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MERCURE
+
DE FRANCE , 426081
DÉDIÉ AU ROI
AV
JUIN. 1745 .
PREMIER VOLUME
CILLE
1
SPARCE
GATS
IGIT
||
UT
Epillon
S
THEQUE
DE
LYON
18934
Chés
A PARIS ,
GUILLAUME CAVELIER
rue S. Jacques.
La Veuve PISSOT, Quai de Conty ,
à la defcente du Pont- Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais,
M. DCC. X L V.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
A VIS.
L'AM. DE CLEVES D'ARNICOURT ,
'A DRES S E générale du Mercure eft
Tue du Champ- Fleuri , dans la Maifon de M.
Lourdet Correcteur des Comptes , au premier
étagefur le derriere, entre un Perruquier & un
Serrurier , à côté de l'Hôtel d'Enguien. Nous
prions très- inftamment ceux qui nous adreſſe
ront des Paquets par la Pofte , d'en affranchir
Le Port , pour nous épargner le déplaifir de les
rebuter , & à eux celui de ne pas voir paroître
leurs Ouvrages.
-
Les Libraires des Provinces ou des Pays
Etrangers , qui fouhaiteront avoir le Mercure
de France de la premiere main , & plus promptesnent,
n'auront qu'à écrire à l'adreffe ci- deffus
indiquée ; on fe conformera très- exactement à
leurs intentions.
Ainfi ilfaudra mettre fur les adreffes à M.
de Cleves d'Arnicourt , Commis au Mercure
de France , rue du Champ- Fleuri , pour ren
dre à M. de la Bruere,
PRIX XXX, SOLS.
MERCURE
DE FRANCE
1
BLIOTHELL
E
DE
SELAVILLE!
LYON
DEDIE A V ROU
*
JUIN. 1745 .
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
SUITEDE L'HISTOIRE DE L'ESPRIT
Humain , par M. de V. Hiftoriographe de
France , des Académies de Lyon , d'Edimbourg
& de Boulogne , commencée dans le
Mercure d'Avril.
Erfécuté ( Mahomet ) à la Mecque,
fa fuite , qu'on nomme Egire , devint
l'Epoque de fa gloire & de la
fondation de fon Empire. De fugitifil
dévint Conquérant. Réfugié à Medine,
il y perfuada le Peuple & l'affervit ; il dé-
1. Vol. A ij
9
4 MERCURE DE FRANCE.
fit d'abord avec cent- treize hommes les
Mecquois qui étoient venus fondre fur lui
au nombre de mille . Cette victoire , qui fur .
un miracle aux yeux de fes Sectateurs , les
perfuada que Dieu combattoit pour eux ,
comme eux pour lui . Dès la premiere vicroire
ils efpérerent la conquête du Monde.
Mahomet prit la Mecque , vit fes perfécuteurs
à fes pieds , conquit en neuf ans , par
la parole & par les armes , toute l'Arabie ,
Pays auffi grand que la Perfe , & que les
Perfes ni les Romains n'avoient pû conquérir.
Dès fes premiers fuccès il avoit écrit au
Roi de Perfe , Corforoës fecond , à l'Empereur
Héraclius , au Prince des Coptes ,
Gouverneur d'Egypte , au Roi des Abyſfins
, à un Roi nommé Mandar , qui regnoit
dans une Province près du Golfe
Perfique. Il ofa leur propofer d'embraffer
fa Religion , & ce qui eft étrange , c'eſt
que de ces Princes il y en eut deux qui fe
firent Mahometans , ce furent le Roi des
Abyffins & ce Mandar. Cofroës déchira la
lettre de Mahomet avec indignation ; Héraclius
répondit par des préfens. Le Prince
des Coptes lui envoya une fille qui paffoit
pour un chef-d'oeuvre de la Nature ,
qu'on appelloit la belle Marie .
&
Mahomet au bout de neuf ans fe croyant
JUIN. 1745
S
affés fort pour étendre fes ravages & fa Religion
dans l'Empire Grec & Perfan , commença
par attaquer la Syrie , foumiſe alors
à Héraclius , & lui prit quelques Villes.
Cet Empereur entêté des nouveautés , toujours
funeftes à la Religion , & qui avoit
pris le parti des Monotelites , effuya en
peu de tems deux propofitions bien fingulieres
, l'une de la part de Cofroës fecond ,
qui avoit été fon vainqueur , & l'autre de
la part de Mahomet Cofroës vouloit
qu'Héraclius embraffar la Religion des Mages
, & Mahomet , qu'il fe fit Mufulman .
Enfin Mahomet , maître de l'Arabie , réveré
& prefque adoré de fes Sujets , & redoutable
à fes ennemis , fut attaqué à Médine
d'une maladie mortelle à l'âge de foixante-
trois ans & demi ; il voulut que fes
derniers momens paruffent ceux d'un Heros
& d'un jufte. Que celui à que j'ai fait
violence & injuftice paroiffe , s'écria-t'il , je
fuis tout prêt de lui faire réparation . Un
homme fe leva , qui lui redemanda quelqu'argent
, Mahomet le lui fit donner , &
expira peu de tems après , regardé comme
un grand homme par ceux même qui le connoiffoient
pour un impofteur , & révéré
comme un Prophete par tout le reſte .
A iij
MERCURE DE FRANCE.
CHAPITRE III.
Des Califes.
La derniere volonté de Mahomet ne fut
point exécutée ; il avoit nommé Ali fon
gendre , & Fatime , fa fille , pour les héri
tiers de fon Empire , mais l'ambition qui
l'emporte fur le Fanatifme même , engagea
les Chefs de fon armée à déclarer Calife ,
c'est-à-dire Lieutenant du Prophete, le vieux
Abubeker, fon beau-pere, dans l'efpérance
qu'ils pourroient bien-tôt eux-mêmes partager
la fucceffion ; Ali refta dans l'Arabie,
attendant le tems de fe fignaler . Abubeker
raſſembla d'abord en un corps les feuilles
éparfes de l'Alcoran . On les lût en préfence
de tous les Chefs , & on établit l'autenticité
invariable de ce Livre , qui eft depuis
ce tems la regle de la Foi des Arabes & de
leur Langue.
Bien-tôt Abubeker mena fes Mufulmans
en Paleſtine , & y défit le frere d'Héraclius;
il mourut peu après l'an 634. avec la réputation
du plus généreux de tous les hommes
, n'ayant jamais pris pour lui qu'environ
quarante fols de notre monnoye par
jour de tout le butin qu'on partageoit , &
ayant fait voir combien le mépris des petits
intérêts peut s'accorder avec l'ambition
que les grands intérêts infpirent.
JUI N. 1745 .
la
Omar , élu après lui , fut un des plus rapides
Conquérans qui ayent déſolé la Terre.
Il prend d'abord Damas , célebre par
fertilité de fon territoire , par fes Ouvrages
d'acier les meilleurs de l'Univers, par les
Etoffes de Soye qui portent encore fon
nom : il chaffe de la Syrie & de la Phénicie
les Grecs , qu'on appelloit Romains ; il reçoit
à compofition en 636 , après un long
fiége , la Ville de Jéruſalem.
Dans le même tems les Lieutenans d'O.
mar s'avançoient en Perfe. Le dernier des
Rois Perfans , que nous appellons Hormifdas
IV , livra bataille aux Arabes à quelques
lieues de Madain , devenue la Capitale
de cet Empire . Il perd la bataille & la
vie ; les Perfes paffent fous la domination
d'Omar plus facilement qu'ils n'avoient
fubi le joug d'Aléxandre.
Alors tomba cette ancienne Religion des
Mages , que le vainqueur de Darius avoit :
refpectée , car il ne toucha jamais au culte
des Peuples vaincus.
Les Mages ,* fondés par Zoroaftre & réformés
enfuite par un autre Zoroastre , du
tems de Darius , fils d'Hiftapes , adorateurs
d'un feul Dieu , ennemis de tout fimulacre
, révéroient dans le feu qui donne la
Religion des Mages détruite.
·
A iiij
$ MERCURE DE FRANCE :
vie à la Nature , l'emblême de la Divinité.
Ils reconnoiffoient de tout tems un mauvais
principe , à qui Dieu permettoit de
faire le mal ; ils le nommoient Satan , ou
Arimane , & c'eft parmi eux que Manés
avoit puifé fa Doctrine des deux principes.
Ils regardoient leur Religion comme la
plus ancienne & la plus pure. La connoiffance
qu'ils avoient des Mathématiques, de
l'Aftronomie & de l'Hiftoire , augmentoit
leur mépris pour leurs vainqueurs , alors
ignorans ; ils ne purent abandonner une
Religion confacrée par tant de fiécles ,
pour une Secte ennemie qui venoit de naître.
Ils fe retirerent aux extrêmités de la
Perfe & de l'Inde ; c'eft là qu'ils vivent
aujourd'hui fous le nom de Gaures ou de
Guebres & de Parfis , ne fe mariant qu'entre
eux , entretenant le Feu facré ,fidéles à ce
qu'ils connoiffent de leur ancien culte
mais ignorans , méprifés , & à leur pauvreté
près , femblables aux Juifs qui font difperfés
fans s'allier aux autres Nations , &
plus encore aux Bamians , qui fe font établis
& difperfés dans l'Inde & vers la Perfe..
Tandis qu'un Lieutenant d'Omar fubjugue
la Perfe , un autre enleve l'Egypte entiere
aux Romains & une grande partie
de la Lybie ; c'eft dans cette conquête de
JUIN. 1745.
l'Egypte qu'eft brûlée la fameufe Biblio
théque d'Aléxandrie , Monument des connoillances
& des erreurs des hommes, commencée
par Ptolomée Philadelphe , & aug
mentée par tant de Rois : alors les Sarrafins
ne vouloient de ſcience que l'Alcoran.
Après Omar tué par un Efclave Perfe ,
Ali , ce gendre de Mahomet , que les Perfans
révérent aujourd'hui , & dont ils fuivent
les principes , en oppofition à ceux
d'Omar , obtint enfin le Califat & tranffera
le fiége des Califes de la Ville de Médine
, où Mahomet eft enfeveli , dans la
Ville de Couffa , fur les rives de l'Euphrate.
A peine en refte- t'il aujourd'hui des ruines
; c'est le Fort de Babylone , de Seleucie
& de toutes les anciennesVilles de Chaldée
qui n'étoient bâties que de briques cuites
au Soleil .
Après le regne de feize Califes de la
Maifon des Ammiades regnerent les Califes
& Acaffides ; le célebreAaron Rachild
en eft le cinquiéme; ce titre de Rachild eft
le plus beau des Titres , & les Mufulmans
n'avoient pas ofé le donner à Mahomet.
Aaron Rachild & fon fils Abouabdalla
étoient contemporains
de Charlemagne
.
Ce fut cet Abouabdalla qui tranfporta le
Siége de ce grand Empire à Bagdad , dans
A v
To MERCURE DE FRANCE.
la Chaldée; on dit qu'il bâtit cette Ville.
Les Perfans affûrent qu'elle étoit très-ancienne
, & que les Arabes ne firent que la
réparer & l'embellir. On l'appelle quelquefois
Babylone , & elle a été & elle eft un
fujet de guerre entre la Perfe & la Turquie.
La domination des Califes dura 655 ans.
Defpotiques dans la Religion , comme dans
leGouvernement ils n'étoient point adorés,
ainfi que le grand Cama , mais ils avoient
une autorité plus réelle , & dans les tems
même de leur décadence ils furent refpectés
des Princes qui les perfécutoient . Tous
ces Sultans Turcs , Arabes , Tartares , qui
s'éleverent depuis , reçurent l'inveftiture
des Califes.
Si jamais puiffance * a menacé toute la
Terre, c'eft celle des Califes, car ils avoient
le droit du Trône & de l'Autel , du glaive
& de l'enthoufiafme. Leurs ordres étoient
autant d'Oracles , & leurs Soldats autant
de fanatiques.
Dès l'an 671 de notre Ere ils affiégerent
Conftantinople qui devoit un jour
devenir Mahométane ; les divifions prefque
inévitables parmi tant de Chefs féraces
n'arrêterent pas leurs conquêtes ; ils
reffemblerent en ce point aux anciens Ro-
Puiffance des Califes.
JUIN. 1745 . 11
mains , qui parmi leur guerres Civiles,
avoient fubjugué l'Afie Mineure .
On les voit en 711 paffer d'Egypte en
Efpagne , foumife aifément tour à tour par
les Carthaginois , par les Romains , par les
Goths & Vandales, & enfin par ces Arabes
qu'on nomme Maures. Ils y établiffent le
Royaume de Cordoue ; le Sultan d'Egypte
fecoue , à la vérité , le joug du Grand - Calife
de Bagdad , & Abderame Gouverneur
de l'Espagne conquife ne connoît plus le
Sultan d'Egypte , cependant tout plie encore
fous les armes Muſulmanes.
A mefure que les Califes devinrent
puiffants ils fe polirent. Ces Califes , toujours
reconnus pour Souverains de la Religion
& en apparence de tout l'Empire
par ceux qui ne reçoivent plus leurs ordres
de fi loin , tranquilles dans Couffa , dans
Damas , dans Bagdad , y font enfin renaître
les Arts. Cet Aaron Rachild , plus reſpecté
que fes Prédéceffeurs , & qui fcut fe faire
obeïr jufqu'en Efpagne & au Fleuve de
l'Inde , ranima toutes les Sciences , fit fleurir
les Arts agréables & utiles , attira les
Gens de Lettres , compofa des Vers , & fit
fucceder dans ces vaftes Etats la politeffe à
la barbarie ; fous lui les Arabes qui adop
* Beaux- Arts fous les Califes,
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
toient déja les Chiffres Indiens , nous les
apporterent ; nous ne connûmes en Allemagne
& en France le cours des Aftres que
par le moyen de ces mêmes Arabes. Le
mot feul d'Almanach en eft encore un témoignage.
L'Almagefte de Ptolomée fut alors tráduit
du Grec en Arabe par l'Aftrologue
Benhonain. Le Calife Almamon , petitfils
d'Aaron Rachild , fit méfurer géométriquement
un degré du Méridien pour déterminer
la grandeur de la Terre , Opération
qui n'a été faite en France que plus de
900 ans après fous Louis XIV. L'Aftronome
Benhonain pouffa les Obſervations affés
loin; il reconnut ou que Ptolomée avoit
fixé la plus grande déclinaiſon du Soleil
trop au Septentrion , ou que l'obliquité de
l'Ecliptique avoit changé;itvitmême que la
Période de trente-fix mille ans , qu'on avoit
affignée au mouvement prétendu des Etoiles
fixes d'Occident en Orient devoit être
beaucoup racourcie .
La Chymie & la Médecine étoient culti
vées par les Arabes; la Chymie perfectionnée
par nous , ne nous fut connuë que par
eux nous leur devons de nouveaux remédes
qu'on nomme les Minoratifs , plus
doux & plus falutaires que ceux qui étoient
JUIN. 1745.
13
auparavant en ufage dans l'Ecole d'Hippocrate
& de Galien. Enfin dès le fecond fiécle
de Mahomet il fallut que les Chrétiens
d'Occident s'inftruififfent chés les
Mufulmans.
DISCOURS AU ROI ,
Sur le fuccès de fes Armes.
LeSandredeJ.Michel eut l'honneur
de préfenter à la Reine , à Madame la Dauphine
& à Mefdames le Difcours fur le
fuccès des armes du Roi . Il fut invité de le
prononcer. La Reine entendit ces Vers
pendant fon dîner , Madame la Dauphine
l'après midi , & Mefdames à leur fouper.
Elles en parurent également fatisfaites &
attendries. Il fut comblé de ces éloges toujours
précieux & toujoursnouveaux pour un
Auteur le plus accoûtumé à en recevoir .
E Samedi s Juin M. Roi Chevalier
Sa Majesté a reçû en même- tems à l'armée
cette Piéce ; elle a ordonné qu'elle
fût imprimée à Lille . C'eft le même honneur
que S. M. fit à M. Roi lors de la Convalefcence.
Le Poëme fut imprimé à Metz
par un pareil ordre.
14 MERCURE DE FRANCE.
GRAND ROI , je cúde enfin à l'ardeur qui me
guide ;
Tu peux rendre fécond l'efprit le plus aride.
C'est moi qui le premier chantai notre bonheur
Quand tes jours échapoient à la Parque en fureur.
Peut-être que ma Lyre , organe de tendreffe,
A chanter des combats va trahir la foibleffe.
Le zéle fuffiroit pour rendre les frayeurs
Dont tes derniers périls ont glacé tous les coeurs
Lorſqu'au pied de ces murs , d'où partoit le tonnerre
,
Au milieu de ces feux que vomiffoit la terre ,
Ton oeil bravoit la mort errante autour de toi ,
Et que la France entiere à tremblé pour fon Roi.
T
J'aimerois à me joindre à ces tranſports de joye
Qu'à ton heureux retour le citoyen déploie
A peindre ta famille embraffant tes genoux ,
Doux momens , où triomphe & le pere & l'époux !
x
Tel Horace autrefois , dans fa verve diſcrette ,
Laiffoit à Varius ** emboucher la trompette
Ebranler tout l'Olimpe aux clameurs des mourans
De fang dans Actium répandre les torrens ,
Montrer la terre en feu , les mers épouvantées ,
Et du Styx par les morts . les ondes arrêtées.
* Ode 5. l. 1 .
** Poëte Epique & Tragique , fous Augufte.
JUIN.
15 1745.
Du fuccès de la guerre il ne peint que les fruits ;
Les Romains raffûrés , les plaifirs reproduits ,
Le Capitole orné de fleurs , de facrifices ,
Les fpectacles ouverts fous de plus doux aufpices,
Les meres de leurs fils béniffant le retour ,
Et les drapeaux de Mars aux Autels de l'Amour .
'Ainfi , fans m'élancer à travers le carnage ,
Ma Mufe du triomphe ofe ébaucher l'image ;
Triomphe différent de ceux où les Céfars
Du malheur des captifs repaiffant leurs regards ,
De l'esclavage encor aggravoient les injures ;
Où ces Rois enchaînés , déchirant leurs bleffures ,
Déteſtoient leurs vainqueurs , & les cruels fecours ,
Qui pour un tel outrage avoient fauvé leurs jours .
Trop long-tems ébloui par ce fafte barbare ,
Dont gémit l'héroïfme, & dont l'orgueil fe pare ,
L'Univers de LOUIS apprend d'autres vertus ,
Joüiſſez- en , Mortels , fous fes pieds abattus ;.
Loin de vous accabler , une pieté tendre
Comme fur fes Sujets ſçaura ſur vous s'étendre
Vous mourez;leVAINQUEUR veille à vous ranimer;
Vous force à l'applaudir , & peut- être à l'aimer.
Si nos deux derniers Rois foudroyoient des murailles
,
Le Ciel lui réfervoit la gloire des batailles :
Mânes de Souverains fi grands & fi chéris ,
Ah ! vous feriez jaloux d'un autre que d'un fils .
16 MERCURE DE FRANCE.
HENRI même , HENRI , dont l'utile courage
A fçu de fes Ayeux recouvrer l'héritage ,
HENRI n'eut que le choix du Trône ou du trépass
Pour nos feuls intérêts LOUIS arme fon bras :
Déja fon Fils le fuir , ce Fils à qui la Gloire
Pour premiere leçon préfente une victoire.
PRINCE , nouvel objet de refpect & d'amo
Que d'exemples touchants il te donne en un jour !
Arbitre du mérite , il loue , il récompenfe ,
Il ſe reconnoît maître aux faveurs qu'il diſpenſe ,
Seul dédommagement de fes juftes regrets
Pour tous ceux que la mort dérobe à fes bienfaits.
Nobles & chers foutiens de ce puiffant Empire ,
Héros , à vous chanter ma voix ne peut fuffire.
Irois-je apprécier le talent des guerriers ,
Et felon mon caprice adjuger les lauriers ?
A l'envi des grands noms qui parent notre Hiftoire,
Il en eft dont ce jour commence la mémoire ,
Mais LOUIS dans fon coeur a gravé vos exploits ;
Le Soldat a tout dit ; qu'ajoûteroit ma voix ?
Puiffe long -tems l'Europe envier à la France
Ce Chef , qui parmi nous prit une autre naiſſance ,
Ce Chef , dont le courage en un corps épuiſé ,
Subjuguant la nature , a tout fait , tout ofé !
Un regard du MONARQUE , un regard plein
de flâme
JUIN.
17 1745%
Jetté fur le Héros , renouvelle fon ame ;
Et MAURICE applaudi du Prince & du Soldat ,
Fait revivre à nos yeux VENDÔME & Catinat.
Yous , qu'un joug étranger forçoit à vous défendre
,
Redevenez François , hâtez- vous de vous rendre ;
C'eft votre premier Maître ; éprouvez les bontés ,
Et rentrez dans des droits fi long-tems regrettés.
Au milieu de ces champs où le fang fume encore ,
Scéne dont la valeur & frémit & s'honore ,
Sur un Trône formé d'armes & de drapeaux
Il reçoit du Sénat des hommages nouveaux.
GRAND ROI , tous tes Sujets te parlent par
fa bouche ;
Répons à leurs défirs ; que leur zéle te touche !
Il veille par tes loix aux jours des Citoyens ';
Promets à fon amour de ménager les tiens ;
11 friffonne au moment qu'il célebre tes armes;
O Pere , épargne -nous de trop vives allarmes ,
Duffent- en murmurer tous ces braves guerriers ,
Toujours François , toujours avides de lauriers.
Rox, Chevalier de l'Ordre de S. Michel
18 MERCURE DE FRANCE.
PROBLEME DE MEDECINE.
Si la chaleur de l'homme dans la fièvre peut
être triple ou quadruple de celle de l'état de
fanté. Par 7. T. Defmars , Docteur en
Médecine.
Left clair qu'il ne s'agit point du fentiment
de chaleur ; il feroit abfurde de
demander fi un fentiment peut être triple
ou quadruple d'un autre , mais de l'action
dufeu exiftante dans le malade , qui naît du
frottement d'un liquide élastique contre
des tuyaux élastiques.
Si l'on peut méfurer cette action du feu
qu'on appelle chaleur , tant dans l'état
de fanté que dans celui de la fiévre , le problême
fera réfolu .
Le Thermometre eft le feul Inftrument
qui puiffe fervir à cette méfure , celui de
Fahreneits dont Boerhaave a donné la
defcription , appliqué à des corps fains &
robuftes,marque 92. dans les enfans, quelquesfois
94 , & plongé dans l'eau brouillante
112. &c.
Il eft impoffible que quelle que foit la chaleur
de l'homme fain ou malade, elle puiffe
faire monter la liqueur du Thermometre de
1
JUIN.
10 1745 .
Fahreneits au degré 112. qui eft celui de
l'eau bouillante.
Ainfi 92 & 112 font les limites de la
plus grande chaleur de l'homme en ſanté
& de la plus grande chaleur dans la fiévre ;
( on prend le degré 112 pour avoir un
terme oùil foit abfurde que la chaleur puiffe
parvenir , car il eft bien rare que la chaleur
de la fiévre puiffe faire moirter la liqueur
du Thermometre au- delà de 100. )
Ceux qui pretendent que la chaleur
dans la fièvre peut devenir triple ou quadruple
, ont à prouver qu'entre 92 & 112
il est un degré où la chaleur eft quadruple ,
ce que je crois impoffible à démontrer.
Boerhaave dans mille endroits de fa
Chymie croit qu'une chaleur double doit
faire monter le Thermometre à un degré
double , & réciproquement qu'un degré
double du Thermometre marque une chaleur
double , & pag. 130. Corollaire 9 des
Elemens de Chymie , Edition de Paris , une
chaleur double de celle de l'eau bouillante
feroit monter la liqueur du Thermometre
au degré 224.
Cer Auteur diftingue fort bien la quanti
té du feu de l'action du feu qu'il appelle
chaleur ; il ne regarde pas l'une comme
proportionelle à l'autre ; felon lui , là où il
y aa le plus de feu n'eſt pas toujours le lien
où il y a le plus de chaleur.
20 MERCURE DE FRANCE.
La chaleur eft l'action du feu fur les corps.
Dans un efpace vuide de tout corps beaucoup
de feu ne cauferoit point de chaleur.
Cette action fe méfure & eſt réellement
l'expansion des corps fur lefquels agit la
matiere du feu , donc une chaleur double
requiert une expanfion double. Ainfi en fuppofant
que O fût le commencement de
l'action de la matiere du feu , ce qui eft faire
un avantage à ceux qui croyent que la chaleur
peut devenir triple ou quadruple dans
la fiévre , le Thermometre devroit monter
dans le premier cas à 276 ou à 368 dans
le fecond , ce qui eft abfolument impoffible
; donc & c . On voit au contraire que la
chaleur ne peut augmenter que de la dixiéme
partie de celle de l'état naturel.
EPITRE
De M. Cottereau , Curé de Donnemarie ;
à M....fur la Solitude.
A Mi , je ne veux plus demeurer à la Ville
Je préfere à préfent un féjour plus tranquille ;
Du fafte & des grandeurs fuyant les vains appas ,
Exempt d'inquiétude & de tous embarras ,
Je prétends déformais dans une paix charmante
JUIN. 1745.
21
Goûter d'un vrai repos la douceur innocente.
Qu'on ne me parle plus de cette privauté
·Dont quelquefois un Grand flate ma vanité.
Les fers les plus brillans n'ont point pour moi de
charmes ;
Je hais les fleurs qu'il faut arrofer de mes larmes,
Heureux qui n'étant plus au printems de fes jours,
Du refte de fes ans fçait ménager le cours !
D'une paisible vie en faifant bon ufage ,
Il peut atteindre au port du célefte héritage.
C'eſt donc fur ce deffein que réglant mes défirs¿
Je me livre fans crainte à d'innocens plaifirs .
Tantôt me promenant dans de vaſtes prairies ,
Je repais mon efprit de douces rêveries ;
Tantôt
négligemment couché fur le gazon ,
Des dépouilles des morts j'enrichis ma raifon.
Quelquefois m'égarant dans un fombre bocage
Où mille & mille Oifeaux font un tendre ramage,
Je mêle à leurs Chanfons ma parole & ma voix
Que le fidéle Echo répete au fond du bois.
En fortant tout joyeux de ce charmant azile,
Si je porte mes pas dans un vallon fertile ,
J'aime à voir ferpenter les ondes d'un Ruiffeau
Le tems eft- il ferein ? Monté fur un Côteau ,
Jé démêle du Ciel & l'ordre & la ſtructure ,
Et je vois quels refforts font agir la Nature.
C'eft de- là qu'admirant les OEuvres du Seigneur ;
Je tâche de graver fon amour en mon coeur.
Quand le flambeau du jour terminant fa carriere ,
2
2 MERCURE DE FRANCE .
N'offre plus à mes yeux qu'une foible lumiere ,
Je quitte ces beaux lieux , & je reviens chés moi
M'occuper des devoirs que m'impoſe la Foi ,
doit pratiquer tout homme raisonnable-
Qui fonde fur un Dieu fon bonheur véritable.
Ces devoirs acquittés , fi j'ai quelque loifir ,
Je chante fur ma flute un air fait à plaifir.
Des nouvelles du tems je fais auffi lecture ,
Et que
Sans prendre aucun parti fur les faits qu'on m'af
fûre ,
Mais j'ai bien plus de goût à lire ces Auteurs,
Qui charment mon efprit en réformant mes moeurs
Ce n'eft pas qu'ennemi de toute compagnie ,
Je veuille m'enfoncer dans la milantropie ;
J'aimerois les douceurs de la Société ,
Si j'en pouvois jouir en pleine liberté ;
Si j'étois fûr au moins que dans le badinage
On voulut reſpecter l'oreille la plus fage ,
Ou qu'un mortel hargneux , en dépit du bon fens ,
Ne vînt point m'accabler de faux raiſonnemens ,
Et qu'un autre enyvré de fon propre mérite ,
Ne cenfurât d'autrui l'efprit ni la conduite.
Qu'il eft trifte & fâcheux d'entendre des difcours
Que le fiel & l'aigreur empoifonnent toujours ,
De fréquenter ces lieux , où l'aimable ſageſſe
Ne peut jamais regner avec la politeffe ;
Où l'on voit au contraire un lâche délateur
Armé des traits mortels d'un calomniateur ,
JUIN.
1 } 1745
Venir effrontément , d'un air de bienveillance ,
Mordre & piquer tous ceux qui fouffrent la pré
fence !
Je voudrois des amis dont le rare talent
Eft de fçavoir inftruire en nous divertiſſant ;
De ces gens
éclairés dont l'efprit admirable
Sçait enſemble accorder l'utile & l'agréable ;
Mais où pourrois - je faire un choix fi délicat ,
Sans m'écarter des lieux qui fixent mon état ?
Mais puifqu'il faut un jour que la Parque barbare
De tout ce qui m'eft cher , malgré moi, me ſépare,
Sans defirer ni craindre un fi terrible effort ,
Ami , j'attends en paix le moment de ma mort.
Par M. Cottereau, Curé de Donnemarie.
無洗洗洗洗洗洗洗洗洗說說說說洗洗洗
REFLEXIONS fur les principes de
l'Art d'écrire.
Oici des refléxions qu'on nous a priés
d'inferer dans notre Journal ; tout ce
qui a rapport aux Arts & peut contribuer
à leur progrès nous appartient & nous eft
cher.
Plus les principes des Sciences & des
Arts font connus & démontrés clairement
, plus on doit efperer d'y faire du
progrès ; c'est une vérité reconnuë : or l'Art
24 MERCURE DE FRANCE.
d'écrire , dit M. Royllet Juré Expert Ecrivain
, ruë de la Verrerie à Paris , a des
principes certains ; les Ouvrages qu'il a
rendus publics , en font une preuve ; il a
tenu des Affemblées gratis en 1733 & les
années fuivantes , avec l'approbation des
Connoiffeurs & des Amateurs. Toutes
Sciences & tous Arts , continue-t'il , qui ne
font démontrés que foiblement , rebutent
& ennuyent par le défagrement de fe voir
livré à chercher & à pratiquer prefque toujours
foi- même , fi on n'eft doué d'une capacité
d'efprit prefque furnaturelle &
pour l'Art d'écrire avec des mains qui apportent
en naiffant d'heureufes difpofitions
pour toutes les operations de la plume
enforte qu'on ne doit dans ces cas- là fon
progrès qu'à foi-même ou à un long &
penible exercice. Il n'y a point , dit cet
Auteur , de fond à faire fur des principes
vagues & douteux . Ses réflexions portent
le caractére de vérité. C'eft une illufion ,
comme il le fait remarquer , de préfenter
une figure quarrée pour l'origine des Courbes
ou leurs fources ; c'eft y en ajouter
une autre d'établir que le feul mouvement
des doigts produit toutes les figures tant
majeures que mineures. C'eft ne fe point
embaraffer du progrès que d'oublier les
vraies pofitions du bras & de laiffer ignorer
les
TUIN. 1745
25
les fituations de la plume & fes productions
fur icelles. Que les critiques , & les jaloux
des principes du Sr. Koyllet préconifent ,
tant qu'ils voudront , la figure quarrée
contre les principes de cet Auteur , ils ne
perfuaderont jamais à tous les Connoiffeurs
ni aux gens fenfés le contraire de ce
qu'ils auront lû des Ouvrages du Sr.Royllet
ou de ce qu'ils auront entendu dans fes,
Démonftrations publiques ; d'ailleurs on
ne croit rien de plus convainquant & de
plus capable pour fe decider & en juger ,
que de l'entendre dans fes Conferences
gratis . Elles font ouvertes tous les Lundis
& Vendredis depuis 6 heures jufques à 8
du foir.
VERS
Qui ont été mis au bas d'un Portrait du Roi
peint en mignature par Pennel , entouré de
plufieurs Médaillans de Vertus fymboliques
& de Devifes qui y ont rapport , deffinés
par Cochin le fils , & préfenté à Sa Majesté
la veille de fon départ pour l'Armée.
T'Elles font les Vertus qui font le caractère
D'un Roi de fon Peuple le Pere ,
1. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
Tel eft LOUIS LE BIEN-AIME' :
De fes premiers Exploits le Batave allarmé ,
Sur Ypres , fur Menin yit tomber fon tonnerre ;
Par la valeur encor plus cher à fes Sujets ,
Il ne fait aujourd'hui la guerre.
Que pour leur affûrer les douceurs de la Paix,
Par M. l'Abbé le Blanc.
LETTRE
De M. C. R. L. F. à M. J. R.
Contenant quelques Reflexions Philofophiques.
& defintéreffées fur les Préjugés.
Vl'embarras où me met la lettre obli-
Ous ne devineriez pas , Monfieur ,
geante que vous m'avez fait l'honneur
de m'écrire ; la commiffion dont vous m'y
chargez de vous rendre un compte exact
de l'état & des occupations de mon efprit
& de mon coeur , n'eft pas ce qui
me péfe le plus. Je tâcherai de vous fatisfaire
fur cet article le moins mal qu'il me
fera poflible , & de vous témoigner par- là
combien me touche l'intérêt vif & tendre,
que vous ne ceffez de prendre, en véritable
ami , à tout ce qui me regarde , mais ce qui
JUIN. 1745% 272
me met en peine eft de fçavoir comment je
pourrai répondre à ces fentimens de confiance
& d'amitié , à ces effuſions de coeur
dans lesquelles je ne puis reconnoître qu'un
fecond moi-même , vous le fçavez :
D'un bon ami la douce confiance ,
De fon coeur franc la loyale affûrance ,
Furent toujours ce qui par- deffus tout
Scut me charmer & captiver mon goût.
Vous n'ignorez pas non plus quelle volupté
c'est pour moi de trouver dans un
autre le même fond de caractere & le même
goût de fentimens, vous vous fouvenez encore
(& meminiffe juvat ) de la joye pure"
& naïve dont me penetra la premiere perfuafion
que j'eus d'avoir acquis en vous!
un ami felon mon coeur ; je reviens à l'objet
principal de cette lettre , & puifque vous
defirez que l'éloignement où nous fommes:
l'un de l'autre ne diminue rien de la libertét
de notre commerce , je vais vous parler at
coeur ouvert & avec la même affùrance .
que nous apportions dans nos converfations
familieres , de tout ce qui m'occupe
maintenant , pour charmer l'ennui que
me cauſe naturellement votre abfence , que
j'efpere cependant ne devoit pas durer ,
long-tems : je crois ne pouvoir mieux faire
que de me réfugier entre les bras de Mir
B ij
18 MERCURE DE FRANCE.
nerve , & des Mufes , qui après l'amitié
font mes plus fidelles compagnes ; par ce
moyen
Les doux Concerts des neuf fçavantes Fées ,
Et de leur Cour les fameux Coriphées ,
Et les leçons de la docte Pallas
Me font heureux plus que tous les Incas . *
L'étude du coeur humain , de ce labyrinthe
obſcur , où l'efprit le plus éclairé a tant
de peine à fe conduire , malgré les excellens
guides que le dernier fiecle & le nôtre
ont produit.
Hic labor ille domus & inextricabilis error.
Du coeur humain , dont Paſchal nous fait
un tableau fi défagréable , que l'on pour
roit dire qu'il n'en a fait que la critique ,
dont la Rochefoucault nous donne un
fyftême fi ingenieux,dont la Bruyere décrit
fi élégamment & fi délicatement les bizar
reries , enfin du langage duquel M. de
Marivaux , & l'illuftre M. de Fontenelle.
nous donnent la clef avec tant de fineffe ;
l'étude , dis-je , du coeur humain continue
toujours de fixer mon efprit refléxif.
Tantôt m'enveloppant dans ma Philofophie ,
Je me laiffois aller à la mélancolie.
Souverains du Pérou.
JUIN. 29 1745
J'entends ces douces mélancolies dans lefquelles
on aime à converfer avec foi -même
& à fe rendre compte de fes actions & de
fes penfées ; voici les refléxions que je fis
dans ma chere folitude , fur le prejugé &
fur l'amour propre , ce grand mobile de la
pauvre humanité. Se peut- il, difois -je , que
le prejugé regne fi abfolument chés les
hommes ? car ,
Qui peut en tout s'élever au -deffus
Des préjugés & des communs abus !
Vous le fçavez, il nous faut prefqu'en fomme
Leur rapporter tous les travers de l'homme :
'Toujours le poids de la prévention
Etouffe en lui le cri de la Raiſon ,
Raifon , hélas ! trop fouvent opprimée ,
Telle l'on voit l'avide Renommée ,
Foible & timide en fes commencemens ,
Imperceptible en fes accroiffemens ,
Tout-à-coup prendre une vigueur nouvelle ,
Lever la tête , & courir peu fidelle
En les rapports , mêler la fauffeté
Fama malum
quo
non velocius ullum ,
Mobilitate viget virefque acquirit eundo , +
Parva metu primo mox fefe attollit in auras
Ingrediturquefolo & caput inter nubila condit..à
Tamficti pravique tenax & nuncia veri.
Virg. Æn. L. 4. V. 14.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
E le menfonge avec la vérité,
Du préjugé c'est le Tableau fincére ,
Nous nous formons un mal imaginaire ,
Et des vrais maux irritant l'âpreté ,
Nous ajoûtons à la réalité.
En effet nos idées , nos
raiſonnemens , nos
fentimens, nos actions , tout enfin eft fubordonné
au prejugé , il fait taire la Raifon
impofe filence à la nature , & fubjugue
notre liberté. D'ou lui vient un pouvoir fi
étendu & fi honteux à l'humanité ? Je crois
l'avoir deviné , il vient de notre pareffe
& de notre amour propre ; nous nous formons
dès l'abord fur un objet une certaine
idée ou confufe ou fauffe , nous nous accoûtumons
infenfiblement à ne plus envifager
l'objet que fous cette idée , nous ne voulons
pas nous donner la peine de l'exami
ner attentivement ; le travail effraye notre
pareffe ; la premiere impreffion avec le
tems fe fortifie ; notre efprit maîtriſé n'eſt
plus en état de revenir contre elle , pour
revendiquer fes droits : écoutons Ovide .
Principiis obfta :fero Medicina paratur ,
Cum mala per longas invaluere moras.
Peu à
peu l'amour - propre s'en mêle , &
nous fait entendre qu'il feroit honteux
pour nous d'avouer que nous nous fommes
JUIN 1745.
trompés pendant un fi long tems ; c'eft ainfi
que l'erreur prévaut contre la vérité ; ikn'y a
guerres d'apparence que ce défordre ceffe ,
tant que l'homme fera homme , c'est-à- dire
tant qu'il y aura de l'amour -propre ; ce
dernier étant inféparable de l'humanité ,
il n'eft que trop vrai que tant que cette cauſe
fubfiftera l'effet fubfiftera aufli ; il fuffit de
parler en gros de la généalogie des prejugés,
le détail en feroit trop long , l'heure me
preffe , mais fi ce Journal Philofophique à
le bonheur de vous amufer vous n'avez
qu'à parler , & je tâcherai de m'étendre
avec plus de foin fur une matiere qui fait
tous les jours l'objet de mes refléxions .
Je fuis & c.
VERS
A M. de Voltaire , par feu M. de la Faye,
ᎠDu beau larcin qu'au Ciel fit Promethée
U
Chaque Mortel en naiffant a fa part ,
De cette flâme aux humains apportée voimm
Les lots font faits , inégaux , au hazard :
Au mieux loti fi faut-il encor l'Art ,
Biiij
32 MERCURE DE FRANCE.
Și lui faut - il , étayant la nature
190 200 200
Par longs travaux veiller à fa culture ,
Puis pour guerdon qu'en a-t’il ? un vain los ,
le deftin fit fots , Tandis que ceux que
À nonchaloir mettant labeur , étude
t
Vivent contents ; loisirs, & quietude
Sont de leur fort attributs précieux ;
Près de ces biens que vaut la Renommée ,
Toi qui l'acquis par mainte oeuvre estimée ,
Dis moi , Voltaire , eft- ce donc que les Dieux
fumée , En n'accordant aux talens que
Vengent encor ce vol audacieux .
5252525:2
ASSEMBLE'E PUBLIQUE
de l'Académie des Belles- Lettres.
L'démie Royale des Inferiptions & Belles-
Lettres fit fa rentrée publique ; M. Freret
; Secrétaire perpétuel , ouvrit la Séance
par l'Eloge de feu M. l'Abbé Gédoyn
Académicien
Penfionnaire .
E Mardi 27 du mois d'Avril l'Aca-
On a inféré dans le Mercure du mois
de Janvier de l'année derniere , un EloJUIN.
1745.
33
>
ge Hiftorique de M. l'Abbé Gédoyn
& l'Editeur de fes OEuvres pofthumes l'a
inféré à la tête de ce Recueil , avec de légers
changemens , fur lefquels on a négligé
de nous confulter ; cet Eloge dans lequel
on trouve un détail fuffifant fur la Famille
de ce fçavant Académicien , Famille ancienne
& diftinguée dans l'Orléanois ,, a
difpenfé l'Auteur de celui-ci de s'étendre
beaucoup fur cet article .
Nicolas Gédoyn , né à Orléans le 9 Juin
1669 , étoit le troifiéme des cinq enfans de
Philippe Gédoyn , Maréchal des Camps
& Armées du Roi , Gouverneur de Baugen
cy , & choift par Louis XIV . à cauſe de fon
mérite perfonnel , pour Gouverneur du
Comte de Vermandois. Après avoir parlé
en peu de mots de fon éducation , du fuccès
avec lequel il fit fes études au Collége
de Louis le Grand , de l'attachement qu'il
conçut pour les Maîtres , & de la maniere
dont il fe concilia leur bienveillance, Monfieur
Freret paffa à fon entrée dans la Societé
de Jéfus. Ses Supérieurs te deftinerent à profeller
les Humanités, & on l'envoya à Blois,
où il fit un féjour de plufieurs années. Il
profeffoit la Rhétorique, lorfqu'une fluxion
de poitrine , accompagnée d'un violent
crachement de fang , l'arrêta dans cette
pénible carriere. Le Mémoire dont ce fait
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
eft tiré , fourni par un parent de M. l'Abbé
Gédoyn , qui a toujours vécu avec lui dansune
intime liaiſon , ajoûte qu'il fut mis au
lait pour toute nourriture , & que ce régime
indifpenfable pour le rétabliſſement de
fa fanté , ne s'accommodant point avec les
genre de vie qu'il menoit , fes amis l'enga--
gerent à quitter les Jéfuites , chés lefquels
il avoit paffé près de dix ans , quoiqu'il en
cût à peine 25 accomplis .
& Il fe retira d'abord à la campagne ,
vint enfuite à Paris , où une penfion modique,
affés mal payée , ne lui eût guére fourni
les moyens de cultiver tranquillement
les Lettres , fi une de fes parentes fort ri--
che ne l'avoit reçû dans fa maifon. Il ne lay
quitta qu'en 1701 , lorfque le Roi l'eut
nommé à un Canonicat de la Sainte Cha
pelle.
Sept ans après il entreprit fa Traduction
de Quintilien , qu'il publia en 1718. étant:
déja Membre depuis un an de l'Académie
des Belles Lettres . Cet Ouvrage lui valut
en 1719. une place à l'Académie Françoife-
& l'Abbaye de S. Sauve de Montreuil, qu'il
remit dans la fuite pour celle de Baugency ,,
qui le rapprochoit du lieu de fa naiffance..
La Traduction de Quintilien fit beau
coup d'honneur à M. l'Abbé Gédoyn . Il
n'eft pas difficile d'en fentir toute l'utilité
JUIN. 1745.
35
furtout après toutes les refléxions judicieufes
par lesquelles l'Auteur de fon Eloge a
fçû la développer , & que nous fommes.
forcés d'abreger. Il remarque que l'utilité
de l'inſtitution de l'Orateur ne fe borne pas
à nous mettre en état de juger de l'Eloquence
Grecque & Latine , que les principes de:
Quintilien peuvent s'appliquer à tous les
fiécles , à toutes les Langues , & que ce Rhétheur
, homme d'un efprit jufte & éclairé ,
ne regardoit la Rhétorique que comme un
moyen de perfectionner le génie naturel ,
que comme un Art qui indique les écueils :
dont il doit fe garantir. Le génie feul , dit
M. Freret , produit les véritables beautés ,
fes regles & les préceptes nous apprennent
feulement à éviter les fautes ..
Il donne enfuite une idée fort jufte de:
Vefpece d'Eloquence , qui du tems de Quin--
tilien avoit fuccedé à celle des Cicérons
& des Hortenfius, Dans le fiécle de ces
grands hommes , c'est -à-dire lorfque la Ré--
publique Romaine fubfiftoit encore , l'Elo--
quence décidoit des plus grandes affaires ;;
c'étoit elle qui dictoit le plus fouvent les
decrets du Sénat & les réfolutions du Peu--
ple,, & la confidération qu'elle donnoit aux
Orateurs , les conduifoit aux premieres di--
gnités. Les chofes avoient bien changé de
face fous fes Empereurs. Reléguée dans less
B vjj
$ 6 MERCURE DE FRANCE.
Tribunaux , l'Eloquence ne rouloir plus
que fur des objets d'une moindre étenduë ;
elle étoit bornée à des caufes particulieres :
encore ne pouvoit- on plus les plaider comme
autrefois , parce que les Juges n'étoient
plus comme autrefois pris au hazard.
C'étoit des Jurifconfultes inftruits
dans les Loix , accoûtumés à la difcuffion
des procès , & moins fenfibles à des tours
étudiés qu'à des raifons folides. Il s'agit auparavant
d'émouvoir , alors il falloit convaincre.
Cependant le titre d'homme éloquent ,
quoique moins favorable à l'ambition , flatoit
encore infiniment l'amour propre. Les
jeunes gens qui vouloient acquérir ce titre ,
Le tournerent done du côté de la déclamation
; leurs difcours rouloient fur des fujets
imaginés , fouvent abfurdes , toujours bizarres
& finguliers. Moins occupés à perfuader
leurs auditeurs , qu'à les éblouir , ils
ne fongeoient qu'à montrer de l'efprit , des
penfées brillantes , des tours nouveaux ; des
Paradoxes ingénieux rempliffoient toutes
ces harangues ; c'eft principalement pour
combattre ce mauvais goût que Quintilien
a compofé fon Ouvrage, & ce fut aux yeux
de M. l'Abbé Gédoyn une raifon de plus
pour le traduire. Il croyoit avec fonde
ment que de tels préceptes pouvoient être
JUIN. 17458
37
de quelque ufage dans un fiécle où l'abus
de l'efprit commence à devenir fi commun.
Le fuccès qu'eut cette Traduction le détermina
à traduire la Defcription de la Grèce,
par Paufanias , Auteur , dont le principal
mérite eft de peindre d'une maniere vive
& nette les Lieux & les Monuments qu'il
décrit ; homme au fond de peu d'efprit , &
qui allioit la fuperftition la plus crédule
avec l'irreligion , mais dont l'Ouvrage eft
très -utile pour acquérir fur l'état de l'ancienne
Grèce , & fur les opinions Religieufes
de fes habitans , des connoiffances que
l'efpece d'éducation nfitée parmi nous
rend néceffaires en quelque forte , même à
ceux qui fe contentent d'une certaine Aeur
de Littérature. C'eft dans cette vûë que l'Académie
en avoit dès fon établiffement regardé
la Traduction comme importante.M.
Abbé deCanmartin l'avoit même entrepri
fe , & s'étoit affocié M. Pouchard , mais la
mort de celui-ci , & d'autres foins aufquels
M. de Caumartin fut obligé de fe livrer ,
firent abandonner ce projet , dont l'exécution
étoit réservée à M. l'Abbé Gédoyn.
A la Traduction de Quintilien & de Paufanias
il vouloit joindre celle de la Géographie
de Strabon , mais détourné de fon
deffein par le mauvais état où fe trouve le
Texte de cetAuteur , il jetta les yeux fur la
38 MERCURE DE FRANCE.
Bibliothèque de Photius , dont il a traduiť
les principaux morceaux hiftoriques qui
font imprimés dans fes OEuvres pofthumes.
La perfuafion dans laquelle M. l'Abbé Gédoyn
a'toujours été de l'utilité des Traductions
, & le goût qu'il avoit pour ce genre
d'écrire , ont occafionné de la part de l'Auteur
de fon Eloge plufieurs refléxions fur
cette efpece de travail , extrêmement utile ,
mais dont la difficulté n'eft pas moindre , &.
dont le mérite eft rarement apprécié à ſa
jufte valeur. Après avoir préfenté en peu
de mots les differentes caufes du mépris &
des cenfures injuftes aufquelles les Traductions
font fujettes , & remarqué en mêmetems
qu'une Traduction , même parfaite ,
s'il étoit poffible d'en trouver , ne feroit
pas à l'abri d'une Critique raifonnable ,
il examina pourquoi il eft fi difficile de réüffir
dans ce genre d'Ouvrage & il en indiqua
les raifons principales qui font. 1 ° . La
néceffité où eft le Traducteur de poffeder.
parfaitement la Langue de fon original , &
celle dans laquelle il écrit , d'avoir le même
Four d'imagination que fon Auteur , & de
fe révêtir en quelque forte de fon carac
tere .
#
2º. La difference du génie des Langues .
Les Langues ont , dit- il , des efpéces de
beautés qui leur font particulieres , & quij
JUIN. 1745. 3.9
conſiſtent dans un certain rapport , dans
une certaine liaiſon entre l'idée principale
que les mots expriment , & un grand nom
bre d'autres idées acceffoires prifes foit de
l'étymologie de ces mots , foit de l'ufage métaphorique
qu'on en fait en d'autres occa
fions ; du mêlange de ces diverfes idées il
réfulte je ne fçais quel fentiment confus
qui forme une efpéce de beauté qu'il n'eſt
jamais poffible de faire paffer d'une Langue
dans une autre. De plus le Traducteur ren
contre fouvent des expreffions figurées que
l'uſage a rendu nobles ou gracieuſes , &
qu'il ne peut
rendre que par des équivalents
qui pafferont toujours pour des infi
délités aux yeux de quiconque entend ou
croit entendre parfaitement la Langue de
P'Original..
-
De ces Obfervations il conclut que l'on
doit mettre une grande différence entre les
Ouvrages de pur agrément & ceux qui
font Hiftoriques ou Dogmatiques. Les premiers
dont le mérite eft attaché prefque
tout entier au tour de là Langue ou à des
chofes qui dependent des coûtumes & des:
opinions d'un peuple , fouvent des modes
d'un fiécle , font infiniment plus difficiles à
traduire que les feconds . Pour ceux - ci com
me leurs beautés font d'un autre genre , 80
qu'il s'agit ou de faits ou de raifonnemens ,
40 MERCURE DE FRANCE.
il fuffit
que le Traducteur fçache bien les
deux Langues , qu'il foit au fait des matieres
dont il traite , qu'il écrive avec autant de
pureté dans fa Langue que fon Auteur a
écrit dans la fienne , enfin qu'au talent de
fe faire entendre il joigne celui de conferver
en quelques endroits je ne fçais quel
air étranger qui caractériſe la Nation & le
fiécle de fon Auteur.
Toutes ces qualités fe trouvoient réunies
dans le Traducteur de Paufanias & de
Quintilien. Il a fçû dans une copie fidelle
de fes Originaux conferver toute l'aifance
& la naïveté du ftyle François , aifance qui
caractériſe tout ce qui eft forti de fa plume.
C'étoit par eftime pour les anciens Auteurs
qu'il s'étoit déterminé à en traduire quelques-
uns , mais comme d'autres perfonnes
tiroient du même principe une conféquence
tout-à-fait oppofée , & qu'ils rejettoient
fur les Traductions la caufe du décri où
femble être aujourd'hui tombée l'étude des
Langues fçavantes, M. l'Abbé Gedoyn compofa
pour la défenfe des Traducteurs un
Difcours qui fait partie de fes Euvres pofthumes.
Au refte quel que fût fon goût pour l'Antiquité
, il ne laiffoit pas de reconnoître les
inconveniens de l'Education purement
Latine & Grecque qu'on donne aujourd'hui
JUIN. 1745 .
42
aux enfans ; deftinés à vivre dans le fein de
la France, on les éleve de la même maniere
qu'on fuivtoit
pour de jeunes Gaulois
deftinés
à paffer leur vie dans Rome à la Cour
des Céfars. Il s'eft expliqué
là- deffus dans le dernier Mémoire
qu'il a lû à l'Académie
,
& qui fe trouve auffi imprimé
dans le Re- cueil de fes OEuvres pofthumes
. Ses autres Differtations
le font dans celui des Mémoires
de l'Académie
, aux Affemblées
de
laquelle
il fut toûjours
très- affidu , ayant joüi malgré fon age avancé d'une fanté ferme
& vigoureufe
jufqu'à fa mort , arri- vée le 10. Août 1744.
Cet Eloge fut fuivi d'une Differtation que
lût M. l'Abbé Fenel fur la Doctrine qu'on
enfeignoit autrefois dans les Myfteres d'Eleufis.
L'Auteur dit d'abord, qu'ayant formé le
deffein de donner le plan fyftématique des
anciennes Religions qui ne fubfiftent plus
que dans les Livres , il avoit crû devoir
commencer par les Myfteres d'Eleufis
parce qu'il regarde ce que l'on enfeignoit
dans ces Myfteres & dans les autres de l'an
cienne Grece , comme le fond de la Relgion
chés ces peuples . Cette derniere propofition
pouvant paroître nouvelle , l'Auteur
en donna pour preuve , que c'étoit
dans ces Myſteres feulement que
l'on pro
42 MERCURE DE FRANCE.
pofoit comme fondamental le dogme des
peines & des recompenfes dans la vie ful
ture ; il ajoûta qu'il auroit pû en rapporter
bien d'autres preuves , mais que la brieveté
qui étoit néceffairement preferite aux lec
tures publiques ne lui permettant pas de
s'étendre fur cet article ni fur tous les au
tres , il étoit obligé de ne donner dans ce
moment que le précis d'un Mémoire trèsétendu
qu'il avoit lû dans les Affemblées
particulieres de l'Academie.
Enfuite M. F. fe propofa une queftion
abfolument nouvelle , fçavoir pourquoi les
Grecs affectoient de cacher leurs Myſteres
avec tant de foin . Il y répondit en expliquant
le pouvoir extraordinaire que les
anciens Grecs attribuoient à leurs cérémonies
religieufes , ce qui les leur faifoit regarder
comme le moyen principal qui leur
attiroit l'effet de leurs prieres.
Il s'enfuivoit nécellairement de cette opinion
,, que quand on fçavoit ces cérémonies
, on croyoit avoir des moyens certains
& infaillibles d'obtenir fes demandes. De
là naiffoit l'envie de les cacher >, ces céré
monies , pour en profiter , de-là le fecret
qu'on en faifoit à tout autre qu'à fa famille
ou à d'intimes amis .
Un paffage d'Héfiode fait voir que de fon
tems il y avoit dans chaque famille des efJUI
N. 1745.
43
peces de Myſteres , ou de fecrets Religieux:
mais comme on fe railloit mutuellement
parmi les Grecs fur ces points , dont on
ne fçavoit pas les raifons , Hefiode donna
pour précepte qu'il falloit refpecter les
cultes particuliers & cachés , que chacun
pouvoit avoir.
M. F. montra enfuite que ces petits
Myſteres fe detruifirent peu-à- peu en fe
réuniffant entr'eux ou en le joignant à ceux
qui étoient déja anciens & accrédités : tels
étoient ceux qu'on célébroit à Eleufis , que
l'Auteur montra en cet endroit avoir été
les plus anciens & les plus célébres de toute
la Grece , comme ils furent aufli les plus
durables , n'ayant pû être exterminés qu'àvec
le Paganifine.
C'est la doctrine qu'on y enfeignoit que
M. Fenel a voulu approfondir , ce qui fait
fuffifamment connoître que fon plan eft extrêmement
different de celui de Jean Meurfius
; il n'y a d'ailleurs que deux Auteurs
qui ayent eu le même projet que M. Fenel ,
mais il ne l'ont pas approfondi auffi avant
qu'ils euffent pû le faire , le premier ( qui eft
Jaques Godefroy, ) a donné fes penſées fur
ce fujet dans un Commentaire fur le fameux
paffage de S. Paul , Et manifeftè magnum eft
pietatis facramentum &c. I. Timot . III . 16.
dans lequel il prétend que le grand Apôtre
44 MERCURE DE FRANCE.
a fait une oppofition fuivie & détaillée ;
des principaux articles de notre Foi , & des
dogmes qu'on enfeignoit à Eleufis . Si cette
penfée de Godefroy eft bien fondée , elle ne
peut que montrer l'utilité des recherches
de notre Auteur
M. l'Abbé F. s'eft borné dans ce premier
Memoire à donner le détail de ce qu'on enfeignoit
à Eleufis fur la préexiftence de
l'ame , fur la caufe de fon union avec le
corps, & fur les fuites de cette doctrine.
Mais avant que d'entrer dans cette difcuffion
il a crû devoir répondre à deux objections
entierement oppofées qu'on lui
a fait , dans la premiere defquelles on a dit
que ce que l'on enfeignoit dans ces Myfteres
eft déja fufiifamment connu , foit par
les récits mythologiques des Poëtes , foit
par ce qu'en a rapporté S. Clement d'Alexandrie
dans le Protreptrison.
Dans la feconde au contraire , on prétend
que la peine de mort portée contre les révélateurs
de ces Myſteres , jointe à la force
de la fuperftition, en a du faire entierement
perdre la trace , & que tout ce que nous
pouvons efperer aujourd'hui eft de fçavoir
ce que l'on debitoit à la place du véritable
fecret , pour contenter les curieux. On a
ajoûté pour fortifier cette objection que.
les cruels jugemens de Weftphalie fournifJUIN
. 1745
45
feient un exemple d'un fecret gardé inviolablement
la feule force des fermens , par
& qui eft enfuite péri avec les derniers dé-~
pofitaires de ces fecrets redoutables.
Il faut convenir que M. F. s'eft trouvé
par ces deux objections entierement contraires
, dans une fituation délicate & dans
un pofte difficile à conferver , car en repondant
à toutes les deux à la fois , il fe trouvoit
dans une espece de néceffité de dire
que ces Myfteres étoient tout enſemble connus
& inconnus , mais la contradiction qu'il
y`a en cela n'eft qu'apparente , & c'eſt ce
que la parfaite connoiffance de fon fujet a
bien fait démêler à l'Auteur ; c'eſt ici un
des endroits les plus finguliers de l'Ouvrage
, il a donc montré que ce que les Poëtes
avoient débité ſur la mythologie de Cerès
ne pouvoit pas être ce qu'on cachoit dans
les Mysteres avec tant de foin , puifqu'il
eût été abfurde de demander le fecret pour
des chofes que tout le monde fçavoit.
Il a enfuite répondu à la difficulté , tirée .
de S. Clement d'Alexandrie, & pour cela il
a fait une remarque abfolument nouvelle
Parmi un très-grand nombre d'Ouvrages
qu'on a fauffement attribués à Orphée , il y
en a eu deux entr'autres , très- différens fur
les Myſteres.
Dans le premier on rencontroit des
dogmes qui avoient beaucoup de rapport
46 MERCURE DE FRANCE.
avec ceux d'Eleufis , & c'eft ce que l'Auteur
prouva par un paffage de Paufanias.
Dans le fecond on trouvoit des chofes
infames & exécrables, qui ont fait parler les
plus graves Auteurs de l'Antiquité avec la
plus grande indignation contre Orphée ,
c'eft ce qu'un endroit d'Ifocrates mer dans
tout fon jour.
Or c'étoit précifément cette feconde forte
d'Ouvrages fuppofés à Orphée que S. Clement
avoit copiés , & il eft aifé de voir qu'il
n'y avoit en cela rien des fentimens des
Prêtres d'Eleufis , le fecret n'a donc pas
révelé par les Poëtes ni par S. Clement .
été
Il faut maintenant repondre à la fecondes
objection , & pour le faire l'Auteur remarqua
primò que la peine de mort portée
contre les révélateurs des Myfteres à Athé
nes , n'avoit pas lieu dans d'autres Etats &
qu'ainfi hors le territoire d'Athénes il n'y
avoit que la fuperftition qui pût engager les
initiés au fecret , ce qui ceffoit dès que l'ef
prit de ces gens-là fe dégageoit de la fuperftition
: il y eut donc plufieurs révélareurs
, & l'on conferva leurs difcours en
différens endroits.
2º. Qu'il y avoit certainement dans les
M. d'E. de certaines chofes qu'il étoit permis
de dire publiquement. Il faudroit ne
pas connoître les hommes pour ignorer
JUIN. 1745-
47
qu'il y en avoit fans doute plufieurs , qui
faifoient des extenfions & qui en difoient
bien plus qu'on n'avoit voulu leur permettre
d'en dire.
1 3 °. Il y avoit plufieurs conformités entre
la doctrine des Myfteres & les premiers
Livres fuppofés à Orphée , qui n'étoient pas
tares.
.4°. Il y en avoit encore , ( des conformités )
entre les M. d'Eleufis & ceux des Groffiens
dans l'Ifle de Crete, & ces derniers n'étoient
pas cachés , au contraire ils étoient publics.
5 °. Enfin il y avoit alors des Livres dont
le but étoit d'expliquer les M. il eſt vrai
que l'on cachoit ces Livres avec autant
de foin que les M, mêmes , mais divers
accidents imprevûs devoient manifefter
ces Livres dans des cas qui ne devoient
pas être bien rares , ainfi les fermens & les
autres précautions dont on fe fervoit
obliger les poffeffeurs de ces Livres à les
cacher , devenoient inutiles quand ils paf
foient à des héritiers ou à des acheteurs
que la fuperftition ne retenoit
pour
pas.
Par toutes ces circonstances réunies on
voit que les Myfteres en queſtion étoient
à differens égards tout - à - la fois obſcurs
& ignorés d'une part ,& connus de l'autre.
La crainte des loix & la fuperftition travailloient
fans ceffe à les cacher , mais plu
MERCURE DE FRANCE.
feurs événemens les manifeftoient malgré
qu'on en eût. Tout cela joint enfemble
faifoit la chofe dans une de ces fortes
d'indécifions ou d'incertitudes , dont la
lecture de l'hiftoire & la connoiffance da
monde ne nous donnent que trop d'exemples.
M. F. paffa enfuite à l'explication de ce
qu'on enfeignoit à Eleufis fur la prééxiftence
de l'ame humaine , & fur la caufe de fa
defcente dans le corps , mais comme cela
eft fondé principalement fur un fragment
de Ciceron , qui nous a été confervé par
S. Auguftin lequel s'en eft fervi pour
prouver contre les Pélagiens , que les Payens
avoient confervé quelque idée du
péché originel ) nous jugeons néceffaire
pour l'intelligence de ce qui fuit , de rapporter
la traduction de ce paffage important
de Ciceron.
า
» Les égaremens & les malheurs de la
» vie humaine nous font conclure que
ces anciens Prophétes , ces anciens Prê--
> tres, qui nous ont fait connoître la vo
lonté & les deffeins des Dieux , en enfeignant
les initiations & les chofes facrées
, femblent avoir quelquefois vû-
» plus loin que les autres hommes , lorf
» qu'ils ont dit que nous étions nés en cette
» vie pour porter la peine des crimes que?
nous
JUIN. 1745 . 49
nous avions commis dans une vie anté-
» rieure : en forte que ce que l'on lit dans
» Ariſtote eft véritable , que nous fommes
» foùmis à un fupplice femblable à celui
» de ces infortunés que les brigands d'Etrurie
faifoient mourir en les attachant
» tout vivans à des cadavres & les joi-
» gnant , par une cruauté déteftable , face
» à face , & corps à corps ; ainfi nos ef-
» prits unis à nos corps , font comme des
» êtres vivans liés à des êtres privés de vie.
» Nous fommes nés ( difoit Ciceron ail-
» leurs ) pour porter la peine de nos cri-
>> mes .
M. F. remarqua qu'il avoit prouvé dans
les affemblées particulieres de l'Académie ,
que ces paffages étoient veritablement de
Ciceron , & que cet Ancien avoit déſigné
manifeftement qu'il s'agilfoit des M. d'E.
dans le premier des deux .
M. F. expliqua enfuite les conféquences
de la doctrine contenue dans cet endroit de
Ciceron , & dans quelques autres de Platon ,
qui lui font paralleles , ou les dogmes qu'elle
préfuppofoit néceffairement.
Les Prêtres d'Eleufis devoient donc enfeigner
1°. Que nos ames avoient préexifté avant
que d'être unies à nos corps , & dans
cer état elles avoient leur libre arbitre , de
I. Vol. "C
que
so MERCURE DE FRANCE,
même que dans la vie préfente.
2°. Que ces ames avoient commis quelques
fautes dans cette vie anterieure , ce
qui fuppofe des loix établies & enfraintes.
3 ° . Qu'il y avoit un Etre fuprême , une
Divinité , un Auteur de ces loix & de la
punition des ames coupables .
4°. Que cette punition confiftoit dans
un exil des ames hors du ciel leur patrie
& dans une priſon ici bas , prifon qui n'étoit
autre que les corps humains dans lefquels
les ames font renfermées.
5 °. On prétendoit enfeigner dans les M.
d'E. un moyen certain & infaillible pour
effacer ces fautes des ames , & pour les réconcilier
avec la Divinité : c'étoit l'initiation,
6. Mais cela faifoit naître une objection
; l'homme initié devoit fe hâter de
mourir , pour reprendre plus promptement
poffeffion de la béatitude dont il avoit été
dépoffedé , & dans laquelle les cérémonies
des Myſteres devoient le réintégrer infailliblement,
7°. On répondoit qu'une mort anticipée
& volontaire feroit un nouveau crime,
& que par-là on retomberoit dans les premiers
malheurs , en rompant la prifon où
Dieu nous a condamnés .
Ces dogmes de la préexi ftence & dela
JUI N. 1745 .
ceux
pour
prifon des ames font prefque univerfellement
attribués à Platon par les Ecrivains
anciens & modernes. M. F. prouva en cet
endroit par un paffage formel de ce Philofophe
, que cela étoit tiré des Myfteres , ce
qui doit s'entendre de ceux d'Eleufis , mais
comme le même Platon dans fon Cratyle
femble donner ces mêmes fentimens
pour être ceux d'Orphée , ou
de fes Difciples , ( car le Grec eft équivoque
) notre Auteur fe débarraffe de cette
difficulté d'une maniere abfolument nouvelle
, en montrant que le terme dont Platon
fuppofe qu'Orphée s'eft fervi
fignifier un corps vivant ene fignifioit de
fon tems (& encore long-tems après) qu'un
cadavre , un corps mort , & qu'il y avoit du
tems de ce Muficien- Poëte , un autre mot
pour fignifier le corps vivant & animé ;
cela décele l'impofture de ceux qui avoient
produit ces Ouvrages fous le nom d'Orphée
, impofture dont Platon s'eft apperçu
en un autre endroit , comme le prouva
M. F. Il eft vrai que cela forme une nouvelle
difficulté , fondée fur la contradiction
où Platon eft tombé , mais l'Auteur
l'a réfolu en deux mots , en faisant voir
quel eft le caractére & l'efprit des Dialogues
de ce Philofophe , dans lefquels il
Cij
52 MERCURE DE FRANCE .
expofe fouvent des fentimens très- differens
des fiens propres.
Après cette digreffion néceffaire , M. F.
reprit la fuite des dogmes d'Eleufis : on y
enfeignoit que les ames humaines avoient
des ailes , lefquelles avoient été affoiblies
ou brifées par les fautes commifes dans la
vie anterieure, Mais quels étoient les
moyens par la vertu defquels on prétendoit
redonner à ces aîles leur premiere vigueur
? On ne s'aviferoit pas de penfer
que c'étoit par de certaines bandelettes
facrées dont on entouroit la tête des initiés
, & par des diadêmes ou couronnes
dont on les décoroit ; ces couronnes myfterieufes
étoient fi précieufes , fi importantes
, fi néceffaires , qu'elles faifoient le
quatrième dégré de l'initiation , & qu'elles
ne reconnoiffoient rien qui fût plus excellent
& plus admirable qu'elles , finon
le cinquième & dernier degré de ces Myfteres
, qui confiftoit à converfer avec les
Dieux , & à jouir de leur familiarité ; ces
mêmes couronnes avoient auffi le pouvoir
de donner un certain degré de Sacerdoce
à l'initié , & par - là il devenoit en même
tems capable de communiquer ce Sacerdoce
aux autres ; c'eft ce que M. F. promit
de développer dans un autre Mémoire .
Après cela il ne faut pas s'étonner d'ap $
JUIN. 1745 . 53
prendre que la purgation de l'ame ( qui faifoit
une partie confiderable de l'initiation )
ait été fubordonnée à ces couronnes , &
qu'elles ayent été même le but & la fin
qu'on fe propofoit dans la communication
des Myfteres , & dans l'époptie ou la
vue des chofes fecrettes.
M. F. fut enfuite occupé à rapporter
plufieurs citations qui prouvent démonftrativement
qu'il avoit trouvé le vrai fens
de la cérémonie des couronnes ; mais on
eut quelque lieu d'être furpris de trouver
dans les Auteurs qu'il cita , celui qui s'eft
paré du nom de S. Denys l'Areopagite ;
cet Ecrivain a employé avec affectation
tous les termes de la Théologie d'Eleufis ,
( comme on l'a remarqué il y a déja longtems
) & entr'autres il a parlé formellement
de l'impofition des couronnes facrées,
à l'égard des morts qui ont bien vêcu .
A cette occafion M. F. promit d'examiner
le tems & l'occafion de la compofition des
Ouvrages du faux Denys , & déclara qu'il
en tireroit quelques lumieres pour fon
fujet.
M. F. remarqua enfuite que cette doctrine
des ailes de l'ame avoit été fi répandue
dans l'antiquité , qu'elle avoit donné
lieu de repréſenter l'ame fous le fymbole
d'un Papillon , dont les aîles font très-
Ciij
34 MERCURE DE FRANCE.
marquées , ou fous celui d'une tête humaine
garnie d'aîles , qui font placées tantôt
au fommet de la tête , & tantôt vers
les tempes ou vers les oreilles , c'eft ce que
prouvent une infinité de Pierres gravées ,
de Bas reliefs & de Médailles , ce qui pourroit
fournir l'objet d'une très - curieufe
Differtation. Mais l'Auteur ne pouvant
s'étendre en cet endroit , fe contenta
de cette remarque générale , à laquelle
il joignit feulement la caufe pour laquelle
la tête de Mercure étoit ornée d'un bonnet
aîlé , c'eſt qu'il étoit regardé comme le
Conducteur des ames.
M. F. développa enfuite ce qu'a voulu
dire Platon dans un célébre endroit du
Dialogue intitulé le Phédre, & il remarqua
d'abord d'après M. l'Abbé Sallier , qu'il ne
s'agit pas directement dans cet Ouvrage de
l'immortalité de l'ame , mais que Platon
n'y avoit eu pour but que de traiter de la
Rhétorique .
Enfuite vint l'Analyfe de l'endroit en
queſtion ; il nous eft impoffible de fuivre
M. F. dans ce détail , il nous doit fuffire
de remarquer qu'il prouva très - clairement
que Platon n'avoit pas eu deffein d'expofer
dans ce premier de fes Ouvrages un
fyftême nouveau & inconnu aux Atheniens
, mais qu'il avoit feulement prétendu
JUIN
1745. 55
fe fervir d'un plan déja reçu , en y faifant
néanmoins les changemens qu'il avoit cru
néceffaires pour l'adapter pour l'adapter au fujet qu'il
traitoit , & à celui qu'il faifoit parler ,
c'eſt-à-dire , à Socrate .
M. F. montra donc par les allufions bien
marquées que Platon fait aux termes
de la Théologie d'Eleufis , & par d'autres
circonftances , que le fond de ce qu'il difoit
en cet endroit étoit emprunté d'Eleufis
, mais comme on pouvoit demander
par qui Socrate ( qui certainement n'étoit
pas initié ) avoit été inftruit de tout cela ,
on voit que Platon va au-devant de cette
importante objection , en faifant dire à
Socrate qu'il en avoit été inftruit par Jupiter ,
mais que d'autres l'ont pu apprendre des au
tres Dieux ; ce qui défigne tacitement les
Déeffes d'Elçufis , & à cette occafion M.
F. remarqua que dans les M. Cerès étoit
regardée comme l'ennemie de Jupiter &
de Junon , ce qu'il promit de prouver
dans un autre Mémoire .
Enfuite il fallut montrer en quoi principalement
la doctrine de Platon differoit
de celle d'Eleufis , & M.F. s'en acquitta , en
montrant que cela confiftoit d'une part en
ce que Platon attribuoit aux préceptes de
la Philofophie une vertu égale & pareille
à celle de l'initiation , pour redonner à
Cinj
56 MERCURE DE FRANCE.
l'ame fes aîles , & pour la faire jouir d'un
bonheur femblable à celui que promettoient
les Myfteres ; & d'autre part , en ce
que Platon fembloit n'attribuer la chute
del'ame , & le briſement de fes aîles , qu'à
des caufes pour ainfi dire naturelles , au
lieu que dans les M. on enfeignoit formellement
que ces effets funeftes étoient des
fuites immediates de la puiffance & du
courroux de la Divinité , & des punitions
de quelques crimes ou de quelques fautes
de l'ame .
M. F. expofa enfuite les fentimens qu'on
lit à la fin d'un des Ouvrages de Plutarque,
où l'on trouve une application manifefte des
cérémonies & des dogmes d'Eleufis à la
Lune, en tant que l'on croyoit qu'elle étoit
la même que Proferpine , l'une des deux
grandes Divinités des Myfteres. Plutarque
en cet endroit compofe l'homme de trois
parties , Pefprit ou l'intelligence , le corps ,
& un être mitoyen entre l'un & l'autre , qui
eft la même chofe que ce que Platon nomme
le char aîlé de l'ame ; l'efprit eft fourni
par le Soleil , & il a un defir perpetuel d'y
retourner , pour y revoir l'image du vrai
bien , du bonheur en effence , & de tout
ce qui eft véritablement fouhaitable ; la
partie mitoyenne ( ou l'ame , ) eft fournie
par la Lune , & elle participe au fentiment
JUIN. 1745 .
57
& à la connoiffance ; le corps a la terre
pour principe : or ces trois parties étant
une fois unies en un même fujet , ( c'eſt- àdire
compofantes un homme , ) pour qu'elles
foient entierement féparées , il faut qu'il
arrive deux morts à l'homme , la prémiere
eft celle qu'il éprouve fur la terre , lors
que le corps eft féparé des deux autres fubf
tances , ce que nous appellons la mort naturelle
; l'autre mort arrive lorfque l'entendement
ou l'intelligence & la partie mitoyenne
fe féparent mutuellem nt , mais cette
diffolution ne fe fait que difficilement &
après un long -tems , & elle arrive toujours
dans la Lune où ces deux fubftances vont
habiter conjointement après la mort du
corps , & où elles font , en attendant la feconde
mort , traitées felon leurs mérites
après cette mort derniere l'efprit va dans
lo Soleil , qui eft fon principe..
Ce Systême , quoiqu'un peu different de
celui de Platon , s'y rapporte néanmoins en
beaucoup de points effentiels , furtout eu
égard à ces trois fubftances dont Plutarque
& Platon compofent l'homme , & à ce bonheur
de la partie fupérieure de l'homme
que Platon place dans la vûe claire & fans
nuage de l'Etre réellement exitant , de la
vérité en fon effence , de la fageffe primitive
, de la beauté éternelle , enfin de tou
C
58 MERCURE DE FRANCE.
tes les vertus & de toutes les perfections
imaginables , confidérées , dans leur fource
& dans leur nature immuable. Defcription
& idée qui fait un des plus admirables
morceaux du Phédre de Platon ; cette conformité
de Platon & de Plutarque eft accompagnée
d'affés de diffemblances pour
faire penfer qu'ils ne fe font pas copiés
Fun Fautre. M. F. croit donc qu'ils ont eu
en vûë le même original , fçavoir les Myfteres
d'Eleufis , qu'ils ont à la vérité altérés
F'un & l'autre pour les accommoder chacun
à fon Syftême particulier de Philofophie..
M. F. infifta fur ces conformités , & il y en
trouva une derniere , qui eft qu'ils ont gardé
tous deux un profond filence fur la nature
des crimes ou des fautes qui ont fait
defcendre les ames du fein de leur bon--
heur. On a déja. remarqué plus haut que
Platon femble avoir voulu s'écarter des
dogmes d'Eleufis fur la caufe immédiate
de l'éxil des ames & de leur prifon dans les
corps , mais comme il peut avoir eu diffe
rentes raifons d'en ufer de la forte , notre
Auteur conjectura en cet endroit que lui.
& Plutarque avoient été portés àla réticence
dont il eft ici queftion , parce que l'explication
de ces fautes tenoit trop intimementau
fecret principal des Myfteres. Auf-
M.F. avoua- t'il que c'étoit- là le point fur
JUIN.
59
1745.
lequel il avoit trouvé le moins d'éclairciffemens
, mais il ajouta qu'il avoit des indices
très-forts que ces fautes des ames devoient
être liées au dogme des deux principes
dont il avoit trouvé des traces évidentes
dans ces Myfteres ; avec cette circonftance
notable , que ces deux principes
étoient formés fur un plan totalement different
du Manichéisme.
M. F. remit la preuve de cette remarque
à un autre Mémoire , & finit fon difcours
en difant que l'on enfeignoit à Eleufis que
Ies hommes après leur mort paffoient fous
l'empire immédiat deCérès ou deDéméter , de
laquelle leur fort devoit déformais dépendre
abfolument , & que c'eft pour cela que
les anciens Athéniens nommoient les morts
Démétriens : que c'eft pour cette raifon que
chés cè même peuple on fe faifoit initier
quand on craignoit de mourir , il faut que
je fois initié avant que je meure , difoit-on
communément, auffi l'initiation regardoitelle
à Athénes tout le monde , hommes ,
femmes , libres , eſclaves ( excepté les feuls
enfans ) les amans faifoient ordinairement
à leurs maîtreffes la galanterie de payer les
frais de leur initiation , enfin le foin qu'avoient
les Athéniens d'enterrer tous leurs
morts en un même fens , enforte que le
wifage du défunt regardât l'Orient , devoit
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
être lié à la Religion du Pays , & avoir une
étroite relation à l'efpérance de vivre avec
les Dieux , espérance qué ce peuple confervoit
cheremenr ; nous voyons en effet
chés les anciens Payens l'Orient étoit confacré
aux Dieux, comme le Nord l'étoit aux
Mortels.
n
que
M. F. finit fon Difcours par quelques
remarqués fur la néceffité où étoient les
initiés de garder les habits dans lefquels ils
avoient été initiés aux Myfteres , jufques à
ce qu'ils tombaffent en piéces ; encore falloit-
il alors les dédier à Cérès , à moins
qu'on ne préférât de les découper en bandes
pour emmaillotter les enfans , comme
fi l'on eût voulu leur communiquer quelque
prétendue fainteté attachée à ces habits,
en attendant qu'ils euffent l'âge d'être initiés,
c'eft-à-dire l'âge néceffaire pour prêter
les fermens néceffaires , car jufques là ils
étoient exclus des Myfteres , fans quoi il
ne feroit prefque plus refté d'Adultes à initier
, ce qui eft entierement contraire à
PHiftoire .
M. Falconnet lut enfuite une Dilfertation.
fur les Princ pes de l'étymologie par rap.
port à la Langue Françoife .
Il ne prétend point faire valoir l'étude
étymologique comme une des parties les
plus effentielles de la Litterature ; il eft
JUIN. 1745 61 .
bien éloigné de dire fans reftriction avec
Platon , celui qui connoîtra les mots connoîtra
les chofes , mais il ne regarde pas non
plus cette étude comme inutile & n'ayant
d'autre fruit que de fatisfaire la curiofité.
On ne peut difconvenir en effet que le
débrouillement de l'origine des mots ne
foit un fecours , quelque foible qu'il puiffe
être , pour éclaircir l'origine des Nations
leurs migrations, le commerce qu'elles ont
eu entre elles , & d'autres points fur lefquels
l'antiquité a répandu une épaiffe obcurité.
D'ailleurs la formation des mots , qui
fait le fondement de l'Art étymologique ,
ne fçauroit être approfondie fi l'on n'en
examine les relations avec le caractére d'ef
prit des peuples , & la difpofition primiti
ve de leurs organes , en un mot fi l'on
n'étudie l'homme de tous les fiécles & de
tous les climats , en l'enviſageant de tous
les côtés .
On voit
que l'étude étymologique offre
une carriere très- vafte & très- digne de l'efprit
philofophique ; il eſt vrai que l'on n'y
peut marcher qu'au hazard , & que toutes
les découvertes que l'on fait ne font
fouvent appuyées que fur des conjectures ,
mais eft- ce là une raifon pour méprifer l'étude
étymologique ? La confervation de
MERCURE DE FRANCE.
l'homme en général dans ce qui regarde &
le Moral & le Phyfique , ne dépend prefque
entierement que de l'art de conjecturer;
la nature des chofes mêmes ne permet pas
que la plus grande partie de ce qui eft utile
à l'homme foit fufceptible de démonſtration.
Auffi l'art étymologique ne peut être
méprifé ni par rapport à fon objet , qui ſe
trouve lié avec la connoiffance de l'homme
, ni par rapport aux conjectures , qui
lui font des moyens communs avec les arts
les plus néceffaires à la vie , & les minuties
grammaticales qui femblent l'avilir , font
annoblies par l'efprit philofophique qui
doit y préfider.
L'objet de M. Falconnet dans fa Differtation
eft d'indiquer quelques principes
généraux propres à nous guider dans les
conjectures étymologiques , & d'en faire
après l'application à la Langue Françoife.
La formation des mots fert de fondement
à l'art étymologique , ils font tous
arbitraires ou naturels. M. F. ne reconnoît
pour naturels que ceux qui font formés par
Onomatopée, les noms des differens bruits ,
noms qui fe communiquent quelquefois
aux chofes qui les produifent ; tels font les
noms des Oiseaux ou d'autres animaux , conformes
au fon de leur chant ou de leur cri
JUIN. 1745. 63
avec les differentes altérations que produi
fent les differens génies des Langues ; mais
il eft remarquable que tous ces noms n'expriment
feulement que les objets de l'oüie.
Fox repercuffa natura.
Il faut encore convenir que la rudeffe ou
la douceur de certaines lettres peuvent fervir
à repréſenter l'une ou l'autre de ces qualités
dans certaines chofes exprimées par
des noms qui leur font conformes en quelque
maniere,& c'eft encore ici que laNature
peut avoir quelque part, auffi bien que dans
la prononciation plus aifée ou plus difficile
de certaines lettres , felon la differente difpofition
des mêmes organes dans differens
peuples. Les Nations Septentrionales qui
prononcent plus aifément les lettres guttu
rales , s'en fervent auffi plus fouvent avec
une rudeffe choquante pour nous . Il en
faut excepter les Suedois dont la prononciation
eft très- douce. Dans l'Orient & vers
le Midi nous trouvons les Arabes à qui
les afpirations font familieres , mais ils fçavent
les adoucir ; les Turcs ont le même
avantage , quoique le fond de leur Langue
foit le Tartare ; les Allemands ne peuvent
diftinguer le Z d'avec l'S ; ils prononcent
Zele comme Sel ; ils ont peine à pronocer
les L mouillées ; ils difent file pourfille ; les
Espagnols , au contraire commencent >.
64 MERCURE DE FRANCE.
beaucoup de mots par la double L moüillée. ·
Les Chinois ne peuvent prononcer la
dentale R ; ils difent Coulpufus pour Corpus
& Culufus pour Crux , & c. Il étoit prefque
impoffible aux Ephraimites de prononnoncer
le Schin ; ils difoient Scibboleth, aulieu
de Schibboleth ; la prononciation de
notre confonne eft très- difficile aux Fla→
mands , & celle du Th des Anglois à tous
les Etrangers . Il y a des Américains qui ne
peuvent prononcer les labiales B , pif, m ,
peut être parce qu'ils ont les levres percées.
Les Hurons n'ont point de labiales , & ne
ferment jamais les levres en parlant , cependant
le fon de leur Langue eft agréable ;
ces mêmes labiales font au contraire les
premieres confonnes que les enfans balbutient
en naiffant . C'eft-là l'origine des
mots Hébreu ab , pere , em , mere , & qui
par cette raifon font communs à toutes les
Langues , mais avec differentes altérations ,
ce qui pourtant n'eft pas univerfel , puifqu'il
y a des Langues où cette labiale fe
change en lettre d'une autre organe.
C'eſt donc à l'Onomatopée & à la prononciation
de certaines lettres préférablement
à d'autres , que fe réduit tout ce qui eft
du reffort de la Nature dans la production
des Langues. La prétendue reffemblance de
certains mots avec les chofes dont on les
JUIN. 1745 .
C
69
croit les repréſentatifs , n'eft qu'un produit
de l'imagination . C'est l'infléxion de la
voix , bien plus que l'articulation, qui peut
repréfenter quelque chofe de réellement
conforme à ce que l'ame reffent , qui peut
faire connoître les affections aux autres par
la fympathie établie entre les mêmes organes
dans tous les hommes..
Il faut convenir que tous les mots , excepté
ceux qui peuvent fe tirer de l'Onomatopée
, font purement arbitraires , ou pour
mieux dire , qu'ils ne font que les effets
d'un hazard ou de circonftances prefque
toujours inconnues . M. Falconnet avertit
qu'il ne parle que des mots primitifs , qui
dans leur fens propre n'ont d'abord ſignifié
que des chofes matérielles. De ces premiers
mots une fois établis , fuivant la convention
tacite d'une Societé , fe font formés
tous les autres , par l'addition ou le
changement de quelques lettres , en général
par une altération quelconque.
Mais dans cette altération que l'on peut
diftinguer en differentes claffes , telles que
celle des dérivés de chaque mot également
dans toutes les Langues , & dans quelquesunes
feulement celle des cas , des noms ,
des tems , des verbes on trouve une reffemblance
, que les Grammairiens appellent
Analogie , affectée à chaque claſſe ;
86 MERCURE DE FRANCE.
c'eft à cette uniformité qu'il paroît qu'une
efpece de raifon ait préfidé , quoique le
hazard ait encore ici beaucoup de part ,
puifqué dans cette varieté de changemens
aucune de ces altérations qui diftinguent
les differentes claffes , n'a plus de
droit qu'un autre pour défigner certains
modes de la chofe exprimée par le mot
primitif.
Or ce font ces altérations , qui prononcées
differemment dans un tems où l'écriture
peu connuë ne pouvoit encore en
fixer l'ortographe , ont été expofées à bien
des dépravations. Il est très-naturel qu'elles
fe foient encore multipliées parmi le
bas peuple d'une Nation , & que même
elles foient parvenues au point de former
des jargons dans les Provinces les plus éloi
gnées de la Capitale.
M. F. accufe auffi les Poëtes , & furtout
nos vieux Poëtes François , qui dépravant
les terminaifons à leur fantaisie , les ont
toujours facrifiées à la rime.
Voici plus de caufes qu'il n'en faut, quant
à la Langue Françoife, pour rendre méconnoiffables
dans l'ancien Gaulois plufieurs
mots , qui font foncierement les mêmes
que ceux d'aujourd'hui.
L'Art étymologique eft l'art de débrouiller
ce qui déguife ces mots , de les dépouiller
JUI N. 1745.
61
de ce qui , pour ainfi-dire , leur eft étran
ger , & de les ramener à la fimplicité qu'ils
ont tous dans leur origine. Ces recherches
exigent principalement la connoiffance du
premier âge de la Langue dont on cherche
l'origine .
On voit auffi en même- tems qu'il eft néceffaire
d'avoir quelque connoiffance de la
premiere Langue avec laquelle celle dont
on recherche l'origine doit être comparée .
Dans ces cas c'est presque toujours aux
Langues des peuples voifins , ou de ceux
qui anciennement ont habité le même Pays,
qu'il faut avoir recours , il faut même ſçavoir
s'y borner ; fi l'on veut aller plus loin,
ou remonter plus haut , on s'engage dans
des difcuffions qui n'ont point de fin , &
l'étude étymologique devient la partie de
la Litterature la plus épineufe, & en mêmetems
la plus incertaine ; il fuffit à ceux qui
ne veulent donner que les étymologies de
leur propre Langue , d'en découvrir la fource
immédiate , fans rechercher trop curieufement
le premier lieu dont elle coule , &
là s'expofer au rifque de fe perdre dans
l'antiquité la plus reculée .
par
Après avoir établi ces principes généraux
, M. Falconnet les applique à notre
Langue. Nous fçavons que le François tire
fon origine du Latin corrompu & des ref
68 MERCURE DE FRANCE.
tes de la Langue Gauloife, auffi bien que de
ceux d'un Dialecte de l'ancienne Teutonne,
apportée dans les Gaules par les Francs . Il
y faut encore ajoûter quelques mots venus
immédiatement des Grecs par les Colonies
des Phocéens établies dans la Gaule Méridionale
, du côté de la Méditerranée . M. F.
veut avec raifon que l'on fe contente de
démêler ce qui appartient à chacune de ces
Langues , & les dépravations les plus anciennes
des mots qui ont réfulté de leur
mêlange.
Nous fçavons de-même que la Langue
des Francs étoit un Dialecte de celle que
parloient les Germains , avec quelque affinité
avec l'Anglo - Saxon & le Gothique.
Il nous refte affés de monumens de ces trois
Dialectes Teutons pour les pouvoir comparer
enfemble ; Junius , Verelius , Schitter ,
Hikelius , en ont publié quelques - uns dans
ces derniers tems, & Hikefius , fçavant Anglois
nous a même donné des Grammaires
de ces Langues , il a de plus ajoûté à
celle qu'il appelle Franc - Théotefque , un
Gloffaire des mots François qu'il croit defcendus
de l'ancien Franc , & quoiqu'il fe
trompe affés fouvent , comme il rencontre
jufte quelquefois , c'eft un fecours qu'il ne
faut pas négliger.
Pour ce qui regarde la Langue Gauloife,
JUIN. 1745:
69
beaucoup plus ancienne que le Franc , fi
on vouloit rechercher fa premiere origine,
on tomberoit dans le défaut que M. F. recommande
d'éviter ; il remarque feulement
qu'il eft vrai-femblable que les Scythes ,
Nation vagabonde & la plus étenduë qu'il
y ait eu fur la Terre , felon d'autres , les
Phrygiens , en général les defcendans de
Japher , quels qu'ils foient , ont répandu
dans tout l'Occident une Langue qu'il a
plû à quelques- uns de nommer Celtique ;
que felon eux l'ancien Grec, qui eft la Langue
des Pelafges & celle des Aborigenes ,
d'où le Latin s'eft formé , font fes premiers
Dialectes , auffi- bien que le Teuton primitif
& le Gaulois , que ces Gaulois ayant
paffé dans la Grande- Bretagne , moins à
portée du commerce que les Gaules , s'y eft
même confervé dans fon intégrité , &
qu'enfuite un détachement des Gallois ,
peuple Breton, anciennement appellé Cambri,
s'étant réfugié dans l'Armorique au cinquiéme
fiécle , pour fe fouftraire à la domination
des Anglo - Saxons , y a porté
cette ancienne Langue , reconnuë aujourd'hui
fous le nom de Bas-Breton , qui eft
la même au fond que celle des Gallois reftés
en Angleterre , quoique l'une & l'autre
ait fouffert des altérations differentes,
Un fçavant Breton qui a une parfaite connoiffance
de l'ancien Breton , a expliqué à
70 MERCURE DE FRANCE.
M. F. par le fecours de cette Langue la
plupart des mots Gaulois qui fe trouvent
dans Céfar.
On trouve dans les Indices de Bochornius,
de Leibnits , d'Eccard & de Dom Pezron
, des collections de mots Bas-Bre
tons , que l'on donne pour Celtiques. D.
Pezron furtout, épris d'un amour fingulier
pour le Bas-Breton , veut le faire paffer
pour le vrai Celtique & pour la Langue
mere de toutes les Langues d'Occident ;
d'autres Sçavans rapportent au Grec la plûpart
des mots François , & d'autres enchériffent
fur ceux-ci , veulent donner le pas
à l'Hébreu, & en tire toutes les Langues de
'Europe auffi bien que des autres parties
du Monde . M. F. eft bien éloigné d'adop
ter ces fyftêmes . Celui de D. Pezron feroit
le plus excufable , car on peut fuppofer
avec affés de vrai -femblance que le Celtique
a été la même Langue de tout l'Occident,
& certainement le Bas-Breton repréfente
l'ancien Celtique avec moins d'altération
que ne peuvent faire le Grec , le
Latin & le Teuton d'aujourd'hui .
pas
Dans cette fuppofition , un mot qui ne
viendra évidemment du Grec , comme
Thermometre & beaucoup d'autres , s'il a
pourtant quelque reffemblance avec cette
Langue , & qu'en même-tems il en ait une
pareille avec le Celtique , n'eft-il pas plus
JUIN. 1745 . 71
taifonnable de le tirer immédiatement de
la mere Langue que de l'un de fes Dialectes?
M. Falconnet cite pour exemple le mot
amaner, qui fignifie lier ent ermes de Marine.
Il eſt certainement
plus raifonnable de le
faire venir du mot Celtique amar lien que
du mot Grec auua; mais eft-il bien für
que le mot amar foit Celtique ? On ne le
trouve point dans les Indices des anciens
mots de cette Langue.Le Bas-Breton a fouffert
autant d'altérations
que les Langues
qui fe font formées du Teuton primitif.
que
On voit par-là qu'en exceptant ce qui
vient manifeftement du Latin , on ne peut
approfondir les origines de l'autre partie
de notre Langue , qu'en la comparant nonfeulement
au Bas-Breton , mais encore aux
differens Dialectes du Teuton , que parlent
nos voisins. Tous leurs mots ont également
chés nous droit, pour ainfi-dire, de naturalité
, préférablement aux Grecs , qui quoique
mots d'une Langue de même origine ,
viennent d'un peuple plus éloigné de nous,
& dont le Dialecte nous femble plus
étranger .
Quant à ce qui regarde l'Hébreu , M, F.
remarque judicieufement que c'eft par un
zéle mal entendu qu'on a voulu faire de
l'Hébreu la Langue mere de toute la terre.
La divifion des Langues,expreffément marMERCURE
DE FRANCE.
72
quée dans le Texte Sacré , prouve qu'elles
ont eu des origines réellement differentes.
Le commerce des Phéniciens dès la premiere
antiquité, la difperfion des Juifs & la domination
des Arabes en Eſpagne , font des
raifons plus que fuffifantes pour rendre raifon
des mots Orientaux qui fe trouventintroduits
dans les Langues Occidentales .
M. F. finit ce Mémoire , fi plein de vûës
philofophiques , par une reflexion empruntée
du fçavant & judicieux Warburton .
Comme les mots radicaux des Langues
Orientales font en petit nombre , il a fallu
néceffairement qu'ils ayent fignifié beaucoup
de chofes differentes , & que leur fens
n'ait pû être déterminé que par la fuite du
difcours . On a abufé de cette multiplicité
de fignifications. Bochart , Gele , le Clerc ,
Lavaux , M. Huet , & en dernier lieu bien
d'autres de nos fçavans, comme M. Pluche,
tous également féconds en raifonnemens
étymologiques , pouvant interpreter, felon
leurs deffeins particuliers , les mêmes mots
differemment , n'ont adopté chacun que le
fens qui leur étoit favorable ; ainfi on peut
dire que fur le même fondement tous ont
bâti des Syftêmes prefque entierement op
pofés , dont aucun n'a fur les autres l'avantage
d'une plus grande vraisemblance.
CANJUIN
1745: 71
% @: ལྕི @ ལྕི❁ གུ
CANTIQUE DE MOYSE ,
Après le paffage de la Mer Rouge.
Cantemus Domino , gloriofe enim magnificatus
eft, equum & afcenforem dejecit in mare.
Exod. Chap. 15 .
CP dans le texte
E Cantique appartient de droit à la
Hébreux , & ce font les plus anciens que
l'on connoiffe. Jofeph fur la fin du Livre
fecond de fes Antiquités affûre que ce
font des Vers hexametres , ce qui femble
confirmé par l'autorité de S. Jérôme , Juge
compétent dans cette matiere . M. Herfan
Profeffeur au Collège du Pleffis a expliqué
ce Cantique de Moyfe felon les regles
de la Rhétorique . M.Rollin , cet Ecrivain fi
fingulierement attentif à recueillir dans fes
Ouvrages tout ce qui peut être utile à la
Religion , a inferé dans le fecond Tome
du Traité des Etudes la Verfion & le
Commentaire de M. Herfan . Je m'en ſuis
fervi autant que me l'ont permis la gêne &
les écarts de la Poëfie.
J E chanterai le Seigneur
Et fa puiffance fuprême.
1. Vol.
D
74 MERCURE DE FRANCE
Pour la Nation qu'il aime
Il étale fa grandeur ;
Son aîle couvre nos traces ;
En injures , en menaces
En vain l'Egypte éclatoit:
Il paroît ; fa main foudroye
Le Cavalier qui le noye
Sous le courfier qu'il montoit.
**3 *+
Son bras , quand la mort m'affiége
Eft ma force & mon falut ;
Jamais fur ceux qu'il protége
L'ennemi ne prévalut.
Seul objet de fa tendreffe ,
Je célebrerai fans cefle
Mon invincible foûtien .
Avec lui tout me proſpere :
Il fut le Dieu de mon pere ,
Il daigne être encor le mien ,
Iehova s'eſt montré comme un guerrier terrible
Il ouvre dans les flots une route paiſible
Aux peuples dont il eſt ſervi ,
Et dans ces mêmes flots , ouverts pour notre fuite
Sa main renverſe & précipite
Le Char de Pharaon , les Chefs qui l'ont fuivi.
La Mer Rouge , la Mer qui baigne leur Empire ,
JUIN 1745.
De toutes parts les inveftit :
Son propre Roi qu'elle engloutit
Difparoît dans l'abyme où la fureur expire.
J'ai vûChefs & Soldats ,Courfiers, Armes,Drapeaux ;
Au bruit des vents & du Tonnerre ,
Comme le métal ou la pierre ,
Tomber , s'enfévelir dans le gouffre des eaux
Ta droite a fignalé fa force inépuiſable ,
Seigneur ; où font ces Rois contre ta Loi durable
. Follement conjurés ?
Leur fafte & leur grandeur couvroit la Terre end
tiere ;
Je les cherche , où font ils ? Le feu de ta colere
Les a tous dévorés.
Ton fouffle impétueux a pénétré les ondes ;
Il ouvre de la Mer les entrailles profondes
De l'un à l'autre bord.
Soudain les flots durcis au milieu des abîmes
Forment l'affreux chemin qui conduit tes victimes
Dans les bras de la mort.
Notre ennemi difoit : je pourſuivrai ma proye ;
Leur fang , leur propre fang inondera leur voye
Jufqu'au fond des Deferts .
Je les dépouillerai , j'aſſouvirai ma haine :
Dij
76 MERCURE DE FRANCE,
Ils étoient fous le joug , ils ont brifé leur chaîne
Qu'ils rentrent dans mes fers.
:
+xxx+
Il le difoit , & leurs blaſphêmes
Sont étouffés au fein des flots.
Dieu fait retomber fur eux- mêmes
L'audace de leurs vains complots,
Grand Dieu ! que tu fais de prodiges
Ces Dieux d'erreurs & de preftiges a
Ont-ils pu s'égaler à toi.
Terrible Maître des Empires ,
Les chants même que tu m'inſpires
Me pénetrent d'un faint effroi.
Tu fais fuir la mort & la guerre
Loin des coeurs qui te font foumis
Tu romps les voûtes de la Terre
Sous les pas de tes ennemis.
Partout ta bonté paternelle
Soutient la Nation fidelle
Que ton bras vient de racheter,
Et pour couronner ton ouvrage
Tu la conduis dans l'héritage
Que toi- même veux habiter.
De la Paleſtine allarmée
Je vois la rage & la douleur,
Tous les Princes de Idumée
1
JUIN. 1745
Sont dant le trouble & dans l'horreur ;
Moab quitte fes champs fertiles ;
Ses Soldats reftent immobiles
Sous ton glaive victorieux ;
Dans l'effroi mortel qui les glace ,
Seigneur , fur ton Peuple qui pafle
Ils n'oferoient lever les yeux.
+3*+
Tes foins l'établiront ſur la Montagne Sainte ,
Ou tu veux élever le Trône de ta Loi.
Dans ces lieux tant promis , Législateur & Roi ,
De ton riche Palais tu fonderas l'enceinte.
L'Univers t'y rendra des honneurs éclatans.
Ton Regne eft éternel , Seigneur , & fa durée
Par les âges ni par les tems
Ne fçauroit être méfurée.
***
Pharaon fur fon Char eft entré dans la Mer ,
Il portoit dans les mains & la flâme & le fer ;
Tout un Peuple a fuivi ce Monarque infléxible :
Il s'avance , Dieu tonne , & dans leur chute horrible
Les flots fe font rejoints fur ce peuple crue ,
Mais ils font devenus une plaine folide
Sous la marche rapide
Des Enfans d'Ifraël .
D iij
MERCURE DE FRANCE.
DISCOURS
Prononcé par M. P
id.
M. P *** B. D. A.
te 9. Mai 1745 .
MESSIEUR ESSIEURS ,
L'amour propre eft le premier fentiment
que la Nature ait mis dans le coeur des
hommes :
gate
de
croire que ce
fentiment foit vicieux quand il n'eft pas
dereglé ; nous devons nous aimer nousmêmes
& travailler fans relâche à notre
bonheur.
>
Mais ce qui fait ordinairement regarder
le nom d'amour-propre comme odieux
c'eft que nos paffions & les erreurs auf
quelles la Nature humaine eft fujerte
nous font prendre le change , & préferer
les maux deguifés aux véritables biens ; nous
confondons l'orgueil qui eft vicieux par lui
même avec l'amour - propre qui ne l'eft pasi
La plus dangereufe illufion de cet amour
propre deregle , c'eft le defir immoderé de
fe préferer aux autres fans fe donner la
peine de mériter cette préference , c'eſt la
paffion de les maîtriſer fans avoir travaillé
à fe rendre dignes de cet empire.
JUI N. 1745. 75
-De-là naiffent dans toutes fortes d'états
les inimitiés fecrettes , les jaloufies & les
cabales : on tache de s'attribuer par ſes hauteurs
cette fuperiorité que l'on ne devroit
obtenir que du véritable mérite . Dans les
occafions où il fe trouve quelque diverfité
d'avis , il femble que chacun ne fonge qu'à
vaincre fon ennemi , plûtôt que de chercher
à fe concilier avec fon confrere , &
la difference d'opinions ne va point fans
aigreur entre les perfonnes.
Mais ce defir de nous élever fans raifon
au-deffus de nos égaux n'eft qu'un piége
que l'orgueil nous préfente , ce n'eft qu'un
fantôme que la vanité nous fait fuivre , qui
nous guide quelque tems , & qui nous
abandonne malgré nous dans un abyme où
nous voyons fur nos têtes ceux à côté de
qui nous ne voulions pas marcher.
đû ?
Eft- ce s'aimer véritablement foi-même
que de s'expofer à un danger fi funefte ,
& que de courir les rifques de payer auffi
cher un honneur qui ne nous étoit pas
L'étude de la justice & de la raifon doit
bien nous faire éviter un auffi dangereux
écüeil.
L'amour-propre que la raifon éclaire
nous dicte que fi nous voulons l'emporter
fur les autres , ce n'eft que par notre propre
mérite
que nous devons nous attirer
D iiij
30 MERCURE DE FRANCE.
un tribut volontaire d'eftime & de défé
rence ; il nous enfeigne que fi nous nous
aimons véritablement nous-inêmes nous
ne pouvons être fatisfaits qu'en devenant
aimables aux yeux de ceux avec qui nous
vivons , enfin que fi nous voulons admirer
nos qualités & nos vertus , il faut réellement
en avoir qui foient dignes de l'admiration
des autres.
nous "
Sans cela notre présomption , quelque
violente qu'elle foit , fera forcée de nous
abandonner à chaque inftant ; le contentement
que nous voudrons avoir de
fera fans ceffe empoifonné par l'amertume
de déplaire à ceux qui nous environnent .
Qu'est ce qu'un homme qui n'aime que luimême
, mais qui n'eft aimé que de lui ſeul ,
& dont l'opinion qu'il a de foi eſt toujours
démentic par tous les regards ?
Pardonnons un moment de joye après une
action d'éclat , après un brillant fuccès ; applaudi
par tous les autres , il eft bien difficile
de fe refufer à foi- même un peu d'admiration
, mais n'excufons jamais cette baffe
jaloufie , fille d'un orgüeil mal entendu ,
qui ne veut que faifir les défauts des autres.
pour fe confoler des fiens , & qui ne cherche
qu'à avilir le prix des talens pour fe
mettre , fans en avoir , au-deffus de ceux
qui les poffedent.
JUIN . 1745 . 8x
Si nous ne naiffons pas tous avec les qualités
fuperieures de l'efprit , fi la Nature a
refufé à quelques-uns ce don fi brillant de
paroître , il eft des vertus que l'on peut
acquerir. On peut fe rendre recommandable
par l'étude , par la fincérité, par la bonté
du coeur , & l'amour-propre peut être juftement
flaté quand on fe voit aimé de fes
concitoyens & de fes confreres par ces
vertus de la fociété.
Ces qualités doivent nous être d'autant
plus cheres qu'elles naiffent par nos foins
que le tems feul & la conſtance les font
paroître , & que ce font les plus fages qui
s'en laiffent frapper.Elles font d'autant plus
précieufes que tout homme doit les avoir ,
qu'elles font néceffaires dans tous les états ,
que l'on peut les avoüer fans orgueil. &
C'eſt le jufte fujet que j'ai de me féliciter
aujourd'hui en vous remerciant de l'hon
neur que vous m'avez fait de me mettre
dans la place que je quitte pour la rendre à
un plus digne que moi . Vous m'avez reçû
avec bonté au milieu de vous , vous m'avez
foutenu dans mes foibleffes fans prefque
les faire fentir , c'étoit toujours l'ef
prit d'humanité qui régnoit dans vos confeils
.
Tels étoient fur tout envers moi ceux
de nos confreres dont nous regrettons la
perte.
Dv
9
82 MERCURE DE FRANCE.
Le premier, occupé dans un Tribunal inferieur
, s'étoit rendu recommandable par
une étude profonde des Loix , & n'employoit
fon fçavoir qu'à appaifer , dès les
les divifions qui poucommencemens
,
voient naître dans les familles,
Le fecond , dont les lumieres de l'efprit
fembloient s'être augmentées aux dépens
de celles du corps qu'il avoit perdues,a toujours
confervé cet efprit d'égalité qui l'élevoit
en élevant fes confreres..
Et le troifiéme né avec un Génie heureux ,
avec un efprit de décifion que l'on ne doit'
qu'à la Nature , eft mort dans les bras du
travail , en fe rendant utile à fes . conci-
›
toyens ..
Animés par ces exemples travaillons à
nous faire aimer , à nous faire eftimer , afin
d'avoir le droit de nous eftimer & de nous
aimer nous-mêmes. Banniffons loin de nous
cet orgueil qui n'a aucun foutien , cette
préfomption qui n'eft accompagnée d'aucunes
qualités , mais confervons cer amourpropre
qui nous conduit à nous rendre plus
parfaits pour être plus dignes de nous plaire
à nous-mêmes , qui nous laiffe rendre
juftice aux autres , applaudir à leurs talens,
& qui nous perfuade que c'eft annoblir fon
état que d'élever ceux avec qui on le partage,
JUIN.
83: 1745
5€ d
NOUVELLES LITTERAIRES ,
E
DES BEAUX - ARTS , ¿c.
NCYCLOPEDIE ou Dictionnaire
Univerfel des Arts & des Sciences ,
contenant l'explication des termes & des
matieres compriſes fous ce Titre , foit
dans les Sciences Divines & Humaines ,
foit dans les Arts Libéraux & Méchaniques
; la defcription des Formes , des Efpe,
ces , des Propriétés , des Productions , des
Préparations & des Ufages des chofes naturelles
& artificielles , l'origine , le-·pro
grès & l'état actuel des affaires Eccléfiaftiques
, Civiles , Militaires & du Commerce,,
les differens Systêmes , Sectes , Opinions ,
&c. des Théologiens , Philofophes , Ma
thématiciens , Médecins , Médecins , Antiquaires ,,
Critiques. Ouvrage propre à fervir d'un
Cours d'Etude des anciens & des modernes
, & extrait des meilleurs Auteurs , Dictionnaires
, Journaux , Mémoires , Tranfactions
, Ephémérides , & autres Euvres publiées
en differentes Langues , traduit de
l'Anglois d'Ephraïm Chambers , Membre:
de la Societé Royale de Londres..
Floriferis ut apes in faltib us ,
Omnia nos . Lucrec.
Divji
84 MERCURE DE FRANCE.
Cinq volumes in-fol. avec figures en Taille
- douce. Propofé par foufcription, A
Paris, chés le Breton petit-fils d'Houry , Libraire-
Imprimeur Ordinaire du Roi , ruë de
la Harpe , au S. Efptit .
Rien ne prouve mieux l'utilité des Dictionnaires
que le grand nombre que nous
en avons , & l'eftime que le public paroît
en faire ; nulle méthode n'eft plus propre
à faciliter aux ignorans l'acquifition de
de quelques connoiffances, & rappeller aux
Sçavans celles qu'ils ont déja acquifes, ou à
leur indiquer les fources où ils en peuvent
puifer de nouvelles ; ces Cartes nombreufes ,
trefor des Sçavans , lefquelles contiennent
les renfeignemens de leurs lectures , fontelles
autre chofe qu'un Dictionnaire , ou
fi l'on veut une Table des Matieres , dont
les feuilles font encore difperfées ? Ainfi fi
l'on pouvoitfaire un Dictionnaire allés méthodiquement
ordonné pour que l'on pût
facilement y trouver tout ce que l'on chercheroit
, tout poffeffeur de ce Livre deviendr
oft fçavant , & feroit prefque auffi avancé
que ceux qui ont acquis un grand nombre
de connoiffances , mais que leur mémoire
fert mal , s'ils ne confultent leurs
extraits. On a dit autrefois
que
l'on pour
roit mettre en dix ou douze volumes in-folio
tout ce qui a été dit , tant les mêmes chofes
JUIN. I 745 .
85
ont été répetées foit en differens termes ,
foit bien fouvent dans les mêmes ; une
Encyclopedie univerfelle feroit à peu près
cet effet.
M. Chambers Auteur du Dictionnaire
qu'a traduit M. Milff & dont nous annonçons
le Profpectus , a voulu faire un ouvrage
qui raffemblât tout ce qui concerne
les Sciences en géneral , & qui tendît à
faire connoître &, à perfectioner chacune
de leurs parties , deffein vafte , & qui
exigeoit beaucoup de connoiffance , d'ef
prit & de patience. Il y a environ dix
huit ans que ce livre parût pour la premiere
fois en Angleterre; quatre Editions qui
ont été rapidement débitées prouvent l'eftime
que les Anglois font de cet ouvrage , &
femblent des garants du fuccès qu'il doit
avoir en ce Pays , car un Dictionnaire qui
traite des Sciences , des Arts , de l'Hiftoire ,
de la Philofophie , en un mot de connoiffances
précifes , n'eft point dans le cas des
ouvrages de goût , qui participant du
génie & des moeurs d'une Nation , peuvent,
quoiqu'eftimés avec juftice dans leur
Pays natal , recevoir un médiocre acceuil
dès qu'ils paffent dans un autre Pays , ſemblables
à ces plantes qui ne peuvent croître
fous un climat étranger. ( Ceci n'a cepen- ,
dant pas été vrai à l'égard du Théâtre An86
MERCURE DE FRANCE.
glois dont le public a lû avec avidité les
deux premiers volumes . )
Le véritable titre du livre eft l'Encyclopédie
, c'eſt-à -dire le rapport & la liaison que
les Sciences ont entr'elles, le titre de Dictionnaire
Univerfel des Arts & Sciences eſt ſu→
bordonné , & n'exprime autre chofe que la
méthode
l'Auteur a fuivie en compofant
fon ouvrage.
que
M. Leibnits dont l'efprit embraffe toutes
les connoiffances , & qui a laiffé plufieurs,
Plans , & plufieurs Projets pour l'accroiffement
des Lettres , fouhaitoit que celui -ci
fût exécuté par une main habile , & quoiqu'il
eftimât l'Encyclopedie d'Alfled , fon
eftime regardoit plus le plan de l'ouvrage
que fon exécution , & il defiroit qu'il fe
trouvât quelque Sçavant qui eût affés de
courage & de capacité pour conduire ce
Projet à fa perfection .
coup
M. Chambers a furmonté toutes les dif-.
ficultés, il a difcuté les matieres avec beaud'érudition
, & il a mis dans fon travail
une clarté & une netteté qui font le
principal mérite d'un ouvrage de cette
nature. Il traite à fond tout ce qui eſt du
reffort des Arts & des Sciences.
La Medecine , l'Anatomie , toutes les:
parties de la Phyfique y font expliquées ;:;
on ne fçauroit nier que M. Chambers ne fût
JUIN. I745 . 87
parfaitement inftruit il ne fe contente ;
pas de donner la définition d'une Sciencefous
le nom qui lui eft propre , il pouffe
fes recherches plus loin , & par l'étendue
des renvois qu'il a placés à chaque article
on connoîtra toute l'étendue de cette
Science & tous les rapports qu'elle a avec
celles qui lui font fubordonnées ; quelques
articles dont on a donné la traduction dans.
ce Profpectus , & defquels nous allons ici:
donner un extrair , mettront le lecteur
au fait de la forme de cet ouvrage & des,
fruits qu'on en peut retirer..
A l'égard de la traduction elle eft l'ouvrage
de M. Milff , fçavant Anglois qui a
été élevé en France , & à qui les deux Langues
font devenuës maternelles ; il s'eft
affocié dans fon travail plufieurs perfonnes
fçavantes & zélées pour l'avancement
des Lettres , c'eft le même M.. Milff , qui»
non content des foins qu'il s'eft donnés
pour cet ouvrage , a genereufement confacré
fa fortune à foutenir les frais confiderables
de cette entreprife , & qui eft feul
proprietaire du Privilége ; la traduction eſt
fidelle & exacte , & autant que laLangue a pu
le permettre, litterale ; on n'a rien retranché
de tout ce que l'Auteur a dit , & à l'égard.
des augmentations , on les a placées de
façon que loin dødeshonorer l'original , la,
88 MERCURE DE FRANCE.
traduction aura l'avantage d'avoir rempli
plus exactement & même enrichi le Plan
général de l'Encyclopedie de M. Chambers.
Il y aura 120 Planches gravées par unt
des meilleurs Graveurs de Paris. Ce nombre
eft quatre fois plus grand que celui de
l'original.
Pour la commodité des Etrangers on ajoutera
un vocabulaire de tous les articles de
ce Dictionnaire , en fix Langues , qui font
le François , le Latin , l'Anglois , l'Allemand
, l'Italien & l'Efpagnol ; il fera dirigé
par colonnes , & le François fera à la tête
dans le vocabulaire général . On reprendra
enfuite toutes les autres Langues , les unes
après les autres , en ajoûtant à chaque mot
la fignification Françoife, par ce moyen un
Etranger ne fera jamais embarraffé pour
chercher dans ce Dictionnaire l'article auquel
il fouhaite d'avoir recours.
Voici les articles que nous avons promis.
Atmosphére , une dépendance de notre
terre , qui confifte en une fubftance fubtile ,
fluide , élastique , que nous appellons Air ,
& qui entoure le Globe terreftre jufqu'à
une hauteur confiderable ; qui gravite vers
le centre & fur la fuperficie de ce même
Globe , qui eft amené avec lui le long de
La route & participe de tous fes mouveJUIN.
1745.
1
mens , foit annuels ſoit journaliers. Voyez
Terre.
On entend communément par Atmofphère
toute la maffe , ou tout l'affemblage
d'Air qui entoure notre Globe. Mais quelques
Auteurs qui fe piquent d'une plus
grande précifion , reftraignent l'étendue
de l'Atmosphére à cette partie de l'Air qui
eft la plus proche de la terre , qui reçoit
les vapeurs , & les exhalaifons , & qui eft
terminée par la réfraction de la lumiere du
Soleil. Voyez Réfraction .
-
L'Atmosphère s'infinue dans tous les
vuides des corps , & devient par - là la
grande fource de la plupart des changemens
qui arrivent ici bas , comme de la Génération
, de la Corruption , de la Diffolution.
&c . Voyez Génération , Corruption
Diffolution . & c.
C'est une des grandes découvertes des
Philofophes modernes d'avoir trouvé que
les divers mouvemens que les Anciens
attribuoient à la crainte du vuide , ne font
réellement caufés que par la preflion de
l'Atmosphère , c'eft auffi à cette même
preffion qu'on doit en quelque façon
attribuer la cohéfion des corps. Voyez
crainte du vuide , pompe , préffion , &c.
Poids de l'Atmoſphere. La preffion de
l'Atmoſphere influë extremement fur les
90 MERCURE DE FRANCE.
corps organifés : c'eft à quoi les Plantes
doivent leur végétation & les Animaux
leur refpiration , la circulation de leur
fang , leur nutrition , &c. Voyez Plante ,
animal , vegetation , circulation , & c ; de
là proviennent auffi plufieurs changemens
confidérables dans l'economie animale
par rapport à la fanté , &c . Voyez fanté.
Cela étant , le calcul de la quantité précife
de cette preffion devient un fujer
digne d'attention. Nos corps font égale
ment preffés par l'Atmosphère qui repofe
fur eux & le poids qu'ils foutiennent eft
égal à un Cylindre d'Air , dont la baſe eſt
égale à fuperficie de nos corps or un
Cylindre d'Air de la hauteur de l'Atmoſphere
eft égal à un Cylindre d'eau de la même
bafe & haut de trente-cinq pieds d'Angleterre
, ou à un Cylindre de Mercure de
vingt- neuf pouces de hauteur , comme
nous l'apprenons par l'expérience de Torricelli
, & par la hauteur à laquelle l'eau
monte dans les pompes , fiphons , &c.
Voyez machine de Torricelli . Voyez auffi
pompes , fiphons , & c .
De-là il s'enfuit que chaque pied quarré
de la fuperficie de nos corps eft chargé
& preffé par un poids d'Air égal à trentecinq
pieds cubiques d'eau . Or les experienses
nous apprennent qu'un pied cubique
JUIN. 1749. 92
:
d'eau pefe foixante-feize livres de douze
onces , ainfi chaque poids quarré de la furface
de nos corps foutient une quantité
d'Air égale en poids à 2660 livres , parce
que 76 x 352660 , & autant de pieds
quarrés que la fuperficie de notre corps
contient , autant de fois il doit porter
2660 livres : ainfi fuppofant que la furface
du corps d'un homme contient quinze
pieds quarrés ( ce qui eft à peu près la
mefure des corps ordinaires ) il s'enfuit
qu'il foutient un poids égal à 39900 livres
parce que 2660 × 15 = 39900 livres , dé
forte qu'un homme porte communément
une charge de près de vingt tonneaux.
>
La difference du poids de l'Air que nos
corps foutiennent en differens tems eft
auffi très- conſiderable.
Tout le poids de l'Air qui preffe fur nos
corps , quand le Mercure eft le plus haur
dans le Barometre, eft égal à 39900. livres,
De-là nous allons prouver que la difference
entre la plus grande & la plus petite
preffion de l'Air fur nos corps eft égale à
3982 livres.
-La difference du poids de l'Air en differens
tems eft mefurée par la hauteur à laquelle
le Mercure monte dans le Barometre ; or
comme la plus grande variation de la hau
teur du Mercure eft de trois pouces , ilfe
92 MERCURE DE FRANCE.
trouvera que lorfqu'il aura baiffé d'autant
dans le Barometre , la preffion que foutient
un corps d'une baſe donnée, fera allegée de
la valeur du poids d'une colonne d'Air, dont
la bafe fera la même & dont le poids fera égal
à celui d'un Cylindre de Mercure de la même
bafe & haut de trois pouces , en forte
que chaque pouce quarré de la furface de
nos corps eft preflé dans un tems plus que
dans un autre par un poids d'Air égal au
poids de trois pouces cubiques de Mercure.
Ot comme un poids cubique d'eau pefe foixante-
feize livres, un pied cubique de Mercure
pefe 1064 livres 102144 drachmes ,
& comme 102144 drachmes font à un
pieds cubique , ou ce qui revient au même
a 1728 pouces cubiques , de-même 59
192
1728 drachmes font à un pouce cubique ,
enforte qu'un pouce cubique de Mercure
étant à peu près à 59 drachmes , & com
me il y a 144 pouces quarrés dans un pied
quarré , il s'enfuit qu'une maffe de Mercu
re d'un pied quarré = 144 pouces quarrés
étant de la hauteur de trois pouces , doit
contenir 4.32 pouces cubiques de Mercure,
qui x 59 ( le nombre de drachmes contenuës
dans un pouce cubique de Mercure )
25488 drachmes , c'eft donc le poids qu'un
pied quarré de la furface de nos corps
foutient
dans un tems plus que dans un autres
JUIN. 1745:
93
Suppofons comme auparavant la furface
du corps d'un homme à quinzes pieds
quarré , alors le corps foutiendra dans un
tems plus que dans un autre un poids =
= 15 x 25488 = 3823 20 drachmes ( 47790
3982 livres de 12 onces.
onces )
Lion doit donc d'être furpris de ce que
notre fanté fouffre quelquefois par le chân◄
gement du tems , nous devrions être étonnés
de ce que chaque changement dans l'Air
ne fe fait point fentir en nous , car fi nous
faifons attention que nos corpsfont preffés
dans un tems plus que dans un autre par un
E poids de près de deux tonneaux , & que
Louvent cette variation eft extrêmement
fubite , il nous paroîtra furprenant que nos
corps puiffent réfifter à une révolution auffi
violente , & ne foient point totalement détruits
, &c.
Fable , Conte , ou Narration feinte , dont
l'objet eft ou d'inftruire ou de plaire , ou
comme M. de la Motte l'a définie une
inftruction déguiſée fous l'allégorie d'une
action.
La Fable femble avoir été la maniere la
plus ancienne d'enſeigner, La principale
difference entre l'Eloquence des Anciens &
celle des Modernes confifte , felon le Pere
le Boffu , en ce que notre maniere de
Jer eft fimple & propre , au lieu que celle
par
04 MERCURE DE FRANCE.
des Anciens eft remplie de myſtéres & d'aldégories.
Chés eux la vérité étoit communément
déguiſée fous ces inventions ingénieufes
qu'on appelloit par excellence Fabula ,
Fables , c'eft-à-dire Mots , comme voulant
dire qu'il y avoit la même difference entre
ces difcours fabuleux des Sçavans & le Langage
ordinaire du peuple qu'il y a entre le
Langage des hommes & la voix des Bêtes.
Au commencement on n'employoit les
Fables qu'en parlant de la Nature Divine
telle qu'on la concevoit alors , auſſi l'ancienne
Théologie n'étoit - elle qu'une Fable;
les attributs divins étoient comme feparés
en autant de perfonnes qu'on connoiffoit
d'attributs , & l'idée qu'on avoit de l'oeconomie
de la Divinité étoit renfermée
dans les Narrations fabuleufes qu'on faifoit
des actions qu'on lui attribuoit , foit parce
que la raifon humaine ne pouvoit pas
concevoir autant de pouvoir & d'action
dans un Etre indiviſible , oouu foit foit parce
qu'on trouvoit ces chofes trop élevées pour
la connoiffance du peuple , & comine on ne
pouvoit pas bien parler des opérations de
cette caufe toute puiffante , fans parler en
même-tems de fes effets , il s'enfuivit que la
Philofophie naturelle , & à la fin la Nature
humaine & la moralité même , furent
voilées fous ces mêmes expreffions fabuleu-
>
JUIN. 1745i
95
a'
fes & allegoriques , de-là l'origine de la
Poëfie , & particulierement de la Poëfic
Epique , voyez Poëme Epique.
Les Critiques d'après Aphtonius &
Theon content trois efpeces de Fables ra
tionales , morales , & mêlées.
Fables rationales nommées auffi Paraboles
font des relations des chofes qu'on
ſuppoſe avoir été dites ou faites par quelqu'un
, & qui quant à leur poffibilité auroient
pû avoir été dites ou faites , quoi
qu'en effet elles ne l'ayent point été , telles
font dans l'Ecriture Sainte , celles des dix
Vierges , du mauvais Riche , de Lazare
& de l'Enfant Prodigue , &c. nous avons
auffi environ une douzaine de ces Fables
rationales dans Phédre. Voyez Paraboles.
Fables morales qu'on appelle auffi Apologues
, font celles où l'on introduit les
bêtes comme acteurs , en les faifant parler
& c. on leur donne encore le nom de Fables
Efopiques, non qu'Efope ait été leur inven
teur , puifqu'elles étoient en ufage long,
tems avant lui , & déja du tems d'Homere
& d'Hefiode , mais parce qu'il a excellé en
ce genre.Dans cette efpece deFables on fait
parler non feulement les bêtes , mais même
fouvent les arbres , les métaux , &c . Voyez,
Apologue.
-
Les Fables rationales different des mo16
MERCURE DE FRANCE.
rales en ce que les premieres , quoique
purement imaginaires peuvent cependant
être vraie , au lieu que les dernieres font
auffi impoffibles qu'il l'eft aux bêtes ou
aux troncs d'arbres de parler.
Fables mêlées font celles qui font compofées
de ces deux fortes , c'eft -à-dire des rationales
, & des morales , ou dans lesquelles
on introduit les hommes & les bêtes , comme
converfant enſemble. Juſtin nous donne
un bel exemble de celle- ci , Liv.XXXIII .
Chap. 4. au fujet d'un petit Roi qui
pour animer les anciens Gaulois contre les
Maffiliens , qui arrivant d'Afie & charmés
de la beauté du Pays demanderent aux ha
bitans la permiffion d'y bâtir une Ville, feur
tint ce difcours : Une chienne pleine de
manda à un Berger une place pour mettre
bas fes petits , ce qui lui ayant été accordé
elle demanda encore la permiffion de les Y
élever ; les chiens devenus grands & fe
fiant fur leurs forces prétendirent à la fin
que la place leur appartenoit , de même
ajouta-t'il les Maffiliens ne font mainte
nant que des Etrangers , & en petit nombre
, mais quand ils fe feront multipliés par
la fuite , ils prétendront être les maîtres de
Le Pays.
Quant aux Loix de la Fable les principales
font : 1 °. qu'à chaque Fable il y ait
quelques
JUIN
97 1745.
7quelques interprétations attachées , pour
faire voir fon fens moral ou fon deffein.
Cette interprétation étant placée à la fin de
la Fable eft appellée Affabulatio ; fi elle eft
au commencement on la nomme Prafabu-
Latio.
A
1
2°. Que la narration foit claire , probable
, courte & agréable : pour conſerver
cette probabilité il faut, de même qu edans .
la Poëfie , que les moeurs foient exprimées
felon le caractere de chaque perfonnage
& qu'on ne s'en écarte point . Voyez Probabilité
& mours.
M. de la Motte fait plufieurs belles remarques
au fujet des Fables ; une Fable, ſelon
cet Auteur poli , eft un petit Poëme
Epique , qui ne differe en rien d'un grand ,
fi non dans fon étendue , & en ce qu'étant
moinsborné dans le choix de fes perfonnes ,
il faire entrer dans fon fujet tout ce
peut
qu'iljuge à propos, comme Dieux , hommes,
bètes , ou génies , & même fi l'occafion.
s'en prefente, créer des perfonnages , c'est-àdire
perfonnifier des vertus, vices , rivieres ,
arbres , &c. C'eft ainfi que M. de la Motte
introduit très - heureufement la vertu , les
talens & la réputation , comme des perfonnes
qui voyagent enfemble. Voyez
Epopée & Perfonnification .
Cet Auteur rapporte deux raifons pour
I. Vol. E
9S MERCURE DE FRANCE,
lefquelles les Fables ont plû dans tous les
ecles & dans tous les Pays. La premiere
eft que l'amour- propre eft ménagé dans
l'inftruction . La feconde que l'ame trouve
un certain exercice dans l'allegorie , les
hommes n'aimant pas qu'on leur donne des
préceptes directement ; trop orgueilleux
pour avoir de la condefcendance pour ces
Philofophes qui femblent commander
quand ils enfeignent , ils veulent être inftruits
d'une maniere plus modefte, ils ne ſe
corrigeroient jamais s'ils fçavoient que fe
corriger fut obeir ; ajoûtez à cela qu'il y a
une espece d'activité dans l'ame qui veut
être menagée : elle fe plaît à exercer ſa
pénétration, à decouvrir plus qu'on ne lui
montre, & s'imagine en quelque façon être
l'Auteur de ce qu'elle apperçoit à travers
du voile qui le cache.
La Fable doit toujours renfermer ou faire
fentir quelque vérité . Le plaifir feul peut
fuffire dans d'autres ouvrages ; mais la Fable
doit plaire en même-tems qu'elle inftruit ;
fon effence eft d'être un fymbole , & parconfequent
de fignifier quelque chofe de
plus qu'elle n'exprime par la lettre . La
vérité cachée fous la Fable doit ordinairement
être une vérité morale ; une fuite
de fictions conçues & compofées dans cette
formeroit un traité de morale pré-
THEQUES
LYON
**/733*
VILLE
LIOTHEQUE
:
JUIN. 1745:
YON
ferable à un autre plus direct & plun
thodique. Aufli Socrate , à ce qu'on prétery
avoit deffein de compofer un Cours de mo
rale dans ce goût.
Cette vérité doit être encore cachée fous
l'allegorie & ftrictement parlant , elle ne
doit pas être devoilée , ni au commence
ment ni à la fin de la Fable.
La Fable même doit faire fentir au lec
teur la vérité ou la morale qui en eft l'objet ,
cependant pour la commodité des lecteurs
moins clairvoyans , on ne fait pas mal
de s'expliquer d'une maniere plus fimple
& plus précife : il femble qu'il eft plus
convenable de placer l'explication où la
morale à la fin de la Fable qu'au com
mencement ; en ce cas l'efprit n'étant pas
prévenu trouve occafion de s'exercer , &
amour- propre en eft plus flaté. ·
M. de la Motte remarque que l'image
doit être jufte & qu'elle doit exprimer la
chofe que l'on a en vuë , directement &
fans aucune équivoque. Elle doit être une ,
c'est-à -dire toutes les parties doivent fe
rapporter visiblement à une même fin
principale ; elle doit encore être naturelle ,
c'eft-à-dire fondée fur la nature ou du
moins fur l'opinion , &c.
L'Auteur fait fucceder à cet article ,
Fable , un autre plus long du même nom,
DE
LA
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
où il entend par ce mot le deffein d'un
Poëme Epique ou Dramatique , ou l'action
qui fait le fujet d'un tel Poëme ou d'un
Roman ; il donne toutes les régles de ce
genre de Poëfie .
TEINTURE, l'Art de colorer les Eroffes,
les Draps , & autres matieres avec une couleur
permanente qui en pénetre la fubftance.
Voyez Drap , &c.
La Teinture differe du blanchiment , -qui
n'eft pas une communication d'une nouvelle
couleur , mais un rétabliſſement de
l'ancienne , elle differe auffi de la Peinture
Dorure , Marbrure , impreffion & empreinte
, en ce qu'en celles-ci la couleur
ne touche fimplement que la furface . Voyez
blanchiment , Peinture , Dorure.
Origine de la Teinture. La Teinture eft un
Art d'une très- grande antiquité , comme il
paroît par les traces que nous en trouvons
dans les plus anciens Auteurs facrés &
profanes. L'honneur de l'invention eſt
attribué aux Tyriens * mais ce qui en >
Pline femble attribuer l'invention de l'Art de
teindre la laine aux Lydiens de Sardis ; Inficere
Lanas Sardibus Lydi a ) ; où l'on doit fous- entendre
le mot incepere (b) mais un critique moderne
foupçonne en cet endroit une faute dans le texte ,
& il femble qu'il a raiſon ; il fubftituë au mot de
Lydi celui de Lidda nom d'une Ville fur la Côte de
JUI N. 1745 .
101
diminue le merite , c'eft qu'on prétend
qu'elle doit fon origine au hazard . On
prétend que c'est au jus de certains fruits ,
ou feuilles écrasées accidentellement
qu'on en doit la premiere idée , & même
Pline nous affure que de fon tems les
Gaulois n'ufoient pas d'autre teinture. (a)
on ajoûte que des terres colorées & des
mineraux lavés & trempés par la pluye
ont donné enfuite les matériaux de teinture;
( b) cependant la pourpre couleur tirée
du Murex , Poiffon à coquille , & nommé
Murex Conchylium ou Purpura , ſemble ,
fuivant les Hiftoriens , avoit été antérieure à
toutes ces découvertes. Il eft vrai que cette
pourpre étoit réservée abfolument à l'ufage
des Rois & des Princes , il étoit expreffément
deffendu aux particuliers d'en porter .
(c) On prétend que la découverte de la
lité qu'elle avoit fut faite par un chien ,
qui ayant mangé un Murex qu'il trouva
fur un Rocher , revint le muffle tout imprimé
de cette couleur , (d) ce qui frappa ſi
fort l'imagination d'une femme de Tyr ,
qu'elle ne voulut accorder aucune faveur
qua-
Hercule fon amant, qu'il ne lui eût apporla
Phénicie & la plus renommée pour le debit
qui s'y faifoit de cette pourpre ( c )-- ( a) . V.
Pline. Hift Nat. L. VII. C, 56, 6. Hardou . Not . ad
Loc. (c) Nurra , Bibl. Choif. T, 20. p. 193. & Seq.
E 11)
101 MERCURE DE FRANCE .
té auparavant un manteau de cette même
couleur. **
Jufqu'au tems d'Alexandre nous ne trouvons
point d'autre forte de teinture qui
ait été en ufage que la pourpre & l'écarlatte
(f) ; ce fut fous les fucceffeurs de ce Monarque
que les Grecs s'appliquerent à chercher
d'autres couleurs , & qu'ils inventerent ou
du moins qu'ils perfectionnerent le bleu , le
jaune, le verd &c : quant à l'ancienne pour
pre il y a long-tems que nous l'avons perduë
, mais la perfection à laquelle les modernes
ont conduit les autres couleurs ,
nous dédommage bien de cette " perte.
C'est en cela que les François femblent
avoir devancé la plûpart de leurs voiſins ,
fous les aufpices de feur excellent Miniſtre
M. Colbert. (g) Voyez Gobelins . (f)
Voyez. Pitile. L. ant . T. 1. pag. 249. Voc.
** Après les Phéniciens il femble que les Sardiniens
font ceux qui ont fait le plus de progrès dans
P'Art de la teinture, deforte que le nom de Bruua
galaxer teinture Sardinienne paffa enproverbe par
mi les Grecs . Ariftophane pour exprimer quelque
choſe de rouge , comme de l'écarlatte, le compare
dans deux endroits au Bauna agano (d) il eft vrai
que Saumaife, Palmerius &Spanheim fubftituentv.xvano
à la place de caprians & ils prennent ce
premier mot pour un non poffeffif de Sardis , & entendent
par- là teinture Sardinienne , cependant Nuarra
dans une differtation particuliere fur ce fujet à
foutenu avec vigueur les prétentions de fon Pays
contre cette innovation .
JUIN. 1745 .
101
0:
6
Baphia (g ) Savar. Dict. de Com.
S
ou
Chés les Romains les maifons où travailloient
les teinturiers nommées Baphia
étoient toutes fous la direction du Comes
Sacrarum Largitionum ; ( b ) cependantelles
avoient chacune leur chef où prepofé
auffi bien qu'à Alexandrie, à Tyr, & c.
(i) Les teinturiers de Londres font la treiziéme
compagnie de la Ville incorporée
fous Henri VI . confiftant en un Maître ,
Gardien & livrée (K ) à Paris , & dans la plus
part des grandes Villes de France , les teinturiers
font divifés en trois compagnies ,
c'est-à- dire en ceux du grand & bon teint,
qui n'employeur que les meilleurs ingré
diens & ceux qui donnent les couleurs les
plus fûres & les plus durables , en teintu
riers du petit teint à qui il eft permis de fe
fervir de drogues d'une qualité inferieure ,
qui ne donnent que des couleurs fauffes
& paffantes , & en teinturiers de foye , de
laine & de fil ; tous les Draps & Etoffes
de prix font refervés aux teinturiers de la
premiere claffe : ceux de moindre valeur ,
principalement ceux qui ne font pas évalués
au de-là de quarante fols l'aulne en blanc
font répartis entre les Maîtres du petit
teint. Le bleu , le rouge , le jaune font
référvés plus particulierement pour ceux
du grand teint. Le brun , le roux & le
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE.
noir font communs aux deux claffes ;
quant au noir il eft commencé par les teinturiers
du grand teint & fini par ceux du
petit (1) il femble que parmi les teinturiers
il y a une tradition qui porte que Jeſus-
Chrift étoit de leur Profeffion : nous trouvons
la choſe ainfi racontée dans l'Evangile
de l'enfance de Jefus , mais nous ignorons
fur quel fondement .
Quoiqu'il en foit c'eft de - là que les
teinturiers en Perfe , malgré tout leur Mahometifme,
ont choifi Jefus pour le patron
de leur Art , fi bien que parmi eux une
maifon de teinture eft appellée boutique
de Chrift.
M. Chambers parle enfuite de la teinture
des Grecs , des qualités qu'ils croyoient
réquifes pour la teinture , & de la maniere
de préparer les étoffes pour les teidre, &c.
enfuite il traite fort au long des progrès
de la teinture , de la Materia Tinctoria ,
des ingrédiens de teinture en général , des
couleurs cachées ou vifibles tant dans ces
ingrédiens que dans les vegétaux & les
(m ) (b) V. Notit. Imp. Hoffm. Lex. T. 1. Pag.
469. (i) Pitiſe à l'endroit cit . ( K ) nouvelle vûe de
Londres. T. 11. P. 601. & feq . ( l ) Savar . D. Comm.
T11. P. 1688. Ant . tein . (m) Sike. Not . Ad . Evang.
Infant page. 55.Hils cher . de ftud.Chrift. in mifcel.
Lips 96. 5. 10. T. Voyez P. 34. &c.
JUIN. 1745. 105
animaux ; des effets que les differens fels
produifent fur ces couleurs , comment
ils les changent , &c ; en rapportant plufieurs
découvertes du célébre M. Boyle il
renvoye aux articles lumiere , couleur
Arc en Ciel , noir , noirceur , couperofe ,
bois de Bréfil , garance , fuftel , fuie , indigo
, &c. ..
Il parle après cela des differentes manieres
de teindre les draps , ferges , & autres
étoffes de laine , les laines pour la tapifferie,
la foye , le fil , les chapeaux , & c .
De-là il paffe à la preuve de la teinture
& principalement à celle des foyes. &c. I
Il rémonte enfuite à la Théorie de la
reinture , qu'il donne felon les regles de
l'Art.
Il confidere après cela la teinture dans
un fens plus étendu , comme appliquable
aux couleurs qu'on peut donner généralement
à toutes fortes de corps , en renvoyant
dans le courant de fon difcours, aux
articles , couleur , peinture , dorure , thée ,
catechu , blanchiment , cire, marquetterie,
papier , marbre , potterie , émail , impreffon,
cartes, verniffure , étamure, calamine,
cuivre , pinc , arſenic , cerufe , minium
vermillon , indigo de trempe , moire , calendre
, tabis , verre , pierre précieufe, &c.
Il donne enfuite la maniere de teindre
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
ou colorer le cuir , les peaux, &c. après cèla
celle de tacheter le bois pour toutes fortes
de marquetterie , &c . en dernier lieu l'Art
de teindre lés os , la corne , l'yvoire. &c.
Conditions propofées aux Soufcripteurs.
Ce Dictionnaire fera imprimé avec les
mêmes caracteres & dans la même forme
que les quatre articles donnés pour exemples
à la fin de ce Profpectus.Le papier que
l'on y a employé fera exactement le même
pour les Soufcripteurs feulement .
ou
Cet ouvrage aura cinq volumes in fol .
Les quatre premiers contiendront
deux cent cinquante , ou deux cent foixante
feuilles. Les cent vingt Planches contenuës
dans le cinquiéme volume feront deffinées
& exécutées par de bons Maîtres
& tirées fur le papier le plus beau & le plus
propre à la Taille- douce.
Les commencemens de chaque volume
feront ornés de belles Vignettes aufli en
Taille- douce.
Pour procurer au lecteur un oeil de caractere
aifé à lire , on s'eft déterminé à celui
des quatre articles & articles pour éviter un fixiéme
volume on a pris le parti de donner
une grande forme à cet ouvrage ; afin de
ne point trop furcharger chaque volume
on placera le Vocabulaire à la tête du
JUIN. 1745 . 107
3
volume des Planches . Cette derniere partie,
à la verité confiderable , n'étant qu'un finple
ordre alphabétique , fera imprimée du
même caractere que celui- ci dont on s'est
fervi pour les notes de ce Profpectus .
Les Soufcripteurs payeront d'avance la
48 liv. - fomme de
En recevant le premier volume en
feuilles dans le courant de Juin.
1746.
En recevant le deuxième volume
en Mars 1747.
Le troifiéme volume en Fevrier
1748 .
20.
20
20.
Les quatrième & cinquiéme volumes
à la fin de l'année 1748. 27.
On fera une édition en grand papier ,
pour laquelle on payera d'avance 100 liv.
& en recevant, l'ouvrage complet roo liv .
On ne fera reçû à foufcrire , foit pour le
papier fin , foit pour le grand papier , que
jufqu'au dernier Decembre de la préfente
année 1745 .
On ne tirera qu'un très petit nombre
d'exemplaires fur papier moyen , au- deffus
du nombre des foufcriptions ; l'exemplaire
en feilles fe vendra r9o . liv.
On donnera au commencement du
premier volume le nom des Soufcripteurs
& leurs qualités.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
TRADUCTION ALLEMANDE du
Livre de M. l'Abbé Trublet.
Quand nous avons annoncé que Madame
de Steinwer née Romanus , avoit traduit
en Allemand l'excellent Livre de M.
l'AbbéTrublet intitulé , Effais de morale & de
Litterature , nous aurions fouhaité pouvoir
préfenter à nos lecteurs un extrait de la
Préface pour donner une idée du goût &
des talens de la Traductrice , mais n'entendant
pas
l'Allemand , qui n'eft point une
Langue Litteraire pour tous ceux qui font
nés hors de l'Allemagne, nous défefperions
prefque de pouvoir fatisfaire à cet égard
la curiofité du public , lorfque le hazard
nous a fait tomber entre les mains une Traduction
Françoife de l'Epitre Dédicatoire
& de la Préface de Madame de Stein wer.
Cette Traduction doit faire d'autant
plus d'honneur à M. l'Abbé Trublet , que
fon Livre étant rempli d'idées fines & déliées
, & traitant le plus fouvent des matieres
de goût & d'une Litterature légere,fembloit
devoir moins toucher nos voisins accoûtumés
à eftimer davantage de doctes & longues
compilations , & qui comme l'a dit le
célébre M. Fontenelle , aiment la fatigue en
fait de lecture. Il étoit moins étonnant que
ce Livre ait été traduit en Anglois comme
il l'a été auffi -tôt qu'il a parû , & ce fuccès
JUIN. 1745 . 109 .
que l'ouvrage de M. l'Abbé Trublet a eû
en Allemagne, prouve combien il avoit mé
rité le fuccès brillant qu'il a eû en France
& en Angleterre , c'eft en effet un de nos
meilleurs Livres en ce genre; il eft déja devenu
Livre de Bibliothèque , ce qui eft le
fceau de la réputation d'an Ouvrage.
ن م
Paffons à la Préface de Madame de. S. La
Traductrice prévoit d'abord que l'on trou
vera fingulier qu'elle fe foit érigée en Auteur.
Pen de femmes , dit- elle, font tentées d'écrire
, & peut-être eft- il bon que peu ayent cette
intention ; qui vent écrire doit lier enfemble fes
idées, & pour les lier ilfaut réfléchir, & abandonner
tous les amusemens du Sexe ; peu de
femmes font capables du travail & de la patience
néceffaires : fe promener , être à table
faire des vifites , en recevoir , voilà ce qu'elles
appellent travail.Confommées par l'ennui, elles
ne font occupées qu'à chercher tout ce qui
peut faire évanouir à leurs yeux la durée du
tems. Le miroir demande une grande attention
pour bien concerter le jeu de tous les traits du
vifage ; leurs plaifirs les plus vifs font le jeu
& la médifance. Elles n'ont de patience que
pour attendre que leur tour vienne de prendre
les cartes , elles fe mocquent des perfonnes qui
penfent , & ne peuvent fouffrir celles qui écrivent,
auffi n'est- ce qu'avec douleur queje penfe
au peu defemmes quifçavent écrire,
" 110 MERCURE DE FRANCE.
Si un homme oſoit prononcer parmi
nous de pareils blafphêmes , on l'accuferoit
avec juftice d'une odieufe & groffiere prévention
; prononcés par une femme , c'eft
un jugement fevere dont on doit au moins
louer l'impartialité . Peut- être fi Madame
de S.avoit veçu en France ,y auroit- elle pris
des idées plus favorables à fon Sexe. Elle
auroit vû des femmes dans l'âge des agrémens
, au milieu du tourbillon des plaifirs,
cultiver les ſciences les plus abftraites avec
une ardeur & un fuccès qui feroient honneur
aux Sçavans les plus célébres ; combien
n'en voyons-nous pas d'autres qui connoiffent
tous les differens objets de la Litterature
, qui fçavent juger avec goût & penſer
avec jufteffe , mais auffi combien voyonsnous
d'hommes dont toutes les occupations
Se bornent àfe promener, à la table, à faire des
vifites , à qui le miroir demande une grande
attention , dont le jeu & la medifance font les
plaifirs les plus vifs , qui fe moquent des per-
Sonnes qui penfent, &c. Loxe eft fur la toi
lette de plufieurs femmes tandis que Turtubleu
& tant d'autres brochures frivoles compofent
la Bibliothèque de beaucoup d'hommes
, d'autant plus condamnables d'être
plus femmes que les femmes mêmes , qu'ils
ont reçû une meilleure éducation , & font
appellés par des devoirs qui les rendent
inexcufables.
JUIN. 1745. 111
Madame de S. réüffit mieux à prouver
combien la lecture eft également néceſſaire
aux deux fexes . Qu'eft - ce en effet qu'un
homme dont l'efprit n'eft pas exercé? c'est un
bloc dont l'ouvrier n'a fait que dégroffir
& marquer les contours, & qui attend que
le cifeau du Statuaire acheve l'ouvrage , &
marque les traits de la figure. Or quelle
lecture peut être plus profitable pour enfeigner
à penser que celle d'un Ecrivain qui a
profondément réfléchi.Tant d'Hiftoires qui
ne contiennent que d'ennuyeufes compi
lations ,des faits mal digerés : inftruifent- elles
autant qu'une feule réfléxion d'un homme
accoûtumé à pénetrer le fond des choſes.
Concluons donc avec Madame de S. que
parmi les Livres, ceux de la nature des Effais
de Morale de M. l'Abbé Trublet , font ceux
qu'on peut lire avec le plus de fruit, & parmi
ceux- ci l'ouvrage de M.l'Abbé Trublet
tient un rang diftingué , quoique nous
en ayons plufieurs excellens .
Mon deffein étoit de continuer dans le
Mercure de ce mois l'Extrait de mon Hiftoire
de Charlemagne, mais cet article étant
rempli fuffisamment par d'autres matieres ,
je remets à en entretenir le lecteur dans le
mois fuivant , la préférence étant dûë aux
Ouvrages dont je parle , tant parce qu'ils
112 MERCURE DE FRANCE.
doivent plus que le mien exciter la curiofité
du public , que parce qu'étant maître du
choix, il me conviendroit mal de décider en
mafaveur. Le maître d'un logis doit en faire
les honneurs aux étrangers , ainfi fi je dis
ici un mot de mon Livre , c'eft uniquement
pour remercier le public de l'accueil favorabe
qu'il lui a fait . Plus de la moitié d'une
fort nombreufe Edition a été enlevée en
quinze jours , & le fuccès a d'autant plus
paffé mes efperances , qu'indépendamment
de la défiance que me devoit infpirer la
médiocrité de mon Ouvrage, tout le monde
fçait que ces fortes de Livres , même avec
le plus grand fuccès , ne fe débitent que
lentement , & que fouvent deux années
n'épuisent pas une Edition . On a voulu
m'encourager en traitant avec indulgence
ce foible effai . On a rendu juftice à l'application
avec laquelle j'ai travaillé à défricher
un terrain très- ingrat ; en effet je n'ai rien
négligé de ce qui pouvoir jetter de la lumiere
fur les tenebres dont ces tems reculés
font couverts. J'ai donné un détail fur
la pofition géographique & fur l'origine
de toutes les Nations qui rempliffent l'Allemagne
, dont les Sçavans ont été fatisfaits
; j'ai fait une exacte defeription des
Parlemens , de la forme dans laquelle ils
fe tenoient, des matieres qui s'y traitoient,
JUIN. 1745. 113
de leurs droits , & c. On trouvera , lorfque
C. je parle du Gouvernement de Charlemagne
, des idées neuves , & appuyées fur des
autorités inconteſtables ; ces chofes ne fe
trouvent nulle autre part que dans les Auteurs
originaux. On imagine difficilement
quel immenfe & pénible travail ces recherches
m'ont coûté ; il n'y a point de manuf
crit que je n'aye confulté , point d'Auteur
que je n'aye lû. Malheureufement on ne
tire que peu de fecours des Ecrivains qui
traitent l'Hiftoire de ce tems . Il faut lire
plus de 200 Annaliftes qui difent tous la
même chofe , dans lefquels on ne, trouve
qu'un récit nud , & dénué de détails , qu'il
feroit imprudent de fuppléer ; plus de 200
Chartes dont le plus grand nombre n'apprend
rien , ou ne fait que confirmer le
peu qu'on fçavoit . J'ai en à lutter contre
la difficulté des recherches & contre le
dégoût de les faire avec fi peu de fruit. Le
fuccès qui fuit ces pénibles travaux , m'encouragera
à faire de nouveaux efforts
contribuer autant que je le pourrai à l'avancement
des Lettres par des Ouvrages
utiles à la Societé .
pour
LES FESTES DE LA FRANCE DRAME
LYRIQUE pour les Demoifelles de l'Enfant
Jefus , par M. l'Abbé Bonvallet des Broffes ,
114 MERCURE DE FRANCE .
Affocié à l'Académie Royale des Belles-
Lettres de la Rochelle. A Paris , 1745x
chés Thibouft.
Les Victoires, la Convalefcence & le Retour
du Roi ont été le fujet de la Fête
donnée par les Demoifelles de l'Enfant
Jefus , ( établiffement utile formé par M.
le Curé de S. Sulpice . ) L'Auteur dit dans
un Avertiffement qu'il a été l'interprete
de leurs fentimens & de leurs tranfports &
l'ordonnateur de leurs Jeux. Il a très-bien
répondu à leurs intentions. Les fentimens
que toute la Nation Françoiſe a pour le Roi
y font exprimés avec vivacité & avec élégance.
On trouve à Paris chés Etienne Savoye ,
rue S. Jacques , un Plan de la Bataille de
Fontenoy ; prix 12 fols. Ce même Plan fe
trouve à Lille , chés Pankouke , & comme
il eft d'une petite forme , il peut s'envoyer
aifément par la poſte.
APOTHEOSE de la Ville de Nîmes , ou
Sonnets fur fes Antiquités. Par M. l'Abbé
de Valette , Prieur de Bernis. A Nîmes, chés
Belle , Imprimeur-Libraire , près de l'Hôtel
de Ville. Ce Livre enfanté par l'amour
de la Patrie , a de quoi fatisfaire la curiofité
des Etrangers , puifqu'il contient les
Planches gravées des Monumens qu'il
décrit.
JUI N. 1745.
"
EXTRAIT de deux Differtations qui ont
remporté les Prix de l'Académie des Belles-
Lettres de Soiffons en 1743 .
I
A premiere des deux Differtations
dont il s'agit , eft de M. Fenel , Chanoine
de Sens , lequel en la même année
( 1743 ) remporta auffi le Prix de l'Académie
des Belles-Lettres de Paris .
Cet Auteur dans une petite Préface explique
les regles qu'il va fuivre ; elles font
tirées de la comparaifon qu'il fait entre le
devoir d'un bon Juge & celui d'un homme
qui veut compofer une Hiftoire fur d'an◄
ciens Monumens ; on peut
dire que
vrage en queftion n'eft autre chofe qu'une
application perpétuelle de ces regles aux
témoignages cités par l'Auteur.
l'Ou-
Tout le morceau eft divifé en cinq parties
, pour répondre à autant de queftions
propofées par l'Académie de Soiffons.
Dans la premiere M. F. montre que
la
conquête de la Bourgogne fut entrepriſe
par les deux fils de Clovis , Childebert &
Clotaire ; que leur frere Theoderic refufa
pour lors de fe joindre à eux , mais qu'il le
fit dans la fuite ; qu'il les aida même puiffamment
, mais qu'il mourut peu avant que
la conquête fût achevée , & que fon fils
Théodebert la partagea avec fes oncles .
Pour appuyer cette fuite de faits , M. F. a
16 MER CURE DE FRANCE.
befoin de concilier Grégoire de Tours &
Marius, Evêque d'Avranche , qui femblent
fe contredire , & il donne pour cela ane
voye de conciliation , mais afin qu'on ne lui
reproche pas que c'eſt une fubrilité d'imagination
, il prouve que cela a dû arriver
comme il le dit , par une lettre qui eft
dans le Recueil de Caffiodore.
Dans la feconde queftion , ( où il s'agit
de déterminer en détail quels furent lesprincipaux
évenemens de cette guerre , ) M. F.
examine d'abord l'étendue du Royaume de
Bourgogne en 517 , & les changemens qui
y arriverent jufques à fon entiere ruine .
Enfuite il montre par cette même lettre
de Caffiodore ( dont il avoit déja fait ufage
) que les Bourguignons attaqués à peu
près dans le même tems par les Francs &
par les Ostrogots, & ne pouvant pas réfifter
tout à la fois à deux ennemis fi puiffans ,
prirent le parti de fe reconnoître dépendans
des derniers , lefquels en conféquence
de cela leur rendirent ce qu'ils avoient
déja pris fur eux , & fe déclarerent en leur
faveur contre les Francs . En cet endroit
M. F. eft obligé de difcuter les paroles de
Caffiodore , & de faire voir les défauts de
la Traduction que M. l'Abbé du Bos a donnée
de ce même paffage . Cela le conduit infenfiblement
à examiner le fens que cer
JUIN. 1745. 117
Auteur célebre a donné à un endroit de
Jornandés , enfin M. F. explique un paffage
important de Grégoire de Tours fur le
fort de la Ville d'Arles , dans cette guerre
des Francs contre les Bourguignons & les
Oftrogots ligués ; il lui donne une interprétation
qui femble avoir échappé à tous
nos Hiftoriens. Il trouve encore en cet endroit
M. l'Abbé du Bos en fon chemin . Nous
ne décidons rien , mais on ne peut s'empê
cher de dire que cet article eft digne de la
curiofité & de l'examen de nos Sçavans. Si
l'Auteur s'y est trompé , il donnera du
moins occafion à d'autres de trouver la vérité.
On verra encore dans cette feconde
partie quelques recherches fur les conquê
tes de Théodebert , du vivant de fon pere,
& fur le fens qu'a le mot Gothi dans
certains Auteurs , qui entendent par là les
Wifigoths , & non les Oftrogots .
La troifiéme partie roule fur les Leudes ,
dont parle Grégoire de Tours , & qui défendirent
le jeune Théodebert contre les intrigues
de fes oncles , après la mort de
Théoderic fon
pere
?
M. F. n'a point crû devoir fe jetter dans
des étymologies tirées des Langues Septentrionales,
il difcute felon l'ordre hiftorique
tous les paffages dans lefquels Grégoire &
Fredegaire ont employé ce terme ( Lendes )
118 MERCURE DE FRANCE.
& il en résulte néceffairement le véritable
fens dans lequel ils l'ont entendu. C'étoit
les plus grands Seigneurs de la Nation
ceux qui approchoient le plus près de la
perfonne des Rois ; on les met au même
rang que les Proceres , & que les Evêques
qui avoient alors un très-grand pouvoir ;
ils étoient en même- tems obligés au fervice
militaire pour défendre l'Etat ; inveftis de
leurs biens par l'autorité Royale , leur
nom étoit ſynonime de celui de fideles , lequel
en a pris la place dans le X. fiécle ;
enfin les termes de Leudefamium & de
Leudarium ( qui font certainement dérivés
de celui de Leudes ) achevent de montrer,
que ce dernier nom fignifioit alors ceux qui
cenoient des terres du Roi , à la charge de
Jui garder une inviolable fidélité , de le fervir
& de le défendre au péril de leur vie ;
en un mot, que ce font les mêmes qui font
* ailleurs nommés Anftruftiones , & que l'on
nomma dans la fuite Vaffaux & Feudataires.
M.F. remarque en finiffant cet article , que
le mot de Leudes a neanmoins quelquefois
fignifié tous les Sujets en général , & d'autres
fois les Laïques, à la difference des Prêtres ,
mais que ce n'étoit pas les acceptions de
ce nom les plus communes , & qu'en párticulier
il ne peut être interprété de la forte
JUIN 1745.
119
= par
=
dans le paffage en queſtion de Grégoire.
La quatrième queftion occupe la plus
grande partie de l'Ouvrage , & c'eft en même-
tems ce qu'il y a de plus intereffant &
= de plus couvert de ténebres. Il faut fixer
les differentes augmentations que reçut
le Royaume de Soiffons fous Clotaire I.
par les fucceffions qui lui échurent ', & par
les conquêtes qui agrandirent la Monar
chie Françoiſe de fon tems . Une pareille
détermination ( pour pouvoir être parfai
tement exacte ) fuppoferoit la connoiffance
détaillée des differens partages des enfans
de Clovis , mais c'eft ce qui paroît impoffible
. Deux Sçavans du premier ordre y ont
renoncé formellement,& M.F. n'a eu garde
de rifquer l'avanture après de tels exemples
, cependant comme il avoit entrepris
de travailler pour le Prix de Soiffons , il a
fallu dire quelque chofe fur cette question ,
bien moins dans l'efpérance d'y réüffir ,
que parce qu'il ne pouvoit fe difpenfer
d'en parler.
Il prépare la réponſe par divers préliminaires
, 1 °. fur l'ordre de fucceffion qui
étoit certainement établi alors parmi les
Rois Francs , mais que la violence & la cupidité
troubloient fouvent , 2 ° . fur la nature
des meubles de ces Rois , lefquels
étoient inaliénables & faifoient partie de'
120 MERCURE DE FRANCE .
leurs Domaines. Nous renvoyons fur ces
points à l'Ouvrage même . A l'aide de ces
principes M. F. entreprend de lever une
des plus grandes difficultés de l'Hiſtoire
de ce tems -là ; elle réfulte de l'inégalité apparente
des lots des Rois co-partageans ,
quoique l'Hiftorien dife formellement
qu'ils étoient égaux . Il faut lire dans l'Auteur
ce qu'il a imaginé pour concilier cette
contradiction. C'eft à cette occafion qu'il
eft encore contraint de réfuter M, l'Abbé du
Bos, qui a apporté un autre dénoûment de
cette difficulté , & qui a avancé que l'ancienne
France Germanique avoit été en
vahie en parsie par les Thuringiens .
Il faut que le lecteur voye par lui -même
ce que M. F. dit fur les divifions qui furent
faites des conquêtes des Francs & des
fucceffions ouvertes durant le tems que cet
Auteur parcourt. Il ne faut pas croire que ce
qu'il dit foit par tout également démontré ,
il le reconnoît lui -même , il eft obligé de
conjecturer à tout moment,& même de contredire
de très-fçavans hommes , mais il
ne donne ces conjectures que pour ce qu'elles
font , & il rend toute la juftice qu'il
doit à ceux qu'il eft obligé de combattre, &
des travaux defquels il avoue fincérement
avoir profité : il faut plaindre un Auteur
qui a un fujet très- difficile à traiter , qui eſt
obligé
JUIN
1745.
obligé d'écrire & qui ne trouve que des
ténebres dans le chemin où il marche.
La feule chofe fur laquelle nous infifterons,
par rapport à cette quatrième partie,
eft l'explication que M. F. y donne d'une
lettre du Roi Théodebert à Juftinien , dans
Elaquelle ce Roi répond à la queftion que
l'Empereur lui avoit faite fur l'étendue de
fa domination en Germanie . Il femble que
M. F. eft un des premiers qui ait tenté d'éclaircir
ce Monument fingulier . Nous ne
déciderons pas s'il y a réuffi; quelque chofe
que l'on en penfe , du moins cela
pourra
fervir à en faciliter la véritable intelligence.
La principale difficulté de cette lettre
confifte en ce que Théodebert y parle de
certains peuples appellés Wifigohi , qu'il dit
habiter la Plage Septentrionale de la France
( Germanique. ) Il paroît que c'eſt le feul
Ecrit qui faffe mention de Wifigots , placés
en cet endroit. M. F. prétend que ces
peuples étoient un effain de Saxons établis
dans la Contrée que nous venons de
défigner. Cette opinion paroît du premier
coup d'oeil fort finguliere , mais il faut pefer
les raifons de l'Auteur. Il remarque que
nous avons encore aujourd'hui la Traduction
des Evangiles en Langue Gothique ,
faite au IV. fiécle de notre Ere . Ce précieux
1. Vol. F
22 MERCURE DE FRANCE .
Monument nous apprend que le langage
des anciens Gots avoit une conformité tout
à fait extraordinaire avec le Flamand d'aujourd'hui
; il eft d'ailleurs certain que les Fla
mands font une Colonie de Saxons , établie
par Charlemagne dans la Belgique ; il faut
donc en conclure que les anciens Saxons
faifoient originairement partie des Goths ,
d'où l'Auteur induit que les Wifigots ( ou
Goths Occidentaux ) dont il eft ici queſtion ,
étoient des Saxons qui avoient pris cette
dénomination ( d'Occidentaux ) par raport
quelques autres de leurs compatriotes , à
Fégard defquels ils étoient placés vers l'Occident.
En lifant le refte des explications
que M. F. donne de cette lettre , on voit à
quel degré de puiffance la Monarchie des
Francs étoit montée environ 30 ans après
Clovis I. Une très- grande partie de ce que
nous appellons Allemagne obéiffoit à Théodebert,
& ce qui eft de plus rare , quelquesuns
de ces peuples s'étoient rangés fous
l'Empire de ce grand Roi volontairement &
de leur bon gré , n'y étant portés que par
la réputation de fa bonté & de fa juftice.
Quel dommage que le détail de la vie d'un
tel Prince nous foit inconnu !
La derniere partie préfente la difcuffion
de ce que Procope a rapporté fur la ceffion
que les Oftrogoths firent aux Francs de la
JUIN. 1745. 129
Provence, & fur la confirmation que Juftinien
en accorda aux Enfans de Clovis
c'eft encore M. l'Abbé du Bos qui a donné
lieu à la queftion traitée en cet endroit , il
a donné aux paroles de Procope une interprétation
tout-à-fait nouvelle , comme ſi
cette confirmation donnée par Juftinien eût
regardé tout ce que les Francs poffedoient
dans les Gaules : M. F. par un examen
Grammatical des termes de l'Auteur origi
nal , & les differens fens dans lefquels il a
employé le nom de Gaules , montre que le
fentiment de M. l'A. de B. eft infoutenable
, de quelque maniere qu'on l'envisage,
L'Ouvrage finit par l'indication de divers
points curieux fur lefquels M. F. eût
fouhaité pouvoir s'étendre , mais les bornes
qui lui étoient prefcrites l'ont retenu,
C'eft-là qu'on verra en deux mots dans une
Note les diverfes fignifications dans leſquelles
les Grecs ont employé le mot de
Thémis.
Les Lecteurs font avertis de faire atteng
tion à l'Errata de cet Ouvrage.
La feconde Differtation a pour Auteur
M. de Longuemarre.
Elle a pour objet les mêmes points d'Hif
toire que celle de M. F. & elle eft tirée à
peu près des mêmes fources. Il y a donc de
la reffemblance entre ces deux morceaux ,
Fij
114 MERCURE DE FRANCE.
*
mais on fe tromperoit fort fi l'on croyoit
qu'elle eft bien entiere. Cette étonnante
varieté que Dieu a mis entre les traits des
hommes , eft encore plus marquée dans
leurs efprits pour ceux qui y font une férieufe
attention. On verra donc fans furprife
que deux Auteurs qui ont traité le
même fujet , & qui ont eu les mêmes ma
tériaux , ont neanmoins tant de diverfités
dans leur maniere de penfer & de s'exprimer.
La longueur du premier Extrait ne nous
permet pas de nous étendre beaucoup fur
le fecond.
Nous remarquerons ſeulement ce qu'il
ya de plus particulier.
M. de L. entend les paffages de Jornan➡
dés d'une maniere toute différente de M.
l'A. du B. & de M.F , il prétend que cela regarde
une ceffion faite par les Oftrogoths
aux Francs après la conquête & le partage
de la Bourgogne ; * on verra au même
endroit que M. de Longuemarre prétend
que M.l'A. du B. s'eft trompé fur la date d'une
lettre de Caffiodore , laquelle doit être
referée au Regne de Theodat.
Sur la troifiéme queftion M. de L. eft
d'un fentiment entierement oppofé à celui
* Il revient encore fur cette même ceffion
dans l'article trois de la 2 question,
JUIN 1745 125
de M. F. & il foutient que le mot de Leudes
fignifioit au commencement de notre
Monarchie tous les Sujets de ce Royaume
naiffant ; on ne peut pas voir une plus grande
différence entre deux Auteurs que
celle-là .
On trouvera dans la quatrième queſtion
une digreflion affés longue fur l'étendue &
la pofition de l'ancien Royaume de Thurin
ge , enfuite l'Auteur releve M. l'Abbé du
Bos , qui a formé un Syftême chimérique
fur la Monarchie des Thuringiens.
On verra avec plaifir dans la cinquiéme
queftion l'examen de quelques morceaux
de Traductions des Anciens , dont M. l'A:
du B. a orné fon Ouvrage fur la Monarchie,
On ne peut s'empêcher de convenir qu'il
s'en eft acquité avec beaucoup d'imagination
, & plûtôt en Auteur ou en Compofiteur
, qu'en fimple Traducteur...
II
y a pour cette Diſſertation un Errata,
qui mérite d'être confulté.
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
VERS
Préfentés à M. le M.... par fes enfans le
jour de fa Fête pourfa convalefcence. &
Nous avons préfenté Requête
A Flore, au Dieu des Vers , pour vous faire un bou
quet ,
Et célebrer le jour de votre Fête .
Que votre faint Patron comblant notre ſouhait
D'un pere fi chéri , fi tendre ,
Qu'à nos pleurs le Ciel vient de rendre ,
Eloigne le dernier malheur !
Puiffiez vous ne compter que d'heureufes années,
Et prolonger notre bonheur
En prolongeant nos deſtinées.
Le M...de R .... de Cl.. de F
Le mot de la premiere Enigme de Mai
eft le Rire . Celui de la feconde eft le Soulier.
Le Logogryphe eft Espadon , dans lequel
on trouve Spado Eunuque , Sape , Don ,
Dofe , Pefon , Paon , Ole , Sponda , Couchette
de lit , Onde , Sonde.
L'Enigme fuivante eft l'Euf& l'Enigme
Latine eft Eva.
1. ↑ UKIN. 11745. 127
ENIGME EN LOGOGRYPHE.
Q Uoique d'un corps je n'aye point l'ufage,
Je ne fuis pas un être de raifon ;
Je fuis bien fol , & j'ai des enfans à foifon ;
Je marche cependant toujours devant un fage.
Lecteur , pour me connoftre à fond ,
De huit lettres tu me compofes.
Leur premier nombre fait une conjonction
Qui rend raifon de bien des chofes.
Lorſqu'en me corrigeant tu fais
Que l'on ne trouve en moi ni ſi ni car ni mais
Auffi-tôt je caractériſe
Un des plus dangereux combats ,
Et qu'on a vû près de Veniſe
Plus fouvent que dans nos climats.
Ma derniere moitié , lorſque l'on n'eſt pas fage
Fait aller quelquefois un Banquier en prifon ,
Et certain vent portant le même nom
Sur les Parifiens apporte maint nuage.
> Lorque de moi l'on ne dira plus va
Et qu'on m'interdira le milieu de la porte ,
Je ferai fait de telle forte
7
Fij
128
MERCURE DE FRANCE.
Que fouvent mon fein portera
Ce qui parfois les autres porte.
Plus d'un jardin, par moi s'embellira ;
Un Fleuve à l'autre s'unira .
Pour montrer votre efprit, Lecteur, il vous importe
De déméler tout cet embarras - là ,
Pour moi , je fuis & cetera.
Jacques.
AUTR E.
B Rillant Caméléon de la mode & du tems
J'embellis avec art le fuperbe Edifice ,
A qui l'homme captif par goût ou par caprice
Prodigue fon volage encens.
Ma tête étant tournée , on trouve écrit en elle
Le nom de cette Ville où nâquit autrefois
Le fameux Patriarche attentif & fidéle.
A diftinguer de Dieu les ordres & la voix,
Sans tranfpofer confonne ni voyele
Le refte de mon corps appelle ,
Quand Mars foufle fes feux ennemis de la paix ,
Des nobles Cazaniers la troupe la plus belle.
Pris dans un autre fens , dans le Temple , au Palais ,
Dans les carrefours , je révele
Les obligations , les marchés , les forfaits ,
Et j'exile & je
compromets.
Mettez , fans me donner nulle forme nouvelle ,
JUIN. 129 1745.
D
Mes deux derniers membres à
Je fers au calcul du vieillard ,
Qui nous emporte fur fon aîle.
part ,
1
Par Mad. Desforges- Maillard.
AUTRE.
'Un habile Ouvrier la prudente fageffe
De mon tout compofé fixe le fondement ,
par fon action cet Ouvrier fans ceffe Et
Aux corps que je foutiens donne leur mouvement.
Les corps viennent fur moi tour à- tour fe produire,
De fes liens aucun ne doit le dégager ,
S'il ne devient parfait en ſemblant ſe détruire
Et fourniflant au feu quelque aliment léger.
Le vainqueur de Cerbere , armé d'une quenouille ,
Vaincu par une femme , efclave fous fa loi,
Deshonnore fes mains , les avilit , les foüille
Maniant ce qu'Omphale a dû tenir de moi.
1
Aux deux fexes pourtant également utile ,
L'un ni l'autre fans moi ne peut gueres s'affeoir :
Les Eorêts , d'où je fors pour m'établir en Ville ,
Fourniſſent aux talens que mon corps fait valoir.
Mais lorsque c'eſt le fer ou l'acier qui me forme
Je me venge, & fur eux je m'exerce à mon tour,
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
Et même fur les dents d'un animal énorme ,
Sous qui fon meurtrier jadis perdit le jour
D. C. C. R. à S. M. l' Châlons.
*X*3*X÷ BXBX ÷ * X * X**
JE
LOGO GRYPH E.
E marche fur huit pieds , dont
poids .
>
quatre
Item , un faint Evangélifte ,
Mais les ayant réduit à trois ,
Je ne puis fervir fans carquois.
Voyons en quoi tout le refte confifte
D'abord je fuis riviere de l'Artois ;
Puis Ville de la Picardie ;
Enfuite un Poëte fameux
Un bon Acteur de Comédie ;
Un ennemi du peuple Hébreu ;
Un enfant maudit de fon pere ,
Ce n'eft pas tout ; un malheureux
Qui fut un objet de colere ,
Dont le châtiment rigoureux
Enveloppa fa maifon toute entiere ;
font un
Sçavant Prélat qu'un Roi mit à Paris ;
Certain , que tu connois , qui ne fent pas l'Iris.
Un enfant de Jacob ; un Oifeau de riviere.
Je finis par ce Feftin , !
Où l'eau fut changée en vin.
Par les Dlles le F .... & de G ....
JUIN.
134 1745.
*3*3X +3X+ 3X +3X * X * X*3*
A Madame la Princeffe de T ....
Pour mauvais tours chaffé de la maiſon ,
L'Amour s'enfuit au Pays des Sarmates ;
D'un rude hyver c'étoit lors la faiſon ,
Neige y couvroit prés , bois , champs, cafemates ,
L'enfant tout nud s'y meurt bientôt de froid ;
Tranfi , gelé , le pauvret apperçoit
Deux grands yeux noirs vifs de la bonne espece.
Voilà des yeux tels qu'on les porte en Grece ,
Helene avoit les pareils autrefois ;
Prenons , dit - il , notre abri ſous leurs toîts
Il s'y logea ; content d'un fi bon gîte ,
Flus il n'en fort. Par quoi la jeune Scythe ,
D'un feul regard met un coeur en fouci .
Souci cuifant. Le beau Sexe & le nôtre
Le fçavent bien ; moi qui fis ces Vers- ci ,
Las ! je le fçais mille fois mieux qu'un autre.
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
aasisis isés és eses asas asis asis sas as is
LA FONTENOY , FANFARE.
Q
Uels fons l'Echo répete
A la gloire des Lys !
C'eft la même Trompette
Qu'Henri forma jadis
A chanter la défaite
De fes fiers ennemis.
*3X+
Sujets de fon Empire ,
Chantez tous avec moi.
Ah ! quel plaifir de lire ,
Aux Champs de Fontenoy
Le grand Henri refpire
Dans notre brave Roi !
****
Il a tout l'héritage
De cet Ayeul vanté .
O l'heureux affemblage !
Douceur & dignité ;
Aux Combats fon courage ,
Vainqueur c'eft la bonté.
DE
LA
LYON
7888*
JUIN. 133 1745 .
**✰✰✰****MMMMMMMMM
SPECTACLES.
OPERA.
'Abondance des matieres nous a contraints
de placer dans le premier volume
de Juin des articles des Théatres qui
devoient être emploiés dans le mois de Mai.
L'Académie Royale de Mufique continue
les répréfentations de Zaide.Le fuccès
du debut de M. Poirier , Ordinaire de
la Mufique du Roi ne diminuë point; le rôle
de l'Amour dans le Prologue de ce Ballet
a été joué avec applaudiffement par Mlle.
Rolet.
CONCERT SPIRITUEL.
Dimanche dela Pentecôte 6 Juin , on chanta
In Domino confido , Motet à grand Choeur
de M. l'Abbé Vignot jeune homme qui a
été Enfant de Choeur à Notre- Dame , &
dont le Motet à eû du fuccès , il eft éleve de
M. Du Luc & de M. Aumer Maîtres de
Mufique fucceffivement de l'Eglife Cathédrale
de Paris. J
M. Marrella Violon Italien à joué un
134 MERCURE DE FRANNCCEE..
Concerto de fa compofition ; fon exécution
nette , précife, & remplie de goût, a mérité
les applaudiffemens du Public ; fon ſuccès
s'eft confirmé à tous les Concerts fuivans ,
& fa Mufique n'a pas moins fait de plaiſir
que la façon dont il l'a executée .
Mlle Romainville a chanté avec graces
& expreffion le petit Motet de M.
Mouret , Quemadmodum ; Mrs Forqueray ,
Blavet , Marrella & Labbé, ont executé un
Quatuor de la compofition de M. Telemann
dans la grande perfection.
On a fini le Concert parle Lauda Ferufalem
de M. de Mondonville, Mrs Poirier &
Maline , Mlles Fel , Chevalier & Bourbonnois
ont également brillé dans les
Recits qui leur ont été confiés. M. Benoît
par indifpofition n'a pu chanter à ces concerts
, Mile Fel n'a chanté qu'à celui du jour
de la Pentecôte , pour la même raison que
M. Benoît .
Concert le Mardi 8 Juin.
Cantemus Domino Motet à grand Choeur
de M. Le Vens. Il a réuffi ; une Sonnate à
violon feul de M. Le Clerc , jouée par M.
Marrella.
Benedictus Dominus , petit Motet de M.
Mouret chanté par M. Poirier, avec beaucoup
d'applaudiffemens .
Un Quatuor de M. Telemann , executé
JUIN. 1745. 135
par Mrs Forqueray , Blavet , Marrella &
Labbé.
Qui confidunt in Domino , Motet à grand
Choeur de M. de Mondonville.
Le Dimanche 13 Juin.
Levavi oculos meos , Motet à grand Choeur
de M. Corrette. Un Concerto joué par M,
Marrella.
O Sacrum convivium, petit Motet en Duo
de M.Mouret, chanté par MlleBourbonnois
& par Mlle Romainville.
Un Quatuor de M. Telemann, exécuté par
Mrs Forqueray , Blavet , Marrella & Labbé.
Magnus Dominus , Motet à grand Choeur
de M. de Mondonville .
Jeudi 17 Juin, Jour de la Fête-Dieu.
Cantate Domino , Motet à grand Choeur
de M. de Lalande , dans lequel Mlle Chevalier
a chanté pour la premiere fois le
beau récit Viderunt , quelle a rendu dans la
plus grande perfection . Une Sonnate à violon
feul jouée par M. Marrella.
Venite exultemus,petit Motet de M. Mou
ret,chanté par Mlle Romainville . Un Quatuor
de M. Telemann , exécuté par Mrs
Forqueray , Blavet , Marella & Labbé.
Qui confidunt in Domino , Motet à grand
Choeur de M. de Mondonville.
Dimanche 20 fuin.
Magnus Dominus , Motet à grand Chaur
136 MERCURE DE FRANCE.
de M. de Mondonville , un Concerto joué
par M. Marrella.
Le Choeur du premier Acte de Jephté; un
Quatuor de M. Telemann , exécuté par Mrs
Forqueray , Blavet , Marrella & Labbé.
Cantate Domino , Motet à grand Choeur
de M. de Lalande ; les talens de M. For
queray font affés connus , tout le monde eft
inftruit des éloges qu'ils méritent; les trois
autres habiles Symphonistes ont aufli une
réputation établie.
TROISIEME fuite des Réflexions fur
les Ballets
Nous avons promis des exemples , il faut
acquitter notre parole , avant que de frapper
les grands coups contre la Monotonic
muette des Danfes qui regnent aujourd'hui
fur le Théatre de l'Opera.
Les exemples perfuadent fouvent mieux
que les raifonnemens les plus Géomètri
ques , nous ne chercherons pas ces
exemples dans les Ballets danſés devant
Pericles ou devant Augufte ; nous donnerons
l'idée d'un Ballet exécuté au paffage
de Louis XIV. à Lyon en 1658.
Le fujet étoit l'Autel de Lyon confacré à
Louis Augufte, & placé dans le Temple de la
Gloire. Le fujet de cette action étoit tiré du
JUIN. 1745. 137
quatriéme Livre de Strabon , qui dit que
tous les peuples des Gaules ayant décerné un
Temple à Augufte , on le bâtit dans Lyon
au confluent du Rhône & de la Saonne, que
l'Autel en étoit célébre pour les images
& l'infcription de foixante Nations qui
avoient fait dreffer ce Temple.
Suetone dit que l'Empereur Claude naquit
à Lyon le premier jour du mois d'Août
qui étoit le jour de la Dédicace de l'Autel
confacré à Augufte. Claudius natus eft fulio
Antonio& Fabio Africano Coff. Calendis Au
gufti ,teo ipfo die quo primum ara ibi Augufto
dedicata eft. Juvenal , Dion Caffius & plu
fieurs autres Auteurs ont parlé de cet Autel.
Les Temples & les Autels des Anciens
étoient destinés à trois ufages, aux Sacrifices
qu'on offroit aux Dieux , aux depoüilles
des ennemis qu'on y appendoit , & anx
Oracles qui s'y rendoient ; c'eſt ce qui fait
la divifion des trois parties du Ballet ingegenieux
& fçavant, imaginé à la Gloire de
Louis XIV .
L'Immortalité en fit l'ouverture; elle étoit
vetuë d'amaranthe , qui eft la couleur des
fleurs immortelles , fa couronne étoit com
pofée d'Etoiles qui font les feux immortels
, fon char étoit fait en Phenix , qui eft
l'oiſeau immortel , & il étoit tiré par les
38 MERCURE DE FRANCE .
deux Ourfes célettes , qui font les deux
Conſtellations , qui ne fe couchent point
pour nous.
la
La Vertu marchoit devant l'Immortalité
, comme le guide le plus für pour
trouver , & elle étoit fuivie par la Gloire,
digne récompenfe des Heros .
Les quatre parties du Monde firent la
premiere Entrée dans le Temple même de
la Gloire , dont elles s'étonnerent de voir
les ornemens négligés , & les images des
Heros prefque effacées , une Danfe caracterifée
marqua leur étonnement & la douleur
que leur caufoit ce Spectacle.
La Religion , la Nobleffe & la Juſtice ,
répréfentans les trois Etats du Royaume,
parce que c'eft fur ces trois fondemens que
l'autorité Royale eſt établie , firent la feconde
Entrée. Les quatre coins de cet Autel
fe terminoient en têtes de Lion, au lieu des
têtes de Belier que les Anciens leur donnoient
, les pieds qui foutenoient cet Autel
avoient auffi des pattes de Lion , pour faire
allufion au nom de la Ville qui dreffoit cet
Autel à l'honneur de Louis Augufte .
L'Amour fit la troifiéme Entrée , d'abord
il fit des Pas d'aveugle , avec fon bandeau
fur les yeux qu'il arracha lui même & récita
ces vers.
JUIN.
$745. 139
Mettons bas mon bandeau pour connoître LOUIS,
Ah! que mes yeux font éblouis
Dés éclairs que les fiens répandent fur la terre
Tout tremble à ces regards qui font un fi grand
jour ,
Mais il faut qu'à la fin le flambeau de la guerre
Cede un peu de lumiere à celui de l'Amour .
Je lui veux immoler les coeurs de fes Sujets ,
Je borne là tous mes projets ,
Jufqu'à ce qu'une Epoufe ait part au Diadême ,
Les Graces & les Ris attendent ce moment ;
Maintenant la victoire eft la beauté qu'il aime ,
Et la Nimphe volage en a fait ſon amant.
L'Amour du feu de fon flambeau alluma
celui de l'Autel , en même- tems toutes les
Urnes des Héros dont les cendres repofoient
dans le Temple de la Gloire s'allumerent
d'un feu nouveau , lorfque les Provinces
du Royaume , conduites par la Fidélité
, apporterent leurs coeurs , comme autant
de victimes deſtinées à l'Autel de Louis
= Augufte; la Fidelité les ayant reçûs de leurs
mains , les immola elle même , tandis que
toutes ces Provinces danfoient à l'entour
de l'Autel, fuivant l'ufage des Anciens. Des
Vautours qui repréfentoient les guerres
viles , vinrent pour enlever ces coeurs facrifiés
, mais un Lion fortant de deffous
ci140
MERCURE DE FRANCE.
l'Autel , les mit en fuite , & ce fût la cin
quiéme Entrée. Ce Lion vainqueur des
Vautours , offrit lui- même fon coeur à la
Fidelité , pour en faire un facrifice à l'Autel
de Louis Augufte, mais à peine fut- il expofé
au Feu facré, que fe changeant tout d'un coup
en une Couronne de fleurs de lys , la Fidé
lité en couronna le Lion , couché au pied
de l'Autel , pour repréfenter le Chef des
Armoiries de la Ville de Lyon , qui eſt d'azur
à trois fleurs de lys d'or , fur un Lion
de Gueules , dans un champ d'argent. La
Fidelité en le couronnant, récita ce Sonnet.
Fidéle défenfeur des droits de la Couronne
Et généreux appui du Trône des François
Confacre ta valeur aux Lys que tu reçois
Et conferve le rang que la gloire te donne .
Il faudra qu'à la fin la révolte abandonne
Les tragiques deffeins qui renverfent mes Loix ,
Tandis que tu verras le plus grand de nos Rois
Te couvrir de Lauriers que fa main nous moiffonne .
Il vient récompenfer cette noble fierté ,
Qui fait voir dans tes yeux ta générosité ,
Tandis que de ton coeur tu fais une victime .
•Immole donc ce coeur au pied de cet Autel ,
LOUIS en acceptant un don fi légitime ,
Te donnera le fren pour te rendre iminortel.
COMEDIE
JUIN 1745. 141
COMEDIE FRANÇOISE.
La Comédie Françoife a donné le Samedi
19 Juin la premiere répréfentation de
la repriſe de Didon , Tragédie de M. le
Franc qui a toujours paru au Théatre avec
un fuccès égal & brillant. Le rôle de cette
tendre Reine de Carthage a été parfaitement
rempli par Mlle Clairon , fi habile à exprimer
les paffions vives & touchantes ; l'Auteur
a fait des changemens qui font honneur
à fa modeftic , qui ne s'enyvre point
par les applaudiffemens , & à fon jugement
qui ne s'égare pas dans la route la plus
éblouiffante du Temple de Mémoire . Nous
en parlerons plus amplement dans le fecond
Volume
COMEDIE ITALIENNE.
Le Théatre Italien a débuté après Pâques
par un Compliment que le Public a
fort bien reçû , il eft de la compofition de
M. Panard , fi connu par l'agrément de fes
Vaudevilles , & de M. Sticoti , Auteur de
Pieces goûtées. Il fut prononcé par Coraline
& Arlequin , qui fûrement ne le
déparerent pas ; les traits brillans & gais y
1. Vol. G
142 MERCURE DE FRANCE.
font femés ; nous ne rapporterons ici que
les deux Fables qui terminent ce joli Compliment
; elles peuvent plaire même ifolées
& n'ont pas befoin de leur cadre être
pour
exposées au regard .
Fable de Coraline.
'Autrefois dans le tems que l'on n'avoit point v
D'Orangers dans votre Patrie ,
Par le defir du gain un Jardinier émû
En fit venir deux d'Italie.
L'un d'eux avec foin élevé ,
Des outrages du Nord avec foin préfervé ,
Devint avec le tems fleuri , brillant , robuſte ;
L'autre fut négligé . Le malheureux Arbuſte
De la grêle & des vents éprouvant la rigueur ,
Secha fur pied bien- tôt & périt de langueur.
De mon deftin ils font l'image ;
Je fuis , Meffieurs , cet Oranger ,
Tranſporté dans ce lieu d'un Pays étranger ;
Des vents injurieux fi j'éprouve l'outrage ,
On me verra bien - tôt fuccomber à l'orage.
Mais û votre bon coeur de ma foibleffe inſtruir ;
S'y prête & m'encourage ,
JUIN. 243 1745.
De vos bontés , Meffieurs, vous pourrez voir le fruit.
Fable d'
Arlequin.
Quand des lieux où l'Afie étale ſes tréſors
L'ébene avec l'yvoire arrivent fur ces bords ,
L'un & l'autre eft brute & fans forme ,
Plus dur que le chêne & que l'orme ,
Pour les polir tous deux il faut de grands efforts.
Ma camarade & moi nous fommes tout de- même;
L'yvoire le voilà , * l'Ebene , le voici ; **
Meffieurs , nous vous prions de nous polir auffi ,
Nous y répondrons tous avec un zéle extrême ,
Et nous vous dirons grand - merci.
- Le même jour les deux mêmes Auteurs
donnerent une petite Comédie nouvelle
d'un Acte en Vers , intitulée , l'Impromptu
des Acteurs ; c'eft un fujet ingenieux , fans
intrigue & compofé de Scénes Epifodiques,
où une brillante imagination domine
fans ceffe . La premiere Scéne fait l'expofition
du fujet , & commence par M. Vincent
, qui dit à Mlle Thérefe.
* Montrant Coraline.
** Se montrant lui même .
Gij
144 MERCURE DE FRANCE
Vorre projet a reçû des éloges ,
Et pour l'exécuter chaque Comédien
Veut bien donner ici quelque chofe du fien ,
Au moment que je parle ils font tous dans leurs
Loges
Pour pouvoir méditer un peu
Le fujet qu'ils prendront & concerter leur jeu .
M. Rochard remplit la feconde Scéno
en frondant agréablement la témérité de ce
projet, & en chantant avec fes graces ordinaires
une chanfon compofée par M. Blaife ,
& qui eft marquée à fon coin,
M. Deshaies fait enfuite une Scéne d'yvrogne
, avec une naïveté parfaite.
La quatriéme Scéne , très- bien exécutée
par M. Riccoboni , mérite de n'être pas
tronquée. La voici,
Therefe.
Quel eft cet autre perſonnage ?
Ah ! Ah! c'est vous fous cet air emprunté
Je ne remettois pas d'abord votre viſage !
Couvert d'un manteau , tout botté. ,
Quel est votre deffein dans ce bel équipage ›
Riccoboni.
Le dur métier d'Acteur fut long tems mon partage
Un deftin plus illuftre aujourd'hui m'a tenté ;
JUIN. 145 1745.
Je fuis dans ce moment un Philofophe , un Sage
Qui va chercher la vérité.
Therefe.
Vous nous quittez !
Riccoboni.
Oui.
Therefe.
Bon voyage .
appas , Mais fi la vérité pour vous a des
Faut-il vous tranſporter bien loin de ce rivage
Pourquoi dans ce féjour ne la cherchez-vous pas
Riccoboni.
Où voulez- vous que je la trouve
Tout le monde en ces lieux la fuit & la réprouve
L'efprit n'eft plus qu'un faux brillant ,
La beauté qu'un faux étalage ,
Les carefles qu'un faux ſemblant ,
Les promeffes qu'un faux langage ;
Faufle gloire & fauffe grandeur
Logent partout le faux honneur ,
Partout on voit fauffe Nobleffe ,
Fauffe apparence , faux dehors ,
Faux airs , fauffe délicateffe ,
Faux bruits , faux avis , faux rapports ;
Le coeur eft faux chés Amarante ;
Vefta nous montre un faux maintien ,
Life eft une fauffe ignorante ,
Clindor un faux homme de bien.
G iij
346
MERCURE DE FRANCE.
Therefe.
Quoiqu'un peu trop de fiel paroiffe dans vos rimes,
Je l'excufe pourtant , mais enfin dites- moi ,
Pour réüffir dans ce nouvel Emploi ,
Quel est votre fonds
Riccoboni.
Des maximes.
Therefe.
Mauvais bien ailleurs comme ici
Faites-nous le régal de quelqu'une.
Riccoboni.
En voici.
L'amour fe foutient par l'efpoir ,
Le zéle par la récompenſe ;
L'autorité par le pouvoir ,
La foibleffe par la prudence ,
Le crédit par la probité ,
L'agrément par la liberté ,
La fanté par la tempérance ,
L'efprit par le
contentement ,
Le contentement par l'aifance
L'aifance par l'arrangement.
Therefe.
Ce début fçait affés me plaire.
Riccoboni.
Plus de douceur que de beauté
Me ſemble aux filles néceffaire é
JUIN
147
1745.
Flus d'éclat que de vérité
Dans un Auteur ne me plaît guere ;
Pour être heureux il faut avoir
Plus de vertu que de fçavoir
Plus d'amitié que de tendreffe ,
Plus de conduite que d'efprit ,
Plus de fanté que de richeffe
Plus de repos que de profit.
Therefe.
Je ne vois en cela rien que de raifonnable.
Riccoboni.
En toute chofe la raifon
Trouve le fuperflu blamable ;
Le peu lui plaît quand il eft bon
Ce parti me femble admirable.
Fuyons donc les fâcheux excès
Que les dégoûts fuivent de près ;
Le gourmand toujours famelique ,
Décide pour la quantité ,
Le Gourmet que le bon goût pique ,
Décide pour la qualité.
Therefe.
Par la bonne Philofophie
Cette décifion fera toujours fuivie,
Riccoboni.
Petit bien qui ne doive rien ,
Petit jardin , petite table ,
G iiij
248 MERCURE DE FRANCE RANCE..
Petit minois qui m'aime bien ,
Sont pour moi chofe délectable.
J'aime à trouver quand il fait froid
Grand feu dans un petit endroit ;
Les délicats font grande chere
Quand on leur fert dans un repas
De grand vin dans un petit verre
De grands mets dans de petits plats.
Therefe.
Il réfulte de ce langage
Qu'il ne faut jamais rien de trop .
Riccoboni.
Rien de trop..Que de fens eft caché fous ce mot
Qu'il eft judicieux & fage !
Trop de repos nous engourdit ,
Trop de fracas nous étourdit ,
Trop de froideur eft indolence ,
Trop d'activité , turbulence ,
Trop d'amour trouble la raison ,
Trop de remedes eft poiſon ,
Trop de fineffe eft artifice ,
Trop de rigueur eft dureté ;
Trop d'oeconomie , avarice ,
Trop d'audace , témérité.
Therefe.
Ce trop que vous blâmez n'eſt pas , à le bien prendre ,
Si pénible à changer que vous le croiriez bien.
Cela vient faute de s'entendre ;
JUIN. 1745 . 149
Le tout fouvent dépend d'un rien .
Riccoboni.
D'un Rien. Oüi , comme vous , jepenfe,
Un rien produit de grands effets.
Un rien eft de grande importance ;
En amour , en guerre , en procès ,
Un rien fait pancher la balance ;
Un rien nous pouffe auprès des Grands ,
Un rien nous fait aimer des Belles,
Un rien fait fortir nos talens ,
Un rien dérange nos cervelles ;
D'un rien de plus , d'un rien de moins ,
Dépend le fuccès de nos foins ;
Un rien flate quand on eſpere ,
Un rien trouble lorsque l'on craint ;
Amour , ton feu ne dure guere ,
Un rien l'allume , un rien l'éteint.
Therefe.
Votre Scéne a du bon , j'y vois de la fagcffe ;
Vos Confreres tantôt dans un femblable cas
Ont fçû s'en tirer par fineffe ;
Votre efprit en cela ne les imite
Riccoboni,
pas.
Tout le monde n'a point le même fçavoir faire
On ne fait pas ce que l'on veut..
Chacun s'échappe comme il peut ,
Chacun d'un embarras fe fauve à fa maniere,
GY
150 MERCURE DE FRANCE.
L'ignorance dans ce Canton
Se fauve par l'effronterie ,
L'homme du jour par un jargon
Qui prend le titre de faillie ,
La Danfe par les entrechats ,
La Mufique par le fracas ,
L'Imprimeur par des rêveries
Qu'on donne pour des vérités .
La Scéne par des rapfodies
Qu'on donne pour des nouveautés ;;
Les Orateurs & les Poëtes .
Se fauvent par des lieux communs
;
Les Actrices par des fleurettes ,.
Et les Acteurs par des emprunts. !
J'en vois dont l'ame intereffée
Se fauve par le Caducée ;
J'en fçais dont l'efprit fouple & fim
Se fauve par un fouterrain ,
L'un fe fauve par des cafcades ,
L'autre en prenant un certain biais ;
Et moi qui crains que mes tirades
Ne femblent à la fin trop fades ,
Je me fauve par les marais.
JUIN. 1745 .
151
La cinquième Scéne eft applaudie après
celle-ci , cela n'eft pas étonnant , elle eſt
jouée par Mlle Silvia qui donne fucceffivement
un échantillon de tous les caracteres
comiques , & qui de plus chauffe un moment
le coturne , le tout avec les graces
naturelles qui brillent fans ceffe dans fes
rôles .
La Piéce finit par des Scénes de lazzis
exécutées par Mario , Arlequin , Scapin
Coraline & M. Deshaies , qui font fuivies
d'un Ballet auffi amufant que les jeux de
Théatre qui l'ont précedésla mufique eft de
M. Blaiſe & ne dément pas fes autres ou
vrages.
On a remis au Théatre l'Amant Prothée ,
Comédie en trois Actes & en vers de M.
Romagnefi, écrite du bon ton Comique ,
d'un ftyle naturel, où les gentilleffes néologiques,
tant frondées par l'obfervateur fenfé
des modernes , ne fe trouvent point. Les
rôles en font tous parfaitement exécutés &
Les Ballets en font bien compofés & trèsamufans.
M. Balleti danfe avec l'aimable
Coraline , & la petite Camille y reçoit
plus d'un applaudiffement dans le même
Air. Les trois Divertiffemens font variés
par dés Chanfons & des Vaudevilles
chantés par M. Rochard & la jeune
Gvj
152 MERCURE DE FRANCE .
Aftroti , avec leur goût ordinaire .
Le Dimanche 9 Mai , les Artificiers
Italiens donnerent l'Atlas , Spectacle nouveau
, qui a rempli l'attente du Public &
réüni fes fuffrages. Il a été extrêmement
applaudi.
Le Jeudi 13 Mai , on a vû la premiere
répréfentation de l'Amante travestie,Comédie
d'un Acte.
Le Mercredi 19 Mai , les Evenemens nocturnes
, Piéce Italienne , ont fort amufé les
Spectateurs. Le titre feul inftruit de ce que
cette Comédie contient lazzis , jeux de
Théatre , nuits comiques .
Après une courte abfence qui a paru longue
aux Spectateurs , l'aimable Coraline
& fa foeur Camille qu'une indifpofition
avoit éloignées du Théâtre, y ont ra
mené leur agrémens.
>
CONCERTS DE LA COUR .
Le Lundi 3 Mai on exécuta chés la ༣
Reine le quatriéme & le cinquiéme Acte
d'Amadis de Gaule , dont les paroles font
du Prince des Lyriques & la Mufique
de Lulli . Le Prologue & les trois premiers
Actes avoient rempli les Concerts du
Lundi 26 Avril & du Mercredi 28.Les rôles
JUIN. 153 1745 .
ont été chantés par Me Mathieu , Mlle Fel ,
Mrs du Bourg , Poirier & de la Garde.
Le départ du Roi a fait fufpendre lesConcerts
jufqu'à nouvel ordre .
Le Lundi 17 on exécuta le Prologue &
le premier Acte d'Armide ; les rôles ont
été remplis par Mlle Romainville , Me
Mathieu , Mlle Selle , M. Deſchamps
M. Dubourg & M. le Clerc.
Le Mardi 19. on exécuta le deuxième &
le troifiéme Actes . M. Poirier chanta le
rôle de Renaut , & Mlle Dinan un Air
Iralien.
ESTAMPES NOUVELLES.
La fuite des Portraits des Hommes Illuftres
dans les Arts & dans les Sciences continuë
de paroître avec fuccès chés Odieuvre,
Marchand d'Eftampes ruë d'Anjou , il vient
de mettre en vente ceux de
FRANÇOIS DE LORRAINE , DUC DE
GUISE , né le 17 Fevrier 1519 , qui fut
bleffé devant Orleans par Jean Poltrot il
mourut fix jours après le 24 Fevrier 1549 .
gravé par Gaillard.
CHARLES CARDINAL DE BOURBON
, né à la Ferté-fous- Joüare le 22 De154
MERCURE DE FRANCE.
cembre 1523 , mort à Fontenay le Comte
le 9 Mai 1590 , gravé par Aubert.
JEAN LOUIS DE NOGARET DE
LA VALETTE , DUC D'EPERNON ,
né au mois de Mai 1554 , mort le 13
Janvier 1642 âgé de 88. ans , gravé par
Sornique.
PIERRE JEANNIN , Premier Préfident
au Parlement de Bourgogne, Sur- Intendant
des Finances , Miniftre d'Etat , mort
le 31 Octobre 1622 âgé de 82 ans , gravé
par Tardieu le fils.
Le Portrait in- 4. de FRANÇOIS
RIVARD , Profeffeur de Philofophie
pour mettre à la tête de fes ouvrages, deffiné
& peint par Valade & gravé par Pinffio .
Le même Marchand d'Eftampes debite
actuellement 35 Portraits in- 4°. pour les
nouveaux Mémoires de Sully , enrichis
de differens paffe- par- touts du meilleur
goût , & continue à faire graver la fuite
qu'il délivrera en entier à la fin de Juillet
prochain
JUIN. 1745. 153
JOURNAL DE LA COUR ,
DE PARIS , & c.
SUITE du Journal des Opérations de
l'armée du Roi.
Au Camp devant Tournay le 24 Mai.
Es troupes du Roi font entrées aujourd'hui
à 2 heures après midi dans
Tournay , celles de la Garnifon l'ayant
évacué , & étant montées dans la Citadelle .
Le Roi & Monfeigneur le Dauphin ont
été fur les 4 heures fe promener aux environs
de Tournay , & ont vifité en paffant
les ouvrages qui ont été faits à l'attaque de
la Place , depuis qu'ils avoient été à la
tranchée .
Au Camp fous Tournay le 25 .
On a commencé ce matin à relever les
brêches & combler les tranchées qui ont
été faites pour l'attaque de Tournay.
S. M. a ordonné d'exercer & de faire
tirer tous les marins les recrues & les piquets
immédiatement après la garde montée.
Elle a reglé auffi que tous les Régimens
prendroient les armes de deux jours l'un
pour faire l'exercice , manoeuvrer & tirer.
156 MERCURE DE FRANCE.
S. M. & Monfeigneur le Dauphin continuent
de jouir d'une parfaite fanté.
Au Camp fous Tournay le 26.
Le Roi a donné le Régiment des Gardes
Françoifes , vacant par la mort de M. le Duc
de Grammont, à M. le Duc de Biron, Lieutenant
Général & Colonel du Régiment du
Roi.
S. M. a conferé ce matin l'Ordre de S.
Louis à fix Officiers. Elle a monté à cheval
fur les 4 heures après - midi avec Monfeigneur
le Dauphin , & elle a été fe promener
du côté de Pontatreffein fur le chemin
de Lille. S. M. en revenant à fon quartier,
a vifité les lignes qui ont été faites dans
cette partie entre l'Escaut & la Marque.
Le Roi vient de donner fon Régiment
d'Infanterie à M. le Comte de Guerchy ,
Colonel de celui des Vaiffeaux .
Au Camp fous Tournay le 27.
S. M. n'eft point , fortie de la journée.
Elle a travaillé ce matin fur les affaires militaires
avec Meffieurs les Maréchaux de
Noailles & de Saxe & M. le Comte d'Argenfon
.
L'après-midi Elle a tenu Confeil d'Etat .
JUI N. 1745 . IST
S. M. a donné le Gouvernement de Peronne
à M. le Comte de Baviere , & le
Régiment Royal des Vaiffeaux qu'avoit M.
de Guerchy , à M. le Chevalier Daubeterre.
Les nouvelles d'Allemagne font juger
que le Duc d'Aremberg marche pour fe rapprocher
de ce Pays - ci , ou de la Mozelle .
Au Camp fous Tournay le 28.
Le tems a été fi mauvais pendant toute
la journée que S. M. n'eft point fortie.
Elle a reçû ce matin plufieurs Chevaliers
de Saint Louis, & a travaillé cet après-midi
avec M. le Comte d'Argenfon .
Au Camp fous Tournay le 29 .
Le tems ayant continué aujourd'hui d'être
mauvais , S. M. n'eft point fortie . Elle
a accordé une penfion de 3000 liv. à M.
le Marquis Danlezy , Maréchal de Camp :
qui a été bleffé à la bataille de Fontenoy
en confidération de la maniere diftinguée
avec laquelle il s'y eft conduit.
Au Camp fous Tournay le 30 .
Le Roi ayant donné fes ordres pour
faire remplacer dans la Compagnie des
>
158 MERCURE DE FRANCE.
Grenadiers à cheval ceux qui ont été tués
à la bataille de Fontenoy , ou mis par leurs
bleffures hors d'état de fervir , a reçû ce
matin après la Meffe les Grenadiers qui
ont été tirés des Régimens d'Infanterie qui
font à fon armée.
t
S. M. a tenu Confeil d'Etat cette aprèsmidi
.
Les Commiffaires du Roi & de la Reine
d'Hongrie étant convenus à Dourlach d'un
échange général des prifonniers de guerre
refpectifs, qui ont été faits jufqu'au 27 d'Avril
dernier , & le Traité ayant été ratifié
par les deux Cours , tous les Officiers qui
avoient été renvoyés fur leur parole , ont
été déclarés libres. Les autres feront échangés
à mefure de l'arrivée des divifions des
prifonniers à la conduite defquelles ils
feront.
Au Camp fous Tournay le 31 .
S. M. a appris ce matin avec un grand
regret la mort de M. de Lutteau , Lieutenant
Général de fes armées , qui avoit été
bleffé à la bataille de Fontenoy.
S. M. a déclaré une promotion de Maréchaux
de Camp & de Brigadiers de fes
armées , lefquels prendront rang du premier
de ce mois , ainfi que tous ceux qui
JUIN. 1745.
159
feront avancés pendant le cours de la Campagne.
Les Etats généraux ayant fait fçavoir
leur réfolution au Gouverneur de la Citadelle
de Tournay , par laquelle il lui eſt
ordonné de fe défendre , M. de Braxel a
écrit en conféquence à M. le Maréchal de
Saxe pour lui en faire part , & les hoftilités
doivent commencer demain , qui eft le jour
que la fufpenfion d'armes ceffe aux termes
de la Capitulation de la Ville.
Le Gouverneur de la Citadelle ayant eu
ordre de la défendre , le Régiment des
Gardes vient de ſe mettre en marche
pour
ouvrir la tranchée ; on commencera à tirer
dès que minuit fera fonné.
Au Campfous Tournay le premier Juin.
Quoique la tranchée ait été ouverte la
nuit derniere , les ennemis n'ont cependant
commencé à tirer que ce matin à neuf
heures.
Le Gouverneur malgré la Capitulation ,
refufoit de recevoir les femmes & enfans ,
& les équipages de fa garnifon , fous le
prétexte que fes Maîtres le lui avoient défendu
, mais M. le Maréchal , fuivant les
intentions du Roi , a pris le parti de les
faire conduire fur l'efplanade en dehors des
160 MERCURE DE FRANCE.
Barriéres , ce qui a forcé ce Gouverneur à
leur ouvrir fes portes.
Nous avons déja 60 mortiers en batterie
& une de 6 canons à ricochets établie
pour
F'attaque de la Citadelle de Tournay , qui
ont commencé à tirer ce matin . Elles font
placées , fçavoir :
Les fix pièces de canon dans le tenaillon
de la branche gauche de l'ouvrage à corne
de Saint Martin .
Trente - deux mortiers dans le chemin
couvert de la même branche.
Huit dans l'ouvrage du Luquet , qui eft
une efpéce de lunette à la rive droite du
Haut Escaut au- deffus de l'Eclufe.
Dix à la rive gauche , à 100 toifes audeffus
de la porte de Valenciennes , & 10
autres à 100 toifes plus haut , affés près du
bord de l'inondation .
Le Roi a monté à cheval avec Monfeigneur
le Dauphin fur les 5 heures aprèsmidi
, & a été faire une promenade de l'au
tre côté de l'Eſcaut .
S. M. a donné à Meffieurs le Chevalier
de Broglio , Meftre de Camp d'un Régiment
de Cavalerie , & au Comte de Revel,
Colonel du Régiment de Poitou , tous deux
fils de feu M. le Maréchal de Broglio , une
penfion de 3000 1. à chacun .
JUIN.
161 1745 .
Au Camp fous Tournay le 2 .
Meffieurs les Députés du Parlement de
Paris étant arrivés hier au foir à Lille , Meffieurs
les Gens du Roi fe font rendus ce
matin au Camp pour demander à S. M. le
jour qu'elle voudra leur donner Audience
pour recevoir leurs hommages . Elle leur a
été accordée pour demain matin.
Nos batteries de mortiers ont tiré cette
nuit avec beaucoup de vivacité , & ont
caufé un défordre confidérable aux affiégés.
Ils ont abandonné cent cinquante chevaux
qu'ils ont fait fortir porte du
fecours.
par
la
Pour refferrer la garnifon & empêcher les
forties , on a commencé une parallele qui
doit être conduite du haut de la branche.
gauche de l'ouvrage à corne de Saint Martin
fur le ruiffeau d'Erre vers Pontarieu.
Elle a été faite à moitié pendant cette nuit,
& on y a conftruit une redoute à l'extrêmitée
de l'angle faillant du chemin couvert :
on a fait la moitié du boyau projetté pour
arriver au chemin couvert de la redoute
qui eft restée neutre , & de-là on a formé
dans le foffé de la communication de la
Ville à la Citadelle deux zigzagues , dont
Pextrêmité aboutit à la derniere Tour de la
vieille enceinte,
162 MERCURE DE FRANCE,
S. M. a tenu çet après-midi Confeil d'Etat.
Au Camp fous Tournay le 3 .
M.
: Le Roi ayant accordé Audience
pour ce
matin à Meffieurs
les Députés du Parlement
de Paris & à ceux de la Chambre des
Comptes , ils fe ſont rendus à leur arrivée
de Lille fous les tentes qui leur avoient été
préparées , & le Roi à l'iffuë de ſon Conſeil
concernant
les affaires militaires , étant
paffé fur les 11 heures fous la tente ,
le Comte d'Argenfon
& M. de Brezé ont
été prendre Meffieurs
les Députés qu'ils ont conduits fucceffivement
à l'Audience
de S. M , à qui les Premiers Préfidens de
ces deux Cours ont fait leurs complimens
. Ils ont été enfuite reconduits
à leurs tentes
de la même maniere qu'ils avoient été amenés
à l'Audience
de S. M.
La Compagnie des Gendarmes Dauphins
étant de tour de monter la garde aujourd'hui
chés le Roi , Monfeigneur le Dauphin
eft allé ce matin en habit uniforme audevant
de l'Eſcadron , & après en avoir fait
la revûë , & reçu trois Officiers qui ne l'étoient
pas encore , il a marché à la tête de
cet Efcadron jufqu'au quartier du Roi , où
il a relevé celui de la Reine. Cette aprèsmidi
le Roi étant allé fe promener , Mon-
薯
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feign
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THE
OFTHED
>ལ་ལ་༥ས་ཀྱི་ ཆོས་་ནས་•¥p
(
JUIN. 1745. 163
feigneur le Dauphin s'eft trouvé à la tête.
de la Compagnie , où il a falué S. M.
On a augmenté de fix mortiers la batterie
de 10 piéces à la rive gauche du Haut
Eſcaut , au - deſſus de la porte de Valenciennes...
à
On a auffi placé au pied du rempart ,
l'extrêmité de la branche gauche de l'ouvrage
à corne de la porte Saint Martin , un
mortier pour des bombes de des bombes de 500 , dites des
Cominges , qui tirent actuellement , & on
travaille à l'établiffement d'un mortier
femblable.
On a établi cette nuit une batterie pour
To piéces de canon , dans la demie parallele
partant du faillant de la place d'armes , rentrant
du chemin couvert de la branche
gauche
de l'ouvrage à corne de la porte Saint
Martin.
Il a été conftruit dans la parallele partant
du faillant du chemin couvert de la demie
lune dudit ouvrage , jufqu'à la redoute qui
la termine , quatre batteries où l'on placera
20 piéces de canon & 12 mortiers que l'on
compte qui tireront demain matin.
On a pouffé une branche de zigzagues
dans le foffé de communication de la Ville
à la Citadelle , d'environ 40 toifes de longueur
, à la faveur de laquelle le Mineur a
percé la contrefcarpe , qu'il eft actuelle164
MERCURE DE FRANCE.
ment occupé à fouiller pour y découvrir les
mines que l'on foupçonne que l'ennemi
pourroit y avoir.
On a eu environ 14 ou 15 hommes tués
ou bleffés par des éclats de bombes.
Au Camp fous Tournay le 4.
Meffieurs les Députés de la Cour des
Aides s'étant rendus ce matin au quartier
du Roi , S. M. a l'iffuë de la Meffe leur a
donné Audience fous fa tente , où ils ont
été conduits avec la même cérémonie que
Meffieurs du Parlement & de la Chambre
des Comptes.
Meffieurs les Gens du Roi du Grand
Confeil font venus prendre les ordres de
S. M. fur l'Audience de Meffieurs les Députés
; elle leur a été indiquée pour Dimanche
matin.
L'Efcadron des Gendarmes Dauphins
ayant defcendu la garde ce matin , Monfeigneur
le Dauphin , à la tête de cet Efcadron
, a attendu celui des Chevau - légers
qui doit le relever , & s'eft mis enfuite à
la tête de ce dernier pour commander encore
la garde qu'il doit monter aujourd'hui
chés S. M.
Les ennemis ont fait à la pointe du jour
une fortie d'environ 800 hommes avec des
travailleurs ,
JUIN. 1745. IGS
travailleurs , pour combler nos ouvrages.
Les bonnes difpofitions qu'avoit fait M. de
Graville Maréchal de Camp , commandant
la tranchée , & la fermeté avec laquelle nos
troupes les ont attendus , ont empêché la
réuffite de leur deffein . Ils ont été répouffés
avec beaucoup de confufion de leur part ,
& ont laiffé fur la place plus de 80 hommes
tués ou bleffés . Il ne nous en a coûté
$ hommes tués ou bleffés . Le Régiment des
Gardes Suiffes étoit chef de tranchée .
que
Nos batteries de bombes cómpofant actuellement
78 mortiers continuent de tirer
& de caufer beaucoup de dommage à
l'ennemi pár la vivacité avec laquelle elles
font fervies.
Celles de canons ne tireront que demain
matin , attendu que quelques-unes ne font
point encore finies,& que pour qu'elles faffent
tout l'effet qu'on en attend, & qu'elles.
foient moins expofées à être démontées par
celles des ennemis , il a été ordonné de ne
les faire tirer que lorfqu'elles feroient toutes
en état.
Ou a fait des communications derriere
la parallele pour joindre les batteries qui
y ont été conftruites.
Le Mineur continuë de foüiller fous la
contrefcarpe.
1. Vol. H
}
166 MERCURE DE FRANCE.
Au Camp fous Tournay le 5.
Monfeigneur le Dauphin a été reconduire
ce matin au Camp de la Gendarmerie
l'Efcadron des Chevau- Légers Dauphins
qui a defcendu aujourd'hui la garde.
On a fait cette nuit une nouvelle branche
de zigzagues dans le foffé de communication
à la Citadelle fur la droite , pour
pouvoir dans la fuite fe jetter plus facilement
fur le terre-plein du chemin couvert.
Le Mineur eft actuellement à 7 toifes de.
longueur dans la partie du revêtement de
la contrefcarpe , & à 16 toifes dans celle
qui fe retourne fur ladite contrefcarpe.
La redoute qui appuye la droite de la
parallele eft entiérement paliffadée dans le
fond du foffe , & les troupes y font bien à
Couvert & en fûreté ,
On a perfectionné les parties de cette
parallele qui en avoient befoin, & les communications
qui enveloppent les batteries.
Toutes nos batteries de canons ayant été
mifes en état elles ont commencé ce matin à
tirer ainfi que les dernieres batteries de
mortiers.
Il y a eu cette nuit douze hommes tués
ou bleffés ; dans le nombre de ces derniers
eft M, de Mirabel Ingénieur , qui a eu un
de feu au menton, coup
JUIN . 1745. 167
Le Roi s'eft rendu cet après -midi à la tête
du Camp de fon Régiment des Gardes Fran
çoiſes , où S. M. a fait reconnoître le Duc
de Biron pour Colonel de ce Régiment, qui
a enfuite défilé devant S. M.
Elle a accordé le Régiment de la Cou
ronne vacant par la promotion de M. le
Duc d'Havré au grade de Maréchal de
Camp à M. de Polaftron Colonel dé
>
celui de Bretagne.
Le Régiment d'Infanterie d'Aubeterre à
M. le Duc de Montbafon , celui de Bourgogne
à M. d'Herouville , frere de M. le
Comte d'Herouville de Claye Maréchal de
Camp , ci-devant Colonel de ce Régiment.
Le Régiment Royal la Marine , vacant
par la promotion de M. le Comte de
Lorges au grade de Maréchal de Camp , au
Chevalier de Dreux , Colonel de celui de
Guyenne .
Au Camp fous Tournay le 6.
Le Roi a donné audience ce matin à
l'iffuë de fa Meffe à Meffieurs les Députés
du Grand Confeil , de la Cour des Monnoyes
& du Corps de Ville. Ils y ont été
conduits dans la forme ordinaire, S. M. recevra
demain la députation du Parlement
de Flandre.
Hij
169 MERCURE DE FRANCE.
Les Mineurs fe font mis en état de culbuter
ce foir la contrefcarpe , & de donner
fur le glacis & fur le chemin couvert deux
grands entonnoirs, que l'on communiquera
par un couronnement , pour établir enfuite
un logement fur le terre - plein du chemin
couvert.
Les ennemis ont réuni cette nuit tout
leur feu fur les zigzagues dans le foffé , &
font fortis vers minuit de leurs traverses
pour fe jetter de deffus le chemin couvert
fur ces zigzagues & les faire abandonner.
Ils n'ont pas tenu long-tems , le feu de nos
Grenadiers les ayant obligés de fe retirer
prefqu'au même moment qu'ils ont parû.
Nos batteries commencent à ruiner les
défenfes du front oppofé à l'ouvrage à corne
de Saint Martin.
Un détachement des Huffards du Régiment
de Linden qui s'étoit avancé jafqu'aux
Fauxbourg de Mons , s'eft ſaiſi d'un
courier chargé de dépêches du Prince de
Valdeck commandant en chef les troupes
des Etats généraux , Il a été amené au Roi
ce matin ; ce même détachement a aufli enlevé
plufieurs chevaux & des fubfiſtances
deftinées pour la garnifon de la Place.
On a reçû la nouvelle d'un avantage
remporté le 22 du mois dernier auprès de
Jagerdorff en
en Silefie par les troupes du
JUIN. 1745. 169
Roi de Pruffe fur celles de la Reine de
Hongrie. Il y a eu de ces derniers près de
3000 hommes de tués ou faits prifonniers ,
fans prefqu'aucune perte de la part des
Pruffiens. Le même jour ils ont encore attaqué
au débouché des montagnes de Bohême
un corps Autrichien dont ils ont
détruit 1000 à 1200 hommes.
