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1744, 10, 11, vol. 1-2, 12
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MERCURE
DE FRANCE .
DÉDIÉ AU
ROI.
OCTOBRE . 1744.
COLLICIT
SPARC
Chés
A PARIS ,
GUILLAUME
ruë S. Jacques.
CAVELIER ,
La Veuve PISSOT, Quai de Conty,
à la defcente du Pont- Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais .
M. DCC . XLIV.
Avec Approbation & Privilege du Ro
THE NEW YORK!
PUBLIC LIBRAR
3352.45
ASTOR , LENOX AND
A VIS.
TILDEN FADRESSE générale eft à Monfieur
MOREAU , Commis au Mercure , visà-
vis la Comédie Françoife , à Paris. Ceux qui
pour leur commodité voudront remettre leurs
Paquets cachetés aux Libraires qui vendent le
Mercure à Paris , peuvent fe fervir de cette
voye pour les faire tenir.
On prie très- inftamment , quand on adreffe
des Lettres on Paquets par la Pofte , d'avoir
foin d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
toujours pratiqué , afin d'épargner , à nous le
déplaifir de les rebuter , & à ceux qui les
celui , non-feulement de ne pas envoyent ,
paroître leurs Ouvrages , mais même de les perdre
, s'ils n'en ont pas gardé de copie.
voir
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , ou les Particuliers qui fouhaiteront
avoir leMercure de France de lapremiere main ,
plus promptement, n'auront qu'à donner leurs
adreffes à M.Moreau , qui aura foin de faire
leurs Paquets fans perte de tems , & de les faire
porter fur l'heure à la Pofte , ou aux Meffage
ries qu'on lui indiquera.
PRIX XXX . SOLS.
MERCURE
DE FRANCE .
1
DÉDIÉ
Αυ ROI.
OCTOBRE. 1744.
PIECES FUGITIVES
en Vers & en Profe.
ODE ,
Sur la Maladie du Roi.
Uel tumulte affieux me réveille ?
Qu'entensje ? quels éclats ? Quel bruit
En des heures où tout fommeille ,
Trouble le repos de la nuit ?
Une nombreuſe populace
Fait retentir de Place en Place
Un lugubre gémiffement.
D'od part la trifteffe profonde ?
A ij
Du
2148 MERCURE DE FRANCE.
Du bouleversement du Monde
Voit-elle arriver le moment ?
Pour dévoiler ce myftere ,
Courons au Palais de nos Rois.
Quoi la lumiere encor l'éclaire ?
Jufte Ciel ! qu'est - ce que j'y vois ?
Une Reine , Epoufe éplorée ,
A de triftes tranfports livrée ,
Succombe à fes vives douleurs ,
Du Trône le précieux gage
Avec les deux Soeurs les partage ,
Et tous le confument en pleurs.
***
Un Meffager brûlant de zélé , ( «)
'Accourû fur l'aîle du vent ,
Sembloit apporter la nouvelle
D'un favorable évenement.
En moins de fix heures , tout change !
O révolution étrange ;
Qui glace le coeur des François ! (6)
Victime du courroux céleste ,
Ils aprennent le coup funefte ,
Qui réduit LOUIS aux abois.
(a) M. de S. Cloud , Ecuyer de la Reine , arrives
Versailles le 4 Août , à deux heures après midi.
(b ) Par un courier arrivé le mêmejour à 11 beures
Au Journ
Dans
OCTOBRE . 1744. 2149
Dans les momens où la Victoire
Sur le Rhin conduifoit fes pas ,
La Mort , jalouſe de la gloire
Que s'étoit acquife fon bras ,
Ofe aiguiſer ſa faulx tranchante ,
Et d'une valeur triomphante
Entreprend d'arrêter le cours.
Elle en arme fa main barbare ,
Et la cruelle fe prépare
A moiffonner les plus beaux jours
Le fang dans fes veines s'allume ,
Par un redoublement nouveau ;
Le feu brûlant qui le confume ,
S'éleve jufqu'à ſon cerveau ;
Il y forme un fombre nuage ,
Quifoudain interdit l'uſage ,
De fa raiſon & de ſes fens ;
Contre une léthargique yvreffe ,
Qui l'engourdit & qui l'oppreffe ,
Tous les fecours font impuiffans .
炒菜
Grand Dieu ! que ta Bonté deſcende
Sur un Roi , ton prédeſtiné !
C'eft ton Epoule , (a) qui demande
Ta pitié pour fon Fils aîné
( a ) L'Eglife.
A iij
II
2150 MERCURE DE FRANCE.
Il t'adore ; il te craint ; il t'aime ;
Sa vigilance fut extrême
A maintenir ta pure Loi.
S'il fût tombé dans quelque offenfe ,
Le frein d'une ferme croyance
L'eût retenu toujours à toi.
Mais Ciel ! quel prodige ! Ta Grace
Sur lui fait de foudains efforts ;
Sa foi l'a rendue efficace
Sur fon efprit & fur fon corps..
Dans fon extrêmité mortelle
Sa raison renaît , étincelle ,
Et va te dévoiler fon coeur.
Il te confeffe fa foibleffe ,
Prêt à t'immoler fa Jeuneffe ,
Sa Gloire & toute fa Grandeur.
Du haut de l'Empire fuprême ,
Tu daignes defcendre en fon fein.
Et tu viens t'y rendre toi-même
Le gage d'un pardon certain ;
Il te reçoit , plein d'eſpérance ,
De repentir , de confiance ,
De joye , de refpect & d'amour ,
Et femble exprimer par fes larmes
Les tranfports , la joye & les charmes.
Qu'on goûte au céleste féjour.
Cependant
OCTOBRE. 1744.
2351
Cependant de fa belle vie
Le danger devient plus preffant ;
Pour le noeud facré qui te lie ,
O Reine ! quel coup menaçant !
Il faut partir ………. rien ne t'arrête ;
La nuit , la chaleur , la tempête ,
Non , non , ne te retiendront pas.
A tes maux tu ne peux ſurvivre ;
De tes Enfans , qui vont te fuivre ,
Déja tu devances les pas.
+
Enfin , quand tu crains fans reffource
Le plus grand de tous les malheurs ,
Le Ciel , au milieu de fa courfe
Vient mettre un frein à tes douleurs.
Chalons , (a) à jamais mémorable ,
Tu nous inftruis , que favorable
La Nature a fait un effort.
Préparons de brillantes Fêtes ;
LOUIS couronne fes conquêtes
Par le triomphe de la Mort.
AVersailles le 25 Août 1744.
(a ) C'eft de Châlons qu'on reçût la premiere bonne
nouvellefur la fanté du Roi.
A iiij ME2152
MERCURE DE FRANCE.
MEMOIRE pour fervir à l'Hiftoire de
la Ville d'Arras , depuis le commencement
de l'année 1477 , fuivant le nouveau Style,
jufqu'au mois de Mai 1484 ; * lû par M.
Harduin, Avocat , à l' Affemblée folemnelle
de la Societé Litt raire de cette Ville , tenue
le 29 Fevrier 1744. 20
Harles le Hardi , Comte d'Artois , &
C dernier Duc de Bourgogne , fut tué à
la Bataille de Nanci le 5 Janvier 1477 , &
laiffa pour héritiere Marie , fa' fille unique .
Quelques - uns des Pays qui lui appartenoient
, devoient retourner à la Couronne
de France , au défaut de mâles dans la Maifon
de Bourgogne , mais le Comté d'Artois
n'étoit point fujet à cette regle ; plufieurs
Femmes en avoient joiii ; Mahaut , fille de
Robert II, l'avoit même poffedé , à l'exclufion
du fils de fon frere , parce que la Repréſentation
n'a jamais eu lieu dans cette
Province.
Cependant Louis XI , Roi de France ,
profitant du trouble que la mort du Duc répandit
dans tous les Etats , ne fongea qu'aux
Les Faits contenus dans ce Mémoire , font fondés
fur quantité de bonnes preuves , que la forme du Mereure
ne permet pas de citer.
moyens
OCTOBRE. 1744. 2153
moyens de s'en emparer. Il fit partir auffi
tôt, pour commencer l'exécution de fon
projer , l'Amiral de Bourbon & Philippe de
Comines , Seigneur d'Argenton , qui fe
tranfporterent à Abbeville , puis à Dourlens,
d'où ils envoyerent fommer Arras de fe
foumettre au Roi.
Philippe de Crevecoeur , Seigneur d'Efquerides
ou des Cordes , étoit alors Gouverneur
de la Cité ; la Ville avoit pour le
fien Adolphe de Cleves , Seigneur de Raveftein.
Ces deux Officiers , pour répondre
à la fommation des Envoyés du Roi , demanderent
une entrevûë , qui fe fit dans
l'Abbaye du Mont S. Eloi , à deux lieuës
d'Arras. Jean de la Vacquerie , Confeiller-
Penfionnaire de la Ville, y expofa les droits
inconteftables de Marie de Bourgogne fur
la Province d'Artois. Il étoit impollible à
Comines , de réfuter les preuves qu'on lui
objectoit. Lui-même avoue dans fes Mémoires
, qu'il s'y étoit bien attendu , mais il faifit
cette occafion, pour gagner plufieurs Gen
tilshommes , & les attirer au parti du Roi.
Crevecoeur , déja vendu à la France , auroit
voulu pouvoir dès ce moment livrer la
Place confiée à fa garde ; mais la fermeté
des Arrageois , encouragés par la préfence
de Raveftein , lui fit remettre à un autre
* Ce motfe trouve dans le Dictionnaire de Trévoux,
*
A v tems
2154 MERCURE DE FRANCE .
tems l'effet de fa trahifon. Raveftein partit
quelques jours après , pour aller trouver à
Gand la Ducheffe de Bourgogne , ſon départ
favorifa le projet de Crevecoeur , dont
la fidélité lui étoit d'autant moins fufpecte
qu'il l'avoit vû tout récemment prêter un
nouveau ferment à cette Princeffe .
Louis XI ayant appris que les Négociations
de fes Miniftres avoient un heureux
fuccès , & que plus d'une Ville s'étoit déja
rendue , prit lui-même la route des Pays-
Bas. Etant à Pérone , il vit arriver Guillau
me Hugonet , Chancelier de Bourgogne ,
Gui de Brimau , Comte de Mege , & Humbercourt
ou Imbercourt , & d'autres perfonnes
de conféquence , que Marie de Bourgogne
avoit députés , pour lui demander la
paix. S'il en faut croire ce que rapporte le
P. Daniel , d'après quelques Ecrivains François
, cette Ducheffe , furmontant , pour
fauver fes Etats , la répugnance qu'elle devoit
fentir à époufer le Dauphin , Enfant de
huit ans , infirme & contrefait , offrit de lui
donner fa main , perfuadée que c'étoit une
voye infaillible pour contenter le Roi. En
effet , difent les mêmes Auteurs , il avoit
paru fouhaiter ce mariage , mais comme fon
fyftême étoit changé , les Ambaffadeurs de
la Princeffe ne reçûrent qu'une réponſe ambiguë
; fans découvrir les véritables intentions
,
OCTOBRE. 1744-
2155
tions , il leur fit un accueil trés-gracieux, &
employa toute fon adreffe, pour les faire entrer
dans fes intérêts. Plufieurs ne voulurent
prendre aucun engagement , mais Humbercourt
& le Chancelier , moins difficiles à
ébranler , promirent au Roi de paffer à fon
fervice , dès que le mariage feroit conclu .
Ce Prince leur propofa une chofe , qui les
embarraffa beaucoup , ce fut qu'ils écriviffent
à Crevecoeur de lui ouvrir la Cité d'Arras.
Il leur fit entendre que l'Artois étant
un Fief de la Couronne , il avoit droit de
le mettre enfa main,jufqu'à - ce que Marie de
Bourgogne lui eût fait hommage . Le Chancelier
& Humbercourt , après avoir confideque
le Roi étoit près d'Arras , qu'il avoit
une armée nombreufe , que la Ducheffe , au
contraire , étoit prefque fans troupes , &
que leur refus pourroit avoir des fuites fatales
, crurent devoir confentir à la propofition
du Roi , & fur le champ il envoya
prendre poffeffion de la Cité. Le Peuple
de Gand , irrité contre ces deux Seigneurs ,
leur fit couper la tête fur un Echaffaut,
malgré les follicitations , les prieres & les
larmes de la Ducheffe , dont ces Bourgeois
infolens méprifoient l'autorité. Le corps
τέ
"
* Le 4 Mars 1477 , fuivant la Chroniquefcanda-
Leufe.
d'Hum
A vj
2156 MERCURE DE FRANCE.
d'Humbercourt * fut transferé à Arras , ou
il eft inhumé dans la Cathédrale , avec Antoinette
de Mailli - Rambures , fon Epoufe!
On leur a dreſſé au côté gauche du Choeur ,
un Tombeau de pierre bleue , au-deffus duquel
eft une Arcade en pierre blanche , où
brille cette délicateffe hardie , qui fait la
beauté des Monumens Gothiques.C'eſt pour
le repos de leurs ames qu'on chante encore
un Salut dans cette Eglife tous les Samedis
& en differens autres jours de l'année .
J'ai pensé qu'il ne feroit pas inutile de
rappeller ici des Vers Latins , où l'on exprime
la douleur , que reffentit Marie de Bourgogne
de la mort de ce Seigneur malheureux
; c'est la Princeffe elle-même qu'on
Y fait parler
.
Non Imbercurium vinclis educere quivi ,
Inter Magnates qut mihi fidus erat ,
Hunc ubi publicitùs curtandum vertice vidi ,
Excelfo ftantem , plebe fremente , loco,
Huc illucfupplex Princeps ego tanta cucurri
Per totum , crines irreligata , forum ;
Obteftataferox , oculis rorantibus imbrem ,
Vulgus , ne tantum perderet enſe virum :
Il étoit Chevalier de la Toifon d'Or , Chambellan de
Charles le Hardi , Gouverneur de Namur , Lieutenant
Général aux Pays de Liége d'Outrem : fe. Selon for
Epitaphe , il mourut le 3 Avril 1476. Vieuxstyle.
At
OCTOBRE..
2157 1744.
At nihil obtinui ; triftem fum paſſarepulſam ;·
Indignè cecidit nobilis ille Reus..
Funus ad Atrebates , fumantibus undique tadis,
Ut tumularetur , mittere cura fuit ;
Cui Maufolaum pofui de marmere fecitum
Virginis augufta Matris in Ede Dei.
Cette Profopopée eft de Philippe Meyes ,
natif d'Arras , qui a continué les Annales
du célebre Jacques Meyer , fon Bifayeul ,
depuis 1477 jufqu'en 1610. Son Livre n'est
point encore imprimé.
La plupart des Hiftoriens Flamans ne font
point d'accord avec les François touchant
les caufes qui donnerent lieu à l'exécution
d'Hugonet & d'Humbercourt , ni par rapport
à la conduite que ces deux Seigneurs
avoient tenue. L'Auteur des Notes fur Olivier
de la Marche, affure , à la vérité, qu'ils
firent remettre au Roi la Cité d'Arras , &
qu'ils déchargerent par écrit le Gouverneur
du ferment , qu'il avoit prêté à la Ducheſſe.
Ce Commentateur dit auffi qu'ils promirent
à Louis XI de ne rien épargner pour engager
cette Princeffe à époufer le Dauphin ,
mais il nie , ainfi que la Marche lui- même ,
qu'elle les eût chargés de faire aucune offre
au fujet de ce Mariage .
En effet , s'il m'eft permis de hazarder ici
mes conjectures , je ne fçaurois m'imaginer
que
# 153 MERCURE DE FRANCE,
que Louis ait pû refuſer de marier fon fils
à la plus riche Héritiere de l'Europe. Une
telle alliance auroit aggrandi confidérablement
fon Royaume , & l'auroit mis en état de
braver tous les Princes voifins. Je penfe
donc , malgré l'autorité des Ecrivains de
France , que ce mariage auroit terminé la
guerre , dès fon commencement , fi Marie
de Bourgogne l'avoit fait propofer au Roi.
Pontus Heuterus prétend qu'Humbercourt
& Hugonet n'étoient coupables de rien , &
qu'ils n'avoient pas contribué à la réception
des François dans la Cité d'Arras; il foûtient
que Crevecoeur leur en donna l'entrée de fon
propre mouvement , mais que Philippe de
Comines , voulant fauver la réputation de
ce dernier , en rejetta la faute fur deux hommes
innocens , dont le fupplice , tout injufte
qu'il fût , fembloit autorifer ce reproche.
Quoiqu'il en foit , Crevecoeur admit les
François dans la Cité , & en fortit lui-même,
après avoir congédié les troupes Bourguignonnes.
Le Roi , qui s'y rendit bien- tôt en
perfonne , ayant inutilement fommé la Ville
, fit dreffer quelques Ouvrages de terre
pour la réduire , & ravagea les Campagnes
voifines. Les Arrageois , allarmés de ces
hoftilités , fe trouvant d'ailleurs fans Gou
verneur & fans garnifon , furent contraints
de capituler prefque auffi tôt. Ils promirent
d'obéir
OCTOBRE. 1744. 2159
dobéïr au Roi , mais feulement jufqu'à- ce
que Marie de Bourgogne lui eût fait hommage
du Comté d'Artois , à moins qu'elle
ne s'alliât par mariage ou autrement avec les
Anglois ou avec d'autres , qui ne vouluffent
pas rendre au Roi les devoirs qui lui appartenoient
légitimement , auquel cas les Habitans
d'Arras demeureroient fidéles à ce
Prince , & le reconnoîtroient pour feul &
unique Maître. De plus, il fut reglé que les
Echevins dénonceroient fur le champ cette
Capitulation aux autres Villes de la Province
, afin de les porter à fe foûmettre aux mêmes
conditions.
Le Roi , de fon côté , pardonna aux Habitans
tout ce qu'ils pouvoient avoir fait contre
fes intérêts pendant les guerres précédentes
; il les rétablit dans leurs Biens ; il
leur remic ce qui reftoit dû des Impofitions
extraordinaires , dont Charles le Hardi les
avoit chargés ; il confentit que la Princeſſe
Marie touchât dès- lors par les mains des
Commiffaires Royaux tous les Droits que la
Ville payoit ordinairement aux Ducs de
Bourgogne , il exempta les Habitans du Ban
& de l'Arriere- Ban ; il s'engagea de ne leur
point envoyer de gens de guerre, à la charge
qu'ils n'en accepteroient d'aucun autre
Prince; enfin il leur affûra la confervation de
leurs Coûtumes & de tous leurs Privileges.
En
2160 MERCURE DE FRANCE.
En conféquence de ces articles , le Roi
députa le Cardinal de Bourbon , le Chancelier
de France , l'Evêque d'Arras , le
Comte de S. Pol , le Seigneur du Bofchage
, le Seigneur du Lude , Gouverneur
de Dauphiné & quelques autres , qui
reçûrent en l'Eglife de S. Vaaft le Serment
des Principaux de la Ville. Ils dînerent le
même jour à l'Abbaye , & pendant qu'ils
étoient à table , une partie de la populace
y courut en armes , à deffein de leur faire
violence. On entendoit crier de toutes partst
Tuë, tuë , point de quartier . Mais cette émeute
fut bien-tôt appaifée , & les Envoyés du
Roi en furent quittes pour la peur. Ce
Prince , diffimulant l'indignation que lui
infpiroit une telle injure , partit de la Cité
d'Arras , où il laiffa l'Amiral de Bourbon
avec une garniſon convenable.
Peu de tems après , les Bourgeois de la
Ville jugerent à propos de députer à la Ducheffe
un certain nombre de perfonnes , "
pour apprendre ce qu'elle penfoit de leur
Capitulation , & pour lui faire quelques
Remontrances. Suivant les Regiftres du
Magiftrat , il n'y avoit rien dans ce projet ,
qui fût préjudiciable au Roi . Néanmoins
plus d'un Hiftorien dit que les Arrageois ,
ufant d'artifice avec l'Amiral de Bourbon ,
feignirent que leur deffein étoit d'envoyer
vers le Roi. Après avoir obtenu un Paffeport
,
OCTOBRE. 1744. 2165
> &
port , leurs Députés au nombre de vingt ou
environ , prirent le chemin de la Flandre ,
mais l'Amiral, informé du ftratagême par le
Seigneur de Crevecoeur , fit pofter à Lens
des Soldats , qui les arrêterent , & les conduifirent
en la Ville d'Hedin , où le Prévôt
les condamna à perdre la tête . Louis XI arriva
pendant qu'on les faifoit mourir
détendit , par une raifon de bienféance
qu'on achevât l'exécution . Mais ayant fçû
que , parmi ceux qu'on avoit déja dépêchés ,
il fe trouvoit un Parifien , nommé Oudard
de Buffi , ce Prince fit mettre au haut d'un
chevron fa tête revêtue d'un chaperon d'écarlate
, & la fit expofer fur la Place d'Hédin
, avec un Ecriteau , qui annonçoit le
prétendu crime de ce Magiftrat . Il étoit
Procureur Général d'Artois : c'est le nom
qu'on donnoit alors à l'Officier chargé du
Miniftere public au Siége de laGouvernance
ou Bailliage d'Arras. Baudrain de Canlers ,
Echevin d'Arras , fut auffi décapité en cette
occafion on fit mention, de fa mort dans
les Mémoriaux de la Ville, mais cette temarque
fut rayée , environ cent ans après , en
vertu d'une réfolution de la Chambre Mu
nicipale.
A
i
Les Arrageois crurent qu'un traitement
fi rigoureux fuffifoit pour les dégager du
Serment qu'ils avoient fait au Roi . Enticrement
2162 MERCURE DE FRANCE.
rement dévoués à la Ducheffe de Bourgogne
, ils ne fongerent plus qu'à chaffer les
François , qu'on avoit laiffés dans la Cité.
Ils firent connoître leur difpofition à Philippe
de Potiere , Seigneur d'Arfi , que la
Ducheffe avoit nommé depuis peu leur Gouverneur
: ils le prierent de venir les joindre
au plûtôt , & de leur amener des troupes.
Ce Capitaine , qui étoit alors à Douai avec
Salezar & le Seigneur de Vergi , forma un
Corps de 1600 Fantaffins , pour marcher
au fecours d'Arras. Il ne vouloit fe mettre
' en chemin qu'après le coucher du Soleil ,
mais , malgré fes juftes repréſentations , les
Bourgeois de Douai , également fiers & imprudens
, le forcerent de partir en plein
midi. Le Seigneur du Lude eut le tems d'aller
à fa rencontre avec la garnifon de la
Cité , & mit le Détachement en déroute.
Vergi fut pris & conduit en France : Salezar
fefauva dans un Bois , d'où il trouva moyen
de regagner Douai : d'Arfi fe fit jour au
travers des François avec 600 hommes
d'élite , qu'il introduifit dans la Ville d'Arras.
Comines prétend que les troupes Flamandes
ou Bourguignonnes ne confiftoient
qu'en deux ou trois cent chevaux & environ
600 hommes d'Infanterie , & qu'ils
furent prefque tous tués ou faits prifonniers.
L'action ſe paſſa près du Fauxbourg
S.
OCTOBRE. 1744 2163
S. Sauveur * : l'Eglife des Carmes , qui étoit
en cet endroit , fut brûlée , ainfi que plufieurs
maifons voisines.
D'Arſi arrivé dans la Ville , ne négligea
rien pour la mettre en état de faire une
bonne défenſe . Il manquoit dans le Magif
trat quelques Echevins , dont les uns étoient
morts ; les autres , craignant fans doute les
embarras d'un Siége , s'étoient réfugiés dans
la Cité. Le Gouverneur fentit la néceffité
qu'il y avoit de les remplacer. 11 créa deux
nouveaux Echevins au nom de Marie de
Bourgogne , & les anciens en choisirent
deux autres , fuivant la coûtume. Ces quatre
perfonnes prêterent leur Serment le 21
Avril , en préſence du Seigneur d'Arfi
après qu'il eut juré lui-même à l'Hôtel - Commun
de remplir fidélement les devoirs de
fa Charge.
Sur ces entrefaites , Louis revint dans la
Cité ** : il commença par faire mourir quelques
prifonniers , pour intimider les habitans
de la Ville & le petit nombre de gens
de
guerre , qui reftoit encore dans le Pays.
Il fit enfuite approcher fon artillerie , qui
ruina en peu de jours & les anciennes murailles
& les nouvelles fortifications qu'on
* Le 1 Avril , fuivant un Manuferit anonyme.
** Comines mal informé,dit que ce fut le lendemain
dus combat.
2164 MERCURE DE FRANCE,
y avoit ajoutées. Le Peuple d'Arras fe comporta
pendant ce Siége avec beaucoup d'emportement
: les habitans fe firent un plaifir
d'infulter fur les Remparts au Roi & à fes
Troupes : ils planterent en differens endroits
des potences, où ils pendirent des banderoles
à la Croix Blanchie , qui étoit l'Enfeigne des
François , comme la Croix Rouge étoit celle
des Bourguignons. Il y en eut même qui par
dérifion , montroient du haut des murs une
partie de leur corps , qu'il ne convient pas
de nommerici.
>
Si cette conduite des Arrageois étoit ridicule
& blâmable , on doit les excufer , en
fongeant au caractere qui les a toûjours dif
tingués , c'est-à-dire , une affection fans bornes
pour leurs Princes légitimes. Tous les
Hiftoriens , fans excepter les François
avouent que Louis XI n'avoit aucune raifon
d'envahir la Province d'Artois , & parlent
avec une forte de compaffion du malleureux
état où fe trouvoit Marie de Bourgogne.
En faut-il davantage pour pardonner
aux Habitans d'Arras les excès aufquels ils
fe font portés dans cette occurrence ? Autant
qu'ils avoient alors de répugnance pour
la
domination Françoife , autant ils ont témoigné
de penchant à s'y foumettre , quand les
Conquêtes de nos Rois ont été fondées fur
de juftes prétentions. Depuis plus de cent
ans
{
OCTOBRE. 1744 2165.
ans qu'ils ont le bonheur d'obéir aux Bourbons
, leur attachement inviolable fe fignale
chaque jour par les preuves les moins équi
voques : on fçait qu'ils facrifieroient leurs
biens & leurs vies pour cetteAugufteMaifon ,
avec le même zéle , qu'ils ont fait éclater
autrefois pour celle de Bourgogne.
Louis XI , indigné du procédé des Arrageois
, déclara d'abord , que leur Ville feroit
mife au pillage , mais cet orage fut détourné
par l'éloquence de ceux , que le Peuple ,
bien-tôt réduit à la derniere extrêmité , envoya
pour obtenir une compofition favora
ble. Ils dépeignirent -bien le pitoyable état .
de la Place & le répentir des Bourgeois , que
Louis promit de tour oublier , & donna aux
gens de guerre la liberté de fortir avec armes
& bagages , pour aller où bon leur
fembleroit. Ses Lettres Patentes du 4 Mai
ratifierent prefque tous les points qu'il
avoit accordés au mois de Mars précédent
même par rapport aux revenus ordinaires
du Comté d'Artois , dont il laiffa encore la
jouiffance à Marie de Bourgogne.
Un Anonyme dit , que les Portes ayant
été ouvertes , ce Prince refufa d'y paffer
& qu'il voulut entrer à cheval par une bréche
que l'on fit exprès au Rempart.
J'ai lû dans une Brochure moderne * qu'il
* Hiftoire des Rats , imprimée en 1736 , Lettre 5.
५.
2166 MERCURE DE FRANCE.
y avoit alors à l'entrée de la Ville ( on ne
dit point de quel côté ) une Infcription conçue
en ces termes .
Quand les Rats mangeront les Cas ,
Le Roi fera Seigneur d'Arras :
Quand la Mer , qui eft grande & lée
Sera à la Saint Jean gelée ,
On verra pardeffus la glace
Sortir ceux d'Arras de leur Place.
Mais les deux derniers Vers femblent
prouver que ce fixain n'a été imaginé , que
depuis l'exil & le rappel des Arrageois , événemens
importans , dont je difcuterai les
circonstances.
Selon une Tradition fort accréditée , l'Inf
cription fut placée fur une des Portes d'Arras
en l'année 1482 , après que la Ville eut été
remiſe à Maximilien , Roi des Romains, par
l'artifice de Jean le Maire , furnommé Grifart.
Au refte , on croit communément que
cette efpéce de défi fi injurieux à la France
ne renfermoit que les mots fuivans :
Quand les François prendront Arras ,
Les Souris mangeront les Chats ?
On ajoute que cette Ville étant retombée
long- tems après entre les mains des
François , quelqu'un dit qu'il falloit effacer
OCTOBRE. 1744. 2167:
avance
cer la premiere lettre du mot prendront.
Daviti ou fon Continuateur *
cette occafion un trait , qui n'a point l'ombre
de la vraisemblance ; c'eft que la prédiction
fut remplie au Siége de 1640 , &
qu'on vit des Chats dévorés par une troupe
de Rats.
Un autre Ecrivain ** prétend qu'on avoit
repréſenté en pierre , un Chat environné de
Rats , avec ces Vers :
Les François prendront Arras ,
Quand ce Chat prendra ces Rats ?
On lit encore ailleurs que le Monument
dont il s'agit , n'offroit que la figure d'un
cheval décharné , au bas de laquelle on
avoit écrit :
Quand les François prendront Arras ,
Ce Cheval maigre deviendra gras.
Mais je n'ai rien trouvé , qui puiffe ap
puyer aucune de ces Anecdotes , ni dans les
Archives du Magiftrat , ni dans les Hiftoriens
d'une certaine antiquité.
Il m'eft tombé entre les mains une Eftampe
intitulée : La défaite & prife générale des
Chats d'Espagne par les Rats François , de-
* Cofmographie univerfelle , ou Defcription du monde.
** Batailles mémorables des François , Tome 2.
vant
1188 MERCUREDE FRANCE.
vant la Ville Cité d' Arras. Cette Eftampe
répréfente un combat fanglant , qui fe donne
fous les murs d'Arras entre ces deux eſpéces
d'Animaux, armés d'Epées , de Lances & de
Moufquets . On y remarque entr'autres chofes
des Rats , qui fe nettent en devoir de
pendre un gros Chat à un arbre , & on lit
ces Vers au bas :
C'est donc à cette fois que P'on voit accomplie
Meſſieurs les Habitans d'Arras ,
Ce que tous vos Ayeux tenoient pour Prophétie ,
Vos Chats étant vaincus par nos valeureux Rats .
A votre barbe enfin , de cette forte Place
Nous nous rendons les poffeffeurs ,
Puifque nos Rats François méprifant leur grimace ,
Des Chats d'Efpagne font demeurés les vainqueurs ,
Vous les voyez ici par leur force & courage
Après un fignalé combat ,
Garoter.ces Matoux , qui frémiffent de rage
De fe voir prifonniers d'un fimple petit Rat.
En vain demandent- ils , ayant fait réſiſtance ,
Qu'on leur faffe quelque quartier :
Its ſe verront branchés tous à cette Potence ,
Pour exemple récent à ceux de leur métier.
7.
Revenons à la Capitulation que Louis XI
avoit
OCTOBRE. 1744 2169
2
avoit fignée en faveur des Arrageois . Philippe
de Comines eft forcé de convenir que
ce Prince ne l'obferva point fort fcrupuleufement.
Selon Gaguin , il fit enlever aux
Bourgeois une grande quantité de vaiffelle
d'argent. Plufieurs furent punis de mort ,
entre lefquels il s'en rencontra , dit - on
qui aimerent mieux perdre la vie , que de
prononcer Vive le Roi . Les Echevins mêmes
concoururent avec les Officiers de Louis au
châtiment de ceux qui s'étoient montrés les
plus mutins pendant le Siége. Craignant
enfuite qu'on ne les inquiétât à ce fujet , &
qu'on ne les accufât d'avoir violé le Traité ,
ils prierent le Roi d'expliquer là - deffus fon
intention . On voit dans les Archives du
Magiftrat , des Lettres du premier Juillet
1477 , par lefquelles il approuve & juftifie
leur conduite.
Le Seigneur du Lude , qui fut alors nommé
Lieutenant Général de la Province d'Artois
, doit être confideré comme le principal
auteur des violences , qui furent exercées
en cette conjoncture . Il fe vanta luimême
à Philippe de Comines , que la dépoüille
des Bourgeois exécutés lui avoit
valu vingt mille écus & deux fourrures de
Martre ..
A la derniere réduction de la Ville , Louis
s'étoit engagé de ne pas toucher aux biens
B des
2170 MERCURE DE FRANCE.
des habitans , qui s'étoient retirés fous la
domination de fes ennemis , à condition
qu'ils revinffent dans trois mois , pour faire
ferment de fidelité à lui ou à fes Officiers.
Le délai fut encore prorogé dans la fuite
pour l'efpace d'un mois , mais dès que ce
terme fatal fut expiré , le Roi donna à Philippe
de Crevecoeur une partie des biens de
ceux qui étoient encore abfens. De plus ,
mettant en oubli fes promeffes, il fit payer à
ce ferviteur zélé les arrérages que devoient
les Bourgeois pour lesAides extraordinaires ,
établies par le feu Duc de Bourgogne.
Ce Prince voulant auffi récompenfer les
fervices du Seigneur de Bours , lui fit préfent
de 55 groffes chaînes de fer , dont on
fe fervoit à Arras , pour barrer les rues dans
les tems de Guerre & de Sédition .
Le 21 de Mai de cette même année 1477,
le Seigneur du Lude , accompagné de plufieurs
Officiers du Roi , fe rendit à l'Hôtelde-
Ville , où il avoit fait convoquer le Magiftrat
& les principaux d'entre les Bourgeois.
Ce Seigneur , après avoir promis de
punir févérement les exactions & les défordres
commis par les Soldats François , qu'on
pourroit lui nominer , exalta beaucoup la
clémence du Roi , qui avoit daigné fauver
les habitans du pillage , malgré leur défobéiffan
ce ,leur parjure & les outrages qu'ils
lui
OCTOBRE . 1744. 2171
lui avoient faits. finit par demander à
l'Affemblée un prêt de 60 mille écus d'Or ,
pour dédommager ce Monarque des frais
immenfes , que lui avoit coûté la priſe de la
Ville. On eut beau remontrer la fituation .
fâcheufe des Bourgeois , & l'impoffibilité de
fournir une fomme fi confiderable , le Seigneur
du Lude ne voulut rien écouter , de
forte qu'après bien des repréſentations prefque
inutiles , il fallut avancer au Roi 47
mille écus d'Or , dont la levée fut très- difficile
, & incommoda extrêmement le
ple. Les Religieux de S. Vaaft devoient
contribuer à ce prêt pour quatre mille écus ;
mais il n'y eut pas moyen de les y réfoudre ,
& les Bourgeois fe virent obligés de payer
pour eux.
peu-
Les 47 mille écus furent certainement
reftitués peu de tems après. Le Roi affigna
pour ce remboursement l'Impôt d'un écu ,
qu'il levoit fur chaque Queue de Vin , qui
paffoit fur les rivieres de Somme & d'Oife.
İl voulut auffi qu'on retînt fur le produit de
cet Impôt dequoi fatisfaire les perfonnes ,
dont on avoit pris les maifons pour bâtir
deux Châteaux , l'un au bout de la grande
Place , près de la Porte S. Michel , l'autre
dans la Cité, au- deffus du Couvent des Clairiffes.
Le Roi avoit crû la conftruction de
ces Ouvrages néceffaire , pour tenir les Ar-
Bij
rageois
2172 MERCURE DE FRANCE.
rageois en refpect. Il ordonna en mêmetems
la démolition du Rempart , qui fermoit
, de même qu'aujourd'hui , la Ville
contre la Cité ; & il en fit élever un nouveau
fur l'autre bord du Foffé. *
Heuterus & Locrius font entendre que
Louis XI confia le foin de ces travaux au
Seigneur d'Arfi , qui avoit embraffé ſon
parti , & auquel il avoit donné le Gouvernement
d'Arras , mais je ne fçais où ces deux
Auteurs ont puifé un trait fi contraire à la
vérité, Les Regiftres du Magiftrat font voir
que dès le 6 Mai 1477 , Guillaume de Cerifay
, Greffier du Parlement , fut nommé
Gouverneur d'Arras par provifion , & que
deux mois après , Antoine de Crevecoeur ,
Seigneur de Thiennes , fut inftallé dans
cette Charge , qu'il poffeda long - tems.
Louis XI paffa dans Arras à differentes
reprifes une bonne partie de l'année 1477 :
il s'y trouva le premier de Juillet à l'arrivée
du Roi de Portugal , qu'il alla attendre à la
Porte de Miolens. Le Magiftrat complimenta
ce Prince , & lui préfenta les Vins à l'Abbaye
de S. Vaaft , où il fut logé . On ordonna
de fonner toutes les cloches des Eglifes ,
& d'allumer des feux dans les rues , tant
Quinze ou feize ans après , tous ces Ouvrages furent
démolis , on rebatit du côté de la Ville la
muraille, quife voit à préfent,
pour
OCTOBRE. 1744. 2173
pour le paffage du Monarque étranger, qu'à
caufe de la victoire remportée par les François
entre Tournai & Oudenarde , fur un
Corps de Flamands, commandé par le jeune
Duc de Gueldres , qui perdit la vie à cette
Bataille.
Ce fut auffi dans la Cité d'Arras que Louis
au mois d'Août fuivant conclut avec les
Ambaſſadeurs du Duc de Bretagne un Traité
de Paix , qui fut porté à l'Hôtel- de- Ville
par le Greffier du Parlement , & publié ſolemnellement
à la Maifon Rouge, par le Prévôt
des Maréchaux.
Pendant que le Roi féjourna en cette
Ville , & même après fon départ , il accorda
diverfes faveurs aux Bourgeois. Ce qu'il y a
de particulier , c'eft que , touché du trifte
état de leurs maiſons , & voulant leur procurer
la facilité de les rétablir , il les exemta
pour fix ans de l'ancienne Compofition d'Artois
* , tandis qu'il exigeoit d'eux , comme
je l'ai dit plus haut , les arrérages d'un Tribut
impofé par le feu Duc de Bourgogne ,
& dont il avoit promis auparavant de les
décharger.
Dans le cours de cette même année , il
déclara la Ville d'Arras & la Province en-
L'Aide ordinaire ou ancienne Compofition d'Artois,
établie fous le Roi Jean, eft de 140 : 0 livres par an pour
toute la Province.
B iij
tiere
2174 MERCURE DE FRANCE.
tiere réunies pour toujours à la Couronne
de France , & en conféquence il inſtitua
dans cette Ville une Sénéchauffée Royale ,
foumife immédiatement au Parlement de
Paris , mais il fit connoître en même- tems
que l'érection de ce Tribunal ne donneroit
aucune atteinte à la Juriſdiction ni aux Priviléges
des Echevins.
Peu après la mort du Duc de Gueldres ,
Maximilien Archiduc d'Autriche , qui venoit
d'époufer Marie de Bourgogne , fe
mit en campagne avec une armée , que les
Communautés de Flandre lui fournirent ,
& huit cent chevaux , qu'il avoit amenés
d'Allemagne. Louis , le voyant en état de fe
défendre plûtôt qu'il n'avoit cru ,
lui envoya
propofer une Tréve de dix jours , qui
fut fignée à Lens le premier ou le 2 Septembre
1477 * . Dès que cette Tréve légere fut
expirée , on recommença les hoftilités . Les
Soldats du Roi & les Payfans ravagerent
Bois de Mofflaines , près de Court- au- Bois ,
& y couperent environ cinq mille chênes .
le
L'année fuivante , Maximilien marcha
contre Louis , qui étoit au voifinage de
Condé. Le Roi n'ofa l'attendre , quoiqu'il
fût à la tête d'une armée puiffante : il aima
mieux faire une retraite précipitée , après
avoir mis le feu à Condé & à Mortagne.
* Le P. Daniel dit que cefut le 18 Septembre.
L'ArOCTOBRE.
1744. 2175
L'Archiduc le pourfuivit long- tems , mais il
s'arrêta au Pont à Vendin , ayant appris
que fon Ennemi étoit déja renfermé dans
les murs d'Arras .
Le Roi s'y trouvoit encore le jour de la
Fête -Dieu , & il porta un flambeau à la Proceffion
générale , qui fe fit autour de la
Ville.
Au mois de Juillet , les deux Princes parurent
difpofés à faire la Paix , mais comme
il n'étoit pas facile d'en régler les conditions
, le Roi ayant autant de peine à rendre,
que Maximilien à céder ce qui avoit été
pris , on fe contenta d'une nouvelle fufpenfion
d'armes ; elle fut concluë pour un an
en la Ville d'Arras , où l'Archiduc & les
Communautés de Flandre envoyerent leurs
Députés.
fixé
La guerre fe renouvella avant le terme
pour la fin de cette Tréve. Le 17 Juin
1479 , quatre mille François partirent, pendant
la nuit, d'Arras & des environs, à deffein
de ſurprendre Douai , avec des machines
nouvellement inventées , pour empêcher
qu'on ne pût baiffer les Sarrafines , &
refermer les Portes , quand elles feroient
une fois ouvertes. On avoit caché par avance
dans les bleds & dans des broffailles plufieurs
pelotons de Troupes , qui étoient
chargés d'obferver ce qui fe paffoit au-de-
B iiij
hors
2156 MERCURE DE FRANCE.
d'Humbercourt * fut transferé à Arras , ou
il eft inhumé dans la Cathédrale , avec Antoinette
de Mailli- Rambures , fon Epoufe!
On leur a dreffé au côté gauche du Choeur ,
un Tombeau de pierre bleue , au-deffus duquel
est une Arcade en pierre blanche , où
brille cette délicateffe hardie , qui fait la
beauté des Monumens Gothiques.C'eſt
le repos de leurs ames qu'on chante encore
un Salut dans cette Eglife tous les Samedis
& en differens autres jours de l'année.
pour
J'ai pensé qu'il ne feroit pas inutile de
rappeller ici des Vers Latins , où l'on exprime
la douleur , que reffentit Marie de Bourgogne
de la mort de ce Seigneur malheureux
; c'est la Princeffe elle-même qu'on
y fait parler.
Non Imbercurium vinclis educere quivi ,
Inter Magnates qut mihi fidus erat ,
Hunc ubi publicitùs curtandum vertice vidi ,
Excelfo ftantem , plebe fremente , loco,
Huc illucfupplex Princeps ego tanta cucurri
Per totum , crines irreligata , forum ;
Obteftataferox , oculis rorantibus imbrem ,
Vulgus , ne tantum perderet enſe virum :
Il étoit Chevalier de la Toifon d'Or , Chambellan de
Charles le Hardi , Gouverneur de Namur , Lieutenant
Général aux Pays de Liége d'Outremfe . Selon fon
Epitaphe , il mourut le 3 Avril 1476. Vieux style.
At
OCTOBRE. 2157 1744.
At nihil obtinui ; triftem fum paffa repulfam ;.
Indignè cecidit nobilis ille Reus.
Funus ad Atrebates , fumantibus undique tadis,
Ut tumularetur , mittere curafuit
Cui Manfolaum pofui de marmere fectum
;
Virginis augufta Matris in Ede Dei.
Cette Profopopée eft de Philippe Meyer ,
natif d'Arras , qui a continué les Annales
du célebre Jacques Meyer , fon Bifayeul ,
depuis 1477 jufqu'en 1610. Son Livre n'eft
point encore imprimé.
La plupart des Hiftoriens Flamans ne font
point d'accord avec les François touchant
les caufes qui donnerent lieu à l'exécution
d'Hugonet & d'Humbercourt , ni par rapport
à la conduite que ces deux Seigneurs
avoient tenuë. L'Auteur des Notes fur Olivier
de la Marche, affûre , à la vérité, qu'ils
firent remettre au Roi la Cité d'Arras , &
qu'ils déchargerent par écrit le Gouverneur
du ferment , qu'il avoit prêté à la Ducheſſe.
Ce Commentateur dit auffi qu'ils promirent
à Louis XI de ne rien épargner pour engager
cette Princeffe à époufer le Dauphin
mais il nie , ainfi que la Marche lui - même ,
qu'elle les eût chargés de faire aucune offre
au fujet de ce Mariage.
En effet , s'il m'eft permis de hazarder ici
mes conjectures , je ne fçaurois m'imaginer
que
158 MERCURE DE FRANCE,
que Louis ait pû refufer de marier fon fils
à la plus riche Héritiere de l'Europe. Une
telle alliance auroit aggrandi confidérablementfon
Royaume,& l'auroit mis en état de
braver tous les Princes voifins. Je penſe
donc , malgré l'autorité des Ecrivains de
France , que ce mariage auroit terminé la
guerre , dès fon commencement , fi Marie
de Bourgogne l'avoit fait propofer au Roi.
Pontus Heuterus prétend qu'Humbercourt
& Hugonet n'étoient coupables de rien , &
qu'ils n'avoient pas contribué à la réception
des François dans la Cité d'Arras ; il foûtient
que Crevecoeur leur en donna l'entrée de fon
propre mouvement , mais que Philippe de
Comines , voulant fauver la réputation de
ce dernier , en rejetta la faute fur deux hommes
innocens , dont le fupplice , tout injuf
te qu'il fût , fembloit autorifer ce reproche.
Quoiqu'il en foit , Crevecoeur admit les
François dans la Cité , & en fortit lui- même,
après avoir congédié les troupes Bourguignonnes.
Le Roi , qui s'y rendit bien- tôt en
perfonne , ayant inutilement fommé la Ville
, fit dreffer quelques Ouvrages de terre
pour la réduire , & ravagea les Campagnes
voifines. Les Arrageois , allarmés de ces
hoftilités , fe trouvant d'ailleurs fans Gou
verneur & fans garnifon , furent contraints
de capituler prefque auffi - tôt. Ils promirent
d'obéir
OCTOBRE. 1744. 2159
d'obéïr au Roi , mais feulement jufqu'à- ce
que Marie de Bourgogne lui eût fait hommage
du Comté d'Artois , à moins qu'elle
ne s'alliât par mariage ou autrement avec les
Anglois ou avec d'autres , qui ne vouluffent
pas rendre au Roi les devoirs qui lui appartenoient
légitimement , auquel cas les Habitans
d'Arras demeureroient fidéles à ce
Prince , & le reconnoîtroient pour feul &
unique Maître. De plus , il fut reglé que les
Echevins dénonceroient fur le champ cette
Capitulation aux autres Villes de la Province
, afin de les porter à fe foûmettre aux mêmes
conditions.
Le Roi , de fon côté , pardonna aux Habitans
tout ce qu'ils pouvoient avoir fait contre
fes intérêts pendant les guerres précédentes
; il les rétablit dans leurs Biens ; il
leur remic ce qui reftoit dû des Impofitions
extraordinaires , dont Charles le Hardi les
avoit chargés ; il confentit que la Princeſſe
• Marie touchât dès- lors par les mains des
Commiffaires Royaux tous les Droits que la
Ville payoit ordinairement aux Ducs de
Bourgogne ; il exempta les Habitans du Ban
& de l'Arriere- Ban ; il s'engagea de ne leur
point envoyer de gens de guerre, à la charge
qu'ils n'en accepteroient d'aucun autre
Prince;enfin il leur affûra la confervation de
leurs Coûtumes & de tous leurs Privileges.
En
2160 MERCURE DE FRANCE.
En conféquence de ces articles , le Roi
députa le Cardinal de Bourbon , le Chancelier
de France , l'Evêque d'Arras , le
Comte de S. Pol , le Seigneur du Bofchage
, le Seigneur du Lude , Gouverneur
de Dauphiné & quelques autres , qui
reçûrent en l'Eglife de S. Vaaft le Serment
des Principaux de la Ville. Ils dînerent le
même jour à l'Abbaye , & pendant qu'ils
étoient à table , une partie de la populace
y courut en armes , à deffein de leur faire
violence. On entendoit crier de toutes partst
Tue, tue , point de quartier. Mais cette émeute
fut bien- tôt appaifée , & les Envoyés du
Roi en furent quittes pour la peur. Ce
Prince , diffimulant l'indignation que lui
infpiroit une telle injure , partie de la Cité
d'Arras , où il laiffa l'Amiral de Bourbon
avec une garnifon convenable.
Peu de tems après , les Bourgeois de la
Ville jugerent à propos de députer à la Ducheffe
un certain nombre de perfonnes , *
pour apprendre ce qu'elle penfoit de leur
Capitulation , & pour lui faire quelques
Remontrances. Suivant les Regiftres du
Magiftrat , il n'y avoit rien dans ce projet ,
qui fût préjudiciable au Roi. Néanmoins
plus d'un Hiftorien dit que les Arrageois ,
ufant d'artifice avec l'Amiral de Bourbon ,
feignirent que leur deffein étoit d'envoyer
vers le Roi. Après avoir obtenu un Paffeport
,
OCTOBRE . 1744. 2165
>
port , leurs Députés au nombre de vingt ou
environ , prirent le chemin de la Flandre
mais l'Amiral, informé du ftratagême par le
Seigneur de Crevecoeur , fit pofter à Lens
des Soldats , qui les arrêterent , & les conduifirent
en la Ville d'Hedin , où le Prévôt
les condamna à perdre la tête. Louis XI arriva
pendant qu'on les faifoit mourir , &
détendit , par une raifon de bienféance
qu'on achevât l'exécution . Mais ayant fçû
que , parmi ceux qu'on avoit déja dépêchés ,
il fe trouvoit un Parifien , nommé Oudard
de Buffi , ce Prince fit mettre au haut d'un
chevron fa tête revêtuë d'un chaperon d'écarlate
, & la fit expofer fur la Place d'Hé
din , avec un Ecriteau , qui annonçoit le
prétendu crime de ce Magiftrat. Il étoit
Procureur Général d'Artois : c'est le nom
qu'on donnoit alors à l'Officier chargé du
Miniftere public au Siége de laGouvernance
ou Bailliage d'Arras. Baudrain de Canlers ,
Echevin d'Arras , fut auffi décapité en cette
occafion on fit mention, de fa mort dans
les Mémoriaux de la Ville, mais cette remarque
fut rayée , environ cent ans après , en
vertu d'une réfolution de la Chambre Municipale
.
Les Arrageois crurent qu'un traitement
fi rigoureux fuffifoit pour les dégager du
Serment qu'ils avoient fait au Roi. Enticrement
2162 MERCURE DE FRANCE.
rement dévoués à la Ducheffe de Bourgogne
, ils ne fongerent plus qu'à chaffer les
François , qu'on avoit laiffés dans la Cité.
Ils firent connoître leur difpofition à Phi-
Hippe de Potiere , Seigneur d'Arfi , que la
Ducheffe avoit nommé depuis peu leur Gouverneur
: ils le prierent de venir les joindre
au plûtôt , & de leur amener des troupes.
Ce Capitaine , qui étoit alors à Douai avec
Salezar & le Seigneur de Vergi , forma un
Corps de 1600 Fantaffins , pour marcher
au fecours d'Arras. Il ne vouloit fe mettre
'en chemin qu'après le coucher du Soleil ,
mais , malgré fes juftes repréſentations , les
Bourgeois de Douai , également fiers & imprudens
, le forcerent de partir en plein
midi . Le Seigneur du Lude eut le tems d'aller
à fa rencontre avec la garnifon de la
Cité , & mit le Détachement en déroute.
Vergi fut pris & conduit en France : Salezar
fe fauva dans un Bois , d'où il trouva moyen
de regagner Douai : d'Arfi fe fit jour au
travers des François avec 600 hommes
d'élite , qu'il introduifit dans la Ville d'Arras.
Comines prétend que les troupes Flamandes
ou Bourguignonnes ne confiſtoient
qu'en deux ou trois cent chevaux & environ
600 hommes d'Infanterie , & qu'ils
furent prefque tous tués on faits prifonniers.
L'action fe paffa près du Fauxbourg
}
S.
OCTOBRE. 1744 2163
S. Sauveur * : l'Eglife des Carmes , qui étoit
en cet endroit , fut brûlée , ainfi que plufieurs
maifons voisines .
D'Arſi arrivé dans la Ville , ne négligea
rien pour la mettre en état de faire une
bonne défenſe . Il manquoit dans le Magif
trat quelques Echevins , dont les uns étoient
morts ; les autres , craignant fans doute les
embarras d'un Siége , s'étoient réfugiés dans
la Cité. Le Gouverneur fentit la néceffité
qu'il y avoit de les remplacer. Il créa deux
nouveaux Echevins au nom de Marie de
Bourgogne , & les anciens en choisirent
deux autres , fuivant la coûtume , Ces quatre
perfonnes prêterent leur Serment le 21
Avril , en préſence du Seigneur d'Arfi
après qu'il eut juré lui-même à l'Hôtel- Commun
de remplir fidélement les devoirs de
fa Charge.
Sur ces entrefaites , Louis revint dans la
Cité ** : il commença par faire mourir quelques
prifonniers , pour intimider les habitans
de la Ville & le petit nombre de gens
de
guerre , qui reftoit encore dans le Pays.
Il fit enfuite approcher fon artillerie , qui
ruina en peu de jours & les anciennes murailles
& les nouvelles fortifications qu'on
* Le 1 Avril , fuivant un Manuſcrit anonyme.
** Comines mal informé,dit que ce fut le lendemain
du combat.
2164 MERCURE DE FRANCE
:
y avoit ajoutées. Le Peuple d'Arras fe com
porta pendant ce Siége avec beaucoup d'emportement
les habitans fe firent un plaifir
d'infulter fur les Remparts au Roi & à fes
Troupes : ils planterent en differens endroits
des potences,où ils pendirent des banderoles
à la Croix Blanchie , qui étoit l'Enſeigne des
François , comme la Croix Rouge étoit celle
des Bourguignons. Il y en eut même qui par
dérifion , montroient du haut des murs une
partie de leur corps , qu'il ne convient pas
de nommerici.
>
Si cette conduite des Arrageois étoit ridicule
& blâmable , on doit les excufer , en
fongeant au caractere qui les a toûjours diftingués
, c'est-à-dire , une affection fans bornes
pour leurs Princes légitimes. Tous les
Hiftoriens fans excepter les François
avouent que Louis XI n'avoit aucune raifon
d'envahir la Province d'Artois , & parlent
avec une forte de compaffion du malleureux
état où fe trouvoit Marie de Bourgogne.
En faut-il davantage pour pardonner
aux Habitans d'Arras les excès aufquels ils
fe font portés dans cette occurrence ? Autant
qu'ils avoient alors de répugnance pour la
domination Françoife , autant ils ont témoigné
de penchant à s'y foumettre , quand les
Conquêtes de nos Rois ont été fondées fur
de juftes prétentions. Depuis plus de cent
ans
OCTOBRE. 1744. 2165 .
ans qu'ils ont le bonheur d'obéir aux Bourbons
, leur attachement inviolable fe fignale
chaque jour par les preuves les moins équi
voques : on fçait qu'ils facrifieroient leurs
biens & leurs vies pour cetteAugufteMaiſon ,
avec le même zéle , qu'ils ont fait éclater
autrefois pour celle de Bourgogne.
Louis XI , indigné du procédé des Arrageois
, déclara d'abord , que leur Ville feroit
mife au pillage , mais cet orage fur détourné
par l'éloquence de ceux , que le Peuple ,
bien-tôt réduit à la derniere extrêmité , envoya
pour obtenir une compofition favora
ble. Ils dépeignirent fi-bien le pitoyable état.
de la Place & le répentir des Bourgeois , que
Louis promit de tour oublier , & donna aux
gens de la liberté de fortir avec arguerre
mes & bagages , pour aller où bon leur
fembleroit. Ses Lettres Patentes du 4 Mai
ratifierent prefque tous les points qu'il
avoit accordés au mois de Mars précédent ,
même par rapport aux revenus ordinaires
du Comté d'Artois , dont il laiffa encore la
jouiffance à Marie de Bourgogne.
Un Anonyme dit , que les Portes ayant
été ouvertes , ce Prince refufa d'y paffer ,
& qu'il voulut entrer à cheval par une bréche
que l'on fit exprès au Rempart.
J'ai lû dans une Brochure moderne * qu'il
* Hiftoire des Rats , imprimée en 1736 , Lettre 5.
2166 MERCURE DE FRANCE.
y avoit alors à l'entrée de la Ville ( on ne
dit point de quel côté ) une Infcription conçuë
en ces termes.
Quand les Rats mangeront les Cas ,
Le Roifera Seigneur d'Arras :
Quand la Mer , qui eft grande & lée
Sera à la Saint Jean gelée ,
On verra pardeſſus la glace
Sortir ceux d'Arras de leur Place.
Mais les deux derniers Vers femblent
prouver que ce fixain n'a été imaginé , que
depuis l'exil & le rappel des Arrageois , événemens
importans , dont je difcuterai les
circonstances .
Selon une Tradition fort accréditée , l'Infcription
fut placée fur une des Portes d'Arras
en l'année 1482 , après que la Ville cut été
remife à Maximilien , Roi des Romains, par
l'artifice de Jean le Maire , furnommé Grifart.
Au refte , on croit communément que
cette efpéce de défi fi injurieux à la France
ne renfermoit que les mots fuivans :
Quand les François prendront Arras ,
Les Souris mangeront les Chats ?
On ajoute que cette Ville étant retombée
long-tems après entre les mains des
François , quelqu'un dit qu'il falloit effacer
OCTOBRE. 1744. 2167:
cer la premiere lettre du mot prendront.
Daviti ou fon Continuateur * avance à
cette occafion un trait , qui n'a point l'om-.
bre de la vraisemblance ; c'eft que la prédiction
fut remplie au Siége de 1640 , &
qu'on vit des Chats dévorés par une troupe
de Rats.
Un autre Ecrivain ** prétend qu'on avoit
repréſenté en pierre , un Chat environné de
Rats , avec ces Vers :
Les François prendront Arras , +
Quand ce Chat prendra ces Rats ?
On lit encore ailleurs que le Monument
dont il s'agit , n'offroit que la figure d'un
cheval décharné , au bas de laquelle on
avoit écrit :
Quand les François prendront Arras ,
Ce Cheval maigre deviendra gras .
Mais je n'ai rien trouvé , qui puiffe appuyer
aucune de ces Anecdotes , ni dans les
Archives du Magiftrat , ni dans les Hiſtoriens
d'une certaine antiquité.
One
Il m'eft tombé entre les mains une Eſtampe
intitulée : La défaite prife générale des
Chats d'Espagne par les Rats François , de-
Cofmographie univerfelle , ou Defcription du monde.
** Batailles mémorables des François , Tome 2.
vant
2168 MERCUREDE FRANCE.
vant la Ville Cité d' Arras. Cette Eftampe
repréſente un combat ſanglant , qui ſe donne
fous les murs d'Arras entre ces deux efpéces
d'Animaux , armés d'Epées , de Lances & de
Moufquets. On y remarque entr'autres chofes
des Rats , qui fe nettent en devoir de
pendre un gros Chat à un arbre , & on lir
ces Vers au bas :
C'est donc à cette fois que l'on voit accomplie ,
Meffieurs les Habitans d'Arras ,
Ce que tous vos Ayeux tenoient pour Prophétie ,
Vos Chats étant vaincus par nos valeureux Rats .
A votre barbe enfin , de cette forte Place
Nous nous rendons les poffeffeurs,
Puifque nos Rats François méprifant leur grimace ,
Des Chats d'Eſpagne font demeurés les vainqueurs.
Vous les voyez ici par leur force & courage
Après un fignalé combat ,
Garoter.ces Matoux , qui frémiffent de rage
De fe voir prifonniers d'un fimple petit Rat.
En vain demandent- ils , ayant fait réſiſtance ,
Qu'on leur faffe quelque quartier :
Ils fe verront branchés tous à cette Potence ,
Pour exemple récent à ceux de leur métier.
Revenons à la Capitulation que Louis XI
avoit
OCTOBRE. 1744 2169
avoit fignée en faveur des Arrageois. Philippe
de Comines eft forcé de convenir que
ce Prince ne l'obferva point fort fcrupuleufement.
Selon Gaguin , il fit enlever aux
Bourgeois une grande quantité de vaiffelle
d'argent. Plufieurs furent punis de mort ,
entre lefquels il s'en rencontra , dit-on ,
qui aimerent mieux perdre la vie , que
de
prononcer Vive le Roi. Les Echevins mêmes
concoururent avec les Officiers de Louis au
châtiment de ceux qui s'étoient montrés les
plus mutins pendant le Siége. Craignant
enfuite qu'on ne les inquiétât à ce fujet , &
qu'on ne les accufât d'avoir violé le Traité ,
ils prierent le Roi d'expliquer là-deffus fon
intention . On voit dans les Archives du
Magiftrat , des Lettres du premier Juillet
1477 , par lesquelles il approuve & juſtifie
leur conduite.
Le Seigneur du Lude , qui fut alors nommé
Lieutenant Général de la Province d'Artois
, doit être confideré comme le principal
auteur des violences , qui furent exercées
en cette conjoncture. Il fe vanta luimême
à Philippe de Comines , que la dépoüille
des Bourgeois exécutés lui avoit
valu vingt mille écus & deux fourrures de
Martre..
A la derniere réduction de la Ville , Louis
s'étoit engagé de ne pas toucher aux biens
B des
2170 MERCURE DE FRANCE.
des habitans , qui s'étoient retirés fous la
domination de fes ennemis , à condition
qu'ils revinffent dans trois mois , pour faire
ferment de fidelité à lui ou à fes Officiers.
Le délai fut encore prorogé dans la fuite
pour l'efpace d'un mois , mais dès que ce
terme fatal fut expiré , le Roi donna à Philippe
de Crevecoeur une partie des biens de
ceux qui étoient encore abfens. De plus
mettant en oubli fes promeffes, il fit payer à
ce ferviteur zélé les arrérages que devoient
les Bourgeois pour lesAides extraordinaires,
établies le feu Duc de Bourgogne.
par
>
Ce Prince voulant auffi récompenfer les
fervices du Seigneur de Bours , lui fit préfent
de 55 groffes chaînes de fer , dont on
fe fervoit à Arras , pour barrer les rues dans
les tems de Guerre & de Sédition.
Le 21 de Mai de cette même année 1477,
le Seigneur du Lude , accompagné de plufieurs
Officiers du Roi , fe rendit à l'Hôtelde-
Ville , où il avoit fait convoquer le Ma
giftrat & les principaux d'entre les Bourgeois.
Ce Seigneur , après avoir promis de
punir févérement les exactions & les défordres
commis par les Soldats François , qu'on
pourroit lui nommer , exalta beaucoup la
clémence du Roi , qui avoit daigné fauver
les habitans du pillage , malgré leur défobéiffan
ce , leur parjure & les outrages qu'ils
lui
OCTOBRE . 1744 2171
lui avoient faits. finit par demander à
l'Affemblée un prêt de 60 mille écus d'Or ,
pour dédommager ce Monarque des frais
immenfes , que lui avoit coûté la prife de la
Ville. On eut beau remontrer la fituation -
fâcheufe des Bourgeois , & l'impoffibilité de
fournir une fomme fi confiderable , le Seigneur
du Lude ne voulut rien écouter , de
forte qu'après bien des repréſentations prefque
inutiles , il fallut avancer au Roi 47
mille écus d'Or , dont la levée fut très-difficile
, & incommoda extrêmement le
peuple.
Les Religieux de S. Vaaft devoient
contribuer à ce prêt pour quatre mille écus ;
mais il n'y eut pas moyen de les y réfoudre ,
& les Bourgeois fe virent obligés de payer
pour eux.
Les 47 mille écus furent certainement
reftitués
peu de tems après. Le Roi affigna
pour ce remboursement l'Impôt d'un écu
qu'il levoit fur chaque Queue de Vin , qui
paffoit fur les rivieres de Somme & d'Oife.
Il voulut auffi qu'on retînt fur le produit de
cet Impôt dequoi fatisfaire les perfonnes
dont on avoit pris les maifons pour bâtir
deux Châteaux , l'un au bout de la grande
Place , près de la Porte S. Michel , l'autre
dans la Cité,au- deffus du Couvent des Clairiffes.
Le Roi avoit crû la conftruction de
ces Ouvrages néceffaire , pour tenir les Ar-
Bij rageois
2172 MERCURE DE FRANCE.
rageois en reſpect . Il ordonna en mêmetems
la démolition du Rempart , qui fermoit
, de même qu'aujourd'hui , la Ville
contre la Cité ; & il en fit élever un nouveau
fur l'autre bord du Foffé . *
Heuterus & Locrius font entendre que
Louis XI confia le foin de ces travaux au
Seigneur d'Arfi , qui avoit embraffé fon
parti , & auquel il avoit donné le Gouvernement
d'Arras , mais je ne fçais où ces deux
Auteurs ont puifé un trait fi contraire à la
vérité, Les Registres du Magiftrat font voir
que dès le 6 Mai 1477 , Guillaume de Cerifay
, Greffier du Parlement , fut nommé
Gouverneur d'Arras par provifion , & que
deux mois après , Antoine de Crevecoeur ,
Seigneur de Thiennes , fut inftallé dans
cette Charge , qu'il poffeda long-tems.
Louis XI paffa dans Arras à differentes
repriſes une bonne partie de l'année 1477 :
il s'y trouva le premier de Juillet à l'arrivée
du Roi de Portugal , qu'il alla attendre à la
Porte de Miolens . Le Magiftrat complimenta
ce Prince , & lui préfenta les Vins à l'Abbaye
de S. Vaaft , où il fut logé. On ordonna
de fonner toutes les cloches des Eglifes
& d'allumer des feux dans les rues , tant
*
Quinze ou feize ans après , tous ces Ouvrages furent
démolis , & on rebâtit du côté de la Ville la
muraille , quife voit àprésent,
pour
OCTOBRE. 1744. 2173
pour le paffage du Monarque étranger, qu'à
caufe de la victoire remportée par les François
entre Tournai & Oudenarde , fur un
Corps de Flamands, commandé par le jeune
Duc de Gueldres , qui perdit la vie à cette
Bataille.
Ce fut auffi dans la Cité d'Arras que Louis
au mois d'Août fuivant conclut avec les
Ambaffadeurs du Duc de Bretagne un Traité
de Paix , qui fut porté à l'Hôtel- de- Ville
par le Greffier du Parlement , & publié folemnellement
à la Maifon Rouge, par le Prévôt
des Maréchaux .
Pendant que le Roi féjourna en cette
Ville , & même après fon départ , il accorda
diverſes faveurs aux Bourgeois. Ce qu'il y a
de particulier , c'eſt que , touché du triſte
état de leurs maiſons , & voulant leur procurer
la facilité de les rétablir , il les exemta
pour fix ans de l'ancienne Compofition d'Artois
* , tandis qu'il exigeoit d'eux , comme
je l'ai dit plus haut , les arrérages d'un Tribut
impofé par le feu Duc de Bourgogne
& dont il avoit promis auparavant de les
décharger.
Dans le cours de cette même année , il
déclara la Ville d'Arras & la Province en-
* L'Aide ordinaire ou ancienne Compofition d'Artois,
établie fous le Roi Jean, eft de 140 : 0 livres par an pour
toute la Province.
B iij
tiere
2174 MERCURE DE FRANCE.
tiere réunies pour toujours à la Couronne
de France , & en conféquence il inftitua
dans cette Ville une Sénéchauffée Royale ,
foumife immédiatement au Parlement de
Paris , mais il fit connoître en même-tems
que l'érection de ce Tribunal ne donneroit
aucune atteinte à la Juriſdiction ni aux Priviléges
des Echevins.
Peu après la mort du Duc de Gueldres ,
Maximilien Archiduc d'Autriche , qui venoit
d'époufer Marie de Bourgogne , fe
mit en campagne avec une armée , que les
Communautés de Flandre lui fournirent ,
& huit cent chevaux , qu'il avoit amenés
d'Allemagne . Louis , le voyant en état de fe
défendre plûtôt qu'il n'avoit cru , lui envoya
propofer une Tréve de dix jours , qui
fut fignée à Lens le premier ou le 2 Septembre
1477 *. Dès que cette Tréve légere fut
expirée , on recommença les hoftilités. Les
Soldats du Roi & les Payfans ravagerent le
Bois de Mofflaines , près de Court- au - Bois ,
& y couperent environ cinq mille chênes .
L'année fuivante , Maximilien marcha
contre Louis , qui étoit au voifinage de
Condé. Le Roi n'ofa l'attendre , quoiqu'il
fût à la tête d'une armée puiffante : il aima
mieux faire une retraite précipitée , après
avoir mis le feu à Condé & à Mortagne.
* Le P. Daniel dit que cefut le 18 Septembre.
L'ArOCTOBRE
. 1744. 2175
L'Archiduc le pourfuivit long-tems , mais il
s'arrêta au Pont à Vendin , ayant appris
que fon Ennemi étoit déja renfermé dans
les murs d'Arras .
Le Roi s'y trouvoit encore le jour de la
Fête -Dieu , & il porta un flambeau à la Proceffion
générale , qui fe fit autour de la
Ville.
Au mois de Juillet , les deux Princes parurent
difpofés à faire la Paix , mais comme
il n'étoit pas facile d'en régler les conditions
, le Roi ayant autant de peine à rendre,
que Maximilien à céder ce qui avoit été
pris , on fe contenta d'une nouvelle fufpenfion
d'armes ; elle fut concluë pour un an
en la Ville d'Arras , où l'Archiduc & les
Communautés de Flandre envoyerent leurs
Députés.
fixé
La guerre fe renouvella avant le terme

pour la fin de cette Tréve. Le 17 Juin
1479 , quatre mille François partirent , pendant
la nuit, d'Arras & des environs, à deffein
de furprendre Douai , avec des machines
nouvellement inventées , pour empêcher
qu'on ne pût baiffer les Sarrafines , &
refermer les Portes , quand elles feroient
une fois ouvertes . On avoit caché par avance
dans les bleds & dans des broffailles plufieurs
pelotons de Troupes , qui étoient
chargés d'obferver ce qui fe paffoit au -de-
B iiij hors
2176 MERCURE DE FRANCE.
hors de la Ville . D'autres Soldats bien armés
s'étoient introduits dans cette Place en habits
de Payfans , & devoient feconder ceux
qui s'empareroient des Portes. Quelques
Arrageois, informés du projet des François ,
en avertirent le Magiftrat de Douai par
des
Lettres , qu'ils confierent à une femme ,
dont ils connoiffoient l'attachement pour la
Maifon de Bourgogne. Le Magiftrat porta
fur le champ cette nouvelle aux Chefs de la
garnifon . Comme le nombre des François
étoit trop grand pour rifquer
rifquer une fortie , on
réfolut de ne point ouvrir la Porte qui mene
à Arras , mais on plaça en cet endroit de
groffes piéces de canon , qui accablerent les
Soldats mis en embufcade & une partie de
ceux qui s'étoient avancés vers la Porte. Le
refte fut obligé de prendre la fuite.
On voit dans les Mémoriaux que deux
ans auparavant un nommé de le Ruelle
avoit été banni par les Echevins d'Arras ,
parce qu'il étoit foupçonné d'écrire fouvent
aux Habitans de Douai , pour leur communiquer
ce qu'on faifoit & ce qu'on difoit
dans la Ville.
Louis XI apprit que des Arrageois avoient
fait échouer l'entrepriſe de fes gens : il en
reffentit la plus vive colere , & ce fut fans
doute à cette occafion que , confondant l'innocent
avec le coupable , il les chaſſa tous
de
OCTOBRE. 1744. 2177

de la Ville & de la Cité , fans diftinguer
fexe ni condition . Il fixa pour Lieux de leur
exil Paris , Rouën & Tours , & fit venir
pour les remplacer une Colonie Françoiſe.
Les Archers & les Arbalêtriers demeurerent
à Arras quelque-tems après les autres , mais
ils furent aufli bannis avant la fin de l'année
1479. Il n'y eut pas jufqu'aux Religieux de
S. Vaaft , qui éprouverent les effets de cette
profcription rigoureufe . Charles de Bourbon
, Archevêque de Lyon , avoit été
tifié de leur Abbaye : voyant que ces Moines
défaprouvoient fes maximes & fes
moeurs corrompuës , & fâché de ce qu'ils
refufoient de lui obéir aveuglément , il obtint
un ordre pour les faire fortir du Monaftere
, où il appella d'autres Moines d'un
caractere plus conforme au fien , & qui lui
permirent de diffiper à fon gré les revenus
de la Maifon .
gra-
Tous les Hiftoriens que j'ai lûs fe font
trompés fur les véritables caufes & fur l'époque
de cette révolution : ils ont cru qu'elle
avoit fuivi de fort près les infultes reçues
par Louis XI au Siége d'Arras , mais les Archives
de la Ville fourniffent mille preuves
de leur erreur. Il fuffira de joindre ici les
plus frappantes à celles que j'ai déja rapportées
dans le cours de ce Mémoire.
Le 12 Juin 1479 , cinq jours feulement
By avant
2178 MERCURE DE FRANCE.
avant l'Expedition de Douai , le Seigneur
de Baudricourt , qui étoit alors Lieutenant
Général en Artois , exempta les habitans
d'Arras pour un an du fervice de guerre , en
confideration des maux qu'ils avoient foufferts.
D'ailleurs , les Regiftres de la Ville ne
contiennent aucun veftige de ce qui arriva
durant l'éxil des Arrageois , & l'interruption
de ces Journaux ne commence qu'au 14
Juillet 1479. On n'y trouve point de nomination
d'Echevins pour cette année : on y
voit au contraire que le Magiftrat fut renouvellé
les deux années précédentes la
veille de la Touffaint , felon la forme ordinaire
, & ceux qu'on élut pour compoſer ce
Corps , furent certainement tirés d'entre les
anciens Habitans ; la plûpart même avoient
déja exercé l'Echevinage , avant la mort du
Duc de Bourgogne.
Une preuve encore plus convainquante ,
eft celle qu'on remarque dans la Chartre
émanée de Charles VIII , fils de Louis XI ,
& dont je parlerai amplement. Ce Prince y
dit expreffèment que les habitans d'Arras
furent bannis environ deux ans après qu'ils
eurent fait pleine & entiere obéiffance au Roi
fon Pere. En voilà fans doute affés pour démontrer
l'anachroniſme , où font tombés les
Auteurs , qui ont écrit fur cette matiere.
Après
OCTOBRE . 1744- 2179
Après la fameufe Bataille d'Enguinegate
qui le donna le 7 Août 1479 , l'Archiduc
Maximilien prit d'affaut le Château de Malannoy
, fitué proche l'Abbaye de Ham , &
en fit pendre le Commandant avec cinquante
de les Soldats . Louis ufa de reprefailles ;
il fit choisir un pareil nombre de Priſonniers
de guerre , ordonna d'en pendre dix à l'endroit
même où les François avoient été exécutés
, dix fur le bord des foffés d'Arras ,
dix aux Portes de S. Omer , autant à celles
de Douai , & les dix autres à Lille .
Au mois de Juillet 1481 , le Roi fit paroître
une Chartre , qui mit le comble au
châtiment des Arrageois. Il y déclare que fa
volonté eft d'abolir entierement le nom
d'Arras , & défend , fous peine de punition
exemplaire , que certe Ville foit jamais ainfi
appellée de bouche ni par écrit. Franchiſe ,
fut le nouveau nom qu'il lui impofa , non
pour exprimer le caractere fincere & naïf
des anciens Habitans , puifqu'il les avoit
déja expulfés de leur Patrie : ce mot ne fignifioit
pas non plus Ville Françoife , comme
divers Auteurs fe le font imaginés. Le
Roi dit lui-même dans fa Chartre, qu'il donne
à cette Ville & à la Cité le nom de Franchiſe
, afin qu'on ſe ſouvienne à jamais des
grandes franchiſes & libertés , qu'il accorde
aux nouveaux Citoyens , ce qui introdui-
B vj
fic
2180 MERCURE DE FRANCE.
fit les termes de Civitas Libertinenſis , Eel
clefia , Epifcopus , Officialis Libertinenfis
qu'on lit dans un Arrêt rendu au Parlement
de Paris en 1482 .
En effet , non content de confirmer en faveur
de la Colonie Françoiſe les Priviléges
octroyés anciennement à la Ville par les
Comtes de Flandre & d'Artois , par les Ducs
de Bourgogne & par les Rois de France ,
Louis en ajouta une infinité d'autres , pour
exciter un grand nombre de François à y
venir habiter volontairement : je dis volon
tairement , car il réfulte de fon Ordonnance
que plufieurs perfonnes avoient été forcées
d'entrer dans la Colonie. Auffi -tôt que le
Roi eut réfolu de chaffer les anciens Habitans
, il fit tenir des affemblées à Paris , à
Rouen , à Tours , à Lyon , & en d'autres
Villes de France. Les Officiers de ces Lieux
y élûrent une bonne quantité de Marchands
& d'Artifans , & les envoyerent à Arras ,
où ils étoient reçûs avec certaines formalités
par les Commiffaires du Roi , qui leur diftribuoient
des maifons , fuivant leur état .
Plufieurs Négocians , ainfi nommés malgré
eux , pour fervir au repeuplement de
cette Ville , eurent beaucoup de peine à s'en
difpenfer. Les uns furent obligés d'alleguer
leur vieilleffe , ou de prétexter des maladies :
les autres donnerent ou prêterent des fommes
OCTOBRE. 1744. 2181
mes d'argent à quelques- uns de leurs Com
patriotes , pour les engager à partir en leur
place. Il y a dans cette même Chartre un
article , par où le Roi annulle toutes les
Promeffes & les Obligations contractées par
les nouveaux Habitans , pour les prêts qu'on,
leur avoit faits à ce fajet , & cela attendu
les dépenfes & les embarras qu'ils avoient,
effuyés , en formant leur établiſſement à
Franchife.
>
Il fe plaint dans un autre article de ce
que nombre d'Arrageois , qu'il appelle fes
adverfaires , rebilles & défoléiffans Sujets
après avoir juré de lui demeurer fidéles
font pourtant rentrés dans le Parti ennemi .
Il défend au Lieutenant de Roi , au Gouverneur
& aux Echevins de les fouffrir dans
la Ville & Cité de Franchife : il les charge
néanmoins de recevoir ceux qui reviendroient
pour faire un nouveau Serment ,
mais de les releguer auffi- tôt par de- là la
riviere de Somme.
y
Cette Chartre contient plufieurs Reglemens
pour la Police de la Ville : le Roi
change la maniere ordinaire de nommer le
Maire & les Echevins ; il accorde à ceux
qu'il avoit déja pourvûs de ces Emplois , ou
qui devoient l'être dans la fuite , le Privilége
de Nobleſſe , tant pour eux que pour leur
pofterité mafculine & féminine ; il les exemte
2180 MERCURE DE FRANCE.
fit les termes de Civitas Libertinenfis , Ee
clefia , Epifcopus , Officialis Libertinenfis ,
qu'on lit dans un Arrêt rendu au Parlement
de Paris en 1482 .
En effet , non content de confirmer en faveur
de la Colonie Françoiſe les Priviléges
octroyés anciennement à la Ville par les
Comtes de Flandre & d'Artois , par les Ducs
de Bourgogne & par les Rois de France ,
Louis en ajouta une infinité d'autres , pour
exciter un grand nombre de François à y
venir habiter volontairement je dis volon
tairement , car il réfulte de fon Ordonnance
que plufieurs perfonnes avoient été forcées
d'entrer dans la Colonie. Aufli -tôt que le
Roi eut réfolu de chaffer les anciens Habitans
, il fit tenir des affemblées à Paris , à
Rouën , à Tours , à Lyon , & en d'autres
Villes de France . Les Officiers de ces Lieux
y élûrent une bonne quantité de Marchands
& d'Artifans , & les envoyerent à Arras ,
où ils étoient reçûs avec certaines formalités
par les Commiffaires du Roi , qui leur diftribuoient
des maifons , fuivant leur état.
Plufieurs Négocians , ainfi nommés malgré
eux , pour fervir au repeuplement de
cette Ville , eurent beaucoup de peine à s'en
difpenfer. Les uns furent obligés d'alleguer
leur vieilleffe , ou de prétexter des maladies :
les autres donnerent ou prêterent des fommes
OCTOBRE. 1744. 2181
mes d'argent à quelques- uns de leurs Com
patriotes , pour les engager à partir en leur
place. Il y a dans cette même Chartre un
article , par où le Roi annulle toutes les
Promeffes & les Obligations contractées par
les nouveaux Habitans , pour les prêts qu'on
leur avoit faits à ce fajet , & cela attendu
les dépenfes & les embarras qu'ils avoient,
effuyés , en formant leur établiſſement à
Franchife.
Il fe plaint dans un autre article de ce
que nombre d'Arrageois , qu'il appelle fes
adverfaires , rebelles & défobéiffans Sujets ,
après avoir juré de lui demeurer fidéles ,
font pourtant rentrés dans le Parti ennemi .
Il défend au Lieutenant de Roi , au Gouverneur
& aux Echevins de les fouffrir dans
la Ville & Cité de Franchife : il les charge
néanmoins de recevoir ceux qui reviendroient
pour faire un nouveau Serment ,
mais de les releguer auffi- tôt par de- là la
riviere de Somme.
Cette Chartre contient plufieurs Reglemens
pour la Police de la Ville : le Roi y
change la maniere ordinaire de nommer le
Maire & les Echevins ; il accorde à ceux
qu'il avoit déja pourvûs de ces Emplois, ou
qui devoient l'être dans la fuite ,le Privilége
de Nobleffe , tant pour eux que pour leur
pofterité mafculine & féminine : il les exemte
2182 MERCURE DE FRANCE.
de te du droit de Franc-Fief , & leur permet
commercer , même en détail , fans déroger
à leur condition.
Ce Monarque ne fe contenta point d'anéantir
le nom de la Ville d'Arras . Voulant
effacer jufqu'à la plus legere marque de fon
ancien état , il lui donna pour nouvelles
armes un Ecu d'azur, femé de fleurs - de- Lys
d'Or , au milieu deſquelles étoit l'image de
S. Denis Apôtre de France , portant la tête
entre fes mains . Ces armoiries ont fans doute
contribué à la méprife des Hiftoriens ,
qui ont cru que Franchife vouloit dire Ville
Françoife. Quoiqu'il en foit , le Roi enjoignit
aux Echevins de faire peindre ou fculpter
cet Ecuffon à toutes les Portes de la Ville
& de la Cité , & à celle de leur Hôtel commun.
Marie de Bourgogne , Archiducheffe d'Autriche
, mourut d'une chute de cheval le 18
Mars 1482 , & laiffa deux enfans , Philippe
& Marguerite d'Autriche. Cette mort rendit
les Gantois encore plus infolens qu'ils
ne l'avoient été jufques-là . Ils refuferent à
l'Archiduc la tutelle de fes enfans , ce qui
fit naître aux Pays - Bas des guerres longues
& cruelles.
Louis fçut bien mettre à profit la difpofition
de ces Bourgeois mutins . Depuis
quelque-tems iftraitoit fourdement avec eux
fur
OCTOBRE. 1744. 2183
fur les moyens de conclure une Paix entre
la France & la Flandre , bien affûré qu'ils
contraindroient Maximilien d'accepter les
conditions qui leur plairoient. Il leur avoit
déja fait propofer le Mariage du Dauphin
avec Marguerite fille de l'Archiduc , pourvû
qu'on donnât à cette Princeffe les deux Provinces
de Bourgogne , & afin de leur témoi
gner qu'il n'avoit nul deffein d'envahir la
Flandre , il offroit de leur rendre Arras , &
tout ce qu'il avoit pris du côté de l'Artois ,
pour leur fervir de barriere contre la France.
Dès que l'Archiducheffe fut morte , il redoubla
fes foins , & mit tout en uſage , pour
venir à bout de fon entrepriſe . Philippe de
Crevecoeur , Seigneur d'Efquerdes , qui
paffa en Flandre à cette occafion , négocia
avec beaucoup d'habileté & de fuccès. Les
Communautés du Pays tinrent des Affemblées
, pour régler les affaires de l'Etat . En
vain les Députés de plufieurs Villes voulurent
laiffer une autorité légitime à l'Archiduc
; ceux de Gand l'emporterent toûjours,
& même ils obligerent ce Prince de confentir
à la Paix & au Mariage de fa fille avec le
Dauphin.
Lorfqu'on lui eut arraché fon acquiefcement
, les Flamans firent demander au Roi
des Conférences , pour travailler à un Traité.
Leurs Ambaffadeurs furent écoutés favora2184
MERCURE DE FRANCE.
rablement , & on choifit Arras pour lieu
du Congrès. Louis n'y envoya que quatre
Plénipotentiaires , fçavoir , le Seigneur
d'Efquerdes , Olivier de Quetman , Lieutenant
de Roi en cette Ville , Jean Guerin ,
Maître d'Hôtel de S. M. & Jean de la Vacquerie
, qui de Confeiller - Penfionnaire
d'Arras étoit devenu Premier Préfident . au
Parlement de Paris. Il s'y trouva au nom
des Flamans jufqu'à 48 Députés , à qui Ma-
' ximilien fut forcé de donner auffi un pleinpouvoir
, tant pour lui que pour fes enfans.

Le Traité de Paix , dans lequel cette Ville
eft toûjours nonimée Franchiſe aliàs Arras ,
fut figné le 23 Décembre 1482 , & ratifié
par le Roi au mois de Janvier fuivant . On
y convint entre autres chofes , que le
Dauphin épouferoit Marguerite d'Autriche
, quand elle feroit en âge : qu'après la
publication de la Paix , cette jeune Princeffe
feroit amenée à Arras & mife entre les mains
d'un Prince du Sang , pour être conduite à
la Cour de France : qu'elle auroit pour dot
les Comtés d'Artois & de Bourgogne , le
Mâconnois , l'Auxerrois , Salins , Bar-fur-
Seine & Noyers : que s'il ne fortoit point
d'Enfans du Mariage , ces Etats retourneroient
au Duc Philippe,frere de Marguerite
ou à fes héritiers : que la Princeffe , en arrivant
OCTOBRE . 1744 2185
vant à Arras , feroit déclarée par le Comte
de Beaujeu , Comteffe d'Artois & de Bourgogne
, & Dame des autres Seigneuries qui
compofoient fa dot : que tous ces Pays feroient
gouvernés felon leurs droits , uſages,
coûtumes & priviléges fous la main du Dauphin
, comme futur Mari & Bail de Marguerite.
Les Envoyés de Maximilien & des
Etats demanderent que la Ville d'Arras pût
jouir des mêmes avantages , & qu'elle fût
remiſe en fa premiere fituation : à quoi l'on
répondit pour le Roi que les anciens Habitans
, même ceux qui s'étoient retirés fous
la domination de l'Archiduc , pourroient
rentrer dans leurs héritages , revenir en
cette Ville , & y faire leur Commerce ou
toute autre Profeffion , de même qu'auparavant.
Du refte , le Roi s'en remet au Dauphin
touchant la reftauration de l'ancienne
Police. Il fut auffi permis par un article féparé
aux Religieux de S. Vaaftde retourner
dans leur Abbaye , & d'en reprendre les
biens.
Une autre claufe accorde aux Villes & aux
Villages d'Artois , une exemption de l'aide
ordinaire pendant fix ans , & les décharge
de tous les arrérages échus au tems du
Traité.
Les Ambaſſadeurs Flamans prierent ceux
du Roi de ne point laiffer de gens de guerre
dans
2186 MERCURE DE FRANCE.
dans les Places frontieres. Il fut dit là -def
fus qu'on feroit fortir la garnifon des petites
Villes , telles que Lens & l'Eclufe , mais
qu'on diminueroit feulement celle des grandes
, comme Arras , Bethune , Aire , Terouane
, S. Pol , Guife & S. Quentin .
Le Traité portoit encore que la Ville
Château & Bailliage de S. Omer , ne feroient
mis en la poffeffion du Dauphin
qu'après fon mariage accompli : que jufqu'à
ce tems , ils feroient confiés à la garde des
Habitans , qui jureroient de n'y admettre ni
l'Archiduc ou fon Fils , ni le Roi ou le Dauphin
: que fi la Princeffe Marguerite mouroit
avant la confommation du mariage , S.
Omer & fes dépendances feroient rendus
à Philippe d'Autriche ou à fes héritiers : que
cette Ville garderoit une exacte neutralité ,
au cas que la guerre fe renouvellât entre la
France & l'Archiduc .
Enfin il fut reglé , que fi le Mariage projetté
ne fe faifoit point , les biens affignés à
Marguerite d'Autriche rentreroient au Domaine
de fon frere , fauf la Souveraineté
qui appartenoit de tout tems à la Couronne
de France .
>
On furpaffa les efperances du Roi , en donnant
tout à la fois à Marguerite les Comtés
d'Artois & de Bourgogne. Ce fut l'Ouvrage
des Gantois , qui cherchoient à affoiblir
la
OCTOBRE. 1744 2187
2
>
la puiffance de leur Prince. Maximilien n'avoit
pas lieu d'être fort fatisfait du Traité
quoiqu'il eût été figné en vertu de fes pouvoirs.
Il fut même tenté d'enlever fa fille
avant qu'on la mît en chemin pour la France
, mais les Gantois & les François employerent
de fi bonnes précautions qu'il
n'ofa l'entreprendre. Cette Princeffe , âgée
d'environ cinq ans , fut fiancée à Amboiſe
avec le Dauphin, au mois de Juillet 1483 .
Louis XI mourut le 30 Août , après avoir
fait plufieurs legs pieux , entre lefquels je
n'oublierai pas un Tabernacle & une Image
de la Vierge en Argent, pefant 250 marcs ,
qu'il donna à la Cathédrale d'Arras ; il donna
de plus aux Dominicains de cette Ville ,
un cierge de 152 livres , qui faifoient le
poids de fon corps , pour être allumé devant
l'Autel de la Vierge. L'Eglife Paroiffiale de
la Ville de S. Pol , fut auffi enrichie d'un
Calice d'or , par le Teftament de ce Prince .
Charles VIII , fon fucceffeur , n'oublia
point les promeffes faites en faveur des Ar
rageois par le Traité , dont je viens de
ler. Dès le 13 Janvier 1484 , le Roi fit
dreffer une Chartre , par laquelle il permet
que les anciens Habitans d'Arras , de toute
condition , reviennent y demeurer , & qu'ils
reclament leurs biens immeubles , en l'état

paroù
2188 MERCURE DE FRANCE.
où ils les trouveront. Cette Ordonnance
fait revivre la Police & la forme deGouver
nement qu'on obfervoit avant les troubles ;
elle fupprime entierement les nouvelles
Loix établies durant l'exil . Le Roi donne
aux Marchands & Artifans François le choix
de s'en retourner aux Lieux de leur naiſſance
, ou de refter à Arras , mais en y louant
des maiſons , de l'aveu des perfonnes à qui
elles appartenoient auparavant.
› Antoine de Crevecoeur Seigneur de
Thiennes , Sénéchal & Gouverneur d'Artois
, fut nommé par le Roi , pour mettre fa
Chartre en exécution , avec toute la folemnité
que demandoit un tel événement.
Dès qu'il fut arrivé dans Arras , Pierre de
Ranchicourt , Evêque de cette Ville , fuivi
de quelques Membres des trois Etats , alla
le prier de remplir inceffamment l'impor
tante Commiflion ; dont il étoit chargé.
Ce Gouverneur fit appeller à l'Hôtel - de-
Ville tous les Marchans & les Artifans François
qui fe trouvoient à Arras , leur notifia
les ordres du Souverain , & ne leur donna
que huit jours pour y fatisfaire volontairement
, avec menace de les y forcer après ce
tems. Enfuite il fit publier la Chartre à tous
les Carrefours de la Ville & de la Cité
pour en apprendre le contenu à ceux qui
n'aOCTOBRE
, 1744. 2189
2
n'avoient pû affiſter à l'Affemblée. Le 4
Mai fuivant ce Seigneur choisit douze
Echevins parmi les anciens Habitans : le
Confeiller - Penfionnaire , le Procureur de
Ville & l'Argentier furent auffi changés.
Les Etrangers furent dépouillés des autres
Charges Municipales , qui font à la difpofition
du Magiftrat , & on les rendit
aux perfonnes , qui les poffédoient avant
le banniffement. Ceux d'entre eux qui
étoient morts pendant l'adminiſtration des
François , furent remplacés par le Gouverneur
, avec le confentement des Echevins.
Enfin , tout rentra dans l'ordre ancien
, & il ne refta prefque nulle trace de
la févérité de Louis XI,
EPI
2190 MERCURE DEFRANCE.
EPITRE A URANIE ,
* Pour le jour de fa Fête,
TRansfuge des bords du Permeffe ,
D'une douce & trompeufe yvreffe
Je croyois affranchir mes fens ,
Et dans les bras de la pareſſe
Filer le refte de mes ans ,
Quand , à ta voix enchantereffe ,
Je lens ranimer mes accents.
Tu veux , qu'oubliant ſa promeſſe ,
Ma Mufe joigne encor fes chants
Aux fleurs qu'à t'offrir je m'empreffe ;
Qu'elle enfante des fons touchants ,
Des Vers , où brillent la fineffe ,
L'enjoûment , la délicateffe ,
م
Et des Mufes tous les préfens
Et dont ton auftere ſageſſe
M'ordonne de bannir l'encens.
De la Poëtique harmonie
J'ignore , Divine Uranie ,
Les tons divers , les agrémens ;
J'ignore l'Art , les traits charmans ,
Qu'enfante une aimable manie ,
Quand , fans effort , un beau génie
Scair
OCTOBRE. 1744.
2191
Sçait être , en fes amuſemens ,
L'interpréte des fentimens .
Privé de ces dons , à me taire
Je me condamnois pour toujours ,
Quand d'un filence falutaire
Tes Loix interrompent le cours.
Mais quoi ! faudra -t'il que fidelle
A tout ce que tu voudras d'elle ,
Ma Lyre , en ce nouveau début ,
D'une louange méritée
Et par mon coeur toute dictée ,
Ne puiffe t'offrir le tribut ?
Que dis-je ? à quoi penfe ma Mufe ?
Ah ! loin qu'un vain orgueil l'abuſe ,
Qu'elle en arrache le bandeau ;
Ignore -t'elle fa foibleſſe ,
Et que , pour peindre une Déeffe ,
Ua Mortel n'a point de pinceau ?
Doit-elle faire l'étalage
Des Vertus du plus digne objet ,
Si la beauté de fon langage
N'égale celle du fujet ?
Dans l'ardent tranſport , qui l'anime ,
Suivroit-t'elle l'efpoir fateur
De pouvoir adopter la rime
Pour l'interpréte de mon coeur ?
Dans l'Art heureux de me connoître ,
Par ta fageffe retenu ,
Da
2192 MERCURE DE FRANCE.
De la vaine ardeur de paroître ,
Je fuis , dès long- tems revenu.
Je me ris de ces Mufes folles
Qui , dans leurs fades hyperboles ,
Ne parlant qu'un même jargon ,
Sans connoître le ton des
graces
De leur ennui fément les glaces
Et tirannifent la Raifon .
Je les laiffe dans leurs retraites ,
Rimailler toutes leurs fornettes ;
S'applaudir de leur Apollon.
Loin de toute gent ennuieufe
De très- infipides caufeurs ,
D'importuns , de bruïands jafeurs ,
Loin de toute troupe envieuſe
Qui ,fous un voile de douceur ,
Ne m'offre qu'un mafque impofteur ,
Loin de ces Conciliabules
Ou , dans des projets ridicules ,
La calomnie , à l'oeil malin ,
Exhale fon cruel venin ;
Loin de ceux qui , n'aimant qu'eux- mêmes ;
N'ont jamais eû le coeur lié
Par les plaifirs vrais & fuprêmes
Que goûte la tendre Amitié :
Loin , enfin , de ces ames viles ,
Qui , par mille crimes commis ,
S'épuifent en foins inutiles.
Pour
OCTOBRE . 1744 2193
Pour défunir de vrais amis ,
Je vais ,dans ton charmant azile ,
T'offrir les plus finceres voeux :
Ton Amitié , d'un fort tranquile
M'y fçait filer les jours heureux.
Là, de la Raifon , qui m'éclaire ,
Ton coeur allume le flambeau :
Là , de toute erreur menfongere
Tu fçais m'arracher le bandeau :
Là , de mon ame , qui t'implore ,
Tes vertus forment les liens ;
Là , dans l'inftant , qui vient d'éclore ,
Je vois naître de nouveaux biens.
Régne fur moi , Belle Uranie ;
Sois mon aftre ; guide ma vie ;
Tandis que mon fincere coeur ,
Dont la vive & conftante ardeur
Sera l'éternel appanage ,
A t'aimer , à te rendre hommage ,
Mettra fa gloire & fon bonheur.
C DIS2194
MERCURE DE FRANCE.
DISSERTATION de M. du Marfais
fur la prononciation & fur l'Orthographe
de la Langue Françoife , où l'on examine s'il
faut écrire Français , au lieu de François.
A. M.
Oici , V Monfieur , puifque vous le
voulez , ce que je penfe fur la maniere
d'écrire le mot François par la diphthongue
a Français , au lieu de François par
l'orthographe vulgaire.
l'Art
Ce font là des minuties , aufquelles il
femble que les perfonnes , qui penſent auffi
grandement que vous , M. ne devroient pas
s'amufer , mais j'ai en l'honneur de vous
entendre dire plus d'une fois , que
ingénieux de peindre la parole intereffe trop
la Societé , pour traiter de bagatelle ce qui
le concerne ; & d'ailleurs il eft utile d'accoûtumer
fon efprit à penfer avec juſteſſe
fur les moindres choſes.
Permettez -moi , M. de rappeller d'abord
quelques principes , qui me mettront en
état de répondre, avec plus d'exactitude , à
votre question ,
Il me femble qu'il y a bien de la différenge
entre une Langue , & la maniere de l'éetire,
Une
OCTOBRE, 1744. 2195
Une Langue eft l'Ouvrage de la Nature
& la maniere de l'écrire eft l'Ouvrage de
l'Art.
La Nature nous a donné les organes de la
parole ; nous en faifons par
imitation
, par
inftinct , le même ufage, que nous en voyons
faire à ceux avec qui nous vivons. Le même
intérêt qui nous a appris à entendre ceux
qui nous parloient , nous apprend à les imiter
, afin que comme nous avons connu ce
qu'ils penfoient , nous puiffions auffi leur
faire connoître ce que nous penfons.
On ne peut pas dire qu'aucun particulier
ait inventé l'Art de parler , ni même une
feule Langue , de toutes celles qui exiſtent ,
ou qui ont été en ufage parmi les Hom
mes.
paro
Aucune Langue n'eft donc l'Ouvrage de
l'Art : elles font toutes une fuite néceffaire
de la conformation des organes de la
le , & d'un nombre prefqu'infini de circonftances
, qui ont concouru à leur établiſſement,
qui en font la varieté , & qui par le
laps de tems y apportent des changemens
qui à la fin les détruifent , & leur font faire
place à d'autres , qui s'introduifent de la
même maniere que les anciennes s'étoient
établies.
Les Langues n'art point l'Ouvrage d'aucun
particulier , mais étant un effet de cette
Cij 11a2196
MERCURE DE FRANCE.
maniere fupérieure , felon laquelle les chofes
femblent fe faire & s'introduire toutes
feules , fans le fecours de l'Art , ni de l'Autorité
, nous devons les prendre telles que
nous les trouvons , puifqu'elles ont été faites
indépendemment de nous. Quand une
fois les caufes , qui forment une Langue ,
ont produit leur effet , & qu'enfin la Langue
eft établie , la Loi eft publiée ; tout doit
y être foumis , jufqu'à ce que des cauſes pareilles
faffent fucceder un nouvel effet au
premier.
Ainfi , lorfqu'il s'agit de l'emploi ou de la
prononciation d'un mot , ou qu'il eft queftion
de quelque tour de Phrafe , nous devons
nous contenter de confulter l'ufage de
la plus noble & de la plus éclairée partie de
la Nation , où cette Langue eft établie ; il
fuffit que l'on puiffe nous dire avec vérité
c'eft ainfi que les perſonnes éclairées de la Na
tion parlents tel eft le langage de ceux qui ont
eu de l'éducation à la Cour , ou dans la Capitale.
C'est dans ce fens que les Auteurs de réputation
employent un tel mot ou une telle Phra
fe : tout eft décidé. Nous devons prendre
les mots & les Phrafes , telles que l'ufage le
plus autorifé nous les préfente, Cet ufage
eft la feule régle de la prononciation , de la
fignification & de l'emploi des mots & des
Phrafes. Il n'y a pas fur ces points d'autres
.
prinOCTOBRE.
1744. 2197
principes. Nous ne pouvons qu'obferver l'ufage
, & conformer notre pratique à ces
Obfervations.
>
Il n'en eft pas de même de la Peinture ,
de la Mufique écrite , de l'Orthographe , &
des autres Inventions de l'induſtrie des
Hommes . Nous avons tous droit de révifion
. Nous avons tous intérêt de reconnoître
pour quelle fin › pour quels motifs
pour quels ufages , on a imaginé l'Art ; ſi
l'inventeur fuit fon but , fi les moyens conduiſent
à la fin . On doit même nous fçavoir
gré de propofer ce qui peut ajoûter quelque
degré de perfection à l'Art , & faire
éviter ce qui pourroit le rendre défectueux.
C'eft ainfi que les Arts fe font perfectionnés
.
Tous les Arts ont leurs principes & leurs
régles , indépendemment de tout caprice
parce qu'ils ont tous une fin , à laquelle ils
doivent atteindre , pour remplir leur inftitution
. La Peinture d'une bouché doit reffembler
à une bouche , & ne doit pas être
la figure d'un oeil ; le portrait de Louis doit
me rappeller l'image de Louis , & s'il me
rappelle l'idée de quelqu'autre , le Peintre
n'a pas rempli fon objet.
Les Notes de Mufique ont chacune leur
deſtination , & fi vous voulez me faire
chanter mi , fa , fel , il ne faut pas que
C iij
Vous
2198 MERCURE DE FRANCE.
vous notiez fur la portée la , fi , ut.
* Mille raifons d'intérêt , de commodité
de vanité , engagerent autrefois les Hommes
à chercher un moyen , pour communiquer
leurs penfées aux abfens , pour fe les
rappeller à eux-mêmes , & pour les tranfmettre
à la Pofterité. Ils inventerent d'abord
des Hieroglyphes , c'eft-à -dire des fignes
, ou fimboles , qui n'étoient deftinés
qu'à faire entendre le fond de la penſée , à
peu près comme le chou , pendu à une
porte , indique que c'est là que l'on vend
du vin. Enfin , après bien des recherches
ils eurent le bonheur de trouver ces petites
figures que nous appellons Lettres , dont
chacune eft destinée à être le figne de quelqu'un
des fons particuliers , qui entrent
dans la compofition des mots.
L'Art , qui apprend à fe fervir de ces ftgnes
, eft appellé Orthographe , c'eſt-à -dire
L'Art d'écrire , felon le but pour lequel
l'Art à été inventé . L'Orthographe ,étant un
Art , elle doit avoir des principes , & des
principes invariables , car tout Art eft inventé
, pour conduire à une fin ; les principes
de l'Art , ce font les Régles , les Obfervations
qui conduifent à cette fin ; or
comme la fin ne change point , les principes
doivent aufli être invariables comme
elle.
7
>
Quelle
OCTOBRE. 1744. 2199
Quelle eft la fin de l'Orthographe , &
quels en font les principes ? La fin de l'Orthographe
eft de peindre la parole par des fignes
, qui , felon leur deftination une fois
fixée & convenuë , deviennent l'image des
fons particuliers , qui entrent dans la compofition
des mots .
A l'égard des principes , c'est-à-dire, des
moyens que l'on doit néceffairement employer
, pour arriver à cette fin , je me contenterai
de rapporter ici les deux ou trois
principes fondamentaux , dont tous les autres
ne font que des conféquences.
I. L'Orthographe doit fournir autant de
fignes particuliers qu'il y a de fons differents
dans une Langue , enforte que chaque fon
ait fa Lettre repreſentative.
II. Ces Signes ou Lettres ne doivent jamais
être employés l'un pour l'autre , car
alors le Signe feroit équivoque , ce qui eft
le plus grand défaut qu'un Signe puiffe
avoir.
>
III. Enfin l'Orthographe doit faire tout
ce qu'il faut & ne faire que ce qu'il faut ,
pour arriver à fon but , qui eft uniquement
de donner les Signes propres & incommutables
de la prononciation , & les Obfervations
nécellaires pour écrire ces Signes.
Il eft indubitable , que d'abord on a fuivi
ces principes. On n'avoit inventé les Signes
des
Ciiij
300000
2200 MERCURE DE FRANCE.
des fons que pour en fuivre la deſtination.
Si l'on écrivoit Empereur , enfant , entendre,
par un é , c'eft qu'on prononçoit émpereur ,
énfant , énténdre. La preuve en eft bien claire
; c'eft que cette prononciation s'eft confervée
jufqu'aujourd'hui , en plufieurs Provinces
& furtout en Provence & en Languedoc
, où tous les mots François qu'on écrit
par en & qu'on prononce par an en François
, fe prononcent par én , même la prépofition
en in , & c'eft ainfi que nous prononçons
examén , Hymén , Saducéén , Chaldéén
amén , bién , mién , tién , ancien , & c.
Il y a auffi en Picardie , en Artois & en
Flandre , plufieurs fortes de prononciations,
qui par leur conformité avec l'ancienne Orthographe,
juftifient que cette Orthographe
fut autrefois conforme à la prononciation ,
comme Paon.
>
Quand la prononciation change on
peut affurer que l'Orthographe changera ,
mais de loin en loin ; on écrivoit foubs on
n'écrit plus que fous , parce que le b ne s'y
prononce plus. On écrivoit il ha , habet ',
on écrit fimplement il a, on écrivoit Adrian,
Damian , Valentinian , parce qu'on les prononçoit
ainfi ; aujourd'hui on écrit Adrien
Damén , Valentinién , par la feule raiſon de
la prononciation . On écrivoit treuve ; on
écrit trouve , toujours par la raifon de la prononciation
, qui , étant la maîtreffe & l'original
CCTOBRE. 1744. 2201
ginal de l'Orthographe, la ſubjugue enfin &
fe la rend conforme .
Il n'y a pas bien long- tems qu'on écrivoit
encore il faira , parce que d'abord on l'avoit
prononcé ainsi , faiſant entendre l'a &
l'i dans la premiere fyllabe , comme on le
fait encore en Provence & dans les Pays
voifins , mais la prononciation de l'ai s'étant
perduë en ce mot là , & celle de l'e muet y
ayant été fubftituée , le figne reprefentatif
de cet e muct , a enfin été mis dans l'écriture
au lieu de l'ai , qui n'avoit plus de rapport
à la prononciation de ce mot , enforte
que les partifans même de l'ancienne Orthographe
écrivent aujourd'hui ilfera , conformément
à la prononciation préfente . On
commence même à écrire nous fefons , il fefoit
, en fefant. Mais pendant que d'un côté
on révoque avec raifon le Privilége que
l'on avoit toleré dans l'ai , de reprefenter l'e
muet en ces mots , quelques perfonnes veulent
l'en dédommager , en lui accordant
malgré fon inftitution & fon ufage propre ,
la prérogative de représenter l'e ouvert dans
le mot François qu'ils écrivent par ai, ai , Français.
Il me femble , que felon les véritables
principes , il ne faudroit écrire la derniere.
fyllabe de François , ni de l'une ni de l'autre
maniere , puifqu'on ne prononce ni
Cy Fran
2202 MERCURE DE FRANCE.
Franço- is ni Français : car on n'entend ni o
nii ; nni a niz.
Oi eft une diphthongue repréſentative des
fons de l'o & de l'i , raffemblés en une feule
fyllabe , fans divifer la voix , mais qui doit
faire entendre les deux voyelles , comme
on les entend dans la premiere fyllabe de
voy-ez , voy-age , moy- en.
On fait aufli fentir les deux voyelles en
Italien dans noi nous , voi vous . On prononce
no- i , vo-i en raffemblant les deux
fons en une feule fyllabe. Quelle difference
entre le fon Italien de noi , voi , & le fon
François moi, toi !
Les deux voyelles de la diphthongue oi
fe font auffi entendre en Grec Tesia , la
Ville de Troye. Oi , article Grec au pluriel.
Oi xóo les difcours , & au datif , 70s
ayos. Dans ce dernier , les trois Lettres
es ont un fon bien different de celui qu'elles
ont dans François , S. François , les Suédois
, &c.
Cette diphthongue oi , ois , fe prononce
dans la plupart de nos mots , fans que l'on
entende rien de l'o ni de l'i , comme dans
foi , moi , toi , foi , Loi , voi , Roi , quoi , &c.
On entend oua , oué & nullement o- i.
Ainfi , fi l'on veut prononcer François
comme on prononce S. François , Lois, Rois,
mois , trois , & c. il faudroit un caractere particulier,
OCTOBRE. 1744 2203
"
ticulier , pour marquer cette forte de prononciation
, qui n'eft nullement marquée
par o-i , puifqu'on n'entend ni o ni i .
Que fi l'on veut prononcer François avec
le fon de l'e fort ouvert , comme dans procès
, fuccès , tempête , Abbeffe , & c. il eft évident
que pour marquer cette prononciation
d'une maniere propre & fans équivoque ,
il faudroit plûtôt fubftituer un ê ouvert à la
diphthongue o- i , qui n'eft pas même diphthongue
en ce mot , puifqu'elle n'y a point
de double fon. Mais comme cette façon
d'écrire ce mot par un ê ouvert n'eft point
autorisée , & que dans la prononciation
foutenuë , ce mot ne fe prononce point par
un ê ouvert , je crois qu'en attendant une
judicieuſe réforme , il faut écrire François ,
Anglois , je connois , &c .
Et pourquoi ne pas mettre ai au lieu d'oi ?
N'est- ce pas ainfi qu'on écrit Palais , Marais
, jamais , & tant d'autres où ai n'a que
le fon fimple de l'ê ouvert ?
par
Je répons que c'eft corriger un abus
un autre plus grand encore ; c'eft ôter à un
figne fa deftination propre , pour lui faire
fignifier un fon , qui , de fon côté , a ſon
figne particulier.Car ai eft une diphthongue
compofée de l'a & de l'i , qui n'eft deftinée
qu'à marquer un fon réiini , compofé de ces
deux voyelles , comme dans l'interjection
C vj.
ai ,
2204 MERCURE DE FRANCE .
que
ai , ai , ai ! & dans bail , mail , qui ne font
d'une feule fyllabe , Bayonne , Mayance
, Bercail , Camail , Email , Serail , poitrail,
détail , Evantail , travail , Portail , fans
compter tant d'autres mots en aille.
Si vous donnez à ces deux Lettres ai le
fon de l'é ouvert , vous lui ôtez fa premiere
deftination ; vous multiplicz les êtres fans
néceffité. Cette prononciation de l'é ouvert
n'a-t'elle pas fon figne è accès, procès , fuccès
, &c. Ces mots là s'écrivent-ils par ai ?
Cette vieille innovation , car il y a environ
un Siécle que le Sr de l'Eclache voulut
l'introduire , cette innovation , dis-je , induiroit
en erreur les Etrangers & les jeunes
gens , qui apprennent à lire , car fi vous leur
dites que ai fait ê , auront- ils grand tort de
lire la mên au lieu de la main . Bėl , mêl pêle ,
canêlle au lieu de Bail , mail , paille , canaille
& encore Bên , Germen , elleurs au lieu
de Bain , Germain , ailleurs , & enfin Mêance
, Beône au lieu de Mayance , Bayonne.
Mais ,
direz
-vous
, quoiqu'on
écrive
'Maire
, Confulaire
, Tutulaire
, & c. ne prononce
-t'on
pas
Mêre
, Confulêre
, Titulêre
?
On
écrit
de même
jamais
, Palais
, & l'on
prononce
james
, Palês
.
Je l'avoue ; mais revenons toujours au
principe . Cette maniere d'écrire ces mots
Far ai eft un refte de l'ancienne prononciaост
OCTOBRE. 1744. 2205
ciation , felon laquelle on faifoit fentir l'a
& l'i dans tous ces mots là , comme nous le
faifons encore dans Bail , Mail , ai , ai , ai !
de l'ail.
Interrogez un Provençal , il vous dira que
dans fon Pays onprononce encore fai -ré ,
faire ; Pala-i , Palais , ainfi généralement &
fans exception de tous les autres mots , écrits
par ai.
Telle étoit d'abord la feule & unique
deftination de cette diphthongue ; ainfi dans
ces mots là l'Orthographe a été d'abord conforme
à la prononciation . Dans la fuite , la
prononciation de ces mots-là a changé ai
en ê dans nos Provinces , en deçà de la Loire,
& l'Orthographe abandonnée par la prononciation
, eft reftée dans les Livres ; les
yeux de ceux qui font venus depuis , & qui
ont appris à lire dans ces Livres , ont été
dreffés à dire ê en ces mots là, quand ils y
voyoient ai , comme on fait dire Pan, Lan ,
lorfque nous voyons Paon , Laon ; il ne s'enfuit
nullement de-là , que pour faire entendre
qu'on doit prononcer Francês comme
Procês , on doive écrire Français . C'eſt vouloir
corriger un mal par un autre ; c'eſt tomber
de Carybde en Scylla.
On a toûjours écrit accês , procês , fuccês ,
par un é ouvert , parce que la prononciation
de ces mots là n'a point varié ; ils ont
tou2206
MERCURE DE FRANCE.
toujours confervé , dans la prononciation
& dans l'Orthographe, l'e qu'ils avoient dans
Ja Langue primitive , dont ils font dérivés ;
acceffus , proceffus , fucceffus , au lieu que
dans Palais & les autres l'a & l'i de la Langue
primitive , par exemple , Palatium, après
s'être confervés long- tems , dans la prononciation
& dans l'Orthographe,ne font restés
que dans celle- ci , en un mot , acceffus , proceffus
, fucceffus , ont amené accès , procès ,
fuccès , de même Palatium a fait dire d'abord
Pala-i , & Francus que l'on prononçoit Fran
cous a amené François : mais par quelle analogie
arriverons-nous à Français ?
Il y a un Poëme Provençal , qui a pour
Titre : Lou Teftamén de l'Ai , c'eſt- à - dire ,
Le Teftament de l'Afne ; toutes les perfonnes
de nos Provinces Méridionales , qui liront
ce Titre diront Teftamén comme on dit
examén , faifant entendre un é & non un a
dans la derniere fyllabe .
"
En fecond lieu , ils
prononceront Ai, faifant
entendre l'a & l'i comme dans l'interjection
ai , ai , ai , & dans Ail , Allium ,
&c.
Ce que je viens de dire , M. de la diphthongue
ai , eft vrai auffi de la diphthongue
au , que l'on prononçoit a - on , réuniffant
les deux fons en une diphthongue; l' fe prononçoit
à l'Italienne on , qui eftun fon fimple
,
OCTOBRE. 1744. 2207
ple , comme ceux des autres voyelles ; nous
avons confervé cette prononciation dans
loup & dans quelques autres mots , qui ne
s'écrivoient d'abord qu'avec un fimple u ,
Lupus , cuculus , & c.
Tous les mots François qu'on écrit par an,
prononcé par o long , fe prononcent encore
aujourd'hui par a- ou en Provence , en Languedoc
& en d'autres Provinces , qui ont
confervé plufieurs restes de l'ancienne prononciation.
Je finis par une derniere Obfervation
c'est que la négligence , l'entêtement du
préjugé des yeux , ou la difficulté que l'Imprimerie
a apportée à changer l'Orthographe
, à mesure que la prononciation changeoit
, a introduit dans l'Orthographe vulgaire
, cinq ufages differens de la diphthongue
ai.
I. Ai, felon fa premiere & fon unique
deſtination , réunit le fon de l'a & de l'i
Ail, Bail , A - eul , Bai- one , Mai- ance ,
& c .
II. Ai a le fon de l'é fermé dans le futur
& dans quelques autres tems des verbes ,
j'aimerai , je ferai , je parlai , j'ai , j'ai eu, &c .
Il n'y a pas long- tems qu'on écrivoit nai ,
natus , ils font nais nati funt ; aujourd'hui on
écrit ils font nés.
Dans les Provinces dont j'ai parlé , où ai
2208 MERCURE DE FRANE.
a toujours une prononciation uniforme , ot
prononce l'ai du futur des verbes , comme
le premier ai , qui eft ouvert , de- là vient ,
que quand les perfonnes de ces Provinces
veulent parler François , elles prononcent
le futur Rai , comme l'imparfait du fubjonctif
Rois.
III. Ai a dans plufieurs mots le fon de
l'é , qui n'eft ni tout-à - fait ouvert , ni toutà-
fait fermé , comme dans affaire , néceſſaire ;
ai eft long dans Maître , dit M. Reſtaut , &
bref dans parfaite .
IV. Ai , dit encore M. Reftaut , a le fon
de l'e muet dans les mots jefaifois , nous faifons
: il n'y a pas long- tems qu'on écrit fera.
Il est vrai qu'on commence à écrire fefons ,
fefant. Mais Danet & Joubert ont toujours
écrit faifons , faifant , & quelques-uns de
nos Auteurs écrivent encore de même. Ils
croiroient faire une faute de fe conformer
à la prononciation , & de feconder l'ufage ,
quand il commence à fe corriger.
V. Enfin ai, confervé dans l'Orthographe,
malgré le changement de la prononciation ,
a le fon de l'ê ouvert dans Palais , Marais ,
comme nous l'avons déja remarqué.
Lequel de ces cinq ufages , les Etrangers
& ceux qui font encore novices dans
la lecture , donneront-ils à l'ai qu'ils verront
dans Français ? Ce fera fans doute celui
OCTOBRE. 1744. 2209
lui de l'ê ouvert , mais à quoi pourront- ils
le connoître ? Faut -il que l'Orthographe ait
des fignes auffi équivoques ? Et n'aimeroient-
ils pas mieux qu'on leur donnât tout
bonnement cet é ouvert , que de les y mener ê
par un a & un i , qui par eux-mêmes , n'ont
aucune analogie avec l'ê ouvert ?
Ainfi je ne veux point d'une réforme
qui doit elle-même être réformée , & j'aime
mieux m'en tenir à la maniere ordinaire
d'écrire François .
Vous m'oppofez , M. l'autorité d'un grand
Poëte , qui s'eft déclaré partifan de la maniere
d'écrire que je condamne.
Je répons d'abord , que comme on peut
être fort honnête-homme , & faire mal des
Vers , on peut auffi faire les plus beaux Vers
du monde , & ne s'être pas amuſé à approfondir
les principes de l'Orthographe.Ceux
de Newton font plus fatisfaifans pour les
génies élevés.
En fecond lieu , je fuis perfuadé que fi le
Poëte Philofophe , dont vous parlez , M.
étoit né dans le Pays des anciens Troubadours
, où toutes les fois qu'on écrit ai on
prononce ai , faifant entendre l'a & l'i , &
ne donnant jamais le fon de l'ê ouvert à cette
diphthongue ; je fuis perfuadé , dis-je , que
cet Auteur illuftre ne fe feroit jamais avifé
d'adopter la réforme de François par Frangais
&
2110 MERCURE DE FRANCE.
çais , & je fuis même convaincu qu'il aime
trop la vérité, pour perfilter dans cette pratique
, s'il connoît jamais les raiſons qui la
combattent .
Je fçais bien plus mauvais gré à l'Auteur
du Traité (4 ) du Vrai mérite ; il condamne
la pratique d'écrire Français par ai , mais
fes raifons ne paroiffent pas marquées au
coin de l'efprit Philofophique.
Tel eft notre malheur , dit il, que l'Orthographe
& la prononciation font devenuës prefque
arbitraires , depuis que quelques modernes
Substituent des usages pernicienx à d'excellens
principes.
Les ufages peuvent être fubftitués à d'autres
ufages , mais jamais aux principes. Il feroit
à fouhaiter que l'Auteur eût expliqué
ce qu'il entend ici par ces ufages pernicieux
& par ces principes excellens.
Un principe excellent eft que l'établiffement
, la prononciation & l'ufage des mots,
ne font pas arbitraires , je veux dire que le
concours des circonftances , qui font naître
une Langue , ne dépend d'aucun particulier,
& que quand une fois elle eft établie , perfonne
ne peut fe fouſtraire à l'uſage reçû.
( a ) Traité du Vrai mérite , T. I. p. 175. Edit. de
1740.
Refte
OCTOBRE. 1744. 221F
Refte enfuite à l'écrire , fur quoi il eſt li
bre à chacun de propofer fes Obfervations
en fuivant le principe , qui eft de prendre
les moyens les plus fimples & les plus propres
, pour arriver au but de l'Art , & rejetter
tout ce qui feroit inutile ou équivoque .
Pour moi , ennemi des nouveautés , pourfuitil
, je vous confeille de prononcer Français
d'écrire François.
Ce n'eft pas par la diphthongue ai que l'on
doit indiquer la véritable prononciation de
François , felon d'excellens principes , qui
veulent qu'on indique les fons par leurs
Lettres caractéristiques , & qu'on rejette
tout ce qui peut induire en erreur.
Tant
que ces abus dureront , c'est toujours
le même Auteur qui parle , la Langue n'acquerera
jamais le beau titre de Langue morte ,
qui fait tant d'honneur à la Latinité.
Une Langue vivante , parvenue à un certain
degré de perfection , ne doit point envier
le prétendu beau titre de Langue morte.
Toute la difference qu'il y a entre une Langue
morte & une Langue vivante , c'eſt
qu'on a ceffé de parler l'une , & qu'on parle
encore l'autre ; c'est même un préjugé favorable
pour une Langue vivante , de fe
conferver plus long- tems , & nous devons
fouhaiter que la nôtre fe conferve
vivante
1212 MERCURE DE FRANCE.
vivante jufqu'à la confommation des hécles.
La nouvell: Orthographe qu'on veut introduire
, ajoûte-t'il , auroit des fuites bienfuneftes ,
fi on écrivoit j'avais pour j'avois. L'Etranger
qui veut apprendre notre Langue , pourroit- il
de lui-même recourir au verbe avoir pour
bien conjuguer ?
Le
L'Etranger , qui lit fera dans tous nos Livres
, & même dans le Traité du Vrai mérite
, pourra-t'il de lui - même recourir au
verbe faire pour le bien conjuguer ? Quelles
fuites funeftes ! tout eft renverfé ! O tempora !
ô mores ! Faudra-t'il refondre tous les Livres
qu'on a imprimés depuis l'Etabliffement de la
Monarchie ? dit l'Auteur du Traité du Vrai
mérite.
Il y a plus de mille ans d'intervalle entre
l'Etabliffement de notre Monarchie & l'Invention
de l'Imprimerie. D'ailleurs , les
Manufcrits & les Livres les plus anciens
font toujours autant de témoins de la prononciation
& des façons de parler de nos
Peres , & ne doivent pas plus fervir de regle
à notre Orthographe, qu'ils en fervent à
notre prononciation . Pour les en dédommager
, donnons leur le beau titre de Livres de
Langue morte.
Après tout , l'Auteur lui - même voudroit-
il écrire comme on écrivoit du tems
de
OCTOBRE. 1744. 221
de Villehardoüin , ou même du tems de
Marot ?
Ces innovations font pitié , s'écrie l'Auteur,
Oüi affûrément , tout ce qui n'eft pas conforme
aux véritables principes ; fait pitié
aux efprits Philofophiques , qui vont faifir
les chofes dès leurs fources .
Enfin l'Auteur voudroit que l'Académie ;
Tribunal fouverain des Belles - Lettres , affemblât
les Chambres , composat une Affemblée da
Députés profonds & polis , pour pouvoir tous
enfemble , & à la pluralité des voix , décider ,
créer , approuver , profcrire. Sur quoi l'Aureur
me permettra de le renvoyer à la fage
& profonde Differtation de M. de Moncrif,
digne Membre de cette Illuftre Compagnie.
M. de Moncrif fait voir dans cette Differtation
, que toute Langue vivante eft par fa nature
meme &
par celle de notre efprit , fujette
à varier fans ceffe . Ce qui ne doit s'entendre
que de la Nomenclature , de la Prononciation
, & de l'ufage des mots & des Phraſes ,
car pour l'Orthographe , on peut fort bien
obferver tous les fons d'une Langue , &
donner à chacun un figne particulier & invariable
, je veux dire une Lettre caractérif
tique & incommutable , enforte que a & i ,
par exemple , ne puiffent jamais être le
figne de quelque autre fon , & qu'aucune
?
autre
2214 MERCURE DE FRANCE.
autre Lettre ne puiffe jamais prendre le fon
de l'a ni celui de l'i.
La Differtation , dont je viens de parler ,
fut lûe à l'Académie , dans une Affemblée
publique le 10 Mars 1742 , & elle a été
imprimée dans les OEuvres mêlées de M. de
Moncrif, à Paris , chés Brunet , 1743. J'ai
Jû ces OEuvres avec beaucoup de plaifir &
d'utilité. J'y ai obfervé la délicateffe , la jufreffe
& le bon efprit de l'Auteur,
Voilà , Monfieur , ce que vous avez défiré
de moi . Je ferai toujours ravi de vous
marquer le dévoûment fincere avec lequel
j'ai l'honneur d'être , Monfieur , &c.
A Paris , ce 21 Juillet 1744.
LA
OCTOBRE. 1744. 2215
LA PUISSANCE DE L'AMOUR
CANTATE.
Rrant dans les Bois & la Plaine
L'infortuné Lycas , agité , furieux ,
Fuyoit la perfide Climéne ,
Las de fouffrir fes mépris odieux .
De l'Enfant de Cythére , auteur de fon fupplice ,
Il déteftoit ainfi le fanefte caprice.
» En vain , cruel Amour , la plus rare Beauté
.
»Mettroit fa gloire à me féduire ,
Elle ne pourra plus ravir ma liberté.
» C'en eft fait , pour jamais je quitte ton Empire i
» Lance-moi trait fur trait ; je les braverai tous ;
»Mes yeux s'ouvrent enfin,je ne crains plus te
coups.
» De ta félicité la douceur paffagere
» N'eft qu'une trompeuſe chimére.
Craignons que l'Amour ,
Dans fa jufte colere ,
Ne puniffe un jour
Un orgueil téméraire.
Modérez , Amans ,
Vos murmures coupables ;
yos foibles fermene
#216 MERCURE DE FRANCE.
Sont- ils inviolables ?
Craignons que l'Amour , & c.

Le Dieu qui regne fur les coeurs
Méprifa de Lycas les frivoles clameurs ;
Il prend l'effor , & dans fon vol rapide ,.
Armé d'une fleche homicide ,
Audacieux , dit-il , toi qui fur nos Autels
Viens infulter les Immortels ,
Ce trait lancé dans ma vengeance
Va te faire éprouver ma fuprême puiſſance ;
Auffi tôt dans ces Lieux
Un féduifant objet ſe préſente à ſes yeux,
La brillante jeuneſſe
Anime fes appas ;
Les Amours , la tendreffe
Accompagnent fes pas ;
Les Jeux , les Ris , les Graces ,
Folâtrent fur fes traces ;
Des volages Plaisirs
La joyeuſe cohorte ,
Soumife à fes défirs ,
Compofe fon eſcorte .
Il s'arréte ... il admire... & d'une foible main
Ses forces languiffantes
Laiffent tomber fes arines impuiffantes ;
D'un Dieu vainqueur il cede au pouvoir fouverain;
Bien- tôt il fent renaître une flâme nouvelle ;
Déja
OCTOBRE.
2217 1744.
D ja fa bleffure eft mortelle
Pour triompher des attraits fi puiffans ,
Eft il chés les Humains des efforts ſuffiſans
Peuvent-ils le tirer du piége qui les bleffe ?
Ils ne font que foibleffe.
Eft-il dans leur Vertu , leur timide Raiſon ,
Un remede affûré pour ce fubtil poifon ?
Près des appas qui les raviffent ,
Leurs vains projets , hélas ! bien-tôt s'évanoüiſſent.
C'eſt en vain que nos coeurs
Veulent réfifter aux douceurs
De tant de charmes ,
Rendons les armes
A nos Vainqueurs.
De la Raifon flambeau qui nous éclaire ,
Ton obſcure lumiere
Ne fait qu'égarer ;
Vertu chancelante ,
Peux tu réparer
Sa lueur mourante ?
Invincibles Amours ,
Sous vos coups notre force expire ;
Triomphez , triomphez toujours ;
Soumettez- nous à votre Empire ;
Déja l'encens brûle fur vos Autels ;
Venez ; regnez fur les Mortels .
E. G. ** , de Senlis.
D EX2218
MERCURE DE FRANCE.
EXPLICATION du Tableau Epithalame
, peint à l'Encre de la Chine , dédié
à S. A.S.Madame la Ducheffe de Chartres,
par M. Gofmond.
L
E principal Groupe repréfente le Mariage
d'Hercule avec Hebé , fait par
Jupiter.
Il y a deux Groupes à droite & à gauche
du premier , qui caractérisent les attributs
des Epoux qui s'uniffent.
Le Groupe à la fuite d'Hebé , repréſente
la Sageffe & les Graces. Les Graces tiennent
des Guirlandes de fleurs , qu'elles ont préparé
pour l'Epoufe . La Sageffe paroît s'entretenir
avec les Graces , & leur dire , que
les fleurs qu'elles préfentent , pour corner
cette Augufte Epoufe , produiront bien-tôt
des fruits dignes d'elle , & du Héros avec
lequel Jupiter l'unit ; ce qui eft caractériſé
par une Corne d'abondance qui eft à ſes
pieds.
Le Groupe qui fuit Hercule , repréfente
Mars & la Liberalité, qui font les vrais attribats
d'un Héros , puifque Mars figure la
force du courage , & la Libéralité , les fentimens
généreux qui doivent l'accompagner.
Sur
OCTOBRE. 1744. 2219
Sur le devant du Tableau , font l'Amour
& l'Hymen, qui réüiniffent leurs flambeaux ,
avec des expreffions réciproques de tendreffe.
On voit entre leurs flambeaux réunis les
Armes d'Orleans & de Conty accolées , qui
caractérisent l'Augufte Hymenée de leurs
Alteffes Séréniffimes.
Au bas du Tableau on lit cette Infcription
:
D'Hercule avec Hebé le Souverain des Dieux
Sur l'Olimpe autrefois unit la deftinée.
Entre CHARTRES & CONTY les Loix de
l'hymenée
Du beau Sang des Bourbons refferrent tous les
noeuds ,
Et dans leur chaîne fortunée ,
Nous font voir ici bas ce qu'on vit dans les Cieux.
5 . Dij
SUR
2220 MERCURE DE FRANCE.
*X*X** X * X * XXXX
SUR le rétablissement de la fanté du Roi,
U fuis-je ? Quels accords ! Quel éclatant hom..
O
mage !
De ton amour , Seigneur , ô , cent fois l'heureux
gage !
La France , jour & nuit t'imploroit pour fon Roi ;
Ses foupirs , fes fanglots , font montés juſqu'à Toi.
Ta clémence a calmé fa profonde trifteffe ;
Ses pleurs font convertis en des chants d'allegreffe:
Tu nous rends notre Roi. Que la Terre & les Cieux
Exhalent pour ta gloire un Parfum précieux :
Eh ! pourrons nous jamais , béniffant ta Puiffance
Egaler au bienfait notre reconnoiffance ?
Qu'eft- ce , hélas ! que le Monde ? Un phantôme
trompeur.
La Fortune ? La Vie ? Un fonge , une vapeur ,
Source de vanité , d'erreur & de preſtiges ,
Dont tu ne nous guéris,que quand tu nous affliges
Mais , lorfque fur les Rois ton bras s'appéfantit ,
Le coup eft plus bruyant
, & tout en rétentit ;
Leur front humilié
courbe toutes les têtes ;
Nos cris , nos voeux preffans , détournent ces tem
pêtes :
La crainte allume en nous une efficace ardeur ;
Le remords prit naiffance au fein de la douleur.
Tu ne rejettes point une espérance ferme ;
OCTOBRE. 1744. 22-23
Ta main ouvre la Tombe , & ta main la referme.
Quand d'un faint répentir notre coeur eft brifé ,
Le courroux,qui t'enflâme , èft bientôt appaiſé.
De mon ame , Grand Dieu , je ne fuis plus lè
maître .
Quel transport la ravit ? Que lui fais - tu connoître ?
Comme ces Chérubins , de leurs aîles voilés ,
Elle écoute en tremblant tes Décrets révelés .
France , que
Des plus brillans Deftins naiffez , Divine Aurore.
de Vertus vont t'illuftrer encore !
Compagnes de Louis , fi cheres à fon coeur ,
Elles vont de fon Trône augmenter la fplendeur :
A leur fublime effor que ce Trône eft propice !
Elles y trouveront la Bonté , la Juftice ,
L'inébranlable Foi , la conftante Amitié ,
La Valeur généreufe , & la tendre Pitié ,
Qui , pleines d'un beau feu , d'un zéle légitime ,
Couronnent à l'envi ce Héros magnanime ;
Ce Roi , qui pour fon Peuple affrontant les hazards ,
Moiffonna fon amour aux pieds de cent Remparts.
Seigneur , ne permets plus que nos Cieux s'obf
curciffent.
Quel effroi nous faifit quand nos Aftres pâliffent !
Dure , dure à jamais ce Jour clair & ferein ,
Que fait luire fur nous ton Pouvoir fouverain !
Qu'Ifrael foit toujours ton plus cher Héritage !
D iij
Contre
2220 MERCURE DE FRANCE.
*X*X*X*X*X* XX* X
SUR le rétabliffement de la fanté du Roi,
Ufuis-je ?Quels accords : Quel éclatant hommage
!
De ton amour , Seigneur , ô , cent fois l'heureux
gage !
La France , jour & nuit t'imploroit pour fon Roi;
Ses foupirs , fes fanglots , font montés jufqu'à Toi.
Ta clémence a calmé fa profonde trifteffe ;
Ses pleurs font convertis en des chants d'allegreffe :
Tu nous rends notre Roi. Que la Terre & les Cieux
Exhalent pour ta gloire un Parfum précieux :
Eh ! pourrons nous jamais , béniffant ta Puiffance
Egaler au bienfait notre reconnoiffancee ?
Qu'eft-ce , hélas ! que le Monde ? Un phantôme
trompeur.
La Fortune ? La Vie ? Un fonge , une vapeur ,
Source de vanité , d'erreur & de preftiges ,
Dont tu ne nous guéris ,que quand tu nous affliges,
Mais , lorfque fur les Rois ton bras s'appéſantit ,
Le coup eft plus bruyant , & tout en rétentit ;
Leur front humilié courbe toutes les têtes ;
Nos cris , nos voeux preffans , détournent ces tempêtes
:
La crainte allume en nous une efficace ardeur ;
Le remords prit naiffance au fein de la douleur.
Tu ne rejettes point une eſpérance ferme ;
T


OCTOBRE. 1744. 2.2.21
Ta main ouvre la Tombe , & ta inain la referme.
Quand d'un faint répentir notre coeur eft brifé ,
Le courroux, qui t'enflâme, èſt bientôt appaiſé.
De mon ame , Grand Dieu , je ne fuis plus lè
maître.
Quel transport la ravit ? Que lui fais- tu connoître ?
Comme ces Chérubins , de leurs aîles voilés ,
Elle écoute en tremblant tes Décrets révelés.
Des plus brillans Deftins naiffez , Divine Aurore.
France , que de Vertus vont t'illuftrer encore !
Compagnes de Louis , fi cheres à fon coeur ,
Elles vont de fon Trône augmenter la fplendeur :
A leur fublime effor que ce Trône eft propice !
Elles y trouveront la Bonté , la Juftice ,
L'inébranlable Foi , la conftante Amitié ,
La Valeur généreufe , & la tendre Pitié ,
Qui , pleines d'un beau feu , d'un zéle légitime
Couronnent à l'envi ce Héros magnanime ;
Ce Roi , qui pour fon Peuple affrontant les hazards,
Moiſſonna ſon amour aux pieds de cent Remparts.
Seigneur , ne permets plus que nos Cieux s'obf
curciffent.
Quel effroi nous faifit quand nos Aftres pâliffent !
Dure , dure à jamais ce Jour clair & ferein ,
Que fait luire fur nous ton Pouvoir ſouverain !
Qa'Ifrael ſoit toujours ton plus cher Héritage !
D iij
Contre
2222 MERCURE DE FRANCE,
Contre les Ennemis fignale fon courage !
Des cruels Philiftins rends- le victorieux ,
Et que toujours fon Roi trouve grace à tes yeux !
M. Tanevot .
૩૯ ૨૯ ૩૩૮ ૨૯3૩6૯3૨6૬ 36 3825252526
LETTRE écrite par M.D. L. R. à M.
le Marquis de B. fur quelques fujets de
Littérature,
A
Peine , Monfieur , eûs-je achevé la
Lettre que je me fuis donné l'honneur
de vous écrire le 15 du mois de Juillet dernier
, & qui eft imprimée dans le Mercure
du mois fuivant , qu'en ouvrant la Bibliothéque
Orientale de M. d'Herbelot , pour
toute autre chofe , je fis une découverte ,
que je crois n'être pas indifferente , au fujer
qui eft traité dans cette Lettre.
Vous fçavez , Monfieur , que
le Cardinal
Quirini , Evêque de Breſcia , Bibliothéquaire
du Vatican , Auteur de la nouvelle Edition
des OEuvres de S. Ephrem', publiée à
Rome , affûre dans fa derniere Lettre à M.
de Boze , Directeur de l'Académie des Inf
criptions & Belles - Lettres , qu'il a vû tous
les Manufcrits Grecs des Ouvres de S.
Ephtem , qui font dans la Bibliothéque du
Vatican
OCTOBRE . – 1744. 2223
Vatican , & qu'aucun de ces Manufcrits ,
dans le Sermon de la Croix , ne porte la
Leçon Regnavit à ligno ; qu'il en eft de même
de ceux d'Angleterre , fur lefquels a été
faite l'Edition d'Oxford , & de celui de la
Bibliothéque de S. Marc de Venife ; qu'à
l'égard de la Verfion Syriaque de l'Eglife.
d'Edeffe , dans laquelle on a prétendu que
S. Ephrem lifoit Regnavit à ligno , il n'a
point connu d'autre Verfion Syriaque que
celle où certainement cette addition ne fe
trouve pas , qu'au refte le Texte Syriaque
de ce Sermon ne fe trouve ni dans la Bibliothèque
Vaticane , ni ailleurs , du moins
de fa connoiffance ; qu'enfin les Manufcrits
Grecs , qui repréfentent le même Texte
font exempts de cette addition.
Or je trouve , Monfieur , dans la Bibliothéque
Orientale , une Verfion Arabe du
Sermon de la Croix , par S. Ephrem , dont
perfonne , que je fçache , n'a encore parlé.
Il ne feroit peut-être pas inutile de confulter
ce Texte Arabe , pour achever d'épuifer
le fujet en queftion , & pour conftater la
vérité dans un point de critique , qui intéreffe
la Religion . C'eft , M. dans cet efprit
que je vais vous rapporter ici ce qui fe lit
là deffus dans la Bibliothèque Orientale ,
pag. 748.
C
Il y a dans la Bibliothèque du Roi , nu-
Diiij mero
2224 MERCURE DE FRANCE.
»
» mero 792 , un Sermon en Langue Arabi-
» que de Mar Afraim , ou S. Ephrem , qui
»fût prononcé le 17 jour du mois , que les
Egyptiens appellent , Toht , qui répond à
» notre mois de Septembre , Fête de la fain-
" te Croix , dans lequel ce faint Perfonnage
» décrit l'Hiftoire de Maroun , de Marie fa
» Femme , & de fes Enfans:
» Le Titre de ce Sermon eft Jeffir menKethir
» men Agiaïb al Salib , alladhi beki Nackdor
» ala edfa heial alschéïtan almehat , ou Partie
» des Miracles de la Croix , par la Vertu de
laquelle nous pouvons nous délivrer des
» embûches de Sathan le Trompeur.
و د
On apprend , pag. 558 du même Livre ,
que Maroun , dont il eft parlé ci - deffus ,
étoit un Emir , ou Seigneur principal de la
Ville d'Antioche , lequel vifita folemnellement
la fainte Croix , qui étoit à Jerufalem
, avec fa femme Marie & fes Enfans.
S. Ephrem , ajoûte l'Auteur , a fait un Difcours
exprès fur les Miracles qui fe firent
alors par la préfence de la fainte Croix. 17
Vous ne doutez pas , M. que je ne voye
inceffamment à quoi m'en tenir fur ce Manuferit
Arabe de la Bibliothéque Royale ,
qui me paroît important fur le fujet en
queftion , & j'aurai foin de vous informer
du fuccès de mes Recherches . En attendant ,
paffons à une matiere fur laquelle vous
déja prevenu.
êtes
J'ai
OCTOBRE. 1744. 2225
J'ai dit dans la premiere partie de l'Extrait
de la Lettre du Cardinal Quirini à M.
de Boze , que pour donner indirectement
quelque fatisfaction au Pere Tournemine
qui n'avoit pas triomphé dans la Conteftation
dont j'ai eu l'honneur de vous rendre
compte , je m'avifai de lui propofer la Défenfe
du fameux Paffage de l'Hiftorien Jofephe
, qui rend un témoignage fi remarquable
de JESUS CHRIST ; & cela ,. parce
que Dom Calmet , dans fa Lettre, citée dans
mon Extrait,fembloit douter à l'occafion du
regnavit à ligno , de l'autenticité de ce paffage
de l'Hiftorien Grec.
J'ai ajouté , que je me dois fçavoir bon
gré de ma tentative , car elle a donné lieu à
un fort bon Ouvrage du Pere T. qu'il me fir
J'honneur de m'adreffer peu de tems avant
fa mort , & dont je ne manquerois pas de
vous rendre compte. C'eft , M. dequoi
je vais tâcher de m'acquitter , avec le plus
de briéveté qu'il me fera poffible.
D'abord il faut vous mettre fous les yeux
ce célébre témoignage de Jofephe , fidélement
traduit fur le Texte Grec par Dom
Calmet, & tel qu'il le rapporte lui -même, à
la fin de l'un de fes meilleurs * Ouvrages.
En ce même-tems parût JESUS , homme fuge ;
desMiracles de Jefus Chrift , * Hiftoire de laVie
&c. I. Vol. in-12. Paris , 1720.
Dv fi
2226 MERCURE DE FRANCE
fi toutefois on doit l'appeller un homme : car
ilfit une infinité de prodiges , & il enfeigna la
Vérité à tous ceux qui la voulurent entendre. Il
eût plufieurs Difciples qui embraſfferent fa Doc
trine , tant des Gentils , que des Juifs. Il étoit le
* CHRIST ; Pilate pouffé par l'envie des
premiers de notre Nation , l'ayant fait crucifier
, cela n'empêcha pas que ceux qui avoient
été attachés à lui , dès le commencement ne
continuaffent à l'aimer . Il leur apparut vivant
trois jours après fa mort ; les Prophétes ayant
préd t & fa Réfurrection & plufieurs autres
chofes qui le regardoient . Et encore aujourd'hui
la Secte des Chrétiens fubfiſte , &
fon nom. Jofeph. Antiq. L. 18 , c. 4.
י
J
porte
*
Le P. T. commence fa Differtation par
des politeffes , qui lui étoient naturelles
au fujet de la propofition que je lui avois
faite , & après quelques préliminaires , venant
au fond de la queftion , il s'exprime
´ainſi . » Le Chriſtianiſme reçoit à la vérité
quelque avantage du témoignage de Jo-
» fephe , mais il peut s'en paffer : la certitude
des Faits fur lefquels il eft fondé , brille
» d'une évidence fi pleine , fi conftante , fi
» autorifée par les ennemis mêmes de notre
fainte Religion , les Juifs , Celfe , Por-
» phyre , Julien l'Apoftat , que le témoigna-
"
* S. Jerôme lit credebatur effe Chriftus , Lib. de
fcriptorib.
» gc
OCTOBRE. 1744. 2227
»
"
ge de l'Hiftorien Juif peut paroître fuperflu.
Pour bien juger de la Conteſtation , continue-
t'il , tranfportons-nous d'abord au
tems de fa naiffance. L'Eglife étoit , après
quatorze fiécles de poffeffion tranquille ,
en état de regarder le témoignage de Jofephe
comme hors de toute atteinte , quand
au milieu du XVI fiécle on commença d'en
contefter la validité . Sebaftien Lepufculus
Allemand , a écrit que Giphanius , Jurifconfulte
, foupçonnoit quelque Chrétien d'avoir
fuppofé ce témoignage ; Lepufculus
n'en convient pas , & refute folidement ce
foupçon. Luc Ofiander s'eft expliqué plus
nettement dans un Abbregé de l'Histoire
Eccléfiaftique ; une raifon bien foible l'a
déterminé. Jofephe , dit-il , auroit profeffé
le Christianifme , s'il penfoit ce que le paffage
exprime ; le paffage ne contient cepen²
dant rien que Jofephe n'ait pu dire, fans être
Chrétien , nous le montrerons.
Voilà , dit-il, l'origine des doutes & des
difputes fur ce témoignage ; & dans quel
temsdevient-il incertain ? Quand Luther ,
quand cette foule de Novareurs , ayant
renversé toutes les bornes qui genoient la
témérité , foumettent à leur examen les Jugemens
de tous les fiécles paffés , fe livrent
aux conjectures les plus bifarres. C'eft dans
D vj PE2228
MERCURE DE FRANCE.
l'Ecole de ces Novateurs , que les Cenfeurs
de Jofephe ſe font enhardis à propofer les
doutes , les moins fondés , contre fon témoignage.

Le foible de notre efprit eft de douter
aifément , & on s'affectionne aux doutes ,
par l'orgueil fecret de ne pas penfer comme
le Public ; cette diftinction flate & flaté
mal- à - propos ; elle flate pourtant. On de
vroit s'appercevoir qu'être different du refte
des hommes , eft plus fouvent un défaut
qu'une perfection .
Enfin , après quatorze fiécles , des Nova
reurs forment , propofent des doutes fur le
Témoignage de Jofephe en faveur de Jeſus-
Chrift : ce font des Chrétiens ; mais ce font
des Chrétiens féparés du refte des Chré
tiens ; des Chrétiens révoltés contre l'autorité
qui gouverne les Chrétiens faut-il les
écouter ? Les écouteroit- on dans un Tribunal
légitime & fage Ils avoüent que tous
les Manufcrits , fans exception d'un feul ,
contiennent le Témoignage contefté , que
pendant XIV fiécles , perfonne ne l'a res
voqué en doute ; ils ne viennent propofer
que des doutes , des foupçons , des conjectures
; les écouteroit-on dans aucun Tribunal
Ecoutons -les cependant , & confondons
-les.
Ainfi parle le P. Tournemine ; & je crois ,
M.
OCTOBRE. 1744. 2229
M. fans vouloir anticiper fur votre juge
ment , qu'il ne parle point avec trop de confiance.
Il vient enfuite à ce qu'alléguent ces
Hommes fufpects contre le confentement de
tant de fiécles , contre l'autorité de tous les
Manufcrits. Ces Allégations fe réduifent à
quatre.
1 ° . Quelques Docteurs de l'Eglife , Juftin,
Clément , Alexandrin , Origene , n'ont
point apporté ce témoignage en difputant
contre les Juifs. Photins n'en fait pas mention
dans fon Extrait de Jofephe.
2. Il paroît que ce témoignage eft ajouté,
& qu'il fufpend la Narration .
3 °. Le ftyle eft different du ftyle de l'Hiftorien
Juifs tooge
4. Enfin , Jofephe n'a pu parler de Jefus-"
Chrift comme il en parle , s'il n'étoit Chrétien
, & sûrement il ne l'a jamais été.
Avant que de réfoudre ces prétendues
difficultés , leP. Tournenine trouve à propos
de s'arrêter un peu à confiderer l'excès ,
véritablement déraifonnable , des conjectafes
de quelques- uns des Adveríaires.
Cloppenbourg , dit-il , & Suellius imaginent
ce que Jofephe avoit écrit : ils fuppofent
qu'il s'exprimoit de la maniere la plus
injuricufe pour Peus- Chrift & pour la fainte
Mere , & ils préfument qu'un Chrétien a
fubftitué ce que nous lifons ; mais fur quelle
preuve
2230 MERCURE DE FRANCE.
preuve appuyent- ils une conjecture fi hazar
dée ? Sur aucune ; ils devinent . En vérité un
efprit entraîné par l'imagination , par la
corruption du coeur , par l'incredulité , s'éloigne
étrangement de la Raifon.
D'autres accufent Eufebe de la fuppofition
de ce Témoignage. La plus legere réfléxion
leur auroit fait fentir combien le Projet
qu'ils attribuoient à un homme fage feroit
peu fage. Eufebe auroit-il fuppofé un paffage
de Jofephe fans néceffité , certain d'être
convaincu par tous les Manufcrits qui exiftoient?
Ce foupçon a-t'il la moindre ombre
de vrai-femblance ?

