un progrès.
Or le progrès eft naturel de la parole au
chant , & la demie harmonie à l'harmonie
pleine & pure . Le Poëte chante , ditil
, mais ce n'eft qu'un demi chant , un
commencement de chant . La Mufique eft
un chant plein & confommé. Je crois
même la Poëfie le premier de tous les Arts
d'Adam , & c.
22 MERCURE DE FRANCE.
AU ROI ,
Our la Naiffance de Monfeigneur le Duc
de
Bourgogne.
Q
De manque-t'il encore à ton bonheur fu
prême ;
Grand Roi, cet heurenx jour met le comble à tes
voeux.
La Victoire & la Paix d'un double Diademe
Couronnent ton front généreux :
L'Univers te refpecte & la France adore ;
Chaque Sujet t'éleve un Temple dans fon coeur ,
Et l'ennemi charmé femble douter encore ,
S'il doit aimer en toi fon pere ou fon
Il manquoit à tes deftinées
vainqueur
L'augufte Rejotton fi long- tems défiré ,
Qui fur ces rives fortunées ,
Du bonheur de ton peuple eft un gage affure.
Pour payer les vertus de ton regne équitable ,
Le Ciel a mis le comble à ta profpérité ,
Tu revivras , Ayeul aimable ,
Dans ta triple postérité.
O jour heureux & plein de charmes
O jour qui finit nos allarmes ,
Et nous promet le cours de mille biens divers ?
France ! 8 ma Patrie ! 6 féjour plein de gloire
De cet évenement confacre la mémoire
I
DECEMBRE. 1751. 28
Dans les faftes de l'Univers !
Quevois-je quel éclat me frappe & m'environne
Quelle foule de demi Dieux !
La juftice les fuit , la gloire les couronne ,
La valeur , la fageffe éclatent dans leurs yeux.
Sont- ce- la les Céfars , les Drufus , les Mareelles
Etces Héros fameux qui du Tibre autrefois
Ont décoré les rives immortelles ?
Non c'eft la fuite de nos Rois.
Ce font res defcendans , ils marchent fur tą trace ,
LOUIS , c'eft ton augufte Race
Dont le monde à jamais doit refpecter les loix.
Quel charme pour les yeux d'un Monarque &
d'un pere !
L'allégreffe publique éclate fur ces bords ,
Et célebre à l'envi l'avantage profpere ,
Qui fait l'objet de tes tranſports,
Tous femblent recevoir ce préfent falutaire ,
De ce bien avec toi tous partagent le prix ?
Et quand la piété pour l'heureuſe naiſſance 、)
De cet augufte Petit- Fils
Signale ta reconnoiffance ,
Ton peuple au comble de fes voeux
Benit le Ciel dont la clémence
Fait naître un pere à fes neveux.
Anges , Saints , troupes immortelles ,
Vous qui veillez du haut des Cieux
Sur les deftins des Monarques fidéles ,
Confervez -nous ce dépôt précieux ,
4 MERCURE DE FRANCE.
Et couvrez Ton berceau de l'ombre de vos ailes;
Et toi Royal enfant , illuftre rejetton
D'une Race féconde en Monarques fublimes ,
Sois le digne héritier de l'augufte Maiſon
Qui produifit tes ayeux magnanimes.
Sacceffeur de leur Sceptre, embraffe leurs maximes,
Et foutiens par tes faits la gloire de leur nom .
Commence de bonne heure à connoître ta Mere ,
Par un fouris charmant répond à fes tranſports ,
Sois en tout fon image , & celle de ton Pere :
Le fang qui t'a formé te fauve les efforts.
¿Que coûte la vertu dans une ame vulgaire.
Et toi Reine admirable en qui la piété
Nous retrace les jours de Blanche & d'Ildegonde ,
Toi qui fçais allier la douce humanité
A Péclat de la Majeſté ,
Et que le Ciel forma pour l'exemple du monde ;
Tendre Epoufe , Mere féconde ,
Reçois le gage heureux de ta postérité.
Qu'il croiffe fous tes yeux cet Enfant reſpectable
Qu'il foit du culte Saint le vengeur redouté ;
Que jamais le fateur à fon ceil équitable
Ne dérobe la vérité.
Que fuivant à la fois LOUIS & tes veftiges ,
Qu'évitant des grandeurs les dangereux preftiges,
Digne Fils de nos Souverains
Il faffe fon bonheur du bonheur des humains.
Verardy , Maitre- ès- Arts & Maître de
Penfion.
DISCOURS
DECEMBRE 1751 25
DISCOURS
Sur les avantages des Sciences & des Arts ,
prononcé dans l'affembléepublique de l'Adémie
des Sicences & Belles- Lettres de
Lyon , le 22 Juin 175 1 . 1751
.
ON eft défabulé depuis long- tems de
la chimére de l'âge d'or : par tout la
Barbarie a précédé l'établiſſement des Sociétés
; c'eft une vérité prouvée par les
annales de tous les Peuples. , Partout les
befoins & les crimes forcerent les hommes
à fe réunir , à s'impofer des loix , à s'enfermer
dans des ramparts. Les premiers
Dieax & les premiers Rois furent des bienfaicteurs
ou des tyrans ; la reconnoiffance
& la crainte éleverent les Trônes & lesAutels.
La fuperftition & le defpotifine vinrent
alors couvrir la face de la terre : de
nouveaux malheurs , de nouveaux crimes
faccéderent , les révolutions fe multipliérent.
A travers ce vafte fpectacle des paffions
& des miferes des hommes , nous appercevons
à peine quelques contrées plus fages
& plus heureufes . Tandis que la plus grande
partie du monde étoit inconne , qelsu .
I Vo . B
4 MERCURE DE FRANCE.
Et couvrezfon berceau de l'ombre de vos ailes ;
Et toi Royal enfant , illuftre rejetton
D'une Race féconde en Monarques fublimes ,
Sois le digne héritier de l'augufte Maiſon
Qui produifit tes ayeux magnanimes.
Sacceffeur de leur Sceptre, embraffe leurs maximes,
Et foutiens par tes faits la gloire de leur nom .
Commence de bonne heure à connoître ta Mere ,
Par un fouris charmant répond à fes tranfports ,
Sois en tout fon image , & celle de ton Pere :
Le fang qui t'a formé te fauve les efforts.
Que coûte la vertu dans une ame vulgaire.
Et toi Reine admirable en qui la piété
Nous retrace les jours de Blanche & d'Ildegonde ,
Toi qui fçais allier la douce humanité
A Péclat de la Majefté ,.
Et que le Ciel forma pour l'exemple du monde ,
Tendre Epoufe , Mere féconde ,
Reçois le gage heureux de ta postérité .
Qu'il croiffe fous tes yeux cet Enfant refpectable
Qu'il foit du culte Saint le vengeur redouté ;
Que jamais le fateur à fon oeil équitable
Ne dérobe la vérité.
Que fuivant à la fois LOUIS & tes veftiges,
Qu'évitant des grandeurs les dangereux preftiges,
Digne Fils de nos Souverains
al faffe fon bonheur du bonheur des humains.
Verardy , Maître- ès- Arts & Maitre de
Penfion.
C
DISCOURS
DECEMBRE 1751. 25
C
DISCOURS
Sur les avantages des Sciences & des Arts
prononcé dans l'affembléepublique de l'Adémie
des Sicences & Belles- Lettres de
Lyon , le 22 Juin 175 1 .
N eft défabulé depuis long- tems de
la chimére de l'âge d'or : par tout la
Barbarie a précédé l'établiſſement des Sociétés
; c'eft une vérité prouvée par les
annales de tous les Peuples., Partout les
befoins & les crimes forcerent les hommes
à fe réunir , à s'impofer des loix , à s'enfermer
dans des ramparts . Les premiers
Dieux & les premiers Rois furent des bienfaicteurs
ou des tyrans ; la reconnoiffance
& la crainte éleverent les Trônes & les Autels.
La fuperftition & le defpotifine vin →
rent alors couvrir la face de la terre de
nouveaux malheurs , de nouveaux crimes
fuccéderent , les révolutions fe multipliérent
.
A travers ce vafte fpectacle des paffions
& des miferes des hommes , nous appercevons
à peine quelques contrées plus fages
& plus heureufes . Tandis que la plus grande
partie du monde étoit inconnte , que l'au
I Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
j
rope étoit fauvage , & l'Afie efclave , la 8
Gréce penfa & s'éleva par l'efprit à tout ce d
qui peut rendre un peuple recommandable:
Des Philofophes formerent fes moeurs &
Jui donnerent des loix.
Si l'on refufe d'ajouter foi aux traditions
qui nous difent que les Orphées & les
Amphions attirerent les hommes du fond
des forêts par la douceur de leurs chants ,
on eft forcé par l'hiftoire , de convenir
que cette heureufe révolution eft due aux
Arts utiles & aux Sciences . Quels hommes
étoient-ce que ces premiers Légiflareurs de
la Gréce peut- on nier qu'ils ne fuffent les
plus vertueux & les plus fçavans de leur
fécle ; ils avoient acquis tour ce que l'étude
& la réflexion peuvent donner de
lumiere à l'efprit , & ils y avoient joint
les fecours de l'expérience par les voyages
qu'ils avoient entrepris en Créte , en
Egypte , chez toutes les Nations où ils
avoient cru trouver à s'inftruire..
Tandis qu'ils établiffoient leurs divers
Giftèmes de politique , par qui les paffions
particulieres devenoient le plusfür inftru
ment du bien public , & qui faifoient germer
la vertu du fein même de l'amour
propre , d'autres Philofophes écrivoient
fur la morale , remontoient aux premiers
principes des chofes , obfervoient la naOCTOBRE.
1751. 27
ture & fes effets. La gloire de l'efprit &
celle des armes avançoient d'un pas égal ;
les fages & les héros naifoient en foule ;
à côté des Miltiades & des Thémistocles ,
on trouvoit les Ariftides & les Socrates.
La fuperbe Afie vit brifer fes forces innombrables
, contre une poignée d'hommes
que la Philofophie conduifoit à la gloire.
Tel eft l'infaillible effet des connoiffances
de l'efprit : les moeurs & les loix font la
feule fource du véritable héroisme . En un
mot la Gréce dur tout aux fciences , & le
refte du monde dut tout à la Grèce.
Oppofera t'on à ce brillant tableau les
maurs groffieres des Perfes & des Scithes ?
j'admirerai , fi l'on veut , des Peuples qui
paffent leur vie à la guerre ou dans les
bois , qui couchent fur la terre , & vivent
de légumes. Mais eft- ce parmi eux qu'on
ira chercher le bonheur quel fpectacle.
nous prefenteroit le genre humain , com-
"pofé uniquement de Laboureurs , de Soldats
, de Chaffeurs & de Bergers : faut- il
donc pour être digne du nom d'homme
vivre comme les lions & les ours ? érigera-
t'on en vertus , les facultés de l'inftint,
pour fe nourrir , fe perpétuer & ſe deffendre
? je ne vois là que des vertus animales ,
peu conformes à la dignité de notre être ;
P
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
le corps eft exercé , mais l'ame efclave ne
fait que ramper & languir.
Les Perfes n'eurent pas plutôt fait la
conquête de l'Afie , qu'ils perdirent leurs
moeurs , les Scithes dégénérerent auffi quoique
plus tard; des vertus & fauvages font
trop contraires à l'humanité , pour être
durables ; fe priver de tout & ne défirer
rien eft un état trop violent ; une igno
rance fi groffiere ne fçauroit être qu'un
état de paffage. Il n'y a que la ftupidité &
la mifere qui puiffe y affujettir les hommes.
Sparte , ce phénoméne politique , cette
republique de foldats vertueux , eft le feal
peuple qui ait eu la gloire d'être pauvre
par inftitution & par choix . Ses loix fi
admirées avoient pourtant de grands défauts.
La dureté des maîtres & des peres ,
l'expofition des enfans , le vol autorifé , la
pudeur violée dans l'éducation & les mariages
, une oifiveté éternelle , les exer
cices du corps recommandés uniquement ,
ceux de l'efprit profcrits & méprilés , l'aul
térité & la férocité des moeurs qui en
étoient la fuite , & qui aliénerent bientôt
Le tous les alliés de la république, font déja
d'affez juftes reproches , peut- être ne bor
netoient-ils pas là , i les particularités de
DECEMBRE . 175129
fon hiftoire interieure nous étoient mieux
connues elle fe St une vertu artificielle en
fe privant de l'ufage de l'or mais que devenoient
les vertus de fes Citoyens , fitot
qu'ils s'éloignoient de leur patrie ? Lyfandre
& Paufanias n'en furent que plus aifés
àcorrompre ; cette Nation qui ne refpiroit
que la guerre , s'eft elle fait une
gloire plus grande dans les armes que fa
rivale , qui avoit réuni toutes les fortes
de gloire . Athénes ne fut pas moins guerriére
que Sparte ; elle fut de plus fçavante ,
ingénieufe & magnifique , elle enfanta
tous les arts & tous les talens , & dans le
fein même de la corruption qu'on lui reproche
, elle donna le jour au plus fage des
Grecs . Après avoir été plufieurs fois far le
point de vaincre , elle fut vaincue , il eft
vrai ,& il eftfurprenant qu'elle ne l'eût pas
été plutôt, puifque l'Atrique étoit un pays
tout ouvert , & qui ne pouvoit fe deffendre
que par une très grande fupériorité de
fuccès. La gloire des Lacédemoniens fut
peu folide , la profpérité corrompit leurs
inftitutions trop bifarres pour pouvoir - fe ,
conferver long- tems , la fiére Sparte perdit
fes moeurs comme la fçavante Athénes.
Elle ne fit plus rien depuis qui fûc
digne de fa réputation , & tandis que les
Athéniens & plufieurs autres Villes lut-
Biij
to
MERCURE DE FRANCE .
toient contre la Macédoine pour la liberté
de la Gréce , Sparte feule languiffoit dans
le repos , & voyoit préparer de loin fa
deftruction , fans fonger à la prévenir.
Mais enfin je fuppofe que tous les états
dont laGréce étoit compofée , euffent fuivi
les mêmes loix que Sparte , que nous ref
teroit-il de cette contrée fi célébre à peine
fon nom feroit parvenu jufqu'à nous. Elle
auroit dédaigné de former des hiftoriens ,
pour
tranfmettre la gloire à la postérité ,
le fpectacle de fes farouches vertus eût été
perdu pour nous , il nous feroit indifferent
par conféquent qu'elles euffent exiité ou
non.Ces nombreux fiftêmes de Philofophic
qui ont épuifé toutes les combinaiſons
poffibles de nos idées , & qui , s'ils n'ont
pas étendu beaucoup les limites de notre
efprit , nous ont appris du moins où elles
étoient fixées . Ces chefs-d'oeuvres d'éloquence
& de Poësie qui nous ont enfeigné
toutes les routes du coeur , les Arts utiles
ou agréables , qui confervent ou embelliffent
la vie. Enfin l'ineftimable tradition
des penfées & des actions de tous les grands
hommes , qui ont fait la gloire ou le bonheur
de leurs pareils : toutes ces précieuſes
richeffes de l'efprit euffent été perdues
pour jamais. Les fiécles fe feroient accumulés
, les générations des hommes fe leDECEMBRE.
1751. 37
roient fuccédé comme celles des animaux ,
fans aucun fruit pour leur poftérité , &
n'auroienr laiffé après elles qu'un fouvenir
confus de leur exiſtence ; le monde auroit
vieilli , & les hommes feroient demeurés
dans une enfance éternelle.
Que prétendent enfin les ennemis de la
fcience quoi , le don de penfer feroit un
préfent funefte de la divinité : les connoiffances
& les moeurs feroient incompati
bles la vertu feroit un vain fantôme
produit par un inftinct aveugle , & le flambeau
de la raifon la feroit évanouir en
voulant l'éclaircir ? quelle étrange idée
voudroit-on nous donner & de la raifon &
de la vertu ?
Comment prouve- t'on de fi bifarres
paradoxes on objecte que les Sciences &
les Arts ont porté un coup mortel aux
moeurs anciennes , aux inftitutions primitives
des états , on cite pour exemple ,
Athénes & Rome. Euripide & Demoſ.
théne , ont vû Athénes livrée aux Spartiates
& aux Macédoniens ; Horace , Virgile
& Cicéron ont été contemporains de
la ruine de la liberté Romaine , les uns &
les autres ont été témoins des malheurs de
leur Pays ; ils en ont donc été la cauſe .
Conféquence peu fondée , puifqu'on ca
B 111j
3 MERCURE DE FRANCE .
pourroit dire autant de Socrate & de
Caton .
En accordant que l'altération des Loix
& la corruption des moeurs ayent beaucoup
infué fur ces grands événemens , me
forcera - t'on de convenir que les Sciences
& les Arts y ayent contribué la corrup
tion fuit de près la profpérité , les fciences
font pour l'ordinaire leurs plus rapides
progrès dans le même tems , des chofes ft
diverfes peuvent naître enfemble & fe
rencontrer , mais c'eft fans aucune relation
entr'elles de caufe & d'effet.
Athénes & Rome étoient petites & pauvres
dans leurs
commencemens , tous leurs
Cytoyens étoient Soldats , toutes leurs
vertus étoient néceffaires , les occafions
même de corrompre leurs moeurs n'éxiftoient
pas. Peu après elles acquirent des
richeffes & de la puiffance . Une partie des
Citoyens ne fut plus employée à la guer
re ; on apprit à jouir & à penfer. Dans le
fein de leur opulence ou de leur loifit , les
uns
perfectionnerent le luxe , qui fait la
plus ordinaire occupation des gens heureux
; d'autres ayant reçû de la nature de
plus favorables
difpofitions , étendirent
les limites de l'efprit , & créérentune gloi
re nouvelle .
DECEMBRE
33 1751
Ainfi tandis que les uns par le fpectacle .
des richeffes & des voluptés , prophanoient
les Loix & les moeurs , les autres allumoient
le flambeau de la Philofophie &
des Arts , inftruifoient ou célébroient les
vertus , & donnoient naiffance à ces noms
fi chers , aux gens qui fçavent penfer',
l'atticifme & l'urbanité: des occupations ſi
oppofées peuvent elles donc mériter les
mêmes qualifications , pouvoient - elles
produire les mêmes effets .
Je ne nierai pas que la corruption générale
ne fe foit répandue quelquefois jufques
fur les lettres , & qu'elle n'ait produit
des excès dangereux ; mais doit- on
confondre la noble deftination des fcien
ces avec l'abus criminel qu'on en a pût
faire? mettra- t'on dans la balance quelques
épigrammes de Catulle ou de Martial cons
tre les nombreux volumes Philofophiques,
politiques & moraux de Cicéron , contre
le fage Poëme de Virgile ?
Dailleurs les ouvrages licentieux font
ordinairement le fruir de l'imagination ,
& non celui de la fcience & du travail, Les
hommes dans tous les tems & dans tous
les Pays ont eu des paffions ; ils les ont
chantées : la France avoir des Romanciers
& des Troubadours , long - tems avant
qu'elle eût des Sçavans & des Philofophess
B.Y
34 MERCURE DE FRANCE .
En fuppofant donc que les Sciences & les
Arts cuffent été étouffés dans leur berceau
, toutes les idées infpirées par les
paffions n'en auroient pas moins été réali
Tées en Profe & en Vers , avec cette diff
ference , que nous aurions eû de moins
tout ce que les Philofophes , les Poëtes &
les Hiftoriens ont fait pour nous plaire ou
pour nous inftruire. }
Athénes fut enfin forcée de céder à la
fortune de la Macedoine , mais elle ne céda
qu'avec l'univers. C'étoit un torrent ca
pide qui entrainoit tour , & c'eft perdre
le tems que de chercher des caufes particu
lieres , où l'on voit une force fupérieure
marquée.
Rome , maitreffe du monde , ne trou
voit plus d'ennemis ; il s'en forma dans
fon fein . Sa grandeur fit fa perte. Les Loix
d'une petite Ville n'étoient pas faites pour
gouverner le monde entier : elles avoient
pû fuffire contre les factions des Manlius ,
des Caffius & des Gracques : elles.fuccomberent
fous les Armées de Silla , de Céfar
& d'Octave ; Rome perdit fa liberté , mais
elle conferva fa puiffance . Opprimée pat
Les Soldats qu'elle payoit , elle étoit encore
la terreur des Nations. Ses tyrans éroient
our à tour déclarés peres de la patrie &
malfacrés. Un monftre indigne du noma
TOULS
C
DECEMBRE. 17'Sr. 35
d'homme , fe faifoit proclamer Empereur ,
& l'Augufte Corps du Sénat n'avoit plus
d'autres fonctions que celle de le mettre
au rang des Dieux . Etranges alternatives
d'efclavage & de tyrannie ,mais telles qu'on
les a vûes dans tous les états où la milice
difpofoit du thrône : enfin de nombreuſes
irruptions de Barbares vinrent renverser &
fouler aux pieds ce vieux coloffe ébranlé de
toutes parts , & de fes débris fe formerent
tous les empires qui ont fubfifté depuis.
Ces fanglantes révolutions ont elles
donc quelque chofe de commun avec les
progrès des lettres partout je vois des
caules purement politiques. Si Rome eut
encore quelques beaux jours , ce fut lous
des Empereurs Philofophes . Seneque a - t'il
donc été le corrupteur de Néron ? eft- ce
l'étude de la Philofophie & des Arts qui
fit autant de monftres , des Caligula , des
Domitien , des Heliogabale ? les lettres
qui s'étoient élevées avec la gloire de
Kome , ne tomberent elles pas fous ces
régnes cruels elles s'affoiblirent ainfi pas
degrés avec le vafte empire , auquel la def
tinée du monde fembloit être attachée.
Leurs ruines furent communes , & l'ignorance
envahit l'univers une feconde fois
avec laBarbarie & la fervitude de fes com
pagnes fidéles.
Bvi
36 MERCURE DE FRANCE.
Difons donc que les Mules aiment la
liberté , la gloire & le bonheut. Partout
je les vois prodiguer leurs bienfaits fur les
Nations , au moment où elles font le plus
floriffantes. Elles n'ont plus redouté les
glaces de la Ruffie , fitôt qu'elles ont été
attirées dans ce puiffant Empire par le Héros
fingulier, qui en a été pour ainfi dire
le créateur : le Législateur de Berlin , le
conquérant de la Silefie , les fixe aujour
d'hui dans le Nord de l'Allemagne , qu'el
les font retentir de leurs chants.
S'il eft arrivé quelquefois que la gloire
des Empires n'a pas furvécu long tems
celle des lettres , c'eft qu'elle étoit à fon
comble , lorfque les lettres ont été cultiées
, & que le fort des chofes humaines.
eft de ne pas durer long- tenis dans le même
état . Mais bien loin que les fciences y con
tribuent , elles périffent infailliblement
frappées des mêmes coups , en forte que
l'on
peut
obferver
que que les progrès
des lettres
& leur déclin font ordinairement dans
une jufte proportion avec la fortune &
Pabbaiffement des Empires.
Cette vérité fe confirme encore par l'expérience
des derniers tems. L'efprit hu
main après une éclipfe de plufieurs fiéces ,
fembla s'éveiller d'un profond fommeil .
Unfouilla dans les cendres antiques , &
NOVEMBRE 1751 37-
le feu facré fe ralluma de toutes parts.
Nous devons encore aux Grecs cette feconde
génération des fciences. Mais dans
quel rems reprirent- elles cette nouvelle
vie ? ce fut lorfque l'Europe après tant de -
convulfions violentes , cut enfin pris une
pofition affurée , & une forme plus heu
reufe.
:
Ici fe développe un nouvel ordre de
chofes. Il ne s'agit plus de ces petits Royau
mes domeftiques , renfermés dans l'enceinte
d'une Ville de les Peuples con :
damnés à combattre pour leurs héritages &
leurs maifons , tremblans fans ceffe pour
une patrie toujours prête à leur échaper.
C'eft une Monarchie . vafte & puiffante ,
combinée dans toutes fes parties par une
légiflation profonde : tandis que cent mille
foldats combattent gayement pour la fureté
de l'état , vingt millions de Citoyens heu
reux & tranquilles , occupés à fa pofpérité
intéticure , cultivent fans allarmes les im
menfes campagnes , font fleurir les Loix ,
le commerce , les Arts & les Lettres dans
T'enceinte des Villes : toutes les profelfions
diverfes , appliquées uniquement à
leur objet , font maintenues
dans un jufte
équilibre , & dirigées au bien général par
la main puillante qui les conduit & les
anime . Telle est la foible image du beau
oup
38 MERCURE DE FRANCE.
régne de Louis XIV . & de celui fous le
quel nous avons le bonheur de vivre : la
France riche , guerriere & fçavante , eft
devenue le modéle & l'arbitre de l'Europe;
elle fçait vaincre & chanter fes victoires :
fes Philofophes mefurent la Terre , & fon
Roi la pacific.
Qui ofera foutenir que le courage des
François ait dégeneré depuis qu'ils ont
cultivé les Lettres dans quel fiécle a t'il
éclaté plus glorieufement qu'à Montalban ,
Lawfelt , & dans tant d'autres occafions
que je pourrois citer ont-ils jamais fait
paroître plus de conftance que dans les
retraites de Prague &. de Baviere ? qu'y
a- t'il enfin de fupérieur dans l'antiquité au
fiége de Bergopfom , & à ces braves grena
diers renouvellés tant de fois , qui vo
loient avec ardeur aux mêmes poftes , où
ils venoient de voir foudroyer ou englou
tir les Héros qui les précédoient.
Envain veut- on nous perfuader que le
rétabliffement des Sciences a gâté les
moeurs . On eft d'abord obligé de convenir
que les vices groffiers de nos ancêtres font
prefqu'entierement profcrits parmi nous..
C'eſt déja un grand avantage pour la
caufe des Lettres , que cet aveu qu'on eſt
forcé de faire. En effet les débauches , les
querelles & les combats qui en étoient les,
DECEMBRE. 175 1. 39
faites , les violences des Grands , la tyran
nie des péres , la bizarrerie de la vieilleffe ,
les égaremens impétueux des jeunes gens ,
tous ces excès fi communs autrefois , fu--
neftes effets de l'ignorance & de l'oifiveté ,.
n'éxiftent plus depuis que nos moeurs ont
été adoucies par les connoiffances dont .
tous les efprits font occupés ou amufés..
On nous reproche des vices rafinés &.
délicats ; c'eft que partout
que partout où il y a des
hommes , il y aura des vices ; mais les
voiles ou la parure dont ils fe couvrent
font du moins l'aveu de leur honte , & un
témoignage du refpect public pour la
vertu .
S'il y a des modes de folie , dë ridicule
& de corruption , elles ne fe trouvent que
dans la Capitale feulement , & ce n'eft
même que dans un tourbillon d'hommesperdus
par les richeffes & l'oifiveté. Les
Provinces entieres & la plus grande partic
de Paris , ignorent ces excès , ou ne les
connoiffent que de nom. Jugera- t'on tou
te la Nation fur les travers d'un petit nombre
d'hommes ? Des écrits ingénieux réclament
cependant contre ces abus ; la
corruption ne jouit de fes prétendus fuccès
que dans des têtes ignorantes ; les Sciences
& les Lettres ne ceffent point de dépofer
contre elle ; la morale la démafque , to
40 MERCURE DE FRANCE.
Philofophie humilie fes petits triomphes ,
la Comedie , la Satyre , l'Epigrame la per
cent de mille traits.
Les bons Livres font la feule défenfe des
efprits foibles, c'eft- à- dire, des trois quarts
des hommes contre la contagion de
T'exemple. Il n'appartient qu'à eux de conferver
fidelement le dépôt des moeurs.
Nos excellens ouvrages de morale furvivront
éternellement à cest brochures li
centieufes , qui difparoiffent rapidement
avec le goût de mode qui les a fait naî
tre. C'eft outrager injuftement les Sciences
& les Arts , que de leur imputer ces pro
ductions honteufes. L'efprit feul échauffé
par les - paffions fuffit pour les enfanter.
Les Sçavans, des Philofophes , les grands
Orateurs & les grands Poëtes , bien loin
d'en être les auteurs , les méprifent ,
ou même ignorent leur existence ; il y
a plus , dans le nombre infini des grands
Ecrivains en tout genre , qui ont illuftré
le dernier Regne , à peine en trouve - t'on
deux ou trois qui ayent abufé de leurs ta
lens. Quelle proportion entre les reproches
qu'on peut leur faire , & les avanta
ges immortels que le genre humain a re
tiré des Sciences cultivées des Ecrivains.
la plupart obfcurs , fe font jettés de nos
jours dans de plus grands 'excès ; heureu
DECEMBRE. 175. 41
fement cette corruption a peu duré ; elle
paroit prefque entiérement éteintecu puifee.
Mais c'étoit une faire particuliére du
gout leger & frivole de notre Nation ;
l'Angleterre & l'Italie n'ont point de femblables
reproches à faire aux Lettres.
Je pourrois me difpenfer de parler du
luxe, puifqu'il nait immédiatement des-richeffes
& non des Sciences & des Arts . Et .
quel rapport peut avoir avec les Lettres .
le luxe du fafte & de la moleffe qui eft ie
feul que la morale puiffe condamner ou
reftraindre ?
Il eft à la vérité , une forte de luxe ingénieux
& fçavant qui anime les Arts &
les éleve à la perfection . C'est lui qui mul
tiplie les productions de la Peinture , de la
Sculpture & de la Mufique . Les chofes les
plus louables en-elles mêmes doivent avoir
leurs bornes ; & une Nation feroit juftement
méprifée , qui pour augmenter le
nombre des Peintres & des Muficiens , fe
laifferoit manquer de Laboureurs & de:
Soldats .Mais lorsque les armées font com.
plettes , & la terre cultivée , à quoi employer
le loifir du refte des Citoyens ; je
ne vois pas pourquoi ils ne pourroient pas.
fe donner des Tableaux , des Statues & des
Spectacles.
Vouloir rappeller les grands Etats aux.
42 MERCURE DE FRANCE.
petites vertus des petites Républiques
c'eft vouloir contraindre un homme fort
& robufte à bégayer dans un berceau ; c'é
toir la folie de Caton avec l'humeur &
les préjugés héréditaires dans fa famille ,
il déclama toute la vie , combatit & mourut
enfin fans avoir rien fait d'utile
pour
fa Patrie. Les Anciens Romains labou
roient d'une main & combattoient de l'autre.
C'étoient de grands hommes , je le
crois , quoiqu'ils nnee ffiiffffeenntt que de petites
chofes : ils le confacroient tout entiers à
leur Patrie , parcequ'elle étoit éternel
lement en danger. Dans ces premiers
tems on ne fçavoit qu'exifter ; la tempé
rance & le courage ne pouvoient être de
vrayes vertus ce n'étoit que des qualités
forcées : on étoit alors dans une impoffibi
lité phifique d'être voluptueux , & qui
vouloit être lâche, devoit fe réfoudre à être
efclave, Les Etats s'accrûrent : l'inégalité
des biens s'introduifit néceffairement : un
Proconful d'Afie pouvoit- il être auffi pauvre
,. que ces Confuls anciens- demi-Bourgeois
& demi-Payfans , qui ravageoient
un jour les champs des Fidénates, & revenoient
le lendemain cultiver les leurs ?
Les circonstances feules ont fair ces diffe .
rences ; la pauvreté ni la richeffe ne font
point la vertu , elle eft uniquement dans
:
ECO
DECEMBRE. 1751. 43.
le bon ou le mauvais ufage des biens ou
des maux que nous avons reçûs de la Natu
re & de la fortune .
Après avoir juftifié les Lettres fur l'article
du luxe , il me reste à faire voir que
la politeffe qu'elles ont introduit dans nos
moeurs , eft un des plus utiles préfens
qu'elles puffent faire aux hommes ; fuppofons
que la policeffe n'est qu'un maſque
trompeur qui voile tous les vices , c'eſt
préfenter l'exception au lieu de la regle
& l'abus de la chofe à la place de la chofe
même..
?
Mais que deviendront ces accufations
fi la politeffe n'eft en effet que l'expreffion
d'une ame douce & bienfaifante : L'habitude
d'une fi louable imitation feroit feule
capable de nous élever juſqu'à la vertu
même ; tel eft le mépris de la coutume ;
nous devenons enfin ce que nous feignons.
d'être ; il entre dans la politeffe des moeurs,
plus de Philofophie qu'on ne penfe ; elle
refpecte le nom & la qualité d'homme ;.
elle feule conferve entr'eux une forte d'é
galité fictive , foible , mais précieux refte
de leur ancien droit naturel. Entreégaux
, elle devient la médiatrice de
leur amour propre ; elle eft le facrifice
perpétuel de l'humeur & de l'efprit de fingularité.
44 MERCURE DE FRANCE.
Dira- t-on que tout un peuple qui exer
ce habituellement ces démonftrations de
douceur , de bienveillance , n'eft
compo
fé que de perfides & de duppes ; croiraton
que tous foient en même tems & trompeurs
& trompés .
A
Nos coeurs ne font point affez parfaits
pour le montrer fans voile ; la politeffe
eft un vernis qui adoucit les teintes tran
chantes des caractéres ; elle rapproché les
hommes , & les engage à s'aimer par les
reffemblances générales qu'elle répand fur
eux ; fans elle , la fociété n'offriroit que
des difparates & des chocs. On fe haïroit
par les petites chofes , & avec cette difpo
fition , il feroit difficile de s'aimer même
pour les plus grandes qualités. On a plus
fouvent befoin de complaifance que de
fervices ; l'ami le plus généreux m'oblis
gera peut- être tout au plus une fois dans
fa vie . Mais une fociété douce & polie
´embellit tous les momens du jour. Enfin
la politeffe place les vertus ; elle feule
leur enfeigne ces combinaifons fines ,
qui les fubordonnent les unes aux autres
dans d'admirables proportions , ainfi que
ce jufte milieu , au deça & au delà du
quel elles perdent infiniment de leur
prix.
N
On ne fe contente pas d'attaquer les
DECE MBRE. 1751 43
fciences dans les effets qu'on leur attribue ,
on les empoifonne jufques dans leur fource
, on nous peint la curiofité comme
un penchant funefte ; on charge fon portrait
des couleurs les plus odieufes. J'avouerai
que l'allégorie de Pandore peut
avoir un bon côté dans le fyftême moral :
mais il n'en eft pas moins vrai que nous
devons à nos connoiffances , & par conféquent
à notre curiofité , tous les biens
dont nous jouiffons. Sans elle , réduits à
la condition des brutes , notre vie fe pafferoit
à ramper fur la petite portion de terrain
deftiné à nous nourrir & à nous engloutir
un jour L'état d'ignorance eft un
·état de crainte & de befoin ; tout eft danger
alors pour notre fragilité ; la mort
gronde fur nos têtes , elle eft cachée dans
T'herbe que nous foulons aux pieds ; lorfq'u
on craint tout , & qu'on a befoin de tour
quelle difpofition plus raisonnable , que
celle de vouloir tout connoître.
·
Telle eft la noble distinction d'un être
penfant feroit-ce donc envain que nous
aurions été doués feuls de cette faculté divine?
C'est s'en rendre digne que d'en ufer.
Les premiers hommes fe contenterent
de cultiver la terre pour en tirer le bled ;
enfuite on creufa dans fes entrailles , onen
arracha les métaux ; les mêmes progrès
46 MERCURE DE FRANCE.
"
Le font faits dans les Sciences ; on ne s'eft t
pas contenté des découvertes les plus né
ceffaires ; on s'eft attaché avec ardeur
celles qui ne paroiffoient que difficiles &
glorieufes quel étoit le point où l'on
auroit dû s'arrêter ; Ce que nous appellons
génie , n'eft autre chofe qu'une raifon fu
blime & courageufe ; il n'appartient qu'
lui feul de fe juger.
Ces globes lumineux placés loin de nous
à des diſtances fi énormes , font nos gui
des dans la navigation & l'étude de leurs
fituations refpectives , qu'on n'a peutêtre
régardé d'abord , que comme l'objet
de la curiofité la plus vaine , eft devenue
aine des Sciences la plus utile . La propriété
finguliere de l'aimant , qui n'étoit pour nos
peres qu'une énigme frivole de la Nature,
nous a conduit comme par la main à travers
l'immensité des Mers.
Deux verres placés & taillés d'une cer
taine maniére , nous ont montré une
-nouvelle fçène de merveilles , que nos
yeux ne foupçonnoient pas.
Les expériences du tube électrifé fembloient
n'être qu'un jeu ; peut-être leur
: devra t- on un jour la connoiffance du regne
univerfel de la Nature ,
Après la découverte de ces rapports fi
imprévus , fi majestueux entre les plus pé
DECEMBRE . 1751. 47 "
tites & les plus grandes chofes , quelles
connoiffances oferions- nous dédaigner ?
En fçavons -nous -affez pour méprifer ce
que nous ne fçavons pas? Bienloin d'étouffer
la curiofité , ne femble- t'il pas au contraire
,,
que l'Etre fuprême ait voulu la
réveiller par des découvertes fingulieres ,
qu'aucune analogie n'avoient annoncées
.
Mais de combien d'erreurs eft affiégée
l'étude de la vérité ; quelle audace , nous
dit-on , ou plutôt quelle témérité de s'engager
dans des routes trompenfes , où
tant d'autres fe font égarés ? Sur ces principes
il n'y aura plus rien que nous ofions
entreprendre ; la crainte éternelle des
maux , nous privera de tous les biens où
nous aurions pû afpirer , puifqu'il n'en eſt
point fans mélange. La véritable fageffe
au contraire confifte feulement à les épurer
autant que notre condition le permet.
Tous les reproches , que l'on fait à la
Philofophie , attaquent l'efprit humain
ou plutôt l'Auteur de la Nature , qui nous
a faits tels que nous fommes. Les Philofophes
étoient des hommes ; ils fe font trompés
, doit-on s'en étonner ; plaignons les
profitons de leurs fautes , & corrigeonsnous
; fongeons que c'eft à leurs erreurs
18
MERCURE DE FRANCE:
trop borné
pour
multipliées que nous devons la poffelfion
des vérités dont nous jouiffons . Il
falloit épuifer les combinaifons de tous
ces divers fyftêmes , la plupart fi répréhen
fibles & fi outrés , pour parvenir à quel
que chofe de raifonnable. Mille routes
conduifent à l'erreur , une feule mene a
la vérité ? Faut-il être furpris qu'on fe foit
mépris fi fouvent fur celle ci , & qu'elle
ait été découverte fi tard.
L'efprit humain étoit
embraffer d'abord la totalité des chofes
"Chacun de ces Philofophes ne voyoit qu '
ne face : ceux - là raffembloient les motifs
de douter; ceux - ci réduifoient tout en
dogmes : chacun d'eux avoit fon principe
favori , fon objet donninant auquel il rap
portoir toutes fes idées. Les uns faifoient
entrer la vertu dans la compofition du botheur
, qui étoit la fin de leurs recherches ;
les autres fe propofoient la vertu même,
comme leur unique objet , & fe flattoient
d'y rencontrer le bonheur. Il y en avoit qui
regardoient la folitude & la pauvreté, comme
l'afile des moeurs ; d'autres ufoient des
richeffes comme d'un inftrument de leur
félicité & de celle d'autrui quelques-ups
fréquentoient les Cours & les affemblées
publiques pour trendre leur fageffe utile
aux Rois & aux peuples . Un feul homme
LI
n'eft
DECEMBRE. 1751 . 49
;
n'eft pas tous ; un feul efprit , un feul
fyftême n'enferme pas toute la fcience
c'eft par la comparaifon des extrêmes
que l'on faifit enfin le jufte milieu ; c'eſt
par le combat des erreurs qui s'entredétruifent
,
t , que la vérité triomphe : ces diverfes
parties fe modifient , s'élévent & fe
perfectionnent mutuellement ; elles fe rapprochent
enfin pour former la chaîne des
vérités , les nuages fe diffipent , & la lumiere
de l'évidence fe leve.
Je ne diflimulerai cependant pas que les
Sciences ont rarement atteint l'objet qu'elles
s'étoient propofé ; la Métaphifique
vouloit connoître la nature des efprits , &
non moins utile , peut- être , elle n'a fait
que nous développer leurs opérations ; le
Phificien a entrepris l'Hiftoire de la Nature
, & n'a imaginé que des Romans
mais en pourfuivant un objet chimérique ,
combien n'a - t'il pas fait de découvertes
admirables ? La Chimie n'a pû nous donner
de l'or , & fa folie nous a valu d'autres miracles
dans fes analifes & fes mêlanges ; les
Sciences font donc utiles jufques dans leurs
écarts & leurs déréglemens ; il n'y a que
l'ignorance qui n'eft jamais bonne à rien :
peut-être ont - elles trop élevé leurs prétentions
. Les Anciens à cet égard paroilfoient
même plus fages que nous nous
1. Vol.
C

50 MERCURE DE FRANCE.
avons la manie de vouloir procéder toujours
par démonftrations ; il n'y a fi petit
Profeffeur qui n'ait fes argumens & fes
dogmes , & par conféquent fes erreurs &
fes abfurdités . Cicéron & Platon traitoient
la Philofophie en diologues : Chacun des
Interlocuteurs faifoit valoir fon opinion ;
on difputoit , on cherchoit , & on ne ſe
piquoit point de prononcer ; rous n'avons
peut- être que trop écrit fur l'évidence
; elle eft plus propre à être fentie qu'à
être définie ; mais nous avons prefque
perdu l'Art de comparer les probabilités &
les vraisemblances , & de calculer le
degré de confentement qu'on leur doit.
Qu'il y a peu de chofes demontrées ! &
combien n'y en a t'il pas , qui ne font
probables ! Ce feroit rendre un grand fer
vice aux hommes que de donner une mé
thode pour l'opinion.
que
L'efprit de lyftême qui s'eft long-tems
attaché à des objets , où il ne pouvoit
prefque que nous égarer , devroit régler
l'acquifition , l'enchaînement & le progrés
de nos idées ; nous avons befoin
d'un ordre entre les diverfes Sciences ,
pour nous conduire des plus fimples aux
plus compofées , & parvenir ainfi à conftruire
une efpéce d'obfervatoire fpirituel ,
d'où nous puiflions contempler toutes nos
DECEMBRE 1751 .
St
Connoiffances ce qui eft le plus haut dégré
de l'esprit.
La plupart des Sciences ont été faites au
hafard ; chaque Auteur a fuivi l'idée qui
le dominoit fouvent fans fçavoir où elle
devoit le conduire ; un jour viendra où
tous les livres feront extraits & refondus ,
conformément à un certain fyftême qu'on
fe fera formé ; alors les efprits ne feront
plus de pas inutiles , hors de la route &
fouvent en arriere. Mais quel eft le genie
en état d'embraffer toutes les connoiffances
humaines , & de choifir, le meilleur ordre
pour les préfenter à l'efprit. Sommes- nous
affez avances pour cela ? Il eft du moins
glorieux de le tenter : la nouvelle Encyclopédie
doit former une époque mémorable
dans l'Hiftoire des Lettres.
Le Temple des Sciences eft un édifice
immenfe , qui nepeut s'achever que dans
la durée des fiécles . Le travail de chaque
homme eit de chofe dans un ouvrage
peu
fi vafte, mais le travail de chaque homme y
eft néceflaire ; le ruiffeau qui porte les eaux
à la Mer , doit- il s'arrêter dans fa courfe ,
en confidérant la petiteffe de fon tribut ?
quels éloges ne doit- on pas à ces hommes
généreux , qui ont percé & écrit pour la
pofterité ; ne bornons point nos idées á
notre vie propre ; étendons- les fur la
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
vie totale du genre humain ; méritons d'y
participer , & que l'inftant rapide où nous
aurons vecê , foit digne d'être marquée
dans fon Hiftoire .
Pour bien juger de l'élévation d'un Philofophe
, ou d'un homme de Lettres , au
deffus du commun des hommes , il ne
faut que confiderer le fort de leurs penfées
; celles de l'un utiles à la Société générale
, font immortelles , & confacrées
à l'admiration de tous les fiécles , tandis
que les autres voyent difparoître toutes
leurs idées avec le jour , la circonftance,
le moment qui les a vû naître ; chez
les trois quarts des hommes , lelendemain
efface la veille , fans qu'il en refte la moindre
trace .
.
Je ne parlerai point de l'aftrologie judiciaire
de la cabale , & de toutes les
Sciences , qu'on appelloit occultes ; elles
n'ont fervi qu'à prouver que la curiofité
eft un penchant invincible , & quand les
vrayes Sciences n'auroient fait que nous
délivrer de celles qui en ufurpoient fi
honteufement le nom , nous leur devrions
déjà beaucoup .
>
On nous oppoſe un jugement de Socra
te qui porta non fur les Sçavans ,
mais fur les Sophiftes, non fur les Sciences,
mais fur l'abusqu'on en peut faire : Socrate
DECEMBR E. 1751 . 53
$
étoit chef d'une Secte qui enfeignoit d
douter , & il cenfuroit avec juftice , l'orgüeil
de ceux qui prétendoient tout fçavoir.
Lavraie Science eft bien éloignée de
cette affectation.Socrate eft ici témoin contre
lui même ; le plus Sçavant des Grecs
ne rougiffoit point de fon ignorance. Les
Sciences n'ont donc pas leurs fources dans
nos vices ; elles ne font donc pas toutes
nées de l'orgueil humain ; déclamation
vaine , qui ne peut faire illufion qu'à des
efprits prévenus.
On demande , par exemple , ce que deviendroit
l'Hiftoire , s'il n'y avoit ni
Guerriers , ni Tyrans , ni Confpirateurs ,
je réponds , qu'elle feroit l'Hiftoire des
vertus des hommes . Je dirai plus ; fi les
hommes étoient tous vertueux , ils n'auroient
plus befoin , ni de Juges , ni de
Magiftrats , ni de Soldats. A quoi s'occuperoient-
ils : il ne leur refteroit que les
Sciences & les Arts . La contemplation
des chofes naturelles , l'exercice de l'efprit
font donc la plus noble & la plus pu
re fonction de l'homme .
Dire que les Sciences font nées de l'oifiveté
, c'eft abufer vifiblement des termes.
Elles naiffent du loifir , il eft vrai , mais
elles garantiflent de l'oifiveté . Le Citoyen
que fes beforns attachent à la charrue
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
n'eft pas plus occupé que le Geométre , ou
l'Anatomifte ; j'avoue que fon travail eſt
de premiere néceffité ; mais fous prétexte
que le pain eft néceffaire , faut-il que tout
le monde fe mette à labourer la terre , &
parce qu'il eft plus néceffaire que les Loix,
le Laboureur fera- t'il élevé au-deffus du
Magiftrat ou du Miniftre. Il n'y a point
d'abfurdités où de pareils principes ne
puffent nous conduire.
Il femble , nous dit - on , qu'on ait trop
de Laboureurs , & qu'on craigne de manquer
de Philofophes. Je demanderai à
mon tour , fi l'on craint que les profef
fions lucratives ne manquent de fujets
pour les exercer ; c'est bien mal connoître
l'empire de la cupidité ; tout nous jette
dès notre enfance dans les conditions utiles
; & quels préjugés n'a t'on pas à vaincre
, quel courage ne faut- il pas pour ofer
n'être qu'un Defcartes , un Newton , un
Locke ?
Sur quel fondement peut-on reprocher
aux Sciences d'être nuisibles aux qualités
morales quoi , l'exercice du raifonnement
qui nous a été donné pour guide ;
les Sciences Mathématiques qui en renfermant
tant d'utilités relatives à nos be
foins préfens , tiennent l'efprit fi éloigné
des idées , infpirées par les fens & par la
DECEMBRE. 1751 .
,
cupidité ; l'étude de l'antiquité , qui fait
partie de l'expérience. la premiere
fcience de l'homme ; les obfervations de
la Nature , fi néceffaires à la confervation
de notre être , & qui nous élevent jufqu'à
fon Auteur : toutes ces connoiffances contribueroient
à détruire les moeurs. Par.
quel prodige opéreroient- elles un effet fi
contraire aux objets qu'elles fe propofent ?
& on ofe traiter d'éducation infenfée
celle qui occupe la jeuneffe de tout ce qu'il
y a jamais eu de noble & d'utile dans l'efprit
des hommes : quoi , les Miniftres d'une
Religion pure & fainte , à qui la jeuneffe
eft ordinairement confiée parmi
nous , lui laifferoient ignorer les devoirs
de l'homme & du Citoyen ! Suffit- il d'avancer
une imputation fi injufte , pour la
perfuader ? On prétend nous faire regretter
l'éducation des Perfes ; cette éducation
fondée fur des principes barbares , qui
donnoit un Gouverneur pour apprendre à
ne rien craindre ; un autre pour -la tempérance
, un autre enfin , pour enfeigner à
ne point mentir comme fieles vertus
étoient divifées , & devoient former chacune
un art féparé : la vertu eft un être
unique , indivifible ; il s'agit de l'infpirer ,
non de l'enfeigner , d'en faire aimer la
pratique , & non d'en démontrer la théorie
.
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
On fe livre enfuite à de nouvelles dé
clamations contre les Arts & les Sciences,
fous prétexte que le luxe va rarement fans.
elles , & qu'elles ne vont jamais fans lui .
Quand j'accorderois cette propofition ,
que pourroit-on en conclure ? La plupart
des Sciences me paroiffent d'abord parfai
tement défintéreffées dans cette prétendue
objection ; le Geométre , l'Aftronome , le
Phyficien ne font pas fufpects affurément.
A l'égard des Arts , s'ils ont en effet quel
que rapport avec le luxe , c'eſt un côté
louable de ce luxe même , contre lequel
on déclame tant , fans le bien connoître .
Quoique cette queftion doive être regar
dée , comme étrangere à mon fujet , je ne
puis m'empêcher de dire , que tant qu'on
ne voudra raifonner fur cette matiere que
par comparaifon du paffé au préfent , on
en tirera lesplus mauvaifes conféquencesdu
monde. Lorsque les hommes marchoient
tout nuds , celui qui s'avifa le premier de
porter des fabots , paffa pour un voluptueux
; de fiécle en fiécle , on n'a jamais
ceffé de crier à la corruption , fans comprendre
ce qu'on vouloit dire : le préjugé
toujours vaincu , renaifloit fidélement, à
chaque nouveauté .
T
Le commerce & le luxe font devenus
les liens des Nations. La terre avant eux
DECEMBRE. 1751. 37
n'étoit qu'un champ de bataille , la guerre
un brigandage , & les hommes des barbares
, qui ne fe croyoient nés que pour s'af
fervir , fe piller , & fe maffacrer mutuellement
: tels étoient ces fiécles anciens que
F'on veut nous faire regretter.
>
La terre ne fuffifoit ni à la nourriture ;
ni au travail de fes habitans ; les fujets de--
venoient à charge à l'Etat , fitôt qu'ils
étoient défarmés , il falloit les ramener à
lå guerre pour le foulager d'un poids in--
commode. Ces émigrations effroyables
des peuples du Nord , la honte de l'huma
nité qui détruifirent l'Empire Romain , &.
qui défolerent le neaviéme fiécle n'avoient
d'autres fources que la mifére d'un
peuple oifif : au défaut de l'égalité des .
biens , qui a été long - tems la chimére de
la politique , & qui eft impoffible dans
les grands Etats , le luxe feul peut nourrir
& occuper les fujets. Ils ne deviennent pas
moins utiles dans la paix que dans la guer--
re ; leur induftrie fert autant que leur cou--
rage . Le travail du pauvre eft payé du ſuperflu
du riche. Tous les ordres des Citoyens
s'attachent au Gouvernement pars
les avantages qu'ils en retirent.
Tandis qu'un petit nombre d'hommest
jouit avec modération , de ce qu'on nome
luxe , & qu'un nombre infiniment plus
58 MERCURE DE FRANCE.
pétit enen abufe , parce qu'il faut que les
hommes abufent de tout , il fait l'efpoir ,
l'émulation & la fubfiftance d'un million
de Citoyens , qui languiroienr fans lui
dans les horreurs de la mendicité. Tel eft
en France l'état de la Capitale. Parcourez
les Provinces , les proportions y font encore
plus favorables. Vous y trouverez,
peu d'excès ; le néceffaire , commode aſſez,
rare , l'Artifan & le Laboureur , c'est-àdire
, le Corps de la Nation , borné à la
fimple exiftence ; enforte qu'on peut regarder
le luxe , comme une humeur jettée
fur une très- petite partie du Corps politique
, qui fait la force & la fanté du
refte .
le
Mais , nous dit- on , les Arts amolliffent
courage ; on cite quelques peuples lettrés
, qui ont été peu belliqueux , tels
que l'ancienne Egypte , les Chinois , &
les Italiens modernes; quelle injuftice d'en
accufer les Sciences ! Il feroit trop long
d'en rechercher ici les caufes. Il fufira de
citer pour l'honneur des Lettres , l'exemple
des Grecs & des Romains , de l'Eſpagne
,de l'Angleterre & de la France , c'eftà
dire , des Nations les plus guerrieres , &
les plus fçavantes .
Des Barbares ont fait de grandes conquêtes
, c'eft, qu'ils étoient très injuftes
1
DECEMBRE. 1751. 59
ils ont vaincu quelquefois des peuples policés
: J'en conclurai , fi l'on veut , qu'un
peuple n'eft pas invincible pour être fçavant.
A toutes ces révolutions , j'oppoferai
feulement la plus vafte , & la plus facile
conquête qui ait jamais été faite ; c'eſt
celle de l'Amérique que les Arts & les
Sciences de l'Europe ont fubjuguée avec
une poignée de foldats , preuve fans réplique
, de la difference qu'elles peuvent
mettre entre les hommes.
J'ajouterai que , c'est enfin une barbarie
paffée de mode , de fuppofer
que les hom
mes ne font nés que pour le détruire
: les
talens & les vertus militaires
méritent
fans doute un rang diftingué
dans l'ordre
de la néceffiré. Mais la Philofophie
a épuré
nos idées fur la gloire ; l'ambition
des
Rois n'eft à fes yeux que le plus monſtrueux
des crimes : graces aux vertus du
Prince qui nous gouverne
, nous ofons célébrer
la modération
& l'humanité
.
Que quelques Nations au fein de l'ignorance
, ayant eu des idées de la gloire &
de la vertu , ce font des exceptions fi fingulieres
, qu'elles ne peuvent former aucun
préjugé contre les Sciences : pour
nous en convaincre , jettons les yeux
fur l'immenfe continent de l'Afrique ,
où nul mortel n'eft affez hardi pour
C vi
60 MERCURE DE FRANCE.
pénétrer , ou affez heureux pour l'avoir
tenté impunément. Un bras de mer fépare
à peine les Contrées fçavantes & heureufes
de l'Europe , de ces régions funel
tes , où l'homme eft ennemi né de l'homme
, où les Souverains ne font que les affaffins
privilégiés d'un peuple efclave.
D'où naiffent ces differences fi prodigieufes
entre des climats fi voisins , oùfont ces
beaux rivages que l'on nous peint parés
par les mains de la Nature ? l'Amérique
ne nous offre pas des fpectacles moins
honteux pour l'efpéce humaine . Pour un
peuple vertueux dans l'ignorance , on en
comptera cent barbares ou fauvages. Par
tout je vois l'ignorance enfanter l'erreur ,
les préjugés , les violences , les paffions
& les crimes. La terre abandonnée fans
culture , n'eft point oifive ; elle produit
des épines & des poifons , elle nourrit des
montres.
J'admire les Brutus , les Décius , les Lu
créce , les Virginius , les Scévola ; mais .
j'admirerai plus encore un Etat puiffant &
bien gouverné , où les Citoyens ne feront
point condamnés à des vertus fi cruelles .
Cincinnatus Vainqueur , retournoit àfa
charrue ; dans un hécle plus heureux ,
Scipion triomphant revenoit goûter avec
Lélius & Térence , les charmes de la PhiDECEMBRE.
1751. 65
"
lofophie & des Lettres , & ceux de l'amitié
plus précieux encore. Nous célébrons
Fabricius , qui avec fes raves cuites fous
la cendre , méprife l'or de Pyrrhus ; mais
Titus , dans la fomptuofité de fes Palais
mefurant fon bonheur , fur celui qu'il
procure au monde par fes bienfaits , &
par fes loix , devient le Héros de mon
coeur au lieu de cet antique héroifme fuperftitieux
, ruftique ou barbace , que j'ad,
mirois en frémiffant ; j'adore une vertu
éclairée , heureuſe & bienfaifante ; l'idée
de mon exiftence s'embellit : j'apprends
honorer & à chérir l'humanité.
Qui pourroit être affez aveugle , ou affezinjufte
, pour n'être pas frappé de ces
differences ? Le plus beau fpectacle de la,
Nature , c'eft Funion de la vertu & du
bonheur , les Sciences & les Arts peuvent
feuls élever la raifon à cet accord fublime..
C'eft de leur fecours qu'elle emprunte des
forces pour vaincre les paffions, des lumicres
pour diffiper leurs preftiges , de l'éle--
vation pour apprécier leur petiteffe , des
attraits enfin & des dédommagemens pour
fe diftraire de leurs féductions.
On a dit que le crime n'étoit qu'un
faux jugement . Les Sciences , dont le
* Confidérations fur les moeurs,
62 MERCURE DE FRANCE.
premier objet eft l'exercice & la perfection
du raisonnement , font donc les gui
des les plus affurés des moeurs. L'innocen
ce fans principes & fans lumieres , n'eft
qu'une qualité de tempéramment , auffi
fragile que lui. La fageffe éclairée con
noît les ennemis & fes forces. Au moyen
de fon point de vue fixe , elle purifie les
biens matériels , & en extrait le bonheur :
elle fçait tour à tour s'abstenir & jouir
dans les bornes qu'elle s'eft preferites.
Il n'eft pas plus difficile de faire voir
P'utilité des Arts pour la perfection des
mours. On comptera les abus que les pafhions
en ont fait quelquefois , mais qui
pourra compter les biens qu'ils ont produits
?
Otez les Arts du monde : que reste-t'il
les exercices du corps & les paffions. L'efprit
n'eft plus qu'un agent matériel , ou
l'inftrument du vice . On ne fe délivre de
fes paffions que par des goûts ; les Arts
font néceffaires à une Nation heureufe:s'ils
font l'occafion de quelques défordres, n'en
accufons que l'imperfection même de notre
nature : de quoi n'abufe-t'elle pas ? Ils ont
donné l'être aux plaifirs de l'ame , les feuls
qui foient dignes de nous ; nous devons
à leurs féductions utiles l'amour de la vé
sité & des vertus , que la plupart des homDECEMBRE.
1751. 63
mes auroient haïes & redoutées , fi elles
n'euffent été parées de leurs mains.
C'eft à tort qu'on affecte de regarder
leurs productions comme frivoles. La
Sculpture , la Peinture flattent la tendrefe
, confolent les regrets , immortalifent
les vertus & les talens ; elles font des
fources vivantes de l'émulation ; Céfar
verfoit des larmes en contemplant la ftatue.
d'Alexandre..
;
L'harmonie a fur nous des droits maturels
, que nous voudrions envain méconnoître
la Fable a dit , qu'elle arrêtoit le
cours des flots. Elle fait plus ; elle fufpend
la penfée , elle calme nos agitations , &
nos troubles les plus cruels ; elle anime la
valeur , & préfide aux plaifirs .
Ne femble- t'il pas que la divine Poëfie
ait dérobé le feu du Ciel pour animer tou
te la nature quelle ame peut être inacceffible
à fa touchante magie elle adoucit
le maintien fevére de la vérité , ellefait
fourire la fageffe ; les chef d'oeuvres
du Théatre doivent être confidérés comme
de fçavantes expériences du coeur humain.
C'eft aux Arts enfin que nous devons
le beau choix des idées , les graces de l'ef
prit & l'enjouement ingénieux qui font
les charmes de la fociété ; ils ont doré les
64 MERCURE DE FRANCE.
liens qui nous uniffent , orné la fcéne du
monde , & multiplié les bienfaits de la
Nature.
IMITATION de l'Ode XXIX , du
troifiéme Livre d'Horace. Par M. D.
L. F. Auteur de l'Ode , traduite d'Hora
ce , qu'on a lûe dans le Mercurede Sep
tembre.
INjuf

Njufte , legére , inconſtante”,
Ofant à l'un les dons qu'à l'autre elle préſente
La Fortune fouvent fe fait un jeu cruel ,
De faire un malheureux du plus heureux mortel."
Quand , fur les traces du caprice ,
Là main de fes préféns vient embellir mon fort ,.
Je les pofféde fans tranſport ;
Et, fans penchant pour l'avarice ,
La honte des lâches humains ,
Je me fers des tréfors que je vois dans mes mains
Lorfqu'elle me devient conaire ,
Me renfermant dans ma vertu ,
Sans penfer avoir rien perdu ,
Je lui rends tous les dons qu'elle avoit fçu -me
faire ;
Et je chéris la pauvreté ,
Qu'accompagne la probité.
DECEMBRE.. 1751. 65
1
IMITATION d'un endroit d'Horace ,
Ode XXIV Livre troisième , par
même.
le
EN traînant fur leurs chars , leurs Maiſons avec
eux ,
Contens de ce qu'ils ont , les Scytes font heureux..
Bons peres , bons époux , exempts , libres d'envie
Rien ne trouble jamais le bonheur de leur vie .
Parmi ce peuple fage , ami de l'équité ,
Se conferva toujours l'aimable égalité .
Tous les biens font communs : quand pendant
fon année ,
Un Scythe a cultivé la fertile contrée ;
Un autre avec plaifir , fans tarder d'un ſeul jour ,
Arrive , prend la place , & travaille à fon tour.
Une mere chez eux , douce en fon caractére ,
Au rang de fes enfans met ceux d'une autre mere..
Là l'époufe , toujours fidéle à ſon époux ,
Du bonheur d'un rival ne le rend point jaloux ;
Le jugeant fans foupçon , comme elle eft fans
foibleffe ,
Ce n'eft que pour lui feul qu'elle a de la tendreffé ;
Et dans fa riche dot qu'elle fçait méprifer ,
Ne voit jamais le droit de le tyrannifer.
Ce tendre attachement , cette vertu ſevere ,
Aux yeux de leur amour , eft la dot la plus cheres .
Fel brille de leurs moeurs P'éclat majeftueux ,.
-66 MERCURE DEFRANCE.
Une femme infidéle eft un monftre chez eux :
La peine y fuit de piès le crime qui l'appelle .
On éteint dans ton fang fon ardeur avec elle .
asésésésésésésés is éseses
A BARIS
OU LE VOYAGEUR,
Traduit du Grec de Pherecide de Megare.
A
Batis étoit Scythe de Nation , Ap
pollon l'Hyperboréen lui fit préfent
d'une éche , laquelle lui fervit de che
val pour parcourir tout l'univers : il rendoit
des oracles & faifoit des facrifices,
expiations qui préfervoient de la pefte les
Pays où ils étoient offerts , l'Abaris dont
il est ici queſtion eft un de fes defcendans .
Premier Difcours
Je vous l'ai promis , fage Anacaris , je
vais mettre par écrit les avantures qui me
font arrivées dans mes differens voyages ,
& les remarques que j'ai faites fur les Pays
que j'ai parcourus , & leurs divers habitans
: vous me l'avez confeillé , la fagelle
préfide à vos confeils , ne pas les fuivre ,
c'eût été réGifter aux Dieux dont vous êtes
particuliérement
infpiré ; mais comme
vous avez deffein de rendre public le déDECEMBRE
. 1751 67
tail des évenemens de ma vie , parce que
vous avez jugé qu'on en pourroit tirer
quelqu'utilité , j'ai crû qu'il étoit néceffaite
de commencer par me faire connoître
moi-même,
Iffu de la Famille Royale des Scythes ,
mais d'une branche bien differente de la
vôtre,je compte au rang de mes ayeux cet
Abaris , fils de Seuthur , dont on raconte
tant de merveilles . Parmi les tréfors qu'il
rapporta de fon voyage de Grece , il n'oublia
pas cette fléche merveilleufe , dont
Apollon s'étoit autrefois fervi pour punir
des Cyclopes de la mort d'Efculape , &
dont il avoit fait préfent au Héros , dont
je porte le nom ; ce tréfor refté depuis ce
tems dans ma famille , tranfmis jufqu'à
moi de pere en fils , femble porter avec lui
la néceflité d'en faire ufage ; mon goût (e
trouvant conforme à cette ancienne coûtume
de ma famille , je crus ne devoir pas
differer , auffi-tôt que j'eus atteint l'âge
preferit par les écrits de l'ancien Abaris ,
à remplir les devoirs que m'impofoient
mon nom , & le préfent du Ciel qui m'étoit
confié ; j'allai felon l'ufage faire un facrifice
au Temple d'Apollon , je mélai ma
voix au chant des Cygnes Hyperboréens ,
& après avoir reçu duGrandPrêtre d'utiles
avis, je fortis du Temple à l'entrée de la
68 MERCURE DE FRANCE.
nuit , & commençai fur les dégrés qui y
conduifent , les cérémonies pour mon départ.
Je pris une carte de Géographie ,
tracée par Abaris lui-même ; j'examinai
de quel côté du Ciel
à moi fo
par rapport
préfentoit la Gréce ; je pris la hauteur fur
des étoiles indiquées fur cette même carte
& dont l'ufage eft inconnu au refte des humains
, & ayant tiré de deffous ma robe
la fléche que j'y avois gardée pendant tout
le facrifice , j'étendis le bras comme fijavois
voulu la lancer , en tournant la poin
te vers le côté où je jug ai que devoit être
la Ville d'Athénes ; j'appellai Apollon à
haute voix , & en même tems un vent
doux s'étant élevé , m'entraina avec rapi
dité vers le Pays où je défirois d'aller ; la
fléche traça d'elle-même dans les airs la
route que je devois fuivre.
à mon
La longueur d'une nuit d'Automne étoit
peu près le tems néceſſaire pour
voyage , la naiffance du jour m'avertit que
je devois être bien près d'arriver. Je ne
jugeai point à propos d'entrer dans Athé
nes ma fléche à la main; une entrée fibizar
re auroit attiré autour de moi autant d'ennemis
que de curieux, l'envie eft une fuite
naturelle des diftinctions & des avantages
qu'on a par- deffus le refte des hommes ;
un bois dans lequel je me trouvai alors ,
DECEMBRE. 1751 .
ه و
car je n'étois élevé . que d'environ trente
pieds au-deffus de la furface de la terre , )
m'invita à me repofer auprès d'une fontaine
dont la fource étoit entourée d'un
gazon émaillé de fleurs ; la fraicheur du
lieu , la pureté des eaux me donnerent envie
de m'y arrêter quelque tems , mon bras
étoit fatigué de la poſture , où j'avois été
obligé de le tenir , je baiffai vers la terre
la pointe de ma fléche , j'y defcendis auffitôt
, je me défalterai dans l'eau de la fontaine
, dont je fis d'abord quelques libations
aux Dieux du Pays , & m'étant enfuite
couché fur le gazon , je me livrai
pour quelque tems aux douceurs d'un fommeil
tranquille ; je fortis du bois à mon
reveil , & prefque auffi-tôt la Ville d'Athénes
fe préfenta à mes regards , mais
dans l'éloignement j'en étois féparé par
une plaine riante où ferpente le zéphir ; on
diroit qu'il a peine à s'en éloigner tant il
fait de contours differens : cette plaine eft
un jardin cultivé qui femble avoir égale- .
ment épuifé tous les foins de l'art , & tou.
tes les faveurs de la nature , aucun terrain
n'y eft inutile , & fi en quelques
endroits il eft plus négligé , la verdure
dont il eft couvert femble annoncer l'impatience
qu'a la terre de répondre par fes
bienfaits aux foins des habitans. Plus loin '
70 MERCURE DE FRANCE.
une mer couverte de Vaiffeaux , m'annon
çoit que les autres régions de la terre
s'empreffoient de partager leurs tréfors
avec ce climat favorifé des Dieux . J'étois
prefque tenté de prendre cette campagne
pour la Ville même , la proximité des
maifons , la quantité d'ouvriers dont les
voix faifoient retentir les airs , la multitude
des voitures publiques qui rempli
foient les chemins , en un mot l'air animé
de cette Campagne étoit un fpectacle bien
nouveau pour des yeux accoutumés aux
déferts de la Scythie. O que mes compa
triotes , difois-je en moi - même , font à
plaindre de ne pas connoître les moeurs de
cette Nation , & qu'il fait bien meilleur
dans ces maifons fi bien fermées que dans
des tentes expofées à toutes les injures des
faifons. Cependant au milieu de tant de
chemins qui féparoient les differentes pof
feffions des particuliers , je n'étois pas für
de prendre celui qui me conduifoit le
plus promptement à la Ville , j'avois ferré
ma féche dans un pan. de ma robe , ainfi
je me mis dans la néceffité de confulter
quelqu'un j'aurois peut être fait une lieuë
dans cette campagne de Scythie fans trouver
perfonne qui pût ou qui daignât m'en
inftruire ; j'eus fait à peine quelques pas
dans l'Attique , qu'un enfant fe préfenta
DECEMBRE . 1751. 71
àmoi près d'une Statue de Mercure , &
s'offrit avant que j'euffe le tems de l'interroger
, à m'indiquer la route d'Athénes.
J'acceptai fes offres avec reconnoiffance, &
je me trouvai bientôt dans la route qui
conduifoit à une des portes de la Capitale.
J'arrivai enfin de fuperbes remparts ,
une porte magnifique , des rues immenfes
qui le découvroient à mes regards , me
frapperent d'admiration . Je jettois les yeux
de tous côtés fans pouvoir & fans chercher
même à les fixer , lorfqu'un homme
s'approcha de moi. Je n'aurois pas imaginé
qu'aumilieu du bruigdont retentiffoient
les airs du concours prodigieux de gens
de tous les états , que leurs affaires ou leur
plaifir appelloient au-dedans ou au -dehors
de la Ville ; je ne m'imaginois pas , dis- je ,
qu'un étranger feul , à pied & en filence
dût attirer l'attention de perfonne , je n'étois
pas véritablement habillé à la Grecque,
mais Athénes eft l'abord de toutes les Nations
, & un habit étranger n'y eft pas une
grande fingularité. N'avez- vous rien , me
dit cet homme , de fujet aux droits de la
Douane ? vous voyez, lui dis je , que je ne
porte rien. Cependant , reprit-il , ce manteau
eft fort propre à receler de la contrebande
, & en même tems il leva un des
72
MERCURE DE FRANCE.
pans de ma robe , je ne fçais pas même ,
lui répondis-je , ce que c'eft que de la contrebande
; cet homme affez brufque d'ailleurs
, fut adouci par mon ingénuité , &
fouriant de ma réponſe , vous pouvez venir
de loin , me dit-il , mais vous avez fait
votre route fans parcourir beaucoup de
Pays , fçachez que rien n'entre dans cette
Ville fans payer des droits proportionnés
à la valeur , & que je fuis chargé d'empêcher
que rien d'étranger n'entre ici en
fruftrant l'Etat de ce qui lui eft dû légi
timement . Quoi , lui repondis-je , la Ville
d'Athénes a befoin de fecours étrangers ,
l'Attique n'eft donc pas un Pays auffi fertille
qu'onle dir , c'est à tott qu'on nous
peint Athénes comme le fejour de l'abondance
. Pardonnez - moi , répondit le Doiianier
, & c'en eft la plus grande preuve ; OR
trouve ici des richeffes de tout l'univers ,
mais toutes également n'y prennent pas
naiffance, la pourpre de Tyr, par exemple ,
les parfums d'Arabie, les vins d'Egypte , le
trouventici avec la même profufion que
dans les climats qui les produifent , l'ufage
même eft de n'eftimer les chofes qu'à proportion
de la peine qu'il en coûte pour fe les
procurer.L'inutilité femble leur donner u
nouveau prix , & depuis quelque tems il y
a peu de marchandifes dont on falle aut int
de
DECEMBRE 1751. 73
C
peu
de cas ici , que des oifeaux en pailleque
nous fournit la Scythie ; je n'aurois jamais
cru , lui dis-je , que l'abondance dût être la
mere des befoins , & qu'Athénes pût envier
quelque chofe aux climats Hypperboréens
. J'allois continuer , mais mon
homme me quittant avec précipitation
courut faire à un autre étranger la même
queftion pour laquelle il avoit debuté
avec moi . Je continuai ma route par la
premiere rue qui s'étoit préfentée à mes regards
, j'admirois la magnificence des Palais
, des Temples , des Fontaines ; j'étoisfurpris
, pour ne pas dire indigné , du
d'attention
que les Athéniens paroilloient'
faire à tant de beautés ; faut- il, difois je en
moi-même , que l'habitude du bien femble
émouffer la fenfation qu'il doit produire
fur nous ; les hommes font-ils donc nés
pour défirer toujours & ne jouir jamais ?
j'arrivai infenfiblement dans une grande
place , & m'appercevant que le Soleil
avoit fait environ les deux tiers de fon
cours , j'imaginai qu'il étoit tems de pourvoir
aux befoins de la nature , & à me
trouver un logement , je pris donc le parti
de chercher votre maifon , ô Anacarcis!
pour vous demander l'hofpitalité pendant
quelques jours , je m'étois arrêté pour
chercher quelqu'un qui m'indiquât les che-
1. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
mins que je devois fuivre , lorfque je fus
affailli par fept ou huit hommes d'âge ditferent
, dont quelques-uns même me tiroient
par le manteau , pour m'inviter à les
fuivre & à monter dans une des voitures
que je voyois arrêtées fur la Place , je voudrois
, dis je au plus empreffé , me rendre
chez Anacarcis. Eh bien , me répondit-il ,
je m'en vais vous y conduire , montez.
M'étant donc débarraffé de tous les autres ,
j'entrai dans le char de mon guide , il arracha
de la bouche de fes chevaux les ref
res d'une borte de foin qu'à vingt reprifes
differentes ils n'avoient point eu le tems
d'achever , & les animant de la voix & du
gefte , il les obligea quoiqu'avec affez de
peine à marcher d'un pasplus lent que celui
d'un homme à pied ; après avoir parcouru
un nombre prodigieux de rues , où l'em
baras des voitures favorifoit le peu de ra
pidité de mes courfiers , je me trouvai
dans une place dont un des côtés étoit
occupé par un Palais , & la face oppofée
par une fontaine & les édifices qui en
pendent ; là mon conducteur s'arrêta tout
d'un coup, & le tournant vers moi brufquement
, fi vous avez encore beaucoup
de chemin , me dit-il à faire , je vous con
feille de prendre une autre voiture , mes
chevaux font rendus , & vous me faites

DECEMBRE. 1751 75
marcher depuis plus d'une heure fans tenir
de routes certaines ; ce n'eft pas ma faute ,
lui repondis- je, fi vous n'avez pas choifi le
véritable chemin de l'endroit où vous devez
aller ; & où allons nous , me dit cet homme,
c'eft à vous de le fçavoir , repondis je,
je vous ai dit que je voulois aller chez
Anacarcis. Croyez - vous , dit il ,
dit il , que je
fois obligé de le connoître ; je vous ai vî ,
lui dis- je , commencer votre route d'an
air fi affuré, que je n'en ai pas douté , &
je fuis étonné qu'un homme d'un auffi
rare mérite , un fi grand Philofophe ne
foit pas connu de tous les Athéniens . Si
cet homme , dit-il , étoit Notaire ou Banquier
, certainement je vous y aurois cou-"
duit en droiture ,
, pour ces gens que vous
dites , ils font logés dans un quartier bien
oppofé à celui - ci , c'étoit à vous à m'avertir
de ce que j'avois à faire , tous les quartiers
me font indifferens , je vous aurois
mené là tout auffi bien qu'ici , mais encore
une fois mes chevaux font rendus , ils n'iront
pas plus loin , & je vous confeille de
prendre un autre parti ; en même tems il
me préfenta le bras pour defcendre , &
moi voyant la porte du Palais dont j'ai déja
parlé , entierement ouverte , & continuellement
abordée par des gens de tous états ,
je pris le parti d'y entrer comme les autres
Dij
76 MERCURE DE FRANCE ,
pour voir fije y trouverois point quel..
qu'un d'affez fenfé pour connoître le Philofophe
Anacarcis.
L'ANTI- LUCRECE
En vers François,
CHANT PREMIER.
LE principe éternel , le Roi de l'Univers ,
L'être par excellence , eft l'objet de mes vers ;
Mais qui fuis-je , Quintus ? Quoi , vile créature ,
J'ofe te dévoiler l'Auteur de la Nature !
Aurai - je des couleurs pour un fi grand Tableau ? .
Pourrai- je jufqu'au bout diriger le pinceau ?
Jour qui brille à nos yeux à travers les nuages ,
Dieu fe cache & fe peint dans fes moindres ou
vrages.
De -là ces argumens , & ces fyftêmes vains ,
Qui d'erreurs en erreurs promenent les humains ;
L'un croit qu'an fort aveugle a produit toutes
chofes ,
L'autre dans le deftin voit la caufe des caufes ;
Celui- ci , qui du jour redoute la clarté ,
Même auprès du Soleil cherche l'obfcurité,
Connoît un être actif au- deflus de tout être ,
Exifte tile qu'entens- je , il dit encor peut- être.
O toi qui vis fans crainte , au gré de tes désirs ,
DECEMBRE . 1751. 7
Digne fils d'Epicure , enyvré de plaifirs ,
Ta raifon , foible efprit , a - t'elle fait naufrage ?
L'univers , nous dis -tu , du hazard eft l'ouvrage
Et c'est envain qu'à Dieu nous dreffons des Autels ,
Ecoute t'il , s'il eft , les timides mortels ?
Tout finit , c'eft le fort qu'attend toute matiere ,
L'homme même deux fois ne voit pas la lumiere
Le jour nous luit encor , goûtons- en les douceurs
Tout l'amour du plaifir peut enfanter l'erreur !
Puis -je donc fans frémir entendre ce langage ?
L'univers du hazard eft le bizate ouvrage !
Tout corps fera détruit , & l'homme n'eft qu'un
corps :
Impie... ah ! contre lui feconde mes tranſports ,
Souffle dans mon efprit ces flammes éloquentes.
Qui triomphent des coeurs , & que toi feule en
fantes .
Mufe...que dis-je , ô Ciel ! qu'invoquai - je , &
pourquoi
Fournirai - je à l'erreur des armes contre moi ?
Pour combattre Epicure , & confondre Lucrece ,
Me faut-il le fecours des Dieux vains du Permeffe
Non , c'eft toi que j'implore , ô prudence , &
bonté !
Lumiere , profondeur , grandeur , activité ,
Feu qui peut tout diffoudre,& dont tout reçut l'étre,
Dieu puiffant , aux mortels j'apprends à te cons
noître .
Dévoile la nature , ou deffille mes yeux,
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.