Au Camp fous Tournay le 7.
Le Roi a reçu ce matin après la Meſſe
Meffieurs les Députés du Parlement de
Flandre.
Les Mineurs ont renverfé hier au foir àla
contrefcarpe par
l'effet de leurs fourneaux
deux entonnoirs dans le terre-plein du chemin
couvert. On s'eft logé fur la rampe de
la contrefcarpe pour pouvoir occuper enfuite
toute la partie du chemin couvert
entre cette contrefcarpe & la paliffade.
Du logement du haut de la rampe notre
feu plongera fur le derriere de la premiere
traverſe des ennemis dans le foffé.
L'Artillerie a baiffé ſes embraſures dans
le demi tenaillon , & a exhauffé ſes platteformes
pour battre jufqu'au pied des revêtements.
Pour fe mettre à couvert du feu de l'ennemi
qui pourroit plonger dans le terre-
Hiij
170 MERCURE DE FRANCE.
plein de la redoute à la droite de la grande
parallele , on y a fait une traverſe en
diagonale.
Le Roi a été avec Monfeigneur le Dauphin
faire une promenade cette après-midi,
& a vifité toute la ligne de Cavalerie du
côté de la gauche.
Au Camp fous Tournay le 8.
La fappe a été pouffée cette nuit entre la
contrefcarpe & la patiffade jufqu'à l'épaule
de la place d'armes d'où on s'eft replié
par un retour fur la contrefcarpe : on travaille
actuellement à élever dans ce retour
le point qui voit la premiere traverſe dans
le foffé pour fe mettre en état d'en chaſſer
l'ennemi.
On a élargi & perfectionné la communication
de la Porte de Valencienne au
ruiffeau d'Erre , & on a travaillé à plufieurs
mafques dans des parties à la porte de
l'ouvrage à corne de S. Martin , que l'on
foupçonne pouvoir être vûës des ouvrages
de la Place.
·
Nos batteries vont toujours très bien ,
& on en conftruit une nouvelle de pierriers
dans le dernier zigzague du foffé .
On a remarqué par des décombres de
terre derriere la traverfe dans le foffé , que
JUIN. 1743. 171
les ennemis travaillent à une galerie le
long de la contrefcarpe. Ils ont fait une
fortie ce matin vers les 2 heures au nombre
de 300 hommes fur la tête de nos ou-.
vrages dans le foffé & fur le chemin couvert
, mais ils ont été repouffés fur le
champ par les Grenadiers du Roi & de Piedmont
qui les ont fait rentrer avant même
que leurs premieres troupes euffent fait leur
décharge . Ils ont eu environ 20 hommes de
tués & un plus plus grand nombre de bleffés
qu'ils ont demandé à retirer , & il y a eu à
cet effet une fufpenfion d'armes. fur les fix
heures du matin. Nous n'avons eu qu'un
feul homme de bleffé dans cette action
mais le front fur lequel nous cheminons
actuellement eft fi étroit , que jufqu'à ce
que nous ayons pû éteindre le feu des ennemis
qui eft prefque tout raffemblé dans
un même point fur nos travailleurs , ils en
feront fort incommodés , & il y a toujours
quelques bleffés , furtout par les éclats de
bombes dont les ennemis font beaucoup
d'ufage.
Au Camp fous Tournay le 9.
Monfeigneur le Dauphin a monté ce
matin à cheval fur les 6 heures , & s'eft rendu
en habit uniforme au Camp de fon Régiment
d'Infanterie , qui eft à près de deux
Hinj
172 MERCURE DE FRANCE.
lieues du quartier du Roi ; il en a fait la
revûë , & après l'avoir examiné en paffant
dans tous les rangs il a témoigné en être
extrêmement content ainfi que de la maniere
dont ce Régiment a fait l'exercice
& les differentes évolutions qu'il a ordonnées.
Il a conferé l'Ordre de Saint Louis a
plufieurs Officiers tant de ce Régiment
que d'autres de l'armée qui s'étoient rendus
en conféquence des ordres du Roi au
Camp de ce Régiment , pour y être reçûs
Chevaliers par Monfeigneur le Dauphin .
On a procuré cette nuit à l'Artillerie un
emplacement pour une batterie de 7 piéces
de canons pour battre en brêche le baftion
gauche embraffé dans l'attaque & la fauſſe
braye ; on travaille à fon établiſſement &
on compte qu'on pourra en faire ufage dès
demain matin ; elle eft placée à la gauche
de la demie parallele dans la ligne qui communique
du chemin couvert dans le follé
on a donné un même emplacement & dans
les mêmes vûës à l'extrêmité du dernier
boyau fur le chemin couvert en retour fur
la contrefcarpe : cette batterie eft de trois
piéces.
On en a auffi établi une troifiéme de deux
piéces dans un nouveau boyau.
Le Mineur eft attaché & travaille à deux
puits , d'où il renverfera la partie de conJUIN.
1745 . 173
trefcarpe entre l'extrêmité des fappes dans
le foffé & l'extrêmité de celles fur le chemin
couvert ; on s'en promet l'effet dès ce
foir.
On a auffi ouvert une communication de
l'angle faillant du chemin couvert de la
corne de Saint Martin à la grande parallele
pour en racourcir le chemin , & porter
au befoin par ce chemin couvert un fecours
plus prompt à cette parallele.
S. M. a tenu ce foir Confeil d'Etat..
Au Camp fous Tournay le so.
On a renversé cette nuit par l'effet de
la mine le mur de contrefcarpe au point
d'extrêmité du dernier zigzague dans le
foffé , & la rampe de communication de ce
foffé au terre-plein du chemin couvert a été
faite fur le champ..
On a auffi ouvert de nouveau fur ce
chemin couvert un zigzague en avant- des
précédens , qui a été appuyé à la contrecarpe
qu'on fe propofe d'ouvrir encore cette
nuit , pour donner aux Mineurs la facilité
de marcher enfuite le long du mur de
- cette contrefcarpe , & en fe retournant fur
le terre - plein du chemin couvert de le
fouiller jufqu'à une étendue de 15 ou 16
toifes.
Hv
174 MERCURE DE FRANCE.
La batterie de fept piéces pour battre en
brêche le baſtion de la gauche & fon enveloppe
de fauffe braye a commencé à tirer ce
matin , & on continue à mettre en état les
deux autres batteries dont on a parlé hier.
On a auffi travaillé à donner une communication
aux troupes par le foffé de l'ouvrage
à corne , pour obvier à l'inconvénient
de faire tout paffer par la branche le
long de laquelle il y aune perpétuelle manoeuvre
d'Artillerie.
On a eu cette nuit & dans la journée
d'hier 20 bleffés & point de tués , nonobftant
le feu des ennemis qui a été très confidérable
pendant toute la nuit.
Au Camp fous Tournay le 11 .
L'armée a fait aujourd'hui un fourage
pour quatre jours fur les bords & en deça
de la Rône jufqu'au-deffous de Vatricon .
Ce fourage étoit commandé par M. le Marquis
de Clermont - Tonnerre , Lieutenant
général des Armées du Roi , ayant fous fes
ordres 18 Compagnies de Grenadiers
3500 Fusiliers , 1300 Maîtres ou Dragons
& 250 Huffards avec huit piéces à la Suédoife
; toutes ces troupes ont été affemblées
à minuit pour aller occuper les differens
poftes qui leur avoient été marqués
JUIN. 1745. 175
pour la fûreté de la chaîne.On avoit auſſi fait
marcher dès hier à trois heures après - midi
un gros détachement fous les ordres de M.
du Chayla , Lieutenant Général , pour ſe
porter en avant & couvrir le fourage. Ce
détachement a repaffé la Rône au Village
d'Anvain , & a été occuper la plaine en
avant du Château de ce nom où l'on a mis
de l'Infanterie ; il étoit compofé de 18
Compagnies de Grenadiers , de 900 Fufiliers
, de Soo chevaux tant Dragons que
Huffards, & de 300 Arquebufiers de Graffin
avec 4 piéces de canons.
Plufieurs autres petits détachemens de
Compagnies franches de Huffards ont été
portés en avant pour faire des patrouilles.
& obferver l'ennemi.
Ces difpofitions faites les fourageurs
font partis de leur rendez - vous ce matin à
heures & demie fur trois colonnes.
S
La colonne de la droite s'eft rendue visà-
vis du Village d'Anvain où devoit être
la tête de fon fourage.
Celle du centre a pris le grand chemin de
Tournay à Renay , qu'elle a fuivi jufqu'à
Vatricon qui lui étoit défigné.
La colonne de la gauche dont étoient les
fourageurs du quartier général a été gagner
la redoute qui eft entre le Rongefort
& le grand chemin de Renay, & a établi la
H vj
176 MERCURE DE FRANCE
tête de fon fourage près de la Cenfe de Lif
morte fur la Rône.
Les fourageurs des Vivres & de l'Artillerie
ont eu auffi leur canton particulier , &
ont été fourager dans la plaine qui eft entre
I'Efcaut & le pont de Vertefeuille fur le
ruiffeau du Pont-d'Amour.
Tous les piquets des differens
corps de
l'armée ont eu ordre de fe tenir prêts à
marcher en cas d'événement ; plufieurs ont
été mis en bataille en avant de leur Camp ,
pour y demeurer jufqu'au retour des fourageurs.
Par toutes ces bonnes difpofitions le
fourage s'eft fait avec la plus grande tranquillité
, & fans que l'ennemi ait fait aucune
tentative pour le troubler..
On a employé cette nuit 800 travailleurs
pour ouvrir le parapet du chemin couvert
à l'extrêmité de la ligne de fappe au-delà des
deux premiers entonnoirs. Ils ont auffi travaillé
à couronner en gabions la face droite
de la place d'armes rentrante , & à prolonger
le logement jufqu'à 20 ou 25 toifes audelà
de fon angle . De ce couronnement on
a fait fortir une grande ligne vers l'angle ,
pour s'appuyer à l'épaule du chemin couvert
du Paté S. Martin , & communiquer à la
demie parallele.
Mellieurs Defmarais Ingénieur , & d'OrJUI
N. 1745. 177
meville Lieutenant d'Artillerie ont été
bleffés.
Au Camp fous Tournay le rz
L'attaque de la Citadelle de Tournay
fe continue avec beaucoup de précautions
parce que le Roi veut que l'on épargne les
hommes , & qu'on ne peut s'approcher du
corps de la Place , qu'après avoir éventé les
mines dont tous les ouvrages extérieurs
font pleins.
La brêche au corps de la Place eft avancée
, & on eſpére qu'elle fera perfectionnée
avant quatre jours ; c'eft par cette raifon
que les Ingénieurs & Artillerie prétendent
que nous ferons maîtres de cette Place
beaucoup plûtôt que l'on ne s'y attendoit.
Le Roi a donné ce matin le Régiment
qu'avoit le Comte de Pons , au fils du Duc
d'Harcourt.
Les affiégés ont fait cette nuit une petite
fortie qui n'a eu aucun fuccès.
Le Roi vient de recevoir un courier de
l'armée du Roi de Pruffe , avec le détail ciaprès
de la victoire complette remportée
par ce Prince fur l'armée combinée des
troupes Autrichiennes & Saxonnes .
Le 3 du prefent mois , le Roi de Prufle
alla en perfonne reconnoître l'armée des
178 MERCURE DE FRANCE.
+
ennemis . Il en revint às heures du foir, &
donna ordre fur le champ à fon armée de
fe mettre en marche à huit. Cette marche fe
fit dans le plus grand filence & le plus grand
ordre ; à z heures du matin elle avoit fait
plus de trois grandes lieuës , & à trois elle
étoit en bataille faifant face aux montagnes
au pied defquelles on voyoit tous les feux
du Camp des ennemis : au jour on découvrit
fa pofition , qui fe trouva differente de
celle dans laquelle on comptoit la trouver,
& qu'elle s'étendoit fur notre flanc droit
ce qui obligea le Roi de Pruffe de changer
fon ordre de bataille, & de porter fa gauche
aux montagnes où il faifoit face ; ce mouyement
quoique difficile fe fit avec une
promptitude & un ordre admirables. Pendant
ce mouvement la bataille commença
par la droite de fon armée , qui fe trouvoit
fort près de la gauche de l'armée ennemie
compofée de troupes Saxonnes , qui furent
culbutées au premier choc , la Cavalerie &
l'Infanterie abandonnant la plus grande par
tie de fon canon .
La gauche de l'armée du Roi formée
chargea partout , ainſi que le centre avec
le même fuccès , & avec tant de rapidité
qu'à neuf heures du matin la bataille fut
gagnée , & toute l'armée ennemie miſe en
fuite & culbutée dans les montagnes &
JUIN. 1745 . 179
feparée , les Autrichiens d'un côté & lès
Saxons d'un autre ; & fans la laffitude de
l'armée Pruffienne , qui étoit extrême , &
qui ne fe trouva pas en état de fuivre l'ennemi
, la défaite de cette armée eût été
totale .
La perte des ennemis eft d'environ
3000 morts ou bleffés & 3 à 4000 prifonniers
, 65 Drapeaux , 8 Etendarts , 8 paires
de Tymballes, & 20 à 30 piéces de canons .
Cette Victoire a peu coûté au Roi de
Pruffe , & les troupes tant Cavalerie qu'Infanterie
ont également combattu avec la
même valeur.
Le Roi s'y eft comporté avec toute la valeur
& le jugement qu'on pouvoit attendre
d'un auffi grand Prince. Il y a perdu
le Lieutenant Général Comte de Trufches.
Les ennemis ont eû quatre Officiers
Généraux de pris , Mrs de Berlichingen ,
de Saint Ignon , de Forgatz , & un Officier
Général Saxon.
Au Campfous Tournay le 13 .
Les Mineurs ont ouvert quatre puits dans
la parallele qui a été faite la nuit précédente,&
continuent de foüiller le terrain pour
affûrer les batteries de canons & de mortiers
qu'on doit y établir , ils travaillent auffi à
180 MERCURE DE FRANCE.
fouiller le derriere du revêtement de la
contrefcarpe & la partie fous le terre- plein:
du chemin couvert.
Nos bombes ont mis ce matin le feu dans
la Citadelle , & l'incendie a duré affés
long- tems.
Le Duc de Cumberland ayant fait demander
au Roi de nommer des Commiffaires
pour conferer fur l'échange des prifonmeis
Anglois & Hannovériens , M. le Duc de
Chaulnes , Maréchal de Camp, & M. de la
Motte d'Hugues, Brigadier, Lieutenant Col
lonel du Régiment de Crillon , que S. M
a chargés de cette commiffion , fe font ren
dus hier à Courtray , où ils ont conféré fur
fedit échange avec Mrs les Comtes d'ALL
Bermale & de Crawford , Commiffaires
nommés de la part du Duc de Cumberland ,
& fur la demande que ces Commiffaires
ont fait de l'exécution du Traité d'échange
de Francfort , les Commiffaires du Roi ont
répondu que S. M. étoit toujours dans l'intention
de remplir fes engamens avec la plus
grande exactitude , mais que le Roi d'Angleterre
ayant fait la premiere infraction
au Traité par la détention de Mrs les Maréchal
& Chevalier de Belleifle , Sa Majesté
Britannique ne pouvoit en demander l'exé
cution que quand elle l'auroit exécuté ellemême
en rendant Mrs de Belleifle , fur quoi
JUIN. 1745. 187
les Commiffaires de la part du Duc de
Cumberland ayant repliqué que non-feulement
ils n'avoient point de pouvoir pour
traiter de cette affaire , mais que même ils
ignoroient fi le Duc de Cumberland en
avoit de fuffifans pour la prendre fur lui ,
les Commiffaires refpectifs fe font féparés
& font convenus de fe raffembler le Dimanche
27 Juin, croyant qu'alors on pourroit
être plus éclairci fur ce fait.
Les ennemis ont fait cette nuit un feu
très- vif qui a fort incommodé nos travailleurs
; leurs déferteurs rapportent que Fabbreuvoir
& la fontaine des foffés d'où ils
tiroient l'eau pour faire le pain font à fec ,
& que l'eau du puits blanchit & devient
puante , ainfi ils ne pourront pas tenir
long-tems.
Au Campfous Tournay le 14.
On a porté cette nuit en avant quatre
branches de zigzagues , dont deux dans le
foffé & les deux autres dans le terre- plein
du chemin couvert , qui ont été pouffés jufqu'à
l'extrêmité de la mine que les ennemis
ont fait jouer derriere leur contrefcarpe
à environ 10 toifes de la traverſe qu'ils
continuent d'ocuper dans le foffé ; on ne fçair
point quel a été l'objet des ennemis dans
3
T82 MERCURE DE FRANCE.
l'effet de cette mine qui ne pouvoit nous
caufer aucun dérangement; lorfque les fappes
d'en haut feront perfectionnées , on
compte de déloger l'ennemi de derriere
cette traverfe , & nous avons déja plufieurs
points d'où notre feu porte fur les troupes
qui yfont.
La batterie de mortiers à l'extrêmité de
la nouvelle parallele tire de ce matin On
a eu de cette nuit & depuis la tranchée relevée
hier , 29 hommes bleffés & & ou 10
de tués.
Le Roi a tenu ce foir Confeil d'Etat.
Au Camp fous Tournay le 15 .
On a pouffé la nuit derniere un boyau
dans le foffé & on fait une parallele qui
communique à l'ouvrage fait dans la nuit
précédente.
Les 11 pieces de canons placées dans
nos deux nouvelles batteries tirent actuellement.
Le feu de la moufqueterie des ennemis
a été fort vif , mais celui des bombes
& des pierriers eft bien rallenti .
Ils ont établi une nouvelle batterie fur la
brêche que nous battons ; il y a lieu de
croire qu'elle fera bien-tôt démontée , les
deffenfes étant en cette partie abfolument
ruinées
JUIN. 1745. 183
Nous avons eu dans la nuit 2 foldats
-tués & 2 bleffés .
Il a été fait cette nuit un bout de fappe en
avant pour envelopper l'extremité du dernier
zigzague vers la contrefcarpe & mettre
les Mineurs en état d'ouvrir à cette
extrêmité & de pouvoir s'avancer dans les
terres & derriere le mur de contrefcarpe ,
afin de découvrir la premiere galerie majeure
& tout ce qui pourroit en fortir & y
aboutir.
La rampe du foffé du chemin couvert
pour communiquer de l'un à l'autre a été
entierement achevée, & le Mineur y eft attaché.
Les 12 piéces de canons qui ont été mifes
en batterie dans la partie de la parallele
la plus avancée tirent de ce matin.
Le travail du Mineur entrepris avant
hier fur le chemin couvert a déja une étenduë
de S toifes.
Il y a eu cette nuit & pendant la journée
d'hier 34 hommes de bleffés & 5 ou 6 de
tués . Le Roi a été fe promener cet après
midi du côté d'Orcq & de Marquien.
Au Camp fous Tournay le 16.
On a perfectionné cette nuit les boyaux
& les têtes de fappes ; les Mineurs font
184 MERCURE DE FRANCE.
bien établis le long du mur de la contrefcarpe
& ne tarderont pas à fouiller les terres
fous le terre-plein du chemin couvert.
El a été établi à la tête des fappes fur le chemin
couvert une batterie de mortiers.
S
Les ennemis ont fait jouer ce matin deux
batteries en avant de nos têtesde fappes
dans le foffé où nous avons porté cette nuit
trois pierriers ; elles ont été fans effet &
n'ont pas caufé le moindre dérangement à
nos ouvrages.
Tous nos feux font parfaitement dirigés
fur la brêche dans l'angle rentrant du chemin
couvert , elle commence à fe bien former,
& elle fera très - praticable dans la
journée de demain .
Nous aurons demain un fourage géné
ral .
Les ennemis n'ont point fait cette nuit
de feu de moufqueterie & ont jetté très pea
debombes , ils ont feulement jetté quelques
feux d'artifice.
Nous avons eu neuf hommes de bleffés
dans la journée d'hier & quatre pendant la
nuit..
Le Roi a tenu ce foir Confeil d'Etat .
Le 27 du mois dernier , Fête de l'Af
cenfion de Notre Seigneur la Reine
accompagnée de Madame la Dauphine &
JUIN. 1745. 185
de Mefdames de France entendit dans la
Chapelle du Château de Verſailles les Vêpres
& enfuite le Te Deum qui fut chanté
par la Mufique , en action de graces de la
prife de la Ville de Tournay.
Le 6 de ce mois , Fête de la Pentecôte
la Reine accompagnée de Madame la
Dauphine & de Mefdames de France entendit
dans la même Chapelle la grande
Meffe , célebrée pontificalement par l'Evêque
de Bayeux & chantée par la Mufique.
L'après - midi Sa Majefté , accompagnée
comme le matin , affiſta à la Prédication de
l'Abbé de Fuau , Chanoine de Saint Paul
de Saint Denis , & enfuite aux Vêprès chantées
par la Mufique aufquelles le même
Prélat officia.
Le 13 de ce mois la Reine entendit la
Meffe dans la Chapelle du Château de
Verſailles , & Sa Majefté , qui avoit fait
auparavant fes Stations aux deux Paroiffes
de Verfailles pour le Jubilé , communia
par les mains de l'Archevêque de Rouen
fon Grand Aumônier,
Le 17 , Fête du Saint Sacrement la
Reine accompagnée de Madame Adelaïde
fe rendit à l'Eglife de la Paroiffe du Château
de Verſailles où Sa Majefté , après
avoir affifté à la Proceffion qui fe fit dans
l'Eglife , entendit la Grande Meſſe.
186 MERCURE DE FRANCE.
Les Députez du Parlement de Flandre ,
ayant obtenu la permiffion du Roi , fe
rendirent le 7 de ce mois au Quartier de
Sa Majefté fous Tournay , & ils firent au
Roi leur compliment fur la Victoire remportée
par Sa Majefté , & fur la prife de
la Ville de Tournay . Ces Députés , à la
tête defquels M. de Pollinchove , Premier
Préfident du Parlement de Flandre ,
porta la parole , furent préfentés & conduits
à l'audience du Roi avec les céré
monies accoûtumées par le Comte d'Argenfon
, Miniftre & Sécrétaire d'Etat , &
par le Marquis de Brezé , Grand Maître
des Cérémonies.
Le 13 le Roi a accordé au Maréchal
Comte de Saxe , & à l'aîné de ſes enfans
mâles , les honneurs dont les Perfonnes
Titrées joüiffent à la Cour de Sa Majefté.
PRISES DE VAISSEAUX .
L'Efcadre commandée par le Chevalier
de Piofin s'eft emparée au large des
côtes de Portugal , de l'Armateur Anglois
le Huffard , de vingt canons , & du Navirė
Le Jacques , qui alloit de Livourne à Londres
, chargé de marbre , de coton , d'huile
& de raifins , & ces deux prifes font arrivées
à Port Louis.
JUIN. 1745 . 187
Suivant les avis reçus de Breft le Corfaire
le Jacques Genevieve , de Granville
que monte le Capitaine Daguenet , a envoyé
dans ce premier Port le Vaiſſeau Anglois
le Naffan , d'environ quatre-vingtdix
tonneaux , fur lequel il y avoit du fucre
, du coton & du raffia. Un autre Bâtiment
de la même Nation , dont la cargaifon
eft composée de taffia , de coton ,
de fucre & d'indigo , a été conduit par
même Corfaire à Morlaix , où la Fregate
la Galatée a amené le Navire l'Aimable Julie
, venant de Saint Euſtache .
le
Le Capitaine Ravel Commandant le
Corfaire le Formidable , de Morlaix , eft
entré dans le Port de Breft avec le Navire
ennemi le Neptune de cent cinquante
tonneaux .
Les Corfaires le Cerf, de Saint Malo , &
Hermine , de Nantes , monté par le Capitaine
Fouquet , ont enlevé le Bâtiment la
Plantation d'Antigue , chargé de fucre , de
coton , de taffia , de bois de Gayac , de
bois de teinture & d'autres marchandifes.
Le Vaiffeau le Litia , qui revenoit de
Saint Chriftophe , a été conduit à Saint
Malo par le Corfaire le grand Turc.
Le Capitaine la Mabonnais , qui monte
un autre Corſaire de Saint Malo , nommé
le Griffon , a repris fur les Anglois le Na188
MERCURE DE FRANCE.
vire la Conftance , de Bordeaux , de cent
quarante tonneaux, chargé de fucre brute,
& il a rançonné un de leurs Bâtimens pour
cent livres fterlings .
On apprend du Havre , que M.
Vefnard , Commandant la Corvette la
Nayade , s'eft rendu maître de trois Vaiffeaux
Anglois , qui font arrivés dans ce
Port.
Le Corfaire le Bacquencourt , que commande
le Capitaine Coillot , a mené dans
le même Port le Vaiffeau le Georges Eleonore
, de Thopfam , d'environ cent quatrevingt
tonneaux , armé de dix canons , &
dont la charge confiftoit en vins & en
fruits.
Les lettres de Dieppe marquent que le
Capitaine Paillet , qui monte le Corfaire
Attrape fi tu peux , de Boulogne , eft arrivé
dans le premier de ces deux Ports avec
le Navire le Centurion , de cent trente tonneaux
, portant de Wittehaven à Rotterdam
deux cent quatre-vingt- quatre boucaux de
tabac.
Le Navire le Chefyre , de Liverpool, a été
conduit à Boulogne par le Corfaire le Furet,
que commande le Capitaine du Quefne.
Le Capitaine Batteman , Commandant
le Corfaire la Medufe , de Dieppe, eft entré
avec le Vaiffeau la Catherine , de Montrofe
,
JUIN. 1745. 189
trofe , chargé de tabac , d'eau de vie &
d'autres marchandifes , dans le Port de
Dunkerque , où le Corfaire le Saint Michel,
de ce dernier Port , a mené le Bâtiment
Ecoffois la Concorde , à bord duquel il y
avoit beaucoup de bois de charpente.
On mande de Bayonne que le Capitaine
Piquefarry , Commandant le Corfaire
la Bellonne, y a conduit le Navire Anglois
le Bond , de trois cent cinquante
tonneaux , chargé de quatre cent quatrevingt-
quinze boucaux de tabac , & dè
foixante-dix tonnes de fer coulé .
Le Corfaire l'Avanturier , de la Rochelle
, monté par le Capitaine Bertauville,
y eft rentré avec le Brigantin le Poli , qui
rapportoit du fucre de Saint Chriftophe.
Les lettres de Rochefort marquent que
M. Pepin de Bellifle qui commande
le Vaiffeau l'Apollon , s'eft emparé du
Corfaire le Galley , de Darmouth , armé
de vingt canons .
>
Le Brigantin Anglois la Défiance , dont
la cargaifon confifte en ri , en guildive ,
en peaux de boeuf & en bois de faffafras
a été pris par le Corfaire le Comte de Cler
mont , de Saint Malo , que monte le Capitaine
Sohier.
Le Corfaire le Griffon , du même Port ,
& commandé par M. de la Mabonnays
1. Vol. I
190 MERCURE DE FRANCE .
a relâché au Havre avec un Bâtiment ennemi
, de deux cent quatre- vingt tonneaux ,
de vingt- quatre canons & de quatre pierriers
, lequel étoit chargé de fucre , de
tabac , de balles de foyerie , de draps , de
toiles & d'autres marchandiſes.
Mrs de Saint Allouarn & de Rofmadec
, Commandans les Frégates l'Emeraude
& la Fine , ont rançonné le Navire
la Vigne , de Liverpool , pour la fomme de
quarante mille cinq cent livres . Ils fe font
rendus maîtres du Corfaire la Reine dé
Hongrie , de douze canons , de quatorze
pierriers , & de cent fept hommes d'équipage
, & ils ont repris le Vaiffeau le Prince
d'Orange , du Havre , de cent cinquante
tonneaux .
Le Vaiffeau la Revanche , arimé en courfe
à Brehat , & que monte le Capitaine
Jean Fleury , y a mené un Corfaire de
Jerfey.
Le Brigantin l'Hirondelle , chargé de bled
& de farine , a été conduit à Boulogne par
le Capitaine Duchene , Commandant le
Corfaire le Furet , de ce Port.
Suivant les avis reçus de Calais les Corfaires
la Sufanne & la Petite Victoire , armés
par les Capitaines Denis & Maquet , font
revenus dans ce Port avec plufieurs ran
çons qui montent à vingt -huit mille livres .
JUIN. 1745. 195
PPOMOTIONS .
Le 6 le Roi a nommé Colonel du Régiment des
Gardes Françoiſes le Duc de Biron , Lieutenant
Général de les armées , & Colonel Lieutenant
du Régiment du Roi Infanterie.
Le Comte de Guerchy , Colonel du Régiment
Royal des Vaiffeaux , a été fait Colonel Lieutenant
du Régiment du Roi , Infanterie , & Sa Majesté a
accordé le Régiment Royal des Vaiffeaux au Chevalier
d'Aubeterre , Colonel du Régiment d'Infan
terie de fon nom .
Le Gouvernement de Peronne a été donné au
Comte de Baviere , Lieutenant Général ,
Le Roi a accordé l'agrément du Régiment d'Infanterie
de Bretagne au Marquis de Renel ; celui
du Régiment de Beauvoifis au fieur de Lujeac ,
Exempt des Gardes du Corps ; celui du Régiment
de Guienne au fieur de Puifignieux Capitaine dans
le Régiment de Crillon ; celui du Régiment de la
Marche au Comte de Melfort , & celui du Régiment
de Cavalerie dont le Comte de Pons étoit
Meftre de Camp , au Marquis d'Harcourt.
Le Roi vient de nommer dans l'armée que Sa
Majefté commande , dix huit Maréchaux de Camp ,
dix -fept Brigadiers d'Infanterie , & dix - neuf de
Cavalerie . Les Maréchaux de Camp font le Marquis
Dauger , Exempt des Gardes du Corps ; de la
Peyroufe , Capitaine dans le Régiment de Cavalerie
de Berry ; de Tarneau , Lieutenant Colonel du
Régiment de Cavalerie de Chabrillant , le Comte
de Blet , Capitaine Lieutenant de la Compagnie
des Gendarmes Anglois ; de Gravel , Capitaine
d'une des Compagnies du Régiment des Gardes.
Françoifes ; le Marquis de la Luzerne , Enſeigne
I1 ij
192 MERCURE DE FRANCE.
des Gardes du Corps ; de Roth , Colonel du Régiment
d'Infanterie Irlandois , de fon nom ; le Comte
de Lorges , Colonel du Régiment Royal la Marine
, le Comte d'Herouville de Claye , Colonel du
Regiment de Bourgogne ; le Duc de Duras , Colonel
du Régiment d'Auvergne ; le Comte de
Montboiffier , Enfeigne de la feconde Compagnie
des Moufquetaires ; le Marquis de la Salle , Sous-
Lieutenant de la Compagnie des Gendarmes de la
Garde du Roi , le Comte de Pons , Meſtre de
Camp du Régiment de Cavalerie de fon nom ; le
Comte de la Vauguyon , Colonel du Régiment
de Beauvoifis ; le Comte de Guerchy , Colonel
Lieutenant du Régiment du Roi , Infanterie , le
Duc d'Havre , Colonel du Regiment de la Couronne
; le Marquis de Saint Pern , Colonel du Régiment
de la Marche , & le Comte d'Aumalle ,
Commandant le Genie à l'armée du Roi.
Les Brigadiers d'Infanterie font le Lord Dunkel,
Capitaine dans le Regiment Irlandois de Clare ; le
Marquis de Gauville , Capitaine d'une des Compagnies
du Régiment des Gardes Françoifes ; de
Sades , Commandant un Bataillon du Régiment
du Roi ; de Caftelas , Capitaine d'une des Compagnies
du Régiment des Gardes Suiſſes ; le Duc
d'Olonne Colonel du Régiment de Touraine ; de
Boccard , Major du Régiment des Gardes Suiffes; le
Marquis de Crillon , Colonel du Régiment d'Infanterie
de fon nom ; le Marquis de Puyfegur , Colonel
du Regiment de Vexin , & employé dans l'Etat
Major de l'armée du Roi ; le Marquis de Choifeul-
Meuze , Colonel Lieutenant du Régiment Dauphin
, Infanterie ; le Comte de Vence , Colonel
du Régiment Royal Corfe ; de Courmontaigne ,
du Pont & Doyré , Ingenieurs ; de Richecourt ,
Commandant un Bataillon du Régiment Royal
JUIN. 1745. 193
Artillerie ; le Chevalier de la Guette , Lieutenant
Général d'Artillerie ; Efmonin & Labinon , Officiers
d'Artillerie.
Les Brigadiers de Cavalerie font , de la Ferriere .
Aide Major , d'une Compagnie des Gardes du
Corps ; le Marquis de Blaru , le Marquis d'Efpinchal
, le Marquis de Laftic , & le Baron d'Andlau
, Exempts des Gardes du Corps , le Marquis de
Chabrillant , Meftre de Camp du Régiment de
Cavalerie de fon nom ; le Comte Daprémont Lynden
, Meftre de Camp d'un Régiment de Huffards;
le Prince de Croy , Meftre de Camp du Régiment
Royal Rouffion le Marquis de Champignelles ,
Enfeigne de la premiere Compagnie des Moufquetaires
; de Beaufobre , Meftre de Camp d'un
Régiment de Huffards ; le Chevalier de Brancas
, Meftre de Camp du Régiment de Cavalerie
de fon nom ; de Pieffures , Lieutenant Colonel
du Régiment de Cavalerie de Brancas ; le Comte
de Bionne , Meftre de Camp du Régiment de
Cavalerie de fon nom ; le Marquis de Voyer ,
Mestre de Camp du Régiment de Cavalerie de
Berry , le Chevalier de Brafflac , commandant une
des Brigades du Régiment Royal des Carabiniers ;
de la Valette , Lieutenant Colonel de cette Brigade
; de Maifoncellę , Lieutenant Colonel du
Régiment de Cavalerie de Clermont Prince; d'Hauterive
, Lieutenant Colonel du Régiment de Cavalerie
de Brionne , & de Boifot , Lieutenant Colonel
du Régiment de Cavalerie de Rohan.
I iij
194 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES
ETRANGERES ,
PRUSS E.
Na appris de Berlin du 27 du mois dernier
qu'il y arriva le 26 de Camentz , oùì eſt le
Quartier du Roi , un Officier dépêché par Sa Majesté
à la Reine , pour l'informer de deux avantages
confidérables que les troupes Pruffiennes ont
remportés fur celles de la Reine de Hongrie , dont
voici les principales particularités . Le Margrave
Charles s'étant mis le 22 de ce mois en marche vers
Neuftadt avec le Corps qui eft fous les ordres , & qui
eft composé de 8000 hommes de l'armée , il trouva
20000 hommes de l'armée de S.M Hongroife , diftribués
dans differens poltes , & commandés par les
Généraux Efterhafi , Keil , Fefteti.z & Spleni. Il détacha
d'abord quelque Infanterie pour le faifir de 2
batteries qui étoient fur une hauteur, mais les ennemis
en retirerent le canon . Peu après un détachement
de leurs Huffards ,foutenu des Régimens d'Infanterie
d'Ogilvy & de François Efterhafi , attaqua
1 arriere garde des troupes du Margrave . M. de
Schwerin, Major Général, fit tête aux Huffards par
ordre de ce Prince, avec le Régiment de Dragons de
Wirtemberg, & les ayant diffipés , il chargea la
bayonnette au bout du fufil le Régiment d'Ogilvy,
qui fut enfoncé & renversé Les trois quarts de ce
Régiment , auquel on a enlevé deux Drapeaux ,
ont été taillés en piéces , & il l'auroit été entierement
, s'il n'eût été fecouru par le Régiment d'Efterhafi.
Le Major Général Schwerin , après avoir
JUIN. 1745. 195
effuyé la décharge de ce dernier Régiment , fondir
deffus avec la même vivacité & avec le même fuccès
que fur le Régiment d'Ogilvy . Le Régiment
de Saxe Gotha , Dragons , s'étant avancé fur ces
entrefaites , fut rompu du premier choc , & mis en
fuite par celui des Cuiraffiers de Gefler , qui lui tua
plus de cinq cent hommes. Lorsque les ennemis
virent ces trois Corps fi maltraités par deux feuls
Régimens ils prirent le parti de fe retirer ,avant que
d'être attaqués par l'Infanterie. Le Margrave s'arrêta
pendant quelques heures fur le champ de ba
taille , & continua enfuite fa marche vers Neuftadt,
où il devoit arriver le même foir felon l'ordre qu'il
en avoit reçû de Sa Majesté .
Les pritonniers qu'on a faits dans cette action.
ont affûré que les Régimens d'Ogilvy , d'Efterhafi
& de Saxe Gotha étoient prefque totalement détruits
, ce qui paroît d'autant plus facile à croire ,
qu'ils ont laiffé plus de quatorze cent morts fur la
place.
La perte des Pruffiens ne confifte qu'en un Capitaine
, un Lieutenant & foixante . Ĉuiraffiers ou
Dragons.
Le même jour il y eut un autre combat trèsvif
entre 2400 Pruffiens commandés par le Colonel
Wenlerfeld que le Roi vient de nommer Major
général, & 6 à 7000 hommes d'Infanterie & de Cavalerie
Hongroiſe à la tête defquels étoit le Comte
Nadafti.Ce combat a duré près des heures pendant
lefquelles les troupes du Comte Nadafty ont fait les
plus grands efforts de valeur pour déterminer la
victoire à fe déclarer en leur faveur , mais à la fin
ils n'ont pu réfifter au feu des Grenadiers Pruffiens
, & ils ont abandonné le champ de bataille .
Un de leurs Régimens d'Infanterie , que comman.
de le Colonel Haller , a été entierement difperfé ,
I iiij
198 MERCURE DE FRANCE.
·
& 80 Croates , qui s'étoient fauvés dans un bois ,
ont été fabrés par nos Huffards . Ceux- ci ont pourfuivi
les ennemis pendant plus de deux lieuës fur les
terres de Boheme , tuant ou prenant tous ceux
qu'ils ont pu atteindre.
te å
Le nombre des morts du côté des ennemis mon-
500 hommes , & celu de leurs bleffés , felon
le rapport des prifonniers, eft beaucoup plus grand.
On a fait plus de 120 prifonniers , parmi lesquels
eft le Colonel Pafatiz .
Les Pruffiens ont perdu deux Lieutenans & 22
Soldats , & le Major Général Wenlerfeld a reçu
une contufion au bras.
Quelques jours avant ces deux actions le Régiment.
de Huffards de Zieten en allant joindre à
Jagerndorff le Margrave Charles fut attaqué par
un gros Corps d'Infurgens & de Pandoures qu'il
diffipa après leur avoir tué une centaine d'hommes.
Un détachement du Régiment de Bronikowsky
a eu auffi affaire à un détachement d'Infanterie
Hongroife , dont environ 80 hommes font reftés
fur la place .
On apprend de Berlin du 6 de ce mois , que la
Reine a reçu par un Officier que le Roi lui a dépêché
, la nouvelle d'une victoire complette remportée
par les troupes de Sa Majesté fur l'armée
combinée de la Reine de Hongrie & du Roi de
Pologne Electeur de Saxe.
On ne fçait point encore le détail de cette action,
& l'on a appris feulement que le 3 de ce mois
le Roi étoit allé reconnoître la pofition des ennemis
, & que Sa Majefté étoit revenue fur les cinq
heures du foir à fon camp de Frieberg , s'étoit
miſe en marche à huit heures , après avoir envoyé
les gros équipages à Schwednitz ; qu'elle
JUIN. 1745. 197
s'étoit trouvée le lendemain à la pointe du jour en
préſence de l'armée commandée par le Prince
Charles de Lorraine , & qu'elle avoit mis les troupes
en bataille , mais que les ennemis n'étant plus
dans la même pofition où ils étoient la veille , le
Roi avoit été obligé de changer fes premieres difpofitions
, & qu'il avoit porté fa gauche aux montagnes
, que pendant ce mouvement lequel malgré
les difficultés qui pouvoient le retarder s'eft
fait avec une extrême promptitude & avec le
plus grand ordre , l'action s'étoit engagée entre
l'aîle droite des Pruffiens & les troupes Saxonnes ,
qui ont été renversées au premier choc , & qui ont
abandonné la plus grande partie de leur artillerie ;
que les troupes du centre de l'armée du Roi avoient
chargé avec le même fuccès les troupes qu'elles
avoient en tête , & que la gauche s'étant formée ,
avoit achevé de mettre les ennemis en déroute . La
bataille a commencé à cinq heures de matin & n'a
duré qu'environ trois heures &demie , les troupes
de la Reine de Hongrie & celle de Saxe n'ayant
pu foutenir plus long - tems les efforts prodigieux
de valeur par lefquelles celles du Roi fe font diftinguées.
Il y a eu de la part des ennemis 3000 hommes
de tués & de bleffés. On leur a fait 4000 prifonniers
, du nombre defquels font Mrs de Berlichingen
, de Saint Ignon & de Forgaths , Officiers
Généraux des troupes de Sa Majefté Hongroife , &
un Officier Général des troupes Saxonnes , & on
leur a enlevé 30 canons , 65 Drapeaux , huit Etendats
& huit paires de Tymbailes. Ils fe font enfuis
dans les montagnes de Boheme . où ils fe trouvent
féparés , les troupes de la Reine de Hongrie
d'un côté , & les Saxons de l'autre , & le Roi n'a
pas jugé à propos de les y fuivre , tant à caule de
la difficulté des chemins que parce que l'armée
I v
198 MERCURE DE FRANCE.
de Sa Majesté avoit effuyé beaucoup de fatigue
dans le combat & dans la marche qui l'a précedé.
Cette victoire a coûté peu au Roi , & Sa Majesté
n'a perdu d'autre Officier de marque que le Comte
de Truchfes , Lieutenant Général.
Les troupes qui doivent s'affembler près de Magdebourg
, ont ordre de fe tenir prêtes à fortir de
leurs quartiers de cantonnement.
Deux mille Pandoures & 500 Huffards
attaquerent
la nuit du 19 au 20 du mois dernier la Ville
de Neustadt , où il y avoit une Garnifon de 300
Pruffiens . Ayant enfoncé la premiere porte ils
rmpirent la feconde à coups de haches, mais lorfqu'ils
voulurent entrer dans la Ville la Garnifon
les repoufla la bayonnette au bout du fufil & les
obligea de fe retirer .
Le Roi a nommé fon fecond Ambaffadeur à
la Diettequi doit le tenir pour l'Election d'un Empereur
M. de Pollman , Confeiller de Juftice , &
ci-devant Miniftre Plénipotentiaire de Sa Majefté à
la Diette de l'Empire.
ALLEMAGNE.
ON mande de Bonn que leDuc d'Arembedrug s2'e8ftdreutimréofiusr dlaerSniieegr,
& eft venu camper à une lieuë de cette Ville avec
l'armée qui eft fous les ordres . Il a fait arrêter tous
les Bateaux fur le Rhin au - deffous de cette Ville , ce
qui donnoit lieu de con ecturer qu'il avoit deffein
de jetter un nouveau Pont fur ce Fleuve . Les divers
mouvemens qu'il a faits depuis quelque tems,
ne permettoient pas de pénetier quels étoient fes véritables
deffeins . On ignoroit même abfolument de
quel côté il vouloit diriger fa marche . Selon les
avis qu'on a reçus de l'armée commandée par le
HEQUE
DE
JUIN. 1745. 1990N
Comte de Traun , elle marche fur trois col
dont la premiere a dû arriver le 22 à Wolfferit
le 24 à Ober Mergentheim , & le 27 à Dirwangen .
On a appris que le Prince de Conty avoit détaché
de fon armée plufieurs Bataillons & plufieurs
Efcadrons dont il a donné le commandement au
Comte de la Mothe Houdancourt , Lieutenant Général
, deſtinés à fe rendre en Flandres . Les mêmes
nouvelles portent que ce Prince s'avançoit avec un
Corps confidérable du côté de l'armée commandée
par le Comte de Segur & que le refte des troupes du
Roi de France , affemblées fur le Bas Rhin , devoit
repaffer le Mein , fur le bord duquel elles demeureroient
campées aux ordres du Marquis de la Farre
, Lieutenant Général .
On mande de Francfort du 6 de ce mois que
fur l'avis que le Feldt Maréchal de Traun devoit
fe mettre en marche le 26 du mois dernier , & que
fon avant- garde étoit déja en mouvement , le Prince
deConty avoit envoyé ordre au Comte de Segur
de fe rendre le 30 à Wimpfen avec toutes les troupes
qui étoient fous fes ordres, qu'en même- tems
le Prince de Conty avoit fait avancer du Mein
vers Heidelberg quelques Bataillons & plufieurs
Efcadrons & que le 31 toute l'armée , avec laquelle
il fe propofoit de s'avancer vers le Feldt-Maréchal
de Traun , s'y trouva raffemblée Les Ponts furent
achevés le même jour , & le Prince de Conty étoit
déterminé à décamper le premiet de ce mois pour
aller à la rencontre des troupes de la Reine de
Hongrie , fi l'on n'apprenoit point qu'elles euffent
forcé quelques marches , pour arriver à Marienda,
avant le 4. Le Prince de Conty ayant été informé
qu'elles s'éloignoient de lui , & qu'elles fe portoient
fur Rottemburg, afin d'être couvertes par la riviere
de Tauber , il a jugé qu'il feroit impoffible des les
F
I vj
200 MERCURE DE FRANCE.
joindre , & il a pris le parti de retourner prompte
ment fur le Mein.
Le premier de ce mois l'armée commandée par
te Prince eft décampée de Wimpfen : elle repaffa
le 2 le Neckre près deHeidelberg , &ayant continué.
fa marche par le Bergftraat , elle eft revenue dans
le Pays de Darmstadt , où elle a fait halte . Le Prince
de Conty a envoyé des détachemens à Stockftatt
& à Selingeftadt , pour foutenir le Pofte d'Afchaffenbourg
, & pour s'affûrer la facilité du paſſage
du Mein.
Les lettres de l'armée qui eft fous les ordres du
Feldt- Maréchal de Traun marquent que le 29 du
mois dernier fon avant-garde étoit arrivée à Adelmansfelden
, & qu'elle avoit campé le lendemain.
dans les environs de Hall ; que la premiere colonne
de cette armée avoit déja paffé Hohenhard , &
que le deffein du Feldt- Maréchal de Traun étoit
d'aller droit à Wertheim fur le Mein , & de chercher
les moyens de faire fa jonction avec l'armée
des Alliés qui eft fur le Bas- Rhin.
On mande de cette derniere armée que le Due
'Aremberg en ayant remis le commandement au
Feldt- Maréchal de Bathiany, elle étoit décampée de
Siebourg, prenant fa route vers la Lohne ; qu'il devoit
arriver près de Limbourg une partie des troudont
elle eft compofée , & que le reste fe rendrait
le même jour dans les environs de Lange-
Swalbach.
Res
Les Barons de Keffelftadt & d'Erthal , & M.
de Benzel , Chancelier de l'Electeur de Mayence ,
doivent affifter en qualité d'Ambaffadeurs de cet
Electeur à la Diette convoquée pour l'Election
d'un Empereur , & les deux derniers de ces Amballadeurs
font à Francfort depuis quelque tems.
On a appris du Camp de Leffines du 23 du mois
JUI N. 1745.
201
ce
dernier que l'armée que les Alliés ont dans le Pays
Bas , & qui eft venue le 16 de ce mois occuper
Camp , y demeurera vrai-femblablement juſqu'à
ce qu'elle ait confumé les fourages qu'on a amaffés
à Ath . L’aîle droite de cette arméè eft de l'autre
côté de la riviere de Denre: elle a derriere elle laVille
de Grammont, & elle eft appuyée à Oudenarde ;
la gauche l'eft a Ollignies , & par cette pofition
l'armée couvre le Brabant , & la partie du Haynault
, qui appartient à la Reine de Hongrie . Elle
a dû être jointe par trois Régimens des troupes de
la Grande- Bretagne , par plufieurs détachemens
de ces mêmes troupes , & par quatre Régimens
Hollandois.
On a fait entrer dans Oudenarde le Bataillon de
Bentinck , & l'on a envoyé à Mons ceux de Naffau
Groningue & de Bronckhorft pour renforcer les
Garnifons de ces Places . Le 23 le Duc de Cumberland
tint un grand Confeil de guerre , après lequel
on fit partir des couriers pour Vienne ,
pour Londres & pour la Haye.
O
GENES.
୨
N mande de Genes du 17 du mois dernier ,
que les troupes Espagnoles commandées par
Te Duc de Modene pafferent. ie y la Magra, & qu'il
y eut au paffage de cette riviere une efcarmouche
entre leur arriere gar le & un détachement de
L'armée de la Reine de Hongrie ,lequel attaqua les 7
ou 8 dernieres Compagnies de Grenadiers de cette
arriere garde. Ces Compagnies diffiperent en peu
de tems le Détachement , & elles n'ont cu que dix
hommes de tués & trente de bleffés .
L'armée du Roi d'Espagne ayant continué fa
marche fur les terres de la République , campa le
202 MERCURE DE FRANCE.
12 à Seftri , le 13 à Chiavari , & le 14 à Recco.
Les troupes Espagnoles que commande le Duc
de Modene ont défilé entre Pin & Maraffi , fans
paffer autour des murailles de cette Ville . Elles ont
defcendu de-là directement dans le Fauxbourg de
Saint Pierre d'Arena , où l'on croioit qu'elles demeureroient
jufqu'à l'arrivée de leur artillerie & de
leurs munitions de guerre. Leur avant- garde, compofée
de 2500 hommes , s'y rendit le 23 .
Les troupes de la Reine de Hongrie marchent
vers le Piémont au fecours du Roi de Sardaigne ,
qui étoit le 19 du mois dern. à Ceva , occupé à chercher
les moyens de s'oppofer aux entreprises des
Elpagnols . Ce Prince a fait avancer beaucoup de
troupes à Novi , dès qu'il a été informé des difpofitions
faites par l'Infant Don Philippe pour procu
rer la jonction des deux armées de Sa Majefté Catholique
.
On a appris que l'Infant Don Philippe étoit allé
à bord de l'Escadre de M. de Lage , qui eft dans le
Port de Villefranche .
Le Roi d'Espagne a donné ordre de remettre à un
Commiffaire de la République la Chaloupe Angloife
dont les Efpagnols fe font faifis à la Plage de
Port-Maurice , à condition que les Anglois reftituaffent
les deux Tartanes Efpagnoles , qu'ils ont
enlevées à San- Remo.
Le Roi de Sardaigne a formé à Rivalta entre
Alexandrie & Totonè un camp de 12000 hommes
d'Infanterie & de 2000 de Cavalerie , pour
fermer le paffage du coté de Novi , & il a fait nonfeulement
abattre tous les arbres mais couper tous
les grains de ces cantons.
JUIN.
203 1745.
ITALI E.
Na appris de Venife du 26 du mois dernier.
que l'équipage d'un Vaiffeau arrivé depuis
peu de Conftantinople a rapporté que Jeyen Mehemed
Pacha avoit été nommé Gouverneur de
Natolie , & Seraskier des troupes que le Grand
Seigneur fait affeinbler du côté de Kars . Ce Général
aura fous fes ordres vingt- deux Pachas à
deux Queuës , & il fera à la tête de 60000 hommes.
Achmet Pacha , ci- devant Grand Vifir , com.
mandera l'armée du Diarbekir , qui fera de 30000
hommes , & dans laquelle ferviront quinze Pachas
à deux Queues. Les Timariotes de Bofnie & 12000
hommes de troupes de la même Province feront
partie de la premiere de ces deux armées .
On employera dans la feconde 150co hommes
des troupes de Natolie & toutes les Companies
des Serden- Guetelfis ou Enfans perdus .
Sa Hauteffe a donné à Huffein Pacha , qui aura
fous lui huit Pachas à deux Queues , le commandement
d'une autre armée de 18000 hommes.
Indépendamment de ces trois armées , il y aura
un Camp volant de 12000 hommes fur les frontieres
de Perfe.
On mande de Nice du premier de ce mois , que
la premiere Divifion des troupes Françoifes qui
font fous les ordres du Maréchal de Maillebois s'eft
mife en marche pour fuivre le chemin de la riviere
de Genes , dans lequel les Efpagnols fe font déja
avancés. Cette Divifion a dû arriver le 7 de ce mois
à Albenga , où elle a dû être ſuivie par les autres
Divifions des mêmes troupes . La route par laquelle
elles ont paffé eft extrêmement difficile , & elles
y ont été expolées en beaucoup d'endroits au feu
204 MERCURE DE FRANCE.
de douze Vaiſſeaux de Guerre Anglois , qui fone
le long de la côte , mais fans effet .
L'Infant Don Philippe partit le 31 du mois dernier
avec le Maréchal de Maillebois , pour fe ren
dre à Albenga . Douze Efcadrons de l'armée Efpagnole
, que commande ce Prince , font allés joindre
celle à la tête de laquelle eft le Duc de Modene
, & dont l'avant garde étoit le 26 du mois dernier
à Santa Margarita entre Genes & le Golfe de
Rapallo.
GRANDE BRETAGNE.
N mande de Londres que l'Amiral Martin
ON
Plymouth avec le Vaiffeau la Diane , armé en
courfe à Bayonne , & un Bâtiment de Bordeaux ,
nommé la Grace , dont il s'eft emparé.
Des Armateurs Anglois ont enlevé quatre Navires
François , qui alloient de Bordeaux à la Martinique,
un autre de la même Nation , qui revenoit de
cette Ifle , chargé de caffé & de cacão , & un Vaiffeau
Efpagnol , à bord duquel on a trouvé 92337
piaftres, & 244 onces d'or en barre.-
JUIN. 1745. 205
4
MORTS.
Yves- Marie de Bologne de Recourt de Lens & de
Lignes , Comte de Rupelmonde , Maréchal
des camps & armées du Roi du 20 Fevrier 1743 ,
tué d'un coup de fufil à l'action paffée auprès de
Pasffenhoven , le 15 Avril , entre les troupes qui
étoient fous le commandement du Comte de
Segur , Lieutenant Général en Baviere , & celles
de la Reine de Hongrie . Il étoit fils de feu Maximilien
Philippes-Jofeph de Bologne de Recourt ,
de Lens & de Lignes , Comte de Rupelmonde ,
Brigadier des armées du Roi d'Efpagne , & de D.
Marie-Marguerite- Elizabeth d'Alegre , Daine du
Palais de la Reine . Il avoit été marié le 21 Avril
1733.avecMarie- Chrétienne- Chriftine deGramont,
fille de Louis Comte & depuis Duc de Gramont ;
Pair de France , Chevalier des Ordres du Roi &
Colonel du Régiment des Gardes Françoites , & de
Genevieve de Gontaut Biron Il en laiffe Louis de
Bologne de Recourt , de Lens & de Lignes, Comte
de Lens , né le 29 Avril 1740 Voyez la Généagie
de la Maifon de Recourt dans l'Hiftoire des
Grands Officiers de la Couronne , vol 8 fol . 827,
à l'article des Amiraux de France.
Le 18 Louis Colbert , Chevalier , Comte de Linieres
, Seigneur de la Forêt de Civry , de Herfe ,
de S. Lubin, de Greffay , de Courgeau , de Lumigny
& de la Malmaifon , &c . ci - devant Capitaine
Lieutenant des Gendarmes Bourguignons , Charge
dans laquelle il fut reçû le 22 Mars 1702 , & qu'il
vendit en quittant le fervice au mois de Fevrier
1707 , mourut à Paris âgé de 78 ans . Il étoit le
206 MERCURE DE FRANCE.
cinquiéme fils de Jean - Baptifte Colbert , Marquis
de Seignelay , de Châteauneuf-fur Cher & de Blainville,
Baron de Menou & d'Ormoy, de Seaux & de
Linieres , Miniftre & Secretaire d'Etat , Contrôleur
Géneral des Finances , Commandeur & Grand
Tréforier des Ordres du Roi , mort le 6 Septembre
1683 , âgé de 64 ans & 6 jours , & de D. arie
Charron de Menars, morte le 7 Avril 1687. Il avoit
épousé le 4 Mars 1694 Marie Louiſe du Bouſchet ,
fille de Louis -François du Boufchet , Marquis de
Sourches , Comte de M ntforeau , Prévôt de l'Hôtel
du Roi & Grand - Prévôt de France , & de D.
Marie-Geneviève de Chambers Montforeau , duquel
mariage il laiffe entr'autres enfans Louis Colbert ,
Marquis de Linieres , né le 8. Avril 1709 Capitai
ne Lieutenant des Chevau Legers de Bretagne
fait Brigadier de Cavalerie le 2 Mai 1744. Voyez
pour la Genealogie de Colbert l'Hiftoire des
Grands Officiers de la Couronne , vol. 9. contenant
le Catalogue des Chevaliers de l'Ordre du Saint
Efprit , & le Dictionnaire Hiftorique de Morery.
?
Le 23 Anne - Jacques de Bullion , Marquis de
Fervaques , Chevalier des Ordres du Roi , de la
Promotion du 3 Juin 1724 , Lieutenant Géneral
des armées de Sa Majefté , depuis le premier Mars
1738 , Gouverneur & Lieutenant Géneral des Provinces
du Maine , Perche & Comté de Laval , &
Lieutenant de Roi du Pays Chartrain , mourut à
Paris dans la 66 année de fon âge . Il avoit époufé
le 26 Mars 1708 D. Marie- Magdeleine Hortenfe
Gigault de Bellefonds, & il la: ffe trois filles qui font
Mad. la Ducheffe d'Olonne , Mad. la Comteffe de
Laval & Mad. la Ducheffe de Beauvillier ; il avoit
pour freres puînés M. le Comte d'Efclimont , Maréchal
de Camp & Prévôt de Paris , & le Marquis de
Bonnelles , Lieutenant Géneral pour le Roi au
JUIN. 207 1745 .
Gouvernement de la Baffe- Guyenne , & pour foeurs
Mad. la Ducheffe d'Uzez & Mad . la Frinceffe de
Talmond , veuve de M. le Duc de Chaftellerault. Il
étoit fils de Charles - Denis de Bullion , Marquis de
Gallardon , Seigneur de Bonnelles , Bullion , Efclimont
, &c. Lieutenant Géneral pour le Roi des
Provinces du Maine , Perche & Comté de Laval ,
& Prévôt de Paris , mort le 20 Mai 1721 , & de
D. Marie - Anne Rouillé de Meſlay , morte le 29
Septembre 19 14. V. Le vol . 2. des grand Officiers
de la Couronne .
Le 2 Mai Jacques de Monceaux Marquis d'Auxy,
Seigneur d'Hanvoille , de Saint Sanfon , & de Mar
tincourt ; Chevalier des Ordres du Roi reçû le 17
Mai 1739 , ci- devant Colonel du Régiment Royal
Comtois , & avant Capitaine au Régiment des Gar
des Françoifes , mourut en fon Château d'Hanvoille,
en Picardie, Election de Beauvais , âgé de 72
ans . Il étoit fils de François de Monceaux d'Auxy ,
Marquis d'Auxy , dont il obtint l'Erection en
Marquifat par lettres du mois de Septembre 1687
& de D. Marie- Magdeleine Jubert du Thil ; il
avoit épousé le 20 Août 1714 Marie- Magdeleine
de la Grange - Trianon , fille de Louis- Armand de
la Grange - Trianon , Baron du Pleffis aux Tournelles
, & de Marguerite - Magdeleine Joly d'Oudeuil
, & il en a laiffé pour fille unique Anne- Magdeleine
Françoiſe de Monceaux d'Auxy , mariée
le 6 Juin 1736 avec André- Hercules Duc de Fleury
Pair de France , depuis Premier Gentilhomme
de la Chambre du Roi , Gouverneur du Duché de
Lorraine , & Maréchal des Camps & armées du Roi,
petit neveu du feu Cardinal de Fleury.
Daniel Marie- Anne de Talleyrand , Marquis de
Talleyrand , Comte de Grignols & Comte de Mauriac
, Brigadier des armées du Roi du 20 Fevrier
1743 , Colonel du Régiment de Normandie depuis
208 MERCURE DE FRANCE.
1737 a été tué an Siege de Tournay au Mois May,
fauté par le feu qui prit dans la tranchée à un fac de
poudre. Il étoit fils de Gabriel de Talleyrand , Comte
de Grignols de Baron de Beauvolle & de Saint Severin,&
de Marguerite de Taillefer Dame de Maurriac.
Il avoit époulé 1 ° . Marie Guyonnede Rochefort
Theibon 2 ° . en 1732 Marie- Elifabeth Chamillard
de laquelle il laiffe plufieurs enfans ; & de fa premiere
femme il a eu Gabriel Marie de Talleyrand dir
le Comte de Perigord né le 1 Octobre 1726 Capitaine
dans le Régiment de Normandie , fait Colonel
du même Régiment par la mort de fon pere.
Voyez la Généalogie de la Maifon de Talleyrand
dans le Mercure de Janvier 1744 fol.191 .
Le 12 Emmanuel Jofeph de Hallencourt , Marquis
de Dromefnil Capitaine Lieutenant des Chevau-
Legers Dauphins mourut en fon Château de Marfontaine
en Picardie âgé de 77 ans . Il étoit frere
aîné de Mre Charies- François deHallencourt aujour
d'hui Evêque de Verdun depuis 1722 & avant
d'Autun , & fils de Louis- François de Hallencourt
Seigneur de Dromefnil , & de Nicole Françoife
de Proify. Il avoit époufé D. Madeleine de Proify
fa Coufine Germaine , & il en laiffe entr'autres
enfans Charles François Gabriel de Hallencourt
Marquis de Dromefnil, Capitaine Lieutenant de la
Compagnie des Chevau - Legers d'Anjou depuis le
5 Mars 1740 & Brigadier de Cavalerie depuis
le 2 Mai 17+4•
Le nom de Hallencourt eft marqué parmi les
plus nobles de la Province de Picardie & connu
par des titres dès l'an 1157 ; fes alliances font
avec les Maifons de Boulainvilliers , d'Humieres ,
Estampes , Valencay , l'Ile Marivaux , Mailly
Belleforez , Boufflers &c . Et fes armes font d'Argent
à une bande de fable cotoyée de deux cotices de
inême.
Fautes à corriger dans ce Livre.
Page mere ligne , ces ,l. fes
Age premiere , ligne 9 , Lyon , lifez Londres
>
P. 20 , l . 8 , 0 , 1 , zero
P. 35,1 . 16 & derniere , fes , l. les
P. 36 , l. 10 , s'agit , l. s'agiffoit
P.
37 1. 21 Pouchard , 1. Ponchard
P. 51 , l. 13 , le terme ajoûtez ruu
P. 57 , 1. 4 , compofantes , l. compofant
P. 66 , 1.24 , voici , l . voila
P. 68 , 1. 24 , Théotefque ,. Théorique
P. 70 , l . 13 & 14 , enchériffent , lenchériffant'
Ibid. 1. 21 , même , l . mere
P. 71 , l . 4 , amaner , 1. amarrer
P. 92 ' , l. 12. ot comme un poids, 1. or comme un
pied.
Ibid. 1. 14 & 28 , ajoûtez
=
P. 93 , 1. 2 , quinzes , l. quinze , ligne 7 , Lion
doit donc , l. Loin donc
P- 96 , 1. 3 , vraie , l. vraies
Comme la Citadelle de Tournay ne s'eft
renduë qu'à la fin de fuin , nous ne pouvons
donner que dans le Mercure de Juillet le Plan
des attaques que nous avons promis .
TABLE.
PIECES FUGITIVES en Vers & en Profe.
Suite de l'Hiftoire de l'Efprit humain , & c. 3
Difcours au Roi fur le fuccès de fes armes ,
Vers à S. M.
Problême de Médecine ,
Epitre fur la Solitude ,
Refléxions fur les Principes de l'Art d'écrire ,
Vers mis au bas d'un Portrait du Roi ,
Lettre fur les Préjugés ,
13
14
18
20
23
Vers à M. de Voltaire par feu M. de la Faye ,
Affemblée publique de l'Académie de Belles - Let-
25
26
31
tres , Extrait , 32
Cantique de Moyfe , 73
Difcours fur l'amour propre , 78
NOUVELLES LITTERAIRES , DES BEAUX-Arts ,
Encyclopédie , Extrait ,
83
Traduction Allemande des Effais de Morale & de
Litterature de M. l'Abbé Trublet , Extrait , 108
Les Fêtes de la France , Drame - Lyrique ,
Plan de la Bataille de Fontenoy ,
Apothéole de la Ville de Nîmes ,
113
114
ibid.
Extraits de Differtations qui ont remporté les Prix
à Soiffons ,
Vers préſentés à un pere par les enfans ,
115
126
Mots des Enigmes & Logogryphe du Mercure de
Mai ,
Enigmes & Logogryphe >
Vers à Mad . la Princeffe de T ....
ibid.
127
131
132
133
Chanſon notée, La Fontenoy , Fanfare ,
Spectacles , & Concert Spirituel
Tro: fiéme Suite des Refléxions fur les Ballets , 136
Fable de Coraline ,
Fable d'Arlequin ,
146
147
L'Impromptu des Acteurs , nouvelle Comédie jouée
aux Italiens , Extrait ,
Concerts à la Cour ,
Eftampes nouvelles ,
ibid.
156
157
Journal de la Cour , de Paris. Suite du Journal des
opérations de l'armée du Roi ,
Prifes de Vaifſeaux ,
Promotions ,
Nouvelles Etrangeres , Pruffe ,
Allemagne ,
Genes ,
Italie ,
Grande- Bretagne ,
Morts ,
La Chanfon notée doit regarder lapaga
Le Plan , celle
159
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132
159
II
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JUIN . 1745 .
SECOND VOLUME
IGIT
||
UT
SPARG
THEAUS
LYON
1893 *
DE
LA
VILLE
spiller
S
Chés
A PARIS ,
GUILLAUME CAVELIER,
rue S. Jacques .
La Veuve PISSOT , Quai de Conti,
à la defcente du Pont-Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais .
M. DCC. XLV.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
A VIS.
L'ADRESSE généra le du Mercure eft
M. DE CLEVES D'ARNI COURT
rue du Champ-Fleuri dans la Maifon de M.
Lourdet Correcteur des Comptes au premier
étage fur le derriere entre un Perruquier & un
Serrurier à côté de l'Hôtel d'Enguien. Nous
prions très-inftamment ceux qui nous adref
feront des Paquets par la Pofte , d'en affranchir
le port , pour nous épargner le deplaifir
de les rebuter , & à eux celui de ne
pas voir paroître leurs ouvrages. 4
Les Libraires des Provinces ou des Pays
Etrangers , qui fouhaiteront avoir le Mercure
de France de la premiere main , & plus promptement
, n'auront qu'à écrire à l'adreffe ci- deeffus
indiquée ; on fe conformera très-exactement à
leurs intentions.
Ainfi il faudra mettre fur les adreffes à M.
de Cleves d'Arnicourt , Commis au Mercure
de France rue du Champ-Fleuri , pour rendre
à M. de la Bruere.
PRIX XXX , SOLS.
Ser
MERCURE
DE FRANCE .
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
LE JEUNE LION.
FABLE.
A Monfieur le Duc de Montmorency .
Par M. Richer.
N Lionceau fçut par tradition
Qu'autrefois un fameux Lion
Rival d'Hercule , & dont la Renom
mée
Illuftra le bois de Némée ,
Avoit été mis dans les Cieux ,
Aftre brillant , égal aux Dieux .
11. Vol. A ij
4
MERCURE DE FRANCE,
Notre jeune Lion defcendoit de fa race ;
Il fe flatoit par des faits éclatans
D'obtenir quelque jour une pareille plaçe ,
Un envieux lui dit : vous perdez votre tems :
Vous ne l'obtiendrez point : cette place eft unique ;
Et vous efperez vainement ;
Les Lions n'auront plus de place au Firmament.
Le Lionceau noblement lui replique ;
Necroi pas ralentir la génereuſe ardeur
Que je reffens dès ma naiffance ;
?
Avec foi la vertu porte fa récompenſe
Et le Ciel fut toujours ouvert à la valeur,
Montmorency, rejetton des Héros
Dont s'enorgueillit notre Hiftoire ,
Imitez leurs nobles travaux ;
Ajoutez , s'ils fe peut , un rayon à leur gloire
Mars pour le digne fils de ces fameux guerriers
Prepare de nouveaux Lauriers ,
******************
LETTRE d'un Religieux Poitevinfur un
article du Suplément de Morery , adreffée
aux Auteurs du Mercure.
Oa
Na raifon , Meffieurs , de s'appliquer
a éclaircir la Topographie de France,
Nous avons déja vu dans vos Journaux quel
JUIN. 1745 វ
ques morceaux qui regardent le Poitou , &
des Extraits d'ouvrages où il en eft parlé fçavamment.
Quoique nous foyons éloignés
du centre du Royaume & de la Capitale , il
à tranfpiré juſqu'à nous que l'auteur du Suplément
du Dictionnaire de Morery trouvoit
bon qu'on rectifiât les fautes qu'on y
apperçoit ; cela eft digne de la modeftie de
ce fçavant Auteur. Nous ne poffedons pas
fon édition dans notre maiſon , mais je l'ai
trouvée dans un de nos Monatteres voifin de
la Loire. En y cherchant quelque chofe fur
Quinault , je fuis tombé fur Quincy ou Quincey
, l'une des Maifons de notre Ordre.
Voyant que fon article comprend prefqu'une
colonne entiere , je l'ai lû avec
avidité. J'ai été bien furpris quand j'ai reconnu
que le Sçavant Critique a confondu deux
Maifons , & qu'il y a fait un mélange que
nous appellerions vulgairement un pot pourri
de deux Abbayes très- differentes .
M. l'Abbé Gouget de deux Quincy n'en
fait qu'un. Les deux Quincy font cependant
éloignés de plus de 80 lieuës & ont des origines
bien differentes ; l'un eft de l'ancien
Ordre Monaftique , & fondé au fixiéme.
fiécle dans le Poitou. L'autre eft de l'Ordre
de Citeaux , & fa fondation ne remonte
pas plus haut que le douziéme fiécle. Voici
donc , Meffieurs , comment il faudra que le
A iij
6 MERCURE DE FRANCE
Lecteur démêle la matiere de l'article de
Quincy qui eft fort embrouillée. C'eſt à la
page 155 du fecond tome du Suplément.
Colonne 2e.
Les trois premieres lignes conviennent à
l'Abbaye de Quincy proche Tonnere Diocèfe
de Langres . Les douzes fuivantes regardent
l'Abbaye de Quincy du Diocèſe de
Poitiers. Les 25 fuivantes appartiennent
à l'Abbaye de Quincy proche Tonnere.
Enfin les cinq dernieres lignes concernent
notre Monaftére .
A l'aide de ce triage , le Lecteur diſcernera
les citations qui ont rapport à chacune
de ces deux Maiſons Monaftiques.
J'ai voulu voir fi l'auteur n'avoit pas de
même confondu les deux Pruilly , celui de
Touraine & celui de Brie , mais il a diftingué
fort bien ces deux Maiſons ,
*
JUIN. 1745 .
EPITRE
A M. Jacques l'Eventaillifte , au sujet du
Conte de Careffant & de Blanchette.
Monfieur Jacques l'Eventailliſte
Je vous offre mon compliment
Sur le joli petit Roman
Dont notre élégant Journaliſte
Nous régala dernierement.
Nous aimons beaucoup Careffant ;
Tout ce qu'il dit à fa Blanchette
Devient pour nous intéreſſant.
L'amour qui lui fert d'interpréte
Nous inſpire ce ſentiment.
Je le confeffe ingénuëment ;
J'aime mieux une hiftoriette
Où l'on m'inftruit en badinant
Que ces difcuffions fublimes ,
Ces chimeres favantiffimes ,
Qui font baailler à tout moment .
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE.
1
EPIGRAMME.
MArtin impatient , d'une main vigoureuſe
Etrilloit fon pauvre grifon ;
Et jamais cependant la bête pareffeufe
Ne vouloit entendre raifon .
Il étoit prêt de redoubler la doſe ,
Quand il paffe un jeune Officier ,
Qui dit , indigné de la chofe :
Auras-tu , maudit eftaffier ,
Bientôt fait d'affommer ta bête?
Vit-on jamais pareille cruauté ?
Je devrois , manant , fur ta tête
Te payer ta brutalité.
Lors étonné du diſcours pathétique ,
fa
Et craignant un peu pour la peau ,
Maître Martin , d'unefaçon comique,
Dit vite, en ôtant fon chapeau,
Afon grifon qui ne bougeoit de place ,
Monfieur mon âne excuſez mon audace :
J'ignorois jufqu'à ce jour
Que vous euffiez des amis à la cour.
Par M. l'Abbé D. L. F.
JUIN.
9 1745 .
*
EXTRAIT
D'une Lettre écrite d'Arras le 25 Mars
1745.
L
A Societé Littéraire établie en cetteVille
ce tint le 6 de mois fon affemblée folemnelle.
Le Directeur étant abſent , M. Pali-
*fot de Warlufel . Confeiller au Conſeil Supérieur
d'Artois , & reçû en furvivance à la
Charge de Premier Préfident de ce Confeil ,
ouvrit la féance par un difcours , où après
avoir remercié la compagnie de l'emploi de
Chancelier , auquel il avoit été nommé quinze
jours auparavant , il fit fentir l'importance
des deux objets que la Societé s'eft propofés
dès fon inſtitution , & qui font l'étude de
la Langue & celle de l'Hiftoire.
» Rien ( dit-il ) de fi naturel aux hommes
» que de fe prévaloir de la langue du Pays
où ils font nés ; rien de fi ordinaire que de
» la vanter & de la préférer à toutes les austres
, mais rien de plus ordinaire d'en
que
ignorer les principes & la fignification pré-
» cife des mots qui la compofent. On parle ,
» on difcourt , on raifonne , & l'on fe fert le
plus fouvent de termes impropres qui dépeignent
dans l'efprit de l'Auditeur judi-
59
29
AY
To MERCURE DE FRANCE .
30
59
အ
""
cieux toute autre chofe que ce qu'il devroit
» concevoir & qu'on veut lui faire entendre.
» Souvent nous n'avons pour tout acquit que
l'ufage & ce qu'une heureufe éducation a
pú nous donner. Reduits alors à une façon
» commune de nous énoncer , nous regret-
» tons les langues mortes , nous fommes mécontens
des vivantes , nous nous plaignons
de la ftérilité & de la féchereffe de la nô
tre , mais détrompons-nous & prenonsnous-
en à notre ignorance & à notre pas
reffe ; c'eft notre faute & non celle de la
» langue : fi nous la cultivions d'avantage , fi
» nous nous rendions plus familiers avec elle ,
fa prétendue ftérilité difparoîtroit , & notre
élocution devenue plus feconde s'enrichiroit
d'une infinité de tours ignorés juf
qu'à ce jour..
30
30.
20
30
30
วง
23
C'eſt à quoi fe rapportent les travaux
» d'un Académicien appliqué : une louable
ardeur le met au- deffus de cette commune
indolence ; fon étude & fes recherches lui
» découvrent toute la beauté , la force & la
» délicateffe de la langue ; il peut , comme il
lui plaît , l'aflervir à fes beſoins. J'avouerai ,
לכ
2
Meffieurs , que cette fevere attention eſt
difficile & rebutante , mais pour tout autre
que vous , dont la profeffion eft de tra-
Vailler fans relâche , d'éclaircir & de rectiter
tout ce qui eft obfcur & impropre.
JUIN. 1745. IF
90
"3
10
לכ
2?
32» L'Hiftoire a plus de charmes & forme un
fecond objet encore plus intéreffant . L'expérience
nous apprend que de tous les Livres
il n'y en a point de plus défirés ni de
» plus répandus que ceux qui rapprochent
de nous les fiécles paffés , & nous retra-
» cent les vertus des grands hommes. Nous
fommes tous curieux de connoître ce qui
» nous a précédé , mais quel ordre , quel
difcernement , quel goût dans la plupart
de ceux qui lifent , & quel fruit tirent- t-ils
de cette étude ? Les uns lifent amufepar
» ment , d'autres injuftement prévenus pour
» ou contre l'Auteur, d'autres , l'efprit encore:
» entiché des préjugés pris dans la jeuneſſe
beaucoup lifent pour eux feuls , & beaucoup
plus encore par une ridicule vanité de fça--
voir un grand nombre de faits , mais combien
peu apportent l'attention qu'il faut
» pour en difcerner la nature , l'importance
» & la vérité !
"
.
337
→
"3
כ כ
»
mais
ik
Un Académicien ne lit pas pour lui feul
pour le profit public : ilne fecontente
» pas de lire fuperficiellement , il remonte à
», la fource , il fuit l'Hiftorien pas à pas ,
» démêle le vrai d'avec le faux , & fe mer en
la fagacité de fes recherches & de :
par
» fa critique , de défabufer ceux qu'une trop
aveugle confiance auroit engagés dans l'er-
30
22
état
» reur..
A vjj
2 MERCURE DE FRANCE.
Enfuite M. de Warlufel paffe à l'éloge de
M. le Maréchal d'ifenghien protecteur de la
Societé ; après quoi il excite par des motifs
bien puiffans les Affociés à remplir exactement
leurs devoirs.
30
20
33
30
30
33 Le Roi que nous eûmes le bonheur de
pofféder l'an paffé dans cette Ville , ce
Héros dont la victoire accompagne par
tout les pas , ( puis-je le dire , Meffieurs ,
fans renouveller votre douleur ? ) ce Prin-
» ce qu'un amour paternel pour fes peuples
→ a conduit à deux doigts du tombeau , &
» que la crainte de le perdre femble nous
avoir rendu plus cher ; le Roi , dis - je ,
auffi amateur des Belles Lettres qu'il l'eft
de la gloire , en nous permettant de nous
affembler , nous a aufli confié la culture
» des ſciences en ce Pays ; c'eſt à nous d'em-
» pêcher qu'elles ne retombent dans cette
efpece d'affoupiffement où elles étoient
avant l'établiffement de cette Societé ; c'eft
à nous de les faire fleurir ; c'eſt à nous enfin
de frayer le chemin à ceux qui doivent
, nous fuccéder. Puiffent- ils un jour célébrer
» par
leurs écrits cette fuite nouvelle de Héros
dont la fouche formée du feul fang des
Bourbons par l'alliance augufte , qui fait
maintenant la joie de la France , & occupe
» l'attention de toute l'Europe , femble def
» tinée à donner des Rois à l'univers entier !
→ C.
30
*30
30
JUIN. 1745. 19
M. Harduin Avocat & Echevin de cette
Ville , Sécrétaire perpétuel de la Societé ,
répondit à M. de Warlufel.
39
"
"" Vous vous êtes formé , Monfieur , une
idée nette & préciſe des deux objets principaux
de notre établiſlement : vous con-
» cevez à quel point il eft avantageux de bien
» entendre le génie & les véritables régles du
langage françois, de voir clairement le fens ,
la force , les nuances délicates des tours &
des mots qui le compofent , d'en fçavoir
faire un ufage qui joigne l'éloquence à la
jufteffe , qui fatisfaffe la raifon toujours le-
» vere , qui flate le goût peut - être encore
» plus difficile à contenter , enfin , qui plaifé
» en même- tems à l'efprit & à l'oreille,
20
29
20
» L'utilité de l'Hiftoire vous eft également
» connuë , & vous fentez auffi dans quelle
» vûë & avec quels foins it faut l'étudier fi
» l'on veut que cette étude foit profitable .
"
Ne craignez pas , Monfieur ,, que la So-
» cieté puiffe fe repentir jamais de vous avoir
confié une part dans la direction de ſes af-
» femblées & de fes travaux.... Que d'avan-
» tages , que de gloire ne procurerez - vous
» pas aux mufes ! La dignité qui vous attend.
» dans un augufteTribunal ne rallentira point
» le noble feu dont vous êtes épris pour la
a belle Littérature , Semblable à cet illuftre
14 MERCURE DE FRANCE.
3כ
13
ر د
ב כ
» chef de la Juſtice , * qui fe fit honneur de
remplir dans l'Académie Françoiſe une place
ordinaire avant que de monter , par la
» mort du grand Richelieu , à celle de protecteur
, vous renouvellerez particuliere-
» ment-en faveur de notre Patrie l'exemple
» qu'il donna au Royaume entier : parvenu
à la fuprême Magiftrature de cette Province
, vous ne rougirez point d'être inf
crit parmi les membres d'un Corps Litte-
,, raire. Puiffe votre attachement à nos exercices
défiller les yeux d'un vulgaire trop
refpecté! puiffiez vous enfin perfuader à ces
» hommes aveugles que la profeffion d'Académicien
n'eft incompatible ni avec l'élevation
du rang, ni avec la gravité des emplois!
30
3
23
"
30
M. Harduin finir fon difcours par l'éloge
de M. de la Place , que le changement de
fa demeure a obligé de quitter la Societé , &
auquel il vient de fuccéder dans l'emploi de
Sécrétaire perpétuel. Je n'aurois pas manqué
d'inférer ici ce jufte éloge , fi la modeſtie
de celui qui en eft l'objet ne s'y étoit fortement
oppofée .
Enfuite M. Cauwet Avocat , nouvel Affocié
, fit fon remerciment à la Compagnie ,.
& après avoir exprimé fa reconnoiffance , il.
ajouta :
2 Nous avons le bonheur de vivre fous la:
* M. le Chancelier Seguier.
JUIN. 1745. IS
20
>>
23
וכ
➡ domination d'un Prince trop ami des fcien-
» cès pour qu'il refufât d'autoriſer l'établiſſe-
» ment d'une focieté qui ne tend qu'à les faire.
» fleurir dans cette Province. Si Louis le
» Grand a eu la gloire de les fixer dans fa
Capitale par les Temples qu'il a érigés en
» leur honneur avec une magnificence royale
, Louis le Bien-Aimé a celle de les avoir
portées au point de perfection où nous les
» voyons , & d'en avoir répandu le goût dans
» toute l'étendue de fon Royaume. Les Académies
inftituées dans un grand nombre de
» Provinces , les fameux voyagesde ces Argo-
» nautes qui ont été fous la ligne & dans les.
» climats les plus froids , déterminer par leurs
» obfervations la figure du globe que nous
» habitons , ces machines où l'art conduit
» par un habile Méchanicien , ** s'eſt mon-
» tré le rival de la nature , les excellens li
vres qui ont été publiés , & furtout ce Poë-
» me *** dans lequel toutes les beautés de
» la Poëfie ne fervent qu'à faire briller la vé
rité de l'Hiftoire , tant de merveilles ne
font-elles pas affés l'éloge du régne de no-
» tre augufte Monarque , & la poftérité ne
» le regardera-t-elle point comme celui des
"
29
29
* M M. de Maupertuis , Bouguer , de la Condamine ,
& c
** M. de Vaucenfɔn.
*** La Henr.ad...
16 MERCURE DE FRANCE.
33 fciences & des beaux arts ? &c.
Le Directeur étant abfent ce fut M. de
Warluſel Chancelier qui répondit à M. Cauwet.
Après que les difcours eurent été prononcés
, M. le Comte de Mirabel Ingénieur ordinaire
du Roi , récita une piece de vers latins
intitulée ad virginem puerperam. Enfuite
M. Harduin lut une trentaine de Réflexions
fur différens fujets de Littérature & de morale
: En voici quelques- unes que je prens au
"
hazard.
"
39
» Un bon coeur & un grand efprit , voilà
» le plus bel aſſemblage qu'on puiffe voir fur
la terre ; c'eft l'image de la Divinité. Un
petit efprit accompagné d'un bon coeur
fçait fe rendre utile & fe faire aimer. Un
» mauvais coeur joint à un eſprit borné peut
» nuire jufqu'à un certain point , mais il n'eſt
" rien de pire au monde que le mêlange d'un
efprit fupérieur & d'une méchante ame.
Qu'est-ce qu'un homme partagé tout à la
la fois de ces deux qualités fi peu faites
pour aller enſemble ? C'eft le Sphinx de la
Thébaïde , être prodigieux , dont le corps
pareil à celui d'une belle femme , étoit
porté fur des pattes de lion plus effroyable
encore & plus odieux par un contraſte fi
» bizarre que ces animaux féroces dont la figure
n'a rien d'humain,
30
»
35
30
20
»
JUIN. *745.
17
20
» Rien ne furpaffe l'orgueil de nos pen-
" fées , finon peut-être la modeſtie de nos
paroles....
23
33
3
» Faut-il prononcer fut le mérite des différens
peuples de la terre ? Nous vantons
»fans meſure & aux dépens des autres Nations
tout ce qui a le bonheur de compo-
» fer la nôtre . Eft-il feulement queftion de
mettre en parallele les Provinces du Royau-
» me , où le fort nous a placés ? La nôtre
n'a rien qui ne nous femble digne des
plus grands éloges , mais les autres contrées
de la même région deviennent pour
» nous des objets de mépris ou de haine.
S'il ne s'agit que de décider entre les villes
» de notre Province , tous nos Concitoyens
ont part à nos louanges , & nous dédaignons
alors les habitans des villes voilines. On
parle favorablement de toute fa famille
quand on la compare aux autres du même
» lieu , mais pouffez la gradation jufqu'au
> bout , vous verrez que dans fa propre fa-
» mille chacun des hommes n'admire & n'eftifoi.....
20
30
30
» me que
L'Auteur de ces Réflexions lut encore une
Traduction en vers françois de la troifiéme
des Epodes d'Horace qui commence par ces
mots , parentis olim fi quis impiâ manu , & M.
Maffon termina la féance par la piece qui
fuit.
8 MERCURE DE FRANCE.
ODE
A un Ami quife confacre à la folitude.
Q
Uel fouffle célefte m'enflâme,
Et quelles foudaines horreurs !
Je fens renaître dans mon ame
Toutes les lyriques fureurs.
Loin de moi Parnaffe ftérile ,
Mufes , Phébus , troupe futile ,
Hypocrene , facré vallon ;
Aujourd'hui l'amitié m'inſpire ,
C'eſt elle qui monte ma lyre ,
Elle feule eft mon Appollon .
Ce n'eft point l'éclat , la naiffance,
Qui vous rendent plus fortuné :
L'homme fouvent dans l'opulence
Languit aux pleurs abandonné.
Voulez-vous , heureux fur la terre,
Eviter ces coups de tonnerre
Qui terraffent tant de mortels ?
Fuyez loin de la multitude .
Ce n'eſt que dans la folitude
Que le bonheur a fes Autels .
Telle qu'une rofe brillante
Au matin la reine des fleurs ,
JUIN. 19
1745 .
Que le midi voit languiſſante ,
Que le foir trouve fans couleurs ,
Tel qu'un fier torrent dans fa rage
En un inftant paffe & ravage
De Cérès les dons précieux ;
Tel encor qu'un éclair rapide ,
Précurfeur d'un foudre homicide ,
Naît & difparoît à nos yeux .
Telle on voit la gloire du monde ,
Dangereux & brillant écueil ,
En frivoles grandeurs féconde ,
Etaler fon fragile orgueil :
A fes partiſans redoutable ,
Toujours funefte , jamais ftable ,
Elle frappe , éclate , éblouit ,
Mais cet éclat , mais ce tonnerre
A peine a-t-il touché la terre ,
Dans les airs il s'évanouit .
Vous avez dès votre jeuneffe
C.... d'un oeil faftidieux
Vû la lueur enchantereffe
De ce monde contagieux ,
A fes attraits inacceffible ,
De la vertu pure & paiſible
Vous avez fuivi l'étendard ,
Et des plus folides maximes ,
Dans des lieux éloignés des crimes ,
20 MERCURE DE FRANCE.
ti
Vous vous êtes fait un rempart.
Là dans l'étude de vous-même
Loin des plaifirs tumultueux ,
Vous goûtez la douceur fuprême
D'un plaifir pur & vertueux :
Du port à l'abri des orages
Vous confiderez les naufrages
De tous ces orgueilleux nochers
Que le vent d'une erreur flateufe
Pouffe fur une mer trompeuſe ,
Et brife contre les rochers.
Partez , volez coeurs magnanimes
Cherchez la mort dans les hazards
Couronnez vos têtes fublimes
Des plus fanglans lauriers de Mars,
Par votre courage intrépide
Montrez- vous les rivaux d'Alcide ,
Mais au faîte de la fplendeur
Songez que la vertu fuprême
Eft de triompher de foi-même ;
Héros voilà votre grandeur .
e.... animé par la gloire ,
Eût pû fignaler fa fierté ,
Et fur les pas de la victoire
Courir à l'immortalité ,
Mais des foins plus philofophiques
Et des vertus pluspacifiques
JUIN. 21
1745.
Occupent fes heureux loiſirs ;
La paix , la probité profonde
Donnent , loin du fracas du monde ,
Moins d'éclat & plus de plaiſirs,
********* ****H****
LETTRE de M. Desforges- Maillard
à M. l'Abbé Berthelin au sujet du
Mercure de France,
E voici donc , Monfieur mon cher
MAbbé , confiné de nouveau dans le
fein de ma Patrie fur une Côte maritime
éloignée de plus de cent lieûcs de la capitale,
Je n'y fçaurois en verité pas un mot de ce
qui fe paffe fur le Parnaffe , le Pinde , l'Héli,
con & autres lieux dépendans de la Seigneurie
d'Apollon , fi Mercure , ce Meffager
des Dieux , qui veut bien fe prêter à rendre
fervice aux hommes , n'avoit la bonté de
m'en inftruire très fidélement tous les mois,
J'ai toujours préferé , Monfieur , notre
Mercure de France aux autres Nouvelliftes,
Les uns ne nous donnent tout uniment que
le recueil des Gazettes. Les autres ne s'atta
chent qu'à l'analyse des Auteurs & principa
lement des plus abftraits dont la lecture
eft fouvent ennuyeufe & rebutante
pour legros des lecteurs. Etre obligé de
>
22 MERCURE DE FRANCE.
ne remplir indiſtinctement un Journal tous
les mois , ou chaque femaine , que d'extraits
de Livres qui fe preffent d'éclore comme les
infectes après la rofée , c'eft être ſouvent
dans la néceffité de le farcir d'une infinité de
très mauvaiſes choſes . On ne donne pour l'ordinaire
fous le titre de livres nouveaux que
du fon où il ne refte plus de farine à force
d'être reffaffé ; & de vingt qui paroiffent
combien en trouve-t-on qui méritent d'être
feuilletés ? L'efprit eft abondant , le bon fens
eft rare. Telle eft la véritable origine de tant
de brochures pitoyables , de tant de petits
Romans où Seneque eft habillé en Arlequin ;
enfin de tant d'infolio qui ne font que le répertoire
eftropić , que le mélange mal cuit
de quantité de volumes d'une moindre
taille.
Le Mercure réuniffant tout ce que les
autres Journaux ont de plus précieux
& de plus exquis , renferme encore mille
chofes auffi agréables qu' tiles qui leur
manquent. Et par éxemple pour ce qui
me regarde , j'y trouve l'abregé inftru-
&tif & circonftancié de toutes les productions
de Melpomene , de Thalie & d'Euterpe
; de maniere que malgré la diſtance
du Croific à Paris je m'y tranfporte en un
trait de penſée , en état d'aplaudir & de blâmer,
comme fi j'affiftois effectivement aux
J.UIN. 1745. 23
repréſentations. D'ailleurs il fçait me trier
le bon dans les nouveaux ouvrages , &
m'épargne la fatigue de l'y chercher dans le
fatras effrayant du médiocre & du mauvais.
Sans ce fecours un homme de lettres que la
fituation de ſes affaires & la modicité de
fes revenus enchaînent dans fa Patrie avec peu
de livres pendant des deux ou trois ans , demeureroit
fort étonné à fon retour , & paroîtroit
aux autres comme un Automate
tombé des nuës dans la Ville de Paris.
Je pourrois m'étendre en détail fur tout ce
qui doit faire eftimer & rechercher le Journal
dont je parle. Je me contenterai de dire
que les lettres particulieres que ces Auteurs
reçoivent des Pays étrangers , les relations
de ce qui fe paffe de remarquable à la Cour ,
à Paris & dans toutes les Villes de l'Europe
& même par delà , les mémoires qui leur
font adreffés des differentes Académies &
dans lesquels , outre ce qui concerne la Littérature
fleurie , les Mathématiques & la
Médecine déployent leurs fecrets & leurs
expériences , qui font comme une nouvelle
école pour tous ceux qui exercent ces
profeffions dans les Provinces ; enfin je dirai
qu'on doit unanimement convenir que
toutes ces parties forment un recueil infiniment
curieux & très - digne d'être précieuſement
confervé.
24 MERCURE DE FRANCE.
J'ai toujours jugé , Monfieur , que le continuateur
de Théophrafte dans le bon mot
fi fouvent & fi mal à propos cité depuis ,
avoit eu deffein de lâcher une plaifanterie
plutôt que de dire une vérité. Au bout du
compte eft-ce que la fantaiſie d'un feul homme
doit captiver l'opinion publique & décider
contre le fentiment général ?
Feu M. de la Roque avoit de l'efprit , il
fçavoit ; & par conféquent étoit fort en état
de fe vanger quand on faifoit grêler fur fon
Journal le fel injurieux du farcafme & de la
raillerie outrée. Mais foit par timidité , foit
par raifon d'intérêt que je ne devine pas , il
demeuroit tanquam vetulus canis , morbo
languens, fenio effatus , & mufcarum plerumque
punitu , crabronumque interdum impetu ,
hinc & inde fimper inconcuffus , n'ayant été ,
à vrai dire , le plus fouvent attaqué que par
des Athletes de Lilliput. Il ne faut pas
qu'un Journaliſte foit trop mordant , mais il
lui convient au moins de laiffer entrevoir qu'il
n'eft point infenfible .
Je n'ai point intention de me déclarer
en cet endroit contre M. de Boiffy. Je m'imagine
que c'eſt par légereté & pour affaifoaner
quelque tirade qu'il trouvoit trop
fimple & trop nue dans fa nouvelle Coméde
, qu'il a trop à Ja hâte décoché fa pointe
contre le Mercure, Je fuis même preſque
für
JUIN. 1745. 25
far que dans fon ame il lui rend un différent
témoignage & furtout aux nouveaux Auteurs
de ce Recueil , qui pourvus de fcience
& de goût , conditions effentielles & néceffaires
pour affembler un Journal Litteraire
, fuffiroient eux feuls pour le remplir d'excellentes
pièces , n'y employant que celles
qu'ils font en état de compofer. Je regarde M.
de Boiffy comme un de nos meilleurs Comi->
ques. Je lui trouve beaucoup du génie du
célebre Ariſtophane , & fi l'on ofoit lui reprocher
quelque chofe , ce feroit peut-être
d'avoir trop d'efprit & d'en être trop prodigue.
J'ai entendu , mon cher Abbé , grand
nombre d'amateurs de l'Eloquence , de la
Poëfie & de l'Hiftoire , ſe plaindre qu'on entrelaflât
dans le Mercure des morceaux de
Mathématique, d'Antiquité, deJurifprudence
& de Chirurgie, fans faire reflexion que ceux
qiu fe livrent
par choix aux fciences
que je
viens de nommer en dernier lieu , & qui font
acquifition du Mercure comme eux , feroient
dans le cas de former reciproquement les
mêmes plaintes fur les morceaux d'Eloquence
, de Poëfie & d'Histoire qui s'y trouvent
inférés. Mais un homme de bon fens , & qui
entend les interêts du bel efprit , eft charmé
de rencontrer fans peine & fans dépenfe les
moyens d'éfleurer un peu de tout , afin de
B
26 MERCURE DE FRANCE,
n'être pas tranſporté comme dans un nou
veau monde , quand on s'entretient en fa
prefence de matieres dont il n'a point fait
fon étude. Le Mercure s'eft toujours foutenu
en dépit de fes adverfes parties , preuve
indubitable de fa valeur & de fon agrément,
Vous trouverez ce me femble, mon cher Abbé
, dans cette Fable allégorique le précis
de votre fentiment & du mien.
33 £3
LE FLEURIS TE ET LES CURIEUX.
PABLE.
N Fleuriste faifoit fon unique plaifir
U D'un
D'un Parterre enrichi des larmes de l'Aurore,
Embelli des regards de Cloris & du Flore
Mollement careffé des ailes du Zéphir.
Nombre de curieux s'en vinrent à la file
Vifiter les appas de ce riant azile ;
L'un dit , ôla charmante fleur !
L'autre , je ne vois pas fur quoi l'on fe récrie :
Qu'a-t-elle de fi beau ? Moi , j'aime la couleur
De celle- ci : moi , je hais fon odeur ,
Après quoi du Parterre on fuit la fimétrie.
C'étoit comme des fleurs ; encor ceci , cela .
Ici l'on admiroit , on défaprouvoit là.
L'un louoit legazon , l'autre la broderie .
L'un vouloitun triangle où l'on fait un quarré,
JUIN. 1745 .
Suivant l'autre , unovale eût bien mieux figure.
Le fleurifte attentif, jufqu'alors bouche cloſe ,
Leur dit , ainfi , Meffieurs ce qui ne plaît à l'un
Plait à l'autre ; & du bon tel eft le fort commun
De n'avoir rien en foi , quoique d'ailleurs on glofe,
Qui ne foit du goût de quelqu' un ,
Car qu'un tout compofé de diverſes parties
Faites par la Nature & par l'homme afforties ,
Puiffe à tous & partout plaire dans le détail ;
En quel tems en quel lieu fut-il jamais perfonne,
Quelque mérite qu'on lui donne ,
Dont un fuccès pareil couronna le travail ?
Je fouhaiterois , Monfieur , que l'immenfe
ouvrage qui dévore vos veilles , &
qui ne pouvoit gueres étre entrepris que par
vous qui poffedez l'Hébreu, le Grec & le Latin
comme votre Langue naturelle , fut en
état de paroître & d'être annoncé dans le
Mercure avec les juftes éloges dont il ne peut
manquer d'être digne . Adieu ; je terminerai
ma lettre comme Laodamie dans les Héroi
des d'Ovide ,
Sit tibi cura mei , fit tibi cura tui.
& parce qu'il n'eft pas d'ufage de fe nom
mer le premier en François , & qu'uuver
tout feul eft pour l'ordinaire en notre Lan
Bij
188
MERCURE DE FRANCE.
gue de la Profe autant que de la Poëfie , je
vous dirai ,
Soignez votre fanté , ce ſera par ma foi
Prendre foin de vous & de moi,
qui fuis avec les fentimens d'eftime & d'amitié
que vous me connoiffez , Monfieur ,
votre & c .
Au Croific ce 18 Mai 1745 .
T
LA SANTE'
ODE.
El qu'au retour de Zéphire
Sous le bélier gracieux ,
Tout s'embellit , tout refpire
Un calme délicieux :
Telle ô Santé floriffante ,
Amon ame languiffante
Tu rends la férénité.
Mon coeur enyvré de joye
Se ranime & fe déploye
Au fein de la volupté.
Dans mes yeux tu fais éclore
Un feu qu'éteignoient mes pleurs ;
JU.IN. 1745 .. 29
Mon tein fletri fe colore
Du doux vermillon des fleurs.
Dégagé d'un fuc perfide
Mon fang plus pur , moins rapide
Enfle & rougit fes canaux ,
Ainfi la fêve épurée
Gonfle une tige alterée ,
Et fait fleurir ſes rameaux .
Que la fortune m'agite
Dans les fauvages déferts
Ou du Numide , ou du Scythe ,
Je braverai fes revers .
Compagne de mes difgraces ,
Santé vole fur mes traces ,
Daigne avec moi t'exiler ;
Préfide feule à ma vie ;
Mes jours font dignes d'envie
Si ta main doit les filer.
Partout , aimable Déeffe ,
L'enjoûment naît fous tes pas ,
L'embonpoint & la jeuneſſe
Embelliffent tes appas .
La force active & conftante ,
La vivacité riante,
Sans ceffe fuivent ta Cour.
Le fommeil doux & tranquile
Se plaît dans l'heureux azile
B. iij
MERCURE DE FRANCE
Où tufixes ton féjour.
Sous un berceau de verdure
Tu vois de jeunes Amans
De l'innocente Nature
Suivre les doux mouvemens,
La divine Cithérée
De jeux , de ris entourée ,
Vient couronner leurs défirs.
Ailleurs en vain on foupire ;
Ce n'est que fous ton empire
Qu'elle eft mere des plaiſirs.
Tandis que dans leur cabane
Les Vendangeurs ſatisfaits ,
Du tendre époux d'Arianne
Te confacrent les bienfaits.
Tu vois luire fur l'arene
Des Athlétes hors d'haleine ,
Les corps fouples & nerveux ,
Leurs bras meurtris s'entrelaffen .
Ils fe preffent , ils fe laffent ,
Et ces combats font leurs jeux
Ainfi paffant leur jeuneſſe
Les mortels que tu chéris ,
Des glaces de la vieilleffe
Tu défends tes favoris.
Tels qu'aux premiers jours de l'âge ,
JUIN . 1745
3 %
Tu verfes fur leur viſage
Les plus riantes couleurs ,
Et quand leur vigueur fuccombe,
İls arrivent à la tombe
Par une route de fleurs .
Que fous des lambris coupables
Les mortels efféminés
Aiment à charger leurs tables
De poiſons affaifonnés .
Que fur le myrthe & la rofe
Un Sibarite repofe ;
Le luxe abrége leurs ans ;
Je me borne à la Nature ,
Une vie auftére & pure
Me prolonge tes préfens.
Toujours pleine de tendreſſe
Pour l'indigent vertueux ,
Tu fuis loifive molleffe
De l'opulent faftueux .
Le dégoût , l'intemperance ,
Triftes fruits de l'abondance
Te banniffent des cités ;
Le laboureur fous des hêtres
Se nourrit des mêts champêtres
Que tes mains ont aprêtés.
O vous , qui bravant fur l'onde
Les périls & les travaux ,
Biiij
32 MERCURE DE FRANCE
Allez dans un nouveau monde
Chercher des befoins nouveaux
Laiffez ces tréfors arides ,
Qui de nos defirs avides
N'éteignent point les ardeurs ,
Mais du plus lointain rivage
Apportez ceux dont l'uſage
Peut foulager nos douleurs.
A travers l'humide plaine
La fanté vole avec eux ;
Paifibles freres d'Heléne ,
Guidez leurs vaiffeaux heureux.
Que les vents leur obéiffent ;
Que les vagues s'applaniffent
Sous ce fardeau précieux !
Il eft après la fageffe ,
Notre plus douce richeffe
Et le plus beaux don des Cieux.
菜糕
"
COMMERCE de la Groenlande.
M
Onfieur Savary dans fon Dict. de
commerce avoue que la Groenlande
eft un Pays très inconnu , & qu'il n'a ni
beaucoup de marchandiſes , ni des habitans
bien propres au commerce , ainfi il n'en
JUIN. 33
1745 .
•
donne pas une longue deſcription ; c'eſt
pourquoi je crois qu'on verra ici avec plaifir
ce qu'on en apprend par deux nouveaux
Ouvrages en Danois & en Allemand de M.
Hans Egede , Miffionnaire Danois en
Groenlande , l'un imprimé en 1740 , &
l'autre en 1741 , que j'ai tiré du Journal
cité en marge.
M. Egede a vécu dans ce Pays quinze
années de fuite , & il mérite toute forte de
croyance par l'ingénuité qui paroît dans fes
Ecrits,
L'ancienne Groenlande eft une vafte partie
du continent de l'Amérique ; c'eft à elle
qu'elle appartient plutôt qu'à l'Europe , car
elle eft jointe à l'Amérique au- deflus du
78e. degré où elle forme la baye de Ba-
Alin des Anglois : du moins l'Auteur trouve
cette jonction probable par la reffemblance
des naturels de la Groenlande avec ceux de
la baye de Hudſon , & par l'élargiflement
des terres qui s'étendent à perte de vue vers
l'Oueft au- delà de l'Ile de Difco . Les cartes
de Molla & de l'le donnent la chofe
pour certaine. Elle s'avance vers le Sud ,
en allant en pointe à peu près comme l'Afri
que & fe termine 9e . degré au so minutes
par le Cap de Forewel , & piéfente
par cette pofition deux longues Côtes à la
Mer qui fe joignent au Sud,
R #
50
$4 MERCURE DE FRANCE .
La Côte Occidentale eft celle que l'Auteur
a parcouru depuis le 60e . degré jufqu'au
65. Les Mers qui la baignent au Sud
s'appellent le détroit de David , & plus au
Nord elle a la baye de Baflin .
La Côte Orientale quoique plus proche
de l'Iflande dont elle n'eft éloignée que de
quelques quarante milles , eft pourtant pref
que entierement inconnue. D'affreufes Ifles
de glaces la rendent innacceffible aux vaiffeaux
Européens ; on n'y peut venir que par
terre en partant de la Côte Occidentale ,
ou par mer en fe fervant de quelques canots
des Groenlandois qui fe hazardent au travers
des glaces à la faveur de la bonne faifon
, & qui réuffiffent quelquefois à y trouver
un paffage .
L'une & l'autre de ces Côtes a été habitée
par des colonies de Norwegiens que les
Groenlandois exterminerent entierement
lorfqu'ils ne recevoient plus de fecours, ce
qui fit oublier la Groenlande .
Martin Forbifther fous le regne d'Elifabeth
Reine d'Angleterre y alla par l'Oueſt , en découvrit
le Cap Meridional & donna des
noms à plufieurs bayes & à pluſieurs caps de
la Côte Occidentale ; il en remporta une
quantité de pierres remplies d'argent , à ce
qu'il dit dans fes mémoires , mais M. Egede
doute extrêmement de fa fincerité , n'ayant
JUIN. 1745. 35
trouvé en Groenlande ni mines d'argent ni
Princes ni Art , & Forbiſther dit avoir trouvé
tout cela .
Chriftiern IV. Roi de Dannemarck ne
vit pas fans jaloufie des étrangers qui venoient
lui enlever les domaines de fes prédecefleurs.
Il fit équiper en différens tems
quatre ou cinq petites efcadres pour retrouver
cette Province perduë. L'Amiral Godske
Lindenou y fut deux fois , il rapporta de
la mine d'argent , & du fable chargé d'or.
Frederic III. fit partir en 1654 un vaiffeau
commandé par le Capitaine Muller qui
y découvrit cette même riviere de Baal où
les Danois fe font établis de nos jours.
Chriſtiern V. y envoya un vaiſſeau en
1670 qui fut pris par les Dunkerquois. Les
Hollandois y aborderent de tems en tems
en allant à la pêche des baleines qui eft devenuë
fort abondante dans le détroit de David
, mais ils n'y firent ni découverte ni
établiffement.
On peut donc dire que la Groenlande a
été inconnuë jufqu'en 1721. M. Egede a
le mérite tout entier de la découverte , il a
de plus abandonné fa Cure , fa Patrie , il a
avancé le peu qu'il avoit pour une Miffion
dans un Pays inconnu , affreux , ſans richeſles,
fans plaifirs , & prefque entierement dépourvû
du néceſſaire ; il s'en eft remis pour
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
toutes ces difficultés à la Providence.
Nous allons voir à préfent ce que produit
ce Pays . Des bouleaux , mais qui ne viennent
jamais plus hauts que deux ou trois toifes
; des aulnes, des faules , ce font les arbres :
du cochlearia & du meilleur , c'eft une manne
, parce qu'il fournit un reméde affûré
contre le fcorbut . De l'angélique , de la tormentille
, une demie douzaine d'autres herbes
, voici les plantes , encore ne viennentelles
que jufqu'au 65e . degré ; plus avant
vers le Nord , l'herbe même n'eft plus qu'une
marchandiſe étrangere que les Groenlandois
font obligés d'acheter pour en garnir leurs
bottes ; le bled n'a jamais voulu venir à bien
fous le 64e degré , il n'y a eu que les choux eú
& les raves qui ayent réuffi , car il ne peut
venir dans ce Pays que les plantes dont la
graine meurit dans deux mois au plus après
la femaille , & qui dans cet Eté fi court peuvent
fupporter les vents les plus rudes & les
froids les plus vifs .
Dans un Pays fi ingrat on ne vit que de la
chair de baleine , de poiffon, du lard des veaux
marins & des gigots de rennes , mais ceux-ci
font rares , coriaces ; c'eft de ces viandes dont
vivent uniquement les Groenlandois . Ils ne
connciffent ni pain ni légumes , ni fruits ni
-lait , ni le fel meme . Ils vont chercher les rennes
parmi des rochers couverts de glace , ou
JUIN. 1745 . 37
pourfuivre les poiffons fur une mer toujours
à demi - gelée & très orageufe , car il n'y a
point d'autres reffources : la terre qui nous
eft fi liberale eft de fer pour eux.
Les minéraux ne font pas plus communs ,
& les pierres d'or & d'argent ne fe font plus
retrouvées depuis Lindenou , & Forbither.
Il y a pourtant du verd de gris , de la mine de
plomb , du fer & une terre jaune tirant fur
le cinabre , qui à la verité ne donne point
de métal , mais qui eft , de quelque utilité
pour la Peinture , il y a encore des criftaux
de Lafbefte , & des eaux minerales chaudes
d'un goût pénétrant qui peut -être feroient
utiles aux malades , s'il y avoit une Medecine
dans ce Pays - là.
Les animaux y font rares , il n'y a que
des rennes , des chevreuils blancs ou gris ,
des lievres blancs , des chiens auffi indolens
& auffi ftupides en leurs genres que leurs
maîtres. il n'y manque pas d'oifeaux
qui ont la voix fort belle ; c'eft un privilége
du Nord , car fous la Zone torride
les oifeaux font parfaitement beaux , mais ils
n'ont qu'une voix très défagréable.
La mer eft mieux peuplée que la terre .
Il y a des baleines de plufieurs fortes , des
narwals , des cachillots , plufieurs efpeces de
veaux marins , des faumons ; enfin c'eſt elle
qui nourrit les hommes au défaut de la
terre.
38 MERCURE DE FRANCE.
Les Groenlandois tout nonchalants qu'ils
font ne manquent pas d'induftrie pour profiter
de l'abondance de leurs mers ; ils entreprennent
hardiment les baleines & les tuent
à coup de lance quoiqu'ils n'ayent que des
canots pour Navires. Ils s'en font de plus
petits de peaux ; on en a dans les cabinets ,
un homme y entre , les enfle & va rouler fur
les ondes ; en riant de leur fureur , elles ont
beau renverser ce chetif bâtiment , un coup
d'aviron les remet en équilibre.
C'eſt la voiture des hommes , ils ne rament
jamais dans les grands canots , il n'y
a pas affés de danger ou d'habileté à cela,
& les femmes en font chargées. Ils font marcher
leur petits canots d'une vitefle extrême ,
jufqu'à faire douze milles par jour : c'eſt là
dedans qu'ils vont chercher les veaux marins
; il eft vrai qu'ils ont beaucoup d'autres
induſtries pour les prendre. Tantôt ils fe
traînent à terre pour les furprendre dans
quelques trous de glace , tantôt ils les entourrent
de perits lacs où ils les prennent
avec des filets pour les achever fur la glace,
tantôt ils s'avancent fur un efpece de trepié
mobile éviter de faire du bruit , fürs
de lancer la bête dès quelle montre le bout
du nez. La néceffité rend induſtrieux ; il
n'eſt point de peuple qui ne fçache fe procurer
dequoi vivre , quelque ftupide qu'il
foit en toute autre choſe.
pour
JUIN. 1745. 39
Je ne fuis entré dans ce détail fur les veaux
marins que parce que M. Savary dans ſon
Dict . de commerce n'indique point dans
quel endroit des mers glaciales on va à leur
chaffe , & qu'il n'explique pas fi bien qu'ici
la maniere dont on les prend , il dit d'ail
leurs que les pêcheurs ont obfervé que les
parages qui font remplis de ces veaux ne
valent rien pour la pêche de la baleine ; ces
• obfervations fans doute ne font pas juftes ,
puifque c'eft dans ce Pays que s'en fait la
grande pêche , mais comme les veaux marins
vivent fur terre & fur mer , ils viennent
apparemment fe promener fur mer
lorfqu'ils ne craignent pas d'être dévoréséspar
les baleines. Au refte les Groenlandois n'habitent
qu'au bord de la mer , l'interieur des
terres n'eft que glace , & il n'y vont que pour
aller à la chaffe des rennes.
pour-
Le commerce de Groenlande n'eſt
tant pas à mépriſer , M. Egede le prefere
à celui de l'iflande. On en rapporte des
peaux de veaux marins & de rennes du
morfil , du narvval & de la baleine .
Les Danois animés par notre auteur ont
érigé trois comptoirs fur la Côte Occidenta
le , le plus au Nord eft a 69 degrés , l'autre à
Nepifet , & le plus au Sud , qui porte le
nom de l'Esperance à 64. M. Egede recommande
fort à fa Nation d'en placer à
40 MERCURE DE FRANCE
la Côte Orientale par les 62 ou 63 de latitude
, & d'y former des Colonies : les mers
Orientales n'étant pas fort navigables , il n'y
a pas
de contrebande a craindre, au lieu qu'à
l'Oueft les étrangers enlevent aux Danois le
plus clair du profit.
·
Nous n'entrons point ici dans ce que l'Auteur
nous apprend touchant la Religion ,
les moeurs & la maniere de vivre des Groenlandois.
On feroit très bien de traduire fon
ouvrage dans une Langue plus commune
que l'Allemand , pour fatisfaire la curioſité
de ceux qui voudroient étre mieux inftruits
de ce Pays fi peu connu .
蓉蓉
EPITRE à M. le Comte d'Argenfon
Miniftre & Secretaire d'Etat.
Dans un ennuyeux verbiage
Articulant tout & nommant
Parme , Prague , Dettingue & le canon Flamand ,
On ne fait point ici l'ordinaire étalage
Des fervices , des ans , des voeux & de l'hommage
Du très ruiné fuppliant :
Ses titres les plus fûrs font dans la bienfaiſance
De ce génie heureux , ce Miniftre eſtimé ,
JUIN.
1745.
Né pour faire aimer la puiſſance
Du Maître dont il eft aimé .
Quel bienfait briguons- nous ? Quelle eft notre
efperance ?
Eft- ce quelqu'un de ces objets
De fortune ou de confiance ,
Où fe portent tous les projets
Des vieux Gendarmes de la France ,
Et dont tant de Majors , d'éternelle préſence
Compofent leurs pefants placets
Et les ennuis de l'audience ?
Non , ce n'eft point en vérité
Un emploi de cette excellence
Qui par nous eft follicité ;
C'eft un pofte ( on l'avoue en toute humilité
A qui perfonne ici ne penſe ;
Un vieux donjon , un roc , un antre inhabité ¿
Sans demandeurs , fans concurrence
Sans arfenal , fans conféquence ,
Sans canons, & fans vanité
C'est la fuperiorité
D'une maigre Communauté
D'Invalides prefque en enfance ,
Qui montent la garde , je penfe ,
Beaucoup moins pour la fûreté
D'une place où la Paix , le fommeil , le filence
Refident à couvert de toute hoſtilité ,
Que pour épouvanter par les fons lamentables
42
MERCURE DE FRANCE.
D'un tambour enroué de toute éternité ,
Les graves chathuants dont la poſtérité
Voudroit leur difputer leurs grabats & leurs tables;
Ou pour bannir du creux de ces fombres ormeaux
Abri de leur gazette & de leur triſte vie,
Les corneilles & les corbeaux
Qui pourroient quelque jour manger lacompagnie
Et fe méprendre à l'air , à la mine flétrie
De ces cadavres de Héros ,
Enfin pour en parler avec plus d'évidence
Et non moins de prolixité ,
C'eft la très-mince Lieutenance
D'un Fort d'affés peu d'importance ,
Qui ne fera jamais bloqué ,
Mais dont le Grenadier qui s'offre à fa défenſe
Rendroit bon compte au Roi, fi contre l'appad
rence
Il étoit un jour attaqué ,
Et juftifiroit bien le choix & la prudence
Du Miniftre chéri qui l'auroit colloqué
Sur cette chetive éminence ;
Encor voulons-nous moins que cette jouiſſance
Par ce mémoire préſenté ,
Ce n'eft pour le moment qu'un titre fans féance
Un bien qui n'aura d'éxiſtence
D'actuelle réalité
Que dans notre reconnoiffance ,
Jufqu'à l'inftant qu'il plaife au Maître Souverain
JUIN. 48 1745.
Detappeller à lui l'ame du Châtelain
Dont nous briguons la furvivanee¿
Mais comme ce vieux Paladin ,
Quoique gouteux octogénaire ,
S'aime beaucoup dans fa taniere
Et n'aima jamais fon prochain ;
Que fçait-on , helas ! le vieux reître,
Très-choyé , très-foigneux des reftes de fon être
Eternel dans fes baſtions ,
Empaqueté , fourré le nez fur les tifons
Entre fon Major & fon Prêtre ,
Sesvieux contes de garnifon ,
Et fes pipes & fes marons
Helas ! enterrera peut-être
Celui pour qui nous demandons .
Dieu lui faffe toute autre grace
Si dans ce jour nous obtenons
Un Coadjuteur de ſa place ;
Et quand il aura tout compté
Sur Hofchftet & fur Ramillies
Tout ce qu'on eût mieux fait , ce qu'on eût ema
porté
De gloire , d'immortalité
Et de perruques ennemies ,
S'il avoit été confulté ;
Quand il aura bien exalté
Les antiques chevaleries ,
Des Marêchaux défunts dépeint les effigies ,
44 MERCURE DE FRANCE
1
La moustache & l'austérité ,
Bien rabâché , bien regretté
Ses campagnes & fes orgies ,
Des fiéges ou peut-être il n'a jamais été ,
Des belles dont fans doute il n'a jamais tâté :
Enfin quand le bon homme aura bien repeté
Les ennuieufes litanies
Dú tems paffé , feul tems par lui toujours vanté ,
Après qu'il aura joint à cette Kirielle
Ce que dans fa baraque if compte faire un jour,
Ses projets affés longs pour la vie éternelle,
Les mémoires qu'il doit prefenter à la Cour
Et qu'à fonordinaire il aura dit fans ceffe
» Mon pont levis , ma garnifon,
»Mon Aumônier , ma fortereffe ,
» Le Roi mon Maître , mon canon .
Tout cela dit & fait en deux ans qu'on lui donne
"
Par bienféance ou par aumône ,
Dieu veuille rappeler dans l'éternel do rtoir
Le peu d'efprit qu'il peut lui voir ,
Et moitié marmotant fa courte patenotre
Moitié fur fa goute jurant
Nous l'endormir Chrétiennement
Et le clore hermétiquement
Pour fon bonheur & pour le nôtre !
Si la rage du bruit & d'un frivole honneur ,
Chimere des vivans , dans les demeures fombres
Tient auffi des vieux preux les férieufes ombres ,
JUIN. 45 1745 .
Il peut être affûré que fon cher fucceffeur ,
Plus jaloux qu'un parent d'orner fes funérailles
Lui fera dreffer de grand coeur
Toute la pompe des batailles ,
Que pour mieux décorer fon convoi , fon tombeau ,
On empruntera de la Ville
Ce qui peut manquer au Chateau,
Prêtre , Soldats , poudre , bedeau ,
Et tout le funébre uftencile,
Que vers fon dernier domicile
Toute les Croix de S. Louis
Qui vegétent dans le Pays ,
L'accompagneront a la file .
Que tous les vieux fufils ce jour là fortiront
De leur rouille & de leur pouffiere ,
Et , s'ils le peuvent tireront ,
Pour annoncer au loin fa marche funeraire :
2
Que fon large écuffon , fa croix , fon cimeterre,
Le catafalque honoreront ;
Et qu'enfin au ſein de la terre
Ses Reliques ne defcendront
Quavec les honneurs de la guerre .
46 MERCURE DE FRANCE.
REMARQUE Critique fur la date
precife du Concile de Sens de 134 cité
par le P. Texte Dominicain , dans le
Mercure fecond de Novembre 1744 pag,
20. లో 22.
C
Omme il paroît que le R. P. Texte
s'eft rendu aux remarques qu'on lui a
envoyées par le canal du Mercure touchant
l'établiffement de l'Angelus, & qu'il convient
dans celui de Novembre 1744 que ce n'eſt
pas Louis V I. qui a ordonne qu'on le fonnât
& qu'on le récitât à midi , ainſi qu'il l'avoit
affûré fur la foi du Dict . de Trevoux
( où l'Imprimeur a mis Louis VI. au lieu de
Louis XI . c'eſt à dire un V, pour un X, ) je ne
puis que louer la bonne foi avec laquelle
agit ce très R. P. Plufieurs perfonnes qui
connuiffent fon caractére , efperent qu'il en
fera de même à l'égard de Hennuyer , qu'il
a foutenu très- mal- à -propos avoir été Dominicain
, & que s'il n'adoucit pas ce qu'il
a dit de trop fort fur ce fujet , en publiant
quelque écrit qui faffe connoître fon heureux
changement au public , au moins s'acquit
tera de ce devoir de vive voix.
Ce qui me fait aujourdui mettre la main
à la plume c'eſt que je vois que le P. Texte
JUIN. 1745° 47
eft embarraflé fur la date d'un Concile de
Sens , tenu à Paris par Guillaume de Melun .
Pour le coup le P. Texte n'a ofé décider ,
il fe contente de propofer la difficulté , & il
paroît difpofé à s'en rapporter aux fçavans
Bénédictins continuateurs du Gallia
Chriftiana. Il infinue modeftement que la da
te de ce Concile lui paroit d'un grand poids ,
& il a en cela raiſon.
Mais en attendant que les P. P. Benedictins
donnent au public le tome de la Province
de Sens ) qu'ils n'ont peut-être pas encore
commencé) il eft utile pour l'Hiftoire Eccléfiaftique
d'examiner cette date .
Les actes de ce Concile ( qui font aux archives
de l'Archevêché de Sens , ) le fixent à
un Mercredi 14 Mars 1346 , après le Dimanche
latare.
Celui qui a fait des notes fur la feconde
édition du fpicilege de Dacheri , dit que
cette date ne peut fubfifter , parce qu'en
346 ce Dimanche Latare étoit le 30
Mars & il reforme cette date & la place
en 1350 , où ce Dimanche étoit le 11
Mars à ce qu'il dit.
de
Il eft furprenant que cet annotateur, ( d'ailleurs
très habile homme , ) n'ait pas pris gar
que dans ce tems là on commençoit l'année
à Pâques en France , & qu'ainfi ce qu'on
appelloit alors l'année 1346 , étoit 1347 .
felon la maniere de fupputer proleptique ou
48 MERCURE DE FRANCE
anticipée qui eft en ufage actuellement parmitous
les Chronologues .
Or cette année 1347 la lettre dominicale
fut G , indiction 15 , Pâques fut le 1er,
Avril , parconféquent le Dimanche Latare
tomba le 11 Mars , & ainfi le 14 Mars fut
un Mercredi felon la date du Concile qu'on
ne peut point foupçonner de la moindre
erreur .
Mais il eft rifible que cet annotateur après
avoir bronché fi lourdement en une chofe fi
claire ait faitun fecond anachoroniſme encore
plus ridicule dans la fuite , car il ajoute que
le Dimanche Latare fut le 11 Mars en
1350 , ce qui eft abfurde , car puiſque G
étoit la lettre Dominicale en 1347 F , E ,
pour lettres dominicales en 1348 , on eut
Den 1349 , & C en 1350 , & par conféquent
en cette année le 11 Mars ne peut
tomber un Dimanche , mais un Jeudi. Je
claiffe à d'autres le foin d'examiner quelle a pû
être la caufe ou l'occafion d'une mépriſe
fi groffiere , mais cela nous montre qu'il faut
fe fervir de fes yeux & ne pas s'en rappor
ter aveuglément même aux plus habiles.
J'ajoute pour finir cette petite difcuffion ,
le même annotateur a eu tort de dire que
Guillaume de Melun n'étoit pas encore Archevêque
de Sens en 1346 , car Philippe
on prédeceffeur immédiat étoit mort le 7
que
Avril
JUIN. 1745. 49
Avril 1345 après Pâques qui arriva cette
année le 27 Mars , & on a aux archives
de Sens un acte de Guillaume de Melun du
mois d'Octobre 1346 , ce qui precede le
Concile en queftion celebré au mois de
Mars 1347 , que l'on comptoit alors 1346
à l'ancienne maniere , ou comme l'on dit
vulgairement felon l'ancien ſtyle,
A Paris ce 24 Fevrier 1745.
REPONSE de M. des Forges- Maillard
à l'Epitre deM.de la Soriniere, inferée dans
le er, vol, du Mercure de Fevrier.
E
St-ce , cher Soriniere , à la pâle liqueur
Dont à tous tes repas tu bois à pleine taſſe
Que tu dois tes beaux vers qui coulant avec grace ,
Sont animés du feu vainqueur ?
Tu nous trompes , confrere , & cette eau claire
& faine ,
Dont les flots petillants circulent dans ton coeur
Vient à la Soriniere en filtrant fous l'arêne
Des cantons renommés où jaillit l'hypocréne.
Mais ne t'en vante pas ; ton ſecret étant ſçû
Aviliroit le don que nous avons reçu
Du nourriffon du vieux Silene ,
Qui fait de ton Pays le meilleur revenu .
jo MERCURE DE FRANCE,
Cependant la chofe eft certaine
Que fi l'on étoit prevenu
Que les eaux d'Helicon percent dans ton domaine,
Far leur vogue ton bien feroit en peu groffi ,
Chacun en preférant la liqueur fouveraine
A celle qu'on vend à Paffi .
Ami, je fuis touché de tes doctes fuffrages ,
D'autant qu'ils ne font pas lâchement mandiés ,
N'étant connu de toi que par quelques ouvrages
Que ma Mufe a verſifiés
Sous deux noms tour à tour , fur ces triſtes rivages
Où le fort me ramene & cherche à m'arrêter .
J'y voudrois amuſer mon loifir fédentaire ;
Peu de livres nouveaux ont dequoi fatisfaire
Mon goût, que ne peuvent flater
Les vains colifichets , le Phébus plagiaire ;
J'aime malgré Perrault , Virgile , Horace , Ho
mere ,
Et mon petit pupître en eft toujours paré,
Quand mon archet eft préparé
A jouer fur ma lyre une chanſon légére ,
Ces lieux où des neuf Soeurs la Langue eft étrane
gere ,
Où Neptune , Dircé , Portumne , Ino , Doris
Sont les Déités qu'on révére ,
N'offrant point à mes voeux ce qu'on trouve à
Paris ,
Un Titon délicat , un clairvoyant Voltaire ,
JUIN. 1745 . 5 B
A qui fur mes écrits j'aille me confulter ,
Mon caprice eft le Dieu qui me vient affiſter,
Et ne devant qu'à moi les vers que je puis faire ,
Je n'ai que mon plaifir pour but & pour falaire.
Mais fçais-tu que ta main par un coup furprenant
Traça mon caractére en peignant mon génie ?
Vrai , naturel , indépendant ,
( Triple & contraire obftacle au bonheur de ma
vie )
Au menfonge impudent ma langue fe dénie .
Toujours même fans fard & conftant dans fa foi ,
L'amour qui m'infpira des vers pour ma maîtreffe ,
Sur un ton plus fublime élevant ma tendreffe ,
N'a que changé d'objet quand j'ai loué mon Roi ,
Au Croific ce 5. Mai 1745
LETTRE
D'un Médecin fur la contagion qui régne
parmi les beftiaux.
L
A maladie qui régne parmi les vaches a
tous les fignes d'une fiévre inflammatoire.
Dans les cadavres que nous avons fait ou
vrir nous avons trouvé preſque toutes les parties
enflammées & même gangrenées , les
yeines remplies d'un fang noir & diffous
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
les quatre eftomacs gorgés de nourriture non
digérée,
Les animaux attaqués ont les oreilles &
les cornes froides , l'oeil morne , la tête baiffée
; ils tremblent , ils pleurent , leur nez
coule , leur lait tarit , ils ne mangent plus ,
ils ont le dévoyement & la fiévre.
On peut aisément connoître la fiévre , il
faut pour cela pofer la main gauche entre
la jambe gauche de devant & le poitrail ,
on fentira le battement du coeur : il doit en
état de fanté battre 45 ou 48 fois en une minute;
s'il y a plus grand nombre de pulfations
on peut affurer qu'il y a fiévre. La maladie
de fa nature eft terrible ; c'eſt une efpece
de pefte qui devient incurable fi l'on
ne fçait pas y rémedier de bonne heure.
Mais les vachers ignorent le commencement
de la maladie ; ils ne jugent leurs beſtiaux
malades que lorfqu'ils ceffent de manger :
cependant nous fçavons par expérience
qu'ils mangent encore long- tems après qu'ils
font attaqués.
Voici les fignes du commencement de
la maladie .
10. Les vaches ne ruminent pas , c'eſt-àdire
en terme de vacher , ne grugent pas
leur avoine,
2º. Leurs excrémens ne font pas en même
quantité ni en méme qualité , il y en a plus
JUIN. 1745 . $$
ou moins , ils font trop durs , trop mols ou
trop fluides.
30.
. Les vaches font triſtes.
40. Elles ne mangent pas avec la même vivacité
.
50. Elles refpirent difficilement ou bien
elles touffent.
Dès qu'on s'apperçoit d'un feul de ces
fymptômes il faut fans perdre de tems féparer
la bête d'avec fes compagnes , lui retrancher
la moitié de la nourriture ordinaire
lui donner de l'eau blanche pour boiffon
des lavemens avec la même eau blanche , &
lui faire tirer quatre pintes de fang en deux
fois de fix en fix heures , & lui faire un cautére
actuel avec le fer rouge au poitrail. On
fera trois ou quatre trous dans lefquels on
mettra une racine d'hellebore blanc qu'on
changera de 24 heures en 24 heures. On
aura foin de frotter la partie avec le fuppuratif.
S'il arrive un dépôt & qu'il fuppure
bien , la bête malade guérira.
LE LION ET LA CHEVRE,
U
FABLE.
N jour fa majefté Lionne
Vit une Chevre affés mignonne
Ciij
34 MERCURE DE FRANCE
Qui broutoit au haut d'un rocher :
En faire un bon repas c'étoit bien ſon envie ,
Mais il s'agiffoit d'approcher ;
Il voulut tenter la partie ,
Croyant être bientôt grimpé.
Ce fût en vain , le roc étoit trop escarpé.
Voyant donc qu'il perdoit fa peine
Il lui tint ce difcours :
Que ne defcends-tu dans la plaine ,
Petite Chevre, mes amours ,
Tu trouverois en abondance
Dequoi remplir ta pance ,
Du thin , des faules verds ;
Quitte ces lieux fecs & ftériles ,
Et viens dans ces plaines fertiles ;
C'eft le plus beau canton de l'univers .
Je t'entends , lui dit-elle , & je te remercie ,
Je ne veux point aller dans la prairie ,
Je me trouve bien où je fuis .
Méfiez-vous de ces donneurs d'avis .
Tout ce qu'ils font , à les entendre ,
Ce n'est que pour vos intérêts ,
Mais ne vous y laiffez pas prendre ,
Ils ont d'autres motifs fecrets ,
Et vous connoîtrez de plus près
Qu'ils ne cherchent qu'à vous furprendre.
JUIN. $745 .
55
LE SAPIN ET LE BUISSON. BUISSON.
FABLE.
P
Rès d'un petit Buiffon s'élevoit un fapin ,
Le plus beau des fapins qui fut dans le village t
Ne pouvant fouffrir ſon voiſin
Il lui faifoit toujours quelque nouvel outrage.
Je fuis , lui difoit-il , le plus beau du canton :
Regarde ma hauteur , la force de mon tronc ;
Je fers dans toutes les Provinces
A bâtir les Palaisdes Seigneurs & des Princes ,
C'eft avec moi qu'on fait les mâts des grands vaif
feaux .
Pour toi, pauvre buiffon, quel eft ton héritage ?
A quoi peuvent fervir de trop vils arbriffeaux ,
Qui commetoi ne font d'aucun uſage ?
Il est bienvrai , dit l'autre avec douceur
Que je n'i point la hauteur en partage ;
Mais c m'eft un grand avantage ,
Je le fais , & cette hauteur
Que tu nous vintes tant eft cauſe du malheur
Qui depuis fi bng - tems pourfuit ta deſtinée ;
Peut-ête avant la fin de la journée
Tu veras un vieux bucheron
T'abttre à grands coups de coignée ;
Au liu que moi, pauvre buiffon ,
Ciiij
38 MERCURE DE FRANCE
Je ne fouffre aucune torture ;
Je vis ensûreté dans ma condition ;
Il eſt vrai qu'elle eſt plus obfcure .
Ce ne font point les biens , les dégrés , les honneurs,
Qi doivent flater notre envie ;
Un état moins brillant eft exemt des douleurs
Dont toute fortune eft fuivie .
****
OBSERVATION
Sur quelques anciens Evêques d'Evreux .
J'ai avancé dans un Ecrit communiqué à
un habile homme , & qui aura pû paffer
jufqu'à vous , que le défaut de facre dans plufieurs
Evêques élûs étoit caufe qu'on ne les
trouvoit point dans les andens catalogues
de ces Eglifes , parce que lufage étoit de
n'admettre dans ces liftes que des Evêques
facrés , & j'ai ajouté que ceft à quoi les
Hiftoriens des Eglifes
particuleres n'ont pas
toujours fait attention. Je n'ai pas voulu alors
apporter aucun exemple de cette inadver
tance des Ecrivains modernes , de crainte
d'allonger mon Ecrit qui étoit déja trop étendu
: mais je me propofe de vousciter aujour
d'hu l'exemple de M. le Braffur dans fon -
Hiftoire Eccléfiaftique & Civie d'Evreux.
JUIN. 1745. 57
Cet Ecrivain , pag. 151 , a inferé un Richard
& un Vautier entre Rotrou Evêque d'Evreux
qui fut transferé fur le Siége de Rouen,
& Gilles.
Je remarquerai d'abord en paffant qu'il
eft affés mal- fondé à dire que ce dernier
étoit de la Maifon des Comtes du Perche
je croirois qu'il étoit plus vraisemblablement
de celle d'Amiens , puifqu'il étoit neveu
de Hugues d'Amiens Archevêque de Rouen.
Mais le point où j'en veux venir eft que les
deux Evêq. Richard & Vautier me paroiffent
mal - à - propos introduits dans le nouveau
Catalogue des Evêques d'Evreux entre Rotrou
& Gilles.
La premiere raiſon qui me le prouve eſt
que dans un Catalogue de ces Evêques fait
du tems de ceGilles même il eft placé immédiatement
après Rotrou : ce Catalogue eſt
dans un manufcrit de la Bibliothéque Colbert
, cotte 3969. Richard donc & Vautier
ne s'y trouvant point ne peuvent paffer tout
au plus que pour des Evêques élûs qui ne furent
point facrés.
Mais pour dire plus vrai , le prétendu
Richard n'eft dans le fond autre que l'Evêque
Rotrou , dont le nom ayant été feulement
écrit
par la premiere lettre R. ( ce qui
étoit alors fort ordinaire ) aura été mal rempli
par celui de Richard qui fe fera d'abord
CY
58 MERCURE DE FRANCE.
préſenté à l'efprit d'un Copifte ignorant.
Ce qui le prouve eft que M. le Braffeur ne
l'a tiré que d'une très- mauvaiſe copie d'une
donation faite à l'Abbaye de Saint Jean de
Falaife. Elle eft datée de l'an 1162 , & a pour
témoins les Evêques Philippe de Bayeux ,
Lytaffe de Lyfieux . ( c'étoit alors Arnoul qui
occupoit le Siége de cette Eglife) Girard Evêque
de Séez, lequel étoit mort dès l'an 1157,
Richard de Coutances avec le prétendu Richard
d'Evreux . Comme cet acte eft fort
fufpect , ou du moins fa copie , je fuis porté
à croire que le Richard de Coutances pourroit
bien avoir fait naître fous la plume du
'Copiſte le Richard d'Evreux .
Une autre raifon qui appuye ma penſée
eft que Robert du Mont fur l'an 1163 , parle
de Rotrou comme étant encore alors Evê .
que d'Evreux , & ne le fait paffer qu'en
1165 à l'Eglife de Rouen , dont le Siége vacquoit
feulement depuis le 10 Nov. 1 164 ,jour
de la mort de l'Archevêque Hugues d'Amiens.
Les raifons fur lefquelles on fonde l'exiftence
de Vautier fur le Siége d'Evreux avant
l'Evêque Gilles , ne font pas non plus hors
d'atteinte. On dit que ce Vautier a été témoin
d'une donation faite au Prieuré du
Mont aux malades à Rouen en 1 166. Mais
l'Hiftorien de la ville de Rouen , tome 3 ,
page 186 , affürant que cet acte eft fans
JUIN. 1745. 59
date , quel fond peut- on faire deffus ? Cependant
fi dans l'original fon nom fe trouve
& que cet original ne foit point fufpect , ily
a moyen d'admettre cet Eveque en ne le qualifiant
que d'Evêque élû pour le Siége d'Evreux.
Car pour ce qui eft de l'objection
qu'on me feroit de la néceffité qu'il y a eu
que le Siége de cette même Eglife fut rempli
alors par quelqu'un , Gilles n'y ayant été
placé qu'en 1170 , cinq ans après que Rotrou
l'eût quitté , je n'en ferois pas frappé.
Il eft certain que Henri II. Roi d'Angleterre
& Duc de Normandie qui vouloit fe
rendre maître des élections des Evêques ,
laiffoit fouvent vacquer long - tems les Eglifes
, comme Saint Thomas de Cantorbery
l'obſerve dans une de fes lettres , & qu'en
particulier il jouit pendant huit ans de l'Evêché
de Lincolne où il fit élire enfuite
Geoffroi fon fils naturel qui le garda encore
fept ans fans être facré , après quoi ce Siége
fut rempli par le célébre Gaut er depuis Archevêque
de Rouen , ainfi qu'on l'apprend
de Raoul de Dicet. Une autre preuve de ces
longues vacances de Siége fe tire d'une lettre
du Pape Luce IHI. (a) qui ordonnant en
1184 au Chapitre de Rouen , le Siége Archiépiſcopal
vacant , de faire facrer Guillaume
Doyen de Bayeux élú Eveque de Cou
(a) Thefaur. Anecd. Martenne , tom. 3. p. 987.
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
tances , ajoute que ce dernier Siége vac
quoit depuis fix ans , quoique néanmoins l'élection
de Guillaume eût été faite dès l'an
1182 felon Robert du Mont,
S
STANCE S.
I vous voulez que j'aime encore ,
Rendez -moi l'âge des amours
Au crepufcule de mes jours
Réjoignez , s'il fe peut , l'aurore.
Des beaux lieux où le dieu du vin
Avec l'amour tient fon empire
Le tems qui me prend par
M'avertit que je me retire .
Laiffons à la belle jeuneffe
Ses folâtres emportemens ,
la main
momens " Nous ne vivons que deux
Qu'il en foit un pour la fageffe .
Quoi ! pour toujours vous me fuyez
Tendreffe , illufion , folie ,
Dons du ciel qui me confoliés
Des amertumes de la vie !
"
"
On meurt deux fois, je le vois bien :
Ceffer d'aimer & d'ê re aimable ,
C'estune mort infupportable ;
H
JUIN. 1745.
Ceffer de vivre ce n'est rien .
Ainfi je déplorois la perte
Des erreurs de mes premiers ans
Et mon ame aux défirs ouverte
Regrettoit fes égaremens .
"
Du ciel alors daignant defcendre ,
L'amitié vint à mon fecours :
Elle étoit peut-être auffi tendre ,
Mais moins vive que les amours,
Touché de fa beauté nouvelle
Et de fa lumiere éclairé ,
Je la fuivis , mais je pleurai
De ne pouvoir plus fuivre qu'elle .
ODE AU ROI ,
Sur la Victoire remportée par Sa Majeſté lø
II Mai 1745.
OI , qui fais marcher fur tes traces
ΤίLes craintes , les pleurs , les revers ,
Qui ris des mortelles difgraces
Où ta main plonge l'Univers :
Jufqu'à quand , difcorde effrénée,
Nos
yeux fur la terre tonnée
Verront-ils flotter tes drapeaux ?
MERCURE DE FRANCE,
Les Rois armés pour fe détruire
Ne fe laiffent-ils plus conduire
Qu'à la lueur de tes flambeaux ?
NON : les Dieux à nos voeux propices
Ont mis fur le Trône François
Un Prince , objet de nos délices ,
Inflexible aux fons de ta voix .
Ennemi juré de tes brigues ,
Jamais il ne prit part aux ligues
Que fomentent tes favoris ,
Et
pour
l'honneur de fa couronne 1
S'il prend les armes de Bellone ,
C'eft fur les Autels de Thémis .
FUI , Monftre ; au fond du noir Tartare
Rentre pour n'en jamais fortir :
Des fers que LOUIS te prépare
Rien ne peut plus te garantir.
Attentif au bonheur du monde ,
Son tonnerre aujourd'hui ne gronde
t'écrafer fans retour :
Comment réfifter à la foudre ,
Que pour
Par qui tu l'as vû mettre en poudre
Menin , Furnes , Ipres & Fribourg ?
MAIS je parle en vain ; la cruelle
Raffemble encor fes Bataillons ;
Encor de vaftes champs par elle
Sont couverts de leurs pavillons.
JUIN
. 1745.
Approchez Nations guerrieres ,
LOUISdéja furos frontieres ,
Aux murs de Tournay vous attend ;
Plus vous affronterez l'orage ,
Plus l'excès de votre courage
Rendra fon triomphe éclatant.
C'EN eft fait : ô fpectacle horrible !
Où fuis-je ? & qu'eft-ce que je voi !
Ce que Mars a de plus terrible
Se montre aux champs de Fontenoy.
Les rangs fe forment , s'épaiffiffent ;
Mille bouches d'ai ain vomiffent
La mort , le trouble , la terreur ,
Et l'ennemi vers nous s'élance ,
Moins enfoldat plein de vaillance
Qu'en lion rempli de fureur.
LONG- TEM 5 la Victoire incertaine
Vole de l'un à l'autre Camp ;
La valeur du François l'entraîne ,
L'ardeur de l'Anglois la fufpend ;
Lorfqu'avec cet air qui l'enchante ,
LOUIS à fes yeux ſe préfente ,
Et foudain fon vol eft fixé :
Auprès de ce nouvel Alcide
Elle s'arrête , fe décide ,
Et rougit d'avoir balancé.
Au milieu du bruit & des armes
84 MERCURE DE FRANCE.
Tranquille , exent de tout effroi ,
Quel eft ce Prince plein de charmes
Qui marche à côté de mon Roi ?
Metrompé-je , & puis-je le croire ?
Cher DAUPHIN , quoi ! déjala gloire
T'a conduit parmi nos guerriers ?
Dans l'âge encor des jeux , des graces ,
Les fleurs qui naiffent fur tes traces
Déja ſe changent en lauriers ?
MAIS tandis que je confidere
L'intrépidité de LOUIS ,
Que je vois la valeur du pere
Paffer jufques au coeur du fils ,
Que font tout-à- coup de venues
Tant de Cohortes accouruës
Pour triompher de leur vainqueur ?
Digne prix de leur violence ,
La nuit , les bois & le filence
Cachent leur fuite & leur douleur,
Oqu'une Victoire fi belle
Promet de triomphes nouveaux !
Tournay , le fier Tournay chancelle ,
Prêt à céder à ce Héros .
Sûr de cette illuftre conquête ,
Il y vole , rien ne l'arrête ;
Ses défenfeurs fent aux abois :
Laffés de faire réſiſtance ,
Ils fuccombent , & fa préſence
JUIN. 1745.
A rendu tous les coeurs François.
QU'IL vive ce Prince intrépide ,
L'honneur , l'ornement de nos jours !
Que de fon immortelle Egide
Minerve le couvre toujours !
Héros d'autant plus redoutable ,
Qu'une juftice inviolable
Dicte feule tous fes projets ,
Qu'il lance à regret le tonnerre ,
Et porte aux horreurs de la guerre
Un coeur plein d'ardeur pour la paix .
L'ABBE PORTES Chinune de Tuons
86 MERCURE DE FRANCE.
$
Illuftriffimo Burgundici Senatus Principi
Joanni Berbifeio , Magiftratum abdicanti.
NTIS.
OTIUM SAPIENTIS .
O D E.
QUATER beatus , recta qui docilis fequi ,
Jam flore ab ævi primulo ,
Pati affuevit lene virtutis jugum ,
Arctam per officii viam !
Non cultor olim fordidi cupidinis ,
Aut impotentis aleæ ,
Faftu vetuftæ deteret gentis decus ,
In ære dives non fuo ;
Opefve avitas prodigo turpis nepos
Dabit vorandas luxui.
Non fortuito coelum & humanas volet
Res impetu fortis regi.
Ergo ferena non videt folem magis
Lucere in æthra fplendidum
Quàm providentis omnibus mentem Dei
Præeffe mundo , vindicem
Fandi ac nefandi . Proinde , ceu natus patrem ,
Amore fincero colet.
Aft illi , honoris obfes æterni , decor
JUIN. 1745 .
89
LE REPOS DU SAGE .
EPITRE
A M. de Berbifey Premier Préfident du Par♣
lement de Bourgogne, fur fá demiffion.
H Eureux qui dès l'enfance épris de la fageffe
Forme fur fes leçons fa premiere jeuneffe ,
Et qui maître dès-lors de fes naiffans défirs ,
A l'austere devoir borne tous fes plaifirs !
Dans un âge plus mûr un interêt fordide
N'en fera point un coeur injuftement avide.
N'apprehendez jamais qu'il riſque en furieux
Sur trois dez incertains les fonds de fes ayeux.
On ne le verra point outrageant leur mémoire ,
Par de honteux excès flécrir fa propre gloire ,
Ou d'un illuftre nom follement entêté ,
Cacher le bien d'autrui fous un fafte emprunté.
Vous ne l'entendrez point contre l'Etre fuprême
D'une bouche infolente exhaler le blaſphême ,
Ni d'un ton ſcandaleux prétendre en efprit fort
Qu'ici-bas & là-haut tout roule au gré du fort .
Pour lui l'aftre du jour n'a pas plus d'évidence ,
Que n'en a d'un Dieu bon l'aimable providence .
Cet arbitre du monde , il le voit dans les Cieux ,
Jufte vengeur du Jufte opprimé fous fes yeux.
•
68 MERCURE DE FRANCE;
Summi viciffim defluct
Ab Patris aulâ, Munda fulgebit domus ,
Florens amicis , nobili
Modefta cultu ; pauperes unde in cafas
Benigna roret copia ;
Et jura cives , atque fanctorum petant
Exempla morum : qualibus
Factis paratum fama nomen livida
Oblivioni fubtrahet
Edacis ævi : nullus à lingua vapor
Calumniante , vel nigro
A dente morfus lædet : ac poftquam utilis
Ætas labori , ductabis
Octona jam per luftra , honoratæ affere
Vacationis commodum ,
Themis petitam vix dabit , talem fuis
Non paffa facris er pi
Foroque Myften , quem trifacli Neftoria
( Ni fata Parcarum vetent )
Ultra ire metas ampla pofcat Divio ,
. Et ipfe Succeffor velit .
Hæc , BERBISEIE , faufta nunc te fors habet
Dulci vacantem in otio
Deo , tibique ; patriæ impenfi hactenus
Merces laboris : alteram
Summus , fruendam fine non ullo , alterum
Myften. Ulpianus aliquem laudat , qui Judices as
peritos juris appellaverat Juftitiæ Sacerdotes , Myftas y
Amiftites.
JUIN. 1745.
Auffi l'aimera -t'il comme un fils aime un Pere,
Senfible de fa part à fon amour fincere ,
Ce Dieu du haut du Ciel le faiſant profpérer ,
Lui montrera les biens qu'il en doit eſpérer .
Loin du fafte impofant de la magnificence
Tout brillera chés lui d'une noble élégance ;
Une foule d'amis affortis à fon coeur
Fera de fa maifon le charme & la fplendeur,
Là douce charité foulageant l'indigence
Fera pleuvoir de - là fon or en abondance.
Là tous les Citoyens réunis d'intérêts
Apprendront l'art de vivre en Citoyens parfaits .
Tant de traits bienfaifans , fûrs garants de fa gloire,
Feront après la mort revivre ſa mémoire .
La mordante fatyre aux malignes vapeurs
Ne flétrira jamais ni fon nom ni ſes moeurs .
Quand de fes longs travaux , de ſes utiles veilles
Seize luftres complets auront vû les merveilles ,
Il voudra loin du bruit jouir d'un calme heureux
Mais Themis aura peine à ſe rendre à ſes voeux.
Jufqu'à fon Succeffeur , tout avec la Patrie
Conjurera le Ciel de prolonger fa vie :
Que la Parque pour lui , dira - t-on , file encor ,
Qu'elle ajoute à fes ans les fiécles de Neftor !
A ces traits , BERBISEJ , reconnois le vrai ſage ;
Pour moi dans ce portrait j'admire ton image.
La fageffe en vos coeurs formant les mêmes voeux
Dans un commun deftin vous réunit tous deux,
o MERCURE DE FRANCE,
Refervat in fæclum arbiter.
Hac te fenectus fpe vigentem roborat ,
Statuque fervat integro .
Hinc fanus ifte , corporis fani comes
Altorque , vivax fpiritus
Tranquillitate vegetat expertâ probis ,
Cafti parente gaudii .
Illam ut capeffant hi voluptatum affeclæ
Scitas tot artes advocent ,
Quot feu Lyæus , five Comus fuggerit ;
Et vel Cythera navigent ,
Sybarive cives ftertere , aut madida ambiant *
Noctis fodales in Papho.
Curæ fequuntur , & timorum maximus ,
Horror minacis ingruit
Ubique leti . Lurido mæftæ faces
Odore fumant ; utraque
Clarè audiendis intùs auris tunditur
Vigil querelis . Atria
Penitùs filefcant ; aut morantes Orpheus
Et voce mollem in culcitam
Et blandiente devocet fomnos lyrâ ;
Fruftra vocatos auferet
Commota pernix ala ; ceu timidas procul
Vifo columbas milvio.
* Magni voluptatum artifices Cytherii , Sybarita, Pas
'phii : cretræ apud eos commeffationes , & vino madentium
nocturnafodalitia.Ejufmodi bomines bonus Auder
aiebat ftertere vitam totam , non vivere.
JUIN . 1745 .
71
Tout à Dieu , tout à toi , tu goutes par avance
De tes travaux publics la jufte récompenfe,
Attendant que le Ciel par d'immortels plaifirs
Couronne tes vertus & fixe tes défirs .
·
C'eft par ce noble eſpoir que ta haute ſageſſe
Semble à chaque moment rajeunir ta vieilleffe ,
Et dans un calme heure x fupérieur aux fens
T'offre des plaifirs purs ignorés des méchans.
Que ces hommes de chair & courbés vers la terre ,
Conduits par le plaifir volent juſqu'à Cythere ,
Et qu'au gré de Bacchus ils courent ſur ſes flots ,
Tantôt à Sybaris , & tantôt à Paphos ;
Pour contenter leur voeux il faut qu'il leur en coute :
Mais trouvent-ils le calme au terme de leur route ?
Hélas ! les noirs chagrins qui marchent ſur leurs pas,
Empoifonnent leurs ris , & troublent leurs répas ,
Le funefte flambeau d'une mort menaçante
De fa pâle lueur les glace d'épouvante.
Ce ſpectre inceffamment ſe preſente à leurs yeux ,
Et fa lugubre voix les effraye en tous lieux.
Morphée aux doux accens de la divine lyre
Ne quitte point pour eux fon indolent empire .
Le filence profond des plus fombres réduits
Ne fçauroit diffiper leurs fatiguans ennuis .
De leur tendre duvet dédaignant la molleffe
Le fommeil invité s'envole avec viteffe ,
Tel qu'au cri du faucon le timide faiſan ,
Qu la foible colombe à l'afpect du milan,
3.
2 MERCURE DE FRANCE,
Si lætus inter regiæ menfas dapis
Quondam refedit Damocles :
Efto quietus , impia ferrum fuper
Cervice cui pendet ; nigris
Infefta pennis monftra quem circum fremunt,
Surdoque cædunt verbere
Furiæ fequaces : confcio claufas finu
Has ultor in ſe concitat .
Futgatne tandem , perditus dum fe fugit
Horrens ad afpectum ſui ?
Tu , feu futura profpicis , cælo probæ
Benignitati præmium
Spectas repoftum ; proximâ tangis manu .
Jam difcolorejudicem
Prope intueris arduum nimbo , ultima
Quijura dicat gentibus
Toto citatis orbe . Quàm lætæ piis
Vocesfonabunt auribus !
Adefte , Patris regia en vobis patet ;
Regnate mecum , pauperem ,
Victûs egentem , fqualidum qui me uberi
Foviftis indulgentiâ .
Hæc , quæ per umbrás efficax monftrat fideș
Certi miniitra luminis ,
Ut cogitata liberam mentem juvant ,
Longo folutam tædio
Tumultuantis litibus raucis fori !
Quid ifta ? Rex magnus favet;
Ce
JUIN.
1745 .
73
Ce Courtifan flateur que la fortune abuſe ,
A beauvanter la gloire & l'or de Syracufe ,
Penfes tu , Berbifey , qu'affis près de fon Roi
Il puiffe s'aplaudir en paliffant d'éfroi ?
Au milieu des apprêts d'une ſuperbe fête
Damocle voit briller le glaive fur ſa tête ;
Alors fon coeur en proie à de cruels tyrans
Sent de tous ſes forfaits les remords dévorans.
Eſt-il heureux ? L'eft - il en fa terreur panique,
Quand il fe fuit lui- même , ainfi qu'un frénétique ,
Ou dans l'accès fubit d'une aveugle fureur ,
Quand lui- même , à lui-même eft un objet d'horreur
?
Loin de tous ces méchans qu'un faux bonheur en◄
chante ,
Tu jouis , Berbiſey , du vrai bien qui contente.
L'avenir où l'impie apperçoit fon malheur ,
N'offre rien à tes yeux qui ne plaiſe à ton coeur.
Tu vois le Dieu des Dieux , qui promet & qui
donne
Au tendre ami du pauvre une riche Couronne.
L'avenir eft préfent à l'ardeur de ta foi ,
Et ce bonheur futur déja femble être à toi.
Oui , déja tu le vois porté fur un nuage ,
CeJuge des humains , à qui tout rend hommage,
Tu le vois revêtu d'éclat & de fplendeur ,
Et le feu dans fes yeux imprimant la terreur.
Seul grand en ce grand jour il juge, il recompenfe ,
D
74 MERCURE DE FRANCE.
Tam jufti & æqui Rex amans , quantùm fuis
Amatus ipfe. Gallici
Supremus ille juris interpres , Themis
Sub ore mortali abdita ,
Dignis Catone laudibus dignum æftimat .
Te magna Patrum Curia ,
Cuftos Senatus integer degum , Toga
Te nobilis frequentia ,
Votis retentant , profequuntur honoribus ;
Te pauperum ddeennffii greges.
Fugaci adheret abdicata Dignitas ,
Nec deferentem deferit.
Jam quanta fervant nominis famam inclyti
Monimenta ? Quamquam non putas
Hanc effe tanti , vivet extento diu
Superftes ævo . Debitus
Honor Latinis dum manebit litteris ,
Godraniis dum credita
Plenis agentur facra Mufarum atriis ,
Statas recurret per vices
Trieteris ufque Berbifeia , laureis,
Citans juventutem novis.
Ter ampla plaude , Divio : prifcæ tuis
Artes vigebunt civibus .
Gaude viciffim civium & patriæ bono ,
Felicis auctor muneris.
Trieteris . Pramix Berbiftiens in Collegio Divio-
· “Godalnio k.jiribuuntar omni træeunio , feu trieteride.
JUIN 75
1
.
1745.
Et venge au même inftant, le crime & l'inno
cence .
Tu l'entends prononcer d'immuables Arrêts ,
Et décider du fort des Rois & des Sujets.
Mais tandis que l'impie à l'aſpect de la foudre
Prête à tomber fur lui fans le réduire en poudre ,
Appelle en fremiffant l'impitoyable mort ,
Des juftes à ces mots quel eft le doux tranf
port !
Venez , enfans cheris du plus tendre des peres;
Dans tous les malheureux , mes membres & vos
freres
J'étois le Dieu caché que vous montroit la foi . r #10946 2 *.
En faisant tout pour eux Vous fites tout pour moi .
Le Ciel s'ouvre , entrez-y , goûtez- y Dieu luimême
,
Partagez avec moi l'éclat du Diadême.
Couronnés de mes mains , habitez ce Palais
D'où les pleurs & l'ennui font bannis à jamais.
Voilà ce la foi te montre fous le voile , que
Attendant que le Ciel à tes yeux le dévoile.
Qu'il t'eft doux; Berbifey, loin du bruyant Barreau,
De voir de ton bonheur ce raviffant Tableau !
Mais ne goûtes-tu pas mille autres avantages ,
Qui font de ta vertu d'évidens témoignages ?
LOUIS , de fes fujets l'amour & le bonheur ,
A côté de Thémis t'a placé dans fon coeur.
Ce Miniftre éclairé, dont l'éloquence entraîne ,
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Illis recrefcet ufque foboles latior ,
Et tota nafcetur tibi .
Dicamne amicos , nota quos probitas bene
Virtufque conjunxit pares ?
Libet fub altis confidentes ædibus ,
Turbâ clientum liberis ;
Tractare quidquid fana mens fari probat ,
Cautifque rerum convenit
* Vantufianum mox repubefcet nemus ;
Jam terra vernam parturit
Amoenitatem rure fundendam tuo.
Libebit ire floreas
SNOW SU
Nunc germinantum fubter umbras arborum
Nunc fecta per divortia
2
9
Ridentis horti : mobiles auræ ftrepent
Vitam ingerentes pectori.
Nitefce , felix horte , delicias hero
ཀིཾརཱ མ ཙ
Nova novafque compara.
Quò vertet ora , quòque greffus , hinc & hinc
Se læta monftret fauftitas .
Vitam omnis halet area : jocofo alites
! ?
Vitam canore nuntient
Vitam falubris fpiret aurarum cohors
Suavi madentem nectare :
Vitam omnis arbos , omnis & ros mitibus
Pomis & herbis conferat.
Vitam propaget tamdiu vitæ dator ,
Vantufia, Berbifeiana villa in vicinia Divionis .
JUIN. 1745 . 77
( On croit que c'eft Thémis fous une forme humaine
)
Pour tracer ton portrait fous un illuſtre nóm ,
Va chercher jufqu'à Rome , & t'égale à Caton.
Le Sénat fi long tems témoin de ta fageffe ,
Au repos qui t'apelle oppofe fa tendreffe ,
Et malgré fon ardenr , cédant à tes efforts ,
Te retient par fes voeux dans fon augufte Corps.
Au nom de Berbifey , dont retentit la Ville ,
On entend s'écrier la veuve & le pupille :
Qui pourra remplacer ce fage Magiftrat ,
Le protecteur du Pauvre & l'honneur de l'Etat !
Ainfi ta dignité te reftant toute entiere ,
Dans un obfcur loifir t'inveftit de lumiére .
Le mépris que tu fais d'un glorieux Emploi
Force la gloire même à s'attacher à toi.
Mais que de monuments , que de témoins illuftres
Vont pour toi dépofer à des fiécles de luftres !
Malgré ta modeftie , au gré de tous nos voeux
Tu vivras , Berbiſey , chés nos derniers neveux .
Tant qu'ici les Godrands, cesty
Mécènes ,
Feront fleurir la Langue & de Rome & d'Athênes,
On verra des neuf Soeurs les jeunes nourriffons
Ranimés au combat au bout de trois moiffons.
On les verra pouffés par une noble gloire
Célébrer à l'envi ton zéle & ta mémoire ,
Et jaloux de tes prix , courir , nouveaux Guerriers,
Se couronner le front de tes nouveaux lauriers .
D iij
78 MERCURE DE FRANCE .
Quàm vota pofcunt civica !
Soles reducat candidos omnis dies ,
Et concolores moribus ,
Brevi revifas Marchianum fofpitem !
Tuâ decorus infulâ
Tibi ut redibit gratus ! aura Regii
Dignus favoris , & gradu
Primate vifus in fenatu maximo ,
Quòd antè fit vifus tibi!
FRANC. OUDIN S. J.
JUIN.
1745. 79
·
Qu'à jamais par les arts cette Ville annoblie
S'applaudiffe en difant qu'elle fut ta Patrie !
Que tous les citoyens racontent tes bienfaits.
Toi même applaudis - toi des biens que tu leur fais .
Jufqu'aux derniers neveux , chacun dès fa naiſſance
Te devra le tribut de fa reconnoiffance.
Quoique nés pour Dijon , en lui gardant la foi ,
Tous feront moins à lui , qu'ils ne feront à toi.
Peindrai -je tes amis , qui d'une main fidelle
Furent par la vertu formés fur ton modéle? -
Dépofant à propos le grave Magiftrat ,
Tu goûtes avec eux un plaifir délicat.
Dans un réduit tranquille on agit fans contrainte ,
On parle librement , & fans art & fans feinte :
Mais dans la liberté de difcourir de tout
On voit la probité réunie au bon goût.
Toujours égal à toi , la vertu, t'accompagne .
Des plaifirs de la Ville à ceux de la Campagne.
Vantoux va rajeunir , & pour charmer tes fens ,
Te prépare déja les honneurs du Printems .
Alors on te verra dans ce charmant boccage ,
Tantôt prendre le frais fou un naiffant feuillage ,
Et tantôt ranimé par un zephir badin ,
Parcourir les fentiers de ton riant jardin .
Que fans ceffe à tes yeux fa beauté le déploye .
Que le chant des oifeaux contribue à ta joye !
Que l'air pur & ferain pour toi faffe en ces lieux
* Dijon.
Diiij
80 MERCURE DE FRANCE.
Ce que la fable à feint du doux nectar des Dieux !
Quedes fleurs & des fruits la fertile abondance ,
En furpaffant tes voeux , trompe ton eſpérance.
Daigne l'auteur de tout , multipliant tes jours ,
Au gré des Citoyens en prolonger le cours!
Qu'unjour au jour fuivant préparant la carriere ,
D'un Soleil toujours pur ramène la lumiere !
Que toujours le Soleil plus pur en fa fplendeur
Nous ramène des jours auffi purs que con coeur!
Que la Marche à nos voeux enfin vienne ſe rendre.
Quel doux charme pour toi de revoir & d'entendre!
Ce digne Succeffeur , dont le plus grand des Rois
A prouvé la fageffe en approuvant ton choix !
JUIN. 1745. 81
LA
BATAILLE
DE FONTENOY .
POEM E.
Sixiéme Edition , confidérablement augmentée ,
conforme à la ſeptiéme faite à Lille.
AU ROI ,
SIRE ,
Je n'avois ofé dédier à Votre Majesté les
premiers effais de cet Ouvrage. Je craignois
furtout de déplaire au plus modefte des Vainqueurs
, mais , SIRE , ce n'est point ici un
panegyrique , c'est une peinture fidelle d'une
partie de la journée la plus glorieufe depuis la
bataille de Bovines. Ce font les fentimens de la
France , quoiqu'à peine exprimés ; c'est un Poëme
fans exageration , & de grandes vérités
fans mélange de fiction , ni de flaterie. Le nom
de Votre Majeft ferapaffer cette faible efquife
Dr
}
82 MERCURE DE FRANCE.
à la postérité, comme un monument authentique
de tant de belles actions faites en votre préfence
à l'exemple des vôtres.
Daignez , SIRE , ajouter à la bonté que
Votre Majefté a eû de permettre cet hommage
celle d'agréer les profonds refpects d'un de vos
Sujets , & du plus zélé de vos Admirateurs.
VOLTAIRE.
DISCOURS PRE'LIMINAIRE.
C
E Poëme fut compofé prefque le même
jour qu'on apprit à Paris la victoire
que le Roi avoit remportée à FONTENOY ;
& depuis on ajouta plufieurs traits à la Piece
à mesure qu'on fçavoit quelque circonftance
de ce grand événement , & qu'on faifoit
une nouvelle édition de l'Ouvrage. La rapidité
avec laquelle tant d'éditions furent
épuifées à Paris & dans les Provinces en
moins de quinze jours , n'eft qu'un témoignage
de l'intérêt qu'a pris la Nation à la
journée mémorable dont ce Poëme étoit
alors le feul monument. L'Auteur n'a eu en
vûë que de rendre fidélement ce qui étoit
venu à fa connoiffance , & fon feul regret
JUIN. 1745 . 83
eſt de n'avoir pû dans un fi court eſpace de
tems , & dans une piece de fi peu d'étenduë
, celébrer toutes les belles actions dont
il a depuis entendu parler , il ne pouvoit
dire tout , mais au moins tout ce qu'il a dit
eft vrai . Ce n'étoit pas une occafion où les
faits euffent befoin d'étre altérés ; la moindre
flaterie eût deshonoré un ouvrage fondé
fur la gloire du Roi & de la Nation .
Tous ceux qui font nommés n'ont pas eu
les occafions de fe fignaler également. Celui
qui à la tête de fon Régiment attendoit
l'ordre de marcher , n'a pu rendre le même
fervice qu'un Lieutenant Général qui étoit à
portée de confeiller de fondre fur la colomne
Angloife , & qui partit pour la charger avec
la Maiſon du Ro . Mais fi la grande action
de l'un merite d'être rapportée , le courage
impatient de l'autre ne doit pas être oublié.
Tel eft loué en général fur få valeur , tel autre
fur un fervice rendu . On a parlé des bleffures
des uns , on a déploré la mort des autres.
Ce fut une juftice que rendit le célébre
M. Defpreaux à ceux qui avoient été de l'expédition
du paffage du Rhin. Il cite pres
de vingt noms , il y en a ici plus de foixante ;
& on en trouveroit quatre fois dava stage fila
nature de l'ouvrage le comportoit.
il feroit bien étrange qu'il eur été permis
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
à Homere , à Virgile , au Taffe , de décrire
les bleffures de mille Guerriers imaginaires
& qu'il ne le fut pas de parler des Héros véritables
qui viennent de prodiguer leur fang,
& parmi lefquels il y en a plufieurs avec qui
l'Auteur avoit eu l'honneur de vivre , & qui
lui ont laiffé de finceres regrets.
L'attention fcrupuleufe qu'on a apportée
dans cette édition doit fervir de garant de
tous les faits qui font énoncés dans le Poëme
& dans les Remarques. Il n'en eft aucun qui
ne doive étre cher à la nation , & à toutes
les familles qu'ils regardent. En effet , qui
n'eft touché fenfiblement en lifant le nom de
fon fils , de fon frere ,d'un parent cher , d'un
ami tué ou bleffé , ou expofé dans cette Bataille
qui fera célébre à jamais ; en lifant , disje
,, ce nom dans un ouvrage , qui tout foible
qu'il eft a été honoré plus d'une fois des
regards du Monarque , & que Sa Majeſté
n'a permis qu'il lui fût dédié que parce qu'Elle
a oublié fon éloge en faveur de celui des
Officiers qui ont combattu & vaincu fous
fes ordres?
C'eſt donc moins en Poëte qu'en bon Citoyen
qu'on a travaillé. On n'a point cru
devoir orner ce Poëme de longues fictions ,
furtout dans la premiere chaleur du Public ,
& dans un tems où l'Europe n'étoit occupée
que des détails intéreffans de cette victoire
JUIN. 1745 .
84
importante
achetée par tant de fang.
La fiction peut orner un fujet ou moins,
grand , ou moins intéreffant , ou qui placé
plus loin de nous , laiffe l'efprit plus tranquille.
Ainfi , lorfque Defpreaux s'égaya dans fa
deſcription du paffage du Rhin , c'étoit trois
mois après l'action , & cette action toute brillante
qu'elle fut , n'eſt à comparer ni pour
l'importance
, ni pour le danger , à une Bataille
rangée gagnée fur un ennemi habile ,
intrépide , & fupérieur en nombre , par un
Roi expofé ainfi que fon fils , pendant qua- tre heures au feu de l'artillerie.
Ce n'eft qu'après s'être laiffé emporter aux
premiers mouvemens de zéle , après s'être
attaché uniquement à louer ceux qui ont f
bien fervi la Patrie dans ce grand jour ,
qu'on s'eft permis d'inférer dans le Poëme un
peu de ces fictions qui affoibliroient un tel
fujet fi on vouloit les prodiguer.
On peut deux mille ans après la guerre
de Troye faire apporter par Venus à Enée
des armes que Vulcain a forgées , & qui rendent
ce Héros invulnérable ; on peut lui faire
rendre ſon épée par une Divinité pour la
plonger dans le fein de fon ennemi. Tout le
Confeil des Dieux peut s'affembler , tout
l'Enfer peut fe déchaîner ; Alecton peut enyvrer
tous les efprits des venins de fa rage ,
mais ni notre fiècle , ni un événement fi ré86
MERCURE DE FRANCE .
cent , ni un ouvrage fi court , ne permettent
gueres ces peintures devenuës les lieux communs
de la Poëfie. Il faut pardonner à un
Citoyen pénétré de faire parler fon coeur
plus que fon imagination , & l'Auteur avoue
qu'il s'eft plus attendri en difant :
Tu meurs , jeune Craon ; que le ciel moins fevere
Veille fur les deftins de ton généreux frere !
que s'il avoit évoqué les Euménides pour faire
éter la vie à un jeune Guerrier aimable.
Il faut des Divinités dans un Poëme épique
, & furtout quand il s'agit de Héros fabuleux.
Mais ici le vrai Jupiter , le vrai
Mars , c'eſt un Roi tranquille dans le plus
grand danger , & qui hazarde fa vie pour un
peuple dont il eft le pere. C'eſt lui , c'eſt fon
fils , ce font ceux qui ont vaincu fous lui , &
non Junon & Juturne qu'on a voulu & qu'on
a dû peindre. D'ailleurs le petit nombre de
ceux qui connoiffent notre Poëfie fçavent
qu'il eft bien plus aifé d'intéreffer le Ciel ,
les Enfers & la Terre à une Bataille que de
faire reconnoître & de diftinguer par des
images propres & fenfibles , des Carabiniers
qui ont de gros fufils rayés , des Grenadiers
, des Dragons qui combattent à pied
& à cheval , de parler de retranchemens faits
à la hâte , d'ennemis qui s'avancent en colomne
, d'exprimer enfin ce qu'on n'a gueres
dit encore en Vers.
JUIN. 1745 .
87
On a dû fpécifier les differens Corps qui ont
combattu , leurs armes , leur pofition , l'endroit
où ils ont attaqué ; dire que la colomne
Angloiſe a pénétré , exprimer comment
elle a été enfoncée par la Maifon du Roi ,
les Carabiniers , la Gendarmerie , le Régiment
de Normandie , &c. Si on n'étoit pas
entré dans ces détails dont le fond eft fi héroïque
, & qui font cependant fi difficiles à
rendre , rien ne diftingueroit la Bataille de
Fontenoy d'avec celle deTolbiac. Defpréaux
dans le paffage du Rhin a dit :
Revel les fuit de près , fous ce Chef redouté
Marche des Cuiraffiers l'efcadron indompté.
On a peint ici les Carabiniers au lieu de
les appeller par leur nnoomm,, qui convient encore
moins aux Vers que celui de Cuiraffiers
. On a même mieux aimé dans cette derniere
édition caractériſer les fonctions de l'Etat
Major que de mettre en Vers les noms
des Officiers de ce Corps qui ont été bleffés
, & ces noms ont été reportés dans les
Notes .
Cependant on a ofé appeller la Maifon du
Roi par fon nom fans fe fervir d'aucune autre
image.Ce nom de Maifon du Roi qui contient
tant de Corps invincibles , imprime une affés
grande idée fans qu'il foit befoin d'autre figure.
Mais il y a encore une autre raiſon de
88 MERCURE DE FRANCE.
l'avoir nommée , c'eſt la rapidité de l'action,
Louis , fon Fils , l'Etat , l'Europe eft en vos mins.
Maifon du Roi marchez , &c .
Si on avoit dit la Maifon du Roi marche , cette
expreffion eût été profaïque & languiffante.
On n'a pas voulu s'écarter un moment
dans cet ouvrage de la gravité du fujet . Def
préaux , il eft vrai , en traitant le paffage du
Rhin dans le goût de quelques - unes de fes
Epitres , a joint le plaifant à l'héroïque ; car
après avoir dit :
Un bruit s'épand qu'Enguien & Condé font paffés ,
Condé, dont le feul nom fait tomber les murailles,
Force les Efcadrons & gagne les Batailles ,
Enguien , de fon hymen, le feul & digne fruit , &c.
Il s'exprime enfuite ainfi :
Bientôt.... Mais Vurts s'oppose à l'ardeur qui m'anime
;
Finiffons il eft tems , auffi- bien , fi la rime
Alloit mal-à-propos m'engager dans Arneim ,
Je n'en fçais, pour fortir , de porte qu'Hildesheim .
Les perfonnes qui ont parû fouhaiter qu'on
employât dans le récit de la victoire de Fontenoy
quelques traits de ce ftile familier de
Boileau , n'ont pas , ce me femble , affés diftingué
les lieux & les tems , & n'ont pas fait
La difference qu'il faut faire entre une Epitre
JUIN. 1745. 89
& un ouvrage d'un ton plus férieux & plus fevere.
On n'en dira pas davantage fur ce qui regarde
l'art & le goût à la tête d'un ouvrage ,
où il s'agit des plus grands intérêts , & qui
ne doit remplir l'efprit que de la gloire du
Roi & du bonheur de la Patrie.
おお
LA BATAILLE DE FONTENOY ,
Q
РОЁМЕ .
Uoi ! du fiécle paffé le fameux fatyrique
Aura fait retentir la trompettehéroïque ,
Aura chanté du Rhin les bords enfanglantés ,
Ses défenfeurs mourans , fes flots épouvantés ,
Son Dieu même en fureur effrayé du paffage ,
Cédant à nos ayeux fon onde & fon rivage ?
Et vous , quand votre Roi dans des plaines de fang
Voit la mort devant lui voler de rang en rang ;
Tandis que de Tournay foudroyant les murailles ,
Il fufpend les affauts pour courir aux batailles ,
Quand des bras de l'himen s'avançant au trépas ,
Son Fils , fon digne Fils fuit de fi près ſes pas ;
Vous,heureux par fes loix,& grands par fa vaillance,
Français , vous garderiez un indigne filence ?
Venez le contempler aux champs de Fontenoy ;
90 MERCURE DE FRANCE.
Voyez ce fier Saxon qu'on croit né fous fa loi ,
Maurice qui touchant à l'infernale rive ,
A rappellé pour lui fon ame fugitive ,
Et qui demande à Mars dont il a la valeur ,
De vivre encore un jour & d'expirer vainqueur.
Confervez , jufte Cieux , fes hautes deſtinées ;
Pour LOUIS & pour nous prolongez fes années.
Déja de la tranchée ( 1 ) Harcourt eft accouru ,,
Tout pofte eft affigné , tout danger eft prévu ;
Noailles ( 2 ) pour fon Roi plein d'un amour fidéle ,
Voit la France en fon Maître & ne regarde qu'elle.
Ce fang de tant de Rois , ce fang du Grand Condé,
D'Eu, (3 ) par quides Français le tonnerre eft guidé,
Penthievre , ( 4 ) dont le zéle avoit devancé l'âge ,
Qui déja vers le Mein fignala fon courage ,
Baviere avec de Pons , Boufflers & Luxembourg ,
Vont , chacun dans leur place , attendre ce grand
jour;
Chacun porte la joye aux Guerriers qu'il com
mande.
Le fortuné Danoy , ( s) Chabannes , Gallerande ,
(1 ) M. le Duc d'Harcourt avoit inveſti Tournay.
(2 ) Marechal de France.
(3) Grand Maitre de l'Artilleriz.
(4) Il s'étoit fignalé à la Bataille de Detingue.
(5 M. Danoyfut retirépar fa nourrice d'unefoule
de morts de mourans fur le champ de Bataille de
Malplaquet deux jours après la Bataille.
JUIN. 1745 . 97
Levaillant Berenger , ce défenfeur du Rhin ,
Duchailat', & Croiffy , tous nos Héros enfin , (1 )
Dans l'horreur de la nuit , dans celle du filence ,
Demandent que l'aurore & le péril commence.
Louis , avec le jour , voit briller dans les airs
Les Drapeaux menaçans de vingt peuples divers ;
De l'empire Français l'indomptable génie ,
Brave , auprès de fon Roi , leur foule réunie :
Des montagnes , des bois , des fleuvès d'alentour
Tous les Dieux allarmés fortent de leur féjour ;
La fortune s'enfuit , & voit avec colere
Que fans elle aujourd'hui la valeur va tout faire.
Le brave Cumberland , fier d'attaquer LOUIS
A déja difpofé fes bataillons hardis :
Tels ne parurent point aux rives du Scamandre
(1) Les Lieutenans Généraux chacun à leur dis
vifion
* On n'apû nommer les autres Lieutenans Généraus
dont les noms font célebres ailleurs , ou dont on a reçu
la lifte trop tard. Il en eft ainfi des autres Officiers quifo
font fignalés , qui ont été bleſſes. On apprend dans le
moment que dix-neuf Officiers aux Gardes ; vingtkuit
Officiers du Regiment du Roi ; trente-fept de la
Couronne ; autant dans le Régiment des Vaiffeaux>
c . ont été bleffes ou tués. D'ailleursfi on avoitpû rendrejuftice
à tous ceux qui le méritent , il eût fallu louer
tous les Officiers de l'Armée , mettre unan à compofer
un ouvrage qu'il a fallu faire en moins de deux
jours.
92 MERCURE DE FRANCE.
Sous ces murs fi vantés que Pyrrus mit en cendre ,
Ces antiques Héros qui montés fur un char ,
Combattoient en défordre , & marchoient au hazard
: }
Mais tel fut Scipion fous les murs de Carthage ,
Tels fon rival & Iui prudens avec courage ,
Déployant de leur art les terribles ſecrets ,
L'un vers l'autre avancés s'admiroient de plus près .
L'Efcaut , les Ennemis , les remparts de la Ville,
Tout prefente la mort , & LOUIS efttranquille .
Cent tonnerres de bronze ont donné le ſignal.
D'un pas ferme & preffé , d'un front toujours égal ,
S'avance vers nos rangs la profonde colomne
Que la terreur devance , & la flamme environne ,
Comme un nuage épais qui fur l'aîle des vents ,
Porte l'éclair , la foudre , &la mort dans fes flancs.
Les voilà ces rivaux du grand nom de mon Maître ,
Plus farouches que nous , auſſi vaillants peut- être ,
Encor tout orgueilleux de leurs premiers exploits .
BOURBONS , voici le tems de venger les Valois.
La Mort fur les deux Camps étend fa main
cruelle ,
Tous fes traits font lancés , le fang coule autour
d'elle.
Chefs , Officiers , Soldats , l'un fur l'autre entaffés ,
Sous le fer expirans , par le plomb ¡ enverfés ,
Pouffent les derniers cris en demandant vengeance.
JUIN. 1745. 93
CRAMONT que fignaloit fa noble impatience ,
Gramont dans l'Elifée emporte la douleur
D'ignorer en mourant fi fon maître eft vainqueur.
Bequoi lui ferviront ces grands titres ( 1 ) de gloire,
Ce Sceptre des Guerriers , honneur de fa mémoire,
Cerang , ces dignités , vanités des Héros ,
Que la Mort , avec eux , précipite aux tombeaux ?
Tu meurs jeune Craon . (2 ) Que le Ciel moins févere
Veille fur les deftins de ton généreux frere !
Hélas cher Longaunay , ( 3 ) quelle main , quel fe
cours
Peut arrêter ton fang , & ranimer tes jours ?
Ces miniftres de Mars , (4) qui d'un vol firapide ,
S'élançoient à la voix de leur Chef intrépide ,
Sont , du plomb qui les fuit , dans leur courfe arrêtés
,
Tels que des champs de l'air tombent précipités ,
Des oifeaux tout fanglans palpitans fur la terre.
Le fer atteint d'Avrai . (5) Le jeune d'Aubeterre
(1 ) Il alloit être Maréchal de France .
(2) Dix-neuf Officiers du Régiment de Hainault ont
été tués ou bleſſes . Son frere le Prince de Beauvan
, fert en Italie .
3) M. de Longaunay , Colonel de nouveaux Grenadiers
, mort depuis de fes bleffures.
(4) Officiers de l'Etat - Major. Mrs. de Puifegur , de
Meziere , de S. Sauveur.
(5) Le Duc d'Avrai, Colonel du Regiment de la Cou
ronne.
94 MERCURE DE FRANCE.
Voit de fa Légion tous les Chefs indomptés
Sous le glaive & le feu mourans à ſes côtés.
Guerriers , que Chabrillant avec Brancas rallie ,
Que d'Anglais immolés vont payer votre vie !
Je te rends grace , ↑ Mars ! Dieu de Sang , Dieu
cruel ,
La race de Colbert , ( 1 ) ce Miniftre immortel ,
Echappe en ce carnage à ta main ſanguinaire ,
Guerchy , ( 2 ) n'eft point frappé , la vertu peut te
plaire ;
>
Mais vous brave Daché ( 3 ) , quel fera votre fort?
Le Ciel ſauve à ſon gré , donne & fufpend la mort
Infortuné Lutteau ! (4) tout chargé de bleffures ,
L'art qui veille à ta vie , ajoûte à tes tortures
Tu meurs dans les tourmens ; nos cris mal entendus
Te demandent au Ciel , & déja tu n'es plus.
O combien de vertus que la tombe dévore !
Combien de jours brillans éclipfés à l'aurore !
Que nos lauriers fanglans doivent couter de pleurs !
Ils tombent ces Héros , ils tombent ces vengeurs ,
Ils meurent , & nos jours font heureux & tranquilles.
(1 ) M. de Croiffy avec ses deux enfans , &fon noves
M. Duplefis- Chatillon tieß légerement.
(2 ) Tous les Officiers de fon Regiment hors de combat
; lui feul nefut point bleſſe.
(3) M. Dacke ( on l'écrit Dapchier ) Lieutenant
Général.
(4 ) M. de Lutteau Lieutenant General mort dans les
•perations du traitement de fes bleffures .
JUIN. 95 1745 .
La molle volupté , le luxe de nos Villes ,
Filent jours ferains , ces jours que nous devons
Aulang de nos Guerrriers , aux périls des Bourbons
Couvons du moins de fleurs ces tombes glorieuſes ,
Arrachons à l'oubli ces ombres vertueuſes ;
Vous ( 1 ) qui lanciez la foudre , & qu'ont frappé fes
coups ,
Revivez dans nos chants quand vous mourez pour
nous ,
Eh ! quel feroit , grand Dieu le Citoyen barbare,
Prodigue de cenfure , & de louange avare ,
Qui peu touché des morts & jaloux des vivans ,
Leur pourroit envier mes pleurs & mon encens ?
Aḥ ! s'il eſt parmi nous des coeurs dont l'indolence ,
Infenfible aux grandeurs , aux pertes de la France ,
Dédaigne de m'entendre & de m'encourager ,
Réveillez -vous , ingrats ; LOUIS eft en danger.
L'Anglais a pénétré ; Mars pour lui fe déclare !
Le Roy voit le malheur , le brave & le répare .
Son fils, fon feul efpoir ...Ah ! cher Prince, arrêtez ,
Où portez -vous ainfi vos pas précipités ?
Conſervez cette vie au monde néceſſaire.
LOUIS craint pour fon fils , ( 2 ) le fils craint pour
fon pere ;
(1 ) M. Du Brocard , Maréchal de Camp , comman☛
dant l'Artillerie ,
(2 ) Un boulet de canon couvrit de terre un homme entre
le Roi Monfeigneur le Dauphin un domestique
de M. le Comte d'Argenfonfut atteint d'une balle defufil
derriere eux.
96 MERCURE DE FRANCE.
Nos Guerriers.tout fanglans frémiffent pour tous
deux ,
Seul mouvement d'effroi dans ces coeurs généreux •
VOUS (1) qui gardez mon Roi , vous , qui vengez
la France ,
Vous , peuple de Héros dont la foule s'avance ,
Accourez , c'eft à vous de fixer les deftins ;
LOUIS , fon Fils , l'Etat , l'Europe eft en vos mains
Maifon du Roi , marchez , affûrez la victoire ,
Soubife & Pequigny vous menent à la gloire ;
Paroiffez vieux foldats ( 2 ) dont les bras éprouvés
Lancent de loin la mort que de près vous bravez :
Venez , vaillante élite , honneur de nos Armées ,
Partez fleches de feu , grenades ( 3 ) enflâmées ,
Phalanges de LOUIS écrafez fous vos coups
Ces combattans fi fiers & fi dignes de vous.
Richelieu , qu'en tous lieux , emporte fon courage ,
Ardent , mais éclairé , vif à la fois & fage ,
Favori de l'Amour , de Minerve & de Mars ,
Richelieu (4) vous appelle , il n'eft plus de hazards ;
" (1 )-Les Gardes , les Gendarmes les Chevan➡ I‚egers
, les Monfquetaires ,feus M. de Monteffon , Lieutenant
Général.
(2 ) Carabiniers Corps it ftitué par Louis XIV. Il tire
avec des Carabines rayees . On fçait avec quel éloge le Roy
les a nommés dansfa Lettre.
(3 ) Grenadiersà cheval commandéspar M. le Chevalier
de Grille, ils marchent à la tête de la Maifon du Roy
( 2 ) Un Miniftre d'Etat , qui n'a point quitté le Roy
·
11
JUIN. 1745:
97
Il vous appelle : il voit d'un oeil prudent & ferme
Des fuccès ennemis & la caufe & le terme ;
Il vole , & fa vertu ſecondant vos grands coeurs ,
Il vous marque la place où vous ferez vainqueurs.
D'UN rempart de gazon , foible & prompte
barriere ,
Que l'art oppofe à peine à la fureur guerriere ,
Choiseuil & Lavauguion 1 d'un indomptable effort
Arrètent une Armée & repouffent la mort.
D'Argenſon qu'enfâmoient les regards de fon pere›
La gloire de l'Etat , à tous les fiens fi chere ,
Le danger de fon Roy , le fang de fes ayeux ,
Affaillit par trois fois ce corps audacieux ,
Cette maffe de feu qui ſemble impénétrable :
On l'arrête , il revient , ardent , infatigable :
Ainfi qu'aux premiers tems, par leurs coups redou
blés ,
Les béliers enfonçoient les remparts ébranlés.
CE brillant efcadron, ( 2 ) fameux par cent batails
les ;
pendant la Bataille , a écrit ces propres mots : C'eſt M.
de Richelieu qui a donné ce confeil , & qui l'a exécuté
.
( ) Mrs de la Vauguion , Choifeuil , Sc. aux retranchemensfaits
à la bite dans le village de Fontenoy . M.
de Crequi n'étoit point à ce pofte , comme on l'avoit dit
d'abord , mais à la tète des Carabiniers .
(2) Quatre efcadrons de la Gendarmerie arrivoient
après fept heures de marche , attaquerent.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
Lui , par qui Catinat fut vainqueur à Marfailles ,
Arrive , voit , combat , & foûtient fon grand nom,
Tu fuis du Chaftellet , jeune Caftelmoron ; (1)
Toi , qui touches encore à l'âge de l'enfance ,
Toi , qui d'un foible bras qu'affermit ta vaillance ,
Reprends ces étendards déchirés & ſanglans ,
Que l'orgueilleux Anglais emportoit dans ſes rangs !
C'est dans ces rangs affreux que Chevrier expire ;
Monaco perd fon fang , & l'amour en foupire.
Anglais , fur Duguefclin deux fois tombent vos
coups ;
Frémiffez à ce nom fi funefte pour vous.
MAIS quel brillant Héros , au milieu du carnage ,
Renverfé , relevé , s'eft ouvert un paffage!
Biron , tels on voyoit dans les plaines d'Ivry ,
Tes immortels Ayeux fuivre le Grand Henry .
Tel étoit ce Crillon , chargé d'honneurs fuprêmes
Nommé brave autrefois par les braves eux -mêmes ,
Tels étoient ces d'Aumonts , ces grands Montmorencis
?
Qui tous dans Fontenoy reconnoiffent leurs fils. (2)
(1) Un Cheval fongueux avoit emporté le Porte- Etendart
dans la colonne Anglaife. M. de Bellet comman doit
ces Ffeadrons de la Gendarmerie. Il y ent un che
val tuéfous lui , auſſi bien que M. de Chimenes en
reformant une Brigade .
(a ) M. de Luxembourg , M. de Logny , M. de
Tingri.
DE
L
VILLE
JUIN. 1745
THEQUE
BIBLIOT
Tel fe forma Turenne au grand art de la guerre ,
Sous un autre (1 ) Saxon la terreur de la terre ,
Quand la Juftice & Mars , fous un autre Louis ,
Frappoient l'Aigle d'Autriche & relevoient les Lys.
COMMENT ces Courtifans , doux , enjoués , aimables
,
Sont-ils dans les combats des Lions indomptables ?
Quel affemblage heureux de graces , de valeur !
Boufflers , Meuze, d'Ayen , Duras,bouillans d'ardeur ,
A la voix de Louis , courez , troupe intrepide.
Que les Français font grands quand leur Maître les
guide!
Ils l'aiment , ils vaincront , leur pere eft avec eux ,
Ils marchent ,il eft femblable à ce Maître des Dieux,
Qui , frappant les Titans , & tonnant fur leurs têtes.
D'un front majestueux dirigeoit les tempêtes.
Il marche , & fous fes coups la terre au loin mugit ,
L'Eſcaut fuit, la Mer gronde , & le Ciel s'obscurcit.
SUR un nuage épais que des antres de l'Ourſe
Les vents affreux du nord aportent dans leur courſe,
Les Vainqueurs des Valois defcendent en courroux :
CUMBERLAND , difent-ils , nous n'efpérons qu'en
vous .
(1 ) Le Duc de Saxe Weimar , fous qui le Vicomte de
Turennefit fes premieres Campagnes. M. de Turenne eft
arriere-neveu de ce grand homme.
LYON
1893 *
E ij
100 MERCURE DE FRANCE
t
Courage , raffemblez vos légions altieres ,
Bataves , revenez , défendez vos barrieres ;
Auglais , vous que la paix fembloit feule allarmer ,
Vangez-vous d'un Héros qui daigne encor l'aimer ;
Ainfi que fes bienfaits craindrez-vous fa vaillance ?
Mais ils parlent en vain , lorſque LOUIS s'avance ;
Leur génie eft dompté . L'Anglais eft abattų ,
Et la férocité ( 1) le céde à la vertu,
CLARE avec l'Irlandais , qu'animent nos exemples
,
Venge fes Rois trahis , fa Patrie & fes Temples.
Peuple fage & fidéle , heureux Helvetiens , (2)
Nos antiques amis , & nos concitoyens ,
Votre marche affûrée , égale , inébranlable ,
Des ardens Neuftriens ( 3 ) fuit la fougue indompta
ble.
Ce Danois , (4) ce Héros , qui des frimats du Nord ,
Par le Dieu des combats fut conduit fur ce bord ,
Admire les Français qu'il eft venu défendre.
Mille cris redoublés dans les airsfont entendre ,
(1) Cer proche defrocité ne tombe que fur le foldat ,&i
nonfur les Officiers , quifont auffigénéreux que les nô
tres .
( 2 ) Les Regimens de Diefbak 5 de Betens,
(3 ) Le Régiment de Normandie qui revenoit à la chargefur
la colonne Anglaise , tandis que la Maifon du
Ro , la Gendarmerie , les Carabiniers &c .fondoientfur
elle.
(4)M. de Logvendal,
JUIN . 1745 fot
Rendez-vous , ou mourez , tombez fous notre effort ,
C'en eft fait , & l'Anglais craint LOUIS & la mort.
ALLEZ , brave d'Eftrée , achevez cet ouvrage ,
Enchaînez ces vaincus échapés au carnage ;
Que du Roy qu'ils bravoient ils implorent l'appui ,
Ils feront fiers encore , ils n'ont cédé ( 1) qu'à lui,
Bien-tôt vole après eux ce corps fier & rapide,(2 )
Qui femblable au Dragon qu'il eut jadis pour guide,
Toujours prêt , toujours prompt , de pied ferme , en
courant ,
Donne de deux combats le fpectacle effrayant .
C'eftainfi que l'on voit dans les Champs des Numidesco
Différemment armés des chaffeurs intrépides ;
Les courfiers écumans franchiffent les guerets,
Ongravit fur les monts ; on borde les fortês.
L'un attend ; l'autre vole , & de fang font trempées
Les lances , les épieux , les fleches , les épées ;
Les Léopards fanglans percés de coups divers ,
D'affreux rugiffemens font retentir les airs ;
(1 ) Depuis S. Louis , aucun Roy de France n'avoit battu
les Anglais enperfonne en bataille rangée.
(2 ) On envoya des Dragons à la pourfuite : Ce Corps
étoit commandé par M. le Duc de Chevreufe , qui s'toit
diftingué aucombat de Sabi , où il avoit reçu trais bleffures
. L'opinion laplus vraisemblable fur l'origine du mot
Dragon , eft qu's porterent un Dragon dans leurs
Etendarts fous M. le Maréchal de Briffac , qui inftitua
ce Corps dans lesguerres du Pi.mont.
E if
102 MERCURE DE FRANCE.
Dans le fond des forefts ils vont cacher leur rage .
AH ! c'eft affés de fang , de meurtre & de ravage ,
Sur des morts entaffés c'est marcher trop long-tems.
Noailles ( ramenez vos Soldats triomphans ;
Mars voit avec plaifir leurs mains victorieuſes
Traîner dans notre Camp ces machines affreuſes ,
Ces foudres ennemis contre nous dirigés.
Nous lancerons les traits que leurs mains ontforgés ,
Ils ouvriront pour nous les murs de cette Ville ,
Du Batave indécis la Barriere & l'azile ,
Ces premiers (2) fondemens de l Empire des Lys,
Sous les mains de mon Roy déformais affermis.
PEUPLES , ne penfez point que ce jour de victoire
Soit affés pour LOUIS , & fuffife à fa gloire ;
C'est peu que le front calme , & la mort dans les
mains ,
Ilait lancé la foudre avec des yeux fereins ;
C'eft peu d'être vainqueur ; il eft modefte & tendre,
Il hónore de pleurs le fang qu'il fit répandre ;
Entouré des Héros qui fuivirent fes pas ,
Il prodigue l'éloge , & ne le reçoit pas ;
Il veille fur des jours hazardés pour lui plaire :
Le Monarque eft un homme, & le Vainqueur un pere;
(1 ) Le Comte de Noailles attaqua defon côté la colonne
d'Infanterie Anglaife avec une Brigade de Cavalerie
quiprit enfuite des canons.
(2)Tournay principale ville des Françaisfous lapremiere
race, dans laquelle ou a trouvé le tombeau de Childeric.
JUIN. 1745. 103
Il daigne confoler juſqu'à ſes ennemis.`
Ah ! quels coeurs déformais ne lui feront foumis ?
Il peut régler l'Europe , il peut calmer l'Empire .
CR AND Roy ! Vienne ſe tait , Londres pleure &
t'admire ;
La Baviere confufe au bruit de tes exploits ,
Gémit d'avoir quitté le protecteur des Rois ;
Naples eft en fûreté , Turin dans les allarmes ;
Tous les Rois de ton fag triomphent par tes armes ,
Et de l'Ebre à la Seine en tous lieux on entend :
LE PLUS CHERI DES ROIS EST AUSSI LE PLUS
GRAND.
Ah ! qu'on ajoute encore à ce titre ſuprême
Ce nom fi cher au monde & fi cher à lui- même ,
Ce prix de fes vertus qui manque à ſa valeur ,
Ce titre augufte & faint de Pacificateur !
Que de ces jours fi beaux de qui nos jours dépen◄
dent
La courſe foit tranquille , & les bornes s'étendent!
Qu'il revienne adoré , mais qu'il fonge aujourd'hui ,
Que le fort des Français fut de trembler pour lui !
*
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE.
REPONSE à M. de Voltaire fur fon
Poëme fur la Bataille de Fontenoy qu'il m'a
envoye.
LE petit fils de
Henry quatre
Vient à nos yeux de l'imiter ;
Qu'un François qui l'a vû combattre
Aime à te l'entendre chanter !
Henry dans les champs de la gloire
En combattant pour les foyers
Reçût des mains de la Victoire
Et fon Empire . & fes lauriers..
Louis , ta Couronne affermie ,
Gage du bonheur de l'Etat ,
Ne craint plus la ligue ennemie ,
Le fanatifme & l'attentat .
Maître abfolu dès ton aurore ,
C'est pour toi qu'aux pieds des Autels.
Un peuple foumis qui t'adore
Offre des voeux aux immortels.
Tu fais refpecter les frontieres
Que toi feul pouvois t'impofer;
Ton bras renverfe les barrieres
JUIN
1745 ·
105.
Que l'on veut en vain t'oppofer .
Ton grand coeur ne veut pas attendre
L'ennemi qui leur fert d'appui ;
Dès qu'il s'aprête à les défendre
Tu voles au-devant de lui .
Il vient. Déja la foudre gronde
Et fait voler au loin la mort ;
Aux pieds du plus grand Roi du monde
Les Dieux arrêtent fon effort .
Bientôt une cohorte entiere ,
L'élite de deux Nations ,
Fait pénetrer fa tête altière
Au travers de nos Bataillons
De feu , de métaux , de bitume ,
Tel on voit un torrent affreux
Dont le cours entraine & confume
Tout ce qui s'oppofeà fes feux.
*
Volez troupe fiere & fidelle ,
Si digne de garder nos Rois .
L'amour , la gloire, vous appelle;
De Louis entendez la voix.
Victime de la barbarie
D'un Ufurpateur inhumain ,
La Maifon du Roi.
** Les Irlandois.
EV
106 MERCURE DE FRANCE
Venez défendre la Patrie -
Qui vous a reçû dans fon fein,
Suivez cette antique cohorte
Qu'aux péri's vous voyez courir ;
Jaloux du beau feu qui l'emporte ,
Allez triompher ou mourir, *
Tout vole , & ce combat horrible
Dans cet inftant fixe le fort ;
L'Anglais tombe , & toujours terrible ,
Il frappe en recevant la mort.
Abattu , mais encor farouche ,
La rage eft peinte dans fes yeux ;
On entend fortir de fa bouche
Des cris mourans mais furieux.
Du fein de la voûte azurée
Minerve regardoit Louis ,
Veilloit fur fa tête facrée
Etfur les beaux jours defon fils.
Tous deux du Temple de Mémoire
Arrachent ces fanglans lauriers
Perdus , mais perdus avec gloire
Aux funeftes champs de Poitiers.
Leur voix arrête le carnage ,
* Le Regiment de Normandie compofé de vieles
andes de cette Province,
JUIN. 1745. 107
Et du foldat victorieux
L'amour qui fuccéde à la rage
Eleve le cri jufqu'aux Cieux .
Couverts d'armes étincelantes ,
Nos guerriers viennent tour à tour ,
Ils baifent les mains triomphantes
Qui les ont fait vaincre en ce jour ;
Maurice vient ; fon Roi l'admire ,
Craint de le voir à ſes genoux ,
L'embraffe , & Maurice defire
Mourir dans un moment fi doux.
Le plus beau jour de votre vie ,
Français , vient de luire pour vous
L'Anglais , la difcorde , & l'envie ,
En font également jaloux.
Qu'il foit célebré par vos fêtes !
De ces lauriers encor fanglans
Que tout Français orne les têtes
De fa femme & de fes enfans.
» Qu'il leur dife , oui ; notre Maître
»Pour nous vient d'expofer fes jours ;
» Vous qui ne faites que de naître
» Vivez , pour le fervir toujours
Et toi , digne dépofitaire
Des faftes d'un auffi grand Roi ,
I vj
108 MERCURE DE FRANCE .
Souffre que ma voix téméraire
Ofe le chanter avec toi .
**************
LETTRE de M. l'Abbé Venuty à M.
de *** fur un Monument ancien
J
découvert à Rome.
E ne fuis pas furpris , Monfieur , que
vous fçachiez gré aux Auteurs du nouveaux
Mercure de leur attention à publier
dans leur Journal les nouvelles découvertes
de Monumens antiques. Vous ſouhaitez
que l'on continue d'en informer le public
à mefure que la curiofité des hommes ou le
hazard découvriront des pieces dignes de
notre attention. Rien ne prouve mieux votre
bon goût pour la Litterature ; ce foin
feroit extrémement utile à la République
des Lettres on mettroit par là à l'abri d'un
oubli éternel des Monumens fouvent très intereffans
qui periffent tous les jours faute de
curieux qui en connoiffent le prix. On fourniroit
à ceux qui travaillent à l'éclairciffe
ment de l'Hiftoire Ancienne des matériaux
inconteftables. On exciteroit l'émulation des
Sçavans qui chercheroient à l'envi l'un de
l'autre à en pénétrer les myftéres. Enfin cela
feroit une agréable partie de l'Hiftoire
Litteraire de notre fiécle,
JUIN. 109 1745 .
La Sur-Intendance que le Pape régnant
vient de donner àun de mes freres fur toutes
les antiquités qui fe découvrent à Rome , me
met en état de fatisfaire votre curiofité de ce
côté là. Je m'acquitterai en méme- tems d'un
de mes devoirs envers une des plus célebres
Académies de l'Europe , qui m'a fait l'honneur
de m'aſſocier à fa gloire & à ſes travaux
.
Au commencement du Mois de Février
de cette année 1745 en fouillant dans un
terrain à un mille hors de l'ancienne porte
Lavicane appellée aujourd'hui porta Maggiore
on a découvert un ancien Edifice fou →
terrain déſtiné pour renfermer les Tombes &
les Urnes des defcendans & des affranchis
d'une famille Romaine. On peut appeller
cet Edifice un Maufolée , car il en mérite
le nom par fa grandeur & par les ornemens
qui y ont été autrefois. Il eft d'une figure
ronde & fort maflive , dans le même goût que
les célebres Maufolées de Cæcilia Metella
fille de Quintus Creticus , de Munatius Plancus
, & des Plautiens , qui exiftent encore
dans la campagne de Rome & près de
Gayette. Mais notre Maufolée qui appartient
à la famille Aurelia , comme on voit par
I'Infcription qu'on y a trouvée, eft plus grand
que celui de la famille Cecilia. Ila cent qua
110 MERCURE DE FRANCE.
tre -vingt- dix palmes Romains de diamétre
dans toute fa maffe . On y entre par un
córridor ou veſtibule , dont la longueur eft
de foixante palmes Romains . Ce veſtibule
aboutit à une grande chambre quarrée dont
les mefures me font inconnuës . În voit dans
cette chambre trois niches , deſtinées felon
les apparences pour trois ftatuës des maîtres
de ce Sépulcre , qui ont été fans doute
tranfportées ailleurs quand on a ouvert pour
la premiere fois ce Tombeau . Heureuſement
on a confervé l'Infcription par laquelle nous
apprenons quels étoient autrefois les maîtres
de ce Maufolée . Elle eft conçûë en ces termes.
D. M.
M. AVRELIVS. SYNTOMVS
ÉT. AVRELIA. MARCIANAÆ
ÆDIFICIVM. CVM. CENOTA
PHIO. FILIIS. LIBERTISQ. SVIS.
A. SOLO . EXTRVXIT.
C'eft-à-dire : Marcus Aurelius Syntomus afait
élever cet Edifice avec un Cenotaphe à l'honneur
des Dieux Manes & pour Aurelia Marciana
, pour fes fils , & fes affranchis.
On fçait que les anciens Romains bâtif
foient toujours leurs Tombeaux le long des
JUIN. $745.
III
grands chemins ; auffi celui- ci eft fitué ſur
les bornes de la voye Preneftine dont on peut
par là determiner plus furement la route.
LE SINGE ET LA PLANCHE,
MA
FABLE.
Aftre Bertrand Singe de haut parage
Avoit choifi fon établiſſement
Chés un Menuifier de village.
Le mérite fe plaît à vivre obfcurement.
Bertrand faifoit les plaiſirs de fon Maître ,
Non pas les plaifirs feulement ,
Le gain auffi ; chacun vouloit connoître ,
Admirer , çareffer Bertrand ,
Et le Patron gagnoit d'autant,
Un jour qu'il étoit en frairie ,
Et Bertrand feul dans le logis ,
En furetant les recoins du taudis
11 apperçut une planche pourrie
Dans laquelle un coin enfoncé
Lui paroît à bon droit attendre
La main par laquelle pouffé
Il devoit enfin la pourfendre.
Je crois , dit-il , qu'à fon retour
Le Patron volontiers verra fa planche prète ;
111 MERCURE DE FRANCE.
Il me fçaura bon gré du tour.
Travaillons ; il faudroit être bien fotte bête
Pour ne fçavoir gouverner un marteau .
Difant ces mots le Singe à folle tête
Frappe fur le coin bien & beau ,
Ouvre la planche , & déja s'autoriſe
De cet effai pour avoir fa maîtriſe ,
Mais bien-tôt retirant , le coin
Pour l'enfoncer un peu plus loin
Il oublia que fa queuë étoit priſe.
Lors un vieux Rat à barbe griſe
Concitoyen de l'âtelier ,
Ami , dit-il , apprends par cette criſe
Que la plus petite entrepriſe
Veut les foins d'un bon ouvrier.
Le Rat raifonnoit jufte , & quoique nous en dife
L'orgueil qui nous eft familier ,
Chacun doit faire fon métier.
JUIN. 1745. 113
!
LETTRE à M. le Marquis de Robien
Prefident à Mortier au Parlement de
Bretagne , fur quelque fujet d'Hiftoire &
de Litterature , fur René Gentilhomme
fieur de l'Epine Poëte Croifiquais , par M.
Desforges Maillard.
'Ai lû avec grand plaifir , Monfieur
votre ancienne Hiftoire de Bretagne & je
ne fais aucun doute que le public ne la reçoive
de même quand il vous plaira de lui
faire ce préfent ; la conduite & le ftile en
font admirables , & vos recherches curieuſes
feront les délices des amateurs de l'antiqui
té. Vous n'avez point travaillé comme la
plûpart de ceux qui écrivent l'Hiftoire fur
des Mémoires équivoques , vous êtes allé
fur les lieux en perfonne , ou bien vous y
avez envoyé des hommes de confiance & capables
qui en ont levé fidélement les plans
& qui ont éxactement deffiné ce qui nous
refte des plus anciens Monumens des Romains
& des Gaulois, Votre Hiftoire moderne
, naturelle &c, de la méme Province
14 MERCURE DE FRANCE.
ne vous fera pas moins d'honneur. C'eſt le
jugement que j'en puis porter fur ce que j'ai
eu le tems d'en lire pendant le féjour que j'ai
fait chés vous à Rennes à notre retour de Paris .
Mais permettez moi de vous dire , Monfieur
, que j'ai trouvé qu'il manquoit quelque
chofe dans vos deux Hiftoires . Je n'y
vois point d'époques qui nous faflent connoitre
les grands hommes qui ont protégé les
Mules , & mes propres recherches me font
croire que c'eft à vous que la premiere de ces
époques mémorables devra fa naiſſance.
Vous cultivez les Belles Lettres vous même ,
& l'amitié que vous accordez à ceux qui s'y
adonnent les encourage dans cette épineule
carriere. Vous avez même plus d'une fois
tenté de jetter les fondemens d'une Académie
dans cette Province , où l'on peut dire
que vous reproduifez les Bouhier & que
vous faites revivre les l'Hofpital , les de
Thou & les Lamoignon.
Vous êtes dans le deffein , Monfieur , de
faire dans votre Hiftoire un chapitre où vous
comprendrez les Bretons qui fe font diftingués
dans les Sciences & la Litterature.
Avant & depuis Abailard le nombre n'en
avoit point été fort confidérable , mais le
dernier fiécle & celui-ci en ont produit plufieurs
en tout genre. Notre petite Ville du
JUIN. 1745. 113
Croific & les lieux circonvoifins en ont auffi
vû naître quelques uns , comme les peres
Tournemine, Guilloré , l'Abbé de Bellegarde
, M. Bouguer de l'Académie Royale
des Sciences , qui par fes talens achevés fuffi
roit lui feul à l'illuftration d'un Royaume.
J'ignorois toutefois que ce Port de Mer eût
au produit un Poëte , & mes compatriotes
les plus anciens ne m'en avoient rien appris.
Il eft vrai qu'occuppé de la navigation & du
commerce de Mer ils gliffoient legerement
fur celui de l'efprit & que la Litterature
étoit même alors un Pays perdu pour eux.
Le Poëte dont j'ai à vous entretenir ,
Monfieur , s'appelle René Gentilhomme
fieur de l'Epine. J'ai découvert l'eftampe de
fon portrait chés un de mes concitoyens qui
dit avoir vu la fignature de quelqu'un de fon
nom fur les Regiftres de cette Communauté.
La figure en bufte eft dans un ovale ; on lit
autour , René Gentilhomme , fieur de l'Epine,
Croifiquais P.Domestique de Monfeigneur
frere du Roi ΘΕΟΥ ΔΙΔΟΝΤΟΣ & au deffous
dans le même ovale du Pré ad vivum delinea.
Daret Scul.Parifiis.1637 die 7.Ariftan
der.... Il y a quelque chofe d'effacé en cet
endroit Ao. Ats. 27 , natus 1610 menfe
70. L'eftampe eft environnée des attributs
du Parnafle & de la Guerre. On lit au bas
116 MERCURE DE FRANCE.
է
les deux inſcriptions que je vais vous tranfcrire
, l'une en vers Latins , & l'autre en
vers François. Les armes du Poëte font au
milieu avec ces mots , mieux faire que dire.
La maniere d'écrire Croifiquais au lieu de
Croifiquois s'accorde avec l'ancienne prononciatiation
qui fubfifte encore parmi le peuple.
Il me femble auffi que Pe. veut dire
Page & non pas premier qui s'écrit Pr.
In figuram elegantiffimi, Illuftrissi .
& ingeni. viri R. Nobilis. Armorici,
Regis F. Poëtæ Epigramma.
Afpicis effigiem vatis fpirantis in ære ,
Quijunxit Getica Delphica pledra Tuba .
Sic oculos , fic ille bumeros , fic Nobilis ora :
Unum defuerat , dulciùs ille canit.
1. Leochens Scotus Eloquentia & Philo . Profeffor
EPIGRAMM E
Qu'on ne cherche plus Mars en Thrace ,
Ni dans Amathonte l'Amour
Ni Phébus fur le Mont Parnaffe ,
Voici leur unique féjour.
I. De Mefchinet
L'Epigramme Latine dont le ftile n'eft
JUIN. 1745. 117
point exact dans le troifiéme vers imité de
Virgile , en ce qu'il faudroit comme dans cet
Auteur ferebat ou fert devant ou après oculos
&c. exprime Gentilhomme nom propre par
Nobilis , ce qui le rendroit méconnoiffable ,
s'il n'étoit point mis comme il doit l'être autour
de l'eftampe.
. Il eft des noms propres qu'il faut employer
tels qu'ils fon quand on ne peut pas
les accommoder à l'idiôme d'une autre Langue
fans les défigurer totalement . Ce défaut
répand une fort grande obfcurité ſur la belle
Hiftoire de M. de Thou écrite en Latin
& je n'approuve point la Monnoye d'avoir
rendu dans fes Poëfies Latines le nom de
Boileau Defpreaux par Abftemius Pratellus.:
Il y en a d'autres qui ont plus de grace ,
de douceur & d'harmonie, fans rien perdre ,
pour ainfi- dire , de leur clarté naturelle ,
étant habillés à la mode des Pays étrangers
où ils paffent , comme par exemple. Valois
Valefius , Sainte Marthe Sammarthanus , Rapin
Rapinus , Santeuil Santolius , &c. C'eſt
ce qui fait qu'on a trouvé ridicule la façon
de fubftituer Groulart , autant qu'il m'en.
fouvient à Céfar , dans ces vers de la I.
Epi, du 1 liy . d'Horace adreffés à ce M.
Groulart,
118 MERCURE DE FRANCE.
In publica commoda peccem ,
43 Si longo fermone morer tua tempora Groulard.
J'ai cherché à Paris , Monfieur , chés prefque
tous les Libraires & les Marchands de
Litteraire fripperie les Poëfies de notre René
Gentilhomme fans avoir réuffi à mettre
la main deffus . J'écrivis mon embarras à M.
Chevaye mon ancien ami , Auditeur de la
Chambre des Comptes de Bretagne , qui peutêtre
placé à bon titre parmi les hommes de
la Province qui poffedent le mieux la Litterature
Latine & Françoiſe.
Il me fit réponſe qu'il avoit eu dans fon
cabinet les Poëfies de René Gentilhomme,
mais qu'elles avoient été enveloppées dans
l'incendie de fa maifon à Nantes avec une
grande quantité de Livres rares. Je lui écri
vis une feconde fois pour le prier de me faire
part de ce qui lui étoit demeuré dans l'efprit
touchant la perfonne & les ouvrages de
ce Poëte. Voici ce qu'il a bien voulu m'en
apprendre.
ธง
Tout ce que je puis me rappeller ,
» Monfieur , touchant René Gentilhomme ,
» c'eft que j'ai eû en main un petit recueil
d'environ 5o feuillets in 12 contenant quel-
» ques pieces de Poëfies de ce Breton , qui
y eft qualifié de Seigneur de l'Epine & de
Kvandoué. Mais ce que j'y trouvai de finJUIN.
1745 . 119
05
ל כ
"3
30
2
gulier ce fut une piece d'environ .qua
rante vers que l'Auteur affirme avoir faits
fur le champ à la maiſon de plaiſance de
» M. le Prince de Condé , qu'on appelloit
» pour lors M. le Duc. Il la fit à l'occafion
» du tonnerre qui venoit d'écraſer une Cou-
» ronne Ducale pofée fur le pilier de l'ef-
» calier du jardin de cette maiſon , duquel
accident il tiroit dans fes vers un augure
qu'il regardoit comme certain de la naif-
» fance d'un Dauphin , & il falloit que la
fureur Poëtique , ou plutôt Prophétique
le poffédât bien pour faire dans le lieu où
"il étoit une prédiction auffi contraire aux
,, intérêts du Prince de Condé qui l'avoit
» reçû chés lui , & qui par la mort de Louis
" XIII & de Gafton d'Orleans fon frere ,
étoit héritier préfomptif de la Couronne :
» car il y dit pofitivement qu'il ne doit plus
» fe repaître de l'efpérance de cette fucceffion
, & qu'il doit ſe contenter d'être tou
» te fa vie M le Duc tout court. Or cette
prediction ayant eu fon effet environ un
» an après ( autant que je puis m'en fouvenir
) ceux qui en avoient connoiffance
,, en furent fi frappés d'admiration , qu'ils en
» firent des complimens à l'Auteur , & ces
complimens qui font en vers dans ce recueil
au nombre de plus de vingt , font
❤ entre autres de plufieurs Officiers & Ec-
3D
23
Þ
33
# 20 MERCURE DE FRANCE.
ج د
cléfiaftiques de Nantes , & de quelques au-
> tres de Tours , fi je ne me trompe. Ce qui
»fert à prouver que cette prédiction n'avoit
point été faite après coup. Du refte les
vers de cette piéce fe fentent de l'impromp-
>> tu autant que de l'enthouſiaſme; à en juger
par quelques autres pieces de ce recueil ,
qui font un peu plusfchâtiées , mais en petit
nombre , la piece dont je parle avec
les complimens contenant plus des deux
tiers du Livre . Une autre circonſtance
dont je me fouviens , c'eft qu'il paroît que
» cette prédiction avoit procuré à l'auteur le
» nom de Poëte Royal , mais je ne me ra-
» pelle pas qu'il en ait reçu d'autre récompenfe,
و د
ود م د
Ces curieufes anecdotes , Monfieur , me
paroîtroient fuffifantes par elles-mêmes pour
faire paffer à la poftérité le nom de René
Gentilhomme. Je m'étonne que Morery ,
Bayle , Baillet , le pere Niceron , M. Titon
du Tillet , qui a fait des recherches fi prodigieufes
, pour affembler fon immortel ouvrage
du Parnaffe François infolio , n'ayent
point connu ce Poëte , & qu'il foit échappé
à M. l'Abbé Goujet de qui je m'en fuis.
informné , à lui dont on lit avec autant d'utilité
que de fatisfaction la nouvelle Bibliothéque
Françoife , & qui réunit une érudition fi
vafte & fi polie qu'il mérite de porter dans
la
JUIN. 1745 . 121
la République des Lettres cette célébre devife
nec pluribus impar.
Mais vous êtes particulierement intereffé ,
Monfieur , à faire revivre la mémoire de
notre Poëte ou Vaticinateur tout au moins ,
vos ancêtres Jean & Jacques de Robien
ayant été fucceffivement Capitaines ou Gouverneurs
du Pays où il a reçû la naiffance
, comme les actes les plus authentiques en
font foi. François I. Roi de France nomma
par brevet du 17 Aoûft 15 16 fon cher & bien
aimé Jéhan de Robien Pannetier ordinaire
de la Reine à la charge de Capitaine & de
' Ifle de Bas du Croific , & cette Princefle lui
écrivit le 23 Juillet... pour le féliciter fur la
maniere généreufe dont il s'étoit comporté
à la defcente des Efpagnols & des Anglois
fur nos côtes , & elle l'exhortoit à continuer.
Jéhan de Robien refigna ſa charge à Noble
Ecuyer Jacques de Robien fon fils qui en
obtint le brevet le 16 Mars 1540 & prêta le
ferment le 24 du même mois.
On apprend par une enquête du 29 Novembre
1558 que les Galions des Efpagnols
venoient fouvent près le Havre du
Croific , & que fous le regne du feu Roi
François ils firent une defcente à la Côte
vis-à-vis de l'endroit nommé la Pierre lon-
·gue d'où ils furent vigoureuſement repouflés
E
122 MERCURE DE FRANCE.
par le Seigneur de Robien qui fe comporta
toujours avec valeur pendant cette guerre
comme l'affurent les témoins de cette enquête.
