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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROY.
JANVIER. 1741 .
URICOLLIGIT
SPARGIT
Papillan
Ches
A PARIS ,
GUILLAUME CAVELIER,
ruë S. Jacques.
La Veuve PISSOT , Quai de Conty ,
à la descente du Pont - Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais .
M. DCC. XLI.
Avec Aprobation & Privilege du Roy
THE NEW YORK
PUBLICIIBRARY
ASTOCANTANDOGU E des Mercures de France,
TILDEN FOUNDATIONS
1 depuis l'année 1721. jusqu'à présent.
Uin ,Juillet , Août , Septembre, Octobre,
Novembre et Decembre de 1721. 7. vol.
Année 1722. les mois de Mars , Mai , Septembre
et Noyembre doubles , 16. vol.
1724. les mois de Juin et Dec. doubles ,
1723. le mois de Decembre double
13. vol.
14. vol. 1725.les mois de Juin , Sept . et Dec, doubles, 15. vol .
1726. les mois de Juin et Dec. doubles , 14. vol.
1727. les mois de Juin et Dec. doubles , 14. vol.
1728. les mois de Juin et Dec. doubles , 14. vol.
1729. les mois de Juin,Sept. et Dec.doubles, 15. vol.
1730. les mois de Juin et Dec. doubles , 14. vol.
173 1. les mois d'Avril,Juin et Dec. doubles, 15. vol .
1732. les mois de Juin et Dec. doubles ,
1733 les mois de Juin et Dec. doubles
,
1734. les mois de Juin et Dec. doubles
,
1735. les mois de Juin et Dec. doubles
,
1736.
les mois de Juin et Dec. doubles
,
1737.
les mois de Juin et Dec. doubles
,
1738.
les mois de Juin et Dec. doubles
,
1739.
les mois de Juin , Septembre
et
Decembre
doubles
,
1740. les mois de Juin et Dec. doubles ,
Janvier 1741 .
14. vol.
14. vol.
14. vol.
14. vol .
14. vol.
14. vol.
14. vol.
15. vol.
14. vol .
I. vol.
279. vcl .
PRIX XX X. SOL S.
PRI************
PRIVILEGE DU ROT
LOUIS, la de Peaux Confeillers,ice cens
tenant nos Cours de Parlement , Maîtres des Requêtes
ordinaires de nôtre Hôtel , Grand- Confeil , Baillifs , Se .
néchaux , leurs Lieutenans Civils , & autres nos Jufticiers
qu'il apartiendra: SALUT. Notre cher & bien amé ANTOINE
DE LA ROQUE , Ecuyer , ancien Gendarme dans la Compagnie
des Gendarmes de notre Garde ordinaire , &
Chevalier de notre Ordre Militaire de Saint Loüis , nous
ayant fait remontrer que l'aplaudiffement que reçoit le
MERCURE DE FRANCE, cy -devant apellé le Mercure Galant
compofé depuis l'année 1672. par le fieur de Vifé , & au
tres Auteurs , nous a fait croire que le fieur Dufresni ,
Titulaire du dernier Brevet , étant décedé , il ne con
vient pas que le Public foit à l'avenir privé d'un Ouvra
ge auffi utile qu'agréable , tant à nos Sujets qu'aux Etran
gers : c'eft dans cette vûë que bien informe des talens
& de la fageffe du fieur de la Roque , nous l'avons choin
pour compofer à l'avenir , exclufivement à tous autres ,
fedit Ouvrage , fous le titre de MERCURE DE FRANCE , &
nous lui en avons à cet effet accordé notre Brevet le 17.
Octobre 1724 pour l'execution duquel il auroit obtenu
nos Lettres de Privilege , en date du 9. Novembre enfuivant
, qui fe trouvant expirées , nous a fait fuplier
de lui en accorder de nouvelles en forme de Brevet fur
ce néceffaires , offrant pour cet effet de le faire réimpri
mer en bon papier & beaux caracteres , fuivant la feuille
imprimée & attachée pour modele fous le contrefcel des
Préfentes ; A CES CAUSES , Voulant traiter favorablement
ledit fieur Expoſant , & étant informé de ſes aſſiduités ,
des foins & dépenfes qu'il fait pour la perfection dudir
Mercure de France , dont nous fommes contens , & dont
nous voulons lui donner des marques de notre entiere fa
tisfaction ; Nous lui avons permis & permettons par ces
Prefentes de compoſer & donner au Public à l'avenir tous
les mois , à lui feul exclufivement à tous autres , ledic
Mercure de France , qu'il pourra faire imprimer en un o
plufieurs volumes , conjointement ou feparément, & au
tant de fois que bon lui femblera , chaque mois , & de ie
faire vendre & débiter par tout nôtre Royaume , Pays
, par la grace de Dieu , Roy de France & de
A
Terre
Terres & Seigneuries de notre obéiffance , pendant le
tems & efpace de douze années confecutives , a compter
du jour de la date defdites Preſentes ; à condition néan
moins que chaque volume portera fon Aprobation expreffe
de l'Examinateur , qui aura été commis à cet effet , & en
Cutre nous avons révoqué & révoquons tous autres Pri .
vileges qui pourroient avoir été donnés cy- devant à d'au…
tres qu'audit fieur Expoſant ; Faiſons défenſes à toutes
fortes de perfonnes , de quelque qualité & condition
qu'elles foient , d'en introduire d'impreffion ou gravúre
étrangere dans aucun Lieu de notre obéiſſance , comme
auffi à tous Libraires Imprimeurs , Graveurs , Impri
meurs Marchands en Tailles - douces & autres , d'impri
ner,faire imprimer , graver ou faire graver, vendre , fai.
re vendre , débiter ni contrefaire ledit Livre , ou Planches,
en tout , ni en partie, ni d'en faire aucuns Extraits,
fous quelque prétexte que ce foit , d'augmentations, cor.
rections , changement de titre, ou autrement, fans la per.
miffion expreffe & par écrit dedit ficut Expofant , ou de
ceux qui auront droit de lui ; le tout à peine de confifca.
tion , tant des Planches que des Exemplaires contrefaits,
& des ustanciles qui uront fervi à ladite contrefaçon ,
ue nous entendons être faifis en quelque lieu qu'iis foient
trouvés , de six miile livres d'amende contre chacun des
con revenans , dont un tiers à Nous , un tiers à l'Hôtel-
Dieu de Paris , & l'autre tiers audit fieur Expofant , & de
tous dépens , dommages & interefts ; à la charge que ces
Préfentes feront enregistrées tout au long fur le Regiftre
de la Communa té des Libraires & Imprimeurs de Paris ,
dans trois mois de la date d'icelles ; que l'impreffion de
ce Livre fera faite dans notre Royaume , & non ailleurs
& que l'Impétrant ſe conformera en tout aux Reglemens
de la Librairie , & notamment à celui du 1o. Avril 1725.
&c. Donné à Verfailles le fepriéme jour de Décembre l'an
de grace mil fept cent trente - fix , & de notre Regne le
vingt - deux, Par le Roy en fon Confeil , Sign ₫ SAINSON,
avec grille & paraphc , & c,
>
3
LISTE
LISTE DES LIBRAIRES
qui débitent le Mercure dans les
Provinces du Royaume.
A Toulouse , chez Forest , et Hénault.
Bordeaux, chezRaymond Labottiere, et chez Chappuis
aîné, Libraire,Place du Palais, à côté de la Bourse
Nantes , chez Nicolas Verger.
Rennes , chez Joseph Vatar , Julien Vatar , Guillaume
Jouanet Vatar , et la veuve Audran .
Blois , chez Masson.
Tours , chez Gripon , et chez Bully.
Rouen , chez François - Eustache Herault.
Châlons -sur-Mane , chez Seneuze.
Amiens , chez la veuve François et chez Godart .
Arras , chez C. Duchamp , et chez Barbier.
Orleans , chez Rouzeaux .
Angers , chez Fourreau , et à la Poste.
Chartres , chez Fetil , et chez J. Roux.
Dijon , chez la veuve Armil , et à la Poste,
Versailles chez Monnier..
Besançon , chez Briffaut , et à la Poste.
Saint Germain , chez Chavepeyre.
Lyon , à la Poste.
Reims , chez De Saint .
Vitry-le-François , chez Vitalis .
Beauvais , chez De Saint.
Douay , chez Willerval .
Charleville , chez P. Thesin.
Moulins , che Faure.
Mâcon , chez De Saint , fils
Mets ' , chez Barbier .
Boulogne- sur- Mer , chez Parassol , et chez Batut.
Nancy , chez Nicolas .
Saint Omer, chez Jean Huguet .
A iij AVERAVERTISSEMENT
.
N
Ous voici arrivés à la vingtiémé année
presque accomplie , que nous travail.ns
assiduement avec quelque succès à la composition
de ce Journal , que le Roy daigne recevoir
tous les mois avec bonté , et que le Piblic
continue de recevoirfavorablement. Voici
le deux centfoixante & dix- neuviéme Volume ,
ce mois- ci inclus , sans qu'il y ait eû aucune
interruption.
Nous faisons de la part du Public de nouvelles
instances aux Libraires qui envoyent
des Livres , ou des Listes pour les annoncer ,
d'en marquer le prix au juste ; cela sert beaucoup
, sur tout dans les Provinces , aux personnes
qui se déterminent là - dessus à les acheter
, et qui ne sont pas sûres de l'exactitude des
Messagers et des autres personnes qu'elles obar-.
gent de leurs commissions , qui souvent les fons
payer plus qu'ils ne coûtent. M. Moreau
pourra se charger defaire les Encois au prix
coûtant.
On invite aussi les Marchands et les Ou
vriers qui ont quelques nouvelles Modes , soie
par des Etoffes nouvelles , Habits , Ajustes.
mensد
AVERTISSEMENT.
mens , Perruques , Coeffures , Ornemens de tête
et autres Parures , ainsi que de Meubles , Carosses
, Chaises et autres choses , soit pour l'uti
Lité , soit pour l'agrément , d'en donner quelques
Memoires pour en avertir le Public , ce qui
pourrafaire plaisir à divers particuliers et procurer
un débit avantageux aux Marchands et
aux Ouvriers.
Plusieurs Piéces en Prose et en Vers , en
voyées pour le Mercure , sont souvent si mal
écrites, qu'on ne peut les déchiffrer, et pour.cela
elles sont rejettées d'autres sont bonnes à quel
ques égards et défectueuses à d'autres . Lors
qu'elles peuvent en valoir la peine , nous les
retouchons avec foin ; mais comme nous ne pre
nons ce parti qu'avec répugnance , nous prions
les Auteurs de ne le pas trouver mauvais , et de
travailler leurs Ouvrages avec le plus d'attention
qu'il leur sera possible, sur tout , et nous ne
sçaurions trop le recommander , qu'on prenne
garde à la ponctuation.
Les Sçavans et les Curieux sont priés de
vouloir bien concourir à rendre ce Livre
encore plus utile , en nous communiquant les
Mémoires & les Piéces en Prose et en Vers , qui
peuvent instruire et amuser.* Aucun genre de
Litterature n'est exclus de ce Recueil , où l'on
tâche de faire regner une agréable varieté :
Poësie , Eloquence , nouvelles Découvertes
dans les Aris et dans les Sciences , Morale
A iiij Antiquités ,
AVERTISSEMENT.
Antiquités, Histoire Sacrée et Profane , Voya
ges , Historiette's , Mythologie , Physique et
Métaphysique , Piéces de Théatre , Jurispru
dence , Anatomie et Médecine , Botanique ,
Critique , Mathématiques , Mémoires , Projets
, Traductions , Grammaires , Piéces amu .
santes et récréatives, &c. Quand les Morceaux
d'une certaine considération seront trop longs ,
on les placera dans un volume extraordinaire,
et on fera ensorte qu'on puisse les en détacher
facilement , pour la satisfaction des Auteurs et
des personnes qui ne veulent avoir que certaines
Pieces .
A l'égard de la Jurisprudence , nous conti
nuërons , autant que nous le pourrons , de faire
part au Public des Questions importantes , nouvelles
ou singulieres, qui se présenteront et qui
seront discutées et jugées dans les differens Parlemens
et autres Cours Superieures du Royaume,
en observant l'ordre et la méthode que nous
avons déja pratiqués en pareil cas , sur quoi
nous prions Messieurs les Avocats et les Parties
interessées , de vouloir bien nous fournir les
·Mémoires nécessaires. Il n'est peut- être point
d'Article dans ce Livre qui regarde plus directement
le Bien public , que celui- là , et qui soit
plus recherché de la plupart des Lecteurs.
Quoiqu'on ait toujours la précaution de faire
mettre un Avis à la tête de chaque Mercure
pour avertir qu'on ne recevra point de Lettres
>
ni
AVERTISSEMENT.
être
ni de Paquets par la Poste , dont le port ne soit
affranchi , il en vient cependant quelquefo.s
qu'on est obligé de rebuter. Ceux qui n'aurons
pas pris cette précaution ne doivent pas
surpris de ne pas voir paroître les Piéces
qu'ils ont envoyées , lesquelles sont d'ailleurs
perdues pour eux , s'ils n'en ont point gardé de
copie.
Les Personnes qui désireront avoir le Mercure
des premiers , soit dans les Provinces on
dans les Pays Etrangers , n'auront qu'à s'adresser
à M. Moreau , Commis au Mercure ,
vis - à-vis la Comédie Françoise , à Paris , qui
le leur envoyera par la voye la plus convenable
et avant qu'il soit en vente; les Amis à qui on
s'adresse pour cela , ne sont pas toujours exacts
ils n'envoyentguére acheter ce Livre précisément
dans le temps qu'il paroî . Ils ne manquent pas
de le lire, souvent ils le prêtent et ne l'envoyent
enfin que fort tard , sous le prétexte spécieux
que le Mercure n'a pas parû plutôt. Ceux qui
desirent avoir des fuites Complettes du Mercure
, doivent aussi s'adresser à lui , pour
les avoir bien conditionnées et à meilleur
compte.
>
Nous renouvellons la priere que nous avons
déja faite , quand on nous envoye des Piéces ,
seit en Vers, soit en Prose , de les faire transcrire
bien lisiblement , chaque Préce sur un
papier séparé et d'une grandeur raisonnable ,
A v aves
AVERTISSEMENT.
*
avec des marges , pour y placer les additions ou
corrections convenables ; que les noms propres
sur tout soient exactement écrits , et que la ponc
uation ( nous le repetons ) n'y soit pas négligée
comme cela arrive presque toujours , ce qui contribue
à multiplier les fautes d'impression et
quelquefois à défigurer certains Ouvrages.
Nous aurons toujours les mêmes égards pour
les Auteurs qui ne veulent pas se faire connoîtres.
mais il serait bon qu'ils donnassent une adresse ,
sur tout quand il s'agit de quelque Ouvrage qui
peut demander des éclaircissemens , car fouvent,
faute d'un tel secours , des Piéces nous restent
enre les mains , sans pouvoir les employer.
Nous prions ceux qui par le moyen de leurs
correspondances , reçoivent des nouvelles d'A.
sie , d'Afrique , du Levant , de Perse , de
Tartarie , du Japon , de la Chine , des Indes
Orientales et Occidentales , et d'autres Pays et
Contrées éloignées , les Capitaines , Pilotes et
Officiers des Navires et les Voyageurs ; de
vouloir bien nous faire part de leurs fournaux,
al Adressegenerale du Mercure. Ces Matieres
peuvent rouler sur les Guerres présentes de ces
Etats et de leurs Voisins ; les Révolutions , les
Traités de Paix ou de Tréve , les occupations
des Souverains , la Religion des Peuples , leurs
Céremonies , Loix , Coûtumes et Ufages , les
Phenomenes et les productions de la Nature et
de l'Art , & c. comme Pierres précieuses , Pierres
AVERTISSEMENT.
ves figurées, Marcassites rares , Pétrifications et
Crystallisations extraordinaires , Coquillages.
Madrepores, Dendrides , & c. Edifices anciens
etmodernes , Ruines, Statues , Bas Reliefs , Inscriptions
Pierresgravées , Médailles ,Tableaux,
&c. Le Caractere de chaque Nation , son
Origine , son Gouvernement , ses bonnes et ses
mauvaises qualités , le climat et la nature du
Pays , ses principales richesses et son Commer
ce ; les Manufactures , les Plantes , les Animaux
, &c. Les Mours des Peuples , leur
maniere de se nourrir, de s'habiller et de s'armers
ce que chaque Contrée produit, pour faire
connonre les differens Climats ; et d'ajouter s'il
étoit possible des Desseins pour donner une
parfaite intelligence des chofes décrites.
Nous serons plus attentifs que jamais à apren
dre au Public la mort des Sçavans et de tous
ceux qui se sont distingués dans les Arts et
dans les Mechaniques on y joindra le détail
de leurs principales occupations , de leurs Onvrages
et des plus considerables actions de leur
vie. L'Histoire des Lettres et des Arts dois
cette marque de reconnoissance à la memoire de
ceux qui s'y sontrendus celebres , ou qui les ont
cultivés avecsoin. Naus esperons que les Parens.
etles Amis de ces illustres Morts , seconderont volontiers
notre zele à leur rendre ce devoir , par
les instructions qu'ils voudront bien nous
fournir. Ce que nous venons de dire regarde
A vj
поп
AVERTISSEMENT.
non seulement Paris , mais encore les Provinces
du Royaume et les Pays Etrangers ;
qui peuventfournir des Evenemens considerables
, Morts , Mariages , Actes solemnels ,
Fêtes et autres Faits dignes d'être transmis à
la Posterité.
Au reste les gens trop délicats & dont l'hu
meur vaine & peu liante , ne trouve presque
jamais rien à son gré , moins encore ce qui
passe généralement pour bon aux yeux des aur
tres , ne doivent pas lire un Livre tel que celuici
, dans lequel il est permis , à beaucoup d'égards
, d'être médiocre , & il le faut même ,
selon le genre & la matiere qu'on traite ; dans
un si prodigieux mêlange de genres & de ca
racteres , souvent oposés des choses trop travaillées
, seroient moins goûtées & hors de leur
place. Le fublime , la grande érudition , penvent
se trouver dans ce Livre , par la capacité
des Sçavans , qui veulent bien enrichir ce
Journal, mais on ne les exige point.
C'est assés pour ce Livre de contribuer tous
les mois en quelque chose à l'instruction & à
Pamusement des Citoyens. Le Mercure ne doit
rien prétendre au delà . Nous fçavons , il est
vrai , que la critique outrée , ou la médisance
plus ou moins malignement épicée , fut toujours
un mets délicieux pour beaucoup de Lecteurs ;
mais outre que nous n'y avons pas le moindre
penchant , nous renonçons & de très -bon
coeur
AVERTISSEMENT.
coeur , à la dangereuse gloire d'être lûs &
aplaudis aux dépens de personne .
Nous donnons ordinairement des Extraits,
des Piéces nouvelles qui paroissent sur les
Théatres de Paris , & nous faisons quelques
Observations d'après le jugement du Public ,
sur les beautés & sur les défauts qu'on y trou
ve; la crainte de blesser la délicatesse des Auteurs
, nous retient quelquefois & nous empêche
d'aller plus loin ; nous craignons d'ailleurs.
si nous sommes plus sinceres , qu'on ne nous
accuse de partialité. Si les Auteurs eux-mêmes
vouloient bien prendre sur eux de faire un
Extrait on Mémoire de leurs Ouvrages , sans
dissimuler les défauts qu'on y trouve , cela nous
donneroit la bardiesse d'être un peu plus séveres
, & le Lecteur leur en sçauroit gré; ils n'y
perdroient rien par les remarques , à charge &
à décharge , que nous ne manquerions pas d'ajoûter
, sans oublier de faire observer l'extrême
difficulté qu'il y a de plaire aujourd'hui au Public
, & le péril que courent tous les Ouvrages
d'esprit qu'on lui présente . Nous faisons avec
d'autant plus de confiance cette priere aux Auteurs
Dramatiques & à tous autres, que certainement
Corneille, Quinault , Moliere , Racine ,
c. n'auroient pas rougi d'avouer des défauts
dans leurs Piéxes.
Nous tâcherons de soutenir le caractere de
modération , de sincerité et d'impartialité ,
qu'ora
AVERTISSEMENT.
qu'on nous à déja fait la justice de nous attri
buer. Les Piéces seront toujours placées , sans .
préference de rang et sans distinction , pour le
mérite et la primauté. Les premieres reçues
seront toujours les premieres employées , hors le
cas qu'un Ouvrage soit tellement du temps ,
qu'il mérite , pour cela seulement , la préference.
Les honnêtes Gens nous sçavent gré d'avoir
garanti ce Livre depuis que nous y travaillons,
non - seulement de toute satyre , mais même de
portraits trop ironiques , trop ressemblans et trop
susceptibles d'aplications. On aura toujours la
même délicatesse pour tout ce qui pourra blesser
ou désobliger.
d'un
Il nous reste à remercier au nom du Public ;
plusieurs Sçavans du premier ordre , d'aimas
bles Muses , et quantité d'autres personnes
grand mérite , dont les productions enrichissent
le Mercure et le font rechercher-
J
APROBATION.
' Ai lû par ordre de Monseigneur le Chancelier,
le Mercure de France du mois de Janvier , & j'ai
crû qu'on pouvoit en permettre l'impression. A Pa
ris , le premier Fevrier 1741 .
HARDION.
MERMERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AV ROT.
JANVIER . 1741 .
PIECES FUGITIVES,
L
en Vers et en Prose.
ODE A M. G **
Pour le premier jour de l'An.
E Dieu , qui d'un vol homicide
Fuit , pour ne revenir jamais ;
Ce Vieillard , que de vains fouhaits
Ne fçauroient rendre moins rigide
Le Tems , implacable Tyran ,
Va dans fa courfe trop rapide-
Recommencer un nouvel An..
C'eft
MERCURE DE FRANCE
C'eft en vain que l'homme fe fonde
Sur des jours encor à venir ,
Il les verra bien- tôt finir
Dans le fein d'une nuit profonde ,
Comme l'on voit les clairs Ruiffeaux
Porter le tribut de leur Onde
Dans le vaste Empire des Eaux.
*
Ami , telle eft la deſtinée
Que chacun de nous doit fubir.
Comme un Eclair j'ai vu s'enfuir
Le court espace de l'année ,
Et ce tems dont je fçais le prix ,
N'eft plus qu'une belle journée
Qu'un fonge trace à mes efprits.
*
C'eft , le plaifir ou la trifteffe
Qui , plus ou moins rapidement
Font écouler chaque moment
De notre bouillante jeuneſſe ;
Mais dois- je par la même Loi
Etre furpris de fa viteffe ,
Quand je la paffe auprès de toi
*
Dans t amitié peu commune
Je
JANVIER
1741. 3
Je goûte des charmes parfaits ;
J'en préfere les doux attraits
A la plus brillante fortune ,
Et mon coeur contre les Jaloux
Eft plus fort qu'un Roc , que Neptune
Attaque en vain de mille coups .
*
Amitié , fois notre apanage ,
Enyvre-nous de tes douceurs ;
A rechercher de vains honneurs
Qu'aucun défir ne nous engage ,
Pour eux ceffons de foupiter ;
Un doux repos eft l'avantage
Où le fage doit afpirer.
*
Que l'ambition ni l'envie
N'empoifonnent point nos beaux jours ;
Aux plaiſirs , aux tendres Amours ,
Livrons le printems de la vie ;
Ménageons bien tous les inftans
D'un âge qui nous y convie ;
Bien-tôt il n'en fera plus tems.
*
Doit-on attendre après l'Aurore
A cueillir de nouvelles fleurs ;
Quand
MERCURE DE FRANCE
Quand par les plus vives ardeurs
Le flambeau du Ciel les dévore ?
Doit-on après les jeunes ans
S'attendre à des plaifirs encore ,
Quand ils ne flatent plus nos fens ?
*
Vous , Mortels , dont le coeur fans ceffe
Pouffe d'ambitieux foûpirs ,
Suivez vos aveugles défirs ;
Je me ris de votre foibleffe
En vain vous voulez m'éblouir ,
Le Tems s'enfuit , & la fageffe
Confifte à fçavoir en jouir.
Par M. B ** , d'Aix.
QUESTION IMPORTANTE
Jugée au Parlement de Paris .
SA
ÇAVOIR fi c'eft la Loi du domicile du
Teftateur qui regle fa capacité à l'égard
d'un Legs de fomme mobiliaire & de meubles
eftimés par le Teftateur à une certaine
fomme.
FAIT.
M. de Chaillon , Confeiller au Parlement
de
JANVIER: 1741. 5 .
de Paris , étant tombé malade à fa Terre de
Mezieres, fituée dans la Coûtume de Dreux ,
y mourut le 20. Octobre 1738. Il avoit fait
la veille fon Teftament devant un Notaire
du Lieu, par lequel , entre autres difpofitions
il donnoit & leguoit à Mad. de Chaillon ,
fon Epoufe , la fomme de 30000 livres ,
tous les meubles meublans du Château de Mezieres
, eftimés à la fomme de 40000. livres ,
tous les Bagues & Joyaux tant auficur
Teftateur , qu'à la Dame de Chaillon , le tout
fuivant la Coûtume de Dreux.
Mad. de Chaillon ayant formé fa demande
en délivrance de Legs contre le fieur de
Jonville , frere & héritier de M. de Chaillon;
le freur de Jonville prétendit que le Teftament
étoit nul , & que d'ailleurs le Legs fait
à Mad, de Chaillon n'étoit pas valable.
Par Sentence des Requêtes du Palais , le
Teftament fut déclaré valable, & néanmoins
Mad. de Chaillon déboutée de fa demande
en délivrance de Legs.
Sur l'apel interjetté refpectivement par
les
Parties , la Caufe fut plaidée en la Grand'-
Chambre par M: Cochin, Avocat pour Mad.
de Chaillon , & M. Guéan de Reverſeaux ,
pour le fieur de Jonville.
Nous ne parlerons pas ici des nullités
qu'on opofoit contre le Teftament en géne
al , parce qu'elles étoient peu importantes
&
MERCURE DE FRANCE
& que l'on n'y a point cû égard.
Par raport au Legs fait à Mad.de Chaillon,
on difoit de fa part que la Loi qui défend les
avantages entre Conjoints , n'eft point un
Statut perfonnel qui imprime au Conjoint
domicilié fous fon Empire , une incapacité
génerale , dont l'effet s'étende à toutes fortes
de biens , en quelques Coûtumes qu'ils
foient fitués ; mais un Statut réel , borné à
la confervation des biens affis fous fon reffort
& qui n'empêche point le Conjoint de profiter
des biens fitués fous une Loi qui ne
contient pas une pareille prohibition ; que ła
Coûtumé de Dreux permettant auxConjoints
de s'avantager par Teftament , Mad . de
Chaillon pouvoit demander le payement de
fon Legs fur les biens difponibles de cette
Coûtume.
Suivant le Droit Romain , difoit- on , les
Droits incorporels forment un genre de biens
differens des meubles & des immeubles. Il
faut ranger dans la claffe des Droits incorporels
les Legs de fommes mobiliaires & les
Legs de meubles eftimés à une certaine fomme
, qui ne font proprement que des Legs
de quantité.
La Difpofition faite en faveur de Mad. de
Chaillon , n'eft point un Legs de corps certain
, ce n'eft point non - plus un Legs d'une
action fubfiftante , qui ait apartenu au Teftateur;
JANVIER. 1741.
་ ་
teur ; c'eft un Droit qui n'exiftoit point dans
Les biens du Teftateur , mais qui s'eft formé
à l'inftant du décès au profit du Légataire
& qui fe répand géneralement fur tous les
biens difponibles , or ce qui n'exifte point ,
n'a point de fituation par conféquent on
ne peut point opofer la Loi du domicile
comme Loi de la fituation de la chofe leguée
; aucune Loi ne prononce donc la nullité
de ce Legs en lui- même ; la Loi qui régit
la perfonne eft indifferente , puifque le
Statut n'eft pas perfonnel ; la Loi de la fitua
tion ne peut pas être invoquée , puifque la
chofe leguée n'a point de fituation ; rien
n'empêche donc l'execution de ce Legs
pourvû qu'on trouve des biens difponibles
dans une Coûtume qui permet aux Conjoints
de s'avantager.
Le Teftateur pouvoit leguer les portions
difponibles de fa Terre de Mezieres ; la totalité
des acquêts qu'il y avoit joints & le quint
de ce qui étoit propre , s'il ne l'a pas fait ,
c'eft qu'il a craint de deshonorer fa Terre &
de faire un préjudice plus confidérable à fon
héritier. Or , qui pouvoit donner la chofe
même , a pû donner à prendre fur la chofe,
Le Legs fait à Mad.de Chaillon , eft terminé
par ces paroles remarquables , le tout fuiyant
la Coûtume de Dreux , le Teftateur a
raifonné ainfi : J'ai des biens dans la Coûtume
de
$ MERCURE DE FRANCE
de Paris, qui m'interdit d'avantager mafemme,
mais j'en ai dans la Coûtume de Dreux,qui me le
permetsjefuis le maître de lui leguer une fomme à
prendre fur les biens de Dreux; & c'eſt dans cet
esprit qu'il lui donne 30000. livres à prendre
fuivant la Coûtume de Dreux ; c'eſt l'unique
fens qu'on puiffe donner à ces termes , far
tout quand on penfe qu'ils partent d'un Magiftrat
inftruit , qui ne pouvoit pas ignorer
que la Coûtume de Dreux ne régiffoit pas
fon Mobilier.
De la part du fieur de Jonville , on difoit
que la nullité du Legs , fait à Mad. de Chailfon,
étoit fondée fur la défenfe de s'avantager
entre Conjoints , prononcée par l'Article
282. de la Coûtume de Paris.
On raportoit plufieurs autorités pour établir
que la Loi qui défend de s'avantager entre
Conjoints , eft un Statut perfonnel.
On ajoûtoit que la Coûtume de Dreux ne
contient aucune difpofition qui permette aux
Conjoints de s'avantager , & qu'il n'y a point
d'Article dans la Coûtume de Paris , dont
l'extenfion foit plus favorable
celui qui
que
porte la défenſe de s'avantager entre Conjoints
.
Mais il eft inutile , difoit- on , d'agiter ce
qui doit s'obſerver à cet égard dans la Coûtume
de Dreux , parce que le Teftateur n'a
point difpofé d'Effets qui fuffent fous fon
empire ;
JANVIER.. -1741.
empire ; il eft inutile d'agiter fi , le Statut eft
perfonnel ou réel , parce que le Teftateur n'a
difpofé que d'Effets , qui , fuivant la Loi
du domicile , doivent fe regler par la Coûtume
de Paris , foit qu'on la confidere comme
un Statut réel , ou comme un Statut per
fonnel.
On trouve trois differens Legs dans la
claufe qui concerne Mad . de Chaillon ; une
fomme de 30000. livres , les meubles meublans
du Château de Mezieres , & les Bagues
& Joyaux de M. & Mad. de Chaillon. ,
Il ne paroît pas qu'on ait férieufement
prétendu faire valoir les deux Legs des meubles
meublans du Château de Mezieres &
des Bagues & Joyaux ..
On a reconnu que les meubles , en quelque
Lieu qu'ils fe trouvent au décès du
Proprietaire , fuivent toujours la Loi de fon
domicile , & qu'ainfi les meubles de Mezieres
& les Bagues & Joyaux , quoique trou
vés dans la Coûtume de Dreux au décès
du Teftateur , font affujettis aux difpofitions
de celle de Paris.
L'eftimation à la fomme de 40000. livres ,
ajoûtée au Legs des meubles , ne peut pas ch
changer la nature ; ce n'eft point cette eftimation
qui eft leguée , c'eft le corps même
des meubles ; & s'ils avoient péri depuis le
Teftament par un incendie ou par quelque
autre
10 MERCURE DE FRANCE
l'exautre
fatalité , le Legs feroit éteint par
tinction de la chofe leguée ; croit - on qu'un
Légataire capable de recueillir la difpofition ,
fût en droit de demander la délivrance de
l'eftimation , au lieu de la chofe ?
le
Pour ces mots ; fuivant la Coûtume de
Dreux , qui terminent la difpofition , quand
même la Coûtume de Dreux feroit differente
de celle de Paris , ce feroit en vain que
Teftateur l'auroit invoquée , pour foûtenir
un, Legs de meubles fujets à celle de Paris.
La diftinction des Coûtumes & leur réalité ,
fait partie de l'ordre public , qui ne dépend
point de la volonté des Parties; un Teftateur
qui ne peut pas difpofer d'un Effet fuivant la
Loi de la fituation , n'eft pas le maître de le
fouftraire à fon empire pour le foûmettre à
une Loi éttangere qui lui feroit plus favorable:
Quant au raiſonnement qu'on a mis dans
la bouche du Teftateur , il n'y a point de
difpofitions qu'on ne pût défendre à la faveur
de pareils Commentaires , il n'eſt pas permis
de faire valoir ce qu'a fait un Teftateur , &
qu'il ne pouvoit pas faire , en y fubftituant
ce qu'il n'a pas fait & ce qu'il pouvoit
faire.
La Coûtume de Paris doit décider du Legs
de 30000. livres comme des deux autres
Legs . On
JANVIER 17417 IF
On ne connoît dans le Droit François que
deux fortes de Biens , les meubles & les immeubles
; on ne fuit point le Droit Romain
qui faifoit une troifiéme Claffe des Droits
incorporels ; dans le Droit François ils ſont
meubles ou immeubles , felon leur objet ;
par conféquent un Legs de 30000. livres qui
'n'a pour objet que des deniers , eft une difpofition
purement mobiliaire .
par
Il eft incontestable que les meubles fuivent
le domicile ; il faut donc pour juger du
Legs d'une fomme mobiliaire , fuivre la Loi
du domicile. Ce principe a été confirmé
Arrêt du mois de Juillet 1739. fur partage
en la Grand' - Chambre , entre M. Fornier de
Montagny , Raporteur , & M. Severt , Compartiteur,
au fujet d'une donation d'une fomme
de 8000. livres , faite par Jean - François
Dubois , à Charles Dubois , qui fut confirmée
avec hypoteque fur les immeubles du
Donateur , quoiqu'elle n'eût été inſinuée
qu'au Lieu de fon domicile , & non au Lieu
de la fituation des biens , où les Héritiers
prétendoient qu'elle devoit l'être .
qu'
Quand le Legs de 30000. livres feroit un
Droit répandu fur tous les biens difponibles ,
comme le prétend Mad . de Chaillon , le Légataire
ne feroit pas le maître d'ajouter un
affignat particulier à la difpofition qui n'en
contient point , ni de l'affecter fur les biens.
B
d'une
12 MERCURE DE FRANCE
d'une Coûtume plûtôt que fur les biens d'une
autre ; il faudroit fous ce point- de- vûë
ordonner une contribution entre tous les
biens difponibles , Coûtume par Coûtume,
Mais cet Argument péche dans le principc
& dans la conféquence. pe
1º. Il n'eft pas vrai que le Legs d'une fomme
mobiliaire n'ait point de fituation ; l'objet
de ce Legs eft l'obligation que le Teftateur
s'eft impofée & qui eft devenue irrévocable
à l'inftant de fa mort ; une obligation
ne réfide - t'elle pas au même Lieu que la
perfonne en laquelle elle s'eft formée & qui
en eft le fujet ?
L'hypoteque des Legs a été jugée folidaire
fur les biens de la fucceffion, par deux Arrêts
célebres , raportés par Augeard ; enforte que
l'obligation eft prefumée s'être formée dans
la perfonne du Teftateur même à l'inftant de
fon décès, & doit être réputée fituée dans le
même Lieu que le Teftateur.
2. De ce que le Legs d'une fomme mo̟-
biliaire n'a point de fituation , il ne s'enfuit
pas qu'il ne foit régi par aucune Loi . Le
Droit François a donné une fituation corporelle
aux Droits même incorporels , & cette
Loi pour les meubles meublans & pour les
Legs de fomme mobiliaire , eft la Loi du do.
micile.
Si le Teftateur avoit legué les portions dif
ponibles
JANVIER. 1741. 13
ponibles de fa Terre , s'il avoit legué à prendre
fur ces portions , on examinercit la validité
de fon Legs , mais il ne l'a point fait ,
& il a fait ce qu'il ne pouvoit faire ; il faut
juger de la difpofition telle qu'elle eft , &
non pas telle qu'elle auroit pû ou dû être .
Si ce Teftament avoit été l'ouvrage du
Teftateur , on eft perfuadé que fes difpofitions
feroient conçues dans des termes convenables
à un Magiftrat auffi inftruit , & que
pour les faire valoir , il ne faudroit pas recourir
à de fi longs Commentaires .
Par Arrêt du 7. Avril 1740. rendu conformément
aux Conclufions de M. l'Avocat
Géneral Joly de Fleury , la Sentence des Requêtes
du Palais fut confirmée , avec amende
& dépens ; ainfi l'on a jugé que le Legs
fait à Mad. de Chaillon étoit nul , quoique
le furplus du Teſtament fût valable,
AMUSEMENT POETIQUE.
La Mouche noyée dans du lait avec l'Eloge
des Mouches.
L Es jeunes Brebis de Zemir
Avoient quitté leur pâturage ;
Zemir en avoit trait le lait pour fon laitage ;
Et le laiffoit repofer à loifir.
Bij Certaine
14 MERCURE DE FRANCE
Certaine Mouche un peu friande ,
Digne enfant de race gourmande ,
Vit le lait & voulut en contenter fon goût.
Un gourmand veut tâter de tout.
Sans en craindre la conféquence ,
Elle prend fur le champ fa réfolution .
D'un vol léger elle s'avance
Pour fuivre fa tentation .
Prenez garde , petite bête ,
Dedans ce lait vous vous laifferez cheoir;
Plus fin que vous , qui croyoit tout prévoir .
Ayant voulu fuivre la tête ,
Eft defcendu dans le Royaume noir.
Souvent friandiſe chérie
Caufe la fin de notre vie ;
Vaut mieux encor vivre que de mourir
Pour un fi mince & fi léger plaifir ,
Mais ma leçon eft inutile ,
Et notre Mouche eft indocile,
Elle vole , elle va toucher
La Liqueur fatale & trompeufe.
Elle la touche ... ah ! malheureufe !
Je te l'avois bien dit , qu'allois - tu là chercher
Je la vois qui déja furnage ,
Elle s'agîte tout le corps ,
Elle voudroit fe fauver à la nâge ,
Elle voudroit regagner le rivage
Mais
JANVIER . 1741 15
Mais elle fait de vains efforts .
Mille Mouches du voisinage ,
Surprifes du bruit qu'elle fait ,
Viennent autour du pot de lait ,
Mais elles n'y peuvent rien faire ,
Ét le pas eft trop dangereux ,
Pour ofer la tirer d'affaire .
Pour éviter un mal , fouvent on en fait deux ;
Dit- on ; ainfi , ma foeur , difputez votre vie
En invoquant l'aide des Cieux ; .
C'est ce que nous avons à vous dire de mieux.
Eh , mes foeurs , du fecours ! du fecours ! je vous
prie ,
Tirez-moi vite du danger;
Mais inutilement la pécore fuplie ,
On tâche de l'encourager ,
On ne la peut autrement foulager.
C'en eft donc fait , il faudra qu'elle meure
Trifte moment ! fatale heure !
Oui , fes efforts font fuperflus ,
Et tous les confeils qu'on lui donne
Ses fâncs battent déja , ſa force l'abandonne ;
Sa tête panche... elle n'eft plus.
Ma Mouche , je voudrois te redonner la vie ;
Et je fuis fâché de ta mort ;
+
Mais n'ayant pas voulu fuivre ma prophetic ,
Tu méritois un fi malheureux fort.
B iij
De
16 MERCURE DE FRANCE
De tous les Animaux de petite ſtructure
Que nous a donnés la Nature ,
Pour ta race , fur tout , j'ai de l'affection ;
Et c'eft avec raiſon.
La Fourmi vient par tout; or , c'eft une friponne ;
La Puce pique , & n'épargne perfonne ;
Le Coufin juſtement la nuit ,
Vient vous réveiller , & fredonne
Pour vous faire enrager au lit ;
En Eté , Madame Cigale
Vous étourdit l'oreille de fes chants ,
La Sauterelle eft la bête fatale
Qui ronge les Epics & dépeuple les champs .
La Mouche n'eft point fi maline ,
Elle aime bien les bons morceaux ;
Et même quand les tems font chauds
Elle vient trop à la cuiſine ;
Mais c'eft-là fon plus grand défaut ,
Défaut de petite importance,
•
Et qui fe corrige bien- tôt ,
* Tandis que la méchante engeance
Dont nous avons parlé plus haut ,
Fait fouvent un mal incurable ,
Ou qui du moins dure long - tems.
D'ailleurs ma Mouche a bien des agrémens
Qui la rendent plus eſtimable ,
Et moins blâmable.
Elle
JANVIER.
17418 17
*
Elle n'eft point farouche , & ſe laiffe aprocher ,
Facilement prendre & toucher.
Son chant n'a rien de trop rude ou trop tendre ,
Elle a grand foin de ne le faire entendre
Qu'autant qu'il faut pour égayer ,
Et pour ne pas nous ennuyer .
En volant dans les airs , quelle dexterité 1-
Point de peur , de timidité.
Pour éviter le coup que quelque Oifeau ! ui porte ,
Que de foupleffe , & que d'habileté ?
S'il la faifit , avant qu'elle foit morte ,
Elle defend fa vie avec honneur ;
Sa force manque avant fon coeur.
Ce lait qu'elle aime tant à boire ,
Montre quelle eft ſa douceur ,
Et qu'elle n'a pas l'ame noire.
En une feule occafion
Elle a pourtant de la malice ;
Elle ofe attaquer un Lion ,
Un Cheval même , une Geniffe ;
Elle monte fur eux , leur pique le muſeau ,
Ou leur entre au fond du nafeau.
Elle fait feule une cruelle guerre
Aux Animaux les plus fiers de la Terre ,
Tandis qu'elle rit de voir
Qu'ils mettent tout en devoir
Pour la chaffer & s'en défaire.
Biiij
Enfir
18 MERCURE DE FRANCE
Enfin ma Mouche a des apas
Que je ne fçaurois point décrire.
On la fouhaite , on la défire.
La voit- on quitter nos climats ?
Ah ! dit- on , voici les frimats ;
Déja la Mouche ſe retire ;
Mais quand on la voit revenit ;
Voici , dit- on , le retour du Zéphir.
Déja la Mouche eft en campagne ,
Par tout le Zéphir l'accompagne ;
Prenons l'habit d'été , rions , chantons , danſons ,
Voici la faifon des moiffons.
Veut-on parler de quelque chofe
De vif , de prompt & de léger ?
A notre Mouche on va fonger ,
Et pour modele on la propofe.
Il en eft fur tout un d'un ajuftement noir ,
Petit , dont les Cloris vis- à- vis leur Miroir ,
Avec art ornent leur viſage ,
Son nom , c'eft Mouche . On n'a pas crû pouvoir
Lui défigner un nom qui convint davantage.
Cruelle Mort , qui te plais au ravage
Et qui rôdant dans l'Univers ,
Cherche toujours quelqu'un à imettre dans tes fers,
Cruelle Mort , as- tu bien le courage
De foûmettre à tes Loix de petits Animaux ,
Qui, bien loin de nous nuire , aiment notre repos ?
Combien
J ♫ IV
17
A. 1/4
Combien d'autres Bêtes méchantes ,
Qui plûtôt qu'eux ont mérité tes coups ,
Et qui laiffent par tout mille traces fanglantes,
De leur colere contre nous ?
Mais inutilement je crie ;
L'Auteur de la Nature a dicté cette Lois
Le beau , le laid , & le fage & l'impie ,
Tous un jour finiffent par toi.
Par le Solitaire Ambroise.
EXTRAIT d'une Lettre de M. Quillet ,
écrite de S. Pol , en Artois , au mois de
Novembre 1740. au fujet d'un Puits extraordinaire.
Ldeftine u Traité qui expliquera le
E Prix que l'Académie de Bordeaux
mieux les caufes & Forigine des Fontaines
& des Rivieres , m'a rapellé le fouvenir de
la Note que feu M. de l'Ifle a mife dans fa
Carte de la Province d'Artois , fous le nom
de Boiaval , Village du Comté de S. Pol , à
trois quarts de lieue vers le Septentrion de
la Riviere de Ternois , où cet habile Géographe
a mis Puits extraordinaire , ces mots
peuvent exciter la ' curiofité , mais ils n'instruiſent
point de la caufe qui les y a fait
B v mettre.
20 MERCURE DE FRANCE
mettre. Les differens états de l'eau de ce
Puits , qui tantôt eft à fec , tantôt refluë par
fon embouchure , que l'Auteur de la Carte
a vû , raportés dans les Mémoires de Trévoux
de 1704. lui ont parû mériter cette remarque
; en effet il eft étonnant qu'à cent
dix pieds ( qui eft la profondeur du Puits )
on ne trouve quelquefois point d'eau du tout
perdant quinze jours ou trois ſemaines , &
que d'autres fois , mais plus rarement , il dégorge
fi abondamment, qu'il forme un Ruiffeau
très - confidérable , comme on l'a vû en
1736. ce qui commença le 7. Février , &
continua jufqu'au 26. du même mois ; il y
avoit quelques années qu'il n'avoit point répandu
d'eau, mais en celle - là , l'eau s'y éleva
avec tant de force , qu'elle penetra dans les
caves des maiſons voifines , qui en furent
remplies , & s'en écoula par les foupiraux
jufque dans les ruës.
On remarque que la cruë de ces eaux & leur
abaiffement dépend du plus ou du moins de
vent du Nord qu'il fait pendant l'année ;
l'abondance des pluyes ne les fait point
monter dans le Puits , fi le vent ne fouffle
des Parties Septentrionales , & on les voit s'y
élever dans des tems très fecs , lorfque le
vent regne avec force ; les Habitans de ce
Village, qui font obligés de fe pourvoir d'eau
à ce Puits , fçavent par la qualité des vents ,>
s'ils
C
.
s'ils auront à la tirer d'une grande profondeur
, ou s'ils la trouveront près de l'embouchure.
Ce que l'on voit arriver fi conftamment au
Puits de Boiaval , fait dire qu'il n'y a point
d'aparence que les pluyes donnent l'être aux
Fontaines , d'ailleurs il n'en tombe point affés
abondamment tout le long de l'année , fi
fuivant les Obfervations , la quantité ne
monte au plus qu'à vingt- quatre pouces; une
partie coule dans les Ruiffeaux & dans les
Rivieres,une autre demeure dans les terres &
les argiles , où elle ne pénetre point juſqu'à
la profondeur de quatre pieds & s'évapore
dans la fuite ; ce n'eft que dans les terres
marneuſes , grifes & pierrcufes où il en entre
, mais fi peu , qu'elles ne fourniroient
point un filet d'eau pendant trois mois,
C'est donc au vent , fi nous fuivons le
Phénomene du Puits de Boïaval , qu'il faut
avoir recours pour expliquer la caufe du
mouvement fouterrain des Eaux & des Fontaines
, non comme cauſe immédiate , mais
comme donnant plus de force & de mouvement
aux flots que la Mer fait rouler par fon
flux & reflux ; ces flots pouffés dans les terres
par le reflux , & avec plus de force quand
les vents fe joignent à la direction des flots ,
font néceffairement contraints par ceux qui
les fuivent fans ceffe , d'avancer dans les ou-
B vj. vertures
22 MERCURE DE FRANCE
vertures qui fe préfentent , & de s'y élever
dans les vuides , même des monts les plus
hauts , par la raifon que l'impulfion étant
continuelle , ils ne peuvent reculer , fur tout
lorfque le vent en augmente la vivacité ; enfuite
ces Eaux venant à rencontrer , chemin
faifant , des corps folides , s'échapent latéralement
par leur poids & vont fuivre, par differentes
finuofités , à travers les lits des pierdes
cailloux & des marnes ,
qui tendent au pied de quelque colline , &
forment nos Fontaines .
res ,
les routes
;
Ces Sources ne fe voyent jamais qu'aux
lieux pierreux , & quelquefois fablonneux
car dè- même que les pluyes ne peuvent pénetrer
les terres de pure argile , les Eaux
fouterraines ne peuvent faire éruption lorfqu'elles
viennent à les rencontrer , ce qui fe
vérifie en ce que lorfque les caves voifines
du Puits de Boiaval font remplies d'eau en
même- tems que ce Puits dégorge , d'autres
caves , qui font pour le moins douze pieds.
plus bas dans le Village , font entierement
feches ; la raifon eft que ces caves plus baffes
fe trouvent dans des terrains d'argile, & que
les autres font pratiquées dans des marnes.
On pourroit demander pourquoi dans les
mêmes circonstances la même chofe n'arrive
point à tous les autres Puits ; la réponſe eſt
p.ompte , c'eft que les Eaux que le flux , le
reflux
JANVIER. 1741. 23
嘻
W
reflux & le vents , pouffent dans les terres
& vers celles où eft creufé le Puits de Boïaval
, rencontrant moins de corps qui briſent
& qui diminuent la force de leur direction ,
il en refte encore affés pour être élevées jufqu'au-
deffus de fon embouchure & pour re-
Auer.
Un Puits , conftruit il y a dix ans , fur la
croupe d'une colline , à environ trois cent
cinquante pieds de diftance de celui qui
donné lieu à mes remarques , dont la fituation
eft de quarante- deux pieds plus haute
aide beaucoup à faire le calcul de la force
qui a fait dégorger notre Puits en 1736.
L'Eau du Puits de la colline y étoit montée
jufqu'à trente & un pieds près de fon embouchure
, c'est - à - dire onze pieds plus haut que
l'embouchure de l'autre Puits , dont la fitua
tion eft de quarante - deux pieds plus baffe ;
l'ouverture de celui - ci , comme celle de l'autre
, eft de trois pieds & demi de diamètre
de fa rondeur , d'où il s'enfuit que ce cilindre
d'eau de onze pieds , donnant environ
cent- douze pieds cubes , une force fupérieure
à un poids de huit mille foixante - quatre
livres , a fait, en Février 1736. fortir un ruiffeau
du Puits de Boiaval , force que les
eaux de pluye ne peuvent jamais acquérir ,
même pour la moindre partie.
Il eft fenfible que les Eaux circulent dans
le
24 MERCURE DE FRANCE
le grand corps de la terre , comme le fang
dans celui des Animaux , & il eft poffible
que celles que nous voyons fortir de nos
Fontaines ayent autrefois coulé dans le Fleuve
jaune & dans Rio de la plata. On conprend
aifément que le mouvement de la
Terre fur fon axe , eft la caufe de celui de la
Mer , que le reflux & le retour des eaux qui
ayant été pouffées vers le Nord par une ro
tation qui eft plus véhémente vers la Ligne
Equinoxiale que vers les Poles , reviennent
par leur propre poids dans leur orbite , d'où
cette rotation les avoit fait fortir , & continuënt
alternativement , felon que le mouvement
& la gravitation ont pris le deffus l'un
fur l'autre. La configuration de la Terre habitable
que l'on voit allongée vers les Poles,
& préfenter fon rivage qui repercute les
eau de la Mer qui y font pouffées , ne fait
pas moins fentir le méchanifme de ces mouvemens
, mais cela commence à fortir du
fujet de ma Lettre .
J'ai l'honneur d'être , &c.
VERS
tut:
VERS
, De M. l'Abbé le Couturier , à M. Bonnier
de la Moffon , fur fon Mariage avec
Mlle de Louraille.
L'ECHO DE LA SEINE ,
CANTATIL LE.
Uels aimables accens , quels Concerts d'alle-
Qgieffe
Viennent me réveiller fur ces tranquilles bords ?
De toute part jentends les doux accords
De mille voix qui répetent fans ceffe :
Vivez heureux Epoux , vivez Couple charmant ,
Le Ciel aprouve un choix dicté par la Sageffe ;
Que vos jours , exempts de trifteffe ,
Coulent dans le plaifir & le raviffement .
L'Hymen pour ce grand jour s'aprête ,
Il vient former des fermens folemnels
Et l'Amour en vainqueur amenant la conquête ,
Lui-même de l'Hymen vient parer les Autels.
Queltriomphe pompeux ! les Graces , la Jeuneſſe ,
Autour d'une aimable Déeffe
Former
20 MEN ПЕ DE FRANCE
Forment une nombreuſe Cour ;
La Génerofité couronne la Tendreffe ,
Et la Vertu s'unit avec l'Amour .
****************
MEMOIRE HISTORIQUE
P
concernant la Communauté des Avocats &
Procureurs au Parlement de Paris.
Eu de gens ignorent la difference qu'il
y a entre la Profeffion d'Avocat & celle
de Procureur , & que les Avocats au Parlement
de Paris forment un Ordre diftint &
féparé de la Compagne des Procureurs ; mais
peu de gens fçavent exactement ce que c'eft
que la Communauté des Avocats & celle des
Procureurs de ce Parlement . Ce Titre de Communauté
fait d'abord croire à ceux qui ne connoiffent
pas bien le Palais , que les Avocats
& les Procureurs n'y forment qu'un même
Corps , quoique ce foient deux Compagnies
differentes.
L'origine des Avocats au Parlement de
Paris eft beaucoup plus ancienne que celle
des Procureurs ad Lites. Il y avoit en France
des Avocats dès le commencement de la
Monarchie ; ils alloient alors plaider dans
tous les Tribunaux du Royaume ; lorfque
le Parlement de Paris eut été inftitué par le
Roy
JANVIER . 1741. 27
Roy Pépin en 757. ils alloient plaider dans
les differens endroits où le Parlement tenoit
fes Séances ; mais depuis que Philipe le Bel
l'eût rendu fédentaire à Paris en 1302. il y
eut des Avocats qui s'y attacherent pour y
faire leur Profeffion , & qui cefferent d'aller
plaider dans les Provinces,comme ils faifoient
auparavant ; c'eft ce qui commença à former
l'Ordre des Avocats au Parlement de Paris .
Pour ce qui eft des Procureurs ad lites
leur inftitution en France ne temonte pas
loin ; les établiffemens faits par S. Louis en
1270. font la plus ancienne Ordonnance qui
en faffe mention ; encore falloit il alors une
difpenfe pour plaider par Procureur ; l'Ordonnance
des Etats tenus à Tours en 1484
fut la premiere qui permit à toutes fortes de
perfonnes d'efter en Jugement par Procureur.
Ils furent érigés en Titre d'Office par un Edit
de Charles IX. du mois de Juillet 1572. qui
fut révoqué en 1576. aux Etats de Blois
mais par des Lettres Patentes & Arrêts de s
années 1585. 1597. & 1609. ils furent rétablis
en Titre d'Office par tout le Royaume
ce qui fubfifte encore dans le même état .
Ce n'eft pas feulement par raport au tems
& à la forme de leur inftitution que les Avocats
forment un Ordre féparé de la Communauté
des Procureurs ; car fans parler de plufieurs
Droits & Prérogatives qui ne font accordés
28 MERCURE DE FRANCE
cordés qu'aux Avocats , ils font naturellement
diftingués des Procureurs par leur Profeffion
, qui cft entierement differente. Le
miniftere de l'Avocat eft de donner confeil
aux Parties, de plaider & d'écrire pour la défenſe
des affaires : au lieu que la fonction du
Procureur ne confifte qu'à faire la procédure
; d'ailleurs les Avocats forment un Ordre
particulier , qui a fon chef & fa difcipline ,
qui lui font propres. Les Procureurs forment
de leur part une Communauté qui a fes Chefs
& fa difcipline , enforte que les Avocats &
les Procureurs font deux Compagnies differentes
, & non pas une même Communauté.
Il y a cependant au Palais une efpece de
Jurifdiction economique , à laquelle on a
donné le nom de Communauté des Avocats
Procureurs de la . Cour. Sous ce nom on
entend quelquefois la Chambre où fe
tient cette Jurifdiction , quelquefois la Jurifdiction
même , quelquefois enfin les
fonnes qui l'exercent .
per-
Ce terme de Communau é a fait croire à
quelques Praticiens , & notamment à l'Auteur
du Recueil des Reglemens concernant
les Procureurs , que les Avocats & les Procureurs
ne formoient qu'une même Communauté.
On trouve à peu près la même chofe dans
un petit Traité manufcrit , intitulé de l'Etabliffement
JANVIER.
29
1741 .
bliffement des Procureurs de la Cour de la
Communauté des Avocats & Procureurs.
L'Auteur de ce petit Ouvrage n'eſt pas
connu. Je conjecture feulement qu'il eft de
quelque ancien Procureur de Communauté ;
fon Manufcrit eft devenu en quelque forte
public , par le grand nombre de copies que
beaucoup de perfonnes en ont tirées.
Ce petit Traité porte en fubftance qu'anciennement
les Avocats inftruifoient feuls les
affaires , qu'ils s'affembloient entre eux fur le
fait de cette inftruction , & que cette Affemblée
fe nommoit la Communauté des Avocats
que les affaires s'étant multipliées , les
Avocats s'attacherent feulement aux Audiences
, & abandonnerent l'inſtruction aux
Procureurs , auxquels ils furent obligés de
donner place & voix délibérative dans leur
Communauté , que l'on a nommé depuis la
Communauté des Avocats & Procureurs.
L'Auteur du Manufcrit fe trompe dans tous
ces faits ; car avant qu'il y eût des Procureurs,
il n'y avoit point de procédure ni d'inftruction
; la forme judiciaire étoit auffi fimple
que l'expédition des affaires étoit prompte
; il n'y avoit point de Procès par écrit ,
tous les differends fe décidoient à l'Audience
fur la plaidoirie des Avocats & quelquefois
même fur celle des Parties . Deforte qu'il
n'y avoit pas alors matiere à tenir des
Affemblées
30 MERCURE DE FRANCE
Affemblées de Difcipline , fur tout concernant
l'inftruction des affaires , qui étoit fi
fimple. Auffi ne trouve-t'on rien qui dénote
que les Avocats tinffent de telles Affemblées ,
& encore moins que cette Compagnie fût
qualifiée de Communauté ; on ne lui a jamais
donné d'autre Titre que celui d'Ordre
& non celui de Communauté , qui ne convient
qu'à des Societés érigées en Corps de
Communauté par des Lettres Patentes.
M. Boyer , Procureur au Parlement , dans
le Style du Parlement , qu'il a donné au Public
, a fait un Titre particulier de la Communauté
des Avocats & Procureurs , dont
il parle d'une maniere affés confufe.
M. Caret , Docteur en Droit , qui a donné
en 1615. une nouvelle Edition de ce Style
avec des Notes , s'eft récrié contre ce Titre
de la Communauté des Avocats & Procureurs
, il foûtient qu'il n'y a entre eux aucune
Communauté , & que les Ordonnances
ne parlent que de la Communauté des Procureurs.
Cependant ce qu'en a dit Boyer n'eſt pas
fans fondement ; car il raporte un Arrêt du 18
Mars 1508 rendu fur les remontrances faites
ala Cour par le Procureur Général du Roy ,
qui enjoint aux Procureurs de la Communauté
de faire Affemblée entre les Avocats &
Procureurs , pour entendre les plaintes , chicanneries
JANVIER . 1741 3
canneries de ceux qui ne fuivent les formes
anciennes , & contreviennent au Style &
Ordonnances de la Cour , & de faire Regiftre
, le communiquer au fieur Procureur Géneral
, pour en faire raport à la Cour & procéder
contre les coupables par fufpenfion ,
privation ou autres voyes de droit.
>
Cet Arrêt fait connoître qu'il y avoit déja
des Procureurs apellés Procureurs de Communauté
, avant que l'on eût établi une Affemblée
commune entre les Avocats & les Procureurs
; que cette Affemblée n'a été inftituée
qu'en 1508. que l'objet de cet établiſſement
a été que les Avocats , de concert avec les
Procureurs , faflent obferver une bonne difcipline
entre eux : que cet Arrêt n'a ufé que
du terme d'Affemblée , enfin que c'eſt cette
Affemblée, que F'on a enfuite apellée improprement
la Communauté des Avocats &
Procureurs , parce qu'elle eft compoſée en
partie d'un certain nombre de Procureurs ,
qui font élus par leur Communauté , pour la
repréfenter dans les affaires communes , &
qu'avant que les Avocats s'affemblaffent avec
eux , on apelloit cette Affemblée des Procureurs
feuls , la Communauté , pour dire Af
femblée de la Communauté.
Le Reglement du 23. Mai 1576. & l'Ordonnance
de 1667. Tit. 6. Art . 4. & Tit.
31. Art. 15. qui ordonnent que certaines
affaires
32 MERCURE DE FRANCE
affaires d'inftruction feront vuidées par avis
des Avocats & Procureurs , ne parlent ni de
Communauté ni d'Affemblée des Avocats &
Procureurs.
Mais ce qui feroit encore mieux croire
qu'il n'y avoit point alors de Communauté
entre les Avocats & Procureurs , c'eſt que par
les Articles 8. & 9. du Reglement du 23 ,
Mai 1576. il eft enjoint aux Procureurs de
s'affembler deux fois la femaine pour connoître
ceux qui contreviendroient au Reglement
, en faire raport au Procureur Géneraldu
Roy , &c. Ces deux Articles ne parlent
point des Avocats & ne dénotent point
qu'ils euffent part à l'Affemblée des Procureurs
, ni que cette Affemblée fe nommât la
Communauté des Avocats & Procureurs.
Il eft cependant certain que l'Affemblée
des Avocats & Procureurs ,
inftituée par
l'Arrêt de Reglement du 18. Mars 1508. n'a
jamais été abolie , & quoiqu'elle ne foit ordinairement
tenue que par les Procureurs
feuls,cela n'empêche pas que lesAvocats n'en
foient toujours les Chefs, & qu'ils n'y aillent
quelquefois lorfqu'il s'agit de matieres qui
intereffent l'Ordre & fur lefquelles il eſt néceffaire
de fe concerter avec les Procureurs.
Le nom de Communauté que l'on donnoit
à l'Affemblée des Syndics des Procureurs a
été étendu par l'ufage à l'Affemblée commune
entre
JANVIER; 1741, 33
"
entre les Avocats & Procureurs , & cet ufage
a été enfuite adopté par les Reglemens.
Le Bâtonnier des Avocats eft le Chef de la
Communauté des Avocats & Procureurs
& a le droit d'y aller préfider , toutes les fois
qu'il le juge à propos.
,
Le plus ancien exemple que j'en aye trouvé,
eft une Déliberation de la Communauté des
Avocats & Procureurs , du 9. Janvier 1690,
raportée dans le Code Gillet , où il eft dit
que M. le Bâtonnier prit fa place ; c'étoit
alors M. Iffalis . Il s'agit d'une matiere qui
intéreffoit les deux Compagnies,
L'Arrêt de Reglement du 17. Juillet 1693 :
fait auffi mention de la Communauté des
Avocats & Procureurs. M. Chrétien -Fran
çois de la Moignon dit que les Avocats &
les Procureurs , fuivant les ordres de la Cour,
avoient conferé enfemble pour regler leurs
fonctions ... , & avoient dreffé des articles qui
marquoient les Ecritures que les uns & les
autres peuvent faire , & celles qu'ils peuvent
faire
par concurrence ; que ces articles
avoient été remis entre les mains des Gens
du Roy par le Bâtonnier des Avocats & par
les Procureurs de Communauté. L'Arrêt qui
eft enfuite , fait la diftinction des Ecritures
que les Avocats ont feuls droit de faire , &c.
& il eft dit que c'eft fuivant ce qui avoit été
convenu entre les Avocats & les Procureurs,
Il
34
MERCURE
DE FRANCE
Il eſt enjoint au Bâtonnier des Avocats &
aux Procureurs de Communauté d'informer
foigneufement la Cour des contraventions
qui feront faites à ce Reglement , & il eft
dit que cet Arrêt fut lû & publié en la Communauté
des Avocats & Procureurs de la
Cour.
On voit dans l'Arrêt de Reglement du 27.
Juillet 1727. que M. Grotefte , alors Bâtonnier
des Avocats , demanda d'être entendu
fur un Fait de difcipline qui intéreffoit l'Ordre
; qu'ayant été mandé , il entra avec les
Procureurs de Communauté : qu'après fon
Difcours les Procureurs de Communauté
demanderent acte de ce qu'ils adhéroient
à la repréſentation du Bâtonnier : le difpofitif
de l'Arrêt qui intervint fait mention que cefut
fur la repréſentation des Avocats , il ne parle
pas des Procureurs , & ordonne feulement
que l'Arrêt fera lû & publié en la Communauté
des Avocats & Procureurs de la Cour ,
& infcrit fur les Regiftres de la Communauté
.
M. Froland qui fut Bâtonnier en l'année
1734. alla une fois dans cette année préfider
à l'Audience de la Communauté.
Les anciens Bâtonniers ont auffi féance &
voix déliberative en la Chambre de la Communauté
après le Bâtonnier actuellement en
place : il y a même des occafions où le Bâtonnier
JANVIER 35 1741
tonnier fe fait affifter d'un certain nombre
d'anciens Avocats , autres que les anciens
Bâtonniers , comme on le peut voir dans
l'Arrêt de Reglement du 18. Janvier 1710.
intervenu fur une Déliberation de la Communauté
des Avocats & Procureurs , concernant
les comptes de la Confrairie établie
en la Chapelle de S. Nicolas , & des aumônes
de ladite Confrairie : il eft dit dans cette
Déliberation , qu'il eft avantageux que M.
le Bâtonnier ait connoiffance du compte
qui fe rend à la S. Hilaire , que cela contribuéra
à fortifier l'union qui doit être entre
les deux Compagnies pour le bien de la Juftice
& pour leur interêt particulier. Ces termes
dans les deux Compagnies , font voir
que de l'aveu même des Procureurs , les
Avocats forment une Compagnie diſtincte
& féparée des Procureurs , & non pas une
feule & même Communauté.
Le réfultat de cette même Déliberation
eft que l'état de la diftribution des aumônes
de la Communauté fera arrêté dans la
Chambre de la Communauté , en préſence
& de l'avis , tant de M. le Bâtonnier & de
l'ancien Procureur de Communauté , que
de
uatre
anciens
Avocats
qui y feront
invités
par
M. le Bâtonnier
, dont
il y en aura
deux
;
au moins
, anciens
Bâtonniers
, & de quatre
Procureurs
de Communauté
; & au cas que
le
C Proa
36 MERCURE DE FRANCE
7
Procureur de Communauté fe feroit affifter
d'autres Procureurs , M. le Bâtonnier fe fera
également
affifter
d'Avocats
en
nombre
égal à celui des Procureurs,
24:
La diftribution des aumônes dont il s'agiffoit
, fe fit conformément à cette Déliberation
, en la Chambre de S. Louis le
Janvier 1710. MM. Euffroy , Bâtonnier
Chardon & Gaftiers, anciens Bâtonniers,& de
la Marlier , ancien Avocat , étoient affis à
côté l'un de l'autre , ayant devant eux un
Bureau , de l'autre côté duquel étoient MM,
Gillet , Favieres , Hebert & Guefdon , Procureurs
de Communauté.
Les quatre Procureurs de Communauté
qui fiégent après les Avocats , font quatre
anciens Procureurs que leur Compgnie
choifit à la pluralité des fuffrages : le plus
ancien nommé d'entr'eux , préfide entre fes
Confreres ; ils rempliffent cette fonction
pendant trois ans , après lefquels on procede
à une nouvelle élection .
Les anciens Procureurs de Communauté
fortis de Charge, ont auffi féance & voix déliberative
en la Communauté après ceux qui
font actuellement en place , foit dans les Déliberations
particulieres , foit aux Audiences
de la Communauté.
La Communauté choifit auffi tous les ans.
Procureurs parmi ceux qui ont été Receyeurs
JANVIER: 1741. 37
veurs des aumônes, pour affifter avec les anciens
aux Déliberations : c'eft un ancien
Procureur qui fait la fonction de Greffier
& qui tient Regiftré des Avis & Déliberations
de la Compagnie.
La Communauté s'affemble & donne
audience dans la Chambre de S. Louis ou
Chambre de la Tournelle Criminelle rous
les Lundis & Jeudis depuis midi jufqu'à deux
heures ; c'eft là qu'elle entend les Plaintes
des Procureurs contre leurs Confreres fur le
fait de la Procedure & fur la difcipline qui .
s'obſerve entr'eux.
Les Jugemens qui interviennent ſur ces
Plaintes font rédigés par forme d'avis , four
le bon plaifir de la Cour , & c.
Quand les Procureurs refufent d'obéir à
ces Avis , les Procureurs de Communauté
en Charge vont en porter leur Plainte au
Parquet de Mrs les Gens du Roy , qui après
avoir examiné l'Avis , s'il leur paroît juſte
vont en la Grand- Chambre prendre des conclufions
contre le Procureur réfractaire , qui
eft puni féverement lorfqu'il fe trouve en
faute.
La Communauté des Avocats & Procucurs
s'affemble auffi dans une autre Cham
bre, apellée la Sacriftie , parce qu'elle fert de
Sacriftie à la Chapelle de S. Nicolas : cette
Chambre eft proprement la Chambre du
Cij Confeil
MERCURE DE FRANCE
•
fe Confeil de la Communauté. C'eſt- là que
font les Déliberations fur les affaires communes
, & que l'on fait la lecture & publication
des Reglemens de la Cour concernant
la difcipline du Palais .
: Tous les Avis & Déliberations de la Com
munauté font intitulés, Extrait des Regiftres
de la Communauté des Avocats & Procureurs
, quoique les Avocats y aillent rarement
, & que la plupart des affaires qui s'y
traitent,ne concernent que les Procureurs.
* Le Bâtonnier & les autres anciens Avocats
ne vont guére à la Communauté que pour
les comptes de la Confrairie , commune aux
deux Compagnies, établie en la Chapelle de
S. Nicolas.
C'eſt à l'occafion de cette Confrairie , qui
eft beaucoup plus ancienne que l'établiffement
de la Communauté , que l'on a inftitué
le Bâtonnier, qui eft proprement le Marguillier
d'honneur de la Confrairie . Sans doute
qu'anciennement il portoit le Bâton de S.
Nicolas , aux cérémonies qui fe font en la
Chapelle , & c'eſt de- là qu'on l'a nommé
Bâtonnier.
Les anciens Bâtonniers & autres anciens
Avocats font tous les ans le 9. Mai l'élection
d'un nouveau Bâtonnier : les Procureurs
de Communauté donnent auffi leur fuffrage.
Four cette élection , parce que le Bâtonnier
eR.
JANVIER. 1741 3.g
eft le Chef, non feulement de la Confrairie,
mais auffi de la Communauté.
Le Bâtonnier a été auffi dans la fuite adopté
pour Chef de l'Ordre des Avocats : mais
les Procureurs n'ont aucune part à ce qui
concerne la difcipline particuliere de l'Ordre
, foit pour la confection du Tableau ;
foit pour regler les differends qui peuvent
s'élever entre quelques Avocats. C'eft au
Bâtonnier , aux anciens Bâtonniers & autres
anciens Avocats , que l'on défere tout ce qui
concerne l'Ordre en particulier on apelle
quelquefois à ces Affemblées un ou plufieurs
Députés de chaque Banc : quelquefois même
on aflemble tout l'Ordre , felon la nature
& l'importance des affaires qui fe préfentent.
S'il y a lieu de requerir quelque Regles
ment ou de faire quelque autre repréfentation,
en conféquence de la Déliberation faite
en l'Affemblée de l'Ordre , le Bâtonnier va
en la Grand' - Chambre , affifté de quelques
anciens Avocats , où il rend compte de
l'affaire dont il s'agit.
Il y a plufieurs exemples de ces repréſentations
faites par le Bâtonnier , notamment
dans les Arrêts des 8. Mars 1729. 4. Septembre
1734. & 18. Février 1736. & ce
qu'il y a furtout de remarquable dans l'Arrêt
du 4. Septembre 1734. c'eft que pour le
notiz
C iij
40 MERCURE DE FRANCE
notifier à l'Ordre , on ne le fit point publier
en la Communauté des Avocats & Procureurs
, il fut ſignifié au Bâtonnier en ſon dodomicile
: ce qui confirme de plus en plus
que l'Ordre des Avocats fait une Compagnie
diftin&te & féparée de celle des Procureurs
, que ce que l'on apelle la Communauté
des Avocats & Procureurs , ' n'eſt autre
chofe qu'une Jurifdiction oeconomique où
le Bâtonnier des Avocats préfide , & que les
Avocats ont été mis à la tête de cette Chambre
, pour concourir avec les Procureurs à
maintenir une bonne difcipline dans le Palais
fur le fait de la Procedure , & tout ce
qui concerne l'inſtruction des affaires.
Je ne m'étendrai point ici fur l'établiffement
& l'adminiftration de la Chapelle & de
la Confrairie de S. Nicolas , parce que j'en
ai fait le détail dans ma Lettre du mois de
Decembre 1738. qui a été inferée dans le
fecond Volume du Mercure de Decembre
17:38. p. 2795.
EPITRE
JANVIER. 1741. 41
*******************
EPITRE
A M. de G. qui avoit lû avec complaisance
une Ode , & quelques autres Piéces de
Poefie de l'Auteur ; mais qui trouva qu'il
ne refpectoit pas affés les Dieux dans une
Elégie.
A Imable & fçavant de G……. ,
De qui la fertile veine ,
Dans les plus arides Bois
A retrouvé tant de fois
Caftalie & l'Hypocréne ;
Vénérable Doyen des Aonides Chours ;
Toi , que les Mufes & les Graces ,
Volant encore fur tes traces ,
Couronnent à l'envi de leurs plus belles fleurs
Des mains de la Reconnoiffance
Reçois ces foibles traits de mon jeune pinceau ,
Daigne me lire de nouveau
Avec les yeux de l'indulgence .
Depuis que t'arrêtant à mon lyrique éfort ,
Tu voùlus l'honorer d'un gracieux fourire ,
Plein d'un prix fi flateur , je me crus affés fort
Pour braver les hazards du poëtique Empire.
Acheve : pfête à mon Crayon
Сім
Le
42 MERCURE DE FRANCE
Le
prompt
Pour fonder
les tréfors de ce facré Vallon
fecours de ton aîle affûrée ,
Où Phébus tant de fois abreuva ta raiſon
Du pur Nectar de fa coupe dorée.
Mais .... quel fouvenir ténébreux
Semble empêcher le cours de tes riches lumieres ?
Ah ! condamnerois-tu ce moment douloureux
Où , d'un fouffe mortel l'Idole de mes feux
Sentant les atteintes ameres
Ma Mufe vint contre les Dieux
Exhaler fa douleur en reproches feveres !"
Peut- être même injurieux !
Quoi , ta faine Philofophic
Ainfi ftoïquement a peſé mes regrets ?
Pouvois- je møderer ma plaintive faillie ?
N'eft- il point de pardon pour une Muſe aigrie ,
Qui voit changer ſes Myrthes en Cyprès
Non , d'une fi jáſte trifteffe
Tu n'as pas pû noircir le tendre emportement :
Sur ta délicate fageffe
Je dois
porter un autre jugement ;
Je fçais que la vive tendreſſe
Fut fon premier amuſement ,
Qu'à fes côtés elle eut fans ceffe
Les Ris , les Jeux , le Goût , le Sentiment
Que toujours la délicateffe ,
Exemte de l'aveuglement
(
JANVIER 174L.
43.
D'une fcrupuleufe rudeffe ,
Sçût tirer les leçons du fein de l'enjoûment.
Loin de ces maximes ingrates
D'un cauftique Zenon monté fur de grands mots ,
Toujours fur le Luth des Saphos.
Tu fis badiner les Socrates .
Les Echos fortunés de tes champêtres lieux
Tous les jours nous difent encore ,
Que partagé cent fois entre Pomone & Flore,
Près des la Fares , des Chaulieux ,
Dont tu femes partout les richeffes écloſes ,
`Ta raifon se coëffoit & de pampre & de rofes
Je ne croirai donc point , éloquent de G...
Que , Philofophe atrabilaire ,
Tu vouluffe au rigide poids
D'une fombre vertu cruellement auftere ,
Fefer de mes foupirs la douloureufe voix.
Tu fçais dans ton Automne , en fage
Près du Dieu du Goût & des Vers
Retrouver les plaifirs divers
Que tu cueillis dans le bel âge :
Et loin de m'envier les tranfports d'un chagrin,
"
Qui dans ces noirs inftans offre même des charmes ,
Je dis qu'un femblable deſtin
T'eût coûté d'auffi vives larmes.
Bar M. LEUBO
203
Cy LETTRE
44 MERCURE DE FRANCE
LETTRE de Don Victor de Chancel de
la Grange , Capitaine an Régiment de
France , Dragons , à Mylord Duc d'Ormond.
MYYLORD,
Le bruit a couru que Votre Excellence
pafferoit dans nos Quartiers , en allant commander
l'Armée de Galice. Je me flatois que
cette occafion me procureroit l'avantage
d'être connu de vous. Animé par ce juſte
défir , j'avois compofé une Piéce de Poëfie
que je comptois vous préfenter. Mais
puifqu'il ne m'eft pas permis de jouir de cet
avantage , j'ai crû que Votre Excellence ne
trouveroit pas mauvais que je priffe la liberté
de lui envoyer un Ouvrage où le coeur
a plus de part que l'efprit , la fupliant de
faire réjaillir fur moi une partie des bontés
dont elle a honoré mon père pendant le féjour
qu'il fit à la Cour d'Eſpagne en 1722.
Ma Patrie ne me coûteroit plus de regrets ,
fi je pouvois avoir part à une protection qui
me tiendroit lieu de tout , & qui peut feule
me dédommager de toutes les pertes que
j'ai faites. J'ai l'honneur d'être , &c . A Vil-
Jemanon , ce 30. Juillet 1740;
LE
R. 1741.
45.
LE PORTRAIT D'ALCIBIADE .
Dans les mains duFils de Latone
Je crus voir l'autre nuit le portrait d'un Guerrier ,
Pour qui le Mirthe & le Laurier
Formoient une double couronne,
Ami , dit Apollon , le Héros que tu vois
Fit long-tems triompher Athenes ;
Eftimé des plus puiſſans Rois ,
Il le fut encor plus des Reines.
Dans les fêtes , dans les hazards ,
Toujours sûr de vaincre & de plaire ;
Nul ne le furpaffa dans le métier de Mars ,
Ni dans l'Ecole de Cithere .
Son ingrate Patrie , en fe privant de lui,
Perdit fes honneurs & la gloire ;
Et les autres Etats dont fon bras fut l'apui ,
Virent fous leurs Drapeaux revenir la victoire.
Viens admirer ce front ceint de tant de Lauriers
Ta jeune ardeur me perfuade
Qu'il t'eft doux d'être des premiers
A rendre les honneurs que doivent les Guerriers
A l'image d'Alcibiade.
C vj Alors
46 MERCURE DE FRANCE
Alors , m'aprochant de plus près ,
Au lieu du Héros Grec qu'annonçoit cette image ,
De l'invincible Ormond j'y reconnus les traits ;
Et mon étonnement augmenta davantage ,
Quand j'ouis Apollon me tenir ce langage.
Il faut te réveler le miftere profond
Qui comprend deux Héros dans la même figure ;
Avec tous les talens qu'il eut de la Nature ,
L'efprit d'Alcibiade a paffé dans Ormond.
Le Ciel qui les forma fur le même modelle
Voulut en tous les deux , pour finir leurs portraits ,
Mettre une ame également belle ,
Et leur donner les mêmes traits.
Egalement fujets aux fureurs de l'envie ,
Et de leurs ennemis également vainqueurs ,
Tous deux ont fignalé l'hiſtoire de leur vie
Par les mêmes fuccès & les mêmes malheurs.
Tous deux , en foutenant l'honneur de leur Patrie
Ont vû leurs Citoyens demander leur trépas ;
Et contre deux Peuples ingrats ,
L'an fecourut la Perfe , & l'autre l'Iberie,
Mon fommeil ceffe en même tems
Par des cris de réjoiiiflance ,
Qai
JANVIER 1741 47
Qui pouffés jufqu'au Ciel par tous nos combattans,
De notre Géneral m'annoncent la préſence.
Alors , plein de raviffement ,
J'ai couru rendre mes hommages
A celui que le Ciel m'avoit peint en dormant
Avec de fi grands avantages.
Rien n'égaleroit mon bonheur ,
Si mon zele pouvoit paroître ,
En marchant fous un fi grand Maître
Dans la carriere de l'honneur .
REPONSE.
'Ar reçû , M. la lettre que vous m'avez
fait l'honneur de m'écrire du 30. Juillet ,
avec les Vers que vous avez bien voulu m'adreffer.
Votre efprit & votre talent pour la
Poëfie s'y font remarquer ; c'eft dommage
que vous n'ayez pas choifi un Sujet qui les
égale. Je ferois ravi d'avoir quelque occafion
de vous rendre fervice. Le mérite de M. votre
pere , auffi bien que le vôtre, m'engageront
toujours à vous donner toutes les marques
poffibles de mon eftime & de la parfaite
confidération avec laquelle j'ai l'honneur
d'être , Monfieur. Signé , LE DUC
D'ORMOND.
A Madrid le 10. Août 1740.
PLAIN TE
༥་
48 MERCURE DE FRANCE
į į g g g g g å g g ååå
PLAINTE DE L'ECUREUIL
AU GENIE DE LA FONTAINE.
FABLE.
Pourquoi , Ourquoi , célebre la Fontaine ;
Quand vous avez chanté tant d'Animaux divers ,
M'avez-vous oublié je valois bien la peine
D'être auffi placé dans vos Vers.
Je fuis le plus joli du monde.
Ma queue , ornement fans pareil ,
En Eté me défend des ardeurs du foleil :
J'en fais un parafol . Quand je veux paffer l'onde ,
Léger , ingénieux , l'écorce d'un ormeau
Me porte & me fert de bateau .
Ma queue alors eft d'un nouvel ufage ;
Elle tient lieu de voile & hâte mon paffage.
Vous n'avez jamais fait de fi riant tableau.
Vous chantez ma foeur la Belette
Les Rats & même les Souris.
Ah , que des Animaux le fameux Interprete
Du petit Ecureuil n'a-t'il connu le prix !
Votre Mufe naïve , en tous lieux eftimée ,
Ent étendu nma renommée .
JANVIER. 1741 49
A
Ce qui redouble mon chagrin ,
J'aprens qu'Oudry , dont le Pinceau divin
A des couleurs ſi véritables ,
De ces diférens Animaux ,
Que vous célebrez dans vos Fables ,
A fait les portraits les plus beaux,
Parmi ces chefs -d'oeuvres nouveaux
O comble de difgrace !
Le petit Ecureuil ne tiendra point la place.
C'est vous qui la caufez , Favori d'Apollon.
Oui , quand vous auriez dû , pour moi fans indulgence
,
Me comparer au Singe & m'apeller larron ,
Croqueur de noix & de marron ,
Je ferois moins fâché de cette médifance ,
Que d'un fi dédaigneux filence,
Sans cet oubli , dans un double portrait
Le Monde eût admiré ma queuë & ma figure.
Oudry , Peintre de la Nature ,
M'eût d'après vous deffiné trait pour trait.
Cet Ecureuil nous peint une Coquette .
Critiquez fa conduite , elle en fait peu de cas .
Pourvû qu'on vante fes apas ,
Son ame vaine eft fatisfaite.
Cette Fable eft de M. Richer.
3
so MERCURE DE FRANCE
X. LETTRE contenant la suite des pensées
diverses sur la Méthode du Bureau
Typographique.
125°.L
'Enfant
du
Bureau
, Monsieur
, lit
plus
facilement
ce
qu'on
lui
dicte
que
ce
qu'on
lui présente
. 1 °. Parce
que
d'oreille
il compose
mieux
d'après
les sons
articulés
, que
la languerépete
et que
la mémoire
retient
. 2° . Parce
que
les
signes
et les combinaisons
des
Lettres
présentées
aux
yeux
, ne réveilient
pas
toujours
le son
qu'il
faut
leur
donner
. C'est
pourquoi
on
ne
sçauroit
trop
exercer
les Enfans
sur
la double
Ortographe
de
l'oreille
et des
yeux
, et on doit
sur
tout
exiger
qu'ils
composent
de leur
propre
tête
tout
ce qu'ils
voudront
. On
verra
pour
lors
, ou jamais
, que
la Méthode
vulgaire
n'aproche
pas
des
avantages
de celle
du
Bureau
Tyographique
.
126° . Ceux qui s'oposerent autrefois à l'invention
et à la pratique de l'Imprimerie ; ceux qui ne vou -
Joient pas qu'on l'établit à Constantinople , parois
soient plus raisonnables que les Critiques du Bureau
Typographique. Il s'agiffoit d'ôter le pain de la
main à des milliers de Copistes , c'étoit une Profeffion
et une ressource dans la République des Lettres .
Mais le Bureau Typographique augmente & multiplie
ce pain , bien loin de l'ôter , elle le rend meilleur
à quiconque veur mieux faire , et si quelque
ignorant, quelque faineant est abandonné par la Typographie
, les autres y gagnent bien plus.
127. Le Monde est plein de préjugés , en voici
an considérable . On s'imagine que la pension des
petits Enfans doit couter beaucoup moins que la
pension
JANVIER. 1741. ST
pension des grands ; mais on devroit faire attention
que les petits Enfans , outre la nourriture , demand
dent beaucoup plus de soins et rendent plus escla➡
ves ceux qui s'en chargent. Un Enfant qui a une
Gouvernante pour lui seul , ne coûte- t'il pas plus
que celui qui n'en a plus besoin? Il en est à peu près
de- même dans les Pensions , celles qui coûtent le
moins,sont en géneral les plus mauvaises ; et les plus
cheres, sont les meilleures et les moins nombreuses .
128°. L'homme ne sçauroit être également habile
sur tout. On poffede un Art , on ignore l'autre
, c'est pourquoi tant d'habiles gens , à certains.
égards , paroissoient bouchés et bêtes vis - à - vis un
Bureau; ils regardent cela au- dessous d'eux , et par là
se rendent fouvent incapables des moindres choses, ils
n'y voyent pas un interêt digne de leur attention .
Il faut suspendre quelquefois son jugement avant
que de prononcer. Mais enfin si un homme d'esprit
, par hazard , paroît bête auprès d'un Bureau ,
jamais un sot n'y paroîtra homme d'esprit.
129° . Comme les habitudes ne peuvent s'acquérir
qu'à force d'actes réïterés , on ne sçauroit trop
exiger des Enfans la répétition de leurs Thèmes.
On doit les faire lire avant la composition sur la
Table du Bureau , après quoi , double lecture pour
la Version , autant pour la composition mot à mot ,
et ligne à ligne, ensuite les réciter , si cela se peut ,
rapeller toutes les fautes , toutes les corrections ,
rendre raison de tout, saus regarder les Cartes ni les
Etiquettes , on exige tout cela à proportion de l'â
ge , des progrès et des dispositions.
6
130°. Qu'importe , dit- on , qu'un Enfant ait de
la peine ou non , en aprenant à lire par la Méthode
vulgaire il ne s'en souvient pas étant grand. Je .
réponds , qu'il ne s'en souvient que trop , et que le
dégoût lui en reste en continuant ses Etudes par la
Méthode
12 MERCURE DE FRANCE
Méthode vulgaire,mais quand il seroit vrai que l'Enfant
ne s'en souviendroit pas , s'ensuit - il qu'on doive
le faire souffrir et le maltraiter sans nécessité et
lorsqu'on peut mieux faire ? Ne cherche - t'on pas à
soulager les Enfans à la mamelle , indépendamment
de la guérison & de la santé ? On doit toujours préferer
le bien au mal , & le mieux au bien , lorsque
le choix est en notre pouvoir ; donc il faut préferer
la Méthode nouvelle à l'ancienne .
· 131 °. Dans l'étude du Droit , on commence par
Fancien , par le Droit abregé , avant que de passer
à l'étude du Droit nouveau et d'usage , on supose
un Droit public , un Droit des gens , un Droit naturel
pour fixer des principes , avant que de passer
au Droit national et au Droit arbitraire , du plus au
moins , il doit être permis de faire passer l'Ortographe
physique, invariable des sons et de l'oreille,
avant l'Ortographe variable et arbitraire des yeux
ou de l'usage. Quand on ne conçoit pas cela, il est
difficile d'en convenir , mais à qui en est la faute ?
A ceux qui en rougiront dans peu , je ne sçaurois
trop le répeter. La Typographie est un Art , c'est
la bonne clef des Arts et des Sciences , on n'en sçauroit
à présent trop parler pour le bien des Enfans.
1320. Les ennemis du raisonnement , les gens en
place , qui s'imaginent n'avoir pas le rems d'exami
ner la bonté des nouvelles Méthodes ; les gens indifferens
sur le devoir d'un bon Citoyen , vous disent
toujours , il faut voir , il faut attendre la preuve
du succès , de l'expérience, &c. Voilà qui est bien
quand l'esprit et le raisonnement n'y peuvent pas
atteindre ; mais faut- il attendre le jour de l'Eclipse
pour la calculer ? A quoi sert donc la sagacité ? Un
un esprit bouché , doit -il être mis de niveau
avec un génie supérieur ? Ils peuvent tous deux s'a❤
vancer et parvenir à de hautes places , mais l'un est
sot
›
plus
JANVIER. 1741. 33
plus actifque l'autre . On a déja répondu à cela, Si
Pon propose quelque chose d'important dans l'Etat,
quelque nouvelle invention , faut-il être des derniers
à l'examiner ? Faut- il attendre que toute l'Europe
en ait fait l'expérience ? La cabale interessée
ou de mauvaise foi , rejette toute nouveauté , sacrifie
le bien public au sien. Nos grands Ministres
font le contraire , rien ne leur échape , ils ont le
coup d'oeil , ils voyent , ils jugent , ils font examiner
, ils conferent , ils en trouvent le tems , et se
passeroient plutôt des Jeux et des Spectacles , que
d'avoir laissé perdre la moindre occasion d'utilité
publique. Heureux les Peuples qui jouissent d'un
pareil bonheur !
133 °. Tout le monde le dit , personne ne se corrige
, passer la vie à l'étude des mots et des phrases
, &c. c'est passer la vie à solfier sans passer à la
Musique vocale . L'art de parler ou d'articuler sans
l'art de penser, c'est l'art des Perroquets , quand on
y ajoûteroit l'art des Singes , ce n'est pas là de quoi
faire un homme . Quand est- ce donc l'on senque
tira l'abus de la Méthode vulgaire , dont le Public
est la dupe , et que l'on fera profession de céder à
la raison et de faire suivre la nouvelle ? Tout le
monde convient de la nécessité qu'il y a de réformer
l'ancienne Methode , mais personne ne veut l'entreprendre;
est - ce par un bon ou un mauvais motif ?
134. De quelque maniere que l'on range une
phrase Latine , on peut l'expliquer par le moyen
des terminaisons. De quelque maniere que l'on
range les lettres et les combinaisons des lettres , un
Enfant Typographe lira tout par la Méthode des
Sons de la langue , ou de l'Ortographe de l'oreille,
Il seroit tems que les Maîtres de la Méthode vulgaire
se rendissent , ils le feroient même s'ils avoient
Foutil de la judiciaire , que la Méthode vulgaire a
émousséc
34 MERCURE DE FRANCE
émoussé dans la plupart des Latinistes , & c.
135°. On prétend que l'Ouvrage de M. Pascal
s'est soutenu dans la pureté du langage , parce qu'il
étoit jeune , et qu'il avoit écrit selon l'etat présent
de la Langue Françoise , au lieu qu'un Auteur de
60. à 80. ans , laisse un style qui se ressent de
son âge. Je dis même , et sans comparaison ,
qu'un Livre qui affecteroit de suivre la vieille Ortographe
, fût- ce dans la premiere Edition du Dictionaire
de l'Académie Françoise , en seroit plutôt
hors d'usage , au lieu que l'Ortographe nouvelle et
moyenne, peut empêcher un Livre de vieillir si- tôt,
comme celle de la Bibliotheque des Enfans.
8
136 ° . Si la Méthode vulgaire demande à un Enfant
les Lettres c , k , s , il ne se trompe pas,au lieu
que l'Enfant du Bureau sent de l'équivoque , je réponds
que l'Enfant Typographe ne se trompe point
si on lui demande les Lettres ce- Ka ; Se-ze & c. il
s'agit des sons , et d'assembler ces sons à l'oreille
plutôt que de donner des Lettres aux yeux . L'Enfant
de la Méthode vulgaire se trompe bien , quand on
lui demande les Lettres i , u , &c . puisqu'il donne
indifferament les voyelles ou les consonnes de ces
deux Lettres , ce que l'Enfant Typographe sçait
bien distinguer. Cela s'explique parfaitement sur la
Table d'un Bureau Typographique .
137°. Les Maîtres voyant l'avarice ou la grande
oeconomie des Parens , ne songent qu'au payement
de leurs mois et de leurs Leçons ; ils ne proposent
pas l'emplette du Bureau de six rangs et d'un Dictionaire
, ni celle des Livres , de peur d'éfaroucher
les Parens ; d'ailleurs les Maîtres en ont moins de
peine , ils rentrent plutôt dans la Méthode vulgaire
qui charge les Enfans en soulageant les Maîtres ,
c'est un abus de la part des Maîtres trop mercenaires
, dont il eft bon d'avertir les Parens , c'est ensuite
JANVIE R. 1741 .. Sy
:
suite leur affaire profitera qui voudra de l'avis
devenu très - néceſſaire.
138 ° . Un Latiniste me dit : Je n'entends pas Votre
Systême , je m'ennuye en lisant votre Livre
comment voulez-vous que des Enfans vous entendent
et vous goûtent ? ne pourriez - vous pas éclaircir
, abreger , égayer votre matiere ? Je réponds que
cela est vrai , que je ne sçaurois mieux faire , et que
je n'ai pas le talent de donner la lumiere aux aveugles
, &c. qu'il s'agit de sçavoir si c'est la faute du
Lecteur, ou de l'Auteur. Le grand nombre d'Enfans ,
de Maîtres , de Parens et de Domestiques , qui entendent
la Typographie , doit un peu humilier les
Latinistes qui disent ne pas la comprendre . Je n'ai
jamais prétendu divertir le Lecteur , mais l'instruire.
Il y a des Poëtes , des Comédiens , des Musi
ciens , des Danseurs , et même des Boufons pour
divertir les Hommes desoeuvrés , dégoutés , incapables
d'aplication , et souvent indifferens sur l'uti- ·
lité publique. On a justifié les Spectacles par des
raisons de politique et de prétendue instruction
mais les Arts et les Sciences n'ont pas absolûment
besoin de juftifier l'utile par l'agréable : s'il s'y
rencontre , tant mieux .
;
139. Votre Ortographe et votre ton haut révol
tent , il falloit ménager l'amour propre des Maîtres.
Je réponds , qu'avec les Maîtres prévenus et
sans raison , il faut l'aiguillon littéraire , qui les tire
de la létargie où ils sont, malgré les avis réiterés depuis
plus d'un siecle . Dans les choses douteuses ,
il ne faut point être trop affirmatif ; mais dans des
matieres démontrées, malheur à celui qui se pique
d'être incapable de voir la démonstration . Un Géometre
rougiroit de ne pas voir une démonstration
géometrique La Pédagogie, la Typographie regardent
les Maîtres , et personne ne parle plus haut
que
56 MERCURE DE FRANCE
que les Maitres prévenus , ils traitent de vifion
tout ce qui n'est pas à leur portée. A l'égard de
POrtographe , on a répondu à toutes les objections
dans l'Article XIX. de la Bibliotheque des
Enfans , in-4°. p. 176.
de lieu
140°. L'Erudition prodiguée dans la petite version
,qu'on exige de l'Enfant , pourroit bien le dégouter
; eft-il nécessaire au commencement d'expliquer
à un petit Enfant tous les mots anciens
d'Hommes , de Lieux , & c. et de faire des discours
là - dessus? Le commentaire si allongé fait perdre
de vûë le texte. L'idée vague de personne ,
ne suffiroit- elle pas au commencement ,sauf à
venir ? L'essentiel , c'est le sens de la phrase , de la
proposition , de la construction des mots , de la
Syntaxe ; il est bon d'égayer la matiere dans l'occasion
par quelque petite histoire , quelque petit
conte , mais cela doit être mis à sa place , selon le
tems et la disposition des Enfans .
y
re-
141 °. Quand les Parens comptent pour beaucoup
la date et l'ancienneté des Grades , des Dignités
, des Charges , & c. ils se hâtent de placer
de bonne heure leurs Enfans , et sacrifient une partie
de l'éducation au mérite de cette date. C'est un
abus considérable pour la famille , et peut - être
pour l'Etat , de préferer l'avantage incertain de
cette date au mérite réel et certain d'une bonne et
parfaite éducation , qui influë dans toute la vie , et
qui passe par dessus la date de bien des aînés. Ceux
qui sçavent juger sainement des choses , préfereront
la bonne éducation à la date. La Méthode du
Bureau Typographique est d'un grand secours pour
instruire les Enfans plûtôt , et pour les mettre plû
tôt en état de prendre date , sur tout date Militaire.
J'ai l'honneur d'être , &c,
L'UNIJANVIER.
$7 1741
Q₁
శ్రీ శ్రీ
L'UNIVERS ,
ODE
PHILOSOPHIQUE,
U'entens-je ? Diey parle , & fa voix
Du néant tire la matiere ,
Au Cahos ordonne des Loix ,
Enfante la Nature entiere.
*
Sa voix va dans l'immensité
Quvrir un abîme , un eſpace
Marquer au Monde limité
?
Ses bords , fon centre , fa furface.
*
Déja roule tout l'Univers ,:
Et fur des Eaux vaftes , profondes
Flotent tous les Etres divers ,
Les Planettes , les Cieux , les Mondes.
*
Voyez marcher ces brillants Corps ,
Et de diftances en diftances ,
Tourner fur de puiffants refforts
Dans d'immenfes circonférences,
*
Voilà
58 MERCURE DE FRANCE
Voilà les Globes lumineux ;
Hommes , voilà les mêmes Etres
>
Qu'après vous verront vos neveux ,
Qu'avant vous ont va vos Ancêtres ,
*
Entrez dans de profonds Déserts ,
Voguez fur les Plaines liquides ;
A travers les Cieux & les Airs ,
Tous ces Mondes feront vos guides.
*
O Soleil , tu meux , tu retiens
Nos Planettes , leurs Satélites ,
Tes Rayons en font les liens ,
Ton Monde enferme leurs limites.
*
Que les Etés , que les Hyvers
Soufflent & leurs feux & leurs glaces
Sur les Campagnes , fur les Mers ;
Qu'ils en devorent les furfaces.
*
Les Tonnerres , les Ouragans
Ne pourront enlever la Terre
Hors du cours des mois & des ans
Où son efpace la refferre,
JANVIER.
1741. 39
Dieu lui dit , va des nuits aux jours ,
O Terre , tourne , roule , vole ,
Avance , mais reviens toujours
Ou vers l'un ou vers l'autre Pole.
X
Dans ton Tourbillon agité
Commence & termine ta courſe ,
Du Printems monte vers l'Eté ,
Defcends de la Balance à l'Ourſe.
።
Notre Dieu n'a fait que parler ,
Etés , Hyvers , Neptune , Eole ,
Vous ne pourrez point ébranler
Le Monde affis fur fa parole:
*
Goûtant les douceurs du repos ,
Je traçois ainfi tous des Etres ,
L'Eternel étoit mon Héros ,
David , Moyfe , étoient mes Maîtres.
Par M. C, Tart , de Rouen,
)
D LETTRE
60 MERCURE DE FRANCE
**** ***
LETTRE de M. le Baron de P. écrite
de la Rochelle le 25. Decembre 1740. à
Mad. la Marquife de B *** , qui vouloit
fçavoir fi on doit préferer la Méthode du
Bureau Typographique à celle qu'on fuit
dans les Ecoles publiques.
• A part que je prens , Madame , à ce
qui peut intereffer l'éducation de la Jeuneffe
, & en particulier celle de Mrs vos Enfans
, fait que j'ai l'honneur de vous communiquer
les refléxions que m'ont fournies
differens Mercures , & en dernier lieu celui
du mois de Novembre 1740. dans lequel
l'Auteur du Bureau Typographique fe plaint
amerement du Public. A- t'il raifon ? Vous
en jugerez vous-même , après que je vous
aurai expofé les avantages & les inconvéniens
de fa nouvelle Méthode. Entrons en
matiere , & pour ne rien omettre , vous obferverez,
s'il vous plaît , Me , que le Bureau
Typographique n'eft autre chofe qu'une Table
longue de quatre ou cinq pieds , partagée
en plufieurs Logettés , dans lefquelles
font placés les Lettres , points , virgules &
accents. Telle est l'idée que vous devez vous
fornier du Bureau Typographique . Voici la
maniere de s'en fervir.
On
JANVIER. 1741. 65
On expofe aux yeux de l'Enfant qui veut
aprendre à lire , le Bureau , ou plûtôt les Logettes
, dont nous venons de parler ; auffi - tôt
L'Enfant démêle & choifit les Lettres qui lui
font néceffaires pour la compofition des mots
ou des phrafes qu'on lui demande; avec cette
feule difference, toutefois , qu'au lieu de Bé,
il prononce Beu , au lieu d'Effe , il prononce
Fen , parce qu'on prétend qu'un pareil fon
aproche bien davantage de la prononciation
naturelle. Qu'en pensez- vous , Madame ?
N'est -ce pas en bon François , comme l'on
dit , jetter de la pouffiere aux yeux des gens ?
Quoiqu'il en foit , nous affûre l'Auteur de la
nouvelle Méthode , il n'y a nulle comparaifon
entre les Enfans du Bureau Typographique
, & ceux qu'on éleve dans les Ecoles
publiques. Les premiers fçauront parfaitement
l'Ortographie, & ceux- ci ne la fçauront
jamais.