Toi , qui nourris en moi ce défir curieux
Dè connoitre , de voir , de fixer la lumiere ;
Defir que rien de faux ne fçauroit fatisfaire ;
Qui mieux que toi , grand Dieu , peut défendretes
droits ?
Echauffe mon génie , & parle par ma voix.
Le plaifir , cher Quintus , féduit-il ta jeuneſſe j
Ou bien eft ce à ton choix que tu dois ton yvrelſe ?
Et fecouant tout joug , Philofophe, orgueilleus ,
Penfer comme le peuple eſt-il bas à tes yeux :
Bannis tes préjugés , fors de ta létargie ;
Quoi! le danger affreux d'une éternelle vie ,
N'at'il rien d'effrayant , dont tu puiſſes frémirè
Dans ce doute cruel te verra- t'on dormir ›
Non , à la vérité , tu ne peux te ſouſtraire ,
Si la raifon te l'offre , elle a droit de le faire.
Ahlfi de man efprit partoient ces traits bril
lans ,
Qui de votre Poëte embelliffent les chants t
Si l'auftére raiſon n'avoit monté ma lyre ,
Par des fentiers fleuris je pourrois te conduite :
Mais il chante Venus , l'amour & les plaifirs
Mollement à fa voix foupirent les Zéphirs ,
Et les hôtes des airs , par leurs tendres ramages ,
Font ,faus un Ciel ferein , retentir les bocages .
La terre en fá faveur prodigue de bienfaits ,
Pour le parer des fleurs n'attend que les ſouhaite
Fapperçois Licidas & la jeune Șilvie ,
DECEMBRE. 1751
3
79
L'ombre des myrthes verds à danfer les convie ,
Les échos d'à l'entour répétent leurs chanfons ,
Et leurs troupeaux chéris moiffonnent des gazons.
La mere des amours regne , & fous fon empire
Tout eft fertilifé , tout fe meut tout refpire;
C'eft ainfi que t'offrant la coupe de l'erreur ,
Il en mafque les bords d'une douce liqueur.
Mais de cette Circé redoute les breuvages ,
Des Syrennes Uliffe évita les rivages ;
Nevois - tu pas , qu'aidé de ces fonges rians ,
Pour féduire ton coeur il amorce tes fens ?
Je vais parler de Dieu , daigne prêter l'oreille ,
Je te promenerai de merveille en merveille :
Graces ,femez des fleurs fous mes pas triomphans,
Mais , que dis -je fuyez profanes ornemens
Fayez , des traits dorés fixent - ils la victoire ?
Un Atléthe fans fard triomphe- t'il fans gloire et
Non. Pour plaire à nos yeux Faugufte vérité
N'attend pas fon fuccès d'un éclat emprunté.
Non,les Dieux ne font pas les artifans du monde,
Le hazard enfanta le Ciel , la terre , & l'onde ,
D'Arômes éternels un concours merveilleux ,
Donna l'être à ce tout ,dont tu repais tes yeux ;
Et tout être animé , dès qu'il voit la lumiere ,
Croit,produit fon femblable,& redevient pouffiere.
De toi , foible mortel , rien ne furvit à toi ;
Voudrois tu te fouftraire à cette heureufe loi ?
Ainfi parle Epicure , & fon penchant l'entraîne ,
Senfible aux maux de l'homme , il vient brifer fa
chaîne
D.iiij
2
So MERCURE DE FRANCE.
Dans les jours les plus beaux , une vaine frayeur
Maîtrifoit fon efprit , tyrannifoit fon coeur.
De les préventions , déplorable victime ,
Il s'offroit le plaifir fous les couleurs du crime.
Un petit fils d'Ajax , d'un vol ambitieux ,
Sortant vainqueur du Stix , s'éleve jufqu'aux
Cieux ,
Là , craignant peu le fort des enfans de la terre,
Il va des mains des Dieux arracher le tonnerre ;
La mort à fon afpect dépouille fon horreur ,
L'homme au crime enhardi , rend le calme à fon
coeur.
7
Mais l'homme dès ce jour , peut-il donc toutes
freindre ?
N'a- t'il plus ni de loix , ni de Juges à craindre ?
Non , mais , pour mieux voiler ce fyftême odieux,
Il faut à fes defirs mettre un frein fpécieux.
Trends exemple fur moi , je fçais , dit Epicure ,
Me livrer fans contrainte aux loix de la Nature ,
Et fa main bienfaifante , en préparant mon
miel ,
Evite d'y mêler de l'abfynthe & du fiel ,
Le vice & la vertu font des noms chimériques ,
La douleur fuit l'excès , fuis les , mais... tu répli
ques ?
Fuis - les , dis-je , ou bientôt tes beaux jours obfcurcis
,
Te laifferont en proye aux plus cuifans foucis.
*
Epicure étoit de la race des Phileïdes , dont Philaus
, fils d'Ajax , étoit pere..
DECEMBRE . 1751 . 81
Mais à mes paffions , ayant lâché les rênes ,
Prétend-illes foumettre à de nouvelles chaines ?
Un Pilote effrayé , que gourmandent les flots ,
Envain par fes difcours ,foutient les matelots,
Leur activité prompte à lâcher les cordages ,
Ne fçauroit le fouftraire au démon des orages .
Si loin du timon , foible ou téméraire Chef ,
Il lui laiffe le foin de diriger fa nef."
Aux fureurs d'un torrent une digue s'oppofe ,
Il en triomphe , ô champs ! dites.moi ce qu'i
ofe ?:
Arbres détacinés , infortunés troupeaux ,
Vous de qui les bercails deviennent les tombeaux.
S'il n'eft donc plus de Dieu , s'il n'eft plus de ton--
nerre ,
D'affreux déréglemens vont regner fur la terre ; ·
Et l'homme libre...Non , le feeptre des humains .
Volupté tyrannique , a pafflé dans tes mains.
Tu parois , ton éclat éclipfe la juftice ,
Sous tes loix il n'eft plus de vertu ni de vice ^,
Point de Dieu , dont la voix fe faffe entendre auss
coeurs ,
Ou dicte nos devoirs par fes Législateurs .
Aux fureurs d'un lion , je dérobe mon frere ,
Jeplonge le poignard dans le fein de mon pere
Je ne fais bien , ni mal : coûtume , opinion ,
Tour reffortit à vous , jugez toute action.
Imbu de ce fyftême , & bravant le tonnerre
Je vais de mes forfaits épouvanter la terreg
Et du repos public , hardi perturbateur ,
D'v
St MERCURE DE FRANCE,
Sur le vol & le meurtre établir mon bonheur.
Mais , & nuit , voile-les de tes nuages fombres ;
Le crime & la vertu s'éclipfent dans tes ombres :
Mes defirs font mes dieux , mes paffions ma loi ,
Ma volonté ma régle , & le plaifir mon roi.
N'éprouverai - je point le fort de Promethée ?
Quef mouvement s'éleve en mon ame agitée ?
Phantôme , qui troublez mes momens les plus
doux ,
Scrupules importuns , évanouillez-vous,
Une vaine frayeur nous rendroit miférables ,
Stil n'eft point de péchés , il n'eft point de cou
pables;
Le néant nous attend , maître de notre fort :
Le hazard nous fait naître , & nous livreà la mort
O fource de plaifirs ! après qui je loupire ,
Hâte-toi , dans mon coeur établis ton empire;
Etouffe fes remords , répands y ta clarté ,
Ce triomphe t'eft dû , douce fécurité !
Ainfi parle , dis- tu , le Sage de Cyréne * ,
Son école , Epicure , eft l'écho de la tienne ;
Plus fincére que toi , dirai-je moins honteux ?
Il n'ofe pallier tes dogmes dangereux.
Quoi fi ce qui me plaît eft mon objet unique
Si c'eſt à cette fin que mon ame s'applique ;
Souffrira- t'elle un joug qui bornant les defirs ,
Avant de les goûter, la févre de plaifirs
* Ariftippe.
DECEMBRE. 17318 83
Non , non , tu vas me voir , aux
gloire .
dépens de ma
Des enfans de Pelops renouveller l'Hiftoire ,
Sans que l'affreux penfer de l'hyver de mes jours
D'un torrent de plaifirs empoifonne le cours.
Si de flammes mes yeux aiment à ſe repaître ,
Ne puis-je leur livrer les lieux qui m'ont vû na
tre ?
L'exemple de Neron m'autorife à l'ofer ,
Aux fougues de mon ſang je ne puis m'oppoſer.
Les difcours d'un Cenfeur ne fçauroient m'en
diftraire ,
·
La volupté l'ordonne , & la loi doit fe taire.
Le Ciel n'exige pas , qu'ennemi de mes fens ,
Je leur refufe tout pour dompter mes penchans
Puiffe-r'il irrité contre un tel mifantrope,
Lui réſerver le fort du fils de Calliope . . . .
Mais que vois- je Epicure , inftruit de tess
leçons ,
: ا
>
Sous fes drapeaux Cyrenne admet tes nourrif
fons ;
*Devenus fes fauteurs par tes principes mêmes ,
Ils défertent ton camp , pour goûter ton ſyſtême.
Les vers qu'on vient de lire font de M. le Blanc, de
POratoire le jugement qu'on en portera le détermi
nera à abandonner on a continuer l'entreprise qu'i
aformée de traduire en entier l'ouvrage du Cardinal
de Pol gnac . Sans avoir confulté le public , on peut
ére für defes difpofitions...
D vj
84 MERCURE DE FRANCE..
鉄粥洗洗水洗洗洗洗洗:洗洗洗洗絲
LETTRE
C
Al'Auteur du Mercure.
'Eft , Monfieur , avec raifon qu'on a
remarqué que vos Journaux vont
devenir une fuite de livres précieux , &c.
Rien de plus propre à les rendre tels , quedes
pièces pareilles à celle que vous avez
inferée dans le Mercure de Septembre , ou
l'on répond au difcours fur les Arts & les
Sciences couronné
Dijon .
>- par
l'Académie de
Ce difcours indépendamment du bon &
du beau qu'il renferme , a encore un mé-
Lire peu commun ; c'eft la maniere ou plutor
l'efprit dans lequel l'Auteur entreprend
la réfutation de M. Rouffeau. Il n'eft point
d'Ecrivain qui ne fût flatté d'être critiqué
avec ce fonds de politeffe , ce n'eft pas direaffez
, avec cette difpofition bienveillanre
, ce témoignage d'eftime pour les quadités
perfonnelles de fon Aateur , & je ne
fçais l'on pourroit peindre quelqu'un
dont on voudroit faire le panégitique par
deux traits plus marqués au bon coin que
tenx par où il débute. Citons- les , mot:
pour mor.
<
DECEMBRE. 17512 83
E
t
·♪
y
• " Sa façon de penfer , dit-il , annonce un
coeur vertueux , fa maniere d'écrire décéle
"un efprit cultivé. Ce début qui fait tant
d'honneur à l'Auteur critiqué , n'en fait
pas moins à l'adverfaire qui l'entreprend ,
& l'on pourroit à jufte titre le défigner par
les mêmes traits ; il décéle en effet fans ;-
penfer & d'un trait de plume , un efprit
fin , délicat , & ce qui eft bien d'un autre
prix une bonne & belle ame . Je ne parte :
point du. difcours même où le fçavoir &
la culture de l'efprit ne fe décélent pas
moins , où les talens de l'Auteur fe laiffent
entrevoir feulement & fans étalage. Je
laiffe à de plus habiles d'en faire l'éloge .
Phafarderai , feulement ici une remar--
que c'est que malgré les fortes raifons
qui ont éte apportées de part & d'autre -
pour la réfolution du problème , la queftion
me paroît encore indécife , je parte
du fait feulement , & non de ce que les
fciences devroient & pourroient naturellement
produire.
Auf le fçavant Académicien qui far
chargé par l'Académie d'expofer fes motifs .
dans le jugement qu'elle a porté , obferve
qu'entre les afpirans aux prix , ceux qui
-ont plaidé avec le plus de force pour l'affirmative
, ont été contraints de le rabarre
fur la question de Droit. Il avoue qu'on ne
88 MERCURE DE FRANCE.
feauroit leur difputer de l'avoir inconteftablement
établie & mife dans fon plus beau
jour. Il cite entr'autres M. l'Abbé Talbert ,
mais il ajoute que l'Académie ne demandoit
pas fi les fciences pouvoient éparer les
meurs , puifqu'elle n'en doute nullement ,
mais fi elles les avoient réellement épurées ,
c'eft-à- dire , fi les hommes étoient devenus
plus vertueux , plus fincéres , plus équitables-
"C'eft , dit-il , à ce point de fait qu'il fal-
»loit une démonftration ; M. Talbert ne
l'a point donné , il a toujours argumenté
-"du fait par le droit , au lieu qu'il falloit
"prendre la route oppofée. Il fentoit fans
"doute la difficulté du fuccès , il devoit
"convenir de bonne foi , que les lettres
"utiles & néceffaires à certains égards ,
»n'ont pas toujours produit l'effet qu'on
devoit en attendre. Par le commerce des
>> ſciences nos moeurs font devenues plus
" douces & plus fociables , elles ont même
dépouillé leur antique férocité. L'éducation
& l'ufage du monde ont pu opérér
ces changemens , mais ce n'eft point de
cette forte d'épurement qu'il s'agiffoit.
Plus éclairez que nos Peres , & plus fçavans
peut -être , fommes nous plus hon
મા êtes nêtes gens voila le point de la diffi
culté.
C'eft cette même difficulté qui me paroît
DECEMBRE. 175T. 87
1.
D
fubfifter encore , fi du moins par honnêtes.com
gens il faut entendre cette vertu interne
ce fond d'intégrité & de droiture que
Académicien vient de défigner , car s'il
'étoit question que de meurs en appa
rence plus réglées , d'une certaine décence
, qui a toujours fon avantage pour 12..
fociété , bien qu'elle ne foit fouvent que
Fombre de la vertu , dans ce dernier cas
la queftion feroit décidée pour l'affirmas.-
tive.
G
Mais à cet autre égard , il y auroit tanta
de chofés à démêler , à balancer & à com <
penfer , que je ne fçais fi quelqu'autre que ~
Dieu peut en juger avec certitude. Il pa-
Foit auffi que la difficulté a paru telle à ceux
qui l'ont examinées de près , qu'ils le font
retranchés prefque entierement à traiter de
la queftion de droit , queftion beaucoup
plus évidente & plus à portée d'être approfondie
; ils n'ont à l'autre égard avancé
que des généralités , des vraisemblances
qui ne font pas une décifion , & je ne fçais
fi la fçavante piéce dont il eſt queſtion
pourroit en être exceptée. On en jugera
mieux fi l'on ra Temble fous autant d'articles
, les differens points qu'elle traite .
cela eft aifé par l'ordre & la méthode
l'Auteury a mis.
qua
38 MERCURE DE FRANCE,
C
Voyons pour lapremiere Partie.
ART. I. » Les fciences font connoître le
» vrai , le bon , l'utile en tout genre , con-
" noiffance qui en éclairant les efprits
»doit naturellement contribuer à épurer
les moeurs.
*
II. » L'étude de la nature eft offerte à
»l'homme , l'efprit humain eft fait pour
» s'exercer à la connoître , à en pénétrer
» les refforts , à en dévoiler les opérations,
à en régler l'ufage. Quels avantages n'en
revient-il pas aux hommes de toutes
conditions pour les profeffions qu'ils exercent
? l'Artifan , le Laboureur , le Médecin
, le Jurifconfulte , le Juge , le Politi
que , tout Citoyen pour les devoirs qu'il
a à remplit . Aux uns la connoillance de
l'hiftoire eft d'abfolue néceffité , aux autres
celle des Loix & de la Politique , à tous
celle de la Religion.
La curiofité naturelle à l'homme , l'avidité
qu'il a de connoître , marquent la def
tination de fon entendement. Le plaifit:
qui lui en revient lui en facilite l'exercice ;
plus il connoît plus il fent qu'il lui
refte à acquérir , & plus il éprouve les
bornes de fon intelligence.
>
* On diftingue ici par des guillemets ce qui eft
cité mot pour mot
NOVEMBRE. 1751. 89
III. L'ignorance pure & fimple du mal
n'eft pas vertu . L'Histoire qui fait connoître
les vices en apporte en même tems
le reméde par les. grands exemples qu'elle
met à côté. Les vices n'y font jamais
peints en beau , ils y paroiffent toujours
odieux , & la vertu toujours aimable .
IV. Les paralleles qu'on fait d'un Peuple
à l'autre , de notre fiécle aux fiécles.
précédens , font équivoques & péchent
par beaucoup d'endroits . » Si les Nations
" non policées font plus à l'abri de la cupidité
de l'or & de l'ambition , les hom-
» mes qui les compofent font en échange
» plus livrez à d'autres vices , à des paffions
» violentes qui n'ont aucun frein , & l'one
»ne trouve pas
chez eux ces rares exemples
, ces vertus fublimes qu'enfante la
Réligion ..
و و
V. Ce n'est ni à la Réligion ni aux fciences
qu'il faut attribuer la fuperftition ,
les héréfies , le pirchonifme , l'incrédulité
; c'eft au faux bel efprit , » c'eft à l'i-
» gnorance préfomptueufe, c'eft à l'orgueil,
aà la révolte des paffions . La Réligion n'a
qu'à paroître pour confondre tous ces
adverfaires , le Chrétien y trouve fa fureté
. Le poids de l'autorité , celui des
motifs & celui des exemples concourent
enfemble à l'y confirmer.
"
20 MERCURE
DEFRANCE
.
VI. » L'étude même de la nature contri
bue à élever les fentimens , & à régler
la conduite par l'admiration , l'amour ,
la foumiffion & la reconnoiffance qu'elle
infpire pour fon Auteur. L'Aftronome ,
le Géométre , le Phificien , y découvrent
partout les veftiges d'une puiffance , d'une
fageffe & d'une intelligence infinie , & le
vrai Philofophe defcendant de là à des
conféquences pratiques , rentrant en lai-
» même , ne trouvant nul objet créé capa-
»ble de remplir la vafte étendue de fes
défirs , fe retourne naturellement vers
fon principe & fa derniere fin.
Seconde partie.
Réponse aux exemples que M. R. ape
porte de la corruption des moeurs comme
Leffer du progrès des Arts & des Sciences.
Premiere Réponse..
» L'Egypte , la Gréce , la Republique
»de Rome , l'Empire de la Chine , que
M. R. appelle en témoignage, fourniffent.
» au contraire l'exemple de ces Législateurs
fameux qui ont polé les fondemens de
» ces grands Etats , & qui leur ont donné
» de fages Loix , de ces Sages , ces Philo
» phes qui par leurs doctes écrits & par
leurs vertus morales , ont illuftré leur
DECEMBRE. 1751. ST
Patrie , & immortalifé leur nom , de ces
»Orateurs célébres qui par la force victo
rieufe de leur éloquence , ont foutenu
» ces mêmes états fur le penchant de leur
ruine. *
Seconde Réponse.
» Le luxe & la moleffe fource ordinaire
des plus grandes révolutions , ne font
point l'effetdes fcienees , c'eft le fruit des … -
richeffes & du loifir . Mais qui font ceux
qui en jouiffent font- ce les Sçavans? point
du tout. » Une vie laborieufe paffée dans
» le filence de la retraite eft leur partage ;
& bien que. les aifes , les commodités de
»la vie , foient d'ordinaire le fruit des
marts , rarement elles font le des partage
» Artiftes , ils ne travaillent que pour les
riches , & ce font les riches oififs qui
profitent & abufent de leur induftrie.
Troifiéme Réponse .
C'eft
peu
connoître
les
Sçavans
que
de
tes accufer
d'avoir
introduit
cette
politeffe
*Preuve , dira -on , peut-être , que le mal étoit
afon comble , puifque ces Orateurs fameux n'ont
pu détourner la ruine de leur Patrie , & dans le
même tems ou les fciences & les arts feuriffoienc
Je plus , époque bien diftante de celle où vivoient
ces fages Légilateurs qui en avoient pofé les fondemens.
92
MERCURE DE FRANCE.
*
à la mode , que M. R confond avec la
diffimulation . Rarement les Sçavans poffédent
cet art infinuant , ces manieres du
bel air qui font briller dans les belles compagnies
, le gout des livres & de la foli
tude eft peu propre à les y former.
1
Mais bien qu'il y ait une forte de politelle
très compatible avec la candeur & la
folide vertu , quand il feroit vrai que dans
le grand nombre elle n'en eft que le finge ,
roujours eft elle avantageufe à la fociété
par la décence qu'elle y maintient ; fle
fauve à l'innocence la contagion de l'exem
ple , & le mal ne retombe que fur ceux
qui ne font pas en effet ce qu'ils s'efforcent
de paroître.
Quatrième Réponse...
Ce n'eft pas aux progrès des Arts & des
Sciences qu'on doit attribuer le défaut
de valeur & de courage dans les guer
riers . Si l'on a vu des Nations Barbares
faire des conquêtes plus étendues &
plus rapides , qu'on n'en voit chez les Na
tions policées , ce font des avantages que
L'on peus , dit agréablement l'Auteur , étre poli
Sans être diffimulé, & plus souvent encore on peut ètrefçavant
fans être fort poli. Je fuprime la fuite de
ce caractére où l'Auteur peint des Philofophes de
Pancien
tems.
DECEMBRE. 1751 93
celles-ci ne doivent pas leur envier . Ce
prétendu courage n'eft chez ceux - là que
férocité , que violence , qu'injuftice. Mais
ce que la férocité produit chez ces Peuples
non cultivez , le fentiment , le devoir
l'infpirent à ces ames généreufes , qui fe
dévouent à leur Patrie . Des guerriers tels
que ceux -ci , toujours juftes , toujours humains
, fçavent vaincre avec modération ,
& traiter les vaincus avec humanité . » Ils
» ont encore cet avantage , que leur valeur
»> plús froide , plus réfléchie , plus fçavam-
» ment conduite, eſt par là même plus fure
» du fuccès.
Cinquième Réponse.
» Socrate , le fameux Socrate s'eft lui-
» même récrié contre les fciences de fon
» tems. C'est l'abus des fciences , non les
» fciences elles -mêmes que condamnoit ce
» grand homme , & nous le condamnons
"après lui . De quoi les hommes n'abufentils
pas fans en excepter
la religion ? Ici
P'Auteur fait une peinture très vive & très
éloquente , des divers égareniens où font
tombés nombre de Sçavans , par l'abus
qu'ils ont fait des fciences ; en quoi il accorde
à l'Auteur qu'il réfute partie de fes
conclufions. » Mais , continue- t'il , l'abus
» d'une chofe fuppofe le bon ufage qu'on
94 MERCURE DE FRANCE.
en peut faire , & c'eft ici qu'il faut fe
> tenir.
Ce réfumé qui bien qu'imparfait n'eft
pas infidéle,où l'on a tellement pris à tâche
de ne rien obmettre d'effentiel qu'on a
même trop étendu cette efpéce de réduc
tion , marque affez que la queftion de fait
demeure toujours indécife , puis qu'en
effet la premiere partie du difcours ne por
te que fur la queftion de droit , & que la
feconde ne va qu'à difculper les fciences
du mal qu'elles n'ont pas produit , ou
qu'elles n'ont pas dû produire ; mais qu'elle
ne prouve nullement qu'elles ayent épuré
les moeurs , ou rendu les hommes de not
jours plus réellement & folidement vertueux
que les hommes de jadis.
P. S. prêt à faire partir ma lettre , la
maniere dont l'Auteur conclut , m'a don
né lieu à une réfléxion . C'eft qu'une autre
queftion viendroit bien à la fuite de cellelà
, queſtion non moins interreffante &
de plus d'ufage à divers égards . La vorci.
Ny auroit-ilpoint de meſures à prendre
pour détourner l'abus des Arts & des Scien
Ú pour les rendre plus utiles aux moeurs
qu'elles ne l'ont étè juſqu'ici ?
ces ,
Pour faciliter certe recherche, n'y auroit
il point quelques principes à pofer ? Par
exemple.
NOVEMBRE.
Le bon ou le mauvais ufage d'une chofe
fupofe un être capable de ce bon & de ce
mauvais ufage.
Le bon ufage fe difcerne fa convepar
nance à la nature de cet être, à fa condition,
à la deftination , & par fa proportion avec
La durée.
De là il fuit que le mauvais ufage ou l'abus
, fera ce qui eft difconvenant à fa nature,
à fa condition préfente , à la deftination
à venir , & difproportionné à la durée.
Ne pourroit on point au partir de là
démêler ce que doit être le bon ufage , des
Arts & des Sciences , & quels font les abus
qu'il y auroit à éviter ?
Voila matiere à un examen qui feroit
digne d'occuper les meilleurs efprits , des
efprits marqués au bon coin , tel que celui
qui s'eft montré le deffenfeur des fciences.
Et ne pourroit - on pas y inviter auffi l'Auteur
même qu'il a réfuté ? on le peur fans
doute , car tout ennemi qu'il paroît être
des Sciences & des Arts , ce n'est qu'à
labus qu'il en veut & nullement au bon
ufage. J'en prens la preuve dans les propres
maximes. Après avoir diftingué de la foule
des fçavans du commun , ces génies du
premier ordre , qui femblables aux Cicé
ron & aux Bacon , ( animez de l'amour du
bien public , ) ont tout à la fois le mérite
dubean & du bon , il invite les Princes ,
96. MERCURE
DE FRANCE
les Têtes couronnées , à faire valoir leurs
talens & à fe prévaloir de leurs lumieres.
Pouvoit-il marquer plus évidemment la
perfuafion où il eft , que s'il eft un abus des
Arts & des Sciences , abus malheureuſe.
ment plus commun & plus ordinaire que
le bon ufage , ce bon ufage néanmoins n'eft
pas impoffible , & que tout bon efprit de
vroit concourir à le procurer.
STANCES
A Mademoiselle
P ***
D
E tous les courtifans qu'ont attirés vos chan
mes
Craignez les piéges dangereux ;
Mon amour allarmé vient vous offrir des armes ,
Thémire , & vous fervir contre eux.
?
Ne vous y trompez pas , ces foins & cet hommage
Qu'ils vous rendent avec éclat ,
Ne font pas bien fouvent le fincére langage
D'un amour tendre & délicat .
Guidé par l'amour propre , & plein d'un projet
vafte ,
L'un pour vous plaire a tout tenté,
Le
DECEMBRE. 1751. 97
Le traitre ne vouloit qu'élever avec faſte
Un trophée à la vanité.
L'autre dont le coeur bas rampe dans la pouffiere ,
Pour lui feul forme des défirs" ;
Il croit vous adorer , & fon ame groffiere
N'adore en vous que fes plaifirs.
Pour moi qui fens le prix d'un coeur tel que le
vôtre ,
Je nedéfire que ce bien ;
C'eft le feul qui me flate , & s'il en eft quelque
au:re ,
Mon amour le compte pour rien .
Je n'ai pour l'acquérir ni grandeurs ni richeffe ;
Thréfors dont je fais de cas , peu
Mais j'ai beaucoup d'amour : être riche en teng
dreffe ,
Thémire , ne fuffit - il pas ?
Je puis vous faire auffi , fi vous aimez la gloire
Paffer à la postérité ;
Mesvers vous ferviront au temple de Mémoire
De lettres d'immortalité .
J'ofe vous en flatter fans être témeraire ;
L'amour aux Mufes fait la loi :
Horace dans fes vers éternifa Glycère ;
Horace aimoit bien moins que moi.
1. Vol.
E
8 MERCURE DE FRANCE.
Si l'élégant Ovide a fauvé la maitreffe
De l'éternité du trépas ,
Que ne ferai - je point , aidé de ma tendreffe ,
Et foutenu par vos appas,
Pour aller à la gloire il eft encore Thémire ,
D'autres chemins femés de fleurs.
Daignez fuivre mes pas , je fçaurai vous conduire
Parmi leurs détours enchanteurs.
L. Dutems de Tours.
Le mot de l'Enigme du Mercure de
Novembre , eft exil. Celui du premier
Logogriphe eft pistolet, dansle quel on trouve
piftole , pifte, toile, pife , fot , pois , fol ,fole,
lit. Celu du fecond Logogriphe cft cha
loupe , dans lequel on trouve , chape, houpe,
loup, & une infinité d'autres qu'on faprime,
crainte de fatiguer lesLecteurs par une trop
longue énumération . Celui du troifiéme eft
bouffole , dans lequel on trouve boffu , obole,
bone , boufe , fole & boule.
NOVEMBRE. 1751 ୨୬
Au
ENIGM E.
U milieu des dangers & d'une nuit profonde ,
J'écoute , hélas , j'entends du monde ,
Mais loin de fe laiffer toucher
Sur mon malheureux fort , on n'ofe m'approcher ;
N'en foyez point furpris , pour finir ma fouffrance,
Et procurer ma délivrance
J
Ilen couse , tout bien compté ,
Les deux yeux & la liberté .
LOGO GRIPHE.
E ne fuis pas furpris , fi le beau fexe admire
La beauté de mon corps , qui lui fert d'ornement
Je donne de la grace à fon ajustement.
Venus , qui foumet tout dans l'amoureux Empire
A pris jour comme moi dans l'humide élement.
L'unionde cinq pieds compofe ma ftructure.
4,5 , I , 3 , 2 , caufoient chez les Hébreux ,
Un mal des plus cuifans , infame & douloureux ,
Dont le Lecteur peut voir la fidelle peinture.
Dans le livre facré du faint Légiſlateur ,
Qu'on nepeut fans blafphême accufer d'impofteur !
1 , 2 , 3 , 5 , feront un parent refpectable .
3 & 2 chanteront fur un ton mufical .
1 , 2 , 5, 3 , ôtent à l'animal
Ou le poil ou la peau , l'un ou l'autre eft faifable-
1, 2, 4 avec s donnent un inftrument ,

E ij
100 MERCURE DE FRANCE
Qu'on verra près du feu deffous la cheminée .
Finiflons , il eft tems que ma Mufe laffée
Par la combinaiſon de cet arrangement ,
Interrompe le cours de fon amufement .
Bruno du Puget. A Cuers en Provenc, Le
26 Septembre 1751.
AUTRE
JE fuis un être néceffaire ,
Cruel , lâche , avide de bien ,
-Fameux , vafte Arithméticien
Qu'on voit toujours avec colére,
Idolâtre pour mon état ,
T
Le ridicule Dieu que je fers fans éclat ,
Récompenfe fouvent mon odieux hommage ,
En me crachant fur le vifage.
Tu peux , ami Lecteur , me connoître àces traits !
Mais afin d'abreger ta peine ,
Des dix Lettres où je m'enchaine ,
Ecoute tout ce que je fais.
Tu trouveras d'abord cette célébre Ville
Dont les évenemens étonnent l'Univers ;
Sans elle un Homére , un Virgile
N'euffent jamais peut-être enfanté leurs beaux
Vers.
Une autre prefqu'auffi fameule ,
Fille , rivale de Memphis ,
La Vache qu'autrefois l'Egypte ténébreufe
Adora fous le nom d'ús.
DECEMBRE. 101
1751.
Je t'offre un jeune téméraire
Qui périt en fendant les airs.
Une herbe qui met en colere ,
Le leger inftrument de mille jeux divers.
L'imitateur de la nature .
Les trois grands coups d'un noble jeu.
Ce qui dérobe aux yeux , obéiffant au feu ,
Les fecrets qu'on s'écrit , l'amitié qu'on fe jure.
D'un pere fans enfans l'éminent ornement.
Le plusfot des poiffons , le premier élement:
La tendre amante d'Hypolite
Un oifeau que l'oreille évite.
Un de ces hommes qu'autrefois
Le Ciel avoit rempli de toute fa puiffance;
Pour conquérir l'Empire immenfe
Qu'ilvouloit foumettre à fes loix .
Ce qui dans tous les tems obtint tous les fuffrages.
Enfin un de ces perfonnages ,
Dont depuis les Tarquins Rome abhorra les
noms ;
Mais à qui les François , plus fages ,
Offriront toujours leurs hommages :
L'augufte race des Bourbons
Qui va régner dans tous les âges
Garantira l'effet de mes tendres préfages.
Mais ici , Lecteur , je finis ;
Ton coeur t'annonce qui je fuis.
Par M.D. Q. L. F.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
P
AUTR E.
A Madame,
Uifque votre féverité
M'interdit près de vous jufqu'au nom de tendrelle,
Et que votre rigueur m'ôte la liberté
De vous faire l'aveu de l'ardeur qui me preffe ;
Cher Aminte , il faut bien obéir à vos loix ,
Obferver pour vous plaire un rigoureux filence ,
Et de mes fentimens taire la violence ,
Ou n'en parler du moins qu'aux échos de nos bois.
Bien plus, pour empêcher que ma Mule indif
créte ,
De mes feux étouffés trop fidéle interprête ,
Dans les vers ou par fois elle aime à fe jouer ,
Sous un nom déguifé ne prenne la licence
De vous parler d'amour , contre votre défenſe ,
Et me donne l'affront de la défavouer ;
Je vous promets , foi de Poëte ,
Que jamais Madrigal , Elegie ou Rondeau ,
Ne fortira de mon cerveau :
Vous n'entendrez de moi chanfon ni chanfon
nette.
J'aimerois mieux plutôt que d'en faire un cou
plet ,
Rouler dans les enfers la pierre de Sifyphe ,
Ou me noyer dans mon corner.
Je ne veux déformais rimer qu'en Logogriphe
DE CEMBRE. 1751. 103
Ainfi vous m'allez voir décompofant des mots ,
Compter & définir , périphrafer fans ceffe ,
Travailler comme quatre , & perdre le repos
Pour écrire fans goût & fans délicateffſe¸´
En vers fecs & forcés , en ftile lourd & dur
M'embaraffer moi- même en un dédale obfcur.
Sans doute que d'un tel ouvrage
Votre coeur fcrupuleux ne prendra point d'ombrage
;
Vous le lirez fans craindre un funefte retour.
Mais croyez-vous qu'en vain j'aurai pris de la
peine ,
Non , & fi rels écrits ne donnent point d'amour ,
Du moins donnent-ils la migraine.
Voyons donc , pour ce beaŭ deffein ,
Si nous pourrons nous mettre en train ,
Cherchons d'abord un mot qui foit indevinable ,
De ces mots Saugrenus qui donnent du tintoin ,
Ben loin fur tout ; mais fans aller fi lein ,
J'ai vu , je crois , fur votre table
Quelque chofe qui peut me fervir au befoin.
C'eft an mot de dix pieds , l'excellente tro uvaille
Ileft jufte en effet que votre efprit travaille ,
Puifque chez vous le coeur veut demeurer oifif.
Mais cependant pour être expéditif
Et vous fatiguer moins , du nom de cette chofe
Jetirerai cinq mots par la Métamorphofe ,
Dans
C'eft à vous à les découvrir
§ ‚ I , 2 , 3 , 6 , ce que votre air infpire
2 >
E inj
104 MERCURE DE FRANCE.
A quiconque vous voit , viendra d'abord s'offrir :
ƒ , 7 , 2 , 6 , 9 , 10 , ce qu'un tendre délire
M'a fait jurer cent fois de vous faire toujours :
3 ; ΙΟ , ce que tous mes difcours
Vous confeilloient de m'accorder fans crainte ,
6,9,4,2
T
Et que j'euffe obtenu de vous , cruelle Aminte ,
Si vous enffiez été S I 8 , 9 , pour moi :
Mais hélas ! je ne fçais pourquoi ,
( Chofe à votre âge ridicule )
Des , 8 , 1 , 9 , 10 , vous vous faites fcrupule.
Anfeaume.
NOUVELLES LITTERAIRES.
L des ouvrages de S. Jerôme & de S.
A VIE de Pelage , contenant l'hiftoire.
Auguftin , contre les Pelagiens. 175.1. un
volume in- 12.
Il n'y a peut- être aucune partie de l'hif
toire Eccléfiaftique dont il importe plus
d'acquérir une exacte connoiffance , que
de la vie des Héréfiarques. Nous n'avons
préfque à nous défendre aujourd'hui que
des mêmes piéges qu'ils ont tendus autrefois
à la Religion des Fidélles. Les derniers
Sectaires , pour donner les graces de la
nouveauté à leurs erreurs , ont beau y
DE CEMBRE.. 1751. 105
prêter de nouvelles couleurs & denouveaux
noms. On apprendra dans l'hftoire
des anciens Hérétiques à connoître & à
détefter ceux qui s'élevent de nos jours ;
& l'on trouvera toujours dans les décifions:
de l'Eglife contre ces premiers novateurs ,
des armes invincibles pour triompher des
nouveaux ennemis de la vérité.
Tels font les motifs qui ont déterminé
l'Auteur de la vie de Pelage , à entreprendre
cet ouvrage ; il paroît perfuadé que
faire connoître les vues & le caractere des
chefs d'une fecte , e'eft faire connoître à
peu près toute la marche de leurs fucceffeurs.
Au tefte , continue -t'il , la vie de Pelage
n'offre pas de grands fpectacles. On n'y
verra pås , comme dans l'hiftoire de quelques
autres Héréfiarques un Docteur fou
gueux , armer fes Difciples pour fa défenfe
; lever le même étendard contre les
Princes & contre l'Eglife , & allumer le
flambeau de la guerre au flambeau de l'hé
réfie. Mais on n'y verra l'hypocrifie , la
chicane , la duplicité , déployer tout ce
qu'elles ont de fraudes & d'artifices contre
la fimplicité de la foi , & contre l'autorité
de l'Eglife..
On verra d'un côté une fecte d'hommes
fourbes dans leur conduite , hypocrites
E v
106 MERCURE DE FRANCE
dans leurs moeurs , parjures dans leurs profeflions
de foi , fe rendre formidables à
l'Eglife par leur adreffe à fe cacher & à
paroître n'éxifter pas : une fecte , qui ,
malgré tant d'anathêmes de la part du S.
Siége & des Evêques , s'opiniâtra à demeurer
dans le fein de l'Eglife ; & qui ,
par les intrigues & le crédit d'une ving
taine d'Evêques , fçut long- tems éluder la
févérité des Loix de l'Eglife & de l'Etat :
une fecte , qui fe parant d'un air de réfor
me & de févérité , impofa au Peuple-par la
prétendue Sainteté de fes Chefs , & s'efforça
de décrier les défenfeurs de la foi ,
par une foule d'écrits & de libelles , compofés
avec autant d'art que de mauvaiſe
foi une fecte enfin , qui en réſiſtant à
l'autorité de l'Eglife la plus marquée , en
faifant auxSouverains Pontifes les plus ou
trageantes infultes , fe vantoit encore de
fon refpect pour l'Eglife & pour le Saint
Siége ; & qui , pour introduire dans les
jugemens dogmatiques les chicanes éternelles
du Barreau , inventa l'artifice d'appeller
au Concile , d'une conftitution dogmarique
du S. Siége .
D'un autre côté , on verra l'Eglife appliquée
à démafquer ces novateurs , & à
dévoiler les artificieufes équivoques de
leurs profeflions de foi , les pourfuivre
DECEMBRE
. 1751. 107
fans relâche dans leurs détours , & leur
fermer ce labyrinthe
de faux fuyans , par
où ils tachoient de lui échapper . On verra
éxiger des fignatures & des foufcriptions
pour s'affurer de la foi des Evêques & des
Eccléfiaftiques
du fecond Ordre , & ordonner
qu'on foufcrive non -feulement
à
lá condamnation
des erreurs , mais encore
à celles des Auteurs qui les ont enfeignées
..
On le verra rejetter avec indignation
&
avec mépris l'Appel des Evêques Pélagiens
, interjetté du S. Siége au Concile
regarder la caufe finie , malgré les cla
meurs d'un parti nombreux
, & ne répon
dre aux Appellans qu'en procédant à leur
dépofition.
;
Tel eft le fond de la vie de Pelage . L'Aur
teur écrit avec netteté , avec force & ave
précifion : il eft Théologien
& Critique ,,
& connoit aufli bien le fiécle dont il parle
que la doctrine qu'il expofe. Nous aurionsi
fouhaité qu'il eût moins cherché à rappro cher les tems reculés du nôtre : cette affec
tation fait aifément foupçonner
des pré
jugés , quelquefois
même de la mauvaiſe
dans un Hiftorien . Celui dont nous an
nonçons l'ouvrage nous paroît fort au defffus
de ces fortes d'acculations
..
METHODE pour apprendre
l'ortographie
Evjj
IOS MERCURE DE FRANCE .
&. la langue Françoife par principes .
Cinquième édition , la feule dont on
puiffe fe fervir utilement. Par M. Jac-
QUIER , prix trois livres cinq fols. A PARIS
chez LEGRAS la veuve PissOT , & ROLZIN
fils , 1751.
Voici comment l'Auteur s'explique fur
fon ouvrage , que nous reconnoiffons être
très méthodique & par conféquent très
wile.
LA METIIODE que je prefente au Public
n'eft point une Grammaire complette , c'eſt
plutôt la clef des Grammaires pour ceux
qui n'ont pas la connoiffance des Belles
Lettres. Son but principal eft de preferire
les régles générales pour enfeigner l'ortographe
& les élémens de la langue Françoile
à toutes fortes de perfonnes de l'un
& de l'autre fexe , même fans fçavoir le
Latin , & c'est à quoi on n'avoit point
tenté jufqu'à préfent. Les Grammaires.
traitent à la vérité de la même matiere ,
mais d'une maniere fi differente qu'elles
fupolent toute la langue Latine. Tellement
que ceux qui n'en ont aucune connoiffance
, ne fçauroient comprendre la
plupart des termes , &. par là ils négligent
d'apprendre ce qui feroit très utile a leut
avancement & à l'établiffement de leur
fortune
DECEMBRE. 1751. 109
Comme tout le monde convient que
l'on doit au moins fçavoir fa langue , je
ne m'étendrai point fur la néceffité qu'il y
a de l'apprendre pour bien parler & écrire
correctement , on le fent mieux qu'on ne
fçauroit l'exprimer. Je dirai feulement que
cette cinquième Edition eft la feule dont
on puiffe fe fervir utilement , & que c'eft
l'annonce d'une refonte générale des Dictionnaires
François , quant à l'ortographe
& à l'ordre des mots . Je n'ai rien épargné
pour porter cette méthode au point de
perfection où elle paroît aujourd'hui. Ce
n'eft point le hazard qui l'a enfantée , mais
un travail qui a duré près de vingt- huit
ans. Il fera aifé de critiquer cet ouvrage ,
on n'aura qu'à faire voir la fauffeté d'une
régle , & à en établir une meilleure que
je mettrai à la place de la mienne avec le
nom de l'Auteur. Les changemens qu
font furvenus depuis vingt- cinq ans étant
confidérables , je me flatte que les gens de
Lettres ne m'abandonneront pás dans une
entrepriſe fi délicate & fi utile au Public
Clef pour ceux qui auront un Dictionnaire
François.
Il faut commencer par examiner ce que
c'eft que lettre , fillable & mot. Voyez la
page 2 jufqu'à la page S.
110 MERCURE DE FRANCE.
La plupart des mots ont des accens , des
lettres & des fillables douteufes , & des
lettres qui ne fe prononcent point. Voila
ce qu'il y a de plus interreffant touchant
Portographe Françoife . On trouvera tour
ce qu'on a dit des accens depuis la page $
jufqu'à la page 18.
>
Pour trouver les lettres & les fillables
douteufes , on prenonce chaque fillable
féparément , on l'épele enfuite , & on fou
ligne la fillable doutedfe & la lettre qui
ne fe prononce point , par exemple , dans
mouton , il n'y a point de filable douteufe ,
car m 0 u fait mou , comme t ,,,
fait ton , mais quand je dis arça , il y a li
une lettre douteufe qui eft le c , carf, 0,1 ,
feroit fon , cependant on met lec , parce
que arçon vient du mot arc , où le ceft forcé
. On a recours à l'origine pour mettre le
672, & aux accens pour mettre la cedille.
Voyez les pages
8 & 3.
2-
Dans mafon , il y a une fillable &
une lettre douteufe. Ainfi je chercherai
ai à la lifte des fillables douteufes , 227 à
230, & zon à la lettres , qui eft ici une
lettre douteufe , car fi on fe conformoit
au fon , on écriroit maizon avec un 2 ,
18
à
72.
Quant
aux
lettres
finales
qui
ne
fe propas
, on
aura
recours
à longine
noncent
DECEMBRE. 1 1751.
121 ,
ou à la formation 72 à 86 , aux régles de
fubftantif 97 , de l'adjectif 107 , du verbe
du participe 185 , & à la lifte des
mots qui ont le même fon ou approchant ,
& que l'on ortographie differemment 322 .
On aura auffi recours au coup d'oeil des
Dictionnaires François , où l'on verra eomment
tous les mots de la langue fe forment
les uns des autres. C'eft le veni mecum des
Commis & gens d'affaires. Le prix eft
de trois livres relié.
L'Auteur continue d'enfeigner ; fa de
meure eft rue du Roule , à la croix d'or..
LETTRE
De M. S *** D. L. S. R. D. L. à l'Auteur
du Mercure , fur un Livre intitulé
Nouvelles vues fur le fyftême de l'Umivers
, vol. in 8 page 290. A Paris
chez Chaubert , Quai des Auguftins , à
la Renommée..
J'ai été furpris , M. de ne pas trouver
dans le Mercure l'extrait d'un livre très
Curieux de Phifique , qui paroît depuis
plufieurs mois. C'eft les Nouvelles vues fur
Le fyftême de l'Univers , Ouvrage plein de
feu & d'érudition . Comme je fçais que vos
Occupations & l'abondance des matieres:
1
112 MERCURE DE FRANCE
pe vous permettent pas fouvent de communiquer
au Public les nouveautés qui fe
préfentent auffi- tôt que vous le fouhaiteriez,
j'ofe croire qu'il aimera encore mieux
qu'une plume étrangere fe charge de celle
dont je viens de parler , que d'attendre
plus long-tems. Un Extrait fimple , fidéle
& fans art , eft tout ce que je promets,
fauf à vous , M. d'y joindre des agrémens.
A en juger par ce titre modefte de Nouvelles
vues , on croiroit que le deffein de
l'Auteur eft bien moins de donner un nouveau
plan de l'Univers , que deperfection
ner quelques-uns de ceux qui ont été publiés
avantlui. Cependant après s'être bien
convaincu de la caufe générale du fyftême
du monde , & improuvé hautement l'explication
qu'on en a donnée , il s'engage
infenfiblement en détruifant d'un côté à
réédifier de l'autre. Cette caufe eft la péfanteur.
L'Auteur penfe comme Newton ,
que de la gravité dépendent tous les phé
noménes de la nature , & d'abord elle peut
feule faire connoitre la figure de la terre.
Enfuite elle produit l'inclinaifon des axes
des planeres fur leur orbite , la précifion
des équinoxes , le flux & reflux de la mer ;
en un mot elle eft la caufe des phénoménes
les plus généraux qui concourent à la confsitution
propre de l'Univers. Il ne faut pas
DECEMBRE. 1751 ITS
que
conclure de là que dans fon nouveau fyltême
l'Auteur eft Newtonien . Rien moins
cela . Ennemi déclaré & du vuide &
de l'attraction , il porte continuellement
de coups forts & hardis à la Phifique Aftronomique
de Newton . Et fi on l'en croit ,
la gravitation réciproque des corps eft une
chimére. Une conformité fi apparente avec
la Phifique Angloife , & un contrafte fi
réel , font quelque chofe de trop nouveau
pour ne pas intéreffer les Lecteurs avides
de nouvelles découvertes en ce genre. Entrons
dans le détail.
Cet Ouvrage eft divifé en fix entretiens .
»L'Auteur a choifi cette forme d'inftruc-
» tion , afin , dit-il , de me mettre dans le
droit , ainfi que dans l'obligation de n'ap
"puyer mes hypothefes que fur des maximesque
le fimple ufage de la raifon rend
» familier. » C'eft lui- même qui converſe
avec une Marquife , moins occupée de
faire briller fes charmes , que jaloufe de
cultiver fa raifon . Semblable à nos Duchatelet
, à nos Agnezi , elle veut fçavoir la
Phifique , & elle s'adreffe pour cela à l'Auteur.
Notre Marquife eft même déja inf
truite.Un Newtonien lui adonné quelques
notions du fyftême de fon Maître. Auffi
dans les converfations qu'elle a avec l'Auteur
, elle foutient fouvent ce fyftême
114 MERCURE DE FRANCE.
par les armes du Newtonien. Affurée de ce
fecours , elle engage fon interlocuteur à
entrer en matiere. D'abord c'eft une fimple
queftion fur la figure de la Terre . Queſtion
naturelle dans un tems où cette figure eft
encore un objet de recherche. L'Auteur
répond à cette demande que pour connoître
la figure de la Terre il fiut connoître
la caufe de la péfanteur , & tout de fuite il
expofe , difcute , analyfe les fentimens
particuliers des Sçavans à cet égard , de
Defcartes , de Varignon , de Hughens , de
Villemot , de Bulfinger , de Bernoulli , &c.
Il eft agréable de voir réunie dans 26 pages
feulement une fuite de tous les fyftèmes
fur un fujetaufli important , y compris
encore la critique peut être fondée qu'en
fait l'Auteur. La Marquife en eft enchantée.
Une chofe néanmoins l'inquiéte : c'eft
de n'y pas
voir Nebton. » Abrégeons , ditelle
, ne me faites plus d'éralage , par
» lez moi du fyftême de Newton . » El
qu'aurois-je à vous dire , s'écrie fon interlocuteur
? » Tout eft fçu , quand on
fçait , qu'il lui plait de fuppofer avec
tous ceux qui précéderent Defcartes ,
les que graves tombent vers la Terre ,
" parce que la Terre les attire , fongez
» d'ailleurs , ajoute - t'il , que nous cherchons
la caufe de la péfanteur , & que
33
37
DECEMBRE. 1751. 113
"
»Newton a formellement déclaré qu'il ne
»prétendoit point l'affigner. » page 23. )
Ceci eft vrai en général , parce que Newton
a toujours penfé que la caufe de la péfanteur
étoit une chofe défefperée . Regardant
comme des conjectures vagues les meilleures
raifons, il n'a ofé donner le nom de fyf--
tême à fon fentiment fur cette caufe , car
ce grand homme en avoit un énoncé fous
le titre de queftion.Onlit dans fonOptique,
pag. 20, de l'Edition Françoife : un milien
plusfubtil que l'air , n'eft - il pas plus rare dans
les corps denfes duSoleil, des Etoiles, des Pla
netes desComêtes ,que dans les espaces vuides
quifont entre ces corps - là? en paffant de ces
corps dans des espaces fort éloignés , ce milieu
ne devient- il pas continuellement plus denfe
&par là n'eft- il pas la caufe de la gravitation
réciproque de ces vaftes corps de celle de
leurs parties vers ces corps mêmes ? N'eft- ce
pas là une explication de la caufe de la péfanteur
quoiqu'il en foit , il y a apparence
que quand même l'Auteur l'auroit expofée
, elle n'auroit pas mieux été reçiie que
les autres , car voici fon fentiment .