On parloit en 1564 der éparer le Château
du Croific , mais la chofe ne fut point exécutée
, & il n'en refte plus que de foibles
veftiges. Pendant que Jacques de Robien
fut Capitaine ou Gouverneur , les habitans
du Croific prétendirent être exempts des
droits d'Amirauté ; fans doute que c'étoit
en récompenfe de leurs bons fervices. Ce
que je fçais , c'eft qu'il y a fort long-tems qu'il
n'eft plus mention de ces immunités .
Je fuis charmé , Monfieur , que ce détail
dont j'ai des preuves inconteftables , me
fourniffe l'occafion de publier hautement
que l'amitié dont vous m'honorez afon principe
& remonte en quelque forte jufqu'au
tems de mes Ancêtres , de même que le refpect
avec lequel j'ai l'honneur d'être & c.
Au Croific en Bretagne ce....
榮榮
涨
Avril 1745.
JUIN. 1745 . 123
NOUVELLES LITTERAIRES,
DES BEAUX ARTS , &c.
SERMONS
De M. Maffillon Evêque de Clermont , l'un
des Quarante de l'Académie Françoiſe cidevant
Prêtre de l'Oratoire. Paris 1745 ..
Chés la veuve Etienne & Fils , & Jean
Heriffant rue S. Jacque
LAChaire eft parmi nous le feul zilequ
refte à l'Eloquence. Le Barreau n'eft pour
elle qu'un champ ftérile , où la chicane a
femé les épines , & les Avocats , quoiqu'il y
ait dans ce Corps des gens d'un grand mérite,
font réduits à n'employer pour défendre leurs
Parties qu'une dialectique feche & aride au
lieu des figures brillantes & pathétiques
qu'emploioient jadis Demofthene & Cice-
Fon. Mais fi le Barreau ne peut plus retentir
que des clameurs fophiftiques femblables à
celles de l'école , la Chaire offre à l'Eloquence
le champ le pius vafte ; c'eft- là qu'elle
peut employer toutes les reflources & le fer.
vir de toutes les armes pour étonner l'imagination
, & pour fubjuguer l'ame. Quels
Fij
124 MERCURE
DE FRANCE
,
refforts l'Orateur facré mer en ufage pour attacher,
pour toucher fes Auditeurs ! L'admi
ation que doivent infpirer les ouvrages de
Dieu , l'amour dont fes bontés doivent nous
pénétrer , l'espérance en fa mifericorde , la
crainte de fes jugemens terribles , enfin l'intérêt
de notre falut, le plus grand , le feul véritable
intérêt que les hommes puiffent avoir ;
voilà quels font les objets qu'il préfente, Il
anime la vertu par l'efpoir des récompenfes ,
il effraye le vice par l'effroi des châtimens ;
ainfi tous les hommes quels qu'ils foient ont
intérêt à l'écouter. Tel étoit l'avantage qu'avoit
Demofthene lorfqu'il repréſentoit aux
Atheniens l'intérêt de la Patrie , & les animoit
à défendre la liberté publique que Philippe
étoit prêt d'opprimer. L'Orateur facré
a même un avantage en ce que indépendamwent
de ce qu'il traite d'un intérêt infiniment
plus grand , cet intérêt qui chés les Grecs
étant l'intérêt général , étoit fubdivifé en une
infinité de parties , eft ici réuni individuellement
fur chaque tête.
Aufli la Chaire nous a t- elle fourni plufieurs
grands hommes dignes de Rome & d'Athenes .
par leur Eloquence , & bien fupérieurs par
la matiere qu'ils traitoient . Bourdaloue, Cheminais
, Boffuet & l'Evêque de Clermont ,
des Sermons duquel il s'agit , ne le cedent ni
aux Demofthenes , ni aux Socrates , ni aux
?
JUIN. 1745 . 125
Cicerons , & l'on peut affurer hardiment que
leurs ouvrages vivront auffi long - tems que
ceux des Grecs & des Romains.
Le public ne fe borna pas à courir avec empreffement
écouter les Sermons de M. Maffillon
; des copiftes donnerent un recueil de
fes Sermons qu'on avoit copiés en les écoutant
; on les imprima , & le public les lut avec
avidité. On fent combien une femblable édition
étoit infidelle & fautive , mais on s'en
contentoit faute de mieux , &le génie de l'Orateur
, quoique défiguré en mille endroits ,
s'appercevoit dans plufieurs traits brillans.
C'eft ainfi que les connoiffeurs confervent
comme des morceaux précieux les efquiffes
des grands Peintres & y admirent les tracés
du génie de ces grands hommes.
Voici enfin une édition des Sermons de
l'Evêque de Clermont faite fur les Manufcrits
même de ce Prélat , & qui peut s'appeller
à bon droit la premiere édition , puifque
c'eſt la feule véritable. Le matériel , quant à
l'impreffion & au papier , ne laiffe rien à défi
rer , il eft digne de l'ouvrage. A l'égard du
mérite même de l'Auteur,que pourrions- nous
ajouter au jugement déja porté par le public
fur le mérite de ce célébre Orateur ? Nous
nous contenterons pour donner une idée de
ce livre à nos lecteurs , de mettre fous leurs
yeux l'extrait d'un des Sermons qui compo-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
fent le petit Carême . * Ce petit Carême fût
prêché devant le Roi encore enfant ; il fut
compofé pour l'inftruction de ce Monarque ,
& la France qui admire aujourd'hui dans
fon Prince toutes les vertus que prêchoit
alors M. Maffillon , doit regarder avec vénération
ce monument de l'éducation de fon
Roi . Dans ce Sermon fur l'humanité des
Grands , duquel nous allons rendre compte ,
il femble que l'Orateur ait prévu par un efprit
prophétique que le Roi feroit de tous les
Princes celui qui feroit le plus cher à fes
peuples , & les chériroit d'avantage : on y
trouve la peinture anticipée de cette affabilité
qui le rend acceffible à tous fes fujets, de
cette humanité qu'il vient de faire éclater au
fein de la victoire , en prenant autant defoin
des bleffés ennemis que de fes fujets même ,
enfin de toutes ces vertus qui l'ont fait ſurnommer
Louis le Bien Aimé par un peuple
Quoique , comme le dit le M fantrope de Moliere
, le tems ne faſſe rien à l'affaire , il ne faut pas
négliger d'apprendre aux lecteurs que ces Sermons
du petit Carême qui font tous des chefs - d'oeuvres
d'Eloquence ont été compofés avec la plus grande
rapidité. M. Maffillon n'employoit pas dix jours à
faire un Sermon. Cela eft d'autant plus étonnant que
ces Sermons , quoique fort courts , ne le font que
parce que l'Auteur fe reftraint lui-même dans un petit
efpace de tems , & que chaque difcours contient
le fond des idées néceffaires pour remplir un Sermon
d'une longueur ordinaire .
JUIN. 1745. 127
qui l'adore , & qui ont fait dire au Virgile de
la France , * le plus cheri des Rois eft auffi le
plus grand.
SUR L'HUMANITE' DES GRANDS
ENVERS LES PAUVRES.
Cum fublevaffer oculos fefus , & vidiſſet quia
muliitudo maxima venit ad eum.
-JESUS ayant levé les yeux , & voyant une
grande foule de peuple qui venoit à lui .
S. Jean , Ch. 6. V. 5 .
SIRE ,
Ce n'eft pas la toute-puiffance de JESUSCHRIST
& la merveille des pains multipliés
par fa feule parole qui doit aujourd'hui nous
toucher & nous furprendre.Celui par qui tout
étoit faitpouvoit tout fans doute fur des créaturesqui
font fon ouvrage , & ce qui frappe le
plus les fens dans ce prodige n'eft pas ce que
je choifis aujourd'hui pour nous confoler &
nous inftruire.
C'eſt fon humanité envers les peuples . It
* Poëme de M. de Voltaire fur la bataille de Fontenoy.
Finj
128 MERCURE DE FRANCE.
voit une multitude errante & affamée au pied
de la montagne , & fes entrailles fe troublent ,
& fa pitié fe réveille , & il ne peut refufer
aux befoins de ces infortunés non feulement
fon fecours mais encore fa compaffion
& fa tendreffe ; vidit turbam multam ; & mifertus
eft eis.
Par tout il laiffe échapper des traits d'humanité
pour les peuples. A la vûë des malheurs
qui menacent Jérufalem , il foulage fa
douleur par fa pitié & fes larmes.
Quand deux Difciples veulent faire defcendre
le feu du Ciel fur une Ville de Samarie
, ſon humanité s'intéreffe pour ce peuple
contre leur zéle , & il leur reproche d'ignorer
encore l'efprit de douceur & de charité
dont ils vont être les Miniftres.
Si les Apôtres éloignent rudement une
foule d'enfans qui s'empreffent autour de lui ,
fa bonté s'offenfe qu'on veuille l'empêcher
d'être acceffible & plus un refpect mal entendu
éloigne de lui les foibles & les petits ,
plus fa clémence & fon affabilité s'en rapprochent.
Grande leçon d'humanité envers les peuples
que Jefus - Chrift donne aujourd'hui
aux Princes & aux Grands . Ils ne font grands
que pour les autres hommes , & ils ne jouiffent
proprement de leur grandeur qu'autant
qu'ils la rendent utile aux autres hommes.
JUIN. 1745. 129
C'eſt-à-dire , l'humanité envers les peuples
eft le premier devoir des Grands , & l'humanité
envers les peuples eft l'ufage le plus délicieux
de la grandeur,
SIRE ,
Toute puiffance vient de Dieu , & tout
ce qui vient de Dieu n'eft établi que pour
l'utilité des hommes. Les Grands feroient
inutiles fur la terre s'il ne s'y trouvoit des pauvres
& des malheureux ; ils ne doivent leur
élevation qu'aux befoins publics , & loin que
les peuples foient faits pour eux , ils ne font
eux-mêmes tout ce qu'ils font que pour les
peuples.
Quelle affreufe providence , fi toute la
multitude des hommes n'étoit placée fur la
terre que pour fervir aux plaifirs d'un petit
nombre d'heureux qui l'habitent & qui fouvent
ne connoiffent pas le Dieu qui les comble
de bienfaits !
Si Dieu en éleve quelques - uns , c'eſt donc
pour être l'appui & la reffource des autres .
11 fe décharge fur eux du foin des foibles &
des petits ; c'eſt par - là qu'ils entrent dans
l'ordre des confeils de la fageffe éternelle .
Tout ce qu'il y a de réel dans leur grandeur
, c'eft l'ufage qu'ils en doivent faire pour
ceux qui fouffrent : c'eft le feul trait de diftinction
que Dieu ait mis en nous ; ils ne font .
que les Miniftres de fa bonté & de fa provi-
FY
130 MERCURE DE FRANCE .
dence , & ils perdent le droit & le titre qui
les fait grands dès qu'ils ne veulent l'être que
pour eux -mêmes .
L'humanité envers les peuples eft donc le
premier devoir des Grands , & l'humanité
renferme l'affabilité , la protection & les largeffes.
Je dis l'affabilité. Oui , Sire , on peut dire
que la fierté , qui d'ordinaire eft le vice des
Grands , ne devroit être que comme la triſte
reffource de la roture & de l'obfcurité . Il paroitroit
bien plus pardonnable à ceux qui
naiffent , pour ainfi dire , dans la boue , de
s'enfler , de fe hauffer & de tâcher de fe mettre
par l'enflure fecrette de l'orgueil de niveau
avec ceux au-deffous defquels ils fe
trouvent fi fort par la naiffance. Rien ne révolte
plus les hommes d'une naiffance obfcure
& vulgaire que la diſtance énorme que
le hafard a mis entre - eux & les Grands...
Les Grands au contraire placés fi haut par
la nature në fçauroient plus trouver de gloi
re qu'en s'abaiffant : ils n'ont plus de diftinction
à fe donner du côté du rang & de la naif.
fance , ils ne peuvent s'en donner que par
l'affabilité , & s'il eft encore un orgueil qui
duiffe leur être permis , c'eft celui de fe rendre
humains & acceffibles.
Il eſt vrai même que l'affabilité eft comme
le caractére inféparable &la plus füre
JUI N. 1745. 131
marque de la grandeur. Les defcendans de
ces Races illuftres & anciennes aufquelles perfonne
ne diſpute la fupériorité du nom & l'antiquité
de l'origine , ne portent point fur leur
front l'orgueil de leur naiffance : ils vous la
laifferoient ignorer , fi elle pouvoit être ignorée
les monumens publics en parlent allés
fans qu'ils en parlent eux-mêmes ; on ne fent
leur élévation que par une noble fimplicité :
il fe rendent encore plus refpectables en ne
fouffrant qu'avec peine le reſpect qui leur eſt
du , & parmi tant de titres qui les diftinguent,
la politeffe & l'affabilité eft la feule diftintion
qu'ils affectent : ceux au contraire qui
fe parent d'une antiquité douteufe , & à qur
on difpute tout bas l'éclat & les prééminenees
de leurs Ancêtres , craignent toujours
qu'on n'ignore la grandeur de leur race , l'ont
cent fois dans la bouche , croyent en affurer
la vérité par une affectation d'orgueil & de
hauteur , mettent la fierté à la place des titres
, & en exigeant au- delà de ce qui leur eft
dû , ils font qu'on leur contefte même ce
qu'on devroit leur rendre.
En effet on eft moins touché de ſon élévation
quand on eft né pour être grand. Quiconque
eft ébloui de ce dégré éminent où la
naiffance & la fortune l'ont placé , c'eſt- à- dire,
qu'il n'étoit pas fait pour monter fi haut : les
plus hutes places font toujours au - dufous
Fvi
132 MERCURE DE FRANCE.
des grandes ames , rien ne les enfle & ne les
éblouit , parce que rien n'eſt plus haut
qu'elles ...
Auffi les plus grands hommes , Sire , &
les plus grands Rois ont toujours été les plus
affables. Une fimple femme Thecuite venoit
expofer fimplement à David fes chagrins domeftiques
, & l'éclat du Trône étoit temperé
par l'affabilité du Souverain ; l'affabilité du
Souverain relevoit l'éclat & la majeſté du
Trône.
Nos Rois , Sire , ne perdent rien à fe rendre
acceffibles. L'amour des peuples leur répond
du refpect qui leur eft dû. Le Trone
n'eft élevé que pour être l'azile de ceux qui
viennent implorer votre juftice ou votre clémence
; plus vous en rendez l'accès facile à
vos fujets , plus vous en augmentez l'éclat &
la majefté. Et n'eft-il pas jufte que la Nation
de l'Univers qui aime le plus fes maîtres , ait
auffi plus de droit de les approcher ? Montrez
, Sire , à vos peuples tout ce que le Ciel
a mis en vous de dons & de talens aimables ;
Jaiffez -leur voir de près le bonheur qu'ils attendent
de votre regne , les charmes & la
majefté de votre perfonne , la bonté & la
droiture de votre coeur affûreront toujours
plus les hommages qui font dûs à votre rang
que votre autorité & votre puiffance.
Ces Princes invifibles & effeminés , ces AfJUIN.
1745. 133
fuerus devant lefquels c'étoit un crime digne
de mort , pour Efther même , de paroître fans
ordre, & dont la feule préfence glaçoit le fang
dans les veines des Supplians , n'étoient plus
vûs de près que de foibles idoles , fans ame ,
fans vie , fans courage , fans vertu ; livrés dans
le fond de leur Palais à de vils efclaves , féparés
de tout commerce comme s'ils n'avoient
pas été dignes de fe montrer aux hommes
, ou que des hommes faits comme eux
n'euffent pas été dignes de les voir : l'obfcurité
& la folitude en faifoient toute la majefté.
Il y a dans l'affabilité une forte de confiance
en foi - même , qui fied bien aux
Grands , qui fait qu'on ne craint point de s'avilir
en s'abaiffant & qui eft comme une efpece
de valeur & de courage pacifique ; c'eft
être foible & timide que d'etre inacceffible &
fier.
D'ailleurs , Sire , en quoi les Princes & les
Grands qui n'offrent jamais au peuple qu'un
front fevere & dédaigneux font plus inexcufables
; c'eſt qu'il leur en coute fi peu de fe
concilier les coeurs : il ne faut pour cela ni
effort , ni étude ; une feule parole , un ſourire
gracieux , un feul régard fuffit : le peuple
leur compte tout : leur rang donne du prix
à tout...
Et peut- on laiffer aliener des cours qu'on
134 MERCURE DE FRANCE,
peut gagner à fi bas prix ? n'eft- ce pas s'avilir
foi-meme que de deprifer à ce point toute
l'humanité , & mérite-t'on le nom de grand
quand on ne fçait pas même fentir ce que valent
les hommes ?
La nature n'a- t'elle pas déja impofé une
affés grande peine aux peuples & aux malheureux
de les avoir fait naitre dans la dépendance
& comme dans l'esclavage ? N'eſt - ce
pas affés que la baffeffe ou le malheur de leur
condition leur faffe un devoir & comme une
loi de ramper & de rendre des hommages ?
faut- il encore leur aggraver le joug par le
mépris & par une fierté qui en eft fi digne
elle-même ? ne fuffit- il pas que leur dépen
dance foit une peine ? faut - il encore les en
faire rougir comme d'un crime ? & fi quelqu'un
devoit être honteux de ſon état feroitce
le pauvre qui le fouffre , ou le grand qui
en abuſe ?
Il eft vrai que fouvent c'eft l'humeur toute
feule plûtôt que l'orgueil qui efface du front
des Grands cette férénité qui les rend acceffibles
& affables ; c'eſt une inégalité de caprice
plus que fierté ; occupés de leurs plaifirs
& laffés des hommages , ils ne les reçoivent
plus qu'avec dégout ; il femble que l'af
fabilité leur devient un devoir importun ,
& qui leur eft à charge ; à force d'être honorés
ils font fatigués des honneurs qu'on leur
JUIN
1745 . 135
rend , & ils fe dérobent fouvent aux hommages
publics pour fe dérober à la fatigue
d'y paroitre fenfibles. Mais qu'il faut étre né
dur pour le faire meme une peine de paroitre
humain n'eft- ce pas une barbarie , nonfeulement
de n'être pas touché , mais de recevoir
même avec ennui les marques d'amour
& de refpect que nous donnent ceux qui nous
font foumis ? n'eft- ce pas déclarer tout haut
qu'on ne mérite pas l'affection des peuples
quand on en rebute les plus tendres témoignages
? peut- on alléguer là -deffus les momens
d'humeur & de chagrin que les foins
de la grandeur & de l'autorité trainent après
foi ? l'humeur eft- elle donc le privilége des
Grands pour être l'excufe de leurs vices ?
Hélas ! s'il pouvoit être permis quelquefois
d'être fombre , bizarre , chagrin , à charge
aux autres & à foi-même , ce devroit être à
ces infortunés , que la faim , la mifere , les
calamités , les néceffités domeftiques & tous
les plus noirs foucis environnent : ils feroient
bien plus dignes d'excufe , fi portant déja le
deuil , l'amertume , le défefpoir fouvent dans
le coeur , ils en laiffoient échapper quelques
traits au dehors , mais que les Grands , que
les heureux du monde à qui tout rit , & que
les joies & les plaifirs accompagnent partout,
prétendent tirer de leur félicité même un privilége
qui excufe leurs chagrins bizarres &
136 MERCURE DE FRANCE.
leurs caprices , qu'il leur foit plus permis
d'être fâcheux , inquiets , inabordables , parce
qu'ils font plus heureux , qu'ils regardent
comme un droit acquis à la profpérité , d'accabler
encore du poids de leur humeur des
malheureux qui gémiffent déja fous le joug
de leur autorité & de leur puiffance ; Grand
Dieu ! feroit- ce donc là le privilége des
Grands , ou la punition du mauvais ufage
qu'ils font de la grandeur ? Car il eft vrai
que les caprices & les noirs chagrins ſemblent
être le partage des Grands , & l'innocence
de la joie & de la férénité n'eft que pour le
Peuple .
Mais l'affabilité qui prend fa fource dans
l'humanité n'eft pas une de ces vertus fuperficielles
qui ne réfident que fur le vifage :
c'eft un fentiment qui naît de la tendreffe &
de la bonté du coeur. L'affabilité ne feroit
plus qu'une infulte & une dérifion pour les
malheureux , fi en leur montrant un vilage
doux & ouvert , elle leur fermoit nos entrailles
, & ne nous rendoit plus acceffibles à
leurs plaintes que pour nous rendre plus infenfibles
à leurs peines.
Les malheureux & les opprimés n'ontdroit
de les approcher que pour trouver auprès
d'eux la protection qui leur manque. Oui,
mes Freres , les loix qui ont pourvû à la défenfe
des foibles ne fuffifent pas pour les metJUIN
. 1741. 1377
*
1
tre à couvert de l'injuftice & de l'oppreffion :
la mifere ofe rarement reclamer les loix établies
pour la protéger , & le crédit fouvent
leur impofe filence.
C'est donc aux Grands à remettre le peuple
fous la protection des loix : la veuve ,
l'orphelin , tous ceux qu'on foule & qu'on
opprime, ont un droit acquis à leur crédit &
à leur puiffance ; elle ne leur eft donnée que
pour eux: c'est à eux à porter aux pieds du
Trône les plaintes & les gémiffemens de l'opprimé
: ils font comme le canal de communication
& le lien des peuples avec le Souverain ,
puifque le Souverain n'eft lui - même que le
Pere & le Paſteur des peuples. Ainfi ce font
les peuples tout feuls qui donnent auxGrands
le droit qu'ils ont d'approcher du Trône , &
c'eft pour les peuples tout feuls que le Trône
lui- même eft elevé ; en un mot & les Grands
& le Prince ne font pour ainfi dire que les
hommes du peuple .
Mais fi loin d'etre les protecteurs de fa foi
bleffe , les Grands & les Miniftres des Rois
en font eux-mêmes les oppreffeurs ; s'ils ne
font plus que comme ces tuteurs barbares qui
dépouillent eux-mêmes leurs pupilles , grand
Dieu ! les clameurs du pauvre & de l'opprimé
monteront devant vous vous maudirez ces
races cruelles , vous lancerez vos foudres fur
les géants , vous renverferez tout cet édifice
138 MERCURE DE FRANCE.
d'orgueil , d'injuftice & de profpérité qui s'étoit
élevé fur les débris de tant de malheureux
, & leur profpérité fera enfevelie fous
fes ruines.
Auffi la profpérité des Grands & des Miniftres
des Souverains, qui ont été les opprelfeurs
des peuples, n'a jamais porté que la honte
, l'ignominie & la malédiction à leurs defcendans.
On a vû fortir de cette tige d'iniquité
des rejettons honteux qui ont été l'oppro
bre de leur nom & de leur fiécle ; le Seigneur
a foufflé fur l'amas de leurs richeſſes injuſtes ,
& l'a diffipé comme de la pouffiere , & s'il
laiffe encore trainer fur la terre des reftes infortunés
de leur race , c'est pour les faire fervir
de monumens éternels à fes vengeances
& perpétuer la peine d'un crime qui perpetue
prefque toujours avec lui l'affliction & la
mifere publique dans les empires.
La protection des foibles eft donc le ſeul
ufage légitime du crédit & de l'autorité , mais
les fecours & les largeffes qu'ils doivent trouver
dans notre abondance forment le dernier
caractére de l'humanité . Oui , mes Freres , fi
c'eft Dieu feul qui vous a fait naitre ce que
vous êtes , quel a pû être fon deffein en répandant
avec tant de profufion fur vous les
biens de la terre ? a- t'il voulu vous faciliter
le luxe , les paffions & les plaifirs qu'il condamne
? font- ce des préfens qu'il vous a faits
JUN. 1745 . 139
dans fa colere ? fi cela eft , fi c'eft pour vous
ſeuls qu'il vous a fait naitre dans la profpérité
& dans l'opulence , jouiffez - en à la bonne -
heure ; faites-vous , fi vous le pouvez , une injufte
félicité fur la terre ; vivez comme fi tout
étoit fait pour vous ; multipliez vos plaiſirs ;
hâtez-vous de jouir , le tems eft court ; n'attendez
plus rien au-delà que la mort & le jugement
; vous avez reçû ici- bas votre récompenfe.
Mais fi dans les deffeins de Dieu - vos biens
doivent être les reffources & les facilités de
votre falut , il ne laiffe donc des pauvres &
des malheureux fur la terre que pour vous :
vous leur tenez donc ici - bas la place de Dieu
même : vous êtes, pour ainfi dire, leur providence
vifible ; ils ont droit de vous reclamer
& de vous expofer leurs befoins ; vos biens
font leurs biens , & vos largeffes le feul patrimoine
que Dieu leur ait affigné fur la terre.
Et qu'y a-t'il dans votre état de plus digne
d'envie que le pouvoir de faire des heureux ?
fi l'humanité envers les peuples eft le premier
devoir des Grands , n'eft - elle pas auffi l'uſage
le plus délicieux de la grandeur ?
Quand toute la Religion ne feroit pas elle
même un motif univerfel de charité envers
nos freres,& que notre humanité à leur égard
ne feroit payée que par le plaifir de faire
des heureux ou de foulager ceux qui fouffrent,
148 MERCURE DE FRANCE.
en faudroit-il d'avantage pour un bon coeur ?
quiconque n'eft pas fenfible à un plaifir fi
vrai , fi touchant , fi digae du coeur , il n'eſt
pas né grand , il ne mérite pas même d'être
homme ...
Il femble même que c'eſt une malédiction at
tachée à la grandeur. Les perfonnes nées dans
une fortune obfcure & privée , n'envient dans
les Grands que le pouvoir de faire des graces
& de contribuer à la félicité d'autrui : on
fent qu'a leur place on feroit trop heureux de
répandre la joie & l'allégreffe dans les coeurs
en y répandant des bienfaits , & de s'affûrer
pour toujours leur amour & leur reconnoiffance.
Si dans une condition médiocre on forme
quelquefois de ces défirs chimériques de parvenir
à de grandes places , le premier ufage
qu'on fe propofe de cette nouvelle élevation ,
c'eſt d'être bienfaifant , & d'en faire part à
tous ceux qui nous environnent ; c'eſt la premiere
leçon de la nature & le premier fentiment
que les hommes du commun trouvent
en eux ; ce n'eft que dans les Grands feuls qu'il
eft éteint ; il femble que la grandeur leur donne
un autre coeur , plus dur & plus infenfible
que celui du refte des hommes;que plus on eft
àportée de foulager des malheureux , moins
on eſt touché de leurs miferes; que plus on eft
le maître de s'attirer l'amour & la bienveil
JUIN. 1745.
14!
lance des hommes , moins on en fait cas , &
qu'il fuffit de pouvoir tout pour n'etre touché
de rien.
Mais quel ufage plus doux & plus flateur ,
mes Freres , pouviez-vous faire de votre élevation
& de votre opulence ? vous attirer des
hommages ? mais l'orgueil lui - même s'en
laffe : commander aux hommes & leur donner
des loix ? mais ce font là les foins de
l'autorité , ce n'en eft pas le plaifir ; voir autour
de vous multiplier à l'infini vos fervi
teurs & vos efclaves ? mais ce font des témoins
qui vous embarraſſent & qui vous gênent,
plûtôt qu'une pompe qui vous décore :
habiter des Palais fomptueux ? mais vous édifiez
, dit Job , des folitudes où les foucis & les
noirs chagrins viennent bientôt habiter avèc
vous ; y raffembler tous les plaifirs ? ils peuvent
remplir ces vaſtes édifices , mais ils laifferont
votre coeur vuide : trouver tous les
jours dans votre opulence de nouvelles reffources
à vos caprices ? la variété des reſfources
tarit bientôt , tout eft bientôt épuiſé ;
il faut revenir fur fes pas & recommencer lans
ceffe ce que l'ennui rend infipide & ce que
Poifiveté a rendu néceffaire. Employez tant
qu'il vous plaira vos biens & votre autorité à
tous les ufages que l'orgueil & les plaifirs peuvent
inventer , vous ferez raffafiés , mais vous
pe ferez
pas fatisfaits ; ils vous montreront le
142 MERCURE DE FRANCE.
joie , mais ils ne la laiſſeront pas dans votre
coeur.
Employez- les à faire des heureux , à rendre
la vie plus douce & plus fupportable à des
infortunés , que l'excès de la mifere a peutêtre
réduits mille fois à fouhaiter, commeJob,
que le jour qui les vit naitre eut été lui- même
la nuit éternelle de leur tombeau ; vous
fentirez alors le plaifir d'être né grand ; vous
goûterez la véritable douceur de votre état ;
c'eft le feul privilége qui le rend digne d'envie
; toute cette vaine montre qui vous environne
eft pour les autres ; ce plaifir eft pour
vous feul , tout le reſte a ſes amertumes ; ce
plaifir feul les adoucit toutes ; la joie de faire
du bien eft tout autrement douce & touchante
que la joie de le recevoir : revenez-y
encore , c'eft un plaifir qui ne s'ufe point ;
plus on le goûte , plus on fe rend digne de le
goûter : on s'accoûtume à fa profpérité propre
, & on y devient infenfible , mais on fent
toujours la joie d'être l'auteur de la profpérité
d'autrui chaque bienfait porte avec lui
ce tribut doux & fecret dans notre ame : le
long ufage qui endurcit le coeur à tous les
plaifirs le rend ici tous les jours plus fenfible .
Et qu'a la majeſté du Trône elle- même ,
Sire , de plus délicieux que le pouvoir de faire
des graces ? que feroit la puiffance des Rois
'ils fe condamnoient à en jouir tout ſeuls ?
JUI N. 1745. 143
une trifte folitude , Phorieur des fujets & le
fupplice du Souverain. C'eſt l'ufage de l'autorité
qui en fait le plus doux plaifir , & le
plus doux ufage de l'autorité , c'eſt la clémence
& la libéralité , qui la rendent aimable .
Non , Sire , ce n'eft pas le rang , les titres , la
puiffance qui rendent les Souverains aimables
;ce n'eft pas même les talens glorieux que
le monde admire , la valeur , la fupériorité du
génie, l'art de manier les efprits & de gouverner
les peuples : ces grands talens ne les rendent
aimables à leurs fujets qu'autant qu'ils
les rendent humains & bienfaifans. Vous ne
ferez grand qu'autant que vous leur ferez
cher : l'amour des peuples a toujours été la
gloire la plus réelle & la moins équivoque
des Souverains , & les peuples n'aiment gueres
dans les Souverains que les vertus qui rendent
leur regne heureux.
Et en effet eft-il pour les Princes une gloire
plus pure & plus touchante que celle de régner
fur les cours ? la gloire des conquêtes
eft toujours fouillée de fang ; c'eſt le carnage
& la mort qui nous y conduit , & il faut faire
des malheureux pour ſe l'affûrer : l'appareil
qui l'environne eft funefte & lugubre , & fouvent
le Conquerant lui-même, s'il eft humain,
eft forcé de verfer des larmes fur fes
propres
victoires.
Mais la gloire , Sire , d'être cher à ſon
144 MERCURE DE FRANCE.
peuple & de le rendre heureux , n'eft environnée
que de la joie & de l'abondance :
il ne faut point élever des ftatues & des colomnes
fuperbes pour l'immortalifer ; elle
s'éleve dans le coeur de chaque fujet un monument
plus durable que l'airain & le bronze
, parce que l'amour dont il eft l'ouvrage ,
eft plus fort que la mort le titre de Conquerant
n'eft écrit que fur le marbre ; le titre de
Pere du peuple eft gravé dans les coeurs.
Et quelle félicité pour le Souverain de regarder
fon Royaume comme fa famille , fes
fujets comme fes enfans , de compter que
leurs coeurs font encore plus à lui que leurs
biens & leurs perfonnes, & de voir, pour ainfi
dire, ratifier chaque jour le premier choix de
la Nation qui éleva fes ancêtres fur le Trône :
la gloire des conquêtes & des triomphes ar'elle
rien qui égale ce plaifir ? mais de plus ,
Sire , fi la gloire des Conquerans vous touche
, commencez par gagner les coeurs de vos
fujets : cette conquête vous répond de celle de
l'Univers. Un Roi cher à une Nation valeureuſe
comme la vôtre n'a plus rien à craindre
que l'excès de fes profperités & de ſes victoires.
Ecoutez cette multitude que Jefus- Chrift
raffafie aujourd'hui dans le défert : ils veulent
l'établir Roi fur eux : ut raperent eum , &
facerent cum regem. Ils lui dreſſent déja un
trong
JUIN. 1745. 145
trône dans leurs coeurs , ne pouvant le faire
remonter encore fur celui de David & des
Rois de Juda fes ancêtres : ils ne reconnoiffent
fon droit à la royauté que par fon humanité.
Ah ! fi les hommes fe donnoient des
maîtres ce ne feroit ni les plus nobles ni les
plus vaillans qu'ils choifiroient , ce feroit les
plus tendres , les plus humains des maîtres
qui fuffent en même- tems leurs peres.
Heureufe la Nation , grand Dieu , à qui vous
deſtinez dans votre miféricorde un Souverain
de ce caractere ! d'heureux préſages
femblent nous le promettre : la clémence &
la majefté peintes fur le front de cet augufte
enfant nous annoncent déja la félicité de nos
peuples ; fes inclinations douces & bienfaifantes
raffurent & font croître tous les jours nos
efpérances. Cultivez donc , ô mon Dieu , ces
premiers gages de notre bonheur ; rendez - le
auffi tendre pour fes peuples , que le Prince
pieux auquel il doit fa naiffance & que vous
n'avez fait que montrer à la terre : il ne vouloit
régner , vous le fçavez , que pour nous
rendre heureux ; nos miferes étoient fes mi.
feres , nos afflictions étoient les fiennes , &
fon coeur ne faifoit qu'un coeur avec le nôtre :
que la clémence & la miféricorde croiffent
donc avec l'âge dans cet enfant précieux &
coulent en lui avec le fang d'un pere fi humain
& fi miféricordieux : que la douceur &
G
146 MERCURE DE FRANCE,
la majefté de fon front foient toujours uñe
image de celle de foname : que fon peuple lui
foit auffi cher qu'il eft lui- même cher à ſon
peuple qu'il prenne dans la tendreffe de la
Nation pour lui la régle & la meſure de l'amour
qu'il doit avoir pour elle ; par là il fera
aufli grand que fon bifayeul , plus glorieux
que tous fes ancêtres , & fon humanité fera
la fource de notre félicité fur la terre & de fon
bonheur dans le ciel . Ainfi foit-il.
GUILLAUME DESPREZ & PIERRE-GUILLAU
ME CAVELIER , Libraires - Imprimeurs ,
demeurant à Paris rue S. Jacques à S. Prof
per && aux trois Vertus donnent avis an
Public qu'ils viennent de mettre en vente un
ouvrage en fix volumes in - douze , qui a
pour titre : Hiftoire des Sacremens , ou de
la maniere dont ils ont été célébrés & adminiftrés
dans l'Eglife , & de l'ufage qu'on
en a fait depuis les Apôtres jufqu'à préfent.
Compofe par Dom C. CHARDON
Religieux Bénédictin de la Congrégation de
S. Vannes. 1745 :
QU
Voique ce titre annonce affés de lui
même quel eft le fujet dont l'Auteur
s'eft propofé de traiter dans les fix volumes
in-douze qui compofent
cet ouvrage , il le
développe
un peu plus au long dans un Aver
JUIN. 1745.
147
-
tiffement très court qu'il a mis à la tête du
premier , où il dit que la lecture des OEuvres
du Pere Morin ( il entend ce qu'il a écrit fur
la Pénitence & les Ordinations ) lui a fait
naître la penfée d'entreprendre en notre langue
une hiftoire fuivie & détaillée des Sacremens
, en choififfant les principaux faits qu'il
a tâché d'expofer d'une maniere claire & précile
autant que chaque fujet le lui a permis ;
qu'il s'eft attaché fur tout aux Auteurs anciens
, aux Peres , aux Conciles & aux Décrets
des Papes , comme aux fources les plus
pures.
Il ajoute qu'il ne s'eft pas contenté de repréfenter
les divers changemens furvenus par
la fucceflion des tems dans l'adminiftration
& l'ufage des Sacremens dans l'Eglife Catholique
: qu'il a de plus fait voir de quelle maniere
ils s'adminiftrent dans les anciennes
communions chrétiennes féparées de la nôtre,
& que deux motifs l'y ont engagé, » Pre-
» mierement , dit- il , j'ai cherché en cela à
fatisfaire la curiofité du lecteur. On fçait
que le récit de ce qui fe paffe dans les Pays
» fort éloignés fait à peu près la même impreffion
fur les efprits que celui des faits arrivés
dans les tems reculés. Ainfi j'ai cru
faire plaifir à ceux qui liront cet ouvrage
» en leur apprenant ce qui fe pratique chés
les Chrétiens orientaux par rapport à la
»
"
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
ג כ
"
30
matiere que je traite. La feconde & pricipale
raifon qui m'a déterminé à cela eft
» que j'ai jugé qu'il étoit avantageux à l'Eglife
Catholique de montrer que les peuples
de ces communions ont confervé les rits
effentiels des Sacremens qui nous font com-
» muns avec eux , rien n'étant plus propre à
convaincre tout efprit raifonnable que
l'Eglife n'a rien innové en ce genre , que
quand on voit ceux qui fe font féparés d'elle
depuis tant de fiecles, convenir dans la pratique
des chofes qui fuppofent une mème
22
20
5)
33
33
» croyance.
"
Enfin il avertit qu'il a été très-attentif à
écarter par tout les termes injurieux & méprifans
comme contraires à la charité qui eſt
l'ame du Chriftianifme , & que pour n'offenfer
perfonne il n'a donné à ceux même qui
vivent dans des communions féparées de la
notre que les noms qu'ils ont pris eux - mêmes
, quoi qu'il fe foit trouvé de tems en
tems dans la néceffité de réfuter leurs opinions.
Telle eft l'idée que l'Auteur donne de
fon ouvrage dans le difcours qui eft à la tête,
renvoyant aux avertiffemens particuliers qu'il
a femés çà & là dans le corps du Livre ceux
qui voudront s'en former une idée plus étenduë.
Ceux qui le liront remarqueront que for
JUIN. 1745 . $49
but principal eft de découvrir l'origine des
rits , tant anciens que modernes , avec lefquels
les Sacremens ont été adminiftrés , de
faire voir ce qu'on y a ajouté & ce qu'on en
a retranché dans la fuite ; quelles étoient les
cérémonies qui accompagnoient ces rits principaux
& effentiels , comment on fe préparoit
à recevoir la grace des Sacremens , &
enfin de faire connoître les uſages tant légitimes
qu'abufifs que l'on en a fait dans toute
la fuite des fiécles . C'eft ce qui l'engage dans
la diſcuſſion d'un grand nombre de faits hiftoriques
, & à éclaircir quantité de canons des
Conciles & de paffages difficiles des anciens
Ecrivains Eccléfiaftiques , qu'il a été ſouvent
obligé de comparer les uns avec les autres ,
pour faire difparoitre les contrarietés apparentes
que les perfonnes peu verfées dans la
lecture de leurs ouvrages croyent appercevoir
& les concilier ainfi entre-eux .
Tous les Sacremens ne lui fourniffent pas
une matiere également abondante . Il en eft
quelques-uns fur lefquels il s'eft beaucoup
plus étendu que fur les autres . Et pour prélenter
au lecteur une idée abregée de ce que
contient l'ouvrage , il eft bon de lui expofer
en peu de mots ce qui eft renfermé dans chacun
des fix volumes.
Le premier comprend les Sacremens de .
Baptême & de Confirmation . Celui - ci ne
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
·
fait pas le tiers du volume . L'autre eft beau
coup plus étendu , parce qu'il y eft traité
non feulement du tems , du lieu , de la maniere
dont il a été conferé , auffi - bien que
de fes effets , & de ceux à qui il appartenoit de
le donner, mais encore du Cathecumenat qui
étoit la préparation au Baptême, & fur lequel
il y a quantité de chofes utiles & curieufes à
dire , tant fur les différentes efpeces de caté
chumenes que fur les exercices qu'on leur
faifoit pratiquer , & fur les inftructions qu'on
leur donnoit , les prieres & les exorcifmes que
Pon faifoit fur eux , & enfin les rits qui précédoient
immédiatement le Baptême.
Dans le fecond Tome il entreprend de
parler de l'Euchariftie comme Sacrement ,
fans entrer néanmoins dans les preuves de la
préfence réelle de J. C. parce que c'eſt une
matiere purement dogmatique & approfondie
dans les excellens écrits que l'on a publiés
dans ces derniers tems contre les Sacramentaires
; l'Auteur fe contente de parler de
l'oblation des dons facrés , de la confé cration
& de la diftribution qui s'en fait par les miniftres
de l'Eglife , ce qui l'engage à traiter de
la maniere dont fe faifoit autre fois la communion
tant dans les affemblées des fidéles que
dans les maiſons particulieres , & de diverfes
chofes qui ont rapport à cette matiere , auffi
bien que des ufages & des pratiques tant léJUIN
. 1745 . 151
gitimes qu'illegitimes qui fe font introduites
autrefois à cet égard. Ce fecond tome comprend
outre cela une partie de l'Hiftoire du
Şacrement de Pénitence , c'eft - à-dire la premiere
Section , où il eft parlé du tribunal
dans lequel les Prêtres exercent l'autorité
qu'ils ont reçue de J. C. d'abfoudre ou de
lier le pécheur & une partie de la feconde
qui traite de la manière dont s'eft faite en
tout tems la confeffion des péchés tant ſecrette
que publique .
La troifiéme Section occupe prefque entierement
le troifiéme Tome . Elle a pour
titre de l'Action de la Pénitence , ou de la
difcipline extérieure que l'Eglife a obfervée depuis
lespremiersflecles jufqu'à préfent à l'égard
des pécheurs tant Clercs que Laiques , pour les
guérir des playes du péché , & les punir des fautes
commifes depuis le Baptême.
Cette Section , à cauſe de la vaſte étenduë
des matieres qu'elle renferme , eft diviſée en
quatre Parties , dont la premiere , outre diverfes
obfervations fur différens points de la
difcipline de la Pénitence en général , comprend
les ufages & les maximes fur cette matiere
reçues dans l'Eglife depuis les tems Apoftoliques
jufques vers la fin du troifiéme fiécle.
Dans la feconde Partie on repréſente
cette même difcipline telle qu'elle a été ob
fervée depuis le tems des perfécutions juf-
Giiij
12 MERCURE DE FRANCE.
ques fui 1 fin du feptiéme fiécle. Cela donne
lieu à l'Auteur d'expliquer au long en
quoi confiftoient ces quatre fameufes Stations
de la Pénitence dont il eſt ſi ſouvent
fait mention dans les Ecrits des Anciens , &
de faire diverſes remarques curieuſes & intéreffantes
qui tendent à éclaircir une matiere
fi importante. On voit dans la troifiéme Partie
que l'Eglife dans le moyen âge a conſervé
le même efprit , & que la difcipline de la Pénitence
, quoique changée en divers points ,
n'a pas été moins rigoureuſe en ce tems que
dans les fiécles les plus floriffans .
Le quatriéme volume commence par la
quatriéme Partie de cette troifiéme Section.
Cette Partie eft proprement l'Hiftoire de la
chute de la Pénitence dont l'Auteur fait voir
la décadence & les différentes caufes qui y ont
Concouru . Elle eſt ſuivie de la quatriéme Section
qui traite de l'Abfolution ou de la réconciliation
des pécheurs tant fecrette que publique.
Après quoi on trouve un Recueil de
différentes pieces authentiques qui forment
toutes enfemble une efpece de Code Penitenciel
& qui repréfentent au naturel l'état
de la pénitence dans les différens âges de l'Eglife
jufqu'à ces derniers tems. Le Traité de
PExtrême-Onation termine ce volume.
Le cinquiéme eft tout entier de l'Ordre . Il
eft divifé en trois Parties ou Sections , dont
JUIN. 1745 . 153
la premiere regarde ce qui précédoit l'Ordination
. L'auteur y traite non feulement des
Ordres mineurs qui étoient & qui font encore
aujourd'hui , comme un préalable à ce
qui s'appelle proprement le Sacrement de
F'Ordre , mais encore de la maniere dont
s'eft faite dans tous les fiécles l'élection des
Miniftres du premier & du fecond Ordre .
Dans la feconde Partie il eft qucftion des
divers rits & formules de l'ordination des
Evêques , des Piêtres , des Diacres , & des
queftions qui ont été agitées autrefois au ſujet
de celles qui avoient été faites contre l'ordre
des canons . Enfin dans la troifiéme on fait
voir la prééminence des Evéques au - deflus
des Prêtres. On y traite de la fubordination
des Evêques les uns aux autres , de l'origine
des dignités de Métropolitains , d'Exarques ,
de Patriarches , de Primats , & des prérogatives
attachées à tous ces rangs.
Le refte de cette Partie du Traité de
l'Ordre fe trouve dans le fixiéme volume. Il
y eft queftion des changemens arrivé dans
l'Ordre hierarchique par les entrepriſes des
Archiprêtres , des Archidiacres , des principaux
Officiers du Pape & du Patriarche de
Conftantinople. On y voit auffi ce qui concerne
lesanciens Economes des Eglifes, les
Défenfeurs, les Avoués ou Vidames, &c. Ou
recherche l'origine de etous ces Officiers; on
Gr
154 MERCURE DE FRANCE.
fait voir les avantages dont ils ont joui ; la décadence
de ceux qui ne fubfiftent plus , & ce
qui refte de prérogatives à ceux qui fe font
confervés jufqu'à préfent. Tout cela eſt ſuivi
de l'Hiftoire du Sacrement de Mariage dans
laquelle on montre de quelle maniere il s'eft
célébré de tout tems , & dans toutes les Nations
Chrétiennes. On y parle auffi des empêchemens
, & l'on tâche de découvrir comment
, en quel tems , & par qui ils ont été
établis. Ce volume eft terminé par la Table
générale de matieres renfermées dans les fix
volumes.
Voilà en peu de mots quelles font les matieres
que l'Auteur a traitées dans cet ouvrage
qu'il n'a point cherché , dit-il , à grofir
mais qu'il s'eft toujours étudié à réduire dans
les bornes les plus étroites qu'il lui a été poffible.
En effet , en confidérant la vafte étendue
& l'importance des chofes qu'il renferme
, on peut dire qu'il lui a plus coûté d'étude
& de travail pour le rendre court que
pour amaffer les materiaux qui devoient entrer
dans fa compofition.
Un ouvrage de cette nature ne peut être
qu'utile aux Chrétiens de tout état. Les Eccléfiaftiques
y verront quelle eft l'origine des
faintes cérémonies qui fe pratiquent dans la
célébration & l'adminiftration des myfteres
dont ils font les difpenfateurs. Les Laïques
JUIN. 1745. 155
y apprendront d'une part avec quelle fimplicité
majeftueufe nos peres ont adminiftré
les chofes faintes ; & de l'autre , comment
ils fe doivent eux - mêmés préparer à recevoir
les Sacremens , & à puifer dans ces fources
divines les graces dont ils ont befoin pour
mener une vie qui réponde à la fainteté de
notre Religion.
L'Auteur pour inviter les gens de toute
condition à la lecture dé fon Livre , femble
avoir voulu l'affortir au goût de tout le monde.
Les perfonnes pieufes y trouveront dequoi
nourrir leur pieté par le récit d'une infinité
d'hiftoires édifiantes qu'il y a répandues ,
& qui toutes ne tendent qu'à infpirer le refpect
pour la Religion & pour la fainteté des
myfteres que Dieu a mis en dépôt dans fon
Eglife.
Les gens de Lettres y verront avec plaifir
quantité de traits de l'antiquité Eccléfiaftique
fort curieux , & même quelques-uns de
l'antiquité Profane qui ont quelque rapport
avec les ufages reçus dans l'Eglife . Nous
pourrions , fi l'Auteur nous le permettoit
apporter des preuves de ce que nous difons
ici en produifant les lettres pleines d'éloges
qui lui ont été écrites par des Antiquaires
habiles à qui il avoit communiqué fon Manufcrit
& l'Imprimé avant qu'il ait paru en
public.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
Enfin les Théologiens y trouveront lespieces
authentiques fur lefquelles ils doivent former
leurs conclufions & prononcer leurs déciſions
en cette matiere fur laquelle il y a tant de partage
de fentimens parmi eux. Ceux qui ont
étudié à fond cette fcience fçavent que les
Sacremens ont été juſqu'à préſent la portion
de toute la Théologie que l'on a le moins
defrichée , & celle qui demande le plus d'érudition
; que pour y faire des découvertes
il ne fuffit pas d'avoir beaucoup de pénétration
d'efprit , & d'avoir lû l'Ecriture Sainte &
quelques - uns des Saints Peres les plus eſtimés
, mais qu'il faut de plus être inftruit à
fond des pratiques & ufages des Eglifes de
toutes les Nations & de tous les tems.
JUIN. 1745. 157
Le mot du Ier. Logogryphe eft Carnaval , on y
trouve Car , Naval , Aval , terme de commerce ;
lorfqu'un banquier a accepté une lettre de change
on dit qu'il a mis deffus fon Aal , Aval fignifie
auffi un vent en termes de Mariniers . On y trouve
encore Canal.
On a dû expliquer le fecond Logogryphe par
Ruban , on y trouve Ur , Ville de Chaldée Patrie
d'Abraham´ , ´Bau , convocation des Nobles au
fervice du Roi , Baz , publication , & An.
Le mot de l'Enigme fuivante eft le Tour , & celui
du dernier Logogryphie eft Marchand , on y trouve
Marc , poids , & S. Marc Evangeliste , Arc
Aa , riviere , Ham , Ville , Ratan , Armand l'un
des Comédiens du Roi , Aman , CChhaamm,, Acham
qui vola une regle d'or du tems de Jofué , Marca
Archevêque de Paris , Camard , Cam l'un des fils
de Jacob , Canard & Cana Ville de Galilée,
158 MERCURE DE FRANCE.
SAPSARSAPSAPSAP SAPSAPSAPSP
ENIGME ET LOGOGRYPHES.
ENIGME .
LEcte Ecteur, combien de fois ai -je fixé tes yeux ?'
Sans te parlerj'ai fçu beaucoup te dire ,
Sans rien fçavoir j'ai fçu t'inftruire ,
Et long-tems après toi j'inftruirai tes neveux ,
LOGO GRYPHE.
Pourfuir les préjugés enfans de l'ignorance ,
Ne jugeons point des gens fur la feule apparence :
C'eſt le meilleur. Chaque être a fes proprietés.
Naïvement , lecteur , voici mes qualités ;
Laid , plat , voûté , gris , blanc , n'ayant qu'un
trou pour gîte ,
Quoi qu'avec force pieds je n'en cours pas plus
vite.
S'il eft beaucoup de gens qui n'ofent me toucher,
D'autres bien differens foigneux de me chercher
Sçavent qu'il eft en moi des vertus admirables
Par qui les plus grands maux ceffent d'être incurables.
JUIN. 1745 .
159
Que le pufilanime & le moins curieux
Voye s'il fut jamais deftin plus glorieux.
8 Lettres , fomme toutes en divers fens jettées ,
Vont de mon petit corps faire un nouveau
Prothée.
I , 3 , 2 , Que Petrarque en ftile ſérieux
Nomme une Colomne d'yvoire
Qui fert à foutenir les Cieux .
Belle Laure , tu le peux croire ,
Ce font des aftrès que tes yeux .
I > pour
les vitres , 3 2 , 8 , Il faut en avoir ”
3 , 6 , Plus ou moins pur au degré de ſes titres
1 , 3 , 6 , Inftrument qu'on porte fans manteau,
6 , 5 , 8 , Eft fi dur qu'il réfiſté au marteau .
4 , 5 , 6 , 7 , 8 , Honneur de la Turquie .
4 , 6, 5 , 7 , 8 , Garçon d'Imprimerie .
4, 5 , 6 & 7 , Ce qu'on defire en Mer.
4 , 5 , 6 , Plus 1. feroit-il ladre vert ?
4', 5 , 7 , Un lit , une table , une chaiſe ,
Sont fuffifans pour mettre un pauvre homme à fon
aife .
Certain bruit incongru que fait fouvent & fort ,
Comme dit le proverbe , ane qui n'eſt pas mort
C'eft 4, 8 & 7 , mais7,6,5, & 4 ,
Sage l'évitera , s'il n'eft las de combattre.
Je pourrois bien encor me métamorphofer ,
Mais il ne s'agit pas ici de m'épuifer,
160 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
DIx membres réunis forment mon exiſtence ,
On y voit un poiffon , une Ville , un oiſeau :
Ce qu'une femme porte en guife de manteau :
Ce dont un tout tire ſa conſiſtance :
Un fruit , un élement , un peché capital ,
Un animal immonde , un précieux métal ,
Un vafe de fayance ou bien d'autre matiere .
Ce qui réduit le tabac en pouffiere ;
,
Ce que l'on trouve au corps humain ;
Enfin ce qu'a fouvent un joueur à la main.
On dit que je renferme encor quelque myſtere ;
Lecteur , c'eft votre tour ; il eft tems de me taire.
Par Mlle de Villecourt à Nevers.
15
TELA VILLE
DE
LYON
BIBLIOTHE
7
JUIN 1745. 161.
**H** **** *** » > « I« « K
DUO.
L La Flute dont le Dieu Mercure
Se fervit autrefois pour endormir Argus
Fut par le confeil de Bacchus
Un verre de bonne meſure.
Argus , heureux Berger , ah ! que ton fort fut doux,
Si profitant de l'avanture
Pour fermer tous tes yeux tu bus jufqu'à cent coups !
162 MERCURE DE FRANCE.
****************
L
SPECTACLES,
OPERA.
Académie Royale de Mufique donnera
inceffamment la premiere repréfentation
des Fêtes de Thalie Balet, les paroles font
de feu M. de Lafont & la Mufique de feu
M. Mouret. Il a paru la premiere fois le
Dimanche 19 Aouft 1714 ; il a été remis
bien des fois avec un fuccès foutenu.
La fortune de cet Opéra a long- tems
varié avant que de s'établir folidement.
D'abord les paroles furent totalement profcrites
, & la Mufique ne fut goûtée que lentement.
A la premiere repréſentation il n'y
eut que le cotillon qui échappa à la critique ;
à la feconde , la Loure eut le même fort.
Dans les fuivantes les Symphonies furent approuvées
, enfin la Mufique vocale obtint les
fuffrages les plus tardifs.
Quant aux vers on s'obſtina fi long-tems
à les honnir , que le Poëte lui -même fut
forcé de les condamner publiquement dans
l'acte qu'il ajouta à fon Balet intitulé la Critique
des Fêtes de Thalie ; le tems a fait taire
la fatyre , & aujourd'hui ce Balet eft un
des plus amufans qui foit refté fur le Théatre
JUIN. 1745: 783
lirique. Ce n'eft pas le feul Opera qui après
avoir été fort critiqué foit parvenu à une
réputation moins conteftée. Nous ne ferons
pas ici les citations qui pourroient y trouver
leur place , nous laiffons ce foin à nos lecteurs
judicieux qui ne fe méprendront pas.
Notre exactitude feroit defobligeante pour
quelques Auteurs , & nous craignons d'offenfer
leur amour propre , nous aimons mieux
ne pas contenter le nôtre en étalant toutes
les découvertes de notre attention.
Il eft fûr qu'on a négligé les talens de M.
Mouret. Quel parti n'auroit- on pas tiré de
cet Auteur , fron avoit connu fon prix ? Auroit-
on fouffert qu'il eût prodigué dans cent
piéces qui n'ont pas réuffi fur le Théatre Ita-
Tien plus de Mufique qu'il n'en faudroit pour
immortalifer dix Opera ? La diftinction des
talens eft- elle donc fi difficile à faire ? II
faut le croire , nous en avons des preuves
anciennes & modernes ; la Tradition même
nous apprend que la Phedre de Racine a
penſé céder le Théatre , quand elle a paru
pour la premiere fois , à celle de Pradon.
**
*
# 64 MERCURE DE FRANCE,
QUATRIEME fuite des réflexions fur
les Ballets.
Ous allons achever la defcription du
N Balet danfe devant Louis XIV . à Lyon,
duquel nous avons parlé dans le premier volume
de ce mois.
La Ville de Lyon vient être la veftale
pour conferver le feu facré de l'autel confacré
à Louis Augufte. Elle commence´la´fixiéme
entrée par ce récit.
Je dois ma premiere origine
Au fiécle glorieux des Céfars couronnés,
Et tous les peuples étonnés
M'ont vû fortir deux fois d'une trifte ruines
La querelle de deux * rivaux
Devint la caufe de mes maux.
Leur fureur n'épargna ni Temple ni Portique ,
Et par cette fatalité
Ilne me reste plus d'antique
Que le gage éternel de ma fidélité,
La feconde partie pour les dépouilles confacrées
à l'autel de Louis Augufte fit d'abord
paroître la gloire affife fur un Trône
dont toutes les marches étoient terminées
par des lions accroupis , & veillans comme
* Albin & Severe .
JUIN.
165
1745 .
ceux du Trône de Salomon : ce fut la Gloire
qui fit ce ré cit.
Sortez de vos Palais & quittez vos baluftres,
Idoles de la majeſté ,
Venez apprendre ici de quelle autorité
Se fervent les ames illuftres,
On cultive plus de lauriers
Dans les plaines de Mars & dans les champs guer
riers
Que dans loifiveté d'une Cour pacifique :
Le fer a plus rendu de Princes immortels ,
Que l'or dont ils ſe font un orgueil magnifique”,
Et l'encens qui noircit tous les jours leurs autels :
Ce n'eft pas des Héros peints dans leurs Galeries
Qu'ils apprennent à triompher ;
Un Roi doit préferer la pouffiére & le fer
Aux dorures des Tuilleries ,
Les combats de Fontainebleau
Et l'ennemi vaincu dans un coin de tableau
Sont de belles leçons pour un Prince en peinture.
Pour former un Héros , pour faire un Conquerant
Il faut comme Louis prendre d'autres meſures
Et mériter l'honneur que la gloire lui rend .
A la premiere entrée de cette feconde
partie les Elémens vinrent s'offrir à Louis
Augufte pour le fervir dans les combats &
166 MERCURE DE FRANCE.
lui jurerent fur fon autel une fidélité inviolable.
Premier récit
LE FEU .
Je veux fervir avec chaleur
Ce Conquérant dont la valeur
Et la feule gloire m'allume ,
Pour lui mon zéle eft évident ;
Je ne tiens pas fecret le feu qui me confume ,
Et de fes ferviteurs je fuis le plus ardent,
L'AIR.
Rien ne peut refifter à ma légereté ,
Tout foible que je fuis , je gronde je tempête ,
Pour peu que je fois irrité
Il n'eft point de laurier qui ne baiſſe la tête :
Je fuis vos étendars , je les enfle ſouvent
Vos ennemis jaloux admirent mes foupleffes ,
Fiez -vous donc à mes promeffes ,
Quoiqu'elles ne foient que du vent.
L'E A U.
Vous voyez le fond de mon coeur
Je ne vous cele rien , mon ame est toute claire ,
Et bien que le dehors ne montre que froideur ,
Je brule inceffamment du defir de vous plaire ;
J'offre à ce deffein tous mes bras
Pour vous fervir dans vos combats ,
Et je veux vous donner des preuves de mon zéle
Je vais faire pour vous de glorieux efforts
Je remue , il eft vrai , mais je fuis fi fidelle
"
JUI N..
167 1745.
Queje garde un rempart lors même que je dors.
LA TERRE.
Pour moije foutiens yos guerriers ,
Et de tous vos fujets vous voyez le plus ferme
Pour vous je m'épuife en lauriers ,
C'eft pour vous que la palme germe ,
Je viens pour vous en couronner ,
Mais je me plains ſouvent à l'aftre qui m'éclaire ,
De voir que nous foyons plus tardifs à les faire
Que vos mains à les moiffonner.
Enfuite des Villes nouvellement conquifes
viennent chargées de chaines au pied de
l'autel de Louis Augufte, où brifant ces chaines
elles en font des trophées & fe réjouiffent
d'être foumifes à ce Conquérant. Ces
Villes devenues Françoifes compofent la
feconde entrée.
La Flandre & la Lombardie furieuſes &
échevelées fremiffent en voyant ces chaines
attachées à l'autel de Louis Augufte ; elles
s'éforcent en vain de les arracher & de renverfer
l'autel ; leurs efforts impuiffans les
obligent d'avoir recours à la fiévre qui met
les humeurs en querelle , elles fe combattent
, l'autel tremble & ces funeftes mouvemens
occupent la troifiéme, la quatrième
& la cinquiéme entrée,
La fixiéme fut celle de la France languif
fante pendant la maladie dangereuſe dont
168 MERCURE DE FRANCE .
Louis XIV. fut atteint au Fort de Mardich
après fes Victoires éclatantes. La jeuneſſe
vint à fon fecours , chaffa la fiévre , réconcilia
les humeurs , & rétablit les eſpérances
de la France , qui fit ce récit.
LA FRANCE.
Heureux événement qui contre mon attente
Retire du cercueil la Majefté mouraste ,
Tu diffipes ma crainte , & me fais reſpirer
En me rendant un Roi qui me fait révérer :
Je ne voyois par- tout que des Palmes féchées
Des Lauriers prefque morts , & des fleurs arrachées;
La gloire travailloit à lui faire un Tombeau ,
Et le jour n'éclairoit que d'un trifte flambeau ,
Tandis que mon Héros d'un air doux & tranquile
Quittoit fans s'émouvoir cette Pompe fragile ,
Et Monarque intrépide en ce dernier effort
Vainquoit fes ennemis , & défioit la mort.
En ce moment fatal ce Héros invincible!
Demeuroit encor ferme , & fe rendoit terrible :
Sa vigueur défaillante animoit les foldats
Donnoit le mouvement & la force à leurs bras ;
Etendu dans fon lit fans Sceptre ni Couronne
Il confervoit les droits que la Pourpre lui donne ,
Rien ne pût l'ébranler , & ce lys abattu ,
Tout pâle & languiffant retenoit fa vertu.
Ainfi l'aftre du jour voit mourir fa lumiere ,
Sans manquer d'un feul pas à fa jufte carriere ,
D'un
JUIN
1745. 169
!
D'un mouvement égal il marche à fon tombeau,
Et voit d'un oeil ouvert éteindre fon flambeau ,
Tandis qu'avec cent feux dans la voûte céleſte ,
La nuit fuit fon cercueil fous un voile funefte :
Ma Reine en ce moment cédoit à fes douleurs ,
Et l'aurore jamais ne verfa tant de pleurs ;
D'un regard languiffant , d'une lumiere fombre
Elle voyoit mon Roi qui n'étoit plus qu'une ombre;
La fortune en déſordre & la victoire en deuil
Pour un Arc de Triomphe élevoient un cercueil ,
Les Drapeaux déployés , & les Piques baiffées
Alloient bien-tôt ſe joindre aux armes renverſées ,
Et fi l'on arrachoi : des Palmes aux Flamans ,
C'étoit pour couronner de triftes monumens ;
La gloire d'autre part confuſe & gémiſſante ,
Survivoit à regret à la valeur mourante ;
Les graces & l'amour pleuroient ce Conquérant ,
Et tout dans la nature étoit mort ou mourant :
Moi d'un torrent de pleurs & de larmes trempée ,
J'expirois en baiſant ſa main & ſon épée ,
Quand le Ciel attendri le rendit a mes voeux
Et pour le conferver employa tous fes feux.
Du coeur de mon Héros une flamme plus forte
Sortit pour ranimer la Pourpre déja morte ;
Il reprit fa vigueur & ce nouvel effort
Son triomphe augmenta de celui de la mort.
Graces aux Immortels cette feconde vie
De combien de fuccès fera-t- elle fuivie ?
II. Vol.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
Je verrai ſa valeur malgré ſes ennemis
Le faire reſpecter par cent Peuples foumis.
Autour de ce Héros cent Provinces captives
Quitteront leurs lauriers pour prendre ſes olives ,
Tandis que je ferai des cours de ſes Sujets
Des victimes d'amour & des Trônes de Paix .
Ce récit funébre , & le trifte tableau
des quatre dernieres entrées offert en 1658,
nous rappelle affés exactement celui qui a
tant effrayé la France en 1744 , lorfque le
Roi fut attaqué d'une fi dangereufe maladie
dans la Ville de Metz.
JUIN 1745 171
1
COMEDIE FRANCOISE.
Le fuccès éclatant de la repriſe de Didon,
Tragédie de M. le Franc nous autoriſe à
en parler plus d'une fois . Le public ne peut
manquer de relire avec fatisfaction l'éloge
d'une Piece qu'il a revû fouvent avec tant
de plaifir.
Ses applaudiffemens longs , redoublés &
fréquens garantiffent la vérité de notre opinion.
Ne pouvons - nous pas avancer fans témerité
de M. le Franc , qu'il a commencé
la carriere dramatique , comme l'Auteur le
plus habile fouhaiteroit de la terminer.
La Tragédie de Didon a été repréſentée
la premiere fois en 1734, & imprimée & débitée
par Chaubert Libraire Quai des Auguftins.
On lit à la tête une lettre de l'Auteur
adreffée à M. le Marquis de Neelle
Commandeur des Ordres du Roi , qui plus
inftructive que les Epîtres dédicatoires ordinaires
, ne ſe borne pas aux louanges dûës
à l'efprit & au goût de ce Seigneur ; elle
renferme une Differtation qui prouve la mo◄
deftie & la capacité de M. le Franc.
Nous ne donnerons pas un extrait ſuivi
de cette Tragédie , on peut le trouver dans
les Mercures de nos prédéceffeurs. Nous
nous contenterons d'en tranfcrire quelques
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
morceaux : le choix eft fort embarraſſant
entre des beautés égales. M. le Franc s'eft
approprié tous les beaux traits de Virgile ,
& il les a fi bien confondus avec fes propres
richeffes , qu'on ne peut plus diftinguer fes
emprunts.
SCENE CINQUIEME
Du fecond Acle entre larbe , paffant encore
pourfon Ambassadeur , & Didon.
I ARBE .
Iarbe aux Phrygiens eft donc facrifié ?
Madame , votre hymen eft déja publié,
C'est peu que d'un refus l'ineffaçable outrage
D'un Monarque puiffant irrite le courage ,
Un Guerrier qui jamais ne l'auroit efperé
A l'amour d'un grand Roi ſe verra préferé ?
Du moins fi votre coeur fans déſir & fans crainte
Pour toujours de l'hymen avoit fui la contrainte ,
Mais de ce double affront l'éclat injurieux
N'armera pas en vain un Prince furieux.
Achevez toutefois un fatal hymenée ,
Bravez toute l'Afrique & couronnez Enée ,
Il fera votre époux , il défendra vos droits
Et bien- tôt défiant le courroux de nos Rois,
Suivi de fes Troyens, . .
DIDON.
?.
Je m'a bufe peut- être ,
JUIN 1745 . 173
Vous pouvez cependant rejoindre votre maître ,
C'eft à lui de choiſir ou la Guerre ou la Paix ,
J'aime , j'époufe Enée , & mes foldats font prêts .
I ARBE.
Oui , Madame, il choifit , & vous verrez fans doute
Eclater des fureurs que pour vous je redoute ;
Vous époufez Enée , & votre bouche ... O Ciel !
Me fait avec plaiſir un aveu fi cruel !
Ne tardons plus , fuivons le courroux qui m'en
traine.
DIDON.
Oubliez vous qu'ici vous parlez à la Reine ?
IAR BE.
A ma témérité reconnoiſſez un Roi .
DIDON .
Quoi , fe peut-il qu'Iarbe .
IAR BE.
Oui , cruelle , c'est moi;
Dès mes plus jeunes ans par le deftin contraire
Conduit dans les climats où regne votre frere ,
Je vous vis ; vos malheurs firent taire mes feux ,
Un autre parleroit des tourmens rigoureux
Qui remplirent depuis une vie odieufe
Qui ne fçauroit fans vous être jamais heureuſe ;
Je ne viens point ici de moi-même enyvré
Vous faire de ma flamme un aveu prépar ,
Peu fait à l'art d'aimer , j'ignore ce langage
Que pourfurprendre un coeur l'amour met en ufage,
Hiij
# 74 MERCURE DE FRANCE,
Je laiffe à mes rivaux les foupirs , les langueurs ,
Du luxe afiatique hommages féducteurs ,
Vains & lâches tranſports dont la vertu murmure ,
Qu'enfante la molleffe & que fuit le parjure ;
Je vous offre ma main , mon Trône , mes foldats ;
Dites un mot, Madame , & je vole aux combats ,
Je dompterai s'il faut l'Afrique & votre frere ...
Mais malheur au Rival dont l'ardeur téméraire
Ofera difputer à mon amour jaloux
Le bonheur de vous plaire , & de vaincre pour
vous.
DIDON.
Seigneur, de votre amour juftement étonnée ,
A de nouveaux revers je me vois condamnée ,
Car enfin quelque foit le tranſport de vos feux ,
Mon coeur n'est plus à moi pour écouter vos voeux .
Mais quoi ! je connois trop cette vertu févere
Dont votre augufte front porte le caractere .
Un Héros tel que vous fameux par fes exploits ,
Dont l'Afrique redoute & refpecte les loix ,
Maître de tant d'Etats , doit l'être de fon ame
Voudroit-il , n'écoutant que fa jaloufe flamme ,
D'un amant ordinaire imiter les fureurs ?
Non , ce n'eft pas aux Rois d'être tyrans des coeurs,
Montrez-vous fils du Dieu que l'Olimpe révere.
J'admire vos exploits , votre amitié m'eſt chere ,
C'eft à vous de fçavoir fi je puis l'obtenir ,
Ou fi de mes refus vous voulez me punir ';
JUIN 1745. 175
1
Si dans les mouvemens du feu qui vous anime
Vous voulez feconder le deftin qui m'opprime ,
Hâtez-vous , fignalez votre jaloux tranſport ,
Accablez une Reine en butte aux coups du fort
Qui prête à voir fur elle éclater le tonnerre
Peut fuccomber enfin fous une injuſte guerre ,
Mais que le fort cruel n'abaiffera jamais
A contraindre fon coeur pour acheter la Paix .
SCENE DEUXIE'ME
Du quatrieme Acte entre Enee & Achate:
АСНАТ Е.
Ah ! Seigneur , raffûrez mon ame inquiétée
Contre l'affreux foupçon dont elle eft agitée ;
Mon zéle fur vos pas m'a conduit vainement ,
Le fort vous rend enfin à mon empreffement.
Je tremble d'éclaircir le funefte myſtere
Qui vient de retarder un départ néceffaire ,
Mais vos yeux incertains femblent me réveler
Un fecret que votre ame a voulu me céler ,
Quoiqu'il en foit, Seigneur , partons , c'eft trop
attendre ,
Que fçai-je ? la pitié peut encor vous furprendre ,
Hatons - nous . Vos vaiffeaux couvrent déja les
mers ,
Les cris des matelots font retentir les airs ,
L'onde blanchit d'écume, & s'il faut vous le dire,
Hij
176 MERCURE DE FRANCE.
Vos foldats pleins du feu que le Ciel leur infpire
De leur chef en fecret accufent la lenteur .
ENE' E
J'ai vu la Reine, Achate , & l'amour eft vainqueur,
A CHAT E.
Que dites-vous ? l'amour ! Ah je ne puis vous
croire.
Non l'amour n'eft point fait pour étouffer la gloire;
Elle parle , elle ordonne , il lui faut obéir ,
Ce n'eft pas vous , Seigneur , qui la devez trahir...
Qu'entens-je ? eft-il bien vrai .. Quelle foibleffe
extrême !
Quoi ! l'amour ! non , Seigneur , vous n'êtes plus
vous-même ...
Que diront les Troyens ? que dira l'Univers ?
On attend vos exploits , & vous portez des fers.
ENE' E.
De la main de Didon je tiens une Couronne ,
Je poffede fon coeur , je partage fon Trône ,
Quelle gloire pour moi peut avoir plus d'appas ?
A CHAT É.
La gloire n'eft jamais où la vertu n'eft pas.
Mais dûffiez - vous punir un ami trop fidéle ,
Je ne fçaurois , Seigneur , commander à mon zéle .
Je le vois bien ; Enée à jamais attaché
Aux liens de l'amour ne peut être arraché ,
Aimez, donc. Renoncez aux Palmes immortelles
Qui devoient couronner vos conquêtes nouvelles..
JUIN 1745 . 177
Mais il vous refte un fils . Ce fils n'eft plus à vous ,
Il appartient aux Dieux de fa grandeur jaloux ,
Ses neveux fonderont une Cité guerriere
Qui changera le fort de la nature entiere ,
Qui lancera la foudre ou donnera des loix ,
Et dont les Citoyens commanderont aux Rois.
Leur nom fera trembler. Le maître du Tonnerre
A leur vafte triomphe a réſervé la terre ;
Vous le fçavez , Seigneur , vous qui dans les
combats
De ce fils jeune encor deviez guider les pas ,
Par ma bouche aujourd'hui les Peuples le demandent
,
Promis à l'Univers les Nations l'attendent ,
Confiez à nos foins ce dépôt précieux
.Pour nous facré garant de la faveur des Dieux ,
Et n'aviliffez plus dans une paix profonde
Le fang qui doit former les Conquérans du monde.
On n'a tiré de cette Scene que les remontrances
héroïques d'Achate ces Vers
pompeux font dignes de la grandeur de
'T'Empire Romain qu'ils prédifent. Les tendres
réponſes d'Enée ne font pas moins
belles dans leur genre , mais il faudroit copier
la Tragédie entiere , s'il ne falloit ou
blier que le foible ,
Il faut répeter encore l'éloge des talens
pathétiques de Mlle Clairon ; les autres Ac-
Ну
.
178 MERCURE DE FRANCE.
teurs l'ont parfaitement fecondée.
Nous nous fouvenons heureufement pour
nos lecteurs de la fublime réponſe de Diden
au difcours du Roi Iarbe , paffant
pour fon Ambaffadeur,dans la feconde Scene
du premier Acte.
DIDON.
Lorfque du fort barbarbare innocente victime ,
J'ai fui loin de l'Afie un frere qui m'opprime ,
Je ne m'attendois pas qu'un fils du Roi des Dieux
Voulut m'affocier à fon rang glorieux ;
i
Je dis plus , j'avouerai que cette préférence
Méritoit de mon coeur plus de reconnoiffance ,
Mais tel eft aujourd'hui l'effet de mon malheur ,
Didon ne peut répondre à cet excès d'honneur ...
Iarbe ſe tranſporte , & fait des reproches
à Didon fur la fouveraineté qu'il prétend
ufurpée . Elle replique :"
Ce difcours téméraire a de quoi me furprendre ;
Didon à fes pareils n'a point de compte à rendre ;
Jarbe eft fouverain , je fuis Reine aujourd'hui,
Et ne vois rien encor qui me foumette à lui ,
Mais ce Roi que le tems fçaura forcer peut-être
A craindre mon pouvoir , du moins à le connoître,
Quel droit plus que Didon a t'il de commander?
Les Empires font dûs à qui fçait les fonder ,
Cependant que lle haine ou quelle wéfiance
JUIN. 1745. 179
Armeroit contre moi votre injufte vengeance ?
Voyez-vous chaque jour mes foldats menaçans ,
Aller avec fureur loin de ces murs naiſſans ,
Troubler des Africains les demeures tranquilles ,
Et répandre l'effroi dans le fein de vós Villes ?
Que dis-je ? Ce rivage où les vents & les eaux
D'accord avec les Dieux ont pouffé nos vaiſſeaux ,
Ces bords inhabités ,, ces Campagnes défertes ,
Que fans nous la moiffon n'auroit jamais couvertes
Des Rochers , des Torrens & des Monts eſcarpés ?
Voilà donc ces Pays , ces Etats ufurpés !
Mais devrois-je à vosyeux rabaiffant maCouronne,
Juftifier le rang que le deftin me donne ?
Les Rois comme les Dieux font au-deffus des loix,
Je régne , il n'eft plus tems d'examiner mes droits.
M. le Franc a refon du entierement le cinquiéme
Acte. Ce changement & les autres
demandent une édition nouvelle de Didon,
qui aura fùrement le fort des ouvrages de
Corneille & de Racine,
H vj
180 MERCURE DRAF
గ
VERS Compofe's par M. Bret à la louange
du Peintre qui a tiré Mlle Dangeville en
...paſtel.
SIXAIN.
DEviger , quand ta main habile
Peignit l'aimable Dangeville ,
'Quel Dieu conduifoit ton pinceau ?
Sans la flater tu la rendis fi belle
Que j'éprouvai pour fon tableau
La même ardeur que je reffens pour elle.
JUIN. 1745. 181
*32*338*338*
CONCERT de la Reine,
E Samedi 22 Mai on exécuta chés la
Reine le 422 , Mdern excle d 'Armide.
Mlles Mathieu & Deschamps chantérent chacune
après un air Italien que la Reine leur
avoitdemandé ; elles en reçurent des applaudemens
de Sa Majefté &de Madame la
Dauphine,
Le Lundi 24 on chanta le prologue &
le 1 er, acte de l'Opera de Callirobce , Mlles
Defchamps , Mathieu Canavas chanteterent
les rôles ainfi que Mrs. Jeliot & Lagarde.
Le même jour la Reine fit charter pen-.
dant fa Meffe le Te Deum pour la prife de
Tournay ; ce fut celui de M. l'Abbé Blanchart
Maître de Mufique de la Chapelle.
Le Jeudi 27 jour de l'Afcenfion la Reine
entendit l'Office à la Chapelle, & après les
vêpres, elle entendit le Te Deum de M. Deftouches
Sur-Intendant de la Mufique du Roi.
M.Rebel fon furvivancier en battit la meſure .
Le Samedi 29 on chanta chés la Reine
le 2 me, & le 3 me, acte de Callirboée .
Le Lundi 31 on chanta les deux derniers ,
actes de cet Opéra.
182 MERCURE DE FRANCE.
Les 26 , 28 & 30 on chanta devant Sa
Majefté l'Opera de Scanderberg de la compofition
de Mrs Rebel & Francoeur Sur-
Intendants de la Mufique du Roi. Les rôles
de Roxane & de Servilie furent parfaitement
rendus par Mlles Lalande & Mathieu . M.
Jeliote eut un grand fuccès dans celui de
Scanderberg ; M. Poirier brilla auffi dans
celui de la Magie au Prologue & dans ceux
de l'Aga des Janiffaires & du Muphti dans
la Piece ; Amurat fut très - bien chanté par M.
Lagarde. Le rôle de l'Amour du Prologue
fit honneur aux talens de Mlle Defchamps.
Mlle Selle s'acquita très bien de
ceux de Polemnie , d'une Sultane , d'une
Greque , d'une Afiatique , & d'une Odalifque
. Mrs Godonnefche & Richer remplirent
les rôles d'Ofman & de deux Scythes .
La légereté de la voix & la préciſion du
chant de Mlle Canavas parurent également
dans un air Italien du divertiſſement du 4me.
acte de Scanderberg. La Reine parut ſatisfaite
de l'exécution de cet ouvrage.
Après le Concert Madame Mathieu chanta
une fanfare à la louange du Roi , les
h Curce chanterent les refrains à chaque
couplet. Cette fanfare eft de M. de D *** &
les paroles font de M. de Montcrif l'un des
40 de l'Académie , & Lecteur de la Reine,
Le z Juin la Reine entendit l'acte de Phi
JUIN. 1745.
183
lotis, derniere entrée du balet des Stratagêmes
de l'Amour de la compofition de M. Deſtouches
. Miles Selle & Lagarde remplirent
les rôles d'Albine & d'Emilie . Celui du maître
des Efclaves fut exécuté avec beaucoup
de fuccès par M. Jeliot .
Le Jubilé à fufpendu les concerts à la
Cour.
Le Samedi 5 & le Dimanche 6 jour de la
Pentecôte la Reine entendit l'Office chanpar
la Mufique. M. l'Evêque de Bayeux
y officia pontificalement .
té
Le 17 jour de la Fête Dieu la Reine ac
compagnée de Madame Adelaïde affiſtaà la
Proceffion du S. Sacrement qui fut faite dans
P'Eglife de Notre Dame Paroiffe du Château.
M. l'Archevêque de Rouen Grand Aumonier
de Sa Majefté y affifta ainfi que plufieurs
Seigneurs & Dames de la Cour . M. le
Curé de Verſailles chanta la grande Meffe.
Le mêmejour la Reine entendit le Salut à
la Chapelle chanté par la Mufique ; on y
chanta 2 verſets du Pange lingua de M. l'Abbé
Madin Maître de Mufique de la Chapelle
du Roi ; le Salut en Mufique s'eft continué
toute l'Octave .
Le lundi matin 2 1 il arriva à Versailles
un Page que le Roi avoit fait partir la veille
pour apprendre à la Reine la reddition de
Ja Citadelle de Tournay ; S. M. ordonna à
184 MERCURE DE FRANCE.
M. l'Abbé Madin Maître de Mufique de la
Chapelle de faire chanter fon Te Deum pendant
la Meffe , en lieu & place du Pleaume
que l'on chante ordinairement.
Pendant toute l'octave du S. Sacrement il
y a eu des Saluts en Muſique à la Chapelle ,
comme il eft d'ufage. Ce qu'on y a chanté
eft de la compolition de M. l'Abbé Madin
.
Le Samedi 26 M. Dornel Organiſte
de fainte Genevieve fit chanter pendant
la Meffe de S. M. le Pfeaume Landate pueri
Dominum & c. Cet Auteur en fait chanter
un tous les ans devant leurs Majeftés .
Le même jour Samedi 26 on exécuta en
concert chés la Reine le Prologue & le 1er.
acte de l'Opera de Scanderberg ,
les
rôles de femmes furent chantés par Madame
Lalande , Miles Mathieu , Deschamps & Canavas
, ceux d'hommes par Mrs Jeliot , Poirier
& Godonnefche ; cet Opera eft de la
compofition de Meffieurs Rebel & Francoeur
, tous deux furvivans des Charges
de Sur - Intendants de la Mufique de la
Chambre du Roi,
Le Lundi 28 on exécuta chés la Reine en
concert le 2 me, & 3 me, acte de l'Opera de
Scanderberg. Mefdames Lalande , Mathieu
& Canavas chanterent les rôles , ainfi que
M. Jeliot , Poirier & Lagarde.
JUIN. 1745. 183
Le Mardi 29 jour de S. Pierre , après les
Vêpres des Miffionnaires , la Reine enten
dit le Te Deum chanté par la Mufique du
Roi pour la prife de la Citadelle de Tournay.
Ce Cantique eft de la compofition de
M. Deftouches Sur-Intendant de la Mufique
de la Chambre de S. Majefté . M. Rebel
fon furvivant en cette charge en a battu
la meſure , & M. l'Abbé Broffeau Chapelain
Ordinaire de la grande Chapeile ,
revêtu d'un furplis & d'une Etole l'a entonné,
& après le Domine falvum de M. Rebel
a dit les oraifons , ainfi qu'il fe pratique
lorfqu'on chante le Te Deum avec folemnité.
Le Mercredi 30 on exécuta en concert
chés la Reine le 4me, & 5me, acte de l'Opera
de Scanderberg. Les Demoifelles & Mrs cideffus
en ont chanté les rôles : ce concert
termine le femeftre de M. Deftouches.
186 MERCURE DE FRANCE .
茶味蒸糕
A MONSIEUR
DE VOLTAIRE
HISTORIOGRAPHE DE FRANCE,
Par M. de *** de l'Académie des Sciences ,
des Belles Lettres & des Arts de Rouen.
Vosvers avoient d'Henri confacré la clémence,
Et vos récits de Charles affûroient les lauriers.
C'étoit vous enhardir à montrer à la France
Dans le meilleur des Rois le plus grand des Guerriers.
Quel Dieu , vous élevant à fa gloire fuprême ,
En fait luire un rayon fur votre front chéri ?
Un Roi qui vous permet de le chanter lui-même ,
Un Roi plus craint que Charles & plus aimé qu'-
Henri.
Suivez fes pas , entrez au temple de Mémoire ;
Forcez , eny gravant fes glorieux fuccès ,
Vienne à les admirer , l'avenir à les croire ;
Ecrivez , LOUIS marche , il conduit les Français.
Déeffe des Héros , Renommée immortelle ,
1
JUIN. 1745 . 187
O toi , qui pour LOUIS fis parler tes cent voix ,
Revole fur la Flandre où la gloire t'appelle ;
Il va quitter Tournay pour de plus grands exploits .
Sur la rive prochaine il a porté la foudre ,
Et l'Escaut frémiffant l'a vû franchir fes eaux.
La nuit vient ; l'ennemi veille pour ſe réfoudre
Et LOUIS fur la terre a le lit des Héros.
Avec des doigts de fang enfin la trifte Aurore
Ouvre à regret les Cieux aux chevaux du Soleil ,
Et gémit que ce jour qu'elle preffe d'éclore ,
Pour tant d'infortunés foit le dernier réveil .
Ces deux Camps oppofés qu'arma la barbarie ,
Au ſignal des enfers fondent à coups preffés :
Chaque homme eft à chaque homme une affreufe
furie :
Les rangs déja détruits font déja remplacés ;
Le fer n'y fuffit plus , & la flâme qui tonne
Acheve d'écrafer ces Héros renaiffans ;
Rien n'échappe , tout meurt. La cruelle Bellone
Applaudit à nos arts deftructeurs des vivans.
MonRoi n'eſt point caché fous l'immortelle Egide ;
Ses fujets l'entouroient , ils tombent près de lui :
La fortune balance , & notre amour décide ,
Notre amour , de nos Rois l'inébranlable appui.
Comme on vit pour ces murs , qu'ils ne purene
défendre ,
188 MERCURE DE FRANCE,
Jadis s'ar mer des Dieux aux bords du Simoïs ,
Tels Waldeck , Cumberland , viennent fauver la
Flandre,
Trouvent un Dieu plus fort & cédent à LOUIS.
Il triomphe ; il s'arrête en fa marche fanglat
;
Il mérita de vaincre , il pardonne aux vaincus .
Non , la val ur n'eft pas cette fureur brillante ,
Qui fous un joug de fer opprime les vertus .
La valeur est l'effort que fe permet le ſage ,
Pour repouffer les traits de la témérité.
Le Héros défarmé par un jufte avantage ,
Tend à ſon ennemi la main qui l'a dompté
Pourquoi les Nations vainement conjurées
Cherchoient- elles LOUIS aux champs de Fontenoy
?
Il les montre à ſon fils par la mort déchirées ,
Et Roi par ce Spectacle , inftruit le fils d'un Roi ;
Voyez , mon fils, voyez les horreurs de la guerre ;
Ecoutez ces mourans , ils fe plaignent à nous .
Hommes , de fang humain nous enyvrons la terre ,
Et Rois, nous fommes nés pour le bonheur de tous .
Voltaire pour fuffire à peindre fa grande ame
Il falloit vos talens : Poëte , Hiftorien ,
Excitez votre esprit que le fublime enflâme ;
Homere trouve Achille , il ne leur manque rien.
JUIN. 1745 . 189
Ah ! plutôt que touché de tant de funérailles ,
LOUIS offre à vos chants Titus & les bienfaits !
Qu'entouré des beaux arts il vienne dans Ver◄
failles
Former fon dignefils aux vertus de la Paix !
EXEY EX X X LEXES
BOUQUET
Préfenté le jour de S. Jean à une Dame
extrêmement aimable.
IRRis , pour votre fête il vous faut un Bouquet,
Irai-je , répetant un trivial caquet ,
Parler de Jafmins & de Rofes
Nouvellement écloſes ?
Vous louer ? c'eft bien pis. Lorfqu'on voit de beaux
yeux ,
Souvent on les peint mal , on les adore mieux ,
Je fçais que fur le Pinde il eft des fleurs charmantes
,
Digne tribut de vos divins appas ,
Mais je ne fçais pas moins que l'on ne cueille pas
Les plus cheres, les plus brillantes
Auffi facilement que guidant fes Guerriers
Toujours ardens à le défendre ,
LOUIS dans les champs de la Flandre
Sçait cueillir d'immortels lauriers .
Par Filandre
190 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE BOUQUET.
Pour la même Dame , Cantatille mife en
Mufique par M. Lagarde Penfionnaire
du Roi diftingué par les graces de fon chant
& defes compofitions.
Q
Uelle fête dans ce jour
Célebre t-on à Cithere ?
Je n'y vois que le tendre amour ?
Mais je n'apperçois point fa mere....
Sans doute elle craint les appas
Que l'on chante fur ce rivage ;
Son abfence n'eft-elle pas
Pour eux le plus brillant hommage ?
ROSSIGNOL..
Roffignol , que Ch'oé par fes accens vainqueurs
De vos chants les plus beaux efface les merveilles !
Votre voix charme les oreilles ,
Et la fienne enchante les coeurs.
MUSETTE.
Envain , Bergers , fur vos mufettes
Vous formez pour Chloé des accords gracieux ;
Jamais on n'entendra de vous dans ces retraites
Des chants auffi doux que fes yeux .
JUIN.
1745. 191
SUITE DU JOURNAL
Des opérations de l'armée du Roi ; du Camp
fous Tournay le 17 Juin.
Hler vers les 11 heures du foir l'ennemi a fait
fauter un nouveau fourneau fous la contref
carpe à l'endroit où deux de nos Mineurs avoient
été attachés la nuit précédente. Ils ont été enveloppés
par l'effet de cette mine , ainfi que fix ou
fept foldats qui les fervoient : on a fur le champ
travaillé au déblai des terres pour remetrre les Mineurs
au vif du mur. Le feul feu que l'ennemi a
fait eft parti du Rempart ,& a été peu confidérable ;
nous avons eu un tres petit nombre de bleffés .
L'armée a fouragé ce matin entre la Laye & l'Efcaut.
M. le Comte d'Eu commandoit ce fourage,
pour la fûreté duquel on avoit placé en avant du
village de Cells un gros détachement d'Infanterie
& de Cavalerie qui couvroit le centre du fourage.
La droite étoit affûrée par un autre détachement
porté vers la fource de la Laye.
Et la gauche par des Grenadiers poftés au Pont
de la Laye,
Des Huffards étoient en avant qui battoient des
patrouilles entre la Rouë & la Laye , & d'autres
détachemens compofés des Arquebufiers de Graffin
gardoient les paffages de la Roue depuis fon embouchure
jufqu'au Pont d'Auvain .
Le Roi eft parti ce matin à fix heures & demie avec
Monſeigneur leDauphin pour fe rendre à ce fourage.
S. M. a viſité les principaux poftes qui formoiene
la chaîne. Pendant qu'elle en reconnoiſſoit la ſi192
MERCURE DE FRANCE
tuation , elle a été informée que l'ennemi ſe préfentoit
pour attaquer celui de vatirpont. S. M. fur
cette nouvelle s'eſt avancée au- delà du village de
Cells fur le chemin de Vatirpont , où elle a appris
que l'ennemi s'étoit retiré . S. M. après être
reftée plus de huit heures à ce fourage , eft revenuë
à fon quartier à cinq heures & demie après midi.
Elle à trouvé à fon retour M. de Villiek , Adjudant
général dépêché par le Roi de Pruffe , qui
eft arrivé pour rendre compte au Roi du détail de
la Victoire remportée par l'armée de S. M. Pruffienne
fur celle de la Reine d'Hongrie . Ce détail
eft le même en ſubſtance que celui qu'on a donné
ci-dévant , excepté qu'au lieu de trois ou quatre
mille prifonniers qu'on a marqué avoir été faits , ils
fe montent à plus de cinq mille , & le nombre de
piéces de canon à 66 au lieu de 40 , M. de Villiek
atauffi rapporté que le Roi de Pruffe a détaché le
lendemain , le Lieutenant Général du Moulin
avec 4 Bataillons & 15 Efcadrons pour aller à
la pourfuite de l'ennemi jufqu'à Bolkhenau , avec
ordre d'y marquer un Camp pour fon Armée.
Du Camp fous Tournay le 18.
Par le travail de cette nuit notre fape avoit été
portée du côté de l'efcarpe à 12 ou 15 pieds de
la traverfe des ennemis , & on avoit remarqué
de derriere cette traverfe qu'ils portoient des facs
pleins de poudre dans leur débouché du côté de la
contre-efcarpe , d'où il étoit facile de conjecturer
qu'ils avoient deffein de faire jouer quelques nouveaux
fourneaux . En effet , ce matin fur les 10 heures
& demie ils en ont fait fauter un du côté de
l'efcarpe qui n'a enterré que trois foldats , & c'eft
toute la perte que l'on auroit faite fans la trop
grande
JUIN. 1745 . 193
grande ardeur des Grenadiers qui fe font trouvés
alors à la tête de la fape , & qui non contens d'avoir
fait un grand feu fur l'ennemi , fe font mis à
fa pourfuite , & ont paffé la traverſe fans qu'on ait
pu les retenir. L'ennemi dans ce moment a fait
fauter la contre -efcarpe jufqu'auprès du débouché
de la Galerie "
ce qui a couté 20 à 25 hommes
tant tués que bleffés.
Les Grenadiers ont cependant remonté ſur la
contre-eſcarpe , & y ont fait leur logement. On
a couronné auffi l'entonnoir fait à la gauche , &
on travaille actuellement à en déblayer les terres ,
parce que s'il fe trouve d'une certaine profondeur,
pourra donner entrée dans la Galerie. il
Le Roi a donné à M. de Chabannes , Lieutenant
Colonel de fon Régiment des Gardes , le ,
Gouvernement de Verdun , vacant par la mort de
M. de Lutteaux , & à M. de Zurlauben Colonel
du Régiment des Gardes Suiiles , le Cordon rouge
qui vaquoit par la mort de M. de Lauriere, Lieu
tenant de Roi de Cambray.
Ily a eu un Officier tué & un Officier mineur
blaffé . M. de Villiers Commiſſaire des Guerres
fut tué hier d'un éclat de bombe .
Du 19.
Les Affiégés ont arboré à 4 heures après midi
le Drapeau blanc . On ne fçaura que demain quelle
fera la loi que le Roi leur impofera .
· Du quartier du Roi fous Tournay le 20.
3
La Capitulation de la Citadelle de Tournay
été convenu& fignée ce matin. Le Roi accorde à
la Garniſon de fortir avec les honneurs de la
II. Vel.
194 MERCURE DE FRANCE,
? guerre , & 4 pieces de canon à condition que
cètte garnifon ne portera point les armes contre
le Roi perdant 18 mois , & qu'elle ne pourra former
la garnifon d'aucune Place fermée : ainfi on
croit qu'elle ira à Courtray , & qu'elle y reftera.
Cette garnifon fortira de la Citadelle Jeudi matin
. Le Roi ira la voir paffer , mais il ne couchera
point à Tournay comme le bruit en avoit couru;
le logement qu'on y avoit préparé pour S. M. ayant
fait croire qu'elle y féjournero it quelques jours,
On regarde la condition impofée à la Citadelle
comme plus avantageufe que fi elle avoit été prifonniere
de guerre , parce que dans ce dernier cas
elle auroit pu , fuivant le Cartel , être rachetée à
très bon marché.
Quelques Officiers de la garnifon affûrent que
les ennemis ont perdu dans le Siége de la Ville &
de la Citadelle plus de 3000 hommes .
"On ne fait pas encore ce qui les a déterminés
à fe rendre .
Au Camp fous Tournay le 20.
Le Régiment des Gardes a pris à 4 heures après
midi poffeffion de la Porte Royale de la Citadelle.
Le Roi a donné jufqu'au 24 pour l'évacuation de
Ja garnifon , afin que les Officiers ayent le tems
de faire leurs arrangemens pour emporter leurs
effets.
lle
fortira
avec
les
honneurs
de
la
guerre
, 4
canons
&
2 mortiers
aux
armes
de
la
République
,
12
coups
par
piece
, &
24
par
hommes
.
Leurs troupes ne pourront fervir de ce jour juf
qu'au premier Janvier 1747 , pas même être en
garnifon dans les Places les plus reculées : les Offi
jers & foldats ne pourront être incorporés dans
JUI N. 1745 . 195
d'autres Régimens , même au fervice étranger.
Les habitans auront pendant trois mois la permiſſion
de s'établir ailleurs s'ils le veulent , & on
leur donnera à cet effet paffeport & fauv garde.
La premiere divifion des troupes venant de l'armée
du Rhin , a joint aujourd'hui l'armée du Roi.
Au Campfous Tournay le 21 .
Il n'y a rien eu de nouveau aujourd'hui ; le mauvais
tems qu'il a fait a empêché le Roi de monter
a cheval comme il l'avoit projetté. La garnifon de
14 Citadelle commence à faire déblayer fes équipages,
X
On prepare pour demain un fourage général,
Au Campfous Tournay le 22 .
L'armée a fait aujourd'hui un fourage dans le
même terrain que le dernier , & avec la même
quantité de troupes & de poftes principaux aux
ordres de M. le Marquis de Montboiffier , Lieutenant
Général , & de M. de Courtaumer Maréchal
de Camp, Vers les 6 heures du matin , une.
Patrouille des Graffins a rencontré à Saint Sauveur
près de Renay une troupe de Huffards ennemis
, qui venoient reconnoître les paffages de
la Roue. Ils fe font retirés dès qu'ils ont apperçus
nos poftes ; on a eu auffi avis à midi , au pofte de
Pont-à-Roue , qu'il étoit forti d'Oudenarde environ
deux cent hommes d'Infanterie , & cent
chevaux des troupes Hanoweriennes , pour venir fe
pofter à Marque fur le chemin d'Oudenarde au
Pont-à- Roue , mais ils fe font encore retirés aux
approches du détachement qui a été pour les joindre.
Au refte le fourage s'eft fait fort tranquille-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
ment , & à 2 heures après midi tout étoit en file
pour rentrer dans le Camp,
La feconde divifion des troupes de l'armée du
Rhin , compofée des Régimens de Monin , Dauphiné
& Saintonge , a joint aujourd hui l'armée du
Roi.
M. le Maréchal de Saxe , accompagné d'une
partie des . Officiers Généraux , a fait aujourd'hui
la revuë de fon Régiment de Hullans.
•
Au Camp fous Tournay le 23.
M. l'Evêque de Tournay , qui étoit à Vienne ,
en eft arrivé hier au foir ; aujourd'hui il a eu l'honneur
de faire fa Cour au Roi , & demain matin il
prêtera ferment à la Meffe de S. M. qui fe dira
dans la Cathédale où ce Prélat doit officier au
Te Deum.
Sa Majesté a tenu Confeil d'Etat,
Au Camp fous Tournay le 24
Le Roi à monté à cheval ce matin à 8 heures &
demie avec Monfeigneur le Dauphin pour ſe rendre
a Tournay, S. M.étoit accompagnée des Marêchaux
de Noailles & de Saxe & des perfonnes de fa
Cour , ayant à fa fuite des Détachemens des differens
Corps de fa Maiſon . Elle s'eft arrêtée avant
d'entrer dans cette Ville à peu de diſtance de la
porte nommée des fept Fontaines , d'où elle a yû
fortir la Garnifon confiftant en 1 Bataillons &
environ 300 hommes de Cavalerie faifant près de
5000 hommes. Cette garnifon a défilé à travers
de l'armée qui bordoit la haye de droite & de gauche.
Le Gouverneur de la Ville & celui de la Ci-
"
JUIN. 1745 . 197
tadelle qui marchoient à la tête ont defcendu de
cheval lorfqu'ils fe font trouvés à portée de S. M.
pour la complimenter ; elle a reçu auffi les hommages
des Magiftrats qui font venus les lui rendre
à l'entrée de la ille , ayant à leur tête M. le
Prince de Tingry Lieutenant General de la Province.
S. M. eft entrée enfuite dans la Ville & à
été defcendre à la Cathédrale , où M. l'Evêque
a officié au Te Deum qui y a été chanté..
Les Mineurs ayant trouvé une nouvelle façon de
faire fauter les ouvrages par l'effet des mines , on
a fait l'experience en préfence de S. M. à l'ouvra
ge à corne de la porte de la Ville de Lille.Les fourneaux
qui avoient été difpofé le long de la branche
droite de cet ouvrage ont culbuté dans le foffé ,
toute la maçonnerie decette branche qui a entrainé
avec elle une partie des terres. S. M. a paru
très fatisfaite de la maniere dont cette opération
s'eft exécutée .
M. le Prince de Tingry a donné à diner à S. M.
qui eft retournée fur les 5. heures à la Cathédrale
où elle a entendu le Salut & affifté à la Proceffion
du S. Sacrement où étoit tout le Clergé des Paroiffes
de la Ville . Elle a été en uite voir les déhors
de la Citadelle du côté de l'attaque : elle eft revenuë
à ſon quartier à 8 heures .
Au Camp fous Tournay le 25 .
Les Etats de Tournaifis s'étant rendus ici avec les
Officiers du Baillage pour préfenter leurs hommages
au Roi, S. M. au retour de fa Meffe leur a
donné audience fous fa tente où ils ont été conduits
par M. le Prince de Tingry & M. de Brezé .
C'eft le penfionnaire des Etats & le Grand Pailly
qui ont porté la parole . I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
M de Villiek que le Roi de Pruffe avoit envoyé
au Roi pour lui rendre compte du détail de la
victoire que l'armée dé S. M. Pruffienne a remportée
fur celle de la Reine de Hongrie à pris congé
de S. M. & eft parti hier au foir d'ici pour re-
Tourner auprès du Roi de Pruffe .
On a défendu depuis ce matin de couper des
arbres dans ce quartier- ci , ainfi on ne doute pas
que le Roi n'en décampe dans quelques jours ; comme
on fait après demain un fourrage géneral , on
croit que l'armée ne fera de mouvement que Mercredi
ou Jeudi prochain . On ignore jufqu'à préfent
de quel côté elle ſe portera , mais il y a grande
apparence qu'elle paffera l'Efcaut pour déterminer
fa f.conde marche fur le parti que nos mouvemens
feront prendre aux Alliés . Ils font toujours dans la
même poſition du camp de Leffine , & ils ont ouvert
des chemins de tous côtés . On juge qu'ils ont
envie deprendre une pofition avantageufequi puif
fe couvrir Oudenarde. S'ils exécutent ce projet le
Roi pourroit s'avancer vers Ath , & par la prife de
cette Place affûrer à fon armée une fubfiftance très
aifée & très facile . :
Le Maréchal de Saxe paroît beaucoup mieux dedepuis
quelques jours .
Le reste de l'Infanterie que l'on attend d'Allemagne
fera ici le 29 , mais la Cavalerie refte fous
Maubeuge jufqu'à nouvel ordre.
Au Camp fous Tournay le 26.
Le Roi a été ce matin après fa Meffe dans la plaine
qui eft au bout de l'avenuë de fon logement , &
a monté pendant une heure quelques chevaux pour
s'éxercer.
M. le Comte de Clermont eft arrivé ici aujourd'hui
pour faire fa cour au Roi , en allant aux eaux
de S. Amand.
BE
LA
VILL
JUIN. 1745 :
THEOOR
199
3. M. a donné le Régiment d'Auvergne M. le
Comte de Chaftellux Colonel de celui d'Aunis
ce dernier à M. le Marquis de Sivrat .
S. M. a auffi donné un Guidon de Gendarmerie
qui étoit vacant à M. Dupleffis -Châtillon .
Au Camp fous Tournay le 27.
Il n'y a rien eû aujourd'hui.
Le Roi a tenu ce foir Confeil d'Etat.
Au Camp fous Tournay le 28 .
L'armée a fait aujourd'hui un fourrage qui a été
commandé par Mr. le Comte de Baviere Lieutenant
General & M.de Contade Marechal de Camp.
La tête de ce fourage étoit au ruiffeau Williers &
avoit fa droite au village de ce nom , fon centre a
Briffeuil , & fa gauche à Vezou .
Le premier pofte principal étoit à hauteur du Château
de Bruffe à la droite de la chauffée de Mons.
Un fecond fur la hauteur du moulin de Varnifoffe
, indépendamment des differens poftes parti
culiers qui ont été établis pour la fûreté de la
chaîne.
On avoit auffi placé fur la chauffée de Leuze au
bout des bois de Barri un détachement du Régi
ment de Graffin pour battre des patrouilles &
aller à la découverte de l'ennemi .
Les fourageurs ont été affemblés à 6 heures dia
matin près d'Antoin & fe font rendus fur deux cọ-
lonnes au lieu qui leur étoit marqué. Ils ont fait
leur fourage fort tranquillement.
Le Roi a fait aujourd'hui fur les 4 heures après
midi la revue du Régiment des Hullans de M. le
Marêchal de Saxe . S. M. a paru très fatisfaite tant
de la compofition de ce Régiment que de la manie
re avec laquelle ils ont manoeuvré en fa préſence.
La 3me. diviffon des troupes venant du Rhin
I inj
100 MERCURE DE FRANCE.
compofée des Régimens de Bouzols , Laval &
Languedoc , a joint aujourd'hui l'armée du Rai
fous la conduite de M. le Duc de Boufflers .
Du Camp fous Tournay le 29.
Le Roi à donné ce matin après fa Meffe audience
à Meffieurs les Ambaffadeurs .
L'armée doit faire un mouvement dans peu de
jours.
C'eft demain qu'arrive la derniere divifion des
20 Bataillons d'Infanterie venant de l'armée du
Rhin. La Cavalerie eft arrivée fous Maubeuge où
elle doit refter fous les ordres de M. le Marquis
de Clermont- Gallerande Lieutenant Géneral ,
Au campJous Tournay le 30.
Il y a déja quelques jours que le Roi avoit pris la
réfolution de marcher avec fon armée au de- là de
l'Eſcaut , mais on ignoroit le jour du départ de
S. M. de fon quartier fous Tournay ; ce n'eft que ce
matin que le Roi a declaré que l'armée marcheroit
demain & que S. M. partiroit d'ici à 9 heures du
matin. On a toujours cru que l'armée dans la premiere
marche fe porteroit jufqu'à Leuze , mais la
pluye exceffive qui a duré toute la nuit , rendant
les chemins très difficiles , on ne peut fe flater
d'exécuter ce premier projet , & on croit que les
troupes ne feront raffemblées à Leuze que le 2 .
Les gros équipages resteront à Tournay , ceux
des troupes campées au de- là de l'Escaut y font entrés
dès ce matin , & les autres y entreront demain.
La nouvelle de la réſolution prife par le Roi de
marcher au- delà de l'Eſcaut a déterminé les enneJUIN.
1745. 201
mis à quitter leur camp , ils ont defcendu la Tenre
dans le deffein de la paffer & de camper derriere .
cette Riviere : ce qu'ils ont fait avec beaucoup de
précipitation .
La 3me. divifion des troupes venant d'Allemagne
eft arrivée hier à l'armée du Roi , & la 4me.
à joint l'armée aujourd'hui.
Du Camp fous Tournay le 30.
Les Régimens de Picardie & de Gondrin formant
la derniere divifion des troupes venant du
Rhin, commandée par M. le Marquis de Fienne ont
joint aujourd'hui l'armée qui fe met demain ma
tin en marche pour aller prendre un nouveau
camp .
Le Roi a tenu ce foir Confeil d'Etat.
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
** :
NOUVELLES ETRANGERES.
RUSSIE.
N apprend de Pétersbourg que l'Impératrice
ON
camps , l'un fur les frontieres de Lithuanie , l'autre
dans la Livonie auprès de Riga.
les mêmes avis portent que les négociations
pour un Traité d'Alliance entre la Ruffie & la Suede
font fort avancées .
PRUSSE.
On mande de Berlin du 13 de ce mois que la
Reine a reçu une relation circonftanciée de la
victoire remportée par le Roi fur les troupes de la
Reine de Hongrie ,dont voici le détail .
Dès que le Roi eut été informé que le deffein des
ennemis étoit d'entrer en Silefie , S. M. prit les
arrangemens néceffaires pour que fon armée ne
put manquer de fubfiftances dans toute l'étenduë
des frontieres de Bohème , & elle envoya ordre aux
troupes qui étoient dans la Haute Silefie de venir la
joindre.
Le 29 du mois dernier l'armée commandée
par le Prince Charles de Lorraine s'étant avancée à
Landshout , le Roi alla camper à Reichenbach ,
d'où S. M. manda au Lieutenant Géneral du Mor
lin de faire des difpofitions qui perfuadaffent au
Prince Charles de Lorraine qu'elle penfoit à fe replier
fous Breslau . Les ennemis avoient paffé du
campde Landshout à celui de Hohennerfdorf lorf
JUI N. 1745. 203
•
que l'armée Pruffienne marcha fans bruit entre
Striegau & Schwednitz , l'avant- garde tenant les
hauteurs de Striegau . Toutes les troupes du Roi fe
pofterent derriere ces hauteurs , & non feulement
il fut défendu de battre aux champs , mais on eut la
précaution de ne détacher que des Partis peù
nombreux qui eurent ordre de prendre la fuite à
la premiere approche de l'ennemi .
Les trois premiers jours de ce mois furent employés
par S. M. àreconnoître les différens endroits
par lefquels l'armée combinée de la Reine de
Hongrie & du Roi de Pologne Electeur de Saxe
pouvoit déboucher.
Le Roi s'étant porté le 3 au matin fur les hauteurs
découvrit un Corps confidérable de Cavalerie
de cette armée . Plufieurs colonnes d'Infanterie
& de Cavalerie de la même armée parurent
l'après midi dans les plaines de Friedberg & de
Ronftoc , ce qui détermina S. M. à ordonner fur
les huit heures du foir , que fon armée s'avançât à
Striegau , & que le Lieutenant Géneral du Moulin
avec fept Bataillons & quarante Escadrons occupât
les hauteurs voifines . A minuit toutes les troupes
futent rendues aux poftes qui leurs avoient été affignés
, & deux heures aptès le Roi difpofa tout pour
la bataille .
Pendant que l'armée qui commença à deux heu
res & demie du matin à fe mettre en marche pour
attaquer lennemi , défiloit par fa droite , le Lieutenant
General du Moulin ſe faifit d'une hauteur
vis-à-vis d'un moulin , auprès duquel étoient quelques
bataillons des troupes que commande le Prince
Charles de Lorraine. Le Roi en rangeant fe's
troupes en bataille plaça la plus grande partie de
fon Infanterie au centre , dont la droite fut appuyée
à un bois occupé par trois Bataillons des
1
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Grenadiers . Les deux aîles de l'armée furent pref
que toutes compofées de Cavalerie , & S. M. fit
renforcer par quelques Bataillons le Corps du
Lieutenant Géneral du Moulin .
Le Prince Leopold d'Anhalt engagea l'action
en chargeant l'Infanterie Sexonne , & le Bataillon
des Grenadiers des Gardes comma idé par le
Lieutenant Colonel Wedel chaffa à coups de
bayonette les ennemis des marais qu'ils occuppoient.
Prefque en même- temps la Cavalerie de
la droite renverfa la Cavalerie de l'aile gauche
des ennemis. L'Infanterie Saxonne forma alors un
triangle pour fe retirer , mais le Comte de Rottembourg
Lieutenant Géneral , à la tête du Regiment
de Cuiraffiers du Prince de Pruffe , défit
entie cment le Régiment de Schonberg de cette ..
Infanterie deux Compagnies des Grenadiers
Saxons furent taillées en pieces , & le triangle
ayant été rompu , la déroute fut generale dans les
troupes de Saxe .
Le Roi & le Margrave Ch rles attaquerent de
leur côté celles de la Reine de Hongrie avec tant
de vivacité qu'elles ployerent partout. Pour les
prendre en flanc le Roi fit faire un quart de converfion
à toute fon aile droite , laquelle par ce
mouvement fut obligée de paffer des marais & des
foffés impraticables , & dont un détachemeut
Je rendit maître d'un Village que le Prince Charles
de Lorraine avoit garni d'Infanterie .
Dans le tems que ces opérations s'exécutoient à
la droite , la Cavalerie de la gauche dont il n'y
avoit eu que dix Efcadrons dé formés fut menée à la
charge par le General Kyau , qui renverfa tout ce
qu il trouva devant lui. Le Géneral Naffau forma
quinze autres Efcadrons , & les ennemis s'étant
mis en potence , il tira fix Efcadrons de la feconde
ligne pour les oppofer à lune de leurs faces. Ils
JUIN. 1745. 203
ne purent réſiſter à l'impétuofité avec laquelle
après cette difpofition il fondit fur eux , mais bientôt
ils fe rallierent , & il les chargea jufqu'à fix
fois fans pouvoir les forcer de prendre la fuite.
Cependant le Régiment de Bareith , conduit par
les Géneraux Geller & Schmettau fit de fi prodigieux
efforts de valeur au centre , qu'il enfonça par
le front l'Infanterie des troupes de la Reine de
Hongrie , tandis que cette Infanterie fut attaquée
en flanc par l'aile droite des Pruffiens . Les fix Ré
gimens de Marfchall , de Grunn , de Thungen , de
Daun , de Collowrath & de Wurmbrand furent
totalement taillés en pieces , & plufieurs autres
Corps des mêmes troupes ayant été renverfés
, ces troupes furent réduites à prendre le
même parti que celles de Saxe & à abandonner
le champ de bataille .
Leur droite s'eft retirée par Friedberg , & leur
Corps de bataille par les gorges de Kauder , &
les Saxons ont pris la route de Seifferdorff.
Toute l'armée du Roi a pourſuivi les ennemis
jufqu'aux gorges des Montagnes , & le maffacre
a été général de tous côtés. Il y a eu , foit
dans les troupes de la Reine de Hongrie , foit
dans celles de Saxe , quatre mille hommes de tués ,
parmi lefquels on compte les Généraux Hoheneims
& Thungen des premieres , & le Géneral Boſtempoftels
des fecondes. On leur a fait plus de 7000
prifonniers , & l'on peut eftimer leur perte à 20000
hommes en y comprenant les Deferteurs .
Du nombre des prifonniers font les Géneraux
Berlichingen , François de S. Ignon & Forgatsh ,
des troupes de la Reine de Hongrie ; le Major
Géneral Schlichting , de celles de Saxe , & environ
deux cent autres Officiers . Les ennemis ont
perdu outre cela dans cette bataille , qui n'a duré
que quatre heures 66 canons , 6 haubitz , 76
208 MERCURE DE FRANCE.
drapeaux , 7 etendards & 8 paires de rymbales.
Du côté des Pruffiens il n'y a eu que 1600 hommes
tués ou bleffés. Le Général Truchfes , les Colonels
Maffau & Kalbutz , les Lieutenans Єolonels
During & Bertkau font du nombre des
premiers. Les Géneraux Stille & Bornstedt ont
été bleffés ainfi que le Colonel Schwerin & le
Lieutenant Colonel Buddembrockd .
Le 5 , le Roi commanda 14 Bataillons & un
Détachement de Cavalerie , de Dragons & de
Huffards pour aller à la pourfuite des ennemis ,
qui continuoient de s'éloigner . S. M. s'eft mie
elle même en marche avec toute fon armée pour
les fuivre , & l'avant garde compofée de 20000
hommes fous les ordres du Lieutenant Géneral da
Moulin devoit être fort proche d'eux .
ALLEMAGNE.
Na apprisde Francfort du 13 que l'armée com
mandée par le Feldt- Maréchal de Traun ayant
côtoyé la riviere de Tauber jaufqu'à Wertheim , a
paffé le Mein près Freydeberg, & qu'elle continuoit
fa marche par le Comté de Hanau , laiffant à fa droite
la Forêt de Speffart. Elle a dû traverſer le Comté
d'Ifembourg & fuivre la frontiere du Pays de
Heffe jufqu'à Gieffen , où l'on croyoit que le
Feldt Marechal de Bathiany fe propofoit de fe ren→
dre auffi avec l'armée qui eft fous fes ordres.
Le Géneral Trips à la tête des Huffards &
des troupes irregulieres de la premiere de ces
déux armées , a déja paffé Miltemberg , & il s'eft
avancé vers Afchaffembourg. Un détachement
qu'il a envoyé en avant ayant attaqué une Compagnie
Franche des troupes Françoiſes en a tué
rente hommes , & fait près de cent prifonniers.
JUIN. 1745 . 207
Les François ont rompu les ponts qu'ils avoient
à Florsheim & à Biberich , mais ils ont confervé
celui de Hochft , & ils ont laiffé une garnifon
dans ce dernier Pofte ainfi que dans Konigstein.
Toutes celles de leurs troupes qui étoient reftées
du côté de Florsheim ſur la droite du Mein ,
paffé cette riviere pour aller à Afchaffembourg.
Le Prince de Conty à transferé fon Quartier
Général de Diebourg à Baubenhaufen .
GRANDE BRETAGNE.
ont
N mande de Londres qu'un Armateur Efpa-
Ognol de feize canons & de 156 hommes
d'équipage , a été conduit à Corck par le Vaiffeau
de
guerre le Saphir , & que le bruit couroit qu'un
Bâtiment de Charles Town s'eft rendu maître d'un
Navire qui portoit de la Havanne à Saint Auguftin
quarante fept mille piéces de huit pour le payement
de la garnifon de cette derniere Place.
Du Camp des Allie's près de Leffines du 14.
ON
Na appris que le Régiment d'Infanterie
de Colyear des troupes Hollandoifes ,
y ar iva de Namur le 6 : il fut fuivi le lendemain
par ceux de Burmania & de Swanenbourg , &
par le fecond Bataillon du Régiment d'Orange
Frife des mêmes troupes.
Les troupes Angloiſes ont été renforcées auffi
par plufieurs troupes de leur Nation , & elles ont
reçu les foldats de recrues qu'elles attendoient .
Le 8 , il arriva de Mons un convoi de cent cha
riots chargés de munitions.
Toutes les diſpoſitions faites par les Généraux
208 MERCURE DE FRANCE.
ont fait juger que l'armée quitteroit bien- tôt ce
Camp , & le Duc de Cumberland a envoyé du
côté de Ronfen un détachement d'Infanterie &
de Cavalerie qu'on croit être deſtiné à affûrer le
paffage de l'Efcaut.
Ce Prince , accompagné du Feldt- Maréchal de
Konigseg & du Prince de Waldeck alla le to
reconnoître les environs d'Enghien.
Sur l'avis qu'on a eu de la marche de 200 hommes
du Régiment François de Graffin , qui fe font
avancés dans les bois de Meffeur , on a fait marcher
quelques troupes pour les attaquer.
LETTRE DU ROI
A Monfeigneur l'Archevêque de Paris.
MON COUSIN , la continuation de la
Guerre m'ayant détermininé à diriger les opérations
de cette campagne fur lesPays- BasAutrichiens;
j'ai jugé que le fiége de Tournay étoit l'entr pri
fe la plus propre à faire entrer la Reine de Hongrie
& fes alliés dans les vûes juftes & pacifiques qui ont
toujours été mon unique objet. A peine étois-je
arrivédevant la place , que mes ennemis reconnoiffant
l'importance de fa fituation , ont tenté fon
fecours avec un nombre de troupes fuperieur à celui
•
que les differens poftes occupés par mon Armée
me permettoient de leur oppofer ; mais cette fupériorité
a difpara devant le Dieu des Armées qui
combattoit pour moi une victoire complette à
renverfé leurs projets ; la place fe trouvant livrée
fes propres forces , la Garnifon compofée de 17
Bataillons & d'un Régiment de Cavalerie , m'a
JUIN. 1745 . 109
2
fivré les portes de la Ville le 14 du mois dernier ,
après 23 jours de tranchée ouverte , & s'étant re
tirée dans la Citadelle , elle y a été fi vivement
attaquée depuis le premier de ce mois , qu'elle a
été obligée de capituler le 19 , & de fe foumettre
à la condition de ne faire aucun fervice militate
de quelque nature que ce foit jufqu'au premier Janvier
1747. Un début de Campagne , accompagné
de circonftances auffi glorieufes pour més Armes
me donne lieu d'efperer que les fuites en feront encore
plus importantes , & qu'elles me mettront
bientôt en état de faire fentir à mes fujets toute
l'affection que j'ai pour eux . Flaté de cette efpérance
, & pénetré de reconnoiffance pour tous les
bienfaits que Dieu daigne répandre fur mon Régne
, je ne puis que lui rendre les actions de graces
qui lui en font dûës , & implorer la continua*
tion de fa divine protection . C'eft dans ces fenti
mens que je vous écris cettre Lettre pour vous di •
re que mon intention eft , que vous faffiez chan
ter le Te Deum dans votre Eglife Métropolitaine
& autres de votre Diocèfe avec les folemnités requifes
, au jour & à l'heure que le Grand- Maître ,
ou le Maître des Cérémonies vous dira de ma part,
& que vous y invitiez tous ceux qu'il conviendra
d'y affifter. Sur ce , je prie Dieu qu'il vous ait ,
mon Coufia , en fa fainte & digne garde . Ecrit au
Camp fous Tournay ce 22 Juin 1745. Signé LOUIS,
Et plus bas , PHELYPEAUX .
Et au dos eft écrit : A mon Coufin l'Archevêque
de Paris , Duc de Saint Cloud , Pair de France ,
Commandeur de l'Ordre du Saint-Esprit.
io MERCURE DE FRANCE .
MANDEMENT
De Monseigneur l'Archevêque de Paris , qui
ordonne que le TE DEUM fera chanté
dans toutes les Eglifes de fon Diocèse , en
actions de graces de la prise de la Ville &
de la Citadelle de Tournay affiégées par le
ROI en Perfonne.
CresComtes de Marfeille du Luc , &c . HARLES Gafpard -Guillaume de Vintimille
Le Seigneur continuë d'exaucer les prieros que
nous lui avons adreffées pour l'heureux fuccès de
cette Campagne . La réduction de la ville de Tourmay
, affiégée par le Roi en perfonne , a fuivi de
près la victoire remportée par Sa Majesté fur fes
ennemis & fur leurs alliés. Les Affiégés ayant d'abord
refufé de rendre la Citadelle aux conditions
que la clémence du Vainqueu leur offroit , ont été
contraints enfuite de fe foumettre à celles que fa
jufte & fage fermeté leur a impofées .
Publions avec empreffement les bienfaits dont
nous fommes redevables à la protection du Dieu
des Armées exaltons fon faint nom par nos Hymnes
& par nos Cantiques , parce qu'il a'manifefté d'une
maniere glorieufe pour lui , & avantageufe pour nous ,
la grandeur de fon pouvoir. Il a été notre force , il doit
être l'objet de nos louanges . Il veut bien que nous
jouiffions du fruit des victoires & des conquêtes ,
qui font plutôt fes oeuvres que celles de l'homme ;
mais il s'en réſerve la gloire à lui-même , & il exige
que nous lui en faffions un très humble hommage .
JUIN. 1745. 211
Ne refufons pas de nous acquitter d'un devoir fi indifpenfable
: un tel refus arrêteroit le cours de fes
faveurs , parce que l'ingratitude d'où il naîtroit ,
eft , fuivant l'expreffion de faint Bernard , comme
un vent brûlant qui defféche la fource & le canal
des dons de la divine bonté .
L'événement dont notre religieux Monarque
nous ordonne de rendre au Roi des Rois de folemnelles
actions de graces , mérite toute notre
reconnoiffance : ce que fouffrent les peuples des
-Provinces devenuës le théatre de la guerre , doit
nous faire fentir quel eft le prix d'un avantage qui
éloigne de plus en plus du centre de ce Royaume
ce fleau terrible. Quelqu'onéreux qu'il foit pour
nous , notre fort comparé à celui qu'éprouvent ces
peuples infortunés , doit être à leurs yeux bien dia
gne d'envie. Toujours environnés de périls, ils font
dans de continuelles allarmes : expofés aux courfes
de l'ennemi , & même des troupes envoyées
pour les défendre , ils fement & ne moiffonnent
pas ; ils cultivent leurs champs , & ils fe voyent
enlever le fruit de leurs fueurs & de leurs travaux :
fouvent ils n'apperçoivent autour d'eux que dés
objets capables d'infpirer Thorreur & la trifteffe ,
& quelquefois ils ont la douleur de voir leurs ha
bitations renverfées ou réduités en cendres : heu
reux encore d'échapper eux- mêmes à la mort , &
de n'être ni confumés par les flammes , ni enfeve
lis fous des ruines.
Une fituation fi trifte doit exciter notre com→
paffion , & nous engager à demander à Dieu par
des voeux redoublés , la paix ce tréfor précieux
que le monde ne peut nous donner . Demandonsla
& pour nous & pour nos ennemis mêmes , par
l'effet d'une charité que leur acharnement contre
nous ne doit pas éteindre dans nos coeurs : conju
i2 MERCURE DE FRANCE.
rons le Seigneur de leur ouvrir les yeux fur leurs
véritables intérêts , & de leur faire comprendre
qu'ils ne peuvenr fans aveuglement ne pas concourir
avec nous pour recouvrer un bien dont la
perte leur coûte infiniment cher , qu'ils ne peuvent
pofféder fans nous , & dont nous ne pouvons jouir
Fans qu'il nous foit commun avec eux.
A CES CAUSES , après en avoir conferé avec
nos vénérables Freres les Doyen , Chanoines &
Chapitre de notre Eglife Métropolitaine ; Nous
ordonnons que le Te Deum , avec le Veffet Bene
dicamus Patrem & Filium , & l'Oraifon Fro gratiarum
actione , l'Antienne Domine , falvum fac Regem
, &c. le Verfet Fiat manus tua , &c. & l'Ofaifon
Pro Rege & ejus exercitu , ſera chanté Lundi
prochain 28 du préfent mois de Juin , dans notredite
Eglife, en actions de graces de la prife de la
Ville & de la Citadelle de Tournay affiégées par le
Roi en perfonne . Qu'il fera pareillement chanté
le Dimanche 4 Juillet dans toutes les Abbayes ,
Chapitres , Paroiffes & Communautés Séculieres &
& Régulieres de la Ville & des Fauxbourgs de Paris
; & le Dimanche qui fuivra la réception de
notre préfent Mandement , dans toutes les autres
Eglifes de notre Diocèfe. SI vous mandons que
ces Préfentes vous ayez à notifier à tou : Abbés ,
Prieurs , Curés , Supérieurs & Supérieures des Communautés
exemtes & non exemtes à ce qu'ils
n'en ignorent. Donné à Paris en notre Palais Archiepifcopal
le vingt- fix Juin mil fept cent quarante-
cinq. Signé † CHARLES , Archevêque de
Paris. Par Monfeigneur , LASON E.
"
JUIN. 1745. 213
On a poſé dans l'Eglife des Reverends Peres Jefuites
rue S. Antoine le 8 Mai les Modéles en
plâtre de deux groupes d'environ fix pieds de
proportion , ils doivent être exécutés en marbre
blanc pour 'Autel de S. François Xavier . Ces ou,
vrages font de Meffieurs Vinache & Aden le cadet.
Le premier en entrant eft de M. Vinache , &
repréfente le Génie du zéle qui foudroye l'Idolâ
trie ; ce Génie eft repréſenté par un jeune homme
avec des aîles , une flâme fur la tête ; il eft affis
fur des Nuës , & lançant de la main droite un fou
dre fur l'Idolâtrie qu'il tient renverfée fous fes
pieds .
L'action de cette figure eft très- noble & pleine
de feu ; l'air de tête gracieux & fier ; les draperies
font belles , légeres & bien jettées.
L'Idolâtrie eft reprefentée par un homme robufte
& âgé , d'un caractére furieux , il a un poing
fermé & femble vouloir fe revolter contre ce ui
qui le terraffe , il fait fes efforts pour gaarantir une
Idole des foud es qui lui font lancées ; cette figure
dont les mufcles & les nerfs font bien articulés
fait un beau contraite avec celle d'enhaut qui eft
d'une nature plus légere.
Le groupe de M. Aden repréfente un jeune Indien
qui fe rend à la Religion Chrétienne .
La Religion eft affife fur un Rocher fymbole de
fa ftabilité ; elle tient d'une main une Croix de
vant laquelle le jeune Indien fe profterne , les
mains jointes , il montre par toute fon action qu'il
fe livre à la Religion avec ferveur. Le Sculpteur
femble avoir voulu par l'expreffion de cette âgure
exprimer tout le zéle & la pieté de ces Nations
qui ont fait éclater leur foi jufqu'à donner un grand
C
214 MERCURE DE FRANCE,
nombre de Martyrs felon plufieurs Hiſtoriens .
La Religion tient le bras à ce nouveau Chrétien
d'un air gracieux & de bonté , elle est noblement
drapée , & de grande maniere . Ces deux
morceaux font deux très beaux groupes , & feront
un grand ornement dans cette Eglife , & le
choix de ces deux Sculpteurs fait honneur au dif
cernement des RR , PP. Jefuites .
A
MORTS.
Ntoine Hervé Comte de Longaunay , Che
valier de l'Ordre Militaire de S. Louis >
Colonel du Régiment de Grenadiers de fon nom
& Aide-Major Général de l'armée de S. M. mourut
le 19 Mai au camp devant Tournay des bleffures
qu'il avoit reçu à la bataille de Fontenoy , âgé
de 38 ans ou environ .
Le 1 Juin Louis- Gilles le Maître Chevalier
Marquis de Ferrieres, Baron du Pleffis , de Chaffy , de
Premaifon, de Bellefontaine , Confeiller au Parle
ment de Paris depuis le 13 Août 1717 mourut âgé
de 52 ans fans laiffer d'enfans de fon mariage avec
Dame Sufanne Bauyn de Perfan qu'il avoit époufée
le 3 Août 1724 & qui mourut le 19 Fevrier
1745 ; il étoit fils aîné de Gilles le Maître Cheva
lier Marquis de Ferrieres , mort le 26 Juin 1716 ,
& de Dame Catherine- Françoiſe Jolly Dame de
Chaffy , duquel mariage, outre M. de Ferrieres qui
donne lieu à cet article font fortis plufieurs autres
enfans fils & filles . M. de Ferrieres avoit pour
se. Ayeul Gilles le Maître Chevalier Confeiller du
Roi en fes Confeils d'Etat & Privé , nommé preż
JUIN. 1745 . 215
mier Préfident du Parlement de Paris le 23 Mai
1551 , mort le 5 Decembre 1562. Voyez pour la
Généalogie de la famille de le Maître l'une des
premieres de la Robe , ce qui en eft dit dans l'Hif
toire du Parlement de Paris , en attendant l'Hiftoire
des Maîtres des Requêtes dans laquelle cette
Généalogie fera rapportée avec toutes les bran
ches .
TABLE.
PIECES FUGITIVES en vers & en profe. Le 3
3
Lettre fur un article du fupplément de Morery. 4 .
Epitre à M. Jacques l'Eventaillifte
Epigramme
Extrait d'une lettre écrite d'Arras
Ode à un ami qui fe confacre à la folitude
Lettre au fujet du Mercure
Le Fleurifte & les Curieux , Fable
La fanté , Ode
Commerce de la Groenlande
Epitre à M. le Comte d'Argenfon
7
8
9
18
21
26
28
40
Remarque critique fur la date du Concile de Sens
Réponse en vers de M. Déforges-maillard
Lettre fur la Contagion des beftiaux
Le Lion & la Chevre , Fable
46
49
ST
55
Obfervation fur quelques anciens Evêques d'Evreux
Stances
Ode au Roi
Crium Sapimtis , Ode , & la traduction
56
бо
61
661
La bataille de Fontenoy , Poëme par M. de Vole
taire 81
Réponse à M. de Voltaire fur fon Poëme 104
Lettre de M. l'Abbé Venuți fur un ancien Monument
& c.
Le Singe & la Planche , Fable
Lettre à M. le Marquis de Robien
M. Maffillon
108
108
113
Nouvelles Litteraires des Beaux Arts , Sermons de
Hiftoire des Sacremens , Extrait
123
146.
Mots des Enigmes & Logogriphes de Mai 157
Enigmes & Logogriphes 158
Chanfon notée
Spectacles , Opera
4. Suite des Reflexions fur les Balets
160
162
163
Comédie Françoife , Extrait de la Tragedie de
Didon
Vers fur un portrait de Mlle Dangeville
Concert de la Reine
Vers à M. de Voltaire
Bouquet à une Dame le jour de S. Jean
17!
18.
181
186
189
Autre pour la même Dame 199
Suite du Journal des operations de l'armée du
191
207
Roi
Nouvelles Etrangères , Ruffie , Pruffe &c. 202
Du camp de Lefines
Lettre du Roi & Mandement en confequence
pour la prise de la Ville & de la Citadelle de
Tournay
218
Modéles en plâtre pofés aux Grands Jefuites 212
Morts
La C'arfon npiée doit regarder lapaze
2.4
161
De l'Imprimerie de ROBUSTELrue de la Calendre
près le Palais. 1745 .
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JUILLET .
IGIT
UT
1745 .
SPARGATE
Chés
A
PARIS ,
GUILLAUME CAVELIER,
rue S. Jacques.
La Veuve PISSOT , Quai de Conti,
à la defcente du Pont -Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais
M. DCC . XLV.
Avec Approbation & Privilège du Roi,
A VIS,
LA
ADRESSE généra le du Mercure eft
à M. DE CLEVES D'ARNICOURT
rue du Champ-Fleuri dans la Maifon de M.
Lourdet Correcteur des Comptes au premier
étage fur le derriere entre un Perruquier & un
Serrurier à côté de l'Hôtel d'Enguien. Nous
prions très-instamment ceux qui nous adref
feront des Paquets par la Pofte , d'en af
franchir le port , pour nous épargner le déplaifir
de les rebuter , & à eux celui de ne
pas voir paroître leurs ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays
Etrangers , qui fouhaiteront avoir le Mercure
de France de la premiere main , & plus promp
tement , n'auront qu'à écrire à l'adreffe ci- deffus
indiquee ; on fe conformera très-exactement à
leurs intentions.
Ainfi ilfaudra mettre fur les adreffes à M.
de Cleves & Arnicourt , Commis au Mercure
de France rue du Champ-Fleuri , pour rendre
à M. de la Bruere.
PRIX XXX. SOLS
MERCURE
DE FRANCE ,
DE
LA
VILLE
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
ODE
LYON
1893
TIREE du Pleaume 37 Domine ne in
furore tuo arguas me , quoniam &c.
Ufpend tes châtimens féveres ,
Grand Dieu , de ta fureur laiffe moures
,
rir les coups ,
Et moins rigoureux qu'à nos pe.
Ne nous corriges pas au fort de ton couroux.
Retiens ce trait inévit ble ,
Ce trait fûr de frapper & toujours deftructeur ,
Ą ÿj
4 MERCURE DE FRANCE .
Lancé par ton bras formidable .
Qui pourroit de ta main fentir la pefanteur ?
Sur moi jette un oeil favorable ;
Je nage dans le crime & dans l'iniquité ;
Leve ce fardeau qui m'accable
Et daigne à ta jufticè oppoſer ta bonté ,
Fais mois brifer la fervitude
De ces plaifirs honteux , de ces illufions ;
Par une trop longue habitude
Le crime a dans mon ame imprimé des fillons .
Pále , couché fur la pouffiere,
Rempliffant de mes cris les antres ténébreux ,
Le jour & la nuit toute entiere
Je pouffe vers le Ciel des hurlemens affreux.
Mes cris ont frappé tes oreilles ,
Qui , j'ofe m'en flater , ils ont monté vers toi .
Mes larmes , mes jeûnes , mes veilles
Calmeront tes fureurs , t'attendriront fur moi.
Mes plus chers amis m'abandonnent ;
A toi feul , ô mon Dieu , déformais j'ai recours.
Des coups plus terribles m'étonnent ;
J'ai vû mon propre fang s'armer contre mes jours .
J'ai vu la fraude & l'artifice
Rechercherdans ma vie un crime à m'oppofer
Et portant plus loin leur malice ,
JUILLET. 1745.
Des forfait les plus noirs ils ofoient m'accufer.
D'un mot j'aurois pû les confondre ,.
Vous le fçavez , Seigneur , je pouvois me venger ,
Mais fans même daigner répondre
J'ai laiffé les méchans à mes yeux m'outrager.
J'ai cru que mon humble filence
Défarmeròit ton coeur & pourroit l'émouvoir .
Mon Dieu , j'efpere en ta clémence
Et tes bontés jamais n'ont trahi mon eſpoir.
La tête couverte de cendres ,
Les yeux toujours baiffés je dois fubir tes loix ,
Oferois-je me faire entendre,
Oferois-je élever une timide voix ?
Seigneur , mon ennemi fubfifte .
De ta vie , a - t-il dit , je trancherai le cours,
Maintenant rien ne lui refifte,
Et de nouveaux encor s'élevent tous les jours.
Trifte objet de leurs médiſances ,
Cependant qu'ai-je fait pour ouir ces horreurs?
Ai -je par dejuftes vengeances
Sur ces hommes pervers exercé mes fureurs?
J'ai reveré ton nom augufte ,
Je fuis tes faintes Loix , & j'aime à te chercher ;
Dans le fentier étroit du jufte
Je me fuis nuit & jour efforcé de ma cher.
A iij
MERCURE DE FRANCE.
Ces méchans , fi tu m'abandonnes ,
Dans leur complot perfide ont juré mon trépas ,
Défend ces jours que tu me dorines ;
A leurs fureurs , grand Dieu , ne m'abandonne pas.
J'ai mis en toi mon eſperance
Le Seigneur, ai-je dit , protegera mes jours ,
Mon repentir , ma confiance;
De fesbontés pour moi rappelleront le cours.
Par M, Mafon Chevau-Leger de la Garde ordinaire
du Roi.
JUILLET. 1745 . 7
DISSERTATION fur la Coûtume à
laquelle un évenement rapporté dans plu
fieurs des Hiftoriens de la Ville de Paris,
a donné lieu.
Linguliers qu'ilspuifendere, font cust
qui nous frappent ordinairement le moins ,
parce qu'ils nous font préfens. Mais ces ufages
fe perdent peu à peu par la fucceffion
des tems , & font enfin tout- à-fait oubliés,
Si les Anciens nous avoient tranfmis forgneufement
la connoiffance de toutes leurs
Coûtumes même les plus communes , combien
auroient-ils épargné de peines à ceux
qui ont voulu effayer de les expliquer? Nous
aurions moins de Commentateurs & d'Annotateurs
de toute efpéce , les textes des
Auteurs feroient plus intelligibles , & nous'
y aurions tous également profité : les Commentateurs
en s'épargnant la peine de leurs
travaux , nous , en nous épargnant celle de
les lire , & les uns & les autres nous aurions
mis plus à profit pour l'avancement de nos
études un tems au bout duquel la contradiction
des fentimens de ces différens Commentaires
nous laifle fouvent dans la même .
A j
Es ufages les plus fréquens , quelque
8 MERCURE DE FRANCE.
n certitude. Cela doit donc nous fervir
d'exemple , & en conféquence nous de
vons envifager l'avenir , & lui ôter le fujet
de plainte que nous fournit aujourd'hui l'Antiquité.
L'objet auquel on applique cette réflexion
ne paroîtra point fans doute affés
intéreffant à tout le monde , mais enfin il
touche l'Hiftoire de Paris , & cette raifon fuffit
pour ne le point négliger.
Quoiqu'il en foit , il s'agit ici d'un ufage
anciennement établi dans la ruë aux Ours à¸
Paris , & qui fe renouvelle chaque année au
mois de Juillet , mais auquel il vient d'arriver
quelque changement par la fageffe du
Magiftrat qui veille au foin de la Police .
Cet ufage eft fondé fur un évenement que
les Hiftoriens qui en ont parlé , ont rapporté
avec des circonftances fi différentes , qu'elles
feroient prefque douter de fa réalité , fi la
longue poffeffion où l'on eft de cet ufage qui
paroît remonter jufqu'au tems même de l'évenement
n'en prouvoit abfolument le fond,
que les Hiftoriens ont pû furcharger depuis
d'un merveilleux , qui , pour être de trop
dans le récit , n'en détruit cependant point
entierement le fait.
Pour mettre quelqu'ordre dans cette relation
, on va parler d'abord de l'évenement
qui a donné lieu à l'ufage qui fait le principal
objet de cet Ecrit ; on parlera enfuite de
JUILLET. 1745 .
cet ufage , enfin on parlera de ce qui fupplée
maintenant à ce que la prudence du
Magiftrat a jugé à propos de réformer dans
cct ufage.
par
Ce feroit ici la place de commencer
le récit des Hiftoriens qui ont parlé
de cet évenement , mais comme la différence
de leurs relations donneroit lieu à
beaucoup de remarques , & qu'on ne fe propofe
point ce but dans cet Ouvrage ( ce qui
pourra fervir de matiere dans une autre occafion
) on fe contentera pour le faire connoître
, de copier ioi mot pour mot le Tableau
que l'on expofe aux yeux du Public ,
à côté de l'Image de la Vierge qui en fait le
fujet , & qui eft placée au coin de la rue aux
Ours & de la rue Sale au-Comte.
ב כ
පා
•
**
» L'an 1418 le 3 Juillet veille de la
Tranflation de Saint Martin , un foldat
fortant d'une Taverne qui étoit en la ruë
aux Ours défefperé d'avoir perdu tout
fon argent & fes habits au jeu , jurant &
blafphemant le faint Nom de Dieu , frappa
furieufement d'un coûteau l'Image de la
Sainte Vierge ; Dieu permit qu'il en fortit
du fangen abondance. Ce malheureux fut
pris , & mené devant Meffire Henri le
Merle Chancelier de France , & par Ar-
,, ret du Parlement il fut conduit en ce lieu,
» & là étant lié à un poteau devant ladite
n
و د
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
30
"
20
Image , il fut frappé d'efcorgées depuis fix
heures du matin jufqu'au foir , enforte que
les entrailles lui fortoient du corps : on lui
» perça la langue d'un fer chaud , & il fut
jetté au feu , ainfi qu'il eft rapporté par
Gilles Corrozet chapitre 20 des Antiquités
de Paris , & confirmé par le Réverend
Pere Jacques Dubreuil Religieux
» de Saint Germain des Prez , au troifiéme
Livre des Antiquités de Paris , page 794.
Tous les ans à pareil jour en ce meme
lieu Meffieurs les Bourgeois de la rue aux
Ours font dreffer un feu d'artifice ce
s qui n'a pas diſcontinué depuis plus de 3 co
ans , pour réparation de l'outrage fait à
ladite Image , & pour conferver la mé-
≫ moire du miracle que Dieu a bien voula
opérer. »
20
לכ
50
"
La tradition populaire ajoute encore d'autres
circonftances fur les fuites de cet évenement
, mais elles viennent d'une crédulité
trop peu mefurée pour y faire quelque fondement
, & pour mériter d'être rapportées.
Comme ce Tableau cite Corrozet & le P.
Dubreuil , on rapporteroit volontiers ici les
paroles de ces deux Hiftoriens , fi la raiſon
que fon vient d'alléguer plus haut ne détermimoit
à les fupprimer pour cette fois. La
comparaifon de leurs récits rapprochés
prouveroit indubitablement ce qu'on a déja
JUILLET. 1745 . 11.
remarqué auparavant fur leur différence, & fi
l'on vouloit s'arrêter aujourd'hui à difcuter ,
auroit lieu de le faire fur le récit même
de ce Tableau que l'on vient de rapporter,
mais on en parlera ci- après.
il
y
Tel eft donc felon ce Tableau , le récit
de cet évenement , telle étoit auffi la cérémonie
employée à la réparation de l'outrage
commis envers la Sainte Vierge , mais M.
le Lieutenant de Police , que les devoirs de
fa Charge rendent toujours attentif à empêcher
ce qui pourroit nuire au bien public,
jugea à propos de fupprimer ce feu des l'année
1743 , en confidération des accidens qui
en pouvoient réſulter dans une place de fi
peu d'étendue , & qui étoient déja réellement
arrivés différentes fois dans les années
précedentes .
Il paroîtroit inutile d'expofer au Public de
quelle maniere s'exécutoit cette cérémonie.
Il accouroit en foule la voir célébrer fousfus
yeux , mais en faveur des Etrangers qu'il
ne faut jamais perdre de vûë , & en confé
quence de la réflexion qui commence ce petit
Ecrit , on ſe croit obligé de la décrire .
Une action auffi impie que celle dont on
vient de voir le récit , excità la dévotion des
Bourgeois qui habitoient la rue aux Ours
où ce facrilege s'étoit paffé , & les porta à
former entr'eux une fociété qui fut connue
A vj
12: MERCURE DE FRANCE.
fous le nom de la fociété des Bourgeois , ou
de la fociété de la Vierge de la rue aux
Ours , & dont le but étoit de réparer par un
culte extérieur cet outrage fait à la Mere
du Sauveur. Pour accomplir cette réparation
d'une maniere fenfible , cette fociété faifait
élever une charpente de forme quarrée
au milieu de la rue aux Ours en face de la
ruë Sale -au-Comte : cette charpente étoit
couverte de décorations qui repréfentoient
une architecture unie feinte de marbre de
diverfes couleurs , & terminée par une baluftrade.
Cet édifice ne pouvoit avoir par
fa fituation que trois côtés , celui en face de
la rue Sale-au- Comte , celui tourné vers la
rue Saint Denis en face de Saint Jacques de
l'Hôpital , & celui tourné vers la rue Saint.
Martin . Le quatriéme côté étant appuyé aux
maifons de la rue aux Ours n'étoit point en
vûë. Chacun de ces côtés étoit orné d'une
infcription en fixain de vers enfermée dans
un Cartouche , & pofée au milieu fur la corniche
qui féparoit le corps d'architecture d'avec
la baluftrade, Ces infcriptions font rapportées
à la fin de cette relation . Cette charpente
étoit furmontée, d'un piédeftal qui
occupoit le milieu de la plateforme , & fur
lequel on plaçoit la figure dont on va parler,
On rappelloit au peuple le ſouvenir de
cette Cérémonie annuelle par une figure
JUILLET. 1745. 11
d'ofier repréfentant le malheureux qui avoit
commis cette impiété fur l'image de la Sainte
Vierge , & que la fociété faifoit promener par
tous les quartiers de Paris pendant plufieurs
jours. Alors le peuple accouroit en foule le
foir du jour marqué pour cette Cérémonie,
qui a toujours été le troifiéme du mois deJuillet
für les neuf heures & demie , & plus fouvent
même fur les dix heures ; on commençoit
par tirer un feu d'artifice placé à la maiſon
de celui des Bourgeois de cette fociété qui
étoit cette année là ce qu'ils appellent entr'eux
le Roi de la fociété. Les Bourgeois
qui la compofoient fortoient enfuite de.
la maifon particuliere où ils s'étoient afſemblés
, précédés de tambours , & leur Roi tenant
un flambeau allumé , ils venoient au
feu fur lequel ils montoient après en avoir
fait trois fois le tour ; alors le Roi mettoit
lé feu à la premiére fufée volante d'honneur
de l'artifice qui étoit exécuté enfuite par les
Artificiers ordinaires. Il fe terminoit par la
figure d'ofier qui étoit ppllaaccééee ffuurr ccee piédeſ.
tal au milieu du feu , dépouillée de fes vêtemens.
Après plufieurs inclinations qu'on
lui faifoit faire devant l'Image de la Ste Vierge
pendant que le peuple chantoit l'Antienne
Salve Regina que le Roisavoit entonnée
, on la brûloit , & l'on jettoit fes
membres tout allumés du haut du feu fur la
14 MERCURE DE FRANCE.
populace qui attendoit avec impatience ce
moment, & fe battoit fouvent pour fçavoir à
qui demeureroient ces reftes . Quelquefois il
fortoit de l'artifice du corps de cette figure ,
avant qu'on la brûlât. Le feu étoit compofé
de différentes pieces d'artifice qui forment
ordinairement ces fortes de fpectacles , &
qui étoient plus ou moins abondantes felon
le produit des libéralités de ceux qui vouloient
participer à cette Cérémonie. L'exécution
du feu étoit plus ou moins parfaite
felon l'habileté de l'Artificier. C'eſt ainfi que
fe terminoit le premier jour de cette Cérémonie
, car elle fe répétoit le lendemain à
la même heure , mais avec des différences &
pour un autre fujet . La fociété qui préfide à
cette cérémonie a fes Staturs & fes Réglemens,
fuivant lefquels elle s'affemble le lendemain
vers le midi,& en préfence d'un Com
miffaire qui lui eft donné par la Police , &
qui affifte à toutes fes affemblées , & à toutes
fes cérémonies , elle tire au fort celui qui
fera Roi dans le cours de l'année qui commence
ce jour là , & dure jufqu'au 3 Juillet
de l'année fuivante inclufivement. Cette cérémonie
eft fuivie d'un repas , & le feu qui
fe tire ce foir là eft le bouquet qui fe donne
au nouveau Roi de la fociété . Il commence
pareillement par un artifice placé à la mailon
de ce Roi , & la fociétéva enfuite faire
JUILLET. f
1745 .
exécuter le grand feu de la même maniere
qu'elle a fait la veille. Voilà quelle étoit la
cérémonie employée par cette pieufe fociété
à la réparation de cet outrage fait à la Sainte
Vierge. Il n'en fubfifte donc plus que la cérémonie
de la figure qui fe paffe préfentement
de la maniere qu'on verra ci- après par
la précaution & en conféquence des ordres
du Magiftrat qui eft prépofé à la Police.
La fuppreffion de cette partie la plus bril
lante de la cérémonie pouvant faire naitre
dans l'idée d'un peuple mal' informé des
préjugés bien oppofés au zéle & à la ferveur
qui anime de plus en plus cette dévote fociété
, c'eft pour les prévenir qu'on s'eft propropofé
d'inftruire le public des fentimens
où elle eft actuellement de fuppléer par des
exercices de piété & des pratiques de dévo
tion plus conformes à l'efprit de fa formation
, & plus propres à l'édification des fidéles
, à ce feu d'artifice en quoi confiſtoit
la cérémonic fupprimée. Cette raiſon a fait
choifir par préference ce Journal comme
étant entre les mains de tout le monde , &
comme un excellent Recueil où la poſtérité
trouvera en dépôt quantité de matériaux
qui lui fourniront pour les différens travaux
qu'elle pourra entreprendre , des lumieres
qu'elle chercheroit inutilement dans d'autres
Ouvrages,
16 MERCURE DE FRANCE.
1
Après avoir fait connoître l'événement
dont il s'agit, & la coûtume à laquelle il avoit
donné naiſſance , il faut parler de ce que
la fociété a déja fait , & de ce qu'elle doit
continuer de faire à la place de la cérémonie
fupprimée.
En l'année 1743 , la fociété fe difpofant
à remplir comme à l'ordinaire le devoir annuel
qu'elle s'eft impofée à l'honneur de la
Sainte Vierge , reçut la défenſe d'exécuter
le feu d'artifice accoutumé . Dès le moment
elle prit la réfolurion de convertir cette cérémonie
en un Office divin qu'elle fe propofa
de faire célébrer publiquement . Elle
choifit l'Eglife Paroiffiale de S. Leu & de S.
Gilles comme Paroiffe de l'endroit où eft fituée
l'image miraculeufe de la Vierge , & de
tous les affociés qui ne font jamais choifis
hors de la rue aux Ours , & ayant obtenus
la permiffion de M. l'Archevêque , néceffaire
en pareil cas , l'Office fut annoncé aux portes
de ladite Eglife par de fimples affiches
manufcrites , le peu de tems qui s'étoit trouvé
entre la defenfe du feu & le jour de la
cérémonie ne leur ayant pas permis de s'y
prendre autrement ; cet Office fut en con-.
féquence célebré de la maniere fuivante. Il
commença à dix heures par une grande.
Meffe de la Vierge , on chanta celle qui eft
marquée dans le Miffel de Paris pour le
JUILLET . 1745 . 17
Samedi quand on fait l'Office de la Férie ,
on y ajouta feulement la Profe Ave Virgo
Virginum. Le Salut fut compofé du ze Repons
des Matines du Samedi de la Férie , de
l'Hymne , du Magnificat & de l'Antienne
des Vêpres du même jour , & fut terminé
par la Collecte de la Meffe . On chanta enfuite
l'Antienne de la Vierge Salve Regina,
pendant laquelle le Célébrant qui étoit M.
le Curé fut au Sanctuaire chercher le S. Ciboire
dont il donna la bénédiction , & qu'il
reporta auffi-tôt. Le foir fur les neuf heures
on brûla à l'ordinaire devant l'Image de la
Vierge , & à la place ou fe tiroit le feu d'ar
tifice , la figure d'ofier dont on a parlé. On
l'attacha à un poteau que l'on avoit planté
exprès un peu de tems auparavant la cérémonie
, mais cette action fe paffa entre Meffieurs
de la focieté feulement , & fans être accompagnée
d'artifice ; il n'y eut d'autre peuple
que celui de la rue & des rues circonvoifines
qui s'affembla comme il le fait ordinairement
dans un événement de quartier , mais il n'ac
courut pas en foule de tous les endroits de
Paris , comme il faifoit les années précédentes.
La Vierge étoit beaucoup parée de fes
ornemens , de bouquets de fleurs & de quantités
de cierges. On fit chanter au peuple
l'Antienne ordinaire de Salve Regina , après
laquelle le Roi de la focieté ayant trois fois
18 MERCURE DE FRANCE.
fait le tour de la figure accompagné de fa
focieté , & précedé de tambours , alluma la
figure avec un flambeau qu'il tenoit. Le lendemain
on célébra à l'ordinaire en l'Eglife
de S. Leu un fervice folemnel pour tous les
affociés décedés dans le cours de l'année ou
anciennement.
L'année derniere 1744 , la fociété ayant
mis à profit le tems qu'elle avoit eue d'avance
, annonça au peuple avec la permiffion
de la Police par des affiches imprimées
miſes dans tous les quartiers de Paris & aux
portes de toutes les Eglifes , la célébration
du même Office , mais qui fut plus folem-
Hellement marqué cette fois par l'expofition
du S. Sacrement à la Meffe & au Salut, qui
fut terminé par une Proceffion du S. Sacrement
avec ftation à la Chapelle de la Vierge
dans la même Eglife . Les affociés fuivoient
la Proceffion un cierge à la main , comme
font ordinairement les Marguilliers dans les
Paroiffes . On chanta à la Meffe & aux Vêpres
les mêmes Offices qu'on avoit dit l'année
précédente . Cette expofition du S. Sacrement
fe fit en conféquence d'une nouvelle
permiffion de M. l'Archevêque que la
focieté avoit follicitée de nouveau. Le foir
elle brûla , comme elle avoit fait l'année précedente
la figure d'ofier , & le lendemain il
y eut le fervice accoûtumé pour les Trépaffés.
*
JUILLET 19
. 1745 .
11
y a apparence que cette préfente année
ce fera la même chofe , & que la focieté
continuera de pratiquer à l'avenir la même
dévotion , fans aucun autre changement que
celui que fa pieté lui infpirera pour la rendre
de plus en plus folennelle.
Quoique le but qu'on s'étoit propofé dans
ce petit travail foit préfentement rempli
cependant on fupplie de permettre encore
quelques additions qui ont un rapport inſéparable
avec ce qui précede.
Les Hiftoriens difent que l'Image de la
Vierge qui a été frappée a été tranfportée
depuis en l'Eglife du Prieuré de S. Martin
des Champs , où elle eft réverée fous le nom
de Notre-Dame de la Carole . Ils fe trompent
tous en confondant ainfi l'Image de la
rue aux Ours , qui n'eft devenue célebre
que par cet évenement , qui eft de beaucoup
poftérieur , avec celle d'une Confrérie beaucoup
plus ancienne . Des titres confervés ent
originaux dans les archives de ladite Eglife,
prouvent évidemment que la Chapelle de
N. D. de la Carole étoit déja fort connuë au
commencement du quatorziéme fiécle : en
1315 Baudouin de Chally Chevalier
Marie Douchou fon époufe firent don à
cette Chapelle de 10 livres de rente annuelle.
En 1390 Pierre d'Orgemont Evêque de Paris
, informé des miracles que Dieu opéroit
&
20 MERCURE DE FRANCE.
dans ce lieu par l'interceffion de la Sainte
Vierge , y érigea une Confrérie en faveur
des Bourgeois de cette Ville. Jean Juvenal
des Urfins dans fon Hiftoire de Charles VI,
rapporte un de ces miracles fous l'année
1393 dont on a fait un tableau pour en conferver
la mémoire . Benoît XIII . qui l'année
fuivante fut élû Pape à Avignon le 28 Septembre
, accorda des Indulgences à ceux qui
fréquenteroient cette Chapelle certains jours
énoncés dans fa Bulle datée de la douziéme
année de fon Pontificat . Sixte IV. en 1477
fit aufli la même chofe par rapport à la Cha
pelle de la nef. Voilà donc une diftinction
bien etablie , auffi les deux Chapelles font
bien différentes dans la même Eglife ; celle
de la Confrérie de N. D. de la Carole eft
derriere le Choeur , & celle où eft l'Image de
la rue aux Ours eft dans la grande nef , &
tient à la porte du Choeur du côté gauche en
entrant dans cette Eglife. On a rectifié cette
erreur dans les affiches que les Religieux de
cette maiſon font pofer dans Paris pour an
noncer le concours de dévotion qui fe fait
pareillement ce jour là devant ladite Image
en cette Eglife , & que ces affiches attri
buoient les années précedentes à l'Image de
la Carole . Cette Image de la Vierge de la ruë
aux Ours avoit été placée dans une niche
pratiquée dans l'intérieur du mur vis-à-vis de
JUILLET. 1745. 2 I
la Chapelle où on la voit aujourd'hui , avant
que ce mur fut couvert de la fuperbe menuiferie
qui le revêt préfentement , & à la
place de cette Image dans la rue aux Ours
on en a fubftitué une autre devant laquelle
fe fait la cérémonie de la figure d'ofier . Elle
eft enfermée fous une grille dans une niche
qui a été décorée fort proprement il y a quel
que tems , & qui vient de l'être depuis un
an ou environ par les liberalités de celui qui
a été Roi de la focieté depuis le mois de
Juillet 1743 , jufqu'en Juillet 1744. D'ailleurs
cette Image eft parée les jours de grandes
fêtes d'ornemens très propres, & de la
couleur de la fête du jour , & elle eſt éclairée
de quantité de cierges. Au bas de cette Image
eft un tronc pour recueillir les charités des
fidéles qui y ont dévotion , & dont le nombre
eft grand ; c'eft de fon produit & des
contributions des affociés que fe célebre préfentement
l'Office divin qui fe dit aujourd'hui
à S. Leu en place du feu d'artifice qui fe tiroit
autrefois , & qui étoit pareillement payé
des deniers de ce tronc , qui fournit auffi
à la dépenſe du repofoir dont on a parlé. La
focieté a la confolation de voir que le bon
emploi qu'elle fait de ces deniers , excite da
vantage la générofité des fidéles , ce qui fait
qu'elle fe propofe de déterminer cet Office
pour l'avenir d'une maniere plus fixe & plus
MER CURE DE FRANCE.
folemnelle , à mesure que le produit de ces
bienfaits des fidéles la mettra plus en état
de le faire.
Au refte le récit de cet événement , tel qu'il
eft rapporté dans le tableau d'après lequel
on l'a copié ci- devant , donneroit lieu à quelques
remarques , qui comme on l'a déja dit,
pourront fervir de matiere en une autre occa-
Tion ; mais pour cette fois on fe contentera
d'obferver en paffant que l'on a pris fans doute
en ce tableau le jour de l'exécution du criminel
pour le jour de l'événement , ce qui
paroît très vrai-femblable , parce que le
Chancelier le Merle avoit été maffacré la
nuit du 12 Juin précedent , à l'occafion des
troubles dont Paris étoit pour lors déchiré ,
ainfi que l'apprend l'hiftoire de ce tems -là.
On peut aufli remarquer que cette même
ruë que l'on appelle par corruption aux
Ours , fe nommoit pour lors aux Ouës, deş
Oyes que nourriffoient en quantité les Rotiffeurs
, qui de tout tems ont habité particu
licrement cette rue , comme ils y font encore
actuellement en grand nombre .
Mais une obfervation effentielle à faire eft
fur la mauvaiſe dénomination que plufieurs
perfonnes , pleines d'ailleurs de bon fens , &
même bien inftruites, continuent de donner
à cette figure d'ofier en l'appellant Suiffe de
la rue aux Ours : non feulement ces gens in
JUILLET.
1745. 23
fultent à une Nation depuis long - tems amie
& alliée de la nôtre , mais ils bleffent ouvertement
la vérité de l'Hiftoire , puiſqu'on
n'a commencé d'avoir des Corps militaires
de cette Nation dans nos troupes que dans
un tems bien pofterieur à la date de l'évé
nement de la rue aux Ours , ce qui a toujours
continué depuis, Il eft vrai même que
cette figure a porté anciennement pendant
du tems un habillement qui fembloit autorifer
cette dénomination, mais depuis on a fait
changer l'habillement de cette figure après
qu'on eut examiné & rendu témoignage à
la vérité de l'Hiftoire : il ne refte plus pour
finir ce qu'on s'eft propofé, qu'à rapporter les
Vers dont on a parlé ci deffus , qui fe lifoient
écrits dans des cartouches aux décorations
du feu d'artifice. Il n'eft pas befoin fans doute
de faire obferver aux Lecteurs que ce n'eft
point pour leur élégance qu'on les reproduit
aujourd'hui fous leurs yeux, mais feule
ment pour ne rien omettre de ce qui a rapport
à la cérémonie qui a donné lieu à cet
Ecrit.
Vers qui fe lifoient aux décorations du fen
d'artifice.
Le fort de la fortune eft fi cruel au jeu ,
Que pour le plus fouvent les joueurs prennent feu,
Et s'attachant fi fort que quittant toute affaire ,
24 MERCURE DE FRANCE.
Ils y font tout d'un coup réduits à la mifere ;
Les uns au défeſpoir , les autres dans la rage
Ne cherchent leur argent qu'au milieu du carnage .
*
Un foldat malheureux écumant de colere ,
D'un vifage effronté , d'une mine févere ,
S'étant ruiné au jeu , fe jetta de furie
Et perça d'un couteau l'Image de Marie.
Auffi- tôt Dieu permit que le fng en fortit
Pour fa plus grande gloire , & qu'il en fut puni,
*
Il fut inceffamment traîné à la juftice ,
Puis la torche à la main , fut conduit au fuplice ,
Ce n'eft pas fans raifon que les Bourgeois enfemble.
Veulent en conferver la mémoire & l'exemple ,
Par un feu d'artifice qu'ils dreffent tous les ans
En l'honneur de Marie & Jefus fon Enfant.
EPITRE
JUILLET. 1745. 25
柴柴柴
EPITRE de M. des Mabys à Madame
J
de *** pour lors au Château de Dam
pierre en Septembre 1744.
E vous quittai , flaté de l'e ſpérance
De vous revoir , agréable ſéjour ,
Vallons chéris où fur les pas d'Hortenfe ,
Lorfque Pomone annonce fa préfence ,
Le Dieu des coeurs vient établir la Cour,
Trois jours au plus , rempliffoient mon attente ,
Vers fon pourpris ce Dieu guidoit mes paş :
F'attens l'initant d'une ame impatiente ;
L'inftant arrive , & je n'arrive pas .
A ce début vous jugerez fans peine ,
Jeune Comteffe , aimable fouveraine
De tous les coeurs , mere de l'enjouement ,
Que fans le prompt & fubit changement-
Que fait en nous mal de gorge ou migraine ,
Jà près de vous ferois en ce moment.
Oui je ferois dans ce réduit charmant ,
Azile tendre où féjournent les Graces ,
Les jeunes Ris, les folâtres Amours ;
Je les verrois y marcher fur yos traces
N'y font- ils pas attachés pour toujours ?
Jereverrois ce Neftor vénérable
B
26 MERCURE DE FRANCE,
Qui ,, pouvant tout , à tout a renoncé
Et préfera le loifir délectable
D'un Philofophe auffi fage qu'aimable
Au faux éclat d'un monde verniffé.
Peut-être auffi reverrois-je la face
Du bon Curé qui fi courtoiſement ,
En nous tordant grimace fur grimace ,
Se travailloit pour faire un compliment
Digne de vous , & qui buvoit d'autant .
Mais dénué d'une douce efperance ,
Frivé d'un bien fi cher à mes défirs ,
Je fuis contraint d'en chercher l'apparence
Le fouvenir eft l'ombre des plaifirs .
DISCOURS Prononcé aux Affociés qui
compofent la Societé Littéraire , de ***
le 15 Mai 1745 .
MESS ESSIEURS
QUELQUE vive que foit la reconnoiffan
ce dont je fuis pénetré pour la faveur
finguliere que j'ai reçû d'être admis à votre
Académie ,je ne puis vous en donner que de
très foibles marques .
La parole qui fouvent fert fi heureufement
les penfées, qui leur préte meme quelJUILLET.
1745. 27
que fois une parure qui en reléve la beauté,
femble perdre toute fa force & fon énergie ,
devenir pour air.fi - dire muette lorfqu'on
veut s'en fervir pour exprimer les fentimens.
Seroient-ils trop concentrés dans l'homme
pour fe produire & fe manifefter ?
Au moins fi l'ardeur avec laquelle j'ai brigué
une place parmi vous pouvoit répondre
des finceres tranfports que mon coeur
éprouve au moment que j'arrive au comble
de mes voeux , que je ferois fatisfait ! mais
vous ne pouvez pas compter fur une preuve
fi équivoque. Où ne s'ingere pas une vaine
& hardie présomption ! Le frivole defir
d'obtenir le glorieux titre d'Académicien
montre le même empreffement & la méme
conftance qu'une fage émulation qui ne fe
propofe en entrant dans certe noble carriére
que de faciliter fes progrès dans la Litté
rature par la plus grande abondance des fecours
qu'elle y trouvera. La vanité eſt elle
parée de ce nom faftueux ? On va fouvent
jufqu'à fe dégoûter de l'exercice des fonctions
indifpenfables qu'il impofe ; encore
moins , fonge-t on à acquérir ou a pouffer
jufqu'à la perfection néceffaire les rares &
éminentes qualités qu'il exige ? On abandonne
les obligations parce qu'on n'a cherché
que Phonneur , & comme le véritable eft
effentiellement attaché au devoir , on fecon
Bij
28 MERCURE
DE FRANCE,
tente de l'ombre : l'amour propre toujour
habile à favorifer ce qui le décore & le flate
, ne manque pas de trouver dans fon fond
aflés de mérite pour la réalifer & fe l'attribuer
à jufte titre, De quelles chimere ne fe repaît
pas l'orgueil humain !
Je puis néanmoins me rendre cette juftice
qu'en demandant avec tant de paffion d'être
reçu parmi yous , je n'ai été animé que par
l'amour de ma véritable perfection ; né avec
du penchant pour les Lettres je me livrai à
que des cette étude qui ne préfente d'abord
charmes & des agrémens , mais qui ne tarde
pas de s'annoncer encore plus intereffante par
les avantages folides qu'elle procure à ceux
qui s'y appliquent & même à l'Etat qu'elle
rend floriffant. Pouvois - je fçavoir qu'il y
avoit parmi nous une Societé où elles étoient
cultivées? Pouvojs - je avoir l'honneur de
connoître quelques uns de ceux qui la compofent
fans que je fiffe tous mes effors
pour être affocié à un nombre de perſonnes
dont les vaftes lumieres m'offroient un
fi puiffant de fupléer à ma foibleffe
moyen
& à ma médiocrité , & dont la direction foutiendroit
ma marche chancelante dans la
route des Belles Lettres & me garantiroit des
écueils dont elle eft femée ?
En effet , Meffieurs , quelque grands &
quelque divers que foient les talens dont
JUILLET. 1745 . zy
per- chacun de vous eſt doué , fi pour les
fectionner & les accroitre jufqu'au dernier
point de leur fphére , vous avez jugé qu'il
étoit néceffaire de les raffembler & de travailler
ainfi de concert à votre avancement
réciproque ; fi un génie particulier ne fait
jamais que des progrès très bornés , quelque
rapides qu'ils puiflent être ; fi tout ce qu'il
peut faifir n'eft prefque rien eu égard à la
multitude des objets effentiels qui lui échap
pent ; en un mot fi la Littérature cache comme
la terre dans fon fein fes richeffes les plus
précieufes, qu'elle ne céde qu'à la réunion des
forces liguées pour les lui enlever , quels
fruits devois-je attendre de mon travail particulier
?
me
L'heureuſe experience que j'avois déja
faite de vos leçons & les grandes espérances
qu'elle me fit concevoir dans l'avenir ,
déterminerent invinciblement à faire concourir
à mon application cette fupériorité
d'efprit , de gout & de jugement que j'avois
remarqué dans tous ceux d'entre vous
que j'avois eu l'honneur d'approcher .
Vous etiez fi élevés au- deffus de moi
par
toute forte d'endroits , mais principalement
par vos excellentes qualités perfonnelles ,
que vous me parutes d'abord inacceffibles.
Malgré la conviction où j'étois de mou impuiffance
à parvenir jufqu'à vous , je hazar-
Bij
go MERCURE DE FRANCE.
dai la premiere démarche , tant l'attrait qui
me portoit vers vous étoit dominant ! par
une bonté inouië vous voulutes bien ne pas
la dédaigner & rapprocher , pour ainfi dire ,
jufqu'à la rendre infenfible , cette immenſe
diftance qui étoit entre vous & moi & que
ma timidité naturelle rendoit encore infinie.
Que mon entrepriſe ait été témeraire , je
ne puis le diffimuler. Puis-je me repentir de
l'avoir faite d'abord que vous lui aurez accordé
un fuccès qui m'eft fi favorable ?
Voilà , Meffieurs , le point où fe réuniſſent
tous les motifs qui peuvent me faire fentir le
prix ineftimable de vos bienfaits & vous faire
juger quels doivent être les mouvemens
de mon coeur , quelle eft l'effufion de ma fincere
gratitude.
Sum ***
Ecclefiaftique .
JUILLET. 1745. 31
****
EXTRAIT d'une lettre de M. D. L. C.
à Madame fa mere au retour
d'un
voyage
de long cours , A Amfterdam le 9 Décembre
1745 .
1
LA joye en mon coeur eft rentrée
A l'afpect de ces traits chéris
Que j'ai vû datés de Paris
D'une main chere & reverée.
Je craignois pour vos jours ; un fonge décevant
A mes fens affoupis avoit peint l'Elyſée ,
Et je tremblois en arrivant ,
De vous trouver canonifée.
Dieu foit loué , mes voeux les plus doux font remplis
;
Vous n'étes point en Paradis :
Je vais vous embraffer , & je puis vous écrire.
Prenez confeil de votre fils ;
Ne voyagez que tard au célefte Pays ,
Et gardez-vous pour l'y conduire.
Biiij
32 MERCURE DE FRANCE.
****************
NOUVELLE explication du proverbe ,"
pour un point Martin perditfon ane.
L'Explication de ce proverbe inferé dans
le Mercure de France du mois de Novembre
1742. Pag. 2419. & fuivantes me
parut alors aufli peu vraisemblable, que celle
que j'avois luë deux années auparavant
dans Alciat , m'avoit paru vraie , fimple &
naturelle.
Pour mettre le lecteur à portée de décider
laquelle de ces deux explications eft la meil
leure , je propoferai d'abord la queſtion qui
doit fonder la détermination dans l'explication
de ce proverbe . 20. Je traduirai librement
celle que donne Alciat , & pour en
faire le parallele j'y joindrai celle qui eft dans
le Mercure. 30. Je refuterai les raiſons qui
peuvent avoir donné lieu à celle- ci. 4° . Enfin
je rapporterai hiftoriquement les pafla
ges des auteurs qui font mention de ce proverbe
, & je tacherai de concilier les alterations
qu'il a foufertes.
I. La quellion de l'éclairciffement de laquelle
dépendent l'une & l'autre explication
fe trouve très judicieufement propofée au
commencement de celle qui eft inférée dans
JUILLET . 1745. 33
le Mercure , mais j'ai été étonné que l'auteur
après avoir affés autorifé & difcuté cette
queftion fe foit écarté de l'explication qui
en devoit fuivre naturellement. Voici les
propres termes :
On n'a pas encore bien éclairci fi ce fut
pour un point de trop ou pour un point mal
placé, ou enfin , fi ce fut faute d'un point que
Martin perditfon ane , & file mot ane &
celui d'Afellus , par lequel il eft rendu en Latin
, doivent être pris à la lettre , & fignifient
réellement un ane , on quelqu'autre chofe exprimée
d'une maniere allégorique.
Telle eft la queftion qui doit décider du
mérite des deux explications . Je crois qu'il
eſt néceſſaire de les rapporter l'une & l'autre
avant que de les difcuter .
II. Voici celle qu'on trouve dans Alciat.
»On lifoit ce vers fur la porte du Monafte
re de la riche Abbaye d'Afello . »
.
"
»
Porta patens efto. Nulli claudaris honefto.
Ce qui fignifioit que la porte en devoit
» être ouverte , & l'hofpitalité accordée à
" toute honnête perfonne . Robert devint
» l'Abbé de cette Abbaye : il étoit avare &
brutal ; avec ces vices la coûtume de recevoir
du monde dans le Monaftere lui déplut
: il s'imagina de l'écarter en faifant
Bv
34 MERCURE DE FRANCE .
tranfpofer après le mot nulli le point qui fe
trouvoit après le mot efto. La tranfpofition
» de ce point donnoit en effet un fens abfolu-
» ment contraire , au vers . Le Pape ayant
appris le procedé de l'Abbé Robert le pri-
», va de fon Abbaye . On remit enfuite la
ponctuation du vers , & on y ſouſcrivit
≫ celui- ci : »
ƉƆ
29
20
39
55
"
Ob folum Pundum caruit Robertus Afello.
Qui fignifioit que pour un feul point Robert
avoit perdu fon Abbaye d'Afello , &
qui a donné lieu au proverbe qu'on applique
communément , dit Alciat , à ceux
» qui perdent beaucoup pour peu de choſe. »
Si cette explication eft la meilleure , on
ne peut difconvenir que l'origine de ce proverbe
ne vienne d'un point mal placé. Voici
celle qui eft inférée dans le Mercure & qui
en fixe l'origine au défaut d'un point.
Ce fut faute d'un point que Martin manqua
d'être élu Abbé. Il a ete long-tems d'ufage de
marquer lesfuffrages par des points , au lieu
de recueillir les voix hautement , afin que les
élections fufent plus libres . C'est ce qui fut ordonné
par Lucius - Caffius - Longius, Tribun
du Peuple , vers l'an de Rome 653 dans la
Loi , appellée Tabellaria , qui fut long- tems
obfervée . Onfait qu'anciennement les Abbayes
étoient éleclives ainfi que font les Benefices ; &
JUILLET. 1745. 35
il pouvoit y avoir alors quelques endroits où les
fuffrages fe marquoient avec des points : ce qui
me fait croire ( ajoute enfiniffant l'auteur de
cette explication ) que les deux vers ci- devant
rapportés ne font qu'un jeu de mots & ne doi
vent pas être pris à la lettre ; qu'ils doivent
s'entendre d'une élection manquée , & non pas
d'une mauvaise ponctuation.
III. Je pourrois démontrer en un mot
le peu de probabilité de cette derniere explication.
Elle n'eft fondée que fur cette.
préfomption : il pouvoit y avoir alors quelques
endroits où les fuffragesfe marquoient avec
des points. Mais cette préfomption tombe
d'elle même dès que les hiftoriens Ecléſiaſtiques
ne nous fourniffent aucun exemple
de cet ufage.
On ne trouve que chés les Romains la
coûtume de marquer les fuffrages par des
points fur des tablettes. Elle ne fut introduite
en faveur du peuple , dit Alexander ,
( 1 ) que pour balancer l'autorité des Patri
» ciens , & lui laiffer la liberté des fuffrages
» que les brigues & le tumulte des affemblées
génoient : mais les Magiftrats & les
» Grands s'étant apperçus que leur crédit
étoit par là confidérablement diminué ,
20
20
( 1 ) Alexander ab Alexandro , genial dier . lib.
4 cap 3. pag. 449. Edit. de 1586. fol Lyon .
B vj
36 MERCURE DE FRANCE
on rejetta les tablettes , & on revint à l'ancienne
maniere de donner les fuffrages de
≫ vive voix .
•
"
33
28
"
Il y a , dit Ciceron, ( 1 ) quatre Loix tabellaria
, dont les auteurs étoient des hom-
» mes féditieux. La premiere a été promul
guée par Gabinius , homme fordide &
» peu connu ; elle regarde l'élection des Magiftrats.
On publia deux ans après la Loi
Caffia , fur les jugemens du peuple ; ce fut
Lucius Caffius , homme à la vérité de ra-
» ce Patricienne qui la propofa , mais je le
dis fauf le refpect dû à fa famille , il la
»propofa contre le fentiment de tous les gens
», de bien, pour prevenir les moindres bruits
que le peuple faifoit courir . La troifiéme
""
22.
qui regardoit la promulgation & l'autorité
» des Loix fut donnée par Carbon , homme
» auffi turbulent que malicieux , & que les
gens de bien du côté defquels il fe rangea
dans la fuite ne faluerent jamais. Coelius
donna la derniere fur le même fujet ,
& il s'en repentit tant qu'il vécût ; il crut
opprimer le peuple , & il nuifit à la République.
20
33
" "
Voilà ce que penfoit Ciceron des Tribuns
du peuple qui étoient auteurs de ces
(1) Cicer. lib 3. de legib. N. 40.
JUILLET . 1745. 3%
Loix : voici ce qu'il dit de leur ufage. ( 1 )
Grata eft tabella, que frontes aperit hominum ,
mentes tegit , datquè eam libertatem , ut quod
velint faciant. Il les appelle ailleurs vindices
libertatis.... principium juftiffima libertatis.
Croira-t- on cependant qu'après les éloges
donnés à ces Loix & qu'il ne faifoit apparamment
que pour la défenſe de la caufe
qu'il plaidoit , il dit à Quintus fon frere , ( 2 )
qu'il conviendroit mieux que ces fuffrages
fe donnaffent de vive voix , mais qu'il feroit
difficile de l'obtenir ? Nam ego in iftâ fum
fententia , quâ te fuiffe femper fcio , nihil
fuerit in fuffragiis voce melius ; fed obtineri an
poffit , videndum est .
Quoiqu'il en foit du mérite ou de l'injuf
tice de l'ufage des tablettes , on fçait qu'el
les ne furent introduites qu'en l'année 615
de Rome ; qu'elles étoient profcrites du tems
de Jules Cefar , qui exclût le peuple de l'élection
des Magiftrats , & on ne voit pas que
depuis la coutume de donner les fuffrages
par des points ait jamais été renouvellée
dans toute la Chrétienté .
Les SS. Peres ( 3 ) & les auteurs de Droit
Canonique nous apprennent les formalités
(1) İd in Orat . prò Planco , pro lege agraria ,
pro Cornelio in Rullum & c .
(2) Ed. cod. lib. 3. de legib. n 39
་
(3 Les SS, Cyprien , Athanafe , Leon , Céleftin
&c.
38 MERCURE DE FRANCE .
des élections dans tous les fiécles de l'E.
glife. Le Clergé & le peuple y procédoient
enfemble : Epifcopi conveniant , dit S. Cyprien
, ( 1 ) Epifcopus eligatur plebe prafente .
Nicolas . & Gélafe ( 2 ) ordonnerent que les
élections feroient ainfi faites à l'avenir.
Cette forme des élections étoit dès le
cinquiéme fiécle ( 3 ) commune aux Eglifes
Grecque & Latine , & quoiqu'elle changeât
vers le neuviéme fiècle dans l'Eglife
Grecque & que le peuple y fut exclus des
élections , elle ne ceffa cependant point
alors dans l'Eglife Latine .
Ce ne fut que vers le douzième (4) que les
Chapitres des Eglifes Cathédrales & les Moines
s'attribuerent feuls le droit d'élire les
Evêques & les Abbés à l'exclufion du peuple
& du refte du Clergé. Le quatriéme
Concile de Latran tenu fous Innocent III.
en 1215 prefcrivit dans le Chapitre , Quia
propter
de election . les trois différentes formes
de proceder aux élections , & déclara
nulle toute élection qui n'y feroit pas conforme.
42.
(1) Cyprien. Ep. 68 édit. Rigalt. & Ep. 41 &
(2) Can. plebs Can. Epifcopos diftinct . 63 .
(3 ) Van-Efpen jur. Ecclef. univ. tom . 1. part.1 .
tit. 13. cap. 1.
*
(4) De Hericourt , Loix Ecclefiaſtiq . tom. 1.
part. 2. chap. 3 •
JUILLET. 1745. 39
En France la Pragmatique de Charles VII.
tenuë à Bourges en 1437 abrogea l'uſage
des graces expectatives & des réferves à l'égard
des Dignités & prélatures , que la Cour
de Rome avoit introduit : il fut dit que l'on
y pourvoiroit par élection .
Enfin depuis le Concordat paffé entre
Léon X. & François I. en 1516 , toutes les
Prélatures & Abbaye électives ont été afſujetties
à la nomination Royale : les feuls
chefs d'Ordre & les quatre premieres filles
de Citeaux ( 1 ) en ont été exceptés , & on y
procede aux élections en conformité du
Chapitre quia propter.
il , que
Pithou ( 2 ) rapporte en peu de mots toutes
les variations que les élections Eccléfiaftiques
ont fouffertes . Le Pape apretendu , ditle
droit des élections lui appartenoit ;
Le Prince a eu cette même prétention : & l'un
& l'autre en ont joui. Quelquefois les Evêques
de la Province feuls ont pourvû. En autres
tems le Clergé & le peuple élifoient leurs Paf
teurs. En autre tems le Prince , le Clergé
& le peuple par communs fuffrages . Quelquefois
tout le Clergé enfemble fans le peuple :
quelquefois les Chanoines feulsfans le Clergé,
(1 ) Chopin de doman. lib. 2. tit ro .
(2)Libertéz de l'Eglife Gallic, art. 68.
40 MERCURE DE FRANCE.
Telle eft en racourci l'hiftoire des élec
tions Eccléfiaftiques. Les auteurs n'expliquent
point la maniere particuliere à chaque
Diocéfe ou à chaque Monaftére de
donner les fuffrages , mais on peut affùrer
avec fondement que dans les tems où le peuple
concourroit avec le Clergé aux élections
, ces fuffrages le donnoient par voix
commune ou par élevation des mains , ( 1)
ainfi qu'on en trouve des exemples ; ( 2 ) &
que dans les tems où le Clergé feul s'arrogea
le droit des élections , il y procéda ſelon
les regles prefcrites par le Concile de Latran
.
Cependant que ce fut le Clergé & le peuple
enſemble , ou le Clergé feul , qui élût
aux dignités de l'Eglife , on ne trouve dans
ces cas ni aucune part que les fuffrages ayent
été marqués par des points. Je conviens avec
l'auteur de l'explication inferée dans le Mercure
qu'anciennement les Abbayes étoient électives
, mais dans les tems qu'elles l'étoient ,
les élections fe faifoient ou par compromis ,
ou par inſpiration ou par fcrutins ; ( 3 ) &
dans aucune de ces trois formes , les fuffra-
( 1 ) Bordenave , état des cours Ecclef. chp.1.p. 4.
(2 ) Le peuple d'Alexandrie à l'élection de
S. Athanafe.
(3) Cap. Quia prapter Extr, de election,
JUILLET. 1745. 41.
ges ne pouvoient être donnés par des
points.
Que devient après cela la préfomption
tirée de l'hiftoire Romaine , fur l'ufage de
marquer les fuffrages par des points , lorf
qu'on peut en fixer le commencement & la
fin , & qu'on ne voit pas qu'il ait été renouvellé
dans le monde Chrétien ? N'eſt- il pas
naturel d'en conclure , qu'il n'eft ni vraifemblable
, ni poffible , que ç'ait été faute
d'un point que Robert manqua d'etre élû
Abbé d'Afello , puifqu'on ne procédoit
nulle part de cette maniere aux élections.
On convient que ce ne fut pas pour un
point de trop que l'Abbé Robert perdit l'Abbaye
d'Afello ; je crois avoir démontré que
ce ne fut pas faute d'un point ; il ne me reſte
donc qu'à prouver , que ce fut pour un point
mal place , & que les deux vers ci-devant
rapportés doivent s'entendre d'une mauvaise
ponctuation , & non pas d'une élection manquée.
IV. D'abord ce qui me furprit lorfque je
lus l'explication de ce proverbe inferée dans
le Mercure , ce fut de voir que l'auteur n'ignoroit
point celle que j'avois lue dans Alciat
( 1 ) , puifqu'il dit lui-même qu'elle eft
(1 ) Alc'at tom 1. liv. 4. de verbor . fignif. col.
104. édit. de 1548. fol Bâle.
42 MERCURE DE FRANCE.
rapportée dans Everard ( 1 ) dont il cite l'endroit
& l'édition . Ma furpriſe redoubla encore
plus lorfque je lui vis juftifier dans fon ;
explication les altérations que le dernier vers
qui avoit paffé en proverbe avoit foufertes &
s'écarter cependant de la premiere explica .
tion pour en embraffer une autre qui me parut
affi peu vraisemblable qu'impoffible.
La feule autorité du Jurifconfulte Everard
n'auroit-elle pas dû le retenir ?
Il ajoute que Pafquier la raporte aufſſi d'a
près Alciat , fans dire en quel endroit , & qu'il
ne l'a point trouvée dans les emblêmes de cet auteur
, celui de tousfes ouvrages , où ce trait pourroit
le mieux trouver place .
J'ai rappellé ci-devant l'explication, que
donne Alciat de ce proverbe & l'endroit
de fes ouvrages où elle eft rapportée. Il eût
été facile à l'auteur de la trouver , mais ily
a apparence qu'elle ne lui auroit pas fait chan
ger de fentiment , puifqu'après l'avoir luë
lui-même dans Everard , il n'a pas laiffé d'en
donner une contraire.
Il eſt vrai qu'Alciat & Everard la rappor→
tent l'un & l'autre d'après Alberic de Ro
fate , dans fon Dictionnaire de Droit , au
mot Punctus , & que je ne l'ai point trouvée
dans les deux éditions de cet ouvrage faites à
( 1 Everard dans la preface de fon Traité intitu◄
lé Loci argumentorum legales .
JUILLET. 43 1745 .
J
n
Lyon , l'une de 1521 en caracteres gothiques,
l'autre de 1548 en lettres rondes. Mais
fondé fur le témoignage des deux premiers
auteurs qui en détaillent fi bien les circonftances,
pourrois-je la croire apocryphe, furtout
dès quelle eft encore rappellée par d'au
tres auteurs, qu'elle n'a jamais été contredite ,
mais feulement alterée dans les noms de
l'Abbé & de l'Abbaye , & que celle qu'on a
donnée n'eft du tout point probable ?
Spiegelius dans fon Dictionnaire ( 1 ) , rapporte
auffi l'explication d'Alciat : » Mais on
ne la trouve pas , dit - il , dans le Dictionnaire
d'Alberic , dont l'édition faite à Pavie
» eft remplie de fautes ; & qui , quand mê-
» me elle feroit correcte , paroît une édition
bâtarde , ou du moins beaucoup altérée.
Il obferve dans fon Epitre dédicatoire que les
défauts du Dictionnaire d'Alberic ne doivent
être imputés » qu'à l'ignorance de fon fiécle
( le quatorziéme ) dans lequel les Belles
Lettres n'étoient pas même connues en Ita-
,, lie , & où l'on regardoit comme héretique
tout homme qui fçavoit le Grec : Gracè
fciens , heretici nomen vix effugiebat.
20
00
»
On trouve encore la méme explication
rapportée dans Schardius, dans Calvinus ( 2 ) ,
(1 ) Lexicon juris civilis Spiegelii v. punct ,
(2 ) Lexicun juridicum , autore Simone Schardio .
Lexicon juridic. Joannis Calvini.
44 MERCURE DE FRANCE.
& dans prefque tous les Lexiconnaires. Nul
deux qui l'ait contredite ou à qui elle ait paru
fufpecte.
Eft - il poffible cependant de ne pas fe
méfier de la réalité de l'hiftoire de ce proverbe
, dès qu'Alberic de Rofate , de qui
tous ces auteurs difent la tenir n'en fait aucune
mention ; que Spiegelius dit ne l'avoir
point trouvée dans l'édition du Dictionnaire
de cet auteur faite à Pavie , & qu'elle n'eſt
point dans les deux autres , faites à Lyon en
1521 & 1548 ?
J'avoue que le filence d'Alberic doit furprendre
, & qu'il doit jetter de violens foupçons
contre la vérité de cette hiftoire ; mais
ces foupçons font aifément diffipés par les
réfléxions fuivantes .
to. Alberic avoit fait deux Dictionnaires ,
l'un de Droit Civil , l'autre de Droit Canonique.
On lit dans une Préface qui paroît
être du premier Editeur de ces deux ouvrages
qu'il les réduifit en un feul , en y rangeant
& confondant fous un même alphabet
les mots propres à l'un & à l'autre Droit ;
qu'il en retrancha toutes les dictions qui pou
voient être géminées ou inutiles , cùm fufficerent
quacumque utilia & fructuosa , fub unâ
dictione unius alphabeti reperire. La dépofition
de l'Abbé Robert peut bien avoir fait
matiere de ces retranchemens .
JUILLET . 1745.
45
2 ". Le motif de cette méme dépofition
n'étant pas fort honorable à l'Abbé Robert ,
ni à ſa famille , ni même à l'Ordre Religieux
de l'Abbaye d'Afello , on fut fans doute bien.
aife de cacher les vices d'un homme qui
avoit été conflitué dans une des premieres
Dignités de l'Eglife.
3. Jean- Baptifte Caftellion de Genes ,
Barthelemi de l'Horloge de Padouë , & Henri
Ferrandat de Nevers , Editeurs du Dictionnaire
d'Alberic y firent un grand nombre
de corrections & d'additions confidérables.
Ces corrections porterent apparemment
fur l'hiftoire de ce proverbe , puiſqu'au
mot Punctus , où Alberic la racontoit on
ne trouve plus dans les differentes éditions
qu'une addition de Caftellion qui n'y a aucun
rapport.
,
4°. On ne peut douter des altérations qui
avoient été faites à ce Dictionnaire ; s'il faut
en juger par les termes aigres dont ſe ſert
Spiegélius ( 1 ) contre l'édition qui en avoit
été faite à Pavie. Illa ( hiftoria ) defideratur
in editione Papienfi , qua fade fcatet mendis :
& interim, etiamfi illis careret , adulterina videri
poteft ; certè contaminatam effe nemo nègare
poteft.
(1) Spiegel. Loc. citat , verb, punctum .
46 MERCURE DE FRANCE,
5 ° . Il réfuite d'une note qui eft à la fin du
Dictionnaire d'Alberic de l'édition de 1521
que ce fut en faveur & aux inftances des Religieux
qu'il le compofa : contemplatione &
inftantia Religioforum .... quoniam ipfi Religiofi
pratendentes fe communiter non habere
libres juris canonici , inftanter me rogaverunt
& ... Ce n'étoit gueres faire la cour aux Religieux
que de rendre publique l'hiftoire de
l'Abbé Robert , & ceux- ci s'en vengerent
fans doute , en la fupprimant de ce Dictionnaire.
6. On ne peut penfer qu'Alberic n'ait
point écrit cette hiftoire fans charger Alciat
& Everard du reproche odieux de falfification
& de calomnie : & quelle injuftice de
jetter de tels foupçons fur des Jurifconfultes ,
tandis qu'ils ne la rapportent que comme un
exemple propre à la matiere qu'ils traitent
& qu'ils citent le livre & l'endroit d'où ils
l'ont tirée !
70. ( Et cette réflexion eft déciſive pour
juftifier Alciat & Everard fur la citation
qu'ils font du Dictionnaire d'Alberic. ) Ce
dernier Auteur avoit fait des commentai
res fur les décretales , fur le digefte , fur le
code : fes deux Dictionnaires furent fon dernier
ouvrage. Ce n'étoit à la verité que
dans celui- ci qu'il détailloit , au témoignage
d'Alciat & d'Everard, l'hiſtoire de l'Abbé
JUILLET. 1745. 47
Robert ; mais il ne l'ignoroit pas auparavant,
puifqu'en commentant la Loi Nemo
Judaorum , du titre du code de Judais &
Calicolis , il rapporte des exemples du fens
contraire qu'une mauvaiſe ponctuation peut
donner au difcours , & cite à ce fujet le vers
qui étoit fur la porte de l'Abbaye d'Afello ;
porta patens efto , nulli claudaris honefto . Alberic
fcavoit donc l'avanture de l'Abbé Robert
? il fçavoit le contre -fens que donnoit
à ce vers le point placé avant ou après le
mot nulli : pourquoi dans fon Dictionnaire
n'auroit-il pas détaillé cette hiftoire , qui , foit
par fa fingularité , foit par fa moralité ,
trouvoit naturellement fa place ?
y
Cependant Alexandre & Erafme qui ont
fait l'un & l'autre des recueils des proverbes
& qui écrivoient comme Alciat & Everard
dans le feiziéme fiécle , ne font aucune mention
de celui dont nous donnons l'explication.
Je doute qu'ils l'euffent omis s'ils l'avoient
connû , & il y a apparence qu'ils l'ignoroient.
Il avoit été retranché de l'édition du
Dictionnaire d'Alberic faite à Pavie , & de
celle faite à Lyon en 1521 , tems auquel ils
écrivoient. D'ailleurs , Alexandre ( 1 ) s'eſt
borné à ramaffer les proverbes qui étoient
( 1 ) Alexand . lib. 5. Cap. 15. p . 688. édit. de
586 fol, Lyon,
48 MERCURE DE FRANCE.
en uſage chés les Romains ; & quoi qu'Erdfme,
ainfi que dit M.Tiraqueau ( 1 ) » en ait
» avec grand foin ramaſſé juſqu'à 4151 , il
» en eft encore un grand nombre qu'il a
omis , & qu'il auroit recueillis s'il avoit ve-
» cu plus long-tems. Sed quis omnia poffet ?
ajoûte M. Tiraqueau , en en rapportant luimême
quelques uns , pour prouver les omiffions
d'Erafme .
De toutes ces reflexions on doit néceffaitement
conclure , que l'explication de ce
proverbe que rapportent Alciat , Everard &
d'autres auteurs après eux eft la feule vraye :
& il ne refte pour une entiere conviction ,
qu'à rendre raiſon des altérations qu'il a ſoufertes.
La caufe de ces altérations , quoiqu'ancienne
& facilement reconnue , c'eſt à Pafquier,
ou du moins à l'idiome dans lequelil
a écrit , qu'on doit l'attribuer. Il rapporte
de mémoire & comme par tradition l'explication
que nous donnons ; & fa mémoire
infidelle, quoiqu'elle lui rappelle lenom dAlciat
dans lequel il l'avoit lue & qui l'avoit
écrite quelques années feulement avant lui ,
le trahit dans le nom du Héros de l'hiſtoire ,
(1) Tiraquelli annotat , in Alexand.eâdem libre
5. cap. 15. p. 694.
JUILLET. 1745. 49
& lui fait changer le nom de Robert en celui
de Martin.
כ כ
"
20
""
» Je defire encore , écrit Paſquier ( 1 ) à
M. Tabourot auteur du livre intitulé , les
Bigarures du fieur Defacords , » vous ajouter
» le jeu de ce vers , où un feul point tranſpoſé
diverfifie le fens : porta patens efto , nulli
claudaris honefto . Mettez la virgule après le
» mot defto , il n'y a nul vers plus courtois :
mettez- la après nulli , il n'y a rien de fi
» difcourtois. Et c'est pourquoi Alciat ( fi
» je ne m'abufe ) dit que l'on fit cet autre
Carme : obfolum punctum caruit Martinus
Afello , difant que c'étoit un Abbé nommé
Martin , qui pour avoir mis ce vers fur
» le portail de fon Monaftere , avec le
point au- deffous de nulli fut pour fa vilenie
, privé de fon Abbaye nommée Aſellus ;
d'où auſſi eſt venue entre nous ce prover-
» be françois ; pour un point Martin perdit
fon ane. »
20
و د
33
"
သ
23
Furetiere & les auteurs du Dictionnaire
de Trevoux ( 2 ) rapportent la même chofe d'après
Cardan qui , difent- ils , donne le nom
de Martin à l'Abbé d'Afello , mais il y a apparence
que Furetiere fe trompe dans la ci-
(2) Pafquiertom . 3. liv. 8. lett . 12 .
( 1 ) Edit. de 1691. & de 1704, verb. Martin.
50 MERCURE DE FRANCE,
1a
tation de Cardan , & que les auteurs du
Dictionnaire de Trevoux ne font que copier
Furetiere , puifqu'ils ne difent point
auffi dans quel lieu des ouvrages de Cardan
cela eft rapporté , & qu'on ne le trouve point
dans cet auteur.
30
On voit dans Furetiere les raifons du changement
du mot afello en celui d'âne. Voici
fes termes. On ne dit guères Martin ,
qu'il n'y ait de l'âne. On dit auffi pour
un point Martin perdit fon âne , pour dire,
il a perdu la partie faute d'un point..... Ą
caufe , ajoute- il plus bas , que le mot Italien
afello fignifie en François âne , on a
ainfi tourné le proverbe , pour un point
Martin perdit fon âne , au lieu de dire
Abbaye..
L
→
5כ
55 53
Furetiere fait encore une nouvelle altération
à ce proverbe . Selon lui , ce fut l'on
vrier , qui par mégarde ou par ignorance mit
le point après le mot nulli. Je ne vois point
pourquoi il s'avife de rejetter cette faute fur
un ouvrier , tandis qu'il ajoûte tout de fuite,
que le Pape indigne de l'incivilité de l'Abbé
Martin , le priva defon Abbaye. Si l'ouvrier
n'avoit tranlpofé le point que par mégarde
oupar ignorance , l'Abbé d'Afello étoit auffi
peu coupable , & ne méritoit pas plus
d'être puni que lui .
Mais pour démontrer que ce ne fut pas
JUILLET . 1745. 5 *
Pouvrier, qui de lui même tranfpofa ce point.
je n'ai qu'à rapporter les propres termes d'Everard
& d'Alciat ; ( 1 ) & cette nouvelle altération
de Furetiere m'en fournit à propos
l'occafion .
Everard en parlant des équivoques qu'-
une mauvaiſe ponctuation peut introduire
dans le difcours , cite le vers , porta patens
eft , &c. & dit que l'équivoque s'y trouve ,
fi punctum colloces ante vel poft dictionem nulli
prout fecit Abbas Robertus , qui propter
boc fuit privatus Abbatià fuâ , que vocabatur
Afellus.
Alciat rapporte l'origine de ce proverbe
en termes biens elegans , & j'aurois tort
de les mettre , ma traduction ne les ayant
fans doute point rendus avec cette énergie ;
cet auteur , ainfi que fit à peu- près dans le
même tems M. Tiraqueau , recueille les
proverbes qu'Erafme avoit ómis : il s'attache
plus particulierement à ceux qui font
tirés des droits Canonique & Civil : il copie
enfuite ceux qu'il dit avoir trouvés dans
Accurfe & les commentateurs modernes :
il ajoûte que l'ufage de ces derniers n'eft
pas moins utile, quoiqu'ils n'ayent point une
certaine ancienneté ; c'eft parmi eux qu'il
(1 ) Everard & Alciat ubifupra.
52 MERCURE DE FRANCE
rapporte celui- ci : ob folum punctum caruit
Robertus Afello.
Robertus , dit Alciat , opulenti Sacerdotii ,
cui afinus nomen, ut vocant , Abbas erat ; caterùm
avarus & inhofpitalis : quapropter carmen
, quod pro foribus Monafterii profcriptum
erat , commutato puncto invertit : porta
patens efto nulli , Claudaris honefto. Id cum
Pontifex Romanus refciviffet , Sacerdotio hominem
privavit. Unde in fabulam vulgi tranfiit
proverbialequè carmen ortum , de modico momento
rem magnam amittentibus .
Nicot ( 1 ) raconte ce proverbe de trois
manieres : c'eft , dit-il , ou pour un poil , ou
pour un point , ou faute d'un point que Martin
perdit fon âne. I laiffe à fes lecteurs ,
fans autre explication , le plaifir d'opter pour
celle qui fera plus de leur goût.
Voilà les altérations que les auteurs même
qui ont rapporté ce proverbe y ont faites .
Il n'eft pas jufqu'au fecond vers foufcrit au
premier , qui n'ait été altéré : on y a changé
le mot caruit en celui de cecidit , quoiqu'-
Alciat , Everard & tous les autres , fe fervent
unanimement du premier : ob folum
punctum caruit Robertus Afello .
Au refte j'avois cherché moi - même ainfi
que l'auteur de l'explication inferée dans le
( 1 ) Effaj fur les Proverbes au mot Ane,
J UILLET . 1745: 53
Mercure , où pouvoit être fituée l'Abbaye
d'Aſello , mais comme lui , je ne l'ai pu découvrir
ni quel fut le Pape qui dépofa l' Abbé
Robert. Jecrois cependant que cette Abbaye
devoit être dans le Milanois , & que l'époque
de la dépofition de l'Abbé Robert doit
être fixée dans le quatorziéme fiecle , tems
auquel Alberic écrivoit.
Enfin je ne vois pas quel rapport on a
voulu trouver entre l'Abbaye d'Afellò dans le
Milanois , & celle d'Afnieres- Bellay en Fran
ce dans le Diocèfe d'Angers. Il n'y en auroit
pas plus à dire que . Tillemont & Baillet font
mention au fixieme Decembre d'une Vierge
Chrétienne , nommée Afelle , dont l'Eglife
célebre la Fête à Rome . J'en trouve
encore moins entre ce qu'on dit
que l'Abbé
Robert pouvoit être de l'ordre des Mathurins,
qu'on appelloit anciennement les Freres aux
anes , & le proverbe dont j'ai rapporté l'explication
que je crois la plus fimple & la
plus vraisemblable .
D'Aix en Provence 1744.
!
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
ALLEGORIE .
UN Ane prit le bonnet de Docteur ;
Quoique fourré de fa nature
Il en prit encor la fourrure ,
Le maintien droit , l'air de hauteur ,
Peut s'en faut , la même figure ;
Le Ton , le port , la gravité ,.
Et tout enfin, fauf la capacité.
Il manquoit un point à l'affaire ,
De déguifer fi bien ſa voix
Qu'on ne connut rien au myftére ;
Il n'y réuffit pas à la premiere fois ,
Mais à force de fe contraindre
Il croit de ce côté n'avoir plus rien à craindre ;
C'étoit pour lui trop de perplexité .
Le mystére à la fin pouvant être éventé
Quelqu'un lui confeilla d'aller faire le maître
Bien loin de l'Univerfité ,
Difant que s'il alloit paroître
Au milieu de la Faculté
On viendroit à le reconnoître ,
Ayant toujours à fon côté
JUILLET. 55 1745 .
Docteurs aufquels il feroit confronté ;
Que loin du féjours de fcience
D'autres habitans ébahis
Qui n'avoient jamais vû Docteur en leur Pays
N'en feroient pas la différence.
L'âne fuivit ce confeil ingénû ;
Il n'eut jamais que ce trait de prudence ,
Heureux s'il fe fut foutenu !
Mais gare fon impertinence :
Le nouveau Docteur tranfplanté
Loin des regards de la malignité
Crût qu'il pourroit fans conféquence
Prendre le ton d'autorité ;
Il entame toute matiere ,
Décide net à fa maniere ,
Sans que rien lui foit repliqué.
Cen eft affés ; plus de mefure :
A bien cacher le fond de fa nature
Notre âne n'est plus appliqué ,
Il croit parler , on l'entend braire ,
La nature perce au travers
De tout l'attirail Doctrinaire ,
Et fait naitre dès - lors bien des foupçons divers.
Pour découvrir la tromperie
Quelqu'un lui dit : Je vous en prie
Maître Docteur , expliquez - vous ,
Afin que nous profitions tous
Des fecrets de votre ſcience ,
C iiij
36 MERCURE DE FRANCE.
Tel point me paroît d'importance ,
Permettez -moi de vous le difputer .
L'âne peu fait à fe voir contredire ,
Alors femble entrer en délire ;
Il brait , fe dreffe & fe prend à fauter
Ses réponſes font des ruades ,
Des fauts , des bonds , des pétarades ,
Pour réfoudre tout argument ;
Tant qu'enfin fon bonnet qui faifoit des merveilles
A cacher fes longues oreilles ,
Ne tient plus que pour un moment ;
D'un dernier bond , revers funefte !
Saute avec lui l'honneur dont il jouit ,
Le bonnet tombe , l'âne refte ,
Et le Docteur s'évanouit.
Par M. l'Abbé Teftard Prieur- Curé de Vitre.
i
JUILLET. 1745. 57
MEMOIRE fur la date d'une Charte du
Roi Louis le Jeune, dans lequel on fait auſſi
connoître deux Chanceliers de France dont
il n'a point été fait mention jufqu'à préfent
par M. D. Polluche d'Orleans.
Uelque déference qu'exige de nous un
Auteur que nous reconnoiffons pour
exact dans les dates qu'il nous donne, nous ne
devons pas moins les examiner, lorfque nous
les voyons contredites par quelqu'autre . Sans
cette précaution il eft aifé d'ètre furpris ,
& de tomber dans des erreurs d'autant plus
dangereufes qu'elles peuvent jetter de la confufion
dans les événemens les plus importans
de l'Hiftoire. Je vais en donner un exemple
fenfible en même tems intéreffant pour nous.
M. de Lauriere page 15 de fon premier
vol. des Ordonnances de nos Rois de la troifiéme
Race rapporte des Lettres de Louis
le Jeune , portant abolition en faveur des
habitans d'Orleans de certains droits de
Coûtume qui étoient à charge à la Ville . Il
date ces Lettres de l'an 1168 , & le Maire
qui nous les a données dans fon Hiftoire
d'Orleans
pag. 536 , les met dix ans plus tard
en 1178,
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
1
Pour peu qu'on réfléchiffe fur le mérite
de ces deux Auteurs , dont le premier cite
pour lui le tréfor des Chartes du Roi , & le
Regiſtre de Philippe- Augufte , il ne paroît
pas qu'on doive balancer à le préferer à le
Maire , dont tout le monde connoît les négligences
en fait de dates , & qui ne nous dit
point d'où il a tiré celle- ci . Cependant je crois
avoir de quoi prouver que la date de le
Maire eft la véritable , & que celle de M. de
Lauriere ne fçauroit ſe foûtenir.
La Charte de Louis le Jeune fut donnée
en 1168 felon M. de Lauriere, mais ce que
cet Auteur ajoute qu'elle fut délivrée par le
fecond Hugues Chancelier : Data per manum
fecundi Hugonis Cancellarii , emporte avec
foi une contradiction manifefte , puifque Hugues
de Puifeaux , appellé Hugues Second
pour le diftinguer de Hugues de Champfleury
Evêque de Soiffons fon prédéceffeur ,
n'étoit point encore Chancelier alors , & que
Hugues de Champfleury qui l'étoit dès
1150 , le fut jufqu'en 1 172 .
De plufieurs Chartes que je pourrois apporter
en preuves je me contente de deux ,
dont les dates couvrent l'année 1168 , ce
qui fuffit. La premiere de l'an 1165 eft un
don fait par le même Roi Louis le Jeune
aux Religieufes de laMagdeleine lez- Orleans
du dixième du pain de fa table , quand lui
JUILLET. 1745. 59
ou la Reine féjourneroient à Orleans :
Actum Aurelianis anno Incarnati verbi
M. C. 1.X. N. Datum per manum Hugonis
Cancellarii & Epifcopi Sueffionenfis. ( a)
La feconde Charte de 1172 contient la
confirmation du même Prince aux Lépreux
d'Orleans d'une portion dans l'Eglife.de
Checy ,, qui leur avoit été donnée auparavant
par Louis le Gros fon pere. Actum Parifiis
anno Verbi incarnati M. C. LXX. II.
Data per manum Hugonis Cancellarii & Sueffionenfis
Epifcopi VII. Cal. Decembris. (b)
Depuis cette derniere date jufqu'en 1179 ,
la Chancellerie fut toujours vacante : les ti→
tres feuls de l'Abbaye de S. Euverte d'Or
leans en font foi .
En 1173 don fait à Thibaut Comte de
Blois du domaine de Sennely en Sologne.
Datum Cancellario nullo.
En 1174 Louis le Jeune prend fous fa
protection la maifon & les Religieux du
Gué de l'Orme , Prieuré dépendant de S.
Euverte. Dat . vacante Cancellaria.
En 1175 don fait par le même Prince de
la Chapelle de S. Etienne , aujourd'hui de S.
Louis , dans Orleans, à l'Eglife de S. Hilaire
de la même Ville. Dat . vacante Cancel
laria.
(a) Tréfor de la Magdeleine lez - Orleans .
(b) Tréfor des-PP, Chartreux d'Orleans.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE
: En 1178 confirmation en faveur de l'Abbaye
de S. Euverte de l'Eglife de S. Donatien
, qui lui avoit été donnée par le Roi
Louis le Gros. Dat . vacante Cancellaria.
L'année ſuivante Hugues de Puifeaux fut
nommé Chancelier , comme nous l'apprenons
de Roger de Houeden Hiftorien Anglois
, qui parlant du don fait en cette même
année par le Roi Louis le Jeune à S. Thomas
de Cantorbery , remarque que la Charte
en fut délivrée par Hugues de Puiſeaux
Chancelier. Et hec omnia fecit eis confirmari
Charta fua quam ipfi receperunt de manu Hugonis
de Puteaco Cancellarii Regis Francia.
(a) Et on le voit dès l'an 1180 nommé en
cette qualité dans les Chartes d'affranchiſfement
des Serfs d'Orleans par le Roi Louis
le Jeune , & Philippe-Augufte fon fils . Datum
Parifiis anno ab Incarnatione Domini
M. C. LXXX. Datum per manumfecundi
Hugonis Cancellarii. ( b)
Il eft aifé de voir préfentement par les dates
que je viens de rapporter , que celle que
M. de Lauriere a donnée à la Charte , qui
décharge Orleans de ces droits de Coûtume ,
eft entierement défectueuſe, ſoit l'erreur
que
vienne de lui , ce que j'ai de la peine à
croire , foit qu'on la doive attribuer aux
( a ) P. Labbe Meflang. Hift. vol . 2 p . 189.
(b) Tréfor de l'Hôtel de Ville d'Orleans.
JUILLET. 1745. 61
exemplaires qu'il a fuivis , en quoi il y a
beaucoup plus d'apparence. C'eft donc à la
date de le Maire que nous devons nous en
tenir puifqu'indépendament des réflexions
que j'ai faites fur la contradiction qui
fuit la date donnée par M. de Lauriere , l'année
1178 que le Maire donne à la date en
queftion eft précisément celle qu'on lit fur
l'original qui eft confervé dans le tréfor de
cette Ville , où j'ai eu occafion de le voir
plufieurs fois , & fur lequel apparemment le
Maire l'a copiée : mais ce qu'il a oublié &
qui juftifie encore la Charte , c'eft la formule
vacante Cancellaria qui y eft appofée au
bas & eft entrecoupé à l'ordinaire par le
monograme du Roi.
On peut encore ajouter que la connexité
qui fe trouve entre l'exemption de ces droits
de Coutume onereux à la Ville d'Orléans , &
l'affranchiſſement total des ferfs qui s'y
trouvoient , favorife les dates qui rapprochent
ces deux évenemens , puifqu'ils paroiffoient
avoir eu le même principe dans
la réfolution que le Roi avoit prife de détruire
ces reftes de fervitude .
Le P. Labbe dans fes tableaux hiftoriques
des Rois de France , en citant page 189 la
même Charte, la date bien de l'an 1178, mais
il la donne mal à propos à Hugues de Puifeaux:
Datum per manum fecundi Hugonis
62 MERCURE DE FRANCE.
Cancellarii , fans réflechir fur ce qu'il fait ob
ferver plus bas que même en 1179 ( apparemment
dans les premiers mois de l'année )
la Chancellerie , eft dite vacante dans des Lettres
expediées pour autoriſer un Arrêt célebre
rendu à Paris par leRoiLouis le Jeune, affifté
de ſes Barons dans la caufe de l'Abbé de
fainte Genevieve contre quelques - uns des
fujets de cette Abbaye qui reclamoient contre
leurfervitude. Data per manum Regiam
vacante Cancellaria. ( 1 )
*
Comme l'unique but que j'ai dans mes
recherches eft de m'inftruire & de pouvoir
contribuer , s'il ſe peut , à celles que les autres
font de leur côté , il y a environ fix ans
que je fis part de la correction qu'on vient de
voir à M. Secouffe qui a continué l'Ouvrage
de M. de Lauriere , ne doutant point qu'il ne
l'inferát dans fes addenda. Jufques ici il a
négligé de le faire & m'a rendu parlà la liberté
que je m'étois promiſe de la rendre publique .
Ce que je fais d'autant plus volontiers que
cette occafion m'ayant donné lieu d'éxaminer
à fond le tems que la Chancellerie à vaqué
entre Hugues de Champfleury& Hugues
de Puifeaux , ce que j'en ait dit peut donner
( 1 ) Pag . 189.
* M. Secouffe a fait ufage de la remarque de M.
Polluche dans le fupplément de fes Ordonnances
qui est imprimé mais qui n'eft pas encore publié,
JUILLET. 1745 . 83
du jour aux articles de ces deux Chanceliers
dans l'hiftoire des Grands Officiers de la'
Couronne , ( 1 ) où il paroît que l'auteur par
fon filence fur cette vacance a voulu éviter'
les difficultés que Duchêne & le P. Labbe
avoient rencontrées en s'attachant , comme
ils ont fait , à la fauffe date de la Charte de
Louis le Jeune pour les Coutumes d'Orléans.
J'ajouterai que puifqu'il eft parlé dans ce
Mémoire des Chancelliers de France , il ne
fera peut-être pas hors d'oeuvre d'en faire
connoître ici deux dont les noms ont été
ignorés jufqu'ici , où n'ont point été du moins
rapportés par ceux qui nous ont donné des
liftes de ces premiersMagiftrats duRoyaume.
On ne compte ordinairement que deux
Chanceliers fous le Regne de Charles le
Chauve , Louis Abbé de S. Denis , fils du
Comte Roricon & de Rotrude fille naturelle
de Charlemagne , & Goflene frere de
Louis qu'on fait fon fucceffeur immediat.
Le cartulaire de S. Benoît fur Loire ( p.
66. ) nous en fournit un troifiéme qui occupa
cette importante Charge entre Louis &
Goflene. Ce Chancellier eft Tilpin , pour le
quel Einard Notaire ou Secretaire de la
Chancellerie a foufcrit une Charte de Charles
le Chauve , où ce Prince donne , entre
(1) Tom. VI,
64 MERCURE DE FRANCE.
autres chofes, à l'Abbé Bernard & à fon Monaftere
plufieurs biens dans le Vexin , & qui
eft datée de Compiegne le IV.des calendes
de Juin de la XXe, année de fon Regne , (ce
qui revient au 29 Mai 860 ) Einardus ad vicem
Tilpini fummi Cancellarii recognovit.
Comme en cette année 860 le Chancellier
Louis étoit encore vivant n'étant mort qu'en
867 fuivant l'auteur des Annales de S.Bertin,
& qu'on trouve même qu'il a figné comme
Chancellier à des Lettres de l'an 864 , il en
faut conclure que Charles le Chauve avoit
alors deux Chancelliers en même tems ,
comme il en avoit deux l'année ſuivante ,, ce
qui étoit affés commun fous nos Rois de la
premiere Race , témoin le paffage de Grégoire
de Tours , tiré du livre qu'il a écrit
fur les miracles de S. Martin , où il parle
d'un certain Claudius qui au téms où il écrivoit
, étoit un des Chancelliers de France .
Nobis quoque cum Rege morantibus , Claudius
quidam ex Cancellariis regalibus ( 1).
Quoiqu'on puiffe objecter contre Gregoire
de Tours, que bien qu'alors le nom de
Chancellier fut commun à plufieurs , il y
avoit cependant beaucoup de difference entre
eux , que les uns n'étoient que des Secretaires
de la Chancellerie Notarii , tandis
(1) Liv. IV. Chap. 28.
JUILLET. 1745 .
qu'ils avoient au- deffus deux un Chancellier
proprement dit , que les Chartes défignent
fouvent par le titre de Grand Chancellier &
d'Archi - Chancellier , cette difference ne
peut avoir lieu ici : Tilpin comme on l'a vû ,
eſt appellé Grand Chancellier : fummi Cancellarii
; & l'on ne peut gueres douter que
Louis ne le fut pareillement. Quand´ſa
naiffance & le rang qu'il tenoit dans l'Etat
ne nous l'affûreroient pas , il fuffiroit pour s'en
convaincre de jetter les yeux fur la foufcription
d'une Charte de Charles le Chauve
pour l'Abbaye de S. Denis de la XXIe. annéc
de fon Régne , c'eſt- à dire de l'an 861 ,
où on lit : Gauflenus Regia dignitatis Cancellarius
ad vicem Ludovici recognovit & fubf
fcripfit ( 1 ) ; ce qui eft fans replique.
J'aurois fouhaité pouvoir dire ici quel
étoit ce Tilpin , mais j'ai cherché inutilement
à m'en inftruire ; je n'ai trouvé perfonne
de ce nom , Evêque Abbé , ou Of
ficier de la Chapelle , auquel l'année 860
pût convenir. On fçait affes que c'étoit du
corps des Eccléfiaftiques qu'autrefois nos
Rois tiroient des fujets pour en faire leurs
Chancelliers. Quelque autre fera peut être
plus heureux que moi & perfectionnera la
découverte de celui- ci,
( 1) Diplomat. Mabill. p. 534.