Notre Autent fait enfuite une réfléxion
qu'il croit fuffifante , pour determiner tou
tes les Perfonnes fenfées . Comparons , ditil
, les Cenfeurs du Témoignage avec fes
Deffenfeurs.
Je le vois , continue- til , reçû , cité par
Eufebe , par S. Jerôme , par S. Ambroife
par S. Ifidore de Pelufe , par Sozomene
par Caffiodore , qui avoit tout lit & affemblé
tous les Manufcrits. Ils l'ont cité fans
être contredits. Chaque fiécle , pendant
1400 ans , a produit de nouvelles autorités
en faveur du
Témoignage.
Quand il eft attaqué après une fi longue
& fi paifible poffeffion , les Auteurs les plus
diftingués par leur érudition , les Critiques
les
OCTOBRE . 1744. 2231
les plus fenfés & les plus fuivis fe déclarent
pour l'autenticité du Témoignage : Sixte de
Sienne , Baronius & Cafaubon , fi oppofés
l'un & l'autre , & d'accord fur cet article ,
Poffevin , Bellarmin , Henri Valois , François
de Roye , M. Huet , le Pere Pagi , le
Pere Alexandre , M. de Tillemont , le P.
Bonjour , le P. Honoré de fainte Marie , M.
l'Abbé d'Houteville .
Les foupçons nés dans les Sectes Protef
tantes fur ce même Témoignage , ont été
combattus & détruits, par les plus doctes
Proteftans , après les Centuriateurs par
Munfter , Schikard , Cafaubon , Voffius, le
Pere , Alting , Cocceïus , Chrifth. Adam
Rupert , Bofius , Reinefius , Multerus , Virdung
, Vitfius , Videlius , Grabbe . J'omets
plufieurs autres Proteftans , moins célébres ,
qui ont foutenu avec chaleur que ce Témoi
gnage étoit légitime.
>
L'Angleterre , ajoûte le Pere T. fi féconde
en opinions fingulieres , fi rigoureufe
dans l'examen des Preuves de la Religion
a vû fes Ecrivains les plus fçavans , fes Critiques
les plus écoutés , Ufferius , Cave ,
Spencer , Parker , Hudfon , s'élever contre
les conjectures hazardées des Cenfeurs audacieux
du Témoignage. Vhifton , le réméraire
Vhifton , dont nulle borne n'arrête la
Critique , a entrepris dans une Differtation
im2132
MERCURE DE FRANCE.
imprimée , la défenfe du même Témoi
gnage .
On ne doit pas oublier ni Ifaac Voffius , fi
verfé dans la lecture de Jofephe , fon Ecrivain
favori , Ifaac Voffius , qu'on ne peut
foupçonner de credulité , il s'en faut beaucoup
, ni Charles d'Aubur , Prêtre Anglican
, qui dans un Ouvrage Latin a épuifé la
Queſtion , & renverfé fur les Cenfeurs du
Témoignage toutes leurs Objections ; ni enfin
David Martin , Miniftre Prétendu Réformé
, réfugié en Hollande , dont la Differtation
, véritablement fçavante , véritablement
judicieuſe , a paru à Utrech en 1717.
Je paffe , M. pour abbreger , tout ce que
le docte Deffenfeur du Témoignage en
queftion , dit encore de folide , de curieux
& d'inſtructif , tant au fujet d'autres fçavans
Apologiftes du même pallage qui fe font
trouvés parmi les Proteftans , que de quelques
nouveaux Cenfeurs , qui l'ont attaqué
fans fuccès , & qui ont été réfutés par dés
Auteurs modernes.
Le P. Tournemine appelle tout ce qu'il a
obfervé jufqu'ici fur cette matiere , les dehors
de la Queſtion . Je m'y fuis arrêté , dit .
il , fans craindre d'entrer dans le fond de la
difpute. Il va en effet tout de fuite examiner
fcrupuleufement les Objections des Adverfaires
, qui en propofent quatre.
PREOCTOBRE.
1744. 2237
PREMIERE OBJECTION.
Si le Témoignage eft depuis quelques fiécles
dans tous les Manufcrits , il n'y a pas tou our's
été. Clement, Alexandrin , Juftin , Tertullien ,
Origene , S. Chrifoftôme , Theodoret , Photius ,
pas lû dans les Manufcrits de leur
tems ; ils l'auroient cité , furtout écrivant contre
lesJuifs.
ne l'ont
R'E P NSE.
Pour que l'Objection cut quelque force ,
il faudroit que les Anciens fur lefquels on
s'appuye , euffent écrit que le Témoignage
n'étoit point dans Jofephe ; ni ces Auteurs ,
ni aucun autre ne l'ont dit. Ils ne l'ont pas
cité , dit-on , avec complaifance. Avant que
de prononcer fi affirmativement , ne faudroit-
il pas avoir fous les yeux tous leurs
Ouvrages ? Sçait- on s'ils ne l'ont point cité
dans tant de leurs Ecrits , dont nous regrettons
la perte ? Difons plus ; ont-ils dû le citer
dans ceux qui nous reftent?
Il ne paroît pas que Clement Alexandrin
ait eu occafion de recourir à ce Témoigna
ge . Juftin , Tertullien , Origene , S. Chry
Loftôme , n'ont pas dû le citer ; ils fentoient
qu'on retorqueroit contre eux cette citation
imprudente. Vous faites grand fond tous ,
au1234
MERCURE DE FRANCE.
auroit- on dit , fur les aveux de Joſephe ,
cependant il n'a pas abandonné le Judaïfme.
Son exemple fait fur nous plus d'impreffion
que fes difcours : ainfi le Témoignage n'é
toit pas une preuve pour les Juifs , qui d'ailleurs
ont un grand mépris pour Jofephe.
Origene , dans fa * Réponse à Celfe , rapporte
ce que Jofephe a écrit de S. Jean- Baptifte
& de S. Jacques ; il ne craignoit pas la
rétorfion. Ces aveux de Jofephe étoient
d'autant plus importans , qu'il avoit confervé
plus d'attachement pour le Judaïfme.
Juif opiniâtre , ne reconnoiffant pas Jefus
Chrift pour le Meffie. Il confeffoit cependant
que fon Précurfeur, celui qui l'avoit annoncé
aux Juifs , étoit un S. Homme , d'une
morale pure , fi révéré de la Nation , qu'on
crut communément Dieu avoit vengé
fa mort par la défaite entiere d'une armée
d'Herode. Il reconnoiffoit que S. Jacques
étoit d'une Vertu admirée , & qu'on fe
fouleva contre la violence & l'injuſtice de
fa mort , dont l'Auteur porta bientôt la
peine.
que
Je paffe , par la néceffité d'abbreger , plufieurs
réfléxions folides , qui accompa
gnent cette premiere Réponſe , & qui
otent à l'Objection tout ce qui pourroit lui
L. 1. Contre Celfe , & fur le Chap . XIII de S.
Mathien.
refter
OCTOBRE. ' 1744. 2235
que
refter de force. Elle finit cette Réponſe
par obferver les Adverfaires citent le
fameux Photius infidélement . Ce Sçavant ,
d'une lecture immenfe , avoit lû ce Témoignage
, cité par Eufebe , par S. Ifidore , par
Sozomene : il l'avoit lû dans les Manufcrits
de Jofephe. Photius ne dit pas qu'aucun
Ecrivain Juif n'ait parlé de Jefus-Chrift ;
il dit feulement que l'affectation de n'en
point parler , eft le vice commun de
leur Nation , maniere de s'exprimer qui
n'exclut pas quelque exception.
Je fuis obligé , M. de m'arrêter ici
& de renvoyer à la premiere de mes Lettres
, le compte qui me refte à vous rendre
de cette fçavante Differtation.
Je fuis , M. & c .
BOU.
2236 MERCURE DE FRANCE.
BOUQUET
A M. M. T. *** pour le jour de S. Michel ,
Source
Sa Fête.
des vrais biens de la vie ,
Coule abondamment de mon coeur
C'est toi feule qui m'extafie ,
Et je te dois tout mon bonheur.
En vain la brillante richeffe
A fon char d'or m'auroit lié ,
Si fa faveur enchantereffe
Me déroboit à l'amitié.
Dans fon fein , que mon coeur adoré ,
Rien ne manque à l'homme ici bas ;
Oui , c'est l'amitié qui décore
Les Bergers & les Potentats.
Je fens la volupté fuprême
Que l'amitié verſe ſur moi ;
Mon coeur émû par elle-même
Voit ce beau jour briller pour toi.
Que t'offrirois -je pour ta Fête ,
Qui t'infpirât de nouveaux feux ?
Rica ,
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
ΑΙ . ΚΑΡΙΤΕΣ ΔΗΣΑΣΑΙ .
ΑΔΕΛΦΟΥΣ . ΘΕΙΟΥΣ ,
L'IDEE DU HEROS .
Pierre gravée Antique.
A.Gosmond del.
D. Sornique Sculp.
OCTOBRE. 1744. 2237
Rien ; ton amitié , toujours prête ,
Vole au-devant de tous mes voeux.
Cher ami , malgré ta jeuneſſe ,
Ton amitié vaut un tréfor :
Par ton fçavoir & ta fageffe ,
J'admite en toi le vieux Neftor .
Par M. Laffichard,
nunu nu nyany
EXPLICATION d'une Pierre Antique,
repréfentant L'IDE'E DU HEROS ,
gravée en relief,
C & lesGraces. Ces Déelles lient le re-
Ette Pierre repréfente Mars , Apollon
doutable Dieu de la Guerre avec des Guirlandes
de fleurs , & le préfentent au Dieu de
l'Efprit. Mars donne une main à Apollon ,
& il lui montre de l'autre le Temple de la
Gloire, fitué fur un rocher efcarpé. Ce Dieu
paroît convenir par ce gefte , qu'il a beſoin
d'Apollon, c'est-à- dire, pour expliquer cette
allégorie , que la grandeur du courage ne
fuffit pas pour s'ouvrir l'entrée du Temple
de la Gloire , s'il n'eft foutenu par les dons
de l'efprit , par les graces du génie , & par
l'amour
2238 MERCURE DE FRANCE.
"
l'Amour des Sciences & des beaux Arts ,
amour , qui eft caracterifé par le Bouclier
de Minerve , qu'on voit à côté de Mars .
On lit cette Infcription Grecque dans
l'Exergue :
ΑΙ ΚΑΡΙΤΕΣ . ΔΗΣΑΣΑΙ . ΑΔΕΛΦΟΥΣ .
OEIOUE . Ce qui fignifie litteralement , que
les Graces enchaînent & réuniffent ces deux divins
Freres.
On voit dans le Champ de la Pierre , audeffous
des Graces , ces Lettres FIP.. qui
font croire que cette belle Gravûre eft de
Pirgoteles ( fameux Graveur , fi cher à Alexandre
le Grand , que ce Prince deffendit
fous peine de la vie à tout autre que lui , de
graver fon Portrait fur les Pierres précieufes
, ) ces trois Lettres étant les premieres de
fon Nom.
On laiffe aux Sçavans à juger de cette
Explication. Quant à la Pierre gravée Antique
, qui a fervi de modéle , elle eſt inconnuë
jufqu'à préfent . On n'en connoît que le
Deffein, qui appartient au Duc de Nivernois
de l'Académie Françoife. Ce Seigneur l'a acquis
d'un Curieux , qui deffine & qui a du
goût pour ce genre d'Antiquité.
EXOCTOBRE
. 1744 2239
EXPLICATION de l'Enigme de
Juillet , par M. Du **.
E tre toujours taciturne ;
Faire cas d'une veille urne
Sçavoir fon Antiquité ;
Fi ! vive la nouveauté !
De tout fatras je me berne ;
Il vaut mieux de vin très - clair
Vuider la cruche moderne ,
Que bâtir Châteaux en L'AIR.
AUTRE du Mercure d'Août
par le même.
Moult eft piteux & déloyal ,
D'entamer finiftre Harangue ;
Mieux vaudroit , que de parler mal ,
Couper toute méchante LA NG UE.
On a dû expliquer les Enigmes & le Lo
gogryphe du Mercure de Septembre par Les
Ongles , le Mouvement , & la Courlande. On
trouve dans le Logogryphe Cruel , Ane ,
Vole , Lourd, Col , Lard , Lune , Rade, Corne,
& Nard.
ENIGME
2240 MERCURE DE FRANCE.
J
ENIGM E,
'Ai prefque la même ſtructure
Chés l'homme & chés les animaux ;
Quoique foible de ma Nature ,
J'annonce par ma contexture
Leurs défirs , leurs biens & leurs maux,
Trente dangereufes femelles
Sont comme autant de fentinelles ,
Qui me gardent dans ma priſon ;
Je en fors point en dépit d'elles ,
Et fipar leur permiffion
J'en fors , c'est par dérifion ,
Ou bien pour rafraîchir la porte
Par laquelle il faut que je forte.
La Raifon m'impofe des Loix
Chés le Philofophe & le Sage ,
Mais je fais valoir tous mes droits
Chés le Sexe aimable & volage.
Par M. D.V.
LOGOOCTOBRE.
1744 2245
LOGOGRYP HE.
JEE fuis enfant d'un vain loifir ;
Dix membres compofent mon être.
Si tu veux avoir le plaifir ,
Mon cher Lecteur , de me connoitre ;
Tranfpofe mes membres divers ,
Et d'abord , pour m'atteindre , ufe de diliger ce.
Je t'avertis de la diſtance ;
Je fuis aux bouts de l'Univers.
Je fournis à l'Aiguille un ouvrage ordinaire.
Aux Acteurs je fuis néceffaire.
Plaideur & Valetudinaire ,
Je vous fais murmurer fouvent
Contre le Procureur , contre l'Apoticaire
Quand il s'agit du payement,
Je fuis une Machine utile ,
Qui du tems indique le cours.
Par fois , fous une main habile ,
Mes accens flatent les Amours.
Je fuis un Fleuve d'Italie .
Je foutiens la fplendeur des Rois .
Aux hommes je donne des Loix ,
Et je fuis maître de leur vie.
Dans l'art de coudre , on m'a banni
Du meuble qui doit être uni.
E Dans
2242 MERCURE DE FRANCE .
Dans mon corps quel affreux mélange !
Tout eft d'une nature étrange.
Que peut-il encore en fortir ?
Un bras de mer.... je fuis : il pourroit m'engloutir,
Par M. V. C. en Provence.
& #9 89 89 89 89 89 9
NOUVELLES LITTERAIRES ,
DES BEAUX- ARTS , &c.
Eentiales , cum Verfione Gallica. Parifis ,
XPLANATIO in feptem Pfalmos Poeni
Typis P. Æ. le Mercier. M. DCC. XLIV .
L'Auteur de cette Traduction & de cette
Explication des fept Pfeaumes Pénitentiaux,
ne les donne que comme un Effai , avant
que de faire un pareil travail fur tous les
Pleaumes de David. Le goût du Public le
décidera ; on peut cependant préfumer que
cet Effai fera favorablement reçû. D'habiles
gens ont obfervé que quoique les Notes ,
mifes au bas des pages de cet Effai , foient
affés claires pour ceux qui entendent tant
foit peu le Latin , il feroit peut-être d'une
plus grande utilité de mettre ces Notes en
François. C'eft à quoi l'Auteur fera refléxion.
REGLIS
OCTOBRE. 1744. 2243
REGLES nouvelles de la Mufique , fuivant
l'ancien principe de Puthagore ; COMPAS
de proportion pour tous les Inftrumens
de Mufique, & pour toutes leurs differentes
cordes , & Inftruction particuliere pour le
Violon, &c. le tout fi facile , qu'on peut s'en
fervir utilement , fans fçavoir lire ni écrire.
Par M Tremolet , Curé du Tartre Gaudran ;
à Paris , chés Bailleul , le jeune, vis-à- vis la
Ste Chapelle.
C'eft le titre d'une grande Feuille volante,
contenant plufieurs Tables , Chiffres , &
autres Opérations concernant la Mufique ,
dans le détail defquelles il n'eft pas poffible
d'entrer ici .
RECUEIL d'Arrêts de Reglement , &
autres Arrêts notables, donnés au Parlement
de Normandie fur toutes fortes de Matieres
Civiles , Bénéficiales & Criminelles , d'autres
Arrêts rendus au Parlement de Paris
au Grand Confeil , & autres Cours , fur differentes
Queftions Mixtes , & de Lettres Patantes
, Ordonnances , Edits , Déclarations
& Arrêts du Confeil , concernant particulierement
la Normandie . Par M. Louis Froland
, ancien Bâtonnier de l'Ordre des Avocats
du Parlement de Paris. Tome I. A
Rouen , chés la veuve Jore , 1740. Volume
in- 4° . de 900 pages.
E ij Quoique
2244 MERCURE DE FRANCE.
Quoique le Frontifpice de cet Ouvrage
porte qu'il a été imprimé en 1740 , il n'a
néanmoins commencé à paroître publique
ment à Rouen que vers la fin de l'année
1742 , & à Paris l'année fuivante .
cat ,
M. Froland, fon Auteur , eft connu depuis
long-tems , ayant fait la Profeffion d'Avod'abord
au Parlement de Normandie ,
fon Pays natal , où il a été reçû au Serment
d'Avocat il y a plus de 66 ans , & enfuite
au Parlement de Paris , depuis 1688 , où il
fut élu Bâtonnier de l'Ordre des Avocats le
9 Mai 1734.
Le Public lui eft déja redevable de fept
autres Volumes in-4°. qui font des Mémoi
res fur le Velleien , fur la prohibition d'évo
voquer les Decrets de Normandie , fur les
prétendues Coûtumes Locales du Comté
d'Eu , fur les Statuts , 2 Vol. & fur le Droit
de Tiers & Danger.
Depuis quelques années que l'Auteur s'eft
retiré dans fa Patrie , il n'a travaillé que
pour le bien de fes Concitoyens & de fes
Confreres ; c'est dans cette vûë qu'il a donné
fa Bibliothéque au College des Avocats
du Parlement de Rouen , & qu'il a fait le
Recueil d'Arrêts , dont le premier Volume
paroît , lequel doit être fuivi de deux autres
Volumes .
Celui-ci eft dédié au Parlement de Nor
mandie.
OCTOBRE.
1744. 2245
mandie. L'Auteur , dans fon Epitre Dédicatoire
, obferve qu'il eft déja âgé de 84
ans , & le plus ancien des Avocats du Parlement
de Normandie
M. Froland avertit au commencement de
l'Ouvrage , qu'il fera les deux fonctions de
Jurifconfulte & d'Hiſtorien , c'eſt-à -dire ,
qu'en donnant une idée du Gouvernement
général de la Neuftrie , il expliquera les
faits qui ont rapport à la Jurifprudence.
L'Ouvrage eft divifé en trois Parties.
La premiere contient l'Hiftoire du Droit
Municipal de la Province ; la feconde contient
divers Reglemens concernant les Officiers
de la Province ; la troifiéme contient
les Privileges , foit de la Province en général
, foit des Corps & Compagnies , Officiers
d'icelles , ou de quelques particuliers.
Chap. I. Il rapporte l'état de la Neuftrié
du tems des Gaulois , des Romains & des
Francs ; de quelle maniere le Droit Romain
y fut introduit; l'invafion des Normands ou
Peuples fortis du Nord , qui vinrent ravager
la Neuftrie , dont ils demeurerent poffeffeurs
par le mariage de Gifelle , fille de Charles le
Chauve, avec Rollo , leur Chef, qui fut premier
Duc de Normandie , où il avoit tout
droit de Souveraineté,à la réferve de l'hommage
, que lui & fes fucceffeurs en firent au
Roi.
E iij
Rollo
2246 MERCURE DE FRANCE. ·
1
Rollo divifa à fes Officiers & à fes Soldats
toutes les Terres qu'on lui avoit laiffées , &
M. Froland dit que quelques-uns ont attri
bué à cette fubdivifion des Terres , l'origi
ne des Fiefs en Normandie.
Dans l'Hiftoire abregée qu'il donne des
Ducs de Normandie , on trouve plufieurs
faits finguliers , par exemple , que Hugues
Comte de Châlons , vint nuds pieds , avec
une felle de cheval fur le dos , faire excuſe à
Richard II. Duc de Normandie , dont il
étoit Vaffal ; que le Comte de Bellefme en
fit autant à Robert II . Duc de Normandie ;
cette cérémonie humiliante étoit alors ufitée
de la part du Vaffal qui avoit offenſé fon
Seigneur.
Guillaume II . dit le Bâtard & le Conqué
rant , VII . Duc de Normandie , fut défigné
Roi d'Angleterre par Edouard , qui n'avoit
point d'enfans , & après la mort de ce Prince
il fut Roi d'Angleterre , laquelle devint
par -là toute Normande , Guillaume ayant
donné toutes les Seigneuries & les Charges
à des Nor nands , & établi de nouvelles Loix ,
qui furent écrites en Langage Normand.
Ces Loix , dit M. Froland , furent portées
par nos Héros dans le Royaume de Naples
, la Poüille , la Calabre , la Sicile & autres
Lieux ; & un Prefident à Mortier , qui
avoit voyagé , certifioit qu'autrefois à Naples
OCTOBRE . 2247 1744.
ples les Avocats plaidoient en LangageNormand.
La même choſe avoit été ordonnée
en Angleterre par Guillaume le Conquérant
, & cet ufage continua jufqu'à Edouard
III. fous lequel en 1361 le Parlement , qui
fe tint à Weftmunfter , 159 années après la
réunion de la Normandie à la Couronne de
France, qui fut faite en 1204 , ordonna que
l'on n'uferoit plus que de la Langue Angloife
dans les Tribunaux & dans les Actes
de Juftice.
Philippe Augufte , après avoir chaffé de
Normandie le Duc Jean fans terre , à cauſe
du meurtre de fon neveu Artur , Duc de
Bretagne , y établit entre autres Loix , celle
du Talion.
Ch. 2. L'Auteur traite de l'Etabliffement
de l'Echiquier Souverain de Normandie ,
d'abord ambulatoire , puis rendu fédentaire
en 1499 , & décoré du titre de Parlement
en 1515 ; quelques Princes & Seigneurs
avoient auffi leurs Echiquiers particuliers.
Le même Ch. traite auffi de l'Etabliffement
de la Cour des Aydes & de la Chambre
des Comptes , de l'union de ces deux
Cours , & de l'établiffement des differentes
Jurifdictions qui s'exercent dans la Ville de
Roüen & dans les Fauxbourgs ; on y trouve
plufieurs faits curieux , par exemple , que
Louis XI. ayant donné le Duché de Nor-
E iiij
mandie
2248 MERCURE DE FRANCE.
mandie au Duc de Berry , fon frere , celui- si
mit à fon doigt un Anneau , pour marquer
qu'il époufoit la Province , ( c'étoit une des
manieres de prendre poffeffion , per annulum)
& lorſqu'il remit cette Province au Roi
pour le Duché de Guyenne , il renvoya l'Anneau
pour le rompre publiquement , ce qui
fut fait en préfence du Connétable , auquel
on remit les deux pièces de l'Anneau .
En parlant de la Chambre des Requêtes
'du Palais de Rouen , créée en 1543 , M.
Froland dit que la création qui fut faite dans
cette année , de plufieurs Offices de Préfidens
& de Confeillers , eft le premier veftige
de la vénalité des Charges , ceux qui y
furent nommés ayant financé chacun deux
mille écus dans les coffres du Roi , ce qui
fut coloré du titre de Prêt pour les befoins
de l'Etat ; on ne laiffa pas de leur faire jurer
qu'ils n'avoient rien donné pour leur
Office.
La vénalité des Charges paroît cependant
plus ancienne , car avant S. Louis les Prévôtés
, Vicomtés , Châtellenies & Vigueries
étoient données à ferme , ce que S. Louis
défendit pour la Prévôté de Paris, mais qu'il
autorifa pour les autres Juftices ; on tenta la
vénalité des Charges fous le Roi Jean &
fous Louis XI , & Louis XII vendit publiquement
les Offices , mais les Particuliers
nc
OCTOBRE. 1744. 2249
ne pouvoient encore les vendre ; ce fut
François I. qui le permit , en lui
quart de l'évaluation de l'Office.
payant le
Pour ce qui eft du Serment que les Of
ficiers faifoient de n'avoir rien donné , il
fut aboli en 1597.
A l'ouverture.du Parlement de Rouen en
1544 , il fut ordonné , fur le réquifitoire
du Procureur Général , que les Préfidens ,
Confeillers , Gens du Roi , Greffiers , leurs
Commis , Avocats & Procureurs , feroient
tenus à l'avenir de fe faire raſer la barbe .
Le Chapitre 3. traite de l'ancien Coûtumier
de Normandie, dont l'Auteur eft inconnu
; la compilation eft en Latin & en
François , & on ne fçait lequel des deux eft
le Texte ; il fut mis en Vers François par
Dourbaut , & après avoir fouffert diverfes
altérations , il fut réformé en vertu de Lettres
Patentes de 1577 , & la nouvelle Coûtume
commença d'être obfervée en 1583 .
Les deux Chapitres fuivans traitent des
ufages Locaux de la Province , & des prétendus
ufages Locaux du Comté d'Eu .
La Clameur de Haro fait la inatiere du
Chapitre 6 ; on fçait que cette Clameur eſt
une invocation refpectable du nom de
Raoul ou Rollo , premier Duc de Normandie
, dont la mémoire eft en fi grande vénération
par l'amour qu'il avoit pour la juf-
E v tice ,
2250 MERCURE DE FRANCE.
tice , qu'il eft encore aujourd'hui invoqué
par ceux qui cherchent à fe garantir de
quelque injure qu'on veut leur faire. Cette
Clameur étoit en ufage dès le tems des Ducs
de Normandie. Paul Emile rapporte qu'après
la mort de Guillaume le Conquérant ,
elle fut miſe en pratique pour empêcher fa
fépulture en l'Eglife de S. Etienne , qu'il
avoit fait bâtir à Caën , & qui avoit été
conftruite en partie fur un fond appartenant
au nommé Affelin , qui arrêta la pompe
funebre , en interjettant la Clameur de
Haro.
Le Chapitre 7 concerne une Charte fans
date , appellée la Charte au Roi Philippe ,
qui fut inferée à la fin de la nouvelle Coûtume
, & que quelques -uns croyent être de
Philippe Augufte , les autres de Philippe le
Hardi.
Le huitiéme traite de la Charte Normande
, c'est ainsi qu'on appelle une Charte de
Louis Hutin , du 13 Juillet 1315 , qui
confirme les Priviléges de la Province , &
ordonne , entre autres chofes , que fes Habitans
ne pourront être traduits dans des
Jurifdictions étrangeres .
Dans les Chapitres fuivans il donne une
Notion des Articles placités, ou Reglement
de 1666 , du Reglement de 1673 , fur les
Tutelles , des Ordonnances , Edits & Déclarations
OCTOBRE. 1744. 2251
clarations qui forment des Loix générales
pour tout le Royaume , & qui font par
conféquent partie du Droit de la Province
de Normandie , des Ordonnances , Edits ,
Déclarations , Lettres Patentes & autres
Loix particulieres à cette Province; de quelques
Ordonnances , Articles de Coûtume
& du Reglement de 1666 , qui font abrogés
en tout ou partie ; enfin une Notice trèscurieufe
des Auteurs Anglois qui ont fait
mention de l'ancien Droit de Normandie ;
des Commentateurs de la Coûtume de Normandie
, ancienne & nouvelle , de leurs
Ouvrages , & des autres Auteurs qui ont
écrit fur des matieres concernant le Droit
& les Ufages de cette Province.
Les Reglemens , qui font l'objet de la feconde
Partie de cet Ouvrage , concernent
les prérogatives & la compétence du Parlement
, des autres Tribunaux & Officiers de
la Province.
Le Chapitre 40 , qui eft dans cette fecon -
de Partie , contient beaucoup de choſes curicufes
, par rapport à l'Ordre des Avocats
entre autres , qu'ils portoient anciennement
la Robe rouge , enforte que le 4 Novembre
1514 , le Parlement leur fit fignifier de ſe
trouver à l'Entrée de la Reine ( Anne de
Bretagne ) honnêtement montés & vêtus de Robes
d'écarlate & Chaperons fourés , pour ac-
E vj compa2252
MERCURE DE FRANCE.
compagner les Préfidens & Confeillers ; ce
n'eft que depuis la vénalité des Charges que
les Avocats ont ceffé par modeftie de porter
la Robe rouge , fans qu'il y ait jamais eu
aucun Reglement qui leur en ait défendu
l'ufage .
La troifiéme Partie contient un Recueil
des Priviléges particuliers à la Province de
Normandie , autres que la Clameur de Haro
& la Chartre Normande , tels que celui du
Comté d'Eu , qui reffortit au Parlement de
Paris ; la Prohibition d'évoquer les Decrets
de Normandie ; le Reglement de 1673 ,
pour leDroit deTiers & Danger fur les Bois ;
le Privilége réſultant du Senatus confulte
Velleien , en faveur des femmes ; les Priviléges
particuliers de la Ville de Rouen & de
quelques autres Villes de la Province , ceux
du Parlement & de fes differentes Chambres
; les Priviléges propres à certaines perfonnes
feulement , tel que celui que Louis
XIV accorda en 1667 aux Gentilshommes
& aux Bourgeois des Villes franches de la
Province , qui auroient dix ou douze enfans
; celui qu'on prétend avoir été accordé
aux filles , defcendues des freres de la Pucelle
d'Orleans , de pouvoir communiquer
la Nobleffe à leurs maris , & dont plufieurs
familles de la Province de Normandie ont
profité ; enfin des Priviléges revendiqués
par
OCTOBRE. 1744. 2253
par quelques Abbayes , Chapitres, Prieurés,
& autres Eglifes de la Province , & par quelques
Seigneurs, notamment celui de la Principauté
d'Yvetot , connue ci - devant fous le
titre de Royaume. Il n'y a point de Chapitre
qui n'eût fourni plufieurs traits curieux
à rapporter , fi cela n'eût paffé les bornes
d'un Extrait.
Les Arrêts de Reglement , & autres Arrêts
, tant du Parlement de Normandie , que
des autres Parlemens , annoncés par le Titre,
font répandus dans tout le corps de l'Ouvrage,
& principalement dans la feconde & la
troifiéme Partie , où ils font appliqués aux
differentes matieres aufquelles ils ont rapport.
ORAISON FUNEBRE de Madame
Ifabelle de Roye de la Rochefoucauld, Abbeſſe
de l'Abbaye Royale de S. Pierre de Rheims,
prononcée dans l'Eglife de la même Abbaye
le 16 Juin 1744 , par M. de Saulx, Docteur
en Théologie , Chanoine de l'Eglife de
Rheims , & Principal du Collège de l'Univerfité
, à Rheims , chés François feunebomme,
Imprimeur , rue des deux Anges.
CATALOGUE des differens Ecrits , contenus
dans les VIII Volumes des Ouvrages
de M. l'Abbé de S. Pierre , de l'Académie
Françoife ,
2254 MERCURE DE FRANCE.
Françoiſe , imprimés à Roterdam , chés Beman
, & qui fe vendent à Paris , chés Briaffon
, Libraire , rue S. Jacques. Brochure in-
12. de 24 pages , 1744 .
HISTOIRE des Hommes Illuftres
par les Médailles.
Pbliccontinue de faire à ce Journal , & pour le
Our répondre à l'accueil favorable que le Purendre
encore plus agréablement inftructif , nous
avons projetté de donner une Hiftoire fommaire des
Hommes Illuftres , en l'honneur defquels on a frappé
des Médailles , depuis la renaiffance des Lettres
jufqu'à préfent.
Par le titre d'Hommes Illuftres , on entend ici
non-feulement les Rois , les Souverains & les Princes
les plus diftingués , les Princeffes , mais encore
les Perfonnes de l'un & l'autre Sexe , qui auront excellé
en quelque genre que ce foit , particulierement
ceux & celles , qui auront cultivé les Sciences
& les Beaux - Arts .
Nous ne ferons graver aucune Médaille en Taille-
douce , dont nous n'aurons pas vu l'original ,
frappé dans le tems même , & dont la certitude ne
foit tout-à-fait incontestable .
Ainfi , on n'empruntera rien des Livres où le peuvent
trouver de pareilles gravûres , de Mezeray même,
encore moins du grand Recueil de Jacques de
Bie, où parmi plufieurs Médailles vraies , il s'en
trouve beaucoup de fufpectes , d'autres visiblement
fauffes , & fabriquées dans des tems poftérieurs .
L'exécution de ce Projet nous fera peut- être
moins difficile , par la quantité de Médailles , que
nous poffedons déja , de la qualité dont il s'agit ici ,
&
OCTOBRE. 1744. 2255
& par les fecours que nous nous promettons de la
part de plufieurs perfonnes Curieufes , qui ont de
pareils Monumens , & dont nous nous ferons un
devoir & un plaifir de citer les Cabinets.
Nous commencerons par une Médaille de Fran
çois I , par la raison qui fe préfente fi naturellement,
ce Grand Prince , outre fes rares qualités du coeur
& de l'efprit , ayant été le Pere & le Reftaurateur
des Lettres, & le magnifique Protecteur des Sçavans:
1
Nous nous faisons un plaifir d'apprendre aux
Curieux que M. Gerfaint , déja connu par differens
Catalogues de Curiofités de fa compoſition , a été
choifi pour diriger la vente des fameux Cabinets de
feu M. Bonnier de la Moffon . Le Public l'avoit déja
nommé d'avance , ce qui juftifie ce choix Il y a
tout lieu d'efperer que nous aurons de lui un Catalogue
auffi exact de toutes les Curiofités dont ces
Cabinets font remplis , que le tems qu'on lui donnera
pourra le lui permettre. On affûre que la vente
de toutes ces raretés , qui font immenfes dans leur
quantité , & admirables dans leur variété , pourra
être commencée dans les premiers jours de l'année
prochaine . Les Catalogues de cette efpece font d'autant
plus utiles & néceffaires , qu'ils donnent avis de
l'existence de certains Morceaux rares , que Pon
ignore fouvent , & avertiffent en général le Public ,
furtout les Etrangers , de ce qui pourroit leur convenir.
On ne doute point , au refte , que M. Gerfaint
ne le prête volontiers , fuivant la louable coû
tume , au délir de certains Curieux diftingués , qui
voudront jouir en partie ou en totalité de la vûë de
ces Cabinets , avant que les Curiofités dont ils font
remplis en foient démembrées.
ESTAM
2256 MERCURE DE FRANCE.
ESTAMPES NOUVELLES .
M. Lépicié, Graveur du Roi, & Secretaire de l'Académie
Royale de Peinture & de Sculpture , vient
de graver & de mettre au jour deux Etampes fort
ingénieufes & piquantes , d'après M. Jeaurat , Profeffeur
de la même Académie. On remarque avec
plaifir dans ces Morceaux une compofition noble
& naïve , de l'expreffion & de la fineffe dans le
Deffein.
Ces Eftampes repréfentent l'Accouchée & la Relevée
, & fe vendent chés l'Auteur , au coin de l'Abreuvoir
du Quai des Orfévres , & chés Louis Surugue
, Graveur du Roi , rue des Noyers , vis- à- vis
S. Yves.
Autre Eſtampe en hauteur , repréſentant LA STE
VIERGE , d'après la Statue exécutée en argent, pour
être placée dans la Chapelle de la Ste Vierge de l'E
glife Paroiffiale de S. Sulpice de París , d'après le
Mo lele d'Edme Bouchardon , Sculpteur du Roi , laquelle
a été peinte par le Sr Chevalier. Cette Eftampe
, qui eft très bien gravée par le Sr Sornique , eft
dédiée à Mre Jean - Baptifte . Jofeph Languet de Gergy
, Docteur de Sorbonne , Curé de S. Sulpice ..
Elle fe vend chés le Sr Chevalier , Peintre , rue du
Four , Fauxbourg S. Germain , à l'Hôtel d'Allemagne
, & chés Vanheck , Peintre , ruë d'Enfer , Port
S. Landry.
Il vient de paroître chés le Sr le Rouge , Géogra
phe du Ro , rue des grands Auguftins , vis- à-vis le
Panier fleuri , le Plan de Fribourg , en Brifgaw ; celui
du Château de Demont ; celui de Coni , en Piémont,
& une très- belle Carte des Illes Britanniques.
Le
OCTOBRE. 1744. 2257
Le Public eft averti que le véritable Suc de Régliffe
& de Guimauve blanc , fans fucre , fi eftimé
pour toutes les maladies du Poulmon , inflammations
, enroüemens , toux , rbume , afthme , poulmonie
& pituite, continue à fe débiter depuis plus de
trente ans , de l'aveu & approbation de M. le Premier
Médecin du Roi , chés Mlle Defmoulins , qui eft
la feule qui en a ' le Secret de défunte Mlle Guy ,
quoique depuis quelques années des particuliers
ayent voulu le contrefaire , lefquels pour mieux
tromper le Public , fe font dits Enfans de M. Guy ,
ce qui eft une fuppofition ; la difference s'en con
noîtra ailément par la comparaiſon qu'on en pourra
faire.
On peut s'en fervir en tout tems , le transporter
par tout & le garder fi long-tems que l'on veut ,
fans qu'il fe gate jamais , & perde rien de fa
qualité.
Mlle Defmoulins demeure rue Guenegaud , Fauxbourg
S. Germain , du côté de la ruë Mazarine , chés
Mad. Poulin , dans l'Allée du Bourrelier , au deuxiéme
Appartement.
Nous avons parlé en fon tems de la capacité reconnue
du Sr de Laulnay , Chirurgien Juré à Paris,
de l'Académie Royale de Chirurgie , & des nouvelles
Découvertes qu'il a faites fur le fait des Defcen.
tes & autres maux de la même efpece , au grand
foulagement des Malades. Comme il a changé de
demeure , le Public eft intéreffé de fçavoir que fa
demeure actuelle eft ruë des Prouveres , au- deffus &
du même côté de la rue des deux Ecus.
CHAN2258
MERCURE DE FRANCE.
+X+3X+3X +3X+3X +3X+3X++3X
CHANSON A BOIRE.
Pour célébrer la fanté de Louis,
Que le Vin à grands flots coule dans tout Paris !
Bacchus aura foin de fa Gloire ,
Que de Vin on recueillera !
Et plus dans Paris on boira ,
Plus le Dieu de la Treille en donnera pour boire.
Par M. Laffichard.
AIR .
MEs foupirs font mes plaifirs ;
A d'aimables defirs
Ils livrent mon ame ;
Pour deux beaux yeux
Je fens un flâme ,
Qui m'éleve au rang des Dieux :
Nuit & jour je fonge à Silvie ;
L'Amour me convie
De l'aimer tendrement
Eternellement.
La Belle fçait mon martyre ;
Elle fourit à mes feux ;
J'entrevois que fon coeur foûpire ;
Je touche au moment d'être heureux.
Par le même.
Oct
2744
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY .
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
1

1L NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
OCTOBRE. 1744. 2259
O :
L
SPECTACLES.
E 15 Octobre , l'Académie Royale , de
Mufique remit au Théatre Alcide , ou
le Triomphe d' Hercule , dont le Poëme eft de
M. de Capiftron, & la Mufique de Mrs Louis
de Lully & Marais .
Le 23 , on reprit la Paftorale Héroïque
d'Acis & Galatée , dont il a été parlé dans
le Mercure du mois d'Août dernier.
Le 19 , les Comédiens François donnerent
la premiere repréſentation d'une Comédie
nouvelle , en Profe & en un Acte ,
intitulée la Difpute, Cette nouveauté n'ayant
pas été goûtée du Public , l'Auteur l'a reti
rée après la premiere repréſentation.
Le 25 , les Comédiens Italiens repréfenterent
le Mari Garçon & les Talens déplacés.
Cette Piéce fut fuivie d'un Divertiffement ,
dans lequel la Dlle Coraline exécuta un Pas
de Deux avec le Sr Ballety , qui a été fort
applaudi . Le Spectacle finit par un nouveau
Feu d'artifice en Berceau , dont la compofition
a parû très - ingénieufe .
Le
2260 MERCURE DE FRANCE:
Le 26 , ils donnerent la premiere repréfentation
de Coraline Arlequin , & d'Arbequin
Coraline , Piéce Italienne en trois Actes
; elle fur fuivie d'un nouveau Divertiffement,
de la compofition du fieur Deshayes
, lequel a fait beaucoup de plaifir ; il
eft exécuté par les meilleurs Danfeurs &
Danfeufes de la Troupe , tous habillés en
Arlequins & en Arlequines . La Dlle Coraline
y exécute un Pas de Deux avec le Sr Ballety
; la Dlle Veronefe , four cadette de
Coraline , danfa une Entrée avec beaucoup
de grace .
La Foire S. Laurent a été prolongéo
cette année jufques & compris le 11 de
ce mois.
Le même jour l'Opera Comique fit la
clôture de fon Théatre par la Piéce des
Amours Grivois , en Vaudevilles , laquelle a
eû un fi grand fuccès pendant le cours de la
Foire ; elle fut fuivie du Bal de Strasbourg ,
qui n'a pas moins fait de plaifir . La Dlle
Puvignée s'y eft fort diftinguée dans les dif-
Ferens Divertiffemens , ayant été généralement
applaudie par de nombreufes Affemblées.
Il y eut avant la derniere Piéce , un
Compliment adreffé aux Spectateurs, qu'on
fait ordinairement toutes les années à la
clôture
OCTOBRE. 2261 1744:
elôture du Théatre. C'eft la Dlle d'Arimath
qui le prononça en ces termes.
» Oui , MESSIEURS , l'empreffement
que vous avez témoigné pour notre Spec-
» tacle , & les applaudiffemens dont vous
» l'avez honoré , font plus l'éloge de votre
» zéle pour le Roi , que du talent de ceux
» qui ont entrepris de le chanter ,
»
"
39
Nous connoillions votre amour pour le
plus grand & le meilleur des Rois ; nous
jugions de vos fentimens par les nôtres ;
» nous n'avons fait fimplement que les co
"pier.La gloire du Roi , le bonheur de le voir
» renaître , ont été des objets que nous
» avons crû dignes de vous être offerts.
» Cette matiere , dont nos coeurs font pé-
» pétrés , étoit trop abondante , pour ne
fuffire , fans les fecours de l'efprit,
En effet , où trouveroit- on un fujet
plus fufceptible des éloges de la bonté
d'un Roi pour fes Peuples , & de l'attachement
des François pour leur Roi ?
ל כ »pas
»
89
~
La même Actrice chanta fur l'Air : Ce n'eſt
qu'en France.
Où trouver un Roi jufte & grand ,
Qui loin de regner en Tyran ,
Sur l'amour fonde ſa puiſſance ;
no
2260 MERCURE DE FRANCE.
Le 26 , ils donnerent la premiere repréfentation
de Coraline Arlequin , & d'Arbe
quin Coraline , Piéce Italienne en trois Actes
; elle fut fuivie d'un nouveau Divertiffement,
de la compofition du fieur Deshayes
, lequel a fait beaucoup de plaifir ; il
eft exécuté par les meilleurs Danfeurs &
Danfeufes de la Troupe , tous habillés en
Arlequins & en Arlequines . La Dlle Coraline
y exécute un Pas de Deux avec le Sr Ballety
; la Dlle Veronefe , four cadette de
Coraline , danfa une Entrée avec beaucoup
de grace .
La Foire S. Laurent a été prolongée
cette année jufques & compris le 11 de
ce mois.
II
Le même jour l'Opera Comique fit la
clôture de fon Théatre par la Piéce des
Amours Grivois , en Vaudevilles , laquelle a
eû un fi grand fuccès pendant le cours de la
Foire ; elle fut fuivie du Bal de Strasbourg ,
qui n'a pas moins fait de plaifir. La Dlle
Puvignée s'y eft fort diftinguée dans les dif-
Ferens Divertiffemens , ayant été généralement
applaudie par de nombreufes Affemblées.
Il y eut avant la derniere Piéce , un
Compliment adreffé aux Spectateurs, qu'on
fait ordinairement toutes les années à la
clôture
OCTOBRE. 2261 1744
elôture du Théatre. C'eſt la Dlle d'Arimath
qui le prononça en ces termes.
» Oüi , MESSIEURS , l'empreffement
que vous avez témoigné pour notre Spec-
» tacle , & les applaudiffemens dont vous
» l'avez honoré , font plus l'éloge de votre
» zéle pour le Roi , le Roi , que du talent de ceux
qui ont entrepris de le chanter ,
99
30
"
le Nous connoiffions votre amour pour
plus grand & le meilleur des Rois ; nous
»jugions de vos fentimens par les nôtres ;
" nous n'avons fait fimplement que les co
»pier.La gloire du Roi , le bonheur de le voir
» renaître , ont été des objets que nous
" avons crû dignes de vous être offerts.
» Cette matiere, dont nos coeurs font pé-
» pétrés , étoit trop abondante , pour ne
» pas fuffire , fans les fecours de l'efprit.
לכ
39
»
En effet , où trouveroit-on un fujet
plus fufceptible des éloges de la bonté
d'un Roi pour fes Peuples , & de l'attachement
des François pour leur Roi ?
La même Actrice chanta fur l'Air : Ce n'eft
qu'en France.
Où trouver un Roi jufte & grand ,
Qui loin de regner en Tyran ,
Sur l'amour fonde ſa puiſſance ;
2262 MERCURE DE FRANCE.
Un Roi qui ne le fut jamais
Que pour le bien de les Sujets ?
Ce n'eft qu'en France.
***
Où verra- t'on d'heureux sujets ,
Dont les plaifirs les plus parfaits
Se trouvent dans l'obeïffance ;
Dont le coeur s'eft fait une loi
De n'aimer rien plus que leur Roi ?
Ce n'eft qu'en France,
On a été mal informé quand on a mis
dans le Mercure d'Août , que les Airs de
la Ronde & du Branle des Amours Grivois
étoient de la compofition de M. Boifmortiers
; ils font de M, Favart , l'un des Auteurs
de la Piéce .
FRANCE
OCTOBRE. 1744 2263
FRANCE ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
PRIERE à S. Louis , à la fin de fon Panégyrique
, prononcé le jour de fa Fête dans
l'Eglife de S. Cyr par M. Ballet Curé do
Gif, près de Versailles,
S
Aint Monarque , qui avez changéIl''immmortalité
de vos Lauriers en une vie
bienheureuſe : qui n'avez ceffé d'être Roi
fur la terre , que pour régner dans le Ciel :
préfentez au Seigneur l'Encens de vos prieres
pour l'éternelle durée de nos Lys : que
le Trône des François qui a brillé aux yeux
de toutes les Nations , par fes conquêtes &
fa magnificence , brille aux yeux du Seigneur
par fes Vertus : qu'il repréfente fa
Sainteté , comme il repréſente fa Puiffance ;
qu'il foit redoutable aux ennemis de la Religion
, comme aux ennemis de l'Etat ; que
les gémiffemens de la Colombe , que les ferventes
prieres des François foient promptement
exaucées !
Une main toute-puiffante vient de fécher
nos
2264 MERCURE DE FRANCE .
nos pleurs , en rendant le Monarque à nos
prieres. Dieu vouloit nous inftruire , il ne
vouloit pas nous punir. Il l'avoit preparé à
la plus grande de toutes les Victoires , par
fes rapides conquêtes fur nos Frontieres , &
fi l'on a vu le Héros de la Guerre , à Menin ,
à Ypres , à Furnes , on a vû à Metz le Héros
de la Religion. Là les Villes foumiſes publient
ſa valeur , ici fa foumiſſion au Très-
Haut publie fa Religion .
Fermez , Seigneur , pour jufqu'au delà de
ce Siècle , le Tombeau qui s'ouvroit fous les
yeux de notre Monarque , & qui fembloit
le demander qu'il vieilliffe dans les Lys ,
pour être la terreur de fes ennemis , le fléau
du vice , les délices de fes Peuples , l'appui
& la confolation de l'Eglife !
Accordez les mêmes fecours à l'héritier de
fon Trône : que la Sageffe guide fes pas , &
préfide à toutes les actions : que l'innocence
de fes premieres années faffe la gloire d'une
longue vieilleffe , & qu'il foit compté un
jour parmi les Héros de la Religion , comme
nous préfumons qu'il fera compté parmi
les Héros de la Guerre ! que les fublimes
Vertus , dont la plus fage de toutes les Reines
donne le ſpectacle à toute l'Europe , apprennent
aux Grands du monde que le Salut
n'eft pas impoffible à la Cour, quand le rang,
où le fervice du Prince y appelle qu'ils apprennent
OCTOBRE . 1744 2265
prennent aujourd'hui ces Maîtres du monde
, que c'eſt une chofe bien terrible de
mourir , de ceffer d'être Grands & de ne pas
être Saints .
le
Les lettres de Flandre marquent , que
6 du mois dernier , le Détachement , commandé
par le Prince de Pons , ayant paffé le
Canal de Bruges , étoit allé camper à Lovendeghen
; qu'il avoit repaffé le 8 le même
Canal , pour fe pofter à Bellem , & qu'il
s'étoit étendu juſques à Deynfe , où il avoit
été renforcé par deux Brigades de Cavalerie
. Les Alliés fe font déterminés , par l'inquiétude
que leur a donné ce mouvement ,
à détacher de leur armée un Corps d'environ
12000 hommes , qui a marché du côté
de Gand & d'Oudenarde.
On a appris du Camp devant Prague du 9
du mois dernier , que le premier , le Roi de
Pruffe paffa la riviere d'Eger avec la quatriéme
Colonne de fon armée , & qu'il joigait
le lendemain les troupes qui avoient
commencé l'Inveftiffement de la Ville de
Prague.
Le Maréchal de Schwerin & le Prince
Leopold d'Anhalt s'étant rendus devant
cette Place , prefque en même- tems que
Roi , onjetta le 3 , un pont fur la Moldaw
F près
le
2266 MERCURE DE FRANCE.
près du Village de Hollochowitz , pour la
Communication de l'armée de S. M. avec les
troupes que ces Généraux commandent.
Les , on conftruifit un autre pont ſur la
même riviere , vis-à-vis le Village de Braneck
, & l'on acheva d'inveftir la Ville, On
fe faifit en même-tems de quelques poites ,
dont il étoit néceffaire de fe rendre maître ,
afin d'empêcher les forties de la garniſon.
Le Roi apprit le même jour , qu'un Détachement
des troupes de la Reine de Hongrie
étoit arrivé à Beraun , & S. M. y en-,
voya d'abord fous les ordres du Major Général
Hacke cinq Bataillons & quelques
Huffards , qui y trouverent les ennemis en
beaucoup plus grand nombre que le Roi
n'avoit crû. Le Comte de Bathiany , fur l'avis
du mouvement du MajorGénéral Hacke,
avoit marché avec la plus grande partie des
troupes qu'il commande , & il avoit pofté
1000 Croates en embufcade.
Les ennemis étant fort fuperieurs au Corps
détaché par S. M, leur Cavalerie s'avança
fur quatre Colonnes , & elle Colonnes , & elle attaqua ce
Corps avec beaucoup de vivacité , mais l'Infanterie
Pruffienne , qui à la vûë des ennemis
s'étoit rangée en bataille des deux côtés
d'un chemin creux , foûtint le choc , fans
s'ébranler . Les efforts de l'Infanterie , que
le Comte de Bathiany avoit amenée , & qui
Lo
"
OCTOBRE 1744 2267
fe joignit à fa Cavalerie , n'eurent pas plus
de fuccès , & il ne put entamer d'aucun côté
les Pruffiens. Il retourna trois fois inutilement
à la charge , & après un combat qui
dura fept heures , il fut repouffé par tout
avec perte. Découragé par cet échec , &
ayant été averti que le Roi avoit détaché
quelques Bataillons & plufieurs Efcadrons ,
pour renforcer le Corps du Major Général
Hacke , il prit la fuite & laiſſa fes morts &
une partie de fes bleffés fur le champ de bataille.
Les Généraux Feftetitz & Luchefi
étoient avec lui à l'action, is pr
En cette occafion , les troupes de la Reine
de Hongrie ont perdu plus de 300 hom
mes , du nombre defquels font le Comte de
Daun , Colonel , deux Lieutenans Colónels
, trois Capitaines , & plufieurs autres
Officiers. On a trouvé fur le champ de ba
taille environ 200 bleffés , & on a fait plufieurs
prifonniers , catre lefquels on compte
un Major , un Gapitaine & un Lieutenant
de Cavalerie .
Il n'y a eû du côté des Pruffiens que 60
hommes de tués , & 198 de bleffés . Le Major
Général Hacke Ta été d'un coup de feu
une main , & a reçu une contufion à une
jambe. Le Colonel Wobfer , ayant été bleffé
-au pied , & s'étant retirédans un bois , pour
fe faire panfer , il a eû le malheur de tom-
Fij ber
(
4268 MERCURE DE FRANCE.
ber entre les mains des Huffards ennemis
& il a été fait prifonnier.
Le Roi , ayant été informé de la fuite des
ennemis , rappella les troupes qu'il avoit
envoyées au fecours du Major Général
Hacke , & qui n'avoient marché que jufques
à Hordelitz.
Un Corps de troupes Pruffiennes eft en
tré dans le Duché de Troppau , s'eſt emparé
de la Ville de ce nom & de celle de Freudenthall
, & il a exigé de toutes les Villes
& de tous les Villages , qui font entre Olmutz
& la Frontiere de la Siléfie , des contributions
très- conſidérables de vivres & de
fourage,
Un Corps de Huffards des mêmes troupes
s'eft avancé jufqu'à Mefericz , & il en a
chaffé un Détachement de Hanaques , qui
occupoit ce Pofte.
FESTE donnée par M. l'Abbé de la Fare,
Extrait d'une Lettre écrite , par M.....le
10 Septembre 1744.
J
'Arrivai , il y a quatre jours , Monfieur ',
chés votre ami M. l'Abbé de la Fare Lo
pez' , dans fon Château de Juziers , fur le
bord du grand chemin de Normandie & de
la riviere de Seine , entre Mante & Meulan
, fituation encore plus belle que l'on ne
me
OCTOBRE 1744 2269
à
me l'avoit dit ; la maifon n'eft pas grande ,
nous y étions pourtant quinze Maîtres tous
bien couchés , & plus de vingt perfonnes
table foir & matin , mais vous connoiffez
fa façon de penfer ; il ne fçauroit avoir trop
de monde chés lui : il nous donna une grande
Fête avant-hier , jour de celle de la Vierge
, en réjouiffance de la Convalescence du
Roi . Grande Mefle en Mufique , excellens
inftrumens & belles voix ; le Motet , Tota
pulchra es deCampra, & unDominefalvumfac
Regem , au bruit des Fanfares , Trompettes ,
& Ballons excellens , avec une décharge de
moufqueterie & de trente- fix Boëtes . Après
la Meffe , Concert d'Inftrumens & des mê
mes voix accompagnées de la Mufette , &
terminées par le Tambourin du fameux M.
Abram de l'Opera , après quoi un grand
dîner fous l'allée des maronniers , où l'on
avoit mis une table de quarante couverts
fervie avec une abondance , une délicateſſe
& une régularité qui nous étonna tous . Il
avoit invité tous fes voifins de la Banlieuë :
fes jardins en terraffe jufqu'au haut de la
montagne , & fon parterre étoient couverts
de peuple venu de huit lieuës à la ronde
qui nous regardoit dîner, & faifoit un fpectacle
réjouillant . Pendant le dîner , les habitans
précédés de violons , apporterent des
fleurs & des fruits à M. l'Abbé, & les Fan-
F iij fa2270
MERCURE DE FRANCE .
fares ne diſcontinuerent pas ; le repas finit
par un fruit compofé de vingt-cinq grandes
corbeilles en pyramides , alors l'Abbé fe leva
& porta à fes quarante convives armés chacun
d'un verre de vin de Champagne , la
fanté du Roi Louis le Bien - Aimé ; elle fut
célébrée par tout le monde,hommes & femmes
debout , au bruit des Fanfares & d'une
triple décharge de moufqueterie & des
trente- fix Boetes , après quoi on cria Vive le
Roi , ce qui fut répété par plus de deux mille
perfonnes.
Après le dîner qui fut long , on diſtribua
des violons dans les jardins & dans les
cours pour faire danfer le peuple , auquel
on avoiabandonné le fruit & des tonneaux
de vin , & on exécuta un Concert magnifi
que dans l'appartement d'en-bas . A l'entrée
de la nuit , on commença l'illumination
compofée de plus de mille gros Lampions ,
ou pots-à-feu , qui faifoient toute l'enceinte
de la Terraffe , & continuoient le long du
grand chemin fur la riviere de Seine , l'enceinte
des Jardins , Parterres & Baffins
d'eau .
Les deux façades de la maifon depuis le
comble , jufqu'au bas , étoient illuminées ,
accompagnées des portiques de feu , & c.
qu'on voyoit de trois lieuës à la ronde des
deux côtés de la riviere. Les Danſes & les
FanOCTOBRE.
1744. 2278
Fanfares continuerent jufqu'à un grand fouper
, au fon des violons & le bruit de la
moufqueterie & des Boëtes , enfuite les Danfes
& le Concert recommencerent & ne finirent
que vers les cinq heures du matin, mais
l'illumination fut fi grande & fi heureuſe ,
que les Lampions étoient encore allumés
le lendemain matin à huit heures.
Le 10 , on tira dans la Place de l'Hôtelde-
Ville de Paris , par ordre des Prévôt des
Marchands & Echevins , un feu d'artifice ,
fupérieur à tout ce qu'on avoit vû jufquesici
en ce genre dans cette Capitale .
L'Edifice qu'on avoit conftruit pour cet
effet , avoit 78 pieds de haut fur 72
de large , & il repréfentoit un Arc de
Triomphe , au haut duquel on voyoit Apollon
appuyé fur les armes , & foulant aux
pieds le ferpent Pithon . Des Génies , placés
en plufieurs endroits de la Décoration , portoient
differentes piéces d'artifice , & des
deux côtés de l'Edifice regnoit une Colonade
, qui enfermoit la plus grande partie de
la Place , & qui en fauvoit les irrégularités.
Outre les effets brillans que cette difpofition
a produits , on en a tiré un autre avantagepar
l'efpace confidérable qu'elle a procuré
au Peuple , l'emplacement , qui avoit été
choifi pour la conftruction du feu , fe trou
Fiiij vant
2272 MERCURE DE FRANCE .
vant beaucoup plus reculé qu'à l'ordinaire.
Par-là , toute la Place étoit libre , & capable
de contenir un plus grand nombre de fpectateurs
, & l'on pouvoit , même des maifons
de l'autre côté de la riviere , voir aifément
l'artifice bas au travers des Portiques
que formoit la Colonade , & dont l'ouverture
étoit de quinze pieds , & la hauteur
de 22 .
-Le Feu a été exécuté par les Sieurs Rugies
ri , Artificiers Italiens , qui , par les
preuves
qu'ils ont données de leur habileté
dans leur Art , fur le Théatre des Comé→
diens de leur Nation , y ont attiré un fi
grand concours de Spectateurs , & qui fe
font diftingués en cette derniere occafionci
, par plufieurs nouvelles manieres d'employer
la poudre. Les fufées , qui s'élevoient
à une hauteur extraordinaire, étoient
terminées , tantôt par des Etoiles , tantôt
par
des Soleils tournans.Plufieurs montoient
en ferpentant , & compofoient une double
fpirale , qui reffembloit à une efpece de
Caducée . Des bombes d'artifice , tirées en
grande quantité , étonnoient par la hauteur
où elles portoient , & par les prodigieufes
garnitures dont elles étoient remplies. Le
Spectacle étoit varié par des roues de feu , -
de diverfes couleurs , par des Gerbes de so
pieds , qui faifoient l'effet de Jets- d'Eau , en
ne
OCTOBRE . 1744, 2273
des Eroine
s'élévant que par dégrés , par
les , dont tous les angles étoient deffinés
avec la plus grande précifion . Après ce premier
artifice , toute la Décoration fut en un
inftant éclairée de Lances à feu ,& un grand
nombre de Caiſſes , qui furent fervies avec
une promptitude furprenante , tinrent pendant
un tems confiderable le Ciel couvert
de Serpenteaux , d'Etoiles & de Balles luifantes
. Un Soleil , compofé de 56 Rayons
& placé au hant de la Pyramide , qui couronnoit
l'Arc de Triomphe , s'enflamma en
fuite tout-à- coup , & il forma un cercle de
lumiere , dont le feu avoit 80 pieds de diamétre
. Dans le centre de ce Soleil , étoient
écrits en Lettres de Feu ces mots , Vive le
Roi , qui furent prononcés en même- tems à
plufieurs repriſes avec les plus vifs tranfports
par tous les Spectateurs. L'artifice ,
dont la durée a été prefque de trois quarts
d'heure , a été terminé par une Girande de
800 fufées. Auffi- tôt que l'artifice eut ceffé ,
on alluma l'Illumination , dont les dix -huit
Portiques , formés par la Colonade , qui
regnoit autour de la Place , 'avoient été garnis
tant en dedans qu'en dehors , & cette
Illumination , aufli -bien que celle qu'on
avoit placée au Donjon & au troifiéme Ordre
de l'Hôtel -de- Ville , dura toute la nuit.
Les Prévôt des Marchands & Echevins
Fy avoient
2274 MERCURE DE FRANCE.
avoient fait placer en differens Lieux de la
Ville 32 Fontaines de Vin , près defquelles
on diftribuoit du Pain & des Viandes , & à
côté de chaque Fontaine étoit un Corps de
Symphonistes , pour faire danfer le Peuple.
Le fuccès de cette Fête a parfaitement répondu
à la grande dépenfe qui a été faite ›
pour la rendre brillante , & au defit que la
Ville avoit de donner des témoignages extraordinaires
de fon amour tendre & refpectueux
pour S. M.
On mande de Strasbourg, que le Maréchal
de Coigny , qui étoit le 13 du mois dernier
à Ellenheim , devoit arriver le lendemain à
Emedingen avec la premiere Divifion de
l'armée du Roi , & que la Divifion qui eft
fous les ordres du Comte de Clermont, Prince
du Sang , a dû camper le 15 à Valdkuik.
Le Duc d'Harcourt eft entré le 11 dans le
Vieux Brifack, où il a fait établir deux ponts
fur le Rhin , & le Chevalier de Belle - Ifle a
marché de Vilingen dans le Comté de Nullembourg.
Le 13 , l'armée de l'Empereur eft partie
de Lauffen , pour aller à Dunkelopiel ; elle y
devoit arriver le 18 & le 20 , & l'on comptoit
qu'elle y feroit jointe par les troupes
Helloifes.
Le
OCTOBRE. 1744. 2273
Le 7 Septembre , le Recteur de l'Univer
fité de Paris donna un Mandement , par lequel
il indiqua une Proceffion extraordinaire
, & des Prieres en actions de graces
du rétabliffement de la fanté du Roi . Nous
le rapporterons dans fon entier , afin de ne
rien perdre de fon énergie, de la beauté des
fentimens & de l'expreffion dont il eft
rempli .
Extraordinaria Supplicationes Univerfitatis.
N
, OS PETRUS FROMENTIN Univerfi Studii
Parifienfis Rector , omnibus & fingulis ejuf
dem Univerfitatis Doctoribus , Magiftris , Clientibus
, & Adminiftris , Salutem .
In Regem fuum defixos jamdudum oculos tenebat
Gallia , eoque , quo nunquam dulcius fefe ipf
obtulerat , fpectaculo fuaviffimè fruebatur. Viderat
nempè egregium Principem in campis primum Relgicis
nobiles colligentem lauros , urbefque naturâ
& arte munitiffimas breviffimo temporis fpatio armis
victricibus fubigentem. Viderat , quod multò majus
eft ac jucundius ; primo fuo in urbes & caftra adventu
omnium fibi animos devincientem ; fplendidos
Majeftatis radios leni Popularitatis luce benè temperantem
; in confiliis capiendis Sapientiam , in periculis
adeundis Fortitudinem , Amorem in Suos
in Hoftes Clementiam & Humanitatem , cæteralque
Regias Virtutes plaudentium ac fibi Regnoque
certatim gratulantium populorum oculis explicantem
. Regem maximum rursus videbat , novæ laudis
defiderio fuccenfum , ac novos meditantem triumphos,
ad hoftem inopinatis fucceffibus elatum quantis
poterat itineribus contendentem ; & ab Lisâ ad
F vj Rhenun
2276 MERCURE DE FRANCE.
Rhenum volantem novâ admiratione novifque votis
profequebatur : cum ecce graviffino repentè morbo
correptus , curfu in medio gradum fiftere cogitur ,
& in fummum vitæ difcrimen adducitur. Ad tam
fubitum tamque feralem nuntium cùm omnes Galli,
tum præfertim Regiæ hujus Urbis Cives cohoriuêre;
& , cùm in tam acerbo cafu unicum videretur perfugium
Deus , in templa illicò incredibili frequentia
confluere, aras dies nocteſque ample ti , votifque ardentibus
non fine lacrymis divinam opem expofcere.
Nec fruftrâ . Preces noftras fupremus vitæ ac
mortis Arbiter benignis auribus excepit. Vivit Lu-
DOVICUS , è tanto difcrimine manifefto ac fingulari
Dei beneficio liberatus , eofque convalefcendo lætitiæ
fenfus excitavit , qui vix effent credibiles , nifi
omnia effent credibilia in ejus REGIS periculo , quo
.nullus unquam populis carior extitit . In tanto civi
tatis fine modo exultantis gaudio , Primogenitæ
REGUM noftrorum Filiæ , quæ optimum Parentem
fibi redditum videt ,minimè liberum eft eos quos gerit
animo fenfus non expromere , & fuperfandenti
fe lætitiæ temperare. Atque ut ante omnia debitas
Deo Immortali gratias rependamus , omnibus Doctoribus
ac Magiftris mandamus ac præcipimus , ut
die Veneris undecimo Septembris horâ ipsâ octivă
adfint apud Mathurinenfes ornati ut decet, inde poft
brevem orationem ad Ædem Deo Sacram fub Invo
catione SANCTI LUDOVICI in Collegio Mazarinæo
quanta fieri poterit celebritate & pompâ nobifcum
Proceffuri , ab eâque , decantato poft folemne Sacrum
Hyn no Euchariftico Te Deum , eodem ordine
ac frequentiâ redituri .
Ut autem in lætitiæ tam legitimæ partem commiffa
nobis Juventus veniat , dilatis in dies à nobis
indicendos cum Ordinariis Supplicationibus Univerfitatis
, tum Præclaræ Facultatis Artium Comitiis ,
Inducias Academicas protrahi volumus ad diem ctobris
OCTOBRE. 1744 2277
tobris decimum - nonum , quo die , pro more , Sad
crum Spiritui Sancto celebrabitur , & folitæ inftaurandis
Scholis Conciones habebuntur .
Datum in Ædibus noftris Mazarinæis , die Lunæ
feptimo menfis Septembris , anno Domini millefime
feptingentefimo quadragefimo - quarto.
En conféquence , la Proceffion fut faite le
11 du même nois , avec beaucoup de
pompe
& en plus grand concours qu'à l'ordinaire.
Elle partit des Mathurins pour fe rendre
à l'Eglife du College Mazarin . On y chanta
une grande Meffe , & le Te Deum en Mufique.
LETTRE de M. Lépicié , Sécrétaire dé
l'Académie Royale de Peinture & de Scalpture
, à M. le C. D. L. R.
J
E réponds avec bien du plaifir , Monfieur,
à l'invitation que vous m'avez fait.
faire , de vous communiquer ce qui s'eft.
paffé au fujet du Te Deum que l'Académie,
Royale de Peinture & de Sculpture a fait
chanter pour le rétabliſſement de la fanté
du Roi.
Afin de m'en acquitter avec ordre , je
crois qu'il convient de vous expofer la Délibération
de la Compagnie, qui eft conçue
en ces termes ; elle eft du Samedi 29 Août
dernier .
→ Plus la maladie de Sa Majefté a caufé de
» confternation à la France , plus l'heureuſe
>> guérifon
#278 MERCURE DE FRANCE.
guérifon de ce Prince a répandu de joye
» dans le coeur de fes Sujets. Cet événement
»miraculeux , où Dieu a parû écouter fi fa-
» vorablement nos prieres , en rappellant à
la vie le plus grand & le meilleur de tous
» les Rois , mérite que nous lui en rendions
> d'éternelles graces , & c'eft pour remplir
» une obligation fi jufte , que l'Académie a
» réfolu unanimement de faire chanter un
» Te Deum dans l'Eglife de S. Louis du Lou-
»vre , où M. le Contrôleur Général , Pro-
» tecteur , fera invité de fe trouver.
M. le Contrôleur Général étant parti dans
ce tems-là pour Metz , la Compagnie , qui
comptoit fur un prompt retour , jugea à
propos de différer le Te Deum,mais les affaires
retenant ce Miniftre à la Cour , l'Académie
, qui craignit que ce retardement ne
parût une négligence , prit la réfolution de
le faire chanter le Jeudi 17 Septembre.
L'Affemblée fut nombreuſe. M. de Blamont ,
Sur-Intendant de la Mufique du Roi , chargé
de l'exécution , la rendit très-brillante . Če
Te Deum, de fa compofition , paffe , avec juftice,
pour un excellent Morceau de Mufique,
frappé au coin des plus grands Maîtres. Le
Verfet, Judex crederis effe venturus , eft admirable,
( ainfi que plufieurs autres ) pour l'accord
du chant , de l'expreffion & du fentithent.
J'ai l'honneur d'être , & c.
A Paris ce 20 Septembre 1744.
OCTOBRE. 1744. 2279
Les Juges & Confuls de cette Ville fe font
acquittés du même devoir le 16 dans la Cha
pelle de leur Jurifdiction , où ils ont entendu
la grande Meffe , & enfuite le Te Deum..
Toutes les differentes Communautés ont
fait paroître le même zéle , en rendant gra
ces à Dieu du rétabliffement de la fanté du
Roi , & le Corps des Marchands de Vin
s'eft diftingué par une Fête particuliere
qu'il a donnée. Le 16 , les Marchands de
ce Corps firent chanter le Te Deum en Mufique
dans l'Eglife de S. Jacques de l'Hôpital
, qui étoit magnifiquement ornée , &
éclairée d'un grand nombre de lumieres . Il
y eut le foir à leur Bureau une Illumination
, que tout le monde vit avec beaucoup
de plaifi , & au haut de laquelle étoit cette
Infcription : Deus nobis hæc Gandia fecit.
Plufieurs Fontaines de Vin coulerent devant
la porte pendant la nuit , & il y avoit
dans toute la rue des Luftres de Criſtal à la
place des Lanternes .
Les habitans des Maifons , qui forment
tant intérieurement qu'exterieurement l'enceinte
de la Place Dauphine , ne fe font pas
contentés d'avoir donné conjointement avec
tous les habitans de cette Ville , le jour des
réjouiffances publiques pour la guérifon du
Roi , des marques de la part qu'ils prennent
à la joye générale ; ils ont voulu faire
écla3280
MERCURE DE FRANCE.
éclater plus particulierement leur attachement
pour S. M. par une Illumination
qu'ils ont faite le 14 , & qui a excité avec
juftice la curiofité de tout Paris.
Le Pourtour de la Place , compofé de 71
Arcades , étoit orné de feftons , qui communiquoient
d'une Arcade à l'autre , étant
tenus par une grande Rofe au milieu de
chaque Ceintre. La premiere Plinte au-deffus
des Arcades portoit alternativement des
Vaſes & des Ifs en forme de Pyramides en-,
tre les croifées du premier Etage . Les Lampions
pofés fur la faillie de la feconde Plinte
, formoient un fecond fil de lumiere. Au
fond de la Place , du côté du Palais , onavoit
élevé un Portique de 14 toifes de haut
fur 7 de large , lequel étoit avec Pilaftres .
groupés , & au-deffus duquel s'élevoit un
Socle , où étoit un Chiffre de deux L. Ce
Socle portoit une Pyramide , couronnée par
un Soleil , & aux deux côtés de laquelle
étoient deux Girandoles. Deux grands Piédeftaux
, portant deux autres Girandoles
d'une grandeur proportionnée , accompagnoient
le Portique. Le Quai des Orfévres ,
celui de l'Horloge , & la rue de Harlay
étoient éclairés des Pots-à-feu le long
par
de la premiere Plinte , & par des Luftres de
Lampions au lieu de Lanternes , & le tout
formoit un fpectacle des plus brillans.
Les

OCTOBRE. 1744. - 2281
Les Apprentifs & les Compagnons , qui
demeurent dans les Boutiques de cette partie
de Paris , ont montré le même empreffement
que les autres habitans , à fignaler leur zéle ;
les premiers , en faiſant chanter un Te Deum
dans l'Eglife de S. Barthelemi , les autres ,"
en faifant conftruire , au milieu de la Place ,
une enceinte ornée de dix grands Candelabres
, & deftinée à former une Sale de Bal.
On y entroit par trois Portiques , & dans le
centre étoit un Arbre fort élevé , dont le
tronc étoit entouré d'une guirlande de
fleurs & de Lampions dans les intervalles.
Il y avoit dans cette Sale une Orcheſtre ,
remplie d'an grand nombre de Muficiens ,
qui avant le Bal exécuterent avec beaucoup
d'applaudiffement plufieurs Morceaux de
Symphonic.
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Toursà
Fête donnée par M. l'Intendant , &c.
M
· de Lucé, notre Intendant, donna ici
le 13 de ce mois une Fête magnifique.
Sa maifon étoit illuminée en Portiques
avec des Colonades & des Pyramides , qui
formoient une très-belle Décoration ; les
Armes du Roi & les Emblèmes achevoient
de confacrer cette Fête à l'allegreffe publique.
Pour la rendre plus complette , M.
l'In
2282 MERCURE DE FRANCE.
l'Intendant fe fit un plaifir de donner un
feftin au peuple de Tours & des envitons.
Dès cinq heures du foir , on fit couler fix
Fontaines de Vin , & on établit autant de
tables , où l'on diftribua à tous ceux qui fe
prefenterent le refte du jour & pendant la
nuit , des viandes differemment apprêtées ,
du pain & du vin avec une abondance &
une profufion , vraiment dignes de l'événement
que l'on célébroit ; tous les habitans
étoient dans les rues , foit pour prendre part
au repas public , foit pour jouir de la joie
univerfelle .
On rentra enfuite chés M. l'Intendant ,
qui donnoit un grand fouper dans fa maifon
; il avoit invité plus de cent perſonnes ,
M. l'Archevêque , la Nobleffe & les Compagnies
; les Conviés fe partagerent en cinq
tables , qui furent en même- tems fervies
avec autant de magnificence que de délicateffe.
On but à la fanté du Roi au fon des
Inftrumens , & aux acclamations du peuple
& des cris redoublés de Vive le Roi. Après
le fouper , Mad. l'Intendante ouvrit un Bal,
qui dura jufqu'à fept heures du matin.
DES
OCTOBRE. 1744 228
DESCRIPTION de la Fête , donnée par
M. le Président de Rieux , en fa Maifon à
Paris , le 13 Septembre 1744 , à l'occafion
de la Convalescence du Roi. C
Oure la face de la Maifon du côté de
la rue étoit illuminée. Les Lampions
fuivoient l'Ordre de l'Architecture ; il y
avoit de plus , deux rangs de Girandoles
placées fur les Trumeaux du premier & du
fecond étage ; le devant de la Porte-Coche
re étoit orné de deux Pilaftrès garnis de
grands Lampions , portant un Cintre , dans
lequel étoit placé un Tableau tranſparent
& illuminé , reprefentant le Buſte du Roi ,
au-deffous duquel étoit placé un Cartouche
orné de Guirlandes avec cette Devife :
Salus Publica Rege revivifcente.
Au-deffus du Bufte du Roi étoit un Soleil
, dont les rayons étoient ornés d'une
Couronne de Laurier. A chacun des côtés
de la Porte étoient deux Pyramides de lumiere
de trente pieds de hauteur,terminées
d'une Etoile ; à côté de ces Pyramides étoient
deux Fontaines de vin qui ont coulé
dant toute la nuit.
pen-
Le deffous de la Porte Cochere étoit éclai
ré par huit Girandoles.Dans les quatre coins
de
2284 MERCURE DE FRANCE.
de la cour étoient quatre piédeftaux , fur lef
quels étoient placées quatre grandes Girandoles
, portant chacune cent lumieres.
En entrant , on étoit frappé par le brillant
de la lumiere qui étoit dans le Jardin
dont le fond étoit décoré de trois Portiques
, de chacun vingt- cinq pieds de hauteur
, ornés de Guirlandes , garnis de Lampions
& farmontés chacun d'une Girandole .
Sur la même ligne & à chacun des côtés de
ces Portiques étoit placée une grande Pyramide
& un piédeſtal , portant une grande
Girandole de lumiere. Au- deffous & dans
le fond du Portique , on appercevoit un
très-beau Groupe de marbre blanc , repréfentant
la Terre , implorant le fecours
d'une Naiade , qui en tenant fon Urne
panchée , forme une Nappe d'eau , & pardeffus
un deffein de lumiere , placé fous la
coquille du Groupe , lequel faifoit un effet
admirable .
La droite & la gauche du Jardin , depuis
la grille jufqu'au fond , étoient garnies de
vingt-quatre piédeftaux , portant chacun
une Girandole de differentes hauteurs , auffi
garnies de Lampions. Les allées à droite &
à gauche étoient bordées d'un double filer
de terrines , de fix pouces de diftance de
l'une à l'autre.
Le Parterre , qui eft d'un très -beau deffein
,
OCTOBRE. 1744, 2285:
fein , étoit marqué exactement par ne
quantité prodigieufe de Lampions , qui faifoient
un effet admirable , avec les fleurs
dont il eft décoré , & autour des platesbandes
du Parterre, regnoit auffi un cordon
de groffes Terrines.
Toute la face de la Maifon , qui donne
fur la cour & fur le Jardin , étoit terminée
par un cordon de groffes Terrines , qui éclai
roit deux Morceaux de Peinture , d'une trèsbelle
exécution , dont un repréſente le Palais
du Soleil , avec un Méridien ; l'autre un
Cadran à vents. On y voit Eole , qui com
mande aux vents de fortir avec impétuofité.
"
par
L'Illumination a été inventée & exécutée
le Sieur Berthelin de Neuville , Illumi
nateur ordinaire des Menus Plaiſirs du Roi,
Le grand Efcalier étoit éclairé par un
Luftre & fix Girandoles , garnis de Bou
gies , ainfi que tous les appartemens & le
Rès de Chauffée .
L'Illuftre Compagnie , choifie tant en
Dames qu'en Hommes de la premiere dif
tinction , qui avoit été invitée par M. le
Président de Rieux , fe rendit fur les fept
heures , pour entendre un Concert , où on
chanta deux Morceaux de Mufique , l'un
fur les Conquêtes du Roi , chanté par Mlle
Chevalier , & l'Abbé Malines , & l'autre
une
2286 MERCURE DE FRANCE.
Ex
par
une Cantatille fur la Convalescence de Sa
Majefté , chantée par Mlle de Mets , fuivie
d'un grand Choeur , & de differens Morceaux
de Mufique , chantés & exécutés
les plus habiles Muficiens , le tout précédé
par des Aiis de Fanfares , joués à differentes
reprifes , lorfque chaque Compagnie arrivoit
, par des Haut-bois , Trompettes &
Timbales , placés fous le Veftibule du grand
Efcalier. Le Concert finit à dix heures ; immediatement
après on fervit deux tables ,
P'une de trente couverts & l'autre de vingtquatre
, qui furent fervies par 40 Suilles.
Hoy avoit auffi une table dewingt- quatre
couverts pour les Muficiens. Au deffert , on
jona plufieurs Fanfares. Si - tôt que le dedans
de la Maifon & le Jardin furent illuminés ,
M. le Préſident de Rieux donna fes ordres
pour que toutes les portes fuffent ouvertes ,
pour donner au Public la fatisfaction de
voir l'illumination de fon Jardin , & les Appartemens
où étoit la Compagnie invitée ;
on offrit toutes fortes de rafraîchiffemens.
Après le fouper , la Compagnie paffa dans
les Appartemens , aubruit des Fanfares , qui
exciterent tellement la joye , que les Danés
demanderent à danfer , ce qui forma un Bal
qui dura jufqu'à's heures du matin . Tour
fe paffa fans confufion & dans un grand
ordre .
Les
OCTOBRE.
1744 2287
Les Cantatilles de la Victoire , & la Convalefcence
du Roi , avec les Fanfares, font de
la compofition du Sr le Maire,
FESTE donnée par M. l'Archevêque de
Bourges , le 13 Septembre . Extrait d'une
Lettre écrite de cette Ville.
UN dîner fplendide & fomptueux , où
affifterent les plus notables Perfonnes
de la Ville , & qui fut fervi avec autant,
d'ordre que magnificence , fut le prélude de
cette Fête. On alla enfuite à Vêpres , après,
lefquelles on chanta folemnellement en actions
de graces de la convalefcence du Roi
un Te Deum en Mufique , fuivi d'un Motet
pendant lequel on tira le canon de la Ville ;
la Milice Bourgeoife fut toute la journée
fous les armes ; vers les huit heures du foir ,
on commença àl'Archevêché l'Illumination,
qu'on y avoit préparée.
Au -deffus de la principale Porte , or
née de Feftons & de Guirlandes , on voyoit
trois Tableaux ; celui du milieu repréſen
toit un Soleil fortant des nuages , avec,
cette Infcription , Siccat lachrimas ; d'un
côté étoit un autre Tableau repréfentant la
Religion , qui annonçoit au Peuple ( par
cette Infcription , tirée de l'Ecriture , Dex
tera Domini fecit Virtutem ) la grace que
Dieu leur avoit faite en fendant le Roi à
l'ardeur
@288 MERCURE DE FRANCE.
l'ardeur de leurs voeux , & de l'autre côté
un autre Tableau reprefentoit la France ,
qui fe félicitoit d'apprendre une fi bonne
nouvelle , avec cette Infcription , tirée auffi
de l'Ecriture , Hac eft Dies boni nuntii ; on'y
voyoit auffi les Armes du Roi , au bas defquelles
étoit écrit VIVE LE ROI ; des Lampions
en formoient les Lettres , & parmi les
acclamations réïtérées , plufieurs Fontaines
deVin couloient avec abondance ,
Quel Spectacle magnifique , de voir en
entrant , tout ce fuperbe Corps de Logis illuminé
par un nombre infini de Lampions
& de Pots à feu ! on avoit exactement fuivi
l'ordre d'Architecture , ce qui formoit un
coup d'oeil des plus gracieux . Vis- à- vis la
la grande Porte d'entrée , on avoit élevé un
Trône , accompagné de tous les ornemens
& Symboles de la Royauté.
On n'étoit pas moins agréablement furpris
de voir en entrant dans le Jardin , un Parterre
, dont les Pots à feu imitoient parfaitement
le deffein . La façade du Palais , du
côté du Jardin , étoit auffi illuminée
nombre infini de Lampions.
par un
Si les yeux étoient fatisfaits , les oreilles
ne l'étoient pas moins par le fon mélodieux
d'Inftrumens de toute efpece , qu'on avoit
placés fur une espece de Tour , attenant le
Parterre.
Au
OCTOBRE. 1744. 2289
Au bout d'une allée de Tilleuls à double
tang d'Arbres , garnis de Lampions , ainfique
tous les Arbres du Jardin , régne
un Terraffe fur laquelle on avoit élevé un
Edifice de Charpente , foûtenue par des Pilaftres
de Marbre feint , avec des Portiques,
chargés de Guirlandes & de Lampions. Le
haut de l'Edifice , orné d'une Baluftrade , portoit
une Pyramide embellie par des Trophées
, au deffus de laquelle étoit un Globe
d'Azur fleurdelifé. Ce fut- là le Théatre d'un
Feu d'artifice , dont l'exécution étonna tous
les Spectateurs ; pendant toute la Fête , les
rafraîchiffemens , fruits & glaces de toute
efpece , furent diftribués avec profufion.
Le Dimanche 13. Septembre, on chanta
dans l'Eglife Cathédrale d'Arras un Te Deum
folemnel en actions de graces de la guérifon
du Roi, auquel affifterent tous les Corps qui
ont coûtume de fe trouver à de femblables
Cérémonies. Le foir on tira des Fufées , &
on alluma un Feu de joye vis-à-vis l'Hôtelde
Ville , dont la façade & la Tour étoient
entierement illuminées. Parmi les Infcriptions
dont cet Hôtel étoit orné , on lifoit les
Chronographes fuivans.
Moſt Vs eXVLtet popVLVs
reDIVIVO prInCIpe.
G In
2290 MERCURE DE FRANCE.
In tVâ faLVte , reX LoDoIX ,
oMnIs popVLI faLVs .
Il y eut auffi ce jour-là des Feux & des
Illuminations dans toutes les rues de la
Ville . Les Echevins & le Peuple de la Cité .
firent paroître les mêmes fignes de réjoüiffance,
Outre cette Fête générale , plufieurs Compagnies
ont voulu témoigner leur zéle &
leur joye par des folemnités particulieres,
Entre autres , le Confeil Provincial & Supérieur
d'Artois a fait chanter dans fa Chapelle
un Te Deum en Mufique. La Societé
Littéraire en a aufli fait exécuter un dans
l'Eglife des Jacobins , & elle a tenu à cette
occafion une Affemblée publique au Gouvernement.
M. le Directeur ouvrit la Séan
ce par un Difcours touchant le rétabliffement
de la fanté du Roi , aprés quoi on recita
deux Piéces de Poëfie fur le même fujet
, qui furent fuivies de deux Differtations
concernant l'Hifto re de la Province d'Artois
.
FESTES
OCTOBRE.
1744. 2291
FFSTES données par la Cour des Aides
& Finances de Provence , au fujet du Rétabliffement
de la fanté du Roi. Extrait d'une
Lettre écrite d'Aix par M. de ..... à M.
de .... à Paris.
V du Pays,que laCour des Comptes &c,
Ous fçavez , Monfieur , comme étant
s'eft dans tous les tems fignalée par les
preu
ves de zéle & d'amour pour fon.Roi . Elle
vient d'en donner de nouveaux témoigna
ges publics & éclatans , au fujet de la Čonvalefcence
de Sa Majefté . La Fête ne pouvoit
être que magnifique , cette Compagnie
étant compofée , comme vous le fçavez , des
familles les plus diftinguées de la Province ,
& qui s'eft conftamment foutenue , depuis
fon Etabliffement , fi ancien , que notre
Hiftoire n'en a pû trouver l'origine.
Voici un détail de ces fuperbes réjouiffances
, dont je penfe que vous trouverez
le projet ( auquel l'exécution a répondu )
fi noble , & fi neuf , que je ne crois pas
qu'il puiffe être effacé par ce que vous avez
vû en ce genre dans la Capitale même du
Royaume.
Le jour fut fixé au 13 Septembre , & annoncé
la veille par le fon des Cloches de
l'Eglife Métropolitaine , par le bruit des
G ij
Tim2291
MERCURE DE FRANCE.
Tymbales , Trompettes , & Tambours . Les
cours , & les avenues du Palais étoient or
nées de tapifferies , chargées de Fleurs- de-
Lis , & de differens Emblêmes . Le Portrait
du Roi à cheval , étoit placé fous un Arc de
Triomphe très-élevé , en face de la grande
porte. Au - deffus étoit cette Infcription ;
Ludovico XV , vita Gallia reddito ) &
on lifoit au bas : Regiarum Rationum Vectigaliumque
Senatus. Aux deux côtés étoient
deux très-belles Repréſentations , qui exprimoient
d'une maniere allégorique les
Conquêtes du Roi . D'un côté une nuée ,
chargée de foudres , avec ces mots : Juffa
volant, De l'autre côté la Déeffe de la Paix ,
tenant un Rameau d'Olivier d'une main , &
de l'autre une Corne d'Abondance , avec
cette Devife : Properat fuccurrere terris. La
grande Sale , & la Chapelle qui eft au fond ,
étoient fuperbement ornées , & éclairées
par quantité de Bougies , portées par un
très- grand nombre de Luftres en trois rangs.
Les fiéges couverts de tapis fleurdelifés, qui
venoient ſe joindre au Dais de M. l'Archevêque
, étoient deftinés pour le Chapitre de
la Métropole , pour les Confuls , & pour
les Officiers de la Cour des Comptes ,
&c .
2
On avoit élevé dans le fond de la Sale
vis-à-vis de l'Autel , une Orchestre , pour
conOCTOBRE.
1744. 2293
Contenir une grande Mufique , & on avoit
placé au -deffus , fur le milieu , le Portrait
du Roi , fous un Dais de velours bleu , à
Fleurs -de-Lis d'Or. Il y avoit une grande
Tribune pour les Dames ; au Frontispice de
la Chapelle étoit cette Infcription , qu'on
voyoit auffi fur la grande porte du Palais. -
DEO OPTIMO MAXIMO ,
PRO RESTITUTA SALUTE LUDOVICI XV,
VOTUM
REGIARUM RATIONUM VECTIGALIUMQU
SENATUS PROVINCIA.´
La Compagnie fe rendit au Palais à
heures du matin , les Préfidens en Robes de
velours noir , les Confeillers , & les Gens
du Roi , en Robes rouges. Les Confuls ,
Procureurs du Pays , s'y rendirent auffi avec
tout le Corps de Ville .
M. le Marquis de Mirepoix , Commandant
dans la Province , avoit donné ordre
aux troupes reglées de recevoir les ordres
des Officiers de la Compagnie. Le Clergé
de la Métropole y vint folemnellement en
Proceffion . Les Soldats préfenterent d'abord
leurs armes . Tous les Tambours , accompa
gués de tous les Fifres, battirent aux champs ,
Giij &
1294 MERCURE DEFRANCE .
& les Tambourins répondirent de leur côtés
ils avoient tous la Cocarde uniforme à celle
des troupes du Roi , de même que toute la
Milice , employée en très-grand nombre à
cette Fête.
Mrs de la Chambre des Comptes , qui
vouloient fournir au Peuple tous les moyens
poffibles de faire éclater fa joie , mais plus
encore d'exciter les coeurs à rendre à Dieu
des actions de graces pour le rétabliffement
de la fanté du Roi , prierent M. l'Archevêque
d'Aix d'officier pontificalement , mais
ce Prélat s'étant trouvé incommodé , M.
l'Abbé de Valbonnette , l'ancien du Chapitre
, officia à ſa place. Dès que la Meffe
commença , on tira une grande quantité de
Boëtes on en tira auffi pendant le Te
Deum , qui fut chanté après la Meffe . La
Mufique étoit parfaite , & la Symphonie
étoit mêlée de Tymbales , Trompettes , &
Cors de Chaffe .
Sur les cinq heures du foir , la Compagnie
fe rendit au Palais , dans le même ordre &
la même folemnité que le matin . Le Pfeaume
Exaudiat y fut chanté enfuite le
Motet de M. de la Lande , Deus in virtute
tua larabitur Rex.

On fortit enfuite pour aller en Cérémonie
allumer un feu de joie magnifique,élevé
dans la Place des Prêcheurs , au bruit des
Trom
OCTOBRE. 1744. 2299
Trompettes , Tymbales , Tambours , Fifres,
& Tambourins. Grand nombre de pauvres ,
vêtus de drap bleu , portoient un cierge al-
Jumé. Les troupes reglées marchoient aux
côtés de Mrs de la Chambre des Comptes
fur deux lignes. Cette grande Place & la façade
du Palais étoient ornées de riches tapifferies.
Des cris de Vive le Roi , redoublés
de toutes parts , faifoient éclater la joie publique.
L'endroit , quoique fort vafte , pouvoit
à peine contenir les fpectateurs , &
chacun s'empreffoit , à l'envi , à témoigner
fon zéle fur un événement fi intéreffant.
L'Edifice du feu étoit prodigieufement
élevé , & en forme d'Arc de Triomphe ;
huit Portiques , foûtenus par des Colomnes
d'Ordre Corinthien , ornées d'Emblêmes ,
formoient un grand Corps octogone ; fur
l'Entablement & à l'aplomb de chaque Colonne
étoit une urne , d'où fortoient des
Guidons de taffetas blanc à languettes , avec
des bordures en or. Ati milieu de la face de
l'Edifice étoit un Piédeftal , fur lequel s'élevoit
une Pyramide terminée par une grande
Fleur-de - Lis d'Or , portée fur un Globe à
fond bleu , au -deffous duquel étoit un
Etendard de taffetas blanc , aux armes du
Roi ; tout cet Edifice étoit d'un excellent
goût.
Dès qu'on cut allumé le feu , des gerbes
Giiij
dc
2296 MERCURE DE FRANCE.
de fufées , qui partirent du haut des Chapiteaux
& des Colomnes , formerent dans
l'air une efpéce de Dôme de feu. Le bruit
des Tambours , Tymbales , Trompettes
Cors de Chaffe , & de tous les autres Inftrumens
de guerre redoubla ; celui des Boëtes
s'y joignit à plufieurs repriſes , & la Compagnie
de Mrs des Comptes revint au Palais
dans le même ordre qu'elle en étoit fortie.
Les troupes firent trois falves de Moufqueterie
, en paffant devant le feu.
M. d'Albertas , Premier Préfident , quoiqu'attaqué
depuis près d'une année d'une
maladie dangereufe , ne voulut pas laiffer
paffer cette occafion de donner
comme il a fait dans toutes les autres , des
marques de la vivacité de fon zéle. Cet Illuftre
Chef oublia fes infirmités , pour ne
s'occuper que du même objet qui excitoit
la joie de tout le Royaume.
Il avoit fait élever un grand feu dans la
Place qui eft devant fon Hôtel , lequel fut
allumé par M. le Marquis d'Albertas , fon
fils , Confeiller en cette Cour , généralement
reconnu pour l'héritier des qualités &
des fentimens d'un fi digne Pere ; il étoit
accompagné de plufieurs de fes Collegues.
L'artifice fut tiré au bruit de tous les Inftrumens
de guerre , & réuffit parfaitement.
M. le P. Préfident donna enfuite un fouper
OCTOBRE . 1744. 2297
x
per aux Officiers de fa Compagnie , au Chapitre
de l'Eglife Cathédrale , aux Confuls
& au Corps de Ville . La délicateffe des mets
y répondoit à l'abondance. Il fe fit conduire
de fon appartement dans la Sale du repas ,
pour porter aux convives la fanté du Roi.
Dans l'inftant , on entendit le bruit de toute
la Moufqueterie & de toutes les Boëtes ; il
fut tiré de la Place devant l'Hôtel , un nombre
prodigieux de fufées. Toute la Place
le dehors & le dedans de l'Hôtel étoient
illuminés d'une maniere fuperbe & ingénieufe.
Ce grand Magiftrat , l'amour du
peuple , fe fit porter enfuite fur fon balcon ,
pour animer
par fa préfence les tranſports
de joie , qui fe renouvellerent, dès qu'il fe
montra. Il mêla fes cris de Vive le Roi, avec
ceux du Peuple ; il jetta de l'argent en abondance.
La Compagnie de Mrs des Comptes
fit auffi aux Soldats de grandes largelles .
De fi brillans fpectacles fembloient devoir
terminer une Fête , qui fe renouvella
cependant avec beaucoup plus de fplendeur.
Les Magiftrats & tous les convives
diftingués du fouper , allerent à la Place
des Carmelites , pour y faire tirer un nouveau
feu d'artifice , d'un goût different des
deux autres. L'illumination , ce qui l'accompagnoit
& toute l'exécution , eſt au-deſfus
de ce qu'on avoit encore vû.
Gv Les
2298 MERCURE DE FRANCE.
Les fentimens de furpriſe & d'admiration
paroiffoient épuisés , lorfqu'ils recommencerent.
Ce fut en entrant de cette Place
dans le Cours de la Ville d'Aix , que vous
fçavez être le plus vafte , & le plus beau du
Royaume. On fut d'abord étonné de voir
l'illumination de la Place , qui faifoit comme
le prélude d'un Bal , qui alloit commencer
; on avoit formé une grande Sale dans le
milieu de la grande allée du Cours , couverte
par des Tentes, fous lefquelles étoient
quantité de Luftres , & un nombre prodigieux
de Bougies. Il y avoit un Amphithéatre
pour la Symphonie , entouré de Soldats.
On y avoit élevé un Buffet , à pluſieurs
étages , pour les confitures , les fruits , les
liqueurs , & rafraîchiffemens de toutes efpeces
, & en fi grande abondance , qu'ils ne
furent refufés à perfonne , & donnés , même
avec profufion , à tous ceux qui n'entroient
pas
dans l'enceinte de la Sale.
M. de Limaye , fecond Préfident , qui
avoit déja donné chés lui un fomptueux repas
, fit l'ouverture du Bal avec Madame de
la Tour , Premiere Préfidente du Parlement
& Intendante. Il y eut en même-tems , &
dans cette même Place , differens Bals pour
le Peuple , qui ne fiairent , comme le premier
, qu'à cinq heures du marin . Les Officiers
de la Chambre des Comptes en firent
les
OCTOBRE. 1744 2299
par
les honneurs , & prirent le plaifir de partager
avec le Peuple , la joie publique . Plufieurs
Chars , ornés de verdure , traînés
des chevaux richement caparaçonnés , portoient
de nos excellens vins de Provence
des viandes , des milliers de biſcuits , des
gâteaux de plufieurs efpeces c. qu'on donnoit
fans mefure. Sur ces Chars étoit une
Symphonie ambulante , accompagnée de
ces Tambourins nommés en Provence Gallaubez
, qui font très -réjouiffans , & s'accordent
parfaitement au Génie des Gens du
Pays , toujours prêts à danfer , & à fauter
aufli font- ils les defcendans des Saliens , ainfi
nommés à Saliendo. Ces Tambourins , ou
Gallaubez , nous viennent , felon les Hiftoriens
de Provence , des Anciens Troubadours
, dont les Ouvrages font la premiere
& vraye origine de la Poefie Françoife.
Enfin , nos Fêtes ( car je vous en ai rap
porté imparfaitement plufieurs dans une
feule ) fe font paffées avec autant de décence
& d'ordre , que de magnificence & de dignité.
Quoique le concours du Peuple fut
extraordinaire , augmenté par les Etrangers,
& qu'on fe livrat à tous les fentimens & les
tranfports de la joie , fans parler de la vivacité
du Pays , cette journée fut tout-à -fait
tranquille & paifible , fans être troublée par
aucun accident. Le fuccès a répondu parfai-
G vj
Le2300
MERCURE DE FRANCE.
tement aux voeux de l'illuftre Compagnie ,
& au grand objet qui l'animoit , qui étoit
de marquer fon empreffement , fon ardeur ,
fon zéle , & fon amour pour la perfonne du
Roi , d'infpirer les mêmes fentimens au Peuple
, & de graver , dans tous les coeurs le
nom de LOUIS LE BIEN-AIME'.
Je fuis , c .
FESTES données par la Ville d'Aix , en
Provence , par M. le Marquis Des arts,
Premier Conful,Premier Procureur du Pays,
& Syndic du Corps de la Nobleffe , auſujer
du rétabliffement de la fanté du Roi, Extrait
d'une Lettre du 25 Septembre 1744..
St
I le Parlement , la Cour des Comp
tes de Provence , MM. les Premiers:
Préfidents des deux Cours , le Grand Prévôt
, les Tréforiers de France , enfin preſque
tous les Corps , ont fignalé leur joie par des
Fêtes brillantes , au fujet du rétabliſſement
de la fanté du Roi , le Corps de Ville d'Aix
ne s'eft pas moins diftingué le 30 de ce
mois. Dès la veille , les Tambours , Fifres ,
Tambourins , Tymbales , & Trompettes
annoncerent aux habitans la folemnité du
lendemain . Les Confuls , Lieutenans Généraux
de Police , ordonnerent une illumination
générale , & des feux devant les portes
de
OCTOBRE. 1744. 2301
tous les habitans , que les rues fuffent ta
piffées , & que la Bourgeoifie , & les Arts
& Métiers füffent fous les armes , ordres
qui furent parfaitement exécutés.
Le Dimanche au matin , jour de la Fêtes
il y eût à Aix plus de vingt mille perfonnes
accourues des Lieux circonvoifins ; les Confuls
fe rendirent à l'Hôtel-de-Ville à 9 heures
du matin , précédés de la Garde Bourgeoife
fous les armes , fuivis des anciens
Confulaires & des Confeillers de Ville . Ils
allerent enfuite à l'Eglife Métropolitaine de
S. Sauveur , où la Meffe , en actions de graces
, fut folemnellement célébrée par M.
l'Abbé de Roquefort , Premier Grand Vicaire
, M. l'Archevêque étant indifpofé ; le
Te Deum de M. de la Lande fut chanté d'abord
après la Meffe , au bruit des Boëtes ,
& de plufieurs Salves de la moufqueterie
des Arts & Métiers. Les Confuls revinrent
à l'Hôtel-de-Ville dans le même ordre.
A cinq heures du foir , les Confuls retournerent
à l'Eglife , pour affifter à l'Exau
diat & aux Motets chantés en Mufique. Ils
allerent enfuite allumer un feu ordinaire
dans la Place de l'Hôtel- de -Ville ; de- là ,
fuivis d'un Peuple immenfe , qui faifoit retentir
l'Air de cris de Vive le Roi , ils fe ren
dirent dans la grande Place des Prêcheurs
ou Dominicains , pour voir tirer un trèsbeau
feu d'artifice. M.
2302 MERCURE DE FRANCE..
M. le Marquis des Iffarts , Premier Con
ful d'Aix , Premier Procureur du Pays , Sindic
du Corps de la Nobleffe de Provence ,
voulût en cette occafion faire éclater fa
joie , plus particulierement . Après le feu
d'artifice , dont on vient de parler , ce Scigneur
alla fe placer fur le grand balcon de
PHôtel- de-Ville , & jetta de l'argent au
Peuple ; il donna enfuite un fplendide fouper
dans le même Hôtel aux principaux
Membres du Clergé , au Corps de Ville , à
la principale Nobleffe des deux Cours , &
de la Ville , & aux Capitaines & Officiers
de la Bourgeoific. La fanté du Roi fut célébrée
trois fois au bruit des Boëtes , de la
Moufqueterie , & aux acclamations du Peuple
, dont les cris de joie ne ceffoient , que
pour admirer les fufées volantes , l'illumination
de la façade de l'Hôtel -de Ville , les
Emblèmes , les Arcs de Triomphe , accompagnés
de Fontaines de Vin , & furtout le
portrait de notre Grand Monarque. Dès que
le fruit fut fervi , le Marquis des Iffarts fit
ouvrir toutes les portes de l'Hôtel- de - Ville ;
Les Danfeurs ( a ) , & le Peuple entourerent
( a ) Les Danfeurs . On appelle ainfi plufieurs bandes
de jeunes gens , habillés proprement avec des
chemifes de toile d'Hollande , des Rubans en bandoliere
, & une efpece de Culote à la Matelote ,
garnie
OCTOBRE. 1744. 2303
rent la table , & le repas devint général
On but la fanté de l'Infant Don Philippe ,
du Prince de Conty , & celle du Marquis
de Mirepoix , Commandant dans la Provin
ce. Pour terminer une fi belle journée , le
Marquis des Iffarts fit tirer à minuit dans la
Place de l'Hôtel-de-Ville , un feu d'artifice ,
dont l'exécution brillante & parfaite mit le
comble à la réputation du Sr Carlo , fameux
Artificier d'Avignon.
"
Le reste de la nuit fut employé à danfer
& à admirer les differentes illuminations *
qui demanderoient chacune uneDefcription
particuliere ; Mrs de l'Univerfité , & M.
Vanloo , Peintre célébre , fe font furtout
diftingués en ce genre. Le Peuple a été fi
content de ces deux Fêtes réunies , qu'il
refta conftamment fur la Place de l'Hôtelde-
Ville , pour reconduire le Marquis des
Iffarts chés lui , en criant : Vive notre Grand
-Roi,
garnie de Rubans , bas & fouliers blancs , frifés &
poudrés , ayant un Cafque en tête , couvert de plumes,
& portant une efpece de Sceptre à la main.
On croit que c'eſt à peu près l'habit des Anciens
Troubadours de Provence.
AC2304
MERCURE DE FRANCE.
ACTIONS de graces & Fête à Nogent- le-
Rotron. Extrait d'une Lettre du 17
Septembre 1744.
M
le Duc de Sully , Seigneur de la
Ville de Nogent- le- Rotrou , au Perche
, nommée aujourd'hui dans tous les
Actes Nogent-le- Bethune , ayant donné fes
ordres , pour que dans tous les Lieux qui lui
appartiennent , il fut rendu à Dieu de folemnelles
actions de graces , c. pour l'heu
reux rétabliſſement de la fanté du Roi , M.
Morin, l'un des principaux Officiers du Bail
liage & de la Police de Nogent , chargé par
des ordres particuliers , s'en eft acquitté ici
avec tout le zéle & tout le fuccès poffibles.
La Fête fut annoncée le foir par le fon
des Cloches, & commencée par un Te Deum,
folemnellement chanté dans l'Eglife Collégiale
de S. Jean. Le Bailliage en Corps ,
ayant M. de Perceval , Lieutenant Général ,
à la tête , & le Corps de Ville, y affifterent,
accompagnés de deux Compagnies de Milice
Bourgeoife , avec leurs Officiers & les
Enfeignes déployées.
Après le Te Deum , on alluma le Feu de
joye , qui avoit été préparé devant la principale
Porte du Château ; un Peuple innomOCTOBNE.
1744. 2309
nombrable fit en même-tems retentir l'air
de cris redoublés de Vive le Roi . On ' fit plu
fieurs décharges de moufqueterie , & on
entendit par intervalles la Symphonie de
plufieurs Inftrumens .
Après cette Cérémonie , toute la façade
du Château fut illuminée avec beaucoup
d'art : un tems doux & tranquile conferva
long-tems le feu des Lampions , enforte que
toute la Ville , qui eft beaucoup dominée
par le Château , eût le plaifir de joüir longtems
de cet agréable fpectacle.
M. Morin donna enfuite un grand repas ,
auquel fûrent invités le Doyen de S. Jean ,
les Officiers & Avocats du Bailliage , le
Maire , les Officiers de la Bourgeoifie , &
d'autres perfonnes de diftinction. Tout y
fût fervi avec autant de profufion que de
délicateffe. Toute la Ville étoit dans la
joye ; les Violons donnerent des Serenades
à la porte des principaux Officiers ,
& la Fête , qui dura prefque toute la nuit ,
fût terminée fans le moindre bruit , & à la
fatisfaction de tout le monde.
On mande du Camp devant Coni du 12
du mois dernier , que l'Infant Don Philippe
, déja fi cher aux François par tant de
raiſons > a augmenté encore leur attachechement
pour lui , par l'extrême chagrin
que
2304 MERCURE DE FRANCE.
ACTIONS de graces & Fête à Nogent-le-
Rotron. Extrait d'une Lettre du 17
Septembre 1744.
. le Duc de Sully , Seigneur de la "
M Ville de Nogent-le- Rotrou , au Per-
,
che nommée aujourd'hui dans tous les
Actes Nogent-le- Bethune , ayant donné fes
ordres , pour que dans tous les Lieux qui lui
appartiennent , il fut rendu à Dieu de folemnelles
actions de graces , c. pour l'heu
reux rétabliffement de la fanté du Roi , M.
Morin, l'un des principaux Officiers du Bail .
liage & de la Police de Nogent , chargé par
des ordres particuliers , s'en eft acquitté ici
avec tout le zéle & tout le fuccès poffibles.
La Fête fut annoncée le foir par le fon
des Cloches, & commencée par un Te Deum ,
folemnellement chanté dans l'Eglife Collégiale
de S. Jean. Le Bailliage en Corps
ayant M. de Perceval , Lieutenant Génér
à la tête , & le Corps de Ville
accompagnés de de
ce Bourgeoi
Enfeign
Apr
joye
cip
OCTOBRE. 1744. 2309
nombrable fit en même - tems retentir l'air
de cris redoublés de Vive le Roi. On ' fit plu
fieurs décharges de moufqueterie , & on
entendit par intervalles la Symphonie de
plufieurs Inftrumens.
Après cette Cérémonie , toute la façade
du Château fut illuminée avec beaucoup
d'art : un tems doux & tranquile conferva
long-tems le feu des Lampions , enforte que
toute la Ville , qui eft beaucoup dominée
par le Château , eût le plaifir de joüir longtems
de cet agréable fpectacle .
M. Morin donna enfuite un grand repas ,
auquel fûrent invités le Doyen de S. Jean ,
les Officiers & Avocats du Bailliage , le
Maire , les Officiers de la Bourgeoisie , &
d'autres perfonnes de diftinction. Tout y
fût fervi avec autant de profufion que de
délicateffe. Toute la Ville étoit dans la
joye ; les Violons donnerent des Serenades
à la porte des principaux Officiers ,
& la Fête , qui dura prefque toute la nuit ,
fût terminée fans le moindre bruit , & àla
fatisfaction de tout le monde.
On mande du Camp devant Coni du 12
du mois dernier , que l'Infant Don Philippe
, déja fi cher aux François par tant de
raifons , a augmenté encore leur attachechement
pour lui , par l'extrême chagrin
que
2306 MERCURE DE FRANCE
a
que lui a caufé la maladie du Roi , & par la
vivacité de la joye qu'il a montrée en apprenant
la nouvelle de la guérifon de S. M.
Pour rendre graces à Dieu d'un événement ,
qui n'étoit pas moins l'objet des voeux de la
Nation Efpagnole que de ceux de la Nation
Françoife , il a fait chanter le Te Deum dans
P'Eglife des Recolets du Bourg de S. Roch ,
où il a établi fon Quartier Général , & il y
affifté , étant fuivi d'une Cour nombreuſe.
Le foir , il donna au Prince de Conty un magnifique
fouper , auquel tous les Généraux
& plufieurs Officiers des armées des deux
Couronnes furent invités. La fanté du Roi
fut portée par l'Infant au Prince de Conty ,
& elle fut faluée par tous les Conviés avec
des témoignages de fatisfaction , qui marquoient
les fentimens dont ils étoient péné
trés. Pendant le repas , il y eut une triple
décharge d'artillerie , fuivie d'une
Salve générale de la moufqueterie des troupes
qui étoient fous les armes , & une Or
cheftre compofée de 80 Inftrumens , exécuta
plufieurs Symphonies & diverfes Fanfares.
On avoit conftruit pour cette Fête une
Sale de feuillages , ornée d'une façon en
même-tems militaire & champêtre , & dont
la principale façade préfentoit quatre Portiques
d'une Architecture Ruftique. Devant
cette Sale , étoit une grande enceinte de
ver
OCTOBRE . 1744. 2307
verdure , dans laquelle on avoit placé plufieurs
Termes & plufieurs Buftes bronzés.
Une illumination de Girandoles , & de Luf
tres affortis au refte des ornemens du Lieu
éclaira cette Fête , qui a été auffi brillante
qu'agréable , & qui fut exécutée le 4 du
mois dernier , jour choiſi par l'Infant , pour
célébrer la naiffance de Monfeigneur le
Dauphin , en même- tems que la Convalef
cence de S. M.
Toutes les difpofitions ayant été faites
pour affiéger dans les formes la Ville de
Coni , on comptoir que la tranchée devoit
être ouverte la nuit du 12 devant cette
Place.
M. de Julienne , Chevalier de l'Ordre du
Roi , Entrepreneur des Manufactures Royales
des Draps & des Ecarlates des Gobelins ,
fit chanter le 17 Septembre , dans l'Eglife
Royale & Paroiffiale de S. Hyppolite un Te
Deum à grand Choeur , au fujet de la Conva
lefcence du Roi.
*
Il donna à cette occafion un fouper de
25 couverts , & fit illuminer le Cloître de
P'Eglife Paroiffiale & Collégiale de S. Marcel
, que les Chanoines lui avoient offert
comme un Lieu plus convenable , & à une
très-petite diftance où l'Hôtel des Manufac
tures eft fitué.
L'Enclos
2306 MERCURE DE FRANCE.
a
que lui a caufé la maladie du Roi , & par la
vivacité de la joye qu'il a montrée en apprenant
la nouvelle de la guérifon de S. M.
Pour rendre graces à Dieu d'un événement ,
qui n'étoit pas moins l'objet des voeux de la
Nation Efpagnole que de ceux de la Nation.
Françoife , il a fait chanter le Te Deum dans
P'Eglife des Recolets du Bourg de S. Roch ,
où il a établi fon Quartier Général , & il y
affifté , étant fuivi d'une Cour nombreuſe .
Le foir , il donna au Prince de Conty un magnifique
fouper , auquel tous les Généraux
& plufieurs Officiers des armées des deux
Couronnes furent invités. La fanté du Roi
fut portée par l'Infant au Prince de Conty ,
& elle fut faluée par tous les Conviés avec
des témoignages de fatisfaction , qui marquoient
les fentimens dont ils étoient péné
trés. Pendant le repas , il y eut une triple
décharge d'artillerie , fuivie d'une
Salve générale de la moufqueterie des troupes
qui étoient fous les armes , & une Or
cheftre compofée de So Inftrumens , exécuta
plufieurs Symphonies & diverfes Fanfares .
On avoit conſtruit pour cette Fête une
Sale de feuillages , ornée d'une façon en
même-tems militaire & champêtre , & dont
la principale façade préfentoit quatre Porti
ques d'une Architecture Ruftique . Devant
cette Sale , étoit une grande enceinte de
verOCTOBRE.
1744. 2307
verdure , dans laquelle on avoit placé plufieurs
Termes & plufieurs Buftes bronzés.
Une illumination de Girandoles , & de Luf
tres affortis au refte des ornemens du Lieu $
éclaira cette Fête , qui a été auffi brillante
qu'agréable , & qui fut exécutée le 4 du
mois dernier , jour choifi par l'Infant , pour
célébrer la naiffance de Monfeigneur le
Dauphin , en même-tems que la Convalef
cence de S. M.
Toutes les difpofitions ayant été faites
pour affiéger dans les formes la Ville de
Coni , on comptoir que la tranchée devoit
être ouverte la nuit du 12 devant cette
Place.
M. de Julienne , Chevalier de l'Ordre du
Roi , Entrepreneur des Manufactures Royales
des Draps & des Ecarlates des Gobelins
fit chanter le 17 Septembre , dans l'Eglife
Royale & Paroiffiale de S. Hyppolite un Te
Deum à grand Choeur , au fujet de la Conva
lefcence du Roi.
*
Il donna à cette occafion un fouper de
25 couverts , & fit illuminer le Cloître de
L'Eglife Paroiffiale & Collégiale de S. Marcel
, que les Chanoines lui avoient offert
comme un Lieu plus convenable , & à une
très-petite diſtance où l'Hôtel des Manufac
tures eft fitué.
L'Enclos
2306 MERCURE DE FRANCE.
a
que
lui a cauſé la maladie du Roi , & par la
vivacité de la joye qu'il a montrée en apprenant
la nouvelle de la guérifon de S. M.
Pour rendre graces à Dieu d'un événement ,
qui n'étoit pas moins l'objet des voeux de la
Nation Efpagnole que de ceux de la Nation.
Françoife , il a fait chanter le Te Deum dans
P'Eglife des Recolets du Bourg de S. Roch ,
où il a établi fon Quartier Général , & il y
affifté , étant fuivi d'une Cour nombreuſe .
Le foir , il donna au Prince de Conty un magnifique
fouper , auquel tous les Généraux
& plufieurs Officiers des armées des deux
Couronnes furent invités. La fanté du Roi
fut portée par l'Infant au Prince de Conty ,
& elle fut faluée par tous les Conviés avec
des témoignages de fatisfaction , qui marquoient
les fentimens dont ils étoient péné
trés. Pendant le repas , il y eut une triple
décharge d'artillerie , fuivie d'une
Salve générale de la moufqueterie des troupes
qui étoient fous les armes , & une Or
cheftre compofée de 80 Inftrumens, exécuta
plufieurs Symphonies & diverfes Fanfares .
On avoit conftruit pour cette Fête une
Sale de feuillages , ornée d'une façon en
même-tems militaire & champêtre , & dont
la principale façade préfentoit quatre Portiques
d'une Architecture Ruftique . Devant
cette Sale , étoit une grande enceinte de
verOCTOBRE.
1744. 2307
verdure , dans laquelle on avoit placé plufieurs
Termes & plufieurs Buftes bronzés.
Une illumination de Girandoles , & de Luf
tres affortis au refte des ornemens du Lieu
éclaira cette Fête , qui a été auffi brillante
qu'agréable , & qui fut exécutée le 4 du
mois dernier , jour choifi par l'Infant , pour
célébrer la naiffance de Monfeigneur le
Dauphin , en même- tems que la Convalef
cence de S. M.
Toutes les difpofitions ayant été faites
pour affiéger dans les formes la Ville de
Coni , on comptoit que la tranchée devoit
être ouverte la nuit du 12 devant cette
Place.
y
M. de Julienne , Chevalier de l'Ordre du
Roi , Entrepreneur des Manufactures Royales
des Draps & des Ecarlates des Gobelins
fit chanter le 17 Septembre , dans l'Eglife
Royale & Paroiffiale de S. Hyppolite un Te
Deum à grand Choeur , au fujet de la Conva
lefcence du Roi,
*
Il donna à cette occafion un fouper de
25 couverts , & fit illuminer le Cloître de
'Eglife Paroiffiale & Collégiale de S. Marcel
, que les Chanoines lui avoient offert
comme un Lieu plus convenable , & à une
très-petite diftance où l'Hôtel des Manufac
tures eft fitué.
L'Enclos
2306 MER CURE DE FRANCE
que lui a caufé la maladie du Roi , & par la
vivacité de la joye qu'il a montrée en apprenant
la nouvelle de la guériſon de S. M.
Pour rendre graces à Dieu d'un événement ,
qui n'étoit pas moins l'objet des voeux de la
Nation Efpagnole que de ceux de la Nation
Françoife , il a fait chanter le Te Deum dans
P'Eglife des Recolets du Bourg de S. Roch ,
où il a établi fon Quartier Général , & il y a
affifté , étant ſuivi d'une Cour nombreuſe.
Le foir , il donna au Prince de Conty un magnifique
fouper , auquel tous les Généraux
& plufieurs Officiers des armées des deux
Couronnes furent invités. La fanté du Roi
fut portée par l'Infant au Prince de Conty
& elle fut faluée par tous les Conviés avec
des témoignages de fatisfaction , qui marquoient
les fentimens dont ils étoient péné
trés. Pendant le repas , il y eut une triple
décharge d'artillerie , fuivie d'une
Salve générale de la moufqueterie des troupes
qui étoient fous les armes , & une Or
cheftre compofée de 80 Inftrumens , exécuta
plufieurs Symphonies & diverfes Fanfares.
On avoit conftruit pour cette Fête une
Sale de feuillages , ornée d'une façon en
même-tems militaire & champêtre , & dont
la principale façade préfentoit quatre Portiques
d'une Architecture Ruftique . Devant
cette Sale , étoit une grande enceinte de
verOCTOBRE
. 1744. 2307
verdure , dans laquelle on avoit placé plufieurs
Termes & plufieurs Buftes bronzés.
Une illumination de Girandoles , & de Luf
tres affortis au refte des ornemens du Lieu
éclaira cette Fête , qui a été auffi brillante
qu'agréable , & qui fut exécutée le 4
du
mois dernier , jour choifi par l'Infant , pour
célébrer la naiffance de Monfeigneur le
Dauphin , en même- tems que la Convalef
cence de S. M.
Toutes les difpofitions ayant été faites
pour affiéger dans les formes la Ville de
Coni , on comptoir que la tranchée devoit
être ouverte la nuit du 12 devant cette
Place.
M. de Julienne , Chevalier de l'Ordre du
Roi , Entrepreneur des Manufactures Royales
des Draps & des Ecarlates des Gobelins
fit chanter le 17 Septembre , dans l'Eglife
Royale & Paroiffiale de S. Hyppolite un Te
Deum à grand Choeur , au fujet de la Conva
lefcence du Roi.
Il donna à cette occafion un fouper de
25 couverts , & fit illuminer le Cloître de
l'Eglife Paroiffiale & Collégiale de S. Marcel
, que les Chanoines lui avoient offert
comme un Lieu plus convenable , & à une
très-petite diftance où l'Hôtel des Manufac
tures eft fitué.
*
L'Enclos
2308 MERCURE DE FRANCE.
L'Enclos de cet Hôtel eft très-fpacieux ;
la moitié eft plantée de fix rangées d'Ormes,
qui forment plufieurs allées , dont la principale
aboutit à la grande porte de l'Eglife.
A la tête de ces allées , on avoit conftruit
un grand Portique , dont le milieu étoit
marqué par une grande Arcade de 10 pieds
d'ouverture fur 30 d'élévation ༡༠ , couronnée
d'un Fronton, fur la pointe duquel on lifoit
dans un Cartouche à fond bleu , en Caractéres
d'or , VIVE LE ROI. Au- deffus
du Fronton , s'élevoit une Pyramide de 18
pieds de hauteur,terminée par une Fleur de
Lis de fix pieds. Cette Pyramide étoit auffi
peinte en bleu & garnie de Lampions ; on
voyoit vers le milieu de la Pyramide le Chif
fre du Roi couronné,le tout profilé de Lam
pions , ainfi que le refte de la Décoration
ce qui faifoit un très-bel effet , & qu'on
voyoit de fort loin.
La grande Arcade du milieu étoit accompagnée
de cinq moindres Arcades de chaque
côté. Toute cette fuite d'Arcades étoit
interrompue par une Colomne torfe, de 15
pieds de hauteur , avec ſa baze & ſon chapiteau.
Du chapiteau de chaque Colomne, s'élevoit
uneConfole pour fervir d'appui à la corniche
de l'entablement.Sur cette corniche ,on
avoit placé à l'aplomb de chaque Colomne ,
des Vafes d'une très-belle forme , & de
grandes
OCTOBRE. 1744. 2309
grandes Fleurs-de-Lis aux extrémités . Tou
tes les Arcades dont on vient de parler ,
étoient ornées de Feftons & de Guirlandes,
Au travers de ce grand Portique , de 16
toiſes de face , on voyoit dans l'éloignement
une autre Décoration , auffi en Portique
repréſentant l'entrée d'un Palais en perfpec
tive du milieu du Veftibule pendoit un
Luftre de cristal , garni de bougies , & entre
les Arbres dont on a parlé , étoient encore
d'autres Luftres , qui répondoient aux Arcades
de ce Portique , & qui éclairoient des
Danfes , qui s'y étoient formées,
;
Pour que les Perfonnes de diftinction •
invitées à cette Fête , pûffent jouir commo
dément de ce gracieux coup d'oeil , M. de
Julienne avoit eu foin de faire conſtruire
un Amphithéatre , couvert & orné de Tapifferies
, capable de contenir 400 perfon
nes ; & afin qu'il ne manquât rien à cette
Fête , il avoit fait élever fur chaque côté du
Cloître des Gradins , pour placer la Symphonic
, Violons , Tymbales , Trompettes
& Cors de Chaffe , qui fe répondoient alternativement
; & dans l'autre extrêmité
étoient pofées deux pièces de Vin , qui furent
diftribuées au Peuple . Pendant toute
cette Fête , il fut tiré plufieurs Boëtes , qui
ne contribuerent pas peu à rendre cette réjoüiffance
des plus folemnelles. On peut di-
!
IC
2306 MERCURE DE FRANCE
que lui a caufé la maladie du Roi , & par la
vivacité de la joye qu'il a montrée en apprenant
la nouvelle de la guériſon de S. M.
Pour rendre graces à Dieu d'un événement ,
qui n'étoit pas moins l'objet des voeux de la
Nation Efpagnole que de ceux de la Nation
Françoife , il a fait chanter le Te Deum dans
P'Eglife des Recolets du Bourg de S. Roch ,
où il a établi fon Quartier Général , & il y a
afliſté , étant ſuivi d'une Cour nombreuſe.
Le foir , il donna au Prince de Conty un magnifique
fouper , auquel tous les Généraux
& plufieurs Officiers des armées des deux
Couronnes furent invités. La fanté du Roi
fut portée par l'Infant au Prince de Conty ,
& elle fut faluée par tous les Conviés avec
des témoignages de fatisfaction , qui marquoient
les fentimens dont ils étoient péné
trés. Pendant le repas , il y eut une triple
décharge d'artillerie fuivie d'une
Salve générale de la moufqueterie des troupes
qui étoient fous les armes , & une Or
cheftre compofée de 80 Inftrumens , exécuta
plufieurs Symphonies & diverfes Fanfares .
On avoit conftruit pour cette Fête une
Sale de feuillages , ornée d'une façon en
même-tems militaire & champêtre , & dont
la principale façade préfentoit quatre Portiques
d'une Architecture Ruftique . Devant
cette Sale , étoit une grande enceinte de
verOCTOBRE.
1744.. 2307
verdure , dans laquelle on avoit placé plufieurs
Termes & plufieurs Buftes bronzés.
Une illumination de Girandoles , & de Luf
tres affortis au refte des ornemens du Lieu
éclaira cette Fête , qui a été auffi brillante
qu'agréable , & qui fut exécutée le 4 du
mois dernier , jour choisi par l'Infant , pour
célébrer la naiffance de Monfeigneur le
Dauphin , en même- tems que la Convalef
cence de S. M.
Toutes les difpofitions ayant été faites
pour affiéger dans les formes la Ville de
Coni , on comptoit que la tranchée devoit
être ouverte la nuit du 12 devant cette
Place.
M. de Julienne , Chevalier de l'Ordre du
Roi , Entrepreneur des Manufactures Royales
des Draps & des Ecarlates des Gobelins ,
fit chanter le 17 Septembre , dans l'Eglife
Royale & Paroiffiale de S. Hyppolite un Te
Deum à grand Choeur , au fujet de la Conva
lefcence du Roi,
Il donna à cette occafion un fouper de
25 couverts , & fit illuminer le Cloître de
'Eglife Paroiffiale & Collégiale de S. Marcel
, que les Chanoines lui avoient offert ,
comme un Lieu plus convenable , & à une
très-petite diftance où l'Hôtel des Manufac
tures eft fitué.
L'Enclos
2308 MERCURE DE FRANCE.
L'Enclos de cet Hôtel eft très-fpacieux ;
la moitié eft plantée de fix rangées d'Ormes,
qui forment plufieurs allées , dont la principale
aboutit à la grande porte de l'Eglife.
A la tête de ces allées , on avoit conſtruit
un grand Portique , dont le milieu étoit
marqué par une grande Arcade de 10 pieds
d'ouverture fur 30 d'élévation , couronnée
d'un Fronton, fur la pointe duquel on lifoit
dans un Cartouche à fond bleu , en Ca
ractéres d'or , VIVE LE ROI. Au-deffus
du Fronton , s'élevoit une Pyramide de 18
pieds de hauteur, terminée par une Fleur de
Lís de fix pieds. Cette Pyramide étoit aufli
peinte en bleu & garnie de Lampions ; on
voyoit vers le milieu de la Pyramide le Chiffre
du Roi couronné,le tout profilé de Lampions
, ainfi que le refte de la Décoration
ce qui faifoit un très- bel effet , & qu'on
voyoit de fort loin.
La grande Arcade du milieu étoit accompagnée
de cinq moindres Arcades de chaque
côté. Toute cette fuite d'Arcades étoit
interrompue par une Colomne torfe, de 15
pieds de hauteur , avec ſa baze & fon chapi
teau.Du chapiteau de chaque Colomne , s'élevoit
uneConfole pour fervir d'appui à la corniche
de l'entablement.Sur cette corniche ,on
avoit placé à l'aplomb de chaque Colomne,
des Vafes d'une très-belle forme , & de
grandes
OCTOBRE. 1744. 2309
grandes Fleurs- de- Lis aux extrémités . Tou
tes les Arcades dont on vient de parler
étoient ornées de Feftons & de Guirlandes,
Au travers de ce grand Portique , de 16
toiſes de face , on voyoit dans l'éloignement
une autre Décoration , auffi en Portique ,
repréfentant l'entrée d'un Palais en perfpec
tive ; du milieu du Veftibule pendoit un
Luftre de cristal , garni de bougies , & entre
les Arbres dont on a parlé , étoient encore
d'autres Luftres , qui répondoient aux Arcades
de ce Portique , & qui éclairoient des
Danfes , qui s'y étoient formées,
Pour que les Perfonnes de diftinction
invitées à cette Fête , pûffent jouir commo
dément de ce gracieux coup d'oeil , M. de
Julienne avoit eu foin de faire conftruire
un Amphithéatre , couvert & orné de Tapifferies
, capable de contenir 400 perfon
nes; & afin qu'il ne manquât rien à cette
Fête , il avoit fait élever fur chaque côté du
Cloître des Gradins , pour placer la Symphonic
, Violons , Tymbales , Trompettes
& Cors de Chaffe , qui fe répondoient alternativement
; & dans l'autre extrêmité
étoient pofées deux pièces de Vin , qui farent
diftribuées au Peuple. Pendant toute
cette Fête , il fut tiré plufieurs Boëtes , qui
ne contribuerent pas peu à rendre cette réjoüiffance
des plus folemnelles. On peut dire
2310 MERCURE DE FRANCE.
re enfin, que M. de Julienne, qui a été l'Inventeur
de ce Spectacle , n'a rien épargné,
pour donner des marques de fon zéle, pour,
célébrer l'heureux retour de la fanté du
Roi.
La Maiſon & le Collége Royal de Navarre
ont crû devoir témoigner leur reconnoiffan →
ce an Roi , leur fecond Fondateur , en faifant
éclater leur joye par la Fête qu'ils viennent
de donner au Public, à l'occafion de la
convalescence de S. M. Cette Fête commença
par le Te Deum , qui fut chanté le Jeudi
au foir 17 Septembre ; il fut fuivi d'une
grande illumination ; trois grands Porti
ques , élevés à chaque côté de la Fontaine
Occupoient toute la largeur de la cour. Audeffus
de la Fontaine étoit placé un grand
Soleil de lumiere , furmonté d'une corniche,
laquelle joignant les Portiques , formoit du
tout une Décoration felon la plus grande
précifion de l'Architecture. Tous les Ornemens
que peut admettre cet Art , s'y trouvoient
formés par une quantité prodigieufe
de Lampions & de Pots à feu . On fit tomber
des fenêtres une pluye , pour ainfi- dire ,
de pains, de viandes & de dragées , pendant
que le Principal fit couler une double Fontaine
de Vin, M. de Marville , Lieutenant
Général de Police , honora la Fête de fa préfence,
OCTOBRE. 1744: 2312
fouce , & l'augmenta par fes libéralités ; &
par cet exemple , il infpira aux Supérieurs
& Membres de la Maifon , une générofité
proportionnée à leur pouvoir,
Le Deffein de la Décoration étoit de M.
le Befgue , Architecte du Collège.

L'illumination de la Maifon des R. P.
Théatins fut des plus brillantes.Le Corps de
Logis & les deux aîles étoient éclairés de
trois grands cordons de lumiere & les
Croifées , qui donnent fur la Seine , toutes
entourées de cinq rangs de Lampions. Le
Clocher de l'Horloge , qui eft au milieu du
corps de Logis , étoit tout éclairé , & portoit
unePyramide de 6 à 7 pieds de hauteur,
terminée par une grande Etoile , qui repréfentoit
le Genie de la France , avec cette
Infcription, GENIO GALLICO ; au-deſfous
de l'Horloge , étoit un grand Tableau ,
qui repréfentoit un Soleil , fortant de l'Eclipfe
, avec cette Deviſe au-deffus , Refurgo
clarior , & au bas , Je renaîs plus brillant . Ce
Tableau étoit entouré d'un nombre infini .
de lumieres , qui alloient fe rejoindre au
contour de l'Horloge & à la Pyramide, audeffus
de laquelle brilloit l'Etoile , comme
autant de Diamans , qu'il y avoit de Lampions
, remplis d'une graiffe , compoféc exprès,
Tous
2312 MERCURE DE FRANCE.
Tous les Artiſtes , logés aux Galeries du
Louvre fe font diftingués par de très- belles
illuminations , & entre autres M, de la Roshe
, Arquebufier du Roi. Il y avoit un Soleil
fortant des nuages , pour Devife ,
Surget fplendidior; il fe levera plus brillant.

,' &
Le 20, il y eut des réjouiffances publiques
àVersailles pour la convalefcence du Roi, &
toutes les maifons de la Ville furent illuminées,
ainfi que les Eglifes des deux Paroiffes,
& celle des Récolets . Le Portail de l'Eglife
de la Paroiffe de S. Louis le fut avec beaucoup
de magnificence. La Décoration , qui
avoit 16 pieds de haut , fur 12 de large , fepréfentoit
le Portique d'un Temple , dans
l'enfoncement duquel on voyoit la Statuë
du Roi fur un Piédeſtal , avec cette Infcription
: Parenti Patria Redivivo confecrat Amor,
Au-deffus du Portique étoit un Soleil , qui
jettoit une grande lumiere. Un Palmier &
Olivier , formés par des Lampions , occupoient
les deux côtés du Portique , fur le
ceintre duquel étoient ces mots , fam Palme
natafunt ; ecce paratur Oliva, M. Sibot , Prêtre
de la Miffion , a fait la dépenſe de cette
illumination , & le Deffein en a été donné
par M. Frati , Peintre & Architecte de l'Académie
de Florence.
Le
оOсCтTOBRE
. 1744. 2313
!
Le 21 , les Religieux de l'Abbaye Royale
de S. Denis chanterent pour le même fujet
le Te Deum , auquel toute la Ville aſſiſta . Le
ſoir, ils firent illuminer magnifiquement le
Portail de leur Eglife , & tirer un Feu d'artifice.
Le 21 au foir , le Roi reçût à Metz par
un courier dépêché de Francfort , la nouvelle
de la prife de la Ville de Prague . La tranchée
fut ouverte devant cette Place la nuit
du 9 au 10 , & les trois differentes attaques ,
ordonnées par le Roi de Pruffe , ont été
pouffées avec tant de vivacité , que le 16
au matin le Gouverneur a demandé à capituler.
La garnifon, compofée de Sooo hommes ,
en y comprenant les troupes irrégulieres , a
été faite prifonniere de guerre . S. M. Pr
auffi-tôt après que la Capitulation a été fignée
, a fait occuper par le Régiment de fes
Gardes les Portes de la Ville , & le 16 après
midi , elle a dû entrer dans cette Capitale ,
dont la conquête a coûté peu de monde aux
affiégeans.
Le Margrave Guillaume de Brandebourg,
coufin du Roi de Pruffe , & Major Général,
a été tué d'un boulet de canon à côté de ce
Prince,
H Le
2314 MERCURE DE FRANCE.
Le Baron de Keffelftatt , Grand Prévôt
de l'Eglife Métropolitaine de Tréves , &
que l'Electeur de Tréves a nommé fon Envoyé
Extraordinaire auprès du Roi , pour
aller féliciter S. M. fur le rétabliffement de
fa fanté , s'étant renda à Metz , il s'eft acquitté
de cette commiffion le 21 du mois
dernier. Il a été conduit à l'audience du Roi ,
ainfi qu'à celles de la Reine & de Meſdames
de France , par le Chevalier de Sainctot ,
Introducteur des Ambaſſadeurs.
SUR la Convalescence du Roi,
FRance Rance , le Ciel te rend ton Maître ,
Ce Héros qu'il forma pour faire ton bonheur ,
Qui par les fentimens t'a toûjours fait connoître ,
Qu'il n'eftime rien tant que regner fur ton coeur ;
Ceffe de répandre des larmes ;
Il renaît pour fecher tes pleurs ,
Et ce jour fortuné, qui finit tes douleurs,
T'affûre un deftin plein de charmes.
Respecte en ce grand Roi , l'Ouvrage du Très - Hauts
Pour ta félicité , la bonté le conferve ;
Quelle grace à lui rendre ; un Prince, fans défaut ,
Eft le Maître qu'il te réferve ;
Le front ceint de Lauriers cueillis par fa valeur ,
Il vient frapper mes yeux d'une fplendeur nouvelle;
La vertu , la prudence , appui de la grandeur ,
Rendront
OCTOBRE. 1744.
2319
Rendront fa mémoire éternelle .
Oui ; monDieu ,tu nous parles en ce jour par fa voix
Et Louis devient le modéle
Sur lequel tu prétens que fe forment les Rois ;
Peuple foumis à fa puiffance , favorifé du Ciel, adore
fa clémence ; ,
Redouble , s'il ſe peut , ta tendreffe & tes voeux ;
Content de ta reconnoiffance ,
Il prendra foin de les jours précieux.
Couvert d'une gloire immortelle ,
Paris , tu vas revoir ce Roi victorieux ;
Ne ceffe d'élever tes chants jufques aux Cieux ;
Sers ton Dieu , fers ton Prince avec le même zéle¿
Son exemple aujourd'hui doit ranimer ta foi ;
Avec des qualités fi dignes de ton Roi ,
Tu mériteras qu'on t'appelle
Lhéritage du Jufte & la Ville fidelle.
1.3
Par M. Bailly , Garde Général des Tableaux
du Roi.
VAUDEVILLE , chanté par les Harangeres
de la Halle le 10 Septembre , jour
des réjouiffances publiques , für l'Air Opegué
, ma commere.
FAifons tretous paroître
Quelle eft notre gayté ,
Puifqu'enfin notre Maître
Eft en pleine fanté ,
Hij Céle$
316 MERCURE DE FRANCE,
Célébrons tous , ma chere ,
Notre félicité ,
Opegué , ma commere ,
Ma commere opégué.
XXX
Le Ciel , qui le conſerve ,
Rend nos jours pleins d'attraits ;
Sa bonté le réſerve
Pour nous donner la paix ;
Notre bonheur , ma chere ,
Eft des plus affûré ,
Opegué , ma commere , &c.
炒菜
Non , jamais Capitaine.
N'acquit plus de renom ;
Je l'avons vu fans peine
Affronter le Canon ;
Dans le danger , ma chere ,
Le premier expofé ,
Opegué , ma commere , &c.
*XX*
Ses ennemis foupirent
De le voir abattus ,
Mais en fecret admirent
Sa valeur, les vertus ;
Jufqu'au bout de la Terre
LOUIS
OCTOBRE. 1744.
2317
Louis eft refpecté ,
Opegué , ma commere , &C.
Quand j'ons fait le voyage
De Metz pour l'aller voir
D'abord fon bon viſage
Ranima notre espoir ;
Il nous reçut , ma chere ,
Avec tant de bonté ,
Opegué , ma commere , &c.
En voyant fa préfence
Je vinmes atrembler ;
D'un air de complaiſance
Il fçût nous raffärer ,
En nous difant , ma chere
Enfans , je fuis fauvé ,
"
Opegué , ma commere , &c.
炒茶
Les yeux baignés de larmes ,
J'embraffions fes genoux ;
Senfible à nos allarmes ,
Il pleuroit comme nous ;
Ah ! que Louis , ma chere ,
A le coeur bien planté !
Opegué , ma commere , &c.
炒菜
Hij
Des
318 MERCURE DE FRANCE.
Des Princes de la Terre
LOUIS eft le plus grand ;
Je cherchons à lui plaire ;
Il eft fi bien-faifant ;
Vive LOUIS , ma chere ,
Vive le bien Aimé !
Opegué , ma commere , & c.
Par des cris d'allegreffe
Percons le Firmament ;
Aut
Dans l'ardeur' qui nous preffe ,
Répetons hautement , i
Vive Louis , ma chere ,
Vive le Bien- aimé !
Opegué , ma commere , &c.
Allons droit à l'Image
De ce Héros charmant ;
Offrons lui notre hommage ,
Jufqu'au tendre moment ,
Qu'à fes genoux , ma chere ,
Notre amour foir porté ;
Opegué , ma commere , &c .
Par le même.
* L'Auteur , le jour des Illuminations , avoit placé
fous un Dais le Portrait du Roi,
On
OCTOBRE. 1944 % · 2319
On trouvera l'Air de ce Vaudeville , noté , qui eft
du feu Sr Gilliers , dans le fecond Volume de Septembre
1729 , page 2246.
FESTES données dans la Ville de Tours
pour la Convalescence du Roi.
L n'y a aucune Ville qui ait témoigné plus de
?
Fours. Indépendamment de la fidélité & de l'attachement
pour fes Souverains , dont elle a toujours
fait gloire , elle le trouvoit animée par les ordres de
M. le Comte de Charolois , Gouverneur de Touraine
, qui dans cette occafion fi intéreffante , a fait
éclater l'ardeur de fon zéle pour la Perfonne de notre
Augufte Monarque.
S. A. S. Madame de Vermandois , Abbeffe de
Beaumont , fecondant les intentions de fon illuftre
frere , fut la premiere à fignaler fes fentimens par
une Fête fuperbe ; on l'avoit vûë pendant le tems
de deuil profternée aux pieds des Autels , à la tête
de fa floriffante Communauté , dont elle fait les dé-
Hces par fa bonté , l'édification par les exemples , let
foutien par fa générofité ; moins Abbeffe que Mere,
elle a fçû s'attacher tous les coeurs , & la tendreffe
& le refpect font des tributs qu'on rend moins à fa
Naiffance qu'à fes Vertus . Rien n'a manqué à la
pompe de ces réjouiffances, dont nous efperons que
le Public verra avec plaifir la defcription .
Le Palais Abbatial , qui a 30 toifes de face , fur
7 toifes 3 pieds de hauteur , étoi illuminé par une
grande quantité de Lampions; ils imitoient & repréfentoient
l'Architecture , qui eft très - belle & trèsréguliere
, & offroient à la vue le plus brillant fpectacle.
Au milieu & au deffus d'un fuperbe Portique
de lumières , étoit un grand Ecuffon aux Armes du
Hij
Roi,
$316 MERCURE DE FRANCE,
Célébrons tous , ma chere ,
Notre félicité ,
Opegué , ma commere
Ma commere opégué .
Le Ciel , qui le conſerve ,
Rend nos jours pleins d'attraits ;
Sa bonté le réſerve
Pour nous donner la paix ;
Notre bonheur , ma chere ,
Eft des plus affuré ,
Opegué , ma commere , & c.
XXX
Non , jamais Capitaine.
N'acquit plus de renom ;
Je l'avons vu fans peine
Affronter le Canon ;
Dans le danger , ma chere ,
Le premier expofé ,
Opegué , ma commere , & c.
Ses ennemis foupirent
De fe voir abattus ,
Mais en fecret admirent
Sa valeur , fes vertus
Jufqu'au bout de la Terre
LOUIS
OCTOBRE . 1744.
2317
LOUIS eft refpe &té ,
Opegué , ma commere , &C.
Quand j'ons fait le voyage
De Metz pour l'aller voir
D'abord fon bon viſage
Ranima notre espoir ;
Il nous reçut , ma chere ,
Avec tant de bonté ,
Opegué , ma commere , &c.
fa
En voyant la préſence
Je vinmes à trembler ;
D'un air de complaiſance
Il fçût nous raffärer ,
En nous difant , ma chere ,
Enfans , je fuis fauvé ,
Opegué , má commere , & c.
**
Les yeux baignés de larmes ,
J'einbraffions fes genoux ;
Senfible à nos allarmes ,
Il pleuroit comme nous ;
Ah ! que Louis , ma chere ,
A le coeur bien planté !
Opegué, ma commere , & c.
**
H iij Des
2318 MERCURE DE FRANCE.
Des Princes de la Terre
LOUIS eft le plus grand ;
Je cherchons à lui plaire ;
Il eft fi bien-faifant ;
Vive LOUIS , ma chere ,
Vive le bien Aimé !
Opegué , ma commere , & c.
Par des cris d'allegreffe
Percons le Firmament ;
Dans l'ardeur qui nous preffe ,
Répetons hautement ,
Vive Louis , ma chere ,
Vive le Bien-aimé !
Opegué , ma commere , &C.
'Alfons droit à l'Image *
De ce Héros charmant ;
Offrons lui notre hommage ,
Jufqu'au tendre moment ,
Qu'à fes genoux , ma chere ,
Notre amour foit porté ;
Opegué , ma commere , & c.
Par le même.
}
* L'Auteur , le jour des Illuminations , avoit place
fous un Dais le Portrait du Roi,
On
OCTOBRE . 1744 · 2319
On trouvera l'Air de ce Vaudeville , noté , qui eft
du feu Sr Gilliers , dans le fecond Volume de Septembre
1729 , page 2246.
1
FESTES données dans la Ville de Tours
pour la Convalescence du Roi.
Il n'y a aucune Ville qui ait témoigné plus de
joye pour la Convalefcence du Roi , que celle de
Fours. Indépendamment de la fidélité & de l'attachement
pour fes Souverains , dont elle a toujours
fait gloire , elle le trouvoit animée par les ordres de
M. le Comte de Charolois , Gouverneur de Touraine
, qui dans cette occafion fi intéreſſante , a fair
éclater l'ardeur de fon zéle pour la Perfonne de notre
Augufte Monarque.
S. A. S. Madame de Vermandois , Abbeffe de
Beaumont , fecondant les intentions de fon illuftre
frere , fut la premiere à fignaler fes fentimens par
une Fête fuperbe ; on l'avoit vûë pendant le tems
de deuil profternée aux pieds des Autels , à la tête
de fa floriffante Communauté , dont elle fait les dé-
Hices par fa bonté , l'édification par fes exemples , le
foutien par fa générofité ; moins Abbeffe que Mere,
elle a fçû s'attacher tous les coeurs , & la tendreffe
& le refpect font des tributs qu'on rend moins à fa
Naiffance qu'à fes Vertus . Rien n'a manqué à la
pompe de ces réjouiffances, dont nous efperons que
le Public verra avec plaifir la defcription .
Le Palais Abbatial , qui a 30 toifes de face , fur
7 toifes 3 pieds de hauteur , étoi illuminé par une
grande quantité de Lampions; ils imitoient & repréfentoient
l'Architecture , qui eft très - belle & trèsréguliere
, & offroient à la vue le plus brillant fpecracle.
Au milieu & au deffus d'un fuperbe Portique
de lumières, étoit un grand Ecuffon aux Armes du
Hiiij Roi,
2320 MERCURE DE FRANCE.
Roi , aux deux côtés duquel on avoit placé deur
Palmes d'une grandeur & d'une étendue proportionnées
, qui jettoient un feu & un éclat admirables.
Des Guirlandes de feu , femées de Lampions , en
forme de Diamans , régnoient tout le long de cet
Edifice; d'autres, de même efpece, ténoient fufendus
au milieu de chaque Croifée & de chaque Porte
, des Luftres de Lampions .
Au- deffus des Croifées du rez -de-chauffée , deux
rangs de lumieres , avec des Pots à feu , formoient
une magnifique Baluftrade. A l'endroit le plus éminent
du Palais Abbatial , on avoit élevé un grand
Soleil , parfaitement éclairé , avec ces mots au- deffous,
en très-gros Caractéres , garnis de Lampions ,
SERENITAS RESTITUTA , CONVALESCENTE REGE,
de forte qu'on pouvoit les lire de plus de 300 pas.
Tous les Bâtimens qui environnent le Palais Abbatial
, pour être illuminés dans un autre goût , n'en
étoient pas moins éclatans . On y lifoit dans plufieurs
endroits ces mots VIVE LE ROI , & ceux- ci La-
TITIA PURE.
Le long des Terraffes , & dans plufieurs endroits
du Jardin, on avoit placé beaucoup de groffes Terrines
. Enfin on n'a rien négligé pour rendre cette
Fête digne du Souverain pour qui elle étoit deftinée
. Flle fur annoncée par le carillon de toutes les
cloches de l'Abbaye , puis precédée & fuivie d'une
décharge d'un grand nombre de Boëtes . Jamais la
joye ne fut plus grande , depuis les plus jeunes Penfionnaires
jufqu'aux plus graves Religieufes , toutes
en donnerent les marques les plus touchantes .
La fituation de l'Abbaye de Beaumont , qui eft ervironnée
de Ponts & de Levées , permettant à la
vûe de découvrir une grande partie de fon intérieur ,
donna lieu à un grand concours de monde. En effet
le Peuple de la Ville accourut en foule des endroits
les
OCTOBRE. 1744. 2321
les plus éloignés , pour participer à la joye que l'on
faifoit éclater pour la Convalefcence du Roi.
Notre grand Prélat & M. L'Intendant , fuivirent
cet exemple , & bien-tôt les Fêtes devinrent géné-
Tales. Les réjouiffances de M. l'Intendant commenrent
le Dimanche 13 Septembre. Il y eut une illumination
magnifique & très - bien entendue, & un Souper
, où M. l'Archevêque fe trouva . Il y avoit cinq
tables differentes , qui faifoient plus de 140 Couverts,
toutes fervies avec beaucoup de délicateffe & de
profufion . Le fouper fut fuivi d'un Bal . Le Peuple
ne fut point oublié ; on fit dreffer dans les cours
plufieurs tables , qui toutes retentiffoient d'accla
mations de VIVE LE ROI , & le Peuple danfa toute
la nuit . On ne décrira point la magnificence des
feux & des illuminations ; c'eft M. de Bayeux , la .
génieur de la Province & connu par les talens , qui
en avoit donné le Plan ; il fuffira de dire que le fuçcès
furpaffa l'attente , & l'on attendoit d'autant plus
du zéle de M. l'Intendant , qu'il ne ceffe point d'en
marquer la vivacité dans toutes les parties de l'Adminiftration
, dont il eft chargé , furtout dans une
application fans relâche à rétablir les Manufactures
& à rendre la Ville de Tours auffi floriffante qu'elle
l'a été autrefois .
Le Dimanche fuivant 20 du même mois , M. l'Archevêque
fit chanter dans fa Cathédrale un Te Deum,
qui dès la veille fut annoncé par le fon de toutes les
Cloches , & peut- être n'eft- il pas dans le Royaume
unt plus belle fonnerie. La Mufique du Te Deum
fut trouvée parfaite & très - bien exécutée . Elle étoit
de la compofition du Sr du Luc. L'Auteur , déja dif .
tingué par d'autres Morceaux en ce genre.remplie
l'idée qu'on avoit de fa capacité , & foutint parfaitement
la réputation qu'il s'eft faite à Paris par les
Piéces qu'il a données aux Concerts Spirituels . Les
Hv Com2322
MERCURE DE FRANCE.
Compagnies de Ville y affifterent en habits de cérémonie
. Jamais on ne vit une fi grande affluence
de Peuple.
Il y eut au Palais Archiepifcopal un Feu de joye,
une très-belle illumination & un grand fouper pour
tout le Chapitre & autres perfonnes , ce qui forma
deux grandes tables, de 30 couverts chacune . Dans
la cour de l'Archevêché & dans la Place qui eft auprès
, couloient des Fontaines de vin pour le Peuple.
Tout répondoit à la grandeur de celui pour qui
fe faifoit la Fête , & à la générofité de celui qui la
donnoit . Le Prélat , admirable en tout , mais particulierement
pat fa bonté , fit diftribuer des aumônes
confidérables , paroiffant toujours avec cet air de
grandeur & d'affabilité , qui lui concilie le refpect
& la tendre confiance des Peuples.
Toute la Bordure du Bâtiment , qui eft d'une trèsgrande
longueur , & toutes les Croilées , étoient
éclairées par plufieurs milliers de Lampions , depuis
le haut jufqu'au bas ; on s'attacha pour ce Deflein
à l'Ordre d'Architecture , que l'on fuivit exactement.
A la face de la premiere cour à droite , paroiffoient
en differens endroits les Armes de S M. éclai
rées de quantité de Lampions: Deux mille Terrines ,
pofées avec art , tant en- dedans qu'en- dehors , répandoient
la plus grande clarté , tout le Portail &
les Bâtimens contigus , étoient illuminés avec le
même goût.
Vers les onze heures du foir , on tira le Feu d'ar
tifice , élevé dans le Jardin fur un Amphithéatre
très fpacieux.
Sur les Piliers de cet Amphithéatre s'élevoient
cinquante groffes Gerbes, qui jettoient un feu étonnant
, & finiffoient par un bruit femblable à celui du
canon. On voyoit dans un grand Baffin du Jardin
deux
OCTOBRE 2323 1744
>
deux Soleils tournans , qui au milieu de l'eau , faifoient
un très- bel effet . Cinquante groffes Gerbes
fuivies d'une Chaffe de plus de 500 Plongeons, qui
fortoient de l'eau & fe répandoient fur tout le Parterre
, formoient un ſpectacle auffi agréable que fin .
gulier. Sur la Terraffe de l'Archevêché parurent
plufieurs Gerbes à fix quarts , & dans le même inftant
fuivirent trois décharges de 300 Sauciffons , qui
imitoient le bruit du canon . Dans toute la Charmille
du Parterre on avoit diftribué avec ordre 200
Pots à feu , qui jettoient chacun plus de 60 pieds en
ferpenteaux. Tout a été exécuté par le Sr Courfon ,
Artificier du Roi.
· Les Réjouiffances de la Ville fe firent le même
jour. On ne trouva- point de fituation plus propre
pour l'illumination , que la Maifon des PP . Capu
eins. I eft impoffible en effet de fe repréſenter com
bien le coup d'oeil étoit frappant. La Maifon de ces
PP. dont les foins ne contribuerent pas peu à l'embelliſſement
de la Fête , eft parfaitement bien fituée.
Elle domine toute la Ville , & étant placée au- deffus
des bords enchantés de la Loire , elle offroit le plus
magnifique fpectacle. Il y eur plufieurs décharges.
de l'Artillerie , & la Ville traita enfuite les Capucins .
Les Particuliers né montrerent pas moins de vivacité,
& l'empreffement à célebrer le rétabliffement:
de la fanté du Roi fut unanime Le Corps des Marchands
fit chanter un Te Deum , illumina fon Bureau
, & diftribus d'abondantes aumônes . Les Marchands
Fabriquans firent le lendemain la même chofe.
Tous fans diftinction , marquoient un égal defir´
de fignaler leur zéle pour la Perfonne de notre Mo:
narque , & jamais on n'a mieux vû combien cet attachement
eft gravé dans tous les coeurs Ce qu'on
ne doit pas oublier fur tout , ce font les aumônes.
Le Prélat avoit donné l'exemple , & il fut fuivi.
H vj Less
2324 MERCURE DE FRANCE .
Les PP. Jéfaites donnerent un repas à tous les
Pauvres de la Ville qui fe préfenterent . Mad. de
Chezelles , dont la Pieté releve encore la Naiffance,
& connue par la grande charité fous le nom de la
Mere des Prifonniers , chargée des libéralités de
M. l'Archevêque , alla porter la joye jufques dans
les Prifons , & on peut dire que la fanté du plus
grand des Rois , a fait entrer l'allegreffe dans les
Lieux condamnés aux larmes & à l'horreur. Il fembloit
que tous les coeurs ne fuffent alors capables
que de fentimens de plaifir.
Il n'eft ni Ville , ni Bourg , ni Village , ni Hameau
dans toute la Touraine , qui n'ait fuivi l'exemple de
la Ville Capitale.
Dans l'Abbaye de Cormery , les Peres Bénédictins
, tant en leur nom , qu'en celui de M. de Vaubrun
, leur Abbé , dont tout le monde connoît & le
mérite & l'efprit , ont donné une Fête , qui mérite
de tenir fa place dans cette Relation .
Le Samedi au foir , 10 Octobre , la Fête fut annoncée
par plufieurs décharges de l'Artillerie de la
Ville , qui fut fuivie du fon des cloches de l'Abbaye.
Le Dimanche fur les cinq heures du foir , les Religieux
en Chappes, accompagnés de tout le Clergé
de la Ville , fuivis des Officiers de la Jurifdiction ,
tous les Habitans fous les armes , fe rendirent dans
l'Eglife de cette Abbaye. Plus de 2000 Lampions
en compartimens , dont les uns formoient des feftons
de fleurs , les autres compofoient differens Emblêmes
à la gloire du Roi , préfentoient un coup
d'oeil des plus brillants . Du hut du Frontifpice de
l'Eglife fortoit un Soleil plein de lumieres , dont
les rayons étoient ménagés avec tant d'art , qu'ils
ne le réuniffoient que pour faire briller les Armes
du Roi , autour defquelles on lifoit , LUCET ET
ORNAT ; plus bas fe préfentoiens les Armes de M
de
OCTOBRE. 1744. 2325
de Vaubrun , Abbé de Cormery , avec celles de
l'Abbaye , qui étoient décorées d'une infinité de
Lampions. Le grand Autel étoit tout illuminé ; la
Décoration du Sanctuaire éroit formée de Lam
pions , qui repréfentoient en gros Caractéres cette
Infcription : QUEM PLANXIT AMOR , EI GRATU
LATUR AMOR . Tout le Choeur des Religieux n'offroit
aux yeux que des VIVE LE ROL
A la premiere falve , le . P. Prieur , précedé du
Maître de Cérémonie , monta fur un Trône parfemé
de Fleurs de Lis , & entonna le Te Deum , qui fut
chanté à trois Chours. On fit enfuite défiler la Milice
Bourgeoife , au bruit des Tambours & Violons .
Les Religieux cn Chappes , précedés de leur Clergé,
marchoient deux à deux , pour fe rendre dans la
Place deftinée pour allumer le Feu de joye . Le
Prieur , avec quatre Religieux des plus anciens ,
y mit le feu , ce qui fut fuivi de plufieurs décharges
d'Artillerie . Tout retentiffoit des acclamations
& des cris de joye du Peuple , à qui l'on
diftribucit fans mefure des vivres de différentes efpeces
, pendant que deux Fontaines de Vin couloient
avec abondance.
La Fête fut terminée par un beau Feu d'artifice ,
de la compofition du Sr Courfon .
BENEFICES accordés par le Roi , à
Metz le 13 Septembre 1744.
'Evêché d'Alais , à M. de Vivet- de Montclus ,
L'Eveché d'Alais, à M
Celui de S. Brieux , à M. du Breignon Thepaul ,
Vicaire Géneral de Quimper.
L'Abbaye de S. Gilles , Diocèfe de Nîmes , à M.
de Vivet-de-Montclus , nommé à l'Evêché d'Alais .
Celle
2324 MERCURE DE FRANCE.
Les PP. Jéfaites donnerent un repas à tous les
Pauvres de la Ville qui fe préfenterent . Mad. de
Chezelles , dont la Pieté releve encore la Naiffance,
& connue par la grande charité fous le nom de la
Mere des Prifonniers , chargée des libéralités de
M. l'Archevêque , alla porter la joye jufques dans
les Prifons , & on peut dire que la fanté du plus
grand des Rois , a fait entrer l'allegreffe dans les
Lieux condamnés aux larmes & à l'horreur. Il fembloit
que tous les coeurs ne fuffent alors capables
que de fentimens de plaifir.
Il n'eft ni Ville , ni Bourg , ni Village , ni Hameau
dans toute la Touraine , qui n'ait fuivi l'exemple de
la Ville Capitale.
Dans l'Abbaye de Cormery , les Peres Bénédictins
, tant en leur nom , qu'en celui de M. de Vaubrun
, leur Abbé , dont tout le monde connoît & le
mérite & l'efprit , ont donné une Fête , qui mérite
de tenir fa place dans cette Relation .
Le Samedi au foir , 10 Octobre, la Fête fut annoncée
par plufieurs décharges de l'Artillerie dela
Ville , qui fut fuivie du fon des cloches de l'Abbaye.
Le Dimanche fur les cinq heures du foir , les Religieux
en Chappes , accompagnés de tout le Clergé
de la Ville , fuivis des Officiers de la Jurifdiction ,
tous les Habitans fous les armes , fe rendirent dans
l'Eglife de cette Abbaye. Plus de 2000 Lampions
en compartimens , dont les uns formoient des feftons
de fleurs , les autres compofoient differens Emblêmes
à la gloire du Roi , préfentoient un coup
d'oeil des plus brillants . Du hut du Frontifpice de
l'Eglife fortoit un Soleil plein de lumieres , dont
les rayons étoient ménagés avec tant d'art , qu'ils
ne le réunifloient que pour faire briller les Armes
du Roi , autour defquelles on lifoit , LUCET ET
ORNAT ; plus bas le préfentoiens les Armes de M
de
OCTOBRE.
1744. 2325
de Vaubrun , Abbé de Cormery , avec celles de
P'Abbaye , qui étoient décorées d'une infinité de
Lampions. Le grand Autel étoit tout illuminé ; la
Décoration du Sanctuaire éroit formée de Lam.
pions , qui repréfentoient en gros Caractéres cette
Infcription : QUEM PLANXIT AMOR , EI GRATU
LATUR AMOR. Tout le Choeur des Religieux n'offroit
aux yeux que des VIVE LE ROL
A la premiere falve , le . P. Prieur , précedé du
Maître de Cérémonie , monta fur un Trône parfemé
de Fleurs de Lis , & entonna le Te Deum , qui fut
chanté à trois Chours . On fit enfuite défiler la Mi
lice Bourgeoife , au bruit des Tambours & Violons.
Les Religieux cn Chappes , précedés de leur Clergé,
marchoient deux à deux , pour le rendre dans la
Place deftinée pour allumer le Feu de joye . Le
Prieur , avec quatre Religieux des plus anciens ,
y mit le feu , ce qui fut fuivi de plufieurs décharges
d'Artillerie . Tout retentiffoit des acclamations
& des cris de joye du Peuple , à qui l'on
diftribucit fans mefure des vivres de differentes efpeces
, pendant que deux Fontaines de Vin couloient
avec abondance .
La Fête fut terminée par un beau Feu d'artifice ,
de la compofition du Sr Courfon.
BENEFICES accordés par le Roi , à
Metz le 13 Septembre 1744.
L'Evêque de S. Bricux.
'Evêché d'Alais , à M. de Vivet de Montclus ,
Celui de S. Brieux , à M. da Ereignon Thepauk ,
Vicaire Géneral de Quimper.
L'Abbaye de S. Gilles , Diocèfe de Nîmes , à M.
de Vivet-de-Montclus , nommé à l'Evêché d'Alais .
Celle
2326 MERCURE DE FRANCE.
Celle de Franquevaux , Diocèfe de Nîmes , à M.
de Bourdeilles.
Celle de Beaugency , à M. de la Ferte - Château-
Guillaume , Doyen de la Collégiale de Cléry.
Celle de S. Cyprien de Poitiers , à³ M. l'Abbé
d'Olmieres , Vicaire Général de Lyon .
Celle de Cormeilles , Diocèfe de Lizieux , à M.
de la Baftie , Agent Général du Clergé.
Celle de Beauport , Diocèle de S. Brieux , à M.
de Raftignac , Agent Général du Clergé.
Celle du Paraclet , Diocèle d'Amiens , à Mad . de
Mailly , Religieufe à Chaumont en Vexin.
Le 22 du mois dernier au foir , le Marquis d'Ef
Coville , Chambellan du Roi de Pruffe , & que ce
Prince a choifi pour apporter au Roi la nouvelle de´
la prife de Prague , arriva à Metz , & le lendemain
il remit à S. M. une Lettre de S. M. Pr. étant pré--
fenté dans la Chambre par le Chevalier de Sainc
tot , Introducteur des Ambaffadeurs .
Le 28 , ce Marquis prit congé du Roi , pour retourner
auprès du Roi de Pruffe . Cet Officier a
confirmé que S. M. Pr. ayant refufé d'accorder la
Capitulation demandée par le Gouverneur de Prague
, ce Gouverneur avoit confenti , en fe rendant
que la garnison , compofée de 22 Bataillons , tant
d'anciennes troupes , que de Milices enregimentées ,
fut prifonniere de guerre.
Le 23 , le Baron de Keffelftatt , Grand Prévôt de
P'Eglife Métropolitaine de Tréves , & que l'Electeur
de Tréves avoit nommé fon Envoyé auprès du
Roi , cut fon audience de congé de S. MA y ayant
été conduit par le Chevalier de Sainctot .
On a appris de Metz du 22 du mois dernier , que
les forces du Roi augmentoient tous les jours , &
que
OCTOBRE. 1744. 2327
que fon état de convalefcence devenoit de plus en
plus favorable.
Monfeigneur le Dauphin partit le 21 au matin de
cette Ville , pour fe rendre à Versailles , où l'on
comptoit qu'il devoit arriver le 27. Ce Prince a
couché la nuit du 21 à Luneville , il y a féjourné
lė 22 , & il a dû fe remettre en marche le 233 il.
devoit prendre la route de Bar , de Chaalons-ſur-
Marne , de Rheims & de Soiffons .
de
Le Roi a permis à M. Molin, que S. M. pendant
qu'elle étoit en danger , avoit fait venir à Metz , &
qui y étoit arrivé le 26 du mois d'Août dernier , de
retourner à Paris . Les Services que le Roi dans fa
derniere maladie & dans plufieurs autres a reçus
ce Médecin , ont été récompenfés par la Penfion de
Médecin Confultant , que S. M. lui a accordée . Le
Roi a accompagné cette grace de plufieurs témoi
gnages de fes bontés pour M. Molin , & il a paru
que S. Men ne le retenant pas plus long- tems
croyoit donner une marque de fon affection à la
Ville de Paris , où le Roi a jugé que la préſence de
ce Médecin étoit auff defirée , qu'elle y eft utile
depuis long- tems,
Le 23 , M. Orry , Miniftre d'Etat , & Controlleur
Général des Finances , fit illuminer fa Maiſon
de Bercy avec la plus grande magnificence , à l'oc
cafion de lá convalefcence du Roi. On tira un trèsbeau
feu d'artifice , qu'il avoit fait préparer fur
Peau , vis- à- vis de fa Maiſon , & il fit fervir un fouper
extrêmement fplendide , auquel il avoit invité
les Miniftres Etrangers qui fe trouvoient à Paris , &
un grand nombre de perfonnes de diftinction . Tou
tes celles qui ont affifté à cette Fête , ont jugé
qu'elle étoit également digne du Miniftre qui la
donnoit , & de l'objet pour lequel elle avoit été
ordonnée.
2328 MERCURE DE FRANCE.
Les Députés des Etats de Languedoc furent pré
fentés le 24 au Roi par le Maréchal de Maillebois
Lieutenant Général de la Province , & par le Comte
de S Florentin , Sécretaire d'Etat , & conduits à
cette audience par M. Defgranges , Maître des Cérémonies.
La Députation étoit compofée , pour le
Clergé , de l'Evêque de Mirepoix , qui porta la pa
role ; du Baron de Lanta , pour la Nobleffe ; de Mes
Chaboton & Bechon , pour le Tiers Etat , & de M.
de la Fage , Syndic Général de la Province . Le
même jour , ces Députés eurent audience de la
Reine..
Le 26 , les Receveurs Généraux des Finances firent
chanter dans l'Eglife de la Maifon Profeffe des
Jefuites , pour remercier Dieu du rétabliffement de
Ja fanté du Roi , un Te Deum en Mufique , de la
compofition de M. Blanchard , un des Maîtres de
Mutique de la Chapelle de S. M. & l'Evêque d'Orange
y officia .
Les Fermiers Généraux s'acquitterent le 30 du
même devoir , & l'Archevêque de Bordeaux officia
au Te Deum , que cette Compagnie fit chanter dags
l'Eglife des Auguftins de la Place des Victoires . La
même Compagnie a donné au Curé de S. Euftache
une fomme confidérable , qui doit être employée à
marier cinquante pauvres Ouvrieres .
On mande de Metz du 29 du mois dernier , que
Le Roi , qui étoit rétabli auffi parfaitement qu'on
puiffe le défirer , a continué de fe promener pref
que tous les jours , & que ne s'étant pas trouvé fatigué
d'être monté à cheval , il déclara , le jour
qu'il y monta , qu'il partiroit le 29 de cette Ville.
S. M. devoit aller coucher le foir à Luneville ,
pour fe rendre enfuite à Strasbourg,
La
OCTOBRE . 1744. 2329
pre- La Reine prit le 28 au matin la route de la
miere de ces deux Villes , où Mefdames de Fran
ce arriverent le 23 , & d'où elles partirent le 25
pour retourner à Versailles .
Le 24 , le Parlement de Metz complimenta le
Roi fur le sétabliffement de la fanté de S. M. & M.
de Montholon , Premier Préfident , porta la parole.
Le Parlement rendit enfuite fes refpects à la Reine ,
& il fut préfenté & conduit chés leurs Majeftés avec
Jes cérémonies obfervées , lorfqu'il eut audience du
Roi le 5 du mois précédent .
Le Roi & la Reine , accompagnés de toute la
Cour , fe rendirent le 27 du mois dernier à l'Eglife
Cathédrale , & y entendirent la Meffe , qui fut
célébrée par l'Evêque , & après laquelle on chanta
le Te Deum , en actions de graces de l'heureux état
de la fanté du Roi, Ce Te Deum fut chanté au bruit
du canon de cette Place . Le foir , il y eut une illu
mination générale dans toute la Ville & à la Citadelle
; on tira un feu d'artifice fur l'Eſplanade visà
- vis des fenêtres de l'appartement du Roi , & les
habitans fe font empreffés de donner , par des réjouiffances
éclatantes , de nouvelles preuves de
leurs fentimens pour S. M.
Les lettres écrites de differentes Provinces ne parlent
que des marques éclatantes que les habitans de
toutes les Villes ont données de leur joye , en apprenant
que le Roi étoit parfaitement rétabli .
La Ville de S. Quentin s'eft extrémement diftinguée
dans cette circonftance , & les Chanoines de
I Eglife Collégiale , non contens de faire le 17 une
Proceffion folemnelle , & de chanter le Te Deum
ainfi que l'Evêque de Noyon l'avoit ordonné au
Clergé de fon Diocèfe , ont rendu leurs actions de
graces à Dieu par une grande Meffe , chantée en
Mufi
2330 MERCUREDE FRANCE.
Mufique , & à laquelle tous les Corps ont aſſiſté.
Pendant la Meffe , la Proceffion & le Te Deum , on'
a fait plufieurs Salves de l'artillerie des remparts ,
& la Proceffion a été accompagnée de toutes les
Compagnies d'Ordonnance. Le même jour , l'Eglife
Collégiale fut illuminée , tant en dehors qu'en
dedans , avec un goût & une dépenſe , qui auroient
pu faire honneur à l'une des premieres Villes du
Royaume , & du haur du Frontifpice du Portail on
fit partir un grand nombre de fulées. Il y eut auffi
une très - magnifique illumination à l'Hôtel- de-
Ville , vis -à- vis duquel la Ville fit tirer le 20 un feu
d'artifice. Plufieurs des habitans en ont fait tirer
en particulier les jours fuivans devant leurs maifons.
Monfeigneur le Dauphin arriva de Metz au Châ
teau de Verſailles le 27 après midi , & Mefdames
de France Y arriverent le 29.
On avoit appris par des lettres du camp de l'In
fant Don Philippe , que la nuit du 12 au 13 du mois.
dernier la tranchée avoit été ouverte devant Coni
& que la premiere Parallele , fans qu'il en eut coûté
plus de 12 hommes aux affiégeans , avoit été miſe
cette même nuit en tel état , que les Travailleurs
n'avoient prefque plus rien à craindre.
Les mêmes lettres marquoient que les affiégés
avoient fait le 13 , fur une Redoute que les Efpagnols
conftruifoient , une fortie dans laquelle ces
derniers avoient eû environ 20 Officiers & cent
Soldats de tués.
Depuis l'arrivée de ces lettres , on a reçû avis que
la feconde Parallele avoit été commencée la nuit
du 18 au 19 , & qu'elle avoit été poullée à vingt
toiles des Lunettes,
Le
OCTOBRE. 2338 1744.
Le 15 , les François battoient la Place avec 22
piéces de canon & avec huit mortiers , & les Efpagnols
ont achevé le 18 d'établir une batterie de fix
mortiers & de fix canons .
M. de Ramfau , Ingénieur & Aide de Camp du
Prince de Conty , a eu dans la tranchée l'épaule
emportée par un boulet.
Le Marquis Pignatelli , qui étoit à Centale avec
1000 Grenadiers & 2000 hommes de Cavalerie
pour obferver les mouvemens du Roi de Sardaigne
repaffa le 18 la riviere de Steure , & par ce moyen
on a achevé d'inveftir entierement la Ville de Coni
, qui n'étoit pas enfermée du côté de Mondovi. ;
Deux jours avant l'ouverture de la tranchée , le
Marquis de Campo Santo , ayant marché avec un
Détachement confidérable , pour s'emparer de la
Chiufa , 500 hommes des troupes du Roi de Sardaigne
& 1500 Payfans Piémontois , qui gardoient
ee Pofte , l'ont abandonné à l'approche des Efpagnols
, après avoir mis le feu aux magafins que le
Roi de Sardaigne y avoit établis
L'armée commandée par le Maréchal de Coigny
a inveſti , du 17 au 20 du mois dernier , la Ville de
Fribourg, & l'on travaille à détourner le cours de
la riviere , qui paffe dans cette Place.
Le Chevalier de Belle- Ifle , après avoir pris poffeffion
du Comté de Nuilembourg & de toute la
partie de l'Autriche Antérieure entre le Haut Danube
& le Lac de Conftance , & après avoir fait
prêter Serment de fidelité à l'Empereur par les habitans
entre les mains d'un Commiflaire Impérial , a
marché à Waldshut , l'une des quatre Villes Foreftie
res , qui s'eft foumife à l'Empereur fans réfiftance.
Celles de Sickingen & de Loffenbourg ont fuivi cett
exemple , & celle de Rhinfeldt eft la feule , qui air
en2332
MERCURE DE FRANCE.
entrepris de fe défendre. Elle a été emportée d'affaut
, & le Commandant s'eft retiré avec la garni
fon dans le Château , fitué au milieu du Rhin ſus
un Roc vif, & qui avoit toujours été regardé comme
prefque inattaquable. Le Chevalier de Belle-
Ifle , ayant demandé au Maréchal de Coigny des
mortiers pour bombarder ce Fort, a voulu employer
utilement le tems , en attendant qu'ils arrivaffent ,
& il a tenté , fous la protection de fon feu , fupérieur
à celui des affiégés par quelques piéces de canon
, qu'il a trouvées dans Villinghen , de rétablir
un pont rompu par les ennemis , lequel communique
au Château , & dont ils avoient laiffé fubfifter
les Longerons. A la vie de ce travail , les affiégés
fe font déterminés à mettre le feu aux Longerons ,
mais , malheureufement pour les ennemis , les flâmes
fe font communiquées à la Toiture du Donjon
avec tant de violence & de rapidité , que le Commandant
a été obligé de battre la chamade , & de
fe rendre prifonnier de guerre avec toute la garnifon
qu'on avoit fait venir de Huningue . Environ
12 Grenadiers ou Dragons ont été tués dans cette
expédition , & nous n'y avons perdu d'autre Officier
que le Marquis de Benfe , Capitaine dans le
Régiment de Dragons du Roi.
On a reçû avis de l'armée de l'Empereur, qu'elle
a dû quitter le 24 du mois dernier les environs de
Dunkelpiel , pour s'avancer à Donawert , où les
ennemis n'ont laiffé qu'un petit nombre de Pandonres.
Les troupes de la Reine de Hongrie fe font divifées
en deux Corps , dont l'un , fous les ordres du
Comte de Traun , a marché par la gauche du Danube
, & l'autre , commandé par le Baron de Berencκlau
, a pris la route de Munich . Lemier de
ces
OCTOBRE. 1744. 2333
ces deux Corps étoit le 20 à Birckenfeld , fur la
Naab.
On mande de Prague du 21 du mois dernier , que
le Roi de Pruffe , après cinq jours & demi de tranchée
ouverte , s'eft rendu maître de cette place , &
que la garnifon , compofée de 22 Bataillons , de
foco Croates , de 400 hommes de Cavalerie , & de
300 Huffards , ce qui fait en tout 16000 hommes ,
a été faite prifonniere de guerre.
Dès le is de ce mois au matin , le Comte d'O,
gilvi , qui commandoit à Prague pour la Reine de
Hongrie , avoit fait battre la chamade , & il avoit
offert de reinettre la grande Ville jufqu'au Pont , &
de fe retirer dans la petite Ville & dans le Château
avec la garniſon , mais cela lui fut refufé , & comme
il voulut encore gagner du tems en faifant de
nouvelles propofitions , S. M. Pr . lui envoya dire
que l'armiftice & les conférences dureroient autant
qu'il le voudroit , mais que pendant ce tems les
affiégeans continueroient de travailler à l'établiſſement
de leurs Batteries , ainfi les hoftilités recom→
mencerent , & les nouvelles Batteries ayant été
perfectionnées , elles tirerent le 16 à la pointe du
jour.
Les affiégés , qui jugerent que la difpofition de
ces Batteries , dont quelques-unes voyoient à découvert
les Ouvrages attaqués , particulierement
celui des trois Croix , rendroit une plus longue réfiftance
inutile , bartirent une feconde fois la chamade
, & le Commandant propofa de fortir de la
Place , fi le Roi de Pruffe vouloit accorder les hon.
neurs de la guerre à la garnifon. S. M. Pr . répondit
que le Comte d'Ogilvi avoit trop attendu , & que
s'il s'obftinoit à fe défendre encore ce feul jour
elle feroit donner le foir un affaut général , & paffer
la garniſon au fil de l'épée.
Du
2334 MERCURE DE FRANCE.