Notre Atmosphére eft formée d'une ma
tiere immcifble avec le fluide dans lequel
elle eft plongée . Elle y tourne fur elle -même
, de façon qu'en déplaçant fans ceffe
les parties qui l'environnent , elle eft par116
MERCURE DE FRANCE
.
venue à former autour d'elle un tourbillon
affez vafte , dont le mouvement fe rallentit
à mefure qu'il s'éloigne de fon origine.
Ce tourbillon n'eft point encore la caufe
de la péfanteur. Il n'eſt deſtiné qu'à chaffer
loin de nous la Lune & les autres maffes
qui s'y trouveroient plongées. Dans la
perfuafion où eft l'Auteur que la péfanteur
n'a lieu qu'au dedans de notre Atmofphere
, le tourbillon ne peut rien produire,
C'eft donc dans l'Atmosphere même qu'il
en cherche le principe ? à cette fin , il obferve
avec foin toutes les caufes , foit extérieures
foit intérieures , capables d'agiter
en toutfens le fluide qui nous environne ,
de le troubler dans toute fa véritable profon
deur. Les caufes extérieures font le Soleil ,
la Lune , les Etoiles , & ce qui agit
continuellement l'Atmoſphere en dardant
leurs rayons de lumiere ; & les caufes in
térieures , le feu central , les feux volans,
les éclairs, le tonnerre , la foudre. Or l'action
de ces caufes fur la matiere fubtile ,
produit la péfanteur. En effet , cette matiere
fans ceffe en mouvement heurte continuellement
les parties folides qu'elle ne
peut pénétrer , elle les pouffe donc vers
Pendroit où leur pofition met le moins
d'obſtacle à la variété de fes mouvemens
Cet endroit étant le centre de la Terre ,
DECEMBRE. 1751 117
les corps groffiers doivent être tous pouffés
vers le centre ; & toutes les parties de
l'Atmosphére doivent confpirer , pour y
ramener ceux qu'on en a écarté. D'ailleurs
puifque l'Atmosphére eft comprimée dans
tous les points de fa furface , par le fluide
greffier dont elle eft plongée , & qui n'agit
fur elle que par des lignes perpendiculaires
à cette furface , tendant à fe réunir au
centre de la réferves il eft naturel que
l'Atmofphére preffe , comprime comme
elle eft preffée & comprimée , & fi cette
preffion n'opere pas la péfanteur , elle en
doit guider la direction.
A cette expofition , la Marquife ne
croit pas pouvoir refufer fon approbation,
Elle comble l'Auteur d'applaudiffement.
Si fon Newtonien y eût été préfent , il eſt
à croire qu'il n'y eût pas donné les
mains ; car notre Marquife s'engage ici
plus qu'elle ne croit. Pour prévenir les
conféquences très-propres à mettre de
mauvaiſe humeur un vrai Difciple de
Newton , il auroit demandé ce que c'eft
quepouffer, & fi la cauſe de l'impulfion n'eſt
pas auffi obfcure que celle de l'attraction .
Quand même cela ne feroit pas , la queftion
ne retomberoit- elle point dans celle
tant agitée & fi peu connue de la communication
du mouvement ? Mais l'interlocu118
MERCURE DE FRANCE.
trice , qui , à l'exemple de M. Bernoulli ,
trouve l'impulfion plus fenfible que l'at
traction , revient à fa premiere demande de
la figure de la Terre. Suivant l'Autent
elle n'eft pas phifique ; & quand on l'a
jugée applatie par les pôles , cela vient
d'une erreur qui doit s'enfuivre dans fon
fyftême . Le public fçait qu'on a conclu
cette figure de ce qu'on a trouvé les dé
grés du Méridien plus grands vers les Pôles
, que ceux qui ont été meſurés vers l'Equateur.
La chofe a du paroître ainfi ,
quoique ces dégrés foient égaux .On croioit
que les fils à plomp des inftrumens qui
ont fervi à mefurer ces dégrés , étoient
perpendiculairement dirigés à la furface
de la Terre , au lieu que dans le nouveau
fyftême , la direction des fils étant l'effet
d'une continuation d'action , étoit per
pendiculaire feulement à la furface d'une
atmoſphere applatie. Ainfi on a pris les
rayons qui défignoient une atmosphere
applatie , pour les rayons de la Terre qui
pourroit bien ne l'être pas.
On voit par là combien eft nouveau &
fpécieux le Système de notre Auteur . Il
s'attache enfuite à confirmer la conféquen
ce par des doutes de différens Sçavans fur
cette détermination . Il y a ici , comme
dans tout le reste de l'ouvrage , une éruDECEMBRE.
1751. 119
dition choifie , qui inftruit parfaitement
de rous les travaux que cette figure a occafionnés.
J'ai dit que l'Auteur n'étoit pas Newtonien
, & c'est dans les autres entretiens
qu'il fe déclare ouvertement. Il trouve
contraire à l'idée que nous avons de Dieu
qu'il y ait du vuide dans l'Univers . »> Quoi !
s'écrie-t-il , Dieu tira les êtres du néant &
" Newton les y replongera ! Les merveil
les du Très-haut reffembleront - elles au
" malheureux avorton dont une mere
» encore plus malheureufe déploroit l'in-
»fortune dans un Sonnet autrefois fort
» fameux. Faudra t'il dire que l'Univers
» n'eft que l'affemblage confus de l'être & dù
néant. On juge bien par là , que l'Auteur
ne penfe pas l'attraction mienx fondée
le vuide. Il prend cette attraction par tous
les bouts , fâché de mettre les Newto
niens en contradiction avec eux mêmes
& cite des endroits , qui paroiffent en
effet un furajouté au fiftême phifique
du grand Newton , par exemple qu'un
Atome netombe point vers la Terre , que la
Terre ne s'éleve un peu vers lui . Malgré les
fecours que retire la Marquife de fon
Newtonien dans l'intervale des entretiens
le tablea u vif que fait l'Auteur des fentimens
trop forcés des partifans du Philoque
120
MERCURE DE FRANCE.
3
fa
fophe Anglois , ce tableau , dis- je , l'é
tonne & bien - tôt elle fe confeffe vaincue .
Elle fe trouve fur- tour accablée par
grande objection contre le mouvement
des Planettes au tour du foleil , mouve
vement , dit - il , qui fuppofe une homogénéité
dans leurs parties , afin que leur
centre de gravité s'étant toujours également
éloigné du centre de mouvement,elles
ne foient pas expofées à des fubreffauts
dans leur rotation . C'eft fur la défaite
que
celui- ci expofe fes nouvelles explications
de la précision des Equinoxes du flux &
reflux de la mer , &c. Et tout ici doit être
lû, médité dans le livre même. L'Auteur
en attaquant ainfi fans ménagement &fans
refpect humain le grand Newton , ne doit
pas fe promettre d'être univerfellement
fuivi. Mais ce à quoi il eft en droit de s'attendre
, c'eft à un accueil général que méri
te fon ouvrage pour les recherches curieufes
qu'il renferme & qu'on peut regarder
comme une Hiftoire abrégée de l'Aftronomie
phifique.Voici un morceau pris à l'ouverture
du livre qui donnera une idée de
la maniere , dont cette partie importante
du travail de l'Auteur eft traitée .
»
D'anciens
Philofophes
imaginerent
que les Aftres avoient une ame ou qu'au
» moins des
intelligences
étrangeres diri-
""
geoient
DECEMBRE 1751121
15
י מ
geoient leur mouvement. Ce dernier
fentiment fut celui de tous les Peres de l'Eglife
.L'interprétation qu'ils donnoient
à quelque paffage de l'Ecriture , leur fit
même avancer qu'il étoit de foi que
chaque corps célefte étoit guidé par un
» Ange Tutelaire. Plufieurs trouverent
» fort heureux , de penfer que les fept
» intelligences qui fe tiennent en préfen-
» ce du Trône du Seigneur , étoient précifément
celles qui gouvernent les
fept Planettes principales. D'autres firent
remarquer qu'une pareille fonction
exigeoit des Gouverneurs réfidens ; &
fur ce qu'on s'avifa d'objecter l'inconvé-
»nient de priver de la vifion béatifique ces.
» 7 anges diftingués ,& de les affujertirà des
travaux trop vils & trop uniformes leCommantateur
Leffius, imagina que les fept Anges
qui étoient devant leTrône fe fervoient
"de lieutenans , & que quand ceux - ci même
vouloient avoir laconfolation d'adorer de
près nos Saints Myftéres , ils avoient
la liberté de commettre à leur place des
" Anges fubalternes , &c.
95.
Telle eft , Monfieur , la fubftance du livre
des Nouvelles vues fur le fyftême de l'U_
hivers. L'Auteur fait efpérer un autre ouvrage
fur les couleurs ; & on dit dans le
monde,qu'il refpecte les expériences con
I Vol.
F
122 MERCURE DE FRANCE.
nuës ; qu'il en a fait plufieurs autres , &
que toutes tendent à répandre un nouveau
jour fur la théorie de Newton fur cette
matiere. Un livre d'expériences eft à tous
égards un livre trop précieux pour ne pas
faire défirer que l'Auteur en faffe un préfent
au Public. Je n'oferois le lui demander
, mais qu'il me permette de lui dire
avec le Prince de l'éloquence ; Non nobis
folùm nati fumus , ortufque noftri partem
patria vindicat partem amici.
J'ai l'honneur d'être &c.
SYSTEME du vrai bonheur , par M. For
mey. A Utrecht & fe trouve à Paris chez
Briaffon,brochure de 94pages ,jolie édition.
L'Auteur prouve que le bonheur ne
confifte ni dans les richeffes , ni dans les
honneurs , ni dans les plaifirs des fens , ni
dans ce qu'on appelle volupté ; mais das
Faccompliffement des devoirs , dans l'a•
mour de l'Etre fuprême , dans l'efpéran
ce des biens futurs. Dés que j'aurai été pé
nétré de ces vérités , & que jaurai agi en
conféquence ,
Je regarderai , dit M. Formey , ma for
tie du théâtre de ce monde comme un évé
nement qui peutarriver au moment même
que j'y penfe , & je me familiariferai aveo
cette idée fi redoutable aux ames vulgaires.
DECEMBRE. 1751 . 723
C'eft fans contredit un état bien miférable
& bien digne de compaffion , que l'état de
ces hommes , qui ne fçauroient penfer à ce
grand & inévitable pas , fans être faifis
d'effroi. Auffi ma principale attention as
t'elle été de me délivrer de cette honteufe
foibleffe , & j'ai eu le bonheur d'y réuffic.
Tous mes arrangemens font pris de ma
niere , que le fouvenir , que les approt
ches même de la mort , ne fçauroient por
ter la moindre atteinte à ma fatisfaction
à ma joye habituelle. Oui , cet afpect n'a
rien qui puiffe m'étonner , encore moins
m'affliger puifque la mort , lorfqu'elle
viendra , ne peut m'enlever aucune des
chofes dans lefqu'elles j'ai placé mon bon
heur , mais qu'il faut néceffairement qu'elle
en perfectionne la jouiffance , & qu'elle
en augmente le nombre.
L'heureufe, influence que cette grande
idée de ma deſtination future a fur l'état de
mon ame , & fur la conduite de ma vie ,
me feroit fouverainement craindre qu'elle
fût fe trouver illufoire & fauffe . Il m'im
Forte tellement qu'elle foit vraie , qu'en
la perdant, je perds tout, Mais je n'ai rien
d craindre à cet égard. Je cherchois la certitude
& la conviction ; j'y fuis arrivé.
Je puis déformais nourir mon ame de l'i-
Fij
24 MERCURE
DE FRANCE.
dée confolante que j'ai à vivre dans un
autre état , où je ne dois m'attendre qu'à
Toutes fortes de biens , par une fuite de la
fouveraine fageffe , en forte qu'un jour
pleinement affranchi des vanités & des
miféres de cette vie , je m'unirai pour
route l'éternité à la fource des perfections ;
je favourerai la volupté la plus pure , celle
qui s'accorde avec mes penchans vrais
& naturels , j'arriverai en un mot , à ce
grand but , auquel la Nature & fon Auteur
, qui eft le mien , m'avoient deftiné ,
c'est l'union de la vertu & de la félicité. Y
auroit'il un autre fiftême du vray bon
heur ?
A
>
par
ESSAI fur la perfection , pour fervir
de fuite au fiftême du vrai bonheur . Par
M. Formey à Utrecht , & fe trouve à Paris
chez Briaffon : brochure in- 12 90 pages
jolie édition.
trois chapi. Cet ouvrage eft formé
tres. Le premier eft deftiné à donner une
idée de la perfection . La doctrine de l'Auteur
fe réduit à ce raifonnement . La per
fection d'un tout confifte dans l'accord
avec lequel toutes ces parties tendent au
but dès leur destination : Or la vie morale
de l'homme , cette enchaînure de détermiDECEMBRE
. 1751.
125
nations libres , peut être regardée comme
un tour ; donc chaque action eft une par-:
tie. Ainfi la perfection de ce tout confifte
dans l'accord de toutes les parties
c'est à dire de toutes nos actions libres vers
leur véritable but..
Le deuxième chapitre fournit quatro
régles de perfection. La premiere eft de
vouloir être parfait . La feconde de ne jamais
rien faire fans le raporter à quelque.
fin. La troifiéme de furbordonner les unes
aux autres les fins particulieres de notre
conduire & , les enchaîner enfemble , de
telle forte que l'une ferve toujours de
moyen à l'autre , & que toutes enfemble
forment un moyen général d'arriver à notre
perfection. La quatriéme & derniere
regle peut être regardée comme une conféquence
des autres : c'eft que nous ne devons
jamais faire entrer dans notre plan
de conduite des vues & des intentions
qui répugnent à notre perfection , quand
même ce ne feroient pas nos vues & nos
intentions principales.
Le troifiéme chapitre propofe un modele
de perfection . Voici comment s'exprimeM
.
Formey. Une des fingularités
les plus remarquables
que nous offrent les anciennes
fuperftitions
duPaganiíme
, ce font les apothéofes
, c'est-à- dire le paffage de la con+
F iij
126
MERCURE DE
FRANCE.
dition
humaine à l'état des Dieux qu'on
regardoit
comme une chofe poffible,&comme
une
récompenfe dont un certain nombre
de Héros du
premier ordre avoient été
mis en
poffeffion . La flaterie défigura dans
la fuite des tems cette idée aflez noble dans
fon
origine , &
l'honneur des
apothéofes
fut
décerné à des
Empereurs qui pendant
leur vie
avoient été des
Tyrans détestés.
En
épurant cette idée de tout ce que la
foibleffe de l'efprit
humain y avoit mélé
d'étranger , nous
trouverons que le Dogme
en foi-même n'eft pas
infoutenable , &
qu'il y a tout au
contraire une apothéole
réelle
propofée à l'homme pour dernier ter
me de tous les travaux , & pour rémunéra
ration
infaillible de fon
attachement à l'or
dre , à la vérité , à la piété. La confomma
tion de cet
heureux état eft réfervé pour
l'autre vie , & le modele que nous devons
nous
propofer pour y arriver , c'est l'Ette
fuprême qui lui- même eft le fruit de la
perfection . Soyez
parfaits comme voire pere
qui eft aux cieux eft parfait.
QUESTIONS diverfes fur l'incrédulité ,
parM Evêque du Puy. AParis chezChaubert
Quai des Auguftins. 1751 in. 12.1 vol.
Les
queftions traitées dans cet ouvrage
fe
réduilent à cinq.
Premiere queftion . Y
DECEMBRE. 1751. 127
a-til de véritables incrédules ? Seconde
queftion. Quelle eft l'origine de l'incrédulité
Troifiéme question . Les incrédules
font ils des efprits forts ? Quatrième queftion.
L'incrédulité eft elle compatible
avec la probité? Cinquième queftion . L'incrédulité
eft - elle pernicieufe à l'Etat ?
Nous rendrons compte dans le Mercure
prochain de cette nouveauté qui mérite
une grande attention par l'importance du
fujet & la dignité de l'Auteur.
ENUMERATION1
S fofilium quæ
in omnibus Galliæ Provinciis reperiuntur
tentamina. Auctore A. S. D. d'Argenville
è regiis fcientiarum Societatibus Londinenfi
, & Montepeffulanenfi
.
Cet ouvrage curieux eft imprimé à Paris
chez Debure l'ainé , & fe vend broché une
liv. 10 fol.
ORBI LITERATO
. Ut Poëtæ mei
verbis utar Omnia vincit amor & nos ceda
mus amori ;, amori fcilicet bonæ humanitatis
ftudiorum ; cumque præ cæteris maximè
in deliciis eft hic egregius Virgilius
nofter , nec me qui cæteros vincir impetus
, nec labor nec fumptus terrent ; quin
magnum opus aggrediar , quod multi vellent
, nemo audet , ecce, tum propono voz
Fiiij
12S
MERCURE DE
FRANCE.
bis P.
Virgilii
Maronis Opera ab excellen
tiflimis qui in
Europa funt
artificibus , a
neis
tabulis
fculpta , & ad
optima antiquitatis
monumenta ornata, quibus etiam
addentur
Figuræ
pulchriores &
vetuftiores
, quæ funt melioris notæ & majoris
formæ & cò plures , quo plures habemus.
fubfcriptiones , ad inftar Horatii
Londini
à
Johanne Pinco incifi, majori vero nitore
&
elegantia ,
quanquam enim ille à vobis
optimè meruit , tamen aliquæ in ejus opere
culpæ vel faltem
macula infunt , quibus.
non
paululum
offendar ; litere enim ejus
nimis
coarctatæ funt, & in
anguftum coad
tæ , &
Imagines,
quibufcum ornavit fuum
opus non ad
fcopum &
argumentum Poë
tæ ejus , fed fæpe ad unam vel alteram fen
rentiam , vel
folummodo
verbum unicam
aliquando
illuftrandum
tendunt; & fculp
tura noftra ( pace quod , dicam fuâ & finé
jactatione ) multò
elegantior fuâ erit ; nam
in
Hollandia
exercebimns
peritum Dominum
vander Schley , in Gallia
elegantem
Cochinum filium , in Italia
illuftrem Pitterum,
vel
meliores
artifices , fi
meliores
inveniendi funt.
Figuræ etiam in Horatio
non ab
originalibus
inciduntur , fed plerumque
è libris , ubi ab aliis
tranfcribun
tur , adeo ut dum
ectypi ab ectypis funt
pulchritudo illa
fpirans &
vivida vis exiDECEMBRE.
1751 129
miis archetypis adeo propria & evanefcit
& perditur ; hæ vero à nobis culpæ quantum
poffibile eft evitabuntur , fculpendo
literas fufiori ftilo & elaborando figuras:
ad archetypa ipfa quæ Scopum authoris
illuftrant in omnibus Europa partibus
ubi invenienda funt , præfertim in Italia
ubi iter faciemus expreffim , ut liber nofter
omnibus aliis ornatior & formofior eve
niat , & ut omnibus numeris fit abfolu--
tus; Tanta molis erit Romanum condere vas
tem , ubi fumma ope niti decrevimus , ue :
nihil vel utilitati vel venuftati aberit ; volentes
cum Pythagoræis aliquid-ardui con--
ducere , invitis difficultatibus difficultate :
enim fuperandæ funt arduum autem refta
majorique cum gloria, quo fuit difficilius ::
fed non hac fine numine Divûm evenient , ið
e veftro fuffragio & auxilio.
Opem ergo veftram rogamus Viri lite
rati & elegantiarum Cultores , ne fub
tanto onere & tam gravi facinore fuccum
bamus timendum enim eft ; quod fine
veftro auxilio , communicando fcilicet
quæ ad inftitutum noftrum illuftranda per
tinet & largè fubfcribendo , vires noftræ
impares erunt ad tantos fumptus fuftinendos
, & ne in curfu tam nobili corrua
mus ; fumptus enim ex eo exiftimari pof
funt , quod clariffimum Fogginum tale
Fvj
o MERCURE DE FRANCE.
opus Florentiæ in animo volventem ( vide
præfationem ad Virgilium ejus ) artifices
quatuordecim aureorum ( viz Ducatorum
) millia atque eo amplius pro literis
erogabant , ferè enim 1000 laminæ &
plera centum millia verborum fculpenda
crunt , ) præter figuras , charram , impref
fonem , & alios fumptus : Deo autem vo
lente & vobis adjuvantibus hæc perfec
tiffimi & penè divini operis editio feliciciter
abfolvetur , & magno cum commodo
& fplendore juvenum prodibit publicâ
curâ, uti inter omnes maximè nitet author,
præftantiffimum Poëtam praftantiffima editione
decorari æquum eft. Sequentibus
verò conditionibus fe adftringit Editor.
1.Imprimetur opus ad editionem Nicolai
Heinfi & P. Burmanni in Charta Imperiali
optima , uti & Horatius , tribus ,
commode fieri poteft , vel faltem quatuor
voluminibus , magis enim duplo ver
bofior quam Horatius eft.
2. Mille Infcribentes ad minimum optamus
, ( & pluret habuis Pineus pro Horatio
) quorum non exilis numerus nomina
modo dedit , neque plura exemplaria imprimentur
, nifi ut fperandum eft ) numerus
infcribentium accrefcat.
3. Operis pretium erit uti & Horatis “ .
pro fingulo quoque volumine aureum An
DECEMBRE. 1751 .
gliæ vulgò vocatum Guinea , vel Galliæ
vulgò vocatum Louis d'or , & pro rata in
aliis nummis.
4. Ab Infcribentibus perfolvetur ftatim *
pro uno volumine , eoque finito pro alte
10 , & fic de cæteris .
5.Sufcriptionis tempus patebit ufque ad
opus abfolutum , quod fumma cum diligentia
& alacritate profequetur..
6. Optimæ & pulchriores Impreffiones
fubfcribentibus dabuntur quorum & nomina
imprimentur.
7. Dabitur, ad finem ratio antiquorum
monumentorum , & unde colliguntur
cum differtatione de corum ufu & præftantia
in veteribus Poëtisilluftrandis.
8. Et fi defiderantur , dabuntur etiam
Collationes ex optimis editionibus .
9. Addentur etiam fpecimina antiquif
fimæ Scripturæ ex optimis manufcriptis cum
corum ornamentis .
10. Subfcriptiones recipientur apud præ
cipuos Europe Bibliopolas.
Hæc ut fperamus , vobis cordi fint , &
tum alia ejusmodi erunt expectanda ; nam
fateor , me his ftudiiseffe deditum , ut ex
iis ad communem afferre fructum aliquid
poffim , & ut cum Cicerone finiam , ca
tera , neque temporum funt , neque ætasum
omnium , neque locorum : hæc ftudia
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
adolefcentiam.alunt , fenectutem oblectant ,
fecundas res orant , adverfis perfugium,
ac folatium præbent : delectant domi , non
impediunt foris , pernoctant nobifcum ,
peregrinantur , rufticantur..
Dabam Amftelaedami 1 Junii 1750.
H. J. DE RUFFORTH
On foufcrit pour cette belle entreprife .
chez Debure l'aîné , Quai des Auguftins.
A
LETTREScheifies
de Monfieur de la
Riviere , gendre de M. le Comte de Buff
Rabutin , avec un abrégé de fa vie & ka
relation du procès qu'il eut avec fon épou
fe & fon beau pere . A Paris chez Debura
l'aîné & Tillard, Quai des Auguftins..
$75.3. in-12 2 val
M. de la Riviere , mort à l'inftitution ,
de l'Oratoire de Paris en 1738 , à l'âge de
94 ans , a été fort connu dans le monde
par fon efprit , & par un procès. L'hiftoi
Le un peu confule de ce procès , dans le
quel il s'agiffoit de fçavoir fi M. de la Riviese
étoit ou n'étoit pas marié
avec Ma
dame de Coligni , fille du fameux & in+
fortuné Comte de Buffi , occupe environ
deux cens pages du Recueil que nous annonçons
les deux principaux morceaux
de cette Hiftoire font un Mémoire de M..
de la Riviere contre fon beau pere, plein
DECEMBRE. 1751. 135
de fel , de fineffe & d'agrément ; & le plai
doyé de M. Talon , Avocat général , qui
nous a paru long & embaraflé.
Le portrait qu'on nous donne de M. de
la Riviere , d'après Madame de Lambert ,
eft comme la plupart de ceux qu'a faits
cette Femme Illuftre , très flatté . Le Voici
M. de la Riviere eft bienfait il a la
taille fine & aifée, le vifage agréable ; de la
délicateffe , de la bienféance dans l'efprit, & ;
du goût & du fentiment.Il y a une galanteier
répandue dans les manieres & dans ce
qu'il écrit , qui fait fentir que les graces
& les amours ont pris foin du commencement
de fa vie . Ce fut fous de tels maîtres
qu'il apprit à fentir , à toucher &
plaire. L'ufage qu'il a fait de fon coeur
n'afervi qu'à le perfectionner ; & l'amour
qui gâte affez fouvent les hommes , avoicrefpecté
les moeurs , & lui avoit appris à
féparer les plaifirs des vices ; fa galanterie.
a augmenté fa douceur & fa délicatefle
naturelle . Il n'a pas feulement la politeffe
des manieres , il a auffi celle de l'efprit.
Avec quelle fineffe n'examinet - t'il pas les
chofes les plus délicates ? Que d'agrémens.
ne répand- til pas fur les plus ftériles ? IL
samufe quelquefois à faire de jolis vers.
Quoique fa Poëfie foit douce & galante
elle cft fage :il eft le maître de fon imagi
34 MERCURE DE FRANCE.
nation ; il met un accord & une liaifon
entre les termes & fes idées , & fon coeur
répand fur tout ce qu'il fait , les graces
du fentiment. Rendu à la vie privée , il
pratiqua toutes les vertus poffibles , & de
vint ce que les autres veulent paroître.
C'eft-là qu'il contracta des habitudes de
modeftie qui acheverent de former for
caractére ; & fon humeur ne perdit aucun
de fes agrémens. Il l'a aimable & liante.
I dit que le meilleur ufage qu'on puiffe
faire de l'efprit , eft de fe faire aimer. Il ne
Faiffe point appercevoir d'amour propre :
il femble qu'il s'oublie lui- même & qu'il
ne vit que pour les autres. Très délicar
fans être difficile , il fçait mettre dans le
commerce toutes les vertus de la fociété :
libéral par goût , rangé par gloire & par
juftice . Il a un excellent fçavoir vivre : il
n'a pas-feulement le fçavoir vivre des manieres
, il a encore celui du procedé ; il
fçait jouir & le paffer des chofes.
L'Editeur apprécie ainfi le Recueil qu'il
a formé. Toutes les Lettres qui forment ce
Recueil ne font pas , dit-il , égalementintéreffantes
; mais elles font toutes très- naturelles
, vives & remplies de fentimens.
Dans les unes on diroit qu'il y a prodigali
vé d'efprit , dans d'aures , l'Auteur a placé
des traits curieux qui dédomagent quelque
DECEMBRE. 1751 B
fois des négligences du ftyle . Ainfi il efe
bien jufte qu'en faveur des meilleures , on
gliffe fans impatience fur les moins parfaites.
Je ne parle point de celles qui traitent
des premieres vérités , & dont le fond eft
d'une grande édification ; elles ont, pour
la plupart , le double avantage de l'utili
té la plus importante , & de l'agrément le
plus vif , je veux dire . las matiére du
falut & une façon fpirituelle de préfenter
à l'efprit cet objet fi intérellant.
Si l'Auteur eft tombé dans quelques ré--
pétitions , c'eft furtout en touchant les prin
cipes de la morale chrétienne , qu'il s'étoit
rendu très familieres , & qu'il rappelloit
fans ceffe avec complaifance. J'aurois pû
en retrancher une partie ; mais, je les ai
laiffées à deffein , & comme pour fervirs
de preuves que ces Lettres font les fruits
naturels de l'efprit , & des premiers mouvemens
du coeur , qu'elles partent d'un
feul trait de plume , fans apprêt & fans.
deftination pour être imprimées . Ce qu'il
y aura de moins correct , y doit faire l'effet
que font les ombres aux tableaux. D'ailleurs
il me femble qu'on pourroit juftifier
l'Auteur fur deux objets particuliers qu'il
répete fans ceffe : les infirmités de l'âge ,
& l'image dela mort.N'éprouvons nous pas
nous-mêmes tous les jours que nos goûts
138 MERCURE DE FRANCE
nos habitudes , nos façons de penfer &
nos tournures favorites de ftyle , fe pré
fentent à tout inftant au bout de la plume ,
& fe mêlent malgré nous dans l'encre qui
en découle.
L'Editeur auroit pu ajouter à ce qu'il dit
des lettres de M. de la Riviere , qu'ony
trouve un peu de galanterie , affez de mé
difance , beaucoup d'humeur & plufieurs
penfées & expreffions qui font plus de mémoire
que d'imagination.
QUESTIO Medica quod litterariis difpu
tationibus difcutienda infcholis Medicorum ,
die 17- menfis Decembris 1750 , M. Fran
sifco de Thiery , Doctore Medico prafide,
An prater genitaliafexus interfedifcrepent ?
7
Nous avons grand nombre de traités
far les organes de la génération qui confti
ruent chaque fexe , mais nous n'en avons
prefque aucun fur les differences qui fe
trouvent entre les fexes , indépendament
de ces organes. Dans la Theſe de M.
Thiery'on donne un précis de ces differences
, & une Hiftoire abregée de l'homme ,
confidéré comme mâle & comme femelle.
Ce Docteur commence par donner une notion
générale des fexes , il expofe leurs
fonctions , & les variétés qu'on obferve
fur ce point : car quoique la marche la
DECEMBRE. 1751. 137
plus ordinaire de la nature foit de procé
der à la génération par le concours des
deux fexes ; on a des exemples de productions
faites fans ce moyen d'un autre
côté , il y a plufieurs efpéces d'êtres orga- ,
nités dont les individus portent les deux
fexes à la fois : mais dans les poiffons ,
les oifeaux & les quadrupedes , c'eft une
régle générale que chaque individu n'air
qu'un feul fexe. Auffi n'avons nous dans
T'efpéce humaine aucune obfervation bien.
conftatée de véritables harmaphrodites..
On s'eft laiffé tromper par certaine partie
des organes féminins , qui croît quelquefois
prodigieufement. L'Auteur cite à ce
fujet l'Hiftoire d'une fille de fept à huit
ans , qu'il avoit examinée , que tout Paris
a vue depuis , & qui avoit tellement les
apparences d'un garçon de fon âge , que
tout le monde , au premier coup d'oeil l'au
roit prife pour une hermaphrodite , quoique
ce fujet ne fût réellement qu'une fille
aux yeux des Anatomiftes. L'Auteur commence
à entrer dans le détail de fon fujer ,
par les differences qu'on trouve dans le
Baffin ; cette partie formée de plufieurs os
eft beaucoup plus fpacieufe dans les femmes
que dans les hommes. Il-décrit tous.
les avantages que la nature tire de la diffe .
rente conformation des os qui le compa
-
138 MERCURE DE FRANCE.
fent , tant pour la groffeffe que pour l'ac
couchement. Il paffe , de- là à la poitrine :
les femmes l'ont plus applatie en devant,
afin que
les mammelles y foient placées
plus commodément ; mais les hommes
plus
l'ont plus large & plus longue ; enforte
qu'à tout prendre les femmes ont plus de
ventre , & les hommes plus de poitrine .
Cependant l'on obferve que ceux-ci refpi.
rent plus du ventre , c'est-à- dite , par l'ab.
baiffement da diaphragme , & le mouve
ment de l'abdomen , & que les femmes
au contraire refpirent plus de la poitrine ,
c'eft- à - dire , par l'élevation des côtes. -Indépendamment
de l'agrément qui en ré
fulte , parce que les mammelles partici
pent à ce mouvement ; les femmes en ti
rent cet avantage , de refpirer plus facile
ment dans le tems de la groffeffe , & le
fétus celui d'être moins expofé à la compreffion.
Il étoit important qu'on pûr
diftinguer les fexes au premier coup d'ail :
la Nature n'a pas voulu fe repofer de ce
foin fur quelque chofe d'auffi arbitraire ,
que la coûtume dans la maniere de s'ha
biller ; anffi la barbe des hommes & le
fein des femmes , font-ils des fignes extérieurs
affez frappans ? Mais quand on exa
mine les fexes plus en détail , on voit leurs
differences fe multiplier . Les hommes on
DECEMBRE. 175. 139
Ja peau plus dure , plus feche & plus ve
lue ; leurs veines font plus apparentes &
plus groffes , leurs chairs font plus fermes
leurs traits plus rudement exprimés , & c.
Tout annonce dans l'homme la force & la
majefté : dans les femmes, c'eft la délicatele
& la beauté qui dominent : ce qui y contribue
principalement eft cette membrane , appellée
Cellulaires car comme elle eft plus.
lâche , & plus chargée de graiffe dans les
femmes , elle leur rend la peau plus douce
& plus unie , & procure à toute l'habitude
du corps, des formes plus arrondice . Men ré
fulte auffi que feur tranfpiration eft moins
abondante , & en même tems plus chargée
de parties onctueufes . On explique par là ,
unde halitus puellarum adfenilem tardandam
ariditatem maximi fit momenti , & pourquoi
de tant d'hiftoires biens avérées d'abf.
tinences extraordinaires , ce font le plus
fouvent les femmes qui nous en fournif
fent les exemples .
·
Nous avons dit que les hommes avoient
la poitrine plus étendue en tout fens ; d'oùil
s'enfuit qu'ils ont plus de poulmons ,
& ce n'eft pas là une petite différence
dans l'économie animale ; joignez à cela ,
te qui eft affez connu , qu'ils ont auffi plus
de force dans les muſcles,, parce que ces
parties font plus charnues. Or on fçait tous
140 MERCURE DE FRANCE.
te l'étendue de l'action mufculaire ; la
refpiration , la voix , la digeftion , &c.
fe font principalement par
le moyen
des
muſcles , & par conféquent ces fonctions
s'exécutent d'une maniere plus forte dans
les hommes que dans les femmes . Le coeur
lui- même , ce principal mobile de notre
machine , eft un muſcle , & fa force , ou
ce qui eft la même chofe , la proportion
de fon poids par rapport à tout le refte du
corps , eft plus confidérable dans les mâles
que dans les femelles.
Ainfi on ne doit pas être furpris que les
hommes ayent le poulx plus grand , plus
fort , & plus lent que les femmest Le volume
du foie au contraire eft plus confidé
rable dans celles- ci , mais fa maffe ve peut
s'augmenter jufqu'à un certain point ,
fans gêner les parties voifines , & fans
qu'il ne s'altere lui-même . C'eft pour cela
que les femmes ont en général l'efto
mach plus petit que les hommes , que leur
refpiration devient difficile pour la moin
dre caufe , qu'elles font plus fujettes aux
maladies du foie & à la boufiffure, qu'elles
boivent communément fi peu ; c'est là
auffi la fource de la dépravation de leur
Bile , & de ces goûts finguliers pour cer
tains alimens extraordinaites. L'Auteur
appuie les différences des féxes qu'on ob
DECEMBRE . 1751. 741
ferve dans l'efpéce humaine , par celles
qu'on remarque dans les animaux , ſoit
fauvages , foit privés , & il rapporte entre
autres , cette obfervation faite par un
ancien Naturalifte , que les femelles des
animaux fauvages s'apprivoifent beaucoup
plus aifément que leurs mâles.
Il expofe enfuite l'appareil different des
vaiffeaux dans les deux féxes , les differens
diamétres tant de leurs artéres que de leurs
veines , & il fait voir que le but
propofé par tous
que la
nature
s'eller
une plus grande
mens , étoit
quantité d'humeurs dans le corps des femmes
, & de les déterminer particulierement
du côté de l'uterus. M. Thiéry tire de tous
ces principes des conféquences qui font
l'explication d'autant de phénomenes.
Pourquoi p. e. de tous les animaux , proportion
gardée , c'eft la femme qui a le
plus de fang , & qu'elle fupporte fi aifément
les faignées & les grandes hémorhagies
, pourquoi les filles font fpécialement
fujettes aux pâles couleurs , & quelle eft
la raifon des differences qu'on obferve dans
les maladies des deux féxes ; les hommes
étant plus fouvent & plus violemment attaqués
de maladies aigues , les femmes
plus fujettes à celles qui font longues &
périodiques. La fanté des hommes cft d'au
142 MERCURE DEFRANCE.
tant plus expofée à de grands & à de fubits
changemens , que leur conftitution eſt
plus forte & qu'elle approche plus de l'a
thlétique. Les femmes retirent donc de
deur
temperamment plufieurs avantages ,
& entr'autres celui de ne point devenir
chauves , & de vivre plus long tems que
Jes hommes , quand elles ont une fois paffe
certain tems critique : d'ailleurs elles parviennent
plutôt à l'âge de puberté , &
elles font formées de meilleure heure : les
parties folides étant chez elles d'un tifu
moins ferme & moins ferré , elles reçoivent
plus aifément la nourriture , laquelle
d'un autre côté ſe diffipe moins par la tranf
piration , & fe diftribue à une moindre
maffe ; car par une loi affez conftante de
la nature , les femmes font plus parfaites
que les hommes , foit qu'il eût été affez
inutile que le fexe le plus foible fût d'une
raille auffi avantageufe que le fexe ro
bufte , foit que la nature ait voulu bornet
l'accroiffement des femmes à un moindre
terme , afin de les rendre plutôt propres à
devenir meres , puifqu'on fait que l'apti
tude à la génération ne s'étend guere chez
elles au-delà de 45 à 50 ans, tandis que les
hommes la confervent prefque toure leur
vie. L'Auteur donne des raifons Méchani
ques très fatisfaifantes de la differente ftaDECEMBRE.
1751.143:
ture des deuxfexes; ce qui lui fournit l'oc
cafion d'expliquer en même tems quantité
& d'autres differences : Pourquoi le volume:
des os eft dans les hommes plus confidérable
en tous fense pourquoi les femmes
font firarement attaquées de la goute & de
la pierre , &c.
Il fait des principes qu'il établit que.
toutes chofes égales d'ailleurs , les femmes
doivent croître d'autant plus que les li
queurs le portent en moindre quantité à
Puterus & aux mammelles , & qu'ainfi il y
auroit infiniment à gagner pour elles à ne:
sexpofer à devenir groffes que vers l'âge.
de 18 à 20 ans, M , Thieri paffe enfuite à
l'examen des fibres , qui fant en
fulls
les
élémens folides du corps : il explique.
comment elles font plus grêles & plus.
délicates dans les femmes , & par confé- ,
quent plus aifées à ébranler , ainfi tel
objet extérieur , qui ne fera fur les fibres
d'un homme bien conftitué , qu'une im-.
preffion légere en produira une très forte
fur les organes d'une femme Les perfoa.
nes du fexe ont manifeftement le genre.
nerveux plus fenfible , les idées plus vives
l'imagination plus prompte , les fens plus
exquis , mais par une fuite néceffaire elles
ont plus de difpofition à tomber enfyncope
& en convulfions , & elles font plus fujete.
144 MERCURE DE FRANCE.
tes à cetre maladie fingulière qui fe produit
fous des formes fi variées & fi furpreconnue
communément
fous le nantes
nom de vapeurs. L'Auteur pour achever
fon tableau compare les Eunuques aux
deux fexes , entre lefquels ils tiennent pour
ainſi dire le milieu. Il répond à l'objection
qu'on pourroit lui faire au fujet des Ama
zones. Il examine jufqu'où la maniere de
vivre , & l'éducation contribuent à former
les differences qu'on remarque entre les
fexes : il prouve que ces differences exiftent
pourtant , quant au fonds, dans la nature
, & il rapporte à ce fujet celles qu'on
a obfervées dans les enfans mâles & femelles
dès le tems même qu'ils font dans le
ventre de leur mere , ou à l'inftant de leur
naiffance . Il remonte même jufqu'au mo
ment de la conception , & après avoir
raffemblé les
phénoménes les plus interrelfans
à ce fujet , il conclut qu'on re doit
traiter ni d'abfurde ni d'impoffible , un art
qu'il dit avec raifon pouvoir être très utile
à la fociété ex his omnibus non abfurdum
adeò confequetur illud veteris fapientia ef
»fatum , quod jam in quadrupedibus fingula
vice feturam unam edentibus experientia
confirmatum eft ; poffe dari fcilicet , humano
generi utiliffimam artem , quâ mares femineve
, ad arbitrium generentur. Et par le
feat
DECEMBRE. 1751. 145
la
feul énoncé des faits qu'il rapporte , on
voit quels doivent être les fondemens de
cet art. Il fait voir enfuite que dès que
nature a voulu fe fervit de fexes pour la
génération , les différences entre eux ont
dû être telles qu'on les obferve : qu'un des
fexes devoit être néceffairement plus robufte
que l'autre ; que cette fupériorité de
forces devoit être accordée aux hommes
& non aux femmes , & que le fexe qui
enfantoit l'homme devoit en même tems
le nourrir & l'élever ; fonctions qui s'accordoient
mal avec les exercices violens &
continués. Il prouve d'ailleurs que la foibleife
de tempérament étoit une difpofition
prochaine à cette beauté fine & délicate
qui caractérife celle des femmes. Si
les deux fexes euffent été également robuftes
, tous deux euffent voulu dominer , &
leurs diffenfions n'auroient point eu de
fin ; fi vous leur fuppofez à tous deux une
conftitution également délicate & un même
genre de beauté , l'efpéce humaine devenoit
réellement trop foible , & cette
bafe la plus folide de nos fociétés, l'amour,
n'éxiftoit point. Si l'un des fexes eût été
feul en poffeffion de la beauté & de la
force , l'autre devenoit méprifable & malheureux
; mais en accordant les for ces du
corps à l'un & les graces à l'autre , tout eft
1, Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
A
admirablement compenfé. L'Auteur fait
voir enfin les avantages qui réfultent d'une
plus grande fenfibilité dans les femmes.
La premiere éducation des enfans dont
elles font chargées , demandoit qu'elles
euffent plus de pitié & de tendreffe ; leur
vie privée qui en eft la fuite éxigeoit que
la vivacité des impreffions fuppléât au
moins à l'uniformité des objets ; & puilqu'elles
fouffrent feules des fâcheufes incommodités
que l'amour traine à fa fuite :
eas fponte faciliùs fefe irretire amoribus optimum
eft . M. Thiery ne donne nulle préeminence
à l'un des fexes fur l'autre ; pris fé
parément, ils ne préfentent point l'idée de
perfection ; ce n'eft que leur affemblage
qui forme dans la nature un tout parfait.
Si les femmes vouloient former des focié
tés compofées d'elles feules , il feroit à
craindre que leurs meilleures qualités , la
modeftie , la commifération , la piété , &c
ne fe portaffent au point de dégénérer en
vices. Si les hommes vouloient exclure les
femmes de leur commerce , la force de leur
temperament les conduiroit ' naturelle
meat à la mélancholie & à une certaine
férocité mais les deux fexès entrant dans
une fociété réciproque , ils fe temperent
mutuellement : les affections propres
chacun d'eux fortent rarement d'un certain
DECEMBRE. 1751. 147
milieu dans lequel confifte le bon ordre ,
& le fyfteme de la nature eft accompli.
M. Thiery a donné quatre autres Théfes
dans fa Licence ; fur l'action des nerfs ; fur
le danger des vaiffeaux de cuivre dans la
préparation des alimens; fur l'Aneuvriſme ,
& fur les maladies du Titlu Cellulaire . On
fouhaiteroit que l'Auteur développât dans
denx Traités fes idées fur ces maladies, ainfi
que fur les differences des Sexes , differences
qui peuvent influer dans la pratique.
ERRAT A.
Page 136, ligne 12 , quodlitterariis , lifez,
quodlibetariis.
Ligne 15 , de Thiery , lifez , Thiery,
Page 137 , ligne 12 , Harmaphrodites ,
lifez , hermaphrodites .
Page 142 , ligne 18 , les femmes font plus
parfaites que les hommes , lifez , les femmes
font plus petites que les hommes.
HISTOIRE de l'Académie Royale des
Infcriptions & Belles Lettres , avec les
Mémoires de Littérature , tirés des régiftres
de cetre Académie , depuis l'année 1741
jufques & compris l'année 1743. A Paris ,
de l'Imprimerie Royale , 1751 , in- 4° 2 vol .
ALMANACH des curieux pour l'année
1752 , où les curieux trouveront la
réponte agréable des demandes les plus
divertiffantes,pour fe réjouir dans les com-
Gij
448 MERCURE DE FRANCE.
pagnies. A Paris , de l'imprimerie de Giffey
, rue de la vieille Bouclerie.
ETRENES Hiftoriques ou mélanges curieux
pour l'année 1752 , contenant plufieurs
remarques de Chronologie & d'Hiftoire.
Enſemble les nailfances & morts des
Rois , Reines , Princes & Princeffes de
l'Europe , accompagnées d'époques & de
remarques que l'on ne trouve point dans
les autres Calendriers. Avec un Recueil de
diverfes matieres , variées , utiles , curicafes
& amufantes . A Paris , chez le même, >
TRAITE' de Pharmacie moderne , par
M. Pyraux , Docteur de Médecine de la
Faculté de Befançon . A Paris , chez Delaguette
, Imprimeur de l'Académie Royale
de Chirurgie , rue Saint Jacques , 1751,
Un volume in- 12.
LE Mitoir des urines , par lesquelles on
voit & connoît les differens tempéramens ,
les humeurs dominantes , les fièges & les
caufes des maladies d'un chacun. Quatrié
me édition revûe & corrigée. A Paris ,
chez Cavelier , Delaguette & d'Houry , fils,
1751. Un volume in- 12 .
1
OBSERVATIONS de Jean-Jacques Rouf
feau , de Genéve , fur la réponſe qui a été
faite à fon Difcours. On les trouve à Pa
ris , chez Piffot.
L'occafion de cette brochure eft une de
DECEMBRE. 1751. 149
99
ces circonstances rares , dont l'Hiftoire
fournit à peine un exemple : auffi l'Auteur
, n'ayant aucun modéle à fuivre , a - t'il
pris uu ton tour à lui , qui ne fera fûrement
jamais le ton à la mode . Voici ſon début.
» Je devrois un remercîment , plutôt
» qu'une réplique à l'Auteur anonyme ,
qui vient d'honorer mon Difcours d'une
réponſe : mais ce que je dois à la recon-
» noiffance , ne me fera point oublier ce
que je dois à la vérité ; & je n'oublierai
" pas non plus , que toutes les fois qu'il
» eft queftion de raiſon , les hommes rentrent
dans le droit de la Nature , & re-
» prennent leur premiere égalité.
M. Rouffeau ne combat point directement
la réponfe qu'il examine il convient
des grandes vérités qui y font répandues
, & le borne à établir qu'elles ne
font point contradictoires à la Théfe qu'il
a foutenue dans fon Difcours. Il fait voir
que fur les utilités des Sciences , il a penfé
comme l'Auteur de la Réponſe , & que
fur leur abus , l'Auteur de la Réponse a
parlé comme lui .
Cependant la conclufion du Difcours ;
& celle de la Réponſe fe trouvent directement
oppofées » La mienne étoit , dit
M. Rouffeau , que puifque les Sciences
font plus de mal aux moeurs que de
Gii
150 MERCURE DE FRANCE
bien à la focieté , il eût été à delirer
que
"les hommes s'y fuffent livrés avec moins
» d'ardeur. Celle de mon adverfaire eft ,
que , quoique les Sciences faffent beau
" coup de mal , il ne faut pas lailler de les
» cultiver à caufe du bien qu'elles font . Je
m'en rapporte , ajoute- t'il , non, au pu
» blic , mais au petit nombre des vrais
» Philofophes , fur celle qu'il faut préferer
» de ces deux conclufions.
و د
L'Auteur paffe enfuite aux obfervations
de détail , & examine quelques endroits
de la Réponse qui lui paroiffent manquer
un peu de cette jufteffe qu'il admire volontiers
dans les autres , & qui , felon lui ,
ont pu contribuer à l'erreur de la confé
•quence que l'Auteur en a tirée .
La principale de ces obfervations roule
fur une accufation très-grave , au fujet de
laquelle M. Rouffeau a crû devoir entrer
dans une plus longue difcuffion .
Selon l'Auteur de la Réponse , la culture
des Sciences eft tellement utile à la
Religion , que ce feroit la priver d'un ap
pui que de profcrire les Lettres . En effet, il
paroît par le célébre Edit de Julien l'Apol
tat , & par le chagrin qu'en montrerent les
Chrétiens de fon tems , que les uns & les
autres en penfoient ainfi . Mais leur opinion
ne fait rien ici contre les faits , &
DECEMBRE. 1751 .
c'eft par les faits que M. Rouffeau examine
cette grande queftion .
Il expofe en abregé ce que les Sciences
& la Religion ont eu de commun , & prenant
fon Extrait hiftorique dès le commencement
de l'ancienne Loi , il le fuit
jufqu'à notre fiécle , faifant voir que dans
tous les rems , & les Chrétiens & le Peuple
de Dieu , ont toujours été détournés
par leurs Chefs de l'étude des Sciences
humaines , & que toutes les fois que la
Philofophie & les Lettres ont pénétré dans
ce Sanctuaire , ç'a toujours été au préjudice
de la Religion
.
Ce morceau qui paroît avoir été fai
avec foin , étant lui- même un extrait déja
fort ferré , n'eft pas fufceptible d'extrait ;
ainfi nous renvoyons à l'ouvrage même
les Lecteurs qui voudront en juger . Nous
en dirons autant des articles du luxe , de
l'hypocrifie , de la politeffe , de l'ignorance
, & de la néceffité actuelle de cultiver
les Letrres ; a rticles trop longs pour être
tranfcrits , & trop courts pour être abregés.
Nous nous contenterons d'ajouter
qu'on y reconnoît de même que
par tour ,
dans les notes qui y font jointes , la plume
éloquente , & les maximes fingulieres de
l'Auteur du Difcours , qui a donné lieu
à la Réponſe & aux obfervations.
!
4
G iiij
152 MERCURE DE FRANCE.
LA
LETTRE de J. J. Rouffear , de Genéve
à M. Grimm , fur la réfutation de fon Dif
cours , par M. Gautier , Profefleur de Ma
thématique & d'Hiftoire , & Membre de
l'Académie des Belles- Lettres de Nanci ,
Cette brochure fe trouve chez Piffot , Quai
des
Auguftins.
REFUTATION des penfées philofophiques
, par les feules lumieres de la raifon,
& les principes de la faine Philofophie .
Par M. le Baron de Gauffridi Fos . A Mar
fille , chez Moffi. C'est une brochure de
116 pages.
MEMOIRES pour fervir à l'Hiftoire des
moeurs du dix-huitiéme fiécle , deux parties
. A Paris , chez Prault , fils , 1751.
C'est un Roman de M. Duclos , Auteur
des Confeffions , & de la Baronne de Luz ,
deux excellens ouvrages de ce genre . Nous
rendrons compte dans le Mercure prochain
de cette agréable nouveauté.
BEAUX-ARTS.
IL paroît un très grand ouvrage , fous
le titre de Recueil des Plans , Elevations
Coupes, tant Geométrales qu'en Perspectiva
DECEMBRE. 1753. 153
dés Châteaux , Jardins & Dépendances , que
Le Roi de Pologne poffede en Lorraine , y compris
les Bâtimens , qu'il a fait élever , ainfi
que les changemens les décorations qu'il a
fait faire à ceux qui étoient déja conftruits.
Deux volumes in folio , gravés par les foins
de M. Fleré , Premier Architecte de Sa
Majefté Polonoife . On le trouve à Paris ,
chez le Sieur François , Graveur ordinaire .
du Roi , rue baffe des Urfins , au Triangle
d'or , près Saint Landry , en la Cité . A
Nancy , chez Rabint , Libraire ; à Lune-·
ville , chez Pouchard , auffi Libraire . Quoiqu'on
ait publié le prix de cet ouvrage , il
n'y a cependant rien de déterminé à cer
egard. Les Curieux font invités à le voir
chez le Sieur François , pour juger de fon
mérite..
Douze Buftes des douze premiers Cefars , de
marbre blanc , à vendre à Paris.
Ces Buites font de la plus grande beauté.
Les têtes font du plus beau marbre
blanc de Carrare , de grande nature , d'u
ne belle exécution , & parfaitement reffemblantes
aux portraits que l'Antiquité
nous en ' a laiffes. Ils font ajuftés de bon
goût , & drapés de grande maniere , de
differens albâtres d'Orient antiques , d'un
choix précieux.
GX
154 MERCUREDE FRANCE.
1
Chaque Bufte , de deux pieds dix pou
ces de haur , eft porté fur fon fcabellon ,
& pied douche de different marbre d'Italie,
ce qui fait en tout la hauteur de fept pieds
neut pouces , ou environ .
Ces Buftes , ainfi que leurs fupports ,
font en très bon état , fans nulle fracture
ni altération .
On a des preuves inconteftables , que
c'est le Cardinal Mazarin qui les a fait
venir d'Italie , & .placer dans la Galerie
du Château du Bouchet , qu'il donna en
mariage à Mademoiſelle Martino , la
niéce , en la mariant au Prince de Conti ,
en 1656 .
Ils font chez Madame Doublet , dans la
Cour des Filles Saint Thomas , au bout de
la rue Vivienne , quartier de Richelieu ,
où les Curieux peuvent les voir.
Hauteur des Buftes , deux pieds dix
pouces.
Largeur des épaules , deux pieds fept
pouces.
Pied douche , huit pouces de haut./
Hauteur des guaines , quatre pieds un
pouce.
Ces Buftes font connus de Meffieurs le
Moyne , Adam , Slods , Sculpteurs du Roi,
& de M. le Chevalier de Servandony.
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ABTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
.
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
.
"1
12
E
Po
las!
RE. 1751
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
ATOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATION
NSON
.
ETTE.
bergere ,
mufant ,
lui déplaire ,
int :
; de même ,
oici ,
me ,
lus que lui.
1 I.
t la belle ,
it la parer:
r d'elle ,
mirer.
111.
à mufette ,
nos bois:
ema Lifette
,
r la voix.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE
IV.
Quand elle vient tard à la danfe ,
A chacun il dit fon tourment
A ma trifteffe , à mon filence ,
Peut- on nie connoître amant.
11 plaît , & c. V.
Ma belle égara fa houlette ,
Il la rendit , s'en paya bien :
J'ai fauvé la vie à Liſette ,
Et d'elle je n'exigeai rien.
Il plaît , &c.
SPECTACLES.
'Académie Royale de Mufique a retiré
les Génies Tutelaires , & la Guirlan
de , après quatorze repréfentations , & a.
repris le 24 Novembre les Indes Galanes ,
avec l'Acte des Sauvages.
Les Comédiens François ont donné ,
Samedi 6 Novembre , la premiere rep : éfentation
d'une Piéce en trois Actes & en
vers , intitulée : Le Valet Malire. Cet
ouvrage eft de M. de Miffy , Auteur du
Prouincial à Paris , qui a beaucoup réaffi
CO
TE
DECEMBRE . 1751. 1.57
aux Italiens . Cet Auteur n'a pas été aufli
heureux aux François ; fa nouvelle Comédie
n'a été jouée que fix fois.
L
CONCERT SPIRITUEL,
E Concert continue à être agréable.,
& attire toujours le public .
Celui de la Touffaint commença par
une belle fymphonie del Signor fan Mattini.
Enfuite Deus mifereatur noftri , Pf. 66o .
Motet nouveau à grand Choeur , de M.
Davefne. Le premier Choeur bien deffiné
plein d'harmonie & d'expreffion , eft fuivi
d'un Duo charmant. Le chant des recits de
deffus eft dans le goût Italien , naturel ,
facile & agréable : peut être les accompagnemens
n'en font- ils pas faits avec affez
de foin . Les Choeurs du milieu ne répétant
continuellement que le chant du
coriphée a paru à quelques perfonnes .
trop long , & un peu languiffant . L'idée
de reprendre après le Gloria les paroles,
Deus mifereatur noftri , par le coriphée , &
de faire répondre Amen , par le Choeur ;
cette idée , fans être tout-à - fair neuve ,
nous paroît heureufe. Pour qu'elle eût fait
plus d'effet , le Muficien auroit dû , ce
femble , achever le Gloria , par l'Amen , en
158 MERCURE DE FRANCE.
fugue , tel qu'il eft dans fon Motet , enfuite
faire réciter Deus mifereatur , par le
coriphée , & répondre par le Choeur Amen,
en grands accords graves & chromati
ques , & finir. Voilà une idée qui nous
eft venue , & que nous ofons rifquer. Le
talent de M. Davefne eft affez marqué ,
pour qu'on puiffe mêler aux juftes éloges
que le public lui a donnés , quelques ob
fervations que des connoiffeurs ont faites .
M. Gelin chanta très -bien Incline Do
mine , petit Motet nouveau de M. Martin ,
dont le talent eft connu .
Meffieurs Pla , freres , de la Mufique
'du Roi d'Espagne , exécuterent des Duo ',
& un Concerto de hautbois . Leur jeu fut
trouvé plein de goût & de fineffe .
Le Concert finit par le pathétique &
fublime De profundis de M. Mondonville,
que tout le monde connoît , & que tout
le monde admire,
Concerts chez la Reine , à Fontainebleau,
pendant la fin du mois d'Octobre , & le
commencement de Novembre 1751 .
E 18 & le 25 , on chanta les quatre
L derniers Actes de l'Opéra d'Armide.
Mlles Lalande , Mathieu & Canavas ;
DECEMBRE. 1751. 159
Meffieurs Poirier , Joguet , Befche , Dubourg
, Richer , Bafire & Filleuil , en ont
chanté les rôles.
Le 27 & le 8 Novembre , l'on chanta
le Prologue & les trois premiers Actes de
l'Opéra de Roland,
Mlles Lalande , Mathieu , Canavas de
Selle , Godonnefche & Guédon ; Meffieurs.
Benoit , Joguet & Befche en ont chanté
les rôles.
Le Vendredi 5 Novembre , la Mufique
du Roi chanta le Te Deum , de feu M.
Delalande , dans la Paroiffe de Fontainebleau
, M. le Curé de cette Paroiffe , ayant
prié ce Corps de joindre fon talent aux
veux de fes Paroiffiens , porr l'heureufe
naillance & la confervation de la fanté de
Monfeigneur le Duc de Bourgogne . La
Reine , Monfeigneur le Dauphin , & Mefdames
de France , y affifterent , ainfi que
les Seigneurs & Dames de la Cour. Le St
le Prince , de la Mufique du Roi , rempliffant
le quartier d'Octobre , comme
Maître de Mufique , en battit la meſure .
La Signora Violanté Veftri de Florence
a chanté le 9 Novembre , plufieurs Ariettes
Italiennes , en préfence de Monfeigneur
le Dauphin & de Madame la Dauphine ,
qui en ont paru extrêmement fatisfaits ,
ainfi que toute la Cour , qui a beaucoup
"applaudi à fes talensí
و
163
MERCURE DE FRANCE.
BAKKAAAAAAAAA
**********
NOUVELLES
ETRANGERES.
DU NORD.
DE
PETERSBOURG , le 24 Septembre.
Dinsérie des lé;
l'académie Ans
l'Affemblée publique que l'Académie-
M.
M.
Grichow ,
Secrétaire , annonça que le prix
de cette année avoit été
remporté par M. Clai
raut , des Sociétés Royales de Londres , d'Edim
bourg & d'Upfal , des Académies de Berlin & de
Bologne , &
Penfionnaire de l'Académie Royale
des
Sciences de Paris. En même tems
Grifchow déclara que , pour le fujet du prix de
1713 ,
l'Académie
propofoit
d'expliquer par les
principes de la Physique & de la Chymie laféparation
de l'or d'avec l'argent , au moyen de l'Eau de Dé
part , & d'indiquer une méthode plús courte & plusfacile
de féparer ces deux métaux, M - Krafenftein
Jur enfuite une .
Differtation fur les nouvelles dé→
couvertes qu'il a faites pour
perfectionner la Na
vigation , & il montra une Pendule , de fon invention
, qu'il prétend pouvoir fervir à trouverfur
mer les Longitudes. La féance fut terminée par la
lecture d'un
Mémoire de M.-
Lomonoffoff , fur l'u
tilité de la
Chymie .
Selon les avis reçus de divers endroits , il fe
confirme que la contagion a ceflé dans Conftantiopie
, ou du moins qu'elle y eft confidérable
ment diminuée. Ces avis ajoutent que les précautions
prifes dans le Serail ne l'ont point garantis
de ce fleau , & qu'il y eftmort fix femmes , quatres
DECEMBRE . 1757. 161
des Eunuques prépofés à leur garde , & quelques--`
uns des Ichoglans , ou Pages du Grand Seigneur..
On a été informé par les mémes Lettres , que Sa
Hautefle , pour s'éloigner du danger , s'étoit retirée
dans une mailon de campagne , fur le bord de
la Mer Noire .
DE STOCKHOLM , le 25 Septembre..
Avant hier au matin , Herrard Hofding Wick
man fut décapité , & fa têre a été exposée fur un
poteau. Il eft dit dans fa Sentence , qu'il a été
convaincu d'avoir entretenu des correspondances
illicites, d'avoir favorifé des vûes préjudiciables au
falut de la Patrie , & d'avoir revélé les fecrets que
le Gouvernement lui avoit confiés. La Sentence
ajoute que ces crimes lui ont été prouvés par les
propres Lettres , par plufieurs de celles qui lui ont
éréécrites , par les dépofitions de divers témoins
& par la connoiflance qu'on a des tems , dans lef
quels il a reçu les fommes qui lui ont été données
pour corrompre fa fidélité . Sa femme a été condamnée
à fix fentaines de prifon."
On écrit de Pologne , que les deux Députés ,
qui s'étoient rendus â Drefde pour y foûtenir les
intérêts des Bourgeois de Dantzick contre leurs
Magiftrats , font retournés à Dantzick , & que le
Bourguemeftre Wahl , & le Confeiller Schroeder ,
ont reçu ordre de demeurer à Drefde.
La publication de l'ouverture de la Diette fut
faite le 27 du mois dernier , dans toutes les Places
publiques , & dans les principales rues de cette
Capitale , avec les formalités accoûtumées. On
afficha le même jour dans les lieux ordinaires le
Réglement fur la conduite que les Députés doi
vent tenir , & par un article il leur eft défendua
162 MERCURE DE FRANCE.
fpécialement de former entre eux des affemblées
particulieres. Le lendemain ils commencerent à
exhiber leurs pouvoirs ,& à faire infcrire leurs
noms dans les Regiftres deftinés pour cet effet.
Les Députés de la Nobleffe procéderent hier à
P'élection du Maréchal de la Diette , & le Comte
Henning Adolphe de Gillenbourg , Chancelier
de la Cour , eut la pluralité des fuffrages. Le Doc
teur Henri Benzelius , Archevêque d'Upfal , a été
nommé Orateur du Clergé. L'Ordre de la Bourgeoifie
a choifi pour le fien M. Thomas Plom
green , Bourguemeftre de cette Ville , & Confeil
ler du Confeil de Commerce . L'Orateur , élû par
l'Ordre des Payfans , fe nomme Oluf Hoxanfon.
Le jour de l'Election du Maréchal de la Diette,
il fe trouva dans la Chambre de la Nobleffe huit
cens vingt- neuf Votans , & c'eft le plus grand
nombre , dont jamais elle ait été compofée. Cinq
cens cinquante- quatre donnerent leurs voix au
Comte de Gillenbourg , & deux cens foixantequinze
au Baron Ungern de Sternberg Dèsque
Election fut faite , on l'annonça aux trois autres
Ordres du Royaume , qui y ont applaudi unani .
mement , & qui ont envoyé fur le champ compli
menter le Comte de Gillenbourg. On procéda
enfuite à la nomination des Electeurs chargés
da
choix des Membres du Committé fecret. Les Dé
putés des quatre Ordres rendirent le 3 de ce mois
leurs refpects au Roi , à la Reine , & aux trois
Princes ; & le 4 , s'étant affemblés dans la principale
Eglife,de cette Ville , ils allerent en Corps au
Palais , le Régiment des Gardes à pied étant fous
les armes,& formant une double haye dans les
rues. Ils furent conduits avec les cérémonies ufi.
tées en pareille occafion , dins la Salle où le Trône
étoit préparé. Le Roi , précédé des Sénateurs , &
DECEMBRE . 1751. 163
accompagné de fes Grands Officiers , s'y rendit
quelques momens après. La Couronne & le Scep
tre étoient portés devant Sa Majefté , par le Comte
de Poffe , & par le Baron d'Ehrenpreus , qui les
polerent fur une table vis à vis du Trône. Lorf
que Sa Majefté fe fut placée , M. Troilius , Evêque
de Wefteraas , prononça le Sermon , dont le
Texte pris du Chapitre v111 . du premier Livre
des Rois , étoit , Que l'Eternel foit avec nous , comme
il a été avec nos Peres. Le Comte de Teffin
Président de la Chancellerie , lut enfuite la harangue
du Roi aux Etats , & M de Rudenfchold ,
Secretaire d'Etat , leur communiqua les princi--
paux articles , fur lefquels ils doivent déliberer .
Le Comte de Gillenbourg , Maréchal de la Diette,
& les Orateurs du Clergé , de la Bourgeoifie , &
des Payfans , ayant répondu à la harangue du Roi,
le Baron Fabian de Wiede , qui depuis qu'il avoit
été nommé Sénateur , n'avoit pas prêté ferment en
cette qualité , le prêta entre les mains du Roi.
Après cette derniere cérémonie , Sa Majefté retourna
à fon appartement , & les Sénateurs l'ac
compagnerent jufqu'à la porte de fa chambre.
Jufqn'à préfent la Diette n'a pris aucune réfolution
fur la permiffion que le Comte de Teffin a
demandée de fe démettre de fes emplois. Le mérite
fupérieur de ce Minifte , & fon zéle pour le
bien public , font defirer à cette Affemblée , que
l'Etat ne foit point privé de les fervices.
TA
164 MERCURE DEFRANCE.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 2 Octobre,
Ur la nouvelle qu'un Navire Dalmatien , at
taqué de la pefte , court li mer, la Cour a ptis
des metares , pour qu'il ne trouve accès dans u
cun des Ports de la domination de l'Impératrice
Reine. Jufqu'à préfent les Provinces qu'elle pol
féde dans le voifinage de la Turquie ont été
exemptes de ce fleau , qui continue de caufer
d'horribles ravages dans une partie des Etats du
Grand Seigneur , & qui , à ce qu'on prétend , a
déja enlevé , dans la feule Ville de Conftantinople,
plus de cent cinquante mille perfonnes,
DE BERLIN , le 30 Octobre.
Il fe confirme que le Baron de Willich , Che
valier de l'Ordre de Saint Jean , Grand Prévôt du
Chapitre de Cumin , & Adjudant Général du Roi,
eft chargé de faire la demande de la Princeffe
Guillelmine , fille du Prince Maximilien de Heffe
Caffel , pour le Prince Henri , fecond Frere du
Roi. Le 26 on reçut par un Courier extraordi
naire la nouvelle de la mort du Prince , Stadhou
der des Provinces- Unies,
ESP A. G N E.
DE MADRID , le 26 Octobre
Lparoît un Décret , par lequel le Roi interdit
toute forte de correfpondance avec les Ham
bourgeois , & défend de recevoir dans les Etats
14
DECEMBRE
. 1751. 163
aucune Marchandife venant de Hambourg. On
affure que Sa Majefté fe propofe de faire une
pareille défenfe pour les Marchandifes de Dannemaick.
ITALI E.
DE NAPLES , le 2's Septembre.
E Cardinal Spinelli , s'étant démis de l'Arche-
> Léchédecir ville,le Roi a confentique ce
Siége , auquel depuis long tems les Papes n'avolent
non mé que des Cardinaux , fût rempli par
un fimple Prélat , & l'on croit que Sa Sainteté en
difpofcra en faveur de M. Filomarini , Evêque de
Milero.
En conféquence de la réfolution que Sa Majefté
a prife , de mettre fa Marine fur un pied ref
pectable , on travaille à la conſtruction de plufieurs
Vaifleaux de Ligne , & de quelques autres Bátimens.
Ces jours derniers , on lança , à l'eau une
Fregate de trente-fix canons.
par
DE ROME , les Octobre.
Un Camerier du feu Cardinal de Tournon avoit
laiffé
fon Teftament un diamant , pour que la
valeur en fût employée à des oeuvres pieufes dans
la Ville de Spolette , où il étoit né . Ce diamant
dans le paffage des Indes en Europe avoit été
perdu , & un Banquier , qui l'avoit affûré , avoir
payé le prix porté par l'affurance. Depuis quelque
tems le diamant eft arrivé à Venife , & fa valeur
furpaffant la fomme à laquelle il avoit été eftimé ,
l'Evêque de Spolette le réclame , en offrant de
rembourfer cette fomme aux béritiers de l'Affu166
MERCURE DE FRANCE.
reur. Ceux - ci prétendent de leur côté , que l'Afureur
, ayant rempli les conditions de fon traité ,
doit être confidéré comme Acquereur de bonne
foi ; qu'ils ne pourroient exiger une indemnité ,
fi le diamant étoit d'un prix inférieur à l'eſtimation
, & qu'ainfi l'Evêque de Spolette n'eft pas en
droit de les fruftrer d'un bénéfice , que l'Affureur
a fuffifamment acheté par la p ivation des arrét
ges de la fomme qu'il a débourée , & par le rif
que qu'il a couru d'avoir débourfé cette fomme
en pure perte.
- Deux nouvelles fecoufles de tremblement de
terre le font fait fentir à Narni , & y out tenverfé
plofieurs mailons . Avant hier , à quatre heures
da matin , on effuya auffi une violente fecouffe à
Camerino , & une ancienne Tour , qui étoit à
quelque diftance de la Ville , a été détruite jal
ques dans les fondemens .
Depuis le premier avis qu'on a eu de la conver
fion d'un des Rois des Ifles Molucques , on a ap
pris que ce Prince devoit envoyer une Ambaffade
au Pape.
DE LIVOURNE , le 4 Octobre.
Une femme Juive , nommée Lufena , & une
fille de la même Nation , ont témoigné defirer de
renoncer au Judaïfme . On les avoit mifes fous la
direction d'un Chapelain du Monaftére de la Miféricorde
, & elles alloient tous les jours chez lui
pour recevoir fes inftructions . Le 27 , pendant
qu'elles étoient dans la maiſon de cet Eccléfiaftique
, il fut tiré un coup de fufil , qui porta,
les fenêtres de fon appprtement. Comme des Juifs
demeuroient vis - à - vis de cette maiſon , le peuple
fe perfuada qu'ils avoient voulu attenter à la vie
dans
CE DECEMBRE
. 1751.
167
du Chapelain . Pendant qu'une partie, de la populace
courut en foule au Palais du Gouverneur
pour demander juice , une autre partie fondit à
coups de pierres contre les maifons des Juifs , &
en brifa toutes les fenêtres. Cette populace irritée
fe difpofoit à commettre de plus grands excès ,
lorfque le Gouverneur a rétabli la tranquillité , en
faifant prendre les armes à la garnifon , en polant
des Corps - de-garde dans toutes les rues , & en
promettant au peuple , qu'on tireroit des Juifs une
fatisfaction des plus complettes , s'ils avoient la
moindre part à l'attentat , dont on les accufoit.
Les recherches qu'on a faites à ce fujet , les ont
pleinement juftifiés , & il a été con.taté que le fils
de M. Alexandre Cartoni avoit , fans le vouloir
caulé tout le tumulte . Au retour de la chaffe , il
avoit déchargé fon fufil , & le coup , par malheur ,
avoit donné dans les fenêtres du Chapelain . Le
jeune homme , voyant les fuites fâcheufes de cet
accident , s'étoit enfui à Lucques , mais le Gouverneur
a ordonné à M. Alexandre Carroni dele
faire revenir , fous peine de confifcation de fes
biens . Le pere ayant rappellé fon fils , celui- ci a
été mis en prifon , & l'on a arrêté les principaux
auteurs de l'émeute.
DE GENES , lé 27 Septembre.
On apprend par les dernieres Lettres de Corfe ,
que le feu ayant pris le 16 de ce mois , dans des
bruyeres , on n'a pu s'oppofer au progrès des flammes
, qui ont gagné en peu de tems les bois voiins
, & qui dans l'étendue de près de quarante
milles ont réduit en cendres prefque tous les arbres
& toutes les habitations. Les mêmes Lettres
ajoutent que le Marquis de Curfay , après avoir
168
MERCURE
DEFRANCE.
rétabli la tranquillité dans la Pieve de Niolo , eft
revenu à la Baſtie , & qu'enfuite il en eft parti,
pour aller diftribuer des quartiers aux troupes
Françoiſes .
DE
BERNE , le 30 Septembre.
Des ouvriers , employés à un chemin auquelon
travaille dans le Pays de Vaux , ont découvert ,
en fouillant la terre près de la petite Ville d'Avenches
, plufieurs Colonnes , quelques Statues , &
un ouvrage confidérable de Mofaique, formantun
parallelogramme de foixante pieds de long fur
quarante de large , dont les figures & les ornemens
font très-bien confervés . A peu près dans l'endroit
od Avenches eft fituée , étoit autrefois la Ville
d'Aventicum , bâtie par l'Empereur Vefpafien , &
ruinée par
Attila.Selon les
apparences, les antiqu
tés , dont on vient de faire mention , font des rel
tes de cette Ville célébre.
GRANDE -
BRETAGNE.
DE
LONDRES , le 7 Octobre.
P dans le payement de la taxe fur les terres , el-
Lufieurs Provinces s'étant plaintes de ce que
les étoient plus chargées qu'elle ne devoient l'être ,
proportionellement à leur étendue , le Gouverne
ment a donné ordre qu'on fit une plus jufte réparti
tion . Les récompenfes accordées par le Parlement ,
pour l'exportation de certaines marchandiles , n'e
tant point payées depuis plus d'un an , les Négo
cians de cette Ville out réfolu de préfenter à ce fa
jet une Requête aux Commillaires de la Tréforcrie.
Dans
DECEMBRE. 1758. 169
Dans une Affemblée que le Corps de Ville tint
avant - hier , on mit en délibération , fi l'on demanderoit
le renouvellement d'une Loi , par laquelle
il eft ordonné que toute perfonne réfidente en cette
Ville , ou à dix milles de Londres , ne pourra y
faire entrer des marchandiſes , ni en faire fortir ,
avec deflein de les vendre , fans avoir acquis le
droit de Bourgeoifie .
Le Comte d'Albemarle , Ambaffadeur du Roi
auprès de Sa Majefté Très- Chrétienne , partit le
3 de ce mois , pour retourner à Paris,
On affure que le dernier Courier , arrivé de
Drefde , a apporté la copie d'un Traité , par lequel
le Roi de Pologne Electeur de Saxe , moyennant
un fubfide de quarante-huit mille florins , s'engage
à entretenir un Corps de fix mille homines
pour le fervice de Sa Majefté & de la République
desProvinces Unies. Le Courier , qui a été envoyé
à Miquenez avec la Ratification du Traité
conclu entre cette Cour & l'Empereur de Maroc ,
eft de retour depuis hier.
Toutes les lettres des Ports , foit de ce Royaume
, foit de celui d'Ecofle , annoncent le naufrage
d'un grand nombre de Navires , qui ont péri
dans les dernieres tempêtes fur les côtes de Nor
vege & de Dannemarcx .
Les Commiffaires du Commerce & des Colo .
nies tinrent le 19 de ce mois , une Aflemblée extraordinaire
, dans laquelle ils prirent diverfes
réfolutions concernant laNouvelle Ecoffe . On parle
d'envoyer une Efcadre d'obfervation dans la
Méditerranée. Les Vaiffeaux deftinés à repêcher
leTréfor des Navires de laCompagnie des Ir's Orientales,
qui ont fait naufrage près leslles du Cap-
Verd, mettront à la voile au premier vent favorable.
Tous ceux qui partent des Ports de laGrande-Bre-
I. Va . H
170 MERCURE DE FRANCE.
tagne pour la Turquie , out ordre de s'arrêterà
Smirne , jufqu'à ce qu'ils ayent des nouvelles eertaines
que la Ville de Conftantinople & les lieux
voifins font entierement délivrés de la contagion.
Afin d'éviter toutes difficultés par rapport aux
Vaifleaux obligés de faire quarantaine , le Gou
vernement a déclaré que dans fon Ordonnance à
ce fujet il entendoit par le Levant toutes les
côtes & les Illes depuis l'Ile de Corfoù jufqu'au
Cap Rufata en Afrique . Selon les avis reçus d'A
mérique , plus de cinquante Bâtimens , chargésde
bois de teinture , font arrivés de la Baye de Honduras
dans différens Ports. Par un état desgrains
transportés l'année derniere dans les Pays Etran
gers , il paroit que la Grande - Bretagne en a vendu
pour cent foixante mille livres fterlings on a lieu
de préfumer qu'elle en fera cette année un débit
encore plus confidérable.
PROVINCES UNIES.
DE LA HAYE Le
}
Octobre. 29 >
Le Prince Stadouder , qui pendant fon féjour
Aix- la - Chapelle avoit paru jouir d'une bonne
fanté , fe plaignit , peu après fon retour , de fréquens
maux de tête & d'une douleur de gorge . Ces
indifpofitions ne l'empêcherent pas cependant de
s'appliquer avec la même activité que de coutumme
aux affaires du Gouvernement . Dans le tems
qu'il fe préparoit , le 17 de ce mois au matin , à
fortir pour aller entendre l'Office , il fut attaqué
de la fiévre . On le faigna , mais la fiévre , au lieu
de diminuer , augmenta confidérablement le lew
DECEMBRE. 1751. 171
1
demain, & fut accompagnée d'un tranſport au cerveau.
Elle continua le 19 avec la même vivacité &
les mêmes accidens. Le 20 , le Prince , ayant en
une fueur abondante , fe trouva un peu foulage.
Au commencement de la nuit , il parut être tranquille
, & fon poulx reprit fon affiette naturelle.
L'efpérance que donna ce changement favorable
n'a pas été de longue durée. Vers les dix heures
du foir , leStadhouder retomba dans la plus violente
agitation , fes tranfports au cerveau le renouvelferent
, & il mourut le 22 à trois heures du matin.
Ce Prince , qui fe nommoit Guillaume- Charles-
Henri Frifo , étoit âgé de quarante ans , un
mois & vingt- deux jours , étant né le premier Septembre
1711. Il étoit fils de Jean - Guillaume Frifo ,
Comte de Naffau- Dietz , Stadhouder de Frife &
de Groningue. En 1747 , il avoit été déclaré Stadhouder
, Capitaine Général des Armées , & Grand
Amiral des Forces Navales de la République. Il
avoit épousé le 25 Mars 1734 la Princeffe Anne
d'Angleterre , & de ce mariage il laiffe le Comte
de Buren & une Princeffe . Le corps du Prince
Stadhouder a été ouvert le 23 dans la maiſon du
Bois , où ce Prince eft mort. Le même jour , les
Etats Généraux & ceux de Hollande & de Weft
frife envoyerent des Députations à la Princeffe de
Naffau , pour la complimenter fur la perte qu'elle
vient de faire, & pour recevoir fon ferment en
qualité de Tutrice du nouveau Stadhouder.
Hit
172 MERCURE DE FRANCE.
L
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
E 8 Octobre , le Roi revint du Château de
Crecy.
Une douleur au genouil obligea le lendemain Sa
Majefté de garder la chambre,
Leurs Majeftés accompagnées de Mefdames de
France , fe rendirent le 10 aufoir à Choify , d'od
elles font parties le 12 pour Fontainebleau.
Monfeigneur le Dauphin a été incommodé ces
jours -ci d'une fluxion à la joue. Madame Sophie
eft entierement rétablie de fon indifpofition,
Le 9 , le Roi prit le deuil à l'occafion de la
mort de la Duchefle Douairiere de Baviere .
Le même jour , le Marquis de Paulmy , Sécré
taire d'Etat de la Guerre en furvivance du Comte
d'Argenfon , prêta ferment de fidélité entre les
mains de Sa Majesté .
Monfeigneur le Dauphin & Madame Henriette
tinrent le même jour fur les fonts dans la Chapelle
du Château , le fils du Marquis & de la Marqui
fe de Civerac , qui fut nommé Venant Hemeris
Louis- Henri. La cérémonie du Baptême fut faite
par l'Abbé de la Chateigneraye, Comte de Lyon ,
Aumônier du Roi.
La Ville d'Avignon a député le Marquis de
Crillon , Maréchal des Camps & Armées du Roi ,
pour venir complimenter Sa Majesté fur la naif
fance de Monfeigneur le Duc de Bourgogne.
DECEMBRE. 1751. 173
Selon les lettres de Rouen , du 8 & du 9 , les
Navireslejeune Jean , l'Amour , le jeune Tobie , le
Roi Salomon & le jeune Prince , y font arrivés.
d'Amfterdam , chargés de froment , & les Capitaines
de ces Bâtimens ont rappotté qu'ils avoient
laiffé en Hollande plufieurs autres Navires , fur
lefquels on embarquoit auffi des grains pour la mê
me deſtination .
On mande d'Angleterre que fix Vaifleaux deftirés
pareillement à porter du bled à Rouen , n'attendoient
qu'un vent fovorable pour mettre à la
voile, & qu'ils devoient être fuivis de divers autres
Bâtimens , qui étoient auffi en charge de grains
pour le même Port.
Le 14 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix -huit cens folxante- cinq livres ; les
Billets de la premiere Lotterie Royale , à fix cens
foixante- dix - neuf, & ceux de la feconde à fix cens
trente- quatre.
Le Roi arriva à Fontainebleau le douze fur
des huit heures du foir . Quelques heuras auparavant
la Reine y étoit ' arrivée avec Meldames de
France .
Le 20 ainfi
le 1
que
le 16 & le 18 , le Roi
a
14 ,
pris
le divertiflement
de la chaffe
du Cerf
,
'
Le 21 au foir , Sa Majesté quitta le deuil qu'elle
avoit pris le 9 à l'occafion de la mort de la DucheffeDouariere
de Baviere , & le lendemain elle le
prit pour le Prince d'Eft.
Le Maréchal de Lowendahl étant revenu du
voyage qu'il a fait en Allemagne & en Pologne ,
rendit le 18.fes refpects au Roi , qui l'a reçu trèsfavorablement.
Les fuites des couches de Madame la Dauphi
neayant été aufli heureu fes que fon accouchement
, cette Princeffe fe rendir le vingt- nn à
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
la Chapelle du Château , où elle fut relevée ave
les cérémonies accoutumées , par l'Evêque de
Bayeux , fon Premier Aumonier. Monfeigneur le
Dauphin & Madame la Dauphine , après avoir
entendu la Mefle , allerent voir Monfeigneur le
Duc de Bourgogne & Madame , qui jouiffent ,
ainfi que Monfeigneur le Dauphin & Madame la
Dauphine , de la plus parfaite fanté.
Le 21 , les Actions de la Compagnie des Indes
n'avoient point de prix fixe. Les Billets de la pre
miere Loterie Royale étoient à fix cens quatrevingt-
quatorze livres , & ceux de la feconde à
fix cens quarante- huit.
Le 24 le Roi fit rendre à l'Eglife de la
paroiffe du Château les Pains benits , qui furent,
préfentés par l'Abbé de Lafcaris , Aumônier de Sa
Majefté , en quartier.
Le 21 , le Comte d'Albemarle , Ambaffadeur
Extraordinaire & Plénipotentiaire du Roi de la
Grande Bretagne , eut une audiance particuliere
du Roi , dans laquelle , au nom du Roi fon Maî
tre , il complimenta Sa Majefté fur la naiffance de
Monfeigneur le Duc de Bourgogne . Le Comte
d'Albemarle fut conduit à cette audiance par le
Chevalier de Sainctot , Introducteur des Ambaf-
Ladeurs .
Le 23 , le Comte de Kaunitz - Rittberg , Ambaf ,
fadeur de l'Empereur , & de l'Impératrice Reine
de Hongrie & de Bohême , eut auffi du Roi une
audiance particuliere,dans laquelle il complimenta
Sa Majesté fur le même événement , de la part de
leurs Majeftés Impériales . Cet Ambaffadeur. fut.
conduit à cette audiance par le même Introducteur.
Le Marquis de Saint Vital , Chevalier d'Hon
neur de Madame la Ducheffe de Parme , &
DECEMBRE. 1751. 179
Grand -Maître de la Maifon de cette Princeffe , envoyé
par l'Infant Duc de Parme , pour compli
menter le Roi fur la naifance de Monfeigneur le
Duc de Bourgogne, arriva le 2 à Fontainebleau , &
Je 26 il eut l'honneur de s'acquitter de fa commif
fon auprès de Sa Majesté. Il a été préſenté au
Roi , à la Reine , à Monfeigneur le Dauphin , à
Madame la Dauphine , à Mefdames Henriette
& Adélaïde , & à Mefdames Victoire , Sophie ,
& Louife , par le Chevalier de Sainctot , Introducteur
des Ambaffadeurs.
Monfeigneur le Dauphin & Madame la Dauphine
arriverent à Fontainebleau , de Versailles
de 25 entre fix & fept heures du foir.
Les Lettres de Honfleur marquent que le
Navire le Saint Clément , venant de Terre-neuve
y eft arrivé avec un chargement de feize mille
morues.
9
Le
31 du mois
d'Octobre
dernier
, veille
de
la
Fête
de
tous
les
Saints
, la
Reine
communia
par
les mains
de l'Abbé
d'Andigné
, fon
Aumônier
en
Quartier
, Monfeigneur
le
Dauphin
communia
par
les
mains
de
l'Abbé
de
la
Chateigneraye
,
Aumônier
du
Roi
, &
Madame
la Dauphine
par
celles
de
l'Évêque
de
Bayeux
, fon
Premier
Au
mônier
.
La Reine fit rendre le même jour , à l'Eglife de
la Paroiffe du Château , les Pains Benits , qui furent
préfentés par l'Abbé d'Andigné.
L'après- midi , la Reine accompagnée de Monfeigneur
le Dauphin , de Madame la Dauphine ,
& de Mefdames de France , affifta dans la Cha
pelle aux premieres Vêpres , chantées par la Mufique
, & aufquelles l'Evêque de Belley officia
pontificalement .
Le premier Novembre , jour de la Fête , le Roi
Hüij
176 MERCURE DE FRANCE.
& la Reine , accompagnés de Monfeigneur le
Dauphin , de Madame la Dauphine & de Meldames
, entendirent dans la même Chapelle la Gran
de-Meffe , célébrée par le même Prélat.
Leurs Majeftés , accompagnées comme le matin
affifterent l'après midi au Sermon de l'Abbé
Froquieres , Ecolâtre & Chanoine de l'Eglife Ca
thédrale de Noyon , & enfuite aux Vêpres , aufquelles
l'Evêque de Relley officia.
Le même jour , Monfeigneur le Dauphin fit
rendre à l'Eglife de la Paroiffe les Pains benits , &
ils furent préfentés par l'Abbé de laChateigneraye,
Aumônier du Roi.
Le 31 du mois d'Octobre au foir , le Roi quit
ta le deuil que Sa Majefté avoit pris le 22 à l'occafion
de la mort du Prince d'Eft , fecond fils du Duc
de Modene .
Madame la Dauphine jouit de la fanté la plus
parfaite , & l'on apprend de Verſailles , que Mon
feigneur le Duc de Bourgogne & Madame fe por
tent auffi bien qu'on puiffe le défirer.
Le Roi a nommé pour fon Ambaffadeur en Suil
fe , à la place du Marquis de Paulmy , M. de Cha
vigny , actuellement Ambaffadeur de Sa Majesté à
Venife. Le Marquis des Iffarts , ci devant Ambaf
fadeur auprés du Roi de Pologne Electeur deSaxe ,
& de la République de Pologne , doit aller réfider
avec le même caractere auprès du Roi de Sardai
gne , & l'Abbé de Berny , Comte de Lyon , & l'un
des Quarante de l'Académie Françoife, a été nommé
Ambaffadeur du Roi auprès de la République
de Venife.
Sur le jugement avantageux que l'Académie
Royale des Sciences a porté de la méthode du St
Pereire , pour enfeigner aux fourds de naiffance ,
à parler , & fur diverfes expériences , qui ont confir
DECEMBRE . 1751. 177
mé ce jugement , le Roi vient d'accorder une penfion
audit Sieur Pereire .
Le 4, les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix - huit cens foixante-quinze livres , les
Billets de la premiere Lotterie Royale à fept cens
quinze , & ceux de la feconde à fix cens foixantehuit.
Le 7 , Madame la Dauphiné fit rendre à la Paroiffe
du Château les Pains bénits , qui furent
préfentés par l'Abbé de Bonnéguife , fon Aumônier
en quartier.
Le Roi a nommé fon Ambaffadeur , auprès des
Etats Généraux des Provinces- Unies , le Marquis
de Bonnac , Maréchal des Camps & armées de Sa
Majefté.
Le 12 de ce mois , l'ouverture du Parlement
fe fit avec les cérémonies accoûtumées , par une
Meffe folemnelle , à laquelle M. de Maupeou ,
Premier Préfident , & les Chambres afhfterent
& qui fut célébrée par l'Abbé de Sailly , Chantre
de la Sainte Chapelle , & Aumônier de Madame
la Dauphine.
Le :
ese , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix- huit cens quatre- vingt - fept livres dix
fols ; les billets de la premiere Lotterie Royale à
fept cens quinze , & ceux de la feconde , à fix cens
foixante- dix.
H
(
178
MERCURE
DE FRANCE
.
MMMMMMMMMMMM
NAISSANCE , MARIAGES
.
L
& Morts.
Es Octobre à un heure du matin , naquit &
fut ondoyé à Provins N .... de Culant , fils
premier né du mariage de Nicolas Louis Augufte
Marquis de Culant de la Broffe , Seigneur de
Savins en Brie , & de Marie Gabrielle Durand
d'Auxy , fille de Philibert Durand , Comte d'Au
xy , Confeiller du Roi & ancien Grand Maître
des Eaux & Forêts de Franche -Comté , de Breffe
& d'Alzace , mariée le 11 Avril 1750.
Le Marquis de Culant eft iffu d'une famille nor
ble de Brie où elle a poflédé depuis 350 ans , les
Terres de Bernay , Saint Cyr , Saint Ouin , Buf
ferolles , du Perron , la Motte d'Attilly , Bru
chery , Chantaloup , la Broffe , Courgivoft &
autres confidérables ; elle a confervé jusqu'à prés
fent celles de Savins & de Juftigny en cette Province
; elle a donné à l'Ordre de Malthe plufieuts
Chevaliers & un grand Prieur de Champagne , &
a contracté plufieurs illuftres Alliances , entr'autres
celles d'Elbennes , de Thumery , d'Argemon ,
de Brefnes , de Brichanteau , de Rouffillon , de
Blanchefort , de Fleurigny de Poftel.
Paul Stuart de l'illuftre Maiſon de ce nom en
Ecoffe , qui avoit pour ayeule maternelle , Marguerite
de Culant ,Dame de Savins & deJuftigny,
fe voyant fans enfans , fit une donation en forme
de fubftitution , par acte du 25 Août 1637 ,
Louis de Culant , Marquis de la Broffe , Lieutenant.
des Chevaux Légers du Duc d'Angoulême
DECEMBRE. 1751. 179
des Terres de Savins & de Juftigny en Brie , dont
jouit actuellement Nicolas Louis Augufte Marquis
de Culant , qui a pour cadets les Seigneurs de Ciré
en Xaintonge & d'Angueville en Angoumois du
futnom de Culant , auffi bien que ceux de ce
nom établis dans le Boulonnois. Ils portent pour
armes , d'azur femé de tourneaux de fable ,
& un fautoir de gueul engiêlé.
Les AoûtM, le Marquis de l'Hôpital , Capitaine
de Cavalerie , frere du Comte de P'Hôpital-
Sainte-Même , Maréchal de Camp , a époulé
Dame N ..... Ourfen veuve du Comte de Chepy
Maréchal de Champ .
Le9 M. Louis Théodore Andrault Comte de
Langeron a époufé Damoifelle N .... de Menow
quatrième fille de M. François Charles Marquis de
Menou , Seigneurde Charnizé , & de Dame Anne
Thereze Cornuau de la Grandiere ; la Comteffe
de Langeron a pour four les Marquifes de Jumilhac
, de Damafcrux & de Lambert . Voyez les
Tablettes hiftoriques IV. partie , page 187 &
314.
Le 13 Août, Clément CharlesFrançois deLaverdy,
Ecuyer Confeiller du Roi en fa Cour de Parlement
, fils de Clément François de Laverdy
Ecuyer , Avocat en Parlement , épouſa dans l'Eglife
de S. Germain l'Auxerrois Damoiſelle Catherine
Elizabeth de Vin , fille de Jacques René de
Vin d'une des plus anciennes & honorables famil
les de la Bourgeoifie de Paris , dont fon quatrième:
ayeul Adrien de Vin étoit Echevin en 1643. Meffieurs
de Laverdy furent maintenus dans leur noblefle
par Arrêt du Confeil d'Etat du 9 Novembre:
1746 , revétu de Lettres Patentes du Roi du 30
Mars 1747 , enregistrées au Parlement le 22 Août
de la même année , à la Chambre des Comptes le
H. vj
150 MERCURE DE FRANCE ;
13 Février 1748 , & à la Cour des Aides , le pre
mier Août 1749.
Le 19 , Jean Baptifte Morgan , Ecuyer Seigneur
de Frucourt , d'Oudeninville, Warcheville,
& autres lieux , époufa Damoiselle Françoife-
Anne de Guerti , dont le pere Capitaine & Major
d'un Régiment en Irlande , fuivir en France en
1690 le Roi Jacques ; en 1726 , il arma deur
Vaiffeaux , conjointement avec M. Walsh , pour
faire la guerre aux ennemis des établiffemens Fran
çois dans l'Inde , le fuccès dans plufieurs occafions
juftifia fun entreprife , & il a partagé le bonheur
de s'être rendu utile à fa nouvelle Patrie , avec
trois freres , dont l'un eft Brigadier des Armées
du Roi , & Lieutenant Colonel du Régiment de
Lally , l'autre Lieutenant Colonel d'Infanterie , &
Capitaine des Grenadiers du Régiment de Dillon ,
& le dernier , ci devant Commandant à l'ile de
Bourbon , remplit à Nancy la place de Directeur
Honoraire de la Société des Belles- Lettres.
Le 17 Claude Helvetius , Ecuyer , Maître
d'Hôtel de la Reine , époufa Damoiselle Anne-
Cathéline de Ligniville , foeur de Madame de la
Garde , dont il a été fait mention dans le Mercure
du mois de Juillet dernier.
Le premier Septembre , le Marquis de Cherval,
Capitaine de Cavalerie dans le Régiment d'Har
court , Sénéchal d'Angoumois , a époufé à Angout
lême , la Damoifelle le Mufnier de Lartige. La
Maifon de la Geard de Cherval , eft originaire de
Périgord , où elle pofléde plufieurs Terres , & a
pris des alliances avec la plus illuftre Nobleffe du
Pays. Il y a deux branches de ce nom ,
la Geard
Saint Martial , & la Geard de Beauregard.
Celui qui donne lieu à cet article et le neuviê
me Sénéchal d'Angoumois de pere en fis .
DECEMBRE . 1751: 181
"
M. Jean -Prançois Berton de la Violay , Capicarne
, Aide-Major du Régiment du Roi , fils de M.
Berton de Quervefio , Confeiller au Parlement de
Bretagne , a époufé le 13 Septembre Damoiselle
Jeanne - Etiennette Guillaume de Chavauden de S.
Maur , fille de M. de Chavaudon de S. Maur
Confeiller du Roi en la Cour des Aides.
Danie
Le 21 ,M. Jofeph- Marie de la Motte , Chevalier
Seigneur de la Motte , Monmuran & autres lieux ,
époufa Damoiselle Marie-Anne de Vious ,
de Teffancourt , fille de défunt M. René de Viou ,
Chevalier Seigneur de Teffancourt , & de Dame
Marie-Marguerite de la Salle.
La Maison de Viou , dont il y a eu un grand
Prieur de Champagne , a fourni depuis longtems
, ainfi que celle de la Salle , un fi grand
nombre de Chevaliers de Malte , qu'on croit intrtile
d'entrer dans aucun détail pour les faire connoître.
Celle de la Morte , en Bretagne , où elle a fair
des alliances avec les meilleures Maifons de cetre
Province , prouva Pantiquité de fa nobleffe , lors
de la recherche générale qui en fut faite en 1668.
Et le Chef du nom & armes de cette Maifon , frere
du bifayeul du nouveau marié , juſtifia alors
huit générations nobles au- deffus de lui.
Le 29 , M. Claude Daniel , Seigneur de Bois
Dennemets , en Vexin, Seigneur & Patron d'Hauteverne
, de Château -fur - Epte, de Cahagne , Cantiers
, Serancourt , & Brigadier des Armées du
Roi , Exent de la premiere Compagnie Françoife .
des Gardes du Corps de Sa Majefté , Chevalier de
P'Ordre Royal & Militaire de S. Louis , Fils de
feu Claude Daniel , Seigneur de Bois Dennemets
Seigneur Patron d'Hauteverne & de Cantiers ,
de feue Dame Marguerite- Louife le Prince , veuf
&
782 MERCURE DE FRANCE
fans enfans depuis 1746 , de Dame Louife GeneviéveGuyardDame
de Château fur Epte , de Caba
gne & de Sénancour , époufa , en fecondes nôces ,
Damoifelle Jeanne Elizabeth de Borel - Clarbec , fille
ainée de Louis Philippe de Borel , Comte de Clarbec,
Seigneur d'Argence , Vallemé , la Garenne ,
&c. en Normandie & de Dame Anne Elizabeth
le Goüés de la Rigannerie.
Ce Mariage a été célébré au Château des Bores
près Magny en Vexin François , chez M. le Com
te de Manerbe , Lieutenant Général des Armées
du Roi , confin germain de M. le Comte de Clar
bec, & beau frere , du chef de feue Dame Marie
Françoife de Borel-Clarbec , la premiere femme
morte en 1747 fans enfans . La nouvelle Matquife
de Bois Dennemers n'a qu'une four non
mariée , elle eft petite fille de Ferry de Borel ,
Comte de Clarbec & d'Anne de Valois-Villette.
Nous avons annoncé au mois d'Avril de l'année
derniere le fecond mariage de M. le Comte de
Manerbe , Chef de la Maifon du Borel , avec Dile
HenrietteMarieJofephine de laEoiffiere - Chambors
Dans le Mercure du mois d'Août dernier , où
l'on a rapporté la mort de Louife- Adelaide d'Epinai
, Marquije de Laval , l'on a mis à cette occafion
un extrait de la généalogie de la Maifon d'Epinai
, mais d'une maniere à faire croire que la
branche des Marquis de Ligneri eft la feule de
cette illuftre maifon qui fubfifte. L'omiffion des
autres branches qui fubfiftent pourroit former dans
le public un préjugé défavorable à ceux qui ont
P'avantage d'en être fortis ; ainfi nous allons réformer
cette erreur autant que nos connoiffances
pourront le permettre. La branche d'Epinai- Mezieres
ainée de celle d'Epinai- Ligneri , & formée
par Ambroife d'Epinai , Seigneur de Mezieres ,
DECEMBRE. 1731 183
troifiéme fils de Robert d'Epinai , Seigneur de S. ,
Luc , s'eft fubdivifée en quatre autres branches .
Philippe d'Epinai , Seigneur de Mezieres , d'Auvergny
& de Loraille , fils d'Ambroife , eut de fa
femme Françoife de Clavier , Dame de Putot en
Auge , quatre garçons , fçavoir : 1º . Pierre d'Epinai
, 2. Jacques , 3. Antoine , 4. Felix d'Epi
nai , qui ont formé les branches d'Auvergny , de
Vaux , de Loraille & de Vallée . ·
fa
Branche d'Auvergni.
I. Pierre d'Epinai , Seigneur d'Auvergny , épous
par contract du 19 Septembre 1616 , Elifabeth .
de Laval , fille de Jean de Laval, Seigneur de Tartigni
, & de Claude de Prunelet , elle fut mere
entr'autres enfans de Philippe d'Epinai , Seigneur
d'Auvergny & de Putot , marié le 21 Novembre
2639 , à Elifabeth de Nolan , dont il eut François-
Jofeph d'Epinai , Seigneur d'Auvergny , mort
fans poftérité. 2. Jofeph-François d'Epinat , Seigneur
d'Auvergny & de Putot , pere d'Alexis
d'Epinai , Seigneur d'Auvergny & de Putot ,
mort en 1743 , étant Moufquetaire du Roi , &
laiflant un fils en bas âge qui viten 1751 .
91
Branche de Vaux..
II. Jacques d'Epinai , Seigneur de Vaux , par
tagea avec Antoine & Felix , fes freres ; le 18
Juillet 1640 , il époufa le 25 Février 1615 , Charlotte
du Tertre , fille de Jacques du Tertre , Sei
gneur de la Morandiere , Vicomte d'Orbec , &
d'Anne du Chefne , il eutpour fils François d'Epinai
, Seigneur de Vaux , vivant en 1659 , il avoit
été marié par contract du 30 Juin 1639 , & re184
MERCURE
DE FRANCE.
connu le 18 Avril 1840 , à Barbe du Moulinet ;
veuve de François Pommier , leurs fils. François
d'Epinai , Seigneur de Vaux , batifé à S. Martin
le
30 Mai 1650 eut acte de la répréſentation de fts
titres de Nobleffe , le 21 Juin 1666 , il époufá
N .... le Conte , dont il a eu pour enfans 1º.
Adrien d'Epinai , dit l'Abbé de Vaux , actuelle
ment vivant , 2° Valerien d'Epinai , Seigneur de
Vaux , qui a long tems fervi en qualité de Capi
fa
taine de Cavalerie , & vivant actuellement avec
femme , N.... de Mondillon , dont il n'a point
d'enfans. 3 ° . Antoine Jofeph , 'dit le Marquis d'Epinai
, actuellement vivant avec fa femme Magde-
Jaine d'Anguibert ; leur fils unique Bonaventure,
Marquis d'Epinai Capitaine de Cavalerie dans le
Régiment de Penthiévre , né le 2 Avril 1729, a été
marié deux fois ; 1 °. à Jeanne Magdelaine de
Delland , 2 ° . par contract du 17 Avril 1748 ,
figné du Roi, de la Famille Royale, & des Princes
& Princeffes du Sang , avec Dame Urbine Eliza
beth de Moy , veuve de M. Michel François Ber
thelot , Maréchal des Camps & Armées du Roi,
& Gouverneur de Thionville , & fille de Charles ,
Marquis de Moy , & de Jeanne Elizabeth de Calvimont.
Madame la Marquife d'Epinai eft actuelle .
ment Gouvernante des enfans de S. A. S. Mon
feigneur le Duc de Penthievre.
Les enfans du Marquis d'Epinai font :
19. Adrien Joſeph d'Epinai , né du premier lit
le premier Mai 1740. 2 °. Une fille anonime née en
Février 1750.
Branche de Loraille.
III. Antoine d'Epinai , Seigneur de Loraille,
troisième fils de Philippe d'Epinai , Seigneur
de
DECEMBRE. 1751. 1.85
Mezieres , étoit mort en 1664 ; il avoit épousé par
contract du 25 Avril 1635. Françoile le Grand,
fille & héritiere en partie d'Aignand le Grand
Seigneur d'Effonds , il laiffa entr'autres enfans
1° Felix d'Epinai , Seigneur de Loraille , mort
en 1683 , laiffant de fa femme Elifabeth Durand ,
Claude d'Epinai , Seigneur de Loraille , Capitaine
au Régiment du Roi en 1696 , mort fans alliance
en 1715, & qui a eu pour héritiere fa foeur ,
Françoife d'Epinai , femme de N ....le Hantier ,
Seigneur de Glatigni, 2 ° Jacques d'Epinai , qui a
continué cette branche : il fut pere de Jacques
Abraham d'Epinai , Seigneur de Mezieres , qui
a pour fils Alexandre Jacques d'Epinai , âgé de z
ans en 1751 .
Branche des Seigneurs des Vallées.
Felix d'Epinai , Seigneur des Vallées , qui eut
acte de la répréfentation de fes titres de Nobleffe
le 21 Juin 1666 , avoit époulé Françoife de Hel
linvillier , il laiffa entr'autres enfans :
1. Valerien d'Epinai , Seigneur de Juignette &
de Sommaire , qui a été pere de François Felix
d'Epinai , Seigneur de Juignette , celui ci a deux
fils , fçavoir : Louis François d'Epinai qui a poſtérité
, & Felix -Louis d'Epinai.
2°. Guillaume d'Epinai , Seigneur des Vallées ,
pere d'Alexandre d'Epinai , Seigneur des Vallées
& de Claude- Louis d'Epinai , qui a poflérité.
?
Le 16 Août fut inhumé à Saint Roch le Sicur
Etienne Morin , Ecuyer Seigneur de Saint Citgace
& de Séve , décédé rue Traverfiere .
Le 19 , Meffire Philippe Aynard Comte de Cler
mont deTonnerre, premier Baron , Connetable',
& grand Maître héréditaire de Dauphiné , & ci- de186
MERCURE DE FRANCE
vant Colonel du Régiment d'Anjou , mourut à
Chambrai en Normandie , âgé de 63 ans . Ce Seigneur
qui étoit le chef du nom & Armes de la
Maifon, ne laifle de fon mariage avec Genevieve
Armande de la Rochefoucaut de Roye , que deur
filles , fçavoir : Marie Charlotte Félicité de Cler
mont , époufe du Comte de Lannion , Lieutenante
Général des Armées du Roi & Alifon Tranquille
de Clermont , Dame du Palais de la Reine , ma
riée à Louis Claude de Clermont , Marquis de
Montrifon , Capitaine de Gendarmerie. La Maifon
de Clermont en Dauphiné eft & connue que
nous nous contenterons de renvoyer à l'hiftoite
des grands Officiers , tom. VIII . page 912. Voyez
auffi les Tablettes hiftoriques II. part. p . 153 )
IV. part page 25′1.
"
Le même jour , François- Honoré- Antoine de
Beauvilliers de Saint Aignan , ancien Evêque de
Beauvais , & Abbé de l'Abbaye de Saint Victor de
Marfeille Séculatifée par des Bulles du 17 Dé
cembre 1739 mourut dans la foixante dixième
année de fon âge , à l'Abbaye de Premontré ,
il étoit retiré depuis plufieurs années ; le premier
Octobre 1713 il avoit été facré Evêque de Beau-
- vais, & en 1728 le Roi lui avoit accordé l'Abbaye
de Saint Victor de Marfeille.
Le 20 , Marguerite le Mèneffrel de Hauguel ,
veuve de Jacques - Gabriel Bazin de Bezons , Ma
réchal de France , Chevalier des Ordres du Roi
& Gouverneur du Cambrefis , ainfi que des Ville
& Citadelle de Cambrai, mourut à Paris âgée d'en
viron quatre-vingt ans, & fut inhumée le 21 à St.
Sulpice.
Le 2r eft décédé Meffire Louis de Saint Simon ,
Marquis de Sandricourt , Seigneur d'Amblainville ,
&c. Lieutenant- Général des Armées du Roi , de
DECEMBRE. 1751. 187
o Février 1734. Il avoit été manié par contract du
Lo Octobre 1717 , à Marie- Louife - Gabrielle de
Gourgues , fille de Jean- François -Jofeph de Gourques
, Marquis d'Aunay , Maître des Requêtes , &
de fa premiere femme Gabrielle-Elifabeth de Barillon
, morte le 15 Avril 1700 , âgée de 22 ans.
laifle de ce mariage cinq enfans , fçavoir : 1 °.
Maximilien Henri , dit le Marquis de Saint Simon,
né en Novembre 1720. 29. Baltazard - Henri de 5.
Simon , Capitaine de Cavalerie , né en Novembre
1721. 3. Claude de St. Simon , Chevalier de
Malthe , né le 27 Décembre 1723. 4. Simon-
François , dit l'Abbé de St , Simon , né le 5 Avril
1727, 9. Catherine Léonore de St. Simon , née le
2 Janvier 1734 .
Le 23 fut inhumé à St. Sulpice M. François
Ximénes , Page de M. l'Ambaffadeur d'Espagne
décédé rue de l'Univerfité:
Le même jour on inhuma à St Germain l'Auxerrois
, Michel- Nicolas Marquette Sr. de Flavigny
Ecuyer Sécretaire du Roi , décédé rue St. Thomas
du Louvre,
Le 24 Meffire Henri d'Hautefort , Comte de
Bruzac , Grand Croix de l'Ordre Royal & Mili
taire de St. Louis , Lieutenant- Général des Ar
mées du Roi , Gouverneur des Villes d'Obernheiml
,de Rofen & de Kokesberg , en Alface , Se
ci-devant Major des Gardes du Corps de Sa Majeſté
, mourut à Paris dans la quatre-vingt - quatorziéme
année de fon âge , & fut inhumé à Saine
Sulpice. Ha eu pour héritiers Jean-Louis d'Hautefort
, Comte de Vaudre , fils de fa foeur Jeanne:
d'Hautefort , mariée en 1693 , à Antoine d'Hau
tefort , troifiéme du nom , dit le Comte de Vau
dre , Seigneur de la Razoire , la Marche & Gabil .
lon.Voyez la généalogie de la Maifon d'Hautefort
ISS MERCURE DE FRANCE
fortie de celle de Gontaut , dans l'hiftoire des
Grands Officiers , Tom. VII. page 340 & 348 ,
Le 25 fut inhumée à St. Paul Marie Pauline
Guay de la Tour , fille de M. Jean- Jacques Guay
de la Tour , Ecuyer , Confeiller , Sécrétaire du
Roi , morte âgée de 17 ans .
Le même jour fut inhumée à St. Roch , Suzane
Coillot de Montherant , femme de M. l'Efcarmoutier
, Ecuyer Séciétaire du Roi , & mere de Ma
dame Caze .
Meffire Louis Baltazard Phelipeaux d'Herbault,
Evêque de Riez , Abbé de l'Abbaye du Thoroner ,
Ordre de Citeaux , Diocèle de Fréjus , & Chanoine
Honoraire de l'Eglife Métropolitaine de
Paris , eft mort fur la fin de ce mois dans fon Dio
cèfe , dans un âge fort avancé , il avoit été facré
Evêque le 31 Décembre 1713 , & il jouiffoit de
fon Abbaye depuis 1697.
M. N. de Roche Colombe , Briga lier des At
mées de Sa Majefté , & Lieutenant de Roi de la
Ville de Metz , y eft mort les premiers jours de
Septembre.
Les , Don Jacques Martin , Réligieux Bénédic
tin , connu dans la république des Lettres pardi
vers ouvrages importans , mourut à l'Abbaye de
St. Germain- des - Prez les Septembre , dans la
foixante-neuviéme année de fon âge .
Le 14 Septembre , Charles - Jofeph Duc de
Bouflers , Pair de France , Noble Génois , Gouver.
neur & Lieutenant - Général pour Sa Majesté des
Provinces de Flandre & de Hainault , Brigadier
`des Armées du Roi , Colonel du Régiment de N-
&c. eft décédé rue St. Marc. Son corps fut
préfenté à St. Euftache , & inhumé dans l'Eglife
des Minimes dans le tombeau de fes ancêtres il
avoit époufé en 1747 Marie- Anne- Philipe - Tho
varre
DECEMBRE.
1751. 189
refe de Montmorenci , fille de Louis- François
Conte de Logni , dont il n'a eu qu'une fille née
le 23 d'Avril 1749 , de forte que par la mort de ce
Seigneur la branche ainée de la Maifon de Bou-
Aers le trouve éteinte .
Le 24 Septembre fut inhumé à St. Eustache
Meffire Hubert Gourjaut , Marquis de Mauptié ,
décédé rue Coqueron.
Le 25, Frere Claude - Jacques de Rogres de Cham
pignelles , Bailly de l'Ordre de St. Jean de Jérufalem,
Grand Prieur de Champagne , decédé rue
desTournelles , à l'âge de 88 ans , fut tranſporté au
Temple pour y être inhumé. Il avoit pour cinquié
me ayeul Guillaume de Rogres , Echanfon du Roi
Charles VII . Il étoit troifiéme fils de Charles
de Rogres , Baron de Champignelles , & de
Marie de Tenance , fille de François de Saucie
res de Terrance , Baron de Champignelle , il avoit
quatre autres freres Chevaliers de Malthe , & deux
freres ainés , fçavoir ; Louis , & Louis- Charles.
Louis de Rogres
Chevalier
Marquis de
Champignellés
, a laiffé de fa femme , Marie-
Nicolle Graffin ; 1°. Marie Sophie de Champignelles
, femme de Pierre François le Bacle ,
Comte de Moulin , dont une Chanoineffe
d'Epinal.
2°. Charles- Louis de Rogres , Marquis de
Champignelles
, qui avoit époufé Catherine- Loui
fe- Marie de Brizay, dont il a laiffé trois garçons ,
& les Dames Picor de Dampierre & Guyon de St.
Dizier ; & l'ainé des garçons du Marquis de
Champignelles a époufé le 28 Août 1737 , Jeanne
Henriette le Févre de l'Aubriere , fille de Charles.
François , mort le 25 Décembre 1738 , Evêque
de Soiffons. Le Grand Prieur de Champagne avoir
pour four , Marie-Anne Rogres de
Champignels
les, mariée à Michel Chauvelin de Garanciere.
190 MERCURE DE FRANCE
Louis Charles de Rogres de Champignelles
Chevalier Seigneur de Chevrinvilliers , Ville Ma
ré hal Longlée , St. Ange le Viel , a laiffé de
femme , Marie- Anne le Charon , pour fille uni
que , Louife- Anne- Victoire de Rogres deCham
pignelles , mariée le 15 Novembre 1712 , à Jen
Louis le Bacle , Marquis d'Argenteuil , Lieute
nant Général au Gouvernement de Champagne ,
Gouverneur de Troyes
Le 12 Octobre , Meffire Jacques Comte de
Piefafco , d'une des plus illuftres Maifons du
Piémont , eft mort à Paris dans la vingt-troifiém:
année de fon âge.
Dame Louife Henriette de Chatelard de Saliert ,
époufe de Meffite François Raymond , Comtede
Narbonne Pelet , mourut à Paris le 14 , âgée de
foixante quatre ans , & fut inhumée dans l'Eglife
de Saint Louis dans l'ifle : elle étoit foeur du Marquis
de Saliere , Commandeur de l'Ordre Royal
& Militaire de Saint Louis , Lieutenant - Général
des Armées de Sa Majefté & Gouverneur des Vil .
le & Citadelle de Dieppe , ainfi que de la Ville
& du Château d'Arques. Cette Dame laiffe entr
autres enfans François Raymond Pelet , Vicomte
de Narbonne Pelet , Lieutenant - Général des Armées
du Roi. La maifon de Pelet eft trop connue
pour en parler ici . Voyez l'hiftoire des Grands
Officiers , Tom. VII. p. 768 , & les Tablettes hiftoriques
, IV, par. p. 351 .
Le même jour fur inhumé à St. Sulpice Meffire
Jean- Pierre des Portes , Seigneur de Gourbeville ,
décédé rue des Cordeliers.
Et Ifaac- Jean Houffemant , Ecuyer ,
vieille rue du Temple , à Saint Paul.
Le 25
decédé
Che- fut inhumé à Saint Sulpice Jacques
villard, Généalogifte & Bourgeois de Paris , décé
dé rue du Four.
DECEMBRE. 1751. 191
Le 26 ,
dans
Dame Marthe Ricaud , veuve depuis le
9 Mai 1737 de Meffire Simon le Courtois , Chealier
Seigneur d'Averly , mourut en cette Ville
gée de 63 ans , & fut inhumée auprès de fon mari
ans le caveau de la Chapelle , en l'Eglife de St.
Etienne du- Mont. Elle étoit deuxiéme fille de
erre Ricaut , Ecuyer Seigneur des Perrieres , en
Languedoc ; & de Dame Anne le Begue d'Arieux
, fes pere & mere , niece de M. le Cheva--
ser d'Arvieux , Envoyé extraordinaire du Roi à la
Porte Ottomane , Commandeur de l'Ordre de St.
Lazare , & connu par fes voyages aux Echelles du
Levant , imprimés à Paris en l'année 1735. Elle
avoit été mariée le 10 Février 1710 , & laifle de
fen mariage , Jacques le Courtois , Seigneur d'A
verly , 1eçu Confeiller en la Cour des Aides le 10
Mai 1735. La famille de MM . le Courtois eft
originaire de la Ville de Troyes , leur généalogie,
eft comprife dans le Nobiliaire de Champagne ,
fuivant la production faite le 11 Février 1668,
pardevant M. de Caumartin , Intendant de ladite
Province , & Commiflaire député par le Roi pour
la recherche de la Nobleffe. Elle a pour Auteur
Simon le Courtois , que le Roi Charles VI . ans
noblit avec la femme Ifabelle , & leur postérité née
& à naître en légitime mariage, par Lettres patentes
du niois de Septembre 1396 , enrégiftrées en
la Chambre des Comptes de Paris , le 14 d'Octobre
de la même année ; la postérité de Simon le
Courtois eft actuellement partagée en deux bianches
, l'ainée a pour chef Meffire Pierre le Courtois
, Chevalier Baron de Saint Cir & les Vaulx-
Germains , Seigneur de Bucey , Fondvannes & autres
lieux , Confeiller du Roi en fa Cour de Parlement.
MM . le Courtois portent pour A mesd'azur
à 3 meures d'or , 2 en chef & l'autre en pointe,
telles qu'elles font infcrites dans l'armorial géné
2
192 MERCURE DE FRANCE,
ral de France , conformément à l'Edit du Roi de
mois de Novembre 1696 , & fuivant le certificat
de M. d'Hozier ', du 22 Août 1698.
LETTRE
Ecrite par un Religieux de la Charité de Po
tiers , à M. de la Martiniere , Premier
Chirurgien du Roi , aufujet des bêtesqui
dévorent les Habitans de la campagne.