86 MERCURE DE FRANCE.
Le fecond Chancelier dont j'ai à parler eft
RogierAbbé deS.Euverte d'Orléans qui foufcrivit
en cette qualité à une Charte du Roi
Louis le Jeune datée de Touloufe l'an 1154
où ce Prince fait plufieurs dons aux Eglifes
de S. Sernin & de la Daurade de la même
Ville, Data Tolofa per manum Rogerii Cancellarii
Regis & Abbatis S. Euvreii Aurelianenfis.
( 1 )
Il en eft de ce fecond Chancellier comme:
du premier, dans le même tems qu'on le voit
foufcrire en cette qualité ; avant & après ,
Hugues de Champ Fleury occupoit cette pla
ce. On a vû plus haut que ce dernier fut
Chancellier depuis 1165 jufqu'en 1179 , & il
l'étoit dès l'an 1150 qu'on trouve fon nom à
une Charte donnée en faveur de Thibaut
Evêque de Paris , que cite le P. Labbe ( 2 )
Data per manum Hugonis Cancellarii . Je ne
crois pas néanmoins qu'on puiffe avancer la
même chofe, & il paroît au contraire que l'ufage
de voir deux Chancelliers en mêmetems
qui fubfiftoit encore fous Charles le
Chauve n'avoit plus lieu fous Louis le Jeune.
Voici ce qu'on peut hazarder pour lever la
difficulté.
En l'année 1154 qui eft celle dont il s'agit-
( 1 ) Hiftoire de Languedoc , Tom. II . p. 551.des
preuves.
(2 ) Mell. Hift . p. 186.
JUILLET. 1745 . *
69
.
ici , le Roi Louis le Jeune fit le voyage d'Efpagne
; ce fut apparemment en allant ou en
revenant que ce Prince fejourna à Toulouſe..
Ne peut-on pas dire que dans ce voyage le
Chancellier Hogues de Champ- Fleury ne
fuivit pas le Roi , que Rogier l'accompagna
comme Clerc de la Chapelle , * & qu'il y fit ,
les fonctions de Chancelier ? Que fi on ne
découvre pas d'autres actes fignés de lui en
cette qualité , c'eft que le voyage fut fort
court & que fon emploi ne dura pas plus que,
le voyage. Ceci n'eft qu'une conjecture ,
mais c'est beaucoup d'en pouvoir donner de
vraisemblables pour concilier des faits conftants
qui fe contrarient.
Rogier dont nous parlons a été le premier
Abbé de S. Euverte d'Orleans , après avoir
poffédé , felon quelques uns , une des premieres
dignités dans cette Eglife , ( 1 ) qui étoit
Collégiale avant que la vie commune & réguliere
y eût été rétablie , non pas en 1163.
comme on le croyoit communément , mais
en 1145 ainfi que je l'ai démontré ail-
(1 ) Mémoires man.
*
Clerc de la Chapelle C'eft ainfi que j'eftite
qu'on doit rendre le familiarem noftrum dont le
le Roi Louisle Jeune fe fert en parlant de Rogier
dans une Charte pour le Prieuré de Sennely en
Sologne Membre de l'Abbaye de S. Euverte , de
£ 103 .
l'ani
88 MERCURE DE FRANCË.
leurs. ( 1 ) La Charte de Louis le Jeune que
nous venons de citer eft une nouvelle preuve
de cette correction qui fe trouve conftatée
par une Bulle du Pape Eugene III . datée
d'au- delà du Tibre le VI. des Calendes
de Mars ( 24 Fevrier) 1 146 , & adreffée à notre
Abbé. Rogier a la priere duquelle
Pape prend le Monaftere de S. Euverte fous
la protection du S. Siege , & ordonne que la
Regle de S. Auguftin & les Conſtitutions de
S. Victor de Paris qu'on venoit d'y recevoir ,
y feroient obfervées à perpetuité.
(1 ) Dans un Mémoire imprimé en 1734 à la fuite
de la deſcription de la Ville dO'rleans.
*
1146. Toutes les Copies de cette Bulle
qui ne fe trouve plus en original portent anno
M CXLV. au lieu de MCXLVIe . Mai l'indiction
IX. & la II . année du Pontificat d'Eugene
III. qu'on y voit marquées & qui ne peuvent
convenir qu'à l'an 1146 , en affûrent le réta◄
bliffement.
JUILLET . 1745 .
69
LETTRE de M. de G. Avocat an Parlement
à M. L. C. D. P. au fujet de la
mort de M. Normant,
Ous defirez , Monfieur , que je faffe
Véloge de M. Normant comme fi je
pouvois ajoûter à celui que vous en faites
vous même par le tendre interêt que vous
prenez à fa mémoire , mais puifque vous
m'engagez à jetter fur le papier les idées
que j'ai conçues de fon caractere , je commencerai
par vous dire que je n'ai guere connu
d'hommes plus heureuſement nés, Sivous
en exceptez les cornoiffances qui font néceffairement
le fruit de l'étude , je crois qu'il
ne devoit prefque rien à l'effort du travail.
Il avoit reçû de la Nature avec beaucoup
d'élévation d'efprit un difcernement fûr &
un amour fincere du vrai , en quoi il me femble
que confifte la veritable grandeur. Voilà
en deux mots ce que j'ai toujours penſé de
lui , & je vous avouerai que je ne vois dans
tout le cours de fa vie qu'un ufage facile &
conftant de ces heureux dons de la Nature.
Rappellez -vous , s'il vous plait , Monfieur
, toutes ces actions célébres qui l'ont
fi fort diftingué au barreau , & vous les ver
o MERCURE DE FRANCE.
rez toutes marquées au coin de cette grandeur
qui formoit , felon moi , le fond de fon
caractere .
Il n'eft pas étonant qu'un homme qui
joignoit aux tréfors d'une fi belle ame le talent
de la parole , la beauté de l'organe
& les graces de la repréfentation ait enlevé
même en commençant fa carriere , les
fuffrages & les coeurs de tous ceux qui l'entendoient.
Le propre du vrai eft de frapper
& de plaire , & ce n'eft auffi qu'à fon
goût & à fon attachement pour le vrai , que
M. Normant , a dû toute la gloire . Il n'y a
perfonne qui ne fçache que fon cabinet étoit
un premier tribunal dont les affaires devoient
effuyer la feverité avant que de paffer au
grand jour de l'audience. Là il éxaminoit
en Juge impartial la vérité des faits , le mérite
des moyens , & quand une cauſe n'avoit
pu foutenir cet examen rigoureux , &
qu'il en avoit fenti l'injuftice , il n'y avoit
nulle forte d'autorité dans le monde qui put
l'engager à la défendre. Sa fermeté ſur ce
point étoit même fi connuë qu'on n'oſoit
plus tenter de l'ébranler ni par le crédit ni
par les importunités , devenu en cela fernblable
à ce fameux Romain dont Ciceron
fait le plus grand éloge en deux mots , en difant
qu'on avoit une fi haute idée de ſa vertu
"que perfonne n'avoit la hardieffe de ui de
JUILLET. 1745. ༡ ་
mander une choſe injuſte ; mais autli lorſqu'u,
ne prétention lui paroiffoit conforme à la loi,
ou à cet efprit d'équité qui eft l'ame de toutes
·les loix , avec quel zéle, avec quelle force ne
défendoit- il pas des interêts qu'il jugeoit
être ceux de la Juftice & de la verité ? On
conçoit alles qu'un homme excité par de
fi grands motifs , & toujours plein de l'importance
de fon objet , n'abaiffoit pas fon gé-
-nie à la recherche de ces ornemens étudiés
où fe joue l'imagination d'un Orateur qui
ne cherche qu'à plaire. Auffi occupé du foin
de perfuader qu'incapable de vouloir féduire
, il n'employoit pour convaincre , & fi
jofe m'exprimer ainfi , pour fubjuguer les
efprits , qu'une fuite de principes bien liés
& de raifonnemens mâles & vigoureux , qui ,
fans avoir la féchereffe des démonftrations
en avoient & la force & l'évidence .
Combien furtout n'étoit- il pas admirable
lorfqu'il parloit pour des malheureux ou pour
des opprimés ? Son éloquence d'autant plus
pathétique alors qu'elle devenoit l'expreffion
naturelle de fes grands fentimens , éclattoit
par mille traits attendriffans qui faifoient
à mon gré le triomphe de l'humanité.
Mais fi de ce brillant théatre de l'Eloquence
où il acquit une gloire fi pure , nous
voulions le fuivre dans la retraite du cabinet
72 MERCURE DE FRANCE .
où il devint le Confeil des maifons les plus
illuftres , & l'arbitre des plus grands interets ;
il me femble que nous l'y trouverions encore
plus digne , s'il eft poffible, de notre admiration
& de nos regrets. En effet quelle étenduë
d'efprit pour embraffer & pour comparer fur
un premier rapport toutes les circonftances
des affaires les plus compliquées ! Quelle pénétration
pour faifir les difficultés ! Quelle
précifion pour les développer ! Quelle jufteffe
pour les réfoudre ! Ajoutons s'il vous
plaît Monfieur , un trait , qui tout vrai qu'il
eft , paroitroit fans doute incroyable à ceux
qui n'ont pas connu cet excellent homme ,
c'eft que toutes ces merveilles s'opéroient
fur le champ fans , préparation , fans effort ,
enforte qu'on auroit prefque été tenté de
croire qu'il déméloit par tout le vrai plutôt
par fentiment que par réflexion. Mais quand
il s'agiffoit de le faire connoître aux efprits
moins pénétrans , & de réfifter au choc des
objections , on paffoit d'un étonnement
à un autre en voyant avec quel ordre méthodique
de connoiffances , & avec quelle lumiere
de raifon il fçavoit expliquer & foutenir
ce qu'il fembloit d'abord n'avoir dé--
couvert que par une forte d'inſtinct.
Au refte je n'ai garde de vouloir infinuer
qu'il fut incapable de fe tromper jamais. Je
fçais trop que l'homme le plus fage & le plus
éclairé
JUILLET. 1745. 73
éclairé n'eft que celui qui fe trompe le moirs,
& four peu qu'on réfléchiffe fur les difficul
tés de la profeffion qu'il avoit embraffée , on
le convaincia fans peine qu'il faut avoir une
capacité prodigieufe & un jugement bien
ferme pour parvenir au point de ne s'y tromper
que rarement. Ia raiſon eft effrayée
quand on penfe à cette multitude de loix pofitives
qu'un confultant eft à chaque inftant
obligé d'appliquer à des faits qui préfentant
prefque toujours des faces équivoques , fembient
ne fe prêter à aucune application déterminée.
Mais quand il arrivoit à M.
Normant de fe tromper , avec quelle facili
té ne le ramenoit- on pas , ou plutôt ne revenoit-
il pas lui-même à la vérité dès qu'on
la lui faifoit appercevoir ! Il n'étoit pas de ces
efprits fuperbes & opiniatres avec qui il faut
employer des précautions & fouvent même
en venir à des combats pour les arracher
à l'erreur. Il fçavoit gré à quiconque rectifioit
les idées & ramenoit au vrai fes opinions
, enforte qu'aux yeux de ceux qui connoiffent
les hommes il ne montroit jamais
plus de veritable grandeur que lorfqu'il s'éoit
trompé.
5. Cette jufteffe d'efprit & cette droiture de
coeur lui avoient fait une telle réputation .
que les parties le prenoient fouvent pour
juge de leurs differends, & celles qui auroient
Ꭰ
74 MERCURE DEFRANCE
refufé de s'en rapporter à lui auroient craint
de donner dans le public une mauvaiſe idée
de leur difcernement ou de leurs prétentions.
Mais le talent le plus défirable & dans lequel
il excelloit encore , étoit celui de la concifiation,
11 faut avouer auffi que
dans cette
partie la haute opinion qu'on avoit de ſon
mérite lui donnoit de grands avantages. Parexemple
quand il confeilloit de facrifier au
bien de la paix un droit qui pouvoit être fondé
, on fçayoit qu'en pareil cas ce facrifice
n'auroit rien coûté à fon coeur , & graces à
F'amour propre on ne vouloit pas paroître
moins généreux que lui.
Il eft aifé de fentir que ces rares qualités
qui conftituent l'excellent Avocat , fuppo
fent en même tems celles qui forment le bon
Citoyen , le galant homme , & le parfait
ami. Vous fçayez mieux que perfonne ,
Monfieur , combien il les poffedoit eminemment
, fans parler du défintereſſement
qu'il portoit au plus haut degré ; quelles
preuves n'a-t- il pas données de fa génerofité
? Elle étoit telle qu'il fuffifoit d'avoir du
mérite ou des befoins pour avoir droit à fon
coeur. Tout Paris fçait fur cela des traits d'---
ne nobleffe dont il y a peu d'exemples; au re.
te fa générofité & fon amitié ne reffem
bloient point à celles de la plupart des hommes
, dont les bons offices font communéJUILLET.
1745 :
75.
ment anoncés de loin par des promeffes
affectueules. Comme il le croyoit toujours
engagé de droit à faire tout le bien qui dépendoit
de lui,il regardoit les promeffes comme
fuperflues, & il fe contentoit d'obliger dès
que l'occafion s'en prefentoit. Ainfi fa vie
dont malheureufement la durée n'a pas été
mefurée aux befoins de fes amis & du public ,
n'a été qu'un enchaînement de travaux &
de bons offices qui font aujourd'hui parmi
nous fucceder à l'eflime la mieux fondée les
plus juftes regrets.
+34 +3 + 3 +3 +++++
Nous avons déja prevenu le public fur
l'entrepriſe de M.Milff, Sçavant Anglois, qui
a traduit le Dictionnaire Univerfel de Chambers
, & l'a fait imprimer à Paris , mais rien
ne peut mieux donner une idée de cet ouvrage
que la preface même de Chambers
qui eft un morceau eftimé , ainfi nous allons.
le mettre fous les yeux des lecteurs , &
comme elle auroit tenu une place trop confidérable
dans ce Journal deftiné à conteir
diverfes matieres , nous nous contenteons
d'en donner une partie dans ce volume,
le refte fera diftribué fans interruption dans
les Volumes fuivans.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE,
*****. ・栄・
PREFACE de M. Chambers.
E n'eft
pas
Cde de donner au public un Quvrage qui
fans inquietude que je hazarparoît
beaucoup au deffus des forces d'un feul
homme , & dont l'exécution auroit pu occuper
une Societé entiere de Sçavans
en tout genre. Le peu de tems que j'ai employé
à préparer & à arranger les matieres
qui y font contenues juftifie mes craintes ,
loin de les diminuer ; car il femble que la vie
d'un homme fuffit à peine pour conduire à.
fa perfection un ouvrage de la nature de celui-
ci l'Académie della Crufca n'a donné
fon Dictionnaire qu'après plus de quarante
ans d'un travail affidu , & l'Académie Françoiſe
n'a fait paroître le fien qu'après un tems
beaucoup plus confiderable , cependant fi
on compare ces deux Dictionnaires avec celui
que je prefente , on trouvera le mien
d'autant plus étendu , & par rapport a
fon plan , & par rapport aux différens fujets
qu'il traite , qu'il n'a pas été attendu fi longtems
que les autres , & qu'il y a moins de
mains qui y ont travaillé.
Cet aveu , tout fincere qu'il eft , ne pourroit-
il pas en quelque façon faire douter de
JUILLET. 1945. 77
:
ma bonne foi? & mon lecteur ne pourroitil
pas me reprocher que je commence par
lui prefenter un livre , & qu'enfuite je lui
rends compte des raifons qui auroient dû me
détourner de le faire ? Mais ce foupçon
tombera de lui-même quand on voudra faire
attention aux differens fecours que j'ai
pu trouver , & qui m'ont déterminé a exécuter
un deffein aufli hardi : car on doit naturellement
préfumer que j'ai fait entrer dans
mon livre tout ce que j'ai trouvé de bo . dans
les différens ouvrages des auteurs qui m'ont
precedé , & que j'en ai tiré tout l'avantage
qui pouvoit en réfulter. Je me regarde en
cette occafion comme l'héritier d'un grand
patrimoine , accrú peu à peu par l'induſtrie
& les efforts d'une longue fuite d'ancêtres.
Tout ce que les Académiciens François &
Italiens , les Furetiere , les Editeurs du Dictionnaire
de Trevoux , les Savary , les ( hauvin
, les Harris , les Wolfius , les Daviler &
autres ont fait avant moi, m'a fourni des materiaux
pour remplir mon plan : je paffe
fous filence plufieurs livres de la même efpéce
qui , quoique inférieurs à ceux que je
viens de nommer , m'ont été d'une grande
utilité , je ne parle pas non plus des Diction
naires que nous avons aujourd'hui fur prefque
tous les fujets particuliers , comme ceux
de Médecine , de Droit , de Blazon , de
Manége &c. D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
Je ne me fuis pas borné à ces recherches.
Loin de me' contenter des collections dont
je viens de parler , j'ai fait des augmentations
confidérables tirées de différens auteurs , &
jofe dire qu'il n'y a rien eu de nouveau & 'de
'bon dans la République des Lettres qui
m'ait échappé & d'ont je n'aye tiré parti
pour enrichir mon ouvrage. J'ai eu fortfou-
´vent recours aux originaux mêmes des differens
arts , & pour ne rien dire de quelque
peu de materiaux que j'ai fourni de inon
propre fond , le lecteur trouvera ici les éxtraits
& le precis d'un grand nombre de livres
en tout genre qui ont échappé à l'attention
des autres léxicographes , ou qui n'exiftoient
pas encore dans le tems qu'ils ont
travaillé. Je puis dire la même chofe à l'égard
de quantité de nouvelles découvertes
& principalement dans la connoiffance des
chofes naturelles. Je renvoie ceux qui pou
roient en douter a l'ouvrage même , & j'ofe
me flater qu'ils n'y trouveront gueres 'de
pages qui ne leur en préfentent quelques
preuves
Telles ont été les fources où j'ai puité :
loin de les avoir trouvé peu abondantes , il
faut avouer que je ne les ai trouvé que trop
fécondes. La difficulté confiftoit dans la for
me & dans l'economie , tant pour difpoter
une quantité auffi immenfe de materiaux .
JUILLET. 1945 . 79
que pour en former , non un amas confus de
parties fans rapport , mais plutôt un tout folide
& confiftant. C'eft en ceci , je dois l'avouer
, que j'ai trouvé fort peu de fecours.
Nous ne voyons pas qu'aucun des autres lexicographes
ait entrepris dans fon ouvrage
de faire quelque chofe de reffemblant à
un bâtiment , c'eft- à- dire à un tout régulier :
il femble même qu'ils ne fe font point apperçus
qu'un Dictionnaire fut fulceptible en
quelque façon des avantages d'un difcours
fuivi : c'eſt delà que dans tout ce qu'ils ont
fait , nous ne trouvons rien qui reffemble à
un certain tout , & c'eft pour cette même
raifon que les matériaux qu'ils ont pu me
fournir pour mon ouvrage, ont eu communément
befoin d'autres préparations avant que
de m'en fervir pour les faire entrer dans mon
plan:,auffi en comparant enfuite mes articles
avec les leurs , j'y ai trouvé prefque par tout
la même différence qu'il y a entre un ſyſtème
fuivi , & un rapfodie ou un centon.
Mon principal but a toujours été de confidérer
les différentes matieres , non feulement
en elles- mêmes, mais auffi fous les rapports
qu'elles peuvent avoir les unes avec les
autres , c'eſt-à - dire , de les traiter comme autant
de touts , & en même-tems comme autant
de parties d'un tout plus grand , en faifaut
fentir la connexion qu'elles ont enfem-
Diiij
80 MERCURE DE FRANCE.
ble par le moyen
des renvois
d'une
partie
à
T'autre
. C'eft ainfi que par une chaine
de renvois
, en defcendant
du géneral
au particufier
, des premiffes
aux conclufions
, de la
caufe
à l'effet , ou en remontant
de méme
,
en un mot , en paffant
du plus compofé
à ce-
Jui qui l'eft le moins
, & de celui- ci , au premier
; j'établis
une communication
continuelle
qui régne
entre
les différentes
parties
de
f'ouvrage
, & que tous les articles
fe trouvent
en quelque
façon
replacés
dans
l'ordre
naturel
de la fcience
, d'où l'ordre
alphabetique
avoit obligé
de les tirer,
Pour en donner un exemple ; l'article
Anatomie doit non feulement être confidéré
comme un tout , c'eſt - à -dire , comme un
fyftême particulier , ou comme une partie
d'une fcience. Il ne fuffit pas de la divifer
conformément à cette idée en fes parties ,
c'eft- à- dire en Anatomie humaine , & en Anatomie
comparée ; de ſubdiviſer enſuite l'Anatomie
humaine en Analyfe defolides & de fluides,
pour rapporter ces parties à leurs places
-refpectives dans l'ouvrage , où étant traitées
elles-mêmes, elles fe rapportent à d'autres qui
leur font fubordonnées , & ainfi du refte ;
il fant deplus confiderer l'Anatomie comme
une partie de la Médecine à laquelle elle fe
rapporte naturellement , & qui elle-même
fe rapporte à une autre fcience plus univerfelle
&c. C'eft ainfi que l'on peut approfonJUILLET.
1745 .
8t
dir un art ou une fcience en nous conduifant
depuis la premiere , ou la plus fimple complication
d'idées appropriées à l'art , que
nous appellons fes élemens ou fes principes
, jufqu'au terme le plus complexe , ou
le plus général fous lequel ce même art eft
connu .
Il ne faut pas borner ici nos idées , car
comme les élemens ou les principes d'un art ,
Data , font ordinairement l'objet des recherches
, quafita , de quelqu'autre art qui
lui eft fubordonné , & de qui ils font empruntés
, ainfi que dans le cas préfent , les
élémens de l'Anatomie font empruntés de
l'Histoire Naturelle , de la Phyſique & de la
Méchanique , & que l'Anatomie elle - même
peut- etre confidérée comme un Datum fourni
à la Médecine , nous pouvons étendre nos
vaes plus loin , & les porter d'une fcience
dans d'autres qui lui font voifines , & ouvrir
ainfi tout le Pays des fciences ; il eft vrai que
confidéré fous ce point de vue , il aura au
premier coup d'oei l'air d'un défert , mais ce
fera un défert à travers lequel le lecteur poua
trouver un chemin qui ne fera
pas à la vérité
auffi court & auffi facile que dans un par
terre régulier , mais qui fera pour le moins
auffi für.
On peut même dire que fi le fyftême fuivi
a des avantages fur le Dictionnaire , celui - ci
DY
82 MERCURE DE FRANCE .
,
en a de fon côté qui lui font favorables au
fyftême fuivi , & qu'une jufte combinaiſon
de ces deux méthodes eft peut- être la ſeule
voye qu'on puiffe prendre pour traiter comme
il faut le cercle ou le corps entier des
fciences avec toutes les parties & les dépendances.
Dans toute autre méthode il ' eft
impoffible qu'une infinité de petits détails ne
nous échappent. Tous les rapports ' les
points , en un mot toutes les piéces néceffaires
pour affembler l'ouvrage ne peuvent
paroître, & font , pour ainfi-dire , englouties
dans fa totalité. L'imagination forcée de s'étendre
& de s'agrandir pour embraffer une fi
vafte ſtructure, ne peut qu'apercevoir très géneralement
, & dans une efpece de confufion
les différentes parties qui compofent cette
ftructure. Chacune de fes parties prife féparément
, n'eſt pas cependant moins l'objet
de notre examen que forfqu'on les confide-
're toutes enfemble. En effet , comme nos
idées font des individus , & que tout ce qui
exifte eft un , il femble qu'il eft plus naturel
de confidérer une fcience dans fes parties
& comme divifée en articles féparés , expri
més par autant de termes differens que d
confiderer tout l'affemblage dans fa plus
grande compofition ; ce qui eft une chofe
purement artificielle & le feul ouvrage de
Fimagination.
d'en
JUILLET. 1745. 83
Il eft cependant vrai,& tout le monde le doit
avouer , que cette derniere maniere a beaucoup
d'avantages réels fur la premiere , & que
cette premiere n'eſt véritablement de quelque
utilité que lorfqu'elle participe de la
derniere , d'où il s'enfuit que la méthode la
plus avantageuſe eft de faire ufage de toutes
les deux ; c'est- à dire , de confidérer chaque
fcience , chaque art , comme une partie ,
afin de conduire l'imagination à la connoiffance
du tout , & comme un tout , pour aider
l'entendement à connoître chacune de fes
parties. L'une & l'autre forment le plan de
cet Ouvrage que j'ai tâché de remplir autant
que les difficultés aufli grandes que nombreufes
que j'ai rencontré dans mon chemin
me l'ont pû permettre.
C'eft dans cette vuë que j'ai fait mes efforts
pour donner la fubftance de tout ce
qui a été découvert jufqu'à prefent dans les
differentes branches des connoiffances tant
naturelles qu'artificielles, c'eft-à - dire , dans la
connoiffance de la Nature telle qu'elle femontre
à nos fens, foit d'elle même, comme dans
PHiftoireNaturelle,foit avec le fecours de l'art,
commé dans l'Anatomie , dans la Chymie , la
Médecine , l'Agriculture &c. fecondement ,
telle qu'elle fe découvre à l'imagination ,
comme dans la Grammaire , la Rhétorique ,
la Poëfie &c. En troifiéme lieu , telle qu'elle
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
fe préfente à la raiſon, comme dans la Phyfique
, la Metaphysique , la Logique , & les
Mathematiques ; avec les differens arts qui
naiffent de chacune de ces fciences , comme
l'Agriculture , la Peinture , la Sculpture les
Metiers , les Manufactures , la Police, les Loix
&c. & un grand nombre d'autres connoiffances
particulieres , mais plus éloignées
qu'on ne peut rappeller à aucun des principaux
chefs dont on vient de parler , comme
le Blazon , la Philologie , les antiquités , les
Coutumes , &c.
J'ai donc lieu de me flater que quelques
reproches qu'on puiffe me faire fur la maniere
dont cet ouvrage eft exécu é , le plan &
le deffin en font bons , & quoiqu'il parat
extravagant de dire que la moitié des gens
de Lettres d'un fiécle auroient pû y être
employée avantageuſement , j'oſe affarer
qu'un ouvrage conçû & imaginé fur le pied
de celui- ci , s'il étoit porté à une certaine
perfection , pouroit tenir lieu de tous les
avantages que procure une Bibliotheque ,
excepté celui de fervir de parade , & qu'il
feroit plus propre à contribuer à la propagation
de la ſcience que la moitié des livres
qu'on connoît aujourd'hui. Après cela je
me foumets entierement au jugement de
mon lecteur , c'eft à lui à décider jufqu'à
quel point je fuis blamable de m'être engaJUILLET.
1745 . 85
gé dans cet ouvrage , malgré plufieurs raifons
qui auroient du m'en détourner , & fi
je ne mérite pas quelque reconnoiffance du
Public d'avoir entrepris , dans le feul def
fein de lui étre utile , un travail auffi épi
neux , aux rifques même d'y échouer .
Il fera néceffaire maintenant de porter un
peu plus loin la divifion de nos connoiflances
qué nous venons d'établir , & de faire
une partition plus précife du corps entier
qu'elles forment , en nous fervant pour cet
eflet de la méthode analytique, d'autant plus
que l'analyse en reprefentant l'origine & la
dérivation des differentes parties , & la relation
qu'elles ont à leur tige commune ,
& à chac ine d'entre elles , nous aidera beaucoup,
tant à rappeller à leurs chefs les articles
difperfés dans l'ouvrage , qu'à connoître
la liaifon qui regn . entre eux .
Voilà une espece de perfpective de notre
connoiffance , confidérée , pour anſi- dire ,
dans le tronc , &ne reprefentant fimplement
que les grandes parties qui la conftituest. Il
et inutile de rechercher cette analyſe dans
tous fes membres & dans fes differentes ramifications
; ce qui fait proprement l'objet
du livre même. Il paroît donc que nous pou
rions nous contenter ici de renvoyer de ces
differentes branches que nous venons de
rapporter , aux articles mêmes qu'elles for86
MERCURE DE FRANCE.
ment dans le cours de l'ouvrage , & où leur
divifion eft pouffée plus loin: cependant nous
avons jugé que cela ne fuffifoit pas , & que
notre lecteur feroit fouvent embarraffé
parlorfque
pour trouver quelque matiere
ticuliere il feroit obligé de courir d'un bout
du livre à l'autre , fans parler des interruptions
fréquentes que les renvois pouroient
lui caufer. Pour prevenir cet inconvenient ,
nous avons crû ne pouvoit mieux faire que
de prendre un cheinin mitoyen & de pouf
fer ici la diftribution plus loin , en forme de
notes que nous rejettons au bas de la
page.
Nous traitons ces fubdivifions fuperficiellemen:
pour nous exempter de l'embarras d'une
analyſe exacte qui étant auffi complexe
que diffule , nous auroit mené trop loin.
Quelques-uns des principaux articles de
chaque partie de fcience y font expliqués
clairement , & principalement ceux qui peuvent
fervir à donner une idée nette des dif
ferentes branches dans lesquelles chaque
fcience fe divife. C'eft ainfi que nous croyons
donner au lecteur comme unfommaire de
tout le livre , & en même- tems une espéce
de guide pour la connoiffance parfaite du
corps de l'ouvrage , les articles qui y fom
omis trouvant naturellement leurs places
dans ces notes : un détail de cette espéce
eft dautant plus important , qu'il peut fervir
JUILLE T. 1745. 87
V
non feulement de table de matieres en reprefentant
comme fous un coup d'oeil , les
differens fujets difperfés dans le livre, & qu'il
fert en même-tems de rubrique ou de directoire
en marquant l'ordre qui eft le plus
avantageux pour le livre. Les termes par
lefquels les notes commencent, répondent à
ceux par lesquels l'analyfe finit dans la table,
& leurs différens membres forment autant
de titres en chefs ou autant d'articles dans
l'ouvrage.
Voilà le plan de mon ouvrage : le fecteur
doit l'avoir conçu ; ainfi faurois pu finir
ici mapreface , & peut-être ne m'en auroit - if
pas fçû mauvais gre ; mais dans ce que j'ai
déja avancé , j'ai entamé une matiere qui demande
un peu plus de difcuffion . La diſtribution
que je viens de faire de notre connoif
fance eft fondée fur ce que fes differentes
branches commencent chaque art ou chaque
fcience , felon l'action , ou l'inaction de
l'efprit humain à leur égard. Il eft donc néceffaire
de remonter un peu plus haut &
d'expliquer la raifon & la maniere de cette
operation ; de confiderer la conno flance
dans fes propres principes , anterieurement
à cet acte d'intervention de notre part ; de
monter même juſqu'à la cauſe , ˆde faire
voir comment elle y exifte , & de tracer
les progrès que l'ame fait , & l'ordre des mo
88 MERCURE DE FRANCE.
difications quelle fabit . C'eft un defideratum ,
on un point nécefla re dans la difcuffion duquel
nous ne pouvons nous difpenfer d'entrer
en quelque façon , attendu le rapport
immediat qu'il a au plan de cet ouvrage.
C'eft la bale de tout fçavoir en général & le
pivot fur lequel roule toute l'Encyclopedie.
Pour m'expliquer plus clairement , je ſuppofe
d'abord que les mots font la matiere immediate
de connoiffance autant qu'on la confidere
comme communicable , ou capable
d'être tranfmife des uns aux autres. Il eſt
vrai que nous aurions pû connoître plufieurs
chofes fans le fecours d'une langue , mais ce
n'auroient jamais été que celles que nous aurions
vues ou apperçues nous-mêmes.Les obfervations
des autres n'auroient pû en aucune
maniere s'allier avec les nôtres. Chaque individu
fe feroit trouvé dans le cas de travailler
feul à fon inftruction , fans avoir pû profiter
du moindre fecours ni de les comtemporains
ni de ceux qui auroient vécu avant lui.
Il est évident qu'en ce cas , tout ce qu'on
appelle art ou fcience n'auroit jamais été
connu , ou auroit été extrêmement borné :
le cercle étroit de chofes qui fe trouvent immédiatement
dans le chemin d'un feul homme
, n'auroit jamais pû faire qu'un fond très
mince de connoiffance , principalement
dans un être dont les vûës devoient fe termiJUILLET.
1745 .
ner en lui - même ; ajoutons à cela que confme
les principaux fujets de fes obfervations
auroient été les mêmes pour les autres animaux
, il est très probable que fa connoiffance
auroit été à peu - près la même , foit que
nous en confidérions la quantité , foit que
nous ayons égard àla qualité . On convient
que toute notre connoiffance , à remonter
jufqu'à fon origine , ne dérive que des fens ;
il s'enfuit donc delà qu'un être n'a aucun
avantage naturel fur un autre touchant la difpofition
aux connoiffances , finon celui qui
peut venir d'un nombre fuperieur de fens ,
de leur étendue ou de leur fineffe.
C'eſt donc au langage , ou au talent de
nous énoncer que nous avons principalement
l'obligation de ce que nous appellons
Science. C'est par la voie du langage que nos
idées & nos connoiffances qui par leur nature
nous font purement perfonnelles , & font
propres uniquement à notre ufage particu-
= lier s'étendent & fe communiquent à d'autres
qui peuvent s'en enrichir. C'est ainfi
que par une espèce de feconde fenfation
chaque homme peut acquerir les perceptions
des objets apperçus par - tout le genre humain,
& voir , pour ainfi dire, de fes propres
yeux cequi fe paffe éloigné de lui , à quelque
diftance qu'on le fuppofe ,foit de tems foit de
lieu. Nous entendons des fons qui fe font faits
5. MERCURE DE FRANCE.
y a mille ans , & nous voyons des chofes
qui atrivent à mille lieues de nous,
S'il eft vrai , comme on le pretend , que
l'aigle voit plus clairement que nous , que
l'odorat du corbeau eft plus fubtil & que
l'cuie du lievre eft plus fine que la nôtre , il
n'eft pas moins certain , en leur accordant
ces prérogatives , que leur faculté fenfitive
n'eft que très- bornée en comparaiſon de la
nôtre qui par l'avantage de la langue s'étend
fur toute la Nature. Les autres animaux re
voyent qu'avec leurs propres yeux , & nous
voyons avec ceux de tout le genre humain.
En effet l'ufage du langage , par rapport aux
connoiffances , procure à chaque homme
la même utilité & le même avantage que
sil jouiffoit des fenfations naturelles de mille
autres. Cet avantage auroit dû fans doute
nous élever beaucoup au - deffus des autres
animaux. Mais cette multitude d'idées que
l'homme reçoit , & qui naturellement ne
lui appartient pas , auroit été infructueufe
en fa plus grande partie , fans certaines autres
facultés que nous poffedons , comme de
diftribuer & d'arranger ces idées , de faire des
abſtractions , c'eſt -à dire , de rendre une feule
idée la reprefentative de plufieurs , de les
comparer enſemble pour apprendre leurs
differentes relations , de les combiner & c.
L'effet de ces facultés ou operations eft ce
JUILLET. 1745 . 91
que nous appellons , Raifonnement & Philofophie
, d'où dérivent les Doctrines, les Thiories
& c.
Chaque mot d'une Langue doit répondre
à quelque point , à quelque article ou a quelque
relation de connoiffance ; d'où il s'enfuit
que le vocabulaire d'une Langue eft comme
le tableau des differentes notions du peuple
qui la parle ; c'eft- à - dire , des notions
premieres & abfoluës en comparaifon des autres
qui ne font que fecondaires & relatives ,
"dont il s'établit un nouveau fond exprimé par
la conſtruction qu'on fait de ces premiers
mots avec quelques autres. Pour approfondir
davantage ce point il faut remarquer que fes
differens objets de nos fens joints à cet autre
fond de chofes analogues , qui font l'objet
propre de l'imagination , font exprimés par
des noms fixes dont quelques uns fignifient
~ 'des individus ; ( 1 ) d'autres des eſpèces ( 2 )
&c. Or if eft inconteſtable que ces noms qui
font la premiere partie ou la partie fondamentale
d'une Langue , ne font autre chofe
que la reprefentation des ouvrages de la Na
ture & de l'art , tels qu'il exiftent dans un
état d'inaction & d'indépendance récipro
que : mais comme nous ne trouvons pas çe
* Les noms.
(1 ) Les noms proprès.
(2 ) Les Appellat.fs.
12
$2 MERCURE DE FRANCE.
repos dans les chofes de ce monde , & qu'au
contraire nous voyons arriver à chaque inftant
un grand nombre de changemens dans
tout ce qui nous environne; nous fommespar
cette raifon néceffités de former encore un
autre fond de mots pour exprimer ces variations
, & les caufes de ces variations , aufbien
que leurs différentes circonftantes , &
leurs modifications. ( 1 ) C'eft de cette maniere
que la nature eft , pour ainfi dire , tranfferée
de fon état de fommeil dans celui
de l'activité. Nous la reprefentons agiffante,
& cela fait que nous pouvons en former des
defcriptions occafionnelles qui répondent à
l'état prefent des chofes.
Delà proviennent deux fortes de connoiffances.
L'une eft abfoluë & comprend les
phénomenes conftans , ou ordinaires. L'autre
eft relative ou occafionnelle , & renferme
ce qui a été fait , ou ce qui s'eft paffé
à leur égard. La premiere eft en un fens permanente
, au lieu que la feconde eft purement
variable ou hiftorique. La premiere eſt
renfermée dans le vocabulaire , comme je
l'ai déja remarqué ; mais la derniere eſt vague
& n'eft limitée par aucunes bornes : c'eſt
elle qui remplit tous les autres livres , & en
effet comme elle eft en quelque forte cafuel-
(1) Les verdes , les participes les alverbes Ec. 2.
JUILLET. 1745 .
93
le , on peutdire qu'elle eft infinie , attendu
que chaque cas nouveau , c'eft- à- dire , chaque
application , & chaque combinaifon
nouvelle de la premiere connoiffance fournit
quelque chofe de nouveau pour cette
derniere,
Dans le vafte champ des intelligibles
nous remarquons certains lieux beaucoup
plus cultivés que les autres ; nous devons en
attribuer la caufe principale à la fertilité du
terrain & à la facilité que l'on a eu de le façonner
: mais auffi ne pouvons-nous pas
nous difpenfer de reconnoître l'application
& l'induftrie de certains travailleurs à qui le
bonheur la fait tomber en partage. Ces lieux
étant bien alignés , décrits & enclos comme
il faut , font ce que nous appellons Arts &
Sciences ; & c'eft à les cultiver que les curieux
& les gens de Lettres ont fait leurs
principaux efforts & ont employé leurs tra
vaux. Les limites ont été élargies de tems en
tems , & l'on a fait de nouvelles acquifitions
fur les terres voifines , & qui juſques - là
avoient été en friche ; cependant le terrain
que les Sçavans poffedent eft encore trèsétroit
, & il y a encore autant de place pour
s'étendre que pour le frayer un nouveau che
min .
Ceux qui les premiers ont fait la décou
verte de ces terrains , les ont divifés en un
94 MERCURE DE FRANCE. 04
certain nombre de Provinces fubordonnées ,
en donnant à chacune fon nom particulier ;
& ces divifions ont refté telles depuis un
tems immémorial , fans qu'on y ait fait aucun
changement confidérable. Cependant
cette diftribution du Pays des Sciences eft
purement arbitraire de même que l'eft celle
de la furface de la terre & dela fphere Célef
te. Elle eft fort fufceptible de changemens ,
& il pouroit s'en faire encore quelques- uns .
qui feroient peut- être très avantageux. Si
Alexandre , Cefar & Gengiskan n'avoient,
pas vécu, la diftribution des Pays & des Mers
de notre globe auroit été indubitablement
très différente de celle que nous trouvons aujourdhui
La même chofe auroit eulieu dans le
monde litteraire fi un homme tel qu'Ariftote
n'eutjamais exifté. Les premieres divifions
de connoiffances font auffi défectueufes &
aufli mal concertées que le font celles des
premiers Géographes , & la raifon de ces défauts
eft la meme dans les deux cas. Il eft
vrai que les Bacons , les Defcartes , les New
tons qui font venus depuis , en ouvrant de
nouvelles carrieres ont beaucoup augmenté
notre connoiffance : cependant certains
égards que nous confervons pour ceux qui
les premiers ont défriché cePays inculte , nous
famenent toujours à la diftribution qu'ils
en ont faite ;nous nous prêtons fi bien à tous
JUILLET. 1745. 91
les inconveniens de ce partage , que nous
forçons & que nous eftropicns fouvent les
chofes pour arranger nos découvertes poftérieures
, de façon quelles puiffent cadrer avec
les arrangemens de nos prédeceffeurs . Jere
fçais s'il n'auroit pas été plus avantageux aux
interêts communs de la République des Lettres
d'avoir renversé toutes les anciennes diviſions
de fon terrain , & d'avoir fait de noucaux
alignemens pour la culture commune
fous un certain nom général , & de bannir
toutes les autres diftinctions. En ce cas nos
recherches ne feroient pas bornées comme
elles le font , & nous pourrions effayer de
fertilifer plufieurs terres propres à fructifier
mais qui font maintenant condamnées à refter
incultes parce quelles font fituées hors
des barrieres .
•
L'art & la fcience font des termes auffi familiers
qu'ils font fignificatifs , mais qui , fi
je ne me trompe , ont été fort peu entendus
jufqu'à prefent. Les Philofophes ont beau
coup travaillé pour expliquer & déterminer
leur notion & leur difference ; ma is tous
leurs raifonnemens n'aboutiflent prefque a
autre chofe qu'à ſubſtituer des notions obfcures
les unes aux autres. Nous voyons communément
que leurs efforts s'épuifent en
certaines définitions abftraites qui font plus
propres à répandre de l'obfcurité que de la
95 MERCURE DE FRANCE.
Lumiére fur le fujet , & qui expriment trèspeu
fon effence & fes phénomenes les plus
ordinaires. Pour parvenir à cette connoif
fance , il faut que nous nous donnions la
peine d'entrer dans de nouvelles recherches,
Tout ce que les hommes peuvent découvrir
par l'ufage des fens & du raifonnement
femble donc être du reffort de la fcience,
Tout fujet , quel qu'il foit , que l'ame découvre
en vertu de la faculté par laquelle
nous appercevons les étres & leurs relations ,
fait matiere de Science. 1 elles font les loix
de la Nature , les affections des corps , les
regles & les caracteres du jufte & de l'injufte.
de la vérité & de l'erreur , les propriétés
des lignes & des nombres &c. En effet la
fcience eft le refultat de la raifon & des fens
confiderés dans leur état ordinaire ou naturel
felon qu'ils font donnés à tous les hommes,
fans être modifiés ni circonftanciés par aucue
ne chofe particuliere dans la formation de
l'ame de quelqu'un , ni par les objets qui
l'environnent , ni par les idées qui lui font
préfentes. Enfin la ſcience n'eft autre chofe
qu'une fuite de déductions ou de conclufions
que tout homme doué de ces facultés peut
voir & tirer lui-même , moyenant un degré
convenable d'attention qu'il y porte . Toute
cience , c'eft-à dire , fcience formée ne
renferme rien de plus qu'un fyftême de ces
conclufions
JUILLET . 1745.
97
8
#
conclufions faites par rapport à un certain
fujet & exposées avec ordre & avec art par
des mots convenables . C'eſt ainfi
que quel
qu'un qui aura conçu toutes les idées exprimées
dans les définitions d'Euclide , & qui en
voit la connexion immediate dans fes axiomés,
( ce qu'un homme qui connoît ce langage
ne doit pas être cenfe ignorer , ) peut paffer
, pourvû toutefois qu'il s'y applique avec
foin , pour capable de former tous les théorémes
& tous les problêmes qui en résultent.
Il n'a autre chofe à faire qu'à mettre en ordre
ces idées dans fon ame , à les comparer l'une
à l'autre dans tous leurs changemens poffibles
, & à toucher par écrit les relations im
médiates qu'il obferve dans ces comparaifons
, c'eft -à- dire , leur parité , imparité &c.
Après avoir ainfi trouvé les relations de chacune
à chacune qui forment une eſpèce de
premieres propofitions , il s'appliquera à les
combiner & à remarquer les relations qui
réfultent de la comparaifon de plufieurs
combinaiſons. C'eft de cette maniere que
fans aucun autre fecours que la pénétration
& la perfevérance requifes , il fera en éta
d'établir un nombre infini de propofitionst
& peut- être beaucoup plus qu'Euclide n'en
trouvées , attendu que de chaque nouvella
combinaifon il réfulte une relation , c'eſt- à
dire , une propofition nouvelle.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
au
. Tout ce qui eft du reffort de l'Art ,
contraire , eft tel que la raifon pure ne peut
pas y atteindre. Le raifonnement n'y conduit
pas , & il faut que l'ame jette un coup
d'oeil particulier , ou faffe un tour extraordi
naire pour y arriver. On pouroit appeller
ce qui conduit à la connoiffance de l'art le
réſultat d'une raiſon particuliere & perfonnelle
pour le diftinguer de la fcience ; à moins
qu'on ne trouvât à redire à une dénomination
auffi peu philofophique . Nous nous ferons
peut-être mieux entendre en difant qu'il faut
confiderer ici la raifon comme modifiée , ou
empreinte de quelque chofe qui tient de la
complexion, de l'humeur, ou de la façon de
penfer d'une perfonne, ou bien en regardant
cette même raifon comme arrêtée & détournée
de fa propre courſe par certaines
vûës , ou certaines connoiffances qui lui font
particulieres. La difference entre la fcience
& l'art reffemble à celle qu'il y a entre l'efprit
& l'humeur. L'efprit eft une faculté qui
excite des images furprenantes & agréables
dans l'imagination , & l'humeur en forme
une qui lui eft particuliere. L'efprit eft pur &
abfolu dans fon efpéce , & l'humeur eft affectée
de quelque chofe d'étranger & qui tient
de la complexion ou du temperament.
Difons donc que la différence qui fe trou
ve entre un art & une ſcience confifte en ce
JUILLET. 1745.
LYON
DE
que l'un eft beaucoup plus pur que l'autre /83
Une ſcience eft un affemblage de déductions
formé par la raifon feule , & qui n'eſt déterminé
par aucune chofe étrangere ou qui lui
foit extrinféque. Un art au contraire fuppofe
une infinité de connoiffances préliminaire
, un certain nombre de data , & de poftulata
qui doivent être fournis d'ailleurs, & il
ne peut faire de grands progrès fans avoir befoin
à chaque pas de fecours étrangers. C'eſt
en un fens la connoiffance & la perception de
ces data qui conſtituent l'art : le reſte , c'eſtà-
dire , la partie doctrinale appartient à la
fcience que la raifon feule peut découvrir par
fon attention .
Un art , fi on le regarde dans ce point de
vûë , paroît être une portion de fcience ou
de connoiffance générale , confiderée non en
elle- même comme ſcience, mais relativement
à fes circonftances ou fes dépendances. Dans
une ſcience l'ame n'a point d'autre but que
d'aller des premiffes aux conclufions .Dans un
art , nous ne regardons , pour ainfi- dire , que
les côtes & les circonftances qui accompagnent
le fil des propoſitions. En effet une
Icience eft à l'art ce qu'un ruiffeau qui coule
directement dans fon lit & dont on n'examine
que le cours , eft , par rapport à ce même
ruiffeau détourné de fon cours naturel , &
dont ona formé des caſcades , des jets d'eau,
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
des citernes , des étangs & c . Dans ce dernier
cas le cours de ce ruiffeau n'eft pas confideré
par rapport à lui- même , mais uniquement
par rapport à ces différens ouvrages
dont chacun modifie le cours de fes eaux &
les détourne de leur pente ordinaire. Il eſt
aifé dans le premier cas de fuivre ce ruiſſeau
depuis fa fource jufqu'à fon embouchûre
parce qu'il coule toujours de la même maniére
; mais quelque connoiffance qu'on puiffe
avoir de ce cours , on n'eft pas par là en état
de découvrir l'autre , parce que ce dernier
dépend du genie , de l'humeur & du caprice
de l'Ingénieur qui en a donné le plan.
Voilà une partie des differens caracteres
de l'Art & de la Science. Mais il y a une autre
difference qui les diftingue & qui eft anterieure
à toutes celles que nous venons de
remarquer & dont elles ne font que des confequences.
Pour trouver l'origine de cette
différence il faut remonter plus haut , c'eſtà-
dire , jufqu'au principe de l'action ou de
l'opération dont j'ai parlé ci- deſſus , autant
que l'ame eft ou active ou paffive à leur égard.
Pour ce qui regarde ce dernier article nous
dire les chofes qui appartien
pouvons que
nent aux fciences font celles que nous voyon
fimplement , & qui font une fuite néceſſair
de la Nature & de la conftitution des êtres
comme étant produites par lafeule actio
JUILLET . 1745. 101
de leur auteur , & fervant uniquement à fes
vûës génerales fans la moindre action immédiate
& fans la moindre intervention de notre
part. Les choſes , au contraire ; qui appartiennent
à l'art , font celles dans leſquelles
cette fcience ou cette perception eſt beaucoup
plus modifiée & que nous appliquons
à des vûës particulieres & à des occafions
qui nous regardent nous-mêmes. C'eſt delà
que viennent toutes ces différences dont nous
avons parlé ci- deffus. Les matieres de l'art
telles quelles font , font purement perfonnelles
fuivant la meſure des facultés naturelles
de l'artiſte quant à leur quantité & à leur
degré ; & quant à leur qualité , elles regardent
la complexion ; l'humeur & le plan des
facultés morales du même artifte . La perception
même des matieres d'art eft du reffort
de la nature de la ſcience : enforte que juf
ques-là l'art & la fcience s'accordent affés
enfemble. Leur différence ne commence
que dans les modifications ulterieures que
nous fentons dans le fujet d'une telle perception
, & par la nouvelle deſtination qu'on en
fait à quelque fin particuliere : de cette maniere
la chofe devient , pour ainfi - dire , enveloppée
, ou revêtue de nouvelles conditions
ou de nouvelles circonftances purement
perfonnelles, comme étant toutes formées &
appropriées au plan particulier & au point
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
de vuë de l'artiſte , & qui font conduites de
la même façon fuivant fon degré particulier
de connoiffance & d'habileté; ce qui provient
fimplement & de la maniere dont il envifage
les objets & de l'organization particuliére
de fon corps . En un mot , dans l'art
il y a une vûë ou un motif moral qui ſe joint
comme un acceffoire à la fcience ou à la
perception naturelle , & ce motif eft le principe
propre , ou le premier mobile de l'art,
La perception eft fon principe dominant
& quelqu'un des membres du corps eft font
organe ou fon inftrument. De ce nouveau
principe dérive un nouveau fond de perceptions
fecondaires qui font analogues aux perceptions
naturelles & primitives . Le tout fe
réduit enfin à ce que la fcience tire fon origine
d'un principe naturel , & l'art tire la fienne
d'un principe moral ; ou comme les matieres
morales font auffi naturelles en un fens,
difons plutôt que l'origine de la ſcience eſt
divine & que celle de l'art eft humaine.
XZZ*
JUILLET.
1745 103
*************
ODE fur la bataille de Fontenoy.
茶油
Pour chanter dignement un Roi victorieux
Quelle trompette peut fuffire !
Quelque foit le fardeau , j'oferai fur ma lyre
Faire un effort audacieux .
Sous les murs de Tournay LOUIS paroît à peine,
Déja l'Anglois présomptueux
Croit toucher au moment favorableà fes voeux
Qui doit fervir toute fa haine.
Mais quel trouble imprevû glace votre fierté ,
François ? raffûrés - vous ; cette maffe pefante ,
Qui porte partout l'épouvante
Va payer fa témerité .
>
Venez vous rallier , & reprendre courage
Sous les regards de votre Roi :
Ce n'est qu'aux ennemis qu'ils infpirent l'effroi ,
Pour vous ils font un doux préfage.
Tout renaît en effet ; je vois des rangs nouveaux ;
L'ardeur du Soldat fe ranime ,
Il va meriter ton eſtime ,
LOUIS , & fe montrer digne de tels rivaux.
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE.
* L'Irlandois qui fur eux s'élance ,
Ne craint point d'effuyer leur feu ,
II venge fon Pays , & fes Rois & fon Dieu ,
Et fon honneur & celui de la France.
Bien -tôt nos Eſcadrons ferrent de toutes parts
Cette formidable colonne ;
Mais malgré le péril qui de près l'environne ,
Elle affronte encor les hazards .
Accourez Grenadiers , venez troupe fidelle,
Et vous , élite de nos corps ,
L'Ennemi va tomber fous vos derniers efforts ;
J'apperçois déja qu'il chance:le.
C'en eft fait , il fuccombe & céde à ſon deftin ,
Mais tel qu'un Sanglier fauvage ,
Qui forcé dans fa bauge , & fremiffant de rage ,
Mord le fer dont il eft atteint .
La crainte & la fureur de la harde s'empare ,
Chaque animal rugit & fuit ,
Et le Chaffeur qui le pourſuit
Partage le danger du coup qu'il lui prépare.
Trop monftrueux Titans , vous voilà terraffés ;
Vous vouliez nous réduire en poudre ,
Brigade des Irlandois.
* Grenadiers àcheval , Maifon du Roi, Carabiniers.
JUILLET. 1745. 105 .
Mais vous êtes forcés d'abandonner la foudre
Dont vous nous aviez menacés .
De ce cruel revers le funefte prefage
Etoit écrit fur vos drapeaux . *
Pour nous combattre en vain vous trayerfez les
eaux ;
Le Ciel a détruit votre ouvrage.
Ferme dans le combat , humain dans la victoire ,
LOUIS par tout fe montre Grand .
Puiffe-t-il fans revers marcher en Conquerant
Dans la carriere de la gloire !
Puiffe fon tendre Fils, digne objet de nos voeux,
Auffi fortuné par les armes ,
Trouver encor les mêmes charmes
Dans le bonheur de nos neveux !
* Nifi Dominus,fruftra . Deviſe d'un drapeau qui
leur a été pris.
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
SEANCE publique de la Société des
Sciences de Toulouse , du Mardi 15
Juin 1745 .
M Préfident ouvrit la Séance par un
Onfieur le Marquis de Beauteville
>
difcours plein de force & de nobleſſe ; il
concilia habilement l'efprit fyftématique
avec le gout des expériences , il indiqua les
fecours que la Phyfique fyftématique plus
hardie , & la Phyfique expérimentale plus.
fûre , fe prêtent mutuellement .
Le Pere Raynal de la Doctrine Chrétienne
lût un mémoire fur la queſtion ,
pourquoi le clair de la Lune n'échauffe point.
M. Marcorelle donna des obfervations
Phyfiques fur la ftatique du corps humain.
M. Sage propofa une maniere de fixer le
vif argent
.
M. Soubeyran de Scopon Directeur termina
la féance , par la Refumption des
mémoires , & dit,
MESSIEURS ,
Dans l'étude de la nature l'expérience
fans le raifonnement eft un inftrument inuJUILLET.
1745. 107
tile entre les mains du ftupide obfervateur
Le raiſonnement fans l'expérience eſt un
amas informe & toujours flotant d'idées fyftématiques
, d'hypotheſes arbitraires , de
conjectures hazardées. Le raiſonnement feul
eſt ſouvent fautif , il eſt quelquefois démenti
par l'expérience , ou arrêté par fa propre
foibleffe. L'expérience , ou pour parler plus
jufte , les expériences ne font fouvent qu'un
fujet d'illufion , parce qu'il eft difficile d'y
apporter cette précifion qui feule pourroit
leur donner quelque autorité , & à cauſe du
penchant que l'on a à recevoir les plus imparfaites
comme l'effet d'une loi conftante ,
tandis qu'on ne les doit fouvent qu'à une
caufe particuliere qui elle-même eft inconnue.
Adoptons ici une reflexion judicieuſe de
M. de Fontenelle. On pourroit le citer fans
le nommer , il n'en feroit pas moins reconnu.
L'Académie doit plus examiner que déci
der , fuivre attentivement la Nature par des
obfervations exactes , & non pas la prévenir
par des jugemens précipités. Rien ne fied
mieux à notre raison que des conclufions un
peu timides, & même quand on a le droit de
décider , elle feroit bien d'en relâcher quelque
chofe
Eloge de M. Dodart,
*
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
Loin d'abufer de cette condefcendance
qu'on exige de la raifon , ou plûtôt pour
mieux feconder fes lumieres , appuyons - la
du fecours de l'expérience. Elle prononcera
avec plus de fûreté , plus fouverainement
& fes décifions auront force de loi .
C'eft en réuniffant ces deux flambeaux ,
le raiſonnement & l'expérience , qu'on peut
former une lumiere aflés vive , finon pour
découvrir l'oeconomie de la Nature qu'il
ne nous eft peut-être pas donné de connoître
pleinement , du moins pour fatisfaire à
un certain point notre curiofité pour enrichir
les Arts & pour foulager nos maux .
Tels font les objets divers que paroiffent
s'être propofés nos Confreres dans les dif
cours dont vous venez d'entendre la lecture,
Le Pere Raynal à faifihabilement & manié
avec grace le premier de ces objets.
Nous ne fommes point furpris de ne pas
éprouver une chaleur fenfible , lorſque nous
fmmes au clair de la Lune ; la fraîcheur
ordinaire de la nuit nous y prépare. Il en eft
de ce Phenomene comme de bien d'autres
plus frappans encore dont le merveilleux
difparoit , parce que nous en fommes trop
fouvent les témoins , mais quel devroit être
notre étonnement fi après avoir vû fondre ,
caldiner ou vitrifier les matieres les plus
compactes au foyer d'un miroir ardent exJUILLET.
1745 . 109
pofé aux rayons du Soleil , nous n'apercevions
aucune variation fenfible dans la liqueur
du Thermometre placé au foyer des
rayons de la Lune réunis par le même miroir
? Les mêmes rayons qui lorfqu'ils nous
viennent directement du Soleil font l'agent
univerfel de la Nature , ainfi que ra ingenieuſement
expofé le Pere Raynal , pourquoi
perdent- ils aflés de leur force fur la
furface de la Lune , pour ne faire plus d'impreffion
fenfible que fur l'organe de la vûë ?
Un célebre Academicien de l'Academie
Royale des ſciences *, en comparant fucceffivement
la clarté, de la Lune & celle du Soleil
à celle d'une Bougie ,a trouvé que la lumiere
duSoleil eft trois cent mille fois plus vive'que
celle de la Lune , c'eſt le même qui après
une abfence de dix années paffées dans les
Pays brûlans de la Zone - Torride eft venu
le premier terminer tous les doutes qui pouvoient
refter encore fur la figure de la
Terre.
Plufieurs Philofophes ont cherché à rendre
raifon de cette furprenante difproportion
de la clarté & de la chaleur du Soleil à
celles de la Lune. Le Pere Raynal après
avoir fat fentir tout ce que le Phenomene
qu'il examine , a de fingulier , expoſe & dé~
• M Bouguer. 1
110 MERCURE DE FRANCE.
truit avec netteté & avec force les ſyſtêmes
de ces Philofophes qu'il reduit à trois.
La plus grande longueur du chemin que
les rayons du Soleil ont à faire pour venir
à nous en paffant par la Lune , n'eft pas la
caufe de leur affoibliffement puifque cette
augmentation n'eſt au plus que d'une cent
foixante-cinquième partie.
Dira-t-on que les rayons du Soleil qui
rencontrent le corps de la Lune , lui communiquent
toute leur force & n'en conſervent
pas après leur reflexion ? ce feroit ne
rien expliquer & donner la théfe pour raifon.
Prétendre que les rayons du Soleil , en
appuyant fur la Lune , contractent une humidité
qu'ils portent jufqu'à nous & qui
les refroidit , c'eft contredire les expériences
les plus communes qui nous apprennent que
les rayons refléchis par l'eau ou par la glace
confervent une très-grande chaleur.
Le Pere Raynal convaincu du vice
de ces explications trouve la fienne dans
les loix les plus fimples de la reflexion ,
Il tombe fur la Lune un Cylindre de
rayons dont la bafe égale à celle de cette
Planette n'eft que le quart de fa furface.
Ces rayons refléchis par la furface convexe
de la Lune en partent divergents , leur rareté
augmente avec leur éloignement , &
JUILLET . 1745 . 113
fuit l'augmentation de l'efpace qu'ils rempliffent
lorfqu'ils font à une diſtance de la
Lune égale à celle de la Terre à cette Planette
, ils occupent un eſpace environ cent
quatre vingt mille fois plus grand que celui
qu'ils occupoient avant de tomber fur la
Lune , ainfi quand chacun de ces rayons
après avoir rencontré le corps de la Lune
auroit été refléchi avec toute fa premiere
force , ils n'auroient à la diftance de la Ter
re qu'une force cent quatre vingt mille fois
moindre : C'en feroit déja affés pour expliquer
notre Phenomene .
On fçait que des rayons paralleles réunis
au foyer du miroir ardent le plus fort
ne font que trois cent fois plus denfes qu'ils
l'étoient avant leur réunion . Par le calcul
que nous rapportons , les rayons paralleles
qui forment le clair de la Lune font cent
quatre vingt mille fois plus rares que les
rayons du Soleil ; ainfi lorfqu'ils font réunis
par le foyer du miroir ardent , ils font encore
fix cent fois plus rares que les rayons
directs du Soleil,
Cependant nous fçavons par l'expérience
de M. Bouguer que la chaleur du clair de
la Lune eft encore moindre que celle qui
refulte du calcul, Cette diminution , le Pere
Raynal l'explique par le nombre des rayons
qui fe perdent dans les differentes réfle
112 MERCURE DE FRANCE.
xions caufées par les afperités de la Lune
ou qui demeurent engagés dans les pores
cette planette.
de
A quoi l'on pourroit ajouter la difficulté
qu'ils trouvent à traverfer notre atmoſphe
re chargée du ferein & des vapeurs qui s'élevent
de la Terre pendant la nuit.
Les differentes denfités des rayons refléchis
par la Lune déduites de l'expérience &
du calcul , après nous avoir fait connoître
le nombre des rayons perdus pour nous par
le défaut de la reflexion , peuvent fervir
encore à nous indiquer quelle doit être à
peu-près la folidité de la matiere qui forme
la furface de la Lune , en comparant le nombre
des rayons qui fe perdent fur cette furface
avec celui qu'abforbent divers corps
préfentés aux rayons du Soleil.
Cette idée peut donc nous aider à confirmer
où à ébranler la table des denfités &
des péfanteurs qui a été dreffée pour toutes
les Planettes , fuivant le fyftême de M. Newton
tant il est vrai que toutes les parties
de la Phyfique font étroitement liées ,
& que le moyen le plus fûr pour dévoiler
les fecrets de la Nature eft de multiplier les
expériences.
و
C'eſt une reflexion dont M. Marcorelle
vient de nous faire fentir toute l'importance
dans un fujet qui nous touche de bien près ,
JUILLET. 1745 . 113
puifqu'il s'y agit de la ſanté , de la vie .
Les obfervations de Sanctorius continuées
pendant trente ans , lui avoient appris que le
poids du corps humain diminue chaque jour
de fept à huit livres , & que cette perte eft
tous les jours reparée par les alimens , M.
Dodart continua les obfervations de Sanctorius
durant trente trois ans . Les fiennes les
ont confirmées , mais elles lui ont fait remarquer
cette différence effentielle , c'eſt que
de deux hommes d'un âge different & qui
mangent en quantité égale , le moins âgé
perd plus par la tranfpiration que l'autre ,
on en trouve une explication très-fimple
dans la plus grande chaleur du fang du jeune
homme , & dans le refferrement des pores
du vieillard.
Vous avez vû auffi qu'une fuite néceffaire
de ce principe eft que l'intervalle entre un
bon repas & la tranfpiration la plus abondante
foit moindre- celui que
que
San &torius
avoit obfervé dans un repas ordinaire ,
parce que la tranfpiration eft toujours plus
abondante lorfque le fang eft plus agité.
Ainfi l'obfervation de M. Dodart ne contredit
point les expériences de Sanctorius qui
ont été faites dans des circonftances différentes.
Les grands avantages que la Médecine
devoit retirer de la fuite de ces obſervations
14 MERCURE DE FRANCE
engagerent M. Dodart à les continuer fur
les effets de la faignée & du jeûne , & lui
infpirerent le courage d'être lui-même le
fujet qui devoit fervir à fes expériences.
Celles- là doivent avoir un caractere de
ceritude qu'on ne peut fe promettre de celles
d'une autre efpece. Il y a néceffairement
des tatonnemens dans les autres , des fujets
de doute ; on ne peut interroger que la
Nature qui femble fe voiler a meſure qu'on
cherche à la connoître. Ici tout eſt aux ordres
de l'obfervateur. Point de recherche
qui e donne quelque lumiere , point de
tentative qui n'ait un fuccès determiné ; la
curiofité ne peut jamais être importune ,
ni laffer la patience de l'obfervateur , il veut
fe voir , s'exa niner , il fe cherche , & il s'attend.
Il eſt averti fans ceffe de toutes les variations
qu'il éprouve , il les écoute en tous
lieux & dans toutes les circonftances , il en
eft en même tems le temoin & le fujet , il en
calcule les progrès par fenfation , il en démêle
les caufes , fi je l'ofe dire , par inſtinct
autant que par lumiere : il eft néceffairement
du fecret ; quels éclairciffemens n'en'
devons nous pas attendre ?
M. Marcorelle vous a préfenté ce que
des obfervations de ce caractere faites par
M. Dodart contiennent de plus effentiel ; un
homme fain , vous a-t-il dit , a réparé dans
JUILLET 1745. 115
moins de cinq jours deux livres de fang , &
une abftinence très rigoureuſe foutenue durant
quarante jours , a caufé une diminution
de poids de douze livres cinq onces qui a été
reparée dans quatre jours.
Pour ne rien omettre de ce qui a une
liaifon effentielle avec fon fujet , M. Marcorelle
rapporte auffi les exemples les plus
authentiques des abftinences extraordinaires.
Il eft bon de remarquer que fur fix fujets
dont il fait mention , il n'y a qu'un garçon
, & que les filles font prefque toutes vers
leur douzieme année .
La derniere partie du memoire de M.
Marcorelle eft fans doute la plus précieuſe ;
les obfervations qu'elle contient , font nouvelles
, elles font utiles , & nous devons
ajouter qu'elles demandoient un courage
préciſement de l'efpece de celui de M. Dodart.
Un jeune homme de cette Ville , bûveur
d'eau de naiffance , & accoûtumé à paffer
huit à dix jours fans boire , a foutenu cette
privation abfoluë pendant deux mois , il a
perdu par cette abftinence cinq livres onze
onces , qui faifoient la vingtiéme partie de
fon poids : ayant repris l'ufage de la boiffon
, il a réparé cette perte dans fix jours
même avec avantage.
Cette expérience toute extraordinaire
116 MERCURE DE FRANCE.
qu'elle eft , & malgré le danger qu'il pouvoit
y avoir à la renouveller , n'a pû fatisfaire
l'intrepide curiofité de notre obſervateur.
Elle avoit été faite avec des alimens
gras , M. Marcorelle ( toujours dans les circonftances
de M. Dodart ) voulut éprouver
quelle différence y apporteroient les
alimens maigres. Le même jeune homme
fe priva de boiffon pendant un Carême entier
; il perdit fept livres trois onces qui
faifoient la dix - huitieme partie de fon poids.
Cette perte quoique bien plus confidérable
que la premiere fut reparée de même
dans fix jours & avec un plus grand avan
tage . Dans ces différentes épreuves la fanté
de notre Obfervateur quoique délicate
ne reçut point d'atteinte .
Deux reflexions fuivent naturellement
de ces expériences : la premiere eft la facilité
avec laquelle fe repare un corps épuifé
par l'abſtinence , lorfqu'on lui rend la nou
riture accoûtumée : la deuxième , c'eſt que
les alimens maigres préparés felon nos ufages
fourniffent moins de liquide que les alimens
gras. Cependant les uns & les autres
peuvent fuffire à la confervation de la fanté
d'un corps bien conftitué ; nous conclurons
encore des obfervations de M. Marco.
relle que l'habitude peut rendre l'ufage de
la boiffon bien moins néceffaire , & devenir
JUILLET 1745 .
117
d'une grande utilité à ceux qui entreprennent
par Mer des voyages de long cours ,
où mille accidens expofent fouvent au danger
d'en être privé .
Ces obfervations fi fingulieres , fi précieuſes
, fur tout par la fûreté qu'on en doit
attendre , ont tenté la genereufe curiofité
des Phyficiens de plufieurs Nations ; dans
les Tranfactions Philofophiques pour l'année
1743 , on a rapporté des expériences
de ftatiques perfonnelles , fi j'ofe m'exprimer
ainfi , faites au Sud de la Caroline
par
un Médecin Anglois. Il a fait ces experiences
fur lui- même , non pendant trente ans
comme Sanctorius , ni pendant trente trois ans
comme M. Dodart , mais feulement durant
une année entiere . M. Marcorelle eft fur la
voie , & fuivra fans doute les traces finon
de Sanctorius , & de M. Dodart , du moins
du Docteur Anglois.
Quelque intereffantes que foient les obfervations
qui peuvent éclairer les hommes
fur les moyens de conferver leur fanté
elles les attacheroient peut-être moins que
les idées qu'on s'aviferoit de leur donner lui
la tranfmutation des métaux , Combien de
prétendus fages a - t - on vû , combien d'adeptes
, ufer leur fanté à la vaine recherche
de la pierre Philofophale , & confumer des
biens réels à la pour fuite d'un or chimérique
= qu'ils ne trouveront jamais ?
118 MERCURE DE FRANCE.
In aritum coacta rerum natura Majeftas..
C'eft ce qui refulte du mémoire de M.
Sage avec d'autant plus d'évidence qu'il a
pris foin de recueillir les faits les plus propres
à accrediter les préjugés de l'Alchymie.
Après vous avoir montré par l'analyfe que
le Mercure a les mêmes principes que les
métaux , qu'il en eft comme la femence
même de l'or , & que par fon poids il approche
plus de ce métal que tout autre corps ;
il rapporte le temoignage de plufieurs Auteurs
dignes de foi qui ont vu changer le
Mercure en or ou en argent. Helvetius a
vû le Plomb changé en or : Boyle n'a vû
enlever à ce précieux métal que fa teinture
jaune pour la communiquer à d'autres
corps,
On pourroit ajouter que fuivant Juncker
l'huile de Venus change l'argent en or , fi
non avec profit , du moins bien réellement
on fçait d'ailleurs que le fond des Salieres
d'argent qu'on met fur nos tables devient
noir : * le cuivre diffous par le fel a
le fel a penetré
l'argent ; cette pénétration en change une
petite partie en or , le fait eft certain . Mais
le procedé de la plupart de ces opérations
Journal des Sçavans. Mai 1744.
JUILLET 1745. 119
=
nous eft inconnu ; les autres n'ont été faites
qu'une fois , & les Chymiftes fçavent combien
malgré toute leur attention , des chan
gemens legers qui leur échapent , ou d'autres
caufes inconnues font varier leurs opérations,
toujours fi délicates.
Cependant M.Sage femble encore vouloir
nous engager dans cette carriere par un motif
plus puiffant , c'eft par fon exemple ; entre
plufieurs façons de fixer le Mercure, il a vérifié
celle dont le procedé lui a parû le plus
fimple , il a prisdu Mercure, de la rouille de
fer , du verd de gris, du fel commun & du vinaigre
rouge ,le tout remué à un feu mediocre
& féché pendant vingt- quatre heures , a fait
une pierre dure ; cette pierre mêlée dans un
creufet avec la thuthie & la racine de terra
merita , le tout encore échauffé par un feu
du troifiéme degré a donné une matiere
ductile d'un rouge jaunâtre propre à être mis
en oeuvre & qui réfifte à toute forte d'é
preuves , à l'exception de celle de l'Antimoine
; notre obfervateur indique auffi le
moyen de faire une matiere femblable , mais
plus parfaite , en uniffant de même le Mercure
à l'or ou à l'argent , au lieu de la rouille
de fer.
Cette expérience eft une ébauche de la
tranfmutation des métaux ; elle donne une
nouvelle force aux exemples que M. Sage
120 MERCURE DE FRANCE
en a rapportés . & aux raifons qu'il y a ajou
tées pour en faire fentir la poffibilité. Cependant
bien loin d'entretenir les efpérances
qu'il avoit en quelque forte fait naître
il finit par les renverfer en nous rappellant
les mauvais fuccès des Alchimiftes les plus
fameux ; & pour nous épargner des tentati
ves toujours humiliantes & toujours ruineufes
, il nous a montré l'inutilité de celles qui
ont été faites avec le plus de précautions &
le plus grand appareil.
O DE à M. D **. Par M. de V ***
V Enez ,Nimphes Méonides ,
Venez , fortez de vos bois ?
Cadancez les fons timides
Que veut préluder ma voix ,
Et que nouveau Praxitele
Eclairé par vos flambeaux ,
Je porte une main fidelle ,
Sur les traits de mon Heros
N ** Joint à l'art de plaire ,
Arque l'on n'acquiert jamais ,
Les graces , don néceffaire
JUILLET 1745. 121
Et fur l'herbe & fous le dais ,
Et dans un Char de porphire
De fes lauriers ombragé
Il fait refonner la lyre
De l'amant de Lalagé.
Mais quel chagrin le dévore
Au ſein même des plaiſirs.
Quel aftre fait pâlir Flore
Malgré le foin des Zéphirs ?
Quand le Ciel avec ufure
L'accable de fes bienfaits ,
Il fe plaint de la Nature
Qui lui défend les excès.
Mufes , montrez lui fon Maître ,
Jouiffant d'un doux loiſir ,
Chantant à l'ombre d'un hêtre ,
Sans crainte , fans vain defir ,
Il appelle dans la plaine
Le Zéphir aimable & pur
Dont la favorable haleine
Pare les bords de Tibur.
Mortels , que le faſte abuſe ,
Courez , fuivez un faiffeau ,
A la Nymphe de Blanduze
J'offre , dit-il , un chevreau
Qui fentant croître ſes forces
F
122 MERCURE DE FRANCE,
Et fon courage naiſſant ,
Contre les vieilles écorces
Endurcit fon front recent.
Le bonheur où l'homme afpire
N'eft qu'en la tranquillité,
N ** bannis tout délire
De ton efprit agité ,
Et couronné de vervaine
Sacrifiant aux amours ,
Sur le bord d'une fontaine ,
Vois couler tes heureux jours.
***************** 絲絲
NOUVELLES LITTERAIRES ,
DES BEAUX ARTS , &c.
N
OUVEAU Recueil de rémedes pour
toutes fortes de maladies par ordre alphabétique
par M. Naudié Médecin 1745 ,
Paris. 2. vol in 12. chés d'Houry pere ,
Laurent d'Houry fils. On donne dans le
premier volume la connoiffance des maladies
critiques & chroniques , & les moyens
de les guérir par des remédes fimples & faciles
à pratiquer , avec un fuplément de
plufieurs compofitions chymiques non communes
, & de plufieurs rémedes particuliers,
Le fecond volume contient un Recueil de
-1
JUILLET. 1745. 123
remédes propres à guérir les animaux, comme
chevaux , boeufs , moutons , &c. On y
trouve encore un traité des plantes les plus
connues & le plus en ufage avec leurs vertus,
le tout par ordre alphabétique.
CONCORDANCE françoife ou extrait du
nouveau Teftament par lettres alphabétiques
, pour trouver aifément ce que l'on
pourra défirer dans les quatre Evangéliftes ,
les Actes & les Epîtres des Apôtres , Paris
1745, 1. vol . in- 12 . prix 40 . relié , chés
le Gras grande Salle du Palais , la veuve
Piffot Quai de Conti , & Briaffon ruë ſaint
Jacques.
OEUVRES diverfes de M. L. G. de l'Académie
Françoiſe , Paris 1745 in 12. chés
de Bure l'aîné Quai des Auguftins,
Ce Recueil contient 1 ° . fous le titre de
Mémoire fur la vie de l'Auteur , l'éloge hiftorique
que nous avons donné de cet Académicien
dans le Mercure de Janvier.
2º. Un ouvrage du P. Oudin Jefuite fur
les étymologies celtiques , lequel s'eſt trouvé
parmi les papiers de M. l'Abbé Gedoyn
& qu'on a jugé à propos d'inférer dans ce
Recueil .
3 °. Un difcours fur l'éducation des en
fans.
•
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
4°. La vie d'Epaminondas.
20 5º. Une differtation fur les anciens & les
modernes.
60. Un entretien fur Horace.
7°. Une differtation fur l'urbanité Romaine.
80. Des plaifirs de la table chés les Grecs
9º. Apologie des traductions.
10° . Jugement de Photius fur les dix plus
célébres Orateurs de la Grece.
110. Relation des Indes traduites de l'extrait
que Photius a fait de Ctefias.
RECUEIL de l'Académie des Belles-
Lettres de Montauban , contenant les ouvrages
prononcés dans l'affemblée publique
de 1743. Touloufe 1745 in 12. chés Jean-
François Foreſt
L'ACADEMIE de Montauban qui n'étoit
que fociété litteraire en 1743 , a été érigée
en Académie par Lettres Patentes du Roi
données à Dunkerque le 19 Juillet 1744,
regiſtrées au Parlement de Toulouſe le 21
Août fuivant. Le premier Recueil qu'elle
publiera fera accompagné des Lettres Patentes
du Réglement qui lui a été donné
Majefté , de la lifte des Académiciens &
ed l'Arrêt d'enregistrement,
par Sa
JUILLET. 1745. 123
LETTRES fur le pouvoir de l'imagination
des femmes enceintes , où l'on combat
le préjugé qui attribue à l'imagination
des meres le pouvoir d'imprimer fur le corps
des enfans renfermés dans leur ſein la figure
des objets qui les ont frappées. Paris 1745
in 12. chés les freres Guerin rue faint Jac
ques.
ESSAI d'un abregé hronologique fur
Villeneuve lez-Avignon , où eft décrit tout
ce qui s'eft paffé de plus confidérable dans
cette Ville , principalement pendant les foixante
& douze années que les Souverains
Pontifes ont fiégé à Avignon , & les quarante
années du trente-uniéme fchifme qui
fut entierement éteint au Concile @cuménique
de Conftance 1744. A Avignon ,
Broc. in 12 .
BARBOU Imprimeur - Libraire ruë faint
Jacques aux Cicognes publie la troifiéme
édition des Poëfies intitulées Mufa Rethorices
, augmentées d'un volume entier ; elles
font compofées d'un grand nombre de piéces
dictées & corrigées par le P. de la Sante
Jefuite lorfqu'il enfeignoit la Rhétorique au
College de Louis le Grand ; les noms des
ingenieux éleves qui ont travaillé fur les matieres
prefcrites par le Profeffeur , ſont à la
fin de chaque pièce . F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à M. D. fur le nouveau fyftême
de la voix. A la Haye 1745 , chés Neaul
me. L'Auteur n'eft pas de l'avis de M. F.
que nous avons expofé dans l'extrait que
nous avons donné du dernier volume des
Memoires de l'Academie des Sciences , Mercure
de Janvier. Non noftrum inter vos tantas
componere lites.
LATINI SERMONIS exemplaria à Scriptoribus
probatiflimis collecta a P. Chompré
in utroque jure L. Editio altera Lute-
He Parifiorum 1745. in- 12 , apud fratres
Guerin,
OEUVRES diverfes de Meffire Edme
Mongin , Evêque & Seigneur de Bazas.
LETTRES fur la Cofmographie où le
fyftême de Copernic eft refuté , le plan de
l'Univers expofé & expliqué phyfiquement
fur des principes dictés par les expériences
& les obfervations des principales Académies
des Sciences 1745. A la Haye chés
Pierre Goffe 2 vol. in 40 .
Ce livre contient dix -huit Lettres , & eft
T'ouvrage d'un homme très-judicieux & trèsinftruit,
ABREGE' de la Vie des plus fameux
JUILLET. 1745. 127
Peintres avec leurs portraits gravés en tailledouce
, les indications de leurs principaux
Ouvrages , quelques reflexions fur leurs caracteres
, & la maniere de connoître les deffeins
des grands Maîtres. Par M.... de l'Académie
Royale des Sciences de Montpellier.
Paris 1745 , un vol. in - 12 . Chés de Bure
1aîné.
On n'a rien négligé pour rendre cet ouvrage
fort fuperieur à tous ceux que nous
'avons en ce genre , tant par l'étenduë que
par l'exactitude des recherches . Le materiel
du livre eft traité avec goût & avec foin , &
l'on n'a pas épargné la dépenſe.
HISTOIRE de Louis XIV. à Avgnon
1744. 3 vol. in 4º .
CAVELIER Libraire ruë faint Jacques
au Lys dor a mis au jour un Livre
d'Architecture contenant une diflertation
fur ce qu'on appelle le bon goût d'Architecture
, les principes géneraux de cet Art ,
& une application de l'Art Poëtique d'Horace
à ces principes , un problême fur les
proportions que l'on peut donner aux trois
ordres d'Architecture lorfque dans les
grands édifices on les employe l'un fur l'autre
par raport à leur élevation & à la diſtance
d'où on peut les voir ; un chapitre des
F iiij
128 MERCURE DE FRANCE..
décorations interieures des appartemens &
des ameublemens. Ce livre eft orné de 70
planches en taille douce de quelques- uns des
Palais & des Hôtels que l'Auteur à fait conftruire
en France , en Flandre , en Lorraine
& en Allemagne , fçavoir la Maiſon de
chaffe de fon Alteffe Electorale de Baviere
proche Bruxelles .
Le Palais de Nancy.
Les Palais de la Malgrange proche Nancy.
Un fecond projet du Palais de la Malgrange.
Le château de Lunéville .
L'Hôtel de Montmorency ruë S. Dominique
à Paris.
L'Hôtel d'Argenfon fur le Palais Royal.
Le Château de Cramayel en Brie.
Le Château d'Haroué en Lorraine apartenant
au Prince de Craon .
L'Hôtel de Craon à Nancy.
La porte du Palais du petit Luxembourg .
à Paris.
La porte de l'Hôtel de Villars ruë S. Dominique
.
Les plans & profils du Puits de Bicêtre.
Le portail de l'Eglife de la Mercy à Paris.
Le Pont de pierre de la Ville de Sens.
Le Pont de bois de Montreau Faut-yone,
La refidence de Wurtzbourg en Franconie
& dix eftampes des décorations inteJUILLLET
1745. 129
rieures des chambres de l'Hôtel de Soubife ,
avec l'explication de ce qui a été pratiqué
pour fondre d'un feul jet de bronze
la figure Equeftre de Louis XIV. que la
Ville de Paris a fait élever dans la Place de
Louis le Grand , avec 20 planches gravées
en taille-douce.
Toutes les eftampes des bâtimens font
accompagnées de leurs deſcriptions.
Ouvrage en grand in-folio . françois & latin
par le fieur Boiffrand , Architecte du
Roi , de fon Académie Royale d'Architecture
, premier Architecte & Infpecteur General
des Ponts & Chauffées du Royaume.
On trouve ce livre chés Cavelier , ruë
S. Jacques au Lys d'or,
Chés Mariette ruë faint Jacques , Jombert
, Quay de Auguftins , de Bure , Quai
des Auguftins , & chés l'Auteur ruë du
Temple , proche la ruë Porte- Foin.
> JEAN-BAPTISTE Zannoni
Imprimeur
Libraire à Florence imprime actuellement
la Bibliothéque Latine du moyen & du dernier
âge de M. Jean-Albert Frabricio. M.
l'Abbé Lorenzo Mehus , s'eft chargé de la
conduite de cette nouvelle édition , & de
continuer l'ouvrage de M. Fabricio , que la
mort a enlevé à la Republique des Lettres
avant qu'il ait eu le tems de le finir.
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
Le méme M. Mehus membre de l'Académie
de Cortone vient de mettre aujour
l'ouvrage de Bartholomeus Facius fur les
hommes illuftres. Plufieurs Italiens avant
Barthelemi Facio avoient entrepris de
donner l'hiftoire litteraire de leur Patrie ,
depuis la renaiffance des Lettres, Guillaume
Paftrengo natif de Verone & contemporain
de Petrarque eft le plus ancien. On
compte dans le quinziéme fiécle Benoît
Accolti , Paul Cortefi , & enfin le Barthelemi
Facio du quel il eft ici queftion , &
qui a donné non feulemeut l'hiftoire des
gens de lettres qui fe font diftingués de fon.
tems , mais encore celui de tous les Artiftes
celebres . Facio a écrit fous le Pontificat de
Califte III. & fon livre fut imprimé pour
la premiere fois en 1456. Il étoit difciple
de Guarino ; il fut connu & eftimé d'Alphonfe
Roi de Naples , & il vêcut quelque
tems dans cette Cour & écrivit l'hiftoire de
ce Monarque. Facio mourut en 1457 .
Parmi les perſonnages illuftres en Italie
dont cet Auteur a donné les vies , que l'on
peut regarder , vû leur brieveté , comme
des épitomes ou des extraits plutôt que
comme des hiftoires , on en compte dont
le nom eft célebre dans toute l'Europe litteraire
, tels font Juftiniani qui a écrit une
hiftoire de Venife , Guarino , le Cardinal
JUILLET 1745. 131
Beffarione , Lorenzo Valla , Timothee Maffei,
Enea Silvio Picolomini , depuis le Pape
Pie XI .
Facio joint auffi à fon ouvrage les vies
de plufieurs perfonnages illuftres à qui leurs
dignités , leurs talens ou leurs vertus ont
fait jouer un rôle confiderable , ainfi on
trouve dans fon livre de grands Politiques
& de grands Capitaines . Tels font François
Spinola , le fameux Cofme de Medicis ,
François Sforce , Charles Malatesta , François
Carmagnuole , Ladiflas Roi de Naples,
Philippe Marie , Duc de Milan , Albert Duc
de Brandebourg, &c.
La latinité de Facio merite quelque eftimes
, fi on confidere le tems où il écrivoit ,
& cette hiftoire contient un grand nombre
de chofes curieuſes.
ON a traduit en Italien l'Athalie de l'illuftre
Racine , & on l'a imprimée à Bologne.
On nous écrit de Trevife qu'on a trouvé
près du Village de Fonte d'Afolo dans les
terres de M. le Comte Jean Arigo Scoti ,
un monument de tuilles antiques dans lequel
étoient renfermées quatre Urnes de
terre cuite , & un vaſe de la même matiere
avec une feule anfe. Ona trouvé dans les Urnes
fix médailles ,frappées en l'honneur d'Au-
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
gufte , defquelles une feule étoit d'argent.
Ces urnes renfermoient encore quelques
reftes d'offemens ; mais on n'a pu confer
ver qu'une des urnes entiere , tout le refte
du Monument a été briſé par la precipitation
& le peu de foin des ouvriers.
ON a imprimé à Venife le catalogue de
tous les Opera qui y ont été chantés depuis
1637 jufqu'en cette année 1745 ; c'eſt en
1637 que le Theatre de Venife a été élevé ,
ainfi ce catalogue en eft l'hiftoire complete.
L'Académie di Materie Ecclefiaftiche érigée
en 1741 dans la Congrégation des Peres
de l'Oratoire fous la protection de S. E.
M. le Cardinal Spinelli Archevêque de Naples
vient de publier un volume de fes Mémoires
fous le titre modefte d'Effai, Saggio
breve della Academia di materie ecclefiaftiche
&c.
L'objet de cette Académie eft d'éclaircir
fur tout l'Hiftoire Eccléfiaftique & de combattre
les erreurs des novateurs ; ils s'attachent
à prefent à refuter l'hiſtoire Ecclefiafti
co - Politique de M. Bafnage , contre laquelle
aucun Catholique n'avoit encore écrit .
AUGER Marchand Epicier - Droguifte ,
alimage Notre Dame, rue S. Denis près de
JUILLET. 1745. 133
la rue du Petit Lion vend le parfait Scu
bac Oriental , Liqueur d'une compofition
nouvelle , agrable & falutaire à la fanté ;
prix 6 liv. la pinte ; il y a des bouteilles de
3 liv.
*****************
ESTAMPES NOUVELLES.
de
E Sieur le Bas Graveur en taille - douce ,
l'Académie Royale de Peinture & Sculpture
à qui S. M a accordé le brevet de Graveur de fon
Cabinet , continue à graver d'après divers excellens
maîtres François , Flamands & Hollandois ,
des morceaux très-intereffans. Il vient de mettre
au jour la Guinguette Famande Eftampe en large
d'après D. Teniers , une petite vie d'Hollande auffien
large d'après Paulus Pater , & une autre Eftampe
en hauteur dans le goût de M. Chardin, reprefentant
un Maitre de danfe donnant leçon à une
jeune Demoiselle , faifant pendant à une Estampe
du même auteur qui a pour titre Toilette du matin .
Comme le fond du fieur le Bas eft devenu trèsconfidérable
& très intereffant , divers curieux
l'ont preffé de donner au public fon OEuvre entier
pour mettre dans des Bibliothéques ; c'est ce qu'il
vient de faire en cent volumes contenant chacun
plus de 150 planches des premieres épreuves &
choifies avec foin. 11 vend le volume relié en vềau
160liv. & en blanc 135 liv . Il eſt auffi obligé d'avertir
le public que quelques mauvais Graveurs ont
copié plufieurs de fes Eftampes , & que pour être
Tertain de les avoir originales &de la premiere main
34 MERCURE DE FRANCE.
c'est-à lui feulement qu'il faut s'adreffer . Il de
meure à Paris au bas de la ruë de la Harpe ; il donnera
dans le Mercure fuivant un catalogue des titres
qui font au bas de chacune de fes Estampes dont
il continue la vente avec fuccès.
LE fieur Audran Graveur ruë S. Jacques a gravé
le Portrait du R. P. Louis de Thomas de la Valette
Géneral de la Congrégation de l'Oratoire . Il
eft le feptiéme depuis la fondation de l'Ordre ; on
lit ces mots au bas de l'Eftampe.
In Omnibus exemplum bonorum operum , in Doctrinâ
, in integritate , in gravitate Se. Tit. C. 2.
V. 7.
SAPSAPSAPSAPSAPSAP: SAPSAPSAPLES
VERS pour être mis au bas du portrait de
M. le Maréchal Comte de Saxe , par M.
Desforges - Maillard.
L
E Heros que tu vois ici reprefenté ,
Avec raiſon cher à la France ,
Fait revivre Weymar par ſa haute vaillance
Et fa noble fidelité.
Le mot de la Ire. Enigme étoit Livre ; le Logogryphe
ſuivant a du être expliqué par Cloporte ,
on y trouve Col , Cole , Or , Cor , Roc , Porte , Proe
, Port , Porc , Pot , Pet & Trop.
4 Le mot du fecond Logogryphe eft Apoticaire ,
JUILLET.
1745. 135
on y trouve Carpe , le Caire , Pie , Cape ou Capote
, Partie , Poire , Air , ire , Porc , Or , Pot ,
Rape , Cote & Carte.
Me Me Me
ENIGME ET LOGOGRIPHES.
ENIGM E.
S Ans que je fois carte Géographique ,
Je marque des lieux différens ,
Et fans être almanach , j'indique
Les quatre tems.
D'abord , c'eft du grand jour dont un aftre décide
Qu'un de ces quatre tems dépend :
Celui qui des humains fut nommé le plus grand
Au fecond des quatre préfide :
Un antique & fameux Prelat
Fait connoitre affés le troifiéme ;
Et le jour qu'une nuit précede avec éclat ,
Vous défigne le quatrième.
Je vais pour vous aider vous dire encor deux mots :
J'arrête des gens au paſſage ;
Et quoique dans un plein repos ,
Je ne laiffe pas d'être un vrai remu- menage.
136 MER CURE DE FRANCE.
On arecours à moi pour trouver une cage ,
Et l'oifeau qu'on y met
Parle mille fois mieux que pie & perroquet.
Mais quand par mon fecours on a trouvé ſon fait ,
Le traitement que l'on me fait
De l'ingratitude eſt l'image .
乳授乳・乳
LOGOGRYPHE
. \
Monfieur Jacques , dit- on , amuſe tout Paris ,
Il eft l'enfant gâté de l'auteur du Mercure ,
Mais foit dit fans lui faire injure ;
Il n'auroit pas fans moi publié fes Ecrits.
Monfieur Jacques , pourtant , n'entrez pas en colere
,
Je vous l'ai dit , je vous fuis néceffaire.
Pris en un autre fens , je fers au matelot.
Trois de mes pieds me transforment en bête ,
Et fi l'on me retourne on connoîtra bien- tôt
Ce que l'on a de plus dur dans la tête.
JUILLET. 1745. 137
AUTRE.
Dans les jardins on me voit naître,
Je fuis du genre feminin .
i
Dix lettres font mon nom ; fi tu me veux connoître
,
Combine les , lecteur , tant qu'à la fin
Tu trouveras un inftrument de table ;
Un métal l'objet de tes voeux
Avec lequel rien n'eft infurmontable ,
Et fans lequel on ne peut être heureux.
Une fille d'un Roi de Grece ,
Qui fut changée en vache , & de vache en Déeffe:
Le plus ancien de tous les Dieux .
Ce que l'on craint en marchant par la Ville ,
Lorfque l'aquilon pluvieux
Ebranle tout fous la voute des Cieux.
Ce fans quoi perfonne ne file .
Une des doctes Soeurs , dont le Divin pinceau
Anos neveux nous peint tels que nous fommes ;
Et dont le celefte flambeau
Préſerve les faits des grands hommes,
De la fombre nuit du tombeau.
L'inftrument du Dieu du Permeffe.
Celui dont fe fert un picqueur.
138 MERCURE DE FRANCE.
L'endroit où voudroit voir & tenir fa maîtreffe
L'amant épris d'une fincere ardeur.
Tu trouveras encor un fleuve de la France.
Ce qui fe trouve au fond des muids.
Mais n'en voilà que trop , Lecteur , tu dois , je
penſé ,
Connoître à prefent qui je fuis .
L. C **.
*k * k** **** ***** **
AUTRE.
Mon élement eft l'eau ; huit lettres font mon
tout ;
Mais ce n'eft pas affés de t'indiquer mon être.
Je vais pour me faire connoître ,
Me décomposer juſqu'au bout.
Eveillépar mon chant maint dormeur jure & gron
de .
J'habite dans les bois . On me trouve dans l'onde .
Je fuis un monftre affreux , un adverbe , un pro
nom ;
Un des cinq fens , un méprifable nom.
J'étois jadis un jeu fort en ufage.
Compterfur moi , c'eft n'être pas fort fage.
Je fuis pourtant ce mot fi doux& fi charmant
Qui couronne les voeux du véritable amant.
DE
LA
VILLE
LYON
*
1893
JUILLET. 139 1745.
On déclare à ma tête une éternelle guerre ;
En certain lieux je laboure la terre.
Par Mlle de Villecourt à Nevers.
CHANSONfur les Victoires du Roi, par
Madame Desforges - Maillard.
1
A
Uteurs dont abonde Paris ,
Rejettons Pindariques ,
Faites en l'honneur de Louis
Des Odes magnifiques.
Chacun ici dans fa chanfon ,
Qu'anime un zéle extrême ,
Dit , s'il eft vaillant , il eft bon
Voilà pourquoi je l'aime.
20
•
Ypres , Fribourg , Furnes , Menin ,
Soumis par fa vaillance ,
Vous n'étiez que l'eclair prochain
De la foudre qu'il lance .
Chacun ici &c .
* x+
Achille , Céfar , qu'aujourd'hui
Notre Monarque efface ,
Seroient trop heureux après lui
#
140 MERCURE DE FRANCE
De briguer l'autre place .
Chacun ici & c.
François , arrêtez votre Roi
De fon fang trop prodigue ,
Et que vos coeurs à Fontenoy
Au fien fervent de digue.
Chacun ici &c.
Ви
Son Dauphin reffemble à l'aiglon
Brave du fortir de l'aire ,
Et fuit , tel qu'un jeune lion',
La valeur de fon pere.
Chacun ici & c..
Mars le prend pour le Dieu d'Amour
Aux traits de fon vifage ,
Et l'Amour le prend à ſon tour
Pour Mars à fon courage .
Chacun ici & c.
Chaque foldat eft un Cefar ,
Que tranſporte la gloire ;
Pour lui le péril eſt un fard
Qui pare la victoire .
Chacun ici & c .
uci
Tournay , ce coloffe orgueilleux
JUILLET. 1745. 14
Défioit le tonnerre..
Louis d'un regard de fes yeux
L'a brifé comme un verre.
Chacun ici & c.
uc?
La paix commence à s'annoncer
Dans le fein de nos Villes .
Le plaifir vient la devancer
Dans les hameaux tranquilles.
Chacun ici & c .
Sans avoir peur que l'étranger
Pille fa bergerie ,
Cloris joue avec ſon Berger
Sur la verte prairie ,
Chacun ici & c.
Le villageois frais & nourri
Les Dimanches va mettre
Au pot la poule que Henri
Ne fit que lui promettre.
Chacun ici & c.
T
Louis dit comme ce vainqueur
De la ligue rebelle ,
Je fuis riche affés , j'ai le coeur
De mon peuple fidéle .
Chacun ici & c.
342 MERCURE DE FRANCE.
Fou
Si de tout illuftre guerrier
Le nom devoit s'écrire ,
L'Auvergne avec tout fon papier
Pourroit- elle y fuffire ?
Que chacun dife en fa chanfon ,
Qu'anime un zéle extrême ,
Que le coeur du François répond
Au coeur du Roi qu'il aime .
SPECTACLES.
OPERA,
'Académie Royale de Mufique continuë
les repreſentations du Ballet des Fêtes
de Thalie.
Après avoir été joué pour la premiere fois
le 14 Août 1714 la feconde fois le 25
Juin 1722 , la troifiéme le deux Juin 1735,
on l'a remis enfin au Théatre pour la quatriéme
fois le Mardi 29 Juin 1745 .
Les Rôles n'ont pastous paru fuivant leur
diftribution imprimée avec les paroles, Celui
de la veuve coquette a été remplacé par
Mile Mets qui l'a repréfenté avec nobleffe
& avec agrément ; ſon début au Théatre n'a
pas été équivoque , il a prefagé tous les ta
lens qu'elle montre aujourd'hui,
JUILLET. 1745. 143
Le cotillon a fait le même plaifir qu'il fit
le
14
Août
1714.
CINQUIEME fuite des reflexions fun.
les Ballets,
La feptiéme entrée fut celle de l'adreffe qui
amena les Arts pour travailler à la gloire de
Louis Augufte & pour lui faire des trophées
des dépouilles des ennemis.
Que ces Arts feroient aujourd'hui bien
occupés s'ils teatoient d'élever des Monumens
dignes du Héros Bien- Aimé qui vient
de remporter en Flandre une victoire accompagnée
de toutes les circonftances les
plus glorieufes qui peuvent caractériſer la
valeur la plus brillante & la plus profonde
capacité !
La troifiéme partie fit voir le Soleil au figne
du lion' d'où il invitoit Louis Augufte
à la conquête du monde par ce récit .
Monte , jeune LOUIS , au rang où tu me vois ;
Tes regards font un jour plus beau que ma lumiere
Et le monde va voir deux ſoleils à la fois ,
Si tu ne viens tenir une même carriere.
Comme c'étoit la coutume de faire des
difcours & des difputes d'Eloquence devant
l'Autel de Lyon confacré à Augufte ; il ſẹ
144 MERCURE DE FRANCE.
fit devant celui- ci une difpute des quatre luf
tres de la vie de Louis XIV. qui n'avoit
alors que 20 ans , chacun prétendant à l'envi
l'un de l'autre d'avoir eu les plus beaux
évenemens. Le premier luftre qui étoit celui
de fa naiffance & des cinq premieres années
de fa vie commence ainfi.
Qui vit jamais briller tant de luftre à la fois ?
La Nature épuisée à produire des Rois
Pour former celui - ci prit des forces nouvelles ,
Et fans plus travailler fur les premiers modéles
Surpaffa fon adreffe , épuiſa ſes ,tréfors ,
Aformer fon efprit , à façonner fon corps ,
Elle fit fon berceau des palmes de fon pere ,
Elle mit dans fes yeux les graces de fa mere ;
Et plaçant fur fon front des lys épanouis ,
Ramaffa tous les traits & d'Anne & de Louis :
Jamais fiécle ne vit une fi belle image .
La Nature elle - même admira ſon ouvrage ,
Et tous les Dieux ravis d'un miracle fi beau
S'endonnérent la gloire autour de fon berceau.
De la France en ce jour l'efperance remplie ,
Vit croître fon bonheur & l'Epagne affoiblie ,
L'aigle enjetta des cris , le lion en fremit
Le Soleil devint pâle & la Lune ** blemit,
La Perfe.
** La Turquie
Quel
JUILLET. 1745. 145
Quel tems a jamais vû des marques plus illuftres
Du haut rang que je tiens fur le refte des luftres ?
Le deuxième luftre qui étoit celui de l'avenement
à la Couronne deffendit fes
droits après celui de la naiffance , & dit :
La naiffance eft un bien qui n'eft que fortuit ,
Si de ce grand éclat la Vertu n'eft le fruit.
Il faut une ame noble, un courage intrepide ,
Et le coeur d'un Héros pour en faire un Alcide
En fes premiers effais mon Prince triomphant
A fait voir qu'un Héros n'étoit jamais enfant ;
Déja fes premiers pas le portoient à la gloire ,
Quand pour le couronner & Mars & la Victoire
Enchainerent l'Eſcaut , fubjuguerent le Rhin ,
Et d'un nouveau Pays le firent Souverain .
L'Espagne de deux parts fi vivement preffée ;
Vit fon ambition à demi renversée ,
Et l'Empire ayant vû fes deux aigles défaits
Par crainte ou par reſpect lui demanda la paix.
Le troifiéme luftre qui étoit celui de la
Majorité parla à ſon tour,
Par un mauvais démon cette illuftre conquête
Se vit prefqu'arracher le laurier de la tête.
La difcorde infolente alluma fon flambeau ,
Et ne fit de l'Etat qu'un funefte tombeau ;
146 MERCURE DE FRANCE.
Dans le fein de la France en fureur déchainée ,
Ecumante de rage , errante & forcenée ,
Répandit fon venin dans le coeur des fujets,
Et fit en moins d'un jour de terribles projets ;
D'une effroyable voix & d'un ton de tonneire
Elle annonce partout , elle vante la guerre ,
Tout fume de fes feux , tout paroît embrafé ,
En pluſieurs factions le peuple eft diviſé ;
Le Trône eft ébranlé quand Louis court aux armes ;
Et cueille des lauriers qu'il mouille de fes larmes ,
Mais les premiers rayons de famajorité
Ramenerent le calme & la férenité :
Ce courage intrepide alla de Ville en Ville
Pour arrêter le cours de la guerre civile ,
Et pour guerir les maux que le trouble avoit faits ,
Je l'ai vu fous la tente autant que fous le dais.
Le quatriéme luftre qui étoit celui du
facre & des victoires du Roi ne douta point
qu'il ne dût l'emporter fur les trois autres
quand il dit ,
Ces préfages font beaux & ce grand appareil (
Dans les fiécles paffés n'a rien vû de pareil ;
Mais tous ces préjugés de grandeur & de gloire
N'approchent pas de ceux qui fuivent la victoire.
Les ennemis défaits & le fang répandu
Font un Trône plus haut du monde confondu.
C'est de vous que Louis à reçu la Couronne,
JUILLET. 1745. 149
i
1
Et le pompeux éclat de l'or qui l'environne ,
Mais ce brillant éclat ne feroit qu'un fauxjour ,
S'il n'avoit des rayons que pour luire à la Cour.
Il faut qu'un Conquérant entre dans la carriere ,.
Qu'il en forte couvert de fang & de pouffiere ;
Il doit dans les combats montrer fa fermeté
Et s'ouvrir le chemin à l'immortalité.
J'ai vû fortir des yeux de ce foudre de guerre
Des éclairs allumés & fuivis du tonnerre ,
Et lançant des regards fiers & victorieux
Il porte aux ennemis le foleil dans les yeux .
Les ombres des Flamands erran.es & plaintives
S'éforçoient d'animer leurs troupes fugitives ,
Quand mon Prince parut, & dans un champ d'hor
reur
Fit céder la clémence à la noble fureur.
Le feu que l'huile fainte alluma dans ſon ame
Fit fortir de fon coeur une nouvelle flâme ,
Qui portant fon courage à d'illuftres travaux
L'a déjafait paroître en des combats nouveaux ;
Le feu clair & brillant qui dans fes yeux petille
Brave d'un feul regard les forces de Caftille ;
Deja victorieux de la rebellion ,
Il veut arracher l'ongle & la dent au lion :
A peine de Stenay la courtine ebranlée
Souffre le chatiment de la Foi violée ,
Qu'Arras contre l'Ibere implorant fon fecours
Craint d'être enfeyeli fousfes fuperbes tours,
Gij
148 MERCURE DE FRANCE,
11 Il y court, il y vole , il voit toute l'Eſpagne
De troupes , d'étendarts inonder la campagne,
La Victoire le fuit & d'un double laurier
Couronnele Monarque & le jeune Guerrier.
Depuis cette action les Places les plus fortes
Ouvrent à mon Héros & leurs coeurs & leurs porte
Et ce dernier Eté fait lui feul plus de bruit
Que la Grece vaincue & l'Empire détruit ;
Ainfi , n'attendez pas que je céde la gloire ,
Du plus haut rang d'honneur au temple de mé
moire.
· Le
temps à venir pour décider les diffé
kens de ces quatre luftres parla ainfi ,
Je viens pour décider le noble différend
Qui vous a partagés pour un Roi Conquérant ;
Déjalfous vingt Soleils fes premieres années
Ont eû tout lefuccès des grandes deſtinées ,
Mais ce commencement tout éclatant qu'il eſt
N'eft que le premier pas de l'aftre qui l'a fait
Il s'avance à la gloire avec plus de lumiere
Il ouvre à ſa valeur une illuftre carriere ,
Et l'Europe & l'Afie offrent à ce guerrier
Une plus belle palmę, un plus riche laurier
Tout le fuperbe éclat dont il vous environne
N'eft qu'un premier brillant que la gloire vous don
ne.
Allez , cedez la place aux luftres à venir
JUILLET. 1745 . 149
Et de ces grands fuccès gardez le fouvenir.
Les fondateurs des quatre grandes Mo
narchies attirés par le bruit des conquêtes de
Louis Augufte viennent offrir leur hommage
à fon Autel ; ils admirent fes trophées & lui
cedent la premiere place du temple de la
gloire. Cétoit la troifiéme entrée de la troi
fiéme partie. Les Dieux qui jurerent autrefois
la guerte contre les géans fur l'autel qui
fait une des conftellations céleftes , vinrent
jurer la paix fur celui de Louis Augufte . Jupiter
y laiffa fa foudre , Mars fon épée , Neptune
foa trident , tandis que la paix fe
montra fur l'arc - en- ciel & fit un récit.
Des payfans challés de leurs cabanes par
les ravages de Bellonne cherchent un azile
près de l'autel de Louis Augufte où ils
trouvent les gages de la paix ; ils prennent
les armes que les Dieux y ont laiffées & en
font des inftrumens d'Agriculture. Minerve
la Divinité de l'ancien temple de Lyon &
Apollon le Dieu des Sçavans viennent éta
blir des facrificateurs pour recevoir les victimes
que les peuples doivent offrir à l'autel
de Louis Augufte. La Fortune Françoiſe y
amena l'hérefie & Mahomet enchainés. Le
grand Ballet fut compofé des treizes Louis
predeceffeurs de 1.ouis XIV , qui vinrent
être les témoins couronnés de fa gloire.
Giij
5 MERCURE DE FRANCE.
Que la compofition de ce Ballet eft (çavante
& variée ! Que de tableaux divers
il prefente à la curiofité des fpectateurs ! Que
tous les rapports des parties tant hiftoriques
qu'allégoriques font bien fimétrifés , & qu'ils
concourent avec habileté à la gloire de
Louis XIV. & à l'honneur de la Ville de
Lyon qui fignala fon zéle par cette ingenieufe
& magnifique fête ! Sans doute les décorations
& les habits aflortiffoient aux idées
fublimes de l'inventeur de ce Ballet ? D'où
vient qu'on fe contente aujourd'hui de danfes
monotoniques qui ne difent jamais rien
d'expreffif & qui n'offrent aux yeux que des
marches & des entrées prefque toujours uniformes
& où le goût & le difcernement ne
trouvent jamais rien à louer que la grace &
Ja legéreté des pas fans pouvoir en admirer
l'ordre & l'application ? Le R. P. Meneftrier
nous apprend que ce fut à l'occafion de ce
Ballet dont il fut chargé par des ordres fupérieurs
qu'il fe crut obligé de lire tout ce
qu'Ariftote , Lucien , Plutarque , Platon ,
Libanius , Athénée , Julius Pollux & quelques
Modernes qu'il ne nomme pas ont
écrit fur la danfe théatrale.
Il n'eft pas douteux que tous ces Auteurs.
là ne font pas connus de bien des compofiteurs
de Ballets de notre fiécle , & que les
danfeurs qui voudront s'en tenir à la routine
JUILLET.
1745. 151
de leur talent fans en approfondir le mérite
principal ne répondront à ces refléxions
que par une pirouette en s'écriant comme
Poiffon dans le Joueur :
Allons faute Marquis.
COMEDIE FRANÇOISE.
Les Comédiens François ont donné le
Mercredi quatorze Juillet la premiere reprefentation
du Sage Etourdi , Comédie en
trois actes de M. de Boiffi. Le public lui a
fait un accueil très - favorable ; elle fut fuivie
de la Folie du jour , petite piéce d'un acte
qui l'avoit precédée de trois ou quatre repreſentations
; on en donnera lextrait dès
quelle fera imprimée : en attendant nous en
allons rifquer un du Sage Etourdi ; l'auteur
nous pardonnera s'il fe trouve défectueux:
La mémoire & l'ami qui nous l'a préfenté
peut fort bien avoir été infidéle . Si nous faifons
quelques fautes nous les reparerons
après l'impreffion de cet Ouvrage où l'efprit
brille affés communément.
Dorante Sage Etourdi eft un jeune Cava
lier promis à Lucinde , niéce de Belife veuve
aimable & fpirituelle ; le mérite & les
agrémens de la tante l'engagent à rompre
chaine de la niéces, & il diflimule fa fituala
G iiij
2 MERCURE DE FRANCE.
tion jufqu'à la veille du jour qui doit écldirer
fon mariage avec Lucinde . Dorante
commence le plan de fon infidélité par infinuer
à Lucinde qu'ils font tous les deux
tropjeunes pour former un établiffement férieux
& folide ; il la perfuade par des raifonnemens
fpecieux , & la determine a différer
leur mariage de deux ans.
Dorante a pour ami Erafte , Philofophe
quoique riche.il propofe à Lucinde de le voir,
Comptant que faconverfation & fon goûtpour
la liberté éloigneront la maîtreffe qu'il tra
hit fecretement de la conclufion d'un mariage
qu'il redoute depuis que fon coeur a facrifié
la niece à la tante ; il lui propofe enfuite de
tenter par amuſement la conquête d'un Philofophe
qui feroit grand honneur à fes charmes.
Erafte arrive dans le moment pour.
prendre congé de fon ami ; Lucinde féduite
par Dorante fe joint à lui pour éluder ce départ
: Dorante les quitte pour donner le
tems de vaincre aux charmes & aux difcours
de Lucinde. Son triomphe eft prompt , le
Philofophe furmonté fe jette avec tranfport
aux genoux de fa nouvelle Divinité ; Dorante
revient & le furprend dans cette tendre
attitude ; cela produit un coup de theatre
heureux & neuf.
Après des fcénes préparatoires , Belife
reproche à Dorante fes délais. Il lui avouÿ
JUILLET. 1945. 153
•
que fa niéce cede à un objet plus aimable ,
& après des excuſes galantes de fa perfidie ,
il lui déclare nettement qu'elle en eſt la cayfe
; la veuve ſurpriſe lui fait cent objections
qu'il refute avec efprit & avec ardeur. Elle
lui allegue l'inégalité d'âge , & c'eft l'obſtacle
qu'il détruit le plus folidement , enſuite
il lui dit qu'il a pourvû au dédommagement
de Lucinde en lai procurant par fon manege
la tendreffe d'Erafte. Cette intrigue fintguliere
& piquante fe dénoue par le double
hymen de Dorante avec Belife & d'Erafte
avec Lucinde. Cette Comédie eft vivement
écrite & remplie de détails ingenieux .
On réimprime actuellement la Tragédie de Didon
de M. Lefranc , on y verrà non-feulement
le cinquiéme acte dans la nouvelle forme , fous
laquelle il a paru à cette derniere repriſe , mais
encore beaucoup d'autres changemens que le célebre
Auteur a répandus dans le corps de fon Poë- ·
me. Il auroit été à fouhaitter que les Gomédiens
euffent profité du manufcrit qui leur étoit tombé
entre les mains , & dans lequel ces changemens fe
trouvoient ainfi que ceux faits au cinquiéme acte .
COMEDIE ITALIENNE.
Ce Théatre n'a rien donné de nouveau
qui ait attiré le public , excepté les Ennuis
de Thalie , petite Comédie d'un acte fuivie
d'un divertiſſement; nous en donnerons l'extrait,
GY
54 MERCURE DE FRANCE,
L'Opera Comique ayant été fupprimé par
Arrêft du Confeil, la troupe des danfeurs de
corde de Mathews eft le Spectacle dominant
de la Foire . Nous en parlerons dans la
fuite.
CONCERT DE LA REINE.
M. de Blamont Sur- Intendant de la Mufique
du Roi a ouvert fon femeftre le premier
Juillet & a fait exécuter dans fon premier
Concert le Ballet heroique des Fêtes
Grecques & Romaines , dont la Mufique eft
de fa compofition : les paroles font de M.
Fuzelier.
Le Samedi 10 on chanta l'acte de Diane
ajouté à ce Ballet.
Le Lundi 12 on chanta l'acte des Bacchanales
& des Saturnales du même Ballet .
Le Mardi 13 la Reine fit chanter pendant
fa Meffe en lieu & place du Pleaume que
l'on y chante ordinairement , le Te Deum
pour la prife de Gand, de feu M. Delalande ;
Sur - Intendant de la Mufique de la Chambre
& Maître de Mufique de la Chapelle.
Le Mercredi 14 on exécuta en Concert
chés la Reine le Prologue & le 1er, acte de
l'Opera d'Iphigenie .
Le Samedi 17 on chanta le zme. & 3me.
acte du même Opera.
JUILLET. “ 1745.
***************
JOURNAL DE LA COUR , DE PARIS
& c.
SUITE DES OPERATIONS
DE L'ARME'E DU ROI.
Au Camp de Leuze le 1er. Juillet.
' Armée à quitté ce matin le camp qu'elle occupoit
fous Tournay pour venir Camper à Leuze.
Elle à marché furs colonnes. Le Roiacco.m
pagné de Monfeigneur le Dauphin s'eft mis à la tête
de celle du centre compofée de ſa Maiſon , & eft
arrivé à Leuze fur les 5 heures après avoir vifité les
environs du camp.
Au Camp de Leuze le 2 .
- L'armée á féjourné ici aujourd'hui . Le Roi a
monté à cheval avec Monfeigneur le Dauphin fur
les quatre heures après midi , & s'eft porté le long
de la feconde ligne de la doite de fon armée jufqu'au
ruitfeau qui paffe à la Catoire où elle eſt appuyée.
S. M. après avoir vifité le lieu où s'eft donné
le combat de Leuze en 1691 eft revenuë le
long de la premiére ligne jufqu'à Leuze , & a paffé
enfuite par le camp des Dragons & celui des
Gardes Françoifes & Suiffes qui couvrent le quar
tier général Sa Majefté n'eft rentrée chés elle
qu'à huit heures & demie.
G vj
6 MERCURE DE FRANCE.
Au Camp de Leuze le 3 .
Hier l'armée des Alliés a commencé à paffer la
Dender à quatre heures après midi au deffus &
au deffous de Gramont , & ce matin avant 9 heures
l'arrière garde étoit au delà de cette riviere.
Un dernier détachement compofé de Hullans
& de Huffards des Regimens de Linden & de
Beaufobre a enlevé aux ennemis un convoi de 25
chariots de pain de munition du côté de Soigny fu
la chauffée de Mons à Gramont .
L'armée décampera demain de grand matin .
Le Roi a tenu ce foir Confeil d'Etat .
Au Camp de Rebay le 4..
L'armée eft décampée ce matin de Leuze , marchant
for fix colonnes ; le Roi s'eft mis à la tête
de la quatriéme qui étoit compofée de ſa Maiſon ,
& eft arrivé à une heure après midi avec Monfeigneur
le Dauphin à Rebay où S. M. a établi
fon quartier . L'armée fe trouve actuellement
pofée fur deux lignes , dont la premiere eft alignée
fur le clocher de Rebay & fur celui de Hamaide
à fa gauche . Les ennemis font encore campés
fur la rive droite de la Dender , leur droite à
Gramont qu'ils occupent ; on découvre de notre
Camp la plus grande partie du leur .
-Un détachement des Graffins envoyé à Leffines
y a trouvé environ 400 Huffards ennemis qu'ils
en ont chaffés. L'ennemi voyant cette troupe foible
a fait foutenir les 400 Huffards par environ
2000 hommes d'Infanterie & de Cavalerie & les
a fait remarcher en avant pour reprendre ce pofte
JUILLET 1745 : 157
que les Graffins ont cependant foutenu jufqu'à
l'arrivée du renfort qui leur a été envoyé de no
tre armée & qui a forcé l'ennemi de fe retireg
en grande hâte à Gramont.
Au Camp de Wambec près Leffines le &
L'armée s'eft portée aujourd'hui dans un nouveau
Camp dont la droite eft appuyée à Leffines & la
gauche alignée fur Wambec. M. d'Armentieres
Maréchal de Camp a été détaché avec 2000 hom.
mes d'Infanterie dont moitié Grénadiers , 1000
chevaux & les Régimens de Linden & de Graffin
marchant en avant pour reconnoître la poſition des
ennemis au - delà de la Dender ; il s'eft porté avec
ce détachement jufqu'à Owerboclaer à un quare
de lieuë de Gramont d'où il a obligé plufieurs
troupes de Huffards ennemis de fe retirer ainſi
que des détachemeus de leur armée qu'ils avoient
encore en deça de cette Ville . Ce n'a été qu'après
le retour du détachement de M. d'Armentieres que
l'on a pú affeoir le nouveau Camp que notre armée
occupe. Suivant les connoiffances qu'il a prifes
de la pofition actuelle des ennemis il paroît
qu'ils ont fait quelques changemens dans leur Camp
& Fon vient d'apprendre qu'ils ont rompu deux de
leurs Fonts fur la Dender , & qu'ils ont formé
des retranchemens fur la Marck.
Le Roi eft resté pendant plus de 5 heures à la
tête de fon armée qu'il a fait camper fous les yeux
& d'où il a obfervé tous les mouvemens du déta◄
chement de M. d'Armentieres.
Les ordres font donnés pour faire demain matin
une nouvelle marche,
# 58 MERCURE DE FRANCE.
Au Camp de la Chartreuse près Gramont le 7.
On battit hier la generale à 3 heures du matin
& à 4 on fit partir les Campemens dont la marche
fut precedée par un Corps compofé de 40
Compagnies de Grenadiers , de 40 Piquets , de
1000 chevaux tirés tant de la Maiſon du Roi que
du refte de la Cavalerie , du Regiment de Linden
Huffards , & de celui de Graffin aux ordres
de M. le Marquis d'Armentieres , Marechal de
Camp. L'objet de ce détachement qui partit à la
pointe du jour étoit de marquer le débouché de
Gramont par lequel l'ennemi auroit pu fe porter
fans cette précaution fur la marche de l'armée
qui étoit obligée de lui prêter le flanc pour prendre
fon nouveau Camp. M. d'Armentieres trouva
en dehors de Gramont 3 à 400 Huffards foutenus
de quelque troupe de Cavalerie il les fit charger
& les obligea de rentrer dans Gramont après
avoir laiffé plufieurs morts fur le Champ de bataille
; de fon côté il n'y eut qu'un Maréchal des Logis
du Regiment de Graffin qui réçut un coup de
feu au travers du corps. M. d'Armentieres porta
la tête de fon détachement jufqu'à une porté de
Carabine de la barriere des ennemis , en faiſant
foutenir ce pofte avancé par échelon , il ſe tint
dans cette pofition jufqu'à ce que larmée fut
entierement affife & les gardes placées
Les ennemis tirerent plufieurs coups de canon fur
ce corps , mais fans nul effet , la proximité de ce
détachement les a jettés dans une fi grande allarme
qu'ils ont mis toute leur armée en bataille ,
ils ont garni le Parapets de Gramont ; & travaillé
à de nouvelles batteries dans cette Place . Quel
ques Soldats de Graffins fe font avancés fi près
JUILLET
1745. 159
1.
"
de ce travail qu'ils y ont tué plufieurs travail~
leurs.
L'armée fe mit en marche à 6 heures fur ; colonnes
, les bagages marchant à la queuë de la
troifiéme & foutenus par un détachement confide
able ; la marche à été fort penible , s'étant
faite dans un Pays entierement coupé & à la vue
de l'ennemi , ce qui a éxigé de grandes précautions.
Les ennemis après avoir refté en bataille hier
depuis la pointe du jour jufqu'à 6 heures du foir
ont repris leur même Camp fur les hauteurs de
Gramont où il eft encore actuellement , ils ont
feulement changé un Camp d'Artillerie qu'on ne
découvre plus.
L'armée fejourne aujourd'hui pour lui donner
le tems de fe repofer de fes fatigues & de recevoir
le pain dont le convoi vient d'arriver de Tour
nay par Rebay.
La droite de l'armée eft au devant d'Everbeek ,
la gauche au devant de la Chartreufe près Gra
mont , laiffant un intervalle occupé par les troupes
deftinées à couvrir le quartier du Roi établi
cette Chartreuſe.
Les équipages de S. M n'ayant pû arriver que
ce matin , parce qu'elle a voulu qu'ils ne marchaffent
qu'après l'artillerie , S. M. a paſſé la nuit
fur de la paille,
Tout eft ici en abondance le Pays étant tout
neuf& plein de toutes fortes de fubfiftances.
Ily a encore eu ce matin quelques eſcarmouches
entre les Graffins & des détachemens des troupes
qui font dans Gramont . Il y a eu 15 ou 16 homtués
ou bleffés de la part des ennemis , & deux
Grafins de bleffés.
o MERCURE DE FRANCE
Au Camp de Boft le 8.
On á battu ce matin à 3 heures la générale qui
fervi de fignal pour le départ des Campemens
& de tous les équipages de l'armée pour ſe rendre
au Camp de Bolt. L'armée débarraffée de ſes bagages
s'eft mife en marche à midi fur 3 colonnes
& eft arrivée à fon nouveau Camp de fort
bonne heure ; fa droite eft derriere Roofbeek &
fa gauche fur la petite riviere Schwaline qui tombe
dans l'Escaut à une lieue & demie d'Oudenarde .
Le Roi a établi fon quartier entre la premiere
Ligne defon armée & la Schwaline .
1
Par cette pofition l'armée couvre Oudenarde du
côté de la rive droite de l'Efcaut & le centre de
l'armée n'eft qu'à trois lieues du bas Eſcaut fur lequel
on fait marcher cette nuit un détachement aux
ordres de M. du Chayla Lieutenant General
compofé de deux brigades d'Infanterie & 3 de Cavalerie
pour aller jetter un Pont dans l'anfe que
forme l'Escaut entre Gand & Dendermonde.
Les ennemis ont fait hier matin un détachemen
de leur armée qui eft defcendu à Aloſt.
Du 9.
Il n'y a rien aujourd'hui de nouveau .
•
On vient d'apprendre dans le moment que M.
de Graffin s'étant porté à Wettren près de l'Efcaut
entre Gand & Dendermonde y a rencontré
un cinquantaine de Huffards des ennemis qu'il a
fait charger par un détachement de fon Regiment
qui en a tué plufieurs & en a fait 7 prifonniers
qui ont été amenés au quartier du Roi avec troig
JUILLET 1745 . 151
1
Officiers Autrichiens qu'il a arrêtés fur le chemin
de Gand à Bruxelles .
Il y a eu du côté des Graffins un Officier & 4
Cavaliers de bleffés.
Au Camp de Boft le io.
On a vû par le buletin du 8 qu'on avoit déta
thé le matin M.du Chayla avec deux brigades d'Infanterie
faifant 8 Bataillons & 3 de Cavalerie fai
fant 14 Efcadrons , & le Regiment de Graffin ;
l'on a vû auffi que l'avant- garde de Graffin ayanc
rencontré vers la Chauffée d'Aloft à Gand 40 à
50 Huffards les avoit culbutés & fait plufieurs
prifonniers . Ces Huffards ennemis étoient und
avant- garde d'un détachement de l'armée des Alliés
compofé d'environ 6000 hommes qui étoient
partis de Ninove le 8 & qui vouloient le porter à
Gand. Cette avant - garde ayant été répouffée par
les Graffins , vraisemblablement a rapporté au
détachement des Alliés qu'elle n'avoit rencontré
que ce corps de troupes legeres , ce qui n'a pas
empêché l'ennemi de continuer fa marche fur
Gand ; & comme M. Graffin qui croyoit pareil
lement n'avoir devant lui que cette petite trou
pe de Huffards que fon avant- garde avoit culbutée
Continuoit fa marche vers Aloft pour couvrir celle
de M. du Chayla , il a été rencontré ſur les
heures du foir par le gros du détachement des
ennemis & n'a eu que le tems de fe jetter dans la
Cenfe de Maffeme entre Aloft & Gand ou il a
été invefti par les ennemis qui ayant trouvé une
bonne & forte refiftance & étant preffés par
l'heure pour arriver à Gand , l'ont quitté lorfqu'il
s'y attendoit le moins. M. Graffin étant libre eft
forti de la Cenfe & les a harcelés à leur arrieres
162 MERCURE DE FRANCE.
garde, Les ennemis continuant leur marche ſe font
trouvés fur le Corps de M. du Chayla vers les 7
keures à portée de l'Abbaye de Meile dans le moment
qu'il établiffoit fon Camp ; cette espece de
furprife n'a pas empêché que MM. de Graville &
de Souvré ne fe foient portés affés diligemment
vers les brigades de Crillon & de Normandie pour
qu'elles fuffent en état de recevoir l'ennemi ; cel
le de Crillon a foutenu le premier choc avec
beaucoup de valeur & celle de Normandie eft arrivée
à portée de la fecourir dans le tems que
Pennemi fe trouvoit en état de l'attaquer par le
flanc. Il fut pourfuivi par ces deux brigades la
bayonette au bout du fufil en pliant de tous côtés.
On ne fçait pas encore quel a été le nombre des
morts & des bleffés , il eft confiderable fuivant
toute apparence de la part des ennemis , mais il
eft fûr qu'il eft très médiocre de la nôtre.
Les troupes commandées par M. du Chayla ont
fait 800 prifonniers au nombre defquels font un
Milord & un Lieutenant Colonel . Les Graffins en
ont fait 600 & pendant tout le tems que le combat
a duré , les 3 brigades de Cavalerie , fçavoir
du Roi , Royal étranger & Berry à la tête def
quelles M. du Chayla s'étoit mis ont fait tous les
mouvemens néceffaires ponr contenir la colonne
des ennemis , foutenir notre Infanterie en cas
qu'elle fut répouffée & empêcher celle des ennemis
de prendre aucun avantage fur là notre.
On ne peut affés louer la valeur avec laquelle
les troupes du détachement fe font comportées.
M. de Graville Marechal de Camp a été blef
fé legerement ; nous n'avons eu aucun autre Offieier
General ni Colonels de bleffés.
3
JUILLET 1745 . Ifej
1
A Tournay le 11 anfoir.
On a reçu ce matin le détail ci-deffus , & om
vient d'apprendre ce foir que l'entrepriſe formée
par M. de Lov endal pour furprendre Gand cette
nuit avoit réuffi.
L'Artillerie & le Genie ont reçû ordre de par◄
tir demain de grand matin pour le rendre au
Camp devant Ŏudenarde ; les gros équipages qui
font ici commenceront demain à en partir pour
taller rejoindre l'armée.
nt
il
un
ed
1-
Au Camp de Boft le 11.
On n'a fait aucune mention dans les préceden
buletins d'un détachement qui a été fait pour
porter un Corps de troupes fur la gauche de l'Ef
caut pendant que l'armée du Roi marchoit entre
cette riviere & la Dender. Il étoit compofé des
Régimens de Dragons , Meftre de Camp General
, Royal , Affeld & Egmont & de 4 Regimens
des GrenadiersRoyaux le tout commandé par M.de
Lovvendal Lieutenant General ayant à fes ordres
Meffieurs de Chevreufe & d'Herouville Mare
chaux de Camp.
L'objet de ce détachement étoit de ſurprendre
Gand , en conciliant fes mouvemens avec ceux
que le Roi fe propofoit de faire faire au Corps
commandé par M. du Chayla dont on a ci-devant
parlé ; l'entrepriſe a eu tout le fuccès qu'on pouvoit
défirer.
Le Corps de troupes aux ordres de M. de Lovendal
après avoir reçu au Pont d'Efpieres ,
les derniers ordres du Roi , eft arrivé à portée de
4 MERCURE DE FRANCE .
Gand hier au foir , & le matin vers la pointe de
jour M. de Lowendal a fait infulter le front entre
la porte faint Pierre & l'Escaut dont les oud
vrages ne font point revêtus ; quoiqu'il y ait un
foffe plein d'eau large & profond , les foldats com
mandés de chacune des troupes du détachement s'y
font jettés avec toute la vivacité poffible & fe
font rendus maîtres de la Place fans autre perte
celle d'un Lieutenant tué d'un coup de fufil
& de 2 Dragons qui fe font noyés.
que
Le feu qui s'eft fait de ce côté - là a fervi de
fignál à M. du Chayla , ainfi que l'on en étoie
convenu , pour faire tirer quelques coups de canon
du côté de la porte impériale & pour qu'il s'ap
prochât de la Ville dont la porte lui à été ouver◄
te par un détachement du Corps de M. de Lovvendal.
La garnifon qui eft de 1000 hommes s'eft
retirée dans le Château & les foins des Officiers
ont préfervé l'intérieur de la Ville du pillage
On apprend que l'armée des Alliés eft dans
les plus grandes allarmes , qu'elle eft à préfent
entre Ninove & Aloft faifant conduire fes gros
équipages à Bruxelles avec beaucoup de précipi◄
tation !
Cette après-midi , l'Evêque de Gand , accom
pagné d'une partie de fon Clergé , le Magiftran
de la ville & le Confeil Supérieur de Flandres
fontvenus rendre leurs hommages à Sa Majesté, qui
■ monté enſuite à cheval pour aller faire la vifite
du camp.
Au Camp de Boft le 12.
La Garnifon de la Ville de Gand qui s'eft reti
ée dans le Château fait tirer quelques coups de ca
ppar intervalle fur lestroupes qu'elle apperçoit
JUILLET 1745
164
24
On a découvert jufqu'à prefent dans la Ville
environ 100 milliers de poudres , & il y a une
quantité très-conſidérable de fourage ; ce qui a
été déposé dans cette Ville par les Anglois en toutes
efpéces de provifions n'eft point encore exacte
ment connu .
M. L'Evêque de Gand à prêté ce matin ferment
de fidélité au Roi.
La Brigade de Monnin compofée de 6 bataillons
a été détachée pour marcher fur la rive gauche de
l'Efcaut où elle doit occuper les avenues d'Oudenarde
.
On vient d'apprendre qu'il y a eu de prifonniers
faits dans Gand 60 Officiers & 690 Soldats Anglois
& Hanoweriens .
Au Camp de Boft le 13 .
Des Detachemens du Régiment des Hullande
de M. le Marêchal de Saxe fe font portés juques
dans les fauxbourgs de Bruxelles & ont enlevé
plufieurs Baillifs . Les Etats de Brabant ont auffitôt
demandé la permiffion d'envoyer à S. M. une
députation pour faire ceffer les contributions.
On continue de faire la recherche de tous les
effets & munitions que les Anglois avoient dans
Gand.
On a trouvé dans des balandres fur le canal
plufieurs piéces de canon toutes neuves & quantité
de munitions d'artillerie,
Le corps de M. du Chayla qui étoit à Mêle s'ef
rapproché de Gand .
L'armée ennemie eft à Affleghefm , & les nou
velles de ce foir font quelle commence à défiler
vers Bruxelles ..
166 MERCURE DE FRANCE.
** LeRoi a tenu hier & aujourd'hui Confeil d'EAu
Camp de Boft le 14.
Les ennemis font actuellement fous Bruxelles
ayant abandonne les bords de la Dender.
Les députés de la Châtellenie d'Aloft & de
Gramont font venus implorer la clémence de
S. M. & fe mettre ſous fon obéiſſance,
Il s'eft trouvé dans l'arfenal de Gand un
armement conſidérable en fufils , épées & ſabres.
Les ennemis avoient auffi en magaſin l'habillement
neuf de plufieurs Régimens , & des équipemens
à proportion , 4 à 500 mille rations de fourage
, plus de 14000 facs d'avoine , & une quantité
très - grande de grains &de farine .
Il eft parti ce matin du Camp trois brigades
d'Infanterie , fçavoir celle de Picardie , celle de
Boufols & celle de Bettens avec la brigade de
Monnin qui avoit déja paffé l'Efcaut il y a 2 jours ,
four former l'inveftiture d'Oudenarde .
Le détachement de M. du Chayla a paffé ce matin
fur les Ponts du bas Efcaut pour aller maſquer
de l'autre côté de la campagne le Château de Gand
où la garnifon de la Ville eſt toujours renfermée.
L'Artillerie deftinée à l'attaque arriver a ce ſoir.
Au Camp de Boft le 15 .
L'armée des ennemis qui s'ett retirée fous Bruxel.
les eft campée en partie à Zelliek à cheval fur la
chauffée qui conduit de Bruxelles à Gand ayant
devant elle à Afche fur la même chauffée un de
JUILLET. 1745.
169
achement de Huffards , une autre partie dans les
prairies de la Ken & le refte près d'Anderlecht . Ils
ont fait un détachement affés confiderable à Malines
& le Duc de Cumberland eft à Bruxelles .
On fe prépare à l'ouverture de la tranchée de
vant Oudenarde , & il a été ordonné à toute l'In
fanterie de faire des fafcines , des clayes & des
gabions.
L'artillerie qui faifoit partie du détachement
commandé par M. de Lovvendal eft arrivee à
Gand , elle a été miſe en batterie aujourd'hui , &
le commandant du château a déja fait faire des
propofitions à M. de Lovvendal .
Le Roi a donné à M. le Comte de Graville l'Infpection
de Cavalerie vacante par la mort de M,
'Epinay.
Au Camp de Boft le 16.
L'établiffement ayant été fait d'une batterie de
pieces de canon & de 4 mortiers pour battre en
bréche le Château de Gand , le Baron de Kisghen
qui y commandoit a fait arborer le drapeau
blanc hier fur les 5 heures après midi ; la capitula
tion porte que la garnifon confiftant en 70 hom
mes, dont 40 Autrichiens, fera prifonniere de guer
re , qu'ils mettront bas les armes fur l'efplanade &
feront conduits dans telle place qu'il plaira à S. M.
que leurs femmes , enfans & domeftiques fe reti
reront où bon leur femblera fur les paffeports qui
leur feront délivrés , & qu il fera permis aux bour
geois & habitans d'y rentrers ils le jugent à propos.
Après la fignature de la capitulation les troupes du
Roi ont pris poffeffion de la porte du Château.
S. Mà donné à M. le Vicomte du Chayla le
commandement de la Ville & du Château , & le
68 MERCURE DE FRANCE.
•
Corps qu'il commandoit avec les 4 Régimens de
dragons qui étoient aux ordres de M. de Lowendal
à paffé fous les ordres de M. le Prince de Pons ,
à l'exception de la brigade de Crillon qui fait parxie
de la garnifon de Gand.
Cinq cent Anglois de ceux qui étoient àl'affaire
de Méle s'étant d'abord fauvés à Bruges fe font
retirés depuis à Oftende ; l'alarme eft exrême dans
cette derniere Ville , de même qu'à Nieuport où
les payfans des environs commencent à refugier
leurs effets .
Les Deputés des Etats de Brabant , des Pays
d'Aloft , de Leffines & autres lieux circonvoiſins
ſe font rendus hier au quartier général pour traiter
des contributions .
Les troupes destinées à faire le fiége d'Oudenarde
fous les ordres de M. de Low endal fonc
Picardie , Bouzols , Biron , Monnin , Riefback ,
les 2 premiers bataillons de chacun des Régimens
de Bettens , Vitner & Lowendal ; celui de Rithecourt
Artillerie & le Régiment de Cavalerje
de Fitzjames.
Le Roi à tenu ce foir Confeil d'Etat .
Au Camp de Boft le 17.
Les ennemis font actuellement campés entre
Malines & Anvers , à la réſerve d'un Corps de
6000 Hollandois qui étoit refté entre Anderlecht
& Bruxelles & qui eft en marche pour se rendre à
Willeverden. Ils ont fait paffer auffi un Corps de
troupes du côté de Louvain où ils ont envoyé
beaucoup d'équipages.
Le Commandant à l'Eclufe pour la République
de Hollande ayant envoyé un détachement de
Grenadiers Irlandois avec un ingénieur pour faire"
couper
JUILLET 1745. 169
couper les digues qui préfervent de l'inondation ?
une partie des terres que la conquête de Gand à mifes
fous la domination de S. M. les Payfans effrayés
du malheur dont cette entrepriſe les menaçoit
fe font attroupés , & après avoir tué l'ingénieur
fur lequel on a trouvé l'ordre du commandant
Hollandois ont arrêté l'Officier qui commandoit
le détachement & 25 des grenadiers qu'ils ont conduits
à M. du Chayla qui a fait marcher 100 dra- *
gons & un pareil nombre de Graffins pour faire
veiller à la confervation de ces digués.
On doit ouvrir demain la tranchée devant Oudenarde.
Au Camp de Boft le 18.
Les derniers avis de l'armée des ennemis portent
qu'ils font campés entre Wilvoorden & Dighem
ayant devant eux la riviere de Senne & le
canal de Bruxelles .
Le camp des Anglois eft à Stacnokelfie qui eft
environ à une Lieuë de Wilvoorden .
La g rnifon du Château de Gand en eft fortie`
ce matin pour être conduite à Lille .
On ouvre ce foir la tranchée devant Oudenarde ,
c'est M. de Zurlauben Marêchal de camp qui la
monte ayant fous lui M. de Bouzols Brigadier , z
bataillons du Régiment de Picardie & 2 compa
gnies auxiliaires avec 3200 travailleurs.
Au Camp de Boft le 19.
M. le Prince de Pons ayant détaché dans la
muit du 17 au 18 du camp d'Eftelberg qu'occupent
les troupes qu'il commande , 4 compagnies de
H
1
170 MERCURE DEFRANCE.
grenadiers , 4 piquets , 400 Dragons & 150 hom :
mes du Régiment de Graffin fous les ordres de M.
de Souvré Marêchal de camp pour marcher fur
Bruges , les Magiftrats à l'approche de ce détachement
fortyenus lui demander la protection du Roi ,
& ont offert d'ouvrir leurs portes . M. de Souvré
après avoir pris toutes les mefures néceffaires pour
empêcher le défordre eft entré dans la Ville avec
fes troupes.
Ona ouvert la nuit derniére la tranchée devant
Oudenarde ; les ennemis s'étant apperçus que le
travail fe faifoit très -près des ouvrages ont fait un
fort- grand feu , ce qui n'a pas empêché de remplir
l'objet qu'on s'étoit propofé qui étoit de former une
parallele depuis l'inondation près de la porte de
Tournay jufques vers l'inondation près la lunette
fur la capitale du baftion de Sion , Vers les 2 heures
du matin on avoit fait plus de 1500 toifes d'ouvrage&
toutes les communications étoient achevées à
3 heures après midi .
14 Piéces de notre canon ont commencé à tirer
à la pointe dujour , & on a démonté à la premié
re décharge deux de celles des ennemis .
Nous avons ce foir 39 Piécés de canon & 8 mor
tiers en état de tirer.
+2
Quoique le feu des ennemis ait été des plus vifs &
des plus fuivis pendant tout le tenis de l'ouvrage ,
qui a été confidérable , le nombre des bleffés n'eft
cependant que de 74 hommes dont la plus grande
partie le fout fort légérement. lly as hommes de
Lués .
*
JUILLET. 1745. 17
Au Camp de Boft le 20,
On a perfectionné dans la nuit derniere les ou
vrages qui avoient été entrepris dans la nuit précédente
devant Oudenarde & l'on a commencé à ſe
porter en avant de la parallele par fapes , l'une
fur la capitale du baftion de Bruxelles l'autre fur
celle de la lunette revêtue dans le milieu de la
'courtine entre le baftion de Bruxelles & celui de
Sion. Ces 2 fapes ont ét portées fur les faillars des
chemins couverts & feront également comn.uniquées
dans la journée.
Nous avons 7 batteries de 36 piéces de canon
& de 8 mortiers qui tirent depuis hier au foir .
La Garnifon n'a encore fait aucun feu de deffus
les remparts , mais feulement de quelques lunettes
avancées .
Il y a eu pendant la nuit 24 hommes de bleffés ,
M. de Carmois commiffaire d'artillerie a été tué
d'un coup de canon ; c'étoit un Officier d'un grand
mérite qui eft fort regretté.
M. de Marignon Marêchal de camp a relevé
aujourd'hui la tranchée ayant fous fes ordres M. de
la Motte d'Hugues Brigadier , 2 bataillons du
Régiment de Bouzols & 2 compagnies de grena
diers du Régiment de Picardie.
Les ennemis font toujours dans leur même pofition
, ils ont fait renforcer la garnifon d'Anvers &
de Louvain par différens détachemens de leur armée
, & détachent journellement 2400 hommes
pour faire monter la garde dans Bruxelles ; il n'y a
point actuellement de troupes réglées en garnifon
ils font auffi ouvrir des chemins für Wilvoorden &
Louvain ; tous leurs bagages reftent chargés & les
officiers généraux même n'ont dans leur camp que
se qui leur eft néceffaire, Hij
17 MERCURE DE FRANCE.
M. l'Evêque & fon Clergé , & les députés du Ma❤
giftat de Bruges font venus fe remettre fous l'o-
Bciffance de S.M. & la fupplier de vouloir bien leur
accorder la continuation de leurs priviléges.
IM . de Contade s'eft endu aujourd'hui dans
Bruges pour y commander ; il a fous fes ordres la
brigade de Crillon & te Régiment de Septimanie
dragons,
Au Camp de Boft le 21 .
Dans la nuit derniere les 2 fapes qui avoient été
dirigées fur les capitales du baftion de Bruxelles &
de la lunette fur la courtine , entre ce bafțion &
celui de Sion , ont été entiérement communiquées,
& mifes dans leur perfection , Sur le retour du haut
de la fape qui chemine dans la capitale du baftion .
de Bruxelles on a ouvert un débouché par lequel
après avoir formé un crochet pour tenir lieu de traverfe
, on s'eft porté en fape pleine fur le bord de
l'avant - foffé où on a commencé à 3 heures du matin
à jetter des fafcines pour le combler & y faire un
pont.
L'artillerie a augmenté de 4 mortiers les 8 qu'elle
avoit en batterie,
On a commandé ce matin 5o maîtres par efcadron
de toute la Cavalerie de l'armée pour aller
porter des fafcines au dépôt de la tranchée .
que Le feu des ennemis a été beaucoup moins vif
Les nuits précédentes , celui de notre tranchée les
ayant beaucoup inquietés .'
Il n'y a eu pendant toute la journée d'hier & dans
la nuit que 6 hommes de bleffés & un de tué .
C'eft M. de Jumillac Marêchal de camp qui a relevé
aujourd'hui la tranchée ayant fous fes ordres
Hij
JUILLET. 1745. 175
M. de Chambon Brigadier , un bataillon de Bou-
Lols & un de Dierback , & 2 compagnies de grenadiers
auxiliaires du Régiment de Picardie .
Ce matin M. l'Evêque de Bruges a prêté ferment
de fidélité au Roi.
Il est arrivé des députés du Comté de Namur
pour traiter des contributions .
Les Graffins fe font emparés dans Aloft de
15000 rations de bifcuit appartenans aux
nemis .
Au Camp de Boft le 22 .
en-
Le Roi qui a été un peu dégouté depuis 2 ou 3
jours a eu cette nuit une indigestion par dévoiment .
Il a beaucoup évacué , il ne prend aujourd'hui que
de l'eau & du bouillon ; il a fort bon viſage & n'a
point de fiévre .
Le commandant d'Oudenarde à fait arborer le
drapeau blanc hier au foir fur les 6 heures. La garnifon
s'eft rendue prifonniere de guerre & fortira
dimanche matin avec armes & bagages jufqu'à la
barriere , où elle mettra bas les armes pour être
conduite enfuite dans telle place qu'il plaira à S. M.
Tous les magaſins , arfenaux & ce qui fe trouvera appartenant
aux alliés feront remis aux commiffaires
du Roi qui a bien voulu accorder fa protection tant
aux habitans de la Ville que de la Chatellenie . La
porte dite de Tournay a été livrée aujourd'hui aux
troupes de S M fur les 11 heures du matin .
M. de Vernaffal brigadier des armées du Roi &
enfeigne des Gardes du Corps de S M. Compagnie
de Gharoft a été tué hier dans la tranchée.
Le Gouverneur deDamme Officier general aufervice
de la Reine de Hongrie s'étant trouvé dans
Bruges y a été fait prifonnier.
Hij
#74 MERCURE DE FRANCE
L'Evêque de Tournay n'y étant arrivé que le
23 du mois dernier , il alla le même jour rendre fes
refpects au Roi , & le lendemain pendant la Meffe
il prêta ferment de fidelité entre les mains de
Sa Majesté.
Le 25 au matin le Clergé & les Etats du Tourhaifis
allerent au Quartier du Roi rendre leurs
hommages à Sa Majefte , l'Evêque de Tournay
étant à leur tête . Les Officiers du Baillage eu
rent enfuite le même honneur. Ils furent tous
préfentés au Roi qui les reçut dans fa tente ,
le Prince de Tingry & par le Comte d'Argenfon
Miniftre & Sécretaire d'Etat , & ils furent
conduits en la maniere accoûtumée par le Marquis
de Brezé Grand - Maître des Ceremonies .
par
Le 13 , la Reine accompagnée de Madame la
Dauphine & de Mefdames de France entendit
dans la Chapelle du Château de Verfailles le
Te Deum qui fut chanté par la Mufique du Roi ,
en action de graces de la priſe de la Ville de
Gand .
La Ducheffe de Chartres eft accouchée le mêmême
jour d'une Princeffe au Château de fain
Cloud.
ZAS
i.
#
JUILLET. 1745 178
BENEFICES DONNE S NN
Loi & Benoit , Diocèle d'Apt ,
E Roi a accordé l'Abbaye de faint Eufebe
l'Evêque d'Apt ; celle de Montebourg , même
Ordre , Diocèse de Coutances , à l'Evêque de
Troyes ; celle de Ham , Ordre de faint Auguf
tin , Diocèse de Noyon , à l'Evêque de Boulogne ;
celle de Montbenoit , Ordre de Cîteaux , Dio
cèfe de Befançon , à 1 Abbé de Saint Hermine ;
celle de faint Ferme , Ordre de Saint Benoît,
Diocèfe de Bazás , à l'Abbé Defbats de la Peyre ;
celle de Notre - Dame d'Eu , Ordre de faint Au
guftin , Diocèse de Rouen , à l'Abbé Macé , Confeiller
Clerc au Parlement de Paris ; celle de la
Grenetiere , Ordre de faint Benoît , Diocèfe de
Luçon , à l'Abbé de Grille d'Eftoublon , Vicaire
Général de l'Archevêché d'Arles ; celle de Maf
garnier , même Ordre , Diocéfe de Toulouſe , à
l'Abbé de Belfunce , Vicaire Général de l'Evêché
de Marſeille ; celle d'Aurillac , même Ordre
Diocèſe de faint Flour , à l'Abbé de Baral , Vicaire
Général de l'Archevêché de Vienne ; celle de
Nantz , même Ordre , Diocèſe de Vabres , à
l'Abbé de Buffy , Vicaire Général de l'Evêché de
Macon ; celle de Livry , Ordre de faint Auguftin ,
Diocèse de Paris , à l'Abbé de Perigny , Cha
noine Honoraire de l'Eglife Métropolitaine de
cette Ville ; celle de Clairfaix , même Ordre
Diocèfe d'Amiens , à l'Abbé d'Heffelin , Vicaire
Général de l'Archevêché de Sens , & celle des
Alleuds , Ordre de faint Benoît , Diocèfe de Poitiers
, à l'Abbé de Chateauneuf , Vicaire Géné
ral de l'Evêché de Sifteron.
Hiiij
176 MERCURE DEFRANCE
MPROMOTIONS.
A Majefté a donné l'agrément du Régiment
S'd'Auvergne au Comte dé du
du Régiment d'Aunis , & celui de ce dernier Ré,
giment au Marquis de Sivrac .
M. Colbert Capitaine Lieutenant de la Compagnie
des Chevau- Legers de Bretagne , a été
nommé Capitaine Lieutenant de celle des Gendarmes
Anglois , & M. de Lefperoux , Sous-
Lieutenant de la premiere de ces deux Compagnies
, en a été fait Capitaine Lieutenant.
Le Roi ayant écrit à l'Archevêque de Paris ,
pour faire rendre à Dieu de folemnelles actions
de graces , à l'occafion de la prife de la Ville &
de la Citadelle de Tournay , on chanta le 28 du
mois dernier dans l'Eglife Métropolitaine de cette
Ville le Te Deum , auquel l'Archevêque de Paris
officia. Le Chancelier accompagné de plufieurs.
Confeillers d'Etat & Maîtres des Requêtes y affifta ,
ainfi que le Clergé , le Parlement , la Chambre
des Comptes , la Cour des Aides & le Corps de
Ville , qui y avoient été invités de la part de Sa
Majefté par le Marquis de Dreux , Grand-Maî
tre des Cérémonies . 3
Le même jour , l'Hôtel de Ville fut illuminé
dans toute fa façade , & le lendemain on tira un fen
d'artifice dans la Place vis- à-vis de cet Hôtel.
Les RR. Peres Benedictins de la Congrégation
de S. Maur ont tenu au mois de Juin dernier
leur Chapitre Genéral dans l'Abbaye de
Marmoutier lez Tours , fuivant la coutûme . Le
R Pere Dom René Laneau a été unanimement
JUILLET. 1745. 177
élu de nouveau Superieur Général , & c'eft pour
Ja quatrième fois que cette Dignisé lui eft déférée ,
ce qui prouve la fageffe & la douceur de fon Gou
vernement.
Dom Jacques Nicolas Maumouffeau ci- devant fecond
Afliftant du R. P. Général eft devenu premier
Affiftant , & Dom Jofeph Avril , ci-devant Prieur
de faint Denis , fecond Affiftant. Dom Jean Dourdet
Grand Prieur de faint Germain des Près a été
continué , Dom Pierre du Riez , ci- devant premier
Afiftant du R.P. Général , a été élû Prieur de
l'Abbaye de faint Denis , & Dom Jean -Baptiste
Robart continué Prieur du Monaftere des Blancs
Manteaux à Paris .
PRISES DE VAISSEAUX.
E 20 Juin M. Louvel Capitaine de la Galatée
Lde 24 canons , a amené à Breft l'équipage
d'un Corfaire de Gernefey qu'il avoit coulé le 14 ,
le 16 il avoit été attaqué par la grande Bretagne
de 44 canons & 30 pierriers . La vivacité de fa
moufqueterie obligea l'Anglois de fermer fes fabords
, M. Louvel voyant la confternation de
l'ennemi fit aborder ; mais une balle qu'il recût à la
tête lui ôta la parole , ce qui mit fon équipage en
defordre do t'l'Anglois profita pour s'échaper.
On mande de Breft que les Capitaines Rouiller
& Thiercelin , commandans les Corfaires le Mars
& la Blanne , de Nantes , ont conduit dans le
premier de ces deux Ports les Navires Anglois le
Willes , de quatre cent tonneaux & de vingt canons
, & le embrock , de deux cens tonneaux &
de feize canons , qui venoient de Saint Chrifto178
MERCURE DE FRANCE.
phe , chargés de fucre , & le Fanny , fur lequel
il y avoit du bled & de la farine . Les même Ca◄
pitaines fe font emparés du Brigantin le Triton
de cent tonneaux , dont la cargaifon confiftoit en
fucre , & qui eft arrivé à Nantes.
*
"
Le Corfaire le Cerf, de faint Malo , monté par
le Capitaine Fouquet , y eft rentré avec les fix
Vaiffeaux ennemis l'Elizabeth la Bonne Prife
"
P'Helene , le Petit Jofeph , le Neighbourhood & la Ger
trude , & il a rançonné pour cent cinquante livres
fterlings le Navire le Benjamin.
Les Vaiffeaux la Panthere & le Daniel , à bords
defquels on a trouvé de l'huile , des fruits &
d'autres marchandifes , ont été pris par les Cor◄
faires Attrape fi tu peux & le Furet , de Boulogne.
Un autre Corfaire du même Port , nommé le
Basquencourt , & commandé par le Capitaine Colliot
a rançonné deux Bâtimens ennemis pour
cent trente guinées.
›
Monfieur Hocquart , commandant le Vaiffeau
du Roi le Mercure , armé en courſe , à pris le Navire
Anglois le Witheaven Galley , qui venoit de
la Virginie avec une cargaifon d'environ cent
boucaux de tabac.
On mande de faint Malo que la Fregate du
Roi la Talme , montée par M. de la Duz de
Vieuxchant , ya conduit quatre Bateaux de Jerſey.
Le Corfaire la Recapche , de faint Brieux , &
que commande le Capitaine Jean Fleury , s'eft rendu
maître de deux Armateurs de cette même Ifle .
Selon les lettres de Cherbourg , le Corfaire Anglois
le Levrier , de quatre canons , de dix pierriers
& de cinquante-fix hommes d'équipage , y a été
mené par le Capitaine Colliot qui monte le
Vaiffeau le Bacquencourt , de Boulogne.
Celles de Calais marquent que le Vaiffeau la
JUILLET. 1745. 179
*
Petite Fortune s'eft emparé d'un Bâtiment chargé
de thé & d'eau de vie . Elles ajoûtent que le Corfaire
la Ducheffe de Penthievre , commandé parle
Capitaine Gabriel Audibert eft arrivé à Calais
avec quatre mille cinq cent livres sterlings de
rançons.
Le Capitaine la Ruë qui commande le Corfaire
la Dauphine , de Bayonne , à relâché au Port Louis
avec le Navire la Diligence , de Londres , qui rapportoit
de la Caroline du cacao , du fucre , du riz
du bois des Iles , & des pelleteries .
2
NOUVELLES ETRANGERES.
O
PRUSS E.
Na appris de l'armée que les troupes combinées
de la Reine de Hongrie & du Roi
de Pologne Electeur de Saxe ayant repaffé les
Gorges de Landshout , le Lieutenant Général du
Moulin que le Roi a envoyé à leur pourfuite , a
atteint le 6 du mois dernier leur arriere-garde , dont
trois ou quatre cent hommes ont été tués , & qu'il
a enlevé aux ennemis quelques pieces de campagne.
Ces avis ajoûtent que le 7 le Roi s'avança à Gruffau
, d'où fa Majefté fit deux detachemens qui
marcherent l'un à Hirschberg & l'autre à Schimiedberg
, pour y occuper les defilés des montagnes ;
que l'armée ayant debouché le 9 par Friedland &
par Braunau , entra le même jour dans le Cercle
de Konigfgratz en Boheme ; & que le lendemain,
1a Majefté arriva à Braunau où elle établit fon
quartier général. Dans le tems du depart du cou
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
rier par lequel on a été informé de ces nouvelles ,
l'avant-garde des troupes P ruffiennes étoit à Coffelitz
, & le Roi fe difpofoit à s'approcher encore
plus de l'ennemi . Un detachement d'Infanterie &
de Cavalerie de l'armée du Roi eft allé vers la
Neiff , pour obliger les Infurgens de Hongrie de
fe retirer d'Oppelen & de quelques autres poftes .
Sa Majesté a nommé le Lieutenant Général du
Moulin Chevalier de l'Ordre de l'Aigle Noir . Le
Maréchal de Schmettau arriva à Berlin le 13 , & le
bruit court qu'il aura le commandement de l'armé
qui s'affemble près de Magdebourg.
Les troupes du Roi , qui ont eu en paffant les defilés
des montagnes de fréquentes efcarmouches
avec les Pandoures & les Varadins qu'elles ont tou-
-jours repouffés , & aufquels elles ont fait un grand
nombre de prifonniers , camperent le 17 à Domko
, & le lendemain entre Scalitz & Neuſtadt. Le
18 un Corps de fix mille hommes de ces troupes
ayant paffé la Metau , le Prince Charles de Lorraine
quicraignit que le deffein de fa Majesté ne
fût de lui couper la communication avec l'Elbe ,
abandonna le camp de Semonitz pour le rapprocher
de cette riviere . Le Roi alla le 20 reconoître la
nouvelle pofition des ennemis , & ayant vû qu'ils fe
mettoient en bataille , il fit toutes les difpofitions
néceffaires mais dans le tems les attaquer , pour
qu'on fe preparoit à une action , on apprit qu'ils
avoient repaffé l'Elbe , & qu'ils n'avoient laifié
qu'un Corps de troupes de ce côté- ci de la riviere
pour la défenſe de Konigfgratz . Le même jour le
Lieutenant Général du Moulin s'avança avec l'avant-
garde de l'armée de fa Majefté jufqu'à Divetz
, d'où il a envoyé des detachemens à Bukovina
& à Salatina . Toute l'armée a fui i le lendemain
ce Lieutenant Général , & au depart du cou
JUILLET 1745 . 181
rier, qui a apportéces nouvelles , elle marchoit vers
Konigfgratz dont l'on ne doute point que le Roi
ne fe foit rendu maître , cette Ville n'étant défendue
que par une fimple enceinte de murailles . Le
Roi exige de fortes contributions du Royaume de
Boheme , en repréfailles de celles que les troupes de
la Reine de Hongrie ont exigées dans la Silefie ,
particulierement à Schmiedberg & à Hirschberge
dont les habitans ont été obligés de fe racheter du
feu & du pillage par des fommes très confidérables .
Sa Majesté a nominé le Comte Pofadovvsky Chevalier
de l'Ordre de l'Aigle Noir . Le Comte François
de Saint Ignon , Lieutenant Feldt Maréchal
dans les troupes de fa Majefté Hongroiſe , mourut
à Striegau le 19 des bleffures qu'il a reçues à
la bataille de Friedberg .
O
ALLE MANGE.
N mande de Vienne du 13 du mois dernier
que la trifteffe caufée par la victoire du
Roi de Pruffe a été une peu adoucie , par les nouvelles
qu'on a reçues de la Haute - Silefie , d'où l'on
a appris que les Infurgens de Hongrie s'étoient
avancés jufqu'aux fauxbourgs de Neiff , & qu'ils
avoient mis le feu à quelques magafins de bois
que les Pruffiens y avoient établis ; qu'un detachement
de troupes Hongroifes s'étoit emparé de la'
Ville d'Oppelen , qu'il en avoit fait la g rnifont
prifonniere de guerre , & qu'il avoit trouvé dans ce
pofte 14 pieces de canon .
Le 28 le Grand Duc de Tofcane prit la route'
de l'armée commandée par le Feldt- Maréchal
Comte de Traun .
Le7 le Comte de Sintzheim Envoyé Extraordinaire
de l'Electeur de Baviere eut une audience
particuliere de la Reine.
1
182 MERCURE DE FRANCE.
M Robinfon qui réfide à Vienne en la même
qualité de la part du Roi de la Grande- Bretagne
& qui devoit aller à Munich afin de régler avec
les Miniftres de l'Electeur de Baviere les Subfides
que la Reine s'eft engagée de procurerà ce Prince ,
reçu de pleins pouvoirs de S. M. Brit . pour terminer
cette affaire avec le Comte de Sintzheim .
Le refte des équipages du Grand Duc de Tof
cane partit le 10.
a
Suivant les nouvelles d'Ingolftadt , la Reine de
Hongrie ayant enfin confenti que les troupes Heffoifes
, qui étoient retenues en Baviere par fes ordres
, retournaffent dans le Landgraviat de Heffe ,
on a rendu les armes & les drapeaux à ces troupes
& elles ont dû commencer à fe mettre en marche .
On a appris que le 2 le Grand Duc de Tofcanė
étoit arrivé à Wurtzbourg au bruit d'une triple fal
ve de l'artillerie des remparts .
Il paroît à Francfort des copies d'un Mémoire
envoyé par le Roi Très- Crétien à fes Miniftres dans
plufieurs Cours Etrangeres , & ce Mémoire porte
que les Rois de France étant en poffeffion depuis
plufieurs fiécles d'avoir la pincipale part à la
confervation du yftême de l'Union Germanique ,
les Princes Ligués pour la défenfe de ce fyftême
ont eu recours à Sa Majefté Très- Chrétienne , afin
de s'oppofer aux efforts que font la Reine de Hongrie
& fes Alliés pour renverfer les Conftitutions
de l'Empire ; que les deffeins reprochés à cette
Princeffe font démontrés par toute fa conduite
& par les conditions qu'elle vient d'impofer à l'Electeur
de Baviere ; que lorfque l'amour du feu Empereur
pour fa Patrie le porta à facrifier à la Pacification
de l'Allemagne fes Droits fur la fucceffion
de Charles VI , la Cour de Vienne en rejettang
JUILLET 1745
Tes propofitions avec hauteur , a fait connoître
bien clairement qu'elle étoit animée par un autre
objet que celui qu'elle avoit fait fervir de pré--
texte à la guerre ; que ce qui s'eft paffé à la mort de
l'Empereur a achevé de manifefter le deffein invariable
qu'a la Reine de Hongrie de forcer l'Empire
à rendre la Couronne Impériale héreditaire
dans la Ligne Feminine de la Maifon d'Autriche ,
& de faire fervir , comme ont fait fes Ancêtres , le
Corps Germanique d'inftrument à fon ambition ;
que la Cour de Vienne a abufé de la foibleffe de
l'âge de l'Electeur de Baviere , pour le faire renon◄
cer à fes Droits & à ceux de fa Maiſon , & pour
lui arracher contre les Conftitutions fondamentales
de l'Empire fon fuffrage Electoral en faveur du
Grand Duc de Tofcane ; qu'elle met actuellement
tout en ufage pour obliger les Cercles de l'Empire
les plus voisins du lieu de la Diette d'Elec
tion , à une Affociation , dont le prétexte eft d'éloigner
les troupes étrangeres , & le véritable but ,
d'écarter tout obftacle au joug fous lequel elle veur
réduire l'Allemagne ; que c'eft dans la même vûë
qu'au mépris des Loix Germaniques & de fon der
nier Traité avec l'Electeur de Baviere , elle entre◄
prend à main armée de contraindre les troupes Pa◄
latines & Heffoifes de contribuer à fes projets
que ce qui eft d'une conféquence bien plus dange
reufe encore contre la liberté de l'Allemagne, c'eft
la collufion du Premier Electeur de l'Empire avec
la Cour de Vienne fur l'Election future d'un Empereur
; que les lettres interceptées du Miniftre qui
réfide à Francfort de la part du Roi de la Grande
Bretagne commeElecteur deHanover, en ont fourni
une des preuves les plus authentiques , en décou
vrant la Convention faite par l'Electeur de Mayen
ce de livrerfa Capitale aux troupes de la Reine de
184 MERCURE DE FRANCE.
Hongrie, de leur procurer le paffage du Rhin , & de
transferer la Diette d'Election à Erfurt , ou dans
quelque autre endroit felon la volonté de cette
Princeffe ; que comme les violences de la Reine
de Hongrie pour proc rer au Grand Duc de Tofcane
les fuffrages des Electeurs , ne font que fe
multiplier à l'approche de la Diette d'Election
le RoiTrès-Chrétien eft obligé de redoubler ſes efforts
pour maintenir les Conftitutions de l'Empire
; que Sa Majesté renouvelle l'affurance qu'elle
a déja donnée de ne vouloir gêner en rien la liberté
de l'Election , mais qu'elle protegera de toutes fes
forces les Droits du Corps Germanique , & qu'elle
ne négligera rien pour défendre fes Alliés , pour
prévenir les malheurs qui peuvent réſulter d'une
Election forcée , & pour foutenir le Traité de
Weftphalie , dont l'exécution intéreffe à la fois
toute l'Allemagne , & la France en qualité de Garante
de ce Traité .
會
L'armée commandée par le Feldt- Maréchal de
Traun après avoir paffé le Mein à Vvertheim & à
Lohr , ayant dirigé fa marche par la droite de la
Forêt de Speffart pour fe porter fur la Kintz , la
premiere colonne arriva lez 3 du mois dernier à Orba
fous les ordres du Prince de Birkenfeldt . Elle fut
fuivie le 24 par la feconde colonne , & le 25 par le
refte de l'armée. Le Feldt- Maréchal de Bathiany ,
qui après avoir quitté les bords de la Lohne s'étoit
avancé à Laubach avec les troupes qu'il commande
, a pris la route de Nidda & d'Ortembourg ,
d'où il a marché à Gelnhaufen , afin de s'appro
cher de la Kintz conformément au projet concerté
avec le Feldt- Maréchal de Traun . Tout ce dont
ces deux Généraux étoient convenus , a été exécuté
de part & d'autre avec tant d'exactitude , que la
premiere colonne de chacune de leurs armées s'eft
JUILLFT 1.745. 185
rendue en même tems fur le bord de cette riviere .
La jonction de ces deux colonnes s'eft faite à Vvefterbach
, où le Comte d'Ifembourg fait fa réfidence
,& le Feldt Maréchal de Traun y a établi fon
quartier. Les autres troupes dont les deux armées
font compofées continuent leur marche pour
achever de fe réunir , Des détachemens de Huffards
& des troupes irrégulieres fe font déja répandus
dans les Villages du Comté du Hanau , qui fone
fur la droite du Mein , particulierement à Anheim,
à Keftadt , à Dornicheim & à Hollerborn . Le
Prince de Conty a raffemblé à Stenheim la plus
grande partie de l'armée Françoife qu'il commande
, & afin d'affûrer la gauche du Mein depuis Hanau
jufqu'au Rhin , il a envoyé fix mille hommes à
Offenbach. Deux Régimens de Cavalerie de la
même armée font allés renforcer le Corps de troupes
qui eft à Hoechft aux ordres du Marquis de la
"Farre.
*. On mande de Hambourg , que dans la conféren
ce que le Lord Hindford Ambaffadeur du Roi de la
Grande Bretagne , M. de Dieu , Ambafladeur
de la République d'Hollande , & M. de Petzold
,Miniftre Plenipotentiaire du Roi de Pologne
Electeur de Saxe , eurent le fix avec le Comte de
Befuchef , Chancelier de Ruffie , & le Comte de
Woronzoff , Vice- Chancelier , ces derniers leur
déclarerent que l'Impératrice étant dans la refolution
de ne point augmenter le nombre de fes engagemens
, ne pouvoit acceder au Traité conclu
par ces Puiffances avec la Reine de Hongrie , mais
que dans toutes les autres occafions elle ne négligeroit
rien pour conferver avec elles une parfaite
intelligence. On affûre que les articles du Traité
d'Alliance propofé a fa Majefté Impérialé par le
Roi de Suede font entierement réglés. Le Baron
186 MERCURE DE FRANCE.
de Cederncreutz , Ambaſſadeur Extraordinaire de
fa Majefté Suedoife , & qui a été chargé de cette
négociation , a reçu de magnifiques préfens de
I'Impératrice, par laquelle il a été invité à ne partir
de Petersbourg , pour retourner à StocKolm , qu'après
la célebration du mariage du grand Duc de
Ruffie. Après le départ de ce Miniftre le Comte de
Borck prendra la qualité d'Envoyé du Roi de Suede
en cette Cour.On eft à préfent certain que les troupes,
qui ont reçu ordre de fe tenir prêtes à marcher,
ne font destinées qu'à former un camp dans les
environs de cette Capitale . Sa Majefté Impériale
a ordonné de défraier à fes dépens les D. putés
envoyés par les Valaques qui fe font établis depuis
quelques années en Ukraine.
Les nouvelles de Stockholm portent que le Mar4
quis de Lanmary a informé le Roi de Suede des
ordres donnés aux Armateurs François par Sa Majefté
Très-Chrétienne , de ne point troubler la na❤
vigation des Vaiffeaux Suedois.
Selon les lettres écrites de Vienne , le Comte de
Kevenhuller, nommé premier Ambaffadeur de la
Reine de Hongrie à la Diette qui doit fe tenir pour
l'Election d'un Empereur, exécutera plufieurs com
miffions dans diverfes Cours d'Allemagne , avan
que de fe rendré à Francfort.
NAPLE S.
ECorps de troupes Napolitaines , qui étoit
de Viterbe , ayant été joint par les renforts qu'il
attendoit du Royaume de Naples , s'eft remis en
marche pour fe rendre à Orbitello par Montalte &
par Monte Fiafcone , & il n'a laiffé à Viterbe que
Les malades & huit cens hommes de Cavalerie,
JUILLET 1745 . 189
foute l'artillerie , que le Roi des Deux Siciles en
voye à l'armée commandée par le Duc de Modene ,
eft arrivée à Orbitello , d'où elle fera tranfportée
par mer fur les côtes de l'Etat de Genes.
Il arrive tous les jours à Naples des foldats de
recrues des diverfes Provinces du Royaume , &
on les envoye fucceflivement aux Régimens ,
pour lefquels ils font deftinés . Le Roi des deux
Siciles a promis divers avantages , entr'autres l'e
xemption de plufieurs taxes aux particuliers qui
fourniront des Navires pour le tranfport des munitions
que les troupes Efpagnoles & Napolitai
nes tireront de fes Etats .
Le Grand Duc ayant confenti que les troupes
combinées d'Efpagne & de Naples traverfaffent la
Tofcane à condition qu'elles marchaffent en quad
tre divifions , & qu'elles priffent leur route par
Aquapendente & par Caftel Fiorentino , pour al
ler paffer la riviere d'Arne à Funecchio , le Confeil
de Régence en a fait donner part au Marquis de
Silva , Conful d'Efpagne , qui a depêché ſur le
champ un courier au Duc de Modene pour en
informer ce Prince . On a appris que deux mille
hommes de troupes Napolitaines , qui avoient ef
corté l'artillerie que le Roi des deux Siciles en◄
voye à l'armée commandée par le Duc de Modene
, s'étoient embarqués à Orbitello fur plufieurs
Tartanes , pour aller joindre cette armée
dans l'Etat de Genes , mais qu'ils avoient relaché
à Piombino , pour éviter la rencontre de quelques
Vaiffeaux de guerre Anglois , qui croifoient fur la
côte. Le Comte de Schulembourg , qui commande
à préfent l'armée de la Reine de Hongrie , a fait
revenir à cette armée les troupes , aufquelles le
Prince de LobKovvitz avoit donné ordre de fa
188 MERCURE DE FRANCE.
rendre dans le Pavefan . Suivant les avis reçus de
Naples , le Roi des deux Siciles , auffitôt qu'il a
été informé de l'éclatante victoire remportée à
Fontenoy par le Roi de France , a fait chanter
en action de graces de cette Victoire le Te Deum
au bruit de plufieurs falves d'artillerie , & ce Prince
voulant marquer tout l'intérêt qu'il prend au fuccès
des armes & à la gloire de Sa Majefté Très-
Chrétienne,il y a eu pendant trois jours confécutifs
non-feulement fête à la Cour , mais encore des
illuminations dans toute la Ville , lefquelles ont
été accompagnées des plus grandes démonftrations
de joye de la part des habitans.
Les lettres de Rome marquent que le Pape y étoit
de retour de Caftel Gandolfe depuis le 15 du mois
dernier ; le 17 l'Archevêque de Bourges , Ambaffadeur
de Sa Majefté Très- Chrétienne auprès de Sa
Sainteté, y étoit arrivé , & que l'Abbé de Canillac
avoit donné le 20 la fête magnifique qu'il avoit
fait préparer à l'occafion du mariage de Monfei
gneur le Dauphin , & qui avoit été différée à caufe
de l'abſence du Pape.
HOLLANDE ET PAYS - BAS.
Na appris de la Haye le 30 du mois dernier
que le Baron de Reiſchach , Envoyé Extraordinaire
de la Reine de Hongrie , ayant
donné part aux Etats Généraux de la réfolution
prife par le Grand Duc de Tofcane de fe
mettre à la tête de l'armée que la Reine deHongrie
a du côté du Mein , & que ce Miniftre ayant requis
les Etats Géneraux de donner ordre que les troupes
Hollandoifes , qui font dans cette armée obéiffent
à ce Prince , les Etats Géneraux ont répondu qu'ils
fe conformeroient aux defirs du Grand Duc . Le 29,
le Comte de Podewils , Envoyé du Roi de Prufſe,
JUILLET 1745 . 189
remit à M. d'Utzenhoven , Préfident de l'Affemblée
, un Mémoire par lequel il prend congé des
Etats Généraux , & il a dû partir le 30 pour
retourner à Berlin . Il est remplacé par M. Am.
mon qui prefentera fes Lettres de créance , mai
qui n'aura que la qualité de Réfident de Sa Majefté
Pruffienne. Les Etats Généraux reçurent le 19 un
courier , par lequel le Géneral Smiffaat , comman
dant les troupes Hollandoifes de l'armée qui eft
fous les ordres du Feldt- Maréchal de Bathiany
leur mande que cette armée a joint à Wechterbach
celle que commande le Feldt Maréchal
Traun . Le Chevalier Offorio , Ministre du Roi
de Sardaigne auprès de fa Majefté Britannique , a
paffé par la Haye, en allant à Hanover .
On mande de Bruxelles dux de ce mois que fur
l'avis de la marche de l'armée Françoiſe , le Duc
de Cumberland a jugé à propos d'abandonner le
camp de Leffires . Pour mettre la riviere de Dendre
entre les troupes d s Alliés & celle des ennemis
, il est allé fe pofter fous Grammont , d'où il
a envoyé à Bruxelles tous les gros équipages de
l'armée. Un convoi d'armes & de munitions de
guerre eft parti d'Oftende pour aller la joindre, fous
l'escorte de douze cent hommes commandés par le
Major General Bland,
On écrit de Gand que les ordres des Etats
Géneraux y font arrivés pour la répartition
des troupes qui ont compofé la garnifon de
Tournay pendant le fiege ; que les Regimens
d'Infanterie de Hirzel , du Tertre , de Mac
kay , de Patot , d'Eck , de Panthaleon & de
Villattes iront en Hollande ; celui de Brackel
dans la Province de Gueldre , celui de Protorius
en Zelande , celui de Holftein Gottorp en
Frife , & les trois efcadrons du regiment de Schulz
Van Hagen à Groningue,
190 MERCURE DE FRANCE,
L
GENES.
1
Es troupes que commande le Duc de Modéne,
ne devoient fe remettre en marche que le 10
du mois dernier mais fur l'avis d'un mouvement fait
du côté de Tortone par celles de la Reine de Hongrie
ce Prince les fit avancer le 7 dans la vallée
de Polfevera, où elles font campées depuis Bolfaneto
jufqu'au pied de la montagne de la Bochetta .
Elles ont eu des vivres en abondance par les précautions
qu'on avoit prifes , & elles obfervent une
très-exacte difcipline.Le 12 le Duc de Modéne alla
faire la revûe génerale de ces troupes , & il fe
rendit enfuite avec le Comte de Gages fur la montagne
de la Bochetta pour en reconnoître les environs
. Les Lettres de Genes du 21 portoient que
l'armée du Duc de Modene étoit toujours campée
dans la vallée de Pólfevera , depuis Bolfaneto jufqu'à
Campo-Morone , & qu'il n'avoit fait paffer
la montagne de la Bochetta qu'à huit cent tant Huffards
que Miquelets qui fe font avances jufqu'à
Novi .
L'Infant Don Philippe étant arrivé le 8 dų
mois dernier à Albenga , le Sénat y a envoyé fix
Députés pour le complimenter de la part de la République.
Le Maréchal de Maillebois eft réfté à
Oneille , & il y eft occupé à faire défiler les trou
pes Françoifes , qui à mesure que les troupes Ef
pagnols , commandées par l'Infant , s'avancent
vers ce Pays- ci , les remplacent dans les differens
poftes. L'Infant étant parti le 23 d'Albenga fe
rendit le même jour à Final , & de- là à Savonne ,
où il trouva le Maréchal de Maillebois . Ce Prince
enfin réduit à l'obéiff nce toute la partie de la
yallée d'Oneille , qui jufqu'à préfent avoit refafe
JUILLET 1745. TOT
de fe foumettre , ayant fait marcher un détachement
qui s'eft emparé des hauteurs , & quia coupé
le chemin au fecours que le Roi de Sardaigne enyoyoit
aux habitans Cinq mille hommes d'Infan
terie de l'armée que commande ce Prince , out
été détachés pour aller renforcer celle qui eft fous
les ordres du Duc de Modene , de laquelle ils ne
font qu'à une très- petite diftance. Le 21 & le.
22 il avoit paffé vers la tête du pont de Cornigliano
deux mille hommes de Cavalerie de cette
derniere armée , qui ont été camper entre Bolfaneto
& Campo-Morone , à la place des troupes
que le Duc de Modéne a détachées du côté de la
montagne de la Bochet a . Ce Prince a fait avancer
un Corps d'Infanterie & de Miquelets à Vol
tage , où les Efpagnols condu fent avec toute la
diligence poffible leur artillerie & leurs munitions.
de guerre. Les troupes de la Reine de Hongrie
compofées d'environ dix- huit mille hommes depuis
qu'elles ont été jointes par les Régimens de
Montferrat , dé Schulembourg , de Chablais , de
Tarentaife , de Cafal , de Savoye & Royal Piémont
de celles du Roi de Sardaigne , fe font
avancées à Rivalte , qui eft en-deçà de Tortone,
& prefque aux portes de Novi , & ont étendu
Teur camp jufqu'à Seravalle & à Garofo. Elles
raffemblent avec foin tous les fourages , afin d'y
mettre le feu en cas qu'elles foient obligées de fe
retirer , & non feulement elles ne pay nt qu'en
billets les vivres qu'elles obligent les habitans de
fournir , mais elles exigent encore de fortes contributions.
Les vaiffeaux de guerre Anglois qui croifent
dans ces parages depuis San Remo juſqu'ici , rangent
continuellement la côte , & tirent , mais fans
effet , un grand nombre de coups de canon fur tout
1
191 MERCURE DE FRANCE.
ce qui paffe au bord de la mer. Le 6 de Juin trois
Vaiffeaux fe préfenterent avec deux brulots & deux
galiotes devant ce Port , dont on refufa l'entrée
aux brulots & aux galiotes , avec menace de les
couler à fond , s'ils s'avançoient fous le canon de
la place . Malgré toute la vigilance des Anglois
il est entré dans le Port de Savone cinq Bâtimens
Catalans , chargés d'artillerie & de munitions de
guerre , du nombre de ceux qui étoient à Villefranche
, d'où l'on mande que l'Efcadre de M. de
Lage qui y étoit auffi bloquée par plufieurs vaiffeaux
du Roi de la Grande Bretagne , avoit trouvé
le moyen de fortir & de retourner à la rade de'
Toulon Enfin les deux Efcadres Angloifes qui
croifoient du côté d'Albenza & de Porto-Fino
s'en font éloignées , & le 6 il parut à la hauteur
de cette Ville quatorze vaiffeaux de ces Efcadres,
aux operations defquelles les calmes qui régnent
dans cette faifon mettent de grands obstacles.
Quelques-uns de ces Vaiffeaux ont donné la chaffe
à fix barques Napolitaines , fur lefquelles il y avoit
de l'artillerie , mais elles ont eu le bonheur de leur
échapper & de gagner Porto-Fino , où l'on a envoyé
un détachement de 400 hommes avec des'
canonniers , pour les mettre à l'abri de toute infulte
. Une Efcadre de la même Nation a paru
vers les trois derniers jours du mois de Juin à la
hauteur de Vil efranche . L'équipage d'un navire
Genois venu de Port Mahon en trois jours a
rapporté qu'il y avoit laiffé fix vaiffeaux de guerre,.
& que le Vice- Amiral Ravvley étoit à Gibraltar
avec l'Efcadre qu'il commande.
GRANDE
JUILLET 1745. 193
GRANDE BRETAGNE.
Na appris de Londres que l'Amiral Thovvn
shend ne fera voile de Spithead qu'avec les
vaiſſeaux le Fortland & le Nox , mais qu'il doit être
joint à Gibraltar par fix autres vaiffeaux de guerre,
avec lefquels il fe rendra en Amerique , d'où on
a reçu avis que l'Efcadre Françoife , commandée
par le Chevalier de Caylus y étoit arrivée , &
qu elle y feroit renforcée inceffamment par plu
fieurs vaiffeaux de guerre Franço s & Efpagnols..
La crainte qu'on y a de quelque entrepriſe de
cette Efcadre contre les les Angloifes , a engagé
plufieurs habitans de ces Ifles à faire affûrer.
leurs plantations , les uns pour fix mois & les autres
pour un an à raifon de quatre pour cent
par mois. Les vaiffeaux de guerre François qui
mouilloient à la Martinique dans le tems que le
vaiffeau le Merrymark eft parti de la Barbade
étoient l'Esperance , de foixante-quatorze canons
& de fix cent cinquante hommes d'équipage ; le
Northumberland , de foixante - dix canons &
de fix cent hommes , le Trident & le eri ux
chacun de foixante canons & de cinq cent cinquante
hommes ; le Limant , de cinquante - fix
canons & de cinq cent hommes ; l'Aˇuilon ,
quarante- quatre canons & de quatre cent hommes;
deux au res vaiffeaux de trente canons ; un brulot &
une galiotte à bombes . L'équipage d'un vaiffeau,
qui eft entré depuis peu dans le Port de Portf
mouth a rapporté qu'il avoit laiffé devant le Cap
Breton les vaiffeaux de guerre que commande le
Chef d'Ffcadre Warren & qu'il y avoit à bord
de ces vaiffeaux quelques troupes de débarquement.
La chalouppe de guerre le Médiateur , dont ag
9
de
154 MERCURE DE FRANCE.
Armateur François s'étoit emparé , a été repriſe
par le vaifleau de guerre l'affistance. Les Corfaires
le Swift & le Renard ont conduit aux Dunes un
navire François qui alloit de la Rochelle à Dun
kerque. On a reçu d'un autre côté la fâcheuſe nouvelle
que les François s'étoient rendus maîtres
du vaiffeau de guerre e Blandfort entre Liſbonne
& Gibraltar. Les Commiffaires ont envoyé ordre
que plufieurs vaiffeaux de guerre ſe tinffent
prêts à fortir du Port de Spithead , & qu'on approvifionnât
à Portſmouth le vaiffeau de guerre le
Nevvcaftle de cinquante canons . On travaille par
ordre du Gouvernement à réparer avec toute la
diligence poffible le Port de Lyne dans le Comté
de Dorfet. Une grande quantité de poudre tirée
du magafin de Greenwich fut embarquée le 19
à Gravefend pour la Flandre , d'où l'on mande
qu'un parti du Régiment François de Graffin avoit
fait prifonniers treize des Officiers , qui ont conduit
le dernier détachement des Gardes Angloi
fes , aufquels on a fait paffer la mer . Il a été réfolu
d'augmenter de deux compagnies chacun des
Régimens d'Infanterie qui font dans les Pays-Bas ,
& de faire auffi une augmentation dans la Cavalerie.
Les Actions de la Compagnie de la mer du
Sud font à neuf çent neuf ; celles de la Banque à
cent quarante-fix trois quarts ; celles de la Compagnie
des Indes Orientales à cent quatre-vingt-
Ax , & les Annuités à cent onze,
JUILLET 1745. 125
U
AVIS.
Ne perfonne pieufe & diftinguée ayant vù les
exercices de la Penfion d'Alfort à Charencon
lefquels confiftent en ce qu'outre l'étude du Latin ,
on y cultive habituellement le calcul pour le Commerce
& pour la Géometrie , l'Ecriture , le Dellein ,
la Géographie & l'Hiftoire , la Mufique & la Danſe.
Elle a jugé tous ces exercices fort convenables à
de jeunes gentilshommes. C'eft pourquoi elle a
pris des arrangemens avec cette maiſon , pour y
entretenir durant fept années fix enfans d'extracrion
noble , pris à l'âge de quatre , cinq & fix ans ,
& pour leur y procurer les maîtres , les livres , papier
, plumes , crayons , le lit , le blanchiffage , la
feu , la lumiere &c. de façon néanmoins que les
Parens feront chargés de l'habillement & de donder
cent cinquante livres tous les ans payables à
l'ordinaire par quartier.
Au refte la perfonne dont il s'agit ne voulant
ren douner à la faveur , & ne voulant pas même
fe faire connoître , entend qu'on reçoive ces fix
fujets fans aucune recommandation , ainfi les
premiers venus feront admis par préférence . Il fuffira
qu'il apportent leur extrait baptiftaire pour
certifier leur âge & leur qualité.
Ceux qui voudront avoir d'autres inftructions
fur ce fujet & s'affûrer d'une place , pourront écrire
pour cela aux maitres de la Penfion d'Alfort à
Charenton près Paris.
196 MERCURE DE FRANCE,
ARRESTS NOTABLES.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , qui pera
met aux négocians de la Ville de l'Orient d'embarquer
par le port de ladite ville les to.les appellées Breta
gnes , du 10 Octobre 1744:
DECLARATION du Roi , concernant l'hérédité
des Offices de Subftituts des i rocureurs du Roides Siéges
& Jurifdictions royales , des Jures vendeurs prifeurs
de meubles , des arpenteurs royaux , Donnee a Verfailles
le 12 Janvier 1745 , Regifirée en l'arlement.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , du
23
Mars I7745. portant interdtition contre les Notaires
Procureurs Hnilliers des Jurifdictions royales , qui
font en retard depayer la finance de l'hérédité de leurs
offices ,conformémenà la déclaration du Roi du 3 Dé
sembre 1743 ,
AUTRE de la Chambre des Comptes , qui ordondonne
l'exécution de la déclaration du Roi du 19 Mars
1712 , concernant les délais accordes aux Comptables
pourfaire décharger les débets de fouffrances & de fir
malités fur leurs comptes , du premier Avril 174
AUTRE du Confeil d'état du Roi , qui modere à
trois livres 6 fols 6 deniers du cent pefant , les droits
d'entree des cing groffes fermesfur les fils retors bis
bis blanks , provenans des fabriques de la Flandre
Françoise ; 5 ordonne que its memes fils venant de l'étrans
r acquitteront les drois d'entrée à raison de dix
livres du cent pefant , a l'exception de ceux desfabri
ques de Hollande, qui ne payeront que les droits defept
livres du cent fefant , fixespar le Tarifde 1664 , d
Avri 1745.
品
AUTRE du Confeil d'Etat du Roi , qui autorife
JUILLET. 1745. 197
les fix Cors des Marchands & let Comm (naut´s d'arts
me ers , a , aire leurform fien entre les mains dufieur
Hugueni de réunir, chacun en droitfait , les offices d'Inf
pecteurs & Contrôleurs crées par l'edi : du mois de Février
1745 moyennant le pay mont de la finance prin
cipale à laque le lefdits offices on éé fi és par le rôle
arreté a Confeil le 6 Avril ; & qui fr ferit la forme 5
les tem des payemens , du 6 Avril 17 So
>
AUTRE du Confil d'Etat du Roifervant de
réglement pour empêcher l'abus dans l'exemption des
droits des cinq groffes fermes , accordée fur les vivres ,
vins caux de vie autres boiſſons fervans à l'avi-,
taillement des vaiff aux armés en course , ainfi quefur
les munitions de guerre 5 uflenciles néceffaires pour
lefdit armemens : 5 afujerit aux droits tous avitaillemen:
5 équipemens de Navires pour quelques defti
tinations que ce puiffe etre , autres que les armemens en
courfe 5les genres de commerce qui ont été exemptés des
droits par les réglemens qui leur font propres , Du 6
Avril 1745.
OR DONNACE du Roi pour la formation de
Sept régimens de Grenadiers Royaux , du 10 Avril'
1745.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , & Lettres Pa
tentes fur icelui , données à Versailles le 13 Avril
1745 , portant réglement pour la régie perception
des droits de trois livres 5 quarante cinqfols par char
roi , fixés par l'ordonnance àfept livres par muid mefu-,
re de Paris , fur les vins du crû desvignobles des villes
, bourgs & paroiffes comprises dans les buit lieres des
environs des Rivieres de Seine , Eure , Iton , Oife , Andelle
du terrein , qui feront transportés dans le provin➡
ses de Normandie , du Perche de Picardie & autres
›
I iij
#98 MERCURE DE FRANCE.
lieux territoires étant au de là defdites rivière ‹ , ou
pour ypaffer debout , Régiftrées en la Cour des Aides.
DECLARATION du Roi , concernant la
nomination aux Cures & Benifices à charge d'ames ,
qui font requispar des gradués dans le mois de Janvier
de Juillet , appellés les mois de rigueur , donnée à
Versailles le 27 Avril 1745 , régiſtrée en Parlement.
OUIS , par la grace de Dieu , Roi de France
LOUIS, la de RouterFrance
fidérations à ce nous mouvantes , de l'avis de notre
confeil & de notre certaine fcience , pleine
puiffance & autorité Royale , nous avons par ces
préfentes fignées de notre main , dit , déclaré &
ordonné , difons , déclarons & ordonnons , voulons
& nous plaît , que lorfqu'il s'agira de pourvoir
aux cures & autres bénéfices à charge d'ames
les Patrons qui ont la préfentation à ces bénéfices ,
& les collateurs à qui la difpofition en appartient
ayent , même dans les mois de Janvier & de Juillet
, qui font appellés les mois de rigueur , la liberté
du choix entre les gradués dûement qualifiés
qui auront obtenu des lettres de nomination fur
lefdits collateurs ,. & qui les auront fait infinuer
dans le tems & dans les formes ordinaires , & de
préferer celui d'entre ces gradués qu'ils jugeront le
plus digne par les qualités perfonnelles , par fes
talens & par la bonne conduite , de remplir lefdites
cures ou autres bénéfices à charge d'ames, encore
qu'ils fe trouvent en concurrence avec des gradués
plus anciens ou plus privilégiés , le tout fuivant
ce qui a lieu dans le mois d'Avril & d'Octobre :
enforte que dorénavant les mois de Janvier & de
JUILLET. 1745 . 199HEQUE
Juillet foient réputés mois de faveur entre fefd
gradu's nommés , à l'égard des eures ou des aut
LYON
benefices aufquels le foin des ames eft attaché ,
893
fans que lefdits patrons & collateurs foient obliges
dans lefdits mois d'avoir aucun égard aux requifitions
des gradués fimples , quoiqu'ils leur euffent
fait notifier leurs lettres de degrés & leur certificat
de tems d'étude . Voulons que la difpofition des
prefentes foit inviolablement obfervée à l'avenir
dans notre royaume , à compter du jour de la publication
qui en aura été faite ; à l'effet de quoi
nous avons dérogé & dérogeons , en tant que de befoin
, à toutes les loix , ordonnances , reglemens
& priviléges à ce contraires. Si donnons
& c.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , qui caffe
une fentence de l'hôtel de ville de Paris du 14 Août
1744 , & qui ordonné l'exécution des réglemens rendus
fur laperception des droits fur le Bois ; & en con-
Sequence , que la voie de bois de cotrets d'Orléans demeurera
fixée à foixante -quinze defdits cotrets ; fur laquellefixation
les marchands defaits bois feront tenus de
payer les droits › à peine de mille livres d'amende
du 27 Avril 1745:
DECLARATION DU ROI , qui ordonne
une augmentationfur chaque Minot de fel qui
fe diftribue aux officiers qui jouiſſent du droit de franc-
Sale , donnée à Verfailles le 27 Avril 1745 , régifirée en
la Cour des Aides.
ARRES Tdu Confeil d'Etat du Roi , qui ordenwe
que les denrées marchandifes qui compoferont la
cargaison des navires François repris fur les Anglois
conduits directement dans les ports du royaumefans
I iïïj
200 MERCURE DE FRANCE
avoir touché à aucun port étranger , ne ferontpointfuż
jettes au réglement de 7 août 744, 5 qu'elles acquit
teront les m . mes droits qu'elles auroient acuités dans
lefdits pris fi lefdits navires y fuffent arrivésfans.
avoir été pris par les Anglois , Du 4 Mai 1745 .
+
AUTRE & Confeil d'Etat du Roi , qui fixe
à trois livres du c´nt pefant les droits d'entre fur les
moyens petits Cous de fer , 5 à trentefols
fur les gros dont le millir en nombre fera du poids de
deux cent cinquante livres poids de mare 5 au - deffus,
provenans des abriques étrangeres ; & à deux fois auf
du cent pefant fur les Clors defer de toute ef ece , provenans
de la manufacture établie près de Valenciennes ,
en just fant par des certificats des intereffes en ladite
manuj E 81 E comme les Clous enproviendront , du
Mai 1745
>
4
AUTRE du Confel d'Etat du Roi , qui ordonne
que les gages , augmentations de gages , taxations 5 autres
droits émolumens échûs & à échoirs , des Officiers
dénommés dans les édits du mois de Fevrier 1745 , S
compris dans les rôles arrêtés au Confeil en vertu def
dits édits , même ceux fur lefquels ilfe trouze d´s faifies
, oppofitions on autres empechemans , feront payés
par les Payeurs defdits gages , à la d charge defdits
Officiers , à Maurice Charore chargé du recouvrement
des finances a payer far lefdits Officiers , du 14 Mai
1745.
AUTRE du Confeil d'Etat du Roi , qui regle
la mariere dont les Officiers des Elections , des greniers
a fel , des Eaux & Forets , les Inspecteurs & Con
trôleurs des maitres & gardes dans les corps des Marchands
& dans les Communautés d'arts 5 metiers, psyc
ront les fommes pour lesquelles ils fent employés dans
JUILLET. 1745 . 201
les rôles arrêtés au Confeil en éxécution des édits du
mois de février 1745 , du 15 Mai 1745.
REGLEMENT en interpretation de celui du 4
Juillet 1732 , par rapport aux Capitaineries Gardes-
Côtes de S. Nazaire & de Monthoir , du 15 Mai
1745.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , pertant.
réglement pour la regie du domaine de Châteauroux
du 15 Mai 1745 •
:
ARREST du Confeil a'Etat du Roi , portant.
réglement tarif pour la perception des droits d'entrée
des cing groffes fermes fur les Verres à boire, Gobelets
Taffes . Coupes , Soucoupes , Plats , Pots , Aiguieres ,
Huiliers autres ouvrages de verre provenant des verreries
d'Alface 5 Franche comté , du 15 Mai 1745. ←
ORDONNANCE du Roi , pour augmenter
dedeux cent hommes à cheval le Regiment d'Arquebufers
de Graffin , 5 y faire quelques autres augmentations
, du 20 Mai 1745 .
ORDONNANCE du Roi , fur ce qui doit
être obf rvé ar les Capitaines , Maitres on Patrons
des batimens mar bands , lorsqu'ils trouveront des
vaiffears 5 autres bâtimens du Roi mouillés dans
les rades ports , it du Royaume cu des Pays étran
gers , du 25 Mai 1745 .
IP
202 MERCURE DE FRANCE.
ORDONNANCE de M. l'Intendant de la
Généralité de Paris , pour prévenir la communication
les progres de la maladie de la Morve parmi les
Chevaux, du 8 Juin 1745. De par le Roi . Louis-Jean
Bertier de Sauvigny , Chevalier Confeiller du Roi enfes
Confeils , Maitre des Requêtes ordinaire defon Hótel ,
Intendant de la Généralité de Paris.
V
U l'Ordonnance rendue le premier Juillet -
1730 par M. de Harlay lors Intendant de
la Généralité de Paris , contenant les difpofitions
néceffaires pour prévenir la communication & les
progrès de la maladie de la morve parmi les -
chevaux , vû auffi les ordres du Roi à nous addreffés
par la lettre de M. le Comte d'Argenſon
Miniftre & Secrétaire d'Etat de la guerre , en date
du premier du préfent mois , à l'occafion du renouvellement
de ladite maladie , tant dans la
Ville & Election de Senlis , que dans plufieurs
autres Paroiffes de ladite Généralité , Nous avons
ordonné & ordonnons ce qui fuit .
ARTICLE PREMIER.
Tous particuliers , de quelqu'état & condition
qu'ils foient , qui auront des chevaux atteints ou
foupçonnés de morve , feront tenus
à peine de
cinq cent livres d'amende , d'en fai e leur décla❤
ration incontinent après la publication de la préfente
Ordonnance , à nos Subdélégués. ou aux
Officiers des villes & paroiffes où ils font leur
demeure ordinaire
pour être lefdits chevaux
vûs & vifités par des Maréchaux ou gens à ce
connoiffeurs , & tués fur le champ à la diligence
defaits Officiers , fi le mal fe trouve avéré ; la-
•
JUILLET 1745. 203
dite amende applicable moitié au profit des
dénonciateurs , & l'autre moitié au profit des pauvres
de la Paroiffe.
I I.
Ceux qui , au lieu de déclarer les chevaux atteints
ou fufpects de morve , les vendront ou détourneront
, fous quelque prétexte & de quelque
maniere que ce foit , feront condamnés en pareille
amende , payable & applicable comme deffus
, fur la fimple dénonciation qui en fera faite
devant nos Subdélégués ou devant le premier Of
ficier public.
I I I.
Les Maréchaux qui ayant quelque connoiffance
dé quelques chevaux attaqués dudit mal dans les
Villes & lieux de leur réfidence , ou aux environs
, négligeront de les déclarer à nos Subdélé
gués ou auxdits Officiers publics , ou refuſerone
feur miniftere pour examiner ceux qui en feront
foupçonnés , ou qui en feront de faux rapports ,
feront condamnés en trois cent livres d'amende
au profit des pauvres de la Paroiffe , & à fermer
boutique pendant fix mois , fur le procès verbal
qui nous en fera addreffé.
1 V.
Faifons défenfes fous les mêmes peines à tous
hôteliers cabaretiers , laboureurs & autres ,
de
recevoir , dans leurs écuries aucuns chevaux gâtés
ou foupçonnés de morve , & en joignons auffi fous
lės mêmes peines , de déclarer ceux qui fe préfenteront
& qui pourront en être fufpects , pour
tre vifités & tués s'ils s'en trouvent atteints.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE,
V.
Enjoignons très - expreffément aux Maires ;
Echevins , Syndics , Marguilliers & autres Offi
ciers des villes & paroiffes , de faire faire , à la
réception de la préfente Ordonnance , & fuccef
fivement lorfqu'ils le jugeront néceffaire , une vifite
exacte ; tant des chevaux des hábitans que
de ceux appartenans aux charretiers ou voituriers
qui pafferont dans lefdits lieux , & de faire tuer
fans differer , ceux qui auront la morve , à peine
d'être traités comme réfractaires aux ordres de Sa
Majefté.
V I..
Ordonnons pareillement aux Officiers & Ca
valiers de Maréchauffée , en faisant leurs, rondes
& tournées dans les villes& villages de leur dif
trict , de faire des recherches exactes des che
vaux morveux , & de.les tuer après que la maladie
aura été conftatée , & d'en dreffer des Pro
cès verbaux qu'ils nous envoyeront.
VI I.
Les Ecuries des villes & paroiffes où il yaura eu
des chevaux atteints ou foupçonnés de morve ,
feront incontinent , à la diligence des Maires ,
Echevins , Syndics , ou autres Officiers defdites
villes & Paroiffes , purifiées & lavées aux frais
des détempteurs avec de la chaux vive , ainfi
que les auges & rateliers , même le pavé & le
fol defdites Ecuries , & tous le pourtour d'icelles:
ju qu'à la hauteur ou les chevaux peuvent atteindre
avec leur langue ; & après les avoir laiffées
JUILLET 1745 205
an tems fuififant à l'air pour en ôter l'infection ,
les auges & rateliers feront rélavés avec de l'eau
chaude pour enlever l'impreffion de la chaux .
Et fera la préfente Ordonnance lûe & publiée
aux Prônes de toutes les Paroiffes de ladite Généralité
, & affichée partout où befoin fera , aân
que perfonne n'en ignore , pour être exécutée
felon fa forme & teneur. Enjoignons à nos Subdélégués
d'y tenir la main , & de nous informer
des contraventions qui pourroient y être faites ,
pour y être par nous pourvû . Fait à Paris le huit-
Juin 1745. Signé Bertier de Sauvigny. S plus has
Par M. , Mabile.
ARREST du Confeil d'état du Roi du 26 , qui
homologue la Délibération priſe par la compagnie des
Indes en l'affemblée générale des Actionnaires
23Juin 1745 , du 26 Luin 1745,
Extrait des Regifres du Confeil d'Etat.
tenue le
U au Confeil d'Etat du Roi la requête pré-
V fenté par les syndics & Diret la
pagnie des Indes , tendante à ce qu'il plût à S. M.
décharger ladite Compagnie de l'impofition du
Dixiéme , & homologuer la délibération prife en
l'affemblée génerale de ladite Compagnie le 23 du
prefent mois , notamment en ce qui concerne l'hypothéque
& privilége fpecial d'une partie de la
ferme du tabac & de fon produit jufqu'à dûe concurrence
, pour fûreté du principal & rente des
fommes que ladite Compagnie a délibéré d'emprunter
, ainfi que d'autorifer l'établiſſement d'un
dépôt volontaire , pour fûreté des fommes que
quelques Actionnaires pourront emprunter , à l'ef
200 MERCURE DE FRANCE.
fet de fatisfaire par eux -mêmes audit emprunt.
Et S. M. defirant donner à ladite Compagnie de
nouvelles preuves de fa protection & de lafatisfaction
avec laquelle elle voit les Actionnaires fe
porter à affûrer par eux-mêmes un état fixe & invariable
à la Compagnie des Indes , & à faire fleurir
les différentes branches de fon commerce : Oui le
rapport du fieur Orry Confeiller d'Etat ordinaire ,
& au Confeil royal , Contrôleur général des financés
, le Roi étant en fon Confeil , faiſant droitfur
ladite requête , a ordonné & ordonne que la Compagnie
des Indes demeurera , à commencer du
premier Janvier de la prefente année 1745 , déchargée
de l'impofition du Dixiéme ordonné être
levé par la déclaration du 29 Aoûft 1741 , & en
Conféquence , difpenfée de l'exécution du rôle arrêté
au Confeil le 23 Fevrier 1742 ; fans que pour
ce les parties prenantes fur elle , & notamment
les Rentiers viagers , puiffent prétendre être
exempts de ladite impofition , dont il fera fait retenue
comme comme par le paffé. Et ayant égard
à la délibération prife dans l'affemblée génerale
de ladite Compagnie le 23 du préſent mois , que Sa
M. a homologuée & homologue dans tout fon concontenu
, pour être exécutée fuivant fa forme &
teneur , permet à ladite Compagnie , conformé.
ment à l'article III , de ftipuler dans l'emprunt
de vingt-cinq millions qu'elle a délibéré de faire
pour le foutien & l'augmentation de fon commerce
, que les rentes qu'elle conftituera pour raifon
dudit emprunt demeureront exemptes du Dixiéme ,
& que conformément à l'article V , pour fûreté ,
tant des capitaux que des interêts dudit emprunt ,
la ferme du tabac & le produit d'icelle demeureront
, tant en principal qu'en revenus , affectés &
hypothéqués aufdites rentes , jufqu'à dûe concur
JUILLET. 1745. 207
rence. Autorife au furplus S. M. en tant que de befoin
, le dépôt volontaire ftipulé par l'article VI de
la fufdite délibération , qui fera exécuté fuivant fa
forme & teneur , & conformément aux réglemens
particuliers qui feront convenus & arrêtés par la
direction de ladite Compagnie , pour la facilité &
fûreté des prêteurs & dépofitaires. Fa't au Confeil
d'Etat du Roi , Sa Majesté y étant , tenu au camp
de Chin , le vingt-fixiéme jour de Juin mil fept
cept quarante-cinq. Signé PHELY PE AU X.
DELIBERATIONprife par la Compagnie
des Indes dans l'assemblée générale
des Actionnaires , tenue en l'hôtel de ladite
Compagnie le 23 Juin 1745 .
E jourd'hui vingt- trois Juin mil fept cent qua
générale
pagnie des Indes , tenue en préfence de M. le
Contrôleur géneral , accompagné de M. de Fulvy
Commiffaire du Roi , le rapport de la fituation de
la Compagnie ayant été fait par Meffieurs les Syn- >
dics élûs en la précédente affemblée générale , tenue
le 30 Janvier dernier , ils ont fait lecture de
la requête par eux préfentée au Roi , tendante à la
confirmation des priviléges de la Compagnie , à
l'obtention de la décharge du Dixiéme fur le dividende
des actions & fur les autres parties de fon
commerce , & des autres graces y énoncées ; il a
été repréfenté que la Compagnie avoit actuellement
befoin de 25 millons de livres pour le foutien
& la continuation de fon commerce , ce qui
ayant été unanimement reconnu , il a été déliberé ,
268 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE PREMIEIR .
Qu'en conféquence de l'examen de l'état actuel
de fon commerce , elle empruntera des Action◄
naires une fomme d'environ 25 millions , revenant
pour chaque action à 500 liv.
II.
Q'uil refulte du fufdit examen qu'elle fe trouve
en état de recevoir pour comptant dans fa caiffe ,
fur le pied de 75 liv . chacun , les 4 dividendes des
années 1744 & 1745 , payables en 1745 & 1746 .
" III.
Que pour faciliter le payement des fufdites 500
liv. elle autorife par la préfente délibération le
fieur Pechevin fon caiffier , à recevoir des porteurs
jufqu'a la fin de la prefente année 1745 , les
fufdits quatre dividendes , faiſant enſemble trois
cent livres , ci .
& en argent comptant .
TOTAL.
•
· 300
liv.
200
liv.
500
liv.
Pour raifon duquel payement il fera délivré des
billets d'emprunt portant intérêt jufqu'au parfait
remboursement au denier vingt , fans retenue du
dixiéme ; le tout dans la forme qui fera teglée par
l'administration ,
IV .
Et comme la Compagnie reçoit des-à préſent
Pour comptant quatre dividendes , dont trois me
JUILLET. 1745 : 209
font payables que fucceffivement dans le reftant
de la préfente année & dans le courant de l'année
prochaine ; il a été délibéré que les fufdits billets
d'emprunt ne porteront interêt que trois mois après
le payement effectif defdits 500 liv ; qu'ainfi les
billets d'emprunt pris dans le courant du mois de
Juillet prochain porteront interêt au profit du
porteur à compter du premier Octobre 1745 , &
feront payables lefdits intérêts au mois d'Octobre
1746 , & ainfi fuccellivement de mois en mois
par ordre de numéro .
V
Que pour fûreté du capital & du payement des
intérêts , la Compagnie affectera & hypothéquera
jufqu'à due concurrence , par privilége & préfé
rence , le produit de la ferme du tabac.
V I.
Que les fufdits quatre dividendes qui n'auront
point été portés à la Caiffe de la Compagnie avec
200 liv . d'argent , avant le premier Janvier 1746 ,
feront & demeureront nuls & de nulle valeur ; &
que pour faciliter aux Actionnaires les moyens de
s'aider pour exécuter l'emprunt propofé , la Compagnie
ouvrira un bureau de dépôt volon aire , à
l'effet duquel il fera tenu un registre dans la meil◄
leure forme , fur lequel les prêteurs & emprunteurs
feront les maîtres de coucher les conditions dont
il feront convenus entr'eux ; le tout dans la for
me qui fera réglée par l'administration .
10 MERCURE DE FRANCE.
VII.
La Compagnie fe foumet pour fûreté du rembourſement
des fufdits billets d'emprunt , à ne pouvoir
repartir aux Actionnaires , plus de 135 liv .
par an pour chaque action , jufqu'après le parfait
remboursement defdits billets d'emprunt.
VIII.
La Compagnie s'engagera auffi à rembourfer
lefdits billets d'emprunt , fans acception de perfonne
, & par l'evénement d'une lotterie qui fera
tirée à l'effet dudit rembourſement ; & en conféquence
il fera dreffé , après le tirage , un état
des numéros qui devront être remboursés , dont
les porteurs feront tenus de venir recevoir le rembourfement
aux termes indiqués par des affiches
publiques qui feront appofées à cet effet , faute
de quoi la Compagnie fera déchargée du payement
des intérêts .
IX
Il feratenu tous les ans le 20 Decembre ou premierjour
non fêté fuivant , une affemblée généra
le d'Actionnaires , dans laquelle la direction rendra
compte de l'état de la Compagnie & des fuccès
de fon commerce , pour en conféquence
être délibéré fur toutes les affaires de ladite Compagnie
, être ftatué fur la quotité du dividende qui
devra être reparti aux Actionnaires , & fur le rembourſement
qu'elle pourra faire des billets d'emprunt
, la premire defdites affemblées demeurera
dès à préfent indiquée pour le 20 Decembre
prochain, & cependant Meffieurs les Syndics font
JUILLET. 1745. 211
autorifés à avancer le tems de la tenue de ladite af
femblée , & à convoquer des affemblées extraor
dinaires quand ils jugeront convenable & néceffaire
d'en demander la permiffion à S. M. dans
ces derniers cas ils feront tenus d'indiquer lefdites
affemblées quinze jours à l'avance , par des affiches
publiques.
X.
Il fera nommé fix Syndics à l'effet des fonctions
qui leur font commifes par les arrêts & réglemens ;
que pour cette premiere fois S. M. fera trè humblement
fuppliée de les choifir dans le nombre des
douze nommés par la délibération du o Janvier
dernier que cependant jufqu'à la nomination que
S. M. en fera , les fonctions des Syndics actuels
continueront ; & que dans la premiere affemblée
du 20 Decembre prochain , ainfi que dans les futu
res affemblées annuelles , il fera préfenté au Roi
douze fujets , entre le quels S. M. aura la bonté de
choifir les fix qui lui feront le plus agréables .
XI.
Sa M. fera très - humblement fuppliée d'homolo
guer la préfente délibération par un arrêt de fon
Confeil , notamment la difpofition concernant le
dépôt indiqué par l'article VI , & d'ordonner l'exécution
de ladite délibération . Signé en fin par les
Actionnaires , Syndics & Directeurs , & vifé ORRY.
*12 MERCURE DE FRANCE."
A
MORTS.
Ntoine Forqueray fi connu par la fuperiorité
d fes talens de Mufique & par fon exécution
inimitable fur la baile de viole , mourut le
20 Juin à Mantes fur la Seine ou le goût de la
retraite l'avoit fixé depuis quinze ans .
La Nat re avoit doué M. Forqueray de toutes
les favorables difpofitions qui annoncent ordinai➡
rement les hommes rares. Son mérite harmonique
étoit fi précoce qu'à l'âge de quatre ans il eut
l'avantage unique de jouer de la viole en préſence
de Louis XIV . Ce Monarque Protecteur & Rémunerateur
des Arts , fut fi fatisfait de la Science
prématurée de cet enfant fingulier qu'il lui don- ,
na une Charge d'ordinaire de la Mufique de fa
Chambre , Charge dont - il a joui jufqu'à fa mort,&
qu'il laiffe à fon fils qui depuis plufieurs années"
en avoit obtenu la furvivance.
M. Forqueray a eu l'honneur de montrer à
jouer de la viole à Monfeigneur le Duc de Berri
, à Monfeigneur le Duc d Orléans Regent du
Royaume , à Monfeigneur le Duc de Chartres fon
fils , les bienfaits de la Cour lui furent prodigués ;
mais avec juftice , le Regent fur tout lui fit une
gratification très contidérable qui fignala hautement
la liberalité du Prince & l'excellence du
talent recompenfé.
Si fa capacité diftinguée & fa fortune méritée
l'élevoient infiniment les fentimens nobles &
purs de fon coeur ne l'élevoienr pas moins ; c'est
par eux qu'il s'étoit fait d'illuftres amis qui plus
ouchés encore de fa probité que de fon génie ,
JUILLET
213 1745 .
ont honnoré d'une amitié conftante & éclairée
Il laiffe un fils qui très long- tems avant la
mort de fon pere a hérité de fa reputation , héritage
brillant , que le goût & le difcernement
lui affûrent ; quelque bonne que foit la fucceffion
l'héritier en regarde comme les effets les plus
précieux , des piéces de viole que la modeftie du
deffunt à derobées à l'impreffion , & que l amour
filial doit reftituer au public à qui toutes les ri◄
cheffes des Arts & du Genie appartie inent.
Le 18 Juin Louis-Sauveur Renaud de Villeneuve
Confeiller d'Etat depuis 1740 , ci- devant Ambaffadeur
du Roi auprès du Grand Seigneur , depuis
le 25 Mars 1728 , & avant Lieutenant Général
de la Sénechauffé de Marfeille , & que Sa
Majefté en qualité de Médiatrice entre la Porte
& la Ruffie avoit chargé de fes pleins pouvoirs
pour procurer un accommodement entre ces deux
Puiffances , mourut à Marſeille dans la foixante &
dixième année de fon âge ; il avoit éte nommé
par le Roi au mois de Novembre de 1 année der
niere Miniftre & Sécretaire d'Etat des affaires
étrangeres , mais la foibleffe & fa fanté l'obligea
de fupplier Sa M jefté de permettre qu'il n'ac
ceptât point cette charge & le Roi ayant aprouvé
fes raifons voulut bien l'en difpenfer : il avoit
pour frere François Rend de Villeneuve
Evêque de Viviers depuis 1723 ; il étoit fils de
François Renaud de Villeneuve Confeillers au
Parlement de Provence & de Dame Magdeleine
de Fourbini-f inte -Croix , & il avoit époufé Da
me Anne de Beauffet fille de Pierre de Beauffet
Lieutenant Général , Civil & Criminel de Mar
feille & de Dame Théodore Daudiffret.
•
214 MERCURE DE FRANCE.
Le premier Juillet Pierre - Denis Maillet Seigneur
de Cerny , Confeiller du Roi Auditeur
ordinaire en fa Chambre des Comptes à Paris depuis
le 27 Août 1691 , y mourut , âgé de 78 ans.
Le 3 Meffire Jean-Noel Gaillande , Docteur
& Senieur de la Maifon & Société de Sorbonne
& Prieur Commendataire de faint Martin de Morlaix
mourut dans la Maiſon de Sorbonne âgé dé
64 ans.
C
Le 7 François Rodrigue d'Epinay Marquis d'Ef
pinay faint Luc , de Boifgueroulte , Comte de Rofendal
, Seigneur & Patron de faint Paerk, Lieutenant
General des Armées du Roi depuis le 18 Octobre
1739 , & Infpecteur de Cavalerie , mourut à
Strasbourg ; âgé de 73 ans , il étoit fils de François
d'Epinay , Marquis d'Efpinay & de Boifgueroulte,
Comte de Rofendal , mort en 1691 & de Dame
Marie Conftance de Châlons de Cretot , morte le
12 Avril 1704 , & il avoit épousé en 1705 Marie-
Anne d'O fille de René-Claude d'O , Marquis de
de Franconville , Lieutenant Général des Armées
Navales , & d'Elifabeth - Magdeleine de la Vergne
de Guilleragues , elle fut depuis Dame d'atour
de S. A. R. Madame la Ducheffe d'Orleans ,
& mourut à Paris le 4 Avril 1727 , & de ce mariageeft
venue Louiſe Adelaïde Sabigothon d'Efpinay
Boifgueroulte , mariée le 14 Août 1728 à Guy-
Louis Charles de Laval , la Faigne , Comte de
Laval voyez pour la Généalogie de la Maifon d'Ef
pinay , le feptieme volume de l'Hiftoire des
Grands Officiers de la Couronne , fol 472 .
SOTTELUE
BIBLIOT
LYON
*
1893
TABLE .
PIECES FUGITIVES en vers & en profe. Ode
tirée du Pfeaume 37
Differtation fur le feu de la rue aux Ours
Epitre de M. des Mahys à Madame de ***
Difcours prononcé aux Affociés d'une
Littéraire
Extrait d'une Lettre en vers
3
7
25
Societé
26
31
Nouvelle explication du proverbe pour un peine
Martin perditfon ane.
Allégorie.
Memoire fur la date d'une Charte
Lettre au fujet de la mort de M. Normant
32
54
57
69
Dictionnaire univerfel & préface de Chambers 75
Ode fur la Bataille de Fontenoy 103
Séance publique de la focieté des fciences de
Toulouſe
Ode à M. D ** . par M. de V *** .
Nouvelles Litteraires , des Beaux Arts &s.
106
120
122
Estampes nouvelles -
133
Vers pour être mis au bas du portrait du Maréchal
Comte de Saxe 134
Mots de l'Enigme & des Logegryphes
Ibid.
Enigme & Logogryphes 135
Chanfon fur les victoires du Roi 139
Spectacles , Opera
142
5me. fuite des reflexions fur les ballets , 143
Comédie Françoiſe & c . 151
Concert de la Reine
154
Nouvelle de la Cour , de Paris &c. Suite des
Opérations de l'arméedu Roi
155
Bénéfices donnés
175
Promotions 176
Prifes de Vaiffeaux 177
Nouvelles étrangères , Pruffe 179
Allemagne 1 &1
Naples
180
Hollande & Pays Bas
188 Génes 190
Grande Bretagne 193
Penfion d'Alfort à Charenton.
195
Arrêts notables 196
Morts 212
La Chanfon notée doit regarder la page
Le plan doit regarder la page
THEAU
BIBLIO
LYON
€1893
LLA VILLE
139
158
+
DE FRANCE , 426081
DÉDIÉ AU ROI
AV
JUIN. 1745 .