Qu'on eft à plaindre quand on n'écoute
que fon amour propre , & qu'on fuit opiniâtrément
fes préjugés ! Je ne fçais qui des deux
fe trompe ; mais j'ai vû bien des Enfans de
la nouvelle Méthode , qui n'en étoient pas
plus habiles , ce qui eft aisé à démontrer ;
car épeler dans un Livre , ou fur une Table
Typographique , n'eft- ce pas la même chofe?
C'eft donc à l'habileté du Maître , & non à
la nouvelle Méthode qu'il faut attribuer le
Dij progrès
62 MERCURE DE FRANCE
fait l'Enfant dans la Typogra
progrès que
phie .
Peut - être objectera - t'on que la combinaifon
des Lettres ne fert pas peu à former
Enfant dans la Typographie. Quand cela
feroit , je réponds qu'on pourra fupléer aifément
à cet avantage , lorfque l'Enfant fera
árrivé à un-âge plus avancé , & qu'on aura
foin de lui faire tranfcrire des Livres bien
corrects & bien ponctués , feul moyen , de
l'aveu de tout le monde , pour aprendre parfaitement
l'Ortographie.
Vous voyez , Madame , que jufqu'à préfent
tout eft bien égal de côté & d'autre ; il
refte cependant certains obftacles , qui ne
nous permettent point de donner notre fuffrage
à la nouvelle Méthode , non -feulement
on employe un tems plus confidérable pour
aprendre à lire, il faut encore prefque autant
de Maîtres que d'Ecoliers ; comment , fur
tout , infpirera- t'on avec cette nouvelle Méthode
de l'émulation aux Enfans ? Ne font - ils
pas & ne feront- ils pas toujours les premiers
& les derniers de leur Claffe ? Or il n'en eft
pas de- même de ceux qui fuivent l'ancienne
Méthode. Quelle ardeur pour fe rendre dignes
des premieres places & des autres récompenfes
qu'on leur deftine ! Je fuis perfuadé
, Madame , que vous ne fçauriez voir
Lans un plaifir extrême ces combats Litteraires
JANVIER. 1741. 63
res , où de petits Enfans de quatre ou cinq
ans , comme autant de génereux Athletes ,
diſputent , à l'envi , les Palmes & les Couronnes.
J'ai l'honneur d'être , &c .
Quoique nous foyons affés perfuadés de
la bonté de la Méthode du Bureau Typographique
, nous devons laiffer au Public la liberté
de juger des Piéces qu'on nous adreffe
pour & contre cette nouvelle Méthode ;
mais nous croyons en même - tems devoir
prier Madame la Marquife de B. de vouloir
bien parcourir la Lettre de M. l'Abbé Léonard
à Mad. la Comteffe de V. inférée dans
le Mercure du mois de Juin de l'année 1736.
& de lire la page 11. du Suplément du célebre
M. Rollin , de voir auffi les Tables Gé
nerales de nos Mercures depuis 1730. juſqu'à
l'année derniere 1740. elles acheveront de
convaincre M. le Baron de P.
D iij LIT:
64 MERCURE DE FRANCE
***
LITTERATIS Viris D. Bourdelin
Doctori Medico , & è Regiâ Scientiarum
Academia , & D. Bouvart Doctori
Medico.
Q
O D E.
Uæ tetra peftis gutturis intimos
Claudit meatus , pectus & igneâ
Vi quaffat , & cæco impeditæ
Vocis iter vitiat veneno ?
Illæfa fueto flectitur agmine ,
Nec lingua fuetos Sibila dat fonos ;
Ignota fed moles profundo
Difficiles premit ore voces.
At quot tumultus bellaque fauciis
Arcanus humor vifceribus movet ?
Durare pulmo tuffis æftus
Vix valet imperiofiores .
Formidolofus fe comitem dolor
Addit dolori febris , & altius
Infixa membris , inquieta
Affiduo terit ofla morfu.
Quin & latentem dum penetralibus
Rimatur udis foeda animam lues ,
JANVIER
1741.
65
.
Os inquinatum fe cruore
Non femel horruit infolenti.
Sic delibuto munete fervidum
Late premebat grande malum Herculem :
Sic hauftus infano medullas
Occubuit Meleager igne ;
Quando ulta fratrum funera per nefas
Fatale lignum corripuit manu ,
Natique devovit cremandum
Dira parens caput immerentis.
Audite triftes , Dii , querimonias ,
Pectufque raucâ voce fonantius
Audite ; tuque ô promptiorem
Phobe pater , fer opem jacenti :
Seu Burdelini gratior induis
Vultus decentes , five feverior
Multum Bovarti cogitantis
Ore lates : aliufque & idem
Amas vocantum vertere gaudiis
Lamenta , præfens eluere artubus
Acerba morborum , & morantes
Sanguinis accelerare curfus.*
Quid ! efficacis jam ftupeo Dei
Regnare pleno vim dominam finu :
Evicta jam cedunt venena
Pejor & anxietas venenis.
Jam fponte mollis membra levat fopor ,
Color ferena fronte fuus nitet ,
Dij Sea66
MERCURE DE FRANCE
Senfimque vires & juventas
Jam placido redeunt tenore.
Quam dulce multis empta doloribus
Arridet ægris corporibus falus !
Quam blanda lux eft , quæ recludit
Morte oculos media natantes !
Suetis moveri non homini datum :
Quæ femper æquo vita agitur pede
Nil fentientis fomnus eft , quó
Mens jacet obruta , feque nefcit.
Prudens beatis temporibus vices
Pater Deorum mifcuit afperas ,
Ut rebus infeftis fecundæ
Plus fapiant bene temperatæ .
Quod fpiro , vitæ jam pretium fciens ,
Sic , Phoebe , totum muneris id tui eft ;
Per te refulgent puriori
Luce dies , meliorque vita.
Te fumptuosâ cæde boum colant
Potentiores , gramine multiplex
Queis mugit armentum , gregefque
Fertilibus renovantur agris .
Mufis amico non ea vis mihi ,
Nec refpuendus dona tamen feram ,
Qui fancta Vates vota folvo
Thure pio , tenuique verfu .
D. G.
LETJANVIER.
1741. 67
LETTRE par laquelle on détrompe le
Public fur le prétendu danger qu'il y a,
pour la vûë , dans l'extirpation de la dent
canine , autrement apellée Dent oeillere.
Vo
Ous avez raifon de vous plaindre ,
M. du long filence que j'ai gardé depuis
mon arrivée à Paris ; mais j'avois réfolu
de ne vous écrire, que pour vous mander ma
guérifon , que vous m'aviez fait efperer , auffi-
tôt que j'aurais vû le fieur Bunon Dentifte
, ruë S. Honoré , vis - à - vis la ruë de
Grenelle , dont vous m'aviez donné l'adreffe .
Je l'ai vû , & j'ai raifonné à fonds avec lui
fur la nature du mal que je fouffrois ; fans
oublier le danger que couroit la vûë dans
l'extirpation de la dent de l'oeil , qui eft
comme vous fçavez , la caufe des cruelles
douleurs que j'endurois depuis près de deux
ans , j'ai étalé de mon mieux toute mon
érudition anatomique . J'ai trouvé un Adverfaire
, qui peu émû de mes grandes difficultés
, les a tranquillement détruites
des raifons qui ne fouffrent point de réplique;
il m'affura que la dent illere s'arra
choit comme une autre , qu'il n'y avoit rien
à apréhender pour la vûë ; & que s'il y avoit
Dv
2.
par
quel68
MERCURE DE FRANCE
quelque chofe à craindre de ce côté- là , cè
feroit plutôt en laiſſant ſubſiſter cette dent ,
dont la carie pouvoit fort bien occafionner
une fiftule lacrymale ; c'étoit ce qu'il avoit
remarqué , il n'y avoit pas long- tems , dans
un jeune homme , qui pour avoir retardé de
jour en jour à faire arracher cette dent dans
T'apréhension d'endommager fa vûë , avoit
déja commencé à contracter un finus , qui fe
feroit terminé à une fiftule, s'il n'eût pas promptement
obvié à ce défordre par l'extirpation
de la dent. M. Bunon voyant que
ples faifoient fur moi une impreffion plus
forte que les raifonnemens , me cita plufieurs
perfonnes connues qu'il avoit tirées parfaitement
d'affaire en leur ôtant la dent de
l'oeil , fans que jamais il foit arrivé le moindre
accident du côté de la vûë ; j'ai voulu
conftater ces expériences , cela m'a coûté
quelques démarches , mais en récompenfe
j'ai eu tout lieu d'être parfaitement fatisfait.
les exem
Voici entr'autres l'extrait d'une Lettre
qu'on m'a écrite de Normandie en 1732 .
" Madame de Butenval demeurante au
» Ponteau- de -mer , fe trouva réduite à une
» telle extrêmité par un mal de dents qui la
tourmentoit depuis plufieurs années qu'el-
» le avoit pris le parti de venir chercher du
»fecours à Paris , n'ayant pû trouver aucun
» foulagement à Rouen , à Dieppe , ni au
2 Haz
JANVIER. 1741. 69
» Havre , chacun des Dentiftes que l'on
» confultoit faifant entrevoir un danger iné-
» vitable du côté de la vûë , fi on arrachoit
» la dent oeillere , qui étoit une des fources
» de la maladic ; cependant le mal étoit
93
"
empiré au point que les tempes , les yeux ,
» les oreilles , & toute la tête étoient affec-
" tés , de façon qu'elle ne pouvoit faire
ufage d'aucun aliment folide ; des boüillons
, des confominés & autres chofes de
cette efpece faifoient toute fa nourriture
» depuis deux ans ; heureuſement pour elle ,
» le fieur Bunon paffa par occafion au Pon-
» teau- de-mer , il fut apellé comme les au-
» tres ; il examina la bouche de la malade ,
» & lui dit que tout le mal ne provenoit que
» de la carie de plufieurs dents , entr'autres
» de deux , fçavoir l'oeillere & celle d'à
» côté ; en un mot il parla avec tant de con-
» fiance fur la sûreté de l'opération , que
» Madame de Butenval , heureufement fé-
» duite par fes raifons , confentit à laiffer ti-
» rer les dents néceffaires à la guérifon , qui
» eut une parfaite réuffite.
J'ai communiqué cette Lettre à M. Bunon
, qui n'a pas été infenfible au bon témoignage
qu'on rendoit de fa capacité ; il
m'a raconté que quelque tems après cette
opération , il avoit paffé en Flandres , où
Meffieurs les Magiftrats de Cambrai lui
D vj
70
MERCURE
DE FRANCE
avoient donné une penfion pour le fixer
dans leur Ville , mais qu'il avoit préferé le
grand théâtre de la Capitale comme l'endroit
le plus propre pour tirer parti de fes talens ;
en effet il s'y eft fait connoître pour un homme,
très- expert , & j'ai fçû par moi - même
que Mademoiſelle Mielot qui eft auprès de
Madame la Ducheffe Doüairiere de Mortemart
, Madame Nivet rue du Sepulchre , &
Mademoiſelle Barbery , fe fçavent très- bon
gré aujourd'hui de l'avoir confulté fur l'extirpation
de la racine de la dent oeillere
qu'on leur avoit dit être fi dangereufe ; il la
leur a ôtée , & il n'en eſt arrivé autre choſe
que la ceffation du mal & des fluxions qu'elle
caufoit à chacune , &c.
Vous voyez , M. qu'il m'a fallu bien du
tems & bien de la patience pour porter conftamment
avec moi le mal qui me tourmen .
toit , pendant tout le tems de ces perquifitions
; mais enfin jai voulu me fatisfaire ,
& ce qui eft de plus confolant pour moi ,
c'eft que je fuis guéri , je n'ai plus de dents
cilleres , mais je m'en paffe fort bien , en récompenfe
les autres font en très - bon état
de forte qu'à préfent je ne fuis plus fi inquiet
que je l'ai été pendant deux ans , & c.
Ma Lettre s'allonge fans que j'y penfe
, cependant je yeux vous dire encore
deux mots du fieur Bunon ; outre la
Capa-
1
JANVIER. 1741 7 ፤
capacité que je lui connois , il a encore une
qualité qui me charme , c'eft fon défintereſfement
; toutes fortes de perfonnes font reçûës
gratuitement chés lui pour faire vifiter
leurs bouches de tems en tems. Pour ce qui
eft des opérations & des remedes , on paye
fi on peut ; il a même averti dans fes adreffes
que les perfonnes non aifées ſont ſecouruës
gratuitement , ce terme de non aifées ,
comme il me l'a expliqué lui - même , ne regarde
pas feulement les pauvres , mais encore
nombre d'honnêtes gens à qui la fortune
ne met pas toujours l'argent à la main ;
combien y a- t'il de jeunes gens qui laiffent
déperir leurs dents , ce meuble fi précieux
à l'humanité , faute d'un pareil ſecours ?
Combien de jeunes filles qui feroient bien
pourvues , & qui pourroient quelquefois
entrer au fervice de Dames de confideration
, qui ſouvent ne font rebutées que parce
que les dents anciennement négligées infectent
à la fin la bouche , & rendent les perfonnes
infuportables Voilà précisément
ces perfonnes non aifées à qui le fieur Bunon
offre gratuitement des fecours , & ne
croyez pas que ce gratis diminuë chés lui
la politeffe & toute l'attention qu'il a
pour les Sujets qu'il traite . Je l'ai vû “ affés ,
pour connoître fon caractere. Je fuis, M. & c.
.
ETRENNES
72 MERCURE DE FRANCE
ETRENNES à S. A. S. M. le Come
de la Marche : Sur l'Air des Triolets .
Bon jour , bon an , bonheur parfait ,
On
Augufte Comte de la Marche ;
Soyez pleinement fatisfait ;
Bon jour , bon an , bonheur parfait.
Qu'en vous pour charmer tout foit fait ,
Et qu'avec vous la vertu marche :
Bon jour , bon an , bonheur parfait ,
Augufte Comte de la Marche.
•
Illuftre Rejetton des Lys ,
Brillez de cent dons admirables
Suivez vos Ayeux accomplis ,"
Illuftre Rejetton des Lys ;
;
Que vos jours très - longs foient remplis
Des Faftes les plus honorables :
Illuftre Rejetton des Lys ,
Brillez de cent dons admirables.
Cueillez les Lauriers éclatans
Du cher Auteur de votre vie ;
Des coups d'effai de fon printems
Cueillez les Lauriers éclatans :
Que
JANVIER: 71 1741.
Que les plus fameux Combattans
A vos Exploits portent envie !
Cueillez les Lauriers éclatans
Du cher Auteur de votre vie.
QUESTION.
OUT le Monde fçait combien la fumée
du Charbon de bois eft dangereuſe
pour les perſonnes qui font exposées à
la fouffrir ailleurs que fous une cheminée .
Les maux de tête , les vertiges , les évanouiffemens
font fes effets ordinaires ; on affûre
même qu'étant humée avec excès , & furtout
pendant le fommeil , elle a fouvent
caufé la mon.
On eft en ufage prefque partout de mêler
parmi le Charbon quelques morceaux
de fer qu'on prétend avoir la vertu de corriger
cette malignité. On demande s'il eft
vrai que le fer ait cette proprieté , ou fi c'eſt
une erreur populaire ; & fupofé la vérité du
fait , on prie les Phyficiens pour l'utilité du
Public , de défigner à peu près , 1 ° . Quelle
quantité de fer il faut mettre par proportion
à la quantité du Charbon. 2°. S'il le faut
mettre deffus , au milieu , ou au - deffous du
Charbon: 3 ° . Si ce fer, à force de fervir à cet
ufage
74 MERCURE DE FRANCE
uſage , conſerve toujours cette qualité , s'il
peut la perdre ou l'augmenter. 4° . Une explication
phyfique de la fympathie ou antypathie
du Charbon avec le fer , fondée fur
quelque experience ou fur quelque plaufible
conjecture. 5. Si le verre peut produire le
même effet que le fer , comme bien des
gens le pratiquent,
*北k斗kkkkkkkkkkkkk
LES TROIS AMANS ,
OU L'INDULGENCE NECESSAIRE.
FABLE.
UNE Belle avoit trois Amans ,
( C'eût été trop fous Henry quatre )
Mais comme on va felon le tems ,
Elle n'en vouloit rien rabattre.
Tous trois l'aimoient avec ardeur ;
Pouvoit- elle en faire de même ?
En aimer trois ! n'avoir qu'un coeur !
Je laiffe à juger ce problême.
A l'un , c'étoit un doux regard ,
A l'autre , quelque agacerie ,
D'autrefois un mot à l'écart ;
Manége ufé , mais qu'on varie.
Babet
JANVIER . 17413 75
Babet fe croyoit tout permis ,
Hors ce que permet le Notaire ;
Une Lettre , un baifer promis ,
Lui paroiffoient faute légere.
Mais trop franche pour les duper
Et pour le déguiſer trop neuve ,
Babet , fans vouloit les tromper ,
A fa mode en faifoit l'épreuve.
>
Ils preffoient , ils vouloient tous trois
Par l'Hymen décider l'affaire ;
L'embarras étoit dans le choix :
Peignons ici leur caractere .
L'un étoit tendre , mais jaloux ,
Jaloux avec délicatefle ;
L'autre fage , difcret & doux ,
Mais fçachant le prix de l'efpece.
Le dernier auroit eu beau jeu ,
Le teint brun , la bouche vermeille ,
L'air ouvert , les yeux pleins de feu ,
Mais il aimoit trop la bouteille.
Chacun , du défaut reproché
Promettoit la prompte réforme ;
Mais un bel oeil , s'il n'eft touché ,
Fait d'une tache un vice énorme.
Ok
76 MERCURE DE FRANCE,
2
Oh- çà , Babet , lui dit un jour
Un Parent qui l'avoit vû naître ,
J'y confens , cedez à l'Amour ,
Mais de fa main prenez un Maître.
Un feul ici doit être heureux ;
Ce qui fut , je crois , badinage ,
Deviendroit un défordre affreux ,
Optez , j'y joins mon héritage .
Tout eft vú , vous prêchez en vain ;
Dit-elle , & fi je deviens femme ,
Aucun des trois n'aura ma main ,
Je les garde par bonté d'ame.
Non , je ne prendrai pour époux
Avare , yvrogne , ni jaloux ;
Encore un , mon oncle , & d'avance
Comptez fur mon obéiffance .
De ce caprice hors de faifon
Il lui fit voir l'erreur étrange :
Entre l'orgueil & la raifon
Parfois la Beauté prend le change .
L'oncle fans fruit fe courrouça ,
Mais Babet étoit obstinée ;
Bien-tôt le Trio s'éclipfa :
Adieu l'Amour & l'Hymenée.
Belles ,
JANVIER: 1741 77
Belles, faut- il s'en étonner
Vos coeurs font moulés fur les nôtres &
Nous voulons tout nous pardonner ,
Nous ne pardonnons rien aux autres .
J. CLEREAU , de Saumur.
**************************
QUESTION IMPORTANTE de Subrogation
, jugée au Parlement de Paris.
Si
pour
rem I celui qui prête fes deniers
bourfer à un ancien créancier le principal
d'une rente & les arrérages qui en font
dûs , & auquel le débiteur conftitue une
rente pour toute la fomme qu'il prête , peut
ftipuler que dans la quittance de rembour
fement on le fera fubroger à l'ancien créancier
, & fi le débiteur peut être condamné
à rembourfer le nouveau créancier , faute de
lui avoir aporté la quittance d'emploi portant
fubrogation.
FAIT.
Nicolas de Launoy devoit à differens
Particuliers cinq parties de rente conftituées
au denier 20. montant enfemble à 141 liv.
& les principaux à 2827 liv. Il en devoit en
1720. 700 liv. d'arrérages.
Pour
78 MERCURE DE FRANCE
Pour rembourfer le principal & ces arrérages
, de Launoy & fa femme emprunterent
de la Dame Soudart le 16. Juillet 1720.
3500 liv . en Billets de Banque déja décriés
pour lefquels ils conftituerent 70 liv. de
rente , déclarant que l'emprunt étoit pour
amortir dans un mois les cinq parties de
rente qu'ils devoient , montant en princi
paux à 2827 liv. & le furplus pour en payer
les arrérages ; ils s'obligerent de déclarer
dans les quittances l'origine des deniers ,
de requerir la fubrogation au profit de la
Dame Soudart , & de lui fournir dans un
mois copie des quittances.
La Dame Soudart étant exactement payée
de fa rente , ne demanda point de quittances
d'emploi. Ce ne fut qu'au bout de 17 ans
& après le décès des Sr & De de Launoy ,
que la Dlle Soudart , fille & héritiere de la
créanciere , demanda aux héritiers de Launoy
le remboursement de la rente de 70 liv.
auquel ils furent condamnés par Sentence
du Bailliage de Brezolles , faute de lui fournir
dans trois mois les quittances d'emploi ,
portant fubrogation.
Les héritiers ayant interjetté apel de cette.
Sentence , difoient pour moyens que les Sr
& De de Launoy avoient réellement employé
les 3500 liv. à rembourfer les cinq
parties de rente qu'ils devoient ; que fi dans
le
JANVIER. 1741. 79
les quittances d'emploi , on n'avoit pas déclaré
l'origine des deniers , ni requis la fubrogation,
c'eſt que, mieux inftruit alors des
regles que lors de l'emprunt fait en 1720 .
on avoit reconnu que la fubrogation ne
pouvoit avoir lieu au profit de la De Soudart
, & qu'on la ftipuleroit inutilement
dans les quittances d'emploi.
En effet , difoient- ils , la fubrogation fait
entrer le nouveau créancier au lieu & place
de l'ancien , avec tous fes droits , privileges
& hypoteques.
Pour fubroger le nouveau créancier , il
faut qu'il n'y ait pas de novation , autrement
les privileges & hypoteques de l'ançien
créancier font éteints.
Et pour qu'il n'y ait pas novation , il faut
que la condition du débiteur foit la même
dans la nouvelle obligation , que dans l'ancienne
, ou du moins qu'on ne la rende pas
plus onéreufe ; que le débiteur ne fafle que
changer de créancier , fans qu'il y ait proprement
aucun changement à la créance :
enforte que la nouvelle obligation doit être
fajte eadem vel mitiori conditione , fuivant du
Molin de ufuris , n. 276. & 27.7 . & de Renuffon
de la fubrog, ch. 14. n. 8 .
!
De ces principes , il réfulte que celui qui
prête fes deniers pour rembourfer des arrérages
de rente , ne peut pas en même tems
être
80 MERCURE DE FRANCE
être fubrogé à l'ancien créancier & faire pro
duire à fes deniers une autre rente ; il peut ,
ou fe faire fubroger à l'hypoteque , pourvû
qu'il ne ftipule pas la rente de fes deniers ,
ou s'il veut en ftipuler la rente , il le peut ;
mais en ce cas il ne peut être fubrogé à l'ancien
créancier , autrement il auroit plus de
droit que lui , & feroit ce que ce créancier
lui-même ne pourroit faire.
On apuyoit cette propofition fur la Loi 1 .
ff qui potiores , & fur la Loi fecundus cod.
depignor. qui permettent dans ce cas de ftipuler
la fubrogation , mais qui refuſent au
nouveau créancier l'interêt des deniers qui
ont fervi à rembourfer des arrerages .
Si la fubrogation avoit lieu dans ce cas ,
non feulement la condition du débiteur deviendroit
plus dure qu'elle n'étoit envers
l'ancien créancier , mais ce feroit une voye
pour fruftrer des créanciers intermediaires ,
en donnant à une nouvelle rente une an
cienne hypoteque. Auffi Renuffon eftimet'il
que la fubrogation ne peut avoir lieu
dans ce cas.
Peu importe qu'elle ait été promife lors
de l'emprunt ; c'étoit une claufe vicieuſe
impoffible dans l'execution , impoffibilium
nulla eft obligatio.
Les héritiers ajoutoient que la Dlle Soudart
avoit des furetés plus que fuffifantes ,
puifque
JANVIER.
81
1741.
de
puifque les biens hypotequés étoient de valeur
de plus de 400 liv. de revenu annuel ,
& que la rente en queftion n'étoit que
70 liv. que la Dlle Soudart étoit exactement
payée de fa rente , & n'étoit inquietée par
aucun créancier; qu'ils fe foumettoient en cas
qu'il en parût quelqu'un , de la rembourfer,
De la part de la Dlle Soudart , on difoit
que dans le fait la Dame fa mere n'avoit prê
té fes deniers qu'à condition d'être fubrogée
aux anciens créanciers , & que les Sr & De
de Launoy s'étoient expreffément obligés
à déclarer l'emprunt dans les quittances
d'emploi & à requerir la fubrogation ; que
les quittances de remboursement qui étoient
raportées ne faifoient aucune mention d'emprunt
ni de fubrogation ; qu'elles n'étoient
la plupart que par extrait , ce qui donnoit
lieu de foupçonner que les deniers de la Dame
Soudart avoient été employés à autre chofe ;
que d'ailleurs on ne raportoit pas toutes les
quittances de rembourfemens ; qu'il falloit
par conféquent exécuter le Contrat , finon
rembourfer la rente , attendu l'inexécution
de la claufe , fur la foi de laquelle les deniers
avoient été prêtés.
Dans le droit , on diftinguoit deux fortes
de fubrogations , celle qui eft émanée du
créancier & celle qui vient du débiteur.
La fubrogation qui vient du créancier ne
peut
82 MERCURE DE FRANCE
eadem peut être faite que vel mitiori conditione
, parce que c'eft proprement un transport
de l'ancienne créance , & l'ancien
créancier ne peut pas ceder plus de droit
qu'il n'en avoit.
que
Mais dans la subrogation qui eft accordée
par le débiteur , celui qui prête ses deniers
n'eft pas proprement subrogé à l'ancienne
créance , il n'eft subrogé qu'aux hypoteques
; en quoi il n'y a rien contre les regles ,
parce que le débiteur eft le maître de réserver
l'ancienne hypoteque en faveur du nouveau
créancier , & ne fait en cela aucun
préjudice aux créanciers intermediaires.
Il n'y a point d'exception à faire pour la
portion des deniers , qui a servi à rembourser
les arrérages dûs aux anciens créanciers ;
l'Edit du mois de May 1709. autorife dans
ce cas la subrogation du nouveau créancier
aux hypoteques de l'ancien , tant pour la
somme qui a servi à rembourser le principal ,
que pour celle qui a servi à payer les arrérages.
Et dans l'espece , la subrogation pourroit
d'autant moins être critiquée qu'elle n'avoit
point rendu la condition du débiteur plus
dure , ni celle des créanciers intermediaires
plus fâcheuse , puisqu'au lieu de 141 liv . de
rente , que les Sr & De de Launoy devoient
à leurs anciens créanciers , ils n'avoient cons
titué
JANVIER. 1741 83
titué à la Dame Soudart que 70 liv. de rente
tant pour la portion des deniers qui avoit
fervi à rembourfer les principaux , que pour
celle qui avoit servi à rembourser les arrérages
, ensorte que la condition que demandoient
les Apellans , que la subrogation fût
faite eadem vel mitiori conditione , se trouvoit
remplie.
Par Arrêt rendu en la Troifiéme Chambre
des Enquêtes, au Raport de M. Regnault d'Irval,
la Sentence du Bailliage de Brezolles a été
confirmée , & néanmoins la Cour a ordonné
que dans le cas où les Apellans ne raporteroient
pas les quittances d'emploi , portant
subrogation , ils ne seroient tenus de faire
le remboursement des 3500 liv. qu'en deux
payemens égaux , sçavoir moitié dans cing
ans , & l'autre moitié dans dix ans.
•SIE DIE BIO KIONO
EPITRE
AM. l'Abbé D* P**' demeurant à Paris ,
imitée de celle d'Horace à Fufcus- Ariftius.
L. I. Ep. 10.
L'AMI de la Campagne à l'Ami de la Ville ;
Salut d'Horace (a) : ici la Morale & le Stile
(a) Ab illo fumpsi quod conveniret mibi :
Quod me non poffe meliùs facere credidi
* Imit. d'Afranius.
E Vont
84
MERCURE DE FRANCE
Vont faire, cher Abbé , fans te déguifer rien ,
L'eloge de mon goûr , la critique du tien.
Or , c'est en ce point feul que nous fommes contraires.
Au furplus , reffemblans à peu près comme freres ,
Qui furent enfantés dans le même moment ,
Nous penfons , nous parlons tous deux également.
Tout ce qui choque l'un choque l'autre de même ;
Et l'ua fe fait honneur d'aimer ce que l'autre aime.
Vrai couple de Pigeons unis depuis long- tems ;
Toi, tu gardes le nid ; moi , je me plais aux champs ,
J'aime à voir des rochers, des ruiffeaux , des prairies,
Et des bocages verds , & des plaines fleuries.
Je vis , je regne enfin loin du Louvre & des lieux
Que vous autres captifs élevez jufqu'aux Cieux .
A quiconque veut vivre exemt de l'eſclavage ,
Paris,tout beau qu'il eft , plaira moins qu'un Village;
Paris , que je n'ai vû que durant quinze jours , (4)
Et que probablement j'ai quitté pour toujours.
Semblable , ou peu s'en faut, dans cette conjoncture,
Au Moine qui déferte en ſecret la clôture ,
Pour être libre hélas ! j'aurois bien préferé
Le pain d'orge tout fec au pain blanc tout beurre.
Si l'on cherche à mener une vie agréable
Conforme à la Nature , & partant défirable ;
>
(a) Depuis le 1. jufqu'au 15 Novembre 1737-
Si
JANVIER. 1741: 89
Si l'on cherche un lieu propre à bâtir un Logis ,
Quel autre lieu doit - on choiſir , à ton avis ,
Que l'heureuſe campagne en agrémens féconde ?
Eft - il donc , cher Abbé , quelque endroit dans le
monde
Où l'on reffente moins la rigueur des hyvers ;
Où le badin Zéphir , voltigeant dans les airs ,
Par un foufle plus doux ralentiffe & tempere
Du Chien (a) & du Lion (6 ) la chaleur meurtriere,
Si-tôt que ce dernier a reçû le Soleil ?
Eft-il quelque autre afile où l'aimable ſommeil
Se trouve moins en bute à la cruelle envie
Du ſouci , vrai tyran des plaiſirs de la vie ?
Quoi ,donc! l'herbe des prés a- t'elle moins d'attraits
Que les pavés brillans des fomptueux Palais ?
Quoi ! lorſque je prens l'air fur un Mont (c) d'où ma vûë
Du cher Pays natal parcourant l'étenduë ,
Découvre l'abregé de ce vafte Univers ;
Ici , d'heureux fillons , là , des herbages verds ;
Au levant , l'onde amere ; au couchant , des montagnes
;
A mes pieds , un bois fombre, & plus loin , des
campagnes ,
(ab ) Constellations .
(c) Le Mont d'Huberville & le Mont-Câtre , voifins
l'un de l'autre , entre Vallogne & Montebourg
dans la Prefqu'Ifle du Cotentin , fourniſſent tous les
deux cet agréableſpectacle.
Eij
Des
$ 8 MERCURE DE FRANCE
Des Clochers , des Hameaux , un Bourg, une Cité ,
Mille Objets amufans par leur diverfité ;
Vois - je moins de beautés que n'en offre un Théatre
, (a)
Où fe vendent les jeux d'une Troupe folâtre ;
Où l'on court admirer les menfonges de l'Art ,
Les charmes fpécieux & du Luxe & du Fard ,
Des accords féduifans , des maximes coupables
Bes Prodiges fondés fur les plus vaines Fables
Des Héros avilis par l'amour le plus fou ,
Et des Dieux en danger de fe rompre le cou ›
Quoi cette Eau qui de loin dans les Cités n'ar
t rive
Qu'en tachant de percer le plomb qui la captive ; '
Cette Eau , que l'Art conduit fi tiranniquement
Vainc- t'elle en pureté celle qui , librement
De fon lit naturel fuivant toujours la pente ,
Avec un doux murmure en nos vallons ferpente
A Paris même , on priſe un Palais d'où les yeux
Se promenent au loin fur des champs fpacieux..
Dans les jardins des Grands , parmi les plus beau
marbres ,
On plante des buiffons , on éleve des arbres.
{
(a) L'Auteur ne pouffe point la ftoïcitéjusqu'au
point d'être tout- à -fait infenfible aux beautés de l'Opera
, qu'il a vû avec plaifir ; mais il ne sçauroit accorder
à certaines Perfonnes que cette merveille de
PArt foitplus admirable que la Nature même.
La
JAN VI E R. 1741
87,
La Nature , en effet , ne peut changer fon cours.
Chaffée à coups de ( a) fourche , elle revient toujours.
Elle vainc nos mépris ; & fes graces fuprêmes
Se font aimér de nous en dépit de nous -mêmes.
Le Marchand , dont l'obfcur & plat difcernement
D'un criſtal affés vil & d'un fin Diamant
Voit mal la difference & réelle & palpable ,
Ne fera point de perte auffi confiderable
Que celle que fait l'homme aveugle en fes défauts;
Qui ne peut difcerner le vrai d'avec le faux.
Celui qui dans fon coeur conçoit trop d'allegreffe ,
Lorfqu'amicalement le Deftin le careſſe ,
Se fentira bleffé du plus mortel ennui ,
Quand le même Deſtin s'armera còntre lui.
Ami , fi quelque chofe en ce monde t'enchante
La perte t'en fera beaucoup plus affligeante.
Evite la grandeur : on peut , fous d'humbles toîts
Surpaffer les Rois même & les amis des Rois .
Jadis le Cerf vaillant , d'un commun pâturage
Ecartoit le Cheval , moins rempli de courage.
Las de toujours combattre & de perdre toujours ,
Celui - ci va de l'Homme implorer le fecours ;
Et , jouet infenfé de l'erreur qui le guide ,
Pour la premiere fois il reçoit une bride.
Mais quand notre Guerrier de la forte affermi
Eût pleinement vaincu le Cerf fon ennemi ,
(a) Naturam expellas Furca , &c.
E iij
I
88 MERCURE DE FRANCE
Il ne put détacher, bien qu'agile & farouche ,
Ni l'Homme de fon dos , ni le frein de fa bouche .
Ainfi , dès qu'un Mortel , craignant la pauvreté ,
Engage folement fa propre liberté ,
Ce précieux tréfor aux Métaux préferable ,
I portera dès-lors un maître inexorable
Et dès-lors il vivra captif & dépendant ,
>
Parce qu'il n'a pas fçû de peu vivre content.'
A moins qu'à notre état notre bien ne convienne ;
Trop petit , il nous brûle , il nous met à la gêne ș
Trop grand , il nous expofe à faire cent faux pas ,
Tel qu'un méchant foulier qui ne nous convient
pas.
Satisfait de ton fort , vis donc avec fageffe ;
Et ne m'épargne point fi jamais je m'empreffe
D'amaffer plus de bien qu'il ne m'en faut avoir ;
Pour foutenir ma vie & pour ne rien devoir.
L'argent, Maître ou Valet, peut fervir & peut nuire,
Digne d'être conduit plutôt que de conduire.
Affés près d'un vieuxTemple ouvert de grand matin
Où Saint Marcou reçoit les voeux du Cotentin ,
J'ai rimé , cher Ami , l'Ecrit que je t'envoye.
Ta préfence en ces lieux manque feule à ma joye.
F. M. F.
AS. Marcon de l'Ile en Cotentin le 30 Mai
1740.
QBJANVIER.
1741. 89
OBSERVATIONS adreffées à M. Boëry
Chanoine de Villeneuve - lès - Avignon , touchant
la Machine proposée pour regler les
Airs de Mufique.
V
Ous m'avez demandé mon fentiment,
M. fur la Machine dont il eft parlé à la
page 2038.du Mercure de Septembre dernier.
J'aurai l'honneur de vous dire qu'elle feroit
peut- être plus utile qu'on ne penfe , fi étant
portée à un certain degré de perfection , elle
pouvoit fervir de regle fondamentale pour
l'exécution de toute forte de Mufique . Le
premier objet de cette invention n'a d'abord
été que de foulager ceux d'entre les Com
mençans , qui n'ayant pas toujours le fecours
d'un Maître , font quelquefois embarafſés ſur
la durée qu'ils doivent donner à chaque genze
de mefure. Elle paroît donc inutile pour
les perfonnes plus avancées , qui ne confultent
que leur goût , quand elles chantent en
particulier , & qui dans les Concerts ordinaires
fuivent aveuglément la meſure du Maître.
Mais fi nous confiderons qu'il y a autant
de goûts differens que de têtés differentes ,
nous ferons contraints d'avouer que de cinquante
Maîtres qui feront exécuter la même
Piéce , à peine s'en trouvera- t'il deux qui la
E jiij battent
go MERCURE DE FRANCE
battent du même mouvement ; un feul peut
être entrera dans le véritable efprit de fon
Auteur , & quelques - uns s'en écarteront
tellement, qu'il méconnoîtroit lui - même fon
Ouvrage fous cette mefure étrangere . Un
feul exemple fuffira pour déveloper ma penfée.
La Sarabande & le Menuet notés , ne pré
fentent point à mes yeux d'autre difference
que celle de leur nom . Même figne au commencement
, même nombre , même valeur
de nottes dans chaque mefure & même
nombre de mefures dans chacun de ces deux
Airs ; tout contribue à mon incertitude . Si
je bats le Menuet trop lentement , j'en fais
une Sarabande; celle - ci battue trop couramment,
devient un mauvais Menuet, & l'un &
l'autre perd également de fa beauté, pour peu
que je m'éloigne du jufte milieu qui leur
convient. Quel guide dois - je donc confulter
qui puiffe donner à ma main le mouvement
précis que je demande ? Un bon Maître , me
direz-vous. Mais les bons Maîtres font- ils fi
communs , & parmi ceux qui paffent pour
l'être , en eft- il quelqu'un affés fûr de fon
fait pour ne pas mettre quelques minuttes.de
plus ou de moins en quatre ou cinq fois qu'il
chantera la même Sarabande , ou tel autre Air
tendre qu'on voudra ? Voudroit- il être jugé
par une Pendule à fecondes , & parier une
fomme confidérable ? Mais
Mais s'il eft vrai que l'homme le plus attentif
ne fçauroit chanter deux fois le même
Air dans le même intervalle de tems , & fi
chacun y en met plus ou moins , ſuivant la
vivacité ou la molleffe de fon tempérament,
il n'eſt pas moins vrai que ce feroit fournir à
la Mufique la feule chofe qui femble lui
manquer , que d'établir une règle fixe ,
quelle on pût comparer fes divers mouvemens
quand on feroit dans le doute.
à la-
Les inefures & les poids font differens dans
chaque Province ; mais le Poids de marc &
le Pied de Roy , font uniformes dans toute la
France , & chacun eft libre de confronter les
mefures & les poids particuliers de fon Pays.
Il en eft de même dans la Mufique pour l'accord
des Inftrumens ; vous fçavez mieux que
moi, que ceux qui font à cordes n'ont point
de ton fixe , & chacun peut les accorder à
fa façon , mais les bons Inftrumens à vent ,
comme Flutes , Baffons , Hautbois , Orgues
&c. font tous montés fur le ton de Chapelle ,
& nous pouvons par ce moyen en Province,
quand bon nous femble , chanter précisément
fur le même ton qu'à Paris. Pourquoi
ne cherchera -t'on pas le moyen de nous faire
chanter avec la même précifion & la même
jufteffe de mouvement que les premiers Maîtres
du Royaume ? Quelle fatisfaction pour
an Auteur , s'il pouvoit communiquer for
E v Ouvrage
92 MERCURE DE FRANCE
Ouvrage dans toute fa perfection ! quelle
consolation pour ceux qui chantent , s'ils
pouvoient être affûrés qu'ils rempliffent parfaitement
tout ce que l'Auteur a eû en vûë !
La Machine que je viens de citer , M. nous
fournit l'idée de celle qu'on devroit imaginer
pour déterminer d'une maniere conftante
& invariable la durée de chaque genre de
mesure ; mais je ne crois pas qu'elle puiffe
être praticable dans la forme fous laquelle
M. F. de M. nous la présente.
Permettez que je vous faffe part là defus
d'unc Invention , qui me paroît plus facile à
pratiquer , plus sûre & moins dispendieuse.
Je ne la proposerai d'abord que comme devant
fervir aux Ecoliers , en l'absence de leur
Maître , il ne me fera pas difficile après cela
d'indiquer les moyens d'en rendre l'usage
plus géneral.
Suposons que j'ai actuellement dans ma
chambre un habile Muficien , fur lequel je
puiffe entierement compter pour la véritable
durée qu'on doit donner à chaque genre de
mesure. Je forme le deffein de lui enlever
pour ainfi- dire, cette bonne qualité , & je me
fers pour cela d'un ( 1 ) Pendule libre , de la
maniere qui fuit.
Je plante un clou dans un foliveau , en-
( 1 ) C'est un Poids attaché à un cordon mince ,
qu'on laiſſe balancer dans un Air libre.
1
viron
viron vers le milieu du plancher , & un autre
dans la muraille , à portée de ma main ; je
prends un petit poids ( 2 ) rond de plomb, que
j'attache au bout d'un petit cordon treffe ( 3 )
à quatre , d'une longueur indéterminée ; je
páffe ce cordon fur le clou du plancher , &
j'arrête fon autre bout au clou de la muraille,
ensorte que le poids demeure fuspendu. Je
prie ensuite mon homme de chanter un Menuet
en battant la mesure à ſa façon; je mets le
petit poids en mouvement & je l'abandonne
pour prendre l'autre bout du cordon , que je
lâche ou retire insensiblement , jusqu'à ce
que chaque vibration de mon Pendule libre
foit parfaitement égale à chaque mesure du
Menuet.
Cela étant fait , je mets une boucle ou un
anneau à l'endroit du cordon qui répond au
clou de la muraille , pour pouvoir l'accrocher
uniformément toutes les fois que je
voudrai. Je fais chanter au Muficien d'autres.
Airs de toute espece , & je mets autant de
boucles differentes au cordon , qu'il y a de
differentes mesures à déterminer.
Voilà , ce me femble , M. le moyen le plus
(2 ) Il faut donner cette figure au poids , fi l'on veut
qu'il balance en droite ligne fans fe détourner.
(3 ) Un fil ordinaire ne peut.pas fervir pour cela ,
parce qu'il s'allonge à mesure qu'il tourne pour fe détordre.
E vj fimple
94
MERCURE DE FRANCE
fimple , le plus facile à executer , le moins
fujet à fe déranger , & le moins difpendieux
qu'on puiffe imaginer pour pouvoir battre
toujours uniformément la mesure de tel Air
qu'on voudra.
Si je veux , par exemple , chanter une Sarabande
, j'accroche la boucle qui lui convient
, j'agite le Pendule libre , qui par (4 ) la
régularité de fes vibrations , me conduira
bien avant dans mon Air , & fi je n'ai pas
l'adreffe de continuer une mesure que j'aurai
fi bien commencée , je réveillerai de tems en
tems le Pendule,pour m'aider à l'achever.Mais
il faut être bien Ecolier pour ne pas fçavoir
poursuivre la mesure d'unAir de mouvement,
quand on eft une fois en train. Toute la dif
ficulté confifte dans le début , & le Pendule
fuffisant
libre que je propose
, eft
plus
que onces
pour cela , puisqu'un poids de deux onces
au bout d'un cordon de trois pieds & demi
de longueur , fait plus de 400. vibrations
très diftinctes , avant qu'il foit néceffaire de
lui redonner le mouvement.
Voilà , M. un moyen bien facile pour fe
fatisfaire à peu de frais. Plus de Baffins, plus
(4) Les vibrations du Pendule libre parcourent en
des tems égaux des espaces inégaux , enforte que les
plus grands ne durent pas plus que les plus petits .
C'est une vérité qui n'eft pas affes connue des Ouvriers
qui s'enferviroient utilement dans bien des occafions.
de
JANVIER. 1741. 95
de Pompe , plus de Tube , plus de Bouteille 】
plus de Boëte à Pendule , plus de Chainettes ,
plus de Cadrans, &c . Deux onces de plomb,
un petit cordon de 4. à 5. pieds de longueur,
& quelques momens de loifir de la part d'un
bon Muficien , vont produire un Inftrument
fi fimple , qu'il pourroit en un besoin être
envoyé dans une Lettre par la Pofte .
Mais il eft bon d'observer ici que, comme
la longueur de ce Pendule deviendroit incommode
dans certaines occafions , on peut
l'abreger & le réduire de façon qu'il n'excedera
pas la longueur de cinq pieds , en donnant
aux différentes mesures tantôt une,
tantôt deux , tantôt trois , & même quatre
vibrations,fuivant l'exigence des cas . Trouvez
bon que je vous représente ici un Modele de
ce Pendule réduit , dans lequel je n'ai gardé
aucune proportion. Voici l'Explication des
Caracteres qui font marqués à côté des differentes
boucles.
La premiere & la plus haute de ces boucles
, présente un 3.à main gauche, & rien à
main droite , c'eft -à- dire , que le Pendule
étant fuspendu ou accroché par cette premiere
boucle , chaque vibration vaudra une mesure
à trois tems légers .
La feconde présente un 2. à main gauche ,
& à main droite ; c'eft à dire que le Pendule
étant accroché par cette feconde boucle
MERCURE DE FRANCE
cle , la vibration ne vaudra qu'une demi- mez
sure , ou un tems .
I
La troifiéme boucle porte la marque de
quatre tems à main gauche , & à main
droite , c'est- à- dire que le Pendule étant fuspendu
par- là , chaque vibration ne vaudra
que le quart de la mesure , ou un tems.
Il feroit inutile de vous expliquer les caracteres
des autres boucles , il fuffira de vous
avertir que ce n'eft ici qu'un Modele purement
figuratif, dans lequel j'ai placé au hazard
les premieres mesures qui me font venues
dans l'esprit.
Vous m'allez dire , M. que tous ces diffe
rens Pendules , faits par differens Maîtres ,
feront tous differens entre eux, & meilleurs ou
moins bons , par proportion à l'habileté de
celui qui les aura tracés . J'en conviens avec
vous , mais comme il y a plufieurs degrés
entre la parfaite & la mauvaise exécution
d'une Piece , ces Pendules differens auront
tous leur utilité particuliere pour les personnes
qui s'en ferviront.
Cependant , pour profiter de l'occafion
que me fournit votre remarque , j'aurai
T'honneur de vous dire que , fi cinq ou fix
Maîtres, des plus fameux de Paris , vouloient
fe donner la peine d'établir une Regle génerale
( qui ne manqueroit pas d'être adoptée
dans les Provinces, comme il arrive journellement
JANVIER.
1741. 1 97
3
-10
141
32
38a
12
- +
804
28 MERCURE
DE FRANCE
nellement pour toute autre chose ) il ne leur
faudroit que quelques heures d'amusement
pour en venir à bout ; car en examinant entre
eux le goût des differentes Piéces , & la
durée de chaque espece de mesure , ils marqueroient
des points fur le cordon par mesure
, demi mesure , tems , & c . comme ils
trouveroient bon , & après qu'ils fe feroient
féparés , l'un d'eux , chargé de la commisfion
, rendroit ce Pendule géneral de la maniere
qui fuit.
Suposons que le poids de ce Pendule fût
de plomb, de deux onces poids de marc, d'une
figure ronde ou cylindrique , & bien fuspendu
par fon centre , celui qui feroit chargé
du foin d'en rendre l'usage universel , n'auroit
qu'à mesurer par pouces & par lignes fur
un pied de Roy , les differentes diſtances
qu'il y auroit depuis & compris le poids jusques
à chaque point marqué pour chaque
mesure, & en mettre la Notte par écrit, pour
la rendre ensuite publique par les voyes ordinaires.
Suivant cette fupofition , M. qui me paroît.
très -fimple , chacun pourroit dans toute l'étendue
du Royaume , fe fabriquer un Pendule
parfaitement égal à celui dont je viens
de parler , puisque le Poids de Marc & le
Pied de Roy font uniformes par tout ... Les
Compofiteurs , pour diftinguer les differens.
mouve
JANVIER . 1741: 99
mouvemens d'un même figne ( 5 ) de mesure,'
au lieu de marquer leurs Ouvrages par ces
mots gracieusement , légerement , tendrement ;
vité , très- vite , lentement , gai , mesuré , &c .
dont la fignification eft fi vague & fi indéterminée
; les Compofiteurs , dis -je , mar
queroient la mesure de leurs Airs par les
mots fuivans ; après avoir mis le figne ordinaire
de 3. de 2. de quatre , & c. ils ajoûteroient
à 1. vibration de 25. pouces ... à 2 .
vibrations de 30. pouces 6. lignes .... à 4.
vibrations de jo. pouces 3. lignes , & c. ce qui
feroit un moyen sûr & invariable de faire
exécuter les Airs avec la préciſion parfaite
dans laquelle ils auroient été composés.
Au refte , M. je fuis bien éloigné de penfer
qu'on dût faire usage d'un tel moyen dans
l'exécution actuelle d'un grand Concert , ce
feroit gêner le Maître & les Acteurs, & mettre
fouvent le désordre ; il fuffit d'imaginer
que les uns & les autres , mais fur tout les
Maîtres , auroient chés eux un Modele parfait
, fur lequel ils pourroient étudier le véritable
goût de chaque Piéce , pour la faire enfuite
exécuter d'une maniere aprochante.
Faites de tout ceci tel usage que vous ju
gerez à propos. Ces Pendules feroient fort
inutiles , fi tous ceux qui fe mêlent de Mu-
(s) J'apelle Signe le chiffre qu'on met au commen→
cement des Airs pour marquer là mesure.
fique
100 MERCURE DE FRANCE
fique avoient le goût auffi fin que vous ; la
juſtice que tous les Connoiffeurs rendent à
votre Flute , m'eft un sûr garant de ce que
je viens d'avancer . Je ferai trop fatisfait fi
ces refléxions peuvent vous amuser quelques
momens . J'ai l'honneur d'être , M. votre
très humble , & c.
L'Abbé Soumille.
J.
EPIGRAMMES ,
Livre Premier.
Au Roy.
E veux me faire un plaifir délicat
De vous louer fans eſpoir de ſalaire ,
De la Vertu fidele tributaire ,
Je fçais lui rendre un culte fans éclat .
C'eft elle en vous qui régit votre Etat ,
Ses feuls amis font en droit de vous plaire ;
Vous regardez comme un noir attentat
Tout ce qui peut vous la rendre moins chere
Et jeune encor , par fon feul Miniftere ,
Vous gouvernez comme un vieux Potentat ,
;
11.
JANVIER 1741 10%
P
II. Livre II.
Ar tout je trouve à cenfurer ;
En fecret j'en fais la Satyre ;
Ceux que j'aimne me font pleurer ,
Et ceux que je hais me font rire.
III. Livre III.
Voici quelle eft la vie heureuſed
Ne fe point livrer à l'accès
D'une paffion amoureuſe ;
N'avoir ni fertime ni procès
Dans l'indépendance flatenfe ,
Jouir d'un bien très- affûré ,
Sans aparence faſtueuſe ;
Partager fes jours à ſon gré ,
Entre le féjour de la Ville
Et quelque retraite tranquille ;
Avoir des amis , du moins un
D'efprit au- deffus du commun
D'une humeur facile , ingénue,
D'une probité bien connuë ;
Fuir les affaires & les foins ;
Peu de défirs , peu de befoins.
Etre content de fa fortune ;
D'une table faine & commune
Satisfaire fon apétit ;
Dormir
182 MERCURE DE FRANCE
Dormir fept heures dans fon lit
Sans trouble & fans inquietude ;
Ne fe faire aucune habitude
Dont on puiffe fe repentir ;
Ni n'acheter , ni ne bâtir ;
Des fots abjurer le commerce ;
Contre la fortune perverte
Avoir un coeur bien affermi ,
Ne fe faire aucun ennemi ,
Et ne pouvoir hair perfonne ;
Voir tout , fans que rien nous étonne
Se faire une fuprême Loi
D'être toujours maître de foi ;
Mais n'outrer rien dans fa Morale ,
Parler , agir tout uniment ;
Conferver une humeur égale ;
Devoir à fon tempérament
Une fanté très -vigoureuſe ,
Que l'on ménage prudemment ,
Loin de croire la mort affreufe ,
Y penfer , la voir s'aprocher
Sans la craindre ni la chercher ,
Voila quelle eft la vie heureuſe.
D
IV. Livre IV.
Ans ma paifible folitude
Souvent je me plais à rêver ,
Et
JANVIER.
10% 1741.
Et ma Mufe a pris l'habitude
De venir fouvent m'y trouver.
Elle m'aborde fans rien dire
;
Son air eft grave & férieux
L'ennui paroît peint dans fes yeux,
Tout à coup je la vois fourire :
Allons , dit - elle , il faut écrire ,
Sur quoi ? Sur les défauts d'autrui,
Rien ne diffipe mieux l'ennui ,
Que de s'amufer a médire,
V. Livre V.
Epitaphe d'un grand Poëte.
C₁I gît un Homme dont la gloire
Des fiécles atteindra la fin.
Courant au Temple de Mémoire ,
Sur la route il mourut de faim.
VI. Livre VI.
A une Capricieuse.
V Os yeux font doux & careffans ;
Puis dédaigneux ou menaçans ;
Avec vous je ne puis m'entendre.
Votre coeur , quand je croi le prendre ,
M'échape aux moindres incidens.
Morbleu , faites- moi donc comprendre
Si je fuis dehors oy dedans .
VII.
104 MERCURE DE FRANCE
JE
VII. Livre VII.
A un méchant homme:
E me délaffe à peindre un fat
Sa figure plaît , mais la tienne
Eft un ouvrage bien ingrat ;
•
On ne peut , quelque tour qu'on prenne ;
Turlupiner un fcélerat.
Q
0.
Uelques- uns de nos Lecteurs les plplus
délicats , & nous nous flatons que tel
eft le plus grand nombre , trouveront peutêtre
à redire de voir fi fouvent & fi longtems
des Bouts- Rimés remplis fur les mêmes
Rimes. Nous pourrions nous excufer fur
l'abondante moiffon du Mercure , qui doit
au moins quelque accueil à la plupart de fes
Correspondans , mais on fentiroit bien que
ce n'eft pas-là notre meilleure excuse , ainfi
nous nous contentons de demander encore
grace pour les Bouts- Rimés fuivans,
SONNET
JANVIER.
1741. 105
SONNET fur les Bouts Rimés proposés dans
le I. Volume de Décembre 1739. P. 2943.
LE PORTRAIT DE LA COQUETTE ,
Par elle- même.
P Ar mon babil léger j'imite la Péruche
;
Mon maintien libre & vif n'offre rien de Sournois
La volupté préfide à l'air de mon
Minois.
Et je fçais d'un clein d'oeil dreffer plus d'une Em-
Tout Amant qui foupire eft une pauvre
Que j'épuise bien vite en Banquets , en
L'Amour d'un coeur novice échauffe le
Dans mon coeur, aguerri l'interêt feul ſe
buche.
Cruche ,
Tournois ;
Harnois
Huche.
Rien
Accepter c'eft mon rôle ,un Singe, un Chat, un Chien,
Je m'amufe de tout , fans m'attacher à
Bien fou qui prétendroit chés moi fixer fon Pofte.
Crevé ,
Ripofte ,
Certain Gascon pourtant ... fuffit , il eft
Le fripon quelque jour m'eût donné ma
Mais , en comblant fes feux au plus fin j'ai C- avé.
Ce qui peut contribuer au mérite d'un
Bout-Rimé ( fi tant eft qu'on lui en accorde
encore quelqu'un ) c'eft comme tout le
monde fçait , lorsque les Rimes les plus bizares
y entrent naturellement, & n'y paroisfent
point trop forcées ; à quoi l'on peut
ajoûter
? MERCURE DE FRANCE
ajoûter que le point effentiel eft d'y renfer
mer , avec quelque jufteffe , une image fuivie
& bien foutenue , à laquelle chaque partie
du Sonnet paroiffe fe raporter , de façon
qu'on ait peine à diftinguer fi l'Ouvrage a
été composé tout de fuite , ou s'il a été imaginé
en deux tems , conftruit de morceaux
raportés & réunis fous un même point de vûë.
Si cet Art méritoit quelque regle , ou plutôt
fi la Satyre ingénieuse de la défaite des
Bouts - Rimés par Sarrafin , ne les avoit pas
fait tomber , depuis bien du tems , dans une
espece de mépris , les deux premieres Regles
que nous venons d'exposer feroient fuffifantes
pour juger de ces fortes de badinages ; nous
fommes bien éloignés de vouloir les faire revivre
;le Mercure ne cherche point noise
mais il cherche , comme de raison , à mettre
tout à profit , & ce n'eft que fur ce principe
que nous hazardons encore ce nouveau Canevas
de Bouts - Rimés .
Couliffe ,
Devis ,
Capendu ,
Morfondu
Parvis , Dogue.
Ecliffe.
Jaunille ,
Vautour ,
Pont- Levis Sinagogue,
Vis- à- vis , Tambour.
Regliffe.
EXJANVIER.
1741. 107
EXPLICATION de l'Enigme & des
Logogryphes du Mercure de Novembre
V
1740.
Os Enigmes, je crois , je n'explique point mal.
Tenant en main votre dernier Journal ,
Pendant le tems d'un grand orage ;
Ayant autour de moi force petits Marmots ,
Bien aisément j'ai trouvé les trois mots ;
Mercure , Eolys , Mariage.
Par Mad, ***
A Villef.... ce 27. Decembre 1740.
Les mots de l'Enigme & des Logogry
phes du premier Volume de Decembre font ;
le Crayon ou Pastel , Oifeau , & Martyrologe.
On trouve dans le premier Logogryphe
Oife , Soye , Oye. Dans le fecond , Martyre,
Armoire , Rite , Mi , Re , La , Loge , Goa ,
Orge , Aire , Gloire , Laire , Mari , Riom ,
Tigre , Ire , Air , Rome , Moire , Tage ,
Magie, Mare, Ami , Arle , Tyr , Image
Rame , Limoge , Ai , Elu , & Marge.
Ceux de l'Enigme & du Logogryphe du
II. Vol. de Decembre font , les Monchettes
& Rouen. On trouve dans le Logogryphe ,
Ouen , la Particule On , Roue, le Rône , l'Or
Evron , Abbaye de Benedictins dans le Mai-
E ne
108 MERCURE DE FRANCE
on ne , Rou , I. Duc de Normandie
apellé Raoul ou Rollon ; & Veron , Poiffon
connu dans les petites Rivieres .
****************
J
ENIGM E.
E n'ai jambes ni bras & je marche très vîte ,
Quoique j'aille très - lentement.
Je vais par tout Pays , & quand j'arrive au gîte ,
On me regarde un ſeul moment.
Je n'ai jamais de faim & fi toujours je mange ;
Si je bois par malheur , je meurs fubitement.
Jamais le chaud ne me dérange ,
Mais l'humide & le froid font mon déreglement,
Lecteur ,fi jamais quelque Belle
Te donne un rendez - vous chés elle
Tu ne dois pas me négliger ,
Je marque l'heure du Berger,
LOGOGRYPHE.
AMMi Lecteur , dans ma ftructure
D'aucun être vivant on ne voit la figure ,
J'ai cependant des plumes fur la peau ,
Et fans avoir des aîles ,
JANVIER. 109 1741
Je fends les airs comme un oiſeau.
On me vou quelquefois voler de belle en belles
Et leur fervir de divertiffement ;
Je ſuis fêté chés la vive jeuneſſe ,
Et négligé de la trifte vieilleffe , 1 :
Mon tout eft compofé de fix pieds ſeulement.
Comme un nouveau Prothée , on va dans un mo◄
ment
En cent façons me voir paroître :
Ma premiere moitié déſigne une action ,
Dont une infame mort eft la punition :
L
Changez- en l'ordre , il vous fera connoître
Un Animal glouton ,
Qui donne aflés fouvent l'allarme à Coridon,
Peut-être un Cenfeur trop fevere
Dira que de ce mot il n'eſt pas fatisfait ,
Qu'une lettre de plus y feroit néceffaire,
Laiffons-le dire , & revenons au fait ;
Dérangez , retranchez , à vos yeux fe préſente
Un infecte volant ,
Dont le dard penetrant
Caufe une douleur très- cuifante :
Vous y trouvez encor un adverbe de ticu ,
Deux notes de Muſique
Le feul Mortel de tout un peuple inique ;
Qui parut jufte aux yeux de Dieu.
L'endroit du corps , fi l'on en croit la Fable,
Fij
Par
fro MERCURE DE FRANCE
Par où feul étoit vulnerable
Un Héros de l'Antiquité ,
Pour les beaux exploits tant vanté
Une Ville affés belle ,
Un Evêché fur la Moſelle ,
D'un tems fixé la révolution ,
Tems que l'Aftre du jour employe
A parcourir la zodiaque voye .
Voilà , Lecteur , ce que contient mon nom
J'aurois encor bien des chofes à dire ,
Mais c'eft affés , & ceci doit fuffire .
D. H. de Dreux,
LOGOGRYPHUS
.
VIs me noſſe , meis addixitfabula Nymphas
Qua prafint lymphis , addidit illa Deos,
Horrent me manes , horret me Palladis ales ,
Nec me talpa videt , fi caput abftuleris.
Redde caput , collum muta ', mortalia corda
Horrefcunt fonitus , Lector amice , meosa
D. L, H. de Toufreville Lacable.
NOUJANVIER:
1741. 111
Stiststot Stist:stt statutt
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX ARTS , &c.
FSSA1 fur les Maladies Véneriennes
contenant avec les fignes qui les caracté
rifent & lesjugemens qu'on doit porter fur les
differens cas , un détail exact de la maniere
dont on les traite à Montpellier ; les inconvéniens
qui fuivent le flux de bouche , les raifons
qu'on a enës de le profcrire des Pays Méridionaux
, & les avantages qui reviennent
dune méthode beaucoup plus douce , plus fimple
, & infiniment plus affurée. Confirmé par
unepratique conftante & des obfervations par
ticulieres. Mis au jour par M. Guirard Médecin
de la même Ville. A la Haye , chés
Pierre Poppy 1740. Et fe trouve à Montpellier
chés l'Auteur.
Le titre feul de cet Ouvrage en indique
le deffein & le plan . L'Auteur tâche de faire
voir combien la méthode de Montpellier
L'emporte fur celles qu'on fuit partout ailleurs
; & les preuves dont il se sert , sont
d'autant plus certaines qu'elles sont toutes
fondées sur une experience journaliere. 11
infifte particulierement sur la néceflité d'éloigner
le flux de bouche,qu'il regarde com-
Fiij me
112 MERCURE DE FRANCE
me inutile , & même comme plus propre
faire échouer la guérison du mal , qu'à l'a-
Vancer.
d
En parlant des causes , l'Auteur obferve
que leur nature eft extrêmement cachée , &
peut - être même impoffible à découvrir , &
que tout ce qu'on a imaginé là-deffus n'eft
apuyé que sur des conjectures fort incertaines
. Il ajoûte que quoique la cause des
Maladies Vénériennes soit presqu'inconnuë ,
la maniere dont on les traite à Montpellier
n'en eft pas moins affûrée , c'eft toujours à
l'experience qu'il en apelle . En effet , dit- il ,
le Mal de Naples ne seroit pas plus sûrement
guéri qu'il l'eft tous les jours , quand
la cause qui le produit seroit auffi dévelo .
pée qu'elle l'eft peu. Quelque évidente que
soit cette propofition , elle est encore confirmée
par l'exemple des Maladies aiguës ,
dont l'Auteur donne dans son Livre une
idée abregée. On les guérit tous les jours ;
ajoute - t'il , quoique la cause en soit fort
obscure , ce qui prouve qu'il n'eft pas tou
jours absolument néceffaire en Médecine
de connoître les causes prochaines des Ma
ladies , pour y remedier.
Cet Effai eft une Brochure in 8 °. de 121 .
pages. On la trouve à Paris chés Cavelier ;
Imprimeur & Libraire , rue S. Jacques , au
Lys d'or.
TRAI
JANVIER ´1741. * 13
TRAITE HISTORIQUE de l'Election de
' Empereur , avec les Céremonies qui s'y
observent ; la Bulle d'Or , & tout ce qui
concerne les Fonctions & Prérogatives des
Electeurs. Deux Volumes in- 12 . le premier
de 312. pages ; le second de 405. sans l'Avis
au Lecteur & la Table des Chapitres
A Amfterdam , & se vend à Paris chés
le Gras , Grand'- Sale du Palais , & David , le
fils , rue S. Jacques , à la Plume d'Or. 1741
LES ETRENNES DU TEMS , & le saint
usage que les Chrétiens en doivent faire
indiqué dans de courtes Réflexions sur les
représentations , en Taille- Douce , des Sujets
de l'Ancien & du Nouveau Teftament ,
relatifs aux Parties de -l'année Eccléfiaftique
& Civile. A Paris , chés Prault , pere
Quai de Gêvres , au Paradis , 1741. Volume
de 216. pages , sans la Préface & la Table
des Matieres.
PROPHETIES perpetuelles , très curieuses
& très- certaines de Thomas - Joseph Moult ,
natif de Naples , Aftronome & Philosophe
traduites de l'Italien en François , qui auront
cours pour l'an 1269. & qui dureront
jusqu'à la fin des fiécles . Faites à S. Denis en
France , l'an de Notre-Seigneur 1268. du
Regne de S. Louis le 42. A Paris ', chés
le même Libraire , 1741. de 95 pages.
Fiiij
DES714
MERCURE DE FRANCE
›
DESCRIPTION SOMMAIRE des Deffeins
'des Grands Maîtres d'Italie , des Pays- Bas j
& de France , du Cabinet de feu M. Crozat
, avec des Reflexions fur la maniere de
deffiner des principaux Peintres. Par P. J.
Mariette. A Paris , chés Pierre- Jean Mariette
, rue S. Jacques , aux Colonnes d'Hercules
1741. de 140. pages , avec la Defcription
Sommaire des Pierres gravées du même
Cabinet , de 85. pages.
·
Ce feroit abufer de la confiance que nos
Lecteurs ( & fur tout ceux des Provinces
) peuvent avoir en nous , que de nous
borner à citer fimplement le titre de ce Catalogue
; & ce feroit fe tromper que de le regarder
comme une de ces Liftes ftériles qui
que trop ordinaires , où l'on ne peut
trouver que des noms , des dates , ou tout
au plus , quelques. Reflexions affés arbitraires.
ne font
C'est ici un Ouvrage plus important ;
quoique ce ne foit dans le fonds , qu'une
ébauche ; mais cette ébauche eft pleinementjuftifiée
par l'objet d'un Catalogue , qu'il a
fallu dreffer dans un tems déterminé ; & plus
encore par un choix très-judicieux des articles
qui ont le plus mérité d'arrêter l'Au
teur.
La briéveté néceffaire à cette forte d'Ouvrage
, y laiffe néanmoins place à des obfervations
JANVIER. 4741 115
vations folides , & fouvent nouvelles ; & la
jufteffe de ces mêmes obfervations ne nuit
en rien à cette briéveté ; c'eſt - à- dire qu'on ne
trouve ici ni prolixité , ni féchereffe ; & la
modeftie avec laquelle l'Auteur expoſe tout
ce qu'il y a mis du fien , feroit le für garant
d'un fuccès complet , s'il avoit eu le loifir
ou la volonté de lui donner plus d'érenduë.
C'est donc non feulement une énuméra
tion diftribuée par claffes , & fuivie par un
numero courant , des Deffeins qui compofoient
le Cabinet de feu M. Crozat ; ( nous
avons affés de Catalogues de cette efpece )
mais c'eft encore une forte de récapitulation
au bout de chaque article principal , de ce
qu'il y a de plus certain & de plus intereffant
à connoître dans les differentes Ecoles
d'Italie , des Pays - Bas , & de France.
L'Auteur paffe légerement fur ce qui ne
'doit mériter que le nom de Curiofité commune
, parmi les amateurs qui n'ont point
de préventions particulieres ; mais il réferve
à propos fes détails pour tout ce qui fert à
défigner le caractere propre , le génie , la
maniere , & la touche même des plus excellens
Peintres , & des plus renommés. Def
finateurs dont il fait mention ..
En un mot , nous ne craignons pas de dire
que c'est le fruit abregé d'un difcernement
Fy exquis
16 MERDURE DE FRANCE
exquis , fortifié par les connoiffances , l'ha
bitude , & la poffeffion même de bien des
richeffes en ce genre ; & l'on ne peut que
fe rapeller une idée très - favorable de la collection
de Deffeins & d'Eftampes du feu
Prince Eugene , quand on fonge que fon
Cabinet étoit dreffé & arrangé de la même
main que le Catalogue de M. Crozat,
Mais , comme tous les éloges que la vé
rité & l'amour des Arts pourroient nous
faire ajouter , feroient toujours foibles en
comparaifon du goût inftructif qui fe fait
fentir dans tous ces Extraits , nous nous
contenterons de choifir quelques- uns des articles
les plus effentiels, & nous tranfcrirons en
finiffant celui qui regardeRaphaël pour l'Ecole
d'Italie, ce qu'on y dit de Rubens pour celle
'de Flandres & enfin ce qui eſt raporté au
fujet du fameux Raymond la Fage Touloufain
, dans la Claffe des Deffeins François.
Nous ne pouvons cependant laiffer passer
, fans quelque fcrupule , un terme qui
peut bien être un de ceux qui font confacrés
aux Arts , mais qui ne nous en paroît
` ni moins neuf , ni moins fingulier. C'eſt à
l'article de Simon Cantarini , dit le Pésarése,
où on lit ce qui fuit , page 63. On y découvre
en effet ( dans fes deffeins ) un goût
de Nature , & des fentimens de Chair , qui
ne pouvoient manquer de plaire à un Pein-
1
tre,
Y
1741. 117
tre , tel que le guide , &c. Quoique cette
expreffion foit , fi l'on veut , ingénieuſe , &
qu'elle remplace affés bien celles de rondeur,
de vivacité, de fraîcheur , de flexibilité , ou
même de vie dans les chairs , dont on a
coûtume de se servir , quoiqu'elle dife même
quelque chofe de plus , & qu'elle foir
encore répétée en un autre endroit , nous
perfiftons à croire qu'il faut que ce terme
faffe fortune avant que d'être entiérement
aprouvé,
Nous trouvons auffi que Vasari , Peintre
médiocre, mais Auteur eftimé d'une Vie des
Peintres en Italien , eft un peu maltraité page
35. à l'ocafion de cinq Deffeins qu'on
prétend que le Vasari attribuoit au Correge ,
mais qui , n'en étant pas , & étant même dans
une maniere très-différente , fontjuger que cet
Auteur connoiffait très- mal le Correge ; & par
conféquent on ne doit pas être furpris s'il en a
jugéfi peupertinemment . Cette décifion eft vrai
femblablement bien fondée , puifqu'on a crê
pouvoir l'avancer ici, mais qui nous donnera
la preuve certaine que le Vasari , amateur ,
connoiffeur , artifte , foit tombé réellement
dans une mépriſe fi groffiere ? Et fi cette
preuve exifte ,pourquoi M.Crozat ou M. Mariette
ne l'ont- ils pas rectifiée ? L'un , dans
l'ordonnance de fes Portefeuilles , ou l'autre
au moins dans la diftribution de fon Catalo-
Favj guc
18 MERCURE DE FRANCE
gue en nous indiquant de qui pouroien
être les cinq Morceaux en queftion.
En effet , fans qu'il foit même befoin de
jetter les yeux fur ces Deffeins , l'alternative
paroît toujours inconteftable ou c'eſt M.
M... qui fe méprend dans fa conjecture
nouvelle, ( ce qui nous paroît bien difficile )
ou M. Crozat s'y trompoit lui -même , auffi
bien que le Vasari , puifqu'ils étoient rangés
dans la Claffe des Deffeins du Corréges
ou , fi il ne s'y trompoit pas , il n'étoit
guére curieux de détromper ceux qui ve
moient admirer fa magnifique collection .
Nous ajouterons encore , pour la fatisfac→
tion des Lecteurs , que les Deffeins de M.
Crozat fe montoient à dix-neuf mille, amaf
fés avec un foin , une dépenfe , & presque
un bonheur incroyable. A l'égard de fes
Pierres gravées , on en compte jufques à
1382. dans le Catalogue qui fuit immédiatement
celui des Defleins : cette derniere
collection a paffé toute entiere entre les
mains de M. le Duc d'Orléans ; & c'est avec
raison qu'on foutient , quoique tout ne foit
pas d'une égale beauté , que c'eft un des plus
finguliers affemblages qui ait jamais été ford
par aucun particulier.
mé
Voici les articles promis..
RAPHAEL , page 14. Il ne s'eft peutêtre
jamais fait une collection plus ample des
Deffeins
JANVIER. 1741. 119
1
,
Deffeins de Raphaël , que celle que l'on voit
ici. M. Crozat grand admirateur de ce Peintre
à qui l'on a osé décerner le nom de
Divin , s'étoit donné de grands foins pour
en recueillir de tous côtés ; mais le Cabinet
qui lui en a fourni un plus grand nombre ,
a été celui des Mrs Viti d'Urbin. Ils confervoient
précieuſement ceux que Timothée,'
un de leurs ancêtres , qui avoit travaillé avec
fuccès sous Raphaël , avoit transporté avec
lui à Urbin , lorsqu'il s'y étoit retiré . Ces
Deffeins de Mrs Viti , font presque tous à
la plume ; quoiqu'affés légèrement faits , on
y remarque une certitude qui ne laiffe rien
à defirer pour la fidelité du trait , ni même
pour celle de l'expreffion.Quand on n'auroit
pas une idée de Raphaëel aauuſfſfii avantageuse
qu'on la doit avoir , il ne faudroit que ces
Deffeins , pour montrer quelle étoit la fublimité
de fon génie : les autres jettent fur
le papier leurs premieres pensées , & l'on
s'aperçoit qu'ils cherchent , Raphaël, au contraire
, en mettant au jour les fiennes , lors
même qu'il paroît entraîné par la vehemencé
de son imagination , produit du premier
coup , des Ouvrages qui font déja tellement
arrêtés, qu'il n'y a presque plus rien à y ajou
ter , pour y mettre la derniere main .
RUBENS , page 97. Le beau génie de
Rubens & fa parfaite intelligence , se manifeftena
20 MERCURE DE FRANCE
feftent pour le moins autant dans ses Deffeins
que dans ses Tableaux . Dans ses plus légeres
Esquiffes , ce grand Maître met une ame
& un efprit , qui dénotent la rapidité avec
laquelle il concevoit & exécutoit ses penſées.
Mais lorsqu'il les met au net , alors , sans
rien perdre de cet esprit , qui devient seulement
plus réglé , il y ajoute tout ce qu'un
homme, qui poffedoit dans un éminent dégré
les differentes parties de la Peinture , &
fingulierement celle du clair obscur ; étoit
capable d'imaginer , pour en faire des Ouvrages
accomplis. Son goût de Deffein n'eft
point celui de l'Antique. Rubens repréſen
toit la Nature , telle qu'il la voyoit dans son
Pays; mais c'étoit toujours avec une verité,&
même avec une science , auxquelles les per
sonnes , qui ne sont touchées que de belles
formes , ne peuvent refuser leur adm ration.
Au refte , fi M. Crozat a été riche en Desscins
d'Italie , on peut dire qu'il l'a encore été
vantage en Deffeins de Rubens. M. Jabach
Antoine Trieft , Evêque de Gand , & M. de
Piles , l'ont mis , par leurs collections , en
état de former un auffi précieux affemblage .
LA FAGE , page 124. Il n'y eut jamis
de vocation pour le Deffein, mieux marquée
que celle de la Fage . Sans secours , sans
Maître , malgré ses parens , il résolut de fe
faire Deflinateur ; & , ce qui ne paroîtra prefque
JANVIER. 1741 IZE
que pas croyable , il devint bientôt un Deffier
nateur profond. Il n'avoit eu jusqu'à lors que
fon génie pour guide ; il continua à étudier
dans Rome fur les Ouvrages des grands Maî
tres , & le Deffein lui devint fi familier, que,
sans aucune préparation , il exécutoit du
premier coup , tout ce que fon imagination.
lui fuggeroit. On l'a vû commencer un Des
sein qui devoit être compofé d'un très -grand
nombre de figures , par un point qu'on lui
avoit marqué , & de- là cheminant toujours ,
couvrir en peu d'heures tout fon papier de
figures , qui formoient enſemble le fujet
qu'on lui avoit propofé. Il fit fouvent cette
épreuve en préfence des Maîtres de l'Art
qui , furpris de fa facilité de deffiner , n'ad
miroient pas moins la fcience profonde qu'il
mettoit dans fon Deffein : Car la Fage fcavoit
parfaitement l'Anatomie , & tout Prati
cien qu'il étoit , il formoit toutes fes parties
avec beaucoup de préciſion.Le plus fouvent,
il fe contentoit de deffiner ses figures au
trait fans aucune ombre. Lorſqu'il les vouloit
terminer davantage , & y ajouter du lavis ,
comme il n'entendoit point la partie du clairobscur
, & que ce qui faifoit valoir davantage
fes Deffeins , étoit la promptitude avec
laquelle il les exécutoit , ces Deffeins finis
devenoient froids & languiffans , & ne faifoient
aucun effet: Ceux où il réuffiffoit le
mieux
722 MERCURE DE FRANCE
mieux , étoient
ordinairement
ceux qui luž
avoient le moins coûté , & prefque
toujours
ceux qu'il avoit faits dans le fort de l'yvreffe .
Il choififfoit dans ces inftans des fujets libres.
& des Bacchanales, en quoi il ne fuivoit que
trop un malheureux
penchant
qui le portoit
à la débauche. Ses Admirateurs
n'ont point
fait difficulté de le comparer , & même de
le mettre au deffus de Raphaël , de Michel-
Ange & des Carraches
. Cet éloge eft outré;
mais il faut cependant
convenir
que la Fage
eft un fier Deffinateur
, & qu'en cette partie
fes Ouvrages
méritent
une place diftinguée
dans les Cabinets . Les Deffeins de ce Maître,
qu'a raffemblés
M. Crozat,font en grand
nombre , & ils comprennent
prefque tout
ce que la Fage a fait dans le cours de fa vie ;
c'est-à- dire , tout ce que M. Bourdalouë
M. Garnier , Sculpteur , & Van Brugen , qui
avoient beaucoup
fait travailler
la Fage
avoient recueillis eux-mêmes , & ce que M.
Crozat , qui avoit pareillement
connu ce
Deffinateur
, avoit eu de lui ou de fes héris
tiers.
TRAITE' Hiftorique & pratique fur le
Chant Ecclefiaftique , avec le directoire qui
en contient les principes & les regles ,fuivant
Fufage prefent du Diocèse de Paris & autres,
précedé d'une nouvelle methode , pour l'enfeigner
JANVIER. 1741 .
feigner & l'aprendre facilement. Par M
l'Abbé Lebeuf , Chanoine & Sous - Chantre
de l'Eglife Cathédrale d'Auxerre . in - 89 . de
290 pages. A Paris , chés J. B Heriffant ;
ruë Neuve-Notre- Dame, & J. Th. Heriffants
ruë S. Jacques , 1741.
On comprend affés par le titre de cet
Ouvrage , qu'il eft compofé de deux parties.
L'Epitre Dédicatoire qui eft adreffée à
M. l'Archevêque de Paris , aprend que
l'Auteur a eu principalement en vûë les
Ecoles du Diocèfe de Paris , lorfqu'il l'a
compofé ; mais l'Avertiffement , qui fuit fait
voir qu'il a écrit non-feulement pour les enfans
, qu'il regarde comme l'ornement du
Chant Ecclefiaftique , mais encore pour les
perfonnes avancées en âge , qui voudront
aprendre le Chant par regles , ou au moins
fçavoir les ufages & l'emploi du Chant dans
l'Office Divin. Il y aura auffi à profiter pour
les Curieux dans le même Ouvrage , parce
que prefque toute la partie hiftorique , qui
comprend la moitié du Volume , eft une ef.
pece de précis de tout ce que les anciens ont
marqué hiftoriquement fur le Chant Grégo
rien.
་
M. l'Abbé Lebeuf nous fait reffouvenir
dans fon premier Chapitre Hiftorique , de
la nouvelle methode de noter le Chant que
M. de Mos , Prêtre du Diocèfe de Genève
124 MERCURE DE FRANCE
à inventé ces années dernieres , & contre
laquelle il a écrit deux ou trois fois dans
nos Journaux. (a) Il raporte comment peu à
peu on s'eft accoutumé à montrer le Chant
aux Enfans par le moyen des fyllabes qui fignifient
les fons ; & en paffant , il ne peut
s'empêcher de marquer qu'il lui paroît plus
convenable pour donner des idées claires
aux Enfans , de nommer chaque fon de
l'Octave , foit qu'il fe faffe par progrès de ton
ou de demi-ton , du nom d'une fyllabe qui
lui foit particuliere . Il fait fentir que les Enfans
était fufceptibles de bonne heure de
ce qui forme le demi-ton dans l'Octave , on
peut le leur aprendre comme en jouant , &
que c'est le moyen de les rendre toujours
fermes dans l'exécution du Chant. C'eft
ce qu'il faut lire dans l'Auteur même , où
F'on verra parmi les articles qu'un fçavant
Dominicain avoit mis en 1274. pour être
traités au Concile de Lyon : Quod in omnibus
Ecclefiis Ars Cantûs meliùs doceretur & addifceretur.
: Après avoir infinué l'utilité qu'il y a de former
de bonne heure les Enfans. au Chant
M. Lebeuf parle de quelques Enfans enfeignés
en ce genre par des Maîtres illuftres , ou
devenus illuftres eux-mêmes. Il marque à la
(a) Mercures de Fevrier, Ñovembre & Décemt e,
1. vol. 1728.
fig
JANVIER 1741. 129
fm de ce premier Chapitre , que Gerfon
Chancelier de Paris, avoit compofé un Traité
touchant l'éducation des Enfans de Choeur
de Notre- Dame , où l'on voit des chofes,
curieufes fur leur Chant. Le fecond Chapitre
intitulé:De l'eftime qu'on a fait de tout tems
du Chant Ecclefiaftique , traite des plus
notables Perfonnages qui l'ont aimé , qui
en ont compofé ou qui l'ont enfeigné , ou
enfin qui en ont tranfcrit. On y voit plu
hieurs Evêques , grand nombre d'Abbés &
de Dignitaires de Cathédrales. Sur la fin del
ce Chapitre , l'Auteur obferve qu'en diffe
rens Diocèfes certaines Piéces de Plainchant
devoient être chantées par les Evêques du
Lieu , comme à Evreux , où l'Evêque étoit
chagé du fixiémeRépons de Matines de prefque
toutes les grandes Fêtes : Auffi lesEvêques
& Abbés faifoient-ils la fonction de Chantre
aux obfeques des Rois , & autres céremonies.
Le troifiéme Chapitre n'eft pas moins curieux
que le fecond ; il traite des anciens
Auteurs du Chant Romain , de fon alliance
avec le Chant Gallican , des augmentations
qui y ont été faites , des altérations de ca
Chant & de leurs caufes , à l'occafion ' de
quoi il explique la qualité de l'Antiphonier
de Paris , tel qu'il eft aujourd'hui . Les Li
turgiftes y verront ce qu'il dit des anciens
Chants de l'Eglife Gallicane durant la Com
munion
27 MERCURE DE FRANCE
munion. Les Editeurs d'anciens Ouvrages
manufcrits y reconnoîtront que les Livres de
Chant ont auffi leurs variantes , comme les
autres Manufcrits ; que ces variantes viennent
fouvent de l'inadvertance des Copiftess
ce qui a fait qu'en certains Pays , on chante
moins felon les régles qu'en d'autres . On lit
dans ce quifuit quelques exemples des varié
tés de Pfalmodie , tirés des Livres Ecclefiaftiques
& Monaftiques. Le cinquiéme Chapi
tre convient un grand nombre de veftiges de
la Muſique à parties, dans les ufages de Notre-
Dame de Paris , du douziéme fiecle .
L'origine de ce qu'on y apelle le Machicotage,
y eft pleinement détaillée . On y aprend
à connoître l'abus qu'on fait du mot Orga
num , faute de l'entendre ; ce mot né fignifiant
pas autrefois toujours un Jeu d'Orgues
, mais des voix humaines chantant à la
tierce. Le Déchant , dit depuis Faubourdon
ou Contrepoint , émana de cette organization
. Ceci eft traité affés au long d'une maniere
très-curieufe . Le Chapitre VI . n'eft pas
moins intéreffant , en raportant les changemens
que le Déchant a caufés dans le Chant
Grégorien. Les Hiſtoriens Italiens y trouveront
une remarque toute nouvelle fur l'ori
gine des Profes attribuées au Pape Adrien I.
La multiplication des Baffe- contres en Fran- .
ce , au XVI . ficcle , introduifit dans la Pfalmodię
JANVIER 1741. 12
modie des progrès que la douceur des Gosiers
d'Italie n'avoit eu garde d'inventer.
L'Auteur parle ici avec raifon contre ceux
qui en chantant font breve la premiere fyllabe
des mots : David , Jacob , Sion . Cela
vient du mauvais goût ou de l'ignorance des
derniers fiécles . Si nous pouvions nous étendre
ici , nous parlerions de l'Epitre de la
Meffe de S. Eftienne , après l'Auteur qui la
raporte , telle qu'on la chantoit en Picardie
au XIII. fiecle , & ailleurs. Ceci rapelleroit
l'ufage de la Provence où on la chante encore,
& d'autres Cantiques de Marſeille , qui
fe chantent aux Proceffions. Mais il eft tems
de dire un mot de la méthode dont M.
Lebeuf fçait par expérience qu'on enſeigne
le Chant Grégorien aux enfans plus efficacement
: C'eft de leur écrire les fept fyllabes
qui défignent les fept notes fur une bande
de papier perpendiculairement , & de rapro
cher le Si de l'Ut , & le Mi du Fa , de maniere
que les enfans y reconnoiffent une fois
moins de diftance que dans les autres intervalles
, puis de tirer à côté de ces fept fyl
labes des lignes fur lefquelles le Maître tou-
.chera , pour leur défigner les fons qu'il exi
gera d'eux. Ceci ne peut s'expliquer qu'avec
le Livre même , auquel nous renvoyons
les Curieux,
RE
28 MERCURE DE FRANCE
REVISION de l'Hiftoire du Ciel , pour
fervir de fuplément à la premiere Edition
Brochure in 12, de 123 pages. A Paris ,
chés la Veuve Etienne , ruë S. Jacques , à
la Vertu , 1740.
Cette Reviſion eft remplie de beaucoup
d'additions & d'éclairciffemens , qui rendent
T'Ouvrage entier plus intéreffant & plus recommandable.
L'OPTIQUE DES COULEURS , fondée fur
Les fimples obfervations , & tournée fur--
tout à la pratique de la Peinture, de la Teinture
& des autres Arts coloriftes . Par le
"R. P. Caftel , de la Compagnie de Jefus.
A Paris , chés Briaffon ,, rue S. Jacques , à
la Science , in- 12 . de 500 pages , 1740,
,
TRAITE des Matieres criminelles
fuivant l'Ordonnance du mois d'Août 1670.
& fuivant les Edits , Déclarations du Roy,
Arrêts & Réglemens intervenus jufqu'à préfent
; divifé en quatre parties. Lapremiere!
de la nature des crimes & des peines en gé
neral , de la nature de chaque crime en
particulier , & des peines qu'ils méritent.
"La feconde , de la compétence des Juges
fur les délits commis tant par les Laïcs
que par les Ecclefiaftiques , des cas Royaux
Prefidiaux & Prévôtaux ; des récufations &
prifes
JANVIER 1741 : X29
prifes à partie , du délit commun & du cas
privilégié. La troifiéme , de la maniere de
proeeder fuivant l'Ordonnance criminelle ,
& fuivant les Edits & Declarations du Roy
intervenus depuis , avec le ftile ou modele
des Procedures , exactement formé fur les
termes & l'efprit de cette Ordonnance , &
fur les Reglemens intervenus depuis , qui
en ont interpreté , changé ou abregé plufieurs
difpofitions , ou y ont ajouté : Notamment
fur le faux principal , le faux incident
, & la reconnoiffance des Ecritures privées
en matiere criminelle , fuivant la nouvelle
Ordonnance du mois de Juillet 1737.
qui a été donnée pour tenir lieu à l'avenir
des difpofitions contenues dans les Titres
huit & neufde l'Ordonnance du mois d'Août
1670. La quatrième partie contient les Edits,
Declarations , Arrêts & Reglemens interve
pus depuis l'Ordonnance . •
Cct Ouvrage , des plus méthodiques &
des plus complets qui ayent paru fur les Matieres
Criminelles depuis l'Ordonnance , eft
de M. Gui du Ronffeaud de la Combe, ancien
Avocat au Parlement ; c'eft un Volume in - 4
-de 840 pages d'impreffion , compris les Tables
; il fe vend à Paris , au Palais , chés
Theodore le Grasau troifiéme Pilier de la
Grand Salle, à l'L couronnée ,
Ra
30 MERCURE DE FRANCE
RECUEIL de plufieurs Piéces de Poëhies
& d'Eloquence , prefentées à l'Académie
des Jeux Floraux , pour les Prix des années
1739. & 1740. avec les Difcours prononcés.
pendant ces années dans les Affemblées publiques
de l'Académie . A Toulouze , chés
Claude - Gilles Lecamus , feul Imprimeur du
Roy & de l'Académie des Jeux Floraux , in-8°
& à Paris , chés Prault le pere , Quai de
Gêvres ; au Paradis.
INSTITUTIONS de Phyfique , avec
onze Planches détachées , & des Vignettes
à la tête de tous les Chapitres. A Paris ,
chés Prault fils , Quai de Conti , 1740.
in- 8°.
Ganeau , Libraire , rue S. Jacques , visà-
vis S. Yves , à S. Louis , vient de mettre
en vente la nouvelle Edition des Ouvrages
fuivans.
Dictionnaire Oeconomique, contenant divers
moyens d'augmenter fon bien & de
conferver fa fanté , par M. Chomel , reyû ,
corrigé & augmenté ; infolio 2. volumes. Les
differentes Editions de ce Livre marquent
affez l'estime qu'en fait le Public , fans qu'il
foit néceffaire d'en parler.
Les Amuſemens de l'Amitié , rendus utiles
& intereffans, in- 12. Nous rendrons com-
& de ce Livre, des augmentations qu'on
y a faites,
pte ›
Ex:
JANVIER 131 1741
Expériences de Phyfique , par M. de Po
Liniere , in- 12 . 2. volumes.
,
Theologia Moralis univerfa , complectens
omnia morum præcepta , & principia Deci
fionis omnium confcientiæ cafuum fuis
quæque momentis ftabilita , ad ufum Paro
chorum & Confeffariorum , à R. P. Paulâ
Gabriele Antoine , Soc. J. Editio nova ab
ipfo Auctore auctior & emendatior , in- 12.
4 vol.
,
Oeuvres de M. de Saint Evremond , avec
la vie de l'Auteur , par M. Defmaizeaux ,
Membre de la Société Royale de Londres
in-12. 10 vol.
Nous croyons faire plaifir au Public , en lui
annonçant cette Edition qui eft préferable
à toutes les précedentes , tant par les cor
rections & augmentations , que par la beaus
té de l'impreffion , des figures & vignettes
en taille douce ; on y a joint les Mémoi
res du Comte de *** avant fa retraite y
contenant diverfes avantures qui peuvent fervir
d'inftruction à ceux qui ont à vivre dans
le grand monde : Et les Mémoires de Ma
dame la Comteffe de M *** avant fa retraite
, fervant de réponſe aux Mémoires cideffus
rédigés par M. de Saint' Evremont . [
Le même Libraire vient de recevoir, les
Livres fuivans.
Memoires pour fervir à l'Hiftoire du Com-
G τέ
132 MERCURE DE FRANCE
té de Bourgogne , contenant l'idée génerale
de la Nobleffe & le Nobiliaire de ce Comté,
'Hiftoire des Comtes de Bourgogne , des
Maifons de Valois & d'Autriche ; de l'ad
miniſtration de la Juſtice, de fon Parlement,
& de fa réunion au Royaume de France ;
l'Hiftoire de toutes les Révolutions & Faits
remarquables arrivés en cette Province , juf
qu'au tems préfent. Par M. Dunod de Char
nage , Ecuyer , volume in-4°. avec figures
en taille douce , imprimé à BeZançon
1740.
Profperi Fagnani Jus Canonicum ; five
Commentaria in quinque Libros Decreta
lium , cum difceptatione de Grangiis . Nova
Editio aliis prioribus multò correctior , cum
ampliffimo rerum & verborum Indice accu
ratiffimo , in-folio 3 vol . Neocomi , 1740 ;
Decifions du Droit Civil , Canonique &
François , par ordre alphabétique , avec des
obfervations fur l'ancienne & la nouvelle
Jurifprudence des Pays qui fe régiffent par
le Droit écrit. Par M. de Fromental , in -fol,
Lyon 1749.
Traité des Gains Nuptiaux & de Sur- vie ,
qui font en ufage dans les Pays de Droit
Écrit , tant du Reffort du Parlement de Pa
ris , que des autres Parlemens. Par M. Boncher
d'Argis , Avocat , in- 4°. Lyon , 1728 .
R. P. Joannis Cabaffutii Juris Canonici
Theoria
JANVIER 133 1741.
Theoria & Praxis , ad forum tàm Sacramen
tale , quàm Contentiofum , tùm Ecclefiafticum
, tùm Seculare , Editio noviffima , à
Domino Joanne-Petro Gibert, Doctore Theo
logo , &c. in folio , Poitiers , 1738.
HISTOIRE MILITAIRE de Charles XII.
Roy de Suede, en trois volumes in- 12 . écrite
en forme de Journal fous les yeux de ce
Monarque par M. Adlerfeld , fon Chambelan.
Le Roy , qui dès le commencement de
l'Ouvrage en goûta le plan , donna ordre à
fon Confeil de fournir à l'Auteur tous les
Mémoires qui lui feroient néceffaires , & à
fes Géneraux de lui communiquer des Relag
tions exactes de tous les Combats , Siéges ,
Marches & attaques . On l'a orné du portrait
du Roy , gravé d'après l'original de Krast ,
& de Plans de Batailles, propres à donner au
Lecteur une idée plus diftincte des actions.
Ce Livre fe vend à Paris , chés David fils
Libraire , rue S. Jacques , à la Plume d'or.
}
COUTUMES des Duché , Bailliage , &
Prevôté d'Orléans ; avec les Notes de M..
Henri Fornier , Confeiller au Préfidial d'Or
léans. Les Notes de Du Moulin fur l'ancienne
Coûtume d'Orléans ; des Obfer
vations nouvelles , où l'on a renfermé tout ce
qui a paru néceffaire pour faire connoître le
Gij fens
134 MERCURE DE FRANCE
fens & application des articles , les maximes
autorisées par l'ufage dduu Palais Palais , & les derniers
progrès de la Jurifprudence. On y ajoint
un Difcours Préliminaire fur la Coûtume d'Cr
léans , un Traité des profits & droits Seigneuriaux
: l'Eloge de M. De la Lande , & des
Obfervations fur fon Commentaire , 2 vol . in-
12. A Orleans , chés François Roulean ,
Imprimeur du Roi , de M. le Duc d'Orleans ,
de la Ville. 1749.
>
Tel eft le titre de l'Ouvrage qu'on annonce
ici au Public. Les obfervations nouvelles qui
en font la principale partie, font dûes aux travaux
réunis de quelques Confeillers au Préfidial
d'Orléans , qui ont entrepris d'y renfermer
comme en un Tableau racourci
tout ce qui étoit néceflaire pour l'intelligence
la plus pleine , & l'aplication la plus féconde
des articles de la Coûtume d'Orleans.
fls fe font attachés fur - tout à marquer exactement
les derniers progrès de la Jurifpru
dence , reçûe au Parlement , les Arrêts qui
l'ont fixée , les nouvelles Ordonnances qui
Pont étendue , & enfin les maximes que Fufage
du Palais a perfectionnées. S'ils ont rempli
ces vûes , leur Livre , quelque court qu'if
paroiffe , peut être regardé comme une ef
pece de fyftême , & même de corps aflés
complet du Droit Coutumier . L'Ouvrage
no
JANVIE R. 1741 135
ne fera donc pas moins intereffant, ni moins
utile à Paris qu'à Orléans. La Coûtume d'Orléans
eft faite fur le modéle de celle de Paris
, le même fonds & le même efprit y regnent
, & les mêmes difpofitions y font répétées
dans tous les titres . Ainfi tout ce que
les obfervations , dont il s'agit ici , nous
aprennent fur les grandes matieres de laConmunauté,
du Douaire , des Preſcriptions , des
Donations , des Teftamens , des Raports ,
des Propres , de la Contribution aux dettes ,
des Saifies-Réelles , des Profits de Fief , &
autres Droits Seigneuriaux , a fon uſage naturel
, & fon aplication toute entiere à Paris.
Les Juges & les Avocats de cette grande
Ville auront donc le plaifir , en lifant ce nouvel
Ouvrage , de s'y rapeller fans peine toutes
les idées des chofes qui leur ont tant coûté à
fçavoir , d'y apercevoir , comme d'un coup
d'oeil , toute la fuite des décifions les plus
sûres & les plus autorifées , & de ces maximes
qui font d'un ufage continuel dans les
affaires & dans le Barreau . Ce Livre qui a été
imprimé à Orléans , fe trouve à Paris , chés
Saugrain , dans la Grand - Sale du Palais.
HISTOIRE des Amazones anciennes
& modernes , enrichie de Médailles , par
M. l'Abbé Guyon , 2. vol . in- 12 . Le premier
de 92. pages , fans la Préface de 176. & le
Giij deu:
136 MERCURE DE FRANCE
deuxième de 215. & la Table des Chapitres.
A Paris , chés Jean Villette , ruë fäinc
Jacques , vis-à-vis les Mathurins , à la Croix
d'Or & à faint Bernard.
Il paroît une Traduction Françoiſe du
Poëme Latin fur la Peinture , publié en 1736.
par le P. Marfy, Jéfuite. Ce charmant Ouvrage
11 propre
fi à faire revivre le goût de la
Poëfie Latine , eft trop connu, pour qu'il foit
befoin d'en rapeller ici l'idée . Nous lui avons
rendu dans le tems le tribut de notre ef
time & de nos éloges. A l'égard de la Traduction
, elle nous a paru venir de bonne
main. Au lieu d'une précifion fervile , une
exactitude intelligente s'y trouve jointe à la
politeffe , à l'élegance , & à la correction ;
& tout le feu de l'original femble avoir paffé
dans la copie. Elle fe vend chés Morel le
jeune , au Palais ; chés Merigot , Quai des
Auguftins ; & chés Prault fils , Quai de
Conty.
Mlle De Luffan , qui a donné l'Hiſtoire de
la Comteffe de Gonde , les Veillées de Theffalie
, & les Anecdotes de la Cour de Philipe
Augufte , toutes productions , qui , avec rai
fon , lui ont acquis la réputation d'une excellente
plume , va faire paroître une nouyelle
Edition des Feillées de Theffalie , aux
quelles
JANVIER 1741 137
quelles elle en ajoûte trois , qui avec les cinq
qui ont déja paru , en feront huit. Les cinq
anciennes auront l'avantage de la nouveauté
, par les changemens & les augmen
tations confidérables de l'Auteur , & qui
vont à l'agrément & à la perfection de
cet Ouvrage . Il fe vendra ainfi que tout
ce qui eft forti de fa plume , chés la veuve
Piffot , Quai de Conty , à la Croix d'or.
A Paris 1741.
Le Nouveau Telemaque , ou Voyages &
Avantures du Comte de *** & de fon fils ,
avec des Notes Hiftoriques , Critiques &
Géographiques , en 3. vol . in 8º . Imprimé à
la Haye , & fe vend à Paris , chés Huart
Libraire -Imprimeur de Monfeigneur le Dauphin
, rue S. Jacques à la Juftice .
M. le Comte de S .... nous a prié par fa
ર
Lettre écrite de Verfailles le 9. Janvier 1741 .
d'avertir ceux qui liront la Tragédie de
Bajazet I. imprimée à fon infçu dans le
fixiéme vol. des Amuſemens du Coeur & de
Efprit , qu'elle eft entierement differente
de celle dont il eft Auteur : celle- là y étant
défigurée depuis le commencement jufqu'à
la fin par plus de 600. Vers , partie , dit- il
ajoûtés , partie retranchés , & dont preſque
Giiij tous
›
138 MERCURE DE FRANCE
tous ont été alterés , ce qui répand fur cette
Piéce des défectuofités de toute efpece.
- ESSAIS fur l'Hiftoire des Belles Lettres
des Sciences & des Arts , par M. Juvenel de
Carlencas. A Lyon , ruë Merciere , chés
Duplain , pere & fils , 1740 .
Le but de l'Auteur , comme il le déclare
dans fa Préface , eft de préſenter aux jeunes
Gens qui commencent à entrer dans le mon
de , une courte . introduction à l'Hiftoire des
belles Lettres , des Sciences & des Arts , &
de leur faire prendre des idées juftes , claires
& précifes de chaque Science & de chaque
Art en particulier , en fixant à des époques
certaines fa naiffance , fon accroiffe
ment , fa perfection , fa décadence & fon
renouvellement ; enfin de familiarifer les jeu
nes Efprits avec des Sçavans , dont ils entendront
fouvent parler dans la fuite de leur
vie. Quoique ce foit fur-tout pour eux que
cette inftruction a été compofée , beaucoup
de Perfonnes cependant plus avancées en
âge , ne peuvent manquer de tirer un profit
confidérable de la lecture de ce Livre ,
qui renferme dans un affés petit volume ,
mille connoiffances , qu'il eft honteux d'ignorer.