Onfieur ; ma timidité m'a fait differer jul
qu'à préfent le détail que je hazarde au
jourd'hui , au fujet des bêtes qui dévorent les Ha
bitans de la campagne , aux envitons de la Ville
de Poitiers ; l'accueil dont vous honorez ceux de
votre profeffion , m'enhardit à en foumettre la
Relation à votre curiofité , & à la profonde expé
rience qui vous a acquis la confiance du plus grand
Prince du monde , & formé à juste titre la plus
haute réputation : voici ce dont il s'agit . Pent
être êtes-vous informé , Monfieur , que depuis
trois mois il fe trouve dans nos cantons des efpé
ces de loups qui attaquent toutes fortes de per
fonnes , particulierement des enfans , qui les
étranglent & qui les mangent ; on en compte déja
trente , ou environ , qui ont éprouvé ce trifte fort.
Quoique tous les Habitans de la campagne
tiennent fur leurs gardes , & qu'ils ne fortent
point fans armes ; cependant il y en a toujours
quelques-uns qui ne peuvent échapper à la voracité
& à la cruauté de ces animaux , les fréquentes
chaffes qui ont été faites par plufieurs milliers
d'hommes , tant de la Ville que des Paroiffes circonvoisines
, ne les ont point épouvantés . Le der
nieg
fe
DECEMBRE. 1751. 193
ier jour- d'Avril , le Syndic & quelques Habitans
de la Paroifle de Latilié , éloigné de quatre lieues
de Poitiers , réuffirent enfin à tuer un de ces animaux
, qui venoit de dévorer un jeune garçon
nomméFradel , domestique du Sieur Pouzet , de la
Paroille de Benaçay , il lui emporta tout le vifage
les mufcles du larinx & pharinx , & tous les
tegumens qui couvrent les os du crâne . Cet
animal fut tranfporté à l'Hôtel de M. de Bloffac ,
Intendant de la Province , qui donna ordre d'en
faire l'ouverture , & il me fit appeller pour diri .
ger cette opération , je m'y tranfportai avec un
de mes Confreres : je ne m'oppofai point aux fentimens
de plufieurs , qui prétendoient que ce loup
'étoit point de la même figure de ceux qui font
dans le Pays , je confidérai feulement la figure de
cet animal dans toutes fes parties intérieures &
extérieures , dont voici la defeription.

Cé loup avoit cinq pieds de long , y compris
lá queue , qui feule étoit d'un pied , groffe & plus
gainte de poils dans fon extrémité que dans la
naiffance , étant d'un gris foncé par tout & fort
ras , particulierement fur le dos ; la tête groffe &
platte dans fa fommité , large de demi pied entre
les oreilles , qui étoient doubles , longues &
larges de quatre pouces , ayant au- deffous une
marque blanche , les pattes d'un loup ordinaire. II
paroiffoit que ce loup avoit été bleffé à la patte
droite du devant , parce que je n'y trouvai qu'une
griffe , il avoit la langue fort rude , quatre dents
en forme de défenfes , fort longues & très aigues,
& dix autres de chaque côté , tant incifives
molaires , les dernieres étoient largès d'un pouce
la hauteur de cet animal étoit de trois pieds , il
avoit le corps très efflanqué.
= L...
que
Pour ce qui regarde l'intérieur , après avoir fait
1.Vol. I
194 MERCURE DEFRANCE.
faire l'ouverture , je remarquai que , cet animal'
avoit reçu trois balles dans le corps , l'une atta
qua la partie inférieure du femur de la cuiffe gauche,
& l'autre pénétra dans le col , la troifiée ,
après avoir fracturé l'omoplate gauche , avoit entré
dans la capacité de la poitrine , & avoit percé
le lobe gauche du poulmon , & divifé Paorte af
cendante & la veine- cave , la quantité de fang
épanché & coagulé nous en fut une preuve ;fon
coeur étoit petit , le foye très-gros , compofé de
huit lobes . Les autres vifcéres & inteftins , auflibien
que les côtes , étoient de la même figure
direction que ceux d'un chien ; toutes les parties
intérieures nous parurent fort maigies. Nous
trouvâmes dans le ventricule ( qui étoit rempli
d'une maniere liquide , noirâtre & porracée, & de
quelques autres alimens moitié digerés, ),une oreil
le humaine dans fon entier avec une grande partie
des mufcles & tegumens qui couvroient un des pa
tjetaux garnis des cheveux , & une grande portion
de l'autre oreille avec fon mufcle fupérieur &
poftérieur , & partie de fes cartilages , que je conferve
dans l'efprit de vin ; toute cette opération a
été faite en préfence de M. l'Intendant , & de plus
de trente perfonnes,
Nous avons dans PHôtel - Dieu un jeune gar
çon , âgé d'environ dix huit ans , qui a éprouvé la
cruauté de cet animal féroce , il fut furpris par ce
loup , qui lui porta d'abord fes griffes fur la tête,
lai mangea l'oeil gauche , & la plus grande partie
du vilage , de même que les mufcles crotaphite ,
canin , buccinateur . & les tegumens , totalement
le pericrâne qui fut enlevé du pariétal gauche , ce
garçon eut le courage de porter fa main dans la
gueule de cet animal , & lui tint la langue pendant
quelque tems , mais ayant eu cette main endome
DECEMBRE. 1751. 196
magée, il fut obligé de céder, & il auroit péri dans
le combat , s'il n'eût été fecouru aflez promptement
; ce loup qui l'avoit emporté dans un bois,
lui laiffa la marque de fes dents dans les lombes.
Je lui repréfentai cet animal , qu'il reconnut an
premier afpect être celui qui l'avoit mis en ce
trifte état , les rêves affreux cefferent & fa fiévre,
diminua ; aujourd'hui il y a toute efperance de
guerifon , par les grands foins de M. Gaillard ,
Chirurgien dudit Hôtel- Dieu , qui s'est toujours
diftingué avec éloge dans toutes les opérations les
plus délicates de fon Art . Ledit bleffé étant conduit
pour ce qui regarde la théraputique , par M.*
de la Barriere , jeune , mais fçavant & prudent
Médecin dudit Hôtel -Dieu. Je ne vous dis rien de
fa louve pourfuivie à fes continuels hurlemens ,
qui fut tuée le fur-lendemain , elle étoit pleine de
cinq petits ; fi dans quelque tems j'apprends quelqu'autres
particularites , & pour peu que vous me
marquiez que cela vous faffe plaifir , je vous en informerai
avec toute l'exactitude qui pourra dépen
de de moi. J'ai l'honneur d'être , &c.
>
F. Jerôme Simonneau.
A Poitiers , le 20 Mai , 1751 .
REPONSE de M. de la Martiniere
Premier Chieurgien du Roi.
M
On Reverend Pere , je vous fuis très obligé
du dérail que vous avez pris la peine de me
faire , au fujet des ravages que caufent les loups
dans votre canton , & de la defcription que vous
me donnez de leurs conformations. Je conçois
quelle doit être l'allarmedesHabitans de la campaghe
expofés à la ferocité de ces animaux , mais
Lij
196 MERCURE DE FRANCE.
fans doute que le miniftére public prendra fi bien
fes meſures , qu'on fera bientôt délivré de cette
efpéce de fléau : j'accepte bien volontiers l'offte
que vous voulez bien me faire , de m'inftruire des
nouvelles circonftances de cet évenement , je profite
avec bien du plaifir de cette occafion , pour
Vous affurer du refpect avec lequel je fuis , &c.
De la Martiniere,
A Verfailles , le 10 Juin 175 1
REMARQUES
Sur une Differtationfur la quatrième Eglogue
de Virgile inferée dans le Mercure
d Août 17.5 .
N m'a envoyé , Monfieur , à ma campagne,
où je viens de paffer deux mois , les Mercu
res d'Août & de Septembre ; je les ai lús avec
grand plaifir. J'ai trouvé dans celui du mois.
d'Août , page 67 , une Differtation qui intérefle
un de mes anciens amis ; elle contient des objec
tions , faites par M. Bourgeois , contre l'expli
cation que M. Ribauld a donnée de la quatrième
Eglogue de Virgile, J'ai eu tout le loifir de les
examiner ,,⚫ainfi que le nouveau fyftême propofé
par M. B. J'ai fait là deffus quelques réflexions ;
permettez-moi , Monfieur , de vous les adreffer,"
Je commence par avoir l'honneur de vous ob
ferver , que M. R. me communiqua , il y a plus
de douze ans , fes idée's fur le fujet de la quatrième
Eglogue de Virgile comme elles ne s'accordoient
point avec celles du P. Catrou, je l'exhortai
:
DECEMBRE. 1751. 197
à en donner connoiffance à ce fçavant Jefuite.
Cette politeffe fut bien reçue , & les Auteurs du
Journal de Trévoux firent l'honneur à mon ami
d'inferer fa Differtation dans leurs Mémoires . M.
P'Abbé des Fontaines en fit ufage dans fon Virgile
. M. R , ne s'en tint pas -là : il ne put être fatisfait
de fon explication , qu'après l'avoir mife dans
un nouveau jour , & l'avoir étayée de nouvelles
preuves. En cet état il l'envoya à un habile. Aca
démicien , qui la fit imprimer chez Chaubert, en
1743. Il me paroît que M. Bourgeois n'a pas
connu cette édition , j'ai l'honneur de la lui indi
quer , afin qu'il puiffe y faire un nouvel examen
duffyftême qu'il attaque ; voyons s'il eft mieux
fondé dans celui qu'il voudroit établir.
t
" Ma conjecture , dit M. B. eft fondée fur Pau
torité de Suetone. Cet Hiftorien parle ainf
d'Augufte.Il eut Julie de fon mariage avec Scri
bonia , il n'eut point d'enfans de Livie , celle cr
accoucha avant terme d'un enfant qui ne vêcur
point. Ex Scribonia Juliam , ex Livia nihil libe
» Yorum tulit cum maximè cuperet. Infans qui conceptus
erat immaturus eft editus. cap. 63. J'eftime ,
ajoute - t'il , que l'enfant, dont parle ici Suetone ,
eft celui que Virgile célébre dans fa quatrième
>> Eglogue.
Avec la permiffion de M. Bourgeois , le fens
qu'il donne à ce paffage n'eft point exact ; il ne
s'agit pas d'un enfant qui vêcut , ou ne vêcut
point , il faut fe renfermer dans les paroles de Sues
tone. Augufte ne put point avoir d'enfans de
Livie , quelque envie qu'il en eût : cette Princelle
devint groffe , mais elle ne fit qu'une fauffe couche
;fi toutefois elle en fir une , car ce fait n'a
point d'autre garant dans l'Hiftoire que Sue¬
tone.
I iij
18
MERCURE DE FRANCE
Ne chicannons point fur les termes : M. B. covient
que ce n'eft point fur un enfant né , mais
far une groffeffe que la quatrième Eglogue a été
faite. Auflitôt que la groffeffe prétendue de Livie
eft déclarée , Virgile dans l'excès de fon zéle , fans
fçavoir fi Penfant viendroit à terme ou non ,f
Impératrice le feroit mort ou vivant , fi ce feroit
'un Prince ou une Princeffe , fe décide pour un
Prince , fe livre à fon enthoufiafme , compofe &
publie une Eglogue pour célébrer la Naillance
future de cet enfant renfermé dans le fein de
mere. Voilàun fyftême neuf , & fi vraiſemblable
que je fuis furpris que
l'idée ne foit pas venne i
quelques uns des bons Poëtes que nous avons en
France , de chanter il y
fept ou huit mois
Naillance de Monfeigneur le Duc de Bourgo
'gne.
Il y a ici une autre obfervation à faire , cit
qu'en fuppofant que Livie devint enceinte , ful
vant le paffage allegué de Suetone , nous ne
voyons rien dans cet Auteur qui fixe l'année de
cer évenement, M. Bourgeois y fupplée en ces
mots : peu de tems après la Naiffance de Deu
fus , Livie fe trouva enceinte ,
ce qui charmi
beancaup Augufte &-tous fes favoris . Je con
viens qu'on ne peut pas placer cette époque plus
à propos , il n'y manque que la preuve,
* 55
Rien n'arréte notre Critique , fi on lui demande
quel eft ce Conful à qui Virgile dès le troifiéme
vers , a tant d'empreffement de faire la cour ; il
répond que c'eft Pollion. On lui objecte que Pol
lion n'étoit plus Conful depuis deux ans , lorfque
Augufte époufa Livie , il en demeure d'accord ,
& que dans la bonne régle , ce Romain devoit être
traité de Confulaire , & non de Conful ; mais Vir
gile vouloit faire un vers , il n'y avoit pas moyen
DECEMBRE . 1751 . 199
y faire entrer Confulari , le Poète a mis Conful
à la place . Je n'ai rien à vous dire , Monfieur,
far cette explication , je vous prie de la compa
fer à celle que M. R. a donnée du même vers
dans l'édition que je vous ai citée.
L'invocation que Virgile fait à Lucine , prouve
parfaitement , felon M. B. que l'enfant dont il s'agit
, n'étoit pas encore né. Qui en doute è il n'étoit
pas né , mais il étoir fur le point de naître ,
nafcenti puero. Lorfqu'une femme était en mal
d'enfant c'étoit une formule ufitée chez les
Payens d'implorer le fecours de Lucine : Juno Lu
cina fer opem. Virgile faifit l'inftant où l'enfant
qu'il célébre va voir la lumiere . C'eft à ſon imita
Mou que Rouffeau a dit :
Hâtez - vous , ô chafte Lucine !
Jamais plus illuftre origine
Ne fut digne de vos faveurs.
S'avifera -t'on de dire , que le Héros dont Rouf
a célébré la Naiffance , n'étoit pas encore
né Mais fi c'eft d'un enfant né , ou à naître
d'Augufte ou de Livie , que Virgile a voulu chanter
la Naiffance , pourquoi en faire une énigme f
Si M. de Voltaire publie quelque belle Ode fur
fa Naiffance du Prince que le Ciel a accordé à nos
vaux,nous laiffera- t'il ignorer les auguftes Auteurs
de fa Naiffance?eft- il flatteur pour Augufte & pour
Livie , qu'un Lecteur foit obligé de deviner le fujet
d'un Poëme , confacré à la Naiffance de leur fils?
Lorfque Virgile invite cet illuftre enfant à voir
le monde qui chancelle , qui s'ébranle fur fon
propre poids , afpice convexo , &c . eft - ce à un en
fant , à peine formé dans le feit de Livie, que cette
avitation s'adreſſe
200 MERCURE DE FRANCE.
fe
Eofio fi le plus fage des Poëtes a pris pour
fujet de fa pièce cet enfant prétendu , dont Livie
fe bleffa , comment a-t'il pû dire : commencez
aimable Enfant , à reconnoître votre mere au doux
fouris qu'elle vous fait , dix mois de groffeffe luj
ent caufé de longs dégoûts .
Incipe parve puer rifu cognofcere matrem ,
Matri longadecem tulerunt faftidia menfes.
Comment concilier ces vers avec ce paffage
Immaturus eft editus. Si l'enfant vint au monde à
la fin du dixième mois , il n'étoit rien moins
qu'immaturus , & Suetone n'a pas eu raifon de
dire qu'Augufte n'eut point d'enfans de Livie ,
ex Livia nihil liberorum tulit . M. Bourgeois
croit-il fe tirer de- là , en difant que dans le langa
ge des Poëtes , le préfent , le passé, l'avenir , toutfe
confond. Mais il ne fe fouvient donc pas , qu'à la
fixiéme page de fa Differtation , page 72 du
Mercure , il n'a pas voulu qu'il fût permis d'attri
buer cette faute à Virgile : Pourquoi , dit- il ,
auroit, il confondu le préfent , le paffé , Pavenir? Cel
ne veut- il pas dire en bon François , que Virgile
n'a pû ufer de cette licence pour les endroits que
M. Ribaud explique , mais qu'il faut la lui paffer
pour ceux que M. Bourgeois ne peut expliquer ?
Je vous en fais juge. J'ai l'honneur d'étre , &c.
Le 2 Novembre 1757 .
D. L. C.
P. S. J'ouvre dans le moment l'Hiftoire Nat
relle de Pline , liv. 7. & j'y trouve ces mots. Eft
quadam diffociatio corporum , & inter fe fterilis : at
ubi cum aliis junxeris , gignunt , ficut Auguſtus
Livia,
DECEMBRE . 1751. 201
Cela fignifie , fi je ne me trompe , qu'il y a
quelquefois telle difproportion dans les temperammens
de deux perfonnes mariées , qu'il en résulte
une ftérilité , quoique ces mêmes perfonnes unies
à d'autres , puiffent avoir des enfans ; Auguſte &
Livie en font un exemple.
Il eft donc faux que Livie ait mis au monde un
enfant né avant terme , qu'elle avoit en d'Augufte.
Car fi le fait avoit été vrai , Pline n'aurort
pas cité ces deux époux pour un exemple de fterilité
il n'y auroit pas eu entre eux cette diffociatio
corporum , dont parle le Naturalifte .
Le paffage de Suetone , dont M. Bourgeois tire
avantage eft donc détruit par celui de Pline. Or
quand Pline , Auteur diftingué par fes emplois &
fon érudition , écrivoit ceci , il n'y avoit pas plus
de quarante ans que Livie étoit morte. Perfonne
n'hésitera à préferer fon témoignage à celui de
Suctone , qui n'a écrit que long- tems après.
PROJET GENERAL
Pour la perfection de toutes les fecondes édi
tions d'ouvrages imprimés. A l'Auteur
du Mercure.
I'
> ' Ai lú Monfieur , dans votre Mercure do
mois d'Août dernier , l'article contenant un
Projet pour donner la plus grande perfection poffible
à une nouvolle édition du Dictionnaire de Trévoux &
de Moreri.
Tout ce qui y eft dit eft très- clair , très-fage ;
& facile à exécuter. Mais en le lifant , j'ai réflecht
que l'on pouvoit étendre cette idée pour tous les
202 MERCURE DE FRANCE.
Livres en général , dont on voit la plupart du
tems plufieurs éditions fe renouveller fans autre,
difference fouvent , que le format ou le carac
tére.
Ce n'eft pas d'aujourd'hui que l'on accuſe Meſs
feurs les Libraires de trouver leur compte à laif
fer une premiere édition imparfaite en quelques
points , parce qu'une feconde qui devient nécel ,
faire les indemnife , des frais de la premiere.
Vous avez pû le remarquer déja plufieurs fois
un bon ouvrage paroît- il chacun y court , il cft
enlevé fur le champ. L'Auteur n'a pas le tems de,
le revoir , puifque le public n'a pas même celui
de le lire ; une feconde édition ſe reproduit donc
mais fous quelle forme reparoît- elle pour le faire.
acheter , même par ceux .qui ont la premiere
Elle fe préfente avec des ornemens étrangers :
eftampes , culs de- lampe , Azurons , vignettes ,
que fçais je? Rien n'eft cependant épargné pour
embellir fon extérieur , voilà fa fortune faite , tout
le monde s'emprene de l'avoir à caufe de fon éle
gance . Celle-ci vient-elle encore à être épuisée ,
on s'imagineroit qu'il n'y a plus rien à inventer
pour préfenter ce même ouvrage fous un nouvel
afpect , l'on le trompe , on ajoute une Table al
phabétique. Adieu. les deux premieres éditions ,
celle- ci eft certainement la plus néceffante , parce
qu'elle eft la plus complette ; enfin fi une quaiéme
édition Houve moyen de paroître , os
change le format , on choifit le plus portatife
pourroit-on fe pailer de cette derniere c'eft un
qeni mecum , il faut l'acheter , & c'eftainfi à l'ine
fint , encore je pardonnerois tous ces changemens
A le fonds stamclioroit , mais non ; c'eft un Ac--
teur qui change bien d'habit , mais qui conferve
mujoursLes mêmes défauts.
DECEMBRE. 1751. 203
La raifon de cet abus vient le plus fouvent de
ce qu'un ouvrage , étant vendu à un Libraire.
ceffe d'appartenir à fon Auteur . Semblable à un
enfant qu'un pere infortuné eft obligé de vendre
pour fa propre fubfiftance , il fait les volontés de
fon nouveau maître : la nature a beau parler en fa
faveur , il appartient à gens qui ne le confidérent
plus comme un enfant du génie ou de l'efprit ;
il devient à leurs yeux comme un amufement
pour le public : fitôt que le public fe contente
de fon habillement , penferoit on à changer fa
fru&ture ?
C'est ainsi que les erreurs fe perpétuent , &
que l'on fe trouve accablé d'éditions d'un même
ouvrage , dont le nombre même empêche de dif
cerner la plus parfaite.
Pour remédier à tous ces inconvéniens , & tenir
la Littérature plus floriffante , en rendant fes
productions plus parfaites , il ne faut qu'établir
une voie par laquelle les Sçavans de toutes les
Provinces puiffent faire remettre , promptement ,
fûrement & fans dépenfe , leurs Critiques , Queftions
, Remarques , & doutes même , fur tous les
Ouvrages qui paroiffent au jour .
I
La Pofte feule peut procurer cette correfpondance
avec tous ces avantages .
La queftion préfentement eft de fçavoir qui
Supportera la dépenfe..
Il n'eft pas jufte que celui qui fe donne la pei
ne de lire , de méditer , de critiquer , paye encore
les frais d'un travail qui va au profit de la Littérature.
L'Auteur devroit plutôt encore fupporter cette
dépenfe : ce font des avis qui le relevent ; des cri
tiques fondées qui réforment fes erreurs ; ne futce
qu'à titre d'amende , c'eft plutôt à lui à less
Ivje
204 MERCURE DE FRANCE.
fouffrir qu'à l'Auteur de ces avis. Cependant il
faut Pavouer , il feroit bien dur pour lui d'être
obligé de payer des fautes qui lui feront arrivées
par méprife ; n'eft ce pas bien affez pour lui de ſe
voir contredit fans être obligé de payer comptant ,
peut être le cruel plaifir des critiques à le mor
tifier.
Si quelqu'un devoit entrer dans la dépenfe , ce
feroit le Libraire ; c'eft lui en effet qui y gagnele
plas , fon livre fe rectifie , fon fond s'ameliore :
cependant pour peu que les critiques fe multipliaffent
& vinffent de loin , le gain difparoîtroit
bientôt ou il refuferoit les paquets contenant les
critiques , ou il s'en dédommageroit fur la vente
de l'édition , & les livres font déja affez chers.
Qui fapportera donc la dépenfe ? le Prince fedt,
par une indemnité qu'il accorderoit à cet effet à la
ferme des Poftes.
Rien n'eft plas fur que cette voye pour faire
parvenir les chofes le plus fecretement qu'il eft
poffible. Rien n'eft plus prompt pour faire artiver
à un centre tout ce que l'on peut envoyer des quatre
coins du Royaume ; il ne s'agit plus que de
penfer à prévenir l'abus que l'on pourroir faire de
la liberalité du Roi , en fe fervant de cette voye
pour toute autre chofe que pour des affaires Lit
teraires.
Tout paquet qui contiendroit de pareilles no
tes & avis , &c. feroit cacheté fous enveloppe en
préfence du Directeur , ou par le Directeur même
de la Pofte de chaque endroit , paraphé même fi
l'on veut , & adreffé à Paris à M.l'Intendant de la
Librairie de France , qui en les décachetant les feroit
remettre foit à Paris foit en Province, à l'Auteur
ou au Libraire intéreffé .
Il n'y a point d'endroit où il n'y ait une Pofte ,
DECEMBRE . 1751. 20
205
dès lors voila une voye générale ouverte à tous
les Sçavans du Royaume , pour faire parvenir à un
feal terme tout ce qu'ils peuvent avoir à dire fur
les Ouvrages qui voyent le jour.
Cette opération eft bien fimple , & ne demande
de la part du Prince qu'une de ces libéralités qu'il
répand de tous côtés , & de la part de M l'Intendant
de la Librairie de France; qu'un foin qu'il
prendra volontiers , tant pour fe conformer aux
vues éclaircies du Monarque , que pour fatisfaire
au goût particulier qu'il a pour la Litté
rature.
J'ai l'honneur d'être , &c .
A Paris ces Septembre 175
AMLOT.
ECLAIRCISSEMENS
Sur la longitude du Cap de Bonne- Efpé
rance.
A difpute qui a régné fi long- tems entre M.
P
& quelques Géographes François , fembloit avoir
été décidée ( en 1718 ) après plus de trente ans
en faveur de M. Hallei , qui retranchoit quatre
dégrés de la longitude qu'on affignoit à ce Cap.
En effet M. de la Hire donne la pofition du Cap de
Bonne Efperance dans fes Tables Aftronomiques
d'une heure & quatorze minuttes à l'Orient du
Méridien de Paris , enfuite M. Caffioi & l'Auteur
de la connoiffance des Tems en ont retranché
206 MERCURE DEFRANCE.
T
3 minuttes, c'est-à- dire trois quarts de dégré,puif
que chaque dégré de longitude répond à 4 minuttes
d'heure on s'étoit fondé ici en France for
Pobfervation des éclipfes des fatelittes de Jupiter
qu'avoient obfervés au Cap de Bonne Efperance
les Millionnaires qui y relâcherent , allant à la
Chine en 1685. Mais M, Halleï au lieu d'un feal
moyen prouvoit & par les routes des Vaiffeaux
qui vont & qui viennent de l'ifle Sainte Heléne au
Cap , & par les obfervations de la Lune faite à
Terre par un Ecoffeis ; enfin par une éclipfe de
Lune oblervée en rade au Cap des Aiguilles , que
cettelongitude devoit être diminuée d'environ 4
dégrés . C'est pourquoi il établit cette longitude
dans fes Tables Aftionomiques nouvellement publiées
, d'un peu moins d'une heure , c'est à dire
de 58 minuttes & deux tiers à l'Orient du Méridien
de Paris.
Les obfervations de la derniere écliple de Lune
du mois de Juin , faites au Cap de Bonne- Esperan
ce , ont donné lieud'établir plus précisément cette
longitude , fçavoir : de 9 minutes ou deux dégrés
un quart moins avancée felon que M. de laHire,
& juftement tenant un milieu entre les réfultats
de M. Caffini & Halleï : celui- ci donnant cette
longitude d'un dégré & demi trop à l'Ouest , c'ett
à - dire autant que M. Caffini la donne trop avan
cée vers l'Eft.
De nouvelles obfervations indiqueront fans
doute quelque demi dégré , dont il faudra apprecher
les derniers réſultats touchant cette longiande
, foit de celui de M. Caffin , foit de celui de
M. Halleï ; car la derniere éclipfe de Lune n'ayant
pas été vuë à Paris , il y a près de 4 mitutes de
difference dans le commencement de l'éclipfe ,
obfervé ( en réduifant au Méridien de Paris , ) .
DECEMBRE. 17573 207
Marſeille & à Turin ; fçavoir : le io Juin au ma-i
tin , 14 minutes & s fecondes , ou bien 10 minu-i
tes & un quart après minuit.
Il y a donc lieu de croire qu'il faut attendre en→
core des obfervations plus décifives & d'un genre
plus exact que les éclipfes de Lune , telles que les
occulations des fixes & les paffages de la Lune au.
Méridien , pour pouvoir conftater aujourd'hui
cette longitude du Cap de Bonne- Efperance , da
la connoiffance de laquelle on approche davantage
, qu'il n'avoit été poffible de le faire jufqu'à
ce jour.
EXTRAIT
Dune Lettre de Turin , du 12 Novembre,1.
I.
E dix de ce mois S. A. S. Monfeigneur le Prin
ce de Carignan a donné une fête magnifique
à occafion de celle de St. Hubert. Madame la
Princeffe de Carignana trouvé à la Belleffe , qui
eft une de fes maifons de campagne , diftante de
Turin d'environ trois mille , une grande partie
de la Nobleffe de cette Ville , tant en hommes
qu'en femmes, qui y avoient été transportées dans
les équipages. Toutes les Dames & tous les Seigneurs
à l'exemple de la Princeffe portoient l'ha
bir uniforme de chaffe , qui eft celui du Prince.
Après un déjeuné magnifique on a couru le che
vreuil depuis onze heures jufqu'à quatre , qu'il a
été pris. Toute cette partie de la campagne on
étoit la chaffe offfoit un coup d'oeil admirable par
le nombre de belles voitures & des gens à cheval
qui la parcourofent ; au retour de la chaffe tour
le monde a été conduit au Palais du Prince , qu
208 MERCUREDE FRANCE.
1
F'on a fervi quelque tems après un repas fuperbe
& magnifique . La falle du feftin étoit entourée de
fix tables, & celle de la Princeffe étoit dans le fond,
Lefoupé fini , le Prince & la Princeffe font paffés
dans la falle du bal fuivis des Dames qui avoient
roujours leurs babies d'Amazones , & des autres
Seigneurs , avec leurs uniformes de chaffe , La falle
du bal & tous les appartemens qui y aboutiſſoient
brilloient de mille clartés.
L
AVIS.
E Sieur le Comte , feul Vinaigrier ordinaire
& breveté du Roi , ayant la fatisfaction de
fournir de foixante- dix fortes de vinaigre , tant
pour les tables que pour les bains & toilettes ,&
fept fortes de moutarde aux Seigneurs & Dames
de la Cour , & des Cours étrangeres ; fe croit obli
gé pour la commodité defdites Cours de renouveller
tous les ans fa demeure. C'eft toujours Place
de l'Ecole , près le Pont- Neuf , à la Renommée. !
L
AUTRE.
A Veuve du Sieur Bunon, Dentiste desEnfam
de France ,donne avis qu'elle débite journelle
ment chez elle , rue Sainte Avoye , au coin de la
rue de Braque , chez M. Georget , fon frere , Chirurgien
, les remédes de fen fon mari , dont elle .
a feule la compofition , & qu'elle a toujours préparés
elle-même.
Sçavoir : 1 °. Un Elixit anti-fcorbutique qui raf
fermir les dents , diffipe le gonflement & l'infla
mation des gencives , les fortifie , les fait recroî
tre , diffipe & prévient toutes les afflictions fcorDECEMBRE.
1751. 209
butiques , & appaile la douleur de dents .
29. Une eau appellée fouveraine , qui affermit
auffi les dents , rétablit les gencives , en diffipe
toutes tumeurs , chancres & boutons qui viennent
auffi à la langue , à l'intérieur des lévres &
des joues ; en fe- rinçant la bouche de quelques
gouttes dans de l'eau tous les jours , elle la rend
fraiche & fans odeur , & en éloigne les corrup
tions , elle calme la douleur des dents ..
3.Un Opiate pour affermir & blanchir les dents,
diffiper le fang épais & groffier des gencives , qu ;
les rend tendres & molaffes , & caufe de Podeur
la bouche.
4°. Une poudre de Corail pour blanchir les dents
& les entretenir , elle empêche que le limon ne fe
forme en tartre & qu'il ne corrompe les gencives,
& elle les conferve fermes & bonnes , de forte
qu'elle peut fuffre pour les perfonnes qui ont
foin de leurs dents fans qu'il foit néceffaire de les
faire nettoyer. Les plus petites bouteilles d'Elixir
font d'une livre dix fols.
Les plus petites bouteilles d'eau fouveraine font
d'une livre quatre fols , mais plus grandes que
celles de l'Elixir.
Les pots d'Opiate les plus petits font d'une livre
dix fols.
Les boëtes de poudre de Corail font d'une livre
quatre fols.
On trouve auffi chez elle des racines préparées
& des éponges fines.
La Veuve Bunon ofe affurer que le Públic fera
auffi fatisfait de la bonté defdits remedes , dont les
Dames de France ont uſé, qu'il l'étoit du vivant
de fon mari.
o MERCURE DEFRANCE.
A. UTR E
EXCELLENTE POMMADE
pour la guérifon des hémoroides.
M
Ademoiselle Collet débite une pommade
de fa compofition , qui foulage dans l'inftant
& guérit radicalement les hémoroïdes tant
internes qu'externes. L'épreuve en a été faite par
M. Morand , Chirurgien du Roi , lequel lui a ex
pédié fon certificat après que l'épreuve en a été
Laite à l'Hôtel Royal des Invalides , par ordrede
feu Monfieur de Breteuil , Miniftre d'Etat. Ma
Peirard , Maître Chirurgien & Accoucheur de la
Reine , lui a délivré un pareil certificat , de même
que plufieurs autres Chirurgiens de Paris & perfon
nes de diftinction , après en avoir fait l'épreuve
eux-mêmes. ·
La maniere de s'en fervir eft très fimple . Si les
hénoroïdes font externes , il faut que les perfonnes
attaquées de ce mal qui voudront en faire ula
ge , faffent un emplâtre de linge blanc de leffive ,
& mettent deffus ce linge de la Poinmade de l'épaiffeur
d'un écus de trois livres , & de la largeus
du mal , & l'appliquer deffus , & avoir foin de le
renouveller trois ou quatre fois par jour , les trois
u quatre premiers jours , furtout le foir en fe
couchant & le matin en fe levant . Si elles font
internes , il faut faire une tente de charpie de linge
blanc de leffive , de la longueur & épaiffeur
d'un doigt, la bien induire de la pommade, & l'in
troduire dans le fondément , & la renouveller de
même trois ou quatre fois par jour dans le commencement
, furtout le foir en fe couchant & le
DECEMBRE. 1751. 21T
.
matin en fe levant . Quand le malade ira au baffin ,
il tâchera de les faire fortir & les frottera avec la
pommade. Si l'on fouhaite être guériradicalement,
en faut mettre julqu'à ce qu'il n'en paroiffe plus
du tout , pour peu qu'il en reftât , elles pouroient
revenir . Il y a des perfonnes qui font guéries en
très peu de tems , & d'autres qui font plus long+
tems à guérir , c'eft felon le tems qu'il y a qu'on
Jes a . Les plus longues à guérir font les internes ,
furtout quand on les a de longue main ; mais néanmoins
on en eft guéri tout au plus tard dans deux
mois , pourvu qu'on ait foin de s'en fervir de la
maniere que l'on vient d'expliquer . Cette pommade
fe garde autant de tems que l'on veut , &
fepenstransporter partout , pourvu qu'on ait foin
de la garantir de la chaleur & du feu
Les moindres pots .font de trois livres . Il y ena
de fix livres , & de tous les prix que l'on fouhai
tera.
Mademoifelle Collet demeure préfentement rue
Saint Martin , vis- à- vis la rue Montmorency , a
Penfeigne de la Ville de Poitiers , dans la porte.
cochere , au troifiéme fur le devant.
A UTR E.
E Sieur Lary , Chirurgien expert pour la guérifon
des defcentes , reçu à Saint Côme, fait
entr'autres des bandages folides fans aucun ferrement,
qui n'incommodent point ceux qui les portent
, en forte qu'ils peuvent travailler , & faire
tout autre exercice fans fe gêner . Il a de plus un
emplâtre fpécifique pour guérir radicalement ces
maladies. L'ufage de ce reméde n'eft ni génant ni
embaraffant , ni douloureux. L'expérience qu'il
a faite de l'un & de l'autre dans les parfaites gué--
212 MERCURE DE FRANCE
Tifons qu'il a operées , lui fait propofer fon art
avec d'autant plus de confiance , que ces fortes de
maladies font fort communes , & qu'elles ne de
viennent incurables que parce qu'on les néglige
dans leur commencement.
Il demeure rue des Noyers , fur le coin de la
tue des Lavandieres , près la Place Maubert , à
Paris.
On le trouve toute la matinée juſqu'à onze heures.
Son Tableau eft fur fa porte.
L
AUTRE.
E Sieur de Roche- Brune, maître en Chirur
gie de la Ville de Mons, a inventé une pom
made qui guérit radicalement & fans accidens tout
genre d'hémoroides , les expériences réitcrées
qu'il a faites de ce rentéde fur plufieurs fujets d'u
age très avancé , à l'Hôtel Royal des Invalides ,
par ordre de M. le premier Chirurgien du Roi ,
& fous les yeux des premiers Maîtres de l'Art ,ne
laiffent rien à défirer pour l'utilité de ce reméde ;
la guérifon parfaite de plufieurs perfonnes de
nom , prouve de plus en plus l'efficace de ce pé
cifique,
L'Auteur convaincu de la bonté de ſon remède ,
n'éxige aucun falaire des perfonnes fur les lieux
qu'après une fûre guerifon , il envoye fon reméde
aux malades de Province en lui marquant le tems,
le genre , & l'état du mal , c'eſt au Médecin ou
Chirurgien de la perfonne à faire ce récit. L'Au
teur ne recevra point de lettres qui ne foient fran
ches de port.Il demeure à Paris, rue du Petit-Pont,
près le petit Châtelet , au Roi d'Agobert , il donne
fon reméde aux pauvres.
DECEMBRE. 1751. 215
LETTRE
A l'Auteur du Mercure,
Monfieur , il paroît depuis quelques mois un
Livre qui a pour titre , L'infortuné reconnoffant,
à la fin duquel on lit mon approbation , dattée
du 12 Juin 1747. Il est vrai que j'approuvai alors ce
petitPoëme, mais l'Auteur ayant jugé à propos dans
la fuite de le refondre ,d'y faire des changemens &
des augmentations , & même d'y joindre plufieurs
petites piéces de vers détachées , le tout fans ma
participation il eft clair que je ne dois plus être
regardé comme Approbateur de cet Ouvrage , tel
qu'il eft imprimé . Il me feroit aifé , par exemple ,
de prouver que le compte que l'Auteur rend de
fes travaux Litteraires dans le troifiéme & dans le
quatriéme chant de fon Poëme , eft poftérieur au
12 Juin 1747 , puifque la plupart des ouvrages
dont il y eft fait mention n'ont paru que depuis.
cette datte ; mais ce détail feroit fuperflu & fort
indifferent au Public. Il me fuffit de faire connoitre
que non approbation doit être cenfée un nou avenu
, & qu'on auroit tort de me rendre garant de
ce qu'on pourroit peut- être trouver à redire dans
ce livre. C'est pour y parvenir , que je vous fupplie
, Monfieur , d'inférer cette lettre dans l'un
des volumes du Mercure. J'attends cette grace de
votre inclination à faire plaifir à tous les gens de
Lettres.
Je fuis , &c,
7
FOUCHER , Cenfeur Royal,
A Paris ce 17 Novembre 1751
214 MERCURE DEFRANCE.
AVIS.
Pour le recouvrement des dettes appartenam
au Mercure.
Quelquesperfonnesqui font en retardpour le
payement du Mercure , ne doivent point im-
>puter à défaut d'exactitude de notre part fi elles.
ceffent de le recevoir , mais uniquement à l'im
poffibilité où nous fommes de faire des avances
trop confidérables.
'Ai lú
>
TION.~
APPROBATION.
, par ordre de Monfeigneur le Chance
Paris , le premier Décembre 1751.
LAVIROTTE.

PIECE
TABLE .
Profe TECES FUGITIVES en Vers & en
L'Amour & l'Amitié , conte allégorique ,
compofé en profe par M. le Marquis de Laffé,
3
Atts refultats du Clavecin oculaire , au Roi ,furla
naïffance de Monfeigneur le Duc de Bourgogne
, 22
Difcours fur les avantages des Sciences & des
Arts , prononcé dans l'Aflemblée publique de
Pacadémie des Sciences & Belles - Lettres de
Lyon , le 22 Juin 1751.
3
23
64
Imitation de l'Ode XXIX . du troifiéme Livre
d'Horace. Par M. D. L. F. Auteur de l'Ode ,
taduire d'Horace , qu'on a lûé dans le Mercure
de Septembre.
Imitation d'un endroit d'Horace , Ode XXIV.
Livre troifiéme , par le même.
Abaris , ou le Voyageur , traduit du Grec de Phe
ricide de Megare , 66
L'Anti Lucréce , en vers François , Chant premier
Lettres à l'Auteur du Mercure ,
Stances à Mademoiſelle P
***
76
84
196
Mots de l'Enigme & des Logogriphes du Mercure
de Novembre .
Enigme & Logogriphes ,
Nouvelles Littéraires ,
98
99
104
Lettres de M. S* * * . D. L. S. R. D. L. à l'Auteur
Au Mercure dur an Livre intitulé : Nouvelles
vises fur lefyfté ne de l'univers ,
Beaux-Arts ,
Chanfon , Mufette ,
911
152
155
156
257
Spectacles ,
Concert fpirituel ,
Concerts chez la Reine , à Fontainebleau , peudant
la fin du mors d'Octobre , & le commencement
de Novembre 1751 ,
Nouvelles Etrangères , &c.
15$
160
France. Nouvelles de la Cour , de Paris , & c. 172
178
Naiffance , Mariages & Morts ,
Lettre écrite par un Religieux de la Charité de
Poitiers , à M. de la Martiniere , Premier Chirurgien
du Roi , au fujer des bêtes qui dévorent
les Habitans de la campagne ,
Réponse de M. de la Martiniere ,
192
195
Remarques fur une Differtation fur la quatrième
Eglogue de Virgile , inferée dans le Mercure
d'Août 17:51 . 196
Projet général pour la perfection de toutes les
fecondes éditions
d'ouvages imprimés , à l'Au
teur du
Mercure
201
Eclairciflemens fur la
longitude du Cap de Bonne
Esperance ,
205
Extrait d'une Lettre de Turin , du 12 Novem
bre ,
Avis divers ,
Lettre à l'Auteur du Mercure ,
201
208
213
Avis pour le
récouvrement des dettes apparte
nant au Mercure ,
214
La Chanfon notée doit regarder la page.
De
l'Imprimerie de J. BULLOT.
*35
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ
AU
ROI.
DECEMBRE . 1751 .
SECOND VOLUME.