PREMIER VOLUME
CILLE
1
SPARCE
GATS
IGIT
||
UT
Epillon
S
THEQUE
DE
LYON
18934
Chés
A PARIS ,
GUILLAUME CAVELIER
rue S. Jacques.
La Veuve PISSOT, Quai de Conty ,
à la defcente du Pont- Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais,
M. DCC. X L V.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
A VIS.
L'AM. DE CLEVES D'ARNICOURT ,
'A DRES S E générale du Mercure eft
Tue du Champ- Fleuri , dans la Maifon de M.
Lourdet Correcteur des Comptes , au premier
étagefur le derriere, entre un Perruquier & un
Serrurier , à côté de l'Hôtel d'Enguien. Nous
prions très- inftamment ceux qui nous adreſſe
ront des Paquets par la Pofte , d'en affranchir
Le Port , pour nous épargner le déplaifir de les
rebuter , & à eux celui de ne pas voir paroître
leurs Ouvrages.
-
Les Libraires des Provinces ou des Pays
Etrangers , qui fouhaiteront avoir le Mercure
de France de la premiere main , & plus promptesnent,
n'auront qu'à écrire à l'adreffe ci- deffus
indiquée ; on fe conformera très- exactement à
leurs intentions.
Ainfi ilfaudra mettre fur les adreffes à M.
de Cleves d'Arnicourt , Commis au Mercure
de France , rue du Champ- Fleuri , pour ren
dre à M. de la Bruere,
PRIX XXX, SOLS.
MERCURE
DE FRANCE
1
BLIOTHELL
E
DE
SELAVILLE!
LYON
DEDIE A V ROU
*
JUIN. 1745 .
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
SUITEDE L'HISTOIRE DE L'ESPRIT
Humain , par M. de V. Hiftoriographe de
France , des Académies de Lyon , d'Edimbourg
& de Boulogne , commencée dans le
Mercure d'Avril.
Erfécuté ( Mahomet ) à la Mecque,
fa fuite , qu'on nomme Egire , devint
l'Epoque de fa gloire & de la
fondation de fon Empire. De fugitifil
dévint Conquérant. Réfugié à Medine,
il y perfuada le Peuple & l'affervit ; il dé-
1. Vol. A ij
9
4 MERCURE DE FRANCE.
fit d'abord avec cent- treize hommes les
Mecquois qui étoient venus fondre fur lui
au nombre de mille . Cette victoire , qui fur .
un miracle aux yeux de fes Sectateurs , les
perfuada que Dieu combattoit pour eux ,
comme eux pour lui . Dès la premiere vicroire
ils efpérerent la conquête du Monde.
Mahomet prit la Mecque , vit fes perfécuteurs
à fes pieds , conquit en neuf ans , par
la parole & par les armes , toute l'Arabie ,
Pays auffi grand que la Perfe , & que les
Perfes ni les Romains n'avoient pû conquérir.
Dès fes premiers fuccès il avoit écrit au
Roi de Perfe , Corforoës fecond , à l'Empereur
Héraclius , au Prince des Coptes ,
Gouverneur d'Egypte , au Roi des Abyſfins
, à un Roi nommé Mandar , qui regnoit
dans une Province près du Golfe
Perfique. Il ofa leur propofer d'embraffer
fa Religion , & ce qui eft étrange , c'eſt
que de ces Princes il y en eut deux qui fe
firent Mahometans , ce furent le Roi des
Abyffins & ce Mandar. Cofroës déchira la
lettre de Mahomet avec indignation ; Héraclius
répondit par des préfens. Le Prince
des Coptes lui envoya une fille qui paffoit
pour un chef-d'oeuvre de la Nature ,
qu'on appelloit la belle Marie .
&
Mahomet au bout de neuf ans fe croyant
JUIN. 1745
S
affés fort pour étendre fes ravages & fa Religion
dans l'Empire Grec & Perfan , commença
par attaquer la Syrie , foumiſe alors
à Héraclius , & lui prit quelques Villes.
Cet Empereur entêté des nouveautés , toujours
funeftes à la Religion , & qui avoit
pris le parti des Monotelites , effuya en
peu de tems deux propofitions bien fingulieres
, l'une de la part de Cofroës fecond ,
qui avoit été fon vainqueur , & l'autre de
la part de Mahomet Cofroës vouloit
qu'Héraclius embraffar la Religion des Mages
, & Mahomet , qu'il fe fit Mufulman .
Enfin Mahomet , maître de l'Arabie , réveré
& prefque adoré de fes Sujets , & redoutable
à fes ennemis , fut attaqué à Médine
d'une maladie mortelle à l'âge de foixante-
trois ans & demi ; il voulut que fes
derniers momens paruffent ceux d'un Heros
& d'un jufte. Que celui à que j'ai fait
violence & injuftice paroiffe , s'écria-t'il , je
fuis tout prêt de lui faire réparation . Un
homme fe leva , qui lui redemanda quelqu'argent
, Mahomet le lui fit donner , &
expira peu de tems après , regardé comme
un grand homme par ceux même qui le connoiffoient
pour un impofteur , & révéré
comme un Prophete par tout le reſte .
A iij
MERCURE DE FRANCE.
CHAPITRE III.
Des Califes.
La derniere volonté de Mahomet ne fut
point exécutée ; il avoit nommé Ali fon
gendre , & Fatime , fa fille , pour les héri
tiers de fon Empire , mais l'ambition qui
l'emporte fur le Fanatifme même , engagea
les Chefs de fon armée à déclarer Calife ,
c'est-à-dire Lieutenant du Prophete, le vieux
Abubeker, fon beau-pere, dans l'efpérance
qu'ils pourroient bien-tôt eux-mêmes partager
la fucceffion ; Ali refta dans l'Arabie,
attendant le tems de fe fignaler . Abubeker
raſſembla d'abord en un corps les feuilles
éparfes de l'Alcoran . On les lût en préfence
de tous les Chefs , & on établit l'autenticité
invariable de ce Livre , qui eft depuis
ce tems la regle de la Foi des Arabes & de
leur Langue.
Bien-tôt Abubeker mena fes Mufulmans
en Paleſtine , & y défit le frere d'Héraclius;
il mourut peu après l'an 634. avec la réputation
du plus généreux de tous les hommes
, n'ayant jamais pris pour lui qu'environ
quarante fols de notre monnoye par
jour de tout le butin qu'on partageoit , &
ayant fait voir combien le mépris des petits
intérêts peut s'accorder avec l'ambition
que les grands intérêts infpirent.
JUI N. 1745 .
la
Omar , élu après lui , fut un des plus rapides
Conquérans qui ayent déſolé la Terre.
Il prend d'abord Damas , célebre par
fertilité de fon territoire , par fes Ouvrages
d'acier les meilleurs de l'Univers, par les
Etoffes de Soye qui portent encore fon
nom : il chaffe de la Syrie & de la Phénicie
les Grecs , qu'on appelloit Romains ; il reçoit
à compofition en 636 , après un long
fiége , la Ville de Jéruſalem.
Dans le même tems les Lieutenans d'O.
mar s'avançoient en Perfe. Le dernier des
Rois Perfans , que nous appellons Hormifdas
IV , livra bataille aux Arabes à quelques
lieues de Madain , devenue la Capitale
de cet Empire . Il perd la bataille & la
vie ; les Perfes paffent fous la domination
d'Omar plus facilement qu'ils n'avoient
fubi le joug d'Aléxandre.
Alors tomba cette ancienne Religion des
Mages , que le vainqueur de Darius avoit :
refpectée , car il ne toucha jamais au culte
des Peuples vaincus.
Les Mages ,* fondés par Zoroaftre & réformés
enfuite par un autre Zoroastre , du
tems de Darius , fils d'Hiftapes , adorateurs
d'un feul Dieu , ennemis de tout fimulacre
, révéroient dans le feu qui donne la
Religion des Mages détruite.
·
A iiij
$ MERCURE DE FRANCE :
vie à la Nature , l'emblême de la Divinité.
Ils reconnoiffoient de tout tems un mauvais
principe , à qui Dieu permettoit de
faire le mal ; ils le nommoient Satan , ou
Arimane , & c'eft parmi eux que Manés
avoit puifé fa Doctrine des deux principes.
Ils regardoient leur Religion comme la
plus ancienne & la plus pure. La connoiffance
qu'ils avoient des Mathématiques, de
l'Aftronomie & de l'Hiftoire , augmentoit
leur mépris pour leurs vainqueurs , alors
ignorans ; ils ne purent abandonner une
Religion confacrée par tant de fiécles ,
pour une Secte ennemie qui venoit de naître.
Ils fe retirerent aux extrêmités de la
Perfe & de l'Inde ; c'eft là qu'ils vivent
aujourd'hui fous le nom de Gaures ou de
Guebres & de Parfis , ne fe mariant qu'entre
eux , entretenant le Feu facré ,fidéles à ce
qu'ils connoiffent de leur ancien culte
mais ignorans , méprifés , & à leur pauvreté
près , femblables aux Juifs qui font difperfés
fans s'allier aux autres Nations , &
plus encore aux Bamians , qui fe font établis
& difperfés dans l'Inde & vers la Perfe..
Tandis qu'un Lieutenant d'Omar fubjugue
la Perfe , un autre enleve l'Egypte entiere
aux Romains & une grande partie
de la Lybie ; c'eft dans cette conquête de
JUIN. 1745.
l'Egypte qu'eft brûlée la fameufe Biblio
théque d'Aléxandrie , Monument des connoillances
& des erreurs des hommes, commencée
par Ptolomée Philadelphe , & aug
mentée par tant de Rois : alors les Sarrafins
ne vouloient de ſcience que l'Alcoran.
Après Omar tué par un Efclave Perfe ,
Ali , ce gendre de Mahomet , que les Perfans
révérent aujourd'hui , & dont ils fuivent
les principes , en oppofition à ceux
d'Omar , obtint enfin le Califat & tranffera
le fiége des Califes de la Ville de Médine
, où Mahomet eft enfeveli , dans la
Ville de Couffa , fur les rives de l'Euphrate.
A peine en refte- t'il aujourd'hui des ruines
; c'est le Fort de Babylone , de Seleucie
& de toutes les anciennesVilles de Chaldée
qui n'étoient bâties que de briques cuites
au Soleil .
Après le regne de feize Califes de la
Maifon des Ammiades regnerent les Califes
& Acaffides ; le célebreAaron Rachild
en eft le cinquiéme; ce titre de Rachild eft
le plus beau des Titres , & les Mufulmans
n'avoient pas ofé le donner à Mahomet.
Aaron Rachild & fon fils Abouabdalla
étoient contemporains
de Charlemagne
.
Ce fut cet Abouabdalla qui tranfporta le
Siége de ce grand Empire à Bagdad , dans
A v
To MERCURE DE FRANCE.
la Chaldée; on dit qu'il bâtit cette Ville.
Les Perfans affûrent qu'elle étoit très-ancienne
, & que les Arabes ne firent que la
réparer & l'embellir. On l'appelle quelquefois
Babylone , & elle a été & elle eft un
fujet de guerre entre la Perfe & la Turquie.
La domination des Califes dura 655 ans.
Defpotiques dans la Religion , comme dans
leGouvernement ils n'étoient point adorés,
ainfi que le grand Cama , mais ils avoient
une autorité plus réelle , & dans les tems
même de leur décadence ils furent refpectés
des Princes qui les perfécutoient . Tous
ces Sultans Turcs , Arabes , Tartares , qui
s'éleverent depuis , reçurent l'inveftiture
des Califes.
Si jamais puiffance * a menacé toute la
Terre, c'eft celle des Califes, car ils avoient
le droit du Trône & de l'Autel , du glaive
& de l'enthoufiafme. Leurs ordres étoient
autant d'Oracles , & leurs Soldats autant
de fanatiques.
Dès l'an 671 de notre Ere ils affiégerent
Conftantinople qui devoit un jour
devenir Mahométane ; les divifions prefque
inévitables parmi tant de Chefs féraces
n'arrêterent pas leurs conquêtes ; ils
reffemblerent en ce point aux anciens Ro-
Puiffance des Califes.
JUIN. 1745 . 11
mains , qui parmi leur guerres Civiles,
avoient fubjugué l'Afie Mineure .
On les voit en 711 paffer d'Egypte en
Efpagne , foumife aifément tour à tour par
les Carthaginois , par les Romains , par les
Goths & Vandales, & enfin par ces Arabes
qu'on nomme Maures. Ils y établiffent le
Royaume de Cordoue ; le Sultan d'Egypte
fecoue , à la vérité , le joug du Grand - Calife
de Bagdad , & Abderame Gouverneur
de l'Espagne conquife ne connoît plus le
Sultan d'Egypte , cependant tout plie encore
fous les armes Muſulmanes.
A mefure que les Califes devinrent
puiffants ils fe polirent. Ces Califes , toujours
reconnus pour Souverains de la Religion
& en apparence de tout l'Empire
par ceux qui ne reçoivent plus leurs ordres
de fi loin , tranquilles dans Couffa , dans
Damas , dans Bagdad , y font enfin renaître
les Arts. Cet Aaron Rachild , plus reſpecté
que fes Prédéceffeurs , & qui fcut fe faire
obeïr jufqu'en Efpagne & au Fleuve de
l'Inde , ranima toutes les Sciences , fit fleurir
les Arts agréables & utiles , attira les
Gens de Lettres , compofa des Vers , & fit
fucceder dans ces vaftes Etats la politeffe à
la barbarie ; fous lui les Arabes qui adop
* Beaux- Arts fous les Califes,
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
toient déja les Chiffres Indiens , nous les
apporterent ; nous ne connûmes en Allemagne
& en France le cours des Aftres que
par le moyen de ces mêmes Arabes. Le
mot feul d'Almanach en eft encore un témoignage.
L'Almagefte de Ptolomée fut alors tráduit
du Grec en Arabe par l'Aftrologue
Benhonain. Le Calife Almamon , petitfils
d'Aaron Rachild , fit méfurer géométriquement
un degré du Méridien pour déterminer
la grandeur de la Terre , Opération
qui n'a été faite en France que plus de
900 ans après fous Louis XIV. L'Aftronome
Benhonain pouffa les Obſervations affés
loin; il reconnut ou que Ptolomée avoit
fixé la plus grande déclinaiſon du Soleil
trop au Septentrion , ou que l'obliquité de
l'Ecliptique avoit changé;itvitmême que la
Période de trente-fix mille ans , qu'on avoit
affignée au mouvement prétendu des Etoiles
fixes d'Occident en Orient devoit être
beaucoup racourcie .
La Chymie & la Médecine étoient culti
vées par les Arabes; la Chymie perfectionnée
par nous , ne nous fut connuë que par
eux nous leur devons de nouveaux remédes
qu'on nomme les Minoratifs , plus
doux & plus falutaires que ceux qui étoient
JUIN. 1745.
13
auparavant en ufage dans l'Ecole d'Hippocrate
& de Galien. Enfin dès le fecond fiécle
de Mahomet il fallut que les Chrétiens
d'Occident s'inftruififfent chés les
Mufulmans.
DISCOURS AU ROI ,
Sur le fuccès de fes Armes.
LeSandredeJ.Michel eut l'honneur
de préfenter à la Reine , à Madame la Dauphine
& à Mefdames le Difcours fur le
fuccès des armes du Roi . Il fut invité de le
prononcer. La Reine entendit ces Vers
pendant fon dîner , Madame la Dauphine
l'après midi , & Mefdames à leur fouper.
Elles en parurent également fatisfaites &
attendries. Il fut comblé de ces éloges toujours
précieux & toujoursnouveaux pour un
Auteur le plus accoûtumé à en recevoir .
E Samedi s Juin M. Roi Chevalier
Sa Majesté a reçû en même- tems à l'armée
cette Piéce ; elle a ordonné qu'elle
fût imprimée à Lille . C'eft le même honneur
que S. M. fit à M. Roi lors de la Convalefcence.
Le Poëme fut imprimé à Metz
par un pareil ordre.
14 MERCURE DE FRANCE.
GRAND ROI , je cúde enfin à l'ardeur qui me
guide ;
Tu peux rendre fécond l'efprit le plus aride.
C'est moi qui le premier chantai notre bonheur
Quand tes jours échapoient à la Parque en fureur.
Peut-être que ma Lyre , organe de tendreffe,
A chanter des combats va trahir la foibleffe.
Le zéle fuffiroit pour rendre les frayeurs
Dont tes derniers périls ont glacé tous les coeurs
Lorſqu'au pied de ces murs , d'où partoit le tonnerre
,
Au milieu de ces feux que vomiffoit la terre ,
Ton oeil bravoit la mort errante autour de toi ,
Et que la France entiere à tremblé pour fon Roi.
T
J'aimerois à me joindre à ces tranſports de joye
Qu'à ton heureux retour le citoyen déploie
A peindre ta famille embraffant tes genoux ,
Doux momens , où triomphe & le pere & l'époux !
x
Tel Horace autrefois , dans fa verve diſcrette ,
Laiffoit à Varius ** emboucher la trompette
Ebranler tout l'Olimpe aux clameurs des mourans
De fang dans Actium répandre les torrens ,
Montrer la terre en feu , les mers épouvantées ,
Et du Styx par les morts . les ondes arrêtées.
* Ode 5. l. 1 .
** Poëte Epique & Tragique , fous Augufte.
JUIN.
15 1745.
Du fuccès de la guerre il ne peint que les fruits ;
Les Romains raffûrés , les plaifirs reproduits ,
Le Capitole orné de fleurs , de facrifices ,
Les fpectacles ouverts fous de plus doux aufpices,
Les meres de leurs fils béniffant le retour ,
Et les drapeaux de Mars aux Autels de l'Amour .
'Ainfi , fans m'élancer à travers le carnage ,
Ma Mufe du triomphe ofe ébaucher l'image ;
Triomphe différent de ceux où les Céfars
Du malheur des captifs repaiffant leurs regards ,
De l'esclavage encor aggravoient les injures ;
Où ces Rois enchaînés , déchirant leurs bleffures ,
Déteſtoient leurs vainqueurs , & les cruels fecours ,
Qui pour un tel outrage avoient fauvé leurs jours .
Trop long-tems ébloui par ce fafte barbare ,
Dont gémit l'héroïfme, & dont l'orgueil fe pare ,
L'Univers de LOUIS apprend d'autres vertus ,
Joüiſſez- en , Mortels , fous fes pieds abattus ;.
Loin de vous accabler , une pieté tendre
Comme fur fes Sujets ſçaura ſur vous s'étendre
Vous mourez;leVAINQUEUR veille à vous ranimer;
Vous force à l'applaudir , & peut- être à l'aimer.
Si nos deux derniers Rois foudroyoient des murailles
,
Le Ciel lui réfervoit la gloire des batailles :
Mânes de Souverains fi grands & fi chéris ,
Ah ! vous feriez jaloux d'un autre que d'un fils .
16 MERCURE DE FRANCE.
HENRI même , HENRI , dont l'utile courage
A fçu de fes Ayeux recouvrer l'héritage ,
HENRI n'eut que le choix du Trône ou du trépass
Pour nos feuls intérêts LOUIS arme fon bras :
Déja fon Fils le fuir , ce Fils à qui la Gloire
Pour premiere leçon préfente une victoire.
PRINCE , nouvel objet de refpect & d'amo
Que d'exemples touchants il te donne en un jour !
Arbitre du mérite , il loue , il récompenfe ,
Il ſe reconnoît maître aux faveurs qu'il diſpenſe ,
Seul dédommagement de fes juftes regrets
Pour tous ceux que la mort dérobe à fes bienfaits.
Nobles & chers foutiens de ce puiffant Empire ,
Héros , à vous chanter ma voix ne peut fuffire.
Irois-je apprécier le talent des guerriers ,
Et felon mon caprice adjuger les lauriers ?
A l'envi des grands noms qui parent notre Hiftoire,
Il en eft dont ce jour commence la mémoire ,
Mais LOUIS dans fon coeur a gravé vos exploits ;
Le Soldat a tout dit ; qu'ajoûteroit ma voix ?
Puiffe long -tems l'Europe envier à la France
Ce Chef , qui parmi nous prit une autre naiſſance ,
Ce Chef , dont le courage en un corps épuiſé ,
Subjuguant la nature , a tout fait , tout ofé !
Un regard du MONARQUE , un regard plein
de flâme
JUIN.
17 1745%
Jetté fur le Héros , renouvelle fon ame ;
Et MAURICE applaudi du Prince & du Soldat ,
Fait revivre à nos yeux VENDÔME & Catinat.
Yous , qu'un joug étranger forçoit à vous défendre
,
Redevenez François , hâtez- vous de vous rendre ;
C'eft votre premier Maître ; éprouvez les bontés ,
Et rentrez dans des droits fi long-tems regrettés.
Au milieu de ces champs où le fang fume encore ,
Scéne dont la valeur & frémit & s'honore ,
Sur un Trône formé d'armes & de drapeaux
Il reçoit du Sénat des hommages nouveaux.
GRAND ROI , tous tes Sujets te parlent par
fa bouche ;
Répons à leurs défirs ; que leur zéle te touche !
Il veille par tes loix aux jours des Citoyens ';
Promets à fon amour de ménager les tiens ;
11 friffonne au moment qu'il célebre tes armes;
O Pere , épargne -nous de trop vives allarmes ,
Duffent- en murmurer tous ces braves guerriers ,
Toujours François , toujours avides de lauriers.
Rox, Chevalier de l'Ordre de S. Michel
18 MERCURE DE FRANCE.
PROBLEME DE MEDECINE.
Si la chaleur de l'homme dans la fièvre peut
être triple ou quadruple de celle de l'état de
fanté. Par 7. T. Defmars , Docteur en
Médecine.
Left clair qu'il ne s'agit point du fentiment
de chaleur ; il feroit abfurde de
demander fi un fentiment peut être triple
ou quadruple d'un autre , mais de l'action
dufeu exiftante dans le malade , qui naît du
frottement d'un liquide élastique contre
des tuyaux élastiques.
Si l'on peut méfurer cette action du feu
qu'on appelle chaleur , tant dans l'état
de fanté que dans celui de la fiévre , le problême
fera réfolu .
Le Thermometre eft le feul Inftrument
qui puiffe fervir à cette méfure , celui de
Fahreneits dont Boerhaave a donné la
defcription , appliqué à des corps fains &
robuftes,marque 92. dans les enfans, quelquesfois
94 , & plongé dans l'eau brouillante
112. &c.
Il eft impoffible que quelle que foit la chaleur
de l'homme fain ou malade, elle puiffe
faire monter la liqueur du Thermometre de
1
JUIN.
10 1745 .
Fahreneits au degré 112. qui eft celui de
l'eau bouillante.
Ainfi 92 & 112 font les limites de la
plus grande chaleur de l'homme en ſanté
& de la plus grande chaleur dans la fiévre ;
( on prend le degré 112 pour avoir un
terme oùil foit abfurde que la chaleur puiffe
parvenir , car il eft bien rare que la chaleur
de la fiévre puiffe faire moirter la liqueur
du Thermometre au- delà de 100. )
Ceux qui pretendent que la chaleur
dans la fièvre peut devenir triple ou quadruple
, ont à prouver qu'entre 92 & 112
il est un degré où la chaleur eft quadruple ,
ce que je crois impoffible à démontrer.
Boerhaave dans mille endroits de fa
Chymie croit qu'une chaleur double doit
faire monter le Thermometre à un degré
double , & réciproquement qu'un degré
double du Thermometre marque une chaleur
double , & pag. 130. Corollaire 9 des
Elemens de Chymie , Edition de Paris , une
chaleur double de celle de l'eau bouillante
feroit monter la liqueur du Thermometre
au degré 224.
Cer Auteur diftingue fort bien la quanti
té du feu de l'action du feu qu'il appelle
chaleur ; il ne regarde pas l'une comme
proportionelle à l'autre ; felon lui , là où il
y aa le plus de feu n'eſt pas toujours le lien
où il y a le plus de chaleur.
20 MERCURE DE FRANCE.
La chaleur eft l'action du feu fur les corps.
Dans un efpace vuide de tout corps beaucoup
de feu ne cauferoit point de chaleur.
Cette action fe méfure & eſt réellement
l'expansion des corps fur lefquels agit la
matiere du feu , donc une chaleur double
requiert une expanfion double. Ainfi en fuppofant
que O fût le commencement de
l'action de la matiere du feu , ce qui eft faire
un avantage à ceux qui croyent que la chaleur
peut devenir triple ou quadruple dans
la fiévre , le Thermometre devroit monter
dans le premier cas à 276 ou à 368 dans
le fecond , ce qui eft abfolument impoffible
; donc & c . On voit au contraire que la
chaleur ne peut augmenter que de la dixiéme
partie de celle de l'état naturel.
EPITRE
De M. Cottereau , Curé de Donnemarie ;
à M....fur la Solitude.
A Mi , je ne veux plus demeurer à la Ville
Je préfere à préfent un féjour plus tranquille ;
Du fafte & des grandeurs fuyant les vains appas ,
Exempt d'inquiétude & de tous embarras ,
Je prétends déformais dans une paix charmante
JUIN. 1745.
21
Goûter d'un vrai repos la douceur innocente.
Qu'on ne me parle plus de cette privauté
·Dont quelquefois un Grand flate ma vanité.
Les fers les plus brillans n'ont point pour moi de
charmes ;
Je hais les fleurs qu'il faut arrofer de mes larmes,
Heureux qui n'étant plus au printems de fes jours,
Du refte de fes ans fçait ménager le cours !
D'une paisible vie en faifant bon ufage ,
Il peut atteindre au port du célefte héritage.
C'eſt donc fur ce deffein que réglant mes défirs¿
Je me livre fans crainte à d'innocens plaifirs .
Tantôt me promenant dans de vaſtes prairies ,
Je repais mon efprit de douces rêveries ;
Tantôt
négligemment couché fur le gazon ,
Des dépouilles des morts j'enrichis ma raifon.
Quelquefois m'égarant dans un fombre bocage
Où mille & mille Oifeaux font un tendre ramage,
Je mêle à leurs Chanfons ma parole & ma voix
Que le fidéle Echo répete au fond du bois.
En fortant tout joyeux de ce charmant azile,
Si je porte mes pas dans un vallon fertile ,
J'aime à voir ferpenter les ondes d'un Ruiffeau
Le tems eft- il ferein ? Monté fur un Côteau ,
Jé démêle du Ciel & l'ordre & la ſtructure ,
Et je vois quels refforts font agir la Nature.
C'eft de- là qu'admirant les OEuvres du Seigneur ;
Je tâche de graver fon amour en mon coeur.
Quand le flambeau du jour terminant fa carriere ,
2
2 MERCURE DE FRANCE .
N'offre plus à mes yeux qu'une foible lumiere ,
Je quitte ces beaux lieux , & je reviens chés moi
M'occuper des devoirs que m'impoſe la Foi ,
doit pratiquer tout homme raisonnable-
Qui fonde fur un Dieu fon bonheur véritable.
Ces devoirs acquittés , fi j'ai quelque loifir ,
Je chante fur ma flute un air fait à plaifir.
Des nouvelles du tems je fais auffi lecture ,
Et que
Sans prendre aucun parti fur les faits qu'on m'af
fûre ,
Mais j'ai bien plus de goût à lire ces Auteurs,
Qui charment mon efprit en réformant mes moeurs
Ce n'eft pas qu'ennemi de toute compagnie ,
Je veuille m'enfoncer dans la milantropie ;
J'aimerois les douceurs de la Société ,
Si j'en pouvois jouir en pleine liberté ;
Si j'étois fûr au moins que dans le badinage
On voulut reſpecter l'oreille la plus fage ,
Ou qu'un mortel hargneux , en dépit du bon fens ,
Ne vînt point m'accabler de faux raiſonnemens ,
Et qu'un autre enyvré de fon propre mérite ,
Ne cenfurât d'autrui l'efprit ni la conduite.
Qu'il eft trifte & fâcheux d'entendre des difcours
Que le fiel & l'aigreur empoifonnent toujours ,
De fréquenter ces lieux , où l'aimable ſageſſe
Ne peut jamais regner avec la politeffe ;
Où l'on voit au contraire un lâche délateur
Armé des traits mortels d'un calomniateur ,
JUIN.
1 } 1745
Venir effrontément , d'un air de bienveillance ,
Mordre & piquer tous ceux qui fouffrent la pré
fence !
Je voudrois des amis dont le rare talent
Eft de fçavoir inftruire en nous divertiſſant ;
De ces gens
éclairés dont l'efprit admirable
Sçait enſemble accorder l'utile & l'agréable ;
Mais où pourrois - je faire un choix fi délicat ,
Sans m'écarter des lieux qui fixent mon état ?
Mais puifqu'il faut un jour que la Parque barbare
De tout ce qui m'eft cher , malgré moi, me ſépare,
Sans defirer ni craindre un fi terrible effort ,
Ami , j'attends en paix le moment de ma mort.
Par M. Cottereau, Curé de Donnemarie.
無洗洗洗洗洗洗洗洗洗說說說說洗洗洗
REFLEXIONS fur les principes de
l'Art d'écrire.
Oici des refléxions qu'on nous a priés
d'inferer dans notre Journal ; tout ce
qui a rapport aux Arts & peut contribuer
à leur progrès nous appartient & nous eft
cher.
Plus les principes des Sciences & des
Arts font connus & démontrés clairement
, plus on doit efperer d'y faire du
progrès ; c'est une vérité reconnuë : or l'Art
24 MERCURE DE FRANCE.
d'écrire , dit M. Royllet Juré Expert Ecrivain
, ruë de la Verrerie à Paris , a des
principes certains ; les Ouvrages qu'il a
rendus publics , en font une preuve ; il a
tenu des Affemblées gratis en 1733 & les
années fuivantes , avec l'approbation des
Connoiffeurs & des Amateurs. Toutes
Sciences & tous Arts , continue-t'il , qui ne
font démontrés que foiblement , rebutent
& ennuyent par le défagrement de fe voir
livré à chercher & à pratiquer prefque toujours
foi- même , fi on n'eft doué d'une capacité
d'efprit prefque furnaturelle &
pour l'Art d'écrire avec des mains qui apportent
en naiffant d'heureufes difpofitions
pour toutes les operations de la plume
enforte qu'on ne doit dans ces cas- là fon
progrès qu'à foi-même ou à un long &
penible exercice. Il n'y a point , dit cet
Auteur , de fond à faire fur des principes
vagues & douteux . Ses réflexions portent
le caractére de vérité. C'eft une illufion ,
comme il le fait remarquer , de préfenter
une figure quarrée pour l'origine des Courbes
ou leurs fources ; c'eft y en ajouter
une autre d'établir que le feul mouvement
des doigts produit toutes les figures tant
majeures que mineures. C'eft ne fe point
embaraffer du progrès que d'oublier les
vraies pofitions du bras & de laiffer ignorer
les
TUIN. 1745
25
les fituations de la plume & fes productions
fur icelles. Que les critiques , & les jaloux
des principes du Sr. Koyllet préconifent ,
tant qu'ils voudront , la figure quarrée
contre les principes de cet Auteur , ils ne
perfuaderont jamais à tous les Connoiffeurs
ni aux gens fenfés le contraire de ce
qu'ils auront lû des Ouvrages du Sr.Royllet
ou de ce qu'ils auront entendu dans fes,
Démonftrations publiques ; d'ailleurs on
ne croit rien de plus convainquant & de
plus capable pour fe decider & en juger ,
que de l'entendre dans fes Conferences
gratis . Elles font ouvertes tous les Lundis
& Vendredis depuis 6 heures jufques à 8
du foir.
VERS
Qui ont été mis au bas d'un Portrait du Roi
peint en mignature par Pennel , entouré de
plufieurs Médaillans de Vertus fymboliques
& de Devifes qui y ont rapport , deffinés
par Cochin le fils , & préfenté à Sa Majesté
la veille de fon départ pour l'Armée.
T'Elles font les Vertus qui font le caractère
D'un Roi de fon Peuple le Pere ,
1. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
Tel eft LOUIS LE BIEN-AIME' :
De fes premiers Exploits le Batave allarmé ,
Sur Ypres , fur Menin yit tomber fon tonnerre ;
Par la valeur encor plus cher à fes Sujets ,
Il ne fait aujourd'hui la guerre.
Que pour leur affûrer les douceurs de la Paix,
Par M. l'Abbé le Blanc.
LETTRE
De M. C. R. L. F. à M. J. R.
Contenant quelques Reflexions Philofophiques.
& defintéreffées fur les Préjugés.
Vl'embarras où me met la lettre obli-
Ous ne devineriez pas , Monfieur ,
geante que vous m'avez fait l'honneur
de m'écrire ; la commiffion dont vous m'y
chargez de vous rendre un compte exact
de l'état & des occupations de mon efprit
& de mon coeur , n'eft pas ce qui
me péfe le plus. Je tâcherai de vous fatisfaire
fur cet article le moins mal qu'il me
fera poflible , & de vous témoigner par- là
combien me touche l'intérêt vif & tendre,
que vous ne ceffez de prendre, en véritable
ami , à tout ce qui me regarde , mais ce qui
JUIN. 1745% 272
me met en peine eft de fçavoir comment je
pourrai répondre à ces fentimens de confiance
& d'amitié , à ces effuſions de coeur
dans lesquelles je ne puis reconnoître qu'un
fecond moi-même , vous le fçavez :
D'un bon ami la douce confiance ,
De fon coeur franc la loyale affûrance ,
Furent toujours ce qui par- deffus tout
Scut me charmer & captiver mon goût.
Vous n'ignorez pas non plus quelle volupté
c'est pour moi de trouver dans un
autre le même fond de caractere & le même
goût de fentimens, vous vous fouvenez encore
(& meminiffe juvat ) de la joye pure"
& naïve dont me penetra la premiere perfuafion
que j'eus d'avoir acquis en vous!
un ami felon mon coeur ; je reviens à l'objet
principal de cette lettre , & puifque vous
defirez que l'éloignement où nous fommes:
l'un de l'autre ne diminue rien de la libertét
de notre commerce , je vais vous parler at
coeur ouvert & avec la même affùrance .
que nous apportions dans nos converfations
familieres , de tout ce qui m'occupe
maintenant , pour charmer l'ennui que
me cauſe naturellement votre abfence , que
j'efpere cependant ne devoit pas durer ,
long-tems : je crois ne pouvoir mieux faire
que de me réfugier entre les bras de Mir
B ij
18 MERCURE DE FRANCE.
nerve , & des Mufes , qui après l'amitié
font mes plus fidelles compagnes ; par ce
moyen
Les doux Concerts des neuf fçavantes Fées ,
Et de leur Cour les fameux Coriphées ,
Et les leçons de la docte Pallas
Me font heureux plus que tous les Incas . *
L'étude du coeur humain , de ce labyrinthe
obſcur , où l'efprit le plus éclairé a tant
de peine à fe conduire , malgré les excellens
guides que le dernier fiecle & le nôtre
ont produit.
Hic labor ille domus & inextricabilis error.
Du coeur humain , dont Paſchal nous fait
un tableau fi défagréable , que l'on pour
roit dire qu'il n'en a fait que la critique ,
dont la Rochefoucault nous donne un
fyftême fi ingenieux,dont la Bruyere décrit
fi élégamment & fi délicatement les bizar
reries , enfin du langage duquel M. de
Marivaux , & l'illuftre M. de Fontenelle.
nous donnent la clef avec tant de fineffe ;
l'étude , dis-je , du coeur humain continue
toujours de fixer mon efprit refléxif.
Tantôt m'enveloppant dans ma Philofophie ,
Je me laiffois aller à la mélancolie.
Souverains du Pérou.
JUIN. 29 1745
J'entends ces douces mélancolies dans lefquelles
on aime à converfer avec foi -même
& à fe rendre compte de fes actions & de
fes penfées ; voici les refléxions que je fis
dans ma chere folitude , fur le prejugé &
fur l'amour propre , ce grand mobile de la
pauvre humanité. Se peut- il, difois -je , que
le prejugé regne fi abfolument chés les
hommes ? car ,
Qui peut en tout s'élever au -deffus
Des préjugés & des communs abus !
Vous le fçavez, il nous faut prefqu'en fomme
Leur rapporter tous les travers de l'homme :
'Toujours le poids de la prévention
Etouffe en lui le cri de la Raiſon ,
Raifon , hélas ! trop fouvent opprimée ,
Telle l'on voit l'avide Renommée ,
Foible & timide en fes commencemens ,
Imperceptible en fes accroiffemens ,
Tout-à-coup prendre une vigueur nouvelle ,
Lever la tête , & courir peu fidelle
En les rapports , mêler la fauffeté
Fama malum
quo
non velocius ullum ,
Mobilitate viget virefque acquirit eundo , +
Parva metu primo mox fefe attollit in auras
Ingrediturquefolo & caput inter nubila condit..à
Tamficti pravique tenax & nuncia veri.
Virg. Æn. L. 4. V. 14.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
E le menfonge avec la vérité,
Du préjugé c'est le Tableau fincére ,
Nous nous formons un mal imaginaire ,
Et des vrais maux irritant l'âpreté ,
Nous ajoûtons à la réalité.
En effet nos idées , nos
raiſonnemens , nos
fentimens, nos actions , tout enfin eft fubordonné
au prejugé , il fait taire la Raifon
impofe filence à la nature , & fubjugue
notre liberté. D'ou lui vient un pouvoir fi
étendu & fi honteux à l'humanité ? Je crois
l'avoir deviné , il vient de notre pareffe
& de notre amour propre ; nous nous formons
dès l'abord fur un objet une certaine
idée ou confufe ou fauffe , nous nous accoûtumons
infenfiblement à ne plus envifager
l'objet que fous cette idée , nous ne voulons
pas nous donner la peine de l'exami
ner attentivement ; le travail effraye notre
pareffe ; la premiere impreffion avec le
tems fe fortifie ; notre efprit maîtriſé n'eſt
plus en état de revenir contre elle , pour
revendiquer fes droits : écoutons Ovide .
Principiis obfta :fero Medicina paratur ,
Cum mala per longas invaluere moras.
Peu à
peu l'amour - propre s'en mêle , &
nous fait entendre qu'il feroit honteux
pour nous d'avouer que nous nous fommes
JUIN 1745.
trompés pendant un fi long tems ; c'eft ainfi
que l'erreur prévaut contre la vérité ; ikn'y a
guerres d'apparence que ce défordre ceffe ,
tant que l'homme fera homme , c'est-à- dire
tant qu'il y aura de l'amour -propre ; ce
dernier étant inféparable de l'humanité ,
il n'eft que trop vrai que tant que cette cauſe
fubfiftera l'effet fubfiftera aufli ; il fuffit de
parler en gros de la généalogie des prejugés,
le détail en feroit trop long , l'heure me
preffe , mais fi ce Journal Philofophique à
le bonheur de vous amufer vous n'avez
qu'à parler , & je tâcherai de m'étendre
avec plus de foin fur une matiere qui fait
tous les jours l'objet de mes refléxions .
Je fuis & c.
VERS
A M. de Voltaire , par feu M. de la Faye,
ᎠDu beau larcin qu'au Ciel fit Promethée
U
Chaque Mortel en naiffant a fa part ,
De cette flâme aux humains apportée voimm
Les lots font faits , inégaux , au hazard :
Au mieux loti fi faut-il encor l'Art ,
Biiij
32 MERCURE DE FRANCE.
Și lui faut - il , étayant la nature
190 200 200
Par longs travaux veiller à fa culture ,
Puis pour guerdon qu'en a-t’il ? un vain los ,
le deftin fit fots , Tandis que ceux que
À nonchaloir mettant labeur , étude
t
Vivent contents ; loisirs, & quietude
Sont de leur fort attributs précieux ;
Près de ces biens que vaut la Renommée ,
Toi qui l'acquis par mainte oeuvre estimée ,
Dis moi , Voltaire , eft- ce donc que les Dieux
fumée , En n'accordant aux talens que
Vengent encor ce vol audacieux .
5252525:2
ASSEMBLE'E PUBLIQUE
de l'Académie des Belles- Lettres.
L'démie Royale des Inferiptions & Belles-
Lettres fit fa rentrée publique ; M. Freret
; Secrétaire perpétuel , ouvrit la Séance
par l'Eloge de feu M. l'Abbé Gédoyn
Académicien
Penfionnaire .
E Mardi 27 du mois d'Avril l'Aca-
On a inféré dans le Mercure du mois
de Janvier de l'année derniere , un EloJUIN.
1745.
33
>
ge Hiftorique de M. l'Abbé Gédoyn
& l'Editeur de fes OEuvres pofthumes l'a
inféré à la tête de ce Recueil , avec de légers
changemens , fur lefquels on a négligé
de nous confulter ; cet Eloge dans lequel
on trouve un détail fuffifant fur la Famille
de ce fçavant Académicien , Famille ancienne
& diftinguée dans l'Orléanois ,, a
difpenfé l'Auteur de celui-ci de s'étendre
beaucoup fur cet article .
Nicolas Gédoyn , né à Orléans le 9 Juin
1669 , étoit le troifiéme des cinq enfans de
Philippe Gédoyn , Maréchal des Camps
& Armées du Roi , Gouverneur de Baugen
cy , & choift par Louis XIV . à cauſe de fon
mérite perfonnel , pour Gouverneur du
Comte de Vermandois. Après avoir parlé
en peu de mots de fon éducation , du fuccès
avec lequel il fit fes études au Collége
de Louis le Grand , de l'attachement qu'il
conçut pour les Maîtres , & de la maniere
dont il fe concilia leur bienveillance, Monfieur
Freret paffa à fon entrée dans la Societé
de Jéfus. Ses Supérieurs te deftinerent à profeller
les Humanités, & on l'envoya à Blois,
où il fit un féjour de plufieurs années. Il
profeffoit la Rhétorique, lorfqu'une fluxion
de poitrine , accompagnée d'un violent
crachement de fang , l'arrêta dans cette
pénible carriere. Le Mémoire dont ce fait
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
eft tiré , fourni par un parent de M. l'Abbé
Gédoyn , qui a toujours vécu avec lui dansune
intime liaiſon , ajoûte qu'il fut mis au
lait pour toute nourriture , & que ce régime
indifpenfable pour le rétabliſſement de
fa fanté , ne s'accommodant point avec les
genre de vie qu'il menoit , fes amis l'enga--
gerent à quitter les Jéfuites , chés lefquels
il avoit paffé près de dix ans , quoiqu'il en
cût à peine 25 accomplis .
& Il fe retira d'abord à la campagne ,
vint enfuite à Paris , où une penfion modique,
affés mal payée , ne lui eût guére fourni
les moyens de cultiver tranquillement
les Lettres , fi une de fes parentes fort ri--
che ne l'avoit reçû dans fa maifon. Il ne lay
quitta qu'en 1701 , lorfque le Roi l'eut
nommé à un Canonicat de la Sainte Cha
pelle.
Sept ans après il entreprit fa Traduction
de Quintilien , qu'il publia en 1718. étant:
déja Membre depuis un an de l'Académie
des Belles Lettres . Cet Ouvrage lui valut
en 1719. une place à l'Académie Françoife-
& l'Abbaye de S. Sauve de Montreuil, qu'il
remit dans la fuite pour celle de Baugency ,,
qui le rapprochoit du lieu de fa naiffance..
La Traduction de Quintilien fit beau
coup d'honneur à M. l'Abbé Gédoyn . Il
n'eft pas difficile d'en fentir toute l'utilité
JUIN. 1745.
35
furtout après toutes les refléxions judicieufes
par lesquelles l'Auteur de fon Eloge a
fçû la développer , & que nous fommes.
forcés d'abreger. Il remarque que l'utilité
de l'inſtitution de l'Orateur ne fe borne pas
à nous mettre en état de juger de l'Eloquence
Grecque & Latine , que les principes de:
Quintilien peuvent s'appliquer à tous les
fiécles , à toutes les Langues , & que ce Rhétheur
, homme d'un efprit jufte & éclairé ,
ne regardoit la Rhétorique que comme un
moyen de perfectionner le génie naturel ,
que comme un Art qui indique les écueils :
dont il doit fe garantir. Le génie feul , dit
M. Freret , produit les véritables beautés ,
fes regles & les préceptes nous apprennent
feulement à éviter les fautes ..
Il donne enfuite une idée fort jufte de:
Vefpece d'Eloquence , qui du tems de Quin--
tilien avoit fuccedé à celle des Cicérons
& des Hortenfius, Dans le fiécle de ces
grands hommes , c'est -à-dire lorfque la Ré--
publique Romaine fubfiftoit encore , l'Elo--
quence décidoit des plus grandes affaires ;;
c'étoit elle qui dictoit le plus fouvent les
decrets du Sénat & les réfolutions du Peu--
ple,, & la confidération qu'elle donnoit aux
Orateurs , les conduifoit aux premieres di--
gnités. Les chofes avoient bien changé de
face fous fes Empereurs. Reléguée dans less
B vjj
$ 6 MERCURE DE FRANCE.
Tribunaux , l'Eloquence ne rouloir plus
que fur des objets d'une moindre étenduë ;
elle étoit bornée à des caufes particulieres :
encore ne pouvoit- on plus les plaider comme
autrefois , parce que les Juges n'étoient
plus comme autrefois pris au hazard.
C'étoit des Jurifconfultes inftruits
dans les Loix , accoûtumés à la difcuffion
des procès , & moins fenfibles à des tours
étudiés qu'à des raifons folides. Il s'agit auparavant
d'émouvoir , alors il falloit convaincre.
Cependant le titre d'homme éloquent ,
quoique moins favorable à l'ambition , flatoit
encore infiniment l'amour propre. Les
jeunes gens qui vouloient acquérir ce titre ,
Le tournerent done du côté de la déclamation
; leurs difcours rouloient fur des fujets
imaginés , fouvent abfurdes , toujours bizarres
& finguliers. Moins occupés à perfuader
leurs auditeurs , qu'à les éblouir , ils
ne fongeoient qu'à montrer de l'efprit , des
penfées brillantes , des tours nouveaux ; des
Paradoxes ingénieux rempliffoient toutes
ces harangues ; c'eft principalement pour
combattre ce mauvais goût que Quintilien
a compofé fon Ouvrage, & ce fut aux yeux
de M. l'Abbé Gédoyn une raifon de plus
pour le traduire. Il croyoit avec fonde
ment que de tels préceptes pouvoient être
JUIN. 17458
37
de quelque ufage dans un fiécle où l'abus
de l'efprit commence à devenir fi commun.
Le fuccès qu'eut cette Traduction le détermina
à traduire la Defcription de la Grèce,
par Paufanias , Auteur , dont le principal
mérite eft de peindre d'une maniere vive
& nette les Lieux & les Monuments qu'il
décrit ; homme au fond de peu d'efprit , &
qui allioit la fuperftition la plus crédule
avec l'irreligion , mais dont l'Ouvrage eft
très -utile pour acquérir fur l'état de l'ancienne
Grèce , & fur les opinions Religieufes
de fes habitans , des connoiffances que
l'efpece d'éducation nfitée parmi nous
rend néceffaires en quelque forte , même à
ceux qui fe contentent d'une certaine Aeur
de Littérature. C'eft dans cette vûë que l'Académie
en avoit dès fon établiffement regardé
la Traduction comme importante.M.
Abbé deCanmartin l'avoit même entrepri
fe , & s'étoit affocié M. Pouchard , mais la
mort de celui-ci , & d'autres foins aufquels
M. de Caumartin fut obligé de fe livrer ,
firent abandonner ce projet , dont l'exécution
étoit réservée à M. l'Abbé Gédoyn.
A la Traduction de Quintilien & de Paufanias
il vouloit joindre celle de la Géographie
de Strabon , mais détourné de fon
deffein par le mauvais état où fe trouve le
Texte de cetAuteur , il jetta les yeux fur la
38 MERCURE DE FRANCE.
Bibliothèque de Photius , dont il a traduiť
les principaux morceaux hiftoriques qui
font imprimés dans fes OEuvres pofthumes.
La perfuafion dans laquelle M. l'Abbé Gédoyn
a'toujours été de l'utilité des Traductions
, & le goût qu'il avoit pour ce genre
d'écrire , ont occafionné de la part de l'Auteur
de fon Eloge plufieurs refléxions fur
cette efpece de travail , extrêmement utile ,
mais dont la difficulté n'eft pas moindre , &.
dont le mérite eft rarement apprécié à ſa
jufte valeur. Après avoir préfenté en peu
de mots les differentes caufes du mépris &
des cenfures injuftes aufquelles les Traductions
font fujettes , & remarqué en mêmetems
qu'une Traduction , même parfaite ,
s'il étoit poffible d'en trouver , ne feroit
pas à l'abri d'une Critique raifonnable ,
il examina pourquoi il eft fi difficile de réüffir
dans ce genre d'Ouvrage & il en indiqua
les raifons principales qui font. 1 ° . La
néceffité où eft le Traducteur de poffeder.
parfaitement la Langue de fon original , &
celle dans laquelle il écrit , d'avoir le même
Four d'imagination que fon Auteur , & de
fe révêtir en quelque forte de fon carac
tere .
#
2º. La difference du génie des Langues .
Les Langues ont , dit- il , des efpéces de
beautés qui leur font particulieres , & quij
JUIN. 1745. 3.9
conſiſtent dans un certain rapport , dans
une certaine liaiſon entre l'idée principale
que les mots expriment , & un grand nom
bre d'autres idées acceffoires prifes foit de
l'étymologie de ces mots , foit de l'ufage métaphorique
qu'on en fait en d'autres occa
fions ; du mêlange de ces diverfes idées il
réfulte je ne fçais quel fentiment confus
qui forme une efpéce de beauté qu'il n'eſt
jamais poffible de faire paffer d'une Langue
dans une autre. De plus le Traducteur ren
contre fouvent des expreffions figurées que
l'uſage a rendu nobles ou gracieuſes , &
qu'il ne peut
rendre que par des équivalents
qui pafferont toujours pour des infi
délités aux yeux de quiconque entend ou
croit entendre parfaitement la Langue de
P'Original..
-
De ces Obfervations il conclut que l'on
doit mettre une grande différence entre les
Ouvrages de pur agrément & ceux qui
font Hiftoriques ou Dogmatiques. Les premiers
dont le mérite eft attaché prefque
tout entier au tour de là Langue ou à des
chofes qui dependent des coûtumes & des:
opinions d'un peuple , fouvent des modes
d'un fiécle , font infiniment plus difficiles à
traduire que les feconds . Pour ceux - ci com
me leurs beautés font d'un autre genre , 80
qu'il s'agit ou de faits ou de raifonnemens ,
40 MERCURE DE FRANCE.
il fuffit
que le Traducteur fçache bien les
deux Langues , qu'il foit au fait des matieres
dont il traite , qu'il écrive avec autant de
pureté dans fa Langue que fon Auteur a
écrit dans la fienne , enfin qu'au talent de
fe faire entendre il joigne celui de conferver
en quelques endroits je ne fçais quel
air étranger qui caractériſe la Nation & le
fiécle de fon Auteur.
Toutes ces qualités fe trouvoient réunies
dans le Traducteur de Paufanias & de
Quintilien. Il a fçû dans une copie fidelle
de fes Originaux conferver toute l'aifance
& la naïveté du ftyle François , aifance qui
caractériſe tout ce qui eft forti de fa plume.
C'étoit par eftime pour les anciens Auteurs
qu'il s'étoit déterminé à en traduire quelques-
uns , mais comme d'autres perfonnes
tiroient du même principe une conféquence
tout-à-fait oppofée , & qu'ils rejettoient
fur les Traductions la caufe du décri où
femble être aujourd'hui tombée l'étude des
Langues fçavantes, M. l'Abbé Gedoyn compofa
pour la défenfe des Traducteurs un
Difcours qui fait partie de fes Euvres pofthumes.
Au refte quel que fût fon goût pour l'Antiquité
, il ne laiffoit pas de reconnoître les
inconveniens de l'Education purement
Latine & Grecque qu'on donne aujourd'hui
JUIN. 1745 .
42
aux enfans ; deftinés à vivre dans le fein de
la France, on les éleve de la même maniere
qu'on fuivtoit
pour de jeunes Gaulois
deftinés
à paffer leur vie dans Rome à la Cour
des Céfars. Il s'eft expliqué
là- deffus dans le dernier Mémoire
qu'il a lû à l'Académie
,
& qui fe trouve auffi imprimé
dans le Re- cueil de fes OEuvres pofthumes
. Ses autres Differtations
le font dans celui des Mémoires
de l'Académie
, aux Affemblées
de
laquelle
il fut toûjours
très- affidu , ayant joüi malgré fon age avancé d'une fanté ferme
& vigoureufe
jufqu'à fa mort , arri- vée le 10. Août 1744.
Cet Eloge fut fuivi d'une Differtation que
lût M. l'Abbé Fenel fur la Doctrine qu'on
enfeignoit autrefois dans les Myfteres d'Eleufis.
L'Auteur dit d'abord, qu'ayant formé le
deffein de donner le plan fyftématique des
anciennes Religions qui ne fubfiftent plus
que dans les Livres , il avoit crû devoir
commencer par les Myfteres d'Eleufis
parce qu'il regarde ce que l'on enfeignoit
dans ces Myfteres & dans les autres de l'an
cienne Grece , comme le fond de la Relgion
chés ces peuples . Cette derniere propofition
pouvant paroître nouvelle , l'Auteur
en donna pour preuve , que c'étoit
dans ces Myſteres feulement que
l'on pro
42 MERCURE DE FRANCE.
pofoit comme fondamental le dogme des
peines & des recompenfes dans la vie ful
ture ; il ajoûta qu'il auroit pû en rapporter
bien d'autres preuves , mais que la brieveté
qui étoit néceffairement preferite aux lec
tures publiques ne lui permettant pas de
s'étendre fur cet article ni fur tous les au
tres , il étoit obligé de ne donner dans ce
moment que le précis d'un Mémoire trèsétendu
qu'il avoit lû dans les Affemblées
particulieres de l'Academie.
Enfuite M. F. fe propofa une queftion
abfolument nouvelle , fçavoir pourquoi les
Grecs affectoient de cacher leurs Myſteres
avec tant de foin . Il y répondit en expliquant
le pouvoir extraordinaire que les
anciens Grecs attribuoient à leurs cérémonies
religieufes , ce qui les leur faifoit regarder
comme le moyen principal qui leur
attiroit l'effet de leurs prieres.
Il s'enfuivoit nécellairement de cette opinion
,, que quand on fçavoit ces cérémonies
, on croyoit avoir des moyens certains
& infaillibles d'obtenir fes demandes. De
là naiffoit l'envie de les cacher >, ces céré
monies , pour en profiter , de-là le fecret
qu'on en faifoit à tout autre qu'à fa famille
ou à d'intimes amis .
Un paffage d'Héfiode fait voir que de fon
tems il y avoit dans chaque famille des efJUI
N. 1745.
43
peces de Myſteres , ou de fecrets Religieux:
mais comme on fe railloit mutuellement
parmi les Grecs fur ces points , dont on
ne fçavoit pas les raifons , Hefiode donna
pour précepte qu'il falloit refpecter les
cultes particuliers & cachés , que chacun
pouvoit avoir.
M. F. montra enfuite que ces petits
Myſteres fe detruifirent peu-à- peu en fe
réuniffant entr'eux ou en le joignant à ceux
qui étoient déja anciens & accrédités : tels
étoient ceux qu'on célébroit à Eleufis , que
l'Auteur montra en cet endroit avoir été
les plus anciens & les plus célébres de toute
la Grece , comme ils furent aufli les plus
durables , n'ayant pû être exterminés qu'àvec
le Paganifine.
C'est la doctrine qu'on y enfeignoit que
M. Fenel a voulu approfondir , ce qui fait
fuffifamment connoître que fon plan eft extrêmement
different de celui de Jean Meurfius
; il n'y a d'ailleurs que deux Auteurs
qui ayent eu le même projet que M. Fenel ,
mais il ne l'ont pas approfondi auffi avant
qu'ils euffent pû le faire , le premier ( qui eft
Jaques Godefroy, ) a donné fes penſées fur
ce fujet dans un Commentaire fur le fameux
paffage de S. Paul , Et manifeftè magnum eft
pietatis facramentum &c. I. Timot . III . 16.
dans lequel il prétend que le grand Apôtre
44 MERCURE DE FRANCE.
a fait une oppofition fuivie & détaillée ;
des principaux articles de notre Foi , & des
dogmes qu'on enfeignoit à Eleufis . Si cette
penfée de Godefroy eft bien fondée , elle ne
peut que montrer l'utilité des recherches
de notre Auteur
M. l'Abbé F. s'eft borné dans ce premier
Memoire à donner le détail de ce qu'on enfeignoit
à Eleufis fur la préexiftence de
l'ame , fur la caufe de fon union avec le
corps, & fur les fuites de cette doctrine.
Mais avant que d'entrer dans cette difcuffion
il a crû devoir répondre à deux objections
entierement oppofées qu'on lui
a fait , dans la premiere defquelles on a dit
que ce que l'on enfeignoit dans ces Myfteres
eft déja fufiifamment connu , foit par
les récits mythologiques des Poëtes , foit
par ce qu'en a rapporté S. Clement d'Alexandrie
dans le Protreptrison.
Dans la feconde au contraire , on prétend
que la peine de mort portée contre les révélateurs
de ces Myſteres , jointe à la force
de la fuperftition, en a du faire entierement
perdre la trace , & que tout ce que nous
pouvons efperer aujourd'hui eft de fçavoir
ce que l'on debitoit à la place du véritable
fecret , pour contenter les curieux. On a
ajoûté pour fortifier cette objection que.
les cruels jugemens de Weftphalie fournifJUIN
. 1745
45
feient un exemple d'un fecret gardé inviolablement
la feule force des fermens , par
& qui eft enfuite péri avec les derniers dé-~
pofitaires de ces fecrets redoutables.
Il faut convenir que M. F. s'eft trouvé
par ces deux objections entierement contraires
, dans une fituation délicate & dans
un pofte difficile à conferver , car en repondant
à toutes les deux à la fois , il fe trouvoit
dans une espece de néceffité de dire
que ces Myfteres étoient tout enſemble connus
& inconnus , mais la contradiction qu'il
y`a en cela n'eft qu'apparente , & c'eſt ce
que la parfaite connoiffance de fon fujet a
bien fait démêler à l'Auteur ; c'eſt ici un
des endroits les plus finguliers de l'Ouvrage
, il a donc montré que ce que les Poëtes
avoient débité ſur la mythologie de Cerès
ne pouvoit pas être ce qu'on cachoit dans
les Mysteres avec tant de foin , puifqu'il
eût été abfurde de demander le fecret pour
des chofes que tout le monde fçavoit.
Il a enfuite répondu à la difficulté , tirée .
de S. Clement d'Alexandrie, & pour cela il
a fait une remarque abfolument nouvelle
Parmi un très-grand nombre d'Ouvrages
qu'on a fauffement attribués à Orphée , il y
en a eu deux entr'autres , très- différens fur
les Myſteres.
Dans le premier on rencontroit des
dogmes qui avoient beaucoup de rapport
46 MERCURE DE FRANCE.
avec ceux d'Eleufis , & c'eft ce que l'Auteur
prouva par un paffage de Paufanias.
Dans le fecond on trouvoit des chofes
infames & exécrables, qui ont fait parler les
plus graves Auteurs de l'Antiquité avec la
plus grande indignation contre Orphée ,
c'eft ce qu'un endroit d'Ifocrates mer dans
tout fon jour.
Or c'étoit précifément cette feconde forte
d'Ouvrages fuppofés à Orphée que S. Clement
avoit copiés , & il eft aifé de voir qu'il
n'y avoit en cela rien des fentimens des
Prêtres d'Eleufis , le fecret n'a donc pas
révelé par les Poëtes ni par S. Clement .
été
Il faut maintenant repondre à la fecondes
objection , & pour le faire l'Auteur remarqua
primò que la peine de mort portée
contre les révélateurs des Myfteres à Athé
nes , n'avoit pas lieu dans d'autres Etats &
qu'ainfi hors le territoire d'Athénes il n'y
avoit que la fuperftition qui pût engager les
initiés au fecret , ce qui ceffoit dès que l'ef
prit de ces gens-là fe dégageoit de la fuperftition
: il y eut donc plufieurs révélareurs
, & l'on conferva leurs difcours en
différens endroits.
2º. Qu'il y avoit certainement dans les
M. d'E. de certaines chofes qu'il étoit permis
de dire publiquement. Il faudroit ne
pas connoître les hommes pour ignorer
JUIN. 1745-
47
qu'il y en avoit fans doute plufieurs , qui
faifoient des extenfions & qui en difoient
bien plus qu'on n'avoit voulu leur permettre
d'en dire.
1 3 °. Il y avoit plufieurs conformités entre
la doctrine des Myfteres & les premiers
Livres fuppofés à Orphée , qui n'étoient pas
tares.
.4°. Il y en avoit encore , ( des conformités )
entre les M. d'Eleufis & ceux des Groffiens
dans l'Ifle de Crete, & ces derniers n'étoient
pas cachés , au contraire ils étoient publics.
5 °. Enfin il y avoit alors des Livres dont
le but étoit d'expliquer les M. il eſt vrai
que l'on cachoit ces Livres avec autant
de foin que les M, mêmes , mais divers
accidents imprevûs devoient manifefter
ces Livres dans des cas qui ne devoient
pas être bien rares , ainfi les fermens & les
autres précautions dont on fe fervoit
obliger les poffeffeurs de ces Livres à les
cacher , devenoient inutiles quand ils paf
foient à des héritiers ou à des acheteurs
que la fuperftition ne retenoit
pour
pas.
Par toutes ces circonstances réunies on
voit que les Myfteres en queſtion étoient
à differens égards tout - à - la fois obſcurs
& ignorés d'une part ,& connus de l'autre.
La crainte des loix & la fuperftition travailloient
fans ceffe à les cacher , mais plu
MERCURE DE FRANCE.
feurs événemens les manifeftoient malgré
qu'on en eût. Tout cela joint enfemble
faifoit la chofe dans une de ces fortes
d'indécifions ou d'incertitudes , dont la
lecture de l'hiftoire & la connoiffance da
monde ne nous donnent que trop d'exemples.
M. F. paffa enfuite à l'explication de ce
qu'on enfeignoit à Eleufis fur la prééxiftence
de l'ame humaine , & fur la caufe de fa
defcente dans le corps , mais comme cela
eft fondé principalement fur un fragment
de Ciceron , qui nous a été confervé par
S. Auguftin lequel s'en eft fervi pour
prouver contre les Pélagiens , que les Payens
avoient confervé quelque idée du
péché originel ) nous jugeons néceffaire
pour l'intelligence de ce qui fuit , de rapporter
la traduction de ce paffage important
de Ciceron.
า
» Les égaremens & les malheurs de la
» vie humaine nous font conclure que
ces anciens Prophétes , ces anciens Prê--
> tres, qui nous ont fait connoître la vo
lonté & les deffeins des Dieux , en enfeignant
les initiations & les chofes facrées
, femblent avoir quelquefois vû-
» plus loin que les autres hommes , lorf
» qu'ils ont dit que nous étions nés en cette
» vie pour porter la peine des crimes que?
nous
JUIN. 1745 . 49
nous avions commis dans une vie anté-
» rieure : en forte que ce que l'on lit dans
» Ariſtote eft véritable , que nous fommes
» foùmis à un fupplice femblable à celui
» de ces infortunés que les brigands d'Etrurie
faifoient mourir en les attachant
» tout vivans à des cadavres & les joi-
» gnant , par une cruauté déteftable , face
» à face , & corps à corps ; ainfi nos ef-
» prits unis à nos corps , font comme des
» êtres vivans liés à des êtres privés de vie.
» Nous fommes nés ( difoit Ciceron ail-
» leurs ) pour porter la peine de nos cri-
>> mes .
M. F. remarqua qu'il avoit prouvé dans
les affemblées particulieres de l'Académie ,
que ces paffages étoient veritablement de
Ciceron , & que cet Ancien avoit déſigné
manifeftement qu'il s'agilfoit des M. d'E.
dans le premier des deux .
M. F. expliqua enfuite les conféquences
de la doctrine contenue dans cet endroit de
Ciceron , & dans quelques autres de Platon ,
qui lui font paralleles , ou les dogmes qu'elle
préfuppofoit néceffairement.
Les Prêtres d'Eleufis devoient donc enfeigner
1°. Que nos ames avoient préexifté avant
que d'être unies à nos corps , & dans
cer état elles avoient leur libre arbitre , de
I. Vol. "C
que
so MERCURE DE FRANCE,
même que dans la vie préfente.
2°. Que ces ames avoient commis quelques
fautes dans cette vie anterieure , ce
qui fuppofe des loix établies & enfraintes.
3 ° . Qu'il y avoit un Etre fuprême , une
Divinité , un Auteur de ces loix & de la
punition des ames coupables .
4°. Que cette punition confiftoit dans
un exil des ames hors du ciel leur patrie
& dans une priſon ici bas , prifon qui n'étoit
autre que les corps humains dans lefquels
les ames font renfermées.
5 °. On prétendoit enfeigner dans les M.
d'E. un moyen certain & infaillible pour
effacer ces fautes des ames , & pour les réconcilier
avec la Divinité : c'étoit l'initiation,
6. Mais cela faifoit naître une objection
; l'homme initié devoit fe hâter de
mourir , pour reprendre plus promptement
poffeffion de la béatitude dont il avoit été
dépoffedé , & dans laquelle les cérémonies
des Myſteres devoient le réintégrer infailliblement,
7°. On répondoit qu'une mort anticipée
& volontaire feroit un nouveau crime,
& que par-là on retomberoit dans les premiers
malheurs , en rompant la prifon où
Dieu nous a condamnés .
Ces dogmes de la préexi ftence & dela
JUI N. 1745 .
ceux
pour
prifon des ames font prefque univerfellement
attribués à Platon par les Ecrivains
anciens & modernes. M. F. prouva en cet
endroit par un paffage formel de ce Philofophe
, que cela étoit tiré des Myfteres , ce
qui doit s'entendre de ceux d'Eleufis , mais
comme le même Platon dans fon Cratyle
femble donner ces mêmes fentimens
pour être ceux d'Orphée , ou
de fes Difciples , ( car le Grec eft équivoque
) notre Auteur fe débarraffe de cette
difficulté d'une maniere abfolument nouvelle
, en montrant que le terme dont Platon
fuppofe qu'Orphée s'eft fervi
fignifier un corps vivant ene fignifioit de
fon tems (& encore long-tems après) qu'un
cadavre , un corps mort , & qu'il y avoit du
tems de ce Muficien- Poëte , un autre mot
pour fignifier le corps vivant & animé ;
cela décele l'impofture de ceux qui avoient
produit ces Ouvrages fous le nom d'Orphée
, impofture dont Platon s'eft apperçu
en un autre endroit , comme le prouva
M. F. Il eft vrai que cela forme une nouvelle
difficulté , fondée fur la contradiction
où Platon eft tombé , mais l'Auteur
l'a réfolu en deux mots , en faisant voir
quel eft le caractére & l'efprit des Dialogues
de ce Philofophe , dans lefquels il
Cij
52 MERCURE DE FRANCE .
expofe fouvent des fentimens très- differens
des fiens propres.
Après cette digreffion néceffaire , M. F.
reprit la fuite des dogmes d'Eleufis : on y
enfeignoit que les ames humaines avoient
des ailes , lefquelles avoient été affoiblies
ou brifées par les fautes commifes dans la
vie anterieure, Mais quels étoient les
moyens par la vertu defquels on prétendoit
redonner à ces aîles leur premiere vigueur
? On ne s'aviferoit pas de penfer
que c'étoit par de certaines bandelettes
facrées dont on entouroit la tête des initiés
, & par des diadêmes ou couronnes
dont on les décoroit ; ces couronnes myfterieufes
étoient fi précieufes , fi importantes
, fi néceffaires , qu'elles faifoient le
quatrième dégré de l'initiation , & qu'elles
ne reconnoiffoient rien qui fût plus excellent
& plus admirable qu'elles , finon
le cinquième & dernier degré de ces Myfteres
, qui confiftoit à converfer avec les
Dieux , & à jouir de leur familiarité ; ces
mêmes couronnes avoient auffi le pouvoir
de donner un certain degré de Sacerdoce
à l'initié , & par - là il devenoit en même
tems capable de communiquer ce Sacerdoce
aux autres ; c'eft ce que M. F. promit
de développer dans un autre Mémoire .
Après cela il ne faut pas s'étonner d'ap $
JUIN. 1745 . 53
prendre que la purgation de l'ame ( qui faifoit
une partie confiderable de l'initiation )
ait été fubordonnée à ces couronnes , &
qu'elles ayent été même le but & la fin
qu'on fe propofoit dans la communication
des Myfteres , & dans l'époptie ou la
vue des chofes fecrettes.
M. F. fut enfuite occupé à rapporter
plufieurs citations qui prouvent démonftrativement
qu'il avoit trouvé le vrai fens
de la cérémonie des couronnes ; mais on
eut quelque lieu d'être furpris de trouver
dans les Auteurs qu'il cita , celui qui s'eft
paré du nom de S. Denys l'Areopagite ;
cet Ecrivain a employé avec affectation
tous les termes de la Théologie d'Eleufis ,
( comme on l'a remarqué il y a déja longtems
) & entr'autres il a parlé formellement
de l'impofition des couronnes facrées,
à l'égard des morts qui ont bien vêcu .
A cette occafion M. F. promit d'examiner
le tems & l'occafion de la compofition des
Ouvrages du faux Denys , & déclara qu'il
en tireroit quelques lumieres pour fon
fujet.
M. F. remarqua enfuite que cette doctrine
des ailes de l'ame avoit été fi répandue
dans l'antiquité , qu'elle avoit donné
lieu de repréſenter l'ame fous le fymbole
d'un Papillon , dont les aîles font très-
Ciij
34 MERCURE DE FRANCE.
marquées , ou fous celui d'une tête humaine
garnie d'aîles , qui font placées tantôt
au fommet de la tête , & tantôt vers
les tempes ou vers les oreilles , c'eft ce que
prouvent une infinité de Pierres gravées ,
de Bas reliefs & de Médailles , ce qui pourroit
fournir l'objet d'une très - curieufe
Differtation. Mais l'Auteur ne pouvant
s'étendre en cet endroit , fe contenta
de cette remarque générale , à laquelle
il joignit feulement la caufe pour laquelle
la tête de Mercure étoit ornée d'un bonnet
aîlé , c'eſt qu'il étoit regardé comme le
Conducteur des ames.
M. F. développa enfuite ce qu'a voulu
dire Platon dans un célébre endroit du
Dialogue intitulé le Phédre, & il remarqua
d'abord d'après M. l'Abbé Sallier , qu'il ne
s'agit pas directement dans cet Ouvrage de
l'immortalité de l'ame , mais que Platon
n'y avoit eu pour but que de traiter de la
Rhétorique .
Enfuite vint l'Analyfe de l'endroit en
queſtion ; il nous eft impoffible de fuivre
M. F. dans ce détail , il nous doit fuffire
de remarquer qu'il prouva très - clairement
que Platon n'avoit pas eu deffein d'expofer
dans ce premier de fes Ouvrages un
fyftême nouveau & inconnu aux Atheniens
, mais qu'il avoit feulement prétendu
JUIN
1745. 55
fe fervir d'un plan déja reçu , en y faifant
néanmoins les changemens qu'il avoit cru
néceffaires pour l'adapter pour l'adapter au fujet qu'il
traitoit , & à celui qu'il faifoit parler ,
c'eſt-à-dire , à Socrate .
M. F. montra donc par les allufions bien
marquées que Platon fait aux termes
de la Théologie d'Eleufis , & par d'autres
circonftances , que le fond de ce qu'il difoit
en cet endroit étoit emprunté d'Eleufis
, mais comme on pouvoit demander
par qui Socrate ( qui certainement n'étoit
pas initié ) avoit été inftruit de tout cela ,
on voit que Platon va au-devant de cette
importante objection , en faifant dire à
Socrate qu'il en avoit été inftruit par Jupiter ,
mais que d'autres l'ont pu apprendre des au
tres Dieux ; ce qui défigne tacitement les
Déeffes d'Elçufis , & à cette occafion M.
F. remarqua que dans les M. Cerès étoit
regardée comme l'ennemie de Jupiter &
de Junon , ce qu'il promit de prouver
dans un autre Mémoire .
Enfuite il fallut montrer en quoi principalement
la doctrine de Platon differoit
de celle d'Eleufis , & M.F. s'en acquitta , en
montrant que cela confiftoit d'une part en
ce que Platon attribuoit aux préceptes de
la Philofophie une vertu égale & pareille
à celle de l'initiation , pour redonner à
Cinj
56 MERCURE DE FRANCE.
l'ame fes aîles , & pour la faire jouir d'un
bonheur femblable à celui que promettoient
les Myfteres ; & d'autre part , en ce
que Platon fembloit n'attribuer la chute
del'ame , & le briſement de fes aîles , qu'à
des caufes pour ainfi dire naturelles , au
lieu que dans les M. on enfeignoit formellement
que ces effets funeftes étoient des
fuites immediates de la puiffance & du
courroux de la Divinité , & des punitions
de quelques crimes ou de quelques fautes
de l'ame .
M. F. expofa enfuite les fentimens qu'on
lit à la fin d'un des Ouvrages de Plutarque,
où l'on trouve une application manifefte des
cérémonies & des dogmes d'Eleufis à la
Lune, en tant que l'on croyoit qu'elle étoit
la même que Proferpine , l'une des deux
grandes Divinités des Myfteres. Plutarque
en cet endroit compofe l'homme de trois
parties , Pefprit ou l'intelligence , le corps ,
& un être mitoyen entre l'un & l'autre , qui
eft la même chofe que ce que Platon nomme
le char aîlé de l'ame ; l'efprit eft fourni
par le Soleil , & il a un defir perpetuel d'y
retourner , pour y revoir l'image du vrai
bien , du bonheur en effence , & de tout
ce qui eft véritablement fouhaitable ; la
partie mitoyenne ( ou l'ame , ) eft fournie
par la Lune , & elle participe au fentiment
JUIN. 1745 .
57
& à la connoiffance ; le corps a la terre
pour principe : or ces trois parties étant
une fois unies en un même fujet , ( c'eſt- àdire
compofantes un homme , ) pour qu'elles
foient entierement féparées , il faut qu'il
arrive deux morts à l'homme , la prémiere
eft celle qu'il éprouve fur la terre , lors
que le corps eft féparé des deux autres fubf
tances , ce que nous appellons la mort naturelle
; l'autre mort arrive lorfque l'entendement
ou l'intelligence & la partie mitoyenne
fe féparent mutuellem nt , mais cette
diffolution ne fe fait que difficilement &
après un long -tems , & elle arrive toujours
dans la Lune où ces deux fubftances vont
habiter conjointement après la mort du
corps , & où elles font , en attendant la feconde
mort , traitées felon leurs mérites
après cette mort derniere l'efprit va dans
lo Soleil , qui eft fon principe..
Ce Systême , quoiqu'un peu different de
celui de Platon , s'y rapporte néanmoins en
beaucoup de points effentiels , furtout eu
égard à ces trois fubftances dont Plutarque
& Platon compofent l'homme , & à ce bonheur
de la partie fupérieure de l'homme
que Platon place dans la vûe claire & fans
nuage de l'Etre réellement exitant , de la
vérité en fon effence , de la fageffe primitive
, de la beauté éternelle , enfin de tou
C
58 MERCURE DE FRANCE.
tes les vertus & de toutes les perfections
imaginables , confidérées , dans leur fource
& dans leur nature immuable. Defcription
& idée qui fait un des plus admirables
morceaux du Phédre de Platon ; cette conformité
de Platon & de Plutarque eft accompagnée
d'affés de diffemblances pour
faire penfer qu'ils ne fe font pas copiés
Fun Fautre. M. F. croit donc qu'ils ont eu
en vûë le même original , fçavoir les Myfteres
d'Eleufis , qu'ils ont à la vérité altérés
F'un & l'autre pour les accommoder chacun
à fon Syftême particulier de Philofophie..
M. F. infifta fur ces conformités , & il y en
trouva une derniere , qui eft qu'ils ont gardé
tous deux un profond filence fur la nature
des crimes ou des fautes qui ont fait
defcendre les ames du fein de leur bon--
heur. On a déja. remarqué plus haut que
Platon femble avoir voulu s'écarter des
dogmes d'Eleufis fur la caufe immédiate
de l'éxil des ames & de leur prifon dans les
corps , mais comme il peut avoir eu diffe
rentes raifons d'en ufer de la forte , notre
Auteur conjectura en cet endroit que lui.
& Plutarque avoient été portés àla réticence
dont il eft ici queftion , parce que l'explication
de ces fautes tenoit trop intimementau
fecret principal des Myfteres. Auf-
M.F. avoua- t'il que c'étoit- là le point fur
JUIN.
59
1745.
lequel il avoit trouvé le moins d'éclairciffemens
, mais il ajouta qu'il avoit des indices
très-forts que ces fautes des ames devoient
être liées au dogme des deux principes
dont il avoit trouvé des traces évidentes
dans ces Myfteres ; avec cette circonftance
notable , que ces deux principes
étoient formés fur un plan totalement different
du Manichéisme.
M. F. remit la preuve de cette remarque
à un autre Mémoire , & finit fon difcours
en difant que l'on enfeignoit à Eleufis que
Ies hommes après leur mort paffoient fous
l'empire immédiat deCérès ou deDéméter , de
laquelle leur fort devoit déformais dépendre
abfolument , & que c'eft pour cela que
les anciens Athéniens nommoient les morts
Démétriens : que c'eft pour cette raifon que
chés cè même peuple on fe faifoit initier
quand on craignoit de mourir , il faut que
je fois initié avant que je meure , difoit-on
communément, auffi l'initiation regardoitelle
à Athénes tout le monde , hommes ,
femmes , libres , eſclaves ( excepté les feuls
enfans ) les amans faifoient ordinairement
à leurs maîtreffes la galanterie de payer les
frais de leur initiation , enfin le foin qu'avoient
les Athéniens d'enterrer tous leurs
morts en un même fens , enforte que le
wifage du défunt regardât l'Orient , devoit
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
être lié à la Religion du Pays , & avoir une
étroite relation à l'efpérance de vivre avec
les Dieux , espérance qué ce peuple confervoit
cheremenr ; nous voyons en effet
chés les anciens Payens l'Orient étoit confacré
aux Dieux, comme le Nord l'étoit aux
Mortels.
n
que
M. F. finit fon Difcours par quelques
remarqués fur la néceffité où étoient les
initiés de garder les habits dans lefquels ils
avoient été initiés aux Myfteres , jufques à
ce qu'ils tombaffent en piéces ; encore falloit-
il alors les dédier à Cérès , à moins
qu'on ne préférât de les découper en bandes
pour emmaillotter les enfans , comme
fi l'on eût voulu leur communiquer quelque
prétendue fainteté attachée à ces habits,
en attendant qu'ils euffent l'âge d'être initiés,
c'eft-à-dire l'âge néceffaire pour prêter
les fermens néceffaires , car jufques là ils
étoient exclus des Myfteres , fans quoi il
ne feroit prefque plus refté d'Adultes à initier
, ce qui eft entierement contraire à
PHiftoire .
M. Falconnet lut enfuite une Dilfertation.
fur les Princ pes de l'étymologie par rap.
port à la Langue Françoife .
Il ne prétend point faire valoir l'étude
étymologique comme une des parties les
plus effentielles de la Litterature ; il eft
JUIN. 1745 61 .
bien éloigné de dire fans reftriction avec
Platon , celui qui connoîtra les mots connoîtra
les chofes , mais il ne regarde pas non
plus cette étude comme inutile & n'ayant
d'autre fruit que de fatisfaire la curiofité.
On ne peut difconvenir en effet que le
débrouillement de l'origine des mots ne
foit un fecours , quelque foible qu'il puiffe
être , pour éclaircir l'origine des Nations
leurs migrations, le commerce qu'elles ont
eu entre elles , & d'autres points fur lefquels
l'antiquité a répandu une épaiffe obcurité.
D'ailleurs la formation des mots , qui
fait le fondement de l'Art étymologique ,
ne fçauroit être approfondie fi l'on n'en
examine les relations avec le caractére d'ef
prit des peuples , & la difpofition primiti
ve de leurs organes , en un mot fi l'on
n'étudie l'homme de tous les fiécles & de
tous les climats , en l'enviſageant de tous
les côtés .
On voit
que l'étude étymologique offre
une carriere très- vafte & très- digne de l'efprit
philofophique ; il eſt vrai que l'on n'y
peut marcher qu'au hazard , & que toutes
les découvertes que l'on fait ne font
fouvent appuyées que fur des conjectures ,
mais eft- ce là une raifon pour méprifer l'étude
étymologique ? La confervation de
MERCURE DE FRANCE.
l'homme en général dans ce qui regarde &
le Moral & le Phyfique , ne dépend prefque
entierement que de l'art de conjecturer;
la nature des chofes mêmes ne permet pas
que la plus grande partie de ce qui eft utile
à l'homme foit fufceptible de démonſtration.
Auffi l'art étymologique ne peut être
méprifé ni par rapport à fon objet , qui ſe
trouve lié avec la connoiffance de l'homme
, ni par rapport aux conjectures , qui
lui font des moyens communs avec les arts
les plus néceffaires à la vie , & les minuties
grammaticales qui femblent l'avilir , font
annoblies par l'efprit philofophique qui
doit y préfider.
L'objet de M. Falconnet dans fa Differtation
eft d'indiquer quelques principes
généraux propres à nous guider dans les
conjectures étymologiques , & d'en faire
après l'application à la Langue Françoife.
La formation des mots fert de fondement
à l'art étymologique , ils font tous
arbitraires ou naturels. M. F. ne reconnoît
pour naturels que ceux qui font formés par
Onomatopée, les noms des differens bruits ,
noms qui fe communiquent quelquefois
aux chofes qui les produifent ; tels font les
noms des Oiseaux ou d'autres animaux , conformes
au fon de leur chant ou de leur cri
JUIN. 1745. 63
avec les differentes altérations que produi
fent les differens génies des Langues ; mais
il eft remarquable que tous ces noms n'expriment
feulement que les objets de l'oüie.
Fox repercuffa natura.
Il faut encore convenir que la rudeffe ou
la douceur de certaines lettres peuvent fervir
à repréſenter l'une ou l'autre de ces qualités
dans certaines chofes exprimées par
des noms qui leur font conformes en quelque
maniere,& c'eft encore ici que laNature
peut avoir quelque part, auffi bien que dans
la prononciation plus aifée ou plus difficile
de certaines lettres , felon la differente difpofition
des mêmes organes dans differens
peuples. Les Nations Septentrionales qui
prononcent plus aifément les lettres guttu
rales , s'en fervent auffi plus fouvent avec
une rudeffe choquante pour nous . Il en
faut excepter les Suedois dont la prononciation
eft très- douce. Dans l'Orient & vers
le Midi nous trouvons les Arabes à qui
les afpirations font familieres , mais ils fçavent
les adoucir ; les Turcs ont le même
avantage , quoique le fond de leur Langue
foit le Tartare ; les Allemands ne peuvent
diftinguer le Z d'avec l'S ; ils prononcent
Zele comme Sel ; ils ont peine à pronocer
les L mouillées ; ils difent file pourfille ; les
Espagnols , au contraire commencent >.
64 MERCURE DE FRANCE.
beaucoup de mots par la double L moüillée. ·
Les Chinois ne peuvent prononcer la
dentale R ; ils difent Coulpufus pour Corpus
& Culufus pour Crux , & c. Il étoit prefque
impoffible aux Ephraimites de prononnoncer
le Schin ; ils difoient Scibboleth, aulieu
de Schibboleth ; la prononciation de
notre confonne eft très- difficile aux Fla→
mands , & celle du Th des Anglois à tous
les Etrangers . Il y a des Américains qui ne
peuvent prononcer les labiales B , pif, m ,
peut être parce qu'ils ont les levres percées.
Les Hurons n'ont point de labiales , & ne
ferment jamais les levres en parlant , cependant
le fon de leur Langue eft agréable ;
ces mêmes labiales font au contraire les
premieres confonnes que les enfans balbutient
en naiffant . C'eft-là l'origine des
mots Hébreu ab , pere , em , mere , & qui
par cette raifon font communs à toutes les
Langues , mais avec differentes altérations ,
ce qui pourtant n'eft pas univerfel , puifqu'il
y a des Langues où cette labiale fe
change en lettre d'une autre organe.
C'eſt donc à l'Onomatopée & à la prononciation
de certaines lettres préférablement
à d'autres , que fe réduit tout ce qui eft
du reffort de la Nature dans la production
des Langues. La prétendue reffemblance de
certains mots avec les chofes dont on les
JUIN. 1745 .
C
69
croit les repréſentatifs , n'eft qu'un produit
de l'imagination . C'est l'infléxion de la
voix , bien plus que l'articulation, qui peut
repréfenter quelque chofe de réellement
conforme à ce que l'ame reffent , qui peut
faire connoître les affections aux autres par
la fympathie établie entre les mêmes organes
dans tous les hommes..
Il faut convenir que tous les mots , excepté
ceux qui peuvent fe tirer de l'Onomatopée
, font purement arbitraires , ou pour
mieux dire , qu'ils ne font que les effets
d'un hazard ou de circonftances prefque
toujours inconnues . M. Falconnet avertit
qu'il ne parle que des mots primitifs , qui
dans leur fens propre n'ont d'abord ſignifié
que des chofes matérielles. De ces premiers
mots une fois établis , fuivant la convention
tacite d'une Societé , fe font formés
tous les autres , par l'addition ou le
changement de quelques lettres , en général
par une altération quelconque.
Mais dans cette altération que l'on peut
diftinguer en differentes claffes , telles que
celle des dérivés de chaque mot également
dans toutes les Langues , & dans quelquesunes
feulement celle des cas , des noms ,
des tems , des verbes on trouve une reffemblance
, que les Grammairiens appellent
Analogie , affectée à chaque claſſe ;
86 MERCURE DE FRANCE.
c'eft à cette uniformité qu'il paroît qu'une
efpece de raifon ait préfidé , quoique le
hazard ait encore ici beaucoup de part ,
puifqué dans cette varieté de changemens
aucune de ces altérations qui diftinguent
les differentes claffes , n'a plus de
droit qu'un autre pour défigner certains
modes de la chofe exprimée par le mot
primitif.
Or ce font ces altérations , qui prononcées
differemment dans un tems où l'écriture
peu connuë ne pouvoit encore en
fixer l'ortographe , ont été expofées à bien
des dépravations. Il est très-naturel qu'elles
fe foient encore multipliées parmi le
bas peuple d'une Nation , & que même
elles foient parvenues au point de former
des jargons dans les Provinces les plus éloi
gnées de la Capitale.
M. F. accufe auffi les Poëtes , & furtout
nos vieux Poëtes François , qui dépravant
les terminaifons à leur fantaisie , les ont
toujours facrifiées à la rime.
Voici plus de caufes qu'il n'en faut, quant
à la Langue Françoife, pour rendre méconnoiffables
dans l'ancien Gaulois plufieurs
mots , qui font foncierement les mêmes
que ceux d'aujourd'hui.
L'Art étymologique eft l'art de débrouiller
ce qui déguife ces mots , de les dépouiller
JUI N. 1745.
61
de ce qui , pour ainfi-dire , leur eft étran
ger , & de les ramener à la fimplicité qu'ils
ont tous dans leur origine. Ces recherches
exigent principalement la connoiffance du
premier âge de la Langue dont on cherche
l'origine .
On voit auffi en même- tems qu'il eft néceffaire
d'avoir quelque connoiffance de la
premiere Langue avec laquelle celle dont
on recherche l'origine doit être comparée .
Dans ces cas c'est presque toujours aux
Langues des peuples voifins , ou de ceux
qui anciennement ont habité le même Pays,
qu'il faut avoir recours , il faut même ſçavoir
s'y borner ; fi l'on veut aller plus loin,
ou remonter plus haut , on s'engage dans
des difcuffions qui n'ont point de fin , &
l'étude étymologique devient la partie de
la Litterature la plus épineufe, & en mêmetems
la plus incertaine ; il fuffit à ceux qui
ne veulent donner que les étymologies de
leur propre Langue , d'en découvrir la fource
immédiate , fans rechercher trop curieufement
le premier lieu dont elle coule , &
là s'expofer au rifque de fe perdre dans
l'antiquité la plus reculée .
par
Après avoir établi ces principes généraux
, M. Falconnet les applique à notre
Langue. Nous fçavons que le François tire
fon origine du Latin corrompu & des ref
68 MERCURE DE FRANCE.
tes de la Langue Gauloife, auffi bien que de
ceux d'un Dialecte de l'ancienne Teutonne,
apportée dans les Gaules par les Francs . Il
y faut encore ajoûter quelques mots venus
immédiatement des Grecs par les Colonies
des Phocéens établies dans la Gaule Méridionale
, du côté de la Méditerranée . M. F.
veut avec raifon que l'on fe contente de
démêler ce qui appartient à chacune de ces
Langues , & les dépravations les plus anciennes
des mots qui ont réfulté de leur
mêlange.
Nous fçavons de-même que la Langue
des Francs étoit un Dialecte de celle que
parloient les Germains , avec quelque affinité
avec l'Anglo - Saxon & le Gothique.
Il nous refte affés de monumens de ces trois
Dialectes Teutons pour les pouvoir comparer
enfemble ; Junius , Verelius , Schitter ,
Hikelius , en ont publié quelques - uns dans
ces derniers tems, & Hikefius , fçavant Anglois
nous a même donné des Grammaires
de ces Langues , il a de plus ajoûté à
celle qu'il appelle Franc - Théotefque , un
Gloffaire des mots François qu'il croit defcendus
de l'ancien Franc , & quoiqu'il fe
trompe affés fouvent , comme il rencontre
jufte quelquefois , c'eft un fecours qu'il ne
faut pas négliger.
Pour ce qui regarde la Langue Gauloife,
JUIN. 1745:
69
beaucoup plus ancienne que le Franc , fi
on vouloit rechercher fa premiere origine,
on tomberoit dans le défaut que M. F. recommande
d'éviter ; il remarque feulement
qu'il eft vrai-femblable que les Scythes ,
Nation vagabonde & la plus étenduë qu'il
y ait eu fur la Terre , felon d'autres , les
Phrygiens , en général les defcendans de
Japher , quels qu'ils foient , ont répandu
dans tout l'Occident une Langue qu'il a
plû à quelques- uns de nommer Celtique ;
que felon eux l'ancien Grec, qui eft la Langue
des Pelafges & celle des Aborigenes ,
d'où le Latin s'eft formé , font fes premiers
Dialectes , auffi- bien que le Teuton primitif
& le Gaulois , que ces Gaulois ayant
paffé dans la Grande- Bretagne , moins à
portée du commerce que les Gaules , s'y eft
même confervé dans fon intégrité , &
qu'enfuite un détachement des Gallois ,
peuple Breton, anciennement appellé Cambri,
s'étant réfugié dans l'Armorique au cinquiéme
fiécle , pour fe fouftraire à la domination
des Anglo - Saxons , y a porté
cette ancienne Langue , reconnuë aujourd'hui
fous le nom de Bas-Breton , qui eft
la même au fond que celle des Gallois reftés
en Angleterre , quoique l'une & l'autre
ait fouffert des altérations differentes,
Un fçavant Breton qui a une parfaite connoiffance
de l'ancien Breton , a expliqué à
70 MERCURE DE FRANCE.
M. F. par le fecours de cette Langue la
plupart des mots Gaulois qui fe trouvent
dans Céfar.
On trouve dans les Indices de Bochornius,
de Leibnits , d'Eccard & de Dom Pezron
, des collections de mots Bas-Bre
tons , que l'on donne pour Celtiques. D.
Pezron furtout, épris d'un amour fingulier
pour le Bas-Breton , veut le faire paffer
pour le vrai Celtique & pour la Langue
mere de toutes les Langues d'Occident ;
d'autres Sçavans rapportent au Grec la plûpart
des mots François , & d'autres enchériffent
fur ceux-ci , veulent donner le pas
à l'Hébreu, & en tire toutes les Langues de
'Europe auffi bien que des autres parties
du Monde . M. F. eft bien éloigné d'adop
ter ces fyftêmes . Celui de D. Pezron feroit
le plus excufable , car on peut fuppofer
avec affés de vrai -femblance que le Celtique
a été la même Langue de tout l'Occident,
& certainement le Bas-Breton repréfente
l'ancien Celtique avec moins d'altération
que ne peuvent faire le Grec , le
Latin & le Teuton d'aujourd'hui .
pas
Dans cette fuppofition , un mot qui ne
viendra évidemment du Grec , comme
Thermometre & beaucoup d'autres , s'il a
pourtant quelque reffemblance avec cette
Langue , & qu'en même-tems il en ait une
pareille avec le Celtique , n'eft-il pas plus
JUIN. 1745 . 71
taifonnable de le tirer immédiatement de
la mere Langue que de l'un de fes Dialectes?
M. Falconnet cite pour exemple le mot
amaner, qui fignifie lier ent ermes de Marine.
Il eſt certainement
plus raifonnable de le
faire venir du mot Celtique amar lien que
du mot Grec auua; mais eft-il bien für
que le mot amar foit Celtique ? On ne le
trouve point dans les Indices des anciens
mots de cette Langue.Le Bas-Breton a fouffert
autant d'altérations
que les Langues
qui fe font formées du Teuton primitif.
que
On voit par-là qu'en exceptant ce qui
vient manifeftement du Latin , on ne peut
approfondir les origines de l'autre partie
de notre Langue , qu'en la comparant nonfeulement
au Bas-Breton , mais encore aux
differens Dialectes du Teuton , que parlent
nos voisins. Tous leurs mots ont également
chés nous droit, pour ainfi-dire, de naturalité
, préférablement aux Grecs , qui quoique
mots d'une Langue de même origine ,
viennent d'un peuple plus éloigné de nous,
& dont le Dialecte nous femble plus
étranger .
Quant à ce qui regarde l'Hébreu , M, F.
remarque judicieufement que c'eft par un
zéle mal entendu qu'on a voulu faire de
l'Hébreu la Langue mere de toute la terre.
La divifion des Langues,expreffément marMERCURE
DE FRANCE.
72
quée dans le Texte Sacré , prouve qu'elles
ont eu des origines réellement differentes.
Le commerce des Phéniciens dès la premiere
antiquité, la difperfion des Juifs & la domination
des Arabes en Eſpagne , font des
raifons plus que fuffifantes pour rendre raifon
des mots Orientaux qui fe trouventintroduits
dans les Langues Occidentales .
M. F. finit ce Mémoire , fi plein de vûës
philofophiques , par une reflexion empruntée
du fçavant & judicieux Warburton .
Comme les mots radicaux des Langues
Orientales font en petit nombre , il a fallu
néceffairement qu'ils ayent fignifié beaucoup
de chofes differentes , & que leur fens
n'ait pû être déterminé que par la fuite du
difcours . On a abufé de cette multiplicité
de fignifications. Bochart , Gele , le Clerc ,
Lavaux , M. Huet , & en dernier lieu bien
d'autres de nos fçavans, comme M. Pluche,
tous également féconds en raifonnemens
étymologiques , pouvant interpreter, felon
leurs deffeins particuliers , les mêmes mots
differemment , n'ont adopté chacun que le
fens qui leur étoit favorable ; ainfi on peut
dire que fur le même fondement tous ont
bâti des Syftêmes prefque entierement op
pofés , dont aucun n'a fur les autres l'avantage
d'une plus grande vraisemblance.
CANJUIN
1745: 71
% @: ལྕི @ ལྕི❁ གུ
CANTIQUE DE MOYSE ,
Après le paffage de la Mer Rouge.
Cantemus Domino , gloriofe enim magnificatus
eft, equum & afcenforem dejecit in mare.
Exod. Chap. 15 .
CP dans le texte
E Cantique appartient de droit à la
Hébreux , & ce font les plus anciens que
l'on connoiffe. Jofeph fur la fin du Livre
fecond de fes Antiquités affûre que ce
font des Vers hexametres , ce qui femble
confirmé par l'autorité de S. Jérôme , Juge
compétent dans cette matiere . M. Herfan
Profeffeur au Collège du Pleffis a expliqué
ce Cantique de Moyfe felon les regles
de la Rhétorique . M.Rollin , cet Ecrivain fi
fingulierement attentif à recueillir dans fes
Ouvrages tout ce qui peut être utile à la
Religion , a inferé dans le fecond Tome
du Traité des Etudes la Verfion & le
Commentaire de M. Herfan . Je m'en ſuis
fervi autant que me l'ont permis la gêne &
les écarts de la Poëfie.
J E chanterai le Seigneur
Et fa puiffance fuprême.
1. Vol.
D
74 MERCURE DE FRANCE
Pour la Nation qu'il aime
Il étale fa grandeur ;
Son aîle couvre nos traces ;
En injures , en menaces
En vain l'Egypte éclatoit:
Il paroît ; fa main foudroye
Le Cavalier qui le noye
Sous le courfier qu'il montoit.
**3 *+
Son bras , quand la mort m'affiége
Eft ma force & mon falut ;
Jamais fur ceux qu'il protége
L'ennemi ne prévalut.
Seul objet de fa tendreffe ,
Je célebrerai fans cefle
Mon invincible foûtien .
Avec lui tout me proſpere :
Il fut le Dieu de mon pere ,
Il daigne être encor le mien ,
Iehova s'eſt montré comme un guerrier terrible
Il ouvre dans les flots une route paiſible
Aux peuples dont il eſt ſervi ,
Et dans ces mêmes flots , ouverts pour notre fuite
Sa main renverſe & précipite
Le Char de Pharaon , les Chefs qui l'ont fuivi.
La Mer Rouge , la Mer qui baigne leur Empire ,
JUIN 1745.
De toutes parts les inveftit :
Son propre Roi qu'elle engloutit
Difparoît dans l'abyme où la fureur expire.
J'ai vûChefs & Soldats ,Courfiers, Armes,Drapeaux ;
Au bruit des vents & du Tonnerre ,
Comme le métal ou la pierre ,
Tomber , s'enfévelir dans le gouffre des eaux
Ta droite a fignalé fa force inépuiſable ,
Seigneur ; où font ces Rois contre ta Loi durable
. Follement conjurés ?
Leur fafte & leur grandeur couvroit la Terre end
tiere ;
Je les cherche , où font ils ? Le feu de ta colere
Les a tous dévorés.
Ton fouffle impétueux a pénétré les ondes ;
Il ouvre de la Mer les entrailles profondes
De l'un à l'autre bord.
Soudain les flots durcis au milieu des abîmes
Forment l'affreux chemin qui conduit tes victimes
Dans les bras de la mort.
Notre ennemi difoit : je pourſuivrai ma proye ;
Leur fang , leur propre fang inondera leur voye
Jufqu'au fond des Deferts .
Je les dépouillerai , j'aſſouvirai ma haine :
Dij
76 MERCURE DE FRANCE,
Ils étoient fous le joug , ils ont brifé leur chaîne
Qu'ils rentrent dans mes fers.
:
+xxx+
Il le difoit , & leurs blaſphêmes
Sont étouffés au fein des flots.
Dieu fait retomber fur eux- mêmes
L'audace de leurs vains complots,
Grand Dieu ! que tu fais de prodiges
Ces Dieux d'erreurs & de preftiges a
Ont-ils pu s'égaler à toi.
Terrible Maître des Empires ,
Les chants même que tu m'inſpires
Me pénetrent d'un faint effroi.
Tu fais fuir la mort & la guerre
Loin des coeurs qui te font foumis
Tu romps les voûtes de la Terre
Sous les pas de tes ennemis.
Partout ta bonté paternelle
Soutient la Nation fidelle
Que ton bras vient de racheter,
Et pour couronner ton ouvrage
Tu la conduis dans l'héritage
Que toi- même veux habiter.
De la Paleſtine allarmée
Je vois la rage & la douleur,
Tous les Princes de Idumée
1
JUIN. 1745
Sont dant le trouble & dans l'horreur ;
Moab quitte fes champs fertiles ;
Ses Soldats reftent immobiles
Sous ton glaive victorieux ;
Dans l'effroi mortel qui les glace ,
Seigneur , fur ton Peuple qui pafle
Ils n'oferoient lever les yeux.
+3*+
Tes foins l'établiront ſur la Montagne Sainte ,
Ou tu veux élever le Trône de ta Loi.
Dans ces lieux tant promis , Législateur & Roi ,
De ton riche Palais tu fonderas l'enceinte.
L'Univers t'y rendra des honneurs éclatans.
Ton Regne eft éternel , Seigneur , & fa durée
Par les âges ni par les tems
Ne fçauroit être méfurée.
***
Pharaon fur fon Char eft entré dans la Mer ,
Il portoit dans les mains & la flâme & le fer ;
Tout un Peuple a fuivi ce Monarque infléxible :
Il s'avance , Dieu tonne , & dans leur chute horrible
Les flots fe font rejoints fur ce peuple crue ,
Mais ils font devenus une plaine folide
Sous la marche rapide
Des Enfans d'Ifraël .
D iij
MERCURE DE FRANCE.
DISCOURS
Prononcé par M. P
id.
M. P *** B. D. A.
te 9. Mai 1745 .
MESSIEUR ESSIEURS ,
L'amour propre eft le premier fentiment
que la Nature ait mis dans le coeur des
hommes :
gate
de
croire que ce
fentiment foit vicieux quand il n'eft pas
dereglé ; nous devons nous aimer nousmêmes
& travailler fans relâche à notre
bonheur.
>
Mais ce qui fait ordinairement regarder
le nom d'amour-propre comme odieux
c'eft que nos paffions & les erreurs auf
quelles la Nature humaine eft fujerte
nous font prendre le change , & préferer
les maux deguifés aux véritables biens ; nous
confondons l'orgueil qui eft vicieux par lui
même avec l'amour - propre qui ne l'eft pasi
La plus dangereufe illufion de cet amour
propre deregle , c'eft le defir immoderé de
fe préferer aux autres fans fe donner la
peine de mériter cette préference , c'eſt la
paffion de les maîtriſer fans avoir travaillé
à fe rendre dignes de cet empire.
JUI N. 1745. 75
-De-là naiffent dans toutes fortes d'états
les inimitiés fecrettes , les jaloufies & les
cabales : on tache de s'attribuer par ſes hauteurs
cette fuperiorité que l'on ne devroit
obtenir que du véritable mérite . Dans les
occafions où il fe trouve quelque diverfité
d'avis , il femble que chacun ne fonge qu'à
vaincre fon ennemi , plûtôt que de chercher
à fe concilier avec fon confrere , &
la difference d'opinions ne va point fans
aigreur entre les perfonnes.
Mais ce defir de nous élever fans raifon
au-deffus de nos égaux n'eft qu'un piége
que l'orgueil nous préfente , ce n'eft qu'un
fantôme que la vanité nous fait fuivre , qui
nous guide quelque tems , & qui nous
abandonne malgré nous dans un abyme où
nous voyons fur nos têtes ceux à côté de
qui nous ne voulions pas marcher.
đû ?
Eft- ce s'aimer véritablement foi-même
que de s'expofer à un danger fi funefte ,
& que de courir les rifques de payer auffi
cher un honneur qui ne nous étoit pas
L'étude de la justice & de la raifon doit
bien nous faire éviter un auffi dangereux
écüeil.
L'amour-propre que la raifon éclaire
nous dicte que fi nous voulons l'emporter
fur les autres , ce n'eft que par notre propre
mérite
que nous devons nous attirer
D iiij
30 MERCURE DE FRANCE.
un tribut volontaire d'eftime & de défé
rence ; il nous enfeigne que fi nous nous
aimons véritablement nous-inêmes nous
ne pouvons être fatisfaits qu'en devenant
aimables aux yeux de ceux avec qui nous
vivons , enfin que fi nous voulons admirer
nos qualités & nos vertus , il faut réellement
en avoir qui foient dignes de l'admiration
des autres.
nous "
Sans cela notre présomption , quelque
violente qu'elle foit , fera forcée de nous
abandonner à chaque inftant ; le contentement
que nous voudrons avoir de
fera fans ceffe empoifonné par l'amertume
de déplaire à ceux qui nous environnent .
Qu'est ce qu'un homme qui n'aime que luimême
, mais qui n'eft aimé que de lui ſeul ,
& dont l'opinion qu'il a de foi eſt toujours
démentic par tous les regards ?
Pardonnons un moment de joye après une
action d'éclat , après un brillant fuccès ; applaudi
par tous les autres , il eft bien difficile
de fe refufer à foi- même un peu d'admiration
, mais n'excufons jamais cette baffe
jaloufie , fille d'un orgüeil mal entendu ,
qui ne veut que faifir les défauts des autres.
pour fe confoler des fiens , & qui ne cherche
qu'à avilir le prix des talens pour fe
mettre , fans en avoir , au-deffus de ceux
qui les poffedent.
JUIN . 1745 . 8x
Si nous ne naiffons pas tous avec les qualités
fuperieures de l'efprit , fi la Nature a
refufé à quelques-uns ce don fi brillant de
paroître , il eft des vertus que l'on peut
acquerir. On peut fe rendre recommandable
par l'étude , par la fincérité, par la bonté
du coeur , & l'amour-propre peut être juftement
flaté quand on fe voit aimé de fes
concitoyens & de fes confreres par ces
vertus de la fociété.
Ces qualités doivent nous être d'autant
plus cheres qu'elles naiffent par nos foins
que le tems feul & la conſtance les font
paroître , & que ce font les plus fages qui
s'en laiffent frapper.Elles font d'autant plus
précieufes que tout homme doit les avoir ,
qu'elles font néceffaires dans tous les états ,
que l'on peut les avoüer fans orgueil. &
C'eſt le jufte fujet que j'ai de me féliciter
aujourd'hui en vous remerciant de l'hon
neur que vous m'avez fait de me mettre
dans la place que je quitte pour la rendre à
un plus digne que moi . Vous m'avez reçû
avec bonté au milieu de vous , vous m'avez
foutenu dans mes foibleffes fans prefque
les faire fentir , c'étoit toujours l'ef
prit d'humanité qui régnoit dans vos confeils
.
Tels étoient fur tout envers moi ceux
de nos confreres dont nous regrettons la
perte.
Dv
9
82 MERCURE DE FRANCE.
Le premier, occupé dans un Tribunal inferieur
, s'étoit rendu recommandable par
une étude profonde des Loix , & n'employoit
fon fçavoir qu'à appaifer , dès les
les divifions qui poucommencemens
,
voient naître dans les familles,
Le fecond , dont les lumieres de l'efprit
fembloient s'être augmentées aux dépens
de celles du corps qu'il avoit perdues,a toujours
confervé cet efprit d'égalité qui l'élevoit
en élevant fes confreres..
Et le troifiéme né avec un Génie heureux ,
avec un efprit de décifion que l'on ne doit'
qu'à la Nature , eft mort dans les bras du
travail , en fe rendant utile à fes . conci-
›
toyens ..
Animés par ces exemples travaillons à
nous faire aimer , à nous faire eftimer , afin
d'avoir le droit de nous eftimer & de nous
aimer nous-mêmes. Banniffons loin de nous
cet orgueil qui n'a aucun foutien , cette
préfomption qui n'eft accompagnée d'aucunes
qualités , mais confervons cer amourpropre
qui nous conduit à nous rendre plus
parfaits pour être plus dignes de nous plaire
à nous-mêmes , qui nous laiffe rendre
juftice aux autres , applaudir à leurs talens,
& qui nous perfuade que c'eft annoblir fon
état que d'élever ceux avec qui on le partage,
JUIN.
83: 1745
5€ d
NOUVELLES LITTERAIRES ,
E
DES BEAUX - ARTS , ¿c.
NCYCLOPEDIE ou Dictionnaire
Univerfel des Arts & des Sciences ,
contenant l'explication des termes & des
matieres compriſes fous ce Titre , foit
dans les Sciences Divines & Humaines ,
foit dans les Arts Libéraux & Méchaniques
; la defcription des Formes , des Efpe,
ces , des Propriétés , des Productions , des
Préparations & des Ufages des chofes naturelles
& artificielles , l'origine , le-·pro
grès & l'état actuel des affaires Eccléfiaftiques
, Civiles , Militaires & du Commerce,,
les differens Systêmes , Sectes , Opinions ,
&c. des Théologiens , Philofophes , Ma
thématiciens , Médecins , Médecins , Antiquaires ,,
Critiques. Ouvrage propre à fervir d'un
Cours d'Etude des anciens & des modernes
, & extrait des meilleurs Auteurs , Dictionnaires
, Journaux , Mémoires , Tranfactions
, Ephémérides , & autres Euvres publiées
en differentes Langues , traduit de
l'Anglois d'Ephraïm Chambers , Membre:
de la Societé Royale de Londres..
Floriferis ut apes in faltib us ,
Omnia nos . Lucrec.
Divji
84 MERCURE DE FRANCE.
Cinq volumes in-fol. avec figures en Taille
- douce. Propofé par foufcription, A
Paris, chés le Breton petit-fils d'Houry , Libraire-
Imprimeur Ordinaire du Roi , ruë de
la Harpe , au S. Efptit .
Rien ne prouve mieux l'utilité des Dictionnaires
que le grand nombre que nous
en avons , & l'eftime que le public paroît
en faire ; nulle méthode n'eft plus propre
à faciliter aux ignorans l'acquifition de
de quelques connoiffances, & rappeller aux
Sçavans celles qu'ils ont déja acquifes, ou à
leur indiquer les fources où ils en peuvent
puifer de nouvelles ; ces Cartes nombreufes ,
trefor des Sçavans , lefquelles contiennent
les renfeignemens de leurs lectures , fontelles
autre chofe qu'un Dictionnaire , ou
fi l'on veut une Table des Matieres , dont
les feuilles font encore difperfées ? Ainfi fi
l'on pouvoitfaire un Dictionnaire allés méthodiquement
ordonné pour que l'on pût
facilement y trouver tout ce que l'on chercheroit
, tout poffeffeur de ce Livre deviendr
oft fçavant , & feroit prefque auffi avancé
que ceux qui ont acquis un grand nombre
de connoiffances , mais que leur mémoire
fert mal , s'ils ne confultent leurs
extraits. On a dit autrefois
que
l'on pour
roit mettre en dix ou douze volumes in-folio
tout ce qui a été dit , tant les mêmes chofes
JUIN. I 745 .
85
ont été répetées foit en differens termes ,
foit bien fouvent dans les mêmes ; une
Encyclopedie univerfelle feroit à peu près
cet effet.
M. Chambers Auteur du Dictionnaire
qu'a traduit M. Milff & dont nous annonçons
le Profpectus , a voulu faire un ouvrage
qui raffemblât tout ce qui concerne
les Sciences en géneral , & qui tendît à
faire connoître &, à perfectioner chacune
de leurs parties , deffein vafte , & qui
exigeoit beaucoup de connoiffance , d'ef
prit & de patience. Il y a environ dix
huit ans que ce livre parût pour la premiere
fois en Angleterre; quatre Editions qui
ont été rapidement débitées prouvent l'eftime
que les Anglois font de cet ouvrage , &
femblent des garants du fuccès qu'il doit
avoir en ce Pays , car un Dictionnaire qui
traite des Sciences , des Arts , de l'Hiftoire ,
de la Philofophie , en un mot de connoiffances
précifes , n'eft point dans le cas des
ouvrages de goût , qui participant du
génie & des moeurs d'une Nation , peuvent,
quoiqu'eftimés avec juftice dans leur
Pays natal , recevoir un médiocre acceuil
dès qu'ils paffent dans un autre Pays , ſemblables
à ces plantes qui ne peuvent croître
fous un climat étranger. ( Ceci n'a cepen- ,
dant pas été vrai à l'égard du Théâtre An86
MERCURE DE FRANCE.
glois dont le public a lû avec avidité les
deux premiers volumes . )
Le véritable titre du livre eft l'Encyclopédie
, c'eſt-à -dire le rapport & la liaison que
les Sciences ont entr'elles, le titre de Dictionnaire
Univerfel des Arts & Sciences eſt ſu→
bordonné , & n'exprime autre chofe que la
méthode
l'Auteur a fuivie en compofant
fon ouvrage.
que
M. Leibnits dont l'efprit embraffe toutes
les connoiffances , & qui a laiffé plufieurs,
Plans , & plufieurs Projets pour l'accroiffement
des Lettres , fouhaitoit que celui -ci
fût exécuté par une main habile , & quoiqu'il
eftimât l'Encyclopedie d'Alfled , fon
eftime regardoit plus le plan de l'ouvrage
que fon exécution , & il defiroit qu'il fe
trouvât quelque Sçavant qui eût affés de
courage & de capacité pour conduire ce
Projet à fa perfection .
coup
M. Chambers a furmonté toutes les dif-.
ficultés, il a difcuté les matieres avec beaud'érudition
, & il a mis dans fon travail
une clarté & une netteté qui font le
principal mérite d'un ouvrage de cette
nature. Il traite à fond tout ce qui eſt du
reffort des Arts & des Sciences.
La Medecine , l'Anatomie , toutes les:
parties de la Phyfique y font expliquées ;:;
on ne fçauroit nier que M. Chambers ne fût
JUIN. I745 . 87
parfaitement inftruit il ne fe contente ;
pas de donner la définition d'une Sciencefous
le nom qui lui eft propre , il pouffe
fes recherches plus loin , & par l'étendue
des renvois qu'il a placés à chaque article
on connoîtra toute l'étendue de cette
Science & tous les rapports qu'elle a avec
celles qui lui font fubordonnées ; quelques
articles dont on a donné la traduction dans.
ce Profpectus , & defquels nous allons ici:
donner un extrair , mettront le lecteur
au fait de la forme de cet ouvrage & des,
fruits qu'on en peut retirer..
A l'égard de la traduction elle eft l'ouvrage
de M. Milff , fçavant Anglois qui a
été élevé en France , & à qui les deux Langues
font devenuës maternelles ; il s'eft
affocié dans fon travail plufieurs perfonnes
fçavantes & zélées pour l'avancement
des Lettres , c'eft le même M.. Milff , qui»
non content des foins qu'il s'eft donnés
pour cet ouvrage , a genereufement confacré
fa fortune à foutenir les frais confiderables
de cette entreprife , & qui eft feul
proprietaire du Privilége ; la traduction eſt
fidelle & exacte , & autant que laLangue a pu
le permettre, litterale ; on n'a rien retranché
de tout ce que l'Auteur a dit , & à l'égard.
des augmentations , on les a placées de
façon que loin dødeshonorer l'original , la,
88 MERCURE DE FRANCE.
traduction aura l'avantage d'avoir rempli
plus exactement & même enrichi le Plan
général de l'Encyclopedie de M. Chambers.
Il y aura 120 Planches gravées par unt
des meilleurs Graveurs de Paris. Ce nombre
eft quatre fois plus grand que celui de
l'original.
Pour la commodité des Etrangers on ajoutera
un vocabulaire de tous les articles de
ce Dictionnaire , en fix Langues , qui font
le François , le Latin , l'Anglois , l'Allemand
, l'Italien & l'Efpagnol ; il fera dirigé
par colonnes , & le François fera à la tête
dans le vocabulaire général . On reprendra
enfuite toutes les autres Langues , les unes
après les autres , en ajoûtant à chaque mot
la fignification Françoife, par ce moyen un
Etranger ne fera jamais embarraffé pour
chercher dans ce Dictionnaire l'article auquel
il fouhaite d'avoir recours.
Voici les articles que nous avons promis.
Atmosphére , une dépendance de notre
terre , qui confifte en une fubftance fubtile ,
fluide , élastique , que nous appellons Air ,
& qui entoure le Globe terreftre jufqu'à
une hauteur confiderable ; qui gravite vers
le centre & fur la fuperficie de ce même
Globe , qui eft amené avec lui le long de
La route & participe de tous fes mouveJUIN.
1745.
1
mens , foit annuels ſoit journaliers. Voyez
Terre.
On entend communément par Atmofphère
toute la maffe , ou tout l'affemblage
d'Air qui entoure notre Globe. Mais quelques
Auteurs qui fe piquent d'une plus
grande précifion , reftraignent l'étendue
de l'Atmosphére à cette partie de l'Air qui
eft la plus proche de la terre , qui reçoit
les vapeurs , & les exhalaifons , & qui eft
terminée par la réfraction de la lumiere du
Soleil. Voyez Réfraction .
-
L'Atmosphère s'infinue dans tous les
vuides des corps , & devient par - là la
grande fource de la plupart des changemens
qui arrivent ici bas , comme de la Génération
, de la Corruption , de la Diffolution.
&c . Voyez Génération , Corruption
Diffolution . & c.
C'est une des grandes découvertes des
Philofophes modernes d'avoir trouvé que
les divers mouvemens que les Anciens
attribuoient à la crainte du vuide , ne font
réellement caufés que par la preflion de
l'Atmosphère , c'eft auffi à cette même
preffion qu'on doit en quelque façon
attribuer la cohéfion des corps. Voyez
crainte du vuide , pompe , préffion , &c.
Poids de l'Atmoſphere. La preffion de
l'Atmoſphere influë extremement fur les
90 MERCURE DE FRANCE.
corps organifés : c'eft à quoi les Plantes
doivent leur végétation & les Animaux
leur refpiration , la circulation de leur
fang , leur nutrition , &c. Voyez Plante ,
animal , vegetation , circulation , & c ; de
là proviennent auffi plufieurs changemens
confidérables dans l'economie animale
par rapport à la fanté , &c . Voyez fanté.
Cela étant , le calcul de la quantité précife
de cette preffion devient un fujer
digne d'attention. Nos corps font égale
ment preffés par l'Atmosphère qui repofe
fur eux & le poids qu'ils foutiennent eft
égal à un Cylindre d'Air , dont la baſe eſt
égale à fuperficie de nos corps or un
Cylindre d'Air de la hauteur de l'Atmoſphere
eft égal à un Cylindre d'eau de la même
bafe & haut de trente-cinq pieds d'Angleterre
, ou à un Cylindre de Mercure de
vingt- neuf pouces de hauteur , comme
nous l'apprenons par l'expérience de Torricelli
, & par la hauteur à laquelle l'eau
monte dans les pompes , fiphons , &c.
Voyez machine de Torricelli . Voyez auffi
pompes , fiphons , & c .
De-là il s'enfuit que chaque pied quarré
de la fuperficie de nos corps eft chargé
& preffé par un poids d'Air égal à trentecinq
pieds cubiques d'eau . Or les experienses
nous apprennent qu'un pied cubique
JUIN. 1749. 92
:
d'eau pefe foixante-feize livres de douze
onces , ainfi chaque poids quarré de la furface
de nos corps foutient une quantité
d'Air égale en poids à 2660 livres , parce
que 76 x 352660 , & autant de pieds
quarrés que la fuperficie de notre corps
contient , autant de fois il doit porter
2660 livres : ainfi fuppofant que la furface
du corps d'un homme contient quinze
pieds quarrés ( ce qui eft à peu près la
mefure des corps ordinaires ) il s'enfuit
qu'il foutient un poids égal à 39900 livres
parce que 2660 × 15 = 39900 livres , dé
forte qu'un homme porte communément
une charge de près de vingt tonneaux.
>
La difference du poids de l'Air que nos
corps foutiennent en differens tems eft
auffi très- conſiderable.
Tout le poids de l'Air qui preffe fur nos
corps , quand le Mercure eft le plus haur
dans le Barometre, eft égal à 39900. livres,
De-là nous allons prouver que la difference
entre la plus grande & la plus petite
preffion de l'Air fur nos corps eft égale à
3982 livres.
-La difference du poids de l'Air en differens
tems eft mefurée par la hauteur à laquelle
le Mercure monte dans le Barometre ; or
comme la plus grande variation de la hau
teur du Mercure eft de trois pouces , ilfe
92 MERCURE DE FRANCE.
trouvera que lorfqu'il aura baiffé d'autant
dans le Barometre , la preffion que foutient
un corps d'une baſe donnée, fera allegée de
la valeur du poids d'une colonne d'Air, dont
la bafe fera la même & dont le poids fera égal
à celui d'un Cylindre de Mercure de la même
bafe & haut de trois pouces , en forte
que chaque pouce quarré de la furface de
nos corps eft preflé dans un tems plus que
dans un autre par un poids d'Air égal au
poids de trois pouces cubiques de Mercure.
Ot comme un poids cubique d'eau pefe foixante-
feize livres, un pied cubique de Mercure
pefe 1064 livres 102144 drachmes ,
& comme 102144 drachmes font à un
pieds cubique , ou ce qui revient au même
a 1728 pouces cubiques , de-même 59
192
1728 drachmes font à un pouce cubique ,
enforte qu'un pouce cubique de Mercure
étant à peu près à 59 drachmes , & com
me il y a 144 pouces quarrés dans un pied
quarré , il s'enfuit qu'une maffe de Mercu
re d'un pied quarré = 144 pouces quarrés
étant de la hauteur de trois pouces , doit
contenir 4.32 pouces cubiques de Mercure,
qui x 59 ( le nombre de drachmes contenuës
dans un pouce cubique de Mercure )
25488 drachmes , c'eft donc le poids qu'un
pied quarré de la furface de nos corps
foutient
dans un tems plus que dans un autres
JUIN. 1745:
93
Suppofons comme auparavant la furface
du corps d'un homme à quinzes pieds
quarré , alors le corps foutiendra dans un
tems plus que dans un autre un poids =
= 15 x 25488 = 3823 20 drachmes ( 47790
3982 livres de 12 onces.
onces )
Lion doit donc d'être furpris de ce que
notre fanté fouffre quelquefois par le chân◄
gement du tems , nous devrions être étonnés
de ce que chaque changement dans l'Air
ne fe fait point fentir en nous , car fi nous
faifons attention que nos corpsfont preffés
dans un tems plus que dans un autre par un
E poids de près de deux tonneaux , & que
Louvent cette variation eft extrêmement
fubite , il nous paroîtra furprenant que nos
corps puiffent réfifter à une révolution auffi
violente , & ne foient point totalement détruits
, &c.
Fable , Conte , ou Narration feinte , dont
l'objet eft ou d'inftruire ou de plaire , ou
comme M. de la Motte l'a définie une
inftruction déguiſée fous l'allégorie d'une
action.
La Fable femble avoir été la maniere la
plus ancienne d'enſeigner, La principale
difference entre l'Eloquence des Anciens &
celle des Modernes confifte , felon le Pere
le Boffu , en ce que notre maniere de
Jer eft fimple & propre , au lieu que celle
par
04 MERCURE DE FRANCE.
des Anciens eft remplie de myſtéres & d'aldégories.
Chés eux la vérité étoit communément
déguiſée fous ces inventions ingénieufes
qu'on appelloit par excellence Fabula ,
Fables , c'eft-à-dire Mots , comme voulant
dire qu'il y avoit la même difference entre
ces difcours fabuleux des Sçavans & le Langage
ordinaire du peuple qu'il y a entre le
Langage des hommes & la voix des Bêtes.
Au commencement on n'employoit les
Fables qu'en parlant de la Nature Divine
telle qu'on la concevoit alors , auſſi l'ancienne
Théologie n'étoit - elle qu'une Fable;
les attributs divins étoient comme feparés
en autant de perfonnes qu'on connoiffoit
d'attributs , & l'idée qu'on avoit de l'oeconomie
de la Divinité étoit renfermée
dans les Narrations fabuleufes qu'on faifoit
des actions qu'on lui attribuoit , foit parce
que la raifon humaine ne pouvoit pas
concevoir autant de pouvoir & d'action
dans un Etre indiviſible , oouu foit foit parce
qu'on trouvoit ces chofes trop élevées pour
la connoiffance du peuple , & comine on ne
pouvoit pas bien parler des opérations de
cette caufe toute puiffante , fans parler en
même-tems de fes effets , il s'enfuivit que la
Philofophie naturelle , & à la fin la Nature
humaine & la moralité même , furent
voilées fous ces mêmes expreffions fabuleu-
>
JUIN. 1745i
95
a'
fes & allegoriques , de-là l'origine de la
Poëfie , & particulierement de la Poëfic
Epique , voyez Poëme Epique.
Les Critiques d'après Aphtonius &
Theon content trois efpeces de Fables ra
tionales , morales , & mêlées.
Fables rationales nommées auffi Paraboles
font des relations des chofes qu'on
ſuppoſe avoir été dites ou faites par quelqu'un
, & qui quant à leur poffibilité auroient
pû avoir été dites ou faites , quoi
qu'en effet elles ne l'ayent point été , telles
font dans l'Ecriture Sainte , celles des dix
Vierges , du mauvais Riche , de Lazare
& de l'Enfant Prodigue , &c. nous avons
auffi environ une douzaine de ces Fables
rationales dans Phédre. Voyez Paraboles.
Fables morales qu'on appelle auffi Apologues
, font celles où l'on introduit les
bêtes comme acteurs , en les faifant parler
& c. on leur donne encore le nom de Fables
Efopiques, non qu'Efope ait été leur inven
teur , puifqu'elles étoient en ufage long,
tems avant lui , & déja du tems d'Homere
& d'Hefiode , mais parce qu'il a excellé en
ce genre.Dans cette efpece deFables on fait
parler non feulement les bêtes , mais même
fouvent les arbres , les métaux , &c . Voyez,
Apologue.
-
Les Fables rationales different des mo16
MERCURE DE FRANCE.
rales en ce que les premieres , quoique
purement imaginaires peuvent cependant
être vraie , au lieu que les dernieres font
auffi impoffibles qu'il l'eft aux bêtes ou
aux troncs d'arbres de parler.
Fables mêlées font celles qui font compofées
de ces deux fortes , c'eft -à-dire des rationales
, & des morales , ou dans lesquelles
on introduit les hommes & les bêtes , comme
converfant enſemble. Juſtin nous donne
un bel exemble de celle- ci , Liv.XXXIII .
Chap. 4. au fujet d'un petit Roi qui
pour animer les anciens Gaulois contre les
Maffiliens , qui arrivant d'Afie & charmés
de la beauté du Pays demanderent aux ha
bitans la permiffion d'y bâtir une Ville, feur
tint ce difcours : Une chienne pleine de
manda à un Berger une place pour mettre
bas fes petits , ce qui lui ayant été accordé
elle demanda encore la permiffion de les Y
élever ; les chiens devenus grands & fe
fiant fur leurs forces prétendirent à la fin
que la place leur appartenoit , de même
ajouta-t'il les Maffiliens ne font mainte
nant que des Etrangers , & en petit nombre
, mais quand ils fe feront multipliés par
la fuite , ils prétendront être les maîtres de
Le Pays.
Quant aux Loix de la Fable les principales
font : 1 °. qu'à chaque Fable il y ait
quelques
JUIN
97 1745.
7quelques interprétations attachées , pour
faire voir fon fens moral ou fon deffein.
Cette interprétation étant placée à la fin de
la Fable eft appellée Affabulatio ; fi elle eft
au commencement on la nomme Prafabu-
Latio.
A
1
2°. Que la narration foit claire , probable
, courte & agréable : pour conſerver
cette probabilité il faut, de même qu edans .
la Poëfie , que les moeurs foient exprimées
felon le caractere de chaque perfonnage
& qu'on ne s'en écarte point . Voyez Probabilité
& mours.
M. de la Motte fait plufieurs belles remarques
au fujet des Fables ; une Fable, ſelon
cet Auteur poli , eft un petit Poëme
Epique , qui ne differe en rien d'un grand ,
fi non dans fon étendue , & en ce qu'étant
moinsborné dans le choix de fes perfonnes ,
il faire entrer dans fon fujet tout ce
peut
qu'iljuge à propos, comme Dieux , hommes,
bètes , ou génies , & même fi l'occafion.
s'en prefente, créer des perfonnages , c'est-àdire
perfonnifier des vertus, vices , rivieres ,
arbres , &c. C'eft ainfi que M. de la Motte
introduit très - heureufement la vertu , les
talens & la réputation , comme des perfonnes
qui voyagent enfemble. Voyez
Epopée & Perfonnification .
Cet Auteur rapporte deux raifons pour
I. Vol. E
9S MERCURE DE FRANCE,
lefquelles les Fables ont plû dans tous les
ecles & dans tous les Pays. La premiere
eft que l'amour- propre eft ménagé dans
l'inftruction . La feconde que l'ame trouve
un certain exercice dans l'allegorie , les
hommes n'aimant pas qu'on leur donne des
préceptes directement ; trop orgueilleux
pour avoir de la condefcendance pour ces
Philofophes qui femblent commander
quand ils enfeignent , ils veulent être inftruits
d'une maniere plus modefte, ils ne ſe
corrigeroient jamais s'ils fçavoient que fe
corriger fut obeir ; ajoûtez à cela qu'il y a
une espece d'activité dans l'ame qui veut
être menagée : elle fe plaît à exercer ſa
pénétration, à decouvrir plus qu'on ne lui
montre, & s'imagine en quelque façon être
l'Auteur de ce qu'elle apperçoit à travers
du voile qui le cache.
La Fable doit toujours renfermer ou faire
fentir quelque vérité . Le plaifir feul peut
fuffire dans d'autres ouvrages ; mais la Fable
doit plaire en même-tems qu'elle inftruit ;
fon effence eft d'être un fymbole , & parconfequent
de fignifier quelque chofe de
plus qu'elle n'exprime par la lettre . La
vérité cachée fous la Fable doit ordinairement
être une vérité morale ; une fuite
de fictions conçues & compofées dans cette
formeroit un traité de morale pré-
THEQUES
LYON
**/733*
VILLE
LIOTHEQUE
:
JUIN. 1745:
YON
ferable à un autre plus direct & plun
thodique. Aufli Socrate , à ce qu'on prétery
avoit deffein de compofer un Cours de mo
rale dans ce goût.
Cette vérité doit être encore cachée fous
l'allegorie & ftrictement parlant , elle ne
doit pas être devoilée , ni au commence
ment ni à la fin de la Fable.
La Fable même doit faire fentir au lec
teur la vérité ou la morale qui en eft l'objet ,
cependant pour la commodité des lecteurs
moins clairvoyans , on ne fait pas mal
de s'expliquer d'une maniere plus fimple
& plus précife : il femble qu'il eft plus
convenable de placer l'explication où la
morale à la fin de la Fable qu'au com
mencement ; en ce cas l'efprit n'étant pas
prévenu trouve occafion de s'exercer , &
amour- propre en eft plus flaté. ·
M. de la Motte remarque que l'image
doit être jufte & qu'elle doit exprimer la
chofe que l'on a en vuë , directement &
fans aucune équivoque. Elle doit être une ,
c'est-à -dire toutes les parties doivent fe
rapporter visiblement à une même fin
principale ; elle doit encore être naturelle ,
c'eft-à-dire fondée fur la nature ou du
moins fur l'opinion , &c.
L'Auteur fait fucceder à cet article ,
Fable , un autre plus long du même nom,
DE
LA
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
où il entend par ce mot le deffein d'un
Poëme Epique ou Dramatique , ou l'action
qui fait le fujet d'un tel Poëme ou d'un
Roman ; il donne toutes les régles de ce
genre de Poëfie .
TEINTURE, l'Art de colorer les Eroffes,
les Draps , & autres matieres avec une couleur
permanente qui en pénetre la fubftance.
Voyez Drap , &c.
La Teinture differe du blanchiment , -qui
n'eft pas une communication d'une nouvelle
couleur , mais un rétabliſſement de
l'ancienne , elle differe auffi de la Peinture
Dorure , Marbrure , impreffion & empreinte
, en ce qu'en celles-ci la couleur
ne touche fimplement que la furface . Voyez
blanchiment , Peinture , Dorure.
Origine de la Teinture. La Teinture eft un
Art d'une très- grande antiquité , comme il
paroît par les traces que nous en trouvons
dans les plus anciens Auteurs facrés &
profanes. L'honneur de l'invention eſt
attribué aux Tyriens * mais ce qui en >
Pline femble attribuer l'invention de l'Art de
teindre la laine aux Lydiens de Sardis ; Inficere
Lanas Sardibus Lydi a ) ; où l'on doit fous- entendre
le mot incepere (b) mais un critique moderne
foupçonne en cet endroit une faute dans le texte ,
& il femble qu'il a raiſon ; il fubftituë au mot de
Lydi celui de Lidda nom d'une Ville fur la Côte de
JUI N. 1745 .
101
diminue le merite , c'eft qu'on prétend
qu'elle doit fon origine au hazard . On
prétend que c'est au jus de certains fruits ,
ou feuilles écrasées accidentellement
qu'on en doit la premiere idée , & même
Pline nous affure que de fon tems les
Gaulois n'ufoient pas d'autre teinture. (a)
on ajoûte que des terres colorées & des
mineraux lavés & trempés par la pluye
ont donné enfuite les matériaux de teinture;
( b) cependant la pourpre couleur tirée
du Murex , Poiffon à coquille , & nommé
Murex Conchylium ou Purpura , ſemble ,
fuivant les Hiftoriens , avoit été antérieure à
toutes ces découvertes. Il eft vrai que cette
pourpre étoit réservée abfolument à l'ufage
des Rois & des Princes , il étoit expreffément
deffendu aux particuliers d'en porter .
(c) On prétend que la découverte de la
lité qu'elle avoit fut faite par un chien ,
qui ayant mangé un Murex qu'il trouva
fur un Rocher , revint le muffle tout imprimé
de cette couleur , (d) ce qui frappa ſi
fort l'imagination d'une femme de Tyr ,
qu'elle ne voulut accorder aucune faveur
qua-
Hercule fon amant, qu'il ne lui eût apporla
Phénicie & la plus renommée pour le debit
qui s'y faifoit de cette pourpre ( c )-- ( a) . V.
Pline. Hift Nat. L. VII. C, 56, 6. Hardou . Not . ad
Loc. (c) Nurra , Bibl. Choif. T, 20. p. 193. & Seq.
E 11)
101 MERCURE DE FRANCE .
té auparavant un manteau de cette même
couleur. **
Jufqu'au tems d'Alexandre nous ne trouvons
point d'autre forte de teinture qui
ait été en ufage que la pourpre & l'écarlatte
(f) ; ce fut fous les fucceffeurs de ce Monarque
que les Grecs s'appliquerent à chercher
d'autres couleurs , & qu'ils inventerent ou
du moins qu'ils perfectionnerent le bleu , le
jaune, le verd &c : quant à l'ancienne pour
pre il y a long-tems que nous l'avons perduë
, mais la perfection à laquelle les modernes
ont conduit les autres couleurs ,
nous dédommage bien de cette " perte.
C'est en cela que les François femblent
avoir devancé la plûpart de leurs voiſins ,
fous les aufpices de feur excellent Miniſtre
M. Colbert. (g) Voyez Gobelins . (f)
Voyez. Pitile. L. ant . T. 1. pag. 249. Voc.
** Après les Phéniciens il femble que les Sardiniens
font ceux qui ont fait le plus de progrès dans
P'Art de la teinture, deforte que le nom de Bruua
galaxer teinture Sardinienne paffa enproverbe par
mi les Grecs . Ariftophane pour exprimer quelque
choſe de rouge , comme de l'écarlatte, le compare
dans deux endroits au Bauna agano (d) il eft vrai
que Saumaife, Palmerius &Spanheim fubftituentv.xvano
à la place de caprians & ils prennent ce
premier mot pour un non poffeffif de Sardis , & entendent
par- là teinture Sardinienne , cependant Nuarra
dans une differtation particuliere fur ce fujet à
foutenu avec vigueur les prétentions de fon Pays
contre cette innovation .
JUIN. 1745 .
101
0:
6
Baphia (g ) Savar. Dict. de Com.
S
ou
Chés les Romains les maifons où travailloient
les teinturiers nommées Baphia
étoient toutes fous la direction du Comes
Sacrarum Largitionum ; ( b ) cependantelles
avoient chacune leur chef où prepofé
auffi bien qu'à Alexandrie, à Tyr, & c.
(i) Les teinturiers de Londres font la treiziéme
compagnie de la Ville incorporée
fous Henri VI . confiftant en un Maître ,
Gardien & livrée (K ) à Paris , & dans la plus
part des grandes Villes de France , les teinturiers
font divifés en trois compagnies ,
c'est-à- dire en ceux du grand & bon teint,
qui n'employeur que les meilleurs ingré
diens & ceux qui donnent les couleurs les
plus fûres & les plus durables , en teintu
riers du petit teint à qui il eft permis de fe
fervir de drogues d'une qualité inferieure ,
qui ne donnent que des couleurs fauffes
& paffantes , & en teinturiers de foye , de
laine & de fil ; tous les Draps & Etoffes
de prix font refervés aux teinturiers de la
premiere claffe : ceux de moindre valeur ,
principalement ceux qui ne font pas évalués
au de-là de quarante fols l'aulne en blanc
font répartis entre les Maîtres du petit
teint. Le bleu , le rouge , le jaune font
référvés plus particulierement pour ceux
du grand teint. Le brun , le roux & le
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE.
noir font communs aux deux claffes ;
quant au noir il eft commencé par les teinturiers
du grand teint & fini par ceux du
petit (1) il femble que parmi les teinturiers
il y a une tradition qui porte que Jeſus-
Chrift étoit de leur Profeffion : nous trouvons
la choſe ainfi racontée dans l'Evangile
de l'enfance de Jefus , mais nous ignorons
fur quel fondement .
Quoiqu'il en foit c'eft de - là que les
teinturiers en Perfe , malgré tout leur Mahometifme,
ont choifi Jefus pour le patron
de leur Art , fi bien que parmi eux une
maifon de teinture eft appellée boutique
de Chrift.
M. Chambers parle enfuite de la teinture
des Grecs , des qualités qu'ils croyoient
réquifes pour la teinture , & de la maniere
de préparer les étoffes pour les teidre, &c.
enfuite il traite fort au long des progrès
de la teinture , de la Materia Tinctoria ,
des ingrédiens de teinture en général , des
couleurs cachées ou vifibles tant dans ces
ingrédiens que dans les vegétaux & les
(m ) (b) V. Notit. Imp. Hoffm. Lex. T. 1. Pag.
469. (i) Pitiſe à l'endroit cit . ( K ) nouvelle vûe de
Londres. T. 11. P. 601. & feq . ( l ) Savar . D. Comm.
T11. P. 1688. Ant . tein . (m) Sike. Not . Ad . Evang.
Infant page. 55.Hils cher . de ftud.Chrift. in mifcel.
Lips 96. 5. 10. T. Voyez P. 34. &c.
JUIN. 1745. 105
animaux ; des effets que les differens fels
produifent fur ces couleurs , comment
ils les changent , &c ; en rapportant plufieurs
découvertes du célébre M. Boyle il
renvoye aux articles lumiere , couleur
Arc en Ciel , noir , noirceur , couperofe ,
bois de Bréfil , garance , fuftel , fuie , indigo
, &c. ..
Il parle après cela des differentes manieres
de teindre les draps , ferges , & autres
étoffes de laine , les laines pour la tapifferie,
la foye , le fil , les chapeaux , & c .
De-là il paffe à la preuve de la teinture
& principalement à celle des foyes. &c. I
Il rémonte enfuite à la Théorie de la
reinture , qu'il donne felon les regles de
l'Art.
Il confidere après cela la teinture dans
un fens plus étendu , comme appliquable
aux couleurs qu'on peut donner généralement
à toutes fortes de corps , en renvoyant
dans le courant de fon difcours, aux
articles , couleur , peinture , dorure , thée ,
catechu , blanchiment , cire, marquetterie,
papier , marbre , potterie , émail , impreffon,
cartes, verniffure , étamure, calamine,
cuivre , pinc , arſenic , cerufe , minium
vermillon , indigo de trempe , moire , calendre
, tabis , verre , pierre précieufe, &c.
Il donne enfuite la maniere de teindre
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
ou colorer le cuir , les peaux, &c. après cèla
celle de tacheter le bois pour toutes fortes
de marquetterie , &c . en dernier lieu l'Art
de teindre lés os , la corne , l'yvoire. &c.
Conditions propofées aux Soufcripteurs.
Ce Dictionnaire fera imprimé avec les
mêmes caracteres & dans la même forme
que les quatre articles donnés pour exemples
à la fin de ce Profpectus.Le papier que
l'on y a employé fera exactement le même
pour les Soufcripteurs feulement .
ou
Cet ouvrage aura cinq volumes in fol .
Les quatre premiers contiendront
deux cent cinquante , ou deux cent foixante
feuilles. Les cent vingt Planches contenuës
dans le cinquiéme volume feront deffinées
& exécutées par de bons Maîtres
& tirées fur le papier le plus beau & le plus
propre à la Taille- douce.
Les commencemens de chaque volume
feront ornés de belles Vignettes aufli en
Taille- douce.
Pour procurer au lecteur un oeil de caractere
aifé à lire , on s'eft déterminé à celui
des quatre articles & articles pour éviter un fixiéme
volume on a pris le parti de donner
une grande forme à cet ouvrage ; afin de
ne point trop furcharger chaque volume
on placera le Vocabulaire à la tête du
JUIN. 1745 . 107
3
volume des Planches . Cette derniere partie,
à la verité confiderable , n'étant qu'un finple
ordre alphabétique , fera imprimée du
même caractere que celui- ci dont on s'est
fervi pour les notes de ce Profpectus .
Les Soufcripteurs payeront d'avance la
48 liv. - fomme de
En recevant le premier volume en
feuilles dans le courant de Juin.
1746.
En recevant le deuxième volume
en Mars 1747.
Le troifiéme volume en Fevrier
1748 .
20.
20
20.
Les quatrième & cinquiéme volumes
à la fin de l'année 1748. 27.
On fera une édition en grand papier ,
pour laquelle on payera d'avance 100 liv.
& en recevant, l'ouvrage complet roo liv .
On ne fera reçû à foufcrire , foit pour le
papier fin , foit pour le grand papier , que
jufqu'au dernier Decembre de la préfente
année 1745 .
On ne tirera qu'un très petit nombre
d'exemplaires fur papier moyen , au- deffus
du nombre des foufcriptions ; l'exemplaire
en feilles fe vendra r9o . liv.
On donnera au commencement du
premier volume le nom des Soufcripteurs
& leurs qualités.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
TRADUCTION ALLEMANDE du
Livre de M. l'Abbé Trublet.
Quand nous avons annoncé que Madame
de Steinwer née Romanus , avoit traduit
en Allemand l'excellent Livre de M.
l'AbbéTrublet intitulé , Effais de morale & de
Litterature , nous aurions fouhaité pouvoir
préfenter à nos lecteurs un extrait de la
Préface pour donner une idée du goût &
des talens de la Traductrice , mais n'entendant
pas
l'Allemand , qui n'eft point une
Langue Litteraire pour tous ceux qui font
nés hors de l'Allemagne, nous défefperions
prefque de pouvoir fatisfaire à cet égard
la curiofité du public , lorfque le hazard
nous a fait tomber entre les mains une Traduction
Françoife de l'Epitre Dédicatoire
& de la Préface de Madame de Stein wer.
Cette Traduction doit faire d'autant
plus d'honneur à M. l'Abbé Trublet , que
fon Livre étant rempli d'idées fines & déliées
, & traitant le plus fouvent des matieres
de goût & d'une Litterature légere,fembloit
devoir moins toucher nos voisins accoûtumés
à eftimer davantage de doctes & longues
compilations , & qui comme l'a dit le
célébre M. Fontenelle , aiment la fatigue en
fait de lecture. Il étoit moins étonnant que
ce Livre ait été traduit en Anglois comme
il l'a été auffi -tôt qu'il a parû , & ce fuccès
JUIN. 1745 . 109 .
que l'ouvrage de M. l'Abbé Trublet a eû
en Allemagne, prouve combien il avoit mé
rité le fuccès brillant qu'il a eû en France
& en Angleterre , c'eft en effet un de nos
meilleurs Livres en ce genre; il eft déja devenu
Livre de Bibliothèque , ce qui eft le
fceau de la réputation d'an Ouvrage.
ن م
Paffons à la Préface de Madame de. S. La
Traductrice prévoit d'abord que l'on trou
vera fingulier qu'elle fe foit érigée en Auteur.
Pen de femmes , dit- elle, font tentées d'écrire
, & peut-être eft- il bon que peu ayent cette
intention ; qui vent écrire doit lier enfemble fes
idées, & pour les lier ilfaut réfléchir, & abandonner
tous les amusemens du Sexe ; peu de
femmes font capables du travail & de la patience
néceffaires : fe promener , être à table
faire des vifites , en recevoir , voilà ce qu'elles
appellent travail.Confommées par l'ennui, elles
ne font occupées qu'à chercher tout ce qui
peut faire évanouir à leurs yeux la durée du
tems. Le miroir demande une grande attention
pour bien concerter le jeu de tous les traits du
vifage ; leurs plaifirs les plus vifs font le jeu
& la médifance. Elles n'ont de patience que
pour attendre que leur tour vienne de prendre
les cartes , elles fe mocquent des perfonnes qui
penfent , & ne peuvent fouffrir celles qui écrivent,
auffi n'est- ce qu'avec douleur queje penfe
au peu defemmes quifçavent écrire,
" 110 MERCURE DE FRANCE.
Si un homme oſoit prononcer parmi
nous de pareils blafphêmes , on l'accuferoit
avec juftice d'une odieufe & groffiere prévention
; prononcés par une femme , c'eft
un jugement fevere dont on doit au moins
louer l'impartialité . Peut- être fi Madame
de S.avoit veçu en France ,y auroit- elle pris
des idées plus favorables à fon Sexe. Elle
auroit vû des femmes dans l'âge des agrémens
, au milieu du tourbillon des plaifirs,
cultiver les ſciences les plus abftraites avec
une ardeur & un fuccès qui feroient honneur
aux Sçavans les plus célébres ; combien
n'en voyons-nous pas d'autres qui connoiffent
tous les differens objets de la Litterature
, qui fçavent juger avec goût & penſer
avec jufteffe , mais auffi combien voyonsnous
d'hommes dont toutes les occupations
Se bornent àfe promener, à la table, à faire des
vifites , à qui le miroir demande une grande
attention , dont le jeu & la medifance font les
plaifirs les plus vifs , qui fe moquent des per-
Sonnes qui penfent, &c. Loxe eft fur la toi
lette de plufieurs femmes tandis que Turtubleu
& tant d'autres brochures frivoles compofent
la Bibliothèque de beaucoup d'hommes
, d'autant plus condamnables d'être
plus femmes que les femmes mêmes , qu'ils
ont reçû une meilleure éducation , & font
appellés par des devoirs qui les rendent
inexcufables.
JUIN. 1745. 111
Madame de S. réüffit mieux à prouver
combien la lecture eft également néceſſaire
aux deux fexes . Qu'eft - ce en effet qu'un
homme dont l'efprit n'eft pas exercé? c'est un
bloc dont l'ouvrier n'a fait que dégroffir
& marquer les contours, & qui attend que
le cifeau du Statuaire acheve l'ouvrage , &
marque les traits de la figure. Or quelle
lecture peut être plus profitable pour enfeigner
à penser que celle d'un Ecrivain qui a
profondément réfléchi.Tant d'Hiftoires qui
ne contiennent que d'ennuyeufes compi
lations ,des faits mal digerés : inftruifent- elles
autant qu'une feule réfléxion d'un homme
accoûtumé à pénetrer le fond des choſes.
Concluons donc avec Madame de S. que
parmi les Livres, ceux de la nature des Effais
de Morale de M. l'Abbé Trublet , font ceux
qu'on peut lire avec le plus de fruit, & parmi
ceux- ci l'ouvrage de M.l'Abbé Trublet
tient un rang diftingué , quoique nous
en ayons plufieurs excellens .
Mon deffein étoit de continuer dans le
Mercure de ce mois l'Extrait de mon Hiftoire
de Charlemagne, mais cet article étant
rempli fuffisamment par d'autres matieres ,
je remets à en entretenir le lecteur dans le
mois fuivant , la préférence étant dûë aux
Ouvrages dont je parle , tant parce qu'ils
112 MERCURE DE FRANCE.
doivent plus que le mien exciter la curiofité
du public , que parce qu'étant maître du
choix, il me conviendroit mal de décider en
mafaveur. Le maître d'un logis doit en faire
les honneurs aux étrangers , ainfi fi je dis
ici un mot de mon Livre , c'eft uniquement
pour remercier le public de l'accueil favorabe
qu'il lui a fait . Plus de la moitié d'une
fort nombreufe Edition a été enlevée en
quinze jours , & le fuccès a d'autant plus
paffé mes efperances , qu'indépendamment
de la défiance que me devoit infpirer la
médiocrité de mon Ouvrage, tout le monde
fçait que ces fortes de Livres , même avec
le plus grand fuccès , ne fe débitent que
lentement , & que fouvent deux années
n'épuisent pas une Edition . On a voulu
m'encourager en traitant avec indulgence
ce foible effai . On a rendu juftice à l'application
avec laquelle j'ai travaillé à défricher
un terrain très- ingrat ; en effet je n'ai rien
négligé de ce qui pouvoir jetter de la lumiere
fur les tenebres dont ces tems reculés
font couverts. J'ai donné un détail fur
la pofition géographique & fur l'origine
de toutes les Nations qui rempliffent l'Allemagne
, dont les Sçavans ont été fatisfaits
; j'ai fait une exacte defeription des
Parlemens , de la forme dans laquelle ils
fe tenoient, des matieres qui s'y traitoient,
JUIN. 1745. 113
de leurs droits , & c. On trouvera , lorfque
C. je parle du Gouvernement de Charlemagne
, des idées neuves , & appuyées fur des
autorités inconteſtables ; ces chofes ne fe
trouvent nulle autre part que dans les Auteurs
originaux. On imagine difficilement
quel immenfe & pénible travail ces recherches
m'ont coûté ; il n'y a point de manuf
crit que je n'aye confulté , point d'Auteur
que je n'aye lû. Malheureufement on ne
tire que peu de fecours des Ecrivains qui
traitent l'Hiftoire de ce tems . Il faut lire
plus de 200 Annaliftes qui difent tous la
même chofe , dans lefquels on ne, trouve
qu'un récit nud , & dénué de détails , qu'il
feroit imprudent de fuppléer ; plus de 200
Chartes dont le plus grand nombre n'apprend
rien , ou ne fait que confirmer le
peu qu'on fçavoit . J'ai en à lutter contre
la difficulté des recherches & contre le
dégoût de les faire avec fi peu de fruit. Le
fuccès qui fuit ces pénibles travaux , m'encouragera
à faire de nouveaux efforts
contribuer autant que je le pourrai à l'avancement
des Lettres par des Ouvrages
utiles à la Societé .
pour
LES FESTES DE LA FRANCE DRAME
LYRIQUE pour les Demoifelles de l'Enfant
Jefus , par M. l'Abbé Bonvallet des Broffes ,
114 MERCURE DE FRANCE .
Affocié à l'Académie Royale des Belles-
Lettres de la Rochelle. A Paris , 1745x
chés Thibouft.
Les Victoires, la Convalefcence & le Retour
du Roi ont été le fujet de la Fête
donnée par les Demoifelles de l'Enfant
Jefus , ( établiffement utile formé par M.
le Curé de S. Sulpice . ) L'Auteur dit dans
un Avertiffement qu'il a été l'interprete
de leurs fentimens & de leurs tranfports &
l'ordonnateur de leurs Jeux. Il a très-bien
répondu à leurs intentions. Les fentimens
que toute la Nation Françoiſe a pour le Roi
y font exprimés avec vivacité & avec élégance.
On trouve à Paris chés Etienne Savoye ,
rue S. Jacques , un Plan de la Bataille de
Fontenoy ; prix 12 fols. Ce même Plan fe
trouve à Lille , chés Pankouke , & comme
il eft d'une petite forme , il peut s'envoyer
aifément par la poſte.
APOTHEOSE de la Ville de Nîmes , ou
Sonnets fur fes Antiquités. Par M. l'Abbé
de Valette , Prieur de Bernis. A Nîmes, chés
Belle , Imprimeur-Libraire , près de l'Hôtel
de Ville. Ce Livre enfanté par l'amour
de la Patrie , a de quoi fatisfaire la curiofité
des Etrangers , puifqu'il contient les
Planches gravées des Monumens qu'il
décrit.
JUI N. 1745.
"
EXTRAIT de deux Differtations qui ont
remporté les Prix de l'Académie des Belles-
Lettres de Soiffons en 1743 .
I
A premiere des deux Differtations
dont il s'agit , eft de M. Fenel , Chanoine
de Sens , lequel en la même année
( 1743 ) remporta auffi le Prix de l'Académie
des Belles-Lettres de Paris .
Cet Auteur dans une petite Préface explique
les regles qu'il va fuivre ; elles font
tirées de la comparaifon qu'il fait entre le
devoir d'un bon Juge & celui d'un homme
qui veut compofer une Hiftoire fur d'an◄
ciens Monumens ; on peut
dire que
vrage en queftion n'eft autre chofe qu'une
application perpétuelle de ces regles aux
témoignages cités par l'Auteur.
l'Ou-
Tout le morceau eft divifé en cinq parties
, pour répondre à autant de queftions
propofées par l'Académie de Soiffons.
Dans la premiere M. F. montre que
la
conquête de la Bourgogne fut entrepriſe
par les deux fils de Clovis , Childebert &
Clotaire ; que leur frere Theoderic refufa
pour lors de fe joindre à eux , mais qu'il le
fit dans la fuite ; qu'il les aida même puiffamment
, mais qu'il mourut peu avant que
la conquête fût achevée , & que fon fils
Théodebert la partagea avec fes oncles .
Pour appuyer cette fuite de faits , M. F. a
16 MER CURE DE FRANCE.
befoin de concilier Grégoire de Tours &
Marius, Evêque d'Avranche , qui femblent
fe contredire , & il donne pour cela ane
voye de conciliation , mais afin qu'on ne lui
reproche pas que c'eſt une fubrilité d'imagination
, il prouve que cela a dû arriver
comme il le dit , par une lettre qui eft
dans le Recueil de Caffiodore.
Dans la feconde queftion , ( où il s'agit
de déterminer en détail quels furent lesprincipaux
évenemens de cette guerre , ) M. F.
examine d'abord l'étendue du Royaume de
Bourgogne en 517 , & les changemens qui
y arriverent jufques à fon entiere ruine .
Enfuite il montre par cette même lettre
de Caffiodore ( dont il avoit déja fait ufage
) que les Bourguignons attaqués à peu
près dans le même tems par les Francs &
par les Ostrogots, & ne pouvant pas réfifter
tout à la fois à deux ennemis fi puiffans ,
prirent le parti de fe reconnoître dépendans
des derniers , lefquels en conféquence
de cela leur rendirent ce qu'ils avoient
déja pris fur eux , & fe déclarerent en leur
faveur contre les Francs . En cet endroit
M. F. eft obligé de difcuter les paroles de
Caffiodore , & de faire voir les défauts de
la Traduction que M. l'Abbé du Bos a donnée
de ce même paffage . Cela le conduit infenfiblement
à examiner le fens que cer
JUIN. 1745. 117
Auteur célebre a donné à un endroit de
Jornandés , enfin M. F. explique un paffage
important de Grégoire de Tours fur le
fort de la Ville d'Arles , dans cette guerre
des Francs contre les Bourguignons & les
Oftrogots ligués ; il lui donne une interprétation
qui femble avoir échappé à tous
nos Hiftoriens. Il trouve encore en cet endroit
M. l'Abbé du Bos en fon chemin . Nous
ne décidons rien , mais on ne peut s'empê
cher de dire que cet article eft digne de la
curiofité & de l'examen de nos Sçavans. Si
l'Auteur s'y est trompé , il donnera du
moins occafion à d'autres de trouver la vérité.
On verra encore dans cette feconde
partie quelques recherches fur les conquê
tes de Théodebert , du vivant de fon pere,
& fur le fens qu'a le mot Gothi dans
certains Auteurs , qui entendent par là les
Wifigoths , & non les Oftrogots .
La troifiéme partie roule fur les Leudes ,
dont parle Grégoire de Tours , & qui défendirent
le jeune Théodebert contre les intrigues
de fes oncles , après la mort de
Théoderic fon
pere
?
M. F. n'a point crû devoir fe jetter dans
des étymologies tirées des Langues Septentrionales,
il difcute felon l'ordre hiftorique
tous les paffages dans lefquels Grégoire &
Fredegaire ont employé ce terme ( Lendes )
118 MERCURE DE FRANCE.
& il en résulte néceffairement le véritable
fens dans lequel ils l'ont entendu. C'étoit
les plus grands Seigneurs de la Nation
ceux qui approchoient le plus près de la
perfonne des Rois ; on les met au même
rang que les Proceres , & que les Evêques
qui avoient alors un très-grand pouvoir ;
ils étoient en même- tems obligés au fervice
militaire pour défendre l'Etat ; inveftis de
leurs biens par l'autorité Royale , leur
nom étoit ſynonime de celui de fideles , lequel
en a pris la place dans le X. fiécle ;
enfin les termes de Leudefamium & de
Leudarium ( qui font certainement dérivés
de celui de Leudes ) achevent de montrer,
que ce dernier nom fignifioit alors ceux qui
cenoient des terres du Roi , à la charge de
Jui garder une inviolable fidélité , de le fervir
& de le défendre au péril de leur vie ;
en un mot, que ce font les mêmes qui font
* ailleurs nommés Anftruftiones , & que l'on
nomma dans la fuite Vaffaux & Feudataires.
M.F. remarque en finiffant cet article , que
le mot de Leudes a neanmoins quelquefois
fignifié tous les Sujets en général , & d'autres
fois les Laïques, à la difference des Prêtres ,
mais que ce n'étoit pas les acceptions de
ce nom les plus communes , & qu'en párticulier
il ne peut être interprété de la forte
JUIN 1745.
119
= par
=
dans le paffage en queſtion de Grégoire.
La quatrième queftion occupe la plus
grande partie de l'Ouvrage , & c'eft en même-
tems ce qu'il y a de plus intereffant &
= de plus couvert de ténebres. Il faut fixer
les differentes augmentations que reçut
le Royaume de Soiffons fous Clotaire I.
par les fucceffions qui lui échurent ', & par
les conquêtes qui agrandirent la Monar
chie Françoiſe de fon tems . Une pareille
détermination ( pour pouvoir être parfai
tement exacte ) fuppoferoit la connoiffance
détaillée des differens partages des enfans
de Clovis , mais c'eft ce qui paroît impoffible
. Deux Sçavans du premier ordre y ont
renoncé formellement,& M.F. n'a eu garde
de rifquer l'avanture après de tels exemples
, cependant comme il avoit entrepris
de travailler pour le Prix de Soiffons , il a
fallu dire quelque chofe fur cette question ,
bien moins dans l'efpérance d'y réüffir ,
que parce qu'il ne pouvoit fe difpenfer
d'en parler.
Il prépare la réponſe par divers préliminaires
, 1 °. fur l'ordre de fucceffion qui
étoit certainement établi alors parmi les
Rois Francs , mais que la violence & la cupidité
troubloient fouvent , 2 ° . fur la nature
des meubles de ces Rois , lefquels
étoient inaliénables & faifoient partie de'
120 MERCURE DE FRANCE .
leurs Domaines. Nous renvoyons fur ces
points à l'Ouvrage même . A l'aide de ces
principes M. F. entreprend de lever une
des plus grandes difficultés de l'Hiſtoire
de ce tems -là ; elle réfulte de l'inégalité apparente
des lots des Rois co-partageans ,
quoique l'Hiftorien dife formellement
qu'ils étoient égaux . Il faut lire dans l'Auteur
ce qu'il a imaginé pour concilier cette
contradiction. C'eft à cette occafion qu'il
eft encore contraint de réfuter M, l'Abbé du
Bos, qui a apporté un autre dénoûment de
cette difficulté , & qui a avancé que l'ancienne
France Germanique avoit été en
vahie en parsie par les Thuringiens .
Il faut que le lecteur voye par lui -même
ce que M. F. dit fur les divifions qui furent
faites des conquêtes des Francs & des
fucceffions ouvertes durant le tems que cet
Auteur parcourt. Il ne faut pas croire que ce
qu'il dit foit par tout également démontré ,
il le reconnoît lui -même , il eft obligé de
conjecturer à tout moment,& même de contredire
de très-fçavans hommes , mais il
ne donne ces conjectures que pour ce qu'elles
font , & il rend toute la juftice qu'il
doit à ceux qu'il eft obligé de combattre, &
des travaux defquels il avoue fincérement
avoir profité : il faut plaindre un Auteur
qui a un fujet très- difficile à traiter , qui eſt
obligé
JUIN
1745.
obligé d'écrire & qui ne trouve que des
ténebres dans le chemin où il marche.
La feule chofe fur laquelle nous infifterons,
par rapport à cette quatrième partie,
eft l'explication que M. F. y donne d'une
lettre du Roi Théodebert à Juftinien , dans
Elaquelle ce Roi répond à la queftion que
l'Empereur lui avoit faite fur l'étendue de
fa domination en Germanie . Il femble que
M. F. eft un des premiers qui ait tenté d'éclaircir
ce Monument fingulier . Nous ne
déciderons pas s'il y a réuffi; quelque chofe
que l'on en penfe , du moins cela
pourra
fervir à en faciliter la véritable intelligence.
La principale difficulté de cette lettre
confifte en ce que Théodebert y parle de
certains peuples appellés Wifigohi , qu'il dit
habiter la Plage Septentrionale de la France
( Germanique. ) Il paroît que c'eſt le feul
Ecrit qui faffe mention de Wifigots , placés
en cet endroit. M. F. prétend que ces
peuples étoient un effain de Saxons établis
dans la Contrée que nous venons de
défigner. Cette opinion paroît du premier
coup d'oeil fort finguliere , mais il faut pefer
les raifons de l'Auteur. Il remarque que
nous avons encore aujourd'hui la Traduction
des Evangiles en Langue Gothique ,
faite au IV. fiécle de notre Ere . Ce précieux
1. Vol. F
22 MERCURE DE FRANCE .
Monument nous apprend que le langage
des anciens Gots avoit une conformité tout
à fait extraordinaire avec le Flamand d'aujourd'hui
; il eft d'ailleurs certain que les Fla
mands font une Colonie de Saxons , établie
par Charlemagne dans la Belgique ; il faut
donc en conclure que les anciens Saxons
faifoient originairement partie des Goths ,
d'où l'Auteur induit que les Wifigots ( ou
Goths Occidentaux ) dont il eft ici queſtion ,
étoient des Saxons qui avoient pris cette
dénomination ( d'Occidentaux ) par raport
quelques autres de leurs compatriotes , à
Fégard defquels ils étoient placés vers l'Occident.
En lifant le refte des explications
que M. F. donne de cette lettre , on voit à
quel degré de puiffance la Monarchie des
Francs étoit montée environ 30 ans après
Clovis I. Une très- grande partie de ce que
nous appellons Allemagne obéiffoit à Théodebert,
& ce qui eft de plus rare , quelquesuns
de ces peuples s'étoient rangés fous
l'Empire de ce grand Roi volontairement &
de leur bon gré , n'y étant portés que par
la réputation de fa bonté & de fa juftice.
Quel dommage que le détail de la vie d'un
tel Prince nous foit inconnu !
La derniere partie préfente la difcuffion
de ce que Procope a rapporté fur la ceffion
que les Oftrogoths firent aux Francs de la
JUIN. 1745. 129
Provence, & fur la confirmation que Juftinien
en accorda aux Enfans de Clovis
c'eft encore M. l'Abbé du Bos qui a donné
lieu à la queftion traitée en cet endroit , il
a donné aux paroles de Procope une interprétation
tout-à-fait nouvelle , comme ſi
cette confirmation donnée par Juftinien eût
regardé tout ce que les Francs poffedoient
dans les Gaules : M. F. par un examen
Grammatical des termes de l'Auteur origi
nal , & les differens fens dans lefquels il a
employé le nom de Gaules , montre que le
fentiment de M. l'A. de B. eft infoutenable
, de quelque maniere qu'on l'envisage,
L'Ouvrage finit par l'indication de divers
points curieux fur lefquels M. F. eût
fouhaité pouvoir s'étendre , mais les bornes
qui lui étoient prefcrites l'ont retenu,
C'eft-là qu'on verra en deux mots dans une
Note les diverfes fignifications dans leſquelles
les Grecs ont employé le mot de
Thémis.
Les Lecteurs font avertis de faire atteng
tion à l'Errata de cet Ouvrage.
La feconde Differtation a pour Auteur
M. de Longuemarre.
Elle a pour objet les mêmes points d'Hif
toire que celle de M. F. & elle eft tirée à
peu près des mêmes fources. Il y a donc de
la reffemblance entre ces deux morceaux ,
Fij
114 MERCURE DE FRANCE.
*
mais on fe tromperoit fort fi l'on croyoit
qu'elle eft bien entiere. Cette étonnante
varieté que Dieu a mis entre les traits des
hommes , eft encore plus marquée dans
leurs efprits pour ceux qui y font une férieufe
attention. On verra donc fans furprife
que deux Auteurs qui ont traité le
même fujet , & qui ont eu les mêmes ma
tériaux , ont neanmoins tant de diverfités
dans leur maniere de penfer & de s'exprimer.
La longueur du premier Extrait ne nous
permet pas de nous étendre beaucoup fur
le fecond.
Nous remarquerons ſeulement ce qu'il
ya de plus particulier.
M. de L. entend les paffages de Jornan➡
dés d'une maniere toute différente de M.
l'A. du B. & de M.F , il prétend que cela regarde
une ceffion faite par les Oftrogoths
aux Francs après la conquête & le partage
de la Bourgogne ; * on verra au même
endroit que M. de Longuemarre prétend
que M.l'A. du B. s'eft trompé fur la date d'une
lettre de Caffiodore , laquelle doit être
referée au Regne de Theodat.
Sur la troifiéme queftion M. de L. eft
d'un fentiment entierement oppofé à celui
* Il revient encore fur cette même ceffion
dans l'article trois de la 2 question,
JUIN 1745 125
de M. F. & il foutient que le mot de Leudes
fignifioit au commencement de notre
Monarchie tous les Sujets de ce Royaume
naiffant ; on ne peut pas voir une plus grande
différence entre deux Auteurs que
celle-là .
On trouvera dans la quatrième queſtion
une digreflion affés longue fur l'étendue &
la pofition de l'ancien Royaume de Thurin
ge , enfuite l'Auteur releve M. l'Abbé du
Bos , qui a formé un Syftême chimérique
fur la Monarchie des Thuringiens.
On verra avec plaifir dans la cinquiéme
queftion l'examen de quelques morceaux
de Traductions des Anciens , dont M. l'A:
du B. a orné fon Ouvrage fur la Monarchie,
On ne peut s'empêcher de convenir qu'il
s'en eft acquité avec beaucoup d'imagination
, & plûtôt en Auteur ou en Compofiteur
, qu'en fimple Traducteur...
II
y a pour cette Diſſertation un Errata,
qui mérite d'être confulté.
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
VERS
Préfentés à M. le M.... par fes enfans le
jour de fa Fête pourfa convalefcence. &
Nous avons préfenté Requête
A Flore, au Dieu des Vers , pour vous faire un bou
quet ,
Et célebrer le jour de votre Fête .
Que votre faint Patron comblant notre ſouhait
D'un pere fi chéri , fi tendre ,
Qu'à nos pleurs le Ciel vient de rendre ,
Eloigne le dernier malheur !
Puiffiez vous ne compter que d'heureufes années,
Et prolonger notre bonheur
En prolongeant nos deſtinées.
Le M...de R .... de Cl.. de F
Le mot de la premiere Enigme de Mai
eft le Rire . Celui de la feconde eft le Soulier.
Le Logogryphe eft Espadon , dans lequel
on trouve Spado Eunuque , Sape , Don ,
Dofe , Pefon , Paon , Ole , Sponda , Couchette
de lit , Onde , Sonde.
L'Enigme fuivante eft l'Euf& l'Enigme
Latine eft Eva.
1. ↑ UKIN. 11745. 127
ENIGME EN LOGOGRYPHE.
Q Uoique d'un corps je n'aye point l'ufage,
Je ne fuis pas un être de raifon ;
Je fuis bien fol , & j'ai des enfans à foifon ;
Je marche cependant toujours devant un fage.
Lecteur , pour me connoftre à fond ,
De huit lettres tu me compofes.
Leur premier nombre fait une conjonction
Qui rend raifon de bien des chofes.
Lorſqu'en me corrigeant tu fais
Que l'on ne trouve en moi ni ſi ni car ni mais
Auffi-tôt je caractériſe
Un des plus dangereux combats ,
Et qu'on a vû près de Veniſe
Plus fouvent que dans nos climats.
Ma derniere moitié , lorſque l'on n'eſt pas fage
Fait aller quelquefois un Banquier en prifon ,
Et certain vent portant le même nom
Sur les Parifiens apporte maint nuage.
> Lorque de moi l'on ne dira plus va
Et qu'on m'interdira le milieu de la porte ,
Je ferai fait de telle forte
7
Fij
128
MERCURE DE FRANCE.
Que fouvent mon fein portera
Ce qui parfois les autres porte.
Plus d'un jardin, par moi s'embellira ;
Un Fleuve à l'autre s'unira .
Pour montrer votre efprit, Lecteur, il vous importe
De déméler tout cet embarras - là ,
Pour moi , je fuis & cetera.
Jacques.
AUTR E.
B Rillant Caméléon de la mode & du tems
J'embellis avec art le fuperbe Edifice ,
A qui l'homme captif par goût ou par caprice
Prodigue fon volage encens.
Ma tête étant tournée , on trouve écrit en elle
Le nom de cette Ville où nâquit autrefois
Le fameux Patriarche attentif & fidéle.
A diftinguer de Dieu les ordres & la voix,
Sans tranfpofer confonne ni voyele
Le refte de mon corps appelle ,
Quand Mars foufle fes feux ennemis de la paix ,
Des nobles Cazaniers la troupe la plus belle.
Pris dans un autre fens , dans le Temple , au Palais ,
Dans les carrefours , je révele
Les obligations , les marchés , les forfaits ,
Et j'exile & je
compromets.
Mettez , fans me donner nulle forme nouvelle ,
JUIN. 129 1745.
D
Mes deux derniers membres à
Je fers au calcul du vieillard ,
Qui nous emporte fur fon aîle.
part ,
1
Par Mad. Desforges- Maillard.
AUTRE.
'Un habile Ouvrier la prudente fageffe
De mon tout compofé fixe le fondement ,
par fon action cet Ouvrier fans ceffe Et
Aux corps que je foutiens donne leur mouvement.
Les corps viennent fur moi tour à- tour fe produire,
De fes liens aucun ne doit le dégager ,
S'il ne devient parfait en ſemblant ſe détruire
Et fourniflant au feu quelque aliment léger.
Le vainqueur de Cerbere , armé d'une quenouille ,
Vaincu par une femme , efclave fous fa loi,
Deshonnore fes mains , les avilit , les foüille
Maniant ce qu'Omphale a dû tenir de moi.
1
Aux deux fexes pourtant également utile ,
L'un ni l'autre fans moi ne peut gueres s'affeoir :
Les Eorêts , d'où je fors pour m'établir en Ville ,
Fourniſſent aux talens que mon corps fait valoir.
Mais lorsque c'eſt le fer ou l'acier qui me forme
Je me venge, & fur eux je m'exerce à mon tour,
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
Et même fur les dents d'un animal énorme ,
Sous qui fon meurtrier jadis perdit le jour
D. C. C. R. à S. M. l' Châlons.
*X*3*X÷ BXBX ÷ * X * X**
JE
LOGO GRYPH E.
E marche fur huit pieds , dont
poids .
>
quatre
Item , un faint Evangélifte ,
Mais les ayant réduit à trois ,
Je ne puis fervir fans carquois.
Voyons en quoi tout le refte confifte
D'abord je fuis riviere de l'Artois ;
Puis Ville de la Picardie ;
Enfuite un Poëte fameux
Un bon Acteur de Comédie ;
Un ennemi du peuple Hébreu ;
Un enfant maudit de fon pere ,
Ce n'eft pas tout ; un malheureux
Qui fut un objet de colere ,
Dont le châtiment rigoureux
Enveloppa fa maifon toute entiere ;
font un
Sçavant Prélat qu'un Roi mit à Paris ;
Certain , que tu connois , qui ne fent pas l'Iris.
Un enfant de Jacob ; un Oifeau de riviere.
Je finis par ce Feftin , !
Où l'eau fut changée en vin.
Par les Dlles le F .... & de G ....
JUIN.
134 1745.
*3*3X +3X+ 3X +3X * X * X*3*
A Madame la Princeffe de T ....
Pour mauvais tours chaffé de la maiſon ,
L'Amour s'enfuit au Pays des Sarmates ;
D'un rude hyver c'étoit lors la faiſon ,
Neige y couvroit prés , bois , champs, cafemates ,
L'enfant tout nud s'y meurt bientôt de froid ;
Tranfi , gelé , le pauvret apperçoit
Deux grands yeux noirs vifs de la bonne espece.
Voilà des yeux tels qu'on les porte en Grece ,
Helene avoit les pareils autrefois ;
Prenons , dit - il , notre abri ſous leurs toîts
Il s'y logea ; content d'un fi bon gîte ,
Flus il n'en fort. Par quoi la jeune Scythe ,
D'un feul regard met un coeur en fouci .
Souci cuifant. Le beau Sexe & le nôtre
Le fçavent bien ; moi qui fis ces Vers- ci ,
Las ! je le fçais mille fois mieux qu'un autre.
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
aasisis isés és eses asas asis asis sas as is
LA FONTENOY , FANFARE.
Q
Uels fons l'Echo répete
A la gloire des Lys !
C'eft la même Trompette
Qu'Henri forma jadis
A chanter la défaite
De fes fiers ennemis.
*3X+
Sujets de fon Empire ,
Chantez tous avec moi.
Ah ! quel plaifir de lire ,
Aux Champs de Fontenoy
Le grand Henri refpire
Dans notre brave Roi !
****
Il a tout l'héritage
De cet Ayeul vanté .
O l'heureux affemblage !
Douceur & dignité ;
Aux Combats fon courage ,
Vainqueur c'eft la bonté.
DE
LA
LYON
7888*
JUIN. 133 1745 .
**✰✰✰****MMMMMMMMM
SPECTACLES.
OPERA.
'Abondance des matieres nous a contraints
de placer dans le premier volume
de Juin des articles des Théatres qui
devoient être emploiés dans le mois de Mai.
L'Académie Royale de Mufique continue
les répréfentations de Zaide.Le fuccès
du debut de M. Poirier , Ordinaire de
la Mufique du Roi ne diminuë point; le rôle
de l'Amour dans le Prologue de ce Ballet
a été joué avec applaudiffement par Mlle.
Rolet.
CONCERT SPIRITUEL.
Dimanche dela Pentecôte 6 Juin , on chanta
In Domino confido , Motet à grand Choeur
de M. l'Abbé Vignot jeune homme qui a
été Enfant de Choeur à Notre- Dame , &
dont le Motet à eû du fuccès , il eft éleve de
M. Du Luc & de M. Aumer Maîtres de
Mufique fucceffivement de l'Eglife Cathédrale
de Paris. J
M. Marrella Violon Italien à joué un
134 MERCURE DE FRANNCCEE..
Concerto de fa compofition ; fon exécution
nette , précife, & remplie de goût, a mérité
les applaudiffemens du Public ; fon ſuccès
s'eft confirmé à tous les Concerts fuivans ,
& fa Mufique n'a pas moins fait de plaiſir
que la façon dont il l'a executée .
Mlle Romainville a chanté avec graces
& expreffion le petit Motet de M.
Mouret , Quemadmodum ; Mrs Forqueray ,
Blavet , Marrella & Labbé, ont executé un
Quatuor de la compofition de M. Telemann
dans la grande perfection.
On a fini le Concert parle Lauda Ferufalem
de M. de Mondonville, Mrs Poirier &
Maline , Mlles Fel , Chevalier & Bourbonnois
ont également brillé dans les
Recits qui leur ont été confiés. M. Benoît
par indifpofition n'a pu chanter à ces concerts
, Mile Fel n'a chanté qu'à celui du jour
de la Pentecôte , pour la même raison que
M. Benoît .
Concert le Mardi 8 Juin.
Cantemus Domino Motet à grand Choeur
de M. Le Vens. Il a réuffi ; une Sonnate à
violon feul de M. Le Clerc , jouée par M.
Marrella.
Benedictus Dominus , petit Motet de M.
Mouret chanté par M. Poirier, avec beaucoup
d'applaudiffemens .
Un Quatuor de M. Telemann , executé
JUIN. 1745. 135
par Mrs Forqueray , Blavet , Marrella &
Labbé.
Qui confidunt in Domino , Motet à grand
Choeur de M. de Mondonville.
Le Dimanche 13 Juin.
Levavi oculos meos , Motet à grand Choeur
de M. Corrette. Un Concerto joué par M,
Marrella.
O Sacrum convivium, petit Motet en Duo
de M.Mouret, chanté par MlleBourbonnois
& par Mlle Romainville.
Un Quatuor de M. Telemann, exécuté par
Mrs Forqueray , Blavet , Marrella & Labbé.
Magnus Dominus , Motet à grand Choeur
de M. de Mondonville .
Jeudi 17 Juin, Jour de la Fête-Dieu.
Cantate Domino , Motet à grand Choeur
de M. de Lalande , dans lequel Mlle Chevalier
a chanté pour la premiere fois le
beau récit Viderunt , quelle a rendu dans la
plus grande perfection . Une Sonnate à violon
feul jouée par M. Marrella.
Venite exultemus,petit Motet de M. Mou
ret,chanté par Mlle Romainville . Un Quatuor
de M. Telemann , exécuté par Mrs
Forqueray , Blavet , Marella & Labbé.
Qui confidunt in Domino , Motet à grand
Choeur de M. de Mondonville.
Dimanche 20 fuin.
Magnus Dominus , Motet à grand Chaur
136 MERCURE DE FRANCE.
de M. de Mondonville , un Concerto joué
par M. Marrella.
Le Choeur du premier Acte de Jephté; un
Quatuor de M. Telemann , exécuté par Mrs
Forqueray , Blavet , Marrella & Labbé.
Cantate Domino , Motet à grand Choeur
de M. de Lalande ; les talens de M. For
queray font affés connus , tout le monde eft
inftruit des éloges qu'ils méritent; les trois
autres habiles Symphonistes ont aufli une
réputation établie.
TROISIEME fuite des Réflexions fur
les Ballets
Nous avons promis des exemples , il faut
acquitter notre parole , avant que de frapper
les grands coups contre la Monotonic
muette des Danfes qui regnent aujourd'hui
fur le Théatre de l'Opera.
Les exemples perfuadent fouvent mieux
que les raifonnemens les plus Géomètri
ques , nous ne chercherons pas ces
exemples dans les Ballets danſés devant
Pericles ou devant Augufte ; nous donnerons
l'idée d'un Ballet exécuté au paffage
de Louis XIV. à Lyon en 1658.
Le fujet étoit l'Autel de Lyon confacré à
Louis Augufte, & placé dans le Temple de la
Gloire. Le fujet de cette action étoit tiré du
JUIN. 1745. 137
quatriéme Livre de Strabon , qui dit que
tous les peuples des Gaules ayant décerné un
Temple à Augufte , on le bâtit dans Lyon
au confluent du Rhône & de la Saonne, que
l'Autel en étoit célébre pour les images
& l'infcription de foixante Nations qui
avoient fait dreffer ce Temple.
Suetone dit que l'Empereur Claude naquit
à Lyon le premier jour du mois d'Août
qui étoit le jour de la Dédicace de l'Autel
confacré à Augufte. Claudius natus eft fulio
Antonio& Fabio Africano Coff. Calendis Au
gufti ,teo ipfo die quo primum ara ibi Augufto
dedicata eft. Juvenal , Dion Caffius & plu
fieurs autres Auteurs ont parlé de cet Autel.
Les Temples & les Autels des Anciens
étoient destinés à trois ufages, aux Sacrifices
qu'on offroit aux Dieux , aux depoüilles
des ennemis qu'on y appendoit , & anx
Oracles qui s'y rendoient ; c'eſt ce qui fait
la divifion des trois parties du Ballet ingegenieux
& fçavant, imaginé à la Gloire de
Louis XIV .
L'Immortalité en fit l'ouverture; elle étoit
vetuë d'amaranthe , qui eft la couleur des
fleurs immortelles , fa couronne étoit com
pofée d'Etoiles qui font les feux immortels
, fon char étoit fait en Phenix , qui eft
l'oiſeau immortel , & il étoit tiré par les
38 MERCURE DE FRANCE .
deux Ourfes célettes , qui font les deux
Conſtellations , qui ne fe couchent point
pour nous.
la
La Vertu marchoit devant l'Immortalité
, comme le guide le plus für pour
trouver , & elle étoit fuivie par la Gloire,
digne récompenfe des Heros .
Les quatre parties du Monde firent la
premiere Entrée dans le Temple même de
la Gloire , dont elles s'étonnerent de voir
les ornemens négligés , & les images des
Heros prefque effacées , une Danfe caracterifée
marqua leur étonnement & la douleur
que leur caufoit ce Spectacle.
La Religion , la Nobleffe & la Juſtice ,
répréfentans les trois Etats du Royaume,
parce que c'eft fur ces trois fondemens que
l'autorité Royale eſt établie , firent la feconde
Entrée. Les quatre coins de cet Autel
fe terminoient en têtes de Lion, au lieu des
têtes de Belier que les Anciens leur donnoient
, les pieds qui foutenoient cet Autel
avoient auffi des pattes de Lion , pour faire
allufion au nom de la Ville qui dreffoit cet
Autel à l'honneur de Louis Augufte .
L'Amour fit la troifiéme Entrée , d'abord
il fit des Pas d'aveugle , avec fon bandeau
fur les yeux qu'il arracha lui même & récita
ces vers.
JUIN.
$745. 139
Mettons bas mon bandeau pour connoître LOUIS,
Ah! que mes yeux font éblouis
Dés éclairs que les fiens répandent fur la terre
Tout tremble à ces regards qui font un fi grand
jour ,
Mais il faut qu'à la fin le flambeau de la guerre
Cede un peu de lumiere à celui de l'Amour .
Je lui veux immoler les coeurs de fes Sujets ,
Je borne là tous mes projets ,
Jufqu'à ce qu'une Epoufe ait part au Diadême ,
Les Graces & les Ris attendent ce moment ;
Maintenant la victoire eft la beauté qu'il aime ,
Et la Nimphe volage en a fait ſon amant.
L'Amour du feu de fon flambeau alluma
celui de l'Autel , en même- tems toutes les
Urnes des Héros dont les cendres repofoient
dans le Temple de la Gloire s'allumerent
d'un feu nouveau , lorfque les Provinces
du Royaume , conduites par la Fidélité
, apporterent leurs coeurs , comme autant
de victimes deſtinées à l'Autel de Louis
= Augufte; la Fidelité les ayant reçûs de leurs
mains , les immola elle même , tandis que
toutes ces Provinces danfoient à l'entour
de l'Autel, fuivant l'ufage des Anciens. Des
Vautours qui repréfentoient les guerres
viles , vinrent pour enlever ces coeurs facrifiés
, mais un Lion fortant de deffous
ci140
MERCURE DE FRANCE.
l'Autel , les mit en fuite , & ce fût la cin
quiéme Entrée. Ce Lion vainqueur des
Vautours , offrit lui- même fon coeur à la
Fidelité , pour en faire un facrifice à l'Autel
de Louis Augufte, mais à peine fut- il expofé
au Feu facré, que fe changeant tout d'un coup
en une Couronne de fleurs de lys , la Fidé
lité en couronna le Lion , couché au pied
de l'Autel , pour repréfenter le Chef des
Armoiries de la Ville de Lyon , qui eſt d'azur
à trois fleurs de lys d'or , fur un Lion
de Gueules , dans un champ d'argent. La
Fidelité en le couronnant, récita ce Sonnet.
Fidéle défenfeur des droits de la Couronne
Et généreux appui du Trône des François
Confacre ta valeur aux Lys que tu reçois
Et conferve le rang que la gloire te donne .
Il faudra qu'à la fin la révolte abandonne
Les tragiques deffeins qui renverfent mes Loix ,
Tandis que tu verras le plus grand de nos Rois
Te couvrir de Lauriers que fa main nous moiffonne .
Il vient récompenfer cette noble fierté ,
Qui fait voir dans tes yeux ta générosité ,
Tandis que de ton coeur tu fais une victime .
•Immole donc ce coeur au pied de cet Autel ,
LOUIS en acceptant un don fi légitime ,
Te donnera le fren pour te rendre iminortel.
COMEDIE
JUIN 1745. 141
COMEDIE FRANÇOISE.
La Comédie Françoife a donné le Samedi
19 Juin la premiere répréfentation de
la repriſe de Didon , Tragédie de M. le
Franc qui a toujours paru au Théatre avec
un fuccès égal & brillant. Le rôle de cette
tendre Reine de Carthage a été parfaitement
rempli par Mlle Clairon , fi habile à exprimer
les paffions vives & touchantes ; l'Auteur
a fait des changemens qui font honneur
à fa modeftic , qui ne s'enyvre point
par les applaudiffemens , & à fon jugement
qui ne s'égare pas dans la route la plus
éblouiffante du Temple de Mémoire . Nous
en parlerons plus amplement dans le fecond
Volume
COMEDIE ITALIENNE.
Le Théatre Italien a débuté après Pâques
par un Compliment que le Public a
fort bien reçû , il eft de la compofition de
M. Panard , fi connu par l'agrément de fes
Vaudevilles , & de M. Sticoti , Auteur de
Pieces goûtées. Il fut prononcé par Coraline
& Arlequin , qui fûrement ne le
déparerent pas ; les traits brillans & gais y
1. Vol. G
142 MERCURE DE FRANCE.
font femés ; nous ne rapporterons ici que
les deux Fables qui terminent ce joli Compliment
; elles peuvent plaire même ifolées
& n'ont pas befoin de leur cadre être
pour
exposées au regard .
Fable de Coraline.
'Autrefois dans le tems que l'on n'avoit point v
D'Orangers dans votre Patrie ,
Par le defir du gain un Jardinier émû
En fit venir deux d'Italie.
L'un d'eux avec foin élevé ,
Des outrages du Nord avec foin préfervé ,
Devint avec le tems fleuri , brillant , robuſte ;
L'autre fut négligé . Le malheureux Arbuſte
De la grêle & des vents éprouvant la rigueur ,
Secha fur pied bien- tôt & périt de langueur.
De mon deftin ils font l'image ;
Je fuis , Meffieurs , cet Oranger ,
Tranſporté dans ce lieu d'un Pays étranger ;
Des vents injurieux fi j'éprouve l'outrage ,
On me verra bien - tôt fuccomber à l'orage.
Mais û votre bon coeur de ma foibleffe inſtruir ;
S'y prête & m'encourage ,
JUIN. 243 1745.
De vos bontés , Meffieurs, vous pourrez voir le fruit.
Fable d'
Arlequin.
Quand des lieux où l'Afie étale ſes tréſors
L'ébene avec l'yvoire arrivent fur ces bords ,
L'un & l'autre eft brute & fans forme ,
Plus dur que le chêne & que l'orme ,
Pour les polir tous deux il faut de grands efforts.
Ma camarade & moi nous fommes tout de- même;
L'yvoire le voilà , * l'Ebene , le voici ; **
Meffieurs , nous vous prions de nous polir auffi ,
Nous y répondrons tous avec un zéle extrême ,
Et nous vous dirons grand - merci.
- Le même jour les deux mêmes Auteurs
donnerent une petite Comédie nouvelle
d'un Acte en Vers , intitulée , l'Impromptu
des Acteurs ; c'eft un fujet ingenieux , fans
intrigue & compofé de Scénes Epifodiques,
où une brillante imagination domine
fans ceffe . La premiere Scéne fait l'expofition
du fujet , & commence par M. Vincent
, qui dit à Mlle Thérefe.
* Montrant Coraline.
** Se montrant lui même .
Gij
144 MERCURE DE FRANCE
Vorre projet a reçû des éloges ,
Et pour l'exécuter chaque Comédien
Veut bien donner ici quelque chofe du fien ,
Au moment que je parle ils font tous dans leurs
Loges
Pour pouvoir méditer un peu
Le fujet qu'ils prendront & concerter leur jeu .
M. Rochard remplit la feconde Scéno
en frondant agréablement la témérité de ce
projet, & en chantant avec fes graces ordinaires
une chanfon compofée par M. Blaife ,
& qui eft marquée à fon coin,
M. Deshaies fait enfuite une Scéne d'yvrogne
, avec une naïveté parfaite.
La quatriéme Scéne , très- bien exécutée
par M. Riccoboni , mérite de n'être pas
tronquée. La voici,
Therefe.
Quel eft cet autre perſonnage ?
Ah ! Ah! c'est vous fous cet air emprunté
Je ne remettois pas d'abord votre viſage !
Couvert d'un manteau , tout botté. ,
Quel est votre deffein dans ce bel équipage ›
Riccoboni.
Le dur métier d'Acteur fut long tems mon partage
Un deftin plus illuftre aujourd'hui m'a tenté ;
JUIN. 145 1745.
Je fuis dans ce moment un Philofophe , un Sage
Qui va chercher la vérité.
Therefe.
Vous nous quittez !
Riccoboni.
Oui.
Therefe.
Bon voyage .
appas , Mais fi la vérité pour vous a des
Faut-il vous tranſporter bien loin de ce rivage
Pourquoi dans ce féjour ne la cherchez-vous pas
Riccoboni.
Où voulez- vous que je la trouve
Tout le monde en ces lieux la fuit & la réprouve
L'efprit n'eft plus qu'un faux brillant ,
La beauté qu'un faux étalage ,
Les carefles qu'un faux ſemblant ,
Les promeffes qu'un faux langage ;
Faufle gloire & fauffe grandeur
Logent partout le faux honneur ,
Partout on voit fauffe Nobleffe ,
Fauffe apparence , faux dehors ,
Faux airs , fauffe délicateffe ,
Faux bruits , faux avis , faux rapports ;
Le coeur eft faux chés Amarante ;
Vefta nous montre un faux maintien ,
Life eft une fauffe ignorante ,
Clindor un faux homme de bien.
G iij
346
MERCURE DE FRANCE.
Therefe.
Quoiqu'un peu trop de fiel paroiffe dans vos rimes,
Je l'excufe pourtant , mais enfin dites- moi ,
Pour réüffir dans ce nouvel Emploi ,
Quel est votre fonds
Riccoboni.
Des maximes.
Therefe.
Mauvais bien ailleurs comme ici
Faites-nous le régal de quelqu'une.
Riccoboni.
En voici.
L'amour fe foutient par l'efpoir ,
Le zéle par la récompenſe ;
L'autorité par le pouvoir ,
La foibleffe par la prudence ,
Le crédit par la probité ,
L'agrément par la liberté ,
La fanté par la tempérance ,
L'efprit par le
contentement ,
Le contentement par l'aifance
L'aifance par l'arrangement.
Therefe.
Ce début fçait affés me plaire.
Riccoboni.
Plus de douceur que de beauté
Me ſemble aux filles néceffaire é
JUIN
147
1745.
Flus d'éclat que de vérité
Dans un Auteur ne me plaît guere ;
Pour être heureux il faut avoir
Plus de vertu que de fçavoir
Plus d'amitié que de tendreffe ,
Plus de conduite que d'efprit ,
Plus de fanté que de richeffe
Plus de repos que de profit.
Therefe.
Je ne vois en cela rien que de raifonnable.
Riccoboni.
En toute chofe la raifon
Trouve le fuperflu blamable ;
Le peu lui plaît quand il eft bon
Ce parti me femble admirable.
Fuyons donc les fâcheux excès
Que les dégoûts fuivent de près ;
Le gourmand toujours famelique ,
Décide pour la quantité ,
Le Gourmet que le bon goût pique ,
Décide pour la qualité.
Therefe.
Par la bonne Philofophie
Cette décifion fera toujours fuivie,
Riccoboni.
Petit bien qui ne doive rien ,
Petit jardin , petite table ,
G iiij
248 MERCURE DE FRANCE RANCE..
Petit minois qui m'aime bien ,
Sont pour moi chofe délectable.
J'aime à trouver quand il fait froid
Grand feu dans un petit endroit ;
Les délicats font grande chere
Quand on leur fert dans un repas
De grand vin dans un petit verre
De grands mets dans de petits plats.
Therefe.
Il réfulte de ce langage
Qu'il ne faut jamais rien de trop .
Riccoboni.
Rien de trop..Que de fens eft caché fous ce mot
Qu'il eft judicieux & fage !
Trop de repos nous engourdit ,
Trop de fracas nous étourdit ,
Trop de froideur eft indolence ,
Trop d'activité , turbulence ,
Trop d'amour trouble la raison ,
Trop de remedes eft poiſon ,
Trop de fineffe eft artifice ,
Trop de rigueur eft dureté ;
Trop d'oeconomie , avarice ,
Trop d'audace , témérité.
Therefe.
Ce trop que vous blâmez n'eſt pas , à le bien prendre ,
Si pénible à changer que vous le croiriez bien.
Cela vient faute de s'entendre ;
JUIN. 1745 . 149
Le tout fouvent dépend d'un rien .
Riccoboni.
D'un Rien. Oüi , comme vous , jepenfe,
Un rien produit de grands effets.
Un rien eft de grande importance ;
En amour , en guerre , en procès ,
Un rien fait pancher la balance ;
Un rien nous pouffe auprès des Grands ,
Un rien nous fait aimer des Belles,
Un rien fait fortir nos talens ,
Un rien dérange nos cervelles ;
D'un rien de plus , d'un rien de moins ,
Dépend le fuccès de nos foins ;
Un rien flate quand on eſpere ,
Un rien trouble lorsque l'on craint ;
Amour , ton feu ne dure guere ,
Un rien l'allume , un rien l'éteint.
Therefe.
Votre Scéne a du bon , j'y vois de la fagcffe ;
Vos Confreres tantôt dans un femblable cas
Ont fçû s'en tirer par fineffe ;
Votre efprit en cela ne les imite
Riccoboni,
pas.
Tout le monde n'a point le même fçavoir faire
On ne fait pas ce que l'on veut..
Chacun s'échappe comme il peut ,
Chacun d'un embarras fe fauve à fa maniere,
GY
150 MERCURE DE FRANCE.
L'ignorance dans ce Canton
Se fauve par l'effronterie ,
L'homme du jour par un jargon
Qui prend le titre de faillie ,
La Danfe par les entrechats ,
La Mufique par le fracas ,
L'Imprimeur par des rêveries
Qu'on donne pour des vérités .
La Scéne par des rapfodies
Qu'on donne pour des nouveautés ;;
Les Orateurs & les Poëtes .
Se fauvent par des lieux communs
;
Les Actrices par des fleurettes ,.
Et les Acteurs par des emprunts. !
J'en vois dont l'ame intereffée
Se fauve par le Caducée ;
J'en fçais dont l'efprit fouple & fim
Se fauve par un fouterrain ,
L'un fe fauve par des cafcades ,
L'autre en prenant un certain biais ;
Et moi qui crains que mes tirades
Ne femblent à la fin trop fades ,
Je me fauve par les marais.
JUIN. 1745 .
151
La cinquième Scéne eft applaudie après
celle-ci , cela n'eft pas étonnant , elle eſt
jouée par Mlle Silvia qui donne fucceffivement
un échantillon de tous les caracteres
comiques , & qui de plus chauffe un moment
le coturne , le tout avec les graces
naturelles qui brillent fans ceffe dans fes
rôles .
La Piéce finit par des Scénes de lazzis
exécutées par Mario , Arlequin , Scapin
Coraline & M. Deshaies , qui font fuivies
d'un Ballet auffi amufant que les jeux de
Théatre qui l'ont précedésla mufique eft de
M. Blaiſe & ne dément pas fes autres ou
vrages.
On a remis au Théatre l'Amant Prothée ,
Comédie en trois Actes & en vers de M.
Romagnefi, écrite du bon ton Comique ,
d'un ftyle naturel, où les gentilleffes néologiques,
tant frondées par l'obfervateur fenfé
des modernes , ne fe trouvent point. Les
rôles en font tous parfaitement exécutés &
Les Ballets en font bien compofés & trèsamufans.
M. Balleti danfe avec l'aimable
Coraline , & la petite Camille y reçoit
plus d'un applaudiffement dans le même
Air. Les trois Divertiffemens font variés
par dés Chanfons & des Vaudevilles
chantés par M. Rochard & la jeune
Gvj
152 MERCURE DE FRANCE .
Aftroti , avec leur goût ordinaire .
Le Dimanche 9 Mai , les Artificiers
Italiens donnerent l'Atlas , Spectacle nouveau
, qui a rempli l'attente du Public &
réüni fes fuffrages. Il a été extrêmement
applaudi.
Le Jeudi 13 Mai , on a vû la premiere
répréfentation de l'Amante travestie,Comédie
d'un Acte.
Le Mercredi 19 Mai , les Evenemens nocturnes
, Piéce Italienne , ont fort amufé les
Spectateurs. Le titre feul inftruit de ce que
cette Comédie contient lazzis , jeux de
Théatre , nuits comiques .
Après une courte abfence qui a paru longue
aux Spectateurs , l'aimable Coraline
& fa foeur Camille qu'une indifpofition
avoit éloignées du Théâtre, y ont ra
mené leur agrémens.
>
CONCERTS DE LA COUR .
Le Lundi 3 Mai on exécuta chés la ༣
Reine le quatriéme & le cinquiéme Acte
d'Amadis de Gaule , dont les paroles font
du Prince des Lyriques & la Mufique
de Lulli . Le Prologue & les trois premiers
Actes avoient rempli les Concerts du
Lundi 26 Avril & du Mercredi 28.Les rôles
JUIN. 153 1745 .
ont été chantés par Me Mathieu , Mlle Fel ,
Mrs du Bourg , Poirier & de la Garde.
Le départ du Roi a fait fufpendre lesConcerts
jufqu'à nouvel ordre .
Le Lundi 17 on exécuta le Prologue &
le premier Acte d'Armide ; les rôles ont
été remplis par Mlle Romainville , Me
Mathieu , Mlle Selle , M. Deſchamps
M. Dubourg & M. le Clerc.
Le Mardi 19. on exécuta le deuxième &
le troifiéme Actes . M. Poirier chanta le
rôle de Renaut , & Mlle Dinan un Air
Iralien.
ESTAMPES NOUVELLES.
La fuite des Portraits des Hommes Illuftres
dans les Arts & dans les Sciences continuë
de paroître avec fuccès chés Odieuvre,
Marchand d'Eftampes ruë d'Anjou , il vient
de mettre en vente ceux de
FRANÇOIS DE LORRAINE , DUC DE
GUISE , né le 17 Fevrier 1519 , qui fut
bleffé devant Orleans par Jean Poltrot il
mourut fix jours après le 24 Fevrier 1549 .
gravé par Gaillard.
CHARLES CARDINAL DE BOURBON
, né à la Ferté-fous- Joüare le 22 De154
MERCURE DE FRANCE.
cembre 1523 , mort à Fontenay le Comte
le 9 Mai 1590 , gravé par Aubert.
JEAN LOUIS DE NOGARET DE
LA VALETTE , DUC D'EPERNON ,
né au mois de Mai 1554 , mort le 13
Janvier 1642 âgé de 88. ans , gravé par
Sornique.
PIERRE JEANNIN , Premier Préfident
au Parlement de Bourgogne, Sur- Intendant
des Finances , Miniftre d'Etat , mort
le 31 Octobre 1622 âgé de 82 ans , gravé
par Tardieu le fils.
Le Portrait in- 4. de FRANÇOIS
RIVARD , Profeffeur de Philofophie
pour mettre à la tête de fes ouvrages, deffiné
& peint par Valade & gravé par Pinffio .
Le même Marchand d'Eftampes debite
actuellement 35 Portraits in- 4°. pour les
nouveaux Mémoires de Sully , enrichis
de differens paffe- par- touts du meilleur
goût , & continue à faire graver la fuite
qu'il délivrera en entier à la fin de Juillet
prochain
JUIN. 1745. 153
JOURNAL DE LA COUR ,
DE PARIS , & c.
SUITE du Journal des Opérations de
l'armée du Roi.
Au Camp devant Tournay le 24 Mai.
Es troupes du Roi font entrées aujourd'hui
à 2 heures après midi dans
Tournay , celles de la Garnifon l'ayant
évacué , & étant montées dans la Citadelle .
Le Roi & Monfeigneur le Dauphin ont
été fur les 4 heures fe promener aux environs
de Tournay , & ont vifité en paffant
les ouvrages qui ont été faits à l'attaque de
la Place , depuis qu'ils avoient été à la
tranchée .
Au Camp fous Tournay le 25 .
On a commencé ce matin à relever les
brêches & combler les tranchées qui ont
été faites pour l'attaque de Tournay.
S. M. a ordonné d'exercer & de faire
tirer tous les marins les recrues & les piquets
immédiatement après la garde montée.
Elle a reglé auffi que tous les Régimens
prendroient les armes de deux jours l'un
pour faire l'exercice , manoeuvrer & tirer.
156 MERCURE DE FRANCE.
S. M. & Monfeigneur le Dauphin continuent
de jouir d'une parfaite fanté.
Au Camp fous Tournay le 26.
Le Roi a donné le Régiment des Gardes
Françoifes , vacant par la mort de M. le Duc
de Grammont, à M. le Duc de Biron, Lieutenant
Général & Colonel du Régiment du
Roi.
S. M. a conferé ce matin l'Ordre de S.
Louis à fix Officiers. Elle a monté à cheval
fur les 4 heures après - midi avec Monfeigneur
le Dauphin , & elle a été fe promener
du côté de Pontatreffein fur le chemin
de Lille. S. M. en revenant à fon quartier,
a vifité les lignes qui ont été faites dans
cette partie entre l'Escaut & la Marque.
Le Roi vient de donner fon Régiment
d'Infanterie à M. le Comte de Guerchy ,
Colonel de celui des Vaiffeaux .
Au Camp fous Tournay le 27.
S. M. n'eft point , fortie de la journée.
Elle a travaillé ce matin fur les affaires militaires
avec Meffieurs les Maréchaux de
Noailles & de Saxe & M. le Comte d'Argenfon
.
L'après-midi Elle a tenu Confeil d'Etat .
JUI N. 1745 . IST
S. M. a donné le Gouvernement de Peronne
à M. le Comte de Baviere , & le
Régiment Royal des Vaiffeaux qu'avoit M.
de Guerchy , à M. le Chevalier Daubeterre.
Les nouvelles d'Allemagne font juger
que le Duc d'Aremberg marche pour fe rapprocher
de ce Pays - ci , ou de la Mozelle .
Au Camp fous Tournay le 28.
Le tems a été fi mauvais pendant toute
la journée que S. M. n'eft point fortie.
Elle a reçû ce matin plufieurs Chevaliers
de Saint Louis, & a travaillé cet après-midi
avec M. le Comte d'Argenfon .
Au Camp fous Tournay le 29 .
Le tems ayant continué aujourd'hui d'être
mauvais , S. M. n'eft point fortie . Elle
a accordé une penfion de 3000 liv. à M.
le Marquis Danlezy , Maréchal de Camp :
qui a été bleffé à la bataille de Fontenoy
en confidération de la maniere diftinguée
avec laquelle il s'y eft conduit.
Au Camp fous Tournay le 30 .
Le Roi ayant donné fes ordres pour
faire remplacer dans la Compagnie des
>
158 MERCURE DE FRANCE.
Grenadiers à cheval ceux qui ont été tués
à la bataille de Fontenoy , ou mis par leurs
bleffures hors d'état de fervir , a reçû ce
matin après la Meffe les Grenadiers qui
ont été tirés des Régimens d'Infanterie qui
font à fon armée.
t
S. M. a tenu Confeil d'Etat cette aprèsmidi
.
Les Commiffaires du Roi & de la Reine
d'Hongrie étant convenus à Dourlach d'un
échange général des prifonniers de guerre
refpectifs, qui ont été faits jufqu'au 27 d'Avril
dernier , & le Traité ayant été ratifié
par les deux Cours , tous les Officiers qui
avoient été renvoyés fur leur parole , ont
été déclarés libres. Les autres feront échangés
à mefure de l'arrivée des divifions des
prifonniers à la conduite defquelles ils
feront.
Au Camp fous Tournay le 31 .
S. M. a appris ce matin avec un grand
regret la mort de M. de Lutteau , Lieutenant
Général de fes armées , qui avoit été
bleffé à la bataille de Fontenoy.
S. M. a déclaré une promotion de Maréchaux
de Camp & de Brigadiers de fes
armées , lefquels prendront rang du premier
de ce mois , ainfi que tous ceux qui
JUIN. 1745.
159
feront avancés pendant le cours de la Campagne.
Les Etats généraux ayant fait fçavoir
leur réfolution au Gouverneur de la Citadelle
de Tournay , par laquelle il lui eſt
ordonné de fe défendre , M. de Braxel a
écrit en conféquence à M. le Maréchal de
Saxe pour lui en faire part , & les hoftilités
doivent commencer demain , qui eft le jour
que la fufpenfion d'armes ceffe aux termes
de la Capitulation de la Ville.
Le Gouverneur de la Citadelle ayant eu
ordre de la défendre , le Régiment des
Gardes vient de ſe mettre en marche
pour
ouvrir la tranchée ; on commencera à tirer
dès que minuit fera fonné.
Au Campfous Tournay le premier Juin.
Quoique la tranchée ait été ouverte la
nuit derniere , les ennemis n'ont cependant
commencé à tirer que ce matin à neuf
heures.
Le Gouverneur malgré la Capitulation ,
refufoit de recevoir les femmes & enfans ,
& les équipages de fa garnifon , fous le
prétexte que fes Maîtres le lui avoient défendu
, mais M. le Maréchal , fuivant les
intentions du Roi , a pris le parti de les
faire conduire fur l'efplanade en dehors des
160 MERCURE DE FRANCE.
Barriéres , ce qui a forcé ce Gouverneur à
leur ouvrir fes portes.
Nous avons déja 60 mortiers en batterie
& une de 6 canons à ricochets établie
pour
F'attaque de la Citadelle de Tournay , qui
ont commencé à tirer ce matin . Elles font
placées , fçavoir :
Les fix pièces de canon dans le tenaillon
de la branche gauche de l'ouvrage à corne
de Saint Martin .
Trente - deux mortiers dans le chemin
couvert de la même branche.
Huit dans l'ouvrage du Luquet , qui eft
une efpéce de lunette à la rive droite du
Haut Escaut au- deffus de l'Eclufe.
Dix à la rive gauche , à 100 toifes audeffus
de la porte de Valenciennes , & 10
autres à 100 toifes plus haut , affés près du
bord de l'inondation .
Le Roi a monté à cheval avec Monfeigneur
le Dauphin fur les 5 heures aprèsmidi
, & a été faire une promenade de l'au
tre côté de l'Eſcaut .
S. M. a donné à Meffieurs le Chevalier
de Broglio , Meftre de Camp d'un Régiment
de Cavalerie , & au Comte de Revel,
Colonel du Régiment de Poitou , tous deux
fils de feu M. le Maréchal de Broglio , une
penfion de 3000 1. à chacun .
JUIN.
161 1745 .
Au Camp fous Tournay le 2 .
Meffieurs les Députés du Parlement de
Paris étant arrivés hier au foir à Lille , Meffieurs
les Gens du Roi fe font rendus ce
matin au Camp pour demander à S. M. le
jour qu'elle voudra leur donner Audience
pour recevoir leurs hommages . Elle leur a
été accordée pour demain matin.
Nos batteries de mortiers ont tiré cette
nuit avec beaucoup de vivacité , & ont
caufé un défordre confidérable aux affiégés.
Ils ont abandonné cent cinquante chevaux
qu'ils ont fait fortir porte du
fecours.
par
la
Pour refferrer la garnifon & empêcher les
forties , on a commencé une parallele qui
doit être conduite du haut de la branche.
gauche de l'ouvrage à corne de Saint Martin
fur le ruiffeau d'Erre vers Pontarieu.
Elle a été faite à moitié pendant cette nuit,
& on y a conftruit une redoute à l'extrêmitée
de l'angle faillant du chemin couvert :
on a fait la moitié du boyau projetté pour
arriver au chemin couvert de la redoute
qui eft restée neutre , & de-là on a formé
dans le foffé de la communication de la
Ville à la Citadelle deux zigzagues , dont
Pextrêmité aboutit à la derniere Tour de la
vieille enceinte,
162 MERCURE DE FRANCE,
S. M. a tenu çet après-midi Confeil d'Etat.
Au Camp fous Tournay le 3 .
M.
: Le Roi ayant accordé Audience
pour ce
matin à Meffieurs
les Députés du Parlement
de Paris & à ceux de la Chambre des
Comptes , ils fe ſont rendus à leur arrivée
de Lille fous les tentes qui leur avoient été
préparées , & le Roi à l'iffuë de ſon Conſeil
concernant
les affaires militaires , étant
paffé fur les 11 heures fous la tente ,
le Comte d'Argenfon
& M. de Brezé ont
été prendre Meffieurs
les Députés qu'ils ont conduits fucceffivement
à l'Audience
de S. M , à qui les Premiers Préfidens de
ces deux Cours ont fait leurs complimens
. Ils ont été enfuite reconduits
à leurs tentes
de la même maniere qu'ils avoient été amenés
à l'Audience
de S. M.
La Compagnie des Gendarmes Dauphins
étant de tour de monter la garde aujourd'hui
chés le Roi , Monfeigneur le Dauphin
eft allé ce matin en habit uniforme audevant
de l'Eſcadron , & après en avoir fait
la revûë , & reçu trois Officiers qui ne l'étoient
pas encore , il a marché à la tête de
cet Efcadron jufqu'au quartier du Roi , où
il a relevé celui de la Reine. Cette aprèsmidi
le Roi étant allé fe promener , Mon-
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OFTHED
>ལ་ལ་༥ས་ཀྱི་ ཆོས་་ནས་•¥p
(
JUIN. 1745. 163
feigneur le Dauphin s'eft trouvé à la tête.
de la Compagnie , où il a falué S. M.
On a augmenté de fix mortiers la batterie
de 10 piéces à la rive gauche du Haut
Eſcaut , au - deſſus de la porte de Valenciennes...
à
On a auffi placé au pied du rempart ,
l'extrêmité de la branche gauche de l'ouvrage
à corne de la porte Saint Martin , un
mortier pour des bombes de des bombes de 500 , dites des
Cominges , qui tirent actuellement , & on
travaille à l'établiffement d'un mortier
femblable.
On a établi cette nuit une batterie pour
To piéces de canon , dans la demie parallele
partant du faillant de la place d'armes , rentrant
du chemin couvert de la branche
gauche
de l'ouvrage à corne de la porte Saint
Martin.
Il a été conftruit dans la parallele partant
du faillant du chemin couvert de la demie
lune dudit ouvrage , jufqu'à la redoute qui
la termine , quatre batteries où l'on placera
20 piéces de canon & 12 mortiers que l'on
compte qui tireront demain matin.
On a pouffé une branche de zigzagues
dans le foffé de communication de la Ville
à la Citadelle , d'environ 40 toifes de longueur
, à la faveur de laquelle le Mineur a
percé la contrefcarpe , qu'il eft actuelle164
MERCURE DE FRANCE.
ment occupé à fouiller pour y découvrir les
mines que l'on foupçonne que l'ennemi
pourroit y avoir.
On a eu environ 14 ou 15 hommes tués
ou bleffés par des éclats de bombes.
Au Camp fous Tournay le 4.
Meffieurs les Députés de la Cour des
Aides s'étant rendus ce matin au quartier
du Roi , S. M. a l'iffuë de la Meffe leur a
donné Audience fous fa tente , où ils ont
été conduits avec la même cérémonie que
Meffieurs du Parlement & de la Chambre
des Comptes.
Meffieurs les Gens du Roi du Grand
Confeil font venus prendre les ordres de
S. M. fur l'Audience de Meffieurs les Députés
; elle leur a été indiquée pour Dimanche
matin.
L'Efcadron des Gendarmes Dauphins
ayant defcendu la garde ce matin , Monfeigneur
le Dauphin , à la tête de cet Efcadron
, a attendu celui des Chevau - légers
qui doit le relever , & s'eft mis enfuite à
la tête de ce dernier pour commander encore
la garde qu'il doit monter aujourd'hui
chés S. M.
Les ennemis ont fait à la pointe du jour
une fortie d'environ 800 hommes avec des
travailleurs ,
JUIN. 1745. IGS
travailleurs , pour combler nos ouvrages.
Les bonnes difpofitions qu'avoit fait M. de
Graville Maréchal de Camp , commandant
la tranchée , & la fermeté avec laquelle nos
troupes les ont attendus , ont empêché la
réuffite de leur deffein . Ils ont été répouffés
avec beaucoup de confufion de leur part ,
& ont laiffé fur la place plus de 80 hommes
tués ou bleffés . Il ne nous en a coûté
$ hommes tués ou bleffés . Le Régiment des
Gardes Suiffes étoit chef de tranchée .
que
Nos batteries de bombes cómpofant actuellement
78 mortiers continuent de tirer
& de caufer beaucoup de dommage à
l'ennemi pár la vivacité avec laquelle elles
font fervies.
Celles de canons ne tireront que demain
matin , attendu que quelques-unes ne font
point encore finies,& que pour qu'elles faffent
tout l'effet qu'on en attend, & qu'elles.
foient moins expofées à être démontées par
celles des ennemis , il a été ordonné de ne
les faire tirer que lorfqu'elles feroient toutes
en état.
Ou a fait des communications derriere
la parallele pour joindre les batteries qui
y ont été conftruites.
Le Mineur continuë de foüiller fous la
contrefcarpe.
1. Vol. H
}
166 MERCURE DE FRANCE.
Au Camp fous Tournay le 5.
Monfeigneur le Dauphin a été reconduire
ce matin au Camp de la Gendarmerie
l'Efcadron des Chevau- Légers Dauphins
qui a defcendu aujourd'hui la garde.
On a fait cette nuit une nouvelle branche
de zigzagues dans le foffé de communication
à la Citadelle fur la droite , pour
pouvoir dans la fuite fe jetter plus facilement
fur le terre-plein du chemin couvert.
Le Mineur eft actuellement à 7 toifes de.
longueur dans la partie du revêtement de
la contrefcarpe , & à 16 toifes dans celle
qui fe retourne fur ladite contrefcarpe.
La redoute qui appuye la droite de la
parallele eft entiérement paliffadée dans le
fond du foffe , & les troupes y font bien à
Couvert & en fûreté ,
On a perfectionné les parties de cette
parallele qui en avoient befoin, & les communications
qui enveloppent les batteries.
Toutes nos batteries de canons ayant été
mifes en état elles ont commencé ce matin à
tirer ainfi que les dernieres batteries de
mortiers.
Il y a eu cette nuit douze hommes tués
ou bleffés ; dans le nombre de ces derniers
eft M, de Mirabel Ingénieur , qui a eu un
de feu au menton, coup
JUIN . 1745. 167
Le Roi s'eft rendu cet après -midi à la tête
du Camp de fon Régiment des Gardes Fran
çoiſes , où S. M. a fait reconnoître le Duc
de Biron pour Colonel de ce Régiment, qui
a enfuite défilé devant S. M.
Elle a accordé le Régiment de la Cou
ronne vacant par la promotion de M. le
Duc d'Havré au grade de Maréchal de
Camp à M. de Polaftron Colonel dé
>
celui de Bretagne.
Le Régiment d'Infanterie d'Aubeterre à
M. le Duc de Montbafon , celui de Bourgogne
à M. d'Herouville , frere de M. le
Comte d'Herouville de Claye Maréchal de
Camp , ci-devant Colonel de ce Régiment.
Le Régiment Royal la Marine , vacant
par la promotion de M. le Comte de
Lorges au grade de Maréchal de Camp , au
Chevalier de Dreux , Colonel de celui de
Guyenne .
Au Camp fous Tournay le 6.
Le Roi a donné audience ce matin à
l'iffuë de fa Meffe à Meffieurs les Députés
du Grand Confeil , de la Cour des Monnoyes
& du Corps de Ville. Ils y ont été
conduits dans la forme ordinaire, S. M. recevra
demain la députation du Parlement
de Flandre.
Hij
169 MERCURE DE FRANCE.
Les Mineurs fe font mis en état de culbuter
ce foir la contrefcarpe , & de donner
fur le glacis & fur le chemin couvert deux
grands entonnoirs, que l'on communiquera
par un couronnement , pour établir enfuite
un logement fur le terre - plein du chemin
couvert.
Les ennemis ont réuni cette nuit tout
leur feu fur les zigzagues dans le foffé , &
font fortis vers minuit de leurs traverses
pour fe jetter de deffus le chemin couvert
fur ces zigzagues & les faire abandonner.
Ils n'ont pas tenu long-tems , le feu de nos
Grenadiers les ayant obligés de fe retirer
prefqu'au même moment qu'ils ont parû.
Nos batteries commencent à ruiner les
défenfes du front oppofé à l'ouvrage à corne
de Saint Martin.
Un détachement des Huffards du Régiment
de Linden qui s'étoit avancé jafqu'aux
Fauxbourg de Mons , s'eft ſaiſi d'un
courier chargé de dépêches du Prince de
Valdeck commandant en chef les troupes
des Etats généraux , Il a été amené au Roi
ce matin ; ce même détachement a aufli enlevé
plufieurs chevaux & des fubfiſtances
deftinées pour la garnifon de la Place.
On a reçû la nouvelle d'un avantage
remporté le 22 du mois dernier auprès de
Jagerdorff en
en Silefie par les troupes du
JUIN. 1745. 169
Roi de Pruffe fur celles de la Reine de
Hongrie. Il y a eu de ces derniers près de
3000 hommes de tués ou faits prifonniers ,
fans prefqu'aucune perte de la part des
Pruffiens. Le même jour ils ont encore attaqué
au débouché des montagnes de Bohême
un corps Autrichien dont ils ont
détruit 1000 à 1200 hommes.