Tous les Hommes font naturellement cu
rieux ;
157
rieux ; mais la plus grande partie n'ont ni la
volonté , ni le tems d'aprofondir les matiéres.
Ce font ces derniers à qui cet Ouvrage
fera d'une plus grande utilité ; car en ne faifant
, pour ainfi dire , que les effleurer,
c'eft- à- dire , en retranchant cette abondance
d'érudition que l'on trouve dans des Traités
complets , & qui pourroit ennuyer des Perfonnes
qui ne font pas fçavantes de profeffion
, il les met en état de pouvoir parler fur
ces matiéres , autant & auffi bien qu'il convient
à l'ordre dans lequel elles fe trouvent.
L'Auteur a divifé fon Livre en trois parties.
Dans la premiere , il parle des Belles
Lettres , dont il fait paffer en revûë toutes
les parties dans des articles féparés . Il n'eft
pas poffible de donner un Extrait de tous:
ces Articles , fans exceder nos bornes.
La feconde partie traite des Sciences , telles
que font la Philofophie , la Médecine ,
les Mathématiques , &c, Les Articles y font:
maniés de la même façon que dans la précédente
, c'est-à- dire , affés fuccinctement.
On trouve dans la troifiéme Partie ce qui
concerne les Arts , comme la Sculpture , la
Peinture , la Gravûre , &c. ce qui acheve de
mettre dans cet Ouvrage une agréable &
utile varieté.
Gv Nous
r
140 MERCURE DE FRANCE
Nous avons réçû de Florence le Programme
fuivant , au fujet de la belle Edition qu'on y
prépare de VIRGILE , fur un célebre Manuf
crit de la Bibliothéque de Laurent de Medicis.
Nous donnons ce Programme en entier,
à caufe de fa briéveté & de l'importance du
Lujet.
BONARUM ARTIUM AMATORIBUS ,
Petrus Francifcus Fogginius, in Seminario Florentino
Eloquentia Profeffor.
>
Ex Typographio Manniano fumptuofum
opus , fed novitate fua & utilitate vobis futurum
ut fpero , gratiffimum , proximo
anno , fi Deus bene vertat , in lucem edam .
P. VERGILII MARONIS Codicem , qui Turcii
Rufii Aproniani V. C. olim fuit , & nunc
in Bibliotheca Laurentiana adfervatur , Codicem
unum inftar omnium , qui parem vetuftate
nullum per Europam univerfam habeat
ut de eo jure & merito Nic. Heinfius pronunciavit
, literarum forma , verfuum in unaquaque
pagina & numero & ordine , apicibus
ipfis , & ipfis etiam erroribus , & lituris,
& emendationibus religiofe fervatis , rci familiaris
, laboris , & diligentiæ in publicum
commodum non avarus nitidiffimis typis imprimendum
curavi : ita ut quifquis apud fe ·
habeat VERGILII à me editi exemplum
Codicem
JANVIER. 14F 1741.
Codicem ipfum pretiofiffimum Laurentia
num apud fe habere , jactare poffit.
Volumini , in quo erunt Bucolica , Geor
gica , & Heroica VERGILII , prout ea exhibet
Codex Laurentianus , volumen aliud comes
ibit conjecturas de quibufdam male habitis
in Codice locis continens , & Differtationes
de Antiquitate , & Orthographia ejufdem
Codicis : de ufu veterum in libris fcribendis
: de antiquioribus aliis VERGILII COdicibus
, & præcipue de omnibus illis , qui '
in Florentinis Bibliothecis adfervantur ; quibus
omnibus nonnullæ accedent tabulæ ære
diligenter incifæ , variam antiquarum literarum
formam repræfentantes , & illas inter
altera paginam integram ipfius VERGILII
Laurentiani , altera vero literarum nexus in
codem Codice paffim occurrentes exhibebit.
Utrumque Volumen in charta minus no
bili Julios , ut aiunt , Romanos 24, valebit,
in charta nobiliori 30. in qua tamen 100.
tantummodo exempla impreffa funt.
Verum fi quis operis emptorem fe fore profiteatur
, antequam opus ipfum conficiatur ,
pretio Juliorum 18. exempla chartæ minus
nobilis , & 24. exempla chartæ nobilioris
obtinebit , dummodo tamen dimidiam pretii
partem nunc folvat , dinidiam foluturus
ipfum opus recipiens.
G vj Exftant
444
Exftant & exempla 12. in membrana ,fed
his pretium ftatui neque dum potuit ; unde
ob id folum nuntiare placuit , ut notum ſit¸
quod fingula ftabunt minoris primo emptori
, quam fecundo , minoris item huic, quam
tertio & c. Valete .
Florentia Kal.Sext. A. S, CIƆ. IƆ. CCXL,
Il vient de paroître à l'Imprimerie Royale
un petit volume in- 18. contenant l'épreuve
d'un nouveau caractere de moitié plus petit
d'oeil & de corps , que tous ceux qui ont
été fi renommés jufqu'à préfent fous le nom
de la Sédanoife.
Ceux-ci ont été gravés tant pour le Romain
que pour l'Italique , par le Sieur Louis Luce,
Graveur de l'Imprimerie Royale , &ils prou
vent jufqu'à quel dégré on pourroit porter la
perfection & la délicateffe de cet Art , puif,
que l'exacte proportion qui y eſt obſervée ,
& la jufteffe des alignemens , rendent ce
petit Ouvrage très - net , & parfaitement lifible.
On trouve en même tems dans cette nouvelle
Epreuve , un goût fingulier de Vignettes
qui accompagnent l'impreffion : elles font
fondues de la même façon que les Lettres ,
& produisent à l'oeil le même effet que fiel
les étoient gravées en cuivre & en Tailledouce.
Ce font des pièces d'ornement com
pofées
pofées avec génie , & juftifiées de façon à
pouvoir compofer fur le champ des Culs- de-
Lampe , ou des Cartels de differente grandeur
& de different goût ; avec des Encadremens
, que l'on peut également varier par la
facilité d'y ajuster des Angles d'ornement
plus ou moins étendus , felon la grandeur
des pages que l'on voudroit encadrer , &
aux coins defquelles il eft très- aifé de les affujétir.
Ce genre de Vignettes n'eft point encore
connu dans les Imprimeries. L'Epreuve don't
il s'agit ne contient que dix pages , & on a
eu foin d'inferer dans l'introduction qui fert
de Préface , un caractere abfolument femblable
à celui de l'ancienne Sédanoife , afin
de réunir fous un même point de vûë , un
moyen facile de faire la comparaifon de l'un
avec l'autre ; le refte confifte en trois Fables
choifies parmi celles de la Fontaine , une
Imitation d'Horace en Vers François , & fur
la fin quelques pages remplies d'exemples out
d'échantillons de ces nouvelles Vignettes : ce
qui mérite à bien des égards , l'eftime desGens
de goût , & nous a paru avoir acquis le fuffrage
de tous les connoiffeurs qui l'ont examiné
avec cette attention qui marque fi
bien l'interêt qu'on prend au progrès des
Arts.
Le
44 MERCURE DE FRANCE
Le 6. Décembre M. l'Abbé Le Beuf, Cha
noine & Sous-Chantre de l'Eglife Cathédrale
d'Auxerre , ayant été élû par l'Académie
Royale des Infcriptions & Belles Lettres
pour remplir la place vacante par le décès
de M. Lancelot , il fut reçû en cette qualité
dans l'Affemblée de cette Académie du 13 .
du même mois. M. l'Abbé Le Beuf eft connu
dans la République des Lettres par divers
ouvrages que le Public a reçûs favorablement
, & dont plufieurs ont été couronnés
par des Prix Académiques.
L'Académie Françoife donnera le 25. du
mois d'Août prochain , Fête de faint Louis ,
le Prix d'Eloquence fondé par M. de Balzac,
& elle propoſe pour Sujet , Qu'il eſt dû aux
malheureux une forte de refpect , conformément
à ces paroles de l'Eccléfiaftique , Non
irrideas hominem in amaritudine anima. Le
même jour elle donnera le Prix de Poëfie
fondé par le feu Evêque de Noyon , & dont
le Sujet fera la Bibliothéque du Roy , fous.
LOUIS LE GRAND .
SEANCE
JANVIER. 1741.145
SEANCE publique de l'Académie Royale
des Sciences & Belles- Lettres de la Rochelle.
Extrait d'une Lettre écrite à M.
D. L. R.
D Monfieur , de la Séance publique de l'Acadé-
ANS le compte que je vais vous rendre
mie , du 14. Decembre dernier , je ne pourrai
m'empêcher d'être un peu plus long qu'à mon ordinaire.
Il eft des Difcours , que la fimple analyſe
ne rend point : tels que celui qui fut prononcé par
M. l'Abbé Bonvallet, Directeur . Je ne veux cependant
vous le montrer que du côté des portraits ,
comme c'eft le genre d'écrire favori de l'Auteur
vous jugerez s'il a tort de s'y plaire , & fi fes tableaux
manquent d'expreffion & de force. Voici le
commencement de ce Difcours.
» MESSIEURS , fi le défir de fatisfaire à nos engagemens
nous fait envifager avec plaifir l'arrivée
de ces jours folemnels , où nous produifons au
Public les fruits de nos travaux littéraires , la
crainte de ne pas remplir fon attente ne devroitelle
point nous en faire apréhender en même tems
» les aproches ?
גכ
23
Quelque foin que nous aportions à châtier &
à polir nos Ouvrages , quelque exact , quelque
rigoureux même que foit l'examen que nous en
» faifons ; quelque éloignés que nous foyons de
» vouloir nous flater , nous épargner les uns les
autres , n'eft- il point à craindre qu'une amitié
» trop facile ne nous dérobe quelquefois des dé-
» fauts , que des yeux plus perçans , ou moins
» prévenus en notre faveur , ne manquerofent pas
de faifir?
Raffurons- nous , Meffieurs. Nous n'avons point
» ici
146 MERCURE DE FRANCE
» ici à parler à des Hommes injuftes & déraiſonnables
, qui demandent de nous ce qu'on pourroit
à peine exiger des plus anciennes & des plus célebres
Académies .
و د
A des Hommes d'une délicateffe exceffive , &
» qui , indifferens pour tout ce qui n'excite pas leur
admiration , croiroient dégrader leurs fuffrages
s'ils honoroient des moindres éloges quelque
production qui ne feroit pas un Chef- d'oeuvre.
A des Hommes prévenus, qui , fauffement perfuadés
que , ni l'Efprit , ni le Goût , ni les Talens
, ne fçauroient réfider dans la Province , re-
»gardent comme également vains & présomptueux
5 les efforts que l'on y peut faire pour s'acquérir
" quelque gloire dans l'Empire des Lettres.
3
Nous n'avons point à parler à des Hommes
* jaloux & envieux qui , mécontens , & peut - être à
trop jufte titre , des médiocres fuccès dont les
» Mufes peu libérales ont récompenfé leurs fervices
, & prétendant , ce femble , intéreffer tout
» l'Univers dans le reffentiment qu'ils en ont,,
» voyent avec le même dépit , & les faveurs qu'elles
prodiguent à d'autres , & les foins attentifs &
reconnoiffans , dont ceux - ci s'empreffent à leur
tour de relever & d'étendre leur culte .
"
» A des Hommes malins autant que bornés ,
bruïans & importuns échos de la fatyre & de la
calomnie ; qui , trop mal partagés du côté du
» coeur , pour rien penfer d'obligeant , trop dépourvûs
des dons du génie, pour rien dire de jufte
» & de fenfé qui foit à eux-mêmes , trop difcrers
néanmoins pour parler les premiers , prennent le
ton d'autrui ne raillent qu'en fecond , & attendent
pour opiner à la profcription de l'Ouvrage
» & de l'Auteur , qu'un Ariftarque ou qu'un Zoile
ait élevé la voix , ouvert les avis , ou prononcé
P'Arrêt. »A
JANVIER. 1741. 147
A des Critiques outrés & pointilleux , avides
de trouver partout à reprendre ; & qui , diftraits
de deffein prémédité fur mille beautés répandues
dans les Ecrits qu'on leur offre , s'attachent
par choix & par goût , à quelque endroit défec-
» tueux qu'ils y auront apperçu , & pour une pen-
» fée moins noble , pour une tranfition moins dé-
» licate , pour un trait moins brillant , un vers
moins harmonieux , une rime moins riche , pour
un terme moins propre & échapé dans le feu de
» la compofition , fe croyent en droit de décrier
hautement les productions d'ailleurs les plus efti-
» mables .
A des Cenfeurs cauftiques & impolis , incapa-
» bles de fauver à notre amour propre le dégoût
» naturel de la correction , & que l'aprêté pédan
tefque , j'ai prefque dit la férocité de leur cenfure
, rend moins propres à inftruire , que capa
» bles d'intimider , de rebuter , d'étoufer même *
les talens les plus marqués. Ne craignons point ,
Meffieurs , que de pareils Spectateurs viennent
» ici troubler nos Jeux innocens .
C
Je n'y vois que des Citoyens bienveillans &
» généreux , zélés comme nous pour l'honneur de
la Patrie . & charmés du nouvel éclat que nous
nous efforçons de lui procurer , en élevant dans
fon fein un fanctuaire au Dieu des Beaux Arts.
» Des Amis ; & même des Protecteurs des Let-
» tres , qui dévoués au ſervice du Prince & de l'E
» tat dans des Emplois , dont l'exercice abforbe
» tous leurs momens , s'eftiment heureux de pou→
voir , en quelque maniere , s'acquiter par nos
foins de ce qu'ils doivent aux Muſes , & de nous
* M. le Commandant & M. l'Intendant , préfens
à l'Affemblée , & Académiciens Honoraires.
» voir
148 MERCURE DE FRANCE
voir leur payer avec joye , pour eux & pour
un double tribut.
nous
Des Juges , auffi pleins d'équité que de difcer
nement ; épris de l'amour du Beau , de l'Excellent
, du Sublime ; mais qui , fçachant que ce
» n'eft que par degrés & à force d'étude & de veil
les , qu'on peut y atteindre , në nous reprochent
" point de n'y être pas encore arrivés , fe contentent
de nos effais , aplaudiffent à la nobleffe du
deffein qui nous unit , rendent juſtice à nos efforts
, & nous excitent même à les redoubler
» en nous repréſentant comme moins éloigné l'ob-
» jet flateur de nos voeux.
33
Scachons-leur gré, Meffieurs ,de ces fentimens ;
mais gardons- nous d'abuſer de leur indulgence.
Ayons d'autant plus de féverité les uns pour les
autres, qu'ils en ont moins pour nous. Ils ne nous
» refufent point leurs fuffrages , tâchons de mériter
» jufqu'à leur admiration . Que la difficulté qu'il
"y a de fe diftinguer , dans un fiécle auffi éclairé
33 que le nôtre , loin de nous arrêter , nous inſpire
» au contraire une ardeur encore plus vive. Dût
» la contradiction s'opofer à notre entrepriſe , ne
≫ nous rebutons point : tel fut dans tous les tems,
a le fort des Etabliffemens les plus utiles & les plus
» glorieux. Dût l'envie ou la haine armer contre
nous la critique , fes traits les plus empoisonnés
» font moins à redouter pour nous , que le venin
» corrupteur des louanges outrées .
Mais écartons , Meffieurs , des idées fi con-
» traires à l'inclination bienfaifante de nos Citoyens .
» Loin de vouloir traverſer nos projets , ils feroient
les premiers à nous encourager , fi nous venions
» à nous ralentir . Et fi nous les voyons quelquefois
» relever dans nos Ecrits , des manquemens que
toute l'aplication ne fçauroit faire éviter , penfons
- alors
JANVIER 1741: 149
→ alors que , plus jaloux que nous-mêmes de no-
» tre réputation , l'envie feule de nous voir parfaits
les rend , & fi ardens à découvrir nos dé-
» fauts , & fi prompts à les cenfurez .
20
"
Que le zéle de la Patrie , qu'un jufte amour de
la gloire , de cette gloire fi pure & fi délicate
que difpenfent les Mufes , nous faffent donc courir
de toutes nos forces dans la carriere brillante
» qui nous eſt ouverte .
22
Que furtout le défir de plaire au Grand Prince
» qui nous a adoptés , nous porte à ne rien négli-
» ger pour nous rendre de jour en jour plus dignes
de fes faveurs. ( M. le Prince de Conty. )
» C'eſt à lui , fans doute , Meffieurs , c'eſt à l'éclat
immortel que répand fur vous la Protection
augufte dont il vous honore , que vous devez
tant d'illuftres Affociés qui , déja fûrs de vivre
éternellement dans l'Hiftoire des Arts & des
» Sciences , mais jaloux d'avoir part comme vous
» aux bontés d'un Mecene fi accompli , ont fou
» haité que leurs noms fuffent infcrits dans vos
>>
Faftes .
L'éloquent Académicien qui m'a précedé dans
la place que le fort me fait ocuper aujourd'hui
parmi vous , vous en félicita , dans votre derniere
Affemblée , & fut auprés du Public , l'interprete
fidele des fentimens de joye & de gratitude
qu'avoit produit dans vos coeurs l'affociation
» de ces Hommes illuftres.
Vous avez vû les noms de tous ces Meffieurs ,
dans le Mercure de Juin dernier , page 1285. M.
Bonvallet annonça dans ces termes la nouvelle
affociation du P. Lombard Jéfuite , Profeffeur de
Rhétorique au College de Touloufe , & chargé de
la continuation du grand Dictionaire François-
Latin du feu P. Vaniere . » Animé de la même am
bition
La MERCURE DE FRANCE
» bition , l'Héritier des talens & des travaux de
Vaniere , fuit leur exemple , Meffieurs ; & c'eft
pour moi un fajet de vous féliciter à mon tour.
» Huit fois couroné dans un Temple toujours
→ chéri des neuf Soeurs , & le plus ancien même
qu'elles ayent dans le monde chargé des dons
d'Ifaure , & prefque accablé fous le poids de fa
gloire , il vient en la partageant avec vous , de
» réhauffer la vôtre , quoique fa modeſtie lui faffe
≫ croire qu'il en acquiert lui - même une nouvelle,
Y
en joignant votre eftime à celle de ces Juges fr
» éclairés & fi juftes estimateurs du mérite , qui
lui ont tant de fois décerné les honneurs des
triomphes les plus brillans >>
Le Difcours de M. l'Abbé Bonvallet fut fuivi de
la lecture que fit M. Richard, Tréforier de France
d'un Mémoire pour fervir à l'Hiftoire des Seches.
L'Auteur commence par nous inftruire du tems &
de la maniere de pêcher les Seches , & raporte ce
que les Anciens ont dit de puérile fur cette pêche.
Il expofe enfuite les obfervations qu'il a faites à la
Mer fur les Seches vivantes , fur l'épanchement
d'une liqueur noire dont ce Poiffon s'envelope
comme d'un nuage , lorfqu'il fe voit poursuivi ou
pris ; fur le changement fingulier de fa couleur ,
quelquefois plus prompt quelquefois plus lent, &c .
M. Richard a voulu s'affûrer d'un fait raporté par
Plutarque , qui prétend que l'encre de Seche mêlée
avec de l'huile , répand une impreffion de noirceur
fur tous les objets qui en font éclairés . L'expérience
n'a pas décidé en faveur de l'Historien Grec
De là , l'Auteur paffe à la defcription anatomique
de la Seche , en commençant par la tête , le dos ,
le ventre extérieur , & la gorge. Il tire de l'expérience
& du raifonnement , l'ufage de ces differentes
parties , tant pour la nutrition & la confervation
,
JANVIER.
1 } 1741.
vation , que pour les divers mouvemens de l'Animal.
Le mécanisme fingulier des barbes qui font au
devant de la tête de la Seche , & qui , felon l'Auteur
, font l'office de mains & de nageoires , les
longs appendices ou cordons qui lui fervent d'ancres
pour fe cramponer au fond de la Mer , les cé-
Jules où ces cordons fe replient , & que M. Richard
compare à la foffe aux cables d'un Vaiffeau , les
petites coupes ou godets qui fe voyent fur les barbes
& à l'extrémité des cordons de la Seche , l'adhérence
des corps à ces godets , dont il propofe
modeftement l'explication ; l'entonnoir qu'on voit
fous la gorge , & dans lequel fe trouve une valvule
ou foupape qui permet la fortie des liqueurs , & en
empêche le retour , des cavités & des tubercules
cartilagineux , que l'Auteur prétend faire l'effet de
boutons & de boutonnieres, pour joindre l'entonnoir
avec le fac inférieur qui fert comme de foubrevefte.
l'ufage qu'il attribue à ces parties , tout cela rend
ce Mémoire très intéreffan
Après avoir donné la defcription, des parties extérieures
de la Seche , M. Richard paffe aux parties
intérieures , qui font les vifceres , Contenus , com-.
me dans le corps humain , daas deux capacités ,
dont l'une eft fupérieure , & l'autre inférieure.
Avant que de faire l'ouverture de cette derniere.
on voit extérieurement à elle & de chaque côté
qu
deux corps allongés que l'Auteur prend à leur conformation
, pour les reins de l'Animal .
T
a
Cette capacité ouverte , le premier objet qui fe
préfente et la vefficule oblongue , terminée en cul
de lampe , remplie d'une liqueur vifqucufe , extremément
noire. Cette vefficule , comme celle du
fiel dans l'homme , ne paroît avoir aucun paffage
ou vaiffeau déférent pour recevoir da liqueur , mais
יו
feu12
MERCURE DE FRANCE
feulement un long col , par où l'encre fe dégorge.
Plufieurs expériences chymiques faites léparément
, de cette encre avec de l'huile de tartre par
défaillance , de l'huile blanche de vitriol , de l'ef
prit de foufre , & de l'efprit de fel , du fel même
de cette encre , calciné & tiré par la filtration , qui
mêlé avec le fel ammoniac donne à ce dernier une
forte odeur d'urine : toutes ces expériences déterminent
M. Richard à croire que cette encre abonde
en efprits acides volatils .
Après la vefficule , ce qui furprend le plus dans
la Seche , eft le double eftomach qu'on lui trouve.
Eftomachs diftincts & féparés , renfermés l'un dans
l'autre , & dont le premier paroît être l'envelope
ou l'étui du fecond .
Je pafferai légerement fur les autres parties de
cette capacité , comme le pilore , le pancreas , &c.
auxquelles l'Auteur trouve quelque analogie avec
les parties qui portent les mêmes noms dans le
corps humain . M. Richard n'a pas omis une légere
defcription des parties deftinées à la génération , des
liqueurs féminales , & de la difference des fexes.
La capacité fupérieure renferme deux lobes ;
d'une matiere laiteufe , couleur orangée , qu'il prend
pour les poumons , fondé fur une expérience qui
lui a fait voir cette partie s'enfler confidérablement
dans la machine pneumatique , & fur des bulles
d'air qui ont paru fur le parois intérieur de la
membrane qui couvre les lobes.
M. Richard , en donnant ainfi fon fentiment fur
cette partie , avoue en même tems qu'il n'a décou
vert aucun organe qui , femblable aux ouies des
autres Poiffons , puiffe filtrer & féparer l'air renfermé
dans les parties d'eau. Ainfi , quoiqu'il penfe
que la Seche refpire , il avoue ingénûment qu'il
efçait pas de quelle maniere fe fait cette refpiration
JANVIER 173 1741 .
tion . L'Auteur termine fon Mémoire par quelques
obfervations faites à la Mer fur les oeufs de Seche.
Ces oeufs qui ont affés la forme de grains de raifin
attachés à leur grape , font dépofés fur le fable , &
fécondés par le mâle.
M. Richard finit en raportant ce que les Au
teurs ont dit du tems de quinze jours que ces
eufs étoient à éclore , & de l'efpace de deux années
auxquelles ils ont borné la plus longue vie de
la Seche. Faits qu'il n'a pû vérifier , mais dont il
nous promet de chercher un jour à s'inftruire .
La Differtation de M. Richard fut fuivie du Difcours
que pronorça M. l'Abbé Brian , Chanoine de
PEglife de la Rochelle , Sur ce que les Sciences &
les Beaux-Arts doivent à l'Imagination . Ce Difcours
perdroit infiniment , fi je ne vous en préfentois que
Panalyfe. J'aime mieux, pour l'Auteur & pour vous,
vous en donner quelques morceaux détachés. En
voici un de l'Exorde .
» Il faut l'avouer Meffieurs : l'Imagination favo
» riſe elle-même ſes adverſaires . Nulle autre faculté
» de l'efprit n'eft fufceptible de plus grands défauts ,
» Souvent ils balancent fes plus nobles , fes plus
» brillans caracteres , d'autant plus voifine de la
corruption , qu'elle excelle. Et de- là naît l'impoffibilité
de lui refufer fon admiration , avec la fa
cilité d'en faire l'objet de fa critique.
» La vafte fphere ou l'imagination domine , cette
foule de beautés qu'elle étale avec une efpece de
luxe , donnent lieu de craindre , avec quelque
aparence de raifon , qu'elle ne s'égare , ou qu'elle
ne s'épuife . Oferai je bien en faire la comparaifon
? Ainfi l'Univers , ébloui de la majefté de
» Rome , trembloit pour elle . Au premier mouve-
» ment, on croyoit la voir s'affaifcer, s'écrouler fous
» le poids exceffif de la propre grandeur....
י
3
Yous
154 MER CURE DE FRANCE
33
53
33
Vous ne doutez pas , Monfieur , que dans le
nombre des preuves que M. Brian a employées dans
fa premiere partie , pour faire fentir l'utilité de l'imagination
, il n'ait fait entrer l'Architecture , la
Peinture , la Sculpture , & les autres Arts qui empruntent
d'elle leurs plus nobles idées.
Aux fimples cabanes , dit - il , parlant de l'Architecturé
aux fimples cabanes , que le chaume
couvroit d'abord , toits ruftiques , où les troupeaux
jouiffoient du même couvert avec leurs
» maîtres... une imagination fiere & hardie fubfti
tua bien-tôt des Tours fuperbes , des Palais prefque
auffi grands que les Villes ... les Montagnes
» avec les bois touffus qui les couronnent , furent -
imitées & comme fufpendues , dirai - je par un
effort ou par une faillie de l'imagination qui mit
l'Art en oeuvre ? on conftruifit des ponts & des
chauffées , d'une hauteur capable de faire difparoître
le fleuve fuperbe qui femblait s'indignet
du joug, & ne pouvoir fouffrir de digue...
" A ces maffes énormes ( les Pyramides ) .... la
Grece fit fucceder les Temples ... L'Architecture
vint décorer ces Bâtimens . Elle en releva le goût
avec ces cinq Ordres ; fur lefquels ne rougit
point de fe modeler... le Génie Romain , dailleurs
fi jaloux de fe donner lui - même pour modele . Et,.
ce qui paroîtra plus furprenant peut être , le Gé
nie François , ce Génie héritier du Romain
vainqueur du barbare Gothique , ce Génie le plus
vif , le plus fécond , ce Génie favori déclaré de
l'imagination, n'a pu que polir & perfectionner ,
fans inventer rien de nouveau dans l'Architecture
, en un tems & fous un Regne ou Part
docile fembloit plus que jamais plier au gré de
l'imagination , que la gloire & les bienfaits du
plus grand des Rois, animoient, encourageoient ,
tranfportoient... Après
*
JANVIER 1741 155
39
-66
Après avoir parlé de la Sculpture , il ajoute
Si je pénetre dans le Sanctuaire de cette augufte
» Maiſon , ( les Invalides ) la Peinture …….. m'étale à
fon tour des trophées d'un autre genre. Sous ces
ກ riches lambris où l'or prodigué fur l'azur imite
» les voûtes étoilées du Firmament , un pinceau
guidé par la plus belle imagination a peint les
horreurs d'une mort naturelle furmontées par
» un Héros tranquile. Un Vieillard chargé d'an-
» nées & de mérites expire fous les roches , dans le
creux defquelles il a vécu , jaloux de fon heureuſe
pauvreté. Ses vertus , fes triomphes fur les paffions
femblent fe compter par les rides de fon
front auftere. Dans les yeux enfoncés , prêts de
» s'éteindre, étincele déja un rayon céleſte . Sous fes
pieds nerveux & négligemment couverts d'une
» draperie , s'aperçoit un monceau de membranes
» & de rouleaux , reftes précieux de fon génie
fublime. Un Solitaire les recueille , il les parcourt
» d'un oeil avide , il s'empreffe d'y faifir l'art de
amourir content...
M. Brian termine ainfi la premiere partie de fon
Difcours : » Pour reconnoitre les foins du Monarque
qui fe rendit attentif à vous illuftrer , à vous
couronner , partez , volez ; Génies brillans , allez
» au milieu de cette Capitale , émule de la grande
Rome , lui élever des monumens . Prodiguez l'or
pour les enrichir ; faites couler des métaux dont
la fonte étonne Corinthe même : Servez fes plaifirs
comme fa gloire , & que par des refforts furprenans,
on voye l'eau d'un grand Fleuve quitter
fon lit naturel , s'élancer fur le fommet des collisnes
, & rejaillir , comme par enchantement ,
gofier de cent monftres .
ג כ
du
Réunissez -vous , Beaux - Arts , & redoublez
a tous vos efforts ; furpaffez-vous vous- mêmes. Į
H s'agit.
136 MERCURE DE FRANCE
ɔs s'agit d'élever à votre Protecteur un Palais qui
» foit un abregé de toutes les merveilles , je veux
» dire un fidéle monument de fon Regne , Feignez
» dans de longues & fuperbes Galeries , ce que ce
Regne eut de grand , d'éclatant , ce qu'il eut de
> doux & de charmant. Beaux- Arts , peignez- vous-
» vous- mêmes au pied du Trône , à l'ombre des
"3
Lauriers entrelassez ces Lauriers des fleurs les
» plus tendres , mêlez les avec les Lys. Apellez
» les Graces , les Ris & les Jeux , fuivis de l'abon-
» dance. Et dans ce même Tableau qui nous traçoit
» les triomphes de la Guerre fous un Regne tissu
» de victoires , nous croirons retrouver aujourd'hui
l'image fidéle de cette glorieuſe Paix dont nous
» jouissons fous l'Empire d'un Titus , fuccesseur
» d'un Augufte. Il fçaura , comme lui , protéger
5 les Arts ; il verra , comme lui , s'élever avec une
fecrette joye ces induftrieux enfans de l'imagina
rion , jufque fous les riches portiques du Louvre.
» De ce glorieux féjour .... une émulation toujours
>> nouvelle les fera fe répandre dans les Provinces ,
» & porter dans toutes les parties de l'Etat des
fecours utiles au bien géneral de la Societé...
Après avoir prouvé l'utilité de l'imagination ,
M. Brian montre ce qu'elle a d'agréable . Je voudrois
pouvoir vous copier toute entiere cette feconde par
rie ; mais je m'aperçois que ma Lettre eft déja bien
longue : qu'importe cependant , fi elle vous amufe a
En parlant des agrémens que l'imagination fournir
à l'Epopée , il cite l'Eneide , & il dit .
» A peine commence- t'on de s'intéresser au fort
de ce pieux Héros ( Enée ) que les Deftins pour
fuivent.... qu'on fe trouve avec lui furpris &
comme envelopé dans une tempête dont les hor
» reurs nous faififfent , & nous aflocient nous - mê-
» mes pour quelques inftans à fes périls. Une Mer
» affreuse
JANVIER: 157 1741
30
3 affreufe s'offre à nous... Les vents déchaînés en
foulevent les flots chargés d'écume ; ils s'élevent
» comme des montagnes , ils fe replient les uns fur
les autres avec d'horribles mugiffemens , ils
» viennent fondre & ſe brifer... une nuit fombre &
fauvage n'en dérobe l'afpect effrayant que pour
augmenter la terreur avec les périls. Les ombres
épaiffes fe plongent dans les ondes , ellès roulent
fous de longs traits de feu qui croifent les airs ,
& qui femblent entr'ouvrir le fond des Mers
bouleversées . L'air mugit, la foudre gronde , elle
retentit en éclats ; le Vaiſſeau crie , il s'entr'ouvre ,
cé une lame d'eau l'éleve , le précipite & le couvre ,
un dernier gémiffement fe fait entendre , il difparoît
, il périt , c'en eft fait ... Non , je le revois
foutenu par le Dieu des Mers , échaper à la fuà
rie des vents , & gagner les côtes barbares de
» l'Afrique. Là , un nouvel enchaînement de faits
» plus intéreffans & plus tragiques encore , en flatant
la curiofité du Lecteur , ne lui laiffe jamais
perdre de vûë la fondation de Rome....
>
L'Auteur parcourt le caractere particulier de l'imagination
du Taffe & de Milton . Les traits par
lefquels il caractériſe ce dernier , m'ont paru auffi
juftes que brillans . » Milton ( dit- il ) auroit remis
dans leur ancien luftre toutes les richeffes de l'E-
» popée , s'il avoit pû fe borner dans un fujet , le
plus grand qui fut jamais ... Alui feul étoit réfer-
» vé l'honneur de faire la découverte du Monde
idéal , à travers l'anarchie du cahos ; de mefurer
fans s'étonner les profondeurs de l'abîme impénetrable
; de fuivre d'un ceil fixe les révolutions
du Royaume infernal ; de décrire d'un ftile plus
» qu'humain les tranfports de l'Ange jaloux , fes
combats fulminans , les noirs accès de ſa rage
fon atroce , fon indomptable fierté fous les éclats
Hij >> embrafés
58 MERCURE DE FRANCE
•
ג כ
embrafés des fes ruines , & la trifte revanche
qu'il prit dans fa défaite & fon défefpoir , fur
» l'homme innocent , mais foible ... Mais faute
d'être refferré dans de juftes bornes , faute d'être
» réfléchi à propos , un fi beau feu fe diffipe quelquefois
de tems en tems il ne jette qu'une lueur
» foible , un éclat femblable à celui du crépufcule...
» Je veux dire qu'on a peine à démêler dans une fi
vafte érudition fi , dans les traits les plus frapans ,
le faux ne fe trouve pas à côté du vrai ; s'ils ne
font point déplacés ou rafinés . Enfin , dans ce
» mélange confus de vérités & de fictions ... on
» ne peut s'empêcher de fentir le défaut des bienféances.
Ce n'eft pas feulement dans les fujets
intéreffans , que l'imagination eft capable d'attacher
par l'agrément ; elle fçait auffi en répar.dre
jufque dans les ſujets les plus fimples & les plus
communs , tels que la defcription que donne M.
Brian d'un Feu d'artifice ,
?
» Sur la fin de ces beaux jours confacrés à l'al-
» légresse publique , on entend gronder des tonneres
d'un heureux préfage. A l'inftant s'élevent
jufqu'aux aftres un million de flambeaux qui les
» imitent. L'ar fifle , il fe couvre de feux qui fe
» croifent , & qui femblent former des voûtes ar
d. ntes . Des gerbes de feu fe détachent de ces
voûtes , fe replient fur elles mêmes , & fe diffa
pent avec fracas. Les flammes imitent les ondes,
elles flotent , elles fe précipitent en caſcades , el-
२० les forment des napes au pié des Volcans qui vo-
2 missent des tourbillons de feu . Quelle charmante
confufion quel heureux renverlement dans l'or.
dre de la Nature ! un élément femble avoir lui
feul emprunté la forme & le jeu de tous les autres.
Le feu vole , il nage , il plonge , il ferpente ,
a il s'éleve , il jaillit , il circule , il tourne comme
” ը
JAN VI E R. 1741. 159
un foleil fur fon propre centre ; & c'est d'une
imagination vive & brillante qu'eft enfanté ce
Prothée ....
L'Auteur finit par ce morceau dans lequel il raf
femble quelques - unes des plus grandes images dont
les Prophetes fe font fervis pour exprimer la Majefté
de Dieu.
.... » Fuyez , idées , fentimens vulgaires . Poëtes
» prophanes , fufpendez vos lyres , brifez vos
luths. Une harmonie plus augufte , plus tou-
» chante , frape , enleve nos fens .... O prodige !
> les Cieux s'ouvrent ! quel fpectacle !... le Roy des
"
Siecles paroît , il s'avance , il fort d'un féjour
» éblouissant , inacceffible. De longs fillons de lu-
» miere fotent fous fes pas : les feux de fa pourpre
teignent les nuages étincelans qu'il foule : il
fend les airs fur les aîles tremblantes des vents
dociles A fa marche , le fommet orgueilleux des
> montagnes s'incline , leurs volcans embrafés re-
» doublent prêts à fervir la colere. Il monte fur
» les flots fufpendus ; quel char de triomphe ! la
» Mer le voit , elle fuit de frayeur , elle retire fes
» vagues précipitées , amoncelées contre les rochers
efcarpés de ces rives lointaines , qui reten-
» tissent du coup & bondissent à leur tour... Mer ↑
fuperbe Mer ! ou courez-vous en grondant ! ....
» Flots ! pourquoi vous recourber fur vous-mê-
» mes ! .... & vous montagnes ! rochers ! pourquoi
vous ébranler ! pourquoi tressaillir ! ... arrêtez ....
» la Nature fe dissoud elle ?... va- t'elle s'écrouler
» & difparoître ?
95
"
" Non. Son Maître parle. A l'inftant , je vois
» l'orgueilleufe Mer obéir . Cette Mer fi affreufe
dans fa colere , n'eft plus qu'un enfant qui fe débat
dans fes langes . Tout renaît dans la Nature ;
dès qu'à l'air de Maître le Tout- puissant fait fuc-
» ceder
Ĥ iij
160 MERCURE DE TANAKAN
» ceder celui d'un époux caressant .... Heureufe
» Terre , ouvre ton fein à la lumiere , à la voix qui
» te rend féconde , & que tes enfans tressaillent
tous d'allégresse avec toi , fous un Empire fi glorieux
& fi doux. »
Enfin , M. Bonvallet termina la Séance par la
lecture d'une Ode Sacrée de M. de Bologne, Associé
à notre Académie . La voici .
ODE tirée du Pfeaume io2 . Benedic anima
mea Domino , & omnia , &c. Actions
de graces pour la Confeffion pour la &
Communion.
Du Dieu qui vous comble de joye ,
*
Mon ame ,
célébrez
l'inéfable
bonté ;
Pour le louer , efprit , mémoire
, volonté
,
Que tout votre pouvoir
aujourd'hui
fe déploye.
De fes graces fur vous il ouvre les tréfors ;
Que dis - je ! il fe donne lui-même ; "
Pour bénir fon faint Nom , épuiſez vos efforts ;
Exaltez la grandeur ſuprême ,
De mon coeur à l'envi fecondez les tranſports.
Du zele faint qui vous anime ,
Mon amé , pourriez-vous interrompre le cours!
D'une éternelle mørt il rachete vos jours ,
Il guérit vos langueurs , il remet votre crime ;
Sa main , dans fa pitié , vous couronne aujourd'hui,
De l'aigle , il vous rend la jeuneffe,
IL
JANVIER. 17413 ** 161
Il comble tous vos voeux , il fe fait votre apui :
Après ces marques de tendreffe ,
Pourriez- vous bien encor vous féparer de lui ?
Expofez-lui votre mifere ;
La veuve , l'orphelin , l'étranger , l'innocent ,
Contre les attentats de l'injufte puiſſant
Trouvent toujours en lui des entrailles de pere.
Combien de fois , malgré les monftrueux forfaits
D'un peuple rébelle , indocile ,
"
Envers ce même peuple ingrat à fes bienfaits ,
D'un coeur indulgent & facile
A- t'il fait , par Moïfe , éclater les effets ?
Le Seigneur aime à faire grace ,
Un foupir, que lui- même il forme encore en nous
Suffit , vous le fçavez , pour arrêter les coups ;
C'estpour ne point fraper qu'il tonne & qu'il menace ;
Combien de fa bonté s'offre- t'il de témoins ,
Qui devroient être fes victimes ?
Combien de fois vous-même en vos moindres be
foins ,
Malgré le nombre de vos crimes
Avez-vous reconnu fon amour & fes foins
Autant la diftance eft immenſe
Du centre de la terre à fon Trône éternel ,
Autant avons-nous vû que fon coeur paternel
Hij
A
2.
162 MERCURE DE FRANCE
A daigné fur les fiens étendre fa clémence.
Oui , fon fang , entre nous & notre iniquité
A mis plus d'intervale encore , 書
Que fa main n'en a mis , du rivage écarté
Où naiffent les feux de l'aurore ,
Jufqu'où l'on voit du jour expirer la clarté.
Ainfi que de fon fils unique
Un pere fait l'objet de fes foins les plus doux ,
Sur le Jufte qui craint d'irriter fon couroux ,
De ce Dieu bienfaifant la tendreffe s'aplique.
Seigneur tes propres mains ont daigné nous for
mer ,
Tu fçais combien l'homme eft fragile ,
Tu fçais qu'un fouffle feul fuffit pour conſumer
Ce foible automate d'argile ,
Auffi facilement qu'il a pû l'animer.
Tu fçais que le plus long eſpace
Que ton Decret fuprême a prefcrit à fes jours
Eft une onde qui fuit fans arrêter fon cours ,
Une fleur paffagere , une ombre qui s'efface :
Tu fçais qu'il jouit peu de ce tems limité ,
Qu'au premier ordre de fon Maître
Il part pour la maifon de fon éternité
Sans nul efpoir de reparoître
Dans le lieu qu'en paffant il avoit habité.
1/44
Si nos miferes font extrêmes ,
Il eft un Dieu puiffant & fage en fes deffeins ,
Qui jamais dans leurs maux n'abandonna ſes Saints ,
Et dont pour leurs enfans les bontés font les
mêmes.
Ce Dieu , de qui l'Empire établi dans les Cieux
S'étend fur tous tant que nous fommes
Se plaît , quoique toujous inviſible à nos yeux ,
D'être avec les enfans des hommes ,
Et s'offre à leur amour en tout tems , en tous lieux
Vous , chef- d'oeuvre de fa puiffance ,
A fervir votre Roy Miniftres empreffés ,
Anges , qui , dans le rang où vous êtes placés ,
N'en rendez à fa voix que plus d'obéiſſance ;
Yous tous, Efprits heureux qui compoſez la Cour,
Qui le contemplez fans nuages ,
Redoublez , s'il fe peut , vos tranfports en ce jour
Offrez-lui pour moi vos hommages ;
Supléez aux efforts d'un impuiffant amour.
Gouffres profonds , vaftes carrieres ,
Goute d'eau qu'il contient dans le creux de ſa maine
Tyrans impétueux qui foulevez en vain
Des flots dont la parole a fixé les barrieres ;
Pavilion azuré , qui couvrez l'Univers ,
Fiers monts qu'il pefe à la balance ,
Globe , que de trois doigts il fufpend dans les airs;
Hv Louez
Louez l'Etre par excellence ,
Qui fçût vous embellir de tant d'Etres divers,
Vous enfin , fon dernier ouvrage ,
Vous , que l'Auteur de tout a ſeul enviſagé ,
Noble fils de la terre , Univers abregé ,
Sur qui feul de fon front il imprima l'image ,
Homme , offrez- lui ce coeur dont il eft fi jaloux :
A vous feul il s'eſt fait connoître ,
Faites de le louer votre emploi le plus doux ,
Aimez , fervez l'aimable Maître ,
Qui vous forma pour lui , comme il fit tout pour
yous.
JETTONS frapés pour le premier jour
de Janvier M. DCC . XLI . avec l'Explication
des Types , &c.
I. TRESOR ROYAL.
Triptoleme , monté fur le Char de Cérès , &
répandant au loin des Grains fur la Terre : Que
non fundit opes ?
II PARTIES CASUELLES.
Un Vaiffeau , dont on jette quelques - Balots à la
Mer , pour le foulager pendant la tempête : Ne
totum pereat.
III. CHAMBRE AUX DENIERS.
Un Char attelé , rempli de Gerbes , qui marche
Vers un Palais : Pro Doma Regis,
IV .
JETTO
NON
I
FUNDIT
TRESOR ROYAL
1741
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TADEN
FOUNDATIONS
.
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND
TILD
FOUNDATIONS
.
JANVIER. 165 1741.
IV. ORDINAIRE DES GUERRES,
Un Porc- Epic , dont tous les traits font heriffés :
Ab omni parte tuetur.
V. EXTRAORDINAIRE DES GUERRES .
Un Foudre ailé , avec ces mots d'Horace : Quid
non diluere efficax ?
VI. BATIMENS DU ROY.
Circé , tenant fa Baguette , & montrant dans le
Jointain des Bâtimens de differentes ftructures : In
quafcumque volet formas.
VII. ARTILLERIE.
Une Trompette : Et loquor fileo pro tempore.
VIII. MARINE.
Neptune s'élevant fur une Mer agitée pour en
calmer les flots , tient d'une main fon Trident , &
s'apuye de l'autre fur un Caducée : Ut toto ferves
Commercia Mundo,
IX. GALERES.
Les Dauphins bondiflant pendant la tempête :
Sanitu haud terrentur inani.
X. MAISON DE LA RIINI.
Latone , placée entre fes Enfans : Felix prole fua
XI. LA VILLE DE PARIS
Les Armes de la Ville d'un côté ; celles de M.
Fel . Auberi de Vaftan , Prévôt des Marchands , de
l'autre , Son nom &fes qualités .
On plaça le 20. Novembre dernier au milieu du
Baffin de Neptune dans le Parc de Versailles , près
I vj
166 MERCURE DE FRANCE
la Porte du Dragon , une magnifique Piéce , exé
cutée en fonte , repréfentant le Triomphe de Neptane
& d'Amphitrite , groupés dans une vafte Coquille
de 23. pieds d'étendue , fur 14. de haut , ri
chement variée de Rocailles & autres ornemens, laquelle
fe dévelope par le bas
par quatre revers en
rouleaux qui s'étendent fur les Rochers. Les deux
parties étendues de la Coquille fe rerminent en
Conques. Le milieu de la Coquille eft adoffé à
PAttique & le furmonte de près de quatre pieds. Le
tout enſemble préfente à la vûe une espece de Trône
maritime , compofé avec beaucoup d'art : Ce qui
fert de couronnement à tout l'Ouvrage eft la tête
& la dépouille d'une Baleine , qui s'étend à droite
& à gauche fur l'Attique. De la gueule de la Baleine
,fort un Torrent d'Eau de quatre pieds de large
, qui tombe en nape dans la Coquille derriere les
Figures de Neptune & d'Amphitrite, & forme par les
côtés deux Caſcades . Les autres revers ou enroulemens
de la Coquille forment aux extremités divers
bouillons d'Ëau , qui font un grand effet. Sur
les rouleaux du centre de cette Coquille , Neptune
paroît affis majestueufement. Son attitude & le caractere
de fa tête expriment fon courroux ; il eft
dans l'action de lancer fon Trident contre les verts
impétueux. A la gauche eft affife la Déeffe des
Mers , panchée en arriere & apuyée fur fon bras
droit , tenant fon Sceptre , & regardant fur la gau
che une jeune Néréïde , à qui elle femble donner
fes ordres . A la droite de Neptune eft un Triton ,
monté fur un cheval marin , qu'il tient en bride,
& auquel il paroît donner un coup à poing fermé ,
pour l'obliger à s'élançer dans l'Eau . De la bouche
.du cheval fort avec impétuofité une lame d'Eau de
40. ou 45. pieds . Il fait pendant à une Vache masine
du côté opofé , laquelle lance une même quantité
JANVIER 189
1741
tité d'Eau & auffi loin. La Néreïde dont on a parlé,
qui vient recevoir les ordres d'Amphitrite , tient
d'une main une branche de Corail , & foûtient de
l'autre un petit Triton , prêt à s'élancer de deffus le
dos de la Vache dans la Coquille pour y chercher
fon Elément. Cette Néreïde eft dans l'action de
préfenter la branche de Corail & le Triton à la Déeffe.
Dans te jufte milieu de la Coquille , au bas des
rouleaux , éft groupé un Dauphin aux pieds de
Neptune , lequel jerte une lame d'Eau par la bouche
& deux jets par les narines. De deffous les draperies
du Dieu & de la Déeffe des Mers , fortent
plufieurs bouillons d'Eau , qui roulent fur la Co-
.quille.
cent par
Les Rochers qui fervent de baze , font percés de
trois antres ; de l'antre du milieu fort à la nage le
Triton , Courfier de Neptune, fonnant de la Conque
marine, de laquelle part ùn jet d'Eau en arc de cercle.
Des deux autres antres , on voit fortir deux
Monftres marins de differente efpece , lefquels lanleurs
gueules des lames d'Eau d'un pied de
large & à 40. pieds au loin , & par leurs narines des
Jets d'Eau , tombant en arcs. Cet Ouvrage eft construit
fur un Plan de 40. pieds de large , & fur presque
autant de profondeur ; il eft de forme circulaire
fur le devant. Les grandes Figures ont 12. pieds
de proportion. Ce grand Ouvrage, qui eft parfaite
ment au gré de tous les Connoiffeurs , & dont le
Roy a parû fatisfait , eft de la main de M. Sigisbert
Adam , l'aîné , Sculpteur ordinaire de S. M.
Piis
18 MERCURE DE FRANCE
Piis Manibus R: P. CAROLI PORE'E
è Societate JESU.
DIfcipulum Pietas luget , fuadeta Magiftrum į
Magnatum & populifletibus ora madent.
Solus amor , Divinus amor fua jura fecutus
Ridet , exuvias colligit ipfe fibi.
CAROLB , quam foelix ! Carne expoliatus, Amori
Eternum vivis ! Tempora nefcit Amor.
د
AU R. P. PORE'E de la Compagnie
de JESUS , mort le 11. Janvier 1741 .
O DE.
Du fein de la Voûte azurée ,
( Siége éternel des Bienheureux ,
Daigne , refpectable PoRx ' ,
Daigne encor écouter mes voeux .
Tu m'entens : ton coeur eft fenfible
Au cri de tes amis en pleurs ,
Et même en ce féjour paisible
Tu fens le langage des coeurs.
: Ce fut le tien tu fçus l'aprendre
A des milliers d'enfans chéris ,
Tu le parlas dès l'âge tendre ,
Tu le parles dans tes Ecrits.
Hélas !
Hélas ! ta vertu trop modefte (4)
Nous a caché mille trésors .
Laiffe- nous au moins ce qui refte
De tes héroïques tranfports.
Souffre qu'ils fortent des ténébres ;
C'est dans eux que je te revoi.
De tous les Eloges funébres
Ils font les plus dignes de toi.
Que Paris relève ta gloire
Par le plus touchant ſouvenir.;
Tu l'éprouves , mais ta mémoire
Se doit aux fiécles à venir..
Renais , & rends-nous ta grande ame ;
Ta foi , ta candeur , ton fçavoir.
Toi- même , par des traits de fâme ,
Te reproduis , fans le vouloir."
Ouvre- nous la brillante Scene ( )
De ces fentimens plus qu'humains ,
Que tu dictas à Melpomene ,
En parlant la langue des Saints...
(a) Le P. Porée n'imprimoit rien qué malgré lui.
Il refufoit de donner au Public le Recueil de fes
Oeuvres.
(b) Ses Tragédies , fur- tout celles des Martyrs.
Montre
21
170 MERCURE DE FRANCE
Montre-nous jufqu'aux Jeux profanes (c)
Que fanctifierent tes moeurs.
Par ces ingénieux organes
Ta vertu coula dans les coeurs.
Montre- nous de ton éloquence (d)
La vive & noble majefté ,
Les graces , l'ordre , l'élégance ,
L'efprit , le fens , la piété ,
Dans tes Plaidoyers ( e) fais paroître
Tant de riches productions ,
Où tes Eléves croyoient être ;
Auteurs de tes inventions.
Si j'ai fait quelqu'heureux Ouvrage ,
Quand j'ofai t'imiter jadis ,
De mes Vers accepte l'hommage : (f)
Tes confeils en font tout le prix.
( c ) Ses Drames Comiques , fes Fables , fes Poëfies
Morales . sca
(d) Ses Harangues , far- tout celles de piété.
( e ) Jeux Académiques en François , de l'invention
des PP. Porée la Sante. On donne le deſſein & le
plan aux Ecoliers .
(f) Le P. Porée ſe donnoit. la peine d'exercer les
Acteurs pour les Piéces qu'on fait jouer aux petits
Penfionnaires,
Par
JANVIER 1741. 170
Par toi l'enfance la plus tendre
Sçut leur prêter quelques apas.
C'est par tes foins qu'elle a pû rendre
Ifaac , David & Jonathas.
Permets qu'au lieu d'une Hecatombe
Le refpect , le zéle & l'amour
Ecrivent ces mots fur ta tombe ,
Dictés par un parfait retour.
Cr GIST des beaux coeurs
La Vertu même le pleura.
Veut-on voir fon portraitfidele
Dans fes Ecrits on le verra.
2672 modéle
Par un fort également jufte ;
( Sort glorieux aux beaux Eſprits }
Virgile eut les regrets d'Augußte , ( g )
Et PORE'E a ceux de LOUIS.
L'amitié fit fon caractere .
Tendre pour fon Dieu , pourſon Roi ,
Ami pour tout autre ou vrai perex
Jamais il ne hait que foi .
>
Du devoir conftante victime
(g ) Le Roy a bien voulu honorer le P. Porée de
Son regret de fes éloges..
Definterefle
172 MERCURE DE FRANCE
Défintereffé , génereux ,
N'ufant d'un crédit legitime ,
Que pour quelqu'ami malheureux.
Il voulut porter l'Evangile ( h )
Loin de l'Europe & de nos yeux.
Mais fon zéle ici plus utile ,
En fit le Xavier de ces lieux.
>
Difciples , qui pleurez un Maître
Connu pour un Héros Chrétien,
Dans vos coeurs faites -le renaître ,
En les formant tous fur le fien.
( h ) Le P. Porée a toûjours demandé constamment
d'aller aux Miffions.
P. BR UMOY , de la Compagnie de Jefus .
Le 12 Janvier 1741 .
M. Arnoult , Marchand Drogu fte à Paris , vou
loit donner une lifte de plufieurs Cures nouvelles ,
operées par fon remede contre-l'Apoplexie , mais
il eft obligé de faire préceder un témoignage fuperieur.
C'eft celui de S. E. M. le Cardinal de
Polignac qui , ne s'étant pas contenté de faire l'éloge
du même remede du Sr Arnoult contre l'Apoplexie
en pleine Académie des Belles-Lettres , a
encore permis au Sr Arnoult de rendre publics les
bons effets que ce remede a produits fur plufieurs
Seigneurs de fes Parens & de fes Amis , auxquels
S.E. a fait elle- même prefent de ce remede. Ce Certificat
a été figné par M. le Cardinal de Polignac .
CHANTHE
NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
HE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
CHANSON
Sur le Débordement des Eaux
Ciel , Quel affreux débordement !
On ne voit prefque plus le terreftre élément .
Grands Dieux ! fouffrirez - vous que le Maître de
l'Onde
Pour toujours ainfi nous inonde ?
Amour , avec les feux de ton divin flambeau
Taris ce déluge nouveau :
Er toi , Dieu de la Tonne ,
Fais en forte que cette Automne ,
Je voye autant de vin dans mon caveau ,
Que j'y vois préfentement d'eau.
M, Girardean.
SPECTACLES.
Luique
tion de l'Opéra d'Amadis de Gaule ; & le
31. du même mois , elle remit au Théâtre
E 29. Janvier , l'Académie Royale de
celui
4 MERCURE DE FRANCE
celui de Proferpine , qui a été reçû très favo
rablement , comme tout ce qui eft forti du
génie du célebre Lully : il y avoit quatorze ans
que ce magnifique Opéra n'avoit pas été re
mis au Théâtre , ayant été donné la der-
' niere fois le 28. Janvier 1727. Nous avons
amplement parlé de cet Ouvrage dans le
Mercure de Janvier 1727. pag. 139. & dans
celui de Février pag. 345. auxquels nous renvoyons
le Lecteur.
Le 7. Janvier , les Comédiens François
remitent au Théâtre la Tragédie d'Alzire de
M. de Voltaire , que le Public a revûë avec
plaifir. Cette Piéce fut donnée pour la premiere
fois en Janvier 1736. & P'Extrait dans
le mois fuivant.
Le 9. les Comédiens Italiens remirent au
Théâtre la Parodie d'Alzire , intitulée les
Sauvages. Cette Tragédie ayant été repriſe
depuis peu au Théâtre François , la Parodie
fut repréfentée à l'Hôtel de Bourgogne
le f. Mars 1736. On en a donné, l'Extrait
dans le Mercure du même mois , pag. 543 .
Le 13. les mêmes Comédiens donnerent
une Piéce nouvelle en Profe & en trois Actes
, qui a pour titre Pigmalion , de la compofition
du ficur Romagnefy ; on y voit une
trèsJANVIER.
1741 175
très - jolie décoration convenable au fujet de
la Picce , laquelle eft terminée par un Divertiffement
de chants & de danfes . On en par
lera plus au long.
Les mêmes Comédiens doivent donner
dans les premiers jours de Février une Piéce
nouvelle en Vers & en trois Actes , fuivie
d'un Divertiffement de chants & de
danfes , qui a pour titre la Gageure , dont
nous parlerons quand elle aura paru ,
NOUVELLES ETRANGERES.
TURQUIE..
Es Lettres de Conftantinople , portent qu'on
Lvient d'achever dans Pimprimerie du Grand
Seigneur , l'Impreffion de plufieurs Ouvrages fur
l'Art Militaire, lefquels ont été traduits en Langue
Turque. Il paroît tous les ans un Catalogue des
Livres qui font imprimés dans cette Imprimerie, &
felon ce Catalogue on y a déja mis lous preffe depuis
fon établiffement 280. Volumes.
La pefte a entierement ceffé dans cette Ville , &
tous les Ambaffadeurs & Miniftres Etrangers , qui,
en étoient fortis , y font rentrés.
O
RUSSIE.
Na apris de Pétersbourg du 2. du mois paffé,
que l'échange de l'Ambaffadeur du Czar & de
celui du Grand Seigneur , fe fit le 28. Octobre deraier
176 MERCURE DE FRANCE
nier , près de l'endroit où le Bog fe jette dans le
Nieper. On avoit dreffé pour cet effet plufieurs
Tentes à une égale diſtance des Frontieres des Etats
des deux Puiffances , & les deux Ambaffadeurs
étant partis en même-tems , l'un de Kiow , & l'autre
d'Oczakow , ils fe rendirent le 27. chacun de
leur côté , aux Tentes qui leur avoient été préparées.
Le lendemain , à onze heures du matin , après
qu'on eut tiré des deux Camps trois coups de canon
, qui étoient le fignal dont on étoit convenu
le Géneral Romanzoff , Ambaffadeur du Czar , &
le Géneral Keit , que S. M. Cz . avoit nommé fon
Commiffaire , pour faire la céremonie de l'échange
, fe mirent en marche dans l'ordre fuivant .
Quatre Maréchaux des Logis ; 6. canons ; unë
Compagnie de Grenadiers ; le Régiment de Dragons
du Prince. Lowof ; douze Huffards ; plufieurs
Timbaliers , Trompettes & Hautbois ; la livrée de
M. Romanzoff , Sénateur & Major Géneral , Frere
de l'Ambaffadeur ; fes deux Sécretaires & fon
Ecuyer , à cheval ; ce Sénateur , dans un caroffe attelé
de fix chevaux , au côté duquel marchoient dix
Grenadiers ; la livrée du Géneral Keit & trois de
fes caroffes , chacun à fix chevaux ; un détachement
des Grenadiers à cheval ; deux Ecuyers de
l'Ambaffadeur , à cheval ; fix chevaux de felle, magnifiquement
caparaçonnés & conduits chacun par
un Palfrenier ; là livrée de l'Ambaffadeur ; differens
Inftrumens de Mufique guerriere ; les Officiers de
l'Ambaffadeur ; fix de fes Pages & fes Gentilshom- •
mes ;le Maréchal , le Sécretaire & l'Interprete de
l'Ambasade . L'Ambaffadeur , ayant avec lui le Géneral
Keit, venoit enfuite dans un caroffe attelé de
huit chevaux , & précedé de douze Heyduques , &
la marche étoit fermée par trente Cuiraffiers , quis
avoient
JANVIER. 1741. 177
avoient à leur tête un Lieutenant & un Cornette .
Les deux Ambaffadeurs étant arrivés à quatre
heures après midi au Lieu marqué pour la céremo
nie de leur échange , & etant entrés dans deux
Tentes féparées , ils en fortirent un moment après
& ils s'avancerent en même-tems fur un Tapis qui
avoit été placé entre les deux Tentes . Ils s'y affirent,
le Géneral Romanzoff dans un Fauteuil, ayant
à fa gauche le Géneral Keit , & l'Ambaffadeur du
Grand Seigneur fur un Sopha , avec Numan Pacha ,
nommé Commiffaire par Sa Hauteffe , pour faire la
céremonie de l'échange .
Après les complimens réciproques , le Géneral
Keit prit le Géneral Romanzoff par la main droite,
& il le remit à Numan Pacha , qui lui remit l'Ambaffadeur
du Grand Seigneur. Cette ceremonie fe
fit au bruit d'une décharge des canons , que les Ambaffadeurs
avoient fait conduire avec eux , & d'une
triple falve de la moufqueterie des Troupes , qui
étoient de part & d'autre fous les armes. Numan'
Pacha emmena le Géneral Romanzoff dans la Ten-'
te où l'Ambaffadeur du Grand Seigneur avoit paffé
la nuit précedente , & ce dernier fe rendit avec le
Géneral Keit dans celle du avoit couché le Géneral'
Romanzoff. On leur y fervit des rafraîchiffemens
ainfi qu'aux perfonnes de leur fuite, & on leur remir
les préfens qui leur étoient deftinés , & qui confistoient
en un très beau cheval , avec une felle &
une houffe de velours cramoifi , brodée d'or , que
le Grand Seigneur a donné au Géneral Romanzoff,
& en plufieurs Peliffes , envoyées à l'Ambaffadeur
de Sa Hauteffe.
f
Ce Miniftre doit être conduit à Pétersbourg par
le Sénateur Romanzoff & par M. de Meyendorff
& le Géneral Romanzoff fera conduit à Conftantinople
par un Pacha à deux Queues & par un Ca-*
Pigi Bachi,
178 MERCURE DE FRANCE
Le Duc de Curlande a écrit à la Princefle Régente
une lettre très- foûmife , dans laquelle il l'affûre
qu'ayant fait tous les efforts pour ſe rapeller la
Conduite qu'il a tenue avant & depuis la mort de ia
Czarine , il n'a pû découvrir en quoi il a déplû à la
Princeffe Régente ; que fon intention n'a jamais
été de manquer aux égards qu'il devoit à cette
Princeffe & au Prince de Brunswick Bevern ; que
s'il a été capable de s'en écarter en quelque chofe ,
il fuplie la Princefle Régente de croire que cela ne
Lui eft arrivé que par inadvertance , & par une fuite:
des embarras attachés à l'adminiſtration des affaires
de la Monarchie ; que ce n'eft point pour demander
fa grace, qu'il prend la liberté d'écrire à cette Princeffe
, qu'après une épreuve auffi rude que celle
qu'il vient de faire de l'inftabilité des grandeurs
humaines , ce qui l'intereffe perfonnellement ne
peut plus le toucher ; qu'ainfi , quelque peine qu'on
veuille lui impofer , il eft prêt à la ſubir ; qu'il n'a
qu'une feule faveur à demander au Czar , & que
c'eft de vouloir bien jetter un regard de compaffion
fur fa malheureufe famille , qui n'a participé en
rien aux fautes qu'on lui impute à lui - même; qu'en
obtenant cette grace , il ne s'occupera plus qu'à prier
Dieu pour la confervation du Czar & pour celle de
la Princeffe Régente,
Le bruit court que la Ducheffe de Curlande fera
renfermée dans un Convent , mais qu'on accordera
la liberté à fes enfans , auxquels on affignera des
Penfions proportionnées au rang qu'ils tiendront
dans la fuite. Le fils aîné du Duc de Curlande eft
toujours malade , & on continue de le garder .
Le General Charles Biron , qui commandoit à
Moſcow , y fut arrêté le 23. Novembre dernier, ay
milieu d'un repas qu'il donnoit à l'occafion de l'Ans
niverfaire de la Naiffance du Duc de Curlande , & le
Peuple
:
JANVIER. 1741 179
Peuple , qui douze jours auparavant , avoit donné de
grandes démonftrations de joye pour l'avenement
de ce Duc à la Régence , a fait des réjouiflances
publiques pour fa difgrace , & a brûlé fon effigie.
La Princeffe Régente a mandé aux Etat de Curlande
, qu'à l'exemple de la feuë Czarine , le Czar
protegeroit dans toutes les occafions les Curlandois
& qu'il contribueroit de tout fon pouvoir à leur
affûrer la joüiffance de leurs Privileges , & à empêcher
qu'ils ne fuffent oprimés par aucun de leurs
voifins.
Conformément à ces affurances , 12000. hommes
des Troupes qui font dans les Provinces cédées
au Czar Pierre I. par la Suede , ont reçû ordre
de fe tenir prêtes à marcher, p
,pour fe rendre au premier
commandement dans le Duché de Curlande .
Le Czar a déclaré le Prince Ifmailoff , & M.
Butturlin , Lieutenans Feldt- Maréchaux ; le Prince
Pierre Czerkaskoy , Mrs Hampff , Sterfchfneff &c
Kofloff , Majors Géneraux ; le Baron de Tettau ,
qui eft Directeur de l'Académie des Cadets , & les
Colonels Rop & Lapuchin , Brigadiers de ſes Armées.
1
Le 27. Novembre dernier , le Feldt - Maréchal
Comte de Munich fe trouva extrêmement incommodé
d'une violente colique , & on a craint pendant
quelques jours que fa maladie n'eût des fuites
fâcheufes , mais les remedes que les Médecins lui
ont fait prendre , l'ont beaucoup foulagé , & on
efpere que fa fanté fera bien - tôt rétablie.
On a apris depuis , que le Géneral Ufchakow &
M. Ehmer , Auditeur Géneral des Régimens des
Gardes à pied , s'étoient rendus au Château de
Schlieffelbourg , par ordre du Czar , pour interroger
le Duc de Curlande fur plufieurs chefs d'accufation,
portés contre lui .
I II
180 MERCURE DE FRANCE
Il y a aparence que le Czar ne traitera point ce
Duc avec rigueur , & qu'il fe contentera de l'envoyer
ou à Tobolfcka , Capitale de la Sibérie , ou
au Château d'Oranienbourg , en Ukraine.
S. M. Cz. a ordonné qu'on le fervît dans ſa prifon
d'une maniere convenable à fon rang .
M. de Befuchef, ci - devant Miniftre du Cabinet ,
lequel avoit été conduit à Kexholm , a été transferé
à Nerva , où font détenus les deux Princes
Dolgorouky.
Le Comte de Munich, dont la fanté paroifſoit rétablie
, eft retombé malade.
La Ducheffe de Curlande a été transferée de la
Fortereffe de Schlieffelbourg dans un Monaftere fitué
à quelques lieues de Pétersbourg .
La Grande Princeffe de Mofcovie a fait remettre
en liberté M. Andrei , Sécretaire du Cabinet & fept
Officiers des Régimens des Gardes , qui étoient
prifonniers dans la Citadelle , par ordre du Duc de
Curlande , & le Czar a nommé M. Andrei , Confeiller
d'Etat.
Le Duc de Curlande eft tombé dangereusement
malade au Château de Schlieffelbourg , & il a de
fréquentes convulfions ; il paroît même qu'il a l'esprit
troublé , & dans quelques uns des interrogatoires
qu'il a fubis , il a tenu des difcours qui n'avoient
aucune fuite .
La difgrace de ce Duc a fait une telle impreffion
fur fa fille , qu'on craint auffi pour les jours.
On prétend que le Géneral Bismarck a été convaincu
de diverles prévarications , & qu'il fera condamné
à une prifon perpétuelle.
Y
SUIDA
JANVIER. 1741
181
SUEDE .
N mande de Stockholm du 12. du mois passé
,que M. de Beftuchef , Miniftre du Czar ,
fe tient fort retiré , depuis qu'il a apris que le Duc
& la Ducheffe de Curlande avoient été arrêtés avec
toutes les Perfonnes qui leur étoient attachées , &
M. Schavius , Sécretaire du Duc de Curlande ,
qu'il avoit envoyé dans cette Ville , pour, concerter
avec les Miniftres de S. M. Sued. les moyens de
parvenir à un accommodement entre les deux Puisfances
, paroît n'être pas difpofé à retourner à Pég
tersbourg.
que
O
ALLEMAGNE ,
Na apris de Vienne du 24. du mois dernier,
que la Réponse de la Reine de Hongrie au
Manifefte de l'Electeur de Baviere , vient d'être
rendu public , & que l'on en a envoyé des Exemplaires
à tous les Miniftres de cette Princeffe dans
les Cours Etrangeres , pour les remettre aux Princes
auprès defquels ils réfident .
Le Comte d'Uhlefedt , Ambaffadeur de la Reine
de Hongrie à la Porte , a mandé à cette Princeffe ,
que le Grand Seigneur paroiffoit difpofé à remplir
les engagemens qu'il avoit contractés avec le feu
Empereur par le dernier Traité de Paix .
Ön aprend de Silbfie , que les habitans de
Breflaw avoient ouvert les portes de leur Ville au
Roy de Pruffe , à condition qu'il n'y mettroit point
de Garnifon.
Dès que S. M. Pr. eut été reçûë dans Breſlaw ;
le Comte de Reisky , qui y commandoit pour la
Reine de Hongrie & de Boheme , en fortit avec les
Officiers de l'Etat Major & les principaux Magistrats
, & ils fe retirerent dans un Bourg volfin ,9
1 ij
pour
182 MERCURE DE FRANCE
pour y
attendre les ordres de la Cour de Vienne.
M. de Kirckeyfen , que le Baron de Gotter avoit
dépêché au Roy de Pruffe , pour l'informer du ré
fuitat de la conférence qu'il eut le 24. du mois dernier
avec le Grand Duc de Toſcane , revint les de
ce mois de Siléfie , & le jour même de fon arrivée ,
il fe rendit chés le Comte de Sinzendorf , Grand
Chancelier , pour lui déclarer les réfolutions de
S. M. Pruffienne.
Les Etats de Tranfilvanie & ceux de Croatie
ont envoyé à Vienne des Députés , pour affûrer la
Reine de leur fidelité & de leur foûmiſſion , & pour
lui demander la confirmation de leurs Privileges.
Depuis que M. de Kirckeyfen eft revenu de Silé.
fie , le Comte de Gotter , & le Baron de Borck
Envoyé Extraordinaire du Roy de Prufſe , ont eu
plufieurs conférences avec le Comte de Sinzendorf,
& l'on affûre qu'ils lui ont déclaré dans la derniere
, que Sa Majesté Pruffienne ne pouvoit rien
changer aux réfolutions qu'elle avoit prifes , mais
qu'elle étoit toujours prête à s'accommoder avec la
Reine de Hongrie & de Boheme , & à lui donner
des marques de fon amitié.
Il s'étoit répandu un bruit que la Reine étoit dişpofée
à s'en raporter à la décifion du Roy de la
Grande Bretagne & de la République de Hollande ,
par raport à fes diférends avec le Roy de Pruffe ,
mais quelques circonftances font craindre que les
voyes de la négociation ne foient pas fi - tôt employées,&
cette crainte eft confirmée par les ordres
envoyés à plufieurs Régimens de fe tenir prêts à
marcher pour aller joindre les autres Troupes qui
defilent vers la Siléfie .
Plufieurs Seigneurs & Gentilshommes Siléfiens ,
de la Religion Catholique , le font retirés de Siléfi
, depuis que cette Province eft occupée par les
Troupes de S. M. Pr .
JANVIER. 174
183
RATISBO N N É .
N mande du 30. du mois paflé , que la
Reine de Hongrie a fait préfenter à la Diette
de l'Empire , un Acte par lequel elle tranfmet
au Grand Duc de Tofcane la voix Electorale de
Boheme pour la Diette qui doit fe tenir à Francfort
pour l'Election d'un Empereur.
Cet Acte porte que la Dignité Electorale étant
attachée au Royaume de Boheme , les Prindes
du Sang Royal de ce Royaume ont non -feulement
le droit de fucceder à la Couronne , au défaut
d'héritiers mâles , mais encore de jouir , fans
la moindre exception ou reftrict on , de toutes les
prérogatives qui y font attachées , felon les ufages
& les privileges du Royaume ; qu'il eft également
incontestable , que quoique la Maifon d'Autriche fe
trouve privée de defcendans mâles, la Dignité Electorale
ne ceffe pas d'y exifter , que perfonne n'ignore
que, foit avant la Bulle d'Or , foit depuis qu'elle
a été reçûë , le Royaume de Boheme , au défaut de
Princes , a été poffedé par trois Princeffes , auxquelles
on n'a jamais difputé la Dignité Electorale , ni
le droit de donner leurs fuffrages aux Elections des
Empereurs qu'ainfi la Reine de Hongrie voulant
jouir du même droit , & de celui qu'elle a de le
transmettre aux Etats du Royaume , ou d'en difpofer
en faveur du Grand Duc de Tofcane, lui donne,
tant pour elle que pour fes defcendans , nés & à
naître , Princes ou Princeffes , le droit qu'elle a en
vertu desPrivileges duRoyaume de Boheme , d'affifter
en perfonne ou par Députés, à la Diette qui fe tiendra
pour l'Election d'un Empereur , afin de jouir
du même droit dans toute fon étendue , d'avoir
Séance à la Diette , d'y donner la voix , & d'exercer
les autres fonctions de la Dignité Electorale avec
;
I inj
toutes
184 MERCURE DE FRANCE
toutes les prérogatives qui y font attachées ; que
du refte elle fe perfuade qu'aucun dé fes defcendans,
préfens ou futurs , ne manquera jamais de refpect
au Grand Duc de Tofcane , ufqu'au point de lui .
difputer le droit qu'elle lui tranfmet , bien entendu
que le préfent Acte ne portera aucun préjudice à
ceux ou à celles qui font apellés à la fucceffion des
Etats de la Maiſon d'Autriche , en vertu de la Pragmatique
Sanction .
Plufieurs Princes & Etats d'Allemagne , ont envoyé
ordre aux Miniftres qui affiftent de leur pate
la Diette de l'Empire , de faire opofition ' à l'Acte
par lequel la Reine de Hongrie autorife le Grand
Duc de Tofcane à donner fa voix pour l'Election
d'un Empereur , & ils prétendent que le droit d'élire
un Empereur apartient aux feuls Electeurs , &
eft attaché aux charges Héréditaires qu'ils poffedent
dans l'Empire ; que la Bulle d'Or porte expreflément
, que les Princeffes ne feront point admifes à
remplir les fonctions & à joüir des prérogatives de
la Dignité Electorale , & que ce fera à fon plus
proche Parent , que le droit de donner fa voix pour
I'Election d'un Empereur fera tranfmis ; que cette
Loi eft fondée fur les Conftitutions de l'Empire &
fur la nature des Fiefs qui en relevent ; qu'en vertu
de la nature de ces Fiefs, la propre mere d'un Electeur
et excluë de la Tutelle de fon fils , laquelle
apartient au plus proche parent du Prince mineur ,
& que fi les Conftitutions de l'Empire ne permettent
pas aux Princeffes d'être Tutrices des Electeurs
, ni d'exercer la Dignité Electorale , elles
leur permettent encore moins d'en transmettre à
quelqu'un les prérogatives , puifqu'il eft indubitable
, que lorfque l'on ne poffede pas foi - même un
droit , on ne peut le faire poffeder à un autre ; que
perfonne n'ignore que lorfque le Royaume de Boheme
JANVIER. 1741. 185.
heme a été remis au nombre des Etats de l'Empire ,
on n'a rien ftipulé de particulier en faveur des
Princesses qui possederoient ce Royaume , enfin
qu'il ne fe trouve dans aucune des Conftitutions de
P'Empire , ni dans la Pragmatique Sanction , aucun
article fur lequel la Reine de Hongrie puisse fe
fonder , pour autorifer le Grand Duc de Tofcane à
afſiſter à la Diette de Francfort , & à devenir Electeur
, fi non de droit , au moins de fait .
efaste Princesse a répondu à ces objections pár un
elcrit adressé aux Miniftres qui réſident à Ratisbonne
en fon nom : ce Refcrit porte que les Prin
ces & Princeffes qui font apellés à la fucceffion de
la Maifon d'Autriche dans le cas de l'extinction totale
des deſcendans du feu Empereur fon pere, ont
interêt de foûtenir que la Dignité Electorale attachée
à la Couronne de Boheme n'eft point éteinte
dans les femmes , & qu'elles jouiffent du droit de
tranfmettre cette Dignité , puifque ceux qui font
apellés à la fucceffion , de quelque fexe qu'ils foient,
ne peuvent y prétendre que du chef des femmes ,
& qu'ainfi ils feroient exclus de la Dignité Electole
; que la Branche maſculine de la Maiſon d'Autriche
fe trouvant éteinte , il n'y a plus de proche
parent dans cette Branche , & qu'on ne peut faire
valoir à cet égard l'article contenu dans la Bulle
d'Or touchant le droit des Agnats ou proches Parens
; que c'eft tomber dans une contradiction que
de prétendre que le droit de donner la voix pour
l'Election d'un Empereur foit attaché uniquement
aux Charges Héréditaires de l'Empire , annexées
aux Electorats , pnifque fi ce principe étoit reçû
l'Electeur Palatin & l'Electeur de Hanover ne pourroient
donner leurs fuffrages dans l'Election d'un
Empereur , leurs Charges Héreditaires n'étant pas
bien déterminées ; qu'avant l'établiffement de la
Bulle
I iiij
186 MERCURE DE FRANCE
ie
Bulle d'Or , les Etats du Royaume de Boheme one .
obtenu le droit de donner leur voix , au défaut de
leurs Souverains, pour élire les Empereurs , enforte
que les Agnats dont les droits étoient reglés dans
les autres Electorats , ne joüiffoient point de ces
mêmes droits par raport au Royaume de Boheme ;
que lorfqu'après la mort de l'Empereur Maximilien
I. Sigifmond , Roy de Pologne , comme plus
proche parent de Louis , Roy de Boheme , envoya
des Ambaffadeurs à la Diette Electorale , fes Ambaffadeurs
n'y furent point admis, & qu'on
çut que ceux du Royaume de Boheme , dont les
Etats uferent de leur droit , à caufe de la minorité
de leur Souverain ; que l'Electorat de Boheme étant
d'une nature particuliere , en ce que la fucceffion .
féminine y eft établie , pendant qu'elle n'a point
Ireu dans les autres Electorats , & la Bulle d'Or décidant
que fi la Branche Féminine venoit à s'éteindre
, le Prince qui feroit élû Roy de Bohême , ſeroit
revêtu en même- tems de la Dignité Electorale
, il eft furprenant qu'on veuille difputer le même
avantage à une Princeffe , qui par la naiffance y a
un droit également jufte & fondé ; que puifque les
Etats de Boheme ont pris ordinairement l'administration
du Royaume pendant la minorité de leurs
Souverains , & que leurs Ambaffadeurs ont été préferés
à ceux de Sigifmond , ainfi qu'il a été dit cideffus
, c'eft une preuve bien évidente , que la difpofition
de la Bulle d'Or touchant les plus proches
Parens ne peut avoir lieu par raport à la Dignité
Electorale attachée à ce Royaume.
O
POLOGNE.
N mande de Warfovie du 31. du mois paffé ,
que quoiqu'on ne doute point que le Duc de
Curlande ne foit bien -tôt dépouillé de fes Etats , la
Républiqu
JANVIER. 1741. 187
République n'a encore fait aucune démarche qui
donne lieu de croire qu'elle penfe à faire valoir fes
prétentions fur les Duchés de Curlande & de Semigalle
, & que le bruit court que le Czar étant dans
le deffein de faire élire un Prince de la Maifon de
Brunſwick Bevern , pour Souverain par les Etats de
Curlande , la République eft convenuë de ne point
s'opofer à cette Election.
étant entier
ESPAGNE.
t
ES Lettres de Madrid du 3. de ce mois , portent
que le 22. du mois paffé , le Duc de
Termoli , Ambaffadeur Extraordinaire du Roy des
deux Siciles , donna une Fête magnifique pour la
naissance de la Princesse , dont la Reine des deux
Siciles eft accouehée . Cette Fête commença par un
grand dîner , auquel tous les Miniftres d'Etat fe
trouverent , ainfi que les Chevaliers de l'Ordre de la
Toifon d'Or & de celui de S. Janvier , & la plupart
des Dames de la Cour. Après le repas il y eut un
Concert qui fut fuivi de la repréfentation d'une Comédie
. Le foir ,le Palais de l'Ambassadeur fut entierement
illuminé , & pendant le Bal, qui dura toute
la nuit , on fervit toutes fortes de rafraîchissemens ..
Des Armateurs Bifcayens ont conduit depuis peu
à Cadix deux prifes Angloifes.
S. M. C. a nommé le Comte de Montijo , fon
Ambassadeur Extraordinaire & Plénipotentiaire à la
Diette qui fe doit tenir à Francfort pour l'Election
d'un Empereur.
On a apris de l'ile de Tenerife , une des Iffes Canaries
, qu'une Balandre Angloife s'étant aprochée
de l'Ile de Fuerteventura le 21. du mois d'Octobre
dernier , so hommes de l'équipage étoient defcendus
à terre près du Port de Taraxalexo , & avoient
I v pillé
188 MERCURE DE FRANCE
tie
avoient pillé plufieurs habitations , fait quelques prifonniers
, & enlevé les Vales facrés de la Chapelle
de l'Hermitage de S. Michel ; que fur la nouvelle
des défordres qu'ils avoient commis , le Lieutenant
Colonel Don Jofeph Sanchez Umpierres , Gouverneur
des Armes de l'Ifle , lequel étant à une lieuë
de Taraxalexo , n'avoit pû être informé assés -tôt
de l'arrivée des ennemis , pour s'opoſer à leur descente,
étoit monté à cheval avec le peu de monde qu'il
avoit pû rassembler, que d'abord afin que quelques
Soldats , auxquels il avoit donné ordre ი .
eussent le tems de le joindre , il avoit cherch
amufer les Anglois , en feignant de vouloir racheter
le butin qu'ils avoient fait , & en leur propofant de
traiter de la rançon des prifonniers , mais que les Anglois
au lieu d'écouter les propofitions , s'étoient difpolés
à l'attaquer,que comme il n'avoit avec lui que
hommes , dont la plupart n'étoient armés que
de piques & d'épées , il s'étoit retranché auffi avantageulement
que le tems le lui permettoit , & que
malgré l'inégalité du nombre & des armes ,non feulement
il avoit rendu inutiles tous les efforts que les
ennemis avoient faits pour le forcer dans les retranchemens,
mais encore il les avoit entierement défaits ,
après un combat d'environ une heure , dans lequel
trente Anglois ont été tués & vingt faits prifonniers.
Les Espagnols n'ont perdu que cinq hommes dans
cette occafion , & ils ont repris tout le butin fait par
33.
les ennemis .
Le 24. du même mois, 5. autres Anglois qui n'étoient
pas inftruits de mauvais fuccès de l'entreprife
de leurs compatriotes , firent auffi une defcente
dans la même Ifle & à peu près dans le même
endroit , & Don Jofeph Sanchez Umpierres , qui en
fut averti fur le champ, ayant marché à leur rencontre,
il les tailla tous en pièces, fans qu'il en reſtât un
pour
JANVIER. 189 1741.
pour porter la nouvelle de leur défaite au Vaisseau
fur lequel ils étoient venus .
NAPLES.
O
Na apris le 13. du mois passé que le Roy
ayant fait donner part le 6. du même mois
aux Tribunaux & au Corns de Ville , de la con-
1.e , thus de cette Cour avane Seigneur , ils
étant entierement terendemain S. M à cette occaa
été dé le
9. les Juges du Civil , & ceux du Criminel
de la Cour de la Vicairerie , accompagnés de
fix Capitaines des Archers , & précedés des Herauts
d'Armes , de fix Trabans & de fix Trompettes
, fe rendirent chés le Notaire de la Cour , lequel
étant allé avec ce cortege à la Place , vis- à-vis le
Palais , où fix Compagnies des Régimens des Gardes
Italiennes & Suiffes étoient fous les armes , y
fit la publication de la Paix en la maniere accoûtumée.
Cette publication ſe fit avec les mêmes cérémonies
dans les autres Places públiques , & le foir
il y eut des illuminations à l'Hôtel de Ville , હૈ
l'Arfenal & à l'Hotel des Ambaffadeurs.
Les Lettres du 20. portent , que les Chevaliers ,
Commandeurs & Officiers de l'Ordre de S. Janvier,
s'étant affemblés le 16. dans le Cabinet du Roy ,
S. M. tint un Chapitre dans lequel les preuves des
Chevaliers qu'elle avoit nommés dans le Chapitre
précédent , furent admifes . Le Roy , précédé des
Chevaliers , Commandeurs & Officiers de l'Ordre ,
entre lefquels marchoient les nouveaux Chevaliers
en habits de Novices , fe rendit enfuite à la Chapelle
. S. M. étoit en Manteau , le Colier de l'Or
dre par deffus , ainfi que celui de l'Ordre du S. Ef
prit , & celui de la Toifon d'Or. Après la Meffe
1 vj qui
190 MERCURE DE FRANCE
qui fur célébrée par l'Archevêque de Bari , Commandeur
de l'Ordre , le Roy fe plaça fur le Trône
qui étoit au côté droit de l'Autel , & S. M. donna
les marques de l'Ordre aux nouveaux Chevaliers.
ITALIE.
N mande de Rome que le 20. du mois passé,
le l'ape s'étant rendu à l'Eglife des Dominicains
de la celebra la Messe
embler
herch
que d'abord
dans la Chapelle de S. L nné ordre
alla enfuite voir le R. P. Thomas
de l'Ordre, qui étoit très - dangereufement malade ,
âgé de 88. ans , & qu'après avoir demeuré près
d'une demie - heure avec lui , Elle vifita la Bibliothéque
publique dont la plus grande partie a été
léguée à la Maiſon , par le Cardinal Ĉaſanata qui
a fait une fondation pour l'entretenir , & c .
Le Pape a ordonné que non-feulement les Eccléfiaftiques
qui font dans les Ordres , mais encore
les fimples Clercs qui possedent des Bénefices ou
des Penfions fur des Bénefices , portassent l'habit
de leur état.
Sa Sainteté a défendu à tout Prêtre d'exercer la
Profeffion d'Avocat dans les Tribunaux Séculiers ,
& à tout Religieux de fortir feul de fon Convent
fans une permiffion expreffe de fes Superieurs .
2
L'Abbé Paulucci , Agent du Duc de Modene , a
prefenté au Pape un Payfan du Modenois , qu'on
aflûre avoir prédit au Duc de Modene l'exaltation
de Sa Sainteté au Pontificat.
巢
Le Pape a annoncé dans un Confiftoire au Sacré
College , que l'accommodement entre le S. Siége
& la Cour de Lisbonne étoit conclu .
Le Cardinal de Tencin y propofa l'Evêché de Tarbes
pour l'Abbé de Beaupoil de Saint Aulaire , &
préJANVIER.
1741. 191
préconifa l'Abbé d'Efpalunque , Vicaire Géneral
de l'Evêché de Lefcar , pour l'Abbaye d'Essey ,'
O. de S. Benoît , Diocèfe d'Agen.
Le Prince Jofeph de Hesse- Darmstadt fut préconifé
par le Cardinal de Bossu pour l'Evêché
d'Augsbourg .
A la fin du Confiftoire , le Pape accorda le Pallium
à l'Archevêque d'Embrun & à l'Archevêque
de Santa Fé de Bogota.
Les differends de cette Cour avec celle de Turin
étant entierement terminés , le Roy de Sardaigne
a été déclaré Vicaire perpétuel du S. Siége pour
tous les Fiefs que le S. Siége possede en Piedmont ,
& fur l'avis qu'on a reçû que ce Prince avoit fait
fortir de ces Fiefs les Troupes qu'il y avoit mis en
garnifon , le Pape a nommé M. Merlini , pour fe
rendre à Turin en qualité de Nonce.
Sa Sainteté a réfolu de prendre connoissance de
toutes les difficultés qui pourront furvenir entre le
Saint Siége & les Cours Etrangeres , & de ne les
plus renvoyer à des Congrégations particulieres .
En conféquence Elle a fuprimé la Congrégation
qui avoit été établie par le feu Pape , pour chercher
les moyens de parvenir à un accommodement avec
Ie Roy des deux Siciles , & Elle a fait fçavoir au
Cardinal Aquaviva & à l'Abbé Galiani , Grand
Aumônier de S. M. Sic. & fon Miniftre Plénipotentiaire
à la Cour de Rome , qu'elle avoit chargé
le Cardinal Aldrovandi de regler avec eux les affaires
qui concernent le Royaume de Naples , &
qu'Elle vouloit qu'ils tinssent devant Elle leurs conférences.
L'entretien des Galeres caufant beaucoup de dépenfes
à la Chambre Apoftolique , le Pape a or
donné qu'on en défarmât une , & Sa Sainteté a
donné les trois autres à la Religion de Malthe , à
con192
MERCURE DE FRANCE
condition que la Religion les tînt toujours équipées
, & qu'elle les employât à procurer la fûreté
de la navigation fur les côtes de l'Etat Eccléfiastique.
Sa Sainteté a établi une nouvelle Congrégation
pour décider les conteftations entre les Evêques &
les Abbayes , Chapitres & Communautés , qui prétendent
ne pas dépendre de la Jurifdiction Episcopale.
Ön célebra le 21. du mois dernier dans l'Eglife
du Saint Nom de Marie , où l'on avoit élevé un
magnifique Catafalque , un Service folemnel pour
le repos de l'ame du feu Empereur , & le Comte
de Daun , Auditeur de Rote pour l'Allemagne &
Miniftre Plénipotentiaire de la Reine de Hongrie
& de Boheme , y officia pontificalement.
On a placé depuis peu dans une des Sales du Capitole
la Statue de bronze que le Peuple Romain a
ordonné d'ériger en l'honneur du feu Pape . Cette
Statue a été faite fur les desseins du Sr Pierre
Bracci , par Pierre - François Giardoni , célebre
Sculpteur de Rome. Sur le pied d'eftal eſt cette Inſcription.
Clementi XII. Pontifici maximo , ob Senatus
privilegia amplificata ; exornatam adificiis urbem
; laxatas areas , directas , prolatas , ftratasque
vias ; vetera figna multo are comparata , in Capitoliam
invecta magnificeque difpofita , Senatus Populusque
Romanus optimo munificentiffimo Principi Statuam
decrevit.
L
ISLE DE CORS E.
Es deux Bandits qui commettent depuis longtems
des désordres dans la Piéve de Lento
ont volé deux Miquelets , & le Marquis de Maillebois
en ayant été inftruit , a fait venir tous les
Bergers des environs , & leur a défendu fous peine
de
JANVIER. 193 1741.
de mort , de donner retraite à ces fcélerats . Ce Gé
neral a fait bruler les maiſons de deux de leurs
parens qui ont été convaincus de leur avoir fourni
des vivres & d'autres fecours .
On conduit chaque jour à la Baftie quelques prifonniers
, accufés d'avoir fourni retraite à ces deux
Bandits. On a arrêté auffi dans les environs de
Fiumorbo trois Voleurs , dont un a été condamné
à être pendu , & les deux autres aux Galeres .
Le Marquis de Maillebois a fait passer par les
armes un komme de l'Ifolacci qui , après avoir été
chassé de l'Ifle , y eft retourné , malgré la défenſe
qui lui a été faite , fous peine de la vie , d'y rentrer.
les
Ce Géneral s'eft rendu à Luciana avec plufieurs
des principaux Officiers des Troupes Françoiſes ,
pour reconnoître un Bois où l'on prétend que
deux Bandits de Lento fe retirent fouvent pendant
la nuit , & il a fait diftribuer des armes à plufieurs
des habitans des Lieux voifins qui fe font chargés
de leur dresser des embufcades .
Malgré toutes les précautions qu'on a prifes ,
ces deux Bandits ont encore tué à dix milles de la
Battie , deux hommes de leur Province , & l'on
prétend que ces fcélerats depuis quelque tems ont
ôté la vie à plus de 19. perfonnes . Quelques - uns
de leurs parens étant foupçonnés d'avoir voulu fe
joindre à eux , lé Marquis de Maillebois a fait encore
dernierement diftribuer des armes à plufieurs
habitans des environs de Lento qui font leurs ennemis
declarés , & qui ont un grand interêt d'arrêter
le cours de leurs brigandages .
Un accident ayant mis le feu à un Bois d'Oliviers
dans la Pieve de Cafinea , cet incendie a caufé un
dommage de plus de 60000 liv . aux Habitans des
Villages de Vinfulafca & de la Penta.
GRANDE194
MERCURE DE FRANCE
GRANDE-BRETAGNE.
N aprend de Londres que les Efpagnols fe
font emparés des Vaiffeaux la Marie & le
Boften , commandés par les Capitaines Flowers &
Trout , & qu'ils ont conduit , le premier à la Baye
des Honduras , & te ſecond à la Havane,
La Princeffe de Galles accoucha le 1o. de ce
mois entre fept & huit heures du matin d'une Princeffe
, & elle fe porte auffi bien qu'on puiffe le'
defirer.
On a faifi fur la riviere deux Bâtimens de Lisbonne
, à bord desquels il y avoit des marchandifes
d'Efpagne .
Le Capitaine Spring , arrivé depuis peu de la Jamaïque
, a raporté qu'une Chaloupe de la nouvelle
Yorck , & une autre de Philadelphie , lefquelles
avoient été prifes par les Elpagnols , avoient été
reprifes par un Vaiffeau de guerre Anglois , &
avoient été ramenées à la Jamaïque .
de Torres
On a apris que Don Rogrigue
étoit arrivé à Carthagene avec douze Vaifleaux , &
qu'il en avoit laiffé fix à Porto Rico.
le
€
M. Main ,qui commande le Vaiffeau de guerre
Worcester , ayant donné avis à l'Amiral Vernon
que l'équipage d'un Bâtiment Efpagnol , dont il
s'eft emparé dans les environs d'Hifpaniola ,
affûroit que Don Rodrigue de Torres avoit ordre
du Roy d'Espagne d'attaquer la Jamaïque , on
attendoit avec impatience dans cette lle , lo fque.
le Bird Galley en eft parti , l'arrivée de l'Efcadre.
du Chevalier Chaloner Ogle.
HOLLANDE ET PAYS - BAS.
Na apris de la Haye du 11. de ce mois , que
la Digue de Kedingh m. n'ayant på refifter a
la violence de la marée , une partie de cette Digue
JANVIER. 199 1741
fut renversée la nuit du 3. au 4. de ce mois , &
que tout le Pays de l'Albefferwart a été entierement
inondé. Quelques jours avant que cet accident
arrivât , les habitans qui prévoyoient qu'ils
en étoient menacés , avoient eu la précaution de fe
fauver avec leurs effets les plus précieux . On a cu
auffi celle de faire murer les portes de la Ville de
Gorcum , & tous les paffages par où l'eau y pouvoit
entrer.
Les derniers avis de Bruxelles portent , que le
Catafalque que l'Archiducheffe Gouvernante avoit
ordonné d'élever dans l'Eglife Collégiale de S. Michel
& fainte Gudule , ayant été achevé le 3 .
móis , on célebra le 4. dans cette Eglife un Service
folemnel pour le repos de l'ame de l'Empereur.
de ce
La mifere à laquelle ce Pays eft réduit , tant par
l'interruption du Commerce , que par le débordement
des Rivieres , ne fe peut exprimer , & l'on
compte que le dommage caufé dans la feule Province
de Namur par les inondations , monte à plus
de trois millions.
Le Grand Duc de Tofcane a écrit aux Etats Généraux
une Lettre , par laquelle il leur marque
qu'indépendamment des affurances qu'ils lui ont
données , on a fçû par le Miniftre qui réfide à la
Haye de fa part , qu'ils étoient dans la réfolution
de foutenir les intérêts & ceux de la Reine de Hongrie
; qu'animé par la confiance qu'il a en leur
amitié , il n'hefite pas à leur faire part du deffein
qu'il a de fe mettre fur les rangs pour obtenir la
Couronne Impériale , qu'il n'ignore pas , combien
les Etats Généraux peuvent en cette occafion , qu'il
les prie inftamment de lui accorder leurs bons offices
de la maniere qu'ils jugeront la plus convenable
, & d'être perfuadés qu'il en conſervera toute
La vie une parfaite reconnoiffance.
M.
198 MERCURE DE FRANCE
M. de Halloy , Sécrétaire d'Ambaffade de la
Cour de Vienne , a remis au Président de l'Affemblée
des Etats Généraux , une lettre que la Reine
de Hongrie & de Boheme leur a écrite au fujet de
l'entrée des troupes du Roy de Pruffe en Siléfie , &
qui eft remplie de témoignages de la parfaite confiance
qu'elle a dans l'amitié de la République.
*******************
FRANCE.
NOUVELLES DE LA COUR, DE PARIS , &c.
Lincertesdu Sang, & les Seigneurs 8c
E premier de ce mois , les Princes &
>
Dames de la Cour , eurent l'honneur de
complimenter le Roy fur la nouvelle année.
Le Corps.de Ville a rendu à cette occafion
fes refpects à leurs Majeftés , à Monfeigneur
le Dauphin , & à Mefdames de France.
Les Chevaliers , Commandeurs & Officiers
de l'Ordre du S. Efprit , s'étant affemblés
dans le Cabinet du Roy vers les onze
heures du matin , S. M. fe rendit à la Chapelle
, étant précedée du Duc de Chartres ,
du Comte de Ciermont , du Prince de Conty
, du
Prince
de
Dombes
, du
Comte
d'Eu
,
& des
Commandeurs
&
Officiers
de
l'Ordre
. Le
Roy
, devant
lequel
les
deux
Huiffiers
JANVIER 1741 197
par
fiers de la Chambre portoient leurs Maffes ;
étoit en Manteau , le Colier de l'Ordre
deffus , ainfi que celui de l'Ordre de la Toifon
d'Or. S. M. entendit la grande Meffe
célebrée par l'Abbé Broffeau , Chapelain
ordinaire de la Chapelle de Mufique , &
chantée par la Mufique. La Reine & Monfeigneur
le Dauphin entendirent la même
Meffe dans la Tribune .
L'après midi leurs Majeftés accompagnées
de Madame , affifterent aux Vêpres .
Le 2 , le Roy accompagné comme le jour
précedent , affifta au Service qui fut célébré
dans la même Chapelle pour le repos des
ames des Chevaliers de l'Ordre du S. Efprit
, morts pendant le cours de l'année
derniere.
Le 29. du mois dernier , pendant la Meffe
du Roy , l'Evêque de Seez prêta ferment de
fidelité entre les mains de S. M.
Le Roy a accordé au Comte de Livry ;
Premier Maître de l'Hôtel de S. M. la furvivance
de cette Charge , en faveur du Marquis
de Livry fon fils , Colonel du Régiment
du Perche.
Le 6. de ce mois , jour de l'Epiphanie , la
Reine entendit la Meffe dans la Chapelle du
Château
198 MERCURE DE FRANCE
du Château de Verfailles , & S. M. communia
par les mains de l'Abbé de Pontac , fon
Aumônier en quartier.
Le 10. M. de Vafner , Miniftre Plénipo- :
tentiaire de la Reine de Hongrie & de Boheme
auprès du Roy, eut en long Manteau ,
de deüil , une audience particulière de S. M.
dans laquelle , après avoir remis fes lettres
de créance , il préfenta au Roy la lettre
par laquelle la Reine de Hongrie & de Boheme
donne part à S. M. de la mort de
l'Empereur fon perc . M. de Vafner eut enfuite
audience de la Reine , de Monfeigneur
le Dauphin , & de Mefdames de France , &
fut conduite à toutes ces audiences par M.
de Verneuil , Introducteur des Ambaffadeurs
.
Le 12 , le Roy prit le deuil en violet pour
la mort de l'Empereur.
*
Le huit , Bernardin François Fouquet ,
Archevêque d'Embrun , nommé à cet
Archevêché le 17. Septembre dernier , fut
facré à Paris dans la Chapelle de l'Archevêché
par l'Evêque Duc de Langres , affifté de
l'Evêque Comte de Bauvais , & de l'Evêque
de Meaux
Le 13. fuivant , il prêta ferment de fidelité
entre les mains du Roy dans la Chapelle
du Château de Verfailles ; il eft Abbé
Commandataire de l'Abbaye de S. Pierre &
de
!
JANVIER. 1741:
199
C
de S.Paul de Caunès, O. S.B A.D.de Narbon
ne , depuis le mois d'Avril 17 27. Docteur en
Théologie de la Faculté de Paris , ci- devant
Agent Général du Clergé de France pour la
Province de Touloufe , alors Prébendé de
l'Eglife de Lombez .
Le Roy a donné au Prince de Guife l'agré
ment du Régiment d'Infanterie , dont le Duc
de la Valliere , Brigadier des Armées du Roy,
étoit Colonel.
S. M. a permis au Duc de Caumont , Colonel
du Régiment d'Infanterie de Beauce ,
de fe demettre de ce Régiment en faveur du
Comte de Caumont , fon frere.
Le S. Janvier , la clôture de la neuvạine
, au fujet des Prieres faites en l'Eglife de
fainte Geneviève , à l'occafion de l'inondation
de la riviere de Seine dont on a déja
parlé , fut faite avec les cérémonies accoutumées.
Le Prevôt des Marchands , accompagné
des Echevins & du Corps de Ville
s'y étoit rendu le matin. A fon arrivée , le
Révérendiffime Pere Abbé fit un Difcours
très-éloquent fur la reconnoiffance qui étoit
due à la Patrone de Paris pour la diminution
des eaux , auquel le Prevôt des Marchands
répondit avec beaucoup de dignité . On célebra
enfuite la Meffe , après laquelle le Te
Deum fut chanté folemnellement en actions
de races.