Cher
LIGITU
APARIS ,
La Veuve
CAILLEAU , rue Saint
Jacques , à S. André ,
La Veuve PISSOT, Quai de Conty ,
à la defcente du Pont-Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais,
JACQUES
BARROIS , Qui
des Auguftins , à la ville de Nevers,
M. DCC . LI.
Avec Approbation & Privilege du Roi,
A VIS.
L
'ADRESSE du Mercure eft à M. MERIEN,
Commis au Mercure , rue de l'Echelle Saint Honoré,
à l'Hôtel de la Roche -fur-Yon , pour remettre à
M. P'Abbé Raynal.
Nous prions très-inftamment ceux qui nous adreſſe
ront des Paquets par la Pofte , d'en afranchir le port ,
pour nous épargner le déplaifir de les rebuter , & à eux
celui de ne pas voir paroître leurs Ouvrages .
Les Libraires des Provinces ou des Pays Etrangers ,
qui fouhaiteront avoir le Mercure de France de lapremiere
main, plus promptement , n'auront qu'à &
écrire à l'adreffe ci- deffus indiquée.
On l'envoye auffi par la Pofte, aux personnes de Province
qui le defirent , les frais de la pofte ne fontpas
confidérables.
On avertit auffi que ceux qui voudront qu'on le porte
chez eux à Paris chaque mois , n'ont qu'à faire fçavoir
leurs intentions , leur nom & leur demeure audit fleur
Merien,Commis au Mercure; on leur portera le Mercure
très- exactement , moyennant 21 livres par an , qu'ils
payeront , fçavoir , 10 liv. 10 f. en recevant lefecond
volume de Juin , & 10 l . 10 f. en recevant le fecond
volume de Décembre. On les fupplie instamment de
donner leurs ordres pour que ces payemens foient faits
dans leurs tems.
On prie auffi les perfonnes de Province , à qui en
envoye le Mercure par la Pofte , d'être exactes à faire
payer au Bureau du Mercure à la fin de chaque femef
tre , fans cela on feroit hors d'état de foutenir les
avances confidérables qu'exige l'impreffion de cet
ouvrage.
On adreffe la même priere aux Libraires de Province.
Les perfonnes qui voudront d'autres Mercures que
ceux du mois courant , les trouveront chez la veuve
Pilot , Quai de Conti.
PRIX XXX . SOLS.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
DECEMBRE. 1751.
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
EPITRE
A M.l'Abbé.... Par M. l'Abbé Clement,
Chanoine de Saint Louis du Louvre.
St - ce goût ou Philofophie ?
Eft- ce pareffe , eft- ce folie ?
Damon , dans votre air négligé ,
Vous faites voir en abregé ,
L'Acoûtrement trifte & mauffade ,
Dont Pelegrin faifoit parade ,
Et mon coeur en eft affligé.
Ce n'eft pas que j'exige un excès de parure ;
II. Vol. A ij
4
MERCURE
DEFRANCE.
Mais je veux que la propreté ,
Préfidant à votre chauffure ,
Efface en vous le Poëte croté
Et qu'un rabat azuré , bienmonté ,
Dont l'ourlet blanc diſtingue la bordure ,
Affortifle une chevelure,
Amidonnée avec fſobriété .
Je condamne avec vous la bouffante frifure
De ce tas d'Abés pomadés ;
Qui , petits- maîtres décidés ,
Ont plus de foin de leur figure ,
Qu'un grenadier de fon'armure.
Contre eux le public révolté ,
Se rit de leur fatuité ,
Et lorfqu'il les immatricule
Dans le greffe du ridicule ,
Moi , de ma propre autorité ,
D'être mocqués je leur baille cedule.
Mais il eft un jufte milieu
Entre le trop & le trop peu ,
Et c'est ce milieu qu'il faut prendre ;
Car ceffez de vous- y
méprendre ;
Damon , envain dans votre coeur
Le fentiment le difpute à l'honneur ,
Envain votre tête est fournie
>
D'efprit , de bon fens , de génie,
Tout cela n'eft rien aujourd'hui ;
Lorfque l'ame eft ornée , il faut orner l'étui,
Dans les cercles brillans votre Muſe badine ,
Rejouit maint approbateur,
• DECEMBRE. 1751
A vos vers on fait bonne mine ,
Mais on ne veut pas voir l'Auteur:
Eft- ce raiſon , eft- ce caprice ?
Confultez le miroir , & rendez- voùs juſtice ,
Ou plutôt par un noble effort ,
Aux graces chaque jour offrez un facrifice ,
Qui vous ferve de paffeport.
Si l'Autel n'eft paré , c'eft envain qu'on affiche ;
Le peuple prévenu garde ſes oraiſons :
Mais s'il voit autour de la niche ,
Et desrubans , & des pompons ,
D'encens alors il n'eft pas chiche.
Tel eft le monde en ce fiécle tortu ;
Il n'adore que ce qui brille ;
Chez lui l'habit fait tout ;un faquin bien vetu ,
De qui fortune a fait un impromptu ,
Et qui doit fon mérite au Tailleur qui l'habille
S'attire les égards d'un peuple malotru
Tandis que les talens , l'efprit & la vertu ,
Parce qu'ils font en fouquenille ,
Sont moins prifès que le moindre fêtu.
A iij
MERCURE
DEFRANCE.
506 582 208 300300 600 80% 602 505226 60 : 107: 506506
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Sciences , Belles Lettres
Arts de Rouen,
'Académie des Sciences , Belles Let-
L'Atres & Arts de Rouen , tint fa Séance
publique , le Mardi 3 Août 1751 ,
dans la grande falle de l'Hôtel-de -Ville ;
on commença par la diftribution des
prix .
Le prix d'Hiftoire qui étoit remis depuis
trois ans , & dont lefujet étoit , L
tat de la Neuftrie , ou Normandie en 912 ,
a été donné au jugement de l'Académie ,
au Mémoire qui a pour devife : Non eft
alia Natio tam grandis , dont l'Auteur eft
M. Pierre le Vaffeur , de Rouen .
Le prix de Phyfique , remis auffi depuis
deux ans , & propofé double , dont le
fujet étoit , les differences effentielles du foetus
, comparé à l'adulte , & les raifons de ces
differences ; a été remporté par M. Ponteau ,
fils , Chirurgien -Major du grand Hôtel-
Dieu de Lyon , Auteur du Mémoire , qui
a pour devife : Inventa perficere non inglorium
.
Celui qui en a le plus approché , eft un
DECEMBRE. 1751. 7
Mémoire Latin , qui a pour devife : Me
daclarum hedera præmia frontium Diis mifcent
fuperis.
Les prix de l'Ecole de Deffein , fondés
par Madame de Marle , & Madame le Cat ,
ont été donnés au jugement de l'Académie
; fçavoir , le premier , d'après le modéle
, à M. Michel Bellengés , de Rouen ;
c'est le troifiéme qu'il remporte depuis l'établiffement
.
Le fecond à M. L. Cotibert , de Rouen,
qui en a remporté un en 1748 ; le prix
d'après la Boffe , à M. Jacq. Nic. Mal.
hofty , de Rouen ; le prix du Deffein à M.
Et, de la Vallée Pouffin , de Rouen , &
petit-neveu du célébre Pouffin.
Les prix fondés par M. le Cat , pour les
éleves de l'Ecole Chirurgicale , dont il eft
Profellent , ont été remportés :
Le premier , par M. Ant. du Fay , Maî
tre ès Arts , fils de M. du Fay , Membre
de l'Académie , & le même qui a été conronné
les deux années précédentes.
Le fecond , par M. Pierre Deniers
d'Evreux .
Le troifiéme , par M. Laurent Beaumont,
de Rouen , qui a eu l'acceffit en 1749 , &
le troifiéme prix en 1750.
Acceffit , M. Fr. Devin de Gifors .
L'Académie propofe pour le fujet du
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE.
prix de Poefie , qu'elle diftribuera le Mar
di premier Août 1752 : L'établiſſement de
Ecole gratuite du Deffein , à Rouen. Ce
prix fera donné à la meilleure Ode , ou
Stances regulieres de dix à douze ftrophes,
chaque ftrophe de dix vers ; ou au meilleur
Poëme de 100 à 120 vers héroïques . 11
confifte en une Médaille d'or de 300 liv
& eft fondé
par M. le Duc de Luxembourg,
Gouverneur de la Province , & Protecteur
de l'Académie.
Les Auteurs adrefferont leurs ouvrages,
correctement écrits , franc de port , avec
leurs noms & leurs devifes , fous une en
veloppe cachetée , à M. de Premagny , Se.
crétaire de l'Académie , à Rouen , & au
plus tard avant le premier de Juin 1752.
Cette Ecole a commencé à Rouen en
1740. L'an y obferva dès lors la même
police intérieure qu'aujourd'hui ; le Maître
& les Eleves fe cottiferent pour les
frais de l'Ecole & du modéle . M. Defcamps
préfenta en 1746 un Mémoire à l'Acade
mie , fur les avantages de cet établiffement
, dans une Ville auffi confidérable
que Rouen , par fa grandeur , le nombre
de fes Habitans , l'étendue de fon Commerce
& fes Manufactures , & fur la né
ceffité d'exempter les Eleves de cette contribution.
Pour y fuppléer , on propoſa
E
DECEMBRE 1751 . 2
ne foufcription pour la fomme de cinq
sens livres par an , laquelle fut remplie
suffi-tôt par plufieurs perfonnes de dif
tinction , & zelées pour le bien public..
Cette Soufcription a duré jufqu'à l'année
1750 , que Sa Majefté , par un Arrêt de
fon Confeil du 7 Janvier , a accordé fur
les octrois une fomme annuelle deisoo
liv. pour la penfion du Profeffeur , & les
frais de l'Ecole & du modéle. La diftribu
tion des Claffes , & les réglemens de cette
Ecole fe trouvent dans le Journal de
Verdun , Avril 1748 , p. 270. Il fuffic:
d'ajouter que l'ordre , la décence , & l'émulation
y regnent de plus en plus , que :
plufieurs de fes Eleves fe diftinguent déja
par leurs divers talens , dans la Capitale:
& ailleurs , & que le nombre eft actuelle
ment de deux cens quarante- un

M. de Premagny, fit un détail abregé
des Mémoires lus par les Académiciens
dans le cours de l'année , & d'un projets
de M. Hoden , Directeur des Pompes
pour fournir de l'eau abondamment
danss
les quartiers les plus élevés de la Ville de
Rouen , & c .
Il lut enfuite l'éloge hiftorique de M
Pigon , Confeiller en la Grande Chambre
du Parlement , Ancien Maire de Ville .
Honoraire & Ancien Préfident. de l'Acas
Ay
to MERCURE DE FRANCE.
démie , Magiftrat également diftingué par
fa haute capacité , fon application infa
tigable aux devoirs de fon état , &par fon
goût pour les Sciences & les Belles Lettres
11 rendit compte auffi des Obfervations
Mélcotorogiques , que M. le Cat conti
nue de faire pour l'Académie , qui lui ont
donné lieu d'obferver que l'Hygrométre
à corde , dont il avoit fait l'éloge en 1748,
eft un inftrument infidéle qui eft fenfible
à la denfité & à la rareté de l'air , comme
le Barométre , & qui par- là ne fçauroit
indiquer les vrais degrés de fon humidité
& de fa féchereffe , furtout loifque ces
derniers états de l'air font en contradic
tion , ou tout-à - fait d'accord avec ces pre
miers. M. le Cat donne des obfervations
qui démontrent cette infidélité , & qui lui
out fourni l'occafion de fubftituer à l'Hygrométre
à corde , un Hygrométre de
bois d'une conftruction nouvelle , & extrêmement
exact , dont il a donné la def
cription.
Ón donna enfuite l'extrait d'un Mé
moire du même Académicien , qui conte
noit plufieurs remarques Chirurgicales.
Les premieres regardoient la fiftule lacrymale
, l'Hiftoire de cette maladie , de ce
qu'on a imaginé pour fa cure , jufqu'à M.
le Cat , & de ce qu'il a fait pour laper
DECEMBRE.
1751 . Y
fectionner. Les fecondes remarques font
mention d'une fracture de la machoire
des deux côtés , fracture inconnue aux
Auteurs , & qui s'eft néanmoins préſentée
à l'Hôtel- Dieu de Rouen . Cette fracture
étoit telle , qu'en exécutant fur elle les
préceptes donnés par les Auteurs , pour la
fracture ordinaire de la machoire , on eftropioit
le malade. M. le Cat imagina des
reffources , auffi nouvelles que l'étoit cet
accident lui -même ; il guérit parfaitement
fon bleffé ; & c'eft de ces refſources nouvelles
, dont il fit part à l'Académie. La
troifiéme partie du Mémoire de M. le
Cat , traite de cette efpéce d'humeurs froides
avec carie , qui attaquent toute l'étendue
d'un os de la jambe , ou plufieurs os
du pied. On a coûtume d'emporter la jambe
où fe trouve un pareil vice. M. le Cat
fait voir qu'on peut fauver cette partie ,
toutes les fois que les articulations ne font
point attaquées. Il veut qu'on fe contente
d'emporter le vice local , ces os particuliers
cariés ; il l'a fait for plufieurs fujets ,
& entr'autres fur le nommé Charles le
Hec , du village de Pitres , près le Pont de
l'arche , dont il a emporté le grand os de
la jambe vermoulu , & exoftofié depuis la
jarretiere jufqu'aux chevilles , la nature
a réparé cette perte , & le Hec a actuelle-
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
ment cette jambe aufli bonne que l'autre,
La feconde oblervation qu'il a citée , eft;
celle du nommé Robert Petit , de la ville
de Dorbec , dont il lui a emporté avec fuccès
la moitié du pied , fuiyant la longueur,
jufqu'au talon , exclufivement , opération
qui ne laiffe après elle , ni incommodité,
ni même difformité viſible
M. l'Abbé Terriffe , Préfident de l'Aca
démie , lut un Difcours fur la queftion :
S'il eft utile ou préjudiciable au bien de l'E
tat , que les gens de la campagne Scachent
Lire & écrire où après avoir exactement
difcuté le pour & contre , il décide en fa
veur de l'utilité de l'inftruction,
M. le Cat lut un grand Mémoire , pour
fervir à l'Hiftoire Naturelle de la Haute-
Normandie , & furtout du Territoire de
Rouen. Ce Mémoire contient grand nom
bre de recherches fur les diverfes couches.
du terrein , les minéraux , les coquillages
, Foffilles, &c. de la Haute Normandie,.
il donna fes explications phyfiques de la
formation des cailloux , & des ftalactites ,.
ou criftallifations qu'on y trouve en grande
quantité ; les belles grottes de ftalactites
du Chateau d'Horcher , près du Havre ,
celles des carrieres de Caumont , près
de Rouen , égales , tout au moins à celles
d'Anti- Paros , ont furtout paru latter la
DECEMBRE. 1751.
curiofité de l'affemblée .
M. l'Abbé Yart , Vice -Directeur , lut
une Differtation fur l'Eclogue , où après.
avoir montré que pelque tous les Poëtes.
Bucoliques, ont tombé dans ces deux extré
mités vicieufes d'écrire des Eclogues trop
pompeules , ou trop baffes , a choifi dans .
les Poëtes Anglois des guides , dont les,
préceptes & les exemples puffent nous aider
à prendre un jufte milieu entre ces
deux extrémités. Ces guides font Meffieurs
Pope & Gay , célébres Poëtes. Le
premier a écrit des préceptes fur l'Eclogue
noble ; le fecond , fur l'Eclogue ruftique ..
L'un & l'autre en a compofé de ces deux
efpéces . M. Yart , en critiquant ce qu'ils
a trouvé de repréhenfible dans leurs préceptes
& dans leurs exemples , a marqué,
en quoi nous pourrions les fuivre , & les
imiter pour réuffir dans la Poëfie Paftorale..
M. Pingré , Chanoine Régulier , Affo-.
cié de l'Académie , a lû un Mémoire fur
quelques obfervations aftronomiques
dont voici le détail. Elles ont été faites
à un quart de lieue Nord Nord Oueft de
Rouen , avec une lunette de 16 pieds.
Eclipfes du premier Satellite de Jupiter.
.
Le 29 Novembre 1750 , émerfion à
19 m. 48 -fec. du foir.
14 MERCUREDE
FRANCE
Le 22 Décembre , émerfion à 6 h. 24
m. 44 fec , du foir.
Le 29 Décembre , émerfion à 8 h . 18
m. 29 fec, du foir.
Le 8 Mars 1751 , émerfion à 8 h. 54
m. du foir , foupçonnée dans les vapeurs
de l'horizon.
Le 30 Juillet , immerſion à 3 h.36 m.
40 fec. du matin , l'Aurore étant déja bien
forte.
Eclipfes du fecond Satellite.
Le 9 Janvier 1751 , émerfion à 7 h.7
m. 44 fec. du foir.
Le 14 Mars , émerfion à 6 h. 48 m. 30
fec. du foir. Le crépuscule qui étoit allez
peut rendre cette obfervation dou
fort
teufe.
Eclipfe du troifiéme Satellite.
Le 15 Septembre
1750 , immerfion à9
h. 2 m. 4 fec. du foir.
Le 30 Septembre
, immersion avant 5 h
11 m. 18 fec. du matin.
Le 10 Décembre
, immerfion
à 9 h. 20
m. 56 fec. du foir.
Le 15 Janvier 1751 , immerfion à5
18 m . 16 fec. du foir.
h.
Le même jour , émerfion avant 7h.6
m. du foir
DECEMBRE. 1751.
ING
Lê 27 Février , émerſion à 7 h. 13 m. 7
fec. à très peu de fecondes près .
Le 11 Avril , émerfion avant 7 h . 45 m.
du foir . Jupiter étoit fort près de l'hori
zon , & le crépuscule trop fort.
Eclipfe de Lune du 13 Décembre 17 50.
Commencement déterminé avec la Lumette
de 16 pieds , à 4 h . 42 m. 18 fec. du
mat. imm. de Grimaldus à 4 h. 45 m. 27 f.
Galiléee à
Tkikardus
commence , à
Commenc . de Copernic , à 5
Commencement de Tycho ,
49 39
53
20
SS 36
$7
12
2 27
4 5.6
6.
7 59
17 44
Il finit , à
Ariftarque , à
Fin , à
Fin , à
Platon
commence à
H finit à TO 3
Dionyfius , à 20 30
Ménelaus , à 21
33
Commenc. de Fracaftor , à
24 40
Théophile , 25 40
Fin de Fracaftor , à 26
37
Snellius , à
30 34
Furnérius commence à
31 36
11 finit à
3.2 43.
Proclus , à 34 24
La mér des Crifes comm. à 35
13
16 MERCURE DE FRANCE.
Commenc . de Langrénus , à 36 m . 17 fec..
Fin de Langrénus , à
38 Fin de la mer des Crifes , à
Imm. totale de la Lune , à 5 43
13
27
20
Quant aux taches , moins principales de
Pimmerfion , defquelles M. P. n'a point
marqué le commencement & la fin ; l'inf
tant déterminé pour leur immerfion , eft
celui où la trace de l'ombre les partageoit
fenfiblement en deux parties égales.
Un brouillard s'étant élevé , a empêché
d'obferver l'émerfion d'aucune tache . La
Lune ayant paru un inftant entre deux nuages
, à 7 h . 19 m. l'émerfion fut jugée com
mencée , ou plutôt commençante. M. P ..
entremêla le détail de ces obfervations de
réflexions, fur leur nature & leur utilité..
Les differences confidérables qui fe trouvent
quelquefois entre l'heure des obfervations
, & celles qui font déterminées ,
foit dans les Ephémérides , foit dans la
connoiffance des tems , foit par les calculs
que M. P. a dreffés fur les Tables de
M. Callini , donnerent occafion à des remarques
fur l'imperfection de ces Tables ,
& fur l'inclinaifon variable de l'Orbite des
Satellies à l'Orbite de Jupiter.
M. Thibault , Directeur , fit lecture
d'une obfervation par lui faite , d'une ai
guille toute rouillée , longue de dix -huit
DECEMBRE
. 1751. 17
lignes , trouvée fous le crâne d'un enfant
de neuf ans , cette aiguille paffoit à travers
le finus longitudinal , fupérieur , & pénétroit
le bord fupérieur & antérieur du
lobe gauche du cerveau , dont il y en avoit
en tout fens un grand pouce de détruit :
on voyoit encore au crâne le trou fait anciennement
par cette aiguille ; la vie toujours
languiffante de cet enfant , fait préfumer
qu'elle s'y étoit introduite accipeu
après la naiffance. dent
par
La Séance finit par la lecture de deux
Odes d'Horace , traduites par M.PAbbé
Fontaines. En voici une .
An Vaiffeau qui portoit Virgile à Athènes.
Q
OD E.
Ue les freres d'Heléné , Aftres brillans des
Cieux
,
Que Venus en Chypre adorée
Te guident fur ta route , ô Vaiffeau précieux
Qui conduis Virgile au Pyrée ;
Qu'Eole à tes defirs accorde un vent leger
Te confiant tout ce que j'aime ,
Dans Athénes tu dois remettre fans danger
Lachere moitié de moi- même.
Un triple airain , un dur acier ,
Environnoient le coeur du mortel intrépide ,
18 MERCURE DE FRANCE.
Dont le frêle Vaiffeau bravant la mer perfide ,
Sur les eaux vogua le premier.
Il ne craignit donc pas les funeftes Hyades ?
Les combats de Borée au lever des Pléiades ,
Ni du vent de midi le fouffe impétueux ,
Qui fouverain des mers profondes ,
Et toujours inconftant , des flots tumultueux
Abbaiffe , ou fouleve les ondes.
Quelle mort l'effraya lui , dont les yeux ferains ,
Dans l'horreur qu'un naufrage infpire ,
Ont pu fans fe troubler voir les monftres inarins ,
Les rochers affreux de l'Epire.
Envain un Dien prudent du monde
Sépara les vaftes contrées ,2
par
les eaux
Si fans les refpecter nos coupables Vaiffeaux
Ontfranchi ces bornes facrées.
Au crime , aux projets toujours vains ,
La race des mortels par fa pente eft portée ;
Du feu qu'il déroba , le hardi Promethée
Fit un don fatal aux humains.
Après ce facrilége & ce larcin funefte ,
Que fit l'audacieux dans le féjour célefte ,
La fiévre & tous les maux vinrent avec fureur
Accabler la terre attriftée ;
La mort qui n'approcheit , hélas ! qu'avec lenteur)
Dans fon pas fut précipitée..
DECEMBRE. 1771. 19
Dédale par fon Art s'élançant dans les airs ,
Des oifeaux prit le vol agile ;
L'infatigable Hercule a forcé les enfers ,
Rien aux mortels n'eft difficile.
La foile vanité nous porte dans les Cieux ,
Et les attentats de la terre
Ne permettront
jamais que le maître des Dieux
Laiffe repofer fon tonnerte.
SEANCE PUBLIQUE
De la Société Littéraire d'Arras , tenue les
20 27 Mars 1751.
Monfieur
Briois , Avocat
Général
du
47
Provincial d'Artois , Di
recteur de la Société , ouvrit la Séance du
20 , par un Difcours , qui avoit pour objet
: l'Influence des Lettres fur les Arts . Ik
entreprit de prouver que le fort des Lettres
dans un Etat décide du fort de tous
les Arts , que ceux- ci s'accroiffent à mefure
celles-là fleuriffent , & que la que
perfection des unes amene la perfection
des autres . Pour développer fa penſée , it
parcourut les progrès des Arts principaux ;
& voici comme il s'exprima au fujet des
chef-d'oeuvres de Phidias & d'Apelle.
»Pourquoi Phidias fit- il une i belle
50 MERCURE DEFRANCE.
» ftatue de Jupiter ? Comment avoit-il pu
» concevoir une fi haute idée de cè Dieu?
Ecoutons - le , Meffieurs , il nous l'apprend
lui- même. N'ai-je pas lû , dit-il ,
» dans Homere , que ce Maître des Cieux
» d'un feul mouvement de la tête , fit
» trembler tout l'Olympe ?
"
»N'eft- ce pas le même Poëte qui éleva
» le génie d'Appelle jufqu'à la beauté de
» Venus ? Il avoit lû que des vieillards gla
" cés s'étoient écriés à la vue des charmes
» d'Heléne , que les Grecs & les Troyens
» n'avoient pas répandu trop de fang pour
» fe la difputer ?
M. Briois ne fe contenta point de dé
montrer que les Lettres contribuent à la
perfection des Arts libéraux , il fit encore
voir que leurs effets s'étendent fur les
Arts inférieurs , & même fur les plus mé
chaniques . Il faut annoblir tous les détails
dans lefquels il étoit obligé d'entrer, & mit
dans le plus grand jour la vérité de cette
derniere propofition qui paroiffoit d'a
bord un
paradoxe .
M. l'Abbé Galhaut , Chanoine de la
Cathédrale d'Arras , Chancelier de la Société
, lút un morceau de l'Hiftoire Ecclé
fiaftique d'Artois , depuis l'année 70
tems de la mort de Saint Gery , jufqua
celle de Saint Vindicien , arrivée en 674-
2.
DECEMBRE. 1751 21
à
Il ne s'eft point borné dans cet ouvrage
rapporter les faits principaux , concernant
les Evêques d'Arras & de Cambrai , il y
difcute quelques points critiques , entre
autres l'époque de la mort d'Agobert I.
pour fixer celle de l'Epifcopat de Saint
Aubert :il y rappelle auffi tous les grands
hommes par qui le Chriftianifme a fleuri
dans
l'Artois.
çu
M. Brunel , Avocat , nouvellement reudans
la Société , prononça fon Difcours
de remerciement , où il prouva combien
les Belles- Lettres font néceffaires à l'hom ·
me de Barreau , en indiquant les fecours
que peut lui fournir l'étude des Langues ,
de l'Hiftoire , de la Philofophie , de la
Morale , de la Rhétorique , de la Grammaire
, & de la Poëfie même . On ne tranf
crira ici qu'un endroit de ce Difcours , qui
conient l'éloge de Ciceron & de Demofthene.
fer-
» Un homme artificieux * & impéné-
»trable , fanguiniure & intrépide , dont
les grandes vertus font contrebalancées
par des crimes encore plus grands ,
" me & hardi dans le danger , habile à ré-
и parer fes pertes , ne manquant jamais de
au - deffus des revers , né
» reflources
* Catilina.
22 MERCURE
DE FRANCE-
"
pour changer la face d'un Empire ,
profcrit le Peuple & le Sénat , & fousl
» nom de vengeur de la liberté qu'il op
»prime , fonge à s'ériger en tyran. Rom
va périr de la main de fes propres en
fans , tout tremble , excepté le Conful;
» il parle , & Rome eft fauvée. Semblable
à un tonnerre , la voix infpire la ter
reur , & fes paroles font comme autant
de foudres qui confument jufqu'aux ve
tiges de la révolte . A qui Ciceron doit
ilees fuccès prodigieux ? à fon éloquence,
à l'Art , à Demofthene
. >
» Plus Roi dans la Grèce que Philippe,
» Demofthene renverfe tous les projets de
» ce Prince ambitieux : il eft feul arbitre
» de la paix & de la guerre. A
doit- il
qui
» cette fupériorité , cette force , cette
» énergie , ce caractére fingulier , original
» & unique ? à l'Art , à Thucidide , à Ho
» mére.
M. Briois , en qualité de Directeur , répondit
au Difcours de M. Brunel.
M. Cauwer , Avocat , lut la feconde partie
d'un Mémoire
pour fervir à l'Hil
Robert
toire de Robert II. Comte d'Artois , depuis
1293 , jufqu'à la bataille de Courtrai,
qui fe donna le 11 Juillet 1302 . fut tué , & l'on trouva fon corpspercé
de trente bleffures. Ce Prince étoit un des
y
FRANC
23
DECEMBRE
.
1751
.
inlove
plus grands Capitaines de fon fiécle : il
commanda en Chef les armées de France ,
à la tête defquelles il remporta plufieurs
victoires fignalées en Espagne , en Italie ,
en Sicile , en Guienne & en Flandres.
M. Enlart de Grandval , Confeiller au
Confeil d'Artois , lut un ouvrage intitulé:
Réflexions fur les caufes de la décadence du
gout . Après avoir rapporté plufieurs de ces
julo Caufes , il dit :
La difpute fur les anciens & les modernes
a beaucoup contribué à ces défordres.
On a vû d'un côté les Perraut , &
» leurs éleves ; de l'autre , les Boileau , les
Racine & les la Fontaine . Qui préten
» doit -on élever au -deffus d'Homere &
d'Euripide les feuls qu'on pûr leur
comparer étoient leurs plus zélés défenfeurs
. Le mal devint grand ; les fuites en
»ont encore été plus fâcheufes.
55
IT
" Les premiers corrupteurs du goût ,
» connoiffoient du moins les régles fon-
» damentales , qui les maitrifoient , mal-
" gré eux ; mais ils ont fait des difciples ,
» & ceux- ci n'ont pas crû devoir remonter
" à des loix que leurs maîtres n'avoient pas
ignorées ; ils le font contentés des prin-
» cipes qu'on leur a tranfmis , & c'eft fur
ces principes qu'ils ont jugé de tout.
» Dès-lors plus de vraies régles : la fuffi-
"
24 MERCURE DE FRANCE.
י כ
fance , la préfomption , l'efprit d'indé
pendance ont pris leur place : tout eft de-
»venu arbitraire , & tout homme s'eft crû
" en état de décider.
>> Qu'on entre dans un Caffé qu'y
trouve- t'on ? un amas de prétendus hom-
» mes de Lettres , la plupart inconnus ,
» qui parlent de tout , difputent fur tout ,
établiffent des principes , qui fe croifent,
fe contredifent , & n'ont pour fonde-
» ment que le caprice & Fimagination.
» Un jeune homme , à peine forti du Col "
» lége , tombe dans cette affemblée , il
» écoute , il entend des raifonnemens de
» toute eſpéce , il ne fçait plus à quoi s'en
» tenir. Bientôt il prend le parti de faire
» comme les autres , parce qu'il eft ailé de
les imiter , il pofe des principes à fon
tour , il argumente , il décide ; dans peu
» de jours il écrira.
89
M. Maffon fit la lecture d'une Ode , &
de la piéce qui fuir.
LE RETOUR D'IRIS ,
A Mlle J. G. D. L. M.
CANTA TILLE.
Sur ces bords enchantés tris eft de retour ;
Tout languiffoit en fon abfence !
Eile ramene ici les graces & l'amour ,
Et tout revit par fa préfence.
1
Ruiffeaux,
DECEMBRE. 1751. 25
Ruiffeaux , murmurez doucement ;
Zéphirs , foupirez tendrement ;
Roffignols , fufpendez vos éclatans ramages ;
Contemplez l'objet de mes voeux :
Qu'un filence refpectueux
Soit la marque de vos hommages .
Accourez , Plaifirs , Jeux & Ris ,
Volez , abandonnez Cythere ;
Jamais la divine Cypris
N'eut tant d'attraits que ma Bergere .
Pâris de fes charmes touché ,
Quitteroit Heléne pour elle ;
Dans les bras même de Pfiché
L'Amour deviendroit infidéle .
Accourez , plaifirs , Jeux & Ris ,
Volez , abandonnez Cythere ;
Jamais la divine Cypris
N'eut tant d'attraits que ma bergere.
Loin que l'abfence ait rallenti nos feux ,
Plus charmante à mes yeux l'Amour vient me la
rendre ;
Elle me voit plus amoureux ,
Et je la retrouve plus tendre .
Votre fort , fidéles amans ,
N'eft pas toujours un fort à plaindre ;
Souvent l'abfence & fes tourmens
Sont plus pour vous à defirer qu'à craindre ,
II. Vol.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
Rien ne fçait mieux de jour en jour
Refferrer un lien durable ;
C'est le tombeau d'un foible amour
Et c'eft le ſceau d'un amour véritable.
Votre fort , & c.
"
Le tems n'ayant pas permis de lire quel
ques autres ouvrages deftinés pour cette
Affemblée , du 20 Mars , on en renvoya
la lecture à celle du 27 , qui fut aufli
blique .
pu-
M. Enlart de Grandval y lut une Differtation
, fur l'ufage des machines dans les
Poëmes épiques , dont les Héros font
Chrétiens , adreffée à M. le Franc , Premier
Président de la Cour des Aides de
Montauban , & Membre de l'Académie de
la même Ville , dont M. de Grandval eft
affocié. Elle fe trouve depuis imprimée
dans le nouveau recucil que vient de donner
cette Académie.
M. Cauwet lut une Differtation fur une
Médaille citée par Mézeray , qui concerne
la Province d'Artois : il en démontra
la faufferé par le fentiment des meilleurs
Auteurs , & le témoignage de plufieurs
Chartres , également contraires au fait
qu'on prétend avoir occafionné cette Mé
daille .
M.Binot , Avocat , termina cette deuxiéDECEMBRE.
1751. 27
me Séance , par une Differtation fur l'antiquité
de la dénomination de Comté , attribuée
à la Province d'Artois.
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Sciences , Belles- Lettres
Arts d'Amiens.
L
'Académie des Sciences , Belles - Lettres
, & Arts d'Amiens , à la tête de
laquelle étoit M. le Duc de Chaulnes , fon
Protecteur , affifta le 25 Août , jour de
Saint Louis , à la Meffe , célébrée par M.
l'Evêque d'Amiens; on y exécuta un Motet
à grand Choeur , fuivi du Domine falvum
fac Regem , & le Panégyrique de Saint
Louis fut prononcé par M. l'Abbé du
Caftel.
L'après - midi l'Académie tint fon affemblée
, à laquelle M. le Duc de Chaulnes
préfida .
M. d'Hermeri , Directeur , ouvrit la
Séance par un Difcours fur l'utilité des
Sciences , des Belles - Lettres & des Arts.
M. Simon , Démonftrateur Royal - aux
Ecoles de Chirurgie de Paris , Confeiller
du Comité perpétuel de l'A cadémie Royale
de Chirurgie , & Chirurgien Major
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
de la Compagnie des Chevaux- Legers de
la Garde du Roi , & M. Boulenger de
Riveri firent leurs Difcours de réception ,
aufquels le Directeur répondit.
On lut enfuite une Ode de M. Houté.
M. Damyens donna la fuite de l'Hitoire
de la prife d'Amiens par les Efp1-
gnols , & de la reprife de cette Ville par
Henri le Grand .
M. de Riveri lut deux Fables , traduites
de l'Allemand .
" Le R. P. Robbe , Feuillant , lut un
Mémoire fur la Botanique , & fur l'établiffement
d'un jardin de plantes fait à
Amiens.
M. le Picart , Doyen de l'Académie de
Soiffons , lut la Traduction en vers François
de l'Ode d'Horace : Diffugere nives.
M. Devuailli lut des réflexions fur le
naturel dans les ouvrages d'efprit .
M. Greffet , de l'Académie Françoiſe
& de celle de Berlin , termina la Séance
par la lecture d'une Ode au Roi de Pruffe,
fur fon Couronnement. Et pour honorer
l'Académie & les Arts , on lut une Ode
que le Roi de Pruffe a fait l'honneur d'adreffer
à M. Greffet.
L'Académie a réfervé le prix du Poëme.
Le prix de la Differtation a été remporté
par M. Deſmarets , de Paris , qui avoit le
DECEMBRE. 1751. 29
mieux difcuté les preuves Hiftoriques ,
Géographiques & Phyfiques de la jonction
de la France avec l'Angleterre , dans un
ouvrage , ayant pour devife : Vidi fractas
ex aquore terras. La Differtation de M.
Bizet , d'Amiens , ayant pour devife : Vel
vera quandoque latent ; & celle de M. le
Comte de Kerfaufon , ayant pour devife:
Vidi ego que quondam fuerat folidiffima tellus
effe fretum , ont le plus approché de la
Differtation couronnée .
L'Académie , dans fon affemblée publique
du 25 Août 1752 , diftribuera trois
Médailles d'or , l'une donnée par M. le
Duc de Chaulnes , & les deux autres par
M. Chauvelin , Confeiller d'Etat , Intendant
des Finances.
La premiere fera adjugée à un Poëme,
dont le fujet fera : Combien les monumens
publics fervent à établir l'idée de la grandeur
d'une Nation.
La feconde fera adjugée à une Differta
tion , où on examinera : Quel étoit l'état du
Commerce de France , fous les Rois de lapremiere
de la feconde race.
La troifiéme fera donnée à une Differtation
, dont le fujet fera : Quelle étoit l'étendue
du Belgium , dont parle Céfar dans.
Les Commentaire ? pourquoi ce nom fut donné
feulement à une partie des peuples de la Gau! e
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
1
Belgique ,fi le nom de Picards lui a fuccédé;
quelle eft l'origine , quelle est l'antiquité de
ce dernier noms quelle raifon a fait donner le
nom de Picardie aux Territoires des Diocéfes
d'Amiens , de Beauvais , de Noyon , de Soif
Jons, de Laon ; enfinfi ce nom appartient plus
particulierement à plufieurs , ou à un de ces
Diocéfes, qu'aux autres ?
Le Poëme fera en vers Alexandrins , il
fera de 160 vers , au moins , & au plus de
200 .
Il fera libre aux Anteurs des ouvrages
envoyés cette année , de les renvoyer l'année
prochaine avec les corrections , qui les
rendent plus dignes du prix de pocfie.
Les Differtations feront reçues , foit en
François , foit en Latin .
Toutes fortes de perfonnes pourront
prétendre aux prix , excepté les Membres
de l'Académie qui en doivent être les
Juges. Les ouvrages ne feront reçus que
jufqu'au 15 Mai , inclufivement. Ils feront
affranchis de port , & adreffés à M. Baron ,
Secretaire Perpétuel de l'Académie. Les
Auteurs font priés d'envoyer trois Copies
bien lifibles de leur ouvrage , avec une
devife , ou une fentence qui fera répétée
dans un papier féparé & cacheté , & qui
indiquera leur nom & leur demeure.
DECEMBRE. 17518 3x
AU ROI DE POLOGNE.
ODE
Par M. Chabaud , de l'Oratoire ,
P Rince , couronné par la gloire ,
Magnanime rival du fecond des Célars ,
Tu veux à tes Sujets faire aimer ta mémoire
En leur faifant aimer les Arts ,
Le Sage , vrai Héros , fans le fecours des armes ,
Ennemi des plaifirs qui naiffent des allarmes ,
Dans les combats cherche la paix ,
Il vit moins pour dompter un ennemi rebelle ,
Que pour éternifer fa bonté paternelle ,
En nous prodiguant
les bienfaits.
Quel brillant deftin ! la Nature ,
T'apprenant
à braver les charmes du repos ,
Te voulut , de fes dons pour combler la meſure ,
Rendre l'exemple des Héros ;
L'Alexandre
du Nord , fous qui l'Europe trembles
Te voit , t'aime : & vos goûts vous uniffent en
femble ;
Fiers rivaux , amis généreux.
Bij
32
MERCURE DE
FRANCE.
La Reine qui te doit fon auguſte naiſſance ,
Et qui par fes vertus eft fi chere à la France ,
De tes jours fait des jours heureux.
Admirerions - nous dans les Princes
Le fafte de leur Cour , l'éclat de leurs exploits ?
Tu le fçais ,
Staniſlas , du bonheur des Provinces
Dépend la gloire des grands Rois ;
Envain dans l'univers que
fa
fureur
ravage ,
Attila feme -t'il les horreurs du
carnage ;
Sa gloire eft telle qu'un éclair.
Mais un Roi
bienfaifant , l'honneur du Diademe
Protecteur des Beaux Arts , cultivés par lui-même,
Au genre humain est toujours cher.
*x *x+
Vos dons verfés fur les neuf Fées ,
Auguftes
Souverains , vous vaudront des Autels ;
Leurs foins plus fûrement que vos nobles trophées
,
Décorent vos noms
immortels.
Leurs doctes
monumens
ferviront votre gloire ,
Mieux que ne le pourroit l'éclat de la victoire ,
Attachée à VOS
Etendarts.
Vos
bienfaits éclatans , que le Pinde (çait rendre ,
Feront bien plus
d'honneur à votre illuftre cendre
Que la chûte de vingt
remparts.
XXX
DECEMBRE. 1751. 33
Sans vos foins les Nymphes fçavantes ,
N'étaleroient jamais à nos yeux leurs tréfors :
Si vous leur promettez des Couronnes brillante
Vous encouragez leurs tranfports .
Que ne peut point fur nous la foif de votre eftit
me ?
Quand Louis eft des Arts le bienfaiteur fublime
Son nom au fiécle eft ajouté ;
Mais de ce nom fameux , les Boileaux , les Cor
neilles,
Attachant le Lecteur par leurs fçavantes veilles ,
Augmentent la célébrité.
Dépofitaires de la gloire'
De qui prête aux Beaux Arts un appui généreux
Les neuf fçavantes Soeurs tranfmettront fa mé
moire
Jufqu'à nos derniers neveux.
Les bienfaits fignalés de fa main fécourable ,
Et leu, reconnoiffance éclatante & durable ,
S'imprime fur le même Autel.
Mécéne , Augufte, envain la Parque vous terraffe
}
Votre nom vit toujours , & la lyre d'Horace
Suffit pour le rendre immortel.
Les veilles des rares génies ,
Qui peuvent des Beaux Arts applanir le chemin ,
B.v
34 MERCURE DE FRANCE.
Pat tes loins , Staniſlas , en un lieu réunies ,
Aggrandiront l'efprit humain.
Du fçavoir , leurs écrits nous montreront les rou
tes :
Ces doctes monumens , fous de fuperbes voûtes,
Inftruiront la postérité.
Tu formes parmi nous une école de fages ,
Grand Prince , tu conftruis , taffemblant leurs ou
vrages ,
Le Temple de la vérité .
炒菜
La lumiere , au fiécle où nous fommes ,
s'accroîtra par les dons que tu fçais difpenfer :
C'est augmenter notre être , & nous rendre plus
hommes ;
Qu'est ce que vivre : c'eft penfer.
D'un tréfor pour l'efprit , tu nous permets l'ufage:
Et quand tu terds public le fçavant affemblage ,
Notre fçavoir est épuré.
Les biens qui font communs font les plus cheres
au monde ,
Voyez l'Aftre des jours : fa par vertu féconde
Tout l'univers eft éclairé.
烤肉茶
Le goût de la fage Nature-
Renait avec les Arts . le vrai , le grand , le beau
Offrent aux yeux charmés leur modefte parure ,
Spectacle admirable & nouveau.
Ainfi dans un jardio , cultivé par Pomone
DECEMBRE.
1751. 35
Pour le plaifir des fens , tout arbre fe couronne
De les préfens délicieux .
Dans les heureux climats , où les Beaux Arts fleu¬
-riffent ,
Du joug des préjugés les peuples s'affranchiffent :
Un nouveau Soleil luit fur eux.
炒菜
Trop long tems l'erreur téméraire
Enyvra les mortels de fon fatal poiſon :
La vérité paroît : fon flambeau falutaire
Eft le phare de la raiſon.
Auprès de Stanislas les Nymphes du Permeffe ,
Pour embellir fa Cour , ont transporté la Gréce ,
Les Mules regnent avec lui.
Senfible à les bienfaits , cette troupe choiſie ,
Scaura , par fes efforts , payer à l'Auftrafie
L'honneur d'un généreux appui.
Dans cette carriere brillante ,
Tes dons , Pere des Arts , fulcitent des rivaux
Une palme entes mains , tous les ans renaiffante ,
Sera l'ame de leurs travaux ,
Quels fublimes efforts ! i le Dieu du Parnaffe
Refufoit d'exciter leur génereufe audace ,
Treffan pourroit le remplacer.
Grand Roi , qui moiffonna les lauriers de Bellone ,
Tu veux les réunir à ceux qu'Apollon donne ,
Ta main (çait les entrelacer .
B
vi
36 MERCURE DE FRANCE.
*****
LETTRE
De M. le Chevalier de Solignac , Sécretaire
du Cabinet & des Commandemens du Roi
de Pologne Duc de Lorraine & de Bar , à
l'Auteur du Mercure. A Luneville ce 10
Juillet 1755.
E n'ai point oublié , Monfieur , les
engagemens que j'ai pris avec le public;
mais vous n'ignorez point quels font
les devoirs de mon emploi : Devoirs toujours
différens , quoique toujours les mêmes
, & qui ne laiffant qu'un fort petit
intervalle entre la fin des uns & le commencement
des autres , reviennent fans
ceffe à mesure qu'on les remplit.
Au travail qu'ils m'impofent, & qui
m'eft auffi gracieux qu'honorable , furtout
auprès d'un Prince toujours prêt à
reconnoître par des bontés marquées les
moindres fervices qu'on lui rend , ajoutez
à préfent , Monfieur , les nouveaux emplois
, dont je me trouve chargé .
Vous fçavez , que le Roi de Pologne.
m'a fait l'honneur de me nommer Secre
aire perpétuel de la Societé Littéraire
DECEMBRE. 37 1751
u'il a établie à Nancy ; & de me donner
a direction de la Bibliotheque publique
qu'il a fondée en même tems & qu'il s'agit
le former.
Tant d'occupations me laiffent à peine
le tems de travailler à la fuite de mon
Hiftoire Générale de Pologne ; & je ne
puis prefque plus y donner que les momens
d'un délaffement néceffaire ; auffi
lesy donnai-je tous. Un goût vif trouve
toujours les moyens de fe fatisfaire . Combien
eft-il plus ingénieux encore , quand
il s'eft changé en paffion . C'en eft une
véritablement que l'ardeur que j'ai d'achever
mon ouvrage ; mais ne craignez point
qu'en me preffant de le finir ,je n'y apporte,
comme auparavant , tous les foins dont je
puis être capable. Le public peut en leur
faveur me pardonner un peu de retard , &
il me fçauroit mauvais gré d'avoir fatisfait
fon attente en négligant de la remplir
comme je le dois. Ces fentimens que
je lui fuppofe font une preuve du goût.
feur
que je lui reconnois.
En attendant fon jugement , j'ai recours,
au vôtre , Monfieur : voici un morceau
de la fuite de mon Hiftoire , que je lûs der-.
nierement dans une de nos Séances Acadé
miques , & que j'ai choifi exprès , parce
qu'il a rapport à la Differtation , que je
38
MERCURE DE FRANCE.
vous envoyai dernierement , fur les Co
zaques. Vous m'obligerez de m'en dire vo
tre fentiment. /
Surtout , Monfieur , faites moi le pla
fir de faire fçavoir au public l'empre
ment que j'ai de le fatisfaire. D'un trait de
cette plume qu'il aime avec raifon , ap
prenez lui , que je fens parfaitement
qu'exigent de moi le refpect que j'ai pour
lui , & l'accueil qu'il a daigné faire aux
cinq premiers volumes de mon ouvrage
Marquez lui, que je n'ai d'autre ambition,
que de remplir les promeffes que je lui ai
faites , & que je ne perds pas un moment
pour les remplir.
J'ai l'honneur d'être , &c ..
Fragment de l'Hiftoire générale de
Pologne.
Amurath III. venoit de fucceder à
Selim fon pere. Plus animé par la conquête
que ce Sultan avoit faire du Royaume
de Chypre , que découragé par l'affront
que ce Prince avoit effuyé pre que auffitôt
à la bataille de Lépante , le nouvel
Empereur voulut fe fignaler par les ar
mes Après avoir porté la guerre en Per
fe , il fit deffein d'infulter les Polonois ;
mais croyant fe dégrader en fe chargeant
lui-même d'une expédition qu'il inagi
DECEMBRE. 1751. 30
oit trop aifée , il remit aux Tartares le
oin de les attaquer.
Ce qui avoit irrité ce Prince , c'étoient.
les courfes que les Cozaques avoient faites
en Moldavie à la follicitation des Polonois
, qui ne voyoient qu'à regret , fous
la domination des infidelles , un Pays originairement
tributaire desRoisdeHongrie,
&depuis foumis à leurs loix. Les Woiewodes
de Moldavie ne fouffroient eux mêmes
qu'avec une impatience extrême l'Empire
que la Porte avoit ufurpé dans leurs Etats..
Ce fut ce qui obligea l'un de ces Woiewodes
, nommé Bogdan , de faire un Traité
avec Sigifmond Augufte , par lequel ces
deux Princes promettoient réciproqument
de fe fournir dans le befoin un corps de
24000 hommes de Cavalerie.
Comme c'eft ici l'origine de l'invafion
dont je dois parler , je ne puis me difpen-,
fer de la faire connoître . Réfolu de fe foulever
contre les Turcs , & n'ignorant
point qu'Augufte ne pouvoit tenir fes engagemens
que du confentement de la Ré--
publique Bogdan ne fongea qu'à contracter
une union particuliere avec les
Principaux d'entre les Polonois. Dans ce
deffein , il donna une de fes foeurs en ma--
riage à Gafpar Paniewski , fils du Staroſte
de Zidacow. Il promit une autre de fes
40
MERCURE DE
FRANCE.
foeurs à
Chriftophe
Zborowski , frere du
Palatin de
Cracovie ; & il fe
propofa d'époufer
la fille du Comte Tarlo , Porte
Enfeigne de
Léopold , à qui le pere en
mourant avoit laiffé des biens immenfes.
Il
n'étoit pas
naturel de
foupçonner
dans ce Prince de la
mauvaiſe foi. Le ma
riage déja
conclu
fembloit
répondre des
deux autres ; &
d'autant plus que
tes les
promeffes , il n'en eft point de plus
de touinfaillibles
, que celles qui font fondées
fur
l'interêt.
Zborowski fe
repofoit fur celle du Mol
dave ; mais il en
retarda l'effet par une
impatience , qui ne venoit
d'un excès
que
de
préfomtion . Il
ignoroit , que ce que les
Princes font obligés de faire par devoir ,
ils
veulent
ordinairement ne
l'accorder
que comme une grace. Les délais de Bogdan
l'irriterent. Il crut y voir de la perfi-.
die ; & il la fit naître en
témoignant n'en
point douter.
vri
Elle lui fut
d'autant plus fenfible , qu'il
fe trouva dans
l'impuiffance
d'acquiter les
dettes qu'il venoit de
contracter . Appau
par
Pambition de
paroître aufli ri
che que l'époufe qu'on lui avoit deftinée ,
il en exigea des
dédommagemens . De nouveaux
refus mirent le comble à fes chagrins
, & il réfolut
d'obtenir par la vioDECEMBRE.
1751. 41
C
lence , ce qu'il ne pouvoit fe promettre
de fes preffantes follicitations .
Réduit à contenir fa haine , il attendit
dans le filence , que le premier voyage que-
Bogdan feroit en Ruffie , lui fournit une
occafion favorable de la faire éclater. Il
ne fçut pas plutôt qu'il y étoit arrivé ,
qu'il épia le moment de le furprendre . Un
jour que ce Prince alloit d'une Ville à une
autre avec un cortege peu nombreux
Zborowski fortant d'une embuscade fuivi
d'une troupe de gens armés , s'affura de
fa perfonne ; & le faifant garder étroitement
, réfolut de ne le point relâcher , que
fa foeur & lui ne l'euffent indemnifé de toutes
les dépenfes.
>
Les plaintes , les remontrances les
lettres de Sigifmond ne purent l'arracher
des mains qui s'en étoient faifies . Le
Woiewode contraint d'acheter fa liberté ,
paya fix mille écus comptant , donna des
cautions pour ce qu'il étoit convenu devoir
encore ; & fe hâta de retourner dans
fes Etats , de crainte que l'accident qui
lui était arrivé , n'y donnât occafion à ſes
Sujets de fe fouftraire à fon obéiffance . Il
connoiffoit la légèreté de fes Peuples ; &
il n'ignoroit pas que les Turcs cherchoient
fourdement à le détrôner.
Un nommé Iwan les y follicitoit depuis
42 MERCURE DE FRANCE.
& ne cherchoit à le quelques années ,
détruire que pour le remplacer. 11 fe di
foit fils naturel d'Etienne, autrefois Woie
wode de Moldavie. Cette naiffance d'ail
leurs peu refpectable , étoit moins certaine
que fa qualité de Domestique du
grand Maréchal Firley , qu'il avoit fervi
dans fa jeuneffe. S'étant fait depuis Maho
metant à Conftantinople , il s'étoit infinué
dans les bonnes graces de quelquesBachas ,
à qui ilavoit fuffi pour l'eftimer , qu'il eût
une de ces phyfionomies privilégiées qu'on
aime tant dans leurs Nations. Celle d'Iwan
naturellement haute , même un peu fiere ,
рси
cautionnoit en lui beaucoup de valeur &
de fermeté , & juftifioit fon amour pour
la gloire & pour l'indépendance.
Il n'eut pas plutôt appris la détention
de Bogdan , qu'il la reprefenta comme
l'événement le plus propre à faire foulever
les Moldaves. Il demanda des troupes
au Sultan Selim ; & comme on perfuade aifément
" lorfqu'on
ne propofe
que cequi
plait
, il obtint
quelques
corps
de Spahis ,
qui eurent
ordre
de lui obéir
, & dele faire
déclarer
Wojewode
de Moldavie
.
Trop de lenteur eut peut être infpiré
fon armée de la timidité , ou comme il
eft affez ordinaire , elleeut du moins produit
une plus grande lenteur . Iwan crut devoir
DECEMBRE 1751: 43
>
gir avec encore plus de précipitation ; que
le promptitude ; il brufqua fon expédion
, & tout le Pays fe trouva foumis à
OnEmpire lorfque Bogdan voulutyrentrer.
Malgré la tréve qui fubfiftoit entre la
Pologne & la Porte , Augufte fe mit en
devoir de fécourir fon Allié ; mais auffi
malgré fon traité avec ce Prince , il ne lui
fournit que 4000 hommes , qui eurent ordre
de fe mettre en campagne fous la conduite
de Nicolas Mielecki Palatin de
Podolie. Ce Général paffa le Niefter & arriva
fur les bords du Pruth , d'où 400
Cavaliers de fon avant garde firent fuir.
6000 Moldaves , qui avoient pris les armes
pour leur nouveau maître & qui
n'oferent ni les attendre , ni les attaquer. ,
Arrivés à Jaffy , à travers plufieurs détachemens
de Croates , qu'ils défirent aifément
, les Polonois reconnurent enfin ,
que l'armée des Turcs étoit fi fupérieure à
la leur , qu'il ne leur étoit pas poffible de
tenir devant elle , d'autant plus qu'ils ne
fçavoient d'où tirer des vivres pour fubfifter
. Leur retraite fut bientôt décidée &
plus heureufe qu'ils ne l'efperoient, ou par
l'imprudence, ou par un trait de politique ,
du Gouverneur de Bialogrod , qui empê
cha les troupes du Sultan fon maître , de
les
pourfuivre
.
44 MERCURE DE FRANCE.
·
La feule reffource qui reftoir à Beg
dan étoit la Fortereffe de Chodzim. le
l'avoit confiéeà
Dobrofolowski, qui ne pou
vant s'y foutenir après le départ des troupes
de la Couronne , la remit à Iwan , à condid
tion que ce Woiewode & fes fucceffeurs
la
tiendroient en fief de la République .
Privé
déformais de tout appui , Bogdan
fut d'autant plus
malheureux , qu'il ne
fçut point l'être avec courage. Incapable
de concevoir , que l'adverfité étend , ou
agrandit plutôt qu'elle n'écrafe le génie
d'un homine ferme , il fe laiffa dompter
par fes malheurs. Il alla d'abord en Mof.
covie , comme s'il eut pû trouver de la
compaffion dans un Pays , où fembloit
s'être réfugiée toute la férocité des anciens
peuples du Nord . Delà il paffa en Fran
ce , l'azile ordinaire des Princes malheu
reux ; mais la France plongée alors dans
les
horreurs des guerre civiles , n'eut pour
lui qu'une pitié ftérile. C'étoit beaucoup
qu'elle ne parût point indignée de la bal
feffe de fes
fentimeus , prefque égale à
celle de fa fortune .
Cependant Iwan ébloui defon bonheur.
ne pouvoit fupporter la hauteur de ceux
à qui il en étoit redevable. Affujetti aux
ordres de la Porte , il ne lui reftoit d'au
* En
1574.
DECEMBRE.
1751 . 45
tre pouvoir , que celui de les faire exécuer.
Il eut honte de fa foibleffe ; il eut pitié
de fes Peuples , & il crut que ce n'étoit
qu'en les rendant heureux , qu'il pouvoit
le devenir lui- même. Son orgueil devint
la fource de fa vertu , & il ne dut bientot
fa vertu , qu'à des motifs plus dignes
d'elle. Il commença par abjurer les erreurs
qu'il avoit embraffées . Il redevint Chrétien
, & cette démarche fut comme le fignal
de la révolte qu'il méditoit contre la
Puillance Ottomane.
Un Prince voifin , c'éroit le Woiewode
de Valaquie , fut le premier qui apprit
ce changement au Sultan Selim. Il préten
doit obtenir la Moldavie pour fon frere ,
& s'imaginoit qu'il étoit auffi aifé d'en
chaffer Iwan , qu'il l'avoit été à Iwan de
s'y établir malgré la Pologne. Le Valaque
offroit de payer le double du tribut auquel
cet ufurpateur s'étoit foumis , &
par là du moins il donnoit à la Porte un
prétexte de prendre les armes contre un
perfide ,, qu'elle avoit déja deffein d'anéantir.
Telle étoit en effet alors la fauffe délicateffe
des Princes Ottomans. Ils cherchoient
à couvrir leut vengeance d'une
apparence d'équité. Cet ufage dure encore
parmi ces Barbares , & ils ne font
pas les
feulsqui ne rendent hommage à la juftice ,
*
46 MERCURE
DE FRANCE.
qu'en feignant de la pratiquer.
Un Chiaoux reçut ordre d'aller trouve
Iwan , & de lui déclarer qu'il eût à don
bler le tribut ordinaire , ou à renoncerat
rang qu'il occupoit . Ce tribut devoit alle
à 120000 écus , & augmenter fans doct
juſqu'à ce que le Woiewode épuifé ,
feulement indigné d'une oppreffion
cruelle , parût mériter par fes refus le ch
timent qu'on préparoit à fon ingratitude
L'alternative qu'on offroit à Iwan ne
toit non plus capable de l'ébranler , que de
le furprendre. Des deux partis qu'on lu
donnoit à choifir il n'en prit aucun.Il réfo
lut de ne rien payer abfolument à la Porte,
& de conferver néanmoins le pofte, qu'elle
fe propofoit de lui ôter. Il eut recours à fes
Sujets , qui devoient être plus outrés de l'in
fatiable avarice qu'ils feroient obligés de
fatisfaire , qu'il n'étoit irriré lui même du
deffein le Sultan avoit de le dégradet. que
Il leur repréfenta , que le plus fûr moyen
de s'exemter des vexations delcePrince, c'é
toit d'avoirle courage de ne lui rien accor
´der.Il ne pouvoit manquer de faire impref
fion fur un Peuple naturellement inquiet ,
& depuis long-tems excédé du faftueux
orgueil des Sultans qui le tenoient fous
leur puiffance, D'ailleurs Iwan étoit aimé.
Ses vertus avoient fait oublier fes premie
0
DECEMBRE. 1751. 47
res injuftices . Il n'impofoit plus de jong ,
que celui qu'il étoit néceffaire de porter ;
& la fermeté qu'il témoignoit à l'approche
du malheur dont il étoit menacé , donnoit
encore un plus grand reliefà fon mérite.
On vit bientôt tous fes Sujets s'abandonner
à fa conduite . Ils lui promirent de périr
plutôt , que de refter affervis fous la
domination des Ottomans . Les fommes
qu'ils auroient été contraints de leur payer
en efclaves , ils réfolurent de les employer
de maniere , qu'ils paffent les refufer en
hommes libres & indépendans. Ala hardieffe
de ce projet ils joignirent la promptitude
de l'éxécution . Ils prirent les armes
& s'avancerent vers le Danube , autant
pour porter la défolation dans les terres du
Sultan , s'il leur étoit poffible , que pour
empêcher fes troupes de pénétrer dans
leur Pays
.
Iwan comptoit fur les fecours de la
Pologne. L'intéret qu'elle avoit toujours
pris à une Nation qui la mettoit à couvert
des invafions des infidelles , paroiffoit devoir
la porter àquelque effort en fa faveur,
Henri venoit de monter fur le Trône.
mais ce Prince avoit des ménagemens à
garder avec la Porte , & il étoit vrai auffi
que la République devoit être encore
plus attentive à ne la point irriter. Il lui
8 MERCURE DE FRANCE.
Cou
ht
importoit cependant d'appuyer le Princet
Moldave , quoiqu'elle ne vit en lui qu'un
ufurpateur , peut- ètre encore alors aufli
ambitieux , que perfide . Le parti qu'elle
prit fut de ne recevoir fes Députés qu'a
vec une extrême indifférence , & de lai
permetre en même- tems de traiter avec les
Cozaques , qu'elle animeroit fourdement
à le bien fervir.
apt
Kava
Iwan eut recours à ces Peuples l'argent
à la main , & les trouva difpofés à fe met
tre en vente , du moment qu'il leur fit
connoître l'envie qu'il avoit de les ache
ter . Ils marcherent en Moldavie au nombre
de 1200 tandis que 30000. Turcs ,
2000 Hongrois , 68000 Valaques alloient
attaquer Iwan fous la conduite du Woiewode
de Valaquie.
men
Une fi grande armée ne pouvoit fe mouvoir
qu'avec peine . Elle s'annonçoit par
fes embarras long- tems avant qu'on la vit
paroître. Elle n'avançoit que péfamment &
à petites journées. On eût dit qu'elle n'avoit
d'autre deffein que de fe donner en
fpectacle, & peut-être croyoit- elle qu'il lui
fuffifoit de fe montrer pour répandre la
terreur dans celle des Moldaves . Ceux- ci
au contraire plus leftes & moins nombreux
voloient plutôt qu'ils ne mar
choient , affeyoient un camp auffi prom
tement
DECEMBRE. 1751 .
49
tement qu'ils le levoient , confultoient
peu , agiffoient beaucoup & montroient
un courage , qui tenant moins du fentiment
que de la paffion , fembloit entraîner
après lui la fortune , que les autres attendoient
fans la chercher.
Je ne m'arrêterai point à décrire tous
les avantages qu'ils remporterent fur leurs
ennemis , & qui furent dûs
principalement
à la fage conduite d'Iwan & à l'intrépide
valeur du Général des Cozaques Swierc
zewski. Jamais la
préfomption ne leur fit
négliger ce qui étoit aifé , ni la défiance
ne les rebuta dans ce qui étoit difficile .
Le premier combat qu'ils livrerent aux
Turcs , fut une victoire des plus completes.
Elle leur ouvrit le chemin de la Valaquie
, où ils pénétrerent fans le moindre
obftacle , le fer & la flamme à la main.
Rien n'y fut épargné de tout ce qui pou
voit conftater leurs fuccès & leur brutalité
même.
Les Cozaques toujours les premiers à
l'attaque , animoient toute l'armée à les
fuivre ; mais les Cofaques étoient cruels.
Ils
excitoient à la gloire &
apprennoient
à la foüiller. Leur exemple étoit aufli
nicieux qu'utile. Ils
infpiroient tout à la
perfois
du courage & de la férocité. Les
vols , les
affaffinats les maffacres , des
11. Vol.
C
Jo MERCURE DE FRANCE.
crimes encore plus affreux pafferent bientôt
pour des devoirs parmi les Moldaves.
Ils les crurent ordonnés par la victoire;
& ils ne chercherent plus à vaincre , que
pour s'y livrer avec plus de fureur.
Ce fut dans cet efprit qu'ils entrepri
rent le fiége de Brahilow , la feule Ville
de Valaquie qui fût en état de leur réfilter.
Ils la prirent d'affaut , & de l'aveu
même d'Iwan , qui ne mefuroit plus fes
avantages , que par l'excès de la barbarie ,
ils y commirent des horreurs , dont il n'étoit
pas poffible qu'ils ne frémiffent euxmêmes.
Quinze mille Turcs fe preffoient de venir
au fecours de cette place . Ils furent ar
rêtés en chemin par Swierczewski , qai
avec fes Colaques & huit mille Cavaliers
Moldaves , tomba fur eux inopinément. Le
courage devient inutile dans la confufion.
Les Turcs ferrés dans leur terrein , embarraffés
dans leurs manoeuvres , étourdis par :
leur précipitation même à fe deffendre ,
furent contraints de plier , & taillés en
piéces , à la réferve de mille Spahis qui
prirent le parti de fe retirer à Bender.
Ils n'y furent pas plutôt que le Woiewode
conçut le deffein d'affiéger cette Ville.
Elle n'attendit point la derniere extrémité
pour le rendre; & néanmoins le maffacre
DECEMBRE. 1751. St
y fut auffi général & auffi horrible , que
ft elle n'eût point mérité d'en être garantie
par fa promte foumiffion.Cette conquê
te fut bientôt fuivie d'une autre plus importante
, mais auffi peu glorieufe par
facilité de l'exécution. Bialogrod ne put
tenir à l'approche de 6oo . Colaques , qui
après l'avoir mife au pillage , prirent le
parti de la brûler.
la
Il n'étoit pas poffible que Selim pûr
voir tant de fuccès d'un ceil tranquille.
Il ne comprenoit point que les Moldaves
euffent eu la hardieffe de pénétrer dans les
terres de fon Empire ; & que fes troupes ,
malgré leur expérience & leur valeur ,
fuffent toujours contraintes de céder à de
vils Payfans de l'Ukraine , qu'il eftimoit
plus propres à fe fignaler par des rapines
, que par des exploits. Le Sultan penfoit
à fe venger de l'heureufe témérité de
ces Peuples , lorfqu'il apprit que leur
Chef avoit attaqué de nouveau fon armée ,
& l'avoit entierement deffaite malgré le
nombre prodigieux de Tartares qui avoient
en ordre de la renforcer.
Ce qui le toucha le plus , ce fur l'infolente
inhnmanité du vainqueur, qui ayant
fait deux cent prifonniers dans la bataille ,
les fit tous hacher à coups de faux. Du nombte
de cesprifonniers étoit le chefmêmede
Cij
52 MERCURE DE FRANCE:
l'armée , qui offroit des fommes immenfes
pour fa rançon. Après s'être flatté durant
quelques jours , qu'on lui conferveroic
du moins la vie , & l'avoir même rachetée
en quelque forte par un aveu fincere des
deffeins & des forces du Sultan , il fut
livré aux mains des Cofaques , qui fe jetterent
fur lui & le mirent en piéces , ainfi
qu'auroient fait des bêtes feroces affamées
de carnage & de fang.
>
Il étoit à craindre que déja maître de
la Beffarabie par la prife des deux Places
les plus confidérables de ce Pays , Iwan
n'effayât de porter fes armes dans la Bal
garie , & de proche en proche dans la
Macedoine , & jufques dans la Gréce , où
des Nations écrafées fous le poids de leurs
chaînes le
defiroient peut-être , plus
qu'elles ne le craignoient . Ce fut auffi ce
qui engagea Selim à faire une levée de
100000. hommes de troupes reglées , au-
Lant pour mettre ces Provinces à couvert
de toute invafion , que pour repouffer
Iwan dans la Moldavie , & l'y poursuivre
de Ville en Ville , jufqu'à ce qu'on l'eût
obligé de l'abandonner.
Ce grand appareil de guerre ne l'étonna
point. Il ne comptoit jamais l'ennemi , ni
Les propres troupes avant le combat . A la
vérité ce n'étoient point les Turcs qu'il
DECEMBRE . 1751. ss
avoit le plus à craindre. Son ennemi le
plus dangereux étoit un de fes Généraux
qui avoit gagné fon eftime , & qui de tous
les Officiers de fon armée étoit celui qui
la méritoit le moins.
Ce Général , appellé Ozarniewicki , étoit
un de ces hommes , qui d'abord fouples
& rampans pour s'infinuer auprès des
Princes , ne les flattent que pour les gouverner
, & bientôt après , confians & décififs
, les gouvernent plus qu'ils ne les
flattent. Sous l'apparence d'un zéle extrême
pour les intérêts , ou pour l'honneur
du Wojewode , Ozarniewicki avoit trouvé
l'art de lui faire aimer l'Empire qu'il
avoit pris fur lui ; mais il n'outroit la fincérité
qu'où il ne falloit pas , pour en man
quer avec moins d'affectation , où elle éroit
néceffaire. Dépourvu de talens & fe les attribuant
tous , il eût voulu être le feul néceffaire
à fon maître. En un mot envieux
jufqu'à la haine , orgueilleux par grofliéreté
, toujours empreffé pour ne rien fai
re , il fe jouoit des bontés d'Iwan , qui
trop pareffeux pour l'approfondir , ne l'é
toit pas moins pour chercher le vrai mé
rite fous les voiles , où la modeftie fe plait
toujours à le retenir.
Ce fut à ce favori , & ce ne fut qu'à
i feul , que le Woicwode dut fa cruel.
Ciij
14
MERCURE DE
FRANCE.
le
infortune.
Sentant approcher l'armée
des Turcs , Ivan réfolut de lui donner
un camp volant , qui pofté fur le Danube
s'y
retrancheroit de maniere qu'il pût les
empêcher de le paffer. Je ne dis rien des
fermens qu'il en exigea plus par coutume
que par défiance. Ils furent auffi inutiles
que le font prefque tous ceux qu'on fait
de nos jours..L'homme d'honneur n'en devient
pas plus fidelle qu'il ne l'auroit été',
s'il n'en eût point fait ; & le fcelérat qui
ne s'en fert que pour
tromper , le
auffi
aifément qu'il
s'engage .
parjure
Il n'eût tenu qu'à
Ozarniewicki de def
fendre les bords du Danube . Son camp
étoit de 13000 hommes , & il n'avoit
qu'un feul paffage à garder. D'ailleurs au
moindre avis qu'il eût donné des mouve
mens des infidèles , Iwan étoit prêt à fon
dre fur eux . Retenu par la néceffité de fai
re repofer le refte de fes troupes , il les
avoit difpofées de maniere , qu'on pouvoit
les
raffembler fur le champ.
Les Turcs à peine arrivés de l'autre côté
du Danube
reconnurent eux-mêmes qu'ils
ne poavoient
entreprendre de le pafler.
Ce fut envain que pour partager les forces.
des
Moldaves, ils fe
diviferent en plufieurs
détachemens , qui remontant ou defcendant
le fleuve ,
feignoient de connoître
DECEMBRE. 17ST. 58
divers endroits pour le franchir. Ozar
niewicki toujours immobile dans fon pofte
, ne leur fçavoit qu'une manoeuvre qui
put leur être utile ; c'étoit de le gagner à
force d'argent. Peut- être leur fit- il preffentir
, que ce n'étoit qu'à ce prix qu'ils
pourroient pénétrer dans les terres du
WoieWode ; peut-être ne dûrent- ils qu'à
la baffeffe de leurs propres fentimens cet
indigne moyen d'exécuter leur paffage.
Ils firent offrit-30000 ducats d'or au Général
Moldave , qui ne les eut pas plutôt
reçus , qu'il s'éloigna des bords du Danube.
Un favori devenu traître ne l'eft
jamais à demi . Pour fauver les apparences
de la bonne foi , Ozarniewicki eut recours
aune plus grande perfidie. Il alla trouver
Ivan , & lui dit , que l'armée des Turcs
n'étant que d'environ 12000 hommes , il
ne l'avoit laiffé paffer que pour lui ménager
la gloire & le plaifir de la vaincre ,
s'il vouloit fe hâter de la venir attaquer.
τότ
L'aveuglement du Wojewode duroit
encore. Il réfolut de marcher malgré l'avis
des Cofaques à qui leur groffiereté
même fuffifoit quelquefois pour n'être pas
trompés. Il ne fut pas long- tems à reconnoître
la trahifon qu'on lui avoit faite
mais ce ne fut qu'au moment qu'il ne lui
étoit plus poffible de s'en deffendre , ni de
C- iiij
36
MERCURE DE FRANCE.
s'en venger. Les Turcs étoient en fi grand
nombre , qu'ils pouvoient aifément l'en
velopper , quoiqu'il eût avec lui près
de 36000 hommes prefque tous bien
aguerris.
Il manda alors Ozarniewicki , qui ſe
voyant découvert n'eut garde d'obéir ,
fous prétexte qu'il étoit en prefence des
ennemis , & qu'il les voyoit fur le point
de commencer l'attaque. Le perfide n'at
tendoit que le moment de confommer fa
trahifon. Il engagea lui même la bataille ,
s'avanca vers les Turcs , fit baiffer les ar
mes à fa troupe , l'offrit aux infideles qui
étoient convenus de la recevoir , & la
mena prefque aufli - tôt contre les Moldaves
, dont il faillit à ébranler la fidélité par
fa défection .
L'intrépidité des Cofaques & la valeur
du WoieWode les eurent bien- tôt raffer
mis. Ils refolurent de n'aller aux ennemis.
qu'en marchant fur les membres épars de
ces malheureux, qu'ils vouloient hacher en
piéces. Il leur fut d'autant plus ailé de les
détruire , que les ayant d'abord forcés de
fe replier fur les Turcs , ceux-ci les repoulferent
à coups de fabres , comme n'étant
dignes par leur lâcheté , que d'être livrés
à la fureur de ceux , dont ils vouloient
éviter la
vengeance,
DECEMBRE. 17511 57
Les deux armées fe joignitent bien - tôc
à travers les cadavres de ces infâmes dé
férteurs. L'alfurance des Ottomans avoit
quelque chofe de hautain & d'inquiet ;
celle desMoldaves paroiffoit moins fiére &
plus paisible. On remarquoit dans les uns
qu'ils alloient au combat ; on cût dit que
les autres ne fe prefentoient qu'à une revûë,
Ceux-ci reffembloient à leur Chef
On ne voyoit dans Iwan , ni précipitation
téméraire , ni timide lenteur . Son calme
refpectable ne marquoit même pas la vigueur
de fon ame , qui le faifoit naître . Il
étoit ce qu'il avoit toujours été , prudent
& circonfpect , mais tranquille.
Avec des troupes & des talens , qui fembloient
lui répondre de la victoire , il n'eut
d'autre bonheur , que de la faire acheter
bien cher. Obligé de fe rendre , il ne demanda
grace que pour les Cofaques , dont
il ne reftoit plus que deux cent cinquante
, & qui étoient bien dignes qu'on ref
pectât leur valeur. On lui promis tout ,
parce qu'on le craignoit encores om në
fui tint rien, dès qu'on ne le craignit plus
Le fort de ce Woiewode fut des plus fu
neftes. Ilperit par la main même du Géné
ral des Turcs qui le maffacra dans fa tente ,
malgré la parole que ce barbare lui avoit
donnée de l'envoyer au Sultan Selim .
CY
58 MERCUREDEFRANCE
Sa perte fit fentir aux Colaques le trai
tement qu'on leur préparoit . Ils reprirent
auffi tôt les armes , & fe précipitant avec
fureur dans les bataillons des infidelles ,
ils n'eurent d'autre crainte , que de ne pas.
périr pour éviter d'être efclaves , ou de pé
rir fans tirer vengeance de la mort qu'ils
alloient affronter pour la derniere fois ....
$29 30 32 34 36 502 DE 52 54.8 50 506
EPITRE
A Mlle de Fauques , par M. Sabatier.
Το
Oi , qu'on voit marcher fur les traces
De nos plus illuftres Auteurs ,
Toi , de qui les écrits infpirés par les Graces
Plaiſent aux plus hardis Cenfeurs ,
Docte Sapho , tendre Uranie ,
Permets que ma Mufe ravie ,.
T'adrefle fes foibles accens ;、
Ennemi de la flatterie ,
C'eft au mérite feul que j'offre mon encens
'Ce n'eft donc qu'à toi feule , à ton brillantgénie,
Que je veux confacrer mes fons les plus touchans
Heureux fi de la Poefie
Connoiflant comme toi les divins agrémens ,
Je donnois à mes vers cette douce harmonie ,
you
Cet air aifé, ces tours charmans
DECEMBRE. 1751 :
Du plaifir affurés garans ,
Qui bravent les traits de l'envie
Ainfi que l'injurè des ans.
On me verroit bien-tôt épris d'un beau délire
Tenter les plus hardis projets ,
N'employer les fons de ma Lyre ,
Qu'à célébrer les plus grands faits ,
Soumettre enfuite à ton empire ,
Mes voeux ainfi que mes fuccès:
Mais ! hélas comme toi je n'ai pas l'avantage
D'avoir part aux faveurs du Dieu de l'Helicon ,!
Je n'ai pas même le courage
D'entrer dans le Sacré Vallon ,
Incertain fi mon foible hommage
Seroit bien reçu d'Apollon.
Pour toi , le Dieu t'infpire , & ces traitspleins der
flamme
Qui captivent les coeurs & domptent les efprits
Il les fait paffer dans tou ame ,
Pour les tranfrmettre en tes écrits .
Quelle douce harmonie , en tes chanf ons légétes
Quel feu , quelle vivacité
Dela Suze & des Houlieres
Peut- on n'y pas fentir la tendre amoenité ;
Je m'en fouviens auffi , quand fur les bords du
Rhone ,
Ton efprit agité des Lyriques tranfports ,
D'un Prince plus grand que fon Trêne
Ta noustraçois en vers les belliqueux efforts
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE
1.
Nous penfions du fils de Latone
Entendre les charmans accords .
Par quel prodige enfin ta verve alors captive
Pouvoit- elle fentir cette légèreté ,
Cet effor , cette flamme vive,
Heureux fruit de la liberté
Non, ce n'eft pas dans des entraves
Que loge la vivacité ,
Les ennuis & les foucis graves
Ne font- ils pas enfans de la captivité
Mais à préfent que fans contrainte
peux fuivre le Dieu des vers ,
Et que ta Lyre peut fans crainte
Chanter mille fujets divers ,
Tu
Libre de la cruelle atteinte
Que te faifoient fentir tes fers ,
Tu ne peux que donner plus de grace à tes airs
Mais déja je te vois par un charmant ouvrage
Enlever même le fuffrage
Des Lecteurs les plus dédaigneux.
Oui , ton Roman ingénieux
Peut bien promettre à ton courage
Les fuccès les plus glorieux.
Si Fon voir dans tes vers cette aimable tournure ,
Ainfi que dans Greffet , la Fare , ou bien Chau
liew
On voit dans ton Roman que tu peints la Na*
Lure
DECEMBRE . 175-1
Comme Prevôt , ou Villedieu .