Au Camp fous Tournay le 7.
Le Roi a reçu ce matin après la Meſſe
Meffieurs les Députés du Parlement de
Flandre.
Les Mineurs ont renverfé hier au foir àla
contrefcarpe par
l'effet de leurs fourneaux
deux entonnoirs dans le terre-plein du chemin
couvert. On s'eft logé fur la rampe de
la contrefcarpe pour pouvoir occuper enfuite
toute la partie du chemin couvert
entre cette contrefcarpe & la paliffade.
Du logement du haut de la rampe notre
feu plongera fur le derriere de la premiere
traverſe des ennemis dans le foffé.
L'Artillerie a baiffé ſes embraſures dans
le demi tenaillon , & a exhauffé ſes platteformes
pour battre jufqu'au pied des revêtements.
Pour fe mettre à couvert du feu de l'ennemi
qui pourroit plonger dans le terre-
Hiij
170 MERCURE DE FRANCE.
plein de la redoute à la droite de la grande
parallele , on y a fait une traverſe en
diagonale.
Le Roi a été avec Monfeigneur le Dauphin
faire une promenade cette après-midi,
& a vifité toute la ligne de Cavalerie du
côté de la gauche.
Au Camp fous Tournay le 8.
La fappe a été pouffée cette nuit entre la
contrefcarpe & la patiffade jufqu'à l'épaule
de la place d'armes d'où on s'eft replié
par un retour fur la contrefcarpe : on travaille
actuellement à élever dans ce retour
le point qui voit la premiere traverſe dans
le foffé pour fe mettre en état d'en chaſſer
l'ennemi.
On a élargi & perfectionné la communication
de la Porte de Valencienne au
ruiffeau d'Erre , & on a travaillé à plufieurs
mafques dans des parties à la porte de
l'ouvrage à corne de S. Martin , que l'on
foupçonne pouvoir être vûës des ouvrages
de la Place.
·
Nos batteries vont toujours très bien ,
& on en conftruit une nouvelle de pierriers
dans le dernier zigzague du foffé .
On a remarqué par des décombres de
terre derriere la traverfe dans le foffé , que
JUIN. 1743. 171
les ennemis travaillent à une galerie le
long de la contrefcarpe. Ils ont fait une
fortie ce matin vers les 2 heures au nombre
de 300 hommes fur la tête de nos ou-.
vrages dans le foffé & fur le chemin couvert
, mais ils ont été repouffés fur le
champ par les Grenadiers du Roi & de Piedmont
qui les ont fait rentrer avant même
que leurs premieres troupes euffent fait leur
décharge . Ils ont eu environ 20 hommes de
tués & un plus plus grand nombre de bleffés
qu'ils ont demandé à retirer , & il y a eu à
cet effet une fufpenfion d'armes. fur les fix
heures du matin. Nous n'avons eu qu'un
feul homme de bleffé dans cette action
mais le front fur lequel nous cheminons
actuellement eft fi étroit , que jufqu'à ce
que nous ayons pû éteindre le feu des ennemis
qui eft prefque tout raffemblé dans
un même point fur nos travailleurs , ils en
feront fort incommodés , & il y a toujours
quelques bleffés , furtout par les éclats de
bombes dont les ennemis font beaucoup
d'ufage.
Au Camp fous Tournay le 9.
Monfeigneur le Dauphin a monté ce
matin à cheval fur les 6 heures , & s'eft rendu
en habit uniforme au Camp de fon Régiment
d'Infanterie , qui eft à près de deux
Hinj
172 MERCURE DE FRANCE.
lieues du quartier du Roi ; il en a fait la
revûë , & après l'avoir examiné en paffant
dans tous les rangs il a témoigné en être
extrêmement content ainfi que de la maniere
dont ce Régiment a fait l'exercice
& les differentes évolutions qu'il a ordonnées.
Il a conferé l'Ordre de Saint Louis a
plufieurs Officiers tant de ce Régiment
que d'autres de l'armée qui s'étoient rendus
en conféquence des ordres du Roi au
Camp de ce Régiment , pour y être reçûs
Chevaliers par Monfeigneur le Dauphin .
On a procuré cette nuit à l'Artillerie un
emplacement pour une batterie de 7 piéces
de canons pour battre en brêche le baftion
gauche embraffé dans l'attaque & la fauſſe
braye ; on travaille à fon établiſſement &
on compte qu'on pourra en faire ufage dès
demain matin ; elle eft placée à la gauche
de la demie parallele dans la ligne qui communique
du chemin couvert dans le follé
on a donné un même emplacement & dans
les mêmes vûës à l'extrêmité du dernier
boyau fur le chemin couvert en retour fur
la contrefcarpe : cette batterie eft de trois
piéces.
On en a auffi établi une troifiéme de deux
piéces dans un nouveau boyau.
Le Mineur eft attaché & travaille à deux
puits , d'où il renverfera la partie de conJUIN.
1745 . 173
trefcarpe entre l'extrêmité des fappes dans
le foffé & l'extrêmité de celles fur le chemin
couvert ; on s'en promet l'effet dès ce
foir.
On a auffi ouvert une communication de
l'angle faillant du chemin couvert de la
corne de Saint Martin à la grande parallele
pour en racourcir le chemin , & porter
au befoin par ce chemin couvert un fecours
plus prompt à cette parallele.
S. M. a tenu ce foir Confeil d'Etat..
Au Camp fous Tournay le so.
On a renversé cette nuit par l'effet de
la mine le mur de contrefcarpe au point
d'extrêmité du dernier zigzague dans le
foffé , & la rampe de communication de ce
foffé au terre-plein du chemin couvert a été
faite fur le champ..
On a auffi ouvert de nouveau fur ce
chemin couvert un zigzague en avant- des
précédens , qui a été appuyé à la contrecarpe
qu'on fe propofe d'ouvrir encore cette
nuit , pour donner aux Mineurs la facilité
de marcher enfuite le long du mur de
- cette contrefcarpe , & en fe retournant fur
le terre - plein du chemin couvert de le
fouiller jufqu'à une étendue de 15 ou 16
toifes.
Hv
174 MERCURE DE FRANCE.
La batterie de fept piéces pour battre en
brêche le baſtion de la gauche & fon enveloppe
de fauffe braye a commencé à tirer ce
matin , & on continue à mettre en état les
deux autres batteries dont on a parlé hier.
On a auffi travaillé à donner une communication
aux troupes par le foffé de l'ouvrage
à corne , pour obvier à l'inconvénient
de faire tout paffer par la branche le
long de laquelle il y aune perpétuelle manoeuvre
d'Artillerie.
On a eu cette nuit & dans la journée
d'hier 20 bleffés & point de tués , nonobftant
le feu des ennemis qui a été très confidérable
pendant toute la nuit.
Au Camp fous Tournay le 11 .
L'armée a fait aujourd'hui un fourage
pour quatre jours fur les bords & en deça
de la Rône jufqu'au-deffous de Vatricon .
Ce fourage étoit commandé par M. le Marquis
de Clermont - Tonnerre , Lieutenant
général des Armées du Roi , ayant fous fes
ordres 18 Compagnies de Grenadiers
3500 Fusiliers , 1300 Maîtres ou Dragons
& 250 Huffards avec huit piéces à la Suédoife
; toutes ces troupes ont été affemblées
à minuit pour aller occuper les differens
poftes qui leur avoient été marqués
JUIN. 1745. 175
pour la fûreté de la chaîne.On avoit auſſi fait
marcher dès hier à trois heures après - midi
un gros détachement fous les ordres de M.
du Chayla , Lieutenant Général , pour ſe
porter en avant & couvrir le fourage. Ce
détachement a repaffé la Rône au Village
d'Anvain , & a été occuper la plaine en
avant du Château de ce nom où l'on a mis
de l'Infanterie ; il étoit compofé de 18
Compagnies de Grenadiers , de 900 Fufiliers
, de Soo chevaux tant Dragons que
Huffards, & de 300 Arquebufiers de Graffin
avec 4 piéces de canons.
Plufieurs autres petits détachemens de
Compagnies franches de Huffards ont été
portés en avant pour faire des patrouilles.
& obferver l'ennemi.
Ces difpofitions faites les fourageurs
font partis de leur rendez - vous ce matin à
heures & demie fur trois colonnes.
S
La colonne de la droite s'eft rendue visà-
vis du Village d'Anvain où devoit être
la tête de fon fourage.
Celle du centre a pris le grand chemin de
Tournay à Renay , qu'elle a fuivi jufqu'à
Vatricon qui lui étoit défigné.
La colonne de la gauche dont étoient les
fourageurs du quartier général a été gagner
la redoute qui eft entre le Rongefort
& le grand chemin de Renay, & a établi la
H vj
176 MERCURE DE FRANCE
tête de fon fourage près de la Cenfe de Lif
morte fur la Rône.
Les fourageurs des Vivres & de l'Artillerie
ont eu auffi leur canton particulier , &
ont été fourager dans la plaine qui eft entre
I'Efcaut & le pont de Vertefeuille fur le
ruiffeau du Pont-d'Amour.
Tous les piquets des differens
corps de
l'armée ont eu ordre de fe tenir prêts à
marcher en cas d'événement ; plufieurs ont
été mis en bataille en avant de leur Camp ,
pour y demeurer jufqu'au retour des fourageurs.
Par toutes ces bonnes difpofitions le
fourage s'eft fait avec la plus grande tranquillité
, & fans que l'ennemi ait fait aucune
tentative pour le troubler..
On a employé cette nuit 800 travailleurs
pour ouvrir le parapet du chemin couvert
à l'extrêmité de la ligne de fappe au-delà des
deux premiers entonnoirs. Ils ont auffi travaillé
à couronner en gabions la face droite
de la place d'armes rentrante , & à prolonger
le logement jufqu'à 20 ou 25 toifes audelà
de fon angle . De ce couronnement on
a fait fortir une grande ligne vers l'angle ,
pour s'appuyer à l'épaule du chemin couvert
du Paté S. Martin , & communiquer à la
demie parallele.
Mellieurs Defmarais Ingénieur , & d'OrJUI
N. 1745. 177
meville Lieutenant d'Artillerie ont été
bleffés.
Au Camp fous Tournay le rz
L'attaque de la Citadelle de Tournay
fe continue avec beaucoup de précautions
parce que le Roi veut que l'on épargne les
hommes , & qu'on ne peut s'approcher du
corps de la Place , qu'après avoir éventé les
mines dont tous les ouvrages extérieurs
font pleins.
La brêche au corps de la Place eft avancée
, & on eſpére qu'elle fera perfectionnée
avant quatre jours ; c'eft par cette raifon
que les Ingénieurs & Artillerie prétendent
que nous ferons maîtres de cette Place
beaucoup plûtôt que l'on ne s'y attendoit.
Le Roi a donné ce matin le Régiment
qu'avoit le Comte de Pons , au fils du Duc
d'Harcourt.
Les affiégés ont fait cette nuit une petite
fortie qui n'a eu aucun fuccès.
Le Roi vient de recevoir un courier de
l'armée du Roi de Pruffe , avec le détail ciaprès
de la victoire complette remportée
par ce Prince fur l'armée combinée des
troupes Autrichiennes & Saxonnes .
Le 3 du prefent mois , le Roi de Prufle
alla en perfonne reconnoître l'armée des
178 MERCURE DE FRANCE.
+
ennemis . Il en revint às heures du foir, &
donna ordre fur le champ à fon armée de
fe mettre en marche à huit. Cette marche fe
fit dans le plus grand filence & le plus grand
ordre ; à z heures du matin elle avoit fait
plus de trois grandes lieuës , & à trois elle
étoit en bataille faifant face aux montagnes
au pied defquelles on voyoit tous les feux
du Camp des ennemis : au jour on découvrit
fa pofition , qui fe trouva differente de
celle dans laquelle on comptoit la trouver,
& qu'elle s'étendoit fur notre flanc droit
ce qui obligea le Roi de Pruffe de changer
fon ordre de bataille, & de porter fa gauche
aux montagnes où il faifoit face ; ce mouyement
quoique difficile fe fit avec une
promptitude & un ordre admirables. Pendant
ce mouvement la bataille commença
par la droite de fon armée , qui fe trouvoit
fort près de la gauche de l'armée ennemie
compofée de troupes Saxonnes , qui furent
culbutées au premier choc , la Cavalerie &
l'Infanterie abandonnant la plus grande par
tie de fon canon .
La gauche de l'armée du Roi formée
chargea partout , ainſi que le centre avec
le même fuccès , & avec tant de rapidité
qu'à neuf heures du matin la bataille fut
gagnée , & toute l'armée ennemie miſe en
fuite & culbutée dans les montagnes &
JUIN. 1745 . 179
feparée , les Autrichiens d'un côté & lès
Saxons d'un autre ; & fans la laffitude de
l'armée Pruffienne , qui étoit extrême , &
qui ne fe trouva pas en état de fuivre l'ennemi
, la défaite de cette armée eût été
totale .
La perte des ennemis eft d'environ
3000 morts ou bleffés & 3 à 4000 prifonniers
, 65 Drapeaux , 8 Etendarts , 8 paires
de Tymballes, & 20 à 30 piéces de canons .
Cette Victoire a peu coûté au Roi de
Pruffe , & les troupes tant Cavalerie qu'Infanterie
ont également combattu avec la
même valeur.
Le Roi s'y eft comporté avec toute la valeur
& le jugement qu'on pouvoit attendre
d'un auffi grand Prince. Il y a perdu
le Lieutenant Général Comte de Trufches.
Les ennemis ont eû quatre Officiers
Généraux de pris , Mrs de Berlichingen ,
de Saint Ignon , de Forgatz , & un Officier
Général Saxon.
Au Campfous Tournay le 13 .
Les Mineurs ont ouvert quatre puits dans
la parallele qui a été faite la nuit précédente,&
continuent de foüiller le terrain pour
affûrer les batteries de canons & de mortiers
qu'on doit y établir , ils travaillent auffi à
180 MERCURE DE FRANCE.
fouiller le derriere du revêtement de la
contrefcarpe & la partie fous le terre- plein:
du chemin couvert.
Nos bombes ont mis ce matin le feu dans
la Citadelle , & l'incendie a duré affés
long- tems.
Le Duc de Cumberland ayant fait demander
au Roi de nommer des Commiffaires
pour conferer fur l'échange des prifonmeis
Anglois & Hannovériens , M. le Duc de
Chaulnes , Maréchal de Camp, & M. de la
Motte d'Hugues, Brigadier, Lieutenant Col
lonel du Régiment de Crillon , que S. M
a chargés de cette commiffion , fe font ren
dus hier à Courtray , où ils ont conféré fur
fedit échange avec Mrs les Comtes d'ALL
Bermale & de Crawford , Commiffaires
nommés de la part du Duc de Cumberland ,
& fur la demande que ces Commiffaires
ont fait de l'exécution du Traité d'échange
de Francfort , les Commiffaires du Roi ont
répondu que S. M. étoit toujours dans l'intention
de remplir fes engamens avec la plus
grande exactitude , mais que le Roi d'Angleterre
ayant fait la premiere infraction
au Traité par la détention de Mrs les Maréchal
& Chevalier de Belleifle , Sa Majesté
Britannique ne pouvoit en demander l'exé
cution que quand elle l'auroit exécuté ellemême
en rendant Mrs de Belleifle , fur quoi
JUIN. 1745. 187
les Commiffaires de la part du Duc de
Cumberland ayant repliqué que non-feulement
ils n'avoient point de pouvoir pour
traiter de cette affaire , mais que même ils
ignoroient fi le Duc de Cumberland en
avoit de fuffifans pour la prendre fur lui ,
les Commiffaires refpectifs fe font féparés
& font convenus de fe raffembler le Dimanche
27 Juin, croyant qu'alors on pourroit
être plus éclairci fur ce fait.
Les ennemis ont fait cette nuit un feu
très- vif qui a fort incommodé nos travailleurs
; leurs déferteurs rapportent que Fabbreuvoir
& la fontaine des foffés d'où ils
tiroient l'eau pour faire le pain font à fec ,
& que l'eau du puits blanchit & devient
puante , ainfi ils ne pourront pas tenir
long-tems.
Au Campfous Tournay le 14.
On a porté cette nuit en avant quatre
branches de zigzagues , dont deux dans le
foffé & les deux autres dans le terre- plein
du chemin couvert , qui ont été pouffés jufqu'à
l'extrêmité de la mine que les ennemis
ont fait jouer derriere leur contrefcarpe
à environ 10 toifes de la traverſe qu'ils
continuent d'ocuper dans le foffé ; on ne fçair
point quel a été l'objet des ennemis dans
3
T82 MERCURE DE FRANCE.
l'effet de cette mine qui ne pouvoit nous
caufer aucun dérangement; lorfque les fappes
d'en haut feront perfectionnées , on
compte de déloger l'ennemi de derriere
cette traverfe , & nous avons déja plufieurs
points d'où notre feu porte fur les troupes
qui yfont.
La batterie de mortiers à l'extrêmité de
la nouvelle parallele tire de ce matin On
a eu de cette nuit & depuis la tranchée relevée
hier , 29 hommes bleffés & & ou 10
de tués.
Le Roi a tenu ce foir Confeil d'Etat.
Au Camp fous Tournay le 15 .
On a pouffé la nuit derniere un boyau
dans le foffé & on fait une parallele qui
communique à l'ouvrage fait dans la nuit
précédente.
Les 11 pieces de canons placées dans
nos deux nouvelles batteries tirent actuellement.
Le feu de la moufqueterie des ennemis
a été fort vif , mais celui des bombes
& des pierriers eft bien rallenti .
Ils ont établi une nouvelle batterie fur la
brêche que nous battons ; il y a lieu de
croire qu'elle fera bien-tôt démontée , les
deffenfes étant en cette partie abfolument
ruinées
JUIN. 1745. 183
Nous avons eu dans la nuit 2 foldats
-tués & 2 bleffés .
Il a été fait cette nuit un bout de fappe en
avant pour envelopper l'extremité du dernier
zigzague vers la contrefcarpe & mettre
les Mineurs en état d'ouvrir à cette
extrêmité & de pouvoir s'avancer dans les
terres & derriere le mur de contrefcarpe ,
afin de découvrir la premiere galerie majeure
& tout ce qui pourroit en fortir & y
aboutir.
La rampe du foffé du chemin couvert
pour communiquer de l'un à l'autre a été
entierement achevée, & le Mineur y eft attaché.
Les 12 piéces de canons qui ont été mifes
en batterie dans la partie de la parallele
la plus avancée tirent de ce matin.
Le travail du Mineur entrepris avant
hier fur le chemin couvert a déja une étenduë
de S toifes.
Il y a eu cette nuit & pendant la journée
d'hier 34 hommes de bleffés & 5 ou 6 de
tués . Le Roi a été fe promener cet après
midi du côté d'Orcq & de Marquien.
Au Camp fous Tournay le 16.
On a perfectionné cette nuit les boyaux
& les têtes de fappes ; les Mineurs font
184 MERCURE DE FRANCE.
bien établis le long du mur de la contrefcarpe
& ne tarderont pas à fouiller les terres
fous le terre-plein du chemin couvert.
El a été établi à la tête des fappes fur le chemin
couvert une batterie de mortiers.
S
Les ennemis ont fait jouer ce matin deux
batteries en avant de nos têtesde fappes
dans le foffé où nous avons porté cette nuit
trois pierriers ; elles ont été fans effet &
n'ont pas caufé le moindre dérangement à
nos ouvrages.
Tous nos feux font parfaitement dirigés
fur la brêche dans l'angle rentrant du chemin
couvert , elle commence à fe bien former,
& elle fera très - praticable dans la
journée de demain .
Nous aurons demain un fourage géné
ral .
Les ennemis n'ont point fait cette nuit
de feu de moufqueterie & ont jetté très pea
debombes , ils ont feulement jetté quelques
feux d'artifice.
Nous avons eu neuf hommes de bleffés
dans la journée d'hier & quatre pendant la
nuit..
Le Roi a tenu ce foir Confeil d'Etat .
Le 27 du mois dernier , Fête de l'Af
cenfion de Notre Seigneur la Reine
accompagnée de Madame la Dauphine &
JUIN. 1745. 185
de Mefdames de France entendit dans la
Chapelle du Château de Verſailles les Vêpres
& enfuite le Te Deum qui fut chanté
par la Mufique , en action de graces de la
prife de la Ville de Tournay.
Le 6 de ce mois , Fête de la Pentecôte
la Reine accompagnée de Madame la
Dauphine & de Mefdames de France entendit
dans la même Chapelle la grande
Meffe , célebrée pontificalement par l'Evêque
de Bayeux & chantée par la Mufique.
L'après - midi Sa Majefté , accompagnée
comme le matin , affiſta à la Prédication de
l'Abbé de Fuau , Chanoine de Saint Paul
de Saint Denis , & enfuite aux Vêprès chantées
par la Mufique aufquelles le même
Prélat officia.
Le 13 de ce mois la Reine entendit la
Meffe dans la Chapelle du Château de
Verſailles , & Sa Majefté , qui avoit fait
auparavant fes Stations aux deux Paroiffes
de Verfailles pour le Jubilé , communia
par les mains de l'Archevêque de Rouen
fon Grand Aumônier,
Le 17 , Fête du Saint Sacrement la
Reine accompagnée de Madame Adelaïde
fe rendit à l'Eglife de la Paroiffe du Château
de Verſailles où Sa Majefté , après
avoir affifté à la Proceffion qui fe fit dans
l'Eglife , entendit la Grande Meſſe.
186 MERCURE DE FRANCE.
Les Députez du Parlement de Flandre ,
ayant obtenu la permiffion du Roi , fe
rendirent le 7 de ce mois au Quartier de
Sa Majefté fous Tournay , & ils firent au
Roi leur compliment fur la Victoire remportée
par Sa Majefté , & fur la prife de
la Ville de Tournay . Ces Députés , à la
tête defquels M. de Pollinchove , Premier
Préfident du Parlement de Flandre ,
porta la parole , furent préfentés & conduits
à l'audience du Roi avec les céré
monies accoûtumées par le Comte d'Argenfon
, Miniftre & Sécrétaire d'Etat , &
par le Marquis de Brezé , Grand Maître
des Cérémonies.
Le 13 le Roi a accordé au Maréchal
Comte de Saxe , & à l'aîné de ſes enfans
mâles , les honneurs dont les Perfonnes
Titrées joüiffent à la Cour de Sa Majefté.
PRISES DE VAISSEAUX .
L'Efcadre commandée par le Chevalier
de Piofin s'eft emparée au large des
côtes de Portugal , de l'Armateur Anglois
le Huffard , de vingt canons , & du Navirė
Le Jacques , qui alloit de Livourne à Londres
, chargé de marbre , de coton , d'huile
& de raifins , & ces deux prifes font arrivées
à Port Louis.
JUIN. 1745 . 187
Suivant les avis reçus de Breft le Corfaire
le Jacques Genevieve , de Granville
que monte le Capitaine Daguenet , a envoyé
dans ce premier Port le Vaiſſeau Anglois
le Naffan , d'environ quatre-vingtdix
tonneaux , fur lequel il y avoit du fucre
, du coton & du raffia. Un autre Bâtiment
de la même Nation , dont la cargaifon
eft composée de taffia , de coton ,
de fucre & d'indigo , a été conduit par
même Corfaire à Morlaix , où la Fregate
la Galatée a amené le Navire l'Aimable Julie
, venant de Saint Euſtache .
le
Le Capitaine Ravel Commandant le
Corfaire le Formidable , de Morlaix , eft
entré dans le Port de Breft avec le Navire
ennemi le Neptune de cent cinquante
tonneaux .
Les Corfaires le Cerf, de Saint Malo , &
Hermine , de Nantes , monté par le Capitaine
Fouquet , ont enlevé le Bâtiment la
Plantation d'Antigue , chargé de fucre , de
coton , de taffia , de bois de Gayac , de
bois de teinture & d'autres marchandifes.
Le Vaiffeau le Litia , qui revenoit de
Saint Chriftophe , a été conduit à Saint
Malo par le Corfaire le grand Turc.
Le Capitaine la Mabonnais , qui monte
un autre Corſaire de Saint Malo , nommé
le Griffon , a repris fur les Anglois le Na188
MERCURE DE FRANCE.
vire la Conftance , de Bordeaux , de cent
quarante tonneaux, chargé de fucre brute,
& il a rançonné un de leurs Bâtimens pour
cent livres fterlings .
On apprend du Havre , que M.
Vefnard , Commandant la Corvette la
Nayade , s'eft rendu maître de trois Vaiffeaux
Anglois , qui font arrivés dans ce
Port.
Le Corfaire le Bacquencourt , que commande
le Capitaine Coillot , a mené dans
le même Port le Vaiffeau le Georges Eleonore
, de Thopfam , d'environ cent quatrevingt
tonneaux , armé de dix canons , &
dont la charge confiftoit en vins & en
fruits.
Les lettres de Dieppe marquent que le
Capitaine Paillet , qui monte le Corfaire
Attrape fi tu peux , de Boulogne , eft arrivé
dans le premier de ces deux Ports avec
le Navire le Centurion , de cent trente tonneaux
, portant de Wittehaven à Rotterdam
deux cent quatre-vingt- quatre boucaux de
tabac.
Le Navire le Chefyre , de Liverpool, a été
conduit à Boulogne par le Corfaire le Furet,
que commande le Capitaine du Quefne.
Le Capitaine Batteman , Commandant
le Corfaire la Medufe , de Dieppe, eft entré
avec le Vaiffeau la Catherine , de Montrofe
,
JUIN. 1745. 189
trofe , chargé de tabac , d'eau de vie &
d'autres marchandifes , dans le Port de
Dunkerque , où le Corfaire le Saint Michel,
de ce dernier Port , a mené le Bâtiment
Ecoffois la Concorde , à bord duquel il y
avoit beaucoup de bois de charpente.
On mande de Bayonne que le Capitaine
Piquefarry , Commandant le Corfaire
la Bellonne, y a conduit le Navire Anglois
le Bond , de trois cent cinquante
tonneaux , chargé de quatre cent quatrevingt-
quinze boucaux de tabac , & dè
foixante-dix tonnes de fer coulé .
Le Corfaire l'Avanturier , de la Rochelle
, monté par le Capitaine Bertauville,
y eft rentré avec le Brigantin le Poli , qui
rapportoit du fucre de Saint Chriftophe.
Les lettres de Rochefort marquent que
M. Pepin de Bellifle qui commande
le Vaiffeau l'Apollon , s'eft emparé du
Corfaire le Galley , de Darmouth , armé
de vingt canons .
>
Le Brigantin Anglois la Défiance , dont
la cargaifon confifte en ri , en guildive ,
en peaux de boeuf & en bois de faffafras
a été pris par le Corfaire le Comte de Cler
mont , de Saint Malo , que monte le Capitaine
Sohier.
Le Corfaire le Griffon , du même Port ,
& commandé par M. de la Mabonnays
1. Vol. I
190 MERCURE DE FRANCE .
a relâché au Havre avec un Bâtiment ennemi
, de deux cent quatre- vingt tonneaux ,
de vingt- quatre canons & de quatre pierriers
, lequel étoit chargé de fucre , de
tabac , de balles de foyerie , de draps , de
toiles & d'autres marchandiſes.
Mrs de Saint Allouarn & de Rofmadec
, Commandans les Frégates l'Emeraude
& la Fine , ont rançonné le Navire
la Vigne , de Liverpool , pour la fomme de
quarante mille cinq cent livres . Ils fe font
rendus maîtres du Corfaire la Reine dé
Hongrie , de douze canons , de quatorze
pierriers , & de cent fept hommes d'équipage
, & ils ont repris le Vaiffeau le Prince
d'Orange , du Havre , de cent cinquante
tonneaux .
Le Vaiffeau la Revanche , arimé en courfe
à Brehat , & que monte le Capitaine
Jean Fleury , y a mené un Corfaire de
Jerfey.
Le Brigantin l'Hirondelle , chargé de bled
& de farine , a été conduit à Boulogne par
le Capitaine Duchene , Commandant le
Corfaire le Furet , de ce Port.
Suivant les avis reçus de Calais les Corfaires
la Sufanne & la Petite Victoire , armés
par les Capitaines Denis & Maquet , font
revenus dans ce Port avec plufieurs ran
çons qui montent à vingt -huit mille livres .
JUIN. 1745. 195
PPOMOTIONS .
Le 6 le Roi a nommé Colonel du Régiment des
Gardes Françoiſes le Duc de Biron , Lieutenant
Général de les armées , & Colonel Lieutenant
du Régiment du Roi Infanterie.
Le Comte de Guerchy , Colonel du Régiment
Royal des Vaiffeaux , a été fait Colonel Lieutenant
du Régiment du Roi , Infanterie , & Sa Majesté a
accordé le Régiment Royal des Vaiffeaux au Chevalier
d'Aubeterre , Colonel du Régiment d'Infan
terie de fon nom .
Le Gouvernement de Peronne a été donné au
Comte de Baviere , Lieutenant Général ,
Le Roi a accordé l'agrément du Régiment d'Infanterie
de Bretagne au Marquis de Renel ; celui
du Régiment de Beauvoifis au fieur de Lujeac ,
Exempt des Gardes du Corps ; celui du Régiment
de Guienne au fieur de Puifignieux Capitaine dans
le Régiment de Crillon ; celui du Régiment de la
Marche au Comte de Melfort , & celui du Régiment
de Cavalerie dont le Comte de Pons étoit
Meftre de Camp , au Marquis d'Harcourt.
Le Roi vient de nommer dans l'armée que Sa
Majefté commande , dix huit Maréchaux de Camp ,
dix -fept Brigadiers d'Infanterie , & dix - neuf de
Cavalerie . Les Maréchaux de Camp font le Marquis
Dauger , Exempt des Gardes du Corps ; de la
Peyroufe , Capitaine dans le Régiment de Cavalerie
de Berry ; de Tarneau , Lieutenant Colonel du
Régiment de Cavalerie de Chabrillant , le Comte
de Blet , Capitaine Lieutenant de la Compagnie
des Gendarmes Anglois ; de Gravel , Capitaine
d'une des Compagnies du Régiment des Gardes.
Françoifes ; le Marquis de la Luzerne , Enſeigne
I1 ij
192 MERCURE DE FRANCE.
des Gardes du Corps ; de Roth , Colonel du Régiment
d'Infanterie Irlandois , de fon nom ; le Comte
de Lorges , Colonel du Régiment Royal la Marine
, le Comte d'Herouville de Claye , Colonel du
Regiment de Bourgogne ; le Duc de Duras , Colonel
du Régiment d'Auvergne ; le Comte de
Montboiffier , Enfeigne de la feconde Compagnie
des Moufquetaires ; le Marquis de la Salle , Sous-
Lieutenant de la Compagnie des Gendarmes de la
Garde du Roi , le Comte de Pons , Meſtre de
Camp du Régiment de Cavalerie de fon nom ; le
Comte de la Vauguyon , Colonel du Régiment
de Beauvoifis ; le Comte de Guerchy , Colonel
Lieutenant du Régiment du Roi , Infanterie , le
Duc d'Havre , Colonel du Regiment de la Couronne
; le Marquis de Saint Pern , Colonel du Régiment
de la Marche , & le Comte d'Aumalle ,
Commandant le Genie à l'armée du Roi.
Les Brigadiers d'Infanterie font le Lord Dunkel,
Capitaine dans le Regiment Irlandois de Clare ; le
Marquis de Gauville , Capitaine d'une des Compagnies
du Régiment des Gardes Françoifes ; de
Sades , Commandant un Bataillon du Régiment
du Roi ; de Caftelas , Capitaine d'une des Compagnies
du Régiment des Gardes Suiſſes ; le Duc
d'Olonne Colonel du Régiment de Touraine ; de
Boccard , Major du Régiment des Gardes Suiffes; le
Marquis de Crillon , Colonel du Régiment d'Infanterie
de fon nom ; le Marquis de Puyfegur , Colonel
du Regiment de Vexin , & employé dans l'Etat
Major de l'armée du Roi ; le Marquis de Choifeul-
Meuze , Colonel Lieutenant du Régiment Dauphin
, Infanterie ; le Comte de Vence , Colonel
du Régiment Royal Corfe ; de Courmontaigne ,
du Pont & Doyré , Ingenieurs ; de Richecourt ,
Commandant un Bataillon du Régiment Royal
JUIN. 1745. 193
Artillerie ; le Chevalier de la Guette , Lieutenant
Général d'Artillerie ; Efmonin & Labinon , Officiers
d'Artillerie.
Les Brigadiers de Cavalerie font , de la Ferriere .
Aide Major , d'une Compagnie des Gardes du
Corps ; le Marquis de Blaru , le Marquis d'Efpinchal
, le Marquis de Laftic , & le Baron d'Andlau
, Exempts des Gardes du Corps , le Marquis de
Chabrillant , Meftre de Camp du Régiment de
Cavalerie de fon nom ; le Comte Daprémont Lynden
, Meftre de Camp d'un Régiment de Huffards;
le Prince de Croy , Meftre de Camp du Régiment
Royal Rouffion le Marquis de Champignelles ,
Enfeigne de la premiere Compagnie des Moufquetaires
; de Beaufobre , Meftre de Camp d'un
Régiment de Huffards ; le Chevalier de Brancas
, Meftre de Camp du Régiment de Cavalerie
de fon nom ; de Pieffures , Lieutenant Colonel
du Régiment de Cavalerie de Brancas ; le Comte
de Bionne , Meftre de Camp du Régiment de
Cavalerie de fon nom ; le Marquis de Voyer ,
Mestre de Camp du Régiment de Cavalerie de
Berry , le Chevalier de Brafflac , commandant une
des Brigades du Régiment Royal des Carabiniers ;
de la Valette , Lieutenant Colonel de cette Brigade
; de Maifoncellę , Lieutenant Colonel du
Régiment de Cavalerie de Clermont Prince; d'Hauterive
, Lieutenant Colonel du Régiment de Cavalerie
de Brionne , & de Boifot , Lieutenant Colonel
du Régiment de Cavalerie de Rohan.
I iij
194 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES
ETRANGERES ,
PRUSS E.
Na appris de Berlin du 27 du mois dernier
qu'il y arriva le 26 de Camentz , oùì eſt le
Quartier du Roi , un Officier dépêché par Sa Majesté
à la Reine , pour l'informer de deux avantages
confidérables que les troupes Pruffiennes ont
remportés fur celles de la Reine de Hongrie , dont
voici les principales particularités . Le Margrave
Charles s'étant mis le 22 de ce mois en marche vers
Neuftadt avec le Corps qui eft fous les ordres , & qui
eft composé de 8000 hommes de l'armée , il trouva
20000 hommes de l'armée de S.M Hongroife , diftribués
dans differens poltes , & commandés par les
Généraux Efterhafi , Keil , Fefteti.z & Spleni. Il détacha
d'abord quelque Infanterie pour le faifir de 2
batteries qui étoient fur une hauteur, mais les ennemis
en retirerent le canon . Peu après un détachement
de leurs Huffards ,foutenu des Régimens d'Infanterie
d'Ogilvy & de François Efterhafi , attaqua
1 arriere garde des troupes du Margrave . M. de
Schwerin, Major Général, fit tête aux Huffards par
ordre de ce Prince, avec le Régiment de Dragons de
Wirtemberg, & les ayant diffipés , il chargea la
bayonnette au bout du fufil le Régiment d'Ogilvy,
qui fut enfoncé & renversé Les trois quarts de ce
Régiment , auquel on a enlevé deux Drapeaux ,
ont été taillés en piéces , & il l'auroit été entierement
, s'il n'eût été fecouru par le Régiment d'Efterhafi.
Le Major Général Schwerin , après avoir
JUIN. 1745. 195
effuyé la décharge de ce dernier Régiment , fondir
deffus avec la même vivacité & avec le même fuccès
que fur le Régiment d'Ogilvy . Le Régiment
de Saxe Gotha , Dragons , s'étant avancé fur ces
entrefaites , fut rompu du premier choc , & mis en
fuite par celui des Cuiraffiers de Gefler , qui lui tua
plus de cinq cent hommes. Lorsque les ennemis
virent ces trois Corps fi maltraités par deux feuls
Régimens ils prirent le parti de fe retirer ,avant que
d'être attaqués par l'Infanterie. Le Margrave s'arrêta
pendant quelques heures fur le champ de ba
taille , & continua enfuite fa marche vers Neuftadt,
où il devoit arriver le même foir felon l'ordre qu'il
en avoit reçû de Sa Majesté .
Les pritonniers qu'on a faits dans cette action.
ont affûré que les Régimens d'Ogilvy , d'Efterhafi
& de Saxe Gotha étoient prefque totalement détruits
, ce qui paroît d'autant plus facile à croire ,
qu'ils ont laiffé plus de quatorze cent morts fur la
place.
La perte des Pruffiens ne confifte qu'en un Capitaine
, un Lieutenant & foixante . Ĉuiraffiers ou
Dragons.
Le même jour il y eut un autre combat trèsvif
entre 2400 Pruffiens commandés par le Colonel
Wenlerfeld que le Roi vient de nommer Major
général, & 6 à 7000 hommes d'Infanterie & de Cavalerie
Hongroiſe à la tête defquels étoit le Comte
Nadafti.Ce combat a duré près des heures pendant
lefquelles les troupes du Comte Nadafty ont fait les
plus grands efforts de valeur pour déterminer la
victoire à fe déclarer en leur faveur , mais à la fin
ils n'ont pu réfifter au feu des Grenadiers Pruffiens
, & ils ont abandonné le champ de bataille .
Un de leurs Régimens d'Infanterie , que comman.
de le Colonel Haller , a été entierement difperfé ,
I iiij
198 MERCURE DE FRANCE.
·
& 80 Croates , qui s'étoient fauvés dans un bois ,
ont été fabrés par nos Huffards . Ceux- ci ont pourfuivi
les ennemis pendant plus de deux lieuës fur les
terres de Boheme , tuant ou prenant tous ceux
qu'ils ont pu atteindre.
te å
Le nombre des morts du côté des ennemis mon-
500 hommes , & celu de leurs bleffés , felon
le rapport des prifonniers, eft beaucoup plus grand.
On a fait plus de 120 prifonniers , parmi lesquels
eft le Colonel Pafatiz .
Les Pruffiens ont perdu deux Lieutenans & 22
Soldats , & le Major Général Wenlerfeld a reçu
une contufion au bras.
Quelques jours avant ces deux actions le Régiment.
de Huffards de Zieten en allant joindre à
Jagerndorff le Margrave Charles fut attaqué par
un gros Corps d'Infurgens & de Pandoures qu'il
diffipa après leur avoir tué une centaine d'hommes.
Un détachement du Régiment de Bronikowsky
a eu auffi affaire à un détachement d'Infanterie
Hongroife , dont environ 80 hommes font reftés
fur la place .
On apprend de Berlin du 6 de ce mois , que la
Reine a reçu par un Officier que le Roi lui a dépêché
, la nouvelle d'une victoire complette remportée
par les troupes de Sa Majesté fur l'armée
combinée de la Reine de Hongrie & du Roi de
Pologne Electeur de Saxe.
On ne fçait point encore le détail de cette action,
& l'on a appris feulement que le 3 de ce mois
le Roi étoit allé reconnoître la pofition des ennemis
, & que Sa Majefté étoit revenue fur les cinq
heures du foir à fon camp de Frieberg , s'étoit
miſe en marche à huit heures , après avoir envoyé
les gros équipages à Schwednitz ; qu'elle
JUIN. 1745. 197
s'étoit trouvée le lendemain à la pointe du jour en
préſence de l'armée commandée par le Prince
Charles de Lorraine , & qu'elle avoit mis les troupes
en bataille , mais que les ennemis n'étant plus
dans la même pofition où ils étoient la veille , le
Roi avoit été obligé de changer fes premieres difpofitions
, & qu'il avoit porté fa gauche aux montagnes
, que pendant ce mouvement lequel malgré
les difficultés qui pouvoient le retarder s'eft
fait avec une extrême promptitude & avec le
plus grand ordre , l'action s'étoit engagée entre
l'aîle droite des Pruffiens & les troupes Saxonnes ,
qui ont été renversées au premier choc , & qui ont
abandonné la plus grande partie de leur artillerie ;
que les troupes du centre de l'armée du Roi avoient
chargé avec le même fuccès les troupes qu'elles
avoient en tête , & que la gauche s'étant formée ,
avoit achevé de mettre les ennemis en déroute . La
bataille a commencé à cinq heures de matin & n'a
duré qu'environ trois heures &demie , les troupes
de la Reine de Hongrie & celle de Saxe n'ayant
pu foutenir plus long - tems les efforts prodigieux
de valeur par lefquelles celles du Roi fe font diftinguées.
Il y a eu de la part des ennemis 3000 hommes
de tués & de bleffés. On leur a fait 4000 prifonniers
, du nombre defquels font Mrs de Berlichingen
, de Saint Ignon & de Forgaths , Officiers
Généraux des troupes de Sa Majefté Hongroife , &
un Officier Général des troupes Saxonnes , & on
leur a enlevé 30 canons , 65 Drapeaux , huit Etendats
& huit paires de Tymbailes. Ils fe font enfuis
dans les montagnes de Boheme . où ils fe trouvent
féparés , les troupes de la Reine de Hongrie
d'un côté , & les Saxons de l'autre , & le Roi n'a
pas jugé à propos de les y fuivre , tant à caule de
la difficulté des chemins que parce que l'armée
I v
198 MERCURE DE FRANCE.
de Sa Majesté avoit effuyé beaucoup de fatigue
dans le combat & dans la marche qui l'a précedé.
Cette victoire a coûté peu au Roi , & Sa Majesté
n'a perdu d'autre Officier de marque que le Comte
de Truchfes , Lieutenant Général.
Les troupes qui doivent s'affembler près de Magdebourg
, ont ordre de fe tenir prêtes à fortir de
leurs quartiers de cantonnement.
Deux mille Pandoures & 500 Huffards
attaquerent
la nuit du 19 au 20 du mois dernier la Ville
de Neustadt , où il y avoit une Garnifon de 300
Pruffiens . Ayant enfoncé la premiere porte ils
rmpirent la feconde à coups de haches, mais lorfqu'ils
voulurent entrer dans la Ville la Garnifon
les repoufla la bayonnette au bout du fufil & les
obligea de fe retirer .
Le Roi a nommé fon fecond Ambaffadeur à
la Diettequi doit le tenir pour l'Election d'un Empereur
M. de Pollman , Confeiller de Juftice , &
ci-devant Miniftre Plénipotentiaire de Sa Majefté à
la Diette de l'Empire.
ALLEMAGNE.
ON mande de Bonn que leDuc d'Arembedrug s2'e8ftdreutimréofiusr dlaerSniieegr,
& eft venu camper à une lieuë de cette Ville avec
l'armée qui eft fous les ordres . Il a fait arrêter tous
les Bateaux fur le Rhin au - deffous de cette Ville , ce
qui donnoit lieu de con ecturer qu'il avoit deffein
de jetter un nouveau Pont fur ce Fleuve . Les divers
mouvemens qu'il a faits depuis quelque tems,
ne permettoient pas de pénetier quels étoient fes véritables
deffeins . On ignoroit même abfolument de
quel côté il vouloit diriger fa marche . Selon les
avis qu'on a reçus de l'armée commandée par le
HEQUE
DE
JUIN. 1745. 1990N
Comte de Traun , elle marche fur trois col
dont la premiere a dû arriver le 22 à Wolfferit
le 24 à Ober Mergentheim , & le 27 à Dirwangen .
On a appris que le Prince de Conty avoit détaché
de fon armée plufieurs Bataillons & plufieurs
Efcadrons dont il a donné le commandement au
Comte de la Mothe Houdancourt , Lieutenant Général
, deſtinés à fe rendre en Flandres . Les mêmes
nouvelles portent que ce Prince s'avançoit avec un
Corps confidérable du côté de l'armée commandée
par le Comte de Segur & que le refte des troupes du
Roi de France , affemblées fur le Bas Rhin , devoit
repaffer le Mein , fur le bord duquel elles demeureroient
campées aux ordres du Marquis de la Farre
, Lieutenant Général .
On mande de Francfort du 6 de ce mois que
fur l'avis que le Feldt Maréchal de Traun devoit
fe mettre en marche le 26 du mois dernier , & que
fon avant- garde étoit déja en mouvement , le Prince
deConty avoit envoyé ordre au Comte de Segur
de fe rendre le 30 à Wimpfen avec toutes les troupes
qui étoient fous fes ordres, qu'en même- tems
le Prince de Conty avoit fait avancer du Mein
vers Heidelberg quelques Bataillons & plufieurs
Efcadrons & que le 31 toute l'armée , avec laquelle
il fe propofoit de s'avancer vers le Feldt-Maréchal
de Traun , s'y trouva raffemblée Les Ponts furent
achevés le même jour , & le Prince de Conty étoit
déterminé à décamper le premiet de ce mois pour
aller à la rencontre des troupes de la Reine de
Hongrie , fi l'on n'apprenoit point qu'elles euffent
forcé quelques marches , pour arriver à Marienda,
avant le 4. Le Prince de Conty ayant été informé
qu'elles s'éloignoient de lui , & qu'elles fe portoient
fur Rottemburg, afin d'être couvertes par la riviere
de Tauber , il a jugé qu'il feroit impoffible des les
F
I vj
200 MERCURE DE FRANCE.
joindre , & il a pris le parti de retourner prompte
ment fur le Mein.
Le premier de ce mois l'armée commandée par
te Prince eft décampée de Wimpfen : elle repaffa
le 2 le Neckre près deHeidelberg , &ayant continué.
fa marche par le Bergftraat , elle eft revenue dans
le Pays de Darmstadt , où elle a fait halte . Le Prince
de Conty a envoyé des détachemens à Stockftatt
& à Selingeftadt , pour foutenir le Pofte d'Afchaffenbourg
, & pour s'affûrer la facilité du paſſage
du Mein.
Les lettres de l'armée qui eft fous les ordres du
Feldt- Maréchal de Traun marquent que le 29 du
mois dernier fon avant-garde étoit arrivée à Adelmansfelden
, & qu'elle avoit campé le lendemain.
dans les environs de Hall ; que la premiere colonne
de cette armée avoit déja paffé Hohenhard , &
que le deffein du Feldt- Maréchal de Traun étoit
d'aller droit à Wertheim fur le Mein , & de chercher
les moyens de faire fa jonction avec l'armée
des Alliés qui eft fur le Bas- Rhin.
On mande de cette derniere armée que le Due
'Aremberg en ayant remis le commandement au
Feldt- Maréchal de Bathiany, elle étoit décampée de
Siebourg, prenant fa route vers la Lohne ; qu'il devoit
arriver près de Limbourg une partie des troudont
elle eft compofée , & que le reste fe rendrait
le même jour dans les environs de Lange-
Swalbach.
Res
Les Barons de Keffelftadt & d'Erthal , & M.
de Benzel , Chancelier de l'Electeur de Mayence ,
doivent affifter en qualité d'Ambaffadeurs de cet
Electeur à la Diette convoquée pour l'Election
d'un Empereur , & les deux derniers de ces Amballadeurs
font à Francfort depuis quelque tems.
On a appris du Camp de Leffines du 23 du mois
JUI N. 1745.
201
ce
dernier que l'armée que les Alliés ont dans le Pays
Bas , & qui eft venue le 16 de ce mois occuper
Camp , y demeurera vrai-femblablement juſqu'à
ce qu'elle ait confumé les fourages qu'on a amaffés
à Ath . L’aîle droite de cette arméè eft de l'autre
côté de la riviere de Denre: elle a derriere elle laVille
de Grammont, & elle eft appuyée à Oudenarde ;
la gauche l'eft a Ollignies , & par cette pofition
l'armée couvre le Brabant , & la partie du Haynault
, qui appartient à la Reine de Hongrie . Elle
a dû être jointe par trois Régimens des troupes de
la Grande- Bretagne , par plufieurs détachemens
de ces mêmes troupes , & par quatre Régimens
Hollandois.
On a fait entrer dans Oudenarde le Bataillon de
Bentinck , & l'on a envoyé à Mons ceux de Naffau
Groningue & de Bronckhorft pour renforcer les
Garnifons de ces Places . Le 23 le Duc de Cumberland
tint un grand Confeil de guerre , après lequel
on fit partir des couriers pour Vienne ,
pour Londres & pour la Haye.
O
GENES.
୨
N mande de Genes du 17 du mois dernier ,
que les troupes Espagnoles commandées par
Te Duc de Modene pafferent. ie y la Magra, & qu'il
y eut au paffage de cette riviere une efcarmouche
entre leur arriere gar le & un détachement de
L'armée de la Reine de Hongrie ,lequel attaqua les 7
ou 8 dernieres Compagnies de Grenadiers de cette
arriere garde. Ces Compagnies diffiperent en peu
de tems le Détachement , & elles n'ont cu que dix
hommes de tués & trente de bleffés .
L'armée du Roi d'Espagne ayant continué fa
marche fur les terres de la République , campa le
202 MERCURE DE FRANCE.
12 à Seftri , le 13 à Chiavari , & le 14 à Recco.
Les troupes Espagnoles que commande le Duc
de Modene ont défilé entre Pin & Maraffi , fans
paffer autour des murailles de cette Ville . Elles ont
defcendu de-là directement dans le Fauxbourg de
Saint Pierre d'Arena , où l'on croioit qu'elles demeureroient
jufqu'à l'arrivée de leur artillerie & de
leurs munitions de guerre. Leur avant- garde, compofée
de 2500 hommes , s'y rendit le 23 .
Les troupes de la Reine de Hongrie marchent
vers le Piémont au fecours du Roi de Sardaigne ,
qui étoit le 19 du mois dern. à Ceva , occupé à chercher
les moyens de s'oppofer aux entreprises des
Elpagnols . Ce Prince a fait avancer beaucoup de
troupes à Novi , dès qu'il a été informé des difpofitions
faites par l'Infant Don Philippe pour procu
rer la jonction des deux armées de Sa Majefté Catholique
.
On a appris que l'Infant Don Philippe étoit allé
à bord de l'Escadre de M. de Lage , qui eft dans le
Port de Villefranche .
Le Roi d'Espagne a donné ordre de remettre à un
Commiffaire de la République la Chaloupe Angloife
dont les Efpagnols fe font faifis à la Plage de
Port-Maurice , à condition que les Anglois reftituaffent
les deux Tartanes Efpagnoles , qu'ils ont
enlevées à San- Remo.
Le Roi de Sardaigne a formé à Rivalta entre
Alexandrie & Totonè un camp de 12000 hommes
d'Infanterie & de 2000 de Cavalerie , pour
fermer le paffage du coté de Novi , & il a fait nonfeulement
abattre tous les arbres mais couper tous
les grains de ces cantons.
JUIN.
203 1745.
ITALI E.
Na appris de Venife du 26 du mois dernier.
que l'équipage d'un Vaiffeau arrivé depuis
peu de Conftantinople a rapporté que Jeyen Mehemed
Pacha avoit été nommé Gouverneur de
Natolie , & Seraskier des troupes que le Grand
Seigneur fait affeinbler du côté de Kars . Ce Général
aura fous fes ordres vingt- deux Pachas à
deux Queuës , & il fera à la tête de 60000 hommes.
Achmet Pacha , ci- devant Grand Vifir , com.
mandera l'armée du Diarbekir , qui fera de 30000
hommes , & dans laquelle ferviront quinze Pachas
à deux Queues. Les Timariotes de Bofnie & 12000
hommes de troupes de la même Province feront
partie de la premiere de ces deux armées .
On employera dans la feconde 150co hommes
des troupes de Natolie & toutes les Companies
des Serden- Guetelfis ou Enfans perdus .
Sa Hauteffe a donné à Huffein Pacha , qui aura
fous lui huit Pachas à deux Queues , le commandement
d'une autre armée de 18000 hommes.
Indépendamment de ces trois armées , il y aura
un Camp volant de 12000 hommes fur les frontieres
de Perfe.
On mande de Nice du premier de ce mois , que
la premiere Divifion des troupes Françoifes qui
font fous les ordres du Maréchal de Maillebois s'eft
mife en marche pour fuivre le chemin de la riviere
de Genes , dans lequel les Efpagnols fe font déja
avancés. Cette Divifion a dû arriver le 7 de ce mois
à Albenga , où elle a dû être ſuivie par les autres
Divifions des mêmes troupes . La route par laquelle
elles ont paffé eft extrêmement difficile , & elles
y ont été expolées en beaucoup d'endroits au feu
204 MERCURE DE FRANCE.
de douze Vaiſſeaux de Guerre Anglois , qui fone
le long de la côte , mais fans effet .
L'Infant Don Philippe partit le 31 du mois dernier
avec le Maréchal de Maillebois , pour fe ren
dre à Albenga . Douze Efcadrons de l'armée Efpagnole
, que commande ce Prince , font allés joindre
celle à la tête de laquelle eft le Duc de Modene
, & dont l'avant garde étoit le 26 du mois dernier
à Santa Margarita entre Genes & le Golfe de
Rapallo.
GRANDE BRETAGNE.
N mande de Londres que l'Amiral Martin
ON
Plymouth avec le Vaiffeau la Diane , armé en
courfe à Bayonne , & un Bâtiment de Bordeaux ,
nommé la Grace , dont il s'eft emparé.
Des Armateurs Anglois ont enlevé quatre Navires
François , qui alloient de Bordeaux à la Martinique,
un autre de la même Nation , qui revenoit de
cette Ifle , chargé de caffé & de cacão , & un Vaiffeau
Efpagnol , à bord duquel on a trouvé 92337
piaftres, & 244 onces d'or en barre.-
JUIN. 1745. 205
4
MORTS.
Yves- Marie de Bologne de Recourt de Lens & de
Lignes , Comte de Rupelmonde , Maréchal
des camps & armées du Roi du 20 Fevrier 1743 ,
tué d'un coup de fufil à l'action paffée auprès de
Pasffenhoven , le 15 Avril , entre les troupes qui
étoient fous le commandement du Comte de
Segur , Lieutenant Général en Baviere , & celles
de la Reine de Hongrie . Il étoit fils de feu Maximilien
Philippes-Jofeph de Bologne de Recourt ,
de Lens & de Lignes , Comte de Rupelmonde ,
Brigadier des armées du Roi d'Efpagne , & de D.
Marie-Marguerite- Elizabeth d'Alegre , Daine du
Palais de la Reine . Il avoit été marié le 21 Avril
1733.avecMarie- Chrétienne- Chriftine deGramont,
fille de Louis Comte & depuis Duc de Gramont ;
Pair de France , Chevalier des Ordres du Roi &
Colonel du Régiment des Gardes Françoites , & de
Genevieve de Gontaut Biron Il en laiffe Louis de
Bologne de Recourt , de Lens & de Lignes, Comte
de Lens , né le 29 Avril 1740 Voyez la Généagie
de la Maifon de Recourt dans l'Hiftoire des
Grands Officiers de la Couronne , vol 8 fol . 827,
à l'article des Amiraux de France.
Le 18 Louis Colbert , Chevalier , Comte de Linieres
, Seigneur de la Forêt de Civry , de Herfe ,
de S. Lubin, de Greffay , de Courgeau , de Lumigny
& de la Malmaifon , &c . ci - devant Capitaine
Lieutenant des Gendarmes Bourguignons , Charge
dans laquelle il fut reçû le 22 Mars 1702 , & qu'il
vendit en quittant le fervice au mois de Fevrier
1707 , mourut à Paris âgé de 78 ans . Il étoit le
206 MERCURE DE FRANCE.
cinquiéme fils de Jean - Baptifte Colbert , Marquis
de Seignelay , de Châteauneuf-fur Cher & de Blainville,
Baron de Menou & d'Ormoy, de Seaux & de
Linieres , Miniftre & Secretaire d'Etat , Contrôleur
Géneral des Finances , Commandeur & Grand
Tréforier des Ordres du Roi , mort le 6 Septembre
1683 , âgé de 64 ans & 6 jours , & de D. arie
Charron de Menars, morte le 7 Avril 1687. Il avoit
épousé le 4 Mars 1694 Marie Louiſe du Bouſchet ,
fille de Louis -François du Boufchet , Marquis de
Sourches , Comte de M ntforeau , Prévôt de l'Hôtel
du Roi & Grand - Prévôt de France , & de D.
Marie-Geneviève de Chambers Montforeau , duquel
mariage il laiffe entr'autres enfans Louis Colbert ,
Marquis de Linieres , né le 8. Avril 1709 Capitai
ne Lieutenant des Chevau Legers de Bretagne
fait Brigadier de Cavalerie le 2 Mai 1744. Voyez
pour la Genealogie de Colbert l'Hiftoire des
Grands Officiers de la Couronne , vol. 9. contenant
le Catalogue des Chevaliers de l'Ordre du Saint
Efprit , & le Dictionnaire Hiftorique de Morery.
?
Le 23 Anne - Jacques de Bullion , Marquis de
Fervaques , Chevalier des Ordres du Roi , de la
Promotion du 3 Juin 1724 , Lieutenant Géneral
des armées de Sa Majefté , depuis le premier Mars
1738 , Gouverneur & Lieutenant Géneral des Provinces
du Maine , Perche & Comté de Laval , &
Lieutenant de Roi du Pays Chartrain , mourut à
Paris dans la 66 année de fon âge . Il avoit époufé
le 26 Mars 1708 D. Marie- Magdeleine Hortenfe
Gigault de Bellefonds, & il la: ffe trois filles qui font
Mad. la Ducheffe d'Olonne , Mad. la Comteffe de
Laval & Mad. la Ducheffe de Beauvillier ; il avoit
pour freres puînés M. le Comte d'Efclimont , Maréchal
de Camp & Prévôt de Paris , & le Marquis de
Bonnelles , Lieutenant Géneral pour le Roi au
JUIN. 207 1745 .
Gouvernement de la Baffe- Guyenne , & pour foeurs
Mad. la Ducheffe d'Uzez & Mad . la Frinceffe de
Talmond , veuve de M. le Duc de Chaftellerault. Il
étoit fils de Charles - Denis de Bullion , Marquis de
Gallardon , Seigneur de Bonnelles , Bullion , Efclimont
, &c. Lieutenant Géneral pour le Roi des
Provinces du Maine , Perche & Comté de Laval ,
& Prévôt de Paris , mort le 20 Mai 1721 , & de
D. Marie - Anne Rouillé de Meſlay , morte le 29
Septembre 19 14. V. Le vol . 2. des grand Officiers
de la Couronne .
Le 2 Mai Jacques de Monceaux Marquis d'Auxy,
Seigneur d'Hanvoille , de Saint Sanfon , & de Mar
tincourt ; Chevalier des Ordres du Roi reçû le 17
Mai 1739 , ci- devant Colonel du Régiment Royal
Comtois , & avant Capitaine au Régiment des Gar
des Françoifes , mourut en fon Château d'Hanvoille,
en Picardie, Election de Beauvais , âgé de 72
ans . Il étoit fils de François de Monceaux d'Auxy ,
Marquis d'Auxy , dont il obtint l'Erection en
Marquifat par lettres du mois de Septembre 1687
& de D. Marie- Magdeleine Jubert du Thil ; il
avoit épousé le 20 Août 1714 Marie- Magdeleine
de la Grange - Trianon , fille de Louis- Armand de
la Grange - Trianon , Baron du Pleffis aux Tournelles
, & de Marguerite - Magdeleine Joly d'Oudeuil
, & il en a laiffé pour fille unique Anne- Magdeleine
Françoiſe de Monceaux d'Auxy , mariée
le 6 Juin 1736 avec André- Hercules Duc de Fleury
Pair de France , depuis Premier Gentilhomme
de la Chambre du Roi , Gouverneur du Duché de
Lorraine , & Maréchal des Camps & armées du Roi,
petit neveu du feu Cardinal de Fleury.
Daniel Marie- Anne de Talleyrand , Marquis de
Talleyrand , Comte de Grignols & Comte de Mauriac
, Brigadier des armées du Roi du 20 Fevrier
1743 , Colonel du Régiment de Normandie depuis
208 MERCURE DE FRANCE.
1737 a été tué an Siege de Tournay au Mois May,
fauté par le feu qui prit dans la tranchée à un fac de
poudre. Il étoit fils de Gabriel de Talleyrand , Comte
de Grignols de Baron de Beauvolle & de Saint Severin,&
de Marguerite de Taillefer Dame de Maurriac.
Il avoit époulé 1 ° . Marie Guyonnede Rochefort
Theibon 2 ° . en 1732 Marie- Elifabeth Chamillard
de laquelle il laiffe plufieurs enfans ; & de fa premiere
femme il a eu Gabriel Marie de Talleyrand dir
le Comte de Perigord né le 1 Octobre 1726 Capitaine
dans le Régiment de Normandie , fait Colonel
du même Régiment par la mort de fon pere.
Voyez la Généalogie de la Maifon de Talleyrand
dans le Mercure de Janvier 1744 fol.191 .
Le 12 Emmanuel Jofeph de Hallencourt , Marquis
de Dromefnil Capitaine Lieutenant des Chevau-
Legers Dauphins mourut en fon Château de Marfontaine
en Picardie âgé de 77 ans . Il étoit frere
aîné de Mre Charies- François deHallencourt aujour
d'hui Evêque de Verdun depuis 1722 & avant
d'Autun , & fils de Louis- François de Hallencourt
Seigneur de Dromefnil , & de Nicole Françoife
de Proify. Il avoit époufé D. Madeleine de Proify
fa Coufine Germaine , & il en laiffe entr'autres
enfans Charles François Gabriel de Hallencourt
Marquis de Dromefnil, Capitaine Lieutenant de la
Compagnie des Chevau - Legers d'Anjou depuis le
5 Mars 1740 & Brigadier de Cavalerie depuis
le 2 Mai 17+4•
Le nom de Hallencourt eft marqué parmi les
plus nobles de la Province de Picardie & connu
par des titres dès l'an 1157 ; fes alliances font
avec les Maifons de Boulainvilliers , d'Humieres ,
Estampes , Valencay , l'Ile Marivaux , Mailly
Belleforez , Boufflers &c . Et fes armes font d'Argent
à une bande de fable cotoyée de deux cotices de
inême.
Fautes à corriger dans ce Livre.
Page mere ligne , ces ,l. fes
Age premiere , ligne 9 , Lyon , lifez Londres
>
P. 20 , l . 8 , 0 , 1 , zero
P. 35,1 . 16 & derniere , fes , l. les
P. 36 , l. 10 , s'agit , l. s'agiffoit
P.
37 1. 21 Pouchard , 1. Ponchard
P. 51 , l. 13 , le terme ajoûtez ruu
P. 57 , 1. 4 , compofantes , l. compofant
P. 66 , 1.24 , voici , l . voila
P. 68 , 1. 24 , Théotefque ,. Théorique
P. 70 , l . 13 & 14 , enchériffent , lenchériffant'
Ibid. 1. 21 , même , l . mere
P. 71 , l . 4 , amaner , 1. amarrer
P. 92 ' , l. 12. ot comme un poids, 1. or comme un
pied.
Ibid. 1. 14 & 28 , ajoûtez
=
P. 93 , 1. 2 , quinzes , l. quinze , ligne 7 , Lion
doit donc , l. Loin donc
P- 96 , 1. 3 , vraie , l. vraies
Comme la Citadelle de Tournay ne s'eft
renduë qu'à la fin de fuin , nous ne pouvons
donner que dans le Mercure de Juillet le Plan
des attaques que nous avons promis .
TABLE.
PIECES FUGITIVES en Vers & en Profe.
Suite de l'Hiftoire de l'Efprit humain , & c. 3
Difcours au Roi fur le fuccès de fes armes ,
Vers à S. M.
Problême de Médecine ,
Epitre fur la Solitude ,
Refléxions fur les Principes de l'Art d'écrire ,
Vers mis au bas d'un Portrait du Roi ,
Lettre fur les Préjugés ,
13
14
18
20
23
Vers à M. de Voltaire par feu M. de la Faye ,
Affemblée publique de l'Académie de Belles - Let-
25
26
31
tres , Extrait , 32
Cantique de Moyfe , 73
Difcours fur l'amour propre , 78
NOUVELLES LITTERAIRES , DES BEAUX-Arts ,
Encyclopédie , Extrait ,
83
Traduction Allemande des Effais de Morale & de
Litterature de M. l'Abbé Trublet , Extrait , 108
Les Fêtes de la France , Drame - Lyrique ,
Plan de la Bataille de Fontenoy ,
Apothéole de la Ville de Nîmes ,
113
114
ibid.
Extraits de Differtations qui ont remporté les Prix
à Soiffons ,
Vers préſentés à un pere par les enfans ,
115
126
Mots des Enigmes & Logogryphe du Mercure de
Mai ,
Enigmes & Logogryphe >
Vers à Mad . la Princeffe de T ....
ibid.
127
131
132
133
Chanſon notée, La Fontenoy , Fanfare ,
Spectacles , & Concert Spirituel
Tro: fiéme Suite des Refléxions fur les Ballets , 136
Fable de Coraline ,
Fable d'Arlequin ,
146
147
L'Impromptu des Acteurs , nouvelle Comédie jouée
aux Italiens , Extrait ,
Concerts à la Cour ,
Eftampes nouvelles ,
ibid.
156
157
Journal de la Cour , de Paris. Suite du Journal des
opérations de l'armée du Roi ,
Prifes de Vaifſeaux ,
Promotions ,
Nouvelles Etrangeres , Pruffe ,
Allemagne ,
Genes ,
Italie ,
Grande- Bretagne ,
Morts ,
La Chanfon notée doit regarder lapaga
Le Plan , celle
159
186
191
174
198
201
203
204
205
132
159
II
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JUIN . 1745 .
SECOND VOLUME
IGIT
||
UT
SPARG
THEAUS
LYON
1893 *
DE
LA
VILLE
spiller
S
Chés
A PARIS ,
GUILLAUME CAVELIER,
rue S. Jacques .
La Veuve PISSOT , Quai de Conti,
à la defcente du Pont-Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais .
M. DCC. XLV.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
A VIS.
L'ADRESSE généra le du Mercure eft
M. DE CLEVES D'ARNI COURT
rue du Champ-Fleuri dans la Maifon de M.
Lourdet Correcteur des Comptes au premier
étage fur le derriere entre un Perruquier & un
Serrurier à côté de l'Hôtel d'Enguien. Nous
prions très-inftamment ceux qui nous adref
feront des Paquets par la Pofte , d'en affranchir
le port , pour nous épargner le deplaifir
de les rebuter , & à eux celui de ne
pas voir paroître leurs ouvrages. 4
Les Libraires des Provinces ou des Pays
Etrangers , qui fouhaiteront avoir le Mercure
de France de la premiere main , & plus promptement
, n'auront qu'à écrire à l'adreffe ci- deeffus
indiquée ; on fe conformera très-exactement à
leurs intentions.
Ainfi il faudra mettre fur les adreffes à M.
de Cleves d'Arnicourt , Commis au Mercure
de France rue du Champ-Fleuri , pour rendre
à M. de la Bruere.
PRIX XXX , SOLS.
Ser
MERCURE
DE FRANCE .
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
LE JEUNE LION.
FABLE.
A Monfieur le Duc de Montmorency .
Par M. Richer.
N Lionceau fçut par tradition
Qu'autrefois un fameux Lion
Rival d'Hercule , & dont la Renom
mée
Illuftra le bois de Némée ,
Avoit été mis dans les Cieux ,
Aftre brillant , égal aux Dieux .
11. Vol. A ij
4
MERCURE DE FRANCE,
Notre jeune Lion defcendoit de fa race ;
Il fe flatoit par des faits éclatans
D'obtenir quelque jour une pareille plaçe ,
Un envieux lui dit : vous perdez votre tems :
Vous ne l'obtiendrez point : cette place eft unique ;
Et vous efperez vainement ;
Les Lions n'auront plus de place au Firmament.
Le Lionceau noblement lui replique ;
Necroi pas ralentir la génereuſe ardeur
Que je reffens dès ma naiffance ;
?
Avec foi la vertu porte fa récompenſe
Et le Ciel fut toujours ouvert à la valeur,
Montmorency, rejetton des Héros
Dont s'enorgueillit notre Hiftoire ,
Imitez leurs nobles travaux ;
Ajoutez , s'ils fe peut , un rayon à leur gloire
Mars pour le digne fils de ces fameux guerriers
Prepare de nouveaux Lauriers ,
******************
LETTRE d'un Religieux Poitevinfur un
article du Suplément de Morery , adreffée
aux Auteurs du Mercure.
Oa
Na raifon , Meffieurs , de s'appliquer
a éclaircir la Topographie de France,
Nous avons déja vu dans vos Journaux quel
JUIN. 1745 វ
ques morceaux qui regardent le Poitou , &
des Extraits d'ouvrages où il en eft parlé fçavamment.
Quoique nous foyons éloignés
du centre du Royaume & de la Capitale , il
à tranfpiré juſqu'à nous que l'auteur du Suplément
du Dictionnaire de Morery trouvoit
bon qu'on rectifiât les fautes qu'on y
apperçoit ; cela eft digne de la modeftie de
ce fçavant Auteur. Nous ne poffedons pas
fon édition dans notre maiſon , mais je l'ai
trouvée dans un de nos Monatteres voifin de
la Loire. En y cherchant quelque chofe fur
Quinault , je fuis tombé fur Quincy ou Quincey
, l'une des Maifons de notre Ordre.
Voyant que fon article comprend prefqu'une
colonne entiere , je l'ai lû avec
avidité. J'ai été bien furpris quand j'ai reconnu
que le Sçavant Critique a confondu deux
Maifons , & qu'il y a fait un mélange que
nous appellerions vulgairement un pot pourri
de deux Abbayes très- differentes .
M. l'Abbé Gouget de deux Quincy n'en
fait qu'un. Les deux Quincy font cependant
éloignés de plus de 80 lieuës & ont des origines
bien differentes ; l'un eft de l'ancien
Ordre Monaftique , & fondé au fixiéme.
fiécle dans le Poitou. L'autre eft de l'Ordre
de Citeaux , & fa fondation ne remonte
pas plus haut que le douziéme fiécle. Voici
donc , Meffieurs , comment il faudra que le
A iij
6 MERCURE DE FRANCE
Lecteur démêle la matiere de l'article de
Quincy qui eft fort embrouillée. C'eſt à la
page 155 du fecond tome du Suplément.
Colonne 2e.
Les trois premieres lignes conviennent à
l'Abbaye de Quincy proche Tonnere Diocèfe
de Langres . Les douzes fuivantes regardent
l'Abbaye de Quincy du Diocèſe de
Poitiers. Les 25 fuivantes appartiennent
à l'Abbaye de Quincy proche Tonnere.
Enfin les cinq dernieres lignes concernent
notre Monaftére .
A l'aide de ce triage , le Lecteur diſcernera
les citations qui ont rapport à chacune
de ces deux Maiſons Monaftiques.
J'ai voulu voir fi l'auteur n'avoit pas de
même confondu les deux Pruilly , celui de
Touraine & celui de Brie , mais il a diftingué
fort bien ces deux Maiſons ,
*
JUIN. 1745 .
EPITRE
A M. Jacques l'Eventaillifte , au sujet du
Conte de Careffant & de Blanchette.
Monfieur Jacques l'Eventailliſte
Je vous offre mon compliment
Sur le joli petit Roman
Dont notre élégant Journaliſte
Nous régala dernierement.
Nous aimons beaucoup Careffant ;
Tout ce qu'il dit à fa Blanchette
Devient pour nous intéreſſant.
L'amour qui lui fert d'interpréte
Nous inſpire ce ſentiment.
Je le confeffe ingénuëment ;
J'aime mieux une hiftoriette
Où l'on m'inftruit en badinant
Que ces difcuffions fublimes ,
Ces chimeres favantiffimes ,
Qui font baailler à tout moment .
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE.
1
EPIGRAMME.
MArtin impatient , d'une main vigoureuſe
Etrilloit fon pauvre grifon ;
Et jamais cependant la bête pareffeufe
Ne vouloit entendre raifon .
Il étoit prêt de redoubler la doſe ,
Quand il paffe un jeune Officier ,
Qui dit , indigné de la chofe :
Auras-tu , maudit eftaffier ,
Bientôt fait d'affommer ta bête?
Vit-on jamais pareille cruauté ?
Je devrois , manant , fur ta tête
Te payer ta brutalité.
Lors étonné du diſcours pathétique ,
fa
Et craignant un peu pour la peau ,
Maître Martin , d'unefaçon comique,
Dit vite, en ôtant fon chapeau,
Afon grifon qui ne bougeoit de place ,
Monfieur mon âne excuſez mon audace :
J'ignorois jufqu'à ce jour
Que vous euffiez des amis à la cour.
Par M. l'Abbé D. L. F.
JUIN.
9 1745 .
*
EXTRAIT
D'une Lettre écrite d'Arras le 25 Mars
1745.
L
A Societé Littéraire établie en cetteVille
ce tint le 6 de mois fon affemblée folemnelle.
Le Directeur étant abſent , M. Pali-
*fot de Warlufel . Confeiller au Conſeil Supérieur
d'Artois , & reçû en furvivance à la
Charge de Premier Préfident de ce Confeil ,
ouvrit la féance par un difcours , où après
avoir remercié la compagnie de l'emploi de
Chancelier , auquel il avoit été nommé quinze
jours auparavant , il fit fentir l'importance
des deux objets que la Societé s'eft propofés
dès fon inſtitution , & qui font l'étude de
la Langue & celle de l'Hiftoire.
» Rien ( dit-il ) de fi naturel aux hommes
» que de fe prévaloir de la langue du Pays
où ils font nés ; rien de fi ordinaire que de
» la vanter & de la préférer à toutes les austres
, mais rien de plus ordinaire d'en
que
ignorer les principes & la fignification pré-
» cife des mots qui la compofent. On parle ,
» on difcourt , on raifonne , & l'on fe fert le
plus fouvent de termes impropres qui dépeignent
dans l'efprit de l'Auditeur judi-
59
29
AY
To MERCURE DE FRANCE .
30
59
အ
""
cieux toute autre chofe que ce qu'il devroit
» concevoir & qu'on veut lui faire entendre.
» Souvent nous n'avons pour tout acquit que
l'ufage & ce qu'une heureufe éducation a
pú nous donner. Reduits alors à une façon
» commune de nous énoncer , nous regret-
» tons les langues mortes , nous fommes mécontens
des vivantes , nous nous plaignons
de la ftérilité & de la féchereffe de la nô
tre , mais détrompons-nous & prenonsnous-
en à notre ignorance & à notre pas
reffe ; c'eft notre faute & non celle de la
» langue : fi nous la cultivions d'avantage , fi
» nous nous rendions plus familiers avec elle ,
fa prétendue ftérilité difparoîtroit , & notre
élocution devenue plus feconde s'enrichiroit
d'une infinité de tours ignorés juf
qu'à ce jour..
30
30.
20
30
30
วง
23
C'eſt à quoi fe rapportent les travaux
» d'un Académicien appliqué : une louable
ardeur le met au- deffus de cette commune
indolence ; fon étude & fes recherches lui
» découvrent toute la beauté , la force & la
» délicateffe de la langue ; il peut , comme il
lui plaît , l'aflervir à fes beſoins. J'avouerai ,
לכ
2
Meffieurs , que cette fevere attention eſt
difficile & rebutante , mais pour tout autre
que vous , dont la profeffion eft de tra-
Vailler fans relâche , d'éclaircir & de rectiter
tout ce qui eft obfcur & impropre.
JUIN. 1745. IF
90
"3
10
לכ
2?
32» L'Hiftoire a plus de charmes & forme un
fecond objet encore plus intéreffant . L'expérience
nous apprend que de tous les Livres
il n'y en a point de plus défirés ni de
» plus répandus que ceux qui rapprochent
de nous les fiécles paffés , & nous retra-
» cent les vertus des grands hommes. Nous
fommes tous curieux de connoître ce qui
» nous a précédé , mais quel ordre , quel
difcernement , quel goût dans la plupart
de ceux qui lifent , & quel fruit tirent- t-ils
de cette étude ? Les uns lifent amufepar
» ment , d'autres injuftement prévenus pour
» ou contre l'Auteur, d'autres , l'efprit encore:
» entiché des préjugés pris dans la jeuneſſe
beaucoup lifent pour eux feuls , & beaucoup
plus encore par une ridicule vanité de fça--
voir un grand nombre de faits , mais combien
peu apportent l'attention qu'il faut
» pour en difcerner la nature , l'importance
» & la vérité !
"
.
337
→
"3
כ כ
»
mais
ik
Un Académicien ne lit pas pour lui feul
pour le profit public : ilne fecontente
» pas de lire fuperficiellement , il remonte à
», la fource , il fuit l'Hiftorien pas à pas ,
» démêle le vrai d'avec le faux , & fe mer en
la fagacité de fes recherches & de :
par
» fa critique , de défabufer ceux qu'une trop
aveugle confiance auroit engagés dans l'er-
30
22
état
» reur..
A vjj
2 MERCURE DE FRANCE.
Enfuite M. de Warlufel paffe à l'éloge de
M. le Maréchal d'ifenghien protecteur de la
Societé ; après quoi il excite par des motifs
bien puiffans les Affociés à remplir exactement
leurs devoirs.
30
20
33
30
30
33 Le Roi que nous eûmes le bonheur de
pofféder l'an paffé dans cette Ville , ce
Héros dont la victoire accompagne par
tout les pas , ( puis-je le dire , Meffieurs ,
fans renouveller votre douleur ? ) ce Prin-
» ce qu'un amour paternel pour fes peuples
→ a conduit à deux doigts du tombeau , &
» que la crainte de le perdre femble nous
avoir rendu plus cher ; le Roi , dis - je ,
auffi amateur des Belles Lettres qu'il l'eft
de la gloire , en nous permettant de nous
affembler , nous a aufli confié la culture
» des ſciences en ce Pays ; c'eſt à nous d'em-
» pêcher qu'elles ne retombent dans cette
efpece d'affoupiffement où elles étoient
avant l'établiffement de cette Societé ; c'eft
à nous de les faire fleurir ; c'eſt à nous enfin
de frayer le chemin à ceux qui doivent
, nous fuccéder. Puiffent- ils un jour célébrer
» par
leurs écrits cette fuite nouvelle de Héros
dont la fouche formée du feul fang des
Bourbons par l'alliance augufte , qui fait
maintenant la joie de la France , & occupe
» l'attention de toute l'Europe , femble def
» tinée à donner des Rois à l'univers entier !
→ C.
30
*30
30
JUIN. 1745. 19
M. Harduin Avocat & Echevin de cette
Ville , Sécrétaire perpétuel de la Societé ,
répondit à M. de Warlufel.
39
"
"" Vous vous êtes formé , Monfieur , une
idée nette & préciſe des deux objets principaux
de notre établiſlement : vous con-
» cevez à quel point il eft avantageux de bien
» entendre le génie & les véritables régles du
langage françois, de voir clairement le fens ,
la force , les nuances délicates des tours &
des mots qui le compofent , d'en fçavoir
faire un ufage qui joigne l'éloquence à la
jufteffe , qui fatisfaffe la raifon toujours le-
» vere , qui flate le goût peut - être encore
» plus difficile à contenter , enfin , qui plaifé
» en même- tems à l'efprit & à l'oreille,
20
29
20
» L'utilité de l'Hiftoire vous eft également
» connuë , & vous fentez auffi dans quelle
» vûë & avec quels foins it faut l'étudier fi
» l'on veut que cette étude foit profitable .
"
Ne craignez pas , Monfieur ,, que la So-
» cieté puiffe fe repentir jamais de vous avoir
confié une part dans la direction de ſes af-
» femblées & de fes travaux.... Que d'avan-
» tages , que de gloire ne procurerez - vous
» pas aux mufes ! La dignité qui vous attend.
» dans un augufteTribunal ne rallentira point
» le noble feu dont vous êtes épris pour la
a belle Littérature , Semblable à cet illuftre
14 MERCURE DE FRANCE.
3כ
13
ر د
ב כ
» chef de la Juſtice , * qui fe fit honneur de
remplir dans l'Académie Françoiſe une place
ordinaire avant que de monter , par la
» mort du grand Richelieu , à celle de protecteur
, vous renouvellerez particuliere-
» ment-en faveur de notre Patrie l'exemple
» qu'il donna au Royaume entier : parvenu
à la fuprême Magiftrature de cette Province
, vous ne rougirez point d'être inf
crit parmi les membres d'un Corps Litte-
,, raire. Puiffe votre attachement à nos exercices
défiller les yeux d'un vulgaire trop
refpecté! puiffiez vous enfin perfuader à ces
» hommes aveugles que la profeffion d'Académicien
n'eft incompatible ni avec l'élevation
du rang, ni avec la gravité des emplois!
30
3
23
"
30
M. Harduin finir fon difcours par l'éloge
de M. de la Place , que le changement de
fa demeure a obligé de quitter la Societé , &
auquel il vient de fuccéder dans l'emploi de
Sécrétaire perpétuel. Je n'aurois pas manqué
d'inférer ici ce jufte éloge , fi la modeſtie
de celui qui en eft l'objet ne s'y étoit fortement
oppofée .
Enfuite M. Cauwet Avocat , nouvel Affocié
, fit fon remerciment à la Compagnie ,.
& après avoir exprimé fa reconnoiffance , il.
ajouta :
2 Nous avons le bonheur de vivre fous la:
* M. le Chancelier Seguier.
JUIN. 1745. IS
20
>>
23
וכ
➡ domination d'un Prince trop ami des fcien-
» cès pour qu'il refufât d'autoriſer l'établiſſe-
» ment d'une focieté qui ne tend qu'à les faire.
» fleurir dans cette Province. Si Louis le
» Grand a eu la gloire de les fixer dans fa
Capitale par les Temples qu'il a érigés en
» leur honneur avec une magnificence royale
, Louis le Bien-Aimé a celle de les avoir
portées au point de perfection où nous les
» voyons , & d'en avoir répandu le goût dans
» toute l'étendue de fon Royaume. Les Académies
inftituées dans un grand nombre de
» Provinces , les fameux voyagesde ces Argo-
» nautes qui ont été fous la ligne & dans les.
» climats les plus froids , déterminer par leurs
» obfervations la figure du globe que nous
» habitons , ces machines où l'art conduit
» par un habile Méchanicien , ** s'eſt mon-
» tré le rival de la nature , les excellens li
vres qui ont été publiés , & furtout ce Poë-
» me *** dans lequel toutes les beautés de
» la Poëfie ne fervent qu'à faire briller la vé
rité de l'Hiftoire , tant de merveilles ne
font-elles pas affés l'éloge du régne de no-
» tre augufte Monarque , & la poftérité ne
» le regardera-t-elle point comme celui des
"
29
29
* M M. de Maupertuis , Bouguer , de la Condamine ,
& c
** M. de Vaucenfɔn.
*** La Henr.ad...
16 MERCURE DE FRANCE.
33 fciences & des beaux arts ? &c.
Le Directeur étant abfent ce fut M. de
Warluſel Chancelier qui répondit à M. Cauwet.
Après que les difcours eurent été prononcés
, M. le Comte de Mirabel Ingénieur ordinaire
du Roi , récita une piece de vers latins
intitulée ad virginem puerperam. Enfuite
M. Harduin lut une trentaine de Réflexions
fur différens fujets de Littérature & de morale
: En voici quelques- unes que je prens au
"
hazard.
"
39
» Un bon coeur & un grand efprit , voilà
» le plus bel aſſemblage qu'on puiffe voir fur
la terre ; c'eft l'image de la Divinité. Un
petit efprit accompagné d'un bon coeur
fçait fe rendre utile & fe faire aimer. Un
» mauvais coeur joint à un eſprit borné peut
» nuire jufqu'à un certain point , mais il n'eſt
" rien de pire au monde que le mêlange d'un
efprit fupérieur & d'une méchante ame.
Qu'est-ce qu'un homme partagé tout à la
la fois de ces deux qualités fi peu faites
pour aller enſemble ? C'eft le Sphinx de la
Thébaïde , être prodigieux , dont le corps
pareil à celui d'une belle femme , étoit
porté fur des pattes de lion plus effroyable
encore & plus odieux par un contraſte fi
» bizarre que ces animaux féroces dont la figure
n'a rien d'humain,
30
»
35
30
20
»
JUIN. *745.
17
20
» Rien ne furpaffe l'orgueil de nos pen-
" fées , finon peut-être la modeſtie de nos
paroles....
23
33
3
» Faut-il prononcer fut le mérite des différens
peuples de la terre ? Nous vantons
»fans meſure & aux dépens des autres Nations
tout ce qui a le bonheur de compo-
» fer la nôtre . Eft-il feulement queftion de
mettre en parallele les Provinces du Royau-
» me , où le fort nous a placés ? La nôtre
n'a rien qui ne nous femble digne des
plus grands éloges , mais les autres contrées
de la même région deviennent pour
» nous des objets de mépris ou de haine.
S'il ne s'agit que de décider entre les villes
» de notre Province , tous nos Concitoyens
ont part à nos louanges , & nous dédaignons
alors les habitans des villes voilines. On
parle favorablement de toute fa famille
quand on la compare aux autres du même
» lieu , mais pouffez la gradation jufqu'au
> bout , vous verrez que dans fa propre fa-
» mille chacun des hommes n'admire & n'eftifoi.....
20
30
30
» me que
L'Auteur de ces Réflexions lut encore une
Traduction en vers françois de la troifiéme
des Epodes d'Horace qui commence par ces
mots , parentis olim fi quis impiâ manu , & M.
Maffon termina la féance par la piece qui
fuit.
8 MERCURE DE FRANCE.
ODE
A un Ami quife confacre à la folitude.
Q
Uel fouffle célefte m'enflâme,
Et quelles foudaines horreurs !
Je fens renaître dans mon ame
Toutes les lyriques fureurs.
Loin de moi Parnaffe ftérile ,
Mufes , Phébus , troupe futile ,
Hypocrene , facré vallon ;
Aujourd'hui l'amitié m'inſpire ,
C'eſt elle qui monte ma lyre ,
Elle feule eft mon Appollon .
Ce n'eft point l'éclat , la naiffance,
Qui vous rendent plus fortuné :
L'homme fouvent dans l'opulence
Languit aux pleurs abandonné.
Voulez-vous , heureux fur la terre,
Eviter ces coups de tonnerre
Qui terraffent tant de mortels ?
Fuyez loin de la multitude .
Ce n'eſt que dans la folitude
Que le bonheur a fes Autels .
Telle qu'une rofe brillante
Au matin la reine des fleurs ,
JUIN. 19
1745 .
Que le midi voit languiſſante ,
Que le foir trouve fans couleurs ,
Tel qu'un fier torrent dans fa rage
En un inftant paffe & ravage
De Cérès les dons précieux ;
Tel encor qu'un éclair rapide ,
Précurfeur d'un foudre homicide ,
Naît & difparoît à nos yeux .
Telle on voit la gloire du monde ,
Dangereux & brillant écueil ,
En frivoles grandeurs féconde ,
Etaler fon fragile orgueil :
A fes partiſans redoutable ,
Toujours funefte , jamais ftable ,
Elle frappe , éclate , éblouit ,
Mais cet éclat , mais ce tonnerre
A peine a-t-il touché la terre ,
Dans les airs il s'évanouit .
Vous avez dès votre jeuneffe
C.... d'un oeil faftidieux
Vû la lueur enchantereffe
De ce monde contagieux ,
A fes attraits inacceffible ,
De la vertu pure & paiſible
Vous avez fuivi l'étendard ,
Et des plus folides maximes ,
Dans des lieux éloignés des crimes ,
20 MERCURE DE FRANCE.
ti
Vous vous êtes fait un rempart.
Là dans l'étude de vous-même
Loin des plaifirs tumultueux ,
Vous goûtez la douceur fuprême
D'un plaifir pur & vertueux :
Du port à l'abri des orages
Vous confiderez les naufrages
De tous ces orgueilleux nochers
Que le vent d'une erreur flateufe
Pouffe fur une mer trompeuſe ,
Et brife contre les rochers.
Partez , volez coeurs magnanimes
Cherchez la mort dans les hazards
Couronnez vos têtes fublimes
Des plus fanglans lauriers de Mars,
Par votre courage intrépide
Montrez- vous les rivaux d'Alcide ,
Mais au faîte de la fplendeur
Songez que la vertu fuprême
Eft de triompher de foi-même ;
Héros voilà votre grandeur .
e.... animé par la gloire ,
Eût pû fignaler fa fierté ,
Et fur les pas de la victoire
Courir à l'immortalité ,
Mais des foins plus philofophiques
Et des vertus pluspacifiques
JUIN. 21
1745.
Occupent fes heureux loiſirs ;
La paix , la probité profonde
Donnent , loin du fracas du monde ,
Moins d'éclat & plus de plaiſirs,
********* ****H****
LETTRE de M. Desforges- Maillard
à M. l'Abbé Berthelin au sujet du
Mercure de France,
E voici donc , Monfieur mon cher
MAbbé , confiné de nouveau dans le
fein de ma Patrie fur une Côte maritime
éloignée de plus de cent lieûcs de la capitale,
Je n'y fçaurois en verité pas un mot de ce
qui fe paffe fur le Parnaffe , le Pinde , l'Héli,
con & autres lieux dépendans de la Seigneurie
d'Apollon , fi Mercure , ce Meffager
des Dieux , qui veut bien fe prêter à rendre
fervice aux hommes , n'avoit la bonté de
m'en inftruire très fidélement tous les mois,
J'ai toujours préferé , Monfieur , notre
Mercure de France aux autres Nouvelliftes,
Les uns ne nous donnent tout uniment que
le recueil des Gazettes. Les autres ne s'atta
chent qu'à l'analyse des Auteurs & principa
lement des plus abftraits dont la lecture
eft fouvent ennuyeufe & rebutante
pour legros des lecteurs. Etre obligé de
>
22 MERCURE DE FRANCE.
ne remplir indiſtinctement un Journal tous
les mois , ou chaque femaine , que d'extraits
de Livres qui fe preffent d'éclore comme les
infectes après la rofée , c'eft être ſouvent
dans la néceffité de le farcir d'une infinité de
très mauvaiſes choſes . On ne donne pour l'ordinaire
fous le titre de livres nouveaux que
du fon où il ne refte plus de farine à force
d'être reffaffé ; & de vingt qui paroiffent
combien en trouve-t-on qui méritent d'être
feuilletés ? L'efprit eft abondant , le bon fens
eft rare. Telle eft la véritable origine de tant
de brochures pitoyables , de tant de petits
Romans où Seneque eft habillé en Arlequin ;
enfin de tant d'infolio qui ne font que le répertoire
eftropić , que le mélange mal cuit
de quantité de volumes d'une moindre
taille.
Le Mercure réuniffant tout ce que les
autres Journaux ont de plus précieux
& de plus exquis , renferme encore mille
chofes auffi agréables qu' tiles qui leur
manquent. Et par éxemple pour ce qui
me regarde , j'y trouve l'abregé inftru-
&tif & circonftancié de toutes les productions
de Melpomene , de Thalie & d'Euterpe
; de maniere que malgré la diſtance
du Croific à Paris je m'y tranfporte en un
trait de penſée , en état d'aplaudir & de blâmer,
comme fi j'affiftois effectivement aux
J.UIN. 1745. 23
repréſentations. D'ailleurs il fçait me trier
le bon dans les nouveaux ouvrages , &
m'épargne la fatigue de l'y chercher dans le
fatras effrayant du médiocre & du mauvais.
Sans ce fecours un homme de lettres que la
fituation de ſes affaires & la modicité de
fes revenus enchaînent dans fa Patrie avec peu
de livres pendant des deux ou trois ans , demeureroit
fort étonné à fon retour , & paroîtroit
aux autres comme un Automate
tombé des nuës dans la Ville de Paris.
Je pourrois m'étendre en détail fur tout ce
qui doit faire eftimer & rechercher le Journal
dont je parle. Je me contenterai de dire
que les lettres particulieres que ces Auteurs
reçoivent des Pays étrangers , les relations
de ce qui fe paffe de remarquable à la Cour ,
à Paris & dans toutes les Villes de l'Europe
& même par delà , les mémoires qui leur
font adreffés des differentes Académies &
dans lesquels , outre ce qui concerne la Littérature
fleurie , les Mathématiques & la
Médecine déployent leurs fecrets & leurs
expériences , qui font comme une nouvelle
école pour tous ceux qui exercent ces
profeffions dans les Provinces ; enfin je dirai
qu'on doit unanimement convenir que
toutes ces parties forment un recueil infiniment
curieux & très - digne d'être précieuſement
confervé.
24 MERCURE DE FRANCE.
J'ai toujours jugé , Monfieur , que le continuateur
de Théophrafte dans le bon mot
fi fouvent & fi mal à propos cité depuis ,
avoit eu deffein de lâcher une plaifanterie
plutôt que de dire une vérité. Au bout du
compte eft-ce que la fantaiſie d'un feul homme
doit captiver l'opinion publique & décider
contre le fentiment général ?
Feu M. de la Roque avoit de l'efprit , il
fçavoit ; & par conféquent étoit fort en état
de fe vanger quand on faifoit grêler fur fon
Journal le fel injurieux du farcafme & de la
raillerie outrée. Mais foit par timidité , foit
par raifon d'intérêt que je ne devine pas , il
demeuroit tanquam vetulus canis , morbo
languens, fenio effatus , & mufcarum plerumque
punitu , crabronumque interdum impetu ,
hinc & inde fimper inconcuffus , n'ayant été ,
à vrai dire , le plus fouvent attaqué que par
des Athletes de Lilliput. Il ne faut pas
qu'un Journaliſte foit trop mordant , mais il
lui convient au moins de laiffer entrevoir qu'il
n'eft point infenfible .
Je n'ai point intention de me déclarer
en cet endroit contre M. de Boiffy. Je m'imagine
que c'eſt par légereté & pour affaifoaner
quelque tirade qu'il trouvoit trop
fimple & trop nue dans fa nouvelle Coméde
, qu'il a trop à Ja hâte décoché fa pointe
contre le Mercure, Je fuis même preſque
für
JUIN. 1745. 25
far que dans fon ame il lui rend un différent
témoignage & furtout aux nouveaux Auteurs
de ce Recueil , qui pourvus de fcience
& de goût , conditions effentielles & néceffaires
pour affembler un Journal Litteraire
, fuffiroient eux feuls pour le remplir d'excellentes
pièces , n'y employant que celles
qu'ils font en état de compofer. Je regarde M.
de Boiffy comme un de nos meilleurs Comi->
ques. Je lui trouve beaucoup du génie du
célebre Ariſtophane , & fi l'on ofoit lui reprocher
quelque chofe , ce feroit peut-être
d'avoir trop d'efprit & d'en être trop prodigue.
J'ai entendu , mon cher Abbé , grand
nombre d'amateurs de l'Eloquence , de la
Poëfie & de l'Hiftoire , ſe plaindre qu'on entrelaflât
dans le Mercure des morceaux de
Mathématique, d'Antiquité, deJurifprudence
& de Chirurgie, fans faire reflexion que ceux
qiu fe livrent
par choix aux fciences
que je
viens de nommer en dernier lieu , & qui font
acquifition du Mercure comme eux , feroient
dans le cas de former reciproquement les
mêmes plaintes fur les morceaux d'Eloquence
, de Poëfie & d'Histoire qui s'y trouvent
inférés. Mais un homme de bon fens , & qui
entend les interêts du bel efprit , eft charmé
de rencontrer fans peine & fans dépenfe les
moyens d'éfleurer un peu de tout , afin de
B
26 MERCURE DE FRANCE,
n'être pas tranſporté comme dans un nou
veau monde , quand on s'entretient en fa
prefence de matieres dont il n'a point fait
fon étude. Le Mercure s'eft toujours foutenu
en dépit de fes adverfes parties , preuve
indubitable de fa valeur & de fon agrément,
Vous trouverez ce me femble, mon cher Abbé
, dans cette Fable allégorique le précis
de votre fentiment & du mien.
33 £3
LE FLEURIS TE ET LES CURIEUX.
PABLE.
N Fleuriste faifoit fon unique plaifir
U D'un
D'un Parterre enrichi des larmes de l'Aurore,
Embelli des regards de Cloris & du Flore
Mollement careffé des ailes du Zéphir.
Nombre de curieux s'en vinrent à la file
Vifiter les appas de ce riant azile ;
L'un dit , ôla charmante fleur !
L'autre , je ne vois pas fur quoi l'on fe récrie :
Qu'a-t-elle de fi beau ? Moi , j'aime la couleur
De celle- ci : moi , je hais fon odeur ,
Après quoi du Parterre on fuit la fimétrie.
C'étoit comme des fleurs ; encor ceci , cela .
Ici l'on admiroit , on défaprouvoit là.
L'un louoit legazon , l'autre la broderie .
L'un vouloitun triangle où l'on fait un quarré,
JUIN. 1745 .
Suivant l'autre , unovale eût bien mieux figure.
Le fleurifte attentif, jufqu'alors bouche cloſe ,
Leur dit , ainfi , Meffieurs ce qui ne plaît à l'un
Plait à l'autre ; & du bon tel eft le fort commun
De n'avoir rien en foi , quoique d'ailleurs on glofe,
Qui ne foit du goût de quelqu' un ,
Car qu'un tout compofé de diverſes parties
Faites par la Nature & par l'homme afforties ,
Puiffe à tous & partout plaire dans le détail ;
En quel tems en quel lieu fut-il jamais perfonne,
Quelque mérite qu'on lui donne ,
Dont un fuccès pareil couronna le travail ?
Je fouhaiterois , Monfieur , que l'immenfe
ouvrage qui dévore vos veilles , &
qui ne pouvoit gueres étre entrepris que par
vous qui poffedez l'Hébreu, le Grec & le Latin
comme votre Langue naturelle , fut en
état de paroître & d'être annoncé dans le
Mercure avec les juftes éloges dont il ne peut
manquer d'être digne . Adieu ; je terminerai
ma lettre comme Laodamie dans les Héroi
des d'Ovide ,
Sit tibi cura mei , fit tibi cura tui.
& parce qu'il n'eft pas d'ufage de fe nom
mer le premier en François , & qu'uuver
tout feul eft pour l'ordinaire en notre Lan
Bij
188
MERCURE DE FRANCE.
gue de la Profe autant que de la Poëfie , je
vous dirai ,
Soignez votre fanté , ce ſera par ma foi
Prendre foin de vous & de moi,
qui fuis avec les fentimens d'eftime & d'amitié
que vous me connoiffez , Monfieur ,
votre & c .
Au Croific ce 18 Mai 1745 .
T
LA SANTE'
ODE.
El qu'au retour de Zéphire
Sous le bélier gracieux ,
Tout s'embellit , tout refpire
Un calme délicieux :
Telle ô Santé floriffante ,
Amon ame languiffante
Tu rends la férénité.
Mon coeur enyvré de joye
Se ranime & fe déploye
Au fein de la volupté.
Dans mes yeux tu fais éclore
Un feu qu'éteignoient mes pleurs ;
JU.IN. 1745 .. 29
Mon tein fletri fe colore
Du doux vermillon des fleurs.
Dégagé d'un fuc perfide
Mon fang plus pur , moins rapide
Enfle & rougit fes canaux ,
Ainfi la fêve épurée
Gonfle une tige alterée ,
Et fait fleurir ſes rameaux .
Que la fortune m'agite
Dans les fauvages déferts
Ou du Numide , ou du Scythe ,
Je braverai fes revers .
Compagne de mes difgraces ,
Santé vole fur mes traces ,
Daigne avec moi t'exiler ;
Préfide feule à ma vie ;
Mes jours font dignes d'envie
Si ta main doit les filer.
Partout , aimable Déeffe ,
L'enjoûment naît fous tes pas ,
L'embonpoint & la jeuneſſe
Embelliffent tes appas .
La force active & conftante ,
La vivacité riante,
Sans ceffe fuivent ta Cour.
Le fommeil doux & tranquile
Se plaît dans l'heureux azile
B. iij
MERCURE DE FRANCE
Où tufixes ton féjour.
Sous un berceau de verdure
Tu vois de jeunes Amans
De l'innocente Nature
Suivre les doux mouvemens,
La divine Cithérée
De jeux , de ris entourée ,
Vient couronner leurs défirs.
Ailleurs en vain on foupire ;
Ce n'est que fous ton empire
Qu'elle eft mere des plaiſirs.
Tandis que dans leur cabane
Les Vendangeurs ſatisfaits ,
Du tendre époux d'Arianne
Te confacrent les bienfaits.
Tu vois luire fur l'arene
Des Athlétes hors d'haleine ,
Les corps fouples & nerveux ,
Leurs bras meurtris s'entrelaffen .
Ils fe preffent , ils fe laffent ,
Et ces combats font leurs jeux
Ainfi paffant leur jeuneſſe
Les mortels que tu chéris ,
Des glaces de la vieilleffe
Tu défends tes favoris.
Tels qu'aux premiers jours de l'âge ,
JUIN . 1745
3 %
Tu verfes fur leur viſage
Les plus riantes couleurs ,
Et quand leur vigueur fuccombe,
İls arrivent à la tombe
Par une route de fleurs .
Que fous des lambris coupables
Les mortels efféminés
Aiment à charger leurs tables
De poiſons affaifonnés .
Que fur le myrthe & la rofe
Un Sibarite repofe ;
Le luxe abrége leurs ans ;
Je me borne à la Nature ,
Une vie auftére & pure
Me prolonge tes préfens.
Toujours pleine de tendreſſe
Pour l'indigent vertueux ,
Tu fuis loifive molleffe
De l'opulent faftueux .
Le dégoût , l'intemperance ,
Triftes fruits de l'abondance
Te banniffent des cités ;
Le laboureur fous des hêtres
Se nourrit des mêts champêtres
Que tes mains ont aprêtés.
O vous , qui bravant fur l'onde
Les périls & les travaux ,
Biiij
32 MERCURE DE FRANCE
Allez dans un nouveau monde
Chercher des befoins nouveaux
Laiffez ces tréfors arides ,
Qui de nos defirs avides
N'éteignent point les ardeurs ,
Mais du plus lointain rivage
Apportez ceux dont l'uſage
Peut foulager nos douleurs.
A travers l'humide plaine
La fanté vole avec eux ;
Paifibles freres d'Heléne ,
Guidez leurs vaiffeaux heureux.
Que les vents leur obéiffent ;
Que les vagues s'applaniffent
Sous ce fardeau précieux !
Il eft après la fageffe ,
Notre plus douce richeffe
Et le plus beaux don des Cieux.
菜糕
"
COMMERCE de la Groenlande.
M
Onfieur Savary dans fon Dict. de
commerce avoue que la Groenlande
eft un Pays très inconnu , & qu'il n'a ni
beaucoup de marchandiſes , ni des habitans
bien propres au commerce , ainfi il n'en
JUIN. 33
1745 .
•
donne pas une longue deſcription ; c'eſt
pourquoi je crois qu'on verra ici avec plaifir
ce qu'on en apprend par deux nouveaux
Ouvrages en Danois & en Allemand de M.
Hans Egede , Miffionnaire Danois en
Groenlande , l'un imprimé en 1740 , &
l'autre en 1741 , que j'ai tiré du Journal
cité en marge.
M. Egede a vécu dans ce Pays quinze
années de fuite , & il mérite toute forte de
croyance par l'ingénuité qui paroît dans fes
Ecrits,
L'ancienne Groenlande eft une vafte partie
du continent de l'Amérique ; c'eft à elle
qu'elle appartient plutôt qu'à l'Europe , car
elle eft jointe à l'Amérique au- deflus du
78e. degré où elle forme la baye de Ba-
Alin des Anglois : du moins l'Auteur trouve
cette jonction probable par la reffemblance
des naturels de la Groenlande avec ceux de
la baye de Hudſon , & par l'élargiflement
des terres qui s'étendent à perte de vue vers
l'Oueft au- delà de l'Ile de Difco . Les cartes
de Molla & de l'le donnent la chofe
pour certaine. Elle s'avance vers le Sud ,
en allant en pointe à peu près comme l'Afri
que & fe termine 9e . degré au so minutes
par le Cap de Forewel , & piéfente
par cette pofition deux longues Côtes à la
Mer qui fe joignent au Sud,
R #
50
$4 MERCURE DE FRANCE .
La Côte Occidentale eft celle que l'Auteur
a parcouru depuis le 60e . degré jufqu'au
65. Les Mers qui la baignent au Sud
s'appellent le détroit de David , & plus au
Nord elle a la baye de Baflin .
La Côte Orientale quoique plus proche
de l'Iflande dont elle n'eft éloignée que de
quelques quarante milles , eft pourtant pref
que entierement inconnue. D'affreufes Ifles
de glaces la rendent innacceffible aux vaiffeaux
Européens ; on n'y peut venir que par
terre en partant de la Côte Occidentale ,
ou par mer en fe fervant de quelques canots
des Groenlandois qui fe hazardent au travers
des glaces à la faveur de la bonne faifon
, & qui réuffiffent quelquefois à y trouver
un paffage .
L'une & l'autre de ces Côtes a été habitée
par des colonies de Norwegiens que les
Groenlandois exterminerent entierement
lorfqu'ils ne recevoient plus de fecours, ce
qui fit oublier la Groenlande .
Martin Forbifther fous le regne d'Elifabeth
Reine d'Angleterre y alla par l'Oueſt , en découvrit
le Cap Meridional & donna des
noms à plufieurs bayes & à pluſieurs caps de
la Côte Occidentale ; il en remporta une
quantité de pierres remplies d'argent , à ce
qu'il dit dans fes mémoires , mais M. Egede
doute extrêmement de fa fincerité , n'ayant
JUIN. 1745. 35
trouvé en Groenlande ni mines d'argent ni
Princes ni Art , & Forbiſther dit avoir trouvé
tout cela .
Chriftiern IV. Roi de Dannemarck ne
vit pas fans jaloufie des étrangers qui venoient
lui enlever les domaines de fes prédecefleurs.
Il fit équiper en différens tems
quatre ou cinq petites efcadres pour retrouver
cette Province perduë. L'Amiral Godske
Lindenou y fut deux fois , il rapporta de
la mine d'argent , & du fable chargé d'or.
Frederic III. fit partir en 1654 un vaiffeau
commandé par le Capitaine Muller qui
y découvrit cette même riviere de Baal où
les Danois fe font établis de nos jours.
Chriſtiern V. y envoya un vaiſſeau en
1670 qui fut pris par les Dunkerquois. Les
Hollandois y aborderent de tems en tems
en allant à la pêche des baleines qui eft devenuë
fort abondante dans le détroit de David
, mais ils n'y firent ni découverte ni
établiffement.
On peut donc dire que la Groenlande a
été inconnuë jufqu'en 1721. M. Egede a
le mérite tout entier de la découverte , il a
de plus abandonné fa Cure , fa Patrie , il a
avancé le peu qu'il avoit pour une Miffion
dans un Pays inconnu , affreux , ſans richeſles,
fans plaifirs , & prefque entierement dépourvû
du néceſſaire ; il s'en eft remis pour
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
toutes ces difficultés à la Providence.
Nous allons voir à préfent ce que produit
ce Pays . Des bouleaux , mais qui ne viennent
jamais plus hauts que deux ou trois toifes
; des aulnes, des faules , ce font les arbres :
du cochlearia & du meilleur , c'eft une manne
, parce qu'il fournit un reméde affûré
contre le fcorbut . De l'angélique , de la tormentille
, une demie douzaine d'autres herbes
, voici les plantes , encore ne viennentelles
que jufqu'au 65e . degré ; plus avant
vers le Nord , l'herbe même n'eft plus qu'une
marchandiſe étrangere que les Groenlandois
font obligés d'acheter pour en garnir leurs
bottes ; le bled n'a jamais voulu venir à bien
fous le 64e degré , il n'y a eu que les choux eú
& les raves qui ayent réuffi , car il ne peut
venir dans ce Pays que les plantes dont la
graine meurit dans deux mois au plus après
la femaille , & qui dans cet Eté fi court peuvent
fupporter les vents les plus rudes & les
froids les plus vifs .
Dans un Pays fi ingrat on ne vit que de la
chair de baleine , de poiffon, du lard des veaux
marins & des gigots de rennes , mais ceux-ci
font rares , coriaces ; c'eft de ces viandes dont
vivent uniquement les Groenlandois . Ils ne
connciffent ni pain ni légumes , ni fruits ni
-lait , ni le fel meme . Ils vont chercher les rennes
parmi des rochers couverts de glace , ou
JUIN. 1745 . 37
pourfuivre les poiffons fur une mer toujours
à demi - gelée & très orageufe , car il n'y a
point d'autres reffources : la terre qui nous
eft fi liberale eft de fer pour eux.
Les minéraux ne font pas plus communs ,
& les pierres d'or & d'argent ne fe font plus
retrouvées depuis Lindenou , & Forbither.
Il y a pourtant du verd de gris , de la mine de
plomb , du fer & une terre jaune tirant fur
le cinabre , qui à la verité ne donne point
de métal , mais qui eft , de quelque utilité
pour la Peinture , il y a encore des criftaux
de Lafbefte , & des eaux minerales chaudes
d'un goût pénétrant qui peut -être feroient
utiles aux malades , s'il y avoit une Medecine
dans ce Pays - là.
Les animaux y font rares , il n'y a que
des rennes , des chevreuils blancs ou gris ,
des lievres blancs , des chiens auffi indolens
& auffi ftupides en leurs genres que leurs
maîtres. il n'y manque pas d'oifeaux
qui ont la voix fort belle ; c'eft un privilége
du Nord , car fous la Zone torride
les oifeaux font parfaitement beaux , mais ils
n'ont qu'une voix très défagréable.
La mer eft mieux peuplée que la terre .
Il y a des baleines de plufieurs fortes , des
narwals , des cachillots , plufieurs efpeces de
veaux marins , des faumons ; enfin c'eſt elle
qui nourrit les hommes au défaut de la
terre.
38 MERCURE DE FRANCE.
Les Groenlandois tout nonchalants qu'ils
font ne manquent pas d'induftrie pour profiter
de l'abondance de leurs mers ; ils entreprennent
hardiment les baleines & les tuent
à coup de lance quoiqu'ils n'ayent que des
canots pour Navires. Ils s'en font de plus
petits de peaux ; on en a dans les cabinets ,
un homme y entre , les enfle & va rouler fur
les ondes ; en riant de leur fureur , elles ont
beau renverser ce chetif bâtiment , un coup
d'aviron les remet en équilibre.
C'eſt la voiture des hommes , ils ne rament
jamais dans les grands canots , il n'y
a pas affés de danger ou d'habileté à cela,
& les femmes en font chargées. Ils font marcher
leur petits canots d'une vitefle extrême ,
jufqu'à faire douze milles par jour : c'eſt là
dedans qu'ils vont chercher les veaux marins
; il eft vrai qu'ils ont beaucoup d'autres
induſtries pour les prendre. Tantôt ils fe
traînent à terre pour les furprendre dans
quelques trous de glace , tantôt ils les entourrent
de perits lacs où ils les prennent
avec des filets pour les achever fur la glace,
tantôt ils s'avancent fur un efpece de trepié
mobile éviter de faire du bruit , fürs
de lancer la bête dès quelle montre le bout
du nez. La néceffité rend induſtrieux ; il
n'eſt point de peuple qui ne fçache fe procurer
dequoi vivre , quelque ftupide qu'il
foit en toute autre choſe.
pour
JUIN. 1745. 39
Je ne fuis entré dans ce détail fur les veaux
marins que parce que M. Savary dans ſon
Dict . de commerce n'indique point dans
quel endroit des mers glaciales on va à leur
chaffe , & qu'il n'explique pas fi bien qu'ici
la maniere dont on les prend , il dit d'ail
leurs que les pêcheurs ont obfervé que les
parages qui font remplis de ces veaux ne
valent rien pour la pêche de la baleine ; ces
• obfervations fans doute ne font pas juftes ,
puifque c'eft dans ce Pays que s'en fait la
grande pêche , mais comme les veaux marins
vivent fur terre & fur mer , ils viennent
apparemment fe promener fur mer
lorfqu'ils ne craignent pas d'être dévoréséspar
les baleines. Au refte les Groenlandois n'habitent
qu'au bord de la mer , l'interieur des
terres n'eft que glace , & il n'y vont que pour
aller à la chaffe des rennes.
pour-
Le commerce de Groenlande n'eſt
tant pas à mépriſer , M. Egede le prefere
à celui de l'iflande. On en rapporte des
peaux de veaux marins & de rennes du
morfil , du narvval & de la baleine .
Les Danois animés par notre auteur ont
érigé trois comptoirs fur la Côte Occidenta
le , le plus au Nord eft a 69 degrés , l'autre à
Nepifet , & le plus au Sud , qui porte le
nom de l'Esperance à 64. M. Egede recommande
fort à fa Nation d'en placer à
40 MERCURE DE FRANCE
la Côte Orientale par les 62 ou 63 de latitude
, & d'y former des Colonies : les mers
Orientales n'étant pas fort navigables , il n'y
a pas
de contrebande a craindre, au lieu qu'à
l'Oueft les étrangers enlevent aux Danois le
plus clair du profit.
·
Nous n'entrons point ici dans ce que l'Auteur
nous apprend touchant la Religion ,
les moeurs & la maniere de vivre des Groenlandois.
On feroit très bien de traduire fon
ouvrage dans une Langue plus commune
que l'Allemand , pour fatisfaire la curioſité
de ceux qui voudroient étre mieux inftruits
de ce Pays fi peu connu .
蓉蓉
EPITRE à M. le Comte d'Argenfon
Miniftre & Secretaire d'Etat.
Dans un ennuyeux verbiage
Articulant tout & nommant
Parme , Prague , Dettingue & le canon Flamand ,
On ne fait point ici l'ordinaire étalage
Des fervices , des ans , des voeux & de l'hommage
Du très ruiné fuppliant :
Ses titres les plus fûrs font dans la bienfaiſance
De ce génie heureux , ce Miniftre eſtimé ,
JUIN.
1745.
Né pour faire aimer la puiſſance
Du Maître dont il eft aimé .
Quel bienfait briguons- nous ? Quelle eft notre
efperance ?
Eft- ce quelqu'un de ces objets
De fortune ou de confiance ,
Où fe portent tous les projets
Des vieux Gendarmes de la France ,
Et dont tant de Majors , d'éternelle préſence
Compofent leurs pefants placets
Et les ennuis de l'audience ?
Non , ce n'eft point en vérité
Un emploi de cette excellence
Qui par nous eft follicité ;
C'eft un pofte ( on l'avoue en toute humilité
A qui perfonne ici ne penſe ;
Un vieux donjon , un roc , un antre inhabité ¿
Sans demandeurs , fans concurrence
Sans arfenal , fans conféquence ,
Sans canons, & fans vanité
C'est la fuperiorité
D'une maigre Communauté
D'Invalides prefque en enfance ,
Qui montent la garde , je penfe ,
Beaucoup moins pour la fûreté
D'une place où la Paix , le fommeil , le filence
Refident à couvert de toute hoſtilité ,
Que pour épouvanter par les fons lamentables
42
MERCURE DE FRANCE.
D'un tambour enroué de toute éternité ,
Les graves chathuants dont la poſtérité
Voudroit leur difputer leurs grabats & leurs tables;
Ou pour bannir du creux de ces fombres ormeaux
Abri de leur gazette & de leur triſte vie,
Les corneilles & les corbeaux
Qui pourroient quelque jour manger lacompagnie
Et fe méprendre à l'air , à la mine flétrie
De ces cadavres de Héros ,
Enfin pour en parler avec plus d'évidence
Et non moins de prolixité ,
C'eft la très-mince Lieutenance
D'un Fort d'affés peu d'importance ,
Qui ne fera jamais bloqué ,
Mais dont le Grenadier qui s'offre à fa défenſe
Rendroit bon compte au Roi, fi contre l'appad
rence
Il étoit un jour attaqué ,
Et juftifiroit bien le choix & la prudence
Du Miniftre chéri qui l'auroit colloqué
Sur cette chetive éminence ;
Encor voulons-nous moins que cette jouiſſance
Par ce mémoire préſenté ,
Ce n'eft pour le moment qu'un titre fans féance
Un bien qui n'aura d'éxiſtence
D'actuelle réalité
Que dans notre reconnoiffance ,
Jufqu'à l'inftant qu'il plaife au Maître Souverain
JUIN. 48 1745.
Detappeller à lui l'ame du Châtelain
Dont nous briguons la furvivanee¿
Mais comme ce vieux Paladin ,
Quoique gouteux octogénaire ,
S'aime beaucoup dans fa taniere
Et n'aima jamais fon prochain ;
Que fçait-on , helas ! le vieux reître,
Très-choyé , très-foigneux des reftes de fon être
Eternel dans fes baſtions ,
Empaqueté , fourré le nez fur les tifons
Entre fon Major & fon Prêtre ,
Sesvieux contes de garnifon ,
Et fes pipes & fes marons
Helas ! enterrera peut-être
Celui pour qui nous demandons .
Dieu lui faffe toute autre grace
Si dans ce jour nous obtenons
Un Coadjuteur de ſa place ;
Et quand il aura tout compté
Sur Hofchftet & fur Ramillies
Tout ce qu'on eût mieux fait , ce qu'on eût ema
porté
De gloire , d'immortalité
Et de perruques ennemies ,
S'il avoit été confulté ;
Quand il aura bien exalté
Les antiques chevaleries ,
Des Marêchaux défunts dépeint les effigies ,
44 MERCURE DE FRANCE
1
La moustache & l'austérité ,
Bien rabâché , bien regretté
Ses campagnes & fes orgies ,
Des fiéges ou peut-être il n'a jamais été ,
Des belles dont fans doute il n'a jamais tâté :
Enfin quand le bon homme aura bien repeté
Les ennuieufes litanies
Dú tems paffé , feul tems par lui toujours vanté ,
Après qu'il aura joint à cette Kirielle
Ce que dans fa baraque if compte faire un jour,
Ses projets affés longs pour la vie éternelle,
Les mémoires qu'il doit prefenter à la Cour
Et qu'à fonordinaire il aura dit fans ceffe
» Mon pont levis , ma garnifon,
»Mon Aumônier , ma fortereffe ,
» Le Roi mon Maître , mon canon .
Tout cela dit & fait en deux ans qu'on lui donne
"
Par bienféance ou par aumône ,
Dieu veuille rappeler dans l'éternel do rtoir
Le peu d'efprit qu'il peut lui voir ,
Et moitié marmotant fa courte patenotre
Moitié fur fa goute jurant
Nous l'endormir Chrétiennement
Et le clore hermétiquement
Pour fon bonheur & pour le nôtre !
Si la rage du bruit & d'un frivole honneur ,
Chimere des vivans , dans les demeures fombres
Tient auffi des vieux preux les férieufes ombres ,
JUIN. 45 1745 .
Il peut être affûré que fon cher fucceffeur ,
Plus jaloux qu'un parent d'orner fes funérailles
Lui fera dreffer de grand coeur
Toute la pompe des batailles ,
Que pour mieux décorer fon convoi , fon tombeau ,
On empruntera de la Ville
Ce qui peut manquer au Chateau,
Prêtre , Soldats , poudre , bedeau ,
Et tout le funébre uftencile,
Que vers fon dernier domicile
Toute les Croix de S. Louis
Qui vegétent dans le Pays ,
L'accompagneront a la file .
Que tous les vieux fufils ce jour là fortiront
De leur rouille & de leur pouffiere ,
Et , s'ils le peuvent tireront ,
Pour annoncer au loin fa marche funeraire :
2
Que fon large écuffon , fa croix , fon cimeterre,
Le catafalque honoreront ;
Et qu'enfin au ſein de la terre
Ses Reliques ne defcendront
Quavec les honneurs de la guerre .
46 MERCURE DE FRANCE.
REMARQUE Critique fur la date
precife du Concile de Sens de 134 cité
par le P. Texte Dominicain , dans le
Mercure fecond de Novembre 1744 pag,
20. లో 22.
C
Omme il paroît que le R. P. Texte
s'eft rendu aux remarques qu'on lui a
envoyées par le canal du Mercure touchant
l'établiffement de l'Angelus, & qu'il convient
dans celui de Novembre 1744 que ce n'eſt
pas Louis V I. qui a ordonne qu'on le fonnât
& qu'on le récitât à midi , ainſi qu'il l'avoit
affûré fur la foi du Dict . de Trevoux
( où l'Imprimeur a mis Louis VI. au lieu de
Louis XI . c'eſt à dire un V, pour un X, ) je ne
puis que louer la bonne foi avec laquelle
agit ce très R. P. Plufieurs perfonnes qui
connuiffent fon caractére , efperent qu'il en
fera de même à l'égard de Hennuyer , qu'il
a foutenu très- mal- à -propos avoir été Dominicain
, & que s'il n'adoucit pas ce qu'il
a dit de trop fort fur ce fujet , en publiant
quelque écrit qui faffe connoître fon heureux
changement au public , au moins s'acquit
tera de ce devoir de vive voix.
Ce qui me fait aujourdui mettre la main
à la plume c'eſt que je vois que le P. Texte
JUIN. 1745° 47
eft embarraflé fur la date d'un Concile de
Sens , tenu à Paris par Guillaume de Melun .
Pour le coup le P. Texte n'a ofé décider ,
il fe contente de propofer la difficulté , & il
paroît difpofé à s'en rapporter aux fçavans
Bénédictins continuateurs du Gallia
Chriftiana. Il infinue modeftement que la da
te de ce Concile lui paroit d'un grand poids ,
& il a en cela raiſon.
Mais en attendant que les P. P. Benedictins
donnent au public le tome de la Province
de Sens ) qu'ils n'ont peut-être pas encore
commencé) il eft utile pour l'Hiftoire Eccléfiaftique
d'examiner cette date .
Les actes de ce Concile ( qui font aux archives
de l'Archevêché de Sens , ) le fixent à
un Mercredi 14 Mars 1346 , après le Dimanche
latare.
Celui qui a fait des notes fur la feconde
édition du fpicilege de Dacheri , dit que
cette date ne peut fubfifter , parce qu'en
346 ce Dimanche Latare étoit le 30
Mars & il reforme cette date & la place
en 1350 , où ce Dimanche étoit le 11
Mars à ce qu'il dit.
de
Il eft furprenant que cet annotateur, ( d'ailleurs
très habile homme , ) n'ait pas pris gar
que dans ce tems là on commençoit l'année
à Pâques en France , & qu'ainfi ce qu'on
appelloit alors l'année 1346 , étoit 1347 .
felon la maniere de fupputer proleptique ou
48 MERCURE DE FRANCE
anticipée qui eft en ufage actuellement parmitous
les Chronologues .
Or cette année 1347 la lettre dominicale
fut G , indiction 15 , Pâques fut le 1er,
Avril , parconféquent le Dimanche Latare
tomba le 11 Mars , & ainfi le 14 Mars fut
un Mercredi felon la date du Concile qu'on
ne peut point foupçonner de la moindre
erreur .
Mais il eft rifible que cet annotateur après
avoir bronché fi lourdement en une chofe fi
claire ait faitun fecond anachoroniſme encore
plus ridicule dans la fuite , car il ajoute que
le Dimanche Latare fut le 11 Mars en
1350 , ce qui eft abfurde , car puiſque G
étoit la lettre Dominicale en 1347 F , E ,
pour lettres dominicales en 1348 , on eut
Den 1349 , & C en 1350 , & par conféquent
en cette année le 11 Mars ne peut
tomber un Dimanche , mais un Jeudi. Je
claiffe à d'autres le foin d'examiner quelle a pû
être la caufe ou l'occafion d'une mépriſe
fi groffiere , mais cela nous montre qu'il faut
fe fervir de fes yeux & ne pas s'en rappor
ter aveuglément même aux plus habiles.
J'ajoute pour finir cette petite difcuffion ,
le même annotateur a eu tort de dire que
Guillaume de Melun n'étoit pas encore Archevêque
de Sens en 1346 , car Philippe
on prédeceffeur immédiat étoit mort le 7
que
Avril
JUIN. 1745. 49
Avril 1345 après Pâques qui arriva cette
année le 27 Mars , & on a aux archives
de Sens un acte de Guillaume de Melun du
mois d'Octobre 1346 , ce qui precede le
Concile en queftion celebré au mois de
Mars 1347 , que l'on comptoit alors 1346
à l'ancienne maniere , ou comme l'on dit
vulgairement felon l'ancien ſtyle,
A Paris ce 24 Fevrier 1745.
REPONSE de M. des Forges- Maillard
à l'Epitre deM.de la Soriniere, inferée dans
le er, vol, du Mercure de Fevrier.
E
St-ce , cher Soriniere , à la pâle liqueur
Dont à tous tes repas tu bois à pleine taſſe
Que tu dois tes beaux vers qui coulant avec grace ,
Sont animés du feu vainqueur ?
Tu nous trompes , confrere , & cette eau claire
& faine ,
Dont les flots petillants circulent dans ton coeur
Vient à la Soriniere en filtrant fous l'arêne
Des cantons renommés où jaillit l'hypocréne.
Mais ne t'en vante pas ; ton ſecret étant ſçû
Aviliroit le don que nous avons reçu
Du nourriffon du vieux Silene ,
Qui fait de ton Pays le meilleur revenu .
jo MERCURE DE FRANCE,
Cependant la chofe eft certaine
Que fi l'on étoit prevenu
Que les eaux d'Helicon percent dans ton domaine,
Far leur vogue ton bien feroit en peu groffi ,
Chacun en preférant la liqueur fouveraine
A celle qu'on vend à Paffi .
Ami, je fuis touché de tes doctes fuffrages ,
D'autant qu'ils ne font pas lâchement mandiés ,
N'étant connu de toi que par quelques ouvrages
Que ma Mufe a verſifiés
Sous deux noms tour à tour , fur ces triſtes rivages
Où le fort me ramene & cherche à m'arrêter .
J'y voudrois amuſer mon loifir fédentaire ;
Peu de livres nouveaux ont dequoi fatisfaire
Mon goût, que ne peuvent flater
Les vains colifichets , le Phébus plagiaire ;
J'aime malgré Perrault , Virgile , Horace , Ho
mere ,
Et mon petit pupître en eft toujours paré,
Quand mon archet eft préparé
A jouer fur ma lyre une chanſon légére ,
Ces lieux où des neuf Soeurs la Langue eft étrane
gere ,
Où Neptune , Dircé , Portumne , Ino , Doris
Sont les Déités qu'on révére ,
N'offrant point à mes voeux ce qu'on trouve à
Paris ,
Un Titon délicat , un clairvoyant Voltaire ,
JUIN. 1745 . 5 B
A qui fur mes écrits j'aille me confulter ,
Mon caprice eft le Dieu qui me vient affiſter,
Et ne devant qu'à moi les vers que je puis faire ,
Je n'ai que mon plaifir pour but & pour falaire.
Mais fçais-tu que ta main par un coup furprenant
Traça mon caractére en peignant mon génie ?
Vrai , naturel , indépendant ,
( Triple & contraire obftacle au bonheur de ma
vie )
Au menfonge impudent ma langue fe dénie .
Toujours même fans fard & conftant dans fa foi ,
L'amour qui m'infpira des vers pour ma maîtreffe ,
Sur un ton plus fublime élevant ma tendreffe ,
N'a que changé d'objet quand j'ai loué mon Roi ,
Au Croific ce 5. Mai 1745
LETTRE
D'un Médecin fur la contagion qui régne
parmi les beftiaux.
L
A maladie qui régne parmi les vaches a
tous les fignes d'une fiévre inflammatoire.
Dans les cadavres que nous avons fait ou
vrir nous avons trouvé preſque toutes les parties
enflammées & même gangrenées , les
yeines remplies d'un fang noir & diffous
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
les quatre eftomacs gorgés de nourriture non
digérée,
Les animaux attaqués ont les oreilles &
les cornes froides , l'oeil morne , la tête baiffée
; ils tremblent , ils pleurent , leur nez
coule , leur lait tarit , ils ne mangent plus ,
ils ont le dévoyement & la fiévre.
On peut aisément connoître la fiévre , il
faut pour cela pofer la main gauche entre
la jambe gauche de devant & le poitrail ,
on fentira le battement du coeur : il doit en
état de fanté battre 45 ou 48 fois en une minute;
s'il y a plus grand nombre de pulfations
on peut affurer qu'il y a fiévre. La maladie
de fa nature eft terrible ; c'eſt une efpece
de pefte qui devient incurable fi l'on
ne fçait pas y rémedier de bonne heure.
Mais les vachers ignorent le commencement
de la maladie ; ils ne jugent leurs beſtiaux
malades que lorfqu'ils ceffent de manger :
cependant nous fçavons par expérience
qu'ils mangent encore long- tems après qu'ils
font attaqués.
Voici les fignes du commencement de
la maladie .
10. Les vaches ne ruminent pas , c'eſt-àdire
en terme de vacher , ne grugent pas
leur avoine,
2º. Leurs excrémens ne font pas en même
quantité ni en méme qualité , il y en a plus
JUIN. 1745 . $$
ou moins , ils font trop durs , trop mols ou
trop fluides.
30.
. Les vaches font triſtes.
40. Elles ne mangent pas avec la même vivacité
.
50. Elles refpirent difficilement ou bien
elles touffent.
Dès qu'on s'apperçoit d'un feul de ces
fymptômes il faut fans perdre de tems féparer
la bête d'avec fes compagnes , lui retrancher
la moitié de la nourriture ordinaire
lui donner de l'eau blanche pour boiffon
des lavemens avec la même eau blanche , &
lui faire tirer quatre pintes de fang en deux
fois de fix en fix heures , & lui faire un cautére
actuel avec le fer rouge au poitrail. On
fera trois ou quatre trous dans lefquels on
mettra une racine d'hellebore blanc qu'on
changera de 24 heures en 24 heures. On
aura foin de frotter la partie avec le fuppuratif.
S'il arrive un dépôt & qu'il fuppure
bien , la bête malade guérira.
LE LION ET LA CHEVRE,
U
FABLE.
N jour fa majefté Lionne
Vit une Chevre affés mignonne
Ciij
34 MERCURE DE FRANCE
Qui broutoit au haut d'un rocher :
En faire un bon repas c'étoit bien ſon envie ,
Mais il s'agiffoit d'approcher ;
Il voulut tenter la partie ,
Croyant être bientôt grimpé.
Ce fût en vain , le roc étoit trop escarpé.
Voyant donc qu'il perdoit fa peine
Il lui tint ce difcours :
Que ne defcends-tu dans la plaine ,
Petite Chevre, mes amours ,
Tu trouverois en abondance
Dequoi remplir ta pance ,
Du thin , des faules verds ;
Quitte ces lieux fecs & ftériles ,
Et viens dans ces plaines fertiles ;
C'eft le plus beau canton de l'univers .
Je t'entends , lui dit-elle , & je te remercie ,
Je ne veux point aller dans la prairie ,
Je me trouve bien où je fuis .
Méfiez-vous de ces donneurs d'avis .
Tout ce qu'ils font , à les entendre ,
Ce n'est que pour vos intérêts ,
Mais ne vous y laiffez pas prendre ,
Ils ont d'autres motifs fecrets ,
Et vous connoîtrez de plus près
Qu'ils ne cherchent qu'à vous furprendre.
JUIN. $745 .
55
LE SAPIN ET LE BUISSON. BUISSON.
FABLE.
P
Rès d'un petit Buiffon s'élevoit un fapin ,
Le plus beau des fapins qui fut dans le village t
Ne pouvant fouffrir ſon voiſin
Il lui faifoit toujours quelque nouvel outrage.
Je fuis , lui difoit-il , le plus beau du canton :
Regarde ma hauteur , la force de mon tronc ;
Je fers dans toutes les Provinces
A bâtir les Palaisdes Seigneurs & des Princes ,
C'eft avec moi qu'on fait les mâts des grands vaif
feaux .
Pour toi, pauvre buiffon, quel eft ton héritage ?
A quoi peuvent fervir de trop vils arbriffeaux ,
Qui commetoi ne font d'aucun uſage ?
Il est bienvrai , dit l'autre avec douceur
Que je n'i point la hauteur en partage ;
Mais c m'eft un grand avantage ,
Je le fais , & cette hauteur
Que tu nous vintes tant eft cauſe du malheur
Qui depuis fi bng - tems pourfuit ta deſtinée ;
Peut-ête avant la fin de la journée
Tu veras un vieux bucheron
T'abttre à grands coups de coignée ;
Au liu que moi, pauvre buiffon ,
Ciiij
38 MERCURE DE FRANCE
Je ne fouffre aucune torture ;
Je vis ensûreté dans ma condition ;
Il eſt vrai qu'elle eſt plus obfcure .
Ce ne font point les biens , les dégrés , les honneurs,
Qi doivent flater notre envie ;
Un état moins brillant eft exemt des douleurs
Dont toute fortune eft fuivie .
****
OBSERVATION
Sur quelques anciens Evêques d'Evreux .
J'ai avancé dans un Ecrit communiqué à
un habile homme , & qui aura pû paffer
jufqu'à vous , que le défaut de facre dans plufieurs
Evêques élûs étoit caufe qu'on ne les
trouvoit point dans les andens catalogues
de ces Eglifes , parce que lufage étoit de
n'admettre dans ces liftes que des Evêques
facrés , & j'ai ajouté que ceft à quoi les
Hiftoriens des Eglifes
particuleres n'ont pas
toujours fait attention. Je n'ai pas voulu alors
apporter aucun exemple de cette inadver
tance des Ecrivains modernes , de crainte
d'allonger mon Ecrit qui étoit déja trop étendu
: mais je me propofe de vousciter aujour
d'hu l'exemple de M. le Braffur dans fon -
Hiftoire Eccléfiaftique & Civie d'Evreux.
JUIN. 1745. 57
Cet Ecrivain , pag. 151 , a inferé un Richard
& un Vautier entre Rotrou Evêque d'Evreux
qui fut transferé fur le Siége de Rouen,
& Gilles.
Je remarquerai d'abord en paffant qu'il
eft affés mal- fondé à dire que ce dernier
étoit de la Maifon des Comtes du Perche
je croirois qu'il étoit plus vraisemblablement
de celle d'Amiens , puifqu'il étoit neveu
de Hugues d'Amiens Archevêque de Rouen.
Mais le point où j'en veux venir eft que les
deux Evêq. Richard & Vautier me paroiffent
mal - à - propos introduits dans le nouveau
Catalogue des Evêques d'Evreux entre Rotrou
& Gilles.
La premiere raiſon qui me le prouve eſt
que dans un Catalogue de ces Evêques fait
du tems de ceGilles même il eft placé immédiatement
après Rotrou : ce Catalogue eſt
dans un manufcrit de la Bibliothéque Colbert
, cotte 3969. Richard donc & Vautier
ne s'y trouvant point ne peuvent paffer tout
au plus que pour des Evêques élûs qui ne furent
point facrés.
Mais pour dire plus vrai , le prétendu
Richard n'eft dans le fond autre que l'Evêque
Rotrou , dont le nom ayant été feulement
écrit
par la premiere lettre R. ( ce qui
étoit alors fort ordinaire ) aura été mal rempli
par celui de Richard qui fe fera d'abord
CY
58 MERCURE DE FRANCE.
préſenté à l'efprit d'un Copifte ignorant.
Ce qui le prouve eft que M. le Braffeur ne
l'a tiré que d'une très- mauvaiſe copie d'une
donation faite à l'Abbaye de Saint Jean de
Falaife. Elle eft datée de l'an 1162 , & a pour
témoins les Evêques Philippe de Bayeux ,
Lytaffe de Lyfieux . ( c'étoit alors Arnoul qui
occupoit le Siége de cette Eglife) Girard Evêque
de Séez, lequel étoit mort dès l'an 1157,
Richard de Coutances avec le prétendu Richard
d'Evreux . Comme cet acte eft fort
fufpect , ou du moins fa copie , je fuis porté
à croire que le Richard de Coutances pourroit
bien avoir fait naître fous la plume du
'Copiſte le Richard d'Evreux .
Une autre raifon qui appuye ma penſée
eft que Robert du Mont fur l'an 1163 , parle
de Rotrou comme étant encore alors Evê .
que d'Evreux , & ne le fait paffer qu'en
1165 à l'Eglife de Rouen , dont le Siége vacquoit
feulement depuis le 10 Nov. 1 164 ,jour
de la mort de l'Archevêque Hugues d'Amiens.
Les raifons fur lefquelles on fonde l'exiftence
de Vautier fur le Siége d'Evreux avant
l'Evêque Gilles , ne font pas non plus hors
d'atteinte. On dit que ce Vautier a été témoin
d'une donation faite au Prieuré du
Mont aux malades à Rouen en 1 166. Mais
l'Hiftorien de la ville de Rouen , tome 3 ,
page 186 , affürant que cet acte eft fans
JUIN. 1745. 59
date , quel fond peut- on faire deffus ? Cependant
fi dans l'original fon nom fe trouve
& que cet original ne foit point fufpect , ily
a moyen d'admettre cet Eveque en ne le qualifiant
que d'Evêque élû pour le Siége d'Evreux.
Car pour ce qui eft de l'objection
qu'on me feroit de la néceffité qu'il y a eu
que le Siége de cette même Eglife fut rempli
alors par quelqu'un , Gilles n'y ayant été
placé qu'en 1170 , cinq ans après que Rotrou
l'eût quitté , je n'en ferois pas frappé.
Il eft certain que Henri II. Roi d'Angleterre
& Duc de Normandie qui vouloit fe
rendre maître des élections des Evêques ,
laiffoit fouvent vacquer long - tems les Eglifes
, comme Saint Thomas de Cantorbery
l'obſerve dans une de fes lettres , & qu'en
particulier il jouit pendant huit ans de l'Evêché
de Lincolne où il fit élire enfuite
Geoffroi fon fils naturel qui le garda encore
fept ans fans être facré , après quoi ce Siége
fut rempli par le célébre Gaut er depuis Archevêque
de Rouen , ainfi qu'on l'apprend
de Raoul de Dicet. Une autre preuve de ces
longues vacances de Siége fe tire d'une lettre
du Pape Luce IHI. (a) qui ordonnant en
1184 au Chapitre de Rouen , le Siége Archiépiſcopal
vacant , de faire facrer Guillaume
Doyen de Bayeux élú Eveque de Cou
(a) Thefaur. Anecd. Martenne , tom. 3. p. 987.
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
tances , ajoute que ce dernier Siége vac
quoit depuis fix ans , quoique néanmoins l'élection
de Guillaume eût été faite dès l'an
1182 felon Robert du Mont,
S
STANCE S.
I vous voulez que j'aime encore ,
Rendez -moi l'âge des amours
Au crepufcule de mes jours
Réjoignez , s'il fe peut , l'aurore.
Des beaux lieux où le dieu du vin
Avec l'amour tient fon empire
Le tems qui me prend par
M'avertit que je me retire .
Laiffons à la belle jeuneffe
Ses folâtres emportemens ,
la main
momens " Nous ne vivons que deux
Qu'il en foit un pour la fageffe .
Quoi ! pour toujours vous me fuyez
Tendreffe , illufion , folie ,
Dons du ciel qui me confoliés
Des amertumes de la vie !
"
"
On meurt deux fois, je le vois bien :
Ceffer d'aimer & d'ê re aimable ,
C'estune mort infupportable ;
H
JUIN. 1745.
Ceffer de vivre ce n'est rien .
Ainfi je déplorois la perte
Des erreurs de mes premiers ans
Et mon ame aux défirs ouverte
Regrettoit fes égaremens .
"
Du ciel alors daignant defcendre ,
L'amitié vint à mon fecours :
Elle étoit peut-être auffi tendre ,
Mais moins vive que les amours,
Touché de fa beauté nouvelle
Et de fa lumiere éclairé ,
Je la fuivis , mais je pleurai
De ne pouvoir plus fuivre qu'elle .
ODE AU ROI ,
Sur la Victoire remportée par Sa Majeſté lø
II Mai 1745.
OI , qui fais marcher fur tes traces
ΤίLes craintes , les pleurs , les revers ,
Qui ris des mortelles difgraces
Où ta main plonge l'Univers :
Jufqu'à quand , difcorde effrénée,
Nos
yeux fur la terre tonnée
Verront-ils flotter tes drapeaux ?
MERCURE DE FRANCE,
Les Rois armés pour fe détruire
Ne fe laiffent-ils plus conduire
Qu'à la lueur de tes flambeaux ?
NON : les Dieux à nos voeux propices
Ont mis fur le Trône François
Un Prince , objet de nos délices ,
Inflexible aux fons de ta voix .
Ennemi juré de tes brigues ,
Jamais il ne prit part aux ligues
Que fomentent tes favoris ,
Et
pour
l'honneur de fa couronne 1
S'il prend les armes de Bellone ,
C'eft fur les Autels de Thémis .
FUI , Monftre ; au fond du noir Tartare
Rentre pour n'en jamais fortir :
Des fers que LOUIS te prépare
Rien ne peut plus te garantir.
Attentif au bonheur du monde ,
Son tonnerre aujourd'hui ne gronde
t'écrafer fans retour :
Comment réfifter à la foudre ,
Que pour
Par qui tu l'as vû mettre en poudre
Menin , Furnes , Ipres & Fribourg ?
MAIS je parle en vain ; la cruelle
Raffemble encor fes Bataillons ;
Encor de vaftes champs par elle
Sont couverts de leurs pavillons.
JUIN
. 1745.
Approchez Nations guerrieres ,
LOUISdéja furos frontieres ,
Aux murs de Tournay vous attend ;
Plus vous affronterez l'orage ,
Plus l'excès de votre courage
Rendra fon triomphe éclatant.
C'EN eft fait : ô fpectacle horrible !
Où fuis-je ? & qu'eft-ce que je voi !
Ce que Mars a de plus terrible
Se montre aux champs de Fontenoy.
Les rangs fe forment , s'épaiffiffent ;
Mille bouches d'ai ain vomiffent
La mort , le trouble , la terreur ,
Et l'ennemi vers nous s'élance ,
Moins enfoldat plein de vaillance
Qu'en lion rempli de fureur.
LONG- TEM 5 la Victoire incertaine
Vole de l'un à l'autre Camp ;
La valeur du François l'entraîne ,
L'ardeur de l'Anglois la fufpend ;
Lorfqu'avec cet air qui l'enchante ,
LOUIS à fes yeux ſe préfente ,
Et foudain fon vol eft fixé :
Auprès de ce nouvel Alcide
Elle s'arrête , fe décide ,
Et rougit d'avoir balancé.
Au milieu du bruit & des armes
84 MERCURE DE FRANCE.
Tranquille , exent de tout effroi ,
Quel eft ce Prince plein de charmes
Qui marche à côté de mon Roi ?
Metrompé-je , & puis-je le croire ?
Cher DAUPHIN , quoi ! déjala gloire
T'a conduit parmi nos guerriers ?
Dans l'âge encor des jeux , des graces ,
Les fleurs qui naiffent fur tes traces
Déja ſe changent en lauriers ?
MAIS tandis que je confidere
L'intrépidité de LOUIS ,
Que je vois la valeur du pere
Paffer jufques au coeur du fils ,
Que font tout-à- coup de venues
Tant de Cohortes accouruës
Pour triompher de leur vainqueur ?
Digne prix de leur violence ,
La nuit , les bois & le filence
Cachent leur fuite & leur douleur,
Oqu'une Victoire fi belle
Promet de triomphes nouveaux !
Tournay , le fier Tournay chancelle ,
Prêt à céder à ce Héros .
Sûr de cette illuftre conquête ,
Il y vole , rien ne l'arrête ;
Ses défenfeurs fent aux abois :
Laffés de faire réſiſtance ,
Ils fuccombent , & fa préſence
JUIN. 1745.
A rendu tous les coeurs François.
QU'IL vive ce Prince intrépide ,
L'honneur , l'ornement de nos jours !
Que de fon immortelle Egide
Minerve le couvre toujours !
Héros d'autant plus redoutable ,
Qu'une juftice inviolable
Dicte feule tous fes projets ,
Qu'il lance à regret le tonnerre ,
Et porte aux horreurs de la guerre
Un coeur plein d'ardeur pour la paix .
L'ABBE PORTES Chinune de Tuons
86 MERCURE DE FRANCE.
$
Illuftriffimo Burgundici Senatus Principi
Joanni Berbifeio , Magiftratum abdicanti.
NTIS.
OTIUM SAPIENTIS .
O D E.
QUATER beatus , recta qui docilis fequi ,
Jam flore ab ævi primulo ,
Pati affuevit lene virtutis jugum ,
Arctam per officii viam !
Non cultor olim fordidi cupidinis ,
Aut impotentis aleæ ,
Faftu vetuftæ deteret gentis decus ,
In ære dives non fuo ;
Opefve avitas prodigo turpis nepos
Dabit vorandas luxui.
Non fortuito coelum & humanas volet
Res impetu fortis regi.
Ergo ferena non videt folem magis
Lucere in æthra fplendidum
Quàm providentis omnibus mentem Dei
Præeffe mundo , vindicem
Fandi ac nefandi . Proinde , ceu natus patrem ,
Amore fincero colet.
Aft illi , honoris obfes æterni , decor
JUIN. 1745 .
89
LE REPOS DU SAGE .
EPITRE
A M. de Berbifey Premier Préfident du Par♣
lement de Bourgogne, fur fá demiffion.
H Eureux qui dès l'enfance épris de la fageffe
Forme fur fes leçons fa premiere jeuneffe ,
Et qui maître dès-lors de fes naiffans défirs ,
A l'austere devoir borne tous fes plaifirs !
Dans un âge plus mûr un interêt fordide
N'en fera point un coeur injuftement avide.
N'apprehendez jamais qu'il riſque en furieux
Sur trois dez incertains les fonds de fes ayeux.
On ne le verra point outrageant leur mémoire ,
Par de honteux excès flécrir fa propre gloire ,
Ou d'un illuftre nom follement entêté ,
Cacher le bien d'autrui fous un fafte emprunté.
Vous ne l'entendrez point contre l'Etre fuprême
D'une bouche infolente exhaler le blaſphême ,
Ni d'un ton ſcandaleux prétendre en efprit fort
Qu'ici-bas & là-haut tout roule au gré du fort .
Pour lui l'aftre du jour n'a pas plus d'évidence ,
Que n'en a d'un Dieu bon l'aimable providence .
Cet arbitre du monde , il le voit dans les Cieux ,
Jufte vengeur du Jufte opprimé fous fes yeux.
•
68 MERCURE DE FRANCE;
Summi viciffim defluct
Ab Patris aulâ, Munda fulgebit domus ,
Florens amicis , nobili
Modefta cultu ; pauperes unde in cafas
Benigna roret copia ;
Et jura cives , atque fanctorum petant
Exempla morum : qualibus
Factis paratum fama nomen livida
Oblivioni fubtrahet
Edacis ævi : nullus à lingua vapor
Calumniante , vel nigro
A dente morfus lædet : ac poftquam utilis
Ætas labori , ductabis
Octona jam per luftra , honoratæ affere
Vacationis commodum ,
Themis petitam vix dabit , talem fuis
Non paffa facris er pi
Foroque Myften , quem trifacli Neftoria
( Ni fata Parcarum vetent )
Ultra ire metas ampla pofcat Divio ,
. Et ipfe Succeffor velit .
Hæc , BERBISEIE , faufta nunc te fors habet
Dulci vacantem in otio
Deo , tibique ; patriæ impenfi hactenus
Merces laboris : alteram
Summus , fruendam fine non ullo , alterum
Myften. Ulpianus aliquem laudat , qui Judices as
peritos juris appellaverat Juftitiæ Sacerdotes , Myftas y
Amiftites.
JUIN. 1745.
Auffi l'aimera -t'il comme un fils aime un Pere,
Senfible de fa part à fon amour fincere ,
Ce Dieu du haut du Ciel le faiſant profpérer ,
Lui montrera les biens qu'il en doit eſpérer .
Loin du fafte impofant de la magnificence
Tout brillera chés lui d'une noble élégance ;
Une foule d'amis affortis à fon coeur
Fera de fa maifon le charme & la fplendeur,
Là douce charité foulageant l'indigence
Fera pleuvoir de - là fon or en abondance.
Là tous les Citoyens réunis d'intérêts
Apprendront l'art de vivre en Citoyens parfaits .
Tant de traits bienfaifans , fûrs garants de fa gloire,
Feront après la mort revivre ſa mémoire .
La mordante fatyre aux malignes vapeurs
Ne flétrira jamais ni fon nom ni ſes moeurs .
Quand de fes longs travaux , de ſes utiles veilles
Seize luftres complets auront vû les merveilles ,
Il voudra loin du bruit jouir d'un calme heureux
Mais Themis aura peine à ſe rendre à ſes voeux.
Jufqu'à fon Succeffeur , tout avec la Patrie
Conjurera le Ciel de prolonger fa vie :
Que la Parque pour lui , dira - t-on , file encor ,
Qu'elle ajoute à fes ans les fiécles de Neftor !
A ces traits , BERBISEJ , reconnois le vrai ſage ;
Pour moi dans ce portrait j'admire ton image.
La fageffe en vos coeurs formant les mêmes voeux
Dans un commun deftin vous réunit tous deux,
o MERCURE DE FRANCE,
Refervat in fæclum arbiter.
Hac te fenectus fpe vigentem roborat ,
Statuque fervat integro .
Hinc fanus ifte , corporis fani comes
Altorque , vivax fpiritus
Tranquillitate vegetat expertâ probis ,
Cafti parente gaudii .
Illam ut capeffant hi voluptatum affeclæ
Scitas tot artes advocent ,
Quot feu Lyæus , five Comus fuggerit ;
Et vel Cythera navigent ,
Sybarive cives ftertere , aut madida ambiant *
Noctis fodales in Papho.
Curæ fequuntur , & timorum maximus ,
Horror minacis ingruit
Ubique leti . Lurido mæftæ faces
Odore fumant ; utraque
Clarè audiendis intùs auris tunditur
Vigil querelis . Atria
Penitùs filefcant ; aut morantes Orpheus
Et voce mollem in culcitam
Et blandiente devocet fomnos lyrâ ;
Fruftra vocatos auferet
Commota pernix ala ; ceu timidas procul
Vifo columbas milvio.
* Magni voluptatum artifices Cytherii , Sybarita, Pas
'phii : cretræ apud eos commeffationes , & vino madentium
nocturnafodalitia.Ejufmodi bomines bonus Auder
aiebat ftertere vitam totam , non vivere.
JUIN . 1745 .
71
Tout à Dieu , tout à toi , tu goutes par avance
De tes travaux publics la jufte récompenfe,
Attendant que le Ciel par d'immortels plaifirs
Couronne tes vertus & fixe tes défirs .
·
C'eft par ce noble eſpoir que ta haute ſageſſe
Semble à chaque moment rajeunir ta vieilleffe ,
Et dans un calme heure x fupérieur aux fens
T'offre des plaifirs purs ignorés des méchans.
Que ces hommes de chair & courbés vers la terre ,
Conduits par le plaifir volent juſqu'à Cythere ,
Et qu'au gré de Bacchus ils courent ſur ſes flots ,
Tantôt à Sybaris , & tantôt à Paphos ;
Pour contenter leur voeux il faut qu'il leur en coute :
Mais trouvent-ils le calme au terme de leur route ?
Hélas ! les noirs chagrins qui marchent ſur leurs pas,
Empoifonnent leurs ris , & troublent leurs répas ,
Le funefte flambeau d'une mort menaçante
De fa pâle lueur les glace d'épouvante.
Ce ſpectre inceffamment ſe preſente à leurs yeux ,
Et fa lugubre voix les effraye en tous lieux.
Morphée aux doux accens de la divine lyre
Ne quitte point pour eux fon indolent empire .
Le filence profond des plus fombres réduits
Ne fçauroit diffiper leurs fatiguans ennuis .
De leur tendre duvet dédaignant la molleffe
Le fommeil invité s'envole avec viteffe ,
Tel qu'au cri du faucon le timide faiſan ,
Qu la foible colombe à l'afpect du milan,
3.
2 MERCURE DE FRANCE,
Si lætus inter regiæ menfas dapis
Quondam refedit Damocles :
Efto quietus , impia ferrum fuper
Cervice cui pendet ; nigris
Infefta pennis monftra quem circum fremunt,
Surdoque cædunt verbere
Furiæ fequaces : confcio claufas finu
Has ultor in ſe concitat .
Futgatne tandem , perditus dum fe fugit
Horrens ad afpectum ſui ?
Tu , feu futura profpicis , cælo probæ
Benignitati præmium
Spectas repoftum ; proximâ tangis manu .
Jam difcolorejudicem
Prope intueris arduum nimbo , ultima
Quijura dicat gentibus
Toto citatis orbe . Quàm lætæ piis
Vocesfonabunt auribus !
Adefte , Patris regia en vobis patet ;
Regnate mecum , pauperem ,
Victûs egentem , fqualidum qui me uberi
Foviftis indulgentiâ .
Hæc , quæ per umbrás efficax monftrat fideș
Certi miniitra luminis ,
Ut cogitata liberam mentem juvant ,
Longo folutam tædio
Tumultuantis litibus raucis fori !
Quid ifta ? Rex magnus favet;
Ce
JUIN.
1745 .
73
Ce Courtifan flateur que la fortune abuſe ,
A beauvanter la gloire & l'or de Syracufe ,
Penfes tu , Berbifey , qu'affis près de fon Roi
Il puiffe s'aplaudir en paliffant d'éfroi ?
Au milieu des apprêts d'une ſuperbe fête
Damocle voit briller le glaive fur ſa tête ;
Alors fon coeur en proie à de cruels tyrans
Sent de tous ſes forfaits les remords dévorans.
Eſt-il heureux ? L'eft - il en fa terreur panique,
Quand il fe fuit lui- même , ainfi qu'un frénétique ,
Ou dans l'accès fubit d'une aveugle fureur ,
Quand lui- même , à lui-même eft un objet d'horreur
?
Loin de tous ces méchans qu'un faux bonheur en◄
chante ,
Tu jouis , Berbiſey , du vrai bien qui contente.
L'avenir où l'impie apperçoit fon malheur ,
N'offre rien à tes yeux qui ne plaiſe à ton coeur.
Tu vois le Dieu des Dieux , qui promet & qui
donne
Au tendre ami du pauvre une riche Couronne.
L'avenir eft préfent à l'ardeur de ta foi ,
Et ce bonheur futur déja femble être à toi.
Oui , déja tu le vois porté fur un nuage ,
CeJuge des humains , à qui tout rend hommage,
Tu le vois revêtu d'éclat & de fplendeur ,
Et le feu dans fes yeux imprimant la terreur.
Seul grand en ce grand jour il juge, il recompenfe ,
D
74 MERCURE DE FRANCE.
Tam jufti & æqui Rex amans , quantùm fuis
Amatus ipfe. Gallici
Supremus ille juris interpres , Themis
Sub ore mortali abdita ,
Dignis Catone laudibus dignum æftimat .
Te magna Patrum Curia ,
Cuftos Senatus integer degum , Toga
Te nobilis frequentia ,
Votis retentant , profequuntur honoribus ;
Te pauperum ddeennffii greges.
Fugaci adheret abdicata Dignitas ,
Nec deferentem deferit.
Jam quanta fervant nominis famam inclyti
Monimenta ? Quamquam non putas
Hanc effe tanti , vivet extento diu
Superftes ævo . Debitus
Honor Latinis dum manebit litteris ,
Godraniis dum credita
Plenis agentur facra Mufarum atriis ,
Statas recurret per vices
Trieteris ufque Berbifeia , laureis,
Citans juventutem novis.
Ter ampla plaude , Divio : prifcæ tuis
Artes vigebunt civibus .
Gaude viciffim civium & patriæ bono ,
Felicis auctor muneris.
Trieteris . Pramix Berbiftiens in Collegio Divio-
· “Godalnio k.jiribuuntar omni træeunio , feu trieteride.
JUIN 75
1
.
1745.
Et venge au même inftant, le crime & l'inno
cence .
Tu l'entends prononcer d'immuables Arrêts ,
Et décider du fort des Rois & des Sujets.
Mais tandis que l'impie à l'aſpect de la foudre
Prête à tomber fur lui fans le réduire en poudre ,
Appelle en fremiffant l'impitoyable mort ,
Des juftes à ces mots quel eft le doux tranf
port !
Venez , enfans cheris du plus tendre des peres;
Dans tous les malheureux , mes membres & vos
freres
J'étois le Dieu caché que vous montroit la foi . r #10946 2 *.
En faisant tout pour eux Vous fites tout pour moi .
Le Ciel s'ouvre , entrez-y , goûtez- y Dieu luimême
,
Partagez avec moi l'éclat du Diadême.
Couronnés de mes mains , habitez ce Palais
D'où les pleurs & l'ennui font bannis à jamais.
Voilà ce la foi te montre fous le voile , que
Attendant que le Ciel à tes yeux le dévoile.
Qu'il t'eft doux; Berbifey, loin du bruyant Barreau,
De voir de ton bonheur ce raviffant Tableau !
Mais ne goûtes-tu pas mille autres avantages ,
Qui font de ta vertu d'évidens témoignages ?
LOUIS , de fes fujets l'amour & le bonheur ,
A côté de Thémis t'a placé dans fon coeur.
Ce Miniftre éclairé, dont l'éloquence entraîne ,
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Illis recrefcet ufque foboles latior ,
Et tota nafcetur tibi .
Dicamne amicos , nota quos probitas bene
Virtufque conjunxit pares ?
Libet fub altis confidentes ædibus ,
Turbâ clientum liberis ;
Tractare quidquid fana mens fari probat ,
Cautifque rerum convenit
* Vantufianum mox repubefcet nemus ;
Jam terra vernam parturit
Amoenitatem rure fundendam tuo.
Libebit ire floreas
SNOW SU
Nunc germinantum fubter umbras arborum
Nunc fecta per divortia
2
9
Ridentis horti : mobiles auræ ftrepent
Vitam ingerentes pectori.
Nitefce , felix horte , delicias hero
ཀིཾརཱ མ ཙ
Nova novafque compara.
Quò vertet ora , quòque greffus , hinc & hinc
Se læta monftret fauftitas .
Vitam omnis halet area : jocofo alites
! ?
Vitam canore nuntient
Vitam falubris fpiret aurarum cohors
Suavi madentem nectare :
Vitam omnis arbos , omnis & ros mitibus
Pomis & herbis conferat.
Vitam propaget tamdiu vitæ dator ,
Vantufia, Berbifeiana villa in vicinia Divionis .
JUIN. 1745 . 77
( On croit que c'eft Thémis fous une forme humaine
)
Pour tracer ton portrait fous un illuſtre nóm ,
Va chercher jufqu'à Rome , & t'égale à Caton.
Le Sénat fi long tems témoin de ta fageffe ,
Au repos qui t'apelle oppofe fa tendreffe ,
Et malgré fon ardenr , cédant à tes efforts ,
Te retient par fes voeux dans fon augufte Corps.
Au nom de Berbifey , dont retentit la Ville ,
On entend s'écrier la veuve & le pupille :
Qui pourra remplacer ce fage Magiftrat ,
Le protecteur du Pauvre & l'honneur de l'Etat !
Ainfi ta dignité te reftant toute entiere ,
Dans un obfcur loifir t'inveftit de lumiére .
Le mépris que tu fais d'un glorieux Emploi
Force la gloire même à s'attacher à toi.
Mais que de monuments , que de témoins illuftres
Vont pour toi dépofer à des fiécles de luftres !
Malgré ta modeftie , au gré de tous nos voeux
Tu vivras , Berbiſey , chés nos derniers neveux .
Tant qu'ici les Godrands, cesty
Mécènes ,
Feront fleurir la Langue & de Rome & d'Athênes,
On verra des neuf Soeurs les jeunes nourriffons
Ranimés au combat au bout de trois moiffons.
On les verra pouffés par une noble gloire
Célébrer à l'envi ton zéle & ta mémoire ,
Et jaloux de tes prix , courir , nouveaux Guerriers,
Se couronner le front de tes nouveaux lauriers .
D iij
78 MERCURE DE FRANCE .
Quàm vota pofcunt civica !
Soles reducat candidos omnis dies ,
Et concolores moribus ,
Brevi revifas Marchianum fofpitem !
Tuâ decorus infulâ
Tibi ut redibit gratus ! aura Regii
Dignus favoris , & gradu
Primate vifus in fenatu maximo ,
Quòd antè fit vifus tibi!
FRANC. OUDIN S. J.
JUIN.
1745. 79
·
Qu'à jamais par les arts cette Ville annoblie
S'applaudiffe en difant qu'elle fut ta Patrie !
Que tous les citoyens racontent tes bienfaits.
Toi même applaudis - toi des biens que tu leur fais .
Jufqu'aux derniers neveux , chacun dès fa naiſſance
Te devra le tribut de fa reconnoiffance.
Quoique nés pour Dijon , en lui gardant la foi ,
Tous feront moins à lui , qu'ils ne feront à toi.
Peindrai -je tes amis , qui d'une main fidelle
Furent par la vertu formés fur ton modéle? -
Dépofant à propos le grave Magiftrat ,
Tu goûtes avec eux un plaifir délicat.
Dans un réduit tranquille on agit fans contrainte ,
On parle librement , & fans art & fans feinte :
Mais dans la liberté de difcourir de tout
On voit la probité réunie au bon goût.
Toujours égal à toi , la vertu, t'accompagne .
Des plaifirs de la Ville à ceux de la Campagne.
Vantoux va rajeunir , & pour charmer tes fens ,
Te prépare déja les honneurs du Printems .
Alors on te verra dans ce charmant boccage ,
Tantôt prendre le frais fou un naiffant feuillage ,
Et tantôt ranimé par un zephir badin ,
Parcourir les fentiers de ton riant jardin .
Que fans ceffe à tes yeux fa beauté le déploye .
Que le chant des oifeaux contribue à ta joye !
Que l'air pur & ferain pour toi faffe en ces lieux
* Dijon.
Diiij
80 MERCURE DE FRANCE.
Ce que la fable à feint du doux nectar des Dieux !
Quedes fleurs & des fruits la fertile abondance ,
En furpaffant tes voeux , trompe ton eſpérance.
Daigne l'auteur de tout , multipliant tes jours ,
Au gré des Citoyens en prolonger le cours!
Qu'unjour au jour fuivant préparant la carriere ,
D'un Soleil toujours pur ramène la lumiere !
Que toujours le Soleil plus pur en fa fplendeur
Nous ramène des jours auffi purs que con coeur!
Que la Marche à nos voeux enfin vienne ſe rendre.
Quel doux charme pour toi de revoir & d'entendre!
Ce digne Succeffeur , dont le plus grand des Rois
A prouvé la fageffe en approuvant ton choix !
JUIN. 1745. 81
LA
BATAILLE
DE FONTENOY .
POEM E.
Sixiéme Edition , confidérablement augmentée ,
conforme à la ſeptiéme faite à Lille.
AU ROI ,
SIRE ,
Je n'avois ofé dédier à Votre Majesté les
premiers effais de cet Ouvrage. Je craignois
furtout de déplaire au plus modefte des Vainqueurs
, mais , SIRE , ce n'est point ici un
panegyrique , c'est une peinture fidelle d'une
partie de la journée la plus glorieufe depuis la
bataille de Bovines. Ce font les fentimens de la
France , quoiqu'à peine exprimés ; c'est un Poëme
fans exageration , & de grandes vérités
fans mélange de fiction , ni de flaterie. Le nom
de Votre Majeft ferapaffer cette faible efquife
Dr
}
82 MERCURE DE FRANCE.
à la postérité, comme un monument authentique
de tant de belles actions faites en votre préfence
à l'exemple des vôtres.
Daignez , SIRE , ajouter à la bonté que
Votre Majefté a eû de permettre cet hommage
celle d'agréer les profonds refpects d'un de vos
Sujets , & du plus zélé de vos Admirateurs.
VOLTAIRE.
DISCOURS PRE'LIMINAIRE.
C
E Poëme fut compofé prefque le même
jour qu'on apprit à Paris la victoire
que le Roi avoit remportée à FONTENOY ;
& depuis on ajouta plufieurs traits à la Piece
à mesure qu'on fçavoit quelque circonftance
de ce grand événement , & qu'on faifoit
une nouvelle édition de l'Ouvrage. La rapidité
avec laquelle tant d'éditions furent
épuifées à Paris & dans les Provinces en
moins de quinze jours , n'eft qu'un témoignage
de l'intérêt qu'a pris la Nation à la
journée mémorable dont ce Poëme étoit
alors le feul monument. L'Auteur n'a eu en
vûë que de rendre fidélement ce qui étoit
venu à fa connoiffance , & fon feul regret
JUIN. 1745 . 83
eſt de n'avoir pû dans un fi court eſpace de
tems , & dans une piece de fi peu d'étenduë
, celébrer toutes les belles actions dont
il a depuis entendu parler , il ne pouvoit
dire tout , mais au moins tout ce qu'il a dit
eft vrai . Ce n'étoit pas une occafion où les
faits euffent befoin d'étre altérés ; la moindre
flaterie eût deshonoré un ouvrage fondé
fur la gloire du Roi & de la Nation .
Tous ceux qui font nommés n'ont pas eu
les occafions de fe fignaler également. Celui
qui à la tête de fon Régiment attendoit
l'ordre de marcher , n'a pu rendre le même
fervice qu'un Lieutenant Général qui étoit à
portée de confeiller de fondre fur la colomne
Angloife , & qui partit pour la charger avec
la Maiſon du Ro . Mais fi la grande action
de l'un merite d'être rapportée , le courage
impatient de l'autre ne doit pas être oublié.
Tel eft loué en général fur få valeur , tel autre
fur un fervice rendu . On a parlé des bleffures
des uns , on a déploré la mort des autres.
Ce fut une juftice que rendit le célébre
M. Defpreaux à ceux qui avoient été de l'expédition
du paffage du Rhin. Il cite pres
de vingt noms , il y en a ici plus de foixante ;
& on en trouveroit quatre fois dava stage fila
nature de l'ouvrage le comportoit.
il feroit bien étrange qu'il eur été permis
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
à Homere , à Virgile , au Taffe , de décrire
les bleffures de mille Guerriers imaginaires
& qu'il ne le fut pas de parler des Héros véritables
qui viennent de prodiguer leur fang,
& parmi lefquels il y en a plufieurs avec qui
l'Auteur avoit eu l'honneur de vivre , & qui
lui ont laiffé de finceres regrets.
L'attention fcrupuleufe qu'on a apportée
dans cette édition doit fervir de garant de
tous les faits qui font énoncés dans le Poëme
& dans les Remarques. Il n'en eft aucun qui
ne doive étre cher à la nation , & à toutes
les familles qu'ils regardent. En effet , qui
n'eft touché fenfiblement en lifant le nom de
fon fils , de fon frere ,d'un parent cher , d'un
ami tué ou bleffé , ou expofé dans cette Bataille
qui fera célébre à jamais ; en lifant , disje
,, ce nom dans un ouvrage , qui tout foible
qu'il eft a été honoré plus d'une fois des
regards du Monarque , & que Sa Majeſté
n'a permis qu'il lui fût dédié que parce qu'Elle
a oublié fon éloge en faveur de celui des
Officiers qui ont combattu & vaincu fous
fes ordres?
C'eſt donc moins en Poëte qu'en bon Citoyen
qu'on a travaillé. On n'a point cru
devoir orner ce Poëme de longues fictions ,
furtout dans la premiere chaleur du Public ,
& dans un tems où l'Europe n'étoit occupée
que des détails intéreffans de cette victoire
JUIN. 1745 .
84
importante
achetée par tant de fang.
La fiction peut orner un fujet ou moins,
grand , ou moins intéreffant , ou qui placé
plus loin de nous , laiffe l'efprit plus tranquille.
Ainfi , lorfque Defpreaux s'égaya dans fa
deſcription du paffage du Rhin , c'étoit trois
mois après l'action , & cette action toute brillante
qu'elle fut , n'eſt à comparer ni pour
l'importance
, ni pour le danger , à une Bataille
rangée gagnée fur un ennemi habile ,
intrépide , & fupérieur en nombre , par un
Roi expofé ainfi que fon fils , pendant qua- tre heures au feu de l'artillerie.
Ce n'eft qu'après s'être laiffé emporter aux
premiers mouvemens de zéle , après s'être
attaché uniquement à louer ceux qui ont f
bien fervi la Patrie dans ce grand jour ,
qu'on s'eft permis d'inférer dans le Poëme un
peu de ces fictions qui affoibliroient un tel
fujet fi on vouloit les prodiguer.
On peut deux mille ans après la guerre
de Troye faire apporter par Venus à Enée
des armes que Vulcain a forgées , & qui rendent
ce Héros invulnérable ; on peut lui faire
rendre ſon épée par une Divinité pour la
plonger dans le fein de fon ennemi. Tout le
Confeil des Dieux peut s'affembler , tout
l'Enfer peut fe déchaîner ; Alecton peut enyvrer
tous les efprits des venins de fa rage ,
mais ni notre fiècle , ni un événement fi ré86
MERCURE DE FRANCE .
cent , ni un ouvrage fi court , ne permettent
gueres ces peintures devenuës les lieux communs
de la Poëfie. Il faut pardonner à un
Citoyen pénétré de faire parler fon coeur
plus que fon imagination , & l'Auteur avoue
qu'il s'eft plus attendri en difant :
Tu meurs , jeune Craon ; que le ciel moins fevere
Veille fur les deftins de ton généreux frere !
que s'il avoit évoqué les Euménides pour faire
éter la vie à un jeune Guerrier aimable.
Il faut des Divinités dans un Poëme épique
, & furtout quand il s'agit de Héros fabuleux.
Mais ici le vrai Jupiter , le vrai
Mars , c'eſt un Roi tranquille dans le plus
grand danger , & qui hazarde fa vie pour un
peuple dont il eft le pere. C'eſt lui , c'eſt fon
fils , ce font ceux qui ont vaincu fous lui , &
non Junon & Juturne qu'on a voulu & qu'on
a dû peindre. D'ailleurs le petit nombre de
ceux qui connoiffent notre Poëfie fçavent
qu'il eft bien plus aifé d'intéreffer le Ciel ,
les Enfers & la Terre à une Bataille que de
faire reconnoître & de diftinguer par des
images propres & fenfibles , des Carabiniers
qui ont de gros fufils rayés , des Grenadiers
, des Dragons qui combattent à pied
& à cheval , de parler de retranchemens faits
à la hâte , d'ennemis qui s'avancent en colomne
, d'exprimer enfin ce qu'on n'a gueres
dit encore en Vers.
JUIN. 1745 .
87
On a dû fpécifier les differens Corps qui ont
combattu , leurs armes , leur pofition , l'endroit
où ils ont attaqué ; dire que la colomne
Angloiſe a pénétré , exprimer comment
elle a été enfoncée par la Maifon du Roi ,
les Carabiniers , la Gendarmerie , le Régiment
de Normandie , &c. Si on n'étoit pas
entré dans ces détails dont le fond eft fi héroïque
, & qui font cependant fi difficiles à
rendre , rien ne diftingueroit la Bataille de
Fontenoy d'avec celle deTolbiac. Defpréaux
dans le paffage du Rhin a dit :
Revel les fuit de près , fous ce Chef redouté
Marche des Cuiraffiers l'efcadron indompté.
On a peint ici les Carabiniers au lieu de
les appeller par leur nnoomm,, qui convient encore
moins aux Vers que celui de Cuiraffiers
. On a même mieux aimé dans cette derniere
édition caractériſer les fonctions de l'Etat
Major que de mettre en Vers les noms
des Officiers de ce Corps qui ont été bleffés
, & ces noms ont été reportés dans les
Notes .
Cependant on a ofé appeller la Maifon du
Roi par fon nom fans fe fervir d'aucune autre
image.Ce nom de Maifon du Roi qui contient
tant de Corps invincibles , imprime une affés
grande idée fans qu'il foit befoin d'autre figure.
Mais il y a encore une autre raiſon de
88 MERCURE DE FRANCE.
l'avoir nommée , c'eſt la rapidité de l'action,
Louis , fon Fils , l'Etat , l'Europe eft en vos mins.
Maifon du Roi marchez , &c .
Si on avoit dit la Maifon du Roi marche , cette
expreffion eût été profaïque & languiffante.
On n'a pas voulu s'écarter un moment
dans cet ouvrage de la gravité du fujet . Def
préaux , il eft vrai , en traitant le paffage du
Rhin dans le goût de quelques - unes de fes
Epitres , a joint le plaifant à l'héroïque ; car
après avoir dit :
Un bruit s'épand qu'Enguien & Condé font paffés ,
Condé, dont le feul nom fait tomber les murailles,
Force les Efcadrons & gagne les Batailles ,
Enguien , de fon hymen, le feul & digne fruit , &c.
Il s'exprime enfuite ainfi :
Bientôt.... Mais Vurts s'oppose à l'ardeur qui m'anime
;
Finiffons il eft tems , auffi- bien , fi la rime
Alloit mal-à-propos m'engager dans Arneim ,
Je n'en fçais, pour fortir , de porte qu'Hildesheim .
Les perfonnes qui ont parû fouhaiter qu'on
employât dans le récit de la victoire de Fontenoy
quelques traits de ce ftile familier de
Boileau , n'ont pas , ce me femble , affés diftingué
les lieux & les tems , & n'ont pas fait
La difference qu'il faut faire entre une Epitre
JUIN. 1745. 89
& un ouvrage d'un ton plus férieux & plus fevere.
On n'en dira pas davantage fur ce qui regarde
l'art & le goût à la tête d'un ouvrage ,
où il s'agit des plus grands intérêts , & qui
ne doit remplir l'efprit que de la gloire du
Roi & du bonheur de la Patrie.
おお
LA BATAILLE DE FONTENOY ,
Q
РОЁМЕ .
Uoi ! du fiécle paffé le fameux fatyrique
Aura fait retentir la trompettehéroïque ,
Aura chanté du Rhin les bords enfanglantés ,
Ses défenfeurs mourans , fes flots épouvantés ,
Son Dieu même en fureur effrayé du paffage ,
Cédant à nos ayeux fon onde & fon rivage ?
Et vous , quand votre Roi dans des plaines de fang
Voit la mort devant lui voler de rang en rang ;
Tandis que de Tournay foudroyant les murailles ,
Il fufpend les affauts pour courir aux batailles ,
Quand des bras de l'himen s'avançant au trépas ,
Son Fils , fon digne Fils fuit de fi près ſes pas ;
Vous,heureux par fes loix,& grands par fa vaillance,
Français , vous garderiez un indigne filence ?
Venez le contempler aux champs de Fontenoy ;
90 MERCURE DE FRANCE.
Voyez ce fier Saxon qu'on croit né fous fa loi ,
Maurice qui touchant à l'infernale rive ,
A rappellé pour lui fon ame fugitive ,
Et qui demande à Mars dont il a la valeur ,
De vivre encore un jour & d'expirer vainqueur.
Confervez , jufte Cieux , fes hautes deſtinées ;
Pour LOUIS & pour nous prolongez fes années.
Déja de la tranchée ( 1 ) Harcourt eft accouru ,,
Tout pofte eft affigné , tout danger eft prévu ;
Noailles ( 2 ) pour fon Roi plein d'un amour fidéle ,
Voit la France en fon Maître & ne regarde qu'elle.
Ce fang de tant de Rois , ce fang du Grand Condé,
D'Eu, (3 ) par quides Français le tonnerre eft guidé,
Penthievre , ( 4 ) dont le zéle avoit devancé l'âge ,
Qui déja vers le Mein fignala fon courage ,
Baviere avec de Pons , Boufflers & Luxembourg ,
Vont , chacun dans leur place , attendre ce grand
jour;
Chacun porte la joye aux Guerriers qu'il com
mande.
Le fortuné Danoy , ( s) Chabannes , Gallerande ,
(1 ) M. le Duc d'Harcourt avoit inveſti Tournay.
(2 ) Marechal de France.
(3) Grand Maitre de l'Artilleriz.
(4) Il s'étoit fignalé à la Bataille de Detingue.
(5 M. Danoyfut retirépar fa nourrice d'unefoule
de morts de mourans fur le champ de Bataille de
Malplaquet deux jours après la Bataille.
JUIN. 1745 . 97
Levaillant Berenger , ce défenfeur du Rhin ,
Duchailat', & Croiffy , tous nos Héros enfin , (1 )
Dans l'horreur de la nuit , dans celle du filence ,
Demandent que l'aurore & le péril commence.
Louis , avec le jour , voit briller dans les airs
Les Drapeaux menaçans de vingt peuples divers ;
De l'empire Français l'indomptable génie ,
Brave , auprès de fon Roi , leur foule réunie :
Des montagnes , des bois , des fleuvès d'alentour
Tous les Dieux allarmés fortent de leur féjour ;
La fortune s'enfuit , & voit avec colere
Que fans elle aujourd'hui la valeur va tout faire.
Le brave Cumberland , fier d'attaquer LOUIS
A déja difpofé fes bataillons hardis :
Tels ne parurent point aux rives du Scamandre
(1) Les Lieutenans Généraux chacun à leur dis
vifion
* On n'apû nommer les autres Lieutenans Généraus
dont les noms font célebres ailleurs , ou dont on a reçu
la lifte trop tard. Il en eft ainfi des autres Officiers quifo
font fignalés , qui ont été bleſſes. On apprend dans le
moment que dix-neuf Officiers aux Gardes ; vingtkuit
Officiers du Regiment du Roi ; trente-fept de la
Couronne ; autant dans le Régiment des Vaiffeaux>
c . ont été bleffes ou tués. D'ailleursfi on avoitpû rendrejuftice
à tous ceux qui le méritent , il eût fallu louer
tous les Officiers de l'Armée , mettre unan à compofer
un ouvrage qu'il a fallu faire en moins de deux
jours.
92 MERCURE DE FRANCE.
Sous ces murs fi vantés que Pyrrus mit en cendre ,
Ces antiques Héros qui montés fur un char ,
Combattoient en défordre , & marchoient au hazard
: }
Mais tel fut Scipion fous les murs de Carthage ,
Tels fon rival & Iui prudens avec courage ,
Déployant de leur art les terribles ſecrets ,
L'un vers l'autre avancés s'admiroient de plus près .
L'Efcaut , les Ennemis , les remparts de la Ville,
Tout prefente la mort , & LOUIS efttranquille .
Cent tonnerres de bronze ont donné le ſignal.
D'un pas ferme & preffé , d'un front toujours égal ,
S'avance vers nos rangs la profonde colomne
Que la terreur devance , & la flamme environne ,
Comme un nuage épais qui fur l'aîle des vents ,
Porte l'éclair , la foudre , &la mort dans fes flancs.
Les voilà ces rivaux du grand nom de mon Maître ,
Plus farouches que nous , auſſi vaillants peut- être ,
Encor tout orgueilleux de leurs premiers exploits .
BOURBONS , voici le tems de venger les Valois.
La Mort fur les deux Camps étend fa main
cruelle ,
Tous fes traits font lancés , le fang coule autour
d'elle.
Chefs , Officiers , Soldats , l'un fur l'autre entaffés ,
Sous le fer expirans , par le plomb ¡ enverfés ,
Pouffent les derniers cris en demandant vengeance.
JUIN. 1745. 93
CRAMONT que fignaloit fa noble impatience ,
Gramont dans l'Elifée emporte la douleur
D'ignorer en mourant fi fon maître eft vainqueur.
Bequoi lui ferviront ces grands titres ( 1 ) de gloire,
Ce Sceptre des Guerriers , honneur de fa mémoire,
Cerang , ces dignités , vanités des Héros ,
Que la Mort , avec eux , précipite aux tombeaux ?
Tu meurs jeune Craon . (2 ) Que le Ciel moins févere
Veille fur les deftins de ton généreux frere !
Hélas cher Longaunay , ( 3 ) quelle main , quel fe
cours
Peut arrêter ton fang , & ranimer tes jours ?
Ces miniftres de Mars , (4) qui d'un vol firapide ,
S'élançoient à la voix de leur Chef intrépide ,
Sont , du plomb qui les fuit , dans leur courfe arrêtés
,
Tels que des champs de l'air tombent précipités ,
Des oifeaux tout fanglans palpitans fur la terre.
Le fer atteint d'Avrai . (5) Le jeune d'Aubeterre
(1 ) Il alloit être Maréchal de France .
(2) Dix-neuf Officiers du Régiment de Hainault ont
été tués ou bleſſes . Son frere le Prince de Beauvan
, fert en Italie .
3) M. de Longaunay , Colonel de nouveaux Grenadiers
, mort depuis de fes bleffures.
(4) Officiers de l'Etat - Major. Mrs. de Puifegur , de
Meziere , de S. Sauveur.
(5) Le Duc d'Avrai, Colonel du Regiment de la Cou
ronne.
94 MERCURE DE FRANCE.
Voit de fa Légion tous les Chefs indomptés
Sous le glaive & le feu mourans à ſes côtés.
Guerriers , que Chabrillant avec Brancas rallie ,
Que d'Anglais immolés vont payer votre vie !
Je te rends grace , ↑ Mars ! Dieu de Sang , Dieu
cruel ,
La race de Colbert , ( 1 ) ce Miniftre immortel ,
Echappe en ce carnage à ta main ſanguinaire ,
Guerchy , ( 2 ) n'eft point frappé , la vertu peut te
plaire ;
>
Mais vous brave Daché ( 3 ) , quel fera votre fort?
Le Ciel ſauve à ſon gré , donne & fufpend la mort
Infortuné Lutteau ! (4) tout chargé de bleffures ,
L'art qui veille à ta vie , ajoûte à tes tortures
Tu meurs dans les tourmens ; nos cris mal entendus
Te demandent au Ciel , & déja tu n'es plus.
O combien de vertus que la tombe dévore !
Combien de jours brillans éclipfés à l'aurore !
Que nos lauriers fanglans doivent couter de pleurs !
Ils tombent ces Héros , ils tombent ces vengeurs ,
Ils meurent , & nos jours font heureux & tranquilles.
(1 ) M. de Croiffy avec ses deux enfans , &fon noves
M. Duplefis- Chatillon tieß légerement.
(2 ) Tous les Officiers de fon Regiment hors de combat
; lui feul nefut point bleſſe.
(3) M. Dacke ( on l'écrit Dapchier ) Lieutenant
Général.
(4 ) M. de Lutteau Lieutenant General mort dans les
•perations du traitement de fes bleffures .
JUIN. 95 1745 .
La molle volupté , le luxe de nos Villes ,
Filent jours ferains , ces jours que nous devons
Aulang de nos Guerrriers , aux périls des Bourbons
Couvons du moins de fleurs ces tombes glorieuſes ,
Arrachons à l'oubli ces ombres vertueuſes ;
Vous ( 1 ) qui lanciez la foudre , & qu'ont frappé fes
coups ,
Revivez dans nos chants quand vous mourez pour
nous ,
Eh ! quel feroit , grand Dieu le Citoyen barbare,
Prodigue de cenfure , & de louange avare ,
Qui peu touché des morts & jaloux des vivans ,
Leur pourroit envier mes pleurs & mon encens ?
Aḥ ! s'il eſt parmi nous des coeurs dont l'indolence ,
Infenfible aux grandeurs , aux pertes de la France ,
Dédaigne de m'entendre & de m'encourager ,
Réveillez -vous , ingrats ; LOUIS eft en danger.
L'Anglais a pénétré ; Mars pour lui fe déclare !
Le Roy voit le malheur , le brave & le répare .
Son fils, fon feul efpoir ...Ah ! cher Prince, arrêtez ,
Où portez -vous ainfi vos pas précipités ?
Conſervez cette vie au monde néceſſaire.
LOUIS craint pour fon fils , ( 2 ) le fils craint pour
fon pere ;
(1 ) M. Du Brocard , Maréchal de Camp , comman☛
dant l'Artillerie ,
(2 ) Un boulet de canon couvrit de terre un homme entre
le Roi Monfeigneur le Dauphin un domestique
de M. le Comte d'Argenfonfut atteint d'une balle defufil
derriere eux.
96 MERCURE DE FRANCE.
Nos Guerriers.tout fanglans frémiffent pour tous
deux ,
Seul mouvement d'effroi dans ces coeurs généreux •
VOUS (1) qui gardez mon Roi , vous , qui vengez
la France ,
Vous , peuple de Héros dont la foule s'avance ,
Accourez , c'eft à vous de fixer les deftins ;
LOUIS , fon Fils , l'Etat , l'Europe eft en vos mains
Maifon du Roi , marchez , affûrez la victoire ,
Soubife & Pequigny vous menent à la gloire ;
Paroiffez vieux foldats ( 2 ) dont les bras éprouvés
Lancent de loin la mort que de près vous bravez :
Venez , vaillante élite , honneur de nos Armées ,
Partez fleches de feu , grenades ( 3 ) enflâmées ,
Phalanges de LOUIS écrafez fous vos coups
Ces combattans fi fiers & fi dignes de vous.
Richelieu , qu'en tous lieux , emporte fon courage ,
Ardent , mais éclairé , vif à la fois & fage ,
Favori de l'Amour , de Minerve & de Mars ,
Richelieu (4) vous appelle , il n'eft plus de hazards ;
" (1 )-Les Gardes , les Gendarmes les Chevan➡ I‚egers
, les Monfquetaires ,feus M. de Monteffon , Lieutenant
Général.
(2 ) Carabiniers Corps it ftitué par Louis XIV. Il tire
avec des Carabines rayees . On fçait avec quel éloge le Roy
les a nommés dansfa Lettre.
(3 ) Grenadiersà cheval commandéspar M. le Chevalier
de Grille, ils marchent à la tête de la Maifon du Roy
( 2 ) Un Miniftre d'Etat , qui n'a point quitté le Roy
·
11
JUIN. 1745:
97
Il vous appelle : il voit d'un oeil prudent & ferme
Des fuccès ennemis & la caufe & le terme ;
Il vole , & fa vertu ſecondant vos grands coeurs ,
Il vous marque la place où vous ferez vainqueurs.
D'UN rempart de gazon , foible & prompte
barriere ,
Que l'art oppofe à peine à la fureur guerriere ,
Choiseuil & Lavauguion 1 d'un indomptable effort
Arrètent une Armée & repouffent la mort.
D'Argenſon qu'enfâmoient les regards de fon pere›
La gloire de l'Etat , à tous les fiens fi chere ,
Le danger de fon Roy , le fang de fes ayeux ,
Affaillit par trois fois ce corps audacieux ,
Cette maffe de feu qui ſemble impénétrable :
On l'arrête , il revient , ardent , infatigable :
Ainfi qu'aux premiers tems, par leurs coups redou
blés ,
Les béliers enfonçoient les remparts ébranlés.
CE brillant efcadron, ( 2 ) fameux par cent batails
les ;
pendant la Bataille , a écrit ces propres mots : C'eſt M.
de Richelieu qui a donné ce confeil , & qui l'a exécuté
.
( ) Mrs de la Vauguion , Choifeuil , Sc. aux retranchemensfaits
à la bite dans le village de Fontenoy . M.
de Crequi n'étoit point à ce pofte , comme on l'avoit dit
d'abord , mais à la tète des Carabiniers .
(2) Quatre efcadrons de la Gendarmerie arrivoient
après fept heures de marche , attaquerent.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
Lui , par qui Catinat fut vainqueur à Marfailles ,
Arrive , voit , combat , & foûtient fon grand nom,
Tu fuis du Chaftellet , jeune Caftelmoron ; (1)
Toi , qui touches encore à l'âge de l'enfance ,
Toi , qui d'un foible bras qu'affermit ta vaillance ,
Reprends ces étendards déchirés & ſanglans ,
Que l'orgueilleux Anglais emportoit dans ſes rangs !
C'est dans ces rangs affreux que Chevrier expire ;
Monaco perd fon fang , & l'amour en foupire.
Anglais , fur Duguefclin deux fois tombent vos
coups ;
Frémiffez à ce nom fi funefte pour vous.
MAIS quel brillant Héros , au milieu du carnage ,
Renverfé , relevé , s'eft ouvert un paffage!
Biron , tels on voyoit dans les plaines d'Ivry ,
Tes immortels Ayeux fuivre le Grand Henry .
Tel étoit ce Crillon , chargé d'honneurs fuprêmes
Nommé brave autrefois par les braves eux -mêmes ,
Tels étoient ces d'Aumonts , ces grands Montmorencis
?
Qui tous dans Fontenoy reconnoiffent leurs fils. (2)
(1) Un Cheval fongueux avoit emporté le Porte- Etendart
dans la colonne Anglaife. M. de Bellet comman doit
ces Ffeadrons de la Gendarmerie. Il y ent un che
val tuéfous lui , auſſi bien que M. de Chimenes en
reformant une Brigade .
(a ) M. de Luxembourg , M. de Logny , M. de
Tingri.
DE
L
VILLE
JUIN. 1745
THEQUE
BIBLIOT
Tel fe forma Turenne au grand art de la guerre ,
Sous un autre (1 ) Saxon la terreur de la terre ,
Quand la Juftice & Mars , fous un autre Louis ,
Frappoient l'Aigle d'Autriche & relevoient les Lys.
COMMENT ces Courtifans , doux , enjoués , aimables
,
Sont-ils dans les combats des Lions indomptables ?
Quel affemblage heureux de graces , de valeur !
Boufflers , Meuze, d'Ayen , Duras,bouillans d'ardeur ,
A la voix de Louis , courez , troupe intrepide.
Que les Français font grands quand leur Maître les
guide!
Ils l'aiment , ils vaincront , leur pere eft avec eux ,
Ils marchent ,il eft femblable à ce Maître des Dieux,
Qui , frappant les Titans , & tonnant fur leurs têtes.
D'un front majestueux dirigeoit les tempêtes.
Il marche , & fous fes coups la terre au loin mugit ,
L'Eſcaut fuit, la Mer gronde , & le Ciel s'obscurcit.
SUR un nuage épais que des antres de l'Ourſe
Les vents affreux du nord aportent dans leur courſe,
Les Vainqueurs des Valois defcendent en courroux :
CUMBERLAND , difent-ils , nous n'efpérons qu'en
vous .
(1 ) Le Duc de Saxe Weimar , fous qui le Vicomte de
Turennefit fes premieres Campagnes. M. de Turenne eft
arriere-neveu de ce grand homme.
LYON
1893 *
E ij
100 MERCURE DE FRANCE
t
Courage , raffemblez vos légions altieres ,
Bataves , revenez , défendez vos barrieres ;
Auglais , vous que la paix fembloit feule allarmer ,
Vangez-vous d'un Héros qui daigne encor l'aimer ;
Ainfi que fes bienfaits craindrez-vous fa vaillance ?
Mais ils parlent en vain , lorſque LOUIS s'avance ;
Leur génie eft dompté . L'Anglais eft abattų ,
Et la férocité ( 1) le céde à la vertu,
CLARE avec l'Irlandais , qu'animent nos exemples
,
Venge fes Rois trahis , fa Patrie & fes Temples.
Peuple fage & fidéle , heureux Helvetiens , (2)
Nos antiques amis , & nos concitoyens ,
Votre marche affûrée , égale , inébranlable ,
Des ardens Neuftriens ( 3 ) fuit la fougue indompta
ble.
Ce Danois , (4) ce Héros , qui des frimats du Nord ,
Par le Dieu des combats fut conduit fur ce bord ,
Admire les Français qu'il eft venu défendre.
Mille cris redoublés dans les airsfont entendre ,
(1) Cer proche defrocité ne tombe que fur le foldat ,&i
nonfur les Officiers , quifont auffigénéreux que les nô
tres .
( 2 ) Les Regimens de Diefbak 5 de Betens,
(3 ) Le Régiment de Normandie qui revenoit à la chargefur
la colonne Anglaise , tandis que la Maifon du
Ro , la Gendarmerie , les Carabiniers &c .fondoientfur
elle.
(4)M. de Logvendal,
JUIN . 1745 fot
Rendez-vous , ou mourez , tombez fous notre effort ,
C'en eft fait , & l'Anglais craint LOUIS & la mort.
ALLEZ , brave d'Eftrée , achevez cet ouvrage ,
Enchaînez ces vaincus échapés au carnage ;
Que du Roy qu'ils bravoient ils implorent l'appui ,
Ils feront fiers encore , ils n'ont cédé ( 1) qu'à lui,
Bien-tôt vole après eux ce corps fier & rapide,(2 )
Qui femblable au Dragon qu'il eut jadis pour guide,
Toujours prêt , toujours prompt , de pied ferme , en
courant ,
Donne de deux combats le fpectacle effrayant .
C'eftainfi que l'on voit dans les Champs des Numidesco
Différemment armés des chaffeurs intrépides ;
Les courfiers écumans franchiffent les guerets,
Ongravit fur les monts ; on borde les fortês.
L'un attend ; l'autre vole , & de fang font trempées
Les lances , les épieux , les fleches , les épées ;
Les Léopards fanglans percés de coups divers ,
D'affreux rugiffemens font retentir les airs ;
(1 ) Depuis S. Louis , aucun Roy de France n'avoit battu
les Anglais enperfonne en bataille rangée.
(2 ) On envoya des Dragons à la pourfuite : Ce Corps
étoit commandé par M. le Duc de Chevreufe , qui s'toit
diftingué aucombat de Sabi , où il avoit reçu trais bleffures
. L'opinion laplus vraisemblable fur l'origine du mot
Dragon , eft qu's porterent un Dragon dans leurs
Etendarts fous M. le Maréchal de Briffac , qui inftitua
ce Corps dans lesguerres du Pi.mont.
E if
102 MERCURE DE FRANCE.
Dans le fond des forefts ils vont cacher leur rage .
AH ! c'eft affés de fang , de meurtre & de ravage ,
Sur des morts entaffés c'est marcher trop long-tems.
Noailles ( ramenez vos Soldats triomphans ;
Mars voit avec plaifir leurs mains victorieuſes
Traîner dans notre Camp ces machines affreuſes ,
Ces foudres ennemis contre nous dirigés.
Nous lancerons les traits que leurs mains ontforgés ,
Ils ouvriront pour nous les murs de cette Ville ,
Du Batave indécis la Barriere & l'azile ,
Ces premiers (2) fondemens de l Empire des Lys,
Sous les mains de mon Roy déformais affermis.
PEUPLES , ne penfez point que ce jour de victoire
Soit affés pour LOUIS , & fuffife à fa gloire ;
C'est peu que le front calme , & la mort dans les
mains ,
Ilait lancé la foudre avec des yeux fereins ;
C'eft peu d'être vainqueur ; il eft modefte & tendre,
Il hónore de pleurs le fang qu'il fit répandre ;
Entouré des Héros qui fuivirent fes pas ,
Il prodigue l'éloge , & ne le reçoit pas ;
Il veille fur des jours hazardés pour lui plaire :
Le Monarque eft un homme, & le Vainqueur un pere;
(1 ) Le Comte de Noailles attaqua defon côté la colonne
d'Infanterie Anglaife avec une Brigade de Cavalerie
quiprit enfuite des canons.
(2)Tournay principale ville des Françaisfous lapremiere
race, dans laquelle ou a trouvé le tombeau de Childeric.
JUIN. 1745. 103
Il daigne confoler juſqu'à ſes ennemis.`
Ah ! quels coeurs déformais ne lui feront foumis ?
Il peut régler l'Europe , il peut calmer l'Empire .
CR AND Roy ! Vienne ſe tait , Londres pleure &
t'admire ;
La Baviere confufe au bruit de tes exploits ,
Gémit d'avoir quitté le protecteur des Rois ;
Naples eft en fûreté , Turin dans les allarmes ;
Tous les Rois de ton fag triomphent par tes armes ,
Et de l'Ebre à la Seine en tous lieux on entend :
LE PLUS CHERI DES ROIS EST AUSSI LE PLUS
GRAND.
Ah ! qu'on ajoute encore à ce titre ſuprême
Ce nom fi cher au monde & fi cher à lui- même ,
Ce prix de fes vertus qui manque à ſa valeur ,
Ce titre augufte & faint de Pacificateur !
Que de ces jours fi beaux de qui nos jours dépen◄
dent
La courſe foit tranquille , & les bornes s'étendent!
Qu'il revienne adoré , mais qu'il fonge aujourd'hui ,
Que le fort des Français fut de trembler pour lui !
*
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE.
REPONSE à M. de Voltaire fur fon
Poëme fur la Bataille de Fontenoy qu'il m'a
envoye.
LE petit fils de
Henry quatre
Vient à nos yeux de l'imiter ;
Qu'un François qui l'a vû combattre
Aime à te l'entendre chanter !
Henry dans les champs de la gloire
En combattant pour les foyers
Reçût des mains de la Victoire
Et fon Empire . & fes lauriers..
Louis , ta Couronne affermie ,
Gage du bonheur de l'Etat ,
Ne craint plus la ligue ennemie ,
Le fanatifme & l'attentat .
Maître abfolu dès ton aurore ,
C'est pour toi qu'aux pieds des Autels.
Un peuple foumis qui t'adore
Offre des voeux aux immortels.
Tu fais refpecter les frontieres
Que toi feul pouvois t'impofer;
Ton bras renverfe les barrieres
JUIN
1745 ·
105.
Que l'on veut en vain t'oppofer .
Ton grand coeur ne veut pas attendre
L'ennemi qui leur fert d'appui ;
Dès qu'il s'aprête à les défendre
Tu voles au-devant de lui .
Il vient. Déja la foudre gronde
Et fait voler au loin la mort ;
Aux pieds du plus grand Roi du monde
Les Dieux arrêtent fon effort .
Bientôt une cohorte entiere ,
L'élite de deux Nations ,
Fait pénetrer fa tête altière
Au travers de nos Bataillons
De feu , de métaux , de bitume ,
Tel on voit un torrent affreux
Dont le cours entraine & confume
Tout ce qui s'oppofeà fes feux.
*
Volez troupe fiere & fidelle ,
Si digne de garder nos Rois .
L'amour , la gloire, vous appelle;
De Louis entendez la voix.
Victime de la barbarie
D'un Ufurpateur inhumain ,
La Maifon du Roi.
** Les Irlandois.
EV
106 MERCURE DE FRANCE
Venez défendre la Patrie -
Qui vous a reçû dans fon fein,
Suivez cette antique cohorte
Qu'aux péri's vous voyez courir ;
Jaloux du beau feu qui l'emporte ,
Allez triompher ou mourir, *
Tout vole , & ce combat horrible
Dans cet inftant fixe le fort ;
L'Anglais tombe , & toujours terrible ,
Il frappe en recevant la mort.
Abattu , mais encor farouche ,
La rage eft peinte dans fes yeux ;
On entend fortir de fa bouche
Des cris mourans mais furieux.
Du fein de la voûte azurée
Minerve regardoit Louis ,
Veilloit fur fa tête facrée
Etfur les beaux jours defon fils.
Tous deux du Temple de Mémoire
Arrachent ces fanglans lauriers
Perdus , mais perdus avec gloire
Aux funeftes champs de Poitiers.
Leur voix arrête le carnage ,
* Le Regiment de Normandie compofé de vieles
andes de cette Province,
JUIN. 1745. 107
Et du foldat victorieux
L'amour qui fuccéde à la rage
Eleve le cri jufqu'aux Cieux .
Couverts d'armes étincelantes ,
Nos guerriers viennent tour à tour ,
Ils baifent les mains triomphantes
Qui les ont fait vaincre en ce jour ;
Maurice vient ; fon Roi l'admire ,
Craint de le voir à ſes genoux ,
L'embraffe , & Maurice defire
Mourir dans un moment fi doux.
Le plus beau jour de votre vie ,
Français , vient de luire pour vous
L'Anglais , la difcorde , & l'envie ,
En font également jaloux.
Qu'il foit célebré par vos fêtes !
De ces lauriers encor fanglans
Que tout Français orne les têtes
De fa femme & de fes enfans.
» Qu'il leur dife , oui ; notre Maître
»Pour nous vient d'expofer fes jours ;
» Vous qui ne faites que de naître
» Vivez , pour le fervir toujours
Et toi , digne dépofitaire
Des faftes d'un auffi grand Roi ,
I vj
108 MERCURE DE FRANCE .
Souffre que ma voix téméraire
Ofe le chanter avec toi .
**************
LETTRE de M. l'Abbé Venuty à M.
de *** fur un Monument ancien
J
découvert à Rome.
E ne fuis pas furpris , Monfieur , que
vous fçachiez gré aux Auteurs du nouveaux
Mercure de leur attention à publier
dans leur Journal les nouvelles découvertes
de Monumens antiques. Vous ſouhaitez
que l'on continue d'en informer le public
à mefure que la curiofité des hommes ou le
hazard découvriront des pieces dignes de
notre attention. Rien ne prouve mieux votre
bon goût pour la Litterature ; ce foin
feroit extrémement utile à la République
des Lettres on mettroit par là à l'abri d'un
oubli éternel des Monumens fouvent très intereffans
qui periffent tous les jours faute de
curieux qui en connoiffent le prix. On fourniroit
à ceux qui travaillent à l'éclairciffe
ment de l'Hiftoire Ancienne des matériaux
inconteftables. On exciteroit l'émulation des
Sçavans qui chercheroient à l'envi l'un de
l'autre à en pénétrer les myftéres. Enfin cela
feroit une agréable partie de l'Hiftoire
Litteraire de notre fiécle,
JUIN. 109 1745 .
La Sur-Intendance que le Pape régnant
vient de donner àun de mes freres fur toutes
les antiquités qui fe découvrent à Rome , me
met en état de fatisfaire votre curiofité de ce
côté là. Je m'acquitterai en méme- tems d'un
de mes devoirs envers une des plus célebres
Académies de l'Europe , qui m'a fait l'honneur
de m'aſſocier à fa gloire & à ſes travaux
.
Au commencement du Mois de Février
de cette année 1745 en fouillant dans un
terrain à un mille hors de l'ancienne porte
Lavicane appellée aujourd'hui porta Maggiore
on a découvert un ancien Edifice fou →
terrain déſtiné pour renfermer les Tombes &
les Urnes des defcendans & des affranchis
d'une famille Romaine. On peut appeller
cet Edifice un Maufolée , car il en mérite
le nom par fa grandeur & par les ornemens
qui y ont été autrefois. Il eft d'une figure
ronde & fort maflive , dans le même goût que
les célebres Maufolées de Cæcilia Metella
fille de Quintus Creticus , de Munatius Plancus
, & des Plautiens , qui exiftent encore
dans la campagne de Rome & près de
Gayette. Mais notre Maufolée qui appartient
à la famille Aurelia , comme on voit par
I'Infcription qu'on y a trouvée, eft plus grand
que celui de la famille Cecilia. Ila cent qua
110 MERCURE DE FRANCE.
tre -vingt- dix palmes Romains de diamétre
dans toute fa maffe . On y entre par un
córridor ou veſtibule , dont la longueur eft
de foixante palmes Romains . Ce veſtibule
aboutit à une grande chambre quarrée dont
les mefures me font inconnuës . În voit dans
cette chambre trois niches , deſtinées felon
les apparences pour trois ftatuës des maîtres
de ce Sépulcre , qui ont été fans doute
tranfportées ailleurs quand on a ouvert pour
la premiere fois ce Tombeau . Heureuſement
on a confervé l'Infcription par laquelle nous
apprenons quels étoient autrefois les maîtres
de ce Maufolée . Elle eft conçûë en ces termes.
D. M.
M. AVRELIVS. SYNTOMVS
ÉT. AVRELIA. MARCIANAÆ
ÆDIFICIVM. CVM. CENOTA
PHIO. FILIIS. LIBERTISQ. SVIS.
A. SOLO . EXTRVXIT.
C'eft-à-dire : Marcus Aurelius Syntomus afait
élever cet Edifice avec un Cenotaphe à l'honneur
des Dieux Manes & pour Aurelia Marciana
, pour fes fils , & fes affranchis.
On fçait que les anciens Romains bâtif
foient toujours leurs Tombeaux le long des
JUIN. $745.
III
grands chemins ; auffi celui- ci eft fitué ſur
les bornes de la voye Preneftine dont on peut
par là determiner plus furement la route.
LE SINGE ET LA PLANCHE,
MA
FABLE.
Aftre Bertrand Singe de haut parage
Avoit choifi fon établiſſement
Chés un Menuifier de village.
Le mérite fe plaît à vivre obfcurement.
Bertrand faifoit les plaiſirs de fon Maître ,
Non pas les plaifirs feulement ,
Le gain auffi ; chacun vouloit connoître ,
Admirer , çareffer Bertrand ,
Et le Patron gagnoit d'autant,
Un jour qu'il étoit en frairie ,
Et Bertrand feul dans le logis ,
En furetant les recoins du taudis
11 apperçut une planche pourrie
Dans laquelle un coin enfoncé
Lui paroît à bon droit attendre
La main par laquelle pouffé
Il devoit enfin la pourfendre.
Je crois , dit-il , qu'à fon retour
Le Patron volontiers verra fa planche prète ;
111 MERCURE DE FRANCE.
Il me fçaura bon gré du tour.
Travaillons ; il faudroit être bien fotte bête
Pour ne fçavoir gouverner un marteau .
Difant ces mots le Singe à folle tête
Frappe fur le coin bien & beau ,
Ouvre la planche , & déja s'autoriſe
De cet effai pour avoir fa maîtriſe ,
Mais bien-tôt retirant , le coin
Pour l'enfoncer un peu plus loin
Il oublia que fa queuë étoit priſe.
Lors un vieux Rat à barbe griſe
Concitoyen de l'âtelier ,
Ami , dit-il , apprends par cette criſe
Que la plus petite entrepriſe
Veut les foins d'un bon ouvrier.
Le Rat raifonnoit jufte , & quoique nous en dife
L'orgueil qui nous eft familier ,
Chacun doit faire fon métier.
JUIN. 1745. 113
!
LETTRE à M. le Marquis de Robien
Prefident à Mortier au Parlement de
Bretagne , fur quelque fujet d'Hiftoire &
de Litterature , fur René Gentilhomme
fieur de l'Epine Poëte Croifiquais , par M.
Desforges Maillard.
'Ai lû avec grand plaifir , Monfieur
votre ancienne Hiftoire de Bretagne & je
ne fais aucun doute que le public ne la reçoive
de même quand il vous plaira de lui
faire ce préfent ; la conduite & le ftile en
font admirables , & vos recherches curieuſes
feront les délices des amateurs de l'antiqui
té. Vous n'avez point travaillé comme la
plûpart de ceux qui écrivent l'Hiftoire fur
des Mémoires équivoques , vous êtes allé
fur les lieux en perfonne , ou bien vous y
avez envoyé des hommes de confiance & capables
qui en ont levé fidélement les plans
& qui ont éxactement deffiné ce qui nous
refte des plus anciens Monumens des Romains
& des Gaulois, Votre Hiftoire moderne
, naturelle &c, de la méme Province
14 MERCURE DE FRANCE.
ne vous fera pas moins d'honneur. C'eſt le
jugement que j'en puis porter fur ce que j'ai
eu le tems d'en lire pendant le féjour que j'ai
fait chés vous à Rennes à notre retour de Paris .
Mais permettez moi de vous dire , Monfieur
, que j'ai trouvé qu'il manquoit quelque
chofe dans vos deux Hiftoires . Je n'y
vois point d'époques qui nous faflent connoitre
les grands hommes qui ont protégé les
Mules , & mes propres recherches me font
croire que c'eft à vous que la premiere de ces
époques mémorables devra fa naiſſance.
Vous cultivez les Belles Lettres vous même ,
& l'amitié que vous accordez à ceux qui s'y
adonnent les encourage dans cette épineule
carriere. Vous avez même plus d'une fois
tenté de jetter les fondemens d'une Académie
dans cette Province , où l'on peut dire
que vous reproduifez les Bouhier & que
vous faites revivre les l'Hofpital , les de
Thou & les Lamoignon.
Vous êtes dans le deffein , Monfieur , de
faire dans votre Hiftoire un chapitre où vous
comprendrez les Bretons qui fe font diftingués
dans les Sciences & la Litterature.
Avant & depuis Abailard le nombre n'en
avoit point été fort confidérable , mais le
dernier fiécle & celui-ci en ont produit plufieurs
en tout genre. Notre petite Ville du
JUIN. 1745. 113
Croific & les lieux circonvoifins en ont auffi
vû naître quelques uns , comme les peres
Tournemine, Guilloré , l'Abbé de Bellegarde
, M. Bouguer de l'Académie Royale
des Sciences , qui par fes talens achevés fuffi
roit lui feul à l'illuftration d'un Royaume.
J'ignorois toutefois que ce Port de Mer eût
au produit un Poëte , & mes compatriotes
les plus anciens ne m'en avoient rien appris.
Il eft vrai qu'occuppé de la navigation & du
commerce de Mer ils gliffoient legerement
fur celui de l'efprit & que la Litterature
étoit même alors un Pays perdu pour eux.
Le Poëte dont j'ai à vous entretenir ,
Monfieur , s'appelle René Gentilhomme
fieur de l'Epine. J'ai découvert l'eftampe de
fon portrait chés un de mes concitoyens qui
dit avoir vu la fignature de quelqu'un de fon
nom fur les Regiftres de cette Communauté.
La figure en bufte eft dans un ovale ; on lit
autour , René Gentilhomme , fieur de l'Epine,
Croifiquais P.Domestique de Monfeigneur
frere du Roi ΘΕΟΥ ΔΙΔΟΝΤΟΣ & au deffous
dans le même ovale du Pré ad vivum delinea.
Daret Scul.Parifiis.1637 die 7.Ariftan
der.... Il y a quelque chofe d'effacé en cet
endroit Ao. Ats. 27 , natus 1610 menfe
70. L'eftampe eft environnée des attributs
du Parnafle & de la Guerre. On lit au bas
116 MERCURE DE FRANCE.
է
les deux inſcriptions que je vais vous tranfcrire
, l'une en vers Latins , & l'autre en
vers François. Les armes du Poëte font au
milieu avec ces mots , mieux faire que dire.
La maniere d'écrire Croifiquais au lieu de
Croifiquois s'accorde avec l'ancienne prononciatiation
qui fubfifte encore parmi le peuple.
Il me femble auffi que Pe. veut dire
Page & non pas premier qui s'écrit Pr.
In figuram elegantiffimi, Illuftrissi .
& ingeni. viri R. Nobilis. Armorici,
Regis F. Poëtæ Epigramma.
Afpicis effigiem vatis fpirantis in ære ,
Quijunxit Getica Delphica pledra Tuba .
Sic oculos , fic ille bumeros , fic Nobilis ora :
Unum defuerat , dulciùs ille canit.
1. Leochens Scotus Eloquentia & Philo . Profeffor
EPIGRAMM E
Qu'on ne cherche plus Mars en Thrace ,
Ni dans Amathonte l'Amour
Ni Phébus fur le Mont Parnaffe ,
Voici leur unique féjour.
I. De Mefchinet
L'Epigramme Latine dont le ftile n'eft
JUIN. 1745. 117
point exact dans le troifiéme vers imité de
Virgile , en ce qu'il faudroit comme dans cet
Auteur ferebat ou fert devant ou après oculos
&c. exprime Gentilhomme nom propre par
Nobilis , ce qui le rendroit méconnoiffable ,
s'il n'étoit point mis comme il doit l'être autour
de l'eftampe.
. Il eft des noms propres qu'il faut employer
tels qu'ils fon quand on ne peut pas
les accommoder à l'idiôme d'une autre Langue
fans les défigurer totalement . Ce défaut
répand une fort grande obfcurité ſur la belle
Hiftoire de M. de Thou écrite en Latin
& je n'approuve point la Monnoye d'avoir
rendu dans fes Poëfies Latines le nom de
Boileau Defpreaux par Abftemius Pratellus.:
Il y en a d'autres qui ont plus de grace ,
de douceur & d'harmonie, fans rien perdre ,
pour ainfi- dire , de leur clarté naturelle ,
étant habillés à la mode des Pays étrangers
où ils paffent , comme par exemple. Valois
Valefius , Sainte Marthe Sammarthanus , Rapin
Rapinus , Santeuil Santolius , &c. C'eſt
ce qui fait qu'on a trouvé ridicule la façon
de fubftituer Groulart , autant qu'il m'en.
fouvient à Céfar , dans ces vers de la I.
Epi, du 1 liy . d'Horace adreffés à ce M.
Groulart,
118 MERCURE DE FRANCE.
In publica commoda peccem ,
43 Si longo fermone morer tua tempora Groulard.
J'ai cherché à Paris , Monfieur , chés prefque
tous les Libraires & les Marchands de
Litteraire fripperie les Poëfies de notre René
Gentilhomme fans avoir réuffi à mettre
la main deffus . J'écrivis mon embarras à M.
Chevaye mon ancien ami , Auditeur de la
Chambre des Comptes de Bretagne , qui peutêtre
placé à bon titre parmi les hommes de
la Province qui poffedent le mieux la Litterature
Latine & Françoiſe.
Il me fit réponſe qu'il avoit eu dans fon
cabinet les Poëfies de René Gentilhomme,
mais qu'elles avoient été enveloppées dans
l'incendie de fa maifon à Nantes avec une
grande quantité de Livres rares. Je lui écri
vis une feconde fois pour le prier de me faire
part de ce qui lui étoit demeuré dans l'efprit
touchant la perfonne & les ouvrages de
ce Poëte. Voici ce qu'il a bien voulu m'en
apprendre.
ธง
Tout ce que je puis me rappeller ,
» Monfieur , touchant René Gentilhomme ,
» c'eft que j'ai eû en main un petit recueil
d'environ 5o feuillets in 12 contenant quel-
» ques pieces de Poëfies de ce Breton , qui
y eft qualifié de Seigneur de l'Epine & de
Kvandoué. Mais ce que j'y trouvai de finJUIN.
1745 . 119
05
ל כ
"3
30
2
gulier ce fut une piece d'environ .qua
rante vers que l'Auteur affirme avoir faits
fur le champ à la maiſon de plaiſance de
» M. le Prince de Condé , qu'on appelloit
» pour lors M. le Duc. Il la fit à l'occafion
» du tonnerre qui venoit d'écraſer une Cou-
» ronne Ducale pofée fur le pilier de l'ef-
» calier du jardin de cette maiſon , duquel
accident il tiroit dans fes vers un augure
qu'il regardoit comme certain de la naif-
» fance d'un Dauphin , & il falloit que la
fureur Poëtique , ou plutôt Prophétique
le poffédât bien pour faire dans le lieu où
"il étoit une prédiction auffi contraire aux
,, intérêts du Prince de Condé qui l'avoit
» reçû chés lui , & qui par la mort de Louis
" XIII & de Gafton d'Orleans fon frere ,
étoit héritier préfomptif de la Couronne :
» car il y dit pofitivement qu'il ne doit plus
» fe repaître de l'efpérance de cette fucceffion
, & qu'il doit ſe contenter d'être tou
» te fa vie M le Duc tout court. Or cette
prediction ayant eu fon effet environ un
» an après ( autant que je puis m'en fouvenir
) ceux qui en avoient connoiffance
,, en furent fi frappés d'admiration , qu'ils en
» firent des complimens à l'Auteur , & ces
complimens qui font en vers dans ce recueil
au nombre de plus de vingt , font
❤ entre autres de plufieurs Officiers & Ec-
3D
23
Þ
33
# 20 MERCURE DE FRANCE.
ج د
cléfiaftiques de Nantes , & de quelques au-
> tres de Tours , fi je ne me trompe. Ce qui
»fert à prouver que cette prédiction n'avoit
point été faite après coup. Du refte les
vers de cette piéce fe fentent de l'impromp-
>> tu autant que de l'enthouſiaſme; à en juger
par quelques autres pieces de ce recueil ,
qui font un peu plusfchâtiées , mais en petit
nombre , la piece dont je parle avec
les complimens contenant plus des deux
tiers du Livre . Une autre circonſtance
dont je me fouviens , c'eft qu'il paroît que
» cette prédiction avoit procuré à l'auteur le
» nom de Poëte Royal , mais je ne me ra-
» pelle pas qu'il en ait reçu d'autre récompenfe,
و د
ود م د
Ces curieufes anecdotes , Monfieur , me
paroîtroient fuffifantes par elles-mêmes pour
faire paffer à la poftérité le nom de René
Gentilhomme. Je m'étonne que Morery ,
Bayle , Baillet , le pere Niceron , M. Titon
du Tillet , qui a fait des recherches fi prodigieufes
, pour affembler fon immortel ouvrage
du Parnaffe François infolio , n'ayent
point connu ce Poëte , & qu'il foit échappé
à M. l'Abbé Goujet de qui je m'en fuis.
informné , à lui dont on lit avec autant d'utilité
que de fatisfaction la nouvelle Bibliothéque
Françoife , & qui réunit une érudition fi
vafte & fi polie qu'il mérite de porter dans
la
JUIN. 1745 . 121
la République des Lettres cette célébre devife
nec pluribus impar.
Mais vous êtes particulierement intereffé ,
Monfieur , à faire revivre la mémoire de
notre Poëte ou Vaticinateur tout au moins ,
vos ancêtres Jean & Jacques de Robien
ayant été fucceffivement Capitaines ou Gouverneurs
du Pays où il a reçû la naiffance
, comme les actes les plus authentiques en
font foi. François I. Roi de France nomma
par brevet du 17 Aoûft 15 16 fon cher & bien
aimé Jéhan de Robien Pannetier ordinaire
de la Reine à la charge de Capitaine & de
' Ifle de Bas du Croific , & cette Princefle lui
écrivit le 23 Juillet... pour le féliciter fur la
maniere généreufe dont il s'étoit comporté
à la defcente des Efpagnols & des Anglois
fur nos côtes , & elle l'exhortoit à continuer.
Jéhan de Robien refigna ſa charge à Noble
Ecuyer Jacques de Robien fon fils qui en
obtint le brevet le 16 Mars 1540 & prêta le
ferment le 24 du même mois.
On apprend par une enquête du 29 Novembre
1558 que les Galions des Efpagnols
venoient fouvent près le Havre du
Croific , & que fous le regne du feu Roi
François ils firent une defcente à la Côte
vis-à-vis de l'endroit nommé la Pierre lon-
·gue d'où ils furent vigoureuſement repouflés
E
122 MERCURE DE FRANCE.
par le Seigneur de Robien qui fe comporta
toujours avec valeur pendant cette guerre
comme l'affurent les témoins de cette enquête.