Le
Go MERCURE DE FRANCE
Le 6. Fête des Rois , l'Académie Royale
de Mufique donna le premier Bal public de
cette année avec un très -grand concours.
On continue ordinairement pendant differens
jours de la femaine jufqu'au Carême .
.
Le 10. Janvier , les Comédiens François
repréſenterent à la Cour le Jaloux défabuse ;
& la petite Piéce du Denil.
Le 12. la Tragédie d'Alzire , & les Folies
Amoureuses.
Le 17. la Comédie du Tartuffe , & l'Acte ;
intitulé le Tems paffé , tiré de la Comédie du
Triomphe du Tems.
Le 19. la Tragédie de Bajalet , & le
Babillard.
Le 24. l'Homme à bonnes fortunes , & le
Mariage Forcé.
Le 26. la Tragédie d'Ariane , qui fut fuivie
de la Comédie de l'Avocat Patelin.
Le 4 Janvier , les Comédiens Italiens repréfenterent
auffi à la Cour l'Heureux Stratagême
, & la Parodie d'Amadis de Gaule.
Le 11. Democrite , prétendu Fol , & les
Sauvages , Parodie d'Alzire , Tragédie de
M. de Voltaire.
Le 18. Arlequin Valet de deux Maîtres ;
Comédie Italienne en trois Actes .
Le 25. la Comédie nouvelle de Pigmalion¸
& la petite Piéce du Portrait.
TABLE,
TABLE.
Catalogue desMercures de France.
Privilege du Roy.
Lifte des Libraires qui débitent ce Livre .
Avertiffement qu'il faut lire.
I
4
13
PIECES FUGITIVES en Vers & en Profe;
Ode à M. G. pour le premier jour de l'An ,
Queſtion importante , jugée au Parlement ,
Amuſement Poëtique , la Mouche , & c.
Lettre au fujet d'un Puits extraordinaire ,
Vers au fujet du Mariage de M. de la Moſſon , 25
Mémoire Hift. concernant les Avocats & Proc.. 26
Epitre à M de G, au fujet d'une Ode , & c.
19
41
Lettre de D.Victor Chancel,au Duc d'Ormond ibid.
Portrait d'Alcibiade & Réponse à la Lettre , &c. 45
Plainte de l'Ecureuil au Génie de la Fontaine , 48
X. Lettre fur la Typographie ,
Ode Philofophique , l'Univers ,
57
Lettre fur la préférence du Bureau Typograph. 60
Ode Latine à Mrs Bourdelin & Bouvart , 64
Lettre au fujet de la Dent , apellé Dent ceillere , 67
Etrennes au Comte de la Marche , Triolets ,
Queſtion fur la fumée du Charbon ,
Fable , les trois Amans ,
Queſtion importante ,
Epitre à l'Abbé D. P. imitée d'Horace ,
71
73
74
77
83
Obfervations , Machine pour regler les Airs de
Mufique ,
Epigrammes de M. Deftouches ,
89
100
Bouts Rimés remplis . Portrait de la Coquette, 105
Nouveaux Bouts - Rimés à remplir ,
106
Explication de l'Enigme & Logog. de Nov. 107
Enigme , Logogryphes , & c.
108
NOUVELLES LITTERAIRES DES BEAUX - ARTS ,
&c. Effai fur les Maladies Véneriennes ; 111
..
Les Etrennes du tems ,
Prophéties perpétuelles , & c.
113
ibid.
Defcription fommaire de Deffeins du Cabinet de
M. Crozat , 114
Traité Hiftorique fur le Chant Ecclefiaftique , 122
Révision de l'Hiftoire du Ciel ,
L'Optique des Couleurs ,
Traité des Matieres criminelles ,
128
ibid.
ibid.
Recueil de Piéces de Poëfies, Jeux Floraux, & c . 130
Inftitutions de Phyfique , avec Planches , &c. ibid.
Livres nouveaux , chés Ganeau , & c.
ibid.
Hiftoire des Amazones anciennes & modernes, 135
Le nouveau Télemaque , &c.
Effais fur l'Hiftoire des Belles- Lettres
Programme , nouvelle Edition de Virgile ,
Nouveaux Caracteres d'Imprimerie ,
137
138
140
142
Séance publique de l'Académie de la Rochelle, 145
Ode , Action de graces pour la Confeffion & la
Communion ,
Jettons frapés pour Janvier 1741 .
160
164
Magnifique Piéce en fonte , placée dans le Parc de
Verſailles 165
Vers Latins & François , fur la mort du P. Porée , 168
Certificat du Cardinal de Polignac au Sr Arnoult
fur fon Sachet .
Chanfon notée , &c .
Nouvelles Etrangeres , Turquie , Ruffie ,
Spectacles ,
Suede , Allemagne ,
Ratisbonne ,
Pologne ,
Efpagne , Naples , Italie ,.
Ifle de Corfe ,
Grande- Bretagne , Hollande & Pays- Bas ,
France , Nouvelles de la Cour , de Paris , &c .
Les Jettons gravés doivent regarder la page
La Chanfon notée , la page
172
173
ibid.
175
181
183
186
187
192
194
196
164
173
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT.
FEVRIER. 1741 .
CITY
SPARO!
SPARGIT
CURICOLLIGIT
Chés
Papillon
A PARIS ,
GUILLAUME CAVELIER,
rue S. Jacques.
La Veuve PISSOT , Quai de Conty ;
à la descente du Pont - Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais,
M. DCC. XLI .
Avec Aprobation & Privilege du Ro
A VIS.
'ADRESSE generale eft à
Monfieur MOREAU ,
Mercure , vis - à - vis la Comédie Frangoife
, à Paris. Ceux qui pour leur commodité
voudront remettre leurs Paquets cachetés
aux Libraires qui vendent le Mercure
, à Paris , peuventfe fervir de cette voye
pour les faire tenir,
On prie très-inftamment , quand on adres
des Lettres ou Paquets par la Pofte , d'avoir
fain d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
toûjours pratiqué , afin d'épargner , à nous
Le déplaifir de les rebuter , & à ceux qui
les envoyent , celui , non -feulement de ne
pas voir paroître leurs Quvrages , mais
même de les perdre , s'ils n'en ont pas garde
de copie.
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , ou les Particuliers qui fouhaiterant
avoir le Mercure de France de la premiere
main , & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M. Moreau ,
qui aura foin de faire leurs Paquets fans
perte de temps , & de les faire parier sur
L'heure à la Pofte , on aux Meffageries qu'on
Lui indiquera,
PRIX XXX. Sols.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT.
FEVRIER. 1741 .
PIECES FUGITIVES,
en Vers et en Prose.
LE TRIOMPHE DE LA VERITE
L
ODE.
OIN de moi , Déïtés propices
Aux voeux du prophane Rimeur ,
Dieu du Pinde , fous vos aufpices
Je dédaigne le nom d'Auteur .
Efprit Saint , que mon coeur adore ,
Ce font tes faveurs que j'implore ,
A ij Soûtiens
204 MERCURE DE FRANCE
*
Soutiens ma noble activité ;
Que le Démon de l'artifice
En foupire , en tremble , en frémiffe
Je vais chanter la vérité.
*
Fuyez , Vertus imaginaires ,
Que confacre l'ambition ;
Difparoiffez vaines chimeres ,
Vous n'êtes vertus que de nom.
Au crime toujours redoutable ,
A l'innocence favorable ,
Infaillible dans fes arrêts ,
Telle fe montre l'immortelle
Que trace mon pinceau fidelle ,
Vérité , ce font- là tes traits .
܀
Rempli de fa docte ignorance
Un Philofophe audacieux ,
En vain attaque l'exiſtance
Du Dieu qui regne dans les Cieux ;
Sa profpérité fait fon crime ,
Mais , au moindre mal qui l'oprime
Tu le portes au repentir ;
Tu lui fais craindre la colere
De ce Dieu jufte , mais fevere ,
Qu'il s'efforçoit d'anéantir,
ᏙᎥ
FEVRIER:
1741. 205
Vil partiſan , eſclave infame
De la trompeufe volupté ,
L'impie , en vain refuſe à l'ame
Le droit de l'Immortalité ;
Il raille en vain , en téméraire ,
Tout dogme , dès qu'il eft contraire
A fes défirs impérieux.
Il eſt des tems où tu l'inſpires ,
Il en eft où tu le déchires
Par les remords les plus affreux.
O vous , auteurs de ces blafphêmes
Nés de votre incrédulité ,
Que deviennent vos vains fyftêmes
A l'afpect de la verité ?
Que devient ce faux héroïſme
Dont le Démon du fanatifme
Vous a follement enyvrés ,
Auprès de ma raifon foûmife
A ce que m'enfeigne l'Eglife
Sur tant de myfteres facrés
*
Tel eft ton vouloir admirable ,
Augufte & fainte verité ,
Du vice adverfaire implacable ,
A iij
Τα
206 MERCURE DE FRANCE
Tu ne défends que l'équité ;
Que l'homicide calomnie ,
S'armant de toute fa furie ,
Ofe contre elle s'expliquer ;
Orgueilleufe , mais vaine audace !
Un feul de tes traits la terraffe
Dès qu'on te la voit attaquer .
*
Ainfi , l'on connat ta puiffance ,
Lorfque deux Vieillards féducteurs
Autrefois contre l'innocence
Lancerent des traits impofteurs ;
&
De fa pudeur chafte victime ,
Déja Suzanne en butte au crime ,
Aprochoit d'un honteux trépas ;
Mais touchée enfin par fes larmes
Que faifoient couler trop de charmes ,
Tu parus & tu prononças .
*
De fon impudique Maîtreffe
Jofeph eft aimé tendrement ,
Mais , incapable de foibleffe ,
İl brave un amour imprudent ;
Le mépris qu'on fait de fa flame ,
Picque cette Princeffe infame;
fe Elle jure de se venger :
Au
FEVRIER: 207 1741:
Au fond d'une priſon obfcure
Jofeph eft mis par l'impoſture ,
La verité fçait l'en tirer.
Rapellerai je à la memoire ,
Tant d'autres grands évenemens ,
De tes combats & de ta gloire
Inéfaçables monumens ?
Admirés des fiecles antiques ,
Ils étoient l'objet des Cantiques
Que récitoient nos faints Ayeux ;
Admirés encor par nous-mêmes ,
Envers eux nos respect fuprêmes
Pafferont jufqu'à nos Neveux .
H
Pour moi , quoiqu'encor dans un âge
Toujours fufceptible d'erreur',
Je veux conferver l'avantage
De t'entretenir dans mon coeur ;
J'abhorre les détours contraires
A tes maximes falutaires ;
Je ne me fonde que fur toi ,
Et je tiens indigne de vivre
Quiconque n'a pas daigné fuivre
Ce que lui prefcriveit ta loi.
A iiij
MA208
MERCURE DE FRANCE
康
MANIFESTE que l'Empereur de la
Chine , à préfent regnant , a fait publier
par tous fes Etats au commencement de
fon Regne , en l'année ´1735 .
M
OI KUNGLI , par la grace de Dieu
Empereur de la Chine , je viens de
prendre les rênes du Gouvernement , mon
pere , le dernier Empereur , l'ayant ainfi ordonné
felon l'arrêt & la bénédiction du Ciel .
Mes Ancêtres , les Monarques Thaidſu &
Thaidfuin (4 ) ont frayé les premiers le chemin
pour parvenir au Gouvernement de la
Chine.
Mon Bifayeul l'Empereur Schidfu ( b) a
réuni les puiffans Royaumes du dehors &
du dedans , les ayant gouverné feul.
Mon Grand - Pere , l'Empereur Schein.dfu
(c) dit Kamhu , a regné fort long tems , &
l'éclat de fes vertus éminentes s'eft partout
répandu.
Mon Pere Schindfu,(d) dont la condefcendance
génereufe eft connue à tout le monde ,
lui fucceda dans cette puiffante Monarchie.
Pendant treize ans qu'il a regné , il s'eſt
donné tous les foins poffibles pour maintemir
l'Empire en bon état. Il y a réuffì , les
fruits
FEVRIER. 1741. 209.
fruits défirés en ayant paru dans toutes les
conditions. Son affabilité & fon fage Gouvernement
font connus dans tout le monde .
& les Peuples qui lui étoient foumis ont été
heureux , car fes bienfaits fe font répandus
dans tous les Pays . Les Provinces (e) extérieures
, auffi - bien que les intérieures fe font
réjouies de leur félicité ; & lorfque chacun
fouhaitoit que ce Regne fût long , afin de
pouvoir jouir long- tems de ce bonheur
T'heure de fon trépas arriva. Il quitta les
Grands & le Peuple , & s'en alla au Ciel
avant qu'on s'en fût douté.
Il a ordonné que je regnaffe après lui ¸
quoique je m'eftime le moindre de fâ famille.
Il m'a laiffé le Temple des Peres , & le
Lieu Saint. (f)
Mon Grand Pere m'a fait paroître à la Cour
dès ma plus tendre jeuneffe , & il m'a élevé
avec un foin particulier.
Mon Pere a pareillement eu foin de mon
éducation , & il ne m'a point laiflé manquer
d'inftructions falutaires .
Cependant je fens à prefent que je manque
encore de prudence , & je ne fçais pas
fije fuis capable de fuporter le fardeau du
Gouvernement de ce grand Empire qui m'a
été confié.
Mais j'ai confideré qu'un Lieu fi Saint ne
fçauroit être long tems vacant.
3
Ay C'est
210 MERCURE DE FRANCE
C'eft pourquoi je fuis obligé de remplir plu
tôt la derniere volonté de mon Pere que de
m'abandoner à une jufte douleur fur fa mort.
En conféquence , je fis le troifiéme jour
du neuviéme mois mes Dévotions dans le
Temple des Peres & dans le Lieu Saint, & y
ayant facrifié,je m'affis fur le Trône Impérial.
Depuis le commencement de l'année
prochaine , toutes les Ordonnances & Arrêts
fe publieront & fe donneront fous mon
nom , & mon Regne fera apellé le Regne
donné du Ciel.
Ayant commencé ce Regne par la grace
du Ciel & fuivant la volonté de mon Pere ,
il fera fignalé par la diftribution accoûtumée
des Récompenfes ou Gratifications , à commencer
par le plus grand jufqu'au plus petit.
Et je veux que l'union & l'amitié augmentent
partout.
La diftribution des Gratifications fe fera
de la façon fuivante.
1. Dans la Capitale , tous ceux qui font
au-deffous des Princes du Sang , & au - deflus
de ceux de la neuvième claffe , feront gratifiés.
(g)
2. Hors de la Capitale , tous ceux qui
font au deffous des Princes du Sang , & au
deffus des Comtes , feront gratifiés. ( b )
3. Tant dedans que dehors la Capitale ,
les Dames qui font au- deffous des Princeffes
du
FEVRIER. 1741. 211
du Sang , jufqu'aux Princeffes , feront grarifiées.
(i)
4. Tant dans la Capitale que dehors , les
Mandschuriens & les Riicariens , dont les
Dignités sont de la premiere Claffe , aurone
une triple gratification . (k)
Excepté les crimes ci - deffous nommés ,
on pardonnera tous ceux qui ont été commis
jusqu'à ce jour qui eft le troifiéme du neuviéme
mois de la treizième année du Regne
jufte & pacifique , soit que l'Arrêt de condamnation
ait déja été rendu ou non ; mais
il sera procedé selon que la Juftice l'exigera,
contre ceux qu'on accusera de ce jour.
10. On envoyera des Personnes de diftinction
sacrifier aux cinq grands Temples , suivant
les Loix anciennes.
11. Dans la Capitale , tous ceux qui sont
au-deffus de la quatriéme Claffe , & hors
la Capitale ceux qui sont au deffus de la
troifréme dans le Service Civil , & les Officiers
, tant dans la Capitale que dehors , qui
sont au- deffus de la seconde Claffe , envoyeront
chacun aux Académies un de leurs
fils , pour l'y faire étudier.
12. On gratifiera tous les Soldats Mandschuriens
qui ayant reçu des bleffures à la
guerre , ont été congediés , & souffrent les incommodités
de la vieilleffe .
13. Ceux qui ayant fait leurs Etudes aux
A vj Aca212
MERCURE DE FRANCE
Académies , ont paffé par l'examen , auront
des Charges dans le Tribunal nommé Lispu.
On en employera dans les grands Gouvernemens
30. dans les Gouvernemens médiocres
20 , & dans les petits Gouvernemens 10.
14. Dans tous les Gouvernemens , Provinces
& Districts sans exception , on avancera
les Dfchin- Gunes dans le rang des Sten-
Gunes , & ceux - ci dans celui des Sui- Gunes.
(P)
15. On augmentera dans tous les Gouvernemens
le nombre des Etudians dans les
Ecoles publiques ; sçavoir , dans les Académies
il y en aura sept de plus ; dans les Gymnases
il y en aura cinq de plus , & dans les
baffes Ecoles il y en aura trois de plus.
16. Tous les Officiers Civils & Militaires ,
qui ont été punis ou caffés à cause de leur .
mauvaise conduite , ou qui par la même
raison ont été privés de leurs gages , obtiendront
grace , & les places vacantes seront
remplacées par ceux qui dans la Capitale
ont servi en differens emplois , & qui
n'ont pas obtenu leur Congé.
17. Suivant les Loix du Pays , les Commandans
& autres Officiers subalternes dans
les Provinces , Districts & Villes , doivent
être des Gens defintereffés , d'une bonne
conduite & d'une probité reconnue. Pour
leur donner plus d'autorité , ils seront égaux.
2
FEVRIER: 1741 213
à ceux de la fixiéme Claffe. On choifira avec
foin ceux qui occuperont ces Poftes , & à
cette fin on tiendra toujours prêts des Sujets
capables de les remplir ; mais on doit
être bien affûré de leurs vertus par des témoignages
& des preuves fuffifantes , pour
que ces Charges ne foient point données à
des Gens de rien & fans expérience .
18. Le labourage des Terres a toujous été
d'une néceffité indifpenfable. C'eft pourquoi,
il faut qu'on en ait tous les foins imaginables.
A cet effet les Commandans de toutes
les Places y tiendront la main , & ceux qui
s'y apliqueront plus que les autres , feront
encouragés par le bon traitement qu'ils leur
feront , par les louanges qu'ils leur donneront
, & par d'autres récompenſes.
19. On n'exigera point de nos Sujets les
arrérages du Tribut & d'autes Impôts qui
font dûs depuis plus de dix ans. Ainfi la
Chambre des Comptes en envoyerra une lifte
exacte , & attendra là- deffus nos ordres .
20. Les Pottes ont depuis quelques an
nées , lorfque l'Armée a été en campagne ,
beaucoup fouffert par les expeditions fréquentes
des Couriers : ainſi en cette confidération
on les gratifiera .
21. On a toujours honoré la vicilleffe .
On gratifiera à l'avenir de quelque caractere
tous les Mandfchuriens & Nicaniens au-def
fus
214 MERCURE DE FRANCE
fus de 80 ans , excepté les Main- mortes.
Ainfi toutes les Chancelleries & Magiftrats
feront obligés d'en envoyer une lifte exacte
avec leur Avis .
22. On pardonnera à ceux qui ont volé
par pauvreté à caufe du froid & des perfécutions
, ou qui font tombés dans l'indigence
par les injuftices qu'un Magiftrat avare
leur a fait , pourvû qu'ils s'en repentent &
proteſtent de vivre bien à l'avenir.
23. Ceux qui dans les Gouvernemens ont
retenu des Deniers Royaux , ou qui fe font
laiffés corrompre
, & qui en conféquence
des Contrats font débiteurs à la Tréforerie ,
& qui comme tels devroient être forcés à la
reftitution , feront tenus quittes , & on ne
s'en prendra pas à leurs parens , en cas qu'on
trouve en effet qu'ils foient infolvables.
24. On fera des recherches exactes dansles
Chancelleries Militaires des huit divifions
de Campagne , & des cinq divifions qui
apartiennent à la Cour , & ceux qui fe font
aproprié l'argent qui devoit être porté à la
Tréforerie , ou qui par un motif de leur in
terêt particulier ont fait des Contrats defavantageux
à la Caiffe de l'Empire , tant eux
que leurs complices , feront exemts & délivrés
du payement de cette dette , en cas
qu'on les trouve infolvables.
25. L'argent destiné pour la Caiffe Militaire
,
FEVRIER 1741 215
taire , & qui eft encore dû , ne sera exigé
que de ceux qui sont obligés de le payer ,
& non pas de leurs parens ou de leurs débiteurs
, comme cela s'eft pratiqué jusqu'ici .
Cependant les Chancelleries des divifions
examineront cela avec soin , & attendront
là deffus nos ordres. C'eft selon le cas,qu'on
pourra auffi remettre la dette aux véritables
débiteurs.
26. Les Soldats & ceux d'entre le Peuple
qui sont âgés de 70 ans , seront exemts de
tous les Impôts , & chaque Famille paysanne
en nourrira un. Ceux qui ont paffé 80 ans
recevront une Gratification chaque année
de la Trésorerie Impériale.
Ceux de la seconde & troifiéme Claffe
auront une double gratification . I)
On gratifiera aulli ceux qui sont au deffus
de la septième & huitiéme Claffe . (m)
5. Outre les cinq divifions (n) qui composent
la Maison Impériale , les huit divifions
de Milice , tant Mandschurienne que Mungale
& Nicanienne à cheval , auffi- bien que
ceux qui sont au Service de l'Artillerie &
de l'Infanterie , seront gratifiés de la paye
d'un mois.
6. Les Soldats de ces huit divifions qui
ont servi contre l'Ennemi ,. c'est -à - dire les
Mandschuriens & les Nicaniens , auffi - bien
que les Régimens de Campagne Mandschuriens
217 MERCURE DE FRANCE
บ
riens & Nicaniens , ayant beaucoup souffert
, & s'étant par - là endettés , méritent une
récompense particuliere : ainfi leurs dettes
seront acquittées par la Trésorerie de l'Empire.
7. Ceux des huit divifions qui ont servi
dans la derniere guerre , soit Officiers ou
Soldats , & qui faute d'atteftations n'ont pas
été avancés , seront auffi gratifiés . La Chancellerie
de la Guerre fera connoître leurs
noms , & observera la même chose à l'égard
des Régimens de Campagne.
8. Pour soulager les Soldats congediés
qui ont servi autrefois , & qui à cause de
leur pauvreté ne sçauroient se paffer de la
paye , on examinera s'il y en a qui ont des
fils & des petits - fils à la solde ; car s'il y en a
dont les enfans & les petits - fils ne jouiffent
pas de la solde, on aura soin de ceux- ci , pour
qu'ils puiffent subfifter & faire subfifter leurs
parens. On fera une recherche exacte sur cet
article , & on nous en fera le raport.
9. Les Officiers , tant Civils que Militaires ,
les Bourgeois & les Paysans qui ont excité
des rebellions , ou qui ont déserté ; les enfans
qui ont affaffiné leurs peres ou grandsperes
; les valets & les servantes qui ont tué
leurs Maîtres ; ceux qui ont mangé des hommes
, ou qui pour leur nourriture ont coupé
aux femmes les mamelles , & ceux qui d'ailleurs
FEVRIER. 1741. 217
leurs ont commis des meurtres prémedités ;
ceux qui par le moyen des dévinations ont
ruiné le monde ; les empoisonneurs , les
voleurs de grand chemin , les sorciers , &
géneralement tous ceux qui se sont rendus
coupables de ces pechés énormes & mortels ,
auffi - bien que ceux qui ont celé les valets
Mandschuriens , qui se sont enfui de la maison
de leurs Maîtres , n'auront point de pardon.
Pour leur habillement un Gin de cotton ,
& pour la nourriture un sac de ris & 10 Girs
de viande. Ceux qui auront paffé 90 ans ,
en auront le double.
Pour qu'à l'avenir chacun satisfaffe à son
devoir sans partialité , mon intention eft
d'exécuter encore un autre deffein plus grand
& plus conforme aux Loix , à quoi je m'aplique
à present particulierement.
Ainfi j'exhorte ceux de la Famille Impériale
, auifi - bien que les Miniftres & les Géneraux
, de contribuer chacun à ce deffein
avec un zéle unanime , afin que la juftice &
une tranquillité conftante regnent dans cet
Empire , & qu'il puiffe jjoouuiirr dd''uunnee prosperité
perpetuelle.
DONNE ' la 13. année du Regne Jufte , le
troifiéme jour du 9. mois.
NOTES
118 MERCURE DE FRANCE
NOTES SUR CE MANIFESTE
1
(a) II y a à peu près cent ans que dans le tems de grands
troubles
& rebellions
dans la Chine , le
célebre
Géneral
Chinois
Ufangurey
fit un Traité
de
Paix & d'Alliance
avec Thaidfuin
, qui étoit un
Prince puiffant
& le Kan des Tartares
de Mandfur
,
dans la vue d'apaifer
non feulement
les troubles intérieurs
du Royaume
par le fecours
des Mandfutiens
, mais de fe mettre
lui-même fur le Trône ,
en contentant
les Mandfuriens
par une fomme
d'argent
pour leurs peines.
( b ) Schidfu fucceda à Thaïdfuin , & étoit Pere
de l'Empereur Kamhi ; Schidíu étant arrivé avec
fon Armée à Pecking , & ayant apris que les Rebelles
avoient pris la fuite , perfuada à Úfangarey de
les chaffer pareillement des autres Provinces , pour
qu'il pût regner plus tranquillement , s'obligeant
de refter en attendant dans la Capitale . En conféquence
Ulangurey poufu vit les Rebelles , les rédui
fit en partie & chaffa le refte hors du Royaume.
Mais Schidfu avoit pris en attendant poffeffion du
Trône lui -même , ayant laiffé à Ulangurey en proprieté
la Province de Yunan .
(c) Scheindfu , eft l'Empereur Kambi, grand-pere
de l'Empereur Kungli , à préfent regnant.
(d) On parle ici du dernier Empereur Jungsching.
Ila perdu ce nom après la mort , étant à cette heu
re apellé Schindla , ce qui veut dire le Saint dernierement
mort.
Ç'eft par la même raifon qu'on ne nomme pas
ici de leur véritable nom fes Prédeceffeurs , étant
apellés Saints , felon l'ordre qu'ils font morts &
montés au Ciel : Par exemple , Schindlain veut dire
le Grand- Grand- Saint , & Taidſu dit le Grand-
Grand- Grand- Saint.
Les
FEVRIER. 1741: 215
(e) Les Chinois apellent les Provinces qui
font fituées hors de la grande muraille , les Provinces
exterieures , foit qu'elles leur foient foumifes
ou non.
(f) C'est ainsi que s'apelle le Palais de l'Empe
reur, & fur tout la Place d'un Salon , fur laquelle fe
trouve le Trône .
(g) Cette gratification s'étend depuis le Feldt-
Maréchal jufqu'au Capitaine , & depuis le Premier
Miniftre jufqu'au Sécretaire .
(b) On connoît à la Chine deux qualités qui
font au-deffus des Comtes & audeffous des Princes
du Sang on les nomme Puyfa & Peyle. On éleve
les Gunes ou Comtes à la Dignité des Peyles , & les
Peyles à celle de Puyfas ; & en cas qu'on avancé
ceux- ci , on les fait Wans.
Je parle des Particuliers que leur mérite éléve à
ces dignités , & des Gunes & Wans de Mungale ,
dont il y a grand nombre chés eux .
Les Dignités de Wans & de Gunes font héredi.
taires , tant dedans que dehors la Capitale ; mais les
deux autres Dignitée ne font pas héreditaires ,
ce n'eft par une confirmation expreffe de l'Empereur.
Toutes ces Dignités font au-deffus de la premiere
Claffe.
(i ) Sous le nom des Princeffes , on entend les
Epoufes & les Filles des Puyfas & des Peyles.
(k ) Ce font les Premiers Miniftres & Feldt- Ma
réchaux Generaux .
(p) Les Dfchin -Gunes & Aen- Gunes , font une
efpece de Baillifs, & les Sui- Gunes font des Grands-
Baillifs.
(1) Ce font les Préfidens & les Vice - Préfidens
des Tribunaux , &c.
(m) Ce font les Colonels , Lieutenans -Colonels,
Capitaines
120 MERCURE DE FRANCÉ
Capitaines , & autres Officiers , dont les Charges
font parmi ces Claffes .
(2 ) On ne fçait pas bien fi l'on entend par ces cinq
divifions les Gardes feules , ou toute la Cour.
Aparámment on entend l'un & l'autre .
Le nombre des Officiers de la Chambre , de la
Cour , des Chancelleries , des Ecuries , de la Chasse
, de la Cuifine , &c. monte au moins à 800.
perfonnes.
>
L'Empereur Kamhi dépenfoit chaque année pour
l'entretien de fa Cour , 16. millions de Lans d'argent
. Il ne faut pas être furpris de cette fomme
vú le grand nombre des fils que ce Monarqué
avoit , & dont la plus grande partie , de fon vivant,
a eû des petits-fils & des arriere petits fils .
On affûre à Pecking , que Kamhi a pú compter
mille hommes en vie, qui étoient defcendus de lui.
Mais fon Fils & Succeffer Junfching a regié les
chofe de façon que la dépenfe de la Cour , de fon
tems , n'a monté qu'à quatre millions.
Les Chinois efperent aujourd'hui que la libérali
té du Bogdechan d'à préfent leur procurera un fiécle
d'or & d'argen
(a) Les 8. Divifions de Milice Mandschurienne
& Nicanienne font arrangées de la façon qui fuit.
Chaque Divifion eft compofée de trois differentes
Nations , fçavoir , des Mandfchuriens , des Mungales
& des Nicaniens ou des Chinois . Ainfi
chaque Divifion eft de nouveau divisée en trois
petites Divifions. Chacune de ces Divifions eft com →
mandée par un Géneral en chef , dont celui des
Mandfchuriens porte le Titre de Gufa Amban ,
qui veut dire Seigneur du Drapeau , Gufa fignifiant
dans cette Langue un Drapeau .
La Divifion des Mandfchuriens confifte en cinq
Régimens , dont chacun eft compofé de 14. 15 , ou
16.
FEVRIER. 1741. 221
16. Compagnies , chaque Compagnie complette de
100. hommes chacune .
La Divifion des Nicaniens confifte en cinq Régimens
, dont chacun eft de 7. à 8 Compagnies , à
100. hommes par Compagnie.
Ces 8. Divifions font diftinguées par les couleurs
de leurs Drapeaux. La premiere s'apelle la
Divifion jaune , le Drapeau étant tout jaune .
La feconde s'apelle la Divifion jaune à bord
blanc , le Drapeau étant de cette couleur .
La troifiéme s'apelle la Divifion blanche ,
Le du Drapeau blanc.
à сац-
La quatrième s'apelle la Divifion blanche à bord
Louge , le Drapeau étant de cette couleur .
La cinquiéme eft la Divifion fond rouge.
La fixiéme eft la Divifion rouge à bord azur ,
La feptiéme eft la Divifion azur .
La huitiéme eft la Divifion azur , à bord d'or.
Chacune de ces 3 Divifions eft fubdivifée en trois
petites Divifions , felon ce que nous avons dit , &
en compofent par conféquent vingt - quatre en tout;
celles ci prennent dans leurs petits Drapeaux la
couleur des Drapeaux des grandes Divifions.
On voit par la defcription de ces 8. Diviſions ,
qu'elles font compofées de 96. Régimens . Mais on
ne fçait pas préciſement combien il y a actuelle
ment de Compagnies dans chaque Régiment .
Si l'on fupofe que chaque Régiment n'a que 12.
Compagnies complettes à 100. hommes par Com
pagnie , il y aura 115200. homines.
EPITRE
222 MERCURE DE FRANCE
EPITRE
MAROTIQUE ,
Adreffée à M. S.... le premier jour
de l'An 1741 .
S '
I faut- il qu'en ce tems , affreux porteur de
thume ,
Où les Mortels infortunés
A cent catherres obſtinés ,
Malheureux Enfans de la brume ,
Par les Dieux femblent condamnés ;
Où les Aquilons déchaînés ,
Des maux que la douleur allume
Semblent fouffler les homicides feux ;
Bien plus felon mon coeur , que felon la coûtume
Pour vous , ami , tant cher , tant gracieux ,
Aux trois Filandieres finiftres ,
D'affreuse Mort redoutables Miniftres ,
Bien
Hautement j'adreſſe ces voeux ;
Belle Clotho , car belle je vous nomme ,
que ne fût onc de mémoire d'homme
Qui , fur votre air , votre port & vos yeux ,
Crût vous devoir ce titre glorieux ;
Adonc , Clotho , qui poffedez en fomme
Talens , atours , charmes , ris , graces , jeux ,
Air à la fois galant , majestueux ,
Que
FEVRIER. 1741 223
Que dans Cypris on loüange & renomme ;
Clotho , pour qui l'Arbitre délicat ,
Qui fut choifi dans le fameux combat ,
Sans héfiter eût réſervé la Pomme ;
Sçachez -moi gré du dire avantageux ;
Pour m'en payer oyez ce que je veux ,
Vite , arborez la plus belle quenouille
Pour cet ami dont le nom me chatoüille ,
Et fur icelle ourdiffez des Deftins ,
Que fombre ennui , pâles foins , noirs chagring
N'ofent jamais obfcurcir de leur rouille ;
Deftins toujours plus fereins & plus beaux ,
Et dont le fil dans fes plus pures eaux
Riant bonheur du foir au matin moüille .
Et vous fa Soeur , habile Lachéfis ,
Déeffe à mains plus blanches que les Lys ;
Vous près de qui la (a ) Fille de Lydie
N'offre à nos yeux que des doigts engourdis ,
Mais dont les doigts & leftes & hardis ,
Même à Pallas ont de quoi faire envie,
Pour la befoigne où mon coeur vous convie
Ca dans vos mains prenez des fuſeaux d'or ,
Et quand deffus aurez filé la vie ,
Que pour S ... Deſtin dans ſon tréſor ,
Expreffément à lui- même établie ,
Demandez-lui , Lachéfis , je vous prie ,
(a) Arachné.
;
24 MERCURE DE FRANCE
De vous laiffer recommencer encor.
Et vous enfin , Atropos redoutable ,
De nos inftans Maîtreffe véritable ,
Qui faites plus d'un feul coup de cifeaux ,
Que n'ont pas fait ces parvaillans Héros ,
Dont les hauts faits embelliffent la Fable .
Ah ! Prêtez- vous , de grace à mes fouhaits ,
Laissez courir , non , ne tranchez jamais
De cettui-cher les belles deftinées ;
Mais bien plûtôt , lorfque de fes journées
Verrez vos Soeurs tenir compte fidel ,
'Alors tâchez de leur Livre éternel
Adroitement d'en effacer quelqu'une ;
Allez , tel cas ne mérite rancune ;
Pour sûr aux Dieux telle finesse duit ,
Aux jours d'autrui quand point elle ne nuit.
Que fi Deftin , découvrant la malice ,
Incontinent vous citoit en Juſtice ,
D'abord viendroient de l'Olimpe éclatant
Les plus beaux Dieux en cortége brillant
Le blond Phebus & fa divine Mere ,
L'aimable Dieu qu'Amathonte révere ,
Et maints encor , de leur cher Nouriçon
Plaider la Caufe ; & croyez , belle Reine , .
Que pour tel fait loin de craindre une peine ,
Bien- tôt verriez les Dieux à l'unisson
Sur tous les ans de toute Gent humaine ,
VA
FEVRIER.
1741. 221
>
Vu l'équité de votre intention ,
Vous déclarer l'unique Souveraine.
En outre ici , moi pour précaution ,
( Ecoutez bien cette mienne assurance ,
Belle Atropos , dessus ma portion
Confentirois qu'on vint en pénitence
Faire auffi - tôt la compenſation .
Le ferez donc ; trop avez l'ame bonne ,
Et trop voyez avec combien d'ardeur
Mon jufte amour vous reclame en faveur
De cet ami , que mon coeur fe mitonne .,
Qui me devient plus cher de jour en jour ,
Ami charmant , dont le tendre retour
De cent douceurs mes inftans assaisonne,
Car vous le dis , & déja j'en frissonne ,
Déja voyez que j'en fuis plein d'efmoi ;
Si vous vouliez , de la barbare Loi ,
Qui par vos mains de tant de froides Ombres
Du, noir Pluton peuple les cachots fombres ,
Sur les beaux jours , avant cent ans heureux ,
Faire tomber le pouvoir rigoureux ,
Détefterois votre noire marotte ,
Et vous le dis , Belle , fans biaiſer ,
( Coeur courroucé ne cherche à déguiſer , )
Pour lors voudrois que vous fuffiez manchotte.
Par M. Boule , un des Principaux du College
de Villefranche , en Beaujolois.
B QUES
226 MERCURE DE FRANCE
QUESTION IMPORTANTE
S
Jugée au Parlement de Paris par Arrêt
du 9. Décembre 1740.
I un Testament nuncupatif écrit , fait
depuis la nouvelle Ordonnance des
Teftamens , doit être écrit de la main du
Notaire qui le reçoit,
FAIT.
Le 26. Février 1721. Louis Boucher & Maric
Bayard , fa femme, demeurant à Condrieux ,
dans la Province du Lyonnois , Pays de
Droit Ecrit , firent un Teftament mutuel ,
par lequel , après differens legs , ils inftituerent
réciproquement pour leur héritier le
furvivant d'entre eux , à la charge de remettre
l'hoirie du prémourant , quant aux immeubles
, à Marc Boucher , leur fils aîné ; &
au cas que le furvivant décedat fans remettre
l'hoirie à Marc Boucher , & fans faire d'autre
dispofition de fes biens , les Teftateurs
audit cas , inftituerent leur héritier universel
Marc Boucher.
•
Le Pere étant mort le premier , fa veuve ,
âgée de 8o. ans , fit le 16. Février 1737. un
Lecond Teftament nuncupatif, écrit à Con
drieux ;
FEVRIER. 1741. 227
drieux , en présence de fept Témoins , y
compris Robert , Notaire du Lieu , qui figna
le Teftament en qualité de Notaire . Par
ce Teſtament elle déclara qu'elle remettoit à
fon fils aîné Thoirie du Pere , & après avoir
laiffé une modique fomme à chacun de fes
Enfans , pour tout ce qu'ils pouvoient prétendre
en fa fucceffion , elle inftitua pour fon
héritier universel Jean-Claude Boucher , fon
fils puîné.
Après le décès de la Mere , le fils puîné
s'étant mis en poffeffion de tous fes biens
fon frere lui donna copie du premier Teftament
& le fit affigner en la Juftice du Comté
de Lyon , à ce qu'il eût à lui delaiſſer tous
les biens des pere & mere communs.
Pour défenses à cette demande , Jean-
Claude Boucher ayant donné copie du fecond
Teftament , fon frere lui oposa que ce
Teftament n'étoit pas écrit de la main de
Robert , Notaire , qui l'avoit figné en qualité
de Notaire, & il conclut à la nullité du Testament
, résultante de l'Article V. de l'Ordonnance
des Teftamens , du mois d'Août
1735. regiſtrée au Parlement le 3. Février
1736. lequel ordonne que le Notaire écrive
les dispofitions du Teftateur, à mesure qu'il
Jes dictera.
Par une premiere Sentence préparatoire il
fut ordonné que dans huitaine, Jean - Claude
B ij Bouche
228 MERCURE DE FRANCE
Boucher avoüeroit ou contefteroit fi le Teftament
étoit écrit de la main du Notaire , finon
que le fait demeureroit pour conftant. Il répondit
qu'il n'avoit pas connoiffance du fait
en queftion ; au furplus , il prétendit que ce
fait étoit indifferent ; que quand il feroit
conftant , il n'en résulteroit point de nullité,
qu'il n'étoit pas néceffaire que le Teftament
fût écrit de la main du Notaire , qu'en tout
cas il n'y auroit qu'un recours contre le Notaire
qui feroit responsable , de la nullité.
Il intervint une feconde Sentence , par laquelle
, attendu la déclaration de Jean - Clau
de Boucher, les Parties furent admises à convenir
d'Experts , pour faire raport fi la Minute
du Teftament en queftion étoit écrite
ou non de la main de Robert , pour ce fait
& raporté être ftatué comme il apartiendroit
, dépens réservés . La même Sentence
donna Acte à Marc Boucher de ce qu'il nommoit
le Roy , Notaire , pour fon Expert , &
ordonna que fon frere en nommeroit un , finon
qu'il feroit nommé d'office.
Jean -Claude Boucher ayant interjetté apel
de ces deux Sentences en la Sénechauffée de
Lyon , il y intervint Sentence fur apointé à
mettre , par laquelle il fut dit qu'il avoit été
mal jugé , bien apellé , émandant , évoquant
le principal & y faisant droit , Marc
Boucher fu débouté de fa demande , & la
Sentence
FEVRIER: 1741. 229
Sentence ordonna l'exécution du fecond Tes
tament du 16. Février 1737 .
Marc Boucher ayant interjetté apel de cette
Sentence , la Cause fut plaidée en la Grand-
Chambre , à l'Audience de relevée .
,
M. Boucher d'Argis, Avocat de l'Apellant,
disoit que les Teftamens étant les Actes les
plus importans de la focieté civile , on ne pou
voit prendre trop de précautions pour s'affûrer
de la vérité des dispofitions qu'ils contiennent;
qu'il n'en eft pas de ces Actes, comme
d'une infinité d'autres , que les Notaires
peuvent figner à la relation de leurs Clercs
fans les avoir écrits de leur propre main ; il a
toujours été d'usage , même avant la nouvelle
Ordonnance des Teftamens , que les Notaires
apellés pour recevoir un Teftament , s'y
trouvent en personne , qu'ils foient présens
à toute la confection de l'Acte , & que P'un
d'eux l'écrive de fa propre main ; il y avoit
même des Notaires qui portoient l'exactitu
de jusqu'à écrire chacun une partie du Testament
, afin de conftater qu'ils y étoient
tous deux présens.
La raison qui fait que l'on exige plus de
formalités pour les Teftamens , que pour la
plupart des autres Actes , eft que ceux - ci
décident du fort & de la fortune des Familles;
ils font fouvent l'ouvrage de gens âgés , infirmes
, & quelquefois mourans. Souvent le
Biij Tefta230
MERCURE DE FRANCE
Teftateur ne furvit que peu de tems à fa dispofition,
& ne peut par conséquent reclamer
contre un Teftament qu'on lui auroit fait figuer
par furprise , ou dans lequel on auroit suposé
quelques dispofitions, auxquelles il n'au
roit point eû de part ; ce font ces motifs qui
ont introduit l'usage d'obliger le Notaire d'écrire
de fa propre main le Teftament qu'
reçoit.
Quand cette obligation n'auroit pas été
indispensable avant la nouvelle Ordonnance
des Teftamens , elle le feroit devenuë fuivant
cette Ordonnance , & fpécialement par raport
aux Teftamens nuncupatifs.
19
L'Article V. porte que lorsque le Teſta-
» teur voudra faire un Teftament nuncupa-
» tif écrit , il en prononcera intelligiblement
» toutes les dispofitions , en présence au
» moins de fept Témoins , y compris le No-
» taire ou Tabellion , lequel écrira lesdites
dispofitions à mesure qu'elles feront pro-
» noncées par le Teftateur , après quoi fera
» fait lecture du Teftament , & c.
"
L'Article XXIII . qui regle la forme des
Teftamens qui fe font devant une perfonne
publique , dans le Pays où l'on ne fuit pas
le Droit Écrit porte » qu'ils feront reçûs par
» deux Notaires ou Tabellions , ou par un
» Notaire ou Tabellion, en présence de deux
Témoins , lesquels Notaires ou Tabellions,
» Ou
FEVRIER 231 1741:
» ou l'un d'eux écriront les dernieres volon
» tés du Teftateur, telles qu'il les dictera, &
» lui en feront ensuite la lecture , & c . ensorte
que dans tous les cas où la présence du Notaire
est néceffaire , l'intention de l'Ordon
nance eft, que le Notaire écrive de fa propre
main le Teftament .
Cette formalité doit y être observée , à peine
de nullité , fuivant l'Article XLVII . qui
porte que toutes les dispofitions de cette
» Ordonnance qui concerne la date & la
" forme des Teftamens , Codiciles ou autres
" Actes de derniere volonté , & les qualités
» des Témoins , feront exécutées , à peine
de nullité , &c..
Dans l'espece de la Cause , l'Apellant articuloit
que le Teftament en queftion n'étoit
point écrit de la main du Notaire , & ce fait
paroiffoit affés conftant par le refus que faisoit
l'Intimé d'avouer ou contefter le fait . C'eft
pourquoi l'Apellant demandoit que le Teftament
fût déclaré nul , ou fuposé que la Cour
voulût conftater le fait dont il s'agiffoit , il
demandoit d'être admis à faire la vérification
d'écriture par Experts , comme elle avoit été
ordonnée par le premier Juge.
M.de Beaubois , qui plaidoit pour l'Intimé ,
foûtenoit , au contraire , que le Teftament
étoit valable, & qu'il n'y avoit pas lieu d'admettre
la vérification , parce que , felon lui ,
B iiij quand
137 MERCURE DE FRANCE
1
quand le fait allegué auroit éte conftaté ,
n'en devoit point résulter de nullité .
Pour établir cette propofition , il observoit
que chés les Romains l'écriture n'étoit point
de l'effence du Teftament nuncupatif ; qu'el
le n'y étoit devenuë néceffaire en France que
depuis l'Ordonnance de Moulins , laquelle ,
Article LIV. défend d'admettre la preuve par
Témoins pour choses excedantes la fomme
ou valeur de cent liv.C'eft depuis cette Ordon
nance , difoit- il, que s'eft introduit l'usage de
rédiger par écrit toutes fortes de Teftamens ,
mais il n'eft pas pour cela de l'effence du
Teftament qu'il foit écrit de la main du Notaire
, non plus que les autres Actes que les
Notaires font écrire par leurs Clercs ou par
d'autres il fuffit que le Notaire y personnes ,
foit présent & qu'il l'attefte par fa fignature.
La nouvelle Ordonnance des Teſtamens
n'a point été faite pour changer les usages ob
fervés jusqu'alors dans les Pays de Droit
Ecrit. Le Légiflateur explique dans le préambule
, que ce n'eft point fon intention de faire
aucun changement réel aux dispoſitions
des Loix ci - devant observées.
L'Ordonnance s'en explique même ainfi ;
fpécialement par raport aux Teftamens nuncupatifs
, Article IV. où il eft dit que l'usage
de ces fortes de Teftamens nuncupatifs consinuëra
d'avoir lieu dans les Pays de Droic
Ecrit
FEVRIER. 1741. 233
Ecrit , &c. ce qui n'annonce aucun changement
ni aucune nouvelle formalité.
L'Article V. ne dit pas que le Notaire écrira
de fa propre main ; ainfi l'Ordonnance ,
en disant qu'il écrira , a entendu qu'il auroit
la liberté de faire écrire le Teftament , lorsqu'il
ne l'écriroit pas lui - même.
Si l'intention du Légiflateur eût été d'obliger
le Notaire d'écrire lui - même le Teftament
, il n'auroit pas manqué de le dire , &
cela ne peut pas être fuplée dans une matiere
de rigueur, & dans un cas où il s'agit d'annuler
un Teftament , dont les dispofitions font
fages & équitables .
Dans les Articles XVI . & XVII. où l'Ordonnance
regle la forme des Teftamens olographes
, elle dit expreflément qu'ils feront
entierement écrits & fignés de la main du
Teftateur. Or comme il n'y a rien d'inutile
dans la Loi , puisqu'elle fe fert de cette expreffion
, lorsqu'elle veut obliger celui dont
elle parle , d'écrire lui même , il s'ensuit
qu'elle n'a pas entendu affujettir le Notaire à
écrire lui-même le Teftament , n'ayant pas
dit qu'il écrira de fa main , comme elle le dit
expreffément pour le Teftament olographe..
Nonobftant ces moyens fpécieux , par Arrêt
du 9. Décembre 1740. la Cour avant
faire droit fur l'apel , ayant égard à la Requête
de l'Apellant , ordonna que raport & vé-
By rification
234 MERCURE DE FRANCE
rification feroient faits du Teftament par deux
Notaires,dont les Parties conviendroient devant
le Juge de Mâcon,finon qui feroient par
lui nommés d'office , lesquels Experts raporteroient
fi le Teftament est écrit de la main
de Robert , Notaire , de fon Clerc ou de
quelque autre personne , pour ce fait & raporté
être ordonné ce que de raison.
Cet Arrêt juge que le Teftament nuncupatif
écrit , doit être écrit de la main du
Notaire qui l'a reçû , ce qui doit auſſi s'apliquer
à tout Teftament , reçû par un ou
deux Notaires , ou autres Personnes publiques
; il faut que l'un des deux Notaires ou
autres Officiers qui reçoivent le Teftament ,
l'écrive de fa propre main, à peine de nullité.
A M. RIGAUD.
F Ameux difpenfateur de l'Immortalité ,
Qui ne reconnoîtroit dans ta docte Peinture
Et le Rival de la Nature ,
Et l'Amant de la Vérité ?
Que de Héros femblent renaître !
Eft - ce l'Image ou la réalité ?
Difpofes-tu de la vie & de l'Etre ?
nouveau Promethée , osas- tu dans les Cieux
Dérober
FEVRIER. 1741. 235
& Dérober ce feu precieux ,
Qui dans tes mains prompt à paroître ,
Tel qu'il anima l'Homme , anime tes Portraits ?
Atropos des Humains ne détruit plus les traits ;
On croit entretenir encore
Ceux que fes coups ont abatus ,
Et fur la Toile on voit éclore
Et leur Elprit & leurs Vertus.
C'eſt ainfi , cher Rigaud , que les Mufes antiques
Nous peignent ces Corps fantaftiques ,
Qui , formés fur les fombres bords ,
Ombrageoient les Ames des Morts.
Mais qui peut exprimer la fuperbe Ordonnance ,
Le choix toujours heureux , la pompe , l'élegance ,
Que ton génie & tes pinceaux
Etalent , à l'envi , fur tes riches Tableaux ?
Que l'oeil eft fatisfait ! quelle fubite extafe
Saifit l'ame dans ce moment !
Oui , dans fon doux raviflement
C'eft ton feu même qui l'embraze ,
De deux grands Rois les traits majestueur
Captivent tour à tour nos fens refpectueux ;
Grace à tes touches immortelles ,
Comme Alexandre , ils ont eû leur Apelles.
Rome jalouſe en vain tes Chefs - d'oeuvre nouveaux,
O France glorieufe ! 6 ma chere Patrie !
B vj Que
236 MERCURE DE FRANCE
Que ton luftre s'accroît par ces nobles travaux !
A de pareils Sujets donne toujours la vie ,
Et tes Enfans n'auront jamais d'égaux.
M. Tanevot
****************
LETTRE de M. de L. R. écrite à l'Auteur
du Spectacle de la Nature..
E viens , Monfieur , vous proposer une
Monfieur,
Addition à votre curieux et excellent
Ouvrage , fi heureusement nommé SPECTACLE
DE LA NATURE , fi digne de l'accueil
universel qu'il a reçû du Public , et de
l'honneur de plufieurs Editions. Cette Addition
regarde une Production de la Terre ,
une Plante même , et un fruit des plus terreftres
, car ils rampent l'un et l'autre naturellement
sur la surface de la Terre ; on
pourroit dire même en general , fruit des
moins prisés et des plus communs : car ,
qu'eft- ce enfin , generalement parlant , qu'u
ne Citroüille , un Potiron , et les autres especes
du même genre ? Il semble en effet ,
M. que ces sortes de Plantes sont un peu
négligées , pour ne pas dire méprisées dans
votre Livre. Vous ne dites qu'un mot des
Potirons dans le I. Vol. p. 464. encore n'eftse
1
FEVRIER 1741 237
é que par occafion & par maniere de
comparaison. Il eft vrai que dans le Vol. suivant
, Entretien X. p. 257. le Chevalier voulant
entamer ce qui concerne la culture du
Melon , le Prieur l'interrompt en ces termes.
» Vous laiſſez- là le Concombre , la Citroüille
» & le Potiron. Ne les méprisons pas. On
» en fait des Potages , des Ragoûts , du
» Pain & des Remedes. La culture en eft
» entierement semblable à celle du Melon ,
» fi ce n'eft qu'on ne les taille pas avec tant
» de précaution
.
Et voilà tout ce qui en eft dit dans l'Ouvrage
entier. Le Chevalier pouvoit ajoûter, vous
Laiffez- là auffi toutes les especes de Courges
differentes du Potiron & de la Citrouille
dont la connoiffance & l'usage ne sont pas
moins utiles.
Heft vrai qu'à Paris , où cet Ouvrage a
été composé , on ne connoît guére dans le
gente dont il s'agit ici , & que j'apellerai ,
sous votre bon plaifir , Genus Cucurbitarum ,
que le Melon , le Concombre , la Citroüille
& le Potiron. Il n'en eft pas de même dans.
les differentes Provinces du Royaume , surtout
dans les Provinces Méridionales , particulierement
en Provence , où il y a au moins
dix ou douze especes differentes du même
genre , comme je pourrai l'observer dans la
suite.
La
238 MERCURE DE FRANCE
Le Languedoc n'eft guére moins fécond
dans le même genre ; auffi le fameux P. Vaniere
, Jésuite , né à Beziers , ne l'a pas oublié
dans ses inimitables Géorgiques. Vous
connoiffez , M. son excellent Ouvrage
PREDIUM RUSTICUM , dont il y a cu
plufieurs Editions. Il en parle nommément
dans son IX. L. intitulé Olus , c'est- à- dire
dans la Claffe des Légumes ; rien n'eft plus
gracieux & plus élegant que ce qu'il en dit
page 176. de l'Edition de Toulouse 1730 .
Vous en allez juger.
Longior patulo visenda cucurbita ventre.
Longa super cameras reptat , vel ab arbore fructum
Demittit , docilem pucri quem cortice preffo ,
Funiculis cogunt in quaslibet ire figuras.
Nunc solis radios fingunt , tor : osque dracones :
Nunc super inscriptum gaudent concrescere nomen.
Dein humeris vacuas aptant , nudique per undam ,
Flumen in expertis audent pulsare lacertis .
Scandit in arboreos ventrosa cucurbita truncos ;
Sed tu multiplici per gramina repere flexu
Coge , fatiscentes rumpat ne pondere ramos .
Tertia qua brevior , medioque coercita nodo
Exoritur , Baccho dabit opportuna lagenam ,
Quam lateri accingas operumque viaque miniflram.
Et à la page 179. en parlant des Plantes
qui
FEVRIER 239 1741.
qui se plaisent à l'ombre , &c. il ajoûte :
Muros que vel ipsos
Occupat offufis Anguina cucurbita ramis.
Enfin à la page 186. après avoir indiqué ;
en parlant des Melons , les soins qu'il faut
se donner pour les rendre bons , & pour les
faire arriver à une heureuse maturité ; soins
qui sont les mêmes , à peu près qu'exigent
le Concombre & la Courge , il ajoûte que
celle -ci eft cependant plus en état de suporter
les inclémences du Ciel , & de se
paffer d'une attention fi scrupuleuse.
Non alia eft cucumis cultura : cucurbita coeli
Difficilis patiens minùs eft obnoxia cura.
f
Voilà , M. ce que ce grand Poëte a trouvé
bon de dire sur ce genre de Légume ;
mais pour le bien entendre , il faut être parfaitement
au fait des trois especes dont il
fait ici mention , sur tout de la Courge longue
qu'on ne connoît point à Paris , & qu'il
nomme Anguina cucurbita , parce qu'elle
eft ordinairement recourbée ou repliée à la
maniere d'un Serpent , &c. Il la représente.
auffi comme pendante agréablement du toit
d'une maison , ou du haut d'un arbre , selon
qu'on aura affecté de semer la graine , cette
Plante n'aimant rien tant qu'à filer , à monter
240 MERCURE DE FRANCE
>
>
ter , &c. sans oublier le manége des jeunes
gens qui se plaisent , lorsque le fruit eft encore
tendre , de lui faire prendre diverses
formes d'écrire leur nom sur son écorce
& après son entiere maturité de la
vuider , & de s'en servir pour se soûtenir
fur l'eau , & aprendre peu à peu à nager.
Enfin l'habile Peintre fait mention de celle
qu'on nomme communément Callebaffe
& qui fert de bouteille aux Payfans & aux
Voyageurs d'une certaine claffe , en Pro
vence & en Languedoc.
Je ne fçais où certains Jardiniers ont pris
que pour femer heureuſement les graines de
ces Plantes , & pour les élever avec fuccès
il falloit bien obferver l'âge & les differentes
phafes de la Lune , &c. vieille erreur , M.
comme vous fçavez , & qu'on étend vulgairement
fur toutes les chofes terreftres &
fublunaires ; notre illuftre Poëte eft bien
éloigné de l'adopter . Voici comment il s'en
explique expreffément dans le même IX . L.
page 183. à la marge de laquelle on lit Lunaris
Superftitio.
Quid jubeat , quid Luna vetet , plebs nescia rerum
Inspiciat , Lunasque meras , atque arbitra ruris.
Aftra crepet ; tu sole tuos metire labores. 2
Si qua fides oculo , plantas Sol adjuvat unus ;
Et
FEVRIER: 1741. 24
Et quod in humanas poffunt vaga fidera mentes ,
In teneras id juris habent non amplius herbas.
Voilà donc le P. Vaniere n'accordant à la
Lune & aux Etoiles aucun pouvoir fur les
Plantes ; il eft au contraire , fi je puis parler
ainfi , tout folaire , ou plutôt il parle en Phyficien
Chrétien & fenfé , déterminé par la
droite raifon & par l'expérience. Le célebre
P. Rapin s'eft , ce me femble , un peu hazardé
là- deffus , & a commis fa grande réputation
en parlant fur ce fujet comme les
Jardiniers vulgaires : voici fes termes.
Quando Luna vetat Luna parete vetanti,
Quando Luna jubet Luna jubete vetanti.
Je foupçonne , M. le P. Vaniere d'avoir
voulu un peu rire ici aux dépens de fon illuftre
Confrere , j'en juge par les expreffions
dont il fe fert , qui me paroiffent une vraie
parodie des termes du P. Rapin que vous
venez d'entendre.
Quoiqu'il en foit , rendons quelque juſtice
à celui- ci , lequel après avoir dit dans un
autre Endroit du même Livre.
Magnum ergo imprimis folem folisque fororem ,
Cum qua supremi Regnum partitur Olympi ,
Rite omnis tecum pubes respectet agreftis
Ambo boni arboribus , de coelofidus utrumque
Ser
242 MERCURE DE FRANCE
Servandum agricolis : figna indubitata sequuntur
Et Solem & Lunam. Tu numquam autoribus iftis,
Discernas fi rite suos in utroque colores ,
Diverfi incerto Cali terrebere vultu .
Le P. Rapin , dis je , malgré fa prévention
pour la Lune , ne laiffe pas d'attribuer au
Soleil la principale vertu & les premieres
jufluences fur toutes les Plantes en géneral ,
lequel leur donne avec la parfaite maturité .
les autres qualités qui font propres à chacune
, qualités dont il femble que l'Auteur
de la Nature ait confié le foin & la difpenfation
particuliere au Soleil.
Quoiqu'il en foit des idées de ces deux
grands Hommes , je reviens au principal
fujet de ma Lettre. Il n'y a , M. que cinq ou
fix années tout au plus qu'on voit à Paris
diverfes efpeces de Courges , d'une forme
& d'une couleur extraordinaires , mais trèsjolies
& fort agréables à la vûë , telles font
celles qu'on a dans la fuite nommé , Bonnets
de Prêtre , Bonnets d'Electeur , Melons des .
Indes , Boucliers cornus , Figues de Siam , &c .
je fuis un des premiers qui en ont eu connoiffance
, & dont la curiofité a été là deffus
réveillée. J'ai fait plus ,mon attention eſt allée
jufqu'à chercher l'origine de ces nouvelles
Plantes , d'en amaffer des graines, recueillies
de divers Endroits de l'Europe,d'en femer en
differens
FEVRIER: 1741 243
differens Jardins de Paris , & de prendre des
foins particuliers pour leur culture. Ces foins
ont reçû du Ciel une certaine bénediction
& j'ai actuellement dans ma chambre à coucher
, une garniture de cheminée des plus
fingulieres , compofée de ces fortes de Productions
qu'on vient voir par curiofité .
Vous allez fans doute , M. me demander
fi ces Fruits font bons à manger : je répons
qu'oiii , & j'ajoute qu'après avoir bien conf
taté par mes recherches qu'ils font tous originaires
de l'Amérique , j'ai apris qu'on les
mange en ce Pays là , cuits en plufieurs manieres
, & qu'on les confit même au fucre ,
à l'égard de quelques-uns. Les Sauvages les
mangent cruds & tels que la Nature les produit.
M. Darnaud , mon proche parent , Capitaine
dans les Troupes du Roy en Canada
, lequel vit il y a deux ou trois ans ma
garniture de cheminée de ce tems là , m'a
affûré que tous ces Fruits font communs
dans cette partie de l'Amérique , qu'on
les y mange de la maniere que j'ai dit , &c.
Il n'a pas oublié la promeffe de m'en envoyer
des graines , & j'en attens de nou
velles de fa part cette année , les premieres
étant arrivées trop tard par raport au
tems qu'il faut les mettre en terre , &c.
Au refte , M. mes graines n'ont jamais
mieux profperé qu'à la Chartreuse de Paris ,
&
244 MERCURE DE FRANCE
& particulierement dans le Jardin de D
Etienne. Ce digne & vénerable Solitaire a
untalent & un amour des plus marqués pour
la Botanique , & il donne une attention fingu
liere au genre dont nous parlons. C'eft chés
lui qu'eft venue entr'autres , cette Courge
toute ronde , du milieu de laquelle s'élevoit
une espece de cône , &c. le tout de couleur ,
moitié verte , moitié jaune ; Piece qui attira
tous les regards , ceux particulierement d'un
Peintre Anglois qui l'a peinte à plaifir dans
fa grandeur naturelle & dans fa plus grande
beauté , ce qui fait un petit Tableau , lequel
avec les deux autres dont je vais vous parler
ornent agréablement mon cabinet ; je dois
faire d'autant plus de cas du petit Tableau ,
que le Fruit original n'a plus reparu nulle
part , après en avoir femé les graines avec
l'attention ordinaire. Comme c'eft pour la
premiere fois qu'on l'a vû en France , & que'
je n'efpere pas de le revoir , ignorant même
d'où m'eft venue la graine qui l'a produit
il n'a point encore eu de nom fixe parmi
nous. Je le nommai d'abord le Turban du
Mufti , me paroiffant que fa figure y avoit
quelque raport , & c.
Si votre curiofité , ou plutôt cette polite fle
qui vous eft fi naturelle , vous conduit un
jour chés moi , vous y verrez non-feulement
ma cheminée affés bien décorée cette année
&
FEVRIER. 1741. 245
& le Turban du Mufti , mais encore deux
autres Tableaux où font repréfentés ce que
mes graines ont produit de plus curieux dans
les années 1738. & 1739. Ces Fruits y fontartiftement
peints de grandeur naturelle , &
dans une imitation parfaite des Originaux,
Je dois cette belle exécution à l'amitié & à
l'habileté de M. de Lobel , Peintre du Roy ;
& digne Membre de l'Académie Royale de
Peinture , & c.
Ma récolte de cette derniere année 1740.
n'a point été fi heureuſe , ce que j'attribue à
une espece de dérangement des faifons qui
a été commun prefque dans tous les Climats
de l'Europe . Il m'elt cependant venu deux
Piéces admirables dans le Jardin du véne
rable D. Etienne , fçavoir deux Courges
pafteques, comme on les nomme en Provence
, à écorce verte , toutes femées de
groffes verruës vertes & jaunes , monftrueufes
en groffeur ; vous en jugerez , M. par le
poids & les dimenfions de celle qui m'a été
envoyée de la Chartreufe , & qui fit la char
ge dans une hotte d'un très -vigoureux cro- >
cheteur. Sa longueur étoit de près de quatre
pieds , & fa circonference ou épaiffeur , de
quatre pieds & demi , pefant environ cent
livres , poids de marc. Elle a été long- tems
pofée fur un grand Bureau de mon Cabinet ,
& vifitée par bien du monde. Comme elle
fut
246 MERCURE DE FRANCE
fut un peu endommagée en l'envoyant pefer
, & qu'elle menaçoit ruine , il falut l'entamer
: on en mit d'abord une petite portion
en potage avec du boüillon gras , & j'en
trouvai le goût excellent , la chair étoit d'un
blanc pâle , tirant fur le jaune ; le refte fut
partagé entre plufieurs de mes amis , qui en
furent fatisfaits. L'autre Courge de même
efpece & groffeur refta aux Chartreux , dont
Je Cuifinier l'employa deux jours de fuite en
potage au lait , & elle fuffit à toute la Communauté
qui eft affés nombreuſe ; le troifiéme
jour on fricaffa ce qui en reftoit , dont
tout le monde mangea & fut pareillement
content.
J'avoücrai ici qu'en Provence même où
cette efpece eft commune , & où j'ai vécu
plus de 30 années , je n'en ai jamais vû de
pareille en groffeur : l'Abbé de L. R. de
l'Abbaye S. Victor , mon frere , m'en avoit
envoyé la graine au hazard avec plufieurs
autres graines , parmi lefquelles il y
avoit des Courges longues dont j'ai parlé
ci-devant , célebrées par le P. Vaniere , &c.
ce Fruit a aufli beaucoup profperé chés D.
Etienne, & c'étoit un fpectacle affés fingulier
& tout nouveau en ce Pays- ci , de voir pendre
des treilles et des arbres de fon Jardin
plufieurs de ces Courges longues retortillées
en Serpent et fous d'autres formes , qu'on ne
pouFEVRIER,
247 1741
pouvoit fe laffer de confiderer. La Courge
longue au refte fe mange de plufieurs manieres
, elle eft plus rafraîchiffante que toutes
les autres : on la confit même au fucre
comme on fait les écorces de Citron et d'O.
range.
-
:
- J'allongerois trop ma Lettre , M. fi par
occafion je vous parlois ici des autres efpeces
de Courges de Provence , très bonnes à
manger , qui ne font ni la Citrouille , ni le
Potiron de Paris , entre lefquelles la Courge
mufcade tient un des premiers rangs : l'écor
ce de celle -ci eft jaunâtre , & la chair rouge
comme du fang. Ce détail ne finiroit pas ,
car il contiendroit les Courges bouteilles du
P. Vaniere , & les autres moindres en groffeur
, dont il n'a point parlé & dont on fait
des Tabatieres , en les faifant monter artiſ
tement en or , en argent , en ivoire , &c,
on les nomme Cougourdetes.
Au lieu d'une pareille énumeration , revenons
au V. D. Etienne qui fçait fi bien étu
dier la Nature , & en augmenter agréablement
le fpectacle par fes differentes opérations
, qui fçait, dis -je , fi bien tirer du fonds
inépuifable de fes richelles , tour ce qu'elle
peut fournir de rare & de plus curieux .
Telles font les Entes extraordinaires que no
re Solitaire exécute tous les jours avec fuccès
fur les Arbres & fur les Plantes le moins
ana248
MERCURE DE FRANCE
analogues. Ce qui vérifie , au grand étonne
ment des Spectateurs , ce beau mot de Pline :
Multa latent in majeftate Natura. Sur quoi
on peut dire que dans le Jardin de ce Solitaire
la Nature ne fait que le femblant de fe
cacher , & qu'elle fe plaît enfin à fe dévoiler
& à être prife fur le fait dans fes plus merveilleufes
productions.
>
Je n'en raporterai qu'un ou deux exemples
, fçavoir , la greffe de la Vigne fur un
Pommier. Oui , M. nous avons vû l'Eté
dernier cette merveilleufe alliance dans un
petit Arbre tout chargé de Pommes d'Apy
prefque mûres , ayant au milieu de fon tronc
le commencement d'une Treille qui en for- .
toit , avec des feuilles fort vertes , fe portant,
bien , & faifant efperer des grappes dans
l'année où nous fommes , c'eft - à - dire de voir
fur le même Arbre du Raifin & des Pommes .
Un bon Poëte Latin s'eft reflouvenu làdeffus
de l'ancienne diſpute entre un Normand
& un Bourguignon , qui firent par
émulation chacun l'éloge de la Boiffon or
dinaire de fon Pays. Pour mettre le hola
& finir la querelle , notre Poëte a compofé
le Diftique qui fuit , adreffé à D. Etienne.
D. STEPHANO PACIFICATORI .
Neuftria Burgundis focietur , jurgia ceffent.
Foedera cum malo vitis amica ferit.
>
Ccs
FEVRIER: 1741. 245
Ces Vers ont été aplaudis , & ont mérité
la traduction que voici , de la compofition
du V. D. Jufte , qui ne s'occupe guére
que de grands Sujets , tirés de l'Ecriture
Sainte , &c. ainfi que le Poëte Latin , for
digne Confrere , dont je viens de parler.
Favoris de Bacchus , & vous, Fils de Pomone
Uniffez -vous enfin .
Par un heureux accord le même Arbre nous donne
Et le Cidre & le Vin.
Ou bien :
Puifqu'on voit aujourd'hui la Pomme & le Ṛaifi
Naître tous deux de compagnie
Une folide paix doit réunir enfin
Et la Bourgogne & la Neuftrie.
On a encore vû chés notre refpectable
Solitaire quelque chofe d'auffi merveilleux
un bel Oeillet greffé fur un Laurier- roſe
blanc ; les fleurs de l'Oeillet étoient toutes
blanches,avec une Raye d'un beau Cramoify
fur chaque feuille .
Mais ne quittons pas D. Etienne fans lui
fouhaiter de longs jours & une continuation
de profperités dans fes entrepriſes Botaniques
, fauf d'orner un jour fon tombeau de
quelque Epitaphe convenable . Je goûterois
fort celle - ci .
C His
250 MERCURE DE FRANCE
Hic fitus eft Stephanus , timuit quo fofpite , vinci
Rerum magna Parens , & moriente mori.
C'eft , M. ce que le Cardinal Bembe a pû
penfer de plus jufte pour illuftrer le tombeau
du fameux Raphaël qui eft dans l'Eglife
de la Rotonde , à Rome.
Au refte , M. je ne fçais fi ce que vous dites
dans votre VII . Entretien , T. I. p. 173 . de
ces greffes extraordinaires diminuera l'admiration
que mérite ce que je viens de vous
expofer. Vous ne croyez pas merveilleux ,
par exemple , de faire venir une tête de
» Pommier fur un Plane , ou des Faines de
» Hêtre fur un Chataignier , ou des Poires
» fur un Ormeau , ou des Raifins fur un
» Buiffon. Ce font - là , ajoûtez - vous , des
» monftres plutôt que des merveilles , &c. Il
eft vrai que tout ce que vous ajoûtez à cette
occafion fur le fujet de la greffe en général ,
me paroît curieux &fenfé . Mais Virgile qui a
fi dignement parlé dans fes Géorgiques, & qui
n'a pas oublié ce fujer particulier , L. 11. ne
nous dit pas que les tentatives qui réuffiffent
en fait de greffes extraordinaires , produifent
plutôt des monftres que des merveilles.
Voici le paffage que vous avez cité
& interpreté vous -même.
Inferitur vero ex foetu nucis arbutus horrida
Et fterilesplatani malos geffere valentes
CaftaFEVRIER:
1741. 251
Caftaness , fagus , ormusque incaluit albo
Flore pyri ; glandefque fues fregere fub ulmis.
Le célebre P. Rapin , grand imitateur du
Prince des Poëtes Latins , n'a pas omis non
plus de parler de ces alliances extraordinaires,
d'un Murier,par exemple, avec un Figuier,
d'un Laurier avec un Cerifier , &c..
>
Mutua quin etiam cum Moro foedera Ficus
Servabit , tetrum fi temperet illa colorem
Lauro etiam inferitur Cerafus , partuque coactus
Fundit adoptivum per virginis ora ruborem
Ipfaque confufos cum pomis poma fapores
Mifcebunt , prunufque pyrum geftabit agreftis
Palladii fi dicta fidem meruere magiftri.
Omnia qua patrios , per longa exempla , colonos
Dedocet ars , atas quondam qua priſca tenebant.
Hort. L. IV.
Ecoutons enfin fur le même fujet notre
Pere Vaniere : vous ne le trouverez pas
moins agréable & moins énergique que Les
Maîtres.
illa
Scilicet arte feros cogunt manfuefcere fructus :
Nobilitata novis ita frondibus arbor ubique
Provenit , & cerafos , necnon gaudentia fucco
Cij Perfice
252 MERCURE DE FRANCE
Perfica mala folo pinguis uligine campi
Parturiunt , cerafi ramumfi truncus adoptat
Humentis patiens terra : fic hifpida ponens
Tela pyrus , nova poma , novas miratur & umbras,
Horridulos ita caftanes nux arduafoetus
Levigat & prunus dat cerea poma , fuumque
Fraxineo pomen trunco : fic infita malus
Facundat filices , & fpinis natus alendis
Flore micat , fructuque rubus gravat ubere ramos,
llignam fic glande pluit frondosor ulmus :
Sic cerafo mutat Laurus phoebaa corymbos ;
Atquefuperba novo ramorum foedere morus
Flore citri niveo candefcit , & undepuella
Bombyces aluere fuas , hic aurea carpunt
Mala fibi niveoque finus hinc flore coronant
Unde nova calathos implebant fronde capaces.
Sie und warii pendent ex arbore fructus ;
Ductus exiifdem radicibus , unus & iden
Succus amygdaleo foetu durefcit , aquofa
Mollior in Pruno ; niveis hinc floribus albet.
Hinc cerafo rubet , aut moris nigrefcit acerbos
Parturit , & dulces fructus atque omnia rerum
Transformat fefe novus in miracula Proteus .
:
P. 104.
Je ne finirai pas ma Lettre , M. fans vous
emercier au nom de tous les Amateurs du
Caffe ,
FEVRIER. 1741 253
Caffé , en quoi on fçait que je ne le cede à
perfonne , de la mention que vous en avez
faite dans votre bel Ouvrage ; d'abord dans
le I. vol. p. 486. puis dans le II . p. 421. C'eſt
feulement dommage que vous l'ayez fait fi
briévement , & que vous n'ayez pas mis
fous les yeux du nombre infini de vos Lecteurs,
du moins un petit rameau de l'Arbre.
de Caffé , par le moyen de la gravûre. Après
avoir donné de cette maniere tänt de feuillages
d'Arbres & de Plantes commúns en
France & connus de tout le monde.
Permettez- moi de profiter de cette occafion
, pour affûrer les mêmes Amateurs du
Caffé , que je me mets en état de continuer
le Traité Hiftorique de l'origine & du progrès
du Caffé , imprimé à Paris en 1716. chés
André Cailleau à la fuite de mon Edition
du Voyage de l'Arabie heureuse , &
que cette continuation contiendra les nouvelles
découvertes , les nouvelles Plantations
, & tout ce qui peut concerner le Caffé
depuis ce tems -là .
Permettez-moi encore , M. de faire reparoître
ici le P. Vaniere , pour orner la fin
de ma Lettre de 15 ou 16 Vers de fa façon.
en faveur du Caffé. Ils font pris de fon XI.
Livre , p. 216. Après avoir parlé des Vignes
& du Vin , l'Auteur , parmi les remedes
les plus propres à dégager la tête emba
Ciij raffée
254 MERCURE DE FRANCE
tête embaraffée par les fumées de cette Liqueur
, donne la préference au Caffé , &
s'exprime de cette maniere.
>
*
Ut medeare malo , non eft prafentius ullum
Auxilium, quam fi terris faba miffa fabois
Intumuit , nitidos fartagine tofta per ignes ,
Tritaque mox validis intra mortalia pilis
Diluitur lympha , facilique parabilis arte
Vulcano coquitur ; donec vas pulvis ad imum
Venerit , & pofito manfueverit ollula motu.
Fitilibus rufos pateris diffunde liquores :
Adde peregrinâ dulces ab arundine fuccos
Ora fapiore calix ne triftia ladat amaro.
Divinos alium latices adbibebis in ufum
Seu longas opus eft ftudiis traducere noctes
Sive graves capiti tenebras induxerit aufter ,
Seu nocuere dapes ; illo medicamine vates
Ingenium emendet , latusque infecta reſumat
Carmina; nec fontes alios , quibus ora Poeta
Proluerint , fluxiffe folo malè credas achivo .
Un peu d'amour propre & beaucoup d'amour
pour le Caffé , m'inviteroient à ne pas
omettre ici une Ode fur le même fujet ,
que j'adreffai à une Dame de mes plus proches
parentes , paffionnée auffi pour cette
Boiffon , dans le tems qu'on traitoit la Paix
à
FEVRIER . 1741. 255
Utrecht , circonftance qui fit , dit- on ,
rencherir le Caffé dans le Pays , & qui donna
lieu à la Piéce que j'ajoûterois ici volontiers.
fi j'avois pû la retrouver dans mes Papiers.
En voici la premiere Strophe qui m'est
feule reftée dans la mémoire .
LE CAFFE' ,
O DE.
A Mad. D. L. R.
Préfent de la main libérale
Du Souverain de l'Univers ,
Une ardeur pour toi fans égale
Me tient lieu du Démon des Vers.
C'est peu , par une Chanſonnette ,
>
Sur la Flate ou fur la Mufete ,
D'avoir célebré tes bienfaits
Je veux aujourd'hui fur la Lyre
Peindre ton agréable empire
Par de plus magnifiques traits.
Je fuis , Monfieur , &c .
A Paris le premier Février 1741.
7
C iiij QUA256
MERCURE DE FRANCE
QUATRIE'ME LETTRE de M. Néricault
Deftouches à M. l'Abbé D....
Vous quer une
Ous m'affûrez , Monfieur , que mes
m'attirent un grand nombre de Cenfeurs &
d'Adverfaires. Je m'en aperçois comme
vous , & je les divife en quatre efpeces ; les
Ignorans , les Libertins , les mauvais Auteurs
, & leurs zelés Partifans.
Tout cela forme une multitude qui devroit
m'effrayer ; mais le croirez - vous ? l'unique
effet qu'elle produife fur mon efprit ,
c'eft de me confirmer dans mes fentimens
& de redoubler mon ardeur à les foutenir.
Il est vrai , comme vous le remarquez ,
que j'ai coupé jufques dans le vif. Faut- il
après cela s'étonner , fi tant de gens fe reffentent
de la vigueur de mon opération ?
Mais ne doit - on pas convenir en même
tems que c'eſt une preuve évidente & démonſtrative
, qu'une infinité de malades
avoient befoin de mon fecours , & qu'il eft
de mon devoir de le redoubler , fi je puis
malgré les murmures & les clameurs qu'il
peut exciter ?
Je fuis même informé depuis cinq ou fix
jours , que quelques- uns de mes malades
font
$
FEVRIER. 1741. 257
font fi exceffivement délicats , que loin de
me fçavoir bon gré du foin que je prens de
les guérir , ils fe font emportés jufqu'à.
m'écrire des injures , ornées de tems en tems.
des plus piquantes ironies. Nouvelle preuve
de l'efficacité de mes remedes. D'abord ils
caufent une vive douleur , & les plus ardens ,
défirs de vengeance . Mais vous verrez bientôt
qu'en doublant la doſe , comme j'en ai
pris la généreufe réfolution , je pourrai parvenir
à les rendre favoureux , & que les per
fonnes qui les prennent avec le plus de répugnance,
fe fentant confidérablement foulagées
, peut- être même guéries radicalement,
ouvriront les yeux fur leur injuſtice & leur
ingratitude , & me remercieront de les avoir
traitées.
Je connois certains Efprits forts , dont
tout le relief eft leur incrédulité prétenduë :
je connois plufieurs beaux Efprits , enfans gâ
tés par des gens auffi bleffés qu'eux , qui
non-feulement fe feront gloire d'être incu
rables , mais même de décrier les remedes
que je leur offre. Ils fe croiroient dégradés
& deshonorés , s'ils daignoient en reconnoî
tre l'utilité , bien que perfuadés très-intime --
ment , qu'ils ne pourroient mieux faire que
de s'en fervir , ils employeront toutes leurs
forces & tout leur crédit pour en dégouter
le Public.
Cv Un
258 MERCURE DE FRANCE
Un Auteur qui ne rougit point d'avoir
de la Religion ; un Poëte Dramatique qui ne
veut point avoir d'efprit , & qui blâme ceux
qui font tout leur mérite d'en avoir , leur
paroîtra toujours l'homme du monde le plus
ridicule , du moins voudront - ils faire croire
qu'il leur paroît tel , n'oubliant rien pour
exciter les autres à le méprifer , s'ils ne peuvent
pas venir à bout de le noircir.
Que faire à tout cela ? Faudra- t'il pour
ces glorieux opiniâtres , ceffer de faire les efforts
les plus vigoureux pour remettre les
bons efprits dans la bonne voye ? Ceux- ci
font toujours dociles & traitables . Les traits
de la Raifon & de la Verité peuvent les atteindre
& les pénétrer. Capables de fe laiſſee
éclairer , ils ne rougiffent point de ce qu'on
leur ouvre les yeux , & ils aiment mieux
reconnoître un Médecin , que d'être toujours
malades.
Voilà les Gens pour qui j'écris ; que
les autres fe révoltent , qu'ils deviennent
qu'ils fe déclarent mes ennemis , qu'ils tâchent
même de m'en fufciter , je ne crains
ni leur haine ni même leur mépris ; &
pour dire encore plus , je m'en fais gloire.
,
En effet , ne m'eft- il pas glorieux de n'avoir
pour ennemis , que des gens fans Reli
gion & fans goût ; que des efprits forts &
des efprits faux que des libertins & des
ignoFEVRIER:
1741. 259
ignorans Ils auront beaur fe remuer , s'agiter
, fe tourmenter ; leurs critiques , leurs
injures , leurs ironies , ne ferviront qu'à multiplier
les coups que je veux leur porter. Je
fuis comme le Médecin de Pourceaugnac , il
me faut des malades , je prétens les guérir ;
& fi quelqu'un veut s'y opofer , je le guérirai
lui -même .
Mais revenons au férieux , je fens que
l'enthoufiafme comique me meneroit plus
loin qu'il ne convient , dans un fujer auffi
grave que celui-ci . Je finis ce préambule , &
je viens au fait Ex abrupto.
En relifant votre Lettre qui ne me flate
point ( car un ami n'eft jamais flateur ) je
récapitule toutes les railleries qu'on a faites
de moi , dans certains réduits où vous vous
trouvez fouvent , & dans certains Ecrits
qu'on voudroit mettre au jour , & qui pourront
enfin procurer au Public , quelquesunes
de ces petites Brochures anonymes &
diffamatoires , qui de tems en tems exci
tent fon empreffement , & l'amufent pendant
quelques heures , mais qui lui infpirent
auffi tôt autant d'averfion que de mépris
pour leurs odieux & méprifables Auteurs.
Les efprits forts , me dites-vous , tranchent
tout net , & foutiennent que mes Epigrammes
contre eux , font très-plattes &
très infipides. Je comprends qu'elles n'ont
C vj pas
260 MERCURE DE FRANCE
pas pour ces Meffieurs , le fel & le piquant
de l'impieté . Ils font fcandalifés des coups
que je porte à Bayle , ( c'eft la feule chofe
qui puiffe les fcandalifer ) & ils difent en
criant le plus haut qu'ils peuvent , qu'un petit
efprit comme moi le donne un grand travers
, quand il ofe attaquer le plus profond
génie , le plus fubtile Philofophe que le dernier
fiecle ait produit.
Les beaux Efprits que je cenfure , & dont
la plûpart fe piquent auffi d'être des Efprits
forts , après avoir aplaudi ceux- ci magnifiquement
, ne s'acharnent pas moins contre
tout ce que je vous écris fur les faux bril-
Jans dont on ébloüit le Public , & fur la dés
cadence & la corruption du goût , que j'ai
la hardieffe d'attribuer à ces Meffieurs. Ils
s'épanouiffent la rate à mes dépens , ditesvous
, & foutiennent en faifant les agréables
, que je ne me déclare contre l'efprit
que parce que je fens bien que je n'en ai
point.
que
S'il en avoit autant que nous , ajoutent- ils ,
d'un petit air de confiance , il fe piqueroit de
le faire briller. Mais cet homme n'a du jugement
& de la mémoire. Avec fon bon gros
fens , il aura beau lire les Anciens , les imiter
les tranfplanter dans fes Ouvrages , il ne paffera
jamais pour un bel efprit. C'est un bon
Limonier qui marche péfamment , & qui n'a
jaFEVRIER:
7741. 261
l'étude
jamais pû faire une courbette. Ma foi ,
l'efprit ne vont point de compagnie . Rien
n'apefantit tant que la lecture , il l'a dit luimême
dans fon Diffipateur. Pour nous , nous
ne voulons puifer que dans notre génie ; la plus
grande preuve qu'on n'a point de génie , c'eſt
de fe former fur celui des Anciens. A l'exemple
des grands Peintres , il faut avoir fa maniere
propre, & fe donner pour Original. Ob
parbleu , dit un de ces Meffieurs , qui porté
la fuffifance dans tous les traits , je crois pouvoir
me piquer de l'être , & j'ofe dire queje ne
reffemble à rien. Auffi fais je fracas , & je
pourrois former un bon Volume des éloges que
je reçois de nos jeunes Auteurs , qui laiffent les
Anciens pour m'imiter. En ont- ils moins d'ef
prit , dites- moi ? Au contraire , c'est à qui en
aura le plus , & voilà ce que je leur ai
montré.
Je viens de tranfcrire ici mot à mot , ce
que je trouve dans votre derniere Lettre , &
je vous avoue que ce Dialogue m'a réjoui.
Mais puifque ces Meffieurs me font l'honneur
de m'attaquer , il me femble que la
politeffe exige que je leur faffe un mot de
réponſe. Commençons par les Efprits forts :
ils me permettront de leur faire cette pe
tite apoftrophe.
Vous dites donc , Meffieurs , que mes
Epigrammes contre vous font plattes & infipi.
262 MERCURE DE FRANCE
ment la
fipides en verité vous êtes délicats. Mais
mettez la main fur la conſcience , fi vous en
avez une , comme Bayle le prétend , parlezvous
de bonne foi ? fentez - vous réellement
que mes Epigrammes ne valent rien ? eft- ce
bien votre goût qui a décidé ? n'entre - t'il
point dans cette condamnation quelque
dofe de dépit & de colere ? N'êtes - vous pas
défolés de voir qu'un homme que vous
croyïez des vôtres , vous déclare publiqueguerre
, & vous faffe paffer nonfeulement
pour des ignorans , mais pour
une espece auffi ridicule qu'odieufe ? N'eftil
pas vrai que vous ne pouvez me pardonner
ces deux qualifications que je raffemble
en vous ; que vous auriez néanmoins la bonté
de m'excufer , fi je me bornois à vous repréfenter
comme gens pernicieux , mais que
le ridicule que je jette fur vous , eft un affront
que vous ne pouvez digérer ? je vous
traite d'ignorans , d'étourdis , de cervelles
brûlées , voilà ce qui vous pique . Vous
aviez le plaifir en jouant le rôle d'incrédules
, de paffer pour de vaftes génics , pour
de fubtils Philofophes , pour des Sçavans
qui avoient tout aprofondi , pour des coeurs
& des efprits intrépides que l'avenir n'étoit
pas capable d'effrayer.
Et moi , j'ai la témerité de vous aprofon
dir vous-mêmes , & d'avertir le Public que
Vous
FEVRIER: 1741 . 263
vous êtes des idiots , que vous raiſonnez
tout de travers , que vous n'avez ni lecture ,
ni fcience , & que tout au plus vous n'avez
qu'effleuré les matiéres importantes dont il
eſt queſtion entre vous , qui vous piquez de
ne rien croire , & ceux qui fe fentent entraînés
par la vérité : enfin je conclus en
vous convaincant par mille exemples , que
vous n'êtes braves que jufqu'au déguaîner ;
& que dès que vous touchez ou croyez toucher
à ce fatal moment qui doit décider de
votre destinée pour l'Eternité , vous devenez
les plus timides , les plus lâches & les plus petits
de tous les hommes ; ou que fi Vous perfiftez
dans votre impénitence, c'est parce que
Dieu vous a totalement abandonnés , ou plus
fouvent encore parce que vous réfiftez à fa
voix, & que defefpérant de fa miféricorde infinie
, vous vous précipitez tête baiffée & en
furieux dans les noirs abymes qui vous attendent.
J'ajoûte aujourd'hui , que fi quelques uns
d'entre vous , en ce moment décifif & terrible
, confervent encore quelque légere efpérance
que leur ame va fe diffoudre auffibien
que leurs corps , cette affreufe efpérance
eft fi foible en eux , fi incertaine & fi peu
confolante , qu'à moins qu'ils ne meurent
dans le tranfport , ou fubitement , ou en léthargie
, leurs traits , leurs geftes , leurs mou ,
ve mene
264 MERCURE DE FRANCE
vemens , leurs difcours entrecoupés de fou
pirs & de fanglots , tout prouve que leurs
efprits font agités , font tourmentés , font
accablés de craintes , d'allarmes , de frayeurs
mortelles , & de l'affreux preffentiment de
leur fort déplorable .
*
Un homme qui vous peint fi fidelement ,
vous rend odieux , je l'avoue , & encore plus
méprifables. Avoiiez auffi de bonne foi ,
Meffieurs , qu'il ne laiffe pas de vous inquiéter
, de vous caufer de triftes fyndérefes
& de vous forcer à faire de mortifiantes réflexions
fur votre préfomption , fur votre
témerité , fur l'incertitude de votre ſyſtême,
& fur la cataſtrophe épouvantable à laquelle
ce fyftême extravagant vous expofe.
Ce raisonneur importun trouble votre fecurité
; il empoisonne vos plaifirs , il veut
vous ôter la poffeffion de votre bonheur imaginaire
; il vous prouve que ce faux bonheur
n'eft fondé
que fur des préjugés , des chimeres
, des illufions , en un mot fur des apuis
bien plus fragiles que ceux que vous reprochez
fi témerairement aux hommes dociles
& fensés , qui fe laiffent entraîner par la fois
& qu'il faut avoir perdu jusqu'aux moindres.
lueurs de la raison pour acheter une félicité
qui n'a rien de réel , par le facrifice des notions
les plus naturelles & les plus génerales .
dns vérités les plus claires . & les mieux prouyées
;
FEVRIER.
1741. 269
vées , & des espérances les plus consolantes
& les plus folides .
Enfin cet homme n'a point d'autre objet
que de vous rendre auffi malheureux que
vous vous imaginez être heureux , auſſi petits
que vous vous croyez grands , auffi pufillanimes
que vous vous estimez courageux,
& auffi ridicules que vous vous flatez d'être
vénerables.
Il fait bien pis , ce témeraire , il ose atta
quer votre maître , ce Philosophe fi aimable,
fi commode , fi favorable aux paffions , fi
propre à vous délivrer de toute crainte pour
l'avenir , ou à vous convaincre du moins
qu'il n'y a vérité fi fainte , qu'on ne puiffe enveloper
dans les ténebres de l'incertitude.
Bayle vous a prouvé dans fes Pensées fur
les Cometes , qu'un Athée peut être honnête
homme , & fes jolis fophismes vous éblouisfent;
& moi j'ose vous foûtenir qu'un Athée ,
s'il y a de vrais Athées , eft un fou , un vifionnaire
, quelquefois même un fat , tout au
plus un demi Sçavant , & toujours un malhonnête
homme. Que très -inutilement votre
Maître apuye fon odieuse propofition fur
des exemples anciens & modernes; que toutes
les conféquences qu'il en tire font fausfes
ou fophiftiquées , & folidement démenties
par une expérience continuelle ; que lorfque
ce Maître fi fpécieux dans ses raisonnemens
philoso
266 MER CURE DE FRANCE
philosophiques , fi amusans dans fes discus
fions hiſtoriques , veut ſe mêler de traiter les
matieres de Religion , il brouille , il confond
, il déguise , il erre , il s'égare , & n'eſt
qu'un pitoyable Théologien ; que fon intention
n'eft que de leurer , que d'embaraffer ,
que de jetter du venin fur ce qu'il y a de plus
respectable & de plus facré , & que dès qu'il
croit avoir fapé les fondemens de la Reli
gion par les objections les plus féduisantes
la raison rebelle lui puiffe oposer , comme
dans fes Articles des Paulliciens & des
Manichéens , fans parler de cent autres endroits
de fon Dictionaire ; il a l'adreffe , ou
plutôt la mauvaise foi de fe mettre à couvert
des juftes châtimens qu'il auroit mérités ,
fous le voile hypocrite d'une foûmiffion fans
bornes , aux vérités que nous enseigne la Révélation.
Pauvre raison humaine , s'écrie t'il
perfidement , à quels écarts n'es - tu point fujette
, quand tu ne te foûmets pas à l'Evangile ?
que
O le bon Saint ! Après avoir déployé contre
la Religion les plus fubtils argumens de
fa Logique , toute la fagacité , toutes les resfources
de fon esprit tous les tours & tous les
détours de fon éloquence , il conclut par dire
que puisque le raisonnement mene fi loin ;
il n'y a point d'autre parti à prendre , que
de
ne point raisonner , comme fi la raison étoit
incompatible avec la Religion . Ne voilà -t'il
pas
FEVRIER. 1741. 2.67
pas une belle maniere de ramener dans la
bonne voye ceux qu'il s'eft efforcé d'en faire
fortir ?
Ne craignez pas qu'il fe réfute; il veut vous
faire comprendre , au contraire qu'il eft impoffible
de le réfuter,& qu'il n'y a que les gens
qui ne fçavent pas raisonner , qui puiffent.
fe foûmettre à la révélation .
Voilà par quel art pernicieux il a féduit
tant de petits esprits , tant d'ignorans , tant
d'hommes vicieux & livrés à toutes leurs
paffions , ravis de trouver fon fecours détestable
,
, pour
briser
un frein
qui les importune;
& voilà
par quelle
raison
j'entreprens
de
Vous
convaincre
, que
celui
dont
vous
êtes
les aveugles
Sectateurs
, eft votre
plus
dangereux
ennemi
; qu'il
ne vous
aprend
point
à
raisonner
, mais
à fuivre
de faux
raisonne
mens
, & qu'au
lieu
de faire
de vous
des Esprits
forts
, il vous
fait des dupes
ridicules
,
pitoyables
jouets
d'un
dangereux
Sophiſte
,
qui ne vous
aprend
tout
au plus
qu'à
douter
,
&, qui, fatisfait
de vous
avoir
mis
dans
le labyrinte
, s'eft
bien
gardé
de vous
munir
du fil
qui pourroit
vous
en faire
fortir
.
Voyez maintenant , Meffieurs , fi l'Epita
phe de Bayle , que vous avez lûë dans mes
Lettres , eft auffi mauvaise que vous le voulez
croire. Faisons - en l'analyse , je vous pries
elle ne fera ni longue ni ennuyeuse.
Ci
468 MERCURE DE FRANCE
Ci gît un Philofophe habile ,
Qui parut nouveau par ſon ſtyle' ;
Tout le monde eft demeuré d'accord
qu'il s'étoit fait un Style tout particulier .
Et qui le rendit fi charmant ,
Sans fe picquer d'être Purifte ,
Qu'au fujet même le plus trifte
Il fçût donner de l'agrément .
Convenez que je lui rends juſtice en le
loüant de très - bonne foi , fur les points qui
lui ont mérité des loüanges . En effet , rien
n'eft plus amusant que fa maniere d'écrire ,
qui n'eft ni polie ni châtiée comme celle
d'un Purifte, mais qui a plus d'agrémens dans
fon négligé , qu'une infinité d'Ecrits languisfans
, où l'on observe toujours très- fcrupuleufement
les tours les plus mesurés & les
plus délicats de notre Langue .
Mais , couvrant avec artifice
Son poiſon vif & ſéducteur ,
Jufques au bord du précipice
Il conduit l'innocent Lecteur .
Ne viens-je pas de vous prouver
invinci
blement
tout ce que je renferme
dans ces
quatre Vers ? C'eft un empoisonneur
public ,
qui cache fon poison fous un mets délicieux
.
C'est
FEVRIER. 1741. 269
C'est un malin esprit qui vous mene jusqu'au
précipice.
Aimable & pernicieux guide ,
Qui feignant de vous arrêter ,
D'une main fateuſe & perfide
S'efforce de vous y jetter.
Tout Lecteur qui a du fens & du juge
ment , s'aperçoit bien - tôt du deffein de ce
Philosophe , qui vous entraîne par des chemins
agréables & amusans , dans les Lieux
les plus fombres & les plus écartés , pour
vous faire perdre de vûë l'éclatante vérité
dont il efpere que vous ne pourrez jamais
yous raprocher , vous ne fçavez plus où vous
êtes , vous doutez , vous chancelez , vous
voulez vous en retourner & vous ne le pouvez
; c'eft- là ce qu'il fouhaitoit. Il vous réduit
à ne fçavoir de quel côté vous irez ; vous
demeurez ftupidement dans l'endroit où il
vous a laiffés ; vous fentez , vous ne fentez
point ; vous voyez , vous ne voyez point ;
vous croyez, vous ne croyez point ; enfin
vous lui reffemblez en perfection ; & voilà
mes Esprits forts. Apellez - vous cela force
d'esprit ? J'apelle cela moi , pufillanimité ,
foibleffe d'enfant , misere , ignorance , égarement
, extravagance ; tels font les brillans
attributs des fideles Difciples des Spinozas ,
des Hobbes , & des Bayles.
Trouvez270
MERCURE DE FRANCE
Trouvez-vous à présent mom Epigramme
fi mauvaise Il eft vrai que je l'ai corrigée ,
car je ne fuis jamais content de mes Ouvra
ges , mais dans le fond c'eft la même chose
un peu mieux dite , elle contient très laconiquement
tout ce que j'exprime dans ce
Commentaire, & vous conviendrez que c'eft
beaucoup dire en fort peu de mots. Si vous
m'accordez , comme je crois pouvoir m'en
Aater
,
, que les Vers , au furplus , ne font pas
tout- à- fait mauvais, je ne fçaurois comprendre
pourquoi ce petit Poëme vous femble
infipide. N'eft ce point que le fujer vous
déplaît ? Je crois que j'ai deviné. Tout ce
qui tend à vous rendre meilleurs, doit vous
paroître déteftable.
A vous maintenant , Meffieurs , les beaux
Esprits , vous voulez bien permettre ( je
parle à ceux qui me trouvent fi ridicule ) que
je prenne la liberté de vous dire quelques
mots à votre tour , dûffiez - vous remplir vos
petites Lettres anonymes , des ironies les
plus plaisantes & des injures les mieux tournés
, pour m'obliger à prendre le parti du filence
respectueux . Quelque respectables ,
quelque redoutables que vous croyez être ,
vous pafferez encore par mon étamine.
Selon votre décifion je n'ai point d'esprit ,'
parce que je trouve que vous en avez trop.
Mais vous qui me foûtenez qu'on n'en peut
trop
FEVRIER. 1741. 27 ፤
trop avoir , donnez- moi , je vous prie , une
bonne définition de l'esprit. Je gage , Meffieurs
que vous vous imaginez que c'eſt le pouvoir
d'étonner dans les Discours & dans les Ecrits,
par une fuite continuelle de penfées vives
brillantes & fingulieres ,fouvent même ſi délicates,
fi fines & fi déliées , qu'il faut avoir le
même esprit que vous, pour les comprendre,
C'eft-là du moins , Meffieurs , ce que je
vois dans tous vos Ouvrages , tant en Vers ,
qu'en Prose , fur tout à la fin de chaque
tirade & de chaque période. Point d'alinea
qui ne foit précedé d'une Epigramme , ou̟
tout au moins d'un petit Madrigal.
Discours oratoires , Eloges, Differtations ,
Préfaces , Lettres, Epitres, Poëmes héroïques,
Comédies, Tragédies, Chansons, Odes , Letres,
Eglogues même, tout fourmille de traits,
de faillies , de pointes de brillans, d'éclairs ;
tout y étonne, tout y pétille, tout y pique,tout
y éclatte , tout y ébloüit. Défense d'écrire
uniment à fon plus intime ami, de haranguer
d'un ton modefte & décent , de faire parler
des Héros comme des hommes , de produire
fur la Scéne un Amant & une Maîtreffe ,
qui fe bornent à s'exprimer naïvement leur
paffion ; malheur à tout Auteur Comique ,
qui ne fera pas parler les Valets & les Servan--
tes, avec tout l'esprit qu'il peut leur fournir,
C'eft par
leur bouche qu'il doit étaler tout
ce
272 MERCURE DE FRANCE
ce qu'il a dans l'imagination de graces & de
gentilleffes , tout ce qu'il fçait de fin & de
délicat , en un mot , tout ce que l'homme le
mieux élevé , le plus poli & le plus fpirituel
pourroit dire . Mais c'eft un Valet, mais c'eſt
une Servante ; n'importe . Ce n'eft pas la Servante
, ce n'eft pas le Valet , c'eft l'Auteur
qui parle. Il s'embaraffe bien des convenances
, pourvû qu'il fe faffe admirer , & qu'on
dise de lui au Théatre & dans les Loges
en vérité cet Auteur a bien de l'esprit ! Il eſt
vrai que le Parterre ne ſe récrie point ſur ces
traits fi fins & fi merveilleux , & que quelfois
même il prend la liberté de les fiffler ;
mais l'Auteur ingénieux s'en venge bien. Un
ami le rencontre , & lui annonce douloureusement
que fa Piéce n'a point réüffi. Je
n'enfuis pointfurpris , répond- il d'un air intrépide,
le Parterre n'a pas affès d'esprit pour
m'entendre.