Du côté de la principale attaque , le long des
moulins qui font far la Moldaw , régne un Quai
auquel il étoit affé de faire en peu de tems une
brêche . La vivacité du feu , que les affiégeans firent
de ce côté , ayant achevé d'intimider les affiégés ,
la garnifon vers le midi arbora le Drapeau Blanc ,
& le Commandant confentit qu'elle fut prifonniere
de guerre. Aufli- tôt le Roi de Pruffe fit occuper par
deux Bataillous de fon Régiment des Gardes les
Portes de cette Ville , dans laquelle on a trouvé 70
canons de Bronze & une très grande quantité de
munitions.
Le 20 , S. M. Pr. partit de Prague avec fon armée
, pour aller s'emparer de Budweiff & de Tabor.
On a appris du Camp devant Coui du 29 du mois
dernier , qué la ruine de deux Lunettes , aufquelles
on avoit attaché le mineur le 23 , ayant mis les affiégeans
en état de reconnoître que la Place étoit ,
du côté de leur principale attaque , plus forte qu'on
n'avoit crû , P'Infant avoit pris le parti d'ordonner
une nouvelle attaque que le Prince de Conty avoit
propofée dès le commencement du Siége ; que les
progrès de cette attaque auroient été déja forg
avancés , s'il n'étoit furvenu la nuit du 25 au 26 une
pluye abondante , qui a duré 36 heures , & qui
ayant fait déborder la riviere de Geffe , a retardé
confiderablement les travaux ; qu'on les a pouffés
avec beaucoup de vivacité , dès que l'écoulement
des eaux l'a permis , & que le côté que l'on attaquoit
, étant décidé le plus foible de la Place , on
efperoit qu'elle ne feroit pas encore une longue
réfiftance .
Le Roi de Sardaigne , ayant été joint par les renforts
qu'il attendoit du Milanez , & par le Régiment
de Pallavicini , que le Prince de Lobkowitz
lui
OCTOBRÉ. 1744
2335
lui a envoyé , il s'eſt avancé à deux lieues & demie
de l'armée Espagnole & Françoife . Il a fait jetter
plufieurs Ponts fur la Baffe Steure , & il paroiffoit
qu'il avoit deffein de hafarder une bataille.
On a été informé par les efpions & les déferteurs
, que les troupes étoient composées de 35 Bataillons
& de 32 Escadrons , & que fi on ne le prevenoit
point , il attaqueroit le quartier du Marquis
Pignatelli.
Les Efpagnols & les François ont dû paffer toute
la nuit au Bivouac , & le bruit couroit que l'Infant
étoit déterminé à ne laiffer dans le camp que quinze
Bataillons pour la garde des travaux & du Parc d'ar
tillerie , & à marcher à la rencontre des ennemis.
Le Marquis de Leuville , fils du feu Lieutenant
Général de ce nom , & neveu du Bailly de Givry ,
mort il y a quelque- tems à Embrun des bleffures
qu'il a reçues à l'attaque des retranchémens de
Château Dauphin , a été tué dernierement par un
Parti de Vaudois , en allant joindre les troupes
commandées par le Prince de Conty.
On mande du Camp devant Coni du 2 de ce
mois , que l'Infant Don Philippe , ayant reçû des
avís certains que le Roi de Sardaigne marchoit pour
Pattaquer , & pour tenter le fecours de Coni , laiffa
dans le camp 18 Bataillons tant François qu'Efpagnols
, pour la garde des travaux & du Parc d'ar
tillerie , & qu'avec 20 Bataillons des troupes d'Ef
pagne , 18 de celles de France , & 60 Eſcadrons ,
dont 24 étoient de ces dernieres troupes , il s'avança
jufqu'au Convent de la Madonna del Ulmo.
Ce Prince appuya fa droite à ce Convent ,
gauche à une Caffine , & devant le centre de l'ar
mée étoit une autre Caffine fortifiée . L'Infanterie
n'étant pas fuffifante pour garnir la premiere Ligne,
on la renforça avec de la Cavalerie des deux Nations.
Le
2336 MERCURE DE FRANCE .
Le 30 du mois dernier , à onze heures du matin ,
on découvrit la tête des ennemis , qui s'approcho ent
fur deux Colonnes paralleles . Le Roi de Sardaigne
plaça fon Infanterie le long d'une chauffée bordée
de Navilles , & il couvrit de chevaux de frife le
front & le flanc de fes troupes. Lorſque les deux
armées le furent canonnées pendant quelque tems ,
les Grenadiers de celle du Roi de Sardaigne attaquerent
à une heure après midi le pofte de la Madonna
del Ulmo , & les Caffines qui étoient devant nos retranchemens.
Ils furent repouffés de toutes parts
& les autres attaques , qu'ils firent fucceffivement ,
n'eurent pas plus de fuccès.
Le combat vers les s heures du foir devint général
entre les troupes d'Infanterie des deux armées. Les
troupes Françoifes & Efpagnoles , non feulement
foûtinrent avec une extrême valeur les efforts de
l'Infanterie des Piémontois , mais encore la mirent
en défordre , & le Prince de Conty , s'étant mis à
la tête de notre Cavalerie , fe poita contre leur premiere
Ligne , dans l'efperance de profiter de cet
avantage. Les chevaux de Frife ayant arrêté la Cavalerie
, le Prince de Conty la fit replier , & il retourna
à la charge avec les Régimens d'Infanterie
de Lyonnois , de Beauce , de Brie , de Foix , de
Flandre & de Stainville. On s'empara en cette ocea
fion d'une Batterie des ennemis , mais on ne pût la
conferver à caufe de la violence du feu de quelques
Caffines qu'ils occupoient.
Le Combat a duré avec beaucoup d'opiniâtreté
de part & d'autre jufques à ce que la nuit étant furvenue
, & les Piémontois étant , par la perte confiderable
qu'ils avoient faite , hors d'état de fe maintenir
dans leur pofte , le Roi de Sardaigne fe détermina
fur les dix heures à abandonner une partie de
fon artillerie & la multitude prodigieuſe de ſes chevaux
OCTOBRE. 1744. 2337
Vaux de Frife , & à fe retirer , en prenant cependant
la précaution de laiffer des Détachemens de
Grenadiers , qui continuerent pendant deux heures
de tirer fur nos troupes , pour empêcher qu'elles ne
' apperçûffent qu'il abandonnoit le chainp de bataille.
A minuit , le feu des ennemis ceffa entierement
, & dès la pointe du jour l'Infant détacha le
Marquis de Corbulan avec 1000 chevaux , pour
inquiéter le Roi de Sardaigne dans fa retraite .
Le Marquis de Corbulan , foutenu d'un autre
Corps de Cavalerie , qui marchoit fous les ordres
du Marquis du Chayla & du Marquis Pignatelli , a
continué de pourfuivre les Piémontois , aufquels on
a pris cinq piéces de canon , & qui ont eû plus de
5000 hommes tués ou bleffés .
La perte des François & des Efpagnols monte à 8
ou 900 hommes , & l'on compte environ 1200
bleffés dans les troupes des deux Nations. Du côté
des François , les principaux Officiers bleffés lont le
Marquis de Senneterre , Lieutenant Général ; le
Chevalier Chauvelin , Brigadier , & le Marquis de
la Force , qui a cû une épaule emportée d'un boulet
de canon .
M. de Solemy , Brigadier & Lieutenant Colonel
du Régiment d'Infanterie de Conty , a été tué.
La tranchée ayant été ouverte le 30 du mois der
nier devant la Ville de Fribourg , on perfectionna
dans les trois jours fuivans la premiere Parallele ,
au-delà de laquelle on commença quelques Ouvrages,
pour le mettre à portée de former la feconde.
Plufieurs Batteries étoient le 3 en état de tirer , &
toutes les autres devoient être établies le 5. On
étoit déterminé à ne faire ufage d'aucune , que lorfqu'elles
pourroient toutes tirer enſemble , afin de
diminuer par un feu fupérieur celui des affiéges , qui
avoient beaucoup d'artillerie.
I L'Ou
2338 MERCURE DE FRANCE..
L'Ouvrage du Canal , par lequel on fe propofoir
de détourner la riviere , étoit fi confidérable , qu'il
n'avoir pas encore été poffible de l'avancer autant
qu'on l'avoit efperé.
On a appris de Luneville du 2 de ce mois , que le
Roi étant parti de Metz le 29 du mois dernier à
midi , s'y rendit le même jour , après avoir traverſe
la Ville de Nancy , où S. M. vit les préparatifs d'une
illumination générale & des autres marques de réjouiffance
,, par lefquelles les habitans de cette Cal
pitale fe difpofoient à faire éclater ce jour - là leur
joye d'avoir eû le bonheur de voir le Roi Le Peu
ple du Pays , qui étoit accouru fur le paffage de S.
M. a montré par de continuelles acclamations fes
fentimens pour elle.
Vers les huit heures du foir , le Roi arriva au
Château , dont la façade étoit illuminée du côté de
la Ville & de celui du Jardin avec beaucoup de
goût & de magnificence. Les aîles de la grande &
de la petite cour , & la cour intérieure , l'étoient
auffi , & cette illumination , marquant le deffein
de l'Architecture , qui eft très - belle , produifoit un
effet auffi admirable qu'on en ait jamais vû en ce
genre .
Le Roi trouva , en entrant dans la Ville , les deux
Compagnies des Gardes du Corps du Roi de Pologne
, & dans la premiere cour du Château les Gardes
à pied de ce Prince . S. M. defcendit de caroffe
fous le Periftille , où elle fut reçûë par le Roi de
Pologne, qui la conduifit dans l'appartement qu'elle
devoit occuper , & dans lequel la Reine , qui étoit
arrivée à Luneville la veille , & la Reine de Pologne,
attendoient le Roi.
Les cris de Vive le Roi , au bruit defquels S. M.
étoit entrée au Château , le renouvellerent toutes
les
OCTOBRE. 1744. 2339
les fois qu'elle parut à la fenêtre , & ils durerent
jufqu'à ce que le Roi fe couchât. S. M. foupa feule,
& dès qu'elle fut fortie de table , on fervit dans
l'appartement avec autant de délicateffe que d'abon
dance plafieurs tables pour les Dames des deux
Reines , pour les Seigneurs de la Cour , & pour
toutes les perfonnes qui ont l'honneur de fuivre le
Roi . Les mêmes tables ont été fervies foir & matim
pendant le féjour que le Roi a fait à Luneville . Le
foir ,la Ville fut entierement illuminée , & l'on tira
un grand nombre de fufées fur la terraffe du Château.
Le 30 au matin , le Roi alla voir un petit Bâtiment
à la Chinoife , nommé le Kiofe , que le Roi de
Pologne a fait conftruire pour y dîner dans les
grandes chaleurs , & dans lequel il y a une grande
quantité de Jets-d'eau & de Cafcades . Leurs Majef
tés dînerent avec le Roi & la Reine de Pologne
dans le grand Cabinet de l'appartement qu'occupe
la Reine. A trois heures , le Roi monta à cheval ,
& alla à Chanheux , Maifon de Plaiſance , qui a été
bâtie , par ordre du Roi de Pologne , au bout de la
grande allée du Jardin , & dans laquelle il y a un
Salon où la magnificence , l'Art & le goût fe font
également admirer. S. M. étant revenue enfuite fe
promener dans les Jardins , s'arrêta à la Caſcade de
la tête du Canal , qui borde le Jardin , & qui eft un
des embelliffemens que le Roi de Pologne y a
ajoûtés.
Au bout d'une des branches du Canal , le Rọi
vit ce qu'on appelle les Rochers ; c'eft un Tableau
mouvant , représentant un Village , & dans lequel
des Figures de grandeur naturelle prennent differentes
attitudes par le moyen de l'eau qui les fair
mouvoir. Il y eut Comédie l'après - midi , & la Reine
y affifta. Le foir , le Roi foupa ſeul ; la Reine foupa
I ij
avec
2340 MERCURE DE FRANCE
avec les Dames du Palais & avec celles qui font attachées
en cette qualité à la Reine de Pologne .
le Le premier de ce mois , pendant la Meffe que
Roi entendit dans la Chapelle du Château , on
chanta le Te Deum en actions de graces de la guérifon
de S. M. laquelle dîna ce jour - là avec la Rei
ne , le Roi de Pologne , & les Dames du Palais des
deux Reines.
La Reine de Pologne étant indifpofée , le Roi
paffa au fortir de table dans l'appartement de cette
Princeffe.
Il monta à cheval à cinq heures , & il alla fe
promener à une petite Maifon du Roi de Pologne ,
appellée Jolivet , & la principale de plufieurs Maifons
conftruites le long du Canal , dont les environs
, qui n'étoient autrefois qu'un Marais impraticable
, font devenus de très -agréables Jardins.
Le Roi partit de Luneville le 2 au matin , &
après avoir fait près de Chanheux la revûë de la
Gendarmerie , il dîna dans cette Maiſon , d'où il
partit à midi & demi , pour aller coucher à Saarburg
.
Pendant le féjour du Roi à Luneville , le Roi de
Pologne n'a rien oublié, pour que la reception qu'il
a faite à leurs Majeftés , pût leur procurer une fatisfaction
égale à l'extrême joye que lui caufoit leur
préfence à la Cour.
Toutes les perfonnes , qui ont été chargées de
l'exécution des ordres du Roi de Pologue , ont répondu
à fes intentions avec le plus grand zéle , &
il a paru que le Roi a été auffi fenfible au plaifir de
fe voir à Luneville , que leurs Majeftés Polonoifes
l'étoient à celui d'y recevoir S. M Le Roi & la
Reine ont été fervis par les Grands Officiers , & par
Les autres principales perfonnes de la Cour du Roi
de la Reine de Pologne,
La
OCTOBRE. 1744. 2342
La Reine devoit paffer encore quelques jours à
Luneville , & partir enfuite , pour retourner à Verfailles.
Le Roi de Pologne nomma le premier de ce mois
le Maréchal de Belle-Ifle Lieutenant Général au
Gouvernement de la Lorraine.
Le 2 de ce mois , le Roi coucha à Saarburg ; il
arriva le lendemain à Saverne , & il y féjourna le 4.
S. M. n'a point paru fatiguée de ce voyage , & elle
fe portoit auffi bien qu'on pût le defirer.
Le Roi a donné le Gouvernement de Bethune au
Comte de Laval , Lieutenant Général des armées
de S. M. lequel avoit celui de Philippeville.
le
On a reçû avis que l'armée de l'Empereur étoit
25 du mois dernier à Nortlingue , & que le Maréchal
de Seckendorf avoit fait avancer plufieurs
Détachemens du côté de Mertzingen .
La Ville de Rouen , par l'éclat des réjouiffances
qui s'y font faites à l'occafion de la Convalescence
du Roi , a foûtenu dignement l'honneur qu'elle a
d'être Capitale d'une des plus riches Provinces du
Royaume . Le Parlement , ainfi que les autres Com-
.pagnies , a donné en particulier des marques de fon
zéle , & a joint aux témoignages publics de fa joye
la délivrance de plufieurs prifonniers , détenus pour
dettes , qu'il a acquittées.
Le jour auquel on chanta le Te Deum dans l'Eglife
Métropolitaine , toutes les maiſons de la Ville
furent illuminées , & l'on fit couler des Fontaines
de Vin en plufieurs endroits , particulierement à
l'Archevêché , à l'Hôtel de - Ville , & chés le Préfident
de la Londe , qui préfide à la Chambre des
Vacations. Ce Préſident donna un fouper fplendide
I iij à
3342 MERCURE DE FRANCE.
à toutes les perfonnes de diftinction de la Ville , &
Fillumination de fon Hôtel , qui étoit éclairé d'un
grand nombre de Luftres , de Flambeaux , de Pots
a feu & de Lampions , fournit un fpectacle que tous
le monde vit avec autant de plaifir que d'empreffement
.
Quelques jours auparavant , M. de la Bourdonbaye
, Intendant , avoit fait chanter dans l'Eglife
des Jefuites le Te Deum , après lequel il avoit donné
ane Fête des plus magnifiques , accompagnée d'une
très- belle illumination & d'un feu d'artifice .
1 Le 27 du mois dernier , l'Abbaye de S. Olen
marqua auffi d'une façon diftinguée la part qu'elle
prenoit à la joye publique. L'Eglife de cette Abbaye
, l'une des plus belles Eglifes de France , étoit
éclairée par deux rangs de lumieres des deux côtés
de la Nef, par des Luftres dans chacune des Arcades
qui féparent les Piliers , & par des Girandoles
attachées aux Piliers avec des agrafes de glaces . La
beauté de l'illumination du Choeur & de celle de
1'Orgue furpaffoit encore celle de la Nef. Après le
Te Deum , pendant lequel il y eut plufieurs Salves
de canon > les quatre Chantres , précédés de la
Compagnie , nommée la Cinquantaine , allerent allumer
le feu qui avoit été préparé dans la Place , &
qui repréfentoit quatre Baftions , terminés chacun
par un If de lumiere. On tira enfuite du haut de la
façade de l'Eglife un grand nombre de fulées .
Le 27 du même mois , les Bénédictins de l'Abbaye
de Rebetz rendirent à Dieu de folemnelles actions
de graces pour le rétabliffement de la fantédu
Roi , en chantant dans leur Eglife le Te Deum ,
pendant lequel une partie de la Bourgeoisie de la
Ville fut fous les armes Il y eut enfuite une table
magnifiquement fervie dans la Maiſon Abbatiale
pour
OCTOBRE. 1744. 2343
pour le Maire , les Echevins & les principaux Bourgeois.
Le foir , on tira un très beau feu d'artifice
dans la grande.Place , où l'on avoit élevé un Arc de
Triomphe de 45 pieds de haut fur 25 de large , orné
de Feftons & de Guirlandes.
Cette Fête , qui a été accompagnée de plufieurs
Salves d'artillerie , a été ordonnée par l'Abbé de
Ceilles de Fleury , de concert avec les Religieux de
l'Abbaye.
L'Evêque & la Ville d'Angoulême ont fignalé
auffi leur zéle , & dès qu'on y fut affûré que le Roi
étoit hors de danger , on chanta dans l'Eglife Cathédrale
, au bruit de la moufqueterie de 1800 hommes
de la Bourgeoifie , qui étoient fous les armes
Je Te Deum , auquel le Préfidial affifta , ainfi que le
Corps de Ville. On illumina le foir toutes les rues ,
& les illuminations du Palais Epifcopal , de l'Hôtelde-
Ville , & de la maiſon du Maire , furent généralement
admirées. Toutes les perfonnes de confidération
furent invitées à fouper chés l'Evêque , qui
fit fervir cinq tables avec autant de profufion que
de délicateffe , & par l'ordre duquel on diftribua
pendant le repas beaucoup d'argent au Peuple avec
une grande quantité de Vin & de Vivres de toute
efpéce .
Le Maire , dans la rue où il loge , avoit fait dreffer
plufieurs tables , où l'on donnoit à boire & à
manger à tous ceux qui fe préfentoient , & divers
particuliers en uferent de même en quelques endroits
de la Ville.
Afin que la nouvelle de la guérifon du Roi fut
plûtôt répandue dans la Campagne , d'où les Payfans
, en pleurs , accouroient chaque jour , pour
fçavoir ce qu'on avoit appris de l'état de S. M. l'Evêque
fit illuminer le haut du Clocher de la Cathé →
I iiij
dra2344
MERCURE DE FRANCE.
drale , & il annonça par ce moyen à tous les Villa.
ges voifins , que le Roi étoit rendu à leurs voeux .
Le Te Deum fut chanté le 13 pour la Convalefcence
du Roi , avec toute la folemnité poffible ,
dans l'Eglife de la Paroiffe du Château de S. Germain
en Laye , & il y eut le même jour des illuminations
dans toute la Ville .
Les Officiers du Roi , qui y réfident , affiſterent
en Corps le 15 au Te Deum , qu'ils firent chanter
dans la même Eglife.
Le même jour , les Anglois , qui demeurent dans
le Château , firent chanter auffi le Te Deum dans la
Chapelle par la Mufique du Roi , & le Château fut
entierement illuminé .
Le Roi , dont la fanté eft parfaitement rétablie ,
partit de Strasbourg le 10 de ce mois vers les onze
heures & demie du matin S. M. arriva de bonneheure
à Selleftatt , d'où elle a dû fe rendre le lendemain
à fon Quartier devant Fribourg.
Le Baron de Walbruun , Grand Maréchal de la
Cour du Duc de Wirtemberg , & qui a été chargé
par ce Prince de faire un compliment au Roi fur le
parfait rétabl : ffement de la fanté de S M. & fur fon
heureufe arrivée en Alface , s'eft rendu à Strasbourg,
od il s'eſt acquitté de cette commiffion le 7 de ce
mois.
Le même jour , le Comte Truchfes de Wolffegg ,
Maréchal de la Cour du Margrave de Bade Baden
& qui eft arrivé à Strasbourg pour le même fujet ,
a fait de la part du Prince , fon Maître fon compliment
au Roi.
Le 9 , le Baron de Meternich , qui a été envoyé
au Roi par l'Electeur de Cologne ; le Baron d'fngelheim
,
OCTOBRE. 1744. 2345
gelheim , chargé par l'Electeur de Mayence de fe
rendre auprès de S. M. & le Baron d'Eltz , qui a
reçû le même ordre de l'Evêque de Spire , ont félicité
le Roi au nom de leurs Maîtres.
Tous ces Miniftres ont été prefentés à S. M. dans
fa chambre par M. de Verneuil , Introducteur des
Ambaffadeurs.
Le Prince d'Ardore , Ambaffadeur du Roi des
Deux siciles , donna le 20 du mois dernier à Metz,
pour célébrer la Convalescence du Roi , un trèsgrand
dîner , auquel il invita les Ambaſſadeurs &
les Miniftres Etrangers , ainfi que les Seigneurs &
les Dames de la Cour , & Pon fervit deux tables
avec beaucoup de magnificence. Le foir , la maifon
qu'il occupoit à Metz fut illuminée , & deux Fontaines
de Vin coulerent toute la nuit à côté de la
Décoration qui formoit l'illumination .
On a appris de Saverne dus de ce mois , que le
Roi , après avoir couché le 2 dans la Ville de Saarburg
, à la premiere barriere de laquelle il avoit été
reçu par le Marquis de Chalmazel , qui en eft Gouverneur
, en partit le lendemain vers les onze heures
du matin , & que S. M. ayant paffe par Phalfbourg
, arriva à Saverne à deux heures & demie
après midi .
Elle fut reçue à la defcente de fon caroffe par le
Cardinal de Rohan , accompagné du Coadjuteur
de Strasbourg & du Prince de Soubize , qui avoit
eû la permiffion de fe rendre en cette Ville , en cas
que fon fervice ne demandât pas fa préfence au fiége
de Fribourg , pendant le féjour que le Roi devoit
faire à Saverne . S. M. traverfa le Veftibule au
milieu des acclamations des habitans de Saverne +
qui le rempliffoient , & elle monta dans le grand
· Iv ap
2346 MERCURE DE FRANCE.
appartement , dont la magnificence répond parfai
tement à la beauté du Château & des Jardins . Au
commencement de la nuit , il y eut une illumination
dans les Jardins , depuis la terraffe qui régne le
long de la façade du Bâtiment dans le Parterre , &
autour de la Piéce d'Eau , par laquelle le Canal eft
précédé , & cette illumination , qui formoit un des.
plus beaux fpectacles , & qui parut faire beaucoup
de plaifir au Roi , s'étendoit jufqu'à la premiere
Calcade du Canal.
Après le fouper de S. M. pendant lequel comme
pendant tout le féjour qu'elle a fait à Saverne , ellea
été fervie par le Cardinal de Rohan , par le Coadjuteur
de Strasbourg ou par le Prince de Soubize ,
les seigneurs , les Dames & les autres perfonnes
qui accompagnoient le Roi , furent traités fplendidement
à plufieurs tables preparées pour cet effet.
Le Cardinal de Rohan s'eft toujours tellement
diftingué par l'éclat avec lequel il a foûtenu ſa naiffance
& fon rang , que les éloges qu'on pourroit
donner à la dépenfe faite par ce Cardinal dans l'occafion
la plus glorieufe qu'il ait euë de montrer fa
magnificence , feroient au- deffous de l'idée que
s'en formera le Public.
S. M. après avoir entendu la Meffe qui fut dite
par le Coadjuteur de Strasbourg , continua le cinq
au matin fa route , pour fe rendre à Strasbourg ,
après avoir marqué combien elle étoit contente de
la reception qui lui a été faite dans ce Château .
On mande de Strafbourg du 6 de ce mois , que
la vivacité de la joye que les habitans de cette Ville
ont reffentie , en apprenant la nouvelle de la guérifon
du Roi , ne peut être comparée qu'à la vivacité
des allarmes que leur avoit caufées la maladie de S.
M. & quetous fe font empreffés également de don
mer des marques éclatantes de leurs fentimens.
Le
OCTOBRE. 1744. 2347
Le Marquis de la Farre , qui commande à Strafbourg
en l'absence du Maréchal de Coigny , a fi
gnalé fon zéle en cette occafion , ainfi que le
Coadjuteur , M. de Vanolles , Intendant d'Alface ,
le Préteur Royal & les Magiftrats. L'allegreffe publique
n'a plus eu de bornes , dès qu'on a été informé
, que le Roi vouloit bien honorer cette Ville
de la préfence. Jamais peuple n'a montré plus d'ar
deur & d'impatience que celui de Strasbourg de
voir fon Souverain , & l'on s'eft préparé , autant
que le tems a pû le permettre , à recevoir S. M.
avec toute la pompe qu'exigeoit un pareil événement.
Les , jour de l'arrivée du Roi , qui en fe rendant
à Strasbourg de Saverne , trouva le chemin
bordé des Payfans de tous les Villages circonvoi
fins , M. de Klinglin , Préteur Royal , à la tête des
troupes Bourgeoifes, au nombre de 1200 hommes ,
fortit de la Ville , pour aller au-devant de S. M.
Ces troupes , compofées d'Infanterie & de Cavale- *
rie , étoient divifées en huit Corps.
"
Le premier étoit un Efcadron de Huffards , dont
les Officiers avoient des habits de velours cramoifi
garnis de galons & de franges d'argent , le manteau
de velours bleu , aufli galonné d'argent ,, & doublé
de peaux de Martre. Les habits du refte de la troupe
étoient d'écarlate avec des garnitures & des boutons
d'argent. Il y avoit quatre autres Efcadrons a
dont l'un étoit en uniforme écarlate & or ; le fecond
écarlate & argent ; le troifiéme bleu & argent
; le quatriéme gris & argent , les Officiers
ayant les habits chamarrés fur toutes les tailles.
L'Infanterie confiftoit en trois Bataillons ; l'un
dont l'uniforme étoit bleu avec boutonnieres d'or
& boutoas de cuivre doré , l'autre écarlate avec
femblables boutons & boutonnieres ; le troifiéme
gris & argent.
Lvi Cha
2348 MERCURE DE FRANCE.
Chaque Bataillon avoit une Compagnie de Grenadiers
, dont les bonnets , ornés de galon & de
broderie , & terminés par de riches glands , étoient
garnis de peaux d'Ours. Les Grenadiers du Batail-
Ion vêtu de gris , portoient des tabliers bordés de
galons & de franges d'argent , la hache haute , &
le moufquet en bandouillere . Les habits des Offi .
ciers de l'Infanterie n'étoient pas moins magnifiques
que ceux de la Cavalerie .
M. de Klinglin conduifit toutes ces troupes à l'extrémité
du Territoire de la Ville , où il avoit fait
dreffer des Tentes. Il les rangea en bataille fur une
ligne à deux de hauteur à la droite du chemin ,
venant de Saverne , les Huffards en avant , enfuite
les deux Corps de Cavalerie rouge , les trois Bataillons
dans le centre , & les deux autres Corps de Cavalerie
terminant la pofition. A la fuite des troupes
jufques à la porte de la Ville, les Magiftrats avoient
fait placer fur les deux bords de la chauffée le refte
des Bourgeois des vingt Tribus , lefquels étoient
avec leurs manteaux de cérémonie.
Lorfque le caroffe du Roi parut , les Timbales ,
Trompettes , Hautbois , Cors de Chaffe , & autres
Inftrumens , qui étoient à la tête de chaque Compagnie
, fe firent eatendre ; on fonna toutes les cloches
de la Ville , & tout retentit des acclamations
redoublés de Vive le Roi. La Cavalerie mit le Sabre
à la main , & tous les Officiers firent , ainfi que le
Préteur Royal , le falur de l'épée , quand S. M.
paffa devant leurs poftes .
Le Roi étant arrivé à la porte de la Ville ', le Baron
de Trelans , Lieutenant de Roi , accompagné
des Officiersde l'Etat Major , préfenta trois clefs de
la Ville , chacune de vermeil , à S M. Le Corps, da
Magiftrat s'approcha enfuite de la portiere , & eut
l'honneur de haranguer le Roi , qui entra après ces
cé-
!
OCTOBRE. 1744. 2349
Cérémonies dans la Ville , où il trouva un Arc de
Triomphe de 60 pieds de hauteur , à trois Porti
ques,au haut duquel étoit une Statue Equeftre de S.
M. & qui étoit orné d'Emblêmes & de Figures . Cet
Arc de Triomphe étoit gardé du côté du Fauxcourg
par cent jeunes gens , depuis l'âge de 12 jufqu'à celui
de 18 ans , habillés comme les Cent Suiffes de la
Garde de S. M. ayant à leur tête leurs . Officiers ,
dont les habits étoient bleus & richement galonnés
d'or.
De l'autre côté du même Arc de Triomphe ,
étoient 18 Bergeres & autant de Bergers , vêtus de
taffetas blanc avec des découpures de même étoffe ,
ornées de Rubans & de Guirlandes de Fleurs , les
cheveux bouclés & pendans , les houlettes peintes
& doiées. Les Bergeres tenoient des Paniers couverts
. d'étoffe de foye couleur de rofe , & remplis de
Fleurs , qu'elles jetterent fur le paffage du Roi. On
avoit placé de diſtance en diffance , des Compagnies
de jeunes filles en habits à l'Allemande , &
dont chacune étoit menée par un jeune hommne.
Toutes les rues étoient fablées , jonchées de verdure
, & tendues de Tapifferies de haute - liffe.
Le Roi defcendit de caroffe à la porte de l'Eglife
Cathédrale , & S M. y fut reçue par le Cardinal de
Rohan , lequel étoit revêtu de fes habits pontificaux
, & accompagné du Coadjuteur & du fuffragant
de Strasbourg , en Châpes & en Mîtres , &
d'un nombreux Clergé enChâ es. S. M. s'étant mife
à genoux fur un carreau qui lui fut pré enté par le
Prince Camille de Montauban , Chanoine de la Cathédrale
, le Cardinal de Rohan lui donna la Croix
à baifer , & lui fit un compliment , auffi noble
que
touchant. Enfuite le Roi entra dans le Choeur , ou
il tut conduit par le Coadjuteur , le Cardinal de Roban
ayant quitté les habits pontificaux , pour aller
pien
350 MERCURE DE FRANCE.
prendre auprès du Roi fa place de Grand Aumônier
de France.
Au fortir de l'Eglife Cathédrale , S. M. alla au
Palais Epifcopal , que le Cardinal de Rohan a fait
bâtir depuis quelques années , & qui eft auffi commode
que magnifique . Les troupes Bourgeoifes
Infanterie & Cavalerie , défilerent peu après en préfence
du Roi fur une Terraffe au bord de la riviere ,
au bas de l'appartement que S. M a occupé dans
ce Palais , devaut lequel le Roi , en y arrivant ,
avoit retrouvé la même Compagnie de jeunes gens,
vêtus en Cent Suiffes , qu'il avoit rencontrée près
de l'Arc de Triomphe.
Dès que le jour fut baiffé , la Tour du Clocher
de la Cathédrale
, les Places publiques
, & toutes les maifons
de la Ville furent illuminées
, & peut- être n'y a-t'il eu dans le Royaume
aucune
Ville ·
dont l'illumination
ait produit un plus grand effet. Plufieurs
Fontaines
de Vin coulerent
par ordre des Magiftrats
dans toutes les Places , particulierement devant l'Hôtel- de- Ville , où l'on abandonna
au Peuple , outre une grande quantité , de vivres de toute efpece , un Beeuf qu'on faifoit rôtir depuis trois jours , comme il fe pratique au Couronnement des Empereurs
, & qui pofé dans un baffin de bois fculpté & doré , étoit orné de bouquets
& de rubans.
>
Vers les huit heures du foir , on tira fur la tivie
re , en face du Palais où le Roi étoit logé , un feu
d'artifice , dont l'ordonnance & l'exécution ont
mérité que S. M. marquât qu'elle en étoit finguliés
rement fatisfaite . Elle a paru l'être infiniment des
efforts que non -feulement les perfonnes de diftinction
de cette Ville , mais encore les moindres habitans
, ont fait pour lui prouver combien ils étoient
fenfibles à l'honneur d'y recevoir leur Souverain.
)
CAN
OCTOBRE.
1744. 235%
CANTATILLE
Sur l'heureux retour de la Reine à Versailles.
Q
Uel éclat vient frapper nos yeux !
Mufes , raffemblez - vous; c'eft notre aimable Reine;
Un trop funefte fort lui fit quitter ces Lieux ;
Un heureux deftin l'y ramene.
Chantons ; livrons nos coeurs aux tranſports les plus
doux ;
C'eft ici qu'elle vient attendre
Le retour fortuné de ſon Auguſte Epoux ;
Malgré les ennemis , de fa Grandeur jaloux
La Victoire va nous le rendre.
Que fur la Terre & fur les flots
A fes plus chers défirs à l'envi tout réponde ;
Le Ciel nous donna ce Héros
Pour la félicité du Monde..
Les Vers de cette Cantatille font de M. l'Abbé
Fellegrin , mife en Mufique par M. de Blamont
Sur-Intendant de la Mufique du Roi . Elle a été
exécutée à Versailles au Concert de la Reine , &
chantée par Mile Antier le 23 de ce mois. Cette
célebre Actrice, dont on a eu occafion plufieurs fois
de parler avec éloge , n'a rien perdu de l'éclat de fa
Voix , quoique retirée du Théatre. Elle a été honorée
des éloges de la Reine & de ceux de toute la
Cour,
Le
2352 MERCURE DE FRANCE.
"
Le 19 , le 21 , le 24 & le 25 Octobre , M. de
Blamont , Sur - Intendant de la Mufique du Roi en
femeftre , fit concerter chés la Reine , fa Patorate
Héroïque d'Endymion , en cinq Actes , dont les principaux
rôles furent parfaitement bien remplis par
les Diles Lalande , Mathieu & Defchamps , & par
les Srs Poirier , Dubourg , Jelyot & Benoit , & dont
l'exécution ne laiffa rien à défirer.
OEUVRES DE THEATRE de M. Néricault
Deftouches , de l'Académie Françoife . Nouvelle
Edition ,, revue,corrigée & augmentée par l'Auteur.
Cinq Volumes in - 12 , dont le dernier contient les
Amour, de Ragonde , Comédie - Ballet , repréſentée à
l'Opera ; plufieurs autres Ouvrages Lyriques ; neuf
Lettres écrites à des Amis , en leur envoyant des
fujets & des fragmens de Comédie , & l'Homme fingulier,
Comédie en Vers & en cinq Actes. Ce Tome
finit par l'Epitre de l'Auteur au Roi fur la Convalefcence
, à Paris , chés Prault , le pere , Quai de
Gévres , à l'enfeigne du Paradis , 1744.
Le mérite & la réputation de l'Auteur , & le favorable
accueil qui a toujours été fait à la publication
de fes Ouvrages , font préfumer que ce Corps
entier fera très agréablement reçû .
ALLEGORIE.
U
N jour la Reine de Cithére
Se plaignant du Dieu de la Guerre ,
Applaudiffoit d'autant à fes appas :
Il fuit , dit elle ; il me néglige ;
Trop de bonté fait des ingrats ;
Elfayons par quelque preſtige
OCTOBRE . 1744. 2353
A châtier fes mépris fcélérats ;
Je veux auprès de moi que fans ceffe il voltige ,
Et ne me reconnoiffe pas :
Transformons-nous ; je vais être vengée ,
Elle dit , & déja fa figure eft changée.
Ce n'eft plus ce majestueux ,
Ce beau complet , fait pour les yeux ,
Ce beau , qui n'offre rien à dire ,
Qu'après un tems , en baillant , on admire
C'eſt du piquant , de l'agaçant, du fin ,
Du gracieux , du fripon , du lutin ;
Pour l'exprimer il n'eft point de langage ,
C'eft l'amour, en un mot & tout fon appanage ;
Ce Dieu foûrit ; Mars vient enfin :
Quel Amant'a jamais méconnu fon Amante ?
Ah ! vous n'étiez que belle ,& vous voila charmante,
S'écria-t'il , tombant à fes genoux ;
De graces quel amas fertile !
Vous n'en aviez que trois , & vous en avez mille
Qui vont éternifer mes tranſports les plus doux.
Mars eft abfent , aimable Dangeville ;
Cet amas d'agrémens devenoit inutile
A la Déeffe des Amours ;
Contente de n'être que belle
Elle vous a cedé fa figure nouvelle;
Poffedez la ; plaifez toujours ;
"'"
On la refpecte , on l'admire fous l'autre ,
Mais on l'adore , on l'aime ſous la vôtre .
MORTS
2354 MERCURE DE FRANCE.
MORTS.
Ame Jeanne Cafimire de Bethune , Palatine
Douairiere de Ruffie , mourut à Leopold le
to Avril dernier. Elle étoit fille de François Gafton
, Marquis de Bethune , Comte de Selles , & c.
Chevalier des Ordres du Roi , Lieutenant Général
de fes Armées , & fon Ambaffadeur Extraordinaire
en Pologne , auprès du Roi Jean Sobieski ,
fon Beau frere , & enfuite en Suede , où il eft mort
en 1692 , & de Dame Marie- Louiſe de la Grange
d'Arquien , fille de Henri de la Grange , Marquis
d'Arquien , mort Chevalier des Ordres du Roi , &
Cardinal ; & foeur de Marie Cafimire , Reine de
Pologne , Epoufe de Jean Sobieski .
9.
Jeanne- Cafimire de Bethune , qui donne lieu à
cet article , avoit époulé Jean Jablonoufki Pala
in de Ruffie , dont elle a eu plufieurs Enfans.
1 Stanislas , Palatin de Rava . 2. Jean- Cajetan
Starefte de Czchrin . 3 ° . Démétrius , Starofte de
Swick. 4°. Marie Louife , mariée à Charles Frederic
de la Trimouille , Duc de Châtelleraut , aujour
d'hui Prince de Talmond. 5° . Catherine , mariée
au Duc Maximilien Offolinſki , Chevalier de l'Ordre
du S. Efprit , Grand-Maitre de la Maiſon du Roi
de Pologne , Duc de Lorraine , Staniflas I , & cidevant
Grand-Tréforier de la Couronne de Pologne.
. Louife , Religieufe du S. Sacrement à Leopold.
La Palatine de Ruffie , par fon Mariage avec
Je Comte Jablonouſki , étoit devenuë tante maternelle
du Roi de Pologne Stanillas I , qui eft fils de
la foeur de fon Mari , & ainfi grande Tante de Magic
Leczinſka , Reine de France.
Elle
OCTOBRE. 1744. 2355
Elle avoit pour Freres , 1 °. Louis , Marquis de
Bethune , Meftre de Camp de Cavalerie , tué à la
Bataille d'Hock&tet , en 1704.
2°. Louis-Marie - Victoire , Comte de Bethune
Maréchal des Camps & Armées du Roi , Grand
Chambellan du Roi de Pologne , Duc de Lorraine
Il a été marié 2 fois. La premiere , avec Henriette
d'Harcourt de Beuvron , fille de François , Marquis de
Beuvron , Chevalier des Ordres du Roi , & foeur du
Maréchal d'Harcourt . De plufieurs Enfans fortis de
ce Mariage , il ne refte aujourd'hui que Marie - Ca
fimire-Thérefe Geneviève - Emmanuelle de Bethune
, laquelle avoit épousé en premieres Nôces Fran
çois Rouxel de Medavi, Marquis de Grancey , Lieutenant
Général des Armées du Roi, Gouverneur de
Dunquerque , frere du Maréchal de Medavi , &
à préfent époufe de Louis Augufte Fouquet , Comte
de Bellifle , Duc de Gifors , Maréchal de France
Chevalier des Ordres du Roi & de la Toifon d'Or
Prince de l'Empire , & Gouverneur de Metz , Com
mandant dans les trois Evêchés , & Lieutenant Gés
néral de la Province de Lorraine.
Le Comte de Bethune avoit encore eu
fon premier Mariage , Céfar , Marquis de Bethune,
more fur le Rhin en 1736 , à la tête d'un Régiment
de Cavalerie de fon nom .
Il a époufé en fecondes Nôces Marie-Françoife
Potier de Gêvres , fille de Bernard - François Potier ,
Duc de Trelmes , Pair de France , Chevalier des
Ordres du Roi , Gouverneur de Paris , de laquelle
il a eu , 1. Armand- Louis- François , tué fur un
Vaiffeau du Roi , attaqué par une Efcadre Angloife
en 1741 , 2. Joachim- Cafimir-Leon , Marquis de
Bethune , Comte des Bordes , actuellement Capitaine
de Cavalerie dans le Régiment Royal Pologne.
3. Marie-Eleonore-Augufte , non encore mariée.
Le
1356 MERCURE DE FRANCE.
Le Comte de Bethune , comme il a été obfervé au
Commencement de ce Mémoire , eft neveu de la
feue Reine de Pologne , Epoufe de Jean Sobieski.
Du Mariage de cette Princefle avec le Roi Jean
Sobieski , font nés le Prince Jacques , le Prince
Conftantin , le Prince Alexandre , & la Princeffe
Thérefe-Cunegonde- Cafimire Sobieſka .
Le Prince Jacques époufa Elizabeth Amelie de Ba→
viere-Neubourg , foeur de l'Impératrice , Epoufe de
P'Empereur Léopold I , de la Reine d'Efpagne , veuve
de Charles II , de la Reine de Portugal , de la
Ducheffe de Parme , des Electeurs Palatin & de
Tréves , & de l'Evêque d'Aufbourg.
Le Prince Jacques a eu de fon Mariage , 1º. Marie-
Charlotte Sobiefka , Epoufe du Duc de Bouillon,
Grand-Chambellan de France . Après la mort , le
Comte de Bethune , comme fon plus proche parent,
⚫s'eft chargé de la tutelle de fes Enfans . Marie- Clémentine
,feconde fille du Prince Jacques , a épousé
Jacques Stuart , fils de Jacques II , Roi d'Angleterre
, connû fous le nom de Chevalier de S. George,
& a laiffé pour Enfans les deux Princes , appellés à
Rome le Prince de Galles , & le Duc d'York.
Le Prince Conftantin & le Prince Alexandre ,
font morts fans pofterité .
La Princeffe, leur foeur, époufa le feu Electeur de
Baviere . De leur Mariage font nés l'Empereur Charles
VII , actuellement regnant , l'Electeur de Cologne
, & l'Evêque de Ratisbonne & de Liége Par
le détail qu'on vient de faire , on voit que le Com
te de Bethune a l'honneur d'être Oncle , à la mode
de Bretagne , de l'Empereur & des Princes fes Freres
, & grand Oncle des Princes Stuart, & que la
Palatine de Ruffie , fa foeur , partageoit avec lui les
mêmes Alliances.
Antoine
OCTOBRE, 1744 2357
Antoine de la Roque , ancien Gendarme de la Gar
de ordinaire du Roi , Chevalier de l'Ordre Militaire
de S. Louis , de l'Académie Royale des Belles-
Lettres de Marſeille , mourut à Paris le trois Octobre
, dans la 72 année de fon âge . Il étoit Auteur
du Mercure de France , dédié au Roi , depuis l'année
1721. Il en a donné en tout , jufques & compris celui
du mois d'Octobre 1744 , fans aucune interruption
, 321 Volumes , avec la fatisfaction de la Cou
& du Public.
TABLE.
IECES FUGITIVES. Ode fur la Maladie
P
du
Roi,
2147
Mémoire pour fervir à l'Hiftoire de la Ville d'Arras,
Epitre à Uranie , pour le jour de Fête ,
2152
2190
Differtation de M. du Marfais, où l'on examine s'il
faut écrire Français au lieu de François ,
La Puiſſance de l'Amour , Cantate" ,
2194
2215
Explication d'un Tableau Epithalame , dédié à
Mad . la Ducheffe de Chartres 2218
Vers fur le rétabliffement de la fanté du Roi , 2220
Lettre écrite par M. D. L. R. fur quelques ſujets de
Littérature , 2222
Bouquet à M. T. *** . pour le jour de fa Fête ,
2236
Explication d'une Pierre antique , & c. 2237
Mots des Enigmes de Juillet & d'Août , 2239
Enigme & Logogryphe , 2240
NOUVELLES LITTERAIRES , DES BEAUX -ARTS
Explanatio in Septem Pfalmos ,
2242
Regles nouvelles de la Mufique , 2243
Recueil
2340 MERCURE DE FRANCE :
avec ſes Dames du Palais & avec celles qui font attachées
en cette qualité à la Reine de Pologne.
Le premier de ce mois , pendant la Meſſe que le
Roi entendit dans la Chapelle du Château , on
chanta le Te Deum en actions de graces de la guérifon
de S. M. laquelle dîna ce jour- là avec la Rei
ne , le Roi de Pologne , & les Dames du Palais des
deux Reines.
La Reine de Pologne étant indifpoſée , le Roi
paffa au fortir de table dans l'appartement de cette
Princeffe .
Il monta à cheval à cinq heures , & il alla fe
promener à une petite Maifon du Roi de Pologne ,
appellée Jolivet , & la principale de plufieurs Maifons
conftruites le long du Canal , dont les environs
, qui n'étoient autrefois qu'un Marais impraticable
, font devenus de très -agréables Jardins.
Le Roi partit de Luneville le 2 au matin , &
après avoir fait près de Chanheux la revûë de la
Gendarmerie , il dîna dans cette Maiſon , d'où il
partit à midi & demi , pour aller coucher à Saarburg.
Pendant le féjour du Roi à Luneville , le Roi de
Pologne n'a rien oublié, pour que la reception qu'il
a faite à leurs Majeftés , pût leur procurer une fatisfaction
égale à l'extrême joye que lui caufoit leur
préfence à la Cour.
Toutes les perfonnes , qui ont été chargées de
l'exécution des ordres du Roi de Pologue , ont répondu
à fes intentions avec le plus grand zéle , &
il a paru que le Roi a été auffi fenfible au plaifir de
fe voir à Luneville , que leurs Majeftés Polonoifes
l'étoient à celui d'y recevoir S. M. Le Roi & la
Reine ont été fervis par les Grands Officiers , & par
Les autres principales perfonnes de la Cour du Roi
de la Reine de Pologne,
La
OCTOBRE. 1744. 2347
La Reine devoit paffer encore quelques jours à
Luneville , & partir enfuite , pour retourner à Verfailles.
Le Roi de Pologne nomma le premier de ce mois
le Maréchal de Belle- Ife Lieutenant Général au
Gouvernement de la Lorraine.
Le 2 de ce mois , le Roi coucha à Saarburg ; il
arriva le lendemain à Saverne , & il y féjourna le 4.
S. M. n'a point paru fatiguée de ce voyage , & elle
Te portoit auffi bien qu'on pût le defirer.
Le Roi a donné le Gouvernement de Bethune au
Comte de Laval , Lieutenant Général des armées
de S. M. lequel avoit celui de Philippeville.
le
On a reçû avis que l'armée de l'Empereur étoit
25 du mois dernier à Nortlingue , & que le Maréchal
de Seckendorf avoit fait avancer plufieurs
Détachemens du côté de Mertzingen .
La Ville de Rouen , par l'éclat des réjouiffances
qui s'y font faites à l'occafion de la Convalescence
du Roi , a foûtenu dignement l'honneur qu'elle a
d'être Capitale d'une des plus riches Provinces du
Royaume. Le Parlement , ainfi que les autres Com-
.pagnies , a donné en particulier des marques de fon
zéle , & a joint aux témoignages publics de fa joye
la délivrance de plufieurs prifonniers , détenus pour
dettes , qu'il a acquittées.
Le jour auquel on chanta le Te Deum dans l'Eglife
Métropolitaine , toutes les maifons de la Ville
furent illuminées , & l'on fit couler des Fontaines
de Vin en plufieurs endroits , particulierement à
l'Archevêché , à l'Hôtel de- Ville , & chés le Préfident
de la Londe , qui préfide à la Chambre des
Vacations . Ce Préfident donna un fouper fplendide
I iij
1342 MERCURE DE FRANCE.
àtoutes les perfonnes de diftinction de la Ville , &
Fillumination de fon Hôtel , qui étoit éclairé d'un
grand nombre de Luftres , de Flambeaux , de Pots
a feu & de Lampions , fournit un fpectacle que tout
le monde vit avec autant de plaifir que d'empreffement.
Quelques jours auparavant , M. de la Bourdonbaye
, Intendant , avoit fait chanter dans l'Eglife
des Jefuites le Te Deum , après lequel il avoit donné
ane Fête des plus magnifiques , accompagnée d'une
très belle illumination & d'un feu d'artifice.
!
Le 27 du mois dernier , l'Abbaye de S. Olen
manqua auffi d'une façon diftinguée la part qu'elle
prenoit à la joye publique. L'Eglife de cette Abbaye
, l'une des plus belles Eglifes de France , étoit
éclairée par deux rangs de lumieres des deux côtés
de la Nef, par des Luftres dans chacune des Arcades
qui féparent les Piliers , & par des Girandoles.
attachées aux Piliers avec des agrafes de glaces . La
beauté de l'illumination du Choeur & de celle de
1'Orgue furpaffoit encore celle de la Nef. Après le
Te Deum , pendant lequel il y eut plufieurs Salves
de canon les quatre Chantres , précédés de la
Compagnie , nommée la Cinquantaine , allerent allumer
le feu qui avoit été préparé dans la Place , &
qui repréfentoit quatre Baftions, terminés chacun
par un If de lumiere . On tira enfuite du haut de la
façade de l'Eglife un grand nombre de fufées.
>
Le 27 du même mois , les Rénédictins de l'Abbaye
de Rebetz rendirent à Dieu de folemnelles actions
de graces pour le rétabiiffement de la fantédu
Roi , en chantant dans leur Eglife le Te Deum ,
pendant lequel une partie de la Bourgeoific de la
Ville fut fous les armes Il y eut enfuite une table
magnifiquement fervie dans la Maifon Abbatialepour
OC TOBRE. 1744.
2343
pour le Maire , les Echevins & les principaux Bourgeois.
Le foir , on tira un très beau feu d'artifice
dans la grande Place , où l'on avoit élevé un Arc de
Triomphe de 45 pieds de haut fur 25 de large , orné
de Feftons & de Guirlandes .
Cette Fête , qui a été accompagnée de plufieurs
Salves d'artillerie , a été ordonnée par l'Abbé de
Ceilles de Fleury , de concert avec les Religieux de
l'Abbaye.
L'Evêque & la Ville d'Angoulême ont fignalé
auffi leur zéle , & dès qu'on y fut affûré que le Roi
étoit hors de danger , on chanta dans l'Eglife Cathédrale
, au bruit de la moufqueterie de 1800 hommes
de la Bourgeoifie , qui étoient fous les armes
le Te Deum , auquel le Préfidial affifta , ainfi que le
Corps de Ville. On illumina le foir toutes les rues ,
& les illuminations du Palais Epifcopal , de l'Hôtelde-
Ville , & de la maiſon du Maire , furent généra
lement admirées. Toutes les perfonnes de confidération
furent invitées à fouper chés l'Evêque , qui
fit fervir cinq tables avec autant de profufion que
de délicateffe , & par l'ordre duquel on diftribua
pendant le repas beaucoup d'argent au Peuple avec
une grande quantité de Vin & de Vivres de toute
efpéce .
Le Maire , dans la rue où il loge , avoit fait dreffer
plufieurs tables , où l'on donnoit à boire & à
manger à tous ceux qui fe préfentoient , & divers
particuliers en uferent de même en quelques endroits
de la Ville.
Afin que la nouvelle de la guérifon du Roi fur
plûtôt répandue dans la Campagne , d'où les Payfans
, en pleurs , accouroient chaque jour , pour
fçavoir ce qu'on avoit appris de l'état de S. M. l'Evêque
fit illuminer le haut du Clocher de la Cathé~
I iiijdrá2344
MERCURE DE FRANCE.
drale , & il annonça par ce moyen à tous les Villa.
ges voisins , que le Roi étoit rendu à leurs voeux.
Le Te Deum fut chanté le 13 pour la Convalefcence
du Roi , avec toute la folemnité poffible ,
dans l'Eglife de la Paroiffe du Château de S. Germain
en Laye , & il y eut le même jour des illuminations
dans toute la Ville .
Les Officiers du Roi , qui y réfident , affifterent
en Corps le 15 au Te Deum , qu'ils firent chanter
dans la même Eglife.
Le même jour , les Anglois , qui demeurent dans
le Château , firent chanter auffi le Te Deum dans la
Chapelle par la Mufique du Roi , & le Château fut
Wentierement illuminé .
Le Roi , dont la fanté eft parfaitement rétablie ,
partit de Strasbourg le 10 de ce mois vers les onze
heures & demie du matin S. M. arriva de bonneheure
à Selleftatt , d'où elle a dû fe rendre le lendemain
à fon Quartier devant Fribourg.
Le Baron de Walbruun , Grand Maréchal de la
Cour du Duc de Wirtemberg , & qui a été chargé
par ce Prince de faire un compliment au Roi fur le
parfait rétabl : ffement de la fanté de S M. & fur fon
heureufe arrivée en Alface , s'eft rendu à Strasbourg,
od il s'eſt acquitté de cette commiffion le 7 de ce
mois.
Le même jour , le Comte Truchfes de Wolffegg ,
Maréchal de la Cour du Margrave de Bade Baden
& qui eft arrivé à Strasbourg pour le même fujet ,
a fait de la part du Prince , fon Maître fon compliment
au Roi.
Le 9 , le Baron de Meternich , qui a été envoyé
au Roi par l'Electeur de Cologne ; le Baron d'fngelheim
,
OCTOBRE. 1744. 2345
gelheim , chargé par l'Electeur de Mayence de fe
rendre auprès de S. M. & le Baron d'Eltz , qui a
reçû le même ordre de l'Evêque dè Spire , ont félicité
le Roi au nom de leurs Maîtres.
Tous ces Miniftres ont été prefentés à S. M. dans
fa chambre par M. de Verneuil , Introducteur des
Ambaffadeurs.
Le Prince d'Ardore , Ambaffadeur du Roi des
Deux Siciles , donna le 20 du mois dernier à Metz ,
pour célébrer la Convalefcence du Roi , un trèsgrand
diner , auquel il invita les Ambaffadeurs &
les Miniftres Etrangers , ainfi que les Seigneurs &
les Dames de la Cour , & l'on fervit deux tables
avec beaucoup de magnificence. Le foir , la maifon
qu'il occupoit à Metz fut illuminée , & deux Fontaines
de Vin coulerent toute la nuit à côté de la
Décoration qui formoit l'illumination .
On a appris de Saverne dus de ce mois ,
que le
Roi , après avoir couché le 2 dans la Ville de Saarburg
, à la premiere barriere de laquelle il avoit été
reçû par le Marquis de Chalmazel , qui en eft Gouverneur
, en partit le lendemain vers les onze heures
du matin , & que S. M. ayant paffé par Phalfbourg
, arriva à Saverne à deux heures & demie
après midi.
Elle fut reçûe à la defcente de fon caroffe par le
Cardinal de Rohan , accompagné du Coadjuteur
de Strasbourg & du Prince de Soubize , qui avoit
eû la permiffion de fe rendre en cette Ville , en cas
que fon fervice ne demandât pas fa préfence au fiége
de Fribourg , pendant le féjour que le Roi devoit
faire à Saverne . S. M. traverfa le Veftibule au
milieu des acclamations des habitans de Saverne
qui le rempliffoient , & elle monta dans le grand
· Iv
ap .
2346 MERCURE DE FRANCE.
appartement , dont la magnificence répond parfai
tement à la beauté du Château & des Jardins . Au
Commencement de la nuit , il y eut une illumination:
dans les Jardins , depuis la terraffe qui régne le
long de la façade du Bâtiment dans le Parterre , &
autour de la Piéce d'Eau , par laquelle le Canal eft
précédé , & cette illumination , qui formoir un des.
plus beaux fpectacles , & qui parut faire beaucoup
de plaifir au Roi , s'étendoit jufqu'à la premiere-
Calcade du Canal.
Après le fouper de S. M. pendant lequel comme
pendant tout le féjour qu'elle a fait à Saverne , elle
à été fervie par le Cardinal de Rohan , par le Coadjuteur
de Strasbourg ou par le Prince de Soubize ,
les beigneurs , les Dames & les autres perfonnes
qui accompagnoient le Roi , furent traités fplendidement
à plufieurs tables preparées pour cet effet .
Le Cardinal de Rohan s'eft toujours tellement:
diftingué par l'éclat avec lequel il a foûtenu ſa naiffance
& fon rang , que les éloges qu'on pourroit
donner à la dépenfe faite par ce Cardinal dans l'occafion
la plus glorieufe qu'il ait euë de montrer fa
magnificence , feroient au- deffous de l'idée que
s'en formera le Public.
S. M. après avoir entendu la Meffe qui fut dite
par le Coadjuteur de Strasbourg , continua le cinq,
au matin fa route , pour le rendre à Strasbourg ,
après avoir marqué combien elle étoit contente de
la reception qui lui a été faite dans ce Château .
On mande de Strasbourg du 6 de ce mois , que
la vivacité de la joye que les habitans de cette Villeent
reffentie , en apprenant la nouvelle de la guérifon
du Roi , ne peut être comparée qu'à la vivacité
des allarmes que leur avoit caufées la maladie de S.
M. & que tous fe font empreffés également de don .
Ber des marques éclatantes de leurs fentimens.
Le
OCTOBRE. 1744.' 2347
Le Marquis de la Farre , qui commande à Strafbourg
en l'absence du Maréchal de Coigny , a fi
gnalé fon zéle en cette occafion , ainfi que le
Coadjuteur , M. de Vanolles , Intendant d'Alface ,
le Préteur Royal & les Magiftrats. L'allegreffe publique
n'a plus eu de bornes , dès qu'on a été informé
, que le Roi vouloit bien honorer cette Ville
de fa préfence. Jamais peuple n'a montré plus d'ar
deur & d'impatience que celui de Strasbourg de
voir fon Souverin , & l'on s'eft préparé , autant
que le tems a pû le permettre , à recevoir S. M.
avec toute la pompe qu'exigeoit un pareil événement.
Les , jour de l'arrivée du Roi , qui en fe rendant
à Strasbourg de Saverne , trouva le chemin
bordé des Payfans de tous les Villages circonvoifins
, M. de Klinglin , Préteur Royal , à la tête des
troupes Bourgeoifes, au nombre de 1200 hommes ,
fortit de la Ville , pour aller au- devant de S. M.
Ces troupes , compofées d'Infanterie & de Cavale- *
rie , étoient divifées en huit Corps.
de
"
Le premier étoit un Efcadron de Huffards , dont
les Officiers avoient des habits de velours cramoifi
garnis de galons & de franges d'argent , le manteau
de velours bleu , aufli galonné d'argent , & doublé
peaux de Martre. Les habits du refte de la troupe
étoient d'écarlate avec des garnitures & des boutons
d'argent. Il y avoit quatre autres Escadrons
dont l'un étoit en uniforme écarlate & or ; le fecond
écarlate & argent ; le troifiéme bleu & argent
; le quatriéme gris & argent , les Officiers
ayant les habits chamarrés fur toutes les tailles.
ג י
L'Infanterie confiftoit en trois Bataillons ; l'un
dont l'uniforme étoit bleu: avec boutonnieres d'or
& boutons de cuivre doré , l'autre écarlate avec
femblables boutons & boutonnieres ; le troifiéme
gris & argent.
Lvi Char
2348 MERCURE DE FRANCE.
Chaque Bataillon avoit une Compagnie de Grenadiers
, dont les bonnets , ornés de galon & de
broderie , & terminés par de riches glands , étoient
garnis de peaux d'Ours . Les Grenadiers du Bataillon
vêtu de gris , portoient des tabliers bordés de
galons & de franges d'argent , la hache haute , &
le moufquet en bandouillere . Les habits des Offi .
ciers de l'Infanterie n'étoient pas moins magnifiques
que ceux de la Cavalerie.
M. de Klinglin conduifit toutes ces troupes à l'extrémité
du Territoire de la Ville , où il avoit fait
dreffer des Tentes. Il les rangea en bataille fur une
ligne à deux de hauteur à la droite du chemin ,
venant de Saverne , les Huffards en avant , enfuite
les deux Corps de Cavalerie rouge , les trois Bataillons
dans le centre , & les deux autres Corps de Cavalerie
terminant la pofition. A la fuite des troupes
jufques à la porte de la Ville , les Magiftrats avoient
fait placer fur les deux bords de la chauffée le refte
des Bourgeois des vingt Tribus , lefquels étoient
avec leurs manteaux de cérémonie.
Lorfque le caroffe du Roi parut , les Timbales ,
Trompettes , Hautbois , Cors de Chaffe , & autres
Inftrumens , qui étoient à la tête de chaque Compagnie
, fe firent eatendre ; on fonna toutes les cloches
de la Ville , & tout retentit des acclamations
redoublés de Vive le Roi. La Cavalerie mit le Sabre
à la main , & tous les Officiers firent , ainfi que le
Préteur Royal , le falut de l'épée , quand S. M.
paffa devant leurs p ftes.
Le Roi étant arrivé à la porte de la Ville ', le Baron
de Trelans , Lieutenant de Roi , accompagné
des Officiersde l'Etat Major , préfenta trois clefs de
la Ville , chacune de vermeil , à S M. Le Corps de
Magiftrat s'approcha enfuite de la portiere , & eut
P'honneur de haranguer le Roi , qui entra après ces
cé-
:
OCTOBRE. 1744.
2349
cérémonies dans la Ville , où il trouva un Arc de
Triomphe de 60 pieds de hauteur , à trois Porti
ques,au hautduquel étoit une Statue Equeftre de S.
M. & qui étoit orné d'Emblêmes & de Figures. Cet
Arc de Triomphe étoit gardé du côté du Fauxcourg
par cent jeunes gens , depuis l'âge de 12 jufqu'à celui
de 18 ans , habillés comme les Cent Suiffes de la
Garde de S. M. ayant à leur tête leurs . Officiers ,
dont les habits étoient bleus & richement galonnés
d'or.
De l'autre côté du même Arc de Triomphe ,
étoient 18 Bergeres & autant de Bergers , vêtus de
taffetas blanc avec des découpures de même étoffe ,
ornées de Rubans & de Guirlandes de Fleurs , les
cheveux bouclés & pendans , les houlettes peintes
& doiées. Les Bergeres tenoient desPaniers couverts
d'étoffe de foye couleur de rofe , & remplis de-
Fleurs , qu'elles jetterent fur le paffage du Roi . On
avoit placé de diftance en diftance , des Compagnies
de jeunes filles en habits à l'Allemande , &
dont chacune étoit menée par un jeune homme.
Toutes les rues étoient fablées , jonchées de verdu
re , & tendues de Tapifferies de haute- liffe.
Le Roi defcendit de caroffe à la porte de l'Eglife
Cathédrale , & S M. y fut reçûë par le Cardinal de
Rohan , lequel étoit revêtu de fes habits pontificaux
, & accompagné du Coadjuteur & du fuffra
gant de Strasbourg , en Châpes & en Mîtres , &
d'un nombreux Clergé enChâ es . S. M. s'étant mife
à genoux fur un carreau qui lui fut préfenté par le
Prince Camille de Montauban , Chanoine de la Cathédrale
, le Cardinal de Rohan lui donna la Croix
à baifer , & lui fit un compliment , auffi noble que
touchant. Enfuite le Roi entra dans le Choeur , ou
il tut conduit par le Coadjuteur , le Cardinal de Ro
han ayant quitté les habits pontificaux , pour aller
pren350
MERCURE DE FRANCE.
prendre auprès du Roi fa place de Grand Aumônier
de France.

Au fortir de l'Eglife Cathédrale , S. M. alla au
Palais Epifcopal , que le Cardinal de Rohan a fait
bâtir depuis quelques années , & qui eft auffi commode
que magnifique. Les troupes Bourgeoiles
Infanterie & Cavalerie, défilerent peu après en préfence
du Roi fur une Terraffe au bord de la riviere ,
au bas de l'appartement que S. M a occupé dans
ee Palais , devant lequel le Roi , en y arrivant ,
avoit retrouvé la même Compagnie de jeunes gens ,
vêtus en Cent Suiffes , qu'il avoit rencontrée près
de l'Arc de Triomphe.
Dès que le jour fut baiffé , la Tour du Clocher
de la Cathédrale , les Places publiques , & toutesles
maifons de la Ville furent illuminées , & peutêtre
n'y a-t'il eu dans le Royaume aucune Ville ·
dont l'illumination ait produit un plus grand effet.
Plufieurs Fontaines de Vin coulerent par ordre des
Magiftrats dans toutes les Places , particulierement
devant l'Hôtel - de- Ville , où l'on abandonna au
Peuple , outre une grande quantité , de vivres de
toute efpece , un Boeuf qu'on faifoit rotir depuis
trois jours , comme il fe pratique au Couronnement
des Empereurs , & qui pofé dans un baffin de bois
fculpté & doré , étoit orné de bouquets & de ru
bans.
Vers les huit heures du foir , on tira fur la tiviere
, en face du Palais où le Roi étoit logé , un feu
d'artifice , dont l'ordonnance & l'exécution ont
mérité que S. M. marquât qu'elle en étoit fingulié
rement fatisfaite . Elle a paru l'être infiniment des
efforts que non -feulement les perfonnes de diftinction
de cette Ville , mais encore les moindres habitans
, ont fait pour lui prouver combien ils étoient
fenfibles à l'honneur d'y recevoir leur Souverain.
J
CAN
OCTOBRE.
2358 1744.
CANTATILLE
Sur l'heureux retour de la Reine à Versailles.
Q
Uel éclat vient frapper nos yeux !
Mufes, raffemblez- vous; c'eft notre aimable Reine;
Un trop funefte fort lui fit quitter ces Lieux ;
Un heureux deftin l'y ramene.
Chantons ; livrons nos coeurs aux tranſports les plus
doux ;
C'eft ici qu'elle vient attendre
Le retour fortuné de ſon Auguſte Epoux ;
Malgré les ennemis , de fa Grandeur jaloux
La Victoire va nous le rendre.
Que fur la Terre & fur les flots
A fes plus chers défirs à l'envi tout réponde ;;
Le Ciel nous donna ce Héros
Pour la félicité du Monde..
Les Vers de cette Cantatille font de M. l'Abbé
Pellegrin , mife en Mufique par M. de Blamont
Sur- Intendant de la Mufique du Roi . Elle a été
exécutée à Versailles au Concert de la Reine , &
chantée par Mile Antier le 23 de ce mois . Cette
célebre Actrice , dont on a eu occafion plufieurs fois
de parler avec éloge , n'a rien perdu de l'éclat de fa
Voix , quoique retirée du Théatre. Elle a été honorée
des éloges de la Reine & de ceux de toute la
Cour.
Le
2352 MERCURE DE FRANCE.
1
Le 19 , le 21 , le 24 & le 25 Octobre , M. de
Blamont , Sur -Intendant de la Mufique du Roi en
femestre , fit concerter chés la Reine , la Pastorate
Héroïque d'Endymion , en cinq Actes , dont les principaux
rôles furent parfaitement bien remplis par
les Diles Lalande . Mathieu & Deschamps , & par
les Srs Poirier , Dubourg , Jelyot & Benoit , & dont
l'exécution ne laiffa rien à défirer.
OEUVRES DE THEATRE de M. Néricault
Deftouches , de l'Académie Françoife . Nouvelle
Edition ,,revûe,corrigée & augmentée par l'Auteur.
Cinq Volumes -12 , dont le dernier contient les
Amour, de Ragonde , Comédie- Ballet , repréſentée à
l'Opera ; plufieurs autres Ouvrages Lyriques ; neuf
Lettres écrites à des Amis , en leur envoyant des
fujets & des fragmens de Comédie , & l'Homme fingulier,
Comédie en Vers & en cinq Actes. Ce Tome
finit par l'Epitre de l'Auteur au Roi fur ſa Convalefcence
, à Paris , chés Prault , le pere , Quai de
Gévres , à l'enfeigne du Paradis , 1744.
Le mérite & réputation de l'Auteur , & le favorable
accueil qui a toujours été fait à la publication
de fes Ouvrages , tont préfumer que ce Corps
entier fera très agréablement reçû .
ALLEGORIE.
L N jour la Reine de Cithére
Se plaignant du Dieu de la Guerre ,
Applaudiffoit d'autant à fes appas :
Il fuit , dit elle ; il me néglige ;
Trop de bonté fait des ingrats ;
Effayons par quelque preftige
OCTOBRE. 1744. 2353
A châtier fes mépris ſcélérats ;
Je veux auprès de moi que fans ceffe il voltige ,
Et ne me reconnoiffe pas :
Transformons-nous ; je vais être vengée ,
Elle dit , & déja fa figure eft changée."
Ce n'eft plus ce majestueux ,
Ce beau complet , fait pour les yeux ,
Ce beau , qui n'offre rien à dire ,
Qu'après un tems , en baillant , on admires
C'eſt du piquant, de l'agaçant, du fin ,
Du gracieux , du fripon , du lutin ;
Pour l'exprimer il n'eft point de langage ;
C'eft l'amour, en un mot & tout fon appanage ;
Ce Dieu foûrit ; Mars vient enfin' :

Quel Amant'a jamais méconnu fon Amante ?
Ah ! vous n'étiez que belle, & vous voila charmante,
S'écria-t'il , tombant à fes genoux ;
Dee graces quel amas fertile !
Vous n'en aviez que trois , & vous en avez mille
Qui vont éternifer mes tranfports les plus doux.
Mars eft abfent , aimable Dangeville ;
Cet amas d'agrémens devenoit inutile
A la Déeffe des Amours ;
Contente de n'être que belle
Elle vous a cedé ſa figure nouvelle;
Poffedez la ; plaifez toujours ;
**
On la refpecte , on l'admire fous l'autre ,
Mais on l'adore , on l'aime ſous la vôtre .
MORTS
2354 MERCURE DE FRANCE,
MORTS.
Ame Jeanne Cafimire de Bethune , Palatine
Douairiere de Ruffie , mourut à Leopold le
to Avril dernier. Elle étoit fille de François Gafton
, Marquis de Bethune , Comte de Selles , & c.
Chevalier des Ordres du Roi , Lieutenant Général
de fes Armées , & fon Ambaffadeur Extraordinaire
en Pologne , auprès du Roi Jean Sobieski ,
fon Beau frere , & enfuite en Suede , où il eft mort
en 1692 , & de Dame Marie- Louife de la Grange
d'Arquien , fille de Henri de la Grange , Marquis
d'Arquien , mort Chevalier des Ordres du Roi , &
Cardinal ; & foeur de Marie Cafimire , Reine de
Pologne , Epoufe de Jean Sobiefki .
Jeanne-Cafimire de Bethune , qui donne lieu à
cet article , avoit époufé Jean Jablonoufki Pala
tin de Ruffie , dont elle a eu plufieurs Enfans.
1. Stanislas , Palatin de Rava . 2 ' . Jean- Cajetan
Star fte de Czchrin . 3 ° . Démétrius , Starofte de
Swick. 4° . Marie Louife , mariée à Charles Fredefic
de la Trimouille , Duc de Châtelleraut , aujourd'hui
Prince de Talmond . 5° . Catherine , mariée
au Duc Maximilien Offolinſki , Chevalier de l'Ordre
du S. Efprit , Grand- Maitre de la Maiſon du Roi
de Pologne , Duc de Lorraine , Staniſlas I , & cidevant
Grand-Tréforier de la Couronne de Pologne.
. Louife , Religieufe du S. Sacrement à Leopold.
La Palatine de Ruffie , par fon Mariage avec
Je Comte Jablonouſki , étoit devenue tante maternelle
du Roi de Pologne Stanillas I , qui eft fils de
la foeur de fon Mari , & ainfi grande Tante de Ma-
#ic Leczinska , Reine de France.
Elle
OCTOBRE. 1744.
2355
Elle avoit pour Freres , 1 °. Louis , Marquis de
Bethune , Mestre de Camp de Cavalerie , tué à la
Bataille d'Hock&tet , en 1704.
2º. Louis-Marie- Victoire , Comte de Bethune
Maréchal des Camps & Armées du Roi , Grand
Chambellan du Roi de Pologne , Duc de Lorraine
Il a été marié 2 fois. La premiere , avec Henriette
d'Harcourt de Beuvron , fille de François ,Marquis de
Beuvron , Chevalier des Ordres du Roi , & foeur du
Maréchal d'Harcourt . De plufieurs Enfans fortis de
ce Mariage , il ne refte aujourd'hui que Marie- Ca
fimire-Thérefe Geneviève - Emmanuelle de Bethu →
ne , laquelle avoit épousé en premieres Nôces Fran
çois Rouxel de Medavi , Marquis de Grancey , Lieutenant
Général des Armées du Roi , Gouverneur de
Dunquerque , frere du Maréchal de Medavi , &
à préfent époufe de Louis Augufte Fouquet , Comte
de Bellifle , Duc de Gilors , Maréchal de France ,
Chevalier des Ordres du Roi & de la Toifon d'Or
Prince de l'Empire , & Gouverneur de Metz , Com
mandant dans les trois Evêchés , & Lieutenant Gé
néral de la Province de Lorraine.
Le Comte de Bethune avoit encore eu de
fon premier Mariage , Céfar, Marquis de Bethune ,
more fur le Rhin en 1736 , à la tête d'un Régiment
de Cavalerie de fon nom .
Il a épousé en fecondes Nôces Marie- Françoiſe
Fotier de Gêvres , fille de Bernard - François Potier ,
Duc de Trelmes , Pair de France , Chevalier des
Ordres du Roi , Gouverneur de Paris , de laquelle
Ha eu, 1. Armand- Louis-François , tué fur un
Vaiffeau du Koi,attaqué par une Efcadre Angloife
en 1741 , 20. Joachim-Cafimir- Leon , Marquis de
Bethune , Comte des Bordes , actuellement Capitaine
de Cavalerie dans le Régiment Royal Pologne.
3. Marie-Eleonore-Augufte , non encore mariée..
Le
# 356 MERCURE DE FRANCE.
Le Comte de Bethune , comme il a été obſervé au
commencement de ce Mémoire , eft neveu de la
feue Reine de Pologne , Epoufe de Jean Sobiefki .
Du Mariage de cette Princefle avec le Roi Jean
Sobieski , font nés le Prince Jacques , le Prince
Conftantin , le Prince Alexandre , & la Princeffe
Thérefe-Cunegonde- Cafimire Sobiefka .
Le Prince Jacques époufa Elizabeth Amelie de Ba
viere -Neubourg , foeur de l'Impératrice , Epoufe de
P'Empereur Léopold I , de la Reine d'Espagne , veuve
de Charles II , de la Reine de Portugal , de la
Ducheffe de Parme , des Electeurs Palatin & de
Tréves , & de l'Evêque d'Aufbourg.
Le Prince Jacques a eu de fon Mariage , 1º . Marie-
Charlotte Sobiefka , Epoufe du Duc de Bouillon,
Grand-Chambellan de France. Après la mort , le
Comte de Bethune , comme fon plus proche parent,
s'eft chargé de la tutelle de fes Enfans. Marie- Clémentine
,feconde fille du Prince Jacques , a épousé
Jacques Stuart , fils de Jacques II , Roi d'Angleterre
, connû fous le nom de Chevalier de S. George,
& a laiffé pour Enfans les deux Princes , appellés à
Rome le Prince de Galles , & le Duc d'York.
Le Prince Conftantin & le Prince Alexandre ,
font morts fans pofterité.
le Com-
La Princeffe, leur four , époufa le feu Electeur de
Baviere. De leur Mariage font nés l'Empereur Charles
VII , actuellement regnant , l'Electeur de Cologne
, & l'Evêque de Ratisbonne & de Liége Par
le détail qu'on vient de faire , on voit
que
te de Bethune a l'honneur d'être Oncle , à la mode
de Bretagne , de l'Empereur & des Princes fes Freres
, & grand Oncle des Princes Stuart , & que la
Palatine de Ruffie , fa foeur , partageoit avec lui les
mêmes Alliances.
Antoine
OCTOBRE, 1744 2357
Antoine de la Roque , ancien Gendarme de la Gar
de ordinaire du Roi , Chevalier de l'Ordre Militai
re de S. Louis , de l'Académie Royale des Belles-
Lettres de Marſeille , mourut à Paris le trois Octo
bre , dans la 72 année de fon âge. Il étoit Auteur
du Mercure de France , dédié au Roi , depuis l'année
1721. Il en a donné en tout , jufques & compris ce
lui du mois d'Octobre 1744 , fans aucune interruption
, 321 Volumes , avec la fatisfaction de la Coun
& du Public.
TABLE.
PIC FUGITIVES. Ode fur la Maladie
2147
du Roi ,
Mémoire pour fervir à l'Hiftoire de la Ville d'Arras,
Epitre à Uranie , pour le jour de Fête ,
2152
2190
Differtation de M. du Marfais, où l'on examine s'il
faut écrire Français au lieu de François ,
La Puiffance de l'Amour , Cantate",
2194
2215
Explication d'un Tableau Epithalame , dédié à
Mad . la Ducheffe de Chartres , 2218
Vers fur le rétabliffement de la fanté du Roi , 2220
Lettre écrite par M. D. L. R. fur quelques fujets de
Littérature ,
Bouquet à M. T. *** ?, pour le jour de la Fête ,
Explication d'une Pierre antique , & c.
2222
2236
2237
Mots des Enigmes de Juillet & d'Août , 2239
Enigme & Logogryphe , 2240
NOUVELLES LITTERAIRES , DES BEAUX - ARTS
Explanatio in Septem Pfalmos ,
2242
Regles nouvelles de la Mufique ,
2243
Recueil
Recueil d'Arrêts , Extrait ;
Oraifon Funebre
Catalogue de differens Ecrits ,
bid.
2253
ibida
2254
Hiftoire des Hommes Illuftres par les Médailles ,
M. Gerfaint choifi pour la vente des Cabinets de M.
Bonnier de la Moffon ,
Eftampes nouvelles ,
Nouvelles Cartes ,
Remedes ,
Chanfons notées ,
2255
2256
ibid.
2257
2258
2259
Spectacles , la Difpute , nouvelle Piéce , repréſentée
fur le Théatre François ,
2260
Coraline Arlequin & Arlequin Coraline , nouvelle
Piéce , jouée fur le Théatre de l'Hôtel de Bourgogne
,
Clôture de l'Opera Comique , & Compliment, ibid.
France , Nouvelles de la Cour , de Paris , & c. 2:63
Fête donnée par M. l'Abbé de la Fare , 2268
Feu d'artifice tiré à l'Hôtel de Ville de Paris , 2271
Mandement du Recteur de l'Univerfité ,
Lettre de M. Lépicié à M. D. L. R.
2275
2277
Les Juges & Confuls font chanter le Te Deum ,
2279
Les differentes Communautés & les Marchands de
Vin font la même choſe ,
Fête donné par l'Intendant de Tours ,
ibid.
2281
2283
Defcription de celle donnée par le Président de
Rieux ,
Fête donnée par l'Archevêque de Bourges , 2287
Te Deum chanté à Arras , 2289
Fêtes données par la Cour des Aides & Finances de
Provence ,
'Autres données par la Ville d'Aix ,
Actions de graces & Fête à Nogent le -Rotrou ,
2291
2300
2304
Fête
Fête donnée par M. de Julienne , 2307
Te Deum chanté au Collège de Navarre ; 2310
Illumination des Théatins , 2311
Celle des Artistes du Louvre , 2312
Réjouiffances publiques à Versailles , ibid.
Te Deum chanté à S. Denis , 2313
Vers fur la Convaleſcence du Roi , 2314
Vaudeville chanté par les Harangeres , fur le même
ſujet ,
2315
Fêtes données à Tours , 2319
Bénéfices donnés , 2325
Illumination & Feu d'artifice à Bercy , 2327
Les Receveurs Généraux & les Fermiers Généraux
font chanter Te Deum ,
2328
Le Roi & la Reine entendent la Meffe & le Te
Deum à Metz , 2329
Réjouiflances à S. Quentin ,
ibid
Détail du Siége de Coni , 2330
Inveftiffement de Fribourg , 2331
Détail du Siége & de la Prife de Prague par le Roi
de Pruffe , 2333
Suite du détail du Siége de Coni , 2334
La tranchée ouverte devant Fribourg , 2337
Te Deum chanté à Luneville , 2340
Réjouiffances faites à Rouen , 2341
Autres Fêtes à Angoulême , 2343
Te Deum chanté à S. Germain en Laye , 2344
Arrivée du Roi à Saverne , 2345
Arrivée de S. M. à Strasbourg , 2347
Cantatille fur l'arrivée de la Reine à Versailles ,
2351
Ouvres de Théatre de M. Deftouches , nouvelle
Edition ,
Allégorie ,
Morts ,
2352
ibid.
2354
Fautes
P
Fautes à corriger dans ce Livre.
Age 2148 , ligne 19 , étange ! lifez , étrange;
Ibid. 1. 21 , Victime , l. Victimes .
P. 2149 , 1. 17, âtex la virgule après l'ufage,
La Planche gravée doit regarder la page
La Chanfons notées , la page
2235
2258
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ
AU
ROI.
AV
NOVEMBRE . 1744.
OLUME.
PREMIER VOLUME,
LIGIT
UT
SPARGA
Chés
A
PARIS ,
GUILLAUME
ruë S, Jacques.
CAVELIER ;
La Veuve PISSOT, Quai de Conty ;
à la defcente du Pont-Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais.
M. DCC. XLIV .
Avec Approbation & Privilege du Roi,
1澶
1
EpitreDedicatoire
AU ROI
Sire
Yous nous aves accordé
lePrivilege du Mercure de
France,Quelbonheur pour nous,
dy travailler dans un tems
où VOTRE MAJESTE' prodigue à
1
tous les Ecrivains tant de qualités
éminentes à célébrer , & tant de gloireà
publier. On n'estpas obligé d'emprunter
le fecours de l'Eloquence ,
pour embellir les Annales de votre
vie. SIRE , le plus fimple récit de
vos Actions paffera dans la Poſtérité
pour un Panégyrique , & vos Hiftoriens
lui paroîtront des Plines. Cependant
la vérité dit de vous ce
qu'ont dit des Monarques les plus
flatés la Fable menfongere& laplus
fervile adulation. Lorsqu'on vous
peint , on n'a befoin que de la fincerité
pour conduire le Pinceau , & la
bouche ne forme point de traits qui
ne foient gravés dans le coeur. Vous
offrez , SIRE , aux yeux de l'Univers
enchanté , un Phénomene unique
, un Vainqueur chéri , un Roi
le
citoyen , enfin un tendre Pere des
Peuples. Que de fentimens dignes
d'une mémoire éternelle a fait écla→
ter votre péril pendant la fubite &
violentemaladie qui nous a fait trembler
pour vos jours ! Que de Vertus
ont triomphé ! Les vôtres , SIRE ,
celles de votre Augufte Famille
celles de tout votre Peuple ! On a
vú briller avec le plus vif éclat ,
Courage Supérieur , l'Amour Conjugal
, la Tendreffe Filiale , & le
Zéle le plus Ardent . Tous les
Coeurs ont fait unanimement votre
Panégyrique , le vôtre en a fourni
Pilluftre matiere. Finiffons . Nous
ne pouvons , SIRE , que répéter en
vous loüant. Ne rougiffons pourtant
point de n'être que Plagiaires dans
cette occafion.. Les plus fertiles Orateurs
éprouveroient le même fort ; &
de plus , peut-on trop redire ce qui
vous honore davantage & ce qui établit
mieux la félicité de votre Empire
?
Nous fommes avec le plus profond
respect ,
SIRE ,
DE VOTRE MAJESTE" ,
Les très - humbles & trèsfidéles
Sujets, FUSELIER
DE LA BRUERE .
vij
PREFACE
Du Nouveau Mercure de France.
ONfera fimple dans cette Préface ; les
Editeurs d'une Collection ne doivent
pas employer les ornemens féducteurs de la
Réthorique , pour farder les Ouvrages
qu'ils raffemblent. Ils en doivent laiffer la
décifion au Public , Juge naturel des Compilateurs
& des Pieces qu'ils offrent à fon
Examen. Et de plus , un Journal ne doit
être recommandé que par fon exactitude ;
& le Mercure de France eft non feulement .
le Journal de la Politique , mais encore de
la Jurifprudence , de la Litterature , de la
Police , de la Finance & des Théatres . Ces
matieres chronologiquement rangées , doivent
compofer fon principal mérite . Quant
aux productions de Vers & de Profe qu'il
recueille , les Editeurs n'ont pas toujours à
choifir , ils font fouvent forcés de préfenter
du Médiocre quand l'Excellent leur manque.
On promet feulement au Public , de prendre
toutes les mefures imaginables pour
contenter fon goût & fon difcernement ;
on tâchera de ne louer que d'après lui .
A iiij
viij
PREFACE
.
trop
On prie inftamment les Auteurs , qui enverront
des Ouvrages où il entre de la difpute
d'érudition , de les dépouiller de toute
caufticité infultante. On ne veut pas être
complice de l'aigreur & de la malignité des
Differtateurs paflionnés , on ne fçauroit
leur redire que des injures ne font pas
des preuves , & que l'infidelité des citations
tronquées ne jette les Lecteurs que dans
des erreurs paffageres que diffipe la Réponſe
la plus fimple. Ces erreurs ne deshonorent
que les Ecrivains artificieux qui les
font naître. Les Differtateurs critiques doivent
toujours le fouvenir , qu'il s'agit dans
leurs Ecrits d'inftruire & non pas de railler.
Un Sçavant qu'on réfute n'eſt- il pas affez
puni de fes fautes quand on les lui démontre
? Est-ce par des traits fatyriques qu'on
établit ou qu'on renverfe une propofition ?
La jufteffe des raifonnemens doit régner
feule dans les Ouvrages faits pour éclaircir
des difcuffions Litteraires . Heureux l'Ecrivain
, qui ne fépare jamais les Mufes &
les Graces ! Quant au Mercure, il ſe propofe
d'obferver une exacte neutralité.
Il ne s'ingerera point d'être auxiliaire pour
l'un des deux partis. L'impartialité doit
être le premier attribut de fon caractere .
S'il panche quelquefois , ce ne fera qu'avec
le Public , feul appréciateur des réputations.
PREFACE. ix
L'article des Nouvelles Etrangeres n'eft
dédaigné que par les Nouvelliftes avides de
la fraîcheur des Nouvelles : c'eft l'affaire
des Gazettes. Le Mercure de France ne paroiffant
que tous les mois , n'eft obligé qu'à
donner des faits certains . Les Nouvelles
récentes ont leur agrément. Les Nouvelles
du Mercure ont leur utilité ; elles font deftinées
principalement aux Amateurs de la
Vérité , qui font ravis de trouver dans leur
Bibliothéque un Journal fidéle & fuivi des
Evénemens de leur Siécle. Les Nouvelles
du Mercure de France , purifiées par le tems
& l'Examen , dégagées des fauffes circonftances
que le menfonge ajoute & qu'adopte
la crédulité , regagnent par la certitude ce
qu'elles perdent par l'ancienneté. Enfin ,
elles font les Annales de la Nation . Si les
Empires renommés avoient eu de pareils
Journaux , nous aurions des Hiftoires Grecques
& Romaines plus curieufes encore que
celles d'Hérodote & de Tite- Live . Les Mercures
de Gregorio Leti , & de Vittorio Siri ,
font les matériaux les plus précieux de l'Hiftoire
des derniers Siècles.
Ce n'eft pas feulement aux Belles Lettres
que le Mercure de France doit fe confacrer.
Tous les Beaux Arts ont un droit légitime
ſur ſa Plume. Elle manqueroit à ce qu'on
attend d'elle , fi elle n'annonçoit pas aux
A v
PREFACE.
Connoiffeurs les progrès brillans de la Peinture
, de la Gravûre & de la Sculpture auffi
fidélement que ceux de l'Eloquence & de la
Poëfie. Les Tableaux , les Eftampes & les
Statues piquent le goût & la curiofité ; &
les le Brun , les Vateau , les Couftou & les
Drevet ont de judicieux Admirateurs
comme les Fenelon , les Corneilles & les
Lulli.
>
Toutes les Académies du Royaume fontinvitées
à enrichir le Mercure du Litte--
raire & de l'Hiftorique de leurs ouvertu
res , de leurs Séances , enfin de leurs travaux
fpirituels. Les occupations des Sçavans
ne fçauroient être trop publiées , l'émulation
naît de ces recits , & l'émulation
des Auteurs tourne toujours au profit des .
Lecteurs.
Les Exercices des Colléges , les Théfes:
curieufes des Facultés , peuvent à préfent:
s'offrir aux Efprits cultivés . On peut fré
quenter hardiment les Ecoles , depuis que-
Defcartes & Neuton y ont introduit la
Raifon.
Qu'on nous permette de réitérer ici quelques
Avertiffemens fouvent donnés par nos
Prédéceffeurs , & qui ne laiffent pas que
d'être quelquefois oubliés.
Les Libraires qui envoyent des Livres
nouveaux pour les notifier , font priés d'en
PREFACE.
xj
marquer le jufte prix. Le défaut de cette
connoiffance , eft fouvent un obftacle pour
le débit.
On exhorte les Ouvriers qui inventent
des modes nouvelles , de quelque efpéce
qu'elles foient , recommandables par l'Utilité
ou par l'Agrément , à nous en fournir
des Mémoires inftructifs & détaillés.
On fe fouviendra toujours d'affranchir les
Lettres , & les Paquets.
A VIS.
L'ABRUERE, à l'Hôtel de Pont-
' ADRESSE générale eft à Monfieur
chartrain . On prie très - inftamment ceux qui
nous adrefferont des Paquets par la Pofte ,
d'en affranchir le Port , pour nous épargner le
déplaifir de les rebuter , & à eux celui de ne
pas voir paroître leurs Ouvrages.
Les Libraires des . Provinces on des. Pays
Etrangers , qui fouhaiteront avoir le Mercure
de France de la premiere main , & plus promptement
, n'auront qu'à écrire à l'adreffe ci -deffus
indiquée ; on fe conformera très-exactement à
leurs intentions.
PRIX XXX . Sels .
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉD
1
DIE AU ROI.
NOVEMBRE . 1744.
AVIS A UN JOURNALISTE.
E Morceau fuivant eft l'Ouvrage
d'un Ecrivain célébre , qui qui le
compofa en 1737 , ainfi qu'il
paroît par la date . Son intention
étoit de donner des confeils à un jeune
homme qui vouloit entreprendre un Journal
. Cette Piéce fervira de feconde Préface à
notre Recueil. Nous ferons nos efforts
pour
profiter des confeils judicieux que l'Auteur
donne auJournaliste qu'ilveut inftruire,mais
lui feul feroit en état de bien fournir une
carriere auffi vafte.
2 MERCURE DE FRANCE.
AVIS à un Journaliſte , 10 Mai 1737.
L'OUVRAGE périodique auquel vous
avez deffein de travailler , Monfieur , peut
très -bien réüffir , quoiqu'il y en ait déja de
cette efpéce. Vous me demandez comment
il faut s'y prendre , pour qu'un tel Journal
plaife à notre Siécle & à la Pofterité . Je
vous répondrai en deux mots ; foyez impartial.
Vous avez la fcience & le goût , fi avec
cela vous êtes jufte , je vous prédis un fuccès
durable . Notre Nation aime tous les gen
res de Litterature , depuis les Mathématiques
jufqu'à l'Epigramme . Aucun des Journaux
ne parle communément de la partie la
plus brillante des Belles-Lettres , qui font
les piéces de Théatre , n'y de tant de jolis
Ouvrages de Poëfie , qui foutiennent tous
les jours le caractere aimable de notre Nation.
Tout peut entrer dans votre espece de
Journal , jufqu'à une Chanfon qui fera bien
faite. Rien n'eft à dédaigner. La Gréce qui
fe vante d'avoir fait naître Platon , fe glorifie
encore d'Anacréon , & Ciceron nefait
point oublier Catulle.
SUR LA PHILOSOPHIE .
Vous fçavez affés de Géométrie & de
Phyfique , pour rendre un compte exact des
Livres de ce genre , & vous avez affez d'efprit
pour en parler avec cet art qui leur ôte
NOVEMBRE . 1744.
Leurs épines fans les charger de fleurs qui ne:
leur conviennent pas .
Je vous confeillerois fur tout , quand vous
ferez des extraits de Philofophie , d'expofer
d'abord au Lecteur une efpéce d'abregé Hiftorique
des opinions qu'on propofe , ou des
vérités qu'on établit . Par exemple , s'agit- il
de l'opinion du vuide ? Dites en deux mots
comment Epicure croyoit le prouver , montrez
comment Gaffendi l'a rendu plus vrai--
femblable , expofez les degrés infinis de probabilité
que Neuton a ajoutés enfin à cette
opinion par fes raifonnemens , par fes obfervations
& par fes calculs ..
S'agit- il d'un Ouvrage fur la Nature de
l'Air ? il eft bon de montrer d'abord qu'Ariftote
& tous les Philofophes ont connu fa
péfanteur , mais non fon degré de péfanreur.
Beaucoup d'ignorans qui voudroient
au moins fçavoir l'Hiftoire des Sciences ,
les
gens. du Monde , les jeunes Etudians
verront avec avidité par quelle raiſon &
par quelles expériences , le grand Galilée
combattit le premier l'erreur d'Ariftote , au
fujet de l'Air ; avec quel art Torricelli le:
pefa , ainfi qu'on pefe un poids dans unebalance
, comment on connut fon reffort ,
comment enfin les admirables expériences
de M. Hales & de Boheraave , ont découvert
les effets de l'Air , qu'on eft prefque forcé
4 MERCURE DE FRANCE.
d'attribuer à des propriétés de la matiere ;
inconnuës jufqu'à nos jours.
Paroît-il un Livre hériffé de Calculs & de
Problèmes fur la Lumiere ? quel plaifir ne
faites- vous pas au Public de lui montrer les
foibles idées que l'éloquente & ignorante
Gréce avoit de la réfraction & ce qu'en dit
l'Arabe Alhazen , le feul Géométre de fon
tems : ce que devine Antonio de Dominis ;
ce que Deſcartes met habilement & Géométriquement
en ufage , quoiqu'en fe trompant
; ce que découvre ce Grimaldi , qui a
trop peu vécu , enfin ce que Neuton pouffe
jufqu'aux vérités les plus déliées & les plus
hardies , aufquelles l'efprit humain puiffe
atteindre , vérités qui nous font voir un
nouveau Monde , mais qui laiffent un nuage
derriere elles ?
Compofera- t'on quelque Ouvrage fur la
Gravitation des Aftres , fur cette admirable
partie des démonftrations de Neuton ? ne
vous aura-t'on pas obligation , fi vous rendez
l'Histoire de cette Gravitation des Aftres
, depuis Copernic qui l'entrevit , depuis
Repler qui ofa l'annoncer comme par
inftinct , jufqu'à Neuton qui a démontré à
la terre étonnée , qu'elle pefe fur le Soleil ,
& le Soleil fur elle ? Nommez dans l'occafion
les Inventeurs de toutes les découvertes
nouvelles ; que votre Ouvrage foit un ReNOVEMBRE.
1744 . 5
giftre fidéle de la gloire des Grands Hommes
, furtout en expofant des opinions , en
les appuyant , en les combattant , évitez les
paroles injurieufes qui irritent un Auteur &
fouvent toute une Nation , fans éclairer
perfonne. Point d'animofité , point d'ironie.
Que diriez -vous d'un Avocat Général , qui
en réfumant tout un Procès , outrageroit par
des mots piquans la Partie qu'il condamne ?
Le rolle d'un Journaliſte n'eft pas fi refpectable
, mais fon devoir eft à peu près le même.
Vous ne croyez point l'Harmonie préétablie
, faudra- t'il pour cela décrier Leibnits
?
SUR L'HISTOIRE.
Ce que les Journaliſtes aiment peut- être
le mieux à traiter , ce font les Morceaux
d'Hiftoire , c'est là ce qui eft le plus à la por
tée de tous les hommes & le plus de leur
goût. Ce n'eft pas que dans le fond on ne
foit auffi curieux pour le moins de connoître
la Nature , que de fçavoir ce qu'a fait Sefoftris
ou Bachus , mais il en coure de l'application
pour examiner : par exemple, par quelle
Machine on pourroit fournir beaucoup d'eau
à la Ville de Paris , ce qui nous importe
pourtant affés , & on n'a qu'à ouvrir les
yeux pour lire les anciens Contes , qui nous
font tranfmis fous le nom d'Hiftoire , qu'on
6 MERCURE DE FRANCE.
nous répéte tous les jours & qui ne nous
importent gueres.
:
Si vous rendez compte de l'Hiftoire ancienne
, profcrivez- , je vous en conjure ,
toutes ces déclamations contre certains Conquérans
. Laiffez Juvenal & Boileau , donner
du fond de leur Cabinet , des ridicules à
Alexandre , qu'ils euffent fatigué d'encens
s'ils euffent vêcu fous lui , qu'ils appellent
Aléxandre infenfé. Vous Philofophe impartial
, regardez dans Alexandre ce Capitaine
Général de la Gréce , femblable à peu près à
un Scanderberg , à un Huniade , chargé
comme eux de venger fon Pays , mais plus
heureux , plus grand , plus poli & plus magnifique
ne le faites ne le faites pas voir feulement
fubjuguant tout l'Empire de l'ennemi deş
Grecs & portant fes Conquêtes jufqu'à
I'Inde , où s'étendoit la domination de Darius
, mais repréfentez le donnant des Loix
au milieu de la Guerre , formant des Colonies
, établiffant le Commerce , fondant
Alexandrie & Scanderon , qui font aujour
d'hui le centre du Négoce : c'eft par là furtout
qu'il faut confiderer les Rois &
c'eft ce qu'on néglige. Quel bon Citoyen
n'aimera pas mieux qu'on l'entretienne des
Villes & des Ports que Céfar a bâris , du Calendrier
qu'il a réformé , & c.que des hommes
qu'ila fait égorger ?
"
NOVEMBRE. 1744. 7
Infpirez furtout aux jeunes gens plus de
goût pour l'Hiftoire des tems récents , qui
eft pour nous de néceffité , que pour l'ancienne
, qui n'eft que de curiofité ; qu'ils
fongent que la moderne a l'avantage d'être
plus certaine , par cela me qu'elle eſt moderne.
?
Je voudrois furtout que vous recomman
daffiez de commencer férieufement l'étude
de l'Hiftoire , au fiécle qui précede immé
diatement Charles Quint , Léon X , François
Premier. C'eft- là qu'il fe fait dans l'ef
prit humain dans notre Monde une révolu
tion qui a tout changé. Conftantinople eft
prife , & la puiffance des Tures eft établic
en Europe ; l'Amérique eft découverte &
conquife. L'Europe s'enrichit des trésors du
Nouveau Monde . Veniſe , qui faifoit tout le
commerce , perd cet avantage. Les Portugais
paffent le Cap de Bonne- Efpérance ,
établiffent le Commerce des grandes Indes
par l'Ocean. La Chine , Siam , deviennent.
des Alliés des Rois Europeans . Une nouvelle
politique , qui fait la balance de l'Europe,
éleve une barriere infurmontable à l'ambition
de la Monarchie univerfelle .
Une nouvelle Religion divife le Monde
Chrétien de créance & d'intérêt. Les Let
tres , tous les Beaux- Arts , renaiffent , brillent
en Italie , & répandent quelque foible
8 MERCURE DE FRANCE.
Aurore fur la France , l'Angleterre & l'ELpagne
; les Langages de l'Europe & les moeurs
fe poliffent. Enfin c'eft un nouveau cahos
qui fe débrouille , & d'où naît le Monde
Chrétien , tel qu'il eft aujourd'hui.
y
Le beau fiécle de Louis XIV acheve de
perfectionner ce que Léon X , tous les Médicis
, Charles Quint , François Premier
avoient commencé. Je travaille depuis longtems
à l'Hiftoire de ce dernier fiécle , qui .
doit être l'exemple des fiécles à venir ; j'effaye
de faire voir le progrès de l'efprit hu
main- & de tous les Arts , fous Louis XIV.
Puiffai-je avant que de mourir laiffer ce Monument
à la gloire de ma Nation ! J'ai bien
des matériaux pour élever cet Edifice , je ne
manque point de Mémoires fur les avantages
que le grand Colbert a procurés & vouloit
faire à la Nation & au Monde , fur la
vigilance infatigable , fur la prévoyance
d'un Miniftre de la Guerre , né pour être le
Miniftre d'un Conquérant , fur des révolutions
arrivées dans l'Europe , fur la vie privée
de Louis XIV , qui a été dans ſon Domeftique
, l'exemple des hommes , comme
il a été celui des Rois. J'ofe parler des fautes
inféparables de l'humanité , parce qu'elles
font valoir les vertus, & j'applique à ***
ce beau mot de Henri IV, qui difoit à l'Ambaffadeur
de Don Pedre : quoi donc , votre
NOVEMBRE . 1744.
Maître n'a-t'il pas affés de vertu pour avoir
des défauts mais j'ai bien peur de n'avoir
ni le tems ni la force de conduire à fa fin ce
grand Ouvrage.
que fi Je vous prierai de bien faire fentir
nos Hiftoires modernes écrites
> par des
Contemporains , font plus certaines & plus
générales que toutes les Hiftoires anciennes,
elles font quelquefois plus douteufes dans
les détails. Je m'explique , les hommes different
entre eux d'état, de parti , de Religion ;
le Guerrier , le Magiftrat , le ** , le ***
ne voyent point les mêmes faits avec les
mêmes yeux , c'eft le vice de tous les tems,
Un Carthaginois n'eût point écrit les guerres
Puniques dans l'efprit d'un Romain , &
il eût reproché à Rome la mauvaiſe foi dont
Rome accufoit Carthage . Nous n'avons gueres
d'Hiftoriens anciens qui ayent écrit les
un scontre les autres fur le mêmeEvénement ,
ils auroient répandu le Scepticiſme fur des
chofes que nous prenons aujourd'hui pour
inconteftables , quelque peu vrai -femblables
qu'elles foient , & que nous refpectons pour
deux raifons , parce qu'elles font anciennes,
& parce qu'elles n'ont pas été contredites .
Nous autres Hiftoriens Contemporains
nous fommes dans un cas bien different ; il
nous arrive ſouvent la même chose qu'aux
Puiffances qui font en guerre. Chaque Parti
10 MERCURE DE FRANCE.
chante victoire , chacun a raiſon de ſon côté.
Voyez que de contradictions fur Marie
Stuard, fur les Guerres Civiles d'Angleterre ,
fur les Troubles de Hongrie , fur l'établiffement
de la Religion Proteftante ; fur le
Concile de Trente. Que dis-je ? La même
Nation au bout de vingt ans , n'a plus les
mêmes idées qu'elle avoit fur le même Evenement
& fur la même perfonne. J'en ai été
témoin au fujet du feu Roi Louis XIV ; mais
quelles contradictions n'aurai-je pas a ef
fuyer fur l'Hiftoire de Charles XII ? J'ai
écrit fa Vie finguliere fur les Mémoires de
M.de Fabrice, qui a été huit ans fon Favori ;
fur les Lettres de M. de Fierville , Envoyé
de France auprès de lui ; fur celles de M. de
Villelongue , long-tems Colonel à fon fervice
; fur celles de M. de Poniatousky. J'ai
confulté M. de Croiffy , Ambaffadeur de
France auprès de ce Prince , & j'apprends
à préfent que M. Norberg , Chapelain de
Charles XII , écrit une Hiftoire de fon Re
gne;je fuis sûr que leChapelain aura fouvent
vû les mêmes chofes avec d'autres yeux que
le Favori , & l'Ambaffadeur. Quel parti
prendre en ce cas ? celui de me corriger fur
le champ dans les chofes où ce nouvel Hif
torien aura évidemment raiſon , & de laif
fer les autres au jugement des Lecteurs défintéreffes.
Que fuis-je en tout cela ? Je ne
NOVEMBRE. 1744. II
fuis qu'un Peintre , qui cherche à repréſenter
d'un pinceau foible , mais vrai , les hom
mes tels qu'ils ont été. Tout m'eft indifferent
de Charles XII & de Pierre-le- Grand,
excepté le bien que ce dernier a pû faire aux
hommes , je n'ai aucun fujet de les flater ni
d'en médire ; je les traiterai avec le reſpect
qu'on doit aux Têtes couronnées, qui viennent
de mourir , & avec le refpect qu'on
doir à la vérité , qui ne mourra jamais,
SUR LA COMEDIE.
Venons aux Belles- Lettres , qui feront un
des principaux articles de votre Journal ;
vous comptez parler beaucoup des Piéces de
Théatre ; ce Projet eft d'autant plus raifonnable
, que le Théatre eft plus épuré parmi
nous , & qu'il eft devenu une Ecole de
moeurs.
Vous vous garderez bien , fans doute , de
faivre l'exemple de quelques Ecrivains, qui
cherchent à rabaiffer tous leurs Contemporains
, & à décourager les Arts , dont un
bon Journaliſte doit être le foûtien . Il eft
jufte de donner la préférence à Moliere , fur
les Comiques de tous les tems & de tous
les Pays, mais ne donnez point d'excluſion ;
imitez les fages Italiens , qui placent Ra
phaël au premier rang , mais qui admireng
12 MERCURE DE FRANCE.
les Paul Veroneſe , les Carache , les Correge
, les Dominiquin , & c.
Moliere eft le premier , mais il feroit injufte
& ridicule de ne pas mettre le Joueur
à côté de fes meilleures Piéces. Refufer
fon eftime aux Menechmes , ne pas s'amufer
beaucoup au Légataire univerfel, feroit d'un
homme fans juſtice & fas goût , & qui ne
fe plaît pas à Renard , n'eft pas digne d'admirer
Moliere .
Ofez avouer avec courage, que beaucoup
de nos petites Piéces , comme le Grondeur ,
le Galant Jardinier , la Pupille , le double
Veuvage , l'Esprit de contradiction , la Coquette
de Village , le Florentin , & c. font
au-deffus de la plupart des petites Piéces de
Moliere. Je dis au- deffus pour la fineffe des
Caractéres , pour l'efprit dont la plûpart
font affaifonnées , & même pour la bonne
plaifanterie.
Je ne prétends point ici entrer dans le
détail de tant de Piéces nouvelles , ni déplaire
à beaucoup de monde par des loiianges
données à peu d'Ecrivains, qui peut-être
n'en feroient pas fatisfaits ; mais je dirai hardiment
que quand on donnera des Ouvrages
pleins de moeurs , & où l'on trouve de
l'intérêt, comme le Préjugé à la mode, quand
les François feront affés heureux , pour qu'on
leur donne une Piéce telle que le Glorieux ,
gardezNOVEMBRE.
1744. 13
gardez -vous bien de vouloir rabaiffer leur
fuccès , fous prétexte que ce ne font pas des
Comédies dans le goût de Moliere ; évitez
ce malheureux entêtement , qui ne prend fa
fource que dans l'envie ; ne cherchez point
à profcrire les Scénes attendriffantes , qui fe
trouvent dans ces Ouvrages , car lorfqu'une
Comédie , outre le mérite qui lui eft propre
, a encore celui d'intéreffer , il faut
être de bien mauvaiſe humeur , pour ſe fâcher
qu'on donne au Public un plaifir de
plus.
J'ofe dire que fi les Piéces excellentes de
Moliere étoient un peu plus intéreffantes , on
veroit plus de monde à leurs repréfentations.
Le Milantrope feroit aufli fuivi qu'il eft eftimé;
il ne faut pas que la Comédie dégénére
en Tragédie Bourgeoife. L'Art d'étendre fes
limites fans les confondre avec celles de la
Tragédie , eft un grand Art qu'il feroit beau
d'encourager, & honteux de vouloir détruire
; c'en eft un que fçavoir bien rendre
compte, d'une Piéce de Théatre. J'ai tou
jours reconnu l'efprit des jeunes gens , au
détail qu'ils faifoient d'une Piéce nouvelle
qu'ils venoient d'entendre, & j'ai remarqué
que tous ceux qui s'en acquittoient le mieux ,
ont été ceux qui depuis ont acquis le plus
de réputation dans leurs Emplois , tant il eft
vrai qu'au fond l'efprit des affaires & le
1. Vol. B
14 MERCURE DE FRANCE.
véritable eſprit des Belles- Lettres font les
mêmes.
Expofer en termes clairs & élégants un
fujet , qui quelquefois eft embroüillé , &
fans s'attacher à la divifion des Actes, éclaircir
l'intrigue & le dénouement , les raconzer
comme une Hiftoire intéreffante , peindre
d'un trait les Caractéres , dire enfuite ce
qui a paru plus ou moins vrai -femblable ,
bien ou mal préparé, retenir les Vers les plus
heureux , bien faifir le mérite ou le vice général
du ftyle , c'est ce que j'ai vû faire
quelquefois , mais ce qui eft fort rare chés
les Gens de Lettres même , qui s'en font
une étude , car il eft plus facile à certains ef
prits de fuivre leurs propres idées , que de
rendre compte de celles des autres.
DE LA TRAGEDIE .
Je dirai à peu près de la Tragédie , ce que
j'ai dit de la Comédie . Vous fçavez quel
honneur ce bel Art a fait à la France , Art
d'autant plus difficile & d'autant plus audeffus
de la Comédie , qu'il faut être vraiment
Poëte pour faire une belle Tragédie ,
au lieu que la Comédie demande feulement
quelque talent pour les Vers.
Vous , Monfieur , qui entendez fi bien
Sophocle & Euripide , ne cherchez point
NOVEMBRE. 1744. Is
une vaine récompenfe du travail qu'il vous
en a coûté pour les entendre , dans le malheureux
plaifir de les préferer contre votre
fentiment à nos grands Auteurs François.
Souvenez-vous que quand je vous ai défié
de me montrer dans les Tragiques de l'Antiquité
, des morceaux comparables à certains
traits des Piéces de P. Corneille , je
dis de fes moins bonnes , vous avoiâtes
que c'étoit une chofe impoffible. Ces traits ,
dont je parle , étoient , par exemple , ces
Vers de la Tragédie de Nicomede.
Je veux , dit Prufias ,
Ecouter à la fois l'Amour & la Nature ;
Etre Pere & Mari dans cette conjon&ure.
Nicomede.
Seigneur , voulez-vous bien vous en fier à moi ?
Ne foyez l'un ni l'autre.
Prufias.
Eh que dois-je être !
Nicomede.
Roi ;
Reprenez hautement ce noble Caractére ;
Un véritable Roi n'eft ni Mari ni Pere ,
Il regarde fon Trône & rien de plus ; regnez ;
Rome vous craindra plus que vous ne la craignez.
Bij
16 MERCURE DE FRANCE.
Vous n'infererez point que les dernieres
Piéces de ce Pere du Théatre , foient bonnes,
parce qu'il s'y trouve de fi beaux éclairs .
Avouez leur extrême foibleffe avec tout le
Public .
Agefilas & Surena ne peuvent rien diminuer
de l'honneur que Cinna & Polieucte
font à la France . M. de Fontenelle , neveu
du grand Corneille , dit dans la Vie de
fon Oncle, que fi le Proverbe : Cela eft bean
comme le Cid, paffa trop tôt , il faut s'en
prendre aux Auteurs , qui avoient intérêt
à l'abolir. Non , les Auteurs ne pouvoient
pas plus caufer la chute du Proverbe , que
celle du Cid. C'eft Corneille lui -même qui
le détruifit , c'eſt à Cinna qu'il faut s'en
prendre,
Ne dites point avec l'Abbé de S. Pierre ,
que dans cinquante ans , on ne joiera plus
les Piéces de Racine ; je plains nos enfans ,
s'ils ne goûtent pas ces chefs- d'oeuvres d'élégance
. Comment leur coeur fera-t'il donc
fait , fi Racine ne les intéreffe
pas?
Il y a apparence que les bons Auteurs du
fiécle de Louis XIV , dureront autant que
la Langue Françoife , mais ne découragez
pas leurs fucceffeurs , en affûrant que
La carriere eft remplie , & qu'il n'y a plus
affés intérefde
place. Corneille n'eft pas
Lant ; fouvent Racine n'eft pas affés tragiNOVEMBRE.
1744. 17
que.L'Auteur de Vinceflas , celui de Rhadamifte
& d'Electre , ont des beautés particu
lieres , qui manquent à ces deux grands
Hommes , & il eft à préfumer que ces trois
Pieces refteront toujours fur le Théatre
François , puifqu'elles s'y font foûtenuës
avec des Acteurs differens, car c'est la vraye
épreuve d'une Tragédie. Que dirai - je de
Manlius , Piéce digne de Corneille , & du
beau rôle d'Arianne , & du grand intérêt
qui regne dans Amafis ? Je ne vous parlerai
point des Piéces Tragiques , faites depuis
vingt années ; comme j'en ai compofé quelques-
unes , il ne m'appartient pas d'ofer apprécier
le mérite des Contemporains , qui
valent mieux que moi , & à l'égard de mes
Ouvrages de Théatre , tout ce que je peux
vous en dire , & vous prier d'en dire aux .
Lecteurs , c'eft que je les corrige tous les
jours.
Mais quand il paroîtra une Piéce nouvelle,
ne dites jamais la Piéce eft excellente , ou
elle eft mauvaiſe , ou tel Acte eft imperti
nent , ou tel rôle eft pitoyable ; prouvez
folidement ce que vous en penfez , & laiffez
au Public le foin de prononcer l'Arrêt ;
foyez für que l'Arrêt fera contre vous, toutes
les fois que vous déciderez fans preuve ,
quand même vous auriez raiſon , car ce
n'eft pas votre Jugement qu'on demande ,
B iij
18 MERCURE DE FRANCE .
mais le rapport du Procès , que le Public
doit juger.
Ce qui rendra furtout votre Journal précieux
, c'eft le foin que vous aurez de comparer
les Piéces nouvelles avec celles des
Pays Etrangers , qui feront fondées fur le
même fujer. Voilà à quoi l'on manqua dans
le fiécle paffé ; lofqu'on fit l'examen du
Cid , on ne rapporta que quelques Vers de
l'Original Efpagnol ; il falloit comparer les
fituations. Je fuppofe qu'on nous donne
aujourd'hui Manlius , de la Foffe , pour la
premiere fois , il feroit très- agréable de
mettre fous les yeux du Lecteur la Tragé
die Angloife , dont elle est tirée.
Paroit- il quelque Ouvrage inftrnctif fur
les Piéces de l'illuftre Racine ? détrompez
le Public de l'idée où l'on eft que jamais les
Anglois n'ont pû admettre le fujet de Phédre
fur leur Théatre ; apprenez aux Lecteurs
que laPhédre de Smith eft une des plus
belles Piéces qu'on ait à Londres ; apprenez
leur que l'Auteur a imité tout de Racine ,
jufqu'à l'amour d'l lippolite ; qu'on a joint
enfemble l'intrigue de Phédre & celle de
Bajazet , & que cependant l'Auteur ſe vante
d'avoir tiré tout d'Euripide. Je crois que
le Lecteurs feroient charmés de voir fous
leurs yeux la comparaifon de quelques Scénes
de la Phédre Grecque , de la Latine ,
NOVEMBRE. 1744. 19
de la Françoiſe & de l'Angloife . C'eft ainſi,
à mon gré , que la fage & faine Critique
perfectionneroit encore le goût des François
, & peut-être de l'Europe . Mais quelle
vraye Critique avons- nous depuis celle que
l'Académie Françoife fit du Cid , & à laquelle
il manque encore autant de choſes
qu'au Cid même ?
DES PIECES DE POESIE.
Vous répandrez beaucoup d'agrément
fur votre Journal , fi vous l'ornez de tems en
tems de ces petites Piéces Fugitives , marquées
au bon coin, dont les Porte feuilles des
Curieux font remplis.On a des Vers du Com
teAntoine Hamilton ,né en France, qui refpirent
tantôt le feu poëtique, tantôt la douce
facilité du ftyle Epiftolaire. On a mille pe
tits Ouvrages charmans de Mrs Duffé , de
S. Aulaire, Ferrand , de la Faye , de Fieubet,
de M. le P. Henaut , & de tant d'autres.
Ces fortes de petits Ouvrages, dont je vous
parle , fuffifoient autrefois à faire la réputa
tion des Voiture , des Sarrafin , des Chapelle
; ce mérite étoit rare alors. Aujour
d'hui qu'il eft plus répandu , il donne peutêtre
moins de réputation , mais il ne fait
pas moins de plaifir aux Lecteurs délicats.
Nos Chanfons valent mieux que celles d'A
B iiij
12 MERCURE DE FRANCE.
les Paul Veronefe , les Carache , les Correge
, les Dominiquin , & c.
Moliere eft le premier , mais il feroit injufte
& ridicule de ne pas mettre le Joueur
à côté de fes meilleures Piéces. Refufer
fon eftime aux Menechmes , ne pas s'amufer
beaucoup au Légataire univerfel, feroit d'un
homme fans juftice & fas goût , & qui ne
fe plaît pas à Renard , n'eft pas digne d'admirer
Moliere.
Ofez avouer avec courage , que beaucoup
de nos petites Piéces , comme le Grondeur
le Galant Jardinier , la Pupille , le double
Veuvage , l'Esprit de contradiction , la Coquette
de Village , le Florentin , & c. fone
au-deffus de la plupart des petites Piéces de
Moliere. Je dis au - deffus pour la fineffe des
Caractéres , pour l'efprit dont la plupart
font affaifonnées , & même pour la bonne
plaifanterie.
Je ne prétends point ici entrer dans le
détail de tant de Piéces nouvelles , ni déplaire
à beaucoup de monde par des loiianges
données à peu d'Ecrivains , qui peut-être
n'en feroient pas fatisfaits ; mais je dirai hardiment
que quand on donnera des Ouvrages
pleins de moeurs , & où l'on trouve de
l'intérêt, comme le Préjugé à la mode , quand
les François feront affés heureux ,pour qu'on
leur donne une Piéce telle que le Glorieux ,
gardezNOVEMBRE.
1744. 13
gardez -vous bien de vouloir rabaiffer leur
fuccès , fous prétexte que ce ne font
pas des
Comédies dans le goût de Moliere ; évitez
ce malheureux entêtement , qui ne prend fa
fource que dans l'envie ; ne cherchez point
à profcrire les Scénes attendriffantes , qui fe
trouvent dans ces Ouvrages , car lorfqu'une
Comédie , outre le mérite qui lui eft propre
, a encore celui d'intéreffer , il faut
être de bien mauvaiſe humeur , pour fe fâcher
qu'on donne au Public un plaifir de
plus.
J'ofe dire que fi les Piéces excellentes de
Moliere étoient un peu plus intéreffantes , on
veroit plus de monde à leurs repréfentations.
Le Milantrope feroit auffi fuivi qu'il eſt eſtimé;
il ne faut pas que la Comédie dégénére
en Tragédie Bourgeoife. L'Art d'étendre fes
limites fans les confondre avec celles de la
Tragédie , eft un grand Art qu'il feroit beau
d'encourager, & honteux de vouloir détruire
; c'en est un que fçavoir bien rendre
compte d'une Piéce de Théatre . J'ai tou
jours reconnu l'efprit des jeunes gens , au
détail qu'ils faifoient d'une Piéce nouvelle
qu'ils venoient d'entendre, & j'ai remarqué
que tous ceux qui s'en acquittoient le mieux,
ont été ceux qui depuis ont acquis le plus
de réputation dans leurs Emplois , tant il eft
vrai qu'au fond l'efprit des affaires & le
1. Vol. B
14 MERCURE DE FRANCE.
véritable efprit des Belles- Lettres font les
mêmes.
,
Expofer en termes clairs & élégants un
fujet , qui quelquefois eft embrouillé , &
fans s'attacher à la divifion des Actes, éclaircir
l'intrigue & le dénouement , les raconter
comme une Hiftoire intérellante peindre
d'un trait les Caractéres , dire enfuite ce
qui a paru plus ou moins vrai -femblable ,
bien ou mal préparé, retenir les Vers les plus
heureux , bien faifir le mérite ou le vice général
du ftyle , c'eſt ce que j'ai vû faire
quelquefois , mais ce qui eft fort rare chés
les Gens de Lettres même , qui s'en font
une étude , car il eft plus facile à certains efprits
de fuivre leurs propres idées , que de
rendre compte de celles des autres.
DE LA TRAGEDIE.
Je dirai à peu près de la Tragédie , ce que
j'ai dit de la Comédie . Vous fçavez quel
honneur ce bel Art a fait à la France , Art
d'autant plus difficile & d'autant plus audeffus
de la Comédie , qu'il faut être vraiment
Poëte pour faire une belle Tragédie ,
au lieu que la Comédie demande feulement
quelque talent pour les Vers .
Vous , Monfieur , qui entendez fi bien.
Sophocle & Euripide , ne cherchez point
NOVEMBRE. 1744.
une vaine récompenfe du travail qu'il vous
en a coûté pour les entendre , dans le malheureux
plaifir de les préferer contre votre
fentiment à nos grands Auteurs François.
Souvenez-vous que quand je vous ai défié
de me montrer dans les Tragiques de l'Antiquité
, des morceaux comparables à certains
traits des Piéces de P. Corneille , je
dis de fes moins bonnes , vous avoüâtes
que c'étoit une chofe impoffible . Ces traits,
dont je parle , étoient , par exemple , ces
Vers de la Tragédie de Nicomede.
Je veux , dit Prufias ,
Ecouter à la fois l'Amour & la Nature ;
Etre Pere & Mari dans cette conjoncture.
Nicomede.
Seigneur , voulez-vous bien vous en fier à moi ?
Ne foyez l'un ni l'autre .
Prufias.
Eh que dois-je être !
Nicomede.
Roi ;
Reprenez hautement ce noble Caractére ;
Un véritable Roi n'éft ni Mari ni Pere ,
Il regarde fon Trône & rien de plus ; regnez ;
Rome vous craindra plus que vous ne la craignez.
Bij
16 MERCURE DE FRANCE.
Vous n'infererez point que les dernieres
Piéces de ce Pere du Théatre , foient bonnes,
parce qu'il s'y trouve de fi beaux éclairs.
Avoüez leur extrême foibleffe avec tout le
Public.
Agefilas & Surena ne peuvent rien diminuer
de l'honneur que Cinna & Polieucte
font à la France . M. de Fontenelle , neveu
du grand Corneille , dit dans la Vie de
fon Oncle, que fi le Proverbe : Cela eft beau
comme le Cid , paffa trop tôt , il faut s'en
prendre aux Auteurs , qui avoient intérêt
à l'abolir. Non , les Auteurs ne pouvoient
pas plus caufer la chute du Proverbe , que
celle du Cid. C'eft Corneille lui -même qui
le détruifit , c'eſt à Cinna qu'il faut s'en
prendre,
Ne dites point avec l'Abbé de S. Pierre ,
que dans cinquante ans , on ne jouera plus
les Piéces de Racine ; je plains nos enfans ,
s'ils ne goûtent pas ces chefs-d'oeuvres d'élégance.
Comment leur coeur fera-t'il donc
fait , fi Racine ne les intéreffe
pas? y a apparence que les bons Auteurs du
fiécle de Louis XIV , dureront autant que
la Langue Françoife , mais ne découragez
pas leurs fucceffeurs , en affùrant que
carriere eft remplie , & qu'il n'y a plus
de place. Corneille n'eft pas affés intéref-
Lant ; fouvent Racine n'eft pas affés tragiNOVEMBRE.
1744. 17
que.L'Auteur de Vinceflas , celui de Rhadamiſte
& d'Electre , ont des beautés particu
lieres , qui manquent à ces deux grands
Hommes , & il eft à préfumer que ces trois
Pieces resteront toûjours fur le Théatre
François , puifqu'elles s'y font foûtenuës
avec des Acteurs differens, car c'eſt la vraye
épreuve d'une Tragédie . Que dirai-je de
Manlius , Piéce digne de Corneille , & du
beau rôle d'Arianne , & du grand intérêt
qui regne dans Amafis ? Je ne vous parlerai
point des Piéces Tragiques , faites depuis
vingt années ; comme j'en ai compofé quelques-
unes , il ne m'appartient pas d'ofer apprécier
le mérite des Contemporains , qui
valent mieux que moi , & à l'égard de mes
Ouvrages de Théatre , tout ce que je peux
vous en dire , & vous prier d'en dire aux
Lecteurs , c'eft que je les corrige tous les
jours.
Mais quand il paroîtra une Piéce nouvelle,
ne dites jamais la Piéce eft excellente , ou
elle eft mauvaiſe , ou tel Acte eft imperti
nent , ou tel rôle eft pitoyable ; prouvez
folidement ce que vous en penfez , & laiffez
au Public le foin de prononcer l'Arrêt ;
foyez für que l'Arrêt fera contre vous , toutes
les fois que vous déciderez fans preuve,
quand même vous auriez raifon , car ce
n'eft pas votre Jugement qu'on demande ,
B iij
18 MERCURE DE FRANCE.
mais le rapport du Procès ,
doit juger.
que
le Public
Ce qui rendra furtout votre Journal précieux
, c'eft le foin que vous aurez de comparer
les Piéces nouvelles avec celles des
Pays Etrangers , qui feront fondées fur le
même fujet. Voilà à quoi l'on manqua dans
le fiécle paffé ; lofqu'on fit l'examen du
Cid , on ne rapporta que quelques Vers de
l'Original Efpagnol ; il falloit comparer les
fituations. Je fuppofe qu'on nous donne
aujourd'hui Manlius , de la Foffe , pour la
premiere fois , il feroit très- agréable de
mettre fous les yeux du Lecteur la Tragé
die Angloife , dont elle eft tirée.
Paroît-il quelque Ouvrage inftrnctif fur
les Piéces de l'illuftre Racine ? détrompez
le Public de l'idée où l'on eft que jamais les
Anglois n'ont pû admettre le fujet de Phédre
fur leur Théatre ; apprenez aux Lecteurs
que laPhédre de Smith eft une des plus
belles Piéces qu'on ait à Londres ; apprenez
leur que l'Auteur a imité tout de Racine ,
juſqu'à l'amour d'Hippolite ; qu'on a joint
enfemble l'intrigue de Phédre & celle de
Bajazet , & que cependant l'Auteur fe vante
d'avoir tiré tout d'Euripide. Je crois que
le Lecteurs feroient charmés de voir fous
leurs yeux la comparaifon de quelques Scénes
de la Phédre Grecque , de la Latine.
NOVEMBRE. 1744. 19
de la Françoiſe & de l'Angloife. C'eſt ainſi,
à mon gré , que la fage & faine Critique
perfectionneroit encore le goût des François
, & peut-être de l'Europe . Mais quelle
vraye Critique avons- nous depuis celle que
l'Académie Françoiſe fit du Cid , & à la
quelle il manque encore autant de chofes
qu'au Cid même ?
DES PIECES DE POESIE.
Vous répandrez beaucoup d'agrément
fur votre Journal , fi vous l'ornez de tems en
tems de ces petites Piéces Fugitives , marquées
au bon coin, dont les Porte feuilles des
Curieux font remplis.On a desVers du Com
teAntoine Hamilton , né en France, qui refpirent
tantôt le feu poëtique, tantôt la douce
facilité du ftyle Epiftolaire. On a mille pe
tits Ouvrages charmans de Mrs Duffé , de
S. Aulaire, Ferrand , de la Faye , de Fieubet,
de M. le P. Henaut , & de tant d'autres.
Ces fortes de petits Ouvrages, dont je vous
parle , fuffifoient autrefois à faire la réputa
tion des Voiture , des Sarrafin , des Chapelle
; ce mérite étoit rare alors. Aujour
d'hui qu'il eft plus répandu , il donne peutêtre
moins de réputation , mais il ne fait
pas moins de plaifir aux Lecteurs délicats.
Nos Chanfons valent mieux que celles d'A
Bij
20 MERCURE DE FRANCE.
nacréon , & le nombre en eft étonnant ; on
en trouve même qui joignent la morale
avec la gayeté , & qui annoncées avec art ,
n'aviliroient point du tout un Journal férieux
; ce feroit perfectionner le goût , fans
nuire aux moeurs.
Comme vous n'aurez pas tous les jours
des Livres nouveaux , qui méritent votre
examen , ces petits morceaux de Littérature
rempliront très-bien les vuides de votre
Journal.S'il y a quelques Ouvrages de Profe
ou de Poëfie, qui faffent beaucoup de bruit
dans Paris , qui partagent les efprits , & fur
lefquels on fouhaite une Critique éclairée ,
c'eft alors qu'il faut ofer fervir de Maître
au Public , fans le paroître , & le conduifant
comme par la main , lui faire remarquer
les beautés fans emphafe, & les défauts
fans aigreur ; c'eft alors qu'on aime en vous
cette Critique , qu'on détefte & qu'on méprife
dans d'autres.
Un de mes amis , examinant trois Epitres
en Vers diffilabes , qui exciterent beaucoup
de murmure il y a quelque tems , fit de la
feconde , où tous nos Auteurs font infultés,
l'examen fuivant , dont voici un échantillon
, qui paroît dicté par la jufteffe & la
modération.
Voici le commencement de la Piéce qu'il
examinoir.
NOVEMBRE. 1744. 21
Tout Inftitut , tout Art , toute Police ,
Subordonnée au pouvoir du caprice ;
Doit être auffi conféquemment pour tous ,
Subordonnée à nos differens goûts .
Mais de ces goûts la diſſemblance extrême ,
A le bien prendre , eft un foible Problême ,
Et , quoiqu'on dife , on n'en fçauroit jamais
Compter que deux , l'un bon , l'autre mauvais
Par des talens que le travail cultive ,
A ce premier , pas pas , on arrive ,
Et le Public , que fa bonté prévient ,
Pour quelque tems , s'y fixe & s'y maintient.
Mais éblouis enfin par l'étincelle
De quelque mode inconnue & nouvelle ,
L'ennui du beau nous fait aimer le laid
Et préférer le moindre au plus parfait.
Voici l'Examen.
Ce premier Vers , tout Inftitut , tout Art
toute Police , femble avoir le défaut , je ne
dis pas d'être Profaïque , car toutes ces Epitres
le font , mais d'être une Profe un peu
trop foible & dépourvûë d'élégance & de
clarté. La Police femble n'avoir aucun rap
port au goût dont il eft queftion . De plus
le terme de Police doit-il entrer dans des
Vers? conféquemment , doit à peine être admis
dans la Profe noble. Cette répetition
du mot Subordonnée , feroit ridicule , quand
B. v
22 MERCURE DE FRANCE.
même le terme feroit élégant , & femble
infupportable , puifque ce terme eft une
expreffion plus convenable à des affaires
qu'à la Poëfie. La Diffemblance ne paroît
pas le mot propre ; dire que la diffemblance
des goûts et un foible Problême , je ne crois
pas que cela foit François . A le bien
dre , paroît une expreffion trop inutile &
trop baffe. Enfin , il femble qu'un Problême
n'eft ni foible ni fort , il peut être aifé
où difficile , & fa folution peut être fauffe ,
équivoque , erronnée.
pren-
Et quoiqu'on dife , on n'en fçauroit jamais
Compter que deux , l'un bon , l'autre mauvais.
Non-feulement la Poëfie aimable s'accommode
peu de cet air de dilemme &
d'une pareille fechereffe , mais la raifon
femble peu s'accommoder de voir en huit
Vers , que tout Art eft fubordonné à nos
differens goûts , & que cependant il n'y a
que deux goûts.
Arriver augoût pas- à-pas , eſt encore , je
erois, une façon de parler peu convenable ,
même en Profe.
Et le Public , que la bonté previent.
Eft ce la bonté du Public ; eft- ce la bonté
du goût ?
L'ennui du beau nous fait aimer le laid ,
Es préférer le moindre au plus plus parfait..
NOVEMBRE. 1744. ₹ 3
1º . Le beau & le laid , font des exprefhons
réservées au bas Comique . 2 ° . Si on
aime le laid , ce n'eft pas la peine de dire
enfuite qu'on préfére le moins parfait. 3 °.
Le moindre n'eſt pas oppofé Grammaticalement
au plus parfait. 4. Le moindre eft un
mot qui n'entre jamais dans la Poëfie. C'eft
ainfi que ce Critique faifoir fentir fans amer
tume , toute la foibleffe de ces Epitres . II
n'y avoit pas trente Vers qui échapaffent à
fa jufte cenfure , & pour mieux inftruire les
jeunes gens , il comparoît à cet Ouvrage un
autre Ouvrage du même Auteur fur un fujet
de Littérature à peu près femblable. Il гар-
portoit les Vers de l'Epitre aux Mufes , imités
de Defpreaux , & cet objet de comparai
fon achevoit de perfuader mieux que les.
difcuffions les plus folides & les plus fubtiles
.
De l'expofé de tous ces Vers diffillabes ,
il prenoit occafion de faire voir qu'il ne
faut jamais confondre les Vers de cinq pieds
avec les Vers Marotiques. Il prouvoit que
le ftyle , qu'on appelle de Marot , ne doit être
admis que dans une Epigramme & dans un
Conte , comme les figures de Calot ne doivent
paroître que, dans des Grotefques s
mais quand il faut mettre la Raifon enVers,
peindre , émouvoir , écrire élégamment ,
alors ce mêlange monftrueux de la Langue
B vj
24 MERCURE DE FRANCE .
qu'on parloit il y a 200 ans , & de la
Langue de nos jours , eft l'abus le plus condaninable
qui fe foit gliffé dans la Poëfie.
Marot parloit fa Langue ; il faut que nous
parlions la nôtre. Cette bigarure eft auffi
révoltante pour les hommes judicieux , que
le feroit l'Architecture Gothique mêlée avec
la Moderne vous aurez fouvent occafion
de détruire ce faux goût. Les jeunes gens
s'adonnent à ce ftyle , parce qu'il eft malheureuſement
facile .
Il en a couté peut-être à Defpreaux pour
dire élégamment :
Faites choix d'un Cenfeur folide & falutaire ,
Que la Raifon conduife & le fçavoir éclaire ,
Et dont le crayon sûr , d'abord aille chercher
L'endroit que l'on fent foible , & qu'on veut fe
cacher.
Mais il est bien difficile , & eft- il bien
élégant de dire ?
Donc , fi Phoebus fes échets vous adjuge ,
Pour bien jouer , confultez tout bon Juge.
Pour bien jouer , hantez les bons Joueurs ,
Sur tout , craignez le poifon des Loueurs ;
Acoftez-vous de fidéles Critiques.
Ce n'eft pas qu'il faille condamner des
NOVEMBRE .
1744.
Vers familiers dans ces Piéces de Poëfie , au
contraire , ils y font néceffaires , comme les
jointures dans le corps humain , ou plutôt
comme des repos dans un Voyage.
Nam Sermone opus eft , modo triſti , ſapè jocoſo »
Deffendente vices modo Rhetoris atque Poets ,
Interdum urbani parcentis viribus , atque
Extenuantis eas confulto.
Tout ne doit pas être orné , mais rien ne
doit être rebutant. Un langage obfcur &
grotefque n'eft pas de la fimplicité , c'eft de
la groffiereté recherchée .
DES MELANGES DE LITTERATURE ,
Et des Anecdotes Littéraires.
Je raffemble ici fous le nom de Mêlanges
de Littérature , tous les Morceaux dé
tachés d'Hiftoire , d'Eloquence , de Morale
, de Critique , & ces petits Romans qui
paroiffent fi fouvent. Nous avons des Chefsd'oeuvres
en tous ces genres ; je ne crois pas
qu'aucune Nation puiffe fe vanter d'un fi
grand nombre d'auffi jolis Ouvrages de Bel
Ïes-Lettres. Il eft vrai qu'aujourd'hui , ce
genre facile produit une foule d'Auteurs.
On en compteroit quatre ou cinq mille depuis
cent ans. Mais un Lecteur en ufe avec
26 MERCURE DE FRANCE.
les Livres , comme un Citoyen avec les
hommes. On ne vit pas avec tous fes Contemporains
; on choifit quelques amis . Il ne
faut pas plus s'effaroucher de voir cent cinquante
mille Volumes à la Bibliothèque du
Roi , que de ce qu'il y a cent cinquante
mille hommes dans Paris . Tous ces Livres ,
dans lefquels on trouve fouvent des chofes
agréables , amufent fucceffivement les hone
nêtes- gens , délaffent l'homme férieux dans
l'intervalle de fes travaux , & entretiennent
dans la Nation cette fleur d'efprit , & cette
délicateffe , qui fait fon caractere,
Ne condamnez point avec dureté tout
ce qui ne fera pas la Rochefoucaut ou la
Fayette ; tout ce qui ne fera pas auffi parfait
que la Confpiration de Venife de l'Abbé de
S. Real , auffi plaifant & auffi original que
la converfation du Pere Canaye & du Maréchal
d'Hocquincourt , écrite par Charleval
& à laquelle S. Evremont a ajouté
une fin moins plaifante , & qui languit un
peu ; enfin , tout ce qui ne qui ne fera pas aufli naturel
, auffi fin , auffi guai que le Voyage
quoiqu'un peu inégal, de Bachaumont & de
Chapelle.

Non fi primores Mæonius tenet
Sedes Homerus , Pindarica latent,
Caique Alcaique minaces
Steficorique graves camena
NOVEMBRE 1744. 27
Nec fi quid olim lufit Anacreon ,
Delevit atas , Spirat adhuc amor
Vivuntque commiffi calores
Folia fidibus puella.
9
Dans l'expofition que vous ferez de ces
Ouvrages ingénieux , badinant à leur exemple
avec vos Lecteurs, & répandant les fleurs
avec ces Auteurs dont vous parlerez , vous
ne tomberez pas dans cette févérité de quelques
Critiques , qui veulent que tout foit
écrit dans le goût de Ciceron ou de Quintilien.
Ils crient que l'éloquence eft énervée ,
que le bon goût eft perdu , parce qu'on aura
prononcé dans une Académie un Difcours
brillant , qui ne feroit pas convenable
au Barreau. Ils voudroient qu'un Conte fut
écrit du ftyle de Bourdaloüe . Ne diftingueront-
ils jamais le tems , les lieux & les perfonnes
? Veulent-ils que Jacob , dans le Pay
fan parvenu , s'exprime comme Péliffon ou
Patru ? Une éloquence mâle , noble , ennemie
des petits ornemens , convient à tous
les grands Ouvrages . Une penfée trop fine
feroit une tache dans le Difcours fur l'Hif
toire Univerfelle de l'éloquent Boffuet.
Mais dans un Onvrage d'agrément , dans un
Compliment , dans une Plaifanterie , toutes
les graces légeres , la naiveté ou la fineffe
, les plus petits ornemens , trouvent
leur place. Examinons-nous nous-mêmes.
28 MERCURE DE FRANCE.
Parlons -nous d'affaires , du ton des entretiens
d'un repas Les Livres font la peinture
de la vie humaine ; il en faut de folides
, & on en doit permettre d'agréables .
N'oubliez jamais , en rapportant les traits
ingénieux de tous ces Livres , de marquer
ceux qui font à peu près femblables chés les
autres peuples, ou dans nos anciens Auteurs.
On nous donne peu de penfées , que l'on ne
trouve dans Sénéque , dans Gratien , dans
Montagne , dans Bacon , dans le Spectateur
Anglois. Les comparer enfemble ( & c'eft
en quoi le goût confifte ) c'eft exciter les
Auteurs à dire , s'il fe peut , des chofes nouvelles
; c'eft entretenir l'émulation , qui eft
la mere des Arts : quelle fatisfaction pour
un Lecteur délicat , de voir d'un coup d'oeil
ces idées qu'Horace a exprimées dans des
Vers négligés , mais avec des paroles fi expreflives
ce que Defpreaux a rendu d'une
maniere fi correcte , ce que Driden & Rochefter
ont renouvellé avec le feu de leur
génie ! Il en eft de ces paralleles comme de
I'Anatomie comparée , qui fait connoître la
Nature : c'eft par là que vous ferez voir
fouvent , non feulement ce qu'un Auteur a
dit , mais ce qu'il auroit pû dire , car fi vous
ne faires que le répéter , à quoi bon faire un
Journal' ?
Il y a fur tout des Anecdotes Littéraires ,
NOVEMBRE. 1744. 29
fur lefquelles il eft toujours bon d'inftruire
le Public , afin de rendre à chacun ce qui lui
appartient.
Apprenez par exemple au Public , que le
Chef- d'oeuvre d'un inconnu , ou Matanafius
eft de feu M. Defallengre , & d'un illuftre
Mathématicien , confommé dans tout
genre de Littérature , & qui joint l'efprit à
F'érudition ; enfin , de tous ceux qui travailloient
à la Haye au Journal Littéraire , &
que M. de S. Hyacinte fournit la Chanfon
avec beaucoup de Remarques. Mais fi on
ajoute à cette plaifanterie une infame Brochure
digne de la plus vile canaille , & faite
fans doute par un de ces mauvais François
qui vont dans les Pays Etrangers deshonorer
les Belles -Lettres & leur Patrie , faites
fentir l'horreur & le ridicule de cet affemblage
monftrueux.
Faites- vous toujours un mérite de venger
les bons Ecrivains des Zoïles obfcurs qui
les attaquent. Démêlez les artifices de l'envie
: publiez par exemple que les ennemis
de notre illuftre Racine firent réimprimer
quelques vieilles Piéces oubliées , où ils inférerent
plus de cent Vers de ce Poëte admi
rable. J'en ai vu une intitulée , S. Jean-
Baptifte , dans laquelle on retrouvoit une
Scéne prefque entiere de Berenice . Ces malheureux
, aveuglés par leur paffion , ne ſenso
MERCURE DE FRANCE.
toient pas même la difference des ſtyles , &
croyoient qu'on s'y méprendroit , tant la
fureur de la jaloufie eft fouvent abfurde.
En deffendant les Auteurs contre l'ignorance
& l'envie qui leur imputent de mauvais
Ouvrages , ne permettez pas non plus
qu'on attribue à de grands hommes des Livres
, peut-être bons en eux mêmes , mais
qu'on veut accréditer par des noms illuftres ,
aufquels ils n'appartiennent point.
Le projet de la prétendue Paix univerfelle,
attribué à Henri IV par les Sécretaires de
Maximilien de Sully , qui rédigerent fes
Mémoires , ne fe trouve en aucun autre endroit.
Les Mémoires de Villeroy n'en difent
mot ; on n'en voit aucune trace dans aucun
Livre du tems . Joignez à ce filence la confideration
de l'état ou l'Europe étoit alors
& voyez fi un Prince auffi fage que Henrile-
Grand a pû concevoir un projet d'une
exécution impoffible.
Si on réimprime ( comme on me le mande
) le Livre fameux , connu fous le nom du
Teftament Politique du Cardinal de Richelieu
, montrez combien on doit douter que
ce grand Miniftre en foit l'Auteur. 1° . Parceque
jamais le Manufcrit n'a été vû , ni connu
chés fes héritiers , ni chés les Miniftres
qui lui fuccederent. 2 ° . Parce qu'il fut imprimé
trente ans après fa mort , fans avoir
NOVEMBRE. 1744. 33
été annoncé auparavant. 3 ° . Parce que l'Editeur
n'ofe pas feulement dire de qui il
tient le Manufcrit , ce qu'il eft devenu , en
quelle main il l'a dépofé. 4º. Parce qu'il eſt
d'un ftyle très -different des autres Ouvrages
du Cardinal de Richelieu . 5 °. Parce qu'on
lui fait figner fon nom d'une façon dont il
ne fe fervoit pas. 6. Parce que dans l'Ouvrage
il y a beaucoup d'expreffions & d'idées
, peu convenables à un Grand Minif
tre , qui parle à un Grand Roi. Il n'y a pas
d'apparence qu'un homme auffi poli que
le Cardinal de Richelieu , eut appellé la
Dame d'Honneur de la Reine La Dufargis,
comme s'il eut parlé d'une femme publique .
Eft- il vrai-femblable que le Miniftre d'un
Roi de quarante ans , lui faffe des leçons ,
plus propres à un jeune Dauphin qu'on
éléve , qu'à un Monarque âgé , de qui l'on
dépend ?
Dans le fecond Chapitre , il avance cette
nouvelle propofition , que la Raifon doit être
la régle de la conduite. Dans un autre , il dit
que l'Eſpagne , en donnant un million par
an aux Proteftans , rendoit les Indes qui
fourniffoient cet argent , tributaires de l'Enfer.
Expreffion plus digne d'un mauvais
Orateur , que d'un Miniftre éloquent , tel
que ce Cardinal. Dans un autre , il appelle
le Duc de Mantouë , ce pauvre Prince. Enfin
32 MERCURE DE FRANCE.
eft-il vraisemblable , qu'il eut rapporté att
Roi des bons mots de Bautru , & cent minuties
pareilles dans un Teftament Politique
?
7°. Comment celui qui a fait parler le
Cardinal de Richelieu , peut-il faire dire
( dans les premieres pages ) que dès qu'il
fut appellé au Confeil , il promit au Roi
d'abaiffer fes ennemis , les Huguenots , &
les Grands du Royaume ? Ne devoit - on pas
fe fouvenir , que le Cardinal de Richelieu ,
remis dans le Confeil par les bontés de la
Reine-Mere , n'y fut que le fecond pendant
plus d'un an , & qu'il étoit alors bien loin
d'avoir de l'afcendant fur l'efprit du Roi , &
d'être premier Miniſtre ?
>
8°. On prétend ( dans le fecond Chapitre
Livre premier ) que pendant cinq
ans le Roi dépenfa pour la Guerre 60 millions
par an , qui en valent environ fixvingt
de notre monnoye , & cela , fans ceffer
de payer les Charges de l'Etat & fans
moyens extraordinaires ; & d'un autre côté,
dans le Chapitre 9 , feconde Partie , il eft
dit qu'en tems de Paix , il entroit à l'épargne
environ par an trente- cinq millions ,
dont il falloit encore rabattre beaucoup . Ne
paroît -il pas entre ces deux calculs une contradiction
évidente ?
9° . Eft- il d'un Miniftre d'appeller à tout
NOVEMBRE. 1744. 33
moment les Rentes à 8 , à 6 , à 5 pour cent,
des Rentes au denier 8 , au denier 6 denier 6 , au
denier 5 ? Le denier cinq eft vingt pour cent;
& le denier vingt eft cinq pour cent ; ce
font des chofes qu'un apprentif ne confondroit
pas.
10º. Eft-il vraisemblable que le Cardinal
de Richelieu ait appellé les Parlemens ,
Cours Souveraines , & qu'il propofe , Chap,
9 , Part, 2 , de faire payer la Taille à ces
Cours Souveraines ? 11º. Eft- il vraisemblar
ble qu'il ait propofé de fupprimer les Ga
belles ; & ce projet n'a- t'il pas été fait par
un Politique oifif, plûtôt que par un homme
nourri dans les affaires 12 ° . Enfin ne
voit-on pas combien il eft incroyable qu'un
Miniftre , au milieu de la Guerre la plus
vive , ait intitulé un Chapitre : Succinte narration
des Actions du Roi , jufqu'à la Paix ?
Voilà bien des raifons de douter , que cet
illuftre Miniftre foit l'Auteur de ce Livre.
Je me fouviens d'avoir entendu dire dans
mon enfance à un Vieillard très-inftruit ,
que le Teſtament Politique étoit de l'Abbé
de Bourfeis , l'un des premiers Académi
ciens. Mais je crois qu'il eft plus aifé de fçavoir
de qui ce Livre n'eft pas , que de connoître
fon Auteur ; & en rendant ainfi juftice
à tout le monde , en péfant tout dans
une balance exacte , élevez-vous fur tout
contre la calomnic.
34 MERCURE DE FRANCE.
Parlez avec courage contre ces injufrices
, & faites fentir à tous les Auteurs
de ces infamies , que le mépris & l'horreur
du Public feront éternellement leur partage.
SUR LES LANGUES.
Il faut qu'un bon Journaliſte fçache au
moins l'Anglois & l'Italien , car il y a beaucoup
d'Ouvrages de génie dans ces Langues,
& le génie n'eft prefque jamais traduit.
Ce font , je crois , les deux Langues de l'Europe
les plus néceffaires à un François . Les
Italiens font les premiers qui ayent retiré
les Arts de la Barbarie , & il y a tant de
grandeur , tant de force d'imagination , jufques
dans les fautes des Anglois , qu'on ne
peut trop confeiller l'étude de leur Langue.
Il eft trifte que le Grec foit négligé en
France , mais il n'eft pas permis à un Jourmalifte
de l'ignorer. Sans cette connoiſſance
, il y a un grand nombre de mots François
, dont il n'aura jamais qu'une idée confufe
car depuis l'Arithmétique jufqu'à
l'Aftronomie , quel eft le terme d'Art , qui
ne dérive de cette Langue admirable A
peine y a-t'il un muſcle , une veine , un ligament
dans notre corps , une maladie , un
reméde, dont le nom ne foit Grec ; donnez
?
NOVEMBRE . 1744. 35
moi deux jeunes gens , dont l'un fçaura cette
Langue & dont l'autre l'ignorera , que ni
l'un ni l'autre n'ait la moindre teinture
d'Anatomie , qu'ils entendent dire qu'un
homme eft malade , d'une péripneumonie ,
celui qui fçait le Grec entendra tout d'un
coup dequoi il s'agit , parce qu'il voit dequoi
ces mots font compofés ; l'autre ne
comprendra abfolument rien .
Plufieurs mauvais Journaliſtes ont ofe
donner la préférence à l'Iliade de la Motte
fur l'Iliade d'Homere. Certainement s'ils
avoient lû Homere en leur Langue , il euffent
vû que la Traduction eft plus au- deffous
de l'Original , que Segrais n'eſt audeffous
de Virgile.
Un Journaliſte , verfé dans la Langue Grec
que , pourra- t'il s'empêcher de remarquer
dans les Traductions que Toureils a fait de
Demofthéne , quelques foibleffes au milieu
de fes beautés ?
Si quelqu'un ( dit le Traducteur ) vous de
mande, Meffieurs les Athéniens , avez- vous la
Paix ? Non , de par Jupiter , répondez - vous
nous avons la Guerre avec Philippe.
Le Lecteur , fur cet expofé , pourroit croire
que Demosthéne plaifante à contre-tems ;
que ces termes. familiers , & réfervés pour le
bas Comique ; Meffieurs les Athéniens de par
Jupiter , répondent à de pareilles expref$
6 MERCURE DE FRANCE.
fions Grecques. Il n'en eft pourtant rien , &
cette faute appartient toute entiere au Traducteur.
Ce font mille petites inadvertences
pareilles , qu'un Journaliſte éclairé
peur
faire obferver , pourvû qu'en même- tems ,
il remarque encore plus les beautés .
11 feroit à fouhaiter que les Sçavans dans
les Langues Orientales , nous euffent donné
des Journaux des Livres de l'Orient . Le
Public ne feroit pas dans la profonde ignorance
où il eft de l'Hiftoire de la plus grande
partie de notre Globe ; nous nous accou →
tumerions à réformer notre Chronologie ;
nous ferions plus inftruits de la Religion de
Zoroaftre , dont les Sectateurs fubfiftent en
core , quoique fans Patrie , à peu près com
me les Juifs , & quelques autres Sociétés fuperftitieufes
, répandues de tems immémo
rial dans l'Afie ; on connoîtroit les reftes de
l'ancienne Philofophie Indienne ; on ne
donneroit plus le nom faftueux d'Hiftoire
Univerfelle à des Recueils de quelques Fables
d'Egypte , des Révolutions d'un Pays ,
grand comme la Champagne , nommé la
Gréce , & du Peuple Romain , qui tout
grand qu'il a été , n'a jamais eu fous fa domination
tant d'Etats que le peuple de Mahomet
, & qui n'a jamais conquis la dixiéme
partie du monde .
Mais auffi
que votre amour pour
les Langues
NOVEMBRE.
1744. 37
gues étrangeres ne vous falle pas méprifer
ce qui s'écrit dans votre Patrie ; ne foyez
point comme ce faux délicat , à qui Pétrone
fait dire :
Ales phafiacis petita colchis ,
Atque afra volucres placent palato ,
Quid quid quaritur optimum videtur.
On ne trouva dans la Bibliothéque de
l'Abbé de Longuerue , après fa mort , aucun
Poëte François.
Je voudrois , encore une fois , en fait
de Belles-Lettres , qu'on fût de tous les
Pays , & furtout du fien. J'appliquerai à ce
fujet , des Vers de M. de la Motte , car
il en a fait d'excellens.
C'eft par l'étude que nous fommes
Contemporains de tous les hommes ,
Et Citoyens de tous les Lieux.
DU STYLE D'UN JOURNALISTE .
Quant au style d'un Journaliſte , Bayle
eft peut-être le premier modéle , s'il vous
en faut un;c'eft le plus profondDialecticien
qui ait jamais écrit ; c'eft le feul Compilateur
qui ait du goût ; cependant dans fon
I. Vol. C
86 MERCURE
DE FRANCE
.
fions Grecques. Il n'en eft pourtant rien , &
cette faute appartient toute entiere au Traducteur.
Ce font mille petites inadvertences
pareilles , qu'un Journaliſte éclairé peut
faire obferver , pourvû qu'en même -tems ,
remarque encore plus les beautés. il
Il feroit à fouhaiter que les Sçavans dans
les Langues Orientales , nous euffent donné
des Journaux des Livres de l'Orient. Le
Public ne feroit pas dans la profonde ignorance
où il eft de l'Hiftoire de la plus grande
partie de notre Globe ; nous nous accoutumerions
à réformer notre Chronologie ;
nous ferions plus inftruits de la Religion de
Zoroaftre , dont les Sectateurs fubſiſtent encore
, quoique fans Patrie , à peu près com
me les Juifs , & quelques autres Sociétés fuperftitieufes
, répandues de tems immémo
rial dans l'Afie ; on connoîtroit les reftes de
l'ancienne Philofophie Indienne ; on ne
donneroit plus le nom faftueux d'Hiftoire
Univerfelle à des Recueils de quelques Fables
d'Egypte , des Révolutions d'un Pays ,
grand comme la Champagne , nommé la
Gréce , & du Peuple Romain , qui tout
grand qu'il a été , n'a jamais eu fous fa domination
tant d'Etats que le peuple de Mahomet
, & qui n'a jamais conquis la dixiéme
partie du monde .
Mais auffi que votre amour pour les Langues
NOVEMBRE. 1744. 37:

guer étrangeres ne vous faffe pas méprifer
ce qui s'écrit dans votre Patrie ; ne foyez
point comme ce faux délicat , à qui Pétrone
fait dire :
Alesphafiacis petita colchis ,
Atque afra volucres placent palate ,
Quid quid quaritur optimum videtur.
On ne trouva dans la Bibliothèque de
l'Abbé de Longuerue , après fa mort , aucun
Poëte François.
Je voudrois , encore une fois , en fait
de Belles-Lettres , qu'on fût de tous les
Pays , & furtout du fien . J'appliquerai à ce
fujet , des Vers de M. de la Motte , car
il en a fait d'excellens.
C'eft par l'étude que nous fommes
Contemporains de tous les hommes ,
Et Citoyens de tous les Lieux.
DU STYLE D'UN JOURNALISTE.
Quant au ſtyle d'un Journaliſte , Bayle
eft peut-être le premier modéle , s'il vous
en faut un; c'eft le plus profondDialecticien
qui ait jamais écrit ; c'eft le feul Compilateur
qui ait du goût ; cependant dans fon
1. Vol. C
8 MERCURE DE FRANCE.
ftyle , toûjours clair & naturel , il y a op
de négligence , trop d'oubli des bienféances
, trop d'incorrection. Il eſt diffus ; il
fait , à la vérité , converfation avec fon
Lecteur , comme Montagne , & en cela il
charme tout le monde , mais il s'abandonne
à une molleffe de ftyle , & aux expreffions
triviales d'une converfation trop fimple ,
& en cela il rebute fouvent l'homme de
gofit.
En voici un exemple , qui me tombe fous
la main , c'eft l'article d'Abaillard , dans
fon Dictionnaire . Abaillard , dit- il , s'amufoit
plus a tâtonner & à baifer fon Ecoliere ,
qu'à lui expliquer un Auteur. Un tel défaut
lui eft trop familier ; ne l'imitez pas.
Nul chef-d'oeuvre, par vous écrit jufqu'aujourd'hui,
Ne vous donne le droit de faillir comme à lui .
N'employez jamais un mot nouveau , à
moins qu'il n'ait ces trois qualités , d'être
néceffaire , intelligible , & fonore . Des
idées nouvelles , furtout en Phyfique , exigent
des expreflions nouvelles , mais fubftituer
à un mot d'ufage un autre mot , qui
n'a que le mérite de la nouveauté , ce n'eft
pas enrichir la Langue , c'eft la gâter. Le
fiécle de Louis XIV. mérite ce refpect des
François , que jamais ils ne parlent un auNOVEMBRE.
1744. 39
tre Langage, que celui qui a fait la gloire de
ces belles années.
Songez furtout que ce n'eft point avec la
familiarité du ftyle Epiftolaire, mais que c'eſt
avec la dignité du ftyle de Ciceron , qu'on doit
traiter la Philoſophie. Mallebranche , moins
pur que Ciceron , mais plus fort & plus
rempli d'images , me paroît un grand modéle
dans ce genre , & plût à Dieu qu'il
eût établi des vérit ésauffi folidement,qu'il
a expofé fes opinions avec éloquence !
Loke , moins élevé que Mallebranche ,
peut-être trop diffus , mais plus élégant ,
s'exprime toûjours dans fa Langue avec netteté
& avec grace ; fon ftyle eft charmant
puroque fimillimus amni. Vous ne trouvez
dans ces Auteurs aucune envie de briller à
contre- tems , aucune pointe , aucun artifice.
Ne les fuivez pas fervilement : 0 imitatores
fervum pecus ! mais à leur exemple ,
rempliffez -vous d'idées profondes & juttes,
alors les mots viennent aifément , Rem verba
fequuntur. Remarquez que les hommes
qui ont le mieux penfe , font auffi ceux qui
ont le mieux écrit.
Si la Langue Françoiſe doit bien-tôt fe
corrompre, cette altération viendra de deux
fources; l'une eft le ftyle affecté de quelques
Auteurs qui ont vêcu en France ; l'autre eft
cij 、
40 MERCURE DE FRANCE.
la négligence des Ecrivains qui réident
dans les Pays Etrangers ; les Papiers publics
& les Journaux font infectés continuellement
d'expreffions impropres , aufquelles
le Public s'accoûtume , à force de
les relire.
Par exemple , rien n'eft plus commun
dans les Gazettes que cette phrafe , nous
apprenons que les affiégeans auroient un
tel jour battu en breches on dit que les denx
armées fe feroient approchées ; au lieu de , les
deux armées ſe font approchées ; les affiégeans
ont battu en breche , &c.
Cette conftruction , très-vicieuſe , eſt
imitée du ftyle qu'on a malheureufement
confervé dans le Barreau , & dans quelques
Edits; on fait dans ces Piéces parler au Souverain
un Langage gothique. Il dit, on nous
auroit remontré , au lieu de , on nous a remontré
; Lettres Royaux , au lieu de Lettres
Royales ; voulons & nous plaît , au lieu de
toute autre phrafe plus méthodique & plus
grammaticale ; ce tyle gothique des Edits
& des Loix, eft comme une cérémonie dans
laquelle on porte des habits antiques , mais
il ne faut point les porter ailleurs . On feroit
même beaucoup mieux de faire parler
le Langage ordinaire aux Loix qui font fai-
Les pour être entenduës aifément ; on deNOVEMBRE.
1744. 4
vroit imiter l'élégance des Inftituts de Juftinien.
Les Ecrivains doivent éviter cet abus ;
dans lequel donnent tous les Gazetiers
Etrangers ; il faut imiter le ftyle de la
Gazette qui s'imprime à Paris ; elle dit
correctement les chofes qu'elle doit dire .
La plupart des Gens de Lettres , qui travaillent
en Hollande , où fe fait le plus
grand commerce de Livres , s'infectent d'une
autre efpece de barbarie , qui vient du
Langage des Marchands ; ils commencent à
écrire par contre , pour au contraire ; cette
préfente, au lieu de cette Lettre ; le change ,
au lieu de changement. J'ai vû des Traductions
d'excellents Livres , remplies de ces
expreffions. Le feul expofé de pareilles fautes
doit fuffire pour corriger les Auteurs .:
C iij
42 MERCURE DE FRANCE .
D
Ans le deffein où nous fommes de faire
tous nos efforts pour réveiller l'attention
du Public , & de chercher avec foin.
tout ce qui pourra flater fon goût, & piquer
fa curiofité , nous ne pouvons mieux faire
que de lui préfenter quelques- unes des Piéces
qui ont été faites au fujet de la Convalefcence
du Roi.
Il est inutile d'avertir que nous ne prétendons
point déprifer celles que nous n'inférons
point dans notre Recueil . Comment
fer oit-il poffible de donner place à toutes ?
On en a compofé plus de quatre cent , tant
Odes que Poëmes , Fables , Idilles , & c . A
ne compter chacune de ces Piéces que fur le
pied de 100 Vers , la totalité fait
40 mille
Vers. On fait, dit- on , de tous ces petits Ouvrages
un Recueil , que l'on confervera à la
Bibliothèque du Roi; la Poftérité comptera,
avec étonnement , cette immenfe Collection
, & y verra un Monument authentique
de l'amour de la Nation pour fon Roi ,
amour , qui fous le Regne où nous vivons ,
n'eft point diftingué de l'amour de la Patrie ;
au refte, elle portera vrai femblablement fur
ce Recueil le même Jugement que fit
Martial de fes Vers.
Sunt bona ,funt quadam mediocria , funt mala multa,
NOVEMBRE. 1744. 43
**X* X* X* X**X * X * X * X*
LE PALMIER , LES SILVAINS
ET JUPITER
.
U
FABL E.
Sur la Convalescence du Roi.
N haut Palmier, l'ornement d'un Rivage
Prêtoit l'ombre de fes rameaux
Aux Nymphes , aux Silvains , qui ſous ſon verd
feüillage
Danfoient au fon des Chalumeaur ;
A l'envi , les Oifeaux y faifoient leur ramage :
Des Habitans de ce féjour
Il étoit la joye & l'amour.
Le plus fier des Enfans d'Eole
Troubla cette félicité.
Sorti des froids climats du Pole
Avec impétuofité ,
L'Aquilon déclareda Guerre,
Au beau Palmier , qu'il veut jetter par terre.
Les Silvains de leurs cris firent retentir l'air ;
Les Nymphes verferent des larmes :
Tous invoquérent Jupiter .
Confervez-nous , grand Dieu , ce Palmier plein de
charmes ;
Réprimez le noir Ouragan.
Cij
44 MERCURE DE FRANCE.
Jupiter fut fenfible à leurs juftes allarmes ;
Des Airs il gronde le Tyran.
Retourne , lui dit-il , promener ta furie
En Groenlande , en Laponie ;
Tu peux dans ces fauvages Lieux
Te déchaîner , & fouffler de ton mieux :
Mais de cette rive chérie
N'approche plus, ou bien crains mon courroux,
L'Aquilon fuit. A l'inftant dans la Plaine
Un Zéphir favorable & doux
Vient ranimer de fon haleine
L'Arbre Divin. Que de remercimens
A Jupiter Le Silvain , la Bergere ,
Au comble de leurs voeux , danfent fur la Fougere,
Et forment des Concerts charmans.
Ce beau Palmier , chéri de la Victoire ,
En butte à l'Aquilon , FRANCE , c'eft votre Roi :
Son extrême danger a caufé votre effroi ;
Le Ciel vous l'a rendu . Confervez la mémoire
Du plus grand des bienfaits ; fes jours font votre
gloire.
Richer.
NOVEMBRE. 1744. 45
Toi
LES ROIS ,
ODE.
Oi qui vis tomber les colonnes
Des Etats les plus floriflans ;
Toi qui vis brifer les Couronnes
Des Souverains les plus puiffants ;
O Terre ! ô féconde Cybelle !
Tu caches dans ton fein fidelle
Les faftes des fiécles divers :
Ouvre à ma Mufe , qui t'appelle ,
Les Archives de l'Univers .
***
Montre-moi fous leurs Pyramides
Ces Rois dans la tombe ignorés ,
Ces Rois faftueux & timides ,
Jadis fur le Trône adorés :
Leur nom n'a duré qu'une Aurore ;
Envain le Marbre couvre encore
Les vains debris de leur cercueil :
Le Tems à chaque inftant dévore
Les Monumens de leur Orgueil,
Tu vis fortir de tes entrailles
46 MERCURE DE FRANCE
Ces Héros , Tyrans des Humains ,
Dont le Dieu fanglant des batailles
Armoit les facrileges mains :
Que les Emules d'Alexandre
Bravent fur des Palais en cendre
Et la Fortune & fes revers ;
Bien-tôt tu les verras defcendre
Dans les Tombeaux qu'ils ont ouverts.
Je ' fçais qu'Achille , que Therfite
Etoient foumis au même fort ;
Qu'un même bras nous précipite
Dans les ténebres de la mort ;.
Mais l'Ile infâme de Caprée
Vit tomber l'Idole abhorrée
Du cruel Maître de Séjan ,
Et la Terre , encore éplorée ,
Encenfe l'Urne de Trajan.
Princes dont la cendre repofe
Au pied des plus riches Autels ,
Souvent malgré l'Apothéose ,
Vous êtes l'horreur des Mortels ;
Envain dans vos Palais nourrie ,
La folle & baffe Flaterie
Chante vos Hyinnes en tout lieu :
NOVEMBRE. 1744. 47.
Le tcms détruit l'Idolatrie
g
Et brife l'Autel & le Dieu.
***
Rois , laiffez aux Peuples fauvages
Le droit injufte du plus fort ;
La crainte arrache nos hommages ,
L'amour les obtient fans effort :
Serrez moins le noeud qui nous lie ;
Notre orgueil à regret ſe plie
Au joug rigoureux du pouvoir :
L'amour, plus noble, multiplie
Nos foins que borne le Devoir,
Dans vos Serrails impénétrables ,
Sultans , efclaves couronnés ,
Vous traînez des jours déplorables ,
Des jours de trouble environnés :
Pour rendre la Terre féconde ,
Le Soleil fort du fein de l'Onde ,
Et s'ouvre un chemin vers les Cieux ::
Rois , rendez heureux le Monde,.
En vous offrant à tous les yeux .
Voyez fur les bords de la Seine
Ce Prince , l'amour des Français ;
La Victoire qui le ramene ,
Annonce à grands cris nos fuccès :
G wis
48 MERCURE DE FRANCE.
Son Peuple l'entoure & le preffe ;
Le zéle fe change en yvreffe ;
On aime , on adore fes loix :
Excès d'une jufte tendreffe ,
Qui fait le bonheur des grands Rois !
Ne craignons pas que fa mémoire
Se perde dans l'ombre du Tems ,
Ni que le grand jour de l'Hiftoire
Terniffe fes faits éclatans :
Minerve le fuit à la guerre ,
Thémis gouverne fon tonnerre ;
Il n'eft armé que pour la paix ,
Et ne veut enchaîner la Terre
Que par le lien des bienfaits.
On dira Quel Dieu favorable
'Accorda Louis aux Humains ?
Son amitié ferme & durable
Soutint le Trône des Romains ;
Dans fon Tribunal defpotique ,
Jamais la Liberté publique
N'expira fous l'autorité ;
Les refforts de fa politique
Furent les loix de l'équité .
炒菜
Né fur le Trone , il fut fenfible ;
NOVEMBRE. 1744. 49
Juge , il reffentit la pitié ;
Souverain , il fut acceffible ;
Monarque , il connut l'amitié :
Que fa juftice & fon courage ,
Que fon nom , beni d'âge en âge,
Des fiécles percent le cahos :
Qu'il foit le modéle du Sage :
Qu'il foit l'exemple des Héros.
***
Sans avoir le pinceau d'Appelle ,
Difciple de la vérité ,
J'ébauche le Portrait fidelle
Que peindra la Poftérité.
Grand Roi , que la France applaudiffe
Aux Vers de ma Mufe novice ,
11 eft pour eux un prix plus doux ;
Vous pouvez d'un regard propice
Les rendre immortels comme vous.
Par M. L. D. B. de l'Académie Françoife.
W
o MERCURE DE FRANCE.
諾洗洗洗洗洗洗送送送送送送送送送諾
ODE
En Strophes libres ,
Sur la Maladie & la Convalescence du Roi,
Par M. des Forges Maillard .
Lorfque l'Aftre du jour , dont l'ardente lumiere
Faitle bonheur du monde & l'ornement des Cieux:
Au plus brillant de fa carriere ,
2 Vient à s'éclipfer à nos yeux ,
Tout languit ici bas , & la Nature entiere
Apprend aux Mortels par fon deüil
Que fans l'éclat de ce bel oeil ,
L'Univers reviendroit à fa maffe premiere.
'Ainfi , Prince, à nos voeux défirable à jamais,
Qui comptes, non tes jours, comme Titus put faire
Mais tes momens par tes bienfaits ;
Quand d'un coup de fa faux la Parque fanguinaire
S'apprêtoit à trancher de ces précieux jours
L'utile , l'éclatant , le trop rapide cours
Sur le front de la France une pâleur foudaine
Exprima fon faififfement ,
Et dans ce morne accablement ,
Chacun offroit pour toi fa tête à l'inhumaine ,
Et n'avoit dans le coeur qu'un même fentiment,
NOVEMBRE.
52
1744.
}
Mais fi fa cruauté confommant nos allarmes
Réfiftant à nos cris , t'eût rangé fous fa loi ,
Sur fes Poles le Monde eût fenti notre effroi ;
Et même l'ennemi pénétré de tes charmes ,
Témoin de ta valeur , fachant que malgré toi ,
L'Injuftice , l'Audace & la mauvaiſe foi ,
A force d'attentats aiguiferent tes armes ,
Moüillant les fiennes de fes pleurs ,
En eût mêlé les flots au torrent de nos larmes
Comme s'il eût gémi de fes propres malheurs.
L'Olympe eft dévoilé ; bel Aftre de nos vies ,
Au gré de nos tendres envies ,
Tu reparois fur l'horifon ,
Et nos juftes douleurs fe font évanouies ,.
A l'afpect de ta guériſon.
Mais arrête , Louis ; où t'emporte la gloire ?
N'expofe plus ton fang aux fureurs des hazards
Ton courage a fixé le vol de la Victoire ,
Qui devance tes Etendarts.
Je la vois, & quels yeux la pourroient méconnoître
Afon armure, où l'or feme & forme des Lys !
Le fond blanc de l'étoffe , aux regards éblouis
Peint la noble candeur de notre Augufte Maître ,
Et déformais elle ne veut paroître
Que couverte de ces habits.
2 MERCURE DE FRANCE.
D'un cifeau délicat les traits inimitables
Sur le luifant acier de fon Cafque divin , ´
Repréſenterent Nice , Ypre , Furne , Menin ,
Et des Ufurpateurs tant d'appuis formidables ,
Cuifant , le dos tourné , leurs rages implacables ,
1
Forcés de repaffer le Rhin ,
Et plus honteux dans leur retraite ,
Que s'ils avoient fubi par un jufte deftin
Sur le champ de bataille une entiere défaite ,
Punis des noirs complots de leur orgueil mutin.
Le bruit de tes Tambours , le fon de tes Tymbales,
Où brillent tes marques Royales ,
Sont le fignal flateur qui la mene au combat ;
Monarque craint , chéri , Pere , Héros , Soldat ,
Ton grand coeur s'eft affés diftingué dans la guerre;
Laiffe repofer ton Tonnerre ,
Et vien te rétablir au fein de ton Etat.
Tu verras en chemin tes Provinces tranquilles ,
Et malgré les Volcans par Bellonne allumés ,
L'abondance , l'honneur, & l'ordre dans tes Villes .
Montre toi dans Paris à tes Peuples charmés ;
Regarde avec tranſport dans les Airs enflâmés
NOVEMBRE. 1744. 53
Les Serpenteaux errans , & les Gerbes que lance *
De foi- même rival l'amour ingénieux ,
Aller jufqu'au Trône des Dieux ,
Leur témoigner notre reconnoiffance.
Conty , ton cher Conty , Héros prématuré ,
Dont au fort des périls le coeur eft affùré
Sur fa mâle prudence au - deffus de fon âge ;
L'intrépide Clermont que même ardeur engage ,
Pentiévre , ambitieux de marcher fur leurs pas ,
'Aimé de tes Bretons , Gouverneur des Climats ,
Où le Ciel me fit don de l'air que je reſpire ,
Scauront bien en ta place animer tes Soldats ,
Sur la trace du feu que ton Sang leur inſpire.
Laiffe à tes Généraux , à ces braves Guerriers
Le ſoin d'achever tes conquêtes ,
Et leur ayant coupé des moiffons de Lauriers ,
Cede- leur le plaifir d'en couronner leurs têtes.
* On donne cette Piéce , telle qu'elle a étéfai te ; on
ne prévoyoit pas la défenfe des Feux d'artifice ; mais
les magnifiques Illuminations répandoient unefi grande
clarté dans l'Air , qu'on peut dire que la pensée ,
même pour lefond , ne differe que dans les termes .
la
54 MERCURE DE FRANCE.
ADRESSE aux Poëtes qui ont célébré
la Convalefcence du Roi.
J
'Ai fait comme tant & tant d'autres
Quelques Vers fur l'heureux retour
De la fanté du Roi , l'objet de notre amour ;
Mais écoutez , Confreres nôtres ,
Poëtes & Rimeurs , que vous figurez-vous ,
Qu'à l'envi nous ayons tâché d'exprimer tous
Dans les bruyans accès d'un fuperbe délire ?
Trois mots que fans emphaſe & d'auffi bonne foi
f
Le Peuple hautement en tous lieux aime à dire ,
Et les voici , VIVE ROL
Des Forges Maillarde
NOVEMBRE. 1744.
SS
SUR LA CONVALESCENCE DU ROI,
RONDE A V.
Vive le Roi , crioit toute la France ,
Lorfque Louis , par fa convalefcence
Y rappelloit les Plaifirs & les Jeux ,
Qu'avoit bannis le mal trop dangereux ,
Dont on craignoit pour lui la violence .
Grands & Petits , lors égaux dans leurs voeux
Soir & matin fe redifoient entr'eux ,
Or Béniffons la divine clemence ;,
Vive le Roi.
Grands & Petits , la Poëtique Engeance
Dans ces inftans pour rimer fi chanceux ,
Ne s'oublia : Vers , tant mous que nerveux
On vit courir , n'ayant d'autre élégance
Que d'être ornés de ce refrain heureux
Vive le Roi.
Par M. Jacques, Marchand Evantaillifie,
ruë Mouffetar.
56 MERCURE DE FRANCE.
Q
SONNE T.
Uel Roi la Mort vouloit enlever à la France [
La Sageffe conduit fes projets genereux ;
Dans les Camps la valeur égale fa prudence ,
Et c'est là que fes foins , fes travaux font les jeux.
Quand fes jours menacés troubloient notre conftance
,
Que de pleurs ! que de cris ! que d'allarmes pour
eux !
De longs gémiffemens étoient notre éloquence ,
Et le Ciel entendoit partout les mêmes voeux.
Il nous le rend enfin , ce Héros magnanime ;
Il nous le rend , plus digne encor de notre eftime g
Hélas ! qu'en le perdant, nous perdions de vertus !
Du premier des Céfars le courage l'anime ;
Il a l'humanité du Vainqueur de Solime ,
L'Univers dans LOUIS revoit Jule & Titus.
Par le même.
NOVEMBRE , 1744. 57
AU ROI ,
A fon retour de l'Armée,
Q
Uand le Soleil , ame de la Nature ,
Au Monde , en s'éclipfant , dérobe fa clarté ,
Tout s'attrifte & languit dans une nuit obfcure ,
Tout eft fans vie & fans beauté.
Qu'il reparoiffe & brille fans nuage ;
Afes premiers regards tout revit fous les Cieux ;
Et pour chanter fon retour glorieux ,
Tout a fa voix & fon langage.
Le gazoüillement des Oiseaux
Des tranquilles Forêts interrompt le filence ;
Sur le gazon fleuri bondiffent les Troupeaux ;
Le Poiffon , même qui s'élance ,
Se plaît fur la face des Eaux.
LOUIS , à ce Tableau tu reconnois la France
Dans fon fein , Aftre bienfaiſant ,
Que ton Eclipfe , hélas , a répandu d'allarmes ?
Mais à la feule joye il échappe des larmes ,
Quand furfon horifon tu parois renaiffant .
Quel concours empreffé d'un Peuple qui t'adore
Il te voit , s'attendrit , & veut te voir encore ;
Le jour qu'il te retrouve , eft le plus beau des jours;
Pour le prolonger dans fon cours ,
58 MERCURE DE FRANCE
Il embellit la nuit des clartés de l'Aurore ;
Tout s'anime , tout le décore :
Ici de mille voix s'élevent les Concerts ;
Ainfi
Là le falpêtre ardent , qui s'exhale en éclairs ,
Brille, ferpente , éclate , & par fes jeux rapides ,
Ton nom qu'il fait éclore à nos regards avides ,
que dans les coeurs eft écrit dans les airs.
GRAND ROI , cet hommage fi tendre ,
Que le zéle François brûle de t'exprimer ,
Pourroit-il ne pas te charmer ?
Il eft fi doux de te le rendre !
Il eft fi doux d'élever juſqu'aux Cieux
Un Roi , que fes périls fuivis de la Victoire ,
Nous rendent auffi cher, qu'il eft grand à nos yeux
Senfible à la folide gloire ,
Senfible à nos tranfpeits , applaudis à nos Voeux:
Affés d'exploits brillans affûrent ta mémoire ,
Mais ton amour pour nous , tracé dans ton Hiſtoire,
Fera douter chés nos Neveux ,
Qui du Prince ou du Peuple étoit le plus heureux,
:
Le P. R * de l'Oratoire,
NOVEMBRE. 1744. 59
* X* X * X*X* X*X* X* X*
3
DISCOURS EN VERS ,
Sur les Evenemens de l'année 1744.
Q Uoi , verrai-je toujours
des fottifes en France?
Difoit l'hyver dernier,d'un ton plein d'importance,
Timon , qui , du paffé profond admirateur ,
Du préfent qu'il ignore eft l'éternel frondeur!
Pourquoi , s'écrioit- il , le Roi va -t'il en Flandre
Quelle étrange Vertu qui s'obftine à défendret
Les débris dangereux du Trône des Céfars ,
Contre l'Or des Anglais , & le Fer des Houzards a
Dans le jeune CONT Y quel excès de folie ,
D'efcalader les Monts qui gardent l'Italie ,
Et d'attaquer , vers Nice , un Roi Victorieux ,
Sur ces Sommets glacés dont le front touche aux
Cieux ?
Pour franchir ces amas de neiges éternelles ,
Dedale à cet Icare a - t'il prêté ſes aîles ?
A-t'il reçû du moins dans fon deffein fatal ,
Pour brifer les Rochers le fecret d'Annibal?
Il parle & CCNTY vole . Une ardente jeuneffe,
Voyant peu les dangers que voit trop la vieilleffe ;
Se précipite en foule autour de fon Héros :
Du Var qui s'épouvante on traverſe les flots ;
De Torrens en Rochers , de Montagne en Abyme .
60 MERCURE DE FRANCE.
Des Alpes en couroux on affiége la cime ;
On y brave la foudre ; On voit de tous côtés
Et la Nature , & l'Art , & l'Ennemi domptés ,
CONTY qu'on cenfuroit , & que l'Univers loüe ,
Eft un autre Annibal qui n'a point de Capoüe.
Critiques orgueilleux, Frondeurs, en eft - ce affés ?
Avec Nice & Demont vous voilà terraffés.
Mais , tandis que fous lui les Alpes s'applaniffent,
Que fur les Flors voifins les Anglois en frémiffent ,
Vers les bords de l'Escaut LOUIS fait tout
trembler ;
Le Batave s'arrête , & craint de le troubler .
Miniftres , Géneraux , fuivent d'un même zéle ,
Da Confeil aux dangers, leur Prince & leur modéle.
L'Ombre du GRAND CONDE' , l'Ombre du GRAND
LOUIS ,
Dans les Champs de la Flandre ont reconnu leur
Fils :
L'Envie alors fe tait ; la Médifance admire.
Zoile, un jour du moins , renonce à la Satyre ;
Et le vieux Nouvellifte , une canne à la main ,
Trace au Palais Royal Ypre , Furne & Menin.
Ainfi , lorſqu'à Paris la tendre Melpomene
De quelque Ouvrage heureux vient embellir la
Scéne ,
En dépit des filets de cent Auteurs malins ,
Le Spectateur fenfible applaudit des deux mains ;
Ainfi
NOVEMBRE. 1744 61 .
'Ainfi , malgré Buſſy , ſes chanſons , & ſa haine ,
Nos Ayeux admiroient Luxembourg & Turenne.
Le Français , quelquefois , eft léger & moqueur ,
Mais toujours le Mérite eut des droits fur fon coeur,
Son oeil perçant & jufte eft prompt à le connoître ,
Il l'aime en fon égal ; il l'adore en ſon Maître.
La Vertu fur le Trône eft en fon plus beau jour ,
Et l'exemple du Monde en eft auffi l'amour.
Nous l'avons bien prouvé , quand la Fiévre fatale ,
A l'oeil creux, au tein fombre , à la marche inégale,
Attaqua dans fon lit , de ſes tremblantes mains ,
Au fortir des Combats , le plus grand des Humains,
Jadis Germanicus fit verfer moins de larmes ;
L'Univers éploré reffentit moins d'allarmes ,
Et goûta moins l'excès de fa félicité ,
Lorfqu'Antonin mourant , reparut en fanté.
Dans nos emportemens de douleur & de joye ,
Le coeur feul a parlé ; l'amour feul le déploye.
Paris n'a jamais vu de tranfports fi divers ,
Tant de Feux d'artifice , & fi peu de bons Vers,
Autrefois, & GRAND ROI ! les Filles de Mémoire,
Chantant au pied du Trône, en égaloient la gloire.
Que nous dégénérons de ce tems fi chéri !
L'éclat du Tiône augmente, & le nôtre eft flétri.
Oma Profe & mes Vers, gardez - vous de paroître.
Il eſt dur d'ennuyer fon Héros & fon Maître :
I. Vol D
62 MERCURE DE FRANCE.
Cependant nous avons la noble vanité
De mener les Héros à l'immortalité ;
Nous nous trompons beaucoup ; un Koi jufte &
qu'on aime ,
Va fans nous à la gloire , & doit tout à lui -même,
Chaque âge le benit , le Vieillard , expirant ,
De ce Prince , à fon Fils fait l'éloge en pleurant à
Le Fils , éternifant des Images fi cheres ,
Raconte à fes Neveux le bonheur de leurs Peres ,
Et ce nom dont la Terre aime à s'entretenir ,
Eft porté par l'Amour aux fiécles à venir.
Si pourtant , ô GRAND ROI ! quelqu'eſprit moins
vulgaire ,
3
Des voeux de tout un Peuple interpréte fincére ,
S'élevant jufqu'à Vous par le grand Art des Vers ;
Ofoit , fans vous flater , vous peindre à l'Univers ,
Peut-être on vous verroit , féduit par l'harmonie
Pardonner à l'Eloge en faveur du Génie ;
Peut-être d'un regard le Parnaffe excité ,
De fon luftre terni reprendroit la beauté .
L'oeil du Maître peut tout ; c'eſt lui qui rend la vie
Au Mérite expirant fous les dents de l'Envie ;
C'eſt lui dont les rayons ont cent fois éclairé
Le modefte Talent , dans la foule ignoré.
Un Roi qui fait régner , nous fait ce que nou
fommes :
Les regards d'un Héros produifent des Grands
Hommes.
Par M. de Voltaire.
NOVEMBRE. 1744. 63
* X*X** X*X+3X* X*X* X
N
Ous avions d'abord formé le deffein
que
de donner au Public une Liſte de
tous les Te Deum qui ont été chantés pour
la Convalescence du Roi , mais nous avons
craint que cette Lifte , trop longue & trop
uniforme , ne fâtiguât nos Lecteurs & ne
remplît mal une partie de notre Recueil
que nous pouvons donner à des matieres
plus intéreffantes. Il fuffira de dire que nonfeulement
toutes les Compagnies , toutes
les Communautés , tous les Corps de Métiers
fe font fignalés à ce fujet , mais
même les Compagnons de chaque Métier ,
& tous lesOuvriers qui n'avoient pas encore
l'honneur de faire un Corps , ont été réïnis
dans cette circonftance par leur zéle , au
défaut des Statuts , & ont fait célébrer des
Meffes folemnelles , fuivies du Te Deum &
de l'Exaudiat.On n'entendra pas dire, fans
étonnement , qu'on a vû le Public invité
par des Affiches aux Te Deum des Porteurs
d'Eau , des Bateliers du Port S. Nicolas ,
des Blanchiffeufes de la Grenoüillere , &
enfin des Laquais du Fauxbourg S. Germain.
Cette Cérémonie étoit fuivie le foir
d'Illuminations , & pendant près de trois
mois , Paris n'a point été fans être illuminé
en quelque endroit ; les Porteurs d'Eau ont
Dij
64 MERCURE DE FRANCE.
illuminé les Fontaines publiques , qui font
leur domicile le plus ordinaire.
Ces circonstances font moins frivoles
qu'elles ne le paroiffent ; on y voit la joye
fincére du Peuple , & l'amour de la Nation
pour fon Prince s'y développe mieux que
dans les louanges les plus pompeufes , car
le Peuple jamais n'a menti ni flaté.
Nous avons crû ne pouvoir nous difpenfer
de rendre compte au Public des Fêtes qui
ont été célébrées dans les differentes Villes
du Royaume , à l'occafion de la Convalefcence
du Roi ; nous croirions leur faire injuftice
, fi nous négligions de tranfmettre à
la Poftérité ces témoignages de leur zéle ,
auffi honorables pour elles , qu'ils font flateurs
pour le Prince qui en eft l'objet,
$
NOVEMBRE . 1744. 65
$
252525252525252525252525252
FESTES ,
Célébrées au fujet de l'heureux Rétabliſſement
de la fanté du Roi , dans differentes
Villes du Royaume .
SAINT QUENTIN.
LAVillede Saint Quentin s'eft extrê
mement diftinguée; une Proceffion folemnelle
& un Te Deum , ordonnés par l'Evêque
de Noyon , n'ayant pas fuffi au zéle
des Chanoines de l'Eglife Collégiale , ils
ont chanté une grande Meffe en Mufique ;
tous les Corps y ont aflifté . Une illumination
magnifique & très-bien entenduë , orna
l'Eglife Collégiale , & l'Hôtel de Ville ,
qui fit tirer un très- beau Feu d'artifice ;
beaucoup des Habitans ont fait la même dépenfe
, & les coeurs Picards ont fait briller
leur candeur & leur vivacité naturelles.
ANGOULES ME.
Dès que l'Evêque d'Angoulême apprit
l'heureufe nouvelle de la guérifon du Roi ,
il fit illuminer le clocher de la Cathédrale ,
pour informer promptement de ce Miracle
D iij,
66 MERCURE DE FRANCE.
par
les Payfans des Villages voifins , qui chaque
jour venoient en pleurs fçavoir l'état de la
fanté de leur Souverain . Toutes les actions
de graces furent renduës avec folemnité
l'Eglife, le Magiftrat & la Bourgeoisie . L’Evêque
fit fervir cinq tables abondantes &
délicates , & pendant ce repas il fit prodiguer
au Peuple des vivres , du pain & de
l'argent. Le Maire & divers Particuliers firent
dreffer des tables dans leurs ruës , où les
pálfans étoient gracieufement admis .
ROUEN.
La Ville de Rouen , par l'éclat des Fêtes
occafionnées pour la Convalefcence du Roi,
s'eft montrée digne d'être la Capitale d'une
des plus confidérables Provinces du Royaume.
Le Parlement, le Président de la Londe
qui préfide à la Chambre des Vacations, M.
de la Bourdonnaie , Intendant , enfin tous.
les Corps Supérieurs & toutes les Communautés
de la Ville , ont prouvé qu'en Normandie
leur coeur vaut bien leur efprit.
L'Abbaye de S.Oüen a célébré cette Fête,
comme une des principales Abbayes du
Royaume. Elle a décoré fuperbement fon
Eglife , tiré un beau Feu d'artifice. Après le
Te Deum , accompagné de falves de canon ,
les quatre Chantres , précédés de la Com
NOVEMBRE. 1744. 67
pagnie , appellée la Cinquantaine , allumemerent
le Feu élevé dans la Place , qui repréfentoit
quatre Baſtions .
LES BENEDICTINS DE L'ABBAYE
DE REBET S.
L'Abbé de Ceilles de Fleuri , de concert
avec les Religieux Bénédictins de l'Abbaye
de Rebets , a fèté magnifiquement la
Convalefcence du Roi . Les actions de graces
furent folemnelles . On tira dans la grande
Place un Feu d'artifice , & on y éleva un
grand Arc de triomphe , orné de Feftons &
de Guirlandes.
LAON.
La Ville de Laon a donné les plus éclatantes
marques de fa joye au retour de la
fanté du Roi. L'Eglife Cathédrale a chanté
folemnellement le Te Deum. L'Illumination
a été générale & brillante . L'Evêque a allumé
le feu préparé dans la Place de l'Hôtel
de Ville ; il étoit accompagné par le Corps
de Ville , précédé des Gardes du Gouver
neur & du Lieutenant Général de la Province
, & de toutes les Compagnies Bourgeoifes.
UneDécoration , d'un goût fingulier,
forma un Spectacle applaudi , ainfi que le
1
Diiij
68 MERCURE DE FRANCE.
Théatre de l'artifice , qui en partit longtems
avec profufion .
ΝΟΥ Ο Ν.
Noyon ne l'a pas cédé à Laon , & les Bénédictins
de l'Abbaye de S. Eloi , & même
le Convent des Capucins , enfin le Clergé
Séculier & Régulier , le Magiftrat & tous
les Habitans fe font diftingués dans leurs
Réjouiffances publiques & particulieres .
LIMOGES .
Nous nous garderons bien d'oublier les
Réjouiffances du Chapitre de l'Eglife Roya
le & Collégiale de cette Ville & de fon
Préfidial , ainfi que du Corps de Ville , &
de foixante notables Bourgeois du Quartier
S. Martial , qui affifterent au Te Deum , en
habits uniformes . Plus de deux mille Flambeaux
& des Luftres innombrables , éclairerent
la principale façade de l'Eglife.
PONTOISE.
Mad. d'Argouges de Ranes , Prieur de S."
Nicolas de Pontoife, & les Religieufes de ec
Convent, ont chanté , après le Te Deum, un
Exaudiat , mis en Mufique par le Curé de
NOVEMBRE . 69 1744 .
--
l'Eglife de S. Pierre de Pontoife. L'illumination
a parfaitement réüffi.
AVIGNO N.
La joye univerfelle de la France s'eft
communiquée à cette Ville Etrangere ; le
Vice- Légat , les Confuls & tous les Tribu
naux , ont parû François dans cette occafion.
Après les devoirs pieux rendus , un Concert
&une collation magnifiques, précédés d'un
dîner fomptueux chés le Vice-Légat , on
tira un Feu d'artifice des plus beaux , compofé
par Il Signor Carlo Genuini,un des plus
célébres Artificiers d'Italie.
SOISSONS.
Les bornes , prefcrites à ce Journal , ne
permettent pas de détailler tout ce qui s'eft
paffé à Soiffons, quand la Convalefcence du
Roi y a été annoncée. Le Duc de Fitsjames,
Evêque de Soiffons & Premier Aumônier
du Roi , a peint dans fon Mandement le
coeur de ce Monarque , & le peindre , c'eft
le louer fans adulation. Les vertus n'ont
pas befoin d'ornemens . Le Te Deum de la
compofition de M. Morel , Organiſte de la
célebre Abbaye de S. Jean des Vignes , fut,
chanté au bruit d'une triple falve d'Arcille-
D v
70
MERCURE DE FRANCE.
ג
rie. M. le Comté de Buron , Lieutenant
Général de la Province , & le Corps de Vil
le, accompagnés des Gardes de M. le Duc de
Gêvres , Gouverneur , & de ceux du Comte
de Buron,y affifterent,ainsi que le Préfidial,
qui les avoit devancés ; l'illumination , les
feftins & les largeffes faites au Peuple , ca
ractériferent la fatisfaction généralé. M.
Méliand , Intendant de la Province, fe dif
tingua dans tout ce qu'il fit dans ces jours
fortunés ; on donna la Comédie fur un
Théatre dreffé dans la Place publique , exécutée
par une Troupe arrivée à propos.L'ingénieux
Feu d'artifice répréfentoit le Temple
du Deftin , & quoique l'ordonnance en
füt des plus nobles & des plus frappantes ,
il étoit encore plus orné par les Inferiptions
qui le décoroient . Il faudroit les tranfcrire
routes ici , fi on vouloit y rappeller les plus
belles. On ne donnera que le premier Emblême
, compofé par M. Racine , le petitfils
, âgé de dix ans ; ainfi le nom de Racine
eft un Eloge depuis trois générations . Cet
Emblême , défignant le Roi en danger de
mourir , eft une belle fleur , qu'un Moiffonneur
femble refpecter , avec cette Infcrip
tion : Eft gloria Terra.
Moiffonneur , qu'en ta main cruelle
La Faux s'arrête en ce moment. !
NOVEMBRE. 1744. 71
; Ah ! reſpecte une fleur fi belle
De la Terre elle eft l'ornement .
L'Emblême deuxième mérite d'être cité
puifqu'il exprime des fentimens que toutes
les Provinces de France ont également fait
éclater ; c'eft un Roi d'Abeilles , languiffant,
environné d'un grand nombre d'Abeilles ,
dont les unes l'épluchent , les autres lui
préſentent du miel au bout de leurs trompes
, d'autres fe gliffent fous lui ,pour le foulever
, avec cette intéretfante Infcription
Regem fic obfervant nulli.
L'Abeille eft l'Image fidelle
Des fentimens & des coeurs des François
Quel Peuple eut jamais plus de zéle,
Plus de refpect & d'amour pour ſes Rois !
Plufieurs Dames & Cavaliers de la Ville ,
exécuterent chés M. l'Intendant un Diver
tiffement , dont les paroles font de M. Roy,
Chevalier de l'Ordre de S. Michel , & la
Mufique de M. Morel , Organiſte de S. Jean
des Vignes , qui fut applaudi par les Connoiffeurs.
On fouhaiteroit pouvoir donner
ici tout ce Divertiffement , intitulé : Les
Bergers de l'Aifne , où l'Auteur fans s'écarter
du genre lyrique , a raffemblé des traits de
notre Hiftoire & de la Fable . Voici feule-
D vj
72
MERCURE
DE FRANCE
.
ment la troifiéme & derniere Scéne chantée
par Apollon .
APOLLON AUX BERGERS DE L'AISNE .
Reſpirez après tant d'allarmes,
*
Vous, Monftres de l'Enfer rentrez y pour jamais.
Miniftres de la mort , ma main brife vos traits ;
Admete , ouvre les yeux à la clarté Céleste ,
Mais à tant de faveurs Apollon aujourd'hui
N'impofe point de loi funefte ;
On vous rend un Pere , un appui ,
Sans qu'il en coute à la fidéle Alcefte ,
Des jours que fa tendreffe auroit donnés pour lui.
Triomphe , Victoire ;
De vos chants frappez les airs ,
Trompettes & Tambours par vos bruyans Concerts
De ce jour confacrez la gloire ;
C'eft la Fête de l'Univers.
Le Chapitre & l'Abbaye de S. Jean des
Vignes , ont auffi donné des Fêtes , qui méri
tent une ample Defcription .
>
Monfeigneur le Dauphin & Mefdames
de France en revenant de Metz , firent
l'honneur à M. l'Intendant de fouper & de
coucher chés lui. Ils virent l'illumination
& le feu d'artifice, d'un goût nouveau ,inven-
A l'Envie & fa fuite.
NOVEMBRE.
73 1744.
té & exécuté par
le frere Philbert, Religieux
Capucin à la Fere.
Les Curieux liront la Relation de ces
Fêtes,imprimée à Soiffons , chés la veuve de
Charles Courtois , Imprimeur du Roi , près
l'Election ; ils y verront avec plaifir le Compliment
fait à M. Meliand , Intendant, par
M. Carrier , Maire ; une Paftorale & un
Vaudeville de M. Berfon ; la Nymphe de
l'Aifne au Roi , de M. de Royaucourt ; une
Ode de M. l'Abbé Portes , Chanoine de
l'Eglife de Laon.
S. GERMAIN - EN - LAYE
Le 13 , la Paroiffe de S. Germain-en-
Laye , chanta le Te Deum avec grande folemnité
, & les Anglois , qui demeurent dans
le Château , le firent chanter par la Mufique
du Roi ; l'illumination & les autres
réjouiffances furent dignes d'une Maifon
Royale .
SAINT DENIS.
L'Abbaye & la Ville s'acquitterent le
21 d'un devoir qui fut pour eux un trèsgrand
plaifir : il y eut illumination & feu
d'artifice.
74 MERCURE DE FRANCE.
VERSAILLES.
Cette Ville a prouvé qu'elle étoit le féjour
ordinaire du Roi , par les plus vives
marques dd''uunnee jjooyyee fincere ; l'illumination
des deux Paroiffes & des Récolets fut frapante.
M. Sibot , Prêtre de la Miffion , a
fait la dépenfe de celle de l'Eglife de S.
Louis , & le deffein de la Décoration , ingénieufement
conduit , étoit de M. Frati ,
Peintre & Architecte de l'Académie de
Florence on y voyoit la Statue du Roi ,
avec cette touchante Infcription :
Parenti Patria Redivivo confecrat amor.
GENES.
Le 13 Septembre , on chanta le Te Deum
dans la Chapelle de la Nation Françoife .
M. de Jonville , Envoyé Extraordinaire du
Roi de France auprès de cette République ,
foutint parfaitement dans cette occafion la
dignité de fon caractere. Son Hôtel fut le
foir magnifiquement illuminé , & les François
, domiciliés à Génes, fignalerent leur zéle
& leur joye.
Il y eut le 28 du mois dernier à Iffy ,
dans la Maiſon du Séminaire de S. Sulpice >
NOVEMBRE . 75 • 1744
pour la Convalefcence du Roi , une des
plus belles illuminations qui ayent été faites
à cette occafion .
Dans l'enfoncement du Parterre , au- def
fus du grand Baffin , s'élévoit un Temple
d'une magnifique ftructure.UneColonnade ,
qui formoit divers Portiques , régnoit des
deux côtés du Jardin ; chaque Colonne portoit
une Pyramide , & un Luftre étoit fufpendu
au milieu de chaque Portique . De
diftance en diftance , étoient des Pyramides
, détachées de la Colonnade , & terminées
par des Globes de feu , de chacun defquels
naiffoit une Guirlande . Toute cette
Décoration étoit éclairée d'une quantité
prodigieufe de Terrines & de Pots -à-feu .
Des Lampions fans nombre figuroient le
Deffein du Parterre, & les Ifs, qui l'environétoient
entierement illuminés. Cette
illumination fut accompagnée d'un feu d'artifice
d'une très-longue durée & d'une variété
finguliére , & le grand Baffin fournit
une des parties les plus intéreffantes du
fpectacle par les feux de toute efpéce & de
differentes formes , qui en fortirent. Il parut
pendant long-tems bordé de Gerbes de
feu
, ainfi que l'allée qui y conduit. Plufieurs
Prélats & autres perfonnes de diftinction
ont affifté à cette Fête , qui a été ordonnée
par l'Abbé Coufturier , Supérieur
du Séminaire de S. Sulpice.
76 MERCURE DE FRANCE.
Les habitans de Touloufe ont rendu plut
fieurs jours de fuite des actions de graces &
de réjouiffances , pour le rétabliffement de
la fanté du Roi,
Le Parlement de cette Ville , fi - tôt qu'il
eut reçû la nouvelle de la Convalefcence
du Roi , fit chanter dans la Grande Sale du
Palais le Te Deum auquel il affifta en Corps,
& la nuit fuivante toutes les Maifons des
Préfidens & des Confeillers furent illuminées.
Le lendemain , le Te Deum fut chanté
dans l'EglifeMétropolitaine avec une folemnité
extraordinaire,& leParlement s'y trouva
ainfi que les autres Compagnies. Il y eut le
foir une magnifique illumination au Palais
de l'Archevêque. Le Bureau des Finances ,
l'Univerfité , l'Académie des Jeux Floraux
le Sénéchal & le Viguier firent éclater auffi
dans les jours fuivans leur zéle par des Fêtes
particulieres. Les préparatifs ordonnés
par les Capitouls , ayant été achevés , le
Chapitre de l'Eglife Métropolitaine fe rendit
proceffionnellement à la Chapelle du
Capitole , & le Prévôt du Chapitre y entonna
le Te Deum , qui fut fuivi d'une illu
mination générale dans toute la Ville. Tou
tes les Communautés Religieufes & les differens
Corps des Marchands & des Artifans
ont donné fucceffivement des témoignages
finguliers de leur amour refpecteux pour le
NOVEMBRE . 1744. 77
Roi. Les Jefuites du Collége & les Bénédictins
de la Daurade ſe font furtout diftingués
à cette occafion . L'Archevêque , ayant
reçû la Lettre que S. M. lui a écrite , pour
faire rendre à Dieu de folemnelles actions
de graces de l'avoir confervée , on chanta
pour la feconde fois dans l'Eglife Métropo
litaine le Te Deum , auquel l'Archevêque
officia pontificalement , & auquel le Parlement
& toutes les Compagnies affifterent.
Le foir , toutes les ruës furent illuminées
ainfi qu'elles l'avoient été le jour du Te
Deum du Corps de Ville , & ces illuminations
furent renouvellées les deux nuits fuivantes.
Toutes ces Fêtes ont été terminées
par un feu d'artifice , que la Ville avoit fait
préparer dans la Place du Capitole , & dont
la Décoration & l'exécution ont dû fatisfaire
les connoiffeurs les plus difficiles.
On a appris de Rome du 3 du mois dernier
, que l'Abbé de Canillac , Auditeur de
Rote pour la France & chargé des affaires
du Roi Très - Chrétien auprès du S. Siége ,
ayant été informé du rétabliffement de la
fanté de ce Monarque , l'Eglife de S. Louis
de la Nation Françoife fut éclairée & ornée
par les ordres de ce Miniftre , avec une magnificence
, qui a excité avec juſtice l'admifation
générale , & que le 27 du même mois
78 MERCURE DE FRANCE .
il y fit chanter le Te Deum en Mufique par
les voix les plus célébres de cette Ville .
Tous les Cardinaux y affifterent avec un
empreffement , infpiré par l'intérêt que
toute l'Europe prend à la vie du Roi de
France , & le Pape , voulant témoigner
combien il étoit fenfible à la confervation
de S. M. T. C. alla l'après-midi en rendre
graces à Dieu dans la même Eglife , Le foir
& ceux des deux jours fuivans , cette Eglife
& celle des Minimes François furent entie
rement illuminées , ainfi que le Palais de
l'Abbé de Canillac , ceux de toutes les perfonnes
de diftinction attachées à la Couronne
de France , & toutes les maifons des
François, qui font à Rome . Pendant ces trois
jours , un grand nombre de Symphoniſtes ,
placés fur trois Balcons du Palais de l'Abbé
de Canillac , donnerent au Public , en exécutant
alternativement divers morceaux de
Mufique Inftrumentale , un Concert pref
que continuel. Ce Miniftre avoit fait mettre
de . pareils Orcheftres à l'Eglife de S.
Louis & à l'Académie de France , & tout le
monde a paru également touché & fatisfait
de la maniere dont il a manifefté fon zéle
pour fon Augufte Souverain .
La Ville de Dax n'a pas moins fignalé fon
aéle , que les autres Villes du Royaume , &
NOVEMBRE. 1744. 79
elle a rendu de folemnelles actions de graces
à Dieu pour la confervation du Roi par
le Te Deum , qui a été chanté dans l'Eglife
Cathédrale , & auquel le Préfidial , le Corps
de Ville & la Prévôté ont affifté. Le jour
de cette Cérémonie , toute la Ville fut illu
minée , & M. Dantin de S. Pée , qui y com
mande pour le Roi , fit fervir plufieurs ta
bles pour toutes les perfonnes de diftinction
dans une allée fur le rempart du Château
laquelle étoit éclairée par un grand nombre
de Luftres & de Lampions. Le fouper , pendant
lequel on fit plufieurs Salves d'artillerie
, fut fuivi d'un Bal. Plufieurs Fontaines
de Vin coulerent toute la nuit pour le Peu
ple. M. Dantin de S. Pée donna le lendemain
le Spectacle d'une courfe de Taureaux.
La joye du Corps de Ville a éclaté auffi par
diverfes Fêtes pendant plufieurs jours confécutifs
.
Le Bailly de Camilly , Chef d'Efcadre
& Commandant la Marine pour le Roi à
Breft , y a fait chanter le Te Deum & l'Exaudiat
dans la Chapelle de S. M. au bruit
d'une triple décharge de l'artillerie des Remparts
, du Port & des Vaiffeaux. Le foir ,
toutes les perfonnes de diftinction de la
Ville fouperent chés lui à cinq tables , chacune
de 40 couverts , fervies avec autant de
80 MERCURE DE FRANCE.
profufion que de délicateffe . Après le repas ,
il y eur un Bal maſqué dans le Jardin , qui
étoit illuminé avec beaucoup de goût, auffibien
que la façade & les cours de l'Hôtel .
La Fête que M. Bigot de la Mothe , Intendant
de Marine dans le même Port , & à laquelle
il a invité plus de 120 Dames , &
tous les Officiers qui font à Breft , n'a point
cédé à celle du Bailly de Camilly.
Le jour auquel les Religieux Bénédictins
de l'Abbaye de Fécamp ont chanté le Te
Deum , pour remercier Dieu d'avoir rendu
le Roi à la France , leur Eglife fut éclairée
tant en dedans qu'en dehors avec la plus
grande magnificence. Ils firent tirer le même
jour un très-beau feu d'artifice , & nonfeulement
ils donnerent à manger aux pauvres
Communautés & à toutes les perfonnes
de l'Hôpital , mais ils diftribuerent encore
d'abondantes aumônes.
NOVEMBRE, 1744. 81
RELATION d'une Fête champêtre
donnée par M. de Rol Montpellier , le
20 Septembre 1744 , dans fon Château
de Montpellier , fur la Dour , à deux
Lienes de Bayonne,
M
.de Rol Montpellier , Chevalier de
l'Ordre de S. Michel , voulant donner
des marques de fon zéle ardent pour la
perfonne facrée de S. M. réfolut de faire
chanter le Te Deum dans fa Chapelle , en
action de graces de la Convalefcence du
Roi , & de faire des Réjouiffances , auſquelles
fa maiſon , fes amis & tous les tenanciers
priffent part. Ayant pris jour pour le Dimanche
vingt Septembre , la Fête fut an
noncée par la Générale , qui fut battuë à
fept heures du matin par une bande d'excellens
Tambours , accompagnés de Flutes
du Pays , de Violons & de Cors de Chaffe ;
à neuf heures on battit l'affemblée & à onze
le Drapeau : à ce fignal un Canot , extrêmement
propre , mouillé en face d'une trèsbelle
Terraffe , qui borde tout l'enclos , fut
orné de Pavois , de Pavillons & de flâmes ;
toutes les rames étoient peintes avec goût &
placées fur les bancs ; à midi ce Canot , bien
82 MERCURE DE FRANCE.
équippé , vogua comme un trait le long des
deux rives ; les Matelots criant continuellement
Vive le Roi , ce que les habitans des
deux bords répétoient avec des tranſports
de joye & de tendreffe , qui rendoient parfaitement
leurs fentimens : ce Canot vint
enfuite remoüiller à fon premier pofte ,
pendant que la Compagnie dîna.
Sur les trois heures , tous les tenanciers &
les voifins s'affemblerent en armes & en
très -grand nombre, dans le meilleur équipage
qu'il leur fut poflible. Une multitude infinie
de curieux des deux fexes fe rendirent
auffi dans l'enclos ; les Dames leur diftribuerent
des Cocardes & des Bouquets ; ils
formerent dans les Bofquets & fur les Terraffes
plufieurs troupes de Danfeurs au fon
de divers Inftrumens ; à cinq heures le Te
Deum fut chanté dans la Chapelle, après lequel
M. de Rol , fuivi des Cavaliers qu'il
avoit invitées à cette Fête , & de la plupart
de fa famille, alla fe mettre à la tête de la
Milice , qui étoit en bataille dans un avantil
marcha enfuite l'Efponton à la
main , revêtu de l'Ordre de S. Michel pardeffus
fon habit , la troupe défilant par quatre
, au fon de tous les Inftrumens ; il fit
tout le tour de l'enclos , qui eft vaſte , & arrivant
à un bout de la Terraffe , qui eft le
long de la Dour , il la fit border , la droite
NOVEMBRE. 1744. 83
gau- appuyée à une espece de Baſtion , & la
che à un grand Pavillon , qui avance également
dans la riviere;une demie heure après
il alluma le Feu de joye , placé entre le Château
& la riviere . On fit à l'inftant une décharge
de toute la moufqueterie , & les cris
de VIVE LE ROI fe firent entendre de toutes
parts. Tous ceux qui étoient répandus fur
le bord de la riviere , dans une étendue
d'une demie- lieuë , répétoient ces mêmes
cris avec une émulation charmante . Vers
les 7 heures du foir , on diſtribua des viandes
, du pain , du vin , & des fruits à tout
le monde ; un peu avant la nuit , les Tambours
rappellerent , & la Milice ayant repris
fon pofte , les Tambours battant la
Charge , firent une feconde décharge , après
laquelle il y eut un grand fouper. Trois tables
furent fervies avec autant de délicateffe
que de profufion ; vers les dix heures , le
fignal ayant été donné par des fufées volantes
, le Château , le Cañot & la Terraffe furent
illuminés , & la Milice fit une troifiéme
décharge , pendant que les Tambours & les
autres Inftrumens faifoient un bruit de
guerre , qui fut très-bien exécuté . Enfuite
tout le Peuple fe difperfa par bandes dans
les Bois & dans les Bofquets , qui étoient
éclairés
, pour. pour danfer au fon des Inftrumens
& à la voix ; tandis que la Compagnie pla
84 MERCURE DE FRANCE.
cée fous un Berceau illuminé avec art, commença
un Bal qui dura jufqu'au jour , les
rafraîchiffemens furent fervis avec abondance
, & deux Fontaines de Vin , placées
dans les Bofquets , coulerent pendant tout
ce tems pour les Payfans , qui y pafferent la
nuit ; les fufées & les décharges ranimoient
de tems en tems la joye & le bruyant de
cette Fête, Avant le point du jour , le Canot
avec fes armemens & fes falots , & équipé
des plus vigoureux nâgeurs , reconnus pour
les meilleurs qu'il y ait en France , vogua
comme un trait. Un grand nombre de Čavaliers
s'y étoient embarqués avec la Symphonie
; la force des rameurs & l'habileté
du Pilote imitoient parfaitement des Danfes
en rond au milieu de la riviere , au fon des
Inftrumens ; les rivages retentiffoient des
cris continuels de Vive le Roi , & la moufqueterie
, faifant de nouvelles décharges toutes
les fois que le Canot paffoit le long de
la Terraffe , il parcourut les bords de la riviere
extrêmement garnie de maifons , dont
les habitans ,fe levant en furfaut,fe plaçoient
aux fenêtres , ou fortoient à demi nuds
pour fuivre le Canot,& joindre leurs accla
mations & leurs cris à ceux de cette troupe
flotante. La Fête fut terminée par une Danfe
générale du Pays , nommée la Panperuque ,
Tes Tambours battant un air extrêmement
gay :
NOVEMBRE . 85
1744.
gay toutes les Dames , les Cavaliers , les
Payfans & les Payfannes faifant une chaîne
qui tenoit tout l'enclos .
Il est aisé de donner des Fêtes plus magnifiques
, mais il n'eft pas poffible d'en
voir de plus vives ; l'amour & la joye éclatoient
de toutes parts ; les difcours des Payfans
valoient des Panégyriques , & les Piéces
les plus achevées que les meilleures plumes
ont produit dans un événement auffi
intéreffant.
Les Peres Dominiquains du Convent
Royal de S. Maximin , en Provence , fe
font diftingués par les témoignages de joye
qu'ils ont fait paroître à la Convalefcence
du Roi ; ils commencerent leur Fête par
une grande Meffe chantée folemnellement ;
l'après-midi , le Prieur de la Maiſon fit diftribuer
une grande quantité de pain & d'argent
à tous les Pauvres qui fe préfenterent ;
l'entrée de la nuit , il y eut tant au dedans
qu'au dehors de l'Eglife une illumination
des plus brillantes , qui relevoit la beauté
de ce Temple , l'un des plus auguftes du
Royaume , & fur la porte duquel on lifoit
cette Infcription : Audivi orationem tuam
vidi lacrimas tuas fanavi eum. Au- deffus
de cette Inſcription on avoit placé les Armes
du Roi avec ces mots : Vive Louis le
1. Vol.
E
86 MERCURE DE FRANCE.
Bien-Aimé ; les traits des Armes & des Lettres
, qui étoient ménagés avec la réfléxion
de la lumiere , préfentoient un coup d'oeil
des plus fatisfaifans ; le corps de logis , qui
donne fur la Place de devant l'Eglife , &
qui eſt deſtiné à recevoir les Rois & les
Princes , lorfqu'ils paffent à S. Maximin , fut
pareillement illuminé avec fymmétrie ; on
voyoit fur la porte du Convent un Arc de
Triomphe , au-deffus duquel étoient des
Emblêmes avec cette Infcription au milieu ;
Oravimus ad Dominum , exauditi fumus ,
obtulimusfacrificium & fimilaginem , & accendimus
lucernas , & propofuimus panes. Pene
dant l'illumination on chanta le Te Deum
& l'Exaudiat avec la même folemnité & le
même concours de monde qu'à la grande
Meffe, Après l'Exaudiat , pendant lequel
on fit plufieurs décharges de boëtes , on tira
un très-beau feu d'artifice , qui repréfentoit
les Armes de l'Ordre de S. Dominique , &
qui étoit orné de plufieurs Emblêmes.
NOVEMBRE. 1744. 87
DESCRIPTION , des réjouiffances
faites par les Entrepreneurs Généraux des
Poudres , au fujet de la Convalescence du
Roi,
L
Es Entrepreneurs Généraux des Pou
dres & Salpêtres de France defirant
donner des témoignages publics de la
joye fincere qu'ils ont reffentie du rétabliſ
fement de la fanté du Roi , réfolurent d'en
rendre graces à Dieu par un Te Deum , chanté
dans l'Eglife des R. R. Peres Céleftins , d'illuminer
le Jardin de l'Arcenal , & de don
ner un feu d'artifice fur la riviere , en face
de l'extrêmité de la Terraffe de ce Jardin,
M. le Comte d'Eu , Grand- Maître de l'Artillerie
, leur avoit permis de fe fervir des
boëtes qui font gardées dans les magaſins de
l'Arcenal.
Le Lundi 21 Septembre à 6 heures du
matin , il fut fait une décharge de cent boëtes
, pour annoncer la joye de ce jour. Il en
fut fait une feconde à midi . La troifiéme à
4 heures. La quatrième à 6 heures , avant
que de commencer le Te Deum . Lacinquiéme
à 8 heures , après le Te Deum. La fixiéme
Eij
88 MERCURE DE FRANCE.
"
à 10 heures après le feu d'artifice . La feptiéme
& derniere à minuit.
TE DEUM, & Décoration dans l'Eglife
des Célestins.
La Nef de l'Eglife des Céleftins étoit décorée
de fept grands Luftres de cristal , garnis
de bougies , cinq dans l'avant- Choeur
& deux autres dans le retour , du côté des
Chapelles.
Le Choeur étoit éclairé de 336 Lampions
de cire , placés tout le long de la corniche du
lambris, au- deffus des Stalles , & de quatre
girandoles de cristal , garnies auffi de bougies
aux quatre extrêmités du lambris.
Le grand Autel , outre les cierges ordinaires
, étoit orné de feize girandoles de
cristal , garnies de bougies , placées fur les
appuis des Baluftres de marbre , qui forment
l'enceinte du Sanctuaire , & fur deux traverfes
en diagonale , qui accompagnent
l'Autel ; la régularité du deffein de ces Baluftres
favorifoit extrêmement la difpofition
des lumieres , qui fut trouvée de bon goût,
Le Te Deum commença à 6 heures & un
quart , immédiatement après la quatrième
décharge des boëtes ; on exécuta celui de
M. de la Lande , fous la direction de Mrs
Rebel & Francoeur , Sur-Intendans de la
NOVEMBRE. 1744. 89
Mufique du Roi en furvivance. Le Concert
étoit compofé de 80 Muficiens de la Muſtque
du Roi , & autres ; l'exécution fut
trouvée parfaite , & dura près d'une heure.
L'Eglife des Céleftins n'ayant point de
Jubé , on avoit conftruit au- deffus de la
porte du Choeur , en dehors , dans toute la
largeur de la façade , une Tribune de charpente
, large & commode , avec des Gradins
pour y placer la Mufique , dont le bâtis
étoit couvert de tapifferie.
La porte & l'intérieur de l'Eglife étoient
gardés par des Suiffes du Régiment des Gardes,
commandés par leurs Sergens, ils furent
auffi placés à la porte , & dans l'intérieur
du Jardin.
nal
DECORATION DU JARDIN.
par
Au fortir du Te Deum , on entra à l'Arcela
porte qui eft fur le Quai des Céleftins
, joignant l'Eglife ; cette porte étoit
décorée de deux Pilaftres , furmontés d'une
archivolte , qui portoit trois Girandoles Pyramidales
garnies de Lampions.
Toutes les cours de l'Arcenal , depuis
cette porte , étoient éclairées par des Terrines
, dont la porte qui donne fur la ruë
de la Cerifaye , étoit auffi garnie.
La porte du Jardin garnie auffi de Terri-
E iij
, 0 MERCURE
DE FRANCE.
nes fur le cintre , étoit maſquée en dedans
au fond du Parterre de ce côté , & en face
de la principale allée qui finit à la Terraffe
de trois grandes Arcades de 24 pieds de
haut, furmontées chacune d'une Girandole ;
du cintre de chacune de ces Arcades , il
pendoit une autre Girandole , en forme de
Luftre , foutenue par une Guirlande de lumieres
, le tout formé de Lampions . L'allée
en face , étoit garnie à droite & à gauche de
40 piédeftaux , portant chacun une Girandole
de 5 pieds de haut , placée dans les intervales
des Ifs qui entourent les compartimens
du Parterre , & fur la pointe de cha
cun de ces Ifs étoit placée une groffe Terrine
; cette allée , & le baffin qui eft au milieu
, étoient bordés d'un filet de Terrines ;
aux extrêmités des bordures du Parterre ,
étoient placées deux grandes Pyramides de
lumieres de 21 pieds de haut , terminées
chacune par une Girandole ; & en retour
des Parterres , fur la même ligne des Pyramides
, étoient placés de chacun des côtés
quatre piédeftaux , portant chacun leur Girandole
, le tout garni de Lampions.
Dans les intervales des Arbres , qui forment
les allées qui accompagnent les côtés
du Parterre , depuis la porte du Jardin jufqu'à
leurs extrêmités , au bord de la Terraffe
, on avoit attaché des fils d'archal , où
NOVEMBRE . 1744. от
pendoient des Lampes de Sureine , qui formoient
un filet de lumiere.
On avoit rempli de même les intervales
des Arbres , qui formoient l'allée de la Terraffe
, depuis le mur de la Baftille où elle
commence , jufqu'à l'autre extrêmité fur le
bord de la riviere , ainfi que dans le retour
que la Terraffe forme en baftion à cet endroit,
où eft le Cabinet de plaifance de S. A.
S. Mad. la Ducheffe du Maine , ce qui comprend
une longueur au moins de deux cent
toifes.
Dans toute cette même longueur , depuis
le mur de la Baftille jufqu'à l'extrêmité fur
la riviere , y compris le retour dont on vient
de parler , le Parapet de la Terraffe , qui
n'eft interrompu que par le magafin des
Poudres , conftruit dans le foffé , fur l'appui
de la Terraffe , étoit auffi garni d'un filet de
lumieres , formé par des Terrines à deux
pieds & demi de diftance l'une de l'autre ,
qui répétoit celui des Lampes de Sureine
placées dans les intervales des Arbres .
FEU D'ARTIFICE.
Après avoir obtenu la permiffion de M.
le Prevôt des Marchands , on plaça à l'endroit
qu'il lui avoit plû d'indiquer , dans le
milieu de la riviere , vis- à-vis de l'extrémité
E iiij
91 MERCURE DE FRANCE.
de la Terraffe de l'Arcenal , au- deffus de la
Patache , deux bateaux marnois l'un auprès
de l'autre , de 10 à 12 toifes de long , fur
18 à 20 pieds de large , fur lefquels on avoit
bâti un plancher; autour de ces deux grands ,
étoient rangés fix petits bateaux chargés de
l'artifice .
On avoit pofé fur le plancher des deux
grands bateaux , quatre chevalets , fur lefquels
on tira pendant une demie heure 500
fufées volantes , des cinq plus belles façons
dont on les puiffe compofer , qui partirent
quatre à quatre ; fçavoir , 382 fufées , appellées
des trois douzaines , 43 ,
dites de
quatre douzaines, 17 , dites de cinq douzaines
, 5 dites, de fix douzaines , 53 , dites fufées
d'honneur , de 2 pouces & demi de diamétre.
On fit partir enfuite 64 douzaines de fufées
volantes , doubles marquifes, diftribuées
en 32 Caiffes , de deux douzaines chacune ,
tirées des deux extrêmités des bateaux
après lefquelles parut un brin de quatre
douzaines de Pots-à-feu , & une Girande
composée de 38 douzaines de fufées volantes,
auffi doubles marquifes ; ce qui fut ſuivi
de l'effet de deux Soleils tournans , placés
aux extrêmités des bateaux.
Le feu fut terminé par un Soleil fixe à
douze
rayons , à chaque côté duquel on tira
NOVEMBRE. 1744 93
trois Pots à Aigrettes , remplis de Serpenteaux
& d'Etoiles .
Cette journée finit par le fouper , qui fut
fervi après le feu à une table de 25 couverts
, & qui dura jufqu'après minuit : on
laiffa entrer dans la Sale , qui eft trèsgrande
, tous ceux , en affés grand nombre ,
qui eurent la curiofité d'être les témoins
par eux-mêmes , de la joye vive & fincere
des Convives , de l'événement heureux
qui les raffembloit ; celle des Spectateurs
peinte fur leurs vifages , laiffoit affés voir
à quel point ils la partageoient & la reffentoient.
Il y eut dans le Jardin des Violons , &
des Danfes , qui durerent jufqu'à trois ou
quatre heures , & ne finirent qu'à l'extinc
tion totale de l'illumination.
Ev
94 MERCURE DE FRANCE.
7
02 02 82 82 02 02 02
LE DOR MEUR.
Pour un Dormeur l'infuportable choſe
Que des Exploits , des Victoires fans fin ;
Qu'un Roi qui fait tout ce qu'il fe propoſe !
C'étoit d'abord Ypre , Furne , Menin ,
Puis Montalban, Démont , Château - Dauphin ;
Aujourd'hui c'eft Fribourg. Au diable qui repoſe ,
Quand Louis a les Armes à la main..
La Baftille & les Invalides ,
De tels Lauriers toujours avides ,
Braquant leur Airain triomphal ,
Pour mieux honorer la Conquête ,
Se font un devoir capital ,
Dans les bras du fommeil , de vous fendre la tête .
Je m'éveille en furfaut , je jure , je tempête :
C'est encor > me dit- on , des Ennemis à bas.
Alors je me tapis , & j'enrage tout bas ,
NOVEMBRE. 1744. 95
Non de nos Ennemis, bien affommés fans doute ,
Mais de mes Pavots en déroute ,
Dont je ne sçaurois trop gémir.
C'en eft fait , je perds patience .
LOUIS veut vaincre , & moi , je veux dormir,
Il me faut donc ailleurs fixer ma réfidence ,
Et fuir dans un Climat lointain .
Oui , je me léve , & pars foudain :'
Je vais chercher au bout du monde
Quelqu'azile , où , fans embarras ,
Je puiffe enfin goûter , entre deux draps
Une tranquillité profonde ;
Où , toujours à l'abri des boëtes , du canon ,
Et laiſſant à LOUIS fignaler fon courage ,
Je n'entende jamais , dans ma nouvelle Plage ,
De bruit que celui de fon nom ,
Evi
96 MERCURE DE FRANCE
JE
ENIG ME.
E ne compterai point mes rares facultés ;
Je n'en ai point ; fans honte je l'avouë ',
On a pourtant loué mes grandes qualités :
Il n'eft rien qu'on ne blâme , il n'eft rien qu'on në
lonë.
Souvent je broüille les Amans ;
Je donne des graces aux belles ;
J'amufe les petits enfans ,
It j'occupe fouvent les plus graves cervelles .
Lecteur , voilà mon beau côté ;
Si tú me prends en fens contraire ,
Partout je fuis craiut , déteſté ;
On me mépriſe, on me préfére ,
L'animal le plus rebuté ,
Qu'on voye fur notre Hémifphére ::
C'en eft affés ; il eft tems de me taire ;.
Je me fuis affés maltraité .
Par M. Jacques , Marchand Eventaillife ,
rue Mouffetar.
NOVEMBRE. 1744.
97
LOGOGRYPHE.
S Ans rien ôter , & fans rien mettre ,
Mais en renverfant chaque Lettre ,
On trouve en moi par un détail fuccint
Une Bête , un Royaume , & la place d'un Saint
Par le même
AUTR E.
J E fuis un tout , & ce tout eft moitié
D'un autre tout , dont la figure,
La propriété , la ſtructure ,
Tout enfin de la tête au pié ,
Eft different de ma nature.
Selon les Pays & les goûts ,
Je fers a differens uſages ,
Chés des peuples voifins de nous,
Je fuis fonore , & les plus fages ,
En m'écoutant , fautent comme des fousa
Je marche fur huit pieds qui me font crier gåre
Quand on les combine avec choix ;
En me détaillant mille fois ,
On n'y peut trouver qu'une tare ;
Mes pieds font huit ; écoutez bien ceci :
MERCURE DE FRANCE.
Choififfez entr'eux le fixiéme ,
Faites le fuivre du deuxieme ;
Joignez- y le dernier , & fur ce dernier - c
Tirez un accent que voici 1 ,
Vous formerez un mot aimable ,
Sans lequel rien n'eft agréable ;
Par une autre combinaiſon ,
ous trouverez en moi ce qu'on fait à la tête ,
A la moindre démangeaiſon ;
Ce qu'on obferve aux jours de Fête ;
Que fçais-je encor ; une affés laide bête ,
Qui n'eft pas plus groffe qu'un rat ;
Si tout Lecteur n'étoit pas un ingrat ,
Je vous dirois encor bien autre chofe ,
Mais je finis ces Vers en Profe ;
Voici pourtant encor un trait , qui n'eſt pas mal';
En moi fe trouve un Animal ,
Animal d'or dans un vieux Livre ,
Animal que l'on a vû fuivre
L'Equipage d'un Dieu vainqueur ;
Je t'en ai dit affés ; devine ami Lecteur.
Par le même..
On a dû expliquer l'Enigme & le Logogryphe
d'Octobre par la Langue & le Logogryphe
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ABTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
CHI
YORK
I
TUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
,
2733
NOVEMBRE. 1744 -99
CHANSON.
A L'Amour n'offrons point de voeux ,
Prenons plutôt Bacchus pour Maître ;
En aimant on peut être heureux ,
En bûvant on eft fûr de l'être.
LE RETOUR DE L'AGE D'OR ,
O
CHANSON.
Tems heureux ! beau fiécle d'or !"
Le plus chéri des Rois vous fait renaître encor :
Que de nos voeux fes jours dépendent ,
Düi , nous ofons le croire , ils vont s'éternifer :-
Le Ciel pourroit- il refuſer
Ce que tous les coeurs lui demandent ?
O tems heureux ! beau fiécle d'or !
Le plus chéri des Rois vous fait renaitre encor.
Nous béniffons notre partage ,
Soumis à fon pouvoir que régle l'équité ;
La véritable liberté
Eft de dépendré d'un Roi fagě.
Otems heureux ! &c .
Toujours de notre zéle extrême ,
100 MERCURE DE FRANCE
Pour remplir les projets , il peut tout exiger ;
Ah ! qu'un tribut devient léger ,
Quand on le rend à ce qu'on aime !
O tems heureux , c.
Quelle bonté ! quel grand courage !
Que de fuccès fateurs enchaînent fes inftans
En voyant tous les coeurs contens-,
Il peut dire , c'eft mon ouvrage,
O tems heureux ! &c.
***
Le Ciel , fans doute , l'a fait naître
Pour goûter les vrais biens , pour voir remplir fes
voeux ;
Monarque , Pere , Epoux heureux ;
Combien il eft digne de l'être ?
O tems heureux ! c.
++
Par cent vertus ( puiffans exemples :
LaReine de fon rang releve encor le prix ;
Ce fut ainfi qu'au tems jadis ,
Des Mortels obtinrent des Temples.
O tems heureux ! c.
***+
Pour un Roi quel bonheur ! il aime!
Eh peut-il trop aimer fes illuftres Enfans ?
Avec les graces du Printems 2
NOVEMBRE . 1744. ΤΟΣ
C'eſt la raifon , la vertu méme.
O tems heureux ! &c.
**+
Dès fon Aurore , au rang des Sages ,
Dans l'augufte Dauphin quels dons ont éclaté ?
Le fçavoir , les moeurs , la bonté .
Pour nos Neveux les doux préfages L
O tems heureux ! ¿c.
***
Voyez quel Aftre nous éclaire ;
Venez , Peuples divers , partager nos deftins ,
Vous n'avez que des Souverains ,
Le nôtre eft un Dieu tutelaire.
O tems heureux ! &c.
S'il fuit Bellonne qui l'appelle ,
Tout s'attache à fon Char , ou s'en fait un devoir -
Le charme qu'on trouve à le voir ,
Eft le ferment d'être fidéle .
O tems heureux ! &c.
Oui , votre nom s'immortaliſe ;
Vos vertus pour jamais nous l'ont rendu facre ,
Venir , voir , vaincre , être adoré ,
Grand Roi , voilà votre devife.
O tems heureux ! beau fiécle d'or !
Le plus cheri des Rois vous fait renaître encor
102 MERCURE DE FRANCE
L'Enigme , les Logogryphes , les Chanfons
enfin , feront tout ce que ce premier
Volume confervera de la forme ordinaire
du Mercure ; ce n'eft pas que nous voulions
abandonner en rien an Plan judicieux que le
Public a approuvé , mais nous fommes encore
plus empreffés de fatisfaire la curioſité
de nos Lecteurs , fur tout ce qui regarde le
Roi , & ce qui s'eft paffé à Paris & à Verfailles
à l'arrivée de S. M. Ainfi nous renvoyons
les matieres ordinaires du Mercure
au Volume que nous donnons par extraordinaire
dans ce mois : heureux de commencer
notre Ouvrage par un fujet auffi augufte
& auffi intéreffant pour les peuples ! c'eft
ici le lieu de dire que nous prions ceux qui
pourroient avoir envoyé des Ouvrages à
feu M. de la Roque , de n'être point furpris
s'ils ne les voyent point imprimés. On ne
nous a point remis ces papiers ; il faut que
ceux qui voudront voir paroître leurs Piéces
, ayent la bonté d'envoyer de fecondes
Copies , affranchies de Port , fuivant la
coutume ; nous aurons tous les égards convenables
pour fatisfaire les Auteurs & le
Public.
Ce premier Volume paroîtra le 15 de
Décembre ; c'est encore quelques jours plu
NOVEMBRE . 1744. 103
tôt que le tems où notre Prédeffeur donnoit
fon Ouvrage. Cependant fans les embarras
inévitables dans une adminiftration nouvelle
, nous aurions fervi le Public dès le
premier du mois : nous demandons grace
encore pour les deux Volumes que l'on a
coutume de fournir en Décembre , & paffé
ce terme , le Mercure paroîtra le premier
de chaque mois ; deux Volumes au mois de
Juin & deux Volumes au mois de Décembre
, comme on a fait jufqu'à préfent.
JOURNAL du Voyage du Roi , depuis
fon départ de Fribourg.
L
E Roi partit le y de ce mois du Villag↑
>
étoit
Sa Majefté , pendant le fiége de Fribourg.
& arriva à Huningue vers deux heures après
midi. Il defcendit de caroffe à la porte de la
Ville , & vit les Fortifications de la Place.
Sa Majesté vint coucher le 10 à Vezoul , où
elle fut reçûë par le Duc de Randan , Lientenant
Général au Gouvernement du Comté
de Bourgogne , & Commandant dans cette
Province.
Le L1 , le Roi coucha à Chaumont en
2
104 MERCURE DE FRANCE.
Baffigni , où l'Evêque de Langres s'étoit ren
du pour recevoir Sa Majefté.
Le 12 , il coucha à la Chapelle , Château
fitué près de Nogent fur Seine , & appartenant
à M. Orri , Miniftre d'Etat , & Contrôleur
Général des Finances.
Toutes les Villes par lesquelles le Roi a
paffé , ont donné toutes les marques de joie
qu'on pouvoit attendre de leur tendre &
refpectueux attachement pour la perfonne
de Sa Majefté.
Quoiqu'elle n'ait point féjourné à Befort
, cette Ville s'eft diftinguée , & Sa Majeſté
a eut la bonté de témoigner qu'Elle
étoit contente des efforts qu'avoient fait
les Habitans , ce qui eft le prix le plus glorieux
qu'ils puffent efpérer de leurs foins.
Le 13 , Sa Majefté arriva à Paris, vers les
fix heures du foir. Une Salve des Canons
de la Ville , & d'un grand nombre de Boëtes
, avoit annoncé au Peuple dès cinq
heures du matin , que ce jour étoit le jour
défiré de l'arrivée du Monarque.
Les caroffes de Sa Majefté , les Détachemens
de fa Maifon & le Vol du Cabinet
l'attendoient à Charenton ; Elle quitta fon
caroffe de Voyage & monta dans un autre
, où elle fe placa feule dans le fond ; les
places du devant & des portieres du Caoffe
furent remplies par fes principaux OfNOVEMBRE.
1744. 105
ficiers , & Sa Majefté prit le chemin de la
Barriere de Rambouillet.
>
Les Détachemens des Gardes du Corps ,
des Gendarmes , des Chevau-Légers , &
des deux Compagnies des Moufquaires
de la Garde du Roi , étoient dans leurs
rangs accoûtumés , devant & derriere le
caroffe de Sa Majefté ; les Officiers de ces
différens Corps occupoient auprès du Roi
dans cette marche les places qui leur ont
été marquées par le Réglement du mois de
Novembre 1724 , & le Vol du cabinet
précédoit immédiatement le premier Caroffe
de fuite. La Compagnie du Guet à
cheval , fon Tymbalier & fes Trompettes
à la tête , & les Infpecteurs de Police avec
Tymbales, Trompettes , & Hautbois , marchoient
en avant,
La Ville , qui avoit été informée que le
Roi ne fe rendroit ici qu'au commencement
de la nuit , avoit ordonné des illuminations
dans les principaux endroits où le
Roi devoit paffer. A la Barriere de Rambouillet
, étoient deux grands Luftres ,
dont chacun portoit plus de foixante lumieres
, & depuis cette Barriere jufqu'à la
feconde qui étoit fur la route du Roi , regnoit
un double cordon de terrines , des Ifs
& des Girandoles placées alternativement ,
les Girandoles pofées fur des Piedeftaux ,
106 MERCURE DE FRANCE.
formoient un cercle vis-à-vis de cette Barriere
. De là jufqu'à la demi Lune de la Porte
Saint Antoine , on voyoit à droite & à
gauche le long de la grande rue du Fauxbourg
un rang de Luftres. Les deux Fontaines
, dont l'une eft en face de l'Abbaye
de S. Antoine , & l'autre au coin de la ruë
de Charonne, étoient illuminées . A côté de
chacune , on avoit élévé un Amphithéâtre
fur lequel on avoit placé des Muficiens , &
une Fontaine de Vin couloit près de la
premiere.
La demi Lune de la Porte S. Antoine
étoit éclairée des deux côtés par des Luf
tres , & par des Girandoles , & la Porte S
Antoine l'étoit en dedans , & en dehors
par un nombre prodigieux de lumieres ,
dont la difpofition repréfentoit un Arc de
Triomphe.
Lorfque le Roi arriva à la demi Lune ,
on fit une Salve des canons de la Baſtille-
& de ceux que la Ville avoit fait tranſpor
ter fur le Baftion du Rempart , près de la
Porte .
Ce fut là que le Corps de Ville, préfenté
par le Duc de Gefvres , & conduit par M.
Defgranges Maître des Cérémonies
eut l'honneur de complimenter Sa Majesté
fur fon heureufe arrivée. M. de Bernage ,
Confeiller d'Etat ordinaire & Prévôt des
Marchands, portoit la parole.
NOVEMBRE . 1744. 107
Le Roi , en continuant fa route , trouva
par-tout les mêmes préparatifs ; on avoit eu
la précaution de fauver l'irrégularité du
Marché S. Paul , par deux rangs de Poreaux
, d'où pendoient des Luftres . Les Peres
Jéfuites de la Maifon Profeffe avoient
fait une fort belle illumination ; nous en
parlerons plus au long , lorfque nous décrirons
les autres illuminations.
2
Des Luftres portés fur des Poteaux éclairoient
la Place Baudoiers , & le Cimetiere
5. Jean . Trois Fontaines de Vin couloient ,
l'une dans ce Cimetiere , une autre dans la
Place aux Chats au bout de la rue de la
Ferronerie , & une troifiéme à côté de la
Fontaine du Trahoir , que la Ville avoit
fait illuminer , & près de chaque Fontaine
étoit un Amphithéâtre , rempli d'Inftru
mens.
Toute la Place du Carouſel dans laquelle
le Roi entra par la rue S. Nicaife , étoit
ornée d'Ifs & de Girandoles ; dans le milieu
de cette Place on avoit élevé une décoration
, qui portoit plus de trois mille
lumieres ; du haut de cette décoration fortoient
quatre Guirlandes , & l'on voyoit
une Couronne de Laurier fufpenduë au
point de leur réunion .
Les Salves des boëtes & des canons pla
cés en différens endroits , furent tellement
108 MERCURE DE FRANCE.
diftribuées , qu'elles ne difcontinuerent
pointpendant le tems que Sa Majefté traverfa
cette Ville. Le roi marcha fort lentement
, afin que les Habitans
puffent mieux
jouir du bonheur
de le voir , & d'ailleurs
, quand fa bonté ne l'auroit
pas porté natu- rellement
à leur donner
cette marque
de fon affection
, fa marche auroit été néceffairement
retardée
par l'affluence
furprenante
du Peuple , qui étoit accouru
fur fon paf- fage.
>
Sa Majefté trouva au Palais des Tuilleries
la Reine , Monfeigneur le Dauphin
& Mefdames de France , qui s'étoient rendues
ici de Verſailles le même jour. La
Reine à fon arrivée avoit été complimentée
à la Porte S. Honoré par le Corps de
Ville , à la tête duquel étoit le Duc de Gefvres
, Gouverneur de Paris ..
reçue
Le lendemain , le Roi accompagné de
Monfeigneur le Dauphin , fe rendit à l'Eglife
Métropolitaine ; Sa Majefté fut
& complimentée à la Porte de l'Eglife par
l'Archevêque de Paris , à la tête des Chanoines
, & ayant été conduite dans le
Choeur , elle y entendit la Meffe , qui fut
célébrée par l'Abbé d'Harcourt , Doyen du
Chapitre la Reine & Mefdaines de France
s'étoient rendues à l'Eglife Métropolitaine
en même tems que le Roi ; elles y entendirent
NOVEMBRE . 1744 . 109
>
dirent la même Meffe , après laquelle l'Archevêque
de Paris donna la bénédiction
& le Roi fut reconduit avec les mêmes cérémonies
qui avoient été obfervées à fon
entrée dans l'Eglife . En allant & en revenant
les Détachemens de la Maifon de Sa
Majefté , qui avoient accompagné le Roi
la veille , précéderent & fuivirent le caroffe
de Sa Majefté ; on avoit pofé fur la
route du Roi trois Fontaines de Vin
pour
le Peuple & autant d'Amphithéâtres , fur
lefquels étoient des Symphonistes.
>
Les illuminations continuerent ce jour
là & ont continué pendant le féjour du
Roi ; une Ordonnance du Lieutenant Général
de Police les avoit ordonnées , auffibien
que la clôture des Boutiques , mais l'amour
des François pour leur Maître avoit
fuppléé aux précautions du Magiftrat
c'est ce qu'il remarque judicieufement dans
le Préambule de fon Ordonnance . »> Quoi-
» qu'il foit perfuadé , dit-il , qu'il n'eft pas.
» befoin d'exciter le zéle des Habitans
» cependant comme il eft néceffaire de leur
preferire les régles qu'ils doivent obfer-
» ver , & qu'il convient en conformité des
» ordres du Parlement , de fixer le tems de
» la clôture des Boutiques , & les jours des
illuminations , & c . »
Ce même jour 14 Novembre, M.d'Argen-
I. Vol. F
10S MERCURE DE FRANCE.
2
diftribuées qu'elles ne difcontinuerent
point pendant le tems que Sa Majesté traverfa
cette Ville. Le roi marcha fort lentement
, afin que les Habitans puffent mieux
jouir du bonheur de le voir , & d'ailleurs ,
quand la bonté ne l'auroit pas porté naturellement
à leur donner cette marque de
fon affection , fa marche auroit été néceffairement
retardée par l'affluence furprenante
du Peuple , qui étoit accouru fur fon paffage.
Sa Majefté trouva au Palais des Tuilleries
la Reine , Monfeigneur le Dauphin ,
& Mefdames de France , qui s'étoient rendues
ici de Verfailles le même jour. La
Reine à fon arrivée avoit été complimentée
à la Porte S. Honoré par le Corps de
Ville , à la tête duquel étoit le Duc de Gefvres
, Gouverneur de Paris .
reçue
Le lendemain , le Roi accompagné de
Monfeigneur le Dauphin , fe rendit à l'Eglife
Metropolitaine ; Sa Majefté fut
& complimentée à la Porte de l'Eglife par
l'Archevêque de Paris , à la tête des Chanoines
& ayant
été conduite dans le
Choeur , elle y entendit la Meffe , qui fut
célébrée par l'Abbé d'Harcourt , Doyen du
Chapitre ; la Reine & Mefdames de France
s'étoient rendues à l'Eglife Métropolitaine
en même tems que le Roi ; elles y enten-
>
dirent
NOVEMBRE . 1744. 109
>
dirent la même Meffe , après laquelle l'Archevêque
de Paris donna la bénédiction
& le Roi fut reconduit avec les mêmes cérémonies
qui avoient été obfervées à fon
entrée dans l'Eglife . En allant & en revenant
les Détachemens de la Maifon de Sa
Majefté , qui avoient accompagné le Roi
la veille , précéderent & fuivirent le caroffe
de Sa Majelté ; on avoit pofé fur la
route du Roi trois Fontaines de Vin pour
le Peuple & autant d'Amphithéâtres , fur
lefquels étoient des Symphoniſtes .
Les illuminations continuerent ce jour
là & ont continué pendant le féjour du
Roi ; une Ordonnance du Lieutenant Général
de Police les avoit ordonnées , auffibien
que la clôture des Boutiques , mais l'amour
des François pour leur Maître avoit
fuppléé aux précautions du Magiftrat
c'est ce qu'il remarque judicieufement dans
le Préambule de fon Ordonnance. » Quoi-
» qu'il foit perfuadé , dit- il , qu'il n'eft pas.
» befoin d'exciter le zéle des Habitans
» cependant comme il eft néceffaire de leur
preferire les régles qu'ils doivent obfer-
» ver , & qu'il convient en conformité des
» ordres du Parlement , de fixer le tems de
» la clôture des Boutiques , & les jours des
» illuminations , & c . »
Ce même jour 14 Novembre, M.d'Argen-
I. Vol. F
}
110 MERCURE DE FRANCE.
fon, Avocat du Roi au Châtelet , préfenta d
Sa Majesté le fcrutin de l'élection du Prévôt
des Marchands & des Echevins pourl'année
1744.
On fçait que M. d'Argenfon eft fils du
Miniftre des Affaires Etrangeres , & Neveu:
du Miniftre de la Guerre , il a pour Ayeul.
le fameux Garde des Sceaux de fon nom ;
nous ne ferons que l'écho de la voix publique
,fi nous difons que ce jeune Magiftrat
entre dans la carriere d'une façon digne de
ceux à qui il a l'honneur d'appartenir , ce
qui feul eft un grand éloge,
Nous ferons fans doute plaifir à nos-
Lecteurs en inférant ici la Harangue qu'il
adreffa au Roi. Les François y retrouveront
les fentimens de tendreffe & d'attachement
pour Sa Majefté , qui font communs
à toute la Nation ; mais peu auroient
été en état de l'exprimer avec une éloquence
auffi aiſée & auffi naturelle . C'est ce que
la lecture de la Harangue va prouver mieux
que nos réfléxions.
NOVEMBRE. 1744 ΤΕΣ
HARANGUE faite au Roi le 14 Novembre
1744, par M. d'Argenfon, fon Avocat
au Châtelet de Paris , en préfentant à Sa
Majefté le Scrutin de l'Election des Prévôt
des Marchands & Echevins pour l'année
1744.
SIRE ,
Votre bonne Ville de Paris ne fe préfente
jamais aux pieds du Trône de Votre
Majefté que pénétrée des plus vifs ſentimens
de refpect & d'amour , mais elle ne
connut jamais mieux qu'aujourd'hui toute
l'étendue & toute la force de fes fentimens.
Quel plus beau moment pour elle , que celui
où elle vous revoit couvert de gloire &
dans une parfaite fanté , où elle pofféde
même Votre Majefté , l'objet de fa félicité ,
après l'avoir été des fes cruelles inquiétu
des ! Nous n'ofons vous rappeller , SIRE ,
& nous craignons de nous rappeller à nous
même l'affreufe idée de Paris, allarmée pour
les jours de Votre Majefté. Nous vous offririons
bien plûtôt le détail des témoignages
fenfibles de la joie qui a fuccédé à nos allarmes
mais Votre Majefté vient d'en être
témoin elle-même . Elle vient de reconnoître
dans les tranſports de fon Peuple , les
Fij
112 MERCURE DE FRANCE.
traits de cette éloquence naturelle dont
l'Art ne peut imiter les expreflions. C'eſt
au nom de ce Peuple que la Ville de Paris
a coûtume d'affurer Votre Majefté de ſa .
tendreffe refpectueufe & de fa profonde
obéiffance. Il parle aujourd'hui lui- même.
Nous ne pouvons que confondre nos voeux
avec fes acclamations ; fi les Magiftrats qui
ont été cette année à la tête de nos Citoyens
, leur ont donné l'exemple du zéle
dont la Capitale a fourni le modéle au refte
du Royaume , ceux qui veulent leur fuccéder
, pénétrés des mêmes fentimens , célébreront
avec une ardeur égale , les heureux
événemens dont le Ciel nous a donné
le gage , en confervant les jours de Votre
Majelté. Que ne nous promettent point les
fuccès éclatans qui ont marqué tous les
pas de Votre Majefté pendant cette Campagne
! Votre gloire , SIRE , ne peut
égalée que par l'amour de vos Sujets .
être
Il y eut auffi ce même jour Concert au
Louvre dans l'Appartement de la Reine .
On y exécuta une Idille dont les paroles
font de M.de Bonneval, Intendant & Contrôleur
des menus plaifirs de Sa Majesté
capable non-feulement de conduire fes Fêtes,
mais de les imaginer; la Mufique eft de
M. de Blamont, Surintendant de la Mufique
NOVEMBRE. 1744. 113
du Roi , fi connu par le Ballet des Fêtes
Grecques & Romaines , le Caprice d'Erato &
par d'autres Ouvrages qui ont avantageufement
établi fa réputation.
Le divertiffement fe paffe fur les bords
de la Seine dans un Bocage , dont les Arbres
font entrelaffés de Guirlandes de fleurs.
Des , Bergers & des Bergeres héroïques
commencent par exprimer le plaifir qu'ils
reffentent dans ces belles rétraites .
Il n'eft point pour l'amour de rétraite plus belle.
Tout flate les Amans dans cet azile heureux ;
L'indifférent y devient amoureux ,
L'inconftant y devient fidelle .
Le retour du Berger Licas occafionne
une Scène très -galante entre lui & la Bergere
Ifmene , qu'il adore. Avant que de la
voir , il eft interrogé par des Bergers zélés
qui lui demandent des nouvelles du Roi ,
cédez , lui dit un d'eux.
Cédez à notre impatience ;
Vous avez parcourù tout l'Empire des Lis ;
Parlez- nous cher Licas des exploits de Louis,
De fes vertus , de fa magnificence.
Licas.
Sa Cour a tout l'éclat qui brille dans les Cieux . ::
Fiij
114 MERCURE DE FRANCE
Il fait adorer fa puiffance ;
C'eſt ainfi que regnent les Dieux ....
Une fi belle vie ,
Qui fait´tant de jaloux ,
Sans le fecours du Ciel nous eut été ravie ...
Nos Ennemis fuyant les coups ,
Ont moins tremblé que nous.
Dieux ! ne bornez jamais fes belles deftinées !
Da plus chéri des Rois ne foyez point jaloux ;
Ah ! fi nos voeux pouvoient prolonger les années ,
Notre amour le rendroit immortel , comme vous.
Après les épanchemens de ces coeurs
champêtres , Licas revient à Ifinene.
Licas.
Que n'ai je point fouffert en quittant ce rivage !
L'Amour en pleurs fuivoit mes pas .
Si mon éloignement trahiffoit vos appas ,
Ils étoient trop vengés ; j'emportois leur image...
Ifmene vaincue par la perfeverance de
Licas , lui avoue enfin qu'elle partage fa
tendreffe .
Je ne vous ai point vû quitter ce beau féjour
Sans une peine extrême :
Pardonner au départ en faveur du retour ,
N'eft- ce pas dire que l'on aime ?
NOVEMBRE. 1744. 115
Mars fuivi de Guerriers furvient avec
Palés. Les Trompettes fe joignent aux
Mufettes pour célébrer un Roi, qui ne fait
la guerre que pour établir la paix . Toutes
les voix fe réuniffent pour le célébrer.
Quel Héros eft plus triomphant !
Il faut fur l'Univers que fon Sceptre préfide.
C'eft la Sageffe qui le guide ,
Et la valeur qui le défend .
On ne peut donner dans un Extrait tout
ce qui mérite le fuffrage des Lecteurs , mais
M.de Blamont fait imprimer ce Divertiffemenr.
On pourra jouir à la fois des agrémens
des paroles & de la Mufique.
Ce même jour M. de Van-Hoey, Ambaffadeur
ordinaire de la République de Hollande
, eut une audience particuliere du
Roi ; il en eut une de la Reine le jour fuivant
, de Monfeigneur le Dauphin le 16 ,
& de Mefdames de France le 17 .
M. de Villeneuve, Confeiller d'Etat , qui
avoit été nommé le 3 de ce mois , Miniſtre
Sécrétaire d'Etat , au Département des Affaires
Erangeres , a fupplié le Roi de lui
permettre de ne point accepter cette Charge
, & Sa Majefté , ayant bien voulu approuver
les raifons qu'il lui a données , M.
Fiiij
116 MERCURE DE FRANCE.
d'Argenfon , Confeiller d'Etat Ordinaire
& au Confeil Royal des Finances , a été
nommé le 18 Miniftre & Sécrétaire d'Etat
au Département des Affaires Etrangeres .
T
Le Roi a donné en même tems au Comte
d'Argenfon , frere du nouveau Miniftre &
lui-même Miniftre & Sécrétaire d'Etat au
Département de la Guerre , la Place de Sur-
Intendant Général des Poftes & Relais de
France.
Ce jour a été auffi marqué par une Promotion
d'Officiers Généraux , dont nous
rendrons compte
dans le fecond Volume
de ce Mois.
Cependant le 15 étoit le jour que la
Ville avoit choifi pour la Fête qu'elle devoit
donner au Roi. Une falve des canons ,
& de boëtes , & la cloche de l'Hôtel de
Ville annoncerent ce grand jour ; le Roi
arriva vers les deux heures après midi à
l'Hôtel de Ville ; le Duc de Gefvres , Gouverneur
de Paris , le Prévôt des Marchands
, les Echevins , le Procureur du
Roi , le Greffier , & le Receveur du Bureau
de la Ville , tous en habits de cérémonie,
reçurent Sa Majefté à la portiere de
fon caroffe. Le Compliment fut fait par le
Prévôt des Marchands , qui fuivant l'ufage
, mit un genouil en terre , ainfi que
les Echevins & les autres Officiers da
NOVEMBRE. 1744. 117
Bureau. Sa Majefté étant enfaite montée à
l'Hôtel de Ville , entra dans la Grande Sale
, qui étoit tendue de Damas Cramoifi ,
galonné d'Or. Le plancher étoit couvert de
Fiches Tapis de pied. Quatorze Luftres &
foixante Girandoles contribuoient à l'embelliffement
de cette Sale , & fur une des
cheminées étoit le Portrait du Roi , fous
un Dais. De cette Salle le Roi paſſa dans
les autres , dont tous les meubles & les ornemens
étoient d'une extrême magnificen
ce , & d'où Sa Majesté confidéra la décora
tion de la place , vis- à- vis de l'Hôtel de
Ville.
Autour de cette place regnoit une fuite
de colonnes accouplées , dont les baſes &
& les chapiteaux étoient dorés . L'entablement
de chaque couple de colonnes étoit
auffi doré , & d'un Trophée à l'autre s'éten
doient des Guirlandes de Laurier. A l'extrê
mité de la Place , vis-à- vis de la Grande Sa
le on avoit élévé um Arc de Triomphe , de
cent pieds de haut fur foixante de large ;
l'Architecture étoit d'Ordre Ionique , & la
hauteur des colonnes de trente- deux pieds
à dix -fept pieds de terre , le refte en proportion.
Sur la principale façade , étoit une
Arcade élevée de quarante- quatre pieds ,
large de vingt- deux , & qui en avoit dix
fept de profondeur . Il y avoit à chaque
Fy
118 MERCURE DE FRANCE.
côté de cette Arcade deux colonnes , &
l'on voyoit la Fictoire entre les colonnes de
la droite , & la Paix entre celles de la gauche.
Les deux autres façades étoient compofées
de deux colonnes ifolées , au milieu
defquelles étoit d'un côté Pallas & de
l'autre Minerve ; tous les entablemens des
colonnes étoient ornés de Trophées. Le
Couronnement de l'Arc de Triomphe étoit
un Groupe de cinquante pieds de large ,
& de trente d'élévation , repréſentant le
Roi traîné dans un Char , & couronné
la Victoire.
par
Le fol de l'Architecture étoit feint
de Marbre blanc ; le contre-focle , les.
piédeftaux , l'impofte , l'archivolle , l'architrave
, la corniche , & l'attique de marbre
verd ; les colonnes & les friſes , de ſeracollin
, les baſes , les chapiteaux , & les
bas reljefs des paneaux des piédeftaux , de
bronze doré. On lifoit dans l'attiqué cette
Infcription en Lettres d'or Ludovico redivivo
, Ludovico Triumphatori.
Près de la Riviere étoit une grande Sale
quarrée , formée par divers pieds d'Arbres
entourés de Laurier , & garnis de Girandoles
dorées ; on avoit conftruit au milieu
un Edifice d'une élegante Architecture,qui
diftribuoit du vin de trois côtés .
Le Duc de Gefvres préfenta au Roi le
NOVEMBRE. 1744 119
Prévôt des Marchands , les Echevins , le
Procureur du Roi , le Greffier & le Receveur
du Bureau de la Ville , & quelques
tems après le Prévôt des Marchands avertit
Sa Majesté qu'Elle étoit fervie .
Alors le Roi retourna dans la Grande
Sale de l'Hôtel de Ville & fe mit à table.
Monfeigneur le Dauphin fe plaça à la droite
de Sa Majesté , le Duc de Chartres à fa
gauche , le Prince de Dombes à côté de
Monfeigneur le Dauphin , & le Duc de
Penthiévre auprès du Duc de Chartres. La
table étoit de trente couverts , dont les
vingt-cinq reftans furent remplis par les
Seigneurs que le Roi avoit nommés.
Le Prévôt des Marchands eut l'honneur
de fervir le Roi , & le Procureur du Roi
tenoit le chapeau de Sa Majefté , à qui le
Greffier de la Ville préfenta le fauteuil.
Monfeigneur le Dauphin , dont le Receveur
de la Ville tenoit le chapeau , fur fervi
par le premier Echevin . Les trois autres
Echevins fervirent le Duc de Chartres , le
Prince de Dombes , & le Duc de Penthiévre..
Il eft prefque inutile de dire que le Feftin
fut auffi fomptueux que délicat. Les Officiers
de la Bouche du Roi avoient travaillé
, mais ce fut le Maître de l'Hôtel de la
Ville qui mit les plats fur table ; le fruit
F vj
118 MERCURE DE FRANCE.
côté de cette Arcade deux colonnes , &
l'on voyoit la Victoire entre les colonnes de
la droite , & la > Paix entre celles de la
gauche.
Les deux autres façades étoient compofées
de deux colonnes ifolées , au mi-
Lieu defquelles étoit d'un côté Pallas & de
l'autre Minerve ; tous les entablemens des
colonnes étoient ornés de Trophées . Le
Couronnement de l'Arc de Triomphe étoit
un Groupe de cinquante pieds de large
& de trente d'élévation , repréſentant le
Roi traîné dans un Char , & couronné
par la Victoire.
is
Le fol de l'Architecture étoit feint
de Marbre blanc ; le contre-focle , les
piédeftaux , l'impofte , l'archivolle , l'architrave
, la corniche , & l'attique de marbre
verd ; les colonnes & les frifes , de feracollin
, les bafes , les chapiteaux , & les
bas reliefs des paneaux des piédeftaux , de
bronze doré. On lifoit dans l'attiqué cette
Infcription en Lettres d'or Ludovico redivivo
, Ludovico Triumphatori.
Près de la Riviere étoit une grande Sale
quarrée , formée par divers pieds d'Arbres
entourés de Laurier , & garnis de Girandoles
dorées ; on avoit conftruit au milieu
un Edifice d'une élegante Architecture , qui
diftribuoit du vin de trois côtés .
Le Duc de Gefvres préfenta au Roi le
NOVEMBRE. 1744. 119
Prévôt des Marchands , les Echevins , Te
Procureur du Roi , le Greffier & le Receveur
du Bureau de la Ville , & quelques
tems après le Prévôt des Marchands avertit
Sa Majesté qu'Elle étoit fervie.
Alors le Roi retourna dans la Grande
Sale de l'Hôtel de Ville & fe mit à table.
Monfeigneur le Dauphin ſe plaça à la droite
de Sa Majesté , le Duc de Chartres à fa
gauche , le Prince de Dombes à côté de
Monfeigneur le Dauphin , & le Duc de
Penthiévre auprès du Duc de Chartres. La
table étoit de trente couverts dont les
vingt-cinq reftans furent remplis par les
Seigneurs que le Roi avoit nommés.
Le Prévôt des Marchands eut l'honneur
de fervir le Roi , & le Procureur du Roi
tenoit le chapeau de Sa Majefté , à qui le
Greffier de la Ville préfenta le fauteuil.
Monfeigneur le Dauphin , dont le Receveur
de la Ville tenoit le chapeau , fur fervi
par le premier Echevin . Les trois autres
Echevins fervirent le Duc de Chartres , le
Prince de Dombes , & le Duc de Penthiévre.
Il eft prefque inutile de dire que le Feftin
fut auffi fomptueux que délicat. Les Of
ficiers de la Bouche du Roi avoient travaillé
, mais ce fut le Maître de l'Hôtel de la
Ville qui mit les plats fur table ; le fruit
F vj
120 MERCURE DE FRANCE,
méritoit fur-tout l'admiration des connoiffeurs.
On voyoit au milieu de la table un filet
que l'on nomme vulgairement dormant ,
parce qu'il refte fur la table pendant tout le
repas. Au milieu étoit le Surtout de la Ville
, qui eft fort beau , & l'on avoit placé à
côté deux grands plats garnis de fleurs d'Italie
, que l'on avoit éléganment & artiftement
arrangées , & qui formoient un
buiffon . Deux autres plats étoient à côté de
ceux-ci , & les Ouvrages en fucre , dont ils
étoient chargés , repréfentoient deux roches
qui fe réuniffant dans le haut , formoient
une arcade. Des branches de Liere ,
& un groupe d'enfans qui grimpoient deffus
, étoient ce qui formoit la réunion des
deux roches. On rencontroit après deux
autres plats de porcelaines , garnis avec
élégance , & fur deux autres l'on voyoit
des criftaux taillés en filet , ce qui formoit
un coup d'oeil aufli fingulier qu'agréable.
Le fruit étoit dreffé fur des plats de la
plus belle porcelaine de Saxe ; il étoit
monté en gradin , orné des plus belles
fleurs , & definé avec beaucoup de goût &
d'intelligence ; ces dormans , les porcélaines
, & les fruits ont été abandonnés au
pillage après le dîner de Sa Majefté . On a
livré de même à l'avidité du peuple les
NOVEMBRE. 1744. | 121
fruits qui garniffoient quinze autres tables ,
fur lefquelles on voyoit plufieurs Ouvrages
en fucre , qu'on auroit admirés , fi ceux de
la table du Roi ne les avoient pas effacés.
Ces quinze tables furent fervies en mê
me tems que celle du Roi ; elles étoient
deftinées pour les Seigneurs qui n'eurent
pas l'honneur de dîner avec S. M. &
pour plufieurs perfonnes de confidération
.
Pendant le dîner du Roi , MM . Rebel
& Francoeur , Sur -Intendans de la Mufique
de Sa Majefté , reçus en furvivance de
MM. Deftouches & Blamont , & Infpecteurs
de l'Académie Royale de Mufique
firent exécuter , par les vingt- quatre Violons
de la Chambre , & par l'Orchestre de
P'Opera , plufieurs fuites de Symphonies de
différents Auteurs.
2
La Demoiselle Lalande , & le Sieur Benoiſt
, Ordinaire de la Mufique du Roi ,
chanterent un Dialogue , intitulé le Retour
du Roi à Paris. M. Roi , Chevalier de
l'Ordre de S. Michel , & MM . Rebel
& Francoeur avoient compofé , l'un les paroles
de ce Divertiffement , les autres la
Mulique par l'ordre du Prévôt des Marchands.
Les paroles , la Mufique , & l'exécution
concoururent également au fuccès ,
& les Auteurs reçurent des éloges qu'ils
122 MERCURE DE FRANCE.
font accoutumés à mériter & à recevoir
mais que l'éclat de cette circonftance rendoit
plus flateurs.
Après le dîner , le Roi jouit d'un nouveau
fpectacle ; l'Arc de Triomphe , la Colonade
, & la Sale près de la riviere furent
illuminés , ainfi que la façade de l'Hôtelde-
Ville . Ces illuminations formoient un
fpectacle frappant , & fe communiquoient
réciproquement de l'éclat par le reflet des
lumieres on avoit illuminé auffi la cour
de l'Hôtel - de - Ville ; des Guirlandes de
fleurs ornoient les colonnes , tant du premier
que du fecond ordre : on voyoit au
bas de chaque colonne des Génies , quí
portoient des Girandoles de vingt lumieres
chacune. Plufieurs Luftres garnis de Bougies
étoient fufpendus de diſtance en diftance
; de petites lanternes formoient un
enchaînement de Guirlandes lumineufes ;
le long de l'entablement , & à la croifée qui
elt vis à-vis de la porte d'entrée , étoient ces
mots en tranfparent : Recepto Cafare Felix.
Le Roi , en defcendant , remarqua avec
beaucoup de plaifir la décoration de cette
cour , & il témoigna qu'il étoit fatisfait de
l'empreffement de la Ville à lui prouver fon
zéle.
Le Duc de Gefvres , le Prevôt des Marchands
, les Echevins , le Greffier & le Re
NOVEMBRE . 1744. 723
ceveur de la Ville reconduiferent S. M. juf
qu'à fon caroffe : de-là elle alla avec le même
Cortége que le matin à l'Eglife des Jefuites
de la maifon Profeffe. La Reine , accompagnée
de Mefdames de France , s'y
étoit rendue quelque tems auparavant ;
leurs Majeftés furent reçues à la porte de
l'Eglife , & complimentées par le P. Frey
Provincial , à la tête de la Communauté , &
elles y affifterent au Salut. L'Eglife étoit
ornée & éclairée auffi magnifiquement que
l'avoit été le portail le jour de l'arrivée de
S. M. On verra plus bas un détail mieux
circonftancié de ces deux illuminations . En
retournant au Palais des Tuilleries , le Roi
repaffa par la Gréve & par le Quai Pelletier.
La Ville avoit fait illuminer ce Quai avec
des Luftres, & toute la face du Pont Notre-
Dame du côté de la riviere l'étoit auffi par
plufieurs cordons de lumiere , dont le dernier
fuivoit le deffein du toît.
Il y eut ce foir là dans toute la Ville des
illuminations , & plufieurs furent encore
au-deffus de celles de la nuit du ro du mois
de Septembre dernier , qui fera à jamais célébre
dans les Faſtes de la France : celles du
Quai des Tuilleries & du Quai des Théatins
attirerent également l'admiration générale ,
en produifant des effets differents . Le pre124
MERCURE DE FRANCE .
mier étoit éclairé uniformement dans toute
l'étendue des galeries du Louvre , mais le
deffein de chaque partie étoit d'une telle
élégance qu'on ne pouvoit fe laffer de le
voir répété. La variété du fecond lui donnoit
une autre espéce de mérite. Les Edifices
fomptueux , dont ce Quai eft orné ,
étoient tous illuminés fuivant des deffeins
differens , & ceux qui du Pont Royal, obfer.
voient l'effet de ces differentes illuminations
, croyoient voir ces Palais enchantés
que décrivent les Hiftoriens des Fées. Leurs
Majeftés virent ces deux Quais , l'illumination
de la place Vendôme , & celle de la
principale rue. Nous placerons la Defcription
des plus belles dans un endroit féparé ,
afin de ne pas interrompre le fil de la narration.
Quelques beaux que fulfent les fpectacles
.
formés par ces differentes illuminations , ils
n'auroient pû être comparés à celui que la
façade , & la cour du Château des Tuilleries
devoient offrir au Roi lorfqu'il rentra , mais
un vent violent, qui s'éleva , rendit inutile
La plus grande partie des peines qu'on avoit
prifes pour éclairer toutes les parties deftinées
à l'être dans ce vafte Edifice .
Le 17 le Roi accompagné de la Reine, de
Monfeigneur le Dauphin & de Mefdames
de France , & avec le même cortege que le
NOVEMBRE. 1744. 125
-13 & le is , fe rendit à l'Eglife de l'Abbaye
de fainte Geneviève ; l'Abbé revêtu
de fes habits pontificaux , & à la tête de
fes Religieux , reçut le Roi à la porte
de
l'Eglife , & le conduifit dans le Choeur , où
S. M. entendit la Meffe .
Le même jour , Sa Majefté avoit été complimentée
le matin par le Parlement , à
la tête duquel étoit M. de Maupeou , Premier
Préfident ; la Chambre des Comptes
, la Cour des Aides , la Cour des Monnoyes
& le Corps de Ville eurent auffi le
même honneur. M. de Nicolaï , Premier
Préfident de la Chambre des Comptes ,
M. le Camus , Premier Président de la Cour
des Aides , M. Choppin de Goufangré
premier Préſident de la Cour des Monnoyes,
& M. de Bernage , Prevôt des Marchands
porterent la parole. L'après-midi , le Grand
Confeil , à la tête duquel étoit M. Gilbert
de Voifins , Confeiller › d'Etat nommé
S. M. pour préfider cette année à cette
Compagnie , s'acquitta de ce devoir ; le Roi
fut enfuite complimenté par l'Univerfité &
par l'Académie Françoife. M. Fromentin
, Recteur , portant la parole pour l'Univerfité
, & M. de Crebillon , Directeur
de l'Académie pour cette Compagnie ; ils
furent tous préfentés par le Comte de Maurepas
, Miniftre & Sécretaire d'Etat , & conpar
126 MERCURE DE FRANCE.
duits par M. Defgranges , Maître des Cérémonies.
S. M. qui fçavoit que M. de Crebillon
avoit compofé des Vers fur la Convalefcence
, eut la bonté d'ordonner à cet
Académicien de les reciter. Les Vers ne démentirent
point la réputation de ce célébre
Ecrivain , & ceux que recita M. de la
Chauffée,répondirent auffi à l'opinion avantageufe
que le Public a de fes productions :
ces deux piéces de Vers ont été imprimées
; M. de la Chauffée eut le furlendemain
l'honneur de préfenter un Exemplaire
de la fienne au Roi , qui le reçut
avec bonté , & deux jours après M. de
Crebillon eut le même honneur.
Ce recit auroit excité inutilement la curiofité
de nos Lecteurs , fi nous ne joignions
ici ces deux Piéces , qu'on ne trouvera
pas dans les Provinces , ainfi nous
avons cru fervir le Public & travailler pour
la gloire des deux Auteurs , en joignant ici
leurs Ouvrages.
NOVEMBRE. 1744. 127
VERS recités au Roi , par M. de Crebil
lon, Directeur de l'Académie Françoiſe
à la fuite du Compliment qu'il a fait à SA
MAJESTE' , au nom de cette Compagnie , le
Mardi
Novembre 1744.
Q
17
Uel orage foudain s'éléve & m'environne &
L'épouvante & l'horreur régnent de toutes parts
Que de gémiffemens ! l'air mugit ; le Ciel tonne.
Dieux Quels triftes objets s'offrent à mes regards !
Où fuis- je ? Quoi , je touche à l'infernale rive
François infortunés , y portez -vous vos pas ?
Qui vous amène en foule aux portes du trépas ?
J'entens parmi vos pleurs une bouche plaintive
Articuler des mots , qui me glacent d'effioi .
O déplorablefang ! O malheureuse Reine .....
La Reine ! ... Ah ! C'en eft fait ; notre mort eft
certaine.
La France va donc perdre & fon Pere , & ſon Roi !
François , le défefpoir où votre ame fe livre ,
Doit aller auffi loin que la rigueur du fort ;
Si Louis ne vit plus , il faut ceffer de vivre ;
Pouvons-nous fouhaiter une plus digne mort ?
Roi, notre unique bien , quoi ! la Parque perfide
Voudroit porter fur vous une main parricide !...
Mais quel bruit éclatant vient agiter les Airs !
128 MERCURE DE FRANCE,
Quelle étrange lueur roule dans les ténébres !
A travers tant d'objets terribles & funébrés ,
Je vois quelque clarté pâlir dans les Enfers.
Eft ce le Dieu des Morts qui tient fa cour funefte
Mais non , ce qui paroît n'a rien que de céleste .
Et quel eft donc le Dieu que je vois' accourir
Il tend vers nous les bras ; c'eſt pour nous fecourir
Mille rayons brillans forment fon Diadême :
Le Dieu des Morts n'a point ce port majestueux ,
Cet air noble & touchant , ni ce front vertueux ;
C'eſt , je n'en doute plus , LOUIS LE GRAND , luimême
,
Qui vient fécher nos pleurs & calmer nos regrets.
Hélas ! il veille encor fur les anciens fujets !
Ce Roi , qui fi long- tems a gouverné la Terre ,
Régne- t - il en des lieux inconnus au Tonnerre !
On diroit qu'aux Enfers il va donner des Loix ;
Voilà les traits , les yeux ; je reconnois ſa voix :
20 Fermez , dit - il , fermez la retraite des ombres ;
»Mon fils n'entrera point dans les Royaumes fom-
ל כ
bres ;
S'il mouroit , que d'Exploits feroient enfévelis ,
Et qui pourra compter les Exploits de mon fils !
»Entre Célar & moi le Ciel marque fa place : "
» Mais les Dieux feront lents à terminer les jours ,
» Et fi la Gloire a droit d'en prolonger le cours ,
» Il n'eft point de Neftor que fon âge n'efface .

François , vous reverrez ce Roiſi généreux ;
NOVEMBRE . 1744.
129
כ
Puiffent le voir auffi les fils de vos neveux !
Il dit , & , tout- à -coup les Enfers difparoiffent ,
La Mort fuit , le jour vient , & les François renaif
Lent.
Mais quel éclat nouveau vient embellir ces Lieux !
Paffons nous des Enfers dans le féjour des Dieux ?
Que's feux étincelans brillent fur l'Hémiſphére ?
Ah ! fi c'étoit LOUIS ... Mais en vain je l'eſpére
Il est trop occupé de fes nobles travaux ;
Il brave également la inort & le repos .
Qu'est- ce donc que je vois ! c'eft un autre lui mêmes
La Gloire , je le juge , à ſa beauté fuprême ;
C'eſt elle en ce moment qui vient nous l'annoncer
La Gloire prend toujours foin de le devancer.
Hélas ! if eft donc vrai ; nous allons voir paroître
. Ce Héros , le plus grand que le Ciel ait fait naître.
Venez , voyez , chantez l'aimable Souverain
Dont vous a fait préfent la faveur du Deftin .
O François Peuple heureux & fi digne de l'être !
Venez en rendre grace à votre augufte Maître ;
C'eft lui , c'eft la bonté qui vous rend tous heureux;
Qu'il foit , après le Ciel , l'objet de tous vos voeux !
Qu'en vos Temples pour lui fans ceffe l'encens
fume !
Que par le peuple épars le falpêtre s'allumé !
Que le feu s'élançant par éclats dans les Cieux ,
De leur reconnoiffance aille inftruire les Dieux ?
130 MERCURE DE FRANCE.
***X* X* X * X*3X+ 3X+3X+
SECONDE Piéce de Vers , préſentée au
Roi , le fendi 26 Novembre 1744 ,
par le même.
D
Ieu des Rimeurs , crois-moi , point de que
relle ,
Ou foûtiens mieux tes airs de Protecteur .
Qui, mieux que moi , ton ancien ferviteur
Dût efpérer une grace nouvelle ?
Mais , qu'as-tu fait de ce jour le plus beau ,
Le plus brillant , le plus doux de ma vie ?
Je l'avouerai ; j'ai manqué de génie.
Mais nous pouvons faire un effort nouveau .
Chanter fon Roi , c'eft chanter fa Maîtreffe ;
Il faut toujours la louer bien ou mal ;
C'eſt , d'un ſeul trait , ſignaler ſa tendreſſe ;
Et défoler celle de fon Rival.
Nommer Louis , eft un préliminaire ,
Qui va d'abord gagner tous les François :
Ce nom fi cher vaut lui feul l'art de plaire ;
Ainfi chantons , je réponds du fuccès .
D'autres que nous dans la même carriere
Euffent été fifiés fans la matiere .
Tous cependant ont trouvé des Lecteurs ,
Tant le fujet intéreffoit les coeurs.
Difons que Mars d'accord avec Minerve ....
Le beau début ! O la fublime verve !
NOVEMBRE. 131 1744.
Laiffe -moi dire , écoute jufqu'au bout :
Amour nous aide , & LOUIS fur le tout.
A fes confeils la Juftice préfide ,
Et la Sageffe y recueille les voix :
Mars exécute & Minerve décide
Mais c'eft Louis qui leur dicte fes loix ;
Qui , tour à tour , tient le glaive & l'Egide ,
Pere , Soldat & Monarque à la fois.
Difons qu'il fait honneur à notre espéce ;
Grand fans orgueil , redoutable & charmant...
Eft-ce là tout ? pauvre Dieu du Permeſſe ,
Sans tes leçons j'en dirois bien autant.
Va , laiffe-moi , je te tiens quitte
De l'avenir & du préfent ;
Tu m'as donné pour tout mérite ,
Le cruel & morne talent
De hurler dans la Tragédie;
Tu diras de plus que c'eft toi
Qui m'as mis à l'Académie ;
Moi, je t'ai fait parler au Roi.
1
132 MERCURE DE FRANCE.
COMPLIMENT au Roi , par M. de
la Chauffée , de l'Académie Françoife.
ENGO
Nfin je te revois , cher & nouvel AUGUSTE
Que mon coeur en fecret a toujours encenlé...
Pardonne en ce moment le tranfport le plus jufte ;
Qui le fçait exciter n'en peut être offenſé ,
Non ; l'effor que je prends ne fçauroit te déplaire ;
Le moindre des mortels , fans être téméraire ,
Peut laiffer voir aux Dieux tout ce qu'il fent pour
、eux.
France , tu m'applaudis ; le même amour t'inſpires
Tu n'as plus qu'à jouir du fort le plus heureux ;
Tu viens de recouvrer l'Ame de ton Empire.
Et toi , daigne agréer l'hommage mérité ,
Que t'offre par ma voix la fimple Vérité .
La feule flaterie a befoin d'être ornée ;
Eh ! quand nous t'offririons fes dangereux attraits ;
Tu ne recevrois point la Coupe empoisonnée ,
Que le commun des Rois aime à boire à longs
traits :
Fuis
NOVEMBRE. 133
1744.
Fuis Malheureuſe , ailleurs va porter tes preſtiges ,
Tu n'élevas jamais de véritable Autel .
Pourfuis , PRINCE , pourfuis ton cours & tes prodiges:
Tel jadis commença ton AYBUL immortel ....
Que dis-je... A peine entré dans la même carriere.
Quel amas de Lauriers * ! La plus forte Barriere
N'eft qu'un frivole obftacle à tes premiers travaux
Et l'altiere Cité ** qui bravoit ton Tonnerre ,
Sur les débris fanglans fert d'exemple à la Terre :
Tremblez , fiers Eanemis .... Vous Amphions,
nouveaux ,
Formez-vous déformais à l'ombre de fa gloire....
Qui peutmieux vous ouvrir le Temple de Mémoires
Chantez , Mufes , chantez , voilà votre Apollon.....
Mais quels que foient les chants qu'elles faffent
éclore ,
Vois au fond de nos coeurs , tu liras plus encore
Que n'en peut exprimer tout le facré Vallon.
Ypres , Furnes , Menin;
** Fribourg.
I, Vol.
134 MERCURE DE FRANCE.
Le foir , le Roi , la Reine, Monfeigneur
le Dauphin & Mefdames firent l'honneur .
à S. A. R. de lui rendre au Palais Royal la
vifite qu'elle étoit allée leur faire au Château
des Tuilleries trois jours auparavant.
La façade du Palais Royal étoit illumi
née comme les jours précédens , par des
Terrines & des Lampions qui marquoient
toute l'Architecture du Bâtiment. A l'égard
des cours , on y avoit feulement mis un
grand nombre de Terrines , plûtôt pour les
éclairer , que pour les décorer. Sur les fix
heures dufoir , le Roi arriva, accompagné
de Monfeigneur le Dauphin. S. A. R. étoit
dans fon lit : il n'y avoit dans la chambre
qu'un feul fauteuil , & quantité de plians
deftinés aux Dames qui ont droit de s'affeoir
devant le Roi & la Reine . Le Roi ne
s'affir point , & par conféquent tout le
monde fe tint de bout ; la vifite du Roi
dura environ un quart d'heure , & elle fe
paffa en difcours polis & flateurs que le
Roi tint à S, A. R.
Mefdames arriverent immédiatement
après le Roi. On remit un fecond fauteuil
dans la chambre. Mefdames s'affirent dans
les deux fauteuils ; les Dames titrées fe
mirent fur des plians , & les autres Dames
fe tinrent debout. La vifite dura près
NOVEMBRE. 1744.
135
d'une demi-heure . S. A. R. qui a beaucoup
d'efprit , & fur- tout l'efprit de la
converfation , entretint Mefdames d'une
maniere qui les fatisfit extrêmement.
La Reine vint la derniere. On ôta un
des deux fauteuils , afin qu'il n'en reftât
qu'un feul dans la chambre. La Reine s'y
affit , & elle y fut un quart d'heure , pendant
lequel Sa Majesté donna à S. A. R.
les mêmes marques d'amitié & d'eftime
qu'elle lui a déja données plufieurs fois.
M. le Duc de Chartres , Madame la Ducheffe
de Chartres & Madame la Ducheffe
de Modene , qui faifoient les honneurs de
l'appartement de S. A. R. allerent recevoir
le Roi , la Reine , Monfeigneur le Dauphin
& Mefdames à la defcente du carroffe
, & les reconduifirent de même.
Toutes les piéces de l'appartement de
S. A. R. étoient remplies de monde , &
très-bien éclairées.
que l'illu-
Les illuminations furent auffi renouvellées
dans toutes les rues , & la foirée ayant
été plus favorable
celle du 15 ,
mination du Château des Tuilleries produifit
tout l'effet qu'elle devoit produire ,
c'est-à-dire , un des plus étonnans qu'on
puiffe imaginer. On admira auffi beaucoup
La maniere dont l'Hôtel des Invalides fut
Gij
138 MERCURE DE FRANCE.
illuminé le même foir ; les lumieres deffinoient
l'Architecture de ce vafte Edifices
ce fpectacle excita la curiofité de tout Paris.
Monfeigneur le Dauphin alla voir cette illumination
& quelques-unes des autres les
plus remarquables.
Le 18 après midi , ' Leurs Majeftés , Monfeigneur
le Dauphin & Mefdames de France
partirent pour retourner à Verſailles ;
le Roi trouva fur fon paſſage , ainſi que les
jours précédens , divers Amphithéâtres de
Mufique , & plufieurs Fontaines de vin qui
couloient pour le Peuple , & il fut falué
par un grand nombre de Boëtes , & de canons
placés à la Porte S. Honoré , par les
ordres du Corps de Ville.

Leurs Majeftés, pendant le féjour qu'elles
ont fait ici , ont foupé tous les jours en public
avec Monfeigneur le Dauphin &
Mefdames de France ; on ne peut , fans en
avoir été témoin , fe former une jufte idée
de la multitude innombrable de perfonnes
de tous les Ordres , qui rempliffoir à toutes
les heures du jour,non -feulement les Appartemens
du Roi , mais encore les Escaliers,
le Veſtibule , & les cours du Palais des Tuilleries
; le défir de voir Sa Majefté & la Famille
Royale , fembloit être l'unique occupation
des Habitans de cette Ville , & la
NOVEMBRE . 1744. 137
fatisfaction de jouir de cet avantage , leur
feul plaifir . Le Roi touché de l'empreffément
de fon Peuple , avoit ordonné qu'on
laiffât entrer indifféremment toutes fortes
de perfonnes.
Leurs Majeftés , en retournant à Verfailles
, trouverent fur leur paffage une
illumination fuperbe que S. A. R. Madame
la Ducheffe d'Orleans avoit fait préparer
à fon Pavillon de Chaillot .
La Terraffe qui a so toifes entre les
deux Pavillons , étoit illuminée dans toute
fon étendue par une mofaïque en lozange
deffinée par des Lampions , depuis le deffus
du pavéjufqu'au niveau de la Terraffe , elle
étoit couronnée par une plinthe marquée
aufli en lampions , avec un cordon de Terrines
fervant de retraite par le bas, & un autre
au-deffus de la plinthe, le tout étoit furmon-
τό par diſtances égales de vingt- quatre Piédeftaux
garnis auffi de Lampions , & portans
chacun une grande Girandole de quarante
lumieres. Le corps du milieu étoit
diftingué par une mofaïque remplie de
Fleurs de Lis deffinées en Lampions , couronnée
de la même façon que le refte , &
cantonnée par des Pilaftres, qui étoient décorés
fur la hauteur de Médaillons avec
des L. en chiffres , le tout deffiné en Lam
pions.
G iij
138 MERCURE DE FRANCE.
L'intérieur du Pavillon de S. A. Royale
étoit fuperbement éclairé par des Bocats
Bras & Girandoles garnis de bougies , &
celui qui eft à l'autre extrêmité de la Terraffe
, étoit éclairé auffi dans le même goût.
Leurs Majeftés faluerent en paffant S.
A. R. & donnerent à cette Princeffe de juftes
éloges fur fon goût & fur l'élégance de
cette illumination ; les deffeins ont été fournis
par M. Mateau , Officier de la Chambre
de S. A. R. qui entend parfaitement le
Deffein & l'Architecture .
Leurs Majeftés trouverent à Paffy une
nouvelle illumination & même un Feu
d'artifice , qu'avoit fait préparer le Préfi
dent de Rieux , qui eft Seigneur de ce Village
, & qui y a une fort belle maiſon fur le
bord de la riviere.
En face du Château , vis-à- vis de la Chauf
fée,fur une demie lune, étoit pofé un corps
de Feu d'artifice , qui fut très- bien exécuté
& dura 12 minutes ; il commença par
une falve de 125 Boëtes & de 6 piéces
de canon, lorfque le Roi fut en préfence du
Château ; 100 Fufées volantes fuivirent
& on vit enfuite partir un corps de Feu
dont les fpectateurs admirerent l'exécution
;fur une Terraffe du Potager, attenant
>>
>
NOVEMBRE . 1744. 139
le grand chemin , étoit placé un corps de
Mufique , compofé de Tymbales , Trompettes
, Cors-de-Chaffe & Hautbois , qui
ne cefferent point de jouer des Fanfares ,
tant que le Roi fut en préfence du Château
; le Potager étoit illuminé dès trois
heures & demie , par une quantité confidérable
de Terrines ; elles fuivoient les deffeins
d'une pièce de Parterre en palmette ,
& d'une pièce d'eau qui montoit avec un
jet d'eau ces piéces font bordées fuivant
leurs deffeins , d'un treillage qui étoit auffi
illuminé ; les Bofquets du bas du Potager ,
qui font auffi garnis de treillage , étoient
pareillement illuminés de Terrines fuivant
leurs décorations , & bordés des deux cô-
τές par un doublefilet de lumiere; le long de
la face du Château , du côté de S. Cloud',
regnoient deux cordons de groffes Terrines;
le fort de l'illumination étoit pofé fur trois
grands efcaliers qui defcendent du rés de
chauflée , & aboutiffent à une fort belle
Terraffe ; un cordon de Terrines bordoft
cette Terraffe ; elle étoit garnie de Vafes
qui portant chacun un Pot-à-feu , formoient
par leur élevation une Pyramide
de lumière ; la feconde Terraffe de ce Parterre
étoit garnie d'environ 300 Vafes, qui
portoient auffi des Pots-à-feu & fuivoient
G iiij
140 MERCURE DE FRANCE.
les deffeins reguliers de chaque Parterre .
Au pied de ces Terraffes eft un maßlif
d'une grande beauté ; il eft compofé de
huit Bofquets garnis d'environ 4000 pieds
d'Arbres ; dans le centre eft une pièce de
gazon octogone , au milieu de laquelle on
voit une figure repréfentant une Déeffe
qui montre la Mufique aux Amours ; ces
Bofquets & la figure font accompagnés de
quatre autres belles figures qui forment les
quatre coins du maflif; le tout étoit entouré
de Vafes chargés de Pots à feu , qui éclairoient
toutes les parties de ces Bofquets.
Monfieur de Rieux avoit fait illuminer
tous les appartemens & la galerie de fon
Château , & avoit invitée à cette Fête unc
nombreuſe Compagnie,
Leurs Majeftés arriverent enfin à Verfailles
. Les Habitans de cette Ville n'avoient
pas été moins empreffés , que ceux
de Paris , à faire éclater la joie que leur
caufoit le retour du Roi.
Ils avoient fait élever vis-à-vis du Château
, à l'entrée de la principale Avenue, cntre
la Grande & la Petite Ecurie , un Arc
de Triomphe , compofé de trois Portiques
, dont celui du milieu avoit trentehuit
pieds de haut fur vingt de large. La
NOVEMBRE. 1744 14
hauteur des deux autres Portiques étoit de
trente- quatre pieds , & leur largeur de
quinze. Ces Portiques étoient accompa
gnés de Colonnes & de Pilaftres d'Ordre
Corinthien avec les Chapiteaux ornés de
Volutes & de feuillages d'or . Les Colonnes
& les Pilaftres foutenoient un Entablement
, furmonté d'une Balustrade dont la
Frife étoit embellie par plufieurs Guirlan
des de fleurs.

Au-deffus de la Balustrade , du côté de
l'Avenue , on voyoit fur le Portique du
milieu , un Tableau de trente pieds de hau
teur dans lequel la Mufe de l'Hiftoire
étoit repréfentée , écrivant dans un Livre
que portoit le Tenis , les actions du Roi ,'
dictées par la Renommée. Des Palmes &
des branches de Laurier entrelaffées achevoient
le Couronnement . Dans le retour
circulaire , étoient à droite la Statuë de la
Gloire , & à gauche celle de l'Amour de la
Patrie , chacune fur un Piédeſtal & entre
deux Pilaftres .
La Conftance & la Clémence étoient placées
, l'une à la gauche du Portique de la
droite , & l'autre à la droite du Portique de
la gauche , chacune entre deux Colonnes.
entourées de Guirlandes . A la droite du
premier de ces deux Portiques & à la gau
Gy
142 MERCURE DE FRANCE.
che du fecond s'élévoit entre deux Pilaftres
un fuperbe Trophée , pofé fur un Cul de
Lampe , dans lequel étoit un Ecuffon avec
trois Lis d'Or.
Dans la façade du côté du Château , on
lifoit à l'Architrave du grand Portique cette
Infcription , Regi , Patri , Heroi. Un
Globe avec les Armes de France , foutenu
par deux Esclaves , faifoit le Couronnement.
La Renommée au-deffus de ce Globe
tenoit le Portrait du Roi , tandis qu'un Genie
deſcendoit du Ciel , pour couronner
Sa Majesté. Aux pieds de la Renommée
quelques autres Genies badinoient avec
une Guirlande de fleurs . On avoit placé
aux deux côtés de ce Portique la Valeur &c
la Libéralité,
L'Humanité & la Force occupoient dans
cette façade les mêmes places que la Conftance
& la Clémence dans la façade du côté
de l'Avenue , & la Décoration étoit terminée
de même par deux Trophées. Les Platfonds
des trois Portiques étoient revêtus
de divers ornemens relevés en Or , & l'on
avoit peint des Trophées dans les Cloifons.
Entre cet Arc de Triomphe & le Châreau
, étoient fous les Armes , d'un côté ,
cent Enfans de douze à quatorze ans , tous
vêtus de blanc , & de l'autre la Garde de la
NOVEMBRE. 1744. 142
Ville. Huit Compagnies Bourgeoifes , de
cent cinquante hommes chacune , cinq de
la Ville -Neuve , & trois du vieux Verfailles
, bordoient le paffage du Roi depuis
l'Arc de Triomphe jufqu'à la moitié de l'Avenuë.
Trois autres Compagnies , à cheval
, dont une avoit un Uniforme bleu
avec des Brandebourgs d'argent , & les
deux autres un Uniforme écarlate avec des
veftes galonnées d'or , chapeaux bordés
avec des plumets , allerent au - devant du
Roi jufqu'à l'extrêmité de l'Avenue , &
elles avoient à leur tête le Comte de Noailles
, Gouverneur de Verſailles .
Ces trois dernieres Compagnies accom →
pagnerent Sa Majefté dans le refte de fa
marche jufqu'au Château , qui étoit illuminé,
ainfi que l'Arc de Triomphe , avec
autant de goût que de magnificence .
Le foir , avant le fouper du Roi , la Ville
fit tirer un feu d'artifice il y eur des illu
minations dans toutes les rues , & l'on
n'entendoit de toutes parts que des accla
mations réitérées , d'autant plus flateufes
pour Sa Majefté , qu'on pouvoit lire dans
tous les yeux , que ces hommages étoient
rendus moins à fon rang qu'à fa perfonne.
Gvj
144 MERCURE DE FRANCE.
ILLUMINATIONS. ›
No
Ous avons promis de rendre compte
au Public de quelques -unes des
illuminations qui ont été faites à Paris pendant
le féjour du Roi.
Nous repéterons ici ce que nous avons
déja dit au fujet du choix des Odes & autres
Piéces de Vers . Nous ne prétendons -
point donner la préférence aux illuminations
que nous décrirons , mais nous décrirons
celles dont il nous a été plus facile
de recouvrer les deffeins . Nous commencerons
par celles des Peres Jéfuites de la
Maiſon Profeffe.
LA MAISON PROFESSE DES JESUITES.
La façade de leur Eglife , érigée par Louis
XIII. fous Finvocation de S. Louis , étoit
décorée d'une multitude de lumieres . Trois
Arcs éclairés dans leurs Cintres & dans
leurs Pilaftres , laiffoient voir dans l'enfoncement
autant de Soleils brillans , & fymboliques.
Celui qu'on appercevoit à la droirappelloit
la rapidité des Conquêtes de
Sa Majefté , le fecond placé à l'oppofite ,
annonçoit fa Convalefcence , & le troifiéme
plus élevé , repréfentoit la férénité que
,
NOVEMBRE. 1744. 145
fon retour répandoit dans tous les coeurs .
Cet ordre lumineux étoit parfemé d'Etoiles
& de Fleurs de Lis , & il marquoit le Concert
des Cieux & de la Terre dans cet heureux
jour. Une Couronne fermée , chargée
de lumieres , furmontoit cette premiere face
de l'illumination . On lifoit au- deffous
en Lettres de feu , Vive le Roi Les Chapiteaux
& les Corniches , auffi - bien que les
timpans des portes de côté répondoient à
ce deffein principal : ils étoient bordés de
filets de lumieres ou de cordons entrelaffés ,
felon l'Architecture & la Sculpture de ce
magnifique frontifpice,des Luftres pendans
depuis le haut de Portail jufqu'à dix pieds
du perron , fuppléoient à ce qui ne pouvoit
pas comporter un arrangement de lumieres
, égal à celui d'en bas ; ils fe retrou
voient à peu de diſtance dans un concours
de clartés , avec cinq Ifs , en Pyramide lumineufe.
La difpofition du Lieu affura le fuccès de
l'illumination . Le grand vent qui endommagea
confidérablement toutes les autres ,
ne pût entamer celle-ci . Les maifons voifines
, & la profondeur de l'endroit où elle
Le trouva placée , fervirent à la garentir.
Sa Majesté daigna honorer de fes regards
& de fon approbation le fpectacle que les
Jéfuites eurent le bonheur de préſenter à
Lon paffage.
146 MERCURE DE FRANCE.
Le Dimanche fuivant , le Roi , la Reine ,
Monfeigneur le Dauphin & Mefdames ,
accompagnés de la Princeffe de Conti , du
Duc & de la Ducheffe de Chartres , du
Comte d'Eu , du Duc de Penthiévre , de
La Princeffe d'Epinois , d'un grand nombre
de Prélats & autres perfonnes diftinguées
de la Cour & de la Ville fe rendirent fur
les fix heures du foir en cette Eglife , ainfi
qu'on l'a déja dit. Elle étoit parée auffi magnifiquement
que l'éxigeoit une fi Augufte
Affemblée ; les trois Ordres de l'Autel prin
cipal étoient éclairés dans toute leur éten
duë. Les Balustrades qui bordent les hautes
corniches , & celles qui entourent le dedans
du Dôme , portoient une très-grande multitude
de bougies , difpofées avec art. Vingt
Luftres répandus dans toute la longueur de
la Nef, & des Girandoles de plufieurs branches
à chaque pilier répandoient une clarté
auffi vive que celle du plus beau jour. A
la défcente du carroffe , Leurs Majeftés
furent reçues par les Superieurs des Jéfuites.
A l'entrée de l'Eglife , le Pere Provincial
eut l'honneur de leur préfenter l'Eau bénite
, & de les complimenter. Elles entendirent
le Salut ; le Pere de Beauvais , Prédicateur
de Sa Majesté pour cet Avent , y
officia avec un nombreux Clergé , & la
Mufique de Notre-Dame l'exécuta.
NOVEMBRE . 1744 147
La porte de l'Eglife étoit ornée & éclai
rée dans un ordre différent du jour de l'arrivée
du Roi. S. M. a bien voulu encore
faire l'honneut aux Peres Jéfuites de joindre
à mille témoignages de fa royale bonté,
celui de paroître fatisfait du goût & de la
décence de leur Fête .
LES QUINZE - VINGT .
L'Hôpital Royal des Quinze-Vingt de
Paris , s'étant déja diftingué par une Fête
particuliere célébrée dans fon Enclos , au
fujet de la Convalefcence du Roi , & rap
portée dans le Mercure du mois de Septembre
dernier , a renouvellé les marques
éclatantes de fa joie à l'arrivée de Sa Majefté.
Il a fait pour cela conftruire une répréfentation
d'Arc de Triomphe , dont
les Lampions formoient le deffein avec
beaucoup d'art & de goût. Cet Ouvrage
cintré dans fon milieu , étoit orné des Armes
du Roi très -bien peintes, dont l'Ecuffon
étoit en tranfparent , & au- deffous on
lifoit ce Diftique Latin.
Qui dare non poffunt oculos pro Rege tuendo,
Nempè velint vitas fpontè vovere fuas.
Des deux côtés étoient deux autres Inf
148 MERCUREDE FRANC
criptions qui faifoient allufion à la fituation
des Aveugles ; l'un portoit : Salus noftra
in manu tua eft ; refpiciat nos tantùm Dominus
nofter , & læti ferviemus Regi. Genef.
Chap . 25.Verfet 27. & l'autre: Dominus illuminat
cacos. Pl. 147. Verſet 8 .

Au côté droit de l'Edifice qui contenoir
dans toute fon étendue 54 pieds de large
fur 40 de haut , & qui étoit placé en face
de la rue de Richelieu , on avoit conftruit
une efpéce de petite Tribune où étoient
placés ceux des Aveugles qui jouent des
Inftrumens . Ilsy exécuterent de leur mieux
les plus belles ouvertures de Lully, & quelques
piéces de la compofition de l'un d'entre
eux.
HOTEL DE S. AIGNAN .
Nous n'avons pu recouvrer les deffeins
de cette illumination qui faifoit un fort
bel effet ; nous ne pouvons que rendre
compte au Public des trois Inferiptions ,
que l'on y voyoit le choix ingenieux de
ces Infcriptions plaira plus à beaucoup de
nos Lecteurs qu'une defcription d'Architecture
.
Hic ames dici pater atque princeps .
Nunc redit ante oculos aderat qui mentibus ante,
Cernimus , & vultu non exfatiamur amato
NOVEMBRE. 1744. 149
HOTEL DE LA ROCHE - SUR- YON.
Trois Portiques décoroient le Balcon de
cet Hôtel . Celui du milieu étoit élevé à
plus de 60 pieds du rés de chauffée : ils
étoient accompagnés de plufieurs Pots de
fleurs , Guirlandes & Girandoles , deffinées
en lampions ; le long du Balcon regnoit
une mofaïque de plus de 50 pieds de long ,
partagée par des Pilaftres qui defcendoient
jufqu'au pavé de la rue . Le ceintre & les
côtés de la porte cochere étoient garnis
d'une prodigieufe quantité de lampions , &
au milieu de la porte étoit le chifre du Roi
furmonté d'une Couronne de lumieres ; les
barrieres de l'Hôtel étoient garnies d'un
grand nombre de terrines .
Ona auffi admiré fur le Quai Malaquais
où eft fitué cet Hôtel , les illuminations
du Maréchal Comte de Saxe , du Duc de
Fleury , de M. de S. Port , du Duc de Rohan
, du Duc de Bouillon & du Duc
d'Aumont.
,
Nous ne nous arrêterons point à décrire
Fillumination de M. le Cardinal de Tencin
, de peur de fatiguer nos Lecteurs par
des détails d'Architecture affés peu agréables
même pour ceux qui les entendent.
: L'Hôtel de S. E. étoit décoré d'une
150 MERCURE DE FRANCE.
façon qui répondoit parfaitement & à fon
zéle pour la perfonne du Roi , & à fon
goût délicat & éclairé ; cette illumination
n'a cedé à aucune des plus brillantes , &
on a lû avec beaucoup de plaifir les deux
Infcriptions dont elle étoit ornée .
L'une étoit.
Omnia tu nobis , &fatis unus eris.
La feconde.
Vultus ubi tuus affulfit ,
Populo gratior it dies
Etfoles melius nitent.
HOTEL DE NOAILLE S.
La façade de l'Hôtel , fur la ruë S. How
noré, a 30 toifes de face , & eft d'une fort
belle Architecture Moderne ; la porte cochere
, forme un avant-corps foutenu par
des Colonnes & Pilaftres d'Ordonnance
Ionique , avec une attique au-deffus ; toutes
les lignes , filets & membres d'Architecture
qui compofent cette façade, étoient deffinées
en Lampions & Terrines , de forte
qu'il y avoit des fimples , doubles , triples ,
& quadruples Lampions , & Terrines
pour faire valoir & rendre la proportion
des différens membres d'Architecture fur
NOVEMBRE . 1744. 151
lefquels les Lampions & Terrines étoient
appliquées
Au-deffus de la porte étoit an Tableau
tranfparent avec bordure d'emblême , &
ornement , & l'Infcription de Vive le Roi.
Le couronnement de cet avant- corps ,
eft terminé par une balustrade , au-deffus
de laquelle étoit élévé une grande Pyramide
de 36 pieds de hauteur , & terminée
par un Soleil.
Au centre du Soleil étoit un Tableau
tranfparent , repréfentant la Lune , au- deffous
du Soleil ; un autre Tableau tranfparent
, repréfentant un Dauphin , & au-deffous
du Dauphin , un autre Tableau tranfparent
repréfentant le chiffre du Roi, & enfin
fur la bafe de la Pyramide, un dernier Tableau
repréfentant les Armes du Roi , orné
de Guirlandes & couronnes ; aux deux côtés
de la Pyramide on voyoit quatre grands Vafes
qui fervoient de couronnement aux
Colonnes & Pilaftres.
La grande & principale cour , dont l'Architecture
eft femblable à celle de la face
étoit auffi garnie de Lampions & de Terrines.
-
En face de la porte cochere , eft un beau
Veftibule qui foutient une Terraffe & Bal-
Juftrade par fix Colonnes & huit Pi152
MERCURE DE FRANCE.
laftres d'Ordre Compofite , le tout def
finé en Boffanges de feu , avec des Vafes
de feu au-deffus des Colonnes .
On avoit mis dans les entre- Colonnes ,
& dans les niches de grandes Girandoles
& des Luftres , ce qui faifoit la perfpective
la plus éclatante du point de vuë de
la ruë.
}
Après le Veftibule eft une grande porte
à deux batans , qui laiffoit appercevoir le
Jardin ; il étoit décoré d'une Galerie de
30 toifes de longueur formée en feu.On ap
percevoit au bout un grand Salon de fett
formé de Tableaux tranfperens , repréfentans
tous les attributs de la Guerre & de la
Victoire , & au milieu du Salon étoit un
Perfée , qui par l'artifice d'une perfpective
bien ménagée , paroiffoit être fort éloigné.
Sur le principal corps du Bâtiment de
l'Hôtel eft un Dôme à la Manfarde , d'une
belle proportion ; il eft ifolé , a 72
pieds de hauteur , & par conféquent fe
découvre de toutes parts , & principalement
de l'Appartement du Roi au Château
des Tuilleries. Ce Dôme eft couronné
par un Donjon entouré d'un Balcon
de Serrurerie .
On avoit élévé au dedans de ce Balcon ,
1
NOVEMBRE.
1744. I53
une Pyramide triomphale à huit pans , qui
contenoit par fon plan 7 pieds fur 12 de
longueur , & 120 & demi de hauteur.
Elle étoit décorée dans fes quatre principales
faces de quatre grandsTableaux tranfparens
, repréfentans des Trophées d'Armes.
Sur les quatres petites faces étoient huit
Ifs de feu ; la Pyramide étoit terminée &
couronnée d'unChapiteau d'Ordre Ionique
doré , au-deffus étoit un Soleil à quatre
faces de 15 pieds de diamètre . Pour Deviſe
du Roi , & au centre des Soleils étoient des
Tableaux tranſparens , repréſentans les Armes
du Roi au lieu de tête,
Le tout a été fait fous la conduite & les
deffeins de M. Charpentier , Architecte de
M. le Maréchal de Noailles , & exécuté
par M. Daffier Peintre .
L'illumination de l'Hôtel de Maurepas
a donné lieu à une Differtation , qui nous
difpenfera d'en parler.
C'eft une Lettre qui m'a été adreffée par
un Etranger au fujet des Fêtes que nous
venons de décrire ; j'ai crû que cette courte
Differtation devoit trouver fa place ici : l'Italien
qui l'a écrite eft un homme qui joint
à une érudition choifie, un goût délicat , &
154 MERCURE DE FRANCE.
beaucoup de pénétration , & qui a été mal
édifié de notre ridicule ufage de faire les
Infcriptions en Latin . Cette queftion fut
agitée il y a cinquante ans ; on fit un affés
gros Livre qui fe décida rien , & la queftion
reſta là. Faut -il que ce foit un Etranger
qui prenne les intérêts de notre Langue
, quand nous les abandonnons? Je fouhaite
que fes raifons folides & convainquantes
détruifent enfin un préjugé honteux
à notre Littérature ; l'Académie Françoife
a donné depuis long-tems un exemple
que l'on devroit fuivre , & le fuccès de
la Devife qu'elle a prife ( à l'Immortalité.)
auroit dû nous ouvrir les yeux .
LETTRE de M. L. A. â M. de L. B. au
fujet des illuminations qui ont été faites à
Paris pendant le féjour du Roi dans cette
Ville.
Ja
'Ai vû les illuminations & j'en ai été
affés content ; quand elles auroient
été toutes de mauvais goût , elles avoient
un titre pour plaire aux François , mais elles
n'ont pas laiffé de me plaire , à moi qui
ne fuis point François , & qui ne regarde
Paris & fon Roi qu'avec les yeux d'un CuNOVEMBRE.
1744. ISS
rieux & d'un Voyageur. Outre l'Arc de
Triomphe vis-à-vis de l'Hôtel de Ville ,
qui mérite d'être tiré du pair , il
il y avoit
chés plufieurs particuliers des deffeins d'un
fort bon goût. J'ai vu auffi avec plaifir plufieurs
Devifes très-ingénieufes & entr'autres-
celles de M. le Duc de S. Aignan . ( a)
Mais , Meffieurs , je ne fçai comment vous
l'entendez ici , vous faites toutes vos Infcriptions
en Latin, comme fi vous ne faifiez
aucun cas de votre propre Langue. Cela
me paroît ridicule , & je fens que fi j'étois
François , cela me paroîtroit humiliant. La
poftérité vous confondra donc avec ces
Nations barbares chés qui les Arts n'ont pu
s'établir. Les Monumens que vous lui laifferez
lui fembleront des Monumens d'emprunt
, pour ainfi dire , & vous ne pafferez
pas pour en être leurs Auteurs , comme vos
Poëtes ne vous feroient aucun honneur s'ils
n'avoient fait que des Vers Latins & qu'ils
les euffent donnés fous un nom Latinifé.
Je vois bien comment cet ufage s'eft établi
autrefois , mais je ne comprends pas comment
il fe maintient aujourd'hui ; anciennement
la Langue Latine étoit prefque la
(a ) Hic ames dici pater atque princeps
Nunc redit ante oculos , aderat qui mentibus anter
Cernimus, & vultu non exfatiamur amato.
156 MERCURE DE FRANCE.
dominante chés vous . Les Rois la parloient,
les femmes l'écrivoient , les peuples l'entendoient.
Cependant vos différentes Provinces
avoient leur Jargon , mais celui
d'une telle Province n'étoit pas entendų
dans une telle autre , & la Langue Latinę
étoit l'univerfelle, parce que quoiqu'elle ne
fut pas entendue par tous les Habitans de
tous les lieux , il n'y avoit point de lieu où
plufieurs Habitans ne l'entendiffent , & en
conféquence elle regnoit dans prefque tous
les Actes publics & particuliers. Il étoit tout
fimple alors que vos Infcriptions fullent
Latines , puifque le Latin étoit votre Langue
. Que ne l'avez- vous confervée , peutêtre
auriez -vous bien fait ; & tout Italien
que je fuis , je trouve qu'il ne vous fieroit
pas mal de parler le langage des Romains.
Mais du débris de la Langue Romaine affujettie
à votre Grammaire , dont s'étoit déja
formé le Provençal qu'ont parlé vos Troubateurs
, vous avez enfin , en y joignant
l'ancienne Langue du Nord de votre
Royaume , conftruit celle que vous parlez
à préfent . Alors vos Poëtes , vos Hiſtoriens
, vos Philofophes ont écrit en François
, & les Arts ont été naturalifés chés
vous , auffi -tôt qu'ils curent commencé à
renaître chés nous. Bien- tôt votre Langue ,
augmentée & perfectionnée par d'excellens
Ecrivains
NOVEMBRE. 1744. 157
Ecrivains , n'a plus été refferrée dans les
bornes; de votre domination elle s'est étendue
dans toute l'Europe ; elle eft devenue
la Langue refpective des Etrangers entr'eux;
elle eft l'organe de la politique dans tous
les Cabinets des Princes. Je ne me fouviens
point fans une admiration mêlée de refpect
pour votre Nation , de cette fameuſe
Conférence où toute l'Europe liguée contre
la France fût obligée d'emprunter la
Langue de ce Peuple envié , pour exprimer
les engagemens que leur faifoit prendre la
haine qui les animoit contre lui . Ce Traité
ne paroîtra-t- il pas aux yeux de la poſtérité
une confédération coupable entre des
Sujets révoltés contre un Maître , plûtôt
qu'une ligue légitime entre des Nations
réunies contre un ennemi ? Ainfi votre
Langue a porté votre gloire plus loin que
n'ont fait vos Conquêtes , & elle vous a
donné fur vos voifins une fupériorité ,d'autant
plus fùre, que l'envie ne peut ni la détruire
ni la méconnoître .
Les Romains , ces Peuples fi fiers & qui
entendoient fi bien les intérêts de leur vanité,
étoient avec raifon bien attachés à ce genre
de fupériorité ; une Province conquife
perdoit avec fesTerres la liberté de parler ſa
Langue. Il falloit qu'elle apprit celle de fes
Fouveaux Maîtres, & c'eft peut- être, pour le
I. Vol. H
138 MERCURE DE FRANCE.
dire en paffant, ce qui nous a fait perdre juf
qu'aux traces de la Langue Punique , parce
que fans douteRome, envenimée contreCarthage
, fut foigneufe d'anéantir tout ce qui
auroit pû conferver honorablement les Carthaginois
dans la mémoire des hommes,
Sous les Empereurs,le Latin étoit le Langage
de toutes les Cours de l'Orient , &
les Princes qui n'étoient qu'Alliés des Ro- ,
mains, étoient obligés d'envoyer leurs Héritiers
àRome pour y apprendre cette Langue,
& rendre par-là une forte d'hommage que
les Romains fçavoient bien apprecier. C'eſt
à peu près ainfi que Paris eft devenu une
Ecole publique , où la Jeuneffe illuftre de
toute l'Europe vient apprendre votre Langue
, & fe former à votre politeffe. Je puis
yous affurer que tous ces Etrangers qui paffent:
continuellement chés vous , dans l'efpérance
d'y prendre la teinture de vos
moeurs aimables , font fort étonnés de voir
que vous faffiez moins de cas de votre propre
Langue qu'ils n'en font eux -mêmes. J'ai
été choqué en arrivant à Paris , & je le
fuis encore de ne rencontrer par tout que
des Infcriptions Latines . Comme il fe peut
faire que les Livres durent moins que les :
Monumens , on pourra fort bien ignorer
un jour que vous ayez eu d'autre Langue
que celle dont on trouvera vos Monumens
NOVEMBRE . 1744. 149
HOTEL DE LA ROCHE - SUR - YO N
Trois Portiques décoroient le Balcon de
cet Hôtel . Celui du milieu étoit élevé à
plus de 60 pieds du rés de chauffée : ils
étoient accompagnés de plufieurs Pots de
fleurs , Guirlandes & Girandoles , deffinées
en lampions ; le long du Balcon regnoit
une mofaïque de plus de 50 pieds de long ,
partagée par des Pilaftres qui defcendoient
jufqu'au pavé de la rue. Le ceintre & les
côtés de la porte cochere étoient garnis
d'une prodigieufe quantité de lampions , &
au milieu de la porte étoit le chifre du Roi
furmonté d'une Couronne de lumieres ; les
barrieres de l'Hôtel étoient garnies d'un
grand nombre de terrines .
On a auffi admiré fur le Quai Malaquais
où eft fitué cet Hôtel , les illuminations
du Maréchal Comte de Saxe , du Duc de
Fleury , de M. de S. Port , du Duc de Rohan
, du Duc de Bouillon , & du Duc
d'Aumont.
Nous ne nous arrêterons point à décrire
Fillumination de M. le Cardinal de Tencin
, de peur de fatiguer nos Lecteurs par
des détails d'Architecture affés peu agréables
même pour ceux qui les entendent.
L'Hôtel de S. E. étoit décoré d'une
160 MERCURE DE FRANCE,
de ne la pas obtenir . Je vous affure qu'ils fe
glorifient beaucoup à préfent dans l'Eliſée ,
s'ils y ont appris que Louis XIV & Louis .
XV ont dédaigné la Langue Françoiſe , &
empruntent la leur
la leur pour en parer leurs Monumens.
On dit que le Latin eft plus propre
aux Infcriptions que le François : je ne ſçais
pas affés votre Langue pour décider cette
queftion. Mais cette queftion , doit-on
la difcuter ? il faut prendre garde à une
chofe ; une Infcription n'eft pas une Epigramme
; quand cela fe peut à la bonneheure
, & peut- être n'en est- ce pas mieux,
Dans le vrai , pourquoi une Infcription eftelle
faire ? Pour marquer à la poftérité telle
époque intéreffante , qui a fait éléver tel
Monument. Qu'importe à cette poſtérité
de trouver dans les deux lignes de l'Infcription
une penſée refferrée & taillée de façon
qu'il en résulte un bon mot : il fuffit qu'il
en réfulte un fait, ou l'indication d'un fait.
Il faut de la fimplicité , de la clarté ; l'élégance
eft comptée pour rien. Ces Romains
dont la Langue étoit fi bien faite à votre
avis pour les Infcriptions , qu'ont-ils mis
dans les leurs ? elles font fimples , contiennent
des faits & n'étalent point d'efprit. Les
Grecs dont la Langue étoit fi fuperieure à
celle des Romains , que la vanité de ceuxci
l'avouoit fans honte , les Grecs ont fait
NOVEMBRE. 1744. 161
leurs Infcriptions dans le même goût ; la
lecture de Paufanias n'en laiffe pas douter.
Seriez-vous honteux de fuivre cet exemple,
& rougiriez-vous de mettre fur un Arc de
Triomphe, dans cette occafion -ci , par exem
ple, une Infcription fimple comme celle- ci ?
Paris heureufe triomphante éléve ce Monument
à Louis XV guéri & Victorieux, 1744.
D'ailleurs votre Langue eft peut - être
moins propre à tous les genres d'écrire
que le Latin ; vous écrivez pourtant
dans tous les genres & dans tous vous
avez d'excellens Ecrivains . Ofez prendre
l'effor dans le genre des Infcriptions , & je
vous garantis le fuccès . Ceux qui défendent
la Théfe contraire à celle que je
que je foutiens
, ne manquent pas de propofer des
Infcriptions Latines dont ils demandent la
Traduction ; alors ils croyent avoir caufe
gagnée , parce qu'en effet l'Original étoit
bon & la copie ne vaut rien ; mais cela ne
fignifie rien , & cette maniere de difputer
naît de l'ignorance ou de la mauvaiſe for.
Outre le défavantage général de la Traduction
, ne doit- on pas fçavoir que le genie des
Langues diverfes étant très-différent , telle
idée rendue par un tour concis dans une
Langue , demandera un tour allongé dans
une autre ? mais cela eft réciproque , & je
ne crois pas qu'un Difcours de M. Boffuct
H iij ·
152 MERCURE DE FRANCE.
laftres d'Ordre Compofite , le tout def
finé en Boffanges de feu , avec des Vafes
de feu au- deffus des Colonnes.
On avoit mis dans les entre- Colonnes ,
& dans les niches de grandes Girandoles
& des Luftres , ce qui faifoit la perfpective
la plus éclatante du point de vue de
la ruë.
Après le Veftibule eft une grande porte
à deux batans , qui laiffoit appercevoir le
Jardin il étoit décoré d'une Galerie de }
30 toifes de longueur formée en feu.On ap
percevoit au bout un grand Salon de feu
formé de Tableaux tranfperens , repréfentans
tous les attributs de la Guerre & de la
Victoire , & au milieu du Salon étoit un
Perfée , qui par l'artifice d'une perfpectivo
bien ménagée , paroiffoit être fort éloigné.
Sur le principal corps du Bâtiment de
l'Hôtel eft un Dôme à la Manfarde , d'une
belle proportion ; il eft ifolé , a 72
pieds de hauteur , & par conféquent fe
découvre de toutes parts , & principalement
de l'Appartement du Roi an Château
des Tuilleries . Ce Dôme eft couronné
par un Donjon entouré d'un Balcon
de Serrurerie.
On avoit élévé au dedans de ce Balcon ,
NOVEMBRE. 1744. 153
ane Pyramide triomphale à huit pans, qui
contenoit par fon plan 7 pieds für 12 de
longueur , & 120 & demi de hauteur.
Elle étoit décorée dans fes quatre principales
faces de quatre grands Tableaux tranfparens
, repréfentans des Trophées d'Armes.
Sur les quatres petites faces étoient huit
Ifs de feu ; la Pyramide étoit terminée &
couronnée d'unChapiteau d'Ordre Ionique
doré , au- deffus étoit un Soleil à quatre
faces de 15 pieds de diamétre. Pour Devife
du Roi , & au centre des Soleils étoient des
Tableaux tranfparens , repréfentans les Armes
du Roi au lieu de tête,
Le tout a été fait fous la conduite & les
deffeins de M. Charpentier , Architecte de
M. le Maréchal de Noailles , & exécuté
par M. Daffier Peintre,
L'illumination de l'Hôtel de Maurepas
a donné lieu à une Differtation , qui nous
difpenfera d'en parler.
C'eft une Lettre qui m'a été adreffée par
un Etranger , au fujet des Fêtes que nous
venons de décrire ; j'ai crû que cette courte
Differtation devoit trouver fa place ici : l'Italien
qui l'a écrite eft un homme qui joint
à une érudition choifie, un goût délicat , &
164 MERCURE DE FRANCE .
volontiers que d'aucun autre. Cette fatisfaction
du Peuple eft encore un point qui
mérite d'être confidéré. Quoi ! les chofes
qui flarent le plus une Nation , doiventelles
être ignorées par les trois quarts de
cette Nation ? J'avoue que d'un autre côté
on trouve en cela même un avantage à faire
des Infcriptions Latines ; c'eft qu'elles font
jugées par moins de gens , mais cet avantage
prétendu eft un défavantage réel , car
enfin il eft ridicule que la gloire d'un Peuple
foit un mystére pour lui . Je m'apperçois
M. qu'il eft tems de finir cette Lettre ,
qui devient prefqu'une une Differtation.
Vous me ferez plaifir de la rendre publique
, & je ferai fort aife d'apprendre à vos
Compatriotes l'intérêt que je prends à la
gloire de leur Nation , dont je refpecte autant
les Vertus , que j'aime les agrémens.
NOVEMBRE. 1744. 165.
RELATION de la Fête donnée par M. le
Duc DE ROHAN, le 18 Novembre 1744,
pendant l'Affemblée des Etats dans la Ville
de Rennes , à l'occaſion du rétabliſſement de
la famé du Roi & defes Conquêtes.
L
Es Etats voulant laiffer un monument
de leur zéle & de leur amour pour le
Roi , ordonnerent le 5 Novembre 1744 ,
qu'il feroit érigé dans la Ville de Rennes
une Statue pedeftre de Sa Majefté , en mémoire
du rétabliffement de fa fanté & de
l'heureux fuccès de fes armes , avec une
Infcription dont ils ont chargé M. Duclos ,
de l'Académie Royale des Belles - Lettres ,
Membre de l'Ordre du Tiers.
&
M. le Duc de Rohan , Préſident de la Nobleffe
, plus diftingué encore par fon zéle
pour le Roi , que par fa naiffance & fes dignités
, offrit à l'inftant de donner une Fête
qui a été exécutée le 18 de ce mois.
Les Etats en ont été fi fatisfaits ; le nom
de M. le Duc de Rohan eft fi cher à la Province
, & l'objet de la Fête leur eft fi précieux
, qu'ils ont cru donner une nouvelle
marque de leur amour pour le Roi , en ordonnant
qu'on inféreroit dans leurs Regiftres
le détail de cette Fête.
Hy
166 MERCURE DE FRANCE.
Elle fut annoncée le matin par plufieurs
falves de canon , la Milice Bourgeoife s'étant
miſe en bataille dans la Place du Palais ,
M. le Maréchal de Brancas , Commandant
de la Province , accompagné de Mrs les
Commiffaires du Roi , & l'Affemblée des
Etats , après avoir affifté au Te Deum, chanté
dans la Chapelle des Etats , fe rendirent
dans la grande Sale du Palais , pour être
préfens au Banquet public ; deux Trompettes
& fix Cors de Chaffe efcortés de plufieurs
Cavaliers , commencerent la marche ,
& entrerent dans la Place en fonnant des
Fanfares qui donnerent le fignal aux falves
du canon & de la moufqueterie & aux cris:
de joye du Peuple. On vit en même-tems:
paroître une troupe de jeunes gens vêtus
de blanc & ornés de rubans bleus , portans:
des corbeilles pour diftribuer les pains ; une
pareille troupe diftinguée par des rubans
rouges , étoit chargée de la diftribution des
viandes.Ces deux troupes étoient accompagnées
de Bergers galamment habillés & marchant
au fon des Mufettes , des Haut- Bois &
des Tambourins ..
Deux Suiffes & douze hommes de M. le
Duc de Rohan marchoient enfuite , & précédoient
un grand Char , tiré par fix che
vaux couverts de caparaçons armoriés &
menés en main par des Palfreniers de la mê
NOVEMBRE. 1744. 157
:
Ecrivains , n'a plus été refferrée dans les
bornes ; de votre domination elle s'eft étendue
dans toute l'Europe ; elle eft devenue
la Langue refpective des Etrangers entr'eux;
elle eft l'organe de la politique dans tous
les Cabinets des Princes. Je ne me fouviens
point fans une admiration mêlée de refpect
pour votre Nation , de cette fameuſe
Conférence où toute l'Europe liguée contre
la France fût obligée d'emprunter la
Langue de ce Peuple envié , pour exprimer
les engagemens que leur faifoit prendre la
haine qui les animoit contre lui . Ce Traité
ne paroîtra-t- il pas aux yeux de la poſtérité
une confédération coupable entre des
Sujets révoltés contre un Maître , plûtôt
qu'une ligue légitime entre des Nations
réunies contre un ennemi ? Ainfi votre
Langue a porté votre gloire plus loin que
n'ont fait vos Conquêtes , & elle vous a
donné fur vos voifins une fupériorité , d'autant
plus fûre, que l'envie ne peut ni la détruire
ni la méconnoître.
Les Romains , ces Peuples fi fiers & qui
entendoient fi bien les intérêts de leur vanité,
étoient avec raifon bien attachés à ce genre
de fupériorité ; une Province conquife
perdoit avec fesTerres la liberté de parler fa
Langue. Il falloit qu'elle apprit celle de fes
nouveaux Maîtres, & c'eft peut- être, pour le
I. Vol. H
168 MERCURE DE FRANCE.
vives & convenables à la Fête . Le repas fut
fuivi de Danfes au fon des Mufettes , des
Tambours de Baſque & autres Inftrumens ,
qui ne finirent qu'avec le jour . La Fête fut
terminée par la Comédie , que M, le Duc
de Rohan fit donner gratis au peuple.
Cette Fête marquée par la magnificence ,
a été accompagnée d'une charité d'autant
plus refpectable , qu'elle a eu moins d'éclat.
On a fait une diftribution abondante aux
prifonniers ; c'étoit dans un tel jour que les
malheureux devoient ceſſer de l'être.
Après la Fête du Peuple , M. le Maréchal
de Brancas & les Etats fe font rendus chés
M. le Duc de Rohan , où l'on a trouvé un
nouveau fpectacle , d'un goût convenable à
ceux à qui il étoit deſtiné.
Une illumination prodigieufe , & faite
avec intelligence, formoit une Architecture
très-bien ordonnée , compofée d'un Portique
qui couvroit le Portail , & de vingtfept
Arcades qui ornoient la cour.
Le fouper où les trois Ordres des Etats &
toutes les perfonnes diftinguées étoient invités
, a été de la derniere magnificence . La,
premiere table étoit de cent couverts , & les
autres en formoient environ trois cent ,
mais indépendamment des perfonnes invi-,
par billet , ou qui étoient cenfées l'être
par leur état , il fuffifoit de fe préfenter pour
tées
NOVEMBRE. 1744- 169
être admis ; on dreffoit à l'inftant de nouvelles
tables , de forte qu'il a été diftribué
mille à douze cent couverts. On a furtout
admiré l'élégance du fruit , qui étoit une
allégorie noble , tirée de la Fable , & relative
aux Vertus du Roi , au bonheur & à la
gloire de fon Régne , & ornée de devifes
ingénieufes. Le repas a été fuivi d'un Bat
mafqué , qui a terminé la Fête.
Tout s'eft paffé avec un ordre & un goût,
qui fe rencontrent rarement avec tant de
magnificence. On a trouvé la Fête aufli
Royale dans fon exécution que par fon objet,
& l'on n'a remarqué que ce tumulte agréa
ble qui naît de la joye publique , qui en eft
mênte une des marques , & qui fait le principal
ornement des grandes Fêtes.
Le même jour , M. l'Evêque de Nantes
Préfident du Clergé , donna un grand fouper
aux Prélats & à tous les Députés de fon
Ordre , avec une fuperbe illumination.
Deux jours après , M. le Maréchal de Brancas
, fit faire une magnifique illumination ,
& donna un grand fouper aux trois Ordres
des Etats , & aux autres perfonnes diftinguées.
Puifqu'il nous refte plus de place que
nous n'avions cru , nous allons donner ici
quelques autres articles.
160 MERCURE DE FRANCE.
1
de ne la pas obtenir. Je vous affure qu'ils fe
glorifient beaucoup à préſent dans l'Eliſée ,
s'ils y ont appris que Louis XIV & Louis
XV ont dédaigné la Langue Françoiſe , &
empruntent la leur pour en parer leurs Monumens.
On dit que le Latin eft plus propre
aux Infcriptions que le François : je ne fçais
pas affés votre Langue pour décider cette
queftion . Mais cette queftion , doit- on
la difcuter il faut prendre garde à une
chofe ; une Infcription n'eft pas une Epigramme
; quand cela fe peut à la bonneheure
, & peut- être n'en eft- ce pas mieux,
Dans le vrai , pourquoi une Infcription eſtelle
faite ? Pour marquer à la postérité telle
époque intéreffante , qui a fait éléver tel
Monument. Qu'importe à cette poſtérité
de trouver dans les deux lignes de l'Infcription
une penſée refferrée & taillée de façon
qu'il en résulte un bon mot ? il fuffit qu'il
en réfulte un fait, ou l'indication d'un fait.
Il faut de la fimplicité , de la clarté ; l'élégance
eft comptée pour rien, Ces Romains
dont la Langue étoit fi bien faite à votre
avis pour les Inferiptions , qu'ont-ils mis
dans les leurs : elles font fimples , contiennent
des faits & n'étalent point d'efprit. Les
Grecs dont la Langue étoit fi fuperieure à
celle des Romains , que la vanité de ceuxci
l'avouoit fans honte , les Grecs ont fait
NOVEMBRE. 1744. 171
Le Vendredi 6 Novembre , on a donné à la
Comédie Françoife la premiere repréfentation
de l'Heureux Retour , Piéce nouvelle
d'un Acte , en Vers , de la Compofition de
Mrs Fagan & Pannard ; elle eft ornée de
Divertiffemens qui ont été fort applaudis
& dont la Mufique eft de M. Granval , On
en donnera l'Extrait le mois prochain. Le
rétabliffement de la fanté du Roi , & fon
arrivée à Paris , ont fourni le fujet de cette
Comédie. Le même fujet a produit
bien des Vers. S'ils ne font pas tous louables
, le zéle qui les a fait naître l'eft , &
mérite au moins de l'indulgence.
Le Samedi quatorze , l'Opera Comique
a reprefenté fur le Théatre de l'Académie
Royale de Mufique les mêmes
Piéces qui ont amufé Paris pendant la derniere
Foire de S. Laurent . La charmante
Petite Puvignée s'y eft fait admirer à fon or
dinaire.
Cette aimable Terpficore en Miniature
poffede la perfection & les graces de la
Danfe , dans un âge où les premieres Leçons
embarraffent encore les autres.
On avoit applaudi le mois précédent à la
fuite d'Acis & Galatée , Paftorale reffufcitée
par les talens Supérieurs de l'incomparable
Mlle le Maure ,très- bien fecondés par ceux
172 MERCURE DE FRANCE.
´de M. de Chaffé & de M. Jeliotte , & par
une Pantomime exécutée
& M. Lalli .
par Mlle
Camargo
Une autre Pantomime danfée
par Signor
Pietro Sodi , excellent Danfeur Italien , &
Mlle Mimi Dalmand , n'a pas moins réüffi .
Mlle André , Penfionnaire du Roi de Pologne,
mais Françoiſe de naiffance , a obtenu
à Paris autant de fuffrages qu'à Drefde &
qu'à Varfovie. On a remarqué fa legereté &
la fcience de fes Pas dans les Caracteres de la
Danfe , & dans le fameux Caprice de M.
Rebel.
Mlle de Romainville a auffi joiié le rôle
de Galatée .
Le Dimanche 15 Novembre , l'Académie
Royale de Mufique a donné la premiere
repréſentation d'un Acte en forme de Prologue
, intitulé les Auguftales. M. Roy ,
Chevalier de l'Ordre de Saint Michel , eft
l'Auteur des paroles . M. Rebel & M.
Francoeur , tous les deux Sur-Intendan's
de la Mufique du Roi , & Infpecteurs de l'Académie
Royale de Mufique , les ont mifes
en Mufique , & leur Compofition a parfaitement
foutenu leur réputation . Le fujet de
cet ingénieux Ouvrage , en publiant la
gloire du Roi , augmente celle de l'Auteur.
C'eft un choix judicieux d'un trait Hiftorique
, pour exprimer les fentimens de notre
NOVEMBRE. 1744. 163
Ceci eft -il moins précis ? moins fort ,
moins noble que le Latin ? Je crois bien
qu'en effet il eft plus difficile de faire des
Infcriptions Françoifes que Latines , pourquoi
C'eft que les Latines font tou
tes faites. Ce font des Santons ramaffès çà
& là ; mais faites la même chofe en François
fans fcrupule ; vous avez d'excellens
Poëtes pour cela. Croyez-vous qu'en 1735
lorfque votre Roi triomphant par tout ,
aima mieux être l'Arbitre que le Vainqueur
de l'Europe , il eut été déplacé de lire autour
d'une Médaille frappée à cette occa
fion ces deux Vers de Quinault ?
Il eft armé du Tonnerre ,
Mais c'eft pour donner la paix.
Un autre Vers de Quinault a fourni dans
ces dernieres Fêtes publiques une Infcription
fort heureufe , dont votre Miniftre de
la Marine a embelli fon illumination . On y
lifoit fous la figure du Roi , il veut le bonheur
d'être aimé. J'aime mieux cela que des
louanges données par Horace à Augufte.
Ce Vers a fans doute intéreffé tous les Citoyens
qui l'ont lû , & j'ai affés bonne opinion
du Peuple de Paris , pour croire qu'il
s'eft enyvré du vin de M. de Maurepas
qui couloit à côté de cette Infcription , plus
>
Hii
164 MERCURE DE FRANCE .
volontiers que d'aucun autre. Cette fatisfaction
du Peuple eft encore un point qui
mérite d'être confidéré . Quoi ! les chofes
qui flarent le plus une Nation , doiventelles
être ignorées par les trois quarts de
cette Nation ? J'avoue que d'un autre côté
on trouve en cela même un avantage à faire
des Infcriptions Latines ; c'eft qu'elles font
jugées par moins de gens , mais cet avantage
prétendu eft un défavantage réel , car
enfin il eft ridicule que la gloire d'un Peuple
foit un mystére pour lui. Je m'apperçois
M. qu'il eft tems de finir cette Lettre ,
qui devient prefqu'une une Differtation .
Vous me ferez plaifir de la rendre publique
, & je ferai fort aife d'apprendre à vos
Compatriotes l'intérêt que je prends à la
gloire de leur Nation , dont je refpecte autant
les Vertus , que j'aime les agrémens.
NOVEMBRE. 1744. 175
Avec fon Maître Rome expire.
Les voeux ardens des Prêtres & des Romains
font exaucés . Hygie vient elle même
les en inftruire , & les invite à célébrer ce
jour heureux.
Chantés le jour de votre gloire ;
Que Rome tous les ans par de célébres jeux
D'Augufte renaiffant confacre la mémoire ;
Il a vaincu la mort ; eft- il une victoire
Plus utile pour vous, plus digne de vos voeux ?
J
A l'égard des Auguftales, les Acteurs & les
Danfeurs qui y ont paru , ont prouvé que
le zéle peut ajouter à l'excellence du talent.
Les Italiens ont donné quelques repréfentations
de l'Esprit Folet , Comédie en trois
Actes , pleine de lazzis ; c'eft le triomphe
de l'aimable Coraline.Ce charmant Prothée
change dix-fept fois d'habit , & danfe près
de douze Caractéres. Sa petite four fe fait
applaudir auprès d'elle .
"
Le Samedi vingt-un Novembre, la Comédie
Italienne a donné une Piéce d'un Acte
dont le zéle François eft encore le fujet.
Elle eft intitulée : Le Génie de la France , ou
Amour de la Patrie ; on en parlera dans le
premier Mercure .
166 MERCURE DE FRANCE.
Elle fut annoncée le matin par plufieurs
falves de canon , la Milice Bourgeoife s'étant
mife en bataille dans la Place du Palais ,
M. le Maréchal de Brancas , Commandant
de la Province , accompagné de Mrs les.
Commiffaires du Roi , & l'Aſſemblée des
Etats , après avoir affifté au Te Deum, chanté
dans la Chapelle des Etats , fe rendirent
dans la grande Sale du Palais , pour être
préfens au Banquet public ; deux Trompettes
& fix Cors de Chaffe efcortés de plufieurs
Cavaliers , commencerent la marche ,
& entrerent dans la Place en fonnant des.
Fanfares qui donnerent le fignal aux falves.
du canon & de la moufqueterie & aux cris:
de joye du Peuple. On vit en même -tems
paroître une troupe de jeunes gens vêtus
de blanc & ornés de rubans bleus , portans :
des corbeilles pour diftribuer les pains ; une
pareille troupe diftinguée par des rubans
rouges , étoit chargée de la diftribution des
viandes.Ces deux troupes étoient accompagnées
de Bergers galamment habillés & marchant
au fon des Mufettes , des Haut- Bois &
des Tambourins ..
Deux Suiffes & douze hommes de M. le
Duc de Rohan marchoient enfuite , & précédoient
un grand Char , tiré par fix che
vaux couverts de caparaçons armoriés &
menés en main par des Palfreniers de la mê
NOVEMBRE. 1744. 167
me livrée. Le Char monté fur huit rouës ,
orné de Lauriers , de Feftons , de Guirlandes
& de Banderoles , formoit une table.
couverte d'une toile qui en cachoit la charpente
, & fur laquelle étoient peints toust
les attributs de l'abondance . Sur cette table
étoit un plat argenté de 30 pieds de long
fur 16 de large , au milieu duquel s'élévoit
an furtout , portant un boeuf & deux veaux
rôtis pofés fur leurs pieds. Les flancs du
plat étoient garnis de douze moutons rôtis
& flanqués de cent piéces de differentes efpéces
de viandes , le tout parfemé de fleurs
& de branches de Laurier.
Vingt Cavaliers couvroient , & fermoient:
la marche. Le Char étant entré entre deux
barrieres , la diftribution du pain & des
viandes fe fit au Peuple , avec autant d'ordre
qu'il eft poffible d'en obferver avec la
multitude.
On avoit élevé aux quatre coins de la
Place des échaffauts ornés de pampre & de
Hierre , fur lefquels étoient des tonneauxde
vin , que des hommes déguifés , avec les
attributs de Bacchus , verfoient à tous ceux
qui fe préfentoient.
? Des troupes de Chanteurs , vêtus d'habits
de caractére, répandus dans la Place & dans
les rues , & animés par la joye publique ,
la redoubloient encore par des Chanfons
H vj
168 MERCURE DE FRANCE.
vives & convenables à la Fête. Le repas fut
fuivi de Danfes au fon des Mufettes , des
Tambours de Baſque & autres Inftrumens ,
qui ne finirent qu'avec le jour . La Fête fut
terminée par la Comédie , que M, le Duc
de Rohan fit donner gratis au peuple.
Cette Fête marquée par la magnificence ,
a été accompagnée d'une charité d'autant
plus refpectable , qu'elle a eu moins d'éclat .
On a fait une diftribution abondante aux
prifonniers ; c'étoit dans un tel jour que les
malheureux devoient ceffer de l'être.
Après la Fête du Peuple , M. le Maréchal
de Brancas & les Etats fe font rendus chés
M. le Duc de Rohan , où l'on a trouvé un
nouveau fpectacle , d'un goût convenable à
ceux à qui il étoit deſtiné.
Une illumination prodigieufe , & faite
avec intelligence, formoit une Architecture
très-bien ordonnée , compofée d'un Porti
que qui couvroit le Portail , & de vingtfept
Arcades qui ornoient la cour.
Le fouper où les trois Ordres des Etats &
toutes les perfonnes diftinguées étoient invités
, a été de la derniere magnificence . La,
premiere table étoit de cent couverts , & les
autres en formoient environ trois cent ,
mais indépendamment des perfonnes invitées
par billet , ou qui étoient cenfées l'être
par leur état , il fuffifoit de fe préfenter pour
NOVEMBRE. 1744. 169
être admis ; on dreffoit à l'inftant de nouvelles
tables , de forte qu'il a été diftribué
mille à douze cent couverts. On a furtout
admiré l'élégance du fruit , qui étoit une
allégorie noble , tirée de la Fable , & relative
aux Vertus du Roi , au bonheur & à la
gloire de fon Régne , & ornée de devifes
ingénieufes. Le repas a été fuivi d'un Bat
mafqué , qui a terminé la Fête.
Tout s'eft paffé avec un ordre & un goût,
qui fe rencontrent rarement avec tant de
magnificence. On a trouvé la Fête auffi
Royaledans fon exécution que par fon objet,
& l'on n'a remarqué que ce tumulte agréable
qui naît de la joye publique , qui en eft
mêne une des marques , & qui fait le principal
ornement des grandes Fêtes.
Le même jour , M. l'Evêque de Nantes ,
Préfident du Clergé , donna un grand fouper
aux Prélats & à tous les Députés de fon
Ordre , avec une fuperbe illumination.
Deux jours après , M. le Maréchal de Brancas
, fit faire une magnifique illumination ,
& donna un grand fouper aux trois Ordres
des Etats , & aux autres perfonnes diftinguées.
Puifqu'il nous refte plus de place que
nous n'avions cru , nous allons donner ici
quelques autres articles .
178 MERCURE DE FRANCE.
Le Baron de Keffelftatt , Grand Prevôt de l'Eglife
Métropolitaine de Tréves , & Envoyé de l'Electeur
de ce nom , eut fon audience de Congé le ·
23, conduit par le Chevalier de Saincot , & le 28 ,
le même Introducteur préſenta à l'audience du
Roi le Marquis Doria , Envoyé Extraordinaire de la
République de Génes , & le Marquis Palavicini ,
qui partage cette qualité.
L'armée commandée par le Maréchal de Coigny ,
inveftit la Ville de Fribourg du 17 au 20 de Septembre
; on travailla à détourner la riviere , qui y
pafle .
Le Chevalier de Belle-Ifle , après avoir foumis à'
l'Empereur le Comté de Nullenbourg & toute la
partie de l'Autriche anterieure , entre le haut Danubé
& le Lac de Conftance , a fubjugué aufli
Waldshut , l'une des quatre Villes foreftieres ; Sicrengen
& Loffenbourg ont éprouvé le même fort.
La Ville de Rhinfeldt a ofé fe défendre & a étéˆ
prife d'affaut. Le Commandant & la garniſon . fe
font retirés dans un Château fur le Rhin , toujours
eftimé imprenable , mais M. le Chevalier de Belle-
Ifle a triomphé à la fois du Château & du Préjugé.
Le Roi partit de Metz à midi le 29 & après
avoir paffé par Nancy , où il remarqua les apprêts
d'une illumination générale & les autres fignes
d'une réjouiſſance publique , vive & fincere ; les
continuelles acclamations des Peuples du Pays ,
accourus fur fon paffage , garantiffoient leurs juftes
fentimens Le Roi arriva au Château de Luneville
vers les huit heures du foir. La façade , tant du
côté de la Ville que du Jardin , étoit magnifiquement
illuminée , & cette illumination marquoit le
deffein de l'Architecture , qui eft très- belle . Le même
goût régnoit dans les illuminations de la grande &
NOVEMBRE. 1744. 171
Le Vendredi 6 Novembre , on a donné à la
Comédie Françoife la premiere repréfentation
de l'Heureux Retour , Piéce nouvelle
d'un Acte, en Vers , de la Compofition de
Mrs. Fagan & Pannard ; elle eft ornée de
Divertiffemens qui ont été fort applaudis ,
& dont la Mufique eft de M. Granval , On
en donnera l'Extrait le mois prochain . Le
rétabliffement de la fanté du Roi , & fon
arrivée à Paris , ont fourni le fujet de cette
Comédie . Le même fujet a produit
bien des Vers. S'ils ne font pas tous louables
, le zéle qui les a fait naître l'eft , &
mérite au moins de l'indulgence .
Le Samedi quatorze , l'Opera Comique
a reprefenté fur le Théatre de l'Académie
Royale de Mufique les mêmes.
Piéces qui ont amufé Paris pendant la derniere
Foire de S. Laurent . La charmante
Petite Puvignée s'y eft fait admirer à fon ordinaire.
de la
Cette aimable Terpficore en Miniature
poffede la perfection & les graces
Danfe , dans un âge où les premieres Leçons
embarraffent encore les autres.
On avoit applaudi le mois précédent à la
fuite d'Acis & Galatée , Paftorale reffufcitée
par les talens Supérieurs de l'incomparable
Mlle le Maure , très-bien fecondés par ceux
172 MERCURE DE FRANCE.
´de M. de Chaffé & de M. Jeliotte , & par
une Pantomime exécutée par Mille Camargo
& M. Lalli.
Une autre Pantomime danfée par Signor
Pietro Sodi , excellent Danfeur Italien , &
Mlle Mimi Dalmand , n'a pas moins réüffi .
Mlle André, Penfionnaire du Roi de Pologne,
mais Françoife de naiffance, a obtenu
à Paris autant de fuffrages qu'à Drefde &
qu'à Varfovie. On a remarqué fa legereté &
la fcience de fes Pas dans les Caracteres de la
Danfe , & dans le fameux Caprice de M.
Rebel.
Mlle de Romainville a auffi joiié le rôle
de Galatée .
>
Le Dimanche 15 Novembre , l'Académie
Royale de Mufique a donné la premiere
repréfentation d'un Acte en forme de Prologue
, intitulé les Auguftales. M. Roy
Chevalier de l'Ordre de Saint Michel , eft
l'Auteur des paroles. M. Rebel & M.
Francoeur , tous les deux Sur- Intendans
de la Mufique du Roi, & Infpecteurs de l'Académie
Royale de Mufique , les ont mifes
en Mufique , & leur Compofition a parfaitement
foutenu leur réputation. Le fujet de
cet ingénieux Ouvrage , en publiant la
gloire du Roi , augmente celle de l'Auteur.
C'eft un choix judicieux d'un trait Hiftorique
, pour exprimer les fentimens de notre
NOVEMBRE. 1744. 188
Le cinq Octobre , Sa Majefté partit de Saverne
pour fe rendre à Strasbourg ; on a décrit dans le
Volume précédent la reception qui fut faite à Sa
Majefté dans cette Ville .
Le fept , le Roi reçut la félicitation du Duc de
de Wirtemberg par le Baron de Walbrum , Grand
Maréchal de ce Prince.
Le même jour & pour le même fujet , il fut complimenté
de la part du Margrave de Bade Baden ,
par le Comte de Truchfès de Wolfegg , auffi Maréchal
de la Cour de ce Margrave .
Le neuf, il fut encore félicité par le Baron de
Meternich , envoyé par l'Electeur de Cologne ;
par le Baron d'Ingelheim , envoyé par l'Electeur
de Mayence , & par le Baron d'Elts, envoyé par l'Evêque
de Spire : ce fut dans ce jour qu'il fut informé
par le Marquis de Bifly , Matéchal de Camp ,
dépêché par le Prince de Conty , du fuccès avanta
geux obtenu le 30 Septembre par l'armée de France
& d'Espagne fur celle du Roi de Sardaigne.
Le Prince d'Ardore , Ambaffadeur du Roi des
deux Siciles , a célébré à Metz la Convalefcence
du Roi le 20 Septembre par une Fête remarquable.
Enfin le dix Octobre , le Roi partit de Strasbourg
, s'arrêta à Selleftatt , d'où il fe rendit le lendemain
à fon Quartier devant Fribourg. Le Maréchal
de Coigny rendit compte au Roi de la fitua
tion des Ouvrages du Siége.
Le onze , le Roi examina très-attentivement le ,
front de l'attaque , la tranchée & les progrès des
travaux, & Sa Majefté décida judicieufement qu'on
borneroit l'attaque aux deux faces du Baſtion du
Roi , & aux deux demi- Lunes qui font à côté. Elle
s'eft fait rendre compte chaque jour des operations
du Siége , & a donné fes Ordres en conféquence,
1. Vol. Ι
174 MERCURE DE FRANCE
Tu les ranimes fans ceffe ;
Tu les fais jouir du tems ;
Sans toi la trifte vieilleffe
Commence dès le Printems.
Divinité du bel âge !
Que tes dons font précieux ,
C'eſt à toi qu'on doit l'uſage
Des préfens des autres Dieux.
La Prêtreffe d'Hygie mêle les loüanges
d'Augufte aux voeux qu'elle adrefle pour
lui aux Immortels , & l'Auteur trouve le
fecret , en foutenant l'Allégorie , d'offrir un
encens mérité à S. A. S. M. le Prince de
Conty.
Les Alpes , ces Monts orgueilleux ,
Attefteront fa gloire à la Race future ;
Trophée élevé jufque aux Cieux
Pour le Vainqueur de la Nature.
Un nuage environne la Statuë de la Déeffe
. Le Ciel annonce fon courroux par le
Tonnerre & les Eclairs . On entend les cris
douloureux des Romains confternés du péril
d'Augufte , & la Prêtreffe défolée , prononce
ce Vers , qui exprime laconiqueinent les
malheurs & les fentimens du Peuple.
NOVEMBRE. 1744. 175
Avec fon Maître Rome expire.
Les voeux ardens des Prêtres & des Romains
font exaucés. Hygie vient elle même
les en inftruire , & les invite à célébrer ce
jour heureux.
Chantés le jour de votre gloire ;
Que Rome tous les ans par de célébres jeux
D'Augufte renaiffant confacre la mémoire ;
Il a vaincu la mort ; eft-il une victoire
Plus utile pour vous , plus digne de vos voeux ?
A l'égard des Auguftales, les Acteurs & les
Danfeurs qui y ont paru , ont prouvé que
le zéle peut ajouter à l'excellence du talent.
Les Italiens ont donné quelques repréfentations
de l'Esprit Folet , Comédie en trois
Actes , pleine de lazzis ; c'eſt le triomphe
de l'aimable Coraline.Ce charmant Prothée
change dix- fept fois d'habit , & danfe près
de douze Caractéres . Sa petite four fe fait
applaudir auprès d'elle .
Le Samedi vingt- un Novembre, la Comédie
Italienne a donné une Piéce d'un Acte
dont le zéle François eft encore le ſujet.
Elle eft intitulée : Le Génie de la France , ou
ľ Amour de la Patrie ; on en parlera dans le
premier Mercure.
184 MERCURE DE FRANCE.
C
Charges de la Maiſon de cette Princeffe , & elle a
déja donné fes Ordres fur ce qui regarde fon arrivée
en France , & fur fon voyage depuis la Fron
tiere.
Le 12 de ce mois , l'ouverture du Parlement fe
fit avec les cérémonies accoûtumées par une Meffe
folemnelle , célébrée pontificalement par l'Evêque
Duc de Laon. M. de Maupeou , Premier Préſident ,
& les Chambres y affifterent .
Le 20 de ce mois , le Pere du Baudory , l'un des
Profeffeurs de Réthorique du Collège de Louis- le-
Grand , y prononça un Difcours Latin fur le retour
du Roi. Il fit fentir avec beaucoup d'éloquence le
bonheur de cet événement pour les fujets de S. M.
& les tranfports de zéle & de reſpect aufquels ils fe
livroient . L'affemblée étoit compofée du Nonce du
Pape , de plufieurs Prélats , & d'un grand nombre
de perfonnes de diftinction. "
Le foir , la grande cour du Collége fut magnifiquement
illuminée , & les fréquentes acclamations
dont elle retentit , firent connoître combien on
étoit pénétré des fentimens que l'Orateur avoit tâché
de peindre.
Le même jour , le Marquis d'Argenſon , Minif
tre & Sécretaire d'Etat du Département des Affaires
Etrangeres , prêta le Serment de fidélité entre les
mains de S. M.
Le Roi a donné la place de Confeiller au Conſeil
Royal des Finances qu'avoit le Marquis d'Argenfon
, à M. de Brou , Confeiller d'Etat ordinaire , &
Intendant de la Généralité de Paris.
M. Turgot, Confeiller d'Etat , a eû la place de
Confeiller d'Etat ordinaire , qui a été remiſe par le
Marquis d'Argenſon .
M. Rouillié , Maître des Requêtes , & Intendang
du Commerce , a été fait Confeiller d'Etat.
NOVEMBRE. 1744 185
Le 23 de ce mois , la Cour quitta le deuil , quí
avoit été pris le 12 du mois dernier pour la mort
de Madame de France , fixiéme fille de leurs Ma,
jeftés .
Le Baron de Scheffer , que le Roi de Suéde á
nommé fon Miniftre Plénipotentiaire auprès du Roi,
eut le 24 de ce inois une audience . particuliere de
S. M. il y fut conduit par le Chevalier de Sainc→→
to:, Introducteur des Ambaffadeurs.
M. de Bernage , Prévôt des Marchands , & Mef.
fieurs Sauvage & Huet , nouveaux Echevins , prê
terent entre les mains de S. M. le Serment de fidé
lité, dont le Comte de Maurepas fit la lecture ,
ainfi que du Scrutin , qui fut préfenté par M. d'Ar
genfon , Avocat du Roi au Châtelet , lequel parla
avec autant d'efprit que d'éloquence.
Le Lundi 13 Novembre , Mrs Charpentier &
Danguy , divertirent infiniment la Reine pendant
fon dîner & fon fouper , par leurs Airs & leurs
Chanfons Comiques. Le Premier ajouta la Mafcarade
à la Symphonie , & parut le matin en Mar
guillier de Village , & le foir en Aveugle . Leurs talens
amuſans font connus ; il eft inutile de les détailler.
On écrit de Lyon du même mois , qu'il vient
d'arriver un terrible accident : deux maiſons bâties
fur le Pont de pierre du côté du Change , font tombées
, partie fur le Pont , & partie dans la riviere ,
& ont écrasé plufieurs perfonnes ; il y en a eu beau
coup d'autres noyées. La riviere eft enflée extraordinairement
, & eft beaucoup plus haute qu'elle
n'étoit il y a quatre ans ; les maiſons du Quai font
dans l'eau
On mande de la même Ville que le feu a pris au
Couvent des Célestins ; l'embralement a été fi
violent , que malgré les fecours que l'on a apportés,
I iij
178 MERCURE DE FRANCE.
Le Baron de Keffelftatt , Grand Prevôt de l'Eglife
Métropolitaine de Tréves , & Envoyé de l'Electeur
de ce nom , eut fon audience de Congé le
23 , conduit par le Chevalier de Sainctor , & le 28 ,
le même Introducteur préfenta à l'audience du
Roi le Marquis Doria , Envoyé Extraordinaire de la
République de Génes , & le Marquis Palavicini ,
qui partage cette qualité,
L'armée commandée par le Maréchal de Coigny ,
inveftit la Ville de Fribourg du 17 au 20 de Septembre
; on travailla à détourner la riviere , qui y
paffe.
Le Chevalier de Belle- Ifle , après avoir foumis à
l'Empereur le Comté de Nullenbourg & toute lat
partie de l'Autriche anterieure , entre le haut Danube
& le Lac de Conftance , a fubjugué aufh
Waldshut , l'une des quatre Villes foreftieres ; Sic -`
Kengen & Loffenbourg ont éprouvé le même fort.
La Ville de Rhinfeldt a ofé fe défendre & a été
prife d'affaut . Le Commandant & la garnison . fe
font retirés dans un Château fur le Rhin , toujours
eftimé imprenable , mais M. le Chevalier de Belle-
Ile a triomphé à la fois du Château & du Préjugé.
Le Roi partit de Metz à midi le 29 , & après
avoir paffé par Nancy , où il remarqua les apprêts
d'une illumination générale & les autres fignes
d'une réjouiffance publique , vive & fincere ; lest
continuelles acclamations des Peuples du Pays ,
accourus fur fon paffage , garantifloient leurs juftes
fentimens Le Roi arriva au Château de Luneville
vers les huit heures du foir. La façade , tant du
côté de la Ville que du Jardin , étoit magnifiquement
illuminée , & cette illumination marquoit le
deffein de l'Architecture , qui eft très - belle . Le même
goût régnoit dans les illuminations de la grande &
NOVEMBRE. 1744. 187
·
de Fremur fut envoyé en ôtage dans le Château ,
pendant qu'on en dreffoit les articles.
M. de Damnitz eft venu plufieurs fois chés M. le
Maréchal de Coigny , où il a été réglé que la Garnifón
feroit prifonniere de Guerre , & qu'elle feroit
conduite dans les Places d'Alface & de Franche-
Comté , pour y refter jufqu'à l'échange des prifonniers.
Le Gouverneur livra le 26 du mois dernier , en
conféquence de cette Capitulation , une Porte du
Château au Régiment de Picardie , que M. le Maréchal
de Coigny avoit envoyé pour s'en emparer.
Suivant les difpofitions faites par M. le Maréchal
, 60 Piéces d'artillerie étoient prêtes à foudroyer
les Châteaux , s'ils n'avoient point capitulé .
M. de Maupertuis eft parti pour Berlin par ordre
de M. le Maréchal de Coigny , pour aller informer
le Roi de Pruffe de la reddition des Châteaux de
Fribourg.
DIGNITE'S ACCORDE' ES.
L
E Roi a donné le Gouvernement de Bethune
au Comte de Laval , Lieutenant Général des
armées de Majefté , qui avoit celui de Philippeville
.
M. Phelippes , Lieutenant Général des armées du
Roi , a obtenu le Gouvernement de Maubeuge .
M. de Villemeur , Maréchal de Camp , Infpecteur
d'Infanterie , employé dans l'armée commandée
par
le Prince de Conty , a été nommé Lieutenant
Général.
S. M. a fait Brigadier le Marquis du Terrail, Meftre
de Camp du Régiment de Dragons de la Reine,
& M. de Pierrefeu , Lieutenant Colonel du Régiment
de Cavalerie de Conty.
I iiij
188 MERCURE DE FRANCE.
Le Roi a nommé Commandeur de l'Ordre Royal
& Militaire de S. Louis le Chevalier de Courten, Maréchal
de Camp , & Colonel d'un Régiment Suiffe.
S. M. a donné le Régiment d'Infanterie de Beauee
, vacant par la mort du Marquis de la Force , au
Chevalier de Rochechouart , Capitaine dans le
Régiment d'Infanterie de Brie.
L'agrément du Régiment de Cavalerie , dont le
Comte de Vogué a donné fa démiffion , a été accordé
au Chevalier de S. Jal , Capitaine dans le
même Régiment.
Le Préfident Briconnet a été nommé par le Roi à
Ja place de Confeiller d'honneur au Parlement
vacant par la mort du Préfident du Tillet .
M. Bertier de Sauvigny , Maître des Requêtes
Intendant en Dauphiné , a été nommé Intendant
de la Généralité de Paris.
Le Comte de Selles ,Sous - Lieutenant de la Compagnie
des Gendarmes Dauphins , ayant été fait
Capitaine Lieutenant des Gendarmes Bourguignons
, le Roi a nommé Sous - Lieutenant de la
Compagnie des Gendarmes Dauphins le Marquis
de Monteclere , Premier Cornette de celle des Che
vau- Legers d'Anjou.
S. M. a accordé en même tems la place de Premier
Cornette de cette derniere Compagnie au
Marquis de S. Auban , Second Cornette de la
Compagnie des Chevau - Legers d'Orleans , dont
remploi a été donné au Marquis d'Oizy , Capitaine
dans le Régiment Royal Etranger, & elle a difpofe
en faveur du Chevalier d'Oppede , Capitaine dans le
Régiment de Cavalerie de Saluces , du Guidon de la
Compagnie des Gendarmes d'Orleans , vacant par
la nomination du Marquis de Crevecoeur à la place
d'Enfeigne de la Compagnie des Gendarmes de
Bretagne.
Le Roi a nommé le Marquis de Caramant & lë
NOVEMBRE. 1744. 181
Le cinq Octobre , Sa Majefté partit de Saverne
pour fe rendre à Strasbourg ; on a décrit dans le
Volume précédent la reception qui fut faite à Sa
Majefté dans cette Ville .
Le fept , le Roi reçut la félicitation du Duc de
de Wirtemberg par le Baron de Walbrum , Grand
Maréchal de ce Prince.
Le même jour & pour le même fujet , il fut complimenté
de la part du Margrave de Bade Baden
par le Comte de Truchfès de Wolfegg , auffi Maréchal
de la Cour de ce Margrave .
Le neuf, il fut encore félicité par le Baron de
Meternich , envoyé par l'Electeur de Cologne ;
par le Baron d'Ingelheim , envoyé par l'Electeur
de Mayence , & par le Baron d'Elts , envoyé par l'Evêque
de Spire : ce fut dans ce jour qu'il fut infor
mé par le Marquis de Bifly , Maréchal de Camp ,
dépêché par le Prince de Conty , du fuccès avantageux
obtenu le 30 Septembre par l'armée de France&
d'Espagne fur celle du Roi de Sardaigne.
Le Prince d'Ardore , Ambaſſadeur du Roi des
deux Siciles , a célébré à Metz la Convalefcence
du Roi le 20 Septembre par une Fête remarquable.
Enfin le dix Octobre , le Roi partit de Strasbourg,
s'arrêta à Selleftatt , d'où il fe rendit le lendemain
à fon Quartier devant Fribourg. Le Ma
réchal de Coigny rendit compte au Roi de la fitua
tion des Ouvrages du Siége.
Le onze , le Roi examina très - attentivement le,
front de l'attaque , la tranchée & les progrès des
travaux , & Sa Majefté décida judicieufement qu'on
borneroit l'attaque aux deux faces du Baſtion du
Roi , & aux deux demi-Lunes qui font à côté. Elle
s'eft fait rendre compte chaque jour des operations
du Siége , & a donné fes Ordres en conféquence.
1. Vol. I
190 MERCURE DE FRANCE.
Le Marquis de Crequy , Commandant une des
Brigades du Régiment Royal des Carabiniers.
Le Chevalier de Grammont , Lieutenant d'une des
Compagnies des Gardes du Corps.
Le Marquis du May , Capitaine Lieutenant de la
Compagnie des Chevau-Légers de Monſeigneur
le Dauphin .
Le Chevalier de Manherbe , Aide Major des qua
tre Compagnies des Gardes du Corps .
Le Marquis de Pont-Saint- Pierre , Enſeigne d'u
ne des Compagnies des Gardes du Corps
De Guers & de la Motte , Capitaines & Comman-”
dans deux Bataillons du Régiment des Gardes
Françoifes.
Le Marquis de Peruffy , Enfeigne de la premiere
Compagnie des Moufquetaires.
Le Marquis de Morangies , Sous Lieutenant de la
Compagnie des Gendarmes.
Le Marquis de Sourches , Cornette de la Compagnie
des Chevau Légers..
Le Vicomte de Canillac , Enfeigne de la feconde
Compagnie des Moufquaires.
Le Gendre , Meftre de Camp Lieutenant du Régiment
Colonel Général de la Cavalerie ..
Defcajeul , Lieutenant de la premiere Compagnie
des Gardes du Corps.
Le Duc de Filt james , Meftre de Camp du. Régiment
Irlandois de fon nom .
Le Marquis de Bellefonts , Colonel du Régiment
de Champagne.
Luffan , Colonel du Régiment de la Sarre.
De Lorme , Capitaine d'une Compagnie de Mineurs.
Le Comte de Borstel , le Baron de Meflay , & le
Chevalier d'Abouville , Lieutenans Généraux d'Artillerie
.
De Razau , Ingénieur , & de Cremille , Maréchal
Général des Logis de l'Armée.
NOVEMBRE. 1744. IOL
Les Brigadiers font.
MESSIEURS , de Torcy , Colonel d'Infanterie Réformé.
Le Chevalier de Menou , Exempt d'une des Compagnies
des Gardes du Corps.
D'Afry , Capitaine d'une Compagnie du Régiment
des Gardes Suiffes .
Le Marquis de Langey , Capitaine d'une des
Compagnies de Grenadiers du Régiment des Gardes
Françoifes.
Le Marquis de Valence , Colonel du Régiment
de Bearn.
De Staal , Capitaine d'une des Compagnies du
Régiment des Gardes Suiffes .
Le Chevalier de Vattan , & de la Sone , Capitaines
de Grenadiers dans le Régiment des Gardes
Françoiſes.
Le Chevalier de la Chaife , Capitaine Lieutenant
de la Compagnie des Gendarmes de Berry.