En nous peignant l'amitié pure ,
Tula fais triompher de tout le genre humain
C'est toi qui venges fon injure
Et rends fon triomphe certain.
Cette divinité de la terre exilée
Qui fe voyoit fans Voeux , fan Amans ,
Autels ,
Se voit à préfent rappellée
Et vient regner fur les mortels ;
Oui , je vois tes aimables touches
Des plus vives couleurs en ranimant fes traits
Forcer les coeurs les plus farouches
A fe livrer à fes attraits.
De la vertu, partout tu nous vantes l'empire ,
Cette fille du ciel l'infpire ,
Tu lui fais des adorateurs :
Qui pourroit réfifter à fes traits enchanteurs
Tu lui communiques tes charmes
Quelles plus infaillibles armes
Pour lui foumettre tous les coeurs ?
A de plus hauts deffeins que ton ame prétende
Entreprens de chanter les plus fameux Héros ,
Je ne vois rien qui te deffende
De tenter des projets fi beaux
Et les plus nobles travaux
Viens du Public qui te demande
par
J
fans
62
MERCURE DE FRANCE.
Recevoir hardiment des éloges nouveaux ;
Ou plutôt fuivant Melpomene
Ainfi
En nous étalant fur la fçene
Des fameux criminels les tragiques fureurs ;
que Crébillon én remuant nos coeurs
Tu vas faire couler fans peine ,
De nos yeux un torrent de pleurs..
Je te verrai de loin voler dans la carriere
Et pourfuivre ta marche altiere ,
Fixant fur toi tous les regards ;
Mais que le danger ne t'étonne ,
Les lauriers que l'on y moiffönne ,
Content autant que ceux de Mars
Melpomene ainfi que Bellone ,,
A fes périls & fes hazards.
487-208 209 269 2090 209 208207 208209 265
SEANCE
PUBLIQUE
de l'Académie des Infcriptions & Belles-
Lettres , le 12 Novembre 1751 .
L
E fujet du prix que l'Académie diftri
buera à Pâques 1753 , confifte à exa
miner , quelle étoit l'origine , quels étoient le
rang & les droits de l'Ordre des Chevaliers,
& quelles ont été les révolutions que cet Ordre
a effuyées dans les differens fiécles de la Répu
DECEMBRE.
1751. 63
.
lique Romaine , depuis fon établiffement ,
jufqu'à l'Empire d' Augufte.
Le prix fera toujours une médaille d'or ,
de la valeur de quatre cens livres .
Les pièces ,
affranchies de tous ports ,
feront remifes entre les mains du Sécrétaire
de l'Académie , avant le premier de Dé
cembre 17521 Cany
La premiere differtation qui fut lue dans
cette affemblée fut une Defcription du
Théâtre de C. Scribonius Curio. Les An
ciens , dit M. le Comte de Caylus , ont
eu plufieurs connoiffances que nous n'avons
plus , & il ont pouflé beaucoup plus
loin quelques-unes de celles dont nous
faifons ufage , les moyens qu'ils employent
pour remuer des maffes d'un poids.
énorme font de ce nombre. Nous nous
contentons de fçavoir qu'ils font
parvenus
à l'exécution , nous ne travaillons
point à les égaler . La lecture des anciens :
Auteurs m'a conduit non feulement à cess
Réfléxions , mais elle m'a caufé un autre
étonnement ; j'ai été furpris de leur voir
employer les plus grands efforts de la mé
chanique avec la plus grande fimplicité en
tous les genres ; ils attachoient pen de G
mérite à ces fortes d'opérations , que leuts .
Hiftoriens & leurs Poëtes même n'en pa
roiffent nullement occupés. Nous devons
64 MERCURE DEFRANCE.
conclure de cette indifférence dans leurs
récits , que les moyens leur couroient
trop peu pour leur paroître dignés d'être
relevés. Je ne parlerai point des bâtimens ,
quelques considérables qu'ils ayent été ,
ils ne font que l'affemblage de plufieurs
quartiers de pierre dont on en éleve mille
comme on en a élevé un , mais je rappellerai
entre mille exemples les idées que
nous avons des Coloffes , des Obélifques
élevés autrefois en Egypte , tranfportés
depuis à Rome. Toutes ces pratiques nous
paroiffent impoffibles , & l'on trouve fou
vent qu'il eft plus court d'en conteſter
l'existence. Un des exemples de ce genre
qui m'a le plus étonné , a été le Théâtre
de C. Curion , dont on trouve la Defcription
dans le trente- fixième livre de Pline.
La matiere m'a paru d'autant plus curieu
fe , qu'elle eft neuve pour ainfi dire ,
car on n'a jamais fait mention de ce Théâ
tre qu'en général , & ce qu'on en a dit
en particulier , n'eft ni étendu , ni capa
ble de fatisfaire:je ne meflattepoint d'avoir
réuffi dans une entreprife auffi difficile
onpourra défiter beaucoup de chofes dans
l'explication que je vais en donner ,
je crois ne préfenter que des réfléxions fonmais
dées fur les loix du mouvement.
L'explication de cette machine étant né
DECEMBRE. 1751 65
ceffairement accompagnée de plufieurs
planches qu'on diftribua dans l'affemblée
nous fommes forcés de renoncer à l'extrait
d'une Differtation très-curieuſe & très bien
faite , nous nous étendrons davantage fur
la fuivante.
EXTRAIT
Du Mémoire fur la Reine Pedauque , ois
l'on examine quelle pouvoit être cette
Reine.
Monfieur l'Abbé le Boeuf die qu'il
connoît quatre Eglifes anciennes ,
au portail defquelles on voit avec d'autres
figures , celle d'une Reine , dont l'un
des pieds finit en pied d'oye . Ces Eglifes
font celles du Prieuré de SaintPourçain en
Auvergne , de l'Abbaye de Saint Benigne
deDijon, de l'Abbaye de Nefle, transferee
à Villenoce en Champagne , & de Saint
Pierre de Nevers.
*
Jufques vers le milieu du dernier fiécle ,
aucun Ecrivain n'avoit remarqué ou dai
gné relever cette fingularité. Le Pere Mabillon
eft le premier qui paroiffe y avoir
fait attention , & ce fçavant Religieux a
penfé que la Reine au pied d'oye , qui des
deux mots Latins pes auca , a été nommée
Reine Pedauque , pouvoir être Sainte Clo66
MERCURE DE FRANCE.
tilde , Femme de Clovis . Mais ne trouvant
rien dans les monumens , hiftoriques qui
donne lieu. de juger que Clotilde ait eu le
défaut corporel qu'indique la Statue , il
conjecture que ce devoit être un embleme
,, employé par les Sculpteurs , pour
marquer la prudence de cette Princeffe ,
les oyes du Capitole ayant acquis à leur
efpéce le privilége d'être regardés comme
le fymbole de la vigilance.
28
Mais la conjecture du P: Mabillon pa
roît être fans fondement. Pour en faire
fentir l'infuffifance , M. l'Abbé le Bouf
fait quelques remarques fur les quatre-
Eglifes dont il a parlé . On voit au Prieuré
de Saint Pourçain , à gauche en entrant ,
la Statue de St. Pierre & celle de deux
Apôtres ; à droite font reprefentés un Prê
tre , un Roi & une Reine , qui a le pied
droit en forme de patte d'oye. Cette Reine
, dit- il , ne fçauroit être Sainte Clo--
tilde. 19. Parce que le Roi qui eft auprès
d'elle , & qui dans la fuppofition du P.
Mabillon , devoit naturellement être Clovis
, eft reprefenté contre l'ufage des Prin--
ces Merovingiens , avec une longue chevelure.
2°. Parce qu'il n'y a nulle raifon
de préfumer que Clotilde ait été honorée
d'une Statue dans l'Auvergne , Province
qui lui fut abfolument étrangere. En vain,
DECEM BRE. 175T. 67
diroit- on , qu'elle avoit pu faire conftruire:
un Oratoire fur le tombeau de St. Pourçain
, puifque Sainte Clotilde mourut
avant ce St. Abbé.
1
Ce feroit encore fans fondement qu'on
croiroit trouver cette Reine fur le Portail
de St. Benigne de Dijon ; elle n'a été ni
fondatrice ni bienfaitrice de cette Abbaye,.
elle n'a donc pu mériter qu'on lui décernât
un honneur , réfervé particulierement
aux fondateurs ou bienfaiteurs des Eglifes..
Le même raifonnement peut fervir à prou
ver que la Reine au pied d'oye , reprefentée
fur le portail de l'Abbaye de Nefle , n'eft
pas la Reine Clotilde , ce n'eft ce n'eft pás elle
auffi qu'on a voulu répréfenter fur le portail
de Saint Pierre de Nevers , puifque la
draperie de la Statue & celle des deux Rois
qui l'accompagnent eft vifiblement du 12 .
fiécle.
Aces remarques particulieres , M. l'Ab
bé le Boeuf a joint une obfervation générale.
S'il étoit vrai que la Reine Clotilde
eût été figurée quelque part avec un pied
d'oye , il feroit du moins vraisemblable
qu'on lui auroit confervé partout une marque
fi finguliere & fi propre à la faire reconnoitre
; cependant au portail de Saint
Germain-des -Prés , où l'on croit avec quelque
fondement qu'elle eft repréfentée
68 MERCURE DE FRANCE
elle, a les deux pieds formés & chauffes
à l'ordinaire ; c'eft donc ailleurs que par
miles Princeffes de notre Monarchie, qu'il
faut chercher la Reine Pedauque. Deur
paffages , l'un de Rabelais , l'autre des
Contes d'Entrepel , femblent nous dite
que c'eft à Toulouſe qu'on peut la trouver.
Le premier en parlant de certaines
perfonnes qui avoient le pied large , elles
étoient , dit- il , largement patées comme font
Les oyes , & comme jadis à Toulouse lespor
toit la Reine Pedauque . Le fecond nous ap
prend que de fon tems on juroit à Toulou
fe par la grenouille de la Reine Pedauque
ces deux Ecrivains parloient ainfi d'après
les traditions Touloufaines , qui devoient
déja avoir quelque ancienneté du tems de
Nicolas Bertrand , qui a écrit une histoire
Latine de Touloufe , imprimée en 1515
Cet Auteur raconte que le Roi à qui Tou
loufe obéiffoit , lorfque Saint Marcel y
vint prêcher l'Evangile , avoit une fille
dangereufement malade qui fut guérie &
baptifée par ce Saint Evêque ; que le Roi
qu'il nomme Marcel, prévoyant que fa fille
fuccéderoit à faCouronne, lui fit bâtir dans
le quartier , appellé aujourd'bui la Peyrala
de, un magnifique Palais , où il y avoit
une fale , dans laquelle un aqueduc , conf
ruit fur la Garonne , portoit les eaux
DECEMBRE.
1750
d'une fontaine. Cet Auteur ajoute , que
fuivant quelques- uns cette Reine étoit la
Reine Pedauque , & dans un autre endroit
il nous apprend que cette Princeffe s'appelloit
Auftris , & c'eft dans ce nom que
M. l'Abbé le Boeuf croit avoir trouvé quelle
étoit originairement cette Reine , &
pourquoi elle fe trouve repréfentée au
portail de plufieurs de nos Eglifes.
Il penfe donc que la Reine Auftris des
Touloufains , connue fous le nom de Reine
Pedauque , eft la Reine de Saba des livres
Saints. On fçait que J. C. lui -même la
nomme dans l'Evangile Regina Auſtri. On
fçait encore qu'elle a été regardée par les
Peres de l'Eglife & par les anciens Commentateurs
de l'Ecriture , comme une figure
de l'Eglife , dont J. C. eft le Salomon ;
de là vient la coûtume de la repréſenter
aux portiques de nos Temples avec Salomon
, David , Bethfabée ; les Sculpteurs y
joignirent quelquefois , Moyfe , Aaron
Melchifedec , & Samuel , & pour retracer
à l'efprit le raport de la nouvelle Loi avec
l'ancienne, ils y ajouterent auffi J. C. avec
quelqu'un de fes premiers Apôtres . Voila ,
felon M. l'Abbé le Boeuf , les Rois , les
Reines & les Evêques que les critiques
moderues ont crû voir au portail de plu
fieurs Eglifes du Royaume.
70 MERCURE
DE FRANCE
dec
1
L'explication
qu'il propofe , ajoute-il,
s'accorde parfaitement avec l'ufage auquel
fervoient autrefois les portiques des Eglifes.
On fçait que c'étoit-là que fe prononçoient
les jugemens Eccléfiaftiques; or nul
Ornement ne convenoit mieux à un tel lieu
que la répréfentation
des perfonnages
qu'il croit y appercevoir. Moyfe , Legif
lateur des Hébreux , Aaron teur Grand
Prêtre , Melchifedec , qui unit la Sacer
doce à la Royauté , Salomon que la fagelle
de fes jugemens a rendu fi célébre , J. C.
Auteur de la nouvelle Loi , St. Pierre &
St. Paul , qui furent les deux principaux
inftrumens de fon divin miniftere ; enfin
la Reine de Saba , dont l'Evangile a dit
qu'elle eft affife pour juger, Regina Auftri
fedet injudicio , & c'eft peut-être à ce paffage
qu'elle doit l'honneur d'être placée
dans le portail de nos Eglifes.
+
Il reste à fçavoir pourquoi elle y eft repréfentée
avec un pied d'oye ; M. l'Abbé
le Boeuf croit encore avoir trouvé le fondement
de cette bizarerie dans les tradi
tions Judaiques qui nous ont été confer
vées par le feul Paraphrafte Chaldéen.
Cet Ecrivain dit dans un endroit , que ,
felon l'opinion des Juifs , la Reine deSa
ba, aimoit tellement le bain , qu'elle fe
plongeoit tous les jours dans la
mer
. 11
DECEMBRE.
1751. 71
décrit ainfi ailleurs l'entrée de cette Princeffe
à
Jérufalem : » Benajan fils de
Jehoida , la conduit auprès du Roi Salomon.
Lorfque le Roi fut inftruit de
fon arrivée , il alla auffi- tôt l'attendre
dansun appartement tout de criftal : la
Reine de Saba en y entrant s'imagina
" que le Prince étoit dans l'eau ,& pour fe
"mettre en état de paffer ,elle leva fa robe
alors , continue le
Paraphrafte , le Roi-
" voyant fes pieds qui étoient hideux :
Votre vifage , lui dit-il , a la beauté des
" plus elles femmes , mais vos jambes &
vospieds n'y
répondent gueres .
Il eft aifé de
concevoir que la premiere
de ces traditions a donné naiffance à la
feconde. La paffion de la Reine de Saba
pour le bain fit
naturellement
imaginer de
la comparer aux animaux
terreftres qui
paffent leur vie dans l'eau : bientôt on
ajouta qu'elle en avoit les pieds : la
membrane
cartilagineufe qui forme leur
patte , étant leur caractére le plus marqué.
Les Sculpteurs qui font venus depuis , le
conferverent
réligieufement à la R- ne de
Saba , comme un figne qui devoit la diftinguer
des autres
perfonnages qu'ils lui
affocioient , & cette
attention leur parut
d'autant plus néceffaire ,
qu'autrement on
la
confondre avec
Bethfabée , qui
eût
pu
72 MERCURE
DE FRANCE.
d'ordinaire fe trouve auprès de David ;
comme la Reine de Saba auprès de Salomon
.
M. l'Abbé le Boeuf finit ce mémoire en
remarquant qu'il fe trouve dans la circonf
tance où David , felon l'Ecriture , vit
Bethfabée pour la premiere fois , & celle
où la Reine de Saba , felon la Tradition
Judaique , s'offrit à Salomon , un rapport
& en même tems un contrafte que lesSculp
teurs ont voulu peut -être faire fentir.Bethfabée
le baignoit , viditque mulierem fe la
vantem.La Reine de Saba prenant unappar
tement de criſtal pour un lac , fe mit "dans
l'état d'une perfonne qui fe baigne.Voilale
raport. Mais Bethfabée dans le bain n'en parut
que plus belle , erat autem mulier pulchra
valde ; au lieu que la Reine de Saba levant
fa robbe , détruifit par
la difformité de fes
pieds l'effet qu'avoit pu faire la beauté de
fon vifage. Voila le contrafte . Au reſte , M.
l'Abbé le Boeuf dit , qu'il ne prétend pas
qu'on doive conclure de ces obfervations ,
qu'aucun Roi ou aucune Reine de France
n'ayent anais été repréſentés au portail des
Eglifes , il penfe feulement qu'on nedoit
les y croire , qu'autant que leurs noms fe
trouvent écrits au bas de la figure , ainfi
qu'ils le font à deux Statues du portail de
St. Germain-des-Près.
EXPLICATION
DECEMBRE.
73 ·
1751 .
EXPLICATION
D'une infcription antique fur le rétabliffement
de l'Odeum d'Athenes , par Ariobar-
Zane , Roi de Capadóce. Par M. l'Abbé
Beilley.
pe ,
La renaiffance des Lettres en Euro-
A
les Sçavans s'emprefferent comme
de concert , à retablir tous les genres.
de Litterature , & à rappeller la véritable
érudition ; il s'en trouva qui s'appliquerent
à la recherche des infcriptions , des
médailles & des autres monumens antiques
; on en fit des Recueils , on les
publia
; les recherches ayant été continuées ,
il s'eft formé plufieurs amples collections
dont on a tiré les plus grands avantages
pour la Géographie , la Chronologie
l'hiftoire & les autres fciences. Quoique
ces collections foient déja très riches &
immenfes , elles s'augmentent tous les
jours ; il fe découvre , furtout dans les pays
où les Arts & les Sciences ont fleuri , divers
monumens précieux qui ont échapé
à la durée des fiécles , & à la barbarie des
hommes.
༈ རཿ
On peut mettre au rang de ces heureufes
II. Vol. D
74 MERCUREDE FRANCE
découvertes l'infcription Grecque dont
j'entreprends de donner l'explication ; elle
a été trouvée à Athenes le 15 Août 1743 ,
dans les fondations d'une maifon qu'un
Turc faifoit rebâtir. Monfieur Gafpari ,
Conful de France en cette Ville , fe tranf
porta fur le lieu pendant que la pierre étoit
à découvert , copia l'infcription , & l'envoya
à M. le Comte de Maurepas , qui a
eu la bonté de la communiquer à l'Açadémie
.
Ce marbre , qui probablement a été la
bafe d'une Statue , porte cette infcription
en fix lignes d'un très- beau caractére.
ΒΑΣΙΛΕΑ ΑΡΙΟΒΑΡΖΑΝΗΝ ΦΙΛΟΠΑΤΟΡΑ
ΤΟΝ ΕΚ ΒΑΣΙΛΕΟΣ ΑΡΙΟΒΑΡΖΑΝΟΥ ΦΙΛΟΡΩ-
ΜΑΙΟΥ ΚΑΙ ΒΑΣΙΛΙΣΣΗΣ ΑΘΗΝΑΙΔΟΣ ΦΙΛΟΣ-
ΤΟΡΓΟΥ ΟΙ ΚΑΤΑΣΤΑΘΕΝΤΕΣ ΤΗ ΑΥΤΟΥ ΕΠΙ
ΤΗΝ ΤΟΥ ΩΙΔΕΟΥ ΚΑΤΑΣΚΕΥΗΝ ΓΑΙΟΣ ΚΑΙ
ΜΑΡΚΟΣ ΣΤΑΛΛΙΟΙ ΓΑΙΟΥ ΥΙΟΙ ΚΑΙ ΜΕΝΑ-
ΛΙΠΠΟΣ ΕΑΥΤΩΝ ΕΥΕΡΓΕΤΗΝ,
C'est -à-dire , Caius & Marcus Stallius ,
fils de Caius & Menalippe , ont élevé ce
monument à leurbienfaicteur, leRoi Ariobarzane
Philopator , fils du Roi Ariobarzane
Philoromanus , & de la Reine Athenaïs ,
Philoforge , ayant été chargés par ce Pring
ce de la conftruction de l'Odeum.
L'Infcription eft précieufe . On fçait que
les infcriptions Grecques font beaucoup
DECEMBRE. 17518 75
plus rares que les Latines, & queparmi les
premieres, celles qui font mention des Rois
étrangers , font de la plus grande rareté .
Cette infcription a le double avantage de
nous apprendre la filiation & la fuite
des derniers Rois de Capadoce , qui étoit
inconnue , & de nous faire connoitre le
Prince qui fit réparer dans la Ville d'Athénes
un des Edifices les plus nagnifiques..
Ces deux objets qui font interreffans pour
l'hiftoire , font le fujet & le partage de ce
mémoire..
1. Les anciens Rois de Capadoce prétendoient
defcendre de Cyrus , Roi de
Perfe > & poffédoient en Afie un Etat
puiffant . La fuite de ces Princes eft incon-
Due jufqu'au tems d'Alexandre le Grand.
Alors l'hiftoire commence à parler de ces
Rois qui portoient ordinairement le nom
d'Ariarathe : les Romains depuis la défaite
d'Anthiochus leGrand , Roi de Syrie , étendirent
leur fyftême politique , fe mêlerent
des affaires de l'Afie , & firent alliance
avec les Princes de l'Orient , ils accordoient
l'honneur de leur amitié & de leur
alliance aux autres Rois ; les Traités d'alliance
avec les Rois de Capadoce , comprenoient
non feulement leurs perfonnes ,
mais encore toute la Nation . La Race
Royale étant éteinte, les Rans en con-
Dij
76 MERCUREDE FRANCE.
fidération des Traités perinirent aux Cappadociens
de vivre en liberté fuivant leurs
propres Loix ; mais cetre Nation accoutumée
à la domination Royale , rejetta la
liberté qui lui étoit offerte, & choifit dans
fon corps Ariobarzane pour le placer fur
le Trône. Ce Prince qui tenoit le fceptre
du confentement des Romains , en reçut
de nouveaux bienfaits : chaffé deux fois de
fes états par les intrigues ou par les Armes
de Mithridate , Prince ambitieux & guerrier
, deux fois il fut rétabli par la puif
fance & la Majefté du nom Romain ; le
Sénat lui défera même les honneurs los
plus diftingués , & lui envoya la chaife
Curule , diftinction qui n'étoit accordée
qu'aux Princes amis & alliés , qui avoient
rendu à la République les plus grands fer-
-vices. Ariobarzane fit graver ces marques
d'honneur fur quelques unes de les mon,
noyes , & prit fur la plupart des autres le
glorieux titre d'ami des Romains IAOPOMAICE
. Ce n'eft pas ici le lieu de montrer
que les Rois & les Peuples affectionnés
aux Romains , prenoient ordinairement ce
ritre. Le Baron de Spanheim en rapporte
des exemples dans fon grand ouvrage . Les
Princes porterent encore plus loin la reconnoiffance
ou la flatterie envers les Empercurs
Romains , ils fe difoient en quel
DECEMBRE. 1751 .
g
que maniere leurs affranchis , en prenant
leur nom de famille ΙΟΥΛΙΟΣ , ΤΙΒΕΡΙΟΣ ,
ΣENTIMICE , comme je l'ai prouvé d'après
plufieurs médailles dans un autre mémoire.
Le régne d'Ariobarzane Philoromeus , fut
de longue durée . On lit fur fes médailles
que j'ai vues en differens cabinets jufqu'à
l'année 30°. L'infcription nous apprend
qu'il avoit épousé Athénais , dont nous
parlerons dans la fuite de ce Mémoire ,
aucun Hiftorien n'a fait mention de ce mariage.
Ariobarzane , quelque tems avant
fa mort , affocia au Trône fon fils en préfence
de Pompée , qui venoit de finir fon
expédition contre Tigrane & contre Mithridate
.
Le jeune Roi eft nommé dans l'infcription
, Ariobarzanes Philopator , fils d'Ariobarzane
Philoromans , & de la Reine Athénais
Philoftorge . Un beau paffage de Valere
Maxime , explique parfaitement le titre
ou furnom de Philopator.
"}
"
" Le Roi Ariobarzane monté fur l'Eftrade
, & affis fur la chaife curule , à côté
» de Pompée , voyoit avec peine fon fils
» à fes pieds , & dans une place qui étoit
audeffous de fa fortune , il defcendit ,
lui mit le diadême fur la tête , l'exhorta
» à monter & à prendre fa place . Le jeune
" Prince verfa des larmes , friffonna de
و ر
Diij
78 MERCURE DEFRANCE:
دن
»tout le corps , laiffa tomber le Diadême
" & ne put monter fur l'Eſtrade , & cho-
» fe prefqu'incroyable , continue l'Au-
» teur , le pere étoit comblé de joye , &
le fils accablé de trifteffe ; ce combat
glorieux ne finit que lorfque . l'autorité
» de Pompée appuya la volonté du pere ;
» il proclama Roi le jeune Prince , lui
» ordonna de prendre le Diadême , & de
» s'affeoir dans la chaife Curule . La réfife
tance du jeune Ariobarzane fait affez
connoitre fon refpect & fa tendreffe pour
fon père , & qu'il a mérité le titre de Philopator
, qui lui eft donné dans l'infcription
, & qu'il a pris lui -même fur les médailles
.
ور
"
Je connois deux médailles de ce Prince ,
l'une du Cabinet de Wilde , & l'autre du
Cabinet de Pembrock. On voit d'un côté
la tête du jeunePrince, ceinte duDiadême,
& de l'autre la legende ; BAZIAENE APIO-
ΒΑΡΣΑΝΟΥ ΦΙΛΟΠΑΤΟΡΟΣ avec le Type
de Minerve, qui fe voit ordinairement fur
les médailles des Rois deCappadoce . Nous
ignorons la durée précife de fon régne. Il
regna quelque tems avec fon pere qui l'a
voit affocié au Trône &qui en mourant lui
laiffa la Capadoce entiere , deux Cantons
d'Armenie , ( la Sophene & la Gordene , )
& quelques Villes de Cilicie , que PomDECEMBRE.
1751.- 79
pee avoit jointes à fes Etats. Au refte , ce
Prince dont le nom n'eft donné par aucun
ancien Auteur , régna environ treize ans
il avoit été affocié par fon pere l'an 689 ,
de Rome, il étoit mort d'une mort violente
peu avant l'an 703. lorfque Cicéron paffa
en Afie pour prendre le Gouvernement de
la Cilicie. Il avoit laiffé deux enfans encore
jeunes , l'un nommé Ariobarzane , &
Pautre Ariazathe.
Le Sénat ayant appris la mort du Roi de
Cappadoce , défera la Couronne à Ariobarzane
, qui fut furnommé Eufebès &
Philoromans , & chargea Cicéron qui partoit
pour la Cilicie , d'en prendre la tu
telle & la deffenfe . A peine le Proconful
fut arrivé à Cappadoce , que le Roi Ariobarzane
, accompagné d'Ariarathe fon
frere , & des amis de fon pere , fe rendit
au camp, repréfenta qu'il s'étoit formé une
confpiration contre la perfonne , & demanda
des troupes pour fa garde & la défenfe
. Cicéron recommanda aux fidéles
fujets , inftruits par le malheur , acerbiffimo
cafu , du dernier Roi , de veiller à la
confervation de leur Prince , & exhorta
Ariobarzane à fignaler les commencemens
de fon régne par des actes de févérité
envers les traitres , & lui promit tous
les fecours dont il auroit befoin . La Reine
Diiij
to MERCURE DE FRANCE.
Athenaïs , ayeule du jeune Roi , vivoir
encore , elle avoit fait éxiler deux perfon
Des de confidération , Mithram & Athenieumab
, Ariobarzane importunitate Athenaïdis
exilio mul&tatos ; Ciceron les fit rappeller
, les retablit en crédit & en autorité
auprès du Roi , & par fa fageffe il diffipa
les troubles , affermit l'autorité Royale ,
& fauva , fans avoir recours anx armes , le
Roi & fon Etat.
Je n'ai pas deffein de faire ici l'hiſtoire
de ce Prince , qui , dans la guerre civile
prit le parti de Pompée , fut deffendu par
Jules Cefar contre les entreprises
de Pharnace
; & fut tué l'an 712 de Rome , par
Caffius , pour avoir favorifé le parti du.
Triumvirat
. Après fa mort Ariarathe
fon frere , recouvra
les Etats de fa maifon ,
dont il fut dépouillé
par Marc- Antoine en
718. Mais il faut obferver
qu'Ariobarzane
Eufebes Philoromæus
, n'étoit pas le fecond
du nom Roi de Cappadoce
, com
me l'ont crû le Cardinal
Noris , le Baron
de Spanheim
, Haym , & les autres Anti- , quaires; cet Ariobarzane
étoit le troifiéme
du nom , il eft prouvé
par les dattes & par
les circonstances
qu'il étoit fils du Roi . Ariobarzane
Philopator
, qui périt malheureufement
peu de tems avant l'arrivée de Cicéron
dans fon Gouvernement
de Ci-
Ca
DECEMBRE. SE 1751.
1
Jicie. Il eft conftant par l'infcription d'Athénes,
que ce Philopator étoit fils d'Ariobarzane
, furnommé Philoromaus , & de la
Reine Athénaïs ; ainfi l'on doit comptes
trois Ariobarzanes fucceffivement Rois de
Capadoce le premier furnommé Philoromaus
, le fecond appellé Philopator , & le
troifiéme qui prit les noms d'Eufebès Philoromeus
fur fes médailles , & que Cicéron
defigne par ces deux titres d'honneur .
Les Sçavans modernes qui n'ont diftingné
que deux Ariobarzanes , n'ont pas fa.t
attention à un paffage formel de Strabon ,
Ecrivain exact , & prefque Contemporain ,
qui , en parlant de l'élection d'Ariobarzane
I. au Trône de Cappadoce , dit que
fa race finit à la troifiéme géneration , sıf
τρι γενείαν δὲ τοελδοντος το γένους εξέλιπα
Cette race a donné quatre Rois , les trois
Ariobarzanes en ligne directe , & Ariarathe
, furnommé Evergete Philadelphe ,
frere du dernier Ariobarzane .
Il faut encore obferver que l'infcriptio ,
d'Athénes nous apprend qu'Athénaïs éton
femme d'Ariobarzane premier , & merit
du Roi Philopator . Cicéron dans une de
fes lettres , parle d'une Athénaïs , qui troue
bla la Cour du jeune Roi Ariobarzantroifiéme
, & qui , par fes violences ime
portunitate , avoit fait éxiler deux perfon-
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
nés confidérables . Les interprétes ont été
fört embarraffés fur l'explication de ce paffige
; quelques- uns ont crû qu'Athénaïs
étoit un nom de Ville. Muret a jugé avec
raifon que ce devoit être plutôt le nom
d'une femme , qui , felon lui , étoit la femme
ou la mere du Roi ; nam importunitate ,
dit- il , aptius de muliere dici puto , quam de
civitate. L'infcription leve la difficulté.
Athénais étoit femme du Roi Ariobarzane
Philoromæus , mere d'Ariobarzane
Philopator , qui périt dans une confpiration
& Ayeule d'Ariobarzane Eufebes
Philoromens dont Cicéron parle dans fes
Lettres. Cette Princeffe étoit furnomméé
TAOZTOPIOZ , Philoftorge , titre qui lui
étoit donné à caufe de fon tendre amour
pour les parens ou pour les enfans ; c'eft
la fignification du mot Grec. Ce titre répond
en partie au Pius des Latins qui
a un fens plus étendu . PIET AS fignifie
l'amour , non feulement envers les pa
rens & les enfans , mais encore envers la
Patrie & les Princes , le refpect réligieux
dû à la Divinité , & quelquefois la douceur
& la clémence. On fçait que plu
fieurs Rois & Empereurs , ont porté le
titre d'ETEBBH , de Pius , que Ju- d'ΕΥΣΕΒΗΣ >
lie femme de Septime Sévére , eft nommdans
plufieurs monumens JULIAP1A2
DECEMBRE
. 1751. 83
qu'Arfinoé Reine d'Egypte & Jotapé Rei
ne de Commagene , ont fur les Médailles
le titre de Philadelphe. L'infcription d'A
thenes donne le nom de ΦΙΛΟΣΤΟΡΓΟΣ ,
Philoftorge , que les Scavans pourront
ajouter à la lifte de ces titres honorifi
ques ; elle fait mention du rétabliffement
de l'Odeum ; il ne refte à préfenter en
peu de mots l'Hiftoire de cet illuftre mor
nument de la Ville d'Athenes .
II. L'Odeum étoit un furperbe Edifice
dont les Ecrivains ont célébré la grandeur
& la magnificence. C'étoit une elpece de
Théâtre que Periclés fit conftruire . L'intérieur
étoit orné de colomnes & garni
de fiéges , le toit conftruit des mâts & des
autennesqui avoient été enlevés aux Perfes,
fe terminoit en cône fous la forme d'une
Tente ou d'un Pavillon Royal . Avant la
conſtruction du grand Théâtre , les Muſi→ ·
ciens & les Poëtes s'affembloient dans
FOdeum pour y jouer & représenter leurs
Piéces , d'où le lieu fut nommé Odeum
( delov.) On avoit placé à l'entrée une
belle ftatue de Bachus , pour rappeller l'origine
de la Tragédie , qui n'étoit dans
fon commencement chez les Grecs , que
des Hymnes en l'honneur de ce Dieu. On
conntinua de réciter dans l'Odeum , les
nouvelles Piéces avant de les représenter
3.
Dvj
84 MERCURE
DE FRANCE.
*
fur le Théâtre. Comme l'Edifice étoit
vafte & commode, lesArchontes y tenoient
quelquefois
leur Tribunal , & on y fai
foit au peuple la diftribution
des bleds
& des farines.
Ce Bâtiment fut brûlé pendant le fiége
d'Athenes par Sylla ; Ariftion qui défendoit
la Ville , craignant que le Général
Romain ne fe fervit des bois & des autres
matériaux
de l'Odeum pour attaquer l'Ac
copole ou le Château , il y fit mettre le
feu. Le Roi Ariobarzane
, dans la fuite , le
fit rebâtir : Odeum incenfum bello mithrida
rico Rex Ariobarzanes
reftituit. Vitruve qui
rapporte le fair , ne dit point lequel des
Rois du nom d'Ariobarzane
, fit faire le
rétabliſſement
. L'infcription
nous apprend
encore que ce fut Ariobarzane
Philopator,
le fecond du nom qui regna en Capadoce
l'an depuis l'an 690 de Rome jufques vers
703. Ce Prince n'épargna aucune dépenfe
pour rendre à cet Edifice fa premiere
fplendeur. Strabon , Paufanias & Plutar- ·
que qui ont écrit depuis le rétabliſſement
,
le mettent au nombre des plus magnifiques
Monumens
d'Athenes. On fçait que plu
hieurs Rois & Princes contribuerent
à l'or
nement de cette Ville célébre. Athenes
n'étoit plus la Souveraine
de la Grece ;
mais elle confervoit
fur toutes les Nations
10
DECEMBRE. 1751 . 85
une domination d'un ordre different , &
infiniment plus noble ; elle cultivoit les
Sciences & les Arts , elle y excelloit ,
elle mérita l'amour , le refpect & la bienveillance
des Princes , même Etrangers.
Le Roi Ariobarzane avoit chargé de
l'exécution de l'ouvrage , trois Architectes.
habiles qui font nommés dans l'infcrip
tion ; il leur donna des récompenfes dignes
d'un Roi . Je préfume que fuivant un
ufage très ordinaire en ces tems-là , ils éri
gerent une ftatue en fon honneur , & que
Finfcription qui marque leur reconnoif
fance envers le Prince leur Bienfaicteur
étoit gravée fur la base de la ftatue .
Au refte le nouvel Edifice étoit d'une
grande folidité , fi l'on en juge par les
veftiges qui fubfiftent encore après dixhuit
fiécles. Voici la defcription que Whe
ler en a donné dans fon voyage'd'Athenes
.
Les fondemens en font de prodigieux quar
tiers de roches tailleés en pointe de diamant
, & bâtis en demi- cercle dont le
diametre peut être de 140 pas ordinaires ,
mais fes deux extrémités fe terminent en
angle obtus fur le derriere qui eft entiérement
taillé dans le rocil Y a
lieu de ces extrémités , une tribune taillée
dans le roc , élevée de 5 à 6 pieds , fur laquelle
on monte par des dégrés ; à chaque
côté font des bancs, cifelés pour s'affeoir
mi86
MERCURE
DE FRANCE.
DE
le long des deux branches du demi cercle fire
ainfi l'Edifice de forme fémicirculaire
, peut plus
avoir dans fon diametre , fuivant notre
mefure , 350 pieds ou 58 toifes. Wheler
prouve d'après le témoignage
de Paula nias & par les circonftances
locales , que
ceMonument
dont il donne le plan, eft l'an
cienOdeum
, & qu'on ne doit pas le confor
dre avec le Théâtre qui s'appelle encore le
ThéatredeBachus, & dontilfait
la defcription
Cette explication fuffit pour faire connoître
tout le prix de l'infcription . Ce Mo- nument nous donne la filiation & la fuite
des Rois de Capadoce de la deuxième race
?
explique
leurs médailles
, indique
Je nom & furnom
d'une Reine qui étoit
inconnue
, il éclaircit
enfin plufieurs
paffa ges des anciens
Auteurs
. On ne peut donc affez recommander
la recherche
& l'étude
des monumens
antiques
qui répandent
tant de lumiere
fur les Lettres & fur l'Hiftoire
.
La quatriéme
differtation
roula fur la ma
niere d'étudier
l'ancienne
Philofophie
.Tour te l'affemblée
s'accorda
à trouver
le morceau
de M. l'Abbé
Canaye
, profondé
ment penfé & fortement
écrit. La Séance fut terminée par le parallele
des deux expéditions
d'Alexandre
& de
Thamas Koulikan , dans les Indes. On
n'eut le tems de le lire de cet ouvrage de
M. de Bongainville , que ce qu'il enfalloir
DECEMBRE. 1791.
87
pour faire fouhaiter que la Séance eût pu
durer plus long-tems.
5252525252525252525252
VERS
A Madame de***.
E Pris d'u Pris d'un aimable délire
Dont j'éprouve en mon coeur les tranfports ravif
fans
C'est vous , adorable Thémire,
Qui ferez aujourd'hui l'objet de mes accens ;
Les graces vont monter ma Lyre ,"
J'en offre les accords à vos attraits vainqueurs .
Il faut pour vous chanter qu'Euphrofine m'inf
pire
Des fons auffi touckans que vos yeux enchan
teurs.
Pour charmer l'Univers vous paroiffez choific. Deux Dieux vous ont furtout comblé de leurs
faveurs ,
Ils vous ont accordé pour regner fur les coeurs ,
Cupidon les attraits , Apollon le génie .
Par ces dons précieux qui nous enchantent tous
Ne voit-on pas briller en vous
Des cieux le plus parfait ouvrage ?
De l'Univers entier , vous méritez l'hommage
,
à l'encens des mortels,
Et devez avoir part
$8 MERCURE DE FRANCE:
Pour prétendre à leurs veux que faut-il davan
tage ?
L'efprit & la béauté méritent des antels.
La beauté fans l'efprit n'eft qu'un foible avantage
Son pouvoir eft douteux , fon triomphe incer
tain ,
C'eftde lui que dépend fon plus heureux deftin,
Elle touche les coeurs , mais l'efprit les engage .
On vous voit effacer par vos charmes puiffans.
Ceux de la Reine de Cythere ;
Le Dieu dont ellefut la mere ,
Nous lance des traits moins perçans ,
Que ceux qu'on voit partir de vos yeux
fans.
fédai
Oui , quand Cypris fortit du vafte fein de l'onde,
Amenant fur fes pas les jeux & les plaifirs ,
Elle fit naître dans le monde
Moins de furpriſe & de défirs.
Auffi votre beauté lui fait verfer des larmes;'
Le pouvoir de vos yeux , irrite fesdepits ,
EffFaçant fes apas vous cauſez fes allarmes ,
Et fil'on eû pû voir aux nopces de Thétis
L'éclat de votre teint que careffent les ris ,
C'est en vain qu'elle auroit étalé tous les char
mies :
Le beau fils de Priam de vos attraits épris ,
Vous rendant auffi tôt les armes,
Vous cût de la beauté fait obtenir le prix.
Sabatier
DECEMBRE. 1751 . 89
ASSEM BLEE
PUBLIQUE
de l'Academie des Sciences , Samedi
13 Novembre.
Onfieur de Fouchi , Sécrétaire per-
Mpétuel de
l'Académie ,
ouvrit la
Séance par l'éloge de M. Dagueffeau
,
Chancelier de France. Il le
repréſenta ,
avec raifon , comme un Magiftrat
également
fçavant , vertueux & appliqué . Cer
éloge fut trouvé fage & hardi.
M. le Chevalier d'Arcy lut enfuite un
Mémoire fort curieux dont nous allons
rendre compte
.
EXTRAIT du Mémoire fur la Théorie
de l'Artillerie , ou fur les effets de la Pondre
, & les confequences qui en résultent
par rapport aux armes à feu en général.
.
Onfieur le Chevalier d'Arcy rend
compte dans ce Mémoire , des épreuves
qu'il a faites depuis près de neuf mois
avec M. le Roy fon confrere , pour déci
der plufieurs queftions importantes à la
Théorie de l'Artillerie.
Selon M. d'Arcy , cet Art peut fe divifer
en deux parties , l'une qui a pour objet
90 MERCURE DE FRANCE.
la Théorie , ou les recherches qui peuvent
établir les principes Phyfiques , d'où réfal
teroient théoriquement les meilleures bou
ches à feu l'autre plus vafte & plus im
portante , qui embraffe , non feulement
ce qui concerne la maniere d'employer ces
armes à la guerre , d'établir des batteries ,
& c. mais encore toutes ces connoiffances
que l'expérience donne fur les dimenfions
des piéces par rapport à leur fervice , la
facilité de leur tranfport , &c. Il fuitde
là , felon cet Académicien , que la
grande perfection de l'Art , réfulte de la
jufte combinaifon des deux parties
mais , comme il le remarque , elles exigent
toutes deux des connoiffances fi variées &
fi étendues , qu'il eft fort difficile , pour
ne pas dire impoffible , qu'un feul homme
puiffe les réunir. Auffi voyons-nous ,
il , que la plûpart des grands Hommes
que nous avons eû dans l'Artillerie , ont
tourné prefque toutes leurs vues du côté
de la partie la plus impotante , & que l'autre
, la Théorie de l'Art , n'a pas été cuttivée
avec le même foin : ce
ditqui
a du retarder
le progrès
de l'Art
en général
.
Il confirme
ceci
par
cette
remarque
, que
Pon
ne
trouve
dans
les
meilleurs
traités
fur
l'Artillerie
, aucuns
principes
bien
éta
blis
. Ce n'eft
pas
, dit-il , que
l'on
n'ait
DECEMBRE
.
1751. 91
>
fait beaucoup de tentatives, mais on en a
retiré peu de fruit , par plufieurs raifons
& particuliérément
, parce que la maniere
de juger la grandeur des effets par
celle des portées des boulets , eft une méthode
fort imparfaire , & fujette à caufer
beaucoup d'erreurs . Il ajoute qu'en contéquence
de ces erreurs les réfultats de
différentes épreuves font ft irréguliers ,
que plufieurs Officiers d'Artillerie des plus
expérimentés ont avancé , que les effets
de la poudre étoient fi variables qu'il étoit
bien difficile , pour ne pas dire impoffible ,
d'en rien conclure de certain ; mais que
cependant il ofe fe flatter de faire voir
bren- tor , que lorsqu'on prend les précau
tions requifes , & que l'on employe des
méthodes moins imparfaites que celle des
portées , on peut parvenir à des réfultats
aflez conftans pour en déduire des principes
furs . Enfin que quoique la matiére
emporte de grandes difficultés , elles ne
font peut-être pas infurmontables
; qu'au
moins eft- il important de fixer fur quel dé-
& que gré d'incertitude
, il faut comptet ,
gooiqu'il y ait en Phyfique comme
fans dou- Métaphyfique
, mille chofes
te nous ignorerons toujours dans celle- ci
par la foibleffe de notre efprit , dans l'au
tre par la même caufe jointe à l'imperfec
que
en
92 MER CURE DE
FRANCE.
D
tion de nos
organes , & au défaut de
moyens , ilil ne faut pas pour ce- là renoncer
aux
recherches & aux
obfervations qui
peuvent nous aider à reconnoître & fixero
Î'étendue de nos
connoiffances.
que
Après cette
introduction , on conçoit
facilement quel eft le but
fe propofe , & que fon objet eft de re- d
M. d'Arcy
chercher , au moyen des
expériences , ces
principes qui doivent fervir de bafe à la
Théorie de
l'Artillerie ; mais comme il eft
important de fçavoir quelles loix la poudre,
obferve dans les tems de fon
inflammation,
la
connoiffance de ces loix ne pouvant,
qu'être fort utile dans des recherches de
cette nature , avant d'entrer en matiére ,
il rapporte les
expériences qu'il a faites à
ce fujet.
Il paroît par ces
expériences , que de
deux
traînées de même
longueur , mais,
de
différente groffeur , celle qui eft la
plus groffe
s'enflamme le plus vite , & que,
le feu parcourt deux traînées , l'une d'une
(urface double de l'autre , dans des tems
qui font
refpectivement comme 5 à 7. Ces
expériences ont été faites fur des traînées.
de $ 76 pieds , & de 384 pieds , l'une de
S lignes de large fur 4 lignes de haut ,
l'autre de 4 lignes de large
feulement &
de la même hauteur , formées par des fablieres
DECEMBRE.
1751.
que
93
l'on mettoit au bout l'une
de l'autre , & qui avoient des rainures
des mêmes dimenfions que ces traînées ,
que l'on rempliffoit de poudre bien exactement.
Le réfultat de ces
expériences ,
comme le remarque M. d'Arcy , eft très
différent de ce que l'on trouve dans la plupart
des traités de l'Artillerie , où l'on établit
, que les tems des inflammations de différens
globes de poudre font comme
rayons : d'où il fuivroit , que des
trainées d'égale longueur , de quelques
dimenfions qu'elles fuffent , s'enflammeroient
dans le même tems. Mais il paroir
dit-il , qu'on
n'eft parti
leurs
tion
"
pour établir cette loi , que de cette feule confidéra-
, que l'inflammation
de la poudre
fe fait uniformement
, & qu'ainfi
il n'eft
pas étonnant
qu'on fe foit trompé
. Il fait
voir enfuite
, par ces expériences
, que l'inflammmation
de la poudre
, lorfqu'elleeft
renfermée
, eft beaucoup
plus promte,
que lorfqu'elle
eft expofée
à l'air libre.
Il ajoute qu'on feroit porté à croire
d'après ce fait , que l'inflammation
de la
poudre , dans les armes à feu , doit être
fiprompte
, qu'on peut la regarder
come
inftantanée
; que cependant
fa durée
, quoique
fort courte
, eft affez longue
pour produire
des effets fenfibles
: ce qu'il
prouve par une expérience
décifive
&
94 MERCURE
DE FRANCE.DE
*
qu'à
par
atto
incontestable,qu'à la véritéMrsde la Soicié de
Royale de Londres avoient prouvé la mê
me chofe , mais comme ce n'étoit qu'in
directement , il crut que la matiére étoit
affez importante pour s'en affurer d'une
maniere plus convaincante. Il paffe enfuite
à des objets d'une utilité plus immédiate
pour l'Artillerie , & remarquant que tout
·le but Théorique de cet Art ne confifte
communiquer à un boulet la plus ,
grande vireffe poffible ; il ajoute que co
les queftions fuivantes lui paroiffent mé
riter d'être examinées les premieres , fça
voir , 1. Quelle eft la charge la plus
avantageufe pour un canon d'une longeur
donnée ? 2° . Quel eft le canon le plus
avantageux pour une charge donnée ? E
enfin quel eft le point d'une charge ou
l'on doit porter le feu pour que l'inflam
mation foit la plus promte ? Il remarque
qu'à la vérité deux Sçavans , le grand Bernoulli
& M. Robbins , ont entrepris de
déterminer les deux premieres queftions ,
celui - ci dans fon traité des nouveaux prin
cipes d'Artillerie établit , ( en partant de
cette hypotefe , que la force de laPou
dre n'eft caulée que par un fluide qui fe dé
veloppe dans l'explofion que la longueur
de la charge la plus avantageufe
pour un canon donnée , doitêtre à la lon
DECEMBRE .
1751 . 95
gueur de celui- ci comme 1 à 2718. Celuila
en partant de la même hypotefe , trou
ve que la longueur d'un canon pour une
charge donnée, en celle où le Buide, propar
l'explofion de la poudre,feroit affez
dilaté pour le trouver en équilibe avec
Pair extérieur. Quoique ces deux déterminations
foient établies fur une faine
Théorie , comme le but de M. d'Arcy eft
de n'admettre pour vérités que celles qui
font conftatées par les faits il rapporte les
expériences qu'il a faites à ce fujet ; &
comme il étoit important d'employer une
méthode plus exacte que celle des portées ,
il donne en même- tems la defcription de
celle dont il s'eft fervi , qui confifte à
tirer contre un pendule ayant une palette
en place de lentille . Cette méthode avoit
déja été employée avec fuccès par fon in
venteur M. Robbins , ainſi qu'on le voit
dans le traité dont nous avons déjà
parlé. M. d'Arcy fait voir enfuite fes avantages
fur celles des portées ; il montre que
des erreurs dans celle- ci , qui font de
ne font dans celle qu'il a employée que de
socas
25
Ilferoit trop long de rapporter ici les
expériences que M. d'Arcy cite ; nous
dirons feulement qu'il paroit évidemment
par ces réfultats , 1. que la charge la plus
avantageufe d'un canon fe trouve toujours
96 MERCURE DE FRANCE.
entre le tiers & la moitié de fa longueur ,
en partant de la culaffe à peu près comme la
Théorie le détermine,que pour qu'unepiéce
de 24fût de la longueur la plus avantageufe
pour une charge donnée , il faudroit qu'elle
eùt3 40 pieds de long, en fuppofant que
fa charge fût comme à l'ordinaire de
huit livres. Quant à la troifiéme queftion ,
M. d'Arcy n'ayant pas pû , par différens
accidens , la décider entiérement , il rap
porte feulement qu'un grand nombre d'expériences
faites fur un canon de 2 pieds
de long & de 4 pouces de balle , ayant
fix différentes lumieres , lui ont montré
que celle de toutes qui avoit communiqué
le plus de viteffe au boulet , étoit celle
qui fe trouvoit un peu au delà du milieu
de la charge, en partant de la culaffe. Après
l'examen de ces trois queftions , il rappor
te quelques expériences qu'il a faites , pour
reconnoître quelle part la réfiftance de
l'air a dans la caufe du recul d'un canon tité
avec de la poudre fans boulet ; plufieurs
réfléxions qu'il avoit eû occafion de faire ,
lui ayant donné lieu de croire que fi la réſiſtance
de l'air entre pour beaucoup dans
la caufe de ce recul , elle n'eft pas la feule ,
& que la maffe de la poudre , quoique
devenue fluide , doit y entrer auffi . L'ac
tion de ce fluide pouvant être comparée à
celle
DECEMBRE. 1751. 97
celle d'un reffort pefant qui a appuyé , par
une extrémité , contre un corps , ne manqueroit
pas en fe débandant de le faire reculer
, quoique l'autre extrémité foit libre,
le centre de gravité de deux corps ne pouvant
, comme on fçait , prendre de mouve
ment. Ces expériences furent faites avec
un baromètre ordinaire , fitué très près de
la bouche du canon , dont nous venons de
parler , & malgré cette proximité , on ne
remarqua point , après l'avoir tiré plufieurs
fois , que cet inftrument eût éprouvé la
moindre agitation , ce qui paroîtroit prouver
que la part que la réſiſtance de l'air a
dans la caufe du recul , n'eft pas fi confidérable
qu'on l'avoit imaginé , cet e réſiſtan - `
ce ne pouvant fe faire fans que , par la réaction
, l'air lui-même n'éprouve une preffion.
Au refte , M. Darcy déclare qu'il eft
bien éloigné de décider une queftion qui
comporte tant de difficultés , & qu'il n'en
a parlé que parce qu'il a crû qu'il étoit à
propos de faire faire attention aux Phyfi
ciens à cette caufe du recul , qu'ils paroiffent
avoir négligé jufqu'ici . Il paroît inutile
de dire ici qu'on voit partout ce que
dir M. Darcy des précautious que l'on a
prife dans ces expériences , qu'elles ont été
faites avec le plus grand appareil & le plus
grand foin , & que la poudre que l'on a
II.Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE
tur
employée étoit toujours la même, fçavoir
de la poudre de guerre . Après avoir répondu
aux objections qu'on pourroit faire
contre ces épreuves , en ce qu'elles n'ont
pas été faites affez en grand , pour qu'on
en tire des conclufions certaines par rapport
à l'artillerie , il conclut par une réca
pitulation générale de ce que lui ont ap
pris ces épreuves . 1 ° . Que la poudre prend
un tems à s'enflammer ; que ce tems dans
des traînées de même longueur , eft d'autant
plus court qu'elles font plus groffes ;
que l'inflammation de la poudre fe fait
bien plus promptement quand elle eft enfermée
que quand elle eft expofée à l'air
libre ; que malgré cela elle eft toujours
fucceffive , puifque fa durée eft affez longue
pour produire des effets fenfibles ; que
c'eft une queftion qui mérite bien d'être
éclaircie ; fçavoir , fi la caufe du recul dans
les armes à feu tirées fans boulet , vient
de la réfiftance de l'air toute feule , ou de
cette caufe combinée avec celle de la maffe
de la poudre , devenue fluide ; qu'il eft
important de déterminer le point d'une
charge où l'on doit porter le feu , pour que
Pinflammation foit la plus prompte ; que
la charge la plus avantageufe d'un canon
fe trouve toujours entre le tiers & la moitié
de fa longueur depuis la culaffe ; enfin
DECEMBRE . 1751 .
و و
que pour qu'un canon eût la longueur la
plus avantageufe pour communiquer au
boulet la plus grande viteffe avec une
charge donnée , il faudroit que cette longueur
fût à celle de la charge , comme le
volume que le fluide occupe après l'explofion
eft au volume de la charge même .
Après avoir dit deux mots des avantages
que l'on fent bien que l'infanterie doit retirer
de la folution de ces deux dernieres
queftions , cet Académicien finit , en remarquant
que des faits ainfi bien établis &
bien conftatés fur l'artillerie , donneroient
de très- grands avantages . pour juger des
changemens que l'on fe propoferoit de
faire dans les armes à feu en général ; que
fon intention étoit de ne communiquer
ceci au public que lorfqu'il auroit un plus
grand nombre de faits bien établis & bien
conftatés ; que cependant plufieurs accidens
dont il a parlé , ayant rallenti le progrès
de fes expériences , il a cru qu'il étoit
toujours à propos de donner ceci , quoique
ce ne fût qu'une foible ébauche du travail
qu'il s'eft propofe , efperant par - là , d'engager
des perfonnes , qui plus expérimentées
que lui , fur-tout MM. du Corps de
l'artillerie , pourront pouffer les chofes
plus loin , & l'aider de leurs confeils dans
cette entreprife.
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
Le Memoire de M. le Chevalier Darcy
fut fuivi de quelques réflexions que M.
d'Alembert doir mettre à la tête d'un ouvrage
qu'il va publier fur la réfiftance des
fluides. Ce morceau très philofophique fut
reçu avec un applaudiffement univerfel .
La féance fut terminée parun Mémoire
que lut M. de Maraldi , fur un objet fort
important.
EXTRAIT
Du Memoire de M. Maraldi,
Ous les Aftronomes de l'Europe ont
Tété informés du voyage que M. l'Abbé
de la Caille , Profeffeur de Mathématiques
au College Mazarin , & de l'Académie des
Sciences, a entrepris par ordre du Roipour
aller au Cap de Bonne Efperance, & ils ont
été invités à prendre part aux recherches
qu'il fe propofe de faire , en faisant de concert
avec lui les obfervations qu'il leur`a
indiquées dans un écrit qu'il a publié avant
de partir. M. Maraldi a rendu compte à l'Académie
des premieres obfervations que
M. l'Abbé de la Caille a faites au Cap de
Bonne Efperance. Une des plus iuterref
fantes eft celle de l'éclipfe de Lune du 9
Juin , au matin , de cette année.
DECEMBRE. 1751. FOT
la
On fçair combien il eft important pour
navigation de connoître le giffement des
côtes de la mer , & furtout la pofition des
Caps ; cependant celle du Cap de Bonne
Efperance a été long tems fort douteufe :
car les uns croioient ce Cap plus oriental
que Paris de 17 dégrés 44 minutes conformément
aux obfervations faites en 1685 .
le Pere Fontaney Jefuite , & les autres
prétendoient qu'il n'étoit éloigné du méridien
de Paris que de 12 d. 35 m . ou tout
au plus de 14 d. 5 m. fondés fur les remarques
de M. Halley , dont l'autorité a toujours
été d'un grand poids dans l'aftronomie
& dans la navigation.
par
L'obfervation de l'éclipfe de Lune faite
par M. de la Caille , le 9 Juin , au Cap de
Bonne Efperance a fervi à conftater la pofition
de ce Cap.
Le mauvais temps ayant empêché que
cette éclipfe n'ait été obfervée à Paris , M.
Maraldi a comparé l'obfervation de M. de
la Caille à celles qui ont été faites à Marfeille
Turin
par le Pere Pezenas , Jefuite , Profef
feur d'Hydrographie dans ce Port , & à
par le Pere Accetta , Profeffeur de
Mathématique dans cette Univerfité , & il
a trouvé que la différence des méridiens
entre Paris & le Cap de Bonne Efpérance
doit être de 1 h. 4 m. 55 f. ou de 16 d. 14 I
E iij
102 MERCURE DE FRANCE,
D
A
m. moindre d'un d. 30 m. que celle qui a
été déterminée par le P. Fontaney , & plus to
grande de 2 d. 9 m. ou de 3 d. 39 m. ques
celle qui refulte des remarques de M. Halley
, qui a calculé d'une maniere la difference
de méridiens entre Londres & lend
Cap de Bonne Efpérance de 15 d. & de
l'autre de 16 d . & demi . Si on ajoute 16 d
14 m . de difference de méridiens entre Paris
& le Cap de Bonne Eſpérance , à la lon
gitude de Paris qui eft de 20 d. 2 m. en
fuppofant le premier méridien à l'extrémi
té occidentale de l'Ifle , on aura la longi- .
tude du Cap de 36 d . 16 m . la latitude eft
de 33 d. 55 m. 20 f. auftrales. Elle a été
déduite de la hauteur méridienne de Regulus
obfervée au Cap le premier & les
de Juin , de 42 d. 55 mm. 32 f. & à Paris le
21 de Mai , de 5 4 d. 20 m. 40 f. fans avoir
égard à la réfraction .
Les autres obfervations de M. de la-
Caille regardent la parallaxe de la lune."
M. Maraldi n'en a donné aucun détail , il
s'eft contenté d'annoncer que le 9 de Jain
on a obfervé au Cap & à Paris la difference
de déclinaifon entre la lune & l'étoile
du Scorpion , ce qui fuffic pour déterminer
la parallaxe de la lune , & que ces obfervations
ont été faites dans des circonftances
fort favorables ; de forte que les ob-
#

1
DECEMBRE
. 1751. 103
fervations
que
M. de la Caille avoit faites
depuis le 23 de May que fon obfervatoire
a été fini , jufqu'au 13 de Juin qu'il a écrit
à M. Maraldi , pourroient
feules remplir
deux des principaux
objets de fon voyage , dont l'un eft la déterminaifon
de la longitude
& de la latitude du Cap de Bonne Ef- perance qu'on vient de donner , & l'autre
eft fa déterminaifon
de la parallaxe
qu'on
pourra vérifier ou confirmer
par un plus . grand nombre d'obſervations
, furtout depuis
que le Roi a envoyé un Aftronome
à
Berlin qui eft fitué plus avantageufement
que Paris.
Le troifiéme objet du voyage de M. de
la Caille eft de déterminer la parallaxe de
Mars & de Venus par des obfervations
concertées avec les Aftronomes d'Europe
pour en déduire la parallaxe du Soleil ,fur
laquelle les Aftronomes different entr'eux
de 8 f. les uns la faifant de 6 f. & les autres
de 14 f. ce qui double la diftance du foleil
à la terre, & prouve la néceffité qu'il y avoit
de tenter encore cette recherche avec tou
tés les précautions poffibles , & dans les
circonftances fingulieres de l'oppofition de
Mars parhelie & de la conjonctión inferieure
de Venus.
Les obfervations que M. de la Caille a
indiquées pour cette recherche , ont fait
E iiij
1
104 MERCURE DE FRANCE.
pendant l'automne la principale occupation
de MM . Caffini , de Thury & Maraldi
; le tems leur a été fort tavorable , & furtour
pendant les obfervations de Venus ,
qu'ils ont vue pendant douze jours de fuite ,
avant , après , & le jour même de fa conjonction
en afcenfion droite , lorfqu'elle a
paffé au méridien en même tems que le for
leil : de forte qu'ils efperent qu'on aura la.
parallaxe de venus, & par confequent celle
du foleil dans la derniere précifion , fi M.
de la Caille a été affez heureux pour ob
ferver aux mêmes jours cette Planette..
Enfin le quatriéme objet du voyage de
M. la Caille eft de dreffer un catalogue des
étoiles auftrales , c'eft celui qui exige plus
de veilles & de travail , & qui le regarde
tout feul ; mais fi pendant qu'il fera occupé
à cet ouvrage , & qu'il obfervera la hauteur
méridienne des étoiles qui font proche de
fon horizon , les Aftronomes de l'Europe.
veulent obferver la hauteur méridienne de
celles qui font au zenit du Cap de Bonne
Espérance , comme il les en invite , on,
pourra déterminer la réfraction Aftronomique
des differens climats de l'Europe ,
& de celui du Cap de Bonne Efpérance.
Les premiers effais de M. de la Caille &
l'empreffement que les Aftronomes de l'Europe
ont de feconder les vues , donnent liew
DECEMBRE . 1751. 105
sdeVic
•dela
squei
quente
hion,
there
!
d'efperer que fon voyage fera un des plus
utiles que l'on ait encore entrepris pour la
perfection de l'Aftronomie , de la Geographie
& de la Navigation , & en même tems:
des plus glorieux au Regne de Louis XV.
à qui toutes les Nations feront redevables:
de la protection qu'il veut bien accorder
aux Sciences .
LE ROSSIGNOL
ET LES CORBEAUX,
APOLOGUE,
UN Roffignol dont le ramage
A voit charmé cent: fois
Les Habitans des bois ,
Où lui même il vivait en fon petit ménage ,
Fut en proye aux malins propos
De deux jeunes Corbeaux ,
Que je ne fçais quel vent pouffa dans fon boog
cage..
P'un & l'autre d'ab ord applaudit à fes chants ,
Bientôt après jaloux de fes talens ,,
Ces Habitans à robe noire:
Réfolurent entre eux de ternir fa méinoite..
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
» Comment avez vous pû , difoient - ils aux of
feaux ,
» Dont ils encenfoient l'ignorance ,
Pour ce petit chanteur avoir tant d'indulgence
» Ses chants font foibles , & fi faux
" Que nous ne pouvons plus nous réfoudre au
32 filence ,
» Et nous pafferions pour des fots
» Ši nous avions pour lui la même complaifance.
Dès lors on vit le Merle , le Coucou ,
L'Hyrondelle , la Pie & le trifte Hibou ,
Sur fon chapitre avoir moins de croyance.
Toujo urs , quand on critique on eft le bien vènu ;
Dans le fiécle où nousfommes ,
C'eft parmi les oyfeaux comme parmi les hom
mes.
Sans un autre examen le noir duo fut crût ,“
Non que les Corbeaux fe piquaffent
De chanter mieux que lui ; pateiks . oyfeaux croaf
fent ;
Mais ils vouloient dans le pays
Se faire un nom & des ami_s.
Le Roffi ganl plaignit leur critique indifcrette ,
Et s'en tenant aux applaudiflemens
Du Serin & de la Fauvette
Continua fes chants,
Cenfeurs jaloux , l'allufion eft faite ,
Vous pouvez dans ces vers lire votre défaite.
}
DECEMBRE. 1750 107
SEANCE PUBLIQUE
De la Société des Sciences & Belles-Lettres
d'Auxerre.
A Société des Sciences & Belles Let-
LASociété
" tres nouvellement établie à Auxerre ,
tint fa premiere Affemblée Publique le 13
Août dernier dans une Salle du Palais
Epifcopal , fous les yeux de l'illuftre Prélat
, qui l'honore de fa protection .
M. Mignol , Chantre & Chanoine de
l'Eglife Cathédrale , Vicaire Général de
Monfeigneur l'Evêque , & Directeur de
la Société , ouvrit la féance par un dif-
Cours dans lequel il repréfente ce qu'a fait
pour le progrès des Sciences le Souverain
Pontife qui eft affis depuis onze ans fur la
Chaire de Saint
Pierre,,, !!

grand Pape
"dit-il , perfuadé que l'ignorance eft auffi
"funefte à la religion que la corruption des
>>moeurs a cherché tous les moyens de
"rendre les fciences floriffantes dans Rome
"& dans toute l'Italie , furtout en proté
"geant les Académies , & en honorant
»leurs affemblées par fa préfence . De la ce
"grand nombre de livres & de Sçavans
E vj
TOS MERCURE
DE FRANCE.
» d'Italie , dont la réputation fe répand
»par toute l'Europe. On y voit renaître le
Gécle des Médicis . » C'eſt en fuivant un
fi beau modéle que Monfeigneur l'Evêque
d'Auxerre a bien voulu recevoir fous fes
aufpices un établiffement dont il prévoit
l'utilité ; ce qui donne occafion à l'Auteur
de lui exprimer au nom de la Société les
fentimens de la plus vive reconnoiffance.
qu'on
a tirés
M. Dulérain , Chanoine de l'Eglife Cathédrale
, après avoir relevé les avantages.
des Sociétés Littéraires , ceux
de leurs divers établiſſemens , les progrès
qu'ont fait les fciences & les arts depuis
la fondation des différentes Académies ,
expofa comment s'étoit formée la Société
Phyfique & Littéraire d'Auxerre , fa naiffance
, fon objet , fes progrès , rendit
compte enfuite des travaux qui l'ont
occupée jufqu'ici. Le plan d'Auxerre levé
Géométriquement
& très proprement lavé,
des triangles tracés aux environs de cette
Ville pour fervir à la carte du Diocèfe ;
Fapplication nouvelle du microméte aux
inftrumens à mefurer les angles ; propres
des obfervations Botanico - Metéorologi
ques ,
faites fur le modéle qu'en a donné
M. Duhamel dans les Mémoires de l'Académie
; plufieurs defcriptions des plantes
trouvées aux environs d'Auxerre , & leurs
DECEMBRE. 1751. 109)
deffeings tirés d'après nature , le Journal
des Obfervations de la hauteur du Barométré
& du Thermométre , des vents &
des changemens de tems , avec des comparaifons
de leurs réfultats , l'hiftoire des
maladies les plus fréquentes ou les plus
fingulierés , & leur traitement ; quelques
morceaux de l'hiftoire naturelle du Pays ,
font les premiers fruits de ceux de cette
Société qui fe livre aux fciences. Ceux qui
fe livrent aux Belles - Lettres fe font principalement
occupésdesrecherches néceffaires
pour la notice hiftorique qu'elle médite du
Diocèfe , du Comté & du Bailliage d'Au
xerre, M. de la Coudre , Confeiller Hono
raire auBailliage & Siége Préfidial ; qui s'eft
mis à latête de cet ouvrage, en a déja lû une
Préface qui en expofe tout leplan. On n'en
rendra compte que lorfqu'on publiera
F'ouvrage entier. Outre cette occupation
importante , ils n'ont pas négligé l'étude
des médailles & des antiquités , à laquelle
ils ne pouvoient fe refufer dans un Pays
d'où font fortis de Sçavans Antiquaires.
(*) . La Poëfie , mais furtout l'éloquence ,
l'étude de l'hiftoire , de la Géographie & de
la Chronologie , font encore de leur dif
( M. Duval mort en 1632 , & le célébre M.
le Boeuf.
110 MERCURE DE FRANCE.
trict , & ils en ont produit des effais en dif
ferentes occafions.
M. Potel , Chanoine de l'Eglife Cathé
drale , lut un Mémoire pour fervir à l'hiftoire
d'André Colbert , dernier Evêque
d'Auxerre , dans lequel il n'a embraffé
que les cinq premieres années de fon
Epifcopat , & dont il donnera la conti
nuation .
M. Berryat , Docteur en Médecine de
l'Univerfité de Montpellier , correfpondant
de l'Académie Royale des Sciences ,
préfenta le Journal des Obfervations Mé
téorologiques , qu'il a faites depuis le premier
Juin 1750 , jufqu'au premier Juin
dernier , & dont les résultats font , que le
Baromêtre a eu 15 lignes de mouvement ,
que fa plus grande élévation a été à 28
pouces le 3 Octobre , le 31 Décembre , le
premier Janvier , le z1 Février , & le 4
Avril , & que fa plus baffe a été à 26 pou
ces lignes le 8 Novembre, ce qui donne
27 p.5.1. pour fa moyenne élévation
au lieu de 27 p. 7.1.7. qu'il avoit donné
l'année précédente . Le Thermomètre de
M. de Reamur , expofé en plein air & à
l'abri du Soleil , a marqué 29. degrès
le 27 Juillet 1750 , & la liqueur eft defcendue
à 7 - au- deffous de la congélation le
3
DECEMBRE. 1751. IIT
19 Février 1751. Le vent dominant a été
le S. O. l'été a été fort chaud & fec
l'automne affez belle , mais l'hiver & le
printems n'ont fait qu'une faifon fort
pluvieufe , à l'exception de quelques jours
de gélée qui n'ont pas été affez fortes
pour faire impreffion fur la riviere.