Tels font , Meffieurs , les effets de votre
ambition puérile , & de la fauffe idée que
vous avez de l'esprit.
Pour moi , je pense bien differemment.
Sçavez- vous comment je définis l'Esprit ?
C'est le don & la facilité de dire & d'écrire
à propos tout ce qui convient à l'occafion & au
fujet. Ce don précieux eft produit par la
Nature & par le bon goût.
Si le Public , ainfi que je le préfume, trouve
FEVRIER . 1741 273
ve que ma définition eft jufte , ce fera votre
condamnation. Ne dire que ce qui convient
au fujet , à l'occaſion , au caractere , & s'interdire
fans rémiffion tout ce qui n'y convient
pas , c'eft ce que j'apelle & ce qu'on
doit apeller l'Esprit.
Mais , me repliquerez- vous , Meffieurs , fi
nous fommes fi fcrupuleux , fijuftes & fi précis
, infailliblement nous ferons froids , languisfans
& ennuyeux, Il faut bien que nous nous livrions
à notre imagination qui abonde en fail
Lies , en ornemens , en richeffes.
Eh! Meffieurs, vous êtes dans l'erreur. Les
ornemens déplacés ou furabondans , qu'Horace
apelle Ornemens ambitieux ; les richeffes
fuperflues, dont le mauvais goût eft fi prodigue
, ne font que défigurer un Ouvrage , au
lieu de le parer. Tout ce qui n'eft point néceffaire
, tout ce qui eft affecté , recherché ,
fardé , outrément orné , apauvrit un Ouvrage,
au lieu de l'enrichir; ce n'eft point de l'or,
c'eft du clinquant , comme je vous l'ai déja
dit.
Plus un Auteur fe fent riche & fécond
plus il doit être ménager de fes trésors , plus
il doit craindre de les mal placer, plus il doit
être en garde contre fa prodigalité,
Dès qu'on ne fuit que les élans & la fougue
de l'imagination , on perd de vûe les regles ,
la méthode , la jufteffe , le jugement & le
D bon
274 MERCURE DE FRANCE
bon goût. Quel effet produiroit, je vous prie ,"
un amas confus de Saphirs , de Topases , de
Rubis , de Diamans , d'Emeraudes , fi on les
offroit tout à la fois & fans ceffe à votre vûë,
fans avoir pris foin de les affortir avec goût
& de les arranger avec fimétrie ? Quelque
beaux, quelque brillans,quelque parfaits qu'ils
pûffent être , en parerai -je indifferemment &
confusément tous mes Ouvrages , de quelque
genre qu'ils foient , & tous mes Perfonnages
en quelque rang que je les place ? l'Ecuyer
ou le Confident en fera- t'il auffi chargé
que le Héros ? La mere portera - t'elle
autant de Pierreries que la fille ; la Suivante
autant que la Maîtreffe , le Valet autant que
le Maître ? En furchargerai - je les cheveux
blonds d'une Bergere , au lieu de les relever
par l'éclat naturel des fleurs que je devrois
avoir cueillies pour la parer ? Si je fais un
ufage fi vicieux & fi déraisonnable des amples
richeffes dont je fuis poffeffeur , ne dirapas
que la fortune aveugle me les a prodiguées
puisque je les employe fans difcernement
& fans goût- ?
t'on
Voilà ce que vous faites , Meffieurs , &
ce que ne faisoient point les Anciens, ni nos
illuftres Modernes , quoiqu'ils fûffent pour
le moins auffi riches que vous.
>
Ne fulminez donc point contre moi , fi je
yous reproche le mauvais usage de vos tréfors,
FEVRIER . 279 1741 .
fors , & fi je vous exhorte à ne les employer
désormais que fur les regles du bon goût &
du jugement.
Moins vous ferez prodigues , plus vous paroîtrez
riches. Placez bien vos richeffes , elles
vous feront honneur : placez - les mal
on fe moquera de vous .
Quels font les meilleurs ragoûts ? Ce font
les plus fimples . Quels font les plus excellens
Ouvrages ? Ce font les plus naturels.
gure
1
Aimons donc la Nature , cherchons- la
partout; faisons - la paroître dans fa noble fimplicité
; gardons - nous de la perdre de vûë.
Toutes les fois que nous l'abandonnons , nous
avons le malheur de nous égarer. Souvenezvous
, aauu rreeffttée ,, que le moindre fard la défi-
& la fait méconnoître , & que tout ce
qui ne l'offre pas telle qu'elle eft , ne peut jamais
plaire à des yeux clair - voyans & délicats,
malgré les ornemens magnifiques qu'on
lui prête , & le fard éclatant dont on veut
relever les traits. En un mot , foyez fimples,
foyez judicieux, foyez vrais . En fuivant exactement
ces principes , vous aprocherez un
peu plus de la perfection; du moins paroîtrezvous
fages , & vous éviterez mille défauts,
Virtus eft vitium fugere , & fapientia prima.
Stultitia caruiffe .
Hor. Ep. 1. v. 41. ·
Un
Dij.
276 MERCURE DE FRANCE
Un Auteur qui s'abandonne à fon enthoufiasme
eft un fat , & le fait fentir au milieu
de fes plus belles faillies. Le plus sûr moyen
de flater le bon goût , c'eft de paroître fage
& retenu dans le plus grand feu de l'imagination.
Stultitia caruiffe.
Sapientia prima
Ne craignez point que la fageffe vous rende
froids & pefans , comme le prétendent
certains Journalistes , à qui je répondrai.
La Nature a fon feu, fon brillant,fes éclairs ,
fon tonnerre , mais elle n'eft pas toujours enflammée,
elle ne brille pas fans ceffe, elle n'éclaire
, elle ne tonne pas continuellement ;
elle a trop de prudence & de difcernement
pour ne pas attendre le Lieu , l'occaſion ,
moment où il faut qu'elle s'anime , qu'elle
s'agite , qu'elle éclate , qu'elle foudroye .
le
Elle n'eft jamais ambitieufe,ni imprudente,
ni fougueuse ; elle marche d'un pas ferme &
mesuré; noble & gracieuse dans fa plus grande
fimplicité , majestueuse & modefte dans
fa plus grande élevation , prudente & circonspecte
dans fon plus fublime effor. Faitelle
parler des Bergers ? C'eft d'un ton fi naif
& fi naturel , qu'on croit être & vivre avec
Cux,
Er
FEVRIER. 1741 277
En ipfe capellas
Protinus ager ago , hanc etiam vix Tityre duco.
Hic inter denfas corylos modo namque gemellos ,
Spem gregis , ah ! filice in nuda connixa reliquit .
Virg. Eg . 1. V. 12 .
Vout- elle enfeigner l'Agriculture & la mas
niere d'élever des Troupeaux & des Abeilles
Voici comment elle débute.
Quid faciat latas fegetes , quo fidere terram
Vertere , Maecenas , ulmisque adjungere vites
Conveniat , qua cura boum , qui cultus habendo
Sit pecori ; atque apibus quanta experientia parcis
Hinc canere incipiam .
V. Georg. 1. L.
A-t'elle entrepris de s'élever jufqu'au ton
magnifique de l'Epope ?Vous allez voir qu'elle
y parvient fans enflure & fans le moindre
excès. Avec quelle dignité , quelle majesté
fait- elle parler Junon , l'Epouse & la Soeur
du Maître des Dieux !
Pallas ne exurere claffem
Argivam , atque ipsos potuii fubmergere ponto
Unius ob noxam, &furias Ajacis Oilei
Ipsa , Jovis rapidum jaculata è nubibus ignem
Disjecitque rates , evertitque aquora ventis ;
Illum expirantem transfixo pectore flammas
Turbine corripuit , fcopuloque infixit acuto ;
Dij Aft
278 MERCURE DE FRANCE
Aft ego qua divum incedo Regina Jovisque
Et foror conjux , &c.
Eneid. L. 1. V. 39
Quelle richeffe d'expreffions ! Rien n'eſt
plus fublime , rien n'eft moins gigantesque.
Il fentble que chaque mot foit venu de luimême
prendre la place qui lui étoit convenable
, & qu'il foit impoffible de lui en fub
ftituer un autre , toute riche & abondante
qu'eft la Langue de Virgile .
Voulez- vous voir la Nature badiner élégamment
& familierement ? Lisez & voyez
comment elle s'y prend .
•O
Coen abis benè , mi Fabulle , apud me ;
Paucis , fi tibi Difavent diebus ;
Si tecum attuleris bonam , atque magnam
Coenam , non fine candidâ Puellâ ,
Et vino, & fale , & omnibus cachinnis.
Hac fi inquam , &c.
Cela ne vaut -il pas mieux mille fois que
toutes les plus fpirituelles faillies , entaffées
dans unepetite Epitre à fon ami , comme nous
en voyons aujourd'hui je ne fçais combien
d'exemples ? Quelle fimplicité ! quelle grace !
quelle urbanité dans ces cinq Vers de Catulle !
Le fel n'y manque pas affûrement, mais il y eft
ménagé fi prudemment , qu'il n'y a qu'un
palais
FEVRIER . 1741 279
palais bien délicat qui puiffe le fentir.
Je devrois ici faire parler la Nature par la
bouche de Sophocle & d'Euripide , mais il
faudroit vous citer des P'affages en Grec , &
je fuis convaincu d'avance qu'ils vous ennuyeroient,
car il n'y a rien de plus ennuyeux
que ce qu'on n'entend pas. Et comme d'ailleurs
je ne la trouve point dans les OEuvres de
Séneque, qui malheureusement pour l'ancienne
Rome , eft le feul Tragique qu'elle nous ait
laiffé , je vais vous citer un Auteur que. vous
entendrez mieux , & que j'eftime infiniment
plus que Seneque , quoiqu'il foit François &
du dernier fiécle. Le Romain fourmille d'es
prit , de traits & de brillantes antitheses , &
cependant c'eft de tous lesAuteurs les plus capables
de gâter le goût.Lisez l'illuftre Racine ,
'il reformera le vôtre . Ma mémoire me fournit
fort à propos quelques Vers d'Athalie ,
que je vais vous citer .
Celui qui met un frein à la fureur des flats ,
Sçait auffi des méchans arrêter les complots.
Soûmis avec refpect à fa volonté fainte ,
Je crains Dieu , cher Abner , & n'ai point d'autre
crainte .
L'esprit n'eft pas prodigué dans ces quatre
Version fent même que l'Auteur s'eft bien gardé
d'y en mettre; mais je défie tous les Auteurs
Dir du
280 MERCURE DE FRANCE
du monde de faire
quatre Vers plus fublimes .
4.
Je crains Dieu , cher Abner , & n'ai point d'autre
crainte.
Quel noble courage ! quelle magnificence
de fentiment ! quelle fainteté ! eft-il poffible.
à l'homme de dire mieux & en moins de
mots , que quand il s'agit de la gloire de
Dieu, aucune crainte ne doit nous retenir ?
Voyons maintenant de quelle maniere la
< Nature s'explique dans la Comédie ; Téren
ce va nous l'enseigner en huit Vers. Aprenons
de lui comment il faut faire parler un
vieillard , quand il veut donner des confeils
falutaires à fon fils : c'eft le bon homme
Chrémès qui va fe faire entendre.
Verum , animus ubi femel fe cupiditate devinxit mala,
Neceffe eft , Clitipho , confilia confequi confimilia . Hoc
Scitum eft , periculum ex aliis facere , tibi quando usu
fict.
Son fils lui répond modeſtement :
Ita credo.
Mais dès que fon Pere eft parti , le jeune
homme fe livre à fon naturel , & parle justement
comme les gens de fon âge :
Quam iniquifunt Patres in omnes adolescentes judices ! ·
Qui aquum effe censent , nos jam à pueris illico nafci
Jenes ;
Neque
FEVRIER... 1741 .
281
Neque illarum affines effe rerum quas fert adolescentia .
Ex fuâ libidine moderantur , nunc qua eft , non
olim fuit.
qua
Mihifi unquam filius erit, na illefacili me uteturpatre
Heautont . A&t . 1. Scena 2. & 3.
Quelle difference entre la façon de penser
du vieillard , & celle de fon fils ! tous deux
néanmoins ne disent que ce qu'ils doivent
dire.Voilà la Nature ; voilà le bon goût
par conséquent , voilà , Meffieurs , dans
quelle fource vous devez puiser l'un & l'au-
& que ceux qui veulent faire des Odes,
en prennent le génie dans Horace & dans
Rouffeau .
tre ,
J'avoue que quelques- uns pourront me
répondre , comment voulez - vous que nous imitions
les Anciens ? Nous ne les entendons pas.
Imitez du moins les Grands Hommes qui
les ont entendus , & qui les ont choiſis pour
leurs guides & pour leurs modéles . Il n'en
eft point de plus fûrs , ni de plus agréables ,
quoi qu'en puiffent dire certains délicats, qui
leur rendroient juftice en les admirant , s'ils
s'étoient un peu plus familiarisés avec eux, &
s'ils comptoient un peu moins fur leur propre
fond , où ils n'ont pas trouvé cette fimplicité
délicate , cette gracieuse naïveté , cette
beauté mâle , nerveuse & fans fard , qui
charme les yeux, fans les éblouir, & qui flate
le goût , faps le corrompre,
D v Er
282 MERCURE DE FRANCE
Et vous , Monfieur l'Abbé, permettez que
je finiffe cette Lettre , en donnant encore un
petit mot d'avis à nos jeunes Auteurs , que
des loüanges données fans diſcernement , ou
par complaisance , retiennent dans des routes
détournées , où le jugement & le bon goût
ne fe trouvent jamais .
LES BONS GUIDES,
DEfiez- vous de ces plats Auditeurs ,
Tout dévotiés à louer vos Ouvrages ;
Ce font des fots , ou des adulateurs ,
Par qui l'on court à de triftes naufrages ;
Adreſſez-vous à de fages Cenfeurs ,
Vos vrais amis , jaloux de votre gloire ,
Bien éloignés de vous en faire accroire ,
Ce font ceux-x- là qui font les bons Auteurs.
On n'entre point au Temple de Mémoire ,
Quand on y vôle entouré de flateurs .
Je fuis , Monfieur , &c.
LETTRE
FEVRIER. 1741. 283
లో
LETTRE fur le Flux & Reflux , écrite
J
"
à M. Marand Membre des Académies
de Paris , de Londres , & de Boulogne ,
par M. le Cat , Correfpondant de l'Académie
des Sciences , Affocié de celle de
Chirurgie , Membre de la Societé Royale
de Londres.
E viens , Monfieur , de recevoir de Paris
un Livre intitulé :» Nouvelle Théorie
» des mouvemens de la Terre & de la Lu-
» ne , dans laquelle l'Auteur établit , felon
» les loix de la méchanique , un nouveau
» mouvement de la Terres d'où il tire d'u
" ne maniere claire & démonftrative la cau-
» fe phyſique du Flux & Reflux de la Mer ;
Ouvrage aprouvé par plufieurs Académi-
" ciens & célebres Profeffeurs de Philofophie
de l'Univerfité de Paris . Par M.
» Grante d'Iverk. A Paris 1740.
"
""
Quoique mes occupations m'interdiſent
en quelque forte la lecture de ces fortes
d'Ouvrages , je n'ai pû réſiſter à la tentation
de parcourir celui ci dans mes heures perdues.
J'aime la Phyfique , & comme vous
fçavez , naturam expellas furcâ , tamen ufque
récurret , &c. Au refte je me fuis fçû bon
D vj gré
284 MERCURE DE FRANCE
gré d'avoir fuccombé à la tentation ; car j'ai
trouvé avec autant de plaifir que de furpriſe
que M. Grante penfe en 1740. comme j'avois
penſé dès 1721. & que cette nouvelle
théorie des mouvemens de la Terre & de la
Lune, aplicable au Flux, eft la même que j'avois
imaginée dès - lors , & que j'avois publiée
depuis dans diversOuvrages . Quoi de plus flateur
pour moi , M. que de voir mes idées ainſi
aplaudies par l'adoption honorable qu'en
fait M. Grante , ou du moins par le bonheur
que j'ai de me rencontrer avec un tel Phyficien
Le grand nombre d'Aprobations
qui fuivent cet Ouvrage m'auroit donné une
bonne opinion de mes productions ', fi je
ne fçavois que la politeffe a beaucoup de
part à la tournure de ces fortes d'Atteftations.
Ce n'eft pas affés , M. de vous annoncer
la joye que me caufe cette bonne fortune ;
je dois vous en faire l'hiftoire , & vous en
donner les preuves , pour que vous foyez
plus en état d'y prendre part.
Commençons par l'époque de mon Traité
fur le Flux & Reflux , dans lequel j'établis
la theorie nouvelle employée très - heureuſement
par M. Grante . Je viens de dire
que j'avois fait ce Traité en 1721. J'ai fait
imprimer cette même déclaration dans des
circonftances où je n'avois pas interêt de
dater
FEVRIER. 1741. 285
dater de fi haut ; c'eſt dans ma réponſe à
M. l'Abbé Mariette fur fa critique de mon
Systême. Cette réponſe inferée dans la Bibliothèque
Françoife , tom. 26. art. 1. eft
datée d'Octobre 1736. & j'y dis .... Il y
avoit 15. ans que je gardois dans mes Papiers
de petits Traités fur differens fujets de Phyfique
, & entr'autres fur le Flux & Reflux. &c .
de 36. ôtez 15. refte 21. mon Traité du Flux
& Reflux étoit donc fait en 1721. Voyons
maintenant ce que je difois dans ce Traité
de conforme aux fentimens de M. Grante .
Voici fa nouvelle théorie.
, pour
ex-
Vous fçavez , M. que Defcartes , pour
pliquer le Flux qui arrive à l'hémisphere
opofé à la Lune , a établi fans preuve une
preffion entre la Lune & la Terre , d'où il a
conclu un reculement de la Terre & un balancement
de ce Globe. M. Grante établit
la même preffion , le même reculement de
la Terre , & aux mêmes fins que Descartes ,
mais il nie le retour de la Terre ou fon balancement
admis par Defcartes , il la fait
refter & circuler dans fa fituation reculée ;
il explique le Flux , & furtout le Flux antilunaire
par les changemens de pefauteur que
produit à la furface de la Terre fa fituation
hors du centre du tourbillon , & il affocie
Soleil à la Lune dans la production de ce
Phénomene. Vous allez voir comme je m'explique
286 MERCURE DE FRANCE
•
plique fur tous ces points dans les extraits
de mon fyftême inférés dans les Journaux
de Verdun , Mai & Juillet 1736 .
On fçait que ce qui donne à la Mer la
» figure fphérique commune à tout le globe
, eft une action égale de la caufe de la
33
péfanteur fur tous les points de la furface
» de la Mer . D'où il fuit que ce qui aplati-
» roit cette courbe fur deux parties opo-
» fées ne pourroit être que la même action
» de la péfanteur rendue inégale & plus
puiffante en ces deux parties qu'en toute
>> autre .. Qui trouvera donc cette inégalité
» d'action de la caufe de pefanteur & dé-
» terminera l'efpece particuliere à ce phéno-
» mene aura fans doute trouvé la vraie
» caufe du Flux & Reflux , ou au moins un
Syftême fatisfaifant fur ce grand myſtere
» de la Nature.
و ر
25
,
J'établis enfuite l'action de la caufe de la
pefanteur , & fon inégalité , caufe du Flux
& Reflux , & j'ajoûte.... » Cette cauſe étant
plus puiffante fur les parties correfpon-
» dantes de la Lune & de la Terre , que par-
" tout ailleurs , elle enfoncera ou aplatira la
» convexité de la Mer , lorfqu'elle fera dans
» ce point de correfpondance , ce qui caufera
le Fux fublunaire ..
» Mais j'ai fupofé la Terre en équilibre
au centre du tourbillon , & j'ai prouvé
» ailFEVRIER
. 1741 287
*
ailleurs qu'une impulfion nouvelle & de
» furcroît à cet équilibre , doit le rompre, &
» écarter ces deux Globes jufqu'au rétabliffement
de cet équilibre ; celà eft juſte &
» incontestable . Mais c'eft précisément à ce
nouvel équilibre que je les attens , c'eſt - là
où je compte trouver cette force antago-
» nifte , fi effentielle à l'efficacité de la pre-
» miere , & fi défirée dans le Syftême Car-
» téfien.¨
» Le centre du tourbillon eft auffi le centre
de gravité. Lorfque le centre de la
» Terre étoit le même que le précedent ,
s tous les points de la furface de ce Globe
étoient également éloignés du centre de
» gravité ; enforte qu'en partageant ce Globe
» en plufieurs rayons , on auroit trouvé tous
» ces rayons de matiére égaux & en équili-
» bre entr'eux. Qu'arrive t'il , lorfque la co-
» lomne de matiére étherée rendue plus puiffante
fait reculer laTerre,& éloigne fon cen-
» tre de celui du tourbillon & de gravité ? Elle
fait paffer ce centre de gravité à une certaine
» diftance du centre de la Terre dans l'hémifphere
qui répond à la Lune . Par cette
» tranfpofition , une ligne parallele à l'axe
» de la Terre qui pafferoit par le centre de
gravité ou de tourbillon , partageroit ce
» Globe en deux portions inégales , dont
و و
39
و ر
* Journal d'Avril & de Novemb . 1735. Fev. 1736.
»la
288 MERCURE DE FRANCE
و ر
"
ود
» la plus petite répondroit à la Lune , & la
plus grande à la partie opofée. Si nous
» imaginons maintenant des rayons tirés de
» ce centre de gravité , tranfpofé à toute la
furface de la Terre , on voit clairement
que les rayons de la grande portion opo-
» fée à la Lune , & furtout les rayons du
» milieu , ou directement opofés , contien-
» dront beaucoup plus de matière pefante
" ou tendante vers le centre de gravité.
" Donc à cet égard cette portion , & fur-
» tout ces rayons directement opofés pefe-
» ront ou tendront beaucoup plus vers le
» centre de gravité , que la petite portion correfpondante
à la Lune. Celle - ci ne fe fou
» tiendroit donc pas contre cette plus forte
» tendance de la plus grande portion , fans
l'impulfion fupérieure de la matiere éthe-
» rée apuyée fur cette portion , & contre la
» Lune , d'où l'on voit que ce qui contrebalance
cette pulfion , c'eft le poids ou la
plus grande tendance vers le centre de
» gravité que la partie opofée acquiert par le
» reculement de la Terre , ou plutôt par fa
» fituation ** reculée , & que ce reculement
» a dû fe faire jufqu'à ce que l'augmentation
» de gravité de la partie opofée foit égale à
» cette pulfion , & faffe équilibre avec elle .
ود
ور
"9
">
** » Je dis fituation reculée pour éviter Pidée
» du balan cement ridicule des Carréhens .
» Or
FEVRIER . 289 1741.
•
Or cette plus grande tendance , cette aug-
» mentation de la pefanteur étant plus con-
» fidérable à la partie directement opofée
» à la Lune , ce fera principalement en cette
" partie que la courbe aquatique s'aplatira ,
» s'enfoncera , & nous donnera le Flux an-
» tilunaire. Voilà donc le Globe terreftre en
" preffe entre deux forces égales entr'elles ,
> mais fupérieures à celle de tous les autres
points de fa circonférence ; voilà ce Globe
aplati, quant à fa partie aquatique, dans les
» deux hemifpheres à la fois , & par
" quent les deux Flux ,fublunaire & antilu-
» naire établis par la feule augmentation de
pefanteur fur les deux milieux de ces
» hémispheres l'un correfpondant , &
» l'autre opofé à la Lune , & cela fans met-
» tre la matiere étherée à l'étroit , & fans
» faire faire à la Terre une danfe ridicule .
₹
ود
39
»
ود
و د
confe-
"
L'aplication
de cette cauſe à toutes les
» obſervations
eft des plus aifée , & la mêdans
l'ancien
me en quelques endroits que
fyftême , mais le nôtre a encore l'avantage
» fur celui - là , en ce qu'il explique comment
» le Soleil a part à l'auginentation
du Flux
» & Reflux fuivant l'obfervation
de M. Caf-
» fini. » On peut voir le refte de cette Explication
dans le Journal de Verdun , que
j'ai cité plus haut.
Dans ce Journal j'apliquois mes principes
290 MERCURE DE FRANCE
'99
pes au fyftême du Flux & Reflux par la pref
fion fublunaire . Dans le Journal de Juillet ,
même année , j'aplique ces mêmes principes
au fyftême du Flux & Reflux par une attrac
tion fublunaire , mais par une attraction
mécanique , une attraction produite par des
impulfions collaterales ; & dans ce fecond
Extrait , voici comme je m'explique fur la
nouvelle théorie détaillée précedemment.
» La caufe du Flux eft donc toujours une
inégalité dans celle de la pefanteur même;
» inégalité qui fait que le Globe perd fa ron-
" deur parfaite , ou s'aplatit en des parties
opofées , & s'allonge en d'autres quant
à fes portions aquatiques. Cette caufe eft
toujours l'action , le mouvement de la
» matiere étherée , dirigée de la circonference
" des tourbillons à leur centre : & cette
» cauſe eft fufceptible de plus ou de moins
" par la diminution ou l'augmentation de
»fon mouvement , par l'abfence ou la pré-
» fence des points d'apui.
›
J'explique enfuite comment cette action
interceptée par la Lune , & fon tourbillon
occafionne une diminution de pefanteur à là
région de la Terre qui répond à la Lune ,
& un foulevement des eaux en cette partie ,
tant par les preffions collaterales plus puiſſantes
, que par la force centrifuge attachée à leur
mouvement circulaire. Après quoi je dis .
» C'eft
FEVRIER. 1741: 291
C'eft ainfi que fe fait le Flux quand la
Lune eft fur notre horifon , mais quand
elle eft deffous , voici comme il eſt pro-
» duit fur notre hémisphere. "
» La partie du Globe terreftre qui regarde
» la Lune étant moins preffée par la caufe
» de pefanteur affoiblic , l'équilibre doit né-
» ceffairement être rompu par celle de l'au
tre hémifphere plus puiffante , laquelle
doit pouffer la Terre hors du centre de
gravité vers la Lune , ou vers l'interception
» de l'équilibre .
33
"
» Ce déplacement éloigné l'axe de la
» Terre de celui du tourbillon , & par - là
fait , 1 °. en géneral , que la portion d'hémifphere
contenue par- delà cet axe , renferme
moins de maticie grave , moins
d'action de la matiere étherée , moins de
» tendance vers ce centre , ce qui produit
» fur toute cette portion une diminution de
pefanteur , de preffion , de réfiftance , qui
"fera que les eaux pouffées par les preffions
collaterales plus puiffantes , s'y porteront ,'
» s'y éleveront. 2 °. &c.
Voilà , M. les nouvelles découvertes bien
établies & apliquées aux deux plus fameuſes
hypothéfes de la Phyfique ; cependant tout
ce que vous venez de voir n'eft qu'un extrait
de mon fyftême , & un extrait envoyé
au Journal de Verdun,qui n'eft pas dans l'ufage
292 MERCURE DE FRANCE
"
fage d'admettre des Figures. Dans mon Ou
vrage , M. non feulement cette théorie eft
plus étendue , mais il y a encore un article
exprès , où je réfute le balancement que les
Cartéfiens fupofent dans la Terre , & où je
démontre que la fituation reculée de la
Terre hors du centre du tourbillon eft per
manente , & en quelle maniere ce Globe
doit faire une révolution en un mois lunaire
autour de ce centre de gravité , c'eft ce qui
a produit l'apoftille critique que vous avez
vûe plus haut contre ce balancement Cartéfien.
Voici une partie de cet article de
mon Ouvrage ave la Figure qui l'accompagne
, réduite en petit , & accommodée à la
forme du Mercure.
Après avoir réfuté la preffion paffive ou
de pure plénitude de Defcartes , & le balancement
qu'il en déduit , j'ajoûte...
ور
» Ce n'eſt pas aflés que ce balancement
» n'ait aucune caufe folide ; il eft impoffible ,
» quand bien même on admettroit
fans exa-
» men les cauſes qu'on lui donne , preffion ,
» contrepreffion
, & tout ce qu'il vous plai-
" ra d'y joindre. Ce balancement
eft un re-
» culement
de la Terre en des parties dia-
» metralement
opofées ; pour qu'un pareil
» mouvement
s'exécutât
, il faudroit que la
preffion fublunaire
n'agît fur la Terre
qu'en deux points opofes N. O. de ce
» Globe
و د
FEVRIER. 1741 . 293
......R
» Globe A. que ces points finguliers füffent
fupofés dans notre Méridien, & que la pref-
» fion n'eût pas lieu dans tout le refte de la fur-
» face de la Terre qui paffe fous la Lune dans
» une révolution diurne. Mais par quel mi--
» racle les autres parties du Globe évite-
» roient- elles cette preffion , ce reculement ? :
» Il faut donc convenir que s'il y a une preffion
fublunaire , & un reculement en con.
»fé
294 MERCURE DE FRANCE
و د
ود
ه د
و د
و ر
و د
و ر
و ر
و ر
و ر
5)
و ر
,, féquence , l'un & l'autre fe font en tous
les points de la Terre qui répondent à la
Lune. Or comme la Terre répond toujours
à la Lune par quelque point de sa
circonference , il s'ensuit que cette compreffion
doit toujours tenir la Terre dāns
le même éloignement de la Lune , tant
,, que la compreffion eft la même ; ainfi
,, point de retour , point de balancement ;
le centre de la Terre eft comme fixé dans
,, ce reculement , & quand au bout de 12.
heures 49. minutes la région N. de la
Terre correspondante à la Lune L. parvient
par la révolution de la Terre sur
son centre , à la partie O. oposée à la Lu-
,, ne , il eſt viſible que le centre A. de la
Terre a dû refter dans le même éloignement
A. T. du centre T. du tourbillon.
Le seul changement qui puiffe arriver à la
Terre ainfi reculée , c'eft qu'à mesure que
la Lune s'avance sur le cercle L. S. D. J.
qu'elle parcourt en un mois , elle doit
changer auffi la fituation de la Terre autour
du centre du tourbillon dont on la
,, supose déplacée , ensorte que dans le mois.
lunaire elle décrit autour de ce centre T
un cercle concentrique M. P. O. P. au
cercle lunaire L. S.D. J. & fi le cours de la
Lune eft un ovale , le reculement de la
Terre décrira auffi un semblable oyale ;
د ز
و د
"
و د
و ر
و د
33
و د
"
و د
و و
აა
و و
mais
FEVRIER. 1741. 295
و ر
ي د
و و
و د
د و
mais en suposant que la preffion sublunaire
soit plus forte dans les flancs de l'ovale
que décrit la Lune , l'ovale décrit par
le reculement de la Terre aura une fituation
contraire à celle de l'ovale décrit par
la Lune , comme on le voit dans la Figure
où les extrémités M. O. de l'ovale décrit
,, par la Terre, répondent aux côtés L. D. de
Ellipse décrit par la Lune , &c.
Vous voyez , M. que les Extraits des
Journaux de Verdun suposoient cette Piéce ,
& le
que eft établi
détaillé , suivi jusqu'au bout. Cela eft clair.
Vous sçavez que tout l'Ouvrage où eft le
paffage précedent, & la Figure ci-jointe, a été
envoyé en 1739. à l'Académie des Sciences
avec la Devise : Quam dedit ei Deus sociam .
ca aftuum origo. J'en ai le récépiflé cotté
No. 17. Pour le refte de l'Hiftoire de ce Mémoire
, M. vous ne l'ignorez pas , & elle n'a
que faire ici . Rien , ce me semble , de plus
autentique que la conformité de mes idées
avec celles de M. Grante , & vous êtes , M.
solidement autorisé à prendre part à l'honneur
que j'en reçois . Quant à ce que j'ai eu
ces idées 18. ou 20. ans avant lui , il n'y a
là rien de merveilleux , c'eft peut-être parce
que j'ai médité sur ces matières avant lui
& il seroit trop miraculeux que nous euffions
tous deux trouvé ce nouveau mouvement
dans le même inftant. Quand
nouveau mouvement y
296 MERCURE DE FRANCE
Quand j'ai l'honneur de vous dire , M.
que les idées de M. Grante & les miennes
sont conformes , cela n'eft pas sans aucune
exception ; il s'en faut encore quelque chose
que nos fyftêmes soyent totalement les mêmes.
Par exemple , quand j'ai donné l'inégalité
de l'action de la cause de pesanteur
pour principe du Flux & Reflux , j'ai jugé à
propos d'expliquer l'action de cette cause ,
& de déduire de cette action les raisons de
son inégalité. M. Grante n'a pas crû devoir
suivre cette route , il a suposé la cause de la
pesanteur connue , & il me paroît fonder
tout son Ouvrage sur ces deux propofitions ;
la premiere , que la Lune pese sur la Terre ;
la seconde , que la colonne de matiere étherée
qui eft entre le centre de la Lune & celui
de la Terre, suporte seule tout le poids de la
Lune , & surcharge par conséquent le seul
point de la surface de la Terre où il s'apuye.
Or je ne suis pas de son avis sur ces deux
propofitions.
1º. Je ne pense pas que la Lune pese sur
la Terre . Car quoiqu'on s'accoûtume à entendre
& à dire depuis Newton , que toutes
les Planettes pesent les unes sur les autres ,
& toutes ensemble sur le Soleil , je ne puis
croire que ce soit là le fyftême de la Nature.
La bonne Politique ne découvre , selon
moi , aucune pesanteur entre les Corps cé→
leftes ,
FEVRIER
1741. 299
•
leftes , elle n'y trouve qu'une fimple preffion
réciproque , preffion paffive de la part des
corps , preffion active , vraye preffion de la
part de la matiere étherée qui les environne ,
Il résulte de cette preffion une tendance ;
une pesanteur ; mais cette tendance , cette
pesanteur de toutes les parties du Globe &
du tourbillon se porte au centre & s'y termine
, parce qu'elle y trouve l'équilibre , par
conséquent elle s'y perd , elle devient zero.
Le Globe entier nage donc dans un fluide libre
, il y eft dans un équilibre parfait , il ne
tend ni vers le centre , ni vers la circonference
du tourbillon , il n'a aucune peſanteur.
2º. Quelqu'envie que j'aye de me rencontrer
en tout avec M. Grante, je ne trouve point
non plus dans mes principes que la colonne
étroite de matiere étherée , fituée sur la ligne
qui pafle par les centres de la Lune & de la
Terre , suporte seule le poids de la Lune
en suposant ce poids.
Je sçais qu'une boule posée sur un plan
solide eft ainfi portée toute entiere sur un
seul point de sa circonference , qui devient
son centre de pesanteur; mais je ne vois
nulle parité entre cette boule & une autre
qui nage dans un fluide , & quand il y auroit
de la parité , le centre d'un Globe n'ett
qu'un point , la colonne qui y répond n'eſt
qu'une ligne. Quelle puiffance , M. qu'une
E- Ligne
298 MERCURE DE FRANCE
ligne de matiere étherée ? qu'un seul point
de pression qui recule & aplatit le Globe
entier de la Terre ! Voilà le point qui manquoit
à Archimede, Sérieusement , M. je
suis fâché que tout le syftême de M. Grante
porte sur un point aussi peu solide , & qu'il
ait été choisir une loi de la Mécanique fi éloignée
de son sujet , pour établir la nouvelle
théorie.
3 ° . M. Grante n'explique pas autrement
le concours du Soleil pour la production du
Flux , & en cela nos idées sont encore dif
ferentes . Cependant il me paroît que ce
concours s'explique bien naturellement dans
mes principes.
Le pénetrant M. de Fontenelle qui , sur
toutes les matieres dont il écrit , même en
paffant , sçait fi bien saifir le noeud d'une
queftion , & en pénetrer le fond ; le grand
Fontenelle , dis - je , en parlant de ce concours
, a senti l'impossibilité de l'expliquer
par la fimple preffion Cartéfienne , dont celle
de M. Grante ne differe que par le nom,
Si le Soleil contribuoit au Flux , dit ce profond
Phyficien , il faudroit changer tout le
Systême de la preffion de la Lune , pour trouver
quelque espece d'action qui pût être commune
aux deux Aftres. Hiftone Acad . 1733. C'eſt
ce que fait mon syftême , M. car j'apelle
ainfi la derniere hypothese à laquelle j'aplique
FEVRIER: 1741
299
plique mes principes , & à laquelle je donne
la préference. Or dans cette hypothese , ce
n'est pas une preffion entre la Lune & la Terre
qui produit le Flux , mais plutôt un défant
de preffion entre ces deux Globes , & les
fions collatérales qui profitent de ce défaut ,
pres
ont leur principe mécanique dans le mouvement
inteftin de la matiere étherée , action
commune à tous les Aftres.
Mais j'oublie . M. que mon unique des
sein eft de vous faire voir en quoi j'ai l'honneur
de reffembler à M. Grante , & non en
quoi j'en differe. Je finis ce parallele ; fi vous
le voulez plus complet , je vous mettrai bientôt
en état de le faire vous- même ; car je
vous avoüerai que l'Ouvrage de M. Grante
m'a inspiré la présomption de croire le mien
digne de voir le jour , & le courage de l'abandonner
enfin à l'Imprimeur.
O DE
1
A M. le Préfident L ***
VIens , c'eft toi feule que j'implore ¿ ¦
Divinité de
l'agrément ,
Vive & légere Terpficore ,
Infpire-moi ton enjoûment,
2. ... i 1 ི ༑་
Eij Loin
. MERCURE DE FRANCE
Loin de moi fublime délire ,
Mes doigts , trop foibles pour la Lyre
Brilleront fur le Clavecin .
Viens donc , vôle , agile Déefle ,
J'aime mieux ta délicateffe
Que les éclats du Luth Thébain,
Il eft une fage folie
D'od naiffent nos plus heureux jours ;
Une tendre Philofophie
Dont les Docteurs font les Amours,
Jadis fur la Lyre des Graces
Les Anacréons , les Horaces
En dicterent les douces Loix.
C'eft cette folie adorable .
Cette fageffe favorable ,
י
Qui parle aujourd'hui par ma voix .
*
Je tais des vertus que j'admire ;
L'éloge a le don d'ennuyer ;
Arifte , ma Mufe aime à rire ,
Daigne avec avec elle t'égayer ;
Sois tel qu'un ami te contemple ,
Lorfque Thémis fermant fon Temple ;
Sufpend tes utiles travaux ;
On tel qu'au fein de l'allegreffe ,
4
D8
FEVRIER:
3༣
1741 301
Du plaifir & de la tendreffe
On te voit fuivre les Drapeaux.
*
Le vrai fage n'a rien d'auftere ,
Reglé fans gêner le défir ,
Il fçait aimer , il aime à plaire ;
Il cherche & trouve le plaifir ;
Il rit de ce (a) Pédant fauvage ,
Dont la raiſon follement fage
Condamne tout amuſement ,
Et place la béatitude
A fe faire une trifte étude
D'éteindre en nous le fentiment.
*
Renonçons à l'erreur groffiere
De ce Milantrope odieux ;
Une vertu farouche , altiere ,
Seroit-elle un préfent des Dieux ?
Pourquoi rougir de la Nature ,
Et vouloir à la Créature
Interdire tout ce qui plaît ?
Le Ciel nous fera- t'il un crime
De fuivre un penchant légitime ,
Et d'ufer des jours qu'il nous fait ?
(a) Le Stoïque.
*
E iij Dun
302 MERCURE DE FRANCE
D'un infâme Epicureifme
N'adoptant point la liberté ,
Joſe abjurer du Zénoniſme
L'ennuyeufe févérité.
Il eft des bornes raifonnables ,
Des plaifirs purs & délectables ,
Tels que la raifon les chérit ;
Des plaifirs faits pour la fageffe ;
Enfans de la délicateffe ,
Charmes du coeur & de l'efprit.
*
Aux douceurs de la Simphonie
Qui peut rougir de fe livrer ,
Lorfque le Dieu de l'harmonie
Conduit la Flute de Belair (a ).
O voix digne de Melpomene ! (6) .
Jeune & modefte ' Celimene ,
Que j'aime tes fons raviflans !
Non , cette voix , ce don célefte
Ne peut nous devenir funefte ;
La pudeur regle tes accens ,
*
Charmer les Nymphes attentives
(a) Premier Joueur de Flute du Concert de Bor
deaux. M. le Préfident L * * * étoit alors Directeur
de cette Académie .
(b) Premiere Chanteuse de ce même Concert.
A
FEVRIER.
303 1741.
A nos volages entretiens ,
Par le feu , les Graces naïves
Des bons mots & des jolis riens ,
Rire dans une Fête aimable ,
Faire les honneurs d'une table ,
Chanter & l'Amour & Bachus ,
Doux plaifirs , flateufes délices ,
Que le fot met au rang des vices
Et le Sage auprès des vertus .
Fuyons une molle indolence ;
Qui vit oifif, vi : fans honneur ;
Travaillons , mais avec prudence ,
Et fans rien ôter au bonheur.
Voilà ta morale chérie ,
Arifte , heureux qui de fa vie
Sur la tienne regle le cours !
Comme les Dieux il vit tranquile ,
Et comme eux , bienfaiſant , utile
Il ne perd aucun de ſes jours.
>
Par M. Dufau , à Bordeaux,
E iiij
XI.
804 MERCURE DE FRANCE
ttatatatatat
XI. LETTRE contenant la suite des pensées
diverses sur la nouvelle Méthode
de la Typographie.
242°•
L
*
•
Es hommes de bonne foi , Monsieur ;
conviennent qu'après leurs Etudes ils ont
d'abord oublié les noms & les définitions de la plûpart
des figures de la Grammaire & de Réthorique,
et le plus grand nombre des Regles de la Sintaxe
quoiqu'ils entendent assés les Auteurs Latins ;
qu'enfin ils n'ont conservé le peu qu'ils sçavent
que par la pratique , et non par la théorie . Pour
quoi donc tant tourmenter les Enfans sur des termes
et des Regles qu'ils ne peuvent comprendre & qu'ils
oublieront dans la fuite comme inutiles ? Pourquoi
ne pas tolerer dans la premiere enfance l'ignorance
de ces termes et de ces Regles , pour n'occuper
d'abord les Enfans que de la pratique?
1
143 °. Quoique le Syftême du Bureau crie beaucoup
contre l'abus de ceux qui font passer la théorie
avant la pratique, on ne dit pas qu'il faille se livrer à
la seule pratique; on les marie ensemble ,l'une éclaire
l'autre , et les Enfans Typographes qui commen
cent par la pratique , ont bien plus de théorie que
les Enfans de la Méthode vulgaire. Celle- ci est
aveugle , elle va à tâtons , et l'autre compte pour
rien ou pour peu de chose ce qu'elle ne comprend
pas. Par exemple , l'Enfant de la Méthode vulgaire
explique presque toujours le mot Major par plus
grand , et l'Enfant du Bureau a de plus l'idée d'aî
né, outre celle de la taille. J'ai vû dans cent occasions
une grande difference d'idées entre les Enfans
da
FEVRIER: 1741. 30%
u Bureau et ceux de la Méthode vulgaire . Le Bureau
fait profession de donner la pratique avec l'intelligence
de rendre tout sensible , autant qu'on le
peut, et n'asservit pas les Enfans à l'étude des mots
qui ne leur réveillent aucune idée . Difference qui
fait l'éloge du Systême , et lui donne la supériorité
incontestable sur la Méthode vulgaire .
144. S'il est aisé de donner aux Enfans un Texte
Latin avec des exemples utiles et instructifs sur
l'Histoire , sur la Fable et sur la Morale , d'où vient
qu'on ne l'a pas fait ?Peut- on suivre un meilleur plan
que l'Historique, le chronologique et le grammatical
Suffit- il de donner des lambeaux des Auteurs,
cousus ensemble ? De donner sans liaison et sans
fil Historique , un nombre de faits mal choisis et
tronqués de chercher des exemples des vertus et
des vices dans les Livres payens , plûtôt que dans
les Livres Chrétiens ; de raconter aux Enfans des
Fables et des prodiges de la Religion Payenne ,
plûtôt que les vrais Miracles de la Religion Chrétienne
? N'est- ce pas abuser de la crédulité des Enfans
, et les exposer ensuite à douter des Miracles
de la vraye Religion ? On nous dit dans l'enfance
que les Grecs & les Romains sont des Peuples inimitables
dans les Arts , dans les Sciences , dans le
langage , &c. doit-on commencer par- là ? Cette
prévention n'est - elle pas dangereuse ? Les Grecs et
les Romains n'étoient pas, comme nous , asservis à
l'étude des Langues mortes.
145. On se trompe fort lorsqu'on croit que
l'Enfant Typographe est obligé d'oublier l'Ortographe
de l'oreille pour aprendre et pour pratiquer
celle des yeux. Ce sont deux branches differentes ;
chacune a son objet ; la premiere regarde les sons ,
comme sons , de quelque combinaison de Lettres
qu'ils soient composés , et l'autre regarde plutôt les
E v Lettres
306 MERCURE DE FRANCE
Lettres et leur usage arbitraire et de convention
. L'une et l'autre est bonne à aprendre et
à retenir en toute Langue. On tolere du Latin
et de prétendues fautes en septiéme et en sixième ,
qu'on condamne en Réthorique . Pourquoi ne pas
tolerer l'Ortographe de l'oreille à un petit Enfant ,
qui ne sçait pas encore écrire avec la plume , mais
qui avec son Imprimerie , range sur la Table
de son Bureau tous les sons qu'on lui dicte ? Il faut
esperer qu'un jour les Maîtres les plus prévenus se
rendront à la force de la vérité , et qu'à la fin le
commun du Peuple en fera honte aux Docteurs des
Ecoles et des Colleges .
146° . Si M. Rollin et M. Coffin conviennent que
la Méthode de la Version doit préceder de beaucoup
celle de la composition, que n'ont- ils la force
de persuader dans le College de Beauvais les Régens
de septiéme , de sixième et de cinquième , de faire
taire celui de quatriéme ; s'il s'en plaint , de faire
entendre raison là - dessus aux Parens et aux Maîtres
de Pension ? De laisser aux Régens des basses
Classes la liberté de donner de tems - en- tems quelques
Thèmes pour sonder la capacité des Enfans
Faire sur le Latin dans ces Classes , comme on fait
pour la composition du Grec dans les hautes Classes
? A quoi bon voir l'abus , si on n'y remédie pas ?
Le College de Beauvais s'illustreroit bien plus en
suivant la bonne Méthode de la Version , qu'il
aprouve , que de suivre en esclave celle de la composition
dans les petites Classes. Si les Régens ne
sçavent pas assés bien le François pour cela , qu'ils
l'étudient . S'ils pensent que la Méthode de la Version
est plus pénible pour eux que celle de la composition
, qu'ils se désabusent ; une nouvelle pratique
leur fera trouver les moyens pour se soulager,
en, soulageant et instruisant mieux les Enfans.
147
FEVRIER. 1741. 307
147. Des Personnes d'un haut rang ayant vû la
joye des Enfans exercés par la Méthode du Bureau,
ont apréhendé , qu'accoûtumés aux plaisirs instructifs
, ils ne voulussent pas travailler ensuite selon
l'autre Méthode , qui exige une contention d'esprit
et des devoirs plus pénibles. L'expérience a heureusement
fait voir le contraire . Les Enfans peu
peu s'accoûtument à la peine des exercices bien assaisonnés
, on les dispose d'une maniere insensible
au passage de la Méthode du Bureau à la Méthode
vulgaire, sur tout lorsque les Parens raisonnables ne
sont pas impatiens , et qu'ils donnent le tems de
former leurs Enfans et de les mettre au point qu'il
faut pour ne pas perdre en passant d'une Méthode à
Pautre .
148°. Il est difficile que les Enfans profitent beaucoup
dans l'explication d'un Texte Latin , et d'un
Auteur Classique , parce qu'en géneral il y a trop
d'érudition et de philologie à débiter dans chaque
leçon. Si pour montrer le François à un Allemand,
je vais lui expliquer une Satyre de Boileau, et que je
lui fasse des Dissertations à chaque mot , il me dira
que je l'embarrasse de trop de choses , qu'il s'agit
du François , plutôt que de l'Abbé Cotin. Peut- être
ya- t'il un peu trop de cela dans les Livres des basses
Classes , à la bonne heure pour les hautes.
149 ° . L'Enfant du Bureau met , dit -on , trop de
composer son Thème ; par
gaire il iroit plus vite, &c . On répond à cela , 1 ° .que
L'Enfant Typographe âgé de 4. 5. à 6. ans , ne sçait
pas écrire suffisamment pour faire son Thème selon
la Méthode ordinaire . 2 ° . Que quand il sçauroit
écire , il profiteroit moins en écrivant son Thème
avec la plume. 3 ° . Que l'Enfant de la Méthode
vulgaire ne peut pas faire un Thème , ne sçachant:
pas écrire , et n'ayant pas l'équivalent de l'écriture ..
E vi
tems à
la Méthode vul308
MERCURE DE FRANCE
4. Et qu'il est plus âgé que l'Enfant du Bureau ;
sans en être plus avancé , il faut comparer , évaluer
toutes choses et juger des progrès à proportion de
l'âge , du tems employé et des moyens.
Iso . L'Enfant de la Méthode vulgaire, mis aux
Thèmes , 1 °. ne sçait pas écrire sous la dictée . 2 °.
Il ne sçait pas lire son écriture. 3 ° . Il ne sçait plus
où il en est quand le Thème est indéchiffrable par
les additions , les ratures , &c. aulieu que l'Enfant du
Bureau compose à loisir le Thème qu'on lui a donné
, il lit très-facilement les fautes , les corrections,
tout y est distinct , quoique corrigé ; les Logettes ,
les Etiquettes , sont autant d'avis & de leçons
pour l'Enfant. Il a son Dictionaire dans le même
goût , il trouve tous les mots dont il a besoin , le
tout d'un beau et gros caractere qui soulage la
vûë , qui permet l'action , pendant que l'autre est
condamné au repos.
151°. On peut donner de tems en tems des Themes
pour mettre l'Enfant dans la néceflité de faire
des solécismes , de recevoir des corrections , d'aprendre
le sens & l'aplication des Regles qu'on lui
explique et qu'on veut lui faire retenir. Mais on ne
doit pas se flater qu'un Enfant dans les basses Classes
aprenne le Latin par la voye des Thèmes & de
la composition , plûtôt que par celle de l'explication
et de la version . L'expérience en a décidé dans
l'étude de toutes les Langues ; la version précedé la
composition ; en douter , c'est ne pas comprendre
la chose .
152 °. La Méthode vulgaire est en possession de
faire perdre aux petits et aux grands Enfans les premieres
années d'Ecoles. Et parce que la Méthode
du Bureau Typographique met à profit les premieres
années de l'enfance , et qu'elle fait mieux que la
Méthode vulgaire , les Parens demandent en com¬
bien
FEVRIER 174 38%
bien de tems les Enfans aprendront à lire , à quel'
âge ils pourront aller en Classe , &c. De sorte que
les Parens indifferens quand il s'agit de la Méthode
vulgaire , sont presque sur le qui vive , quand il est
question de la Méthode Typographique . On passe
d'une extremité à l'autre , peu de Parens prennent
le ton pédagogique.
153 °. Quand on voit un A. B. C. François in- 4°.
on dit que c'est un épouventail , qui ôte au Lecteur
l'envie de le parcourir. On demande un abregé
, on l'a en manuscrit , on l'a prêté à bien des
Précepteurs , qui ensuite aiment mieux lire l'in-4 .
Il y en a qui disent que l'in-4° . ne suffit pas , qu'il
seroit bon de déveloper quantité de choses qui ne
sont dites qu'en passant , et qui sont essentielles
pour l'éducation et la formation de la Jeuneffe ;
qu'il vaut mieux être long et entendu , que court
sans être compris. La Grammaire Hébraïque du P
Guarin , est de deux in 4°. Faut - il s'écrier deux
in -4° . pour une Grammaire ? Si l'on faisoit attention
à la matiere de la Bibliothéque des Enfans , on
trouveroit que l'Ouvrage en quatre petites Parties,
devroit être en quatre gros in-4°. mais par une
meilleure main ; il faut esperer que quelque jour
cela arrivera ; je le souhaite dès à présent pour le
bien de la nouvelle Méthode et de l'éducation des
Enfans . On donne des in - 4° . des in -folie , pour l'éducation
des animaux , avec de belles Planches . Il
s'agit des Enfans , on demande des Livres , de six
blancs. On tolere des Romans ou des Histoires incertaines
en quantité de gros volumes , on n'en
veut point pour les Enfans , pourquoi ? Parce que
les Parens s'amusent en lisant les premiers , et qu'ils
s'ennuyent en lisant les autres , donc ils se recherchent
eux -mêmes , plûtôt que de penser au bien de
leurs Enfans. D'ailleurs , s'il est permis de crier
contre
910 MERCURE DE FRANCE
contre les volumes , ne seroit - il pas plus raisonnable
de se plaindre de tant de volumes classiques ,
de tant de cahiers dictés pendant dix ou douze ans,
de tant de Régens et de Professeurs differens , de
tant de Colleges, &c. qui, somme totale, produisent
si peu de fruit , qu'on est obligé de recommencer
ses études, si l'on veut aprendre à bien parler , à bien
penser , à bien raisonner et à bien écrire sur chaque
matiere ?
154°. La Bibliothéque des Enfans a pour but
de leur donner la justesse du raisonnement à
mesure qu'on les fait travailler à la réiteration des
Actes qui donnent la bonne habitude dans les exercices
Elémentaires pour les premieres notions des
Arts et des Sciences . La Méthode vulgaire fait le
contraire , elle asservit les Enfans à des mots , et
s'embarasse moins des idées que des termes . Les
gens d'esprit méthodique sont charmés du Systême.
Typographique , et quelque gros que soit l'in - 4 °.
de la Typographie , un Maître bien intentionné
trouve toujours le tems de le lire et de l'étudier à
mesure qu'il commence un Enfant , et qu'il le fait
passer d'un Bureau à l'autre , ou d'une Classe à l'au➡
tre. L'Enfant devient un Texte à étudier comme
le Livre , le Maître avec l'Enfant a toujours des
exemples sous les yeux , qui lui expliquent et lui®
rendent plus clair et plus sensible tout ce qu'il a
peine à comprendre par la seule lecture ..
On donnera dans la suite la maniere d'étiqueter
un Bureau enciclopelique de neuf rangs ou de 270
Logettes.
J'ai l'honneur d'être , &c.
LES
FEVRIER: 1741 311
***
LES NOCES DE PIRITHOUS,
Q
CANTATE.
Ue de revers coûte an heureux inſtant !
Non , le Dieu de Cythere
Ne rendit jamais fur la terre
Un bonheur bien conftant.
Déja Pirithous avec Hippodamie
Avoient fait le vou folemnel
De s'entr'aimer toute leur vie
Déja , loin de l'Autel ,
;
Le Couple heureux , ou du moins près de l'être ,
Dans les plaifirs d'un fomptueux feftin
Sous un antre couvert de l'ombrage d'un Hêtre
Célebroient leurs amours par le fecours du vin.
Heureux Epoux , Couple tendre & fidele
Qu'il vous eft doux de former des défirs ,
Quand l'Hymen par mille plaifirs
Confacre votre ardeur nouvelle !
Tout rendoit heureux leur deftin ;
L'Amour y conduifoit les Graces ;
On voyoit marcher fur leurs traces
La douce Volupté , le charmant Dieu du vin .
Heureux Epoux , &c.
Crains
312 MERCURE DE FRANCE
Crains cependant , aimable Epoux ,
L'horrible cruauté d'Eurite ;
Bacchus autant qu'Amour l'excite ,
Leurs ardeurs le rendent jaloux ;
Dieux ! ç'en eft fait , il traîne Hippodamie
Pourfuis ces cruels Raviffeurs ,
Lave dans leur fang impie
Leurs horribles fureurs.
Il les atteint , Ciel ! quel carnage !
Les fillons font couverts de morts ;
Pirithous vainqueur de leurs cruels efforts ,
Arrache Hippodamie à leur barbare rage.
Chere Epoufe ( dit- il ) reconnois ton Amant,
Ah ! ne crains plus une honteufe chaîne ,
" L'Amour près de moi te ramene ,
Goutons un bonheur fi charmant ;
Bannis une importune crainte ,
Livrons-nous à mille douceurs ,
>
Hippodamie , aimons- nous fans contrainte ,
Amour n'a plus pour nous que d'aimables fureurs,
ENSEMBLE.
Pirithous . Ah ! ne crains plus une honteuſe chaîne,
Amour près de moi te ramene ,
Hippodamie.
Goutons un bonheur fi charmant,
Je ne crains plus une honteufe chaîne ,
Amour près de toi me ramene ,
Goutons un bonheur fcharmant.
Amour
TEVRIER. 1741.
'Amour fe plaît à contredire
Au bonheur d'un Amant ,
Point de courroux , il ne veut pas nous nuire ,
Son caprice n'est qu'un moment ,
C'eſt un enfant qui cherche à rire ,
Paffons-lui fon amuſement.
Point de courroux , il ne veut pas nous nuire ,
Son caprice n'est qu'un moment.
Þar M. B. Greffier en Chefà la Cour des
Monnoyes de Dijon.
jkjki i j k akakakakakakakak
LETTRE de M. CocQUARD , de
l'Académie de Dijon , où l'on justifie un
endroit critiqué de la Tragédie de Rodogune.
D
E grace , Monfieur , dispensez- moi de
prononcer entre vous & votre Ami sur
la queſtion de sçavoir fi l'on fait un plus grand
abus de l'esprit dans le fiéçle de Louis XV.
qu'on n'a fait dans le fiécle de Louis XIV.
2
Non noftrum inter vos tantas componere lites .
Je me contente , M. de vous envoyér à
ce sujet deux Volumes du Mercure de France,
où la même queftion a été controversée.
Dans l'un , qui eft celui de Decembre 1738.
Yous trouverez pag. 2752. une Lettre dans
12-
314 MERCURE DE FRANCE
quelle M. le Marquis de **** admire , par
raport à l'esprit , le fiécle de Louis XIV. aux
dépens du fiécle de Louis XV. Dans l'autre
Volume , qui eft celui du mois de Mai 1739 .
vous trouverez pag. 857. une Réponse de
M. de G... où il soûtient que le fiècle de
Louis XIV. n'a pas été préservé de la contagion
, & qu'il n'y a aujourd'hui rien de déplorable
dans la République des Lettres , que
l'acharnement de l'envie à nuire au vrai
mérite.
M. de G.... va même encore plus loin ,
puisqu'il prétend que c'eft précisément chés
P. Corneille que se trouve cet abus de l'esprit ,
qu'on impute à nos Modernes : & pour preuve
de sa propofition , M. de G.... met sous les
yeux du Lecteur quelques morceaux des
OEuvres de ce Pere du Théatre François.
Je vous avouë , M. que la plupart de
ces exemples m'ont parû repris avec juſteſſe ,
parce que le Poëte a trop affecté de mettre,
l'esprit à la place du sentiment ; mais auffr
il
y en a quelques uns qui me semblent devoir
être à couvert de la censure , parce que
le sentiment y regne encore plus que l'esprit.
Tel eft , entr'autres , ce Vers de la Tragédie
de Rodogune :
» Elle fuit , mais en Parthe , en nous perçant le
coeur ; ( 1)
( 1) AH. 3. Sc. S₁
Vers
FEVRIER. 17417.315
Vers que . M. de G.... a critiqué , sans en
rendre aucune raison , & que nous avons
au contraire tant de fois admiré vous & moi ,
Nous serions nous trompés dans notre ju-,
gement ? ou M. de G.... se tromperoit - il
dans le fien ? c'eſt ce que je viens d'examiner
un peu plus sérieusement que nous n'a
vions fait jusqu'ici , & voici mes réflexions ;
en attendant les vôtres.
Quoique nous n'ignorions point qu'autre ,
fois dans les Combats , les Parthes fuyoient
avec adreffe pour décocher derriere eux des
fléches aux Ennemis qui les pourſuivoient ,
je demeure d'accord que fi ce Vers :
» Elle fuit , mais en Parthe , en nous perçant le
coeur ,
eût été mis dins la bouche d'un Perfonnage
, ou adreffé à un Perfonnage qui n'eût
pas été cenfé inftruit de cette maniere de
combattre , ce feroit le cas d'avancer que
Corneille auroit abufé de fon efprit. Mais ici
rien de plus naturel , rien de plus heureuſement
amené , felon moi , que ce beau Vers.
Il eft dit de Rodogune , Reine des Parthes
, il eft dit par Antiochus qui connoiffoit
les Parthes , il eft dit à Seleucus qui étoit
pareillement informé de l'ufage des Parthes
, puifque les Syriens venoient de foûtenir
de longues guerres contre les Parthes.
Corneille avoit même , dès la premiere
Scéne ,
17 MERCURE DE FRANCÉ
Scéne , difpofé les Spectateurs à recevoir fa
vorablement ce Vers , & leur en avoit , en
quelque maniere , facilité l'intelligence par
ceux- ci de Théagene à Laodice s
Pour le mieux admirer, trouvez bon , je vous priej
Que j'aprenne de vous les troubles de Syrie ;
J'en ai vû les premiers , & me fouviens encor
» Des malheureux fuccès du grand Roy Nicanor ,
→ Quand des Parthes vaincus preffant l'adroite fuite,
Il tomba dans leurs fers au bout de fa pourſuite.
Pour peu furtout qu'on faffe d'attention
à la conjoncture où le Vers profcrit par M.
de G.... fort de la bouche d'Antiochus , on
`ne peut, à mon avis , fe difpenfer d'en être
plutôt l'admirateur que le critique . Rodo
gune par un Traité de Paix entre les Parthes
& les Syriens , doit époufer celui des
deux Fils de Cléopatre qui fera déclaré l'aîné
, & monter avec lui fur le Trône de Sya
rie , d'où cette Mere fe voit fur le point de
defcendré malgré elle . Ces Freres unis par
tes liens les plus étoits de l'amitié , preffent
tour-à - tour Rodogune qu'ils aiment , de
découvrir le penchant de fon coeur en faveur
de l'un ou de l'autre , & fans attendre
que Cléopatre leur Mere déclare l'Aîné
d'entr'eux , ils jurent à Rodogune de facri
fier à celui des deux dont elle fera choix ,
&
FEVRIER 1741. 317
le droit d'Aîneffe , & la Couronne , &
l'amour même. Quelle réponſe favorable
Antiochus ou Seleucus n'avoient-ils pas lieu
d'attendre de Rodogune , après des empreffemens
fi généreux , fi doux & fi flateurs ?
Cependant , foit feinte , foit verité , Rodogune
alors leur proteſte, & leur réitere qu'elle
ne veut accepter pour Epoux que celui des
deux qui lui aportera la tête de Cléopatre ,
& voici comment elle s'en explique . (1)
Rodogune.
3 Tremblez , Princes , tremblez au nom de votre
Pere ,
Il est mort , & pour mois par les mains d'ung
Mere .
» Je l'avois oublié , fujette à d'autres loix ,
» Mais libre , je lui rends enfia ce que je dois ."
» C'eft à vous de choifir mon amour ou ma haine,
› Faime les Fils du Roy , je haïs ceux de la Reine.
Reglez vous là - deffus , & fans plus me preffer
» Voyez auquel des deux vous voulez renoncer.
Il faut prendre parti , mon choix fuivra le vôtre ;
Je refpecte autant l'un , que je détefte l'autre ;
Mais ce que j'aime en vous du fang de ce grand
Roy ,
22
S'il n'eft digne de lui , n'eft pas digne de moi.
(1 ) Ad. 3. Sc. 4.
2 ; Ce
318 MERCURE DE FRANCE
Ce fang que vous portez , ce Trône qu'il vous
laiſle ,
» Valent bien que pour lui votre coeur s'intéreſſe ,
Votre gloire le veut , Pamour vous le preferit.
Qui peut contr'elle & lui foulever votre eſprit ?
» Si vous leur préferez une Mere cruelle ,
Soyez cruels , ingrats , parricides comme elle.
» Vous devez la punir , fi vous la condamnez ,
Vous devez l'imiter , fi vous la foûtenez.
Quoi! cette ardeur s'éteint ! l'un & l'autre foupire!
J'avois fçû le prévoir , j'avois fçû le prédire,
າ ງ
» Princeffe .....
Antiochus,
39
Rodogune.
» Il n'eft plus tems , le mot en eft lâché ;
Quand j'ai voulu me taire , en vain je l'ai tâché.
Apellez ce devoir haine , rigueur , colere ,
» Pour gagner Rodogune , il faut venger un Pere ,
Je me donne à ce prix . Ofez me mériter ,
» Et voyez qui de vous ofera m'accepter ,
» Adieu , Princes.
Les deux Freres étant reftés quelque tems
enfemble fur la Scéne tout interdits , ouvrent
enfin la bouche pour fe plaindre ainfi
tour-à - tour de Rodogune.
Antio
FEVRIER. 1741. 311
Antiochus.
„Hélas ! c'eſt donc ainſi qu'on traite
Les plus profonds refpe &ts d'une amour fi parfaite.
Seleucus.
Elle nous fuit , mon Frere , après cette rigueur..
Antiochus.
» Elle fuit , mais en Parthe , en nous perçant le
coeur.
Dans ces circonftances , comment foûtenir
que ce dernier Vers foit un abus de l'efprit
? N'exprime- t'il pas au contraire le fentiment
le plus vif , le plus preffé d'un coeur
tout à la fois pénetré de douleur , & indigné
du cruel adieu de la Reine des Parthes ?
Pour moi , toutes les fois que je récite les
Vers qu'on vient de lire , je fens naître en
moi à la prononciation du dernier , un certain
frémiffement que je ne puis vaincre , &
je manquerois de voix pour en prononcer
un autre fous le nom d'Antiochus , fi Corneille
, moins habile Poëte , eût étendu davantage
la réflexion de ce Prince , au lieu
qu'elle eft renfermée toute entiere dans un
feul Vers convenable à la fituation où il fe
trouve réduit.
Ce Vers de Corneille m'a toujours paru
plus admirable que ceux de l'Epigramme
fuivante d'Owen,
Sicu
320 MERCURE DE FRANCE
Sicut equo jaculans Parthus fugit & ferit hoftem ,
Phyllis , amatorem ficfugiendo capit.
Comme unParthe aux combats fuyant avec adreffe
Sçait à qui le pourfuit lancer un trait vainqueur :
Ainfi l'Objet de ma tendreffe
Dans une adroite fuite a fçû bleffer mon coeur. ( 1)
Voilà une fort jolie comparaifon ; mais
après tout , quelque ferrée que foit la verfis
fication d'Owen , il lui a fallu deux Vers
Latins , & à moi quatre François , pour déveloper
une penfee qui dans le fond n'eft
qu'un pur jeu d'efprit , tandis que Corneille
a fçu avec plus de précifion , en renfermer
une plus naturelle & plus remplie de
fentiment dans ce feul Vers très-énergique :
Elle fuit , mais en Parthe , en nous perçant le
coeur.
Avec quelle ardeur Corneille n'eût- il pas en
trepris lui- même la défenſe d'un fi beau Vers,
lui qui préferoit fa Tragédie de Rodogunc à
toutes les autres Piéces ? lui qui , malgré
toute fa modeftie , n'a pu s'empêcher de dé
(1 ) Cette Traduction de M. Cocquard se trouve
parmi celles d'un grand nombre d'autres Epigrammes
choifies d'Owen , qu'il a données au Public dans le 4 .
le 6. Tome des Nouveaux Amuſemens du Coeur
& de l'Efprit.
clare
TEVRIER: 1741. 321
clarer que ce Poëme avoit furtout laforce
des Vers , la facilité de l'expreffion , la folidité
des raifonnemens , la chaleur de la paffion
, &c. ( 1 )
Si j'avois l'honneur d'être connu de M.
de G.... je lui aurois adreffé à lui même ces
remarques , perfuadé que je fuis qu'il ne s'en
offenferoit pas , comme je ferois charmé
qu'on prît la peine de me défiller les yeux
au cas que je me fûffe trompé . Nous ne cherchons
l'un & l'autre qu'à découvrir le vrai
& c'eft cet amour pour la verité , qui m'engage
à vous dire , M. que la Differtation
de M. de G.... m'a paru au refte écrite avec
autant de précifion & de folidité , que de
délicateffe & d'élégance. C'eft ainfi que tout
Critique devroit rendre juftice au mérite de
ceux avec lefquels il ofe entrer en lice ;
mais , à la honte de notre fiècle , combien
ne voit-on pas d'envieux Ecrivains qui femblables
à la plupart de ces Freres armés de
la Fable , nés des dents du Dragon femées
par Cadmus , fe déchirent & fe détruiſent
à l'envi ? & comme il n'y eut que cinq de
ces Freres, qui par l'ordre de Minerve, firent
la paix enfemble , & fe réunirent pour aider
au Fils d'Agenor à bâtir la Ville de Thebes
prédite par l'Oracle d'Apollon , de même
(1) V. PExamen de Rodogune par Pierre Corneille .
F auffi ,
322 MERCURE
DE FRANCE
auffi , parmi les Critiques de nos jours ,
' s'en trouve t'il peu qui après avoir quelque
tems combattu les uns contre les autres
cherchent , dociles à la voix de la raiſon &
de la fageffe , à fe réconcilier de bonne foi
>
contribuer enfuite de concert au propour
grès des Sciences & au bien commun de la
République des Lettres . Je fuis , &c.
ETRENNES
AU DIEU MERCURE
,
E Loquent Meffager des Dieux ,
C'est par ton facré miniftere
Que la Terre entretient commerce avec les Cieux
C'est toi qui vas chercher des Nymphes à Cythere,
Pour mettre leurs coeurs dans les fers
Du Dicu tout-puiffant que tu fers .
Eft- il nouveau Prothée , eft-il forme nouvelle ,
Que n'ait prife ton art , pour lui livrer fa Belle ?
Pour fatisfaire fon amour
Faut-il d'Amphitrion prévenir le retour ?
Valet heureux , nouveau Sofie
En te voyant, Alcmene eft attendrie ;
Elle ſoupire au nom de fon Epoux ;
Mais
FEVRIER. 323 1741
Mais Jupiter jouit d'un fpectacle fi doux ,
Et l'Amour eft fi beau qu'il préfere au Ciel même
Les beaux yeux de celle qu'il aime.
Ce n'eft pas- là l'unique emploi
Que nous reconnoiſſons en toi ,
Et pour être le plus aimable
Il n'eft pas le plus eſtimable..
L'Achéron fur les triftes bords
Te voit cent fois le jour environné de Morts ,
Le Caducée en main , dans fes Royaumes fombres
Amener une troupe d'ombres
De Rois & de fujets , de lâches , de Héros ,
De gens d'efprit , de fçavans & de fots ;
Le tout confondu peale mele ,
Tombant chés Pluton comme grefle.
En qualité du Dieu des Arts ,
Pour fervir les fçavans qui fous tes étendars
Habitent la Machine ronde ,
Tu portes chaque mois aux quatre coins du monde
Un tribut de Proſe & de Vers ,
Que tes Agents , hommes experts ,
Ont ramaffé dans un volume ,
Digne fruit de plus d'une plume.
Je fuis Abbé , mais fans amours ,
Quoique le fait foit rare de nos jours ;
D'ailleurs , quand j'en aurois pour gagner ma
Bergere ,
Fij Je
324 MERCURE DE FRANCE
Je n'emploirdis jamais ton miniftere ;
Un ambaffadeur fi fçavant
Eft peu le fait d'un tendre Amant ;
Quand pour un autre l'on fçait plaire ,
Pour foi que ne fçait- on pas faire ?
Je ne veux pas encor vifiter l'Achéron ,
Ainfi tu peux fans moi defcendre chés Pluton.
Mais tu ne m'es pas inutile
Pour prôner mes Vers par la Ville ,
Et ce n'eft que dans cet emploi
Qu'à préfent j'ai besoin de toi.
Lorfque quelquefois je m'amufe
A folâtrer avec ma Mufe ,
Je fuis charmé de voir le fruit
Que mes careffes ont produit ,
Courir, de Province en Province ,
Paffer , du faquin , chés le Prince.
Ecrire pour n'être point lû ,
C'eſt du tems , du papier perdu.
Quand je fais une chanfonette ,
Tu l'inferes dans ta Tablette ,
Et la voilà dans un moment
Portée aux deux bouts de la France .
Souffre que par reconnoiffance
Je te faffe un petit préfent ;
C'eſt ma plume , c'eſt peu de choſe
Jeune encore, elle fe difpofe ,
Si
FEVRIER. 1741. 325
Si tu lui prêtes ton fecours ,
De n'être pas inutile toujours ;
S'il t'en tomboit un jour une de l'aîle ,
Tu peux déja compter fur elle ;
L'honneur de pouvoir te ſervir
En tout tems fera fon plaifir.
Crainte que le vent ne l'emporte ,
Cache-la fous une plus forte ,
Et foutiens - la dans le grand air
Va, pars , auffi promt qu'un éclair...
P. M. G. d Aucour.
›
On a dû expliquer l'Enigme & les Logogryphes
du Mercure de Janvier par la Montre
, le Volant , & Flumen . On trouvé dans
le premier Logogryphe Vol , Lou , Taon
on , ut , la , Lot , Talon , Laon , Toul , Tan.
Dans le fecond , Lumen , & Fulmen.
J
ENIGM E.
E fuis un compofé de contrarietés ;
Hermaphrodite , obſcure & claire ,
Ce font- là , fans me contrefaire ,,
Mes attributs & mes proprietés.
Fiij
Je
326 MERCURE DE FRANCE
Je m'explique , Lecteur , & pour me faire entendre,
Dans le détail je vais deſcendre .
On ne fçait pas d'abord ce que je fuis ;
Et fi-tôt qu'on le ſçait , je fuis .
Lecteur en ce moment je fuis en ta préſence ;
Tu penfes sûrement à moi ,
Et cependant , étant connu pour toi ,
Quoique toujours vivant , je perds mon exiftence.
J'ai deux vertus ; l'une eft l'obscurité
Qui me donne la vie , & l'autre eft la clarté
Qui me donne la mort ; fort fouvent on me trouve,
Mais ma poffeffion ne dure pas long-tems ,
Car qu'on me blâme , ou qu'on m'aprouve
Je difparois au même tems .
Sans moi jamais tu ne devines ;
Et pour te dire encore mieux ,
Je fuis , Lecteur , devant tes yeux ,
Faut-il encor que tu rumines ?
L'Abbé Pages:
LOGOGRYPHE.
J
E fuis le centre de la vie ;
De tous les corps la plus noble partie.
Une fyllabe fait mon nom.
On
FEVRIER: 1741
327
On y trouve un adverbe , une conjonction ,
Deux foeurs égales d'âge ;
Piéces utiles en ménage ,
Qui tiennent lieu de tout , même de probité .
Un fimbole de fermeté ;
Un fonds de terre , un Bénéfice ;
Un chemin fort battu ;
Métal qui bannit la trifteffe ;
Un Inftrument connu
Des illuftres enfans de la triple Déeffe ;
Ce qu'on donne avec allegreffe
A tous payeurs , mauvais ou bons ;
L'ornement des maifons ;
Des Princes & des Grands le cortége ſervile ;
L'organe de la voix,
Pour ne rien dire d'inutile ,
En moi cherche , Lecteur , une note à ton choix.
Par Mlle de la Caure.
LOGOGRYPHU S.
MEntibus humanis , fi me cognofceré tures
Mirificis placeo , Lector amice , modis.
Ventrem fi refeces , Regum calcare coronam
Uni impunè datur gloria tanta mihi.
Perge , pedem tollas , divam me fabula fecit ,
Aoniiquefumus turba novena jugi .
Fi
Rurfu
328 MERCURE DE FRANCE
Rurfus tolle pedem , tectum mihi cafeus altum
Interdum prabet , prabet & ille cibos.
D. L. H. de Toufreville Lacable.
****************
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX - ARTS , & c.
ES LETTRES DE S. AMBROISE , Eyêque
,
LeeLMIER , Paduites en François lur
l'Edition des RR . PP . Bénedictins , avec des
Notes Hiftoriques & Critiques. Par le R. P.
Duranti de Bonrecueil , de l'Oratoire . III . Volumes
in-12. A Paris , chés François Mathey
, rue S. Jacques , à S. Auguftin , Jean-
Luc Nyon fils , rue du Hurpoix , à l'Occafion
, J. Baptifte de Lefpine , rue S. Jacques
, au Palmier.
Le R. P. de Bonrecueil , déja connu par
plufieurs Ouvrages de pieté ou qui intereffent
la Religion , vient de donner au Public
une Traduction Françoife des Lettres du
grand S. Ambroife ; Ouvrage que perfonne
n'avoit encore entrepris , convenable à tous
les états , & qui mérite d'être lû avec une
attention particuliere. L'Evêque y reconnoîtra
quelle fermeté , quel zéle pour la Religion
, quelle pureté dans les moeurs , quelle
charité
FEVRIER.
1741. 329
charité pour les Pauvres , l'Epifcopat exige:
Les Souverains , inftruits par l'humble pénitence
de l'Empereur Théodoſe , y aprendront
que les Rois ne font pas au - deffus des
Loix. Le Politique fçaura en quoi confifte
la véritable Politique ; le Fidele s'inftruira
de fes obligations & de fes devoirs . Les Enfans
aprendront à refpecter leurs Parens. Les
Parens à élever chrétiennement leurs Enfans!
Tous, en un mot, pourront puifer dans cette.
lecture , comme dans une fource féconde
ce qui peut fervir à travailler efficacement à
l'oeuvre du Salut .
;
Tel eft le but & la loüable fin que l'Au
teur s'eft propofé . Il a eu foin d'écarter ou
d'éclaircir toutes les difficultés capables de
détourner de la lecture des Lettres du Saint
Docteur , & par fon aplication il eft venu à
bout de pénétrer le fens de fes expreffions ,
& de les rendre intelligibles , expreffions que
le ftile ferré & concis de l'Original rend
quelquefois difficiles à comprendre . Les.
Traits d'Hiftoire dont il eft parlé en abregé
dans ces Lettres , & qui font pour notre fié
cle des efpeces d'Enigmes , fe trouvent reureufement
dévelopés. Les Explications allegoriques
de plufieurs Paffages de l'Ecriture ,
furtout des Prophétes , ne peuvent plus en
baraffer , foit par le tour naturel que l'habile
Traducteur leur a donné , foit par la lumiere
Fv des.
330 ML
des Notes qu'il a ajoûtées : on voit enfin
qu'il n'a rien oublié pour rendre cet Ouvrage
clair , folide & d'un profit univerfel.
Nous exhortons furtout de lire la Préface
qui eft à la tête ; Piece importante , néceffaire
, & digne du fujet.
MEMOIRES , pour fervir à l'Hiftoire de
Malthe , ou Hiftoire de la jeuneffe du Commandeur
de *** , par l'Auteur des Mémoires
d'un Homme de qualité. Deux Volumes
in-12 . Le premier , de 231 pages ; le fecond,
de 205. A Amfterdam , chés François Desbordes
, vis-à- vis la Bourfe , 1741. & fe trouvent
à Paris chés Didot , Quai des Auguftins.
NOUVEAUX AMUSEMENS DU COEUR ET
DE L'ESPRIT. Tome feptième : fe vend à Paris
chés la Veuve PISSOT , Quai de Conti , à
la defcente du Pont- Neuf; chés BRIASSON ,
rue S. Jacques à la Science , & chés MERIGOT
, Quai des Auguftins , près la rue Gîtle-
Coeur. In- 12 . de vingt feuilles d'Impreffion
, 1740. Le prix eft de trois livres.
Cet Ouvrage Périodique offre aux Lecteurs
, comme dans les Volumes précedens ,
une très- grande varieté de Piéces. Nous remarquons
ici plufieurs morceaux qu'on a
réimprimés , fans doute à caufe de leur rareté
ou de leur bonté.
La
FEVRIER. 1741 .
331
L
La Lettre à M. D*** au sujet de la Tragédie
des Machabées de M. de la Motte , eſt
écrite avec un peu de négligence , & quoiqu'affes
méthodique , on n'a pas fuivi l'Auteur
dans l'économie de fa Piéce. Il nous
paroît qu'il refte quelque chofe à défirer
pour être guéri de tous les petits fcrupules
que cette lecture fait naître. Auffi , dit- on ,
page 110. que ce n'est pas proprement une Critique
, mais plutôt. quelques difficultés qu'un
jeune homme propoſe à fon ami .
M. l'Abbé de V**** eft l'Auteur de l'Epitre
, intitulée la Campagne : on la trouve
page 45. après trois Lettres écrites à Madame
du Hallay. Voici le commencement.
Penferez -vous toujours comme vous faites
Ami très-cher ? le féjour où vous êtes
Toujours pour vous fera - t'il fans égal ?
Hors de Paris on gîte toujours mal ,
Si l'on vous croit. Vous voulez
Des gens
que la Ville
heureux foit le centre & l'azile .
Vous m'apellez tous les jours à Paris ,
Et tous les jours je vous cite à Varis.
Mais, dites-moi, comment fe peut- il faite
Que nous foyons d'une humeur fi contraire
Nous qui d'ailleurs , fans en rien excepter ,
N'avons jamais fur quoi nous difputer ?
F vj
Même
332 MERCURE DE FRANCE
Même foleil , même inftant nous fit naître ;
Même climat , même lieu nous vit craître ;
Mêmes leçons nous formerent les moeurs ;
Mêmes penchans affemblerent nos coeurs ..
Depuis ce tems vous m'aimez , je vous aime
Ce qu'eftimez , je l'eftime de même ,
Et fi chés nous on voit quelques débats ,
L'amitié feule excite ces combats.
Or , d'où vient donc que cette fimpathie
Sur un feul point ſe trouve démentie ?
Vous haïffez Village & Villageois ,
Et moi je haïs & Cités & Bourgeois .
J'ai mes raifons , mais vous avez les vôtres .
Si les avez , des unes & des autres
Examinons lefqueiles valent mieux :
Peut- être enfin ouvrirez -vous les yeux ? &c.
Le Poëte entre en matiere & traite fon
fujet en plus de 500 Vers , écrits aflés naturellement
& avec facilité. On fe doute bien
que le goût pour la Campagne l'emportera
à la fin fur les agrémens de la Ville.
Le Prieur de Roiffy ayant envoyé une
Epitre plaifante à Madame V ** cette Dame
lui répond , page 68. en ces termes.
La peinture en eft très complette
De toi , comme de ton minois ;
Malgré
FEVRIER. 1741 33.3
Malgré cela , j'en fais emplette ,
Et l'on peut dire cette fois
Que ce n'eft la mugueterie
Qui me vient dans la fantaiſie ,
Voyant portrait fi ſaugrenu .
Que m'importe à moi ? je t'enrôle
Et penfe qu'un efprit fi drôle.
N'a point étui fi biſcornu .
Ce n'est tout cela qui m'étonne ;
( Car je fuis très- bonne perfonne
Mais c'eft tant de conditions ,
De claufes , d'explications ,
Pour lier amitié fi bonne
Avec auffi douce moutonne .
Auroit- on dans fa tête mis
De n'être point de nos amis ?
De craindre toujours notre fexe ,,
Et mettre l'accent circonflexe
Pour en abreger les vertus
Ainfi que font mille têtus ?
Mais , me diras - tu , certain ſage
A dit contre vous pis que rage ;.
Je prétens qu'il foit recufé ,
Pour avoir de nous mal uſé ,
En ayant fçû tel nombre accroître ,
Qu'il n'en put une bien connoître ::
Mais
334 MERCURE DE FRANCE
Mais il fe crut couvert & clos ,
En nous, mettant tout fur le dos ,
Tel que fait un yvrogne infigne
Lorfqu'il s'avife de jurer
Et de pefter contre la vigne ,
De ce qu'elle a pû l'enyvrer , &c.
On trouve à la page 147. & fuiv, un Conte
de Fées en Vers , & en trois Chants d'environ
1500 Vers. Il eſt écrit naïvement, &, à quelques
rimes près peu exactes , on le lit avec
un plaifir , de l'efpece de ceux qui n'offrent
qu'un amuſement , dans le fonds , un peu
frivole .
La Nouvelle traduite de l'Espagnol , eft
encore un petit Ouvrage en Profe du même
genre. Elle eft fuivie de l'extrait d'une Lettre
qui contient une Hiftoire effrayante , &
qu'on garantit véritable .
Voici une Epigramme morale , page 237 .
Marinette avant l'héritage
Qui lui vint inopinément ,
Etoit une fi bonne enfant ,
Si douce , fi fimple , fi fage ,
Et tout le monde l'aimoit tant.
Si la bonté du Toutpuiffant
M'avoit , difoit - elle , en partage
Doané fuffisamment du bien ,
Je
FEVRIER.
336 1741.
Je ne voudrois en mariage
Qu'un homme d'un joli maintien ,
Qui m'aimât feule , & qui n'eût rien ,
Afin qu'il me dût davantage.
Mais depuis fa fucceffion ,
Elle eft coquette , précieuſe ,
N'écoute que l'ambition ,
Et ne veut , avaricieuſe ,
Déformais que d'un riche Epoux.
L'or fait , dit -elle , un noeud folide ,
L'hymen s'égare fans ce guide.
Ah ! je vois bien , folles & foux ,
Volages hommes , que chés vous
C'eſt l'état préfent qui décide
De vos vertus & de vos goûts.
La Lettre de Madame l'Evêque contre
l'Echo du Public, & un article des Obfervations
fur les Ecrits modernes , cft une courte
réponse à la critique de la Comédie de
l'Auteur fortuné , Ouvrage de cette Dame .
Page 243. dans la Lettre à , un Ami fur les
Danfeurs de corde , l'Auteur dit qu'ils pa-
» rurent à Rome pour la premiere fois fous
» le Confulat de Sulpitin Peticus . Boulanger,
dans fon premier Livre du Théatre, diftin-
" gue chés les Grecs quatres fortes de Dan-
» feurs de corde , les Shgënobates , les Neu-
» robates 9
33 MERCURE DE FRANCE
D
"
""
و د
و د
و د
و د
و د
و د
robates , les Orobates & les Acrobates.
Les premiers voltigeoient au tour d'une
corde , comme une roue au tour de fon
effieu , & fe fufpendoient par les pieds
ou par par le col. Nicephorus Gregoras affûre
en avoir vû à Conftantinople. Les
feconds , apuyés fur l'eftomach , ayant les
bras & les jambes tendus , voloient de
haut en bas : c'eſt d'eux dont parle Vopifcus
dans la vie de Cariffus . Les troifié-
,, mes couroient fur une corde tendue obli-
» quement , & les quatrièmes marchoient
,, non- feulement fur une corde tendue
mais encore faifoient au fon d'une flute ,
d'une Lyre , plufieurs fauts & tours ....
Il faut être dénaturé pour refter tranquile
à un tel fpectacle . Parlez - moi des Pantomimes
qu'ils ont jouées , c'eſt un genre
de Comédie , qui eft divertiffant , quand
il est bien exécuté. Selon Lucien , le Pan-
,, tomime & le Danfeur doivent exprimer
les paffions & les mouvemens de l'ame
,, que la Rhétorique enfeigne , & emprun-
,, ter de la Peinture & de la Sculpture les
differentes poftures de l'homme , afin que
,, le Spectateur entende , comme s'ils par-
,, loient , & c.
ود
و ر
و د
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ر د
و و
و و
و و
و د
و د
د ا
Parmi les divers morceaux de Profe qui
compofent ce Volume , la Defcription Hiftorique
& Géographique de la Cafrerie nous a
parû
FEVRIER. 337 1741.
parû curieufe & amuſante . On y remarque
des découvertes faites dans l'intérieur des
Terres , & on y voit des détails qui ne font
pas dans les autres Relations données jufqu'à
préfent. Prenons un article de la page
358.
Chés les Cafres , lorfqu'un pere accorde
fa fille à un jeune homme qui fa demande ,
elle eft obligée d'obéir fans murmurer. La
chaîne nuptiale que l'Epoux lui donne eft
un boyau de boeuf , qu'il faut qu'elle porte
au col , juſqu'à ce qu'étant ufe , il tombe en
pieces. Les femmes mariées ont les mamelles
fi pendantes qu'elles les renverfent
Par deffus
leurs épaules , pour donner à teter plus faciclement
à leurs enfans .
On condamne au foüet les adulteres , &
on fait fouffrir un fuplice horrible aux inceftueux.
On jette les criminels pieds & poings
liés dans une foffe ; le jour fuivant on retire
Phomme & on le pend par le col à une
branche d'arbre où il eft déchiqueté . Après
l'avoir ainſi traité , ce corps mutilé & encore
vivant refte là pour fervir d'exemple :
enfuite on tire la femme de la foffe & on la
jette fur un bucher , où elle eft brulée toute
vive . Pour les affaffins , on leur perce les
genoux qu'on attache à leurs épaules , &
on les laiffe expirer dans les tourmens d'une
longue mort. On voit par-là , que ces : Peuples
,
338 MERCURE DE FRANCE
ples , quoiqu'en aparence plus bêtes qu'homont
pourtant de l'amour pour la vertu
& pour l'équité naturelle.
mes ,
MADRIGAL
UNvendredi , l'Amour au marché de Cythere
Vendoit les captifs à l'enchere.
J'en étois un tous , felon leurs ta'ens ,
Furent vendus aux plus offrans.
Pour moi , de qui l'Amour connoifſoit la tendreſſe
Et la fidelité , je fus mis à haut prix .
Je vous coûtai , mon aimable Maîtreffe ,
Un regard tendre , un doux fouris.
On trouve encore dans ce Tome à la page
397. des Remarques Hiftoriques , affés inté
reffantes. En voici une qui peut faire plaiſir
dans les conjonctures du tems. Comment
François I. perdit l'Empire , page 400 .
Bonnivet, Favori du Roy , alloit & venoit
à Francfort, portant une malle & diftribuant
l'argent néceffaire aux deffeins de fon Maître.
Le Nonce Robert Urfin , qui s'étoit attaché
aux interêts du Roy , malgré les intentions
du Pape Leon X. croyoit l'Election
certaine pour François I. Voici les fecrets
du Cabinet qui renverferent ce grand ouvrage
.
La Maifon de la Mark étoit attachée au
Roy
FEVRIER 1741 339
Roy , & tenoit Sedan , Stenay , Jamets &
quelques- autres Places fortes fur la Frontiere
de Champagne. Cette Famille confif
toit en cinq Perfonnes : fçavoir , Erard ,
Evêque de Liége , Robert , Seigneur de Sedan
, & fes trois fils nommés Fleurange ,
Jamets & Raucourt. L'Evêque de Liége avoit
obtenu de grands Bénefices , & défira être
Cardinal. Le Roy demanda un Chapeau
pour lui , avec d'autant plus d'empreffement ,
que Fleurange , neveu de l'Evêque de Liége ,
s'étoit fort diftingué à la Bataille de Mari
gnan . Le Pape Leon X. par des raisons qui
regardoient le Cardinal de Sion , eût bien
voulu ne pas donner ce Chapeau , &
différoit de l'accorder. M. Boyer , Tréforier
de l'Epargne , avoit obtenu l'Ar
chevêché de Bourges pour fon frere ; il promit
à la Ducheffe d'Angoulême , Mere du
Roy , de lui compter 40000 écus , fi elle
pouvoit réuffir à faire changer , en faveur
de l'Archevêque de Bourges , le Chapeau
promis à l'Evêque de Liége. Le Roy ne
pouvoit,ni ne vouloit fe départir des interêts
de ce dernier. Cette Princeffe , fans en rien
dire au Roy fon fils , écrivit à Rome que le
Roy ne demandoit ce Chapeau pour l'Evêque
*
de Liége, qu'en confidération de la Maifon
de la Mark ; mais qu'au fonds , fi le Pape
nommoit l'Archevêque de Bourges , le Roy
fe
340 MERCURE DE FRANCE
fe trouveroit par - là débaraffé des follicita
tions de la Famille de la Mark.
Le Pape n'eut pas plutôt lû cette Lettre ,
que ravi d'avoir un prétexte de refuſer l'Evêque
de Liége , il fit une Promotion , &
nomma l'Archevêque de Bourges , fans vouloir
attendre un Courier que l'Ambaffadeur
du Roy à Rome vouloit dépêcher pour être
éclairci des dernieres réfolutions de fon
Maître . Le Roy eut beau défavoüer la Lettre
de fa Mere , l'Evêque de Liége envoya au
Roy la démiffion des Bénefices qu'il poffe -
doit en France , & fe jetta dans le Partid'Efpagne
, qui lui donna un Chapeau . Robert
renvoya l'Ordre de S. Michel , & fe
jetta pareillement dans le Parti d'Espagne .
Fleurange ne voulut pas fuivre les intérêts
de fon pere : mais comme c'étoit Robert
de la Marck & fon frere qui avoient ménagé
les deffeins de François I. pour l'élever
à l'Empire , & qui lui avoient gagné les fuffrages
de quatre Electeurs , le Roy perdit
ces quatre Voix qui lui étoient promiſes ,
en défobligeant la Marck.
Outre cela , il y avoit un Allemand nom-.
mé Sequinque , qui avoit beaucoup de crédit
dans l'Empire ; il vint en France offrir fes
fervices au Roy , qui ne furent que médiocrement
écoutés. Cette négligence le
picqua , & l'engagea à fe déclarer pour ,
L'Espagne ,
1
J
FEVRIER. 1741. 34T
'Espagne , quoique naturellement il eût agi
pour le Roy , fi on l'eût mieux traité . Sequinque
leva des Troupes & s'avança avec
24000 hommes , sous prétexte d'affûrer la
liberté de l'Election , & menaça l'Electeur
de Brandebourg , qui prétendoit à l'Empire.
L'Electeur de Saxe le refusa par une génerofité
inoüie ; de sorte que Charles V. fut
élû , & ne l'eût pas été , fi la Mere du Roy
François , à l'insçû de son fils , pour un médiocre
interêt , n'eût pas fait préferer Boyer
à l'Evêque de Liége , & fi on cût mieux
reçû Sequinque à la Cour.
Nous ne pouvons nous étendre davantage
sur les Piéces de Prose . On indiquera seulement
une excellente Critique de la Tragédie
d'Inés de Caftro , sous le titre de Sentimens
d'un Spectateur François. Elle eft du
mois de Juillet 1723. On soupçonneroit
l'Auteur d'un peu de partialité , fi on n'étoit
pas obligé de lui donner souvent raison
quoiqu'avec tous ses défauts Inés de Caftro
soit goûtée toutes les fois qu'on la remet
au Théatre .
Page 457. on a inseré une Chanson Italienne
sous ce titre , Il difinganno a Tirfi ,
in Ripofta alla Canzone intitolata la Liberta
a Nice : elle est suivie de Ripofta di Nice ad
Elpino del Signor D. R. P. A. alla celebre
Canzone del Signore Abbate Metaftafio. On
trouve
342 MERCURE DE FRANCE
trouve auffi la Traduction en Vers François
de l'Original de M. l'Abbé Metaſtaſio , Poëte
couronné du feu Empereur.
Achevons notre Extrait par la Fable suivante
de M. l'Abbé de Grécourt.
Le Perroquet & la Perruche.
UN Petit Maître Perroquet
Prenoit plaifir à faire entendre
Par fes façons & fon caquet ,
Que pour lui Perruche étoit tendre .
Chaque Oifeau préfent murmuroit
Contre tant de cajoleries :
Perruche elle- même fouffroit
De fes fottes minauderies.
Néanmoins elle n'ofoit point
Le gronder en pleine aſſemblée :
Mais il fut tancé de tout point ,
Si-tôt qu'elle s'en fut allée.
Honteux , confus , tout interdit ,
Il effuya la réprimande :
Puis d'un air docile , il lui dit ;
Inftruifez -moi dans ma demande...
Chés la Belle qui m'a charmé
Comment devrois- je donc paroître è
N'y paroiffez jamais aimé ,
Mais feulement digne de l'être.
Le
FEVRIER.
1741. 343
Le huitiéme Volume de cet Ouvrage Périodique
eft en vente. L'impreffion en eft
fort belle & sur du Papier fin. Nous aurons
soin de le faire connoître , quand nous en
aurons fait la lecture.
EXTRAIT d'une Lettre de l'Auteur de
la Description Géographique & Hiftorique
de la Haute Normandie , à M. Maillart ,
Avocat au Parlement de Paris.
L me semble , Monfieur , que vous me
I domez main à vouloir
Dans la persuafion où je suis avec toute la
Normandie , que l'Efchiquier a toujours eu
le dernier reffort , j'étois surpris que vous
euffiez avancé qu'il ne l'a eu que depuis l'an
1499. Je vous demandois à quel Parlement
on pouvoit apeller de ses Jugemens , & dans
le dernier Mercure de l'an 1740. vous avoüez
que le Parlement même de Paris ne pouvoit
juger les apellations de l'Eschiquier. Mais ,
ajoûtez-vous , l'apel interjetté du Delegué se
porte au Deleguant , d'où vous concluez
qu'il falloit se pourvoir pardevant le Roy ,
ainfi qu'il se pratique présentement par la voye
de caffation . De là , toute la Normandie con
clut avec moi : donc , ou aucun Parlement
du Royaume n'a le dernier reffort , puisque
de tout Parlement du Royaume on peut
Lou344
MERCURE DE FRANCE
toujours se pourvoir devant le Roy par la
voye de caffation,ou l'Eschiquier l'avoit avant
l'an 1499. Mais , dites - vous , M. vous avez
pour garant le fçavant FrançoisRagueau , mort
le 13 Septembre 1605. qui a dit que l'Eschiquier
n'a été érigé en Cour Souveraine
qu'en 1499. Donc , poursuivons - nous tous
les Normands & moi , le Sçavant François
Rague au , en quelque année qu'il soit mort,
ne sçavoit ce qu'il disoit . Je suis très parfaitement,
Monfieur , & c.
Ce 30 Janvier 1741 .
EXTRAIT du Mémoire de M. Morand
fur les Remedes de Mlle Stephens , lû à
la Séance publique de l'Académie Royale
des Sciences , le 13. Novembre 1740 .
N don confidérable , fait le Parlement
U d'Angleterre à Mile Stephens , pour avoir publié
fes Remedes pour la Pierre , & fur le témoignage
avantageux des Commiffaires chargés d'en
examiner les effets , devoit néceffairement exciter
l'attention des Gens de l'Art . L'Académie , toujours
occupée de ce qui a raport au bien de la Societé ,
ayant chargé M. Morand de faire des Expériences
de ces Remedes , il les a commencées, il y a quinze
mois , & il en donne le réfultat dans fon Mémoire,
qui contient 1. un précis de ce qu'il a obfervé
dans quarante perfonnes qui ont ufé des Remedes
de Miie Stephens . 2 °. Differentes Expériences faites
FEVRIER: 1741. 345
res fur.des Pierres de veffie , pour expliquer la maniere
dont ces Remedes opérent . 3° . Les conféquences
qu'on en peut tirer .
M. Morand a divifé les Méthodes en quatre clasfes
, & en a donné à l'Académie une Lifte détaillée .
En géneral , les Remedes ont parû faire du bien à
ceux qui fe plaignoient d'embarras dans les reins ,
& même de coliques néphrétiques . Ils ont augmenté
les maux de ceux qui rendoient des urines
purulentes ; ils foulagent ordinairement les graveleux
. Les Enfans ne font pas fufceptibles de leurs
effets ; ils ont plus de prife fur les adultes , & les
vieillards fur tout en fentent plus efficacement l'énergie.
La Boiffon favoneufe , & les Poudres dans
le vin blanc , que l'on prend defuite , ont causé
quelques accidens légers , qui ont parû l'effet ou
de leur âcreté au gofier , ou du dégoût dans beaucoup
de Malades . Ils ont augmenté les douleurs
pendant les premiers jours , il y en a eû d'autres à
qui ils ont rendu affés promptement la faculté de
retenir leur urine . Enfin les Remedes ont operé diverſement
; tantôt ils ont fait rendre avec l'urine
des glaires & un fédiment blanc , tantôt ce fédiment
ſeul , de petites lames vifqueufes , des écailles
pierreales , convexes d'un côté & concaves de l'autre
, des fragmens de pierre , de petites pierres entieres
. Ils n'ont dérange en perfonne aucune des
principales fonctions naturelles ; peu de Malades
s'en font retirés , quelques- uns en ont pris pendanɛ
près d'un an de fuite.
Quant à leur opération , les Remedes femblent
réunir les deux proprietés de lithontriptique & de
diffolvant. Les Expériences auxquelles on les a foûmis,
en montrent la vertu diffolvante , & ces Expériences
ont été faites en Angleterre & en France
par des perfonnes très - habiles . En voici une de
M. Morand. G I1
346 MERCURE DE FRANCE
Il a fcié en quatre une Pierre de veffie , fort liffe
& très- folide , après avoir pefé chaque morceau ,
il les a mis dans des Poudriers de verre ; fçavoir ,
un morceau dans l'urine d'un Bomme qui prenoit
actuellement la boiffon & les Poudres ; un morceau
dans l'urine d'un homme parfaitement fain ;
un morceau dans la boiffon favoneufe ; un morceau
dans la diffolution fimple de favon , en égale
quantité à celle de la boule favoneuſe . Il les a mis
& laiffé en digeftion pendant un mois , à la chaleur
d'un feu de lampe , à peu près égale à celle de l'urine
naturelle dans la veffie. Au bout du mois , il
a fait fecher les quatre morceaux fur le même ſable
pendant trois jours , & les ayant pesés enfuite ,
il s'eft trouvé que le morceau dans l'urine empreinte
de la qualité des Remedes , avoit perdu trois
grains fur 127 ; que celui dans l'urine d'un homme
parfaitement fain , avoit acquis un grain de plus à
ajoûter à 119, que celui dans la boiffon favoneufe
étoit diminué de prés d'un tiers , & que celui dans
l'eau de favon avoit perdu huit grains fur 68.