Le Marquis de Lignieres , Capitaine Lieutenant
de la Compagnie des Chevau Légers de Bretagne.
Le Marquis d'Hendicourt , Meftre de Camp du
Régiment de Cavalerie de fon nom .
Le Chevalier de Montegu , Capitaine d'une des
Compagnies du Régiment des Gardes Françoifes .
De Vercel , Exempt d'une des Compagnies des
Gardes du Corps.
Le Marquis de Pereufe , Colonel du Régiment
de Blaifois .
Jacob , Capitaine d'une Compagnie Franche
d'Infanterie & d'une de Dragons.
De la Neuville , Lieutenant Colonel du Régi
ment Dauphin Etranger.
Du Pleffis , Maréchal des Logis de l'Armée , &
Capitaine dans le Régiment Meftre de Camp Général
Dragons.
I vj
184 MERCURE DE FRANCE.
C
Charges de la Maiſon de cette Princeffe , & elle a
déja donné fes Ordres fur ce qui regarde fon arrivée
en France , & fur fon voyage depuis la Frontiere
.

Le 12 de ce mois , l'ouverture du Parlement fe
fit avec les cérémonies accoûtumées par une Meffe
folemnelle , célébrée pontificalement par l'Evêque
Duc de Laon. M. de Maupeou , Premier Président ,
& les Chambres y affifterent .
Le 20 de ce mois , le Pere du Baudory , l'un des
Profeffeurs de Réthorique du Collège de Louis- le-
Grand , y prononça un Difcours Latin fur le retour
du Roi . Il fit fentir avec beaucoup d'éloquence le
bonheur de cet événement pour les fujets de S. M
& les tranfports de zéle & de refpect aufquels ils fe
livroient . L'affemblée étoit compofée du Nonce du
Pape , de plufieurs Prélats , & d'un grand nombre
de perfonnes de diftinction.
Le foir , la grande cour du Collége fut magnifiquement
illuminée , & les fréquentes acclamations
dont elle retentit , firent connoître combien on
étoit pénétré des fentimens que l'Orateur avoit tâché
de peindre.
Le même jour , le Marquis d'Argenſon , Minif
tre & Sécretaire d'Etat du Département des Affaires
Etrangeres , prêta le Serment de fidélité entre les
mains de S. M.
Le Roi a donné la place de Confeiller au Conſeil
Royal des Finances qu'avoit le Marquis d'Argenfon
, à M. de Brou , Confeiller d'Etat ordinaire , &
Intendant de la Généralité de Paris.
M. Turgot , Confeiller d'Etat , a eû la place de
Confeiller d'Etat ordinaire , qui a été remife par le
Marquis d'Argenſon .
M. Rouillie , Maître des Requêtes , & Intendant
du Commerce , a été fait Confeiller d'Etat. .1
NOVEMBRE.
185
1744
Le 23 de ce mois , la Cour quitta le deuil , qui
avoit été pris le 12 du mois dernier pour la mort
de Madame de France , fixiéme fille de leurs Ma,
jeſtés .
Le Baron de Scheffer , que le Roi de Suéde a
nomnié fon Miniftre Plénipotentiaire auprès du Roi,
cut le 24 de ce nois une audience particuliere de
S. M. il y fut conduit par le Chevalier de Sainc
tot , Introducteur des Ambaffadeurs.
M. de Bernage , Prévôt des Marchands , & Mef
feurs Sauvage & Huet , nouveaux Echevins , prê
terent entre les mains de S. M. le Serment de fidé
lité , dont le Comte de Maurepas fit la lecture
ainfi que du Scrutin , qui fut préfenté par M. d'Ar
genſon , Avocat du Roi au Châtelet , lequel parla
avec autant d'efprit que d'éloquence.
3
Le Lundi 13 Novembre , Mrs Charpentier &
Danguy , divertirent infiniment la Reine pendant
fon dîner & fon fouper , par leurs Airs & leurs
Chanfons Comiques. Le Premier ajouta la Mafcarade
à la Symphonie , & parut le matin en Mar
guillier de Village , & le foir en Aveugle . Leurs talens
amufans font connus ; il est inutile de les dé
tailler.
On écrit de Lyon du même mois , qu'il vient
d'arriver un terrible accident : deux maifons bâties
fur le Pont de pierre du côté du Change , font tombées
, partie fur le Pont , & partie dans la riviere ,
& ont écrasé plufieurs perfonnes ; il y en a eu beau
coup d'autres noyées. La riviere eft enflée extraordinairement
, & eft beaucoup plus haute qu'elle
n'étoit il y a quatre ans ; les maiſons du Quai font
dans l'eau
On mande de la même Ville que le feu a pris au
Couvent des Célestins l'embralement a été fi
violent , que malgré les fecours que l'on a apportés,
;
I iij
194 MERCURE DE FRANCE,
Peggy , chargée de Lin , de Chanvre & de Po
taffe.
Le Lys , de S. Malo , commandé par le Capitaine
la Cour-Gaillard , s'eft emparé d'un Bâtiment
de la même Nation , fur lequel il y avoit du Sucre
& du Coton.
La Frégate l'Emeraude , de Breft , a repris aux
'Anglois le Vaiffeau le Redoutable , de Bordeaux
dont la Cargaifon eft eftimée plus de sooooo livres
.
Le Vaiffeau le Sarum , de Londres , a été conduit
à Bayonne par le Navire l'Espérance , commandé
par le Capitaine la Grave.
"
On a appris de Breft , que les Efcadres commandées
par Meffieurs de Rochambeau & de Nefmond
, font rentrées dans ce Port, Celle de M. de
Nefmond a pris le 17 du mois d'Août dernier ,
so lieues au large du Cap S. Vincent , la Frégate
de Guerre Angloife le Solebay , de 26 canons , &
elle s'eft emparée de fept Bâtimens Marchands ,
dont cinq ont été brûlés , & les deux autres chargés
de Salaifons & de Vins , ont été envoyés à Cadix.
Les Frégates la Gloire & l'Argonaute , comman
'dées par Meffieurs de la Galiffonniere & de Fronmentiere
, & qui avoient été féparées le premier de
ce mois de l'Eſcadre de M. de Rochambeau , dont
elles faifoient partie , ont pris le même jour le Corfaire
Anglois les trois Miniftres , de 22 canons , &
fix Vaiffeaux Marchands , dont la Cargaifon confiftoit
en Moruë féche ; elles ont coulé bas un autre
Corfaire de 24 canons , après avoir retiré l'E.
quipage.
Le Vaiffeau le Renard , de Bayonne , s'eft empa
ré d'un Navire Anglois de 170 Tonneaux , char
gé de Charbon de Terre & de Fayence .
Un autre Vaiffeau de la même Nation , fur 1s
NOVEMBRE. 1744. 187
-
de Fremur fut envoyé en ôtage dans le Château ,
pendant qu'on en dreffoit les articles .
M. de Damnitz eft venu plufieurs fois chés M. le
Maréchal de Coigny , où il a été réglé que la Garnifón
feroit prifonniere de Guerre , & qu'elle feroit
conduite dans les Places d'Alface & de Franche-
Comté , pour y refter juſqu'à l'échange des priſonniers.
Le Gouverneur livra le 26 du mois dernier , en
conféquence de cette Capitulation , une Porte du
Château au Régiment de Picardie , que M. le Maréchal
de Coigny avoit envoyé pour s'en emparer.
Suivant les difpofitions faites par M. le Maréchal
, 60 Piéces d'artillerie étoient prêtes à foudroyer
les Châteaux , s'ils n'avoient point capitulé .
M. de Maupertuis eft parti pour Berlin par ordre
de M. le Maréchal de Coigny , pour aller informer
le Roi de Pruffe de la reddition des Châteaux de
Fribourg.
DIGNITE'S ACCORDE' ES.
E Roi a donné le Gouvernement de Bethune
LE
armées de Majefté , qui avoit celui de Philippeville.
M. Phelippes , Lieutenant Général des armées du
Roi , a obtenu le Gouvernement de Maubeuge.
M. de Villemeur , Maréchal de Camp , Infpecteur
d'Infanterie , employé dans l'armée commandée
par le Prince de Conty , a été nommé Lieutenant
Général.
S. M. a fait Brigadier le Marquis du Terrail, Meftre
de Camp du Régiment de Dragons de la Reine,
& M. de Pierrefeu, Lieutenant Colonel du Régiment
de Cavalerie de Conty.
1 iiij
188 MERCURE DE FRANCE.
Le Roi a nommé Commandeur de l'Ordre Royal
& Militaire de S. Louis le Chevalier de Courten, Maréchal
de Camp , & Colonel d'un Régiment Suiffe .
S. M. a donné le Régiment d'Infanterie de Beauce
, vacant par la mort du Marquis de la Force , au
Chevalier de Rochechouart , Capitaine dans le
Régiment d'Infanterie de Brie .
L'agrément du Régiment de Cavalerie , dont le
Comte de Vogué a douné fa démiffion , a été accordé
au Chevalier de S. Jal , Capitaine dans le
même Régiment .
Le Préfident Briçonnet a été nommé par le Roi à
Ja place de Confeiller d'honneur au Parlement
vacant par la mort du Préſident du Tillet.
M. Bertier de Sauvigny , Maître des Requêtes
Intendant en Dauphiné , a été nommé Inten
dant de la Généralité de Paris.
Le Comte de Selles Sous - Lieutenant de la Compagnie
des Gendarmes Dauphins , ayant été fait
Capitaine Lieutenant des Gendarmes Bourguignons
, le Roi a nommé Sous- Lieutenant de la
Compagnie des Gendarmes Dauphins le Marquis
de Monteclere , Premier Cornette de celle des Chevau-
Legers d'Anjou.
S. M. a accordé en même-tems la place de Premier
Cornette de cette derniere Compagnie au
Marquis de S. Auban , Second Cornette de la
Compagnie des Chevau- Legers d'Orleans , dont
l'emploi a été donné au Marquis d'Oizy , Capitaine
dans le Régiment Royal Etranger, & elle a difpofé
en faveur du Chevalier d'Oppede , Capitaine dans le
Régiment de Cavalerie de Saluces , du Guidon de la
Compagnie des Gendarmes d'Orleans , vacant par
la nomination du Marquis de Crevecoeur à la place
d'Enfeigne de la Compagnie des Gendarmes de
Bretagne.
Le Roi a nommé le Marquis de Caramant & le
NOVEMBRE. 1744-
189
Comte de Langeron , Lieutenans Généraux , & S M.
a fait une Promotion de trente - huit Maréchaux de
Camp , & de trente-fept Brigadiers.
Les Maréchaux de Camp font ,
MESSIEURS le Maire , Ingénieur.
De Nugent , Lieutenant Colonel du Régiment
de Cavalerie Irlandois de Filtzjames .
Le Marquis de Calvieres , Enfeigne d'une Compagnie
des Gardes du Corps.
De Bernage de Chaumont , Capitaine Lieutenant
de la Compagnie des Chevau-Legers de Berry.
Le Comte de Relingue , Sous - Lieutenant de la
Compagnie des Gendarmes de la Reine.
Le Comte de Prunier S. André , Capitaine Lieute
nant de la Compagnie des Gendarmes d'Orleans .
Le Marquis de Tillieres , Capitaine Lieutenant de
la Compagnie des Gendarmes de Monfeigneur le
Dauphin .
Le Chevalier Da ueffeau , Capitaine Lieutenant
de la Compagnie des Gendarmes de Flandres.
Le Marquis de Fougeres , Enfeigne d'une des
Compagnies des Gardes du Corps.
La Marquis de Choifeüil Beaupré , Capitaine Lieutenant
de la tompagnie des Gendarmes de la
Reine.
Le Marquis de Flavacourt , Capitaine dans le Régiment
Royal Cravates.
Le Marquis de Mezieres , Sous Lieutenant de fa
Compagnie des Gendarmes de Berry.
Le Comte de Treffan , Lieutenant de la premiere
Compagnie des Gardes du Corps.
Le Comte de Balincourt , Enſeigne de cette Compagnie.
Le Chevalier de Suzy , Lieutenant de la même
Compagnie.
Le Chevalier d'Artagnan , Sous Lieutenant de la
premiere Compagnie des Moufquetaires.
I v .
190 MERCURE DE FRANCE.
Le Marquis de Crequy , Commandant une des
Brigades du Régiment Royal des Carabiniers .
Le Chevalier de Grammont , Lieutenant d'une des
Compagnies des Gardes du Corps.
Le Marquis du May , Capitaine Lieutenant de la
Compagnie des Chevau- Légers de Monſeigneur
le Dauphin.
Le Chevalier de Manherbe , Aide Major des qua
tre Compagnies des Gardes du Corps .
Le Marquis de Pont-Saint- Pierre , Enfeigne d'u
ne des Compagnies des Gardes du Corps
De Guers & de la Motte , Capitaines & Commandans
deux Bataillons du Régiment des Gardes
Françoifes.
Le Marquis de Peruffy , Enfeigne de la premiere
Compagnie des Moufquetaires.
Le Marquis de Morangies , Sous Lieutenant de la
Compagnie des Gendarmes.
Le Marquis de Sourches , Cornette de la Compagnie
des Chevau Légers.
Le Vicomte de Canillac , Enfeigne de la feconde
Compagnie des Moufquaires.
Le Gendre , Meftre de Camp Lieutenant du Régiment
Colonel Général de la Cavalerie ..
Defcajeul , Lieutenant de la premiere Compagnie
des Gardes du Corps.
Le Duc de Filt james , Meftre de Camp du Régiment
Irlandois de fon nom .
Le Marquis de Bellefonts , Colonel du Régiment
de Champagne.
Luffan , Colonel du Régiment de la Sarre.
De Lorme , Capitaine d'une Compagnie de Mineurs.
Le Comte de Borstel , le Baron de Meplay , & le
Chevalier d'Abouville , Lieutenans Généraux d'Ar
tillerie .
De Razau , Ingénieur , & de Cremille , Maréchal
Général des Logis de l'Armée.
NOVEMBRE. 1744. 191
Les Brigadiers font.
Rẻ-
MESSIEURS , de Torcy , Colonel d'Infanterie Réformé.
Le Chevalier de Menou , Exempt d'une des Compagnies
des Gardes du Corps .
D'Affry , Capitaine d'une Compagnie du Régiment
des Gardes Suiffes .
Le Marquis de Langey , Capitaine d'une des
Compagnies de Grenadiers du Régiment des Gar
des Françoifes .
Le Marquis de Valence , Colonel du Régiment
de Bearn.
De Staal , Capitaine d'une des Compagnies du
Régiment des Gardes Suiffes.
Le Chevalier de Vattan , & de la Sone , Capitaines
de Grenadiers dans le Régiment des Gardes
Françoiles.
Le Chevalier de la Chaife , Capitaine Lieutenant
de la Compagnie des Gendarmes de Berry.
Le Marquis de Lignieres , Capitaine Lieutenant
de la Compagnie des Chevau Légers de Bretagne.
Le Marquis d'Heudicourt , Meftre de Camp du
Régiment de Cavalerie de fon nom .
Le Chevalier de Montegu , Capitaine d'une des
Compagnies du Régiment des Gardes Françoifes.
De Vercel , Exempt d'une des Compagnies des
Gardes du Corps.
Le Marquis de Pereufe , Colonel du Régiment
de Blaifois.
Jacob , Capitaine d'une Compagnie Franche
d'Infanterie & d'une de Dragons.
De la Neuville , Lieutenant Colonel du Régi
ment Dauphin Etranger.
Du Pleffis , Maréchal des Logis de l'Armée , &
Capitaine dans le Régiment Meftre de Camp Général
Dragons.
I vj
: 92 MERCURE DE FRANCE.
Le Baron de la Peyre , Capitaine d'une des Com
pagnies du Régiment des Gardes Françoiles .
De Guiry , Commandant une des Brigades du
Régiment Royal des Carabiniers.
Marquis , Lieutenant Colonel du Régiment Suiffe
de Monnin.
Le Chevalier de Baltazar , Lieutenant Colonel
du Régiment Suiffe de Vigier.
Artus , Ingénieur.
Des Barreaux , Lieutenant Colonel du Régiment
d'Infanterie Allemand de la Marck.
De Vareix , Commandant un Bataillon du Régiment
Royal Artillerie .
De Riverie , Lieutenant Colonel du Régiment
d'Infanterie d'Anjou.
DeTanus , Lieutenant Colonel du Régiment de
Champagne.
De Fontenay , & de Pombecque , Commandans
de Bataillons du Régiment Royal Artillerie.
De Bonnaire , Lieutenant Colonel du Régiment
de Berchiny , Huffards.
Le Chevalier d'Ailly , Lieutenant Colonel du Ré
giment de Cavalerie Royal Rouffillon .
De Sabrevois , Lieutenant d'Artillerie
De Turmel , Lieutenant d'Artillerie , & Capitaine
d'une Compagnie de Mineurs.
Pelletier , l'aîné , Lieutenant d'Artillerie.
Le Chevalier Pelletier , Lieutenant d'Artillerie ,
& Commandant l'Ecole de Metz.
Le Chevalier de Fontenay du Pas & de la Val
liere , Lieutenans d'Artillerie.
PRISES DE VAISSEAUX,
L
E Capitaine Hendrix de Zitter , qui commande
le Marfouin , a pris une Corvette , & le Capitaine
Charles Dangelot qui commande le DauNOVEMBRE.
1744. 193
phin , a pris une Balandre à Nieuport.
L'Armateur commandant le Trompeur , de Ca»
lais , a rançonné cinq Bâtimens Anglois & en a
mené un fixiéme dans le Port de Dunkerque.
chargé d'Acier , de Vin , de Miel , de Sel & d'Eau
de-Vie.
Le Capitaine Antoine du Ler de Bayonne , commandant
la Victoire , s'eft emparé de la Frégate la
Méditerranée , de vingt canons & de quatre autres
Vaiffeaux ennemis , richement chargés.
Le Navire le Fier, armé à Bordeaux, & commandé
par le Capitaine Gilbert-Ségonſac , a pris un
Brigantin Anglois , chargé de Sucre , de Bois de
Guiac & de Tafia.
Le Vaiffeau le Chaffeur de Bayonne , commandé
par le Capitaine Girandel , a relâché à Port Louis
avec deux prifes Angloifes , riches & confidérables.
,
Le Capitaine Maingard , qui commande le Veiffeau
le Comte de Maurepas a conduit à S. Malo
deux Navires Irlandois, chargés de Boeuf , de Lard
& de Beurre.
Le Capitaine Rondinier a mené dans le même
Port un Vaiffeau de Briſtol , chargé de Salaiſons.
Le Capitaine Ruault , commandant le Jean Jofeph
, armé à S. Malo , a pris le S. Jean , Vaiffeau
Anglois de fix cent Tonneaux & de vingt - huit canons
, eftimé cinquante mille écus , & a de plus
zançonné un autre Vaiffeau pour la fomme de
vingt-cinq mille livres.
Les Navires l'Elizabeth , de Londres , laJeanne ,
de Anderkeiden , & le Jean & Chriftine , ont été
pris par le Capitaine Pierre de Han , commandant
le Matou , de Dunkerque.
Les Capitaines Savern & Rombout , comman
dans le S. Michel , & le Conmuevant , du même Port ,
Life la Charmante
202 MERCURE DE FRANCE.
foit procédé contre lui comme fauffaire , ſuivant
la rigueur des Ordonnances. Permettons néanmoins
aufdits Acquereurs de faire réformer , lors
de la paffation de leurs Contrats , les erreurs qui
pourroient s'être gliffées à ce fujet dans les Quittances
du Garde de notre Tréfor Royal.
XVI. Le Bureau fera ouvert en notre Tréfor
Royal huit jours après l'enregistrement de notre
préfent Edit ; pour y recevoir les derniers capitaux
defdites Rentes , & en délivrer des Quittances.
XVII . Ceux qui acquerront lefdites Rentes avant
le premier Janvier prochain , en auront la jouiffance
à commencer du premier Octobre précédent ;
& ceux qui les acquerront après le premier Janvier
, n'en auront la jouiffance que du premier
jour du Quartier dans lequel ils les auront conftituées.
XVIII. S'il arrive quelques conteftations au fujet
du payement defdites Rentes , la connoiffance
en appartiendra aufdits Prévôt des Marchands &
Echevins de notre bonne Ville de Paris , aufquels
Nous en attribuons toute Cour , Jurifdiction &
connoiffance , pour être décidées fommairement &
fans frais en premiere Inftance , fauf l'appel en notre
Cour de Parlement de Paris , nonobftant & fans
préjudice duquel appel , les Jugemens rendus par
lefdits Prévôt des Marchanus & Echevins feront exécutés
par provifion . Si donnons en Mandement
&c. Donné à Verſailles au mois de Novembre ,
#744. Signé , LOUIS. &plus bas , PHELYPEAUX.
Nous donnerons le Brévet & le Privilége du Roi
dans le fecond Volume , celui-ci n'étant que par ex
traordinaire.
L
TABLE .
·
E
Pitre Dédicatoire au Roi ,
Préface du nouveau Mercure de France.
Adreffe du Mercure,
Avis à un Journaliſte ,
Sur la Philofophie ,
Sur l'Hiftoire ,
Sur la Comédie ,
Sur la Tragédie ,
Sur les Piéces de Poëfie ,
So
II
14
19
25
34
37
Sur les Mélanges de Littérature, & fur les Anecdotes
Littéraires ,
Sur les Langues ,
Du Style d'un Journaliſte ,
Le Palmier , les Silvains & Jupiter , Fable fur la
Convalescence du Roi ,
Les Rois , Ode ,
43
45
Ode en Strophes libres fur la maladie & la Convalefcence
de S M.
Rondeau fur le même fujet ,
O
55
Sonnet fur le rétabliffement da la fanté de S. M. 56
Au Roi , à fon retour de l'armée ,
Difcours en Vers fur les Evenemens de 1744 ,
7
59
Fêtes célébrées dans plufieurs Villes du Royaume, 5
Te Deum chanté à Génes ,
Illumination à Iſſy ,
Te Deum chanté à Toulouſe ,
Autre chanté à Rome ,
Autre chanté a Breft ,
Autre chanté à l'Abbaye de Fécamp ,
Fête champêtre donnée par M. Rol , &c.
74
75
76
78
79
80
81
Réjouiffances faites par les Dominiquains de Provence
Defcription de celles faites par les Entrepreneurs
des Poudres ,
Le Dormeur
85
87
94
Enigme & Logogryphes ,
96
Chanfons notées , 99
Journal du Voyage du Roi , depuis fon départ de
Fribourg , & fon arrivée à Paris , 103
Réjouiffances & illuminations à l'arrivée de Sa
Majefté ,
Le Roi va à N. D.
105
108
Harangue faite au Roi par M.d'Argenſon le fils, 111
Concert dans l'appartement de la Reine ,
Fête à l'Hôtel de Ville ,
Le Roi va à Ste Geneviève ,
Le Roi eft complimenté par le Parlement ,
Vers récités au Roi par M. de Crébillon ,
112
116
124
125
127
Compliment à S. M. par M. de la Chauffée , 132
Le Roi & la Reine , &c . rendent viſite à Mad . la
Ducheffe d'Orleans ,
Leurs Majeftés retournent à Versailles ,
Illumination fuperbe à Chaillor ,
Autre Illumination à Paffy ,
134
136
137
138
Arrivée de Leurs Majeftés à Versailles , & Réjouiffances
faites dans cette Ville >
Illuminations des Grands Jéfuites ,
Des Quinze- Vingt ,
De l'Hôtel de S. Aignan ,
De celui de la Roche-fur-Yon ,
De celui de Noailles ,
Lettre aufujet des Infcriptions en Latin ,
140
144
147
148
149
150
194
Relation de la Fête donnée par le Duc de Rohan, 165
Spectacles ,
170
France , Nouvelles de la Cour , de Paris , & c. 177
S. M. déclare le Mariage de Monfeigneur le Dauphin
,
Départ des Equipages de Mad. la Dauphine ,
Dignités accordées par le Roi ,
Promotions ,
183
186
187
188
T
Prifes de Vaiffeaux , 192
Edit pour la Tontine , 195
La Chanson notée doit regarder la page 99
MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU ROI.
NOVEMBRE . 1744.
SECOND VOLUME,
GITUT
SPARGAT
Chés
A PARIS ,
GUILLAUME CAVELIER ,
rue S. Jacques.
La Veuve PISSOT , Quai de Conty ,
à la defcente du Pont- Neuf:
JEAN DE NULLY , au Palais.
M. DCC . XLIV.
Avec Approbation & Privilege du Roi,
198 MERCURE DE FRANCE.
puis foixante ans jufqu'à foixante & dix , fur le pied
du dernier huit . Et là huitieme ..de 12c00 liv. depuis
foixante & dix ans & au- deffus , fur le pied du
dernier fept , les conftitutions particulieres defquelles
Rentes ne pourront être moindre de so liv. de
jouiffance.
IV . Lefdits 877200 liv . de Rentes viageres de
Tontines formeront la quantité de 300 Actions
à 300 liv. de principal chacune , qui feront diftribuées
en quinze Claffes fuivant l'âge des Acquereurs
La premiere , de 12000 liv de Rente pour
ceux depuis la naiffance jufqu'à cinq ans . La deu
xiéme , de 18900 liv. depuis cinq ans jufqu'à dix .
La troifiéme , de 16400 liv . depuis dix ans jufqu'à
quinze. La quatriéme , de 34500 liv . depuis quinze
ans jufqu'à vingt. La cinquième , de 43200 liv.
depuis vingt ans jufqu'à vingt- cinq . La fixiéme
de 50000 liv . depuis vingt cinq ans jufqu'à trente .
La leptiéme , de 72900 liv. depuis trente jufqu'à
trente- cinq. La huitième , de 87000 liv . depuis
trente- cinq jufqu'à quarante . La neuvième , de
99000 liv . depuis quarante jufqu'à quarante- cinq,
La dixiéme , de 111600 liv. depuis quarante cinq
jufqu'à cinquante . La onzième , de 96000 liv . depuis
cinquante jufqu'à cinquante- cinq . La douziéme
, de 71400 liv. depuis cinquante cinq jufqu'à
foixante . La treiziéme , de 64800 liv . depuis foixante
jufqu'à foixante- cinq . La quatorziéme , de
44400 liv. depuis foixante -cinq jufqu'à foixante &
dix. Et la quinziéme , de 35100 liv. pour ceux de
foixante & dix ans & au- deffus ; & feront lefdites
Claffes fubdivifées , fçavoir : la premiere , en deux
parties ; la deuxième , en trois ; la troiſième , en
quatre; la quatrième , en cinq ; la cinquième , en
x; la fixiéme , en huit ; la huitiéme , en neuf ; la
neuvième , en onze ; la dixième , en douze ; la onxiéme
, en dix ; la douxième , en fept ; la treiziés
MERCURE
de France
novembre
1744
.
Second Volume
Pieces
Fugitives,
Tant en vers qu'en Prose.
Imitation
. de l'ode 21 du 3 °Livre d'Horace .
Onata mecum Confule Manlio .
aimablefille dela treille,
Doux charme de l'oisiveté,
Fidele ami, chere bouteille,
Viens, amene la volupté;
Que possedes de ton delire
Nosjours passentcomme un instant,
Obers aux sons dema Lyre,
Hate toi ** * t'attend
4 MERCURE DE FRANCE
Ne crains pas cet air de rudeffe ,
Formé fur de graves leçons ;
La voix qu'inſpire la ſageſſe
Ne dédaigne pas tes Chanfons :
Souvent cette morale auftere
Dont Caton voulut s'étayer ,
Célébrant ton joyeux myſtere
Avec toi voulut s'égayer.
**
Par une douce violence
Tu commandes à nos humeurs
Tu forces la haine au filence ;
Tu fçais t'afſujettir nos moeurs :
Tu dérides le front du Sage
Sous ta douce yvreffe abattu
Et tu fers le libertinage
Sans effaroucher la Vertu.
**
!
Le voile de la politique
Tombe fous tes premiers efforts ;
De la plus fecrette pratique
Tu découvres tous les refforts.
Par toi , le pauvre qu'on opprime
NOVEMBRE. 1744
Perd un douloureux fouvenir
Et dans le transport qui l'anime ,
Ne voit qu'un heureux avenir.
Viens, & que les Graces badines ;
Qui ne t'abandonnent jamais ,
1
Aux plaifirs que tu nous deftines
Joignent leurs féduifans attraits.
A la lueur de cent bougies
Rivales de l'Aftre du jour ,
Nous célébrerons tes orgies ,
Sans fonger même à fon retour
A ij
4 MERCURE DE FRANCE.
Ne crains pas cet air de rudeffe ,
Formé fur de graves leçons ;
La voix qu'inſpire la ſageſſe
Ne dédaigne pas tes Chanfons :
Souvent cette morale auftere
Dont Caton voulut s'étayer ,
Célébrant ton joyeux myſtere
Avec toi voulut s'égayer.
**
Par une douce violence
Tu commandes à nos humeurs
Tu forces la haine au filence ;
Tu fçais t'affujettir nos moeurs :
Tu dérides le front du Sage.
Sous ta douce yvreffe abattu ,
Et tu fers le libertinage
Sans effaroucher la Vertu .
*3X
Le voile de la politique
Tombe fous tes premiers efforts ;
De la plus fecrette pratique
Tu découvres tous les refforts.
Par toi , le pauvre qu'on opprime
1
NOVEMBRE. 1744
Perd un douloureux fouvenir
Et dans le tranfport qui l'anime ,
Ne voit qu'un heureux avenir.
Viens, & que les Graces badines ;
Qui ne t'abandonnent jamais ,
Aux plaifirs que tu nous deftines
Joignent leurs féduifans attraits.
A la lueur de cent bougies
Rivales de l'Aftre du jour ,
Nous célébrerons tes orgies ,
Sans fonger même à fon retour
A iij
Enigme & Logogryphes ,
96
Chanfons notées ,
99
Journal du Voyage du Roi , depuis fon départ de
Fribourg , & fon arrivée à Paris , 103
Réjouiffances & illuminations à l'arrivée de Sa
Majefté ,
Le Roi va à N. D.
105
108
Harangue faite au Roi par M.d'Argenſon le fils , 111
Concert dans l'appartement de la Reine ,
Fête à l'Hôtel de Ville ,
Le Roi va à Ste Geneviève ,
J12
116
124
125
127
132
Le Roi eft complimenté par le Parlement ,
Vers récités au Roi par M. de Crébillon ,
Compliment à S. M. par M. de la Chauffée ,
Le Roi & la Reine , &c. rendent vifite à Mad . la
Ducheffe d'Orleans ,
Leurs Majeftés retournent à Versailles ,
Illumination fuperbe à Chaillot ,
Autre Illumination à Paffy,
134
136
137
138
Arrivée de Leurs Majeftés à Versailles , & Réjouiffances
faites dans cette Ville ,
Illuminations des Grands Jéfuites ,
Des Quinze-Vingt ,
De l'Hôtel de S. Aignan ,
De celui de la Roche-fur-Yon ,
De celui de Noailles ,
Lettre au fujet des Infcriptions en Latin •
140
144
147
143
149
150
1,4
Relation de la Fête donnée par le Duc de Rohan, 165
Spectacles ,
170
France , Nouvelles de la Cour , de Paris , &c . 177
S. M. déclare le Mariage de Monfeigneur le Dauphin
,
Départ des Equipages de Mad. la Dauphine ,
Dignités accordées par le Roi ,
Promotions ,
183
186
187
188
Prifes de Vaiffeaux
192
Edit pour la Tontine ,
195
La Chanjon notée doit regarder la page
99
MERCURE
Chés
2
DE FRANCE, ?
1 1.
DÉDIÉ AU ROI.
NOVEMBRE. 1744.
SECOND VOLUME,
GITU
SPARG
"Her
A PARIS ,
GUILLAUME
rue S. Jacques.
CAVELIER ;
La Veuve PISSOT, Quai de Conty ,
à Ja defcente du Pont- Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais .
M. DCC. XLIV.
Avec Approbation & Privilege du Roi,
8 MERCURE DE FRANCE.
vail ne fent point la peine , & quoiqu'il
terminât tout avec amour , on y voit tou
jours une belle façon de peindre , & une
maniere aifée.
Il a joint à l'aimable naïveté & à la belle
fimplicité de Vandeick une nobleffe dans
fes attitudes , & un contrafte gracieux , qui
lui ont été particuliers .
Ila , pour ainfi- dire , amplifié & étendu
les Draperies de ce célébre Peintre , & répandu
dans fes Compofitions cette gran
deur & cette magnificence qui caractérisent
la Majefté des Rois , & la dignité des Grands.
dont il a été le Peintre par prédilection.
-
Perfonne n'a pouffé plus loin que lui l'i
mitation de la Nature dans la couleur locale
& la touche des Eroffes , particulierement
des Velours. Perfonne n'a ſçû jetter
les Draperies plus noblement & d'un plus
beau choix.
Il a trouvé le premier l'art de les faire
paroître d'un feul morceau par la liaifon
des plis , ayant remarqué même dans les
plus grands Maîtres des Draperies qui fembloient
de plufieurs parties par ce défaut de
liaifon , que la Gravûre fait mieux fentir que
le Tableau , parce qu'elle eft dénuée de
couleur.
Il étoit ennemi de cette fimplicité pauvre
& mefquine , qui n'eft point celle de
NOVEMBRE. 1744.
Vandeick , & jufqu'aux moindres chofes ,
il les ennobliffoit & leur donnoit de la
grace.
Il a porté au plus haut degré cette partie
fi confidérable dans les Tableaux , où fi
peu de Peintres excellent , & où les Con
noiffeurs fixent d'abord leur attention , je
veux dire les mains , qu'il a peintes d'une
beauté & d'une correction parfaite.
Ses Ouvrages ont cela de remarquable
qu'ils plaifent également de près comme
de loin , parce que le beau fini n'en ôte
point l'effet . Si dans quelques-uns de fes
derniers Portraits on ne trouve pas toute
la fermeté dans le Pinceau , & la vérité des
teintes dans les Carnations qu'on a toujours
vû dans fes autres Ouvrages , c'est qu'à la
fin les yeux s'affoibliffent ; eh ! quel eft le:
Peintre à quatre-vingt & tant d'années
qui fe foit plus maintenu dans la correction
& la pureté du Deffein ? Pour les Draperies,
Fexpérience & les refléxions continuelles
les lui ont fait compofer encore plus fça
vamment & d'un plus grand goût que les
premieres , & j'ofe avancer que dans cette
partie de la Peinture ( j'entends par rapport
au Portrait il a furpaffé tous ceux qui l'ont
précédé.
On voit qu'il fe peignoit dans fes Ouvras
ges : comme il avoit l'ame grande & less
A v
4 MERCURE DE FRANCE
Ne crains pas cet air de rudeffe ,
Formé fur de graves leçons ;
La voix qu'inſpire la fageffe
Ne dédaigne pas tes Chanfons :
Souvent cette morale auftere
Dont Caton voulut s'étayer ,
Célébrant ton joyeux myſtere
Avec toi voulut s'égayer.
Par une douce violence
Tu commandes à nos humeurs
Tu forces la haine au filence ;
Tu fçais t'affujettir nos moeurs :
Tu dérides le front du Sage
Sous ta douce yvreffe abattu ,
Et tu fers le libertinage
Sans effaroucher la Vertu .
****
Le voile de la politique
Tombe fous tes premiers efforts ;
De la plus fecrette pratique
Tu découvres tous les refforts.
Par toi , le pauvre qu'on opprime
NOVEMBRE. 1744
Perd un douloureux fouvenir
Et dans le tranfport qui l'anime ,
Ne voit qu'un heureux avenir.
Viens , & que les Graces badines ,
Qui ne t'abandonnent jamais ,
Aux plaifirs que tu nous deftines
Joignent leurs féduifans attraits.
A la lueur de cent bougies
Rivales de l'Aftre du jour ,
Nous célébrerons tes orgies
Sans fonger même à fon retour
A iij
10 MERCURE DE FRANCE.
fentimens élevés , & que toute la perfonne
& fes manieres avoient un air de diftinction
, de même fes Tableaux portent un
caractére de nobleffe qui leur eft propre.
·
Si les plus fameux Graveurs de fon tems
ont rendu fon nom & les leurs inmortels
par leurs belles Eftampes , on peut dire
qu'ils lui doivent la meilleure partie de
leur gloire , en ce qu'ils ont trouvé des
Originaux où ils n'ont rien eu à deviner , &
où tout étoit rendu avec ladernierepréciſion.
Un mérite fi extraordinaire a fait fans
contredit de M.Rigaud un des grands Peintres
que nous avons eu, & fes qualités perfonnelles
l'ont fait chérir de tous les honnêtes
gens. Il avoit le coeur admirable , il
étoit Epoux tendre , Ami fincére , utile , effentiel
; d'une générofité peu commune ,
d'une pieté exemplaire, d'une converſation
agréable & inftructive : il gagnoit à être
connu , & plus on le pratiquoit , plus on
trouvoit fon commerce aimable ; enfin un
homme qui avoit fçû joindre à un fi haut degré
de perfection dans fon Art une probité fi
reconnue , meritoit bien pendant fa vie les
diftinctions & les honneurs dont la Cour
& toute l'Europe Font comblé , & après la
mort, les regrets de toutes les perfonnes vertucuſes,&
la vénération que les Artiftes ausont
toujours pour fa mémoire.
NOVEMBRE. 1744.
phaël , Titien , Rubens , Vandeick , & le
autres
M. Rigaud s'étoit deſtiné pour l'Hiſtoire,
& il yferoit fans doute parvenu au plus
haut degré : il est aisé d'en juger par le pro
grès rapide qu'il fit dans fes Etudes à l'Académie
Royale. Il en remporta tous les
Prix avec beaucoup de diftinction par un
Tableau du Crucifiement , que j'ai entre
les mains ; far lequel il fut reçû comme
Hiftorien , quoiqu'il ne foit qu'à moitié
compofé, & furtout par le précieux Tableau
de la Préfentation , qu'il a terminé vers la
fin de fa vie ; mais le talent & la grande réputation
qu'il eut dès fa jeuneffe pour la parfaite
& belle reffemblance dans les Por
traits augmentant tous les jours dans Paris
, il fut bien-tôt furchargé d'occupations,
& obligé d'abandonner l'Hiftoire , fans
avoir pu la reprendre , que pour faire par
intervalle le dernier Tableau dont je viens
de parler.
II prit pour fon modéle dans le Portrait
le fameux Vandeick , dont le beau Pinceau
le charma toujours , & dès les premiers
qu'il a faits on y voit cette belle exécution
& cette fraicheur de Carnations , qui
ne viennent que d'un Pinceau libre & facile
. Il s'attacha dans la fuite à finir foigneufement
tout ce qu'il peignoit ; mais fon tra-
A iiij
$ MERCURE DE FRANCE.
vail ne fent point la peine , & quoiqu'il
terminât tout avec amour , on y voit tou
jours une belle façon de peindre , & une
maniere aifée.
Il ajoint à l'aimable naïveté & à la bellé
fimplicité de Vandeick une nobleffe dans
fes attitudes , & un contrafte gracieux , qui
Jui ont été particuliers.
Ila , pour ainfi-dire , amplifié & étendu
les Draperies de ce célébre Peintre , & répandu
dans fes Compofitions cette gran
deur & cette magnificence qui caractérisent
la Majefté des Rois , & la dignité des Grands
dont il a été le Peintre par prédilection .
Perfonne n'a pouffé plus loin que lui l'i
mitation de la Nature dans la couleur locale
& la touche des Eroffes , particuliere
ment des Velours. Perfonne n'a fçû jetter
les Draperies plus noblement & d'un plus.
beau choix.
Il a trouvé le premier l'art de les faire
paroître d'un feul morceau par la liaifon
des plis , ayant remarqué même dans les
plus grands Maîtres des Draperies qui fembloient
de plufieurs parties par ce défaut de
liaifon, que la Gravûre fait mieux fentir que
le Tableau , parce qu'elle eft dénuée de
couleur.
Il étoit ennemi de cette fimplicité pauvre
& mefquine , qui n'eft point celle de
NOVEMBRE. 1744.
Vandeick , & jufqu'aux moindres chofes ,
il les ennobliffoit & leur donnoit de la
grace.
Il a porté au plus haut degré cette partie
fi confidérable dans les Tableaux , où fi
peu de Peintres excellent , & où les Con
noiffeurs fixent d'abord leur attention , je
veux dire les mains , qu'il a peintes d'une
beauté & d'une correction parfaite .
Ses Ouvrages ont cela de remarquable
qu'ils plaifent également de près comme
de loin , parce que le beau fini n'en ôte
point l'effet. Si dans quelques-uns de fes
derniers Portraits on ne trouve pas toute
la fermeté dans le Pinceau , & la vérité des
teintes dans les Carnations qu'on a toujours
vû dans fes autres Ouvrages , c'eft qu'à la
fin les yeux s'affoibliffent ; eh ! quel eft le
Peintre à quatre-vingt & tant d'années
qui fe foit plus maintenu dans la correction
& la pureté du Deffein ? Pour les Draperies,
Fexpérience & les refléxions continuelles
les lui ont fait compofer encore plus fçavamment
& d'un plus grand goût que les
premieres , & j'ofe avancer que dans cette
partie de la Peinture ( j'entends par rapport
au Portrait ) il a furpaffé tous ceux qui l'ont
précédé.
On voit qu'il fe peignoit dans fes Ouvras
ges : comme il avoit l'ame grande & les
A V
10 MERCURE DE FRANCE.
fentimens élevés , & que toute fa perfonne
& fes manieres avoient un air de diftinction
, de même fes Tableaux portent un
caractére de nobleffe qui leur eft propre.
Si les plus fameux Graveurs de fon tems
ont rendu fon nom & les leurs inmortels
par leurs belles Eftampes , on peut dire
qu'ils lui doivent la meilleure partie de
leur gloire , en ce qu'ils ont trouvé des
Originaux où ils n'ont rien eu à deviner , &
oùtoutétoit rendu avec laderniere précifion.
Un mérite fi extraordinaire a fait fans
contredit de M.Rigaud un des grands Peintres
que nous ayons eu, & fes qualités perfonnelles
l'ont fait chérir de tous les honnêtes
gens. Il avoit le coeur admirable , il
étoit Epoux tendre , Ami fincére , utile, eſfentiel
; d'une générofité peu commune ,
d'une pieté exemplaire, d'une converſation
agréable & inftructive : il gagnoit à être
connu , & plus on le pratiquoit , plus on
trouvoit fon commerce aimable ; enfin un
homme qui avoit fçû joindre à un fi haut degré
de perfection dans fon Art une probité fi
reconnue, meritoit bien pendant fa vie les
diftinctions & les honneurs dont la Cour
& toute l'Europe Font comblé , & après fa
mort, les regrets de toutes les perfonnes vertueufes,
& la vénération que les Artiſtes ausont
toujours pour fa mémoire.
NOVEMBRE . 1744
On ne veut plus que voir , qu'ainer l'Auteur
La joye éclate où l'on verfoit des larmes :
Tendre enchanteur, joui de tous tes charmes.
Vous, qui jadis ornâtes fon Berceau ,
Qui de les jours tournez le cher fuſeau
De mon ami divines Protectrices ,
Muſes , j'ai vu fous vos Aftres propices
De fon efprit les précoces talens ,
Porter des fleurs même avant fon Printems.
Si foutenu fur votre aîle légere ,
En franchiffant notre inpur Atmoſphere ,
Vous l'élevez entre nous & les Dieux ,
Qu'il foit fans maux , & refpecté comme eux.
Préfagez-lui par fa préfente gloire
Tous les honneurs du Temple de Mémoire.
Ah ! puiffe-t'il , de vos faveurs flaté ,
Jouir vivant de l'immortalité.
2
T2 MERCURE DE FRANCE,
Prend votre plume , en badinant écrit
Ces riens chéris du coeur & de l'efprit ,
Sur le Parnaffe apportés de Cithere ,
Qui vont du Sage égayer l'air auftere.
Vers ce réduit des Mufes révéré
On voit un Temple aux Graces confacté ,
Où le fçavoir à la beauté s'allie ,
Où l'admirant on adore Emilię :
Venez-y plaire à vos amis brillans:
Qu'à leur Déeffe amenent les Talens
De Dargental briguez-y le fuffrage ;
El joint au goût un coeur du premier âge ;
Reconnoiffez Pope dans du Refnel ,
'Anacréon aux chants de Pontevel ,
Du gai Bernis encouragez l'audace ,
S'il fait vous fuivre , il paffera le Taffe,
Montrez à peindre au jeune Helvetius.
Le vrai bonheur qu'il doit à fes vertus
Faites paffer fur la fonore Lyre ;
Du vifBernard tout l'amour qu'il inſpire
Parez le front de l'aimable Nevers ;
Des deux Lauriers des Armes & des Vers
NOVEMBRE . 1744
13
Voltaire , ainfi de vos momens tranquilles
Comptable à tous , vous les rendez utiles ,
Et comme un Fleuve aimé dans les Valons
Dont il baigna les fleurs & les moiffons
Court à grand bruit groffir la Mer profonde ,
Vous fécondez ou vous ornez le Monde :
Vous ranimez ces germes languiffans
De nos Beaux-Arts , autrefois floriffans ,
Quand nos talens , fans l'effroi de la
guerre
Au nom François avoient conquis la Terre.
Pour vous payer de fi nobles efforts
Sur vous la gloire épanche ſes tréſors ;
Phébus , en vous trouvant nos grands génies
Croit vous devoir leurs Guirlandes unies..
'Auffi galant qu'Ovide & Richelieu
Vous effaciez & Chapelle & Chaulieu ,
Hiftorien digne des tems d'Auguſte ,
Vous remplaciez Boffuet & Salufte ,
Vous nous vengiez des Grecs & des Romains
La Palme épique ornoit vos jeunes mains ,
Quel autre bruit de gloire vous éveille.
Il eft un Mont où Racine & Corneille
74 MERCURE DE FRANCE.
Parmi l'encens s'élevent dans les Airs ,
L'un qu'Amour guide attendrit l'Univers ,
L'autre l'étonne & monte à l'Empirée,
De leurs honneurs votre ame eft enyvrée ;
Mais connoiffant le péril de marcher
Par les fentiers qu'ils fçurent défricher ,
Vous vous frayez une nouvelle route ,
Audacieuſe , effrayante , fans doute ,
Où tout près d'eux , mais paré d'autres fleurs,
Vous partagez l'empire de nos coeurs ,
Après Cinna , Policucte , & Roxane ,
On eft touché d'Alzire & d'Orofmane.
Combien de pleurs couloient ces derniers jours ?
Eh , pourquoi donc en fufpendre le cours ?
Quand Dumefnil , Arbitre de la Scéne ,
Veuve en fureur , mere plus qu'inhumaine ,
Vengeant fon fils , va lui percer le flanc ,
Mérope aveugle , hélas ! c'eft votre fang ;
Oui , Dumefnil eft Mérope elle- même ;
Hait-elle , on hait ; s'attendrit- elle , on aime
Nous les voyans ces Spectacles vantés
On dans Athéne émus , épouvantés ,
Des Peuples doux , fuivant leurs coeurs pour guide
Les yeux en pleurs couronnoient Euripide,
Voltaire arrive , on interrompt l'Acteur
NOVEMBRE. 1744
On ne veut plus que voir , qu'aimer l'Auteur ;
La joye éclate où l'on verfoit des larmes :
Tendre enchanteur, joüi de tous tes charmes.
Vous, qui jadis ornâtes fon Berceau,
Qui de les jours tournez le cher fuſeau
De mon ami divines Protectrices ,
Mufes , j'ai vu fous vos Aftres propices
De fon efprit les précoces talens ,
Porter des fleurs même avant fon Printems.
Si foutenu fur votre aîle légere ,
En franchiffant notre impur Atmoſphere ,
Vous l'élevez entre nous & les Dieux ,
Qu'il foit fans maux , & reſpecté comme eux,
Préfagez-lui par fa préſente gloire
Tous les honneurs du Temple de Mémoire.
Ah ! puiffe-t'il , de vos faveurs flaté , -
Jouir vivant de l'immortalité.
6 MERCURE DE FRANCE .
nununun QUAL
REPONSE du R. P. M. Texte , D. à
La Lettre anonyme , inférée dans le premier
Volume du Mercure de Juin 1744 , ſur l'origine
de réciter trois fois l'Ave Maria , an
fon de la cloche.
: V
Ous me demandez , Monfieur , fi
la Priere appellée communément
l'Angelus , a commencé fous Louis VI , &
fi Louis XI l'a ordonnée le matin & le
foir , comme à midi.
Je vous dirai , M. qu'à juger du premier
chef ppaarr ce qu'on en lit dans le Dictionnaire
de Trévoux , T. IV , p. 1424 , Edition
de 1721 , c'eft.Louis VI , dit le Gros ,
décédé en 1137 , lequel a ordonné le
mier l'Angelus. Voici les termes qui yfont
inférés.
pre-
La Salutation Angélique eft une Priere
qu'on fait à la Vierge , qu'on nomme l'Ave Ma
ria , qui contient les mêmes paroles que l'Ange
lui dit , quand il lui annonça le Mystere de
'Incarnation , Salutatio Angelica ; elle a été
introduite par l'Ordonnance de Louis VI. Ily a
pofitivement Louis VI , fans d'Errata qui
le corrige , comme le dit Robert Gaguin dans
fes Chroniques. Elle ne fe fut d'abord qu'à midi
mais depuis elle s'eft faite auffi au fon de
NOVEMBRE 1744. 27
gentiam conceffit , Reyn. Annal. 1318. Outre
cela , dis - je , Bzovius , qui écrivoit à Rome
dans la Bibliothéque du Vatican , par l'ors
dre de Paul V , & que perfonne n'a refuté,
a mis dans fes Annales , T. XIII , p. 391 ,
ann. 1239 , quatre- vingt ans auparavaur
Jean XXII , que le Pape Grégoire IX , perfécuté
par l'Empereur Fredéric II , avoit or
donné de réciter trois fois cette Priere à
genoux le matin & le foir. Interim cum
fcriptis & armis Frederici Gregorius IX, exa.
gitaretur , decrevit ut Salutatio Dei parentis
tum diluculo , tum crepusculo , dato figno campane,
ab omnibusgenu flexo ter repeteretur. Il
dit pas d'où il a tiré ce fait , comme il cite
Naucler à l'égard du Salve Regina , ordons
né par ce Pape, Priere * qu'il attribue à Dom
Herman , Bénédictin , en 1060 ; mais ce témoignage
de Bzovius mériteroit quelque
attention .
de
Neanmoins , pour ne rien avancer que
pofitif, je dis qu'on a d'abord recite l'An
gelus au couvre-feu avant 1318 , enfuite
fous Louis XI , à midi en 1472 , & enfin
l'époque la plus ancienne que j'aye pû découvrir
pour trois fois par jour , eft celle
de Léon X , élû en 1513 , ** lequel
* La coûtume de chanter le Salve après Complies
vient des Dominiquains . vers 1237. Martene , T.
VI. p. $44 ver. fcript.
** P, de Breul , Hift, de l'Abbaye S. Germain,
22 MERCURE DE FRANCE.
à l'inftance du Cardinal Briçonner , Evêque
de Meaux , & Abbé de S. Germain des Prez
à Paris , accorda des Indulgences à ceux de
ce Diocèle & du Fauxbourg S. Germain ,
qui réciteroient à genoux cette Priere le m
tin , à midi & le foir.
De nos jours , Benoît XIII , de fainte mé
moire a accordé le 14 Septembre 1724 cent
jours d'Indulgence à tous ceux qui réciteroient
à genoux la même Priere, & il ajoûte
une Indulgence pleniere pour ceux qui pratiqueroient
cette dévotion , & communieroient
un jour de chaque mois, à leur choix.
Bullarium Predicatorum , T. VI. p. 539.
Il y au refte , M. une remarque à faire fur
le Concile de Sens, dont je viens de parler;
l'Editeur du Spicilege de Dom Luc Dariche ,
T. I. p. 148 , où ce Concile eft rapporté , a
mis dans le titre , qu'il fut tenu en 1350 ,
anno M. CCC. L. & au bas de la page on licz
Concilium hoc an. 1346 , celebratum dicitur
infra , atque id verum arbitratus eft Dacherius
, fed hac deinde monuit Balufius , anno
1346. Guillelmus nondum erat Archiepif
copus .... probabilius ergo eft habitam fuiſſe
banc Synodum an 13.50 . Il eft en effet cer
tain que Guill, de Melun ne prit (a ) poffelfion
perfonnellement de fon Eglife de Sens
(a ) Recueil de Remarques pour la Métropole
de Sens ; Manufcrit de S, Germain des Prez,
NOVEMBRE. 23.
1744
l'au mois d Octobre 1350, fty le ancien, &
il paroît de cette prife de poffeffion qu'il
affembla fon Concile au mois de Mars fuivant,
fur la fin de 1350 , plutôt qu'en 1346;
de plus , l'Evêque de Paris s'y trouve figné
G. Parifienfis , comnie d'Acheri & les PP,
Labbe & Hardouin l'ont mis dans leurs
Editions ; or en 1345 Foulques décédé en
1348 , étoit Evêque de Paris. Je ne fais
que propofer ici la difficulté , après l'Editeur
du Spicilege , dont je laiffe à examiner
le fond aux fçavans Bénédictins, Continua
teurs du Gallia Chriftiana , ne doutant pas
qu'ils ne fe déterminent en faveur de la
vérité; & que leur décifion ne foit univerfellement
reçûë. La date Actum die 14
Martii , ann. 1346 , me paroît d'un grand
poids ; remarque importante , afin que ceux
qui citeront ce Concile évitent de fe tromper.
Je fuis , &c.
A Paris le
30
Août 1744,
#
24 MERCURE DEFRANCE.
L'AMI PARFAIT
à M. D.T. M.D.V.
Tu veux que je te trace une image fidelle
De l'Amitié , ce doux lien des coeurs ;
Union des efprits , des volontés , des moeurs ;
En toi j'en trouve un vrai modéle :
Je répete , Damon , ce que tu m'as appris ;
Retrouve toi dans mes Ecrits.
Un Ami fage , aifé , fincére ,
Eft pour l'homme un bien néceffaire ;
A peine Dieu l'eut- il formé ,
Qu'il défira d'aimer & d'être aimé ;
Que d'elle - même la Nature
Lui fit entendre qu'ici bas
Un homme en homme ne vit pas
S'il n'a quelque amitié fincére , tendre & pure.
Ayons donc des Amis , mais que le choix fait lent ;
Pour éviter enfuite un odieux divorce
Sondons le caractére , & voyons lous l'écorce ;
Il faut en amitié craindre le changement.
Donner fon coeur , enfuite le dédire ,
Tel qu'on aimoit hier aujourd'hui le proſcrire ,
C'eft paffer pour un homme inquiet , inconftant.
Voulons-nous des Amis auffi longs que la vie ?
Il faut que la`vertu nous lie.
Ne
NOVEMBRE,
25 1744.
Ne prenons point pour nos amis
Ces gens dont les façons , dont les folles maniéres ,
Ridicules par tout , & par tout fingulières ,
Les font paffer pour étourdis :
Ces gens chés qui toûjours l'amour propre réfide
Et dont l'individu fans honneur & fans foi ,
N'eftimant & n'aimant que
foi ,
Lorfque l'intérêt parle eft ou foible , ou perfide :
Ces gens du mérite envieux ,
Dont notre gloire, éblouiroit les yeux :
Ces gens qui veulent qu'on les flate ',
Et chés qui l'amitié n'eſt jamais délicate
Que lorsqu'en leur faveur on fçait approuver tout ,
Défits & paffions , libertinage & goût ,
Tout mauvais coeur enfin , & toute ame perverſe
De l'amitié n'entrent point au commerce ;
Un lien n'eft pas fort que le vice a formé ,
Ce qui s'eftime peu , n'eft pas long- tems aimé ;
1
Mais qu'il eft doux de trouver dans un autre
Un coeur noble , conftant & formé pour le nôtre ;
Un ami , qui fçachant que je fuis en danger ,
Non-feulement me plaint , mais me vient foulager ;
Qui ne demande point mon coeur & mes careffes
Pour mieux fçavoir où je tiens mes richeſſes
Chés qui dans la douleur mon courage abbatu
Puiffe retrouver la vertu ;
Un ami tendre , un coeur fenfible à mes allarmes
Avec qui je verfe des larmes ,
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
Qui du foin de me corriger ,
Spin délicat , veut pourtant fe charger ;
Mais dont la prudente ſageſſe ,
S'accommodant à ma foibleſſe ,
Ne me vient point hors de propos
Moralifer en fifflant mes défauts !
Il faut qu'en un homme qu'on aime
Chacun fe retrouve foi- même ;
Qu'il fçache eftimer en autrui
Ce que l'on eftime dans lui :
Qu'en fes moeurs , s'il fe peut , il foit irréprochable ;
Rempli fur-tout de piété ,
Qu'il foit dans les devoirs toûjours inviolable ,
Exact fur- tout à la fidélité ..
La taille au refte & les traits du vilage
En amitié font hors d'uſage ;
Si le coeur eft bon & bienfait ,
Que nous importe du portrait ?
Que la raifon donc examine ,
Des Amis feule elle doit faire choix ;
Que mûrement elle le détermine
Puis envers eux gardons ces loix.
D'un ami l'amitié n'exige
Que les devoirs ou la raifon l'oblige,
L'amitié ne met point dans les conditions
De flater les penchans , d'aider les paffions.
Cherchons , aimons fa compagnie ,
Mais ne fuivons jamais fes odieux défirs .
NOVEMBRE. 1744.
27
Ne prenons avec lui que d'honnêtes plaifirs ;
Aux débauches s'il nous convie ,
Ne craignons point de le rendre confus
Par un néceffaire refus .
Tirons- le , s'il fe peut , des vices
Par des avis avec art amenés :
Sans faire le prêcheur , montrons lui les délices
Des coeurs par la vertu feulement dominés ;
Mais , fi bravant une leçon fifage ,
Il vit toûjours au crime abandonné ,
De jours en jours réfufons lui l'ufage
De notre coeur , qui par fon voifinage
Se verroit bien - tôt fuborné ;
On devient bien- tôt tel foi -même ,
Que l'eft un coeur pervers qu'on aimes
Un homme , de mocurs diffamé ,
Ne mérite pas d'être aimé .
N'ayons pour nos Amis rien d'amer , rien de rude ;
Fuyons l'aigreur , fuyons la promptitude.
Pour quelque léger manquement
Ne foyons pas d'abord fur le qui-vive ;
L'amitié paffe vite , & n'eft jamais bien vive
Si l'on ne fçait pas aifément
S'excufer mutuellement .
Prenons de nos Amis à propos la défenſe ;
Nous devons foutenir leur réputation ;
Entre deux coeurs telle eft l'affection ,
Que des chagrins de l'un l'autre d'abord s'offenfes
N'imitons pas pourtant ces Amis orgueilleux ,
Bij
28 MERCURE DE FRANCE,
Ces Amis dont la flaterie
D'éloges fans ceffe nourrie ,
Eléve leurs Amis juſqu'au fommet des Cieux ;
Tout ce qu'ils font eft bien fait à leurs yeux ;
Ils veulent avoir cette gloire
D'avoir fçu rencontrer des Amis fans défaut :
Si vous leur en trouvez , ils penfent qu'on va croire
Qu'ils n'ont pas fçu les trouver comme il faut ,
Et que voyant de près leurs façons, leurs manieres,
Ils ſe les rendent familiéres.
Scachons dans nos Amis aifément deviner
Tout ce qui peut les chagriner.
Sont- ils dans le befoin ? Il faut qu'une main
prompte ?
Prévenant leur demande , en prévienne la honte .
Faifons leur nos faveurs de cet air gracieux ,
Qui fçait rendre un bienfait doublement précieux
Si nous ne voulons pas que pour avoir ils prient
Ne fouffrons pas auffi qu'enfuite ils remercient ,
Et paroiffons oublier pour jamais
Les biens que nous leur avons faits.
Depuis long- tems on l'a dit , la fortune
Entre Amis doit être commune
NOVEMBRE. 1744. zg
Mais pour ne fuivre pas ce Proverbe fâcheux ,
On craint tous les Amis dont la morne figure
De bienfaits & d'emprunts porte le trifte augure ;
Et pour n'être pas généreux ,
Pour n'unir pas les bienfaits aux careffes ,
On ne choifit que des Amis heureux ,
Qui laiffent en paix nos richeſſes.
D'un bon Ami la principale Loi
C'eft de tenir une promeffe ,
C'eft de bien dégager la foi.
Un ami fur ce point a - t- il de la foibleſſe ?
Il rompra bien- tôt avec moi.
Il me prouve par- là qu'il a quelqu'autre affaire ,
Plus preffante pour lui , que le foin de me plaire.
Nul Ami qui ne foit diſcret ,
Qui ne fçache en fon fein bien cacher un fécret .
Si l'orgueil , fi quelque imprudence
Trahit enfin la confidence ,
Deux coeurs , auparavant étroitement unis ,
Bien-tôt par-là deviennent ennemis ,
Et peut être jamais averfion plus vive.
Il faut enfin qu'un Ami fuive
Les égards qui font dûs au rang ,
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
A l'âge , à la fplendeur du fang,
Un Prince-veut- il vous permettre
Quelque familiarité ?
Entre vous deux pourtant il ne prétend pas mettre
Une entiére égalité ;
Pour lors l'amitié vous oblige
A céder , àfçavoir plier ,
A fçavoir , en un mot , joindre à l'air familier
Cet air refpectueux que fa naiffance exige.
L'amitié m'a dicté ce Code , ces avis ,
Mais , Damon , ce n'eft point pour toi que je les
donne.
Le Ciel m'a fait un bien qu'il n'accorde à pepe
fonne ;
Je n'ai que de parfaits Amis.
L. 7. de .....
A Grenoble ce 21 Novembre 1744.
NOVEMBRE. 1744. 31
EXPERIENCES DE PHYSIQUE .
J ,
E me ferois bien gardé , Monfieur , de
vous envoyer cette petite découverte
fi des perfonnes très verfées dans les matiéres
Phyfiques , ne m'en euffent affûré la
nouveauté , & fi je n'avois moi-même vifité
la plupart des Auteurs. Le Journal de
Verdun nous a fourni en l'année 1743
deux différentes explications fur la même
matiére; je ferois plus que fatisfait s'il vouloit
auffi nous produire felon ces fyftêmes.
la raifon à toutes les remarques que j'ai
l'honneur de vous propofer.
La premiere remarque que j'ai faite , eft
que fi on tient une larme entre les doigts ,
& qu'on en applique un à l'extrêmité du
gros bout , on fent contre ce doigt la plus
grande impulfion .
2º. Si on fait chauffer à une chandelle le
gros bout de la larme , & qu'enfuite on
rompe le crochet , la queue fe brife totalement
, & le gros bout refte entier dans la
main .
il
3º. Si on fait chauffer une larme autant
qu'il faut pour lui faire perdre fa vertu ,
ne paroît ni plus ni moins de pores , ils pa-
B iiij
28 MERCURE
DE FRANCE
.
Ces Amis dont la flaterie
D'éloges fans ceffe nourrie ,
Eléve leurs Amis jufqu'au fommet des Cieux ;
Tout ce qu'ils font eft bien fait à leurs yeux
Ils veulent avoir cette gloire
D'avoir fçu rencontrer des Amis fans défaut :
Si vous leur en trouvez , ils penfent qu'on va croire
Qu'ils n'ont pas fçu les trouver comme il faut ,
que voyant de près leurs façons, leurs manieres,
Ils fe les rendent familiéres.
Scachons dans nos Amis aifément deviner
Tout ce qui peut les chagriner.
Sont ils dans le befoin ? Il faut qu'une mais
prompte ,
Prévenant leur demande , en prévienne la honte.
Faifons leur nos faveurs de cet air gracieux ,
Qui fçait rendre un bienfait doublement précieux
Si nous ne voulons pas que pour avoir ils prient ,
Ne fouffrons pas auffi qu'enfuite ils remercient ,
Et paroiffons oublier pour jamais
Les biens que nous leur avons faits.
Depuis long- tems on l'a dit , la fortune
Entre Amis doit être commune ,
NOVEMBRE. 1744. 33
moyen affûré pour connoître la péfanteur
refpective des liqueurs.
1º . J'ai caffé une larme dans un gobelet
plein d'eau , environné d'air , & le gobelet
s'eft divifé en plufieurs parties : file gobelet
eft plein d'air , il arrive le contraire.
2°. J'ai caffé une larme dans un gobelet
plein d'eau , environné de vin , à la même
hauteur, & le gobelet s'eft fendu fans fe divifer
totalement : ft la hauteur du vin eft
moindre , le gobelet fe rompra en plufieurs
parties ; fi le vin & l'eau font en raiſon réciproque
de hauteur & de poids , le gobelet
ne fera ni fendu ni brifé.
3º. J'ai caffé une larme dans un gobelet
plein de mercure , environné d'air , & le
gobelet ne reçoit aucun dommage , mais la
larme remonte fur le mercure, toute percée
de la matiere qui a paffé au travers ,fans en
pouvoir écarter les parties.
Je fuis , & c.
Barriere ;
A Bordeaux chés M. Charretier , ruë S.
James , ce 30 Octobre 1744.
By
30 MERCURE DE FRANCE.
A l'âge , à la fplendeur du fang,
Un Prince -veut-il vous permettre
Quelque familiarité ?
Entre vous deux pourtant il ne prétend pas mettre
Une entiére égalité ;
Pour lors l'amitié vous oblige
A céder , à fçavoir plier ,
A fçavoir , en un mot , joindre à l'air familier
Cet air respectueux que fa naiffance exige .
L'amitié m'a dicté ce Code , ces avis ,
Mais , Damon , ce n'eft point pour toi que je les
donne .
Le Ciel m'a fait un bien qu'il n'accorde à per
fonne ;
Je n'ai que de parfaits Amis .
L. 7. de .....
AGrenoble ce 21 Novembre 1744.
NOVEMBRE. 1744. 35
Ces éclatantes fleurs , image de nos ans-
Que détruit le tems homicide ;
Buvons , employons les momens
Que nous laiffe la Parque avide.
Ces Palais , ces Jardins avec foin embellis ,
Ces plans que vous avez fait naître
Ou la Nature & l'Art , rivaux & réunis ,
Par vos foins fe font méconnoître
Vos trésors , vos riches lambris ,
Tout cela doit changer de maître.
La Chaumiere du pauvre & le Trône des Rois
Sont égaux aux yeux de la Parque :
Sur le fang des Dieux même elle exerce les droits ,
Et l'inftant fatal qu'elle marque ,
Soumet fans retour à fes loix
Et le Berger & le Monarque.
Gardons- nous de compter fur le frêle avenir ,,
Fuyons fa féduifante yvreffe ,.
Ecartons du paffé l'importun ſouvenir,
Et livrons - nous à la pareffe ;
C'eft entre les bras du plaifir
Que l'on doit chercher la fageffe:
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
DECOUVERTE nouvelle fur les Notes
des Abbréviations.
L
' Engagement que nous avons pris avec
le Public de l'informer , non feulement
de tout ce qui fe paffera d'intéreffant à la
Cour & à Paris , mais encore de l'inftruire
exactement de l'état de la République des
Lettres , ne nous permet pas de négliger de
lui rendre compte d'une Découverte. faite
par D. Carpentier , qui peut être fort utile
à ceux qui étudient l'Hiftoire de France , &
jetter de grandes lumieres fur cette partie
de notre Littérature .
Perfonne n'ignore de quelle utilité font
les anciennes Chartes pour débrouiller le
cahos de l'Hiftoire. Elles fervent de fanal
pour marcher dans ces fentiers ténébreux, &
fi cette lumiere n'eft pas toujours auffi éclatante
qu'on le fouhaiteroit , il n'en eft pas
moins vrai qu'elle eſt d'un grand fecours.
L'étude de ces Chartes a toujours paffé parmi
les Sçavans pour une étude importante
& l'eft en effet ; mais quelque foin que l'on
ait pris , il y en avoit que l'on n'avoit pû
encore parvenir à déchiffrer. Elles étoient
écrites dans cette forme d'Abbréviations , G
NOVEMBRE . 1744. 33
moyen affûré pour connoître la péfanteur
refpective des liqueurs.
1º. J'ai caffé une larme dans un gobelet
plein d'eau , environné d'air , & le gobelet
s'eft divifé en plufieurs parties : fi le gobelet
eft plein d'air , il arrive le contraire.
2°. J'ai caffé une larme dans un gobelet
plein d'eau , environné de vin , à la même
hauteur, & le gobelet s'eft fendu fans fe diviſer
totalement : fi la hauteur du vin eft
moindre , le gobelet fe rompra en plufieurs
parties ; fi le vin & l'eau font en raiſon réciproque
de hauteur & de poids , le gobelet
ne fera ni fendu ni brifé.
3 °. J'ai caffé une larme dans un gobelet
plein de mercure , environné d'air , & le
gobelet ne reçoit aucun dommage , mais la
farme remonte fur le mercure, toute percée
de la matiere qui a paffé au travers , fans en
pouvoir écarter les parties.
Je fuis , & c.
Barriere ;
A Bordeaux chés M. Charretier , ruë S.
James , ce 30 Octobre 1744 .
BY
38 MERCURE DE FRANCE.
neuve ; enfin D. Carpentier vient de trouver
la clef de ce chiffre fi difficile;il a lû, par la
méthode qu'il s'eft faite , un grand nombre
de ces Chartes indéchiffrables , & ſe prépare
à les donner au Public . Les Caractéres
mystérieux feront gravés fous les de
yeux
l'Auteur , & le Latin fera mis à côté ligne
pour ligne , ce qui eft une précaution auffi
judicieufe que néceffaire.
Il eft prefque inutile de vanter l'ufage
dont ces Chartes peuvent être pour notre
Hiftoire; la plupart font très- intéreffantes ;
il n'y en a aucune qui ne nous apprenne
quelque chofe & qui n'éclairciffe quelque
fait de l'Hiftoire Eccléfiaftique,& Civile du
Régne de Louis le Débonnaire; elles reprennent
même quelquefois les évenemens de
plus haut , & jettent de la lumiere fur ce
qui s'eft paffé fous Pepin , & fous Charle--
magne. La Jurifprudence du tems y eft
mieux développée, quant à certains points,
que dans les Monumens que nous connoiffons.
On y voit l'application du Prince à
faire fleurir le Commerce , & la protection
dont il honoroit ceux qui l'exerçoient. On
y trouve des noms de Lieux , d'Evêques ,
d'Abbés , de Comtes, &c, ignorés jufqu'au
jourd'hui. Ces Chartes font dans un Ma
nufcrit cotté 2718 de la Bibliothéque du
Roi. Ceux qui fçavent combien l'Hif
toire de ce tems eft obfcure , connoîtront
NOVEMBRE.
1744. 35
Ces éclatantes fleurs , image de nos ans
Que détruit le tems homicide ;
Buvoas , employons les momens
Que nous laiffe la Parque avide.
Ces Palais , ces Jardins avec foin embellis ,
Ces plans que vous avez fait naître ,
Où la Nature & l'Art , rivaux & réunis ,
Par vos foins fe font méconnoître
Vos tréfors , vos riches lambris ,
Tout cela doit changer de maître.
"
La Chaumiere du pauvre & le Trône des Rois
Sont égaux aux yeux de la Parque :
Sur le fang des Dieux même elle exerce ſes droits,
Et l'inftant fatal qu'elle marque ,
Soumet fans retour à fes loix
Et le Berger & le Monarque.
Gardons- nous de compter fur le frêle avenir ,,
Fuyons fa féduifante yvreſſe ,
Ecartons du paffé l'importun fouvenir,
Et livrons -nous à la pareffe ;
C'eft entre les bras du plaifir
Que l'on doit chercher la fageffe:
Bvj
40 MERCUREDE FRANCE.
Mnibus fidelibus fanctæ Dei Ecclefiæ
& noftris , præfentibus fcilicet & faturis.
Si aliquid de rebus proprietatis noftræ
ad loca divino cultui deftinata conferimus
, hoc procul dubio nobis ad æternæ
mercedis augmentum , & ftabilitatem regni
àDeo nobis commiffi pertinere confidimus.
Idcircò notum fieri volumus omnium veftrum
fidelitati , qualiter vir venerabilis
Wolfgerus Wirciburgenfis Ecclefiæ Epifcopus
, ad noftram veniens præfentiam , indicavit
nobis quod piæ recordationis Dominus
& genitor nofter Karolus Sereniffimus Imperator
Antecefforibus fuis illis , & illis Epif
copis præcepiffet , ut in terra Sclavorum ,
qui ftant inter Moinum & Radanziam Aluvios
, qui vocantur Moinwinidi & Radanzwinidi
, una cum comitibus qui fuper eofdem
Sclavos conftituti erant , procurarent
ut inibi , ficut in cæteris Chriftianorum locis
Ecclefiæ conftruerentur , quatenus ille
populus paganus ad Chriftianitatem converfus
habere poffet ubi & baptifmum perciperet
, & prædicationem audiret , & ubi
inter eos , ficut inter cæteros Chriftianos
divinum officium celebrari poffet ; & ita à
memoratis Epifcopis & Comitibus, qui tunc
NOVEMBRE. 1744 41
temporis eidem populo præpofiti fuerant
innotuit effe confectum , & Ecclefias quindecim
ibi fuiffe conftructas ; fed eafdem
Ecclefias minimè co tempore fuiffe dotatas ,
fed ficut primùm conftructæ fuerunt , fic
ufque ad præfentem diem fine dote remanfiffe
. Idcircò fuggeffit atque admonuit manfuetudinem
noftram , ut ad eafdem bafilicas
dotandas aliquid de rebus proprietatis noftræ
in eodem pago dare deberemus. Cujus
admonitioni atque petitioni , quia falubris
effe videbatur , adfenfum nobis præbere
placuit. Donamus igitur atque concedimus ,
quod ita donatum atque conceffum in perpetuum
effe volumus , ad præfatas bafilicas
quæ , ut diximus , juffu & confilio Domini
& genitoris noftri Karoli Sereniffimi Imperatoris
in terra prædictorum Sclavorum à
memoratis Epifcopis conftructæ funt , in
eodem pago de proprio noftro ad unamquamque
manfos duos , cum fuperftantibus
duobus tributariis , excepto illo manfo fuper
quem primitus unaquæque earumdem
Ecclefiarum ædificata eft , eo videlicet modo
, ut quidquid iidem tributarii in cenfu
vel tributo folvere debent , hoc totum ad
partem earumdem Ecclefiarum omni tempore
perfolvant , & ipfæ Ecclefiæ , cum omnibus
rebus ad fe pertinentibus, fub memorati
viri venerabilis illius & fuccefforum ejus
42 MERCURE DE FRANCE.
curâac providentiâ fint , ut divinum in eis
officium perenniter celebretur , & populus
terræ illius jugiter prædicationem habeat
& in eis baptifmi Sacramenta percipiat.
Idcircò hanc noftræ auctoritatis præceptionem
concedere juffimus , per quam decernimus
atque jubemus ut nullus comes aut judex
publicus , five actor imperialis , vel
qualibet poteftate prædita perfona , ab hac
die in pofterùm memorato viro venerabili
illi , vel fuccefforibus ejus pro eifdem Ecclefiis
, vel rebus ad eas noftra liberalitate
conceffis , repetitionem facere , aut ullam
calumniam ingerere præfumat ; fed liceat
illis memoratas Ecclefias cum omnibus rebus
ad eas pertinentibus , abfque ullius perfonæ
& contradictione , vel impedimento tene
re , vel regere , & ficut alias Ecclefias ad
Epifcopium fuum pertinentes , fecundùm
Canonicam inftitutionem ordinare atque
difponere. Et ut hæc auctoritas firmior habeatur
, & noftris futurifque temporibus ab
omnibus meliùs confervetur , placuit nobis
cam & propriis manibus fubfcribere , & annulli
noftri impreffione figillare.
NOVEMBRE. 1744
Zi
+
mieux l'importance de cette découverte
& le prix du fervice que Dom Carpentier
rend à la République des Lettres..
Quoiqu'il air fallu beaucoup de patience :
achever cet ouvrage , on fe trompe--
pour
roit beaucoup , fi l'on croyoit qu'il n'a fallu
que de la patience ; un pareil travail
exige auffi beaucoup de fagacité , & avec:
ces deux talens , il faut encore du bonheur
réuffir .. pour
Dom Carpentier a fait imprimer un
Profpectus , où dans un Avertiffement il
obferve avec raifon que cette découverte
mérite l'attention des Amateurs &des Protecteurs
des Lettres.Quelque important que
foit le Manufcrit qu'il a déchiffré , on en
peut trouver de plus précieux encore . L'intérêt
public demanderoit qu'on ne les laif
fât pas périr avec ceux que l'ignorance ou:
la fuperftition ont déja fait difparoître..
Nous aurions voulu pouvoir donner ici
les Caractéres gravés de la Charte , tels que
Dom Carpentier les préfente au Public dans
fon Profpectus; mais nos occupations ne nous:
permettent pas de nous confacrer au foin
pénible de veiller fur un Graveur , dont en
pareil cas la moindre faute eft aufſi eſſentielle
, qu'elle eft aifée à commettre , pour
mettre autant qu'il eft en nous le Public au
fait , nous allons imprimer le Latin de la
Charte..
40 MERCUREDE FRANCE.
Mnibus fidelibus fanctæ Dei Ecclefiæ
& noftris , præfentibus fcilicet & faturis.
Si aliquid de rebus proprietatis noftræ
ad loca divino cultui deftinata conferimus
, hoc procul dubio nobis ad æternæ
mercedis augmentum , & ftabilitatem regni
à Deo nobis commiffi pertinere confidimus.
Idcircò notum fieri volumus omnium veftrum
fidelitati , qualiter vir venerabilis
Wolfgerus Wirciburgenfis Ecclefiæ Epifcopus
, ad noftram veniens præfentiam , indicavit
nobis quod piæ recordationis Dominus
& genitor nofter Karolus Sereniffimus Imperator
Antecefforibus fuis illis , & illis Epifcopis
præcepiffet , ut in terra Sclavorum ,
qui ftant inter Moinum & Radanziam Aluvios
, qui vocantur Moinwinidi & Radanzwinidi
, una cum comitibus qui fuper cofdem
Sclavos conftituti erant , procurarent
ut inibi , ficut in cæteris Chriftianorum locis
Ecclefiæ conftruerentur , quatenus ille
populus paganus ad Chriftianitatem converfus
habere poffet ubi & baptifmum perciperet
, & prædicationem audiret , & ubi
inter eos , ficut inter cæteros Chriftianos.
divinum officium celebrari poffet ; & ita à
memoratis Epifcopis & Comitibus, qui tunc
ERARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
42 MERCURE DE FRANCE.
curâac providentiâ fint , ut divinum in eis
officium perenniter celebretur , & populus
terræ illius jugiter prædicationem habeat ,
& in eis baptifmi Sacramenta percipiat.
Idcircò hanc noftræ auctoritatis præceptionem
concedere juffimus, per quam decernimus
atque jubemus ut nullus comes aut judex
publicus , five actor imperialis , vel
qualibet poteftate prædita perfona , ab hac
die in pofterùm memorato viro venerabili
illi , vel fuccefforibus ejus pro eifdem Ecclefiis
, vel rebus ad eas noftra liberalitate
conceffis , repetitionem facere , aut ullam
calumniam ingerere præfumat ; fed liceat
illis memoratas Ecclefias cum omnibus rebus
ad eas pertinentibus , abfque ullius perfonæ
& contradictione , vel impedimento tene
re , vel regere , & ficut alias Ecclefias ad
Epifcopium fuum pertinentes , fecundùm
Canonicam inftitutionem ordinare atque
difponere. Et ut hæc auctoritas firmior habeatur
, & noftris futurifque temporibus ab
omnibus meliùs confervetur , placuit nobis
eam & propriis manibus fubfcribere , & annulli
noftri impreffione figillare.
NOVEMBRE . 1744. 45
STANCES
Sur l'Air d'Iffé : Les doux plaifirs habitent
ce Bocage , &c.
T U la formas ; acheve ton ouvrage ;
Des dons charmans c'eft le plus heureux choix ,
De fi beaux yeux ; la plus aimable voix ;
Mais elle fuit , Dieu d'amour , quel dommage !
1
Le doux plaifir de vivre fous tes loix.
Signale enfin ta puiſſance ſuprême ;
Eh quoi ! du moins dans tes jours folemnels ,
Jamais Thémire aux pieds de tes Autels
Ne te dira : oui l'on m'adore & j'aime...
Que de plaifirs perdus pour les mortels !
Mais n'eft- ce point ( ta malice eft extrême )
Qu'avec plaifir tu vetras déformais
Que la vertu dans fon coeur régne en paix ?
Oui : tu n'as pû l'attendrir pour toi même ,
Tu veux du moins qu'elle n'aime jamais.
Peut-être encor veux tu dans ta colere ,
44 MERCURE DE FRANCE.
illuc veniendo confecravit Ecclefias , ordina
vit Prefbyteros , populumque prædicando docuit.
Dotem affignat iis Ecclefiis Ludovicus
Pius ad preces Wolsgeri Wirciburgenfis
Epifcopi , fub cujus regimine erant ; quod
à Carolo Magno factum non fuiffe mirum
eft , cùm ex ftatutis Conciliorum non liceret
Epifcopo Ecclefiam confecrare , nifi dos
fufficiens Clericis in ea defervituris ab ædificatoribus
priùs conferretur. Id præftitit
Ludovicus Auguftus ante annum 832 , quo
Wolsgerus , 11 idus Novembris obiit , cùm
fediffet annos XXII , menfes vi , dies xi ,
ex Chronico Wirziburg. apud Baluz. tom. I.
Mifcell. pag. 504.
I
Notandum quoque eft Bafilicas hîc арь
pellari Ecclefias confecratas , quibus Miniftrabant
Clerici.
Peut- e Gue
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
,
48 MERCURE DE FRANCE
tous fes Auditeurs étoient inftruits , mais
nous , qui écrivons pour toutes fortes de
Lecteurs , nous devons faire nos efforts .
pour les mettre au fait de la matiere que
nous allons traiter. Si nous fommes affés
heureux pour y réüffir , nous nous fçaurons
bon gré d'avoir travaillé pour la gloire de
M. B. & des Académiciens qui l'ont accompagné
en augmentant le nombre de
leurs Juges , & par conféquent de leurs admirateurs.
On a cru long- tems que la Terre étoit
fphérique ; cette erreur eft auffi ancienneque
la Terre même , ou du moins que less
Sciences. Dans cette fuppofition il n'étoit
pas difficile d'en connoître la grandeur.
Dès les premiers pas qu'on a fait en Géométrie
, le cercle a été divifé en 360 parties
égales que l'on a appellées degrés ; il fuffifoit
donc de mefurer un degré de la Terre
& de le multiplier par 360 pour avoir le
circuit de notre Globe. La méthode pour
mefurer ce degré eft fimple & faciles on
prend avec un inftrument la hauteur d'une
Etoile en quelque endroit , par exemple à
Paris , on avance enfuite vers le Pôle fur le
même Méridien, jufqu'à ce que l'Etoile ob
fervée à Paris ait un degré de hauteur de
moins , & quand on eft arrivé en cet endroir
, on cherche alors par des opérations.
GéoNOVEMBRE.
1744. 49
Géométriques la diftance de cet endroit à
Paris. Cette diftance , réduite en toifes
exprimera la valeur d'un degré de la Terre
en toifes.
C'eſt par cette méthode , ou par d'autres
qui s'y rapportent , qu'on avoit trouvé que
Paris & Amiens , qui font fous le même
Méridien , font éloignés d'un degré ou environ
, & l'on avoit conclu de leur diftance
qui eft de 25 lieuës , que le degré de la
Terre étoit de 25 lieuës , & parconféquent
fon circuit de 9000. ୨୦୦୦ .
En 1672 , M. Richer , étant envoyé à
'Ifle de Cayenne proche l'Equateur , trouva
que le Pendule qui battoit les fecondes à
Paris alloit plus lentement à la Cayenne ,
& que fes vibrations étoient de plus d'une
feconde. Cette expérience fit une révolution
dans le Monde Phyficien : il fut aisé
de conclure que la péfanteur étoit moindre
à l'Equateur qu'à Paris , puifque les corps
péfans s'y mouvoient plus lentement . M.
Huguens fut le premier qui ouvrit les yeux ,
& il découvrit bien-tôt la cauſe de cette dif
férence.
La Terre tournant fur fon axe , emporte
avec elle tous les corps qui y font , & ces
corps décrivent des cercles d'autant plus
grands qu'ils font plus éloignés du Pôle ;
ils ont donc une force centrifuge d'autant
II. Vol C
4
so MERCURE DE FRANCE.
plus grande , qu'ils font plus éloignés du
Pôle , & doivent être moins péfans , puifqu'ils
font plus d'effort pour s'éloigner du
centre de la Terre. D'un autre côté , fi l'on
regarde la Terre comme une maffe fluide
( & il eft certain qu'elle eft telle en grande
partie ) on ne peut pas fuppofer qu'elle foit
parfaitement fphérique , dès que la péfanteur
eft plus grande au Pôle qu'à l'Equateur ,
En effet , que l'on imagine une colonne
fluide qui aille d'un point de la circonféren
ce de l'Equateur au Centre , & une autre
qui aille du Pôle au même Centre , ces deux
colonnes doivent être en équilibre ; la colonne
de l'Equateur fera donc plus longue
que celle du Pôle , puifque fes parties péfent
moins ; le diamètre de l'Equateur doit
donc être plus grand que l'axe , c'est-à- dire
que la ligne qui joint les deux Pôles : & la
Terre , fuivant cette idée,doit être un ſphéroïde
applati vers les Pôles.
Voilà ce que la théorie
apprit
à M. Huguens
; éclairé
par le flambeau
de la Géométrie
, il ofa entreprendre
de déterminer
la
difference
du diamétre
de l'Equateur
à l'axe ,
& trouva
qu'elle
étoit
la même
que de 578
à 577 ; mais
la théorie
feule
ne pouvoir
donner
le degré
exact
de l'applatiffement
de la Terre
elle fera plus ou moins
appla
tie fuivant
les differentes
fuppofitions
que
l'on pourra
faire fur la péfanteur
& la denfité
NOVEMBRE. 1744 47
SEANCE publique de l'Académie
des Sciences.
'Académie des Sciences tint une affemblée
publique le 14 de ce mois , felon
la coûtume. Le Public qui court avidentment
s'inftruire à ces doctes conférences ,
attendoit le jour de celle- ci avec un nouvel
empreffement ; on fçavoit que M. Bougner ,
l'un des Académiciens qui ont été envoyés:
au Pérou par le Gouvernement pour y déterminer
la figure de la Terre , devoit lire
dans cette affemblée la relation de fom
voyage & le détail de fes opérations Aftro
nomiques ; ce détail étoit d'autant plus in
téreffant , qu'il devoit , ou mettre au -deffus
de toutes contradictions la meſure de la.
Terre , déterminée par les opérations faites
au Nord , ou fournir de nouvelles idées .
& ouvrir un nouvel avis fur cette impor
tante queſtion.
· M. Bonguer, qui parloit devant une com
pagnie continuellement occupée de ces ma
tieres , & devant un Public qui les connoît
au moins fuperficiellement, auroit perdis
inutilement un tems précieux s'il fe fut atsaché
à expofer Fétat de la queſtion , dont
48 MERCURE DE FRANCE
tous fes Auditeurs étoient inftruits , mais
nous , qui écrivons pour toutes fortes de
Lecteurs , nous devons faire nos efforts .
pour les mettre au fait de la matiere que
nous allons traiter. Si nous fommes affés
heureux pour y réüffir , nous nous fçaurons .
bon gré d'avoir travaillé pour la gloire de
M. B. & des Académiciens qui l'ont ac
compagné en augmentant le nombre de
leurs Juges , & par conféquent de leurs ad
mirateurs.
On a cru long -tems que la Terre étoit
fphérique ; cette erreur eft aufli ancienneque
la Terre même , ou du moins que les
Sciences. Dans cette fuppofition il n'étoit
pas difficile d'en connoître la grandeur.
Dès les premiers pas qu'on a fait en Géométrie
, le cercle a été divifé en 360 parties
égales que l'on a appellées degrés ; il fuffifoit
donc de mefurer un degré de la Terre-
& de le multiplier par 360 pour avoir le
circuit de notre Globe. La méthode pourmeſurer
ce degré eft fimple & facile ; on
prend avec un inftrument la hauteur d'une
Etoile en quelque endroit , par exemple à
Paris , on avance enfuite vers le Pôle fur le
même Méridien, jufqu'à ce que l'Etoile obfervée
à Paris ait un degré de hauteur de
moins , & quand on eft arrivé en cet endroit
, on cherche alors par des opérations.
GéoNOVEMBRE.
49 1744.
5.
Géométriques la distance de cet endroit à
Paris. Cette diftance , réduite en toifes
exprimera la valeur d'un degré de la Terre
en toifes.
C'est par cette méthode , ou par d'autres
qui s'y rapportent , qu'on avoit trouvé que
Paris & Amiens , qui font fous le même
Méridien , font éloignés d'un degré ou environ
, & l'on avoit conclu de leur diftance
qui eft de 25 lieues , que le degré de la
Terre étoit de 25 lieuës , & parconféquent
fon circuit de 9000 .
En 1672 , M. Richer , étant envoyé à
l'Ile de Cayenne proche l'Equateur , trouva
que le Pendule qui battoit les fecondes à
Paris alloit plus lentement à la Cayenne ,
&
que fes vibrations étoient de plus d'une
feconde. Cette expérience fit une révolution
dans le Monde Phyficien : il fut aifé
de conclure que la péfanteur étoit moindre
à l'Equateur qu'à Paris , puifque les corps
péfans s'y mouvoient plus lentement . M.
Huguens fut le premier qui ouvrit les yeux
& il découvrit bien- tôt la caufe de cette dif
férence.
La Terre tournant fur fon axe , emporte
avec elle tous les corps qui y font , & ces
corps décrivent des cercles d'autant plus
grands qu'ils font plus éloignés du Pôle ;
ils ont donc une force centrifuge d'autant
II. Vol. C
so MERCURE DE FRANCE.
plus grande , qu'ils font plus éloignés du
Pôle , & doivent être moins péfans , puifqu'ils
font plus d'effort pour s'éloigner du
centre de la Terre. D'un autre côté , fi l'on
regarde la Terre comme une maffe fluide
( & il eft certain qu'elle eft telle en grande
partie ) on ne peut pas fuppofer qu'elle foit
parfaitement fphérique , dès que la péſanteur
eft plus grande au Pôle qu'à l'Equateur,
En effet , que l'on imagine une colonne
fluide qui aille d'un point de la circonféren
ce de l'Equateur au Centre , & une autre
qui aille du Pôle au même Centre , ces deux
colonnes doivent être en équilibre ; la colonne
de l'Equateur fera donc plus longue
que celle du Pôle , puifque fes parties péfent
moins ; le diamètre de l'Equateur doit
donc être plus grand que l'axe , c'est- à-dire
que la ligne qui joint les deux Pôles : & la
Terre , fuivant cette idée, doit être un ſphéroïde
applati vers les Pôles.
Voilà ce que la théorie apprit à M. Huéclairé
par le flambeau de la Géoméguens;
trie , il ofa entreprendre de déterminer la
difference du diamétre de l'Equateur à l'axe ,
& trouva qu'elle étoit la même que de $ 78
à 577 ; mais la théorie feule ne pouvoir
donner le degré exact de l'applatiffement
dela Terre elle fera plus ou moins applatie
fuivant les differentes fuppofitions que
l'on pourra faire fur la péfanteur & la denſité
::
NOVEMBRE. 1744. 52
de fes parties,que pour établir les calculs , on
eft obligé de fuppoferHomogenes, ce qui sûrement
n'eft pas vrai. M. Huguens fuppofoit
que toutes les parties de la Terre font
de même denſité , & pélent toutes vers un
même centre. M. Newton , qui fuppofa que
toutes ces parties s'attirent mutuellement
fuivant une certaine loi , trouva que la dif
férence du diamétre de l'Equateur à l'axe ,
étoit comme de 230 à 229 , ce qui donne la
Terre encore plus applatie vers les Pôles .
Ainfi quoique les théories les plus vraifemblables
s'accordaffent à donner à la Terre
la figure d'un fphéroïde applati , la mefurre
actuelle des degrés pouvoit feule déterminer
au jufte cette figure , & ce n'étoit que
par là que l'on pouvoit vérifier fi ces célébres
Mathématiciens , qui du fond de leur
cabinet avoient mefuré l'immenfité de la
Terre , méritoient l'éloge qu'Horace ne
donne qu'ironiquement au Pilote Architas.
Aerias tentaffe domos , animoque rotundum
Percurriffe Polum.
Nous venons de dire que tous les degrés
doivent être égaux , fi la Terre eft parfaitement
fphérique , c'est- à-dire , que s'il fant
faire 25 lieues de Paris à Amiens pour
qu'une Etoile obfervée diminuë de la hauteur
d'un degré , il faudra faire encore 25
Cij
32 MERCURE DE FRANCE.
lieuës depuis Amiens , en avançant vers le
Pôle , pour que cette même Etoile diminuë
encore d'un degré de hauteur , & ainfi de
fuite.
Il n'en eft pas de même , fi la Terre n'eft
pas exactement ronde : les degrés feront
inégaux , & feront plus grands à l'Equateur
qu'au Pôle, fi la Terre eft un fphéroide
allongé , c'est-à- dire , fi le diamétre de l'Equateur
eft moindre que l'axe ils feront
au contraire plus grands vers le Pôle , fi la
Terre eft un fphéroide applati , c'eſt- à-dire ,
fi l'axe eft plus petit que le diamètre de l'Equateur.
Pour en faire fentir la raiſon par
une idée , peu Géométrique à la vérité
mais palpable pour tous les lecteurs , imaginons
un cerceau de baleine parfaitement
rond , & partagé par deux diamétres , l'un
vertical , qui repréfentera le diamètre de
l'Equateur , l'autre horizontal , qui repréfentera
l'axe , ou la ligne qui joint les Pôles
; fi on preffe ce cerceau par les deux extrêmités
de fon diamétre horisontal , le diamétre
qui repréſente l'axe diminuera , l'autre
au contraire , qui repréfente le diamètre
de l'Equateur , s'allongera ; or il eft évident
que ce cerceau aura perdu de fa courbure
dans l'endroit preffé , c'est-à-dire , aux deux
extrêmités de fon diamétre horisontal , &
qu'au contraire il fera devenu d'une plus
NOVEMBRE . 1744. 13
grande courbure à l'extrêmité du diamétre
qui s'eft allongé.
por-
On voit par- là que fi la Terre eft un fphéroïde
applati , elle aura moins de courbure
au Pôle qu'à l'Equateur ; elle fera donc
tion d'un plus grand cercle au Pôle qu'à l'Equateur
, car un grand cercle a moins de
courbure dans le même efpace qu'un petit ;
ainfi le degré qui eft toujours du
cercle , fera plus grand au Pôle qu'à l'Equateur.
360
Le contraire arrivera fi l'on preffe le
cerceau verticalement ; ainfi pour trouver
la figure de la Terre il fuffit d'en mefurer
deux differens degrés ; mais il y auroit de
l'inconvénient à mefurer deux degrés trop
proches l'un de l'autre ; car fi la Terre ne
'éloigne pas beaucoup d'être exactement
ronde les degrés qui feront voifins feront
à peu près égaux , & la difference qu'on
trouvera ne fera pas affés grande pour déterminer
la figure de la Terre , parce que
cette difference pourra provenir en partie
des erreurs inévitables dans les obfervations
& dans les mesures.

Il étoit donc néceffaire de mesurer deux
degrés très-éloignés , parce que la difference
de deux degrés voifins , qui eft petite
fe trouvera répétée un grand nombre de
fois de l'Equateur au Pôle.
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
On fent affés de quelle importance if
étoit de décider cette question , & quelle
peut être fon utilité pour la Géographie
& la Navigation. Si la Terre eft un fphéroïde
applati , fi les degrés font inégaux ,
comment connoître exactement la diftance
des lieux qui font éloignés d'un certain
nombre de degrés , fans connoître
le rapport de ces degrés entr'eux , & combien
cette connoiffance n'eft- elle pas
utile
pour
les Voyageurs
& pour
les Navigateurs
? D'ailleurs
quel
objet
plus
digne
de
la curiofité
d'un
efprit
éclairé
, que
de connoître
le Globe
que
nous
habitons
, & de
percer
par
quelque
endroit
ce voile
impénétrable
dont
la nature
a couvert
fes operations
?
C'eſt dans ces vûes que S. M. a envoyé
des Aftronomes mefurer un degré de la
Terre vers l'Equateur , & d'autres mefurer
un degré vers le Pôle. M. le Comte de Maurepas
, qui honore les Arts d'une protection
auffi éclatante qu'éclairée , a été chargé de
cette entreprife. C'eft par fes foins que les
Académiciens ont trouvé aux deux extrémités
de la Terre des fecours dignes de la magnificence
du premier Porentat de l'Europe:
qui les envoyoit , & de la prévoyance d'un
Miniftre , qui rappelle à tant d'égards l'idée
de Mécene , comme fon Maître rappelle
l'idée d'Augufte.
NOVEMBRE . 1744. 53
?
Mrs de Maupertuis , Clairaut , Camus , &
Lemonier , tous Académiciens , allerent en
Laponie en 1736 , auffi près du Pôle qu'il
eft poffible d'avancer.Les Lapons virent fans
doute avec étonnement des gens conduits
par l'amour des Sciences dans un Pays où l'amour
de la Patrie ne peut retenir les naturels
, & d'où les ordres du Gouvernement
les empêchent de fortir , les tenant ainfi exilés
dans le lieu de leur naiffance . On a ſçu
de quelle conftance , & de quel courage
ils ont eu befoin pour réfifter à l'aprêté de
ce climat. Par des operations faites avec la
plus grande exactitude au milieu des glaces
du Nord , ils ont conclu que la Terre étoit
un fphéroïde applati vers les Pôles , ce que
la difference du diamétre de l'Equateur à
l'axe étoit comme de 178 à 177 , ce qui
donne la Terre plus applatie que les calculs
de Mrs Huguens & Newton.
Les Aftronomes deſtinés aller vers
pour
l'Equateur étoient Mrs Godin , Bouguer ;
& de la Condamine Académiciens , Argonautes
d'une espece nouvelle , qui ont été au
Pays de l'or chercher la vérité pour l'honneur
de leur Pays , & le bien général des
Nations.
M. de fuffieu , Docteur Régent de la Faculté
de Medecine , que l'Académie s'eft
acquis pendant le cours de ce Voyage , les
Ciiij
6 MERCURE DE FRANCE.
a accompagnés pour travailler à l'Histoire
naturelle. M. Seniergues , Chirurgien devoit
l'aider. Les Aftronomes avoient encore emmené
plufieurs perfonnes pour deffiner , vérifier
les calculs & reconnoître le Pays , tels
que Mrs Verguin , Couplet , Defordonnais , de
Morainville & Hugot.
M. B. feul eft revenu . La difficulté du
trajet a arrêté fes Compagnons de Voyage ,
qui ont été moins heureux , ou moins hardis
que lui. Cet Académicien partage la relation
en deux parties ; l'une contient le recit
de ce qui lui eft arrivé dans fes differen
tes courfes , les obfervations qu'il a faites
fur la fituation , la nature des Pays qu'il a
traverfés , fur le caractere des habitans , &c.
C'est une espece de voyage , mais c'eſt un
voyage fait par un Philofophe , & qui parconféquent
mérite une attention particu
liere .
Le défaut que l'on reproche le plus aux
Voyageurs et leur peu de fincerité. Ce
reproche qu'ils ne méritent que trop fouvent
, eft le moins grave qu'on puiffe leur
faire. La plupart font des gens peu inftruits ,
que
Pintérêt & le commerce ont conduits
dans des Pays éloignés ; ceux qui n'ont été
guidés que par la curiofité , n'ont prefque
jamais eu cette curiofité éclairée , qui fair
que l'on connoît la nature fi differente d'elleNOVEMBRE.
1744. 57
même dans des climats fouvent peu éloignés
, & les hommes fi femblables entr'eux
quand on les examine avec des yeux philofophiques.
Ces Voyageurs ne reffemblent
pas mal à un homme , qui introduit danst
un Palais examineroit avec une attention
fcrupuleufe jufqu'à la moindre colonne , &
négligeroit de connoître le Maître de la maifon.
M. B. arapporté de fes longs & pénibles
Voyages des obfervations importantes
fur l'Hiftoire naturelle , & des remarques
qui ne font pas moins intéreffantes fur les
hommes qu'il a vûs.
La feconde partie de fon Mémoire contient
le recit des operations Aftronomiques,
par lesquelles il a déterminé avec fes Collégues
la figure de la Terre . Elle eft , fuivant.
eux , un fphéroïde applati vers les Pôles ; le
diamétre de l'Equateur & l'axe , font entr'eux
comme 174 à 173 , ce qui revient
au calcul des Aftronomes du Nord , la legere
difference qui fe trouve entre les deux
réfultats ne devant être imputée qu'aux erreurs
inévitables dans des operations fr
compliquées & fi difficiles.
Ce fut le 16 -Mai 1735 , que les Académi
ciens s'embarquerent à la rade de la Rochelle
fur un Vaiffeau du Roi ; ils arriverens
heureufement à S. Domingue , après avoit
relâché quelques jours à la Martinique
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
Ils quitterent S. Domingue le 30 d'Ocbre
, & pafferent à Carthagene & à Porto-
Bello ; après avoir traverse l'Ifthme , ils fe
rembarquerent à Panama fur la Mer du
Sud , & mouillant dans la rade de Mante le
9 Mars 1736 ; ils toucherent enfin pour la
premiere fois la côte du Perou .

>
Ils avoient encore bien des obſtacles à furmonter
& des fatigues à effuyer avant que
d'arriver à Quito , qni étoit le terme de leurs
courſes. Les chemins qui conduiſent à cette
Capitale étoient inondés par les playes
& devoient être impraticables jufqu'au mois
de Juin. Le defir de connoître la côte , où
les pluyes avoient déja ceffé , engagea Mrs
Bouguer & de la Condamine à fe féparer
du refte de leur Compagnie , & tandis que
M. Godin remettoit à la voile pour aller débarquer
à Gouayaquil , ils fe difpoferent à
parcourir cette côte , qui eft la partie de
' Amérique Méridionale la plus avancée
vers l'Occident , & la connoiffance exacte
qu'ils en eurent , jointe à pluſieurs obfervations
Aftronomiques , les dédommagea:
avantageufement de leurs peines..
Ce Pays eft de niveau avec la Mer , placé
au milieu de la Zone Torride , & parconféquent
extrêmement chaud. Refferré entre la
Mer & la Cordeliere , qui eft une chaîne de
montagnes , plus hautes que toutes celles
NOVEMBRE. 1744. 59
que l'on connoît en Europe , il a trente ou
trente-cinq lieues de largeur : on obferve
dans la partie quieft au - delà de Gouayaquil,
un Phénomene bien capable d'embarraffer
les Phyficiens , c'eft qu'il n'y pleut jamais ,
quoique fouvent le Ciel y foit fort nébuleux.
Le Pays eft fort peu habité , on fait
quelquefois vingt lieuës fans trouver un
Village , & la nature qui y prodigue les
Phénomenes à l'avide curiofité des natura-.
liftes , n'a pris aucun foin de la commodité
des Voyageurs.
fi
Mrs Bouguer & de la Condamine étoient.
peu fenfibles à cet inconvénient , qu'ils
jugerent à propos de prendre differentes
routes pour arriver à Quito , afin de multiplier
davantage leurs obfervations & leurs
richeffes Philofophiques .
On verra quelque jour dans la relation
de M. de la Condamine les peines infinies
qu'il eut à remonter la riviere des Emeraudes.
M. Bouguer prit fa route vers Gouayaquil
à travers des bois encore inondés
par les eaux , & où un homme monté fur
le plus grand cheval fe trouvoit dans l'eau
& dans la boue jufqu'aux genoux après
s'être débaraffé avec peine de ces marais impraticables
, M. B. arriva enfin le 17 Mai
1736 à Caracol , au pied de la Cordeliere.
Il fallut s'arrêter en cet endroit ; les fat-
Cvj
бо MERCURE DE FRANCE.
gues d'une route fi pénible avoient confr
derablement alteré la fanté du Voyageur :
` d'ailleurs M. Godin , qui trois jours auparavant
étoit parti de Caracol , avoit emmené
prefque toutes les mules de la Province ;
il avoit cependant laiffé à Caracol la cinquiéme
partie de fes équipages , mais la
difficulté des chemins oblige de rendre les
charges très - médiocres , & de multiplier le
nombre des bêtes de fomme.
Il fuffit pour donner une idée des peines
qu'eut M. B. à traverſer ces montagnes , de
dire qu'il employa 7 jours à un trajet qui
n'eft que de & ou lieuës . Le courageux
Aftronomes fuivoit exactement la même
route que Don Pedro Alvarado avoit prife ,
lorfqu'il amena à François Pizare un fecours
confiderable d'Efpagnols . Ce Général perdit
foixante-dix de fes gens dans ce trajet pénible.
Enfin malgré les précipices formés
les torrens & les ravines , malgré le froid
exceffif qu'on éprouve dans ces montagnes
toujours couvertes de neige & de glace , M.
B. arriva le 10 de Juin 1736 à Quito , un
an & 24 jours après être parti de la Rochelle
. M. Godin & le refte de fa Compagnie
étoient arrivés depuis le 29 de Mai.
par
L'on jouit alors d'un fpectacle bien différent
de celui des montagnes. Après avoir
été exposé aux ardeurs de la Zone Torride ,
NOVEMBRE. 1744. 61
fur le bord de la Mer , & aux horreurs de
la froide dans les montagnes , on 'fe croit
tranfporté tout à coup dans une des Zones
temperées. Il arrive quelque chofe à peu
près femblable , lorfqu'on defcend du fommet
des Alpes dans les Vallées du Piémont.
On découvre un Pays agréable & cultivé ,
un grand nombre de Bourgs , & de Villages ,
& de petites Villes affés jolies . Les denrées
néceffaires à la vie n'y font pas extrêmement
cheres , parce que le Pays eft abondant , mais
les marchandiles qui viennent d'Europe ,
les toiles , les draps , les étoffes de foye y
font d'un prix exceflif. M. B. a été obligé
de payer une piaftre pour un morceau de
fer , & 18 à 20 liv . pour un gobelet de
verre . La vallée de Quito , qui eft large.
de 5 à 6 lieuës , eft enfermée des deux côtés
par
la Cordeliere . Cette chaîne de montagnes
eft double , & forme comme deux
murailles , qui font l'enceinte de ce Pays .
M. B. s'eft affûré par fes propres yeux que
cette double chaîne continue jufqu'à 170
lieuës ; il l'a vifitée depuis le Sud de Cuença
jufqu'au Nord de Popayan , & il a fçu qu'elle
eft double encore plus loin vers le Nord .
La largeur fuffifante de cette vallée , &
fon expofition à l'égard du Soleil , devroient
У rendre la chaleur infupportable ; mais
62 MERCURE DE FRANCE
d'un autre côté le voisinage de la neige , &
la grande élévation du terrein temperent le
chaud , & ce climat joüit d'une Automne
ou fi l'on veut d'un Printemps continuel .
Les campagnes y font toujours vertes , les
fruits de la Zone Torride & ceux qu'on y
a apportés d'Europe , tels que les poires
les pommes , les pêches , y croiffent également
; tous les grains y viennent fort bien ,
& furtout le froment ; les arbres font toujours
en féve , parce que la temperature de
l'air eft toujours à peu près la même.
Les pluyes feules diftinguent les faifons .
Il pleut depuis le mois de Novembre jufqu'au
mois de Mai ; ces pluyes jointes aux
fréquentes éruptions des volcans qui font
en grand nombre , balancent les agrémens
de ce beau Pays. Les Académiciens y ont
éprouvé une autre efpece d'incommodité
caufée par la trop grande fubtilité de l'air.
Quoique la vallée de Quito foit entre de
très- hautes montagnes , elle eft elle- même
plus élevée au- deffus du niveau de la Mer
que les plus hautes montagnes de l'Europe ,
& les habitans de Quito ont appris de nos
Aftronomes qu'ils font les peuples les plus
élevés de la Terre , & refpirent un air plus
fubtil de plus d'un tiers que celui que refpirent
les autres hommes.
M. B. fait une remarque qui mérite une
NOVEMBRE. 1744 63
attention particuliere , c'eft qu'il n'a point
été plus incommodé lorsqu'il a monté beaucoup
plus haut que Quito , où l'air étoit
plus fubtil.

Mais fi cette trop grande fubtilité de
Fair n'étoit pas un obftacle qui rendit le
fommet des montagnes inacceffible les
Aftronomes y ont trouvé un ennemi plus.
redoutable encore le froid exceffif caufe
par les neiges.
Ils monterent fur Pichincha , au pied de
laquelle eft fitué Quito. Leur deffein étoit
de faire les ftations de leurs triangles fur le
haut des montagnes , dont les fommets trèsélevés
étoient fort avantageux à cet égard
mais le froid y étoit fi vif , qu'il leur fut
impoffible d'y demeurer. Quelqu'un d'entr'eux
y fentit bien-tôt des affections fcorbutiques
, les Indiens qui les fuivoient &
les autres domeftiques furent fi incommodés
, qu'il fallut prendre le parti de defcendre
, & après avoir lutté pendant vingt
jours contre la rigueur du climat , ils renoncerent
à prendre des poftes fi élevés , & fe
déterminerent à placer leurs fignaux fur le
haut des collines , au pied des pyramides
pierreufes. Tel étoit le froid que l'on
éprouvoit , que le Pendule à fecondes y
étoit plus court qu'au bord de la Mer de
lignes.
35
64 MERCURE DE FRANCE.
Les Aftronomes étoient prefque conti-.
nuellement dans les nuages , quelquefois le
Ciel changeoit trois ou quatre fois en une
demie heure ; une tempête étoit fuivie du
beau tems , & un inftant après le tonnerre
recommençoit , d'autant plus terrible , qu'il
étoit plus proche , & fe formoit autour
d'eux .
Le fommet de ces montagnes , que l'on peut
appeller le Royaume des Météores , offrit
aux Aftronomes un Phénoméne fingulier ,
qui n'avoit encore été vû de perfonne ,
quotque , comme le remarque M. B. il foit
authi ancien que le monde.
Les Aftronomes étoient fur la montagne de
Pambamarea ; un nuage , dans lequel ils
étoient enveloppés, leur laiffa voir en fe diffipant
le Soleil qui fe levoit très éclatant ; le
nuage paffa de l'autre côté, & fut à peine à 50
pas , que chacun d'eux vit fon ombre projettée
deflus , & ne voyoit que la fienne ,
parce que le nuage n'offroit pas une furface
unie . Le peu de diftance ne permettoit pas
de diftinguer toutes les parties de l'ombre
mais ils remarquerent avec furpriſe que
la tête étoit ornée d'une gloire , ou limbe
formée de 3 ou 4 petites couronnes
concentriques , d'une couleur très-vive , &
variées comme le premier Arc- en-Ciel , le
rouge étant en dehors. Les intervalles enNOVEMBRE
. 1744.
tre ces cercles étoient égaux , le d
le der
cercle étoit beaucoup plus foible , & entin
à une certaine diftance , on voyoit un
grand cercle blanc qui environnoit le tout.
Ils ont répété plufieurs fois la même Expérience.
Les diamètres de ces couronnes
changent fouvent de grandeur d'un moment
à l'autre , mais en obfervant toujours
entre eux l'égalité des intervalles . Ce Phénomene
fingulier ne fe trace que fur les
nuages glacés , & non fur les goutes de
pluye , comme l'Arc-en -Ciel .
Órdinairement le diamètre du premier
Iris étoit d'environ 5 degrés 2 tiers ; celui
du fecond , de 17 , & ainfi de fuite celui du
cercle blanc étoit d'environ 77 degrés .
Quoique la neige rende les montagnes
inacceffibles , cependant Mrs Bouguer &
de la Condamine n'ont pas craint de monter
fur plufieurs , tant pour vifiter les
volcans qui font en grand nombre fur
ces montagnes , que pour y contenter à
tant d'autres égards leur intrépide curiofité:
Ils ont obfervé que fur le fommet de la
montagne de Chouffalong , ou le Coraçon,
élevée de 2476 toiſes , le mercure fe foutient
dans le Barometre à 15 pouces 9 lign.
12 pouces 3 lignes plus bas qu'au bord de
la Mer . On n'avoit jamais porté cet Inſtru66
MERCURE DE FRANCE.
ment fi haut , & il y a même beaucoup
d'apparence que jamais perfonne n'y étoit
allé. Il faut un motif pour entreprendre de
pareils voyages , il faut plus , il faut un courage
qui n'eft pas moins eftimable que les
talens qui fourniffent le motif.
que
Les montagnes offrent de tous côtés de
triftes monumens des fréquens ravages des
volcans. Quelques- unes jufqu'à une affés
grande profondeur , ne font formées
de fcories, de pierres de ponces , & de frag
mens de pierres brulées de toutes les groffeurs.
On n'entendra pas dire fans admi
ration qu'en quelques endroits tout cela
eft caché fous une couche de terre ordinaire
, qui porte des herbes , & même des arbres
.
On voit des pierres de huit à neuf pieds
de longueur , & d'une auffi grande épaiffeur
, qui ont été jettées par le volcan à plus
de trois lieues de diftance ; les traînées que
l'on voit encore,& qui indiquent la montagne
d'où elles ont été lancées , ne laiffent
aucun doute fur ce fait.
Après avoir donné fes Obfervations fur
l'Hiftoire naturelle de ce Pays , M. B. paffe
au détail des moeurs & des coûtumes du
Pays , détail qui n'eft pas moins intéreffant
que ce qui a précédé .
» Comme la Zone Torride, dit- il, & les
NOVEMBRE. 1744. 67
» Zones glacées font , pour ainfi-dire , mê-
» lées au Pérou , qu'on y trouve les cli-
» mats les plus contraires , qu'il fuffit de
faire quelques lieuës , d'entrer dans la
» Cordeliere ou d'en fortir , pour trouver
» des climats plus differens entre eux , que
» fi l'on traverfoit toute l'Europe ; cette ex-
» trême difference ne peut pas manquer
« d'en apporter dans les ufages des Peuples,
» & jufques dans leurs inclinations.En bas ,
» ils vivent retirés dans leurs forêts , &
» forment comme de petites Républiques ,
dirigées par leurs Curés , & par leurs
>> Gouverneurs , affiftés de quelques autres
» Officiers , qui font auffi Indiens .
33
La peinture que fait M. B. de l'état de ces
Indiens , reffemble à celle de l'âge d'or.
» Ils vivent tous dans une auffi grande
> union , qu'ils paroiffent vivre dans
» une grande innocence ; ils font préve
>> venans & honnêtes ; ils ne font capables
d'aucune défiance ; & il ne leur
» tombe pas même dans l'efprit qu'on puif-
»fe avoir intention de les tromper ; les
» portes de leurs maifons font toûjours ou-
» vertes , quoiqu'ils ayent du coton , des
» calebaffes , de la pite , efpece d'aloës ,
» dont ils tirent du fil , & quelques autres
» denrées , dont ils font fouvent quelque
» trafic. La grande chaleur leur permet d'al68
MERCURE DE FRANCE.
59
parure ,
ler prefque nuds ; ils fe peignent ordi-
» nairement en rouge avec le rocou , fou-
»vent ils s'en font une efpece de
» & ils s'en mettent jufques fur le vifage. It
paroît qu'ils ont regardé cette coûtume
» dans fon origine , comme une précaution
contre la piquûre de ces Coufins nommés
Maringouins ou Mouftiques , qu'on trou
ve en grand nombre dans tous les en-
» droits bas de la Zone Torride qui n'ont
» pas été défrichés. Ces mêmes Indiens font
» de tous les métiers qui leur font néceffai-
"res ; ils font Tifferans , Charpentiers , ils
» font les Architectes de leurs maifons , les
» conftructeurs de leurs Pirogues ; quant
aux grands ouvrages , ils les font ordi-
» nairement en commun ; un Indien invite
tous fes voifins , il lui fuffit de les bien
traiter , & la maifon , quelque grande
» qu'elle foit , eft achevée le jour même ,
» & quelquefois en une heure ou deux. Il
» n'eft pas étonnant qu'ils menent une vie
heureufe , ils ne font gênés par le mêlan-
» ge d'aucun Etranger ; outre les fruits de
>> la terre , qui ne leur manquent jamais , la
chaffe & la pêche leur fourniffent d'a-
» bondantes reffources .
Les Indiens qu'on nomme Guerriers ,
parce qu'ils n'ont pas été foumis par les Efpagnols
, ont à peu près les mêmes moeurs.
NOVEMBRE . 1744. 60
M. B. remarque qu'on n'a point à l'égard
de la couleur de ces Peuples , tirant fur celle
du cuivre , la même difficulté qu'à l'égard
du noir des Negres. Il a même obfervé que
ceux qui vivent au bas de la Cordeliere ,
font auffi blancs que nous , parce qu'ils ne
font pas expofés à un hâle violent & continuel
, qui eft , felon lui , la caufe de la
carnation des premiers ; cependant ces Indiens
blancs font aifés à diftinguer des Européens
, par une difference remarquable ,
ils n'ont ni poil ni barbe.
Les moeurs des Indiens , qui vivent en
haur dans la Cordeliere , c'eſt - à- dire dans
les Plaines de Quito , n'offrent pas un tableau
auffi riant que le premier,
99
»
"
» Ils font tous d'une pareffe extrême , &
ftupides à l'excès ; ils pafferont des jour-
» nées entieres affis à la même place fur les
» talons , fans fe remuer ; ils fervent dans
les Villes , & on les applique aux champs
à la culture des terres . L'habillement
qu'on leur donne fait partie de leurs ga-
"ges , de-même que les légumes & les
grains qu'on leur donne à la campagne
pour leur fubfiftance. Lorsqu'ils fe ma-
»rient , les droits du Curé font exceffifs .
"de-même que les frais funéraires lorf
qu'il meurt quelqu'un de leur petite fa
mille, Il arrive de tout cela qu'ils n'ont
و د
70 MERCURE DE FRANCE.
"
» jamais rien en leur difpofition , & qu'ils
font toûjours endettés envers leurs Maîtres.
Leur indolence en eft confidérable-
» ment augmentée. On ne peut pas affés dire
» combien ils montrent d'indifference pour
les richeffes , & même pour leurs commo-
» dités , peut-être parce qu'ils fentent qu'il
leur feroit inutile d'y penfer. A cela près
qu'ils aiment un peu trop à boire d'une
» efpece de bierre qu'ils font avec le Mais ,
on peut dire qu'ils forment une Secte de
» Philofophes Stoiciens , ou plûtôt Cini-
» ques . On ne fçait fouvent quelle efpece
» de motif leur propofer , lorfqu'on veut
» en exiger quelque fervice . On leur offre
» inutilement quelque pièce d'argent , ils
répondent qu'ils n'ont pas faim. On ne
» ne doit pas s'étonner que de pareilles
gens n'ayent pas encore imaginé qu'il
leur étoit utile d'avoir des poches ; lorf
» qu'on les a obligé de recevoir quelque
» monnoye, ils la ferrent dans leur bouche

»
Ils n'ont aucun meuble dans leurs cabanes
, & couchent à terre fur un cuir ; ils
mangent peu de viande. Ils élevent quekque
volaille pour faire préfent à leur Curé,
ou pour ſe régaler dans les occafions extraordinaires.
Une de ces grandes occafions
eft la mort de quelqu'un d'entre eux ; ils
s'affemblent alors , font un grand feſtin de
NOVEMBRE. 1744. 75
tout ce qui a échappé auCuré, ils le mangent
en pleurant , & ne ceffent leur fête lugubre
que lorfqu'il ne reste plus rien .
M. B. remarque judicieufement que ceux
qui demeurent hors de la Cordeliere
ont confervé davantage leurs anciennes
moeurs, au lieu que ceux qui vivent en haut
où le Pays eft plus peuplé , ont plus reffenti
les effets de la dépendance. Malgré les
fages précautions qu'à prifes le Gouverne
ment Efpagnol , ces malheureux font fort
maltraités , furtout par les Métis , qui fe
plaifent le plus à appefantir leur joug fur
eux. [
On a peine , en voyant ces Peuples , à
croire ce que les Hiftoriens ont publié des
Loix , de la Police & des Arts des anciens
Indiens. Tout cela paroîtroit un fonge , s'il
étoit poffible de récufer la foi de tant d'Hif
toriens,& les témoignages plus autentiques
de tant de monumes qui fubfiftent encore.
Trifte exemple , qui montre combien l'ef
prit des hommes dépend des circonstances,
& jufqu'à quel point cette partie la plus noble
de notre Etre peut être dégradée par
l'esclavage, la mifere , &c. Qua affigit humi
divine particulam aure.
Les limites étroites dans lefquelles M. B.
étoit obligé de fe renfermer , ne lui ont
pas permis de rendre compte au Public d'u
72 MERCURE DE FRANCE .
ne infinité d'Obfervations curieufes qu'il a:
faites , tant dans l'Amérique , que dans les
autres Pays quil a traverfés. Il n'a point!
parlé non plus des Obſervations faites par
Les Collegues , & il leur a laiffé un moiffon
abondante que le Public recueillera avec
plaifir , fi elle contient des faits auffi intéreffans
, & préfentés avec autant de clarté
& de précifion , qu'on en trouve dans la
Relation de M. Bouguer.
Nous voici arrivés à la partie principale
du Mémoire de M Bouguer , c'eft le détail
des Opérations Aftronomiques pour déterminer
la figure de la Terre.
M. Bouguer rend compte à l'Affemblée de
l'accord parfait qui fe trouva entre les deux
differentes mefures que les Aftronomes firent
de leur premiere bafe, qui eft à environ
cinq lieuës à l'Orient deQuito, mais toûjours
dans cette longue vallée que forme laCordeliere.
Le Sol en eft extrêmement inégal ; une
des extrêmités eft plus élevée que l'autre
d'environ 126 toifes , & nos Académiciens
partagés en deux troupes , furentobligés
dans leur Opération d'avoir continuellement
le niveau à la main , pour fauver toutes
les inégalités du terrain. M. Bouguer
nous apprend que ce travail dura 2 5 jours de
fon côté, & que quand les deux compagnies
fe communiquerent leur réfultat , il ne fe
trouva
NOVEMBRE . 1744. 73
trouva qu'une différence d'environ trois
pouces , fur 6274 toifes , qui eft à peu près
la longueur de cette bafe. Il a le foin de .
nous avertir qu'il fupprime plufieurs particularités
qu'il n'a pas obmifes dans le rapport
qu'il a déja fait à l'Académie ; rapport.
plus étendu , & dans lequel il a rendu juftice
à toutes les perfonnes qui ont eu part
à l'Ouvrage . Il fut queftion après cela de
travailler à la difpofition des triangles ; le
choix des ftations les arrêtoit beaucoup ,
car au lieu que la grande hauteur des montagnes
a ordinairement contribué en Europe
à la promptitude de ces fortes d'Opérations
, c'étoit tout le contraire au Pérou ,:
les Obfervateurs fe trouvans prefque contimuellement
plongés dans les nuages , ou expofés
à des tempêtes qui les obligeoient de
ne s'occuper que du feul foin de leur propre
confervation . Ils étoient encore alors
partagés en deux Compagnies qui marchoient
à la vûe l'une de l'autre fur les deux
chaînes de montagnes oppofées , & qui en
changoient réciproquement. M. Godin
étoit d'un côté accompagné de plufieurs
perfonnes ; M, Bouguer étoit de l'autre
avec M. de la Condamine , & un des Officiers
Efpagnols fe trouvoit de chaque côté.
Ils ont mefuré généralement tous les angles
de leurs triangles , ils l'ont fait avec diffe-
11. Vol. Ꭰ

74 MERCURE DE FRANCE.
rens quarts de cercle , & leur Méridienne ,
qui eft formée de 33 triangles principaux ,
embraffe une longueur de plus de 60 lieuës.
Ces triangles font élevés en l'air de 6 à 7
cent toifes au-deffus de Quito , & d'environ
2000 toifes au-deffus du niveau de la
Mer. Ces mêmes triangles commencent un
peu en- deçà de l'Equateur , mais au lieu
que M. Godin termina les fiens à la petite
Ville de Cuença , les deux autres Acadé-:
miciens allerent un peu plus loin , juſqu'à
Tarqui , où une plaine parfaitement unie
leur offroit une feconde bafe très-propre à
vérifier l'exactitude de toutes leurs Opérations
précédentes. Ces deux derniers euffent
bien fouhaité que tout ſe fît toujours
de concert ; ils croyoient voir de grands
inconvéniens à fe priver volontairement
des confeils les uns des autres dans la partie
de leur travail qui étoit la plus délicate,
lorfqu'il s'agiffoit de déterminer par voye
Aftronomique l'amptitude de l'Arc dont
la mefure géodefique venoit de leur donner
la longueur en toifes. M. Bouguer n'affûre
pas que la crainte ne lui ait fait paroître
l'inconvénient un peu plus grand , mais il
ajoûte que c'est ce qui l'a obligé de paffer
dans fon particulier plus de trois ans
au Pérou à courir d'une extrêmité de la
Méridienne à l'autre , afin de revêtir fes
NOVEMBRE. 1744.
·1744. 75
Obfervations , en les répétant , d'une autorité
qui ne laiſsât aucun lieu à la moindrė
incertitude.
Il n'a eu que cette occupation depuis le
mois d'Août de 1739 , fi on excepte un voyagé
qu'il fit en defcendant vers la Mer du
Sud , , pour découvrir par rapport à fon niveau
la hauteur abfolue des montagnes ,
dont ils ne connoiffoient jufques-là que les
hauteurs relatives. Enfin , quoiqu'il eût déja
un grand nombre d'Obfervations faites avec
an Secteur de 12 pieds de rayon dans les
mêmes faifons de différentes années confé-
'cutives , & qu'il n'eut par conféquent rien
à craindre , ni de la parallaxe de l'orbe annuel
, ni de la nutation de l'axe de la Terre ,
ni de l'aberration de la lumiere , il crut qu'il
falloit terminer l'ouvrage par un expédient
qu'on n'avoit encore jamais employé , mais
qui devoit trancher généralement toutes les
difficultés . C'étoit de fe rendre aux deux
extrêmités de l'arc du Méridien , en fe fépa
rant M. de la Condamine & lui , & d'obferver
en même tems les mêmes Etoiles.
Les Obfervations fe faifant les mêmes nuits ,
ou pour mieux dire , les mêmes inftans , ils
étoient sûrs de faifir les Etoiles dans le mê!
me point du Ciel , & de réüffir comme à
Les fixer , malgré tous les mouvemens irréguliers
aufquels elle pouvoient être fu-
Dij
76 MERCURE
DE FRANCE.
jettes.M.Bouguer
vint à l'extrêmité Septens
trionale à Cochefqui , & M. de la Condamine
alla à l'extrêmité Auftrale à Tarqui . Ces
deux Académiciens
vouloient pour s'en
revenir en Europe fuivre différens chee
mins , afin de multiplier davantage leurs
remarques ; c'est ce qui les décida fur le
choix des poftes où ils fe rendirent , car
devenus ménagers de leurs pas , ils ne comp
toient plus avoir de communication
dans le
Pays que par les fréquens exprès qu'ils
s'envoyeroient.Ils
commencerent
le 29 Novembre
1742 a obtenir des Obfervations
parfaitement fimultanées de l'Etoile qui eft
au milieu du baudrier d'Orion , que Bayer
a défignée par E , & ils continuerent
à obe
ferver jufqu'au 15 Janvier 1743 ; ils trouverent
l'amplitude de leur Méridienne de
3 dégrés , 7 minutes , 2 fecondes , ce qui
ne faifoit que confirmer les Obfervations
précédentes. Le même Arc étoit de 176940
toifes , deforte que le dégré du Méridien
dans le milieu de la Zone Torride auroit
$ 6762 toifes de longueur , fi ce n'est qu'il
faut en retrancher 21 toifes pour le réduire
au niveau de la Mer à caufe de la grande
hauteur des montagnes , ce qui le rend de
56741 toifes,
M. Bouguer finit fon récit , en remarNOVEMBRE
. 1744. 77
quant , qu'on ne peut fans faire violence
aux Obfervations, continuer à fuppofer que
les accroiffemens ou les dégrés du Méridien ,
par rapport au premier , font proportionnels
aux quarrés des finus des Latitudes.
Tout contribue à nous apprendre que la
Terre eft beaucoup plus applatie vers les
Poles que ne l'a penfé M. Huguens . Les
Expériences fur la gravité des corps juftifient
la même chofe , en même-tems qu'on
leur doit la nouvelle particularité que la
pefanteur va en diminuant , à mesure qu'on
s'éleve en montant fur les montagnes . La
péfanteur des corps eft moindre à Quito
qu'elle n'eft au bord de la Mer' , & fi l'on
parvient au fommet de Pichincha , qui eft
plus haut , la péfanteur fe trouve encore
moindre. M. Bouguer , en comparant les
Opérations faites au Pérou avec celles qu'on
a faites en Europe, trouve enfin que les excès
des dégrés de Latitude fur le premier, ne
font guères éloignés d'être proportionnels
aux quatrièmes puiffances des Sinus des Latitudes
, & que l'axe proprement dit eft
au diamétre de l'Equateur comme 173 à
174 , ou que l'épaiffeur de la Terre eft
moindre dans le fens de fon axe que dans
celui de l'Equateur d'une 174 partie .
M. de Juffien lût après un Mémoire qui
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
contenoit la defcription d'uue Plante de la
nouvelle Bifcaye au Méxique . Les Efpagnols
ont donné à la racine de cette Plante
le nom de Contrayerva , qui fembloit ne
convenir qu'à une ancienne Plante de ce
nom , dont la réputation eft très-grande
chés eux , & même chés nous.
*
M. de Juffieu a obfervé , que quoique
ces deux Plantes portent le même nom ,
qu'elles ayent le même goût aromatique &
prefque les mêmes vertus , elles different
pourtant par la figure de leurs racines &
par leurs ports refpectifs : la racine
de l'ancien Contrayerva eft fibreuſe &
celle du nouveau eft ovale & femblable
à un petit navet ; de plus , l'ancien a des
feuilles fimples , arrondies & coupées en
trois ou cinq fegments , au lieu que le nouveau
les a femblables à la petite quintefeuil
le , & a fes fleurs legumineufes ; le nouveau
a encore un avantage fur l'ancien
c'est la facilité de pouvoir être cultivé &
multiplié en toutes fortes de Pays par fes
graines , comme les Plantes légumineufes.
L'Académie Royale des Infcriptions &
Belles- Lettres avoit auffi tenu le Mardi 13
de ce mois fon Affemblée publique.
M. Freret y lût l'Eloge de M. l'Abbé de
* Le Port d'une Plante eft fa figure extérieure,
NOVEMBRE. 1744. 79
Rothelin , & des Obfervations fur l'utilité
qu'on peut retirer de l'étude des Opinions
Philophiques des Anciens , où l'on admira
la vafte & judicieufe érudition de cet Académicien.
M. Belet , nouvellement reçû
dans l'Académie , lût auffi un Mémoire fur
l'ordre politique des Gaules, qui a occafionné
le changement de nom de plufieurs Villes
, & cette lecture juftifie de la façon la
plus avantageufe le choix de l'Académie ;
nous parlerons plus au long de ces Ouvrages
dans le Volume du mois prochain.
A l'ouverture.de l'Affemblée de l'Acadé
mie on diftribua le Programme fuivant , pour
annoncer le Sujet du Prix Littéraire qu'elle
diftribue tous les ans.
L'Académie défirant que les Auteurs qui
compofent pour le Prix , ayent tout le tems
d'approfondir les matieres , & de travailler
les Sujets qu'elle leur donne à traiter , a réfolu
de les publier beaucoup plutôt ; elle
annonce dès à préfent , que le Sujet qu'elle
a arrêté pour le concours au Prix qu'elle
diftribuera à Pâques 1746 , confifte à examiner
& à déterminer , Quel a été l'état des
Sciences en France fous les Regnes de Charles
VI6 de Charles VII.
Le Prix fera toujours une Médaille d'or
de la valeur de 400 livres.
Toutes perfonnes , de quelque Pays &
Dij
80 MERCURE DE FRANCE.
condition qu'elles foient , excepté celles
qui compofent l'Académie , feront admifes
à concourir pour ce Prix , & leurs Ou
vrages pourront être écrits en François ou
en Latin , à leur choix . Il faudra feulement
les borner à une heure de lecture au plus .
Les Auteurs mettront fimplement une
Devife à leurs Ouvrages , mais pour ſe
faire connoître ils y joindront dans un
papier cacheté & écrit de leur propre
main , leurs nom , demeure & qualités , &
ce papier ne fera ouvert qu'après l'adjudication
du Prix .
fe-
Les Pieces affranchies de tout port ,,
ront remifes entre les mains du Sécretaire
de l'Académie , avant le premier Décembre
1745.
NOVEMBRE. 1744. 81
EPITRE ,
A M. Bouguer , de l'Académie Royale des
Sciences de Paris & de celle de Bordeaux ,
fur fon retour, Par M. Desforges Maillard
fon Compatriote.
ΤυU finis
> cher Bouguer , tes travaux & mes
peines
Par ton retour heureux ;
Neptune , dont j'ai craint les fureurs inhumaines
Te redonne à mes voeux.
J'ai tremblé que fur toi fa funefte vengeance
Ne fit tomber les coups ,
Voyant tant de Nochers , qu'inftruifit ton enfance
A braver fon courroux .
Leurs agiles Vaiffeaux , du Midi juſqu'à l'Ourſe ,
Firent voler ton nom
>
Et ta main quoiqu'abfente , au milieu de leur
courſe ,
Dirigea leur timon.
A l'âge où follement la jeuneffe enyvrée ,
S'endort dans les plaifirs ,
La tienne plus folide , à l'étude livrée ,
Y borna fes défirs.
Ne t'avons nous pas vû fuir la foule inquiette ;
Au fommet de nos Tours
"
Dy
82 MERCURE
DE FRANCE
De l'Aftre prefque éteint , au bout de la Lunette
Rallumer les contours ?
De là tu comparois la grandeur des nuages
Sur la rive imprimés ;
Alors tu méditois dans tes remarques fages.
Tes Ecrits renommés.
Mais de ton Orient c'étoit les étincelles ,
Tes jeux & tes Effais .
'Aiglon , tu préparois à l'effor de tes aîles
De plus hardis fuccès.
Quels chefs -d'oeuvres depuis n'as-tu point fait
éclore ,
Sçavant , fubtil , profond
Ton Pays , le Royaume , oui , l'Univers s'honore
Des Lauriers de ton front.
Que l'immortel honneur pour les ames bien nées
A des traits chatouilleux !
C'eft lui , dont le confeil fia tes deſtinées.
Aux hazards périlleux .
Tu quittas , pour complaire au défit du Monarque
Des jours purs & ferains ,
'Ardent à t'expofer , au mépris de la Parque ,
Sur les flots incertains ,
Paffant de ton Vaiffeau fur des mornes terribles
De glaçons hériffés : "
Là,des périls plus grands par des retours horribles ,
Succédoient aux paffés.
Sur ces Monts fourcilleux , redoutables aziles
NOVEMBRE. 83 1744.
D'un hyver éternel ,
Tu n'avois pour Rempart que des Tentes fragiles
Contre le froid cruel.
Tes doctes Compagnons , qu'un zéle égal inſpire ,
Ont partagé tes maux ,
Ils partagent ta gloire , & l'Univers va lire
Et vanter vos travaux ,
D'autres ont avant vous , pouffés par l'efpérance,
Couru fur l'Océan ,
Mais leur Art s'ébahit , & l'on vit leur conftance
Laffée au bout d'un an.
4
D'autres ont avant vous pendant plufieurs années ,
Soutenu leur eſpoir ,
Mais pour mettre à profit leurs rapides journées,
Ils manquoient de fçavoir.
Tu dis , mon cher Bouguer , qu'au plus fort de tes
peines
J'étois à ton côté ,
Et qu'en parlant de moi , fur ces rives lointaines ,
Tu te fentois flaté ;
Crois auffi que partout j'ai porté ton image
Et que
Empreinte dans mon coeur ,
dans tes revers ton aimable viſage
Fut mon confolateur ;
Mais pour peu qu'en neuf ans la Mer parût emûe,
J'en perdois le repos ;
Mon amour effrayé groffiſſoit à ma vûë
Les dangers & les flots.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
Neptune , épargne , dis- je , une tête fi chere ,
Exauce un malheureux ,
Sinon porte la mienne , au gré de ta colere ,
Et réjoins-nous tous deux .
Tureviens, & mes jours n'auront plus d'amertumes
Je revois enchanté ,
Sur ton tein refleuri , dans ton oeil qui s'allume ,
Renaître la fanté.
Rallentis toutefois d'une étude affidue
L'uſage immodéré ;
Elle fait ton plaifir , mais le plaifir nous tuë ,
S'il n'eft pas temperé.
La mort , dont le compas n'affigne au plus grand
homme
Qu'un trifte & court terrain ,
La tête dans les Cieux , renverfe l'Aftronome ,
Son Télescope en main .
Joui d'un doux loifit , fi tu veux bien en croire
Ma tendreffe & ma foi.
Après avoir vêcu , pour autrui , pour ta gloire ,
Cher Ami , vi pour toi.
NOVEMBRE . 1744. 85
ি
MANUSCRIT traduit de l'Arabe ;
par M. Jacques , Marchand Eventaillifte à
Paris , rue Mouffetar.
N fçait affés que la coûtume du Calife
alles que child croit defortir
les nuits déguifé , avec fon Grand Viſir
Giafar , & Mefrour , Chef des Eunuques ,
pour obferver ce qui fe paffoit dans Bagdad
, & veiller à la Police de cette grande
Ville.
Il faifoit une de ces tournées nocturnes ,
lorfqu'il entendit un grand bruit : il approcha
, & connut que le bruit partoit d'un Caravanferail
; une multitude de voix qui s'élévoient
confufément , paroiffoit foûtenir
une conteftation fort vive , & fort animée
.
Le Calife ordonna à Giafar de frapper
à la porte ; dès qu'on eût appris que le
Souverain Commandeur des Croyans alloit
paroître , le tumulte s'appaifa , & chacun
attendit en filence ce que ce Prince ordonneroit.
Pour lui , il promenoit fes yeux de tous
côtés , & cherchoit à découvrir par lui-même
la caufe du défordre.
86 MERCURE DE FRANCE .
Un homme qu'à fon habillement on
reconnoiffoit pour un Marin , étoit l'au
teur du trouble. On l'auroit jugé à fon air
agité & ménaçant , quand l'action des autres
Etrangers qui l'entouroient n'en eût
pas fuffifamment averti. Au fond de la
Chambre , quelques femmes fécouroient
une jeune perfonne , belle comme le
jour. Elle étoit évanouie , mais la pâleur ,
que cet accident répandoit fur fon teint
lui donnoit l'air plus intéreffant , fans lui
faire perdre aucune de fes graces. Le Calife
la confidéroit avec autant de plaifir que
d'attention , lorfque le Marin s'avançant
vers lui lui dit d'un ton fier & audacieux >
Seigneur , puifque vous êtes le Calife , vous
devez faire juftice ; ordonnez donc que cette
femme foit remife entre mes mains : elle
eft mon époufe ; ne fouffrez pas qu'on me
faffe perdre dans vos Etats un droit fi légitime.
Tandis que le Marin parloit , cette
femme évanouie reprenoit l'ufage de fes
fens , & commençoit à rouvrir les yeux .
Dès qu'elle l'entendit , elle s'écria , lui mon
époux ! Lui , jufte Dieu ! Il n'eft que mon
Boureau ; ah ! Seigneur , pourfuivit- elle ,
en fe jettant aux pieds du Calife , ayez pitié
d'une infortunée , qui n'a déja que trop
effuyé de malheurs , & ne mettez point , en
me livrant à ce Barbare , le comble à toutes
NOVEMBRE. 1744.
31
les horreurs dont j'ai déja été la victime.
La belle affligée n'avoit pas befoin d'une
grande éloquence pour faire condamner
fon adverfaire. Le Calife avoit jugé dès le
premier regard qu'il avoit porté fur elle ,
& il étoit difficile de faire autrement . El
le joignoit à cette . beauté éclatante qui
éblouit , ces traits intéreffans qui féduifent
on fentoit en la regardant ce plaifir
& ce trouble que l'on éprouve à la naiffance
d'une paffion : ce n'étoit ni cette admiration
, qu'excite la beauté , quand elle eft
feule , ni ces défirs momentanés , que fait
naître le caprice à la vûe d'une figure qui
plaît ; c'étoit un fentiment plus tendre ,
plus délicieux que le premier , plus défintéreffé
que le fecond , & qu'il eft plus aifé
d'éprouver , que
, que de définir.
Le Calife avoit ordonné à Mefrour
avant que d'entrer dans le Caravanferail ,
de faire venir fes Gardes : ils arrivoient
dans le moment . Le Prince leur ordonna de
garder le Marin à vûë , mais fans lui faire
de violence , car il ne vouloit pas paroître
le condamner fans l'entendre ; & il paffa
avec la belle infortunée , Giafar , & Mefrour
dans une Chambre du Caravanferail
plus rétirée. Il étoit fort impatient d'être
inftruit du fort de cette belle inconnue , &
lui demandoit le récit de fes avantures avec
$8 MERCURE DE FRANCE.'
les égards les plus tendres , & l'empreffement
le plus vif. Elle avoit quelque répugnance
à fatisfaire le Calife ; la Majeſté
d'un fi Grand Prince l'intimidoit. Enfin
laffe de réſiſter à des follicitations , qu'elle
n'efpéroit pas pouvoir faire finir autrement,
elle prit ainfi la parole.
Hiftoire d'Eritzine , & de Parelin.
Souverain Commandeur des Croyans ,
vous me voyez dans un état fi médiocre ,
que peut- être aurez -vous peine à me croire
, quand je vous dirai que je fuis née Princeffe.
Mon Pere fe nommoit Eritzin , & étoit
Souverain de l'ifle de Ceilan. Vous avez
entendu parler fans doute de la fameufe
Révolution qui le renverfa du Trône. Je
n'étois pas encore née dans ces tems funeftes
; mon Pere défefpérant de chaffer l'Ufurpateur
autrement que par une guerre
longue & cruelle , fe facrifia lui - même au
bien de fes Sujets , & aima mieux abandonner
un parti confidérable , & de folides
efpérances qui lui reftoient encore , que
d'éternifer la guerre Civile , & d'attifer le
feu qui confumoit fa Patrie . Il fit répandre
le bruit de fa mort , & fe retira dans les
Etats du Roi de Borneo , qui de tout tems
NOVEMBRE. 1744 89
avoit été fon Allié. Il n'accepta de tous les
dons que ce Prince généreux lui offroit
qu'une petite Terre für le bord de la Mer
affés agréablement bâtie , mais peu proportionnée
à l'état d'un grand Roi , même dans
l'infortune .
Ce fut là que mon Pere fe retira. Ma
Mere , qui aimoit beaucoup la Cour &
l'intrigue , murmura d'être obligée de s'enfevelir
ainfi dans une folitude , mais il fallut
qu'elle obéit. Je nâquis la feconde année
de la retraite de mon Pere : il étoit
déja confolé de fes malheurs. Livré à l'étude
de la Cabale & de l'Aftrologie , ces péculations
fublimes rempliffoient toute fon
ame.
On me cacha long- tems l'éclat de ma
naiffance : je paffois ma vie dans le Château
de mon Pere. Je n'y voyois d'autre compagnie
qu'un Vieillard , & fa femme , qui
habitoient une Terre voifine de la nôtre ,
& qui venoient fouvent voir ma Mere . Ils
avoient un fils à peu près de mon âge ,
qu'ils nommoient Parelin . C'étoit toute ma
fociété , & toute ma confolation : nous fûmes
élévés enſemble dès l'âge le plus tendre
dans l'enfance , & même dans la jeuneffe
les gens plus âgés nous paroiffent ,
pour ainfi dire , des hommes d'une autre
efpéce ; ainfi je ne voyois que Parelin
90 MERCURE DE FRANCE.
avec qui je pûffe lier ce commerce intime
qui fait feul les délices de la vie. C'étoit à
lui que je communiquois les plus fécrettes
penfées de mon ame , j'étois la dépofitaire
de fes petits fecrets ; nous étions fi contens
quand nous étions enfemble , que bien- tôt
il nous fut impoffible de l'être , quand nous
étions féparés. Mon Pere , qui s'apperçut
de la force de cette inclination naillante ,
confulta fes Livres , & voici quel fut le réfultat
de fes recherches.
Je n'avois encore que quatorze ans , lorfqu'il
me fit venir dans fon cabinet . Après
m'avoir tenu les difcours les plus tendres
fur l'intérêt vif & inquier qu'il prenoit à
ce qui me regardoit , il me parla de Pare
lin ; il m'avertit de ce qu'il avoit remarqué
en nous , & m'apprit que nous étions amoureux
, car je ne fçavois pas encore ce que
c'étoit que l'Amour : je me livrois ingenûment
à mon coeur qui me conduifoit. Le
peu que mon Pere me dit fur ce fujet , fut
un trait de lumiere qui éclaira les replis
les plus cachés de mon ame. Mon Pere en
m'apprenant l'état de mon coeur , m'inftruifit
auffi de ma naiffance , & me fit connoître
que je ne pouvois abfolument defcendre
jufqu'à Parelin en l'époufant. Cette nouvelle
fut un coup de foudre pour moi : la
fille du Roi de Ceilan ne pouvoit s'abbaifNOVEMBRE
. 1744 91
fer jufqu'à un particulier , dont la naiffance
n'étoit pas même noble , & quoique mon
Pere ne fût connu de perfonne pour ce
qu'il étoit , il lui reftoit le fouvenir de fa,
premiere grandeur , qui l'auroit trop humilié
à fes propres yeux s'il eut confenti à
cette Alliance. >
Tout commerce me fut interdit avec
Parelin ; il lui fut défendu de venir au Château.
Pour moi , je paffois les nuits à pleu
rer , & les jours à me promener aux Lieux
où j'avois le plus fouvent vû Parelin . Que
je fuis malheureuſe , me difois-je à moimême
! Je fuis la premiere , peut-être , qui
a défiré de n'être pas née ce que je fuis ; je
n'ai aucun des avantages , que procure un
rang éclatant , & je n'en éprouve que le
défagrément & la contrainte. Mes réflé
xions finiffoient toujours par conclure , que
je ne pouvois vivre fans aimer , fans voir
Parelin ; mais comment faire ? Je n'ofois
en parler à mon Pere , que mes follicitations
auroient offenfé ; j'ofois encore
moins lui défobéir en écrivant à Parelin . Le
hazard me fervit.