On parloit en 1564 der éparer le Château
du Croific , mais la chofe ne fut point exécutée
, & il n'en refte plus que de foibles
veftiges. Pendant que Jacques de Robien
fut Capitaine ou Gouverneur , les habitans
du Croific prétendirent être exempts des
droits d'Amirauté ; fans doute que c'étoit
en récompenfe de leurs bons fervices. Ce
que je fçais , c'eft qu'il y a fort long-tems qu'il
n'eft plus mention de ces immunités .
Je fuis charmé , Monfieur , que ce détail
dont j'ai des preuves inconteftables , me
fourniffe l'occafion de publier hautement
que l'amitié dont vous m'honorez afon principe
& remonte en quelque forte jufqu'au
tems de mes Ancêtres , de même que le refpect
avec lequel j'ai l'honneur d'être & c.
Au Croific en Bretagne ce....
榮榮
涨
Avril 1745.
JUIN. 1745 . 123
NOUVELLES LITTERAIRES,
DES BEAUX ARTS , &c.
SERMONS
De M. Maffillon Evêque de Clermont , l'un
des Quarante de l'Académie Françoiſe cidevant
Prêtre de l'Oratoire. Paris 1745 ..
Chés la veuve Etienne & Fils , & Jean
Heriffant rue S. Jacque
LAChaire eft parmi nous le feul zilequ
refte à l'Eloquence. Le Barreau n'eft pour
elle qu'un champ ftérile , où la chicane a
femé les épines , & les Avocats , quoiqu'il y
ait dans ce Corps des gens d'un grand mérite,
font réduits à n'employer pour défendre leurs
Parties qu'une dialectique feche & aride au
lieu des figures brillantes & pathétiques
qu'emploioient jadis Demofthene & Cice-
Fon. Mais fi le Barreau ne peut plus retentir
que des clameurs fophiftiques femblables à
celles de l'école , la Chaire offre à l'Eloquence
le champ le pius vafte ; c'eft- là qu'elle
peut employer toutes les reflources & le fer.
vir de toutes les armes pour étonner l'imagination
, & pour fubjuguer l'ame. Quels
Fij
124 MERCURE
DE FRANCE
,
refforts l'Orateur facré mer en ufage pour attacher,
pour toucher fes Auditeurs ! L'admi
ation que doivent infpirer les ouvrages de
Dieu , l'amour dont fes bontés doivent nous
pénétrer , l'espérance en fa mifericorde , la
crainte de fes jugemens terribles , enfin l'intérêt
de notre falut, le plus grand , le feul véritable
intérêt que les hommes puiffent avoir ;
voilà quels font les objets qu'il préfente, Il
anime la vertu par l'efpoir des récompenfes ,
il effraye le vice par l'effroi des châtimens ;
ainfi tous les hommes quels qu'ils foient ont
intérêt à l'écouter. Tel étoit l'avantage qu'avoit
Demofthene lorfqu'il repréſentoit aux
Atheniens l'intérêt de la Patrie , & les animoit
à défendre la liberté publique que Philippe
étoit prêt d'opprimer. L'Orateur facré
a même un avantage en ce que indépendamwent
de ce qu'il traite d'un intérêt infiniment
plus grand , cet intérêt qui chés les Grecs
étant l'intérêt général , étoit fubdivifé en une
infinité de parties , eft ici réuni individuellement
fur chaque tête.
Aufli la Chaire nous a t- elle fourni plufieurs
grands hommes dignes de Rome & d'Athenes .
par leur Eloquence , & bien fupérieurs par
la matiere qu'ils traitoient . Bourdaloue, Cheminais
, Boffuet & l'Evêque de Clermont ,
des Sermons duquel il s'agit , ne le cedent ni
aux Demofthenes , ni aux Socrates , ni aux
?
JUIN. 1745 . 125
Cicerons , & l'on peut affurer hardiment que
leurs ouvrages vivront auffi long - tems que
ceux des Grecs & des Romains.
Le public ne fe borna pas à courir avec empreffement
écouter les Sermons de M. Maffillon
; des copiftes donnerent un recueil de
fes Sermons qu'on avoit copiés en les écoutant
; on les imprima , & le public les lut avec
avidité. On fent combien une femblable édition
étoit infidelle & fautive , mais on s'en
contentoit faute de mieux , &le génie de l'Orateur
, quoique défiguré en mille endroits ,
s'appercevoit dans plufieurs traits brillans.
C'eft ainfi que les connoiffeurs confervent
comme des morceaux précieux les efquiffes
des grands Peintres & y admirent les tracés
du génie de ces grands hommes.
Voici enfin une édition des Sermons de
l'Evêque de Clermont faite fur les Manufcrits
même de ce Prélat , & qui peut s'appeller
à bon droit la premiere édition , puifque
c'eſt la feule véritable. Le matériel , quant à
l'impreffion & au papier , ne laiffe rien à défi
rer , il eft digne de l'ouvrage. A l'égard du
mérite même de l'Auteur,que pourrions- nous
ajouter au jugement déja porté par le public
fur le mérite de ce célébre Orateur ? Nous
nous contenterons pour donner une idée de
ce livre à nos lecteurs , de mettre fous leurs
yeux l'extrait d'un des Sermons qui compo-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
fent le petit Carême . * Ce petit Carême fût
prêché devant le Roi encore enfant ; il fut
compofé pour l'inftruction de ce Monarque ,
& la France qui admire aujourd'hui dans
fon Prince toutes les vertus que prêchoit
alors M. Maffillon , doit regarder avec vénération
ce monument de l'éducation de fon
Roi . Dans ce Sermon fur l'humanité des
Grands , duquel nous allons rendre compte ,
il femble que l'Orateur ait prévu par un efprit
prophétique que le Roi feroit de tous les
Princes celui qui feroit le plus cher à fes
peuples , & les chériroit d'avantage : on y
trouve la peinture anticipée de cette affabilité
qui le rend acceffible à tous fes fujets, de
cette humanité qu'il vient de faire éclater au
fein de la victoire , en prenant autant defoin
des bleffés ennemis que de fes fujets même ,
enfin de toutes ces vertus qui l'ont fait ſurnommer
Louis le Bien Aimé par un peuple
Quoique , comme le dit le M fantrope de Moliere
, le tems ne faſſe rien à l'affaire , il ne faut pas
négliger d'apprendre aux lecteurs que ces Sermons
du petit Carême qui font tous des chefs - d'oeuvres
d'Eloquence ont été compofés avec la plus grande
rapidité. M. Maffillon n'employoit pas dix jours à
faire un Sermon. Cela eft d'autant plus étonnant que
ces Sermons , quoique fort courts , ne le font que
parce que l'Auteur fe reftraint lui-même dans un petit
efpace de tems , & que chaque difcours contient
le fond des idées néceffaires pour remplir un Sermon
d'une longueur ordinaire .
JUIN. 1745. 127
qui l'adore , & qui ont fait dire au Virgile de
la France , * le plus cheri des Rois eft auffi le
plus grand.
SUR L'HUMANITE' DES GRANDS
ENVERS LES PAUVRES.
Cum fublevaffer oculos fefus , & vidiſſet quia
muliitudo maxima venit ad eum.
-JESUS ayant levé les yeux , & voyant une
grande foule de peuple qui venoit à lui .
S. Jean , Ch. 6. V. 5 .
SIRE ,
Ce n'eft pas la toute-puiffance de JESUSCHRIST
& la merveille des pains multipliés
par fa feule parole qui doit aujourd'hui nous
toucher & nous furprendre.Celui par qui tout
étoit faitpouvoit tout fans doute fur des créaturesqui
font fon ouvrage , & ce qui frappe le
plus les fens dans ce prodige n'eft pas ce que
je choifis aujourd'hui pour nous confoler &
nous inftruire.
C'eſt fon humanité envers les peuples . It
* Poëme de M. de Voltaire fur la bataille de Fontenoy.
Finj
128 MERCURE DE FRANCE.
voit une multitude errante & affamée au pied
de la montagne , & fes entrailles fe troublent ,
& fa pitié fe réveille , & il ne peut refufer
aux befoins de ces infortunés non feulement
fon fecours mais encore fa compaffion
& fa tendreffe ; vidit turbam multam ; & mifertus
eft eis.
Par tout il laiffe échapper des traits d'humanité
pour les peuples. A la vûë des malheurs
qui menacent Jérufalem , il foulage fa
douleur par fa pitié & fes larmes.
Quand deux Difciples veulent faire defcendre
le feu du Ciel fur une Ville de Samarie
, ſon humanité s'intéreffe pour ce peuple
contre leur zéle , & il leur reproche d'ignorer
encore l'efprit de douceur & de charité
dont ils vont être les Miniftres.
Si les Apôtres éloignent rudement une
foule d'enfans qui s'empreffent autour de lui ,
fa bonté s'offenfe qu'on veuille l'empêcher
d'être acceffible & plus un refpect mal entendu
éloigne de lui les foibles & les petits ,
plus fa clémence & fon affabilité s'en rapprochent.
Grande leçon d'humanité envers les peuples
que Jefus - Chrift donne aujourd'hui
aux Princes & aux Grands . Ils ne font grands
que pour les autres hommes , & ils ne jouiffent
proprement de leur grandeur qu'autant
qu'ils la rendent utile aux autres hommes.
JUIN. 1745. 129
C'eſt-à-dire , l'humanité envers les peuples
eft le premier devoir des Grands , & l'humanité
envers les peuples eft l'ufage le plus délicieux
de la grandeur,
SIRE ,
Toute puiffance vient de Dieu , & tout
ce qui vient de Dieu n'eft établi que pour
l'utilité des hommes. Les Grands feroient
inutiles fur la terre s'il ne s'y trouvoit des pauvres
& des malheureux ; ils ne doivent leur
élevation qu'aux befoins publics , & loin que
les peuples foient faits pour eux , ils ne font
eux-mêmes tout ce qu'ils font que pour les
peuples.
Quelle affreufe providence , fi toute la
multitude des hommes n'étoit placée fur la
terre que pour fervir aux plaifirs d'un petit
nombre d'heureux qui l'habitent & qui fouvent
ne connoiffent pas le Dieu qui les comble
de bienfaits !
Si Dieu en éleve quelques - uns , c'eſt donc
pour être l'appui & la reffource des autres .
11 fe décharge fur eux du foin des foibles &
des petits ; c'eſt par - là qu'ils entrent dans
l'ordre des confeils de la fageffe éternelle .
Tout ce qu'il y a de réel dans leur grandeur
, c'eft l'ufage qu'ils en doivent faire pour
ceux qui fouffrent : c'eft le feul trait de diftinction
que Dieu ait mis en nous ; ils ne font .
que les Miniftres de fa bonté & de fa provi-
FY
130 MERCURE DE FRANCE .
dence , & ils perdent le droit & le titre qui
les fait grands dès qu'ils ne veulent l'être que
pour eux -mêmes .
L'humanité envers les peuples eft donc le
premier devoir des Grands , & l'humanité
renferme l'affabilité , la protection & les largeffes.
Je dis l'affabilité. Oui , Sire , on peut dire
que la fierté , qui d'ordinaire eft le vice des
Grands , ne devroit être que comme la triſte
reffource de la roture & de l'obfcurité . Il paroitroit
bien plus pardonnable à ceux qui
naiffent , pour ainfi dire , dans la boue , de
s'enfler , de fe hauffer & de tâcher de fe mettre
par l'enflure fecrette de l'orgueil de niveau
avec ceux au-deffous defquels ils fe
trouvent fi fort par la naiffance. Rien ne révolte
plus les hommes d'une naiffance obfcure
& vulgaire que la diſtance énorme que
le hafard a mis entre - eux & les Grands...
Les Grands au contraire placés fi haut par
la nature në fçauroient plus trouver de gloi
re qu'en s'abaiffant : ils n'ont plus de diftinction
à fe donner du côté du rang & de la naif.
fance , ils ne peuvent s'en donner que par
l'affabilité , & s'il eft encore un orgueil qui
duiffe leur être permis , c'eft celui de fe rendre
humains & acceffibles.
Il eſt vrai même que l'affabilité eft comme
le caractére inféparable &la plus füre
JUI N. 1745. 131
marque de la grandeur. Les defcendans de
ces Races illuftres & anciennes aufquelles perfonne
ne diſpute la fupériorité du nom & l'antiquité
de l'origine , ne portent point fur leur
front l'orgueil de leur naiffance : ils vous la
laifferoient ignorer , fi elle pouvoit être ignorée
les monumens publics en parlent allés
fans qu'ils en parlent eux-mêmes ; on ne fent
leur élévation que par une noble fimplicité :
il fe rendent encore plus refpectables en ne
fouffrant qu'avec peine le reſpect qui leur eſt
du , & parmi tant de titres qui les diftinguent,
la politeffe & l'affabilité eft la feule diftintion
qu'ils affectent : ceux au contraire qui
fe parent d'une antiquité douteufe , & à qur
on difpute tout bas l'éclat & les prééminenees
de leurs Ancêtres , craignent toujours
qu'on n'ignore la grandeur de leur race , l'ont
cent fois dans la bouche , croyent en affurer
la vérité par une affectation d'orgueil & de
hauteur , mettent la fierté à la place des titres
, & en exigeant au- delà de ce qui leur eft
dû , ils font qu'on leur contefte même ce
qu'on devroit leur rendre.
En effet on eft moins touché de ſon élévation
quand on eft né pour être grand. Quiconque
eft ébloui de ce dégré éminent où la
naiffance & la fortune l'ont placé , c'eſt- à- dire,
qu'il n'étoit pas fait pour monter fi haut : les
plus hutes places font toujours au - dufous
Fvi
132 MERCURE DE FRANCE.
des grandes ames , rien ne les enfle & ne les
éblouit , parce que rien n'eſt plus haut
qu'elles ...
Auffi les plus grands hommes , Sire , &
les plus grands Rois ont toujours été les plus
affables. Une fimple femme Thecuite venoit
expofer fimplement à David fes chagrins domeftiques
, & l'éclat du Trône étoit temperé
par l'affabilité du Souverain ; l'affabilité du
Souverain relevoit l'éclat & la majeſté du
Trône.
Nos Rois , Sire , ne perdent rien à fe rendre
acceffibles. L'amour des peuples leur répond
du refpect qui leur eft dû. Le Trone
n'eft élevé que pour être l'azile de ceux qui
viennent implorer votre juftice ou votre clémence
; plus vous en rendez l'accès facile à
vos fujets , plus vous en augmentez l'éclat &
la majefté. Et n'eft-il pas jufte que la Nation
de l'Univers qui aime le plus fes maîtres , ait
auffi plus de droit de les approcher ? Montrez
, Sire , à vos peuples tout ce que le Ciel
a mis en vous de dons & de talens aimables ;
Jaiffez -leur voir de près le bonheur qu'ils attendent
de votre regne , les charmes & la
majefté de votre perfonne , la bonté & la
droiture de votre coeur affûreront toujours
plus les hommages qui font dûs à votre rang
que votre autorité & votre puiffance.
Ces Princes invifibles & effeminés , ces AfJUIN.
1745. 133
fuerus devant lefquels c'étoit un crime digne
de mort , pour Efther même , de paroître fans
ordre, & dont la feule préfence glaçoit le fang
dans les veines des Supplians , n'étoient plus
vûs de près que de foibles idoles , fans ame ,
fans vie , fans courage , fans vertu ; livrés dans
le fond de leur Palais à de vils efclaves , féparés
de tout commerce comme s'ils n'avoient
pas été dignes de fe montrer aux hommes
, ou que des hommes faits comme eux
n'euffent pas été dignes de les voir : l'obfcurité
& la folitude en faifoient toute la majefté.
Il y a dans l'affabilité une forte de confiance
en foi - même , qui fied bien aux
Grands , qui fait qu'on ne craint point de s'avilir
en s'abaiffant & qui eft comme une efpece
de valeur & de courage pacifique ; c'eft
être foible & timide que d'etre inacceffible &
fier.
D'ailleurs , Sire , en quoi les Princes & les
Grands qui n'offrent jamais au peuple qu'un
front fevere & dédaigneux font plus inexcufables
; c'eſt qu'il leur en coute fi peu de fe
concilier les coeurs : il ne faut pour cela ni
effort , ni étude ; une feule parole , un ſourire
gracieux , un feul régard fuffit : le peuple
leur compte tout : leur rang donne du prix
à tout...
Et peut- on laiffer aliener des cours qu'on
134 MERCURE DE FRANCE,
peut gagner à fi bas prix ? n'eft- ce pas s'avilir
foi-meme que de deprifer à ce point toute
l'humanité , & mérite-t'on le nom de grand
quand on ne fçait pas même fentir ce que valent
les hommes ?
La nature n'a- t'elle pas déja impofé une
affés grande peine aux peuples & aux malheureux
de les avoir fait naitre dans la dépendance
& comme dans l'esclavage ? N'eſt - ce
pas affés que la baffeffe ou le malheur de leur
condition leur faffe un devoir & comme une
loi de ramper & de rendre des hommages ?
faut- il encore leur aggraver le joug par le
mépris & par une fierté qui en eft fi digne
elle-même ? ne fuffit- il pas que leur dépen
dance foit une peine ? faut - il encore les en
faire rougir comme d'un crime ? & fi quelqu'un
devoit être honteux de ſon état feroitce
le pauvre qui le fouffre , ou le grand qui
en abuſe ?
Il eft vrai que fouvent c'eft l'humeur toute
feule plûtôt que l'orgueil qui efface du front
des Grands cette férénité qui les rend acceffibles
& affables ; c'eſt une inégalité de caprice
plus que fierté ; occupés de leurs plaifirs
& laffés des hommages , ils ne les reçoivent
plus qu'avec dégout ; il femble que l'af
fabilité leur devient un devoir importun ,
& qui leur eft à charge ; à force d'être honorés
ils font fatigués des honneurs qu'on leur
JUIN
1745 . 135
rend , & ils fe dérobent fouvent aux hommages
publics pour fe dérober à la fatigue
d'y paroitre fenfibles. Mais qu'il faut étre né
dur pour le faire meme une peine de paroitre
humain n'eft- ce pas une barbarie , nonfeulement
de n'être pas touché , mais de recevoir
même avec ennui les marques d'amour
& de refpect que nous donnent ceux qui nous
font foumis ? n'eft- ce pas déclarer tout haut
qu'on ne mérite pas l'affection des peuples
quand on en rebute les plus tendres témoignages
? peut- on alléguer là -deffus les momens
d'humeur & de chagrin que les foins
de la grandeur & de l'autorité trainent après
foi ? l'humeur eft- elle donc le privilége des
Grands pour être l'excufe de leurs vices ?
Hélas ! s'il pouvoit être permis quelquefois
d'être fombre , bizarre , chagrin , à charge
aux autres & à foi-même , ce devroit être à
ces infortunés , que la faim , la mifere , les
calamités , les néceffités domeftiques & tous
les plus noirs foucis environnent : ils feroient
bien plus dignes d'excufe , fi portant déja le
deuil , l'amertume , le défefpoir fouvent dans
le coeur , ils en laiffoient échapper quelques
traits au dehors , mais que les Grands , que
les heureux du monde à qui tout rit , & que
les joies & les plaifirs accompagnent partout,
prétendent tirer de leur félicité même un privilége
qui excufe leurs chagrins bizarres &
136 MERCURE DE FRANCE.
leurs caprices , qu'il leur foit plus permis
d'être fâcheux , inquiets , inabordables , parce
qu'ils font plus heureux , qu'ils regardent
comme un droit acquis à la profpérité , d'accabler
encore du poids de leur humeur des
malheureux qui gémiffent déja fous le joug
de leur autorité & de leur puiffance ; Grand
Dieu ! feroit- ce donc là le privilége des
Grands , ou la punition du mauvais ufage
qu'ils font de la grandeur ? Car il eft vrai
que les caprices & les noirs chagrins ſemblent
être le partage des Grands , & l'innocence
de la joie & de la férénité n'eft que pour le
Peuple .
Mais l'affabilité qui prend fa fource dans
l'humanité n'eft pas une de ces vertus fuperficielles
qui ne réfident que fur le vifage :
c'eft un fentiment qui naît de la tendreffe &
de la bonté du coeur. L'affabilité ne feroit
plus qu'une infulte & une dérifion pour les
malheureux , fi en leur montrant un vilage
doux & ouvert , elle leur fermoit nos entrailles
, & ne nous rendoit plus acceffibles à
leurs plaintes que pour nous rendre plus infenfibles
à leurs peines.
Les malheureux & les opprimés n'ontdroit
de les approcher que pour trouver auprès
d'eux la protection qui leur manque. Oui,
mes Freres , les loix qui ont pourvû à la défenfe
des foibles ne fuffifent pas pour les metJUIN
. 1741. 1377
*
1
tre à couvert de l'injuftice & de l'oppreffion :
la mifere ofe rarement reclamer les loix établies
pour la protéger , & le crédit fouvent
leur impofe filence.
C'est donc aux Grands à remettre le peuple
fous la protection des loix : la veuve ,
l'orphelin , tous ceux qu'on foule & qu'on
opprime, ont un droit acquis à leur crédit &
à leur puiffance ; elle ne leur eft donnée que
pour eux: c'est à eux à porter aux pieds du
Trône les plaintes & les gémiffemens de l'opprimé
: ils font comme le canal de communication
& le lien des peuples avec le Souverain ,
puifque le Souverain n'eft lui - même que le
Pere & le Paſteur des peuples. Ainfi ce font
les peuples tout feuls qui donnent auxGrands
le droit qu'ils ont d'approcher du Trône , &
c'eft pour les peuples tout feuls que le Trône
lui- même eft elevé ; en un mot & les Grands
& le Prince ne font pour ainfi dire que les
hommes du peuple .
Mais fi loin d'etre les protecteurs de fa foi
bleffe , les Grands & les Miniftres des Rois
en font eux-mêmes les oppreffeurs ; s'ils ne
font plus que comme ces tuteurs barbares qui
dépouillent eux-mêmes leurs pupilles , grand
Dieu ! les clameurs du pauvre & de l'opprimé
monteront devant vous vous maudirez ces
races cruelles , vous lancerez vos foudres fur
les géants , vous renverferez tout cet édifice
138 MERCURE DE FRANCE.
d'orgueil , d'injuftice & de profpérité qui s'étoit
élevé fur les débris de tant de malheureux
, & leur profpérité fera enfevelie fous
fes ruines.
Auffi la profpérité des Grands & des Miniftres
des Souverains, qui ont été les opprelfeurs
des peuples, n'a jamais porté que la honte
, l'ignominie & la malédiction à leurs defcendans.
On a vû fortir de cette tige d'iniquité
des rejettons honteux qui ont été l'oppro
bre de leur nom & de leur fiécle ; le Seigneur
a foufflé fur l'amas de leurs richeſſes injuſtes ,
& l'a diffipé comme de la pouffiere , & s'il
laiffe encore trainer fur la terre des reftes infortunés
de leur race , c'est pour les faire fervir
de monumens éternels à fes vengeances
& perpétuer la peine d'un crime qui perpetue
prefque toujours avec lui l'affliction & la
mifere publique dans les empires.
La protection des foibles eft donc le ſeul
ufage légitime du crédit & de l'autorité , mais
les fecours & les largeffes qu'ils doivent trouver
dans notre abondance forment le dernier
caractére de l'humanité . Oui , mes Freres , fi
c'eft Dieu feul qui vous a fait naitre ce que
vous êtes , quel a pû être fon deffein en répandant
avec tant de profufion fur vous les
biens de la terre ? a- t'il voulu vous faciliter
le luxe , les paffions & les plaifirs qu'il condamne
? font- ce des préfens qu'il vous a faits
JUN. 1745 . 139
dans fa colere ? fi cela eft , fi c'eft pour vous
ſeuls qu'il vous a fait naitre dans la profpérité
& dans l'opulence , jouiffez - en à la bonne -
heure ; faites-vous , fi vous le pouvez , une injufte
félicité fur la terre ; vivez comme fi tout
étoit fait pour vous ; multipliez vos plaiſirs ;
hâtez-vous de jouir , le tems eft court ; n'attendez
plus rien au-delà que la mort & le jugement
; vous avez reçû ici- bas votre récompenfe.
Mais fi dans les deffeins de Dieu - vos biens
doivent être les reffources & les facilités de
votre falut , il ne laiffe donc des pauvres &
des malheureux fur la terre que pour vous :
vous leur tenez donc ici - bas la place de Dieu
même : vous êtes, pour ainfi dire, leur providence
vifible ; ils ont droit de vous reclamer
& de vous expofer leurs befoins ; vos biens
font leurs biens , & vos largeffes le feul patrimoine
que Dieu leur ait affigné fur la terre.
Et qu'y a-t'il dans votre état de plus digne
d'envie que le pouvoir de faire des heureux ?
fi l'humanité envers les peuples eft le premier
devoir des Grands , n'eft - elle pas auffi l'uſage
le plus délicieux de la grandeur ?
Quand toute la Religion ne feroit pas elle
même un motif univerfel de charité envers
nos freres,& que notre humanité à leur égard
ne feroit payée que par le plaifir de faire
des heureux ou de foulager ceux qui fouffrent,
148 MERCURE DE FRANCE.
en faudroit-il d'avantage pour un bon coeur ?
quiconque n'eft pas fenfible à un plaifir fi
vrai , fi touchant , fi digae du coeur , il n'eſt
pas né grand , il ne mérite pas même d'être
homme ...
Il femble même que c'eſt une malédiction at
tachée à la grandeur. Les perfonnes nées dans
une fortune obfcure & privée , n'envient dans
les Grands que le pouvoir de faire des graces
& de contribuer à la félicité d'autrui : on
fent qu'a leur place on feroit trop heureux de
répandre la joie & l'allégreffe dans les coeurs
en y répandant des bienfaits , & de s'affûrer
pour toujours leur amour & leur reconnoiffance.
Si dans une condition médiocre on forme
quelquefois de ces défirs chimériques de parvenir
à de grandes places , le premier ufage
qu'on fe propofe de cette nouvelle élevation ,
c'eſt d'être bienfaifant , & d'en faire part à
tous ceux qui nous environnent ; c'eſt la premiere
leçon de la nature & le premier fentiment
que les hommes du commun trouvent
en eux ; ce n'eft que dans les Grands feuls qu'il
eft éteint ; il femble que la grandeur leur donne
un autre coeur , plus dur & plus infenfible
que celui du refte des hommes;que plus on eft
àportée de foulager des malheureux , moins
on eſt touché de leurs miferes; que plus on eft
le maître de s'attirer l'amour & la bienveil
JUIN. 1745.
14!
lance des hommes , moins on en fait cas , &
qu'il fuffit de pouvoir tout pour n'etre touché
de rien.
Mais quel ufage plus doux & plus flateur ,
mes Freres , pouviez-vous faire de votre élevation
& de votre opulence ? vous attirer des
hommages ? mais l'orgueil lui - même s'en
laffe : commander aux hommes & leur donner
des loix ? mais ce font là les foins de
l'autorité , ce n'en eft pas le plaifir ; voir autour
de vous multiplier à l'infini vos fervi
teurs & vos efclaves ? mais ce font des témoins
qui vous embarraſſent & qui vous gênent,
plûtôt qu'une pompe qui vous décore :
habiter des Palais fomptueux ? mais vous édifiez
, dit Job , des folitudes où les foucis & les
noirs chagrins viennent bientôt habiter avèc
vous ; y raffembler tous les plaifirs ? ils peuvent
remplir ces vaſtes édifices , mais ils laifferont
votre coeur vuide : trouver tous les
jours dans votre opulence de nouvelles reffources
à vos caprices ? la variété des reſfources
tarit bientôt , tout eft bientôt épuiſé ;
il faut revenir fur fes pas & recommencer lans
ceffe ce que l'ennui rend infipide & ce que
Poifiveté a rendu néceffaire. Employez tant
qu'il vous plaira vos biens & votre autorité à
tous les ufages que l'orgueil & les plaifirs peuvent
inventer , vous ferez raffafiés , mais vous
pe ferez
pas fatisfaits ; ils vous montreront le
142 MERCURE DE FRANCE.
joie , mais ils ne la laiſſeront pas dans votre
coeur.
Employez- les à faire des heureux , à rendre
la vie plus douce & plus fupportable à des
infortunés , que l'excès de la mifere a peutêtre
réduits mille fois à fouhaiter, commeJob,
que le jour qui les vit naitre eut été lui- même
la nuit éternelle de leur tombeau ; vous
fentirez alors le plaifir d'être né grand ; vous
goûterez la véritable douceur de votre état ;
c'eft le feul privilége qui le rend digne d'envie
; toute cette vaine montre qui vous environne
eft pour les autres ; ce plaifir eft pour
vous feul , tout le reſte a ſes amertumes ; ce
plaifir feul les adoucit toutes ; la joie de faire
du bien eft tout autrement douce & touchante
que la joie de le recevoir : revenez-y
encore , c'eft un plaifir qui ne s'ufe point ;
plus on le goûte , plus on fe rend digne de le
goûter : on s'accoûtume à fa profpérité propre
, & on y devient infenfible , mais on fent
toujours la joie d'être l'auteur de la profpérité
d'autrui chaque bienfait porte avec lui
ce tribut doux & fecret dans notre ame : le
long ufage qui endurcit le coeur à tous les
plaifirs le rend ici tous les jours plus fenfible .
Et qu'a la majeſté du Trône elle- même ,
Sire , de plus délicieux que le pouvoir de faire
des graces ? que feroit la puiffance des Rois
'ils fe condamnoient à en jouir tout ſeuls ?
JUI N. 1745. 143
une trifte folitude , Phorieur des fujets & le
fupplice du Souverain. C'eſt l'ufage de l'autorité
qui en fait le plus doux plaifir , & le
plus doux ufage de l'autorité , c'eſt la clémence
& la libéralité , qui la rendent aimable .
Non , Sire , ce n'eft pas le rang , les titres , la
puiffance qui rendent les Souverains aimables
;ce n'eft pas même les talens glorieux que
le monde admire , la valeur , la fupériorité du
génie, l'art de manier les efprits & de gouverner
les peuples : ces grands talens ne les rendent
aimables à leurs fujets qu'autant qu'ils
les rendent humains & bienfaifans. Vous ne
ferez grand qu'autant que vous leur ferez
cher : l'amour des peuples a toujours été la
gloire la plus réelle & la moins équivoque
des Souverains , & les peuples n'aiment gueres
dans les Souverains que les vertus qui rendent
leur regne heureux.
Et en effet eft-il pour les Princes une gloire
plus pure & plus touchante que celle de régner
fur les cours ? la gloire des conquêtes
eft toujours fouillée de fang ; c'eſt le carnage
& la mort qui nous y conduit , & il faut faire
des malheureux pour ſe l'affûrer : l'appareil
qui l'environne eft funefte & lugubre , & fouvent
le Conquerant lui-même, s'il eft humain,
eft forcé de verfer des larmes fur fes
propres
victoires.
Mais la gloire , Sire , d'être cher à ſon
144 MERCURE DE FRANCE.
peuple & de le rendre heureux , n'eft environnée
que de la joie & de l'abondance :
il ne faut point élever des ftatues & des colomnes
fuperbes pour l'immortalifer ; elle
s'éleve dans le coeur de chaque fujet un monument
plus durable que l'airain & le bronze
, parce que l'amour dont il eft l'ouvrage ,
eft plus fort que la mort le titre de Conquerant
n'eft écrit que fur le marbre ; le titre de
Pere du peuple eft gravé dans les coeurs.
Et quelle félicité pour le Souverain de regarder
fon Royaume comme fa famille , fes
fujets comme fes enfans , de compter que
leurs coeurs font encore plus à lui que leurs
biens & leurs perfonnes, & de voir, pour ainfi
dire, ratifier chaque jour le premier choix de
la Nation qui éleva fes ancêtres fur le Trône :
la gloire des conquêtes & des triomphes ar'elle
rien qui égale ce plaifir ? mais de plus ,
Sire , fi la gloire des Conquerans vous touche
, commencez par gagner les coeurs de vos
fujets : cette conquête vous répond de celle de
l'Univers. Un Roi cher à une Nation valeureuſe
comme la vôtre n'a plus rien à craindre
que l'excès de fes profperités & de ſes victoires.
Ecoutez cette multitude que Jefus- Chrift
raffafie aujourd'hui dans le défert : ils veulent
l'établir Roi fur eux : ut raperent eum , &
facerent cum regem. Ils lui dreſſent déja un
trong
JUIN. 1745. 145
trône dans leurs coeurs , ne pouvant le faire
remonter encore fur celui de David & des
Rois de Juda fes ancêtres : ils ne reconnoiffent
fon droit à la royauté que par fon humanité.
Ah ! fi les hommes fe donnoient des
maîtres ce ne feroit ni les plus nobles ni les
plus vaillans qu'ils choifiroient , ce feroit les
plus tendres , les plus humains des maîtres
qui fuffent en même- tems leurs peres.
Heureufe la Nation , grand Dieu , à qui vous
deſtinez dans votre miféricorde un Souverain
de ce caractere ! d'heureux préſages
femblent nous le promettre : la clémence &
la majefté peintes fur le front de cet augufte
enfant nous annoncent déja la félicité de nos
peuples ; fes inclinations douces & bienfaifantes
raffurent & font croître tous les jours nos
efpérances. Cultivez donc , ô mon Dieu , ces
premiers gages de notre bonheur ; rendez - le
auffi tendre pour fes peuples , que le Prince
pieux auquel il doit fa naiffance & que vous
n'avez fait que montrer à la terre : il ne vouloit
régner , vous le fçavez , que pour nous
rendre heureux ; nos miferes étoient fes mi.
feres , nos afflictions étoient les fiennes , &
fon coeur ne faifoit qu'un coeur avec le nôtre :
que la clémence & la miféricorde croiffent
donc avec l'âge dans cet enfant précieux &
coulent en lui avec le fang d'un pere fi humain
& fi miféricordieux : que la douceur &
G
146 MERCURE DE FRANCE,
la majefté de fon front foient toujours uñe
image de celle de foname : que fon peuple lui
foit auffi cher qu'il eft lui- même cher à ſon
peuple qu'il prenne dans la tendreffe de la
Nation pour lui la régle & la meſure de l'amour
qu'il doit avoir pour elle ; par là il fera
aufli grand que fon bifayeul , plus glorieux
que tous fes ancêtres , & fon humanité fera
la fource de notre félicité fur la terre & de fon
bonheur dans le ciel . Ainfi foit-il.
GUILLAUME DESPREZ & PIERRE-GUILLAU
ME CAVELIER , Libraires - Imprimeurs ,
demeurant à Paris rue S. Jacques à S. Prof
per && aux trois Vertus donnent avis an
Public qu'ils viennent de mettre en vente un
ouvrage en fix volumes in - douze , qui a
pour titre : Hiftoire des Sacremens , ou de
la maniere dont ils ont été célébrés & adminiftrés
dans l'Eglife , & de l'ufage qu'on
en a fait depuis les Apôtres jufqu'à préfent.
Compofe par Dom C. CHARDON
Religieux Bénédictin de la Congrégation de
S. Vannes. 1745 :
QU
Voique ce titre annonce affés de lui
même quel eft le fujet dont l'Auteur
s'eft propofé de traiter dans les fix volumes
in-douze qui compofent
cet ouvrage , il le
développe
un peu plus au long dans un Aver
JUIN. 1745.
147
-
tiffement très court qu'il a mis à la tête du
premier , où il dit que la lecture des OEuvres
du Pere Morin ( il entend ce qu'il a écrit fur
la Pénitence & les Ordinations ) lui a fait
naître la penfée d'entreprendre en notre langue
une hiftoire fuivie & détaillée des Sacremens
, en choififfant les principaux faits qu'il
a tâché d'expofer d'une maniere claire & précile
autant que chaque fujet le lui a permis ;
qu'il s'eft attaché fur tout aux Auteurs anciens
, aux Peres , aux Conciles & aux Décrets
des Papes , comme aux fources les plus
pures.
Il ajoute qu'il ne s'eft pas contenté de repréfenter
les divers changemens furvenus par
la fucceflion des tems dans l'adminiftration
& l'ufage des Sacremens dans l'Eglife Catholique
: qu'il a de plus fait voir de quelle maniere
ils s'adminiftrent dans les anciennes
communions chrétiennes féparées de la nôtre,
& que deux motifs l'y ont engagé, » Pre-
» mierement , dit- il , j'ai cherché en cela à
fatisfaire la curiofité du lecteur. On fçait
que le récit de ce qui fe paffe dans les Pays
» fort éloignés fait à peu près la même impreffion
fur les efprits que celui des faits arrivés
dans les tems reculés. Ainfi j'ai cru
faire plaifir à ceux qui liront cet ouvrage
» en leur apprenant ce qui fe pratique chés
les Chrétiens orientaux par rapport à la
»
"
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
ג כ
"
30
matiere que je traite. La feconde & pricipale
raifon qui m'a déterminé à cela eft
» que j'ai jugé qu'il étoit avantageux à l'Eglife
Catholique de montrer que les peuples
de ces communions ont confervé les rits
effentiels des Sacremens qui nous font com-
» muns avec eux , rien n'étant plus propre à
convaincre tout efprit raifonnable que
l'Eglife n'a rien innové en ce genre , que
quand on voit ceux qui fe font féparés d'elle
depuis tant de fiecles, convenir dans la pratique
des chofes qui fuppofent une mème
22
20
5)
33
33
» croyance.
"
Enfin il avertit qu'il a été très-attentif à
écarter par tout les termes injurieux & méprifans
comme contraires à la charité qui eſt
l'ame du Chriftianifme , & que pour n'offenfer
perfonne il n'a donné à ceux même qui
vivent dans des communions féparées de la
notre que les noms qu'ils ont pris eux - mêmes
, quoi qu'il fe foit trouvé de tems en
tems dans la néceffité de réfuter leurs opinions.
Telle eft l'idée que l'Auteur donne de
fon ouvrage dans le difcours qui eft à la tête,
renvoyant aux avertiffemens particuliers qu'il
a femés çà & là dans le corps du Livre ceux
qui voudront s'en former une idée plus étenduë.
Ceux qui le liront remarqueront que for
JUIN. 1745 . $49
but principal eft de découvrir l'origine des
rits , tant anciens que modernes , avec lefquels
les Sacremens ont été adminiftrés , de
faire voir ce qu'on y a ajouté & ce qu'on en
a retranché dans la fuite ; quelles étoient les
cérémonies qui accompagnoient ces rits principaux
& effentiels , comment on fe préparoit
à recevoir la grace des Sacremens , &
enfin de faire connoître les uſages tant légitimes
qu'abufifs que l'on en a fait dans toute
la fuite des fiécles . C'eft ce qui l'engage dans
la diſcuſſion d'un grand nombre de faits hiftoriques
, & à éclaircir quantité de canons des
Conciles & de paffages difficiles des anciens
Ecrivains Eccléfiaftiques , qu'il a été ſouvent
obligé de comparer les uns avec les autres ,
pour faire difparoitre les contrarietés apparentes
que les perfonnes peu verfées dans la
lecture de leurs ouvrages croyent appercevoir
& les concilier ainfi entre-eux .
Tous les Sacremens ne lui fourniffent pas
une matiere également abondante . Il en eft
quelques-uns fur lefquels il s'eft beaucoup
plus étendu que fur les autres . Et pour prélenter
au lecteur une idée abregée de ce que
contient l'ouvrage , il eft bon de lui expofer
en peu de mots ce qui eft renfermé dans chacun
des fix volumes.
Le premier comprend les Sacremens de .
Baptême & de Confirmation . Celui - ci ne
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
·
fait pas le tiers du volume . L'autre eft beau
coup plus étendu , parce qu'il y eft traité
non feulement du tems , du lieu , de la maniere
dont il a été conferé , auffi - bien que
de fes effets , & de ceux à qui il appartenoit de
le donner, mais encore du Cathecumenat qui
étoit la préparation au Baptême, & fur lequel
il y a quantité de chofes utiles & curieufes à
dire , tant fur les différentes efpeces de caté
chumenes que fur les exercices qu'on leur
faifoit pratiquer , & fur les inftructions qu'on
leur donnoit , les prieres & les exorcifmes que
Pon faifoit fur eux , & enfin les rits qui précédoient
immédiatement le Baptême.
Dans le fecond Tome il entreprend de
parler de l'Euchariftie comme Sacrement ,
fans entrer néanmoins dans les preuves de la
préfence réelle de J. C. parce que c'eſt une
matiere purement dogmatique & approfondie
dans les excellens écrits que l'on a publiés
dans ces derniers tems contre les Sacramentaires
; l'Auteur fe contente de parler de
l'oblation des dons facrés , de la confé cration
& de la diftribution qui s'en fait par les miniftres
de l'Eglife , ce qui l'engage à traiter de
la maniere dont fe faifoit autre fois la communion
tant dans les affemblées des fidéles que
dans les maiſons particulieres , & de diverfes
chofes qui ont rapport à cette matiere , auffi
bien que des ufages & des pratiques tant léJUIN
. 1745 . 151
gitimes qu'illegitimes qui fe font introduites
autrefois à cet égard. Ce fecond tome comprend
outre cela une partie de l'Hiftoire du
Şacrement de Pénitence , c'eft - à-dire la premiere
Section , où il eft parlé du tribunal
dans lequel les Prêtres exercent l'autorité
qu'ils ont reçue de J. C. d'abfoudre ou de
lier le pécheur & une partie de la feconde
qui traite de la manière dont s'eft faite en
tout tems la confeffion des péchés tant ſecrette
que publique .
La troifiéme Section occupe prefque entierement
le troifiéme Tome . Elle a pour
titre de l'Action de la Pénitence , ou de la
difcipline extérieure que l'Eglife a obfervée depuis
lespremiersflecles jufqu'à préfent à l'égard
des pécheurs tant Clercs que Laiques , pour les
guérir des playes du péché , & les punir des fautes
commifes depuis le Baptême.
Cette Section , à cauſe de la vaſte étenduë
des matieres qu'elle renferme , eft diviſée en
quatre Parties , dont la premiere , outre diverfes
obfervations fur différens points de la
difcipline de la Pénitence en général , comprend
les ufages & les maximes fur cette matiere
reçues dans l'Eglife depuis les tems Apoftoliques
jufques vers la fin du troifiéme fiécle.
Dans la feconde Partie on repréſente
cette même difcipline telle qu'elle a été ob
fervée depuis le tems des perfécutions juf-
Giiij
12 MERCURE DE FRANCE.
ques fui 1 fin du feptiéme fiécle. Cela donne
lieu à l'Auteur d'expliquer au long en
quoi confiftoient ces quatre fameufes Stations
de la Pénitence dont il eſt ſi ſouvent
fait mention dans les Ecrits des Anciens , &
de faire diverſes remarques curieuſes & intéreffantes
qui tendent à éclaircir une matiere
fi importante. On voit dans la troifiéme Partie
que l'Eglife dans le moyen âge a conſervé
le même efprit , & que la difcipline de la Pénitence
, quoique changée en divers points ,
n'a pas été moins rigoureuſe en ce tems que
dans les fiécles les plus floriffans .
Le quatriéme volume commence par la
quatriéme Partie de cette troifiéme Section.
Cette Partie eft proprement l'Hiftoire de la
chute de la Pénitence dont l'Auteur fait voir
la décadence & les différentes caufes qui y ont
Concouru . Elle eſt ſuivie de la quatriéme Section
qui traite de l'Abfolution ou de la réconciliation
des pécheurs tant fecrette que publique.
Après quoi on trouve un Recueil de
différentes pieces authentiques qui forment
toutes enfemble une efpece de Code Penitenciel
& qui repréfentent au naturel l'état
de la pénitence dans les différens âges de l'Eglife
jufqu'à ces derniers tems. Le Traité de
PExtrême-Onation termine ce volume.
Le cinquiéme eft tout entier de l'Ordre . Il
eft divifé en trois Parties ou Sections , dont
JUIN. 1745 . 153
la premiere regarde ce qui précédoit l'Ordination
. L'auteur y traite non feulement des
Ordres mineurs qui étoient & qui font encore
aujourd'hui , comme un préalable à ce
qui s'appelle proprement le Sacrement de
F'Ordre , mais encore de la maniere dont
s'eft faite dans tous les fiécles l'élection des
Miniftres du premier & du fecond Ordre .
Dans la feconde Partie il eft qucftion des
divers rits & formules de l'ordination des
Evêques , des Piêtres , des Diacres , & des
queftions qui ont été agitées autrefois au ſujet
de celles qui avoient été faites contre l'ordre
des canons . Enfin dans la troifiéme on fait
voir la prééminence des Evéques au - deflus
des Prêtres. On y traite de la fubordination
des Evêques les uns aux autres , de l'origine
des dignités de Métropolitains , d'Exarques ,
de Patriarches , de Primats , & des prérogatives
attachées à tous ces rangs.
Le refte de cette Partie du Traité de
l'Ordre fe trouve dans le fixiéme volume. Il
y eft queftion des changemens arrivé dans
l'Ordre hierarchique par les entrepriſes des
Archiprêtres , des Archidiacres , des principaux
Officiers du Pape & du Patriarche de
Conftantinople. On y voit auffi ce qui concerne
lesanciens Economes des Eglifes, les
Défenfeurs, les Avoués ou Vidames, &c. Ou
recherche l'origine de etous ces Officiers; on
Gr
154 MERCURE DE FRANCE.
fait voir les avantages dont ils ont joui ; la décadence
de ceux qui ne fubfiftent plus , & ce
qui refte de prérogatives à ceux qui fe font
confervés jufqu'à préfent. Tout cela eſt ſuivi
de l'Hiftoire du Sacrement de Mariage dans
laquelle on montre de quelle maniere il s'eft
célébré de tout tems , & dans toutes les Nations
Chrétiennes. On y parle auffi des empêchemens
, & l'on tâche de découvrir comment
, en quel tems , & par qui ils ont été
établis. Ce volume eft terminé par la Table
générale de matieres renfermées dans les fix
volumes.
Voilà en peu de mots quelles font les matieres
que l'Auteur a traitées dans cet ouvrage
qu'il n'a point cherché , dit-il , à grofir
mais qu'il s'eft toujours étudié à réduire dans
les bornes les plus étroites qu'il lui a été poffible.
En effet , en confidérant la vafte étendue
& l'importance des chofes qu'il renferme
, on peut dire qu'il lui a plus coûté d'étude
& de travail pour le rendre court que
pour amaffer les materiaux qui devoient entrer
dans fa compofition.
Un ouvrage de cette nature ne peut être
qu'utile aux Chrétiens de tout état. Les Eccléfiaftiques
y verront quelle eft l'origine des
faintes cérémonies qui fe pratiquent dans la
célébration & l'adminiftration des myfteres
dont ils font les difpenfateurs. Les Laïques
JUIN. 1745. 155
y apprendront d'une part avec quelle fimplicité
majeftueufe nos peres ont adminiftré
les chofes faintes ; & de l'autre , comment
ils fe doivent eux - mêmés préparer à recevoir
les Sacremens , & à puifer dans ces fources
divines les graces dont ils ont befoin pour
mener une vie qui réponde à la fainteté de
notre Religion.
L'Auteur pour inviter les gens de toute
condition à la lecture dé fon Livre , femble
avoir voulu l'affortir au goût de tout le monde.
Les perfonnes pieufes y trouveront dequoi
nourrir leur pieté par le récit d'une infinité
d'hiftoires édifiantes qu'il y a répandues ,
& qui toutes ne tendent qu'à infpirer le refpect
pour la Religion & pour la fainteté des
myfteres que Dieu a mis en dépôt dans fon
Eglife.
Les gens de Lettres y verront avec plaifir
quantité de traits de l'antiquité Eccléfiaftique
fort curieux , & même quelques-uns de
l'antiquité Profane qui ont quelque rapport
avec les ufages reçus dans l'Eglife . Nous
pourrions , fi l'Auteur nous le permettoit
apporter des preuves de ce que nous difons
ici en produifant les lettres pleines d'éloges
qui lui ont été écrites par des Antiquaires
habiles à qui il avoit communiqué fon Manufcrit
& l'Imprimé avant qu'il ait paru en
public.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
Enfin les Théologiens y trouveront lespieces
authentiques fur lefquelles ils doivent former
leurs conclufions & prononcer leurs déciſions
en cette matiere fur laquelle il y a tant de partage
de fentimens parmi eux. Ceux qui ont
étudié à fond cette fcience fçavent que les
Sacremens ont été juſqu'à préſent la portion
de toute la Théologie que l'on a le moins
defrichée , & celle qui demande le plus d'érudition
; que pour y faire des découvertes
il ne fuffit pas d'avoir beaucoup de pénétration
d'efprit , & d'avoir lû l'Ecriture Sainte &
quelques - uns des Saints Peres les plus eſtimés
, mais qu'il faut de plus être inftruit à
fond des pratiques & ufages des Eglifes de
toutes les Nations & de tous les tems.
JUIN. 1745. 157
Le mot du Ier. Logogryphe eft Carnaval , on y
trouve Car , Naval , Aval , terme de commerce ;
lorfqu'un banquier a accepté une lettre de change
on dit qu'il a mis deffus fon Aal , Aval fignifie
auffi un vent en termes de Mariniers . On y trouve
encore Canal.
On a dû expliquer le fecond Logogryphe par
Ruban , on y trouve Ur , Ville de Chaldée Patrie
d'Abraham´ , ´Bau , convocation des Nobles au
fervice du Roi , Baz , publication , & An.
Le mot de l'Enigme fuivante eft le Tour , & celui
du dernier Logogryphie eft Marchand , on y trouve
Marc , poids , & S. Marc Evangeliste , Arc
Aa , riviere , Ham , Ville , Ratan , Armand l'un
des Comédiens du Roi , Aman , CChhaamm,, Acham
qui vola une regle d'or du tems de Jofué , Marca
Archevêque de Paris , Camard , Cam l'un des fils
de Jacob , Canard & Cana Ville de Galilée,
158 MERCURE DE FRANCE.
SAPSARSAPSAPSAP SAPSAPSAPSP
ENIGME ET LOGOGRYPHES.
ENIGME .
LEcte Ecteur, combien de fois ai -je fixé tes yeux ?'
Sans te parlerj'ai fçu beaucoup te dire ,
Sans rien fçavoir j'ai fçu t'inftruire ,
Et long-tems après toi j'inftruirai tes neveux ,
LOGO GRYPHE.
Pourfuir les préjugés enfans de l'ignorance ,
Ne jugeons point des gens fur la feule apparence :
C'eſt le meilleur. Chaque être a fes proprietés.
Naïvement , lecteur , voici mes qualités ;
Laid , plat , voûté , gris , blanc , n'ayant qu'un
trou pour gîte ,
Quoi qu'avec force pieds je n'en cours pas plus
vite.
S'il eft beaucoup de gens qui n'ofent me toucher,
D'autres bien differens foigneux de me chercher
Sçavent qu'il eft en moi des vertus admirables
Par qui les plus grands maux ceffent d'être incurables.
JUIN. 1745 .
159
Que le pufilanime & le moins curieux
Voye s'il fut jamais deftin plus glorieux.
8 Lettres , fomme toutes en divers fens jettées ,
Vont de mon petit corps faire un nouveau
Prothée.
I , 3 , 2 , Que Petrarque en ftile ſérieux
Nomme une Colomne d'yvoire
Qui fert à foutenir les Cieux .
Belle Laure , tu le peux croire ,
Ce font des aftrès que tes yeux .
I > pour
les vitres , 3 2 , 8 , Il faut en avoir ”
3 , 6 , Plus ou moins pur au degré de ſes titres
1 , 3 , 6 , Inftrument qu'on porte fans manteau,
6 , 5 , 8 , Eft fi dur qu'il réfiſté au marteau .
4 , 5 , 6 , 7 , 8 , Honneur de la Turquie .
4 , 6, 5 , 7 , 8 , Garçon d'Imprimerie .
4, 5 , 6 & 7 , Ce qu'on defire en Mer.
4 , 5 , 6 , Plus 1. feroit-il ladre vert ?
4', 5 , 7 , Un lit , une table , une chaiſe ,
Sont fuffifans pour mettre un pauvre homme à fon
aife .
Certain bruit incongru que fait fouvent & fort ,
Comme dit le proverbe , ane qui n'eſt pas mort
C'eft 4, 8 & 7 , mais7,6,5, & 4 ,
Sage l'évitera , s'il n'eft las de combattre.
Je pourrois bien encor me métamorphofer ,
Mais il ne s'agit pas ici de m'épuifer,
160 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
DIx membres réunis forment mon exiſtence ,
On y voit un poiffon , une Ville , un oiſeau :
Ce qu'une femme porte en guife de manteau :
Ce dont un tout tire ſa conſiſtance :
Un fruit , un élement , un peché capital ,
Un animal immonde , un précieux métal ,
Un vafe de fayance ou bien d'autre matiere .
Ce qui réduit le tabac en pouffiere ;
,
Ce que l'on trouve au corps humain ;
Enfin ce qu'a fouvent un joueur à la main.
On dit que je renferme encor quelque myſtere ;
Lecteur , c'eft votre tour ; il eft tems de me taire.
Par Mlle de Villecourt à Nevers.
15
TELA VILLE
DE
LYON
BIBLIOTHE
7
JUIN 1745. 161.
**H** **** *** » > « I« « K
DUO.
L La Flute dont le Dieu Mercure
Se fervit autrefois pour endormir Argus
Fut par le confeil de Bacchus
Un verre de bonne meſure.
Argus , heureux Berger , ah ! que ton fort fut doux,
Si profitant de l'avanture
Pour fermer tous tes yeux tu bus jufqu'à cent coups !
162 MERCURE DE FRANCE.
****************
L
SPECTACLES,
OPERA.
Académie Royale de Mufique donnera
inceffamment la premiere repréfentation
des Fêtes de Thalie Balet, les paroles font
de feu M. de Lafont & la Mufique de feu
M. Mouret. Il a paru la premiere fois le
Dimanche 19 Aouft 1714 ; il a été remis
bien des fois avec un fuccès foutenu.
La fortune de cet Opéra a long- tems
varié avant que de s'établir folidement.
D'abord les paroles furent totalement profcrites
, & la Mufique ne fut goûtée que lentement.
A la premiere repréſentation il n'y
eut que le cotillon qui échappa à la critique ;
à la feconde , la Loure eut le même fort.
Dans les fuivantes les Symphonies furent approuvées
, enfin la Mufique vocale obtint les
fuffrages les plus tardifs.
Quant aux vers on s'obſtina fi long-tems
à les honnir , que le Poëte lui -même fut
forcé de les condamner publiquement dans
l'acte qu'il ajouta à fon Balet intitulé la Critique
des Fêtes de Thalie ; le tems a fait taire
la fatyre , & aujourd'hui ce Balet eft un
des plus amufans qui foit refté fur le Théatre
JUIN. 1745: 783
lirique. Ce n'eft pas le feul Opera qui après
avoir été fort critiqué foit parvenu à une
réputation moins conteftée. Nous ne ferons
pas ici les citations qui pourroient y trouver
leur place , nous laiffons ce foin à nos lecteurs
judicieux qui ne fe méprendront pas.
Notre exactitude feroit defobligeante pour
quelques Auteurs , & nous craignons d'offenfer
leur amour propre , nous aimons mieux
ne pas contenter le nôtre en étalant toutes
les découvertes de notre attention.
Il eft fûr qu'on a négligé les talens de M.
Mouret. Quel parti n'auroit- on pas tiré de
cet Auteur , fron avoit connu fon prix ? Auroit-
on fouffert qu'il eût prodigué dans cent
piéces qui n'ont pas réuffi fur le Théatre Ita-
Tien plus de Mufique qu'il n'en faudroit pour
immortalifer dix Opera ? La diftinction des
talens eft- elle donc fi difficile à faire ? II
faut le croire , nous en avons des preuves
anciennes & modernes ; la Tradition même
nous apprend que la Phedre de Racine a
penſé céder le Théatre , quand elle a paru
pour la premiere fois , à celle de Pradon.
**
*
# 64 MERCURE DE FRANCE,
QUATRIEME fuite des réflexions fur
les Ballets.
Ous allons achever la defcription du
N Balet danfe devant Louis XIV . à Lyon,
duquel nous avons parlé dans le premier volume
de ce mois.
La Ville de Lyon vient être la veftale
pour conferver le feu facré de l'autel confacré
à Louis Augufte. Elle commence´la´fixiéme
entrée par ce récit.
Je dois ma premiere origine
Au fiécle glorieux des Céfars couronnés,
Et tous les peuples étonnés
M'ont vû fortir deux fois d'une trifte ruines
La querelle de deux * rivaux
Devint la caufe de mes maux.
Leur fureur n'épargna ni Temple ni Portique ,
Et par cette fatalité
Ilne me reste plus d'antique
Que le gage éternel de ma fidélité,
La feconde partie pour les dépouilles confacrées
à l'autel de Louis Augufte fit d'abord
paroître la gloire affife fur un Trône
dont toutes les marches étoient terminées
par des lions accroupis , & veillans comme
* Albin & Severe .
JUIN.
165
1745 .
ceux du Trône de Salomon : ce fut la Gloire
qui fit ce ré cit.
Sortez de vos Palais & quittez vos baluftres,
Idoles de la majeſté ,
Venez apprendre ici de quelle autorité
Se fervent les ames illuftres,
On cultive plus de lauriers
Dans les plaines de Mars & dans les champs guer
riers
Que dans loifiveté d'une Cour pacifique :
Le fer a plus rendu de Princes immortels ,
Que l'or dont ils ſe font un orgueil magnifique”,
Et l'encens qui noircit tous les jours leurs autels :
Ce n'eft pas des Héros peints dans leurs Galeries
Qu'ils apprennent à triompher ;
Un Roi doit préferer la pouffiére & le fer
Aux dorures des Tuilleries ,
Les combats de Fontainebleau
Et l'ennemi vaincu dans un coin de tableau
Sont de belles leçons pour un Prince en peinture.
Pour former un Héros , pour faire un Conquerant
Il faut comme Louis prendre d'autres meſures
Et mériter l'honneur que la gloire lui rend .
A la premiere entrée de cette feconde
partie les Elémens vinrent s'offrir à Louis
Augufte pour le fervir dans les combats &
166 MERCURE DE FRANCE.
lui jurerent fur fon autel une fidélité inviolable.
Premier récit
LE FEU .
Je veux fervir avec chaleur
Ce Conquérant dont la valeur
Et la feule gloire m'allume ,
Pour lui mon zéle eft évident ;
Je ne tiens pas fecret le feu qui me confume ,
Et de fes ferviteurs je fuis le plus ardent,
L'AIR.
Rien ne peut refifter à ma légereté ,
Tout foible que je fuis , je gronde je tempête ,
Pour peu que je fois irrité
Il n'eft point de laurier qui ne baiſſe la tête :
Je fuis vos étendars , je les enfle ſouvent
Vos ennemis jaloux admirent mes foupleffes ,
Fiez -vous donc à mes promeffes ,
Quoiqu'elles ne foient que du vent.
L'E A U.
Vous voyez le fond de mon coeur
Je ne vous cele rien , mon ame est toute claire ,
Et bien que le dehors ne montre que froideur ,
Je brule inceffamment du defir de vous plaire ;
J'offre à ce deffein tous mes bras
Pour vous fervir dans vos combats ,
Et je veux vous donner des preuves de mon zéle
Je vais faire pour vous de glorieux efforts
Je remue , il eft vrai , mais je fuis fi fidelle
"
JUI N..
167 1745.
Queje garde un rempart lors même que je dors.
LA TERRE.
Pour moije foutiens yos guerriers ,
Et de tous vos fujets vous voyez le plus ferme
Pour vous je m'épuife en lauriers ,
C'eft pour vous que la palme germe ,
Je viens pour vous en couronner ,
Mais je me plains ſouvent à l'aftre qui m'éclaire ,
De voir que nous foyons plus tardifs à les faire
Que vos mains à les moiffonner.
Enfuite des Villes nouvellement conquifes
viennent chargées de chaines au pied de
l'autel de Louis Augufte, où brifant ces chaines
elles en font des trophées & fe réjouiffent
d'être foumifes à ce Conquérant. Ces
Villes devenues Françoifes compofent la
feconde entrée.
La Flandre & la Lombardie furieuſes &
échevelées fremiffent en voyant ces chaines
attachées à l'autel de Louis Augufte ; elles
s'éforcent en vain de les arracher & de renverfer
l'autel ; leurs efforts impuiffans les
obligent d'avoir recours à la fiévre qui met
les humeurs en querelle , elles fe combattent
, l'autel tremble & ces funeftes mouvemens
occupent la troifiéme, la quatrième
& la cinquiéme entrée,
La fixiéme fut celle de la France languif
fante pendant la maladie dangereuſe dont
168 MERCURE DE FRANCE .
Louis XIV. fut atteint au Fort de Mardich
après fes Victoires éclatantes. La jeuneſſe
vint à fon fecours , chaffa la fiévre , réconcilia
les humeurs , & rétablit les eſpérances
de la France , qui fit ce récit.
LA FRANCE.
Heureux événement qui contre mon attente
Retire du cercueil la Majefté mouraste ,
Tu diffipes ma crainte , & me fais reſpirer
En me rendant un Roi qui me fait révérer :
Je ne voyois par- tout que des Palmes féchées
Des Lauriers prefque morts , & des fleurs arrachées;
La gloire travailloit à lui faire un Tombeau ,
Et le jour n'éclairoit que d'un trifte flambeau ,
Tandis que mon Héros d'un air doux & tranquile
Quittoit fans s'émouvoir cette Pompe fragile ,
Et Monarque intrépide en ce dernier effort
Vainquoit fes ennemis , & défioit la mort.
En ce moment fatal ce Héros invincible!
Demeuroit encor ferme , & fe rendoit terrible :
Sa vigueur défaillante animoit les foldats
Donnoit le mouvement & la force à leurs bras ;
Etendu dans fon lit fans Sceptre ni Couronne
Il confervoit les droits que la Pourpre lui donne ,
Rien ne pût l'ébranler , & ce lys abattu ,
Tout pâle & languiffant retenoit fa vertu.
Ainfi l'aftre du jour voit mourir fa lumiere ,
Sans manquer d'un feul pas à fa jufte carriere ,
D'un
JUIN
1745. 169
!
D'un mouvement égal il marche à fon tombeau,
Et voit d'un oeil ouvert éteindre fon flambeau ,
Tandis qu'avec cent feux dans la voûte céleſte ,
La nuit fuit fon cercueil fous un voile funefte :
Ma Reine en ce moment cédoit à fes douleurs ,
Et l'aurore jamais ne verfa tant de pleurs ;
D'un regard languiffant , d'une lumiere fombre
Elle voyoit mon Roi qui n'étoit plus qu'une ombre;
La fortune en déſordre & la victoire en deuil
Pour un Arc de Triomphe élevoient un cercueil ,
Les Drapeaux déployés , & les Piques baiffées
Alloient bien-tôt ſe joindre aux armes renverſées ,
Et fi l'on arrachoi : des Palmes aux Flamans ,
C'étoit pour couronner de triftes monumens ;
La gloire d'autre part confuſe & gémiſſante ,
Survivoit à regret à la valeur mourante ;
Les graces & l'amour pleuroient ce Conquérant ,
Et tout dans la nature étoit mort ou mourant :
Moi d'un torrent de pleurs & de larmes trempée ,
J'expirois en baiſant ſa main & ſon épée ,
Quand le Ciel attendri le rendit a mes voeux
Et pour le conferver employa tous fes feux.
Du coeur de mon Héros une flamme plus forte
Sortit pour ranimer la Pourpre déja morte ;
Il reprit fa vigueur & ce nouvel effort
Son triomphe augmenta de celui de la mort.
Graces aux Immortels cette feconde vie
De combien de fuccès fera-t- elle fuivie ?
II. Vol.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
Je verrai ſa valeur malgré ſes ennemis
Le faire reſpecter par cent Peuples foumis.
Autour de ce Héros cent Provinces captives
Quitteront leurs lauriers pour prendre ſes olives ,
Tandis que je ferai des cours de ſes Sujets
Des victimes d'amour & des Trônes de Paix .
Ce récit funébre , & le trifte tableau
des quatre dernieres entrées offert en 1658,
nous rappelle affés exactement celui qui a
tant effrayé la France en 1744 , lorfque le
Roi fut attaqué d'une fi dangereufe maladie
dans la Ville de Metz.
JUIN 1745 171
1
COMEDIE FRANCOISE.
Le fuccès éclatant de la repriſe de Didon,
Tragédie de M. le Franc nous autoriſe à
en parler plus d'une fois . Le public ne peut
manquer de relire avec fatisfaction l'éloge
d'une Piece qu'il a revû fouvent avec tant
de plaifir.
Ses applaudiffemens longs , redoublés &
fréquens garantiffent la vérité de notre opinion.
Ne pouvons - nous pas avancer fans témerité
de M. le Franc , qu'il a commencé
la carriere dramatique , comme l'Auteur le
plus habile fouhaiteroit de la terminer.
La Tragédie de Didon a été repréſentée
la premiere fois en 1734, & imprimée & débitée
par Chaubert Libraire Quai des Auguftins.
On lit à la tête une lettre de l'Auteur
adreffée à M. le Marquis de Neelle
Commandeur des Ordres du Roi , qui plus
inftructive que les Epîtres dédicatoires ordinaires
, ne ſe borne pas aux louanges dûës
à l'efprit & au goût de ce Seigneur ; elle
renferme une Differtation qui prouve la mo◄
deftie & la capacité de M. le Franc.
Nous ne donnerons pas un extrait ſuivi
de cette Tragédie , on peut le trouver dans
les Mercures de nos prédéceffeurs. Nous
nous contenterons d'en tranfcrire quelques
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
morceaux : le choix eft fort embarraſſant
entre des beautés égales. M. le Franc s'eft
approprié tous les beaux traits de Virgile ,
& il les a fi bien confondus avec fes propres
richeffes , qu'on ne peut plus diftinguer fes
emprunts.
SCENE CINQUIEME
Du fecond Acle entre larbe , paffant encore
pourfon Ambassadeur , & Didon.
I ARBE .
Iarbe aux Phrygiens eft donc facrifié ?
Madame , votre hymen eft déja publié,
C'est peu que d'un refus l'ineffaçable outrage
D'un Monarque puiffant irrite le courage ,
Un Guerrier qui jamais ne l'auroit efperé
A l'amour d'un grand Roi ſe verra préferé ?
Du moins fi votre coeur fans déſir & fans crainte
Pour toujours de l'hymen avoit fui la contrainte ,
Mais de ce double affront l'éclat injurieux
N'armera pas en vain un Prince furieux.
Achevez toutefois un fatal hymenée ,
Bravez toute l'Afrique & couronnez Enée ,
Il fera votre époux , il défendra vos droits
Et bien- tôt défiant le courroux de nos Rois,
Suivi de fes Troyens, . .
DIDON.
?.
Je m'a bufe peut- être ,
JUIN 1745 . 173
Vous pouvez cependant rejoindre votre maître ,
C'eft à lui de choiſir ou la Guerre ou la Paix ,
J'aime , j'époufe Enée , & mes foldats font prêts .
I ARBE.
Oui , Madame, il choifit , & vous verrez fans doute
Eclater des fureurs que pour vous je redoute ;
Vous époufez Enée , & votre bouche ... O Ciel !
Me fait avec plaiſir un aveu fi cruel !
Ne tardons plus , fuivons le courroux qui m'en
traine.
DIDON.
Oubliez vous qu'ici vous parlez à la Reine ?
IAR BE.
A ma témérité reconnoiſſez un Roi .
DIDON .
Quoi , fe peut-il qu'Iarbe .
IAR BE.
Oui , cruelle , c'est moi;
Dès mes plus jeunes ans par le deftin contraire
Conduit dans les climats où regne votre frere ,
Je vous vis ; vos malheurs firent taire mes feux ,
Un autre parleroit des tourmens rigoureux
Qui remplirent depuis une vie odieufe
Qui ne fçauroit fans vous être jamais heureuſe ;
Je ne viens point ici de moi-même enyvré
Vous faire de ma flamme un aveu prépar ,
Peu fait à l'art d'aimer , j'ignore ce langage
Que pourfurprendre un coeur l'amour met en ufage,
Hiij
# 74 MERCURE DE FRANCE,
Je laiffe à mes rivaux les foupirs , les langueurs ,
Du luxe afiatique hommages féducteurs ,
Vains & lâches tranſports dont la vertu murmure ,
Qu'enfante la molleffe & que fuit le parjure ;
Je vous offre ma main , mon Trône , mes foldats ;
Dites un mot, Madame , & je vole aux combats ,
Je dompterai s'il faut l'Afrique & votre frere ...
Mais malheur au Rival dont l'ardeur téméraire
Ofera difputer à mon amour jaloux
Le bonheur de vous plaire , & de vaincre pour
vous.
DIDON.
Seigneur, de votre amour juftement étonnée ,
A de nouveaux revers je me vois condamnée ,
Car enfin quelque foit le tranſport de vos feux ,
Mon coeur n'est plus à moi pour écouter vos voeux .
Mais quoi ! je connois trop cette vertu févere
Dont votre augufte front porte le caractere .
Un Héros tel que vous fameux par fes exploits ,
Dont l'Afrique redoute & refpecte les loix ,
Maître de tant d'Etats , doit l'être de fon ame
Voudroit-il , n'écoutant que fa jaloufe flamme ,
D'un amant ordinaire imiter les fureurs ?
Non , ce n'eft pas aux Rois d'être tyrans des coeurs,
Montrez-vous fils du Dieu que l'Olimpe révere.
J'admire vos exploits , votre amitié m'eſt chere ,
C'eft à vous de fçavoir fi je puis l'obtenir ,
Ou fi de mes refus vous voulez me punir ';
JUIN 1745. 175
1
Si dans les mouvemens du feu qui vous anime
Vous voulez feconder le deftin qui m'opprime ,
Hâtez-vous , fignalez votre jaloux tranſport ,
Accablez une Reine en butte aux coups du fort
Qui prête à voir fur elle éclater le tonnerre
Peut fuccomber enfin fous une injuſte guerre ,
Mais que le fort cruel n'abaiffera jamais
A contraindre fon coeur pour acheter la Paix .
SCENE DEUXIE'ME
Du quatrieme Acte entre Enee & Achate:
АСНАТ Е.
Ah ! Seigneur , raffûrez mon ame inquiétée
Contre l'affreux foupçon dont elle eft agitée ;
Mon zéle fur vos pas m'a conduit vainement ,
Le fort vous rend enfin à mon empreffement.
Je tremble d'éclaircir le funefte myſtere
Qui vient de retarder un départ néceffaire ,
Mais vos yeux incertains femblent me réveler
Un fecret que votre ame a voulu me céler ,
Quoiqu'il en foit, Seigneur , partons , c'eft trop
attendre ,
Que fçai-je ? la pitié peut encor vous furprendre ,
Hatons - nous . Vos vaiffeaux couvrent déja les
mers ,
Les cris des matelots font retentir les airs ,
L'onde blanchit d'écume, & s'il faut vous le dire,
Hij
176 MERCURE DE FRANCE.
Vos foldats pleins du feu que le Ciel leur infpire
De leur chef en fecret accufent la lenteur .
ENE' E
J'ai vu la Reine, Achate , & l'amour eft vainqueur,
A CHAT E.
Que dites-vous ? l'amour ! Ah je ne puis vous
croire.
Non l'amour n'eft point fait pour étouffer la gloire;
Elle parle , elle ordonne , il lui faut obéir ,
Ce n'eft pas vous , Seigneur , qui la devez trahir...
Qu'entens-je ? eft-il bien vrai .. Quelle foibleffe
extrême !
Quoi ! l'amour ! non , Seigneur , vous n'êtes plus
vous-même ...
Que diront les Troyens ? que dira l'Univers ?
On attend vos exploits , & vous portez des fers.
ENE' E.
De la main de Didon je tiens une Couronne ,
Je poffede fon coeur , je partage fon Trône ,
Quelle gloire pour moi peut avoir plus d'appas ?
A CHAT É.
La gloire n'eft jamais où la vertu n'eft pas.
Mais dûffiez - vous punir un ami trop fidéle ,
Je ne fçaurois , Seigneur , commander à mon zéle .
Je le vois bien ; Enée à jamais attaché
Aux liens de l'amour ne peut être arraché ,
Aimez, donc. Renoncez aux Palmes immortelles
Qui devoient couronner vos conquêtes nouvelles..
JUIN 1745 . 177
Mais il vous refte un fils . Ce fils n'eft plus à vous ,
Il appartient aux Dieux de fa grandeur jaloux ,
Ses neveux fonderont une Cité guerriere
Qui changera le fort de la nature entiere ,
Qui lancera la foudre ou donnera des loix ,
Et dont les Citoyens commanderont aux Rois.
Leur nom fera trembler. Le maître du Tonnerre
A leur vafte triomphe a réſervé la terre ;
Vous le fçavez , Seigneur , vous qui dans les
combats
De ce fils jeune encor deviez guider les pas ,
Par ma bouche aujourd'hui les Peuples le demandent
,
Promis à l'Univers les Nations l'attendent ,
Confiez à nos foins ce dépôt précieux
.Pour nous facré garant de la faveur des Dieux ,
Et n'aviliffez plus dans une paix profonde
Le fang qui doit former les Conquérans du monde.
On n'a tiré de cette Scene que les remontrances
héroïques d'Achate ces Vers
pompeux font dignes de la grandeur de
'T'Empire Romain qu'ils prédifent. Les tendres
réponſes d'Enée ne font pas moins
belles dans leur genre , mais il faudroit copier
la Tragédie entiere , s'il ne falloit ou
blier que le foible ,
Il faut répeter encore l'éloge des talens
pathétiques de Mlle Clairon ; les autres Ac-
Ну
.
178 MERCURE DE FRANCE.
teurs l'ont parfaitement fecondée.
Nous nous fouvenons heureufement pour
nos lecteurs de la fublime réponſe de Diden
au difcours du Roi Iarbe , paffant
pour fon Ambaffadeur,dans la feconde Scene
du premier Acte.
DIDON.
Lorfque du fort barbarbare innocente victime ,
J'ai fui loin de l'Afie un frere qui m'opprime ,
Je ne m'attendois pas qu'un fils du Roi des Dieux
Voulut m'affocier à fon rang glorieux ;
i
Je dis plus , j'avouerai que cette préférence
Méritoit de mon coeur plus de reconnoiffance ,
Mais tel eft aujourd'hui l'effet de mon malheur ,
Didon ne peut répondre à cet excès d'honneur ...
Iarbe ſe tranſporte , & fait des reproches
à Didon fur la fouveraineté qu'il prétend
ufurpée . Elle replique :"
Ce difcours téméraire a de quoi me furprendre ;
Didon à fes pareils n'a point de compte à rendre ;
Jarbe eft fouverain , je fuis Reine aujourd'hui,
Et ne vois rien encor qui me foumette à lui ,
Mais ce Roi que le tems fçaura forcer peut-être
A craindre mon pouvoir , du moins à le connoître,
Quel droit plus que Didon a t'il de commander?
Les Empires font dûs à qui fçait les fonder ,
Cependant que lle haine ou quelle wéfiance
JUIN. 1745. 179
Armeroit contre moi votre injufte vengeance ?
Voyez-vous chaque jour mes foldats menaçans ,
Aller avec fureur loin de ces murs naiſſans ,
Troubler des Africains les demeures tranquilles ,
Et répandre l'effroi dans le fein de vós Villes ?
Que dis-je ? Ce rivage où les vents & les eaux
D'accord avec les Dieux ont pouffé nos vaiſſeaux ,
Ces bords inhabités ,, ces Campagnes défertes ,
Que fans nous la moiffon n'auroit jamais couvertes
Des Rochers , des Torrens & des Monts eſcarpés ?
Voilà donc ces Pays , ces Etats ufurpés !
Mais devrois-je à vosyeux rabaiffant maCouronne,
Juftifier le rang que le deftin me donne ?
Les Rois comme les Dieux font au-deffus des loix,
Je régne , il n'eft plus tems d'examiner mes droits.
M. le Franc a refon du entierement le cinquiéme
Acte. Ce changement & les autres
demandent une édition nouvelle de Didon,
qui aura fùrement le fort des ouvrages de
Corneille & de Racine,
H vj
180 MERCURE DRAF
గ
VERS Compofe's par M. Bret à la louange
du Peintre qui a tiré Mlle Dangeville en
...paſtel.
SIXAIN.
DEviger , quand ta main habile
Peignit l'aimable Dangeville ,
'Quel Dieu conduifoit ton pinceau ?
Sans la flater tu la rendis fi belle
Que j'éprouvai pour fon tableau
La même ardeur que je reffens pour elle.
JUIN. 1745. 181
*32*338*338*
CONCERT de la Reine,
E Samedi 22 Mai on exécuta chés la
Reine le 422 , Mdern excle d 'Armide.
Mlles Mathieu & Deschamps chantérent chacune
après un air Italien que la Reine leur
avoitdemandé ; elles en reçurent des applaudemens
de Sa Majefté &de Madame la
Dauphine,
Le Lundi 24 on chanta le prologue &
le 1 er, acte de l'Opera de Callirobce , Mlles
Defchamps , Mathieu Canavas chanteterent
les rôles ainfi que Mrs. Jeliot & Lagarde.
Le même jour la Reine fit charter pen-.
dant fa Meffe le Te Deum pour la prife de
Tournay ; ce fut celui de M. l'Abbé Blanchart
Maître de Mufique de la Chapelle.
Le Jeudi 27 jour de l'Afcenfion la Reine
entendit l'Office à la Chapelle, & après les
vêpres, elle entendit le Te Deum de M. Deftouches
Sur-Intendant de la Mufique du Roi.
M.Rebel fon furvivancier en battit la meſure .
Le Samedi 29 on chanta chés la Reine
le 2 me, & le 3 me, acte de Callirboée .
Le Lundi 31 on chanta les deux derniers ,
actes de cet Opéra.
182 MERCURE DE FRANCE.
Les 26 , 28 & 30 on chanta devant Sa
Majefté l'Opera de Scanderberg de la compofition
de Mrs Rebel & Francoeur Sur-
Intendants de la Mufique du Roi. Les rôles
de Roxane & de Servilie furent parfaitement
rendus par Mlles Lalande & Mathieu . M.
Jeliote eut un grand fuccès dans celui de
Scanderberg ; M. Poirier brilla auffi dans
celui de la Magie au Prologue & dans ceux
de l'Aga des Janiffaires & du Muphti dans
la Piece ; Amurat fut très - bien chanté par M.
Lagarde. Le rôle de l'Amour du Prologue
fit honneur aux talens de Mlle Defchamps.
Mlle Selle s'acquita très bien de
ceux de Polemnie , d'une Sultane , d'une
Greque , d'une Afiatique , & d'une Odalifque
. Mrs Godonnefche & Richer remplirent
les rôles d'Ofman & de deux Scythes .
La légereté de la voix & la préciſion du
chant de Mlle Canavas parurent également
dans un air Italien du divertiſſement du 4me.
acte de Scanderberg. La Reine parut ſatisfaite
de l'exécution de cet ouvrage.
Après le Concert Madame Mathieu chanta
une fanfare à la louange du Roi , les
h Curce chanterent les refrains à chaque
couplet. Cette fanfare eft de M. de D *** &
les paroles font de M. de Montcrif l'un des
40 de l'Académie , & Lecteur de la Reine,
Le z Juin la Reine entendit l'acte de Phi
JUIN. 1745.
183
lotis, derniere entrée du balet des Stratagêmes
de l'Amour de la compofition de M. Deſtouches
. Miles Selle & Lagarde remplirent
les rôles d'Albine & d'Emilie . Celui du maître
des Efclaves fut exécuté avec beaucoup
de fuccès par M. Jeliot .
Le Jubilé à fufpendu les concerts à la
Cour.
Le Samedi 5 & le Dimanche 6 jour de la
Pentecôte la Reine entendit l'Office chanpar
la Mufique. M. l'Evêque de Bayeux
y officia pontificalement .
té
Le 17 jour de la Fête Dieu la Reine ac
compagnée de Madame Adelaïde affiſtaà la
Proceffion du S. Sacrement qui fut faite dans
P'Eglife de Notre Dame Paroiffe du Château.
M. l'Archevêque de Rouen Grand Aumonier
de Sa Majefté y affifta ainfi que plufieurs
Seigneurs & Dames de la Cour . M. le
Curé de Verſailles chanta la grande Meffe.
Le mêmejour la Reine entendit le Salut à
la Chapelle chanté par la Mufique ; on y
chanta 2 verſets du Pange lingua de M. l'Abbé
Madin Maître de Mufique de la Chapelle
du Roi ; le Salut en Mufique s'eft continué
toute l'Octave .
Le lundi matin 2 1 il arriva à Versailles
un Page que le Roi avoit fait partir la veille
pour apprendre à la Reine la reddition de
Ja Citadelle de Tournay ; S. M. ordonna à
184 MERCURE DE FRANCE.
M. l'Abbé Madin Maître de Mufique de la
Chapelle de faire chanter fon Te Deum pendant
la Meffe , en lieu & place du Pleaume
que l'on chante ordinairement.
Pendant toute l'octave du S. Sacrement il
y a eu des Saluts en Muſique à la Chapelle ,
comme il eft d'ufage. Ce qu'on y a chanté
eft de la compolition de M. l'Abbé Madin
.
Le Samedi 26 M. Dornel Organiſte
de fainte Genevieve fit chanter pendant
la Meffe de S. M. le Pfeaume Landate pueri
Dominum & c. Cet Auteur en fait chanter
un tous les ans devant leurs Majeftés .
Le même jour Samedi 26 on exécuta en
concert chés la Reine le Prologue & le 1er.
acte de l'Opera de Scanderberg ,
les
rôles de femmes furent chantés par Madame
Lalande , Miles Mathieu , Deschamps & Canavas
, ceux d'hommes par Mrs Jeliot , Poirier
& Godonnefche ; cet Opera eft de la
compofition de Meffieurs Rebel & Francoeur
, tous deux furvivans des Charges
de Sur - Intendants de la Mufique de la
Chambre du Roi,
Le Lundi 28 on exécuta chés la Reine en
concert le 2 me, & 3 me, acte de l'Opera de
Scanderberg. Mefdames Lalande , Mathieu
& Canavas chanterent les rôles , ainfi que
M. Jeliot , Poirier & Lagarde.
JUIN. 1745. 183
Le Mardi 29 jour de S. Pierre , après les
Vêpres des Miffionnaires , la Reine enten
dit le Te Deum chanté par la Mufique du
Roi pour la prife de la Citadelle de Tournay.
Ce Cantique eft de la compofition de
M. Deftouches Sur-Intendant de la Mufique
de la Chambre de S. Majefté . M. Rebel
fon furvivant en cette charge en a battu
la meſure , & M. l'Abbé Broffeau Chapelain
Ordinaire de la grande Chapeile ,
revêtu d'un furplis & d'une Etole l'a entonné,
& après le Domine falvum de M. Rebel
a dit les oraifons , ainfi qu'il fe pratique
lorfqu'on chante le Te Deum avec folemnité.
Le Mercredi 30 on exécuta en concert
chés la Reine le 4me, & 5me, acte de l'Opera
de Scanderberg. Les Demoifelles & Mrs cideffus
en ont chanté les rôles : ce concert
termine le femeftre de M. Deftouches.
186 MERCURE DE FRANCE .
茶味蒸糕
A MONSIEUR
DE VOLTAIRE
HISTORIOGRAPHE DE FRANCE,
Par M. de *** de l'Académie des Sciences ,
des Belles Lettres & des Arts de Rouen.
Vosvers avoient d'Henri confacré la clémence,
Et vos récits de Charles affûroient les lauriers.
C'étoit vous enhardir à montrer à la France
Dans le meilleur des Rois le plus grand des Guerriers.
Quel Dieu , vous élevant à fa gloire fuprême ,
En fait luire un rayon fur votre front chéri ?
Un Roi qui vous permet de le chanter lui-même ,
Un Roi plus craint que Charles & plus aimé qu'-
Henri.
Suivez fes pas , entrez au temple de Mémoire ;
Forcez , eny gravant fes glorieux fuccès ,
Vienne à les admirer , l'avenir à les croire ;
Ecrivez , LOUIS marche , il conduit les Français.
Déeffe des Héros , Renommée immortelle ,
1
JUIN. 1745 . 187
O toi , qui pour LOUIS fis parler tes cent voix ,
Revole fur la Flandre où la gloire t'appelle ;
Il va quitter Tournay pour de plus grands exploits .
Sur la rive prochaine il a porté la foudre ,
Et l'Escaut frémiffant l'a vû franchir fes eaux.
La nuit vient ; l'ennemi veille pour ſe réfoudre
Et LOUIS fur la terre a le lit des Héros.
Avec des doigts de fang enfin la trifte Aurore
Ouvre à regret les Cieux aux chevaux du Soleil ,
Et gémit que ce jour qu'elle preffe d'éclore ,
Pour tant d'infortunés foit le dernier réveil .
Ces deux Camps oppofés qu'arma la barbarie ,
Au ſignal des enfers fondent à coups preffés :
Chaque homme eft à chaque homme une affreufe
furie :
Les rangs déja détruits font déja remplacés ;
Le fer n'y fuffit plus , & la flâme qui tonne
Acheve d'écrafer ces Héros renaiffans ;
Rien n'échappe , tout meurt. La cruelle Bellone
Applaudit à nos arts deftructeurs des vivans.
MonRoi n'eſt point caché fous l'immortelle Egide ;
Ses fujets l'entouroient , ils tombent près de lui :
La fortune balance , & notre amour décide ,
Notre amour , de nos Rois l'inébranlable appui.
Comme on vit pour ces murs , qu'ils ne purene
défendre ,
188 MERCURE DE FRANCE,
Jadis s'ar mer des Dieux aux bords du Simoïs ,
Tels Waldeck , Cumberland , viennent fauver la
Flandre,
Trouvent un Dieu plus fort & cédent à LOUIS.
Il triomphe ; il s'arrête en fa marche fanglat
;
Il mérita de vaincre , il pardonne aux vaincus .
Non , la val ur n'eft pas cette fureur brillante ,
Qui fous un joug de fer opprime les vertus .
La valeur est l'effort que fe permet le ſage ,
Pour repouffer les traits de la témérité.
Le Héros défarmé par un jufte avantage ,
Tend à ſon ennemi la main qui l'a dompté
Pourquoi les Nations vainement conjurées
Cherchoient- elles LOUIS aux champs de Fontenoy
?
Il les montre à ſon fils par la mort déchirées ,
Et Roi par ce Spectacle , inftruit le fils d'un Roi ;
Voyez , mon fils, voyez les horreurs de la guerre ;
Ecoutez ces mourans , ils fe plaignent à nous .
Hommes , de fang humain nous enyvrons la terre ,
Et Rois, nous fommes nés pour le bonheur de tous .
Voltaire pour fuffire à peindre fa grande ame
Il falloit vos talens : Poëte , Hiftorien ,
Excitez votre esprit que le fublime enflâme ;
Homere trouve Achille , il ne leur manque rien.
JUIN. 1745 . 189
Ah ! plutôt que touché de tant de funérailles ,
LOUIS offre à vos chants Titus & les bienfaits !
Qu'entouré des beaux arts il vienne dans Ver◄
failles
Former fon dignefils aux vertus de la Paix !
EXEY EX X X LEXES
BOUQUET
Préfenté le jour de S. Jean à une Dame
extrêmement aimable.
IRRis , pour votre fête il vous faut un Bouquet,
Irai-je , répetant un trivial caquet ,
Parler de Jafmins & de Rofes
Nouvellement écloſes ?
Vous louer ? c'eft bien pis. Lorfqu'on voit de beaux
yeux ,
Souvent on les peint mal , on les adore mieux ,
Je fçais que fur le Pinde il eft des fleurs charmantes
,
Digne tribut de vos divins appas ,
Mais je ne fçais pas moins que l'on ne cueille pas
Les plus cheres, les plus brillantes
Auffi facilement que guidant fes Guerriers
Toujours ardens à le défendre ,
LOUIS dans les champs de la Flandre
Sçait cueillir d'immortels lauriers .
Par Filandre
190 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE BOUQUET.
Pour la même Dame , Cantatille mife en
Mufique par M. Lagarde Penfionnaire
du Roi diftingué par les graces de fon chant
& defes compofitions.
Q
Uelle fête dans ce jour
Célebre t-on à Cithere ?
Je n'y vois que le tendre amour ?
Mais je n'apperçois point fa mere....
Sans doute elle craint les appas
Que l'on chante fur ce rivage ;
Son abfence n'eft-elle pas
Pour eux le plus brillant hommage ?
ROSSIGNOL..
Roffignol , que Ch'oé par fes accens vainqueurs
De vos chants les plus beaux efface les merveilles !
Votre voix charme les oreilles ,
Et la fienne enchante les coeurs.
MUSETTE.
Envain , Bergers , fur vos mufettes
Vous formez pour Chloé des accords gracieux ;
Jamais on n'entendra de vous dans ces retraites
Des chants auffi doux que fes yeux .
JUIN.
1745. 191
SUITE DU JOURNAL
Des opérations de l'armée du Roi ; du Camp
fous Tournay le 17 Juin.
Hler vers les 11 heures du foir l'ennemi a fait
fauter un nouveau fourneau fous la contref
carpe à l'endroit où deux de nos Mineurs avoient
été attachés la nuit précédente. Ils ont été enveloppés
par l'effet de cette mine , ainfi que fix ou
fept foldats qui les fervoient : on a fur le champ
travaillé au déblai des terres pour remetrre les Mineurs
au vif du mur. Le feul feu que l'ennemi a
fait eft parti du Rempart ,& a été peu confidérable ;
nous avons eu un tres petit nombre de bleffés .
L'armée a fouragé ce matin entre la Laye & l'Efcaut.
M. le Comte d'Eu commandoit ce fourage,
pour la fûreté duquel on avoit placé en avant du
village de Cells un gros détachement d'Infanterie
& de Cavalerie qui couvroit le centre du fourage.
La droite étoit affûrée par un autre détachement
porté vers la fource de la Laye.
Et la gauche par des Grenadiers poftés au Pont
de la Laye,
Des Huffards étoient en avant qui battoient des
patrouilles entre la Rouë & la Laye , & d'autres
détachemens compofés des Arquebufiers de Graffin
gardoient les paffages de la Roue depuis fon embouchure
jufqu'au Pont d'Auvain .
Le Roi eft parti ce matin à fix heures & demie avec
Monſeigneur leDauphin pour fe rendre à ce fourage.
S. M. a viſité les principaux poftes qui formoiene
la chaîne. Pendant qu'elle en reconnoiſſoit la ſi192
MERCURE DE FRANCE
tuation , elle a été informée que l'ennemi ſe préfentoit
pour attaquer celui de vatirpont. S. M. fur
cette nouvelle s'eſt avancée au- delà du village de
Cells fur le chemin de Vatirpont , où elle a appris
que l'ennemi s'étoit retiré . S. M. après être
reftée plus de huit heures à ce fourage , eft revenuë
à fon quartier à cinq heures & demie après midi.
Elle à trouvé à fon retour M. de Villiek , Adjudant
général dépêché par le Roi de Pruffe , qui
eft arrivé pour rendre compte au Roi du détail de
la Victoire remportée par l'armée de S. M. Pruffienne
fur celle de la Reine d'Hongrie . Ce détail
eft le même en ſubſtance que celui qu'on a donné
ci-dévant , excepté qu'au lieu de trois ou quatre
mille prifonniers qu'on a marqué avoir été faits , ils
fe montent à plus de cinq mille , & le nombre de
piéces de canon à 66 au lieu de 40 , M. de Villiek
atauffi rapporté que le Roi de Pruffe a détaché le
lendemain , le Lieutenant Général du Moulin
avec 4 Bataillons & 15 Efcadrons pour aller à
la pourfuite de l'ennemi jufqu'à Bolkhenau , avec
ordre d'y marquer un Camp pour fon Armée.
Du Camp fous Tournay le 18.
Par le travail de cette nuit notre fape avoit été
portée du côté de l'efcarpe à 12 ou 15 pieds de
la traverfe des ennemis , & on avoit remarqué
de derriere cette traverfe qu'ils portoient des facs
pleins de poudre dans leur débouché du côté de la
contre-efcarpe , d'où il étoit facile de conjecturer
qu'ils avoient deffein de faire jouer quelques nouveaux
fourneaux . En effet , ce matin fur les 10 heures
& demie ils en ont fait fauter un du côté de
l'efcarpe qui n'a enterré que trois foldats , & c'eft
toute la perte que l'on auroit faite fans la trop
grande
JUIN. 1745 . 193
grande ardeur des Grenadiers qui fe font trouvés
alors à la tête de la fape , & qui non contens d'avoir
fait un grand feu fur l'ennemi , fe font mis à
fa pourfuite , & ont paffé la traverſe fans qu'on ait
pu les retenir. L'ennemi dans ce moment a fait
fauter la contre -efcarpe jufqu'auprès du débouché
de la Galerie "
ce qui a couté 20 à 25 hommes
tant tués que bleffés.
Les Grenadiers ont cependant remonté ſur la
contre-eſcarpe , & y ont fait leur logement. On
a couronné auffi l'entonnoir fait à la gauche , &
on travaille actuellement à en déblayer les terres ,
parce que s'il fe trouve d'une certaine profondeur,
pourra donner entrée dans la Galerie. il
Le Roi a donné à M. de Chabannes , Lieutenant
Colonel de fon Régiment des Gardes , le ,
Gouvernement de Verdun , vacant par la mort de
M. de Lutteaux , & à M. de Zurlauben Colonel
du Régiment des Gardes Suiiles , le Cordon rouge
qui vaquoit par la mort de M. de Lauriere, Lieu
tenant de Roi de Cambray.
Ily a eu un Officier tué & un Officier mineur
blaffé . M. de Villiers Commiſſaire des Guerres
fut tué hier d'un éclat de bombe .
Du 19.
Les Affiégés ont arboré à 4 heures après midi
le Drapeau blanc . On ne fçaura que demain quelle
fera la loi que le Roi leur impofera .
· Du quartier du Roi fous Tournay le 20.
3
La Capitulation de la Citadelle de Tournay
été convenu& fignée ce matin. Le Roi accorde à
la Garniſon de fortir avec les honneurs de la
II. Vel.
194 MERCURE DE FRANCE,
? guerre , & 4 pieces de canon à condition que
cètte garnifon ne portera point les armes contre
le Roi perdant 18 mois , & qu'elle ne pourra former
la garnifon d'aucune Place fermée : ainfi on
croit qu'elle ira à Courtray , & qu'elle y reftera.
Cette garnifon fortira de la Citadelle Jeudi matin
. Le Roi ira la voir paffer , mais il ne couchera
point à Tournay comme le bruit en avoit couru;
le logement qu'on y avoit préparé pour S. M. ayant
fait croire qu'elle y féjournero it quelques jours,
On regarde la condition impofée à la Citadelle
comme plus avantageufe que fi elle avoit été prifonniere
de guerre , parce que dans ce dernier cas
elle auroit pu , fuivant le Cartel , être rachetée à
très bon marché.
Quelques Officiers de la garnifon affûrent que
les ennemis ont perdu dans le Siége de la Ville &
de la Citadelle plus de 3000 hommes .
"On ne fait pas encore ce qui les a déterminés
à fe rendre .
Au Camp fous Tournay le 20.
Le Régiment des Gardes a pris à 4 heures après
midi poffeffion de la Porte Royale de la Citadelle.
Le Roi a donné jufqu'au 24 pour l'évacuation de
Ja garnifon , afin que les Officiers ayent le tems
de faire leurs arrangemens pour emporter leurs
effets.
lle
fortira
avec
les
honneurs
de
la
guerre
, 4
canons
&
2 mortiers
aux
armes
de
la
République
,
12
coups
par
piece
, &
24
par
hommes
.
Leurs troupes ne pourront fervir de ce jour juf
qu'au premier Janvier 1747 , pas même être en
garnifon dans les Places les plus reculées : les Offi
jers & foldats ne pourront être incorporés dans
JUI N. 1745 . 195
d'autres Régimens , même au fervice étranger.
Les habitans auront pendant trois mois la permiſſion
de s'établir ailleurs s'ils le veulent , & on
leur donnera à cet effet paffeport & fauv garde.
La premiere divifion des troupes venant de l'armée
du Rhin , a joint aujourd'hui l'armée du Roi.
Au Campfous Tournay le 21 .
Il n'y a rien eu de nouveau aujourd'hui ; le mauvais
tems qu'il a fait a empêché le Roi de monter
a cheval comme il l'avoit projetté. La garnifon de
14 Citadelle commence à faire déblayer fes équipages,
X
On prepare pour demain un fourage général,
Au Campfous Tournay le 22 .
L'armée a fait aujourd'hui un fourage dans le
même terrain que le dernier , & avec la même
quantité de troupes & de poftes principaux aux
ordres de M. le Marquis de Montboiffier , Lieutenant
Général , & de M. de Courtaumer Maréchal
de Camp, Vers les 6 heures du matin , une.
Patrouille des Graffins a rencontré à Saint Sauveur
près de Renay une troupe de Huffards ennemis
, qui venoient reconnoître les paffages de
la Roue. Ils fe font retirés dès qu'ils ont apperçus
nos poftes ; on a eu auffi avis à midi , au pofte de
Pont-à-Roue , qu'il étoit forti d'Oudenarde environ
deux cent hommes d'Infanterie , & cent
chevaux des troupes Hanoweriennes , pour venir fe
pofter à Marque fur le chemin d'Oudenarde au
Pont-à- Roue , mais ils fe font encore retirés aux
approches du détachement qui a été pour les joindre.
Au refte le fourage s'eft fait fort tranquille-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
ment , & à 2 heures après midi tout étoit en file
pour rentrer dans le Camp,
La feconde divifion des troupes de l'armée du
Rhin , compofée des Régimens de Monin , Dauphiné
& Saintonge , a joint aujourd hui l'armée du
Roi.
M. le Maréchal de Saxe , accompagné d'une
partie des . Officiers Généraux , a fait aujourd'hui
la revuë de fon Régiment de Hullans.
•
Au Camp fous Tournay le 23.
M. l'Evêque de Tournay , qui étoit à Vienne ,
en eft arrivé hier au foir ; aujourd'hui il a eu l'honneur
de faire fa Cour au Roi , & demain matin il
prêtera ferment à la Meffe de S. M. qui fe dira
dans la Cathédale où ce Prélat doit officier au
Te Deum.
Sa Majesté a tenu Confeil d'Etat,
Au Camp fous Tournay le 24
Le Roi à monté à cheval ce matin à 8 heures &
demie avec Monfeigneur le Dauphin pour ſe rendre
a Tournay, S. M.étoit accompagnée des Marêchaux
de Noailles & de Saxe & des perfonnes de fa
Cour , ayant à fa fuite des Détachemens des differens
Corps de fa Maiſon . Elle s'eft arrêtée avant
d'entrer dans cette Ville à peu de diſtance de la
porte nommée des fept Fontaines , d'où elle a yû
fortir la Garnifon confiftant en 1 Bataillons &
environ 300 hommes de Cavalerie faifant près de
5000 hommes. Cette garnifon a défilé à travers
de l'armée qui bordoit la haye de droite & de gauche.
Le Gouverneur de la Ville & celui de la Ci-
"
JUIN. 1745 . 197
tadelle qui marchoient à la tête ont defcendu de
cheval lorfqu'ils fe font trouvés à portée de S. M.
pour la complimenter ; elle a reçu auffi les hommages
des Magiftrats qui font venus les lui rendre
à l'entrée de la ille , ayant à leur tête M. le
Prince de Tingry Lieutenant General de la Province.
S. M. eft entrée enfuite dans la Ville & à
été defcendre à la Cathédrale , où M. l'Evêque
a officié au Te Deum qui y a été chanté..
Les Mineurs ayant trouvé une nouvelle façon de
faire fauter les ouvrages par l'effet des mines , on
a fait l'experience en préfence de S. M. à l'ouvra
ge à corne de la porte de la Ville de Lille.Les fourneaux
qui avoient été difpofé le long de la branche
droite de cet ouvrage ont culbuté dans le foffé ,
toute la maçonnerie decette branche qui a entrainé
avec elle une partie des terres. S. M. a paru
très fatisfaite de la maniere dont cette opération
s'eft exécutée .
M. le Prince de Tingry a donné à diner à S. M.
qui eft retournée fur les 5. heures à la Cathédrale
où elle a entendu le Salut & affifté à la Proceffion
du S. Sacrement où étoit tout le Clergé des Paroiffes
de la Ville . Elle a été en uite voir les déhors
de la Citadelle du côté de l'attaque : elle eft revenuë
à ſon quartier à 8 heures .
Au Camp fous Tournay le 25 .
Les Etats de Tournaifis s'étant rendus ici avec les
Officiers du Baillage pour préfenter leurs hommages
au Roi, S. M. au retour de fa Meffe leur a
donné audience fous fa tente où ils ont été conduits
par M. le Prince de Tingry & M. de Brezé .
C'eft le penfionnaire des Etats & le Grand Pailly
qui ont porté la parole . I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
M de Villiek que le Roi de Pruffe avoit envoyé
au Roi pour lui rendre compte du détail de la
victoire que l'armée dé S. M. Pruffienne a remportée
fur celle de la Reine de Hongrie à pris congé
de S. M. & eft parti hier au foir d'ici pour re-
Tourner auprès du Roi de Pruffe .
On a défendu depuis ce matin de couper des
arbres dans ce quartier- ci , ainfi on ne doute pas
que le Roi n'en décampe dans quelques jours ; comme
on fait après demain un fourrage géneral , on
croit que l'armée ne fera de mouvement que Mercredi
ou Jeudi prochain . On ignore jufqu'à préfent
de quel côté elle ſe portera , mais il y a grande
apparence qu'elle paffera l'Efcaut pour déterminer
fa f.conde marche fur le parti que nos mouvemens
feront prendre aux Alliés . Ils font toujours dans la
même poſition du camp de Leffine , & ils ont ouvert
des chemins de tous côtés . On juge qu'ils ont
envie deprendre une pofition avantageufequi puif
fe couvrir Oudenarde. S'ils exécutent ce projet le
Roi pourroit s'avancer vers Ath , & par la prife de
cette Place affûrer à fon armée une fubfiftance très
aifée & très facile . :
Le Maréchal de Saxe paroît beaucoup mieux dedepuis
quelques jours .
Le reste de l'Infanterie que l'on attend d'Allemagne
fera ici le 29 , mais la Cavalerie refte fous
Maubeuge jufqu'à nouvel ordre.
Au Camp fous Tournay le 26.
Le Roi a été ce matin après fa Meffe dans la plaine
qui eft au bout de l'avenuë de fon logement , &
a monté pendant une heure quelques chevaux pour
s'éxercer.
M. le Comte de Clermont eft arrivé ici aujourd'hui
pour faire fa cour au Roi , en allant aux eaux
de S. Amand.
BE
LA
VILL
JUIN. 1745 :
THEOOR
199
3. M. a donné le Régiment d'Auvergne M. le
Comte de Chaftellux Colonel de celui d'Aunis
ce dernier à M. le Marquis de Sivrat .
S. M. a auffi donné un Guidon de Gendarmerie
qui étoit vacant à M. Dupleffis -Châtillon .
Au Camp fous Tournay le 27.
Il n'y a rien eû aujourd'hui.
Le Roi a tenu ce foir Confeil d'Etat.
Au Camp fous Tournay le 28 .
L'armée a fait aujourd'hui un fourrage qui a été
commandé par Mr. le Comte de Baviere Lieutenant
General & M.de Contade Marechal de Camp.
La tête de ce fourage étoit au ruiffeau Williers &
avoit fa droite au village de ce nom , fon centre a
Briffeuil , & fa gauche à Vezou .
Le premier pofte principal étoit à hauteur du Château
de Bruffe à la droite de la chauffée de Mons.
Un fecond fur la hauteur du moulin de Varnifoffe
, indépendamment des differens poftes parti
culiers qui ont été établis pour la fûreté de la
chaîne.
On avoit auffi placé fur la chauffée de Leuze au
bout des bois de Barri un détachement du Régi
ment de Graffin pour battre des patrouilles &
aller à la découverte de l'ennemi .
Les fourageurs ont été affemblés à 6 heures dia
matin près d'Antoin & fe font rendus fur deux cọ-
lonnes au lieu qui leur étoit marqué. Ils ont fait
leur fourage fort tranquillement.
Le Roi a fait aujourd'hui fur les 4 heures après
midi la revue du Régiment des Hullans de M. le
Marêchal de Saxe . S. M. a paru très fatisfaite tant
de la compofition de ce Régiment que de la manie
re avec laquelle ils ont manoeuvré en fa préſence.
La 3me. diviffon des troupes venant du Rhin
I inj
100 MERCURE DE FRANCE.
compofée des Régimens de Bouzols , Laval &
Languedoc , a joint aujourd'hui l'armée du Rai
fous la conduite de M. le Duc de Boufflers .
Du Camp fous Tournay le 29.
Le Roi à donné ce matin après fa Meffe audience
à Meffieurs les Ambaffadeurs .
L'armée doit faire un mouvement dans peu de
jours.
C'eft demain qu'arrive la derniere divifion des
20 Bataillons d'Infanterie venant de l'armée du
Rhin. La Cavalerie eft arrivée fous Maubeuge où
elle doit refter fous les ordres de M. le Marquis
de Clermont- Gallerande Lieutenant Géneral ,
Au campJous Tournay le 30.
Il y a déja quelques jours que le Roi avoit pris la
réfolution de marcher avec fon armée au de- là de
l'Eſcaut , mais on ignoroit le jour du départ de
S. M. de fon quartier fous Tournay ; ce n'eft que ce
matin que le Roi a declaré que l'armée marcheroit
demain & que S. M. partiroit d'ici à 9 heures du
matin. On a toujours cru que l'armée dans la premiere
marche fe porteroit jufqu'à Leuze , mais la
pluye exceffive qui a duré toute la nuit , rendant
les chemins très difficiles , on ne peut fe flater
d'exécuter ce premier projet , & on croit que les
troupes ne feront raffemblées à Leuze que le 2 .
Les gros équipages resteront à Tournay , ceux
des troupes campées au de- là de l'Escaut y font entrés
dès ce matin , & les autres y entreront demain.
La nouvelle de la réſolution prife par le Roi de
marcher au- delà de l'Eſcaut a déterminé les enneJUIN.
1745. 201
mis à quitter leur camp , ils ont defcendu la Tenre
dans le deffein de la paffer & de camper derriere .
cette Riviere : ce qu'ils ont fait avec beaucoup de
précipitation .
La 3me. divifion des troupes venant d'Allemagne
eft arrivée hier à l'armée du Roi , & la 4me.
à joint l'armée aujourd'hui.
Du Camp fous Tournay le 30.
Les Régimens de Picardie & de Gondrin formant
la derniere divifion des troupes venant du
Rhin, commandée par M. le Marquis de Fienne ont
joint aujourd'hui l'armée qui fe met demain ma
tin en marche pour aller prendre un nouveau
camp .
Le Roi a tenu ce foir Confeil d'Etat.
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
** :
NOUVELLES ETRANGERES.
RUSSIE.
N apprend de Pétersbourg que l'Impératrice
ON
camps , l'un fur les frontieres de Lithuanie , l'autre
dans la Livonie auprès de Riga.
les mêmes avis portent que les négociations
pour un Traité d'Alliance entre la Ruffie & la Suede
font fort avancées .
PRUSSE.
On mande de Berlin du 13 de ce mois que la
Reine a reçu une relation circonftanciée de la
victoire remportée par le Roi fur les troupes de la
Reine de Hongrie ,dont voici le détail .
Dès que le Roi eut été informé que le deffein des
ennemis étoit d'entrer en Silefie , S. M. prit les
arrangemens néceffaires pour que fon armée ne
put manquer de fubfiftances dans toute l'étenduë
des frontieres de Bohème , & elle envoya ordre aux
troupes qui étoient dans la Haute Silefie de venir la
joindre.
Le 29 du mois dernier l'armée commandée
par le Prince Charles de Lorraine s'étant avancée à
Landshout , le Roi alla camper à Reichenbach ,
d'où S. M. manda au Lieutenant Géneral du Mor
lin de faire des difpofitions qui perfuadaffent au
Prince Charles de Lorraine qu'elle penfoit à fe replier
fous Breslau . Les ennemis avoient paffé du
campde Landshout à celui de Hohennerfdorf lorf
JUI N. 1745. 203
•
que l'armée Pruffienne marcha fans bruit entre
Striegau & Schwednitz , l'avant- garde tenant les
hauteurs de Striegau . Toutes les troupes du Roi fe
pofterent derriere ces hauteurs , & non feulement
il fut défendu de battre aux champs , mais on eut la
précaution de ne détacher que des Partis peù
nombreux qui eurent ordre de prendre la fuite à
la premiere approche de l'ennemi .
Les trois premiers jours de ce mois furent employés
par S. M. àreconnoître les différens endroits
par lefquels l'armée combinée de la Reine de
Hongrie & du Roi de Pologne Electeur de Saxe
pouvoit déboucher.
Le Roi s'étant porté le 3 au matin fur les hauteurs
découvrit un Corps confidérable de Cavalerie
de cette armée . Plufieurs colonnes d'Infanterie
& de Cavalerie de la même armée parurent
l'après midi dans les plaines de Friedberg & de
Ronftoc , ce qui détermina S. M. à ordonner fur
les huit heures du foir , que fon armée s'avançât à
Striegau , & que le Lieutenant Géneral du Moulin
avec fept Bataillons & quarante Escadrons occupât
les hauteurs voifines . A minuit toutes les troupes
futent rendues aux poftes qui leurs avoient été affignés
, & deux heures aptès le Roi difpofa tout pour
la bataille .
Pendant que l'armée qui commença à deux heu
res & demie du matin à fe mettre en marche pour
attaquer lennemi , défiloit par fa droite , le Lieutenant
General du Moulin ſe faifit d'une hauteur
vis-à-vis d'un moulin , auprès duquel étoient quelques
bataillons des troupes que commande le Prince
Charles de Lorraine. Le Roi en rangeant fe's
troupes en bataille plaça la plus grande partie de
fon Infanterie au centre , dont la droite fut appuyée
à un bois occupé par trois Bataillons des
1
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Grenadiers . Les deux aîles de l'armée furent pref
que toutes compofées de Cavalerie , & S. M. fit
renforcer par quelques Bataillons le Corps du
Lieutenant Géneral du Moulin .
Le Prince Leopold d'Anhalt engagea l'action
en chargeant l'Infanterie Sexonne , & le Bataillon
des Grenadiers des Gardes comma idé par le
Lieutenant Colonel Wedel chaffa à coups de
bayonette les ennemis des marais qu'ils occuppoient.
Prefque en même- temps la Cavalerie de
la droite renverfa la Cavalerie de l'aile gauche
des ennemis. L'Infanterie Saxonne forma alors un
triangle pour fe retirer , mais le Comte de Rottembourg
Lieutenant Géneral , à la tête du Regiment
de Cuiraffiers du Prince de Pruffe , défit
entie cment le Régiment de Schonberg de cette ..
Infanterie deux Compagnies des Grenadiers
Saxons furent taillées en pieces , & le triangle
ayant été rompu , la déroute fut generale dans les
troupes de Saxe .
Le Roi & le Margrave Ch rles attaquerent de
leur côté celles de la Reine de Hongrie avec tant
de vivacité qu'elles ployerent partout. Pour les
prendre en flanc le Roi fit faire un quart de converfion
à toute fon aile droite , laquelle par ce
mouvement fut obligée de paffer des marais & des
foffés impraticables , & dont un détachemeut
Je rendit maître d'un Village que le Prince Charles
de Lorraine avoit garni d'Infanterie .
Dans le tems que ces opérations s'exécutoient à
la droite , la Cavalerie de la gauche dont il n'y
avoit eu que dix Efcadrons dé formés fut menée à la
charge par le General Kyau , qui renverfa tout ce
qu il trouva devant lui. Le Géneral Naffau forma
quinze autres Efcadrons , & les ennemis s'étant
mis en potence , il tira fix Efcadrons de la feconde
ligne pour les oppofer à lune de leurs faces. Ils
JUIN. 1745. 203
ne purent réſiſter à l'impétuofité avec laquelle
après cette difpofition il fondit fur eux , mais bientôt
ils fe rallierent , & il les chargea jufqu'à fix
fois fans pouvoir les forcer de prendre la fuite.
Cependant le Régiment de Bareith , conduit par
les Géneraux Geller & Schmettau fit de fi prodigieux
efforts de valeur au centre , qu'il enfonça par
le front l'Infanterie des troupes de la Reine de
Hongrie , tandis que cette Infanterie fut attaquée
en flanc par l'aile droite des Pruffiens . Les fix Ré
gimens de Marfchall , de Grunn , de Thungen , de
Daun , de Collowrath & de Wurmbrand furent
totalement taillés en pieces , & plufieurs autres
Corps des mêmes troupes ayant été renverfés
, ces troupes furent réduites à prendre le
même parti que celles de Saxe & à abandonner
le champ de bataille .
Leur droite s'eft retirée par Friedberg , & leur
Corps de bataille par les gorges de Kauder , &
les Saxons ont pris la route de Seifferdorff.
Toute l'armée du Roi a pourſuivi les ennemis
jufqu'aux gorges des Montagnes , & le maffacre
a été général de tous côtés. Il y a eu , foit
dans les troupes de la Reine de Hongrie , foit
dans celles de Saxe , quatre mille hommes de tués ,
parmi lefquels on compte les Généraux Hoheneims
& Thungen des premieres , & le Géneral Boſtempoftels
des fecondes. On leur a fait plus de 7000
prifonniers , & l'on peut eftimer leur perte à 20000
hommes en y comprenant les Deferteurs .
Du nombre des prifonniers font les Géneraux
Berlichingen , François de S. Ignon & Forgatsh ,
des troupes de la Reine de Hongrie ; le Major
Géneral Schlichting , de celles de Saxe , & environ
deux cent autres Officiers . Les ennemis ont
perdu outre cela dans cette bataille , qui n'a duré
que quatre heures 66 canons , 6 haubitz , 76
208 MERCURE DE FRANCE.
drapeaux , 7 etendards & 8 paires de rymbales.
Du côté des Pruffiens il n'y a eu que 1600 hommes
tués ou bleffés. Le Général Truchfes , les Colonels
Maffau & Kalbutz , les Lieutenans Єolonels
During & Bertkau font du nombre des
premiers. Les Géneraux Stille & Bornstedt ont
été bleffés ainfi que le Colonel Schwerin & le
Lieutenant Colonel Buddembrockd .
Le 5 , le Roi commanda 14 Bataillons & un
Détachement de Cavalerie , de Dragons & de
Huffards pour aller à la pourfuite des ennemis ,
qui continuoient de s'éloigner . S. M. s'eft mie
elle même en marche avec toute fon armée pour
les fuivre , & l'avant garde compofée de 20000
hommes fous les ordres du Lieutenant Géneral da
Moulin devoit être fort proche d'eux .
ALLEMAGNE.
Na apprisde Francfort du 13 que l'armée com
mandée par le Feldt- Maréchal de Traun ayant
côtoyé la riviere de Tauber jaufqu'à Wertheim , a
paffé le Mein près Freydeberg, & qu'elle continuoit
fa marche par le Comté de Hanau , laiffant à fa droite
la Forêt de Speffart. Elle a dû traverſer le Comté
d'Ifembourg & fuivre la frontiere du Pays de
Heffe jufqu'à Gieffen , où l'on croyoit que le
Feldt Marechal de Bathiany fe propofoit de fe ren→
dre auffi avec l'armée qui eft fous fes ordres.
Le Géneral Trips à la tête des Huffards &
des troupes irregulieres de la premiere de ces
déux armées , a déja paffé Miltemberg , & il s'eft
avancé vers Afchaffembourg. Un détachement
qu'il a envoyé en avant ayant attaqué une Compagnie
Franche des troupes Françoiſes en a tué
rente hommes , & fait près de cent prifonniers.
JUIN. 1745 . 207
Les François ont rompu les ponts qu'ils avoient
à Florsheim & à Biberich , mais ils ont confervé
celui de Hochft , & ils ont laiffé une garnifon
dans ce dernier Pofte ainfi que dans Konigstein.
Toutes celles de leurs troupes qui étoient reftées
du côté de Florsheim ſur la droite du Mein ,
paffé cette riviere pour aller à Afchaffembourg.
Le Prince de Conty à transferé fon Quartier
Général de Diebourg à Baubenhaufen .
GRANDE BRETAGNE.
ont
N mande de Londres qu'un Armateur Efpa-
Ognol de feize canons & de 156 hommes
d'équipage , a été conduit à Corck par le Vaiffeau
de
guerre le Saphir , & que le bruit couroit qu'un
Bâtiment de Charles Town s'eft rendu maître d'un
Navire qui portoit de la Havanne à Saint Auguftin
quarante fept mille piéces de huit pour le payement
de la garnifon de cette derniere Place.
Du Camp des Allie's près de Leffines du 14.
ON
Na appris que le Régiment d'Infanterie
de Colyear des troupes Hollandoifes ,
y ar iva de Namur le 6 : il fut fuivi le lendemain
par ceux de Burmania & de Swanenbourg , &
par le fecond Bataillon du Régiment d'Orange
Frife des mêmes troupes.
Les troupes Angloiſes ont été renforcées auffi
par plufieurs troupes de leur Nation , & elles ont
reçu les foldats de recrues qu'elles attendoient .
Le 8 , il arriva de Mons un convoi de cent cha
riots chargés de munitions.
Toutes les diſpoſitions faites par les Généraux
208 MERCURE DE FRANCE.
ont fait juger que l'armée quitteroit bien- tôt ce
Camp , & le Duc de Cumberland a envoyé du
côté de Ronfen un détachement d'Infanterie &
de Cavalerie qu'on croit être deſtiné à affûrer le
paffage de l'Efcaut.
Ce Prince , accompagné du Feldt- Maréchal de
Konigseg & du Prince de Waldeck alla le to
reconnoître les environs d'Enghien.
Sur l'avis qu'on a eu de la marche de 200 hommes
du Régiment François de Graffin , qui fe font
avancés dans les bois de Meffeur , on a fait marcher
quelques troupes pour les attaquer.
LETTRE DU ROI
A Monfeigneur l'Archevêque de Paris.
MON COUSIN , la continuation de la
Guerre m'ayant détermininé à diriger les opérations
de cette campagne fur lesPays- BasAutrichiens;
j'ai jugé que le fiége de Tournay étoit l'entr pri
fe la plus propre à faire entrer la Reine de Hongrie
& fes alliés dans les vûes juftes & pacifiques qui ont
toujours été mon unique objet. A peine étois-je
arrivédevant la place , que mes ennemis reconnoiffant
l'importance de fa fituation , ont tenté fon
fecours avec un nombre de troupes fuperieur à celui
•
que les differens poftes occupés par mon Armée
me permettoient de leur oppofer ; mais cette fupériorité
a difpara devant le Dieu des Armées qui
combattoit pour moi une victoire complette à
renverfé leurs projets ; la place fe trouvant livrée
fes propres forces , la Garnifon compofée de 17
Bataillons & d'un Régiment de Cavalerie , m'a
JUIN. 1745 . 109
2
fivré les portes de la Ville le 14 du mois dernier ,
après 23 jours de tranchée ouverte , & s'étant re
tirée dans la Citadelle , elle y a été fi vivement
attaquée depuis le premier de ce mois , qu'elle a
été obligée de capituler le 19 , & de fe foumettre
à la condition de ne faire aucun fervice militate
de quelque nature que ce foit jufqu'au premier Janvier
1747. Un début de Campagne , accompagné
de circonftances auffi glorieufes pour més Armes
me donne lieu d'efperer que les fuites en feront encore
plus importantes , & qu'elles me mettront
bientôt en état de faire fentir à mes fujets toute
l'affection que j'ai pour eux . Flaté de cette efpérance
, & pénetré de reconnoiffance pour tous les
bienfaits que Dieu daigne répandre fur mon Régne
, je ne puis que lui rendre les actions de graces
qui lui en font dûës , & implorer la continua*
tion de fa divine protection . C'eft dans ces fenti
mens que je vous écris cettre Lettre pour vous di •
re que mon intention eft , que vous faffiez chan
ter le Te Deum dans votre Eglife Métropolitaine
& autres de votre Diocèfe avec les folemnités requifes
, au jour & à l'heure que le Grand- Maître ,
ou le Maître des Cérémonies vous dira de ma part,
& que vous y invitiez tous ceux qu'il conviendra
d'y affifter. Sur ce , je prie Dieu qu'il vous ait ,
mon Coufia , en fa fainte & digne garde . Ecrit au
Camp fous Tournay ce 22 Juin 1745. Signé LOUIS,
Et plus bas , PHELYPEAUX .
Et au dos eft écrit : A mon Coufin l'Archevêque
de Paris , Duc de Saint Cloud , Pair de France ,
Commandeur de l'Ordre du Saint-Esprit.
io MERCURE DE FRANCE .
MANDEMENT
De Monseigneur l'Archevêque de Paris , qui
ordonne que le TE DEUM fera chanté
dans toutes les Eglifes de fon Diocèse , en
actions de graces de la prise de la Ville &
de la Citadelle de Tournay affiégées par le
ROI en Perfonne.
CresComtes de Marfeille du Luc , &c . HARLES Gafpard -Guillaume de Vintimille
Le Seigneur continuë d'exaucer les prieros que
nous lui avons adreffées pour l'heureux fuccès de
cette Campagne . La réduction de la ville de Tourmay
, affiégée par le Roi en perfonne , a fuivi de
près la victoire remportée par Sa Majesté fur fes
ennemis & fur leurs alliés. Les Affiégés ayant d'abord
refufé de rendre la Citadelle aux conditions
que la clémence du Vainqueu leur offroit , ont été
contraints enfuite de fe foumettre à celles que fa
jufte & fage fermeté leur a impofées .
Publions avec empreffement les bienfaits dont
nous fommes redevables à la protection du Dieu
des Armées exaltons fon faint nom par nos Hymnes
& par nos Cantiques , parce qu'il a'manifefté d'une
maniere glorieufe pour lui , & avantageufe pour nous ,
la grandeur de fon pouvoir. Il a été notre force , il doit
être l'objet de nos louanges . Il veut bien que nous
jouiffions du fruit des victoires & des conquêtes ,
qui font plutôt fes oeuvres que celles de l'homme ;
mais il s'en réſerve la gloire à lui-même , & il exige
que nous lui en faffions un très humble hommage .
JUIN. 1745. 211
Ne refufons pas de nous acquitter d'un devoir fi indifpenfable
: un tel refus arrêteroit le cours de fes
faveurs , parce que l'ingratitude d'où il naîtroit ,
eft , fuivant l'expreffion de faint Bernard , comme
un vent brûlant qui defféche la fource & le canal
des dons de la divine bonté .
L'événement dont notre religieux Monarque
nous ordonne de rendre au Roi des Rois de folemnelles
actions de graces , mérite toute notre
reconnoiffance : ce que fouffrent les peuples des
-Provinces devenuës le théatre de la guerre , doit
nous faire fentir quel eft le prix d'un avantage qui
éloigne de plus en plus du centre de ce Royaume
ce fleau terrible. Quelqu'onéreux qu'il foit pour
nous , notre fort comparé à celui qu'éprouvent ces
peuples infortunés , doit être à leurs yeux bien dia
gne d'envie. Toujours environnés de périls, ils font
dans de continuelles allarmes : expofés aux courfes
de l'ennemi , & même des troupes envoyées
pour les défendre , ils fement & ne moiffonnent
pas ; ils cultivent leurs champs , & ils fe voyent
enlever le fruit de leurs fueurs & de leurs travaux :
fouvent ils n'apperçoivent autour d'eux que dés
objets capables d'infpirer Thorreur & la trifteffe ,
& quelquefois ils ont la douleur de voir leurs ha
bitations renverfées ou réduités en cendres : heu
reux encore d'échapper eux- mêmes à la mort , &
de n'être ni confumés par les flammes , ni enfeve
lis fous des ruines.
Une fituation fi trifte doit exciter notre com→
paffion , & nous engager à demander à Dieu par
des voeux redoublés , la paix ce tréfor précieux
que le monde ne peut nous donner . Demandonsla
& pour nous & pour nos ennemis mêmes , par
l'effet d'une charité que leur acharnement contre
nous ne doit pas éteindre dans nos coeurs : conju
i2 MERCURE DE FRANCE.
rons le Seigneur de leur ouvrir les yeux fur leurs
véritables intérêts , & de leur faire comprendre
qu'ils ne peuvenr fans aveuglement ne pas concourir
avec nous pour recouvrer un bien dont la
perte leur coûte infiniment cher , qu'ils ne peuvent
pofféder fans nous , & dont nous ne pouvons jouir
Fans qu'il nous foit commun avec eux.
A CES CAUSES , après en avoir conferé avec
nos vénérables Freres les Doyen , Chanoines &
Chapitre de notre Eglife Métropolitaine ; Nous
ordonnons que le Te Deum , avec le Veffet Bene
dicamus Patrem & Filium , & l'Oraifon Fro gratiarum
actione , l'Antienne Domine , falvum fac Regem
, &c. le Verfet Fiat manus tua , &c. & l'Ofaifon
Pro Rege & ejus exercitu , ſera chanté Lundi
prochain 28 du préfent mois de Juin , dans notredite
Eglife, en actions de graces de la prife de la
Ville & de la Citadelle de Tournay affiégées par le
Roi en perfonne . Qu'il fera pareillement chanté
le Dimanche 4 Juillet dans toutes les Abbayes ,
Chapitres , Paroiffes & Communautés Séculieres &
& Régulieres de la Ville & des Fauxbourgs de Paris
; & le Dimanche qui fuivra la réception de
notre préfent Mandement , dans toutes les autres
Eglifes de notre Diocèfe. SI vous mandons que
ces Préfentes vous ayez à notifier à tou : Abbés ,
Prieurs , Curés , Supérieurs & Supérieures des Communautés
exemtes & non exemtes à ce qu'ils
n'en ignorent. Donné à Paris en notre Palais Archiepifcopal
le vingt- fix Juin mil fept cent quarante-
cinq. Signé † CHARLES , Archevêque de
Paris. Par Monfeigneur , LASON E.
"
JUIN. 1745. 213
On a poſé dans l'Eglife des Reverends Peres Jefuites
rue S. Antoine le 8 Mai les Modéles en
plâtre de deux groupes d'environ fix pieds de
proportion , ils doivent être exécutés en marbre
blanc pour 'Autel de S. François Xavier . Ces ou,
vrages font de Meffieurs Vinache & Aden le cadet.
Le premier en entrant eft de M. Vinache , &
repréfente le Génie du zéle qui foudroye l'Idolâ
trie ; ce Génie eft repréſenté par un jeune homme
avec des aîles , une flâme fur la tête ; il eft affis
fur des Nuës , & lançant de la main droite un fou
dre fur l'Idolâtrie qu'il tient renverfée fous fes
pieds .
L'action de cette figure eft très- noble & pleine
de feu ; l'air de tête gracieux & fier ; les draperies
font belles , légeres & bien jettées.
L'Idolâtrie eft reprefentée par un homme robufte
& âgé , d'un caractére furieux , il a un poing
fermé & femble vouloir fe revolter contre ce ui
qui le terraffe , il fait fes efforts pour gaarantir une
Idole des foud es qui lui font lancées ; cette figure
dont les mufcles & les nerfs font bien articulés
fait un beau contraite avec celle d'enhaut qui eft
d'une nature plus légere.
Le groupe de M. Aden repréfente un jeune Indien
qui fe rend à la Religion Chrétienne .
La Religion eft affife fur un Rocher fymbole de
fa ftabilité ; elle tient d'une main une Croix de
vant laquelle le jeune Indien fe profterne , les
mains jointes , il montre par toute fon action qu'il
fe livre à la Religion avec ferveur. Le Sculpteur
femble avoir voulu par l'expreffion de cette âgure
exprimer tout le zéle & la pieté de ces Nations
qui ont fait éclater leur foi jufqu'à donner un grand
C
214 MERCURE DE FRANCE,
nombre de Martyrs felon plufieurs Hiſtoriens .
La Religion tient le bras à ce nouveau Chrétien
d'un air gracieux & de bonté , elle est noblement
drapée , & de grande maniere . Ces deux
morceaux font deux très beaux groupes , & feront
un grand ornement dans cette Eglife , & le
choix de ces deux Sculpteurs fait honneur au dif
cernement des RR , PP. Jefuites .
A
MORTS.
Ntoine Hervé Comte de Longaunay , Che
valier de l'Ordre Militaire de S. Louis >
Colonel du Régiment de Grenadiers de fon nom
& Aide-Major Général de l'armée de S. M. mourut
le 19 Mai au camp devant Tournay des bleffures
qu'il avoit reçu à la bataille de Fontenoy , âgé
de 38 ans ou environ .
Le 1 Juin Louis- Gilles le Maître Chevalier
Marquis de Ferrieres, Baron du Pleffis , de Chaffy , de
Premaifon, de Bellefontaine , Confeiller au Parle
ment de Paris depuis le 13 Août 1717 mourut âgé
de 52 ans fans laiffer d'enfans de fon mariage avec
Dame Sufanne Bauyn de Perfan qu'il avoit époufée
le 3 Août 1724 & qui mourut le 19 Fevrier
1745 ; il étoit fils aîné de Gilles le Maître Cheva
lier Marquis de Ferrieres , mort le 26 Juin 1716 ,
& de Dame Catherine- Françoiſe Jolly Dame de
Chaffy , duquel mariage, outre M. de Ferrieres qui
donne lieu à cet article font fortis plufieurs autres
enfans fils & filles . M. de Ferrieres avoit pour
se. Ayeul Gilles le Maître Chevalier Confeiller du
Roi en fes Confeils d'Etat & Privé , nommé preż
JUIN. 1745 . 215
mier Préfident du Parlement de Paris le 23 Mai
1551 , mort le 5 Decembre 1562. Voyez pour la
Généalogie de la famille de le Maître l'une des
premieres de la Robe , ce qui en eft dit dans l'Hif
toire du Parlement de Paris , en attendant l'Hiftoire
des Maîtres des Requêtes dans laquelle cette
Généalogie fera rapportée avec toutes les bran
ches .
TABLE.
PIECES FUGITIVES en vers & en profe. Le 3
3
Lettre fur un article du fupplément de Morery. 4 .
Epitre à M. Jacques l'Eventaillifte
Epigramme
Extrait d'une lettre écrite d'Arras
Ode à un ami qui fe confacre à la folitude
Lettre au fujet du Mercure
Le Fleurifte & les Curieux , Fable
La fanté , Ode
Commerce de la Groenlande
Epitre à M. le Comte d'Argenfon
7
8
9
18
21
26
28
40
Remarque critique fur la date du Concile de Sens
Réponse en vers de M. Déforges-maillard
Lettre fur la Contagion des beftiaux
Le Lion & la Chevre , Fable
46
49
ST
55
Obfervation fur quelques anciens Evêques d'Evreux
Stances
Ode au Roi
Crium Sapimtis , Ode , & la traduction
56
бо
61
661
La bataille de Fontenoy , Poëme par M. de Vole
taire 81
Réponse à M. de Voltaire fur fon Poëme 104
Lettre de M. l'Abbé Venuți fur un ancien Monument
& c.
Le Singe & la Planche , Fable
Lettre à M. le Marquis de Robien
M. Maffillon
108
108
113
Nouvelles Litteraires des Beaux Arts , Sermons de
Hiftoire des Sacremens , Extrait
123
146.
Mots des Enigmes & Logogriphes de Mai 157
Enigmes & Logogriphes 158
Chanfon notée
Spectacles , Opera
4. Suite des Reflexions fur les Balets
160
162
163
Comédie Françoife , Extrait de la Tragedie de
Didon
Vers fur un portrait de Mlle Dangeville
Concert de la Reine
Vers à M. de Voltaire
Bouquet à une Dame le jour de S. Jean
17!
18.
181
186
189
Autre pour la même Dame 199
Suite du Journal des operations de l'armée du
191
207
Roi
Nouvelles Etrangères , Ruffie , Pruffe &c. 202
Du camp de Lefines
Lettre du Roi & Mandement en confequence
pour la prise de la Ville & de la Citadelle de
Tournay
218
Modéles en plâtre pofés aux Grands Jefuites 212
Morts
La C'arfon npiée doit regarder lapaze
2.4
161
De l'Imprimerie de ROBUSTELrue de la Calendre
près le Palais. 1745 .
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JUILLET .
IGIT
UT
1745 .
SPARGATE
Chés
A
PARIS ,
GUILLAUME CAVELIER,
rue S. Jacques.
La Veuve PISSOT , Quai de Conti,
à la defcente du Pont -Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais
M. DCC . XLV.
Avec Approbation & Privilège du Roi,
A VIS,
LA
ADRESSE généra le du Mercure eft
à M. DE CLEVES D'ARNICOURT
rue du Champ-Fleuri dans la Maifon de M.
Lourdet Correcteur des Comptes au premier
étage fur le derriere entre un Perruquier & un
Serrurier à côté de l'Hôtel d'Enguien. Nous
prions très-instamment ceux qui nous adref
feront des Paquets par la Pofte , d'en af
franchir le port , pour nous épargner le déplaifir
de les rebuter , & à eux celui de ne
pas voir paroître leurs ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays
Etrangers , qui fouhaiteront avoir le Mercure
de France de la premiere main , & plus promp
tement , n'auront qu'à écrire à l'adreffe ci- deffus
indiquee ; on fe conformera très-exactement à
leurs intentions.
Ainfi ilfaudra mettre fur les adreffes à M.
de Cleves & Arnicourt , Commis au Mercure
de France rue du Champ-Fleuri , pour rendre
à M. de la Bruere.
PRIX XXX. SOLS
MERCURE
DE FRANCE ,
DE
LA
VILLE
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
ODE
LYON
1893
TIREE du Pleaume 37 Domine ne in
furore tuo arguas me , quoniam &c.
Ufpend tes châtimens féveres ,
Grand Dieu , de ta fureur laiffe moures
,
rir les coups ,
Et moins rigoureux qu'à nos pe.
Ne nous corriges pas au fort de ton couroux.
Retiens ce trait inévit ble ,
Ce trait fûr de frapper & toujours deftructeur ,
Ą ÿj
4 MERCURE DE FRANCE .
Lancé par ton bras formidable .
Qui pourroit de ta main fentir la pefanteur ?
Sur moi jette un oeil favorable ;
Je nage dans le crime & dans l'iniquité ;
Leve ce fardeau qui m'accable
Et daigne à ta jufticè oppoſer ta bonté ,
Fais mois brifer la fervitude
De ces plaifirs honteux , de ces illufions ;
Par une trop longue habitude
Le crime a dans mon ame imprimé des fillons .
Pále , couché fur la pouffiere,
Rempliffant de mes cris les antres ténébreux ,
Le jour & la nuit toute entiere
Je pouffe vers le Ciel des hurlemens affreux.
Mes cris ont frappé tes oreilles ,
Qui , j'ofe m'en flater , ils ont monté vers toi .
Mes larmes , mes jeûnes , mes veilles
Calmeront tes fureurs , t'attendriront fur moi.
Mes plus chers amis m'abandonnent ;
A toi feul , ô mon Dieu , déformais j'ai recours.
Des coups plus terribles m'étonnent ;
J'ai vû mon propre fang s'armer contre mes jours .
J'ai vu la fraude & l'artifice
Rechercherdans ma vie un crime à m'oppofer
Et portant plus loin leur malice ,
JUILLET. 1745.
Des forfait les plus noirs ils ofoient m'accufer.
D'un mot j'aurois pû les confondre ,.
Vous le fçavez , Seigneur , je pouvois me venger ,
Mais fans même daigner répondre
J'ai laiffé les méchans à mes yeux m'outrager.
J'ai cru que mon humble filence
Défarmeròit ton coeur & pourroit l'émouvoir .
Mon Dieu , j'efpere en ta clémence
Et tes bontés jamais n'ont trahi mon eſpoir.
La tête couverte de cendres ,
Les yeux toujours baiffés je dois fubir tes loix ,
Oferois-je me faire entendre,
Oferois-je élever une timide voix ?
Seigneur , mon ennemi fubfifte .
De ta vie , a - t-il dit , je trancherai le cours,
Maintenant rien ne lui refifte,
Et de nouveaux encor s'élevent tous les jours.
Trifte objet de leurs médiſances ,
Cependant qu'ai-je fait pour ouir ces horreurs?
Ai -je par dejuftes vengeances
Sur ces hommes pervers exercé mes fureurs?
J'ai reveré ton nom augufte ,
Je fuis tes faintes Loix , & j'aime à te chercher ;
Dans le fentier étroit du jufte
Je me fuis nuit & jour efforcé de ma cher.
A iij
MERCURE DE FRANCE.
Ces méchans , fi tu m'abandonnes ,
Dans leur complot perfide ont juré mon trépas ,
Défend ces jours que tu me dorines ;
A leurs fureurs , grand Dieu , ne m'abandonne pas.
J'ai mis en toi mon eſperance
Le Seigneur, ai-je dit , protegera mes jours ,
Mon repentir , ma confiance;
De fesbontés pour moi rappelleront le cours.
Par M, Mafon Chevau-Leger de la Garde ordinaire
du Roi.
JUILLET. 1745 . 7
DISSERTATION fur la Coûtume à
laquelle un évenement rapporté dans plu
fieurs des Hiftoriens de la Ville de Paris,
a donné lieu.
Linguliers qu'ilspuifendere, font cust
qui nous frappent ordinairement le moins ,
parce qu'ils nous font préfens. Mais ces ufages
fe perdent peu à peu par la fucceffion
des tems , & font enfin tout- à-fait oubliés,
Si les Anciens nous avoient tranfmis forgneufement
la connoiffance de toutes leurs
Coûtumes même les plus communes , combien
auroient-ils épargné de peines à ceux
qui ont voulu effayer de les expliquer? Nous
aurions moins de Commentateurs & d'Annotateurs
de toute efpéce , les textes des
Auteurs feroient plus intelligibles , & nous'
y aurions tous également profité : les Commentateurs
en s'épargnant la peine de leurs
travaux , nous , en nous épargnant celle de
les lire , & les uns & les autres nous aurions
mis plus à profit pour l'avancement de nos
études un tems au bout duquel la contradiction
des fentimens de ces différens Commentaires
nous laifle fouvent dans la même .
A j
Es ufages les plus fréquens , quelque
8 MERCURE DE FRANCE.
n certitude. Cela doit donc nous fervir
d'exemple , & en conféquence nous de
vons envifager l'avenir , & lui ôter le fujet
de plainte que nous fournit aujourd'hui l'Antiquité.
L'objet auquel on applique cette réflexion
ne paroîtra point fans doute affés
intéreffant à tout le monde , mais enfin il
touche l'Hiftoire de Paris , & cette raifon fuffit
pour ne le point négliger.
Quoiqu'il en foit , il s'agit ici d'un ufage
anciennement établi dans la ruë aux Ours à¸
Paris , & qui fe renouvelle chaque année au
mois de Juillet , mais auquel il vient d'arriver
quelque changement par la fageffe du
Magiftrat qui veille au foin de la Police .
Cet ufage eft fondé fur un évenement que
les Hiftoriens qui en ont parlé , ont rapporté
avec des circonftances fi différentes , qu'elles
feroient prefque douter de fa réalité , fi la
longue poffeffion où l'on eft de cet ufage qui
paroît remonter jufqu'au tems même de l'évenement
n'en prouvoit abfolument le fond,
que les Hiftoriens ont pû furcharger depuis
d'un merveilleux , qui , pour être de trop
dans le récit , n'en détruit cependant point
entierement le fait.
Pour mettre quelqu'ordre dans cette relation
, on va parler d'abord de l'évenement
qui a donné lieu à l'ufage qui fait le principal
objet de cet Ecrit ; on parlera enfuite de
JUILLET. 1745 .
cet ufage , enfin on parlera de ce qui fupplée
maintenant à ce que la prudence du
Magiftrat a jugé à propos de réformer dans
cct ufage.
par
Ce feroit ici la place de commencer
le récit des Hiftoriens qui ont parlé
de cet évenement , mais comme la différence
de leurs relations donneroit lieu à
beaucoup de remarques , & qu'on ne fe propofe
point ce but dans cet Ouvrage ( ce qui
pourra fervir de matiere dans une autre occafion
) on fe contentera pour le faire connoître
, de copier ioi mot pour mot le Tableau
que l'on expofe aux yeux du Public ,
à côté de l'Image de la Vierge qui en fait le
fujet , & qui eft placée au coin de la rue aux
Ours & de la rue Sale au-Comte.
ב כ
පා
•
**
» L'an 1418 le 3 Juillet veille de la
Tranflation de Saint Martin , un foldat
fortant d'une Taverne qui étoit en la ruë
aux Ours défefperé d'avoir perdu tout
fon argent & fes habits au jeu , jurant &
blafphemant le faint Nom de Dieu , frappa
furieufement d'un coûteau l'Image de la
Sainte Vierge ; Dieu permit qu'il en fortit
du fangen abondance. Ce malheureux fut
pris , & mené devant Meffire Henri le
Merle Chancelier de France , & par Ar-
,, ret du Parlement il fut conduit en ce lieu,
» & là étant lié à un poteau devant ladite
n
و د
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
30
"
20
Image , il fut frappé d'efcorgées depuis fix
heures du matin jufqu'au foir , enforte que
les entrailles lui fortoient du corps : on lui
» perça la langue d'un fer chaud , & il fut
jetté au feu , ainfi qu'il eft rapporté par
Gilles Corrozet chapitre 20 des Antiquités
de Paris , & confirmé par le Réverend
Pere Jacques Dubreuil Religieux
» de Saint Germain des Prez , au troifiéme
Livre des Antiquités de Paris , page 794.
Tous les ans à pareil jour en ce meme
lieu Meffieurs les Bourgeois de la rue aux
Ours font dreffer un feu d'artifice ce
s qui n'a pas diſcontinué depuis plus de 3 co
ans , pour réparation de l'outrage fait à
ladite Image , & pour conferver la mé-
≫ moire du miracle que Dieu a bien voula
opérer. »
20
לכ
50
"
La tradition populaire ajoute encore d'autres
circonftances fur les fuites de cet évenement
, mais elles viennent d'une crédulité
trop peu mefurée pour y faire quelque fondement
, & pour mériter d'être rapportées.
Comme ce Tableau cite Corrozet & le P.
Dubreuil , on rapporteroit volontiers ici les
paroles de ces deux Hiftoriens , fi la raiſon
que fon vient d'alléguer plus haut ne détermimoit
à les fupprimer pour cette fois. La
comparaifon de leurs récits rapprochés
prouveroit indubitablement ce qu'on a déja
JUILLET. 1745 . 11.
remarqué auparavant fur leur différence, & fi
l'on vouloit s'arrêter aujourd'hui à difcuter ,
auroit lieu de le faire fur le récit même
de ce Tableau que l'on vient de rapporter,
mais on en parlera ci- après.
il
y
Tel eft donc felon ce Tableau , le récit
de cet évenement , telle étoit auffi la cérémonie
employée à la réparation de l'outrage
commis envers la Sainte Vierge , mais M.
le Lieutenant de Police , que les devoirs de
fa Charge rendent toujours attentif à empêcher
ce qui pourroit nuire au bien public,
jugea à propos de fupprimer ce feu des l'année
1743 , en confidération des accidens qui
en pouvoient réſulter dans une place de fi
peu d'étendue , & qui étoient déja réellement
arrivés différentes fois dans les années
précedentes .
Il paroîtroit inutile d'expofer au Public de
quelle maniere s'exécutoit cette cérémonie.
Il accouroit en foule la voir célébrer fousfus
yeux , mais en faveur des Etrangers qu'il
ne faut jamais perdre de vûë , & en confé
quence de la réflexion qui commence ce petit
Ecrit , on ſe croit obligé de la décrire .
Une action auffi impie que celle dont on
vient de voir le récit , excità la dévotion des
Bourgeois qui habitoient la rue aux Ours
où ce facrilege s'étoit paffé , & les porta à
former entr'eux une fociété qui fut connue
A vj
12: MERCURE DE FRANCE.
fous le nom de la fociété des Bourgeois , ou
de la fociété de la Vierge de la rue aux
Ours , & dont le but étoit de réparer par un
culte extérieur cet outrage fait à la Mere
du Sauveur. Pour accomplir cette réparation
d'une maniere fenfible , cette fociété faifait
élever une charpente de forme quarrée
au milieu de la rue aux Ours en face de la
ruë Sale -au-Comte : cette charpente étoit
couverte de décorations qui repréfentoient
une architecture unie feinte de marbre de
diverfes couleurs , & terminée par une baluftrade.
Cet édifice ne pouvoit avoir par
fa fituation que trois côtés , celui en face de
la rue Sale-au- Comte , celui tourné vers la
rue Saint Denis en face de Saint Jacques de
l'Hôpital , & celui tourné vers la rue Saint.
Martin . Le quatriéme côté étant appuyé aux
maifons de la rue aux Ours n'étoit point en
vûë. Chacun de ces côtés étoit orné d'une
infcription en fixain de vers enfermée dans
un Cartouche , & pofée au milieu fur la corniche
qui féparoit le corps d'architecture d'avec
la baluftrade, Ces infcriptions font rapportées
à la fin de cette relation . Cette charpente
étoit furmontée, d'un piédeftal qui
occupoit le milieu de la plateforme , & fur
lequel on plaçoit la figure dont on va parler,
On rappelloit au peuple le ſouvenir de
cette Cérémonie annuelle par une figure
JUILLET. 1745. 11
d'ofier repréfentant le malheureux qui avoit
commis cette impiété fur l'image de la Sainte
Vierge , & que la fociété faifoit promener par
tous les quartiers de Paris pendant plufieurs
jours. Alors le peuple accouroit en foule le
foir du jour marqué pour cette Cérémonie,
qui a toujours été le troifiéme du mois deJuillet
für les neuf heures & demie , & plus fouvent
même fur les dix heures ; on commençoit
par tirer un feu d'artifice placé à la maiſon
de celui des Bourgeois de cette fociété qui
étoit cette année là ce qu'ils appellent entr'eux
le Roi de la fociété. Les Bourgeois
qui la compofoient fortoient enfuite de.
la maifon particuliere où ils s'étoient afſemblés
, précédés de tambours , & leur Roi tenant
un flambeau allumé , ils venoient au
feu fur lequel ils montoient après en avoir
fait trois fois le tour ; alors le Roi mettoit
lé feu à la premiére fufée volante d'honneur
de l'artifice qui étoit exécuté enfuite par les
Artificiers ordinaires. Il fe terminoit par la
figure d'ofier qui étoit ppllaaccééee ffuurr ccee piédeſ.
tal au milieu du feu , dépouillée de fes vêtemens.
Après plufieurs inclinations qu'on
lui faifoit faire devant l'Image de la Ste Vierge
pendant que le peuple chantoit l'Antienne
Salve Regina que le Roisavoit entonnée
, on la brûloit , & l'on jettoit fes
membres tout allumés du haut du feu fur la
14 MERCURE DE FRANCE.
populace qui attendoit avec impatience ce
moment, & fe battoit fouvent pour fçavoir à
qui demeureroient ces reftes . Quelquefois il
fortoit de l'artifice du corps de cette figure ,
avant qu'on la brûlât. Le feu étoit compofé
de différentes pieces d'artifice qui forment
ordinairement ces fortes de fpectacles , &
qui étoient plus ou moins abondantes felon
le produit des libéralités de ceux qui vouloient
participer à cette Cérémonie. L'exécution
du feu étoit plus ou moins parfaite
felon l'habileté de l'Artificier. C'eſt ainfi que
fe terminoit le premier jour de cette Cérémonie
, car elle fe répétoit le lendemain à
la même heure , mais avec des différences &
pour un autre fujet . La fociété qui préfide à
cette cérémonie a fes Staturs & fes Réglemens,
fuivant lefquels elle s'affemble le lendemain
vers le midi,& en préfence d'un Com
miffaire qui lui eft donné par la Police , &
qui affifte à toutes fes affemblées , & à toutes
fes cérémonies , elle tire au fort celui qui
fera Roi dans le cours de l'année qui commence
ce jour là , & dure jufqu'au 3 Juillet
de l'année fuivante inclufivement. Cette cérémonie
eft fuivie d'un repas , & le feu qui
fe tire ce foir là eft le bouquet qui fe donne
au nouveau Roi de la fociété . Il commence
pareillement par un artifice placé à la mailon
de ce Roi , & la fociétéva enfuite faire
JUILLET. f
1745 .
exécuter le grand feu de la même maniere
qu'elle a fait la veille. Voilà quelle étoit la
cérémonie employée par cette pieufe fociété
à la réparation de cet outrage fait à la Sainte
Vierge. Il n'en fubfifte donc plus que la cérémonie
de la figure qui fe paffe préfentement
de la maniere qu'on verra ci- après par
la précaution & en conféquence des ordres
du Magiftrat qui eft prépofé à la Police.
La fuppreffion de cette partie la plus bril
lante de la cérémonie pouvant faire naitre
dans l'idée d'un peuple mal' informé des
préjugés bien oppofés au zéle & à la ferveur
qui anime de plus en plus cette dévote fociété
, c'eft pour les prévenir qu'on s'eft propropofé
d'inftruire le public des fentimens
où elle eft actuellement de fuppléer par des
exercices de piété & des pratiques de dévo
tion plus conformes à l'efprit de fa formation
, & plus propres à l'édification des fidéles
, à ce feu d'artifice en quoi confiſtoit
la cérémonic fupprimée. Cette raiſon a fait
choifir par préference ce Journal comme
étant entre les mains de tout le monde , &
comme un excellent Recueil où la poſtérité
trouvera en dépôt quantité de matériaux
qui lui fourniront pour les différens travaux
qu'elle pourra entreprendre , des lumieres
qu'elle chercheroit inutilement dans d'autres
Ouvrages,
16 MERCURE DE FRANCE.
1
Après avoir fait connoître l'événement
dont il s'agit, & la coûtume à laquelle il avoit
donné naiſſance , il faut parler de ce que
la fociété a déja fait , & de ce qu'elle doit
continuer de faire à la place de la cérémonie
fupprimée.
En l'année 1743 , la fociété fe difpofant
à remplir comme à l'ordinaire le devoir annuel
qu'elle s'eft impofée à l'honneur de la
Sainte Vierge , reçut la défenſe d'exécuter
le feu d'artifice accoutumé . Dès le moment
elle prit la réfolurion de convertir cette cérémonie
en un Office divin qu'elle fe propofa
de faire célébrer publiquement . Elle
choifit l'Eglife Paroiffiale de S. Leu & de S.
Gilles comme Paroiffe de l'endroit où eft fituée
l'image miraculeufe de la Vierge , & de
tous les affociés qui ne font jamais choifis
hors de la rue aux Ours , & ayant obtenus
la permiffion de M. l'Archevêque , néceffaire
en pareil cas , l'Office fut annoncé aux portes
de ladite Eglife par de fimples affiches
manufcrites , le peu de tems qui s'étoit trouvé
entre la defenfe du feu & le jour de la
cérémonie ne leur ayant pas permis de s'y
prendre autrement ; cet Office fut en con-.
féquence célebré de la maniere fuivante. Il
commença à dix heures par une grande.
Meffe de la Vierge , on chanta celle qui eft
marquée dans le Miffel de Paris pour le
JUILLET . 1745 . 17
Samedi quand on fait l'Office de la Férie ,
on y ajouta feulement la Profe Ave Virgo
Virginum. Le Salut fut compofé du ze Repons
des Matines du Samedi de la Férie , de
l'Hymne , du Magnificat & de l'Antienne
des Vêpres du même jour , & fut terminé
par la Collecte de la Meffe . On chanta enfuite
l'Antienne de la Vierge Salve Regina,
pendant laquelle le Célébrant qui étoit M.
le Curé fut au Sanctuaire chercher le S. Ciboire
dont il donna la bénédiction , & qu'il
reporta auffi-tôt. Le foir fur les neuf heures
on brûla à l'ordinaire devant l'Image de la
Vierge , & à la place ou fe tiroit le feu d'ar
tifice , la figure d'ofier dont on a parlé. On
l'attacha à un poteau que l'on avoit planté
exprès un peu de tems auparavant la cérémonie
, mais cette action fe paffa entre Meffieurs
de la focieté feulement , & fans être accompagnée
d'artifice ; il n'y eut d'autre peuple
que celui de la rue & des rues circonvoifines
qui s'affembla comme il le fait ordinairement
dans un événement de quartier , mais il n'ac
courut pas en foule de tous les endroits de
Paris , comme il faifoit les années précédentes.
La Vierge étoit beaucoup parée de fes
ornemens , de bouquets de fleurs & de quantités
de cierges. On fit chanter au peuple
l'Antienne ordinaire de Salve Regina , après
laquelle le Roi de la focieté ayant trois fois
18 MERCURE DE FRANCE.
fait le tour de la figure accompagné de fa
focieté , & précedé de tambours , alluma la
figure avec un flambeau qu'il tenoit. Le lendemain
on célébra à l'ordinaire en l'Eglife
de S. Leu un fervice folemnel pour tous les
affociés décedés dans le cours de l'année ou
anciennement.
L'année derniere 1744 , la fociété ayant
mis à profit le tems qu'elle avoit eue d'avance
, annonça au peuple avec la permiffion
de la Police par des affiches imprimées
miſes dans tous les quartiers de Paris & aux
portes de toutes les Eglifes , la célébration
du même Office , mais qui fut plus folem-
Hellement marqué cette fois par l'expofition
du S. Sacrement à la Meffe & au Salut, qui
fut terminé par une Proceffion du S. Sacrement
avec ftation à la Chapelle de la Vierge
dans la même Eglife . Les affociés fuivoient
la Proceffion un cierge à la main , comme
font ordinairement les Marguilliers dans les
Paroiffes . On chanta à la Meffe & aux Vêpres
les mêmes Offices qu'on avoit dit l'année
précédente . Cette expofition du S. Sacrement
fe fit en conféquence d'une nouvelle
permiffion de M. l'Archevêque que la
focieté avoit follicitée de nouveau. Le foir
elle brûla , comme elle avoit fait l'année précedente
la figure d'ofier , & le lendemain il
y eut le fervice accoûtumé pour les Trépaffés.
*
JUILLET 19
. 1745 .
11
y a apparence que cette préfente année
ce fera la même chofe , & que la focieté
continuera de pratiquer à l'avenir la même
dévotion , fans aucun autre changement que
celui que fa pieté lui infpirera pour la rendre
de plus en plus folennelle.
Quoique le but qu'on s'étoit propofé dans
ce petit travail foit préfentement rempli
cependant on fupplie de permettre encore
quelques additions qui ont un rapport inſéparable
avec ce qui précede.
Les Hiftoriens difent que l'Image de la
Vierge qui a été frappée a été tranfportée
depuis en l'Eglife du Prieuré de S. Martin
des Champs , où elle eft réverée fous le nom
de Notre-Dame de la Carole . Ils fe trompent
tous en confondant ainfi l'Image de la
rue aux Ours , qui n'eft devenue célebre
que par cet évenement , qui eft de beaucoup
poftérieur , avec celle d'une Confrérie beaucoup
plus ancienne . Des titres confervés ent
originaux dans les archives de ladite Eglife,
prouvent évidemment que la Chapelle de
N. D. de la Carole étoit déja fort connuë au
commencement du quatorziéme fiécle : en
1315 Baudouin de Chally Chevalier
Marie Douchou fon époufe firent don à
cette Chapelle de 10 livres de rente annuelle.
En 1390 Pierre d'Orgemont Evêque de Paris
, informé des miracles que Dieu opéroit
&
20 MERCURE DE FRANCE.
dans ce lieu par l'interceffion de la Sainte
Vierge , y érigea une Confrérie en faveur
des Bourgeois de cette Ville. Jean Juvenal
des Urfins dans fon Hiftoire de Charles VI,
rapporte un de ces miracles fous l'année
1393 dont on a fait un tableau pour en conferver
la mémoire . Benoît XIII . qui l'année
fuivante fut élû Pape à Avignon le 28 Septembre
, accorda des Indulgences à ceux qui
fréquenteroient cette Chapelle certains jours
énoncés dans fa Bulle datée de la douziéme
année de fon Pontificat . Sixte IV. en 1477
fit aufli la même chofe par rapport à la Cha
pelle de la nef. Voilà donc une diftinction
bien etablie , auffi les deux Chapelles font
bien différentes dans la même Eglife ; celle
de la Confrérie de N. D. de la Carole eft
derriere le Choeur , & celle où eft l'Image de
la rue aux Ours eft dans la grande nef , &
tient à la porte du Choeur du côté gauche en
entrant dans cette Eglife. On a rectifié cette
erreur dans les affiches que les Religieux de
cette maiſon font pofer dans Paris pour an
noncer le concours de dévotion qui fe fait
pareillement ce jour là devant ladite Image
en cette Eglife , & que ces affiches attri
buoient les années précedentes à l'Image de
la Carole . Cette Image de la Vierge de la ruë
aux Ours avoit été placée dans une niche
pratiquée dans l'intérieur du mur vis-à-vis de
JUILLET. 1745. 2 I
la Chapelle où on la voit aujourd'hui , avant
que ce mur fut couvert de la fuperbe menuiferie
qui le revêt préfentement , & à la
place de cette Image dans la rue aux Ours
on en a fubftitué une autre devant laquelle
fe fait la cérémonie de la figure d'ofier . Elle
eft enfermée fous une grille dans une niche
qui a été décorée fort proprement il y a quel
que tems , & qui vient de l'être depuis un
an ou environ par les liberalités de celui qui
a été Roi de la focieté depuis le mois de
Juillet 1743 , jufqu'en Juillet 1744. D'ailleurs
cette Image eft parée les jours de grandes
fêtes d'ornemens très propres, & de la
couleur de la fête du jour , & elle eſt éclairée
de quantité de cierges. Au bas de cette Image
eft un tronc pour recueillir les charités des
fidéles qui y ont dévotion , & dont le nombre
eft grand ; c'eft de fon produit & des
contributions des affociés que fe célebre préfentement
l'Office divin qui fe dit aujourd'hui
à S. Leu en place du feu d'artifice qui fe tiroit
autrefois , & qui étoit pareillement payé
des deniers de ce tronc , qui fournit auffi
à la dépenſe du repofoir dont on a parlé. La
focieté a la confolation de voir que le bon
emploi qu'elle fait de ces deniers , excite da
vantage la générofité des fidéles , ce qui fait
qu'elle fe propofe de déterminer cet Office
pour l'avenir d'une maniere plus fixe & plus
MER CURE DE FRANCE.
folemnelle , à mesure que le produit de ces
bienfaits des fidéles la mettra plus en état
de le faire.
Au refte le récit de cet événement , tel qu'il
eft rapporté dans le tableau d'après lequel
on l'a copié ci- devant , donneroit lieu à quelques
remarques , qui comme on l'a déja dit,
pourront fervir de matiere en une autre occa-
Tion ; mais pour cette fois on fe contentera
d'obferver en paffant que l'on a pris fans doute
en ce tableau le jour de l'exécution du criminel
pour le jour de l'événement , ce qui
paroît très vrai-femblable , parce que le
Chancelier le Merle avoit été maffacré la
nuit du 12 Juin précedent , à l'occafion des
troubles dont Paris étoit pour lors déchiré ,
ainfi que l'apprend l'hiftoire de ce tems -là.
On peut aufli remarquer que cette même
ruë que l'on appelle par corruption aux
Ours , fe nommoit pour lors aux Ouës, deş
Oyes que nourriffoient en quantité les Rotiffeurs
, qui de tout tems ont habité particu
licrement cette rue , comme ils y font encore
actuellement en grand nombre .
Mais une obfervation effentielle à faire eft
fur la mauvaiſe dénomination que plufieurs
perfonnes , pleines d'ailleurs de bon fens , &
même bien inftruites, continuent de donner
à cette figure d'ofier en l'appellant Suiffe de
la rue aux Ours : non feulement ces gens in
JUILLET.
1745. 23
fultent à une Nation depuis long - tems amie
& alliée de la nôtre , mais ils bleffent ouvertement
la vérité de l'Hiftoire , puiſqu'on
n'a commencé d'avoir des Corps militaires
de cette Nation dans nos troupes que dans
un tems bien pofterieur à la date de l'évé
nement de la rue aux Ours , ce qui a toujours
continué depuis, Il eft vrai même que
cette figure a porté anciennement pendant
du tems un habillement qui fembloit autorifer
cette dénomination, mais depuis on a fait
changer l'habillement de cette figure après
qu'on eut examiné & rendu témoignage à
la vérité de l'Hiftoire : il ne refte plus pour
finir ce qu'on s'eft propofé, qu'à rapporter les
Vers dont on a parlé ci deffus , qui fe lifoient
écrits dans des cartouches aux décorations
du feu d'artifice. Il n'eft pas befoin fans doute
de faire obferver aux Lecteurs que ce n'eft
point pour leur élégance qu'on les reproduit
aujourd'hui fous leurs yeux, mais feule
ment pour ne rien omettre de ce qui a rapport
à la cérémonie qui a donné lieu à cet
Ecrit.
Vers qui fe lifoient aux décorations du fen
d'artifice.
Le fort de la fortune eft fi cruel au jeu ,
Que pour le plus fouvent les joueurs prennent feu,
Et s'attachant fi fort que quittant toute affaire ,
24 MERCURE DE FRANCE.
Ils y font tout d'un coup réduits à la mifere ;
Les uns au défeſpoir , les autres dans la rage
Ne cherchent leur argent qu'au milieu du carnage .
*
Un foldat malheureux écumant de colere ,
D'un vifage effronté , d'une mine févere ,
S'étant ruiné au jeu , fe jetta de furie
Et perça d'un couteau l'Image de Marie.
Auffi- tôt Dieu permit que le fng en fortit
Pour fa plus grande gloire , & qu'il en fut puni,
*
Il fut inceffamment traîné à la juftice ,
Puis la torche à la main , fut conduit au fuplice ,
Ce n'eft pas fans raifon que les Bourgeois enfemble.
Veulent en conferver la mémoire & l'exemple ,
Par un feu d'artifice qu'ils dreffent tous les ans
En l'honneur de Marie & Jefus fon Enfant.
EPITRE
JUILLET. 1745. 25
柴柴柴
EPITRE de M. des Mabys à Madame
J
de *** pour lors au Château de Dam
pierre en Septembre 1744.
E vous quittai , flaté de l'e ſpérance
De vous revoir , agréable ſéjour ,
Vallons chéris où fur les pas d'Hortenfe ,
Lorfque Pomone annonce fa préfence ,
Le Dieu des coeurs vient établir la Cour,
Trois jours au plus , rempliffoient mon attente ,
Vers fon pourpris ce Dieu guidoit mes paş :
F'attens l'initant d'une ame impatiente ;
L'inftant arrive , & je n'arrive pas .
A ce début vous jugerez fans peine ,
Jeune Comteffe , aimable fouveraine
De tous les coeurs , mere de l'enjouement ,
Que fans le prompt & fubit changement-
Que fait en nous mal de gorge ou migraine ,
Jà près de vous ferois en ce moment.
Oui je ferois dans ce réduit charmant ,
Azile tendre où féjournent les Graces ,
Les jeunes Ris, les folâtres Amours ;
Je les verrois y marcher fur yos traces
N'y font- ils pas attachés pour toujours ?
Jereverrois ce Neftor vénérable
B
26 MERCURE DE FRANCE,
Qui ,, pouvant tout , à tout a renoncé
Et préfera le loifir délectable
D'un Philofophe auffi fage qu'aimable
Au faux éclat d'un monde verniffé.
Peut-être auffi reverrois-je la face
Du bon Curé qui fi courtoiſement ,
En nous tordant grimace fur grimace ,
Se travailloit pour faire un compliment
Digne de vous , & qui buvoit d'autant .
Mais dénué d'une douce efperance ,
Frivé d'un bien fi cher à mes défirs ,
Je fuis contraint d'en chercher l'apparence
Le fouvenir eft l'ombre des plaifirs .
DISCOURS Prononcé aux Affociés qui
compofent la Societé Littéraire , de ***
le 15 Mai 1745 .
MESS ESSIEURS
QUELQUE vive que foit la reconnoiffan
ce dont je fuis pénetré pour la faveur
finguliere que j'ai reçû d'être admis à votre
Académie ,je ne puis vous en donner que de
très foibles marques .
La parole qui fouvent fert fi heureufement
les penfées, qui leur préte meme quelJUILLET.
1745. 27
que fois une parure qui en reléve la beauté,
femble perdre toute fa force & fon énergie ,
devenir pour air.fi - dire muette lorfqu'on
veut s'en fervir pour exprimer les fentimens.
Seroient-ils trop concentrés dans l'homme
pour fe produire & fe manifefter ?
Au moins fi l'ardeur avec laquelle j'ai brigué
une place parmi vous pouvoit répondre
des finceres tranfports que mon coeur
éprouve au moment que j'arrive au comble
de mes voeux , que je ferois fatisfait ! mais
vous ne pouvez pas compter fur une preuve
fi équivoque. Où ne s'ingere pas une vaine
& hardie présomption ! Le frivole defir
d'obtenir le glorieux titre d'Académicien
montre le même empreffement & la méme
conftance qu'une fage émulation qui ne fe
propofe en entrant dans certe noble carriére
que de faciliter fes progrès dans la Litté
rature par la plus grande abondance des fecours
qu'elle y trouvera. La vanité eſt elle
parée de ce nom faftueux ? On va fouvent
jufqu'à fe dégoûter de l'exercice des fonctions
indifpenfables qu'il impofe ; encore
moins , fonge-t on à acquérir ou a pouffer
jufqu'à la perfection néceffaire les rares &
éminentes qualités qu'il exige ? On abandonne
les obligations parce qu'on n'a cherché
que Phonneur , & comme le véritable eft
effentiellement attaché au devoir , on fecon
Bij
28 MERCURE
DE FRANCE,
tente de l'ombre : l'amour propre toujour
habile à favorifer ce qui le décore & le flate
, ne manque pas de trouver dans fon fond
aflés de mérite pour la réalifer & fe l'attribuer
à jufte titre, De quelles chimere ne fe repaît
pas l'orgueil humain !
Je puis néanmoins me rendre cette juftice
qu'en demandant avec tant de paffion d'être
reçu parmi yous , je n'ai été animé que par
l'amour de ma véritable perfection ; né avec
du penchant pour les Lettres je me livrai à
que des cette étude qui ne préfente d'abord
charmes & des agrémens , mais qui ne tarde
pas de s'annoncer encore plus intereffante par
les avantages folides qu'elle procure à ceux
qui s'y appliquent & même à l'Etat qu'elle
rend floriffant. Pouvois - je fçavoir qu'il y
avoit parmi nous une Societé où elles étoient
cultivées? Pouvojs - je avoir l'honneur de
connoître quelques uns de ceux qui la compofent
fans que je fiffe tous mes effors
pour être affocié à un nombre de perſonnes
dont les vaftes lumieres m'offroient un
fi puiffant de fupléer à ma foibleffe
moyen
& à ma médiocrité , & dont la direction foutiendroit
ma marche chancelante dans la
route des Belles Lettres & me garantiroit des
écueils dont elle eft femée ?
En effet , Meffieurs , quelque grands &
quelque divers que foient les talens dont
JUILLET. 1745 . zy
per- chacun de vous eſt doué , fi pour les
fectionner & les accroitre jufqu'au dernier
point de leur fphére , vous avez jugé qu'il
étoit néceffaire de les raffembler & de travailler
ainfi de concert à votre avancement
réciproque ; fi un génie particulier ne fait
jamais que des progrès très bornés , quelque
rapides qu'ils puiflent être ; fi tout ce qu'il
peut faifir n'eft prefque rien eu égard à la
multitude des objets effentiels qui lui échap
pent ; en un mot fi la Littérature cache comme
la terre dans fon fein fes richeffes les plus
précieufes, qu'elle ne céde qu'à la réunion des
forces liguées pour les lui enlever , quels
fruits devois-je attendre de mon travail particulier
?
me
L'heureuſe experience que j'avois déja
faite de vos leçons & les grandes espérances
qu'elle me fit concevoir dans l'avenir ,
déterminerent invinciblement à faire concourir
à mon application cette fupériorité
d'efprit , de gout & de jugement que j'avois
remarqué dans tous ceux d'entre vous
que j'avois eu l'honneur d'approcher .
Vous etiez fi élevés au- deffus de moi
par
toute forte d'endroits , mais principalement
par vos excellentes qualités perfonnelles ,
que vous me parutes d'abord inacceffibles.
Malgré la conviction où j'étois de mou impuiffance
à parvenir jufqu'à vous , je hazar-
Bij
go MERCURE DE FRANCE.
dai la premiere démarche , tant l'attrait qui
me portoit vers vous étoit dominant ! par
une bonté inouië vous voulutes bien ne pas
la dédaigner & rapprocher , pour ainfi dire ,
jufqu'à la rendre infenfible , cette immenſe
diftance qui étoit entre vous & moi & que
ma timidité naturelle rendoit encore infinie.
Que mon entrepriſe ait été témeraire , je
ne puis le diffimuler. Puis-je me repentir de
l'avoir faite d'abord que vous lui aurez accordé
un fuccès qui m'eft fi favorable ?
Voilà , Meffieurs , le point où fe réuniſſent
tous les motifs qui peuvent me faire fentir le
prix ineftimable de vos bienfaits & vous faire
juger quels doivent être les mouvemens
de mon coeur , quelle eft l'effufion de ma fincere
gratitude.
Sum ***
Ecclefiaftique .
JUILLET. 1745. 31
****
EXTRAIT d'une lettre de M. D. L. C.
à Madame fa mere au retour
d'un
voyage
de long cours , A Amfterdam le 9 Décembre
1745 .
1
LA joye en mon coeur eft rentrée
A l'afpect de ces traits chéris
Que j'ai vû datés de Paris
D'une main chere & reverée.
Je craignois pour vos jours ; un fonge décevant
A mes fens affoupis avoit peint l'Elyſée ,
Et je tremblois en arrivant ,
De vous trouver canonifée.
Dieu foit loué , mes voeux les plus doux font remplis
;
Vous n'étes point en Paradis :
Je vais vous embraffer , & je puis vous écrire.
Prenez confeil de votre fils ;
Ne voyagez que tard au célefte Pays ,
Et gardez-vous pour l'y conduire.
Biiij
32 MERCURE DE FRANCE.
****************
NOUVELLE explication du proverbe ,"
pour un point Martin perditfon ane.
L'Explication de ce proverbe inferé dans
le Mercure de France du mois de Novembre
1742. Pag. 2419. & fuivantes me
parut alors aufli peu vraisemblable, que celle
que j'avois luë deux années auparavant
dans Alciat , m'avoit paru vraie , fimple &
naturelle.
Pour mettre le lecteur à portée de décider
laquelle de ces deux explications eft la meil
leure , je propoferai d'abord la queſtion qui
doit fonder la détermination dans l'explication
de ce proverbe . 20. Je traduirai librement
celle que donne Alciat , & pour en
faire le parallele j'y joindrai celle qui eft dans
le Mercure. 30. Je refuterai les raiſons qui
peuvent avoir donné lieu à celle- ci. 4° . Enfin
je rapporterai hiftoriquement les pafla
ges des auteurs qui font mention de ce proverbe
, & je tacherai de concilier les alterations
qu'il a foufertes.
I. La quellion de l'éclairciffement de laquelle
dépendent l'une & l'autre explication
fe trouve très judicieufement propofée au
commencement de celle qui eft inférée dans
JUILLET . 1745. 33
le Mercure , mais j'ai été étonné que l'auteur
après avoir affés autorifé & difcuté cette
queftion fe foit écarté de l'explication qui
en devoit fuivre naturellement. Voici les
propres termes :
On n'a pas encore bien éclairci fi ce fut
pour un point de trop ou pour un point mal
placé, ou enfin , fi ce fut faute d'un point que
Martin perditfon ane , & file mot ane &
celui d'Afellus , par lequel il eft rendu en Latin
, doivent être pris à la lettre , & fignifient
réellement un ane , on quelqu'autre chofe exprimée
d'une maniere allégorique.
Telle eft la queftion qui doit décider du
mérite des deux explications . Je crois qu'il
eſt néceſſaire de les rapporter l'une & l'autre
avant que de les difcuter .
II. Voici celle qu'on trouve dans Alciat.
»On lifoit ce vers fur la porte du Monafte
re de la riche Abbaye d'Afello . »
.
"
»
Porta patens efto. Nulli claudaris honefto.
Ce qui fignifioit que la porte en devoit
» être ouverte , & l'hofpitalité accordée à
" toute honnête perfonne . Robert devint
» l'Abbé de cette Abbaye : il étoit avare &
brutal ; avec ces vices la coûtume de recevoir
du monde dans le Monaftere lui déplut
: il s'imagina de l'écarter en faifant
Bv
34 MERCURE DE FRANCE .
tranfpofer après le mot nulli le point qui fe
trouvoit après le mot efto. La tranfpofition
» de ce point donnoit en effet un fens abfolu-
» ment contraire , au vers . Le Pape ayant
appris le procedé de l'Abbé Robert le pri-
», va de fon Abbaye . On remit enfuite la
ponctuation du vers , & on y ſouſcrivit
≫ celui- ci : »
ƉƆ
29
20
39
55
"
Ob folum Pundum caruit Robertus Afello.
Qui fignifioit que pour un feul point Robert
avoit perdu fon Abbaye d'Afello , &
qui a donné lieu au proverbe qu'on applique
communément , dit Alciat , à ceux
» qui perdent beaucoup pour peu de choſe. »
Si cette explication eft la meilleure , on
ne peut difconvenir que l'origine de ce proverbe
ne vienne d'un point mal placé. Voici
celle qui eft inférée dans le Mercure & qui
en fixe l'origine au défaut d'un point.
Ce fut faute d'un point que Martin manqua
d'être élu Abbé. Il a ete long-tems d'ufage de
marquer lesfuffrages par des points , au lieu
de recueillir les voix hautement , afin que les
élections fufent plus libres . C'est ce qui fut ordonné
par Lucius - Caffius - Longius, Tribun
du Peuple , vers l'an de Rome 653 dans la
Loi , appellée Tabellaria , qui fut long- tems
obfervée . Onfait qu'anciennement les Abbayes
étoient éleclives ainfi que font les Benefices ; &
JUILLET. 1745. 35
il pouvoit y avoir alors quelques endroits où les
fuffrages fe marquoient avec des points : ce qui
me fait croire ( ajoute enfiniffant l'auteur de
cette explication ) que les deux vers ci- devant
rapportés ne font qu'un jeu de mots & ne doi
vent pas être pris à la lettre ; qu'ils doivent
s'entendre d'une élection manquée , & non pas
d'une mauvaise ponctuation.
III. Je pourrois démontrer en un mot
le peu de probabilité de cette derniere explication.
Elle n'eft fondée que fur cette.
préfomption : il pouvoit y avoir alors quelques
endroits où les fuffragesfe marquoient avec
des points. Mais cette préfomption tombe
d'elle même dès que les hiftoriens Ecléſiaſtiques
ne nous fourniffent aucun exemple
de cet ufage.
On ne trouve que chés les Romains la
coûtume de marquer les fuffrages par des
points fur des tablettes. Elle ne fut introduite
en faveur du peuple , dit Alexander ,
( 1 ) que pour balancer l'autorité des Patri
» ciens , & lui laiffer la liberté des fuffrages
» que les brigues & le tumulte des affemblées
génoient : mais les Magiftrats & les
» Grands s'étant apperçus que leur crédit
étoit par là confidérablement diminué ,
20
20
( 1 ) Alexander ab Alexandro , genial dier . lib.
4 cap 3. pag. 449. Edit. de 1586. fol Lyon .
B vj
36 MERCURE DE FRANCE
on rejetta les tablettes , & on revint à l'ancienne
maniere de donner les fuffrages de
≫ vive voix .
•
"
33
28
"
Il y a , dit Ciceron, ( 1 ) quatre Loix tabellaria
, dont les auteurs étoient des hom-
» mes féditieux. La premiere a été promul
guée par Gabinius , homme fordide &
» peu connu ; elle regarde l'élection des Magiftrats.
On publia deux ans après la Loi
Caffia , fur les jugemens du peuple ; ce fut
Lucius Caffius , homme à la vérité de ra-
» ce Patricienne qui la propofa , mais je le
dis fauf le refpect dû à fa famille , il la
»propofa contre le fentiment de tous les gens
», de bien, pour prevenir les moindres bruits
que le peuple faifoit courir . La troifiéme
""
22.
qui regardoit la promulgation & l'autorité
» des Loix fut donnée par Carbon , homme
» auffi turbulent que malicieux , & que les
gens de bien du côté defquels il fe rangea
dans la fuite ne faluerent jamais. Coelius
donna la derniere fur le même fujet ,
& il s'en repentit tant qu'il vécût ; il crut
opprimer le peuple , & il nuifit à la République.
20
33
" "
Voilà ce que penfoit Ciceron des Tribuns
du peuple qui étoient auteurs de ces
(1) Cicer. lib 3. de legib. N. 40.
JUILLET . 1745. 3%
Loix : voici ce qu'il dit de leur ufage. ( 1 )
Grata eft tabella, que frontes aperit hominum ,
mentes tegit , datquè eam libertatem , ut quod
velint faciant. Il les appelle ailleurs vindices
libertatis.... principium juftiffima libertatis.
Croira-t- on cependant qu'après les éloges
donnés à ces Loix & qu'il ne faifoit apparamment
que pour la défenſe de la caufe
qu'il plaidoit , il dit à Quintus fon frere , ( 2 )
qu'il conviendroit mieux que ces fuffrages
fe donnaffent de vive voix , mais qu'il feroit
difficile de l'obtenir ? Nam ego in iftâ fum
fententia , quâ te fuiffe femper fcio , nihil
fuerit in fuffragiis voce melius ; fed obtineri an
poffit , videndum est .
Quoiqu'il en foit du mérite ou de l'injuf
tice de l'ufage des tablettes , on fçait qu'el
les ne furent introduites qu'en l'année 615
de Rome ; qu'elles étoient profcrites du tems
de Jules Cefar , qui exclût le peuple de l'élection
des Magiftrats , & on ne voit pas que
depuis la coutume de donner les fuffrages
par des points ait jamais été renouvellée
dans toute la Chrétienté .
Les SS. Peres ( 3 ) & les auteurs de Droit
Canonique nous apprennent les formalités
(1) İd in Orat . prò Planco , pro lege agraria ,
pro Cornelio in Rullum & c .
(2) Ed. cod. lib. 3. de legib. n 39
་
(3 Les SS, Cyprien , Athanafe , Leon , Céleftin
&c.
38 MERCURE DE FRANCE .
des élections dans tous les fiécles de l'E.
glife. Le Clergé & le peuple y procédoient
enfemble : Epifcopi conveniant , dit S. Cyprien
, ( 1 ) Epifcopus eligatur plebe prafente .
Nicolas . & Gélafe ( 2 ) ordonnerent que les
élections feroient ainfi faites à l'avenir.
Cette forme des élections étoit dès le
cinquiéme fiécle ( 3 ) commune aux Eglifes
Grecque & Latine , & quoiqu'elle changeât
vers le neuviéme fiècle dans l'Eglife
Grecque & que le peuple y fut exclus des
élections , elle ne ceffa cependant point
alors dans l'Eglife Latine .
Ce ne fut que vers le douzième (4) que les
Chapitres des Eglifes Cathédrales & les Moines
s'attribuerent feuls le droit d'élire les
Evêques & les Abbés à l'exclufion du peuple
& du refte du Clergé. Le quatriéme
Concile de Latran tenu fous Innocent III.
en 1215 prefcrivit dans le Chapitre , Quia
propter
de election . les trois différentes formes
de proceder aux élections , & déclara
nulle toute élection qui n'y feroit pas conforme.
42.
(1) Cyprien. Ep. 68 édit. Rigalt. & Ep. 41 &
(2) Can. plebs Can. Epifcopos diftinct . 63 .
(3 ) Van-Efpen jur. Ecclef. univ. tom . 1. part.1 .
tit. 13. cap. 1.
*
(4) De Hericourt , Loix Ecclefiaſtiq . tom. 1.
part. 2. chap. 3 •
JUILLET. 1745. 39
En France la Pragmatique de Charles VII.
tenuë à Bourges en 1437 abrogea l'uſage
des graces expectatives & des réferves à l'égard
des Dignités & prélatures , que la Cour
de Rome avoit introduit : il fut dit que l'on
y pourvoiroit par élection .
Enfin depuis le Concordat paffé entre
Léon X. & François I. en 1516 , toutes les
Prélatures & Abbaye électives ont été afſujetties
à la nomination Royale : les feuls
chefs d'Ordre & les quatre premieres filles
de Citeaux ( 1 ) en ont été exceptés , & on y
procede aux élections en conformité du
Chapitre quia propter.
il , que
Pithou ( 2 ) rapporte en peu de mots toutes
les variations que les élections Eccléfiaftiques
ont fouffertes . Le Pape apretendu , ditle
droit des élections lui appartenoit ;
Le Prince a eu cette même prétention : & l'un
& l'autre en ont joui. Quelquefois les Evêques
de la Province feuls ont pourvû. En autres
tems le Clergé & le peuple élifoient leurs Paf
teurs. En autre tems le Prince , le Clergé
& le peuple par communs fuffrages . Quelquefois
tout le Clergé enfemble fans le peuple :
quelquefois les Chanoines feulsfans le Clergé,
(1 ) Chopin de doman. lib. 2. tit ro .
(2)Libertéz de l'Eglife Gallic, art. 68.
40 MERCURE DE FRANCE.
Telle eft en racourci l'hiftoire des élec
tions Eccléfiaftiques. Les auteurs n'expliquent
point la maniere particuliere à chaque
Diocéfe ou à chaque Monaftére de
donner les fuffrages , mais on peut affùrer
avec fondement que dans les tems où le peuple
concourroit avec le Clergé aux élections
, ces fuffrages le donnoient par voix
commune ou par élevation des mains , ( 1)
ainfi qu'on en trouve des exemples ; ( 2 ) &
que dans les tems où le Clergé feul s'arrogea
le droit des élections , il y procéda ſelon
les regles prefcrites par le Concile de Latran
.
Cependant que ce fut le Clergé & le peuple
enſemble , ou le Clergé feul , qui élût
aux dignités de l'Eglife , on ne trouve dans
ces cas ni aucune part que les fuffrages ayent
été marqués par des points. Je conviens avec
l'auteur de l'explication inferée dans le Mercure
qu'anciennement les Abbayes étoient électives
, mais dans les tems qu'elles l'étoient ,
les élections fe faifoient ou par compromis ,
ou par inſpiration ou par fcrutins ; ( 3 ) &
dans aucune de ces trois formes , les fuffra-
( 1 ) Bordenave , état des cours Ecclef. chp.1.p. 4.
(2 ) Le peuple d'Alexandrie à l'élection de
S. Athanafe.
(3) Cap. Quia prapter Extr, de election,
JUILLET. 1745. 41.
ges ne pouvoient être donnés par des
points.
Que devient après cela la préfomption
tirée de l'hiftoire Romaine , fur l'ufage de
marquer les fuffrages par des points , lorf
qu'on peut en fixer le commencement & la
fin , & qu'on ne voit pas qu'il ait été renouvellé
dans le monde Chrétien ? N'eſt- il pas
naturel d'en conclure , qu'il n'eft ni vraifemblable
, ni poffible , que ç'ait été faute
d'un point que Robert manqua d'etre élû
Abbé d'Afello , puifqu'on ne procédoit
nulle part de cette maniere aux élections.
On convient que ce ne fut pas pour un
point de trop que l'Abbé Robert perdit l'Abbaye
d'Afello ; je crois avoir démontré que
ce ne fut pas faute d'un point ; il ne me reſte
donc qu'à prouver , que ce fut pour un point
mal place , & que les deux vers ci-devant
rapportés doivent s'entendre d'une mauvaise
ponctuation , & non pas d'une élection manquée.
IV. D'abord ce qui me furprit lorfque je
lus l'explication de ce proverbe inferée dans
le Mercure , ce fut de voir que l'auteur n'ignoroit
point celle que j'avois lue dans Alciat
( 1 ) , puifqu'il dit lui-même qu'elle eft
(1 ) Alc'at tom 1. liv. 4. de verbor . fignif. col.
104. édit. de 1548. fol Bâle.
42 MERCURE DE FRANCE.
rapportée dans Everard ( 1 ) dont il cite l'endroit
& l'édition . Ma furpriſe redoubla encore
plus lorfque je lui vis juftifier dans fon ;
explication les altérations que le dernier vers
qui avoit paffé en proverbe avoit foufertes &
s'écarter cependant de la premiere explica .
tion pour en embraffer une autre qui me parut
affi peu vraisemblable qu'impoffible.
La feule autorité du Jurifconfulte Everard
n'auroit-elle pas dû le retenir ?
Il ajoute que Pafquier la raporte aufſſi d'a
près Alciat , fans dire en quel endroit , & qu'il
ne l'a point trouvée dans les emblêmes de cet auteur
, celui de tousfes ouvrages , où ce trait pourroit
le mieux trouver place .
J'ai rappellé ci-devant l'explication, que
donne Alciat de ce proverbe & l'endroit
de fes ouvrages où elle eft rapportée. Il eût
été facile à l'auteur de la trouver , mais ily
a apparence qu'elle ne lui auroit pas fait chan
ger de fentiment , puifqu'après l'avoir luë
lui-même dans Everard , il n'a pas laiffé d'en
donner une contraire.
Il eſt vrai qu'Alciat & Everard la rappor→
tent l'un & l'autre d'après Alberic de Ro
fate , dans fon Dictionnaire de Droit , au
mot Punctus , & que je ne l'ai point trouvée
dans les deux éditions de cet ouvrage faites à
( 1 Everard dans la preface de fon Traité intitu◄
lé Loci argumentorum legales .
JUILLET. 43 1745 .
J
n
Lyon , l'une de 1521 en caracteres gothiques,
l'autre de 1548 en lettres rondes. Mais
fondé fur le témoignage des deux premiers
auteurs qui en détaillent fi bien les circonftances,
pourrois-je la croire apocryphe, furtout
dès quelle eft encore rappellée par d'au
tres auteurs, qu'elle n'a jamais été contredite ,
mais feulement alterée dans les noms de
l'Abbé & de l'Abbaye , & que celle qu'on a
donnée n'eft du tout point probable ?
Spiegelius dans fon Dictionnaire ( 1 ) , rapporte
auffi l'explication d'Alciat : » Mais on
ne la trouve pas , dit - il , dans le Dictionnaire
d'Alberic , dont l'édition faite à Pavie
» eft remplie de fautes ; & qui , quand mê-
» me elle feroit correcte , paroît une édition
bâtarde , ou du moins beaucoup altérée.
Il obferve dans fon Epitre dédicatoire que les
défauts du Dictionnaire d'Alberic ne doivent
être imputés » qu'à l'ignorance de fon fiécle
( le quatorziéme ) dans lequel les Belles
Lettres n'étoient pas même connues en Ita-
,, lie , & où l'on regardoit comme héretique
tout homme qui fçavoit le Grec : Gracè
fciens , heretici nomen vix effugiebat.
20
00
»
On trouve encore la méme explication
rapportée dans Schardius, dans Calvinus ( 2 ) ,
(1 ) Lexicon juris civilis Spiegelii v. punct ,
(2 ) Lexicun juridicum , autore Simone Schardio .
Lexicon juridic. Joannis Calvini.
44 MERCURE DE FRANCE.
& dans prefque tous les Lexiconnaires. Nul
deux qui l'ait contredite ou à qui elle ait paru
fufpecte.
Eft - il poffible cependant de ne pas fe
méfier de la réalité de l'hiftoire de ce proverbe
, dès qu'Alberic de Rofate , de qui
tous ces auteurs difent la tenir n'en fait aucune
mention ; que Spiegelius dit ne l'avoir
point trouvée dans l'édition du Dictionnaire
de cet auteur faite à Pavie , & qu'elle n'eſt
point dans les deux autres , faites à Lyon en
1521 & 1548 ?
J'avoue que le filence d'Alberic doit furprendre
, & qu'il doit jetter de violens foupçons
contre la vérité de cette hiftoire ; mais
ces foupçons font aifément diffipés par les
réfléxions fuivantes .
to. Alberic avoit fait deux Dictionnaires ,
l'un de Droit Civil , l'autre de Droit Canonique.
On lit dans une Préface qui paroît
être du premier Editeur de ces deux ouvrages
qu'il les réduifit en un feul , en y rangeant
& confondant fous un même alphabet
les mots propres à l'un & à l'autre Droit ;
qu'il en retrancha toutes les dictions qui pou
voient être géminées ou inutiles , cùm fufficerent
quacumque utilia & fructuosa , fub unâ
dictione unius alphabeti reperire. La dépofition
de l'Abbé Robert peut bien avoir fait
matiere de ces retranchemens .
JUILLET . 1745.
45
2 ". Le motif de cette méme dépofition
n'étant pas fort honorable à l'Abbé Robert ,
ni à ſa famille , ni même à l'Ordre Religieux
de l'Abbaye d'Afello , on fut fans doute bien.
aife de cacher les vices d'un homme qui
avoit été conflitué dans une des premieres
Dignités de l'Eglife.
3. Jean- Baptifte Caftellion de Genes ,
Barthelemi de l'Horloge de Padouë , & Henri
Ferrandat de Nevers , Editeurs du Dictionnaire
d'Alberic y firent un grand nombre
de corrections & d'additions confidérables.
Ces corrections porterent apparemment
fur l'hiftoire de ce proverbe , puiſqu'au
mot Punctus , où Alberic la racontoit on
ne trouve plus dans les differentes éditions
qu'une addition de Caftellion qui n'y a aucun
rapport.
,
4°. On ne peut douter des altérations qui
avoient été faites à ce Dictionnaire ; s'il faut
en juger par les termes aigres dont ſe ſert
Spiegélius ( 1 ) contre l'édition qui en avoit
été faite à Pavie. Illa ( hiftoria ) defideratur
in editione Papienfi , qua fade fcatet mendis :
& interim, etiamfi illis careret , adulterina videri
poteft ; certè contaminatam effe nemo nègare
poteft.
(1) Spiegel. Loc. citat , verb, punctum .
46 MERCURE DE FRANCE,
5 ° . Il réfuite d'une note qui eft à la fin du
Dictionnaire d'Alberic de l'édition de 1521
que ce fut en faveur & aux inftances des Religieux
qu'il le compofa : contemplatione &
inftantia Religioforum .... quoniam ipfi Religiofi
pratendentes fe communiter non habere
libres juris canonici , inftanter me rogaverunt
& ... Ce n'étoit gueres faire la cour aux Religieux
que de rendre publique l'hiftoire de
l'Abbé Robert , & ceux- ci s'en vengerent
fans doute , en la fupprimant de ce Dictionnaire.
6. On ne peut penfer qu'Alberic n'ait
point écrit cette hiftoire fans charger Alciat
& Everard du reproche odieux de falfification
& de calomnie : & quelle injuftice de
jetter de tels foupçons fur des Jurifconfultes ,
tandis qu'ils ne la rapportent que comme un
exemple propre à la matiere qu'ils traitent
& qu'ils citent le livre & l'endroit d'où ils
l'ont tirée !
70. ( Et cette réflexion eft déciſive pour
juftifier Alciat & Everard fur la citation
qu'ils font du Dictionnaire d'Alberic. ) Ce
dernier Auteur avoit fait des commentai
res fur les décretales , fur le digefte , fur le
code : fes deux Dictionnaires furent fon dernier
ouvrage. Ce n'étoit à la verité que
dans celui- ci qu'il détailloit , au témoignage
d'Alciat & d'Everard, l'hiſtoire de l'Abbé
JUILLET. 1745. 47
Robert ; mais il ne l'ignoroit pas auparavant,
puifqu'en commentant la Loi Nemo
Judaorum , du titre du code de Judais &
Calicolis , il rapporte des exemples du fens
contraire qu'une mauvaiſe ponctuation peut
donner au difcours , & cite à ce fujet le vers
qui étoit fur la porte de l'Abbaye d'Afello ;
porta patens efto , nulli claudaris honefto . Alberic
fcavoit donc l'avanture de l'Abbé Robert
? il fçavoit le contre -fens que donnoit
à ce vers le point placé avant ou après le
mot nulli : pourquoi dans fon Dictionnaire
n'auroit-il pas détaillé cette hiftoire , qui , foit
par fa fingularité , foit par fa moralité ,
trouvoit naturellement fa place ?
y
Cependant Alexandre & Erafme qui ont
fait l'un & l'autre des recueils des proverbes
& qui écrivoient comme Alciat & Everard
dans le feiziéme fiécle , ne font aucune mention
de celui dont nous donnons l'explication.
Je doute qu'ils l'euffent omis s'ils l'avoient
connû , & il y a apparence qu'ils l'ignoroient.
Il avoit été retranché de l'édition du
Dictionnaire d'Alberic faite à Pavie , & de
celle faite à Lyon en 1521 , tems auquel ils
écrivoient. D'ailleurs , Alexandre ( 1 ) s'eſt
borné à ramaffer les proverbes qui étoient
( 1 ) Alexand . lib. 5. Cap. 15. p . 688. édit. de
586 fol, Lyon,
48 MERCURE DE FRANCE.
en uſage chés les Romains ; & quoi qu'Erdfme,
ainfi que dit M.Tiraqueau ( 1 ) » en ait
» avec grand foin ramaſſé juſqu'à 4151 , il
» en eft encore un grand nombre qu'il a
omis , & qu'il auroit recueillis s'il avoit ve-
» cu plus long-tems. Sed quis omnia poffet ?
ajoûte M. Tiraqueau , en en rapportant luimême
quelques uns , pour prouver les omiffions
d'Erafme .
De toutes ces reflexions on doit néceffaitement
conclure , que l'explication de ce
proverbe que rapportent Alciat , Everard &
d'autres auteurs après eux eft la feule vraye :
& il ne refte pour une entiere conviction ,
qu'à rendre raiſon des altérations qu'il a ſoufertes.
La caufe de ces altérations , quoiqu'ancienne
& facilement reconnue , c'eſt à Pafquier,
ou du moins à l'idiome dans lequelil
a écrit , qu'on doit l'attribuer. Il rapporte
de mémoire & comme par tradition l'explication
que nous donnons ; & fa mémoire
infidelle, quoiqu'elle lui rappelle lenom dAlciat
dans lequel il l'avoit lue & qui l'avoit
écrite quelques années feulement avant lui ,
le trahit dans le nom du Héros de l'hiſtoire ,
(1) Tiraquelli annotat , in Alexand.eâdem libre
5. cap. 15. p. 694.
JUILLET. 1745. 49
& lui fait changer le nom de Robert en celui
de Martin.
כ כ
"
20
""
» Je defire encore , écrit Paſquier ( 1 ) à
M. Tabourot auteur du livre intitulé , les
Bigarures du fieur Defacords , » vous ajouter
» le jeu de ce vers , où un feul point tranſpoſé
diverfifie le fens : porta patens efto , nulli
claudaris honefto . Mettez la virgule après le
» mot defto , il n'y a nul vers plus courtois :
mettez- la après nulli , il n'y a rien de fi
» difcourtois. Et c'est pourquoi Alciat ( fi
» je ne m'abufe ) dit que l'on fit cet autre
Carme : obfolum punctum caruit Martinus
Afello , difant que c'étoit un Abbé nommé
Martin , qui pour avoir mis ce vers fur
» le portail de fon Monaftere , avec le
point au- deffous de nulli fut pour fa vilenie
, privé de fon Abbaye nommée Aſellus ;
d'où auſſi eſt venue entre nous ce prover-
» be françois ; pour un point Martin perdit
fon ane. »
20
و د
33
"
သ
23
Furetiere & les auteurs du Dictionnaire
de Trevoux ( 2 ) rapportent la même chofe d'après
Cardan qui , difent- ils , donne le nom
de Martin à l'Abbé d'Afello , mais il y a apparence
que Furetiere fe trompe dans la ci-
(2) Pafquiertom . 3. liv. 8. lett . 12 .
( 1 ) Edit. de 1691. & de 1704, verb. Martin.
50 MERCURE DE FRANCE,
1a
tation de Cardan , & que les auteurs du
Dictionnaire de Trevoux ne font que copier
Furetiere , puifqu'ils ne difent point
auffi dans quel lieu des ouvrages de Cardan
cela eft rapporté , & qu'on ne le trouve point
dans cet auteur.
30
On voit dans Furetiere les raifons du changement
du mot afello en celui d'âne. Voici
fes termes. On ne dit guères Martin ,
qu'il n'y ait de l'âne. On dit auffi pour
un point Martin perdit fon âne , pour dire,
il a perdu la partie faute d'un point..... Ą
caufe , ajoute- il plus bas , que le mot Italien
afello fignifie en François âne , on a
ainfi tourné le proverbe , pour un point
Martin perdit fon âne , au lieu de dire
Abbaye..
L
→
5כ
55 53
Furetiere fait encore une nouvelle altération
à ce proverbe . Selon lui , ce fut l'on
vrier , qui par mégarde ou par ignorance mit
le point après le mot nulli. Je ne vois point
pourquoi il s'avife de rejetter cette faute fur
un ouvrier , tandis qu'il ajoûte tout de fuite,
que le Pape indigne de l'incivilité de l'Abbé
Martin , le priva defon Abbaye. Si l'ouvrier
n'avoit tranlpofé le point que par mégarde
oupar ignorance , l'Abbé d'Afello étoit auffi
peu coupable , & ne méritoit pas plus
d'être puni que lui .
Mais pour démontrer que ce ne fut pas
JUILLET . 1745. 5 *
Pouvrier, qui de lui même tranfpofa ce point.
je n'ai qu'à rapporter les propres termes d'Everard
& d'Alciat ; ( 1 ) & cette nouvelle altération
de Furetiere m'en fournit à propos
l'occafion .
Everard en parlant des équivoques qu'-
une mauvaiſe ponctuation peut introduire
dans le difcours , cite le vers , porta patens
eft , &c. & dit que l'équivoque s'y trouve ,
fi punctum colloces ante vel poft dictionem nulli
prout fecit Abbas Robertus , qui propter
boc fuit privatus Abbatià fuâ , que vocabatur
Afellus.
Alciat rapporte l'origine de ce proverbe
en termes biens elegans , & j'aurois tort
de les mettre , ma traduction ne les ayant
fans doute point rendus avec cette énergie ;
cet auteur , ainfi que fit à peu- près dans le
même tems M. Tiraqueau , recueille les
proverbes qu'Erafme avoit ómis : il s'attache
plus particulierement à ceux qui font
tirés des droits Canonique & Civil : il copie
enfuite ceux qu'il dit avoir trouvés dans
Accurfe & les commentateurs modernes :
il ajoûte que l'ufage de ces derniers n'eft
pas moins utile, quoiqu'ils n'ayent point une
certaine ancienneté ; c'eft parmi eux qu'il
(1 ) Everard & Alciat ubifupra.
52 MERCURE DE FRANCE
rapporte celui- ci : ob folum punctum caruit
Robertus Afello.
Robertus , dit Alciat , opulenti Sacerdotii ,
cui afinus nomen, ut vocant , Abbas erat ; caterùm
avarus & inhofpitalis : quapropter carmen
, quod pro foribus Monafterii profcriptum
erat , commutato puncto invertit : porta
patens efto nulli , Claudaris honefto. Id cum
Pontifex Romanus refciviffet , Sacerdotio hominem
privavit. Unde in fabulam vulgi tranfiit
proverbialequè carmen ortum , de modico momento
rem magnam amittentibus .
Nicot ( 1 ) raconte ce proverbe de trois
manieres : c'eft , dit-il , ou pour un poil , ou
pour un point , ou faute d'un point que Martin
perdit fon âne. I laiffe à fes lecteurs ,
fans autre explication , le plaifir d'opter pour
celle qui fera plus de leur goût.
Voilà les altérations que les auteurs même
qui ont rapporté ce proverbe y ont faites .
Il n'eft pas jufqu'au fecond vers foufcrit au
premier , qui n'ait été altéré : on y a changé
le mot caruit en celui de cecidit , quoiqu'-
Alciat , Everard & tous les autres , fe fervent
unanimement du premier : ob folum
punctum caruit Robertus Afello .
Au refte j'avois cherché moi - même ainfi
que l'auteur de l'explication inferée dans le
( 1 ) Effaj fur les Proverbes au mot Ane,
J UILLET . 1745: 53
Mercure , où pouvoit être fituée l'Abbaye
d'Aſello , mais comme lui , je ne l'ai pu découvrir
ni quel fut le Pape qui dépofa l' Abbé
Robert. Jecrois cependant que cette Abbaye
devoit être dans le Milanois , & que l'époque
de la dépofition de l'Abbé Robert doit
être fixée dans le quatorziéme fiecle , tems
auquel Alberic écrivoit.
Enfin je ne vois pas quel rapport on a
voulu trouver entre l'Abbaye d'Afellò dans le
Milanois , & celle d'Afnieres- Bellay en Fran
ce dans le Diocèfe d'Angers. Il n'y en auroit
pas plus à dire que . Tillemont & Baillet font
mention au fixieme Decembre d'une Vierge
Chrétienne , nommée Afelle , dont l'Eglife
célebre la Fête à Rome . J'en trouve
encore moins entre ce qu'on dit
que l'Abbé
Robert pouvoit être de l'ordre des Mathurins,
qu'on appelloit anciennement les Freres aux
anes , & le proverbe dont j'ai rapporté l'explication
que je crois la plus fimple & la
plus vraisemblable .
D'Aix en Provence 1744.
!
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
ALLEGORIE .
UN Ane prit le bonnet de Docteur ;
Quoique fourré de fa nature
Il en prit encor la fourrure ,
Le maintien droit , l'air de hauteur ,
Peut s'en faut , la même figure ;
Le Ton , le port , la gravité ,.
Et tout enfin, fauf la capacité.
Il manquoit un point à l'affaire ,
De déguifer fi bien ſa voix
Qu'on ne connut rien au myftére ;
Il n'y réuffit pas à la premiere fois ,
Mais à force de fe contraindre
Il croit de ce côté n'avoir plus rien à craindre ;
C'étoit pour lui trop de perplexité .
Le mystére à la fin pouvant être éventé
Quelqu'un lui confeilla d'aller faire le maître
Bien loin de l'Univerfité ,
Difant que s'il alloit paroître
Au milieu de la Faculté
On viendroit à le reconnoître ,
Ayant toujours à fon côté
JUILLET. 55 1745 .
Docteurs aufquels il feroit confronté ;
Que loin du féjours de fcience
D'autres habitans ébahis
Qui n'avoient jamais vû Docteur en leur Pays
N'en feroient pas la différence.
L'âne fuivit ce confeil ingénû ;
Il n'eut jamais que ce trait de prudence ,
Heureux s'il fe fut foutenu !
Mais gare fon impertinence :
Le nouveau Docteur tranfplanté
Loin des regards de la malignité
Crût qu'il pourroit fans conféquence
Prendre le ton d'autorité ;
Il entame toute matiere ,
Décide net à fa maniere ,
Sans que rien lui foit repliqué.
Cen eft affés ; plus de mefure :
A bien cacher le fond de fa nature
Notre âne n'est plus appliqué ,
Il croit parler , on l'entend braire ,
La nature perce au travers
De tout l'attirail Doctrinaire ,
Et fait naitre dès - lors bien des foupçons divers.
Pour découvrir la tromperie
Quelqu'un lui dit : Je vous en prie
Maître Docteur , expliquez - vous ,
Afin que nous profitions tous
Des fecrets de votre ſcience ,
C iiij
36 MERCURE DE FRANCE.
Tel point me paroît d'importance ,
Permettez -moi de vous le difputer .
L'âne peu fait à fe voir contredire ,
Alors femble entrer en délire ;
Il brait , fe dreffe & fe prend à fauter
Ses réponſes font des ruades ,
Des fauts , des bonds , des pétarades ,
Pour réfoudre tout argument ;
Tant qu'enfin fon bonnet qui faifoit des merveilles
A cacher fes longues oreilles ,
Ne tient plus que pour un moment ;
D'un dernier bond , revers funefte !
Saute avec lui l'honneur dont il jouit ,
Le bonnet tombe , l'âne refte ,
Et le Docteur s'évanouit.
Par M. l'Abbé Teftard Prieur- Curé de Vitre.
i
JUILLET. 1745. 57
MEMOIRE fur la date d'une Charte du
Roi Louis le Jeune, dans lequel on fait auſſi
connoître deux Chanceliers de France dont
il n'a point été fait mention jufqu'à préfent
par M. D. Polluche d'Orleans.
Uelque déference qu'exige de nous un
Auteur que nous reconnoiffons pour
exact dans les dates qu'il nous donne, nous ne
devons pas moins les examiner, lorfque nous
les voyons contredites par quelqu'autre . Sans
cette précaution il eft aifé d'ètre furpris ,
& de tomber dans des erreurs d'autant plus
dangereufes qu'elles peuvent jetter de la confufion
dans les événemens les plus importans
de l'Hiftoire. Je vais en donner un exemple
fenfible en même tems intéreffant pour nous.
M. de Lauriere page 15 de fon premier
vol. des Ordonnances de nos Rois de la troifiéme
Race rapporte des Lettres de Louis
le Jeune , portant abolition en faveur des
habitans d'Orleans de certains droits de
Coûtume qui étoient à charge à la Ville . Il
date ces Lettres de l'an 1168 , & le Maire
qui nous les a données dans fon Hiftoire
d'Orleans
pag. 536 , les met dix ans plus tard
en 1178,
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
1
Pour peu qu'on réfléchiffe fur le mérite
de ces deux Auteurs , dont le premier cite
pour lui le tréfor des Chartes du Roi , & le
Regiſtre de Philippe- Augufte , il ne paroît
pas qu'on doive balancer à le préferer à le
Maire , dont tout le monde connoît les négligences
en fait de dates , & qui ne nous dit
point d'où il a tiré celle- ci . Cependant je crois
avoir de quoi prouver que la date de le
Maire eft la véritable , & que celle de M. de
Lauriere ne fçauroit ſe foûtenir.
La Charte de Louis le Jeune fut donnée
en 1168 felon M. de Lauriere, mais ce que
cet Auteur ajoute qu'elle fut délivrée par le
fecond Hugues Chancelier : Data per manum
fecundi Hugonis Cancellarii , emporte avec
foi une contradiction manifefte , puifque Hugues
de Puifeaux , appellé Hugues Second
pour le diftinguer de Hugues de Champfleury
Evêque de Soiffons fon prédéceffeur ,
n'étoit point encore Chancelier alors , & que
Hugues de Champfleury qui l'étoit dès
1150 , le fut jufqu'en 1 172 .
De plufieurs Chartes que je pourrois apporter
en preuves je me contente de deux ,
dont les dates couvrent l'année 1168 , ce
qui fuffit. La premiere de l'an 1165 eft un
don fait par le même Roi Louis le Jeune
aux Religieufes de laMagdeleine lez- Orleans
du dixième du pain de fa table , quand lui
JUILLET. 1745. 59
ou la Reine féjourneroient à Orleans :
Actum Aurelianis anno Incarnati verbi
M. C. 1.X. N. Datum per manum Hugonis
Cancellarii & Epifcopi Sueffionenfis. ( a)
La feconde Charte de 1172 contient la
confirmation du même Prince aux Lépreux
d'Orleans d'une portion dans l'Eglife.de
Checy ,, qui leur avoit été donnée auparavant
par Louis le Gros fon pere. Actum Parifiis
anno Verbi incarnati M. C. LXX. II.
Data per manum Hugonis Cancellarii & Sueffionenfis
Epifcopi VII. Cal. Decembris. (b)
Depuis cette derniere date jufqu'en 1179 ,
la Chancellerie fut toujours vacante : les ti→
tres feuls de l'Abbaye de S. Euverte d'Or
leans en font foi .
En 1173 don fait à Thibaut Comte de
Blois du domaine de Sennely en Sologne.
Datum Cancellario nullo.
En 1174 Louis le Jeune prend fous fa
protection la maifon & les Religieux du
Gué de l'Orme , Prieuré dépendant de S.
Euverte. Dat . vacante Cancellaria.
En 1175 don fait par le même Prince de
la Chapelle de S. Etienne , aujourd'hui de S.
Louis , dans Orleans, à l'Eglife de S. Hilaire
de la même Ville. Dat . vacante Cancel
laria.
(a) Tréfor de la Magdeleine lez - Orleans .
(b) Tréfor des-PP, Chartreux d'Orleans.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE
: En 1178 confirmation en faveur de l'Abbaye
de S. Euverte de l'Eglife de S. Donatien
, qui lui avoit été donnée par le Roi
Louis le Gros. Dat . vacante Cancellaria.
L'année ſuivante Hugues de Puifeaux fut
nommé Chancelier , comme nous l'apprenons
de Roger de Houeden Hiftorien Anglois
, qui parlant du don fait en cette même
année par le Roi Louis le Jeune à S. Thomas
de Cantorbery , remarque que la Charte
en fut délivrée par Hugues de Puiſeaux
Chancelier. Et hec omnia fecit eis confirmari
Charta fua quam ipfi receperunt de manu Hugonis
de Puteaco Cancellarii Regis Francia.
(a) Et on le voit dès l'an 1180 nommé en
cette qualité dans les Chartes d'affranchiſfement
des Serfs d'Orleans par le Roi Louis
le Jeune , & Philippe-Augufte fon fils . Datum
Parifiis anno ab Incarnatione Domini
M. C. LXXX. Datum per manumfecundi
Hugonis Cancellarii. ( b)
Il eft aifé de voir préfentement par les dates
que je viens de rapporter , que celle que
M. de Lauriere a donnée à la Charte , qui
décharge Orleans de ces droits de Coûtume ,
eft entierement défectueuſe, ſoit l'erreur
que
vienne de lui , ce que j'ai de la peine à
croire , foit qu'on la doive attribuer aux
( a ) P. Labbe Meflang. Hift. vol . 2 p . 189.
(b) Tréfor de l'Hôtel de Ville d'Orleans.
JUILLET. 1745. 61
exemplaires qu'il a fuivis , en quoi il y a
beaucoup plus d'apparence. C'eft donc à la
date de le Maire que nous devons nous en
tenir puifqu'indépendament des réflexions
que j'ai faites fur la contradiction qui
fuit la date donnée par M. de Lauriere , l'année
1178 que le Maire donne à la date en
queftion eft précisément celle qu'on lit fur
l'original qui eft confervé dans le tréfor de
cette Ville , où j'ai eu occafion de le voir
plufieurs fois , & fur lequel apparemment le
Maire l'a copiée : mais ce qu'il a oublié &
qui juftifie encore la Charte , c'eft la formule
vacante Cancellaria qui y eft appofée au
bas & eft entrecoupé à l'ordinaire par le
monograme du Roi.
On peut encore ajouter que la connexité
qui fe trouve entre l'exemption de ces droits
de Coutume onereux à la Ville d'Orléans , &
l'affranchiſſement total des ferfs qui s'y
trouvoient , favorife les dates qui rapprochent
ces deux évenemens , puifqu'ils paroiffoient
avoir eu le même principe dans
la réfolution que le Roi avoit prife de détruire
ces reftes de fervitude .
Le P. Labbe dans fes tableaux hiftoriques
des Rois de France , en citant page 189 la
même Charte, la date bien de l'an 1178, mais
il la donne mal à propos à Hugues de Puifeaux:
Datum per manum fecundi Hugonis
62 MERCURE DE FRANCE.
Cancellarii , fans réflechir fur ce qu'il fait ob
ferver plus bas que même en 1179 ( apparemment
dans les premiers mois de l'année )
la Chancellerie , eft dite vacante dans des Lettres
expediées pour autoriſer un Arrêt célebre
rendu à Paris par leRoiLouis le Jeune, affifté
de ſes Barons dans la caufe de l'Abbé de
fainte Genevieve contre quelques - uns des
fujets de cette Abbaye qui reclamoient contre
leurfervitude. Data per manum Regiam
vacante Cancellaria. ( 1 )
*
Comme l'unique but que j'ai dans mes
recherches eft de m'inftruire & de pouvoir
contribuer , s'il ſe peut , à celles que les autres
font de leur côté , il y a environ fix ans
que je fis part de la correction qu'on vient de
voir à M. Secouffe qui a continué l'Ouvrage
de M. de Lauriere , ne doutant point qu'il ne
l'inferát dans fes addenda. Jufques ici il a
négligé de le faire & m'a rendu parlà la liberté
que je m'étois promiſe de la rendre publique .
Ce que je fais d'autant plus volontiers que
cette occafion m'ayant donné lieu d'éxaminer
à fond le tems que la Chancellerie à vaqué
entre Hugues de Champfleury& Hugues
de Puifeaux , ce que j'en ait dit peut donner
( 1 ) Pag . 189.
* M. Secouffe a fait ufage de la remarque de M.
Polluche dans le fupplément de fes Ordonnances
qui est imprimé mais qui n'eft pas encore publié,
JUILLET. 1745 . 83
du jour aux articles de ces deux Chanceliers
dans l'hiftoire des Grands Officiers de la'
Couronne , ( 1 ) où il paroît que l'auteur par
fon filence fur cette vacance a voulu éviter'
les difficultés que Duchêne & le P. Labbe
avoient rencontrées en s'attachant , comme
ils ont fait , à la fauffe date de la Charte de
Louis le Jeune pour les Coutumes d'Orléans.
J'ajouterai que puifqu'il eft parlé dans ce
Mémoire des Chancelliers de France , il ne
fera peut-être pas hors d'oeuvre d'en faire
connoître ici deux dont les noms ont été
ignorés jufqu'ici , où n'ont point été du moins
rapportés par ceux qui nous ont donné des
liftes de ces premiersMagiftrats duRoyaume.
On ne compte ordinairement que deux
Chanceliers fous le Regne de Charles le
Chauve , Louis Abbé de S. Denis , fils du
Comte Roricon & de Rotrude fille naturelle
de Charlemagne , & Goflene frere de
Louis qu'on fait fon fucceffeur immediat.
Le cartulaire de S. Benoît fur Loire ( p.
66. ) nous en fournit un troifiéme qui occupa
cette importante Charge entre Louis &
Goflene. Ce Chancellier eft Tilpin , pour le
quel Einard Notaire ou Secretaire de la
Chancellerie a foufcrit une Charte de Charles
le Chauve , où ce Prince donne , entre
(1) Tom. VI,
64 MERCURE DE FRANCE.
autres chofes, à l'Abbé Bernard & à fon Monaftere
plufieurs biens dans le Vexin , & qui
eft datée de Compiegne le IV.des calendes
de Juin de la XXe, année de fon Regne , (ce
qui revient au 29 Mai 860 ) Einardus ad vicem
Tilpini fummi Cancellarii recognovit.
Comme en cette année 860 le Chancellier
Louis étoit encore vivant n'étant mort qu'en
867 fuivant l'auteur des Annales de S.Bertin,
& qu'on trouve même qu'il a figné comme
Chancellier à des Lettres de l'an 864 , il en
faut conclure que Charles le Chauve avoit
alors deux Chancelliers en même tems ,
comme il en avoit deux l'année ſuivante ,, ce
qui étoit affés commun fous nos Rois de la
premiere Race , témoin le paffage de Grégoire
de Tours , tiré du livre qu'il a écrit
fur les miracles de S. Martin , où il parle
d'un certain Claudius qui au téms où il écrivoit
, étoit un des Chancelliers de France .
Nobis quoque cum Rege morantibus , Claudius
quidam ex Cancellariis regalibus ( 1).
Quoiqu'on puiffe objecter contre Gregoire
de Tours, que bien qu'alors le nom de
Chancellier fut commun à plufieurs , il y
avoit cependant beaucoup de difference entre
eux , que les uns n'étoient que des Secretaires
de la Chancellerie Notarii , tandis
(1) Liv. IV. Chap. 28.
JUILLET. 1745 .
qu'ils avoient au- deffus deux un Chancellier
proprement dit , que les Chartes défignent
fouvent par le titre de Grand Chancellier &
d'Archi - Chancellier , cette difference ne
peut avoir lieu ici : Tilpin comme on l'a vû ,
eſt appellé Grand Chancellier : fummi Cancellarii
; & l'on ne peut gueres douter que
Louis ne le fut pareillement. Quand´ſa
naiffance & le rang qu'il tenoit dans l'Etat
ne nous l'affûreroient pas , il fuffiroit pour s'en
convaincre de jetter les yeux fur la foufcription
d'une Charte de Charles le Chauve
pour l'Abbaye de S. Denis de la XXIe. annéc
de fon Régne , c'eſt- à dire de l'an 861 ,
où on lit : Gauflenus Regia dignitatis Cancellarius
ad vicem Ludovici recognovit & fubf
fcripfit ( 1 ) ; ce qui eft fans replique.
J'aurois fouhaité pouvoir dire ici quel
étoit ce Tilpin , mais j'ai cherché inutilement
à m'en inftruire ; je n'ai trouvé perfonne
de ce nom , Evêque Abbé , ou Of
ficier de la Chapelle , auquel l'année 860
pût convenir. On fçait affes que c'étoit du
corps des Eccléfiaftiques qu'autrefois nos
Rois tiroient des fujets pour en faire leurs
Chancelliers. Quelque autre fera peut être
plus heureux que moi & perfectionnera la
découverte de celui- ci,
( 1) Diplomat. Mabill. p. 534.