Il eft bien difficile de fe refufer aux conféquences
naturelles que préfentent ces Expériences; on y voit
la preuve que des pierres environnées de l'urine
ordinaire , y reçoivent des accroiffemens par la
jonction de certaines parties de l'urine à la pierre .
On y voit la pierre environnée de l'urine qui eft
impregnée des Remedes , devenir plus pénétrable
à la liqueur très - environnate, & un peu diminuée de
poids . On eft obligé d'attribuer cette diminution
aux Remedes , puifque la pierre environnée de la
liqueur favoneufe , y a perdu près d'un tiers de fon
poids ; il paroît enfin que ce n'eft pas au favon feul
que cet effet apartient , puifque le morceau dans
l'eau de fayon n'a perdu que 8. grains fur 68. On
donc pas efperer de rendre la boiffon auffi .
ne peut
efficace
FEVRIER. 1741. 347
efficace, en ne la compofant qu'avec le favon d'Alicante
tout feul , & on eft même autorisé à effayer
la liqueur favoneuſe en inaction dans la veffie. M.
Morand promet de le faire .
Après avoir établi dans la liqueur favoneufe une
vertu diffolvante , M. Morand en explique l'opération
par les principes avoués des Phyficiens , & déduits
de l'action des Sels alkalis fur les natieres
graffes qui lient les parties tartareufes de toute concrerion
animale , il compte auffi pour beaucoup
Peffet de quelques parties de chaux contenues dans
le favon , & prétend que les Poudres de limaçons
& de coquilles d'oeufs calcinées , que plufieurs perfonnes
regardent comme inutiles , donnent une
vraye chaux, âcre à la langue , & très- propre à re-
Vivifier celle du favon.
Enfuite il réfout trois questions importantes , 1 °.
quelle preuve a t'on que les Remedes arrivent aux
urines M. Morand le démontre par la fimple
obfervation , & par l'analyfe chimique que M.
Geoffroy a faite des urines . 2 °. S'ils y vont , comment
ne font - ils point de mal dans le fang qui les
y porte Vrai-femblablement, dit M. Morand, il eft
réfervé à l'urine feule de déveloper les principes
diffolvans de la liqueur, & les Remedes qui ne rendent
l'urine alkaline que par leur féjour avec l'urine
même , ne féjournent pas affés dans le fang pour
y nuire . 3 °. Etant arrivés à la veffie , comment ne
la bleffent- ils point ? On fait en géneral , ſuivant le
calcul de Keil , deux livres fix onces d'urine par
jour , il y a de quoi émouffer 3. gros de Sel de foude
& trois gros des Poudres qu'on prend par jour ;
de plus , le favon porte avec fon huile le correctif
du Sel de foude .
Entre les exemples qui confirment la vertu disfolvante
des Remedes , l'Obfervation de M. Cors→
Gij teits,
348 MERCURE DE FRANCE
teits , Maître des Poftes d'Angleterre , eft bien re,
marquable.Il avoit ceffé les Remedes avant que d'être
parfaitement guéri , il mourut, & on trouva dans
fa veffie deux Pierres , dont chacune en contenoit
une autre , à la façon des Pierres d'Aigle. L'inté
rieure étoit usée , foible & comme vermouluë par
l'effort des Remedes ; l'exterieure plus dure , étoit
produite par l'affemblage des matieres homogenes
à la Pierre,depuis qu'il avoit ceffé les Remedes .
?
Mais ces Remedes guériront -ils tout le monde
de la Pierre Leur feroit- il donné de faire craindre
aux Lithotomiftes que leurs talens devinffent
inutiles M. Morand reconnoiffant avec les Anglois
, que les Remedes n'agiffent point fur les enfans
( on n'en fait point trop la raifon ; voilà d'abord
un grand domaine confervé aux Lithotomiftes ,
& le partage du refte , dit M. Morand , ne fera encore
que trop en leur faveur. En effet plufieurs cir
conftances détermineront une partie des adultes à
P'Opération ; ceux qui auront des urines purulentes ,
ne pourront continuer les Remedes ; ceux qui au
ront des Pierres meurales , n'en tireront point de
fruit. M. Morand regarde ces Pierres , fur tout
celles qui font de couleur de mâche. fer , comme
un composé particulier d'urine & de fang , duquel
réfulte une concrétion beaucoup plus dure que cel
le des Pierres blanches.
Mais comme on ne connoît exactement la confiftance
de la Pierre que lors de fon extraction , il
eft fimple d'éprouver des Remedes qui n'ont point
d'inconveniens , & qui peuvent exempter d'une
Opération , toujours formidable ,quelque perfection
qu'on y ait ajoûté. N'y eût il qu'un très - petit
nombre de malades guéris par les Remedes , il faut
piperer de guérir.
Cette efpérance , d'ailleurs , eft fondée fur des
exemples.
FEVRIER . 1741. 349
temples. De onze Adultes , fondés par M. Mond
ou par des Chirurgiens connus , quatre font
rt foulagés , & quatre fe comptent abfolument
héris. On demandera , fans doute , fi ces Malaes
ont été fondés depuis qu'ils ont quitté les Reedes
; il y en a huit dans ce cas en Angleterre, en
i on n'a point trouvé la Pierre ; M. Morand n'en
point à citer en France , parce que les Malades
at refusé conftamment de fe foûmettre à cette
reuve , qui , fuivant les difpofitions qu'on aporte
l'examen de la fonde , eft inſuffiſante ou fuperuë
; iafuffifante , parce qu'il peut arriver que la
onde ne rencontre pas la Pierre , quoiqu'elle y foit
encore ; fuperflue , parce que fi le Malade ceffe d'avoir
les accidens de la Pierre , ſon objet eſt abſotument
rempli. Un de ceux à qui M. Morand a
lonné le Remede difoit , qu'il s'étoit laissé fonder
our lui avant que de commencer les Remedes , mais
que fe croyant guéri , il ne jugeoit pas à propos de fe
differ fonder pour le Public.
*
Il n'y aura donc jamais qu'une preuve pofitive , la
echerche de la Pierre dans la veffie après la mort.
Enfin M. Morand , après avoir donné fur l'ufae
des Remedes dans divers cas , des Obfervations
tiles , & annoncé les corrections que M. Geoffroy
faites à la Formule venuë d'Angleterre , il ne fait
as difficulté de conclure en déclarant que , fi le
Certificat des Commiffaires nommés par le Parleent
d'Angleterre lui eût été préfenté , il auroit
olontiers foufcrit avec le Sr Pellet , Préfident du
College des Médecins de Londres , que les Remedes
le Mile Stephens font fouvent utiles efficaces pour
a Cure de la Pierre dans la veffie.
Giij EXTRAIT
350 MERCURE DE FRANCE
EXTRAIT du Mémoire de M. de Caffini
de Thuri , lê dans la derniere Affemblée
publique de l'Académie des Sciences.
Ltronomiques de Thuri ,étoient , Pun ,
Es deux objets principaux des Opérations Asla
vérification de la Ligne Méridienne de l'Obfervatoire
depuis Paris jufqu'à Dunkerque , de la même
maniere qu'il avoit executé l'année précedente
depuis Paris jufqu'aux extrémités méridionales de
la France ; l'autre la Defcription des Frontieres du
Royaume depuis Dunkerque jufques à Salins ; en
Franche-Comté , qui devoit terminer la partie la
plus effentielle du Projet formé fous ce Miniftere
par M, le Contrôleur Géneral , de déterminer par®
des Opérations Géométriques , c'eft- à - dire d'une
maniere exacte & invariable , toute l'étenduë de la
France.
Dans la premiére Partie de ce Mémoire , il fait
voir combien la vérification de la Ligne Méridionale
de Paris devenoit néceffaire pour la Géogra- :
phie du Royaume puifque dans le Plan qu'il s'eft
proposé de fuivre pour l'exécution de ce grand Ouvrage,
il a jugé devoir y raporter les differens , tant
paralleles que méridiens , qu'il a décrit depuis quel
ques années , & que par conféquent il étoit néces
faire d'en bien connoître la direction & la véritable
étendue il infifte auffi fur la néceffité de cet Ouvrage
par raport à la figure de la Terre , puifque
quand même on fupoferoit la grandeur du degré
vers l'Equateur & fous le Cercle Polaire , exactement
connue , il étoit toujours néceffaire de conftater
la grandeur du degré en France, dont le 45. eft
pour ainfi - dire le terme de comparafon , & que
dans quelque hypoteſe que l'on fúive fur la figure
de
FEVRIER. 1741 351
de la Terre , fupofée réguliere , c'est à cet endroit
là que l'inégalité d'un degré à l'autre eft le plus
fenfible , qu'elle augmente ou diminuë enfuite dans
la même proportion.
Je n'entrerai point ici dans le détail de toutes les
précautions & des moyens qu'il a mis en ufage pour
conftater un des points le plus effentiel à l'Ouvrage
qu'il alloit entreprendre ; fçavoir , la baze de M.
Picard , qui a fervi de fondement , non- feulement
à fes Opérations , mais encore
toutes celles que
l'on a décrites dans toute l'étenduë de la France , &
je me bornerai dans cet Extrait au fimple réſultat
de fes Obfervations.
à
Il commence d'abord par examiner quelle eft la
grandeur du Degré moyen en France , réfultante
des Obfervations tant Aftronomiques que Géométri
ques, faites dans toute l'étendue de la Méridienne ,
& il la trouve de 57056. differente feulement de 4
toifes de celle qui a été déterminée par M. Picard ,
dans fa mefure de la Terre, & par M.fon Pere , dans
fon Livre de la grandeur & de la figure de la Terre .
Il paffe enfuite à l'examen de la grandeur du de
gré moyen du Méridien de la Terre , & il la conclud
de $ 7048 . Multipliant cette quantité par 360°.
il trouve l'étendue de la circonférence de la Terre
de deux millions cinquante- trois mille fept cent
vingt-huit toifes .
Ayant ainfi déterminé la grandeur du degré
moyen de la Terre , il confidere quelle eft la figure
qui réfulte de fes Obfervations , ce qu'il pourroit
faire en differentes manieres , toute la Méridienne
étant divifée en quatre parties , dont il a le rapórt
des degrés avec les mefures fur terre ; mais comme
les inégalités , s'il y en a , doivent être plus fenfibles
, à mesure qu'on s'éloigne de part & d'autre du
degré moyen , il examine feulement ce qui réfulte
Ginij de
352 MERCURE DE FRANCE
de la grandeur du degré le plus méridional de la
France comparé à celle d'un autre degré le plus
au Nord de Paris.
Par les Obfervations de cette année , il a trouvé
la grandeur du degré entre Paris & Dunkerque,de
17081. T. felon celles de l'année derniere . Il a déterminé
la grandeur du degré entre Rhodes & Perpignan
, de 50745. T. ainfi il trouve une diminution
de 36. toiles dans la grandeur du degré , &
qu'elle eft favorable à l'hypothefe de l'aplatiffement
de la Terre , il eft vrai que cette, détermination ſupofe
que les Obfervations ayent été faites avec la
derniere exactitude , car on conçoit aisément que
l'erreur d'une feule feconde en produit une de 16.
toifes fur les meſures terreftres ; pour peu qu'il y
ait d'erreur dans les Obfervations ou dans les Inftru.
mens que l'on a employés , la Terre fera Sphérique
ou plus aplatie vers les Poles , puifque toute la difference
entre le degré le plus Septentrional & le
plus Méridional de la France fe réduit à 36. T. ou
près de deux fecondes de degré , fans encore avoir
égard aux petites erreurs inévitables dans la ſuite
des Opérations Géometriques.
M. de Thuri remarque auffi que la distance de
P'Obfervatoire à Amiens , s'eft trouvée plus courte
de 98. toifes que ne l'avoit fupofé M. Picard , difference
qui eft dûë en partie à une erreur de S. à 6.
toiles dans la longueur de la baze que cet Aftronome
avoit employé , & que l'on a reconnue par une
nouvelle baze , mefurée prefque dans le même endroit
fur le grand chemin de Paris à Fontainebleau.
Selon cette correction , jointe à celle que Mrs de
l'Académie ont faite en dernier lieu aux Obfervations
de M Picard , on trouve la grandeur du degré
entre Paris & Amiens de 57074. peu differente
de celle que l'on a déterminé au Nord de Paris , ce
qui
FEVRIER.
3531
1741.
qui prouve l'accord des nouvelles Obfervations
faites de part & d'autre .
Ce degré ne differe que de 14. toifes de celui qui
eft marqué dans le Livre de la meſure de la Terre,
ce qui fait voir que les erreurs dans les Obfervations
de M. Picard , tant Céleftes que Terreftres
fe font compenfées .
M. de Thuri ne s'étend que fort peu fur la
feconde Partie de fon Mémoire , qui regarde les
Obfervations qu'il a faites , conjointement avec M.
Méraldi , pour la conftruction de la Carte de France
; il fe contente de donner une idée de tout ce
qui a été fait depuis huit années confécutives , en
repréfentant d'abord la Méridienne de l'Obférvatoire
, prolongée dans toute fon étendue , depuis
Dunkerque jufqu'aux Frontieres d'Eſpagne ; deux
autres Méridens , dont l'un part de Cherbourg, traverfe
la Normandie , la Bretagne , le Poitou , la
Gafcogne , & fe termine à Bayonne , l'autre commence
à Spire , traverſe la Saxe , la Franche-Comté
, le Dauphiné , la Provence , & fe termine à Antibes
; une Perpendiculaire à la Méridienne de Paris
, qui fe termine aux parties les plus Orientales
& Occidentales de la France ; une autre Perpendi -
culaire , qui commence à Bayonne , & va fe réunir
à la Méridienne vers Carcaffonne , traverfe le haut
& le bas Languedoc , la Provence , & fe termine à
l'autre Méridienne du côté d'Antibes ; deux autres
Perpendiculaires du côte de l'Occident , décrites à
la diſtance de 60000. toifes de Paris , Pune vers le
Nord , & vont fe néünir en Breft ; enfin la jonction
de ces Perpendiculaires entre elles , & la Méridiende
, ce qui comprend tout le contour du Royaume
& s'étend beaucoup dans Pintérieur .
M. de Thuri promet de donner inceffamment au
Public , non-feulement des Cartes dreffées fur ces
GY Mémoi354
MERCURE DE FRANCE
Mémoires , mais les Obfervations mêmes , pour
que ceux qui voudront fuivre fon travail , puiſſent
en profiter.
On aprend de Lisbonne , que l'Académie Royale
de l'Hiftoire tint le 3. du mois de Janvier fa derniere
Affemblée de l'année derniere ,
& que le
Comte d'Affumar , qui y préfida en qualité dé Directeur
, prononça un fort beau Diſcours , dans lequel
il prouva que la pureté du langage étoit abfolument
néceffaire à l'Orateur .
Le Pere Michel de Bulhoens , Religieux de l'Ordre
de S. Dominique , lût enfuite un Eloge Funebre
du Pere Lucas de Ste Catherine , un des Académiciens
qui font morts dans la même année , &
Don Joachim Fidalgo de Silveira , Chevalier de
l'Ordre de Chrift , Gentilhomme, de la Maiſon du
Roy , & Defembargador de la Maifon de Supplication
, lequel a obtenu la place vacante dans l'Académie
par la mort de ce dernier , remercia l'Académie
par un Difcours fort éloquent.
Les deux Cenfeurs ont été continués dans l'exercice
de leurs Emplois.
La même Académie s'affembla le 7. du mois paffé
l'après midi & Don Alexandre de Guſman , Chevalier
de l'Ordre de Chrift , & Gentilhomme de la
Maifon du Roy, lequel eft Directeur de cette Compagnie
, prononça un Difcours fort éloquent , dans
lequel il fit l'Eloge de la Reine.
STATUTS & Reglemens de l'Académie établie
à Dijon par Lettres Patentes du Roy, Brochure
in-4° . de 17. pages . A Dijon , chés Jean Sirot
Imprimeur de l'Académie des Sciences , Place Saint
Etienne , M. DCC . XL.
Nous nous contenterons de raporter ici les Lettres
FEVRIER. 1741. 355
tres Patentes du Roy , qui inftruifent de tout ce qui
eft néceffaire à fçavoir fur ce nouvel Etabliffement .
Nous omettons les Statuts & Reglemens contenus
en 48. Articles , à caufe de leur longueur , & parce
que nous avons apris d'ailleurs qu'il pourra à cet
égard y avoir quelque changement .
LOUIS PAR LA GRACE DE DIEU , &c. Nos
Amés & Féaux le Sr Lantin , Doyen de notre Cour
de Parlement de Bourgogne , les Srs Witte & Thomas
, Confeillers en la même Cour , le Sr Quarré ,
notre Procureur Géneral en icelle , & le Sr Burteur,
Confeiller Honoraire en notredite Cour , & Vicomte
Mayeur de notre Ville de Dijon , Nous ont fait
repréfenter que le Sr Hector- Bernard Pouffier , décedé
Doyen de notre Parlement de Bourgogne ,
avoit deftiné une partie de fes biens à fonder une
Académie en notre Ville de Dijon par fon Teſtament
Olographe du premier Octobre 1725. qu'il
en avoit déterminé l'objet aux Matieres de Phyfique,
à celles de Morale qui concernent les devoirs
de l'homme , par raport à foi & par raport à la Societé
Civile , & aux Parties de la Médecine qui dépendent
de la Phyfique : Qu'il avoit fixé le nombre
des Académiciens à 24. tang Honoraires que Penfionnaires
& Affociés , avec un Sécretaire , fous la
conduite de cinq Directeurs nés & perpétuels ; &
qu'à la forme de ce Teftament les Expofans
étoient actuellement apellés aux Fonctions de Directeurs.
Inftruits de nos Loix qui défendent de
faire des Affemblées publiques & reglées , & furtout
de former un Corps , fi ce n'eft avec notre
Permiffion expreffe & fous notre Autorité , ils nous
ont très -humblement fait fuplier de leur accorder
nos Lettres néceffaires pour établir cette Académie,
& de lui donner felon l'efprit & l'intention de fon
Fondateur , l'ordre & la forme les plus propres
G vj
356 MERCURE DE FRANCE
à procurer l'utilité publique , par le Reglementqu'il
nous plairoit d'ordonner . La grande réputation des
Académies , le luftre qu'elles donnent aux Villes de
notre Royaume dans lesquelles nous en avons permis
l'Etabliffement & l'utilité qu'elles produisent ,
Nous ont engagé à communiquer le même avantage
à la Capitale de la premiere de nos Provinces.
Il nous a parû que c'étoit une voye éprouvée de multiplier
les Talens , & d'en faire naître qui demeureroient
enfevelis fans cette occafion de les déveloper,
& que le concours des recherches particulieres aug.
menteroit le progrès géneral des Sciences , auxquelles
un Etat doit une partie de fa fplendeur. Nous
avons encore confideré que les Matiéres affectées
aux Conférences Académiques qui fe tiendront à
Dijon , intereffant tous les hommes fans exception ,
la connoiffance n'en peut être pouflée trop loin.
A CES CAUSES , voulant favorifer un Etabliffement
que l'amour de la Patrie & l'avantage du Public ont
infpiré à un de nos anciens Officiers dans la difpenfation
de la Juftice , & exciter la noble émulation
de ceux de nos Sujets qui feroient en état de fe procurer
par de femblables difpofitions une forte de
pofterité , auffi durable , qu'utile & glorieufe :
Nous avons , de notre Grace ſpéciale , Pleine Puisfance
& Autorité Royale , permis , aprouvé & autorifé
par ces Piéfentes , fignées de notre main ,
permettons , aprouvons & autorifons l'Etabliffement
d'une Académie en notre Ville de Dijon . Ce
faifant , Nous avons dit déclaré & ordonné , difons
, déclarons & ordonnons ce qui fuit , &c.
Ici eft la teneur des XLVIII.Articles des Statuts , t.
SI DONNONS EN MANDEMENT à nos Amés &
Féaux Confeillers , les Gens tenant notre Cour de
Parlement à Dijon , que ces Préfentes ils ayent à
faire lire , publier & enregiftrer , icelles faire executer,
FEVRIER 1741 357
neur ,
euter , garder & obferver felon leur forme & teceffant
& faifant ceffer tous troubles & empêchemens
contraires . CAR TEL EST NOTRE
PLAISIR ; & afin que ce foit chofe ferme & ftable
à toujours , Nous avons fait mettre notre Scel à ces
Préfentes , données à Verſailles au mois de Juin ,
l'An de Grace 1740. & de notre Regne le 25. Signé
LOUIS , & plus bas par le Roy , PHELIPEAUX ,
Vifa DAGUESSEAU , pour l'Etabliffement d'une
Académie dans la Ville de Dijon. Sur le dos , Signé ,
SAINSON , & fcellées du grand Sceau de Cire verte
à doubles Lacs de foye rouge & verte.
Registrées , oui ce requerant le Procureur Géneral
du Roy , pour être executées fuivant leur forme &
teneur. FAIT en Parlement à Dijon , les Chambres
affemblées , le 30. Juin 1740. & ont été lesdites
Lettres Patentes lues & publiées à l'Audience de ladite
Cour , le quatre du mois de Juillet fuivant ,
Signé , CHANCELIER .
Im-
On nous a donné avis que le Sr Caranove ,
primeur-Libraire de la Ville de Toulouſe , y expofera
en vente le premier Mai prochain , les deux
Bibliothéques de feu M. de la Berchere , Archevêque
de Narbonne , & de feu M. Colbert , Evêque de
Montpellier.
Ces deux Prélats n'avoient rien négligé pour rendre
leurs Bibliothéques confidérables , foit par les
Livres les plus rares & les meilleures Editions , foit
par des fuites nombreuſes & bien conditionnées ,
foit enfin par les plus belles Reliûres.
Le mérite de ces deux Prélats , les rangs qu'ils tenoient
dans la République des Lettres , font affés
connus du Public , pour qu'il doive préfumer avantageufement
des collections faites fous leurs yeux.
Ils avoient des facilités , dont ils firent ufage , pour
faire
318 MERCURE DE FRANCE
faire venir des Pays Etrangers les Livres qui y
étoient imprimés ; auffi les matieres Théologiques ,
la partie Hiftorique , & celle des Belles - Lettres , y
font extrémement complettes.
La Bibliothéque de M. de la Berchere avoit été
augmentée par feu M. de Beauvau , fon Succeffeur,
& dans celle de M. Colbert , on trouve tout ce que
feu M. Boufquet , Evêque de Montpellier avoit
raffemblé .
Le Public a déja vû le Catalogue de la Bibliothéque
de feu M. Colbert , en deux volumes in- 8 ° , &
on imprime actuellement chés le Sr Caranove , celui
de la Bibliothéque de feu M. de la Berchere. II
paroîtra dans le courant du mois de Mars .
Ceux qui voudront acheter , pourront s'adreffer en
droiture au Sr Caranove, ou à M. Embry, Négociant
au coin de la rue Guenegaut , à Paris.
AVIS important pour les Perfonnes louches.
M. Morand , de l'Académie Royale des Sciences ,
étant informé de la capacité du Sr Sayde , Lunetier-
Miroitier , s'eft adreffé à lui pour faire un Inftrument
propre pour redreffer la vue. Il étoit queftion de
faire une Louchette , la plus parfaite qu'il feroit
poffible , pour une jeune Perfonne . Le Sr Sayde ,
toujours attentif à perfectionner fon Art , & guidé
par les lumieres de M. Morand , a trouvé le moyen
de faire une Loucherte d'une nouvelle façon , plus
légere & beaucoup plus commode que celles qui
ont parû jufqu'à préfent. Elle a parfaitement réüffi ,
non-feulement pour la jeune Perfonne , mais auffi
pour plufieurs autres qu'il croit ne devoir pas nommer.
Il ne croit pas non plus qu'il foit néceffaire
de faire ici une defcription de cette nouvelle Louchette
, ni d'en vanter tous les avantages ; la réüsfite
FEVRIER 1741 359
fite & l'Aprobation de M. Morand fuffifent. Il ofe
affûrer le Public , qu'à la feule infpection de ce
nouvel Inftrument on pourra juger de fa perfection.
On peut le voir chés lui , fur le Quai de l'Horloge,
à l'Enfeigne de l'Esperance , la feconde Boutique
en defcendant du côté du Pont Neuf. On trouve
auffi chés lui toutes fortes de Lunettes , Lorgnettes ,
Lunettes d'aproche , Microſcopes , Louchettes , &
géneralement tout ce qui concerne fon Art & fa
Profeffion.
ESTAMPES NOUVELLES.
Voici une grande & très - belle Eftampe en large ,
gravée depuis peu par M. Jac. Ph . le Bas , chés le
quel elle fe vend , au bas de la rue de la Harpe
vis -à- vis la rue Percée , d'après un Tableau original
de Ph . Wauvremans ; c'eft un grand Payfage ,
au milieu duquel on voit une Chafe fous le titre
des Sangliers Forcés . Dédiée à M. Charles Guftave ,
Comte de Teffin , Sur - Intendant des Bâtimens &
Jardins du Roy de Suede , & Maréchal d' l'Affenblée
de Etats du Royaume de Suede en 1738.
La Suite des Portraits des Rois de France , des
Grands - Hommes & des Personnes Illuftres dans les
Arts & dans les Sciences, continue de paroître avec
fuccès chés Odieuvre , Marchand d'Eftampes , Quai
de l'Ecole ; il vient de mettre en vente , toûjours de
la même grandeur , ceux de
LOUIS II. DIT LE BEGUE ,
France , mort à Compiegne le 10.
de 30. à 35. ans , apres un an & 7 .
deffiné par A. Boizot , & gravé par J.
XXVI . Roy de
Avril 879. âgé
mois de Regne,
G. Will.
CHARLES DE LONGUEVAL , COMTE DE BUQUOY ,
Baron de Vaux , tué dans une Bataille près Neuhaufel
le 12. Juillet 1622.
GEORGES
360 MERCURE DE FRANCE
GEORGES DE VILLIERS , DUC DE BUCKINGHAM,
né le 28. Août 1592. tué à Portsmouth le 28.
Août 1628.
LETTRE de M. D. L. R. écrite à M le
Préfident D. M. fur la Médaille d'un
Prince de la Maifon d'Eft.
J
E commence , Monfieur , par vous remercier
très humblement du préfent que vous m'avez
fait d'une belle Médaille d'un Prince de la Maiſon
d'Eft , diftingué dans l'Hiftoire , fur tout par fon
amour pour les Lettres & pour les Arts , & par la
faveur qu'il accorda aux Sçavans . Avant que de rien
entamer fur ce fujet , j'admire que , n'ayant point
rencontré cette Médaille dans tout votre voyage
d'Italie, ces qui me fait croire qu'elle doit être rare ,
vous l'ayez trouvée à Paris ; elle ne pouvoit
tomber en de meilleures mains . Il m'est arrivé ,
Monfieur , quelque chofe de femblable , lorfque
j'ai trouvé en Normandie certaines Médailles dans le
même genre, qui ont été frapées en Italie ,en Flandres
&c. telles que font celles de Galéas , Duc de Milan,
de Frederic III. Duc d'Urbin, de Cosme de Medicis,
Grand Duc de Toscane , de Dom Juan d'Autriche
au R. La Bataille de Lepante ; de Guill . de Naffau,
Prince d'Orange , au R. Charlotte de Bourbon , &
plufieurs autres qui pourront orner mon Voyage
Litteraire de Normandie ; mais revenons à notre
Médaille.
.
Elle eft , comme vous fçavez, Monfieur, de Bronze
, de la grandeur de la Gravûre que j'en ai fait
faire , & que je joins ici . D'un côté eft une Tête en
demi Bufte , avec de courts cheveux crêpés , &
cette Infcription autour : LEONELLUS MARCHIO
ESTENSIS ; ces trois mots font féparés chacun l'un
de
MARCHIO
SATT
1-1
ES
LLARI
ASTOR LENOX AND
P RESTIADATIONS
THAN
/ YORK
PUBLIC
LIBRARY
ACTOR
, Etu
TILDEN
T
d
FEVRIER. 1741. 361
de l'autre , par un rameau de Laurier . Le Revers
préfente deux Figures humaines toutes nues & asfifes
au pied d'un Mât de Navire , lequel porte une
Voile enflée par le vent , &c. avec ces mots :
OPUS PISANI PICTORIS.
L'Hiftoire nous aprend que Leonel, Marquis d'Eft,
&c. pour qui la Médaille a été frapée , étoit fils de
Nicolas III . Marquis d'Eft , & c. lequel eut jufqu'à
vingt-deux enfans illégitimes , dont les principaux
furent notre Leonel & Borſo d'Eft . Le premier, né en
1407. époufa en premieres Nôces Marguerite de
Gonzagues , & en fecondes , Marie d'Aragon , fille
naturelle d'Alphonfe I. Roy de Naples. Je n'entrerai
dans aucun détail fur les circonftances de
fa vie , qui finit le 30. Septembre 1450. J'ajoûterai
feulement que , malgré le défaut de fa naiffance
, à la mort de fon Pere il fut reconnu pour fon
fucceffeur par le Sénat de Ferrare , dans le Marquifat
de ce nom . Il étoit amateur de la Paix , & tâcha
de l'établir dans fes Etats , & de la maintenir
dans toute l'Italie , non , dit un bon Hiftorien * moderne,
pour le livrer avec plus de tranquillité à fes
plaifirs , ou à une ſtupide oifiveté , mais pour faire
fleurir les Sciences & les Arts , fi dignes de l'attention
d'un Prince jaloux de fa gloire & du bonheur
de fes Sujets . Il embellit beaucoup la Ville de Ferrare
par de beaux Edifices , au nombre defquels on
compte le Monaftere des Anges , qu'il donna aux
Dominicains & où il fut inhumé auprès de fon Pe .
re . I laiffa de Marguerite de Gonzagues un fils
nommé Nicolas , qui mourut tragiquement en l'année
1476. Borſo d'Eſt , ſon frere , autre fils naturel
de Nicolas III . lui fucceda ; il eut pareillement de
grandes qualités , fingulierement celle d'aimer & de
* M. de Chazaux , dansfes Généalogies Hiftoriques ,
proteger
362 MERCURE DE FRANCE
proteger les Sciences & ceux qui en faifoient profeffion
, enforte qu'il fut furnommé le Pacificateur
l'ornement de la Patrie . L'Empereur Frideric III .
lui donna en 1452 , le titre de Duc de Modene &
de Regio , avec la permiffion de porter l'Aigle Im-,
périale dans fon Ecu . Le Pape Paul II . en le créant
peu de tems après Duc de Ferrare , ajoûta à fes Armes
les Gonfalons de l'Eglife .
Voilà , M. tout ce que les bornes d'une Lettre
me permettent de dire au sujet de la face de cette
Médaille ; le Prince qui y eft représenté n'eſt point
douteux , & le peu que je viens de vous exposer de
son Hiftoire ne peut être contefté . Il n'en eft pas
de même du revers qui me paroît obscur & symbo
lique. Je vous avouerai que rien de tout ce que j'ai
lú au sujet de ce Prince, ne m'autorise à en expliquer.
P'énigme ; fi la Médaille étoit du Peré au lieu du
Fils , ce Mât de Navire portant une voile enflée ,
pourroit fignifier ses voyages d'outre Mer .
Car l'habile & laborieux Auteur , déja cité , de
P'Ouvrage intitulé Génealogies Hiftoriques des Rois ,
c. qui a été fi bien reçû du Public , nous aprend
T. I. p . 346. que » Nicolas III . Pere de Leonel
» se voyant en paix avec ses Voifins , se mit à
» voyager , il alla en Cypre , à Jerusalem , en Espagne
, & en France . Le Roy Charles VII. lui
» accorda , entr'autres marques de son eftime , de
» porter dans ses Armes trois Fleurs de Lys ; » &
l'Auteur ajoûte là deffus une Note curieuse au- bas
de la même page 346 .
Quoiqu'il en soit , le Revers de notre Médaille
ne peut être long - tems obscur ; le célebre M.
Muratori , Auteur du grand Ouvrage Rerum Ita-
Licarum Scriptores , & qui a auffi entrepris l'Hiftoire
entiere de la Maison d'Eft , dont j'ai vu le I. Vol.
dans la Bibliothèque de l'Abbaye de S. Germain
des
1
FEVRIER: 1741 363
des Prés , dédié au Roy d'Angleterre , Electeur
d'Hanovre , le regardant comme le Chef de toute
cette ancienne & illuftre Maison ; M. Muratori ,
dis-je , eft plus que personne en état d'expliquer
ce Revers , peut- être cela eft - il déja fait , vous ferez
des premiers à en être inftruit ; car je n'ignore
pas , M. les liaisons que vous avez avec ce Sçavant
du premier ordre , qui aura sans doute été charmé
de votre découverte.
J'ai l'honneur d'être , Monfieur , & c.
A Paris le 19. Février 1741.
P. S. J'oubliois , Monfieur , de vous dire qu'en
parcourant le grand Ouvrage Bibliotheca Bibliothecarum
de Dom Monfaucon , je fuis tombé fur un
Article qui regarde précisément notre Leonel d'Eft,
& que je ne veux pas oublier ici . Cet Article eft
ainfi énoncé p . 450.
Archivium Ravenatenfe.
Art . 3. Item copia Bulla Nicolai I. Papa quâ confirmat
Leonem Marchionem & filios fuos mafculos
legitimos , Vicarios Ravenatenfis Ecclefia fuper
Caftro Lugi S. Potiti fub annuo cenfu unius Rocoleti.
Datum Roma apud S. Petrum 1447. 111. Non.
Decemb. Pontificatus fui anno I.
1
On nous assûre que M. Chicoyneau , Confeiller
d'Etat , Premier Médecin du Roy , ayant vu la guérifon
d'un grand Prélat , qui avoit des Boutons .
Rougeurs & Dartres au vilage depuis plus de huir
ans , & ayant apris d'ailleurs la guérifon de plufieurs
autres Perfonnes confidérables , par les Remedes
compofés & débités par Mad . de Leftrade
depuis plus de 40 ans , a bien voulu , pour l'utilité
&
384 MERCURE DE FRANCE
こ
& le foulagement du Public , donner fon Aproba
tion pour les débiter .
Ces Remedes font une Eau pour la guériſon des
Dartres vives & farineufes , Boutons , Rougeurs
Taches de rouffeur , & autres Maladies de la Peau .
Et un Baume blanc , en conſiſtance de Pomade ,
qui ôte les cavités & les rougeurs après la petite
vérole ; les taches jaunes & le hâle , unit & blanchit
le teint .
Ces Remedes fe gardent tant que l'on veut , &
peuvent fe tranfporter partout . Les Bouteilles de
cette Eau font de 2. 3. 4. 6. livres & au deffus
felon la grandeur Les Pots de Baume blanc , font
de 3. livres 10 , fols , & les demi Pots d'une livre
15. fols.
Mad. de Leftrade , demeure à Paris , rue de la
Comédie Françoise , ehés un Grainetier , au premier
Etage. Il y a une Affiche au deffus de la porte.
Le Prélat dont on vient de parler , a gratifié la
D. de Leftrade d'une Penfion fa vie durant.
thatat
CHANSON
JAArnibleu , corbleu , ventrebleu ,
Des valets doivent- ils en agir de la forte ?
Dans le courroux qui me transporte ,
Si j'en tenois quelqu'un , il n'auroit pas beau jeu ..
Hola hé , Picard , la Montagne....
Tout eft fourd à mes cris , oh ! rigoureux deſtin!
Pas un valet & point de vin :
La
viv
F
ระ
THE LOW TORKI
PUBLIC MARAT LIGRANT
ASTOR, LEMGK AND
TILDEN FOUNDATION
THE
PUBLIC
ONE
ASTOR
, LE MOX
AVD TILDEN
FOUNDATIONS
.
FEVRIER.
1741. 365.
La Foreft , Bourguignon , Champagne....
Jarnibleu , corbleu , ventrebleu ,
Des valets doivent ils en agir de la fòrte ?
Dans le courroux qui me tranſporte ,
Si j'en tenois quelqu'un , il n'auroit pas beau jeu, .7
Ah ! je fçaurai t'aprendre à me connoître ,
Maraut , tu le fais donc exprès ,
Que viens- tu de chercher réponds-moi double
traître ...
Du vin frais ,
Du vin frais , amis , du vin frais ;
Ah ! ah ! le cher la Foreſt
Eft la perle des valets.
Les Paroles & la Mufique font de M. Favier ;
Maître des Ballets de Sa Majefté le Roy de Pologne ,
Electeur de Saxe.
SPECTACLES.
EXTRAIT de la Comédie , intitulée Piga
malion , Pièce en Profe & en trois Altes ;
fuivie d'un Divertiffement , reprefentée au
Théatre Italien le 12. Janvier.
ACTEURS.
Pigmalion ,
Agalmeris , ou la Statuë ,
Le Sr Romagnesy.
La Dlle Silvia.
Timandre ,
366 MERCURE DE FRANCE
Timandre , Ami de Pigmalion , Le Sv Rochart.
Cléonide, Amante de Pigmalion, La Dlle Riccoboni.
Clitophon , Amant d'Agalmeris , Le Sr Riccoboni,
Sofie , Efclave de Pigmalion , Le Sr Deshayes.
Mifis , Suivante de Cléonide , La Dlle Thomaffin.
La Scéne eft dans l'Ile de Chypre.
Ette Comédie n'ayant pas eu affés de repré-
Centations pour nous mettre en état d'en donner
un extrait bien détaillé , nous n'en donnons ici
qu'une efpece d'argument , en attendant que l'impreffion
nous mette à portée d'en parler plus amplement.
Pigmalion , célebre Sculpteur , ayant conçu une
averfion invincible pour tout le fexe , par la lubricité
des Propétides , réfolut de paffer toute fa vie
dans le célibat ; il employa fon heureux loifir à
faire une Statuë qu'il rendit fi parfaite , qu'il en
devint amoureux . Sa paffion pour l'ouvrage de fa
main s'augmentant à mefure qu'il jettoit les yeux
deffus, devint fi forte, qu'il pria Venus de lui donner
une femme doüée d'autant de beauté qu'il en
avoit raffemblé dans fa chere Statue : Venus l'exauça
, & par fon divin pouvoir elle anima l'yvoire,
qui étoit l'objet de tous fes voeux.
L'Auteur de la Comédie de Pigmalion donne à
Venus un motif bien different , pour animer la Statuë
, à qui on donne le nom d'Agalmeris ; ce n'eft
pas pour rendre heureux le Statuaire qu'elle anime la
Statue en question , mais pour le punir de fon
averfion pour le fexe.
Pigmalion ouvre la Scene avec Timandre fon
plus cher Ami . Timandre combat le deffein que
Pigmalion a formé de vivre dans un célibat perpétuel
; Pigmalion lui répond en foûpirant , que
Venus
FEVRIER. 1741. 367
Venus ne s'eft que trop vengée du mépris qu'il a
fait éclater pour fon Empire. Timandre lui demande
quelle eft cette vengeance ; Pigmalion ordonne
à Sofie fon Efclave de fe retirer , pour ne
le rendre pas témoin d'un aveu fi extravagant. Sofie
s'étant retiré pour ſe tenir à l'écart & tout entendre
fans être vû , Pigmalion tire un rideau qui
couvre la Statue d'Agalmeris ; Timandre ne peut
refufer fon admiration à cette belle image ; mais
il ne comprend rien dans ce que Pigmalion vient
de lui dire de la vengeance de Venus ; il n'eft que
trop éclairci , quand Pigmalion lui dit qu'il eft paffionnément
amoureux de ce Chef d'oeuvre de fon
cifeau , & que c'eft pour cette même Agalmeris
qu'il refufe d'accepter la main de Cléonide , dont
il est tendrement aimé. Timandre eft fi furpris de
cette paffion pour un objet infenfible , & fi irrité
du refus que Pigmalion fait d'une Amante dont
l'hymen pourroit le rendre heureux , qu'il veut
brifer cette fatale Statue ; Pigmalion l'empêche
d'exécuter fon deffein , & conſent d'aller avec lui
dans le Temple de Venus , pour prier cette Déeffe
de calmer fa colere . Ils fortent tous deux dans cette
intention .
Sofie qui , d'un lieu où il fe tenoit caché , d'où
il a tout entendu , fans rien voir , reparoît aux yeux
des Spectateurs ; il ne peut s'empêcher de rire de
la folie de fon Maître ; Mifis , Suivante de Cléonide
, vient s'informer chés Pigmalion du fujet du
refus qu'il a fait de la main de fa Maîtreffe ; elle
tire adroitement ce fecret de la bouche de Sofie ,
& s'en va le divulguer pour expofer Pigmalion à la
rifée publique , & pour venger fa Maîtreffe .
Mifis n'eft pas plûtôt fortie que Sofie veut fatisfaire
fa curiofité : il tire le rideau qui lui dérobe la
vúë de cet objet fi fatal au repos de fon Maître , il
en
368 MERCURE DE FRANCE
en eft frapé à fon tour , peut- être même en devientil
amoureux , il ne ceffe de parcourir toutes les
beautés qu'il découvre dans cette charmante image;
mais quel eft fon étonnement quand il la voit s'animer
& fe détacher de fon pied- d'eftal Agalmeris
animée par un miracle qu'on fupofe être un
effet de la priere que Pigmalion eft allé faire à
Venus dans fon Temple , s'avance fur le bord du
Théatre & fait un Monologue très- convenable à
fa fituation . Elle parle enfuite à Sofie , & lui demande
où elle eft & ce qu'elle eft ; Sofie revenu
de fa frayeur , a bien de la peine à fatisfaire ſa curiofité
fur toutes les demandes qu'elle lui fait ;
toutes les réponſes font autant d'énigmes pour elle ,
tout fe termine à lui dire qu'elle eft femme , il veur
effayer de lui plaire , & lui parle d'amour ; ce nom
d'amour eft encore une nouvelle énigme pour elle ,
& cette énigme eft d'autant plus obfcure , qu'elle
ne trouve rien en lui qui faffe naître ce penchant
fecret que la Nature a mis réciproquement dans
l'un & l'autre fexe , & qui s'explique mieux que
les expreffions les plus vives . Cette Scéne , qui eft
traitée avec beaucoup d'art , eft interrompue par
l'arrivée de Cléonide , de. Clitophon & de Mifis.
Cette derniere les a inftruits de tout ce qui vient
de fe paffer chés Pigmalion par la puiffance de Venus.
Ils demandent à Sofie ou eft cette Statuë qui
fait tant de bruit dans Cythere ; Sofie leur répond
qu'elle est devant leurs yeux . Cléonide eft jaloufe
de fa beauté , & Clitophon en devient paffionnément
amoureux ; quant à Agalmeris , comme elle
trouve dans Clitophon plus de fujet de faire naître
ce penchant dont nous venons de parler , que Sofie
n'en avoit fait voir à fes yeux , eile le regarde
avec plus de complaifance ; cet effet d'un amour
maiffant redouble celui que Clitophon a fenti pour
elle
FEVRIER 1741 369
elle dès la premiere vûë ; il lui parle d'amour , il
n'eft pas rebuté , elle lui donne même lieu de concevoir
de favorables efpérances ; il forme le deffein
de la fouftraire au pouvoir de fon Rival ; Cléonide
a trop d'interêt à cet enlevement , pour n'en pas
devenir complice , & le penchant fecret d'Agalmeris
pour le premier objet qui s'eft préſenté à fes
yeux fous une forme aimable, la fait conſentir à ſe
faiffer conduire partout où on voudra .
Voilà à peu de chofe près tout ce qui fe paffe
dans le premier Acte de cette Comédie . Nous pafferons
légerement fur les deux derniers , par les raifons
qui nous ont portés à ne donner qu'un fimple
argument de la Piéce.
Pigmalion , revenu du Temple de Venus , aprend
avec plaifir de Sofie que la Déeffe a exaucé fa priere;
mais ne trouvant plus fa chere Agalmeris chés
lui , il court après fon Raviffeur & la ramene dans
fa maifon. C'eft- là où il commence à fentir que
Venus ne l'a exaucé que pour fe venger du mépris
qu'il a fait de l'Empire amoureux ; il trouve dans
fa Statue animée , une coquette , une ingrate , une
orgueilleufe , en un mot tous les défauts dont le
fexe eft fufceptible , font raffemblés dans un même
fujet ; il ne laiffe pas de l'aimer toujours & de vouloir
l'époufer : mais elle ne veut , ni de fon coeur ,
ni de fa main ; ces contradictions auxquelles il net
s'étoit pas attendu font la matiere des deux derniers
Actes , & ce n'eft qu'à la fin du troifiéme que le
moment de fon bonheur arrive . Agalmeris touchée
de fa perféverance , & furtout de la foumiffion
avec laquelle il lui laiffe la liberté de ſe donner à
qui elle voudra , lui rend la juftice qui lui eft dûë ,
& lui facrifie Clitophon , qu'elle n'a d'abord aimé
que parce que rien ne s'étoit encore prefenté de
Plus aimable à fes yeux,
H AM
370 MERCURE DE FRANCE
Au refte , quoique cette Comédie n'ait pas eu le
fuccès que l'Auteur s'en étoit promis , elle n'a pas
laiffé de lui faire honneur par la maniere dont elle
eft dialoguée , & par une infinité de beaux traits
qui yfont répandus.
Le neuf , les mêmes Comédiens donnerent
lapremiere Repréfentation d'une Comédie nouvelle
en Vers & en trois Actes , qui a pour titre la Gageure
, elle eft terminée par un divertiffement de
chants & de danfes . Cette Piéce dont on parlera
plus au long , a été géneralement aplaudie , & trèsbien
jouée par tous les Acteurs.
P
Le 12. Février , l'Académie Royale de Mufique
donna par extraordinaire le Ballet des Fêtes Vénitiennes
, qu'elle continua le 14. dernier jour de Car
naval ; on joignit à ces deux Repréfentations le
Divertiffement du Pourceaugnac, Piéce très- conve
nable pour la clôture du Carnaval : on reprit l'O
pera de Proferpine le 17. du même mois..
Le 3. Février , les Comédiens François remirent
Theatre la Comédie du Légataire , dans laquelle
au
le fieur Defmarets , nouvel Acteur , joua le rôle de
Crispin avec aplaudiffement , il a encore joué dans
d'autres Piéces où il a été également goûté.
Le 20. les mêmes Comédiens donnerent une pe
tite Piéce nouvelle en Profe & en un Acte, intitulée
Deucalion, Pirrha de l'Auteur de l'Oracle , de
laquelle on parlera plus au long.
Le 25, ils donnerent la derniere Repréſentation
de la même Comédie nouvelle de Deucalion &
Pirrha , l'Auteur l'ayant retirée après la troifiéme
Repréfentation,
Le
FEVRIER: 1741 375
Le 3. Fevrier, l'Opéra Comique fit l'ouverture de
fon Théatre par deux Piéces nouvelles , précedéos
d'unPrologue enVaudevilles, dans lesquels il y a quelques
Couplets de Critique au fujet de l'Opéra d'Amadis
de Gaules , qu'on a ceffé de représenter à l'Opéra
fur la fin du mois dernier ; les deux autres
Piéces font intitulées , la premiere , la Joye , & la
feconde , les Faux Niais , elles font ornées d'Inter
medes , de Chants & de Danfes, très bien executés,
Le 20. le même Opera Comique donna une Piés
ce nouvelle d'un Acte en Vaudevilles avec un
Divertiffement , laquelle a pour titre la Chercheufe
d'Esprit , de la compofition de M. Favart ; elle fut
précedée de deux autres Piéces ,dont on a déja parlé
, cete derniere Piéce dont on parlera plus am
long , a été fort goûtée des Spectateurs , & trèsbien
jouée ', entre autres par l'Actrice qui y joue un
Rôle d'Agnès , avec aplaudiffement , & d'une ma
niere très- convenable à ce Perfonnage.
NOUVELLES ETRANGERES.
RUSSIE,
Na apris de Petersbourg , que le corps de la
feue Czarine avoit été inhumé le 3. du mois
dernier dans l'Eglife Cathédrale , & que la Princeffe
Régente de Mofcovie & la Princefle Elizabeth
Petrowna avoient affifté à les obfeques.
Le 26. du même mois , la Princeffe Régente
rendit vifite au Feldt - Maréchal Comte de Munich ,
qui eft toujours malade. Le Czar a accordé à
Feldt-Maréchal une gratification confidérable ,
pour
372 MERCURE DE FRANCE
pour le récompenfer des fervices importans qu'il
a rendus à l'Etat . S. M. Cz . a difpofé de deux
Places de Confeillers d'Etat en faveur de Mrs Henninger
& de Meljunoff , & elle a nommé Mrs Ara
xejef & Kofcheloff , Lieutenans Feldt Maréchaux ,
& Mrs Soltikoff & Kudrafzow , Majors Géneraux.
Les Géneraux Charles & Guftave Biron , freres
du Duc de Curlande , & le Géneral Biſmarck one
été condamnés à paffer le refte de leurs jours en
Sibérie.
On a apris depuis que le Géneral Ufchakow &
M. Ehmer , Auditeur Géneral des Troupes , le rendirent
au commencement du mois paffé à la Fortereffe
de Schlieffefbourg , pour annoncer au Duc
de Curlande , que le Sénat par ordre du Czar , &
du confentement des Etats de Curlande ; le déclaroit
déchû de fes Titres & de fes Dignités. Ils iuï
demanderent en même tems de la part de S. M. Cz .
de leur remettre les marques de l'Ordre de S. André
, & ils lui dirent qu'il feroit dans peu informé
de fon fort.
Les Commiffaires chargés d'inftruire fon Procès ;
n'employeront à l'avenir dans les Interrogatoires
que cette Formule : Il eft ordonné à Jean Ernest Bi
ron , de répondre aux articles fuivans de l'accufation
criminelle intentée contre lui , & fon épouſe & fon
fils ne feront plus défignés par les Titres de Ducheffe
& de Prince Héreditaire de Curlande.
Les Comites Guſtave & Charles Biron , fes fre
res , & le Géneral Bismarck , ci - devant Gouver
neur de Riga, ont été dégradés de leurs Honneurs
& de leurs Emplois . Le même jour que leur Juge,
ment leur fut prononcé , on les fit partir fous une
efcorte de cent Dragons , pour les conduire en Sibérie
, & l'on a reçû avis que le 2. du mois paffé
ils étoient arrivés à Moſcow , d'où ils ont dû être
transferés
FEVRIER. 1741. 373
ransferés avec le Comte Charles Biron au Fort de
Tobolfka , dans lequel ils doivent être renfermés.
Tous les biens de ces Prifonniers ont été confifqués
, & on a commencé à vendre leurs meubles ,
leur vaiffelle & leurs équipages.
Le Czar ayant jugé à propos de rapeller le Baron
de Keyferling , fon Envoyé auprès du Roy de Pologne
Electeur de Saxe , & le Baron de Korff , fon
Miniftre Piénipotentiaire auprès du Roy de Dannemarck
, S. M. Cz . a nommé le Comte de Solms .
gendre du Feldt Maréchal Comte de Munich, pour
remplacer le Baron de Keyferleng & M. Scheraichow
, pour aller relever le Baron de Korff à Coppenhague.
Ο
ALLEMAGNE.
N mande de Vienne du 21. du mois dernier ,
que les propofitions faites par le Comte de
Gotter de la part du Roy de Pruffe , ont été tenues
fecrettes jufqu'au retour de M. de Kirckeyfen , &
que ce n'étoit que depuis quelques jours qu'on fçavoit
que ce Comte étoit venu à Vienne pour décla
rer à la Reine de Hongrie, que S. M. Pr. étoit prête
à employer toutes les forces pour lui affûrer la poffeffion
des Pays de la Maifon d'Autriche , qu'Elle
offroit pour cet effet , de contracter une étroite alliance
avec la Reine , le Czar , le Roy de la Gran
de-Bretagne & la République de Hollande , & que
pour mettre la Reine plus en état de s'opofer aux
entreprifes qu'on voudroit former contre fes interêts,
le Roy de Pruffe lui fourniroit en argent com
ptant deux millions de florins ; qu'il promettoit , de
plus , les bons offices au Grand Duc de Tofcane ,
pour le faire élire Empereur & pour foûtenir fon
Election ; que la Reine devoit juger que pour des
fervices auffi effentiels que ceux qu'il s'engageoit à
lui rendre , il avoit droit de demander d'être dé-
Hij dommagé
374 MERCURE DE FRANCE
dommagé des risques & des dépenfes, auxquels il
confentoit de s'expofer , & qu'il exigeoit pour indemnité
la Siléfie , en vertu des prétentions qu'il a
fur cette Province.
Le Roy de Pruffe en renvoyant à Vienne M. de
Kirckeyfen , l'a chargé de Dépêches par lefquelles,
il donne ordre au Comte de Gotter , de dire à la
Reine de Hongrie , que quoique S. M. Pr. ait demandé
d'abord qu'on lui cedât la Siléfie entiere
elle pourroit néanmoins fe contenter d'une partie
de cette Province , pourvû qu'il plût à la Reine de
Hongrie de conclure avec elle un accommodement
fincere & durable , & de contracter une liaifon con-'
venable à leurs interêts communs .
La Reine a répondu à ces propofitions , qu'il eft
notoire que fes Etats joüiffoient d'un heureux repos
, lorfque le Roy de Pruffe eft entré les armes
à la main en Siléfie; que fi c'eft - là , comme ce Prince
prétend l'infinner , le moyen le plus propre d'af
fûrer la Pragmatique Sanction , on a de la peine à
concevoir quel pourroit être celui de l'anéantic ;
que loin de ne pas faire tout le cas poffible de l'amitié
de S. M. Pr . on en connoît tout le prix , &
qu'on n'a pas certainement lieu de fe reprocher
d'avoir négligé de la cultiver avec attention , mais
que fans donner la moindre atteinte à ce principe
on croit pouvoir faire obferver au Roy de Pruffe ,
que fa premiere propofition ne va pas auffi loin que,
Fengagement qui réfulte de la Pragmatique Sanction
, dont tout l'Empire eft chargé ; que les Alliances
avec la Mofcovie , la Grande- Bretagne &
la Hollande , ont fubfifté avant l'entrée des Troupes
Pruffiennes en Silefie , & qu'il eft certain que
Pintention de ces Puiffances n'eft pas que la Reine
perde une partie de les Etats , pour affermir des
Alliances dont le principal objet eft de les lui conconferver
FEVRIER: 1741. 375
-ferver en entier ; qu'on n'a jamais fait la guerre
pour obligerune Puiffance d'accepter l'argent qu'on
lui offre , & que les fommes que le Roy de Prulle
a déja tirées de la Siléfie , furpaffent les deux millions
de forins qu'il s'engage de donner à S. M .;
que la Reine ne peut qu'être infiniment redevable
à S. M. Pr . de fes bonnes difpofitions pour le Grand
Duc de Tofcane , mais qu'outre que l'Election de
P'Empereur doit être libre , la Reine penfe que rien
n'eft plus capable de la traverfer , que des troubles
excités au milieu de l'Empire ; qu'enfin elle eft
prête à renouveller l'amitié la plus fincere avec le
Roy de Pruffe , mais qu'elle eſt très éloignée de
vouloir commencer fon Regne par le démembrement
de fes Etats ; qu'ainfi elle ne peut confentir à
ceder la Siléfie ni en entier ni en partie , & que la
premiere condition néceffaire pour parvenir à un
accommodement entre les deux Cours , eft que le
Roy de Pruffe retire fes Troupes de cette Province.
-
La Reine a nommé les Comtes de Wurmbrand
de Kevenhuiler & de Hildebrand , fes Ambaffadeurs
Extraordinaires & Plénipotentiaires à la Diette qui
doit fe tenir à Francfort , pour l'Election d'un Empereur.
Les Lettres de Siléfie portent que les Magiftrats
de Bréflaw ayant refufé de prêter ferment de fidelité
au Roy de Pruffe , & de rendre la justice en
fon nom , S. M. Pr. les avoit privés de leurs em
plois , & qu'elle avoit nommé de nouveaux Magiftrats.
HAMBOURG.
t
N mande de Ratisbonne du dernier Janvier ,
que la Reine de Hongrie avoit fait préfenter
à la Diette de l'Empire un Mémoire , lequel porte
que le Roy de Prufle lui avoit promis après la mogt
Hij
de
376 MERCURE DE FRANCE
de l'Empereur , qu'il contribueroit de tout fon pou
voir à la maintenir dans la paifible poffeffion des
Pays de la Maifon d'Autriche , & qu'il ne fouhaitoit
rien avec plus d'ardeur que de pouvoir vivre
avec elle dans une parfaite intelligence , & de lui
prouver combien il étoit favorablement difpofé
pour les interêts & pour ceux du Grand Duc de
Tofcane ; que cependant S. M. Pr . étoit entrée
avec une Armée dans la Siléfie , s'étoit emparée
d'une partie de ce Duché , & menaçoit , fi on ne
lui en cedoit pas la posseffion , de fe joindre aux
Puissances qui paroissoient être dans l'intention de
s'opofer à l'exécution de la Pragmatique Sanction ;
que la Reine de Hongrie dans cette conjoncture
s'adresse aux Etats de l'Empire pour leur demander
du fecours , & qu'elle ne doute point qu'ils ne fe
déterminent à s'opofer aux entreprifes du Roy de
Prusse.
Le Miniftre qui affifte à la Diette de la part de
S. M. Pr. a remis à la Diette un Mémoire dans
lequel S. M. Pr . déclare qu'elle n'a eu aucune
mauvaiſe intention en faifant entrer fes Troupes en
Silésie , & qu'elle s'eft feulement propofée d'assûrer
fes droits fur ce Duché , lefquels ne peuvent être
détruits ni alterés par aucune difpofition telle qu'elle
puisse être ; qu'au refte elle ne cherche point à
donner la moindre atteinte aux Conftitutions de
l'Empire , & qu'elle protefte qu'elle ne veut caufer
aucun préjudice à la Reine de Hongrie .
L
PRUSSE.
Es Lettres de Berlin du 15. de ce mois portent
qu'il eft arrivé de Siléfie le 6. un Courier , par
lequel on a apris que la Ville de Breſlaw s'étoit foûmife
au Roy. Ses Dépêches contiennent les partigularités
fuivantes.
La
FEVRIER. 1741. 377
Le Roy de Prusse ayant été informé le 29. du
mos dernier que les Géneraux de la Reine de
Hongrie follicitoient fortement les habitans de
Breſlaw de recevoir une garnifon de Troupes Autrichiennes
, & qu'ils avoient engagé quelques
Magiftrats de la Ville à y confentir malgré l'opofition
de la Bourgeoisie , S. M. fe détermina a
faire une marche forcée , pour pouvoir le préfenter
devant Breflaw , avant que ces Magiftrats euffent
perfuadé aux habitans de renoncer au privilege
qu'ils ont de fe garder eux- mêmes . S. M.
arriva le 31. à une lieuë de la Ville , & le même
jour elle envoya Mrs de Borck & de Poſodowl
ky ,
´, pour fommer les habitans de fe foûmettre.
Le premier de ce mois , le Roy s'avança à la por
tée du Fufil de Breflaw avec tous les Grenadiers &
16. Efcadrons. Ayant été joint par le Régiment de
Schwllembourg , il entra à la tête de ces troupes
dans le Fauxbourg , & après les avoir rangées en
bataille fur l'Esplanade , il pofa des Corps de Garde
en plufieurs endroits . Mrs de Borck & de Pofodowsky
revinrent ce jour - là joindre le Roy , pour
lui annoncer que les habitans de Breflaw étoient
prêts à lui ouvrir les portes de leur Ville , à con
dition qu'il n'y mettroit point de Garniſon , & qu'il
les maintiendroit dans la joüiffance de tous leurs
Priviléges , & S. M. leur ayant accordé leurs demandes
, on figna le foir la Capitulation , par la
quelle il a été réglé que le Roy pourroit établir des
Magafins dans la Ville , & y faire paffer fes troupes
lorfque les circonftances l'exigeroient.
Le 3. au matin , les Députés de la Ville fe ren
dirent à la Maiſon où le Roy étoit logé dans le
Fauxbourg ; ils complimenterent au nom de la
Bourgeoifie S. M. qui les reçut très -favorablement,
& qui les assûra que les habitans de la Siléfie ,
Hv
&
378 MERCURE DE FRANCE
en particulier ceux de Breflaw , éprouveroient dans
toutes les occafions les effets de fa protection & de
La bienveillance. Les Bourgeois ayant enfuite ouvert
les portes de la Ville , le Roy retira les Corps
de Garde qu'il avoit pofés pour la bloquer du côté
du Fauxbourg , & il détacha 30. ,de fes -Gardes du
Corps , qui ayant été reçûs dans la Ville , allerent
prendre pofte dans l'Hôtel du Comte de Schlegenberg
, deftiné pour le logement de S. M. A onze
heures , le Roy fit fon entrée dans Breſlaw ,
la
Bourgeoifie étant fous les armes & formant une
double haye dans toutes les rues par lesquelles S.
M. paffa pour fe rendre à l'Hôtel du Comte de
Schlegenberg, Les Régimens par lesquels le Roy
avoit fait former le blocus du Grand Glogaw , &
qui depuis que S. M. a quitté les environs de cettte
Place , ont été relevés par le Corps de troupes que
commandent le Duc de Hofftein & le Prince Leopol
d'Anhalt- Deffau , arriverent le devant Breslaw
, & le Roy leur diftribua des quartiers dans
les Villages voifins.
3.
Le 4. M. de Jeetz , Major Géneral , paffa la riviere
avec une Brigade d'Infanterie & trois Efcadrons
de Dragons , pour aller réduire fous l'obéiffance
du Roy quelques petites Villes fituées fur les
frontieres du Royaume de Pologne , & les Huffards
amenerent un Maréchal des Logis & huit Dragons
du Régiment de Lichtenſtein , qu'ils avoient enlevés
à Oels.
Le Corps de Troupes commandé par le Roy ,
a dû fe remettre en marche le 6 , pour s'emparer
-d'Olau , Château fortifié , dans lequel la Reine
de Hongrie a une Garnifon de foo hommes.
On a dû former , enfuite le blocus de Brieg ,
dont la Garniſon eft de quatre Bataillons . après
quoi le Roy devoit fe rendre fur le bord de la Neif-
Le
FEVRIER. 1741. 379
fe , od S. M. devoit être jointe par le Corps de
troupes que commande le Feldt Maréchal Comte
de Schwerin.
Jufqu'à Parrivée du courier qui a aporté ces
nouvelles , on n'avoit été inftruit que fort imparfaitement
des mouvemens des Troupes Pruffiennes
en Siléfie ; mais on a reçû par ce courier un Journal
exact de ce qui s'eft paffé dans cette, Province ,
depuis que le Roy y eft entré avec fon Armée .
Selon ce Journal , le Roy qui partit de Berlin le
13. du mois dernier , féjourna le 14. & le 15. à
Croffen , afin de donner le tems à l'arriere - Garde
de le joindre. S. M. y regla les differentes routes
que les troupe's devoient tenir , & elle y tint un
Confeil de Guerre avec fes Géneraux , auxquels
elle recommanda furtout de faire obferver aux Soldats
une difcipline très- exacte , & d'empêcher qu'ils
ne donnaflent aux Habitans de la Silefie aucun fujet
de fe plaindre.
Le 16. toute l'Armée entra en Silésie , & le Roy
fe rendit à Schweduitz , où S. M. paſſa la nuit.
On s'avança le 17. jufqu'à Weichow , dont les
habitans aporterent au Roy les clefs des portes de
la Ville . Comme le Pays entre l'Oder & le Bober
eft fort étroit , les Régimens de l'avant- Garde furent
obligés de faire ce jour - là près de dix lieuës ,
afin que Parriere- Garde pût déboucher plus facilement
& s'étendre à droit & à gauche , à mesure que
le terrain s'élargiffoit.
Une partie des troupes continua fa marche le
18. & toute l'Armée arriva le lendemain à Milk₁u ,
ayant beaucoup fouffert par le pluyes continuelles
& par les mauvais chemins . Quoique les Soldats
dans cette marche euffent de l'eau en plufieurs en.
droits jufqu'à la ceinture , aucun d'eux n'eft forti
de fon ring , & n'a laiffé échaper le moindre murmure.
H vj
Les
380 MERCURE DE FRANCE
Les Troupes s'étant reposées le 10. & le 21. le-
Roy marcha le 22. à Herrendorf , & le jour suivant
S. M. s'aprocha du Grand Giogaw , pour reconnoître
cette Place . Sur l'avis que le Roy reçut
qu'il n'y avoit des vivres dans la Ville que pour
peu de tems , S. M. ne jugea pas à propos d'en
entreprendre le Siége , & elle se contenta d'en former
le blocus. Le Roy , après avoir fait inveftir la
Ville , & après avoir donné les ordres néceflaires ,
pour qu'il n'y pût entrer aucun secours , se remit
en marche le 28. & S. M. arriva le même jour à
Glasendorf , d'où elle se rendit le premier de ce
mois devant Breſlaw.
On a pubié à Berlin un Mémoire intitulé : Expofition
des Droits de la Maison Electorale de Brandebourg
sur les Duchés & Principautés de Jagerndorff,
de Lignitz , de Brieg de Wohlau. Il eft
dit dans ce Mémoire que le Margrave Georges de
Brandebourg , qui avoit acheté en 1924. de Louis
Roy de Boheme , le Duché de Jagerndorff , étant
mort en 1543. fon fils unique lui fuccéda dans ce
Duché , ainfi que dans les autres Etats ; que comme
le fils du Margrave Georges n'eut point de defcendans
légitimes , il légua à la Maifon Electorale de
Brandebourg le Duché de Jagerndoff , & les Seigneuries
de Lubschutz , d'Oderberg , de Beuthen
& de Tarnowitz , qu'à la mort de ce Prince l'Electeur
Joachim Fréderic , en conséquence de cette
dispofition , prit poffeffion de ces Seigneuries , &
établit une Régence dans le Duché de Jagerndorff,
qu'en 1607. il donna ce Duché à son second fils
qui reçut l'hommage des habitans & fut reconnu
par eux pour Souverain ; que le jeune Prince s'étant
allié avec le Comte Palatin Fréderic V. & ayant
fait la guerre à l'Empereur Ferdinand II. il fut mis
en 1623. aux Bans de l'Empire , & qu'il mourut ,
l'année
FEVRIER. 38% 1741 .
Pannée suivante , sans avoir été relevé de ce Bar ;
que le Prince Erneft , son fils unique ne pût , malgré
les représentations de plufieurs Princes qui s'intéreffoient
pour lui , rentrer dans la jouiffance des
Etats de son pere , & que par sa mort arrivée en
1642. la Branche de Brandebourg - Jagerndorff fur
éteinte ; que selon les conventions de famille , le
Duché de Jagerndorff devoit retourner à la Maison
Electorale de Brandebourg , & que l'Empereur ,
en qualité de Roy de Boheme , n'avoit aucun droit
de la priver d'un bien qui lui apartenoit incontestablement
, qu'ainfi l'Electeur Fréderic Guillaume
ne manqua pas de faire valoir ses prétentions ,
mais que ce Prince ne se trouvant pas dans la fituation
d'avoir recours aux armes , & la Cour de
Vienne ayant toujours donné des espérances d'un
accommodement , cette affaire n'a été discutée
jusqu'ici que par des Ecrits fournis de part & d'au
tre ; qu'à l'égard.des Duchés de Lignitz , de Brieg
& de Wohlau , Fréderic , Souverain de ces trois
Duchés , fit en 1537. des Actes de Confraternitė
avec Joachim II. Electeur de Brandebourg , & que
les Sujets de ces mêmes Duchés en recornoiffant
la validité de ces Actes , prêterent provifionnellement
serment de fidelité à cet Electeur , qu'il eft
vrai que l'Empereur Ferdinand fit décider par les
Etats du Royaume de Bohême , que le Duc Fréderic
n'avoit pu faire ces Actes , & qu'il le força , ainfi
que ses deux fils , d'y renoncer , mais que la Maison
des Ducs de Ligni z ayant été éteinte en 1675 .
par la mort du Duc Georges - Guillaume , Fréderic-
Guillaume , Electeur de Brandebourg demanda
d'être mis en poffeffion des Duchés de Lignitz , de
Brieg & de Wohlau , & que l'Empereur Léopold ,
n'ayant pû contefter la juftice de ses prétentions ,
employa divers prétextes pour éviter de donner
:
une
382 MERCURE DE FRANCE
une réponse pofitive ; que la Maison Electorale de
Brandebourg a toujours sollicité depuis ce tems la
Cour de Vienne , de lui reftituer ces Souverainetés,
& que les voyes de la Négociation ayant été inutiles
, le Roy de Pruffe s'eſt crû obligé d'employer
la force , pour rentrer dans la poffeffion d'un bien
dont il a herité de ses Ancêtres .
L
BRESLAW.
.
£ 6. du mois paflé , le Roy de Pruffe partit de
cette Ville ; & s'étant avancé à Rothfirben avec
quatre Bataillons , vinge Compagnies de Grenadiers,
les Gendarmes & douze tfcadrons de Dragons , il
détacha le Colonel du Moulin avec un Efcadron
pour aller reconnoître Olaw . S. M. Pr. fe préſenta
le lendemain devant cette Place , & elle fit prendre
pofte à huit Compagnies de Grenadiers dans le Village
de Beaumgarten, qui n'en eft feparé que par une
petite Riviere. Elle entra le 8. dans les Fauxbourgs
d'Olavv , & après y avoir mis en bataille douze
Compagnies de Grenadiers fous les ordres de M.
Kleyit , Major Général , elle fit fommer le Colonel
Formântini , qui commandoit dans la Ville
pour la Reine de Hongrie , d'en fortir avec
la garnifon . Ce Colonel ayant fait réponſe qu'il
étoit déterminé à fe défendre , le Roy de Pruffe fit
les difpofitions néceffaires pour attaquer la Place ;
mais vers les quatre heures du foir le Colonel Formintini
envoya deux Officiers pour demander à
capituler ; & le 9. la Garnifon compolée de 350.
hommes , dont 96. déferterent le même jour , fortit
de la Ville avec les honneurs militaires ,
dition d'aller en droiture dans la Moravie.
•
à con-
Le Roy de Pruffe marcha le 10. à Klein - Oels ,
& le ri. à Grotka , où deux Bataillons , douze
CompaFEVRIER.
385 1741
&
Compagnies de Grenadiers & quelques Escadrons
s'étoient rendus . S. M. Pr . re , ût en cet endroit un
courier , par lequel elle aprit que le Feldt - Maréchal
Comte de Schwerin , qui s'étoit avancé avec
l'aîle droite de l'armée dans les environs d'Otmachow
, afin de fe faifir d'un Pont fur la Neiff ,
ayant rencontré 400. Dragons du Régiment de
Lichtenſtein , avoit donné ordre de les attaquer
mais qu'ils avoient pris le parti de la retraite ,
qu'un détachement de Huffards , qu'il avoit envoyé
à leur pourfuite , en avoit tué deux & bleſſé
quelques uns ; que le Comte de Schwerin avoit
enfuite forcé les portes de la Ville ; & qu'après y
avoir fait entrer trois Bataillons qui s'étoient logés
dans les rues les moins expofées au feu du Château
, où la Garnifon s'étoit retirée , il avoit fait
braquer fix piéces de canon contre la porte du Châ
teau ; que le feu avoit été très - vif de part & d'autre
pendant quelques heures , mais que fur le foir
la Garnifon ayant ceffé de tirer , avoit demandé à
capituler ; & que S. M. Pr étant fi proche de la
Ville , le Comte de Schwerin n'avoit voulu rien
conclure fans fes ordres:
Sur cette nouvelle , le Roy de Pruffe ſe rendit le
12. à Otmachow , & il fit déclarer aux troupes de
Ja Garnifon , qu'il vouloit que les Officiers & les
Soldats fe rendiffent prifonniers de guerre. La Garnifon
fit d'abord quelque difficulté de fe foumettre
à cette condition ; mais enfin elle fe conforma
à la volonté de S. M. Pr. Cette Garnifon confiftoit
en deux Compagnies de Grenadiers du Régiment
de François de Loraine , une de Harrach , une de
Gruhn , & une de Braun .
Sur l'avis que le Comte de Braun , qui commande
en Siléfie pour la Reine de Hongrie , s'étoit avancé
à Neustadt avec un Corps de troupes , le Roy de
Pruffe
384 MERCURE DE FRANCE
Prufle ordonna le 14.du mois dernier au Feldt-Ma
réchal , Comte de Schwerin , de paffer la Neil
avec un détachement confidérable d'Infanterie &
de Cavalerie , pour attaquer ce Lieutenant Feldt-
Maréchal. Le Comte de Schwerin ayant exécuté
les ordres du Roy de Pruffe , fit le lendemain les
difpofitions néceffaires pour bloquer la petite Ville
de Neiff , où le Comte de Braun avoit laiffé le
Colonel de Roth pour la défendre en cas de fiége ,
& le même jour S. M. Pr. après avoir reconnû
les dehors de la Ville , pofta quatre Bataillons &
trois Efcadrons dans les Villages voisins , pour
empêcher la Garnifon d'inquiéter les troupes Pruffiennes
, pendant qu'elles prendroient leurs quartiers.
Le 16. le Roy de Pruffe vifita les principaux poftes
qu'il avoit établis , & dîna chés le Feldt- Maréchal
Comte de Schwerin . Le Cardinal de Sinzendorf
y alla trouver S. M. Pr . qui lui donna une Audience
particuliere .
Le détachement commandé par le Comte de
Schwerin , continua fa marche le 18. & il n'étoit
plus qu'à une lieuë de Neuftadt , lorfque le Comte
de Schwerin aprit que le Comte de Braun s'étoit retité
fous Jagerndorff. Le Roy de Pruffe ayant été
informé de cette nouvelle , S. M Pr. manda au
Comte de Schwerin de poursuivre le Comte de
Braun , & ayant pris en même tems la réfolution
de ne point s'arrêter devant la Ville de Neiff en
l'affiegeant dans les formes , elle y envoya le Colonel
de Borck avec un Trompette pour fommer le
Commandant & la Garnifon de fe rendre , mais
auffi tôt que le Colonel fe fut aproché de la Place,
& que le Trompette eut commencé à apeller , on
fit feu fur eux , & le Trompette ayant fonné encore
une fois, après s'être avancé de quelques pas , il
fortie
FEVRIER: 1741: 385
fortit quelques Cavaliers pour tâcher de l'enveloper
& de le faire prifonnier ce qui obligea le Colonel
de Borck de rapeller le Trompette & de fe retirer.
Un procedé fi contraire aux regles de la guerre
irrita tellement le Roy de Pruffe , qu'il fit établir
fur le champ une batterie de mortiers , pour bonbarder
la Ville . On y jetta le 19. & les deux jours
fuivans une grande quantité de bombes qui ruine
rent la fixième partie de la Ville.
Le Feldt- Maréchal Comte de Schwerin , qui
fuivant les ordres du Roy de Pruffe , avoit marché
vers Jagerndorff , arriva le 23. devant cette Place ,
& ayant apris que le Comte de Braun l'avoit abandonnée
le même jour & s'étoit retiré au Bourg de
Gratz , fur la Riviere de Mora , il détacha le Major
Putkamer avec so . Huffards , pour reconnoître
la fituation des troupes Autrichiennes . Ce Major
trouva en-deçà du Pont- qui eft fur la Mora , un détachement
du Régiment de Dragons de Lichteinstein
, qu'il obligea de paffer la Riviere.
Le 25. le Comte de Schwerin , à la tête de quatre
Compagnies de Grenadiers & de 200 Huffards,s'avança
pour paffer le Pont fur lequel le Comte de
Braun , qui avoit prévû le deffein de ce Géneral ,
avoit pofté des troupes pour défendre le paffage .
Quoique ces troupes fuffent foûtenues par 5. Bataillons
, par le Régiment de Lichtenſtein & par
300 Huffards , qui étoient en bataille derriere le
Pont , le Comte de Schwerin , fans s'embaraffer de
la fupériorité des troupes qu'il avoit en tête , fe
détermina à tenter de paffer. Les troupes Autrichiennes
foûtinrent le premier choc avec valeur ,
mais au fecond elles fe retirerent après avoir mis le
feu au Pont. Le Comte de Schwerin , l'ayant fait
éteindre , paffa le Pont , & les troupes Pruffiennes
s'étant miſes en bataille de l'autre côté , elles attaquerens
336 MERCURE DE FRANCE
querent les troupes Autrichiennes , qui après avoir
effuyé cinq ou fix décharges , mirent le feu aux
Fauxbourgs de Gratz , & fe retirerent en Moravie.
Le même jour , le Roy de Pruffe partit de Neiff
pour retourner à Berlin , & S. M. Pr. a laiffé au
Feldt-Maréchal Comte de Schwerin le Commandement
de fes . troupes , qui ont dû entrer dans leurs
quartiers d'hyver.
ESPAGNE.
N aprend de Madrid du 17. du mois paffé ,
que S. M. C. a accordé au Maréchal de Noailles
la permiffion de fe démettre de la Grandeffe en
faveur du Comte de Noailles , fon fecond Fils .
La Frégate la Notre- Dame du Rofaire, prit le 6 .
du mois dernier à la hauteur des Iles Sorlingues, un
Vaiffeau Anglois qui alloit de Falmouth à Gênes ,
& dont la charge eft eftimée 9. à 10000. Piaſtres.
LE
NAPLES.
Es Lettres de Naples portent , que le 31. De
cembre dernier , Leurs Majeftés allerent voir
travailler les Ouvriers qui fouillent la terre près
de Portici , pour trouver les débris d'un ancien
Temple , qui y a été enterré dans un tremblement;
& qu'on prétend être rempli d'un grand nombre de
Bronzes & de Statuës .
O
ITALIE.
N mande de Rome , que les Commiffaires
nommés pour travailler à la réforme du Luẻ
xe , continuent leurs Conférences , & que deux
d'entre eux vont régulierement une fois là ſemaine
rendre
FEVRIER. 1741. 387
fendre compte au Pape du réfultat de leurs délibé- .
rations.
Les Jéfuites du College Romain , pour donner
des marques particulieres de la joye que leur a caufé
l'Exaltation du Pape , firent chanter fur la fin du
mois dernier un Motet à plufieurs Choeurs de Mufique
dans leur Eglife , laquelle étoit ornée avec une
extrême magnificence , & le Pere Contucci , Profeffeur
de Rhétorique , prononça un Difcours Latin
fort eloquent à la louange de Sa Sainteté .
L'Abbé de Burlote a été nommé par le Pape, Bi
bliothéquaire du Vatican .
PORTUGAL.
Es avis de Lisbonne portent que l'Académie
l'académie
Decembre dernier , en la maniere accoûtumée
POctave de la Fête de la Conception de la Sainte
Vierge , & que les Académiciens entendirent dans
la Chapelle du Palais la Meffe célebrée par l'Archevêque
de Braga , après laquelle ils jurerent des
foutenir l'Immaculée Conception .
Dans la derniere Affemblée qu'a tenu l'Acadé
mie Royale de l'Hiftoire , Don Antoine Gaëtan de
Souza , un des Académiciens , préſenta au Roy le
fixiéme Tôme de l'Hiftoire Généalogique de la
Maifon de Bragance , lequel contient les Vies des
Ducs Théodofe I. Jean I. & Théodoſe II .
ISLE DE CORSE.
Es deux Bandits de Lento ont jufqu'à préfent
a
fécs , pour tâcher de s'aflûrer de leurs perfonnes ;
& ils ont commis encore depuis peu deux nouveaux
affaffinats,
MERCURE DE FRANCE
affaffinats. On foupçonne les Bergers des environs
de leur prêter afile & de leur fournir des vivres .
Ces deux Bandits ont fait demander au Marquis
de Maillebois la permiffion de s'embarquer , mais
ce Général la leur a refufée , parce qu'il veut en
faire un exemple , & il a fait marcher 60 Grenadiers
, & environ 8. Payfans armés , pour tâcher ,
de les furprendre dans quelque embuscade.
Ola
GRANDE-BRETAGN E.
N aprend de Londres , que la Princeffe dont
la Princeffe de Galles eft accouchée depuis
peu , fut baptifée le 4. de ce mois dans l'Apartement
de la Princeffe de Galles , par le Docteur Secker ,
Evêque d'Oxford, & qu'elle fut nommée Elizabeth
Caroline. Elle eut pour Parain le Margrave d'Anspach
, repréſenté par le Lord Baltimore , & pour
Maraines la Reine de Dannemarck & la Ducheffe
de Saxe- Gotha , repréfentées par la Vicomteffe
d'Irwin & par l'Epoufe du Lord Archibal Hamilton.
Le Prince de Galles affifta à cette céremonie ,
ainfi que la Princeffe de Galles , qui étoit dans fon
lit , que les Médecins lui ont confeillé de garder
encore quelque tems.
Le Vaiffeau de guerre le Cheval Marin , commandé
par le Capitaine Limebúrner , a conduit au
Port Royal un Vaiffeau Efpagnol de 18, canons
shargé de fer , qui alloit à la Havanne.
·
· FRANCE
FEVRIER 1741 389
FRANCE.
NOUVELLES DE LA COUR , DE PARIS , &e
E premiet Fevrier , la Reine communia dans la
Chapelle du Chateau de Versailles,par les mains
de l'Abbé de Pon ac ,fon Aumônier en quartier .
Le 2. Fête de la Purification de la Ște Vierge , les
Chevaliers , Commandeurs & Officiers de l'Ordre
du S. Efprit , s'étant affemblés chés le Roy vers les
onze heures du matin , le Marquis de Mirepoixnommé
Chevalier le 2. du mois de Février 1739
& dont les preuves avoient été admifes dans le
Chapitre tenu le 17. du mois de juin fuivant , fur
introduit dans le Cabinet de S. M. & fut reçû Cher
valier de l'Ordre de S. Michel . Le Roy fe rendit
enfuite à la Chapelle , étant précedé du Duc d'Or
léans , du Duc de Chartres , du Comite de Clermont
du Prince de Conty , du Comte d'Eu , &
des Chevaliers , Commandeurs & Officiers des
Ordres . Le Marquis de Mirepoix , en habit de
Novice , marchoit entre les Chevaliers & les
Officiers . Le Roy , devant lequel les deux Hui
fiers de la Chambre portoient leus Maffes ,
étoit en Manteau , le Colier de l'Ordre pardesainfi
que celui de la Toifon d'Or . Le Roy as
fifta à la Bénediction des Cierges , à la Proceffion
& à la grande Meffe , après laquelle le Marquis de
Mirepoix fut reçû Chevalier avec les Céremonies
accoûtumées , ayant pour Parains le Marquis dé
Goesbriant & le Marquis de Farvaques . Le Marquis
de Mirepoix ayant pris fa place , le Roy fortit
de la Chapelle , & S. M. fut reconduite dans fon
Apartement
fus ,
390 MERCURE DE FRANCE
Apartement en la maniere ordinaire. La Reine ;
Monfeigneur le Dauphin & Mefdames de France
entendirent la même Mefle dans la Tribune .
Le même jour le Recteur de l'Univerfité , accom
pagné des Doyens des Facultés & des Procureurs des
Nations , fe rendit à Verſailles , & fuivant l'ancien
ufage il eut l'honneur de préfenter un Cierge au
Roy , à la Reine & à Monfeigneur le Dauphin.
Le même jour le Pere Olive , Vicaire Géneral
des Religieux de la Mercy , accompagné de trois
Religieux de leur Maifon , eut l'honneur de préfenter
un Cierge à la Reine , pour fatisfaire à une
des conditions de leur établiffement , fait à Paris
en 1615. par la Reine Marie de Médicis.
Le 2. Fête de la Purification de la Ste Vierge , le
Roy & la Reine entendirent dans la Chapelle du
Château , la Prédication du Pere Hericourt , Supérieur
des Théatins , & enfuite les Vêpres , qui furent
chantées par la Mufique .
Le même jour, le Roy quitta le deuil que S. M.
avoit pris le 12. du mois dernier pour la mort de
l'Empereur.
Le Comte de Montijo , que le Roy d'Espagne a
nommé fon Ambaſſadeur Extraordinaire & Plénipotentiaire
à la Diette qui doit fe tenir à Francfort
pour l'Election d'un Empereur , & qui a paffé en
France pour s'y rendre , eut le 31. du mois dernier
une Audience particuliere du Roy. Il eut enfuite
Audience de la Reine,de Monfeigneur le Dauphin &
de Mesdames , & il fut conduit à toutes ces Audiences
par M. de Verneuil, Introducteur des Ambaffadeurs.
Le
FEVRIER 398 1741 ,
Le 11.de ce mois , le Roy & la Reine entendirent
dans la Chapelle du Château la Mefle de Requiem ,
pendant laquelle le De profundis fut chanté par la
Mufique , pour l'Anniverfaire de Madame la Dauphine
, Mere du Roy.
Le 15. Mercredi des Cendres , le Roy reçût les
Cendres des mains du Cardinal de Rohan , Grand
Aumônier de France , & la Reine les reçut des mains
de l'Archevêque de Rouen , fon Premier Aumônier.
Le 18. le Roy & la Reine entendirent dans la
même Chapelle , la Meffe de Requiem , pendant la
quelle le De profundis fut chanté par la Mufique
pour l'Anniverfaire de Monfeigneur le Dauphin ,
Pere du Roy.
Le 19. premier Dimarche de Carême , Leurs
Majeftés entendirent dans la mêmeChapelle ,la Mef .
fe chantée par la Mufique . L'après midi , Elles asfifterent
, accompagnées de Madame , à la Prédica
rion du Pere Hericourt.
Le 22. le Roy & la Reine entendirent le Sermon
du même Prédicateur.
Le 21. M. Crefcenzi , Archevêque de Nazianse
& Nonce ordinaire du Pape , eut une Audience par
ticuliere du Roy , & il y fut conduit par M. de
Verneuil , Introducteur des Ambafladeurs.
Le 2. Fevrier , Fête de la Purification , on chanta
au Concert Spirituel du Château des Tuilleries la
Motet Nifi quia Dominus , de M. de la Lande , lequel
fut fuivi d'un Concerto , executé par le fieur
Canevas ; on donna enfuite un autre Motet à grand
Choeur, mis en Mufique par le fieur Spourni , Compoliteur
- Italien . Le Concert fut terminé par le Dixit
Dominus , autre Motet de M. de la Lande , lequel
fur précedé par differentes Picces deSymphonie, trèsbien
executées .
592 MERCURE DE FRANCE
Le 3. Le Lieutenant Géneral de Police fit l'ou
verture de la Foire S Germain avec les céremonies
accoûtumées . Ce Magiftrat avoit déja rendu fon
Ordonnance le 16. du mois précedent , concernant
ce qui doit y être observé par les Marchands qui y
font établis , & qui renouvelle les défenſes des Jeux
de hazard.
Le premier du mois dernier , il y eut une trèsbelleSymponie
de M. Lully , au dîner de S. M.
executée par les Vingt- quatre de la Chambre duRoy.
Le 2. il y eut Concert chés la Reine , M. Rebel ,
Sur- Intendant de la Mufique du Roy, en furvivance
de M. Deftouches , fit chanter l'Opera de Thesée ,
dont les principaux Rôles furent remplis par les Diles
Daigremont , Romainville , Deschamps , Mathieu
& Duhamel, & par les fieurs Godoneche, d'Angerville
, Dubourg & Tribou. Le même Opéra fut
continué le 7. & le 9 du même mois.
Le 14. le 16, & le 21. la Reine entendit la Pastorale
Héroïque d'Iffé , de la compofition de M.
Deftouches , dont les principaux Rôles furent chantés
par les mêmes Acteurs du Concert précedent ,
par la Dile Huguenot , & par les fieurs Benoît ,
Jeliot & Poirier.
Le 23. le 28. & le 30. on concerta l'Opéra de
Tancrede , du célebre Campra , dont les Roles furent
remplis par les mêmes Acteurs , & par le fieur
le Cler.
Le 4. & le 6. Février on chanta devant la Reine
l'Opéra de Tarfis & Zelie , de Mrs Rebel & Francoeur
; les mêmes Acteurs y chanterent les princi
paux Rôles:
Le 11.le 13. & le 18. on concerta l'Opéra d'Omphate
, de M. Deftouches , dont l'execution fit beaucoup
de plaifir les Rôles furent chantés par les
mêmes Sujets . Le
FEVRIER: 1741 393
Le 20. & le 25. la Reine entendit le Ballet de la
Paix , les mêmes Acteurs ayant chanté les principaux
Rôles avec la Dlle Abec & le fieur Poirier.
Le 7. Février , les Comédiens François repréfen
terent à la Cour la Comédie du CurieuxImpertinent,
& les Trois Coufines.
Le 9. la Tragédie de Phédre & Hypolite , & la
Comteffe d'Escarbagnas.
Le 14. l'Ecole des Femmes & la Sérenade.
Le 16. Andromaque & le Florentin.
Le 21. l'Eécole des Maris & le Galand Jardinier.
Le 23. la Tragédie d'Iphigénie , fans petite Piéce ,
Le 28. Les Menechmes & le Retour imprévu.
Le 22. du même mois , les Comédiens Italiens
repréſenterent auffi à la Cour la Comédie du Rival
Favorable , & la petite Piéce de l'Epreuve.
Le Chevalier Servandoni , dont les talens font fi
connus pour la Peinture , l'Architecture & fur tout
pour la Perſpective & les Décorations , travaille actuellement
fur le Théatre du Château des Tuilleries
à un nouveau Spectacle , dont le fujet eft tiré de
l'Odiffée d'Homere ; on y verra les diverfes avantures
d'Uliffe , depuis fon départ du Siege de Troye
jufqu'à l'ifle d'Itaque ; on fera l'ouverture de ce
Spectacle le 19. du mois prochain; nous renvoyons à
ce tems- là pour en donner un détail circonftancié .
PROMOTION de Maréchaux de France:
E 11. Eévrier 1741.le Roy fit une Promotion
de fept Maréchaux de France ; fçavoir :
Louis de Brancas , des Comtes de Forcalquier ,
Marquis de Cerefte , Comte de Roubion , Baron du
Cattelet de Villars , Seigneur de S. Dizier de Ve
I nafque
94 MERCURE DE FRANCE
nafque , de Vitrolles , de Montjuſtin , de Juvily, &c.
Grand d'Efpagne de la premiere Claffe , Chevalier
des Ordres du Roy, & de l'Ordre de la Toifon d'Or,
Confeiller d'Etat d'Epée , Lieutenant General des
Armées de S. M. & au Gouvernement de Provence,
Gouverneur des Ville et Château de Nantes , er
Comté Nantois , et Commandant en Chef dans la
Province de Bretagne.
Il est né le 19. Janvier 1672. Il entra en 1689 .
dans les Moufquetaires , fit la Campagne de 690 .
auprès du Dauphin en Allemagne , fuivit le Roy au
Siege de Mons en 1691. entra dans la Marine en
1692. y fervit pendant 7. ans fur les Vaiffeaux , ou
fur les Galeres , tant en qualité d'Enfeigne que de
Lieutenant , et fervit avec les Troupes de débarquement
aux Siéges de Rofis , de Palamos , et de Barcelone,
ep 1694. 1695. et 1697. Depuis il quitta le
fervice maritime pour entrer dans celui de terre ,
et fut fait Colonel du Régiment d'Orléans Infanterie
le 15. Juillet 1699. Il entra en 1702. dans Keiferwert
avant le Siége , pendant lequel il fut bleffé;
il y commanda une fortie avec tant de fuccès, qu'il
fut déclaré Brigadier le 4. Juin, par une Promotion
particulière , et en reçût le Brévet avant la reddition
de la Place , où il en fit les fonctions . Il acheva cette
Campagne en Flandres fous le Duc de Bourgogee,
fit celle de 1703. fous le Maréchal de Villeroy
dans le même Pays , d'où il alla joindre avec un dé,
tachement le Maréchal de Tallard devant Landau.
Il paffa enfuite en Espagne , et fuivit le Roy Catholique
à la Campagne de Portugal, fut fait Maréchal
de Camp le 26. Octobre 1704. et fut détaché en
1705. avec un Corps de Troupes pour le Siége de Gibraltar
, en 1706. pour celui de Barcelone , et en
1707. pour aller joindre l'Armée Espagnole fur les
Frontieres de Portugal , où il fut chargé de la conduite
FEVRIER. 1741. 39.5
"
uite du Siége de Ciudad - Rodrigo , qui fut emporté
d'affaut. Il fut nommé à la fin de la même année
Envoyé Extarordinaire du Roy à Madrid , et
fait Commandeur de l'Ordre Militaire de S. Louis ,
avec 3000. livres de penfion le 9.Mai 1709. et Lieuzenant
General des Armées du Roy le 29. Márs
1710. Il fervit en cette qualité la même année dans
1'Armée de Rouffillon , qu'il commanda en l'abſence
du Duc de Noailles . Il fut fait le 12 Février 1711.
Gouverneur de Gironne , dont il foûtint le blocus
en 1712. durant 8 , mois et f . jours . Le Roy d'Es-
-pagne , pour récompenfer fes fervices , le nomma
au mois de Février 1713. Chevalier de l'Ordre
de la Toifon d'Or , dont il reçut le Colier
à Madrid le 26. Novembre fuivant. Il fut nommé
en 1714. Ambaffadeur Extraordinaire en Eſpagne ,
et fut fait au mois de Septembre 1715. Confeiller
au Confeil du dedans du Royaume , et chargé
alors de la Direction génerale des Haras de France,
qui lui fut confervée après la fupreffion des Confeils.
Il obtint le 3.Mai 1718.la Lieutenance Génerale de
Provence ,avec un Brévet de retenuë de 200000 liv.
Aur cette Charge , et le 3. Avril 1719. il fut déclaré
: Confeiller d'Etat Ordinaire d'Epée . Il tint les Etats
-de Provence en 1720. et fut envoyé en cette Pro-
- vince en 1721. pour apaifer les troubles que la contagion
y avoit caufés . Il fut reçû Chevalier des Or
dres du Roy le 3. Juin 1724. et fut nommé pour la
-feconde fois le 2. Novembre 1727. Ambaffadeur Extraordinaire
et Plénipotentiaire en Espagne , où il
⚫ arriva au mois de Juin 1728. Le Gouvernement du
: neuf Brifac lui fut donné au mois de Janvier 1729 .
et le Roy d'Eſpagne lui accorda le 15. Fév . 1730. la
Grandeffe de la prem.Claffe,dont il prit poffeffion le
14. Mai fuivant. Il eut fon audience de congé le 10 .
Septembre de la même année , et repaffa enfuite en
:
C
I ij
France.
396 MERCURE DE FRANCE
France. Le Gouvernement de Nantes lui fut donné
le 27. Mars 1738. et il fut déclaré en même- tems
Commandant en chef en Bretagne.
Louis -Augufte Albert d'Ally , Duc de Chaunes ;
Pair de France , Vidame d'Amiens , Chevalier des
Ordres du Roy, Lieutenant Géneral de fes Armées ,
ci-devant commandant la Compagnie des Chevau-
Legers de fa Garde. , Gouverneur de la Ville
et Citadelle d'Amiens , et de la Ville de Corbie. Il
eft né le 22. Décembre 1676. et il a commencé à
fervir en 1693. Il fut fait au mois d'Octobre 1695.
Colonel d'un Régiment d'Infanterie de nouvelle le
vée, qui fut réformé en 1697. après la Paix de Riswick.
Il eut au mois de Juillet 1701. le Régiment
de Dragons, vacant par la mort du Chevalier d'Albert
, fon frere , et au mois de Février 1702. il fut
fait Sous-Lieutenant de la Compagnie des Chevau
Legers de la Garde , dont il fut nommé Capitaine-
Lieutenant le 17. Septembre 1704. à la place du feu
Duc de Montfort , fon frere aîné. Il avoit été créé
Brigadier le 10. Février précedent. Il fervit à la
Bataille de Ramillies le 23. Mai 1706. fut fait Maréchal
de Camp le 20. Juin 1708. et fervit en cette
`qualité au Combat d'Oudenarde, au mois de Juiller
fuivant , et à la Bataille de Malplaquet , le 1 1. Sepsembre
1709. La Terre de Chaunes ayant été érige
de nouveau en fa faveur en Duché- Pairie , par
Lettres du mois d'Octobre 1711. il en prit alors le
titre , ayant porté jufques -là celui de Vidame d'Amiens
, et il prit féance au Parlement de Paris en
qualité de Pair de France le premier Décembre fuivant.
Il fut fait Lieutenant General des Armées du
Roy le 8. Mars 1718. et Chevalier de fes Ordres le
3. Juin 1724. Il eut au mois d'Avril 1729. le Gou
vernement d'Amiens et de Corbie. Il fut nommé au
mois d'Avril 1734. pour être employé dans l'Armée
d'Allemagne
FEVRIER: 1741. 397
'Allemagne en qualité de Lieutenant Géneral ,
dont il fit la fonction au Siége de Philisbourg , et il
fit encore la Campagne de 1735. dans la même
Armée.
~ Louis Armand de Bricbanteau , Marquis de
Nangis & du Châtel , Seigneur de Brichanteau
Chevalier des Ordres du Roy , Lieutenant Géneral
de ses Armées , Directeur Géneral de l'Infanterie
Françoise , Gouverneur de Salées , en Rouſſillon ,
Chevalier d'honneur de la Reine , né le 27. Septembre
1682. Il fut fait à l'âge de huit ans par
Commiflion du 3. Jeptembre 1690. Colonel du
Régiment Royal la Marine , à la place de feu son
Pere mort le 22. Août précedent , d'une bleffure à
la tête à l'attaque d'un Village retranché en Allemagne.
Il eut le 15. Janvier 1700. le Régiment
de Bourbonnois , à la tête duquel il se trouva à
l'attaque du Pont d'Huningue le 30. Septembre
1702. & à la Bataille de Fridlingue le 14. Octobre
suivant. En 1703. il servit au Siége du Fort de
Kell , qui fut pris le 11. Mars ; à la prise de plafieurs
autres Forts ; au Combat d'Ochftet le 20.
Septembre , & au Siége d'Augsbourg en 1704. Il
paffa avec son Régiment en Baviere , & se trouva
à la Canonade de Stoka , & à la Bataille d'Hochftet
le 13. Août. Il fut ensuite du Détachement qui
fut commandé pour aller se saifir de Wiffembourg ,
& reçut deux contufions en chaffant les Ennemis
d'un pofte qu'ils occupoient. Il fut nommé Brigadier
le 26. Octobre de la même année . Au mois
d'Avril 1705. il paffa avec son Régiment dans
l'Armée sur la Moselle , commandée par le Maréchal
de Villars , & suivit la partie de l'Armée qui
passa le Rhin. En 1706. il servit sous le même Gér
neral , & ensuite sous le Comte du Bourg. En
1707. il se trouva à l'attaque des Retranchemens de
I iij Lorch,
398 MERCURE DE FRANCE
Lorch , où le Géneral Janus fut forcé par le Mas
réchal de Villars , qu'il suivit comme Volontaire à
ła déroute du Camp de Gemind. Il se jetta le 6.
Août dans Dourlach , où il tint ferme pendant 18.
jours , ayant donné le tems au Maréchal de Villars
d'y ariver. Il fut fait Maréchal de Camp le 18 Juin
1708. Il se trouva le 11. Juillet au Combat d'Oudenarde
, & fut chargé de l'arriere - Garde à la re◄
traite avec foo. Grenadiers , avec lesquels il soutint
le lendemain matin une attaque de l'avant-
Garde de l'Armée ennemie , & donna le tems au
refte de l'Armée avec so. pieces de Canon de passer
un Défilé. En 1709. il enleva le 24. Juillet 200
Hommes poftés dans l'Abbaye d'Hannon sur la
Scarpe , & combattit le 11. Septembre à la Bataille
de Malplaquet , où il emporta plufieurs Drapeaux ,
qu'il fut chargé de porter au Roy avec le détail de
Paction. Le 2. Juin 1710. il s'empara avec le Comte
de Broglio du Moulin & de la Redoute de Biache
sur la Scarpe , & le 26. Janvier 1711. il fut
fait Colonel-Lieutenant du Régiment du Roy , Infanterie.
En 1712. il se trouva le 24. Juillet à l'Affaire
de Denain , et fut ensuite employé aux Siéges
de Douai , du Quesnoy , et de Bouchain. En 1713-
il servit à celui de Landau , et affifta comme Volontaire
à celui de Fribourg , où le Comte de Broglio
et lui emporterent l'épée à la main la lunette
de la tête du chemin couvert de la Place . Ce fut lui
qui commanda en 1715. le Camp qui fut formé à
Marli. Il fut fait Lieutenant General des Armées
du Roy le 8 Mars 1718. & Gouverneur de Salces le
Decembre 1719. Il se démit alors du Régiment
du Roy. Il fut nommé Directeur Géneral de l'Infanterie
le 1. Mars 1721. & Chevalier d'honneur de l'In
fante d'Espagne en France le 2 Février 1724. puis de
la Reine le jo Mai 1725. Le Roy l'ayant proposé le
2.
FEVRIER 1741 399
2. Février 1728. pour être Chevalier de l'Ordre du
5. Esprit , il en reçut la Croix & le Colier le 16.
Mai suivant. Il fut nommé au mois d'Avril 1734-
pour être employé dans l'Armée d'Allemagne , ou
il servit au Siége de Philisbourg. Il fit encore en
Allemagne la Campagne de 1735. sur la fin de laquelle
il fut chargé le 20. Octobre d'attaquer avec
un Détachement de Grenadiers & la Compagnie
de Kleinholt le Village de Ruinich , dont il se rendit
maître , ainfi que du Pont, sur la Salm , près de
ce Village.