Je me promenois fouvent dans fes Bois ,
errante à l'avanture & occupée de mon
amour. Je vis paroître un jour celui qui
faifoit l'objet de mes rêveries ; il s'étoit
égaré à la chaffe , il accourut à moi dès
2 MERCURE DE FRANCE.
qu'il m'apperçut. J'eus affés de force fur
moi-même pour fuir ; hélas ! Dès qu'il vit
que je voulois m'éloigner , arrêtez , s'écria
- t- il , je ne veux pas vous pourfuivre
& fi vous avez deffein de m'éviter , je vais
m'éloigner promptement . Il s'étoit arrêté
en difant ces mots ; je m'étois arrêtée aufli
pour l'écouter ; qu'on eft foible quand on
aime ! De ce moment , il me fut impoffible
de faire un pas , pour m'éloigner de lui , je
ne pouvois détourner mes yeux , qui ſe fixoient
malgré moi fur les fiens , il pleuroit ,
je pleurois auffi : nous ne reftâmes pas longtems
dans cette fituation : nous nous approchâmes
l'un de l'autre avec le même frémiffement
, que fi nous avions avancé vers un
précipice , mais , malgré cette crainte , je
fentois que j'étois entraînée par un pouvoir
invincible. Il fe jetta à mes pieds dès
qu'il fut près de moi , je fus prête à me
mettre aux fiens au lieu de fonger à le relever
, caril me fembloit dans ce moment
que j'avois eû tort avec lui.
Parelin , lui dis-je , ne m'accufez point ,
vous n'avez jamais eu de fujet de vous plaindre
de moi , vous n'en n'aurez jamais , ne
vous plaignez que de mes Parens , dont les
ordres nous féparent. Hélas ! dit- il , qui
peur leur fuggérer de nous traiter fi cruellement
? On craint , lui répondis-je , que
NOVEMBRE. 1744.
nous ne nous aimions trop. Je me trompois
donc bien , s'écria-t-il , car je craignois de
ne vous pas aimer affés, mais que craignentils
? Et quel mal en peut-il arriver ? Je ne
pus
me
réfufer la douceur d'un éclairciffe,
ment , qui s'offroit fi naturellement , & me
paroiffoit fi néceffaire . J'inftruifis Parelin
de mes fentimens : je ne lui cachai rien de
ce que mon Pere m'avoit appris fur ma naiffance.
Hélas ! me dit- il , fi j'avois été fils du
Roi de Ceilan , & vous fille de mon Pere ,
la différence des Rangs n'auroit pas été un
obftacle. Je fentis à ce reproche mon coeur
fe ferrer ; mes yeux fe remplirent de larmes
; fa générofité fembloit m'accufer , &
quoiqu'il me fut aifé de me juftifier , à pei
ne me trouvois-je moi-même innocente à
mes yeux. Que vous dirai- je ? Je promis à
mon Amant de n'être jamais qu'à lui , quoiqu'il
pût arriver ; je lui répétai mille fois
les fermens de l'aimer toujours ; je craignois
d'en faire trop peu pour le raffûrer . La nuit
vint , il fallut nous féparer , mais ce ne fur
pas fans nous promettre de nous retrouver
tous les jours au même endroit du Bois . Je
retournai au Château foulagée des inquiétudes
que me donnoient auparavant les
combats de l'Amour. Je m'étois déterminée
à ne plus réfifter ; c'étoit m'être délivrée
un grand fardeau , & l'éclairciffement
94 MERCURE DE FRANCE.
que je venois d'avoir avec mon Amant , me
paroiffoit alors un arrangement folide que
rien ne pouvoit déconcerter .
Mon Pere fut fort trifte pendant le fouper.
Je m'apperçus même , qu'en me regardant
, fes yeux fe rempliffoient de larmes :
j'effayai de diffiper fon chagrin par mille
tendres careffes , mais je ne faifois que l'at
tendrir davantage. Il voulut que ma Mere
fe retirât , & lorfque nous fûmes feuls , ma
fille , me dit- il , je veux vous apprendre le
fujet de ma trifteffe. Je dois mourir bientôt
, je ferois peu digne de vivre , fi c'étoit
là le fujet de mon inquiétude , c'est vous
feule , ma fille , vous féule , qui excitez mes
craintes ; toutes mes allarmes ſe réuniffent
fur vous , ainfi que toute ma tendreſſe ; votre
fort eft lié trop intimément au mien ,
pour que mes recherches fur l'un ne m'ayent
pas inftruit de l'autre. Apprenez , ma fille ,
que fi vous perfiftez à aimer Parelin , cet
te paffion doit vous attirer les malheurs les
plus cruels ; elle lui fera fatale à lui- même.
Pour peu qu'on cède à l'Amour , il nous entraîne
; fi vous n'étouffez pas le vôtre , il
vous maîtriſera ; vous épouferez Parelin ,
par cette alliance honteufe vous mériterez
les revers les plus funeftes , dont cet Hymen
indigne vous rendra la victime . Je ne
vous parle point de l'orgueil de votre naif-
•par
&
NOVEMBRE. 1744.
95
fance , qu'une paffion aveugle & impérieufe
vous a fait aifément oublier , mais par pitié
pour vous , par pitié pour votre Amant luimême
, ne courez pas au-devant des malheurs
qui vous menacent. J'ajouterai une
chofe , qui vous touchera peu , & qui feroit
une forte impreffion fur une ame moins
prévenue. Les Aftres vous deftinent à épou
fer un Prince qui me vengera , & qui vous
fera remonter fur le Trône de vos Ancêtres,
occupé par l'Ufurpateur. Je ne vous dirai
rien de plus ; réfléchiffez vous-même à vos
dévoirs , à vos intérêts ; je ne veux point,
exiger de vous des paroles que vous ne me,
réfuferiez pas dans ces derniers momens , &
que vous oublieriez peut être après . J'aurois
fouhaité pouvoir vous en apprendre davantage
fur votre fort , mais je n'ai pû voir tout
cela que fort confufément, & fans aucun détail
. Peu de jours après cette trifte converſation,
il expira dans mesbras,fans qu'il parut
aucune altération dans fa fanté ; il fembloit
qu'il s'endormit d'un fommeil tranquille.

Je fus long- tems occupée de mes regrets
; je ne pouvois me laffer de pleurer un
Pere fi tendre. Parelin refpectoit ma douleur,
& je n'entendois point parler de lui :ma
Mere après avoir donné quelque tems à fon
deuil , me dit enfin , que nous avions grand
tort de renoncer à toute fociété , qu'il fal96
MERCURE DE FRANCE.
pour
loit revoir nos voisins , & faire revenir Pa
relin ; elle me laiffa même entendre qu'elle
ne s'éloigneroit pas de me le donner
époux, Če difcours , qni peu de tems auparavant
auroit comblé les voeux les plus
chers de mon coeur , me fit alors friffonner,
Les dernieres paroles de mon Pere m'étoient
toujours préfentes ; je croyois l'enrendre
encore , qui me difoit , que j'expoferois
mon Amant à d'affreux dangers , en
répondant à fon amour.Je confiai mes allarmes
à ma Mere , qui les traita de vifions ,
& de puerilités ; elle m'aimoit , parce qu'il
eft impoffible de ne pas aimer fes enfans
mais du refte fes fentimens pour moi étoient
fubordonnés à toutes fes fantaifies , & à parler
jufte , elle n'aimoit qu'elle ; elle s'ennuyoit
dans notre folitude. Je connoiffois
à fond fon caractére , toute jeune que j'étois
, ainfi je ne fus point furpriſe de voir
arriver au Château les Parens de Parelin
& Parelin lui-même. Sa vûë me caufa une
émotion que je ne puis bien exprimer . Je ne
fçavois fi je devois me livrer au plaiſir ou
li
à la crainte je voyois dans fes regards un
amour fi vif, il me paroiffoit fi content de
me revoir , que je croyois déja l'Oracle de
mon Pere prêt à s'accomplir. Il s'avança
vers moi ; jamais il n'avoit été fi empreffé
& fi féduisant , je n'ofois fui répondre ;
:
>
je
NOVEMBRE. 1744. 97
je ne pouvois me taire ; le combat étoit d'autant
plus cruel , que c'étoit l'amour même
qui combattoit contre l'amour ; étrange
fituation ! Je frémiffois de voir mon amant
fitendre moi qui ferois expirée du regret de
le voir indifférent . Eh quoi ! me dit- il
n'avez-vous plus rien à me dire , lorſqu'il
nous eft permis de nous parler ? Avez - vous
hérité de la haine de votre Pere ? Parelin
répondis je,vous feriez plus content de moi
fi je vous aimois moins . Je lui appris enfuite
ce que mon Pere m'avoit prédit fur mon
fort & fur le fien ; je lui peignis avec des
expreffions fi fortes les dangers qui devoient
réfulter de notre malheureuſe paffion
, je lui promis avec tant de fermens
de n'être jamais à un autre , puifque je ne
pouvois être à lui , qu'il me fembloit qu'il
ne pouvoit réfufer de reffentir mes allarmes,
& d'adopter le projet de nous féparer
mais il fe jetta à mes genoux , tranfporté de
joie , fi c'eft-là , dit- il , le fujet de votre triftefte
, je fuis le plus heureux des hommes
j'avois craint votre indifférence , mais puifque
vous m'aimez toujours , il n'eft pas
poffible que vous vous arrêtiez à des craintes
auffi vaines que celles qui vous troublent
aujourd'hui .
>
;
Je voulois répliquer , mais Parelin impatient
de diffiper tous mes doutes ne me
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
laiffoit pas le tems de lui répondre ; il eft
bien difficile de ne pas écouter un amant
qu'on aime ; il eft impoflible qu'il ne perfuade
pas dès qu'on l'écoute : j'avois un fi
grand intérêt à le croire , que toutes les raifons
me paroiffoient convainquantes
. Que
nous fommes aveugles ! me difoit- il ; on
nous ménace des plus grands malheurs fi
nous nous aimons , mais le plus grand de
tous n'est-il pas de ne nous point aimer ?
Pour moi , je ne connois de plaifir ni de
douleur que par vous ; rien ne peut m'inté
reffer dans l'Univers que vous feule ; dites
que vous m'aimez , je joüis de tous les
biens ; tous les Trônes du Monde ne me
rendroient pas heureux , fi vous ne m'aimiez
plus. Croyez, ma Princeffe , croyez que
votre Pere s'eft trompé ou peut- être vous en
a impofé , pour vous donner de nouveaux
motifs de foutenir l'orgueil de votre naiſ
fance. Je trouvois trop bien dans mon coeur
tous les fentimens qu'il m'exprimoit
, pour
ne pas tirer les mêmes conféquences que
lui ; il fallut finir par céder à fes inftances ,
nous convînmes d'agir l'un & l'autre auprès
de nos Parens , & nous nous quittâmes
remplis des efpérances les plus flateuſes. Je
m'étois perfuadée que la prédiction étoit
un piége que mon Perem'avoit tendu pour
s'affûrer de moi ; il y avoit cependant des
NOVEMBRE. 1744. 99
momens où mes inquiétudes renaiſſoient
encore pour mon amant , mais un feul de
fes regards diffipoit tous les nuages , &
mettoit le calme dans mon ame. Tel étoit
alors l'état de nos coeurs , mais tout changea
bien-tôt de face , ma vie depuis ce tems
n'a plus été qu'une fuite d'infortunes & de
miféres.
Parelin fut huit jours fans venir au Château
; ma Mere pendant ce tems étoit de
fort mauvaiſe humeur , fur-tout contre
moi , & même elle me maltraitoit fouvent,
Je rêvois un foir dans mon lit à tout ce qui
fe paffoit , & j'en cherchois la caufe , lorfque
j'entendis qu'on parloit dans la Cham
bre de ma Mere qui étoit à côté de la mien
ne . N'en doutez point , difoit une voix qui
m'étoit inconnue , il y a quelque chofe
dans cet événement qui paffe la ſcience
d'Abdelce ( c'étoit le nom du Pere de Parer
lin ) les philtres amoureux n'operent
poiat fur Parelin ; ceux de haine , que l'on
vous a donnés
pour faire prendre à Eritzine
font aufli impuiffans ; il faut que quelque
caufe fécrette les mette tous deux à l'abri de
ces charmes . Parelin fouffre avec une conftance
inébranlable le traitement le plus rigoureux,
Abdélec l'a fait enfermer dans un
Cachot obfcur , où il ne vit que de pain &
d'eau , mais il perfifte à dire qu'il ne vous
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
époufera jamais , & qu'il mourra mille fois
plûtôt que de trahir la foi qu'il a jurée à
Eritzine. Ma Mere foupiroit , & murmuroit
, en apprenant ces nouvelles fi triftes
pour fon amour , & moi je ne pouvois revenir
de ma furpriſe. Le refte de la conver
fation fe tint fi bas que je ne pus en entendre
un mot. Le lendemain , je trouvai ma
Mere de meilleure humeur ; fon air étoit
riant & plus ouvert , elle m'accabloit de careffes
qui me confondoient , quand je les
comparois à ce que j'avois entendu la veil
le ; j'étois auffi embarraffée avec elle que fi
j'euffe été coupable , & j'étois déconcertée
autant qu'elle auroit dû l'être : mais furtout
je m'abſtins réligieufement de rien
boire de ce qu'elle me préfentoit. Le fou
venir des philtres me faifoit trembler
j'allois après le repas chercher de l'eau
moi-même à une Fontaine qui n'étoit pas
éloignée du Château,
Cependant Parelin ne paroiffoit pas ; je
n'avois aucune de fes nouvelles , & la joie
de ma Mere commençoit à m'inquiéter : je
craignois quelque piége caché , & j'étois
dans une fituation où tout étoit un fujet
d'allarmes,
J'étois livrée depuis quelques jours à ces
inquiétudes lorfqu'il arriva fur notre Rivage
une petite Eſcadre qui étoit commanNOVEMBRE.
1744 101
dée par l'homme contre lequel , Seigneur ,
dit Eritzine en s'adreffant au Calife , vous
venez de me défendre fi généreuſement :
cet homme piratoit ordinairement fur ces
Mers , mais comme il recevoit alors une efpéce
de fubfide du Roi de Borneo , il ne defcendoit
à terre que comme ami , & nous n'avions
rien à craindre de lui . Il vint plufieurs
fois au Château ; ma Mere le reçût
fort bien ; pour moi , toujours occupée du
fouvenir de Parelin , je m'apperçus à peine
de l'arrivée du Pirate , & je fis encore moins
d'attention aux fréquens entretiens qu'il
avoit avec ma Mere.
Sideni , c'eſt le nom du Pirate , voulut à
fon tour nous traiter , & nous conduisit à
fon bord , où une Fête magnifique nous
étoit préparée ; à la fin du repas , un hom
me qui paroiffoit avoir quelque autorité fur
les autres , & pour lequel Sideni lui -même
avoit de grands égards , j'ai fçu depuis que
c'étoit un Faquir , mais il ne portoit pas
alors l'habit ordinaire de ceux de fon efpéce
; cet homme , dis- je , fe leva , & alla
chercher une grande coupe d'or , qu'il remplit
de vin de Chiras ; ma Mere à qui la
coupe fut d'abord préfentée but , & me la
rendit , je fuivis fon exemple , & je remis
la coupe au Pirate , qui la faifit avec empreffement.
Pendant que ecla fe paffoit le
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
Faquir qui avoit été chercher la coupe ;
marmotoit entre fes dents quelques paroles
en une Langue que je n'entendois pas.
Mais quelle fut ma furprife quand ma
Mere fe tournant vers moi , m'exhorta d'un
air grave & auftére à aimer toute ma vie
F'époux que je venois de choifir ! Tout mon
fang fe glaça , & je crus que je mourrois
de mon faififfement. Le Faquir qui prétendoit
m'avoir mariée , m'apprit que je
venois d'époufer Sideni.
>
Quoique je compriffe aifément que je ne
pouvois avoir contracté un engagement où
la volonté n'avoit aucune part , je fentis
toute l'horreur de la fituation où je me trouvois
je regardois ma Mere , qui , toute
préparée qu'elle étoit à cette fcéne , étoit
fort déconcertée ; elle pria le Pirate de là
faire reconduire chés elle , elle fut obéie fut
le champ , & au retour de la Chaloupe Sideni
mit à la voile . Bien-tôt nous fumes en
pleine Mer ; j'effayai plufieurs fois de me
précipiter dans les eaux , mais on veilloit
fur moi avec trop d'attention , & toutes
mes tentatives furent inutiles. Je regardois
fans ceffe le Ciel ; j'aurois voulu y décou
vrir les fignes prochains d'une tempête , &
la mort me paroiffoit le feul reméde à mes
maux. Sideni n'ofoit encore paroître devant
moi , mais à fa place le Faquir ne m'a
NOVEMBRE . 1744. 103
1
1
bandonnoit pas , & ne ceffoit de me perfécuter
pour me ramener à ce qu'il appelloit
la raifon. Je le laiffois parler fans l'écouter
ni lui répondre ; mon ame toute abforbée
le fentiment de fes maux étoit dans un
engourdiffement ftupide . La préſence de Sideni
me retira de cet abbatement , mais
pour me faire foutenir des affauts plus
cruels.
par
Ce Pirate impatient , & las d'attendre
le fuccès des exhortations de fon Faquir ,
avoit pris le parti de négliger tous ces ménagemens
. Un criminel pâlit moins à l'af
pect de fon Juge , que je ne fis en le voyant
paroître. Je crus lire ma perte dans fes regards
farouches.
Puifque vous ne voulez pas me rendre
juſtice , dit-il , d'un air terrible , je fçaurai
me la faire moi-même . A ces mots il avança
pour me faifir ; le Faquir étoit à côté de
moi , je me jettai à fes pieds , & le priai
d'obtenir du Pirate du moins un délai de
quelques jours. Le délai fut accordé avec
peine , & Sideni fortit en ménaçant d'employer
les dernieres violences , fi dans huit
jours je ne me rendois à fes défirs .
Mon intention étoit de chercher la mort
pendant ces huit jours , & d'échapper ainfi
à la brutalité de ce Barbare , mais j'étois fi
bien gardée que j'aurois été fa victime , fi
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE.
le Ciel ne m'eut envoyé le fecours inefperé
que vous allez entendre .
Mon Pere m'avoit remis en mourant
des Tablettes d'Email , qu'il m'avoit recommandé
de garder foigneufement . Je les
avois , mais dans le trouble où j'étois je
n'avois pas fongé à les regarder , & je n'avois
pas imaginé qu'elles puffent m'être
d'aucune reffource : je les trouvai par hazard
fous ma main , & je fus fort étonnée d'y
voir tracés des Caractéres que je n'y avois
pas encore apperçus ; je lûs , & je vis qu'on
m'exhortoit à lire & à prononcer tout haut
les paroles qui étoient écrites au bas de la
page .
J'obéis: je prononçai ces mots mystérieux
que je ne comprenois pas , & à l'inſtant je
vit paroître un jeune homme de la figure
la plus aimable , qui me demanda ce que je
défirois : tirez-moi promptement d'ici , lui
dis-je j'eus à peine achevé qu'il me prit
dans fes bras , & je me trouvai fur le börd
de la Mer.
Aimable Génie , dis- je alors à mon Li- .
bérateur , je vous dois plus que la vie ,
mais vous n'avez rien fait pour moi , fi vous
ne me conduifez où eft Parelin . Le Silphe ,
car c'en étoit un , me prit encore dans fes
bras , & je me trouvai fous une voute obfcure
, où la lumiere du jour n'avoit jamais
NOVEMBRE . 1744. 105
pénétré . Je treffaillis , & je craignis que le
Génie ne m'eut trompée , cependant j'avançois
au hazard & j'appellois Parelin d'une
voix tremblante ; on ne me répondoit
point , & j'étois déja en proie aux plus vives
allarmes enfin , au bout de quelque
tems j'entendis un foupir , & je crus reconnoître
la voix de mon amant : je volai vers
l'endroit d'où le bruit partoit : eft- ce vous ,
Parelin , m'écriai -je , eftce vous cher amant ?
Qui m'appelle , répondit - il d'une voix foible
& mourante ? J'approchai , je fentis
qu'il étoit couché à terre , je m'y jettai auffi :
je n'ai plus qu'un moment à vivre , dit- il ,
laiffez- moi du moins expirer en paix. Parelin
, repris-je , qu'ofez- vous me dire ? Quoi !
ne reconnoiffez -vous pas la voix d'Eritzine
, ou ne l'aimez vous plus ? Il n'ofoit
croire ce qu'il entendoit . Je me hâtai de
l'inftruire de tout ce qui m'étoit arrivé , &
de l'avanture finguliere par laquelle je me
trouvois auprès de lui. F'allois mourir , me
dit-il , de la douleur de vous avoir perduë ,
je mourrai de la joie de vous retrouver. Hélas
! En quel tems , en quel état revoyez-
Vous votre malheureux amant ? Il me die
toutes les perfécutions qu'il avoit effuyées ,
toutes les inftances de fes Parens pour le
déterminer à époufer ma Mere , ils ont
cru , difoit-il , me contraindre à changer à
Ex
106 MERCURE DE FRANCE.
force de mauvais traitemens , ils ne fçavoient
pas qu'étant féparé de vous , je ne
pouvois fentir que la douleur de vous avoir
perdue. Ma Mere venoit fouvent le vifiter
dans fa Prifon , & c'eft ce qui avoit caufé
fon erreur quand je l'avois appellé ; elle
l'avoit inftruit de mon mariage avec le Pirate
Sideni , & le malheureux défefperé,
de ce trifte événément avoit pris le parti .
de fe laiffer mourir de faim. Il y avoit déja
cinq jours qu'il n'avoit pris de nourriture ;
on lui apportoit tous les jours du pain
qu'il laiffoit à terre : j'en ramaffai un morceau
, il le reçut de ma main , & le mangea!
avec tranfport ; nous partageâmes déformais
le pain & l'eau , qu'on lui apportoit ,
& ce partage nous les rendoir préférables
aux mêts les plus délicats. Enfermés dans
une Caverne obfcure, réduits à n'avoir d'autre
aliment que de mauvais pain , d'autre
lit que la terre , nous étions contens
parce que nous étions enfemble , nous nous
trouvions heureux parce que nous avions
été féparés. L'obfcurité me mettoit horsd'état
de confulter les Tablettes d'Email
mais je noregrettois pas le fecours que j'en
aurois pû tirer. Mon amant me fuffifoit ,
il ne défiroit rien depuis que j'étois près
de lui , & nous aurions confenti volontiers.
palfer notre vie dans cette efpéce de Tombeau
NOVEMBRE. 1744. 107
Cependant en marchant dans la Caverne
, je fentis fous mes pieds un anneau de
fer , j'y portai la main , & je m'apperçûs
que l'anneau teroit à une efpéce de trappe
, qui réfitoi au peu de forces quej'employois
pour ia lever , mais qui me paroiffoit
devoir céder à un plus grand effort :
Parelin commençoit à reprendre fes forces ,
Je l'engageai à les effayer fur cet anneau ,
il leva la trappe & nous vêmes qu'elle bouchoit
l'entrée d'un affés petit dégré que:
nous defcendîmes fans balancer . Parelin me
dit qu'il ne doutoit pas que ce ne fut là un
de ces foûterrains que dans le tems des
Guerres Civiles on avoit préparés dans tous
les Châteaux pour fe fauver en cas de malheur
, & que fuivant les apparences eclui- ci
nous conduiroit dans la Campagne ..
Nous marchâmes affés long-tems fans
que les conjectures de Parelin fe vérifiaf
fent; j'étois prefque morte de laffitude , enfin
nous apperçûmes une lumiere , foible:
encore , mais qui nous annonçoit du moins
que nous n'étions pas loin de l'iffuë du foûterrain
; nous la vîmes bien-tôt en effet : dès
que j'apperçus la lumiere , mon premier foin
fut d'employer les Tablettes d'Email , &
d'appeller le Silphe qui m'avoit déja fi biem
fervie. Il parut , & me demanda mes ordres ,
Génie , lui dis- je , conduifez- nous quelque
E vj
106 MERCURE DE FRANCE.
force de mauvais traitemens , ils ne fçavoient
pas qu'étant féparé de vous , je ne
pouvois fentir que la douleur de vous avoir
perdue. Ma Mere venoit fouvent le vifiter
dans fa Prifon , & c'est ce qui avoit caufé
fon erreur quand je l'avois appellé ; elle
l'avoit inftruit de mon mariage avec le Pirate
Sideni , & le malheureux défefperé
de ce triſte événément avoit pris le parti
de fe laiffer mourir de faim. Il y avoit déja
cinq jours qu'il n'avoit pris de nourriture ;
on lui apportoit tous les jours du pain '
qu'il laiffoit à terre : j'en ramaffai un morceau
, il le reçut de ma main , & le mangea
avec tranfport ; nous partageâmes déformais
le pain & l'eau , qu'on lui apportoit ,
& ce partage nous les rendoir préférables
aux mêts les plus délicats. Enfermés dans
une Caverne obfcure , réduits à n'avoir d'autre
aliment que de mauvais pain , d'autre
lit que la terre , nous étions contens
parce que nous étions enfemble , nous nous
trouvions heureux parce que nous avions:
été féparés. L'obfcurité me mettoit horsd'état
de confulter les Tablettes d'Email
mais je naregrettois pas le fecours que l'en
aurois pû tirer. Mon amant me fuffifoit ,
il ne défiroit rien depuis que j'étois près
de lui , & nous aurions confenti volontiers
apalfer notre vie dans cette efpéce de Tombeau
..
NOVEMPRE . 1744 107
F
Cependant en marchant dans la Caverne
, je fentis fous mes pieds un anneau de
fer , j'y portai la main , & je m'apperçûs
que l'anneau teroit à une efpéce de trappe
, qui réfiftoi au peu de forces quej'employois
pour ia lever , mais qui me paroiffoit
devoir céder à un plus grand effort :
Parelin commençoit à reprendre fes forces ,
Je l'engageai à les effayer fur cet anneau ,
il leva la trappe & nous vîmes qu'elle bouchoit
l'entrée d'un affés petit dégré que:
nous defcendîmes fans balancer . Parelin me
dit qu'il ne doutoit pas que ce ne fut là un
de ces foûterrains que dans le tems des
Guerres Civiles on avoit préparés dans tous:
les Châteaux pour fe fauver en cas de malheur
, & que fuivant les apparences celui-ci
nous conduiroit dans la Campagne ..
Nous marchâmes affés long-tems fans
que les conjectures de Parelin ſe vérifiaffent
; j'étois prefque morte de laffitude , enfin
nous apperçûmes une lumiere , foible:
encore , mais qui nous annonçoit du moins
que nous n'étions pas loin de l'iffue du foûterrain
; nous la vîmes bien-tôt en effet : dès:
que j'apperçus la lumiere, mon premier foin
fut d'employer les Tablettes d'Email' , &
d'appeller le Silphe qui m'avoit déja fi bien
fervie. Il parut , & me demanda mes ordres ,
Génie , lui dis- je , conduifez- nous quelque
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
part.... bien loin d'ici . Nous fumes auffitôt
tranfportés dans une Campagne qui me
parut très- agréable : je commandai au Silphe
de nous y bâtir une Habitation , je fus
obéie dans le moment ; nous vîmes paroître
une Maifon fans magnificence , mais élégamment
ornée & très- commodement diftribuée
; plufieurs Efclaves attendoient nos
ordres , rien ne nous manquoit de tout ce
qui contribue à la douceur de la vie ; nous
nous aimions , nous étions enſemble , &
nous prîmes ailément le parti de refter toujours
dans ce lieu , & d'y oublier tout l'Univers
Le foir venu , nous fongeâmes à nous
coucher. Parelin me parut fort trifte quand
je lui parlai de nous féparer. Croyez- vous ,
me dit-il , que je puiffe déformais vivre un
moment éloigné de vous ? Ne fuis-je pas
votre époux , puifque vous m'aimez ? De
plus , vous voulez toujours refter ici , mais
n'y ferons-nous pas toujours dans la même
fituation ? Aurons- nous jamais plus de fecours
pour donner à notre mariage une
forme plus authentique ? Que voulez- vous
de plus pour rendre notre union facrée que
l'amour qui en a ferré les nouds ? Il me perfuadoit
, ou plûtôt il m'entraînoit . Cependant
je ne fçais quel fentiment fecret me
retenoit ; une voix qui s'élevoit au fond de
NOVEMBRE. 1744. 109
nion coeur me rioit de réfifter , mais quand
Parelin parlok , je n'entendois que lui. Si
vous voulez abfolument poufuivit- il , vous
affujétir à des formes qui au fond font inutiles
, appellons le Silphe votre ami , qu'il
foit le tanoin & le dépofitaire de nos fermens
. J'héfitois encore , mais il prit les Tablettes
, & appella lui- même le Silphe qui
parut à l'inftant.
Génie , lui dit-il , daignez faire notre
bonheur , & recevez les fermens des deux
époux les plus tendres . Me l'ordonnezvous
? dit le Silphe en s'adreffant à moi ,
je répondis , en rougiffant que c'étoit auffi
mon intention ; il s'éleva alors un Autel au
milieu de la Chambre ; le Silphe y brûla
quelques parfums , & nous fit prononcer
après le ferment de nous aimer toujours ; il
eut l'air fort trifte pendant toute la cérémo-,
nie , mais j'étois fi remplie de mes propres
idées que je n'y fis aucune attention , & je
n'y fongeai qu'après la funefte révolution
qui détruifit notre bonheur ; hélas ! A peine
commençoit- il , qu'il difparut comme
un fonge .
Le lendemain , en ouvrant les yeux , je
ne vis au lieu de la Chambre où je croyois
avoir couché qu'un défert horrible . Je
pouffai un cri perçant , qui reveilla Pare--
lin qui dormoit à mes côtés. Sa furpriſe fut
Yo MERCURE DE FRANCE.
égale à la mienne . Je voulus appeller le Sifphe
, mais les Caractéres traces fur les Ta
blettes étoient abfolument effacés . Je com
pris alors la faute que j'avois faite de défobéir
à mon Pere en époufant Pa:elin . Parelin
qui étoit en quelque façon la cauſe de
ce malheur ne pouvoit fe le pardoaner
& fa douleur étoit le plus cruel de mes chagrins.
>
Nous nous défefpérions tous les deux
lorfque le Silphe parut. N'attendez plus
rien de moi , dit-il , Princeffe infortunée ,
votre Pere m'avoit mis à votre ſervice , &
je vous aurois toujours obéi , mais vous
vous êtes privée de mon fecours en n'obfervant
aucune des chofes qu'il vous avoir
prefcrites ; vous avez continué d'aimer Parelin
, vous avez été juſqu'à l'époufer , c'en
eft fait , n'attendez plus que l'affreufe fuite
des malheurs qui vous ont été prédits ; c'eft
à regret que j'exécute des ordres fi rigoureux
, mais auffi-tôt que vous avez rendu
Parelin votre époux , j'ai été forcé d'enlever
la demeure que je vous avois préparée ;
adieu , malheureux Amans , je ne puis plus
pour vous. rien
Le Silphe difparut , & nous laiffa dans la
glus grande confternation ; nous n'avions
point vû difparoître le Château ; uniquement
occupés de nous- mêmes dans ces moNOVEMBRE.
1744.
mens fi chers & fi funeftes , tout ce qui
fe palloit autour de nous ne nous frappoit
point , & c'étoit au milieu d'un défert horrible
que nous avions paffé la nuit , fans
nous en appercevoir.
Les malheurs que le Silphe nous avoir
annoncés , nous effrayoient encore plus que
les objets épouvantables dont nous étions
environnés ; nous ne fçavions de quel côté
tourner nos pas ; nons craignions de rencontrer
par tout les dangers qui nous
avoient été prédits.
Ne nous quittons jamais , me difoit Parelin;
la féparation eft la peine la plus cruelle
que nous puiffions éprouver , & fi
nous nous mettons à couvert de cet accident
, nous trouverons aifément de la fermeté
contre tous les malheurs dont le Silphe
nous a ménacés .
Nous reftâmes long- tems errants dans ce
défert , n'ofans nous écarter , & vivans des
fruits fauvages que nous rencontrions ; il
y avoit un an que nous ménions cette vie
qui n'eut pas été bien trifte , fi chacun de
nous n'eut reffenti que fes peines , lorfque
je donnai le jour à un fils . Sans fecours , reduite
à accoucher au milieu d'une Forêt fauvage
, je vis avec douleur que mes peines
alloient augmenter en s'étendant fur le malheureux
que je faifois naître , & cette fa112
MERCURE DE FRANCE.
veur des Dieux , qui fait la confolation des
Epoux heureux , fut dans ces premiers momens
un furcroît de defefpoir pour Parelin
& pour moi.
Cependant la vûë de mon fils , le charme
de la nature , fans diffiper mes triftes refléxions
en adoucirent en peu de jours
l'amertume . Les peines des coeurs tendres
ont une volupté fecrette ; le fort de cet enfant
infortuné , me caufoit les plus vives
allarmes , mais comme il m'affligeoit
parce que je l'aimois , ce fentiment por
toit avec lui une efpece de dédommagenient
; mon coeur ne fe ferroit plus en pleurant
fur lui , il s'ouvroit & s'épanouiffoit
comme dans la joye la plus vive , & l'excès
de ma tendrelle étoit plus fort que le fentiment
de mes peines.On ne connoît point les
reffources du coeur ; je croyois que le mienépuisé
à aimer Parelin , n'étoit plus capable
d'ainier aucue chofe , mais je vis naître
alors en moi un nouveau fentiment prefque
aufli vif que le premier , & qui loin de
rallentir la vivacité de mon amour , en ranimoit
encore l'ardeur. Mon fils faifoit
mon occupation unique , parce que mon
époux s'en occupcit uniquement.
Nous paflions une partie du jour à l'ac--
cabler de careffes , & l'autre à pleurer le fort
´ malheureux qui lui étoit deſtiné ; je compaNOVEMBRE.
1744 11
rois fouvent fes traits enfantins à ceux de fon .
pere ; j'aurois voulu alors pouvoir me mul
tiplier , pour leur prodiguer à tous deux en
même-tems les fentimens les plus vifs & les
careffes les plus tendres.
Cette foible confolation de nos peines
nous fut bien-tôt enlevée ; c'eft ici que commencent
les vrais malheurs de ma vie . Je
croyois être au comble de l'infortune , mais
j'ignorois que j'étois deftinée à éprouver
des revers plus affreux.
On donnera la fuite dans le Volume fuivanti
I
114 MERCUREDE FRANCE.
NOUVELLE Epitre au Roi , par M.
de Voltaire , préfentée à Sa Majesté an
Camp devant Fribourg , le premier Novem
bre 1744.
R
Oi néceſſaire au Monde , od portez -vous vos
pas ?
De la Fiévre échapé , vous courez aux Combats .
Vous volez à Fribourg. En vain la Peironie
Vous difoit , Arrêtez , menagez votre vie ,
Il vous faut du régime , & non des foins guerriers ;
Un Héros peut dormir couronné de Lauriers.
Le zéle a beau parler , vous n'avez pû le croire.
Rebelle aux Médecins , & fidéle à la gloire ,
Vous bravez l'Ennemi , les Affauts , les Saifons ,
Le poids de la fatigue , & les feux des canons :
Tout l'Etat en frémit , & craint votre courage ;
Vos Ennemis , Grand Roi , le craignent davantage.
Ah , n'effrayez que Vienne , & raffurez Paris !
Rendez , rendez la joye à vos Peuples chéris ;
Rendez - nous cé Héros qu'on admire & qu'on aime.
Un Sage nous a dit , que le feul bien fuprême ,
Le feul bien qui du moins reffemble au vrai bon
heur ,
Le feul digne de l'Homme , eft de toucher un
coeur :
NOVEMBRE, 1744. 118
Si ce Sage eut raifon , fi la Philofophie
Plaça dans l'amitié le charme de la vie ,
Quel eft donc , Juftes Dieux ! le deftin d'un bon
Roi ,.
Qui dit , fans fe flater , tous les coeurs font à moi ?
A cet Empire heureux qu'il eſt beau de prétendre
Vous qui le poffédez venez , daignez entendre
Des bornes de l'A'face aux Remparts de Paris
Ce cri que l'Amour feul forme de tant de cris ;
Accourez , contemplez ce Peuple dans la joye ,
Béniffant le Héros que le Ciel lui renvoye :
Ne le voyez - vous pas tout ce Peuple à genoux ?
Tous ces avides yeux qui ne cherchent que vous !
Tous ces coeurs enflammés volant fur notre bouche?
C'eſt là le vrai triomphe , & le feul qui vous touche.
Cent Rois au Capitole en Efclaves traînés ,
Leurs Villes , lears Tréfors , & leurs Dieux encha
nés ,
Ces Chars étincellans , ces Prêtres , cette Armée ,
Ce Sénat infultant à la Terre opprimée ,
Ces Vaincus envoyés du fpectacle au cercueil ,
Ces triomphes de Rome étoient ceux de l'orgueil
Le vôtre eft de l'Amour , & la gloire en eft pure.
Un jour les effaçoit , le vôtre à jamais dure :
Ils effrayoient le Monde , & vous le raffûrez .
Vous , l'image des Dieux fur la terre adorés ;
Vous , que dans l'Age d'Or elle eût choisi pour
Maître
,
16 MERCURE DE FRANCE.
Goûtez les jours heureux que vos ſoins font re
naître.
Que la Paix floriffante enbelliffe leurs cours.
Mars fait des jours brillans , la Paix fait de beaux
joars ,
Qu'elle vole à la voix du Vainqueur qui l'appelle
Et qui n'a combattu que pour nous & pour
elle.
HUIT A IN
Sur LOUIS LE BIEN - AIME'.
Doit-on mettre autour de fon Bufte
LOUIS LE GRAND , LOUIS LE JUSTE ?
Ces noms qu'il a bien mérités ,
D'autres déja les ont portés ;
Qu'un Titre nouveau le décore ,
Ce vrai Roi que fon Peuple adore ,
Qu'on le nomme LE BIEN- AIME ,
Dans ce mot tout eft renfermé.
+3
NOVEMBRE. 1744. 117
AURO I
EPITRE..
SIRE , un de vos fujets , dont la lente vieilleffe
Jufqu'au vingtiéme Luftre auroit porté ſon cours
Fut poignardé par la douleur traîtreffe
Que lui caufa fa crainte pour vos jours.
Le défeſpoir ou la trifteffe
Abbatoient dans ce tems les forces , la fante
De la plus robufte jeuneffe ,
Je demande la Grace à Votre Majefté ,
Qui penfe avec tant de jufteffe ,
De juger fi l'on peut , dans la caducité ,
Guérir d'une bleffûre , & vaincre la détreffe
Où le Corps le plus fort à peine eut réfifté .
Je mourois , & cette foibleffe
De mon dernier foupir avantcoureur glacé
Gagne tous mes fens , & me laiffe
Dans l'état d'un vrai trépaflé.
Cent témoins de mon agonie
Mes parens , mes amis , & ma chere Junie
118 MERCURE DE FRANCE.
Sans doute alloient bientôt le coeur rempli de
deuil ,
Arrofer de leurs pleurs ma tombe & mon cercueil ,
Quand , juſqu'à ma maiſon plaintive
Paffe fubitement une joye exceffive .
Qui dans un feul inftant partout fe répandir ,
Et les triftes clameurs même aux pieds de mon lig
Se changent en cris d'allegreffe.
A ce bruit éclatant fuccede mon réveil
De ce léthargique fommeil ,
Et comme fortant de l'yvreffe ,
Je vois le jour avec étonnement ,
Et j'entens réfonner fans ceffe
De cent VIVE LE ROI tout mon appartement ;
Alors , & je ne fçais comment ,
Un Baume fouverain dans mon fang s'infinuë
Et je comprends par fentiment
Que de notre bonheur la nouvelle eft venuë ,
Que vous vivez , qu'à nos pleurs , qu'à nos voeux
Le Ciel eft forcé de ſe rendre ;
Grand Roi , le croiriez -vous ? dans ce moment heureux
,
De mon lit on m'a vû deſcendre ;
i
NOVEMBRE. 1744 119:
Ce fait tient du prodige , & du grand merveilleux è
Mais non ; & comme moi dans ce danger affreux
Vos fujets étoient morts ; c'étoit fait de la France ,
Si vous ne viviez pas pour eux ;
Ce n'eft pas tout ; j'apprends votre convalescence ;
Ce moment me déride , & mon viſage frais
De l'âge de trente ans annonce la préſence ;
Je fens que je bois à longs traits
A la fontaine de Jouvence ,
Où perfonne ne bût jamais,
Cette Hiftoire eft très- autentique ,
Et fi je ne fervois au Temple de Thémis
J'irois au Champ de Mars joindre mon fils unique ,
Et verfer tout mon fang contre vos Ennemis.
Cette Piéce de Vers eft de M. de la Mo
the , Doyen de la Cour des Aydes de Montauban
, & de l'Académie Royale des Belles-
Lettres de cette même Ville . Elle ne fe ref
fent point de l'infirmité de l'Auteur , &
l'on y découvre des traits ny aimables de fentimens
qui feroient honneur à nos plus jeunes
Mufes.
20 MERCURE DE FRANCE.
EXTRAIT d'un Ecrit , intitulé : Réfutation
des motifs & imputations peu felides .
contenus dans la réponse de la Cour de l'ienne
à la Déclaration faite par le Miniftre de
Pruffe le Comte de Dohna , à Francfort le
2 Octobre 1744.
L
'Objet de la réponſe de la Cour de
Vienne étoit de montrer , r . » quon
'» n'a pû paſſer aux mefures prifes préfente-
» ment par S. M. le Roi de Pruffe , fans vio-
» ler le Traité de Paix de Breſlau , & que
»parconféquent la Paix fe trouve rompuë
» pour la troifiéme fois avec S. M. la Reine
»de Hongrie. 2 ° . Que les deffeins de S. M.
» le Roi de Pruffe n'étoient pas fi défintéreſfés
qu'on le prétend de fa part , mais qu'ils
tendoient à faire des conquêtes fur S. M.
» la Reine de Hongrie. 3 °. Que toute la
» conduite que la Cour de Vienne a tenuë
jufqu'ici à l'égard de l'Empereur , de
l'Empire & de fon fyftême , & le refus
qu'elle a fait paroître de donner les mains
» à un accommodement raifonnable , con-
»forme aux Conſtitutions de l'Empire , ne
» contenoient rien dont on ne pût ſe juſti-
» fier.
"
Ce
I
NOVEMBRE. 1744. 1211
Ce font ces trois fuppofitions que l'Ecrit
en queftion fe propofe de détruire.
A l'égard du premier article , on obſerve
que pour dire que la Paix a été trois fois
rompuë , il faut fuppofer qu'il y a eu deux
Traités de Paix : or on ne connoît point
d'autres Traités que celui dont les préliminaires
ont été fignés le 11 Juin 1742 à
Breflau , & qui peu de tems après eft
nu à fa perfection par le Traité.définitif
conclu à Berlin le 28 Juillet de la même
année.
parve-
C'eft fans raifon que la Cour de Vienne
veut faire regarder comme un Traité de
Paix ce qui le palla en Octobre 1741 au
Château de Kleinfchnellendorff , & qu'elle
donne le nom de Convention de Kleinfchnellendorff
à l'Acte qui fut remis alors
par le Lord Hindfort Miniftre Plénipotentiaire
de la Grande Bretagne . On obferve
que de femblables arrêtés n'ont de force
qu'après qu'ils ont été fignés par les Miniftres
refpectifs munis de pleins pouvoirs ,
& qu'ils ont été ratifiés par les hauts contractans.
L'Ecrit de Kleinfchnellendorff n'a
aucune de ces qualités , le contenu de cette
piéce montre que les conférences tenuës
alors n'étoient que des pourparlers préparatoires
à la négociation de la Paix : il eſt
même exprimé par l'article 7 que l'ouvra
11. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
ge définitif de la Paix étoit differé à deux
mois de-là , & on faifoit entendre qu'on
travailleroit pendant l'hyver à la Paix générale
, mais ni l'un ni l'autre de ces points
n'ayant été exécutés , comment peut-on appeller
Traité de Paix ou Convention préliminaire
de fimples pourparlers qui n'ont
point eu de fuite ? On ajoute que dans le
tems où la Cour de Vienne s'efforçoit de
peindre avec les couleurs les plus odieuſes
les opérations de S. M. le Roi de Pruffe
elle ne s'eft jamais prévalu de cette prétendue
Convention de Kleinfchnellendorff
& qu'il n'en a été fait aucune mention lors
des conférences qui ont précédé le Traité
de Breslau . On prouve enfuite que les démarches
de S. M. le Roi de Pruffe tendantes
au foûtien de l'Empire & de l'Empereur,
ne portent aucune atteinte au Traité de
Breflau.
>
Il eft notoire que ce Traité a pour objet
la compofition entiere de tous les differends
qui régnoient entre les parties contractantes
; il n'y eft pas fait la moindre mention
des affaires de l'Empire , cependant les deux
Puiflances contractantes font des Etats confiderables
de l'Empire , & l'on ne peut préfumer
d'eux qu'ils voudront jamais perdre
de vûë ce qu'ils doivent à l'Empire , ni en-*
treprendre rien contre la dignité & l'autoNOVEMBRE.
1744. 123
rité du Cheffuprême , ou qui tende à brifer
le lien facré qui eft entre le Chef & fes
Membres. Ainfi quand ils s'engagent, comme
il eft arrivé par le Traité de Breflau ,
d'entretenir une amitié indiffoluble , de
n'exercer aucune hoftilité , &c.il eft clair que
cet engagement ne peut aller plus loin que
ne le
permettent les devoirs communs ; s'il
arrive de la part de l'un des deux quelque
chofe qui foit contraire à ces devoirs , l'illégalité
de l'entrepriſe diffout le noeud par lequel
ils font unis , & l'autre eft non-feulement
en liberté , mais même dans l'obligation
de fatisfaire aux devoirs que lui impofe
la qualité d'Etat de l'Empire , devoirs plus
naturels & plus anciens que nul, autre , &
qui doivent l'emporter fur tous les engagemens
poftérieurs & volontaires .
Tant que S. M. Pr. a pû regarder les entreprifes
de S. M. la Reine de Hongrie comme
des fuites de la guerre qui eft entre elle
& S. M. Imp. elle eft reftée tranquille, mais
lorfqu'elle a vû que la Cour de Vienne enflée
de fes premiers fuccès méditoit l'oppreffion
de l'Empire , il lui a été impoffible
de voir ces mouvemens d'un oeil indiffe
rent : après avoir averti la Cour de Vienne
d'ufer de plus de moderation , après lui
avoir fait connoître nettement que S. M.
ainfi d'autres Electeurs & Princes que de
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
l'Empire ne pouvoient conniver à l'oppref
fion du Chef & des Membres de l'Empire,&
qu'ils feroient forcés de prendre des mefures
rigoureuſes , défagréables à lad . Cour ,
S. M. Pr. a été forcée de prendre les réfolutions
exprimées dans le fameux Expofe des
Motifs.
On
peut dire
avec
plus
de juftice
que
la
Cour
de Vienne
elle-même
, tant
publiquement
que
fecrettement
, a pris
de longuemain
toutes
fortes
de mefures
pour
énerver
la difpofition
du Traité
de Breflau
. On fçait
que
fon
deffein
a toujours
été de tomber
fur
la Siléfie
, auffi
- tôt qu'elle
auroit
achevé
ſes
expéditions
contre
l'Empereur
& la Couronne
de France
,
On eft nanti à ce fujet de notices particulieres,
que l'on fupprime par certains égards.
Les deffeins de la Cour de Vienne ont fuffifamment
éclaté par le Traité de Worms , à
Poccafion duquel on s'eft affés nettement
déclaré de la part de la Grande Bretagne
qu'on étoit dans l'intention de le mettre
pour bafe des négociations de la Paix géné
rale. A quelle fin S. M. la Reine de Hongrie
fe feroit- elle fait garantir par les parties
contractantes , non - feulement les Pays
qu'elle poffede aujourd'hui , mais auffi ceux
qu'elle devoit poffeder en vertu des Traités
détaillés dans le fecond article , excepté feus
NOVEMBRE. 1744. 129
lement les ceffions faites à S. M. le Roi de
Sardaigne , i on n'avoit pas eu en vûë la
revendication de la Siléfie?
N'auroit-on pas dû ufer de la même pré--
cantion pour S. M. P. & dans ce Traité , &
dans le Pro Memoria que la Cour de Vienne
a fait préfenter à la Diéte par le Baron de
Salm le 26 Juin de cette année , aux fins de
réclamer la garantie de l'Empire en faveur
de la Pragmatique Sanction Caroline ?
. Les Miniftres de la Cour de Vienne ont
dit affés fouvent à la Haye & ailleurs qu'il
n'y avoit point de paix folide à efperer , à
moins que la Reine de Hongrie ne fut reftituée
dans l'entiere poffeffion des Etats Héréditaires
de la Maifon d'Autriche , & que
la ceffion de la Siléfie ne pouvoit être regardée
comme une obligation durable .
On paffe enfuite au fecond article.
La Cour de Vienne prétend que les vies
de S. M. le Roi de Pruffe ne font pas défintéreffées
, & qu'il veut s'enrichir des dépoüilles
de S. M. la Reine de Hongrie ; elle
allegue pour preuve un prétendu article fépare
du Traité d'Union de Francfort : on
croit qu'il fuffit de la part de S. M. Pr . de déclarer
que ce prétendu article fecret eft une
piéce manifeftement fauffe & controuvée.
Le Traité d'Union eft entre les mains de
tout le monde ; il eft de néceffité abfolue
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
que les hauts contractans , dont trois font
des têtes couronnées , d'autres des Electeurs
& Princes de l'Empire , fçachent fi le prétendu
article fecret exifte , & s'il a été figné
par eux : on s'en rapporte hardiment à leur
Témoignage .
Le troifiéme article eft l'examen de la
conduite que S. M. la Reine de Hongrie a
tenuë jufqu'à préfent envers l'Empereur , &
l'Empire.
Les proteftations de S. M. la Reine de
Hongrie contre l'Election de l'Empereur ,
font le premier objet qui fe préfente. On
obferve que le fuffrage de Bohéme a été rejetté
par l'avis unanime du College Electoral
, feul Juge de la conteftation qui s'étoit
élevée à ce fujet ; que l'on a judicieulement
réfervé les droits d'un tiers , & qu'ainfi S.
M. la Reine de Hongrie ne peut fur ce prétexte
protefter contre l'Election de l'Empereur
, ni s'élever contre un Tribunal , dont
les Empereurs de la Maiſon d'Autriche ont
eux-mêmes reconnu l'autorité. S. M. ne répare
rien en offrant de fe déporter de fon
oppofition ,, moyennant certaines conditions
, & il n'y a point de véritable moderation
à offrir de fe prêter fous condition à
des chofes que fon devoir d'Etat de l'Empire
exige nuëment & fans reftriction.
On rappelle enfuite le dur traitement fait
NOVEMBRE. 1744 127
à la garnifon de Braunau & à d'autres garnifons
Imperiales contre les articles exprès
des Capitulations accordées , les hoftilités
exercées par l'armée Autrichienne il y a
peu de mois fur les territoires neutres , &
même fous le canon des Places neutres de
l'Empire , le paffage de cette même armée
par ces mêmes territoires , l'expulfion du
Chef fuprême de l'Empire de tous fes Etats
Héréditaires , & l'on s'étonne que la Cour
de Vienne prétende malgré ces violences ,
que l'Empire jouit d'un plein repos & n'eft
point le théatre de la guerre .
S. M. Pr. s'eft propofé depuis deux ans
pour but principal , ou plûtôt unique de
toutes fes actions , le rétabliffement de la
Paix dans l'Empire , mais la Cour de Vienne
a été infléxible , & le Comte de Dohna ,
Miniftre de S. M. Pr . à la Cour de Vienne a
réiteré vainement les plus grands efforts.
S. M. Imp. ayant agréé la médiation de
l'Empire , la Cour de Vienne a décliné ce
parti . On n'a point encore pû faire expliquer
diftinctement S. M. la Reine de Hongrie
& fes Alliés fur des conditions ftables
& effentielles de paix. Les Miniftres de
Vienne ont toujours répondu lorfqu'on les
a preffés fur la reftitution des Etats Héréditaires
de l'Empereur , que s'il vouloit fe
prêter aux manieres de penfer de la Cour de
F iiij
128 MERCURE DE FRANCE.

Vienne , il ne feroit ni mieux , ni plus mal
poffeffionné qu'auparavant ; le Miniftere ne
vouloit point entendre parler de la reftitu
tion de l'Electorat de Baviere & laiffort
entendre qu'on feroit à l'Empereur un Etabliffement
hors de l'Empire , en lui donnant
ou les Deux Siciles , ou les Conquêtes
que l'on prétendoit faire fur la Couronne
de France. Toutes les réponſes de la Cour
de Vienne fe bornoient à ces expreffions
obfcures , indemnité pour le paffé , & fécurité
pour l'avenir , expreffions qu'on n'a pâ
parvenir à lui faire expliquer clairement :
on laiffoit feulement entendre qu'indépendamment
de la rétention des Etats de Baviere
, on jettoit principalement fes regards
fur l'Election d'un Roi des Romains , telle
qu'elle dût tomber ou fur le jeune Archiduc
ou fur le Grand Duc de Tofcane , & qu'on
laifferoit à l'Empereur la Dignité Imperiale
pendant fa vie , mais que la Régence Imp.
s'établiroit à Vienne chés le Roi des Romains,
& qu'à cette fin leConfeil Aulique, &
la Chancellerie Imperiale y retourneroient.
Le miniftere de Vienne s'eft encore plus
évidemment découvert par rapport à les
deffeins fur la guerre qu'il veut faire intenter
par l'Empire à la Couronne de France.
On a pofé cette guerre comme une condition
fine quâ non de la réconciliation avec
NOVEMBRE. 1744. 129
Empereur. Cependant on ſçait que de pareilles
guerres entreprifes dans le dernier
fiécle , uniquement pour les intérêts de la
Maifon d'Autriche , ont fait à la Patrie Germanique
des playes qui faignent encore , &
que les cercles antérieurs fe voyent fur le
bord de leur ruine , fi ce projet a lieu.
. Dans ces circonftances , S. M. Pr. ne pouvoit
fans manquer à ce qu'elle doit à l'Empire
& à elle-même , fe difpenfer d'employer
les forces que Dieu lui a mifes en
main à la défenfe de la Patrie , & au maintien
inalterable des Conftitutions & des Libertés
de l'Empire. S. M. Pr. eft trop perfuadée
de la magnanimité & de l'équité des
fentimens de S. M. la Reine de Hongrie ;
elle a une trop haute eftime de fa perfonne
& de fes éminentes qualités , pour vouloir
lui imputer des deffeins fi pernicieux ; elle
les prend plûtôt pour les fuggeftions d'un
mauvais Confeil , à qui il importe beaucoup
moins de veiller aux avantages de leur
Souveraine , que de ne pas
voir triompher
le defpotifme exercé jufqu'à préfent fur les
Etats de l'Empire , fous les aufpices des Empereurs
de la Maifon d'Autriche . Au furplus
S. M. Pr. eft prête à contribuer avec
plaifir à la profpérité de cette Maifon , en
tout ce qui ne bleffera point la Juftice , la
Liberté de l'Empire , & fa propre sûreté ,
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
& elle ne perd point l'efperance que S. M. la
Reine de Hongrie reconnoîtra enfin la Dignité
de l'Empereur , & lui donnera une
fatisfaction entiere fur tous fes droits , qui
font fi bien fondés .
M. Guillemeau Bourgeois de Troyes
nous a écrit qu'il avoit expliqué l'Enigme
par le mot rien , & le premier Logogryphe
par niche, où l'on trouve auffi chen & Chine.
Nous rétabliffons avec plaifir l'ancien
ufage d'inférer dans ce Journal les noms de
ceux qui devinent les Enigmes & les Logogryphes
, & nous nous ferons toujours un
devoir de rendre un témoignage public à
leur fagacité. M. Guillemeau avoue qu'il n'a
pû deviner le fecond Logogryphe , on a
dû l'expliquer par le mot triangle , on ſçaiɛ
qu'un triangle eft la moitié d'un quarré de
même baſe & de même hauteur , au refte
on trouve dans ce mot gare , tare , gré „grate
, rite , rat & âne.
NOVEMBRE . 1744. 131
JE
32 32 32 32 32 32 32 32 32 32 32 ***
ENIGM E.
E n'ai que des plumes légeres ,
Dans les airs cependant je ne vôle jamais ;
J'aime l'ombre , non pas fur de vertes fougeres ,
A l'abri d'un bocage frais.
Des corps péfans , qui n'ont que de la laine ,
Prefque toujours font au- deffus de moi .
Pour me rendre plus propre à remplir mon emploi
Un bâton chaque jour le long de la fontaine
Sur mon vêtement fe promene .
On me voit toujours me cacher
Dans la retraite & le filence ;
Cependant l'humble Pénitence
Me fuit , bien loin de me chercher.
*X*X**X * X * X* XX***
LOGOGRYPHE.
JEE fuis vive , je fuis legere ;
Le mouvement qui croît redouble mes appas ;
Tout à la fois je furprens & fçais plaire :
A ce portrait , lecteur ne me connois tu pas
De mes trois parts retranchez la derniere ,
Alors je porte le renom
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
De ne fentir nullement bon.
Du tout ôtez le Chef, on peut me mettre en Cage,
Mais remarquez un changement nouveau ;
Coupez la tête à cet Oifeau ,
Je deviens dans l'inftant un Poliffon langage ;
Mon commencement & ma fin
Servent à rehauffer ma gloire ,
Car l'un renferme un Puiffant Souverain ,
L'autre , un Peuple guerrier , renommé dans l'Hiftoire.
*******MMMMMMMMMK
CHANSON ,
Air à boire , par M. de Chaffé.
ADonis expira dans les bras de Venus ;
Turenne au fein de la Victoire ;
Un Bûveur doit mourir dans celui de Bacchus ,
Difoit le moribond Gregoire.
'Amis , pour mériter une immortelle gloire ,
Traînez mes pas tremblans au fond de mon Caveau;
Jufqu'au dernier foupir j'y veux tefter à boire ,
Et le verre à la main périr fur mon Tonneau.
FINE THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ABTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
132 MERCURE DE FRANCE.
De ne fentir nullement bon.
Du tout ôtez le Chef, on peut me mettre en Cage,
Mais remarquez un changement nouveau ;
Coupez la tête à cet Oifeau,
Je deviens dans l'inftant un Poliffon langage ;
Mon commencement & ma fin
Servent à rehauffer ma gloire ,
Car l'un renferme un Puiffant Souverain ,
L'autre , un Peuple guerrier , renommé dans l'Hiftoire.
確說說淡淡洗洗洗洗淡淡淡
CHANSON ,
Air à boire , par M. de Chaffé.
ADonis expira dans les bras de Venus ;
Turenne au fein de la Victoire ;
Un Bûveur doit mourir dans celui de Bacchus ,
Difoit le moribond Gregoire.
'Amis , pour mériter une immortelle gloire ,
Traînez mes pas tremblans au fond de mon Caveau;
Jufqu'au dernier foupir j'y veux tefter à boire ,
Et le verre à la main périr fur mon Tonneau.
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
ABTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
W
YORK
RUBLIC
LIBRARY
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
,
NOVEMBRE. 1744. 733
܀܀܀
NOUVELLES LITTERAIRES ,
V
DES BEAUX- ARTS, &c.
OYAGES du Capitaine Robert Lade
en differentes parties de l'Afrique
de l'Afie & de l'Amerique , contenant
l'Hiftoire de fa fortune & fes obfervations
fur les colonies & le commerce des Efpagnols
, des Anglois , des Hollandois , &c.
A Paris , chés Didot , Quai des Auguftins
à la Bible d'or , 1744 , 2 vol . in - 12 .
Ce Livre eft traduit de l'Anglois par M.
l'Abbé Prevoft , Auteur de plufieurs excellens
Ouvrages. Ce n'eft pas la premiere fois
que cet Ecrivain célébre enrichit fon Pays
des tréfors de la Litterature Angloife. Le
Public a lû avec plaifir la Vie de Ciceron ,
& plufieurs autres Traductions que M. Prevoft
lui a préfentées ; c'eft furtout à l'égard
des relations de Voyages qu'un Traducteur
peut faire chés les Anglois une moiffon
abondante la moitié de leurNation eft fans
ceffe en mouvement vers les parties du
monde les plus éloignées , & Londres eft
la Ville de l'Univers , où il paroît le plus
1
134 MERCURE DE FRANCE.
de Relations & de Journaux de Mer..
Notre Litterature le céde donc en ce point
à la Litterature Angloife , qui à tout autre
égard ne peut pas lui être comparée. J'ai
remarqué que les Voyages font les Livres
qui intéreffent plus généralement toutes fortes
de Lecteurs. La curiofité qu'ils piquent
& qu'ils fatisfont foûtient l'attention de
ceux qui ne lifent que pour s'amufer ; ceux
qui craindroient de paroître frivoles en fe
livrant à des lectures purement agréables ,
trouvent dans les Voyageurs dequoi s'inftruire
, & ce prétexte les empêche de dédaigner
l'agrément qu'ils trouvent dans cette
lecture. Quoi de plus digne en effet d'un
efprit éclairé , que de confiderer les differentes
manieres dont la Nature a traité les
hommes , & combien ces traitemens differens
changent ce qu'elle leur a donné à tous
de femblable ? Malheureufement ce n'eft
pas dans cet efprit que lifent la plupart des
hommes , même de ceux qu'on reconnoît
pour gens fenfés & raifonnables . Des faits
finguliers , des Deſcriptions de Pays , de
Peuples , des Phénoménes extraordinaires ,
fouvent incroyables , font l'attrait qui engage
le plus grand nombre des lecteurs.
Cependant la lecture des Voyages n'eft pas
fans utilité pour ceux qui abandonnent les
vûës Philofophiques ; elle apprend mille
1
NOVEMBRE. 1744. 139
chofes qu'il est fort avantageux de fçavoir ,
& qu'il feroit honteux d'ignorer ; fi cette
lecture eft auffi utile qu'agréable pour toutes
fortes de lecteurs , elle eft abfolument
néceſſaire à ceux qui fe deftinent ou à voya◄
ger eux mêmes , ou à faire de leur cabinet
le commerce de la Mer ; il faut qu'ils connoiffent
les differentes pofitions des lieux
de commerce , & qu'ils en poffedent l'Hif
toire , comme il eft néceffaire à nos Ambaffadeurs
de connoître la Topographie de
l'Europe , & l'Hiftoire des Traités qui ont
été faits depuis 190 ans.
On ne voit point dans les Voyages de
Robert Lade ces fingularités incroyables ,
qui n'exiftent fouvent que dans l'imagina
tion des Voyageurs , plus attentifs à pi
quer la curiofité des lecteurs , qu'à refpecter
la vérité ; mais on y trouve des détails
fort judicieux & fort inftructifs fur les colonies
Efpagnoles & Angloifes. Les ftratagêmes
dont les Anglois fe font fervis fi longtems
pour faire la contrebande dans les Indes
Occidentales , malgré les précautions des
Efpagnols , font ici peints au naturel , &
F'on y voit les fémences des diffenfions &
des quérelles qui ont enfin allumé entre les
deux Nations une guerre dont l'embrafement
s'eft communiqué au refte de l'Europe.
Le fouvenir de ce qui s'eft paffé à Car136
MERCURE DE FRANCE.
thagene il y a 3 ans , rend bien intéreſſant
le Mémoire qui eft inféré ici fur cette Place
célébre & importante . C'eft dans le Livre
même qu'il faut lire ce que dit l'Auteur
du Cap de Bonne-Efperance , de Batavia ,
de la Jamaïque , de la Georgie , de la Barbade
, des Bermudes , de Juan d'Ulva , & de
Vera Cruz , où les négocians font fi riches ,
que l'on regarde comme pauvre un homme
dont le bien n'excede pas cent mille livres
fterlings ; c'est- à- dire , environ deux millions
trois cent mille livres de notre monnoye
.
Robert Lade ne fe contente pas de donner
au public la relation de fes voyages ; it
a ramaffé les Mémoires de fon fils , & de
plufieurs autres , & l'on trouve ici rapprochées
beaucoup de particularités fur les
tentatives qui ont été faites pour trouver
un paffage de la Mer Glaciale dans la Mer
du Sud ; cette collection forme une espece
d'Hiſtoire de cette navigation , qui jufqu'à
préſent a fi peu réüffi , & quoiqu'en dife le
Voyageur , vraisemblablement ne réüffira
jamais. Cette recherche importante a longtems
occupé les Anglois & les Hollandois ,
qui par ce moyen auroient été à la Mer du
Sud fans paffer fous les Forts des Efpagnols ,
& parconféquent auroient partagé avec eux
ce riche commerce.
NOVEMBRE. 137 1744.
En 1576 , le Capitaine Martin Frobisher,
entreprit fon premier voyage par le Nord-
Eft , & le 12 de Juin ayant découvert la
Terre de L. brador , à 63 degrés 8 min . il
entra dans le détroit auquel il a donné ſonnom
. Il effaya fans fuccès de lier quelque
commerce avec les naturels du Pays , qui
penferent le faire périr ; cependant il ne fut
point découragé ; trois fois il tenta ce dangereux
voyage , mais toujours avec autant
de danger , & auffi peu de fruit.
Jean David , qui forma fix ans après
( en 1585 ) la même entrepriſe ne fut ni
moins conftant , ni plus heureux . Il alla dans
fon fecond voyage jufqu'à 66 deg. 26 m.
Ce deffein paroiffoit abandonné lorfqu'en
1607 le Capitaine Henri Hudfon
s'avança jufqu'à 80 deg. 23 m. il paffa encore
cent lieuës plus loin dans un troifiéme
voyage en 1610 ; l'excès du froid & l'abondance
des glaces le forcerent de s'arrêter
; il fallut qu'il paffât l'hyver dans ces
terribles lieux , mais il y périt enfin avec.
tous les gens , payant bien cher l'honneur
d'avoir donné fon nom à cette Baye qu'on
appelle la Baye d'Hudfon .
Les Danois ont revendiqué l'honneur de.
cette découverte ; ils avoient navigué de ce
côté vers l'entrée du détroit avant Henri
Hudſon , mais celui- ci eft le premier qui
138 MERCURE DE FRANCE.
ait pénétré au fond de cette Baye.
A l'égard des Danois , ils aborderent la
Terre ferme près d'une riviere que l'on a
nommée riviere Danoife , & que les Sau
vages nomment Manotconfibi ou riviere des
Etrangers , mais ils périrent tous de mifere
& de froid pendant l'hyver ; les Sauvages
qui habitent les terres furent extrêmement
furpris , lorfqu'arrivant dans ce lieu l'Eté
fuivant , ils virent tant de corps morts , &
des hommes d'une figure fi differente de la
leur. Malheureufement il y avoit de la poudre
parmi les proviſions des Danois , dont
les débris fubfiftoient encore , ils y mirent
le feu qui les fit tous fauter .
Les Anglois , les Hollandois , & les Danois
ne font pas les feuls qui ayent cherché
à paffer dans la Mer du Sud par le Nord. M.
de la Salle François tenta cette entrepriſe
en 1668 , mais il y périt malheureufement.
Quelques Anglois de la Virginie ont prétendu
avoir traverfé tout le continent au
travers des terres ; mais ce n'eft pas là ce
dont il s'agit , il eft queftion de trouver une
voye qui foit propre au commerce , fans
quoi il fert pen de nous apprendre qu'à
force de marches & de fatigues on peut
traverser le continent de l'Amerique.
Ce qu'ils ont raconté de la fertilité des
terres & de la multitude des Nations qu'on
NOVEMBRE. 1744. 139
trouve dans ce Continent doit flater d'autant
plus la curiofité des lecteurs , qu'il
s'accorde parfaitement avec les relations
de plufieurs autres Voyageurs ; notre Anglois
cite de longs & intéreffans détails de
celle du P. Hennequin , Miffionnaire Jefuite.
"
"
"
93
» Ce ne font point des Pays déferts &
fans culture , tels que les François & les
Anglois ont trouvé ceux où ils ont planté
»leurs premieres colonies. Des fruits &
»des grains de toute efpece y enrichiffent
»les campagnes ; plufieurs peuples y font
policés jufqu'à fe vêtir d'étoffes très - fines;
»ils ont l'ufage des chevaux avec des fel-
» les ;leurs Villes font bien bâties & régu
»lierement fortifiées ; enfin la Nouvelle
» France , la Virginie & la Caroline fem
»blent n'être fuivant ces relations que des
» limites ftériles & défertes d'une immenfe
Ȏtendue de Pays auquel toutes les fa-
» veurs de la Nature ont été prodiguées , à
» peu près comme la Mofcovie & la Tartarie
à l'égard des autres parties de l'Eu-
>> rope.
Entre plufieurs obfervations , nous choififfons
celle- ci qui peut donner quelque
idée aux lecteurs de l'intérieur du Conti
nent.
»On trouva des peuples qui n'ont rien de
140 MERCURE DE FRANCE.
Barbare * que le nom : un de ces Sauva
»ges , qui fut le premier qu'on rencon-
» tra , revenoit de la Chaffe avec fa famille ,
» il fit préfent au Chef des François d'un de
» fes chevaux , & de quelque viande , le
priant par fignes d'aller chés lui avec tous
»fes gens ; enfin pour les mieux engager ,
il leur laiffa fa femme , fa famille & fa
» chaſſe , comme pour leur fervir de gages ,
& cependant il fe rendit au Village , pour
faire fçavoir leur arrivée ; au bout de deux
jours il revint avec des chevaux chargés
de provifions , & plufieurs Chefs des Sauvages
qui l'accompagnoient ; ils étoient
»fuivis de guerriers , habillés fort proprement
de peaux paffées , & ornées de plu-
» mes ; on les rencontra à trois lieues de
» l'habitation . Les François y furent reçus
comme en triomphe & furent logés chés.
»le grand Capitaine ; c'étoit un concours
furprenant de peuple , dont la jeunelle
» étoit rangée fous les armes . Elle fe releva
"jour & nuit pour les garder , les comblant
de biens , & de toutes fortes de vivres.
Ce Village qu'on appelle le Cenis , eft un
» des plus confiderables de l'Amerique par
fa grandeur , & par le nombre de fes ha-
»bitans ; il a bien 20 lieues de long au
* Nous les appellons Sauvages & non pas Barbares.
NOVEMBRE. 1744. 141

moins ; ce n'eft pas qu'il foit contigûment
» habité ; les maifons font diftribuées par
» dix ou douze , qui font comme des Can-
»tons , & qui ont chacun des noms differens.
Elles font belles , longues de 40 ou
» 50 pieds , dreffées en maniere de ruches
»à miel , & environnées d'arbres qui fe
rejoignent en haut par les branches ; nous
»trouvâmes chés ces Cenis plufieurs chofes
» qui viennent indubitablement des Efpa
» gnols , comme des piaftres , & d'autres
» monnoyes , des cuilliers d'argent , de la
و د
dentelle ,, des habits , & c . Nous y vîmes
» entr'autres une Bulle du Pape , qui exemp-
» te du jeûne les Efpagnols du Mexique
pendant l'Eté. Les chevaux y font fi com-
» muns , qu'on en donnoit un à nos gens
» pour une hache ; un Cenis voulut donner
»un cheval pour le capuchon d'un Récollet
» de la troupe dont il avoit envie.
Les obfervations que cite l'Auteur fur les
Tanchus , ne font ni moins curieufes ni
moins capables de donner une idée avan
tageufe du Continent ; fon deffein en donnant
ces extraits , a été de faire remarquer
qu'il pourroit bien être du Continent de
l'Amerique , comme de celui de l'Europe
»ou plus ou peut-être plus on trouve d'opulence
& de politeffe , deforte que dé
l'aveu de tout le monde , la France , l'An142
MERCURE DE FRANCE.
"

»gleterre , la Hollande & l'Allemagne qui
font réellement au centre , l'emportent
affés clairement fur les autres Nations. Si
cette comparaifon étoit la feule preuve de
l'affertion du Voyageur , elle feroit bientôt
renverfée ; en effet , peut-on dire que la
France , l'Italie , la Hollande , &c. font au
centre du Continent de l'Europe , lorfque
ces differentes Régions font toutes bordées
par la Mer ? Un Voyageur qui aborderoit à
Venife , & qui de-là tirant vers le Nord
gneroit la Suéde ou la Mofcovie , feroit
bien éloigné de trouver plus d'opulence ,
à mesure qu'il avanceroit dans le Continent
de l'Europe ; cette legere remarque n'empêche
pas que dans le fond la réfléxion de
l'Auteur ne foit fort judicieufe , & il a fans
doute raifon de dire » que quand l'efperan-
» ce de trouver la Mer du Sud par la comga.
munication des rivieres , comme on a déja
»trouvé le Golphe du Mexique par celle
» d'Ouabache & de Miffiffipi , ne fuffiroit
pas pour faire entreprendre férieufement
» de pénétrer cette vafte étendue de Pays .
D'autres vues , prefqu'aufli importantes
pour le commerce , & la feule curiofité
» même devroient porter les François & les
Anglois , que cette entreprife femble regarder
par la fituation de leurs colonies
33

"
à pouffer de ce côté-là leurs découvertes .
NOVEMBRE. 1744 143
On trouve à la fuite de cette relation une
Deſcription de la Nouvelle Eſpagne , depuis
Panama jufques vers le quarantiéme
degré de Latitude vers le Nord , fort curieufe
, & bien détaillée . J'obſerverai qu'il
s'y eft gliffé une très-legere erreur. Le Voyageur
dit que les pluyes commencent à
Gouayaquil au mois de Janvier & durent
jufqu'au mois de Mai ; il auroit dû dire que
ces pluyes commencent en Novembre , c'eft
ainfi que l'a rapporté M. Bouguer , l'un des
Académiciens qui ont été au Pérou , pour
déterminer la figure de la Terre,
La relation de Robert Lade eft ornée de
deux Cartes qui étoient néceffaires pour lire
ce Livre avec fruit , & même avec agrément,
DISSERTATIONS fur la fondation de la
Ville de Marſeille , fur l'Hiftoire des Rois
du Bofphore Cimmerien , & fur Leſbonax
Philofophe de Mytilene ; à Faris , chés Jacques
Barrois , Quai des Auguftins , à la
Ville de Nevers , in - 12. 1744.
Ce Livre eft dédié à feu M. l'Abbé de
Rothelin , qu'une vaſte érudition , un goût
délicat , & des moeurs auffi douces que pures
rendoient fi cher à la République des
Lettres qui l'a perdu trop tôt.
L'Epitre dédicatoire nous apprend que
M, Cari eft l'Auteur de ces Differtations ,
144 MERCURE DE FRANCE.
& dans celle dont l'époque de la fondation
de Marſeille eft l'objet , il ne laiffe pas ignorer
qu'il eft natif de cette Ville ; ainfi c'eft
l'amour de la Patrie qui lui a mis la plume
à la main. Il eſt certain que la matiere eft
furtout intéreffante pour les Marſeillois ,
quoiqu'elle nefoit pas
indifferente pour le
refte des lecteurs . Il étoit néceffaire d'éclaircir
cette queſtion , fi l'on veut avoir une
bonne Hiftoire de Marfeille , travail que
l'Auteur regarde avec raifon comme digne
de l'émulation de l'Académie de Marſeille ;
cet Ouvrage eft de la nature de ceux qui
peuvent & doivent même être faits en fociété
; & Mrs de l'Académie de Marſeille
poffedent tous les talens néceffaires pour le
conduire à fa perfection. Deux opinions
divifent les Chronologiftes au fujet de la
fondation de cette Ville , l'une des plus anciennes
de la France ; les uns , & Ufferius
eft de ce fentiment , la placent la premiere
année de la quarante- cinquiéme Olimpiade,
l'an de Rome 154 , avant J. C. 599 .
L'Auteur eft auli de ce fentiment. Le P.
Petau a embraffé l'opinion oppofée , & renvoye
cette époque à la foixantiéme Olimpiade.
Les Auteurs anciens font auffi
gés , & s'il ne falloit que compter les fuffra
ges , peut-être s'en trouveroit- il plus en faveur
du P. Petau , mais un Critique éclairé
partapéfe
NOVEMBRE. 1744. 145
péfe les voix , & ne les compte pas ; c'eſt ce
qu'a fait M. Cari , & plufieurs des preuves
qu'il employe , prouvent invinciblement
fon opinion.
L'Hiftoire de la Fondation de Marſeille
trouvoit ici néceffairement fa place. C'eſt le
premier Chapitre d'une Hiftoire de cette
Ville , qui n'en feroit pas le moins intéreffant.
Les Phocéens accoutumés à courir la
Mer vinrent jufqu'à l'embouchure du
Rhône ; frappés de la beauté du Pays , lorfqu'ils
furent de retour dans leur Patrie ,
ils engagerent plufieurs de leurs Compatriotes
à venir avec eux , pour fonder une
Colonie dans le Pays qu'ils avoient découvert
; ils fe mettent en Mer & au moment
qu'ils abordent au lieu défiré , ils trouvent
un Pêcheur , à qui ils jettent une corde
pour attacher leur Navire. Cette circonftance
donna le nom à la Ville qu'ils fonderent
; elle fut appellée Maffilia du mot
Grec uάoor , qui fignifie lier , & de celui
de deus , Pêcheur.
Les Phocéens penferent à fe mettre fous
la protection du Peuple qui étoit le plus
voifin , & les Chefs allerent à la Cour de
Nannus , Roi des Segobrigiens ; on croit
que cette Cour étoit à Aix.
Le jour où ils arriverent , étoit le même
II. Vol. G
146 * MERCURE DE FRANCE.
où fuivant l'ufage des Segobrigiens , la fille
du Roi choififfoit elle- même fon époux ;
la cérémonie étoit finguliére ; les Seigneurs
étoient affemblés , la Princeffe promenoit
fes regards fur eux , & lorfqu'elle avoit fait
fon choix , elle le déclaroit en allant préfenter
de l'eau à celui que fon coeur ou fes
yeux avoient choifi. Les Phocéens furent
invités à cette Fête , & Protis , l'un de leurs
Chefs , fut le fortuné à qui la Princeffe préfenta
la Coupe. Ainfi tout feconda l'établiffement
des Phocéens,& ils bâtirent Marfeille
dans l'endroit même où cette Ville eft
encore aujourd'hui . Soixante ans après , les
Phocéens épouvantés des progrès de Cyrus
abandonnerent leur Pays , & firent ce ferment
fifameux de n'y revenir que lorsqu'u
ne maffe de fer qu'ils jetterent au fond de la
Mer furnageroit ; une partie alla chercher
un afile chés les Marfeillois leurs anciens
Compatriotes , & c'est ce qui a donné lieu
à l'erreur ; on a pris cette fuite des Phocéens
vers Marſeille , pour la véritable époque
de la Fondation de cette Ville.
M. Cari a très bien démêlé le principe
de la méprife des Auteurs qu'il combat ; le
départ , dit- il , » des Phocéens qui vinrent.
» fonder Marfeille , n'avoit rien de fameux
» ou de frappant , c'étoit des Ioniens que
"
leur Ville ne pouvoit plus contenir , &
NOVEMBRE. 1744 147
» qui cherchoient un lieu pour s'établir ,
» événement fimple & commun dans ce
» tems là. Mais la fuite des Phocéens de-
» vant Cyrus eft une époque confidérable ;
elle arrive fous un Prince fameux par fes
Conquêtes , & qui fixe les yeux de l'Uni-
» vers . La crainte de tomber entre les mains
» des Perfes , fait prendre une réfolution
" 'violente aux Phocéens ; ils embarquent
» leurs femmes , leurs enfans , & tout ce
qu'ils poffédent. Ces evénemens & les
circonftances qui les cauferent , font bien
» autrement frappantes que la fimple Fon-
» dation de Marfeille .
Ilferoir bien avantageux pour les Lettres
que tout le monde fuivît la méthode de M.
Cari , & qu'en réfutant des Auteurs , on
cherchât foigneufement par quelle route
ils fe font égarés ; quelle utilité ne procureroient
pas ceux qui démêleroient ainfi le
Labyrinthe ou fe perd fi fouvent l'efprit humain
On leur devroit bien plus qu'à ces
Pilotes qui ont obfervé exactement les
écueils des Mers , & en ont dreffé des Cartes
pour apprendre aux Navigateurs à les
éviter. Mais Hoc opus , hic labor eft.
Deux Médailles , que M. Cari a décou
vertes , & qui avoient échapé jufqu'à ce
jour aux recherches des Antiquaires , ont
donnélieu aux deux autres. Differtations..
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
Le Public verra avec plaifir qu'un homme ,
comme M. Cari , qui a de la fagacité & de
la lecture , s'attache aux Médailles , Genre
que l'on commence à trop négliger.
La premiere des deux Médailles eft celle
d'un Teiranes Roi du Boſphore , inconnu
jufqu'à préfent , que M. Cari place l'an de
Rome 833 , de JESUS - CHRIST 130 , entre
Rhefcuporis I. & Cotys II .
. On voit d'un côté la tête de Teiranes
avec ces mots FACΙΛΕΩΣ ΤΕΪΡΑΝΟΥ & 211
revers la tête d'un Empereur avec ces Lettres
ro qui fignifient 573 , Cette Médaille
a fourni l'occafion à M. Cari de donner
une fuite Chronologique des Rois du Bofphore
, & de combattre plufieurs fois le
fentiment de M. Vaillant , qui a fait un bon
Livre fur cette matiere.
La Médaille qui fait le fujet de la troi
fiéme Differtation , eft une Médaille de
L'efbonax Philofophe célébre de Metylene ,
mais moins fameux que Potamon fon fils ,
dont il eft beaucoup plus queftion que du
pere dans la Differtation de M. Cari. Ce
Potamon floriffoit fous Tibere , & en
étoit fort aimé. Lorfqu'il retourna dans fa
Patrie , comblé des bienfaits de ce Prince ,
ilen reçut une efpéce de paffeport conçû
en ces termes finguliers : Si quelqu'un ofe
faire infulte à Potamon fils de Lefbonax , qu'il
NOVEMBRE. 1744. 149
confidere auparavant s'il eft en état de me réfifter.
La Médaille repréſente une tête avec ces
mots ΛΕΣΒΩΝΑΞ ΕΡΩΣ ΝΕΟΣ . On voit furr
le revers un homme couvert fimplement
d'un Manteau , tenant un bâton de la main
gauche , & de la droite quelque chofe qu'il
n'eft pas aifé de déterminer , avec l'infcription
ΜΥΤΙΛΗΝΑΙΩΝ.
,
VOYAGES & Avantures du Comte de
**** & de fon fils. 3 Volumes in- 12
Amfterdam chés Pierre Marteau & fe
trouvent à Paris chés Barois fils. On en
parlera plus au long.
MEMOIRES de Melvil , traduits de
l'Anglois avec des Additions en 3 Volu
mes 17-12 , dont le dernier contient les
Lettres de Marie Stuart. On en parlera dans
le premier Volume.
LES ELEMENS de la Médecine Pratique
, tirés des Ecrits d'Hyppocrate & de
quelques autres Médecins Anciens & Modernes
, où l'on traite des Maladies les plus
ordinaires à chaque âge , dans les différentes
faifons de l'année , felon les différentes
conftitutions de l'Air , fous divers climats ,
& en particulier fous celui de Beziers
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
avec des Remarques de Théorie & de Pratique
, pour , pour fervir de Prodrome à une Hiftoire
Général des Maladies,par M. Bouillet ,
Correfpondant de l'Académie Royale des
Sciences , Docteur en Médécine de la Faculté
de Montpellier , Profeffeur Royai des
Mathématiques , Sécrétaire de l'Académie
des Sciences & Belles- Lettres de Beziers ,
& Médecin des Hôpitaux de la même Ville
, à Beziers , chés François Barbut , Imprimeur
du Roi , & de l'Académie des Sciences
& Belles-Lettres. Vol. in-4°. 1744.
Nous rendrons compte au Public de cet
Ouvrage qui fera infiniment utile . On
ne peut donner de trop juftes éloges à l'étendue
des connoiffances de l'Auteur.
NOUVEAU Livre d'Ecriture , d'après
les plus belles Piéces de Reffignol , pour
l'Inftruction de la jeuneſſe & la fatisfaction
des curieux , gravé par Aubin , fe vend à
Paris , chés Feffard Graveur , ruë de la
Harpe , vis-à-vis la ruë Serpente ; chés le
Clerc , Libraire au Palais , dans la Grande
Sale ; & chés Poirion , Libraire ruë S. Jacques
, à l'Empereur .
NOVEMBRE. 1744. 151
OUVERTURE du Collège Royal.
L
Es Profeffeurs du Collège Royal de France ,
fondé à Paris par le Roi François I , le Pere &
le Reftaurateur des Lettres , reprirent leurs exercices
le Lundi 23 Novembre. Voici les noms des
Sçavans qui rempliffent aujourd'hui les Chaires de
ce fameux College , fous l'Infpection de M. l'Abbé
Vatry , de l'Académie Royale des Infcriptions &
Belles - Lettres , Profeffeur Royal en Langue Grecque.
Pour la Langue Hébraïque.
Mrs Sallier & Henry.
Pour la Langue Grecque.
Mrs Vatry & Capperonier.
Pour les Mathématiques.
Mrs de Cury & de Montcarville.
Pour la Philofophie.
Mrs Terraffon & de Gua de Malves.
Pour l'Eloquence Latine,
Mrs Souchay & Piat.
Pour la Médecine.
Mrs Barette , Aftruc , Dubois & Ferrein .
Pour la Langue Arabe.
Mrs Fourmont , & Petis de la Croix , Confeiller &
Interpréte ordinaire du Roi pour les Langues
Orientales.
Pour le Droit Canon.
Mrs Capon & le Merre.
Pour la Langue Syriaque.
Mr l'Abbé Fourmont.
Giiij
152 MERCURE DE FRANCE,
: ESTAMPES
NOUVELLES
.
HYACINTE RIGAUD , Ecuyer , Noble
Citoyen de Perpignan , Chevalier de l'Ordre de S.
Michel , Recteur & ancien Directeur de l'Académie
Rovale de Peinture & Sculpture , né le 25
Juillet 1663 , mort à Paris le 29 Décembre 1744.
Cette Eftampe eft gravée par Ficquet , d'après
P'Original peinit par M. Rigaud lui - même , dont on
a vú l'éloge au commencement de ce Volume , &
elle fe vend chés Odieuvre , ruë d'Anjou , la derniere
porte cochere en entrant par la ruë Dauphine.
DOM JEAN MABILLON , Religieux Béné
dictin de la Congrégation de S. Maur , né à Saint
Pierre-Mont Diocèfe de Rheims le 23 Novembre
1632 , & mort à Paris à l'Abbaye de S. Germain
Defprez le 27 Décembre 1707 , âgé de 76 ans.
Les excellens Ouvrages qu'a compofés ce fçavant
Bénédictin , font aflés fon éloge , & nous n'apprendrions
rien aux Lecteurs à cet égard , qu'ils ne
fçachent depuis long tems.
L'Eftampe eft gravée par Gaillard , & fe vend
chés Odieuvre , qui a un très - beau Recueil de toutes
fortes d'Eftampes.
Aromati- L'ESSENCE BALSAMIQUE
que , & Anti-Vermineufe de M. de Pafturel , continuë
à fe diftribuer avec fuccès ; plufieurs Médecins
qui en ont fait des épreuves dans les Hôpitaux ont
écrit au Miniftre , pour qu'il leur en procurât , ce
qui adéterminé beaucoup d'Officiers de la premiere
diftinction d'en emporter à l'Armée , & le ptennier
Médecin du Roi y en a auffi porté .
Cette Quinteffence eft bonne pour prévenir les
1
NOVEMBRE. 1744. 153
Maladies , fortifier les principales parties du corps ,
ranimer la nature affoiblie ou éteinte , elle paffe
d'une maniere prefque infenfible par les premieres
voyes , & guérit les Maladies qui ont leur fiége
dans ces parties ; ce Réméde eft inmanquable contre
les indigeſtions , qui font l'origine de prefque
toutes les Maladies , contre toutes fortes de coliques
, dégoûts , maux de coeur , diarrhées & cours
de ventre , cette vertu le rend très- utile dans les
Armées , ou ces dernieres Maladies font ordinaires
& caufent la mort à beaucoup de braves gens qui
font utiles à l'Etat .
Elle eft fouveraine contre les Maladies caufées
par les obftructions des vifceres , contre les pâles
couleurs , la jauniffe , l'hydropifie , les vapeurs hyf
teriques & hypocondriaques , les palpitations de
coeur , les ventofités , la mauvaife halaine caufée
par de mauvaifes digeftions : elle facilite les accouchemens
, appaife les douleurs des reins caufées
par des glaires , ôte les dégoûts qu'on peut
avoir après avoir bû avec excès , abbat les vapeurs
du vin , & c'eft un très-puiffant apéritif, & quelque
fois purgatif.
C'eft un préfervatif contre le mauvais air , &
dans ce cas il est très- utile pour ceux qui voyagent
tant par Mer que par Terre , parce qu'il empêche
le fang de s'arrêter , ou de fe corrompre ,& par fon
moyen on peut fe garantir de la pefte , du fcorbut
de Mer , & le guérir de la piqûre , on morfure de
toutes bêtes vénimeules ; on peut en toute fûreté en
faire ufage contre les fiévres malignes , putrides ,
vermineufes & intermittentes.
Ce Reméde eft également fouverain contre tou
tes les bleffures , foit de fer , foit de feu , & il les
garantit de la gangrene.
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
Ceux qui fouhaiteront de plus grands éclairciffemens
pourront écrire à l'Auteur , qui leur fera
exactement réponſe , on aura foin d'affranchir les
Lettres ; il demeure à Paris rue des Gravilliers
chés M. de Clermont ; il y a des Bouteilles de
liv. 12 liv. & 24 liv.
On diftribue avec les Bouteilles un imprimé pour
inftruire fur la maniere d'émployer le Réméde .
$
252525252525252
SPECTACLES.
Na continué à l'Opera les repréfentations
d'Acis & Galatée précédées des
Auguftales. Mlle Romainville , & Mlle
Metz ont alternativement exécuté le rôle
de Galatée en l'abfence de Mlle le Maure..
Cette derniere quitte le Théâtre & ne jouera
point dans Thefée. C'eft une grande
perte , fur-tout les anciens Opera.
Une nouvelle Pantomime exécutée par Mlle
André & Mlle Guerardi a terminé agréablement
le Spectacle : on a placé à la fin du
Prologue celle de Mlle d'Allemant & du
Signor , Pietro Soli que l'on voit toujours
avec plaifir .
pour
Les Comédiens François ont toujours
continué avec fuccès les repréfentations de
Heureux Retour ; les Auteurs de cette PiéNOVEMBRE.
1744. 155
ce n'ont point eu deffein de lui donner la
forme d'une Comédie , leur but étoit d'amener
trois divertiffemens , & de placer
convenablement plufieursdétails fur la convalefcence
du Roi . On ne peut leur refufer
l'éloge d'avoir fuivi le précepte d'Horace
dans le choix du fujer , le fuccès en a été
le prix . Cette piéce n'eft gueres fufceptible
d'une analyſe exacte , ainfi nous nous contenterons
d'en donner une légere idée , &
de rapporter quelques morceaux qui ont le
plus réuffi.
M. Argante , bon Bourgeois , veut fignaler
fon zéle au retour da, Roi par une Fête.
Un Officier & un Avocat font amoureux
de fa fille ; il promet de la donner à
celui des deux qui imaginera la plus jolie
Fête. Au refte , ces deux Acteurs ne font
pas fur la Scéne feulement pour amener des
divertiffemens , & l'on abeaucoup applaudi
quelques tirades récitées par Damon , c'eft
le nom de l'Avocat ; voici une des meil
leures , il parle des Médecins.
L'autre fiécle , la mode
Fut de les ridiculifer .
Alors apparamment quelque fauffe méthode ,
Outeur exterieur pedantefque , incommode ,,
Donna lieu de les méprifer ;
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
Mais malgré la critique , à nous tromper facile ,
L'Art mérita toujours d'être en foi reſpecté ;
Lorfqu'aux premiers humains le Deftin irrité
Refufa l'immortalité ,
Ieur laiffa du moins cette fcience utile ,
Qui fait que l'homme , après avoir bien médité ,
Par une conjecture habile ,
De fa vie entrevoit les cauſes , les refforts ,
Et pour les rétablir va puiſer les tréſors
Qu'offre à fon docte choix la Nature fertile
Cet Art a reçû des Mortels
Tantôt l'exil , & tantôt des Autels ;
Souvent il n'a paru qu'un hazardeux ſyſtême ,
Mais qu'on foit détrompé , puifque cet Art enfin
Afervi notre Roi dans fon péril extrême ,
Il ne reste plus de problême ,
'A jamais on dira , c'eft un Art tout divin .
Les habitans d'Auteuil forment la premiere
Fête . Voici le Vaudeville .
VAUDEVILD E.
Une jeune fille.
Que l'infidele Colin
M'abandonne pour Lifette ,
Que j'éprouve fon dédain ;
Que je perde fa fleurette ;
NOVEMBRE. 1744. 157
El qu'est- ce que ça me fait à moi ?
Je vois ce que je fouhaite ;
Eh qu'est- ce que ça me fait à moi ,
Quand je vois notre bon Roi ?
Un jeune Garçon .
Que facile à mes rivaux ,
Lifon pour moi foit farouche ,
A mes foupirs , à mes maux
Que fon oreille ſe bouche ;
Eh qu'est- ce que ça me fait à moi ,
Plus qu'elle mon Roi me touche ;
Eh qu'eft- ce que ça me fait à moi ,
Quand je vois notre bon Roi ?
Unejeune fille.
Que la noce de ma foeur
Dans le carnaval ſoit faite ;
Que l'on faffe fon bonheur ,
Sans fonger à la cadette ,
El qu'est-ce que ça me fait à moi
Je n'en fuis point inquiéte ;
Eh qu'est- ce que ça me fait à moi ,
Quand je vois notre bon Roi ?
Le Maître d'Ecole.
Que tout mon champ foit battu
58 MERCURE DE FRANCE.
Par les vents & par la grêle ;
Que l'on trouve la vertu
De notre femme un peu frêle
Eh qu'est- ce que ça me fait à moi ,.
Ma foi , très -peu je m'en mêle ;
Eh qu'est- ce que ça me fait à moi ,
Quand je vois notre bon Roi ?
Une Vieille.
Bien loin de mes jeunes ans
Je fens que mon terme arrive ,
Sans doute dans peu de tems
J'irai voir la fombre rive ;
Mais qu'est- ce que ça me fait à moi ,
Pourvû que mon Prince vive ?
Mais qu'eft- ce que ça me fait à moi ,
Quand je vois notre bon Roi ?
Le Parterre a beaucoup applaudi ces couplets
, & a exigé que plufieurs fuffent répétés
, mais il a fait encore plus d'honneur
au Vaudeville du fecond divertiffement. Il
a chanté lui- même le refrain , & s'eft libéralement
applaudi.
Le fecond divertiffement , qui eft celui
que l'Avocat a imaginé , eft une Entrée de
Bergers & de Bergeres. Une Bergere chante
ce Vaudeville.
NOVEMBRE. 1744.
159
Par nos jeux & par nos chanfons
Témoignons notre allégreffe ;
Le Roi charmant que nous fervons ,
Pour nous eft rempli de tendreffe.
Dans ce beau jour célébrons
Tout ce qui l'intéreffe ;
Réuniffons dans le même refrain
Le Roi , la Reine & le Dauphin.
Chés notre Roi tout eft grandeur ,
Noble orgueil , feu guerrier , vaillance
Chés la Reine tout eft ardeur ,
Agrément , bonté , bienveillance ;
Chés le fils tout eft ardeur ,
Refpect & déférence :
Que de raifons pour célébrer fans fin
Le Roi , la Reine & le Dauphin !
Les jours de ce Roi généreux
Intéreffent l'Europe entiere ;
Son fort ne pourroit être heureux
Sans une Compagne fi chere ;
Au bonheur de tous les deux
Le fils eft néceffaire ;
Dieux immortels , faites vivre fans fin
Le Roi , la Reine & le Dauphin !:
La Fête de l'Officier ne le céde point à
celle de l'Avocat , mais Agathe , c'eft la fille
do MERCURE DE FRANCE.
1
de M. Argante , donne la préférence au
premier ; l'amour de la Patrie dicte ſon
choix , & ne pouvant fuivre le Roi à la
guerre ,je veux du moins , dit- elle ,
Que la moitié de moi - même
Soit occupée à le ſervir.
Lucas , Jardinier de M. Argante, trouve
encore un autre raifon de cette préférence.
Oui , dit- il ,
Oui , vive un Officier , ça fait bian plus d'éclat ,
C'eſt plus vif, plus léger, tambour battant il mene;
Et pis , c'eft qu'on a tant de peine
A d'venir veuv' d'un Avocat.
Cette Piéce a eu quinze repréfentations ;
le rôle de M. Argante étoit rempli par M.
de la Thorilliere ; celui de Lifidor , c'eſt
l'Officier , par M. Rofeli ; Damon , Avocat,
par M. Grandval ; Aminte, foeur de M. Argante
, par Mlle la Motte ; Agathe , fille de
M. Argante , par Mlle Gauffin ; Lucas , Jardinier
, par M. Paulin ; le Maître d'Ecole
par M. Poiffon ; le Carillonneur , par M.
le Grand ..
La petite Piéce , intitulée le Génie de la
France, s'eft foûtenue avantageufement fur
le Théatre des Italiens ; cette Piéce eft de la
compofition de M. Minot, fils , Auteur d'u
NOVEMBRE. 1744. xay
ne autre Piéce fur la Convalescence du
Roi , repréfentée par les mêmes Comédiens
le 17 Septembre dernier ; il n'y a point
d'intrigue noüée dans celle ci , ce font des
divertiffemens variés & coufus légèrement
enfemble . L'Amour François occupe le
Théatre pendant prefque toute la Comédie.
Ce rôle eft executé avec beaucoup de fineffe
& d'intelligence par Mlle Aftrodi , jeune
Actrice qui a dix ans, qui chante avec goût,
& joue fort bien du Violoncelle ; fa foeur cadette
eft auffi applaudie dans un Couplet
unique qu'elle débite .
Il y a autant de chant que de récit dans
cette petite Comédie , & M. Rochard y eft
fort applaudi & comme Acteur & comme
Chanteur ; il paroît en Muficien dans une
Scéne qui eft vraiment théatrale. M. Def
hayes , qui le feconde bien dans fes lazzis ,
repréfente un Poëte nommé Carminant . Il
vient réciter à l'Amour François des Vers
qu'il a fraîchement compofés à la louange
du Roi . Le Muficien , préfent à cette lectur
re, & entraîné par l'enthoufiafme de la compofition
, met les Vers en Mufique à mefure
que Carminant les récite. Ce tableau
comique & fingulier donne lieu d'efperer
beaucoup de l'Auteur , qui eft encore fort
jeune . Il n'a négligé dans cette Piéce aucun
de fes avantages , il a fçû y placer la brillan-

162 MERCURE DE FRANCE.
te Coraline , qui y joue pour la
premiere
fois une Scéne entierement Françoife , elle
y danfe avec beaucoup de légereté & avec
les mêmes graces qu'elle met dans fon jeu.
La Mufique de cette Piéce eft fort jolie ,
elle eft de M. Blaife , accoûtumé à mériter
de pareils éloges ; les rôles de la Piéce ſont,
Le Génie de la France ,
L'Amour François ,
Carminant , Poëte ,
Harmonile , Muficien ,
M. Rochard.
Mlle Aftrodi.
M. Deshayes.
M. Rochard.
Arlequin.
Coraline.
La Victoire , Mlle Thérefe.
Palés , Déeffe des Forêts , Mile Deshayes.
Le 19 Novembre , les Comédiens Fran
çois repréſenterent à la Cour la Tragédie
de Manlius , & la Comédie de l'Etourderie.
Le Mardi 24 , les mêmes Comédiens repréfentérent
l'Andrienne & Crispin bel efprit
, & le Jeudi 26 , la Mort de Pompée
& les Précieufes ridicules .
pre-
Le 25 , les Comédiens Italiens y joüerent
Efprit Follet , Comédie Italienne , dans
laquelle Mlle Coraline joua pour la
miere fois devant leurs Majeftés , qui en
furent très -fatisfaites , & confirmerent par
leurs fuffrages les applaudiffemens du Public.
NOVEMBRE. 1744. 163
NOUVELLES ETRANGERES ,
TURQUI E.
ON a appris que Parmée remporté une victoire codmuplGerttaendfuSreilegsnePuerr-a
fans , qui l'ont attaquée près de Kars , & qui ont
perdu plus de 12000 hommes.
RUSSIE.
N apprend de Mofcou , que le Baron de Net
hauff , Miniftre Plénipotentiaire de l'Empereur
, & le Baron de Mardefeldt , Miniftre du Roi
de Pruffe , ont invité le Duc de Holftein par les ordres
de leurs Majeftés Impériale & Pruffienne d'acceder
pour les Etats d'Allemagne au Traité d'Union
de Francfort.
PRUSS E.
ON mande deBerlin du 2 de cemois,que
le
Roi après avoir paffé la Moldaw , avoit fait
tout ce qu'il avoit pû pour obliger les ennemis d'en
venir à une action générale , mais qu'ils ont toujours
évité la bataille , & qu'ils s'étoient retirés
dans des endroits , où on ne pouvoit les attaquer
fans beaucoup de rifque.
Sur l'avis qu'on a reçû d'un de leurs mouvemens,
S. M. a jugé à propos d'abandonner l'autre côté de
la Moldaw,craignant que les ennemis né lui coupa
164 MERCURE DE FRANCE.
fent la communication avec les principaux maga
fins & avec la Ville de Prague.
L'armée commandée par le Prince Charles de
Lorraine après avoir paffé le 15 du mois dernier la
Moldaw , & avoir été jointe par les troupes Saxonnes
, alla camper dans les environs de Benifchau.
Le Roi fe rapprocha le 25 de cette armée , &
étant arrivé en préfence des ennemis , il fit toutes
fes difpofitions pour les engager à une action.
Le Prince Charles de Lorraine de fon côté détacha
le Comte de Nadafti à la tête de toute la Cavalerie
Hongroife , avec ordre de s'avancer à une peti
te diſtance des Pruffiens , qui firent fur cette Cavalerie
un feu très - vif d'artillerie & de moufqueteric.
Elle fut miſe en défordre, & les Pruffiens le Alatoient
que le Prince Charles de Lorraine marcheroit à for
fecours , & qu'il étoit dans la réfolution de hazarder
une bataille , lorfqu'ils s'apperçurent qu'il
s'étoit retiré fur les montagnes le long de la
Sazawa. On ne pourfuivit que jufqu'à une cer
taine diftance le Comte de Nadafti, parce qu'ayant
rallié fa Cavalerie , il prit le parti de la divifer
en plufieurs Corps , qui prirent des routes diffe
rentes.
Le Roi ayant lieu de croire que le Prince Charles
de Lorraine avoit deffein de lui dérober une
marche , & de paffer la Sazawa , S. M. le prévint ,
& elle occupa le camp de Pifcheli.
1500 des Soldats , qui ont été faits prifonniers
dans Prague , font entrés au fervice du Roi , & le
refte de l'ancienne garniſon de cette Place a été
envoyé à Spandau.
NOVEMBRE. 1744 165
O
ALLEMAGNE,
Na appris de Bohême , que le Roi de
Pruffe , après cinq jours & demi de tran
chée ouverte eft entré dans la Ville de Pra
gue. La garnifon étoit compofée de 22 Batail
Jons, de 1000 Croates , de 400 Cavaliers, & de 300
Huffards ; elle s'eft renduë prifonniere de guerre ;
cette Place , défendue par 16000 hommes , n'a pas
arrêté long- tems fon vainqueur , qui de- là partic
avec fon armée pour allerréduire les poftes de Budfeiws
& Tabor, où il a laiflé les gros bagages ; il
s'eft campé très avantageufement , fa droite appuyée
à la riviere de la Moldaw , & fa gauche à
Kéftrzan , le centre à Tzernau . Sa pofition couvroit
fes ponts de Teyn , ainfi que les Cercles de Kzelfin
& de Czafiau. S. M. Pr. toujours attentive à remplir
les fonctions d'un parfait Général , n'a point ceffé de
vifiter les quartiers & d'y donner des ordres, qui en
établiffant leur sûreté , prouvent fon intelligence
fupérieure. Le Baron d'Enfiedel , Lieutenant Géné
ral , eft refté à Prague pour y commander.
Il a fait publier différentes Ordonnances qui con
cernent la Police & la tranquillité publique , &
furtout une défenſe très rigoureufe d'entretenir aucune
correfpondance avec les ennemis de l'Empe-,
reur. La Ville lui a demandé d'être déchargée des
fortes taxes impofées par la Cour de Vienne ; ce
Commandant a répondu que cela ne dépendoit
pas de fon Souverain , mais de l'Empereur . Il a été
ordonné que les Etudians de l'Univerfité , qui ont
pris les armes pendant le Gége , feroient traités en
prifonniers de guerre , à moins qu'ils ne s'incorporaffant
dans les troupes de l'Empire ou de Prufle.
Le 6 Octobre , le Baron d'Enfiedel célébra par
ne Fête , où la Nobleffe & les Officiers furent in166
MERCURE DE FRANCE.
vités , les promptes victoires de fon Roi .
La Princeffe Royale de Pruffe eft accouchée le 25
Septembre à Berlin d'un Prince qui a été baptifé le
premier Octobre , & nommé Frederic Guillaume.
On a appris depuis que le Roi de Pruffe avoit repaſ
fé la Moldaw avec toute fon armée, & que le Prince
Charles de Lorraine avoit détaché un Corps de
troupes fous les ordres du Comte de Nadafti & du
Général Ghilani , pour obſerver les mouvemens des
troupes Pruffiennes .
Les avis reçûs de Prague du 18 du mois dernier ,
portent que les mouvemens de l'armée de la Reine
de Hongrie , ayant donné lieu au Roi de Pruffe de
conjecturer que les ennemis vouloient ſe poſter entre
Prague & les troupes Pruffiennes , ce Prince
s'étoit déterminé à fe rap rocher de cette Ville
qu'il avoit retiré en même tems les Détachemens
qu'il avoit mis dans differens poftes , particulierement
dans ceux de Tabor & de Budweiff , mais
que la garnifon qui étoit à Teyn n'ayant pas reçû
affés tôt l'ordre d'aller rejoindre l'armée , elle avoit
été attaquée par un Corps de troupes Hongroiſes.
fort fupérieures en nombre , qui avoit fait prifonniers
plufieurs Officiers & Soldats & mis le refte en
fuite.
L'armée Pruffienne par fa nouvelle pofition a
confervé non feulement la communication avec
Prague , mais encore elle s'eft mife plus à portée
des magafins établis dans les Cercles de Glatz & de
Buntzlau , & des fubfiftances qu'elle peut tirer par
l'Elbe & par la Sazawa.
Le 14 , un Corps de Cavalerie des troupes de la
Reine de Hongrie paffa la Moldaw, & la plus grande
partie de cette armée eft reftée de l'autre côté de
cette riviere .
Il y a eu quelques efcarmouches entre des Dé
NOVEMBRE. 1744. 167 .
tachemens de la Cavalerie Légere des deux armées,
& la perte aéré à peu près égale de part & d'autre.
On mande de Vienne du 24 du mois dernier
que le 17 on y reçût avis que l'armée commandée
par le Prince Charles de Lorraine avoit
paflé le is la Moldaw fur fix ponts , & que
cette armée n'étoit qu'à une petite diſtance de
celle du Roi de Pruffe , qui étoit campé fur le
bord de la Sazawa , & qui paroifſoit déterminé à
rifquer une bataille.
Le Prince Charles de Lorraine a détaché un Corps
de 1000 hommes de Cavalerie fous les ordres du Gé.
néral Kuftein & du Comte da Collowrath , pour
obferver les mouvemens des troupes Pruffiennes .
On a appris depuis que l'armée Pruffienne fit
le 25 du mois dernier un mouvement pour s'approcher
de celle de la Reine de Hongrie , & qu'elle
s'eft poftée fur des hauteurs dans une fituation fort
avantageufe.
Deux Corps de troupes Pruffiennes ont pénetré
en Moravie , l'un par le Pas de Mora , l'autre par
Lanzaron & par Gegerfberg , & ils ont mis à contribution
les Villes de Goldstein , de Triban , de
Hohenftadt & de Schildberg.
SAXE.
N a appris de Dreſde , du 29 du mois dernier ,
que la Régence de cet Electorat ayant refufé
le paffage que le Roi de Pruffe lui a fait demander
pour 30c00 hommes de troupes Pruffiennes , on
étoit fort inquiet des fuites qu'aura cette démarche ,
que l'on craint que ces troupes t'entreprennent de
paffer malgré ce refus , & qu'on a fait partir plufieurs
chariots chargés d'armes qu'on a tirées de
l'Arfenal de Drefde , & qu'on deſtine pour armer
Les habitans des montagnes.
68 MERCURE DE FRANCE.
On a appris depuis dus de ce mois que M. de
Wallenrodt , Envoyé du Roi de Pruffe a remis aux
Miniftres du Roi de Pologne un Refcrit , qui porte
que le renouvellement du Traité conclu en
1732 entre les Cours de Vienne & de Drefde , n'obligeant
en nulle façon cette derniere de fournir
des troupes auxiliaires à la Reine de Hongrie , &
aucun des articles de ce Traité n'ayant directe>
ment ni indirectement rapport à la guerre qui diviſe
préfentement l'Empire , S. M. Pr. ne peut envilager
que comme une rupture du Roi de Pologne
Electeur de Saxe avec elle la jonction des
troupes Saxonnes avec celles de S. M. H. que le
Roi de Pruffe prie S. M. Pol . de confidérer quelles
réfolutions il eft autorifé & même forcé de prendre
pour s'opposer aux deffeins qu'on paroît méditer
contre lui ; qu'on ne fera point en droit de lui reprocher
les inconveniens qui pourront réfulter de
la démarche de cette Cour , & qu'il eſpére que le
Roi de Pologne ne voudra rien précipiter dans une
affaire de cette importance , ni porter les chofes à
une extrêmité , qui pourroit tendre à la ruine de
leurs Etats refpectifs .
Le Roi de Pologne Electeur de Saxe a répondu
à ce Refcrit qu'à la vérité par le renouvellement du
Traité de 1732 , il n'étoit point dans l'obligation
de faire marcher des troupes au fecours de la
Reine de Hongrie , mais que rien n'a pû ni dû
empêcher S. M. d'entrer depuis dans les liaiſons
qui lui ont paru convenables pour la fûreté de fon
Electorat ; qu'en faifant attention à la fituation de
fes Etats d'Allemagne , il a jugé néceffaire de conclure
avec S. M. H. la convention échangée le 13
du mois de Mai dernier , par laquelle cette Princeffe
& S. M. fe garantiffent mutuellement la pol
feffion de la Saxe , de la Boheme & de l'Autriche
que
NOVEMBRE. 1744. 159
que d'ailleurs il n'eft point extraordinaire qu'un
Prince donne des Troupes à un autre , fans prendre
part aux guerres dans lefquelles la Puiffance
fecourue eft engagée ; que le Roi de Pruffe luimême
, en entrant en Boheme avec cent mille
hommes , pour foûtenir les intérêts de l'Empereur
, a déclaré qu'il ne prétendoit pas pour cela,
contrevenir à fes engagemens pris par le Traité
de Breslau ; qu'ainfi le Roi s'en tient à la déclaration
qui a été faite de fa part à la Cour de Berlin &
à plufieurs autres Cours , lorfqu'il a pris la réfolution
d'ordonner à fes Troupes d'aller joindre celles
de la Reine de Hongrie.
On a appris de Berlin , du 10 Novembre , que
les Troupes que commande le Général Marwitz &
qui étoient campées près de Troppau dans la Haute
Silefie , le font nifes en marche, pour aller prendre
des quartiers de cantonnement dans les environs
de Breslau.
Le Roi de Pruffe a fait publier un Décret , pour
rappeller tous ceux de fes Sujets qui fervent dans
les Troupes , ou qui font établis dans les Etats de la
Reine de Hongrie ; ce Décret porte que le Roi
ayant été informé qu'auffi tôt après qu'il a fait entrer
dans le Royaume de Boheme fes Troupes , en
qualité d'auxiliaires de l'Empereur , la Cour de
Vienne avoit ménacé par un Edit tous les Hon◄
grois qui étoient actuellement dans les Troupes
Pruffiennes , de les déclarer traîtres à la Patrie , &
de confifquer leurs biens , s'ils ne quittoient pas
le fervice du Roi ; S. M. ordonne non- feulement à
fes Vaffaux & Sujets du Royaume de Pruffe , de la
Marche de Brandebourg & de fes autres anciennes
poffeffions , mais encore à ceux du Duché de
Silefie , même à ceux , qui fans être nés dans ce
Duché , y poffédent des biens , & qui font attachés
II. Vol.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
à la Reine de Hongrie par des Emplois Militaires
ou Civils , ou qui demeurent dans quelques - uns des
Pays de la domination de cette Princeffe , de fe
rendre d'ici à deux mois dans les Etats de S. M. que
ceux qui le conformeront aux intentions de S. M.
peuvent elpérer d'être employés convenablement
à leur naiffance & à leur rang , qu'au contraire
ceux qui réfuferont d'obéir , encoureront l'indignation
du Roi , & que la confifcation de leurs
biens fera deftinée à dédommager les Hongrois ,
qui auront perdu les leurs par leur attachement au
fervice de S. M.
On mande du Camp du Roi de Prufſe près de
Pifcheli du 28 du mois dernier , que fur l'avis qu'on
avoit reçu d'un nouveau mouvement fait par l'armée
de la Reine de Hongrie , le Roi , après avoir
reconnu la pofition des ennemis , fit marcher le
26 fur plufieurs colonnes fes Troupes , dont l'avant
garde s'avança à un quart de lieue du Camp
du Prince Charles de Lorraine. Les Troupes Pruffiennes
fe pofterent fur les hauteurs voilines de celles
que les ennemis occupoient , & l'on efpéroit de
les engager à une action , mais des marais impraticables
, empêcherent les Pruffiens d'aller plus
avant , & il n'y eut que de légeres efcarmouches.
L'armée de la Reine de Hongrie ayant commencé
à défiler par fa gauche , on la fuivit , pour
tâcher de la prendre en flanc , mais le terrain qui la
féparoit des Pruffiens , étant par tout rempli d'étangs
, de ravines & de fondrieres , il n'y eut pas
moyen d'approcher des ennemis , & le Roi prit le
parti de tetourner dans le Camp de Pifcheli .
Le Comte de Naffau , que le Roi avoit détaché
pour s'emparer de Cammerfbourg , ayant été averti
dans fa marche par fes Efpions qu'un Corps
confidérable des ennemis , commandé par le Prince
NOVEMBRE. 1744. 171
Efterhafi , étoit venu camper dans les environs de
ce pofte , il prit le parti d'attaquer ce Corps. Dans
ce deffein , il fit paffer à fon Infanterie quelques
défilés qu'elle franchit fans obftacle , & la Cavalerie
ayant fuivi l'Infanterie , le Comte de Naffau
fe difpofa à charger l'ennemi. Le Prince Efterhafi
fit mine de vouloir accepter le combat , mais
quand il vit que le Comte de Naffau avoit de l'Artillerie
, il abandonna fon Camp , après avoir rétiré
la garnifon qui étoit dans Cammersbourg. Le
Comte de Naflau fit auffi - tôt occuper ce polte , &
le même jour il fe rendit maître de celui de Sazawa.
Le 19 du mois dernier , un Détachement de
1500 Grenadiers des ennemis foûtenus de 600 des
Huffards qu'ils ont fait venir de Moravie , tenta
d'emporter d'affaut la Ville de Pardowitz , & fut
repouffé par le Bataillon Pruffien , qui y étoit en
garnifon , fous les ordres du Colonel Zimmernow ;
il y eut en cette occafion 40 hommes de tués &
plus de 60 de bleffés du côté des ennemis ; on leur
a fait un Officier & 43 Soldats prifonniers , & on
n'a eu que fix hommes de bleffés , & le Colonel
Zimmernow eft de ce nombre ; il a un bras caffé &
& une bleffure à la tête.
LE
HAMBOURG.
E 28 Août , le Comte de Flemming , Grand
Général d'Artillerie de Lithuanie , obtint une
audience de la Czarine à Kiovie , où il la compli
menta fur fon heureuſe arrivée de la part du Roi
& de la République de Pologne.
Le Comte de Rolemberg , Miniftre de la Reine
de Hongrie eft arrivé à Moscou , mais il n'a point
encore vû le Comte de Befuchef.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
On a diftribué des quartiers aux Troupes Ruf
fiennes revenues de Suéde . Le Général Keith & le
Major Général Lapuchin étoient campés à Revel
avec quatre Régimens. Perna étoit occupé par un
femblable nombre de Régimens , commandés par le
Lieutenant Feldt Maréchal Solkiow & par le MajorGénéral
Stuart. Ils devoient remplir ainfi plufieurs
Villages près de Dorpt. Le Régiment de Cajan ,
fous les ordres du Brigadier Général Czernichow ,;
étoit à Nerva, & le Régiment des Grenadiers s'étoit
transporté fur dix Galeres à Peteſbourg : on a défarmé
dans le Port de Cromstadt la Flotte de Ruffie.
On apprend de Coppenhague qu'on efpéroit que le
Négociation dont le Comte de Hoften étoit chargé
auprès de la Czarine pour les affaires du Holftein
feroit fuivie d'un heureux fuccès . S. M. Czar . a
envoyée l'Ordre de S. Alexandre Newſki au Baron
de Korff , fon Miniftre à la Cour de Dannemarc,
On réparoit avec activité les Fortifications de
Vienne , & la Reine de Hongrie a dépêché des Lettres
Circulaires pour ordonner à la Nobleffe de ce
Royaume d'aller joindre le Prince Charles de Lorraine
, & on prétendoit que divers Comtes ont pro
mis d'entretenir un corps deTroupes pour le fervice
de leur Souveraine.
La premiere colonne de l'Armée du Prince
Charles de Lorraine arriva le 16 Septembre à Dietl
furth. Le même jour , la feconde colonne campa
à Althmuhl.
La Ville de Neumarch a été furpriſe par le Partifan
Gefchrei , qui a taillé en piécès la garnifon
mife par la Reine de Hongrie.
Les troupes de cette Princeffe , qui bloquoient
la Fortereffe de Rofemberg , fe font rétirées précipitamment
fur la nouvelle de l'approche du Marquis
de S. Germain , détaché par le Baron de
NOVEMBRE. 1744. 173
Seckendorf pour les attaquer avec un corps de
troupes Impérialesf
On difoit que le Prince Lubomirski , Caftellan
de Cracovie a promis au Miniftre de la Reine de
Hongrie auprès de la République de Pologne ,
qu'il leveroit dans fes terres douze mille hommes
àfon fervice .
1
Le 22 Septembre , une violente tempête fit périr
ou échouer cent cinquante Vaiffeaux , qui le jour
précédent étoient partis de Hambourg pour la Hol
lande.
Le 15 Septembre , le Marquis de Lanmari , Ambaffadeur
de France en Suéde , célébra à Stoxolm
le rétabliffement de la fanté du Roi fon Maître ,
par un Te Deum , chanté avec la plus éclatante fo
lemnité dans la Chapelle de fon Hôtel , & le lendemain
il paya les Comédiens François & la Troupe
Suédoife , pour donner gratis au Peuple des Comédies
, précédées d'un Prologue & mêlées d'In
termedes.
On affûre que la Suéde a accédé au Traité de
Francfort , pour les Domaines qu'elle pofféde dans
le Duché de Pomeranie .
Dès que le Prince Charles de Lorraine eut joint
le 27Septembre l'armée de la Reine de Hongrie
, le Comte de Traun en céda le commande→
ment à ce Prince , & les corps commandés par
Généraux Feftetits & Bathiany fe font répliés.
les
On mande de Hambourg du 16 de ce mois ,
qu'on y a reçu avis de Boheme , que le 30 du mois
dernier l'armée commandée par le Prince Charles
de Lorraine étoit décampée , & qu'elle s'étoit avancée
à Tanawitz fur la Frontiére du Cercle de
Czafau ; que les Troupes Saxonnes qui étoient ref
tées à Biſtritz , n'avoient pû réjoindre que quel
ques jours après cette armée , & que le Prince
H iij
174 MERCURE DE FRANCE .
Charles de Lorraine avoit détaché le Comte de
Nadafti & le Général Ghilani , pour obferver les
mouvemens des Troupes Pruffiennes.
POLOGNE.
E cinq Septembre le Roi denna l'audience de
à
mée , qui enfuite dina chés le Comte Poniatou ki ,
Palatin de Mafovie.
Dans le Senatus Confilium tenu par le Roi le
30 Août dernier , il a été réfolu qu'à la prochaine
Diette on repréfenteroit la néceffité de recommencer
les Conférences avec les Miniftres Etrangers
, de régler avec ceux du Roi de Pruffe tout ce
qui regarde le paffage que la République s'eft engagée
par le Traité de Velau d'accorder aux Troupes
Pruffiennes toutes les fois qu'elle en feroit
requife.
On propofera à la même Affemblée d'accorder
à la Czarine le titre d'Impératrice , demandé depuis
long- tems par cette Princeffe.
Le Comte de Keizerling , Envoyé extraordinaire
de la Czarine , doit aller inceffamment réfider en
cette qualité auprès de l'Empereur , & il fera remplacé
à Varfovie par le Comte de Beftuchef , qui
eft actuellement à Berlin .
L'Empereur a nommé le Baron de Vezel fon Plénipotentiaire
en cette Cour.
Les Comtes Charles & Guftave Biron , & le Gẻ-
néral Bifmark font arrivés de Siberie ; & le bruit
court que les deux premiers fe retireront en Curlande.
NOVEMBRE . 1744. 175
FRA R T.
Na appris de cette Ville du 8 de ce mois
que le 27 du mois dernier l'Empereur fit à
Ebersberg la revûë générale de fon armée , & que
S. M. I. alla enfuite avec une nombreufe eſcorte
reconnoître les environs de fon Camp jufqu'à
Waffefbourg , dont la garnifon fit un grand feu
fur les Troupes qui accompagnoient l'Empereur .
Ce Prince s'avança le lendemain à Hagg , & le
.29 à Mulhdorf, dont il fe rendit maître. Il continua
les jours fuivans fa marche , & fur la nouvelle
qu'on reçût que les troupes qui avoient été laiffées
dans Waffefbourg par le Comte de Bathiany ,
avoient abandonné ce pofte , la plus grande partie
de l'armée Impériale marcha de l'autre côté de
l'Inn.
Les Payfans de plufieurs Villages , fitués le long
de la Salza , ayant pris les armes , ils ont furpris la
Ville de Reichenhall , dont ils ont taillé en piéces
la garniſon.
Un corps de troupes Palatines a joint l'armée
de l'Empereur
avec huit piéces de canon , & l'en
y attendoit un train d'Artillerie de vingt canons &
de dix inortiers.
Le Comte de Bathiany s'eft retiré fous Braunau
avec les troupes qu'il commande , & il avoit un
pofte avancé à Burckhaufen.
O
BAVIER E.
N mande de Munich du 23 du mois dernier
que les Troupes de la Reine de Hongrie ,
fous les ordres du Baron de Berencкlau , camperont
le 12 dans les environs de cette Ville ; que le
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE.
Général Bathiany en ayant pris le commandement ,
elles fe remirent en marche le 15 , pour fe rendre
vers l'Inn , & que le lendemain un détachement
de 1500 hommes , que le Général Bathiany avoit
Jaifé à Munich fours les ordres du Colonel Litfch ,
fe retira auffi dès la pointe du jour , après avoir
mis le feu au pont fur l'Ifer.
Les Huffards de l'Armée Impériale parurent une
heure après à une petite diftance de Munich , &
ayant donné la chaffe à ce détachement , ils tuerent
ou firent prifonniers plufieurs des Soldats dont
il étoit compofé .
Le même jour , le Comte de S. Germain fe ren-
'dit à Munich avec mille Cuirafiers & un pareil
nombre de Dragons des troupes Impériales , & il
reprit poffeffion de la Vilie au nom de l'Empereur.
L'Armée Impériale s'avança le 17 à Augfbourg ,
dont les Magiftrats envoyerent des Députés au
Maréchal de Seckendorf , pour le complimenter.
Le 21 , l'Empereur arriva au Château de Nimpbenbourg
; S. M. I. fit le 22 fon entrée dans Munich
, & le 23 elle fe mit à la tête de fon armée ,
avec laquelle elle fe difpofoit à paffer l'Ifer .
On apprend de Munich du 10 de ce mois , que
P'Armée Impériale , au lieu de fuivre le Comte de
Bathiany , qui s'étoit rétiré du côté de Braunau
avec les troupes qu'il commande , marcha le 6 de
ce mois à l'Abbaye d'Eggenfeldt , où l'Empereur a
établi fon quartier général , & qu'il a été réfolu
dans le dernier Confeil de Guerre , que S. M. I,
a tenu , de ne point s'arrêter au Siége de Braunau ,
mais de s'avancer vers Paffau , afin de s'emparer
de la Fortereffe d'Oberhaus , & de fe rendre maître
du cours du Danube .
S. M. I. a accordé une Amniftie à tous ceux de
fes Sujets qui ont pû manquer à la fidélité qu'ils luiNOVEMBRE
. 1744. 177
devoient , & elle a promis par une déclaration particuliere
de ne faire aucune recherche fur ce qui
s'ett paffé pendant que les ennemis étoient en poffeffion
de la Baviere.
Les ennemis ont abandonné non-feulement la
Ville de Wafferbourg , mais encore le Château
de Rofenheim , & le Prince de Saxe Hildbursghaufen
s'eft emparé de New Bayern , où il y avoir
300 hommes , dont 100 ont été faits prifonniers &
les autres taillés en piéces ou mis en fuite.
L
24
ITALIE.
E 2 Oftobre , l'Infant Don Philippe fut averti
que le Roi de Sardaigne venoit l'attaquer &
fecourir Coni , il laiffa pour la garde de fon camp
18 Bataillons des deux Nations alliées , & avec 20
Bataillons Efpagnols & 18 François , & 60 Efcadrons
, dont étoient de ces dernieres troupes , il
arriva au Convent de la Madonna del Ulmo . Sa
droite fut appuyée, à ce Convent , fa gauche à une
Caffine ; une autre Caffine fortifiée couvroit le
centre de fon armée ; on tenforça la premiere ligne
trop foible avec de la Cavalerie , tant Françoiſe
qu'Espagnole, le 30 Septembre , les Entremis s'avancerent
fur deux colonnes paralleles. Le Roi de Sardaigne
porta fon Infanterie le long d'une chaufféebordée
deNavilles & couvrit les flancs de fes troupes
de chevaux de frife , il en plaça de même au front de
fon armée , après une violente canonade,à une heure
après midi , les Grenadiers Piémontois attaquerent
les Caffines qui défendoient les retranchemens des
François & des Efpagnols &le Port de laMadonna del
Ulmo.Ils furent repouffés dans toutes leurs attaques
fucceffives; vers les s heures du foir, le combat devine
général entre l'Infanterie des deux armées ; celle
Hy
178 MERCURE
DE FRANCE .
des ennemis fut repouffée de toutes parts & dans
toutes les tentatives réitérées , & fur les dix heures,
le Roi de Sardaigne s'appercevant de la perte confidérable
qu'il avoit faite & qu'il ne pouvoit plus
réfifter aux vainqueurs , abandonna une partie de
fon artillerie & fes innombrabies chevaux de frife ,
& fe retira en laiffant des détachemens de Grenadiers
, qui tirerent pendant deux heures fur nos
cacher la retraite ; leur feu ceffa à mitroupes
pour
nuit , & dès la pointe du jour l'Infant les fit fuivre
par le Marquis de Corbulan à la tête de 1000 chevaux.
Les Piémontois ont perdu plus de scco
hommes , tués ou bleffés , & cinq piéces de canon .
L'armée Françoife & Efpagnole ne compte que
près de 900 morts & 1200 bleffés. Les principaux
Officiers François bleffés font le Marquis de Sennecterre,
Lieutenant Général ; le Chevalier Chauvelin
, Brigadier , & le Marquis de la Force , à qui
un boulet de canon a emporté l'épaule. Deux chevaux
tués fous le Prince de Conty , & deux coups:
dans fa cuiraffe , prouvent les dangers que fa valeur
a furmontés.
Les différentes difpofitions faites par le Prince de
Lobckowitz font juger qu'il ne penſe qu'à le retirer
de l'Etat Eccléfiaftique avec les troupes qu'il
commande ..
Le Comte de Gages , depuis les renforts qu'il a
reçûs d'Espagne , eft fort fupérieur en forces à ce
-Général.
L
ESPAGNE.
'Efcadre Efpagnole , qui a pour Commandant
M. d'Auteuil , a pris dix Vaiſſeaux Hollandois
qui faifoient partie d'un convoi deſtiné pour la
Flotte que le Roi de la Grande-Bretagne a dans la
NOVEMBRE. 1744. 179
Méditerranée ; ils étoient chargés d'agrès & de mu
nitions de guerre , le refte du convoi , efcorté de
deux Vaiffeaux de guerre , s'eft ſauvé , & a été
pourfuivi du côté de l'Afrique .
M. Greffein , Sécretaire d'Ambaffade , chargé
dans cette Cour des affaires de la République de
Hollande , a préfenté au Miniftere un Mémoire aufujet
de la prife de ces Vaiffeaux , il prétend qu'ils
faifoient feulement voile de conferve avec les
Vaiffeaux Anglois.
On mande de Madrid du 27 du mois dernier que
le Roi a pris le deuil pour trois femaines à l'occafion
de la mort de Madame de France , fixiéme fille
de S. M. T. C.
9
Le 21 , Don Antoine Alos, Brigadier des armées
du Roi d'Espagne , arriva du Camp devant Coni ,
d'où il avoit été dépêché par l'Intant Don Philippe
, pour informer S. M. du détail de l'action qui
s'eft paffée le 30Septembre dernier , entre les troupes
combinées de France & d'Espagne & celles du Roi
de Sardaigne .
L'Intendant de Marine du Ferol a mandé au Roi
que la Galere le Prince des Afturies , commandée par
Don Paul de Larrea , s'étoit emparée le 4 du mois
dernier du Brigantin Anglois les deux Freres , de 70
tonneaux , dont la charge confiftoit en 1155 quinteaux
de Moruë , & en dix barriques de Saumon..
GENES ET ISLE DE CORSE.
9 N mande de Gênes du 25 du mois dernier
O
qu'on y a appris que les obftacles de la faifon
n'ayant pas permis à l'armée combinée de France
& d'Espagne de continuer le Siége de Coni , l'Infant
Don Philippe & le Prince de Conty étoiene
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
décampés le 21 , & que les troupes Françoifes &
Elpagnoles , qui n'ont été nullement inquiétées
dans leur retraite par les Piémontois , étoient fous-
Demont , où elles devoient demeurer jnſqu'au retour
des deux couriers , qui ont été dépêchés , l'un
par le Prince de Conty au Roi de France , & l'autre
par l'Infant en Espagne .
On a appris de Gênes du 2 de ce mois , que le
dernier courier qui eft arrivé . de Turin a rapporté
que depuis que l'armée combinée de France
& d'Elpagne eft retournée dans fon Camp fous Démont,
le Roi de Sardaigne a établi fon quartier général
à Vignolo , entre cette Fortereffe & la Ville
de Coni.
Selon les avis reçus de l'Etat Eccléfiaftique , on
ne croit pas que le Prince de Lobckowits demeu— .
re encore long - tems dans fon Camp de Nemi , &
l'on affûre que les troupes qui font fous les ordies
font fort inférieures à l'armée des Eſpagnols &
des Napolitains.
GRANDE BRETAGNE.
E 17 Septembre , le Roi tint à Kenfington un
Confeil d'Etat , & enfuite fit partir des couriers
pour Vienne , pour Bruxelles & pour la Haye.
L'Efcadre qui va relever en Amérique celle du
Chevalier Chaloner - Ogle , eft commandée par PAmiral
Dawers, & eft compofée de deux Vaifleaux de
90 canons , de deux de 80 , de trois de 70 , de quatre
de 60 , & de quatre de 40 .
Les revenus des Douannes ont produit cette année
90000 livres fterlings de moins que l'année
derniere.
NOVEMBRE, 1744. 181
On apprend de Londres du 16 de ce mois , que,
le Vaiffeau de guerre le Jerfey , commandé par le
Capitaine Hardy , conduifit le 8 à Plymouh les
Vailleaux François l'Espérance , l'Intrépide, le Mentor
& la Marie- Thérefe , dont les deux derniers venoient
de la Martinique & de S. Domingue , &
étoient richement chargés .
Un Armateur de l'ile d'Antigoa s'eft rendu
maître d'un Vaiffeau de la même Nation , à bord
duquel en a trouvé 200 barriques de Sucre , 54
tonneaux de Caffé & plufieurs tonneaux d'In
digo.
L
FLANDRE.
'Armée des Alliés décampa le 9 Août ; quelques
jours auparavant un de fes détachemens
de 400 Anglois & de 200 Hanoveriens fut mis en
déroute par un détachement François , qui tua
plus de 80 hommes & emmena prifonniers plufieurs
Officiers & Soldats .
Le Comte Maurice de Naffau , Général des troupes
Hollandoifes n'étoit pas encore rétabli de fa
ladie.
Le 17 Octobre , le Comte de Kaunits , Confeiller
Intime de la Reine de Hongrie , & nommé par
elle Grand - Maitre de la Mailon , & Premier Ministre
de l'Archiducheffe Gouvernante , arriva de
Vienne à Bruxelles & reçut le lendemain les
complimens des Confeils & des Tribunaux .
Les troupes des Alliés , fort incommodées par
les ouragans impétueux qu'elles ont effuyés près
de Gaud au Camp de S.Denis , fe font retirées dans
les quartiers qui * leur étoient deftinés.
La garnifon de la Ville de Conftance a abandon182
MERCURE DE FRANCE.
donné cette Ville au feul bruit de l'approche du
Comte de Clermont, qui y eft entré, & a fait l'Etat
Major prifonnier de guerre ; on y a trouvé une
nombreuſe artillerie & des magafins appartenants à
la Reinex de Hongrie.
Le 3 Octobre , l'Archiducheffe Gouvernante de
Flandre reffentit une fiévre violente & des douleurs
très-aiguës , ce qui la détermina à fe confeffer
& à recevoir le Viatique , le 6 à cinq heures du
matin l'enfant fut jugé mort & tité par l'opération
ufitée . L'Archiducheffe la fouffrit courageufement.
་ ་ MORTS DES PAYS ETRANGERS.
On Gabriel Bernard de Quiros Velafco y Cueva,
Marquis de Monréal , Capitaine Général de
la Province d'Eftramadoure , mourut à Badajos le
5 Septembre , âgé de 66 ans.
Don François Lobato d'Ocampo , Confeiller des
Finances , mourut à Madrid le 8 , à l'âge dess
ans.
Les Marquis de Guendica & de Garcia , Lieutenant
Généraux des troupes d'Efpagne en Italie , ont
été bleffés , & M. de Kindelan , Aide- Major Général
de ces troupes , a été tué au Combat donné
près de la Madonna del Ulmo.
Don Manuel de Toledo , Confeiller du Confeil
des Finances , ci- devant Régent de l'Audience de
Valence , mourut à Madrid le 23 du mois dernier ,
âgé de 74 ans.
NOVEMBRE. 1744. 183
le Marquis d'Olias , Corregidor & Intendant Gé
néral de Tolede , y mourut au commencement du
même mois , dans la 65 année de fon âge.
Mre Leopold- Antoine-Eleuther , Baron de Firmian,
Archevêque Prince de Saltzbourg , y mourut
le 27 du même mois , âgé de 65 ans , cinq mois &
un jour. Il étoit fils de François , Baron de Firmian,
Commandant de Triefte & Colonel d'un Régiment
d'Infanterie dans les troupes de l'Empereur
Leopold , & il avoit été nommé Chanoine de
Saltzbourg en 1702 , Evêque de Lavant en 1718 ,
Evêque de Seckau & de Laubach en 1725 , &
Archevêque de Saltzbourg le 4 Octobre 1727.
Le Baron de Plettemberg , ci-devant Miniftre de
la Reine de Hongrie à la Diette de l'Empire ,
mourut à Ratifbonne le 29 du mois dernier.
1
184 MERCURE DE FRANCE.
COPIE de la Lettre de M. le Ch . P ***
à M. le Ch. S ** , à Malte le 27 Octobre.
D
Epuis que j'habite notre Rocher , mon
cher Chevalier , je vous ai fouvent
écrit que je n'avois rien à mander , fur tout
à un habitant de Paris ; il n'en fera pas de
même aujourd'hui , écoutez - moi.
L'Efcadre du Roi , commandée par le
Chevalier de Caylus , parut devant Malte
le premier Octobre & nous apprit à la fois
la maladie & la convalefcence du Roi ; le
danger fit fur nous une impreffion que la
nouvelle de fon rétabliffement n'effaçoit
pas ; nous eûmes befoin des affurances pofitives
qui nous vinrent de tous les côtés de
fon entiere guérifon pour refpirer en liberté
, & quoique notre affliction fut diminuée
, nous ne laifions pas d'éprouver
un ferrement de coeur qui nous rendoit
beaucoup plus douces les larmes de joye que
nous répandions.
On ne penfa plus qu'à remercier Dieu , &
à faire éclater fà reconnoiffance .
Les Trois Langues de France en Corps &
le Bailly du Bocage , chargé des affaires du
Roi auprès du G. M. firent chanter féparé
NOVEMBRE. 1744. 183:
ment des Te Deum , aufquels le Grand Maî
tre affifta dans l'Eglife de S. Jean à l'iſſuë
d'une grande Meffe en Pontifical .
Notre ami le Chevalier N ** s'eſt chargé
de vous mander le détail de ces deux fêtes ;
je m'en tiens à celle qu'avoit fait préparer
le Chevalier de Caylus ; il n'avoit rien négligé
comme vous le verrez , pour fignaler
fon zéle & fon attachement pour le Roi ;
aufli il s'en eft acquitté de la façon la plus
nonvelle & la plus magnifique , du moins
je vous affûre qu'on n'avoit jamais rien vû
de pareil à Malte..
L'Efcadre du Chevalier de Caylus , compofée
de cinq Vaiffeaux , & à laquelle fe
joignit un fixiéme Vaiffeau François , commandé
le Comte de Vaudreuil , entra
par
dans le Port le 19 , & la fête fut indiquée
au 26 ; le 25 au matin , les Vaiffeaux furent
pavoifés & parés de flâmes & de pavillons
de toutes les couleurs & de toutes les Nations
; au Soleil couchant , le Commandant
fit une falve de 21 coups de canon , & les
5 autres Vaiffeaux une de 19 chacun ; quand
la nuit fut venue , les Navires parurent abfolument
illuminés jufqu'aux manoeuvres
les plus déliées ; tout étoit formé par des
lumieres ; ces fix Bâtimens placés avantageufement
dans le Port & brillans de tous
les côtés , produifirent le plus beau coup
186 MERCURE DE FRANCE.
que l'on puiffe imaginer , pendant
deux heures que dura cette fuperbe illumid'oeil
nation.
Le 26 au lever du Soleil , ces Vaiffeaux
parurent pavoifés comme ils l'avoient été la
veille , fans que l'on pût rien découvrir de
tout ce qui avoit porté les lumieres ; ce
fut alors qu'une décharge générale de la
moufqueterie , fuivie d'un falut de 2 1 coups
du Commandant & de 19 des autres Vailfeaux
avertit toute la Ville de la fère
qu'on devoit célébrer. Avant midi toutes
les fenêtres & les terraffes fur le Port furent
remplies d'un monde infini ; le peuple
couvroit le môle & les baftions dans l'attente
du Te Deum qui devoit fe chanter fur.
le Vaiffeau Commandant , & de l'illumination
qui devoit le fuivre , mais ce qui redoubloit
encore l'affluence des Spectateurs ,
c'étoit le Grand Maître , qui a fait en cette
occafion ce qu'aucun de fes prédécelleurs
n'a pratiqué ; jamais il n'y en a eu qui ait
été vifiter fes propres Vaiffeaux , encore
moins qui foit monté fur un bord étranger
; le Chevalier de Caylus qui n'ignoroit
par cet article de l'étiquette , ne laiffa pas
d'aller à la tête des Capitaines & des Officiers
de fon Eſcadre , prier fon Eminence
d'honorer la fête de fa préfence ; le Grand
Maître charmé de témoigner fa vénération
NOVEMBRE. 1744. 187
pour le Roi , oublia les ufages les plus anciennement
établis ; il fortit à quatre heures
& demie de fon Palais , précédé de tous les
Chevaliers qui font à Malte & fuivi de
prefque tous les Grand'Croix , des Baillifs
& des Seigneurs du Confeil des differentes
Nations. Environné de cette Cour refpectable
, il vint à pied jufques à la Marine ;
tous les canots de l'Efcadre allerent au- devant
du Grand - Maître , qu'une fuperbe
Gondole attendoit & dans laquelle il monta
avec les Seigneurs de la Grand'Croix
& fon grand Ecuyer en habit de cérémo
nie ; les principaux Officiers du Palais également
en habits de cérémonie , le précédoient
dans une autre Gondole.Les Cheva
liers avoient rempli les canots & tous les
petits bâtimens que le Commandant avoit
fait trouver au mole . Le Grand- Maître voguoit
lentement au bruit des tymbales &
trompettes, & les Vaifleaux François devant
lefquels il paffa , le faluerent de fept Vive
le Roi.
Quand fon Alteffe fut arrivée au Commandant
, elle trouva fur une efpéce de perron
que l'on avoit ajouté au pied de la
grande échelle , tous les Capitaines de l'Efcadre
& le Chevalier de Caylus à leur tête ;
il donna le bras au Grand- Maître & l'aida à
monter , tandis que les équipages faifoient
188 MERCURE DE FRANCE.
retentir l'air de cris redoublés de Vive le
Roi. Son Eminence trouva au haut de l'échelle
es troupes fous les armes , & fut faluée
par leurs Officiers ; elle paffa fur le
gaillard , où les Officiers de la Compagnie
des Gardes de la Marine la faluerent également
; quarante de ces Mrs étoient fous les
armes ; ils les préfenterent avec tant de grace
que le Grand- Maître en fut charmé ; il
s'arrêta quelques momens pour voir & admirer
cette jeune nobleffe , dont plufieurs
font de notre Ordre , enfuite le Grand- Maî
tre entra dans la chambre du Confeil , à la
porte de laquelle un Garde Marine étoit en
faction l'épée nuë ; fon Eminence s'aflit fur
un fauteuil placé fur un tapis de pied ; tous
les Grand'Croix étoient affis autour de lui ;
une décharge de moufqueterie fut le ſignal
d'une falve générale de toute l'artillerie
des Vaiffeaux ; S. E. après quelques momens
d'une converfation polie & agréable , voulut
vifiter l'intérieur du Vaiffeau ; tout y étoit
difpofé comme pour le combat ; le Grand-
Maître alla par tout , examina & parut charmé
de l'ordre & de la propreté de ce beau
Navire , il vint enfuite fur le Gaillard & fe
plaça fous un Dais qu'on lui avoit preparé à
Tribord. Ce Gaillard formoit alors unfalon
magnifique , au fond duquel les Gardes de
la Marine étoient fous les armes , & deux
NOVEMBRE. 1744. 189
de ces Mrs étoient en faction aux côtés du'.
Dais ; les Grand'Croix étoient affis , & les
Chevaliers avec les Officiers de l'Eſcadre
étoient debout . Le Pere de Lefpinaffe , Jefuite
, Aumônier du Commandant , vint à
la tête des Aumôniers de l'Efcadre complimenter
le Grand Maître , avant que de lui
prefenter l'Eau- Bénite , enfuite if alla de
vant un Autel richement paré , & il entonna
le Te Deum qui fut chanté par toute la
Mufique de Malte , que le Chevalier de
Caylus avoit placée fur la Dunette.
Au fronteau de la Dunette & dans l'endroit
le plus apparent , on avoit placé le
Portrait du Roi. Vous ne pouvez imaginer
, mon cher Chevalier , l'effet que cette
vûe produifit en nous ; c'étoit pour
lui que
nous étions affemblés , c'étoit pour lui que
nous venions intéreffer le Ciel ; nos coeurs
en furent remués ; les differentes Nations
qui étoient avec nous , s'en apperçûrent &
convinrent que jamais aucune Nation n'a
aimé fon Roi comme les François aiment le
leur. Nous cherchâmes dans nous-mêmes la
raifon de cet amour fi tendre & fi vif ; voici
celle que nous trouvâmes ; je crois que c'eft
la véritable , du moins nous la donnâmes à
des Portugais étonnés de la vivacité de nos
fentimens, Toutes les Nations , même les
plus fidelles , ne voyent que leur Maître
190 MERCURE DE FRANCE.
dans la perfonne de leur Roi , les François,
vont plus loin , ils y voyent un Pere , auquel
ils doivent tout , & un ami pour lequel
ils mourroient. Ces Mrs avouerent,
qu'il falloit que cela fut ainfi , pour furprendre
les François dans les mouvemens
involontaires de crainte ou de trifteffe dont
on voit bien qu'ils ne font pas les Maîtres ,
d'abord qu'il s'agit de leur Roi.
Quand les prieres furent finies , le Grand-
Maître revint dans la chambre du Confeil
où le Commandant lui fervit lui - même des
rafraîchiffemens ; on en préfenta à tous les
Seigneurs , parmi lefquels étoit l'Evêque,
de Malte & le Prieur de l'Eglife ; ces deux
Prélats ont affifté à toutes les prieres qu'on
a fait pour le Roi , & fe font trouvés à
toutes les fêtes dont ce Monarque étoit
l'objet.
Tous les Officiers s'approcherent auffi de
fon Eminence ; ce Prince les reçut avec une
politeffe & un air de fatisfaction , qui flatoit
plus que l'honneur même qu'il avoit
prétendu faire par fa préfence ; il fit donner
75 Piéces de Portugal valant mille écus
à l'équipage ; il accorda la demi- Croix au
premier Nocher , au premier Pilote & au
premier Canonnier; enfin au coucher du Soleil
, le Grand Maître parût fortir à regret
du Vaiffeau ; il fut conduit avec les mêmes
NOVEMBRE. 1744. 191
cérémonies & le Commandant lui donna le
bras pour l'aider à defcendre & à entrer
dans la Gondole ; à peine fut- elle débordée,
qu'une falve générale d'artillerie & de moufqueterie
fe fit entendre.
Le Grand-Maître , pour ne rien perdre
de cette fête , vint débarquer à fon jardin
de la Marine , dont il avoit fait illuminer le
beau falon , pour répondre en quelque façon
aux illuminations des Vaiffeaux dont il n'avoit
pû jouir la veille & ce jour- là tout
concourut à lui donner un magnifique fpectacle
; après avoir demeuré deux heures
dans fon jardin , S. E. retourna fur les neuf
heures à fon Palais , mais pour joüir plus
long-tems de la beauté du coup d'oeil que
fournifloit cette brillante Eſcadre , ce Prince
paffa à pied le long du rempart du côté
de la Baraque de Caſtille ; fa Cour étoit un
peu moins nombreuſe qu'en arrivant à fon
jardin ; 70 Chevaliers ou Baillifs de differentes
Nations qui l'avoient fuivi , revinrent
au Vaiffeau du Chevalier de Caylus , où il
les attendoit avec le plus grand & le plus
magnifique fouper , qu'il appelloit un ambigu
; la gayeté , la bonne chere , les vins
précieux & la Mufique firent durer jufqu'au
jour un fouper qui lui feul eut été
une fête magnifique.
192 MERCURE DE FRANCE.
*X* X* X*X*XX* X * X*XXX
COMPLIMENS adreffés au Roi , à
la Reine , à Monfeigneur le Dauphin & à
Mefdames , par les fix Corps des Marchands
, le Dimanche IS Novembre,
O
Na oublié d'inférer ces Complimens
dans le premier Volume ; ils font
l'ouvrage d'un Ecrivain célébre , qui dans
cette occafion a prêté fa plume à fa joye ,
pour exprimer le zéle & l'amour du Peuple
pour fon Roi.
SIRE ,
AU ROI,
Après tant d'éclatans témoignages de refpect
, d'amour , de douleur & de joye , de
Gimples Citoyens trembleroient de paroître
devant V. M. fi le langage des coeurs , le
feul qu'ils puiffent employer , n'étoit pas
toujours bien reçu d'elle. Notre profellion
eft d'entretenir par nos travaux l'abondance
, que la fageffe de V. M. fait fleurir , &
que fes conquêtes nous afferent. Chaque
Ordre de l'Etat a fes prérogatives , mais le
zéle eft commun à tous ainfi que vos bienfaits.
Les cris de victoire de vos guerriers ,
les
NOVEMBRE. 1744. 193
les actions de grace de votre Clergé , les
Harangues de tant d'illuftres Compagnies ,
nos foibles voix enfin , tout part du même
principe , & tout éprouve la même bonté.
A LA REINE.
MADAME ,
Quelquefois la foule des hommages devient
importune , quand ils ne font que
des refpects , mais la vertu écoute toujours
avec fatisfaction tous les tranfports qu'elle
infpire , & c'est à elle que nous parlons :
c'eft elle qui augmenta nos douleurs ; c'eft
elle qui ajoute aujourd'hui à notre joye , &
qui nous encourage à l'exprimer cette
joye éclate au nom de tout le Peuple de la
France , de ce Peuple innombrable , dont la
voix toujours fidelle eft l'interpréte de la
vérité, de la nature , & qui deftituée de tout
art ne s'en fait que mieux entendre au coeur
de V. M.
A MONSEIGNEUR LE DAUPHIN,
MONSEIGNEUR ,
Il nous eft permis d'ofer joindre ici nos
acclamations à votre joye , & pour comble
II. Vol. 1 .
194 MERCURE DE FRANCE.
de bonheur , après nous être profternés devant
un Roi , qui remplit tous nos défirs ,
nous fommes aux pieds de celui qui fait toutes
nos efperances .
A MESDAMES.
MESDAMES ,
Daignez recevoir ici les témoignages fimples
& finceres de nos refpects & de notre
joye , comme vous avez reçû tant d'hommages
offerts avec plus d'appareil & d'éloquence,
ETAT des perfonnes qui font allées fur la
frontiere d'Espagne recevoir Madame la
Dauphine.
U Ne Dame d'honneur , Madame la Ducheffe
3 Dames de Compagnies.
de Brancas.
Mad . la Ducheffe de Caumont.
Mad. la Marquife du Roure.
Mad. la Marquife de Pons.
Une premiere femme de Chambre , la Dame de
4 Autres .
Une Coeffeufe.
Une
Blanchiffeufe ou
Empefeufe.
Une fille de Garderobe.
Four.
NOVEMBRE . 1744. 195
Le Chevalier d'honneur de la Princeffe , M. le Mar-
Le premier Ecuyer ,
quis de la Farre.
M. le Comte de Rubempré
Un Sécretaire du Cabinet ,
Un Maître des Cérémonies ,
Un Ecuyer du Roi ,
M. de Verneuil.
M. Delgranges.
M. de la Rivoyre.
Chapelle.
M. l'Abbé Daydie ,
Aumônier:
Un Chapelain ,
M. l'Abbé Paigné.
Un Clerc de Chapelle , M. l'Abbé de la Vallée,
Un Sommier.
Faculté,
Le Médecin ordinaire du Rai , M. Marcot.
Un Chirurgien.
Un Apotiquaire.
Ua Aide- Apotiquaite.
Chambre & Garderobe,
2 Huiffiers de la Chambre du Roi.
2 Valets de Chambre ,
2 Valets de Garderobe ,
Id.
Id.
i Garçons de la Chambre de Madame la Dauphine.
I Portemanteau du Roi.
2 Valets de Chambre Tapiffiers , Id:
2 Portemeubles , Id .
2 Portefaix , Id .
Gardes du Corps:
Un Chef de Brigade , M. le Bailly de S. André
Deux Exempts .
Deux Brigadiers.
Deux Sous - Brigadiers .
50
Gardes.
I ij
194 MERCURE DE FRANCE.
de bonheur , après nous être profternés devant
un Roi , qui remplit tous nos défirs ,
nous fommes aux pieds de celui qui fait toutes
nos efperances.
A MESDAMES.
MESDAMES ,
Daignez recevoir ici les témoignages fimples
& finceres de nos refpects & de notre
joye , comme vous avez reçû tant d'hommages
offerts avec plus d'appareil & d'éloquence,
ETAT des perfonnes qui font allées fur la
frontiere d'Espagne recevoir Madame la
Dauphine.
U
Ne Dame d'honneur , Madame la Ducheffe
3 Dames de Compagnies.
de Brancas.
Mad. la Ducheffe de Caumont.
Mad. la Marquife du Roure.
Mad. la Marquife de Pons.
Une premiere femme de Chambre , la Dame de
4 Autres .
Une Coeffeufe .
Une
Blanchiffeufe ou Empefcufe.
Une fille de Garderobe.
Four.
NOVEMBRE . 1744.
195
Le Chevalier d'honneur de la Princeffe , M. le Marquis
de la Farre
Le premier Ecuyer , M. le Comte de Rubempré
Un Sécretaire du Cabinet ,
Un Maître des
Cérémonies ,
Un Ecuyer du Roi ,
M. de Verneuil.
M.
Delgranges.
M. de la Rivoyre.
Chapelle.
M. l'Abbé Daydie , Aumônier.
Un Chapelain , M.
l'Abbé
Paigné .
Un Clerc de
Chapelle , M. l'Abbé de la Vallée
Un Sommier.
Faculté.
Le Médecin ordinaire du Roi ,
M. Marcot
Un
Chirurgien .
Un
Apotiquaire.
Un Aide-
Apotiquaite .
Chambre & Garderobe.
2 Huiffiers de la Chambre du Roi.
2 Valets de Chambre ,
2 Valets de
Garderobe ,
2
Id.
Id.
i Garçons de la Chambre de Madame la Dauphine.
I Portemanteau du Roi.
2 Valets de
Chambre Tapiffiers ,
2
Portemeubles ,
2 Portefaix ,
Id:
Id.
Id.
M. le Bailly de S. André
Gardes du
Corps.
Un Chef de Brigade ,
Deux
Exempts.
Deux
Brigadiers.
Deux Sous-Brigadiers ,
Jo Gardes.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
1 Trompette.
7 Clerc du Guet.
■ Maréchal ferrant.
yFourier.
1 Caporal.
'72 Suiffes.
Cent Suiffes.
Gardes de la Porte,
Lieutenant.
4 Gardes.
2 Officiers.
Gardes.
Prévôté de l'Hôtel
Maréchaux & Fouriers,
2 Maréchaux.
8 Fouriers,
Officiers pour le traitement.
Le Maître d'Hôtel ordinaire du Roi , M. le Mar
1 Contrôleur Clerc d'Office.
quis de Coulanges,
▾ Commis du Contrôleur Général.
Commis de la Chambre aux deniers.
2Gentilshommes fervans.
Waguemeftre.
Aide Waguemeftre.
Sous Aide Waguemestre.
Huiffier de Sale.
a Chefs de Panneterie,
Bouche.
1 Aide.
1 Sommier,
NOVEMBRE. 1744. 197
1 Chef d'Echanfonnerie , bouche.
1 Ayde.
2 Sommiers .
i Garde vaiffelle , gobelet.
1 Lavandier de Panneterie , bouche.
2 Ecuyers de la bouche.
1 Maître Queux.
1 Hâteur.
1 Potager.
2 Enfans de Cuiſine.
> Patiffier.
1 Porteur.
■ Huiffier.
■ Avertiffeur.
■ Sommier du garde manger.
1 Sommier des broches.
1 Garde vaiffelle , bouche.
Grand Commun
1 Chef de Panneterie.
1 Aide.
1 Sommier,
2 Chefs d'Echanſonnerie.
1 Aide.
2 Sommiers.
2 Ecuyers de Cuifine , Commun.
2 Maîtres Queux .
1 Hâteur.
■ Potager.
1 Patiffier.
1 Garde vaiffelle extraordinaire.
1 Verdurier.
I Huiffier.
2 Enfans de Cuifine.
2 Porteurs .
■ Sommier du garde- manger .
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
1
1 Sommier des broches.
■ Falotier.
2 Huiffiers du Bureau.
3
Chefs de Fruiterie.
2 Aides.
2 Sommiers.
1 Chef de Fouriere.
1 Aide.
I Lavandier de Cuifine , bouche & commun
I Portetable
1 Bouteillier du Chambellan.
Lavandier de Panneterie commun.
Pages du Roi.
Ecurie..
6 Grands Valets de pied.
s Petits.
2 Cochers.
2 Poftillons.
2 Fouriers .
1 Maître Palfrenier.
5 Garçons d'attelages.
6 Aides aux chevaux de Selle.
I Maréchal .
1 Charron.
1 Bourlier-Sellier.
2 Muletiers.
2 Porteurs.
NOVEMBRE. 1744. 199
COPIE de la Lettre du Roi écrite à Mon-
Seigneur l'Archevêque de Paris , pour faire
chanter le TE DEUM en Actions de
graces des heureux fuccès de la Campagne
du Roi, en particulier de la Prife de la
Ville de Fribourg.
M
On Coufin , le moment que j'attendois
avec tant d'impatience eft arrivé , où je puis
rendre à Dieu , au milieu de tout mon Peuple , les
Actions de graces que nous lui devons pour les
bienfaits dont il nous a comblé . Il lui a plû de feconder
mes efforts & de me faire triompher à la
tête de mes Armées : il a daigné récompenfer l'amour
que je porte à mes Sujets , & couronner , par
des fuccès , le défir que j'avois de contribuer moimême
à leur fureté & à leur gloire . Mes Conquêtes
en Flandres ont été auffi rapides qu'elles
étoient importantes ; nul effort n'a été vain. Enfin
mes ennemis déconcertés , reconnoiffant leur foibleffe
, n'ofant pas fe préfenter à force ouverte , &
croyant au moins pouvoir entreprendre aux lieux où
je n'étois pas , ont furpris des paffages pour pénétrer
dans mes Etats , mais la valeur de mes Troupes
m'a donné le tems de voler à leur fecours . Ni
le regret d'interrompre mes Conquêtes , ni l'éloignement
des lieux ne m'ont point retenu , & Dieu
qui m'en donnoit la force & la volonté , paroiffoit
approuver mes deffeins. Si alors fa grace toute- puiffante
a paru m'abandonner un moment ; fi après
m'avoir protegé dans des entrepriſes difficiles , il a
voulu me faire voir la mort ailleurs que dans les
I iiij
200 MERCURE DE FRANCE.