86 MERCURE DE FRANCE.
Le fecond Chancelier dont j'ai à parler eft
RogierAbbé deS.Euverte d'Orléans qui foufcrivit
en cette qualité à une Charte du Roi
Louis le Jeune datée de Touloufe l'an 1154
où ce Prince fait plufieurs dons aux Eglifes
de S. Sernin & de la Daurade de la même
Ville, Data Tolofa per manum Rogerii Cancellarii
Regis & Abbatis S. Euvreii Aurelianenfis.
( 1 )
Il en eft de ce fecond Chancellier comme:
du premier, dans le même tems qu'on le voit
foufcrire en cette qualité ; avant & après ,
Hugues de Champ Fleury occupoit cette pla
ce. On a vû plus haut que ce dernier fut
Chancellier depuis 1165 jufqu'en 1179 , & il
l'étoit dès l'an 1150 qu'on trouve fon nom à
une Charte donnée en faveur de Thibaut
Evêque de Paris , que cite le P. Labbe ( 2 )
Data per manum Hugonis Cancellarii . Je ne
crois pas néanmoins qu'on puiffe avancer la
même chofe, & il paroît au contraire que l'ufage
de voir deux Chancelliers en mêmetems
qui fubfiftoit encore fous Charles le
Chauve n'avoit plus lieu fous Louis le Jeune.
Voici ce qu'on peut hazarder pour lever la
difficulté.
En l'année 1154 qui eft celle dont il s'agit-
( 1 ) Hiftoire de Languedoc , Tom. II . p. 551.des
preuves.
(2 ) Mell. Hift . p. 186.
JUILLET. 1745 . *
69
.
ici , le Roi Louis le Jeune fit le voyage d'Efpagne
; ce fut apparemment en allant ou en
revenant que ce Prince fejourna à Toulouſe..
Ne peut-on pas dire que dans ce voyage le
Chancellier Hogues de Champ- Fleury ne
fuivit pas le Roi , que Rogier l'accompagna
comme Clerc de la Chapelle , * & qu'il y fit ,
les fonctions de Chancelier ? Que fi on ne
découvre pas d'autres actes fignés de lui en
cette qualité , c'eft que le voyage fut fort
court & que fon emploi ne dura pas plus que,
le voyage. Ceci n'eft qu'une conjecture ,
mais c'est beaucoup d'en pouvoir donner de
vraisemblables pour concilier des faits conftants
qui fe contrarient.
Rogier dont nous parlons a été le premier
Abbé de S. Euverte d'Orleans , après avoir
poffédé , felon quelques uns , une des premieres
dignités dans cette Eglife , ( 1 ) qui étoit
Collégiale avant que la vie commune & réguliere
y eût été rétablie , non pas en 1163.
comme on le croyoit communément , mais
en 1145 ainfi que je l'ai démontré ail-
(1 ) Mémoires man.
*
Clerc de la Chapelle C'eft ainfi que j'eftite
qu'on doit rendre le familiarem noftrum dont le
le Roi Louisle Jeune fe fert en parlant de Rogier
dans une Charte pour le Prieuré de Sennely en
Sologne Membre de l'Abbaye de S. Euverte , de
£ 103 .
l'ani
88 MERCURE DE FRANCË.
leurs. ( 1 ) La Charte de Louis le Jeune que
nous venons de citer eft une nouvelle preuve
de cette correction qui fe trouve conftatée
par une Bulle du Pape Eugene III . datée
d'au- delà du Tibre le VI. des Calendes
de Mars ( 24 Fevrier) 1 146 , & adreffée à notre
Abbé. Rogier a la priere duquelle
Pape prend le Monaftere de S. Euverte fous
la protection du S. Siege , & ordonne que la
Regle de S. Auguftin & les Conſtitutions de
S. Victor de Paris qu'on venoit d'y recevoir ,
y feroient obfervées à perpetuité.
(1 ) Dans un Mémoire imprimé en 1734 à la fuite
de la deſcription de la Ville dO'rleans.
*
1146. Toutes les Copies de cette Bulle
qui ne fe trouve plus en original portent anno
M CXLV. au lieu de MCXLVIe . Mai l'indiction
IX. & la II . année du Pontificat d'Eugene
III. qu'on y voit marquées & qui ne peuvent
convenir qu'à l'an 1146 , en affûrent le réta◄
bliffement.
JUILLET . 1745 .
69
LETTRE de M. de G. Avocat an Parlement
à M. L. C. D. P. au fujet de la
mort de M. Normant,
Ous defirez , Monfieur , que je faffe
Véloge de M. Normant comme fi je
pouvois ajoûter à celui que vous en faites
vous même par le tendre interêt que vous
prenez à fa mémoire , mais puifque vous
m'engagez à jetter fur le papier les idées
que j'ai conçues de fon caractere , je commencerai
par vous dire que je n'ai guere connu
d'hommes plus heureuſement nés, Sivous
en exceptez les cornoiffances qui font néceffairement
le fruit de l'étude , je crois qu'il
ne devoit prefque rien à l'effort du travail.
Il avoit reçû de la Nature avec beaucoup
d'élévation d'efprit un difcernement fûr &
un amour fincere du vrai , en quoi il me femble
que confifte la veritable grandeur. Voilà
en deux mots ce que j'ai toujours penſé de
lui , & je vous avouerai que je ne vois dans
tout le cours de fa vie qu'un ufage facile &
conftant de ces heureux dons de la Nature.
Rappellez -vous , s'il vous plait , Monfieur
, toutes ces actions célébres qui l'ont
fi fort diftingué au barreau , & vous les ver
o MERCURE DE FRANCE.
rez toutes marquées au coin de cette grandeur
qui formoit , felon moi , le fond de fon
caractere .
Il n'eft pas étonant qu'un homme qui
joignoit aux tréfors d'une fi belle ame le talent
de la parole , la beauté de l'organe
& les graces de la repréfentation ait enlevé
même en commençant fa carriere , les
fuffrages & les coeurs de tous ceux qui l'entendoient.
Le propre du vrai eft de frapper
& de plaire , & ce n'eft auffi qu'à fon
goût & à fon attachement pour le vrai , que
M. Normant , a dû toute la gloire . Il n'y a
perfonne qui ne fçache que fon cabinet étoit
un premier tribunal dont les affaires devoient
effuyer la feverité avant que de paffer au
grand jour de l'audience. Là il éxaminoit
en Juge impartial la vérité des faits , le mérite
des moyens , & quand une cauſe n'avoit
pu foutenir cet examen rigoureux , &
qu'il en avoit fenti l'injuftice , il n'y avoit
nulle forte d'autorité dans le monde qui put
l'engager à la défendre. Sa fermeté ſur ce
point étoit même fi connuë qu'on n'oſoit
plus tenter de l'ébranler ni par le crédit ni
par les importunités , devenu en cela fernblable
à ce fameux Romain dont Ciceron
fait le plus grand éloge en deux mots , en difant
qu'on avoit une fi haute idée de ſa vertu
"que perfonne n'avoit la hardieffe de ui de
JUILLET. 1745. ༡ ་
mander une choſe injuſte ; mais autli lorſqu'u,
ne prétention lui paroiffoit conforme à la loi,
ou à cet efprit d'équité qui eft l'ame de toutes
·les loix , avec quel zéle, avec quelle force ne
défendoit- il pas des interêts qu'il jugeoit
être ceux de la Juftice & de la verité ? On
conçoit alles qu'un homme excité par de
fi grands motifs , & toujours plein de l'importance
de fon objet , n'abaiffoit pas fon gé-
-nie à la recherche de ces ornemens étudiés
où fe joue l'imagination d'un Orateur qui
ne cherche qu'à plaire. Auffi occupé du foin
de perfuader qu'incapable de vouloir féduire
, il n'employoit pour convaincre , & fi
jofe m'exprimer ainfi , pour fubjuguer les
efprits , qu'une fuite de principes bien liés
& de raifonnemens mâles & vigoureux , qui ,
fans avoir la féchereffe des démonftrations
en avoient & la force & l'évidence .
Combien furtout n'étoit- il pas admirable
lorfqu'il parloit pour des malheureux ou pour
des opprimés ? Son éloquence d'autant plus
pathétique alors qu'elle devenoit l'expreffion
naturelle de fes grands fentimens , éclattoit
par mille traits attendriffans qui faifoient
à mon gré le triomphe de l'humanité.
Mais fi de ce brillant théatre de l'Eloquence
où il acquit une gloire fi pure , nous
voulions le fuivre dans la retraite du cabinet
72 MERCURE DE FRANCE .
où il devint le Confeil des maifons les plus
illuftres , & l'arbitre des plus grands interets ;
il me femble que nous l'y trouverions encore
plus digne , s'il eft poffible, de notre admiration
& de nos regrets. En effet quelle étenduë
d'efprit pour embraffer & pour comparer fur
un premier rapport toutes les circonftances
des affaires les plus compliquées ! Quelle pénétration
pour faifir les difficultés ! Quelle
précifion pour les développer ! Quelle jufteffe
pour les réfoudre ! Ajoutons s'il vous
plaît Monfieur , un trait , qui tout vrai qu'il
eft , paroitroit fans doute incroyable à ceux
qui n'ont pas connu cet excellent homme ,
c'eft que toutes ces merveilles s'opéroient
fur le champ fans , préparation , fans effort ,
enforte qu'on auroit prefque été tenté de
croire qu'il déméloit par tout le vrai plutôt
par fentiment que par réflexion. Mais quand
il s'agiffoit de le faire connoître aux efprits
moins pénétrans , & de réfifter au choc des
objections , on paffoit d'un étonnement
à un autre en voyant avec quel ordre méthodique
de connoiffances , & avec quelle lumiere
de raifon il fçavoit expliquer & foutenir
ce qu'il fembloit d'abord n'avoir dé--
couvert que par une forte d'inſtinct.
Au refte je n'ai garde de vouloir infinuer
qu'il fut incapable de fe tromper jamais. Je
fçais trop que l'homme le plus fage & le plus
éclairé
JUILLET. 1745. 73
éclairé n'eft que celui qui fe trompe le moirs,
& four peu qu'on réfléchiffe fur les difficul
tés de la profeffion qu'il avoit embraffée , on
le convaincia fans peine qu'il faut avoir une
capacité prodigieufe & un jugement bien
ferme pour parvenir au point de ne s'y tromper
que rarement. Ia raiſon eft effrayée
quand on penfe à cette multitude de loix pofitives
qu'un confultant eft à chaque inftant
obligé d'appliquer à des faits qui préfentant
prefque toujours des faces équivoques , fembient
ne fe prêter à aucune application déterminée.
Mais quand il arrivoit à M.
Normant de fe tromper , avec quelle facili
té ne le ramenoit- on pas , ou plutôt ne revenoit-
il pas lui-même à la vérité dès qu'on
la lui faifoit appercevoir ! Il n'étoit pas de ces
efprits fuperbes & opiniatres avec qui il faut
employer des précautions & fouvent même
en venir à des combats pour les arracher
à l'erreur. Il fçavoit gré à quiconque rectifioit
les idées & ramenoit au vrai fes opinions
, enforte qu'aux yeux de ceux qui connoiffent
les hommes il ne montroit jamais
plus de veritable grandeur que lorfqu'il s'éoit
trompé.
5. Cette jufteffe d'efprit & cette droiture de
coeur lui avoient fait une telle réputation .
que les parties le prenoient fouvent pour
juge de leurs differends, & celles qui auroient
Ꭰ
74 MERCURE DEFRANCE
refufé de s'en rapporter à lui auroient craint
de donner dans le public une mauvaiſe idée
de leur difcernement ou de leurs prétentions.
Mais le talent le plus défirable & dans lequel
il excelloit encore , étoit celui de la concifiation,
11 faut avouer auffi que
dans cette
partie la haute opinion qu'on avoit de ſon
mérite lui donnoit de grands avantages. Parexemple
quand il confeilloit de facrifier au
bien de la paix un droit qui pouvoit être fondé
, on fçayoit qu'en pareil cas ce facrifice
n'auroit rien coûté à fon coeur , & graces à
F'amour propre on ne vouloit pas paroître
moins généreux que lui.
Il eft aifé de fentir que ces rares qualités
qui conftituent l'excellent Avocat , fuppo
fent en même tems celles qui forment le bon
Citoyen , le galant homme , & le parfait
ami. Vous fçayez mieux que perfonne ,
Monfieur , combien il les poffedoit eminemment
, fans parler du défintereſſement
qu'il portoit au plus haut degré ; quelles
preuves n'a-t- il pas données de fa génerofité
? Elle étoit telle qu'il fuffifoit d'avoir du
mérite ou des befoins pour avoir droit à fon
coeur. Tout Paris fçait fur cela des traits d'---
ne nobleffe dont il y a peu d'exemples; au re.
te fa générofité & fon amitié ne reffem
bloient point à celles de la plupart des hommes
, dont les bons offices font communéJUILLET.
1745 :
75.
ment anoncés de loin par des promeffes
affectueules. Comme il le croyoit toujours
engagé de droit à faire tout le bien qui dépendoit
de lui,il regardoit les promeffes comme
fuperflues, & il fe contentoit d'obliger dès
que l'occafion s'en prefentoit. Ainfi fa vie
dont malheureufement la durée n'a pas été
mefurée aux befoins de fes amis & du public ,
n'a été qu'un enchaînement de travaux &
de bons offices qui font aujourd'hui parmi
nous fucceder à l'eflime la mieux fondée les
plus juftes regrets.
+34 +3 + 3 +3 +++++
Nous avons déja prevenu le public fur
l'entrepriſe de M.Milff, Sçavant Anglois, qui
a traduit le Dictionnaire Univerfel de Chambers
, & l'a fait imprimer à Paris , mais rien
ne peut mieux donner une idée de cet ouvrage
que la preface même de Chambers
qui eft un morceau eftimé , ainfi nous allons.
le mettre fous les yeux des lecteurs , &
comme elle auroit tenu une place trop confidérable
dans ce Journal deftiné à conteir
diverfes matieres , nous nous contenteons
d'en donner une partie dans ce volume,
le refte fera diftribué fans interruption dans
les Volumes fuivans.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE,
*****. ・栄・
PREFACE de M. Chambers.
E n'eft
pas
Cde de donner au public un Quvrage qui
fans inquietude que je hazarparoît
beaucoup au deffus des forces d'un feul
homme , & dont l'exécution auroit pu occuper
une Societé entiere de Sçavans
en tout genre. Le peu de tems que j'ai employé
à préparer & à arranger les matieres
qui y font contenues juftifie mes craintes ,
loin de les diminuer ; car il femble que la vie
d'un homme fuffit à peine pour conduire à.
fa perfection un ouvrage de la nature de celui-
ci l'Académie della Crufca n'a donné
fon Dictionnaire qu'après plus de quarante
ans d'un travail affidu , & l'Académie Françoiſe
n'a fait paroître le fien qu'après un tems
beaucoup plus confiderable , cependant fi
on compare ces deux Dictionnaires avec celui
que je prefente , on trouvera le mien
d'autant plus étendu , & par rapport a
fon plan , & par rapport aux différens fujets
qu'il traite , qu'il n'a pas été attendu fi longtems
que les autres , & qu'il y a moins de
mains qui y ont travaillé.
Cet aveu , tout fincere qu'il eft , ne pourroit-
il pas en quelque façon faire douter de
JUILLET. 1945. 77
:
ma bonne foi? & mon lecteur ne pourroitil
pas me reprocher que je commence par
lui prefenter un livre , & qu'enfuite je lui
rends compte des raifons qui auroient dû me
détourner de le faire ? Mais ce foupçon
tombera de lui-même quand on voudra faire
attention aux differens fecours que j'ai
pu trouver , & qui m'ont déterminé a exécuter
un deffein aufli hardi : car on doit naturellement
préfumer que j'ai fait entrer dans
mon livre tout ce que j'ai trouvé de bo . dans
les différens ouvrages des auteurs qui m'ont
precedé , & que j'en ai tiré tout l'avantage
qui pouvoit en réfulter. Je me regarde en
cette occafion comme l'héritier d'un grand
patrimoine , accrú peu à peu par l'induſtrie
& les efforts d'une longue fuite d'ancêtres.
Tout ce que les Académiciens François &
Italiens , les Furetiere , les Editeurs du Dictionnaire
de Trevoux , les Savary , les ( hauvin
, les Harris , les Wolfius , les Daviler &
autres ont fait avant moi, m'a fourni des materiaux
pour remplir mon plan : je paffe
fous filence plufieurs livres de la même efpéce
qui , quoique inférieurs à ceux que je
viens de nommer , m'ont été d'une grande
utilité , je ne parle pas non plus des Diction
naires que nous avons aujourd'hui fur prefque
tous les fujets particuliers , comme ceux
de Médecine , de Droit , de Blazon , de
Manége &c. D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
Je ne me fuis pas borné à ces recherches.
Loin de me' contenter des collections dont
je viens de parler , j'ai fait des augmentations
confidérables tirées de différens auteurs , &
jofe dire qu'il n'y a rien eu de nouveau & 'de
'bon dans la République des Lettres qui
m'ait échappé & d'ont je n'aye tiré parti
pour enrichir mon ouvrage. J'ai eu fortfou-
´vent recours aux originaux mêmes des differens
arts , & pour ne rien dire de quelque
peu de materiaux que j'ai fourni de inon
propre fond , le lecteur trouvera ici les éxtraits
& le precis d'un grand nombre de livres
en tout genre qui ont échappé à l'attention
des autres léxicographes , ou qui n'exiftoient
pas encore dans le tems qu'ils ont
travaillé. Je puis dire la même chofe à l'égard
de quantité de nouvelles découvertes
& principalement dans la connoiffance des
chofes naturelles. Je renvoie ceux qui pou
roient en douter a l'ouvrage même , & j'ofe
me flater qu'ils n'y trouveront gueres 'de
pages qui ne leur en préfentent quelques
preuves
Telles ont été les fources où j'ai puité :
loin de les avoir trouvé peu abondantes , il
faut avouer que je ne les ai trouvé que trop
fécondes. La difficulté confiftoit dans la for
me & dans l'economie , tant pour difpoter
une quantité auffi immenfe de materiaux .
JUILLET. 1945 . 79
que pour en former , non un amas confus de
parties fans rapport , mais plutôt un tout folide
& confiftant. C'eft en ceci , je dois l'avouer
, que j'ai trouvé fort peu de fecours.
Nous ne voyons pas qu'aucun des autres lexicographes
ait entrepris dans fon ouvrage
de faire quelque chofe de reffemblant à
un bâtiment , c'eft- à- dire à un tout régulier :
il femble même qu'ils ne fe font point apperçus
qu'un Dictionnaire fut fulceptible en
quelque façon des avantages d'un difcours
fuivi : c'eſt delà que dans tout ce qu'ils ont
fait , nous ne trouvons rien qui reffemble à
un certain tout , & c'eft pour cette même
raifon que les matériaux qu'ils ont pu me
fournir pour mon ouvrage, ont eu communément
befoin d'autres préparations avant que
de m'en fervir pour les faire entrer dans mon
plan:,auffi en comparant enfuite mes articles
avec les leurs , j'y ai trouvé prefque par tout
la même différence qu'il y a entre un ſyſtème
fuivi , & un rapfodie ou un centon.
Mon principal but a toujours été de confidérer
les différentes matieres , non feulement
en elles- mêmes, mais auffi fous les rapports
qu'elles peuvent avoir les unes avec les
autres , c'eſt-à - dire , de les traiter comme autant
de touts , & en même-tems comme autant
de parties d'un tout plus grand , en faifaut
fentir la connexion qu'elles ont enfem-
Diiij
80 MERCURE DE FRANCE.
ble par le moyen
des renvois
d'une
partie
à
T'autre
. C'eft ainfi que par une chaine
de renvois
, en defcendant
du géneral
au particufier
, des premiffes
aux conclufions
, de la
caufe
à l'effet , ou en remontant
de méme
,
en un mot , en paffant
du plus compofé
à ce-
Jui qui l'eft le moins
, & de celui- ci , au premier
; j'établis
une communication
continuelle
qui régne
entre
les différentes
parties
de
f'ouvrage
, & que tous les articles
fe trouvent
en quelque
façon
replacés
dans
l'ordre
naturel
de la fcience
, d'où l'ordre
alphabetique
avoit obligé
de les tirer,
Pour en donner un exemple ; l'article
Anatomie doit non feulement être confidéré
comme un tout , c'eſt - à -dire , comme un
fyftême particulier , ou comme une partie
d'une fcience. Il ne fuffit pas de la divifer
conformément à cette idée en fes parties ,
c'eft- à- dire en Anatomie humaine , & en Anatomie
comparée ; de ſubdiviſer enſuite l'Anatomie
humaine en Analyfe defolides & de fluides,
pour rapporter ces parties à leurs places
-refpectives dans l'ouvrage , où étant traitées
elles-mêmes, elles fe rapportent à d'autres qui
leur font fubordonnées , & ainfi du refte ;
il fant deplus confiderer l'Anatomie comme
une partie de la Médecine à laquelle elle fe
rapporte naturellement , & qui elle-même
fe rapporte à une autre fcience plus univerfelle
&c. C'eft ainfi que l'on peut approfonJUILLET.
1745 .
8t
dir un art ou une fcience en nous conduifant
depuis la premiere , ou la plus fimple complication
d'idées appropriées à l'art , que
nous appellons fes élemens ou fes principes
, jufqu'au terme le plus complexe , ou
le plus général fous lequel ce même art eft
connu .
Il ne faut pas borner ici nos idées , car
comme les élemens ou les principes d'un art ,
Data , font ordinairement l'objet des recherches
, quafita , de quelqu'autre art qui
lui eft fubordonné , & de qui ils font empruntés
, ainfi que dans le cas préfent , les
élémens de l'Anatomie font empruntés de
l'Histoire Naturelle , de la Phyſique & de la
Méchanique , & que l'Anatomie elle - même
peut- etre confidérée comme un Datum fourni
à la Médecine , nous pouvons étendre nos
vaes plus loin , & les porter d'une fcience
dans d'autres qui lui font voifines , & ouvrir
ainfi tout le Pays des fciences ; il eft vrai que
confidéré fous ce point de vue , il aura au
premier coup d'oei l'air d'un défert , mais ce
fera un défert à travers lequel le lecteur poua
trouver un chemin qui ne fera
pas à la vérité
auffi court & auffi facile que dans un par
terre régulier , mais qui fera pour le moins
auffi für.
On peut même dire que fi le fyftême fuivi
a des avantages fur le Dictionnaire , celui - ci
DY
82 MERCURE DE FRANCE .
,
en a de fon côté qui lui font favorables au
fyftême fuivi , & qu'une jufte combinaiſon
de ces deux méthodes eft peut- être la ſeule
voye qu'on puiffe prendre pour traiter comme
il faut le cercle ou le corps entier des
fciences avec toutes les parties & les dépendances.
Dans toute autre méthode il ' eft
impoffible qu'une infinité de petits détails ne
nous échappent. Tous les rapports ' les
points , en un mot toutes les piéces néceffaires
pour affembler l'ouvrage ne peuvent
paroître, & font , pour ainfi-dire , englouties
dans fa totalité. L'imagination forcée de s'étendre
& de s'agrandir pour embraffer une fi
vafte ſtructure, ne peut qu'apercevoir très géneralement
, & dans une efpece de confufion
les différentes parties qui compofent cette
ftructure. Chacune de fes parties prife féparément
, n'eſt pas cependant moins l'objet
de notre examen que forfqu'on les confide-
're toutes enfemble. En effet , comme nos
idées font des individus , & que tout ce qui
exifte eft un , il femble qu'il eft plus naturel
de confidérer une fcience dans fes parties
& comme divifée en articles féparés , expri
més par autant de termes differens que d
confiderer tout l'affemblage dans fa plus
grande compofition ; ce qui eft une chofe
purement artificielle & le feul ouvrage de
Fimagination.
d'en
JUILLET. 1745. 83
Il eft cependant vrai,& tout le monde le doit
avouer , que cette derniere maniere a beaucoup
d'avantages réels fur la premiere , & que
cette premiere n'eſt véritablement de quelque
utilité que lorfqu'elle participe de la
derniere , d'où il s'enfuit que la méthode la
plus avantageuſe eft de faire ufage de toutes
les deux ; c'est- à dire , de confidérer chaque
fcience , chaque art , comme une partie ,
afin de conduire l'imagination à la connoiffance
du tout , & comme un tout , pour aider
l'entendement à connoître chacune de fes
parties. L'une & l'autre forment le plan de
cet Ouvrage que j'ai tâché de remplir autant
que les difficultés aufli grandes que nombreufes
que j'ai rencontré dans mon chemin
me l'ont pû permettre.
C'eft dans cette vuë que j'ai fait mes efforts
pour donner la fubftance de tout ce
qui a été découvert jufqu'à prefent dans les
differentes branches des connoiffances tant
naturelles qu'artificielles, c'eft-à - dire , dans la
connoiffance de la Nature telle qu'elle femontre
à nos fens, foit d'elle même, comme dans
PHiftoireNaturelle,foit avec le fecours de l'art,
commé dans l'Anatomie , dans la Chymie , la
Médecine , l'Agriculture &c. fecondement ,
telle qu'elle fe découvre à l'imagination ,
comme dans la Grammaire , la Rhétorique ,
la Poëfie &c. En troifiéme lieu , telle qu'elle
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
fe préfente à la raiſon, comme dans la Phyfique
, la Metaphysique , la Logique , & les
Mathematiques ; avec les differens arts qui
naiffent de chacune de ces fciences , comme
l'Agriculture , la Peinture , la Sculpture les
Metiers , les Manufactures , la Police, les Loix
&c. & un grand nombre d'autres connoiffances
particulieres , mais plus éloignées
qu'on ne peut rappeller à aucun des principaux
chefs dont on vient de parler , comme
le Blazon , la Philologie , les antiquités , les
Coutumes , &c.
J'ai donc lieu de me flater que quelques
reproches qu'on puiffe me faire fur la maniere
dont cet ouvrage eft exécu é , le plan &
le deffin en font bons , & quoiqu'il parat
extravagant de dire que la moitié des gens
de Lettres d'un fiécle auroient pû y être
employée avantageuſement , j'oſe affarer
qu'un ouvrage conçû & imaginé fur le pied
de celui- ci , s'il étoit porté à une certaine
perfection , pouroit tenir lieu de tous les
avantages que procure une Bibliotheque ,
excepté celui de fervir de parade , & qu'il
feroit plus propre à contribuer à la propagation
de la ſcience que la moitié des livres
qu'on connoît aujourd'hui. Après cela je
me foumets entierement au jugement de
mon lecteur , c'eft à lui à décider jufqu'à
quel point je fuis blamable de m'être engaJUILLET.
1745 . 85
gé dans cet ouvrage , malgré plufieurs raifons
qui auroient du m'en détourner , & fi
je ne mérite pas quelque reconnoiffance du
Public d'avoir entrepris , dans le feul def
fein de lui étre utile , un travail auffi épi
neux , aux rifques même d'y échouer .
Il fera néceffaire maintenant de porter un
peu plus loin la divifion de nos connoiflances
qué nous venons d'établir , & de faire
une partition plus précife du corps entier
qu'elles forment , en nous fervant pour cet
eflet de la méthode analytique, d'autant plus
que l'analyse en reprefentant l'origine & la
dérivation des differentes parties , & la relation
qu'elles ont à leur tige commune ,
& à chac ine d'entre elles , nous aidera beaucoup,
tant à rappeller à leurs chefs les articles
difperfés dans l'ouvrage , qu'à connoître
la liaifon qui regn . entre eux .
Voilà une espece de perfpective de notre
connoiffance , confidérée , pour anſi- dire ,
dans le tronc , &ne reprefentant fimplement
que les grandes parties qui la conftituest. Il
et inutile de rechercher cette analyſe dans
tous fes membres & dans fes differentes ramifications
; ce qui fait proprement l'objet
du livre même. Il paroît donc que nous pou
rions nous contenter ici de renvoyer de ces
differentes branches que nous venons de
rapporter , aux articles mêmes qu'elles for86
MERCURE DE FRANCE.
ment dans le cours de l'ouvrage , & où leur
divifion eft pouffée plus loin: cependant nous
avons jugé que cela ne fuffifoit pas , & que
notre lecteur feroit fouvent embarraffé
parlorfque
pour trouver quelque matiere
ticuliere il feroit obligé de courir d'un bout
du livre à l'autre , fans parler des interruptions
fréquentes que les renvois pouroient
lui caufer. Pour prevenir cet inconvenient ,
nous avons crû ne pouvoit mieux faire que
de prendre un cheinin mitoyen & de pouf
fer ici la diftribution plus loin , en forme de
notes que nous rejettons au bas de la
page.
Nous traitons ces fubdivifions fuperficiellemen:
pour nous exempter de l'embarras d'une
analyſe exacte qui étant auffi complexe
que diffule , nous auroit mené trop loin.
Quelques-uns des principaux articles de
chaque partie de fcience y font expliqués
clairement , & principalement ceux qui peuvent
fervir à donner une idée nette des dif
ferentes branches dans lesquelles chaque
fcience fe divife. C'eft ainfi que nous croyons
donner au lecteur comme unfommaire de
tout le livre , & en même- tems une espéce
de guide pour la connoiffance parfaite du
corps de l'ouvrage , les articles qui y fom
omis trouvant naturellement leurs places
dans ces notes : un détail de cette espéce
eft dautant plus important , qu'il peut fervir
JUILLE T. 1745. 87
V
non feulement de table de matieres en reprefentant
comme fous un coup d'oeil , les
differens fujets difperfés dans le livre, & qu'il
fert en même-tems de rubrique ou de directoire
en marquant l'ordre qui eft le plus
avantageux pour le livre. Les termes par
lefquels les notes commencent, répondent à
ceux par lesquels l'analyfe finit dans la table,
& leurs différens membres forment autant
de titres en chefs ou autant d'articles dans
l'ouvrage.
Voilà le plan de mon ouvrage : le fecteur
doit l'avoir conçu ; ainfi faurois pu finir
ici mapreface , & peut-être ne m'en auroit - if
pas fçû mauvais gre ; mais dans ce que j'ai
déja avancé , j'ai entamé une matiere qui demande
un peu plus de difcuffion . La diſtribution
que je viens de faire de notre connoif
fance eft fondée fur ce que fes differentes
branches commencent chaque art ou chaque
fcience , felon l'action , ou l'inaction de
l'efprit humain à leur égard. Il eft donc néceffaire
de remonter un peu plus haut &
d'expliquer la raifon & la maniere de cette
operation ; de confiderer la conno flance
dans fes propres principes , anterieurement
à cet acte d'intervention de notre part ; de
monter même juſqu'à la cauſe , ˆde faire
voir comment elle y exifte , & de tracer
les progrès que l'ame fait , & l'ordre des mo
88 MERCURE DE FRANCE.
difications quelle fabit . C'eft un defideratum ,
on un point nécefla re dans la difcuffion duquel
nous ne pouvons nous difpenfer d'entrer
en quelque façon , attendu le rapport
immediat qu'il a au plan de cet ouvrage.
C'eft la bale de tout fçavoir en général & le
pivot fur lequel roule toute l'Encyclopedie.
Pour m'expliquer plus clairement , je ſuppofe
d'abord que les mots font la matiere immediate
de connoiffance autant qu'on la confidere
comme communicable , ou capable
d'être tranfmife des uns aux autres. Il eſt
vrai que nous aurions pû connoître plufieurs
chofes fans le fecours d'une langue , mais ce
n'auroient jamais été que celles que nous aurions
vues ou apperçues nous-mêmes.Les obfervations
des autres n'auroient pû en aucune
maniere s'allier avec les nôtres. Chaque individu
fe feroit trouvé dans le cas de travailler
feul à fon inftruction , fans avoir pû profiter
du moindre fecours ni de les comtemporains
ni de ceux qui auroient vécu avant lui.
Il est évident qu'en ce cas , tout ce qu'on
appelle art ou fcience n'auroit jamais été
connu , ou auroit été extrêmement borné :
le cercle étroit de chofes qui fe trouvent immédiatement
dans le chemin d'un feul homme
, n'auroit jamais pû faire qu'un fond très
mince de connoiffance , principalement
dans un être dont les vûës devoient fe termiJUILLET.
1745 .
ner en lui - même ; ajoutons à cela que confme
les principaux fujets de fes obfervations
auroient été les mêmes pour les autres animaux
, il est très probable que fa connoiffance
auroit été à peu - près la même , foit que
nous en confidérions la quantité , foit que
nous ayons égard àla qualité . On convient
que toute notre connoiffance , à remonter
jufqu'à fon origine , ne dérive que des fens ;
il s'enfuit donc delà qu'un être n'a aucun
avantage naturel fur un autre touchant la difpofition
aux connoiffances , finon celui qui
peut venir d'un nombre fuperieur de fens ,
de leur étendue ou de leur fineffe.
C'eſt donc au langage , ou au talent de
nous énoncer que nous avons principalement
l'obligation de ce que nous appellons
Science. C'est par la voie du langage que nos
idées & nos connoiffances qui par leur nature
nous font purement perfonnelles , & font
propres uniquement à notre ufage particu-
= lier s'étendent & fe communiquent à d'autres
qui peuvent s'en enrichir. C'est ainfi
que par une espèce de feconde fenfation
chaque homme peut acquerir les perceptions
des objets apperçus par - tout le genre humain,
& voir , pour ainfi dire, de fes propres
yeux cequi fe paffe éloigné de lui , à quelque
diftance qu'on le fuppofe ,foit de tems foit de
lieu. Nous entendons des fons qui fe font faits
5. MERCURE DE FRANCE.
y a mille ans , & nous voyons des chofes
qui atrivent à mille lieues de nous,
S'il eft vrai , comme on le pretend , que
l'aigle voit plus clairement que nous , que
l'odorat du corbeau eft plus fubtil & que
l'cuie du lievre eft plus fine que la nôtre , il
n'eft pas moins certain , en leur accordant
ces prérogatives , que leur faculté fenfitive
n'eft que très- bornée en comparaiſon de la
nôtre qui par l'avantage de la langue s'étend
fur toute la Nature. Les autres animaux re
voyent qu'avec leurs propres yeux , & nous
voyons avec ceux de tout le genre humain.
En effet l'ufage du langage , par rapport aux
connoiffances , procure à chaque homme
la même utilité & le même avantage que
sil jouiffoit des fenfations naturelles de mille
autres. Cet avantage auroit dû fans doute
nous élever beaucoup au - deffus des autres
animaux. Mais cette multitude d'idées que
l'homme reçoit , & qui naturellement ne
lui appartient pas , auroit été infructueufe
en fa plus grande partie , fans certaines autres
facultés que nous poffedons , comme de
diftribuer & d'arranger ces idées , de faire des
abſtractions , c'eſt -à dire , de rendre une feule
idée la reprefentative de plufieurs , de les
comparer enſemble pour apprendre leurs
differentes relations , de les combiner & c.
L'effet de ces facultés ou operations eft ce
JUILLET. 1745 . 91
que nous appellons , Raifonnement & Philofophie
, d'où dérivent les Doctrines, les Thiories
& c.
Chaque mot d'une Langue doit répondre
à quelque point , à quelque article ou a quelque
relation de connoiffance ; d'où il s'enfuit
que le vocabulaire d'une Langue eft comme
le tableau des differentes notions du peuple
qui la parle ; c'eft- à - dire , des notions
premieres & abfoluës en comparaifon des autres
qui ne font que fecondaires & relatives ,
"dont il s'établit un nouveau fond exprimé par
la conſtruction qu'on fait de ces premiers
mots avec quelques autres. Pour approfondir
davantage ce point il faut remarquer que fes
differens objets de nos fens joints à cet autre
fond de chofes analogues , qui font l'objet
propre de l'imagination , font exprimés par
des noms fixes dont quelques uns fignifient
~ 'des individus ; ( 1 ) d'autres des eſpèces ( 2 )
&c. Or if eft inconteſtable que ces noms qui
font la premiere partie ou la partie fondamentale
d'une Langue , ne font autre chofe
que la reprefentation des ouvrages de la Na
ture & de l'art , tels qu'il exiftent dans un
état d'inaction & d'indépendance récipro
que : mais comme nous ne trouvons pas çe
* Les noms.
(1 ) Les noms proprès.
(2 ) Les Appellat.fs.
12
$2 MERCURE DE FRANCE.
repos dans les chofes de ce monde , & qu'au
contraire nous voyons arriver à chaque inftant
un grand nombre de changemens dans
tout ce qui nous environne; nous fommespar
cette raifon néceffités de former encore un
autre fond de mots pour exprimer ces variations
, & les caufes de ces variations , aufbien
que leurs différentes circonftantes , &
leurs modifications. ( 1 ) C'eft de cette maniere
que la nature eft , pour ainfi dire , tranfferée
de fon état de fommeil dans celui
de l'activité. Nous la reprefentons agiffante,
& cela fait que nous pouvons en former des
defcriptions occafionnelles qui répondent à
l'état prefent des chofes.
Delà proviennent deux fortes de connoiffances.
L'une eft abfoluë & comprend les
phénomenes conftans , ou ordinaires. L'autre
eft relative ou occafionnelle , & renferme
ce qui a été fait , ou ce qui s'eft paffé
à leur égard. La premiere eft en un fens permanente
, au lieu que la feconde eft purement
variable ou hiftorique. La premiere eſt
renfermée dans le vocabulaire , comme je
l'ai déja remarqué ; mais la derniere eſt vague
& n'eft limitée par aucunes bornes : c'eſt
elle qui remplit tous les autres livres , & en
effet comme elle eft en quelque forte cafuel-
(1) Les verdes , les participes les alverbes Ec. 2.
JUILLET. 1745 .
93
le , on peutdire qu'elle eft infinie , attendu
que chaque cas nouveau , c'eft- à- dire , chaque
application , & chaque combinaifon
nouvelle de la premiere connoiffance fournit
quelque chofe de nouveau pour cette
derniere,
Dans le vafte champ des intelligibles
nous remarquons certains lieux beaucoup
plus cultivés que les autres ; nous devons en
attribuer la caufe principale à la fertilité du
terrain & à la facilité que l'on a eu de le façonner
: mais auffi ne pouvons-nous pas
nous difpenfer de reconnoître l'application
& l'induftrie de certains travailleurs à qui le
bonheur la fait tomber en partage. Ces lieux
étant bien alignés , décrits & enclos comme
il faut , font ce que nous appellons Arts &
Sciences ; & c'eft à les cultiver que les curieux
& les gens de Lettres ont fait leurs
principaux efforts & ont employé leurs tra
vaux. Les limites ont été élargies de tems en
tems , & l'on a fait de nouvelles acquifitions
fur les terres voifines , & qui juſques - là
avoient été en friche ; cependant le terrain
que les Sçavans poffedent eft encore trèsétroit
, & il y a encore autant de place pour
s'étendre que pour le frayer un nouveau che
min .
Ceux qui les premiers ont fait la décou
verte de ces terrains , les ont divifés en un
94 MERCURE DE FRANCE. 04
certain nombre de Provinces fubordonnées ,
en donnant à chacune fon nom particulier ;
& ces divifions ont refté telles depuis un
tems immémorial , fans qu'on y ait fait aucun
changement confidérable. Cependant
cette diftribution du Pays des Sciences eft
purement arbitraire de même que l'eft celle
de la furface de la terre & dela fphere Célef
te. Elle eft fort fufceptible de changemens ,
& il pouroit s'en faire encore quelques- uns .
qui feroient peut- être très avantageux. Si
Alexandre , Cefar & Gengiskan n'avoient,
pas vécu, la diftribution des Pays & des Mers
de notre globe auroit été indubitablement
très différente de celle que nous trouvons aujourdhui
La même chofe auroit eulieu dans le
monde litteraire fi un homme tel qu'Ariftote
n'eutjamais exifté. Les premieres divifions
de connoiffances font auffi défectueufes &
aufli mal concertées que le font celles des
premiers Géographes , & la raifon de ces défauts
eft la meme dans les deux cas. Il eft
vrai que les Bacons , les Defcartes , les New
tons qui font venus depuis , en ouvrant de
nouvelles carrieres ont beaucoup augmenté
notre connoiffance : cependant certains
égards que nous confervons pour ceux qui
les premiers ont défriché cePays inculte , nous
famenent toujours à la diftribution qu'ils
en ont faite ;nous nous prêtons fi bien à tous
JUILLET. 1745. 91
les inconveniens de ce partage , que nous
forçons & que nous eftropicns fouvent les
chofes pour arranger nos découvertes poftérieures
, de façon quelles puiffent cadrer avec
les arrangemens de nos prédeceffeurs . Jere
fçais s'il n'auroit pas été plus avantageux aux
interêts communs de la République des Lettres
d'avoir renversé toutes les anciennes diviſions
de fon terrain , & d'avoir fait de noucaux
alignemens pour la culture commune
fous un certain nom général , & de bannir
toutes les autres diftinctions. En ce cas nos
recherches ne feroient pas bornées comme
elles le font , & nous pourrions effayer de
fertilifer plufieurs terres propres à fructifier
mais qui font maintenant condamnées à refter
incultes parce quelles font fituées hors
des barrieres .
•
L'art & la fcience font des termes auffi familiers
qu'ils font fignificatifs , mais qui , fi
je ne me trompe , ont été fort peu entendus
jufqu'à prefent. Les Philofophes ont beau
coup travaillé pour expliquer & déterminer
leur notion & leur difference ; ma is tous
leurs raifonnemens n'aboutiflent prefque a
autre chofe qu'à ſubſtituer des notions obfcures
les unes aux autres. Nous voyons communément
que leurs efforts s'épuifent en
certaines définitions abftraites qui font plus
propres à répandre de l'obfcurité que de la
95 MERCURE DE FRANCE.
Lumiére fur le fujet , & qui expriment trèspeu
fon effence & fes phénomenes les plus
ordinaires. Pour parvenir à cette connoif
fance , il faut que nous nous donnions la
peine d'entrer dans de nouvelles recherches,
Tout ce que les hommes peuvent découvrir
par l'ufage des fens & du raifonnement
femble donc être du reffort de la fcience,
Tout fujet , quel qu'il foit , que l'ame découvre
en vertu de la faculté par laquelle
nous appercevons les étres & leurs relations ,
fait matiere de Science. 1 elles font les loix
de la Nature , les affections des corps , les
regles & les caracteres du jufte & de l'injufte.
de la vérité & de l'erreur , les propriétés
des lignes & des nombres &c. En effet la
fcience eft le refultat de la raifon & des fens
confiderés dans leur état ordinaire ou naturel
felon qu'ils font donnés à tous les hommes,
fans être modifiés ni circonftanciés par aucue
ne chofe particuliere dans la formation de
l'ame de quelqu'un , ni par les objets qui
l'environnent , ni par les idées qui lui font
préfentes. Enfin la ſcience n'eft autre chofe
qu'une fuite de déductions ou de conclufions
que tout homme doué de ces facultés peut
voir & tirer lui-même , moyenant un degré
convenable d'attention qu'il y porte . Toute
cience , c'eft-à dire , fcience formée ne
renferme rien de plus qu'un fyftême de ces
conclufions
JUILLET . 1745.
97
8
#
conclufions faites par rapport à un certain
fujet & exposées avec ordre & avec art par
des mots convenables . C'eſt ainfi
que quel
qu'un qui aura conçu toutes les idées exprimées
dans les définitions d'Euclide , & qui en
voit la connexion immediate dans fes axiomés,
( ce qu'un homme qui connoît ce langage
ne doit pas être cenfe ignorer , ) peut paffer
, pourvû toutefois qu'il s'y applique avec
foin , pour capable de former tous les théorémes
& tous les problêmes qui en résultent.
Il n'a autre chofe à faire qu'à mettre en ordre
ces idées dans fon ame , à les comparer l'une
à l'autre dans tous leurs changemens poffibles
, & à toucher par écrit les relations im
médiates qu'il obferve dans ces comparaifons
, c'eft -à- dire , leur parité , imparité &c.
Après avoir ainfi trouvé les relations de chacune
à chacune qui forment une eſpèce de
premieres propofitions , il s'appliquera à les
combiner & à remarquer les relations qui
réfultent de la comparaifon de plufieurs
combinaiſons. C'eft de cette maniere que
fans aucun autre fecours que la pénétration
& la perfevérance requifes , il fera en éta
d'établir un nombre infini de propofitionst
& peut- être beaucoup plus qu'Euclide n'en
trouvées , attendu que de chaque nouvella
combinaifon il réfulte une relation , c'eſt- à
dire , une propofition nouvelle.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
au
. Tout ce qui eft du reffort de l'Art ,
contraire , eft tel que la raifon pure ne peut
pas y atteindre. Le raifonnement n'y conduit
pas , & il faut que l'ame jette un coup
d'oeil particulier , ou faffe un tour extraordi
naire pour y arriver. On pouroit appeller
ce qui conduit à la connoiffance de l'art le
réſultat d'une raiſon particuliere & perfonnelle
pour le diftinguer de la fcience ; à moins
qu'on ne trouvât à redire à une dénomination
auffi peu philofophique . Nous nous ferons
peut-être mieux entendre en difant qu'il faut
confiderer ici la raifon comme modifiée , ou
empreinte de quelque chofe qui tient de la
complexion, de l'humeur, ou de la façon de
penfer d'une perfonne, ou bien en regardant
cette même raifon comme arrêtée & détournée
de fa propre courſe par certaines
vûës , ou certaines connoiffances qui lui font
particulieres. La difference entre la fcience
& l'art reffemble à celle qu'il y a entre l'efprit
& l'humeur. L'efprit eft une faculté qui
excite des images furprenantes & agréables
dans l'imagination , & l'humeur en forme
une qui lui eft particuliere. L'efprit eft pur &
abfolu dans fon efpéce , & l'humeur eft affectée
de quelque chofe d'étranger & qui tient
de la complexion ou du temperament.
Difons donc que la différence qui fe trou
ve entre un art & une ſcience confifte en ce
JUILLET. 1745.
LYON
DE
que l'un eft beaucoup plus pur que l'autre /83
Une ſcience eft un affemblage de déductions
formé par la raifon feule , & qui n'eſt déterminé
par aucune chofe étrangere ou qui lui
foit extrinféque. Un art au contraire fuppofe
une infinité de connoiffances préliminaire
, un certain nombre de data , & de poftulata
qui doivent être fournis d'ailleurs, & il
ne peut faire de grands progrès fans avoir befoin
à chaque pas de fecours étrangers. C'eſt
en un fens la connoiffance & la perception de
ces data qui conſtituent l'art : le reſte , c'eſtà-
dire , la partie doctrinale appartient à la
fcience que la raifon feule peut découvrir par
fon attention .
Un art , fi on le regarde dans ce point de
vûë , paroît être une portion de fcience ou
de connoiffance générale , confiderée non en
elle- même comme ſcience, mais relativement
à fes circonftances ou fes dépendances. Dans
une ſcience l'ame n'a point d'autre but que
d'aller des premiffes aux conclufions .Dans un
art , nous ne regardons , pour ainfi- dire , que
les côtes & les circonftances qui accompagnent
le fil des propoſitions. En effet une
Icience eft à l'art ce qu'un ruiffeau qui coule
directement dans fon lit & dont on n'examine
que le cours , eft , par rapport à ce même
ruiffeau détourné de fon cours naturel , &
dont ona formé des caſcades , des jets d'eau,
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
des citernes , des étangs & c . Dans ce dernier
cas le cours de ce ruiffeau n'eft pas confideré
par rapport à lui- même , mais uniquement
par rapport à ces différens ouvrages
dont chacun modifie le cours de fes eaux &
les détourne de leur pente ordinaire. Il eſt
aifé dans le premier cas de fuivre ce ruiſſeau
depuis fa fource jufqu'à fon embouchûre
parce qu'il coule toujours de la même maniére
; mais quelque connoiffance qu'on puiffe
avoir de ce cours , on n'eft pas par là en état
de découvrir l'autre , parce que ce dernier
dépend du genie , de l'humeur & du caprice
de l'Ingénieur qui en a donné le plan.
Voilà une partie des differens caracteres
de l'Art & de la Science. Mais il y a une autre
difference qui les diftingue & qui eft anterieure
à toutes celles que nous venons de
remarquer & dont elles ne font que des confequences.
Pour trouver l'origine de cette
différence il faut remonter plus haut , c'eſtà-
dire , jufqu'au principe de l'action ou de
l'opération dont j'ai parlé ci- deſſus , autant
que l'ame eft ou active ou paffive à leur égard.
Pour ce qui regarde ce dernier article nous
dire les chofes qui appartien
pouvons que
nent aux fciences font celles que nous voyon
fimplement , & qui font une fuite néceſſair
de la Nature & de la conftitution des êtres
comme étant produites par lafeule actio
JUILLET . 1745. 101
de leur auteur , & fervant uniquement à fes
vûës génerales fans la moindre action immédiate
& fans la moindre intervention de notre
part. Les choſes , au contraire ; qui appartiennent
à l'art , font celles dans leſquelles
cette fcience ou cette perception eſt beaucoup
plus modifiée & que nous appliquons
à des vûës particulieres & à des occafions
qui nous regardent nous-mêmes. C'eſt delà
que viennent toutes ces différences dont nous
avons parlé ci- deffus. Les matieres de l'art
telles quelles font , font purement perfonnelles
fuivant la meſure des facultés naturelles
de l'artiſte quant à leur quantité & à leur
degré ; & quant à leur qualité , elles regardent
la complexion ; l'humeur & le plan des
facultés morales du même artifte . La perception
même des matieres d'art eft du reffort
de la nature de la ſcience : enforte que juf
ques-là l'art & la fcience s'accordent affés
enfemble. Leur différence ne commence
que dans les modifications ulterieures que
nous fentons dans le fujet d'une telle perception
, & par la nouvelle deſtination qu'on en
fait à quelque fin particuliere : de cette maniere
la chofe devient , pour ainfi - dire , enveloppée
, ou revêtue de nouvelles conditions
ou de nouvelles circonftances purement
perfonnelles, comme étant toutes formées &
appropriées au plan particulier & au point
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
de vuë de l'artiſte , & qui font conduites de
la même façon fuivant fon degré particulier
de connoiffance & d'habileté; ce qui provient
fimplement & de la maniere dont il envifage
les objets & de l'organization particuliére
de fon corps . En un mot , dans l'art
il y a une vûë ou un motif moral qui ſe joint
comme un acceffoire à la fcience ou à la
perception naturelle , & ce motif eft le principe
propre , ou le premier mobile de l'art,
La perception eft fon principe dominant
& quelqu'un des membres du corps eft font
organe ou fon inftrument. De ce nouveau
principe dérive un nouveau fond de perceptions
fecondaires qui font analogues aux perceptions
naturelles & primitives . Le tout fe
réduit enfin à ce que la fcience tire fon origine
d'un principe naturel , & l'art tire la fienne
d'un principe moral ; ou comme les matieres
morales font auffi naturelles en un fens,
difons plutôt que l'origine de la ſcience eſt
divine & que celle de l'art eft humaine.
XZZ*
JUILLET.
1745 103
*************
ODE fur la bataille de Fontenoy.
茶油
Pour chanter dignement un Roi victorieux
Quelle trompette peut fuffire !
Quelque foit le fardeau , j'oferai fur ma lyre
Faire un effort audacieux .
Sous les murs de Tournay LOUIS paroît à peine,
Déja l'Anglois présomptueux
Croit toucher au moment favorableà fes voeux
Qui doit fervir toute fa haine.
Mais quel trouble imprevû glace votre fierté ,
François ? raffûrés - vous ; cette maffe pefante ,
Qui porte partout l'épouvante
Va payer fa témerité .
>
Venez vous rallier , & reprendre courage
Sous les regards de votre Roi :
Ce n'est qu'aux ennemis qu'ils infpirent l'effroi ,
Pour vous ils font un doux préfage.
Tout renaît en effet ; je vois des rangs nouveaux ;
L'ardeur du Soldat fe ranime ,
Il va meriter ton eſtime ,
LOUIS , & fe montrer digne de tels rivaux.
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE.
* L'Irlandois qui fur eux s'élance ,
Ne craint point d'effuyer leur feu ,
II venge fon Pays , & fes Rois & fon Dieu ,
Et fon honneur & celui de la France.
Bien -tôt nos Eſcadrons ferrent de toutes parts
Cette formidable colonne ;
Mais malgré le péril qui de près l'environne ,
Elle affronte encor les hazards .
Accourez Grenadiers , venez troupe fidelle,
Et vous , élite de nos corps ,
L'Ennemi va tomber fous vos derniers efforts ;
J'apperçois déja qu'il chance:le.
C'en eft fait , il fuccombe & céde à ſon deftin ,
Mais tel qu'un Sanglier fauvage ,
Qui forcé dans fa bauge , & fremiffant de rage ,
Mord le fer dont il eft atteint .
La crainte & la fureur de la harde s'empare ,
Chaque animal rugit & fuit ,
Et le Chaffeur qui le pourſuit
Partage le danger du coup qu'il lui prépare.
Trop monftrueux Titans , vous voilà terraffés ;
Vous vouliez nous réduire en poudre ,
Brigade des Irlandois.
* Grenadiers àcheval , Maifon du Roi, Carabiniers.
JUILLET. 1745. 105 .
Mais vous êtes forcés d'abandonner la foudre
Dont vous nous aviez menacés .
De ce cruel revers le funefte prefage
Etoit écrit fur vos drapeaux . *
Pour nous combattre en vain vous trayerfez les
eaux ;
Le Ciel a détruit votre ouvrage.
Ferme dans le combat , humain dans la victoire ,
LOUIS par tout fe montre Grand .
Puiffe-t-il fans revers marcher en Conquerant
Dans la carriere de la gloire !
Puiffe fon tendre Fils, digne objet de nos voeux,
Auffi fortuné par les armes ,
Trouver encor les mêmes charmes
Dans le bonheur de nos neveux !
* Nifi Dominus,fruftra . Deviſe d'un drapeau qui
leur a été pris.
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
SEANCE publique de la Société des
Sciences de Toulouse , du Mardi 15
Juin 1745 .
M Préfident ouvrit la Séance par un
Onfieur le Marquis de Beauteville
>
difcours plein de force & de nobleſſe ; il
concilia habilement l'efprit fyftématique
avec le gout des expériences , il indiqua les
fecours que la Phyfique fyftématique plus
hardie , & la Phyfique expérimentale plus.
fûre , fe prêtent mutuellement .
Le Pere Raynal de la Doctrine Chrétienne
lût un mémoire fur la queſtion ,
pourquoi le clair de la Lune n'échauffe point.
M. Marcorelle donna des obfervations
Phyfiques fur la ftatique du corps humain.
M. Sage propofa une maniere de fixer le
vif argent
.
M. Soubeyran de Scopon Directeur termina
la féance , par la Refumption des
mémoires , & dit,
MESSIEURS ,
Dans l'étude de la nature l'expérience
fans le raifonnement eft un inftrument inuJUILLET.
1745. 107
tile entre les mains du ftupide obfervateur
Le raiſonnement fans l'expérience eſt un
amas informe & toujours flotant d'idées fyftématiques
, d'hypotheſes arbitraires , de
conjectures hazardées. Le raiſonnement feul
eſt ſouvent fautif , il eſt quelquefois démenti
par l'expérience , ou arrêté par fa propre
foibleffe. L'expérience , ou pour parler plus
jufte , les expériences ne font fouvent qu'un
fujet d'illufion , parce qu'il eft difficile d'y
apporter cette précifion qui feule pourroit
leur donner quelque autorité , & à cauſe du
penchant que l'on a à recevoir les plus imparfaites
comme l'effet d'une loi conftante ,
tandis qu'on ne les doit fouvent qu'à une
caufe particuliere qui elle-même eft inconnue.
Adoptons ici une reflexion judicieuſe de
M. de Fontenelle. On pourroit le citer fans
le nommer , il n'en feroit pas moins reconnu.
L'Académie doit plus examiner que déci
der , fuivre attentivement la Nature par des
obfervations exactes , & non pas la prévenir
par des jugemens précipités. Rien ne fied
mieux à notre raison que des conclufions un
peu timides, & même quand on a le droit de
décider , elle feroit bien d'en relâcher quelque
chofe
Eloge de M. Dodart,
*
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
Loin d'abufer de cette condefcendance
qu'on exige de la raifon , ou plûtôt pour
mieux feconder fes lumieres , appuyons - la
du fecours de l'expérience. Elle prononcera
avec plus de fûreté , plus fouverainement
& fes décifions auront force de loi .
C'eft en réuniffant ces deux flambeaux ,
le raiſonnement & l'expérience , qu'on peut
former une lumiere aflés vive , finon pour
découvrir l'oeconomie de la Nature qu'il
ne nous eft peut-être pas donné de connoître
pleinement , du moins pour fatisfaire à
un certain point notre curiofité pour enrichir
les Arts & pour foulager nos maux .
Tels font les objets divers que paroiffent
s'être propofés nos Confreres dans les dif
cours dont vous venez d'entendre la lecture,
Le Pere Raynal à faifihabilement & manié
avec grace le premier de ces objets.
Nous ne fommes point furpris de ne pas
éprouver une chaleur fenfible , lorſque nous
fmmes au clair de la Lune ; la fraîcheur
ordinaire de la nuit nous y prépare. Il en eft
de ce Phenomene comme de bien d'autres
plus frappans encore dont le merveilleux
difparoit , parce que nous en fommes trop
fouvent les témoins , mais quel devroit être
notre étonnement fi après avoir vû fondre ,
caldiner ou vitrifier les matieres les plus
compactes au foyer d'un miroir ardent exJUILLET.
1745 . 109
pofé aux rayons du Soleil , nous n'apercevions
aucune variation fenfible dans la liqueur
du Thermometre placé au foyer des
rayons de la Lune réunis par le même miroir
? Les mêmes rayons qui lorfqu'ils nous
viennent directement du Soleil font l'agent
univerfel de la Nature , ainfi que ra ingenieuſement
expofé le Pere Raynal , pourquoi
perdent- ils aflés de leur force fur la
furface de la Lune , pour ne faire plus d'impreffion
fenfible que fur l'organe de la vûë ?
Un célebre Academicien de l'Academie
Royale des ſciences *, en comparant fucceffivement
la clarté, de la Lune & celle du Soleil
à celle d'une Bougie ,a trouvé que la lumiere
duSoleil eft trois cent mille fois plus vive'que
celle de la Lune , c'eſt le même qui après
une abfence de dix années paffées dans les
Pays brûlans de la Zone - Torride eft venu
le premier terminer tous les doutes qui pouvoient
refter encore fur la figure de la
Terre.
Plufieurs Philofophes ont cherché à rendre
raifon de cette furprenante difproportion
de la clarté & de la chaleur du Soleil à
celles de la Lune. Le Pere Raynal après
avoir fat fentir tout ce que le Phenomene
qu'il examine , a de fingulier , expoſe & dé~
• M Bouguer. 1
110 MERCURE DE FRANCE.
truit avec netteté & avec force les ſyſtêmes
de ces Philofophes qu'il reduit à trois.
La plus grande longueur du chemin que
les rayons du Soleil ont à faire pour venir
à nous en paffant par la Lune , n'eft pas la
caufe de leur affoibliffement puifque cette
augmentation n'eſt au plus que d'une cent
foixante-cinquième partie.
Dira-t-on que les rayons du Soleil qui
rencontrent le corps de la Lune , lui communiquent
toute leur force & n'en conſervent
pas après leur reflexion ? ce feroit ne
rien expliquer & donner la théfe pour raifon.
Prétendre que les rayons du Soleil , en
appuyant fur la Lune , contractent une humidité
qu'ils portent jufqu'à nous & qui
les refroidit , c'eft contredire les expériences
les plus communes qui nous apprennent que
les rayons refléchis par l'eau ou par la glace
confervent une très-grande chaleur.
Le Pere Raynal convaincu du vice
de ces explications trouve la fienne dans
les loix les plus fimples de la reflexion ,
Il tombe fur la Lune un Cylindre de
rayons dont la bafe égale à celle de cette
Planette n'eft que le quart de fa furface.
Ces rayons refléchis par la furface convexe
de la Lune en partent divergents , leur rareté
augmente avec leur éloignement , &
JUILLET . 1745 . 113
fuit l'augmentation de l'efpace qu'ils rempliffent
lorfqu'ils font à une diſtance de la
Lune égale à celle de la Terre à cette Planette
, ils occupent un eſpace environ cent
quatre vingt mille fois plus grand que celui
qu'ils occupoient avant de tomber fur la
Lune , ainfi quand chacun de ces rayons
après avoir rencontré le corps de la Lune
auroit été refléchi avec toute fa premiere
force , ils n'auroient à la diftance de la Ter
re qu'une force cent quatre vingt mille fois
moindre : C'en feroit déja affés pour expliquer
notre Phenomene .
On fçait que des rayons paralleles réunis
au foyer du miroir ardent le plus fort
ne font que trois cent fois plus denfes qu'ils
l'étoient avant leur réunion . Par le calcul
que nous rapportons , les rayons paralleles
qui forment le clair de la Lune font cent
quatre vingt mille fois plus rares que les
rayons du Soleil ; ainfi lorfqu'ils font réunis
par le foyer du miroir ardent , ils font encore
fix cent fois plus rares que les rayons
directs du Soleil,
Cependant nous fçavons par l'expérience
de M. Bouguer que la chaleur du clair de
la Lune eft encore moindre que celle qui
refulte du calcul, Cette diminution , le Pere
Raynal l'explique par le nombre des rayons
qui fe perdent dans les differentes réfle
112 MERCURE DE FRANCE.
xions caufées par les afperités de la Lune
ou qui demeurent engagés dans les pores
cette planette.
de
A quoi l'on pourroit ajouter la difficulté
qu'ils trouvent à traverfer notre atmoſphe
re chargée du ferein & des vapeurs qui s'élevent
de la Terre pendant la nuit.
Les differentes denfités des rayons refléchis
par la Lune déduites de l'expérience &
du calcul , après nous avoir fait connoître
le nombre des rayons perdus pour nous par
le défaut de la reflexion , peuvent fervir
encore à nous indiquer quelle doit être à
peu-près la folidité de la matiere qui forme
la furface de la Lune , en comparant le nombre
des rayons qui fe perdent fur cette furface
avec celui qu'abforbent divers corps
préfentés aux rayons du Soleil.
Cette idée peut donc nous aider à confirmer
où à ébranler la table des denfités &
des péfanteurs qui a été dreffée pour toutes
les Planettes , fuivant le fyftême de M. Newton
tant il est vrai que toutes les parties
de la Phyfique font étroitement liées ,
& que le moyen le plus fûr pour dévoiler
les fecrets de la Nature eft de multiplier les
expériences.
و
C'eſt une reflexion dont M. Marcorelle
vient de nous faire fentir toute l'importance
dans un fujet qui nous touche de bien près ,
JUILLET. 1745 . 113
puifqu'il s'y agit de la ſanté , de la vie .
Les obfervations de Sanctorius continuées
pendant trente ans , lui avoient appris que le
poids du corps humain diminue chaque jour
de fept à huit livres , & que cette perte eft
tous les jours reparée par les alimens , M.
Dodart continua les obfervations de Sanctorius
durant trente trois ans . Les fiennes les
ont confirmées , mais elles lui ont fait remarquer
cette différence effentielle , c'eſt que
de deux hommes d'un âge different & qui
mangent en quantité égale , le moins âgé
perd plus par la tranfpiration que l'autre ,
on en trouve une explication très-fimple
dans la plus grande chaleur du fang du jeune
homme , & dans le refferrement des pores
du vieillard.
Vous avez vû auffi qu'une fuite néceffaire
de ce principe eft que l'intervalle entre un
bon repas & la tranfpiration la plus abondante
foit moindre- celui que
que
San &torius
avoit obfervé dans un repas ordinaire ,
parce que la tranfpiration eft toujours plus
abondante lorfque le fang eft plus agité.
Ainfi l'obfervation de M. Dodart ne contredit
point les expériences de Sanctorius qui
ont été faites dans des circonftances différentes.
Les grands avantages que la Médecine
devoit retirer de la fuite de ces obſervations
14 MERCURE DE FRANCE
engagerent M. Dodart à les continuer fur
les effets de la faignée & du jeûne , & lui
infpirerent le courage d'être lui-même le
fujet qui devoit fervir à fes expériences.
Celles- là doivent avoir un caractere de
ceritude qu'on ne peut fe promettre de celles
d'une autre efpece. Il y a néceffairement
des tatonnemens dans les autres , des fujets
de doute ; on ne peut interroger que la
Nature qui femble fe voiler a meſure qu'on
cherche à la connoître. Ici tout eſt aux ordres
de l'obfervateur. Point de recherche
qui e donne quelque lumiere , point de
tentative qui n'ait un fuccès determiné ; la
curiofité ne peut jamais être importune ,
ni laffer la patience de l'obfervateur , il veut
fe voir , s'exa niner , il fe cherche , & il s'attend.
Il eſt averti fans ceffe de toutes les variations
qu'il éprouve , il les écoute en tous
lieux & dans toutes les circonftances , il en
eft en même tems le temoin & le fujet , il en
calcule les progrès par fenfation , il en démêle
les caufes , fi je l'ofe dire , par inſtinct
autant que par lumiere : il eft néceffairement
du fecret ; quels éclairciffemens n'en'
devons nous pas attendre ?
M. Marcorelle vous a préfenté ce que
des obfervations de ce caractere faites par
M. Dodart contiennent de plus effentiel ; un
homme fain , vous a-t-il dit , a réparé dans
JUILLET 1745. 115
moins de cinq jours deux livres de fang , &
une abftinence très rigoureuſe foutenue durant
quarante jours , a caufé une diminution
de poids de douze livres cinq onces qui a été
reparée dans quatre jours.
Pour ne rien omettre de ce qui a une
liaifon effentielle avec fon fujet , M. Marcorelle
rapporte auffi les exemples les plus
authentiques des abftinences extraordinaires.
Il eft bon de remarquer que fur fix fujets
dont il fait mention , il n'y a qu'un garçon
, & que les filles font prefque toutes vers
leur douzieme année .
La derniere partie du memoire de M.
Marcorelle eft fans doute la plus précieuſe ;
les obfervations qu'elle contient , font nouvelles
, elles font utiles , & nous devons
ajouter qu'elles demandoient un courage
préciſement de l'efpece de celui de M. Dodart.
Un jeune homme de cette Ville , bûveur
d'eau de naiffance , & accoûtumé à paffer
huit à dix jours fans boire , a foutenu cette
privation abfoluë pendant deux mois , il a
perdu par cette abftinence cinq livres onze
onces , qui faifoient la vingtiéme partie de
fon poids : ayant repris l'ufage de la boiffon
, il a réparé cette perte dans fix jours
même avec avantage.
Cette expérience toute extraordinaire
116 MERCURE DE FRANCE.
qu'elle eft , & malgré le danger qu'il pouvoit
y avoir à la renouveller , n'a pû fatisfaire
l'intrepide curiofité de notre obſervateur.
Elle avoit été faite avec des alimens
gras , M. Marcorelle ( toujours dans les circonftances
de M. Dodart ) voulut éprouver
quelle différence y apporteroient les
alimens maigres. Le même jeune homme
fe priva de boiffon pendant un Carême entier
; il perdit fept livres trois onces qui
faifoient la dix - huitieme partie de fon poids.
Cette perte quoique bien plus confidérable
que la premiere fut reparée de même
dans fix jours & avec un plus grand avan
tage . Dans ces différentes épreuves la fanté
de notre Obfervateur quoique délicate
ne reçut point d'atteinte .
Deux reflexions fuivent naturellement
de ces expériences : la premiere eft la facilité
avec laquelle fe repare un corps épuifé
par l'abſtinence , lorfqu'on lui rend la nou
riture accoûtumée : la deuxième , c'eſt que
les alimens maigres préparés felon nos ufages
fourniffent moins de liquide que les alimens
gras. Cependant les uns & les autres
peuvent fuffire à la confervation de la fanté
d'un corps bien conftitué ; nous conclurons
encore des obfervations de M. Marco.
relle que l'habitude peut rendre l'ufage de
la boiffon bien moins néceffaire , & devenir
JUILLET 1745 .
117
d'une grande utilité à ceux qui entreprennent
par Mer des voyages de long cours ,
où mille accidens expofent fouvent au danger
d'en être privé .
Ces obfervations fi fingulieres , fi précieuſes
, fur tout par la fûreté qu'on en doit
attendre , ont tenté la genereufe curiofité
des Phyficiens de plufieurs Nations ; dans
les Tranfactions Philofophiques pour l'année
1743 , on a rapporté des expériences
de ftatiques perfonnelles , fi j'ofe m'exprimer
ainfi , faites au Sud de la Caroline
par
un Médecin Anglois. Il a fait ces experiences
fur lui- même , non pendant trente ans
comme Sanctorius , ni pendant trente trois ans
comme M. Dodart , mais feulement durant
une année entiere . M. Marcorelle eft fur la
voie , & fuivra fans doute les traces finon
de Sanctorius , & de M. Dodart , du moins
du Docteur Anglois.
Quelque intereffantes que foient les obfervations
qui peuvent éclairer les hommes
fur les moyens de conferver leur fanté
elles les attacheroient peut-être moins que
les idées qu'on s'aviferoit de leur donner lui
la tranfmutation des métaux , Combien de
prétendus fages a - t - on vû , combien d'adeptes
, ufer leur fanté à la vaine recherche
de la pierre Philofophale , & confumer des
biens réels à la pour fuite d'un or chimérique
= qu'ils ne trouveront jamais ?
118 MERCURE DE FRANCE.
In aritum coacta rerum natura Majeftas..
C'eft ce qui refulte du mémoire de M.
Sage avec d'autant plus d'évidence qu'il a
pris foin de recueillir les faits les plus propres
à accrediter les préjugés de l'Alchymie.
Après vous avoir montré par l'analyfe que
le Mercure a les mêmes principes que les
métaux , qu'il en eft comme la femence
même de l'or , & que par fon poids il approche
plus de ce métal que tout autre corps ;
il rapporte le temoignage de plufieurs Auteurs
dignes de foi qui ont vu changer le
Mercure en or ou en argent. Helvetius a
vû le Plomb changé en or : Boyle n'a vû
enlever à ce précieux métal que fa teinture
jaune pour la communiquer à d'autres
corps,
On pourroit ajouter que fuivant Juncker
l'huile de Venus change l'argent en or , fi
non avec profit , du moins bien réellement
on fçait d'ailleurs que le fond des Salieres
d'argent qu'on met fur nos tables devient
noir : * le cuivre diffous par le fel a
le fel a penetré
l'argent ; cette pénétration en change une
petite partie en or , le fait eft certain . Mais
le procedé de la plupart de ces opérations
Journal des Sçavans. Mai 1744.
JUILLET 1745. 119
=
nous eft inconnu ; les autres n'ont été faites
qu'une fois , & les Chymiftes fçavent combien
malgré toute leur attention , des chan
gemens legers qui leur échapent , ou d'autres
caufes inconnues font varier leurs opérations,
toujours fi délicates.
Cependant M.Sage femble encore vouloir
nous engager dans cette carriere par un motif
plus puiffant , c'eft par fon exemple ; entre
plufieurs façons de fixer le Mercure, il a vérifié
celle dont le procedé lui a parû le plus
fimple , il a prisdu Mercure, de la rouille de
fer , du verd de gris, du fel commun & du vinaigre
rouge ,le tout remué à un feu mediocre
& féché pendant vingt- quatre heures , a fait
une pierre dure ; cette pierre mêlée dans un
creufet avec la thuthie & la racine de terra
merita , le tout encore échauffé par un feu
du troifiéme degré a donné une matiere
ductile d'un rouge jaunâtre propre à être mis
en oeuvre & qui réfifte à toute forte d'é
preuves , à l'exception de celle de l'Antimoine
; notre obfervateur indique auffi le
moyen de faire une matiere femblable , mais
plus parfaite , en uniffant de même le Mercure
à l'or ou à l'argent , au lieu de la rouille
de fer.
Cette expérience eft une ébauche de la
tranfmutation des métaux ; elle donne une
nouvelle force aux exemples que M. Sage
120 MERCURE DE FRANCE
en a rapportés . & aux raifons qu'il y a ajou
tées pour en faire fentir la poffibilité. Cependant
bien loin d'entretenir les efpérances
qu'il avoit en quelque forte fait naître
il finit par les renverfer en nous rappellant
les mauvais fuccès des Alchimiftes les plus
fameux ; & pour nous épargner des tentati
ves toujours humiliantes & toujours ruineufes
, il nous a montré l'inutilité de celles qui
ont été faites avec le plus de précautions &
le plus grand appareil.
O DE à M. D **. Par M. de V ***
V Enez ,Nimphes Méonides ,
Venez , fortez de vos bois ?
Cadancez les fons timides
Que veut préluder ma voix ,
Et que nouveau Praxitele
Eclairé par vos flambeaux ,
Je porte une main fidelle ,
Sur les traits de mon Heros
N ** Joint à l'art de plaire ,
Arque l'on n'acquiert jamais ,
Les graces , don néceffaire
JUILLET 1745. 121
Et fur l'herbe & fous le dais ,
Et dans un Char de porphire
De fes lauriers ombragé
Il fait refonner la lyre
De l'amant de Lalagé.
Mais quel chagrin le dévore
Au ſein même des plaiſirs.
Quel aftre fait pâlir Flore
Malgré le foin des Zéphirs ?
Quand le Ciel avec ufure
L'accable de fes bienfaits ,
Il fe plaint de la Nature
Qui lui défend les excès.
Mufes , montrez lui fon Maître ,
Jouiffant d'un doux loiſir ,
Chantant à l'ombre d'un hêtre ,
Sans crainte , fans vain defir ,
Il appelle dans la plaine
Le Zéphir aimable & pur
Dont la favorable haleine
Pare les bords de Tibur.
Mortels , que le faſte abuſe ,
Courez , fuivez un faiffeau ,
A la Nymphe de Blanduze
J'offre , dit-il , un chevreau
Qui fentant croître ſes forces
F
122 MERCURE DE FRANCE,
Et fon courage naiſſant ,
Contre les vieilles écorces
Endurcit fon front recent.
Le bonheur où l'homme afpire
N'eft qu'en la tranquillité,
N ** bannis tout délire
De ton efprit agité ,
Et couronné de vervaine
Sacrifiant aux amours ,
Sur le bord d'une fontaine ,
Vois couler tes heureux jours.
***************** 絲絲
NOUVELLES LITTERAIRES ,
DES BEAUX ARTS , &c.
N
OUVEAU Recueil de rémedes pour
toutes fortes de maladies par ordre alphabétique
par M. Naudié Médecin 1745 ,
Paris. 2. vol in 12. chés d'Houry pere ,
Laurent d'Houry fils. On donne dans le
premier volume la connoiffance des maladies
critiques & chroniques , & les moyens
de les guérir par des remédes fimples & faciles
à pratiquer , avec un fuplément de
plufieurs compofitions chymiques non communes
, & de plufieurs rémedes particuliers,
Le fecond volume contient un Recueil de
-1
JUILLET. 1745. 123
remédes propres à guérir les animaux, comme
chevaux , boeufs , moutons , &c. On y
trouve encore un traité des plantes les plus
connues & le plus en ufage avec leurs vertus,
le tout par ordre alphabétique.
CONCORDANCE françoife ou extrait du
nouveau Teftament par lettres alphabétiques
, pour trouver aifément ce que l'on
pourra défirer dans les quatre Evangéliftes ,
les Actes & les Epîtres des Apôtres , Paris
1745, 1. vol . in- 12 . prix 40 . relié , chés
le Gras grande Salle du Palais , la veuve
Piffot Quai de Conti , & Briaffon ruë ſaint
Jacques.
OEUVRES diverfes de M. L. G. de l'Académie
Françoiſe , Paris 1745 in 12. chés
de Bure l'aîné Quai des Auguftins,
Ce Recueil contient 1 ° . fous le titre de
Mémoire fur la vie de l'Auteur , l'éloge hiftorique
que nous avons donné de cet Académicien
dans le Mercure de Janvier.
2º. Un ouvrage du P. Oudin Jefuite fur
les étymologies celtiques , lequel s'eſt trouvé
parmi les papiers de M. l'Abbé Gedoyn
& qu'on a jugé à propos d'inférer dans ce
Recueil .
3 °. Un difcours fur l'éducation des en
fans.
•
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
4°. La vie d'Epaminondas.
20 5º. Une differtation fur les anciens & les
modernes.
60. Un entretien fur Horace.
7°. Une differtation fur l'urbanité Romaine.
80. Des plaifirs de la table chés les Grecs
9º. Apologie des traductions.
10° . Jugement de Photius fur les dix plus
célébres Orateurs de la Grece.
110. Relation des Indes traduites de l'extrait
que Photius a fait de Ctefias.
RECUEIL de l'Académie des Belles-
Lettres de Montauban , contenant les ouvrages
prononcés dans l'affemblée publique
de 1743. Touloufe 1745 in 12. chés Jean-
François Foreſt
L'ACADEMIE de Montauban qui n'étoit
que fociété litteraire en 1743 , a été érigée
en Académie par Lettres Patentes du Roi
données à Dunkerque le 19 Juillet 1744,
regiſtrées au Parlement de Toulouſe le 21
Août fuivant. Le premier Recueil qu'elle
publiera fera accompagné des Lettres Patentes
du Réglement qui lui a été donné
Majefté , de la lifte des Académiciens &
ed l'Arrêt d'enregistrement,
par Sa
JUILLET. 1745. 123
LETTRES fur le pouvoir de l'imagination
des femmes enceintes , où l'on combat
le préjugé qui attribue à l'imagination
des meres le pouvoir d'imprimer fur le corps
des enfans renfermés dans leur ſein la figure
des objets qui les ont frappées. Paris 1745
in 12. chés les freres Guerin rue faint Jac
ques.
ESSAI d'un abregé hronologique fur
Villeneuve lez-Avignon , où eft décrit tout
ce qui s'eft paffé de plus confidérable dans
cette Ville , principalement pendant les foixante
& douze années que les Souverains
Pontifes ont fiégé à Avignon , & les quarante
années du trente-uniéme fchifme qui
fut entierement éteint au Concile @cuménique
de Conftance 1744. A Avignon ,
Broc. in 12 .
BARBOU Imprimeur - Libraire ruë faint
Jacques aux Cicognes publie la troifiéme
édition des Poëfies intitulées Mufa Rethorices
, augmentées d'un volume entier ; elles
font compofées d'un grand nombre de piéces
dictées & corrigées par le P. de la Sante
Jefuite lorfqu'il enfeignoit la Rhétorique au
College de Louis le Grand ; les noms des
ingenieux éleves qui ont travaillé fur les matieres
prefcrites par le Profeffeur , ſont à la
fin de chaque pièce . F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à M. D. fur le nouveau fyftême
de la voix. A la Haye 1745 , chés Neaul
me. L'Auteur n'eft pas de l'avis de M. F.
que nous avons expofé dans l'extrait que
nous avons donné du dernier volume des
Memoires de l'Academie des Sciences , Mercure
de Janvier. Non noftrum inter vos tantas
componere lites.
LATINI SERMONIS exemplaria à Scriptoribus
probatiflimis collecta a P. Chompré
in utroque jure L. Editio altera Lute-
He Parifiorum 1745. in- 12 , apud fratres
Guerin,
OEUVRES diverfes de Meffire Edme
Mongin , Evêque & Seigneur de Bazas.
LETTRES fur la Cofmographie où le
fyftême de Copernic eft refuté , le plan de
l'Univers expofé & expliqué phyfiquement
fur des principes dictés par les expériences
& les obfervations des principales Académies
des Sciences 1745. A la Haye chés
Pierre Goffe 2 vol. in 40 .
Ce livre contient dix -huit Lettres , & eft
T'ouvrage d'un homme très-judicieux & trèsinftruit,
ABREGE' de la Vie des plus fameux
JUILLET. 1745. 127
Peintres avec leurs portraits gravés en tailledouce
, les indications de leurs principaux
Ouvrages , quelques reflexions fur leurs caracteres
, & la maniere de connoître les deffeins
des grands Maîtres. Par M.... de l'Académie
Royale des Sciences de Montpellier.
Paris 1745 , un vol. in - 12 . Chés de Bure
1aîné.
On n'a rien négligé pour rendre cet ouvrage
fort fuperieur à tous ceux que nous
'avons en ce genre , tant par l'étenduë que
par l'exactitude des recherches . Le materiel
du livre eft traité avec goût & avec foin , &
l'on n'a pas épargné la dépenſe.
HISTOIRE de Louis XIV. à Avgnon
1744. 3 vol. in 4º .
CAVELIER Libraire ruë faint Jacques
au Lys dor a mis au jour un Livre
d'Architecture contenant une diflertation
fur ce qu'on appelle le bon goût d'Architecture
, les principes géneraux de cet Art ,
& une application de l'Art Poëtique d'Horace
à ces principes , un problême fur les
proportions que l'on peut donner aux trois
ordres d'Architecture lorfque dans les
grands édifices on les employe l'un fur l'autre
par raport à leur élevation & à la diſtance
d'où on peut les voir ; un chapitre des
F iiij
128 MERCURE DE FRANCE..
décorations interieures des appartemens &
des ameublemens. Ce livre eft orné de 70
planches en taille douce de quelques- uns des
Palais & des Hôtels que l'Auteur à fait conftruire
en France , en Flandre , en Lorraine
& en Allemagne , fçavoir la Maiſon de
chaffe de fon Alteffe Electorale de Baviere
proche Bruxelles .
Le Palais de Nancy.
Les Palais de la Malgrange proche Nancy.
Un fecond projet du Palais de la Malgrange.
Le château de Lunéville .
L'Hôtel de Montmorency ruë S. Dominique
à Paris.
L'Hôtel d'Argenfon fur le Palais Royal.
Le Château de Cramayel en Brie.
Le Château d'Haroué en Lorraine apartenant
au Prince de Craon .
L'Hôtel de Craon à Nancy.
La porte du Palais du petit Luxembourg .
à Paris.
La porte de l'Hôtel de Villars ruë S. Dominique
.
Les plans & profils du Puits de Bicêtre.
Le portail de l'Eglife de la Mercy à Paris.
Le Pont de pierre de la Ville de Sens.
Le Pont de bois de Montreau Faut-yone,
La refidence de Wurtzbourg en Franconie
& dix eftampes des décorations inteJUILLLET
1745. 129
rieures des chambres de l'Hôtel de Soubife ,
avec l'explication de ce qui a été pratiqué
pour fondre d'un feul jet de bronze
la figure Equeftre de Louis XIV. que la
Ville de Paris a fait élever dans la Place de
Louis le Grand , avec 20 planches gravées
en taille-douce.
Toutes les eftampes des bâtimens font
accompagnées de leurs deſcriptions.
Ouvrage en grand in-folio . françois & latin
par le fieur Boiffrand , Architecte du
Roi , de fon Académie Royale d'Architecture
, premier Architecte & Infpecteur General
des Ponts & Chauffées du Royaume.
On trouve ce livre chés Cavelier , ruë
S. Jacques au Lys d'or,
Chés Mariette ruë faint Jacques , Jombert
, Quay de Auguftins , de Bure , Quai
des Auguftins , & chés l'Auteur ruë du
Temple , proche la ruë Porte- Foin.
> JEAN-BAPTISTE Zannoni
Imprimeur
Libraire à Florence imprime actuellement
la Bibliothéque Latine du moyen & du dernier
âge de M. Jean-Albert Frabricio. M.
l'Abbé Lorenzo Mehus , s'eft chargé de la
conduite de cette nouvelle édition , & de
continuer l'ouvrage de M. Fabricio , que la
mort a enlevé à la Republique des Lettres
avant qu'il ait eu le tems de le finir.
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
Le méme M. Mehus membre de l'Académie
de Cortone vient de mettre aujour
l'ouvrage de Bartholomeus Facius fur les
hommes illuftres. Plufieurs Italiens avant
Barthelemi Facio avoient entrepris de
donner l'hiftoire litteraire de leur Patrie ,
depuis la renaiffance des Lettres, Guillaume
Paftrengo natif de Verone & contemporain
de Petrarque eft le plus ancien. On
compte dans le quinziéme fiécle Benoît
Accolti , Paul Cortefi , & enfin le Barthelemi
Facio du quel il eft ici queftion , &
qui a donné non feulemeut l'hiftoire des
gens de lettres qui fe font diftingués de fon.
tems , mais encore celui de tous les Artiftes
celebres . Facio a écrit fous le Pontificat de
Califte III. & fon livre fut imprimé pour
la premiere fois en 1456. Il étoit difciple
de Guarino ; il fut connu & eftimé d'Alphonfe
Roi de Naples , & il vêcut quelque
tems dans cette Cour & écrivit l'hiftoire de
ce Monarque. Facio mourut en 1457 .
Parmi les perſonnages illuftres en Italie
dont cet Auteur a donné les vies , que l'on
peut regarder , vû leur brieveté , comme
des épitomes ou des extraits plutôt que
comme des hiftoires , on en compte dont
le nom eft célebre dans toute l'Europe litteraire
, tels font Juftiniani qui a écrit une
hiftoire de Venife , Guarino , le Cardinal
JUILLET 1745. 131
Beffarione , Lorenzo Valla , Timothee Maffei,
Enea Silvio Picolomini , depuis le Pape
Pie XI .
Facio joint auffi à fon ouvrage les vies
de plufieurs perfonnages illuftres à qui leurs
dignités , leurs talens ou leurs vertus ont
fait jouer un rôle confiderable , ainfi on
trouve dans fon livre de grands Politiques
& de grands Capitaines . Tels font François
Spinola , le fameux Cofme de Medicis ,
François Sforce , Charles Malatesta , François
Carmagnuole , Ladiflas Roi de Naples,
Philippe Marie , Duc de Milan , Albert Duc
de Brandebourg, &c.
La latinité de Facio merite quelque eftimes
, fi on confidere le tems où il écrivoit ,
& cette hiftoire contient un grand nombre
de chofes curieuſes.
ON a traduit en Italien l'Athalie de l'illuftre
Racine , & on l'a imprimée à Bologne.
On nous écrit de Trevife qu'on a trouvé
près du Village de Fonte d'Afolo dans les
terres de M. le Comte Jean Arigo Scoti ,
un monument de tuilles antiques dans lequel
étoient renfermées quatre Urnes de
terre cuite , & un vaſe de la même matiere
avec une feule anfe. Ona trouvé dans les Urnes
fix médailles ,frappées en l'honneur d'Au-
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
gufte , defquelles une feule étoit d'argent.
Ces urnes renfermoient encore quelques
reftes d'offemens ; mais on n'a pu confer
ver qu'une des urnes entiere , tout le refte
du Monument a été briſé par la precipitation
& le peu de foin des ouvriers.
ON a imprimé à Venife le catalogue de
tous les Opera qui y ont été chantés depuis
1637 jufqu'en cette année 1745 ; c'eſt en
1637 que le Theatre de Venife a été élevé ,
ainfi ce catalogue en eft l'hiftoire complete.
L'Académie di Materie Ecclefiaftiche érigée
en 1741 dans la Congrégation des Peres
de l'Oratoire fous la protection de S. E.
M. le Cardinal Spinelli Archevêque de Naples
vient de publier un volume de fes Mémoires
fous le titre modefte d'Effai, Saggio
breve della Academia di materie ecclefiaftiche
&c.
L'objet de cette Académie eft d'éclaircir
fur tout l'Hiftoire Eccléfiaftique & de combattre
les erreurs des novateurs ; ils s'attachent
à prefent à refuter l'hiſtoire Ecclefiafti
co - Politique de M. Bafnage , contre laquelle
aucun Catholique n'avoit encore écrit .
AUGER Marchand Epicier - Droguifte ,
alimage Notre Dame, rue S. Denis près de
JUILLET. 1745. 133
la rue du Petit Lion vend le parfait Scu
bac Oriental , Liqueur d'une compofition
nouvelle , agrable & falutaire à la fanté ;
prix 6 liv. la pinte ; il y a des bouteilles de
3 liv.
*****************
ESTAMPES NOUVELLES.
de
E Sieur le Bas Graveur en taille - douce ,
l'Académie Royale de Peinture & Sculpture
à qui S. M a accordé le brevet de Graveur de fon
Cabinet , continue à graver d'après divers excellens
maîtres François , Flamands & Hollandois ,
des morceaux très-intereffans. Il vient de mettre
au jour la Guinguette Famande Eftampe en large
d'après D. Teniers , une petite vie d'Hollande auffien
large d'après Paulus Pater , & une autre Eftampe
en hauteur dans le goût de M. Chardin, reprefentant
un Maitre de danfe donnant leçon à une
jeune Demoiselle , faifant pendant à une Estampe
du même auteur qui a pour titre Toilette du matin .
Comme le fond du fieur le Bas eft devenu trèsconfidérable
& très intereffant , divers curieux
l'ont preffé de donner au public fon OEuvre entier
pour mettre dans des Bibliothéques ; c'est ce qu'il
vient de faire en cent volumes contenant chacun
plus de 150 planches des premieres épreuves &
choifies avec foin. 11 vend le volume relié en vềau
160liv. & en blanc 135 liv . Il eſt auffi obligé d'avertir
le public que quelques mauvais Graveurs ont
copié plufieurs de fes Eftampes , & que pour être
Tertain de les avoir originales &de la premiere main
34 MERCURE DE FRANCE.
c'est-à lui feulement qu'il faut s'adreffer . Il de
meure à Paris au bas de la ruë de la Harpe ; il donnera
dans le Mercure fuivant un catalogue des titres
qui font au bas de chacune de fes Estampes dont
il continue la vente avec fuccès.
LE fieur Audran Graveur ruë S. Jacques a gravé
le Portrait du R. P. Louis de Thomas de la Valette
Géneral de la Congrégation de l'Oratoire . Il
eft le feptiéme depuis la fondation de l'Ordre ; on
lit ces mots au bas de l'Eftampe.
In Omnibus exemplum bonorum operum , in Doctrinâ
, in integritate , in gravitate Se. Tit. C. 2.
V. 7.
SAPSAPSAPSAPSAPSAP: SAPSAPSAPLES
VERS pour être mis au bas du portrait de
M. le Maréchal Comte de Saxe , par M.
Desforges - Maillard.
L
E Heros que tu vois ici reprefenté ,
Avec raiſon cher à la France ,
Fait revivre Weymar par ſa haute vaillance
Et fa noble fidelité.
Le mot de la Ire. Enigme étoit Livre ; le Logogryphe
ſuivant a du être expliqué par Cloporte ,
on y trouve Col , Cole , Or , Cor , Roc , Porte , Proe
, Port , Porc , Pot , Pet & Trop.
4 Le mot du fecond Logogryphe eft Apoticaire ,
JUILLET.
1745. 135
on y trouve Carpe , le Caire , Pie , Cape ou Capote
, Partie , Poire , Air , ire , Porc , Or , Pot ,
Rape , Cote & Carte.
Me Me Me
ENIGME ET LOGOGRIPHES.
ENIGM E.
S Ans que je fois carte Géographique ,
Je marque des lieux différens ,
Et fans être almanach , j'indique
Les quatre tems.
D'abord , c'eft du grand jour dont un aftre décide
Qu'un de ces quatre tems dépend :
Celui qui des humains fut nommé le plus grand
Au fecond des quatre préfide :
Un antique & fameux Prelat
Fait connoitre affés le troifiéme ;
Et le jour qu'une nuit précede avec éclat ,
Vous défigne le quatrième.
Je vais pour vous aider vous dire encor deux mots :
J'arrête des gens au paſſage ;
Et quoique dans un plein repos ,
Je ne laiffe pas d'être un vrai remu- menage.
136 MER CURE DE FRANCE.
On arecours à moi pour trouver une cage ,
Et l'oifeau qu'on y met
Parle mille fois mieux que pie & perroquet.
Mais quand par mon fecours on a trouvé ſon fait ,
Le traitement que l'on me fait
De l'ingratitude eſt l'image .
乳授乳・乳
LOGOGRYPHE
. \
Monfieur Jacques , dit- on , amuſe tout Paris ,
Il eft l'enfant gâté de l'auteur du Mercure ,
Mais foit dit fans lui faire injure ;
Il n'auroit pas fans moi publié fes Ecrits.
Monfieur Jacques , pourtant , n'entrez pas en colere
,
Je vous l'ai dit , je vous fuis néceffaire.
Pris en un autre fens , je fers au matelot.
Trois de mes pieds me transforment en bête ,
Et fi l'on me retourne on connoîtra bien- tôt
Ce que l'on a de plus dur dans la tête.
JUILLET. 1745. 137
AUTRE.
Dans les jardins on me voit naître,
Je fuis du genre feminin .
i
Dix lettres font mon nom ; fi tu me veux connoître
,
Combine les , lecteur , tant qu'à la fin
Tu trouveras un inftrument de table ;
Un métal l'objet de tes voeux
Avec lequel rien n'eft infurmontable ,
Et fans lequel on ne peut être heureux.
Une fille d'un Roi de Grece ,
Qui fut changée en vache , & de vache en Déeffe:
Le plus ancien de tous les Dieux .
Ce que l'on craint en marchant par la Ville ,
Lorfque l'aquilon pluvieux
Ebranle tout fous la voute des Cieux.
Ce fans quoi perfonne ne file .
Une des doctes Soeurs , dont le Divin pinceau
Anos neveux nous peint tels que nous fommes ;
Et dont le celefte flambeau
Préſerve les faits des grands hommes,
De la fombre nuit du tombeau.
L'inftrument du Dieu du Permeffe.
Celui dont fe fert un picqueur.
138 MERCURE DE FRANCE.
L'endroit où voudroit voir & tenir fa maîtreffe
L'amant épris d'une fincere ardeur.
Tu trouveras encor un fleuve de la France.
Ce qui fe trouve au fond des muids.
Mais n'en voilà que trop , Lecteur , tu dois , je
penſé ,
Connoître à prefent qui je fuis .
L. C **.
*k * k** **** ***** **
AUTRE.
Mon élement eft l'eau ; huit lettres font mon
tout ;
Mais ce n'eft pas affés de t'indiquer mon être.
Je vais pour me faire connoître ,
Me décomposer juſqu'au bout.
Eveillépar mon chant maint dormeur jure & gron
de .
J'habite dans les bois . On me trouve dans l'onde .
Je fuis un monftre affreux , un adverbe , un pro
nom ;
Un des cinq fens , un méprifable nom.
J'étois jadis un jeu fort en ufage.
Compterfur moi , c'eft n'être pas fort fage.
Je fuis pourtant ce mot fi doux& fi charmant
Qui couronne les voeux du véritable amant.
DE
LA
VILLE
LYON
*
1893
JUILLET. 139 1745.
On déclare à ma tête une éternelle guerre ;
En certain lieux je laboure la terre.
Par Mlle de Villecourt à Nevers.
CHANSONfur les Victoires du Roi, par
Madame Desforges - Maillard.
1
A
Uteurs dont abonde Paris ,
Rejettons Pindariques ,
Faites en l'honneur de Louis
Des Odes magnifiques.
Chacun ici dans fa chanfon ,
Qu'anime un zéle extrême ,
Dit , s'il eft vaillant , il eft bon
Voilà pourquoi je l'aime.
20
•
Ypres , Fribourg , Furnes , Menin ,
Soumis par fa vaillance ,
Vous n'étiez que l'eclair prochain
De la foudre qu'il lance .
Chacun ici &c .
* x+
Achille , Céfar , qu'aujourd'hui
Notre Monarque efface ,
Seroient trop heureux après lui
#
140 MERCURE DE FRANCE
De briguer l'autre place .
Chacun ici & c.
François , arrêtez votre Roi
De fon fang trop prodigue ,
Et que vos coeurs à Fontenoy
Au fien fervent de digue.
Chacun ici &c.
Ви
Son Dauphin reffemble à l'aiglon
Brave du fortir de l'aire ,
Et fuit , tel qu'un jeune lion',
La valeur de fon pere.
Chacun ici & c..
Mars le prend pour le Dieu d'Amour
Aux traits de fon vifage ,
Et l'Amour le prend à ſon tour
Pour Mars à fon courage .
Chacun ici & c.
Chaque foldat eft un Cefar ,
Que tranſporte la gloire ;
Pour lui le péril eſt un fard
Qui pare la victoire .
Chacun ici & c .
uci
Tournay , ce coloffe orgueilleux
JUILLET. 1745. 14
Défioit le tonnerre..
Louis d'un regard de fes yeux
L'a brifé comme un verre.
Chacun ici & c.
uc?
La paix commence à s'annoncer
Dans le fein de nos Villes .
Le plaifir vient la devancer
Dans les hameaux tranquilles.
Chacun ici & c .
Sans avoir peur que l'étranger
Pille fa bergerie ,
Cloris joue avec ſon Berger
Sur la verte prairie ,
Chacun ici & c.
Le villageois frais & nourri
Les Dimanches va mettre
Au pot la poule que Henri
Ne fit que lui promettre.
Chacun ici & c.
T
Louis dit comme ce vainqueur
De la ligue rebelle ,
Je fuis riche affés , j'ai le coeur
De mon peuple fidéle .
Chacun ici & c.
342 MERCURE DE FRANCE.
Fou
Si de tout illuftre guerrier
Le nom devoit s'écrire ,
L'Auvergne avec tout fon papier
Pourroit- elle y fuffire ?
Que chacun dife en fa chanfon ,
Qu'anime un zéle extrême ,
Que le coeur du François répond
Au coeur du Roi qu'il aime .
SPECTACLES.
OPERA,
'Académie Royale de Mufique continuë
les repreſentations du Ballet des Fêtes
de Thalie.
Après avoir été joué pour la premiere fois
le 14 Août 1714 la feconde fois le 25
Juin 1722 , la troifiéme le deux Juin 1735,
on l'a remis enfin au Théatre pour la quatriéme
fois le Mardi 29 Juin 1745 .
Les Rôles n'ont pastous paru fuivant leur
diftribution imprimée avec les paroles, Celui
de la veuve coquette a été remplacé par
Mile Mets qui l'a repréfenté avec nobleffe
& avec agrément ; ſon début au Théatre n'a
pas été équivoque , il a prefagé tous les ta
lens qu'elle montre aujourd'hui,
JUILLET. 1745. 143
Le cotillon a fait le même plaifir qu'il fit
le
14
Août
1714.
CINQUIEME fuite des reflexions fun.
les Ballets,
La feptiéme entrée fut celle de l'adreffe qui
amena les Arts pour travailler à la gloire de
Louis Augufte & pour lui faire des trophées
des dépouilles des ennemis.
Que ces Arts feroient aujourd'hui bien
occupés s'ils teatoient d'élever des Monumens
dignes du Héros Bien- Aimé qui vient
de remporter en Flandre une victoire accompagnée
de toutes les circonftances les
plus glorieufes qui peuvent caractériſer la
valeur la plus brillante & la plus profonde
capacité !
La troifiéme partie fit voir le Soleil au figne
du lion' d'où il invitoit Louis Augufte
à la conquête du monde par ce récit .
Monte , jeune LOUIS , au rang où tu me vois ;
Tes regards font un jour plus beau que ma lumiere
Et le monde va voir deux ſoleils à la fois ,
Si tu ne viens tenir une même carriere.
Comme c'étoit la coutume de faire des
difcours & des difputes d'Eloquence devant
l'Autel de Lyon confacré à Augufte ; il ſẹ
144 MERCURE DE FRANCE.
fit devant celui- ci une difpute des quatre luf
tres de la vie de Louis XIV. qui n'avoit
alors que 20 ans , chacun prétendant à l'envi
l'un de l'autre d'avoir eu les plus beaux
évenemens. Le premier luftre qui étoit celui
de fa naiffance & des cinq premieres années
de fa vie commence ainfi.
Qui vit jamais briller tant de luftre à la fois ?
La Nature épuisée à produire des Rois
Pour former celui - ci prit des forces nouvelles ,
Et fans plus travailler fur les premiers modéles
Surpaffa fon adreffe , épuiſa ſes ,tréfors ,
Aformer fon efprit , à façonner fon corps ,
Elle fit fon berceau des palmes de fon pere ,
Elle mit dans fes yeux les graces de fa mere ;
Et plaçant fur fon front des lys épanouis ,
Ramaffa tous les traits & d'Anne & de Louis :
Jamais fiécle ne vit une fi belle image .
La Nature elle - même admira ſon ouvrage ,
Et tous les Dieux ravis d'un miracle fi beau
S'endonnérent la gloire autour de fon berceau.
De la France en ce jour l'efperance remplie ,
Vit croître fon bonheur & l'Epagne affoiblie ,
L'aigle enjetta des cris , le lion en fremit
Le Soleil devint pâle & la Lune ** blemit,
La Perfe.
** La Turquie
Quel
JUILLET. 1745. 145
Quel tems a jamais vû des marques plus illuftres
Du haut rang que je tiens fur le refte des luftres ?
Le deuxième luftre qui étoit celui de l'avenement
à la Couronne deffendit fes
droits après celui de la naiffance , & dit :
La naiffance eft un bien qui n'eft que fortuit ,
Si de ce grand éclat la Vertu n'eft le fruit.
Il faut une ame noble, un courage intrepide ,
Et le coeur d'un Héros pour en faire un Alcide
En fes premiers effais mon Prince triomphant
A fait voir qu'un Héros n'étoit jamais enfant ;
Déja fes premiers pas le portoient à la gloire ,
Quand pour le couronner & Mars & la Victoire
Enchainerent l'Eſcaut , fubjuguerent le Rhin ,
Et d'un nouveau Pays le firent Souverain .
L'Espagne de deux parts fi vivement preffée ;
Vit fon ambition à demi renversée ,
Et l'Empire ayant vû fes deux aigles défaits
Par crainte ou par reſpect lui demanda la paix.
Le troifiéme luftre qui étoit celui de la
Majorité parla à ſon tour,
Par un mauvais démon cette illuftre conquête
Se vit prefqu'arracher le laurier de la tête.
La difcorde infolente alluma fon flambeau ,
Et ne fit de l'Etat qu'un funefte tombeau ;
146 MERCURE DE FRANCE.
Dans le fein de la France en fureur déchainée ,
Ecumante de rage , errante & forcenée ,
Répandit fon venin dans le coeur des fujets,
Et fit en moins d'un jour de terribles projets ;
D'une effroyable voix & d'un ton de tonneire
Elle annonce partout , elle vante la guerre ,
Tout fume de fes feux , tout paroît embrafé ,
En pluſieurs factions le peuple eft diviſé ;
Le Trône eft ébranlé quand Louis court aux armes ;
Et cueille des lauriers qu'il mouille de fes larmes ,
Mais les premiers rayons de famajorité
Ramenerent le calme & la férenité :
Ce courage intrepide alla de Ville en Ville
Pour arrêter le cours de la guerre civile ,
Et pour guerir les maux que le trouble avoit faits ,
Je l'ai vu fous la tente autant que fous le dais.
Le quatriéme luftre qui étoit celui du
facre & des victoires du Roi ne douta point
qu'il ne dût l'emporter fur les trois autres
quand il dit ,
Ces préfages font beaux & ce grand appareil (
Dans les fiécles paffés n'a rien vû de pareil ;
Mais tous ces préjugés de grandeur & de gloire
N'approchent pas de ceux qui fuivent la victoire.
Les ennemis défaits & le fang répandu
Font un Trône plus haut du monde confondu.
C'est de vous que Louis à reçu la Couronne,
JUILLET. 1745. 149
i
1
Et le pompeux éclat de l'or qui l'environne ,
Mais ce brillant éclat ne feroit qu'un fauxjour ,
S'il n'avoit des rayons que pour luire à la Cour.
Il faut qu'un Conquérant entre dans la carriere ,.
Qu'il en forte couvert de fang & de pouffiere ;
Il doit dans les combats montrer fa fermeté
Et s'ouvrir le chemin à l'immortalité.
J'ai vû fortir des yeux de ce foudre de guerre
Des éclairs allumés & fuivis du tonnerre ,
Et lançant des regards fiers & victorieux
Il porte aux ennemis le foleil dans les yeux .
Les ombres des Flamands erran.es & plaintives
S'éforçoient d'animer leurs troupes fugitives ,
Quand mon Prince parut, & dans un champ d'hor
reur
Fit céder la clémence à la noble fureur.
Le feu que l'huile fainte alluma dans ſon ame
Fit fortir de fon coeur une nouvelle flâme ,
Qui portant fon courage à d'illuftres travaux
L'a déjafait paroître en des combats nouveaux ;
Le feu clair & brillant qui dans fes yeux petille
Brave d'un feul regard les forces de Caftille ;
Deja victorieux de la rebellion ,
Il veut arracher l'ongle & la dent au lion :
A peine de Stenay la courtine ebranlée
Souffre le chatiment de la Foi violée ,
Qu'Arras contre l'Ibere implorant fon fecours
Craint d'être enfeyeli fousfes fuperbes tours,
Gij
148 MERCURE DE FRANCE,
11 Il y court, il y vole , il voit toute l'Eſpagne
De troupes , d'étendarts inonder la campagne,
La Victoire le fuit & d'un double laurier
Couronnele Monarque & le jeune Guerrier.
Depuis cette action les Places les plus fortes
Ouvrent à mon Héros & leurs coeurs & leurs porte
Et ce dernier Eté fait lui feul plus de bruit
Que la Grece vaincue & l'Empire détruit ;
Ainfi , n'attendez pas que je céde la gloire ,
Du plus haut rang d'honneur au temple de mé
moire.
· Le
temps à venir pour décider les diffé
kens de ces quatre luftres parla ainfi ,
Je viens pour décider le noble différend
Qui vous a partagés pour un Roi Conquérant ;
Déjalfous vingt Soleils fes premieres années
Ont eû tout lefuccès des grandes deſtinées ,
Mais ce commencement tout éclatant qu'il eſt
N'eft que le premier pas de l'aftre qui l'a fait
Il s'avance à la gloire avec plus de lumiere
Il ouvre à ſa valeur une illuftre carriere ,
Et l'Europe & l'Afie offrent à ce guerrier
Une plus belle palmę, un plus riche laurier
Tout le fuperbe éclat dont il vous environne
N'eft qu'un premier brillant que la gloire vous don
ne.
Allez , cedez la place aux luftres à venir
JUILLET. 1745 . 149
Et de ces grands fuccès gardez le fouvenir.
Les fondateurs des quatre grandes Mo
narchies attirés par le bruit des conquêtes de
Louis Augufte viennent offrir leur hommage
à fon Autel ; ils admirent fes trophées & lui
cedent la premiere place du temple de la
gloire. Cétoit la troifiéme entrée de la troi
fiéme partie. Les Dieux qui jurerent autrefois
la guerte contre les géans fur l'autel qui
fait une des conftellations céleftes , vinrent
jurer la paix fur celui de Louis Augufte . Jupiter
y laiffa fa foudre , Mars fon épée , Neptune
foa trident , tandis que la paix fe
montra fur l'arc - en- ciel & fit un récit.
Des payfans challés de leurs cabanes par
les ravages de Bellonne cherchent un azile
près de l'autel de Louis Augufte où ils
trouvent les gages de la paix ; ils prennent
les armes que les Dieux y ont laiffées & en
font des inftrumens d'Agriculture. Minerve
la Divinité de l'ancien temple de Lyon &
Apollon le Dieu des Sçavans viennent éta
blir des facrificateurs pour recevoir les victimes
que les peuples doivent offrir à l'autel
de Louis Augufte. La Fortune Françoiſe y
amena l'hérefie & Mahomet enchainés. Le
grand Ballet fut compofé des treizes Louis
predeceffeurs de 1.ouis XIV , qui vinrent
être les témoins couronnés de fa gloire.
Giij
5 MERCURE DE FRANCE.
Que la compofition de ce Ballet eft (çavante
& variée ! Que de tableaux divers
il prefente à la curiofité des fpectateurs ! Que
tous les rapports des parties tant hiftoriques
qu'allégoriques font bien fimétrifés , & qu'ils
concourent avec habileté à la gloire de
Louis XIV. & à l'honneur de la Ville de
Lyon qui fignala fon zéle par cette ingenieufe
& magnifique fête ! Sans doute les décorations
& les habits aflortiffoient aux idées
fublimes de l'inventeur de ce Ballet ? D'où
vient qu'on fe contente aujourd'hui de danfes
monotoniques qui ne difent jamais rien
d'expreffif & qui n'offrent aux yeux que des
marches & des entrées prefque toujours uniformes
& où le goût & le difcernement ne
trouvent jamais rien à louer que la grace &
Ja legéreté des pas fans pouvoir en admirer
l'ordre & l'application ? Le R. P. Meneftrier
nous apprend que ce fut à l'occafion de ce
Ballet dont il fut chargé par des ordres fupérieurs
qu'il fe crut obligé de lire tout ce
qu'Ariftote , Lucien , Plutarque , Platon ,
Libanius , Athénée , Julius Pollux & quelques
Modernes qu'il ne nomme pas ont
écrit fur la danfe théatrale.
Il n'eft pas douteux que tous ces Auteurs.
là ne font pas connus de bien des compofiteurs
de Ballets de notre fiécle , & que les
danfeurs qui voudront s'en tenir à la routine
JUILLET.
1745. 151
de leur talent fans en approfondir le mérite
principal ne répondront à ces refléxions
que par une pirouette en s'écriant comme
Poiffon dans le Joueur :
Allons faute Marquis.
COMEDIE FRANÇOISE.
Les Comédiens François ont donné le
Mercredi quatorze Juillet la premiere reprefentation
du Sage Etourdi , Comédie en
trois actes de M. de Boiffi. Le public lui a
fait un accueil très - favorable ; elle fut fuivie
de la Folie du jour , petite piéce d'un acte
qui l'avoit precédée de trois ou quatre repreſentations
; on en donnera lextrait dès
quelle fera imprimée : en attendant nous en
allons rifquer un du Sage Etourdi ; l'auteur
nous pardonnera s'il fe trouve défectueux:
La mémoire & l'ami qui nous l'a préfenté
peut fort bien avoir été infidéle . Si nous faifons
quelques fautes nous les reparerons
après l'impreffion de cet Ouvrage où l'efprit
brille affés communément.
Dorante Sage Etourdi eft un jeune Cava
lier promis à Lucinde , niéce de Belife veuve
aimable & fpirituelle ; le mérite & les
agrémens de la tante l'engagent à rompre
chaine de la niéces, & il diflimule fa fituala
G iiij
2 MERCURE DE FRANCE.
tion jufqu'à la veille du jour qui doit écldirer
fon mariage avec Lucinde . Dorante
commence le plan de fon infidélité par infinuer
à Lucinde qu'ils font tous les deux
tropjeunes pour former un établiffement férieux
& folide ; il la perfuade par des raifonnemens
fpecieux , & la determine a différer
leur mariage de deux ans.
Dorante a pour ami Erafte , Philofophe
quoique riche.il propofe à Lucinde de le voir,
Comptant que faconverfation & fon goûtpour
la liberté éloigneront la maîtreffe qu'il tra
hit fecretement de la conclufion d'un mariage
qu'il redoute depuis que fon coeur a facrifié
la niece à la tante ; il lui propofe enfuite de
tenter par amuſement la conquête d'un Philofophe
qui feroit grand honneur à fes charmes.
Erafte arrive dans le moment pour.
prendre congé de fon ami ; Lucinde féduite
par Dorante fe joint à lui pour éluder ce départ
: Dorante les quitte pour donner le
tems de vaincre aux charmes & aux difcours
de Lucinde. Son triomphe eft prompt , le
Philofophe furmonté fe jette avec tranfport
aux genoux de fa nouvelle Divinité ; Dorante
revient & le furprend dans cette tendre
attitude ; cela produit un coup de theatre
heureux & neuf.
Après des fcénes préparatoires , Belife
reproche à Dorante fes délais. Il lui avouÿ
JUILLET. 1945. 153
•
que fa niéce cede à un objet plus aimable ,
& après des excuſes galantes de fa perfidie ,
il lui déclare nettement qu'elle en eſt la cayfe
; la veuve ſurpriſe lui fait cent objections
qu'il refute avec efprit & avec ardeur. Elle
lui allegue l'inégalité d'âge , & c'eft l'obſtacle
qu'il détruit le plus folidement , enſuite
il lui dit qu'il a pourvû au dédommagement
de Lucinde en lai procurant par fon manege
la tendreffe d'Erafte. Cette intrigue fintguliere
& piquante fe dénoue par le double
hymen de Dorante avec Belife & d'Erafte
avec Lucinde. Cette Comédie eft vivement
écrite & remplie de détails ingenieux .
On réimprime actuellement la Tragédie de Didon
de M. Lefranc , on y verrà non-feulement
le cinquiéme acte dans la nouvelle forme , fous
laquelle il a paru à cette derniere repriſe , mais
encore beaucoup d'autres changemens que le célebre
Auteur a répandus dans le corps de fon Poë- ·
me. Il auroit été à fouhaitter que les Gomédiens
euffent profité du manufcrit qui leur étoit tombé
entre les mains , & dans lequel ces changemens fe
trouvoient ainfi que ceux faits au cinquiéme acte .
COMEDIE ITALIENNE.
Ce Théatre n'a rien donné de nouveau
qui ait attiré le public , excepté les Ennuis
de Thalie , petite Comédie d'un acte fuivie
d'un divertiſſement; nous en donnerons l'extrait,
GY
54 MERCURE DE FRANCE,
L'Opera Comique ayant été fupprimé par
Arrêft du Confeil, la troupe des danfeurs de
corde de Mathews eft le Spectacle dominant
de la Foire . Nous en parlerons dans la
fuite.
CONCERT DE LA REINE.
M. de Blamont Sur- Intendant de la Mufique
du Roi a ouvert fon femeftre le premier
Juillet & a fait exécuter dans fon premier
Concert le Ballet heroique des Fêtes
Grecques & Romaines , dont la Mufique eft
de fa compofition : les paroles font de M.
Fuzelier.
Le Samedi 10 on chanta l'acte de Diane
ajouté à ce Ballet.
Le Lundi 12 on chanta l'acte des Bacchanales
& des Saturnales du même Ballet .
Le Mardi 13 la Reine fit chanter pendant
fa Meffe en lieu & place du Pleaume que
l'on y chante ordinairement , le Te Deum
pour la prife de Gand, de feu M. Delalande ;
Sur - Intendant de la Mufique de la Chambre
& Maître de Mufique de la Chapelle.
Le Mercredi 14 on exécuta en Concert
chés la Reine le Prologue & le 1er, acte de
l'Opera d'Iphigenie .
Le Samedi 17 on chanta le zme. & 3me.
acte du même Opera.
JUILLET. “ 1745.
***************
JOURNAL DE LA COUR , DE PARIS
& c.
SUITE DES OPERATIONS
DE L'ARME'E DU ROI.
Au Camp de Leuze le 1er. Juillet.
' Armée à quitté ce matin le camp qu'elle occupoit
fous Tournay pour venir Camper à Leuze.
Elle à marché furs colonnes. Le Roiacco.m
pagné de Monfeigneur le Dauphin s'eft mis à la tête
de celle du centre compofée de ſa Maiſon , & eft
arrivé à Leuze fur les 5 heures après avoir vifité les
environs du camp.
Au Camp de Leuze le 2 .
- L'armée á féjourné ici aujourd'hui . Le Roi a
monté à cheval avec Monfeigneur le Dauphin fur
les quatre heures après midi , & s'eft porté le long
de la feconde ligne de la doite de fon armée jufqu'au
ruitfeau qui paffe à la Catoire où elle eſt appuyée.
S. M. après avoir vifité le lieu où s'eft donné
le combat de Leuze en 1691 eft revenuë le
long de la premiére ligne jufqu'à Leuze , & a paffé
enfuite par le camp des Dragons & celui des
Gardes Françoifes & Suiffes qui couvrent le quar
tier général Sa Majefté n'eft rentrée chés elle
qu'à huit heures & demie.
G vj
6 MERCURE DE FRANCE.
Au Camp de Leuze le 3 .
Hier l'armée des Alliés a commencé à paffer la
Dender à quatre heures après midi au deffus &
au deffous de Gramont , & ce matin avant 9 heures
l'arrière garde étoit au delà de cette riviere.
Un dernier détachement compofé de Hullans
& de Huffards des Regimens de Linden & de
Beaufobre a enlevé aux ennemis un convoi de 25
chariots de pain de munition du côté de Soigny fu
la chauffée de Mons à Gramont .
L'armée décampera demain de grand matin .
Le Roi a tenu ce foir Confeil d'Etat .
Au Camp de Rebay le 4..
L'armée eft décampée ce matin de Leuze , marchant
for fix colonnes ; le Roi s'eft mis à la tête
de la quatriéme qui étoit compofée de ſa Maiſon ,
& eft arrivé à une heure après midi avec Monfeigneur
le Dauphin à Rebay où S. M. a établi
fon quartier . L'armée fe trouve actuellement
pofée fur deux lignes , dont la premiere eft alignée
fur le clocher de Rebay & fur celui de Hamaide
à fa gauche . Les ennemis font encore campés
fur la rive droite de la Dender , leur droite à
Gramont qu'ils occupent ; on découvre de notre
Camp la plus grande partie du leur .
-Un détachement des Graffins envoyé à Leffines
y a trouvé environ 400 Huffards ennemis qu'ils
en ont chaffés. L'ennemi voyant cette troupe foible
a fait foutenir les 400 Huffards par environ
2000 hommes d'Infanterie & de Cavalerie & les
a fait remarcher en avant pour reprendre ce pofte
JUILLET 1745 : 157
que les Graffins ont cependant foutenu jufqu'à
l'arrivée du renfort qui leur a été envoyé de no
tre armée & qui a forcé l'ennemi de fe retireg
en grande hâte à Gramont.
Au Camp de Wambec près Leffines le &
L'armée s'eft portée aujourd'hui dans un nouveau
Camp dont la droite eft appuyée à Leffines & la
gauche alignée fur Wambec. M. d'Armentieres
Maréchal de Camp a été détaché avec 2000 hom.
mes d'Infanterie dont moitié Grénadiers , 1000
chevaux & les Régimens de Linden & de Graffin
marchant en avant pour reconnoître la poſition des
ennemis au - delà de la Dender ; il s'eft porté avec
ce détachement jufqu'à Owerboclaer à un quare
de lieuë de Gramont d'où il a obligé plufieurs
troupes de Huffards ennemis de fe retirer ainſi
que des détachemeus de leur armée qu'ils avoient
encore en deça de cette Ville . Ce n'a été qu'après
le retour du détachement de M. d'Armentieres que
l'on a pú affeoir le nouveau Camp que notre armée
occupe. Suivant les connoiffances qu'il a prifes
de la pofition actuelle des ennemis il paroît
qu'ils ont fait quelques changemens dans leur Camp
& Fon vient d'apprendre qu'ils ont rompu deux de
leurs Fonts fur la Dender , & qu'ils ont formé
des retranchemens fur la Marck.
Le Roi eft resté pendant plus de 5 heures à la
tête de fon armée qu'il a fait camper fous les yeux
& d'où il a obfervé tous les mouvemens du déta◄
chement de M. d'Armentieres.
Les ordres font donnés pour faire demain matin
une nouvelle marche,
# 58 MERCURE DE FRANCE.
Au Camp de la Chartreuse près Gramont le 7.
On battit hier la generale à 3 heures du matin
& à 4 on fit partir les Campemens dont la marche
fut precedée par un Corps compofé de 40
Compagnies de Grenadiers , de 40 Piquets , de
1000 chevaux tirés tant de la Maiſon du Roi que
du refte de la Cavalerie , du Regiment de Linden
Huffards , & de celui de Graffin aux ordres
de M. le Marquis d'Armentieres , Marechal de
Camp. L'objet de ce détachement qui partit à la
pointe du jour étoit de marquer le débouché de
Gramont par lequel l'ennemi auroit pu fe porter
fans cette précaution fur la marche de l'armée
qui étoit obligée de lui prêter le flanc pour prendre
fon nouveau Camp. M. d'Armentieres trouva
en dehors de Gramont 3 à 400 Huffards foutenus
de quelque troupe de Cavalerie il les fit charger
& les obligea de rentrer dans Gramont après
avoir laiffé plufieurs morts fur le Champ de bataille
; de fon côté il n'y eut qu'un Maréchal des Logis
du Regiment de Graffin qui réçut un coup de
feu au travers du corps. M. d'Armentieres porta
la tête de fon détachement jufqu'à une porté de
Carabine de la barriere des ennemis , en faiſant
foutenir ce pofte avancé par échelon , il ſe tint
dans cette pofition jufqu'à ce que larmée fut
entierement affife & les gardes placées
Les ennemis tirerent plufieurs coups de canon fur
ce corps , mais fans nul effet , la proximité de ce
détachement les a jettés dans une fi grande allarme
qu'ils ont mis toute leur armée en bataille ,
ils ont garni le Parapets de Gramont ; & travaillé
à de nouvelles batteries dans cette Place . Quel
ques Soldats de Graffins fe font avancés fi près
JUILLET
1745. 159
1.
"
de ce travail qu'ils y ont tué plufieurs travail~
leurs.
L'armée fe mit en marche à 6 heures fur ; colonnes
, les bagages marchant à la queuë de la
troifiéme & foutenus par un détachement confide
able ; la marche à été fort penible , s'étant
faite dans un Pays entierement coupé & à la vue
de l'ennemi , ce qui a éxigé de grandes précautions.
Les ennemis après avoir refté en bataille hier
depuis la pointe du jour jufqu'à 6 heures du foir
ont repris leur même Camp fur les hauteurs de
Gramont où il eft encore actuellement , ils ont
feulement changé un Camp d'Artillerie qu'on ne
découvre plus.
L'armée fejourne aujourd'hui pour lui donner
le tems de fe repofer de fes fatigues & de recevoir
le pain dont le convoi vient d'arriver de Tour
nay par Rebay.
La droite de l'armée eft au devant d'Everbeek ,
la gauche au devant de la Chartreufe près Gra
mont , laiffant un intervalle occupé par les troupes
deftinées à couvrir le quartier du Roi établi
cette Chartreuſe.
Les équipages de S. M n'ayant pû arriver que
ce matin , parce qu'elle a voulu qu'ils ne marchaffent
qu'après l'artillerie , S. M. a paſſé la nuit
fur de la paille,
Tout eft ici en abondance le Pays étant tout
neuf& plein de toutes fortes de fubfiftances.
Ily a encore eu ce matin quelques eſcarmouches
entre les Graffins & des détachemens des troupes
qui font dans Gramont . Il y a eu 15 ou 16 homtués
ou bleffés de la part des ennemis , & deux
Grafins de bleffés.
o MERCURE DE FRANCE
Au Camp de Boft le 8.
On á battu ce matin à 3 heures la générale qui
fervi de fignal pour le départ des Campemens
& de tous les équipages de l'armée pour ſe rendre
au Camp de Bolt. L'armée débarraffée de ſes bagages
s'eft mife en marche à midi fur 3 colonnes
& eft arrivée à fon nouveau Camp de fort
bonne heure ; fa droite eft derriere Roofbeek &
fa gauche fur la petite riviere Schwaline qui tombe
dans l'Escaut à une lieue & demie d'Oudenarde .
Le Roi a établi fon quartier entre la premiere
Ligne defon armée & la Schwaline .
1
Par cette pofition l'armée couvre Oudenarde du
côté de la rive droite de l'Efcaut & le centre de
l'armée n'eft qu'à trois lieues du bas Eſcaut fur lequel
on fait marcher cette nuit un détachement aux
ordres de M. du Chayla Lieutenant General
compofé de deux brigades d'Infanterie & 3 de Cavalerie
pour aller jetter un Pont dans l'anfe que
forme l'Escaut entre Gand & Dendermonde.
Les ennemis ont fait hier matin un détachemen
de leur armée qui eft defcendu à Aloſt.
Du 9.
Il n'y a rien aujourd'hui de nouveau .
•
On vient d'apprendre dans le moment que M.
de Graffin s'étant porté à Wettren près de l'Efcaut
entre Gand & Dendermonde y a rencontré
un cinquantaine de Huffards des ennemis qu'il a
fait charger par un détachement de fon Regiment
qui en a tué plufieurs & en a fait 7 prifonniers
qui ont été amenés au quartier du Roi avec troig
JUILLET 1745 . 151
1
Officiers Autrichiens qu'il a arrêtés fur le chemin
de Gand à Bruxelles .
Il y a eu du côté des Graffins un Officier & 4
Cavaliers de bleffés.
Au Camp de Boft le io.
On a vû par le buletin du 8 qu'on avoit déta
thé le matin M.du Chayla avec deux brigades d'Infanterie
faifant 8 Bataillons & 3 de Cavalerie fai
fant 14 Efcadrons , & le Regiment de Graffin ;
l'on a vû auffi que l'avant- garde de Graffin ayanc
rencontré vers la Chauffée d'Aloft à Gand 40 à
50 Huffards les avoit culbutés & fait plufieurs
prifonniers . Ces Huffards ennemis étoient und
avant- garde d'un détachement de l'armée des Alliés
compofé d'environ 6000 hommes qui étoient
partis de Ninove le 8 & qui vouloient le porter à
Gand. Cette avant - garde ayant été répouffée par
les Graffins , vraisemblablement a rapporté au
détachement des Alliés qu'elle n'avoit rencontré
que ce corps de troupes legeres , ce qui n'a pas
empêché l'ennemi de continuer fa marche fur
Gand ; & comme M. Graffin qui croyoit pareil
lement n'avoir devant lui que cette petite trou
pe de Huffards que fon avant- garde avoit culbutée
Continuoit fa marche vers Aloft pour couvrir celle
de M. du Chayla , il a été rencontré ſur les
heures du foir par le gros du détachement des
ennemis & n'a eu que le tems de fe jetter dans la
Cenfe de Maffeme entre Aloft & Gand ou il a
été invefti par les ennemis qui ayant trouvé une
bonne & forte refiftance & étant preffés par
l'heure pour arriver à Gand , l'ont quitté lorfqu'il
s'y attendoit le moins. M. Graffin étant libre eft
forti de la Cenfe & les a harcelés à leur arrieres
162 MERCURE DE FRANCE.
garde, Les ennemis continuant leur marche ſe font
trouvés fur le Corps de M. du Chayla vers les 7
keures à portée de l'Abbaye de Meile dans le moment
qu'il établiffoit fon Camp ; cette espece de
furprife n'a pas empêché que MM. de Graville &
de Souvré ne fe foient portés affés diligemment
vers les brigades de Crillon & de Normandie pour
qu'elles fuffent en état de recevoir l'ennemi ; cel
le de Crillon a foutenu le premier choc avec
beaucoup de valeur & celle de Normandie eft arrivée
à portée de la fecourir dans le tems que
Pennemi fe trouvoit en état de l'attaquer par le
flanc. Il fut pourfuivi par ces deux brigades la
bayonette au bout du fufil en pliant de tous côtés.
On ne fçait pas encore quel a été le nombre des
morts & des bleffés , il eft confiderable fuivant
toute apparence de la part des ennemis , mais il
eft fûr qu'il eft très médiocre de la nôtre.
Les troupes commandées par M. du Chayla ont
fait 800 prifonniers au nombre defquels font un
Milord & un Lieutenant Colonel . Les Graffins en
ont fait 600 & pendant tout le tems que le combat
a duré , les 3 brigades de Cavalerie , fçavoir
du Roi , Royal étranger & Berry à la tête def
quelles M. du Chayla s'étoit mis ont fait tous les
mouvemens néceffaires ponr contenir la colonne
des ennemis , foutenir notre Infanterie en cas
qu'elle fut répouffée & empêcher celle des ennemis
de prendre aucun avantage fur là notre.
On ne peut affés louer la valeur avec laquelle
les troupes du détachement fe font comportées.
M. de Graville Marechal de Camp a été blef
fé legerement ; nous n'avons eu aucun autre Offieier
General ni Colonels de bleffés.
3
JUILLET 1745 . Ifej
1
A Tournay le 11 anfoir.
On a reçu ce matin le détail ci-deffus , & om
vient d'apprendre ce foir que l'entrepriſe formée
par M. de Lov endal pour furprendre Gand cette
nuit avoit réuffi.
L'Artillerie & le Genie ont reçû ordre de par◄
tir demain de grand matin pour le rendre au
Camp devant Ŏudenarde ; les gros équipages qui
font ici commenceront demain à en partir pour
taller rejoindre l'armée.
nt
il
un
ed
1-
Au Camp de Boft le 11.
On n'a fait aucune mention dans les préceden
buletins d'un détachement qui a été fait pour
porter un Corps de troupes fur la gauche de l'Ef
caut pendant que l'armée du Roi marchoit entre
cette riviere & la Dender. Il étoit compofé des
Régimens de Dragons , Meftre de Camp General
, Royal , Affeld & Egmont & de 4 Regimens
des GrenadiersRoyaux le tout commandé par M.de
Lovvendal Lieutenant General ayant à fes ordres
Meffieurs de Chevreufe & d'Herouville Mare
chaux de Camp.
L'objet de ce détachement étoit de ſurprendre
Gand , en conciliant fes mouvemens avec ceux
que le Roi fe propofoit de faire faire au Corps
commandé par M. du Chayla dont on a ci-devant
parlé ; l'entrepriſe a eu tout le fuccès qu'on pouvoit
défirer.
Le Corps de troupes aux ordres de M. de Lovendal
après avoir reçu au Pont d'Efpieres ,
les derniers ordres du Roi , eft arrivé à portée de
4 MERCURE DE FRANCE .
Gand hier au foir , & le matin vers la pointe de
jour M. de Lowendal a fait infulter le front entre
la porte faint Pierre & l'Escaut dont les oud
vrages ne font point revêtus ; quoiqu'il y ait un
foffe plein d'eau large & profond , les foldats com
mandés de chacune des troupes du détachement s'y
font jettés avec toute la vivacité poffible & fe
font rendus maîtres de la Place fans autre perte
celle d'un Lieutenant tué d'un coup de fufil
& de 2 Dragons qui fe font noyés.
que
Le feu qui s'eft fait de ce côté - là a fervi de
fignál à M. du Chayla , ainfi que l'on en étoie
convenu , pour faire tirer quelques coups de canon
du côté de la porte impériale & pour qu'il s'ap
prochât de la Ville dont la porte lui à été ouver◄
te par un détachement du Corps de M. de Lovvendal.
La garnifon qui eft de 1000 hommes s'eft
retirée dans le Château & les foins des Officiers
ont préfervé l'intérieur de la Ville du pillage
On apprend que l'armée des Alliés eft dans
les plus grandes allarmes , qu'elle eft à préfent
entre Ninove & Aloft faifant conduire fes gros
équipages à Bruxelles avec beaucoup de précipi◄
tation !
Cette après-midi , l'Evêque de Gand , accom
pagné d'une partie de fon Clergé , le Magiftran
de la ville & le Confeil Supérieur de Flandres
fontvenus rendre leurs hommages à Sa Majesté, qui
■ monté enſuite à cheval pour aller faire la vifite
du camp.
Au Camp de Boft le 12.
La Garnifon de la Ville de Gand qui s'eft reti
ée dans le Château fait tirer quelques coups de ca
ppar intervalle fur lestroupes qu'elle apperçoit
JUILLET 1745
164
24
On a découvert jufqu'à prefent dans la Ville
environ 100 milliers de poudres , & il y a une
quantité très-conſidérable de fourage ; ce qui a
été déposé dans cette Ville par les Anglois en toutes
efpéces de provifions n'eft point encore exacte
ment connu .
M. L'Evêque de Gand à prêté ce matin ferment
de fidélité au Roi.
La Brigade de Monnin compofée de 6 bataillons
a été détachée pour marcher fur la rive gauche de
l'Efcaut où elle doit occuper les avenues d'Oudenarde
.
On vient d'apprendre qu'il y a eu de prifonniers
faits dans Gand 60 Officiers & 690 Soldats Anglois
& Hanoweriens .
Au Camp de Boft le 13 .
Des Detachemens du Régiment des Hullande
de M. le Marêchal de Saxe fe font portés juques
dans les fauxbourgs de Bruxelles & ont enlevé
plufieurs Baillifs . Les Etats de Brabant ont auffitôt
demandé la permiffion d'envoyer à S. M. une
députation pour faire ceffer les contributions.
On continue de faire la recherche de tous les
effets & munitions que les Anglois avoient dans
Gand.
On a trouvé dans des balandres fur le canal
plufieurs piéces de canon toutes neuves & quantité
de munitions d'artillerie,
Le corps de M. du Chayla qui étoit à Mêle s'ef
rapproché de Gand .
L'armée ennemie eft à Affleghefm , & les nou
velles de ce foir font quelle commence à défiler
vers Bruxelles ..
166 MERCURE DE FRANCE.
** LeRoi a tenu hier & aujourd'hui Confeil d'EAu
Camp de Boft le 14.
Les ennemis font actuellement fous Bruxelles
ayant abandonne les bords de la Dender.
Les députés de la Châtellenie d'Aloft & de
Gramont font venus implorer la clémence de
S. M. & fe mettre ſous fon obéiſſance,
Il s'eft trouvé dans l'arfenal de Gand un
armement conſidérable en fufils , épées & ſabres.
Les ennemis avoient auffi en magaſin l'habillement
neuf de plufieurs Régimens , & des équipemens
à proportion , 4 à 500 mille rations de fourage
, plus de 14000 facs d'avoine , & une quantité
très - grande de grains &de farine .
Il eft parti ce matin du Camp trois brigades
d'Infanterie , fçavoir celle de Picardie , celle de
Boufols & celle de Bettens avec la brigade de
Monnin qui avoit déja paffé l'Efcaut il y a 2 jours ,
four former l'inveftiture d'Oudenarde .
Le détachement de M. du Chayla a paffé ce matin
fur les Ponts du bas Efcaut pour aller maſquer
de l'autre côté de la campagne le Château de Gand
où la garnifon de la Ville eſt toujours renfermée.
L'Artillerie deftinée à l'attaque arriver a ce ſoir.
Au Camp de Boft le 15 .
L'armée des ennemis qui s'ett retirée fous Bruxel.
les eft campée en partie à Zelliek à cheval fur la
chauffée qui conduit de Bruxelles à Gand ayant
devant elle à Afche fur la même chauffée un de
JUILLET. 1745.
169
achement de Huffards , une autre partie dans les
prairies de la Ken & le refte près d'Anderlecht . Ils
ont fait un détachement affés confiderable à Malines
& le Duc de Cumberland eft à Bruxelles .
On fe prépare à l'ouverture de la tranchée de
vant Oudenarde , & il a été ordonné à toute l'In
fanterie de faire des fafcines , des clayes & des
gabions.
L'artillerie qui faifoit partie du détachement
commandé par M. de Lovvendal eft arrivee à
Gand , elle a été miſe en batterie aujourd'hui , &
le commandant du château a déja fait faire des
propofitions à M. de Lovvendal .
Le Roi a donné à M. le Comte de Graville l'Infpection
de Cavalerie vacante par la mort de M,
'Epinay.
Au Camp de Boft le 16.
L'établiffement ayant été fait d'une batterie de
pieces de canon & de 4 mortiers pour battre en
bréche le Château de Gand , le Baron de Kisghen
qui y commandoit a fait arborer le drapeau
blanc hier fur les 5 heures après midi ; la capitula
tion porte que la garnifon confiftant en 70 hom
mes, dont 40 Autrichiens, fera prifonniere de guer
re , qu'ils mettront bas les armes fur l'efplanade &
feront conduits dans telle place qu'il plaira à S. M.
que leurs femmes , enfans & domeftiques fe reti
reront où bon leur femblera fur les paffeports qui
leur feront délivrés , & qu il fera permis aux bour
geois & habitans d'y rentrers ils le jugent à propos.
Après la fignature de la capitulation les troupes du
Roi ont pris poffeffion de la porte du Château.
S. Mà donné à M. le Vicomte du Chayla le
commandement de la Ville & du Château , & le
68 MERCURE DE FRANCE.
•
Corps qu'il commandoit avec les 4 Régimens de
dragons qui étoient aux ordres de M. de Lowendal
à paffé fous les ordres de M. le Prince de Pons ,
à l'exception de la brigade de Crillon qui fait parxie
de la garnifon de Gand.
Cinq cent Anglois de ceux qui étoient àl'affaire
de Méle s'étant d'abord fauvés à Bruges fe font
retirés depuis à Oftende ; l'alarme eft exrême dans
cette derniere Ville , de même qu'à Nieuport où
les payfans des environs commencent à refugier
leurs effets .
Les Deputés des Etats de Brabant , des Pays
d'Aloft , de Leffines & autres lieux circonvoiſins
ſe font rendus hier au quartier général pour traiter
des contributions .
Les troupes destinées à faire le fiége d'Oudenarde
fous les ordres de M. de Low endal fonc
Picardie , Bouzols , Biron , Monnin , Riefback ,
les 2 premiers bataillons de chacun des Régimens
de Bettens , Vitner & Lowendal ; celui de Rithecourt
Artillerie & le Régiment de Cavalerje
de Fitzjames.
Le Roi à tenu ce foir Confeil d'Etat .
Au Camp de Boft le 17.
Les ennemis font actuellement campés entre
Malines & Anvers , à la réſerve d'un Corps de
6000 Hollandois qui étoit refté entre Anderlecht
& Bruxelles & qui eft en marche pour se rendre à
Willeverden. Ils ont fait paffer auffi un Corps de
troupes du côté de Louvain où ils ont envoyé
beaucoup d'équipages.
Le Commandant à l'Eclufe pour la République
de Hollande ayant envoyé un détachement de
Grenadiers Irlandois avec un ingénieur pour faire"
couper
JUILLET 1745. 169
couper les digues qui préfervent de l'inondation ?
une partie des terres que la conquête de Gand à mifes
fous la domination de S. M. les Payfans effrayés
du malheur dont cette entrepriſe les menaçoit
fe font attroupés , & après avoir tué l'ingénieur
fur lequel on a trouvé l'ordre du commandant
Hollandois ont arrêté l'Officier qui commandoit
le détachement & 25 des grenadiers qu'ils ont conduits
à M. du Chayla qui a fait marcher 100 dra- *
gons & un pareil nombre de Graffins pour faire
veiller à la confervation de ces digués.
On doit ouvrir demain la tranchée devant Oudenarde.
Au Camp de Boft le 18.
Les derniers avis de l'armée des ennemis portent
qu'ils font campés entre Wilvoorden & Dighem
ayant devant eux la riviere de Senne & le
canal de Bruxelles .
Le camp des Anglois eft à Stacnokelfie qui eft
environ à une Lieuë de Wilvoorden .
La g rnifon du Château de Gand en eft fortie`
ce matin pour être conduite à Lille .
On ouvre ce foir la tranchée devant Oudenarde ,
c'est M. de Zurlauben Marêchal de camp qui la
monte ayant fous lui M. de Bouzols Brigadier , z
bataillons du Régiment de Picardie & 2 compa
gnies auxiliaires avec 3200 travailleurs.
Au Camp de Boft le 19.
M. le Prince de Pons ayant détaché dans la
muit du 17 au 18 du camp d'Eftelberg qu'occupent
les troupes qu'il commande , 4 compagnies de
H
1
170 MERCURE DEFRANCE.
grenadiers , 4 piquets , 400 Dragons & 150 hom :
mes du Régiment de Graffin fous les ordres de M.
de Souvré Marêchal de camp pour marcher fur
Bruges , les Magiftrats à l'approche de ce détachement
fortyenus lui demander la protection du Roi ,
& ont offert d'ouvrir leurs portes . M. de Souvré
après avoir pris toutes les mefures néceffaires pour
empêcher le défordre eft entré dans la Ville avec
fes troupes.
Ona ouvert la nuit derniére la tranchée devant
Oudenarde ; les ennemis s'étant apperçus que le
travail fe faifoit très -près des ouvrages ont fait un
fort- grand feu , ce qui n'a pas empêché de remplir
l'objet qu'on s'étoit propofé qui étoit de former une
parallele depuis l'inondation près de la porte de
Tournay jufques vers l'inondation près la lunette
fur la capitale du baftion de Sion , Vers les 2 heures
du matin on avoit fait plus de 1500 toifes d'ouvrage&
toutes les communications étoient achevées à
3 heures après midi .
14 Piéces de notre canon ont commencé à tirer
à la pointe dujour , & on a démonté à la premié
re décharge deux de celles des ennemis .
Nous avons ce foir 39 Piécés de canon & 8 mor
tiers en état de tirer.
+2
Quoique le feu des ennemis ait été des plus vifs &
des plus fuivis pendant tout le tenis de l'ouvrage ,
qui a été confidérable , le nombre des bleffés n'eft
cependant que de 74 hommes dont la plus grande
partie le fout fort légérement. lly as hommes de
Lués .
*
JUILLET. 1745. 17
Au Camp de Boft le 20,
On a perfectionné dans la nuit derniere les ou
vrages qui avoient été entrepris dans la nuit précédente
devant Oudenarde & l'on a commencé à ſe
porter en avant de la parallele par fapes , l'une
fur la capitale du baftion de Bruxelles l'autre fur
celle de la lunette revêtue dans le milieu de la
'courtine entre le baftion de Bruxelles & celui de
Sion. Ces 2 fapes ont ét portées fur les faillars des
chemins couverts & feront également comn.uniquées
dans la journée.
Nous avons 7 batteries de 36 piéces de canon
& de 8 mortiers qui tirent depuis hier au foir .
La Garnifon n'a encore fait aucun feu de deffus
les remparts , mais feulement de quelques lunettes
avancées .
Il y a eu pendant la nuit 24 hommes de bleffés ,
M. de Carmois commiffaire d'artillerie a été tué
d'un coup de canon ; c'étoit un Officier d'un grand
mérite qui eft fort regretté.
M. de Marignon Marêchal de camp a relevé
aujourd'hui la tranchée ayant fous fes ordres M. de
la Motte d'Hugues Brigadier , 2 bataillons du
Régiment de Bouzols & 2 compagnies de grena
diers du Régiment de Picardie.
Les ennemis font toujours dans leur même pofition
, ils ont fait renforcer la garnifon d'Anvers &
de Louvain par différens détachemens de leur armée
, & détachent journellement 2400 hommes
pour faire monter la garde dans Bruxelles ; il n'y a
point actuellement de troupes réglées en garnifon
ils font auffi ouvrir des chemins für Wilvoorden &
Louvain ; tous leurs bagages reftent chargés & les
officiers généraux même n'ont dans leur camp que
se qui leur eft néceffaire, Hij
17 MERCURE DE FRANCE.
M. l'Evêque & fon Clergé , & les députés du Ma❤
giftat de Bruges font venus fe remettre fous l'o-
Bciffance de S.M. & la fupplier de vouloir bien leur
accorder la continuation de leurs priviléges.
IM . de Contade s'eft endu aujourd'hui dans
Bruges pour y commander ; il a fous fes ordres la
brigade de Crillon & te Régiment de Septimanie
dragons,
Au Camp de Boft le 21 .
Dans la nuit derniere les 2 fapes qui avoient été
dirigées fur les capitales du baftion de Bruxelles &
de la lunette fur la courtine , entre ce bafțion &
celui de Sion , ont été entiérement communiquées,
& mifes dans leur perfection , Sur le retour du haut
de la fape qui chemine dans la capitale du baftion .
de Bruxelles on a ouvert un débouché par lequel
après avoir formé un crochet pour tenir lieu de traverfe
, on s'eft porté en fape pleine fur le bord de
l'avant - foffé où on a commencé à 3 heures du matin
à jetter des fafcines pour le combler & y faire un
pont.
L'artillerie a augmenté de 4 mortiers les 8 qu'elle
avoit en batterie,
On a commandé ce matin 5o maîtres par efcadron
de toute la Cavalerie de l'armée pour aller
porter des fafcines au dépôt de la tranchée .
que Le feu des ennemis a été beaucoup moins vif
Les nuits précédentes , celui de notre tranchée les
ayant beaucoup inquietés .'
Il n'y a eu pendant toute la journée d'hier & dans
la nuit que 6 hommes de bleffés & un de tué .
C'eft M. de Jumillac Marêchal de camp qui a relevé
aujourd'hui la tranchée ayant fous fes ordres
Hij
JUILLET. 1745. 175
M. de Chambon Brigadier , un bataillon de Bou-
Lols & un de Dierback , & 2 compagnies de grenadiers
auxiliaires du Régiment de Picardie .
Ce matin M. l'Evêque de Bruges a prêté ferment
de fidélité au Roi.
Il est arrivé des députés du Comté de Namur
pour traiter des contributions .
Les Graffins fe font emparés dans Aloft de
15000 rations de bifcuit appartenans aux
nemis .
Au Camp de Boft le 22 .
en-
Le Roi qui a été un peu dégouté depuis 2 ou 3
jours a eu cette nuit une indigestion par dévoiment .
Il a beaucoup évacué , il ne prend aujourd'hui que
de l'eau & du bouillon ; il a fort bon viſage & n'a
point de fiévre .
Le commandant d'Oudenarde à fait arborer le
drapeau blanc hier au foir fur les 6 heures. La garnifon
s'eft rendue prifonniere de guerre & fortira
dimanche matin avec armes & bagages jufqu'à la
barriere , où elle mettra bas les armes pour être
conduite enfuite dans telle place qu'il plaira à S. M.
Tous les magaſins , arfenaux & ce qui fe trouvera appartenant
aux alliés feront remis aux commiffaires
du Roi qui a bien voulu accorder fa protection tant
aux habitans de la Ville que de la Chatellenie . La
porte dite de Tournay a été livrée aujourd'hui aux
troupes de S M fur les 11 heures du matin .
M. de Vernaffal brigadier des armées du Roi &
enfeigne des Gardes du Corps de S M. Compagnie
de Gharoft a été tué hier dans la tranchée.
Le Gouverneur deDamme Officier general aufervice
de la Reine de Hongrie s'étant trouvé dans
Bruges y a été fait prifonnier.
Hij
#74 MERCURE DE FRANCE
L'Evêque de Tournay n'y étant arrivé que le
23 du mois dernier , il alla le même jour rendre fes
refpects au Roi , & le lendemain pendant la Meffe
il prêta ferment de fidelité entre les mains de
Sa Majesté.
Le 25 au matin le Clergé & les Etats du Tourhaifis
allerent au Quartier du Roi rendre leurs
hommages à Sa Majefte , l'Evêque de Tournay
étant à leur tête . Les Officiers du Baillage eu
rent enfuite le même honneur. Ils furent tous
préfentés au Roi qui les reçut dans fa tente ,
le Prince de Tingry & par le Comte d'Argenfon
Miniftre & Sécretaire d'Etat , & ils furent
conduits en la maniere accoûtumée par le Marquis
de Brezé Grand - Maître des Ceremonies .
par
Le 13 , la Reine accompagnée de Madame la
Dauphine & de Mefdames de France entendit
dans la Chapelle du Château de Verfailles le
Te Deum qui fut chanté par la Mufique du Roi ,
en action de graces de la priſe de la Ville de
Gand .
La Ducheffe de Chartres eft accouchée le mêmême
jour d'une Princeffe au Château de fain
Cloud.
ZAS
i.
#
JUILLET. 1745 178
BENEFICES DONNE S NN
Loi & Benoit , Diocèle d'Apt ,
E Roi a accordé l'Abbaye de faint Eufebe
l'Evêque d'Apt ; celle de Montebourg , même
Ordre , Diocèse de Coutances , à l'Evêque de
Troyes ; celle de Ham , Ordre de faint Auguf
tin , Diocèse de Noyon , à l'Evêque de Boulogne ;
celle de Montbenoit , Ordre de Cîteaux , Dio
cèfe de Befançon , à 1 Abbé de Saint Hermine ;
celle de faint Ferme , Ordre de Saint Benoît,
Diocèfe de Bazás , à l'Abbé Defbats de la Peyre ;
celle de Notre - Dame d'Eu , Ordre de faint Au
guftin , Diocèse de Rouen , à l'Abbé Macé , Confeiller
Clerc au Parlement de Paris ; celle de la
Grenetiere , Ordre de faint Benoît , Diocèfe de
Luçon , à l'Abbé de Grille d'Eftoublon , Vicaire
Général de l'Archevêché d'Arles ; celle de Maf
garnier , même Ordre , Diocéfe de Toulouſe , à
l'Abbé de Belfunce , Vicaire Général de l'Evêché
de Marſeille ; celle d'Aurillac , même Ordre
Diocèſe de faint Flour , à l'Abbé de Baral , Vicaire
Général de l'Archevêché de Vienne ; celle de
Nantz , même Ordre , Diocèſe de Vabres , à
l'Abbé de Buffy , Vicaire Général de l'Evêché de
Macon ; celle de Livry , Ordre de faint Auguftin ,
Diocèse de Paris , à l'Abbé de Perigny , Cha
noine Honoraire de l'Eglife Métropolitaine de
cette Ville ; celle de Clairfaix , même Ordre
Diocèfe d'Amiens , à l'Abbé d'Heffelin , Vicaire
Général de l'Archevêché de Sens , & celle des
Alleuds , Ordre de faint Benoît , Diocèfe de Poitiers
, à l'Abbé de Chateauneuf , Vicaire Géné
ral de l'Evêché de Sifteron.
Hiiij
176 MERCURE DEFRANCE
MPROMOTIONS.
A Majefté a donné l'agrément du Régiment
S'd'Auvergne au Comte dé du
du Régiment d'Aunis , & celui de ce dernier Ré,
giment au Marquis de Sivrac .
M. Colbert Capitaine Lieutenant de la Compagnie
des Chevau- Legers de Bretagne , a été
nommé Capitaine Lieutenant de celle des Gendarmes
Anglois , & M. de Lefperoux , Sous-
Lieutenant de la premiere de ces deux Compagnies
, en a été fait Capitaine Lieutenant.
Le Roi ayant écrit à l'Archevêque de Paris ,
pour faire rendre à Dieu de folemnelles actions
de graces , à l'occafion de la prife de la Ville &
de la Citadelle de Tournay , on chanta le 28 du
mois dernier dans l'Eglife Métropolitaine de cette
Ville le Te Deum , auquel l'Archevêque de Paris
officia. Le Chancelier accompagné de plufieurs.
Confeillers d'Etat & Maîtres des Requêtes y affifta ,
ainfi que le Clergé , le Parlement , la Chambre
des Comptes , la Cour des Aides & le Corps de
Ville , qui y avoient été invités de la part de Sa
Majefté par le Marquis de Dreux , Grand-Maî
tre des Cérémonies . 3
Le même jour , l'Hôtel de Ville fut illuminé
dans toute fa façade , & le lendemain on tira un fen
d'artifice dans la Place vis- à-vis de cet Hôtel.
Les RR. Peres Benedictins de la Congrégation
de S. Maur ont tenu au mois de Juin dernier
leur Chapitre Genéral dans l'Abbaye de
Marmoutier lez Tours , fuivant la coutûme . Le
R Pere Dom René Laneau a été unanimement
JUILLET. 1745. 177
élu de nouveau Superieur Général , & c'eft pour
Ja quatrième fois que cette Dignisé lui eft déférée ,
ce qui prouve la fageffe & la douceur de fon Gou
vernement.
Dom Jacques Nicolas Maumouffeau ci- devant fecond
Afliftant du R. P. Général eft devenu premier
Affiftant , & Dom Jofeph Avril , ci-devant Prieur
de faint Denis , fecond Affiftant. Dom Jean Dourdet
Grand Prieur de faint Germain des Près a été
continué , Dom Pierre du Riez , ci- devant premier
Afiftant du R.P. Général , a été élû Prieur de
l'Abbaye de faint Denis , & Dom Jean -Baptiste
Robart continué Prieur du Monaftere des Blancs
Manteaux à Paris .
PRISES DE VAISSEAUX.
E 20 Juin M. Louvel Capitaine de la Galatée
Lde 24 canons , a amené à Breft l'équipage
d'un Corfaire de Gernefey qu'il avoit coulé le 14 ,
le 16 il avoit été attaqué par la grande Bretagne
de 44 canons & 30 pierriers . La vivacité de fa
moufqueterie obligea l'Anglois de fermer fes fabords
, M. Louvel voyant la confternation de
l'ennemi fit aborder ; mais une balle qu'il recût à la
tête lui ôta la parole , ce qui mit fon équipage en
defordre do t'l'Anglois profita pour s'échaper.
On mande de Breft que les Capitaines Rouiller
& Thiercelin , commandans les Corfaires le Mars
& la Blanne , de Nantes , ont conduit dans le
premier de ces deux Ports les Navires Anglois le
Willes , de quatre cent tonneaux & de vingt canons
, & le embrock , de deux cens tonneaux &
de feize canons , qui venoient de Saint Chrifto178
MERCURE DE FRANCE.
phe , chargés de fucre , & le Fanny , fur lequel
il y avoit du bled & de la farine . Les même Ca◄
pitaines fe font emparés du Brigantin le Triton
de cent tonneaux , dont la cargaifon confiftoit en
fucre , & qui eft arrivé à Nantes.
*
"
Le Corfaire le Cerf, de faint Malo , monté par
le Capitaine Fouquet , y eft rentré avec les fix
Vaiffeaux ennemis l'Elizabeth la Bonne Prife
"
P'Helene , le Petit Jofeph , le Neighbourhood & la Ger
trude , & il a rançonné pour cent cinquante livres
fterlings le Navire le Benjamin.
Les Vaiffeaux la Panthere & le Daniel , à bords
defquels on a trouvé de l'huile , des fruits &
d'autres marchandifes , ont été pris par les Cor◄
faires Attrape fi tu peux & le Furet , de Boulogne.
Un autre Corfaire du même Port , nommé le
Basquencourt , & commandé par le Capitaine Colliot
a rançonné deux Bâtimens ennemis pour
cent trente guinées.
›
Monfieur Hocquart , commandant le Vaiffeau
du Roi le Mercure , armé en courſe , à pris le Navire
Anglois le Witheaven Galley , qui venoit de
la Virginie avec une cargaifon d'environ cent
boucaux de tabac.
On mande de faint Malo que la Fregate du
Roi la Talme , montée par M. de la Duz de
Vieuxchant , ya conduit quatre Bateaux de Jerſey.
Le Corfaire la Recapche , de faint Brieux , &
que commande le Capitaine Jean Fleury , s'eft rendu
maître de deux Armateurs de cette même Ifle .
Selon les lettres de Cherbourg , le Corfaire Anglois
le Levrier , de quatre canons , de dix pierriers
& de cinquante-fix hommes d'équipage , y a été
mené par le Capitaine Colliot qui monte le
Vaiffeau le Bacquencourt , de Boulogne.
Celles de Calais marquent que le Vaiffeau la
JUILLET. 1745. 179
*
Petite Fortune s'eft emparé d'un Bâtiment chargé
de thé & d'eau de vie . Elles ajoûtent que le Corfaire
la Ducheffe de Penthievre , commandé parle
Capitaine Gabriel Audibert eft arrivé à Calais
avec quatre mille cinq cent livres sterlings de
rançons.
Le Capitaine la Ruë qui commande le Corfaire
la Dauphine , de Bayonne , à relâché au Port Louis
avec le Navire la Diligence , de Londres , qui rapportoit
de la Caroline du cacao , du fucre , du riz
du bois des Iles , & des pelleteries .
2
NOUVELLES ETRANGERES.
O
PRUSS E.
Na appris de l'armée que les troupes combinées
de la Reine de Hongrie & du Roi
de Pologne Electeur de Saxe ayant repaffé les
Gorges de Landshout , le Lieutenant Général du
Moulin que le Roi a envoyé à leur pourfuite , a
atteint le 6 du mois dernier leur arriere-garde , dont
trois ou quatre cent hommes ont été tués , & qu'il
a enlevé aux ennemis quelques pieces de campagne.
Ces avis ajoûtent que le 7 le Roi s'avança à Gruffau
, d'où fa Majefté fit deux detachemens qui
marcherent l'un à Hirschberg & l'autre à Schimiedberg
, pour y occuper les defilés des montagnes ;
que l'armée ayant debouché le 9 par Friedland &
par Braunau , entra le même jour dans le Cercle
de Konigfgratz en Boheme ; & que le lendemain,
1a Majefté arriva à Braunau où elle établit fon
quartier général. Dans le tems du depart du cou
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
rier par lequel on a été informé de ces nouvelles ,
l'avant-garde des troupes P ruffiennes étoit à Coffelitz
, & le Roi fe difpofoit à s'approcher encore
plus de l'ennemi . Un detachement d'Infanterie &
de Cavalerie de l'armée du Roi eft allé vers la
Neiff , pour obliger les Infurgens de Hongrie de
fe retirer d'Oppelen & de quelques autres poftes .
Sa Majesté a nommé le Lieutenant Général du
Moulin Chevalier de l'Ordre de l'Aigle Noir . Le
Maréchal de Schmettau arriva à Berlin le 13 , & le
bruit court qu'il aura le commandement de l'armé
qui s'affemble près de Magdebourg.
Les troupes du Roi , qui ont eu en paffant les defilés
des montagnes de fréquentes efcarmouches
avec les Pandoures & les Varadins qu'elles ont tou-
-jours repouffés , & aufquels elles ont fait un grand
nombre de prifonniers , camperent le 17 à Domko
, & le lendemain entre Scalitz & Neuſtadt. Le
18 un Corps de fix mille hommes de ces troupes
ayant paffé la Metau , le Prince Charles de Lorraine
quicraignit que le deffein de fa Majesté ne
fût de lui couper la communication avec l'Elbe ,
abandonna le camp de Semonitz pour le rapprocher
de cette riviere . Le Roi alla le 20 reconoître la
nouvelle pofition des ennemis , & ayant vû qu'ils fe
mettoient en bataille , il fit toutes les difpofitions
néceffaires mais dans le tems les attaquer , pour
qu'on fe preparoit à une action , on apprit qu'ils
avoient repaffé l'Elbe , & qu'ils n'avoient laifié
qu'un Corps de troupes de ce côté- ci de la riviere
pour la défenſe de Konigfgratz . Le même jour le
Lieutenant Général du Moulin s'avança avec l'avant-
garde de l'armée de fa Majefté jufqu'à Divetz
, d'où il a envoyé des detachemens à Bukovina
& à Salatina . Toute l'armée a fui i le lendemain
ce Lieutenant Général , & au depart du cou
JUILLET 1745 . 181
rier, qui a apportéces nouvelles , elle marchoit vers
Konigfgratz dont l'on ne doute point que le Roi
ne fe foit rendu maître , cette Ville n'étant défendue
que par une fimple enceinte de murailles . Le
Roi exige de fortes contributions du Royaume de
Boheme , en repréfailles de celles que les troupes de
la Reine de Hongrie ont exigées dans la Silefie ,
particulierement à Schmiedberg & à Hirschberge
dont les habitans ont été obligés de fe racheter du
feu & du pillage par des fommes très confidérables .
Sa Majesté a nominé le Comte Pofadovvsky Chevalier
de l'Ordre de l'Aigle Noir . Le Comte François
de Saint Ignon , Lieutenant Feldt Maréchal
dans les troupes de fa Majefté Hongroiſe , mourut
à Striegau le 19 des bleffures qu'il a reçues à
la bataille de Friedberg .
O
ALLE MANGE.
N mande de Vienne du 13 du mois dernier
que la trifteffe caufée par la victoire du
Roi de Pruffe a été une peu adoucie , par les nouvelles
qu'on a reçues de la Haute - Silefie , d'où l'on
a appris que les Infurgens de Hongrie s'étoient
avancés jufqu'aux fauxbourgs de Neiff , & qu'ils
avoient mis le feu à quelques magafins de bois
que les Pruffiens y avoient établis ; qu'un detachement
de troupes Hongroifes s'étoit emparé de la'
Ville d'Oppelen , qu'il en avoit fait la g rnifont
prifonniere de guerre , & qu'il avoit trouvé dans ce
pofte 14 pieces de canon .
Le 28 le Grand Duc de Tofcane prit la route'
de l'armée commandée par le Feldt- Maréchal
Comte de Traun .
Le7 le Comte de Sintzheim Envoyé Extraordinaire
de l'Electeur de Baviere eut une audience
particuliere de la Reine.
1
182 MERCURE DE FRANCE.
M Robinfon qui réfide à Vienne en la même
qualité de la part du Roi de la Grande- Bretagne
& qui devoit aller à Munich afin de régler avec
les Miniftres de l'Electeur de Baviere les Subfides
que la Reine s'eft engagée de procurerà ce Prince ,
reçu de pleins pouvoirs de S. M. Brit . pour terminer
cette affaire avec le Comte de Sintzheim .
Le refte des équipages du Grand Duc de Tof
cane partit le 10.
a
Suivant les nouvelles d'Ingolftadt , la Reine de
Hongrie ayant enfin confenti que les troupes Heffoifes
, qui étoient retenues en Baviere par fes ordres
, retournaffent dans le Landgraviat de Heffe ,
on a rendu les armes & les drapeaux à ces troupes
& elles ont dû commencer à fe mettre en marche .
On a appris que le 2 le Grand Duc de Tofcanė
étoit arrivé à Wurtzbourg au bruit d'une triple fal
ve de l'artillerie des remparts .
Il paroît à Francfort des copies d'un Mémoire
envoyé par le Roi Très- Crétien à fes Miniftres dans
plufieurs Cours Etrangeres , & ce Mémoire porte
que les Rois de France étant en poffeffion depuis
plufieurs fiécles d'avoir la pincipale part à la
confervation du yftême de l'Union Germanique ,
les Princes Ligués pour la défenfe de ce fyftême
ont eu recours à Sa Majefté Très- Chrétienne , afin
de s'oppofer aux efforts que font la Reine de Hongrie
& fes Alliés pour renverfer les Conftitutions
de l'Empire ; que les deffeins reprochés à cette
Princeffe font démontrés par toute fa conduite
& par les conditions qu'elle vient d'impofer à l'Electeur
de Baviere ; que lorfque l'amour du feu Empereur
pour fa Patrie le porta à facrifier à la Pacification
de l'Allemagne fes Droits fur la fucceffion
de Charles VI , la Cour de Vienne en rejettang
JUILLET 1745
Tes propofitions avec hauteur , a fait connoître
bien clairement qu'elle étoit animée par un autre
objet que celui qu'elle avoit fait fervir de pré--
texte à la guerre ; que ce qui s'eft paffé à la mort de
l'Empereur a achevé de manifefter le deffein invariable
qu'a la Reine de Hongrie de forcer l'Empire
à rendre la Couronne Impériale héreditaire
dans la Ligne Feminine de la Maifon d'Autriche ,
& de faire fervir , comme ont fait fes Ancêtres , le
Corps Germanique d'inftrument à fon ambition ;
que la Cour de Vienne a abufé de la foibleffe de
l'âge de l'Electeur de Baviere , pour le faire renon◄
cer à fes Droits & à ceux de fa Maiſon , & pour
lui arracher contre les Conftitutions fondamentales
de l'Empire fon fuffrage Electoral en faveur du
Grand Duc de Tofcane ; qu'elle met actuellement
tout en ufage pour obliger les Cercles de l'Empire
les plus voisins du lieu de la Diette d'Elec
tion , à une Affociation , dont le prétexte eft d'éloigner
les troupes étrangeres , & le véritable but ,
d'écarter tout obftacle au joug fous lequel elle veur
réduire l'Allemagne ; que c'eft dans la même vûë
qu'au mépris des Loix Germaniques & de fon der
nier Traité avec l'Electeur de Baviere , elle entre◄
prend à main armée de contraindre les troupes Pa◄
latines & Heffoifes de contribuer à fes projets
que ce qui eft d'une conféquence bien plus dange
reufe encore contre la liberté de l'Allemagne, c'eft
la collufion du Premier Electeur de l'Empire avec
la Cour de Vienne fur l'Election future d'un Empereur
; que les lettres interceptées du Miniftre qui
réfide à Francfort de la part du Roi de la Grande
Bretagne commeElecteur deHanover, en ont fourni
une des preuves les plus authentiques , en décou
vrant la Convention faite par l'Electeur de Mayen
ce de livrerfa Capitale aux troupes de la Reine de
184 MERCURE DE FRANCE.
Hongrie, de leur procurer le paffage du Rhin , & de
transferer la Diette d'Election à Erfurt , ou dans
quelque autre endroit felon la volonté de cette
Princeffe ; que comme les violences de la Reine
de Hongrie pour proc rer au Grand Duc de Tofcane
les fuffrages des Electeurs , ne font que fe
multiplier à l'approche de la Diette d'Election
le RoiTrès-Chrétien eft obligé de redoubler ſes efforts
pour maintenir les Conftitutions de l'Empire
; que Sa Majesté renouvelle l'affurance qu'elle
a déja donnée de ne vouloir gêner en rien la liberté
de l'Election , mais qu'elle protegera de toutes fes
forces les Droits du Corps Germanique , & qu'elle
ne négligera rien pour défendre fes Alliés , pour
prévenir les malheurs qui peuvent réſulter d'une
Election forcée , & pour foutenir le Traité de
Weftphalie , dont l'exécution intéreffe à la fois
toute l'Allemagne , & la France en qualité de Garante
de ce Traité .
會
L'armée commandée par le Feldt- Maréchal de
Traun après avoir paffé le Mein à Vvertheim & à
Lohr , ayant dirigé fa marche par la droite de la
Forêt de Speffart pour fe porter fur la Kintz , la
premiere colonne arriva lez 3 du mois dernier à Orba
fous les ordres du Prince de Birkenfeldt . Elle fut
fuivie le 24 par la feconde colonne , & le 25 par le
refte de l'armée. Le Feldt- Maréchal de Bathiany ,
qui après avoir quitté les bords de la Lohne s'étoit
avancé à Laubach avec les troupes qu'il commande
, a pris la route de Nidda & d'Ortembourg ,
d'où il a marché à Gelnhaufen , afin de s'appro
cher de la Kintz conformément au projet concerté
avec le Feldt- Maréchal de Traun . Tout ce dont
ces deux Généraux étoient convenus , a été exécuté
de part & d'autre avec tant d'exactitude , que la
premiere colonne de chacune de leurs armées s'eft
JUILLFT 1.745. 185
rendue en même tems fur le bord de cette riviere .
La jonction de ces deux colonnes s'eft faite à Vvefterbach
, où le Comte d'Ifembourg fait fa réfidence
,& le Feldt Maréchal de Traun y a établi fon
quartier. Les autres troupes dont les deux armées
font compofées continuent leur marche pour
achever de fe réunir , Des détachemens de Huffards
& des troupes irrégulieres fe font déja répandus
dans les Villages du Comté du Hanau , qui fone
fur la droite du Mein , particulierement à Anheim,
à Keftadt , à Dornicheim & à Hollerborn . Le
Prince de Conty a raffemblé à Stenheim la plus
grande partie de l'armée Françoife qu'il commande
, & afin d'affûrer la gauche du Mein depuis Hanau
jufqu'au Rhin , il a envoyé fix mille hommes à
Offenbach. Deux Régimens de Cavalerie de la
même armée font allés renforcer le Corps de troupes
qui eft à Hoechft aux ordres du Marquis de la
"Farre.
*. On mande de Hambourg , que dans la conféren
ce que le Lord Hindford Ambaffadeur du Roi de la
Grande Bretagne , M. de Dieu , Ambafladeur
de la République d'Hollande , & M. de Petzold
,Miniftre Plenipotentiaire du Roi de Pologne
Electeur de Saxe , eurent le fix avec le Comte de
Befuchef , Chancelier de Ruffie , & le Comte de
Woronzoff , Vice- Chancelier , ces derniers leur
déclarerent que l'Impératrice étant dans la refolution
de ne point augmenter le nombre de fes engagemens
, ne pouvoit acceder au Traité conclu
par ces Puiffances avec la Reine de Hongrie , mais
que dans toutes les autres occafions elle ne négligeroit
rien pour conferver avec elles une parfaite
intelligence. On affûre que les articles du Traité
d'Alliance propofé a fa Majefté Impérialé par le
Roi de Suede font entierement réglés. Le Baron
186 MERCURE DE FRANCE.
de Cederncreutz , Ambaſſadeur Extraordinaire de
fa Majefté Suedoife , & qui a été chargé de cette
négociation , a reçu de magnifiques préfens de
I'Impératrice, par laquelle il a été invité à ne partir
de Petersbourg , pour retourner à StocKolm , qu'après
la célebration du mariage du grand Duc de
Ruffie. Après le départ de ce Miniftre le Comte de
Borck prendra la qualité d'Envoyé du Roi de Suede
en cette Cour.On eft à préfent certain que les troupes,
qui ont reçu ordre de fe tenir prêtes à marcher,
ne font destinées qu'à former un camp dans les
environs de cette Capitale . Sa Majefté Impériale
a ordonné de défraier à fes dépens les D. putés
envoyés par les Valaques qui fe font établis depuis
quelques années en Ukraine.
Les nouvelles de Stockholm portent que le Mar4
quis de Lanmary a informé le Roi de Suede des
ordres donnés aux Armateurs François par Sa Majefté
Très-Chrétienne , de ne point troubler la na❤
vigation des Vaiffeaux Suedois.
Selon les lettres écrites de Vienne , le Comte de
Kevenhuller, nommé premier Ambaffadeur de la
Reine de Hongrie à la Diette qui doit fe tenir pour
l'Election d'un Empereur, exécutera plufieurs com
miffions dans diverfes Cours d'Allemagne , avan
que de fe rendré à Francfort.
NAPLE S.
ECorps de troupes Napolitaines , qui étoit
de Viterbe , ayant été joint par les renforts qu'il
attendoit du Royaume de Naples , s'eft remis en
marche pour fe rendre à Orbitello par Montalte &
par Monte Fiafcone , & il n'a laiffé à Viterbe que
Les malades & huit cens hommes de Cavalerie,
JUILLET 1745 . 189
foute l'artillerie , que le Roi des Deux Siciles en
voye à l'armée commandée par le Duc de Modene ,
eft arrivée à Orbitello , d'où elle fera tranfportée
par mer fur les côtes de l'Etat de Genes.
Il arrive tous les jours à Naples des foldats de
recrues des diverfes Provinces du Royaume , &
on les envoye fucceflivement aux Régimens ,
pour lefquels ils font deftinés . Le Roi des deux
Siciles a promis divers avantages , entr'autres l'e
xemption de plufieurs taxes aux particuliers qui
fourniront des Navires pour le tranfport des munitions
que les troupes Efpagnoles & Napolitai
nes tireront de fes Etats .
Le Grand Duc ayant confenti que les troupes
combinées d'Efpagne & de Naples traverfaffent la
Tofcane à condition qu'elles marchaffent en quad
tre divifions , & qu'elles priffent leur route par
Aquapendente & par Caftel Fiorentino , pour al
ler paffer la riviere d'Arne à Funecchio , le Confeil
de Régence en a fait donner part au Marquis de
Silva , Conful d'Efpagne , qui a depêché ſur le
champ un courier au Duc de Modene pour en
informer ce Prince . On a appris que deux mille
hommes de troupes Napolitaines , qui avoient ef
corté l'artillerie que le Roi des deux Siciles en◄
voye à l'armée commandée par le Duc de Modene
, s'étoient embarqués à Orbitello fur plufieurs
Tartanes , pour aller joindre cette armée
dans l'Etat de Genes , mais qu'ils avoient relaché
à Piombino , pour éviter la rencontre de quelques
Vaiffeaux de guerre Anglois , qui croifoient fur la
côte. Le Comte de Schulembourg , qui commande
à préfent l'armée de la Reine de Hongrie , a fait
revenir à cette armée les troupes , aufquelles le
Prince de LobKovvitz avoit donné ordre de fa
188 MERCURE DE FRANCE.
rendre dans le Pavefan . Suivant les avis reçus de
Naples , le Roi des deux Siciles , auffitôt qu'il a
été informé de l'éclatante victoire remportée à
Fontenoy par le Roi de France , a fait chanter
en action de graces de cette Victoire le Te Deum
au bruit de plufieurs falves d'artillerie , & ce Prince
voulant marquer tout l'intérêt qu'il prend au fuccès
des armes & à la gloire de Sa Majefté Très-
Chrétienne,il y a eu pendant trois jours confécutifs
non-feulement fête à la Cour , mais encore des
illuminations dans toute la Ville , lefquelles ont
été accompagnées des plus grandes démonftrations
de joye de la part des habitans.
Les lettres de Rome marquent que le Pape y étoit
de retour de Caftel Gandolfe depuis le 15 du mois
dernier ; le 17 l'Archevêque de Bourges , Ambaffadeur
de Sa Majefté Très- Chrétienne auprès de Sa
Sainteté, y étoit arrivé , & que l'Abbé de Canillac
avoit donné le 20 la fête magnifique qu'il avoit
fait préparer à l'occafion du mariage de Monfei
gneur le Dauphin , & qui avoit été différée à caufe
de l'abſence du Pape.
HOLLANDE ET PAYS - BAS.
Na appris de la Haye le 30 du mois dernier
que le Baron de Reiſchach , Envoyé Extraordinaire
de la Reine de Hongrie , ayant
donné part aux Etats Généraux de la réfolution
prife par le Grand Duc de Tofcane de fe
mettre à la tête de l'armée que la Reine deHongrie
a du côté du Mein , & que ce Miniftre ayant requis
les Etats Géneraux de donner ordre que les troupes
Hollandoifes , qui font dans cette armée obéiffent
à ce Prince , les Etats Géneraux ont répondu qu'ils
fe conformeroient aux defirs du Grand Duc . Le 29,
le Comte de Podewils , Envoyé du Roi de Prufſe,
JUILLET 1745 . 189
remit à M. d'Utzenhoven , Préfident de l'Affemblée
, un Mémoire par lequel il prend congé des
Etats Généraux , & il a dû partir le 30 pour
retourner à Berlin . Il est remplacé par M. Am.
mon qui prefentera fes Lettres de créance , mai
qui n'aura que la qualité de Réfident de Sa Majefté
Pruffienne. Les Etats Généraux reçurent le 19 un
courier , par lequel le Géneral Smiffaat , comman
dant les troupes Hollandoifes de l'armée qui eft
fous les ordres du Feldt- Maréchal de Bathiany
leur mande que cette armée a joint à Wechterbach
celle que commande le Feldt Maréchal
Traun . Le Chevalier Offorio , Ministre du Roi
de Sardaigne auprès de fa Majefté Britannique , a
paffé par la Haye, en allant à Hanover .
On mande de Bruxelles dux de ce mois que fur
l'avis de la marche de l'armée Françoiſe , le Duc
de Cumberland a jugé à propos d'abandonner le
camp de Leffires . Pour mettre la riviere de Dendre
entre les troupes d s Alliés & celle des ennemis
, il est allé fe pofter fous Grammont , d'où il
a envoyé à Bruxelles tous les gros équipages de
l'armée. Un convoi d'armes & de munitions de
guerre eft parti d'Oftende pour aller la joindre, fous
l'escorte de douze cent hommes commandés par le
Major General Bland,
On écrit de Gand que les ordres des Etats
Géneraux y font arrivés pour la répartition
des troupes qui ont compofé la garnifon de
Tournay pendant le fiege ; que les Regimens
d'Infanterie de Hirzel , du Tertre , de Mac
kay , de Patot , d'Eck , de Panthaleon & de
Villattes iront en Hollande ; celui de Brackel
dans la Province de Gueldre , celui de Protorius
en Zelande , celui de Holftein Gottorp en
Frife , & les trois efcadrons du regiment de Schulz
Van Hagen à Groningue,
190 MERCURE DE FRANCE,
L
GENES.
1
Es troupes que commande le Duc de Modéne,
ne devoient fe remettre en marche que le 10
du mois dernier mais fur l'avis d'un mouvement fait
du côté de Tortone par celles de la Reine de Hongrie
ce Prince les fit avancer le 7 dans la vallée
de Polfevera, où elles font campées depuis Bolfaneto
jufqu'au pied de la montagne de la Bochetta .
Elles ont eu des vivres en abondance par les précautions
qu'on avoit prifes , & elles obfervent une
très-exacte difcipline.Le 12 le Duc de Modéne alla
faire la revûe génerale de ces troupes , & il fe
rendit enfuite avec le Comte de Gages fur la montagne
de la Bochetta pour en reconnoître les environs
. Les Lettres de Genes du 21 portoient que
l'armée du Duc de Modene étoit toujours campée
dans la vallée de Pólfevera , depuis Bolfaneto jufqu'à
Campo-Morone , & qu'il n'avoit fait paffer
la montagne de la Bochetta qu'à huit cent tant Huffards
que Miquelets qui fe font avances jufqu'à
Novi .
L'Infant Don Philippe étant arrivé le 8 dų
mois dernier à Albenga , le Sénat y a envoyé fix
Députés pour le complimenter de la part de la République.
Le Maréchal de Maillebois eft réfté à
Oneille , & il y eft occupé à faire défiler les trou
pes Françoifes , qui à mesure que les troupes Ef
pagnols , commandées par l'Infant , s'avancent
vers ce Pays- ci , les remplacent dans les differens
poftes. L'Infant étant parti le 23 d'Albenga fe
rendit le même jour à Final , & de- là à Savonne ,
où il trouva le Maréchal de Maillebois . Ce Prince
enfin réduit à l'obéiff nce toute la partie de la
yallée d'Oneille , qui jufqu'à préfent avoit refafe
JUILLET 1745. TOT
de fe foumettre , ayant fait marcher un détachement
qui s'eft emparé des hauteurs , & quia coupé
le chemin au fecours que le Roi de Sardaigne enyoyoit
aux habitans Cinq mille hommes d'Infan
terie de l'armée que commande ce Prince , out
été détachés pour aller renforcer celle qui eft fous
les ordres du Duc de Modene , de laquelle ils ne
font qu'à une très- petite diftance. Le 21 & le.
22 il avoit paffé vers la tête du pont de Cornigliano
deux mille hommes de Cavalerie de cette
derniere armée , qui ont été camper entre Bolfaneto
& Campo-Morone , à la place des troupes
que le Duc de Modéne a détachées du côté de la
montagne de la Bochet a . Ce Prince a fait avancer
un Corps d'Infanterie & de Miquelets à Vol
tage , où les Efpagnols condu fent avec toute la
diligence poffible leur artillerie & leurs munitions.
de guerre. Les troupes de la Reine de Hongrie
compofées d'environ dix- huit mille hommes depuis
qu'elles ont été jointes par les Régimens de
Montferrat , dé Schulembourg , de Chablais , de
Tarentaife , de Cafal , de Savoye & Royal Piémont
de celles du Roi de Sardaigne , fe font
avancées à Rivalte , qui eft en-deçà de Tortone,
& prefque aux portes de Novi , & ont étendu
Teur camp jufqu'à Seravalle & à Garofo. Elles
raffemblent avec foin tous les fourages , afin d'y
mettre le feu en cas qu'elles foient obligées de fe
retirer , & non feulement elles ne pay nt qu'en
billets les vivres qu'elles obligent les habitans de
fournir , mais elles exigent encore de fortes contributions.
Les vaiffeaux de guerre Anglois qui croifent
dans ces parages depuis San Remo juſqu'ici , rangent
continuellement la côte , & tirent , mais fans
effet , un grand nombre de coups de canon fur tout
1
191 MERCURE DE FRANCE.
ce qui paffe au bord de la mer. Le 6 de Juin trois
Vaiffeaux fe préfenterent avec deux brulots & deux
galiotes devant ce Port , dont on refufa l'entrée
aux brulots & aux galiotes , avec menace de les
couler à fond , s'ils s'avançoient fous le canon de
la place . Malgré toute la vigilance des Anglois
il est entré dans le Port de Savone cinq Bâtimens
Catalans , chargés d'artillerie & de munitions de
guerre , du nombre de ceux qui étoient à Villefranche
, d'où l'on mande que l'Efcadre de M. de
Lage qui y étoit auffi bloquée par plufieurs vaiffeaux
du Roi de la Grande Bretagne , avoit trouvé
le moyen de fortir & de retourner à la rade de'
Toulon Enfin les deux Efcadres Angloifes qui
croifoient du côté d'Albenza & de Porto-Fino
s'en font éloignées , & le 6 il parut à la hauteur
de cette Ville quatorze vaiffeaux de ces Efcadres,
aux operations defquelles les calmes qui régnent
dans cette faifon mettent de grands obstacles.
Quelques-uns de ces Vaiffeaux ont donné la chaffe
à fix barques Napolitaines , fur lefquelles il y avoit
de l'artillerie , mais elles ont eu le bonheur de leur
échapper & de gagner Porto-Fino , où l'on a envoyé
un détachement de 400 hommes avec des'
canonniers , pour les mettre à l'abri de toute infulte
. Une Efcadre de la même Nation a paru
vers les trois derniers jours du mois de Juin à la
hauteur de Vil efranche . L'équipage d'un navire
Genois venu de Port Mahon en trois jours a
rapporté qu'il y avoit laiffé fix vaiffeaux de guerre,.
& que le Vice- Amiral Ravvley étoit à Gibraltar
avec l'Efcadre qu'il commande.
GRANDE
JUILLET 1745. 193
GRANDE BRETAGNE.
Na appris de Londres que l'Amiral Thovvn
shend ne fera voile de Spithead qu'avec les
vaiſſeaux le Fortland & le Nox , mais qu'il doit être
joint à Gibraltar par fix autres vaiffeaux de guerre,
avec lefquels il fe rendra en Amerique , d'où on
a reçu avis que l'Efcadre Françoife , commandée
par le Chevalier de Caylus y étoit arrivée , &
qu elle y feroit renforcée inceffamment par plu
fieurs vaiffeaux de guerre Franço s & Efpagnols..
La crainte qu'on y a de quelque entrepriſe de
cette Efcadre contre les les Angloifes , a engagé
plufieurs habitans de ces Ifles à faire affûrer.
leurs plantations , les uns pour fix mois & les autres
pour un an à raifon de quatre pour cent
par mois. Les vaiffeaux de guerre François qui
mouilloient à la Martinique dans le tems que le
vaiffeau le Merrymark eft parti de la Barbade
étoient l'Esperance , de foixante-quatorze canons
& de fix cent cinquante hommes d'équipage ; le
Northumberland , de foixante - dix canons &
de fix cent hommes , le Trident & le eri ux
chacun de foixante canons & de cinq cent cinquante
hommes ; le Limant , de cinquante - fix
canons & de cinq cent hommes ; l'Aˇuilon ,
quarante- quatre canons & de quatre cent hommes;
deux au res vaiffeaux de trente canons ; un brulot &
une galiotte à bombes . L'équipage d'un vaiffeau,
qui eft entré depuis peu dans le Port de Portf
mouth a rapporté qu'il avoit laiffé devant le Cap
Breton les vaiffeaux de guerre que commande le
Chef d'Ffcadre Warren & qu'il y avoit à bord
de ces vaiffeaux quelques troupes de débarquement.
La chalouppe de guerre le Médiateur , dont ag
9
de
154 MERCURE DE FRANCE.
Armateur François s'étoit emparé , a été repriſe
par le vaifleau de guerre l'affistance. Les Corfaires
le Swift & le Renard ont conduit aux Dunes un
navire François qui alloit de la Rochelle à Dun
kerque. On a reçu d'un autre côté la fâcheuſe nouvelle
que les François s'étoient rendus maîtres
du vaiffeau de guerre e Blandfort entre Liſbonne
& Gibraltar. Les Commiffaires ont envoyé ordre
que plufieurs vaiffeaux de guerre ſe tinffent
prêts à fortir du Port de Spithead , & qu'on approvifionnât
à Portſmouth le vaiffeau de guerre le
Nevvcaftle de cinquante canons . On travaille par
ordre du Gouvernement à réparer avec toute la
diligence poffible le Port de Lyne dans le Comté
de Dorfet. Une grande quantité de poudre tirée
du magafin de Greenwich fut embarquée le 19
à Gravefend pour la Flandre , d'où l'on mande
qu'un parti du Régiment François de Graffin avoit
fait prifonniers treize des Officiers , qui ont conduit
le dernier détachement des Gardes Angloi
fes , aufquels on a fait paffer la mer . Il a été réfolu
d'augmenter de deux compagnies chacun des
Régimens d'Infanterie qui font dans les Pays-Bas ,
& de faire auffi une augmentation dans la Cavalerie.
Les Actions de la Compagnie de la mer du
Sud font à neuf çent neuf ; celles de la Banque à
cent quarante-fix trois quarts ; celles de la Compagnie
des Indes Orientales à cent quatre-vingt-
Ax , & les Annuités à cent onze,
JUILLET 1745. 125
U
AVIS.
Ne perfonne pieufe & diftinguée ayant vù les
exercices de la Penfion d'Alfort à Charencon
lefquels confiftent en ce qu'outre l'étude du Latin ,
on y cultive habituellement le calcul pour le Commerce
& pour la Géometrie , l'Ecriture , le Dellein ,
la Géographie & l'Hiftoire , la Mufique & la Danſe.
Elle a jugé tous ces exercices fort convenables à
de jeunes gentilshommes. C'eft pourquoi elle a
pris des arrangemens avec cette maiſon , pour y
entretenir durant fept années fix enfans d'extracrion
noble , pris à l'âge de quatre , cinq & fix ans ,
& pour leur y procurer les maîtres , les livres , papier
, plumes , crayons , le lit , le blanchiffage , la
feu , la lumiere &c. de façon néanmoins que les
Parens feront chargés de l'habillement & de donder
cent cinquante livres tous les ans payables à
l'ordinaire par quartier.
Au refte la perfonne dont il s'agit ne voulant
ren douner à la faveur , & ne voulant pas même
fe faire connoître , entend qu'on reçoive ces fix
fujets fans aucune recommandation , ainfi les
premiers venus feront admis par préférence . Il fuffira
qu'il apportent leur extrait baptiftaire pour
certifier leur âge & leur qualité.
Ceux qui voudront avoir d'autres inftructions
fur ce fujet & s'affûrer d'une place , pourront écrire
pour cela aux maitres de la Penfion d'Alfort à
Charenton près Paris.
196 MERCURE DE FRANCE,
ARRESTS NOTABLES.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , qui pera
met aux négocians de la Ville de l'Orient d'embarquer
par le port de ladite ville les to.les appellées Breta
gnes , du 10 Octobre 1744:
DECLARATION du Roi , concernant l'hérédité
des Offices de Subftituts des i rocureurs du Roides Siéges
& Jurifdictions royales , des Jures vendeurs prifeurs
de meubles , des arpenteurs royaux , Donnee a Verfailles
le 12 Janvier 1745 , Regifirée en l'arlement.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , du
23
Mars I7745. portant interdtition contre les Notaires
Procureurs Hnilliers des Jurifdictions royales , qui
font en retard depayer la finance de l'hérédité de leurs
offices ,conformémenà la déclaration du Roi du 3 Dé
sembre 1743 ,
AUTRE de la Chambre des Comptes , qui ordondonne
l'exécution de la déclaration du Roi du 19 Mars
1712 , concernant les délais accordes aux Comptables
pourfaire décharger les débets de fouffrances & de fir
malités fur leurs comptes , du premier Avril 174
AUTRE du Confeil d'état du Roi , qui modere à
trois livres 6 fols 6 deniers du cent pefant , les droits
d'entree des cing groffes fermesfur les fils retors bis
bis blanks , provenans des fabriques de la Flandre
Françoise ; 5 ordonne que its memes fils venant de l'étrans
r acquitteront les drois d'entrée à raison de dix
livres du cent pefant , a l'exception de ceux desfabri
ques de Hollande, qui ne payeront que les droits defept
livres du cent fefant , fixespar le Tarifde 1664 , d
Avri 1745.
品
AUTRE du Confeil d'Etat du Roi , qui autorife
JUILLET. 1745. 197
les fix Cors des Marchands & let Comm (naut´s d'arts
me ers , a , aire leurform fien entre les mains dufieur
Hugueni de réunir, chacun en droitfait , les offices d'Inf
pecteurs & Contrôleurs crées par l'edi : du mois de Février
1745 moyennant le pay mont de la finance prin
cipale à laque le lefdits offices on éé fi és par le rôle
arreté a Confeil le 6 Avril ; & qui fr ferit la forme 5
les tem des payemens , du 6 Avril 17 So
>
AUTRE du Confil d'Etat du Roifervant de
réglement pour empêcher l'abus dans l'exemption des
droits des cinq groffes fermes , accordée fur les vivres ,
vins caux de vie autres boiſſons fervans à l'avi-,
taillement des vaiff aux armés en course , ainfi quefur
les munitions de guerre 5 uflenciles néceffaires pour
lefdit armemens : 5 afujerit aux droits tous avitaillemen:
5 équipemens de Navires pour quelques defti
tinations que ce puiffe etre , autres que les armemens en
courfe 5les genres de commerce qui ont été exemptés des
droits par les réglemens qui leur font propres , Du 6
Avril 1745.
OR DONNACE du Roi pour la formation de
Sept régimens de Grenadiers Royaux , du 10 Avril'
1745.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , & Lettres Pa
tentes fur icelui , données à Versailles le 13 Avril
1745 , portant réglement pour la régie perception
des droits de trois livres 5 quarante cinqfols par char
roi , fixés par l'ordonnance àfept livres par muid mefu-,
re de Paris , fur les vins du crû desvignobles des villes
, bourgs & paroiffes comprises dans les buit lieres des
environs des Rivieres de Seine , Eure , Iton , Oife , Andelle
du terrein , qui feront transportés dans le provin➡
ses de Normandie , du Perche de Picardie & autres
›
I iij
#98 MERCURE DE FRANCE.
lieux territoires étant au de là defdites rivière ‹ , ou
pour ypaffer debout , Régiftrées en la Cour des Aides.
DECLARATION du Roi , concernant la
nomination aux Cures & Benifices à charge d'ames ,
qui font requispar des gradués dans le mois de Janvier
de Juillet , appellés les mois de rigueur , donnée à
Versailles le 27 Avril 1745 , régiſtrée en Parlement.
OUIS , par la grace de Dieu , Roi de France
LOUIS, la de RouterFrance
fidérations à ce nous mouvantes , de l'avis de notre
confeil & de notre certaine fcience , pleine
puiffance & autorité Royale , nous avons par ces
préfentes fignées de notre main , dit , déclaré &
ordonné , difons , déclarons & ordonnons , voulons
& nous plaît , que lorfqu'il s'agira de pourvoir
aux cures & autres bénéfices à charge d'ames
les Patrons qui ont la préfentation à ces bénéfices ,
& les collateurs à qui la difpofition en appartient
ayent , même dans les mois de Janvier & de Juillet
, qui font appellés les mois de rigueur , la liberté
du choix entre les gradués dûement qualifiés
qui auront obtenu des lettres de nomination fur
lefdits collateurs ,. & qui les auront fait infinuer
dans le tems & dans les formes ordinaires , & de
préferer celui d'entre ces gradués qu'ils jugeront le
plus digne par les qualités perfonnelles , par fes
talens & par la bonne conduite , de remplir lefdites
cures ou autres bénéfices à charge d'ames, encore
qu'ils fe trouvent en concurrence avec des gradués
plus anciens ou plus privilégiés , le tout fuivant
ce qui a lieu dans le mois d'Avril & d'Octobre :
enforte que dorénavant les mois de Janvier & de
JUILLET. 1745 . 199HEQUE
Juillet foient réputés mois de faveur entre fefd
gradu's nommés , à l'égard des eures ou des aut
LYON
benefices aufquels le foin des ames eft attaché ,
893
fans que lefdits patrons & collateurs foient obliges
dans lefdits mois d'avoir aucun égard aux requifitions
des gradués fimples , quoiqu'ils leur euffent
fait notifier leurs lettres de degrés & leur certificat
de tems d'étude . Voulons que la difpofition des
prefentes foit inviolablement obfervée à l'avenir
dans notre royaume , à compter du jour de la publication
qui en aura été faite ; à l'effet de quoi
nous avons dérogé & dérogeons , en tant que de befoin
, à toutes les loix , ordonnances , reglemens
& priviléges à ce contraires. Si donnons
& c.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , qui caffe
une fentence de l'hôtel de ville de Paris du 14 Août
1744 , & qui ordonné l'exécution des réglemens rendus
fur laperception des droits fur le Bois ; & en con-
Sequence , que la voie de bois de cotrets d'Orléans demeurera
fixée à foixante -quinze defdits cotrets ; fur laquellefixation
les marchands defaits bois feront tenus de
payer les droits › à peine de mille livres d'amende
du 27 Avril 1745:
DECLARATION DU ROI , qui ordonne
une augmentationfur chaque Minot de fel qui
fe diftribue aux officiers qui jouiſſent du droit de franc-
Sale , donnée à Verfailles le 27 Avril 1745 , régifirée en
la Cour des Aides.
ARRES Tdu Confeil d'Etat du Roi , qui ordenwe
que les denrées marchandifes qui compoferont la
cargaison des navires François repris fur les Anglois
conduits directement dans les ports du royaumefans
I iïïj
200 MERCURE DE FRANCE
avoir touché à aucun port étranger , ne ferontpointfuż
jettes au réglement de 7 août 744, 5 qu'elles acquit
teront les m . mes droits qu'elles auroient acuités dans
lefdits pris fi lefdits navires y fuffent arrivésfans.
avoir été pris par les Anglois , Du 4 Mai 1745 .
+
AUTRE & Confeil d'Etat du Roi , qui fixe
à trois livres du c´nt pefant les droits d'entre fur les
moyens petits Cous de fer , 5 à trentefols
fur les gros dont le millir en nombre fera du poids de
deux cent cinquante livres poids de mare 5 au - deffus,
provenans des abriques étrangeres ; & à deux fois auf
du cent pefant fur les Clors defer de toute ef ece , provenans
de la manufacture établie près de Valenciennes ,
en just fant par des certificats des intereffes en ladite
manuj E 81 E comme les Clous enproviendront , du
Mai 1745
>
4
AUTRE du Confel d'Etat du Roi , qui ordonne
que les gages , augmentations de gages , taxations 5 autres
droits émolumens échûs & à échoirs , des Officiers
dénommés dans les édits du mois de Fevrier 1745 , S
compris dans les rôles arrêtés au Confeil en vertu def
dits édits , même ceux fur lefquels ilfe trouze d´s faifies
, oppofitions on autres empechemans , feront payés
par les Payeurs defdits gages , à la d charge defdits
Officiers , à Maurice Charore chargé du recouvrement
des finances a payer far lefdits Officiers , du 14 Mai
1745.
AUTRE du Confeil d'Etat du Roi , qui regle
la mariere dont les Officiers des Elections , des greniers
a fel , des Eaux & Forets , les Inspecteurs & Con
trôleurs des maitres & gardes dans les corps des Marchands
& dans les Communautés d'arts 5 metiers, psyc
ront les fommes pour lesquelles ils fent employés dans
JUILLET. 1745 . 201
les rôles arrêtés au Confeil en éxécution des édits du
mois de février 1745 , du 15 Mai 1745.
REGLEMENT en interpretation de celui du 4
Juillet 1732 , par rapport aux Capitaineries Gardes-
Côtes de S. Nazaire & de Monthoir , du 15 Mai
1745.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , pertant.
réglement pour la regie du domaine de Châteauroux
du 15 Mai 1745 •
:
ARREST du Confeil a'Etat du Roi , portant.
réglement tarif pour la perception des droits d'entrée
des cing groffes fermes fur les Verres à boire, Gobelets
Taffes . Coupes , Soucoupes , Plats , Pots , Aiguieres ,
Huiliers autres ouvrages de verre provenant des verreries
d'Alface 5 Franche comté , du 15 Mai 1745. ←
ORDONNANCE du Roi , pour augmenter
dedeux cent hommes à cheval le Regiment d'Arquebufers
de Graffin , 5 y faire quelques autres augmentations
, du 20 Mai 1745 .
ORDONNANCE du Roi , fur ce qui doit
être obf rvé ar les Capitaines , Maitres on Patrons
des batimens mar bands , lorsqu'ils trouveront des
vaiffears 5 autres bâtimens du Roi mouillés dans
les rades ports , it du Royaume cu des Pays étran
gers , du 25 Mai 1745 .
IP
202 MERCURE DE FRANCE.
ORDONNANCE de M. l'Intendant de la
Généralité de Paris , pour prévenir la communication
les progres de la maladie de la Morve parmi les
Chevaux, du 8 Juin 1745. De par le Roi . Louis-Jean
Bertier de Sauvigny , Chevalier Confeiller du Roi enfes
Confeils , Maitre des Requêtes ordinaire defon Hótel ,
Intendant de la Généralité de Paris.
V
U l'Ordonnance rendue le premier Juillet -
1730 par M. de Harlay lors Intendant de
la Généralité de Paris , contenant les difpofitions
néceffaires pour prévenir la communication & les
progrès de la maladie de la morve parmi les -
chevaux , vû auffi les ordres du Roi à nous addreffés
par la lettre de M. le Comte d'Argenſon
Miniftre & Secrétaire d'Etat de la guerre , en date
du premier du préfent mois , à l'occafion du renouvellement
de ladite maladie , tant dans la
Ville & Election de Senlis , que dans plufieurs
autres Paroiffes de ladite Généralité , Nous avons
ordonné & ordonnons ce qui fuit .
ARTICLE PREMIER.
Tous particuliers , de quelqu'état & condition
qu'ils foient , qui auront des chevaux atteints ou
foupçonnés de morve , feront tenus
à peine de
cinq cent livres d'amende , d'en fai e leur décla❤
ration incontinent après la publication de la préfente
Ordonnance , à nos Subdélégués. ou aux
Officiers des villes & paroiffes où ils font leur
demeure ordinaire
pour être lefdits chevaux
vûs & vifités par des Maréchaux ou gens à ce
connoiffeurs , & tués fur le champ à la diligence
defaits Officiers , fi le mal fe trouve avéré ; la-
•
JUILLET 1745. 203
dite amende applicable moitié au profit des
dénonciateurs , & l'autre moitié au profit des pauvres
de la Paroiffe.
I I.
Ceux qui , au lieu de déclarer les chevaux atteints
ou fufpects de morve , les vendront ou détourneront
, fous quelque prétexte & de quelque
maniere que ce foit , feront condamnés en pareille
amende , payable & applicable comme deffus
, fur la fimple dénonciation qui en fera faite
devant nos Subdélégués ou devant le premier Of
ficier public.
I I I.
Les Maréchaux qui ayant quelque connoiffance
dé quelques chevaux attaqués dudit mal dans les
Villes & lieux de leur réfidence , ou aux environs
, négligeront de les déclarer à nos Subdélé
gués ou auxdits Officiers publics , ou refuſerone
feur miniftere pour examiner ceux qui en feront
foupçonnés , ou qui en feront de faux rapports ,
feront condamnés en trois cent livres d'amende
au profit des pauvres de la Paroiffe , & à fermer
boutique pendant fix mois , fur le procès verbal
qui nous en fera addreffé.
1 V.
Faifons défenfes fous les mêmes peines à tous
hôteliers cabaretiers , laboureurs & autres ,
de
recevoir , dans leurs écuries aucuns chevaux gâtés
ou foupçonnés de morve , & en joignons auffi fous
lės mêmes peines , de déclarer ceux qui fe préfenteront
& qui pourront en être fufpects , pour
tre vifités & tués s'ils s'en trouvent atteints.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE,
V.
Enjoignons très - expreffément aux Maires ;
Echevins , Syndics , Marguilliers & autres Offi
ciers des villes & paroiffes , de faire faire , à la
réception de la préfente Ordonnance , & fuccef
fivement lorfqu'ils le jugeront néceffaire , une vifite
exacte ; tant des chevaux des hábitans que
de ceux appartenans aux charretiers ou voituriers
qui pafferont dans lefdits lieux , & de faire tuer
fans differer , ceux qui auront la morve , à peine
d'être traités comme réfractaires aux ordres de Sa
Majefté.
V I..
Ordonnons pareillement aux Officiers & Ca
valiers de Maréchauffée , en faisant leurs, rondes
& tournées dans les villes& villages de leur dif
trict , de faire des recherches exactes des che
vaux morveux , & de.les tuer après que la maladie
aura été conftatée , & d'en dreffer des Pro
cès verbaux qu'ils nous envoyeront.
VI I.
Les Ecuries des villes & paroiffes où il yaura eu
des chevaux atteints ou foupçonnés de morve ,
feront incontinent , à la diligence des Maires ,
Echevins , Syndics , ou autres Officiers defdites
villes & Paroiffes , purifiées & lavées aux frais
des détempteurs avec de la chaux vive , ainfi
que les auges & rateliers , même le pavé & le
fol defdites Ecuries , & tous le pourtour d'icelles:
ju qu'à la hauteur ou les chevaux peuvent atteindre
avec leur langue ; & après les avoir laiffées
JUILLET 1745 205
an tems fuififant à l'air pour en ôter l'infection ,
les auges & rateliers feront rélavés avec de l'eau
chaude pour enlever l'impreffion de la chaux .
Et fera la préfente Ordonnance lûe & publiée
aux Prônes de toutes les Paroiffes de ladite Généralité
, & affichée partout où befoin fera , aân
que perfonne n'en ignore , pour être exécutée
felon fa forme & teneur. Enjoignons à nos Subdélégués
d'y tenir la main , & de nous informer
des contraventions qui pourroient y être faites ,
pour y être par nous pourvû . Fait à Paris le huit-
Juin 1745. Signé Bertier de Sauvigny. S plus has
Par M. , Mabile.
ARREST du Confeil d'état du Roi du 26 , qui
homologue la Délibération priſe par la compagnie des
Indes en l'affemblée générale des Actionnaires
23Juin 1745 , du 26 Luin 1745,
Extrait des Regifres du Confeil d'Etat.
tenue le
U au Confeil d'Etat du Roi la requête pré-
V fenté par les syndics & Diret la
pagnie des Indes , tendante à ce qu'il plût à S. M.
décharger ladite Compagnie de l'impofition du
Dixiéme , & homologuer la délibération prife en
l'affemblée génerale de ladite Compagnie le 23 du
prefent mois , notamment en ce qui concerne l'hypothéque
& privilége fpecial d'une partie de la
ferme du tabac & de fon produit jufqu'à dûe concurrence
, pour fûreté du principal & rente des
fommes que ladite Compagnie a délibéré d'emprunter
, ainfi que d'autorifer l'établiſſement d'un
dépôt volontaire , pour fûreté des fommes que
quelques Actionnaires pourront emprunter , à l'ef
200 MERCURE DE FRANCE.
fet de fatisfaire par eux -mêmes audit emprunt.
Et S. M. defirant donner à ladite Compagnie de
nouvelles preuves de fa protection & de lafatisfaction
avec laquelle elle voit les Actionnaires fe
porter à affûrer par eux-mêmes un état fixe & invariable
à la Compagnie des Indes , & à faire fleurir
les différentes branches de fon commerce : Oui le
rapport du fieur Orry Confeiller d'Etat ordinaire ,
& au Confeil royal , Contrôleur général des financés
, le Roi étant en fon Confeil , faiſant droitfur
ladite requête , a ordonné & ordonne que la Compagnie
des Indes demeurera , à commencer du
premier Janvier de la prefente année 1745 , déchargée
de l'impofition du Dixiéme ordonné être
levé par la déclaration du 29 Aoûft 1741 , & en
Conféquence , difpenfée de l'exécution du rôle arrêté
au Confeil le 23 Fevrier 1742 ; fans que pour
ce les parties prenantes fur elle , & notamment
les Rentiers viagers , puiffent prétendre être
exempts de ladite impofition , dont il fera fait retenue
comme comme par le paffé. Et ayant égard
à la délibération prife dans l'affemblée génerale
de ladite Compagnie le 23 du préſent mois , que Sa
M. a homologuée & homologue dans tout fon concontenu
, pour être exécutée fuivant fa forme &
teneur , permet à ladite Compagnie , conformé.
ment à l'article III , de ftipuler dans l'emprunt
de vingt-cinq millions qu'elle a délibéré de faire
pour le foutien & l'augmentation de fon commerce
, que les rentes qu'elle conftituera pour raifon
dudit emprunt demeureront exemptes du Dixiéme ,
& que conformément à l'article V , pour fûreté ,
tant des capitaux que des interêts dudit emprunt ,
la ferme du tabac & le produit d'icelle demeureront
, tant en principal qu'en revenus , affectés &
hypothéqués aufdites rentes , jufqu'à dûe concur
JUILLET. 1745. 207
rence. Autorife au furplus S. M. en tant que de befoin
, le dépôt volontaire ftipulé par l'article VI de
la fufdite délibération , qui fera exécuté fuivant fa
forme & teneur , & conformément aux réglemens
particuliers qui feront convenus & arrêtés par la
direction de ladite Compagnie , pour la facilité &
fûreté des prêteurs & dépofitaires. Fa't au Confeil
d'Etat du Roi , Sa Majesté y étant , tenu au camp
de Chin , le vingt-fixiéme jour de Juin mil fept
cept quarante-cinq. Signé PHELY PE AU X.
DELIBERATIONprife par la Compagnie
des Indes dans l'assemblée générale
des Actionnaires , tenue en l'hôtel de ladite
Compagnie le 23 Juin 1745 .
E jourd'hui vingt- trois Juin mil fept cent qua
générale
pagnie des Indes , tenue en préfence de M. le
Contrôleur géneral , accompagné de M. de Fulvy
Commiffaire du Roi , le rapport de la fituation de
la Compagnie ayant été fait par Meffieurs les Syn- >
dics élûs en la précédente affemblée générale , tenue
le 30 Janvier dernier , ils ont fait lecture de
la requête par eux préfentée au Roi , tendante à la
confirmation des priviléges de la Compagnie , à
l'obtention de la décharge du Dixiéme fur le dividende
des actions & fur les autres parties de fon
commerce , & des autres graces y énoncées ; il a
été repréfenté que la Compagnie avoit actuellement
befoin de 25 millons de livres pour le foutien
& la continuation de fon commerce , ce qui
ayant été unanimement reconnu , il a été déliberé ,
268 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE PREMIEIR .
Qu'en conféquence de l'examen de l'état actuel
de fon commerce , elle empruntera des Action◄
naires une fomme d'environ 25 millions , revenant
pour chaque action à 500 liv.
II.
Q'uil refulte du fufdit examen qu'elle fe trouve
en état de recevoir pour comptant dans fa caiffe ,
fur le pied de 75 liv . chacun , les 4 dividendes des
années 1744 & 1745 , payables en 1745 & 1746 .
" III.
Que pour faciliter le payement des fufdites 500
liv. elle autorife par la préfente délibération le
fieur Pechevin fon caiffier , à recevoir des porteurs
jufqu'a la fin de la prefente année 1745 , les
fufdits quatre dividendes , faiſant enſemble trois
cent livres , ci .
& en argent comptant .
TOTAL.
•
· 300
liv.
200
liv.
500
liv.
Pour raifon duquel payement il fera délivré des
billets d'emprunt portant intérêt jufqu'au parfait
remboursement au denier vingt , fans retenue du
dixiéme ; le tout dans la forme qui fera teglée par
l'administration ,
IV .
Et comme la Compagnie reçoit des-à préſent
Pour comptant quatre dividendes , dont trois me
JUILLET. 1745 : 209
font payables que fucceffivement dans le reftant
de la préfente année & dans le courant de l'année
prochaine ; il a été délibéré que les fufdits billets
d'emprunt ne porteront interêt que trois mois après
le payement effectif defdits 500 liv ; qu'ainfi les
billets d'emprunt pris dans le courant du mois de
Juillet prochain porteront interêt au profit du
porteur à compter du premier Octobre 1745 , &
feront payables lefdits intérêts au mois d'Octobre
1746 , & ainfi fuccellivement de mois en mois
par ordre de numéro .
V
Que pour fûreté du capital & du payement des
intérêts , la Compagnie affectera & hypothéquera
jufqu'à due concurrence , par privilége & préfé
rence , le produit de la ferme du tabac.
V I.
Que les fufdits quatre dividendes qui n'auront
point été portés à la Caiffe de la Compagnie avec
200 liv . d'argent , avant le premier Janvier 1746 ,
feront & demeureront nuls & de nulle valeur ; &
que pour faciliter aux Actionnaires les moyens de
s'aider pour exécuter l'emprunt propofé , la Compagnie
ouvrira un bureau de dépôt volon aire , à
l'effet duquel il fera tenu un registre dans la meil◄
leure forme , fur lequel les prêteurs & emprunteurs
feront les maîtres de coucher les conditions dont
il feront convenus entr'eux ; le tout dans la for
me qui fera réglée par l'administration .
10 MERCURE DE FRANCE.
VII.
La Compagnie fe foumet pour fûreté du rembourſement
des fufdits billets d'emprunt , à ne pouvoir
repartir aux Actionnaires , plus de 135 liv .
par an pour chaque action , jufqu'après le parfait
remboursement defdits billets d'emprunt.
VIII.
La Compagnie s'engagera auffi à rembourfer
lefdits billets d'emprunt , fans acception de perfonne
, & par l'evénement d'une lotterie qui fera
tirée à l'effet dudit rembourſement ; & en conféquence
il fera dreffé , après le tirage , un état
des numéros qui devront être remboursés , dont
les porteurs feront tenus de venir recevoir le rembourfement
aux termes indiqués par des affiches
publiques qui feront appofées à cet effet , faute
de quoi la Compagnie fera déchargée du payement
des intérêts .
IX
Il feratenu tous les ans le 20 Decembre ou premierjour
non fêté fuivant , une affemblée généra
le d'Actionnaires , dans laquelle la direction rendra
compte de l'état de la Compagnie & des fuccès
de fon commerce , pour en conféquence
être délibéré fur toutes les affaires de ladite Compagnie
, être ftatué fur la quotité du dividende qui
devra être reparti aux Actionnaires , & fur le rembourſement
qu'elle pourra faire des billets d'emprunt
, la premire defdites affemblées demeurera
dès à préfent indiquée pour le 20 Decembre
prochain, & cependant Meffieurs les Syndics font
JUILLET. 1745. 211
autorifés à avancer le tems de la tenue de ladite af
femblée , & à convoquer des affemblées extraor
dinaires quand ils jugeront convenable & néceffaire
d'en demander la permiffion à S. M. dans
ces derniers cas ils feront tenus d'indiquer lefdites
affemblées quinze jours à l'avance , par des affiches
publiques.
X.
Il fera nommé fix Syndics à l'effet des fonctions
qui leur font commifes par les arrêts & réglemens ;
que pour cette premiere fois S. M. fera trè humblement
fuppliée de les choifir dans le nombre des
douze nommés par la délibération du o Janvier
dernier que cependant jufqu'à la nomination que
S. M. en fera , les fonctions des Syndics actuels
continueront ; & que dans la premiere affemblée
du 20 Decembre prochain , ainfi que dans les futu
res affemblées annuelles , il fera préfenté au Roi
douze fujets , entre le quels S. M. aura la bonté de
choifir les fix qui lui feront le plus agréables .
XI.
Sa M. fera très - humblement fuppliée d'homolo
guer la préfente délibération par un arrêt de fon
Confeil , notamment la difpofition concernant le
dépôt indiqué par l'article VI , & d'ordonner l'exécution
de ladite délibération . Signé en fin par les
Actionnaires , Syndics & Directeurs , & vifé ORRY.
*12 MERCURE DE FRANCE."
A
MORTS.
Ntoine Forqueray fi connu par la fuperiorité
d fes talens de Mufique & par fon exécution
inimitable fur la baile de viole , mourut le
20 Juin à Mantes fur la Seine ou le goût de la
retraite l'avoit fixé depuis quinze ans .
La Nat re avoit doué M. Forqueray de toutes
les favorables difpofitions qui annoncent ordinai➡
rement les hommes rares. Son mérite harmonique
étoit fi précoce qu'à l'âge de quatre ans il eut
l'avantage unique de jouer de la viole en préſence
de Louis XIV . Ce Monarque Protecteur & Rémunerateur
des Arts , fut fi fatisfait de la Science
prématurée de cet enfant fingulier qu'il lui don- ,
na une Charge d'ordinaire de la Mufique de fa
Chambre , Charge dont - il a joui jufqu'à fa mort,&
qu'il laiffe à fon fils qui depuis plufieurs années"
en avoit obtenu la furvivance.
M. Forqueray a eu l'honneur de montrer à
jouer de la viole à Monfeigneur le Duc de Berri
, à Monfeigneur le Duc d Orléans Regent du
Royaume , à Monfeigneur le Duc de Chartres fon
fils , les bienfaits de la Cour lui furent prodigués ;
mais avec juftice , le Regent fur tout lui fit une
gratification très contidérable qui fignala hautement
la liberalité du Prince & l'excellence du
talent recompenfé.
Si fa capacité diftinguée & fa fortune méritée
l'élevoient infiniment les fentimens nobles &
purs de fon coeur ne l'élevoienr pas moins ; c'est
par eux qu'il s'étoit fait d'illuftres amis qui plus
ouchés encore de fa probité que de fon génie ,
JUILLET
213 1745 .
ont honnoré d'une amitié conftante & éclairée
Il laiffe un fils qui très long- tems avant la
mort de fon pere a hérité de fa reputation , héritage
brillant , que le goût & le difcernement
lui affûrent ; quelque bonne que foit la fucceffion
l'héritier en regarde comme les effets les plus
précieux , des piéces de viole que la modeftie du
deffunt à derobées à l'impreffion , & que l amour
filial doit reftituer au public à qui toutes les ri◄
cheffes des Arts & du Genie appartie inent.
Le 18 Juin Louis-Sauveur Renaud de Villeneuve
Confeiller d'Etat depuis 1740 , ci- devant Ambaffadeur
du Roi auprès du Grand Seigneur , depuis
le 25 Mars 1728 , & avant Lieutenant Général
de la Sénechauffé de Marfeille , & que Sa
Majefté en qualité de Médiatrice entre la Porte
& la Ruffie avoit chargé de fes pleins pouvoirs
pour procurer un accommodement entre ces deux
Puiffances , mourut à Marſeille dans la foixante &
dixième année de fon âge ; il avoit éte nommé
par le Roi au mois de Novembre de 1 année der
niere Miniftre & Sécretaire d'Etat des affaires
étrangeres , mais la foibleffe & fa fanté l'obligea
de fupplier Sa M jefté de permettre qu'il n'ac
ceptât point cette charge & le Roi ayant aprouvé
fes raifons voulut bien l'en difpenfer : il avoit
pour frere François Rend de Villeneuve
Evêque de Viviers depuis 1723 ; il étoit fils de
François Renaud de Villeneuve Confeillers au
Parlement de Provence & de Dame Magdeleine
de Fourbini-f inte -Croix , & il avoit époufé Da
me Anne de Beauffet fille de Pierre de Beauffet
Lieutenant Général , Civil & Criminel de Mar
feille & de Dame Théodore Daudiffret.
•
214 MERCURE DE FRANCE.
Le premier Juillet Pierre - Denis Maillet Seigneur
de Cerny , Confeiller du Roi Auditeur
ordinaire en fa Chambre des Comptes à Paris depuis
le 27 Août 1691 , y mourut , âgé de 78 ans.
Le 3 Meffire Jean-Noel Gaillande , Docteur
& Senieur de la Maifon & Société de Sorbonne
& Prieur Commendataire de faint Martin de Morlaix
mourut dans la Maiſon de Sorbonne âgé dé
64 ans.
C
Le 7 François Rodrigue d'Epinay Marquis d'Ef
pinay faint Luc , de Boifgueroulte , Comte de Rofendal
, Seigneur & Patron de faint Paerk, Lieutenant
General des Armées du Roi depuis le 18 Octobre
1739 , & Infpecteur de Cavalerie , mourut à
Strasbourg ; âgé de 73 ans , il étoit fils de François
d'Epinay , Marquis d'Efpinay & de Boifgueroulte,
Comte de Rofendal , mort en 1691 & de Dame
Marie Conftance de Châlons de Cretot , morte le
12 Avril 1704 , & il avoit épousé en 1705 Marie-
Anne d'O fille de René-Claude d'O , Marquis de
de Franconville , Lieutenant Général des Armées
Navales , & d'Elifabeth - Magdeleine de la Vergne
de Guilleragues , elle fut depuis Dame d'atour
de S. A. R. Madame la Ducheffe d'Orleans ,
& mourut à Paris le 4 Avril 1727 , & de ce mariageeft
venue Louiſe Adelaïde Sabigothon d'Efpinay
Boifgueroulte , mariée le 14 Août 1728 à Guy-
Louis Charles de Laval , la Faigne , Comte de
Laval voyez pour la Généalogie de la Maifon d'Ef
pinay , le feptieme volume de l'Hiftoire des
Grands Officiers de la Couronne , fol 472 .
SOTTELUE
BIBLIOT
LYON
*
1893
TABLE .
PIECES FUGITIVES en vers & en profe. Ode
tirée du Pfeaume 37
Differtation fur le feu de la rue aux Ours
Epitre de M. des Mahys à Madame de ***
Difcours prononcé aux Affociés d'une
Littéraire
Extrait d'une Lettre en vers
3
7
25
Societé
26
31
Nouvelle explication du proverbe pour un peine
Martin perditfon ane.
Allégorie.
Memoire fur la date d'une Charte
Lettre au fujet de la mort de M. Normant
32
54
57
69
Dictionnaire univerfel & préface de Chambers 75
Ode fur la Bataille de Fontenoy 103
Séance publique de la focieté des fciences de
Toulouſe
Ode à M. D ** . par M. de V *** .
Nouvelles Litteraires , des Beaux Arts &s.
106
120
122
Estampes nouvelles -
133
Vers pour être mis au bas du portrait du Maréchal
Comte de Saxe 134
Mots de l'Enigme & des Logegryphes
Ibid.
Enigme & Logogryphes 135
Chanfon fur les victoires du Roi 139
Spectacles , Opera
142
5me. fuite des reflexions fur les ballets , 143
Comédie Françoiſe & c . 151
Concert de la Reine
154
Nouvelle de la Cour , de Paris &c. Suite des
Opérations de l'arméedu Roi
155
Bénéfices donnés
175
Promotions 176
Prifes de Vaiffeaux 177
Nouvelles étrangères , Pruffe 179
Allemagne 1 &1
Naples
180
Hollande & Pays Bas
188 Génes 190
Grande Bretagne 193
Penfion d'Alfort à Charenton.
195
Arrêts notables 196
Morts 212
La Chanfon notée doit regarder la page
Le plan doit regarder la page
THEAU
BIBLIO
LYON
€1893
LLA VILLE
139
158
Qualité de la reconnaissance optique de caractères