La lecture de ce Journal que M. Berryat
jugea trop longue pour une Affemblée Publique
, fut remplacée par celle d'un Mémoire
qu'il avoit préparé fur la qualité des
eaux d'Auxerre. Après avoir expofé tous
les moyens dont il s'eft fervi pour s'affures
du plus ou moins de légereté de ces eaux ,
& pour y découvrir les corps étrangers
qu'elles charient , il démontre les défauts
de celles qui font le plus en ufage , &
conclut en faveur de l'eau de riviere trop
negligée jufqu'ici. Il donne un moyen
très fimple de la clarifier fans le fecours des
fontaines ordinaires dont il redoute le
cuivre. Par là il répond à une objection
que bien du monde pourroit lui faire , en
repréfentant que la couleur nébuleuſe de
cette eau eft un indice certain d'une trop
grande quantité de corps'étrangers , pour
qu'on puiffe par aucun moyen l'en dépouiller
& la rendre auffi bonne & aufli agréa
ble qu'il le prétend . » Il en eft , dit- il , de
"ces corps étrangers comme de ceux dont
F12 MERCURE DE FRANCE,
l'air fe charge à l'occafion de quelque
" vent impétueux , & qui fe précipitent
"d'eux-mêmes dès que le calme revient.
"Procurez donc à votre eau de riviere cet
» état de repos , vous la verrez bientôt fe
décharger de tout ce qui vous offüfquoit,
"& vous ferez forcés de lui rendre l'efti-
"me qu'elle mérite. Il n'en feroit
pas de
»même , continue t'il , des autres espéces
" d'eau que vous youdriez purifier par ce
"moyen ; parce que les corps qui en alté
rent la qualité s'y trouvent par diffolution
& font par conféquent réduits à un
volume plus léger que celui de l'éau , ce
» qui les empêche de fe précipiter ,
lieu que ceux de l'eau de riviere beau-
"coup plus péfans que l'eau même , ne s'y
»font mêlés & ne s'y foutiennent que par
»le mouvement de cette eau , & fe préci
pitent dès qu'ils font abandonnés à leur
"propre péfanteur..
ود
و د
و د
au
M. Moreau , Chanoine de l'Eglife Cathédrale
, Sécrétaire perpétuel de la So
ciété , lut un Mémoire fur l'ancien com
merce d'Auxerre. Etonné de la grande
étendue de cette Ville & du petit nombre
defes habitans qui fe trouve réduit à moitié
de ce qu'il étoit autrefois , après en
avoir difcuté bien des caufes,il n'en trouve:
pas de plus forte que la chute de fon anDECEMBRE
. 1751 113
و و
sien commerce. Il expofe quel étoit ce
commerce depuis les Romains jufqu'à
Louis XIV . Les différentes révolutions
qu'il fixe à cinq ou fix époques , & enfin
les caufes qui l'ont fait tomber dans ces
derniers tems. Auxerre , dit- il , par fa fi-
»cuation favorable , formoit un entrepôt
entre le Nord & le Midi de la Gaule ,
"pour toutes fortes de marchandiſes , en-
» trepôt d'autant plus utile autrefois , que
»les marchandifes de la Méditerranée deftinées
pour le Nord ne prenoient pas la
>>route de l'Océan , par la crainte des Pi-
"rates , Saxons & Normands , qui ne cef-
"foient de croifer cette Mer , & d'infefter
"nos côtes. Il fe tenoit alors dans Allxerre
une foire célébre les premiers jours
de Mai , où l'on accouroit de toutes parts
pour l'échange des marchandifes . M. M.
place cet état brillant du commerce d'Auxerre
depuis le neuviéme jufqu'au quatorziéme
fiécle. De là il paffe à fon déclin ,
aux coups que lui porterent les ravages des
Anglois , qui tirerent de cette Ville plus
de fept milions de notre monnoye : it
n'oublie pas le pillage des Huguenots ;
enfin il tombe à l'extinction prefque toralé
du commerce dans un tems où l'érabliffement
des Manufactures , l'émulation
114
MERCURE DE FRANCE.
& l'induftrie des François le rendent
plus brillant que jamais dans les différentes
Villes du Royaume ; il en recherche les
caufes , & termine fon Mémoire en promettant
de propofer fes vues fur les moyens
dont on pourroit fe fervir pour rélever la
Ville d'Auxerre de cet état de langueur où
elle fe voit réduire aujourd'hui .
M. le Pere , Directeur des Poftes , termina
la féance par un Mémoire qui contient
diverfes recherches fur les mefures
ufuelles de la Ville & du Comté d'Auxerre
, & leur rapport à celles de Paris , telles
que le Bichet qui eft la mefure à grain , le
moule qui eft celledu bois àbruler, &c.Sujet
qui paroît peu de chofe au premier coup
d'oeil , mais d'une grande conféquence. La
fixation des mefures , de maniere qu'elles.
ne fuffent plus fujettes à aucune variation,
feroit un avantage ineftimable. C'eft à
quoi tendent les calculs & les recherches
de M. le Pere .
RANK
ITS
DECEMBRE
. 1751
.
rlesque
after,
洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗
RELATION
D'une opération fort finguliere de Chirurgie.
E 8 Novembre 1751 une femme épi-
LEptNovembre
prife d'un accès de fa maladie dans un
inftant où elle étoit feule dans fa chambre.
Dans le fort de fes convulfions , elle renverfa
fur elle une chandele qui étoit fur
une petite table voifine. Le feu prit à fes
habits qui eurent le tems de fe confumer
entierement autour d'elle ; avant qu'elle
fût revenue de fon accès , & qu'elle pût
appeller du fecours. Ont fit venir M. de
la Romigniere , Chirurgien Juré de Saint
Côme , qui la trouva expirante . Elle étoit
précisément cuite rôtie , fumante &
riffolée , à peu près comme une volaille
qui fort de la broche.
Dans cet état il étoit abfolument impoffi
ble de lui fentir le poul ni aux poignets , ni
aux tempes , ni à la région ducoeur.La feule
chofe qui put faire foupçonner qu'elle étoit
encore en vie, c'eft qu'on voyoit fortir de fa
bouche une efpece defumée continue , qu'on
pouvoit attribuer à un refte de refpiration ,
116 MERCURE DE FRANCE.
quoiqu'il ne parût à l'extérieur de la portrine
aucun mouvemement d'élévation ni
d'oppreffion .
Le fieur de la Romigniere jugea que les
tégumens de la poitrine , étant racornis ,
comme nous l'avons dit plus haut , ne pou
voient le préter au jeu des organes de la ref
piration , & que cette femme mouroir
précifément par le deffaut du mouvement
de ces organes .
Dans cette extrémité, & la voyant fur le
point d'expirer infailliblement & dans le
moment , fans pouvoir être adminiftrée , le
fieur de la Romigniere crut qu'il lui pro
longeroit la vie , s'il pouvoit rendre'
la liberté aux organes de la refpiration.
Pour cet effet il imagina de pratiquer
fur le champ une incifion longitudinale ,
depuis la région de l'os hyoïde , jufqu'au
cartilage xiphoïde , c'eft-à- dire depuis le
noeud de la gorge, jufqu'au creux de l'eftomach.
Cette incifion qui pénétroit jufqu'au
corps graiffeux , fe dilata à l'inftant , de
deux pouces dans toute fon étendue , fans
donner une goute de fang , & procura à
la malade toute la liberté de la refpiration.
En moins de fix minutes elle reprit fes
fens , & recouvra la parole. Le premier
ufage qu'elle en fit , fut de remercier fon
Chirurgien d'avoir , difoit- elle , defferré
DECEMBRE. 1751 . 117

fon corfer : ce qui , joint au défaut d'hémoragie,
fit comprendre au fieur de la Romiguiere
que ces parties étoient abfolument
cuites , & tout à fait privées de fentimens .
On eut le tems d'aller avertir un Prêtre .
qui lui trouva affez de connoiffance , & la
parole affez ferme pour la confeffer , elle
fut adminiftrée pendant la nuit , & vêcut
jufqu'au lendemain , fans fe plaindre d'aucune
douleur , & parlant comme à fon ordinaire
, & avec beaucoup de bon fens.
Mais vers les 8 heures du matin le ventre
s'étant confidérablement tendu , elle expira
à neuf de compte fait elle a furvecu
douze heures à fon opération .
Les fieurs Breffon & Berdolin auffi Maîtres
en Chirurgie , du Collège de Saint
Côme , qui par curiofité vinrent voir
cette incifion extraordinaire le 9 avant la
mort de la malade , dirent en la voyant ,
que l'opération faite par le fieur de la Romigniere
, étoit un coup de maître , &
de ceux où la fagacité & la jufteffe du jugement
, dans des cas
dans des cas défefpérés , déterminent
les Chirurgiens éclairés à faire ce
qu'ils n'ont jamais vû pratiquer , furtous
quand ils font conduits par la connoiffance
de la ftructure , du jeu & du
reffort des parties du corps humain.
En effet il falloit que le cas fût bien ,
118 MERCURE DE FRANCE.
urgent , que cette femme fait dans une
pofition bien équivoque entre la vie & la
mort , puifqu'une grande partie des fpectateurs
, voyant le fieur de la Romigniere
fe mettre en état de faire l'incifion en queftion
, crurent qu'il la réputoit morte ,
qu'il vouloit en faire l'ouverture.
&
Le mot de l'Enigme du premier volu
me de Decembre , eft colin maillard. Ce
lui du premier Logogriphe eft perle , dans
lequel on trouve lepre , pere , ré , pelete &
pele. Celui du fecond Logogriphe eft Apoticaire
, dans lequel on trouve Troye ,
le
Caire , io , Icare , ortie , carte , l'Art ,
pic , repic capot , cire , tiaire , ceripe,
air , Arie , pie , Apôtre , patrie , Roi ,
Celui du troifiéme eft moutardier , dans
lequel on trouve amour , adore , ami, retour
amie.
J
ENIGM E.
E ne fuis point un corps , je ne fuis point
efprit ,
De me fêter pourtant à tout il eft preſcrit ;
J'ai toujours exifté , j'exiſte même encore >
DECEMBRE. 1751. 119
Je fuis l'ouvrage faint d'un être qu'on adore .
Quand je parois on voit finir tous les travaux ,
L'artifan fe parer des habits les plus
beaux
L'un ici s'empreffer à faire des prieres ,
L'autre là s'occuper de différens mystéres ;
J'excite le fidéle à la dévotion ,
Qui fuivant fon devoit m'employe en oraifon.
Je fuis dans certains tems de la premiere claffe
Dans la fconde enfuite on défigne ma place ;
Je porte plufieurs noms qui me rendent plus
grand ,
Et cinquante-deux fois je parois dans un an.
ParM. de Montpellier.
LOGOGRIPHE.
Mon tout eft de huit pieds tout différens entr'eux
,
C'eftla pour cette fois ce que je puis en dire ,'
Je fuis ailleurs Lecteur , détaillé
beaucoup
"
mieux ,
Et ne dois autrement m'expliquer pour t'inf
truire.
Si tu peux deviner quelques combinaiſons ,
Tu mereconnoitras aifément . Commençons .
I
> , 4 , S 8 , je fuis fuivant Horace
,
2 >
La vierge à l'arc bandé qui préfide à la chaſſe ...
120 MERCURE
DE FRANCE
6,7 , 2 , 8 , & 5
un de fes attributs
,
Qu'on dépeint auprès d'elle , & fuis encor de
plus ,
De la fidélité le plus parfait fymbole . ...
3 2 , 5 , 8 , chez moi l'on trouve ces mé
>
taux
Qui font du monde entier la dangereuſe idole ; *
A la vente des grains je contiens fix boiffeaux .
6 puis 1 , 2 "
excellent
je fuis un
1 4 2 & 3 , un animal fauvage "
ouvrage ....
Plus petit que le cerf, plus grand que le che
vreuil ...
6 , 4 , 2 , & , par un jaloux orgueil
J'olai fouiller mes mains dans le fang de mos
frere ...
2 , § , 6 , 4 , après le Pérou me révere ...
2 · 3 4 , pluss , parmi les Muſulmans
Je fuis miniftre & chef , j'inftruis les ignorans .
.7 2 3 S & 8 , on me voit chanter à l'Eglife
....

4, 5 , 8 hélas ! fouvent on me méprife ...
Il te fera facile à préfent de trouver
Un oileau des marais affez bon à manger ...
Cette Ifle qui produit le vin de Malvoifie ...
Un des fi's de Noé ... Ville de Normandie..
La paffion qui regne entre pluſieurs rivaux ,
Et qui communément
caufe les plus grands
maux ....
La femelle d'un daim une Montagne
que ....
.... anti-
Inftrument
DECEMBRE. 17518 121
3
Inftrument de paveur ... note de la Mufiqne ..
Ce qui devient fouvent très funefte aux joueurs...
Ce qu'on fouhaite large à tous les Confefleurs ...
Deux portions du corps.... la plus grande partie....
Des immenfes Pays qui compofent l'Afie.
Je ne finirois pas , cher Lecteur , d'aujourd'hui ,
Sije ne craignois pas de caufer de l'ennui
Par le même.
AUTR E.
A Chille , Cyrus ,
Alexandre
Ont autrefois daigné m'apprendre :
Lecteur , je fuis un Art fameux :
Mais d'un fuccès fouvent douteux;
Mon nom , fi tu peux le connoître ,
Aifément te fera paroître
Des Mufes un grand protecteur ,
Pays qui porta le vainqueur
Du fenfuel Sardanapale :
Mere en cruauté fans égale ; -
Deux Villes ; autre beau Pays
Très fatal à Semiramis :
Si ce détail ne te contente ,
J'ajoute encore une parente
Fille d'un frere ou d'une foeur ,
Maintenant cherche moi Lecteur.
Par M. de Zanevere , ancien Moufquetaire
du Roi , à Dax.:
11.Vol.
F
122 MERCURE DE FRANCE .
NO
Par
de
AUTRE.
LE grand & le petit font pleins de vanité.
De cette vérité
Je fuis un exemple autentique.
Moi chétif , vil , abject ,
Pour qui tout devroit être un objet de refpect
En langage logogriphique ,
Qui le croiroit ! j'afpire à me mettre en afpect ,
Me voulant mal encor de ce que cet idionie
Pourra me voiler un moment ,
Je voudrois , cher Lecteur, que fans retardement .
On me connût de Paris jufqu'à Rome.
Mais que dis -je ? partout je le fuis . Des forêts ,
Où je naquis , je paffe à la Ville , au Village :
Perrette qui de moi fait un pénible uſage ,
Procure à fon logis les plus charmans attraits ,
On s'y mire , c'eft un prodige
Par circonfpection j'en devrois refter là :
Mais je fçais trop à quoi la vanité m'oblige ,
Je veux me divulguer , en détail me voila ,
Amuſement chéri de la verte jeuneffe ,
Et quelquefois encor de la froide vieilleffe :
Acte qui fournit le moyen-
De donner tout fon bien
Sans cefler cependant d'être propriétaire ;
Fauffe divinité , dout les adorateurs
Ne revinrent de leurs erreurs ,
Qu'après l'embraffement d'un bucher falutaire,
Adieu , car j'ennuirois peut-être mes Lecteurs,
DECEMBRE.
1751. 123
****************
NOUVELLES
LITTERAIRES.
MEMOIRES pour fervir à l'Hiftoire
des moeurs du dix-huitième fiécle.
Par M. Duclos ,
Hiftoriographe du Roi ,
de-l'Académie Françoife. 1751. Deux vo-
Inmes in- 12 . On les trouve à Paris , chez
Prault fils , quai de Conti .
Le Philofophe , Auteur de cette nouveauté
, avoit commencé & fort avancé de
peindre les moeurs de ce fiécle dans les
confidérations. Il ne lui reftoit guéres à
parler que de l'amour & de la galanterie :
il vient de mettre l'un & l'autre en action
dans le Roman
Philofophique que nous
annonçons. Cet ouvrage nous a paru rempli
de traits hardis , de difcuffions fines, de
réflexions profondes. Pour mettre nos
Lecteurs en état de juger des
dévelopemens
du coeur qui s'y trouvent , nous en allons
copier un des plus grand tableaux : c'eſt le
difcours de la Marquife de Retel au Heros
du Roman.
4
Les paffions qui agitent les hommes fe
développent prefque toutes dans leur coeur
avant qu'ils ayent la premiere notion de
l'amour. La colere , l'envie , l'orgueil , l'a-
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
varice , l'ambition , fe manifeftent dès l'enfance.
Les objets en font petits,mais ce font
ceux de cet âge : les paffions ne font pas
plus violentes que quand leurs objers font
plus importans , fouvent elles font moins
vives , & s'il y en a quelqu'une qui devien
ne plus forte qu'elle ne l'étoit d'abord , c'eft
ordinairement par l'extinction des autres
qui partageoient l'ame avec elle.
L'amour fe fait fentir à un certain âge ,
mais eft- il autre chofe qu'une portion da
goût général que les hommes ont pour les
plaifirs ; l'âge où il triomphe eft celui où
les autres paffions manquent d'occafion
de s'exercer , dans l'âge où l'on eft infenfible
à l'avarice , parce qu'on a rien ; à l'ambition
, patce qu'on eft de rien. Les paffions
ne fe développent que par l'aliment qui
leur eft propre . Mais fi elles font une fois
en mouvement , elles l'emportent bientôt
fur l'amour . Cette paffion le détruit par
fon ufage ; les autres fe fortifient ; elle eft
bornée à un tems , les autres s'étendent
fur tout le cours de la vie . L'amour enfin
eft un de nos befoins auffi vif & moins
fréquent que les autres , rarement une paffion
, fouvent la moins forte , & le plus
court des plaifirs . Ce plaifir eft même dé
pendant de la mode. N'a- t- on pas vû un
-tems où la table réuniffoit prefque tous les
DECEMBRE . 1751. 125.
hommes , & où les femmes n'étoient pas
comptées dans la fociété dont elles font
l'ame aujourd'hui , moins par
l'amour que
par la mode.
Si la fenfation de l'amour est très - vive ,
le fentiment en eft très-rare. On le fuppofe
où il n'eft pas , on croit même de bonne
foi l'éprouver , on fe détrompe par l'expérience.
Combien a - t - on vû de gens épris de
la plus violente paffion , qui le croyoient
prêts à facrifier leur vie pour une femme ,
qui peut-être l'auroient fait , comme on
exécute dans l'yvreffe ce qu'on ne voudroit
pas avouer dans un autre état ? combien en
a-t- on vû , dis- je , facrifier cette même
femine à l'ambition , à l'avarice , à la vanité
, au bon air ? Les autres paflions vi
vent de leur propre fubftance , l'Amour a
befoin d'un peu de contradiction , qui lui,
affocie l'amour propre pour le foutenir . Il
ya , dira-t-on , des amans qui facrifieroient
tour à leurs paflions ; cela peut-être , parce
qu'il n'y a rien qui ne fe trouve . Mais
quelle eft la paffion , quel eft le goût ferieux
ou frivole qui n'a pas fes fanatiques ?
la mufique , la chaffe , l'étude même &
mille autres chofes pareilles peuvent devenir
chacune la paffion unique de quelqu'un
, & fermer fon coeur à toutes les autres.
Il en eft ainfi de l'amour qui n'eft pas
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
la premiere paffion & rarement l'unique.
Ces grands & rares facrifices de coeur
ne fe voyent guère que de la
part des fem
mes ; prefque tous les bons procédés leur
appartiennent en amour , & fouvent en
amitié , furtout quand elle a fuccédé à l'amour
. Ne croyez pas que ce que je dis à
Pavantage de mon fexe ,foit l'effet d'un intéret
perfonnel . Je ne prétend pas en effet
Jouer exceflivement les femmes de ce qu'el
les ont l'ame plus fenfible , plus fincére &
plus courageufe en amour que les hommes .
C'eft le fruit de leur éducation , fi l'on peut
appeller de ce nom le foin qu'on prend
d'amollir leur coeur & de laiffer leur tête
vuide , ce qui produit tous leurs égale
mens.
Les femmes ne font guères expolées
qu'aux impreffions de l'amour , parce que
les hommes ne cherchent pas à leur infpi
rer d'autres fentimens : ne tenant point à
elles par les affaires , ils ne peuvent connoître
que la liaifon des plaifirs. Ainfi
la plupart des femmes du monde pallent
feur vie à être fucceffivement flattées , ga
rées , féduites , abandonnées & livrées enfin
à elles-mêmes , ayant pour unique
ref
fource une dévotion de pratique , & plei
ne d'ennui , quand elle eft fans vertu ,
fans
ferveur ou fans intrigues.
DECEMBRE. 1751. 127
L'amour eft , dit-on , l'affaire de ceux
qui n'en ont point ; le défoeuvrement eft
donc la fource des égaremens où l'amour
jette les femmes. Cette paffion fe fait peu
remarquer dans les femmes du peuple
auffi occupées que les hommes: par les travaux
pénibles ; quoiqu'il y en ait beau
coup de plongées dans le vice , non par
égarement de coeur , rarement par le goût
du plaifir , & prefque toujours par la mi.
fere ; mais je ne parlerai ici que des gens
du monde , ou de ceux que l'opulence &
l'oifiveté mettent à portée d'en prendre
les moeurs.
L'éducation des hommes toute imparfaite
qu'elle eft , quant à fon objet & a
fa forme , a du moins l'avantage de les occuper
, de remplir leurs têtes d'idées bonnes
ou mauvaises qui font diverfion aux
fentimens du coeur . Les affaires les en
plois & les occupations quelconques viennent
enfuite , & ne laiffent à l'amour qu'u
ne place fubordonnée à d'autres paffions.
Ce qu'ils appellent amour eft l'ufage de
certains plaifirs qu'ils cherchent par inter.
valle , qu'ils faififfent d'abord avec ardeur ,
qu'ils varient par dégoût , & par inconftance
, & aufquels on eft enfin obligé de
renoncer quand ils ceffent de convenir
ou qu'on n'y convient plus ..
Fiiij
128 MERCUREDE FRANCE.
Je connois & j'ai examiné avec attention
les laifons qu'on prétend qu'une longue
fuite d'années a rendues refpectables , fans
les avoir affoiblies. Il y en a quelques - unes
dignes des éloges qu'on leur donne.Ce font
celles que l'amour a pû commencer , mais
que l'amitié a confacrées ; & je fçais qu'il
y en a qui n'ont ceffé d'être orageufes que
depuis que la paffion eft éteinte. C'étoient
des amans qui tantôt ivres de plaifirs , &
l'inftant d'après tourmentés par des caprices
, des jaloufies d'humeur , ou de faulfes
délicateffes paffoient quelquefois un même
jour en careffes en dépits , en aigreurs , en
offenfes , en pardon , & fe tirannifoient
mutuellement. Après avoir ufé les plaifirs
& les peines de l'amonr , ces amans le font
heureufement trouvés dignes d'être amis ;
& c'eft de ce moment qu'ils vivent heureux,
avec une confiance plus entiere qu'ils ne
Fauroient peut-être , s'ils n'avoient
pas été
amans , & avec plus de douceur & de tranquilité
que s'ils l'étoient encore.
I
Un état fi rare & fi délicieux feroit le .
charme d'un âge avancé , & empêcheroit
de regretter la jeuneffe . La réflexion qui
détruit ou affoiblit les autres plaifirs , parce
qu'ils confiftent dans une efpéce d'ivref
fe , augmente & affermit celui-ci . En jouif
fant d'un bonheur , c'eft le doubler que de
le connoître.
Com
DECEMBRE.
1751 .
129
A l'égard de ces vieilles liaifons que le
public a la bonté de refpecter , faute d'en
connoître l'intérieur , qu'y verroit- on fi
on les examinoit ? des gens qui continuent
de vivre enfemble , parce qu'ils y ont
long-temps vêcu , la force de l'habitude
l'incapacité de vivre feuls , la difficulté de
former de nouvelles liaifons , l'embaras de
fe trouver étranger dans la fociété , en retiennent
beaucoup , & donnent à l'ennui
même un air de conftance . Ils ont ceffé de
fe plaire & fe font devenus neceffaires. Ils
ne peuvent fe quitter : quelquefois ils ne
l'oferoient , on foutient ce rôle pénible par
un pur refpect humain . On s'eft pris avec
l'enjouement de l'amour , on a annoncé
hautement fon bonheur , on a contracté
un engagement devant le Public , on l'a
ratifié dans des occafions d'éclat . Le chatme
fe diffipe avec le tems , l'illufion ceffe ;
on s'étoit regardé réciproquement comme
parfaits , on ne fe trouve pas même eftimables
; on fe repent ; on n'ofe l'avouer ,
on s'opiniâtre à refter enfemble en fe déteftant
, & le refpect humain empêche autant
de ruptures que la loi empêche de divorces.
Si le divorce étoit permis , tel le
réclameroit comme un mariage , qui dans
pareille circonftance ne romproit pas avec
une maîtreffe , c'eft- à- dire une vicille ha
Fy
1
130 MERCURE DEFRANCE.
bitúde. On ne rougit point de s'affranchir
d'un efclavage reconnu , mais on a honte'
de fe démentir fur un engagement dont on'
a fait gloire. Les vieilles liaifons exigent ,
pour être heureufes , plus de qualités eftimables
qu'on ne l'imagine.
L'amour tient lieu de tout aux amans ,
fon objet lui fuffit ; mais l'objet s'ufe , l'amour
s'éteint , & il n'y a point alors d'ef
prits affez féconds pour remplacer l'illufion
& devenir une reffource contre la langueur
d'une vie retirée & d'un tête à tête
continuel. Si ces fortes d'efprits fe trouvoient
, il faudroit encore que les deux
amans l'euffent l'un & l'autre au même dé- '
gré , fans quoi la ftérilité de l'un étoufferoit
la fertilité de l'autre. Il n'y a que l'ef
prit qui ferve à la longue d'aliment à l'ef
prit , il ne produit pas long tems feul .
Le tête à tête , tel que je le fuppofe , ne
fe foutient que par l'amitié , beaucoup
d'eftime réciproque , & une confiance entiere
qui fait qu'on jouit de la préfence l'un
de l'autre , même fans rien dire , & en s'oc
cupant différemment. On devroit dire aux
amans qui fe déclarent publiquement , fai
tes provifions de vertus pour remplacer
l'amour.
On croit les hommes plus conftans dans
un âge avancé que dans la jeuneffe. Mais
DECEMBRE. 1751. 132
cette conftance n'eft qu'extérieure. Dans
la vieilleffe on anticipe les befoins par la
crainte , on les fent par la privation , on
jouit avec inquiétude , & l'on craint de
laiffer échapper ce qu'on n'eft pas fûr de
retrouver. Dans la jeuneffe on ne foupçonne
guére les befoins par la prévoyance ,
on ne fe fent que les défirs , ils s'éteignent
par la jouiffance , & renaiffent bien tot . La
jeuneffe defire ardemment , jouit avec con.
fiance , fe dégoûte promptement & quitte
fans crainte , parce qu'elle remplace avec
facilité. Voilà le vrai fecret de la légereté
d'un âge & de la conftance de l'autre...
Aimer , c'eft de l'amitié ; défirer la jouiffance
d'un objet , c'eft de l'amour ; défirer
cet objet exclufivement à tout autre , c'eft
paffion. Le premier fentiment eft toujours
un bien ; le fecond n'eft qu'un appetit du
plaifir ; le troifiéme étant le plus vif augmente
le plaifir & prépare des peines . II
ya un rapport entre l'amitié & l'amour qui
eft paffion , c'eft de fe porter vers un objet
déterminé , quoique ce foit par des motifs
différens. Il у a même des amitiés qui deviennent
de véritables paflions , & ce ne
font ni les plus fures , ni les plus heureufes.
L'amour , au contraire , tel qu'il eft
communément , fe porte vaguement vers
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
(
plufieurs objets , & peut toujours en rem→
placer un par un autre. Vous direz qu'une
tel amour n'eft pas fort délicat , non ; mais
il est heureux , & le bonheur fait la gloire
de l'amour.
La délicateffe fait honneur en amitié ,
parce qu'elle fuppofe un fentiment éclairé,
auffi Aatteur pour celui qui le reffent que
pour celui qui l'infpire. Cette délisatelle
eft toujours active & porte aux attentions
pour l'objet aimé ; on craint de lui manquer.
En amour elle eft ordinairement paf
five : l'amant prétendu délicat n'a d'autres
objets que lui- même ; il croit qu'on n'a
pas pour lui le retour qu'il mérite. On fe
Tourmente pour faire le tourment d'autrui.
Quel doit être le fupplice de deux amans ,
s'ils ont l'un & l'autre le même travers à la
fois ?
Les ames délicates ont un double malhear
; elles font douloureufement affectées
des moindres chofes qui bleffent ou paroif
fent bleffer le fentiment , & font trop dif
ficiles fur le plaifir ; elles ne peuvent le goû
ter s'il leur refte quelque fcrupule fur le
principe dont il part , & malheureufement
elles ne font que trop ingénieufes à s'en
former.
*
peu
Cette délicateffe fi vantée & f
connuë , n'eft donc qu'un déreglement d'iDECEMBRE.
1751 . 133
magination , il femble qu'elle n'éguife l'efprit
que pour le rendre plus faux .
Cependant , comme fi l'on avoit entrepris
d'empoifonner tous les plaifirs ; on ne
s'eft pas contenté d'introduire la délicatef
fe en amour , on y a fait encore entrer la
jalousie ....... La jaloufe eft un préjugé
d'éducation , fortifié par l'habitude. Si elle,
étoit naturelle aux amans , ils feroient par
tout également jaloux ; or il y a des peuples
qui le font beaucoup moins que d'autres
, il y en a qui ne le font point du tout,
& dont les moeurs y font abfolument op
pofées , qui fe font un honneur de ce qui
feroit un opprobre parmi nous. On voit
encore chez une même nation des moeurs
très-différentes fur cet article , fuivant les
différentes conditions. Par exemple , on
n'eft pas jaloux à la Cour comme àla ville ,
la jalousie n'eft plus qu'un ridicule bourgeois
, & l'on trouve des bourgeois affez,
raifonnables , affez policés , ou affez fats
pour n'être pas jaloux ; car on peut s'affranchir
d'une efpéce de folie , par raifon , ou
par une folie contraire. Si ce préjugé étoit
détruit , il fe trouveroit encore quelques,
jaloux , mais il n'y auroit que ceux qui le
feroient par caractere ; parce que la jalou
fie , c'eft à dire , l'envie en eft un , comme
l'ambition , l'avarice , la pareffe , la mifan134
MERCURE DEFRANCE.
tropie & plufieurs autres fortes de catas
Єteres.
La jaloufie eft fi peu un fentiment naturel
, qu'elle le foumet au préjugé jufques
dans la conduite. Tel homme qui feroit
jaloux d'un rivaljufqu'à la frenefie , ne s'a
vife guére de l'être d'un mari . Un jalous
eft intérieurement fi perfuadé de fon injuftice
, qu'il y en a peu qui ne fe cachent
de l'être.
On croit que la jaloufie marque beaucoup
d'amour , mais l'expérience prouve
que l'amour le plus violent eft ordinairement
le moins foupçonneux . La jaloufie ne
prouve qu'un amour foible , un for ergueil,
le fentiment forcé de fon peu de mérite , &
quelquefois un mauvais coeur. Par exemple
, combien de fois a t- on vû un amant
dégoûté , cherchant un prétexte pour rompre
, & tâchant de le faire naître à force
de mauvais procédés ? Dans cette fituation
il devroit être charmé que quelqu'un vint
le dégager honnêtement ; mais point du
tout. S'il s'apperçoit qu'on peut fe confo
ler de fa perte avec un autre , fa vanité eft
bleffée de ne pas laiffer une femme dans les
regrets ; la jalouſie ou plutôt l'envie le ra
mene pour être tyran , fans être heureux.
Voilà les hommes , leur amour ne vit que
d'amour propre; il n'y a que des jaloux
d'orgueil.
V
נ מ

DECEMBRE. 1751.
239
VARIETE'S Hiftoriques , Phyfiques &
Litteraires , ou Recherches d'un fçavant ,
contenant plufieurs piéces curieufes & in--
téreflantes. A Paris , chez Nyon , fils , &
Guillyn , quay des Auguftins. 175. Trois
volumes in 1.2 . en fix parties.
C'est une compilation
dans laquelle on
trouvera beaucoup de chofes curieufes &
quelques- unes de très inutiles :le plus court
& le plus fûr moyen de faire connoître ce
livre qui n'a point de but fixe , eft de copier
la Table.
Premier Volume .
DISSERTATION
fur la fituation
du Palais
du Roi Thiery avec quelques
obfervations
fur les noms de Childeric
, Clovis , Chil
debert , Cherebert
, & Chilperic
. Remar
ques fur une infcription
du grand cloître
de la Chartreufe
de Paris . -- Hiftoriques
touchant
la vie de Louis XI . Cérémonie
finguliere
qui fe fait tous les ans à Paris , rue aux Ours. Remarques
curieufes
fur la
Boucherie
de la Porte de Paris. De l'origi
ne & des priviléges
du Royaume
d'Ivetor, Differtation
fur les dignités
héréditaires
attachées
aux Terres titrées. Les Chartres
qui ne font point dattées , mais munies du
fceau de perfonnes
illuftres , dont le tem
136 MERCURE DE FRANCE.
n'eft point douteux , peuvent - elles palle
pour certaines & authentiques ? Differta
tion fur l'origine du papier & parchemins
timbrés . Remarques fur l'étymologie des
noms François , des Provinces , Villes ,
Bourgs & autres lieux. Differtation fur le
Génabum , ou le Genabum des anciens.
Differtation dans laquelle on expofe les
raifons des differences des trois fyftêmes
chronologiques tant par rapport aux années
de la fondation de Rome , que par
rapport à celles devant Jefus Chrift & ou
l'on démontré la vérité du fyftême. Remar
ques fur l'étymologie de la prononciation
du nom de la ville capitale de la Guienne ,
s'il faut l'appeller Bordeaux , ou Bourdeaux
. Remarques fur la Riviere de la Garonne
& fur les mots de Gironde d'Acheron
, & d'Exil . Idée généalogique de la
Maifon de Leczinski . Cérémonie que fait
tous les ans le Doge de Venife d'époufer
la Mer au nom de la République , & de ce
qui y a donné lieu. La Porte Othomane ,
explication de ce terme . Hiftoire abrégée
des plus célébres Comédiens de l'antiquité ,
& des Comédiens François les plus diftingués.
Second Volume,
Comment on doit juger du caractere des
M
DECEMBRE . 1751.
1137
anciens , & des différentes nations . De la
bizarrerie des modes & des úfages. Des
largeffes des Romains , & l'ancienneté des
Caroffes. De l'état des Sciences dans l'étendue
de la Monarchie Françoiſe , ſous
Charlemagne. De la diverfité & de l'origi
ne des langues . Reflexions fur la nature &
la fource du fublime dans le difcours far le
vrai Philofophique du difcours Poetique
& fur l'Analogie qui eft la clef des décou
Vertes. De la Mufique inftrumentale. De
Forigine de quelques arts méchaniques.
Differtation hiftorique fur les Manufactures.
Ce qu'on entend par un Chronographe.
Origine du cadran folaire. Defcrip
Hon de la ligne méridienne tracée dans l'Eglife.
de S. Sulpice . De l'Aftrologie judiclaire
, & des horofcopes. Nouvelles idées,
phyfiques fur les acides & les autresChimiques.
De l'incorruptibilité des corps dans
la terre. Quelques réflexions fur la trifteffe
& la joye. Explication du mot Bigre. De
la fuperftition de fe trouver treize à table,
Explication Phyfique des bruits que l'on
entend quelquefois dans l'air à la campa
gne . Des prétendues influences de la Lune.
Defcription d'un enfant né d'une figure
extraordinaire & fans cerveau , avec quelques
réflexions fur ce monftre. Autre monftre
qui a vêcu vingt-ans. Abftinences ex-
1
138 MERCURE DEFRANCE
traordinaires. Vertu extraordinaire de la
vue. Fille prétendue poffedée. Remarques
fur la Pucelle d'Orleans .
Troifiéme Volume.
Du Haut & Souverain Empire de Galilée
établi en la Chambre des Comptes de Paris
. Du Royaume de la Bazoche. Ceremonies
qui fe font tous les ans le 6 Decembre
dans la Chapelle de S. Nicolas en la Gran
de Salle du Palais à Paris. De la montre des
Officiers du Châtelet de Paris . De la Communauté
des Avocats & Procureurs du Par
lement de Paris. Differtation fur le témoi
gnage de Jofeph en faveur de J. C. Obfervations
fur l'origine du Salve Regina. Pat
ticularité fur le mot Alleluia , tirée de deux
manufcrits , l'un de Toul , l'autre de Sens.
Eclairciffemens fur le MontValerien . Pourquoi
l'on repréfente auprès de S. Nicolas
trois enfans dans une cuvette. De la dévo
tion des Chaffeurs pour S. Hubert . Remar
ques Hiftoriques fur l'Abbaye de S. Hubert.
Memoires au fujet de l'Abbaye de S.
Martin de Tours , qui a les Rois de France
pour Abbés perpétuels . Du choix que les
Muficiens ont fait de Ste Cécile pour Pa
trone. Eclairciffemens fur l'origine des Ro
gations , où il eft parlé de la proceflion fo
lemnelle que les Bénédictins de S. Denis
DECEMBRE. 1751. 139
en France font tous les fept ans , de leur
Eglife en celle de Montmartre. Abrégé hiftorique
de l'établiffement de l'Hôpital des
Enfans trouvés. Remarques fur une danfe
Eccléfiaftique qui fe faifoit le jour de Pâ
ques dans les Eglifes Canoniales de Bezanfon.
De l'origine de la Fête des Foux , &
l'inftitution de la compagnie de la mere,
folle de Dijon . Ancienne & finguliere dévotion
de la ville d'Evreux . Explication
du clou que les Payens attachoient dans
leurs Temples. De quelques reftes de la
fête de Bacchus .
L'Avare , Comedie de Moliere , avec
des remarques où l'on explique ce qu'il y
a de particulier dans l'idiome & la prononciation
, & où l'on rapporte des fons
tirés des mots Anglois femblables à ceux
de certaines fyllabes en François qui peuvent
paroître difficiles , & un difcours fur
la prononciation françoife. Par M. L. B
Avocat au Parlement de Paris , & Profeffeur
de Langues modernes à l'Académie de
Heath. A Paris , chez Leclerc , Quai des
Auguftins. 1751. Un volume in 12 .
ABREGE' Chronologique de l'Hiftoire
Eccléfiaftique , contenant l'Hiftoire des
Eglifes d'Orient & d'Occident ; les Conciles
généraux & particuliers; les Schifmes,
les héréfies , les inftitutions des Ordres
140 MERCURE DE FRANCE.
de l'Ere
Monaftiques &c. depuis l'an.-33
Chretienne , jufqu'en 1700 .
C'est une imitation fort fage de l'excellent
Abrégé de l'Hiftoire de France de M.
le Préfident Henault. On ne trouvera pas
à la vérité , dans la copie , les réflexions.
fines , les portraits approfondis , les difeuffions
lumineufes qui ont fait le fuccès de
l'original ; mais on y trouvera la même dif
tribution des matieres ; & à peu près la même
clarté , la même brièveté , la même impartialité
Une nouvelle édition fera difpa
roître quelques négligences & quelques :
erreurs qui le font gliffées dans celle-ci. ,
L'Auteur de l'Ouvrage que nous annon
çons , place à la fin de chaque fiécle des
remarques fur le fiécle même.
Pour faire connoître le ftile & la manie
re de l'écrivain , nous allons copier celles
qu'il place à la fin du feizième.
Un Sçavant mémoire de l'Académie de
Berlin difoit il y a quelque tems une chofe
fort remarquable fur la fource des herefies
du feiziéme fiécle : » Si on veut réduire les
» caufes du progrès de la réforme à des
"
principes fimples , on verra qu'en Alle-
" magne ce fut l'ouvrage de l'intérêt , en
Angleterre celui de l'Amour , & en France
celui de la nouveauté. » Rien n'eft plus
vrai , un coup d'oeil jetté fur cette hiftoire
fuffira pour en convaincre. Quelques Au
DECEMBRE . 1751. 141
teurs croyent au contraire trouver la caufe
de ce débordement d'herefies dans la fuppreffion
des Elections canoniques. A les
entendre , dès qu'on eut aboli ces élections ,
les héréfies entrerent en foule dans l'Eglife;
cette Sainte Cité étant par - là deftituée de
fes plus fermes remparts , fe vit infultée
de toutes parts par les erreurs. Mais c'eft
une question de fçavoir fi la fuppreffion
des élections canoniques a été un aufli
grand mal qu'on l'a ' cru d'abord . Les életions
n'avoient pas dans les premiers tems
de l'Eglife les mêmes inconvéniens auxquels
elles furent fujettes depuis : le petit
nombre de Chrétiens les rendoient plus
aifées à pratiquer , & on ne pouvoit craindre
ni brigues ni fimonie parmi ces Chrétiensqui
ne l'étoient que par un choix très
libre de leur volonté , dans un tems où les
loix politiques en faifoient un crime .
D'ailleurs on ne choififfoit pour Evêque
que ceux qui avoient été baptifés dans la
même Eglife , & y avoient exercé pendant
plufieurs années toutes les fonctions Eccléfiaftiques
, & dont le mérite par conféquent
étoit bien connu de tout le monde ,
ce qui étoit d'autant plus facile ,que chaque
ville où il fe trouvoit un nombre un peu
confidérable de Chretiens , devoit avoir
fon Eyêque . Tout ceci changea beaucoup
$ 42
MERCURE
DE FRANCE
.
depuis que la Religion Chrétienne fut de
venue la Religion dominante ; les Elections
devinrent une fource d'abus ; il eft certain
même qu'elles dégenererent quelquefois
en fimonie manifelte. C'eft par ces raifons
que le peuple en a été exclu , & depuis
ce tems elles font demeurées , en Allemagne
aux Chanoines , qui , pour me fervit
de l'expreffion des Conciles font le Senat
de l'Eglife. A Rome l'élection du Pape ap
partient au Sacré Collège des Cardinaux.
En Italie , le Pape confere tous les Evêchés .
Les Rois d'Efpagne , & quelques autres
Princes , en ont la Nomination chez eux ,
par les indults particuliers qué le Pape accorde
pour la vie de chaque Prince . En
France , le Roi y nomme en vertu du Concordat
, & comme ayant fuccédé aux droits
du peuple. Chaque peuple doit être confidéré
comme une grande famille , dont le
Prince eft le Pere.
Je crois qu'on peut compter avecplus de
vraisemblance entre les caufes du progrès
des nouvelles herefies , d'un côté les abus
qui défiguroient la difcipline de l'Eglife ,
& qui- fervirent de prétexte aux prétendus
réformateurs ; & de l'autre côté , le long
retardement de la venue du Concile G
néral , qui leur donna le tems de prendre
les devants & de porter des coups dont les
DECEMBRE . 1751. 143
bleffures furent d'autant plus difficiles à
guérir , qu'on fut plus long- tems fans y
appliquer de remede . Les abus étoient
grands & en grand nombre , je n'en veux
pour preuve que le mémoire préfenté en
1538. au Pape Paul III . par les quatre
Cardinaux qu'il avoit nommés pour tra,
vailler à la réforme de la Cour de Rome ,
& qui fe trouve dans la collection du Crab+
be , fous le titre de Confilium delectorum Car
dinalium & aliorum Prælatorum , de emendandâEcclefia.
Ce mémoire contient vingt
huit chefs d'abus plus griefs les uns que les
autres.
Sous Leon X. ce fut l'abus des indulgen.
ces qui fe fit remarquer ; il étoit porté à un
fi grand excès que tout le monde en murmuroit
, les petits comme les grands , les
ignorans comme les fçavans , c'étoit un cri
général . Nous avons vu que le Concile de
Trente a reconnu que dès les premiers
tems l'Eglife ufoit du pouvoir d'accorder
les indulgences ; & en effet l'ufage dans
lequel étoit la primitive Eglife d'abréger
les Pénitences à la recommandation des
Martirs & des Confeffeurs , eft regardé
avec raifon comme un exemple illuftre de
ces indulgences , puifque c'étoit une rés
miffion accordée par l'Eglife , en vertu &
par l'application des mérites de ces Saints,
144 MERCURE DE FRANCE.
Mais l'Eglife n'en ufoit qu'avec mefure ,
en connoiffance de caufe , & affez rarement
; & par un effet de fa fageffe , elle
s'oppofoit aux abus qu'on vouloit en faire
& tâchoit de les arrêter : on le voit par la
fermeté avec laquelle S. Cyprien & plu
fieurs autres Saints Evêques réfifterent à
ceux qui furprenoient des recommandations
des Martyrs & Confefleurs pour être
reconciliés à l'Eglife , & abréger leur pénitence.
On s'écarta par la fuite de cette
fage economie , & l'Eglife vit naître des
abus fans nombre , à l'occafion des indulgences
qu'elle n'accordoit à fes enfans ,
que dans la vue de les aider à expier leurs
péchés : la conduite peu mefurée que tinrent
des quêteurs chargés de recueillir les
aumônes que faifoient les fideles pour profiter
des indulgences , augmenta le fcandale
, au point que le Concile de Trente
ne put fe difpenfer , comme on l'a vu , d'abolir
le nom & la fonction de ces quêteurs.
Ces abus ouvrirent un vafte champ à la
critique de Luther. S'il eût agi par de bons
motifs , fi le zele qui l'animoit eût été felon
Pefprit de la religion , il fe feroit appliqué
à inftruire les peuples des difpofitions qu'ils
devoient apporter pour profiter des indulgences
, & à les prémunir contre le mauvais
DECEMBRE. 175. 145
vais ufage qu'il étoit alors ficommun d'en
faire , & il s'en feroit tenu là ; mais que
ne peuvent point fur un coeur déréglé , l'intérêt
, la vanité , l'ambition ! la réformation
étant défirée depuis long- tems par les
plus gens de bien , la caufe des prétendus
réformateurs en prit un plus grand crédit ;
ils ne parloient que de réforme ; on prit
plaifir à les entendre , & ce fut pour eux
une favorable occafion de gliffer dans les
efprits le poifon de leurs erreurs.
Le Concile général étoit le meilleur antidote
qu'on pût oppofer : les Conciles
généraux font des remedes falutaires que
Dieu a donné à fon Eglife pour éteindre
ces embrafemens , & dont il eft quelquefois
néceffaire de faire ufage . » Mais fou-
» vent , dit Mezerai , la fauffe politique
ne s'y accorde pas : & en ce tems- là lest
" interêts mal- entendus des Princes & du
Pape s'oppoferent au bien commun de
la Chrétienneté . » L'exemple des Conciles
de Conftance & de Bâle pouvoit faire
craindre aux Papes , qu'on ne voulût traiter
les mêmes queftions dans le nouveau
Concile général qu'il étoit néceffaire de
convoquer. Les Princes de leur côté y formerent
quelquefois obſtacle par des vues
d'interêts particuliers , qui n'auroient pas
11. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
dû contrebalancer l'intérêt général de la
Religion.
Mezerai fait au fujet de la Ligue une réflexion
, qui ne paroît pas auffi jufte que la
réflexion précédente : » Si l'on vouloit ju
» ger ,
dit il , de l'intention des Chefs de d
» la Ligue par l'effet qu'elle produifit , on
pourroit dire qu'elle étoit bonne : car les
ennuis &les traverfes qu'elle caufa àHen-
» ry IV. le fatiguerent fi fort , que redoutant
encore pis , il prit la Religion de fes
» intérêts , pour s'affurer de la Couronne.
Il est vrai que le Duc de Mayenne , chef
de la Ligue , ne fit fon accommodement
avec Henry IV. qu'après qu'il le fut converti
& qu'il eut été réconcilié à l'Eglife
par l'autorité du Pape , mais eft- il vrai que
ce Prince y ait été porté par la crainte du
Duc de Mayenne ? La plupar des Hiftosiens
s'accordent à dire , que le parti de ce
Duc étoit fi foible , lorfqu'il traita avec la
~Cour , qu'il ne lui reftoit prefque plus de
reffource que dans la clémence & la générofité
du Roi. Ainfi on peut avancer
hardiment que la Ligue caufa de grands
maux, & ne produisit aucun bien , & que
le retour de Henry à la foy de fes peres dut
fon origine à des motifs plus capables d'agir
fur fon coeur, & plus dignes de lui .
Il nous refte un tableau du malheureux
da
DECEMBRE. 1751. 147
tat où l'Eglife Gallicane fut alors réduite,
dans les remontran es que le Clergé de
France fit au Roi Henry III. en 1579. On
y voit que les Evêchés , les Abbayes & les
Eglifes collégiales étoient entre les mains
des Officiers d'armées , qu'on entendoit
fouvent ces mots fortir de leur bouche .
mon Evêché , mon Abbaye , mes Prêtres ,
mes Moines ; que dans près de Soo Abbayes.
-auxquelles le Roi nommoit , il n'y avoit
pas cent Abbés titulaires ou commendataires
, & que ceux- ci , la plûpart ne faifoient
que prêter leurs noms à d'autres qui
en effet jouiffoient du revenu : les Eglifes
étoient fans Pafteurs , les Monafteres fans
Religieux , & les Religieux fans difcipline.
DISCOURS fur l'indulgence pour les défauts
d'autrui. A Paris , chez Ganeau, 1751 .
TARIF de cabinet pour les bois en grime
& équarris , utile & commode aux
Marchands de bois , Architectes , Charpentiers
, Entrepreneurs de bâtimens & à
tous ceux qui font employer des bois . Par
J. F. Bretet , Arithméticien .
TRAITE' du pouvoir du Magiftrat Politique
fur les chofes facrées. Traduit du La-
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
tin de Grotius. A Londres 175 1. un volu
me in - 12 .
ALMANACHS nouveaux pour l'année
1752.
Calendrier Hiftorique des Théâtres de
l'Opera , & des Comédies Françoife &
Italienne , Concerts Spirituels , Foires
& c.
11.46
1 , 1. 4 f.
Almanach Hiftorique & Chronologique
de tous les fpectacles de Paris ,
Calendrier du Deftin , précedé de tous les
amuſemens de Paris ,
12. f.
Almanach des Beaux Arts , contenant le
nom & Ouvrages de tous les Auteurs François
qui vivent actuellement , 1 l. 4. f.
Almanach Chantant , fuivi des Etrennes
Magiques ,
I 4.6
12f Almanach
du Bean
Sexe Chantant
, avec
l'Ethomancie
des Danies
ou Divination
de
leurs
Caracteres
,
126
Tablettes de Thalie , ou Calendrier de
12.f. l'efprit & du coeur ,
Oracle de Cythére , ou Calendrier de
l'Amour , 12 f.
Tous ces Almanachs fe trouvent à Paris
chez Duchesne , Libraire , rue S. Jacques ,
au Temple du goût
au deffous de la Fontaine de S. Benoît.
ALMANACH Lyricomithique pour l'année
Biffextile 1752. ou les Fables de Phe-
Cre
e
P
201
CES
DECEMBRE. 1751. 149
dre & de M. Lafontaine , mifes en chant
& en Vaudevilles par M. Nau. A Paris ,
chez Fecquet , Libraire , rue de la Huchette
au nom de Jefus .
Pour faire connoître cet Almanach , qui
a un objet plus déterminé que la plupart
des autres , nous allons copier la Fable du
Loup & de l'Agneau , qu'on chante
Sur l'Air : Nous nous marierons Dimanche.
LE
E Loup & l'Agneau
Au bord d'un ruiffeau
Vinrent tous deux pour y boire .
L'eau , dit le Loup ,
Eft tout- à- coup
Bien noire
Mais n'es-tu point
Vain jufqu'au point
De croire
Que de la ' troubler ,
Sans craindre ou trembler ,
Tu pourras avoir la gloire à
L'Agneau dit , Seigneur ,
Que votre Grandeur.
Contre moi ne s'indifpofe.
De ce couroux
Suis- je entre nous
La cauſe ?
Gij
150 MERCURE DE FRANCE
C'est loin de vous
Bien au deffous ,
Que j'ofe
Calmer le tourment
D'un golier brulant.
Le Loup convient de la chofe,
XX
Mais , dit-il , je fçai.
Que dès l'an paé
Tu voudrois m'être contraire.
L'Agn. Ai je ce tort. ?
Je tête encor
Ma Merc.
Le Loup. Si ce n'eft toi ,
C'eft fur ma foi,
Ton pere ,
Ou quelqu'un des tiens,.
Car je m'en fouviens ;
Paye pour eux , téméraire.
Alors le glouton-
Sans plus de façon ,,
Saifit l'Agneau , le dévore.
Combien de gens.
Sont plus méchans.
Encore &
DECEMBRE.
1751 151
Comme plus fort ,
Tel de fon tort
S'honore,
Hélas ! Que de maux
Un prétexte faux
Souvent parmi nous colore !
VARIETE's amufantes , ou les affifes de
l'Amour ; fur des airs choifis & notés ;
Almanach pour l'année biffextille 1752.
C'eft encore M. Nau, qui eft Auteur de
ce curieux Almanach. Il ſe vend à Paris
chez Gueffier , Libraire , Quay de Gêvres ,
ou rue Neuve Notre-Dame.
NOUVELLES Etrennesutiles & agréables ,
contenant un recueil de chanfons morales
& d'emblêmes , fur de petits airs & vaddevilles
connus , notés à la fin , pour en
faciliter le chant ; avec le calendrier pour
l'année 1752.
Les mêmes Etrennes , contenant un recueil
de fables choifies dans le goût de M.
de la Fontaine , fur des airs & vaudevilles
connus , notés à la fin , pour en faciliter le
chant ; avec le calendrier pour l'année
1752. A Paris , chez la Veuve de Philip.
Nic. Lottin , & J. H. Butard, rue S. Jacques,
à la Vérité.
& iiij
152 MERCURE DE FRANCE.
ALMANACH de table pour l'année biffe
tile , 1752. contenant un detail exact de
tout ce qui fert à la vie de l'homme , & à
la bonne chere dans chaque faifon de l'année.
A Paris chez la veuve Piffot , quay de
Conti.
Les Libraires intereffés à la nouvelle édi
tion du Dictionnaire Univerfel , François
& Latin , appellé vulgairement . Dictionnaire
de Trevoux , & au Supplément audit
Livre , qu'ils ont fait en faveur de ceux
qui avoient les précédentes éditions , donnent
avis au public que Lundi prochain: 6
Decembre , ils délivreront aux Soufcripteurs
ledit Supplément ; & au premier
Fevrier prochain la nouvelle édition du
Dictionnaire de Trevoux .
Les Sieurs Giffart & Le Mercier rue S.
Jacques , & le Sieur Ganean , rue S. Seve
rin , aux Armes de Dombes , délivreront
les exemplaires aux Soufcripteurs.
DECEMBRE .
1751.
153
mark
Mi
996 506506 •100 30050% 686 852 512 502 502 - 502 308 30
T
DISSERTATIONS
Sur l'édifice de l'Eglife Primatiale de Saint
André de Bordeaux , & fur l'Election à
L'Archevêché , faite par le Chapitre de
la même Eglife , en 1529 en faveur de
Gabriel de Gramont depuis Cardinal ;
préfentées à l'Académie Royale des Belles
Lettres , Sciences & Arts. Par M. l'Abbé
Xaupi , Docteur de Sorbonne , Chanoine
&
Archidiacre de l'Eglife de Perpignan,
Abbé de fau , correfpondant honoraire de
ladite Academie .
Monfieur l'Abbé Xaupi donne dans
la premiere de ces differtations une
defcription curieufe & fçavante de l'édifice
de S. André de Bordeaux . Le but qu'il fe
propofe dans la feconde eft de prouver que
Gabriel de Gramont ne doit pas être mis
au nombre des Archevêques de Bordeaux.
Ce Prélat ,-fi connu par les Ambaſſades
dont il fut chargé fous François Premier ,
étoit Evêque de Tarbes quand le Chapitre
de l'Eglife de Bordeaux l'élut pour fon Archevêque
, mais il n'eut garde d'adherer à
fon Election , parceque c'eft dans ce même
G
154 MERCURE
DE FRANCE.
tems que François premier & Clement
VII. prenoient les plus juftes mefures pour
faire recevoir le Concordat , & Gabriel de
Gramont étoit fpécialement
chargé d'en
procurer l'accompliſſement
à la Cour de
Rome.
M. l'Abbé Xaupi donne à cette occa
fion un abrégé de l'Hiftoire du Concordat
qu'on fera peut-être bien aiſe de trouver
ici.
Peu de gens ignorent , dit-il , que dans
la grande affemblée d'Evêques , Abbés &
Docteurs , repréfentant l'Eglife Gallicane ,
tenue à Bourges en 1438. Charles VII , af
fifté des Princes , des Grands du Royaume
& des Seigneurs de fon Confeil , après.
\avoir entendu les Ambaffadeurs du Pape
& ceux du Concile de Bafle qui fe tenoit
ators , & après avoir fait difcuter les ma
tiéres en fa préfence , donna , le 7 Juillet ,
cette fameule Loi , appellée la Pragmatique-
Sanction; par laquelle , entre autres
difpofitions , il affuroit aux Chapitres de
Cathédrale & auxMonafterès le droit d'é
lire les Evêques & les Abbés. Certe Pra
gmatique fut enregistrée au Parlement de
Paris , le 13 Juillet de l'année fuivante.
On fçait également que François Premier
& Leon X, eurent une entrevûte à Boulogne
en Italie , Pan LS 15. & qu'après s'êut
DECEMBRE. 1753. 155
rendu des devoirs mutuels , & avoir réfolu
d'abolir la Pragmatique Sanction , ils laifferent
à des Commiffaires , qui étoient les
Cardinaux d'Ancone & Sanctiquatro pour
le Pape , & le Chancelier Duprat de la
part du Roi , le foin de rédiger leur convention
, qui fut fignée par ces Commif
faires , le 14 Décembre de la même année,,
& publiée dans la fuite , pour qu'elle eût
plus de force , dans la onzième feffion du
Concile de Latran . Ce Concordat , entre
autres difpofitions , abolit entierement
les Elections ; il attribue au Roi le droit
de nommer aux Prélatures , & au Pape ce
lui d'en donner les Provifions , en recevant
une année de revenu , de la même maniere..
que cela fe pratique encore de nos jours
Cette Loi nouvelle ne fut pas reçue favorablement
en France . François Premier,
pour la faire agréer , fe rendir le 5 Février
117 en perfonne au Parlement , où ils
avoit fait convoquer le Chapitre de l'Eglife
de Paris , les Suppôts de l'Univerfité
& un grand nombre de Prélars . Le Chancelier
Duprat , portant la parole , expofa ,.
avec dignité , les raifons qui avoient obligé
le Roi de paffer le Concordát , & celless
qui devoient engager la Cour à l'enré--
giftrer. Son éloquence fut inutile ; le Par
lement éluda l'enregistrement ; lés Ecclé
G
156 MERCURE DE FRANCE.
fiaftiques & l'Univerfité répondirent ?
" Que la matiere touchoit l'Etat général
de l'Eglife Gallicane , & que , fans elle ,
on ne pouvoit ratifier le Concordat.
Cette démarche gracieufe n'ayant point
eu fon effet , le Roi fit expédier le 13 Mai
i's 17. des Lettres patentes , portant injonction
au Parlement d'homologuer le
Concordat , & de tenir la main à fon exé
cution . Le Connétable de Bourbon , Jean
d'Albret Sire d'Orval , & le Chancelier
Duprat fe préfenterent , les Chambres affemblées
, pour demander l'enrégiftrement
des Lettres & du Concordat. Le
Chancelier parla avec beaucoup de force ,
mais toujours fans fuccès. Cette nouvelle
tentative , après un mois de pour- parlers .
& d'agences , n'aboutit qu'à faire recevoir
avec plus d'éclat l'Avocat Général le
Lievre, appellant de l'abolition de la Pragmatique
Sanction .
Le Prince de Savoye , oncle du Roi ,
revint quatre jours après à la charge avec
de nouveaux ordres. Il voulut affifter aux
Délibérations. On opina en fa préfence
depuis le 13 Juiller jufqu'au 24. Le réfultat
ne dut pas le fatisfaire ; le Parlement
adhéra à l'appel interjetté par l'Avocat
Général , & déclara ne pouvoir autorifer
le Concordat qu'avec le concours de l'Eglife
Gallicane.
DECEMBRE. 1751. 157
"
Le Roi qui étoit alors à Amboife , éxigea
que les Députez du Parlement vinffent
lui rendre compte de la délibération . Ces
Députez y arriverent le 14 Janvier 1518 .
Ils furent mal accueillis & renvoyés avec
menaces. Le Seigneur de la Trimouille
Grand Chambellan , qui les fuivit de
près , parut au Parlement avec des Ordres.
abfolus & de plus grandes menaces. Sept
jours le pafferent en négociations & difputes
; l'Avocat Général le Lievre repréfenta
enfin : Qu'il ne convenoit pas
»d'irriter le Roi , qu'il falloit céder au
»tems , & attendre des conjonctures plus
»favorables ; qu'on pouvoit cependant
faire infcrire le Concordat fur les Régiftres
, fans l'approuver en aucune manicure.
Le Parlement prononça conformé
ment au réquifitoire , & le Concordat
"fut enrégiftré en ces termes : Lû , publié
& enrégiftré par ordre & commande-
"ment exprès du Seigneur Roi , réitéré
"diverfes fois , en préſence du Sieur de la
"Trimouille , fon premier Chambellan ,
par lui envoyé fpécialement à cet effet.
A Paris en Parlement le 22 Mars 1518 .
Deux jours après , le Parlement , les
Chambres affemblées renouvella avec
les formalités les plus folemnelles fon appel
& fes proteftations contre le Concorr
>
18 MERCURE
DE FRANCE
.
!
dat ; & il continua dans toutes les octafions
qui le préfenterent
dans la fuite , de
juger fuivant les difpofitions de la Pragmatique
Sanction,
Il feroit inutile de rapporter ici les tron
bles que cet enrégiftrement
occafionna
dans Paris. Des Prédicateurs déclamerent
hautement en Chaire contre le Concor
dat , & parlerent même de la Perfonne
du Roi en termes indécens. L'Univerfité
de fon côté fit afficher dans les Carrefours
de fon diftrict , des défenfes à tous Li
braires d'imprimer le Concordat ; & on fe
feroit porté à de plus grands excès , file
Roi n'en avoit arrêté le cours , & s'il n'a
voit défendu , par fes Lettres Patentes,
données à Amboife le 22 Avril 1918, à
l'Univerfité & à tous autres , fous de grié
ves peines , de s'immifcer dans les affaires
d'Etat , & de s'opposer aux Décrets faits on
approuvés par Sa Majesté.
L'Archevêché
de Sens vacqna for ces
entrefaites. François Premier y nomma
Etienne Poncher , Evêque de Paris. Le
Chapitre de Sens l'élut auffi de fon côté ;
mais ce ne fut que fur la nomination du
Roi & les Balles du Pape obtenues en
conféquence
, que ce Prélat fut mis en
poffeffion . Il n'en fut pas de même pour
l'Evêché d'Alby , qui vacqua prefque en
DECEMBRE. 175. 1597
même tems. Le nommé par le Roi , &
Féla par le Chapitre, conteftoient au Parlement
de Touloufe. Le Roi évoqua laz
caufe au Parlement de Paris , & prit toutes.
les précautions poffibles pour qu'elle y fûr
jagée fuivant le Concordat ; cependant
Pélu
par le Chapitre fut maintenu conformément
à la Pragmatique Sanction :
François Premier en fut vivement piqué ;
mais il ne jugea pas le tems convenable
pour faire éclater fon reffentiment , &
venger fon autorité.
par
le
Des affaires plus interreffantes fixoient
fon attention en Italie Avant d'y entrer
il avoit établi Louiſe de Savoye , ſa mere ,
Régente du Royaume. Cette Princeffe fir
paroitre de l'intelligence & du courage
dans les affaires qui concernoient le Concordat.
L'Archevêché de Sens ayant vaqué
de nouveau elle Y nomma le Chancelier
Duprat. La perfonne qui fût élue
Chapitre ne manqua pas de fe pourvoir au
Parlement. La Régente ne voulant pas.
tomber dans le cas où le Roi fon fils s'étoit
trouvé , par rapport à l'Evêché d'Alby
évoqua la conteftation , & en attribua la
connoiffance au Grand Confeil . Elle en
afa fucceffivement de même pour l'Abbayede
St. Benoît fur Loire , & pour cellede-
Ste. Everte d'Orléans , qui vaque rent coup
9
160 MERCURE DE FRANCE.
fur
>
coup.
Mais comme le Parlement con.
tinuoit les procédures au fujet de ces Bénéfices
, & fe prétendoient toujours compé- :
tent , le Roi de retour dans les Etats conconvertit
ces évocations particulieres , en
une évocation générale & perpétuelle. Il
déclara par fon Edit du 24 Juillet 1526 ,
& fon Ordonnance du 6 Septembre fui- .
vant , que les Procès mûs & à mouvoir ,
par rapport aux Archevêchés , Evêchés ,
Abbayes & Prieurés conventuels électifs ,
qui étoient devenus de fa nomination , feroient
portés au Grand Confeil , auquel il
en donna la connoiffance privativement
aux autres Jurifdictions ; attribution qui
ayant été confirmée dans la fuite par Henry
II. fubfifte encore actuellement .
Cet Edit & cette Ordonnance firent
tomber tout à coup ces oppofitions , formées
& foutenues avec tant de vivacité ,
durant dix ans contre le Concordat ; &
elles conftatent indubitablement l'époque
de fon exécution .
DECEMBRE.
1751. 161
FRAN
MMMMMMMMMMMMMMMMMK
SPECTACLES.
REPRESENTATIONS
Faites à Fontainebleau en Octobre & Novem
les
Comédiens François.
bre ,
par
L
E Jeudi 14 Octobre , Rodogune & le
bon Soldat.
Le
Mercredi 20 , Mélanide & Zénéïde.
Le Jeudi 21 , Zaïre & la Parifienne.
Le mardi 26 , le Malade imaginaire
avec les agrémens exécutés par les Danfeurs
Italiens .
Le jeudi 28 , Oedipe de M. de Voltaire
& l'Ufurier.
Le mercredi 3 Novembre , la Fête de
3
Village , ou les Bourgeoifes de qualité , &
Pourceaugnac .
Le jeudi 4 ,
mour Diable.
Atrée & Thyefte , & l'ALe
mardi 9 , le Roi de Cocagne , avec
les agrémens exécutés par les Danfeurs
Italiens,
162 MERCURE DE FRANCE.
Le lundi 15 , l'Esprit follet & le confentement
forcé.
Le mercredi 10 , Manlius & la Foire
St. Laurent..
Par les Comédiens Italiens.
Le 1.6 Octobre , les 26 infortunes d'Ar-
Fequin , & le Ballet des Meuniers .
Le 23 les Enfans- Trouvez , Parodie de
Zaïre , & le Ballet Pantomime du Pédant ,
dans lequel le petit Vifintiny fit grand
plaifir.
Le 30 , les deux Arlequines , le Baron
Suiffe , & le Ballet Pantomime des Vandanges.
Le 6 Novembre , Oedipe travefti , & les
deux premiers Actes des Indes danfantes ,
qui furent bien reçus..
Ee , le Futeur , & les deux derniers
Actes des Indes danfantes , ce dernier
1pectacle eut un applaudiffement général.
M. Deheffe , dont le talent eft fi univerfellement
goûté , a été choisi pour
compofer les Intermedes qu'on a joints au
Malade imaginaire , à Pourceaugnac &au
Roi de Cocagne.
Les divertiffemens de ces trois Piéces
ont plû-généralement par l'ordonnance &
Pexécution . Les habits & les décorations
étoient de très bon goût.
{
1 DECEMBRE. 1751. 263
Les Comédiens François ont donné jeudi
, 25 Novembre , la premiere repréfentation
d'Antipater , Tragédie de M. Portelance
, jeune homme de dix- neuf ou
vingt ans . Cette Piéce n'a été jouée qu'une
fois.
Li
' Académie Royale de Mufique donna
le dix- neuf Novembre la premiere
reprefentation d'Acante & Cephife ,
Paftorale héroïque à l'occafion de la naiffance
de Monfeigneur le Duc de Bourgo
gne. Nous allons . donner un Extrait un
peu étendu de ce nouvel ouvrage de M..
Marmontel.
Acante & Cephife ont une tendreffe réci
proque , ils font protegezpar Zirphile Fée ,.
bienfaifante & traverfez par Oroes , ge
nie fouverain des airs , amoureux de Cephife
: voila le fonds du Poëine .
Acante & Cephife ouvrent la Scéne. Le
premier aborde fa . maitreffe avec tranfport
, elle ne lui répond qu'avec douleur
& lui annonce la volonté d'Oroës , qui.
prétend fans délai s'unir avec elle. Pour:
furcroit de peine laFée les abandonne pendant
qu'Acante & Cephife déplorent leur
malheur ; Zirphile arrive , elle les exhorre
fe confoler.
264 MERCURE DE FRANCE.
Tendres Amans confolez- vous ,
On eft heureux par l'efpérance.
Sous les yeux même des jaloux ,
Elle nous fait jour d'avance
Des biens qu'ils éloignent de nous.
Tendres Amans , & c .
Sur les ailes un coeur s'élance ,
Au devant d'un deſtin plus doux,
Tendres Amans , & c.
Elle leur déclare qu'elle eft obligée de
les quitter , le deftin l'a chargée de veiller
au bonheur du monde , il lui a promis une
puiffance fupérieure à celle d'Oroes , &
l'Empire des airs , mais elle doit auparavant
le rendre aux lieux où les décrets du
deftin doivent fe réveler : cependant pour
calmer les allarmesdes deux amans elle donne
à Acante un bracelet magique , qui par
un accord fimpatique doit leur faire éprou
ver à la fois tout ce qu'ils éprouveront féparément
fans fe voir & fans s'entendre,
Les Fées de la fuite de Zirphile danſent autour
d'Acante & de Cephife , & forment
le charme de la fimpatie en remettant le
bracelet à Acante ; Zirphile dit aux amans
en les quittant ,
A Dieu , conſervez bien ce gagë
Du noeud fecret qui vousengage .
}
DECEMBRE.
1751. 265
Oroës paroit fur le champ , il fait arrêter
Acante , & dit à Cephiſe pour adoucir fes
plaintes ,
Je pardonne aux premiers éclats
D'une douleur qui m'irrite
>
On regrette un bien que l'on quitte
Pour un bien que l'on ne connoit pas,
Il lui donne enfuite une fête qui eft interrompue
par les cris de Cephife , fur qui
agit la fimpatie,
Acante , où fommes nous, Dieux quelle obfcurité!
Quelle horrible prifon ! quelle péfante chaîne !
Le Genie.
Vous êtes en un lieu
par
l'amour enchanté
Où vous régnez en fouveraine .
Cephife.
Acante où fommes-nous ? ah quelle cruauté !
Barbare , par quel crime avons nous mérité
Cette effroyable peine ,
Acante , cher Acante , hélas !
Le Génie.
Quel prodige inoui , que je ne comprens pase
166 MERCURE
DEFRANCE
A Cephife.
Livrez-vous aux plaifirs que l'amour vous p
fente.
Cephife.
Acante , cher Acante,
Hélas !
Le Génie à part.
Je fuis trahi, perfide Fée ,
Je reconnois ton noir enchantement ,
Cephife
tombant
évanouie
.
Je fuccombe à ce long tourment.
Le génie effrayé
rappelle
Acante; Ce phife revient
de fon évanouiffement
, &
les deux amans font éclater une joye égale
à leur tendreffe.
Cephife.
Quel Dieu nous réunit ?
Le Génie.
C'est moi.
Moi , que vous accablez
d'une rigueur extrême
Cephife.
Mettez le comble à ce foin généreux
Acante & Cephife.
DECEMBRE.
1751. 167
Jufqu'au tombeau permettez que je l'aime ;
En faint des heureux
Ne l'eft- on pas foi, même ?
Cette maxime eft nouvelle pour Oroës,
qui ne peut fouffrir un bonheur qui l'accable
; il leur donne cependant un jour
pour le voir & pour fe regretter , après
lequel il déclare qu'il fera inexorable-
Acante & Cephile prenent le parti de fe
rendre au Temple de l'amour pour y con.
fulter l'oracle.
Ensemble.
Qu'un ennemi jaloux
Faffe éclater fa haine ,
Qu'il lance tous les traits d'un injufte courroux;
Si nous fommes unis d'une éternelle chaine ,
Sa fureur fera vaine.
Sa fureur fera vaine ,
Si l'amour eft pour nous.
Ce duo termine le premier Acte . Le fecond
commence par un Monologue da
Génie.
Amour je ne viens point au pied de ton Autel
Exhaler en foupirs un courroux légitime ,
Comme toi je fuis immottel
Et je fais braver qui m'opprime,
Malgré fa puiffance il ne peut rompre le
168 MERCURE
DE FRANCE.
noeud
que Zirphile
a formé, ce qui le dé
termine
à employer
la feinte pour fauver l'objet
de fon amour & perdre l'objet de h haine ; il entend
une fimphonie
qui an nonce l'arrivée
des Prêtrelles
de l'Amour ,
il les évite pour aller préparer fa ven
geance.
Une foule d'amans heureux & malheu
reux vient à la fête , la grande Prêtrelle
interrompt
. ceux qui fe plaignent par ces
vers.
Au culte du Dieu du bonheur
Pouquoi mêler une plainte indifcrete ?
Le trouble qu'il répand dans une ame inquiête
Eft lui- même une faveur,
Chantez l'amour , chantez fes charmes ,
Si fon Empire a des allarmes
C'estpour animer les defirs .
Chantez l'amour chantez fes.charmes ,
Si fon Empire à des allarmes
Le calme qui les fuit rend plus doux les plaifirs,
Acante & Cephife arrivent.-
Acante à la grande Prêtreffe.
Vous voyez deux tendres amans
Que pourfuit d'un jaloux la fureur implacable ;
Du Dieu qui reçut nos fermens
Nous venons confulter l'oracle irrévocable ,
Sur le terme de nostourmens.
La
1
DECEMBR E. 1751. 169
La grande Prêtreffe.
Je vais l'interroger . A des noeuds fi charmans
Puiffe t'il être favorable!
Les nuages qui couvroient le Temple
de l'amour fe diffipent, & les Prêtreffes en
fortent.
La grande Prétreffe à Acante & Cephife.
Lejour où tous les coeurs rendront grace à l'amour
,
Vous ferez unis fans retour.
Les deux amans au lieu d'être raffurés
par l'oracle , n'en deviennent que plus impatiens
, ils font furtout effrayez de voir
différentes troupes d'amans exprimer par
leurs danfes leurs mécontentemens en fe
fuyant les uns les autres.
Cephife à ces amans.
Amans qui vous fuyez , ceffez de vous contrain
dre ,
On perd d'heureux momens à feindre
Une haine qu'on ne fent pas ;
On s'évite & l'on ſoupire ,
On s'éloigne & l'on défire
De retourner fur les pas.
Amans qui vous fuyez , &c.
II. Vol. H
170 MERCURE
DE FRANCE
.
Acante
aux mêmes.
Avant de le réunir
Chacun veut être pour fa gloire
Le dernier à revenir.
Mais quand fur le dépit l'amour
a la victoire ,
Aucun des deux ne veut croire
Qu'on ait pu le prévenir.
Delie , jeune Bergere
, chantante
& dan fante , paroit fur la Scéne évitant
fon Berger
qui lafuit.
Acante
à Délie.
Pourquoi
fuir ainfi les pas D'un
Amant
empreflé
qui pour vous femble
vivre.
Délie avec dépit.
Je lui défens de mefuivre.
Cephife.
Lui pardonneriez
-vous de ne vous fuivre pas ?
Délie.
Dois-je regretter
un volage
Qui ne celle de m'allarmer
,
L'infidéle
voudroit
charmer
Chaque beauté qui brille à fon paffage.
Dois-je regretter , & c.
DECEMBRE.
1751. 171
C Acante.
Eft-ce un crime que d'enflammer
Des coeurs dont il vous fait hommage ,
C'est pour vous engager à l'aimer encore mieux
Qu'il fe fait aimer de mille autres ,
Il ne veut plaire à tous les yeux
Que pour être plus cher aux vôtres.
Le Berger danfant s'avance vers Délic
Laiffez , laiffez vous entrainer ,
Punir un tendre Amart , c'eft fe punir foi-même,
Ah ! qu'il eſt doux de pardonner
Quand on pardonne à ce qu'on aime !
Délie courant vers fon Berger.
Ah ! qu'il eft doux de pardonner
Quand on pardonne à ce qu'on aime §
1
Tous les Choeurs d'Amans.
Ah ! qu'il eft doux , & c .
On entend un prélude qui annonce
l'arrivée du Génie , tout le monde fe retire
, mais le Génie retient Acante & Cephife
en leur difant ,
Ne puis-je infpirer que l'effroi a
Tout fuit , tout tremble à mon approche ;
Hij
172 MERCURE
DE FRANCE.
ches
Tho
Non , n'attendez plus de moi
Ni menace ni reproche.
Il paroît néceffaire d'obferver que ces
prétendus Amans malheureux ne font ve
nus que par ordre du Génie pour tromper
Acante & Cephife ; cet artifice n'a été
employé que pour écarter Cephife , que
le Génie avoit réfolu d'envoyer dans le
Temple , en lui faifant entendre qu'il va
l'unir avec ce qu'elle aime. Les fuivans du Génie forment un fecond
divertiffement
fous la forme de Chal
feurs & de Chaffereffes
, à la fin duquel
les femmes
du Ballet emmenent
Cephife
dans le Temple
: pendant
fon abfence le Génie interroge
Acante , & tâche de l'en- gager par un motif de reconnoiffance
à
lui découvrir
le charme fecret dont il ſe
doute ; Acante eft fur le point de tour
dire , lorfque
Cephife
qui craint égale- ment la pénétration
du Génie & la candeur
d'Acante
, s'écrie avec précipitation
:
'Acante , au nom des Dieux gardez-vous de parler:
par
deux
Le Génie irrité fait enlever
troupes
d'Aquilons
Acante & Céphife
dans des nuages ,
fecond Actes
& c'est ce qui finit le
Le commencement
du troifiéme
infpire
end
par
1
DECEMBRE. 1751. 173
l'horreur & l'effroi . Les deux Amans attachés
fur des rochers , & entourez d'une
troupe d'efprits malfaifans déplorent
leur trifte fituation , que le Génie rend
encore plus affreufe en paroiffant armé
par la vangeance , & monté fur un dragon
à demi hauteur du Théâtre , entre Acante.
& Cephife.
Le Génie & le Choeur.
Tremblez , tremblez malheureux ,
Des tourmens qu'on vous prépare ,
Une mort barbare
Eft le moins affreux .
Le Génie menace , éclate , tonne , &
veut fans miféricorde que le charme qui
l'irrite foit rompu , Acante & Cephife
aiment mieux périr que d'être défunis.
Le Génie.
Je vais donc me livrer tout entier à ma haine.
Acante & Cephife font retentir la Scéne
de leurs gémiffemens , le Génie n'en eft
point attendri , & dit à Acante en lui
montrant Cephife :
Voici l'inſtant de fon fupplice ,
Parle , ou je l'immole à tes yeux .
Hij
174 MERCURE DE FRANCE.
Acante & Cephife .
Secourez- nous , grands Dieux
Le Génie à Acante,
Réponds.
Acante Cephife.
Secourez - nous , gtands Dieux !
Le Genie.
Qu'il expiré , qu'elle pétille .
Les efprits cruels montent en danfant
fur les rochers , & levent le poignard fur
Acante & fur Cephife.
Acante.
O fureurô mortel effroi !
Barbare , arrête , écoute moi a
Le Théâtre tout à coup change , le Génie
& fa fuite s'abiment , & Zirphile paroît
entourée de toute la Cour & de celle
d'Oroes que le deftin vient de lui foumettre
; elle annonce la naiffance d'un
Héros par ces vers.
Triomphe victoire ,
Un Héros voit le jour,
Rendons graces à l'amour,
Triomphe victoire !
DECEMBRE . 1751 . 1751 175
Acante Cephife.
Regne amour , jouis de ta gloire ,
Des maux que tu nous fais ,
Un feul de tes bienfaits
Efface la mémoire .
Zirphile.
Du plus beau neud que l'amour ait formé
J'ai vu naître le plus beau gage ,
J'ai vu ce Dieu charmé
Sourire à fon image ,
J'ai reçu dans mes bras fon plus parfait ouvrage
De mes dons je l'ai couronné.
Tous.
Triomphe , victoire , &c .
Les differentes troupes de Fées , de Génies
& d'efprits aëriens , rendent en danfant
hommage à leur nouvelleSouveraine ,
Zirphile avec entoufiafme en interrompant
la danfe.
1 Où fuis-je , & qu'eft- ce que je vois ?
Mes yeux de l'avenir percent le fombre voile ,
O digne Sang des plus grands Rois ,
Quels deftins éclatans m'annoncent ton étoile.
Quel tiffu de bienfaits , de vertus & d'exploits , )
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE
Sur les ailes de la victoire
Je te vois voler à la gloire.
Le Choeur.
Que nous annoncez -vous , ô Dieux !
Faut-il encor trembler pour ce fang précieux.
Zirphile.
Raffurez -vous , le Ciel favorable à la terre
Prend foin des dons qu'il vous a
faits
Ce Héros échappé des fureurs de la guerre
Viendra dépoſer ſon tonnerre
Aux pieds des Autels de la Paix.
Une troupe
de Bergers
entrent
en danfant.
Acante au milieu du divertiffement.
'Aigle naiffant , leve les yeux ,
Elance toi vers la lumiere ,
Vole , plane au plus hautdes Cieux
La gloire , aftre de tes ayeux :
Trace de fes rayons tabrillante cartiere.
'Aigle naiffant , léve les yeux ,
Elance-toi vers la lumiere ,
Vole , plane au plus haut des Cieux.
les
Ce fpectacle
brillant eft terminé par un
grand Cheur , alternativement
avec
recitans
.
DECEMBRE. 1751. 177
wo
Vive la race de nos Rois ,
C'eft la fource de notre gloire.
Puiffent leurs Régnes & leurs loix.
Durer autant que leur mémoire.
Que leur nom foit à jamais
Le fignal de la victoire ,
Que leur nom foit à jamais
Le préfage de la paix.
Ce feroit faire fuffifamment l'éloge de la
Mufique de cet Opéra , que de dire qu'elle
eft de M. Rameau ; mais le Public veut des
détails , & il eſt aifé de lui en préfenter.
L'ouverture eft une des plus belles que
M. Rameau ait faites , & perfonne n'i.
gnore combien il excelle dans cette partie.
Elle eft deftinée à peindre les défirs &
la joye de la France par l'heureux événement
de la naiffance de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne. Un adagio de la
plus grande beauté & de la plus belle
harmonie , annonce les voeux de la Nation
; il eft fuivi d'une reprife très vive
qui peint de la maniere la plus énergique
& la plus neuve les réjouiffances publiques
. La fin eft une fanfare où les cris de
vive le Roi font admirablement bien imides
inftrumens qui montent & font
tés
par
affaut les uns fur les autres.
Dans le premier Acte on a goûté la pre
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
miere gavote , une louve très majestueule,
une agréable chaconne que M. Dupré
danfe avec la nobleffe & fes graces ordinaires
, & deux tambourins fort vifs danfés
avec beaucoup de légereté & de gayeté
, par Mile. Reix . Le choeur qui accompagne
les deux coriphées eft très harmonieux
, & le morceau de fimphonie qui
précede le récit : ab que mes fensfontfoula
gez , eft d'une beauté qui fait regretter
qu'il foit fi court.
Le premier monologue da fecond Acte
eft d'un beau chant , & bien rendu par M.
de Chaffé. Le petit choeur Chantés l'Amour,
eft fort agréable ; on fouhaiteroit que le
trio qui l'accompagne fût mieux exécuté .
On a extrêmement goûté la mufette & les
deux menuets , & dans la fête des Chalfeurs
qui vient enfuite , les airs joués pat
les clarinettes , & danfés fupérieurement
par M. Lany & Mile Lyonnois.
Le troifiéme Acte plait d'un bout à
l'autre. Rien n'eft plus beau & ne fait plus
d'effet que le contrafte des plaintes des
deux Amans , & des flûtes qui les accom
pagnent , avec les choeurs des mauvais génies
qui les tourmentent on a furtout
admiré l'air & l'exécution d'un de
pas
deux danfés , par Mrs Lyonnois & Veftris.
Le coup de Théâtre qui rend aux Amans
DECEMBRE. 1751. 179
1