dangers , ce moment d'allarme n'a fervi qu'à me
faire fentir plus vivement l'excès de fa bonté , &
j'ai reconnu qu'il ne m'avoit mis à cette épreuve ,
-que pour m'accorder la faveur la plus touchante
qui puiffe être pour un Roi . Sa Providence a voulu
que je jouiffe de tout l'amour de mes Sujets ,
fans que les marques en fuffent fufpectes , & que
me furvivant à moi - même , je viffe les regrets que
je laiffois après moi : voilà de tous fes dons , un de
ceux qui m'a le plus touché. Ce Dieu qui lit dans
mon coeur , fçait combien le prix d'être aimé , y
prévaut fur un vain défir de gloire , qui coûteroit
trop à mes Sujets. Que fa bonté daigne achever
fon ouvrage ; que ce ne foit pas vainement que
mon Peuple me foit cher ; que fa protection me
fourniffe les moyens de rendre ce Peuple heureux
par la Paix , & que mes Victoires ne me fervent
qu'à éteindre pour jamais dans mes ennemis , la
moindre efpérance de pouvoir me nuire. La prife
de Fribourg dont je viens de me rendre maître pour
l'Empereur mon Frere , les places de l'Autriche
Antérieure que je lui ai foumiſes , tout acheve de
les convaincre , que les efforts les plus grands ne
peuvent rien contre une Armée que Dieu protége
fi vifiblement. Qu'ils entendent donc la voix du
Très- Haut ; qu'ils fe laffent des maux de leurs
Pays , s'ils ne font pas touchés de ceux de l'Europe
; qu'ils fe fouviennent que la France , en poffel-
Tion de défendre les Souverains opprimés , n'a jamais
foutenu que des caules juftes , & qu'ils foient
enfin convaincus , qu'une Nation guerriere , qui
n'a qu'une langue & qu'un coeur , qui aime fon
Maître autant qu'elle en eft aimée , & qui combat
pour l'équité, doit tôt ou tard , par la Miféricorde de
Dieu , triompher de tous les ennemis. Pénétré de plus
en plus de tout ce que je dois à fa divine bonté,je
NOVEMBRE. 1744. 201
ne puis que lui en redoubler mes Actions de graces
, & je vous écris cette Lettre pour vous dire ,
que mon intention eft , que vous faffiez chanter le
Te Deum dans votre Eglife Métropolitaine & autres
de votre Diocèfe , avec les folemnités requifes , au
jour & à l'heure que le Grand Maître , ou le Maî
tre des Cérémonies vous dira de ma part , & que
Vous y invitiez tous ceux qu'il conviendra d'y affifter
: fur ee , je prie Dieu , qu'il vous ait , mon
Coufin , en fa fainte & digne ,garde . Ecrit à Verſailles
le vingt- un Novembre mil fept cent quarantequatre.
Signé , LOUIS ; Et plus bas , PĦILYPEAUX.
Et au dos eft écrit : A mon Coufin l'Archevêque
de Paris , Duc de Saint Cloud , Pair de France
Commandeur de l'Ordre du Saint- Esprit.
M. l'Archevêque de Paris , donna fon Mandement
en conféquence , dont la teneur fuit.
CHARLES - GASPARD - GUILLAUME
DE VINTI MILLE & c. je
Pourrions nous ne pas regarder comme un effet
fenfible de la protection du Ciel , cette fuite d'événemens
avantageux , qui , depuis que le Roi s'eft
rendu à la tête de fes Troupes , ont relevé la gloire
de fes Armes , & entre lefquels l'un des plus importans
eft la prise de la Ville de Fribourg , & des
Forts quila conmandent.
Le premier foin de Sa Majefté au retour de fes
expéditions , a été de remercier le Dieu des Armées
des lecours qu'il en a reçus , & de lui rendre fes
voeux devant tout fon Peuple , dans ce Temple Augufte
, où l'on a offert tant de Sacrifices pour le
fuccès de fes entrepriſes , au milieu de cette Capi❤
tale , comme dans le lieu le plus propre pour faire
éclater les fentimensde Religion & de gratitude .
dont fon coeur étoit pénétré.
Iy
202 MERCURE DE FRANCE.
Aujourd'hui ce même Monarque , par la Lettre
que nous vous communiquons , & qui fera à jamais
un monument précieux de fa piété envers
Dieu & de fa tendreffe pour les Sujets , nous ordonne
de rendre de notre part au Très- Haut de folemnelles
Actions de graces pour les différentes faveurs
dont il l'a comblé , & en particulier pour l'in
portante conquête que ce Prince , revenu à peine
des portes de la mort , a entrepriſe avec tant de
courage , & qui a fignalé glorieufement la fin de fa
campagne.
:
Animés par un exemple fi édifiant , foumis à des
ordres fi refpectables , faifons retentir le lieu Saint
du chant de ces Cantiques confacrés par l'Eglife à
la reconnoiffance des bienfais que Dieu répand fur
nous allons aux pieds des Autels faire à celui que
nous y adorons , l'hommagé de nos profpérités &
de nos triomphes : reconnoffons que nous en fommes
redevables à ſa main bienfaifante , & loin de
les attribuer uniquement à l'induftrie & au courage
de l'homme , écrions - nous avec cette multitude
d'Efprits Céleftes , qui environnent le Trône de
PAgneau : A notre Dieu , Bénédiction , Gloire , Sageffe
, Actions de graces , honneur , Puiſſance & force
dans les fiécles des fiécles.
Après l'avoir remercié de ce que fa divine bonté
a fait pour nous , prions - le de nous donner de nouvelles
preuves de fa protection , en calmant les
troubles dont l'Europe eft agitée , & en nous rendant
un bien que nous avons long-tems poffédé ,
fans en connoître affés le prix : demandons lui qu'il
diffipe les jaloufies & les défiances qui ont enfanté
les cruelles divifions d'où naiffent chaque jour
tant de malheurs & de défordres conjurons- le
d'éloigner de nos Frontiéres l'un des plus redoutables
fléaux de fa colere ; de brifer én de matare en
:
NOVEMBRE. 1744. 203
pièces , ou du moins de rendre inutiles ces Armes
meurtrieres , que les hommes ont inventées pour
leur mutuelle deſtruction .
Puiffions-nous , par une heureuſe réunion des
Puiffances divifées , jouir dans peu du fruit de nos
Prieres , voir bien -tôt fuccéder aux horreurs d'une
Guerre fanglante , les douceurs de la Paix , & n'avoir
plus que des voeux à former en faveur de ceux ,
contre qui nous implorons avec ardeur l'affiftance
du Ciel!
A ces caufes , après en avoir conferé avec nos
vénérables Freres les Doyen , Chanoines & Chapitre
de notre Eglife Métropolitaine , Nous ordonnons
: que le Te Deum , avec le Verfet , Benedica
mus Patrem & Filium , &c. & l'Oraiſon Pro gra
tiarum actione ; l'Antienne Domine falvum fac Regem
, &c. le Verlet Fiat manus tua , &c . &l'Orai
fon Pro Rege ejus Exercitu , fera chanté Mercredi
prochain deux du préfent mois de Décembre , dans
notredite Eglife , en actions de graces des heureux
fuccès de la Campagne du Roi , & en particulier de
la prife de la Ville & des Forts de Fribourg. Que
Dimanche fix du même mois , il fera pareillement
chanté dans toutes les Abbayes , Chapitres, Paroiffes
& Communautés Séculieres & Régulieres de la
Ville & des Fauxbourgs de Paris ; & le Dimanche
qui fuivra la réception de notre préfent Mandement
, dans toutes les autres Eglifes de notre Dio
cèfe. Si vous mandons , que ces Préfentes vous:
ayez à notifier à tous Abbés , Prieurs , Curés , Su
perieurs & Superieures des Communautés exemp
res & non exemptes , à ce qu'ils n'en ignorent
Donné à Paris en notre Palais Archiepifcopal , le
premier Décembre mil fept cent quarante quatre
Signé CHARLES , Archevêque de Paris,
Ivj
204 MERCURE DE FRANCE.
'MANDEMENT de M. le Cardinal de
Tencin , Archevêque & Comie de Lyon
pour faire chanter le Te Deum , en Astions
degraces de la prise de Fribourg.
IERRE DE GUERIN DE TENCIN ,
PIERR
Vous voyez , mes très chers Freres , dans la Lettre
que le Roi nous a fait l'honneur de nous adref.
fer , les motifs de la reconnoiffance que vous devez
au Seigneur pour les fuccès de la Compagne de Sa
Majefté , & en particulier pour la prise de Fribourg
qui l'a fi avantageufement terminée , mais ce qui
doit vous rendre cette Conquête plus chere & plus
précieufe encore , c'eft la nouvelle gloire dont elle
couvre le Roi , & la nouvelle preuve qu'elle fournit
de fon amour pour fon Peuple. Elle eft l'ouvrage
des premiers momens de fa convalescence . A
peine échappé , comme par miracle , de la inaladie
Ja plus dangereuſe , il s'eft hâté de reprendre les
Bavaux qu'elle avoit interrompus , & de courir à
de nouveaux dangers. Touché des marques fi
vrayes que fes Sujets lui ont données de leur tendreffe
, il a voulu la mériter , pour ainfi dire , encore
davantage , & les en récompenfer. Qu'elle croiffe
donc auffi encore , s'il eft poffible , cette tendreffe
pour un Monarque qui en eft fi digne , dès
qu'il en fait fon bonheur & fa gloire ! A¨ces caufes
, & c.
150
NOVEMBRE. 1744.
205
MORTS.
Lola, Princeffe du S. Empire & Epoufe de
E7 Septembre , D. Anne Marie-Thérefe Spi-
M. Paul-Edouard d'Eftouteville , en poffeffion des
nom & titre de Duc d'Eftouteville en vertu de la
Charte d'Erection de ce Duché par François I. en
1534 , ci-devant Meftre de Camp Lieutenant dur
Régiment du Roi Dragons , & actuellement Maréchal
des Camps & armées de S. M. & c. mourut
à Paris , & fut tranfportée le 9 de la Paroiffe de S.
Sulpice en celle de S. Euftache , pour y être inhumée
dans la Chapelle de Colbert & au tombeau de
M. Colbert Miniftre d'Etat , ayeul paternel de M.
d'Eftouteville , de qui elle ne laiffe point d'enfans.
Madame d'Eftouteville avoit été mariée le 25 Juin
1714 , & étoit âgée de 8 ans . Elle étoit foeur çadetre
de feue Madame la Ducheffe de Nevers ,
morte le 11 Janvier 1738 , & comme elle fille de
Jean- Baptifte Spinola , Prince du S. Empire & de
Vergagne dans l'Etat de Génes , Grand d'Espagne
de la premiere Claffe , Lieutenant Général des armées
de S. M. Catholique , &c. & de D. Françoife
Coterel du Bois de Leffines .
Si l'on veut s'inftruire plus particulierement de
ce qui regarde la Généalogie de Mad . d'Eftouteville
& de la feuë Ducheffe de Nevers , on peut
voir 1 ° . l'Hiftoire de la Maifon Spinola , donnée
au Public en 1696 , par le Pere Maximilien Déza :
2º. l'Ouvrage d'Auguftin Franzone Chevalier Génois
, fur les vingt- huit premieres Maifons de la
République de Génes , à la tête defquelles il met
106 MERCURE DE FRANCE,
:
celle de Spinola & 3 ° . l'Abregé Manufcrit de la
Généalogie de cette même Maifon dreffée. fur titres
par Lucas Salazar Chronologifte du Roi d'Espagne,
Confeiller au Confeil des Ordres Militaires , Commandeur
de Calatrava.
Le Marquis de Leuville , fils du Lieutenant Général
de ce nom ,
& neveu du Bailly de Givri , mort
il y a quelque tems à Embrun des bleffures qu'il a
reçûës à l'attaque du Château Dauphin , a été tué
par un Parti de Vaudois , en allant joindre les troupes
commandées par le Prince de Conty.
Jean Baptiste Du Tillet , Confeiller d'honneur
au Parlement de Paris , & cy -devant Préfident
d'une des Chambres des Enquêtes , mourut à
Paris le huit , âgé de 59 ans.
Mre Jean Bouhier , Ancien Evêque de Dijon ,
mourut dans ce Diocèfe le quinze , âgé de près de
79 ans ; il avoit été le premier Evêque de cette Capitale
de la Bourgogne.
Charles Marquis de Ste Maure , Vice Amiral
du Levant , Grand'Croix de l'Ordre Royal & Militaire
de S. Louis , mourut à Paris le 23 , âgé de 92.
ans.
Jerôme Auguftin Boiffel de Darville > Brigadier
des armées de France , & Gouverneur de la
Ville de Roye , mourut à Paris le même jour dans
fa foixante & quatrième année.
Madame de France , fixiéme Fille du Roi , mourut
à l'Abbaye de Fontevrault le 28 , âgée de huit
ans , 4 mois & 12 jours ; elle étoit née à Versailles
le 16 Mai 1736.
Dame Marie Claude Cahouet de Beauvais , épouse
du Comte de Chabanes , Lieutenant Général des
armées du Roi , Lieutenant Colonel du Régiment
des Gardes Françoifes , & Grand'Croix de l'Ordre
Royal & Militaire de S. Louis , mourut à Paris le
29 , âgée de so ans..
NOVEMBRE . 1744. 207
I
M. de Solemi , Brigadier & Lieutenant Colone
du Régiment de Cavalerie de Conty , a été tué en
Italie , en marchant fur les traces de fon Prince , au
Combat donné près du Convent de la Madonna
del Ulmo.
Le Marquis de Benfe, Capitaine dans le Régiment
de Dragons du Roi , a été tué à l'attaque du fort
de Rhinfeldt , fur le Rhin , emporté par les troupes
commandées par le Chevalier de Belle- Ifle.
Le Chevalier de Courtomer & le Marquis d'Avernes,
tous deux Lieutenans au Régiment des Gardes
Françoifes , ont été tués en fignalant leur valeur au
Siége de Fribourg.
Mre Leon de Beaumont , Evêque de Saintes , &
Prieur de S. Etienne de Mortagne , mourut dang.
fon Diocèſe le 10 Octobre , âgé d'environ 93 ans.
M. de Boehmer , Miniftre du Landgrave de Heffe
Darmstadt , mourut les Novembre dans la
née de fon âge.
·ss an
TABLE.
Imitation de l'Ode vingt- uniéme du troiſième
Livre d'Horace , O nata me cum Confule Manlio
3
Effai fur la Vie & les Ouvrages de M. Rigaud ' ,
&c.
Epitre à M. de Voltaire ,
Réponſe du P. Texte fur l'Angelus ,
6
II
16
L'Ami parfait ,
24
Expériences de Phyfique , 31
Imitation de l'Ode troisieme du fecond Livre d'Ho .
race , Equam memento , &c. 34
Nouvelle découverte fur les Notes des Abbréviations
36
Stances fur l'Air d'Iffé , les doux Plaiſirs , &c. 45
Le baifer ,
Vers à M. de Voltaire ,
46
ibid.
Séance publique de l'Académie des Sciences , Extrait
,
Epitre à M. Bouguer , & c.
Manufcrit traduit de l'Arabe par M. Jacques ,
-Nouvelle Epitre au Roi- par M. de Voltaire ,
47
81
85
114
116
117
120
Huitain fur Louis le Bien-aimé ,
Epitre au Roi ,
Extrait d'un Ecrit intitulé , Refutations , & c.
Explication de PEnigme & du Logogryphe de Novembre
, premier Volume , 130
Enigme & Logogryphe , 131
Chanfon notée ,
134
NOUVELLES LITTERAIRES , DES BEAUX- ARTS , & c.
Voyages du Capitaine Lade , Extrait , 133
Differtations fur la Fondation de Marfeille , Era
trait ,
Voyages & Avantures du Comte de , &c.
Mémoires de Melvil ,
Les Eléinens de la Médecine Pratique ,
Nouveau Livre d'Ecriture ,
Ouverture du Collège Royal ,
Eftampes nouvelles ,
Effence Ballamique ,
Spectacles ,
143
149
ibid.
ibid.
150
ISI
152
ibid.
154
Nouvelles Etrangeres , Turquie , Ruffie , Pruffe ,
Allemagne ,
Saxe ,
Hambourg ,
Pologne ,
Francfort , Baviere ,
Italie ,
Eſpagne ,
Génes & Ifle de Corfe ,
Grande
Bretagne ,
163
165
167
171
174
175
177
178
179
180
181
182
Flandre ,
Morts des Pays Etrangers .
Fête donnée à Malte par le Chevalier de Caylus ,
184
Complimens adreffés au Roi , à la Reine , & c .
192
Etat des perfonnes qui font allées recevoir Madame
la Dauphine > 194
Lettre du Roi à M. l'Archevêque de Paris & for
Mandement en conféquence ,
Mandement du Cardinal de Tencin ,
Morts ,
Bréver & Privilege du Roi pour le Mercure.
199
204
205
Errata du premier Volume.
PAge 2 ,ligne 4 , à publier. Liſez , à publier ! P. 12 , l. 16 , n'y , l. ni.
P. 17 , 1. antépenultiéme , créance , l . croyance.
P. 20 1. 3 , Stuard , l . Stuart.
P. 22 , 1. 2 , les Dominiquin , l . les Dominiquains.
P. 31 , 1.2 , caprice ; l . caprice ,
Ibid. 1. 26 , doit , l. il doit.
P, 31 , 1.7 du bas , guai , l. gai.
P. 0,1 8 , ces mots font compofés , l . ce mot eſt
compofé.
P. 50,1 9 , Pentiévre , l . Penthiévre.
P. 14 , 1. 14 , Le Poiffon , même qui s'élance , 1. Le
Poiffon même , qui s'élance .
P. 58 , l . 14 , n'avoient , l . n'ont .
P. 65 , l. 3 & 4 du bas , Prieur , l . Prieure, ec, l. ce
P. 93 , 1. 13 , ôtez la virgule après préfére.
P.
Prddeffeur ; I 1. 100 ,
1. Prédéceffeur.
P. 105 , 1. 14 & 15 , renduës , l. rendus.
**X*X* X*X X* X*X
BREVET qui accorde le Mercure de
France aux Sieurs Fufelier & la Bruere..
A
UJOURD'HUI trente-un Octobre mil
>
& ce
Camp devant Fribourg , voulant que le Mercure
de France , que le défunt Sieur de la Roque compoloit
tous les mois , foit continué avec toute l'attention
convenable à un Ouvrage auffi utile qu'ag
éable au Public . Sa Majefté bien informée des
talens & de la fageffe des Sieurs Louis Fuſelier
& Charles-Antoine le Clerc de la Bruere , les a
choifis & nommés pour compoſer à l'avenir leMercure
de France exclufivement à tous autres ,
tant qu'il plaira à Sa Majefté , laquelle veut & ordonne
à cet effet que toutes Lettres de Privilege
leur en foient expédiées , aux conditions neanmoins
de ne pouvoir céder ni tranfporter leur
part dans ledit Privilege à quelque perfonne que ce
puifle être , l'intention de Sa Majesté étant que le
furvivant des deux en joüiffe en entier Veut en
outre Sa Majefté que lesdits Sieurs Fuzelier &
la Bruere partagent entre eux le travail pour la
compofition dudit Ouvrage , & les émolumens.
qui proviendront d'icelui par égale portion , le
tout à commencer au mois de Novembre prochain
, & pour affurance de fa volonté , Sa Majesté
m'a commandé d'en expédier le préfent Brévet ,
qu'elle a figné de fa main & fait contre-figner par
moi Confeiller , Sécretaire d'Etat & de fes Commandemens
& Finances.
Signé LOUIS.
Et plus bas , PHELYPPIAUX,
Et au dos eft écrit :
Regiftré fur le Regiftre onze de la Chambre Royale
Syndicale des Libraires & Imprimeurs de Paris
N° 394, folio 233 , conformément aux anciens Ro
glemens , confirmés par celui du 28 Février 1723.
A Paris le dix Décembre 1744.
Signé , VINCENT , Syndic.
De l'Imprimerie de JOSEPH BULLOT 1744.
PRIVILEGE DU ROI,
OUIS par la grace de Dieu , Roi de France
lers , les Gens tenans nos Cours de Parlement
Maîtres des Requêtes ordinaires de notre Hôtel ,
Grand Confeil , Prévôt de Paris , Baillifs ,
chaux , leurs Lieutenans Civils & autres nos juf
ticiers qu'il appartiendra. S A LUT , nos chers &
bien amés Louis Fuzelier & Charles Antoine le Clerc
de la Bruere , Nous ont fait remontrer , que l'applaudiffement
que reçoit le Mercure de France ;
Nous a fait croire que le fieur de la Roque titulaire
du dernier Brevet étant décédé , il ne convient pas
que le Public foit privé à l'avenir d'un Ouvrage
auffi utile qu'agréable , tant à nos Sujets qu'aux
Etrangers ; c'eft dans cette vue que bien informés
des talens & de la fageffe des fieurs Fuzelier & le
Clerc de la Bruere, Nous les avons choifis pour compofer
à l'avenir exclufivement à tous autres ledit
Ouvrage , fous le titre de Mercure de France , &
Nous leur en avons accordé à cet effet notre Brevet
en datte du trente-un du mois dernier , à condition
que le furvivant des deux jouira feul de la faculté
& Privilége,pour l'exécution duquel ils Nous
ont très-humblement fupplié de leur accorder nos
Lettres fur ce néceffaires. A CES CAUSES
Voulant traiter favorablement lefdits fieurs Expofans
, Nous leurs avons permis & permettons par
ces Préfentes de compofer & donner au Public à
l'avenir tous les mois , à eux feuls exclufivement à
tous autres ledit Mercure de France , qu'ils pourront
faire imprimer en un ou plufieurs Volumes conjoin
tement ou féparément & autant de fois que bon
leur femblera chaque mois , & de le faire vendre &
débiter par tout notre Royaume , Pays Terres &
Seigneuries de notre obéiffance , pendant le tems
& efpace de vingt années confécutives , à compter
du jour de la datte des Prefentes , à condition néan
moins que chaque Volume porte fon Approbation
exprelle de 1 Examinateur qui aura été commis à
cet effet , & en outre Nous avons revoque & revoquons
tous autres Priviléges qui pourroient avoir
été donnés ci-devant à d'autres qu'audits fieurs
Expolans , faifons défenſes à toutes perfonnes
de quelque qualité & condition qu'elles foient
d'en introduire d'Impreflion ou Gravure Etrangere
dans aucun lieu de notre obéiſſance , comme auffi
à tous Libraires- Imprimeurs , Graveurs Imprimeurs
, Marchands en Taille douce & autres d'imprimer
, faire imprimer , graver ou faire graver
vendre, faire vendre , débiter ni contrefaire ledit Livre
ou Planches en tout ni en partie , ni d'en faire
aucuns Extraits fous quelque prétexte que ce foit ,
d'augmentation , correction , changement de Titres
ou autrement fans la permiffion ex refle ou par
écrit defdits fieurs Expolans ou de ceux qui auront
droit d'eux , le tout à peine de confifcation tant des
Planches que des Exemplaires contrefaits & des uftenciles
qui auront fervi à ladite contrefaçon que
Nous entendons être faifis en quelque lieu qu'ils
foient trouvés , de fix mille livres d'amende contre
chacun des contrevenans , dont un tiers à Nous , un
tiers à l'Hôtel- Dieu de Paris , & l'autre tiers aufdits
fieurs Expolans,& de tous dépens dommages & intérêts
, à la charge que ces Prefentes feront en regiftrées
tout au long fur le Regiftre de la Communauté
des Libraires & Imprimeurs de Paris , dans trois mois
de la datte des Préfentes , & que l'impreffion de ce
Livre fera faite dans notre Royaume & non ailleurs
, & que les Impetrans,fe conformeront en
tout aux Réglemens de la Librairie & notamment à
celui du dix Avril mil fept cent vingt -cinq , &
qu'avant de les expofer en vente, les Manufcuits ou
Imprimés qui auront fervi de copie à l'impreffion
defdits Livres feront remis dans le même état ou les
Approbations y auront été données és mains de nôtre
très- cher & féal Chevalier Chancelier de France
, le fieur Dagueffeau , Commandeur de nos Ordres
, & qu'il en fera enfuite remis deux Exemplaires
de chacun dans notre Bibliothéque Publique
, un dans celle notre Château du Louvre ,& un
dans celle de notre très cher & féal Chancelier de
France , le tour à peine de nullité des Préfentes , du
contenu defquelles vous mandons & enjoignons
de faire jouir le fdits fieurs Expofans ou leurs ayants
cauſe , pleinement & paisiblement, fans fouffrir qu'il
leut foit fait aucun trouble ni empêchement. Voulons
que la copie des Préfentes qui fera imprimée
au commencement ou à la fin defdits Livres foit
tenue pour dûëment fignifiée, & qu'aux copies collationnées
par un de nos amés & féaux Confeillers
Sécrétaires , foi foit ajoutée comme à l'Original .
Commandons au premier notre Huffier ou Sergent
fur ce requis de faire pour l'exécution d'icel-
Les tous Actes requis & néceffaires , fans demander
autre permiffion & nonobftant Clameur de
Haro , Charte Normande & Lettres à ce contraires
, car tel eft notre plaifir. Donné à Paris , le
treizième jour de Novembre , l'an de grace mil
fept cent quarante- quatre & de notre Řégne le
trentiéme.
Par le Roi en fon Confeil , NOBLET.
Régiftréfur le Régiftre onze de la Chambre Royale
Syndicale des Libraires & Imprimeurs , fous le
même Numero & le même folio que le Brévet attaché
fous le préfent contre -fcel ( N° . 394 , fol. 233 , )
conformément au Reglément de 1723 , qui fait défenſe
Art. 4 , à toutes perfonnes de quelque qualité qu'elles
foient , autres que les Libraires Imprimeurs , de
vendre , débiter faire afficher aucuns Livres pour
les vendre en leurs noms , foit qu'ils s'en difent les
Auteurs ou autrement , & à la charge de fournir à
ladite Chambre Royale & Syndicale des Libraires &
Imprimeurs de Paris huit Exemplaires de chacun &
par chacun mois , preferits par l'Article 108 du même
Reglement. A Paris le 10 Décembre 1744.
Signé , VINCENT , Syndic,
La Planche gravée doit regarder la page 44
La Chanfon notée , la page
132
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROY.
DECEMBRE . 1744 .
IGIT
UT
SPARGAT
Cepiller
S
A PARIS ,
GUILLAUME CAVELIER
rue S. Jacques.
Chez La Veuve PISSOT , Quai de Conti,
à la defcente du Pont-Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais.
M. DCC . XLIV .
Avec Approbation & Privilége du Roy.
A VIS.
L'ADRESSE générale eft à Monfieur
DE LA BRUERE , à l'Hôtel de Pontchartrain.
On prie très- inftamment ceux qui
nous adrefferont des Paquets par la Hofte ,
d'en affranchir le Port , pour nous épargner
le déplaifir de les rebuter , & à eux celui de ne
voir paroître leurs Ouvrages. pas
Les Libraires des Provinces ou des Pays
Etrangers , qui fouhaiteront avoir le Mercure
de France de la premiere main , & plus promptement
, n'auront qu'à écrire à l'adreffe cideffus
indiquée ; on fe conformera très exactement à
leur's intentions,
PRIX XXX. SOLS
MERCURE
deFrance
DEDIE
AUROL.
Decembre 1744
.
Pieces
Fugitives
tanten Vers qu'en Proses
Imitation
De tode 24. du. 3 livre d'Horace
Quand toutlordel'arabie
Enfleroit vos magasins,
Quand nouveau Roi de Phrygie
Toutseroitor sous vos mains,
Sile tems que rien n'arrête
Survôtre superbe tête
Grave les traits de lamort,
Rien ne sçauroit vous defendre;
L'orestegal a la cendre
Dans labalance du Sort.
4 MERCURE DE FRANCE ,
O toi Peuple heureux * & fage
Qu'Alexandre refpecta
Conferve à jamais l'ufage
Que la raifon te dicta ,
Qu'en ta courfe vagabonde
L'interêt de ce Dieu du Monde
Te laiffe ignorer fa loi ;
Qu'une richeffe commune
T'afferviffant la fortune ,
En fixe le jufte emploi.
Là l'Orphelin trouve un Pere
Et la Veuve fans dégoûts
Ne voit rien qu'elle préfere
Aux cendres de fon Epoux.
L'appas d'une dot immenfe
Au caprice , à la licence
N'acquiert pas l'impunité.
La femme fimple & timide
N'a que la vertu pour guide ,
Et pour dot la chafteté .
François , quelle ame affez belle
Enfantera le deffein
D'appeller fur ce modéle
Les Vertus dans votre ſein ?
A fon génereux courage
J'ofe affurer le fuffrage
Les Scythes,
DECEMBRE. 1744. 5
Et l'amour de l'avenir :
Tous les Temps pleins de fa gloire
Drefferont à fa mémoire
Les Autels du fouvenir.
Severe , mais équitable
La feule pofterité
EA l'organe refpectable
Qu'a choifi la vérité.
Sans ceffe en proie à l'envie
Les Heros pendant leur vie
Gemiffent fous fon effort :
C'est ainsi qu'elle fe venge
De l'éternelle louange
Que leur affure la mort .
Nous parlons contre les vices ,
Mais nous flattons les forfaits ,
Les crimes font fans fuplices ,
Et les Loix fans effets.
La fraude , la violence
Conduifent à l'opulence ,
Qui bien-tôt leur fert d'appui ;
Le pauvre feul eft coupable ,
Et le crime eft refpectable
Si la fortune eft pour lui.
Rougiffons de la baffeffe ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Où fans crainte du mépris ,
L'intérêt & la molleffe
Aviliffent nos efprits.
Dans fa naiffante avarice
Le Fils pour toute exercice
Ne connoît que l'art des jeux ;
Tandis que plus lâche encore ,
Son Pere fe deshonore
Pour enrichir fes Neveux.
C'eft ainfi que les ravages
D'une indigne paſſion
Ftendent fur tous les âges
Leur fatale impreffion ;
Mais une jufte difgrace
Des biens que l'avare entaffe
Sçait écarter les plaifirs ;
Et la célefte vengeance
Au fein de la jouiſſance
Lui laiffe encor les defirs.
DECEMBRE. 1744.
SUITE DU MANUSCRIT
Arabe , traduit par M. Jacques , Marchand
Evantailliſte , rue Mouffetar .
U
N Ours d'une grandeur prodigieufe
fe lança un jour fur moi ; mais loin de
me faire aucun mal , il fe contenta d'arracher
mon fils de mes bras , & l'emporta
en fuyant d'une courfe précipitée. Parelin
courut après le raviffeur un épieu à la main .
Je voulois le fuivre , mais la frayeur m'avoit
oté la force de marcher , & d'ailleurs Parelin
& l'ours couroient avec tant de viteffe ,
qu'il m'eût été impoffible de les atteindre.
J'attendis le dénouement de cette avanture ,
avec la plus vive inquiétude. Chaque inftant
redoubloit mes allarmes , & la nuit qui
arriva fans que j'euffe revû ni mon mari ni
mon fils , mit le comble à ma défolation.
Je ne doutai plus que l'inftant fatal prédit
par le Silphe ne fut enfin arrivé , & que
nous ne fuilions féparés pour jamais . J'attendis
plufieurs jours auffi vainement : enfin
ayant perdu toute efperance , je réfolus de
me donner la mort. J'allois me précipiter
dans une fontaine qui couloit au milieu du
A iiij
* MERCURE DE FRANCE.
:
bois je fentis que quelqu'un me retenoir,
je me retournai , & je vis le Silphe qui m'arrêtoit.
Eritzine , me dit- il , fubiffez votre
fort fans murmurer , c'eft le feul moyen
d'obtenir le pardon de votre défobéiffance.
Ranimez votre courage , vous en aurez encore
befoin long-tems , mais peut-être quelque
jour vous ferez heureufe. Je reverrai
Parelin , m'écriai-je : Ah ! dites-moi s'il vit,
& quel eft fon fort. Il vit , répondit le Silphe,
mais il n'eft plus de Parelin pour vous.
S'il eft ainfi , repris-je , qu'ai- je beſoin de
la vie ? C'eſt l'arrêt du deftin , continua le
Silphe , & vous attenteriez à vos jours fans
fuccès.
Vous pouvez juger en quel écat me laifferent
ces dernieres paroles du Silphe ; il eſt
inutile de vous ennuyer du détail de mes
chagrins daus la Forêt. J'y paffai un an à
faire retentir les antres les plus fourds de
mes gemiffemens ; je demandois mon époux
& mon fils aux arbres , aux rochers , à toute
la nature.
Je n'avois point encore vû de créature
humaine dans ce defert , mais la folitude
m'étoit chere , & toute fociété m'auroit embarraffée
. Les premiers hommes que j'y apperçus
furent des Matelots qui venoient
faire de l'eau à la fontaine qui étoit au milieu
du bois. J'étais trop malheureuſe pour
DECEMBR E. 1744. 9
avoir rien à redouter ; ainfi je ne me détournai
pas de mon chemin pour les éviter :
mais dès qu'ils m'apperçurent , ils me faifirent
, & m'emmenerent à leur bord. J'étois
affez tranquille , & la captivité m'affligeoit
peu ; mais mon courage m'abandonna
à la vue du Capitaine du Vaiffeau . C'étoit
le même Sideni à qui ma mere m'avoit déja
livrée par une trahifon fi cruelle. Ce barbare
défefperant de pouvoir rien obtenir par
la douceur , en vint d'abord aux dernieres
extrémités ; il eut lieu de s'en repentir , &
fut déconcerté du courage avec lequel je le
reçus. Je rendis long - tems fes efforts inutiles
, & plufieurs bleffures que je lui fis le
punirent de fa brutalité . Ma réſiſtance changea
ſon amour en rage ; furieux de voir fon
fang couler , il tira fon poignard , m'en
frappa , & me jetta dans la mer.
Ma perte paroiffoit affurée : mais leCiel étoit
tropjaloux de me punir , pour finir fitôt mes
fouffrances. Un Dauphin me porta jufqu'au
rivage. Une vieille femme , qui s'y trouvoit
alors me prit dans fes bras , & me tranſporta
dans fa petite cabane, qui n'étoit pas éloignée .
J'avois perdu connoiffance , &je n'ai fçu ce
détail que par la vieille charitable qui me
fecourut ; quelques fimples qu'elle appliqua
fur ma playe , la guérirent en peu de jours.
Elle n'oublia rien de ce qu'elle crut propre
A v
ΙΟ MERCURE DE FRANCE.
à me confoler , & tant de bonté & d'humanité
auroient remis le calme dans mon ame ,
fi quelque chofe eût pû le faire. Elle m'enfeigna
la demeure d'un Magicien , qui , difoit-
elle , me donneroit un remède à mes
maux , s'il y en avoit un poffible. Je comptois
peu fur un pareil fecours. Cependant je
partis pour aller trouver le Magicien avec la
même précipitation que fi j'eufle efperé quelque
chofe de fes foins. Dès qu'il m'apperçut :
Princeffe , me dit- il , je fçais le fujet qui vous
amene ; fi vous avez le courage d'aller cher
cher la Toupie de Diamant du Roi des Génies
, vous verrez finir vos malheurs . Il m'apprit
alors que cette Toupie lumineule étoit
dans un lieu inacceflible , que la difficulté
d'en approcher , quoique très- confidérable ,
étoit cependant le moindre des dangers que
j'aurois à effuyer ; que plufieurs monftres
défendoient l'accès du lieu où étoit le tréfor.
Je vous donnerai le moyen , continua le Magicien
, de furmonter tous ces obftacles, pourvii
que de votre côté vous ayez affez de force
pour fortir victorieufe de la derniere épreuve.
Quelque chofe qu'on vous dife , il ne faut
ni parler ni tourner la tête , & avancer toujours
vers la Toupie lumineufe. Prenez , me
dit-il , ce poinçon d'or , il vous ouvrira le
paffage au travers des rochers qui entourent
le lieu où eft la Toapie de diamant , & vous
-ví
DECEMBRE. 1744. I f
garantira des monftres qui la défendent. Le
Magicien m'enfeigna enfuite le chemin que
je devois prendre , la route étoit fort longue
, & j'ai confumé un an à la ſuivre ; enfin
après des fatigues incroyables j'arrivai aux
rochers qu'on m'avoit indiques ; à peine euje
frappé la roche avec le poinçon , qu'elle
s'ouvrit pour me laiffer paffer , & fe referma
aufli-tôt.
Je me trouvai dans une campagne délicieuſe
, au bout de laquelle paroiffoit un palais
fuperbe. Dès que j'approchai , je fus attaquée
par une infinité de bêtes feroces.
Mais le poinçon d'or les diffipa fans peine
, & j'entrai victorieufe dans le palais .
Je vis qu'au fond d'une galerie à perte de
vûe , étoit une Table d'or , fur laquelle étoit
pofée la Toupie de diamant; mille voix m'appelloient
, & ne réuffiffoient ni à me faire
répondre ni à me faire tourner la tête. Je
crus entendre le Silphe qui me crioit que je
prenois un mauvais chemin , & que je devois
retourner en arriere. Au lieu de répondre ,
je tenois les yeux fixés fur le diamant que
je venois chercher , & cette vie me raffuroit
contre tous les preftiges. Mais j'eus à foutenir
les combats les plus rudes , lorfque
j'entendis la voix de mon époux & celle de
mon fils , ils pouffoient des cris lamentables ,
& fe plaignoient qu'on les livroit à des fup-
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
plices cruels , parce que j'allois ravir la Tou
pie de diamant. Leurs cris perçoient mon
coeur ; & quelque prévenue que je fuffe fur
la nature de ce preſtige , je fus tentée cent
fois de tourner la tête ou de leur répondre.
J'eus pourtant allez de courage pour obferver
la condition prefcrite. J'avançai fans
m'arrêter , fans détourner la tête , fans répondre
, mais non fans verfer bien des larmes.
Dès que je fus près de la Table la Toupie
vint d'elle- même ſe placer dans ma main,
& je lus ces mots gravés fur la Table- d'or :
Ton courage a réparé ta premiere foibleffe,
tu mérites d'être heureufe , & tu le feras.
Emporte la Toupie de diamant , elle eft à
toi , & prends le chemin de Bagdad , c'eſt- là
que tu fçauras ton fort. Je fortis du pa
lais plus tranquille que je n'y étois entrée ,
un filence profond avoit fuccedé à ce tumulte
des voix , qui m'avoient affaillie d'abord:
Le poinçon d'or rouvrit la roche , & je
pris la route de Bagdad. J'abordai hier à ce
Caravanferail ,, où au lieu du bonheur que
j'attendois , j'ai trouvé mon plus dangereux
ennemi ; mais fans doute le Ciel ne m'a pas
trompée puifqu'il m'a procuré l'honneur
d'embraffer les genoux du Souverain Commandeur
des Croyans , il m'a mife du moins
à l'abri de toute injuftice ..
DECEMBRE . 1744 137
Le Calife qui s'étoit d'abord intéreffé
pour Eritzine prévenu par la beauté feule ,,
lui offrit , dès qu'il la connut mieux , tous les
fecours que fa puiffance le mettoit en état
d'offrir ; que ne puis-je , lui difoit- il , vous
aider à retrouver votre amant ; mais du
moins je punirai le Barbare qui a voulu
vous deshonnorer. Le Calife ordonna qu'on -
traînât à l'inftant Sideni au fuplice. Il fe
difpofoit à conduire Eritzine à fon Palais
lorfqu'on entendit un grand bruit à la porte
du Caravanferail.
L'hôte avoit renvoyé avec brutalité des
gens qui venoient demander un logement
pour la nuit. Ils avoient répondu à fes injures
, & des injures on en étoit venu aux .
coups. Le Calife envoya Giafar pour apaifer
le défordre , & commanda en même tems
que l'on préparât le plus bel apartement du
Palais pour Eritzine . Giafar revint un moment
après ; tout avoit été apaiſé par l'arri
vée du maître de ces gens qui avoient excité
le tumulte. Ils apartenoient au Roi de
Borneo , ce Prince arrivoit à Bagdad , &
entrant dans la ville à une heure fi indue , il
avoit voulu coucher dans un Caravanferail
la premiere nuit , & remettre au lendemain
à faluer le Calife. Sans doute , ajouta Giafar
, qui inftruifoit le Calife de toutes ces
circonftances , l'intention de votre Majefté .
14 MERCURE DE FRANCE.
n'eft pas que ce Prince couche dans un Caravanferail.
Le Calife ordonna à Mefrour
de conduire Eritzine au Palais & alla trouver
le Roi de Borneo auquel il fe plaignit
obligeamment du deffein qu'il avoit eu. Ils
retournerent tous au Palais du Calife où ils
pafferent la nuit,
Le Calife impatient d'apprendre le fujet
du voyage du Roi de Borneo , palla dès
le matin dans l'apartement de ce Prince . II
le trouva trifte & inquiet . Je fuis venu ici ,
dit le Roi de Borneo , avec des efpérances
qui fe changent en inquiétudes depuis que
l'inftant aproche , où elles doivent le véri
fier. Je fuis Souverain d'un Royaume floriffant
; mais ce n'eft pas l'éclat du trône qui
fait le bonheur , les Rois ne font heureux
ou malheureux qu'en qualité d'hommes , &
non en qualité de Rois , & par des caufes
qui leur font communes avec le refte de
leurs fujets fans cela la Nature feroit trop
injufte.
:
J'ai eu un fils unique , fruit de mon union
avec une époufe charmante ; mais ce fils
fi cher , que j'aimois autant que fa mere
me fut enlevé dès le berceau . J'ai toujours
foupçonné de cet enlevement , un miférable
qui fçavoit un peu de magie , que j'avois
fait punir , qui avoit juré de s'en vanger
, & qui difparut dans le même tems où
DECEMBRE. 1744. 15
je perdis mon fils . Je n'épargnai aucuns
foins pour retrouver l'un & l'autre ; mes
foins furent inutiles. Lorfque le Roi de Borneo
mourut fans poftérité , je montai au
trône où ma naiffance m'appelloit . Je
pleurois encore mon fils , quoique je l'euffe
perdu depuis plufieurs années. Je renouvellai
mes recherches avec plus d'ardeur que
jamais , & aufli peu de fuccès. Mais du
moins le perfide Abdelec tomba entre mes
mains ; la force des tourmens lui fit avouer
qu'il étoit le raviffeur de mon fils ; mais il
n'étoit plus en fa puiffance ; il s'étoit échapé
de chez lui depuis environ 3 ans . Je fis
punir le coupable , & je pris le parti de
parcourir moi- même les Royaumes voifins ,
après avoir confié l'adminiftration du mien
à mon épouſe. J'ai commencé mes courſes
par Bagdad , heureux fi le Ciel prend pitié
de mes peines & daigne les abreger.
Voilà , Seigneur , continua le Roi de
Borneo le fujet de mon voyage , de ma trifteffe
, & de mes inquiétudes . Le Calife offrit
généreuſement à ce Prince de le feconder
dans une recherche fi jufte . Il fit appeller
tous fes Vifirs & leur ordonna fous peine de
la vie de lui donner dans huit jours des nouvelles
du fils de Borneo . Giafar effaya quel
ques remontrances fur l'impoffibilité d'exécuter
cet ordre,
16 MERCURE DE FRANCE.
S'il ne paroît dans huit jours,reprit le Calife
en colere , vous périrez tous , & toi malheureux
, dit -il à Ĝiafar , fi tu ofes repliquer
encore , je te ferai étrangler à l'inſtant par
les Muets. Les Vifirs s'en retournerent fort
confternés. Le Calife ordonna une partie
de chaffe pour amufer Eritzine & le Roi de
Borneo.
Le Roi de Borneo à qui cette Princeffe
fut préſentée , fut auffi ébloui de fa beauté
que le Calife l'avoit été , & prit le même
intérêt à fon fort, Les deux Monarques ne
la quitterent point pendant la chaffe , &
veilloient fur elle avec une attention inquiéte.
Un orage affreux difperfa tous les Chaffeurs
. Eritzine , le Calife , & le Roi de Borneo
furent obligés de chercher un abri dans
une caverne qu'ils trouverent au milieu de
la forêt.
Eritzine tira la Toupie lumineufe pour
guider leurs pas dans cet antre obfcur à la
faveur de la clarté que ce Talifman répandroit.
La caverne fut en effet auffi éclairée
que fi l'on eût vu luire le foleil le plus brillant.
Ils aperçurent à la faveur de cette lu
miere une grande porte d'or qui étoit au
fond de la caverne. Ils n'avoient pas encore
eu le tems d'affeoir leurs conje&ures fur le
fpectacle qui les frappoit , lorfque la TouDECEMBRE.
1744 17
pie de diamans échapa des mains d'Eritzine
qui fit de vains efforts pour la retenir , &
s'élanca d'elle - même contre la porte d'or.
>
A peine elle l'eut frapée que la porte
s'ouvrit , & laiffa voir un Palais fuperbe , où
tous les tréfors des Fées & des Génies paroiffoient
raffemblés. Une troupe de Génies de
tous les élémens entouroit un trône d'éméraudes
fur lequel étoit affis un Vieillard ref
pectable. Le Palais retentiffoit d'une harmonie
flateufe , qui répandoit un doux cal
me fur les fens. Le Vieillard fe leva de
fon trône , dès qu'il vit entrer les deux Prin
ces & Eritzine : après avoir falué les deux
Monarques , il fe jetta dans les bras de la
Princeffe : Ma fille , lui dit - il , embraffez
votre pere : vos malheurs font finis . C'étoit
en effet le pere d'Eritzine , qui après la mort,
débaraffé de l'enveloppe périable de fon
ame , avoit été , pour prix de fa fcience &
de les vertus , reçu au rang des Génies immortels
qui commandent aux efprits élémentaires.
Après que la vivacité des premiers
embraffemens fut rallentie , le Génie apprit
à fa fille , qu'obligé par le Deftin à la punir
de fa défobéiffance , il l'avoit du moins fecourue
dans fes malheurs ; que c'étoit lui
qui lui avoit envoyé le Silphe qui l'avoit
fervie , la Vieille & - le Magicien, Prince ,
18 MERCURE DE FRANCE.
ajouta t- il s'adreffant au Calife , tout mon
pouvoir ne fuffiroit pas pour m'acquitter
envers vous des fecours généreux que vous
offriez à ma fille : Je fçai que la gloire eft
ce qui vous touche le plus , la vôtre brillera
dans tous les âges , & votre nom célébré
par des Hiftoriens dignes de vous , ira à
l'immortalité avec leurs ouvrages. Le Roi
de Borneo ne me trouvera pas ingrat ; je
vais lui rendre fon fils . Il le reveira couronné
par la Victoire mais pour prix d'un
fi grand ſervice , je lui demande de le donner
pour époux à ma fille.
Un bruit éclatant de trompette annonça
alors l'arrivée du Prince de Borneo. La Princeffe
tourna la tête & fit un cri de joye en
reconnoiffant Parelin . C'est vous , s'écria-telle
, en fe jettant dans fes bras ; c'eſt vous ,
cher Epoux que je retrouve. Elle ne put en
dire davantage ; la voix étoit étouffée par
fes tranfports , & quand elle auroit pû parler,
elle n'auroit pas trouvé de termes pour les
exprimer.
La joye d'avoir retrouvé un époux qu'elle
adoroit , ne l'empêcha pas de fonger à fon
fils. Elle le demanda ; il parut plus brillant
que la plus belle aurore . Telle étoit la figure
de cet aimable enfant que Parelin y retrouvoit
tous les traits de fa mere , & qu'EDECEMBRE
. 1744. 19
ritzine voyoit en lui le portrait de Parelin ;
car elle ne s'étoit point encore accoutumée
à le nommer autrement , & elle voulut qu'il
confervât toujours ce nom fous lequel il
avoit commencé à lui être cher. Le Roi
de Borneo prodiguoit tour à tour ſes careffes
à fon fils , à Eritzine & à leur aimable
enfant. Eritzine étoit fi enyvrée du plaifir
de revoir Parelin , qu'elle avoit peu
d'empreffement d'apprendre par quel miracle
ce bonheur arrivoit. Le Roi de Borneo
fut plus curieux , & demanda à fon fils ce
qui lui étoit arrivé depuis fa féparation d'avec
Eritzine ; car il avoit apris du Calife toutes
les avantures de cette Princeffe.
Je fuivis jufqu'à la nuit , dit Parelin , l'Ours
qui emportoit mon fils . Je fus fort étonné
de voir au milieu de l'obfcurité la forêt
éclairée par une lumiere brillante. L'Ours
fuioit du côté d'où partoit la clarté , je le
fuivis , & je découvris le Palais où nous
fommes. L'Ours y entra , j'entrai fans héſiter
après lui ; il alla remettre mon fils au
Génie qui étoit affis ſur le trône , Ah Seigneur
, lui dis- je en me profternant à ſes
pieds , ferez -vous affez barbare pour faire
mon malheur & celui d'une épouſe adorable
Le Génie fourit & me dit qu'il falloit
que les arrêts du Deftin s'accompliflent. Le
fon de fa voix , fes traits qui me paroiffoient
18 MERCURE DE FRANCE.
ajouta t - il s'adreflant au Calife , tout mon
pouvoir ne fuffiroit pas pour m'acquitter
envers vous des fecours généreux que vous
offriez à ma fille : Je fçai que la gloire eft
ce qui vous touche le plus , la vôtre brillera
dans tous les âges , & votre nom célébré
par des Hiftoriens dignes de vous , ira à
l'immortalité avec leurs ouvrages. Le Roi
de Borneo ne me trouvera pas ingrat ; je
vais lui rendre fon fils. Il le reveira couronné
par llaa VViiccttooiirree ;; mais pour prix d'un
fi grand fervice , je lui demande de le donner
pour époux à ma fille.
Un bruit éclatant de trompette annonça
alors l'arrivée du Prince de Borneo . La Prin -
ceffe tourna la tête & fit un cri de joye en
reconnoiffant Parelin . C'est vous , s'écria- telle
, en fe jettant dans fes bras ; c'eſt vous ,
cher Epoux que je retrouve. Elle ne put en
dire davantage ; la voix étoit étouffée par
fes tranfports , & quand elle auroit pû parler,
elle n'auroit pas trouvé de termes pour les
exprimer.
La joye d'avoir retrouvé un époux qu'elle
adoroit , ne l'empêcha pas de fonger à fon
fils . Elle le demanda ; il parut plus brillant
que la plus belle aurore. Telle étoit la figu
re de cet aimable enfant que Parelin y retrouvoit
tous les traits de fa mere , & qu'EDECEMBRE
. 1744. 19
ritzine voyoit en lui le portrait de Parelin ;
car elle ne s'étoit point encore accoutumée
à le nommer autrement , & elle voulut qu'il
confervât toujours ce nom fous lequel il
avoit commencé à lui être cher. Le Roi
de Borneo prodiguoit tour à tour fes careffes
à fon fils , à Eritzine & à leur aimable
enfant. Eritzine étoit fi enyvrée du plaifir
de revoir Parelin , qu'elle avoit peu
d'empreffement d'apprendre par quel miracle
ce bonheur arrivoit. Le Roi de Borneo
fut plus curieux , & demanda à fon fils ce
qui lui étoit arrivé depuis fa féparation d'avec
Eritzine ; car il avoit apris du Calife toutes
les avantures de cette Princeffe.
Je fuivis jufqu'à la nuit , dit Parelin , l'Ours
qui emportoit mon fils. Je fus fort étonné
de voir au milieu de l'obfcurité la forêt
éclairée par une lumiere brillante. L'Ours
fuioit du côté d'où partoit la clarté , je le
fuivis , & je découvris le Palais où nous
fommes. L'Ours y entra , j'entrai fans héſiter
après lui ; il alla remettre mon fils au
Génie qui étoit affis fur le trône, Ah Seigneur
, lui dis-je en me profternant à ſes
pieds , ferez- vous affez barbare pour faire
mon malheur & celui d'une époufe adorable
Le Génie fourit & me dit qu'il falloit
que les arrêts du Deftin s'accompliffent. Le
fon de fa voix , fes traits qui me paroiffoient
20 MERCURE DE FRANCE.
abfolument les mêmes que ceux de votre
pere me rempliffoient d'un jufte étonnement.
Je ne fçavois que penfer de ce que
je voyois. Il s'apperçut de mon embarras.
Parelin , me dit-il en m'embraſſant , oui je
fuis Eritzin , le pere de celle que tu adores,
& je veux être le tien . Il m'aprit qu'inftruit
plus pofitivement après la mort de ce qu'il
'avoit auparavant découvert que fort confufément
fur votre fort & fur le mien , notre
amour lui avoit paru digne d'être heureux ,
que ma naiffance n'étoit pas indigne d'Erit
zine , puifque je devois le jour au Roi de
Borneo ; que le perfide Abdelec m'avoit
enlevé , & que féduit par quelques graces
qu'il avoit cru voir en moi , il m'avoit fait
paffer pour fon fils. Le Génie ajouta que
quoiqu'alors il eût défiré notre mariage , la
loi du Deftin l'avoit forcé d'éprouver fi
Eritzine exécuteroit fes dernieres volontés .
Que n'avez- vous eu moins de pitié de moi,
dit Parelin à Eritzine , vous vous feriez épargnée
bien des peines. Je ne regrette pas macomplaifance
, interrompit-elle , fi elle vous
a prouvé l'excès de mon amour. C'eſt le
Génie , continua le Prince de Borneo , qui a
empêché l'effet des Philtres d'Abdelec. A.
l'égard de votre mere , elle eft morte de
douleur en aprenant mon évafion . Ainfi je
fuis resté dans ce Palais que le Génie tranſ
DECEMBRE. 23
1744.
porte à fon gré dans tous les lieux de l'Univers.
J'y trouvois tous les plaifirs , mais
votre abfence raffemble toutes les peines.
Le Génie me difoit que je ne méritois pas
d'être puni , que vous feule aviez défobéi ,
mais il me racontoit ce que vous fouffriez ,
& portoit à mon coeur les coups les plus
terribles , étoit - ce là m'épargner ? Il m'a
envoyé détrôner l'Ufurpateur qui régnoit à
Céilan : une armée de Silphes , fous la figure
d'hommes , & marchoit fous mes ordres ,
m'a aifément rendu maître de l'Empire ; mais
que m'importoit de conquérir un grand
Royaume , vous feule me fuffifiez . Je retrouve
mon pere , mon époufe , & mon fils ,
voilà tous les biens dont mon coeur fçait
jouir , & les feuls qui puiffent me rendre
heureux .
Pardonnez - moi , ma fille , dit alors le
Génie , les peines que j'ai été contraint de
vous caufer ; vos plaifirs vous en paroîtront
plus doux. J'ai fouffert autant que vous ;
je ne vous perdois pas de vue , mais il m'étoit
défendu de paroître à vos yeux. Le Génie
en difant ees mots ferroit dans fes bras fa
fille & Parelin. Le Rei de Borneo l'imitoit.
Tous verfoient des larmes de joye , & le
Calife étonné , attendri de ce qu'il voyoit,
partageoit leurs larmes & leurs plaifirs. Le
Génie donna à ce Prince une caffette pleine
22 MERCURE DE FRANCE .
des plus beaux Diamans , & le fit reconduire
à Bagdad par quatre Silphes , qu'il
avoit à perpétuité à fon fervice. Il tranſporta
auffitôt fon Palais dans l'ifle dc Céilan . Eritzine
& Parelin furent couronnés avec l'applaudiffement
de tous leurs Sujets. La félicité
pure dont jouiffoient ces époux fortunés
, fut pour eux un nouveau motif de travailler
au bonheur de leurs peuples. Ils auroient
voulu les rendre auffi heureux qu'ils
l'étoient eux- mêmes. Leur gouvernement
fut le modele de celui des Princes qui les
fuivirent , leur amour inaltérable celui de
tous les coeurs fenfibles , & leur bonheur
l'objet des defirs de tous les amans. Après
avoir fourni leur carriere , la mort leur en
ouvrit une nouvelle . Ils furent reçus , ainfi
que leur pere , parmi les Génies , & l'immortalité
qu'on leur accordoit ne leur parut
flateufe , que parce qu'elle leur donnoit le
moien de s'aimer à jamais.
ZAS
DECEMBRE . 1744 25
* : *
ODE
Tirée du Pfeaumne 67 Exurgat Deus ,
diffipentur inimici ejus , & fugiant qui
oderunt cum à facie ejus.
Eft de tous les Pleaumes celui dont le
fens littéral a le plus embarraffé les
Interprêtes, Plufieurs ont cru qu'il fut compofé
par David pour être chanté pendant
la cérémonie de la tranflation de l'Arche
dans la ville de Jérufalem . Leur fentiment
eft fondé fur ce qu'il paroît par le dixiéme
Chapitre des Nombres, que lorsqu'on élevoit
l'Arche pour la transferer d'un lieu dans un
autre , on chantoit les premiers mots de ce
Pleaume . Cumque elevaretur Arca , dicebat
Moyfes,furge Domine , & diffipentur inimici
tui , & fugiant qui oderunt te àfacie tuâ. Mais
le fens fpirituel de çe Cantique regarde inconteſtablement
la Réfurrection & l'Afcenfion
du Fils de Dieu , la deftruction de l'idolâtrie
, & le triomphe de l'Eglife. Le Cardinal
Bellarmin trouvoit ce Pleaume admirable
par les figures , les métaphores , & les
defcriptions Poctiques dont il eft rempli,
On peut dire en effet après le P. Hardouin ,
24 MERCURE DE FRANCE.
qui l'a traduit un peu fingulierement , que
c'eft un chef-d'oeuvre de la PoëfieHébraïque,
& l'un des plus beaux Pleaumes de David,
Dieu fe leve : tombez , Roi , Temple , Autel ,
Idolę.
Au feu de fes regards , au fon de fa parole
Les Philiftins ont fui.
Tel le vent dans les airs chaffe au loin la fumée ,
Tel un brafier ardent voit la cire enflamée
Bouillonner devant lui .
+3
Chantez vos faintes conquêtes ,
Ifraël , dans vos feftins ,
Offrez d'innocentes fêtes
A l'Auteur de vos deftins "
Jonchez de fleurs fon paffage ,
Votre gloire eft fon ouvrage ,
Et le Seigneur eft fon nom.
Son bras venge vos allarmes
Dans le fang & dans les larmes
Des familles d'Afcalon .
*****
Ils n'ont på foutenir fa face étincelante .
Du timide orphelin , de la veuve tremblante
Il protege les droits .
Du fond du Sanctuaire il nous parle à toute heure :
Il aime à raffembler dans la même demeure
Ceux qui fuivent fes loix.
11
DECEMBRE . 1744.
Il briſe , il met en pouffiere
Le joug terrible & les fers
Qu'il forgea dans fa colere
Pour fes enfans les plus chers.
11 délivre ces rebelles
Qui chez des Rois infidéles
Mouroient noyés dans les pleurs a
Ou traînoient leur vie affreufe
Dans la prifon tenebreuſe
De leurs barbares vainqueurs.
Souverain d'Ifraël , Dieu vengeur , Dieu fuprême
Loin des rives du Nil tu conduifois toi -même
Nos ayeux effrayés :
Parmi les eaux du Ciel , les éclairs & la foudre ,
Le Mont de Sinaï prêt à tomber en poudre
Chancela fous tes pieds,
De l'humide fein des nuës
Le pain que tu fis pleuvoir
A nos tribus éperduës
Rendit la vie & l'efpoir ;
Tu veilles fur ma Patrie
Comme fur fa bergerie
Veille un Paſteur diligent ,
Et ta Divine Puiffance
Répand avec abondance
Ses bienfaits fur l'indigent ,
B
26 MERCURE DE FRANCE.
Sur l'abîme des flots , fur l'aîle des tempêtes
Le Seigneur fait voler la voix de fes Prophetes
Aux lieux les plus lointains ;
Son peuple bien-aimé vaincra toute la terre ,
Et les Sceptres conquis par le droit de la guerre
Pafferont dans fes mains .
******
Ses moindres efforts terraffent
Ses ennemis furieux ;
Des périls qui le menacent
11fort toujours glorieux.
Roi de la terre & de l'onde
Il éblouira le monde
De fa nouvelle fplendeur.
Ainfi du haut des montagnes
La neige dans les campagnes
Répand fa vive blancheur,
O monts délicieux ! ô fertile heritage !
Lieux cheris du Seigneur , vous êtes l'heureux gage
De fon fidéle amour.
Demeure des faux Dieux , montagnes étrangeres ,
Vous n'êtes point l'azile où le Dieu de nos Peres
A fixé fon féjour.
*****
Sion , quelle augufte fête !
Quels tranfports vont éclater !
Jiqu'à ton fupeite faite
DECEMBRE. 1744. 27
Le char de Dieu va monter.
Pour célébrer fes louanges
Je vois accourir les Anges ,
Pénétrés d'un faint effroi.
Sa gloire fut moins brillante
Sur la montagne brulante
Où ſa main grava fa loi,
***
Seigneur , tu vas régner au ſein de nos Provinces:
Tu reviens entouré de Peuples & de Princes,
Chargés de fers pefans .
L'Idolâtre a fremi quand il t'a vû paroître ,
Et quoiqu'il n'ofe encore t'avouer pour fon Maître,
Il t'offre des préfens.
Ce Dieu , fi grand , fi terrible ,
A nos voix daigne accourir ;
Sabonté toujours viſible
Se plaît à nous fecourir.
Prodigue de récompenſes ,
Malgré toutes nos offenfes
Il eft lent dans fa fureur ,
Mais les carreaux qu'il apprête ,
Tôt ou tard brifent la tête
De l'impie & du pécheur.
Dieu m'a dit : De Bazan pourquoi crains- tu le
pieges ?
Bij
28 MER CURE DE FRANCE .
La mer engloutira ces mortels facrileges
Dans fon horrible flanc :
Tu fouleras aux pieds leurs veines déchirées ,
Et les chiens tremperont leurs langues altérées
Dans les flots de leur fang .
香蒜
Les ennemis de fa gloire
Sont vaincus de toutes parts :
La pompe de fa victoire
Frappe leurs derniers regards.
Nos Chefs enflamés de zèle
Chantent la force immortelle
Du Dieu qui fauva leurs jours ,
Et nos filles triomphantes
Mêlent leurs yoix éclatantes
Au fon bruyant des tambours .
***
Péniffez le Seigneur , béniffez votre Maître.
Defcendans de Jacob , ruiffeaux que firent naître
Les fources d'Ifraël .
Vous , jeune Benjamin , & vous Tribus guerrieres,
Nepthali , Zabulon , Juda , Roi de vos freres ,
Adorez l'Eternel.
******
Rempli , Seigneur , lapromeffe
Que tu fis à nos Ayeux ;
Que les Rois viennent fans ceffe
Te rendre hommage en ces lieux
DECEMBRE 1744 29
Dompte l'animal fauvage
Qui contre nous plein de rage
S'élance de fes Marais .
Pour éviter ta pourſuite
Qu'il cherche envain dans fa fuite
Les rofeaux les plus épais .
*****
Diffipe des méchans la fureur conjurée ;
Nous verrons accourir dans ta Ville facrée
Les Envoyés des Rois.
Chantez le Dieu vivant , Royaumes de la terre.
Vous entendez ces bruits , ces éclats de tonnerre ;
C'eft le cri de fa voix.
O Ciel! ô vafte étendue !
Les attributs de ton Dieu
Sur les Aftres , dans la nuë
Sont écrits en traits de feu .
Les Saints que fon ordre employe
Sont les heros qu'il envoye
Pour conquérir l'Univers.
Sa clémence vons appelle ,
Nations ; que votre zêle
Serve le Dieu que je fers.
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
*******
EXTRAIT d'une Diſſertation en forme de
Lettre , fur l'effet des Topiques dans les maladies
internes, & en particulier fur celui
du Sieur Arnoutt , écrite par un Médecin
de Paris à un Médecin de Province.
CHiftoire Naturelle , ont vu dans le
Eux qui fe font appliqués à l'étude de
cours de leurs recherches tant de Phénoménes
finguliers , & fi peu analogues aux
opérations communes de la Nature , que le
récit de l'expérience la plus extraordinaire
n'excite plus en eux , au lieu d'étonnement ,
que l'envie d'approfondir par un examen févére
la vérité des obfervations qu'on leur
communique. Les autres hommes font moins
traitables à cet égard ; avides du merveilleux
quand on ne s'adreffe qu'à notre imagination
, nous devenons incrédules pour tout
ce qui eft extraordinaire dès qu'on interroge
notre raifon , les gens peu inftruits refufent
de croire ce qu'ils ne comprennent pas , &
cela eft fans doute moins embaraffant que
de chercher à l'expliquer , & ils font d'autant
plus affermis dans leur erreur , qu'étant trop
peu inftruits pour difcuter les preuves , il eſt
impoflible de les convaincre , l'effet des ToDECEMBRE.
1744 . 3 .
piques , leur efficacité , foit en bien , foit
en mal , eft un de ces jeux de la Nature fi
finguliers, qu'on ajouteroit peu de foi à leur
vertu fi l'on n'étoit accablé par une foule
de preuves.
L'Auteur de cette Lettre a raffemblé un
grand nombre d'expériences , qui font des
témoins autentiques de l'effet des Topiques.
Il ne lui auroit pas été difficile d'en ramaffer
encore un plus grand nombre , mais il
auroit groffi infructueufement fa Lettre , &
il en a dit affez pour perfuader les plus incrédules.
Les garants des faits qu'il rapporte
font de fçavans Phyficiens , d'habiles Méde
cins ; M. Boyle le reftaurateur de la vraie
Phyfique , ordonne pour guérir la crampe
de remplir de poudre de racines de Méchoacan
un petit fachet de damas , & de le
porter pendu au col , enforte qu'il defcende
au creux de l'eftomac , & qu'il touche
immédiatement à la peau. Diction. Botan.
Pharmacent.
Cette précaution recommandée de faire
defcendre le fachet au creux de l'eftomac
n'eft point fans fondement ; ce viſcere prefque
tout nerveux , a des communications
avec toutes les parties du corps ; les émanations
des remédes pénétrans y parviennent
très- aifément , & rétabliffent promptement
la circulation du fang interrompue dans
Biiij
32 MERCURE DE FRANCE,
les défaillances , comme l'application des li
queurs fpiritueufes le prouve évidemment ,
fans doute parce que leurs parties volatiles
s'infinuent dans le fang dont le vifcére eft
arrofé , & rendent aux nerfs la tention qu'ils
avoient perdue.
Le même Boyle , dans fon Traité De infigni
effluviorum efficacia , donne à tous les
mixtes une atmoſphere , dont il prouve l'exiftence
par beaucoup d'expériences , & notamment
par l'effet des cantharides , qui appliquées
à des parties éloignées , & même
tenues dans la main , lui ont cauſé de grandes
douleurs dans les conduits urinaires. Les
remédes antihyfteriques , portés fous le nés ,
ou appliqués fur le nombril , calment les
accidens vaporeux. On apprend de Bartho-
Jin , que Henri II. fe préferva de la pefte ,
en portant au col une coquille d'Aveline
pleine de vif argent.
Quels éloges Vanhelmont n'a-t-il pas donnés
à un autre Amulette contre cette même
maladie !C'eft l'Arfenio porté fur la région
du coeur , ou fous l'aiffelle gauche dans un
petit fachet d'une double étoffe de foye. Il
eft vrai que fi au fujet de cet Amulette ,
beaucoup de Naturaliſtes ont été les échos
de Vanhelmont , plufieurs autres l'ont jugé
dangereux , mais qu'importe cela pour la
queſtion préfente ? les effets bons ou mauDECEMBRE.
1744.
33
vais prouvent également l'efficacité des Topiques.
M. Turner fameux Médecin rapporte
la mort tragique de deux enfans , caufée par
une fuperpurgation que produifit un onguent
qu'on leur avoit appliqué fur le nombril , à
deffein de tuer les vers. 1 croit avec affez
de fondement , que cet onguent eft celui
qu'on appelle , Arthanila , & on lit en effet
dans Fenel , qu'il purge fortement appliqué
fur le ventre. Cela paroîtra moins étonnant
à ceux qui fçavent que les Anciens fe purgeoient
en fe lavant les pieds dans une décoction
d'Ellebore.
1
M. Hoffman , premier Médecin du Roi
de Pruffe , & fi eftimé des Naturaliſtes , a
rapporté que la Confection Hamech , qui
n'eft pas un purgatif fort violent , adoucie
par le mélange de l'onguent de Guimauve ,
remédie à la conftipation , étant appliquée
fous les pieds.
Une flanelle trempée dans une décoction
chaude de Menthe , d'Abfynthe , & de quel .
ques Aromates , & appliquée fur l'eftomac ,
a guéri des envies de vomir rebelles aux remedes
les plus actifs. Des remedes analogues
font des miracles dans la colique , la
paffion iliaque , la dyffènterie. L'Abfynthe
porté fous les pieds , calme les vomiflemens
au rapport d'Horftius. M, Turner rapporte
By
34 MERCURE DE FRANCE.
qu'il a vu une iſchurie opiniâtre céder dan
le moment à une embrocation d'une huile
qui lui eft inconnue , faite für la région de
la veffie , du pubis , & du perinée .
L'Hiftoire de D. Thomas Taffard , Bénédictin
, eft l'effet des Topiques le plus fingulier
qu'on ait encore vu ; à l'âge de 29 ans il étoit
déja depuis plufieurs années devenu d'une
foibleffe inouie , il étoit tourmenté de convulfions
fréquentes, & ce qu'il ya de remarquable,
il fe trouvoit plus mal immédiatement après
le repas & le fommeil. On l'envoya à Bourbon
, mais le foulagement que les eaux lui
apporterent dura peu ; il y aila une feconde
faifon fans aucun fuccès , & même y
éprouva de nouveaux accidens. On lui confeilla
de porter une pierre d'Aiman , qu'on
dit bonne contre les convulfions , & on lui
en donna une bonne & bien armée , groffe
comme un oeuf de pigeon. Apeine l'eut- il
dans la main , que fes convulfions cefferent ,
& depuis elles ne font point revenues , quoique
Dom Taffard ait quelquefois été trois
ou quatre jours fans porter fa pierre d'Aiman.
Le récit de cette finguliere guériſon ſe
trouve dans le Mercure de Juillet 1726.
Dom Nicolas Alexandre , Bénédictin & Auteur
du Dictionnaire Botanique & Pharmaceutique
, confeilla d'après Ettmullet ce reméde
,•auquel il avoit peu de confiance ,
DECEMBRE. 1744 . 35
mais qu'il croyoit innocent ; il voulut d'abord
le faire porter fufpendu au col , pofé
fur la peau , & tombant fur la foffette du
coeur , mais il caufa au malade des inquiétudes
fi fortes , qu'il fut obligé d'abord de
le mettre pár - deffus fa chemife , puis pardeffus
fa vefte , & enfin par- deffus fa robe.
L'Auteur a appris ce détail de D. Alexandre
même.
Après une expérience auffi bien atteſtée ,
qui peut nier l'efficacité des Topiques , &
quel préjugé avantageux ne doit - on pas fe
former pour celui du Sieur Arnoult , qui ,
de l'aveu de fes Contradicteurs , ne pouvant
faire de mal , doit par conféquent faire
beaucoup de bien ? En vain objecte - t-on
que le fpécifique a manqué quelquefois fon
effet ; l'Auteur le juftifie d'une façon inconteftable
contre ces imputations calomnieufes
, qui d'ailleurs ne fuffiroient pas pour détruire
une foule d'expériences favorables , &
très-bien conftatées.
M. de Blagnes , & M. Habert , dont on
rapporte la mort pour décrier le fpécifique ,
n'ont jamais porté le fachet ; c'eft ce que
l'Auteur de la Diflertation a vérifié par les
Regiſtres du Sieur Arnoult. M. du Cholet ,
qui le portoit , n'eft pas mort d'apoplexie
mais d'épilepfie , à ce qu'ont décidé Meffieurs
Silva & du Moulin,
Bvi
36 MERCURE DE FRANCE.
Enfin on juftifie le fieur Arnoult à l'égard
du Comte de Froulai d'une façon incontef
table , en rapportant un Certificat de treis
de fes Domeftiques , qui ne laiſſe aucun
fcrupule fur cet article. En voici la teneur :
Nous fouffignés Guiard , Douillet , & Bizel
, certifions à qui il appartiendra , que moi
Guiard , il y a 40 ans que j'ai l'honneur d'étre
attaché à fon E. M. le Comte de Froulai ,
ci-devant Ambaffadeur du Roi à Venife ; que
moi Douillet , j'ai le même honneur depuis
30 ans , ainsi que moi Bizel depuis 10 ans
que nous ne l'avons point quitté depuis ce tems
jufqu'à fa mort , & que nous avons une parfaite
connoiffance de deux accidens d'apoplexie
qui lui font arrivés à Venife il y a deux
ans & demi , & qu'alors il ne faifoit point
dufage du fachet du fieur Arnoult ; que dans
Le tems & après ces deux accidens d'apoplexie ,
fon E. M. le Comte de Froulai écrivit à M.
Thieriot , Marchand de drap à Paris , & fon
homme de confiance , qui lui envoya auſſuôt
le reméde du fieur Arnoult , que mondit Sei-
·gneur en a fait ufage depuis , & qu'il eft trèsconftant
que depuis l'ufage qu'il a fait dudit
reméde , il ne lui eft arrivé aucun accident
d'apopléxie . Nous croyons devoir rendre ce
témoignage en confcience en honneur , d'antant
plus que le reproche que l'on a fait an
fieur Arnoult dans le Journal des Sçavans
DECEMBRE . 1744.
37
du mois d'Août 1743 , P. 1529 , par forme
d'Extrait d'une Lettre anonyme , porte précifément
que fon E. M. le Comte de Froulai a
eu quatre atteintes d'apoplexie , quoique depuis
la premiére il ait été bien attentif à porter le
fachet , ce qui est une accufation des enneinis
dufieur Arnoult très-fauffe , & tout à fait contraire
à la vérité. En foi de quoi nous en
donnons la préfente déclaration en notre ame
& confcience , & telle que nous la ferions en
Juftice , fi nous en étions requis ; le tout pour
fervir & valoir ce que de raison. A Paris le
17 Mars 1744. Signé Bizel, François Guiard,
& Douillet .
des
Voilà donc le fieur Arnoult parfaitement
juftifié ; mais d'ailleurs combien de fuffrages
refpectables s'élévent en fa faveur ! On cite
dans cet Ecrit le feu Cardinal de Polignac ,
le Duc de Gefvres , M. Merault , Procureur
Général du Grand Confeil , l'Abbé Franchini
, ci-devant Envoyé de Florence ,
Médecins mêmes , tels que Meffieurs Garnier
, Médecin de la Faculté de Paris , aujourd'hui
premier Medecin du Roi à la Martinique
, Mauran , Médecin à Bergerac , le
Mercier , Médecin du Roi dans l'Hôpital
d'Huningue.
Les Journaux ont été remplis jufqu'à préfent
d'une multitude de Certificats , par le
quels il étoit attefté que de gens attaqués d'a38
MERCURE DE FRANCE.
popléxie avant que de porter le fachet , n'avoient
éprouvé ancun accident depuis qu'ils
en faifoient ufage. On cite encore ici plufieurs
témoignages qui n'ont pas encore été
rendus publics , & qui font de la même nature
que les premiers.
L'Approbateur , qui eft un Médecin , déclare
qu'on lui a communiqué les Originaux ,
de toutes ces Piéces. Il faut donc fe rendre
à ces preuves , ou fe déclarer Phyrronien in
corrigible.
DECEMBRÉ. 1744 .
39
DISCOURS fur l'utilité des fluides.
Es Atomes d'Epicure , fes parties rameutéfiens
ne fuffifent pas pour nous donner
une idée nette & precife des fluides . L'expérience
nous apprend que les parcelles qui
entrent dans la compofition de ces fortes de
corps font défunies , qu'elles ont une certaine
activité , au moyen de laquelle elles fe
preffent mutuellement , en tout fens & avec
égale force. Il feroit bien difficile qu'un amas
de parties crochues , entortillées les unes
dans les autres , put nous donner cette admirable
élafticité , cette preflion en tout
fens , cette divifibilité qu'on admire dans les
Auides .
Mallebranche a démontré qu'il étoit impoffible
d'expliquer l'équilibre des liqueurs ,
à moins que d'en concevoir les parties comme
autant de tourbillons qui exercent les
uns contre les autres une action mutuelle
qui tire fon origine de la tendance qu'ils
ont à s'éloigner d'un centre commun autour
duquel ils roulent.
M. de Molieres dans fes Leçons de Phy
fique appuya le fentiment de Mallebranche
40 MERCURE DE FRANCE.
de démonſtrations Mathématiques , de raifonnements
fondés fur l'expérience . Il t
cha méme de découvrir l'origine des fluides ;
il crut avoir réuffi en nous les repréſentant
comme un affemblage de petits ballons ,
ayant une force centrale commune , & uns
autre particuliére , qui toutes deux croiffent
en raifon réciproque du quarré des diſtances.
Cette double action des fluides qui eft
propre à quelques - uns comme à l'air , à
l'eau , & c. & empruntée dans d'autres , comme
dans les métaux que le feu liquefie , nous
fournit d'heureuſes explications dont ſe trouvent
dépourvus ceux qui ne font entrer dans
la compofition des liquides que des parties
rondes fans aucun mouvement autour de leur
centre. En effet , un tas de pareils globes
n'auroit aucun reffort , n'exerceroit aucune
action contre ceux qui l'environnent , puifque
les parties qui le compofent n'ont au
cun mouvement particulier ; d'où il fuit , contre
le fentiment de Borelli , que la fluidité
ne dépend pas feulement de la configura.
tion des parties , & que des parties rondes
mifes en mouvement , confervant entr'elles
leut union , peuvent bien n'avoir aucune
fluidité , autrement on devroit donner le
nom de liquide à une livre de Cendrée renfermée
dans une boëte , & que l'on feroit
mouvoir dans une fronde ,
DECEMBRE. 1744.
4*
Après avoir expofé l'idée qu'on doit ſe
former d'un corps liquide , nous allons entrer
dans un détail abregé , autant qu'il fera
poffible, des principaux avantages que.l'homme
retire de la fluidité. Le plus grand fans
doute eft celui de vivre , primum vivere ,
deinde philofophari. Or après Dieu , c'eſt au
fluide qui nous environne que nous devons
le jour , puifque c'eft lui qui nous procure la
refpiration.
Les poumons d'un foetus font affaiffés ,
d'où l'on conclud qu'il ne refpire pas dans
la matrice . Il vit cependant, mais ce n'eft qu'à
la circulation du fang de celle qui le porte
en fes entrailles , qu'il eft alors redevable de
la vie .
A peine l'enfant eft dégagé de fes enveloppes
, que les ballons d'air qui font preffes
de tout côté entrent par les ouvertures du nés
qua data porta ruunt , le mouvement irrite
la membrane pituitaire ( de là les enfants
éternuent en naiffant ) , l'air qui trouve un
paffage libre , defcend par la trachée - artère
dans le poumon , qui eft compofé de véfi
cules qui fe dilatent ; voilà le myſtere de
l'inspiration. La poitrine qui s'étoit ouverte ,
preffée par le reffort du poumon , chaffe
l'air qui y étoit contenu ; c'eſt ce qu'on nom
me expiration. Tant que ce mouvement al
ternatif dure , le fang circule ; s'il ceffe , l'a
42 MERCURE DE FRANCE.
nimal meurt. De -là , felon M. Arbuthnot
l'état flafque & la pefanteur des poumons
des animaux morts dans la machine du vuide,
démontrent que le fang s'eft arrêté dans les
vaiffeaux poulmonaires; aucun animal ne peut
vivre fans refpiration ; quelques uns croyent
que ce font les ouïes qui la procurent aux
aquatiques.
L'élafticité des liquides ne provient que
de leur fluidité , ainfi les parties fulphureufes
qui diminuent la fluidité de l'air en le
furchargeant , lui otent une partie de fa vertu
élaftique , deforte qu'etant corrompu
il n'a pas affez de force pour faire agir les
poumons. De-là vient la fuffocation des animaux
dans les mines ; dans ce principe on
trouve auffi la raifon de l'expérience de M.
Hales , qui prouve que 74 pouces cubes
d'air fuffifent à peine à l'homme pour refpirer
pendant une minute . Notre haleine pro .
pre infecte & corrompt l'air , deforte que
fi
on renfermoit un homme dans une chambre
où nos petits ballons ne trouvaffent point
d'entrée , il tomberoit dans d'affreufes convulfions
, & expireroit en peu de tems ,
ainfi les habits de laine font utiles à la fanté ,
parce qu'ils abforbent les exhalaifons & les
mauvaiſes humeurs.
Non feulement la fluidité de l'air fert au
mouvement alternatif des poumons & à noDECEMBRE.
1744. 43
tre fanguification , mais encore, felon l'expérience
du Docteur Walternecdham , faite à
Oxford, elle peut faire revivre des animaux.
Ce Docteur pend un chien , qu'il laiffe
dans cet état jufqu'à ce que le mouvement
du coeur entiérement ceffât enfuite il
ouvre l'animal , lui fouffle dans le canal du'
pecquet , le fang fe remet en mouvement
le coeur bat , le chien refpire.

>
M. D. F. dans fa Lettre 442 fur les Ecrits
des Modernes , rapporte la façon dont M.
Arbuthnot prouve la propofition d'Hypocrate
, qui prétend que les tailles des hommes
dépendent des différentes conſtitutions
de l'air. Voici les termes : « La taille des
animaux eft modifiée par l'air ; les fibres
» d'un animal qui croît s'y étendant comme
dans un fluide , qui par une douce pref
fion réfifte au mouvement du coeur dans
la dilatation & l'allongement de ces mêmes
fibres ; l'atmofphere réfiftant par fa
preffion comme un doux moule où le
30 corps eft formé durant fon accroiffement.
Outre cette preffion extérieure , l'air ſe mêlant
avec les fluidēs animaux , détermine
leur être quant à la raréfaction , la condenfantion
, la vifcofité , la ténuité , &c .
50
50
וכ
30
59
La fluidité de l'air eft donc néceffaire à
l'homme pour vivre ; nous allons démontrer
que la feule fluidité de l'eau fuffit pour la
végétation,
44 MERCURE DE FRANCE.
Où l'expérience décide , le raiſonnement
doit fe taire , furtout en matiére de Phyfique.
On a obfervé par le moyen du Titlfimale
, que dans la végétation il fe fait une
circulation du fuc de la terre , comme il s'en
fait une du fang dans le corps des animaux ,
mais la terre y contribue- t - elle de telle forte
, qu'elle perde de fa fubftance ? c'eſt ce
que nous allons examiner.
Si on met une branche de baume dans
un vafe rempli d'eau feulement , elle pouffe
des racines , des branches , acquiert même
jufqu'à des feuilles ; l'eau peut donc fuffire à
la végétation , & contribue principalement à
l'accroiffement des plantes ; voyons fi la
terre y opére quelque chofe.
On prend de la terre féche que l'on péfe
, on l'enferme dans une terrine , on a foin
qu'il ne s'en perde aucune parcelle , on y
met un arbriffeau dont on connoît le poids ,
après l'avoir arrofé , toutes les fois qu'il en
a befoin , & lorfque la plante a pouffé , on
faiffe fécher la terre , on la péfe de nouveau ,
elle a toujours fon même poids , cependant
l'arbre a cru , il a jetté des racines , des feuilles
, des branches ; où a- t- il pris de la matiére
pour croître ? Ce n'eft pas de la terre
puifqu'elle eſt toujours auffi péfante . M.
Harris fait là - deffus plufieurs obfervations
il rapporte des expériences faites en Angle-
CA
DECEMBRE. 1744. 45
terre , qui toutes favorifent ce fentiment. Ce
qui paroît difficile à comprendre , c'eſt que
l'eau en montant dans les plantes , n'entraî
ne pas avec elle quelques parcelles de terre ;
du moins il réfulte du fait , qu'elle n'en enleve
pas une quantité confidérable.
Ce n'eft pas affez d'avoir prouvé que l'eau
contribue prefque feule à la végétation ; il
me refte à démontrer que c'eft à fa fluidité
que les plantes font redevables de leur accroiffement.
Il eft à remarquer que l'eau ne marche
pas fans huile dans le fyftême de M. de Moliere
, ou felon l'opinion la plus commune ,
fans un air beaucoup plus fubtil que celui
que nous refpirons ; elle doit même une partie
de fa Auidité à cette matiére fubtiliſée.
Les plantes ont des tuyaux vuides que Malpighi
a découverts à l'aide de fes microſcopes.
L'eau par fa fluidité monte dans ces foupiraux
comme dans des tubes capillaires , où
elle ne trouve aucune réfiftance . Le Printems
vient-il ? la chaleur augmente le mouyement
de l'eau , deffére la matiére contenue
dans fes pores. L'eau agitée porte dans
la plante les fels dont elle a befoin , & que
cet Elément renferme toujours lui -même ,
comme M. de Woodwars l'a démontré dans
fon Traité de la Végétation.
Plus l'eau eft pure , plus elle eft faine
46 MERCURE DE FRANCE.
par conféquent plus elle eft fluide , plus elle
s'accommode avec notre eſtomac ; de -là vient
que le pain de Goneffe eft fi eftimé , parce
que les eaux y font toujours bonnes . En
effet , l'eau eft d'autant meilleure , qu'elle eft
plus légere. Or l'eau eft d'autant plus légere ,
qu'elle eft plus fluide , parce qu'alors elle
eft moins furchargée ; c'eft peut- être par
cette raifon que M. Lemeri ne donne la préférence
à l'eau de riviére , que pourvû qu'on
la laiffe repofer avant que d'en boire , &
qu'on la prenne au deffus des grandes Villes ,
où il eft à préfumer qu'elle contiendra moins
d'immondices . D'ailleurs on juge de la légereté
des eaux , non par leur différente péfanteur
, mais par leur fubtilité à defcendre
dans l'eftomac ; or plus l'eau eft fluide , plus
elle eft fubtile.
En un mot , il n'eft point de corps grave
qui ne doive ſon exiſtence au fluide qui l'environne
; s'il eft quelque différence entre les
corps folides la variété des fluides qui entrent
dans leur compofition , leurs diverfes forces
centrifuges en font les feules & véritables
cauſes . L'or par exemple eft le plus lourd
de tous
poreux
, métaux
, parce qu'il eft le moins
poreux
, d'où je concluds
que fous un pareil volume
, il renferme
plus de parties
folides
,
fes pores font fi étroits
, qu'ils
ne peuvent
être remplis
que de la matiére
éthérée
qui
DECEMBRE . 1744.
47.
eft répandue dans l'air ; voilà pourquoi le
feu liquefie les métaux , car les ballons renfermés
dans leurs pores font fi fluides , que
l'action de la chaleur les dilate ; étant plus
ferrés , parce qu'ils font les plus petits , leur
débandement eft plus fort , & ne fe peut
faire fans qu'il oblige les parties métalliques
de tourner autour d'un même centre . Des
fels plus ou moins purs dominent dans les
pierres plus ou moins précieuſes ; voilà la
caufe de leur fragilité ; voilà pourquoi le feu
les calcine. Si le marbre eft plus léger que
le plomb , c'eft qu'il renferme dans fes pores
plus de petits tourbillons qui font en équilibre
avec l'air extérieur , le fluide par conféquent
exerce moins fa force centrale fur
la pierre que fur le métail.
<
Dans la décompofition des corps où l'air ,
?
la lumiére , le feu , le fel élémentaire trouvent
un libre paffage , la Chymie découvre
leurs principes ; tous les folides renferment
de la boue & du fable : l'or cependant eft
excepté , un grain d'or eft toujours le même,
il peut fe divifer en parties métalliques .
mais ce fera toujours de l'or. La caufe de
cette différence eft bien fenfible dans la plupart
des corps ; il eft des pores plus ou moins
larges qui laiffent au fluide un libre paffage
dès que les premiers ont été détruits par
la collifion, Alors nos ballons s'infinuent
8 MERCURE DE FRANCE.
de telle forte , qu'ils changent la configura
tion des parties internes , & felon leur différente
preffion ils laiffent des corps plus ou
moins lourds. L'Or au contraire ne renfer,
mant dans fes pores que les ballons les plus
fubtils , ce dérangement n'a pas lieu.
C'eft la fluidité de l'eau qui empêche que
les créatures qui vivent dans ces Eléments.
ne foient accablées du poids énorme de
ces ballons. Comme leur action eſt égale
en tout fens , il y a une certaine preſſion
de bas en haut qui foutient les animaux qui
y vivent , les empêche d'enfoncer , & leur
facilite le libre exercice de leurs fonctions.
Telle eft la nature des fluides, qu'un corps
plus lourd qu'un pareil volume de liquide
va au fond , parce qu'il preffe plus le fluide
qu'il n'en eft preffé . Si le corps eft plus léger
, il furnage la preffion du fluide qui eft
de bas en haut , étant plus forte que la gravité
du folide. Enfin fi le corps hétérogéne
eft d'égale pefanteur qu'un pareil volume
de fluide , l'action de l'un & de l'autre eft
égale ; le folide doit donc alors garder la
place qu'on lui donne dans le liquide , d'où
il fuit qu'un corps plongé dans un fluide
doit perdre autant de fon poids que péfe
un pareil volume de liquide ; de -là , deux
corps de différents poids perdront d'autant
plus de leur force dans l'eau , que leur vo
lume
DECEMBRE. 1744.
49
lume eft plus grand. Ainfi au moyen de l'Hydrométre
, on découvre les faux Louis d'avec
ceux qui font de poids ; voyez M. Rivard
dans fon Abregé d'Algébre, Traité des Equations
, Probl . 8. où connoiffant le poids d'un
corps compofé de deux Métaux d'Or & d'Argent
, il apprend à trouver la quantité de
POr , & celle de l'Argent mélés dans le corps ..
Voyez auffi M. Trabau dans fes principes
fur le mouvement & l'équilibre , Liv. 5 .
De-là l'on explique le vol des Oiſeaux ;
comment des maffes métalliques peuvent
flotter fur l'eau ; pourquoi tels Vaiffeaux enfoncent
dans les Riviéres qui furnageoient
fur les Ondes de la Mer , qui étant chargées
de fels , leur oppofoient plus de réfiſtance.
De-là vient que nous ne fommes point accablés
du Cilindre ou Colomne d'air qui eft
au deffus de notre tête , & qui felon le calcul
de M. Pluche , péfe au moins 20000 liv.
De - là auffi cette admirabie propriété de
l'eau de fe mêler avec une infinité de chofes
aufquelles elle s'unit fi étroitement , qu'elle
en prend la couleur , la force , & la vertu.
L'admirable propagation de la lumiére
qui fe fait dans un inftant Phyfique ; l'extréme
activité du feu , le fon dont l'air eft le
véhicule , font autant d'avantages , dont la
fluidité eft la caufe . Je ferois infini fi j'entrois
dans le détail de toutes les utilités de
C
50 MERCURE DE FRANCE.
l'eau feulement. On peut confulter là- deffus
la Théologie de l'eau par M. Fabricius , Je
ne puis cependant taire que le fluide qui
nous environne eft la caufe de notre odorat .
Les cavités du nés font remplies de lames
offeufes , couvertes d'une membrane femée
d'un grand nombre de nerfs. Plus les animaux
ont de ces fortes de lames , plus la
membrane eft étendue . Cette membrane eſt
l'organe de l'odorat ; l'air par le mouvement
commun à tous les liquides , détaché des
particules des corps , il entre par les ouvertures
du nés pour aider la refpiration.
Chargé des corpufcules des corps odorants
, il frappe cette membrane , qui felon
qu'elle eft plus ou moins étendue , reffent
plus ou moins l'impreffion que fait le fluide
en allant à la trachée -artère . Voilà pourquoi
les Chiens de Chaffe ont l'odorat plus
fin , c'eft auffi pourquoi ceux qui ne refpirent
que par la bouche en font dépourvus.
Cette invention des petits ballons n'eft
pas récente ; il eft honorable à M. de Moliéres
de l'avoir perfectionnée , mais on voit
dans Lucrece , Liv. 2 de la Nature des chofes
, que les Anciens en avoient quelque idée,
Illa equidem debent ex lazibus atque rotundis
Effe magis fluido que corpore liquida ccnftant
Nec retinentur enim inter fe glomeramina quæque
Et procurfu item in proclive volubilis extat.
LACOSTE le Cadet , à Dijon.
DECEMBRE . 1744. SI
MADRIGAL.
T Rop hautement ne peut s'apprécier
Le jufte los , de qui fçût nous pourtraire
L'Enfant Amour , & circonftancier
Par attributs , tous les tours qu'il fçait faire.
Arc & bandeau lui donna fagement ,
Aîles auffi : j'en euffe fait autant ;
Je porte au coeur l'empreinte toute telle ;
Toute , c'est trop , car le mien n'a point d'aîle.
ODE ANACREONTIQUE.
I Ris , Themire & Danaé
"
Ont en vain reçu men hommage
N'en doutez point , belle Aglaé ,
Jamais mon coeur ne fut volage .
Iris parle fi tendrement ;
Mon coeur eft fi foible & fi tendre ,
Que je croyois, même en l'aimant ,
Vous voir, vous parler , vous entendre.
Un fourire engageant & doux
M'enflamma bien-tôt pour Themire ;
க்
C ij
52 MERCURE DE FRANCE ,
J'ignorois qu'une autre que vous
Pût auffi finement fourire .
Danaé s'offrit dans le bain :
Qu'on eft aveugle quand on aime !
Aux lys répandus fur fon fein
Je ne crus voir qu'Aglaé même.
Ainfi , dans les plus doux plaifirs
Je cédois à vos feules armes ;
Mon coeur ne formoit de defirs
Que par l'image de vos charmes.
Iris , Themire , & Danaé
Ont envain reçu mon hommage ;
N'en doutez point , belle Aglaé ,
Jamais mon coeur ne fut volage,
DECEMBR E. 1744. 53
A Monfieur DE LA BRUERE , chargé
du Mercure de France.
A
Yant fçu , Monfieur , que le Mercure
eſt entre vos mains , tous les Gens de
Lettres ont conçu la jufte efperance qu'un
efprit qui fçait fi bien faire , fçauroit toujours
bien choifir , & que le Mercure feroit
un des meilleurs Journaux de l'Europe. Nous
nous flattons tous , Monfieur , que nous n'y
trouverons que des chofes dignes du public
éclairé , & plus il y en aura de vous , plus
le Public fera content. Nous feron délivrés
de cette foule de vers indignes de l'impreffion
, de ces puérilités qui entretiennent le
mauvais gout des Provinces , de ces extraits
infideles des Pieces de Théatre , dans lefquels
on traitoit également l'ouvrage déteftable
qui avoit été fiflé , & le bon qui avoit
eu un jufte fuccès.
C'eſt dans cette confiance que j'ai l'honneur
de vous envoyer , Monfieur , l'Ouvrage
ci - joint qui fut compofé fous mes
yeux il y a deux ans par un jeune homme
qui donncit les plus grandes efpérances ; il
étoit plein de la lecture des Ouvrages de
M. de Voltaire . Vous vous apercevrez aifé-
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
ment qu'il aprochoit de fon modele . Je ne
fçai fi je me trompe , mais il me femble que
depuis la fondation des Prix , il n'y a jamais
eu de meilleure Piece que celle que je vous
envoye . C'eft aux Connoiffeurs comme
vous à en juger. Je me contente de rendre
au Public le ſervice de publier cet Ouvrage
, & de payer ce tribut à la mémoire du
jeune Auteur qui eft mort il y a quelques
mois. C'eft une perte bien déplorable pour
les Lettres dans ce tems d'indigence , ou
plutôt d'abondance ftérile où nous fommes.
Il avoit commencé une Tragédie écrite
auffi-bien que la petite Piece que je vous
envoye. Ses vers étoient pleins de génie &
corrects. Ce n'étoit pas une bonne tirade
fuivie d'une mauvaife , une penſée faufſe à
côté d'une vérité , un folefcifme auprès d'un
bon vers , des chofes triviales en rimes de
recherche. Mais , Monfieur , vous ſentirez
mieux que moi le prix de fon ftile , prix
bien rare , & bien rarement eftimé ce qu'il
vaut. Il me fuffit de vous donner ce témoignage
de mon eftime , & de mon ardeur
pour les Lettres.
Je fuis,
A Straborg ce premier
Décembre 1744 ..
DECEMBRE, 1744
55
LA POLICE fous LOUIS XIV.
E grand art de régner eft le premier des
LE Arts ;
Il ne fe borne point aux fatigues de Mars ;
Il n'est point renfermé dans le foin politique
D'abaiffer la fierté d'un voifin tirannique ,
Ou d'ébranler l'Europe , ou d'y donner la Loi ;
Le devoir d'un Monarque eft de régner chés foi ,
D'y former un Etat redoutable & tranquile ;
De rendre heureux fon peuple en le rendant docile.
C'eft ainfi que Louis fçut paffer autrefois
Des tentes de Bellone aux Temples de nos Loix ;
Il montoit fur un Trône environné d'abîmes ,
De débris, de tombeaux, de meurtres & de crimes,
Au milieu des flambeaux de nos divifions ,
Aux cris de la difcorde , au bruit des factions.
11 parut , il fut fage , & l'Etat fut paisible .
La difcorde à fon joug foumit fa tête horrible ,
Et la confufion fit filence à ſa voix .
Tout prit un cours nouveau , tout rentra dans fes
droits :
Le Magiftrat fut jufte , & l'Eglife fut fainte.
Paris vit profperer dans fon heureuſe enceinte
D.s.Citoyens foumis , au travail affidus ,
Cij
56 MERCURE DE FRANCE .
Qui refpectoient les Grands , & ne les craignoientplus.
La regle avec la paix fous des abris tranquiles
Aux Arts encouragés affura des aziles ;
L'orphelin fut nourri , le vagabond fixé ,
Le pauvre oifif & lâche , au travail fut forcé
Et l'heureuſe induſtrie amenant l'abondance ,
Appella l'Etranger qui méconnut la France ,
L'Etranger étonné qui prompt à s'irriter ,
Fut jaloux de LOUIS & ne put l'imiter.
Ainfi quand du Très Haut la parole feconde
Des horreurs du cahos eut fait naître le Monde ,
Il en fixa la borne , il plaça dans leurs rangs
Ces tréfors de lumiere & ces globes errans ;
De l'immenfe Saturne il rallentit la courſe ,
Fit dans un cercle étroit rouler le char de l'Ourfe
De la lune à la terre affura les fecours ,
Diftingua les climats & mefura les jours.
Il dit à l'Ocean , que ton orgueil s'abaiffe ;
Que l'Aftre de la nuit te fouleve & t'affaiſſe ;
Il dit aux flancs du Nord , enfantez les Autans ;
Aux eaux du Ciel , tombez , fertiliſez les champs,
Et que tantôt liquide & tantôt endurcie ,
L'onde revole au Ciel en vapeurs obfcurcie.
Il dit , & tout fut fait , & dès ces premiers tems
Toujours indestructible en fes grands changemeng.
La Nature entretient à fon Maître fidéle
D'Elemens oppofés la concorde éternelle,
DECEMBRE. 1744. 57
Si l'on peut comparer aux Chefs - d'oeuvres Divins
Les foibles monuments des efforts des humains ,
Sous un Roi bienfaiſant parcourons cette Ville
Obéiffante , heureufe , agiffante , tranquille.
Quelle ame inceffamment conduit ce vafte corps !
Quelle inviſible main préfide à ces refforts !
Quel Sage a fçu plier à nos communs ſervices
Nos befoins , nos plaifirs , nos vertus & nos vices !
Pourquoi ce peuple immenfe avec fécurité
Vit-il fans prévoyance & fans calamité ?
L'Aftre du jour à peine a fini fa carriere ,
De cent mille fanaux l'éclatante lumiere
Dans ce grand labirinthe avec ordre me luit ,
Et forme un jour de fête au milieu de la nuit.
L'aurore ouvre les Cieux , le befoin ſe réveille ;
Il appelle à grands cris le travail qui fommeille ;
Vertumne avec Pomone apporte au point du jour
Les fruits prématurés hâtés par leur amour ;
Ces rivages pompeux qui refferrent ces ondes
Sont couverts en tous tems des tréfors des deux
mondes.
Ici l'or qu'on filoit s'étend fous le marteau ;
La main de l'Artiſan lui donne un prix nouveau ;
La vanité des Grands , le luxe, la moleſſe ,
Nourriffent des petits l'infatigable adreffe ;
Je vois tous les talens par l'efpoir animés
Noblement foutenus , fagement réprimés ,
L'un de l'autre jaloux , empreffés à fe nuire
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
L'interêt les fit naître , il pouroit les détruire ,
Un Sage les modére , & de leurs factions
Fait au bonheur public ſervir les paſſions.
Mais ce n'eft pas affés qu'un Sage foit utile ,.
Le Magiftat François doit penfer en Edile ;
Il doit lever les yeux vers ces nobles Romains ,
Que le Ciel fit en tout l'exemple des humains.
C'étoit peu de tracer de leurs mains triomphantes
Du Tibre au Pont-Euxin ces routes étonnantes
De tranfporter les flots des fleuves captivés
Sur cent arcs triomphaux jufqu'au Ciel élevés ;.
Rome en grands monumens de tous côtés feconde
Donna des Loix , des Arts & des fêtes au monde ;
L'Univers enchaîné dans un heureux loiſir
Admira les Romains jufqu'au fein du plaifir.
Paris ne céde point à l'antique Italie :
Chaque jour nous raffemble aux Temples du Genie,.
A ces Palais des Arts , à ces jeux enchanteurs ,
A ces combats d'efprit qui poliffent les moeurs ;
Pompe digne d'Athene , où tout un peuple abonde
Ecole des plaifirs , des vertus & du monde .
Plus loin la preffe roule , & notre oeil étonné
Y voit un plomb mobile en lettres façonnné
Mieux que chés les Chinois fur des feuilles legeres
Tracer en un moment d'immortels caracteres.
Protegez , tous ces Arts , ô vous ,
Loix ,
foutiens des
Miniftres confidens., ou Précepteurs des Rois ;.
DECEMBRE. 1744. 59
Méritez que vos noms foient écrits dans l'Hiftoire
Par la main des talens organes de la gloire.
Colbert & Richelieu les palmes dans les mains ,
De l'immortalité vous montrent les chemins :
Regardez auprès d'eux ce vigilant Génie ,
Succeffeur généreux du prudent la Reinie ,
A qui Paris doit tout , & qui laiffe aujourd'hui ,
Pour le bien des François deux Fils digne de lui.
Ma voix vous nommeroit , vous , dont la vigilance
Etend des foins nouveaux fur cette Ville immenſe,
Si vos jours confacrés au maintien de nos Loix
Vous laiffoient un moment pour entendre ma voix..
J'oferois , emporté par une heureufe yvreffe ,
De mon Roi bienfaiſant célébrer la fageffe ,
Mais l'éloge eft pour lui , malgré fon bruit flatteur ,
La feule vérité qui déplaiſe à fon coeur.
GOGOGY
GOODGO
Gvj
60 MERCURE DE FRANCE.
XXXKKKKKKK:KKKKKKK
SEAN CE publique de l'Académie Royale.
des Inferiptions & Belles-Lettres le 13
Novembre 1744 .
Qus avons promis de rendre compte
Na nos Lecteurs de la féance publique
de l'Académie des Belles Lettres du 13.
Novembre dernier. M. Freret Sécretaire.
perpétuel de cette Académie lut d'abord
P'Eloge de M. l'Abbé de Rothelin , Académicien
honoraire de l'Académie des Belles-
Lettres, mort le 17 Juillet 1744 .
Nous allons en donner ici l'extrait .
CHARLES D'ORLEANS DE ROTHELIN
né à Paris le 5 Août 1691 étoit le fixiéme
des enfans de Henri d'Orléans Marquis de
Rothelin , tué le 18 Septembre fuivant au
combat de Leuze à la tête des Gendarmes,
& de Gabrielle - Eléonore de Montaut de
Navailles , feconde fille du Maréchal Duc
de Navailles mort dès l'année 168844.
Il fe trouva dans une efpece d'indépendance
à l'âge de 9 ans , ayant perdu fucceffivement
dans l'efpace de deux années la
Marquile de Rothelin fa mere & la Maréchale
de Navailles fon ayeule. Mais une foeur
DECEMBRE. 1744.
plus âgée que lui de 14 ans & refpectable
dès -lors par fon mérite & fa vertu lui tint
lieu de mere, & le jeune Abbé de Rothelin ,
né avec les plus heureufes difpofitions pour
le coeur comme pour l'efprit fe foumit
avec une joye pleine de reconnoiffance à fonautorité.
5
Il fut mis très-jeune en penfion au College
d'Harcourt. L'Auteur de l'Eloge fanss'arrêter
au détail de fes premieres études-
I qu'il fit avec un fuccès brillant , infifta particuliérement
fur la générofité remarquable
avec laquelle n'ayant encore que 13 ans ,
& cadet d'une Famille nombreuſe , il fe
chargea fecrertement de la ſubſiſtance d'un
Précepteur , homme de mérite , que des.
infirmités fâcheufes avoient obligé d'ôter
d'auprès de lui. Il rendit compte enfuite de
fes progrès rapides dans l'Etude de la Théologie
à laquelle il fe livra tout entier , parce
qu'il regardoit cette Etude comme un devoir
de fon état , & que quelque jeune qu'il ait
été , tout ce qui fe préfenta à fes yeux fous la
forme de devoir fut toujours facré pour lui.
Il n'eft pas poffible de rappeller ici le
détail intéreffant dans lequel eft entré M.
Freret , fur les fervices importans que M.
l'Abbé de Rothelin rendit en 1717 à fa
Famille dont il fut l'arbitre dans des affaires
d'une longue & pénible difcuffion , fur ſon
62 MERCURE DE FRANCE.
voyage & fon féjour en Italie où il puiſa la
connoiffance & le gout des Médailles , fur le
magnifique Cabinet qu'il en forma en affés
peu de tems , fur les différentes fuites qui
compofent cette riche collection , l'une des
plus belles de l'Europe de l'aveu des Connoiffeurs
, enfin fur la Bibliotheque qu'il.
laiffe , Bibliotheque nombreuſe , formée
avec un gout infini , digne en un mot de
la réputation dont elle jouit , & qui eft
l'affemblage non feulement des meilleurs
Livres en tout genre , mais encore des plus
rares & des plus finguliers.
Après ces détails circonftanciés , M. Freret
rendit un compte exact de tout le travail
que M. l'Abbé de Rothelin avoit ertrepris
pour mettre le Poëme de l'Anti -Lucrece en
état de paroître . M. le Cardinal de Polignac
avec lequel il étoit lié depuis longtems
par l'amitié la plus intime , le lui avoit
remis en mourant , en lui laiffant la liberté
de le donner au Public , ou de le fupprimer.
Arbitre du fort de cet important Ouvrage
, il ne négligea rien pour répondre à
la confiance de fon Auteur , & s'étant aſſuré
par un grand nombre de lectures réfléchies ,
faites avec tous ceux qu'il a cru capables ·
d'en juger , qu'il méritoit d'être publié , il a
peu de tems avant la mort remis le manuf--
crit dans l'état où il doit paroître , à un:
DECEMBRE. 1744. 633
Homme de mérite qui s'eft chargé du ſoin
de l'Edition . M. l'Abbé de Rothelin en avoit
commencé la Traduction , mais fa fanté ne
lui permettant pas de continuer ce travail ,
il s'eft borné au premier Livre , & a chargé
du refte un jeune homme qu'il aimoit , &
dont le caractére & les talens méritoient
cette marque de fa confiance . La Traduction
faite fous fes yeux fera en état de paroî--
tre avec le Texte Latin.
Il eſt peu d'Auteurs que l'amour de leurs
productions eût pu foutenir dans un travail .
auffi long , auffi fatiguant , & même auffi
défagréable que celui auquel M. l'Abbé de :
Rothelin s'étoit engagé pour l'Ouvrage d'un
Ami mort. Auffi étoit-il animé par un motif
bien plus noble , dont on a cru devoir
rendre compte
.
23
"
Les premiers momens de la perte d'un
» Ami , difoit - il , ne font pas ceux où cette
» perte eft plus douloureufe : on s'empreffe
alors de la partager avec nous , on mêle
fes regrets avec les nôtres. Notre Ami
» vit encore dans le fouvenir de ceux qui .
» nous en parlent , mais quand le tems a effacé
fon nom de la mémoire des autres
hommes , quand on ne nous en parle plus ,
quand il ne vit plus que dans notre coeur ,
c'eft alors que nous reffentons toute l'étendue
de notre perte. Le feul moyen
"
59.
22
50
64 MERCURE DE FRANCE.

99
d'en adoucir l'amertume , ajoutoit - il ,
c'eft de faire revivre notre Ami dans la
mémoire des hommes , c'eft de les forcer
» en quelque forte de s'en occuper. L'efpérancé
de rendre ce fervice au Cardinal de
Polignac avoit foutenu M. l'Abbé de Rothelin
.
Une délicateffe de fentimens fi rare fuffiroit
pour donner une idée de fon caractére
; caractére aimable que l'Auteur de l'Eloge
s'eft attaché principalement à développer ,
& dont il a réuni tous les traits dans un tableau
qui le peint au naturel. Il le repréſente
plein de fenfibilité pour fes Amis , extrêmement
attentif à remplir jufqu'aux moindres
devoirs de l'amitié , mais n'exigeant rien
d'eux , & recevant les témoignages de leur
attachement & de leur reconnoiffance , comme
un préfent de leur part. On le voit annonçant
ce qu'il étoit par un air de dignité
& de décence répandu fur toute fa perfonne
, mais qu'une noble fimplicité rendoit infiniment
aimable . Plein de douceur , mais fans
foibleffe ; toujours vrai & même très-ferme ,
lorfque la raifon , la vertu ou la fidélité à
fes Amis demandoient qu'il le fût : naturellement
férieux , mais portant dans le commerce
ordinaire une gayeté douce qui fe
faifoit fentir dans fes converfations les plus
folides. Enfin un dernier trait qui achevé de
DECEMBRE. 1744 65
le caractériſer , & qui donne un prix réel à
fes autres qualités , c'étoit un attachement
fincére pour fa Religion . Une ame comme
la fienne , dont la vertu & la raifon avoient
toujours réglé tous les mouvemens , étoit
faite , fuivant la remarque de l'Auteur de l'Eloge
, pour être une ame religieufe . Lorſque
l'occafion de défendre la vérité de la Religion
fe préfentoit , il le faifoit toujours avec
force , mais fans que la vivacité de fa
perfuafion altérât jamais la douceur de fon
caractére , il croyoit que c'eût été rendre un
mauvais fervice à la vérité , que d'employer
pour la défendre le langage de la paffion.
Sa poitrine qui avoit toujours été très- délicate
, fut abfolument attaquée au commencement
de cette année : il prévit des premiers
les fuites inévitables de fa maladie :
mais dans le tems même qu'il étoit le plus
occupé des pensées que doit infpirer la vue
d'une fin prochaine , il cherchoit encore à
épargner cette idée à fes Amis , & à une Famille
à qui il étoit infiniment cher. Dans ces
fortes de maladies l'ame conferve jufqu'au
dernier moment toute fon activité . Rien ne
la diftrait du fpectacle d'une mort qui s'approche
à chaque inftant , & qui s'empare de
nous en détail. C'eft alors que la patience
devient d'un uſage bien difficile , furtout cette
patience continue , tranquille , fans appareil
66 MERCURE DE FRANCE .
& même fans effort , telle qu'a été celle de
M. l'Abbé de Rothelin pour qui l'expreffion
de poffeder fon ame en paix fembloit avoir
été faite fuivant la reflexion de M. Freret .
M. l'Abbé de Rothelin eft mort dans les
fentimens de Religion dont il avoit toujours
été pénétré. Il conferva jufqu'au dernier inftant
l'ufage de fa raifon , & dit le dernier
adieu à chacun de fes Amis en particulier ,
avec la même fermeté que s'il s'en fut féparé
pour un voyage.
Cet éloge fut fuivi d'un Mémoire lu par
M. Freret fous le titre d'Obfervations Générales
fur l'étude de l'ancienne Philofophie.
Une reflexion générale commença ce Mémoire
& annonça le but de l'Auteur . Il
remarqua que dans le cours des difputes que
la comparaifon des Anciens & des Modernes
fit naître vers la fin du fiécle paffé , les
Partifans de l'Antiquité épris du mérite des
Anciens en Poëfie & en Eloquence , parce
que ce genre de mérite étoit le feul qu'ils
fuffent en état de bien fentir , les confidérerent
uniquement comme Poëtes ou comme
Orateurs , jamais comme Philofophes ; que
ce filence de leur part fur un point de cette
importance , a été regardé comme un aveu
formel de la fupériorité des Modernes dans:
les matieres Philofophiques , & que c'eſt à
cette caufe qu'il faut principalement attriDECEMBRE
1744 67
buer le peu de cas que l'on fait aujourd'hu
de la Philofophie ancienne .
M. Freret entreprenoit de prouver combien
ce mépris qu'affectent la plupart de
ceux qui s'appliquent aux fciences exactes ,
eft mal fondé ; il le fit d'abord par une Obfervation
fort fimple. Il leur demanda fi cen'eft
pas aux Anciens qu'ils doivent les Ele--
lemens de ces Sciences , Elémens néceffaires
& d'un ufage indifpenfable ; s'ils connoiffent
dans la Géométrie , dans la Dialectique
, dans l'Aftronomie d'autre route que
celle qui leur a été frayée par les Anciens.
Il remarque que ces Elemens qui ne font autre
thofe que les vérités primitives , les Principes
fondamentaux de nos connoiffances ,
ont été le réſultat d'une longue fuite d'Obfervations
& de découvertes , fruit péniblede
Combinaiſons difficiles , de Méditations
profondes & refléchies , dont des hommes
d'un génie fupérieur étoient feuls capables..
D'où il fuit que fi nous avons tiré de ces
Principes des conféquences inconnues à ceux
qui nous ont précédé , nous ne fommes pas
en droit de les méprifer , que nous devons
au contraire défirer de nous inftruire du
chemin qui les a conduits à de pareilles
connoiffances , étude intéreffante qui non
feulement apprendroit l'Hiftoire la plus inftructive
& la plus agréable de toutes ,
*
68 MERCURE DE FRANCE .
celle de l'efprit humain , mais qui pouroit
occafionner d'utiles découvertes. C'eſt ce
que M. Freret prouva par un exemple célebre
, par celui du fçavant M. Halley qui
nous apprend lui- même par un Mémoire
imprimé en 1691 , que c'eft dans ce que
rapportent Geminus , Pline , Ptolemée , &
même Suidas , des propriétés attribuées par
les Chaldéens à leurs Sares Aftronomiques
ou Périodes de 223 lunaifons qu'il avoit
puifé l'importante vue à laquelle l'Aftronomie
& la Navigation font redevables de
fon travail , pour déterminer le mouvement
de la Lune. Combien de femblables découvertes
ne produiroit pas l'Hiftoire des anciennes
opinions Philofophiques , étudiée
par des hommes du mérite de M. Halley !
C'eft la conclufion que tira M. Freret , &
que tous fes Lecteurs tireront avec lui. Il
ajoûte qu'à mefure que l'Hiftoire naturelle
s'eft perfectionnée , on a reconnu la vérité
de plufieurs faits avancés par les Anciens &
traités de fables par les Modernes. Le hazard
feul a occafionné la plupart de ces découvertes.
Un examen attentif qui fçauroit
mettre à profit les fautes mêmes & les mépriſes
des Anciens , ne rendroit - il pas ces
hazards plns fréquents ? La découverte des
Satellites des Planettes , celle de cet amas
de petites Etoiles qui compofent la voie
DECEMBRE 1744 69
lactée , font dûs au Teleſcope , préfent du
hazard , perfectionné par l'illuftre Galilée .
Les Anciens privés de ce fecours ne pouvoient
deviner les Satellites , mais ils ont
foupçonné l'exiſtence des Cometes ; la raifon
que donnoient les Pythagoriciens de l'apparence
lumineufe qui les accompagne ne
deshonoreroit pas la Phyfique Moderne ;
pour la voie lactée , le raiſonnement feul les
avoit convaincu de ce que le Teleſcope nous
a fait voir ; l'Ifochroniſme eſt une propriété
des vibrations du Pendule dont Galilée &
Riccioli ont les premiers fait ufage parmi les
Modernes , mais les Aftronomes Arabes la
connoiffoient & l'appliquoient aux Obfervations
Aftronomiques. Si on ne fit pas alors
fervir cette découverte aux ufages ordinaires
de la vie , ce fût le défaut d'un certain concours
de circonftances , fans la réunion def
quelles elle feroit une feconde-fois retombée
dans l'oubli dont on l'a préfervée en la faifant
entrer dans la conftruction des Horloges.
De tous ces exemples & d'une infinité
d'autres qu'une plus grande familiarité avec
les Anciens nous offriroit , l'Auteur conclud
qu'un grand nombre de découvertes Modernes
& de Siftemes nouveaux ne font au
fond que des opinions anciennes , abandonnées
peut-être & repriſes déja plufieurs fois ,
& qui fe font préfentées de nouveau à des
o MERCURE DE FRANCE
hommes qui s'en croyant les Auteurs , ont
mis tout en oeuvre pour les faire valoir. Telle
eft entre autres le fyftême Neutonien qui
dépouillé de l'appareil de fes calculs , fe réduit
à celui d'Empédocle : les deux forces
en équilibre à l'action oppofée defquelles cet
ancien Philofophe attribuoit la formation de
l'Univers , & qu'il défignoit poëtiquement par
les termes figurés d'Amour & de Difcorde ,
ne font autre chofe que l'attraction Neutoniene
, & le mouvement de tranflation . M.
Freret convient que la fuite des tems & des
hazards heureux mis à profit ont augmenté
le nombre de nos connoiffances particulieres
, mais il doute qu'ils ayent fourni de nouvelles
idées générales ; ils n'ont fouvent fervi
qu'à faire revivre de vieilles opinions décriées
depuis long- tems , comme celle de l'Electricité
univerfelle de tous les corps , des amours
& de la différence du Sexe dans les Plantes
&c. Les forces de l'efprit humain font fi
bornées & les objets de nos connoiffances
fi peu variés , que le nombre des Combinaifons
poffibles de nos idées a dû s'être épuisé
d'aflés bonne heure , peut-être ajouta- t- il ,
ne faifons nous depuis affés long- tems que
les repeter.
La comparaifon détaillée des différents
Syftêmes , Métaphifiques des Anciens , & de
leurs opinions fur la Phyfique particuliere ,
DECEMBRE 1744 ༡t
avec les hypothefes Modernes , fourniroit
bien des preuves de cette propofition . Mais
M. Freret fans embraller ce projet dont les
bornes d'un Mémoire ne font pas fufceptibles
, ſe contenta de donner une idée générale
des trois Syftêmes Aftronomiques imaginés
par les Anciens.
Quelque générale que fut cette idée , on
peut dire avec fondement qu'elle renfermoit
un abrégé clair & précis de toute l'ancienne
Aftronomie dont elle offrit l'Hiftoire fous un
point de vue auffi intéreffant qu'il étoit nouveau.
Nous ne pouvons fuivre l'Auteur dans
cette explication détaillée qu'il faudroit lire
dans l'Ouvrage méme. Nous nous contenterons
de donner en peu de mots l'idée de
chaque Hypotheſe.
Premier Systême. La plus ancienne eft celle
des Egyptiens adoptée par Thalès, & par
prefque toutes les branches de la Secte lonique
; dans ce Syftême aujourd'hui fort peu
connu la Terre , comme dans celui de Ticobrahé
, occupe le centre du monde , mais elle
y eft mobile au tour de fon axe & fait en
24 heures fa révolution d'Occidenten Orient,
les Planettes placées à différentes diſtances de
laTerre font auffi leur révolution propre dans
le même fens , mais dans des tems inégaux ,
fuivant la différence de leur éloignemen , les
hommes leur attribuant le mouvement de
772 MERCURE DE FRANCE.
la Terre fuppofent que tous les corps céleftes
ont un mouvement général d'Orient
en Occident & un autre mouvement particulier
d'Occident en Orient , autour de cette
Planette , par des raifons que nous ne pouvons
expofer ici.
Ce Siftême fimple ne fe trouvant pas fuffifant
pour rendre raifon de tous les nouveaux
Phénomenes , on y fit quelques additions
que M. Freret expofa en infiftant
particulierement fur celle de l'obliquité de
I'Ecliptique , & fur l'Hipothefe des deux mouvemens
de Venus & de Mercure , l'un autour
du Soleil , l'autre autour du centre commun
avec le Soleil même dont ils font les Sateltites
, felon l'expreffion des Anciens , double
révolution imaginée pour expliquer les différentes
fituations de ces deux Planettes ,foit
entre elles , foit par raport au Soleil , foit par
raport à nous.
Second fiftême ; il paffa au fecond Siftême
attribué vulgairement à Ptolemée , mais qui
étoit celui des Philofophes Athéniens . Eudoxe
de Cnide l'avoit imaginé pour réfoudre
le Problême propofé par Platon fon maître .
Dans cette Hypotheſe la Terre eft immobile
au centre du monde , les Planettes tournent
autour d'elle d'Orient en Occident dans l'efpace
de 24 heures , & chacune eft de plus
attachée à un cercle particulier qui l'emporte
en
DECEMBRE 1744. 73
en même tems dans un fens contraire . Ce
Cercle lui-meme eft emporté par un autre.
Enfin Mercure, Venus, Mars , Jupiter & Saturne
ont encore un quatrićme mouvement
qui eft la caufe de leur Station , accélération
& rétrogradation apparentes,
Ces Cercles ou fpheres furent d'abord au
nombre de 26. Infenfiblement de nouvelles
apparences qui fe préfentoient à expliquer
augmenterent ce nombre d'abord jufqu'à 33 ,
enfuite jufqu'à 50. Enfin pour rendre raifon
de l'Apogée & du Perigée des Pianettes ,
quelques- uns eurent recours aux Epicycles ,
mais comme cette nouvelle fuppofition ret
doit les révolutions des corps céleftes excentriques
à la Terre, le mouvement concentrique
à la terre étant regardé comme un point
de Religion, plufieurs la rejetterent ; ils aimerent
mieux multiplier les Spheres. Fracaftor
dans le fiécle paffé en imagina jufqu'à 79 différentes.
Troifiéme Siftême ; Enfin un troifiéme Siftême
, dont M. Freret foupçonne les Chaldéens
d'étre les auteurs , & que fuivoient
les Difciples de Pythagore , faifoit le Soleil
centre immobile de tous les mouvemens céleftes
; il eft conforme en toutes les parties
à celui de Copernic , & par confequent n'a
pas befoin d'être détaillé.
Quelque abfurde que paroiffe le fecond
D
74 MERCURE DE FRANCE,
&
a
Siftême , il feroit injufte de rejetter cette
abfurdité fur fes auteurs , & le mépris qu'on
en fait n'eft fondé que fur ce qu'on le regarde
comme une Hypothefe Phyfique , idée fauffe
& que détruifirent abfolument les Obfervations
de M. Freret. Il prouva clairement &
par des textes formels que ce Siftême n'étoit
donné que pour une Hypotheſe Aftronomique,
uniquement imaginée pour affujettir
les apparences au calcul , & que les Aftronomes
Grecs en fentoient comme nous les
abfurdités Phyfiques , mais qu'ils étoient obligés
de l'employer par la crainte d'irriter la
fuperftition populaire , qui avoit fait un dogme
Religieux de l'immobilité de la Terre
au centre du monde. Que c'étoit cette crain
te qui avoit empêché Platon de fe déclarer
ouvertement pour l'Hypothefe Pythagori
cienne qu'il adoptoit fécretement fuivant
Théophrafte ; qu'Ariftarque qui avoit ofé la
foutenir s'étoit vù accufé publiquement d'impiété
par un Stoicien pour avoir violé le
refpect du à Vefta , c'eft à dire à la Terre ,
fuivant l'explication de Plutarque , & pour
avoir trouble fon repos. Que réduits à chercher
un moyen de concilier les apparences
céleftes avec les idées du Peuple qu'il étoit
dangereux d'attaquer, les Philofophes avoient
preféré au fort de Socrate & d'Anaxagore
dont ils euffent été menacés un , Siftême ab.
furde en apparence , capable d'effrayer l'iDECEMBRE
1944 75'
magination , de rebuter la patience , embaraffant
pour le calcul , mais qui au fond ne
les empêchoit point de faire des calculs juftes
& exacts comme font les Tables Aftronomiques
d'Hipparque copiées par Ptolemée &
le modele de toutes celles qu'on a dreffées depuis
, enfin que les Epicycles ajoutés aux
Cercles , n'ont jamais été imaginés que pour
le calcul , comme le dit expreffément le même
Ptolemée , que cependant ces Epicycles
font peut-être encore , fuivant le célebre M.
Halley , ce qu'il y a de plus fimple pour
calculer les mouvements irréguliers de la
Lune.
Après avoir cité le malheur du célebre
Galilée , contraint d'abjurer publiquement
l'opinion du mouvement de la Terre comme
une héréfie dangereufe , évenement qui nous
montre qu'en vieilliffant le monde n'eſt pas
devenu plus fage , M. Freret rechercha quelle
étoit la caufe de cet attachement opiniâtre
des Atheniens pour l'immobilité de la
Terre : il en trouve la fource dans l'idée qu'ils
s'étoient formée de l'Univers dans le tems de
leur barbarie. Incapables alors de concevoir
que la Terre pût fe foutenir d'elle-même
fans un point d'appui , ils fe l'étoient repréſentée
comme une grande montagne dont
les racines s'étendoient à l'infini dans l'immenfité
de l'efpace , & dont le fommet ar-
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
rondi en forme de borne étoit la demeure
des hommes. Le refte du Sifteme célefte répondoit
à cette idée groffiere , que par une
fingularité remarquable des voyageurs di
gnes de foi ont retrouvée abfolument la
même chés les Talapoins de Siam.
Les Philofophes Athéniens furent longtems
forcés de feindre un fcrupuleux attachement
à cette opinion . Peu à peu on s'enhardit
& on ofa la combattre , mais ccee.nnee fut
qu'avec de grands ménagemens. La Terre
recût fucceffivement diverfes figures qui s'éloignoient
plus ou moins de la premiere . Enfin
les Aftronomes lui donnerent la forme
d'un corps parfaitement Sphérique , les Phyficiens
en firent un Sphéroïde , mais fans
s'accorder fur fa figure , les uns le fuppofant
allongé par les Poles , & les autres japplati,
Le premier de ces fentimens eft plus ancien
& fervoit à donner raifon des pluyes & des
neiges des Régions Septentrionales , mais les
voyages des Grecs dans l'Afrique , & leurs
Navigations dans la mer des Indes dont les
conquêtes d'Alexandre leur avoient frayé la
route , occafionnerent des découvertes qui
firent naître le fecond Siftème , celui de l'aplatiffement
de la Terre vers les Poles , & de
fon Elévation fous l'Equateur. Il eft fingulier
que la figure de la Terre , qui a fait parmi.
les Modernes une Queſtion fameufe , main
DECEMBRE 1744
71
tenant à la veille d'être décidée , ait auffi partagé
les Anciens . Mais ce qui n'eft pas
pas moins
digne de remarque c'eft que la Cofmogonie
Egyptienne que fuivoit l'Ecole de Thalés ,
employoit pour rendre fenfible la raiſon
qu'elle donnoit à la permanence de la Terre
au centre du Tourbillon , une expérience
célebre parmi les Modernes , celle du fluide
mû circulairement autour du centre du vafe.
qui le contient. Platon qui n'ofoit , quoiqu'il
la connût , en faire ufage , parce qu'elle fuppoſoit
le mouvement de la Terre fur ellemême
, qu'il étoit dangereux de foutenir dans
Athenes , expliquoit cette fituation conftante
de la Terre par un raifonnement métaphyfique
qui eft de la même efpece que le principe
fondamental du,Leibnifianifme , ou que
celui de la raifon fuffifante dont les Difciples
de Leibnitz font aujourd'hui une des bafes
de leur Systême.
M. Freret termina cet expofé général de
quelques-unes des opinions Philofophiques
des Anciens , par plufieurs réflexions qui conduifent
à la conféquence qu'on en doit tirer.
Il convient que pour fe former une jufte
idée de l'ancienne Philofophie , il faut recueillir
des lambeaux lépars çà & là dans
des Auteurs fouvent peu inftruits de ces
matieres , que privés aujourdhui des ouvrages
même des Philofophes , nous ignorons
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
quel plan ils avoient fuivi dans la liaiſon de
leurs idées & de leurs Siftêmes , qui font à
notre égard comme ces Statues antiques
dont il ne nous refte que des débris.
Nous devons ajouta -t - il , la même juſtice
aux anciens Philofophes qu'aux anciens Sculpteurs
. Il faut juger des parties que nous
avons perdues par celles qui nous reftent ,
penfer que leur affemblage formoit un tout
& non pas un monftre .
C'eft tout ce qu'il demanda , Car il fe déclara
bien éloigné de donner une préférence
abfolue aux Anciens fur les Modernes , &
de fe livrer à une prévention aveugle déterminée
à tout admirer. Il n'attaqua que le
mépris qu'on témoigne pour eux. Il fit fentir
que la différence des fiécles n'en met point
entre les hommes , qu'il faut mefurer leur capacité
& leurs talens moins par le terme
où ils font arrivés , que par le point d'où ils
font partis , & par les obftacles qu'ils ont
eu à vaincre ; que fi les Modernes ont quelque
avantage fur les Anciens , c'eft d'être
venus après eux , c'eft de marcher fur leurs
traces , & d'être inftruits , non feulement par
leurs découvertes , mais encore par leurs méprifes,
& qu'ainfi ceux qui dédaignent fi fort
l'étude de l'Antiquité fe privent de cet avantage
, que bornés à la Génération préſente ,
& ignorans le paffé , il n'eſt pas
étonnant que
tout foit nouveau pour eux,
DECEMBRE. 1944:
De ces réflexions , & du détail intéreſ
fant qui les précede , ne doit- on pas conclure
que fi une admiration fans bornes
pour les Anciens eft une fuite de la prévention
, le mépris aujourd'hui fi commun
qu'on affecte pour eux , eft de fon côté
l'effet de l'ignorance , & qu'entre ces deux
excès fi condamnables , il eſt un jufte milieu
? Mais le jufte milieu eſt un état ſi violent
pour la plupart des hommes , comme
le dit l'Auteur de ce Mémoire , qu'il fera
toujours bien difficile de les y amener.
Monfieur l'Abbé Belley lut enfuite un
Mémoire fur l'ordre Politique des Gaules
qui a occafionné le changement de nom
de plufieurs Villes.
Meffieurs de Valois & dé Longueruë , &
d'autres Ecrivans , même Etrangers , ont
remarqué que pluſieurs Villes de la Gaule
avoient quitté leur nom ancien & s'étoient
approprié le nom du Peuple dont ces Villes
étoient les Capitales ; ainfi Lutetia fut nommée
Parifii ; Durocortorum , Remi , Agedincum
, Senones , Avaricum , Bituriges , quarante-
cinq Villes dans l'étendue des Gaules
qui furent conquifes par Jules - Cefar ont
admis ce changement ;il fe reconnoît à peine
une fois dans la Province Narbonnoife. M.
L. B. a crû devoir rechercher la caufe d'un
changement fi commun dans une partie de
D inj
30 MERCURE DE FRANCE.
la Gaule , & prefque fans exemple dans l'au
tre ; il s'agit de fçavoir comment ſe ſont établis
les noms de Paris , de Reims , de Sens ,
de Bourges & de plufieurs autres Villes de
France. La queftion devient plus intéreflanfi
cette dénomination eſt fondée fur l'ancien
gouvernement établi dans ces Villes ,
& fi la différence d'ufage qu'on remarque
dans les parties de la Gaule , vient de la
différente condition des Peuples . La connoiffance
de l'ancien état des Peuples & des
Villes eft un des grands objets de l'Hiſtoire ;
les éclairciffemens que donne M. L. B. répandent
un grand jour fur le gouvernement
des Romains dans la Gaule , & par une
conféquence néceffaire fur les premiers tems
de la Monarchie Françoife. Nous ne pouvons
donner qu'un Extrait abregé de ce Mémoire.
Les Romains envoyerent dans la Gaule
pour la défenſe des Marſeillois leurs anciens
Alliés , des armées qui dans l'efpace de s
ans conquirent le Pays , compris entre la
Mer Mediterranée , les Alpes , le Rhône ,
les Cevennes , la Garonne & les Pyrenées .
Cette tre fe fit de la part des Romains
averfité. Domitius & Fabius Maxim
enéraux , pour perpétuer le fouars
Victoires , firent élever des
& des Trophées , contre l'uſage
DECEMBR E 1744, 81
ETS
res E
ces
viera
pa.
ersz
nea
G
200
te
du Peuple Romain , qui fuivant Florus ,
n'infulta jamais à l'ennemi vaincu. Le Pays
conquis fut réduit en Province , & nommé
la Province Narbonnoife du nom de Narbonne
, fa ville Metropole, ou fimplement la
Province de la Gaule. Le Senat lui impofa
des conditions très- dures ; fes Peuples
furent dépouillés d'une partie de leurs Villes
& de leurs Terres ; on exigea d'eux des
tributs en argent , de groffes contributions
de Vivres pour les armées Romaines ; plufieurs
Colonies furent établies fur leurs Territoires
, & fe multiplierent dans la fuite
jufqu'au nombre de vingt. L'ancien habitant
, qui vivoit fous la Jurifdiction de la
Colonie , avoit perdu fes meilleures Terres ,
il déploroit la perte de fa liberté , il n'avoit
plus ni Loix , ni Magiftrat de fa Nation.
La condition des Peuples de la Narbonnoife
étoit fi déplorable que Critognate la
répreſente aux Gaulois affiégés dans Alife
comme le plus puiffant motif pour défendre
leur liberté jufqu'à la derniere extrémité.
Refpicite finitimam Galliam , qua in Provinciam
redacta , jure & legibus commutatis
fecuribus fubjecta , perpetua premitur fervi-
*
tute.
Les Gaules conquifes par Jules- Cefai re-
De Bello Gall, L. VIl .
80 MERCURE DE FRANCE.
la Gaule , & prefque fans exemple dans l'autre
; il s'agit de fçavoir comment fe font établis
les noms de Paris , de Reims , de Sens ,
de Bourges & de plufieurs autres Villes de
France. La queftion devient plus intéreffante
, fi cette dénomination eſt fondée fur l'ancien
gouvernement établi dans ces Villes ,
& fi la différence d'ufage qu'on remarque
dans les parties de la Gaule , vient de la
différente condition des Peuples. La connoiffance
de l'ancien état des Peuples & des
Villes eft un des grands objets de l'Hiſtoire ;
les éclairciffemens que donne M. L. B. répandent
un grand jour fur le gouvernement
des Romains dans la Gaule , & par une
conféquence néceffaire fur les premiers tems
de la Monarchie Françoife. Nous ne pouvons
donner qu'un Extrait abregé de ce Mémoire.
Les Romains envoyerent dans la Gaule
pour la défenſe des Marſeillois leurs anciens
Alliés , des armées qui dans l'efpace de s
ans conquirent le Pays , compris entre la
Mer Mediterranée , les Alpes , le Rhône ,
les Cevennes , la Garonne & les Pyrenées .
Cette guerre fe fit de la part des Romains
avec animofité. Domitius & Fabius Maximus
leurs Genéraux, pour perpétuer le fouvenir
de leurs Victoires , firent élever des
Monumens & des Trophées , contre l'uſage
DECEMBRE 1744, 81
du Peuple Romain , qui fuivant Florus ,
n'infulta jamais à l'ennemi vaincu. Le Pays
conquis fut réduit en Province , & nommé
la Province Narbonnoife du nom de Narbonne
, fa ville Metropole, ou fimplement la
Province de la Gaule . Le Senat lui impofa
des conditions très-dures ; fes Peuples
furent dépouillés d'une partie de leurs Villes
& de leurs Terres ; on exigea d'eux des
tributs en argent , de groffes contributions
de Vivres pour les armées Romaines ; plufieurs
Colonies furent établies fur leurs Territoires
, & fe multiplierent dans la fuite
jufqu'au nombre de vingt. L'ancien habitant
, qui vivoit fous la Jurifdiction de la
Colonie , avoit perdu fes meilleures Terres ,
il déploroit la perte de fa liberté , il n'avoit
plus ni Loix , ni Magiftrat de fa Nation .
La condition des Peuples de la Narbonnoife
étoit fi déplorable que Critognate la
réprefente aux Gaulois affiégés dans Alife
comme le plus puiffant motif pour défendre
leur liberté jufqu'à la derniere extrémité.
Refpicite finitimam Galliam , que in Provinciam
redacta , jure & legibus commutatis
fecuribus fubjecta , perpetua premitur fervi-
*
tute .
Les Gaules conquifes par Jules- Cefai re-
De Bello Gall, L. VII,
D Y
82 MERCURE DE FRANCE.
Curent un traitement bien différent ; ce Général
dans le cours de huit Campagnes affujettit
à la domination Romaine la vaſte
étendue des Gaules depuis les frontieres de
la Province jufqu'au Rhin & à l'Ocean
& les réduifit en Province. Le Vainqueur
ne leur impofa aucunes nouvelles charges ,
il fe contenta d'un tribut de quarante millions
de fefterces ( quadringenties ) qui fercient
de notre monnoye au prix actuel du
marc d'argent, environ huit millions ſept cent
cinquante mille livres , fomme modique , fi
l'on confidere l'étendue & la richeffe du
Pays , fur lequel elle fut impofée ; & ce
tribut fe leva fous le nom le moins odieux ,
Stipendii nomine , pour l'entretien des troupes
deſtinées à maintenir la paix & la tranquillité
des Peuples .
Un autre avantage que cette partie des
Gaules conferva en général au deffus de la
Province , c'eft que fes Peuples ne furent
point troublés dans la poffeffion de leurs
Villes & de leurs Terres. Les Romains n'envoyerent
dans leur pays qu'un petit nombre
de Colonies ; on ne connoit que la Colonie
de Lyon dans la Gaule Celtique ouLyonnoife
, qui étoit la troifiéme partie des Gaules
; trois Colonies dans le Pays des Helvetiens
, quatre dans la Belgique , une feule
dans toute l'Aquitaine ; ces établiſſemens
DECEMBRE 1744. 83
he fe firent point pour châtier ou pour contenir
les Naturels du Pays ; les Colonies
furent prefque toutes placées fur le Rhin
pour affurer cette frontiere contre les courfes
des Nations Germaniques .
Les Romains enfin conferverent ou retablirent
dans les Cités de la Gaule l'ancienne
forme de Gouvernement , il étoit
Ariftocratique un Senat compofé d'un certain
nombre de Perfonnes formoit le Confeil
commun de chaque Cité ou de chaque
Peuple ; les Commentaires de Cefar font
mention d'un Senat dans les Cités d'Autun
, de Sens , de Reims , de Beauvais , d'Evreux
, de Lifieux , de Vannes & des Nerviens
; c'étoit l'ordre politique généralement
établi . Cependant au tems de la Conquête
, les Grands avoient ufurpé dans plufieurs
Cités la puiffance Souveraine ; la Domination
Romaine chaffa ces Tyrans , & rendit
aux Peuples l'autorité de leurs Senats , cet
ordre fut maintenu par les Empereurs , comme
on le voit par plufieurs Monumens du
haut & du bas Empire ; il a même ſubſiſté
fous les premiers Rois de France , on en
trouve encore des veftiges fous la troiſieme
Race , prefque jufqu'à notre fiecle.
Ce Parallele fait affés connoître com
bien la condition de la Narbonnoife fut differente
de l'état du refte des Gaules : les
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
Peuples des Gaules ayant confervé fous les
Romains l'autorité de leurs Senats , il eſt
facile de concevoir comment les Villes Capitales
auront perdu leur nom primitif, pour
prendre celui du Peuple.
Le Senat étoit le premier ordre du Peuple
, une affemblée repréſentative du Peuple
, fouvent confidérée comme le Peuple
même, au nom duquel elle agifloit ; le Senat
s'affembloit dans la Ville Capitale de chaque
Peuple ou Cité , M. L. B. le prouve par
plufieurs Monumens. Cette Capitale prit ou
plutôt reçut le nom de la Cité & du Peuple.
Il eft affés ordinaire de comprendre
fous la même denomination les lieux & les
perfonnes les noms de Senat , de Ville ,
de Province & plufieurs autres font ſouvent
pris dans cette double acception .
Ainfi les Capitales des Peuples Parifii ,
Bellovaci , Atrebates , Lemovices , Petrocorii
&c. furent nommées Civitas Parifiorum ,
Bellovacorum , Artrebatum , Lemovicum
Petrocoriorum , la Cité de Paris , de Beauvais
, d'Arras , de Limoges , de Perigueux ,
& l'ancien quartier de ces Villes porte encore
le nom de Cité , on leur donna aufli
fimplement le nom du Peuple , Parifii , Bellovaci
, Atrebates , Lemovices , Petrocorii ,
Paris , Beauvais , Arras , Limoges , Perigueux.
DECEMBRE 1744 84
Dans la Narbonnoife les Peuples avoient
perdu une partie de leurs Villes , vingt Cofonies
furent établies fur leurs territoires
les Senats de ces Colonies n'étoient point
un ordre repréſentatif de l'ancien Peuple
& par conféquent l'affemblée ou la refidence
du Senat dans une Capitale , n'a pû
donner à cette Capitale le nom du Peuple,
ainfi les Villes de Narbonne , de Touloufe ,
de Nimes , d'Arles , d'Avignon , d'Orange ,
de Valence , de Vienne & des autres Colonies
auront confervé leur nom primitif.
M. L. B. examine dans quel tems les
Villes ont pris dans les Gaules le nom du
Peuple ; il trouve peu d'exemples de ce
changement fous les premiers Empereurs ;
cet ufage eft plus clairement établi dans
quelques Infcriptions du troifiéme fiecle ; il
devint plus commun dans le quatriéme ;
on le remarque dans les Refcrits des Empereurs
, fur des Medailles Imperiales , dans
les Itineraires : le changement ne fe fit que
par dégrés. Alors les Villes portoient deux
noms , l'ancien , & le moderne qui étoit
le nom du Peuple , pendant que les Romains
nommerent la Ville de Paris , Parifii , les
Gaulois lui donnoient encore le nom de
Lutetia ; mais à la fin du quatrième ſiècle ,
le changement devint prefque général , nous
voyons dans la Notice des Provinces & des
86 MERCURE DE FRANCE.
Cités de la Gaule , qui fut redigée fous l'Empire
d'Honorius , que quarante-cinq Villes
portoient le nom de leur Peuple. Cependant
les Villes de Rouen , de Bordeaux ,
de Befançon & plufieurs autres ont confervé
leur ancien nom , M. L. B. examine
pourquoi elles ne fuivirent pas l'uſage général
.
La nouvelle Denomination a fubfifté fous
hos Rois , comme on le voit dans les Hiftoriens
, dans les Chartes , dans les Actes publics
, fur les anciennes Monnoyes , & dans
les autres Monumens de l'Hiftoire de France,
fage qui s'eft perpetué jufqu'aujourd'hui,
DECEMBRE. 1744 . 87