Louis de Gand-Villain de Merode & de Montmorency
, Prince d'Isenghien & de Masmimes ,
Comte du S. Empire , de Middelbourg , de Merode
, d'Ougnies , & de Viandon , Vicomte des Villes
& Châtellenie d'Ipres , de Wahagnies , & de
Lodreghem , libre Baron de Frentz , de Raffenghion
, de Croifilles , de Gajon , & de Warmeton ,
Seigneur des Villes de Launoy , de Waeten , Chatleroy
, &c . Chevalier des Ordres du Roy , Lieutenant
General de ses Armées , Lieutenant Géneral ,
& Commandant au Gouvernement de la Province
d'Artois , & Gouverneur de la Ville Cité d'Ar
ras , né à Lille le 16. Juillet 1678. Il fut fait Colonel
d'un Régiment d'Infanterie en 1697. & Brigadier
le 2. Avril 1703. servant alors en Allemagne ,
où il se trouva le 20. Septembre suivant au Combat
d'Hochftet. Il fut nommé Maréchal de Camp
le 20. Mars 1709. & deſigné en même tems pour
ête employé en cette qualité dans l'Armée de Flan
dres , où il continua de servir jusqu'à la Paix d'Utrecht
, s'étant trouvé entr'autres occafions à la ren.
contre près d'Arleux , & à la reprise du Fort de ce
Lieu , les 12. & 23. Juillet 1711. à l'Affaire de Denain
le 24. Juillet 1712. & ensuite au Siége de
Douay. Il fut nommé le 8. Mars 1718. Lieutenant
I iiij
Ge400
MERCURE DE FRANCE
General des Armées du Roy , & proposé le 2. Fé
vrier 1724. pour être Chevalier des Ordres de S.
M. dont il reçut la Croix & le Colier le . 3. Juin
suivant. Il obtint au mois d'Août suivant la Lieutenance
Génerale d'Artois , & au mois de Septembre
1725. le Gouvernement d'Arras. Il fut nommé
au mois d'Avril 1734. pour servir en qualité de
Lieutenant Géneral dans l'Armée d'Allemagne. Il
se trouva au Siége de Philisbourg , & il fit encore
Ja Campagne de 173. dans le même Pays.
Jean- Baptifte de Durfort , Duc de Duras , Marquis
de Blanquefort , Baron de Pujols , de Landrouet
, et de Cipreffac , Seigneur de Chitain ,
d'Urbize , de Cambert , &c. Chevalier des Ordres
du Roy , Lieutenant Géneral de ses Armées , Gou
verneur du Château- Trompette à Bordeaux , et
Commandant en Chef au Gouvernement du Comté
de Bourgogne , et ci - devant de la Haute et Baffe
Guyenne. Il est né le 28 Janvier 1684. Ilfut fait en
1697 Mestre de Camp d'un Régiment de Cavalerie,
à la tête duquel il courut risque de la vie à la Journée
de Nimegue le 10. Juin 1702. en prenant un Etendart
aux Ennemis. Il fut fait Brigadier le 10. Février
1704. et défit le 3. Juillet - suivant un Parti
de 400. Hommes sortis de Montmeliand . Il fut
nommé Maréchal de Camp le 30. Mars 1710. fervit
en 1719. aux Siéges de Fontarabie et de S. Sebaftien
, et fut fait Lieutenant General des Armées
du Roy le 31. Mars 1720. et reçû Chevalier de ses
Ordres le 13. May 1731. Il a été employé dans la
derniere Guerre dans l'Armée d'Allemagne , où il
a servi au siége du Fort de Kell au mois d'Octobre
1733. et ensuite au Siége de Philisbourg en 1734
Il fut bleffé à ce dernier le 12 Juin par un piquet d'un
gabion qui fut renversé par le boulet d'un Canon
dont le Maréchal Duc de Bervick fut tué. Il eut
au
FEVRIER. 401
1741 .
au mois d'Août suivant le Gouvernement du Château-
Trompette , et la même année le Commandement
en Chef du Comté de Bourgogne lui fut
accordé. L'anné suivante , il fit encore la Campagne
dans le même Pays .
Jean- Baptifte-François Defmaretz , Marquis de
Maillebois , de Bleny & de Rouvray , Baron , Gouverneur
, & Grand Bailly de Chasteauneuf en Timerais
, Chevalier des Ordres du Roy , Lieutenant
Général de fes Armées , & au Gouvernement de la
Province de Languedoc , Gouverneur de la Ville
de Douay , & Maître de la Garde- Robe de S. M.
lleft né en 1682. Il fut fait Colonel du Régiment de
Touraine en 1703. & s'étant diftingué dans une
fortie au Siége de Lille en Flandres le 11. Septembre
1708. il fut élevé au Grade de Briga.
dier le 19. du même mois. Il fut fait Maître de la
Garde- Robe du Roy en 1712. Lieutenant Général
en Languedoc par la démiſſion du Marquis d'Alegre,
fon beau- pere , en 1713. gratifié d'un Brevet
de retenue de 400000. liv. fur fa Charge de Maitre
de la Garde- Robe au mois d'Avril 1717. fair
Maréchal de Camp le 8. Mars 1718. Gouverneur
de S. Omer le 13. Octobre 1723. nommé Cheva
lier des Ordres du Roy à la Promotion du 2. Février
1724. & reçû le 3. Juin fuivant ; & fait Lieu
tenant Général des Armées de S. M. le 23. Décembre
1731. Il fut nommé au mois d'Octobre
1733 pour être employé en cette qualité dans
P'Armée qui paffa en Italie. Ce fut lui qui inveftir
le 11. Novembre fuivant la Place de Gerra d'Adda,
au Siége de laquelle il fervit . Il prit le s . Janvier
1734. le Château de Sarra- Valle , dont il fir la
Garnifon prifonniere de guerre. Il fut enfuite chargé
de faire le Siége de la Ville & du Château de Tortonne.
Il ferendit maître de laVille le 28. Janvier, &
da
402 MERCURE DE FRANCE
du Château le 5. Février. Il fecourut le 25. Mai le
Château de Colorno , & mit en déroute le détachement
des Impériaux qui étoit venu l'attaquer.
Il favorifa le premier Juin la retraite de la Garniſon
de ce Château , que les Impériaux vinrent attaquer
'une feconde fois . Le 4. du même mois ; il marcha
au même Château de Colorno , qu'il obligea les
Impériaux d'abandonner le s . Il fe trouva le 29.
du même mois à la Bataille de Parme. Le 19. Juillet
, il fut détaché pour aller occuper la Ville & Citadelle
de Modene. Le Gouvernement de la Ville
de Douay lui fut accordé au mois d'Août ſuivant . "
Le 16. Septembre , il commanda l'arriere- Garde de
l'Armée Françoife & Piémontoiſe dans la marche
qu'elle fit à Guaftalla en préfence de l'Armée ennemie.
Il fe trouva le 19. du même mois à la Bataille
de Guastalla , où il foutint avec le Corps de
troupes qu'il commandeit , le dernier effort des
Impériaux , qu'il renverfa & obligea à prendre la
fuite. Le 30. fuivant , il fut détaché pour aller faire
le Siége de la Mirandole. Il arriva devant cette
Place le 4. O&tobre , & s'établit , dès le troifiéme
jour du Siége, fur le chemin couvert . Il avoit même
tout difpofé pour la defcente du Foffé , ayant trouvé
la bréche affés avancée ; mais fur l'avis qu'il eût
le 12. Octobre de l'aproche des Impériaux , qui
venoient pour l'attaquer , il jugeà à propos de le- ¹
ver le Siége , n'étant pas affés fort pour les attendre
, & il fe retira avec fes Troupes à Modene en
1735. Il fervit encore en Italie : il fe rendit maître
du Château de Reggiolo le 3.1 . Mai , avec le Corps
de réferve qu'il commandoit , & obligea la Garni-"
fon de fe rendre à difcrétion . Le 6. Juin , il marcha
à la tête des Grenadiers des Troupes Françoifes &
Efpagnoles , s'empara de plufieurs Caffines , et entra
le 7. dans Revoré , que les Impériaux aban - 2
donnerent
FEVRIER. 1741 403
Monnerent à l'aproche de l'Armée qui marchoitpour
l'attaquer. Il continua de commander un Corps de
réſerve le reste de la Campagne , qui finit au mois
de Novembre par la publication de la ceffation des
hoftilités entre les deux Armées . A fon retour en
France , il fut nommé au mois de Novembre 1736,
Commandant en Chef en Dauphiné , d'où il ſe rendit
à Paris au mois de Janvier 1739. pour aller
prendre le Commandement des troupes du Roy
dans l'Isle de Corfe , auquel il venoit d'être nonmé.
11 prit congé de S. M. à Versailles le 21. Fé
vrier fuivant , et étant parti peu de jours après pour
aller s'embarquer à Toulon , il aborda dans l'Isle
de Corfe le 11. Mars. Il y commande encore actuellement
depuis ce tems- là .
Louis Charles Augufte Fouquet de Belleisle, Com
te de Gifors , d'Andely , Vernon , & Lilous , Chevalier
des Ordres du Roy , Lieutenant General de
fes Armées , Gouverneur & Lieutenant Général de
la Ville & Citadelle de Metz , & du Pays Meffin ,
défigné Ambaffadeur Extraordinaire, & Plenipotentiaire
pour le Roy à la prochaine Diéte de l'Empire
pour l'Election d'un Empereur. Il eft né à Villefranche
en Rouergue , le 22. Septembre 1684. It fus
fait en 1705. Mestre de Camp d'un Régiment de
Dragons , à la tête duquel il combattit à l'attaque
des Lignes deTurin le 7.Septembre 1766. Brigadier
le 12. Novembre 1708. Meftre de Camp General
des Dragons , le 5. Juillet 1709. Maréchal de Camp
le 8. Mars 1718. & Gouverneur de Huningue le
1. Mars 1719. Il fervit la même année au Siégé
de Fontarabie , qui fut pris le 16. Juin . Depuis it
eût leCommandement enChef des 3. Evêchés, Metz
Toul , & Verdun , fut fait Lieutenant Géneral des
Armées du Roy , le 23. Decembre 1731. & prêt
ferment de fidélité le 17. Mars 1733. pour le Gow
vernement
404 MERCURE DE FRANCE
vernement de la Ville , & Citadelle de Metz , &
du Pays Meffin , qu'il venoit d'obtenir. La Guerre
ayant été déclarée à l'Empereur la même année , il
fut chargé d'occuper avec les Troupes du Roy la
Ville de Nancy en Lorraine , ce qu'il exécuta le 13.
Octobre. L'Hyver fuivant il eut le Commandement
des 3. Evêchés pendant la Campagne de 1734. L
eat au commencement fous les ordres un Corps
de troupes , avec lequel il s'empara de Tréves le
8. Avril, Enfuite il fit le Siége du Château de Traër
back , qu'il prit le 2. Mai en 8. jours de tranchée
ouverte. Il y fut bleffé legerement d'un éclat de
Paliffade . Après ces expéditions , il alla avec fon
Corps de troupes rejoindre l'Armée pour le trouver
au Siége de Philisbourg . Il fut chargé de l'attaque
du Fort du Pont de cette Place , que les
Affiegés abandonnerent le 3. Juin , après 3. jours de
Tranchée ouverte. Depuis la prife de Philisbourg ,
il eut le refte de la Campagne un Corps de troupes
fous les ordres , & pendant l'Hyver ſuivant , il
commanda encore dans les . Evêchés & ſur les
Frontieresde Champagne,la Mozelle,la Sarre, et l'Electorat
de Tréves, y compris le Honfrcuk. Le Roy
l'avoit propofé le 13. Juin 1734. pour être admis
au nombre des Chevaliers de l'Ordre du S. Efprit.
S'étant rendu à la Cour , il en reçut la Croix et le
Colier , le 1. Janvier 1735. Il continua de fervir
en Allemagne , où il eut le Commandement d'un
Corps de Reſerve pendant toute la Campagne de
1735. Il fe démit volontairement au mois de Juin
1736. de la Charge de Meftre de Camp Général
des Dragons.
RE
FEVRIER: 1741 40 %
RECEPTIONde M. le Comte Jablono
wski dans l'Ordre de la Toifon d'or.
LE
E Roy d'Espagne ayant fait l'honneur au Com
te Jablonowski de le nommer pour être reçu
Chevalier dans l'Ordre de la Toifon d'or , S. M.
Catholique envoya à M. le Marquis de Baufremont
, Chevalier du même Ordre ,des Lettres Patentes
& fes Pouvoirs , fignés de fa main , pour
faire en fon Nom la Cérémonie de fa Reception .
Elle devoit d'abord le faire à Lunéville à la Cour
du Roy de Pologne , Duc de Lorraine , lequel
fit l'honneur à M. le Duc de Sully Chevalier de
cet Ordre de lui écrire une lettre de fa main , pour
l'inviter de venir à la Cour & de fervir de Parrain
au Comte Jablonowski , qui eft le fils de Dame
Jeanne Marie de Béthune , & de Jean , Comte
Jablonowski , Grand Enfeigne de la Couronne de
Pologne , Palatin de Volhinie &c . Le Comte Jablonowski
en écrivit auffi très obligeamment à M.
le Duc de Sully , Chef de la Maifon de Béthune
en France. Mais le débordement des Eaux qui a
rendu les chemins très difficiles , ayant retardé
de plus d'un mois l'arrivée du Colier , le Comte
J. étant d'ailleurs preffé de finir cette Cérémonie
pour fe rendre en Pologne , il vint exprès à Verfailles
pour faire fa cour au Roy & à la Reine , &
enfuite fe faire recevoir.
* Fille de François Gafton Marquis de Bethune,Am
baffadeur de France en Pologne en Suede , de
Dame Marie Louife de la Grange - d'Arquien , Soeur
de Marie Cafimire de la Grange , Reine de Polognes
Ma
10 MERCURE DE FRANCE
M. le Marquis de Baufremont de fon côté alla
demander la permiffion au Roy , & pria S. M. de
fixer le jour & le Lieu de la Cérémonie. Le Roy
répondit avec fa bonté ordinaire , qu'il lui laiffoit la
difpofition de l'un & de l'autre . Il alla enfuite rendre
fes refpects à Monfeigneur le Dauphin , puis
prier M. le Duc d'Orléans de lui faire l'honneur
de vouloit bien diner chés lui , après la Convocation
qui lui feroit faite de fe trouver à la Reception
du Comte Jablonowski . Il fit la même chofe
à l'égard du Duc de Penthiévre .
Le jour ayant été fixé au 18. Janvier , M.. Hu
lin , comme faifant les fonctions de Sécretaire de
S. M. Catholique , envoya aux Princes , Ducs ,
Maréchaux de France , & autres Perfonnes de difrinction
de cet Ordre , des Billets de Convocation,
pour le trouver à la Cérémonie . M. le Marquis
& Madame la Marquife de Baufremont allerent en
perfonnes prier ceux qui devoient affifter à la Cérémonie
, de leur faire l'honneur de dîner enfuite
chés eux.
La Cérémonie commença à l'Hôtel du Marquis
de Baufremont fur les onze heures du matin . Tout
cet Hôtel étoit orné avec la derniere magnificence.
Au fond de la grande Chambre , deftinée pour la
Cérémonie , il y avoit un Dais de Velour cramoifi
galonné dor , & fous le Dais une Estrade
d'une marche couverte d'un grand Tapis de
Turquie , ainfi que toute la Chambre. Sur cette
Estrade étoit un riche Fauteuil pour le Seigneur '
repréfentant S .. M. Catholique , & au deffus , à
une certaine diftance , on. voyoit un beau Portrait
du Roy Philippe V. Chef de l'Ordre de la Toifon
d'Or. A côté du Fauteuil , & fous le même
Dais , étoit une Table couverte d'an Tapis de
Velours Cramoifi avec un bord & un grand galon
FEVRIER: 1741. 407
lon dor , fur laquelle Table étoit un Crucifix &
le Livre des S S. Evangiles.
Sur la même Estrade & devant le Fauteuil , étoit
un Carreau de Velours Cramoifi avec un galon
d'or , fur lequel devoit être à genoux le Cheva
Hier qu'on devoit recevoir . Au bas de l'Estrade .
des deux côtés , fur les mêmes Tapis , on avoit
placé de très belles Banquettes pour affeoir les
Chevaliers fuivant leur rang d'ancienneté . Au bout
de la Salle & vis à vis le Dais , étoit une autre
Banquette pour le Sécretaire dont on a parlé , &
il n'y avoit aucun autre Siege .
Tous les Chevaliers revêtus du Colier de
P'Ordre , s'étant affemblés dans un grand Cabi
net à côté , ils se mirent en marche felon leur rang
de Reception , ayant à leur tête le Chevalier
porteur de la Procuration de S. M. Catholique.
Quand on fut entré dans la Salle , ou devoir
fe tenir, le Chapitre , après que toutes les portes
eurent été fermées , le Sécretaire lût la Procura
tion du Roy d'Efpagne , donnée en faveur du
Marquis de Baufremont , lequel , étant monté à
l'Estrade s'iffit dans le Fauteuil , & tous les Chevaliers
s'affirent en même temps , & le couvri
rent. Le Sécretaire refta fur la Banquette du fond
fans fe couvrir.
Après quelques momens de conference fur les
affines de l'Ordre › Le Marquis de Baufremont
repréfentant le Roy d'Efpagne , dit au Sécretaire'
d'aller demander au Comte Jablonowski , qui étoit'
à la porte de la Salle en dehors ce qui suic
Le Roy d'Espagne , comme Souverain de l'Ordre de
la Toifon d'Or , a eu la bonté de nommer votre Excellence
Chevalier de cet Ordre , elle a donné Commiffion
à M. le Marquis de Baufremont , pour ( en
fon Royal Nom ) donner la Toifon d'Or a V. E.*
Elle
468 MERCURE DE FRANCE
Elle m'ordonne de fçavoir fo elle accepte la Nomià
nation , fi elle je tient pour très honorée de recevoir
cet Ordre. Le Comte Jablonowski répondit
que cette grace étoit pour lui d'un grand prix
& qu'il l'acceptoit avec beaucoup de véneration.
Le Sécretaire vint rendre cette réponse en faisant
les reverences ufitées , & il lui fut auffi- tôt or
donné de faire entier le Comte Jablonowski , en
Paccompagnant jufqu'à l'entrée de la Salle du Chapitre
, où le Duc de Sully Parrain alla le prendre,
fe mettant à fa droite . Arrivés vers le milieu de
la Salle , ils firent ensemble une premiere revezence
, une feconde un peu plus avant
troifiéme avant que d'arriver au bas de l'Eftrade ,
où l'on donna un Carreau au nouveau Chevalier.
Le Duc de Sully alla reprendre fa place , s'affic
& le recouvrit , ayant fait tout ce qu'on vient
de dire découvert.
& Nne
Cependant le Sécretaire étoit paffé à côté de
la table , d'où il fit les interrogations accoûtumées
au nouveau Chevalier , qui avoit un genou
en terre . On lui demandà s'il avoit été armé Che
valier ? Il répondit que non . S'il vouloit l'être ? IL
xépondit qu'oui. Auffi- tôt une Ferfonne de Condition
, traverfant le Parquet , aporta une fort
belle Epée nue qu'il rémit au Marquis de Baufremont
, lequel arma Chevalier le Comte Jablonowski
en lui donnant trois coups de cette Epée ::
un fur l'Epaule droite , un autre fur la gauche
& le dernier encore ſur la droite ; il lui donna
enfuite à baifer le pommeau de l'Epée , & il le
baifa lui - même.
accom-
Le nouveau Chevalier paffa à côté de la table
, & fe mit à fur un carreau
genoux
pagné du Sécretaire auffi à genoux , & fit le ferment
fur la Croix & le S. Evangile. Il vint en-
"
fuite
FEVRIER: 1741. 409
fuite fe remettre fur un carreau aux pieds du Marquis
de Baufremont repréfentant le Roy d'Eſpagne ,
& le Sécretaire aporta le Colier de l'Ordre , enfermé
dans une Boette ouverte , qu'il mit fur un
Carreau. Le Marquis de Baufremont le prit par le
devant , & le Duc de Sully par le derriere & ils
le mirent enſemble au nouveau Chevalier , auquel
le repréfentant donna l'accolade des deux côtés :
Le Comte Jablonowski lui fit un petit compliment.
Le Duc de Sully étant à la gauche du Chevalier ,
après avoir fait tous deux une grande reverence
au repréfentant , le mena à tous les Chevaliers ,
fuivant leur rang leur faire une reverence , & les
embraffer.
Enfuite le Marquis de Baufremont dit , Meffieurs ,
la Convocation faite , les abfens font cenfez prefens ,
fur- tout ceux qui n'ont pas envoye s'excufer : Comme
ils peuvent encore venir couvrez vous ; & leur
place fût marquée fuivant leur ancienneté dans
P'Ordre ; on refta encore quelque- temps dans la
Salle à parler des affaires de l'Ordre , & puis cha
cun fe leva.
"
Toute la Cérémonie finie , le Marquis de Bau
fremont donna un grand & fplendide diner à tous
I's Chevaliers , aux plus proches Parens du Comte
Jablonowski , aux Ambaffadeurs d'Eſpagne , & des
Deux Siciles , & à plufieurs Perfonnes de diftinction
: On admira fur- tout la magnificence du Fruit,
où le voyoit dans le milieu l'Hiftoire de Jafon ,
soute repréfentée en Sucre transparent , accompa
gnée d'un côté , & de la même maniere , de celle
deGédeon;& de l'autre d'un autre fujet Hiftorique,
également convenable . Au deux extrémités étoient
les Armes de S. M. C. & celles du Roy de Polo .
gne , Duc de Loraine & de Bar ; & aux 4. coins
des Arbres chargés de Coliers de la Toifon d'Or
To MERCURE DEFRANCE
& d'autres Symbôles ,fufpendus ou portés par
differens Génies & c.
Sur le déclin du jour , tout l'Hôtel du Marquis
de Baufremont fut illuminé d'une maniere égale.
ment ingénieufe & fuperbe , tant en dedans qu'en
dehors , on peut dire enfin que jamais Cérémonie
de cette efpece n'a été faite avec plus d'ordre
de magnificence , & de véritable grandeur.
Le 9 Février , M. l'Archevêque de Paris donna
un Mandement portant permiffion de manger des
Oeufs durant le Carême,
Le même jour , le Parlement rendit un Arrêt fur
le même sujet , par lequel il eft dit ce qui fuit.
LA COUR a arrêté & ordonné que le Mande
hent de l'Archevêque de Paris fera exécuté ; & conformement
à icelui , permet. d'expoſer & vendre
des Oeufs dans les Marchés et Places publiques de
cette Ville et Fauxbourgs de Paris , et d'y en faire
aporter desProvinces, & à cette fin fera le préfentAr
rêt publié à fon de Trompe dans cette Ville de Paris
, et envoyé dans les Provinces à la diligence du
Procureur Gén. du Roy , pour y être pareillement
Publié, afin qu'il puiffe être connu aux Marchands ;
Enjoint à fes Subftituts d'y tenir la main. FAIT en
Parlement le 9. Février 14 1.Signé , DU FRANC .
· MORTS & MARIAGES.
E 8. Janvier 1741. Charles- Haac Boucher
Seigneur d'Orçay, Capitaine de Cavalerie dans
le Régiment d'Aumont , fils unique de feu Charles
Boucher , Seigneur d'Orçay , Maître des Requêtes,
& Intendant de la Généralité de Limoges , mort
14. Août 1730.âgé de 54 ans ; & de Dame Louife
Marie
FEVRIER. 1 418
·
1741
Marie de la Cropte de S. Abre , fa feconde femmes à préfent fa veuve , mourut à Paris au commences
ment de la 21 année de fon âge. Il laiffe pour hé ritieres fes deux Soeurs Germaines , nées d'une pre- miere femme , qui étoit D. Catherine du Breuil . Ces deux Dames fout Catherine Boucher d'Orçay , époufe de Leonord, Marquis de Pracontal, Lieute nant de Roy dans les Provinces de Nivernois & Donziois , ci-devant Sous - Lieutenant
de la Com → pagnie de Chevau- Legers de la Garde de S. M. & de Antoinette -Françoife Boucher d'Orçay , Epoufe de Pierre de Berenger , Comte de Charmes & du
Gua , Maréchal des Camps & Armées du Roy.
*
Le 11. Charles Porée , Jéfuite , Profeffeur de Rhétorique
au College de Louis le Grand depuis 33. ans , & qui s'étoit acquis une grande réputa tion , mourut dans ce College , âgé de 65. ans. Nous en parlerons plus amplement
ailleurs. Le 12. D. Marie - Anne - Urfule Amelot , Epoufe
de Henri-Charles de Saulx , Comte de Tavannes
& de Beaumont , Lieutenant
Géneral, & Com → mandant pour le Roy du Gouvernement
de la Pro
vince de Bourgogne , Maréchal de fes Camps & Armées, ci- devant Capitaine- Lieutenant de la Com- pagnie des Gendarmes
Flamans , avec lequel elle avoit été mariée le 3. Mars 1712. mourut à Dijon âgée de 49. ans. Elle étoit fille de Michel Amelot, Marquis de Gournay , Baron de Brunelles , Con- feiller d'Etat ordinaire , & Préfident du Confeil de Commerce , ci-devant Ambaffadear
Extraordinaire
à Veniſe , en Portugal , en Suiffe & en Ef pagne , mort le 21. Juin 1724. & de Catherine le
Pelletier de la Houffaye , morte le 18. Mai 1703. Elle laiffa , entr'autres enfans , Charles- Michel
Gafpard , apellé le Comte de Saulx , Colonel du Régiment de Quercy , par Commiffion
du 10. Janvic
412 MERCURE DE FRANCE
vier 1731. & Brigadier des Armées du Roy , da
15. Mars 1740. dont le Mariage avec Marie - Françoife
Cazimire de Froulay de Teffé, eft raporté dans
le Mercure de Mars 1734. p. 621. & une fille ma ·
riée avec le Marquis des Prez, du nom de Thibaut,
Gentilhomme du Baujolois , ainfi qu'on l'a annoncé
dans le Mercure de Janvier 1733. p . 187 .
Le 13. Jacques de Forbin de Janfon , Archevêque
& Primat d'Arles , Prince de Salon & de Mondra→
gon , Abbé Commandataire de l'Abbaye de S. Va-
Tery , O. S. B. D. d'Amiens , Docteur en Théologie
de la Faculté de Paris de la Maifon de Sorbonne
, mourut à Arles , âgé d'environ 69. ans.
Il avoit été d'abord Chanoine de l'Eglife de Beauvais
, & Vicaire Géneral de Touffaints de Forbin
de Janfon fon oncle , Cardinal , Evêque & Comte
de Beauvais , Pair de France : L'Abbaye de S. Va
lery , lui fut donnée le 26.Mars 1701. & il reçût le
Bonnet de Docteur en Théologie le 15.Mars 1709.
Il fut nommé à l'Archevêché d'Arles le Avril 1711
&facré le 2.Août fuivant dans l'Eglife Cathedrale de
Beauvais par l'Archevêque d'Aix , affifté des Evêques
de Caftres & d'Amiens , en préſence du
Cardinal de Janfon. Il prêta ferment de fidélité
entre les mains du Roy le rs du même mois ;
il fut Député de fa Province aux Affemblées Génerales
du Clergé de France , tenues à Paris en 1711 .
& 1725 Il étoit le cinquiéme & dernier fils de
Laurent de Forbin , Marquis de Janſon , Baron de
Villelaure , Seigneur des trois Emines , & c. Gouverneur
d'Antibes , qui avoit été Viguier de Marfeille
en 1653. & Meftre de Camp du Régiment
d'Auvergne en 165f . & qui mourut le 2. Juillet
1692. & de feue D. Genevieve de Briançon de la
Saludie. La Généalogie de Forbin est raportée
dans l'Hiftoire des grands Officiers de la Couronme
, tome S. p . 294.
,
FEVRIER: 1741 : 413
Le 14. Jacques-Jofeph de Gaufridi , Baron de
Trets , premier Avocat General du Parlement de
Provence , qui s'étoit acquis une grande réputation
dans l'exercice de cette Charge , qu'il a remplie
pendant plus de 39. années , y ayant été reçû
le 17. Octobre 1701. mourut à Aix , âgé de 66.
ans, 13. jours , étant né le premier Janvier 1674. It
étoit fils aîné de Jean-François de Gaufridi , Confeiller
au Parlement de Provence , & d'Anne de
Graffe de Moans , & petit-fils du célebre Jacques
Gaufridi , Préfident à mortier du même Parlement,
mort en 1684. âgé de 87. ans, lequel eft Auteur de
PHiftoire de Provence , qui a été achevée par fon
fils le Confeiller , & imprimée par les foins de
l'Abbé de Gaufridi , fon autre fils . L'Avocat Géneral
, qui vient de mourir , avoit époufé D. de
Roux de Sainte Efteve , de laquelle il laiffe deux
Fils , une Fille , veuve de . . . . d'Eftienne , Seigneur
du Bourguet , & quelques autres , Religieufes
.
·
Le 19. D. Françoife Morel , veuve depuis le 5 .
Août 1727. de Sebaftien Heudelor de Chazé , originaire
de Langres , Confeiller Secretaire du Roy,
Maifon , Couronne de France & de fes Finances
Garde des Rolles des Offices de France , mourut
à Paris , laiffant un fils , ci - devant Receveur Géne
ral des Finances de la Géneralité de Bourges &
une fille , nommée Denife - Françoife Heudelot de
Chazé , époufe de Michel Saulnier , Seigneur de
Condé , Préfident en la Cour des Aydes de Paris.
>
Le 22. Décembre de l'année derniere , Pierre-
Emmanuel de Cruffol , Marquis de Cruffol de Sene-
Aterre , âgé de 23. à 14. ans , Colonel du Régiment
'd'Infanterie de l'Ile de France , du 15. Avril 1738 .
fils de défunt François - Emmanuel de Cruffol
apellé le Marquis de Cruffol , Comte de Leftrange
414 MERCURE DE FRANCE
& de Leully , Baron de Privas , mort à l'âge de
25. ans , le 27. Septembre 1719. & de D. Marguerite
Colbert de Villacerffa veuve , épousa Dile
Charlotte Marguerite Fleuriau de Morville , âgée
de 15. à 16. ans , feconde fille de feu Charles-
Jean- Baptifte Fleuriau Comte de Morville , Chevalier
de l'Ordre de la Toifon d'Or , Gouverneur
& Grand Bailly de Chartres , ci-devant Ministre &
Sécretaire d'Etat , & de D. Charlotte - Marguerite
de Vienne la veuve .
>
› Le 29. du même mois Gui-André- Pierre
Marquis de Laval , âgé de 17. ans , fils de Gui
André Comte de Laval , Chef du nom & Armes de
cette Maifon , Marquis de Lezay , de Megnac , de
Treves & de la Mothe Fenelon , Comte de la Bigeotiere
& de Fontaine Chalendray , Baron de la
Pleffe premier Baron de la Marche , ci - devant
Colonel d'un Regiment d'Infanterie ; & de D.Marie-
Anne de Turmenyes de Nointel, Marquife Douairiere
de Bayers la Rochefoucaud , époufa Dlle .
Magdelaine- Jacqueline -Hortenfe de Bullion de
Fervaques , feconde fille d'Anne-Jacques de Bullion,
Marquis de Fervaques & de Gaillardon, Chevalier
des Ordres du Roy , Lieutenant General de
fes Armées , Gouverneur & Lieutenant Géneral
du Pays du Maine , Perche & Comté de Laval ; &
de D. Marie- Magdelaine-Hortenfe Gigault de
Bellefond. La Dlle. de Laval , foeur du nouveau
marié, avoit été mariée le 26. du même mois avec
Henri- François de Graves , Marquis de Solas , Baron
de Lattes , &c. Meftre de Camp de Cavalerie ,
Chevalier de l'Ordre de S. Louis , veuf de Marię-
Anne de Matignon, morte le 23. Janvier 1738.
TABLE.
IECES FUGITIVES. Ode , le Triomphe de
Pls
Vérité ,
203
Manifefte de l'Empereur de la Chine à préfent regnant
,
Notes fur ce Manifefte ,
208
218
Epitre Marotique à M.S. le premier jour de l'An , 222
Queftion importante,jugée au Parlem. de Paris, 226
Vers à M. Rigaud 234
Lettre à l'Auteur du Spectacle de la Nature , 236
IV. Lettre de M. Deftouches à M. l'Abbé D .... 256
Lettre fur le Flux & Reflux , par M. le Cat à M.Morand
,
Ode à M. le Préfident L ** *
XI. Lettre fur la Typographie ,
Les Nôces de Pirithous , Cantate ,
283
299
304
311
Lettre de M. Cocquart au fujet de la Tragédié de
Rodogune , 313
Etrennes au Dieu Mercure , 322
Enigme , Logogryphes , & c. 325
NOUVELLES LITTERAIRES DES BEAUX - ARTS ,
&c . Lettres de S. Ambroife , 328
Mémoires pour fervir à l'Hiftoire de Malthe , 330
Nouveaux Amuſemens du Coeur & de l'Eſprit , ibid.
Extrait d'une Lettre de l'Auteur de la Defcription
de la Haute Normandie à M. Maillart , 343
Mémoire de M. Morand , fur les Remedes de Mile
Stephens ,
344
Mémoire de M. Caffini , Acad . des Sciences , 350
Statuts & Reglemens de l'Académie de Dijon , 354
Vente de Bibliotheque , de P'Archevêque de Nar
bonne & de l'Evêque de Montpellier , 357
Nouv. Lunette pour les perfonnes qui louchent, 358
Eftampes nouvelles 359
Lettre fur une Médaille d'un Prince de la Maiſon
d'Eft ,
360
Chanson notée ;
364円
Spectacles. Extrait de Pigmalion ;
Nouvelles Etrangeres , Ruffie ,
Allemagne ,
365
371
Hambourg ,
Pruffe ,
Breflaw ,
373
375
376
382
386
Efpagne , Naples & Italie ,
Portugal , Isle de Corse & Grande - Bretagne , 387
France , Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 389
Concerts aux Tuilleries & chés la Reine , 391
Spectacle au Château des Tuilleries , annoncé par
le Chevalier Servandoni ,
Promotion de Maréchaux de France ,
391
ibid .
Réception du Comte Jablonowski dans l'Ordre de
la Toifon d'Or ,
Morts & Mariages ,
Errata de Janvier.
405
410
P Age 130 , avant derniere ligne , & de ce Livre des , lifez , de ce Livre & des.
Fantes à corriger dans ce Livre.
Page
Age 211. ligne 4. Riicariens , lise , Nicaniens ,
P. 220. 1. 19. chofe , l . chofes . P. 223. 1. 2. du
bas , à , l. a. P. 228. 1. derniere , fu , l. fut. P. 238.
1. 21. in expertis , 1. inexpertis. P. 250. 1. 20. qui a ,
1. qui en a . P. 253. l. 9. gravûre. Après , 1. gravûre
après. P. 254. 1. 13. fapiore, 1. Sapore. P. 264. 1. derniere
, dns , . des. P. 266. 1. premiere , amuſans ,
1. amufant. P. 270. 1. premiere , mom , l. mon. P,
346. 1. 4.Bomme , 7. homme . Ibid . 1. 29. très-environnate
, ôtez très , & lifez environnante . P. 3530
1. 11. Meraldi , L. Maraldi.
La Médaille gravée doit regarder la page
La Chanson notée , la page
360
364
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROY.
JANVIER. 1741 .
URICOLLIGIT
SPARGIT
Papillan
Ches
A PARIS ,
GUILLAUME CAVELIER,
ruë S. Jacques.
La Veuve PISSOT , Quai de Conty ,
à la descente du Pont - Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais .
M. DCC. XLI.
Avec Aprobation & Privilege du Roy
THE NEW YORK
PUBLICIIBRARY
ASTOCANTANDOGU E des Mercures de France,
TILDEN FOUNDATIONS
1 depuis l'année 1721. jusqu'à présent.
Uin ,Juillet , Août , Septembre, Octobre,
Novembre et Decembre de 1721. 7. vol.
Année 1722. les mois de Mars , Mai , Septembre
et Noyembre doubles , 16. vol.
1724. les mois de Juin et Dec. doubles ,
1723. le mois de Decembre double
13. vol.
14. vol. 1725.les mois de Juin , Sept . et Dec, doubles, 15. vol .
1726. les mois de Juin et Dec. doubles , 14. vol.
1727. les mois de Juin et Dec. doubles , 14. vol.
1728. les mois de Juin et Dec. doubles , 14. vol.
1729. les mois de Juin,Sept. et Dec.doubles, 15. vol.
1730. les mois de Juin et Dec. doubles , 14. vol.
173 1. les mois d'Avril,Juin et Dec. doubles, 15. vol .
1732. les mois de Juin et Dec. doubles ,
1733 les mois de Juin et Dec. doubles
,
1734. les mois de Juin et Dec. doubles
,
1735. les mois de Juin et Dec. doubles
,
1736.
les mois de Juin et Dec. doubles
,
1737.
les mois de Juin et Dec. doubles
,
1738.
les mois de Juin et Dec. doubles
,
1739.
les mois de Juin , Septembre
et
Decembre
doubles
,
1740. les mois de Juin et Dec. doubles ,
Janvier 1741 .
14. vol.
14. vol.
14. vol.
14. vol .
14. vol.
14. vol.
14. vol.
15. vol.
14. vol .
I. vol.
279. vcl .
PRIX XX X. SOL S.
PRI************
PRIVILEGE DU ROT
LOUIS, la de Peaux Confeillers,ice cens
tenant nos Cours de Parlement , Maîtres des Requêtes
ordinaires de nôtre Hôtel , Grand- Confeil , Baillifs , Se .
néchaux , leurs Lieutenans Civils , & autres nos Jufticiers
qu'il apartiendra: SALUT. Notre cher & bien amé ANTOINE
DE LA ROQUE , Ecuyer , ancien Gendarme dans la Compagnie
des Gendarmes de notre Garde ordinaire , &
Chevalier de notre Ordre Militaire de Saint Loüis , nous
ayant fait remontrer que l'aplaudiffement que reçoit le
MERCURE DE FRANCE, cy -devant apellé le Mercure Galant
compofé depuis l'année 1672. par le fieur de Vifé , & au
tres Auteurs , nous a fait croire que le fieur Dufresni ,
Titulaire du dernier Brevet , étant décedé , il ne con
vient pas que le Public foit à l'avenir privé d'un Ouvra
ge auffi utile qu'agréable , tant à nos Sujets qu'aux Etran
gers : c'eft dans cette vûë que bien informe des talens
& de la fageffe du fieur de la Roque , nous l'avons choin
pour compofer à l'avenir , exclufivement à tous autres ,
fedit Ouvrage , fous le titre de MERCURE DE FRANCE , &
nous lui en avons à cet effet accordé notre Brevet le 17.
Octobre 1724 pour l'execution duquel il auroit obtenu
nos Lettres de Privilege , en date du 9. Novembre enfuivant
, qui fe trouvant expirées , nous a fait fuplier
de lui en accorder de nouvelles en forme de Brevet fur
ce néceffaires , offrant pour cet effet de le faire réimpri
mer en bon papier & beaux caracteres , fuivant la feuille
imprimée & attachée pour modele fous le contrefcel des
Préfentes ; A CES CAUSES , Voulant traiter favorablement
ledit fieur Expoſant , & étant informé de ſes aſſiduités ,
des foins & dépenfes qu'il fait pour la perfection dudir
Mercure de France , dont nous fommes contens , & dont
nous voulons lui donner des marques de notre entiere fa
tisfaction ; Nous lui avons permis & permettons par ces
Prefentes de compoſer & donner au Public à l'avenir tous
les mois , à lui feul exclufivement à tous autres , ledic
Mercure de France , qu'il pourra faire imprimer en un o
plufieurs volumes , conjointement ou feparément, & au
tant de fois que bon lui femblera , chaque mois , & de ie
faire vendre & débiter par tout nôtre Royaume , Pays
, par la grace de Dieu , Roy de France & de
A
Terre
Terres & Seigneuries de notre obéiffance , pendant le
tems & efpace de douze années confecutives , a compter
du jour de la date defdites Preſentes ; à condition néan
moins que chaque volume portera fon Aprobation expreffe
de l'Examinateur , qui aura été commis à cet effet , & en
Cutre nous avons révoqué & révoquons tous autres Pri .
vileges qui pourroient avoir été donnés cy- devant à d'au…
tres qu'audit fieur Expoſant ; Faiſons défenſes à toutes
fortes de perfonnes , de quelque qualité & condition
qu'elles foient , d'en introduire d'impreffion ou gravúre
étrangere dans aucun Lieu de notre obéiſſance , comme
auffi à tous Libraires Imprimeurs , Graveurs , Impri
meurs Marchands en Tailles - douces & autres , d'impri
ner,faire imprimer , graver ou faire graver, vendre , fai.
re vendre , débiter ni contrefaire ledit Livre , ou Planches,
en tout , ni en partie, ni d'en faire aucuns Extraits,
fous quelque prétexte que ce foit , d'augmentations, cor.
rections , changement de titre, ou autrement, fans la per.
miffion expreffe & par écrit dedit ficut Expofant , ou de
ceux qui auront droit de lui ; le tout à peine de confifca.
tion , tant des Planches que des Exemplaires contrefaits,
& des ustanciles qui uront fervi à ladite contrefaçon ,
ue nous entendons être faifis en quelque lieu qu'iis foient
trouvés , de six miile livres d'amende contre chacun des
con revenans , dont un tiers à Nous , un tiers à l'Hôtel-
Dieu de Paris , & l'autre tiers audit fieur Expofant , & de
tous dépens , dommages & interefts ; à la charge que ces
Préfentes feront enregistrées tout au long fur le Regiftre
de la Communa té des Libraires & Imprimeurs de Paris ,
dans trois mois de la date d'icelles ; que l'impreffion de
ce Livre fera faite dans notre Royaume , & non ailleurs
& que l'Impétrant ſe conformera en tout aux Reglemens
de la Librairie , & notamment à celui du 1o. Avril 1725.
&c. Donné à Verfailles le fepriéme jour de Décembre l'an
de grace mil fept cent trente - fix , & de notre Regne le
vingt - deux, Par le Roy en fon Confeil , Sign ₫ SAINSON,
avec grille & paraphc , & c,
>
3
LISTE
LISTE DES LIBRAIRES
qui débitent le Mercure dans les
Provinces du Royaume.
A Toulouse , chez Forest , et Hénault.
Bordeaux, chezRaymond Labottiere, et chez Chappuis
aîné, Libraire,Place du Palais, à côté de la Bourse
Nantes , chez Nicolas Verger.
Rennes , chez Joseph Vatar , Julien Vatar , Guillaume
Jouanet Vatar , et la veuve Audran .
Blois , chez Masson.
Tours , chez Gripon , et chez Bully.
Rouen , chez François - Eustache Herault.
Châlons -sur-Mane , chez Seneuze.
Amiens , chez la veuve François et chez Godart .
Arras , chez C. Duchamp , et chez Barbier.
Orleans , chez Rouzeaux .
Angers , chez Fourreau , et à la Poste.
Chartres , chez Fetil , et chez J. Roux.
Dijon , chez la veuve Armil , et à la Poste,
Versailles chez Monnier..
Besançon , chez Briffaut , et à la Poste.
Saint Germain , chez Chavepeyre.
Lyon , à la Poste.
Reims , chez De Saint .
Vitry-le-François , chez Vitalis .
Beauvais , chez De Saint.
Douay , chez Willerval .
Charleville , chez P. Thesin.
Moulins , che Faure.
Mâcon , chez De Saint , fils
Mets ' , chez Barbier .
Boulogne- sur- Mer , chez Parassol , et chez Batut.
Nancy , chez Nicolas .
Saint Omer, chez Jean Huguet .
A iij AVERAVERTISSEMENT
.
N
Ous voici arrivés à la vingtiémé année
presque accomplie , que nous travail.ns
assiduement avec quelque succès à la composition
de ce Journal , que le Roy daigne recevoir
tous les mois avec bonté , et que le Piblic
continue de recevoirfavorablement. Voici
le deux centfoixante & dix- neuviéme Volume ,
ce mois- ci inclus , sans qu'il y ait eû aucune
interruption.
Nous faisons de la part du Public de nouvelles
instances aux Libraires qui envoyent
des Livres , ou des Listes pour les annoncer ,
d'en marquer le prix au juste ; cela sert beaucoup
, sur tout dans les Provinces , aux personnes
qui se déterminent là - dessus à les acheter
, et qui ne sont pas sûres de l'exactitude des
Messagers et des autres personnes qu'elles obar-.
gent de leurs commissions , qui souvent les fons
payer plus qu'ils ne coûtent. M. Moreau
pourra se charger defaire les Encois au prix
coûtant.
On invite aussi les Marchands et les Ou
vriers qui ont quelques nouvelles Modes , soie
par des Etoffes nouvelles , Habits , Ajustes.
mensد
AVERTISSEMENT.
mens , Perruques , Coeffures , Ornemens de tête
et autres Parures , ainsi que de Meubles , Carosses
, Chaises et autres choses , soit pour l'uti
Lité , soit pour l'agrément , d'en donner quelques
Memoires pour en avertir le Public , ce qui
pourrafaire plaisir à divers particuliers et procurer
un débit avantageux aux Marchands et
aux Ouvriers.
Plusieurs Piéces en Prose et en Vers , en
voyées pour le Mercure , sont souvent si mal
écrites, qu'on ne peut les déchiffrer, et pour.cela
elles sont rejettées d'autres sont bonnes à quel
ques égards et défectueuses à d'autres . Lors
qu'elles peuvent en valoir la peine , nous les
retouchons avec foin ; mais comme nous ne pre
nons ce parti qu'avec répugnance , nous prions
les Auteurs de ne le pas trouver mauvais , et de
travailler leurs Ouvrages avec le plus d'attention
qu'il leur sera possible, sur tout , et nous ne
sçaurions trop le recommander , qu'on prenne
garde à la ponctuation.
Les Sçavans et les Curieux sont priés de
vouloir bien concourir à rendre ce Livre
encore plus utile , en nous communiquant les
Mémoires & les Piéces en Prose et en Vers , qui
peuvent instruire et amuser.* Aucun genre de
Litterature n'est exclus de ce Recueil , où l'on
tâche de faire regner une agréable varieté :
Poësie , Eloquence , nouvelles Découvertes
dans les Aris et dans les Sciences , Morale
A iiij Antiquités ,
AVERTISSEMENT.
Antiquités, Histoire Sacrée et Profane , Voya
ges , Historiette's , Mythologie , Physique et
Métaphysique , Piéces de Théatre , Jurispru
dence , Anatomie et Médecine , Botanique ,
Critique , Mathématiques , Mémoires , Projets
, Traductions , Grammaires , Piéces amu .
santes et récréatives, &c. Quand les Morceaux
d'une certaine considération seront trop longs ,
on les placera dans un volume extraordinaire,
et on fera ensorte qu'on puisse les en détacher
facilement , pour la satisfaction des Auteurs et
des personnes qui ne veulent avoir que certaines
Pieces .
A l'égard de la Jurisprudence , nous conti
nuërons , autant que nous le pourrons , de faire
part au Public des Questions importantes , nouvelles
ou singulieres, qui se présenteront et qui
seront discutées et jugées dans les differens Parlemens
et autres Cours Superieures du Royaume,
en observant l'ordre et la méthode que nous
avons déja pratiqués en pareil cas , sur quoi
nous prions Messieurs les Avocats et les Parties
interessées , de vouloir bien nous fournir les
·Mémoires nécessaires. Il n'est peut- être point
d'Article dans ce Livre qui regarde plus directement
le Bien public , que celui- là , et qui soit
plus recherché de la plupart des Lecteurs.
Quoiqu'on ait toujours la précaution de faire
mettre un Avis à la tête de chaque Mercure
pour avertir qu'on ne recevra point de Lettres
>
ni
AVERTISSEMENT.
être
ni de Paquets par la Poste , dont le port ne soit
affranchi , il en vient cependant quelquefo.s
qu'on est obligé de rebuter. Ceux qui n'aurons
pas pris cette précaution ne doivent pas
surpris de ne pas voir paroître les Piéces
qu'ils ont envoyées , lesquelles sont d'ailleurs
perdues pour eux , s'ils n'en ont point gardé de
copie.
Les Personnes qui désireront avoir le Mercure
des premiers , soit dans les Provinces on
dans les Pays Etrangers , n'auront qu'à s'adresser
à M. Moreau , Commis au Mercure ,
vis - à-vis la Comédie Françoise , à Paris , qui
le leur envoyera par la voye la plus convenable
et avant qu'il soit en vente; les Amis à qui on
s'adresse pour cela , ne sont pas toujours exacts
ils n'envoyentguére acheter ce Livre précisément
dans le temps qu'il paroî . Ils ne manquent pas
de le lire, souvent ils le prêtent et ne l'envoyent
enfin que fort tard , sous le prétexte spécieux
que le Mercure n'a pas parû plutôt. Ceux qui
desirent avoir des fuites Complettes du Mercure
, doivent aussi s'adresser à lui , pour
les avoir bien conditionnées et à meilleur
compte.
>
Nous renouvellons la priere que nous avons
déja faite , quand on nous envoye des Piéces ,
seit en Vers, soit en Prose , de les faire transcrire
bien lisiblement , chaque Préce sur un
papier séparé et d'une grandeur raisonnable ,
A v aves
AVERTISSEMENT.
*
avec des marges , pour y placer les additions ou
corrections convenables ; que les noms propres
sur tout soient exactement écrits , et que la ponc
uation ( nous le repetons ) n'y soit pas négligée
comme cela arrive presque toujours , ce qui contribue
à multiplier les fautes d'impression et
quelquefois à défigurer certains Ouvrages.
Nous aurons toujours les mêmes égards pour
les Auteurs qui ne veulent pas se faire connoîtres.
mais il serait bon qu'ils donnassent une adresse ,
sur tout quand il s'agit de quelque Ouvrage qui
peut demander des éclaircissemens , car fouvent,
faute d'un tel secours , des Piéces nous restent
enre les mains , sans pouvoir les employer.
Nous prions ceux qui par le moyen de leurs
correspondances , reçoivent des nouvelles d'A.
sie , d'Afrique , du Levant , de Perse , de
Tartarie , du Japon , de la Chine , des Indes
Orientales et Occidentales , et d'autres Pays et
Contrées éloignées , les Capitaines , Pilotes et
Officiers des Navires et les Voyageurs ; de
vouloir bien nous faire part de leurs fournaux,
al Adressegenerale du Mercure. Ces Matieres
peuvent rouler sur les Guerres présentes de ces
Etats et de leurs Voisins ; les Révolutions , les
Traités de Paix ou de Tréve , les occupations
des Souverains , la Religion des Peuples , leurs
Céremonies , Loix , Coûtumes et Ufages , les
Phenomenes et les productions de la Nature et
de l'Art , & c. comme Pierres précieuses , Pierres
AVERTISSEMENT.
ves figurées, Marcassites rares , Pétrifications et
Crystallisations extraordinaires , Coquillages.
Madrepores, Dendrides , & c. Edifices anciens
etmodernes , Ruines, Statues , Bas Reliefs , Inscriptions
Pierresgravées , Médailles ,Tableaux,
&c. Le Caractere de chaque Nation , son
Origine , son Gouvernement , ses bonnes et ses
mauvaises qualités , le climat et la nature du
Pays , ses principales richesses et son Commer
ce ; les Manufactures , les Plantes , les Animaux
, &c. Les Mours des Peuples , leur
maniere de se nourrir, de s'habiller et de s'armers
ce que chaque Contrée produit, pour faire
connonre les differens Climats ; et d'ajouter s'il
étoit possible des Desseins pour donner une
parfaite intelligence des chofes décrites.
Nous serons plus attentifs que jamais à apren
dre au Public la mort des Sçavans et de tous
ceux qui se sont distingués dans les Arts et
dans les Mechaniques on y joindra le détail
de leurs principales occupations , de leurs Onvrages
et des plus considerables actions de leur
vie. L'Histoire des Lettres et des Arts dois
cette marque de reconnoissance à la memoire de
ceux qui s'y sontrendus celebres , ou qui les ont
cultivés avecsoin. Naus esperons que les Parens.
etles Amis de ces illustres Morts , seconderont volontiers
notre zele à leur rendre ce devoir , par
les instructions qu'ils voudront bien nous
fournir. Ce que nous venons de dire regarde
A vj
поп
AVERTISSEMENT.
non seulement Paris , mais encore les Provinces
du Royaume et les Pays Etrangers ;
qui peuventfournir des Evenemens considerables
, Morts , Mariages , Actes solemnels ,
Fêtes et autres Faits dignes d'être transmis à
la Posterité.
Au reste les gens trop délicats & dont l'hu
meur vaine & peu liante , ne trouve presque
jamais rien à son gré , moins encore ce qui
passe généralement pour bon aux yeux des aur
tres , ne doivent pas lire un Livre tel que celuici
, dans lequel il est permis , à beaucoup d'égards
, d'être médiocre , & il le faut même ,
selon le genre & la matiere qu'on traite ; dans
un si prodigieux mêlange de genres & de ca
racteres , souvent oposés des choses trop travaillées
, seroient moins goûtées & hors de leur
place. Le fublime , la grande érudition , penvent
se trouver dans ce Livre , par la capacité
des Sçavans , qui veulent bien enrichir ce
Journal, mais on ne les exige point.
C'est assés pour ce Livre de contribuer tous
les mois en quelque chose à l'instruction & à
Pamusement des Citoyens. Le Mercure ne doit
rien prétendre au delà . Nous fçavons , il est
vrai , que la critique outrée , ou la médisance
plus ou moins malignement épicée , fut toujours
un mets délicieux pour beaucoup de Lecteurs ;
mais outre que nous n'y avons pas le moindre
penchant , nous renonçons & de très -bon
coeur
AVERTISSEMENT.
coeur , à la dangereuse gloire d'être lûs &
aplaudis aux dépens de personne .
Nous donnons ordinairement des Extraits,
des Piéces nouvelles qui paroissent sur les
Théatres de Paris , & nous faisons quelques
Observations d'après le jugement du Public ,
sur les beautés & sur les défauts qu'on y trou
ve; la crainte de blesser la délicatesse des Auteurs
, nous retient quelquefois & nous empêche
d'aller plus loin ; nous craignons d'ailleurs.
si nous sommes plus sinceres , qu'on ne nous
accuse de partialité. Si les Auteurs eux-mêmes
vouloient bien prendre sur eux de faire un
Extrait on Mémoire de leurs Ouvrages , sans
dissimuler les défauts qu'on y trouve , cela nous
donneroit la bardiesse d'être un peu plus séveres
, & le Lecteur leur en sçauroit gré; ils n'y
perdroient rien par les remarques , à charge &
à décharge , que nous ne manquerions pas d'ajoûter
, sans oublier de faire observer l'extrême
difficulté qu'il y a de plaire aujourd'hui au Public
, & le péril que courent tous les Ouvrages
d'esprit qu'on lui présente . Nous faisons avec
d'autant plus de confiance cette priere aux Auteurs
Dramatiques & à tous autres, que certainement
Corneille, Quinault , Moliere , Racine ,
c. n'auroient pas rougi d'avouer des défauts
dans leurs Piéxes.
Nous tâcherons de soutenir le caractere de
modération , de sincerité et d'impartialité ,
qu'ora
AVERTISSEMENT.
qu'on nous à déja fait la justice de nous attri
buer. Les Piéces seront toujours placées , sans .
préference de rang et sans distinction , pour le
mérite et la primauté. Les premieres reçues
seront toujours les premieres employées , hors le
cas qu'un Ouvrage soit tellement du temps ,
qu'il mérite , pour cela seulement , la préference.
Les honnêtes Gens nous sçavent gré d'avoir
garanti ce Livre depuis que nous y travaillons,
non - seulement de toute satyre , mais même de
portraits trop ironiques , trop ressemblans et trop
susceptibles d'aplications. On aura toujours la
même délicatesse pour tout ce qui pourra blesser
ou désobliger.
d'un
Il nous reste à remercier au nom du Public ;
plusieurs Sçavans du premier ordre , d'aimas
bles Muses , et quantité d'autres personnes
grand mérite , dont les productions enrichissent
le Mercure et le font rechercher-
J
APROBATION.
' Ai lû par ordre de Monseigneur le Chancelier,
le Mercure de France du mois de Janvier , & j'ai
crû qu'on pouvoit en permettre l'impression. A Pa
ris , le premier Fevrier 1741 .
HARDION.
MERMERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AV ROT.
JANVIER . 1741 .
PIECES FUGITIVES,
L
en Vers et en Prose.
ODE A M. G **
Pour le premier jour de l'An.
E Dieu , qui d'un vol homicide
Fuit , pour ne revenir jamais ;
Ce Vieillard , que de vains fouhaits
Ne fçauroient rendre moins rigide
Le Tems , implacable Tyran ,
Va dans fa courfe trop rapide-
Recommencer un nouvel An..
C'eft
MERCURE DE FRANCE
C'eft en vain que l'homme fe fonde
Sur des jours encor à venir ,
Il les verra bien- tôt finir
Dans le fein d'une nuit profonde ,
Comme l'on voit les clairs Ruiffeaux
Porter le tribut de leur Onde
Dans le vaste Empire des Eaux.
*
Ami , telle eft la deſtinée
Que chacun de nous doit fubir.
Comme un Eclair j'ai vu s'enfuir
Le court espace de l'année ,
Et ce tems dont je fçais le prix ,
N'eft plus qu'une belle journée
Qu'un fonge trace à mes efprits.
*
C'eft , le plaifir ou la trifteffe
Qui , plus ou moins rapidement
Font écouler chaque moment
De notre bouillante jeuneſſe ;
Mais dois- je par la même Loi
Etre furpris de fa viteffe ,
Quand je la paffe auprès de toi
*
Dans t amitié peu commune
Je
JANVIER
1741. 3
Je goûte des charmes parfaits ;
J'en préfere les doux attraits
A la plus brillante fortune ,
Et mon coeur contre les Jaloux
Eft plus fort qu'un Roc , que Neptune
Attaque en vain de mille coups .
*
Amitié , fois notre apanage ,
Enyvre-nous de tes douceurs ;
A rechercher de vains honneurs
Qu'aucun défir ne nous engage ,
Pour eux ceffons de foupiter ;
Un doux repos eft l'avantage
Où le fage doit afpirer.
*
Que l'ambition ni l'envie
N'empoifonnent point nos beaux jours ;
Aux plaiſirs , aux tendres Amours ,
Livrons le printems de la vie ;
Ménageons bien tous les inftans
D'un âge qui nous y convie ;
Bien-tôt il n'en fera plus tems.
*
Doit-on attendre après l'Aurore
A cueillir de nouvelles fleurs ;
Quand
MERCURE DE FRANCE
Quand par les plus vives ardeurs
Le flambeau du Ciel les dévore ?
Doit-on après les jeunes ans
S'attendre à des plaifirs encore ,
Quand ils ne flatent plus nos fens ?
*
Vous , Mortels , dont le coeur fans ceffe
Pouffe d'ambitieux foûpirs ,
Suivez vos aveugles défirs ;
Je me ris de votre foibleffe
En vain vous voulez m'éblouir ,
Le Tems s'enfuit , & la fageffe
Confifte à fçavoir en jouir.
Par M. B ** , d'Aix.
QUESTION IMPORTANTE
Jugée au Parlement de Paris .
SA
ÇAVOIR fi c'eft la Loi du domicile du
Teftateur qui regle fa capacité à l'égard
d'un Legs de fomme mobiliaire & de meubles
eftimés par le Teftateur à une certaine
fomme.
FAIT.
M. de Chaillon , Confeiller au Parlement
de
JANVIER: 1741. 5 .
de Paris , étant tombé malade à fa Terre de
Mezieres, fituée dans la Coûtume de Dreux ,
y mourut le 20. Octobre 1738. Il avoit fait
la veille fon Teftament devant un Notaire
du Lieu, par lequel , entre autres difpofitions
il donnoit & leguoit à Mad. de Chaillon ,
fon Epoufe , la fomme de 30000 livres ,
tous les meubles meublans du Château de Mezieres
, eftimés à la fomme de 40000. livres ,
tous les Bagues & Joyaux tant auficur
Teftateur , qu'à la Dame de Chaillon , le tout
fuivant la Coûtume de Dreux.
Mad. de Chaillon ayant formé fa demande
en délivrance de Legs contre le fieur de
Jonville , frere & héritier de M. de Chaillon;
le freur de Jonville prétendit que le Teftament
étoit nul , & que d'ailleurs le Legs fait
à Mad, de Chaillon n'étoit pas valable.
Par Sentence des Requêtes du Palais , le
Teftament fut déclaré valable, & néanmoins
Mad. de Chaillon déboutée de fa demande
en délivrance de Legs.
Sur l'apel interjetté refpectivement par
les
Parties , la Caufe fut plaidée en la Grand'-
Chambre par M: Cochin, Avocat pour Mad.
de Chaillon , & M. Guéan de Reverſeaux ,
pour le fieur de Jonville.
Nous ne parlerons pas ici des nullités
qu'on opofoit contre le Teftament en géne
al , parce qu'elles étoient peu importantes
&
MERCURE DE FRANCE
& que l'on n'y a point cû égard.
Par raport au Legs fait à Mad.de Chaillon,
on difoit de fa part que la Loi qui défend les
avantages entre Conjoints , n'eft point un
Statut perfonnel qui imprime au Conjoint
domicilié fous fon Empire , une incapacité
génerale , dont l'effet s'étende à toutes fortes
de biens , en quelques Coûtumes qu'ils
foient fitués ; mais un Statut réel , borné à
la confervation des biens affis fous fon reffort
& qui n'empêche point le Conjoint de profiter
des biens fitués fous une Loi qui ne
contient pas une pareille prohibition ; que ła
Coûtumé de Dreux permettant auxConjoints
de s'avantager par Teftament , Mad . de
Chaillon pouvoit demander le payement de
fon Legs fur les biens difponibles de cette
Coûtume.
Suivant le Droit Romain , difoit- on , les
Droits incorporels forment un genre de biens
differens des meubles & des immeubles. Il
faut ranger dans la claffe des Droits incorporels
les Legs de fommes mobiliaires & les
Legs de meubles eftimés à une certaine fomme
, qui ne font proprement que des Legs
de quantité.
La Difpofition faite en faveur de Mad. de
Chaillon , n'eft point un Legs de corps certain
, ce n'eft point non - plus un Legs d'une
action fubfiftante , qui ait apartenu au Teftateur;
JANVIER. 1741.
་ ་
teur ; c'eft un Droit qui n'exiftoit point dans
Les biens du Teftateur , mais qui s'eft formé
à l'inftant du décès au profit du Légataire
& qui fe répand géneralement fur tous les
biens difponibles , or ce qui n'exifte point ,
n'a point de fituation par conféquent on
ne peut point opofer la Loi du domicile
comme Loi de la fituation de la chofe leguée
; aucune Loi ne prononce donc la nullité
de ce Legs en lui- même ; la Loi qui régit
la perfonne eft indifferente , puifque le
Statut n'eft pas perfonnel ; la Loi de la fitua
tion ne peut pas être invoquée , puifque la
chofe leguée n'a point de fituation ; rien
n'empêche donc l'execution de ce Legs
pourvû qu'on trouve des biens difponibles
dans une Coûtume qui permet aux Conjoints
de s'avantager.
Le Teftateur pouvoit leguer les portions
difponibles de fa Terre de Mezieres ; la totalité
des acquêts qu'il y avoit joints & le quint
de ce qui étoit propre , s'il ne l'a pas fait ,
c'eft qu'il a craint de deshonorer fa Terre &
de faire un préjudice plus confidérable à fon
héritier. Or , qui pouvoit donner la chofe
même , a pû donner à prendre fur la chofe,
Le Legs fait à Mad.de Chaillon , eft terminé
par ces paroles remarquables , le tout fuiyant
la Coûtume de Dreux , le Teftateur a
raifonné ainfi : J'ai des biens dans la Coûtume
de
$ MERCURE DE FRANCE
de Paris, qui m'interdit d'avantager mafemme,
mais j'en ai dans la Coûtume de Dreux,qui me le
permetsjefuis le maître de lui leguer une fomme à
prendre fur les biens de Dreux; & c'eſt dans cet
esprit qu'il lui donne 30000. livres à prendre
fuivant la Coûtume de Dreux ; c'eſt l'unique
fens qu'on puiffe donner à ces termes , far
tout quand on penfe qu'ils partent d'un Magiftrat
inftruit , qui ne pouvoit pas ignorer
que la Coûtume de Dreux ne régiffoit pas
fon Mobilier.
De la part du fieur de Jonville , on difoit
que la nullité du Legs , fait à Mad. de Chailfon,
étoit fondée fur la défenfe de s'avantager
entre Conjoints , prononcée par l'Article
282. de la Coûtume de Paris.
On raportoit plufieurs autorités pour établir
que la Loi qui défend de s'avantager entre
Conjoints , eft un Statut perfonnel.
On ajoûtoit que la Coûtume de Dreux ne
contient aucune difpofition qui permette aux
Conjoints de s'avantager , & qu'il n'y a point
d'Article dans la Coûtume de Paris , dont
l'extenfion foit plus favorable
celui qui
que
porte la défenſe de s'avantager entre Conjoints
.
Mais il eft inutile , difoit- on , d'agiter ce
qui doit s'obſerver à cet égard dans la Coûtume
de Dreux , parce que le Teftateur n'a
point difpofé d'Effets qui fuffent fous fon
empire ;
JANVIER.. -1741.
empire ; il eft inutile d'agiter fi , le Statut eft
perfonnel ou réel , parce que le Teftateur n'a
difpofé que d'Effets , qui , fuivant la Loi
du domicile , doivent fe regler par la Coûtume
de Paris , foit qu'on la confidere comme
un Statut réel , ou comme un Statut per
fonnel.
On trouve trois differens Legs dans la
claufe qui concerne Mad . de Chaillon ; une
fomme de 30000. livres , les meubles meublans
du Château de Mezieres , & les Bagues
& Joyaux de M. & Mad. de Chaillon. ,
Il ne paroît pas qu'on ait férieufement
prétendu faire valoir les deux Legs des meubles
meublans du Château de Mezieres &
des Bagues & Joyaux ..
On a reconnu que les meubles , en quelque
Lieu qu'ils fe trouvent au décès du
Proprietaire , fuivent toujours la Loi de fon
domicile , & qu'ainfi les meubles de Mezieres
& les Bagues & Joyaux , quoique trou
vés dans la Coûtume de Dreux au décès
du Teftateur , font affujettis aux difpofitions
de celle de Paris.
L'eftimation à la fomme de 40000. livres ,
ajoûtée au Legs des meubles , ne peut pas ch
changer la nature ; ce n'eft point cette eftimation
qui eft leguée , c'eft le corps même
des meubles ; & s'ils avoient péri depuis le
Teftament par un incendie ou par quelque
autre
10 MERCURE DE FRANCE
l'exautre
fatalité , le Legs feroit éteint par
tinction de la chofe leguée ; croit - on qu'un
Légataire capable de recueillir la difpofition ,
fût en droit de demander la délivrance de
l'eftimation , au lieu de la chofe ?
le
Pour ces mots ; fuivant la Coûtume de
Dreux , qui terminent la difpofition , quand
même la Coûtume de Dreux feroit differente
de celle de Paris , ce feroit en vain que
Teftateur l'auroit invoquée , pour foûtenir
un, Legs de meubles fujets à celle de Paris.
La diftinction des Coûtumes & leur réalité ,
fait partie de l'ordre public , qui ne dépend
point de la volonté des Parties; un Teftateur
qui ne peut pas difpofer d'un Effet fuivant la
Loi de la fituation , n'eft pas le maître de le
fouftraire à fon empire pour le foûmettre à
une Loi éttangere qui lui feroit plus favorable:
Quant au raiſonnement qu'on a mis dans
la bouche du Teftateur , il n'y a point de
difpofitions qu'on ne pût défendre à la faveur
de pareils Commentaires , il n'eſt pas permis
de faire valoir ce qu'a fait un Teftateur , &
qu'il ne pouvoit pas faire , en y fubftituant
ce qu'il n'a pas fait & ce qu'il pouvoit
faire.
La Coûtume de Paris doit décider du Legs
de 30000. livres comme des deux autres
Legs . On
JANVIER 17417 IF
On ne connoît dans le Droit François que
deux fortes de Biens , les meubles & les immeubles
; on ne fuit point le Droit Romain
qui faifoit une troifiéme Claffe des Droits
incorporels ; dans le Droit François ils ſont
meubles ou immeubles , felon leur objet ;
par conféquent un Legs de 30000. livres qui
'n'a pour objet que des deniers , eft une difpofition
purement mobiliaire .
par
Il eft incontestable que les meubles fuivent
le domicile ; il faut donc pour juger du
Legs d'une fomme mobiliaire , fuivre la Loi
du domicile. Ce principe a été confirmé
Arrêt du mois de Juillet 1739. fur partage
en la Grand' - Chambre , entre M. Fornier de
Montagny , Raporteur , & M. Severt , Compartiteur,
au fujet d'une donation d'une fomme
de 8000. livres , faite par Jean - François
Dubois , à Charles Dubois , qui fut confirmée
avec hypoteque fur les immeubles du
Donateur , quoiqu'elle n'eût été inſinuée
qu'au Lieu de fon domicile , & non au Lieu
de la fituation des biens , où les Héritiers
prétendoient qu'elle devoit l'être .
qu'
Quand le Legs de 30000. livres feroit un
Droit répandu fur tous les biens difponibles ,
comme le prétend Mad . de Chaillon , le Légataire
ne feroit pas le maître d'ajouter un
affignat particulier à la difpofition qui n'en
contient point , ni de l'affecter fur les biens.
B
d'une
12 MERCURE DE FRANCE
d'une Coûtume plûtôt que fur les biens d'une
autre ; il faudroit fous ce point- de- vûë
ordonner une contribution entre tous les
biens difponibles , Coûtume par Coûtume,
Mais cet Argument péche dans le principc
& dans la conféquence. pe
1º. Il n'eft pas vrai que le Legs d'une fomme
mobiliaire n'ait point de fituation ; l'objet
de ce Legs eft l'obligation que le Teftateur
s'eft impofée & qui eft devenue irrévocable
à l'inftant de fa mort ; une obligation
ne réfide - t'elle pas au même Lieu que la
perfonne en laquelle elle s'eft formée & qui
en eft le fujet ?
L'hypoteque des Legs a été jugée folidaire
fur les biens de la fucceffion, par deux Arrêts
célebres , raportés par Augeard ; enforte que
l'obligation eft prefumée s'être formée dans
la perfonne du Teftateur même à l'inftant de
fon décès, & doit être réputée fituée dans le
même Lieu que le Teftateur.
2. De ce que le Legs d'une fomme mo̟-
biliaire n'a point de fituation , il ne s'enfuit
pas qu'il ne foit régi par aucune Loi . Le
Droit François a donné une fituation corporelle
aux Droits même incorporels , & cette
Loi pour les meubles meublans & pour les
Legs de fomme mobiliaire , eft la Loi du do.
micile.
Si le Teftateur avoit legué les portions dif
ponibles
JANVIER. 1741. 13
ponibles de fa Terre , s'il avoit legué à prendre
fur ces portions , on examinercit la validité
de fon Legs , mais il ne l'a point fait ,
& il a fait ce qu'il ne pouvoit faire ; il faut
juger de la difpofition telle qu'elle eft , &
non pas telle qu'elle auroit pû ou dû être .
Si ce Teftament avoit été l'ouvrage du
Teftateur , on eft perfuadé que fes difpofitions
feroient conçues dans des termes convenables
à un Magiftrat auffi inftruit , & que
pour les faire valoir , il ne faudroit pas recourir
à de fi longs Commentaires .
Par Arrêt du 7. Avril 1740. rendu conformément
aux Conclufions de M. l'Avocat
Géneral Joly de Fleury , la Sentence des Requêtes
du Palais fut confirmée , avec amende
& dépens ; ainfi l'on a jugé que le Legs
fait à Mad. de Chaillon étoit nul , quoique
le furplus du Teſtament fût valable,
AMUSEMENT POETIQUE.
La Mouche noyée dans du lait avec l'Eloge
des Mouches.
L Es jeunes Brebis de Zemir
Avoient quitté leur pâturage ;
Zemir en avoit trait le lait pour fon laitage ;
Et le laiffoit repofer à loifir.
Bij Certaine
14 MERCURE DE FRANCE
Certaine Mouche un peu friande ,
Digne enfant de race gourmande ,
Vit le lait & voulut en contenter fon goût.
Un gourmand veut tâter de tout.
Sans en craindre la conféquence ,
Elle prend fur le champ fa réfolution .
D'un vol léger elle s'avance
Pour fuivre fa tentation .
Prenez garde , petite bête ,
Dedans ce lait vous vous laifferez cheoir;
Plus fin que vous , qui croyoit tout prévoir .
Ayant voulu fuivre la tête ,
Eft defcendu dans le Royaume noir.
Souvent friandiſe chérie
Caufe la fin de notre vie ;
Vaut mieux encor vivre que de mourir
Pour un fi mince & fi léger plaifir ,
Mais ma leçon eft inutile ,
Et notre Mouche eft indocile,
Elle vole , elle va toucher
La Liqueur fatale & trompeufe.
Elle la touche ... ah ! malheureufe !
Je te l'avois bien dit , qu'allois - tu là chercher
Je la vois qui déja furnage ,
Elle s'agîte tout le corps ,
Elle voudroit fe fauver à la nâge ,
Elle voudroit regagner le rivage
Mais
JANVIER . 1741 15
Mais elle fait de vains efforts .
Mille Mouches du voisinage ,
Surprifes du bruit qu'elle fait ,
Viennent autour du pot de lait ,
Mais elles n'y peuvent rien faire ,
Ét le pas eft trop dangereux ,
Pour ofer la tirer d'affaire .
Pour éviter un mal , fouvent on en fait deux ;
Dit- on ; ainfi , ma foeur , difputez votre vie
En invoquant l'aide des Cieux ; .
C'est ce que nous avons à vous dire de mieux.
Eh , mes foeurs , du fecours ! du fecours ! je vous
prie ,
Tirez-moi vite du danger;
Mais inutilement la pécore fuplie ,
On tâche de l'encourager ,
On ne la peut autrement foulager.
C'en eft donc fait , il faudra qu'elle meure
Trifte moment ! fatale heure !
Oui , fes efforts font fuperflus ,
Et tous les confeils qu'on lui donne
Ses fâncs battent déja , ſa force l'abandonne ;
Sa tête panche... elle n'eft plus.
Ma Mouche , je voudrois te redonner la vie ;
Et je fuis fâché de ta mort ;
+
Mais n'ayant pas voulu fuivre ma prophetic ,
Tu méritois un fi malheureux fort.
B iij
De
16 MERCURE DE FRANCE
De tous les Animaux de petite ſtructure
Que nous a donnés la Nature ,
Pour ta race , fur tout , j'ai de l'affection ;
Et c'eft avec raiſon.
La Fourmi vient par tout; or , c'eft une friponne ;
La Puce pique , & n'épargne perfonne ;
Le Coufin juſtement la nuit ,
Vient vous réveiller , & fredonne
Pour vous faire enrager au lit ;
En Eté , Madame Cigale
Vous étourdit l'oreille de fes chants ,
La Sauterelle eft la bête fatale
Qui ronge les Epics & dépeuple les champs .
La Mouche n'eft point fi maline ,
Elle aime bien les bons morceaux ;
Et même quand les tems font chauds
Elle vient trop à la cuiſine ;
Mais c'eft-là fon plus grand défaut ,
Défaut de petite importance,
•
Et qui fe corrige bien- tôt ,
* Tandis que la méchante engeance
Dont nous avons parlé plus haut ,
Fait fouvent un mal incurable ,
Ou qui du moins dure long - tems.
D'ailleurs ma Mouche a bien des agrémens
Qui la rendent plus eſtimable ,
Et moins blâmable.
Elle
JANVIER.
17418 17
*
Elle n'eft point farouche , & ſe laiffe aprocher ,
Facilement prendre & toucher.
Son chant n'a rien de trop rude ou trop tendre ,
Elle a grand foin de ne le faire entendre
Qu'autant qu'il faut pour égayer ,
Et pour ne pas nous ennuyer .
En volant dans les airs , quelle dexterité 1-
Point de peur , de timidité.
Pour éviter le coup que quelque Oifeau ! ui porte ,
Que de foupleffe , & que d'habileté ?
S'il la faifit , avant qu'elle foit morte ,
Elle defend fa vie avec honneur ;
Sa force manque avant fon coeur.
Ce lait qu'elle aime tant à boire ,
Montre quelle eft ſa douceur ,
Et qu'elle n'a pas l'ame noire.
En une feule occafion
Elle a pourtant de la malice ;
Elle ofe attaquer un Lion ,
Un Cheval même , une Geniffe ;
Elle monte fur eux , leur pique le muſeau ,
Ou leur entre au fond du nafeau.
Elle fait feule une cruelle guerre
Aux Animaux les plus fiers de la Terre ,
Tandis qu'elle rit de voir
Qu'ils mettent tout en devoir
Pour la chaffer & s'en défaire.
Biiij
Enfir
18 MERCURE DE FRANCE
Enfin ma Mouche a des apas
Que je ne fçaurois point décrire.
On la fouhaite , on la défire.
La voit- on quitter nos climats ?
Ah ! dit- on , voici les frimats ;
Déja la Mouche ſe retire ;
Mais quand on la voit revenit ;
Voici , dit- on , le retour du Zéphir.
Déja la Mouche eft en campagne ,
Par tout le Zéphir l'accompagne ;
Prenons l'habit d'été , rions , chantons , danſons ,
Voici la faifon des moiffons.
Veut-on parler de quelque chofe
De vif , de prompt & de léger ?
A notre Mouche on va fonger ,
Et pour modele on la propofe.
Il en eft fur tout un d'un ajuftement noir ,
Petit , dont les Cloris vis- à- vis leur Miroir ,
Avec art ornent leur viſage ,
Son nom , c'eft Mouche . On n'a pas crû pouvoir
Lui défigner un nom qui convint davantage.
Cruelle Mort , qui te plais au ravage
Et qui rôdant dans l'Univers ,
Cherche toujours quelqu'un à imettre dans tes fers,
Cruelle Mort , as- tu bien le courage
De foûmettre à tes Loix de petits Animaux ,
Qui, bien loin de nous nuire , aiment notre repos ?
Combien
J ♫ IV
17
A. 1/4
Combien d'autres Bêtes méchantes ,
Qui plûtôt qu'eux ont mérité tes coups ,
Et qui laiffent par tout mille traces fanglantes,
De leur colere contre nous ?
Mais inutilement je crie ;
L'Auteur de la Nature a dicté cette Lois
Le beau , le laid , & le fage & l'impie ,
Tous un jour finiffent par toi.
Par le Solitaire Ambroise.
EXTRAIT d'une Lettre de M. Quillet ,
écrite de S. Pol , en Artois , au mois de
Novembre 1740. au fujet d'un Puits extraordinaire.
Ldeftine u Traité qui expliquera le
E Prix que l'Académie de Bordeaux
mieux les caufes & Forigine des Fontaines
& des Rivieres , m'a rapellé le fouvenir de
la Note que feu M. de l'Ifle a mife dans fa
Carte de la Province d'Artois , fous le nom
de Boiaval , Village du Comté de S. Pol , à
trois quarts de lieue vers le Septentrion de
la Riviere de Ternois , où cet habile Géographe
a mis Puits extraordinaire , ces mots
peuvent exciter la ' curiofité , mais ils n'instruiſent
point de la caufe qui les y a fait
B v mettre.
20 MERCURE DE FRANCE
mettre. Les differens états de l'eau de ce
Puits , qui tantôt eft à fec , tantôt refluë par
fon embouchure , que l'Auteur de la Carte
a vû , raportés dans les Mémoires de Trévoux
de 1704. lui ont parû mériter cette remarque
; en effet il eft étonnant qu'à cent
dix pieds ( qui eft la profondeur du Puits )
on ne trouve quelquefois point d'eau du tout
perdant quinze jours ou trois ſemaines , &
que d'autres fois , mais plus rarement , il dégorge
fi abondamment, qu'il forme un Ruiffeau
très - confidérable , comme on l'a vû en
1736. ce qui commença le 7. Février , &
continua jufqu'au 26. du même mois ; il y
avoit quelques années qu'il n'avoit point répandu
d'eau, mais en celle - là , l'eau s'y éleva
avec tant de force , qu'elle penetra dans les
caves des maiſons voifines , qui en furent
remplies , & s'en écoula par les foupiraux
jufque dans les ruës.
On remarque que la cruë de ces eaux & leur
abaiffement dépend du plus ou du moins de
vent du Nord qu'il fait pendant l'année ;
l'abondance des pluyes ne les fait point
monter dans le Puits , fi le vent ne fouffle
des Parties Septentrionales , & on les voit s'y
élever dans des tems très fecs , lorfque le
vent regne avec force ; les Habitans de ce
Village, qui font obligés de fe pourvoir d'eau
à ce Puits , fçavent par la qualité des vents ,>
s'ils
C
.
s'ils auront à la tirer d'une grande profondeur
, ou s'ils la trouveront près de l'embouchure.
Ce que l'on voit arriver fi conftamment au
Puits de Boiaval , fait dire qu'il n'y a point
d'aparence que les pluyes donnent l'être aux
Fontaines , d'ailleurs il n'en tombe point affés
abondamment tout le long de l'année , fi
fuivant les Obfervations , la quantité ne
monte au plus qu'à vingt- quatre pouces; une
partie coule dans les Ruiffeaux & dans les
Rivieres,une autre demeure dans les terres &
les argiles , où elle ne pénetre point juſqu'à
la profondeur de quatre pieds & s'évapore
dans la fuite ; ce n'eft que dans les terres
marneuſes , grifes & pierrcufes où il en entre
, mais fi peu , qu'elles ne fourniroient
point un filet d'eau pendant trois mois,
C'est donc au vent , fi nous fuivons le
Phénomene du Puits de Boïaval , qu'il faut
avoir recours pour expliquer la caufe du
mouvement fouterrain des Eaux & des Fontaines
, non comme cauſe immédiate , mais
comme donnant plus de force & de mouvement
aux flots que la Mer fait rouler par fon
flux & reflux ; ces flots pouffés dans les terres
par le reflux , & avec plus de force quand
les vents fe joignent à la direction des flots ,
font néceffairement contraints par ceux qui
les fuivent fans ceffe , d'avancer dans les ou-
B vj. vertures
22 MERCURE DE FRANCE
vertures qui fe préfentent , & de s'y élever
dans les vuides , même des monts les plus
hauts , par la raifon que l'impulfion étant
continuelle , ils ne peuvent reculer , fur tout
lorfque le vent en augmente la vivacité ; enfuite
ces Eaux venant à rencontrer , chemin
faifant , des corps folides , s'échapent latéralement
par leur poids & vont fuivre, par differentes
finuofités , à travers les lits des pierdes
cailloux & des marnes ,
qui tendent au pied de quelque colline , &
forment nos Fontaines .
res ,
les routes
;
Ces Sources ne fe voyent jamais qu'aux
lieux pierreux , & quelquefois fablonneux
car dè- même que les pluyes ne peuvent pénetrer
les terres de pure argile , les Eaux
fouterraines ne peuvent faire éruption lorfqu'elles
viennent à les rencontrer , ce qui fe
vérifie en ce que lorfque les caves voifines
du Puits de Boiaval font remplies d'eau en
même- tems que ce Puits dégorge , d'autres
caves , qui font pour le moins douze pieds.
plus bas dans le Village , font entierement
feches ; la raifon eft que ces caves plus baffes
fe trouvent dans des terrains d'argile, & que
les autres font pratiquées dans des marnes.
On pourroit demander pourquoi dans les
mêmes circonstances la même chofe n'arrive
point à tous les autres Puits ; la réponſe eſt
p.ompte , c'eft que les Eaux que le flux , le
reflux
JANVIER. 1741. 23
嘻
W
reflux & le vents , pouffent dans les terres
& vers celles où eft creufé le Puits de Boïaval
, rencontrant moins de corps qui briſent
& qui diminuent la force de leur direction ,
il en refte encore affés pour être élevées jufqu'au-
deffus de fon embouchure & pour re-
Auer.
Un Puits , conftruit il y a dix ans , fur la
croupe d'une colline , à environ trois cent
cinquante pieds de diftance de celui qui
donné lieu à mes remarques , dont la fituation
eft de quarante- deux pieds plus haute
aide beaucoup à faire le calcul de la force
qui a fait dégorger notre Puits en 1736.
L'Eau du Puits de la colline y étoit montée
jufqu'à trente & un pieds près de fon embouchure
, c'est - à - dire onze pieds plus haut que
l'embouchure de l'autre Puits , dont la fitua
tion eft de quarante - deux pieds plus baffe ;
l'ouverture de celui - ci , comme celle de l'autre
, eft de trois pieds & demi de diamètre
de fa rondeur , d'où il s'enfuit que ce cilindre
d'eau de onze pieds , donnant environ
cent- douze pieds cubes , une force fupérieure
à un poids de huit mille foixante - quatre
livres , a fait, en Février 1736. fortir un ruiffeau
du Puits de Boiaval , force que les
eaux de pluye ne peuvent jamais acquérir ,
même pour la moindre partie.
Il eft fenfible que les Eaux circulent dans
le
24 MERCURE DE FRANCE
le grand corps de la terre , comme le fang
dans celui des Animaux , & il eft poffible
que celles que nous voyons fortir de nos
Fontaines ayent autrefois coulé dans le Fleuve
jaune & dans Rio de la plata. On conprend
aifément que le mouvement de la
Terre fur fon axe , eft la caufe de celui de la
Mer , que le reflux & le retour des eaux qui
ayant été pouffées vers le Nord par une ro
tation qui eft plus véhémente vers la Ligne
Equinoxiale que vers les Poles , reviennent
par leur propre poids dans leur orbite , d'où
cette rotation les avoit fait fortir , & continuënt
alternativement , felon que le mouvement
& la gravitation ont pris le deffus l'un
fur l'autre. La configuration de la Terre habitable
que l'on voit allongée vers les Poles,
& préfenter fon rivage qui repercute les
eau de la Mer qui y font pouffées , ne fait
pas moins fentir le méchanifme de ces mouvemens
, mais cela commence à fortir du
fujet de ma Lettre .
J'ai l'honneur d'être , &c.
VERS
tut:
VERS
, De M. l'Abbé le Couturier , à M. Bonnier
de la Moffon , fur fon Mariage avec
Mlle de Louraille.
L'ECHO DE LA SEINE ,
CANTATIL LE.
Uels aimables accens , quels Concerts d'alle-
Qgieffe
Viennent me réveiller fur ces tranquilles bords ?
De toute part jentends les doux accords
De mille voix qui répetent fans ceffe :
Vivez heureux Epoux , vivez Couple charmant ,
Le Ciel aprouve un choix dicté par la Sageffe ;
Que vos jours , exempts de trifteffe ,
Coulent dans le plaifir & le raviffement .
L'Hymen pour ce grand jour s'aprête ,
Il vient former des fermens folemnels
Et l'Amour en vainqueur amenant la conquête ,
Lui-même de l'Hymen vient parer les Autels.
Queltriomphe pompeux ! les Graces , la Jeuneſſe ,
Autour d'une aimable Déeffe
Former
20 MEN ПЕ DE FRANCE
Forment une nombreuſe Cour ;
La Génerofité couronne la Tendreffe ,
Et la Vertu s'unit avec l'Amour .
****************
MEMOIRE HISTORIQUE
P
concernant la Communauté des Avocats &
Procureurs au Parlement de Paris.
Eu de gens ignorent la difference qu'il
y a entre la Profeffion d'Avocat & celle
de Procureur , & que les Avocats au Parlement
de Paris forment un Ordre diftint &
féparé de la Compagne des Procureurs ; mais
peu de gens fçavent exactement ce que c'eft
que la Communauté des Avocats & celle des
Procureurs de ce Parlement . Ce Titre de Communauté
fait d'abord croire à ceux qui ne connoiffent
pas bien le Palais , que les Avocats
& les Procureurs n'y forment qu'un même
Corps , quoique ce foient deux Compagnies
differentes.
L'origine des Avocats au Parlement de
Paris eft beaucoup plus ancienne que celle
des Procureurs ad Lites. Il y avoit en France
des Avocats dès le commencement de la
Monarchie ; ils alloient alors plaider dans
tous les Tribunaux du Royaume ; lorfque
le Parlement de Paris eut été inftitué par le
Roy
JANVIER . 1741. 27
Roy Pépin en 757. ils alloient plaider dans
les differens endroits où le Parlement tenoit
fes Séances ; mais depuis que Philipe le Bel
l'eût rendu fédentaire à Paris en 1302. il y
eut des Avocats qui s'y attacherent pour y
faire leur Profeffion , & qui cefferent d'aller
plaider dans les Provinces,comme ils faifoient
auparavant ; c'eft ce qui commença à former
l'Ordre des Avocats au Parlement de Paris .
Pour ce qui eft des Procureurs ad lites
leur inftitution en France ne temonte pas
loin ; les établiffemens faits par S. Louis en
1270. font la plus ancienne Ordonnance qui
en faffe mention ; encore falloit il alors une
difpenfe pour plaider par Procureur ; l'Ordonnance
des Etats tenus à Tours en 1484
fut la premiere qui permit à toutes fortes de
perfonnes d'efter en Jugement par Procureur.
Ils furent érigés en Titre d'Office par un Edit
de Charles IX. du mois de Juillet 1572. qui
fut révoqué en 1576. aux Etats de Blois
mais par des Lettres Patentes & Arrêts de s
années 1585. 1597. & 1609. ils furent rétablis
en Titre d'Office par tout le Royaume
ce qui fubfifte encore dans le même état .
Ce n'eft pas feulement par raport au tems
& à la forme de leur inftitution que les Avocats
forment un Ordre féparé de la Communauté
des Procureurs ; car fans parler de plufieurs
Droits & Prérogatives qui ne font accordés
28 MERCURE DE FRANCE
cordés qu'aux Avocats , ils font naturellement
diftingués des Procureurs par leur Profeffion
, qui cft entierement differente. Le
miniftere de l'Avocat eft de donner confeil
aux Parties, de plaider & d'écrire pour la défenſe
des affaires : au lieu que la fonction du
Procureur ne confifte qu'à faire la procédure
; d'ailleurs les Avocats forment un Ordre
particulier , qui a fon chef & fa difcipline ,
qui lui font propres. Les Procureurs forment
de leur part une Communauté qui a fes Chefs
& fa difcipline , enforte que les Avocats &
les Procureurs font deux Compagnies differentes
, & non pas une même Communauté.
Il y a cependant au Palais une efpece de
Jurifdiction economique , à laquelle on a
donné le nom de Communauté des Avocats
Procureurs de la . Cour. Sous ce nom on
entend quelquefois la Chambre où fe
tient cette Jurifdiction , quelquefois la Jurifdiction
même , quelquefois enfin les
fonnes qui l'exercent .
per-
Ce terme de Communau é a fait croire à
quelques Praticiens , & notamment à l'Auteur
du Recueil des Reglemens concernant
les Procureurs , que les Avocats & les Procureurs
ne formoient qu'une même Communauté.
On trouve à peu près la même chofe dans
un petit Traité manufcrit , intitulé de l'Etabliffement
JANVIER.
29
1741 .
bliffement des Procureurs de la Cour de la
Communauté des Avocats & Procureurs.
L'Auteur de ce petit Ouvrage n'eſt pas
connu. Je conjecture feulement qu'il eft de
quelque ancien Procureur de Communauté ;
fon Manufcrit eft devenu en quelque forte
public , par le grand nombre de copies que
beaucoup de perfonnes en ont tirées.
Ce petit Traité porte en fubftance qu'anciennement
les Avocats inftruifoient feuls les
affaires , qu'ils s'affembloient entre eux fur le
fait de cette inftruction , & que cette Affemblée
fe nommoit la Communauté des Avocats
que les affaires s'étant multipliées , les
Avocats s'attacherent feulement aux Audiences
, & abandonnerent l'inſtruction aux
Procureurs , auxquels ils furent obligés de
donner place & voix délibérative dans leur
Communauté , que l'on a nommé depuis la
Communauté des Avocats & Procureurs.
L'Auteur du Manufcrit fe trompe dans tous
ces faits ; car avant qu'il y eût des Procureurs,
il n'y avoit point de procédure ni d'inftruction
; la forme judiciaire étoit auffi fimple
que l'expédition des affaires étoit prompte
; il n'y avoit point de Procès par écrit ,
tous les differends fe décidoient à l'Audience
fur la plaidoirie des Avocats & quelquefois
même fur celle des Parties . Deforte qu'il
n'y avoit pas alors matiere à tenir des
Affemblées
30 MERCURE DE FRANCE
Affemblées de Difcipline , fur tout concernant
l'inftruction des affaires , qui étoit fi
fimple. Auffi ne trouve-t'on rien qui dénote
que les Avocats tinffent de telles Affemblées ,
& encore moins que cette Compagnie fût
qualifiée de Communauté ; on ne lui a jamais
donné d'autre Titre que celui d'Ordre
& non celui de Communauté , qui ne convient
qu'à des Societés érigées en Corps de
Communauté par des Lettres Patentes.
M. Boyer , Procureur au Parlement , dans
le Style du Parlement , qu'il a donné au Public
, a fait un Titre particulier de la Communauté
des Avocats & Procureurs , dont
il parle d'une maniere affés confufe.
M. Caret , Docteur en Droit , qui a donné
en 1615. une nouvelle Edition de ce Style
avec des Notes , s'eft récrié contre ce Titre
de la Communauté des Avocats & Procureurs
, il foûtient qu'il n'y a entre eux aucune
Communauté , & que les Ordonnances
ne parlent que de la Communauté des Procureurs.
Cependant ce qu'en a dit Boyer n'eſt pas
fans fondement ; car il raporte un Arrêt du 18
Mars 1508 rendu fur les remontrances faites
ala Cour par le Procureur Général du Roy ,
qui enjoint aux Procureurs de la Communauté
de faire Affemblée entre les Avocats &
Procureurs , pour entendre les plaintes , chicanneries
JANVIER . 1741 3
canneries de ceux qui ne fuivent les formes
anciennes , & contreviennent au Style &
Ordonnances de la Cour , & de faire Regiftre
, le communiquer au fieur Procureur Géneral
, pour en faire raport à la Cour & procéder
contre les coupables par fufpenfion ,
privation ou autres voyes de droit.
>
Cet Arrêt fait connoître qu'il y avoit déja
des Procureurs apellés Procureurs de Communauté
, avant que l'on eût établi une Affemblée
commune entre les Avocats & les Procureurs
; que cette Affemblée n'a été inftituée
qu'en 1508. que l'objet de cet établiſſement
a été que les Avocats , de concert avec les
Procureurs , faflent obferver une bonne difcipline
entre eux : que cet Arrêt n'a ufé que
du terme d'Affemblée , enfin que c'eſt cette
Affemblée, que F'on a enfuite apellée improprement
la Communauté des Avocats &
Procureurs , parce qu'elle eft compoſée en
partie d'un certain nombre de Procureurs ,
qui font élus par leur Communauté , pour la
repréfenter dans les affaires communes , &
qu'avant que les Avocats s'affemblaffent avec
eux , on apelloit cette Affemblée des Procureurs
feuls , la Communauté , pour dire Af
femblée de la Communauté.
Le Reglement du 23. Mai 1576. & l'Ordonnance
de 1667. Tit. 6. Art . 4. & Tit.
31. Art. 15. qui ordonnent que certaines
affaires
32 MERCURE DE FRANCE
affaires d'inftruction feront vuidées par avis
des Avocats & Procureurs , ne parlent ni de
Communauté ni d'Affemblée des Avocats &
Procureurs.
Mais ce qui feroit encore mieux croire
qu'il n'y avoit point alors de Communauté
entre les Avocats & Procureurs , c'eſt que par
les Articles 8. & 9. du Reglement du 23 ,
Mai 1576. il eft enjoint aux Procureurs de
s'affembler deux fois la femaine pour connoître
ceux qui contreviendroient au Reglement
, en faire raport au Procureur Géneraldu
Roy , &c. Ces deux Articles ne parlent
point des Avocats & ne dénotent point
qu'ils euffent part à l'Affemblée des Procureurs
, ni que cette Affemblée fe nommât la
Communauté des Avocats & Procureurs.
Il eft cependant certain que l'Affemblée
des Avocats & Procureurs ,
inftituée par
l'Arrêt de Reglement du 18. Mars 1508. n'a
jamais été abolie , & quoiqu'elle ne foit ordinairement
tenue que par les Procureurs
feuls,cela n'empêche pas que lesAvocats n'en
foient toujours les Chefs, & qu'ils n'y aillent
quelquefois lorfqu'il s'agit de matieres qui
intereffent l'Ordre & fur lefquelles il eſt néceffaire
de fe concerter avec les Procureurs.
Le nom de Communauté que l'on donnoit
à l'Affemblée des Syndics des Procureurs a
été étendu par l'ufage à l'Affemblée commune
entre
JANVIER; 1741, 33
"
entre les Avocats & Procureurs , & cet ufage
a été enfuite adopté par les Reglemens.
Le Bâtonnier des Avocats eft le Chef de la
Communauté des Avocats & Procureurs
& a le droit d'y aller préfider , toutes les fois
qu'il le juge à propos.
,
Le plus ancien exemple que j'en aye trouvé,
eft une Déliberation de la Communauté des
Avocats & Procureurs , du 9. Janvier 1690,
raportée dans le Code Gillet , où il eft dit
que M. le Bâtonnier prit fa place ; c'étoit
alors M. Iffalis . Il s'agit d'une matiere qui
intéreffoit les deux Compagnies,
L'Arrêt de Reglement du 17. Juillet 1693 :
fait auffi mention de la Communauté des
Avocats & Procureurs. M. Chrétien -Fran
çois de la Moignon dit que les Avocats &
les Procureurs , fuivant les ordres de la Cour,
avoient conferé enfemble pour regler leurs
fonctions ... , & avoient dreffé des articles qui
marquoient les Ecritures que les uns & les
autres peuvent faire , & celles qu'ils peuvent
faire
par concurrence ; que ces articles
avoient été remis entre les mains des Gens
du Roy par le Bâtonnier des Avocats & par
les Procureurs de Communauté. L'Arrêt qui
eft enfuite , fait la diftinction des Ecritures
que les Avocats ont feuls droit de faire , &c.
& il eft dit que c'eft fuivant ce qui avoit été
convenu entre les Avocats & les Procureurs,
Il
34
MERCURE
DE FRANCE
Il eſt enjoint au Bâtonnier des Avocats &
aux Procureurs de Communauté d'informer
foigneufement la Cour des contraventions
qui feront faites à ce Reglement , & il eft
dit que cet Arrêt fut lû & publié en la Communauté
des Avocats & Procureurs de la
Cour.
On voit dans l'Arrêt de Reglement du 27.
Juillet 1727. que M. Grotefte , alors Bâtonnier
des Avocats , demanda d'être entendu
fur un Fait de difcipline qui intéreffoit l'Ordre
; qu'ayant été mandé , il entra avec les
Procureurs de Communauté : qu'après fon
Difcours les Procureurs de Communauté
demanderent acte de ce qu'ils adhéroient
à la repréſentation du Bâtonnier : le difpofitif
de l'Arrêt qui intervint fait mention que cefut
fur la repréſentation des Avocats , il ne parle
pas des Procureurs , & ordonne feulement
que l'Arrêt fera lû & publié en la Communauté
des Avocats & Procureurs de la Cour ,
& infcrit fur les Regiftres de la Communauté
.
M. Froland qui fut Bâtonnier en l'année
1734. alla une fois dans cette année préfider
à l'Audience de la Communauté.
Les anciens Bâtonniers ont auffi féance &
voix déliberative en la Chambre de la Communauté
après le Bâtonnier actuellement en
place : il y a même des occafions où le Bâtonnier
JANVIER 35 1741
tonnier fe fait affifter d'un certain nombre
d'anciens Avocats , autres que les anciens
Bâtonniers , comme on le peut voir dans
l'Arrêt de Reglement du 18. Janvier 1710.
intervenu fur une Déliberation de la Communauté
des Avocats & Procureurs , concernant
les comptes de la Confrairie établie
en la Chapelle de S. Nicolas , & des aumônes
de ladite Confrairie : il eft dit dans cette
Déliberation , qu'il eft avantageux que M.
le Bâtonnier ait connoiffance du compte
qui fe rend à la S. Hilaire , que cela contribuéra
à fortifier l'union qui doit être entre
les deux Compagnies pour le bien de la Juftice
& pour leur interêt particulier. Ces termes
dans les deux Compagnies , font voir
que de l'aveu même des Procureurs , les
Avocats forment une Compagnie diſtincte
& féparée des Procureurs , & non pas une
feule & même Communauté.
Le réfultat de cette même Déliberation
eft que l'état de la diftribution des aumônes
de la Communauté fera arrêté dans la
Chambre de la Communauté , en préſence
& de l'avis , tant de M. le Bâtonnier & de
l'ancien Procureur de Communauté , que
de
uatre
anciens
Avocats
qui y feront
invités
par
M. le Bâtonnier
, dont
il y en aura
deux
;
au moins
, anciens
Bâtonniers
, & de quatre
Procureurs
de Communauté
; & au cas que
le
C Proa
36 MERCURE DE FRANCE
7
Procureur de Communauté fe feroit affifter
d'autres Procureurs , M. le Bâtonnier fe fera
également
affifter
d'Avocats
en
nombre
égal à celui des Procureurs,
24:
La diftribution des aumônes dont il s'agiffoit
, fe fit conformément à cette Déliberation
, en la Chambre de S. Louis le
Janvier 1710. MM. Euffroy , Bâtonnier
Chardon & Gaftiers, anciens Bâtonniers,& de
la Marlier , ancien Avocat , étoient affis à
côté l'un de l'autre , ayant devant eux un
Bureau , de l'autre côté duquel étoient MM,
Gillet , Favieres , Hebert & Guefdon , Procureurs
de Communauté.