la liberté , a été univerfellement applaudi
pour la fituation , la Mufique & le fpectacle.
Ce coup de Théâtre améne un
choeur de la plus grande beauté , triomphe.
victoire ; & la fête très agréable qui fait ce
choeur eft terminée par une contre
danfe charmante..
>'
Le fpectacle que l'Opera donne les Jeu
dis eft délicieux. Il eft compofé de l'Acte
de la vue du Ballet des fens , par Mrs Ro
& Mouret , d'Eglé par Mrs Laujeon &
Lagarde, & de Pigmalion par Mrs Lamotte
& Rameau. On croira fans peine que ces
trois ouvrages réunis attirent tout Paris
quand on fçaura furtout queMlle Fel chante
dans le premier acte ; M. de Chaffè &
& Mlle Fel dans le fecond , & M. Jeliote
dans le troifiéme..
NOUVELLES ETRANGERES
DE CONSTANTINOPLE , le & Ottobre...
Uoique le mal contagieux , qui pendant
trois mois a fait tant de ravages dans cette
Capitale , for prefque entierenient ceffé , cependant
comme il meurt encore de tems en tems
quelques perfonnes avec des fymptômes fufpects ,.
les Habitans n'ont pas ofé jufqu'à préfent recom
H vj
(180 MERCURE DE FRANCE
1
2
mencer à communiquer les uns avec les autres,
On compte que leur nombre eft diminué d'un
tiers , & dans certains jours il en a péri près de
quatre mille.
Le Chevalier Diedo qui vient à la Porte en
qualité d'Ambafladeur de la République de Vé
nife , eft débarqué à Tenedos , où le Grand Seigneur
a envoyé deux Vaiffeaux de guerre pour
le conduire ici , lorfque la falubrité de l'air y
fera
parfaitement rétablie . Aucun des Miniftres Étran
gers n'y eft encore revenu & la plûpart d'entre
eux font à Tarapia , vers l'embouchure de la Mer
Noire,
DU NORD.
DE PETERSBOURG , le 22 Ollobre.
Ly eut ces jours derniers à Czarska - Zelo une
chaffe , dans laquelle la magnificence de cette
Cour parut avec éclat. Toutes les Dames & tous
les Seigneurs , qui y accompagnerent l'Impératrice
, avoient fait faire pour cette fête , par ordre
de Sa Majefté Impériale , des habits verds à la
Circaffienne , chargés d'une riche broderie . L'u
>niforme des Gentilshommes de la Venerie , &des
Piqueurs , étoit un jufte au- corps d'écarlatte , ga
Jonné en or , ainfi que la vefte qui étoit de drap
verd. Après la chaffe , qui dura depuis onze heu
res du matin , jufqu'à fix heures du foir , l'impé
ratrice foupa avec les Dames fous une tente , &
plufieurs Cors de chaffe & autres inftrumens exé
cuterent diverfes fanfares pendant le repas.
DE STOCKHOLM , le 10 Novembre.
Tout ce que le Sénat & le Miniftére ont fait
DECEMBR E. 1751. 181
depuis la derniere Diette , a été approuvé par celle
qui fe tient actuellement . On a imprimé la harangue
que le Comte de Gyllembourg , Maréchal
de cette Aflemblée , prononça au nom de la
Noblefle , le jour de la premiere féance des Etats.
Dans cette harangue , il donne de juftes éloges
aux foins paternels que le Roi a pris pour procurer
à la Jeuneffe une éducation convenable , &
pour fubvenir aux befoins de la vieilleffe pauvre
& infirme, furtout des Officiers qui ont facrifié leur
fortune & leur fanté au fervice de la Patrie . Le
Comte de Gyllembourg , à la fin de fon Difcours ,
affure le Roi , que les differens Ordres du Royaume
n'ont d'autre émulation que celle de fe fur.
paffer les uns les autres en vertu & en obéiflance ;
qu'ils font extrêmement fenfibles à la bonté avec
laquelle Sa Majefté veut bien les confulter , &
qu'ils fe rendront dignes de fa protection Royale,
par leur attention à concourir avec elle à tout ce
qui peut affurer le bonheur & la gloire de la Nation.
-
DE COPPENHAGUE , le 26 Octobre.
Des Lettres de differens Ports annoncent que
les affaires ont entierement changé de face pour
les Danois à la Cour de l'Empereur de Maroc
& que dans le tems qu'ils s'attendoient à être mis
en poffeffion de Sainte Croix & de Saffia , ce
Prince avoit ordonné de mettre en fequeftre toutes
leurs marchandiſes , & qu'il avoit fait arrêter
M. de Longueville , qui étoit à Miquenez , en
qualité de Miniftre Plénipotentiaire du Roi . On
eft ici fortinquiet de fçavoir , fi ces nouvelles ont
quelque fondement.
182 MERCURE DE FRANCE.
DE DANTZICK , le 6 Novembre.
Les Magiftrats de cette Ville , dans un Mé
moire qu'ils ont adreffé au Grand Chancelier de
la Couronne , affurent que de tout tems ils ont
été en poffeffion des droits qui leur font conteſtés
par la Bourgeoifie , & qu'ils les ont exercés fans
contradiction , jufqu'au moment où il s'eftformé
un parti , qui ayant trouvé de l'appui , s'en eft
prévalu pour acquérir de l'autorité , & pour introduire
des innovations dans l'adminiſtration des
affaires de la Ville. Ils ajoûtent que ce Parti
n'eft compofé que des claffes les plus inférieures
des Habitans , & que ceux qui tiennent quelque
rang , n'ont formé aucune plainte fur la maniere
dont la Ville eft gouvernée. Pour juftifier ces allégations
, les Magiftrats ont envoyé à Dreſde
un Certificat figné d'un grand nombre de Négocians
, qui déclarent que j'adminiftration des premiers
a toujours été telle qu'on pouvoit la defirer
pour l'avantage du Commerce & pour le bien public
, & que les perfonnes impartiales font fort
éloignées d'approuver les deffeins de celles qui
demandent qu'on change la forme du Gouverne
ment. A l'égard de l'article qui regarde la dinți
nution des taxes & des autres impofitions , on croit
que les Commiffaires du Roi & de la Républi
que auront égard aux repréſentations de la Bout
geoific.

DECEMBRE. 1791 .
183
ALLEMAGNE
.
DE VIENNE
, le 13 Novembre
.
Les Etats de la Baffe- Autriche firent le 6 de ce mois l'ouverture
de leur Affemblée , & le même: jour ils envoyerent
une Députation
à Scombrun ,, pour recevoir les propofitions
de l'Impératrice
Reine .
Diverfes Lettres confirment
que les differends , qui fubfiftoient depuis long - tems entre le Roi de Pologne Electeur de Saxe , l'Electeur de Baviere & l'Electeur Palatin , au fujet de l'exercice du
Vicariat de l'Empire pendant la vacance du Trône Impérial , ont été terminés à la fatisfaction
des
Trois Cours. Selon les apparences , la convention
qu'elles ont fignée à cette occafion , ne tardera pas
à être portée à la Diette de l'Empire.
DE DRESDE
, le 2 Novembre
.
Le Feldt Maréchal
Comte de Rutouski
a reçu ordre du Roi , de former le Corps de fix mille hommes , que Sa Majefté s'eft engagée d'entrete- nir le fervice du Roi de la Grande Bretagne , pour
& des Etats Généraux
des Provinces
Unies. Ce Corps , après qu'on aura fait le choix des Régi- mens , dont il doit être compofé , fera diftribué
dans desquartiers
le long de l'Elbe.
L'échange
des Ratifications
du Traité
de Sub
fide , conclu
par le Roi avec Sa Majesté
Britannique
& les Etats Généraux
, s'eft fait il y a quelques
jours , & le Chevalier
Hambury
Williams
,
Envoyé
, Extraordinaire
du Roi de la Grande
Bretagne
, dépêcha
fur le champ
un Courier
, pour à ce Prince
celle de Sa Majefté
. porter
184
MERCURE DE
FRANCE,
DE
BERLIN , le
13 Novembre.
Avant-hier , M. Jules Offrey de la Mettrie,
Médecin du Roi , &
Académicien de
l'Académic
des
Sciences & Belles Lettres , mourut en cette
Ville dans la quarante- quatrième année de fon
âge.
Par des Lettres
Patentes qui ont été expédiées
au Grand Sceau , le Roi vient d'ériger le Port
d'Embden en Port franc pour tous
Vaiffeaux , de
quelque Nation qu'ils puiffent être , avec exemp
tion de tous droits pour les
marchandifes qui ne
feront que paffer dans la
Principauté d'Ooſt-Frife.
Cette
exemption abfolue ne doit avoir lieu
pour un certain tems , Sa Majesté le réſervant
que
Ja liberté d'y mettre dans la fuite quelque reftriction
.
DE
CASSEL , le 4
Novembre.
Le Baron de Willich , Chevalier de l'Ordre de
Saint Jean , Grand Prevôt du Chapitre de Cumin ,
&
Adjudant Général du Roi de Pruffe , a pris ,
quelques jours après fon arrivée en cette Ville , la
qualité d'Envoyé
Extraordinaire de Sa Majefté
Pruffienne , & il a fait la demande de la Princefle
Guillelmine , troifiéme fille du Prince Maximilien
de Heffe , pour le Prince Henri , fecond frere du
Roi de Pruffe. On travaille déja aux préparatifs
pour le départ de cette Princeffe.
DE
RATISBONNE , le 25 Novembre.
Les Miniftres du Corps
Evangelique ont réfolu
d'écrire une Lettre à
l'Empereur , pour lui repréDECEMBRE.
1751. 185
fenter que les griefs de Religion fe multiplient
de plus en plus dans l'Empire ; que les inconvé
niens qui en résultent , s'augmentent auffi à un
tel point , qu'on a lieu d'en appréhender les fuites
les plus fâcheufes ; que l'amour de Sa Majefté
Impériale pour le bien public , exige abfolument
qu'elle arrête le cours d'un mal fi preffant , que
le reméde le plus efficace qu'elle puiffe y apporter
, eft une Commiffion revêtue de l'autorité
néceffaire , pour procurer aux plaignans la juftice .
qui leur eft due , & pour mettre en ufage la voie
d'exécution , contre ceux qui refuferont de fe
foumettre aux décifions des Commiffaires ; que
tous les autres moyens ne feront que pallier le
mal , & entretenir les animofités entre les diffe
rens Partis.
ESPAGNE.
DE BARCELONNE , le 28 Octobre.
L
Es Corfaires de Barbarie , qui pendant quel
que tems ont croifé fur les côtes de la Catalogne
, & qui ont enlevé plufieurs Bâtimens , entr'autres
le Pinque des dépêches d'Italie , ont
abandonné fubitement ces Parages. Cependant
les Couriers , qui avoient coûtume de s'embarquer
ici pour Génes , continuent de prendre la
route de terre.
L'équipage d'un Bâtiment , arrivé ce matin ,
a rappoorté que l'Efcadre , commandée par M.
Stuart , ayant attaqué trois Corfaires d'Alger , en
a coulé un à fond , & s'eft emparé des deux autres.
Don Juan d'Efcoiquiz , Lieutenant Général des
Armées du Roi , s'embarqua ici ces jours der
niers à bord d'un Vaiffeau de guerre , pour aller.
186 MERCURE DE FRANCE.

aller en
prendre poffeffion du Gouvernement d'Oran. On
a publié ici , de même que dans les autres Villes
maritimes du v oyaume , un Edit › par lequel le
Roi permet à fes Sujets d'armer , pour
courſe contre les Pirates de Barbarie . Non-feule
ment Sa Majefté laiffera en entier aux Armateurs
les prifes qu'ils pourront faire , mais elle promet
une récompenfe de quinze piaftres aux équipages
pour chaque efclave qu'ils feront fur les Bâtimens
dont ils s'empareront . Le Roi a réfolu de rétablit
fon Corps de Galéres , & le bruit court que Sa
Majefté a ordonné d'en conftruire un certain
nombre à Carthagene .
ITALIE
DE NAPLES , le 25 Octobre.
TL eft arrivé ici plufieurs Efclavons , qui ont of
letterend du Roi,le dé le
fervir fidélement fans folde en cas de guerre , fiSa
Majefté vouloit leur accorder pour leur habita
tion un terrain relevant immédiatement de la
Couronne ; leur faire fournir des vivres pendant
une année , & les exempter pendant vingt ans de
toute contribution. On ignore fi le Roi confen
tira à leurs demandes.
Par une ancienne convention , faite entre le
Saint Siége & les Souverains des deux Siciles , la
Cour de Rome pouvoit affigner , à des perfonnes
fujettes de l'Etat de l'Eglife , des penfions jufqu'à
la concurrence de vingt mille ducats fur les Biens
Eccléfiaftiques de ce Royaume. Depuis long
tems cette convention n'étoit plus exécutée . On
aflûre que le Roi vient de la renouveller , 2
Condition qu'il aura la liberté de difpofer d'une
DECEMBRE
. 1750
187
pareille fomme fur les Benefices , dont il a la nomination.
fur
Sur l'avis que plufieurs Corfaires ont reparu les côtes de ce Royaume , les Galiotes du Roi
oat reçu
ordre de fe remettre en mer . On doir ces jours-ci lancer à l'eau deux Chabecs nouvellement
conftruits. Trois Navires Hollandois
font
arrivés ici pour y charger des grains . Quelques
perfonnes de l'équipage
d'un Bâtiment de cette Nation , étant attaquées
d'une fiévre , dans la- quelle on foupçonnoit
de la malignité , on a re- fufé de les recevoir dans ce Port , à moins qu'elles
ne fiffent la quarantaine
.
1 Le Gouvernement
fe propofe
de faire venir deux Bataillons
, pour travailler
au nouveau
chemin
, qui conduira
du Château
de l'OEufà Pizzo
Falcone.
fur
On fentit ici , le 23 du mois dernier , une le gere fecouffe
de tremblement
de terre , & le 25 »
le vent étant tourné au Nord-Oueft , il fortit du Mont-Vefuve un tourbillon
de fumée très- épaiffe Lorsque
la nuit fut venue , il partit des flames,, & l'embrafement
augmenta
à tel point , que
les onze heures du foir tout le fommet de la mon tagne fembloit
être en feu. Le 26 , on s'apperçur qu'il s'étoit fait au-deffous de la cime une nouvelle
ouverture
, d'où vers le milieu du jour un
commença
torrent de matiére
enflammée ler. Ce torrent fe partagea
le 27 en deux lits , &
il a pris fon cours du côté de la mer. Si l'on en croit les Naturaliftes
, l'éruption
eft actuellement dans fa plus grande force , & l'on doit en être
bientôt délivré
à cou188
MERCURE DE FRANCE
DE ROME , le 2 Novembre.
Depuis le premier avis qu'on a reçu de la con
verfion du Souverain de l'Iſle de Gilolo , l'une des
I
Molucques , on a été informé que ce Prince avoit
fait brûler , ou jetter dans la mer toutes les idoles U
que fes Sujets adoroient. Il a ordonné de conftruire
plufieurs Egliſes deſtinées au culte du vrai
Dieu , & il a chargé le Vicaire Apoftolique , qui
l'a inftruit des vérités de la Religion Chrétienne,
de demander au Pape un nombre d'Eccléfiafti
ques fuffilant pour les déffervir. La joie caulée
par ces nouvelles , auroit été plus parfaite , fi en
même tems on n'avoitpas appris que tous les Milfionnaires
qui étoient dans la Cochinchine ,
avoient été obligés d'en fortir , & que les Chré
tiens y fouffroient une violente perfécution .
Plufieurs Lettres reçues par la Congrégation
de Propaganda Fide , confirment que l'Empereur
de la Chine , qui depuis fon avenement au Trône
avoit montré des difpofitions favorables pour les
Chrétiens , étoit devenu tout à coup leur perfé
cuteur , & qu'il avoit défendu à les Sujets ,
des peines très-rigoureufes , de donner azile à
aucun Miffionnaire.
DE VENISE , le 9 Novembre.

fous
Toutes les Lettres , qui font venues depuis peu
de Dalmatie , confirment que ja pefte paroît être
totalement ceffée à Conftantinople , & même
que le Grand Seigneur s'eft déterminé à y retour
ner . On a fçu par les mêmes Lettres , qu'il étoit
mort de la contagion vingt perfonnes dans le feul
Palais du Comte Defalleurs , Ambaffadeur de Sa
DECEMBRE. 1750 187
pareille fomme fur les Benefices , dont il a la nomination.
Sur l'avis que plufieurs Corfaires ont reparu fur
les côtes de ce Royaume , les Galiotes du Roi
ont reçu ordre de fe remettre en mer. On doir
ces jours- ci lancer à l'eau deux Chabecs nouvellement
conftruits. Trois Navires Hollandois font
arrivés ici pour y charger des grains. Quelques
perfonnes de l'équipage d'un Bâtiment de cette
Nation , étant attaquées d'une fiévre , dans laquelle
on foupçonnoit de la malignité , on a refufé
de les recevoir dans ce Port , à moins qu'elles
ne fiffent la quarantaine .
Le Gouvernement fe propofe de faire venir
deux Bataillons , pour travailler au nouveau che
min , qui conduira du Château de l'Euf à Pizzo
Falcone.
On fentit ici , le 23 du mois dernier , une legere
fecouffe de tremblement de terre , & le 25
le vent étant tourné au Nord-Queft , il forrit du
Mont-Veluve un tourbillon de fumée très - épaiffe
Lorfque la nuit fut venue , il partit des flammes ,
& l'embrafement augmenta à tel point , que fur
les onze heures du foir tout le fommet de la mon
tagne fembloit être en feu. Le 26 , on s'apperçur
qu'il s'étoit fait au-deffous de la cime une nouvelle
ouverture , d'où vers le milieu du jour un
torrent de matière enflammée commença
ler. Ce torrent fe partagea le 27 en deux lits , &
il a pris fon cours du côté de la mer . Si l'on en
croit les Naturaliftes , l'éruption , eft actuellement
dans fa plus grande force , & l'on doit en être
bientôt délivré
à cou190
MERCURE DE FRANCE
croire , que Sa Majefté Impériale paroit fonger
très -férieufement à faire fleurir le commerce de
Tolcanę.
DE TURIN , le 14 Novembre,
Par une convention que le Roi a conclue avec
Impératrice Reine de Hongrie & de Boheme ;
le Roi d'Espagne , le Roi des Deux Siciles , l'In
fant Duc de Parme & le Duc de Modéne ; il a été
ftipulé que l'impératrice Reine , dans le cas où
les Etats du Roi feroient attaqués , lui fournitoit
un fecours de fix mille hommes , qu'elle
donneroit le même fecours à l'Espagne , pourla
défenfe du Roi des Deux Siciles , de l'Infant Duc
de Parme , ou du Duc de Modéne , fi les Etats
de ces Princes fe trouvoient dans un pareil cas ;
que réciproquement , fi l'on attaquoit les Etats
poffédés en Italie par Impératrice Reine , le
Roi feroit marcher un Corps de fix mille hommes
pour fecourir cette Princeffe , & que le Roi d'Ef
pagne feroit tenu au même engagement visà-
vis d'elle ; & que Sa Majefté Catholique en ufe
roit de même à l'égard du Roi , fi c'étoient les
Etats de Sa Majefté qui fuflent attaqués ; que dans
l'un & l'autre cas le Roi des Deux Siciles
fourniroit cinq mille hommes de troupes auxi
liaires , & que l'Infant Duc de Parme & le Duc
de Modéné en fourniroient chacun trois mille ;
que Sa Majefté de son côté , pour aider l'Espagne
à défendre les Etats de ces Princes , en cas d'atta
que , feroit affajettie aux mêmes obligations que
l'Impératrice Reine enfin que cette Princeffe
garantiroit les poffeffions du Roi des Deux Siciles ,
de l'Infant Duc de Parme , & du Duc de Modéne ;
& que le Roi d'Efpagne & le Roi garantiroient
cett
ele
G
I
te
L
NOT
DECEMBRE. 1751. 191
à cette Princeffe fes Etass d'Italie , fur le pied ou
elle les pofféde actuellement.
I
GRANDE- BRETAGNE,
DE LONDRES , le 11 Novembre.
´L vient de s'établir ici , en vertu de Lettres Patentes
du Roi , une nouvelle Académie , qui a
pris le titre de Société des Antiquaires de la Ville
de Londres M. Zacharie Williams a préſenté aux
Commiffaires de l'Amirauté un Mémoire , dans
lequel il prétend démontrer qu'il eft poffible de
connoître la Longitude fur mer , par les variations
de l'Aiguille aimantée. Deux Irlandois affurent
avoir trouvé , pour déffaller l'eau de la mer , & la
rendre potable , une méthode exempte des inconvéniens
qui rendent impraticables celles qu'on a
déja propofées pour le mème objet.
La Compagnie des Indes Orientales fait lever
actuellement ici des troupes , pour les envoyer
dans les établiffemens . Elle en attend auffi quelques
-unes qu'elles a négociées en Suiffe. Les unes
& les autres formeront ensemble un Corps de
mille hommes. Tous les Flibots qu'on a employés
à la Pêche du Harang fur la côte d'Yarmouth
, font rentrés dans la Tamife. Suivant les
avis reçus de la nouvelle Ecoffe , les deux Vaiſfeaux
de guerre , que le Gouvernement y a envoyés
pour protéger cette Colonie , font arrivés à
leur ftation .
Il doit y avoir , à ce qu'on prétend , une nouvelle
Lotterie , pour acquitter deux millions fter-
-lings des dettes de la Marine , & les conditions
en feront beaucoup plus avantageufes que celles
de la Lotterie actuelle.
192MERCURE DE FRANCE.
30
33
"
Une Société qui a pour objet les progrès des
Arts & des Métiers , & dont le Lord Carpenter
eft Prefident , promet un prix dedix guinées à la
perfonne , qui au jugement des Experts donnera
le plus beau deffein pour un Brocard , & un pa
reil prix à celle qui préfentera la meilleure pièce de
dentelle travaillée au fufeau. Cette Société diftribuera
auffi deux feconds prix , chacun de cinq
guinées.
Aujourd'hui le Roi s'eft rendu à la Chambre
des Pairs avec les cérémonies accoûtumées , & Sa
Majefté , ayant mandé la Chambre des Commu
nes , a fait l'ouverture de la Seffion du Parlement
par le difcours fuivant : Mylords .& Meffieurs :
C'est avec une grande fatisfaction que je vous
» raffemble , dans un tems où la continuation de
la tranquillité publique , & l'état floriflant de
mes Royaumes , ne nous laiffent rien à defirer ,
que d'affurer la durée de notre fituation préfente.
Toutes mes vûes , & les mesures que j'ai
prifes , tant au- dedans qu'au dehors , ont été
dirigées vers cette fin ; & dans les fuccès qu'elales
ont eu , rien ne me flatte plus que les avan-
» tages réels qu'en ont tiré mes fidéles Sujets pour
leurs Manufactures & pour leur Commerce ,
dont quelques branches ont reçuun accroiffe-
→ment confidérable par les fages Réglemens qu'a
» fait mon Parlement . Le Traité que j'ai conclu
» avec l'Electeur de Baviere, fut remis devant vous
a dans votre derniere Seffion , & pour lors je vous
> informai que j'avois d'autres projets , tendans
à affermir le repos de l'Empire , à en foutenir le
fyftême , & en même tems à prévenir tous les
évenemens , qui par l'expérience ont été reconnus
préjudiciables à la caufe commune. ( onféquemment
à cet objet , j'ai jugé à propos de
» conclure
פ כ

93
ود
2
DECEMBRE. 1751 .
193
פ כ
53
conclure , conjointement avec les Etats Généraux
des Provinces- Unies , un Traité avec le
Roi de Pologne Electeur de Saxe , & je vous en
» ferai communiquer les articles . Le malheureux
» événement de la mort du Prince de Naſſau , n'a
rien changé dans l'état des affaires en Hollande.
" Par les précautions également promptes & pru-
» dentes , dont on a ufé , la tranquillité a été
maintenue , & le Gouvernement continue de
fubfifter fur le même pied , étant appuyé fur les
»fondemens folides que la prévoyance éclairée
de la République lui a donnés . J'ai reçu des
Etats Généraux les plus fortes affurances de la
ferme réfolution , dans laquelle ils font d'entrenir
l'étroite union & l'amitié fincére , qui reguent
fi
heureuſement entre moi , & ces anciens
& naturels Alliés de ma Couronne . Mef-
» fieurs de la Chambre des Communes , j'ai ordonné
qu'on dreffat les états des dépenfes del'année
prochaine , pour vous les remettre , &
je ne vous demande que les fecours indifpen-
» fables pour le fervice , & néceffaires pour me
mettre enétat de remplir les engagemens , dont
» vous connoiffez toute l'importance. Vous aurez,
» je crois , un extrême plaifir en
remarquant
les fuites avantageufes , qui ont réfulté de votre
» fermeté à réduire les intérêts des detres Nation-
» nales . Milords & Meffieurs ,
L'expérience que
j'ai faite de votre conftant attachement à vos
devoirs , me fait regarder comme inutile de
vous exhorter à conferver l'unanimité , & à
» employer l'activité dans vos délibérations ,
Mais je ne puis finir ce difcours , fans vous recommander
de la maniere la plus preffante , de
» chercher des moyens effiaces pour faire ceffer
les vols & les excès , qui font devenus fi fré-
II. Vol.
I
"
L
194 MERCURE DE FRANCE.
quens , fur tout dans les environs de cette Capi- pr
tale . Ces défordres ne font portés à un fi haut point g
que par l'efprit d'irréligion , par la haine du tra- G
vail , par la paffion effrenée pour le jeu , & par
les autres déréglemens , qui ont fait depuis peu
des progrès fi étonnans , à la honte de la Nation
& aupréjudice de ceux de mes Sujets qui font tempérans
& laborieux.
Cette femaine , quatre Vaiffeaux de guerre
font fortis des Ports de Plymouth & de Port
mouth , mais le public n'eft pas encore inftruit de
leur deftination. On prépare actuellement une
grande quantité de provifions pour la Flotte desa
Majefté. Le Gouvernement le propofe de tirer des
Régimens qui font fur l'établiffement de la Grande-
Bretagne , tous les vieux Soldats , & d'en for
mer des Compagnies détachées , qu'on répartira
dans les Garnifons le long des côtes.
On a commencé le tirage de la Lotterie , & il
eft échu aujourd'hui un Lot de dix mille livres
fterlings au numero 40718 , un de trois mille au
numero 22620 , & un de mille au numero 6289,
PAYS - BAS.
DE LA HAY E. le 19 Novembre.
Les Etats Généraux envoyerent le 8 de ce mois
à la Princefle Gouvernante une Députation , com.
pofée du Baron Pieck , Seigneur de Zoële & de
Brakel , du Comte de Bentinck , Seigneur de
Rhoon & de Pepdrecht , du Sieur Steyn , Grand
Penfionnaire , des Sieurs Buteux Kuffelaar , de
Leyden , de Geffeler , & du Sieur Fagel , leur
Greffier , pour inviter cette Princelle à prendre
féance au Confeil d'Etat , lorfqu'elle le jugera à
ปี
S
DECEMBRE. 1751. 195
propos . Le 9 , le Comte d'Holderneff , accompa-
-gné du Sr. d'Ayrolles , Miniftre du Roi de la
Grande Bretagne , fit à leurs Hautes Puiffances ,
de la part de Sa Majefte Britannique , des complimens
de condoleance fur la mort du feu Prince
Stadhouder , & les aliuta en même tems de la difpofition
, dans laquelle Sa Majefté Britannique eft
de leur donner conftamment dans toutes les circonftances
les preuves les plus convaincantes de
fon amitié. Leurs Hautes Puiffances réfolurent le
même jour de faire remercier le Comte d'Holderneff
de ces marques obligeantes d'attention du
Roi de la Grande - Bretagne , & le Comte de Bentinck
, Préfident de l'Aflemblée des Etats Généraux
, fe rendit l'après midi chez ce Miniftre
pour lui témoigner combien ils font fenfibles à
Pinterêt que Sa Majesté Britannique prend à ce
qui les concerne . Le Comte d'Holdernefl ayant
rempli les differens objets pour lefquels le Roi fon
Maître l'avoit envoyé ici , ce Miniftre prit le lenainfi
5. demain congé de la Princeffe Gouvernante ,
que des Etats Généraux , & le 11 il partit pour
retourner à Londres .
1
Les Etats Généraux s'étant déterminés à créer
le jeune Prince de Naffau- Dietz Stadhouder , Héréditaire
& Capitaine Général du Brabant Hollandois
, ainfi que du Haut - Quartier de Gueldres , &
des Pays d'Outre- Meufe , de Wedde & de Weftwoldingerland
, le Sieur Buteux , Préfident de
PAffemblée , & le Greffier Fagel , furent députés
: le 20 de ce mois à la Princefle Gouvernante par
leurs Hautes Puiffances , pour lui donnerpart de
cette réſolution . Ils annoncerent en même tems à
cette Princeffe que les Etats Généraux conféroient
au Prince fon fils le droit d'accorder des Lettres
de Grace & de Pardon , non feulement dans toute
I ij
196 MERCURE DEFRANCE.
l'étendue des Jurifdictions des Pays ci-deffus nom
més , mais encore dans la Ville de Maëftricht &
fon District , & dans le Comté de Wroenhoeve.
Leurs Hautes Puiffances ont auffi tranfmis au même
Prince la faculté de nommer les nouveaux
Magiftrats de la Ville de Bois -le- Duc , & la Prineelle
Gouvernante , jufqu'à la Majorité du jeune
Stadhouder , jouira de ces différentes prérogasives.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
Lbleau avec Monfeigneur le Dauphin &Mada-
E 17 Novembre , le Roi partit de Fontaineme
la Dauphine , pour fe rendre à Choify. La
Reine en partit le 18 pour aller joindre le Roi.
Le Roi a accordé le Régiment de Navarre au
Comte de Choifeuil -Baupré , Colonel du Régiment
de Boulonnois , & Sa Majesté a difpofé de
ce dernier Régiment en faveur du Comte de la
Tour d'Auvergne.
Le 10 , les actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix- huit cens quatre-vingt fept livres dix
fols ; les billets de la premiere Lotterie Royale ,
à fept cent quinze , & ceux de la feconde , à fix
cent foixante dix .
Le 20 , vers les fept heures du foir , leurs Majeftés
accompagnées deMefdames de France , artiverent
à Verfailles de Choify , où elle s'étoient
rendues en revenant de Fontainebleau . Monfei,
DECEMBRE. 1751. 197
gneur le Dauphin & Madame la Dauphine étoient
arrivés l'après-midi fur les trois heures..
Le 22 , le Roi alla fe promener à Trianon.
Sa Majefté revint enfuite à Verfailles tenir Con
feil, & lefoir elle partit pour le Château de Bel
levue , d'où elle étoit attendue le 25 au foir.
Sa Majesté a donné au Comte de Jumilhac ,
fils du Marquis de Jumilhac , Capitaine , Lieutenant
de la premiere Compagnie des Moufquetaires
, la place de Colonel , vacante dans le Corps
des Grenadiers de France , par la nomination du
Comte de la Tour d'Auvergne à celle du Colonel
du Régiment de Boulonnois.
Monfeigueur le Dauphin & Madame la Dauphine
, s'étant rendus à Paris de Choify le 20 ,
allerent à l'Eglife Métropolitaine rendre leurs fo
lemnelles actions de graces. CePrince & cettePrinpar
l'Ar ceffe furent reçus à la porte de l'Eglife
chevêque de Paris , qui revêtu de les habits pontificaux
, & à la tête du Chapitre , les complimen
ta , & leur préfénta l'eau bénite. Après avoir été
conduits dans le Choeur , ils y entendirent la
grande Meffe , à laquelle l'Archevêque officia.
Monfeigneur le Dauphin & Madame la Dauphine
firent enfuite leur priere à la Chapelle de la
Sainte Vierge , & étant remontés en caroffe , ils
prirent la route de Versailles.
Par- tout , fur leur paffage , le peuple accourur
en foule pour jouir de la préfence d'un Prince &
d'une Princeffe qui font fi chers à la France.
Le Baron de Vanswierent , premier Médecin
& Bibliothécaire de leurs Majeftés Impériales ,
ayant défiré d'être affocié à l'Académie de Chirurgie
, il fut élu par acclamation dans la Séance
que cette Compagnie tint le 18.
I iij
1
198 MERCURE DEFRANCE.
Le Roi a accordé des Lettres de nobleffe à M.
Bargieu , Chirurgien Major de la Compagnie
des Gendarmès de la garde de Sa Majeſté.
Suivant les dernieres lettres de Cadix , le Roi
d'Efpagne , bien loin de reduire le Commerce des
Indes , ainsi que le bruit en avoit couru , a ordonné
qu'on augmentât de huit nouveaux Vailfeaux
, les régiftres qui ont permiffion de charger
pour la Vera-Cruz. Quelques- uns chargeront auf
fpour Carthagene.
On a reçu avis que le Port de Honfleur , qui
depuis quelque tems avoit été fort endommagé par
les vafes que la Mer y avoit jettés , étoit entiere
ment dégagé , & qu'on avoit rendu l'entrée & la
fortie de ce Port , auffi ſure & auffi facile qu'elles
étoient auparavant dangereufes & pénibles.
Le 25 , le Roi revint à Verfailles du Château de
Bellevue.
Leurs Majftés affifterent le 28 au Sermon de
P'Abbé Froquieres , Chanoine & Théologal de
P'Eglife Cathédrale deNoyon , & après la prédi
cation elles entendirent les Vêpres & le Salut.
Le Chevalier, Mocenigo , Ambaffadeur ordinaire
de la République de Venife , lequel eft atri
vé depuis quelques jours à Paris , fut à Versailles
le 30 avec le Chevalier Morofini , Ambaffadeur
de la même République , auquel il fuccede ,
& il eut une audience particuliere du Roi , & enuite
de la Reine , de Monfeigneur le Dauphin ,
de Madame la Dauphine , de Monfeigneur le
Duc de Bourgogne , de Madame , de Meldames
Henriette & Adélaïde & de Meldames Victoire
, Sophie & Louife , étant conduit par le Che
valier de Sainctor , Introducteur des Ambaffadeurs.
Le même jour , le Chevalier Motofini , Ambaſa
DECEMBRE . 1751. 199
fadeur de la même République , eut une audience
particuliere du Roi , dans laquelle il prit congé de
Sa Majefté. Il fut conduit à cette audiance par le
même Introducteur , qui le conduifit enfuite à
l'audience de la Reine , & à celles de Monfeigneur
le Dauphin , de Madame la Dauphine , de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne , de Madame , &›
Mefdames de France.
Le 24 du mois de Novembre , le Pere Geoffroy ,
P'un des Profeffeurs de Rhétorique du Collège de
Louis le Grand , prononça un Difcours Latin fur
Ja naiffance de Monfeigneur le Duc de Bourgogne.
Il répréfenta ce Prince comme le feul bien qui
manquoit au bonheur de la Nation , & comme un
bien qui feul fuffit au bonheur de la France . Le
Nonce , plufieurs Prélats & un grand nombre d'autres
perfonnes de diftinction , affifterent à ce difcours.
Le 30 , le Roi , après avoir tenu Confeil , partit
pour le Château de la Meute , d'où Sa Majeſté
revint le 2 Décembre.
Le Roi a nommé Commandeur de l'Ordre Royal
& Militaire de Saint Louis , M. de Razaud , Lieutenant
Général de fes Armées , & Directeur des
fortifications des Places du Duché de Bourgogne.
Tous les Amateurs des Lettres & des Arts
apprendront avec plaifir , qu'on prépare une
magnifique Edition des Fables de l'admirable Lafontaine
, & qu'elle fera ornée de deux cens foixante-
quinze planches, gravées fur les deffeins de
M. Oudry.
On a reçu avis de Luneville , que le Marquis
du Châtelet avoit fuccédé au feu Maréchal de
de Laval - Montmorency dans la charge de Grand
Chambellan du Roi de Pologne Duc de Lorraine
& de Bar , & que celle de grand Maréchal de
A
1 iiij
200
MERCURE DE FRANCE.
Logis , qu'avoit le Marquis du Châtelet , avoit
été donnée au Comte de Treſſan , Lieutenant
Général des Armées du Roi , & Commandant à
Toul.
Le 2 Décembre , les Actions de la Compagnie des
Indes éroient à dix- huit cens quatre-vingt cinq
livres ; les Billets de la premiere Loterie Royale
à fept cens livres , & ceux de la feconde , à fix cens
foixante huit.
L
BENEFICES
DONNE'S.
E Roi a accordé l'Abbaye Régulière de la
Charmoye , Ordre de Citeaux , Diocèle de
Châlons fur Marne , à Don Maurice , Abbé de la
Piété -Dieu ; celle de Saint Paul de Beauvais , Ordre
de Saint Benoît , à la Dame de Dauvet , Religieufe
du même ordre. Le Prieuré de Ceyftero-
Diocèle d'Alby, à M. Dupred , & le Prieuré
de Proville , Diocèle de Saint Papoul , à la Dame
de
Bellegarde .
DECEMBRE
. 1751.
201
NAISSANCE
, MARIAGES
L
& Morts.
E 30 Octobre , Dame Anne . Victoire de
Cambis de Velleron , épouse de Meffire Fran . çois -Fortuné Comte d'Herbouville
, Sous Lieutemant
des Gendarmes d'Anjou , accoucha d'une fille, qui fut nommée au baptême Catherine Louife. Le
Comte d'Herbouville
, qui a été marié le 18 Avril
1746. eft fils d'Adrien , Marquis d'Herbouville
, Seigneur de S. Jean de Cardonnai , Longueval , Lagni , la Cour - le -Comte , & c . Premier Enfeigne
des Gendarmes
de la Garde du Roi , & de Françoife
Chretienne
Dauvet d'Eguilli , & remonte
par une filiation , non interrompue
jufqu'à Colard, Chevalier , Seigneur d'Herbouville
, qui vivoit
au commencement
du XIII fiécle , & qui pufné de l'illuftre Maiſon de Mortemer , n'en conferva
que les armes & le cri , & prit , faivant l'ufage du tems , le nom de fa Seigneurie & la tranfmit à fa postérité , qui a toujours foutenu le luftre de fon
ore , par
celui de fes alliances , entr'autres avec
les Maifons de Renti , Crequi , Biville , Houderor, Brouilly , Croixmare , Monchi , Dauver , Cam
bis , & c .
la
Le 22 Septembre 1751. Geoffroy Chalut de
Verin , Ecuyer , Tréforier Général de la Maifon
de Madame la Dauphine , époufa à Versailles la
Damoiselle Elifabeth de Varanchan . Le Roi ,
Reine , Monfeigneur le Dauphin , Madame la
Dauphine & Mefdames leur ont fait l'honneur
de figner leur Contrat de mariage.
Meffire Corentin-Jofeph le Senechal de Carcas
IV
200 MERCURE DE FRANCE.
Logis , qu'avoit le Marquis du Châtelet , avoit
été donnée au Comte de Treffan , Lieutenant
Général des Armées du Roi , & Commandant à
Toul.
Le 2 Décembre , les Actions de la Compagnie des
Indes éroient à dix- huit cens quatre- vingt cinq
livres ; les Billets de la premiere Loterie Royale
à fept cens livres , & ceux de la feconde, à fix cens
foixante huit.
BENEFICES DONNE'S.
Or-
LE
E Roi a accordé l'Abbaye Régulière de la
Charmoye , Ordre de Citeaux , Diocèle de
Châlons fur Marne , à Don Maurice , Abbé de la
Piété-Dieu ; celle de Saint Paul de Beauvais ,
dre de Saint Benoît , à la Dame de Dauvet , Religieufe
du même ordre. Le Prieuré de Ceyfteroles
Diocèle d'Alby , à M. Dupred , & le Prieuré
de Proville , Diocèle de Saint Papoul , à la Dame
de Bellegarde.
DECEMBRE
.
1751 201
NAISSANCE
, MARIAGES
L
& Morts.
D
E 30 Octobre , Dame Anne- Victoire de
Cambisde Velleron , épouse de Meffire Fran çois- Fortune Comte d'Herbouville
, Sous Lieute- nant des Gendarmes d'Anjou , accoucha d'une fille, qui fut nommée au baptême Catherine Louife . Le Comte d'Herbouville
, qui a été marié le 18 Avril 1746. eft fils d'Adrien , Marquis d'Herbouville
,
Seigneur de S. Jean de Cardonnai , Longueval
Lagni , la Cour- le- Comte , &c. Premier Enfeigne des Gendarmes
de la Garde du Roi , & de Françoife
Chretienne
Dauvet d'Eguilli , & remonte par une filiation , non interrompue
jufqu'à Colard, Chevalier , Seigneur d'Herbouville
, qui vivoit
au commencement
du XIII fiécle , & qui puine de Pilluftre Maifon de Mortemer , n'en conferva
que les armes & le cri , & prit , fuivant l'ufage du tems , le nom de fa Seigneurie & la tranfinit à fa poftérité , qui a toujours foutenu le luftre de fon
ore , par celui de fes alliances , entr'autres avec les Maifons de Renti , Crequi , Biville , Houderor , Brouilly , Croixmare , Monchi , Dauvet , Cam
bis , & c .
.
Le 22 Septembre
1751. Geoffroy
Chalur
de
Verin , Ecuyer
, Tréforier
Général
de la Maiſon
de Madame
la Dauphine
, époufa
à Versailles
la
Damoiselle
Elifabeth
de Varanchan
. Le Roi, la
Reine
, Monfeigneur
le Dauphin
, Madame
la
Dauphine
& Mefdames
leur ont fait l'honneur de figner leur Contrat
de mariage
,
Meffire
Corentin
-Jofeph
le Senechal
de Carcas
I v
202 MERCURE DE FRANCE,
do , Marquis de Molac , Colonel du Regiment
de Perigord , Infanterie , Gouverneur des ville &
chateau de Quiinper , a époulé le 9 Octobre Mademoiſelle
le Senechal de Carcado , fa coufine du
3 au 4, & fille de Meffire Louis Alexandre- Xavier
Je Senechal, Marquis de Carcado, Lieutenant General
des Armées du Roi , chef du nom & des
armes de cette maiſon , l'on
que peut mettre àjufte
titre parmi les plus anciennes de Bretagne. Elle a
pour Auteur Daniel le Senechal , connu dès l'am
1184 par la charte de la fondation qu'Alain de
Rohan , troisième du nom , & Conftance de Bre→
tagne fa femme , firent de l'Abbaye de Bonrepos ,
diocèfe de Quimper , la veille de la Fête de S. Jean-
Baptifte de l'an 1184. Daniel le Senechal fur tri
fayeul d'Eon ou Eudon le Senechal , Seigneur du
Bot S. Caradec, qui époufa Olive,Damede Kercado
ou Carcado, Leur pofterité alliée aux plus grandes
Maifons de la Province , & qui s'eft toujours main
tenue dans un grand luftre, le partagea vers le milieu
du dernier fécle en deux branches par les deux fils
de François le Senechal , deuxième du nom ,
gneur de Carcado . Jean - Baptifte le Senechal, Baron
de Carcado , qui étoit l'aîné , elt le trifayeul de la
Damoifelle de Carcado. René le Senechal , Comite
de Carcado , frere puîné de Jean- Baptiſte , eft
Payeul du Marquis de Molac , dont nous annon
cons le mariage . Voyez l'Armorial general de M.
d'Hozier , Regiftre IL part. 2.
Sei-
Extrait du Regiftre des Baptêmes , mariages , &
inhumations faits en la Paroiffe de St. Nicolas de
Lheure , Diocèfe de Rouen , Doyenné du Havre
de Grace , où eft écrit ce qui fuit :
le
L'an de grace mil fept cent cinquante- un ,
Lundi treiziéme Septembre , le corps de Guillaume
DECEMBRE
. 1751.
203
Touttain
, originaire
de la Paroiffe
de Saint Jouin,
décédé d'aujourd'hui
, âgé d'environ
cent quator
ze ans , & muni de tous les Saints Sacremens
de PEglife ; a été inhumé
dans le Cimetière
de cette
Faroiffe
par nous Prêtre & Curé de cette fufdite Paroiffe
, en prefence
de Jean- Baptifte
Grenier
nôtre
Clerc , témoin
avec nous fouffigné
, de Pierre
Touttain
, & de Guillaume
Touttain
, enfans dudit défunt , fouffignés
de leur marque
, ayant déclaré ne fçavoir écrire , de ce par nous interpellés
fui
vant l'Ordonnance
.... Jean Touttain
, avec pa- raphe ... la marque
dudit Pierre Touttain
fils ...
la marque
dudit Guillaume
Toutrain
fils ... Jean- Baptifte
Grenier
......
J. T. Landrey
, Curé de
Lheure.
Nous fouffigné
Prêtre Curé de la Paroiffe
de S
Nicolas
de Lheure
, certifions
le préfent
extrait conforme
à l'original
, fans y avoir rien diminué
ni augmenté
, en foi de quoi à Lheure
ce vingt- troifiéme
Novembre
mil fept cens cinquante.un
J. T. LANDREY
, Curé de Lheure,
Nous François
Pierré Haize , Conſeiller
du Roi,
Lieutenant
General
Civil & Criminel
au Baillage & Siége Royal de Lurieu du Saux , Grand Enque- teur & Commiffaire
Examinateur
audit Siége, cer- tifions à tous qu'il appartiendra
qne M Jean Tho
mas Landrey
, Prêtre
qui a figné & délivré l'acte de l'autre part eft Curé de la Paroiffe
de S. Nico las de Lheure , fife dans l'extenfion
dudit Baillage
,
à une demi lieue éloignée
de cette ville , à la figna- ture duquel foi doit être ajoûtée tant en jugement que dehors. En témoignage
de quoi nous avons f gné & délivré le prefent. Donné au Saux ce vingt- neuviéme
Novembre
mil fept cent cinquante
- un
HAIZE.
Ivi
204 MERCURE DE FRANCE.
Guillaume Toutain a toujours joui d'une bonne
fanté , &la feule infirmité qu'il ait eue étoit la furdité
; lorfque par la vieilleffe il ne lui fut plus poffible
de faire des ouvrages de force , il ſe mit à filer
du lin , ce qu'il a continué de faire jufqu'à la mort.
La Patoffe de Lheure où il eft enterré eft fituée
fur le bord de la Seine à une demi lieue du Havre,
Le 21 Octobre mourut à Dourdan , Dame Ma
rie-Madeleine Angelique de la Brouffe de Vertillac
, fille de Nicolas de la Brouffe , Seigneur de
Vertillac , de Champdeuil , de la Poujade , Lieute
nant des Cent Suiffes de la Garde du Roi , Colo
nel du Regiment Dauphin , puis Marechal de
Camp , & Gouverneur de Mons ; & de Catherine
Madeleine d'Anniau de S. Gilles morte le 4 Février
173. laquelle avoit été remariée le 24 Juillet
1727 à Jean Louis Comte d'Haute-fort , Premier
Ecuyer du Comte de Touloufe , mort le 9 Mars
3743 , & dont elle avoit été la feconde femme ,
Madaine de Vertillac devenue unique heritiere
de fon pere , par la mort de fon frere Thibaud de
1 Broule , Gouve neur & Sénéchal de Perigord ,
arrivée le 4 Janvier 1725 , époufa le 16 Novembre
1727 , fon coufin Germain Thibaud de la Brouffe ,
Comte de Vertillac Baron de la Tour Blanche ,
Seigneur des Châtellenies de S. Martin du Pin , S.
Froad , des Cherniers & d'Oreffac , & c. Lieute
nant de Roi de Perigord , ci-devant Gouverneur &
Sene chal de ladite Province , Gouverneur des ville
& château de Dourdan fis unique de Pierre de la
Brou ffe Seigneur de Puirigard , & d'Antoinette de
Lage and de Cherval & petit fils de Thibaud de la
Broulle Ecuyer , Seigneur de la Poujale , Vice-
Sene chal de Perigord en 1638 & de Bertrande Du
Che foe. La Dame Comteffe de Vertillac laiffe de
11
"
DECEMBRE. 1751. 205
fon mariage un fils unique , qui eft Capitaine dans
le Regiment de Penthievre."
Le 19 Dame-Claire- Eugenie de Clermont d'Am
boiſe , Abbeffe de l'Abbaye de S. Paul de Beauvais
y mourut dans la 76 année de fon âge.
Le 2 Novembre mourut Meffire Gabriel- Phile
mon Pimiot ,Chevalier , Seigneur de la Girardiere.
Le 6 monrut à Paris âgé de 80 ans , Louis François
d'Aumont , Duc d'Humieres , Marquis de
Chappes , Lieutenant Général des Armées du
Roi , Gouverneur du Pays Boulonois , de Boulogne
, Tour d'Ordre , Eftaples & du Fort de Monthulin
, auffi Gouverneur de Compiegne . Il étoit
fils unique de Louis- Marie- Victor Duc d'Aumont,
Pair de France , & de Françoife Angelique de la
Mothe-Houdancourt , fa ze femme. Il avoit été
marié par contrat du 15 Mai 1690 à Anne - Louife-
Julie de Crevant , Ducheffe d'Humieres par les
Lettres d'Erection du mois d'Avril précedent ob.
tennes par le Maréchal Louis de Crevant d'Hu
mieres four pere. Il avoit été ftipulé par le Contrat
de mariage que le mari de la Ducheffe d'Humieres
prendroit le nom & les armes d'Humieres De
leur mariage étoit née Louife- Françoife d'Aumont
d'Humieres , qui avoit époulé Antoine-
Louis- Armand Duc de Gramont , Pair de France .
Leur fille Marie - Louife- Victone de Gramont a
épousé en 1739 fon cousin germain Antoine - Antonin
Duc de Gramont , Pair de France , Gouverneur
de Bearn & de la Baffe- Navarre , & c.
Le même jour déceda dans un âge fort avancé
Meffire Charle- Guillaume Broglie , connu fous le
nom de Marquis de Broglie , Lieutenant General
des Armées du Roi , Gouverneur de Gravelines.
Il étoit frere aîné du Marechal Duc de Broglie ,
& fils de Victor- Maurice Comte de Broglie , Mar206
MERCUREDE FRANCE.
quis de Brezolles , Marechal de France & de Marie
de Lamoignon-de -Biville. Il étoit veuf depuis
le 11 Juillet 1722. de Marie-Madeleine Voifin ,
feconde fille de Daniel -François Voifin , Seigneut
de la Noraye , Chancelier de France , & de Chat
lotte Trudaine qu'il avoit épousée le 13 Mars
1715. La Maifon de Broglie eft originaire de Pié
où elle eft connue dès l'an 1256. Voyez
P'Hift , des Grands Officiers , tome VII. page 6.86
mont ,
DECEMBRE.
1791.
207
ARRETS
NOTABLES.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi, du 21
Octobre
738. qui permet aux
répréfantans le fieur de la
Fond , de tenir un bac fur la riviére de Cher , au
port de Saint- Julien de
Villefranche ,
généralité
d'Orléans
Arrêt du
Confeil d'Etat du Roi , du 5 Juin 1748.
qui permet au feur Duc de la Tremoille de tenir
un bac fur la riviére d'Aine , au lieu
d'Autichy ,
Généralité de Soifons.
Arrêt du
Confeil d'Etat du Roi , dus Tuin 1748 .
qui permet au fieur de Vaflan de tenir un
fur la riviere de
Marne , au lieu de
Romeny , Gé» bac
néralité de Soiflons.
Arrêt du
Confeil d'Etat du Roi du 25
Janvier
1750. qui
maintient le feur Duc de
Bouillon dans
le droit de tenir un bac fur la riviére de Marne , au
port d'Azy.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , qui , fans avoir
égard aux
repréfentations faites par le fieur de
Proiffy, conue l'Arrêt du
Confeil du 22 Mai 1745 .
ordonne que ledit Arrêt fera
exécuté.
Arrêt du
Confcil d'Etat du Roi , du 17 Mars 1750
qui
maintient les
repréfentans le fieur Duc de
Mazarin dans un droit de peage ou grand
vinage
208
MERCURE
DE
FRANCE
.
par
eux
prétendu
au lieu
de la Fere
, Généralité
de Soillons
.
Arrêt
du Confeil
d'Etat
du Roi , du 16 Mars
1751
, qui
maintient
les fieur
& dame
d'Egmont
dans
les droits
de peage
, taut
fur la riviére
d'Aine
,
que
par terre
, au lieu
de Pontaicy
, Généralité
de
Soiffons
. Arrêt
du Confeil
d'Etat
du Roi , du 10 Mai 1751.
qui, fans
avoir
égard
aux
repréfentations
du fieur
de Chambry
contre
l'Arrêt
du Confeil
du 10 Décembre
1743
portant
fuppreffion
du droit
de péa
ge ou travers
au lieu
de
Chambry
, Généralité
de
Soiffons
, ordonne
que
ledit
Arrêt
fera
executé
.

Ordonnance
du Roi, du 15 Septembre
1751
pour
faire
reprendre
aux Compagnies
des Gendar
mes
& Chevaux
-Legers
de Bretagne
, le nom
Bourgogne
. Autre
Ordonnance
du Roi, du même
jour,
pour
faire
reprendré
au Regiment
de Bretagne
, le nom
de Bourgogne
. Déclaration
du Roi , du 21 Septembre
171. qui
ordonne
qu'à
l'avenir
, dans
tous
les lieux de la
Province
de Normandie
où il n'y a point
actuelle
ment
de Notaires
établis
en vertu
des Edits de Juillet
1677
& Juin
1685
, & où ils feront
jugés néccl
faires
, il en fera
établi
conformément
à la Déclar
ration
du mois
de Mars
1672.
Arrêt
du Confeil
d'Etat
du Roi , du 28 Septem
bre 1751.
Faifant
droit
fur l'inttance
entre
les Syn
dics
, Habitans
& Conimunauté
du Bourg
d'Ar
de
DECEMBRE. 1751 : 200
genteuil , & les fubrogés de Charles Oblin aliénataire
, par déclaration du 12 Septembre 1745. de
partie des droits rétablis par Edit du mois de Décembre
1743 ; fans avoir égard aux demandes ,
fins & conclufions defdits Syndics , dont ils ont
été déboutés , ordonne l'exécution de l'Arrêt da
16 Juin 1750 ; les condamne aux dépens liquidés à
foixante quinze livres ; par lequel dernier Arrêt
lefdits Syndics ont auffi été déboutés d'une pareille
oppofition qu'ils avoient faite à l'Arrêt du 31 Décembre
1748.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi ; du 9 Octobre
1751. Qui ordonné que l'Econome - Sequeftre ou
fes prépofés , feront autorifés de faire appofer les
fcellés fur les effets des Eccléfiaftiques pourvûs de
Bénéfices confiftoriaux , par le Juge Royal du lieu ;
ou , en cas que la Juftice appartint à des Seigneurs
particuliers, par le Juge Royal le plus prochain :
Et défend à tous Juges d'appofer les fcellés , s'ils
n'en font requis par les heritiers , créanciers , ou
par l'Econome ou les préposés .
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , & Lettres Patentes
fur icelui, données à Compiegne le 29 Juin ,
& Régiftrées en la Chambre des Comptes , le 16
Octobre 1791. Qui déchargent les Officiers des
Elections de Grenpble , Vienne , Romans & Valence
, du rachat du prêt & Annuel , & de l'acqui
fition des taxations , ordonnés par l'Edit du mois
de Février 1745. & la Déclaration du 7 Avril 1747.
Veut Sa Majesté qu'ils foient admis au payement
du Prêt & Annuel , conformément à la Déclaration
du 8 Juillet 1749 , à l'exception du Piéfident
& du Greffier de l'Election de Valence , qui ont
fait le rachat defdits droits.
210 MERCURE
DE FRANCE.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 24 Octobre
1751. Qui ayant aucunement égard aux repréfentations
du Prieur du Prieuré de Saint Gondon , or
donne que les tarifs inférés dans les Arrêts du
Confeil des premier Mars 1735. & 14 Février 1751.
feront réformés .
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 2 Novembre
1751. qui défend , pendant un an , la fortie du
Royaume , de la Gomme du Sénégal ; à peine de
confifcation & de trois cens livres d'amende ,
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 25 Novem
bre 1751. Qui ordonne qu'à commencer du pre
mier Décembre prochain , &jufqu'à ce qu'il en foit autrement ordonné , il fera furfis à la levée &
perception des droits rétablis par l'Edit du mois
de Décembre 1743. la Déclaration du 21 du même
mois , & le tarif arrêté en conféquence le 24
dudit mois ; enſemble à la levée & perception des
fols pour livre d'iceux . quatre
Extrait des Regiftres du Confeil d'Eat.
Le Roi voulant procurer quelque foulagement
aux habitans de la bonne ville de Paris , dont l'augmentation
furvenue fur le prix du pain , rend la
fubfiftance plus difficile , Sa Majesté s'est déterminée
à fufpendre la levée de quelques droits
qui fe perçoivent fur des denrées , qui font l'objet
de la confommation la plus ordinaire : Sa Majefté
auroit defiré de pouvoir fupprinter ces droits pout
toujours ; mais la néceffité qu'il y eut , lors de
leur établiffement , de les aliener pendant le tems
pour lequel ils furent établis , & celle de tenir les
engagemens pris avec les aliénataires d'iceux ,
ne le permettant pas . Oui le rapport , Sa Majefté
2
DECEMBRE . 1751. 211
étant en fon Confeil , a ordonné & ordonne , qu'à
commencer du premier du mois de Décembre
prochain , & jufqu'à ce qu'il en foit autrement
ordonné , il fera furfis à la levée & perception
des droits rétablis par l'Edit du mois de Décembre
1743 , la Déclaration du 21 du même mois
& le tarif arrêté en conféquence le 24 dudit mois ;
enfemble à la levée & perception des quatre folsi
pour livre d'iceux , ordonnés par l'Edit du mois
de Septembre 1747 , & ce , fur les marchandifes
& denrées ci - après , fçavoir , fur les oeufs , beur-i
res & fromages ; fur les veaux , fur la volaille ,
gibier , cochons de lait , agneaux & chevreaux ;
fur les porcs , fur la faline , fur le charbon de
bois & fur le bois à brûler. Fait Sa Majefté dés !
fenfes aux aliénataires defdits droits & quatre fois!
pour livre d'iceux , leurs cautions , Commis ou
Prépofés , & à tous autres , d'en faire la percep
tion fur lefdites denrées & marchandifes , jufqu'à
ce qu'il en foit autrement ordonné , ſe réſervant
au furplus , de pourvoir à l'indemnité defdits alié->
nataires , ainfi qu'il appartiendra. Fait au Coufeil
d'Etat du Roi , Sa Majefté y étant , tenu pour les
Finances , à Verfailles , le vingt- cinquième jour
de Novembre mil fept cens cinquante- un. Signé ,
M. P. DE VOYER D'ARGENSON .
Copy
212 MERCURE DE FRANCE.
A VIS.
Le fieur MAILLE Vinaigrier Diftillateur de la
Reine de Hongrie, demeurant à Paris ; rue de l'hi
rondelle , aux Armes Imperiales , continue avec
un heureux fuccès la vente de fes Vinaigres pour
le tranfport des Cours Etrangeres tant par mer
que par terre ; Lefdits Vinaigres font au nombre
quatre-vingt- deux , tant pour l'ufage de la Ta
ble , que pour les Bains & Toilettes, Ces Vinaigres
font compofés par une nouvelle maniere de faire
fermenter le vinaigre qui lui donne une qualité
parfaire pour les tranfports les plus éloignés fans
danger de corruption : fecret qui n'avoit point été
de
encore trouvé .
Il donne avis aux perfonnes de diftinction ,
qu'il vient de fiuir la compofition du Vinaigre
Philofophique , comme aufli des nouvelles Cor
beilles , qui peuvent s'envoyer en Province , gar
nies de leurs flacons & agrémens.
Il continue auffi de vendre une nouvelle " Moutarde
, nommée des fix graines , qui a la qualité
de pouvoir fe garder quinze mois fans fe corrompre
: cette Moutarde eft la meilleure qui ait été
compofée jufqu'à prefent.
DECEMBRE. 1751. 213
AUTRE AVIS.
L'excellente qualité des Vins vieux que poffede
encore M. MARIE , Avocat du Roi , à Auxerre
en Bourgogne , l'engage à faire part au Public
qui a befoin de Vins vieux , qu'au reçu de tous
ordres fuffifans , il rendra fur le Port d'Auxerre ,
au Bateau-Coche pour Paris , qui décharge en
route dans des dépôts pour tel pays étranger ou
éloigné que ce foit , chaque muid de fon Vin , en
demi muids appellés feuillettes , foutirés à clairfin
, bien reliés , bien amballés , & même enchappés
, dans le cas de pafler dans les pays étrangers
& éloignés où il a fouvent été tranſporté avec les
plus favorables fuccès , à raifon de trois cent vingtcinq
livres le muid , & à raifon de trente- fix fols la
bouteille , fiffelée parfaitement , bouchée & bien
amballée dans de forts paniers capables d'être voi
turés par terre & par mer : ces paniers le font ordinairement
de foixante- quinze , de cent & de
cent cinquante bouteilles .
Les perfonnes qui ne voudronr point lui écrire.
directement , pourront s'addreffer aux fieurs Moreau
, Monnot , Boyard l'aîné , Viltard , Boyard-
Forterre , Duché, Viau , Trinquet , Souflot , Paradis,
Godard Pochet , Commiffionnaires de Vins
à Auxerre en Bourgogne , d'où ils les expédient
pour tout le Royaume & tous autres Royaumes
étrangers & pays les plus éloignés , foit en feuillete
tes foit en bouteilles .
134
AVIS.
Pourle recouvrement des dettes appartenant
au Mercure.
Uelques perfonnes qui font en retard pour le
payement du Mercure , ne doivent point in
puter à défaut d'exactitude de notre part fi elles
ceffent de le recevoir , mais uniquement à l'im
poffibilité où nous fommes de faire des avances
trop confidérables .
APPROBATION.
'Ai la , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le fecond volume du Mercure de France ,
du préfent mois . A Paris , le 18 Décembre 1751.
LAVIROTTE.
PLACE
TABLE.
IRCES FUGITIVAS en Vers & en Profe.
Epître à M. l'Abbé .... par M. l'Abbé Clement
, Chanoine de Saint Louis du Louvre. 3
Séance publique de l'Académie des Sciences Bel
les - Lettres & Arts de Rouen. 6
115
Au vaiffeau qui portoit Virgile à Athénes . Ode. 17
Séance publique de la Société Littéraire d'Arras ,
tenue les 20 & 27 Mars 1751 .
19
Le retour d'Iris, à Mlle J. G. D. L. M. Cantatille.
>
24
27
Séance publique de l'Académie des Sciences ,
Belles Lettres & Arts d'Amiens
Au Roi de Pologne. Ode par M. Chabaud , de
POratoire ,
Lettre de Male Chevalier de Solignac à l'Auteur
du Mercure ,
1
31
36
58
Epitre à Mlle de Fauques , par M. Sabatier.
Séance publique , de l'Académie des Infcriptions
& Belles- Lettres , le 12 Novembre 1751. 62
Extrait du Memoire fur la Reine Pedauque , où
l'on examine quelle pouvoit être cette Reine
,
65
Explication d'une infcription antique fur le rétabliffement
de l'Odeum d'Athenes , par Ariobarzane
, Roi de Capadoce. Par M. P'Abbé
Beilley.
Vers
73
87
Madame de ***.
Affemblée publique de l'Academie des Sciences,
8amed 13 Novembre ,
89
Extrait du Mémoire fur la théorie de l'Artillerie ,
ou fur les effets de la Poudre , & les conféquen .
ces qui en résultent par rapport aux armes à feu
en général
ibid.
100
Extrait du Mémoire de M. Maraldi ,
Le Roffignol & les Corbeaux , Apologue , 105
Séance publique de la fociété des Sciences & Bel
les- Lettres d'Auxerre . 107
Relation d'une opération fort finguliere de Chirurgie
,
Mots de l'Enigme & des Logogriphes du
mi er volume de Décembre.
IIS
u
pre-
-118
216
Enigme & Logogriphes ;
Nouvelles Littéraires ,
bid.
123
Differtations fur l'édifice de l'Eglife Primatiale de
Saint André de Bordeaux,
Spectacles ,
Nouvelles Etrangères , &c.
153
161
179
France. Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 196
Bénéfices donnés ,
Naiffance , Mariages & Morts ,
Arrêts notables.
Avis divers,
De l'Imprimerie de J. BULLOT
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le