33
NOUVELLES LITTERAIRES.
N
Ous avons annoncé dans le fecond
Volume du mois de Novembre les
Memoires de Melvil , traduits de l'Anglois ,
avec des additions confidérables , en 3 volumes,
dont le troifiéme contient les Lettres de Marie
Stuart. Ce Livre imprimé à Edimbourg chés
Barrows & Young , porte la datte de 1745 ,
quoique la veuve Barrois ait commencé à le
débiter à Paris dès le mois de Novembre
1744.
Les Mémoires ne font pas la partie la
moins curieufe des Monumens Hiftoriques ,
mais il feroit dangereux de les lire fans
précaution. Ceux qui font à portée de laiffer
à la pofterité ces fortes d'Ecrits , font
prefque toujours des gens qui ont été toute
leur vie engagés dans les affaires ; la prévention
, l'attachement au parti qu'ils ont fuivi
prévalent fur l'amour de la vérité , & les empêche
même quelquefois de la connoître.
De-là les contradictions fi fréquentes entre
tous les Ecrivains de Mémoires. Ce ne font
pas des témoins qui dépofent de la vérité
des faits , ce font des Parties qui plaident
88 MERCURE DE FRANCE.
leur caufe , & qui ne négligent rien pour la
faire valoir , & pour tromper leurs Juges.
Un autre défaut ne leur eft pas moins
ordinaire. Combien en voit-on qui ayant
été employés dans quelque fubdivifion d'une
grande affaire , ne préfentent au Lecteur
que cette face , parce que c'eft la feule qu'ils
ont apperçue ? La plupart des hommes ne
peuvent confentir à fe perdre de vûe , & il
n'y a que les efprits fupérieurs qui ſe garantiffent
fur cet article des féductions de
l'amour propre
.
On ne doit cependant pas conclure de
ceci qu'il faut traiter les Mémoires de fables.
Autant il feroit dangereux de leur accorder
une confiance aveugle , autant feroit- il déraiſonnable
de leur refuſer toute créance :
un bon efprit fçait difcerner le vrai d'avec
le faux par un examen exact ; il connoît
quand un homme le trompe par défaut de
lumieres après s'être trompé lui-meme , ou
lorfque de deffein prémédité il lui en impofe.
La vérité n'échappe guéres à des yeux
éclairés qui la cherchent , & il eft fi rare de
trouver des impofteurs qui ne foient bientôt
reconnus pour tels , que ce vice devroit
être fans exemple.
1
Les Mémoires de Melvil font un des plus
précieux Monumens Hiftoriques de fon tems ,
pour ce qui concerne l'Hiftoire d'Angleterre
DECEMBRE. 1744.
& d'Ecofle, Il étoit le contemporain , le Miniftre
& l'ami de Marie Stuart : fa naiffance
étoit diftinguée, & la confiance que plufieurs
Princes qu'il fervit eurent en lui , prévient
en faveur de fa capacité.
Marie Stuart l'employa dans plufieurs
négociations importantes , jufqu'au tems où
fes propres Sujets l'emprisonnerent à Lockcleven
. Les quatre Regens qui gouvernerent
fucceffivement l'Ecoffe pendant la captivité
de la Reine , traiterent Melvil avec honneur
& avec confiance. Il demeura toujours attaché
au parti du Roi pendant la détention de
Marie , & lorfque Jacques VI commença
de régner , cette Princeffe lui recommanda
particulierement Melvil comme le plus fidéle
& le plus habile Miniftre qu'il pût employer.
Il fe maintint en faveur auprès de Jacques
VI , jufqu'au tems où ce Prince alla prendre
poffeffion de la Couronne d'Angleterre ,
mais il ne voulut point le fuivre dans ce Pays,
& malgré les inftances & les offres que le Roi
lui fit , Melvil refta en Ecoffe .
Le ftile de ces Mémoires eft fimple &
naïf, & développe le caractere de l'Auteur
mieux que ne feroient les traits les plus réflechis
. On y voit le modele rare d'un homme
vertueux , qui au milieu de l'agitation
des guerres civiles , parmi les factions &
o MERCURE DE FRANCE.
}
les intrigues , eft inacceffible à l'ambition ;
& n'a en vûe que le bien public , d'un Courtifan
qui ne craint pas de dire la verité à fon
Maître , enfin d'un fage qui dans des querelles
de Religion a le courage de ne pas
hair ceux qui penfent autrement que lui .
33
Ma politique , dit-il dans une Lettre ,
par laquelle il adreffe fes Mémoires à fon fils,
ma politique a toujours été d'être vertueux.
Je fçais que la probité pafle aujourd'hui
pour une chimere & pour une vertu de Pédant,
peu utile & fouvent nuifible à la for-
» tune , mais je n'ai pû me réfoudre à m'avancer
par d'autres voies .... Occupé uni-
» quement des interêts de mon Prince , j'oubliois
le foin de ma fortune,
Que ce caractere eft beau ! mais malheu
teuſement il eſt encore plus rare.
Au refte fi ces Mémoires offrent le
portrait confolant d'un homme vertueux,
on y trouve auffi le récit de bien des crimes
. C'eſt un tiffu continuel de révoltes , de
brigandages , de noires intrigues , d'infignes
trahifons.
Les foibleffes & les malheurs de Marie
Stuart font trop celebres pour nous arrêter
long-tems fur cette partie des Memoires de
Melvil. Il la peint auffi foible qu'ambitieufe,
voulant opprimer la liberté de l'Ecoffe ,
DECEMBRE. 1744. 97
& troubler l'Angleterre , pendant qu'elle
obéiffoit en efclave aux caprices d'un Amant
qui la maltraitoit . Elizabeth , qui fans étre
exempte de la même paffion , ne lui laiffoit
pas prendre cet empire abfolu , fçut bien
profiter des égaremens de Marie ; elle alluma
& entretint en Ecofle le feu de la guerre
civile , par une politique excufable peutêtre
, puifqu'il eft certain que fans cela la
Reine d'Ecoffe lui auroit caufé en Angleterre
de fâcheux embarras. La moitié des
Anglois , & fur- tout les Catholiques , adoroient
Marie , & defiroient ardemment de
la voir nommer heritiere préfomptive de la
Couronne d'Angleterre , ce qui , vû le caractere
inquiet de la Nation , le nombre de
fes Partifans , & les circonftances , ne lui auroit
laiffé peut - être qu'un pas faire
faire pour
monter au Trône même avant la mort d'Elizabeth.
Tel eft le récit de Melvil dont nous fommes
bien éloignés de vouloir être les garants ;
nous avertiffons au contraire nos Lecteurs,
que des Auteurs refpectables ont entrepris de
juftifier Marie Stuart.
La France qui auroit dû donner du ſecours
à une Reine veuve d'un de fes Rois , regardoit
d'un oeil tranquille toutes ces tempêtes. Le
Gouvernement François ne voyoit point fans
jaloufie les Couronnes d'Angleterre & d'E
2 MERCURE DE FRANCË.
:
coffe prêtes à fe réunir fur la même tête , &
n'avoit garde d'empêcher tout ce qui pouvoit
prévenir ou retarder cette réunion.
On fçait aflés la fuite funefte qu'eurent
ces divifions, Marie retenue en prifon par
fes Sujets , fut obligée d'abdiquer la Royauté
, & de laiffer la Couronne à fon fils alors
âgé d'environ deux ans . Ce facrifice ne lui
valut pas la liberté , mais elle s'échappa enfin
de fa prifon , & chercha un azile en Angle
terre auprès d'Elizabeth , qui la fit arrêter ,
& finit enfin par lui faire trancher la tête
après une captivité de 20 années.
S'i eft difficile d'excuſer ſes fautes , il l'eft
bien plus de ne pas plaindre un fort auffi
déplorable. Cependant l'abdication de Ma
rie ne mit pas fin aux troubles d'Ecoffe. Il fe
forma une Confederation de Seigneurs qui
fe déclarérent pour la Reine , moins animés
par la fidélité qu'ils devoient à leur Souveraine,
que pour contrecarrer le Comte de Murrai
qui avoit été nommé Régent : les deux
Partis étoient tour-à-tour le jouet de la politique
d'Elizabeth , & le Parti du Regent
fur-tout étoit l'efclave de l'Angleterre. On
vit les Ecoffois conduits par le Regent aller
en Angleterre accufer leur Reine , dont ils
auroient dû venger la captivité , & deshonorer
ainfi leur Roi dans la perfonne de fa
mere , leur Nation , & l'humanité.
DECEMBRE . 1744. 93
L'Ecofle étoit alors dans un état bien dé
plorable. Les Nobles enhardis par la foible
Le du régne précedent , fe livroient fans
crainte aux plus grands excès , & fappoient
chaque jour les fondemens de l'autorité du
Souverain , fous prétexte de défendre leurs
privileges. Ceux qui étoient du Parti du
Roi n'étoient pas moins animés de l'efprit
de faction que les revoltés , ils regardoient
le Regent comme un Chef de Parti , l'ouvrage
de leur choix , qui devoit leur plaire,
& n'avoir en vûe que leurs interêts , leurs
haines , leurs jaloufies , plutôt que comme
un Prince dont ils étoient obligés de refpecter
l'autorité . Un Roi habile & fage auroit
peut- être échoué au milieu de tant d'ora
ges ; le Regent homme foible & vain , craignoit
de connoître toute l'étendue du mal,
& négligeoit de chercher les remédes, I périt
enfin miferablement. Un homme de Bodwel
boug nommé ... Hamilton , l'attendit fur
fon paffage à Lithquo , & lui tira un coup
de fufil , dont il mourut la nuit fuivante.
Ses Confeillers & fes Domeftiques étoient
avertis , aufli-bien que lui , de cette entreprife
; ils en connoiffoient l'auteur , & ils
Içavoient en quel tems & en quel lieu elle
devoit s'executer ; néanmoins les amis du
Regent s'en mirent fi peu en peine , qu'ils
Be remarquerent pas feulement la maiſon
94
MERCURE DE FRAN
d'où le coup étoit parti , & qui plus eft , ils
laifferent échapper l'affaffin.
Les Royaliftes appellerent à la Regence
le Comte de Lenox, qui étoit du Sang Royal,
ils députerent en même tems l'Abbé de
Dunfarling vers Elizabeth. Le principal article
de l'inftruction de cet Abbé étoit de
prier la Reine d'Angleterre de remettre la
Reine Marie entre les mains des Seigneurs
du Parti du Roi. Elizabeth répondit qu'elle
la remetttroit volontiers entre leurs mains ,
pourvû qu'on lui donnât des otages fuffifans
pour la fûreté de fa vie. Cette condition eft
bien dure , repliqua l'Abbé , car qu'en arriveroit
- il fi la Reine venoit à mourir ? Elizabeth
repartit » qu'elle avoit toujours crû qu'il
étoit homme d'efprit , & qu'il ne la forceroit
pas à s'expliquer cachez donc ,
30 continua-t- elle , que mon honneur m'oblige.
à demander des otages , & que c'est à vous
dejuger ce qui peut être le plus avantageux
pour moi.
38
20
Le Comte de Lenox avoit de bonnes
intentions , mais Elifabeth & les Ecoffois en
empêcherent l'effet . Randolph, Ambaffadeur
d'Angleterre , ouvertement déclaré pour le
Parti du Régent , difoit en fecret aux Seigneurs
du Parti de Marie qu'il ne pouvoit
y avoir fans la Reine d'autorité légitime en
Ecoffe , & que tôt ou tard le Parti de cette
DECEMBRE . 1744. 95
Princeffe prévaudroit ; il promettoit alternativement
aux uns & aux autres la protection
de l'Angleterre , & entretenoit avec
art l'animofité des deux factions . Le long
féjour qu'il avoit déja fait en Ecoffe lui avoit
donné le tems de connoître les Chefs des
deux Partis , il s'étoit toujours appliqué à
s'inftruire de leurs querelles & de leurs prétentions
réciproques. Il fçavoit faire agir les
femmes pour faire réuffir fes projets , il engageoit
quelquefois Elifabeth à écrire fami
lierement à celles qui pouvoient lui être
utiles , il n'oublioit rien de tout ce qui étoit
capable de corrompre les Miniftres , & dès
qu'il en trouvoit quelqu'un fufceptible de
féduction , il n'épargnoit point l'argent pour
le gagner.
Il fe forma dans le même tems une Confpiration
en Angleterre pour mettre Marie
fur le trône d'Elifabeth. Tout étoit prêt
on n'attendoit que le fignal. Cette Princeffe
imprudente & plus infortunée en informa
le Cardinal de Lorraine fon oncle , pour lui
demander des avis & des fecours , mais celuici
en avertit la Reine mere & l'engagea à
en donner avis à Elifabeth , qui feignit de
n'en rien croire , & prit de fages précautions.
Enfin les troubles croiffant de jour en
jour en Ecoffe , les Seigneurs du Parti de la
96 MERCURE DE FRANCE.
Reine firent une entreprise pour furprendre
Sterling, où le Régent étoit avec les Membres
du Parlement qui y étoit affemblé , ils
furent repoufies , mais le Régent fut tué dans
l'attaque . Le Comte de Marr élu Régent par
les Etats , malgré les intrigues de Randolph
qui portoit le Comte de Mortoun , ne conferva
que peu de tems une dignité fans crédit.
Au fortir d'un repas où il fut magnifiquement
traité par le Comte de Mortoun , il fut attaqué
d'un mal violent dont il mourut peu
de
tems après , ce qui donna de grands foupçons
contre le Comte qui avoit été fon compétiteur,
Ce dernier fut enfin élu Régent par les
brigues des Anglois. Mieux fecouru par Elifabeth
que fes Prédéceffeurs , il extermina
la faction opofée , mais il ne fe preffa pas
d'exécuter la promeffe qu'il avoit faite de
remettre le Roi entre les mains de la Reine
d'Angleterre . Cette politique le brouilla
avec les Anglois ; fa fierté & le mépris qu'il
eut pour la Nobleffe lui firent perdre l'affection
des Ecoflois. Peu à peu on le mit
mal dans l'efprit du Roi qui avançoit en
âge , il fut difgracié par ce Prince , & finit
enfin fes jours fur un échafaut , & eut la tete
tranchée , comme complice de la mort du
feu Roi qu'avoit affaffiné Bothwel , ce qui
n'étoit qu'un prétexte.
On
DECEMBRE. 1744. 97
On vit alors la ſcene changer. L'Ecoffe
fe trouva fous la domination d'un jeune
Roi gouverné par deux Favoris que leur
faveur rendoit infolens , & que leur puiffance
enhardiffoit à commettre toutes fortes
d'injuftices. Ces deux favoris étoient
Milord d'Aubonie qui fut bientôt après fait
Duc de Lénox , & Jacques Stuart qui fut
fait Comte d'Aran. L'on ne fut gueres mieux
fous leur regue que l'on avoit été jufques- là ,
& l'on fut auffi mécontent. Les Ecoffois
depuis long- tems n'étoient pas accoutumés
à fe borner à des murmures impuiflans ; plufieurs
Seigneurs formerent le projet d'enlever
le Roi & l'exécuterent. Le Duc de
Lénox un des favoris fe fauva.
Ces Conjurés qui outrageoient fi cruellement
la perfonne de leur Roi , n'oublioient
aucune des démonftrations extérieures du
reſpect dû à fa dignité , & tandis qu'ils le
retenoient dans une étroite captivité , ils lui
préſenterent une humble Requéte par laquelle
ils le fupplioient avec foumiffion de
remédier aux défordres de l'Etat ; contrafte
de refpect & de violence qui rendoit l'injure
encore plus fenfible.
Cette démarche hardie des Conjurés eut
une fuite bien finguliere. Ils jugerent qu'il
étoit expédient d'affembler les Etats pour
délibérer fur la maniere dont on devoit fe
E
98 MERCURE DE FRANCE.
conduire. Les Etats répondirent que l'entreprife
de Lothwen étoit également avantageufe
au Roi , au Royaume & à la Religion.
C'eft ce que le Roi reconnut lui-même
& l'on prit acte de fa déclaration.
On ſent bien que les chofes ne pouvoient
fubfifter long - tems dans cet état. Lorfque
le Roi fut en liberté , trop foible pour punir
les rebelles , trop peu politique pour diflimuler
fes juftes reffentimens , il laiffa connoître
qu'il fentoit toute l'étendue de l'outrage
; & la crainte du chatiment entretint
chez les coupables l'efprit de révolte . Nous
ne nous engagerons point à fuivre Melvil
pas à pas dans le refte de ces Mémoires .
L'entreprise de Lothwen ne fut pas la feulę
que Jacques VI effuya de la part de fes fujets
. Jamais Prince ne prouva mieux que de
bonnes intentions ne fuffifent pas pour gouverner.
Il aimoit la vérité , mais il ne fçavoit
pas la connoître ; il écoutoit volontiers les
gens de bien , mais il croyoit fes favoris.
Son gouvernement fut foible , & fon regne
toujours agité. Peu eftimé , mal obéi , fouvent
trahi par ceux qu'il croioit ſes amis ,
il fe vit toujours en bute aux factions , & ne
fut pas toujours le plus fort. Méprifé par les
Anglois , il les vit enfin porter l'injure à ſon
comble par le fupplice de fa mere & ne put
pas la vanger.
ou ne voulut
DECEMBR E. 1744. 99
Melvil eft un des moindres Acteurs de
ces Mémoires. Ce n'eft point la partie la
plus faine d'une Nation qui joue les rôles
les plus éclatans dans les guerres civiles.
Melvil foutient dans ces factions le perſon.
nage difficile d'un homme qui veut fincérement
le bien public , mais qui le veut tout
feul. Toujours mal fecondé , fouvent traverfé
, il trouve autant d'obſtacles à vaincre de
la part de fon parti que de la faction opofée.
C'eft un Pilote qui conduit feul un
grand vaiffeau au milieu d'une mer orageufe
, tandis que le refte de l'équipage loin de
l'aider s'occupe à brifer les mats , les cordages
& les voiles.
Qui croiroit après cela que cet homme fage
raconte de fang froid des contes puériles de
Sorciers , & des hiftoires de fabat qu'il donne
pour des faits autentiques . Plaignons la foibleffe
de l'efprit humain. On a vu fouvent
des hommes très-éclairés à tout autre égard,
donner dans de pareilles extravagances.Combien
n'ont pas été entêtés des vifions de
l'Aftrologie judiciaire , pleins d'ailleurs de
connoiffances bien digérées , & capables de
vues philofophiques. Il leur arrivoit la même
chofe qu'au Héros de Cervantes qui raiſonnoit
de tout en homme fenfé , pourvû qu'on
ne touchât point la corde de la Chevalerie .
Les Lettres de Marie Stuart font fi con-
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
nues que nous nous difpenferons d'en parler.
On imprime actuellement la cinquiéme
édition des Principes Généraux & raifonnés
de la Grammaire françoife , par M. Reftaut
Avocat au Parlement & aux Confeils du Roi.
Cette édition fera confidérablement augmentée
, & l'Auteur y a ajouté un grand
nombre de nouvelles Obfervations qui ne
pouront que contribuer à rendre l'Ouvrage
plus parfait & plus utile au public. Il paroîtra
dans le courant du mois de Fevrier
prochain.
Le fieur Larcher Mathématicien donne
avis au Public qu'il a mis au jour un Almanach
& Calendrier Journalier perpétuel &
univerfel , Ouvrage très utile & néceffaire
aux Magiftrats gens de Juftice , Eccléfiaftiques
, Praticiens , Hiftoriens , Chronologiftes
, Curieux , & à toutes fortes de Perfonnes
, dédié à Monfeigneur le Comte de S.
Florentin Miniftre & Sécretaire d'Etat.
Il fe vend à Paris , chez de Bas , au Palais
, vis - à - vis la Cour des Aydes , chez
David fils , Quay des Auguftins à la defcente
du pont Saint Michel au Saint Efprit
, chez de Lormel , Quay des Auguftins
à la defcente du Pont Neuf , au Nom de
Jefus , le prix eft de 36 f, broché,
· DECEMBRE. 1744. ΙΟΙ
DISCOURS fur la Manoeuvre des Vaiffeaux
prononcé à l'Ecole Militaire le 17
Novembre 1744 par M. SAVERIEN Ingénieur
& Profeffeur d'Hydrographie en cette
Ecole , à l'ouverture de fes Leçons publiques
fur cette partie effentielle de la Navigation.
A Paris chez d'Houry pere & fils ,
1744 in 4° . 17. pages.
La Manoeuvre eft une partie des plus effentielles
de la Navigation . C'eft par cet art
que l'on fçait donner avec intelligence par
les voiles & le gouvernail , les mouvemens
propres pour faire avec célérité une évolution
navale , que l'on évite quelquefois un
danger imprévu , que l'on prend le deffus
du vent , pour donner la chaffe à un vaiſſeau
ennemi ; enfin qu'un navire foible échape
à force de voiles & par une manoeuvre bien
dirigée à la pourfuite d'un ennemi plus fort
& moins habile .
M. S. s'eft propofé dans fon Difcours de
montrer quelle a été l'origine de la Mancuvre
, quels ont été les progrès de cet Art ,
& quels font les avantages qu'il procure.
Če plan eft fort judicieux & traité avec
gout. L'Orateur ne pouvoit choifir une matiere
plus convenable. On ne fçauroit trop
répéter aux jeunes gens qui fe deftinent
à la guerre , que leur métier ne confifte
foulement à effuyer des coups de fufil ,
pas
que
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
c'eft un Art qui exige des connoiffances &
des réfléxions , & qu'on ne peut y réuffir
que par une application conftante .
DE LA CHARITE' CHRETIENNE
envers le Prochain , & des diverfes oeuvres
de Mifericorde , Traité Moral , traduit de
Italien de M. MURATORI par M. DE
VERGY. Paris , 1745. 2 volumes in- 12 ,
chez Robuftel , Imprimeur- Libraire , rue
de la Calendre , près le Palais.
Cet ouvrage parut il y a quelques années
en Italie , & y fut reçu avec beaucoup d'applaudiffemens.
L'Auteur Italien jouit d'une
grande réputation , & tient un rang diſtingué
dans la République des Lettres.
Le Traducteur François affûre dans fa
Préface que M. Muratori pefe tout au poids
du Sanctuaire ; qu'il n'avance rien qui ne foit
fondé fur la parole de Jefus- Chrift & Sur
l'Evangile, qui n'ait été enfeigné par les Apôtres
, & confirmé par l'exemple des plus
grands Saints , & qui ue foit appuyé fur l'autorité
des Peres , & des plus celebres Théologiens
des Ecoles Catholiques.
Cet Expofé fait l'éloge complet de cet
Ouvrage , dont nous rendrons un compte,
plus détaillé à nos Lecteurs dans un autre
volume,
DECEMBRE 1744 103
David le jeune Libraire Quay des Auguftins
au Saint Efprit , vient de mettre en
vente une feconde édition du Dictionaire
Militaire en deux volumes in 12 6 liv.
L'Auteur de cet Ouvrage ( c'eft M. Dela
chenaye ) déja connu par plufieurs autres , a
entierement refondu la premiere édition
dans celui- ci , où les jeunes Militaires trouveront
l'arrangement de tous les termes ,
qui regardent la Tactique , le Génie , l'Artillerie
la Marine , la fubfiftance des
Troupes , & des détails hiftoriques fur l'origine
& la nature des différentes eſpèces ,
tant d'offices Militaires anciens & modernes ,
que des Armes , qui ont été en ufage dans
les differens tems de la Monarchie.
› ,
Ce Dictionaire eft encore orné de la
Lifte de ceux qui ont occupé les premieres
charges Militaires . Par exemple fous les noms
de Grand Sénéchal , de Connétable , de Maréchal
de France , de Porte - Oriflame , de
Grand maître des Arbaletriers , de Grand
maître d'Artillerie , d'Amiral , de Colonel
Général de l'Infanterie , de Colonel Général
de la Cavalerie , on trouve le nom des
Seigneurs , qui ont été fucceffivement juſ
ques à aujourd'hui revétus de ces charges.
,
Aux Articles de Gardes du Corps , Gendarmes
de la Garde , Chevaux Legers
Moufquetaires du Roy , Grenadiers à che-
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE.
val , Gendarmes , Gardes Françoiſes , Gardes
Suiffes. On trouve auffi la Lifte de ceux
qui ont commandé ces differentes compagnies
, & les deux Régimens , deſtinés à la
Garde de nos Rois.
Un plus ample détail fur ce Dictionnaire
feroit inutile. L'Officier d'Infanterie , de Cavalerie
, de Genie , d'Artillerie , de Marine ,
& les Employés dans les vivres, chacun, comme
le dit l'Auteur dans fa Préface , y trouvera
tout ce qui eft de fon metier , les anciens
Officiers , ceux même qui n'ont pas pris le
parti des armes , & les jeunes gens qui y
font deſtinés , peuvent s'y inftruire , & s'y
amufer agréablement.
LE TRAITE' des Subſiſtances Militaires que
M. Dupré d'Aulnay
Commiflaire des
Guerres , ancien Directeur Général des
vivres , a donné au Public , a été reçû
très favorablement par rapport aux principes
qu'il a établis , après trente années
d'experiences , fur une matiere fi intereffante
pour le fervice du Roi.
Ce Traité eft regardé comme très utile pour
la fureté du ſervice des Troupes , & pour
les Munitionnaires & leurs Employés , auxquels
il prefcrit les regles d'une bonne adminiftration
dans toutes les parties des entrepriſes
des vivres , des fourages , de la viande ,
DECEMBRE . 1744. 105
des Hôpitaux & des équipages. Il contient
des inftructions très - circonftanciées pour
chaque forte d'Employés ; il découvre les
voyes détournées & illicites que les Entrepreneurs
& leurs Commis ont mis en ufage
pour fe procurer des bénéfices indirects.
Les Intendans & les Commiffaires des
Guerres trouveront dans ce que l'Auteur a
tracé , les moyens de prévenir & remedier à
ces abus. Les Majors des Régimens y trouveront
auffi des obfervations utiles aux
details dont ils font chargés .
Ce Traité dedié à M. le Comte Dargenfon
, Miniftre & Miniftre & Sécretaire d'Etat
au département de la Guerre
forme
un volume in quarto , il eft enrichi de
vignettes , & de plufieurs plans relatifs au
fervice des vivres à l'armée . Il fe vend chez
Prault le Pere fous le Quai de Gefvres.
Hiftoire Générale d'Allemagne par le R. P.
Barre in 40. 10 vol.
On nous promet inceffament une Hiſtoire
Générale d'Allemagne avant & depuis l'établiffement
de l'Empire jufqu'à l'Empereur
à préfent regnant , enrichie de notes hiftoriques
, & critiques , de differtations fur les
points importans , de Généalogies des plus
illuftres maifons & de Cartes Géographiques
avec des vignettes & autres Gravures

Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
en taille douce 10 vol. in 4º. à Paris chez
Charles- Jean- Baptifte Delefpine , & Jean-
Thomas Heriffant, Libraires, rue S. Jacques.
Cet ouvrage eft un morceau d'autant plus
inté effant que jufqu'à préfent nous n'avons
encore rien eu de fatisfaifant fur cette matiere
; car on ne doit point regarder comme
Hiftoire d'Allemagne , ce que Heiff nous a
donné. Son ouvrage eft fi informe , & fi peu
exact , qu'il ne peut être d'aucune utilité . Ce
n'eft pas cependant qu'on ait manqué de
fecours pour traiter un fujet fi important ;
Il y a des fources abondantes d'où l'on peut
tirer les connoiffances néceffaires pour réuffir
. Mais cette même abondance a fans
doute rebuté jufqu'à prefent ceux qui auroient
pû tenter cette entreprife avec un
certain fuccès. En effet il faut convenir que
la multitude des Auteurs qu'on eft obligé de
lire , & la quantité des receuils qu'il eft néceffaire
de confulter fur un fujet fi vafte font
autant d'obstacles effrayans qu'il n'eft pas
facile de furmonter.
Le P. Barre Chanoine Régulier a eû
le courage de vaincre toutes les difficultés .
Ilalu , dit-il dans fon projet, tous les Ecrivans
qui ont parlé de l'Allemagne en quelque
langue qu'ils ayent écrit : il a examiné attentive
nent les immenfes recueils de Meffieurs
Leibnitz , Lunig, Lidewig , Muratori , GræDECEMBRE.
1744. 107
vius , & toutes les autres collections qui ont
paru depuis celle de Jean Hervage publiée
en 1552. on voit qu'il a fallu du tems pour
une lecture de cette étendue , auffi lui at'elle
couté près de vingt- ans d'un travail
affidu dont il va enfin receuillir le fruit. S'il
regne dans le corps de l'ouvrage autant d'exactitude
, d'élegance & de précifion que dans le
projet , il eft à préfumer que les lecteurs les
plus difficiles auront lieu d'être contents .
:
On voit par le feul titre , que cet Auteur
prétend donner beaucoup d'étendue à fon
Hiftoire le projet annonce qu'il doit remon
ter jufqu'aux tems les plus reculés , & porter
la lumiere dans les tenebres méme de
l'antiquité , pour nous faire connoître la
premiere origine des Peuples Allemans.
Ces recherches plairont beaucoup fans
doute à nos Sçavans , peut-être aufli feront-
elles du gout de ceux même qui ne
cherchent qu'à amufer leur curiofité . Mais de
quelque façon que les commencemens foient
traités , je crois qu'on trouvera bien plusd'agremens
lorfqu'on fera parvenu au tems de
Charlemagne , on verra le détail des differens
évenemens qui ont agité l'Empire fous le
Regne de ce Prince , les révolutions qui
arriverent après fa mort , les divifions entre
les Princes d'Allemagne , & les fecouffes
violentes qui ébranlent à diverſes repriſes le
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
corps de l'Empire , l'établiſſement
de fon
gouvernement
tel que nous le voyons aujourd'hui
; les intérêts des differentes maiſons
qui ont poffedé cette couronne , & les mouvemens
qu'ils ont occafionnés dans l'Empire.
Tout cela forme la matiere d'un long &
penible ouvrage dont l'exécution femble
exiger de la part du Public beaucoup de
reconnoiffance
pour le favant Auteur qui
s'eft chargé de ce travail difficile .
Si les Libraires tiennent la parole qu'ils
donnent à la fin du projet par rapport au
materiel de l'ouvrage , je veux dire le papier
& l'impreffion , on peut affurer que cette
Hiftoire fera une des plus belles éditions que
nous ayons eues depuis long-tems ; & peutêtre
une des moins couteufes pour ceux qui
veulent s'en affurer davance des exemplaires.
Cet ouvrage de dix vol . in-4 . dont chaque
volume contiendra 750 pages & plys , ne
reviendra qu'à 72 liv. en feuilles dont on
paye 36 liv. en foufcrivant & les 36 liv.
reftant en recevant les 10 vol. le prix eft
modique ent oi-même , mais il l'eft bien davantage
fi l'on fait reflexion que les volumes
déja confidérables par la matiere qui y eſt
traitée , feront enrichis de vignettes , de
Cartes Géographiques , de Plans de Batailles,
en un mot de tous les agremens que la main
d'un Artifte habile & intelligent peut prêter
DECEMBRE. 1744. 109
à une ouvrage pour la perfection duquel on
n'a voulu rien épargner.
LES ELEMENS de la Medecine pratique
&c. par M. Bouillet , correfpondant de
l'Academie Royale des Sciences &c. A
Beziers 1744.
C'eſt aux gens verfés dans la connoiffance
de la Medecine qu'il appartient de juger du
mérite de ce livre , & c'eft d'après eux que
nous dirons que M. Bouillet a fait au Public
un préfent d'un grand prix , en lui donnant
ces Elemens de Medecine.
L'Auteur a emprunté d'Hyppocrate les
regles fondamentales de la Pratique , & les
premiers principes de la Théorie . C'eft une
chofe remarquable, qu'Hyppocrate & Galien
font encore les oracles de la Medecine :
ils font les feuls parmi les anciens Phyficiens ,
dont la réputation ait refifté à l'injure des
tems , les autres ont été obligés de ceder leur
autorité à de nouveaux venus dont les
fiftêmes ont été renverfés à leur tour par des
Sçavans plus modernes. C'eſt ainfi que Delcartes
après avoir araché le fceptre de la Phi
lofophie des mains d'Ariftote , a été lui
même fuplanté par Neuton , dont fuivant les
apparences le regne ne fera pas éternel.
M. Bouillet commence par donner d'après
ito MERCURE DE FRANC
Hyppocrate une idée de la Medecine , & de
devoirs effentiels auxquels cet Art oblig:
ceux qui en font profeffion .
On voit par les efforts que fait Hyppocrate
pour relever l'excellence de fon art ,
que de fon tems il y avoit déja des incrédules
en Medecine. M. Bouillet fait enfuite
l'énumeration des maladies qui fe préfentent
le plus fouvent . Il indique les voies par lef
quelles ces maladies ont coutume de ſe terminer
: il raporte les regles générales qu'Hyppocrate
a propofées , foit pour conferver la
fanté , foit pour traiter les maladies ; c'eſt là
deffus que roule la premiere partie des
Elemens.
Ce ne font là que des notions générales
& préliminaires , & qui fuppofent même un
grand nombre d'autres connoiffances ; mais
elles fuffiront fans doute à un jeune Medecin
qui fçait l'Anatomie , la Matiere Medicale ,
& toutes les autres parties des Inftitutions
qu'on enſeigne dans les Univerſités. D'ailleurs
M. Bouillet ne prétend pas renfermer toute
la Medecine dans fon livre , ni difpenfer
ceux qu'il inftruit de fe donner la peine de
confulter les Auteurs qui ont traité expreffement
toutes ces matières , & qui ont été
indiqués dans ces élemens.
Dans la feconde partie , on donne une
idée génerale de l'economie animale , & des
DECEMBRE . 1744. 111
cauſes des maladies d'après M. Helvetius
On a inferé une differtation de M. Stahl fur
la Theorie & la pratique des maladies les
plus ordinaires à chaque âge. Ce font encore
des notions génerales ; un jeune Medecin
doit en être inftruit , s'il veut être en état de
penetrer les caufes d'une infinité de cas particuliers
, & d'y aporter les remedes convenables.
C'eſt dans les deux Auteurs que l'on
vient de citer , & dans plufieurs autres que
M. B. indique à la fin de cette feconde
partie , que les jeunes étudians doivent
prendre des vues qui embraffent le traitement
de toutes les maladies pour tous les
âges , pour tous les fexes & pour tous les
climats du monde.
On trouve dans la troifiéme partie une
expofition des maladies qui arriverent en
Grece pendant quelques années du tems
d'Hyppocrate , & de celles qui furent les
plus communes à Paris du tems de M.
Baillon , fçavant Medecin de l'Ecole de
Paris , qui vivoit vers la fin du feiziéme
fiécle.
On voit d'abord que malgré la diftance
des tems , & la diférence des climats , les
mêmes maladies ont preſque toujours regné ;
on voit auffi dans Hyppocrate les efforts que la
nature abandonnée à elle même , ou fans autre
fecours , que celui d'un régime convenable
112 MERCURE DE FRANCE.
faifoit dans des tems déterminés , pour fe
delivrer des maladies dont elle étoit accablée ,
d'où l'on doit inferer les regles qu'il faut
fuivre pour l'aider en pareil cas ; & c'eft ce
que fit fans doute Hyppocrate . Enfin on voit
dans Ballonius ( c'eſt le nom latinifé de M.
Baillon ) les efforts que faifoit de fon tems
la Medecine , pour fe mettre fur les pas de la
nôtre , pour en imiter les démarches , &
pour établir des regies fures de pratique.
Si l'on joint à ce que rapporte M. B.
d'Hyppocrate , & de Ballonius , les autres
Auteurs qu'il a indiqués à la fin de cette
partie , ou du moins ce que nous ont donné
Riviere , Sydenham & Chirac , on prendra
une notion affez étendue de la Medecine
pratique depuis fon infance jufqu'au point où
elle eft parvenue aujourd'hui. M. Bouillet
appelle ce point, le point de perfection , & on
doit excufer un fi fçavant homme dêtre un
peu prevenu en faveur de fon art.
Jufqu'à préfent M. B. n'a paru que comme
un compilateur , qui confacre à l'utilité publique
des veilles penibles & des recherches
laborieufes. It devient auteur dans la quatriéme
partie qui eft la plus étendue , & n'eft
pas la moins curieufe de fon livre . Il expofe
les maladies qui ont été les plus communes
dans la ville de Befiers depuis 1730. jul
qu'en 1742 , & il rapporte la maniere dont
DECEMBRE. 1744. 113
il
>
elles ont été traitées. Il parle d'abord de la
temperature du climat de Befiers , & après
avoir donné une idée générale des maladies
qui y font les plus frequentes , & des cauſes
évidentes , qui ont paru avoir le plus de part
dans la production de ces maladies
défcend dans un détail peu
intereffant peutêtre
pour des gens qui ne cherchent en lifant
que l'avantage de connoître fuperficiellement
la matiere qu'ils étudient , & de pouvoir en
paroître inftruits fans l'avoir aprofondie
mais qui eft néceffaire pour de jeunes Medecins
; les faits & les exemples inftruiſent
mieux & en moins de tems que les préceptes ,
fur tout quand on a une teinture des principes.
Quelle obligation les jeunes Medecins
n'ont- ils pas à M. B. qui leur prête ainfi 12
ans d'expérience ! quel dommage que cet
habile Obfervateur n'ait pas paru fur un
Theâtre où il auroit pû multiplier davantage
fes utiles obſervations ! Sil eft un moyen
pour avancer la Medecine , c'eft fans doute
celui que M. Bouillet a pris . Mais malheureuſement
les Medecins occupés de leur fortune
, plus que de leur Art , pratiquent la
Medecine plus-tôt qu'ils ne la cultivent. Ils
dédaignent d'employer à s'inftruire , & à
éclairer le Public un tems précieux que
les Particuliers payent au poids de l'or. Cependant
fi Meffieurs Silva , Dumoulins
114 MERCURE DE FRANCE .
Vernuage avoient fuivi la methode de M.
Bouillet, fi ces fçavans Medecins avoient con .
fervé l'hiſtoire du grand nombre de cas finguliers
dont ils ont été temoins , s'ils avoient
joints à ce détail leurs judicieuſes reflexions
fur les reffemblances qu'ils ont trouvées entre
des maladies fort différentes entr'elles , fur
les differences qu'on remarque entre des
maladies qui paroiffent d'ailleurs femblables ,
quels avantages le Public ne retireroit- il pas
de ces collections ?
Après avoir rendu juftice à l'étendue des
connoiffances de M. Bouillet , & au mérite
de fon Ouvrage , nous lui demanderons
la permiffion d'être d'un avis contraire au
fien fur l'unité de la pratique qu'il voudroit
introduire dans tous les climats de la terre.
Ilprevoit , dit - il , que la mode& le préjugé
s'y opoferont : mais ce ne fera ni la mode ni
le préjugé , ce fera la raifon & l'experience .
Celle l'a dit dans la préface de fon livre.
de Medicina , differe pro naturâ locorum
genera medicine & aliud opus effe Roma aliud
in Ægypto , aliud in Galliis.
Le traitement doit même être different
fuivant la différence des conditions , parce
que la differente façon de vivre produit
néceffairement des conftitutions très pea
femblables.Qui doute qu'il ne faille traiter un
Payfan robufte autrement qu'un Courti
DECEMBRE. 1744. 115
fan exténué par fes excès ? Au reſte nous
n'aurions pas ofé combattre le fentiment de
M. Bouillet , & il auroit été une autorité
pour nous , fi nous n'avions eu à lui opofer
le fuffrage de Celfe qui eft un Adverfai
re digne de lui.
SIMON le jeune , Imprimeur , qui a du
zéle & du talent , vient de mettre au jour
les Euvres Phyfiques & Geographiques de
M. Pierquin Bachelier en Theologie & Curé
de Chastel en Champagne avec la vie de l'Auteur
1 vol . in 12 .
On apprend par la vie de l'Auteur que M.
Pierquin étoit un Curé de Campagne qui
employoit à compofer des differtations Phyfiques
, le tems que lui laiffoient les foins
de fon miniftere , il a joué jufqu'en 1732
un grand rôle dans les Journaux de Verdun
& de Trevoux , & il a même figuré
quelquefois avec diftinction dans le Mercure
de France.
Le premier morceau de ce recueil porte
le titre d'Aftronomie de Thales.
M. Pierquin trouvant des difficultés infolubles
dans tous les fiftêmes modernes , a formé
le deffein de reffuſciter celui de Thalés ;
entrepriſe qui exigeoit un courage qu'on ne
peut affez louer. Thalés eft le premier des
Grecs qui ait connu l'Aftronomie , il a le
116 MERCURE DEFRANCE ,
premier predit les Eclipfes de Soleil , il a
montré aux hommes à diriger la Navigation
par les Etoiles , il eft le Fondateur de
la fecte Ionique , il a eu long-tems des Admirateurs
& des Sectaires ; mais comme enfin
tout paffe de mode , fon fiftéme étoit
tombé depuis bien des fiécles dans un difcredit
dont il ne fe feroit jamais relevé fans
les efforts de M. Pierquin.
il fuffit d'avoir lu Diogene - Laerce
pour favoir que fuivant le fiftéme de ce
Philofophe l'eau eft le principe de l'Univers.
M. Pierquin n'eft point un Diſciple
enthoufiafte , qui embraile aveuglement
les opinions de fon Maître , & qui donne
pour raifon Magifter dixit , il a vu judicieufement
qu'il y avoit beaucoup de chofes à
cerriger au fifteme de Thalès , & il y a
travaillé avec application.
»
Cependant il eft des reformes que M.
Pierquin auroit défirées ardemment & qu'il
n'a pu faire , il feroit à fouhaiter , dit - il
que les parties du Ciel n'euffent point été
fouillées par tant de noms profanes , &
» qu'on pût avec fuccès tracer fur le globe
» célefte les Images des Saints du vieux &
» du nouveau Teftament , mais le mal eft
» fans remede.
39
Le grand nombre de changemens que
M. Pierquin a fait au fiftême qu'il reffufcite
DECEMBR E. 1744. 117
peuvent l'en faire regarder à bon droit comme
le Créateur , c'eft fur-tout le taient de
l'invention qui brille chez M. Pierquin ; s'il
paroît avoir emprunté de Defcartes idée
des tourbillons , on voit bientôt par l'ufage
qu'il en fait , qu'il n'eft ni Plagiaire ni Copifte.
ל כ
"
Il fuppofe à la vérité un tourbillon qu'il
appelle general parce qu'il renferme la
matiere dont tous les corps doivent être
compofés , & même les trois élemens & la
,, fource de tous les êtres materiels ; c'eſtà
- dire une poudre fubtile , des boules
étherées & une multitude inombrable de
parties branchuës.
00
20
Voilà les trois Elemens de Deſcartes , mais
M. Pierquin ne doit qu'à lui - meme le tourbillon
general , les parties branchuës font
pouffées vers la circonférence du tourbillon
general & elles y forment cette croute immen-
Je quife nomme Firmament , croute d'une épaiffeur
extrême , puifque les montagnes celeftes ,
s'y tiennent toutes par le pied , & que néanmoins
elles fubfiftent depuis tant de fiecles , fans
qu'elles foit effondrée en quelque endroit du
moins fenfible.
Nous ne nous étendrons pas davantage
fur le fiftême de M. P. , on peut dire à la
louange que quoiqu'il ait été publié en 1937
par parties dans les Journaux de Verdun ,
118 MERCURE DE FRANCE.
cependant aucun des Neutoniens n'a ofé attaquer
M. Pierquin , qui eft mort maître du
champ de battaille , & fans avoir été
entamé par l'ennemi .
On trouve à la fuite un abrégé de Géographie
très-fuccint & peut-être trop . Bien
des Lecteurs ne fe contenteront pas de fçavoir
pour toute inftruction , fur l'Angleterre
par exemple , qu'on ne voit point de Loups
dans cette Ifle ; qu'il y a beaucoup de Chevaux
en Dannemark ; que Malthe produit
des Rofes d'une odeur raviffante , & que
la Candie donne des citrons gros comme la
tête d'un homme.
Plufieurs Differtations inferées dans ce Recueil
, repondent parfaitement à l'idée que
le Lecteur doit s'être formée de la capacité
de M. Pierquin.
L'aurore Boreale du 19 Octobre 1726
parut à notre Auteur un objet digne de fes
recherches ; il enrichit au mois de Janvier
fuivant le Journal de Verdun d'une Differtation
fur ce fujet , mais on ne laiffa pas
cette fois M. Pierquin jouir tranquillement
de fa gloire : le P. Emanuel de Viviers Capucin
entra en lice , M. Pierquin fe défendit
avec courage ; cette querelle occafionna
trois Differtations de part & d'autre ,
toutes les fix font imprimées dans ce recuei " ,
DECEMBRE. 1744 119
Nous n'entreprendrons point de décider cette
importante queſtion , ni de juger de la con
teftation que l'Auteur eut après avec M.
Capperon ancien Doyen de faint Maxent
fur la formation des pierres precieuſes
camayeux & coquillages . Suivant la coutume
des Sçavans , les deux Adverfaires fe traiterent
comme font les Heros d'Homere
& ornerent de doctes injures leurs raiſonnemens
profonds , & ténébreux.
-
?
Nous nous hâtons de paffer à une des
plus curieufes Differtations de ce Recueil ,
elle roule fur l'évocation des Morts , l'Auteur
prouve très bien que la Nécromantie eft
un art déteſtable ; que le Diable n'a point
le pouvoir de faire apparoître les Morts
& que c'eft à des fecrets pareils à celui de
la Lanterne magique qu'on doit attribuer
tous les tours de paffe paffe des Devins .
On trouve à ce propos une explication trèsbien
détaillée de cette Lanterne magique
c'étoit ici fa vraie place , cette Differtation
eft fuivie d'une autre qui n'eft pas moins intéreffante
fur les Lutins & les Farfadets,
M. Pierquin qui a examiné les faits avec
attention , convient qu'il a paru des Fantômes
fur la terre avant la venue de J. C,
mais il pretend qu'il n'en eft plus queftion
depuis la prédication de l'Evangile ; il prou
120 MERCURE DE FRANCE .
we très-bien que les Contes que l'on fait au
fujet des Efprits folets , fantômes &c. doivent
être mis au rang des Fables.
»
» Notre imagination , dit-il , ne peut fe
reprefenter toutes les douleurs que fouffrent
les Anges malheureux , cependant
des Diables qui font mille fingeries ... ne
donnent - ils pas à comprendre que la
» vengeance du Seigneur ne les accable pas
toujours. Ainfi les Demons ne peuvent s'ériger
en Efprits folets .
DD
"
20
בכ
29
L'Auteur n'eft pas plus credule fur le Sabat
, nous apprenons de lui , qu'il n'y en a
point. Mais que certains Sorciers pour
courir avec plus de viteffe fans laffitude ,
» fe frotent avec un onguent compofée d'axonge
humaine , de Mandragore pulverifée
, de jus d'Ache , de Pavots , de Panets
fauvages , & de quelques autres herbes
femblables , mais bien loin d'être enque
levés par la cheminée & de courir en l'air
» fur un manche à balai , ils s'endorment. »
M. Pierquin ne croit pas non plus que les
Sorciers & les Magiciens puiffent changer la
figure naturelle des autres hommes , cette
erreur eft doctement & foigneufement refutée.
23
On trouve encore dans ce recueil , plufieurs
autres Differtations auffi curieufes.Tello
eft celle où l'on explique pourquoi le cocq
chan
DECEMBRE . 1744. 121
chante le matin , nous exhortons les Lecteurs
à lire ces chofes dans le livre mêm
LES VOYAGES & Avantures du Comte
de *** & de fon Fils , en trois volumes ,
imprimé en Hollande , à Amfterdam chés
Pierre Marteau , fe vendent à Paris chés
Barrois , Quai des Auguftins.
On ne donnera point un Extrait de cet
Ouvrage , qui étant un tiffu d'évenemens enchaînés
& relatifs les uns aux autres , perdroit
infiniment à être découfu. Je crois qu'il fuffira
pour en donner une idée avantageuſe ,
de déclarer le deffein de l'Editeur , expliqué
dans fa Préface , & pour ne le point alterer
, nous nous fervons de fes termes.
35

»
» De tous les Livres que l'on préſente au
Public , aucuns ne paroiffent être reçus avec
plus d'empreffement, que ceux qui joignant
l'utile à l'agréable , peuvent inftruire en
›› amuſant . Celui- ci dont j'ai fait une lecture
attentive , m'a paru être de ce nombre.
C'eſt un Pere qui ramaffant fur un Fils uni-
» que toute fa tendreffe , ne croit ſe devoir
repofer que fur lui feul du foin de fon inſtruction
, & il y eſt déterminé par un évenement
qui lui fait comprendre que les
foins du Gouverneur le plus habile & le
plus zelé , ne peuvent guéres fuppléer à
20
22
F
122 MERCURE DE FRANCE.
» ceux d'un Pere d'autant plus intereffé à
perfection d'un fils tendrement cheri ,
qu'il efpere de revivre glorieufement en
» lui .
כ כ
On étale enfuite les inconveniens d'une
éducation étrangere ; on pourroit combattre
auffi l'éducation paternelle , & prouver aufli
clairement que la jeuneffe eft quelquefois
plus mal élevée par fes Parens que par les
Précepteurs . Notre Voyageur Philofophe n'ignore
pas ces diftinctions , mais il eft affranchi
des préjugés du fang , & il gouverne fon
gouverné lui-meme par la raifon.
fils ,
50
כ כ
םכ
לכ »IIluidonnedesleçonsdictéesparl'hon-
» neur , la Religion , la probité , & par la
» vertu elle- même. Mais il y a encore une
» autre forte d'inftruction qu'il ne néglige
pas , & elle nous vient de la force de l'exemple.
Rien n'eft plus capable de nous
animer à la pratique de la fageffe , & de
→ nous détourner du vice , que la vue des
récompenſes ou des châtimens dont les
" uns & les autres font ordinairement fuivis,
Il est témoin pendant fon voyage d'un
, grand nombre d'avantures , dont le de-
> nouement eft ou le triomphe de la vertu
» ou la punition du vice .


Le Lecteur jugera fi ce plan fenſé eft
faitement executé.
parDECEMBRE.
1744 . 123
JOURNAL DE HENRY III , Roi de
France & de Pologne , ou Memoires pour
fervir à l'Hiftoire de France , par M. Pierre
de l'Etoille. Nouvelle Edition , accompagnée
de Remarques Hiftoriques , & des Pieces
manufcrices les plus curieufes de ce Regne .
in-8 . à la Haye, & fe trouvent à Paris chés la
Veuve Gandouin Quai des Auguftins à la
Belle Image. 5 vol.
?
Le Journal du Roi Henry III . eft un
Ouvrage fi connu & fi eftimé pour l'Hiftoire
du XVI . fiécle , qu'il eft inutile d'en retracer
ici l'éloge , il fuffit de faire connoît c
ce qu'il y a de curieux & de fingulier dans
cette nouvelle Edition , & ce qui la diftingue
des autres . Les anciennes ne contenoient
qu'un Extrait du véritable Journal
du Roi Henry III. dont le Regne agité
par les plus étranges factions , fut enfin
terminé par la plus trifte cataftrophe.
Cet Extrait avoit été fait par M. Servin , Avocat
Général au Parlement de Paris , fous les
Régnes de Henri III . & de Henri IV. C'eſt
ce qu'on a imprimé jufqu'ici dans plus de
20 Editions qui en ont paru depuis l'an 1620,
mais ce Journal paroît ici fous une forme
plus exacte & plus complette qu'on ne l'avoit
eu.
Le nouvel Editeur de ce Livre ne s'eft
pas contenté de l'Extrait de M. Servin, dont
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
le travail , quoique bon , étoit fort imparfait
en comparaiſon de l'Original. Cet Òriginal
contient les Mémoires de M. de l'Etoilie
, Audiencier en la Grande Chancellerie
du Palais , mort en 1611. Nous fommes
redevables de la publication de cet Ouvrage
aux foins de M. Jean Godefroy , qui
eft mort en 1732 Procureur du Roi au
Bureau des Finances de Lille , & Garde des
Archives des Comtes de Flandres. Ce fut en
1719 que cet habile & vertueux Citoyen
fit paroître ce Journal fous le titre de Mémoires
pour fervir à l'Hiftoire de France ,
par M. de l'Etoille , in- 8. 2 volumes . On
ne publie aujourd'hui que la partie qui regarde
le Régne de Henri III , celle qui
traite du Régne de Henri IV a été de nouveau
publiée en 1741 en 4 volumes in- 8 .
mais beaucoup plus complette , que ne l'avoit
eu M. Godefroy. On y voit d'amples
remarques & des Pieces fort curieuſes. Par
ce moyen nous avons les Mémoires de M.
de l'Etoille prefque aufli entiers qu'il les
ayoit faits lui-même.
Voici ce qui fe trouve de plus remarquable
dans cette nouvelle Edition . Celui
qui en a pris foin ne s'eft pas contenté de
publier Ouvrage tel qu'il eft forti des mains
du premier Auteur , il s'eft encore charge
de le revoir fur les differentes Editions , &
DECEMBRE. 1744. 125
fur quelques Manufcrits du tems . Des remarques
utiles & intereffantes accompagnent
le Journal & font placées immédiatement
fous le Texte . Cette partie forme le premier
& la moitié du fecond volume de cette
Collection. Cependant comme les Mémoires
de M. de l'Etoille commencent à l'an
1515 , & marchent fort rapidement jufqu'à
l'an 1574 que mourut le Roi Charles IX
frere & prédéceffeur de Henri III , le nouvel
Editeur a cru pouvoir femer legerement
fur cette partie préliminaire quelques notes
& y joindre même quelques Pieces. La
premiere regarde le Régne de François I ;
c'eft une Lettre fort curieuſe , où ce Prince
fait à Madame Louiſe de Savoye fa Mere,
une Relation fort exacte de la fameufe Ba
taille de Marignan . Les autres Monumens de
ce Volume traitent de la fatale Journée de la
Saint Barthelemy en 1572 , & le volume
finit par la Tragédie de l'Amiral de Coligny
, morceau rare & fingulier qui feul fe
vendoit plus cher qu'on ne fait les cinq
Volumes de cette Collection.
Le fecond volume qui renferme la fuite
du Journal , eft accompagné de notes
plus abondantes. Il eft vrai que l'année
1587 & les fuivantes , furent des tems de
crife où fe pafferent les plus étranges révolutions
de ce Regne , cette partie eft fui-
Fiij
26 MERCURE DE FRANCE.
vie de cinq piéces affés curieufes.; outre le
Difcours merveilleux fur atherine de Medicis
, Satyre aigre & mordicante qui reparoît
ici décorée de quelques obfervations
où fe trouve encore la Bibliotheque de Madame
de Montpenfier , dont les remarques.
qui font de M. Godefroy ne font pas moins
de plaifir que les Titres ingenieux des Livres
qu'on y annonce , ces prétendus Livres
dévelopent l'Hiftoire fecrette de ces tems
orageux , mais le morceau le plus curieux
de ce volume , eftun Journal d'un Ligueur ,
tiré des Manufcrits de la Bibliotheque de
Sa Majefté. Il s'étend depuis le 24 Decembre
1588 , jufqu'au dernier Avril 1589 ;
ce Journal mérite l'attention des Amateurs
par le fanatifme de la Ligue qu'on y voit
regner , & qui feroit peut-être incroyable ,
fi l'on ne fçavoit par d'autres Monumens.
jufqu'où les peuples abufés & féduits font
capables de porter leurs extravagances.
Le troifiéme-volume de cette Collection ,
contient 49 piéces qui fervent de preuves.
aux faits les plus effentiels du Journal , Elles
font toutes extrêmement curieufes & fingulieres
, & tout au plus y en avoit - il 8 ou
9 , qui euffent déja paru , les 40 autres
font tirées des Manufcrits authentiques ,
foit de la Bibliotheque du Roi , foit de celle
de l'Abbaye Royale de faint Germain des
DECEMBRE . 1744 127
rès , foit enfin des Manufcrits de M. Dupuis,
poffedés aujourd'hui par M.Joli de Fleuri,
Procureur Général du Parlement, qui fe fait
un plaifir de les communiquer généreufement
au Sçavans. Ce que l'on diftingue le
plus parmi tous ces Monumens , font quelques
Traités d'Alliance avec le Grand Seigneur
, par lefquels le Roi Henri III , obtient
des avantages confidérables pour le
Commerce de la Nation Françoiſe dans
les Echelles du Levant le Journal des premiers
Etats de Blois en 1576 par le Duc
de Nevers , la mort de Henri I. Prince de
Condé , empoisonné en 1588 , la Relation
de la mort des Guifes , fur la fin de la
même année , ne font pas les endroits les
moins inftructifs de ce volume , qui finit
par la Guifiade de Pierre Matthieu , & qui
n'étoit ni moins rare ni moins recherchée que
celle de l'Admiral de Coligni.
Le quatriéme volume renferme des piéces
d'un tout autre genre . La defcription de
l'Ile des Hermaphrodites eft une Satyre
affés ingenieufe du Regne de Henri III . Il
y paroît avec fes Favoris dans des fituations
peu avantageufes. Les autres Monumens qui
rempliffent ce volume, regardent le Roi Henri
IV.; toutes ces pieces accompagnoient les
dernieres Editions du Journal de Henri III.
Teile eft l'Hiftoire des amours du grand Al-
Fi
428 MERCURE DE FRANCE.
candre , les Lettres à Madame de Beaufort &
à la Marquife de Verneuil ; l'ingénieuſe apologie
de ce grand Roi , le Divorce Satyrique
piece dont les faits paroiffent portés audelà
des juftes bornes de l'Hiftoire , qui ne
ſe permet pas autant de médifance ; enfin
on y voit le Recueil des paroles remarquables
de ce Prince , petit Ouvrage dont
nous fommes redevables à M. de Perefixe ,
qui avant que d'être Archevêque de Paris
fut Precepteur du feu Roi Louis XIV . On
a cru devoir mettre ce Recueil dans cette
Collection , parce qu'il manque dans la plûpart
des Editions de la vie de Henri IV. , qui
paffe fous le nom de M. de Perefixe , il faut
avouer cependant que dans cette Edition
on a augmenté ce Recueil de quelques actions
d'éclat qui font honneur à ce Prince ,
& comme on a joint aux Lettres de Henri
IV. dix- neuf Lettres de ce Prince qui n'avoient
point encore paru , & qui font copiées
fur les Originaux , on les a rangées
toutes dans l'ordre Chronologique.
>
Enfin le cinquiéme volume.de cette nouvelle
Edition renferme une piéce connuë depuis
long-tems. C'eſt la Confeffion Catholique
de Sanci. D'aubigné , qui en eft l'Auteur
, y a donné carriere à fon imagination
& à fon efprit Satyrique. Nicolas de
Harlay Sancy , qui eft le but de cette SaDECEMBRE,
1744 129
tyre valoit infiniment mieux que D'aubigné ,
il n'ya point de comparaifon à faire, ce dernier
avoit beaucoup d'efprit, mais peu de prudence
& de retenue , il plaifoit pour quelques
momens par fes vivacités & fon feu , au lieu
que Sancy avoit beaucoup de fens & de
jugement , c'étoit veritablement un grand
homme d'Etat , & qui a rendu des fervices
effentiels aux Rois Henri III. & Henri IV .
Il étoit fage & difcret , & a fouffert fes difgraces
en vrai Philofophe , & s'il eft permis
de dire ce qu'on penfe d'un pareil Ouvrai
eft moins eftimé par lui-même que
par les fçavantes & curieufes remarques dont
il a été illuftré par M. le Duchat , célebre
Refugié François à Berlin ; ce Sçavant y
developpe par l'Hiftoire beaucoup de faits
finguliers de ces tems orageux , mais dans
cette Edition l'on a joint aux remarques
Mrs. le Duchat & Godefroy quelques obſervations
particulieres , qui ne font aucun
tort à cet Ouvrage.
ge ,
de
Enfin on peut dire que l'Edition nouvelle
du Journal de Henri II. que l'on annonce
ici , eft la plus complette & la plus
curieufe que nous ayons de cet Ouvrage ,
il feroit à fouhaiter que les beaux Monumens
de notre Hiftoire fuffent auffi bien
éclaircis , c'eft une juftice que l'on ne fçauroit
s'empêcher de rendre à l'Editeur .
F v
r30 MERCURE DE FRANCE.
Le Libraire de fon côté a pris foin de
fa reputation , car on peut affurer qu'il n'y
a guere d'Ouvrage plus magnifiquement
imprimés. La veuve Gandouin , Libraire
près l'Eglife des Grands Auguftins , chés
qui l'on trouve cette nouvelle Edition , a
reçû pareillement d'Hollande le Journal de
Henri IV . in- 8 °. en 4 volumes , accompagné
de remarques très inftructives & de
piéces fort curieufes fur le Regne de ce
Grand Roi.
AVISAU PUBLIC
Touchant le Livre intitulé : la Sainte Bible
en Latin & en François , avec l'explication
du Sens Littéral du Sens Spirituel , tirée
des Saints Peres & des Auteurs Ecclefiaf
tiques. Par M. le Maître de Saci , in- Octa-
VO 3.2 . volumes.
Qui fe vend à Paris chés Guillaume Def
prez , & Pierre-Guillaume Cavelier , ruë §.
Jacques , à S. Profper & aux trois Vertus,
Nous n'avons pas befoin de faire l'éloge
de cet Ouvrage , tout le monde le connoit ,
l'eftime & l'a toujours recherché avec empreffement.
On fçait qu'outre la Traditionde
Ecriture Sainte , il contient des notes
précifes qui en éclairciffent la lettre , & des
Explications morales tirées des Peres & des
meilleurs Commentateurs . M. le Maitre de
DECEMBRE. 1744. 131
Saci , à qui l'on eft redevable d'un travail ſi
néceffaire , avoit toutes les qualités requifes
pour le bien exécuter.
L'avidité avec laquelle le Clergé comme
le peuple s'eft fourni de cet Ouvrage , l'a
rendu rare , & c'eft avec regret que n'en
ayant plus qu'un très- petit nombre d'exemplaires
complets , nous nous trouvons à la
veille de ne pouvoir plus fatisfaire à l'empreffement
du Public , & de voir demeurer
comme inutiles beaucoup de volumes détachés
qui nous reftent encore.
Pour remedier à ce double inconvenient ,
nons avons cru pouvoir propoſer au Public '
de réimprimer les volumes qui nous manquent
pour former un nombre de 500
exemplaires complets , & pour en faciliter
au Public l'acquiſition , nous offrons une diminution
du prix ordinaire de ce Livre qui
eft de 150 liv . que nous réduiſons à 90 liv.
en feuilles , en faveur de ceux qui voudront
s'en affurer des exemplaires.
Ce prix modique que nous fixons fera
payé dans les termes & aux conditions fuivantes.
Les Libraires ont commencé à recevoir
les affurances au mois de Novembre dernier.
On a payé alors 18 liv. pour chaque
exemplaire que l'on a affuré , & dont les
Libraires ont donné une reconnoiffance,
132 MERCURE DE FRANCE.
Au premier Mars 1745 , ceux qui auront
affuré donneront encore 18 liv , & on leur
délivrera alors les huit premiers volumes qui
contiennent
La Genefe
L'Exode & le Levitique .
Les Nombre & le Deuteronome.
Jofué , les Juges & Ruth.
Les 4 Livres des Rois , 2 volumes.
Les Paralipomenes , Efdras
Tobie , Judith & Efther.
Néhémia s.
Au mois de Janvier 1746 , il fera payé
pareille fomme de 18 liv. & on livrera les
volumes fuivans.
Job.
Les Pfeaumes en 3 volumes .
Les Proverbes de Salomon.
L'Eclefiafte & la Sageffe.
Le Cantique des Cantiques..
L'Eccléfiaftique.
Au mois de Juillet 1746 il fera encore
payé 18 liv. & on recevra les volumes fuivans.
Isaïe.
Jeremie & Baruch.
Ezechiel.
Daniel & les Machabées.
Les douze petits Prophetes.
Saint Mathieu & Saint Marc en z vol.
Saint Luc & Saint Jean en 2 volumes,
DECEMBRE . 1744. 133
Enfin au mois de Janvier 1747 , il fera
payé pour la derniere fois 18 liv. & on recevra
le refte de la Bible , qui contient.
Les Actes des Apôtres.
Les Epures de Saint Paul en 4 volumes.
Les Epures Catholiques.
L'Apocalypfe.
Les Libraires ne recevront ces affu.
rances que jufqu'au dernier Fevrier 1745 .
Ceux qui auront affuré lefdits Exemplaires
feront tenus de les faire retirer dans les
tems marqués , ou le total au plûtard
dans le mois de Juillet 1747 , paffé lequel
tems leurs avances feront perdues pour
eux , & ils ne feront plus admis à repeter
leurs Exemplaires , ou ce qui en refteroit de
volumes à fournir , fans laquelle condition.
cet avantage n'auroit pas été propofé.
Ce nombre d'Exemplaires confommé
les Libraires vendront fans remife cette Bible
150 liv. reliée , qui eft le prix ordinaire .
Les mêmes Libraires viennent de réimprimer
une petite Brochure in- octavo intitulée :
Nouvelle Difpofition de l'Ecriture Saintemife
dans un ordre perpétuel pour la lire.
toute entiere chaque année , commodément
& avec fruit ; à laquelle on a ajouté une Table
des Semaines errantes avec les Fêtes
mobiles , qui commence en l'année 1745-
& qui ne finit qu'en 1776. Cette Brochure
fe vend 10 fols.
134 MERCURE DE FRANCE .
Le fieur Lemaire , Maître de Mufique à
Paris , donnera au Public , au commencement
du mois de Janvier prochain trois
Cantatilles Nouvelles , fous les Titres de la
Victoire en Duo pour un Deffus & une
Bafle- Taille , avec fymphonie, prix trente -fixfols.
La reconnoiffance , Cantatille pour un
Deffus , avec fymphonie , Prix vingt- quatrefols.
Les Fêtes champêtres , Cantatille pour une
Baffe-Taille avec accompagnement de
Mufette , Flute , Violons , & Haut bois. C'eſt
la fixiéme Mufette du même Auteur , Prix ,
vingt-quatre-fols .
,
On trouve chés lui 51 autres Cantatilles
à vingt-quatre-fols piète . Fanfare ou Concert
de Chambre , pour les Trompettes_Timballe,
Violons , Flute, Haut-bois & Baffon, les
trois parties féparées quarante- buit fols . Deux
Recueils d'Airs , à trois livres piece. Six Livres
de Motets à trente-fols piece.
Tous ces Ouvrages fe vendent chés l'Auteur
, ruë S. André des Arts , vis à vis la
ruë Gît le - coeur , chés un Vitrier , chés Ballard
, Pere & fils , ruë S. Jean de Beauvais ,
chés Madame Boivin , ruë S. Honore , à la
Regle d'Or , le fieur Leclerc , rue du Roule ,
à la croix d'Or. A Lyon , chés le fieur Debretonne
, rue Merciere , & à Rouen , chés
le fieur Heufe , rue du Sac
,"
1
DECEMBRE 1744 135
RECEUIL de Piéces , petits Airs , Brunettes
, Menuets & c. accommodés à la Flute
Traverfére avec des Doubles & Variations
par M. Blavet , Ordinaire de la Mufiquei
de la Chambre du Roi , de S. A. S. le
Comte de Clermont & de l'Académie :
Royale de Mufique , le tout receuilli & mis
en ordre par M. *** fe vend 6 liv . en
blanc à Paris chés M. Blavet , au Palais Ab--
batial de S , Germain des Prés , chés Madame
Boivin ruë S. Honoré, à la regle d'Or , & chés
M. le Clerc , rue du Roule , à la Croix d'Or.
>
PRIX propofe par l'Académie Royale des
Sciences de Berlin
pour
Pannée 1745.
LE ROI de Pruffe , toujours attentif à
ce qui peut procurer l'avancement des Scien--
ces & des Arts , ayant augmenté conſidérablement
les Privileges de l'Académie Royale
de Berlin , & l'ayant miſe en état d'affigner
des récompenfes aux Sçavans qui fe diftingueront
par des découvertes curieufes & in--
téreffantes :
L'Académie pour répondre aux intentions
& aux ordres de Sa Majefté Pruffienne
propofe un Prix de cinquante Ducats
en faveur de celui qui réuffira le mieux à
expliquer la véritable caufe de l'Electricité
736 MERCURE DE FRANCE.
des Corps , & de tous les Phenoménes qu'on
y a découverts jufqu'à préfent.
Le Prix fe diftribuera dans l'Affemblée
générale de FAcadémie , qui fe tiendra
le 31 May 1745 , jour anniverfaire de
l'avenement du Roi au Trône. Les Sçavans
de toutes les Nations font invités
de travailler fur la matiere . Il leur fera libre
d'écrire en Latin , en Allemand ou en
François , pourvû que le caractere foit bien
lifible , fur-tout quand il y aura des Calculs
Algebriques. Pour obvier à tout inconvenient
on les prie de ne pas mettre leur
nom , mais feulement une Devife aux
Pieces qu'ils fourniront , en y joignant , s'ils
le jugent à propos , un Billet cacheté , qui
contiendra avec la Devife de la Piece
nom , les qualités & l'adreffe de l'Auteur .
Ce Billet ne fera point ouvert , à moins que
la Piece n'ait remporté le Prix. Les Pieces
feront reçues jufqu'au Avril 1745 inclufivement
, elles feront adreffées ou remifes
affranchies de port à M. FABER ,
Tréforier de l'Académie qui en donnera fon
Récepiffé , où la Devife qui fe trouvera au
bas de la Piece , fera marquée , avec le Numero
felon l'ordre dans lequel elle aura éte
préſentée.
le
Après que la Piece qui aura remporté le
Prix aura été proclamée dans l'Affemb.ce
DECEMBRE . 1744. 137
générale du 31 Mai 1745 , le Tréforier
de l'Académie délivrera le Prix , foit à l'Auteur
même , foit à celui qui fe trouvera
muni d'un Récepiffé , ou d'une Procuration
de fa part.
ESTAMPES NOUVELLES
LE BENEDICITE , gravé par Lepicié d'après
le tableau de M. Chardin. Ce Tableau eit
placé dans le Cabinet du Roi , & n'eft pas un
des moindres Ouvrages de M. Chardin , qui en a
fait plufieurs excellens . Il a été expofé au Salon
du Louvre , où il a réuni les fuffrages de tous les
Connoiffeurs .
Le fujet du Tableau eft exposé dans quatre verde
M. Lépicié , qui font au bas de l'Eſtampe .
La Soeur en tapinois fe rit d'un petit Frere ,
Qui bégaye fon Oraifon.
Lui fans s'inquiéter dépêche fa Priere ;
Son apetit fait fa raiſon .
Cette Eftampe ſe vend chés Lépicié.
Le fieur Petit , Graveur ruë S. Jacques
à la Couronne d'épines près les Mathurins
qui continuë de graver la fuite des portraits
des Hommes Illuftres du feu fieur Defrochers
, Graveur ordinaire du Roi , vient de
mettre au jour les deux Portraits ſuivants.
138 MERCURE DE FRANCE.
Jean , Locke Philofophe né en 1632
mort en 1704 , on lit ces vers au bas :
Quand Locke , dont tu vois les traits ,
Et de qui les Ecrits ne périront jamais ,
Fait de l'efprit humain l'analife admirable ,
Et
que dans tout fon jour il le fait fi bien voir ,
Le fien paroît inconcevable ,
Ainfi que fon profond fçavoir.
Jean Milton Auteur du Poëme du Paradis
perdu , & de celui du Paradis retrouvé ,
né à Londres en 1608 , mort en 1674,00
lit ces vers au bas.
Par la fublimité de fon double Poëme ,
Le célebre Milton femble être Homere même ,
Et fi ces grands Auteurs font fort pareils entre eux >
Par leur efprit fécond & rempli de lumieres ,
La malice du fort offufquant leurs paupieres ,
Pour mieux les rendre égaux , les aveugla tous deux ,
NICOLAS Lebraffeur , Marchand Papetier
, demeurant à Paris , rue Aubry- le- Boucher
, à l'Enfeigne du grand Livre de Lyon ,
donne avis au Public , qu'il a reçu de l'un
de fes freres , qui eft actuellement à Pontichery
, le fecret de faire de l'Encre parfaite ,
tant luifante , double , que feconde , qui ne
DECEMBRE 1744 130
s'épaiffit point , fecret que fon frere a rapporté
de la Chine. Il vend toutes fortes de
papier , Regiftres , Relieures façon de Lyon
& autres : Canifs de Paris , Cire d'Eſpagne ,
Plumes de Hollande , Ecritoires , & toutes
fortes de marchandifes concernant l'écriture,
140 MERCURE DE FRANCE.
25 25 25 25 25 25 25 2525 25 25 25 25 2525 25 25
SPECTACLES.
'Academie Royale de Mufique a remis
au Théâtre le Jeudi dix Décembre
l'Opéra de Thefée , Tragédie repréſentée
pour la premiere fois devant Louis le Grand ,
à S. Germain en Laie , & depuis à Paris en
differentes repriſes , dont les dernieres ont été
en Novembre 1707. en Janvier 1721. & en
Novembre 1729. Les paroles & la Mufique
de cet Ouvrage font de la compofition des
deux fameux maîtres de ce genre . Cette piece
eft une des meilleures du célebre Quinaut.
L'intrigue & le dénouement en font
nobles , & intéreffans & le gout épuré de
notre fiécle eft choqué du badinage déplacé
qui fe trouve mêlé aux fituations
les plus tragiques. Défauts plus que compenfés
par les beautés poctiques & harmoniques
qui éclatent par tout dans cet
Opera . Les Rolles font exécutés comme
on l'efperoit des Acteurs qui les rempliffent.
Mlle. Chevalier a infiniment
furpaflé l'attente du Public dans celui de
Medée. Cette Actrice fait des progrès rapides
qui marquent fon gout & fon applicaDECEMBRE
. 1744. 141
tion. M. de Chaffé eft fublime & majestueux
dans le perfonnage d'Egée ; comme il étoit
terrible , & menaçant dans celui de Poliphême
, & M. Jeliotte arrive fur la ſcene
avec l'air impofant d'un vainqueur.
On ne donnera point un extrait fuivi d'un
Opera auffi connu . On fe contentera de
parler des divertiffemens qui meritent d'étre
cités. La fefte du premier acte ſe paſſe dans
le Temple de Minerve. Elle eft exécutée
par des Prêtreffes & des Guerriers , armés
d'épées & de boucliers . Les Prétreffes ont a
la main des poignards. Leurs danfes rappellent
le fouvenir de la Pirrhique des Grecs ,
& produifent un fpectacle très brillant foutenu
jufqu'à la fin par une marche pompeuſe ,
qui vuide le Théâtre avec dignité. La premiere
Prétreffe de Minerve repréſentée trèsnoblement
par la jeune Mlle. Mets , précede
le Roi , Aglé & leur fuite , qui fort du Theatre
au fon éclatant des Trompettes.
On obſervera à l'occafion de cette fortie
frappante & bien deffinée , que la danfe &
les Choeurs ne devroient jamais entrer fur le
Theâtre ni en fortir confufement & fans
ordre , comme il fe pratique depuis trèslong-
tems. Ils devroient toujours former des
Tableaux variés en arrivant , & en fe reti,
rant. Leur nombre eft plus que ſuffilant
142 MERCURE DE FRANCE.
pour opérer des combinaiſons infinies. Il eft
contre les regles du Theâtre de les voir arriver
les uns après les autres , dans des attitudes
de gens fortans de leur Toilette . Sur la
Scene tous les mouvemens doivent être mefurés
, & expreffifs .
Dans le divertiffement du deuxième A&te,
le triomphe de Théfée eft magnifique. C'eſt
là que les graces fupérieures de M. Dupré
fe trouvent placées convenablement. Mile,
Camargo en vieille y danfe un pas de deux
avec M. Dumoulin où elle fait briller la
legereté de la plus vive jeuneffe. On a été
furpris de compter des Gaulois dans Athenes,
on a cru apparemment que les habits des
vieux Grecs , ignorés des Spectateurs , ne les
réjouiroient pas comme les modes du tems
de François I.
M. Guerardi danfe au troifiéme Acte
deux entrées de Démons avec une force &
une legereté remarquables. Une indifpofition
l'ayant interrompu , M. Pitró , jeune
danfeur arrivé de Bordeaux l'a remplacé avec
applaudiffement.
Le quatriéme & le cinquiéme Actes font
terminés par des fêtes très - galantes .
La décoration du fecond Acte eft neuve ,
c'eft un Temple de Minerve , dont l'Ordonnance
fimple a obtenu l'approbation du
Public.
DECEMBRE . 1744. 143
On a donné le premier Jeudi une réprefentation
d'Acis & Galatée avec la Pantomine
de Mlle. Mimi Dalmand , & de l'inimitable
Pietro Soli , qui crée des pas nouveaux
chaque fois qu'il paroît fur le Theâtie.
On a remis le Jeudi 31 Décembre le
Ballet des Graces dont les précedens Journaux
ont donné le détail. Il fera fuivi de la
charmante Pantomime du Signor Pietro
Soli & de Mlle. Mimi Dalmant.
}
On reprendra vers le Careme l'Ecole des
Amans , Ballet repréfenté l'Eté dernier . I es
Auteurs ont fait des changemens dans les
paroles & la mufique. On y ajoutera un
Acte nouveau.
La Comedie Françoife a rejoué l'Ecole
des Meres , Piéce en vers & en cinq Actes ,
de M. Nivelle de la Chauffée de l'Academie
Françoife. Cette Comédie avoit
déja eu de nombreuſes repréfentations , & fa
repriſe n'a pas été moins applaudie. C'eſt le
fort ordinaire des Ouvrages de M, de la
Chauffée , créateur d'un genre Comique nouveau
, qui fait gouter prefque dans le moment
aux Spectateurs l'attendriffement & la
joie. On l'imprime actuellement
On a remis à lafuite de l'Ecole des Merės
Les Graces ,, petite Comedie de M. de S.
144 MERCURE DE FRANCE.
P
Foi , Tableau digne de l'Albane , où l'on
reconnoît parfaitement le délicat Auteur de
l'Oracle .
La Comédie Italienne a donné une petite
Comédie intitulée le Faux Généreux , qui a
changé de nom à la feconde repréſentation
& a été appellée , le Bienfait anonime.
Elle a remis les Talens déplacés , Piece
d'un Acte de M. Guiot de Merville , trèsamufante
& remplie de traits neufs fur les
Avocats & les Medecins. La jeune Dlle.
Aftrotti y fait briller fes talens avancés quoique
précoces pour le chant, le violoncelle, &
la déclamation .
On prépare une Piece Italienne en trois
Actes , ornée de Spectacles & de Ballets , qui
paroîtra inceffamment.
Le Mercredi 2 Décembre , M. de Blamont
Sur-Intendant de la Mufique du Roi
eut ordre de faire chanter fon Te Deum
dans la Chapelle de Sa Majefté , pour la
prife de Fribourg , ainfi qu'il s'eft toujours
pratiqué aux grandes cérémonies & rejouiflances
de la Cour. L'exécution en fut parfaite.
Mrs. Benoit , Poirier & l'Abbé Dota
s'y font fort diftingués.
Le
DECEMBRE. 1744. 145
Le Samedi trois il donna au Concert de
la Reine les Actes des Bacchanales & des
Saturnales du Ballet des Fêtes Grecques &
Romaines , Opéra affés heureux pour être
demandé fouvent par Sa Majefté. Les paroles
font de M. Fufelier , & la Mufique de
M. de Blamont. Meffieurs de la Lande &
Benoît exécuterent les rolles de Cleo .
patre & d'Antoine ; ceux de Delie & de
Tibule furent remplis par Mrs Mathieu &
Poirier.
Le Samedi douze le Concert commença
par la Cantate de Polhimnie. Les paroles
font de M. de Moncrif, de l'Académie
Françoife , & la Mufique de M. de Blamont
. Cette Cantate qui eft à voix feule ,
accompagnée d'une grande fymphonie, compofée
de divers inftrumens , fut chantée
par Made, de la Lande , & fervit comme de
Prologue à l'entrée des Fêtes Grecques &
Romaines , intitulée ; La Fête de Diane. M.
Deschamps & M. Jeliotte chanterent les
principaux rolles. Le Concert finit par
une Ariette legere du même Auteur , chantée
très-legerement par M. Poirier.
Lundi quatorze on donna l'Acte de l'Amour
Volage des Caracteres de l'Amour ,
Ballet de M. de Blamont. Cet Acte fut executé
par Miles, Romainville & Deschamps ,
& par Mrs. Jeliotte & Benoît.
G
146 MERCURE DE FRANCE ,
. Le Samedi dix - neuf Mlle . Romainville
ouvrit le Concert par une Cantate du
deuxième livre des Cantates de M. de Blamont
, intitulée : Le Charme de la Voix, Elle
fut fuivie de l'Acte de l'Amour Fidéle , du
Ballet des Caracteres de l'Amour. Les rolles
de Laure & de Petrarque furent très - bien
rendus par Made. de la Lande, & M. Benoît.
L'exécution de tous ces Concerts a été
parfaite.
CONCERT SPIRITUEL.
Le Mardi huit Decembre le Concert a
executé prefque tous les morceaux qui ont
été chantés au Te Deum des Fermiers Gé
néraux pour la Convalefcence du Roi.
Le Concert a continué par le Choeur
Notum fecit Dominus du Cantate de M. dela
Lande , le Reçit Viderunt , un Domine
falvum fac Regem de M. Rebel , & le Glo
ria Patri du Dixit de M. de la Lande.
L'arrangement de tous ces morceaux eft le
même qui a été exécuté fi magnifiquement
chés les Peres Auguftins de la Place des
Victoires .
M. Mondonville a joué un Concerto fort
applaudi , c'eft un tribut qui ne manque jamais
à fes compofitions .
Le Motet à grand Choeur Bonn eft du
DECEMBRE 1744
147
même Auteur a terminé le Concert & a ell
le fort du Concerto .
On a écouté avec une grande attention &
un plaifir égal Miles. Fel , Chevalier & Romainville
, ainfi que Mrs. Benoift & Poirier,
Le Vendredi 25 Décembre jour de la
Nativité de Notre Seigneur , le Concert a
commencé par une fuite de Noels de M. Francoeur,
qui a été fuivie de Confitemini Motet à
grand Choeur de M. de Lalande . M. Blavet
a joué un Concerto . Mlle . Chevalier a chanté
Ufquequo , petit Motet de feu M. Mouret , qui
a été fuivi d'un Concerto de M. Mondonvil-
' le. On a fini par Jubilate Deo , beau Motet
à grand Choeur de M. Mondonville Miles . Fel
& Romain ville & M. Benoift ont chanté.
Les Comédiens Italiens ont repréſenté
à la Cour
Arlequin Larron , Prevôt & fuge,
Arlequin muet par crainte.
Les Amans réunis .
Et les Talens déplacés,
Gij
148 MERCURE DE FRANCE,
LES COMEDIENS FRANÇOIS
ont repréfenté à la Cour
Le Jeudi 19 Novembre 1744. Manlius
& l'Etourderie.
Le Mardi 24 L'Andrienne & Crispin Bel
Efprit.
Le Jeudi 26 Pompée & les Précieuſes ridicules.
Le Mardi premier Décembre Mélanide
& le Baron de la Craffe.
Le Jeudi 3 Alzire & la Comteffe d'Eſcarbagnas.
Le Jeudi 10 Cinna & l'Impromptu de Cam
pagne.
Le Mardi 15 La Mere Coquette & les Freres
Rivaux.
Le jeudi 17 Hypermnestre
& Attendez- moi
fous l'Orme.
Le Mardi 22 Le Lot fuppofé & Crifpin
Médecin.
Le Jeudi 31 Mahomet II. & les Graces.
CAS
c
DECEMBRE. 1744 149
Le mot de l'Enigme eft Lit de Plume.
Elle a été devinée par M. Gaillard de
S. Etienne en Forez , Mademoiſelle Morel
d'Iffoudun , & M. Bataille de Paris. Nous
avons oublié de marquer qu'elle eſt de
la compofition de M. Jacques , qui a deviné
le Logogryphe , & en a donné l'explication
fuivante .
Explication du Logogryphe.
De Camargot la Danfe eft vive & très-legere ;
Le Cam de Tartarie a de vaftes Etats ;
Le Camard quelquefois le Jafmin ne fent pas.
Margot la Pie eft jafeufe & commere.
L'Argot n'étoit-il pas la Langue de Raffia ,
Nivet , Cartouche & cætera ?
Et n'est-ce pas chofe fort claire
Que l'Empire Goth fut jadis
La terreur de bien des Pays ?
Explication de l'Enigme & du Logogryphe :
Dormir après dîner , la maudite coutume !
Ami , j'aimerois mieux empoigner un rabot ;
Si tu m'en crois , quitte ce lit de plume ,
Et viens à l'Opera, nous verrons Camargo .
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
*£3÷÷₤3÷÷÷÷÷÷£ 3÷ ÷£3÷ ÷£3÷ ÷£3*
Q
ENIGM E.
Uand le mortel qui me cherit
Applique fa bouche à la mienne ,
Ilme prête auffitôt fon coeur & fon efprit ;
Je ne dis rien qui ne leur appartienne ;
C'est lui qui s'exprime par moi ,
Soumise à fes defirs je me borne à lui rendre
Les fentimens que j'en reçoi ;
Vive quand il eft vif, tendre quand il eft tendre,
Il me donne toujours la loi.
Pour l'amour feul je femblois faite ;
Autrefois c'étoit mon deftin ;
Aujourd'hui je fuis l'interpréte
Du caprice bruiant & j'ai le ton lutin.
Par M.Jacques , Marchand Evantaillifte,rueMouffetar.
ENIGME EN LOGO GRYPHE.
JE fuis du genre feminin ,
Quelquefois legere & brillante ,
Et d'autres fois platte & pefante ,
Cependant on me tient fans fatiguer fa main.
***
Voici bien un autre miftere.
Sur douze pieds je marche gravement.
DECEMBRE .. 1744. 151
En les prenant conjointement
Les fept premiers vous donneront un frere.
Ce frere ne fera pourtant ni maternel ,
Ni confanguin , ni paternel ,
Mais frere d'une autre maniere .
Quand de moi vous avez ôté
Le premier membre & la lettre huitiéme ,
Si vous retranchez la neuviéme ,
Je fuis fujette à l'infidélité ,
L'Ecolier pareffeux me hait autant qu'un Thême .
Ce premier membre à mon corps rapporté ,
On me prêche , fur- tout à la fin du Carême.
Trois de mes pieds font en degré conjoint
Un animal qui n'en a point.
Le pied qui fuit , crac , me métamorphofe .
Je deviens foudain autre chofe ,
Ayant des pieds quoique ne marchant pas.
Pardon ,fi tout ceci vous caufe
Dans la tête quelque embarras .
Les Efprits les plus délicats ,
Quand fous cet e forme on m'expofe ,
Ne peuvent pas me dire en profe .
Sans faire d'autres changemens ,
Si vous voulez échanger & tranfmettre
Ma quatriéme & ma feptiéme lettre ,
Giiij
$52 MERCURE DE FRANCE.
Vous trouverez que chacun en tout tems
Songe à moi plûtôt qu'à fa femme ,
Qu'à fon Pere , qu'à fes Parens ,
Et quelquefois plus qu'à fon ame.
*3**
C'en eft affés , Belle Iris , devinez ;
Vos appas, votre voix , votre efprit, tout enchante
Avec autant d'attraits,fi vous me foutenez ,
Que je vais paroître charmante !
Par le même,
DECEMBR E. 1744.
*
FRANC E.
NOUVELLES DE LA COUR , &c.
Lde Avent , leRoi de la Reine entendi-
E 29du mois dernier premier Dimanche
rent dans la Chapelle du Château de Ver-.
failles la Mefle chantée par la Mufique.
L'après midi la Reine accompagnée de Monfeigneur
le Dauphin affifta au Sermon du
Pere de Beauvais de la Compagnie de Jeſus .
Le premier de ce mois, le Roi accompagné
de Monfeigneur le Dauphin entendit
dans la même Chapelle la Meffe pendant laquelle
le Te Deum fut chanté par la Mufique
pour la prise de la Ville & des Châteaux de
Fribourg.
Le 6 fecond Dimanche de l'Avent, le Roi
& la Reine entendirent dans la même Chapelle
la Mefle chantée par la Mufique.
Le 8 Fête de la Conception de la Sainte
Vierge , la Reine communia par les mains
de l'Abbé de Fleury , fon Premier Aumonier.
S M. accompagnée de Monfeigneur le
Dauphin & de Mefdames de France , alliſta
l'après midi au Sermon du P. de Beauvais ,
& enfuite aux Vêpres chantées par la Mufique.
Gy
4 MERCURE DE FRANCE:
Le 13 , troifiéme Dimanche & le 20 , quatriême
Dimanche de l'Avent , la Reine entendit
dans la même Chapelle la Meffe chantée
par la Mufique , & S. M. accompagnée de
Menfeigneur le Dauphin & de Mefdames de
France , affifta Faprès midi au Sermon du même
Prédicateur.
Le 10 Dom Raymond Garat fut élû Géneral
de l'Ordre de Grandmont à la place
de Dom René-François Pierre de la Gueriniere
, mort à Paris le 30 Septembre dernier.
A
Le Roi a nommé Intendant en Dauphiné
M. de la Porte, Maître des Requêtes , qui eft
remplacé dans l'Intendance de la Généralité
' de Moulins par M. de Bernage de Vaux ,
Maître des Requêtes & l'un des Préfidens du
Grand Confeil,
Le 3 de ce mois e3 , M. le Beau , Profeffeur
de Réthorique au College des Graffins , prononça
dans les Ecoles exterieures de Sorbonne
au nom de l'Univerfité un Difcours
Latin fur la Convalefcence du Roi , & fur
l'heureux fuccès des armes de S. M. Il fit voir
dans la premiere partie ce que le Roi a fait
pour fon Peuple , & dans la feconde ce.que
le Peuple a fait pour le Roi. Le Parlement
& un grand nombre de perfonnes de diftinction
affifterent à ce Difcours qui fut généraement
applaudi .
DECEMBRE. 1744. 155
M. Benoit , Prêtre & Maître de Mufique
de l'Eglife Cathédrale de Chartres éleve de
feu M. Michel Maître de Mufique de la Sainte
Chapelle de Dijon fit chanter Vendredi quatriéme
, & Samedi cinquième du préfent mois
de Décembre à la Meffe du Roi & à celle de
la Reine , un Motet tiré du Pleaume 41.
Quemadmodum qui fut fort approuvé.
M. l'Abbé Fenel ( Jean Bafile Pafchal )
Chanoine de la Métropole de Sens , Député
Réfident de fon Chapitre à Paris , prit
féance à l'Académie des Infcriptions &
Belles- Lettres le Vendredi 11 Décembre
ayant été choifi par le Roi entre les Sujets
propofés pour remplir la place d'Affocié, vacante
par la promotion de M. Falconnet
( Camille ) à la place de Penfionnaire .
M. Fenel a travaillé en 1740. pour le fameux
prix du Cabeftan . Son ouvrage a eû un
Acceffit au Prix en 1741 , & l'Académie des
Sciences a ordonné qu'il fut imprimé . Il doit
paroître inceffamment avec les autres P éces
de ce Prix chés Hyppolite-LouisGuerin.
En faisant des experiences pour la compofition
de cetOuvrage M. Fenel a fait une découverte
remarquable fur le roidiffement &
le relâchement alternatifs des cordes qui tirent
des fardeaux. L'Académie des Sciences
a jugé que cela méritoit d'être m's dans font
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE
Hiftoire de 1741. où on le trouvera pag
155. Ce même Auteur a depuis perfectionné
fa découverte & l'a appliquée à de nouveaux
cas : il en a envoyé le Mémoire à la même
Académie .
Il a travaillé en 1742 au Prix de l'état des
Sciences en France pendant le quatorziéme
fiécle , & l'a remporté à Pâques 1743 au
jugement de l'Academie des Belles - Letres .
Cet Ouvrage n'eft pasencore imprimé , quoiqu'il
foit approuvé du Cenfeur Royal , Î'Auteur
y voulant faire quelques additions.
La même année il eût le premier Prix de
l'Académie Françoife de Soiffons , fur la
Conquête de la Bourgogne par les fils du
Gi and Clovis , & c.
Cet Ouvrage a été imprimé au commencement
de la préſente année chés Chaubert
Libraire du Journal des Sçavans .
Le 29 M. l'Abbé Girard & M. l'Abbé de
Bernis qui avoient été élus le 26 du mois de
Novembre pour remplir les places vacantes
dans l'Académie Françoife par la mort de
l'Abbé de Rothelin , & par celle de l'Abbé
Gedoyn, y furent reçus , & ils firent leurs
Difcours de remerciment auxquels M. de
Crebillon Directeur de l'Académie répondit.
Les Députés des Etats de la Province d'Artois
ont eû le 24 de ce mois audience du
DECEMBRE. 1744 157
Roi , étant préfentés par le Prince Charles
de Lorraine , Gouverneur de la Province ,
en furvivance du Duc d'Elbeuf & par le
Comte d'Argenfon , Miniftre & Secretaire
d'Etat & conduits par le Marquis de Brezé
Grand Maître des Cérémonies. La Députation
étoit compofée pour le Clergé de
l'Abbé de France de Noyelles , Chanoine
de l'Eglile Cathédrale d'Arras , lequel porta
la parole du Marquis de Vignacourt pour la
Nobleffe , & de M. Henin pour le tiers Etat,
tous trois Députés pour la troifiéme fois.
Les Lettres de Marfeille marquent que
l'on a appris de Malthe que la nuit du 19
au zo du mois dernier le Vaiffeau de guerre
le Saint Jean appartenant à la Religion ,
5
avoit découvert en croiſant à la hauteur du
Cap -Honne 6 Bâtimens Algériens qui
venoient vent arriere fur lui , que le lendemain
ces Bâtimens l'ayant reconnu & ayant
fait auffi-tôt force de voiles pour s'éloigner ,
il les avoit pourfuivis , que l'avoient paffé
de l'avant & que le fixiéme qui n'étoit pas
aufli bon voilier que les autres avoit pris le
parti d'aller mouiller à un endroit nommé
Limache , qu'alors un des 5 premiers avoit
réviré de bord pour ne pas abandonner ce
Bâtiment , pendant que quatre avoient coutinué
leur route , que fur le midi le Vailleau
158 MERCURE DE FRANCE.
le Saint Jean avoit mis fon Canot à la Mer
pour fonder afin de s'allurer fi on pouvoit
s'approcher de la terre , que les deux Bâtimens
Algériens avoient tiré quelques coups
de canon & une grande quantité de coups
de fufil , mais que leur feu n'avoit point empêché
le Canot d'exécuter fa commiſſion ,
que comme on avoit trouvé qu'il y avoit fuffifamment
d'eau , le Vaiffeau le Saint Jean
s'étoit avancé le 21 pour attaquer les Algériens
, que ceux-ci avoient tiré plufieurs volées
de canon & qu'il y avoit eu un Chevalier
& un Matelot de bleffés & un Soldat de
tué , que le Vaiffeau le Saint Jean ayant préfenté
le travers & ayant fait un feu très -vif ,
les ennemis avoient abandonné leurs Bâtimens
qui ont été coulés à fond . Les équipages
qui s'étoient retirés fur une pointe de
rocher , tirerent plus de 2000 coups de fufil
fur le Vaiffeau de la Religion , mais ils
ne cauferent aucun mal parce qu'ils étoient
hors de portée .
Le tems & le lieu étant trop dangereux
pour paffer la nuit près de la côte , le Vaiffeau
le Saint Jean reprit le large & il retourna
à fa croifiete.
On avoit mis dans la Gazette d'Utrecht
du 24 Novembre 1744, à l'article de Paris,
que le Chevalier Servandoni , Chevalier de
DECEMBRE. 1744.159
T'Ordre de Chrift en Portugal étoit mort ,
mais cette nouvelle eft fauffe ; il eft employé
à faire , tant à Bayonne qu'à Bordeaux , de
magnifiques Décorations pour le paffage de
Madame la Dauphine.
PRISES DE VAISSEAU X
Left arrivé à Marſeille cinq Navires de
I faint Malo venans de la peche de la
Moruë , lefquels ont amené un Pâtiment
Anglois de 200 tonneaux , dont ils ſe font
emparés. Les mêmes Navires fe font rendus
maîtres de quatre autres Vaiffeaux ennemis ,
dont trois ont été rançonnés , & l'autre
d'environ 100 tonneaux , chargé de fel ,
a été envoyé à Nantes ,
3 On apprend de Bayonne que le Corfaire
le Chaffeur , commandé par le Capitaine
Girandel , eft entré dans ce Port avec un
Bátiment , fur lequel il y avoit cent Boucaux
de Sucre , & quelques autres marchandiſes .
Le Capitaine du Peat , qui monte le
Vaiffeau le Renard , du même Port , a enlevé
les Navires le Delight & la Branche d'Olivier
, le dernier de 300 tonneaux , dont la
cargailon étoit compofée de Pelleteries , de
Cuivre , d'Huile de Ealeine , de Bois de Menuiferie
, de Goudron , de Merains , de
Raifine & de Therebentine,
160 MERCURE DE FRANCE .
Le Pinque la Jeanne , de Briftol , de
180 tonneaux , avec un chargement de Sucre
, de Poivre , de . Coton , de Bois d'Acajou
& de Tafia , a été pris par le Corfaire
la Victoire , que commande le Capitaine
du Ler.
Les lettres de Bordeaux marquent qu'on
y a reçû avis de faint Sebaſtien , que le Navire
la Saxonne , armé en courfe par le Capitaine
Barreyre avoit conduit dans ce dernier
Port l'Armateur Anglois la Reine de
Hongrie , de 24 canons , de 18 pierriers &
de 200 hommes d'équipage.
Le Corſaire le Malo , de faint Malo , a
repris le Vaiffeau l'Elizabeth , dont un Armateur
de Guernſey s'étoit rendu maître. 4
Les Capitaines Clement & Figoli , com→
mandans , l'un le Vaiffeau le Charles Grenot ,
de Granville , l'autre le Vaiffeau le Renard, de
Dieppe , font arrivés à faint Malo , le premier
avec le Brigantin l'Experimenté de Boſton ,
chargé de Charbon de terre , le deuxième
avec le Navire le Malberry , de Briſtol ,
à bord duquel on a trouvé du Sucre , du
Coton & d'autres effets.
On écrit du Havre qu'il y eft arrivé un
Corfaire Anglois de 22 canons , d'un pareil
nombre de pierriers & de 148 hommes
d'équipage qu'ont pris les Frégates
l'Emera & la Fine commandées
par Mef
DECEMBRE 1744 161
fieurs de Saint Allouarn & Azan.
Ces deux Fregates fe font encore emparées
de quatre autres Batimens ennemis ,
F'un defquels nommé le Cerf, chargé de 400
Boucaux de Tabac , & de trente tonneauxde
Fer , a été mené au Port Louis.
Le Capitaine Noël Guillaume Denis ,
commandant le Corfaire la Suzanne , de
Calais , a conduit à Boulogne un Vaiffeau
Anglois , dont la charge confiftoit en Lin ,
en Vin & en Eau de vie.
Deux Armateurs Anglois , l'un de 26
canons & l'autre de zo , & plufieurs Vaiffeaux
qui revenoient des Colonies de l'Amérique
ont été pris par des Armateurs
François .
Le Capitaine du Pleffis commandant le
Vaiffeau le Stanislas , armé en courſe , àconduit
à la Rochelle le Navire Anglois le
Black-River de 200 tonneaux , chargé de
Sucre , de Tafia & de Bois de Campeche.
On mande de faint Malo que le Vaiffeau
le Jean Jofeph , monté par le Capitaine
Ruault étoit entré dans ce Port avec le
Bâtiment le François de Londres , de 190
tonneaux qui portoit des munitions à la
Jamaïque , & que quelques jours après il
s'étoit emparé du Vaiffeau la Charlotte , de
6 canons & d'un pareil nombre de pier
riers qu'il avoit envoyé au Havre.
16 MERCURE DE FRANCE.
On a appris de Calais que deux autres
Navires ennemis dont les chargemens confiftoient
en Grains , en Bierre & en Biícuit
avoient été pris par le Corfaire l'Efturgeon.
BENEFICES accordés Le Roi an
par
mois de Décembre 1744.
L'Evêché de Beziers en Languedoc , va
cant par la mort de M. Louis - Charles des
Atries du Rouffet , à Meffire Louis -Ange de
Ghiſtelle de S. Floris , Aumonier du Roi ,
Abbé de Beaulieu Lez -Mans.
L'Evêché de Saintes , Capitale de la Saintonge
, vacant par la mort de Meffire Leon
de Beaumont Gibaud , à Meffire Simon-
Pierre de la Corée Vicaire Général de .
Saintes , Abbé de Benevent , Dioceſe de
Limoges.

L'Abbaye de Fontcombaud , Ordre de faint
Benoît , Dioceſe de Bourges , à l'Abbé du .
Fau , Vicaire Général de l'Evêque de Langres.
Le Prieuré de Gigny du même Ordre ,
Diocefe de Lyon , à l'Abbé de la Farre ,
Aumonier du Roi,
DECE MBRE. 1744 163
Le Prieuré de Mortagne , Ordre de faint
Auguftin , Diccefe de Saintes , à l'Abbé de
la Tour du Pin,
L'Abbaye Réguliere de Bucilly , Ordre
de Prémontré reformé , Diocefe de Laon , au
P. Meneffier Vicaire Général de cet Ordre.
L'Abbaye Réguliere de S. Bertin , Ordre
de S. Benoît , Dioceſe de S. Omer , à Dom
Gherbode ,
L'Abbaye Réguliere de Canigou , même
Ordre , Diocele de Perpignan , à Dom
Jacques Bombes , Religieux de cet Ordre.
L'Abbaye Reguliere de Crifferton , même
Ordre , Dioceſe d'Auxerre à Madame de
Sennevoy.
?
Et celle de Parc aux Dames , Ordre de
Citeaux , Dioceſe de Senlis , à Madame de
Renanfarte, Prieure de l'Abbaye de Morien
val.
ZASS
164 MERCURE DE FRANCE.
CHARGES Militaires acordées
Roi au mois de Décembre 1744.
par
le
La Compagnie des Gendarmes de Flandre
, à M. de Montchal , Sous- Lieutenant de
cette Compagnie.
Celle des Gendarmes de la Reine au
Baron de Montmorency , Chef de l'Illuftre
Maiſon de ce nom , Capitaine Lieutenant
des Gendarmes d'Anjou,
Celle des Gendarmes Dauphins au Mar→
quis de Dromefnil .
Celle des Gendarmes d'Orleans à M.
Dauvet , Sous-Lieutenant de la Compagnie
des Chevaux- Legers de Berry.
Celle des Chevaux Legers de Berry
à M. d'Offun , Enfeigne de la Compagnie
"des Gendarmes d'Anjou.
Celle des Chevaux-Legers Dauphins , au
Comte de Jonfac Sous- Lieutenant des
Chevaux-legers d'Orleans.
La Sous -Lieutenance de la Compagnie des
Gendarmes de Flandre au Chevalier de
Biffy , qui en étoit Enfeigne.
DECEMBRE , 1744. 165
La Sous -Lieutenance de la Compagnie des
Gendarmes de la Reine , à Mr de Courtomer
, Enfeigne de la Compagnie des Gen
darmes Anglois .
La Compagnie des Gendarmes d'Anjou
au Comte de Bacqueville , Sous - Lieutenant
des Gendarmes d'Orleans.
Celle des Chevaux - Legers d'Anjou au
Chevalier d'Antragues , Sous- Lieutenant de
la Compagnie des Gendarmes Bourguignons.
Et la Sous-Lieutenance des Gendarmes
Bourguignons au Marquis d'Argouges qui
en étoit Enfeigne ; il eft Fils de M. le Lieu
tenant Civil,
66 MERCURE DE FRANCE
Le 28 Décembre à 6 heures du foir le Roi,
la Reine , Monfeigneur le Dauphin , Madame
feconde , tous les Princes & Princeffes
du Sang , fe trouverent dans la piece
de l'ancienne Chambre du Roi , à la
lecture du Contrat de Mariage de M. le
Duc de Penthiévre avec Mlle. de Modéne
fille aînée de M. le Duc de Modéne , fait &
lû par M. le Marquis d'Argenfon , Miniftre &
Secretaire d'Etat pour les Affaires Etrangeres
; la lecture faite , le Roi , la Reine ,
Monfeigneur le Dauphin & Madame feconde
figuerent le Contrat chacun felon fon
rang , & Madame la Ducheffe de Modéne ,
& Mile. de Modéne étant venues par la
Chambre du Roi pendant les fignatures , y
fignerent.
Le Mardi 29 fur le midi & demi le Roi ,
la Reine, Monfeigneur le Dauphin, les Princes
& Princeffes du Sang,fuivis des Princes &
Dames de la Cour, fe rendirent à la Chapelleen
bas par l'escalier de marbre , précédés du
Marquis de Brezé, Grand Maître desCérémonies
, & Mlle. de Modéne étant entrée par
la Sacriftie , M. le Cardinal de Rohan fiança
& maria enfuite le Prince & la Princeffe en
préfence du Curé de Verfailles ; cette cérémonie
faite , un Aumonier du Roi dit la
Meffe, pendant laquelle on chanta unMotet
de M. de Lalande ; deux Aumôniers du Roi
DECEMBRE. 1744. 167
tinrent le poile, & deux Clercs de la Chapelle
préfenterent le cierge aux mariés .
Les Ambaffadeurs fe font prefque tous
trouvés à cette cérémonie . La Meffe finie le
Roi eft revenu chés lui , & dans la marche
Madame la Ducheffe de Modéne a pris fon
rang de Princeffe fille après Madame la
Princeffe de Conty , & M. de Penthievre tenant
la main de Madame la Ducheffe de
Penthievre fermoit la marche ,
La Reine fut reconduite chés elle par
Monſeigneur le Dauphin, Mefdames de Fran
ce , les Princes & Princeffes du Sang & par
les nouveaux mariés .
Delà ils ont conduit Monfeigneur le Dauphin
, puis Mefdames & ont été diner chés
Madame la Ducheffe de Modéne .
L'après midi fur les fix heures , la Reine ,
Monfeigneur le Dauphin & Mefdames , accompagnés
de plus de foixante Dames
des Seigneurs de la Cour & des Miniftres
Etrangers fe rendirent dans les grands apparments
pour le Concert ; on y éxécuta
les Amours de Zéphire & de Flore, divertif
fement de M. de Blamont Surintendant de
la Mufique du Roi , dont les paroles font
de M. de Bonneval Intendant & Contrôleur
des menus plaifirs & affaires de la Chambre ;
les paroles & la mufique ont été généralement
applaudies, Après le concert on pafla
168 MERCURE DE FRANCE.
dans deux autres fales où l'on joua au Cavagnol
& au Quadrille jufqu'à neuf heures ,
alors le Roi vint prendre la Reine pour le
fouper du grand couvert,
Le repas s'eft fait dans l'antichambre de la
Reine ; la table étoit en fer à cheval ; il y
avoit 12 couverts , le Roi & la Reine au milieu
; à droite du Roi étoient Monfeigneur
le Dauphin , Madame feconde , Madame
la Princeffe de Conty , Mlle. de Charolois ,
Mlle. de la Roche -Sur- Yon & Madame la
Duchefle de Penthievre. A gauche de la
Reine étoient Madame premiere , Madame
la Ducheffe de Chartres , Madame la Ducheffe
de Modéne & Mlle, de Sens.

Après le grand couvert le Roi eft reve
nu aux grands appartemens & de -là a conduit
les mariés chés Madame la Comteffe
de Toulouſe qui leur avoit cédé fon appartement
où fe fit la Bénédiction du Lit nuptial
par M. le Cardinal de Rohan en préfence
de leurs Majeftés & de Monſeigneur
le Dauphin ; enfuite le Roi donna la chemife
à M. le Duc de Penthievre & la
Reine la donna à Madame la Duchefle de
Penthievre.
M. le Duc de Penthievre fe nomme Louis-
Jean- Marie de Bourbon , Pair , Amiral &
Grand Veneur de France , Lieutenant Général
des Armées du Roi , Chevalier de
fes
DECEM BRE . 1744. 169
fes Ordres & de la Toifon d'Or , Gouverneur
de la Province de Bretagne. Il eſt né le
16 Novembre 1725 , & il eft Fils de Louis-
Alexandre de Bourbon , Comte de Touloufe
, Duc de Penthievre , Pair , Amiral &
Grand Veneur de France , mort le 1 Decembre
1737 , & de Marie - Sophie -Victoire
de Noailles , mariés le 22 Février
1723 .
Madame la Ducheffe de Penthievre fe
nomme Marie- Therefe-Felicité d'Eft. Elle
eft née le 6 Octobre 1726 , Fille aînée de
François-Marie d'Eft , Duc de Modene &
de Reggio , & de Charlotte-Aglaé d'Orleans.
Le 29 Decembre Louis -Charles de Lorraine
, Comte de Brionne , Gouverneur
de la Province d'Anjou , Grand Ecuyer de
France en furvivance de M. le Prince Charles
de Lorraine , fon Oncle , depuis le mois
de Novembre dernier , & veuf depuis le
2 Février 1742 de Dame Louife- Charlotte
de Gramont , fut marié avec Dame
Auguftine de Coetquen , veuve de Charles-
Augufte de Rochechouart , Duc de Mortemart
, Pair de France , Grand d'Eſpagne
premier Gentilhomme de la Chambre du
Roi , Meſtre de Camp du Regiment d'Infanterie
de Mortemart , connu fous le nom
H
170 MERCURE DE FRANCE.
de Duc de Rochechouart , tué au combat
d'Ettingen le 27 Juin 1743 , & fille de Jules
-Malo de Coetquen , Comte de Com
bourg , Gouverneur en furvivance du Marquis
de Coetquen fon Pere , des Ville ,
Château & Citadelle de S. Malo , & de
Dame Marie - Elifabeth Nicolaï , femme en
fecondes Nôces du Duc de Mortemart ,pere
du Duc de Rochechouart.
M. le Comte de Brionne eft fils aîné de
feu Louis de Lorraine Prince de Lambeſc,
mort le 9 Septembre 1743 , & de Dame
Jeanne - Henriette - Marguerite de Durfort-
Duras. Voyez la Genealogie de la Maiſon
de Coetquen , une des premieres de la Province
de Bretagne , dans l'Hiftoire du Maréchal
de Guébriant , par le fieur le Laboureur.
DECEMBRE . 1744. 171
NOUVELLES ETRANGERES.
Extrait d'une Lettre écrite de Conftantinople
le 24 Octobre 1744.
N nous avoit écrit du 26 Septembre
d'Alep , que l'armée Turque qui étoit
campée devant Cars ayant été battue , cette
Place avoit été prife , & que les Perfans
s'avançoient vers Erzerum. On ajoutoit que
d'un autre côté , le Conful Anglois établi
à Baffora avoit écrit qu'on y étoit dans la
derniere confternation , parce qu'un Corps
confidérable de Perfans , étoit entré dans
l'Euphrate fur des Barques legeres , pour
venir faire le Siége de cette Place , après de
pareilles nouvelles , je vous laifle à penfer
avec quelle furpriſe nous avons entendu le
20 de ce mois à midi , une double décharge
de toute l'artillerie de cette Capitale , de
celle des Vaiffeaux & des Galeres qui font
dans le Port. Une heure auparavant étoit
arrivé le Buch- Choadar du Seraskier Hamet
Pacha , & le Reys Effendi a dit à tous
ceux qui ont voulu l'entendre que les troupes
Ottomanes avoient été confidérable -
ment diminuées par l'imprudente négocia-
Hij
472 MERCURE DE FRANCE .

tion de paix de Sereki Effendi , qui par fes
allées & venues avoit dégouté les troupes
fans s'appercevoir qu'il étoit joué par Thamas-
Kouli- kan qu'effectivement au lieu de
rien conclure, celui- ci avoit donné à la Place
de Cars jufqu'à neuf affauts qui tous avoient
mal réuffi , & qu'enfin le 2 de la Lune de
Ramafan il en avoit donné un général , &
que non feulement il avoit échoué dans cette
entrepriſe , mais que les Afliégés avoient fait
une fi vigoureufe fortie , qu'après s'etre emparés
du Fort d'où il battoit la Place avec
des piéces de canon d'un calibre extraordinaire
, ils les avoient tournées contre les
Perfans , & étant enfuite tombés fur eux ,
en avoient fait un fi grand carnage , qu'ils
les avoient obligés de prendre la fuite &
d'abandonner leur camp & leurs bagages ,
Thamas - Kouli-kan avoit pris la route
du Ellogan .
que
Le Drogman de la Porte qui eft venu le
22 de ce mois notifier en forme cet événement
, a dit par ordre de la Porte , que
la déroute des Perfans avoit été telle qu'on
pouvoit etre affuré que Thamas n'étoit plus
en état de fe montrer , & que c'étoit un ennemi
dont on n'entendroit plus parler. On
a fait un beau préfent au Drogman , pour
qu'il affurât bien fes Maitres de la joye avec
laquelle on avoit appris ces importantes
nouvelles.
DECEMBRE 1744 173
On ne doit pas en être furpris quand on
fçaura de quelle efpece de gens l'armée de
Thamas - Kouli - kan fe trouve compofée.
Ce n'eft que de la canaille ramafiće à la
hâte , mal armée , & fervant par force. Le
Pacha s'eft contenté d'écrire deux lignes au
grand-Vifir du champ de bataille , & s'en
eft rapporté à la relation verbale que feroit
fon Bueh - Choadar . On attend de moment
en moment fon Kefnadar qui apportera ure
relation en forme,
Il doit y avoir ici de grands changemens.
Le ci- devant Gouverneur du Caire Yedeckchi
Pacha , a été fait Nichandgi & Vifir de
Voute, onécrit qu'il aura bonne part auGrand
Vifariat . Yeghen Pacha de Bofnie eft envoyé
à Eyden en Natolie. Aly Pacha , cidevant
grand Vifir lui fuccédera en Bofnie ,
& fera relevé en Candie par Hamet Pacha
Cuperly , celui qui a repris Niffa. On envoyera
à la place de ce dernier à Yedda ,
Selictar Mehemet Pacha de Negrepont, le
même qui étoit grand Vifir quand on étrangla
Ofman Kiaga à Babadag.
L'Ambaffadeur de Ruffie qui étoit en
Crimée , & le Général des Cofaques Zaporoviens
ſe ſont rendus à Batchifaray , fous
prétexte de liquider les prétentions réci
proques que les Tartares & les Ruffes élevent
les uns contre les autres. On s'eft.
H iij
472 MERCURE DE FRANCE .
.
tion de paix de Sereki Effendi , qui par fes
allées & venues avoit dégouté les troupes
fans s'appercevoir qu'il étoit joué par Thamas-
Kouli- kan qu'effectivement au lieu de
rien conclure, celui- ci avoit donné à la Place
de Cars jufqu'à neuf aflauts qui tous avoient
mal réuffi , & qu'enfin le 2 de la Lune de
Ramafan il en avoit donné un général , &
que non feulement il avoit échoué dans cette
entrepriſe , mais que les Affiégés avoient fait
une fi vigoureufe fortie , qu'après s'etre emparés
du Fort d'où il battoit la Place avec
des piéces de canon d'un calibre extraordinaire
, ils les avoient tournées contre les
Perfans , & étant enfuite tombés fur eux ,
en avoient fait un fi grand carnage , qu'ils
les avoient obligés de prendre la fuite &
d'abandonner leur camp & leurs bagages ,
Thamas - Kouli- kan avoit pris la route
du Ellogan.
que
Le Drogman de la Porte qui eft venu le
22 de ce mois notifier en forme cet événement
, a dit par ordre de la Porte , que
la déroute des Perfans avoit été telle qu'on
pouvoit être affuré que Thamas n'étoit plus
en état de fe montrer , & que c'étoit un ennemi
dont on n'entendroit plus parler. On
a fait un beau préfent au Drogman , pour
qu'il affurât bien fes Maitres de la joye avec
laquelle on avoit appris ces importantes
nouvelles.
DECEMBRE 1744
173
-
On ne doit pas en être furpris quand on
fçaura de quelle efpece de gens l'armée de
Thamas Kouli - kan fe trouve compofée.
Ce n'eft que de la canaille ramafiée à la
hâte , mal armée , & fervant par force . Le
Pacha s'eft contenté d'écrire deux lignes au
grand- Vifir du champ de bataille , & s'en
eft rapporté à la relation verbale que feroit
fon Bueh - Choadar. On attend de moment
en moment fon Kefnadar qui apportera urie
relation en forme.
Il doit y avoir ici de grands changemens,
Le ci- devant Gouverneur du Caire Yedeckchi
Pacha , a été fait Nichandgi & Vifir de
Voute, onécrit qu'il aura bonne part auGrand
Vifariat. Yeghen Pacha de Bofnie eft envoyé
à Eyden en Natolie. Aly Pacha , cidevant
grand Vifir lui fuccédera en Bofnie ,
& fera relevé en Candie par Hamet Pacha
Cuperly , celui qui a repris Niffa. On envoyera
à la place de ce dernier à Yedda ,
Selictar Mehemet Pacha de Negrepont, le
même qui étoit grand Vifir quand on étrangla
Ofman Kiaga à Babadag.
L'Ambaffadeur de Ruffie qui étoit en
Crimée , & le Général des Cofaques Zaporoviens
ſe ſont rendus à Batchifaray , fous
prétexte de liquider les prétentions réci
proques que les Tartares & les Ruffes éle-
*ent les uns contre les autres. On s'eft.
H iij
74 MERCURE DE FRAN CE.
quitté fans convenir de rien , & l'on croir
que les uns & les autres n'étoient venus que
pour faire des recrues pour les levées que la
Czarine fait en Ukraine .
Extrait d'une Lettre écrite de Smyrne
le 28 Octobre.
E 20 Octobre il arriva dans la Rade
de cette Ville un Chebek Anglois qui.
avoit dix pieces de canon , & 36 hommes
d'équipage , il avoit été armé à Mahon , &
avoit déja pris deux de nos Bâtimens dans
les eaux de Tripoli & de Barbarie. Ce Corfaire
remit à la voile la nuit du 21 au 22 ,
& il fut mouiller au Château de la Rade
qui eft à environ neuf milles de diſtance .
Nous fçumes le lendemain que le Conful
d'Angleterre lui avoit envoyé un renfort
d'hommes , & dans le moment nos Négocians
& nos Capitaines vinrent chés M. de
Seleran pour lui faire part de leurs appréhenfions.
Il y avoit actuellement dans la
Rade de Sanderli , qui eft foraine fans chateau
, quatre de nos Bâtimens Caravaneurs ,
qui ayant pris des fonds ici , étoient là pour
y charger des Bleds qu'ils devoient porter
à la côte de Syrie , où l'on dit qu'il y a
cherté. Nous avons encore plufieurs de nos.
Bâtimens qui n'ofans s'écarter ont pris le
DECEMBRE 1744. 175
parti de s'occuper dans l'Archipel pendant
cet hyver , & la détention des Bâtimens jufqu'au
mois d'Octobre étant finie , on peut
voir arriver tous les jours des Bâtimens venans
de France . Ce Chebek étoit à voiles
& à rames , & d'autant plus à craindre que
fon peu d'apparence ne le faifoit pas paroître
fufpect , de forte qu'on pouvoit s'attendre
à lui voir faire beaucoup de prifes dans
ces mers. Le Capitaine Jacinte Mouriès de
Toulon commandant la PolacreJefus- Mariafainte
Anne a offert de donner la chaffe à
ce Corfaire , pourvû qu'on lui fournît fix
canons de quatre , deux Barils de poudre
d'un quintal chacun , un renfort de 25 hommes
avec leurs fufils en état , leurs gargouffes
garnies de balles , & chacun un fabre ,
& que la Nation lui affurât fon Bâtiment
pour 5000 Piaftres. On accepta fes offres
& en moins de deux heures la Polacre fut
en état. Le 23 au jour le Corfaire mit fous
voile , mais ayant apperçu à la manoeuvre
de la Polacre qu'elle étoit là pour lui , il
revint vers le Chateau fous lequel il jetta
fon ancre. Le 23 & le 24 fe pafferent en
allées & venues des Bateaux du Corſaire au
Conful Anglois ; cependant ce premier fpalmoit
& recevoit toujours de nouveaux renforts.
Les Anglois ont fait pour cela des
ecrues parmi les Rayats & Bandits , dont
Hiirj
176 MERCURE DE FRANCE .
on trouve toujours à Smyrne. Enfin la mit
du 25 au 26 le Corfaire mit fous voile par
un gros tems à la faveur duquel il fe flatoit
d'échapper. Le matin nous ne vimes plus ni
le Chebek ni la Polacre , & toute la journée
du 25 fe paffa fans nouvelle , & dans l'inquiétude.
Le 26 nous aprimes que la Polacre
n'avoit pas perdu le Chebek de vue , &
qu'elle le tenoit toujours fous le vent malgré
les ftratagêmes qu'il employoit pour écha
per. Le foir les Anglois firent courir le bruit
que la Polacre étoit prife ; un de leurs Drogmans
alloit le dire de porte en porte , nous
nous couchâmes fort en peine , mais vers
minuit un Officier dépéché par le Capitaine
Mouriés vint nous annoncer que le Chebek
avoit été brulé,
Cet Officier a rapporté que dans la nuit
du 25 la Polacre avoit mis fous voile en
même tems que le Corfaire ; qu'ils ne s'étoient
pas vus dans la nuit, mais qu'au matin
du 26 ils s'étoient trouvés à portée l'un de
l'autre. La Polacre ayant le vent ils fe canonnerent
quelque tems , le Chebek refula
deux fois l'abordage , & ne pouvant fortir
du Golphe ni ratraper le Château , il alla
échoir fur la Côte au lieu nommé Outla ,
où dans l'inſtant la plus grande partie de fon
équipage , tous gens ramaffés au hazard fe
fauva à terre , ceux qui étoient reftés firent
DECEMBRE . 1744. 177 .
la même chofe en voyant aprocher la Cha-
Toupe du Capitaine Mouriés. On s'empara
du Batiment & on y mit le feu , après avoir
enlevé ce qui en valoit la peine. Il y a eu
3 hommes tués & plufieurs bleffés fur le
Corfaire. Perfonne n'a eu de mal fur la Polacre.
Cette expédition fait un fort bon effet
fur le Pays & prévient les dommages que
cette Vipere n'auroit pas manqué de caufer..
DUNKERQUE,
N écrit de Dunkerque du 24 Decembre
, qu'un Vaiffeau de guerre Anglois
, s'eft perdu le matin à la Côte , qui
fe trouve dans un endroit couverte de cada--
vres & des débris de ce Vaiffeau ; le même:
jour un Smach , Navire de guerre Anglois
a aulli pé près de Calais. Un Armateur
du même Port , chargé de bled , a pris à
la côte entre Dunkerque , & Graveline un
autre Navire Anglois. On voit encore un
Vaiffeau de la meme Nation qui s'eft mis
dans les brabans de cette Rade , & on doute
que par le tems qu'il fait il puifle s'ent
retirer.
Les Anglois ne font pas les feuls qui
fouffrent du mauvais tems , & on voit en
Rade un Maloum qui vient de Marſeille , &
qui demande à force du fecours , fans qu'il
HY
178 MERCURE DE FRANCE .
oit poffible de lui en donner , le vent
avoit diminué fur les 4 heures , mais il a
repris fa force & augmente..
RUSSIE.
Na appris de Mofcou , que la Czarine
a fait remettre deux Mémoires au
Baron de Mardefeldt reſident auprès d'elle
en qualité de Miniftre du Roi de Pruffe .
Elle a figné de fa main le premier de ces
Mémoires , & elle y déclare qu'elle fouhaite
que la réfolution prife par le Roi de Pofogne
Electeur de Saxe , de faire marcher
un corps de troupes Saxonnes au fecours .
de la Reine de Hongrie , ne faffe naître aucun
differend entre S. M. P. & le Roi de
Pruffe , mais que fi ce malheur arrivoit , elle
fe trouveroit dans le néceffité de remplir
les engagemens qu'elle a pris avec le Roi &
la République.
";
Le fecond Mémoire contient la réponſe
à l'invitation que l'Empereur a faite au Due
de Holftein d'acceder au Traité de Francfort.
On a appris en même tems qu'on attendoit
de Vienne les dernieres explications
nécellaires pour terminer l'affaire du Marquis
de Botta..
DECEMBRE. 1744. 179
POLOGNE.
Napprend que la Czarine avoit fait
affurer le Roi de & la République de
Pologne qu'elle fecoureroit les Polonois de
toutes les forces , s'ils étoient attaqués par
quelque Puiffance Etrangere.
ALLEMAGNE,
N mande de Vienne du 24 du mois
O dernier, qu'un courier arrivé de Boheme
le 21 a rapporté que le 19 l'armée
commandée par le Prince Charles de Lorraine
avoit paffé l'Elbe , fans éprouver aucun
obftacle de la part des Pruffiens , &
qu'elle s'étoit avancée entre Tainitz & Clumez,
Le Général Nadafti s'eft emparé d'une
caiffe d'argent , qu'un Commiffaire des guerres
conduifoit au camp du Roi de Pruffe
& dans laquelle étoient quelques contributions
que ce Prince avoit exigées dans le
Royaume de Bohéme.
La reponſe des Etats Géneraux aux lettres
que la Reine leur a écrites , pour les
prier de la fecourir encore plus efficacement
qu'ils n'ont fait jufqu'à prefent , porte que
leur intention eft non feulement d'entretenir
Hvi
180 MERCURE DE FRANCE.
-
une étroite union avec S. M. mais encore
de l'aider autant que leurs forces pourront
le permettre; qu'elle a déja reçu des marques
de leur attachement & de leur bonne volonté
, & qu'ils continueront de lui en donner
des preuves en rempliffant tous les engagemens
dans lefquels ils font entrés , mais
qu'ils fe détermineroient difficilement à une
rupture ouverte avec la France ; qu'ils efperent
que la Reine n'infiftera pas davantage
fur cet article , & que du refte ils font
difpofés à concerter dès à prefent avec
elle toutes les méfures qu'il conviendra de
prendre pour fes intérêts , qu'ils lui fourniront
toujours les troupes qu'ils ont déja.
fait marcher pour ffaa ddééffeennfſee ,, qu'ils les augmenteront
même , s'ils peuvent en engager
d'Etrangeres à leur folde , & qu'ils fe confor--
meront volontiers aux défirs & aux befoins ,
de S. M. pour ce qui regarde l'ufage qu'on
fera de ces troupes , & les lieux dans lefquels
elles feront employées ; qu'ils feront leurs
efforts pour perfuader à diverfes Puifiances
de joindre leurs forces à celles de la Reine
& de fes Alliés , & qu'il eft fur-tout néceffaire
d'avoir l'année prochaine dans les
Pays Bas une Armée nonbreufe fous la con--
duite d'un General expérimenté.
On a appris de Bourghaufen du 21 du mois
dernier qu'un détachement des troupes ImDECEMBRE.
1744. 182
periales , commandé par le Comte de Saint
Germain , emporta le 20 cette Ville l'épée à
la main , & que le Comte de la Roche , Capitaine
dans le Régiment de Dragons Wafons
, eft entré le premier dans le Château ,
dont il a escaladé les murs avec 30 Dragons.
Il fut fuivi des Grenadiers du Régiment de
Saxe Hildsburghaufen
, à la tête defquels
étoit M. de la Rofée , Lieutenant Colonel dece
Régiment , qui s'eft extrêmement diftingué
dans cette expédition , ainfi que fon
frere , qui eft Lieutenant - Colonel du Régiment
de Cuirafliers de Terring , & qui a eu
une très-grande part nonfeulement au fuccès
de l'entrepriſe , mais encore au projet & à
l'arrangement des mefures prifes pour l'éxécuter.
Les Compagnies de Grenadiers de troupes
Françoifes , qui étoient dans le détachement
du Comte de Saint Germain ont efcaladé les
deux Poligones fous les ordres du Comte de
Ruppelmonde , & ils ont donné des preuves
de la plus grande intrépidité.
> Les Grenadiers à cheval de l'Empereur
commandés par M.de Cofpor, & le Régiment
de Fugger ont auffi combattu avec beaucoup
de valeur. De 1500 hommes dont la garnifon
étoit composée 450 ont été tués , il y
en a eu plus de 400 de bleffés & les autres .
ont été faits prifonniers de guerre , à l'exception
de 80 qui fe font fauvés..
182 MERCURE DE FRANCE.
Les Imperiaux & les François ont perdu
très - peu d'Officiers & de Soldats . M. de Chevry,
Capitaine dans les Grénadiers à cheval, a
été bleffé mortellement , & il eft fort regretté
.
On mande de Hambourg du 30 du mois
dernier , que fuivant les avis reçus de l'armée
du Roi de Pruffe il paroiffoit que ce
Prince , en faisant repaffer l'Elbe à fes troupes
, n'avoit d'autre deffein que de les faire
cantonner le long de cette riviere.
Les nouvelles du camp Impérial portent que
le 16 du mois dernier l'Empereur ayant fait
canoner le Château de Griefbach , la garnifon
n'avoit pas attendu pour fe rendre prifonniere
de guerre , que la brêche eût été
faite ; que la prife de ce Château eft d'autant
plus importante , que fa fituation eft trèsavantageufe
, parce qu'il fait face à la riviere
d'Inn , & qu'il défend l'approche de celle de
Vils; que l'Empereur s'étoit déterminé à faire
entrer les troupes en quartiers d'hyver , &
qu'une partie de l'armée Impériale s'étoit
déja féparée ; que le 20 S. M I. étoit retournée
à Munich , où elle a trouvé le Prince
Royal & le Prince Clement de Baviere .
On apprend de Vienne du premier de ce
mois qu'il fe tint le 26 du mois dernier une
Conference chés le Comte d'Vhlefeldt
qui communiqua aux Envoyés ExtraordiDECEMBRE
. 1744 185
naires du Roi de la Grande Bretagne &
des Etats Généraux le projet d'un nouveau
Traité d'Alliance que la Reine de Hongrie
propofe à ces deux Puiffances.
Suivant ce projet tous les engagemens
contractés refpectivement par les trois Puiffances
feront renouvellés & confirmés de la
maniere la plus folemnelle. Les poffeffions
de chacune feront garanties par les deux
autres dans la meilleure forme poffible : on.
conviendra de toutes les mefures qui feront
jugées néceffaires à la fureté commune , &
les trois Puiffances feront obligées de faire
agir , en cas de befoin , leurs forces réunies..
On employera les plus vives inftances pour
engager plufieurs Princes de l'Empire d'accéder
à ce Traité , & l'on exigera que ceux
qui prendront ce parti entretiennent toujours
un Corps de troupes proportionné à:
leurs revenus..
On a reçu avis du Camp de Clumez
du 24 du mois dernier , que le 14 le
Prince Charles de Lorraine tint un Confeil:
de Guerre , dans lequel il fut réfolu de tenter
le paffage de l'Elbe . En conféquence les
Troupes combinées fe mirent en marche
dès la nuit fuivante , & le Baron de Trenck:
fut détaché vers Kollin pour faire croire aus
Roi de Pruffe qu'on ne penfoit qu'à l'atta
que de ce Pofte, Les mefures étoient fi bien
184 MERCURE DE FRANCE
prifes qu'on en attendoit un heureux fuccès
, mais les Pontons deftinés pour le paffage
ne purent arriver affés tôt. Le Prince
Charles de Lorraine , obligé par cet accident
de différer fon entreprife , s'arrêta à
Perloch , & il fit attaquer Kollin par le Baron
de Trenck qui fut repouffé par la garnifon
& qui fut bleffé confidérablement .
Les troupes de la Reine firent le 18
un nouveau mouvement par leur gauche
pour s'approcher de celles de Saxe , & le
Duc de Saxe Weiffenfels ayant reconnu le
même jour l'endroit où l'on avoit projetté
de paffer l'Elbe , il donna ordre au Comte
de Schulembourg , Lieutenant Général des
troupes Saxonnes , d'aller fe poſter avec
de l'Artillerie & des Pontons entre Kwalewitz
& Szdeckowitz. Le Baron de Haxthaufen
, Major Général , fut auffi détaché par
ce Prince avec 29ompagnies de Grenadiers
& plufieurs Piéces de campagne pour
occuper les hauteurs de Efcheliz .
Le 19 à fix heures du matin toutes les
troupes étant arrivées fur le bord de la
riviere , & ayant été diftribuées felon les
arrangemens qui avoient été pris , on fit ſur
quatreBataillons & quelques Efcadrons Pruffiens
un feu très - vif de deux Batteries qui
prenoient les Ennemis de front & en échar
pe . On commença en meme tems à jetter
DECEMBRE
135
1744
les Pontons , & le Colonel Pirch ayant paffé
avec quelques Compagnies de , Grenadiers
malgré les efforts des Pruffiens il fut fuivi de
plufieurs Régimens qui furent fort maltraités
par les Efcadrons qu'ils avoient en tête & qui
eurent beaucoup de peine à s'établir de ce
côté de l'Elbe , mais qui enfin y réuffirent. ]
Comme les ennemis avoient pris des quartiers
de cantonnement , leurs troupes étoient
difperfées , & le détachement que l'on attaquoit
ne pouvant efpérer d'être foutenu ,,
l'Officier qui le commandoit prit le parti de
fe retirer. On conftruifit auffi - tôt cinq autres
Ponts fur lefquels toute l'armée combinée
acheva de paffer la riviere , & le Prince
Charles de Lorraine alla camper à Tenitz .
Le 21 il s'avanca à Schiffelitz où l'on féjourna
le lendemain , & le 23 il vint occu--
per le Camp de Clumez .
Depuis le paffage de l'armée le Roi de
Pruffe a été rejoint par toutes les troupes
qu'il avoit laiffées à Kollin , à Nimbourg &
à Podiebrodt , & étant décampé de New
Biczow il s'eft replié vers Konigfgratz .
Les Pruffiens qui occupoient le pofte de
Pardubitz l'ont auffi abandonné après avoir
jetté dans la riviere les munitions qu'ils n'ont
pu emporter.
On a appris de Munich du 30 du mois
dernier que les troupes Impériales fe ren186
MERCURE DE FRANCE.
doient fucceffivement dans les quartiers qui
leur ont été affignés & que l'on en diftribuoit
la plus grande partie depuis Vilshoven juſqu'à
Bourghaufen & fur les Frontieres de
l'Archevêché de Saltzbourg.
L'Empereur a envoyé ordre au Prince de
Saxe Hildburghaufen de marcher avec un
corps confidérable pour chaffer de la Ville
de Lauffen le détachement de troupes de
la Reine de Hongrie qui s'en étoit emparé.
Le Maréchal de Seckendorf a fait conduire
à Straubingen tous les prifonniers faits
fur les ennemis. On a conftruit plufieurs redoutes
en divers endroits de la Frontiere
pour mettre l'Electorat de Baviere à couvert
des courfes des troupes de la Reine de
Hongrie.
Le Chapitre de Saltzbourg ayant écrit à
I'Empereur pour s'excufer d'avoir permis à
un détachement des troupes de cette Prin
cefle d'entrer dans la Ville de Saltzbourg ,
S. M. I. a fait réponſe qu'elle regardoit la
démarche de ce Chapitre comme contraire
à la neutralité qu'il doit obferver , & que
s'il ne faifoit fortir inceffamment de la Ville
les troupes qui y avoient été recûes , un
Corps de troupes Impériales iroit prendre
des quartiers dans le territoire qui en dépend.
On a appris de Francfort que le Mémoire
DECEMBRE 1744 187
préſenté à la Diette de l'Empire par les Miniftres
des Electeurs de Mayence , de Treves
, de Cologne , de Saxe & de Hanover
& par ceux de l'Eveque de Bamberg & de
Wurtzbourg , du Duc de Saxe Gotha &
du Landgrave de Heffe Darmstadt , porte .
que les Princes leurs Maîtres ayant été informés
des préparatifs faits pour la marche
d'un Corps de troupes Françoifes , qui devoit
fe rendre fur le bas Rhin , ils ne pouvoient
fe difpenfer de repréſenter les allarmes
que cette nouvelle leur caufoit ; que
plufieurs Etats d'Allemagne , particulierement
ceux qui font fitués entre le Haut &
le Bas Rhin étoient menacés de voir cestroupes
paffer Thyver chés eux ; qu'ils fuplioient
très-humblement l'Empereur d'employer
fes efforts pour affûrer la tranquillité
de ces Etats , & pour qu'ils continuent.
de jouir de tous les avantages de la neutra
lité.
Les avis reçûs de Boheme portent que le
premier & le fecond de ce mois l'armée
commandée par le Prince Charles de Lorraine
avoit campé à Czernilop , qu'elle avoit
marché le trois vers les Frontieres du Comté
de Glatz , que ce Prince avoit établi fon quar
tier à Oppoticna.
L'Impératrice partit le 12 de ce mois de
Francfort pour fe rendre à Munich,
# 88 MERCURE DE FRANCE.
PRUSSE.
N mande de Berlin du 1 du mois dernier
, que le Roi de Pruffe , après avoir
renforcé la Garnifon de Prague , a quitté
les bords de la Szazawa , afin d'étre joint
plus facilement par les convois qui font venus
par FElbe , & d'affurer le paffage de ceux
qui ayant pris leur route par terre , ont traverfé
le cercle de Buntzlau. S. M. ayant été
informée que les troupes de la Reine de
Hongrie , & celles du Roi de Pologne ,
Electeur de Saxe , avoient paffé la Szazawa ,
elle a gagné deux marches fur les ennemis ,
& elle s'eft emparée des poftes de Kollin
& de Podiebrodt , par le moyen defquels
elle peut conferver la communication avec
la Silefie , & le Comté de Naffau a occupé
en même tems les principaux poftes néceffaires
pour entretenir cette communica
tion.
Les le Roi s'avança du côté de Kuttenberg
, & étant arrivé le lendemain à une
demie lieue du Camp du Prince Charles de
Lorraine , il fut occupé depuis la pointe du
jour jufqu'à midi , à faire fes difpofitions
pour recevoir les ennemis en cas qu'ils
Fattaquaffent ; ils ne prirent point ce parti ,
& il ne fe pafla dans cette journée que
DECEMBRE. 1744. 189
quelques legeres efcarmouches entre les
Huflards.
Les deux armées demeurerent le 7 & le
8. en préfence , étant prefque dans la méme
pofition qu'à la bataille qui s'eft donnée
le 17 Mai 1742
Le Prince Charles fit le 9 au matin un
mouvement pour s'approcher de Elbe , & la
nuit fuivante le Roi jugea à propos de repaffer
cette riviere , après avoir laiffé un
détachement de 1500 hommes à Podiébrot
& un de 1200 à Kollin.
Le Général Marwitz , qui commande les
troupes de S. M. en Siléfie , les a diſtri
buées le long des Frontieres de ce Duché
de forte qu'elles couvrent le Comté de
Glatz , & tout le Pays qui eft au de -là juf
qu'à la Neiff
• La Régence de l'Electorat de Saxe a
declaré au Comte de Bees , qui réfide à
Drefde en qualité de Miniftre du Roi , que
le Roi de Pologne Electeur de Saxe ne
pouvoit plus permettre que S. M. fit paffer
par la Saxe les troupes ni les munitions de
Guerre qu'elle voudroit envoyer dans le
Royaume de Bohême.
On apprend du Camp de Czaſlaw dụ
13 du mois dernier , que depuis que le Roi
de Pruffe s'eft rapproché de Prague , l'objet
190 MERCURE DE FRANCE.
du Prince Charles de Lorraine a été de
tâcher de lui couper la communication avec
le Comté de Glatz & avec la Siléfie . Il a
paflé dans ce deffein la Szazawa , & ayant
marchépar fa droite dans le cercle de Kaurzin
, il s'eft pofté dans les environs de Kuttenberg,
Le Roi de Pruffe , peu de jours après ce
mouvement de l'armée de la Reine de Hongrie
, seft éloigné de la Szazawa pour fe
replier vers l'Ebe , qu'il a fait paſſer à une
partie de l'Artillerie & des équipages de
don Armée ; on apprit qu'il avoit dérobé
deux marchés au Prince Charles , & que
s'étant rendu maître de plufieurs poftes le
long de l'Elbe , il étoit allé camper à Zaſmuck.
Un corps confidérable de Huffards Pruffiens
attaqua les équipages de l'armée ,
que le Prince Charles avoit fait marcher à
Kaurzin . Ces Huffards ne purent enlever
que quelques chariots , & on leur fit plufleurs
prifonniers , du nombre defquels
étoient cinq Officiers.
Le Prince Charles s'étant avancé fous
Czaſlaw , il détacha quelques troupes fous
les ordres du Major Général Roth , pour
inveftir le pofte de Kollin , & fit marcher
plufieurs Régimens pour s'emparer de Pardubitz.
DECEMBRE. 1744. 191
Le Roi de Pruffe lui ayant propofé
l'échange des prifonniers , il y a confenti ,
& les Commiffaires nommés pour y procé
der fe font déja affemblés plufieurs fois dans
un Château fitué à quelques lieuës de Prague,
On mande de Berlin du 30 du mois derniér
, que la nuit du 26 au 27 les troupes
Pruffiennes , qui étoient reſtées dans Prague ,
étoient forties de cette Place en exécution
des ordres que le Baron d'Enfiedel avoit
reçûs du Roi de Pruffe.
Sa M. après avoir campé pendant quelques
jours dans les environs de Konigsgratz
s'eft rapproché de la Siléfie , & elle aftellement
dift ibué les troupes qu'en couvrant
cette Province , elle étoit également à portée
de penetrer dans la Saxe , ou de retourner
quand elle le jugeroit à propos dans
l'intérieur du Royaume de Boheme.
Le General Keyl , qui commande dans
Olmutz pour la Reine de Hongrie s'étant
joint avec une partie de la garnifon de
cette Ville au corps de troupes Hongroifes
que le Comte Rodolphe Fally a conduit
en Moravie , ces deux Generaux ont marché
vers les Frontieres de la Siléfie , le ro
ils furprirent le pofte de Friedlan dans la
Principauté de Troppau , & ils avoient
formé le deffein de s'emparer de Jagerndorft,
#92 MERCURE DE FRANCE.
mais le General Marwitz ayant raflemblé
10000 hommes , il s'avança pour les attaquer
, ils n'oferent avec des troupes inférieures
rifquer une action & ils prirent la
fuite après avoir abandonné Friedland & le
village de Grotz dans lequel ils avoient
pofté un détachement de 7 à 800 hommes.
ITALIE.
Es avis reçus de Rome du 8 du mois
L, dernierportent que le Prince deLobes
kowitz s'étant déterminé à décamper de
Nemi , il fit le 30 Octobre dernier divers
mouvemens pour cacher fon defſein , & que
feignant de vouloir engager au combat l'armée
du Roi des deux Siciles , il détacha un
corps de Huffards , qui attaqua un pofte
avancé des Efpagnols . Les Huffards furent
repoufiés , & 5. M. Sic. apprit le lendemain
que le Prince de Lobckowitz avoit
abandonné fon camp avec precipitation &
qu'il s'étoit replié à Monte Roffo . La plus
grande partie de la Cavalerie du Roi des
deux Siciles étoit au fourage , lorfque ce
Prince fut informé de la retraite des troupes
de la Reine de Hongrie. Ce contre -tems
ayant empêché le Comte de Gages de les
pourfuivre aufli - tôt qu'il l'auroit défiré
elles
DECEMBRE . 1744. 193
elles pafferent le Tibre avant que les Efpagnols
& les Napolitains puffent les joindre
, & elles eurent même le tems de rompre
les Ponts qu'elles avoient fur ce Fleuve .
Dans le tems qu'elle achevoient de les
détruire , l'avant garde des Efpagnols compofée
de Dragons & de Miquelets arriva fur
le bord du Tibre ; le feu fut très vif de
part & d'autre , & il y eut quelques Officiers
& plufieurs Soldats de tués & de
bleffés dans les deux armées ,
Le 3 du mois dernier le Prince de Lobckowitz
campa à Acqua Traverfa & il marcha
le 4 du côté de Viterbe . L'armée combinée
d'Espagne & de Naples commença le
même jour à jetter fur le Tibre deux Ponts,
qui furent achevés le 5. elle paffa ce Fleuve
& le 7 elle ſe trouva entierement raſfemblée
dans les environs d'Acqua Traverfa.
Le Roi des deux Siciles qui arriva le 2
à Villa Patrici , y fut complimenté par plufieurs
Cardinaux & par tous les Seigneurs
Feudataires du Royaume de Naples , & il
envoya au Pape le Prince de Santo Buono ,
pour témoigner à Sa Sainteté le defir qu'il
avoit de la voir. Le Cardinal Secretaire
d'Etat alla de la part du Pape affurer S.
M, Sic. qu'elle étoit attenduë de Sa Sain-
I
194 MERCURE
DE FRANCE
.
teté avec beaucoup
d'impatience
. Le lendemain la Garde Suiffe & les caroffes
du Pape le rendirent à Villa Patrici
pour y prendre le Roi des deux Siciles
mais ce Prince voulut entrer à cheval dans
cette Ville. Il étoit accompagné
du Duc de
Modene & d'un grand nombre de Seigneurs
Romains & Napolitains
, & efcorté de fes
Gardes du Corps , & quoiqu'il gardât l'incognito
fous le nom du Comte de Pouzoles
, il fut falué par une décharge generale
de l'Artillerie
du Château faint Ange . S.
M. Sic, s'entretint pendant une heure avec
le Pape & étant remontée à cheval , elle
alla à l'Eglife des Saints Apôtres où elle
trouva le Chevalier de faint Georges. Eile
dîna enfuite au Palais du Vatican & l'après.
midi elle retourna joindre fon armée.
Selon les lettres reçues de Rome , l'armée . de la Reine de Hongrie étoit arrivée à Viterbe
, & celle du Roi des deux Siciles à
Ronciglione
.
On à appris depuis que le Prince de
Lobckowitz
qui étoit décampé
d'Acqua . Traverfa
le 4 du mois dernier , pour le rendre du côté de Viterbe , ayant été informé
le 6 que les troupes Efpagnoles
qui compofent
les garnifons
des Places de l'Etat
d'Egli Prefidii s'étoient raffemblées
pour lui
DECEMBRE 1744 195
fermer le paffage des Montagnes , ce General
n'avoit pas jugé à propos d'entreprendre
de les y forcer , & qu'il avoit préféré
d'allonger fon chemin en marchant par
fa droite,
A peine fut-il arrivé à Borghetto qu'il y
reçût avis que l'armée Efpagnole le fuivoit
& que le 5 elle avoit paffé le Tibre . Sur
cette, nouvelle il fit occuper Monte - Roffo
par 1500 hommes , pour arrêter quelquetems
cette armée & pour empêcher qu'elle
ne l'inquiétât dans fa retraite. Il fe rendit
le 8 à Viterbe , & après avoir rappellé les
1500 hommes qu'il avoit laiffés à Monte-
Roffo , il continua le lendemain fa marche
vers Perouſe . Le ro il arriva dans les environs
de cette derniere Ville ou il a demeuré
pendant quatre jours. En décampant
de Peroufe il s'eft replié vers Orviette .
Les troupes du Roi d'Efpagne camperent
le 9 à Monte Roffo , le 10 à Ronciglione ,
le 11 à Viterbe. Elles allerent le 14 occuper
près de Peroufe le camp que celles de
la Reine de Hongrie avoient abandonné ,
& ellés s'avancerent le 15 à Utricoli. Elles
ont enlevé un convoi de chariots chargés
d'avoine , & les équipages du Colonel Commandant
du Régiment de Vafquez.
On a appris du Royaume de Naples que
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
le Roi des deux Siciles s'étant rendu à Gactte
, leurs Majeftés Siciliennes étoient retournées
à Naples , où elles étoient arrivées le
7 du mois dernier , & où elles avoient été
reçues avec les plus grandes démonſtrations
de joye des habitans.
ESPAGNE
On a appris de Madrid du 24 du mois
dernier qu'il y a eu des illuminations & des réjouiffances
en cette Ville pendant trois jours
confécutifs , à l'occaſion de la priſe de Fribourg.
L'Intendant de Marine du Ferql a mandé
au Roi que l'Armateur Jean Fernanddel
Villar avoit conduit au Port de Marin la Balandre
Angloife la Sainte Catherine de 60
tonneaux , qui alloit de Faro à Londres ,
& dont il s'eft emparé à 40 lieues de Muros.
La charge de ce Bâtiment confiftoit en
Vin , en Oranges , en Sucre & en plufieurs
autres marchandifes.
GENE ET ISLE DE CORSE.
Elon les nouvelles du Camp des Eſpagnols
, le Comte de Gages ayant reconnu
que le deffein du Prince de Lobcokwitz
DECEMBRE. 1744. "
197
étoit de retourner en Lombardie il a fait
marcher un corps de Troupes à Citta
Caftellana , pour couper à l'armée de la
Reine de Hongrie le chemin du Bolonois ,
& pour l'obliger de fe retirer en Tofcane.
L'approche des deux armées paroît
donner beaucoup d'inquietude à la Regence
de ce Grand Duché , laquelle a fait affûrer
les Miniftres qui réfident à Florence de
la part du Roi Très - Chrétien & de Sa
Majefté Catholique , que le Grand Duc
defiroit de garder une parfaite neutralité.
On a appris depuis que l'armée Eſpagnole
commandée par le Comte de Gages étoit
arrivée près de Foligno ; que ce Général
ayant été averti qu'un détachement des troupes
de la Reine de Hongrie étoit à Nocera
avec une partie des équipages de
ces troupes , il avoit fait marcher pour attaquer
ce détachement Don Francois Ducheze
, Capitaine de Grenadiers dans les
Gardes Walonnes , & Maréchal de Camp ,
qui s'eft conduit avec tant de prudence &
de valeur , que les Allemands n'ont pû ni fe
retirer , ni faire une affés longue réfiſtance
pour donner au Prince de Lobckovitz le
tems de les fecourir. Tout leur détachement
compofé de 800 Soldats & de 36
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Officiers , parmi lefquels ne font point compris
un Colonel ni le Comte de Soro qui
les commandoit , a été obligé de fe rendre
prifonnier de guerre , & les Efpagnols ont
pris en cette occafion deux Etendarts qui
ont été envoyés au Roi des deux Siciles.
Dans le nombre des prifonniers on a
trouvé le Partiſan Chiefa qui avoit déſerté
des troupes d'Efpagne avec fa Compagnie
pour paffer dans l'armée de la Reine de
Hongrie , & il a été pendu le 20 à Foligno.
GRANDE BRETAGNE,
N mande de Lordres du 4 de co
Omois que le Capitaine Woods com-
2.
mandant le Corfaire le Trial , s'eft emparé
des Vaiffeaux François le Vainqueur , le
Prophete Samuel & la Themis qui alloient
de Bordeaux à faint Domingue. Le premier
de ces Bâtimens étoit de vingt canons .
& de cent hommes d'équipage , & il y avoit
50
hommes fur chacun des deux autres , qui
étoient de dix à douze canons.
Le Corfaire l'Expédition monté par le
Capitaine Bowden à conduit à Falmouth
une autre prife Françoiſe.
Le Vaiffeau la Marie de Dieppe qui venoit
de Terre -neuve a été rançonné par le
DECEMBR E. 1744. 199
Vaiffeau le Grand Duc commandé par le
Capitaine Mauger.
Le 8 de ce mois le Roi de la Grande
Bretagne fe rendit à la Chambre des Pairs ,
& S. M. ayant mandé la Chambre des Communes,
elle les exhorta à lui accorder de
nouveaux Subfides pour continuer la
guerre,
I iiij
200 MERCURE DE FRANCE.
MORTS
E 16 Decembre mourut à Bruxelles Marie-
Anne-Eleonore -Willelmine- Jofeph e
Archiducheffe d'Autriche Gouvernante des
Païs- Bas agée de 26 ans 3 mois & deux
jours, étant né le 14 du mois de Septembre
de l'année 1718 , fans laiffer d'Enfans du
Prince Charles Alexandre de Lorraine , avec
lequel elle avoit été mariée le 7 Janvier de
l'année 1744 ; elle étoit Soeur puînée de la
Reine de Hongrie Epoufe du Grand Duc
de Toſcane Frere ainé du Prince Charles ,
& la feule reftante aujourd'hui de l'Augufte
Maiſon d'Autriche .
Le 26 il arriva à Paris un courier dépeché
à Son Alteffe Royale Madame la Ducheffe
d'Orléans par l'Abbeffe de Remiremont
pour informer cette Princeffe que la
Ducheffe Douairiere de Lorraine étoi morte
à Commercy le 23 agée de 68 ans ,
3 mois & 10 jours , étant née à S. Cloud le
13 Septembre 1676 , elle fe nommoit Elifabeth
Charlotte , & étoit fille de feu Monfieur
( Philippe de France , ) & Frere de Louis
XIV , mort le 9 mai 1701 & d'Eliſabeth
DECEMBRE . 1744. 201
Charlotte de Baviere Palatine du Rhin fa
feconde Femme morte le 8 Decembre 1722
Elle avoit été mariée le 13 Octobre 1698
avec Léopold Jofeph Charles Duc de Lorraine
& de Bar ; elle en étoit reftée veuve le
27 Mai 1729 , & de ce mariage étoient nés
5 Princes & 8 Princeffes dont il ne refte
que François Etienne Grand Duc de Tofcane
né le 22 Septembre 1708 marié depuis
le 12 Fevrier 1736 avec Marie - Thérefe
Walburge Amelie- Chriftine Archiducheffe
d'Autriche aujourd'hui Reine de Hongrie
, Charles Alexandre de Lorraine appellé
le Prince Charles né le 12 Decembre
1712 , Généraliffime des armées de la Reine
de Hongrie fa belle- Soeur , & 3 Anne Charlotte
de Lorraine née le 17 Mai 1714, Abbeffe
de Remiremont depuis le 7 mai 1738.
Voyez pour l'Etat prefent de la Maifon de
Lorraine le vol. 4 des Souverains du Monde
fol 450.
Le Novembre Honorine Charlotte de
3
Berghes , femme depuis le 17 Mars
1715 de Louis Jofeph d'Albert , Prince de
Grimberghen & du S. Empire , Confeiller
d'Etat actuel & privé de l'Empereur , Feldt
Maréchal des armées de Sa Majefté Impériale
, Colonel de fon Régiment des Gardes
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
à pied & fon Ambaſſadeur Extraordinaire
auprès du Roi , mourut à Paris dans la
foixante-quatrième année de fon âge . Elle
avoit été Chanoineſſe de Mons ; elle étoit
Niéce de Georges Louis de Berghes Eveque
& Prince de Liége & du S. Empire ,
mort le 4 Decembre 1743. Elle étoit
fille de Philippe François de Berghes
Prince de Berghes , Chevalier de la Toifun
d'Or , & Gouverneur de Bruxelles , mort le
13 Septembre 1704 & , de Marie Jacqueline
de Lalain , & avoit eu de fon Mariage
avec M. le Prince de Grimberghen de la
Maifon d'Albert Luynes , & oncle de M.
le Maréchal Duc de Chaulnes dont la mort
va être raportée fous le 9 du préfent mois ,
Thérefe Pelagie d'Albert Luynes , née Princeffe
de Grimberghen en 1722 , mariée le
25 Janvier 1735 avec Marie Charles Louis
d'Albert à préfent Duc de Chevreuſe fon
coufin du 4 au deuxième dégré , & morte
fans enfans les Juillet 1736. La Maiſon
de Berghes eft une branche des Anciens
Ducs de Brabant connue fous le nom de
Glimes & marquée entre les plus grandes
Mailons du Pays , par fes alliances , par fon
illuftration , & par l'entrée qu'elle a eu de
tous les tems dans les Chapitres les plus
nobles ; elle porte pour armes coupé au 1.
de fable à un Lion d'Or parti d'Or à 3 pals
DECEMBRE. 1744 . 203
de gueules ; au deuxième de Sinople à 3 Lozanges
d'argent pofées deux & une : voyez
les Souverains du monde , imprimés à Paris
en 1734 vol. 1. fol. 320.
Le 9 Louis Augufte d'Albert d'Ailly Duc
de Chaulnes , Pair & Maréchal de France ,
Chevalier des Ordres du Roi , Vidame d'Amiens
, Gouverneur de la même Ville &
de celle de Corbie , & ci- devant Capitaine
Lieutenant des Chevau - legers de la Garde
de fa Majefté , mourut à Paris agé de 67
ans , étant né le 22 Decembre 1676 du
Mariage de Charles Honoré d'Albert Duc
de Luynes , de Chevreufe & de Chaulnes ,
Pair de France Gouverneur & Lieutenant
Genéral pour le Roi de la Province de Guyenne,
Chevalier des Ordres de Sa Majeſté, Lieutenant
Général de fes armées & Capitaine
Lieutenant des Chevau - legers de la Garde ,
mort le 6 Novembre 1712 , & de Jeanne Marie
Colbert morte le 26 Juin 1732. Il commença
à fervir dans la feconde Compagnie
des Moufquetaires en 1693 , fut depuis fucceffivement
Lieutenant dans le Régiment
du Roi Infanterie en 1694 , Capitaine dans
le méme Régiment en 1695 , Colonel d'un
Régiment d'Infanterie la même année , Meftre
de Camp d'un Régiment de Dragons
la mort du Chevalier d'Albert tué à Car-
- par
I vi
204 MERCURE
DE FRANCE.
"
py le 9 Juillet 1701. Il traita de la Charge
de Sous-Lieutenant de la Compagnie des
Chevau - legers de la Garde du Roi en
1702 , fut fait Brigadier le 10 Fevrier
1704 & fut pourvu le 2 Novembre de la
même année de la Charge de CapitaineLieutenant
de la même Compagnie des Chevaulegers
par la mort du Duc de Montfort fon
frere ainé ; il fut fait Maréchal de Camp le
19 Juin 1708 , Lieutenant Général des armées
du Roi le 8 Mars 1718 , & fut nommé
Chevalier desOrdres & reçu le 3 Juin 1724 :
il eut au mois Février 1729 les Gouvernements
des Villes d'Amiens & de Corbie , fut
nommé au mois d'Avril 1734 pour être employé
dans l'armée d'Allemagne en qualité
de Lieutenant Général , dont il fit la fonction
au fiége de Philifbourg , de même que dans
la campagne de 1735 dans la même armée,
enfin fes Services lui firent mériter le bâton
de Maréchal de France à la promotion du 1 1
Fevrier 1741 ; il avoit été marié le 22 Fevrier
1704 avec Marie Anne Romaine de
Beaumanoir Lavarain , fille de Henri Charles
de Beaumanoir Marquis de Lavardin, Chevalier
des Ordres du Roi , Lieutenant Général
des armées de Sa Majefté & au Gouvernement
de la Haute & Baffe Bretagne &
ci-devant fon Ambaffadeur Extraordinaire
à Rome , & d'Anne Louife Marie de Noailles
; de ce Mariage font né entre-autres EnDECEMBRE.
1744. 265
+
fans 1. Louis Marie d'Albert d'Ailly , Vidame
d'Amiens recu en furvivance de fon pere
le 5 Avril 1717 ea Charge de Capitaine
Lieutenant de la Compagnie des Chevaulegers
de la Garde du Roi , mort fans être
marié en 1724.2.Charles -François d'Albert
d'Ailly Duc de Picquigny , Pair de France ,
Capitaine Lieutenant de la Compagnie des
Chevau- legers de la Garde du Roi par la
démiffion de fon Pere , mort le 14 Juillet
173 ne laiffant qu'une fille morte à l'âge
de fix ans le 13 Mai 1736 , 3. Michel Ferdinand
d'Albert d'Ailly Duc de Picquigny ,
à préfent de Chaulnes , Pair de France , Capitaine
Lieutenant des Chevaux- legers de la
Garde du Roi fur la démiflion de fon Pere
du 19 Fevrier 1735 , & Maréchal des Camps
& armées du Roi du ... Juin 1743 , marié depuis
le 25 Fevrier 1734 avec Anne Jofephe
Bonnier Fille de Jofeph Bonnier Baron de
la Moffon près Montpellier, Secretaire du
Roi & Treforier Général des Etats de Languedoc
, & d'Anne Melon,dont il a un fils, âgé
de 3 à 4 ans en 1744 : voyez la Généalogie
de la Maifon d'Albert dans l'Hiftoire des
Grands Officiers de la Couronne vol 4 fol
263 .
Le 12 Eminentiffeme & Reverendiffime
Monſeigneur Leon Potier de Gefvres , Cardinal
, Prêtre de la Sainte Eglife Romaine
ancien Patriarche - Archevêque de Bour206
MER CURE DE FRANCE.
ges , Primat des Aquitaines , Commandeur
des Ordres du Saint Efprit du 3 Juin 1724 ,
Abbé Commandataire des Abbayes de Saint
Amand Ordre de S. Benoift Diocéfe de
Tournay depuis 1720, de S. Landelin de
Crefpin Ordre de S. Benoît Diocèfe de Cambray
depuis 1725 , de S. Pierre d'Auri lec
Diocèfe de S. Flour depuis 1679 , de Notre-
Dame de Bernay O. S. B. Diocèfe de Lizieux
depuis 1666 , de l'Archimonaftere S.
Remy de Reims O. S. B. depuis l'an 1729 ,
cidevant Confeiller auConfeil de Confcience ,
mourut à Paris dans la quatre-vingt huitiéme
année de fon âge étant né le 15 Août 1656 .
Il avoit été nommé à l'Archevêché de Bourges
le 29 mai 1694, & fut créé Cardinal Prétre
par le Pape Clement XI fur la nomination
du Roi de Pologne le 29 Mai 1719. Il étoit
fils puîné de LeonPotier Duc de Gefvres Pair
de France Chevalier des Ordres du Roi , Premier
Gentilhomme de la Chambre de SaMajefté,
Lieutenant Général de fes armées , Gouverneur
de laVille de Paris , mort le 9 Decembre
1704 , & de Marie- Françoife -Angélique
Duval de Fontenay Mareuil fa premiere femme
, morte le 4 Octob. 1702 : le Frere aîné
de M. le Cardinal de Gefvres , étoit François-
Bernard Potier de Gefvres Duc de Trémes
Pair de France, Chevalier des Ordres du Roi ,
Premier Gentilhomme de fa Chambre , &
.
DECEMBRE. 1744. 1༠༼
Brigadier de fes armées , Gouverneur de la
Ville de Paris , mort le 12 Avril 1739 ,
laiffant de fon mariage avec Marie Magdeleine
-Louiſe-Genevieve de Seigliere de Boisfranc
morte le 3 Avril 1702 , 1. François
Joachim - Bernard Potier Duc de Gefvres
Pair de France né le 29 Septembre 1692 ,
Chevalier des Ordres du Roi , Premier Gentilhomme
de fa Chambre , Gouverneur de
la Ville de Paris , z . Louis - Leon Potier
Comte de Trêmes , né le 28 Juillet 1695 ,
Maréchal des Camps & armées du Roi , marié
depuis le 26 Avril 1729 avec Eléonore
Marie de Montmorency Luxembourg fille
de M. le Maréchal de Montmorency & de
laquelle il n'a qu'un fils , appellé le Marquis de
Gefvres né le 9 mai 1733 , non encore baptifé
, 3. Etienne René Potier né le 2 Janvier
1697 , Evêque & Comte de Beauvais Pair de
France depuis 1728 , & 4 Marie- Françoife
Potier de Gévres née le 25 Decembre 1697 ,
mariée depuis le 17 Septembre 1715 avec
Louis -Marie Victoire de Bethune- Selles , appellé
le Comte de Bethune duquel elle a des
Enfans . Voyez la Généalogie de la Maiſon
de Potier dans l'Hiftoire des Grands Officiers
de la Couronne vol. 4 fol. 763.
Le 14 Frere Jean Antoine de Thumery
de Boiffife , Chevalier de l'Ordre de faint
208 MERCURE DE FRANCE.

Jean de Jerufalem , dans lequel il fut reçu
au Grand Prieuré de France en 1688 , & depuis
Commandeur de Haute-Avennes , en
Flandre entre Douay & Arras , mourut à
Paris dans la 63 année de fon âge , étant né
le 20 Novembre 1682 ; il étoit fils de feu
M. Germain Chriftophe de Thumery
Chevalier de Boiffiſe , Preſident de la feconde
Chambre des Enquêtes du Parlement de
Paris , mort le premier Septembre 1714 , &
de Dame Magdeleine le Tellier de Morfan ,
morte le 11 Decembre 1730 , duquel mariage
, outre feu M. le Commandeur de Boiffife
qui donne lieu à cet article , étoient nés
1. René de Thumery , Chevalier Seigneur de
Boiffife , aujourd'hui marié depuis 1738 , &
fans enfans, avec Demoiſelle Jacqueline - Marguerite
Richer , 2. Chriftophe Edouart François
de Thumery , auffi Chevalier de l'Ordre
de faint Jean de Jerufalem depuis 1688
& aujourd'hui Commandeur de Beauvais ,
en Gatinois , & 3. Dame Magdeleine de Thumery
, Comteffe de Bregy. La Famille de
Thumery eft une des plus confidérables de la
Ville de Paris par fon ancienneté , fes alliances
, & par les charges marquées dans la
Robe qu'elle a poffedées en différens tems.
Le 18 Dame Celefte - Efther Rivié femme de
Louis- Emanuel de Coetlogon- Loyal , appellé
DECEMBRE . 1744. 200
n
le Comte de Coetlogon , Brigadier des armées
du Roi , Colonel- Lieutenant du Régiment
d'Infanterie de Penthievre , avec lequel
elle avoit été maite le 1 Février de
cette année , mourut à Paris dans la vingttroifiéme
année de fon âge , laiffſant un fils
unique nommé Emanuel - Etienne - Marie
de Coetlogon , duquel elle étoit acouchée
quelques jours avant . Elle étoit fille d'Etienne
Rivié Seigneur de Marine & de Riquebourg,
Baron de Chors , Grand Maître des Eaux &
Forefts de l'Ile de France , & de Dame Françoife-
Anne-Agathe Marguerite de laRiviere
de Paulmy , d'une des plus anciennes Maifons
de Bretagne. Voyez pour la Généalogie
de la Maifon de Coetlogon , auffi une
des premieres de la même Province , le feptiéme
vol . de l'Hiftoire des Grands- Officiers
de la Couronne , fol 717.

Le 8 Décembre , Dame Marie-Anne de
Mailly- Nefle , Ducheffe de Chateauroux
veuve de Meffire Jean-Louis de la Tournelle
, Marquis de la Fournelle , Colonel
Lieutenant du Régiment de Condé Infanterie,
mort le 23 Novembre 1740 à l'âge
de 22 ans fans laiffer d'enfans , & avec lequel
elle avoit été mariée le 19 Juin 1734 ,
mourut à Paris à l'âge de 27 ans , étant née
le ...Octobre 1717. Elle avoit été Dame
210 MERCURE DE FRANCE.

du Palais de la Reine , & avoit été nommée
pour remplir la Charge de Surintendante
de la Maifon de Madame la Dauphine. Elle
écoit la derniere destilles de Louis de Mailly,
Marquis de Nefle & de Mailly , Chevalier
des Ordres du Roi , & de feue Dame Fe'ice
- Armande Mazarini de la Meilleraye ,
Dame du Palais de la Reine , morte le 12
Octobre 1729 âgée de 38 ans , & elle avoit
pour foeurs aînées Mefdames les Comteffes
de Mailly & de Vintimille , la Ducheffe de
Lauraguais , & la Marquife de Flavacourt.
Pour la Généalogie de la Maiſon de Mailly,
une des plus anciennes & des plus illftures
de Picardie , voyez le vol. 8 de l'Hiftoire des
Grands Officiers de la Couronne, fol. 625 .
Le 15 Décembre Dame Charlotte Eleonore
Magdeleine de la Mothe Houdancourt ,
veuve de Louis -Charles de Levis , Duc de
Ventadour, Pair de France , ci- devant Gouvernante
du Roi , de Monfeigneur le Dauphin
, de Monfieur le Duc d'Anjou , & de
Meſdames de France , mourut a Glatigny .
dans la 93 année de fon âge . Elle étoit
Soeur de Mefdames les Ducheffes d'Aumont ,
& de la Ferté Senecterre & feconde
Fille de Philippe de la Mothe Houdancourt
, Duc de Cardonne en Catalogne, Maréchal
de France , Viceroi de Catalogne ,
mort le 24 Mars 167 , & de Louiſe de
Prie , mariée le 22 Novembre 1650 , depuis

DECEMBRE. 1744.
Gouvernante des Enfans de France , morte le
6 Janvier 1709. agée de 85 ans . La Mere
& la Fille ont eu l'honneur d'élever 22
Princes ou Princeffes de la Maiſon Royale ,
du nombre defquels fo les Rois de France
& d'Efpagne , & Madame la Ducheffe de
Ventadour eut encore celui de tenir le Roi
Louis XV. fur fes genoux au Lit de Juſtice ,
qui fe tint au Parlement deux jours après
la mort de Louis XIV , & d'occuper une
Place , où il n'y avoit que la Reine Mere
qui eût été affife avant elle ; les marques de
fouvenir & de reconnoiffance que lui donna
le feu Roi, & qui fe trouvent dans fes dernieres
paroles au Roi Louis XV . fon arriere
perit fils , feront un monument éternel du
zéle vif & de l'attachement tendre & refpectueux
avec lequel elle s'eft toujours
acquittée de l'emploi important qui
lui avoit été confié ; n'oubliez jamais dit le
Roi àfon petit fils,les grandes obligations que
vous avez à Madame de Ventadour , pour
moi, Madame , ajouta-t -il en fe tournant vers
elle , je fuis bien faché de n'être plusen état de
vous en marquer ma reconnoiffance.
Madame la Ducheffe de Ventadour avoit
été mariée le 14 Mars 1672 , & elle n'avoit
eû de fon Mariage que Anne- Genevieve de
Levis , née le .. Février 1673. mariée 1º.le
16 Février 1691 à Louis- Charles de la Tourd'Auvergne
appellé le Prince de Turenne,tué
21 MERCURE DE FRANCE
à Steinkerque en 1692. fans laiffer d'enfans.
20. le 15 Fevrier 1694. à Hercule Meriadec
Duc de Rohan Rohan , Prince de Sou
bife appellé le Prince de Rohan , & morte la
nuit du 20 au 21 Mers 1727. laiffant feu M.
le Prince de Soubife , Pere de M. le Prince
de Soubife , & de M. le Coadjuteur de Strafbourg
; voyez le volume de l'Hiftoire
des Grands Officiers de la Couronne , fol.
530. pour la Généalogie de la Maifon de la
Mothe Houdancourt , de laquelle il ne refte
aujourd'hui que Louis Charles de la Mothe
Houdancourt , Neveu à la mode de Bretagne
de feue Madame de Ventadour,
Comte de la Mothe Houdancourt , Grand
d'Eſpagne de la premiere Claffe , Lieutenant
Général des Armées du Roi , Chevalier de
fes Ordres , & Chevalier d'honneur de la
Reine .
EPITAPHE de Madame la Duche
de Ventadour.
C
y gift qui paffa dix huit luftres ;
Helas ! ce ne fut point affés ;
Dans des Gouvernemens illuftres
Ses pieux jours font écoulés ;
Ils fignalerent fa fageffe
Son zéle & fon attachement :
Et les Eleves qu'elle laiffe
En font l'Augufte monument.
DECEMBRE . 1744 213
彩豬味豬蒜樂
RECAPITULATION GENERALE DES
Baptêmes, Mariages, Mortuaires, & Enfans
Trouvés de la Ville & Fauxbourgs de Paris
& de toutes les Maiſons Religieufes d'Hommes
& de Filles , perdant l'Année 1743 .
i
Mois. Baptêmes. Mariages . Morts . Enfans
Trouvés
Janvier. 1718 422 1724
291
Février · 1600 930 2029 291
Mars. · 1640 89 2776 302
Avril · • 1597 271 1784 297
Mai. • 1567 461 1489 303
Juin . · 1376 400 1165 271
Juillet. • 1410
543
1186 210
Août. • · 1408 45I
1260 222
Septembre.. 1423
573 1344 227
Octobre .. 1448 422 1420 248
Novembre .. 1392
501 III5 253
Decembre , 1294
888
80 1402 186
Total 17873 5143 18694 3101
214 MERCURE DE FRANCE.
Au Cimetiere des Etrangers
Dans toutes les Maiſons Religieuſes ,
tant d'hommes que de Filles , il
il y a eu en la préſente année
17 3.
Total général
Partant le
nombre des
Morts de la
présente année
1743excéde celui
des Baptêmes
de
Il y a eu en
1712
1160
3
336
19033
Baptêmes. Mariages . Morts . Enfans.
Trouvés
17722 4178 22784 3163
Le nombre Celui Celui Celui des
des
Baptêmes
de la préfente
desMa- des Enfans
riages
Morts Trouvés
année 1743 , eft aug
eft di- eft dimiest
augmen- menté minué nué de
té de celui de de
3751
62
de 1742 de
151 965
TABLE.
PIECES FUGITIVES en Vers& en Profe,
Imitation de l'Ode 24e, du 3e.Liv d'Horace 3
Suite du Manufcrit Arabe , traduit par M. Jacques, 7
Ode tirée du Pleaume 67 , Exurgat Deus , c. 23.
Extrait d'une Differtation fur l'effet du Topique du
fieur Arnoult ,
Difcours fur l'utilité des Fluides ,
Madrigal ,
Ode Anacréontique
A M. De la Bruere ,
39
39
SI
Ibid .
53
fs
60
La Police fous Louis XIV.
Séance publique de l'Académie des Infcriptions ,
& c . Extrait ,
87
Nouvelles Littéraires , Mémoires de Melvil , Extïait
,
Cinquiéme Edition des Principes généraux & ra➡
founés de la Grammaire Françoire ,
Almanach & Calendrier journalier ,
100
Ibid.
Difcours fur la manoeuvre de Vaiffeaux,Extrait , 101
Traité Moral de la Charité Chrétienne ,
Seconde Edition du Dictionnaire Militaire
Traité des fubfiftances Militaires ,
Hiftoire générale d'Allemagne , Extrait ,
Les Elemens de la Medecine - Pratique ,
102
" 103
104
105
109
Euvres Phyfiques & Géographiques , Extrait , 115
Voyages & Avantures du Comte de * • & de fon
fils ,
Journal de Henri III , Extrait ,
T
121
La fainte Bible en Latin & en François propofée
par Soufcription ,
Nouvelle Difpofition de l'Ecriture Sainte ,
Cantatilles du fieur Lemaire ,
Recueil d'Airs par le fieur Blavet ,
Prix propofé par l'Académie de Berlin
Eftampes Nouvelles ,
Le fecret de faire de l'Encre parfaite ,
Spectacles ,
Te Deum chanté à la Cour ,
123
130
133
134
135
Ibid.
137
138
149
144
Concerts de la Reine ,
145
Concert Spirituel ,
Comédies repréfentées à la Cour ,
Explication de l'Enigme & du Logogrype ,
Enigmes ,
146
147
149
150
France , Nouvelles de la Cour , de Paris , & c. 153
Nouveaux Académiciens reçus ,
155
Audience donnée par le Roi aux Députés des Etats
de la Province d'Artois ,
156
Combat d'un Vaiffeau de la Religion avec des Bâtimens
Algériens ,
Prifes de Vaiffeaux ,
Bénéfices donnés ,
Charges Militaires accordées ,
157
159
162
164
166
169
Célébration du Mariage de M.le Duc de Penthievre
avec Mademoiſelle de Modéne ,
Celui de M. le Comte de Brionne ,
Nouvelles Etrangeres , Extrait de Lettre de Conftantinople
,
Autre Extrait de Lettre de Smyrne
171
174
Calais, Ruffie , Plogne , Allemagne , Pruffe, Italie,
Efpagne, Genes & Ile de Corfe , 177 , 5 ſuiv,
Grande Bretagne ,
Morts ,
198
200
Epitaphe de Madame la Ducheffe de Ventadour, 212
Récapitulation générale des Baptêmes , Mariages ,
Mortuaires & Enfans Trouvés de la Ville & Fauxbourgs
de Paris & de toutes les Maifons Religieufes
d'Hommes & de Filles , pendant l'année
1743 , 213
il s'eft gliffé un nombre très- conſidérable de fautes
dans les trois derniers Volumes ; la précipitation
avec laquelle nous avons été obligés de les compoſer
, ne nous a pas permis de veiller à l'impreffion
avec la même exaclitude que nous aurons dorefnavant.
De l'Imprimerie de ROBUSг. 1 , rue de la Calendre
près le Palais. 1744.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le