Les quatre Procureurs de Communauté
qui fiégent après les Avocats , font quatre
anciens Procureurs que leur Compgnie
choifit à la pluralité des fuffrages : le plus
ancien nommé d'entr'eux , préfide entre fes
Confreres ; ils rempliffent cette fonction
pendant trois ans , après lefquels on procede
à une nouvelle élection .
Les anciens Procureurs de Communauté
fortis de Charge, ont auffi féance & voix déliberative
en la Communauté après ceux qui
font actuellement en place , foit dans les Déliberations
particulieres , foit aux Audiences
de la Communauté.
La Communauté choifit auffi tous les ans.
Procureurs parmi ceux qui ont été Receyeurs
JANVIER: 1741. 37
veurs des aumônes, pour affifter avec les anciens
aux Déliberations : c'eft un ancien
Procureur qui fait la fonction de Greffier
& qui tient Regiftré des Avis & Déliberations
de la Compagnie.
La Communauté s'affemble & donne
audience dans la Chambre de S. Louis ou
Chambre de la Tournelle Criminelle rous
les Lundis & Jeudis depuis midi jufqu'à deux
heures ; c'eft là qu'elle entend les Plaintes
des Procureurs contre leurs Confreres fur le
fait de la Procedure & fur la difcipline qui .
s'obſerve entr'eux.
Les Jugemens qui interviennent ſur ces
Plaintes font rédigés par forme d'avis , four
le bon plaifir de la Cour , & c.
Quand les Procureurs refufent d'obéir à
ces Avis , les Procureurs de Communauté
en Charge vont en porter leur Plainte au
Parquet de Mrs les Gens du Roy , qui après
avoir examiné l'Avis , s'il leur paroît juſte
vont en la Grand- Chambre prendre des conclufions
contre le Procureur réfractaire , qui
eft puni féverement lorfqu'il fe trouve en
faute.
La Communauté des Avocats & Procucurs
s'affemble auffi dans une autre Cham
bre, apellée la Sacriftie , parce qu'elle fert de
Sacriftie à la Chapelle de S. Nicolas : cette
Chambre eft proprement la Chambre du
Cij Confeil
MERCURE DE FRANCE
•
fe Confeil de la Communauté. C'eſt- là que
font les Déliberations fur les affaires communes
, & que l'on fait la lecture & publication
des Reglemens de la Cour concernant
la difcipline du Palais .
: Tous les Avis & Déliberations de la Com
munauté font intitulés, Extrait des Regiftres
de la Communauté des Avocats & Procureurs
, quoique les Avocats y aillent rarement
, & que la plupart des affaires qui s'y
traitent,ne concernent que les Procureurs.
* Le Bâtonnier & les autres anciens Avocats
ne vont guére à la Communauté que pour
les comptes de la Confrairie , commune aux
deux Compagnies, établie en la Chapelle de
S. Nicolas.
C'eſt à l'occafion de cette Confrairie , qui
eft beaucoup plus ancienne que l'établiffement
de la Communauté , que l'on a inftitué
le Bâtonnier, qui eft proprement le Marguillier
d'honneur de la Confrairie . Sans doute
qu'anciennement il portoit le Bâton de S.
Nicolas , aux cérémonies qui fe font en la
Chapelle , & c'eſt de- là qu'on l'a nommé
Bâtonnier.
Les anciens Bâtonniers & autres anciens
Avocats font tous les ans le 9. Mai l'élection
d'un nouveau Bâtonnier : les Procureurs
de Communauté donnent auffi leur fuffrage.
Four cette élection , parce que le Bâtonnier
eR.
JANVIER. 1741 3.g
eft le Chef, non feulement de la Confrairie,
mais auffi de la Communauté.
Le Bâtonnier a été auffi dans la fuite adopté
pour Chef de l'Ordre des Avocats : mais
les Procureurs n'ont aucune part à ce qui
concerne la difcipline particuliere de l'Ordre
, foit pour la confection du Tableau ;
foit pour regler les differends qui peuvent
s'élever entre quelques Avocats. C'eft au
Bâtonnier , aux anciens Bâtonniers & autres
anciens Avocats , que l'on défere tout ce qui
concerne l'Ordre en particulier on apelle
quelquefois à ces Affemblées un ou plufieurs
Députés de chaque Banc : quelquefois même
on aflemble tout l'Ordre , felon la nature
& l'importance des affaires qui fe préfentent.
S'il y a lieu de requerir quelque Regles
ment ou de faire quelque autre repréfentation,
en conféquence de la Déliberation faite
en l'Affemblée de l'Ordre , le Bâtonnier va
en la Grand' - Chambre , affifté de quelques
anciens Avocats , où il rend compte de
l'affaire dont il s'agit.
Il y a plufieurs exemples de ces repréſentations
faites par le Bâtonnier , notamment
dans les Arrêts des 8. Mars 1729. 4. Septembre
1734. & 18. Février 1736. & ce
qu'il y a furtout de remarquable dans l'Arrêt
du 4. Septembre 1734. c'eft que pour le
notiz
C iij
40 MERCURE DE FRANCE
notifier à l'Ordre , on ne le fit point publier
en la Communauté des Avocats & Procureurs
, il fut ſignifié au Bâtonnier en ſon dodomicile
: ce qui confirme de plus en plus
que l'Ordre des Avocats fait une Compagnie
diftin&te & féparée de celle des Procureurs
, que ce que l'on apelle la Communauté
des Avocats & Procureurs , ' n'eſt autre
chofe qu'une Jurifdiction oeconomique où
le Bâtonnier des Avocats préfide , & que les
Avocats ont été mis à la tête de cette Chambre
, pour concourir avec les Procureurs à
maintenir une bonne difcipline dans le Palais
fur le fait de la Procedure , & tout ce
qui concerne l'inſtruction des affaires.
Je ne m'étendrai point ici fur l'établiffement
& l'adminiftration de la Chapelle & de
la Confrairie de S. Nicolas , parce que j'en
ai fait le détail dans ma Lettre du mois de
Decembre 1738. qui a été inferée dans le
fecond Volume du Mercure de Decembre
17:38. p. 2795.
EPITRE
JANVIER. 1741. 41
*******************
EPITRE
A M. de G. qui avoit lû avec complaisance
une Ode , & quelques autres Piéces de
Poefie de l'Auteur ; mais qui trouva qu'il
ne refpectoit pas affés les Dieux dans une
Elégie.
A Imable & fçavant de G……. ,
De qui la fertile veine ,
Dans les plus arides Bois
A retrouvé tant de fois
Caftalie & l'Hypocréne ;
Vénérable Doyen des Aonides Chours ;
Toi , que les Mufes & les Graces ,
Volant encore fur tes traces ,
Couronnent à l'envi de leurs plus belles fleurs
Des mains de la Reconnoiffance
Reçois ces foibles traits de mon jeune pinceau ,
Daigne me lire de nouveau
Avec les yeux de l'indulgence .
Depuis que t'arrêtant à mon lyrique éfort ,
Tu voùlus l'honorer d'un gracieux fourire ,
Plein d'un prix fi flateur , je me crus affés fort
Pour braver les hazards du poëtique Empire.
Acheve : pfête à mon Crayon
Сім
Le
42 MERCURE DE FRANCE
Le
prompt
Pour fonder
les tréfors de ce facré Vallon
fecours de ton aîle affûrée ,
Où Phébus tant de fois abreuva ta raiſon
Du pur Nectar de fa coupe dorée.
Mais .... quel fouvenir ténébreux
Semble empêcher le cours de tes riches lumieres ?
Ah ! condamnerois-tu ce moment douloureux
Où , d'un fouffe mortel l'Idole de mes feux
Sentant les atteintes ameres
Ma Mufe vint contre les Dieux
Exhaler fa douleur en reproches feveres !"
Peut- être même injurieux !
Quoi , ta faine Philofophic
Ainfi ftoïquement a peſé mes regrets ?
Pouvois- je møderer ma plaintive faillie ?
N'eft- il point de pardon pour une Muſe aigrie ,
Qui voit changer ſes Myrthes en Cyprès
Non , d'une fi jáſte trifteffe
Tu n'as pas pû noircir le tendre emportement :
Sur ta délicate fageffe
Je dois
porter un autre jugement ;
Je fçais que la vive tendreſſe
Fut fon premier amuſement ,
Qu'à fes côtés elle eut fans ceffe
Les Ris , les Jeux , le Goût , le Sentiment
Que toujours la délicateffe ,
Exemte de l'aveuglement
(
JANVIER 174L.
43.
D'une fcrupuleufe rudeffe ,
Sçût tirer les leçons du fein de l'enjoûment.
Loin de ces maximes ingrates
D'un cauftique Zenon monté fur de grands mots ,
Toujours fur le Luth des Saphos.
Tu fis badiner les Socrates .
Les Echos fortunés de tes champêtres lieux
Tous les jours nous difent encore ,
Que partagé cent fois entre Pomone & Flore,
Près des la Fares , des Chaulieux ,
Dont tu femes partout les richeffes écloſes ,
`Ta raifon se coëffoit & de pampre & de rofes
Je ne croirai donc point , éloquent de G...
Que , Philofophe atrabilaire ,
Tu vouluffe au rigide poids
D'une fombre vertu cruellement auftere ,
Fefer de mes foupirs la douloureufe voix.
Tu fçais dans ton Automne , en fage
Près du Dieu du Goût & des Vers
Retrouver les plaifirs divers
Que tu cueillis dans le bel âge :
Et loin de m'envier les tranfports d'un chagrin,
"
Qui dans ces noirs inftans offre même des charmes ,
Je dis qu'un femblable deſtin
T'eût coûté d'auffi vives larmes.
Bar M. LEUBO
203
Cy LETTRE
44 MERCURE DE FRANCE
LETTRE de Don Victor de Chancel de
la Grange , Capitaine an Régiment de
France , Dragons , à Mylord Duc d'Ormond.
MYYLORD,
Le bruit a couru que Votre Excellence
pafferoit dans nos Quartiers , en allant commander
l'Armée de Galice. Je me flatois que
cette occafion me procureroit l'avantage
d'être connu de vous. Animé par ce juſte
défir , j'avois compofé une Piéce de Poëfie
que je comptois vous préfenter. Mais
puifqu'il ne m'eft pas permis de jouir de cet
avantage , j'ai crû que Votre Excellence ne
trouveroit pas mauvais que je priffe la liberté
de lui envoyer un Ouvrage où le coeur
a plus de part que l'efprit , la fupliant de
faire réjaillir fur moi une partie des bontés
dont elle a honoré mon père pendant le féjour
qu'il fit à la Cour d'Eſpagne en 1722.
Ma Patrie ne me coûteroit plus de regrets ,
fi je pouvois avoir part à une protection qui
me tiendroit lieu de tout , & qui peut feule
me dédommager de toutes les pertes que
j'ai faites. J'ai l'honneur d'être , &c . A Vil-
Jemanon , ce 30. Juillet 1740;
LE
R. 1741.
45.
LE PORTRAIT D'ALCIBIADE .
Dans les mains duFils de Latone
Je crus voir l'autre nuit le portrait d'un Guerrier ,
Pour qui le Mirthe & le Laurier
Formoient une double couronne,
Ami , dit Apollon , le Héros que tu vois
Fit long-tems triompher Athenes ;
Eftimé des plus puiſſans Rois ,
Il le fut encor plus des Reines.
Dans les fêtes , dans les hazards ,
Toujours sûr de vaincre & de plaire ;
Nul ne le furpaffa dans le métier de Mars ,
Ni dans l'Ecole de Cithere .
Son ingrate Patrie , en fe privant de lui,
Perdit fes honneurs & la gloire ;
Et les autres Etats dont fon bras fut l'apui ,
Virent fous leurs Drapeaux revenir la victoire.
Viens admirer ce front ceint de tant de Lauriers
Ta jeune ardeur me perfuade
Qu'il t'eft doux d'être des premiers
A rendre les honneurs que doivent les Guerriers
A l'image d'Alcibiade.
C vj Alors
46 MERCURE DE FRANCE
Alors , m'aprochant de plus près ,
Au lieu du Héros Grec qu'annonçoit cette image ,
De l'invincible Ormond j'y reconnus les traits ;
Et mon étonnement augmenta davantage ,
Quand j'ouis Apollon me tenir ce langage.
Il faut te réveler le miftere profond
Qui comprend deux Héros dans la même figure ;
Avec tous les talens qu'il eut de la Nature ,
L'efprit d'Alcibiade a paffé dans Ormond.
Le Ciel qui les forma fur le même modelle
Voulut en tous les deux , pour finir leurs portraits ,
Mettre une ame également belle ,
Et leur donner les mêmes traits.
Egalement fujets aux fureurs de l'envie ,
Et de leurs ennemis également vainqueurs ,
Tous deux ont fignalé l'hiſtoire de leur vie
Par les mêmes fuccès & les mêmes malheurs.
Tous deux , en foutenant l'honneur de leur Patrie
Ont vû leurs Citoyens demander leur trépas ;
Et contre deux Peuples ingrats ,
L'an fecourut la Perfe , & l'autre l'Iberie,
Mon fommeil ceffe en même tems
Par des cris de réjoiiiflance ,
Qai
JANVIER 1741 47
Qui pouffés jufqu'au Ciel par tous nos combattans,
De notre Géneral m'annoncent la préſence.
Alors , plein de raviffement ,
J'ai couru rendre mes hommages
A celui que le Ciel m'avoit peint en dormant
Avec de fi grands avantages.
Rien n'égaleroit mon bonheur ,
Si mon zele pouvoit paroître ,
En marchant fous un fi grand Maître
Dans la carriere de l'honneur .
REPONSE.
'Ar reçû , M. la lettre que vous m'avez
fait l'honneur de m'écrire du 30. Juillet ,
avec les Vers que vous avez bien voulu m'adreffer.
Votre efprit & votre talent pour la
Poëfie s'y font remarquer ; c'eft dommage
que vous n'ayez pas choifi un Sujet qui les
égale. Je ferois ravi d'avoir quelque occafion
de vous rendre fervice. Le mérite de M. votre
pere , auffi bien que le vôtre, m'engageront
toujours à vous donner toutes les marques
poffibles de mon eftime & de la parfaite
confidération avec laquelle j'ai l'honneur
d'être , Monfieur. Signé , LE DUC
D'ORMOND.
A Madrid le 10. Août 1740.
PLAIN TE
༥་
48 MERCURE DE FRANCE
į į g g g g g å g g ååå
PLAINTE DE L'ECUREUIL
AU GENIE DE LA FONTAINE.
FABLE.
Pourquoi , Ourquoi , célebre la Fontaine ;
Quand vous avez chanté tant d'Animaux divers ,
M'avez-vous oublié je valois bien la peine
D'être auffi placé dans vos Vers.
Je fuis le plus joli du monde.
Ma queue , ornement fans pareil ,
En Eté me défend des ardeurs du foleil :
J'en fais un parafol . Quand je veux paffer l'onde ,
Léger , ingénieux , l'écorce d'un ormeau
Me porte & me fert de bateau .
Ma queue alors eft d'un nouvel ufage ;
Elle tient lieu de voile & hâte mon paffage.
Vous n'avez jamais fait de fi riant tableau.
Vous chantez ma foeur la Belette
Les Rats & même les Souris.
Ah , que des Animaux le fameux Interprete
Du petit Ecureuil n'a-t'il connu le prix !
Votre Mufe naïve , en tous lieux eftimée ,
Ent étendu nma renommée .
JANVIER. 1741 49
A
Ce qui redouble mon chagrin ,
J'aprens qu'Oudry , dont le Pinceau divin
A des couleurs ſi véritables ,
De ces diférens Animaux ,
Que vous célebrez dans vos Fables ,
A fait les portraits les plus beaux,
Parmi ces chefs -d'oeuvres nouveaux
O comble de difgrace !
Le petit Ecureuil ne tiendra point la place.
C'est vous qui la caufez , Favori d'Apollon.
Oui , quand vous auriez dû , pour moi fans indulgence
,
Me comparer au Singe & m'apeller larron ,
Croqueur de noix & de marron ,
Je ferois moins fâché de cette médifance ,
Que d'un fi dédaigneux filence,
Sans cet oubli , dans un double portrait
Le Monde eût admiré ma queuë & ma figure.
Oudry , Peintre de la Nature ,
M'eût d'après vous deffiné trait pour trait.
Cet Ecureuil nous peint une Coquette .
Critiquez fa conduite , elle en fait peu de cas .
Pourvû qu'on vante fes apas ,
Son ame vaine eft fatisfaite.
Cette Fable eft de M. Richer.
3
so MERCURE DE FRANCE
X. LETTRE contenant la suite des pensées
diverses sur la Méthode du Bureau
Typographique.
125°.L
'Enfant
du
Bureau
, Monsieur
, lit
plus
facilement
ce
qu'on
lui
dicte
que
ce
qu'on
lui présente
. 1 °. Parce
que
d'oreille
il compose
mieux
d'après
les sons
articulés
, que
la languerépete
et que
la mémoire
retient
. 2° . Parce
que
les
signes
et les combinaisons
des
Lettres
présentées
aux
yeux
, ne réveilient
pas
toujours
le son
qu'il
faut
leur
donner
. C'est
pourquoi
on
ne
sçauroit
trop
exercer
les Enfans
sur
la double
Ortographe
de
l'oreille
et des
yeux
, et on doit
sur
tout
exiger
qu'ils
composent
de leur
propre
tête
tout
ce qu'ils
voudront
. On
verra
pour
lors
, ou jamais
, que
la Méthode
vulgaire
n'aproche
pas
des
avantages
de celle
du
Bureau
Tyographique
.
126° . Ceux qui s'oposerent autrefois à l'invention
et à la pratique de l'Imprimerie ; ceux qui ne vou -
Joient pas qu'on l'établit à Constantinople , parois
soient plus raisonnables que les Critiques du Bureau
Typographique. Il s'agiffoit d'ôter le pain de la
main à des milliers de Copistes , c'étoit une Profeffion
et une ressource dans la République des Lettres .
Mais le Bureau Typographique augmente & multiplie
ce pain , bien loin de l'ôter , elle le rend meilleur
à quiconque veur mieux faire , et si quelque
ignorant, quelque faineant est abandonné par la Typographie
, les autres y gagnent bien plus.
127. Le Monde est plein de préjugés , en voici
an considérable . On s'imagine que la pension des
petits Enfans doit couter beaucoup moins que la
pension
JANVIER. 1741. ST
pension des grands ; mais on devroit faire attention
que les petits Enfans , outre la nourriture , demand
dent beaucoup plus de soins et rendent plus escla➡
ves ceux qui s'en chargent. Un Enfant qui a une
Gouvernante pour lui seul , ne coûte- t'il pas plus
que celui qui n'en a plus besoin? Il en est à peu près
de- même dans les Pensions , celles qui coûtent le
moins,sont en géneral les plus mauvaises ; et les plus
cheres, sont les meilleures et les moins nombreuses .
128°. L'homme ne sçauroit être également habile
sur tout. On poffede un Art , on ignore l'autre
, c'est pourquoi tant d'habiles gens , à certains.
égards , paroissoient bouchés et bêtes vis - à - vis un
Bureau; ils regardent cela au- dessous d'eux , et par là
se rendent fouvent incapables des moindres choses, ils
n'y voyent pas un interêt digne de leur attention .
Il faut suspendre quelquefois son jugement avant
que de prononcer. Mais enfin si un homme d'esprit
, par hazard , paroît bête auprès d'un Bureau ,
jamais un sot n'y paroîtra homme d'esprit.
129° . Comme les habitudes ne peuvent s'acquérir
qu'à force d'actes réïterés , on ne sçauroit trop
exiger des Enfans la répétition de leurs Thèmes.
On doit les faire lire avant la composition sur la
Table du Bureau , après quoi , double lecture pour
la Version , autant pour la composition mot à mot ,
et ligne à ligne, ensuite les réciter , si cela se peut ,
rapeller toutes les fautes , toutes les corrections ,
rendre raison de tout, saus regarder les Cartes ni les
Etiquettes , on exige tout cela à proportion de l'â
ge , des progrès et des dispositions.
6
130°. Qu'importe , dit- on , qu'un Enfant ait de
la peine ou non , en aprenant à lire par la Méthode
vulgaire il ne s'en souvient pas étant grand. Je .
réponds , qu'il ne s'en souvient que trop , et que le
dégoût lui en reste en continuant ses Etudes par la
Méthode
12 MERCURE DE FRANCE
Méthode vulgaire,mais quand il seroit vrai que l'Enfant
ne s'en souviendroit pas , s'ensuit - il qu'on doive
le faire souffrir et le maltraiter sans nécessité et
lorsqu'on peut mieux faire ? Ne cherche - t'on pas à
soulager les Enfans à la mamelle , indépendamment
de la guérison & de la santé ? On doit toujours préferer
le bien au mal , & le mieux au bien , lorsque
le choix est en notre pouvoir ; donc il faut préferer
la Méthode nouvelle à l'ancienne .
· 131 °. Dans l'étude du Droit , on commence par
Fancien , par le Droit abregé , avant que de passer
à l'étude du Droit nouveau et d'usage , on supose
un Droit public , un Droit des gens , un Droit naturel
pour fixer des principes , avant que de passer
au Droit national et au Droit arbitraire , du plus au
moins , il doit être permis de faire passer l'Ortographe
physique, invariable des sons et de l'oreille,
avant l'Ortographe variable et arbitraire des yeux
ou de l'usage. Quand on ne conçoit pas cela, il est
difficile d'en convenir , mais à qui en est la faute ?
A ceux qui en rougiront dans peu , je ne sçaurois
trop le répeter. La Typographie est un Art , c'est
la bonne clef des Arts et des Sciences , on n'en sçauroit
à présent trop parler pour le bien des Enfans.
1320. Les ennemis du raisonnement , les gens en
place , qui s'imaginent n'avoir pas le rems d'exami
ner la bonté des nouvelles Méthodes ; les gens indifferens
sur le devoir d'un bon Citoyen , vous disent
toujours , il faut voir , il faut attendre la preuve
du succès , de l'expérience, &c. Voilà qui est bien
quand l'esprit et le raisonnement n'y peuvent pas
atteindre ; mais faut- il attendre le jour de l'Eclipse
pour la calculer ? A quoi sert donc la sagacité ? Un
un esprit bouché , doit -il être mis de niveau
avec un génie supérieur ? Ils peuvent tous deux s'a❤
vancer et parvenir à de hautes places , mais l'un est
sot
›
plus
JANVIER. 1741. 33
plus actifque l'autre . On a déja répondu à cela, Si
Pon propose quelque chose d'important dans l'Etat,
quelque nouvelle invention , faut-il être des derniers
à l'examiner ? Faut- il attendre que toute l'Europe
en ait fait l'expérience ? La cabale interessée
ou de mauvaise foi , rejette toute nouveauté , sacrifie
le bien public au sien. Nos grands Ministres
font le contraire , rien ne leur échape , ils ont le
coup d'oeil , ils voyent , ils jugent , ils font examiner
, ils conferent , ils en trouvent le tems , et se
passeroient plutôt des Jeux et des Spectacles , que
d'avoir laissé perdre la moindre occasion d'utilité
publique. Heureux les Peuples qui jouissent d'un
pareil bonheur !
133 °. Tout le monde le dit , personne ne se corrige
, passer la vie à l'étude des mots et des phrases
, &c. c'est passer la vie à solfier sans passer à la
Musique vocale . L'art de parler ou d'articuler sans
l'art de penser, c'est l'art des Perroquets , quand on
y ajoûteroit l'art des Singes , ce n'est pas là de quoi
faire un homme . Quand est- ce donc l'on senque
tira l'abus de la Méthode vulgaire , dont le Public
est la dupe , et que l'on fera profession de céder à
la raison et de faire suivre la nouvelle ? Tout le
monde convient de la nécessité qu'il y a de réformer
l'ancienne Methode , mais personne ne veut l'entreprendre;
est - ce par un bon ou un mauvais motif ?
134. De quelque maniere que l'on range une
phrase Latine , on peut l'expliquer par le moyen
des terminaisons. De quelque maniere que l'on
range les lettres et les combinaisons des lettres , un
Enfant Typographe lira tout par la Méthode des
Sons de la langue , ou de l'Ortographe de l'oreille,
Il seroit tems que les Maîtres de la Méthode vulgaire
se rendissent , ils le feroient même s'ils avoient
Foutil de la judiciaire , que la Méthode vulgaire a
émousséc
34 MERCURE DE FRANCE
émoussé dans la plupart des Latinistes , & c.
135°. On prétend que l'Ouvrage de M. Pascal
s'est soutenu dans la pureté du langage , parce qu'il
étoit jeune , et qu'il avoit écrit selon l'etat présent
de la Langue Françoise , au lieu qu'un Auteur de
60. à 80. ans , laisse un style qui se ressent de
son âge. Je dis même , et sans comparaison ,
qu'un Livre qui affecteroit de suivre la vieille Ortographe
, fût- ce dans la premiere Edition du Dictionaire
de l'Académie Françoise , en seroit plutôt
hors d'usage , au lieu que l'Ortographe nouvelle et
moyenne, peut empêcher un Livre de vieillir si- tôt,
comme celle de la Bibliotheque des Enfans.
8
136 ° . Si la Méthode vulgaire demande à un Enfant
les Lettres c , k , s , il ne se trompe pas,au lieu
que l'Enfant du Bureau sent de l'équivoque , je réponds
que l'Enfant Typographe ne se trompe point
si on lui demande les Lettres ce- Ka ; Se-ze & c. il
s'agit des sons , et d'assembler ces sons à l'oreille
plutôt que de donner des Lettres aux yeux . L'Enfant
de la Méthode vulgaire se trompe bien , quand on
lui demande les Lettres i , u , &c . puisqu'il donne
indifferament les voyelles ou les consonnes de ces
deux Lettres , ce que l'Enfant Typographe sçait
bien distinguer. Cela s'explique parfaitement sur la
Table d'un Bureau Typographique .
137°. Les Maîtres voyant l'avarice ou la grande
oeconomie des Parens , ne songent qu'au payement
de leurs mois et de leurs Leçons ; ils ne proposent
pas l'emplette du Bureau de six rangs et d'un Dictionaire
, ni celle des Livres , de peur d'éfaroucher
les Parens ; d'ailleurs les Maîtres en ont moins de
peine , ils rentrent plutôt dans la Méthode vulgaire
qui charge les Enfans en soulageant les Maîtres ,
c'est un abus de la part des Maîtres trop mercenaires
, dont il eft bon d'avertir les Parens , c'est ensuite
JANVIE R. 1741 .. Sy
:
suite leur affaire profitera qui voudra de l'avis
devenu très - néceſſaire.
138 ° . Un Latiniste me dit : Je n'entends pas Votre
Systême , je m'ennuye en lisant votre Livre
comment voulez-vous que des Enfans vous entendent
et vous goûtent ? ne pourriez - vous pas éclaircir
, abreger , égayer votre matiere ? Je réponds que
cela est vrai , que je ne sçaurois mieux faire , et que
je n'ai pas le talent de donner la lumiere aux aveugles
, &c. qu'il s'agit de sçavoir si c'est la faute du
Lecteur, ou de l'Auteur. Le grand nombre d'Enfans ,
de Maîtres , de Parens et de Domestiques , qui entendent
la Typographie , doit un peu humilier les
Latinistes qui disent ne pas la comprendre . Je n'ai
jamais prétendu divertir le Lecteur , mais l'instruire.
Il y a des Poëtes , des Comédiens , des Musi
ciens , des Danseurs , et même des Boufons pour
divertir les Hommes desoeuvrés , dégoutés , incapables
d'aplication , et souvent indifferens sur l'uti- ·
lité publique. On a justifié les Spectacles par des
raisons de politique et de prétendue instruction
mais les Arts et les Sciences n'ont pas absolûment
besoin de juftifier l'utile par l'agréable : s'il s'y
rencontre , tant mieux .
;
139. Votre Ortographe et votre ton haut révol
tent , il falloit ménager l'amour propre des Maîtres.
Je réponds , qu'avec les Maîtres prévenus et
sans raison , il faut l'aiguillon littéraire , qui les tire
de la létargie où ils sont, malgré les avis réiterés depuis
plus d'un siecle . Dans les choses douteuses ,
il ne faut point être trop affirmatif ; mais dans des
matieres démontrées, malheur à celui qui se pique
d'être incapable de voir la démonstration . Un Géometre
rougiroit de ne pas voir une démonstration
géometrique La Pédagogie, la Typographie regardent
les Maîtres , et personne ne parle plus haut
que
56 MERCURE DE FRANCE
que les Maitres prévenus , ils traitent de vifion
tout ce qui n'est pas à leur portée. A l'égard de
POrtographe , on a répondu à toutes les objections
dans l'Article XIX. de la Bibliotheque des
Enfans , in-4°. p. 176.
de lieu
140°. L'Erudition prodiguée dans la petite version
,qu'on exige de l'Enfant , pourroit bien le dégouter
; eft-il nécessaire au commencement d'expliquer
à un petit Enfant tous les mots anciens
d'Hommes , de Lieux , & c. et de faire des discours
là - dessus? Le commentaire si allongé fait perdre
de vûë le texte. L'idée vague de personne ,
ne suffiroit- elle pas au commencement ,sauf à
venir ? L'essentiel , c'est le sens de la phrase , de la
proposition , de la construction des mots , de la
Syntaxe ; il est bon d'égayer la matiere dans l'occasion
par quelque petite histoire , quelque petit
conte , mais cela doit être mis à sa place , selon le
tems et la disposition des Enfans .
y
re-
141 °. Quand les Parens comptent pour beaucoup
la date et l'ancienneté des Grades , des Dignités
, des Charges , & c. ils se hâtent de placer
de bonne heure leurs Enfans , et sacrifient une partie
de l'éducation au mérite de cette date. C'est un
abus considérable pour la famille , et peut - être
pour l'Etat , de préferer l'avantage incertain de
cette date au mérite réel et certain d'une bonne et
parfaite éducation , qui influë dans toute la vie , et
qui passe par dessus la date de bien des aînés. Ceux
qui sçavent juger sainement des choses , préfereront
la bonne éducation à la date. La Méthode du
Bureau Typographique est d'un grand secours pour
instruire les Enfans plûtôt , et pour les mettre plû
tôt en état de prendre date , sur tout date Militaire.
J'ai l'honneur d'être , &c,
L'UNIJANVIER.
$7 1741
Q₁
శ్రీ శ్రీ
L'UNIVERS ,
ODE
PHILOSOPHIQUE,
U'entens-je ? Diey parle , & fa voix
Du néant tire la matiere ,
Au Cahos ordonne des Loix ,
Enfante la Nature entiere.
*
Sa voix va dans l'immensité
Quvrir un abîme , un eſpace
Marquer au Monde limité
?
Ses bords , fon centre , fa furface.
*
Déja roule tout l'Univers ,:
Et fur des Eaux vaftes , profondes
Flotent tous les Etres divers ,
Les Planettes , les Cieux , les Mondes.
*
Voyez marcher ces brillants Corps ,
Et de diftances en diftances ,
Tourner fur de puiffants refforts
Dans d'immenfes circonférences,
*
Voilà
58 MERCURE DE FRANCE
Voilà les Globes lumineux ;
Hommes , voilà les mêmes Etres
>
Qu'après vous verront vos neveux ,
Qu'avant vous ont va vos Ancêtres ,
*
Entrez dans de profonds Déserts ,
Voguez fur les Plaines liquides ;
A travers les Cieux & les Airs ,
Tous ces Mondes feront vos guides.
*
O Soleil , tu meux , tu retiens
Nos Planettes , leurs Satélites ,
Tes Rayons en font les liens ,
Ton Monde enferme leurs limites.
*
Que les Etés , que les Hyvers
Soufflent & leurs feux & leurs glaces
Sur les Campagnes , fur les Mers ;
Qu'ils en devorent les furfaces.
*
Les Tonnerres , les Ouragans
Ne pourront enlever la Terre
Hors du cours des mois & des ans
Où son efpace la refferre,
JANVIER.
1741. 39
Dieu lui dit , va des nuits aux jours ,
O Terre , tourne , roule , vole ,
Avance , mais reviens toujours
Ou vers l'un ou vers l'autre Pole.
X
Dans ton Tourbillon agité
Commence & termine ta courſe ,
Du Printems monte vers l'Eté ,
Defcends de la Balance à l'Ourſe.
።
Notre Dieu n'a fait que parler ,
Etés , Hyvers , Neptune , Eole ,
Vous ne pourrez point ébranler
Le Monde affis fur fa parole:
*
Goûtant les douceurs du repos ,
Je traçois ainfi tous des Etres ,
L'Eternel étoit mon Héros ,
David , Moyfe , étoient mes Maîtres.
Par M. C, Tart , de Rouen,
)
D LETTRE
60 MERCURE DE FRANCE
**** ***
LETTRE de M. le Baron de P. écrite
de la Rochelle le 25. Decembre 1740. à
Mad. la Marquife de B *** , qui vouloit
fçavoir fi on doit préferer la Méthode du
Bureau Typographique à celle qu'on fuit
dans les Ecoles publiques.
• A part que je prens , Madame , à ce
qui peut intereffer l'éducation de la Jeuneffe
, & en particulier celle de Mrs vos Enfans
, fait que j'ai l'honneur de vous communiquer
les refléxions que m'ont fournies
differens Mercures , & en dernier lieu celui
du mois de Novembre 1740. dans lequel
l'Auteur du Bureau Typographique fe plaint
amerement du Public. A- t'il raifon ? Vous
en jugerez vous-même , après que je vous
aurai expofé les avantages & les inconvéniens
de fa nouvelle Méthode. Entrons en
matiere , & pour ne rien omettre , vous obferverez,
s'il vous plaît , Me , que le Bureau
Typographique n'eft autre chofe qu'une Table
longue de quatre ou cinq pieds , partagée
en plufieurs Logettés , dans lefquelles
font placés les Lettres , points , virgules &
accents. Telle est l'idée que vous devez vous
fornier du Bureau Typographique . Voici la
maniere de s'en fervir.
On
JANVIER. 1741. 65
On expofe aux yeux de l'Enfant qui veut
aprendre à lire , le Bureau , ou plûtôt les Logettes
, dont nous venons de parler ; auffi - tôt
L'Enfant démêle & choifit les Lettres qui lui
font néceffaires pour la compofition des mots
ou des phrafes qu'on lui demande; avec cette
feule difference, toutefois , qu'au lieu de Bé,
il prononce Beu , au lieu d'Effe , il prononce
Fen , parce qu'on prétend qu'un pareil fon
aproche bien davantage de la prononciation
naturelle. Qu'en pensez- vous , Madame ?
N'est -ce pas en bon François , comme l'on
dit , jetter de la pouffiere aux yeux des gens ?
Quoiqu'il en foit , nous affûre l'Auteur de la
nouvelle Méthode , il n'y a nulle comparaifon
entre les Enfans du Bureau Typographique
, & ceux qu'on éleve dans les Ecoles
publiques. Les premiers fçauront parfaitement
l'Ortographie, & ceux- ci ne la fçauront
jamais.
Qu'on eft à plaindre quand on n'écoute
que fon amour propre , & qu'on fuit opiniâtrément
fes préjugés ! Je ne fçais qui des deux
fe trompe ; mais j'ai vû bien des Enfans de
la nouvelle Méthode , qui n'en étoient pas
plus habiles , ce qui eft aisé à démontrer ;
car épeler dans un Livre , ou fur une Table
Typographique , n'eft- ce pas la même chofe?
C'eft donc à l'habileté du Maître , & non à
la nouvelle Méthode qu'il faut attribuer le
Dij progrès
62 MERCURE DE FRANCE
fait l'Enfant dans la Typogra
progrès que
phie .
Peut - être objectera - t'on que la combinaifon
des Lettres ne fert pas peu à former
Enfant dans la Typographie. Quand cela
feroit , je réponds qu'on pourra fupléer aifément
à cet avantage , lorfque l'Enfant fera
árrivé à un-âge plus avancé , & qu'on aura
foin de lui faire tranfcrire des Livres bien
corrects & bien ponctués , feul moyen , de
l'aveu de tout le monde , pour aprendre parfaitement
l'Ortographie.
Vous voyez , Madame , que jufqu'à préfent
tout eft bien égal de côté & d'autre ; il
refte cependant certains obftacles , qui ne
nous permettent point de donner notre fuffrage
à la nouvelle Méthode , non -feulement
on employe un tems plus confidérable pour
aprendre à lire, il faut encore prefque autant
de Maîtres que d'Ecoliers ; comment , fur
tout , infpirera- t'on avec cette nouvelle Méthode
de l'émulation aux Enfans ? Ne font - ils
pas & ne feront- ils pas toujours les premiers
& les derniers de leur Claffe ? Or il n'en eft
pas de- même de ceux qui fuivent l'ancienne
Méthode. Quelle ardeur pour fe rendre dignes
des premieres places & des autres récompenfes
qu'on leur deftine ! Je fuis perfuadé
, Madame , que vous ne fçauriez voir
Lans un plaifir extrême ces combats Litteraires
JANVIER. 1741. 63
res , où de petits Enfans de quatre ou cinq
ans , comme autant de génereux Athletes ,
diſputent , à l'envi , les Palmes & les Couronnes.
J'ai l'honneur d'être , &c .
Quoique nous foyons affés perfuadés de
la bonté de la Méthode du Bureau Typographique
, nous devons laiffer au Public la liberté
de juger des Piéces qu'on nous adreffe
pour & contre cette nouvelle Méthode ;
mais nous croyons en même - tems devoir
prier Madame la Marquife de B. de vouloir
bien parcourir la Lettre de M. l'Abbé Léonard
à Mad. la Comteffe de V. inférée dans
le Mercure du mois de Juin de l'année 1736.
& de lire la page 11. du Suplément du célebre
M. Rollin , de voir auffi les Tables Gé
nerales de nos Mercures depuis 1730. juſqu'à
l'année derniere 1740. elles acheveront de
convaincre M. le Baron de P.
D iij LIT:
64 MERCURE DE FRANCE
***
LITTERATIS Viris D. Bourdelin
Doctori Medico , & è Regiâ Scientiarum
Academia , & D. Bouvart Doctori
Medico.
Q
O D E.
Uæ tetra peftis gutturis intimos
Claudit meatus , pectus & igneâ
Vi quaffat , & cæco impeditæ
Vocis iter vitiat veneno ?
Illæfa fueto flectitur agmine ,
Nec lingua fuetos Sibila dat fonos ;
Ignota fed moles profundo
Difficiles premit ore voces.
At quot tumultus bellaque fauciis
Arcanus humor vifceribus movet ?
Durare pulmo tuffis æftus
Vix valet imperiofiores .
Formidolofus fe comitem dolor
Addit dolori febris , & altius
Infixa membris , inquieta
Affiduo terit ofla morfu.
Quin & latentem dum penetralibus
Rimatur udis foeda animam lues ,
JANVIER
1741.
65
.
Os inquinatum fe cruore
Non femel horruit infolenti.
Sic delibuto munete fervidum
Late premebat grande malum Herculem :
Sic hauftus infano medullas
Occubuit Meleager igne ;
Quando ulta fratrum funera per nefas
Fatale lignum corripuit manu ,
Natique devovit cremandum
Dira parens caput immerentis.
Audite triftes , Dii , querimonias ,
Pectufque raucâ voce fonantius
Audite ; tuque ô promptiorem
Phobe pater , fer opem jacenti :
Seu Burdelini gratior induis
Vultus decentes , five feverior
Multum Bovarti cogitantis
Ore lates : aliufque & idem
Amas vocantum vertere gaudiis
Lamenta , præfens eluere artubus
Acerba morborum , & morantes
Sanguinis accelerare curfus.*
Quid ! efficacis jam ftupeo Dei
Regnare pleno vim dominam finu :
Evicta jam cedunt venena
Pejor & anxietas venenis.
Jam fponte mollis membra levat fopor ,
Color ferena fronte fuus nitet ,
Dij Sea66
MERCURE DE FRANCE
Senfimque vires & juventas
Jam placido redeunt tenore.
Quam dulce multis empta doloribus
Arridet ægris corporibus falus !
Quam blanda lux eft , quæ recludit
Morte oculos media natantes !
Suetis moveri non homini datum :
Quæ femper æquo vita agitur pede
Nil fentientis fomnus eft , quó
Mens jacet obruta , feque nefcit.
Prudens beatis temporibus vices
Pater Deorum mifcuit afperas ,
Ut rebus infeftis fecundæ
Plus fapiant bene temperatæ .
Quod fpiro , vitæ jam pretium fciens ,
Sic , Phoebe , totum muneris id tui eft ;
Per te refulgent puriori
Luce dies , meliorque vita.
Te fumptuosâ cæde boum colant
Potentiores , gramine multiplex
Queis mugit armentum , gregefque
Fertilibus renovantur agris .
Mufis amico non ea vis mihi ,
Nec refpuendus dona tamen feram ,
Qui fancta Vates vota folvo
Thure pio , tenuique verfu .
D. G.
LETJANVIER.
1741. 67
LETTRE par laquelle on détrompe le
Public fur le prétendu danger qu'il y a,
pour la vûë , dans l'extirpation de la dent
canine , autrement apellée Dent oeillere.
Vo
Ous avez raifon de vous plaindre ,
M. du long filence que j'ai gardé depuis
mon arrivée à Paris ; mais j'avois réfolu
de ne vous écrire, que pour vous mander ma
guérifon , que vous m'aviez fait efperer , auffi-
tôt que j'aurais vû le fieur Bunon Dentifte
, ruë S. Honoré , vis - à - vis la ruë de
Grenelle , dont vous m'aviez donné l'adreffe .
Je l'ai vû , & j'ai raifonné à fonds avec lui
fur la nature du mal que je fouffrois ; fans
oublier le danger que couroit la vûë dans
l'extirpation de la dent de l'oeil , qui eft
comme vous fçavez , la caufe des cruelles
douleurs que j'endurois depuis près de deux
ans , j'ai étalé de mon mieux toute mon
érudition anatomique . J'ai trouvé un Adverfaire
, qui peu émû de mes grandes difficultés
, les a tranquillement détruites
des raifons qui ne fouffrent point de réplique;
il m'affura que la dent illere s'arra
choit comme une autre , qu'il n'y avoit rien
à apréhender pour la vûë ; & que s'il y avoit
Dv
2.
par
quel68
MERCURE DE FRANCE
quelque chofe à craindre de ce côté- là , cè
feroit plutôt en laiſſant ſubſiſter cette dent ,
dont la carie pouvoit fort bien occafionner
une fiftule lacrymale ; c'étoit ce qu'il avoit
remarqué , il n'y avoit pas long- tems , dans
un jeune homme , qui pour avoir retardé de
jour en jour à faire arracher cette dent dans
T'apréhension d'endommager fa vûë , avoit
déja commencé à contracter un finus , qui fe
feroit terminé à une fiftule, s'il n'eût pas promptement
obvié à ce défordre par l'extirpation
de la dent. M. Bunon voyant que
ples faifoient fur moi une impreffion plus
forte que les raifonnemens , me cita plufieurs
perfonnes connues qu'il avoit tirées parfaitement
d'affaire en leur ôtant la dent de
l'oeil , fans que jamais il foit arrivé le moindre
accident du côté de la vûë ; j'ai voulu
conftater ces expériences , cela m'a coûté
quelques démarches , mais en récompenfe
j'ai eu tout lieu d'être parfaitement fatisfait.
les exem
Voici entr'autres l'extrait d'une Lettre
qu'on m'a écrite de Normandie en 1732 .
" Madame de Butenval demeurante au
» Ponteau- de -mer , fe trouva réduite à une
» telle extrêmité par un mal de dents qui la
tourmentoit depuis plufieurs années qu'el-
» le avoit pris le parti de venir chercher du
»fecours à Paris , n'ayant pû trouver aucun
» foulagement à Rouen , à Dieppe , ni au
2 Haz
JANVIER. 1741. 69
» Havre , chacun des Dentiftes que l'on
» confultoit faifant entrevoir un danger iné-
» vitable du côté de la vûë , fi on arrachoit
» la dent oeillere , qui étoit une des fources
» de la maladic ; cependant le mal étoit
93
"
empiré au point que les tempes , les yeux ,
» les oreilles , & toute la tête étoient affec-
" tés , de façon qu'elle ne pouvoit faire
ufage d'aucun aliment folide ; des boüillons
, des confominés & autres chofes de
cette efpece faifoient toute fa nourriture
» depuis deux ans ; heureuſement pour elle ,
» le fieur Bunon paffa par occafion au Pon-
» teau- de-mer , il fut apellé comme les au-
» tres ; il examina la bouche de la malade ,
» & lui dit que tout le mal ne provenoit que
» de la carie de plufieurs dents , entr'autres
» de deux , fçavoir l'oeillere & celle d'à
» côté ; en un mot il parla avec tant de con-
» fiance fur la sûreté de l'opération , que
» Madame de Butenval , heureufement fé-
» duite par fes raifons , confentit à laiffer ti-
» rer les dents néceffaires à la guérifon , qui
» eut une parfaite réuffite.
J'ai communiqué cette Lettre à M. Bunon
, qui n'a pas été infenfible au bon témoignage
qu'on rendoit de fa capacité ; il
m'a raconté que quelque tems après cette
opération , il avoit paffé en Flandres , où
Meffieurs les Magiftrats de Cambrai lui
D vj
70
MERCURE
DE FRANCE
avoient donné une penfion pour le fixer
dans leur Ville , mais qu'il avoit préferé le
grand théâtre de la Capitale comme l'endroit
le plus propre pour tirer parti de fes talens ;
en effet il s'y eft fait connoître pour un homme,
très- expert , & j'ai fçû par moi - même
que Mademoiſelle Mielot qui eft auprès de
Madame la Ducheffe Doüairiere de Mortemart
, Madame Nivet rue du Sepulchre , &
Mademoiſelle Barbery , fe fçavent très- bon
gré aujourd'hui de l'avoir confulté fur l'extirpation
de la racine de la dent oeillere
qu'on leur avoit dit être fi dangereufe ; il la
leur a ôtée , & il n'en eſt arrivé autre choſe
que la ceffation du mal & des fluxions qu'elle
caufoit à chacune , &c.
Vous voyez , M. qu'il m'a fallu bien du
tems & bien de la patience pour porter conftamment
avec moi le mal qui me tourmen .
toit , pendant tout le tems de ces perquifitions
; mais enfin jai voulu me fatisfaire ,
& ce qui eft de plus confolant pour moi ,
c'eft que je fuis guéri , je n'ai plus de dents
cilleres , mais je m'en paffe fort bien , en récompenfe
les autres font en très - bon état
de forte qu'à préfent je ne fuis plus fi inquiet
que je l'ai été pendant deux ans , & c.
Ma Lettre s'allonge fans que j'y penfe
, cependant je yeux vous dire encore
deux mots du fieur Bunon ; outre la
Capa-
1
JANVIER. 1741 7 ፤
capacité que je lui connois , il a encore une
qualité qui me charme , c'eft fon défintereſfement
; toutes fortes de perfonnes font reçûës
gratuitement chés lui pour faire vifiter
leurs bouches de tems en tems. Pour ce qui
eft des opérations & des remedes , on paye
fi on peut ; il a même averti dans fes adreffes
que les perfonnes non aifées ſont ſecouruës
gratuitement , ce terme de non aifées ,
comme il me l'a expliqué lui - même , ne regarde
pas feulement les pauvres , mais encore
nombre d'honnêtes gens à qui la fortune
ne met pas toujours l'argent à la main ;
combien y a- t'il de jeunes gens qui laiffent
déperir leurs dents , ce meuble fi précieux
à l'humanité , faute d'un pareil ſecours ?
Combien de jeunes filles qui feroient bien
pourvues , & qui pourroient quelquefois
entrer au fervice de Dames de confideration
, qui ſouvent ne font rebutées que parce
que les dents anciennement négligées infectent
à la fin la bouche , & rendent les perfonnes
infuportables Voilà précisément
ces perfonnes non aifées à qui le fieur Bunon
offre gratuitement des fecours , & ne
croyez pas que ce gratis diminuë chés lui
la politeffe & toute l'attention qu'il a
pour les Sujets qu'il traite . Je l'ai vû “ affés ,
pour connoître fon caractere. Je fuis, M. & c.
.
ETRENNES
72 MERCURE DE FRANCE
ETRENNES à S. A. S. M. le Come
de la Marche : Sur l'Air des Triolets .
Bon jour , bon an , bonheur parfait ,
On
Augufte Comte de la Marche ;
Soyez pleinement fatisfait ;
Bon jour , bon an , bonheur parfait.
Qu'en vous pour charmer tout foit fait ,
Et qu'avec vous la vertu marche :
Bon jour , bon an , bonheur parfait ,
Augufte Comte de la Marche.
•
Illuftre Rejetton des Lys ,
Brillez de cent dons admirables
Suivez vos Ayeux accomplis ,"
Illuftre Rejetton des Lys ;
;
Que vos jours très - longs foient remplis
Des Faftes les plus honorables :
Illuftre Rejetton des Lys ,
Brillez de cent dons admirables.
Cueillez les Lauriers éclatans
Du cher Auteur de votre vie ;
Des coups d'effai de fon printems
Cueillez les Lauriers éclatans :
Que
JANVIER: 71 1741.
Que les plus fameux Combattans
A vos Exploits portent envie !
Cueillez les Lauriers éclatans
Du cher Auteur de votre vie.
QUESTION.
OUT le Monde fçait combien la fumée
du Charbon de bois eft dangereuſe
pour les perſonnes qui font exposées à
la fouffrir ailleurs que fous une cheminée .
Les maux de tête , les vertiges , les évanouiffemens
font fes effets ordinaires ; on affûre
même qu'étant humée avec excès , & furtout
pendant le fommeil , elle a fouvent
caufé la mon.
On eft en ufage prefque partout de mêler
parmi le Charbon quelques morceaux
de fer qu'on prétend avoir la vertu de corriger
cette malignité. On demande s'il eft
vrai que le fer ait cette proprieté , ou fi c'eſt
une erreur populaire ; & fupofé la vérité du
fait , on prie les Phyficiens pour l'utilité du
Public , de défigner à peu près , 1 ° . Quelle
quantité de fer il faut mettre par proportion
à la quantité du Charbon. 2°. S'il le faut
mettre deffus , au milieu , ou au - deffous du
Charbon: 3 ° . Si ce fer, à force de fervir à cet
ufage
74 MERCURE DE FRANCE
uſage , conſerve toujours cette qualité , s'il
peut la perdre ou l'augmenter. 4° . Une explication
phyfique de la fympathie ou antypathie
du Charbon avec le fer , fondée fur
quelque experience ou fur quelque plaufible
conjecture. 5. Si le verre peut produire le
même effet que le fer , comme bien des
gens le pratiquent,
*北k斗kkkkkkkkkkkkk
LES TROIS AMANS ,
OU L'INDULGENCE NECESSAIRE.
FABLE.
UNE Belle avoit trois Amans ,
( C'eût été trop fous Henry quatre )
Mais comme on va felon le tems ,
Elle n'en vouloit rien rabattre.
Tous trois l'aimoient avec ardeur ;
Pouvoit- elle en faire de même ?
En aimer trois ! n'avoir qu'un coeur !
Je laiffe à juger ce problême.
A l'un , c'étoit un doux regard ,
A l'autre , quelque agacerie ,
D'autrefois un mot à l'écart ;
Manége ufé , mais qu'on varie.
Babet
JANVIER . 17413 75
Babet fe croyoit tout permis ,
Hors ce que permet le Notaire ;
Une Lettre , un baifer promis ,
Lui paroiffoient faute légere.
Mais trop franche pour les duper
Et pour le déguiſer trop neuve ,
Babet , fans vouloit les tromper ,
A fa mode en faifoit l'épreuve.
>
Ils preffoient , ils vouloient tous trois
Par l'Hymen décider l'affaire ;
L'embarras étoit dans le choix :
Peignons ici leur caractere .
L'un étoit tendre , mais jaloux ,
Jaloux avec délicatefle ;
L'autre fage , difcret & doux ,
Mais fçachant le prix de l'efpece.
Le dernier auroit eu beau jeu ,
Le teint brun , la bouche vermeille ,
L'air ouvert , les yeux pleins de feu ,
Mais il aimoit trop la bouteille.
Chacun , du défaut reproché
Promettoit la prompte réforme ;
Mais un bel oeil , s'il n'eft touché ,
Fait d'une tache un vice énorme.
Ok
76 MERCURE DE FRANCE,
2
Oh- çà , Babet , lui dit un jour
Un Parent qui l'avoit vû naître ,
J'y confens , cedez à l'Amour ,
Mais de fa main prenez un Maître.
Un feul ici doit être heureux ;
Ce qui fut , je crois , badinage ,
Deviendroit un défordre affreux ,
Optez , j'y joins mon héritage .
Tout eft vú , vous prêchez en vain ;
Dit-elle , & fi je deviens femme ,
Aucun des trois n'aura ma main ,
Je les garde par bonté d'ame.
Non , je ne prendrai pour époux
Avare , yvrogne , ni jaloux ;
Encore un , mon oncle , & d'avance
Comptez fur mon obéiffance .
De ce caprice hors de faifon
Il lui fit voir l'erreur étrange :
Entre l'orgueil & la raifon
Parfois la Beauté prend le change .
L'oncle fans fruit fe courrouça ,
Mais Babet étoit obstinée ;
Bien-tôt le Trio s'éclipfa :
Adieu l'Amour & l'Hymenée.
Belles ,
JANVIER: 1741 77
Belles, faut- il s'en étonner
Vos coeurs font moulés fur les nôtres &
Nous voulons tout nous pardonner ,
Nous ne pardonnons rien aux autres .
J. CLEREAU , de Saumur.
**************************
QUESTION IMPORTANTE de Subrogation
, jugée au Parlement de Paris.
Si
pour
rem I celui qui prête fes deniers
bourfer à un ancien créancier le principal
d'une rente & les arrérages qui en font
dûs , & auquel le débiteur conftitue une
rente pour toute la fomme qu'il prête , peut
ftipuler que dans la quittance de rembour
fement on le fera fubroger à l'ancien créancier
, & fi le débiteur peut être condamné
à rembourfer le nouveau créancier , faute de
lui avoir aporté la quittance d'emploi portant
fubrogation.
FAIT.
Nicolas de Launoy devoit à differens
Particuliers cinq parties de rente conftituées
au denier 20. montant enfemble à 141 liv.
& les principaux à 2827 liv. Il en devoit en
1720. 700 liv. d'arrérages.
Pour
78 MERCURE DE FRANCE
Pour rembourfer le principal & ces arrérages
, de Launoy & fa femme emprunterent
de la Dame Soudart le 16. Juillet 1720.
3500 liv . en Billets de Banque déja décriés
pour lefquels ils conftituerent 70 liv. de
rente , déclarant que l'emprunt étoit pour
amortir dans un mois les cinq parties de
rente qu'ils devoient , montant en princi
paux à 2827 liv. & le furplus pour en payer
les arrérages ; ils s'obligerent de déclarer
dans les quittances l'origine des deniers ,
de requerir la fubrogation au profit de la
Dame Soudart , & de lui fournir dans un
mois copie des quittances.
La Dame Soudart étant exactement payée
de fa rente , ne demanda point de quittances
d'emploi. Ce ne fut qu'au bout de 17 ans
& après le décès des Sr & De de Launoy ,
que la Dlle Soudart , fille & héritiere de la
créanciere , demanda aux héritiers de Launoy
le remboursement de la rente de 70 liv.
auquel ils furent condamnés par Sentence
du Bailliage de Brezolles , faute de lui fournir
dans trois mois les quittances d'emploi ,
portant fubrogation.
Les héritiers ayant interjetté apel de cette.
Sentence , difoient pour moyens que les Sr
& De de Launoy avoient réellement employé
les 3500 liv. à rembourfer les cinq
parties de rente qu'ils devoient ; que fi dans
le
JANVIER. 1741. 79
les quittances d'emploi , on n'avoit pas déclaré
l'origine des deniers , ni requis la fubrogation,
c'eſt que, mieux inftruit alors des
regles que lors de l'emprunt fait en 1720 .
on avoit reconnu que la fubrogation ne
pouvoit avoir lieu au profit de la De Soudart
, & qu'on la ftipuleroit inutilement
dans les quittances d'emploi.
En effet , difoient- ils , la fubrogation fait
entrer le nouveau créancier au lieu & place
de l'ancien , avec tous fes droits , privileges
& hypoteques.
Pour fubroger le nouveau créancier , il
faut qu'il n'y ait pas de novation , autrement
les privileges & hypoteques de l'ançien
créancier font éteints.
Et pour qu'il n'y ait pas novation , il faut
que la condition du débiteur foit la même
dans la nouvelle obligation , que dans l'ancienne
, ou du moins qu'on ne la rende pas
plus onéreufe ; que le débiteur ne fafle que
changer de créancier , fans qu'il y ait proprement
aucun changement à la créance :
enforte que la nouvelle obligation doit être
fajte eadem vel mitiori conditione , fuivant du
Molin de ufuris , n. 276. & 27.7 . & de Renuffon
de la fubrog, ch. 14. n. 8 .
!
De ces principes , il réfulte que celui qui
prête fes deniers pour rembourfer des arrérages
de rente , ne peut pas en même tems
être
80 MERCURE DE FRANCE
être fubrogé à l'ancien créancier & faire pro
duire à fes deniers une autre rente ; il peut ,
ou fe faire fubroger à l'hypoteque , pourvû
qu'il ne ftipule pas la rente de fes deniers ,
ou s'il veut en ftipuler la rente , il le peut ;
mais en ce cas il ne peut être fubrogé à l'ancien
créancier , autrement il auroit plus de
droit que lui , & feroit ce que ce créancier
lui-même ne pourroit faire.
On apuyoit cette propofition fur la Loi 1 .
ff qui potiores , & fur la Loi fecundus cod.
depignor. qui permettent dans ce cas de ftipuler
la fubrogation , mais qui refuſent au
nouveau créancier l'interêt des deniers qui
ont fervi à rembourfer des arrerages .
Si la fubrogation avoit lieu dans ce cas ,
non feulement la condition du débiteur deviendroit
plus dure qu'elle n'étoit envers
l'ancien créancier , mais ce feroit une voye
pour fruftrer des créanciers intermediaires ,
en donnant à une nouvelle rente une an
cienne hypoteque. Auffi Renuffon eftimet'il
que la fubrogation ne peut avoir lieu
dans ce cas.
Peu importe qu'elle ait été promife lors
de l'emprunt ; c'étoit une claufe vicieuſe
impoffible dans l'execution , impoffibilium
nulla eft obligatio.
Les héritiers ajoutoient que la Dlle Soudart
avoit des furetés plus que fuffifantes ,
puifque
JANVIER.
81
1741.
de
puifque les biens hypotequés étoient de valeur
de plus de 400 liv. de revenu annuel ,
& que la rente en queftion n'étoit que
70 liv. que la Dlle Soudart étoit exactement
payée de fa rente , & n'étoit inquietée par
aucun créancier; qu'ils fe foumettoient en cas
qu'il en parût quelqu'un , de la rembourfer,
De la part de la Dlle Soudart , on difoit
que dans le fait la Dame fa mere n'avoit prê
té fes deniers qu'à condition d'être fubrogée
aux anciens créanciers , & que les Sr & De
de Launoy s'étoient expreffément obligés
à déclarer l'emprunt dans les quittances
d'emploi & à requerir la fubrogation ; que
les quittances de remboursement qui étoient
raportées ne faifoient aucune mention d'emprunt
ni de fubrogation ; qu'elles n'étoient
la plupart que par extrait , ce qui donnoit
lieu de foupçonner que les deniers de la Dame
Soudart avoient été employés à autre chofe ;
que d'ailleurs on ne raportoit pas toutes les
quittances de rembourfemens ; qu'il falloit
par conféquent exécuter le Contrat , finon
rembourfer la rente , attendu l'inexécution
de la claufe , fur la foi de laquelle les deniers
avoient été prêtés.
Dans le droit , on diftinguoit deux fortes
de fubrogations , celle qui eft émanée du
créancier & celle qui vient du débiteur.
La fubrogation qui vient du créancier ne
peut
82 MERCURE DE FRANCE
eadem peut être faite que vel mitiori conditione
, parce que c'eft proprement un transport
de l'ancienne créance , & l'ancien
créancier ne peut pas ceder plus de droit
qu'il n'en avoit.
que
Mais dans la subrogation qui eft accordée
par le débiteur , celui qui prête ses deniers
n'eft pas proprement subrogé à l'ancienne
créance , il n'eft subrogé qu'aux hypoteques
; en quoi il n'y a rien contre les regles ,
parce que le débiteur eft le maître de réserver
l'ancienne hypoteque en faveur du nouveau
créancier , & ne fait en cela aucun
préjudice aux créanciers intermediaires.
Il n'y a point d'exception à faire pour la
portion des deniers , qui a servi à rembourser
les arrérages dûs aux anciens créanciers ;
l'Edit du mois de May 1709. autorife dans
ce cas la subrogation du nouveau créancier
aux hypoteques de l'ancien , tant pour la
somme qui a servi à rembourser le principal ,
que pour celle qui a servi à payer les arrérages.
Et dans l'espece , la subrogation pourroit
d'autant moins être critiquée qu'elle n'avoit
point rendu la condition du débiteur plus
dure , ni celle des créanciers intermediaires
plus fâcheuse , puisqu'au lieu de 141 liv . de
rente , que les Sr & De de Launoy devoient
à leurs anciens créanciers , ils n'avoient cons
titué
JANVIER. 1741 83
titué à la Dame Soudart que 70 liv. de rente
tant pour la portion des deniers qui avoit
fervi à rembourfer les principaux , que pour
celle qui avoit servi à rembourser les arrérages
, ensorte que la condition que demandoient
les Apellans , que la subrogation fût
faite eadem vel mitiori conditione , se trouvoit
remplie.
Par Arrêt rendu en la Troifiéme Chambre
des Enquêtes, au Raport de M. Regnault d'Irval,
la Sentence du Bailliage de Brezolles a été
confirmée , & néanmoins la Cour a ordonné
que dans le cas où les Apellans ne raporteroient
pas les quittances d'emploi , portant
subrogation , ils ne seroient tenus de faire
le remboursement des 3500 liv. qu'en deux
payemens égaux , sçavoir moitié dans cing
ans , & l'autre moitié dans dix ans.
•SIE DIE BIO KIONO
EPITRE
AM. l'Abbé D* P**' demeurant à Paris ,
imitée de celle d'Horace à Fufcus- Ariftius.
L. I. Ep. 10.
L'AMI de la Campagne à l'Ami de la Ville ;
Salut d'Horace (a) : ici la Morale & le Stile
(a) Ab illo fumpsi quod conveniret mibi :
Quod me non poffe meliùs facere credidi
* Imit. d'Afranius.
E Vont
84
MERCURE DE FRANCE
Vont faire, cher Abbé , fans te déguifer rien ,
L'eloge de mon goûr , la critique du tien.
Or , c'est en ce point feul que nous fommes contraires.
Au furplus , reffemblans à peu près comme freres ,
Qui furent enfantés dans le même moment ,
Nous penfons , nous parlons tous deux également.
Tout ce qui choque l'un choque l'autre de même ;
Et l'ua fe fait honneur d'aimer ce que l'autre aime.
Vrai couple de Pigeons unis depuis long- tems ;
Toi, tu gardes le nid ; moi , je me plais aux champs ,
J'aime à voir des rochers, des ruiffeaux , des prairies,
Et des bocages verds , & des plaines fleuries.
Je vis , je regne enfin loin du Louvre & des lieux
Que vous autres captifs élevez jufqu'aux Cieux .
A quiconque veut vivre exemt de l'eſclavage ,
Paris,tout beau qu'il eft , plaira moins qu'un Village;
Paris , que je n'ai vû que durant quinze jours , (4)
Et que probablement j'ai quitté pour toujours.
Semblable , ou peu s'en faut, dans cette conjoncture,
Au Moine qui déferte en ſecret la clôture ,
Pour être libre hélas ! j'aurois bien préferé
Le pain d'orge tout fec au pain blanc tout beurre.
Si l'on cherche à mener une vie agréable
Conforme à la Nature , & partant défirable ;
>
(a) Depuis le 1. jufqu'au 15 Novembre 1737-
Si
JANVIER. 1741: 89
Si l'on cherche un lieu propre à bâtir un Logis ,
Quel autre lieu doit - on choiſir , à ton avis ,
Que l'heureuſe campagne en agrémens féconde ?
Eft - il donc , cher Abbé , quelque endroit dans le
monde
Où l'on reffente moins la rigueur des hyvers ;
Où le badin Zéphir , voltigeant dans les airs ,
Par un foufle plus doux ralentiffe & tempere
Du Chien (a) & du Lion (6 ) la chaleur meurtriere,
Si-tôt que ce dernier a reçû le Soleil ?
Eft-il quelque autre afile où l'aimable ſommeil
Se trouve moins en bute à la cruelle envie
Du ſouci , vrai tyran des plaiſirs de la vie ?
Quoi ,donc! l'herbe des prés a- t'elle moins d'attraits
Que les pavés brillans des fomptueux Palais ?
Quoi ! lorſque je prens l'air fur un Mont (c) d'où ma vûë
Du cher Pays natal parcourant l'étenduë ,
Découvre l'abregé de ce vafte Univers ;
Ici , d'heureux fillons , là , des herbages verds ;
Au levant , l'onde amere ; au couchant , des montagnes
;
A mes pieds , un bois fombre, & plus loin , des
campagnes ,
(ab ) Constellations .
(c) Le Mont d'Huberville & le Mont-Câtre , voifins
l'un de l'autre , entre Vallogne & Montebourg
dans la Prefqu'Ifle du Cotentin , fourniſſent tous les
deux cet agréableſpectacle.
Eij
Des
$ 8 MERCURE DE FRANCE
Des Clochers , des Hameaux , un Bourg, une Cité ,
Mille Objets amufans par leur diverfité ;
Vois - je moins de beautés que n'en offre un Théatre
, (a)
Où fe vendent les jeux d'une Troupe folâtre ;
Où l'on court admirer les menfonges de l'Art ,
Les charmes fpécieux & du Luxe & du Fard ,
Des accords féduifans , des maximes coupables
Bes Prodiges fondés fur les plus vaines Fables
Des Héros avilis par l'amour le plus fou ,
Et des Dieux en danger de fe rompre le cou ›
Quoi cette Eau qui de loin dans les Cités n'ar
t rive
Qu'en tachant de percer le plomb qui la captive ; '
Cette Eau , que l'Art conduit fi tiranniquement
Vainc- t'elle en pureté celle qui , librement
De fon lit naturel fuivant toujours la pente ,
Avec un doux murmure en nos vallons ferpente
A Paris même , on priſe un Palais d'où les yeux
Se promenent au loin fur des champs fpacieux..
Dans les jardins des Grands , parmi les plus beau
marbres ,
On plante des buiffons , on éleve des arbres.
{
(a) L'Auteur ne pouffe point la ftoïcitéjusqu'au
point d'être tout- à -fait infenfible aux beautés de l'Opera
, qu'il a vû avec plaifir ; mais il ne sçauroit accorder
à certaines Perfonnes que cette merveille de
PArt foitplus admirable que la Nature même.
La
JAN VI E R. 1741
87,
La Nature , en effet , ne peut changer fon cours.
Chaffée à coups de ( a) fourche , elle revient toujours.
Elle vainc nos mépris ; & fes graces fuprêmes
Se font aimér de nous en dépit de nous -mêmes.
Le Marchand , dont l'obfcur & plat difcernement
D'un criſtal affés vil & d'un fin Diamant
Voit mal la difference & réelle & palpable ,
Ne fera point de perte auffi confiderable
Que celle que fait l'homme aveugle en fes défauts;
Qui ne peut difcerner le vrai d'avec le faux.
Celui qui dans fon coeur conçoit trop d'allegreffe ,
Lorfqu'amicalement le Deftin le careſſe ,
Se fentira bleffé du plus mortel ennui ,
Quand le même Deſtin s'armera còntre lui.
Ami , fi quelque chofe en ce monde t'enchante
La perte t'en fera beaucoup plus affligeante.
Evite la grandeur : on peut , fous d'humbles toîts
Surpaffer les Rois même & les amis des Rois .
Jadis le Cerf vaillant , d'un commun pâturage
Ecartoit le Cheval , moins rempli de courage.
Las de toujours combattre & de perdre toujours ,
Celui - ci va de l'Homme implorer le fecours ;
Et , jouet infenfé de l'erreur qui le guide ,
Pour la premiere fois il reçoit une bride.
Mais quand notre Guerrier de la forte affermi
Eût pleinement vaincu le Cerf fon ennemi ,
(a) Naturam expellas Furca , &c.
E iij
I
88 MERCURE DE FRANCE
Il ne put détacher, bien qu'agile & farouche ,
Ni l'Homme de fon dos , ni le frein de fa bouche .
Ainfi , dès qu'un Mortel , craignant la pauvreté ,
Engage folement fa propre liberté ,
Ce précieux tréfor aux Métaux préferable ,
I portera dès-lors un maître inexorable
Et dès-lors il vivra captif & dépendant ,
>
Parce qu'il n'a pas fçû de peu vivre content.'
A moins qu'à notre état notre bien ne convienne ;
Trop petit , il nous brûle , il nous met à la gêne ș
Trop grand , il nous expofe à faire cent faux pas ,
Tel qu'un méchant foulier qui ne nous convient
pas.
Satisfait de ton fort , vis donc avec fageffe ;
Et ne m'épargne point fi jamais je m'empreffe
D'amaffer plus de bien qu'il ne m'en faut avoir ;
Pour foutenir ma vie & pour ne rien devoir.
L'argent, Maître ou Valet, peut fervir & peut nuire,
Digne d'être conduit plutôt que de conduire.
Affés près d'un vieuxTemple ouvert de grand matin
Où Saint Marcou reçoit les voeux du Cotentin ,
J'ai rimé , cher Ami , l'Ecrit que je t'envoye.
Ta préfence en ces lieux manque feule à ma joye.
F. M. F.
AS. Marcon de l'Ile en Cotentin le 30 Mai
1740.
QBJANVIER.
1741. 89
OBSERVATIONS adreffées à M. Boëry
Chanoine de Villeneuve - lès - Avignon , touchant
la Machine proposée pour regler les
Airs de Mufique.
V
Ous m'avez demandé mon fentiment,
M. fur la Machine dont il eft parlé à la
page 2038.du Mercure de Septembre dernier.
J'aurai l'honneur de vous dire qu'elle feroit
peut- être plus utile qu'on ne penfe , fi étant
portée à un certain degré de perfection , elle
pouvoit fervir de regle fondamentale pour
l'exécution de toute forte de Mufique . Le
premier objet de cette invention n'a d'abord
été que de foulager ceux d'entre les Com
mençans , qui n'ayant pas toujours le fecours
d'un Maître , font quelquefois embarafſés ſur
la durée qu'ils doivent donner à chaque genze
de mefure. Elle paroît donc inutile pour
les perfonnes plus avancées , qui ne confultent
que leur goût , quand elles chantent en
particulier , & qui dans les Concerts ordinaires
fuivent aveuglément la meſure du Maître.
Mais fi nous confiderons qu'il y a autant
de goûts differens que de têtés differentes ,
nous ferons contraints d'avouer que de cinquante
Maîtres qui feront exécuter la même
Piéce , à peine s'en trouvera- t'il deux qui la
E jiij battent
go MERCURE DE FRANCE
battent du même mouvement ; un feul peut
être entrera dans le véritable efprit de fon
Auteur , & quelques - uns s'en écarteront
tellement, qu'il méconnoîtroit lui - même fon
Ouvrage fous cette mefure étrangere . Un
feul exemple fuffira pour déveloper ma penfée.
La Sarabande & le Menuet notés , ne pré
fentent point à mes yeux d'autre difference
que celle de leur nom . Même figne au commencement
, même nombre , même valeur
de nottes dans chaque mefure & même
nombre de mefures dans chacun de ces deux
Airs ; tout contribue à mon incertitude . Si
je bats le Menuet trop lentement , j'en fais
une Sarabande; celle - ci battue trop couramment,
devient un mauvais Menuet, & l'un &
l'autre perd également de fa beauté, pour peu
que je m'éloigne du jufte milieu qui leur
convient. Quel guide dois - je donc confulter
qui puiffe donner à ma main le mouvement
précis que je demande ? Un bon Maître , me
direz-vous. Mais les bons Maîtres font- ils fi
communs , & parmi ceux qui paffent pour
l'être , en eft- il quelqu'un affés fûr de fon
fait pour ne pas mettre quelques minuttes.de
plus ou de moins en quatre ou cinq fois qu'il
chantera la même Sarabande , ou tel autre Air
tendre qu'on voudra ? Voudroit- il être jugé
par une Pendule à fecondes , & parier une
fomme confidérable ? Mais
Mais s'il eft vrai que l'homme le plus attentif
ne fçauroit chanter deux fois le même
Air dans le même intervalle de tems , & fi
chacun y en met plus ou moins , ſuivant la
vivacité ou la molleffe de fon tempérament,
il n'eſt pas moins vrai que ce feroit fournir à
la Mufique la feule chofe qui femble lui
manquer , que d'établir une règle fixe ,
quelle on pût comparer fes divers mouvemens
quand on feroit dans le doute.
à la-
Les inefures & les poids font differens dans
chaque Province ; mais le Poids de marc &
le Pied de Roy , font uniformes dans toute la
France , & chacun eft libre de confronter les
mefures & les poids particuliers de fon Pays.
Il en eft de même dans la Mufique pour l'accord
des Inftrumens ; vous fçavez mieux que
moi, que ceux qui font à cordes n'ont point
de ton fixe , & chacun peut les accorder à
fa façon , mais les bons Inftrumens à vent ,
comme Flutes , Baffons , Hautbois , Orgues
&c. font tous montés fur le ton de Chapelle ,
& nous pouvons par ce moyen en Province,
quand bon nous femble , chanter précisément
fur le même ton qu'à Paris. Pourquoi
ne cherchera -t'on pas le moyen de nous faire
chanter avec la même précifion & la même
jufteffe de mouvement que les premiers Maîtres
du Royaume ? Quelle fatisfaction pour
an Auteur , s'il pouvoit communiquer for
E v Ouvrage
92 MERCURE DE FRANCE
Ouvrage dans toute fa perfection ! quelle
consolation pour ceux qui chantent , s'ils
pouvoient être affûrés qu'ils rempliffent parfaitement
tout ce que l'Auteur a eû en vûë !
La Machine que je viens de citer , M. nous
fournit l'idée de celle qu'on devroit imaginer
pour déterminer d'une maniere conftante
& invariable la durée de chaque genre de
mesure ; mais je ne crois pas qu'elle puiffe
être praticable dans la forme fous laquelle
M. F. de M. nous la présente.
Permettez que je vous faffe part là defus
d'unc Invention , qui me paroît plus facile à
pratiquer , plus sûre & moins dispendieuse.
Je ne la proposerai d'abord que comme devant
fervir aux Ecoliers , en l'absence de leur
Maître , il ne me fera pas difficile après cela
d'indiquer les moyens d'en rendre l'usage
plus géneral.
Suposons que j'ai actuellement dans ma
chambre un habile Muficien , fur lequel je
puiffe entierement compter pour la véritable
durée qu'on doit donner à chaque genre de
mesure. Je forme le deffein de lui enlever
pour ainfi- dire, cette bonne qualité , & je me
fers pour cela d'un ( 1 ) Pendule libre , de la
maniere qui fuit.
Je plante un clou dans un foliveau , en-
( 1 ) C'est un Poids attaché à un cordon mince ,
qu'on laiſſe balancer dans un Air libre.
1
viron
viron vers le milieu du plancher , & un autre
dans la muraille , à portée de ma main ; je
prends un petit poids ( 2 ) rond de plomb, que
j'attache au bout d'un petit cordon treffe ( 3 )
à quatre , d'une longueur indéterminée ; je
páffe ce cordon fur le clou du plancher , &
j'arrête fon autre bout au clou de la muraille,
ensorte que le poids demeure fuspendu. Je
prie ensuite mon homme de chanter un Menuet
en battant la mesure à ſa façon; je mets le
petit poids en mouvement & je l'abandonne
pour prendre l'autre bout du cordon , que je
lâche ou retire insensiblement , jusqu'à ce
que chaque vibration de mon Pendule libre
foit parfaitement égale à chaque mesure du
Menuet.
Cela étant fait , je mets une boucle ou un
anneau à l'endroit du cordon qui répond au
clou de la muraille , pour pouvoir l'accrocher
uniformément toutes les fois que je
voudrai. Je fais chanter au Muficien d'autres.
Airs de toute espece , & je mets autant de
boucles differentes au cordon , qu'il y a de
differentes mesures à déterminer.
Voilà , ce me femble , M. le moyen le plus
(2 ) Il faut donner cette figure au poids , fi l'on veut
qu'il balance en droite ligne fans fe détourner.
(3 ) Un fil ordinaire ne peut.pas fervir pour cela ,
parce qu'il s'allonge à mesure qu'il tourne pour fe détordre.
E vj fimple
94
MERCURE DE FRANCE
fimple , le plus facile à executer , le moins
fujet à fe déranger , & le moins difpendieux
qu'on puiffe imaginer pour pouvoir battre
toujours uniformément la mesure de tel Air
qu'on voudra.
Si je veux , par exemple , chanter une Sarabande
, j'accroche la boucle qui lui convient
, j'agite le Pendule libre , qui par (4 ) la
régularité de fes vibrations , me conduira
bien avant dans mon Air , & fi je n'ai pas
l'adreffe de continuer une mesure que j'aurai
fi bien commencée , je réveillerai de tems en
tems le Pendule,pour m'aider à l'achever.Mais
il faut être bien Ecolier pour ne pas fçavoir
poursuivre la mesure d'unAir de mouvement,
quand on eft une fois en train. Toute la dif
ficulté confifte dans le début , & le Pendule
fuffisant
libre que je propose
, eft
plus
que onces
pour cela , puisqu'un poids de deux onces
au bout d'un cordon de trois pieds & demi
de longueur , fait plus de 400. vibrations
très diftinctes , avant qu'il foit néceffaire de
lui redonner le mouvement.
Voilà , M. un moyen bien facile pour fe
fatisfaire à peu de frais. Plus de Baffins, plus
(4) Les vibrations du Pendule libre parcourent en
des tems égaux des espaces inégaux , enforte que les
plus grands ne durent pas plus que les plus petits .
C'est une vérité qui n'eft pas affes connue des Ouvriers
qui s'enferviroient utilement dans bien des occafions.
de
JANVIER. 1741. 95
de Pompe , plus de Tube , plus de Bouteille 】
plus de Boëte à Pendule , plus de Chainettes ,
plus de Cadrans, &c . Deux onces de plomb,
un petit cordon de 4. à 5. pieds de longueur,
& quelques momens de loifir de la part d'un
bon Muficien , vont produire un Inftrument
fi fimple , qu'il pourroit en un besoin être
envoyé dans une Lettre par la Pofte .
Mais il eft bon d'observer ici que, comme
la longueur de ce Pendule deviendroit incommode
dans certaines occafions , on peut
l'abreger & le réduire de façon qu'il n'excedera
pas la longueur de cinq pieds , en donnant
aux différentes mesures tantôt une,
tantôt deux , tantôt trois , & même quatre
vibrations,fuivant l'exigence des cas . Trouvez
bon que je vous représente ici un Modele de
ce Pendule réduit , dans lequel je n'ai gardé
aucune proportion. Voici l'Explication des
Caracteres qui font marqués à côté des differentes
boucles.
La premiere & la plus haute de ces boucles
, présente un 3.à main gauche, & rien à
main droite , c'eft -à- dire , que le Pendule
étant fuspendu ou accroché par cette premiere
boucle , chaque vibration vaudra une mesure
à trois tems légers .
La feconde présente un 2. à main gauche ,
& à main droite ; c'eft à dire que le Pendule
étant accroché par cette feconde boucle
MERCURE DE FRANCE
cle , la vibration ne vaudra qu'une demi- mez
sure , ou un tems .
I
La troifiéme boucle porte la marque de
quatre tems à main gauche , & à main
droite , c'est- à- dire que le Pendule étant fuspendu
par- là , chaque vibration ne vaudra
que le quart de la mesure , ou un tems.
Il feroit inutile de vous expliquer les caracteres
des autres boucles , il fuffira de vous
avertir que ce n'eft ici qu'un Modele purement
figuratif, dans lequel j'ai placé au hazard
les premieres mesures qui me font venues
dans l'esprit.
Vous m'allez dire , M. que tous ces diffe
rens Pendules , faits par differens Maîtres ,
feront tous differens entre eux, & meilleurs ou
moins bons , par proportion à l'habileté de
celui qui les aura tracés . J'en conviens avec
vous , mais comme il y a plufieurs degrés
entre la parfaite & la mauvaise exécution
d'une Piece , ces Pendules differens auront
tous leur utilité particuliere pour les personnes
qui s'en ferviront.
Cependant , pour profiter de l'occafion
que me fournit votre remarque , j'aurai
T'honneur de vous dire que , fi cinq ou fix
Maîtres, des plus fameux de Paris , vouloient
fe donner la peine d'établir une Regle génerale
( qui ne manqueroit pas d'être adoptée
dans les Provinces, comme il arrive journellement
JANVIER.
1741. 1 97
3
-10
141
32
38a
12
- +
804
28 MERCURE
DE FRANCE
nellement pour toute autre chose ) il ne leur
faudroit que quelques heures d'amusement
pour en venir à bout ; car en examinant entre
eux le goût des differentes Piéces , & la
durée de chaque espece de mesure , ils marqueroient
des points fur le cordon par mesure
, demi mesure , tems , & c . comme ils
trouveroient bon , & après qu'ils fe feroient
féparés , l'un d'eux , chargé de la commisfion
, rendroit ce Pendule géneral de la maniere
qui fuit.
Suposons que le poids de ce Pendule fût
de plomb, de deux onces poids de marc, d'une
figure ronde ou cylindrique , & bien fuspendu
par fon centre , celui qui feroit chargé
du foin d'en rendre l'usage universel , n'auroit
qu'à mesurer par pouces & par lignes fur
un pied de Roy , les differentes diſtances
qu'il y auroit depuis & compris le poids jusques
à chaque point marqué pour chaque
mesure, & en mettre la Notte par écrit, pour
la rendre ensuite publique par les voyes ordinaires.
Suivant cette fupofition , M. qui me paroît.
très -fimple , chacun pourroit dans toute l'étendue
du Royaume , fe fabriquer un Pendule
parfaitement égal à celui dont je viens
de parler , puisque le Poids de Marc & le
Pied de Roy font uniformes par tout ... Les
Compofiteurs , pour diftinguer les differens.
mouve
JANVIER . 1741: 99
mouvemens d'un même figne ( 5 ) de mesure,'
au lieu de marquer leurs Ouvrages par ces
mots gracieusement , légerement , tendrement ;
vité , très- vite , lentement , gai , mesuré , &c .
dont la fignification eft fi vague & fi indéterminée
; les Compofiteurs , dis -je , mar
queroient la mesure de leurs Airs par les
mots fuivans ; après avoir mis le figne ordinaire
de 3. de 2. de quatre , & c. ils ajoûteroient
à 1. vibration de 25. pouces ... à 2 .
vibrations de 30. pouces 6. lignes .... à 4.
vibrations de jo. pouces 3. lignes , & c. ce qui
feroit un moyen sûr & invariable de faire
exécuter les Airs avec la préciſion parfaite
dans laquelle ils auroient été composés.
Au refte , M. je fuis bien éloigné de penfer
qu'on dût faire usage d'un tel moyen dans
l'exécution actuelle d'un grand Concert , ce
feroit gêner le Maître & les Acteurs, & mettre
fouvent le désordre ; il fuffit d'imaginer
que les uns & les autres , mais fur tout les
Maîtres , auroient chés eux un Modele parfait
, fur lequel ils pourroient étudier le véritable
goût de chaque Piéce , pour la faire enfuite
exécuter d'une maniere aprochante.
Faites de tout ceci tel usage que vous ju
gerez à propos. Ces Pendules feroient fort
inutiles , fi tous ceux qui fe mêlent de Mu-
(s) J'apelle Signe le chiffre qu'on met au commen→
cement des Airs pour marquer là mesure.
fique
100 MERCURE DE FRANCE
fique avoient le goût auffi fin que vous ; la
juſtice que tous les Connoiffeurs rendent à
votre Flute , m'eft un sûr garant de ce que
je viens d'avancer . Je ferai trop fatisfait fi
ces refléxions peuvent vous amuser quelques
momens . J'ai l'honneur d'être , M. votre
très humble , & c.
L'Abbé Soumille.
J.
EPIGRAMMES ,
Livre Premier.
Au Roy.
E veux me faire un plaifir délicat
De vous louer fans eſpoir de ſalaire ,
De la Vertu fidele tributaire ,
Je fçais lui rendre un culte fans éclat .
C'eft elle en vous qui régit votre Etat ,
Ses feuls amis font en droit de vous plaire ;
Vous regardez comme un noir attentat
Tout ce qui peut vous la rendre moins chere
Et jeune encor , par fon feul Miniftere ,
Vous gouvernez comme un vieux Potentat ,
;
11.
JANVIER 1741 10%
P
II. Livre II.
Ar tout je trouve à cenfurer ;
En fecret j'en fais la Satyre ;
Ceux que j'aimne me font pleurer ,
Et ceux que je hais me font rire.
III. Livre III.
Voici quelle eft la vie heureuſed
Ne fe point livrer à l'accès
D'une paffion amoureuſe ;
N'avoir ni fertime ni procès
Dans l'indépendance flatenfe ,
Jouir d'un bien très- affûré ,
Sans aparence faſtueuſe ;
Partager fes jours à ſon gré ,
Entre le féjour de la Ville
Et quelque retraite tranquille ;
Avoir des amis , du moins un
D'efprit au- deffus du commun
D'une humeur facile , ingénue,
D'une probité bien connuë ;
Fuir les affaires & les foins ;
Peu de défirs , peu de befoins.
Etre content de fa fortune ;
D'une table faine & commune
Satisfaire fon apétit ;
Dormir
182 MERCURE DE FRANCE
Dormir fept heures dans fon lit
Sans trouble & fans inquietude ;
Ne fe faire aucune habitude
Dont on puiffe fe repentir ;
Ni n'acheter , ni ne bâtir ;
Des fots abjurer le commerce ;
Contre la fortune perverte
Avoir un coeur bien affermi ,
Ne fe faire aucun ennemi ,
Et ne pouvoir hair perfonne ;
Voir tout , fans que rien nous étonne
Se faire une fuprême Loi
D'être toujours maître de foi ;
Mais n'outrer rien dans fa Morale ,
Parler , agir tout uniment ;
Conferver une humeur égale ;
Devoir à fon tempérament
Une fanté très -vigoureuſe ,
Que l'on ménage prudemment ,
Loin de croire la mort affreufe ,
Y penfer , la voir s'aprocher
Sans la craindre ni la chercher ,
Voila quelle eft la vie heureuſe.
D
IV. Livre IV.
Ans ma paifible folitude
Souvent je me plais à rêver ,
Et
JANVIER.
10% 1741.
Et ma Mufe a pris l'habitude
De venir fouvent m'y trouver.
Elle m'aborde fans rien dire
;
Son air eft grave & férieux
L'ennui paroît peint dans fes yeux,
Tout à coup je la vois fourire :
Allons , dit - elle , il faut écrire ,
Sur quoi ? Sur les défauts d'autrui,
Rien ne diffipe mieux l'ennui ,
Que de s'amufer a médire,
V. Livre V.
Epitaphe d'un grand Poëte.
C₁I gît un Homme dont la gloire
Des fiécles atteindra la fin.
Courant au Temple de Mémoire ,
Sur la route il mourut de faim.
VI. Livre VI.
A une Capricieuse.
V Os yeux font doux & careffans ;
Puis dédaigneux ou menaçans ;
Avec vous je ne puis m'entendre.
Votre coeur , quand je croi le prendre ,
M'échape aux moindres incidens.
Morbleu , faites- moi donc comprendre
Si je fuis dehors oy dedans .
VII.
104 MERCURE DE FRANCE
JE
VII. Livre VII.
A un méchant homme:
E me délaffe à peindre un fat
Sa figure plaît , mais la tienne
Eft un ouvrage bien ingrat ;
•
On ne peut , quelque tour qu'on prenne ;
Turlupiner un fcélerat.
Q
0.
Uelques- uns de nos Lecteurs les plplus
délicats , & nous nous flatons que tel
eft le plus grand nombre , trouveront peutêtre
à redire de voir fi fouvent & fi longtems
des Bouts- Rimés remplis fur les mêmes
Rimes. Nous pourrions nous excufer fur
l'abondante moiffon du Mercure , qui doit
au moins quelque accueil à la plupart de fes
Correspondans , mais on fentiroit bien que
ce n'eft pas-là notre meilleure excuse , ainfi
nous nous contentons de demander encore
grace pour les Bouts- Rimés fuivans,
SONNET
JANVIER.
1741. 105
SONNET fur les Bouts Rimés proposés dans
le I. Volume de Décembre 1739. P. 2943.
LE PORTRAIT DE LA COQUETTE ,
Par elle- même.
P Ar mon babil léger j'imite la Péruche
;
Mon maintien libre & vif n'offre rien de Sournois
La volupté préfide à l'air de mon
Minois.
Et je fçais d'un clein d'oeil dreffer plus d'une Em-
Tout Amant qui foupire eft une pauvre
Que j'épuise bien vite en Banquets , en
L'Amour d'un coeur novice échauffe le
Dans mon coeur, aguerri l'interêt feul ſe
buche.
Cruche ,
Tournois ;
Harnois
Huche.
Rien
Accepter c'eft mon rôle ,un Singe, un Chat, un Chien,
Je m'amufe de tout , fans m'attacher à
Bien fou qui prétendroit chés moi fixer fon Pofte.
Crevé ,
Ripofte ,
Certain Gascon pourtant ... fuffit , il eft
Le fripon quelque jour m'eût donné ma
Mais , en comblant fes feux au plus fin j'ai C- avé.
Ce qui peut contribuer au mérite d'un
Bout-Rimé ( fi tant eft qu'on lui en accorde
encore quelqu'un ) c'eft comme tout le
monde fçait , lorsque les Rimes les plus bizares
y entrent naturellement, & n'y paroisfent
point trop forcées ; à quoi l'on peut
ajoûter
? MERCURE DE FRANCE
ajoûter que le point effentiel eft d'y renfer
mer , avec quelque jufteffe , une image fuivie
& bien foutenue , à laquelle chaque partie
du Sonnet paroiffe fe raporter , de façon
qu'on ait peine à diftinguer fi l'Ouvrage a
été composé tout de fuite , ou s'il a été imaginé
en deux tems , conftruit de morceaux
raportés & réunis fous un même point de vûë.
Si cet Art méritoit quelque regle , ou plutôt
fi la Satyre ingénieuse de la défaite des
Bouts - Rimés par Sarrafin , ne les avoit pas
fait tomber , depuis bien du tems , dans une
espece de mépris , les deux premieres Regles
que nous venons d'exposer feroient fuffifantes
pour juger de ces fortes de badinages ; nous
fommes bien éloignés de vouloir les faire revivre
;le Mercure ne cherche point noise
mais il cherche , comme de raison , à mettre
tout à profit , & ce n'eft que fur ce principe
que nous hazardons encore ce nouveau Canevas
de Bouts - Rimés .
Couliffe ,
Devis ,
Capendu ,
Morfondu
Parvis , Dogue.
Ecliffe.
Jaunille ,
Vautour ,
Pont- Levis Sinagogue,
Vis- à- vis , Tambour.
Regliffe.
EXJANVIER.
1741. 107
EXPLICATION de l'Enigme & des
Logogryphes du Mercure de Novembre
V
1740.
Os Enigmes, je crois , je n'explique point mal.
Tenant en main votre dernier Journal ,
Pendant le tems d'un grand orage ;
Ayant autour de moi force petits Marmots ,
Bien aisément j'ai trouvé les trois mots ;
Mercure , Eolys , Mariage.
Par Mad, ***
A Villef.... ce 27. Decembre 1740.
Les mots de l'Enigme & des Logogry
phes du premier Volume de Decembre font ;
le Crayon ou Pastel , Oifeau , & Martyrologe.
On trouve dans le premier Logogryphe
Oife , Soye , Oye. Dans le fecond , Martyre,
Armoire , Rite , Mi , Re , La , Loge , Goa ,
Orge , Aire , Gloire , Laire , Mari , Riom ,
Tigre , Ire , Air , Rome , Moire , Tage ,
Magie, Mare, Ami , Arle , Tyr , Image
Rame , Limoge , Ai , Elu , & Marge.
Ceux de l'Enigme & du Logogryphe du
II. Vol. de Decembre font , les Monchettes
& Rouen. On trouve dans le Logogryphe ,
Ouen , la Particule On , Roue, le Rône , l'Or
Evron , Abbaye de Benedictins dans le Mai-
E ne
108 MERCURE DE FRANCE
on ne , Rou , I. Duc de Normandie
apellé Raoul ou Rollon ; & Veron , Poiffon
connu dans les petites Rivieres .
****************
J
ENIGM E.
E n'ai jambes ni bras & je marche très vîte ,
Quoique j'aille très - lentement.
Je vais par tout Pays , & quand j'arrive au gîte ,
On me regarde un ſeul moment.
Je n'ai jamais de faim & fi toujours je mange ;
Si je bois par malheur , je meurs fubitement.
Jamais le chaud ne me dérange ,
Mais l'humide & le froid font mon déreglement,
Lecteur ,fi jamais quelque Belle
Te donne un rendez - vous chés elle
Tu ne dois pas me négliger ,
Je marque l'heure du Berger,
LOGOGRYPHE.
AMMi Lecteur , dans ma ftructure
D'aucun être vivant on ne voit la figure ,
J'ai cependant des plumes fur la peau ,
Et fans avoir des aîles ,
JANVIER. 109 1741
Je fends les airs comme un oiſeau.
On me vou quelquefois voler de belle en belles
Et leur fervir de divertiffement ;
Je ſuis fêté chés la vive jeuneſſe ,
Et négligé de la trifte vieilleffe , 1 :
Mon tout eft compofé de fix pieds ſeulement.
Comme un nouveau Prothée , on va dans un mo◄
ment
En cent façons me voir paroître :
Ma premiere moitié déſigne une action ,
Dont une infame mort eft la punition :
L
Changez- en l'ordre , il vous fera connoître
Un Animal glouton ,
Qui donne aflés fouvent l'allarme à Coridon,
Peut-être un Cenfeur trop fevere
Dira que de ce mot il n'eſt pas fatisfait ,
Qu'une lettre de plus y feroit néceffaire,
Laiffons-le dire , & revenons au fait ;
Dérangez , retranchez , à vos yeux fe préſente
Un infecte volant ,
Dont le dard penetrant
Caufe une douleur très- cuifante :
Vous y trouvez encor un adverbe de ticu ,
Deux notes de Muſique
Le feul Mortel de tout un peuple inique ;
Qui parut jufte aux yeux de Dieu.
L'endroit du corps , fi l'on en croit la Fable,
Fij
Par
fro MERCURE DE FRANCE
Par où feul étoit vulnerable
Un Héros de l'Antiquité ,
Pour les beaux exploits tant vanté
Une Ville affés belle ,
Un Evêché fur la Moſelle ,
D'un tems fixé la révolution ,
Tems que l'Aftre du jour employe
A parcourir la zodiaque voye .
Voilà , Lecteur , ce que contient mon nom
J'aurois encor bien des chofes à dire ,
Mais c'eft affés , & ceci doit fuffire .
D. H. de Dreux,
LOGOGRYPHUS
.
VIs me noſſe , meis addixitfabula Nymphas
Qua prafint lymphis , addidit illa Deos,
Horrent me manes , horret me Palladis ales ,
Nec me talpa videt , fi caput abftuleris.
Redde caput , collum muta ', mortalia corda
Horrefcunt fonitus , Lector amice , meosa
D. L, H. de Toufreville Lacable.
NOUJANVIER:
1741. 111
Stiststot Stist:stt statutt
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX ARTS , &c.
FSSA1 fur les Maladies Véneriennes
contenant avec les fignes qui les caracté
rifent & lesjugemens qu'on doit porter fur les
differens cas , un détail exact de la maniere
dont on les traite à Montpellier ; les inconvéniens
qui fuivent le flux de bouche , les raifons
qu'on a enës de le profcrire des Pays Méridionaux
, & les avantages qui reviennent
dune méthode beaucoup plus douce , plus fimple
, & infiniment plus affurée. Confirmé par
unepratique conftante & des obfervations par
ticulieres. Mis au jour par M. Guirard Médecin
de la même Ville. A la Haye , chés
Pierre Poppy 1740. Et fe trouve à Montpellier
chés l'Auteur.
Le titre feul de cet Ouvrage en indique
le deffein & le plan . L'Auteur tâche de faire
voir combien la méthode de Montpellier
L'emporte fur celles qu'on fuit partout ailleurs
; & les preuves dont il se sert , sont
d'autant plus certaines qu'elles sont toutes
fondées sur une experience journaliere. 11
infifte particulierement sur la néceflité d'éloigner
le flux de bouche,qu'il regarde com-
Fiij me
112 MERCURE DE FRANCE
me inutile , & même comme plus propre
faire échouer la guérison du mal , qu'à l'a-
Vancer.
d
En parlant des causes , l'Auteur obferve
que leur nature eft extrêmement cachée , &
peut - être même impoffible à découvrir , &
que tout ce qu'on a imaginé là-deffus n'eft
apuyé que sur des conjectures fort incertaines
. Il ajoûte que quoique la cause des
Maladies Vénériennes soit presqu'inconnuë ,
la maniere dont on les traite à Montpellier
n'en eft pas moins affûrée , c'eft toujours à
l'experience qu'il en apelle . En effet , dit- il ,
le Mal de Naples ne seroit pas plus sûrement
guéri qu'il l'eft tous les jours , quand
la cause qui le produit seroit auffi dévelo .
pée qu'elle l'eft peu. Quelque évidente que
soit cette propofition , elle est encore confirmée
par l'exemple des Maladies aiguës ,
dont l'Auteur donne dans son Livre une
idée abregée. On les guérit tous les jours ;
ajoute - t'il , quoique la cause en soit fort
obscure , ce qui prouve qu'il n'eft pas tou
jours absolument néceffaire en Médecine
de connoître les causes prochaines des Ma
ladies , pour y remedier.
Cet Effai eft une Brochure in 8 °. de 121 .
pages. On la trouve à Paris chés Cavelier ;
Imprimeur & Libraire , rue S. Jacques , au
Lys d'or.
TRAI
JANVIER ´1741. * 13
TRAITE HISTORIQUE de l'Election de
' Empereur , avec les Céremonies qui s'y
observent ; la Bulle d'Or , & tout ce qui
concerne les Fonctions & Prérogatives des
Electeurs. Deux Volumes in- 12 . le premier
de 312. pages ; le second de 405. sans l'Avis
au Lecteur & la Table des Chapitres
A Amfterdam , & se vend à Paris chés
le Gras , Grand'- Sale du Palais , & David , le
fils , rue S. Jacques , à la Plume d'Or. 1741
LES ETRENNES DU TEMS , & le saint
usage que les Chrétiens en doivent faire
indiqué dans de courtes Réflexions sur les
représentations , en Taille- Douce , des Sujets
de l'Ancien & du Nouveau Teftament ,
relatifs aux Parties de -l'année Eccléfiaftique
& Civile. A Paris , chés Prault , pere
Quai de Gêvres , au Paradis , 1741. Volume
de 216. pages , sans la Préface & la Table
des Matieres.
PROPHETIES perpetuelles , très curieuses
& très- certaines de Thomas - Joseph Moult ,
natif de Naples , Aftronome & Philosophe
traduites de l'Italien en François , qui auront
cours pour l'an 1269. & qui dureront
jusqu'à la fin des fiécles . Faites à S. Denis en
France , l'an de Notre-Seigneur 1268. du
Regne de S. Louis le 42. A Paris ', chés
le même Libraire , 1741. de 95 pages.
Fiiij
DES714
MERCURE DE FRANCE
›
DESCRIPTION SOMMAIRE des Deffeins
'des Grands Maîtres d'Italie , des Pays- Bas j
& de France , du Cabinet de feu M. Crozat
, avec des Reflexions fur la maniere de
deffiner des principaux Peintres. Par P. J.
Mariette. A Paris , chés Pierre- Jean Mariette
, rue S. Jacques , aux Colonnes d'Hercules
1741. de 140. pages , avec la Defcription
Sommaire des Pierres gravées du même
Cabinet , de 85. pages.
·
Ce feroit abufer de la confiance que nos
Lecteurs ( & fur tout ceux des Provinces
) peuvent avoir en nous , que de nous
borner à citer fimplement le titre de ce Catalogue
; & ce feroit fe tromper que de le regarder
comme une de ces Liftes ftériles qui
que trop ordinaires , où l'on ne peut
trouver que des noms , des dates , ou tout
au plus , quelques. Reflexions affés arbitraires.
ne font
C'est ici un Ouvrage plus important ;
quoique ce ne foit dans le fonds , qu'une
ébauche ; mais cette ébauche eft pleinementjuftifiée
par l'objet d'un Catalogue , qu'il a
fallu dreffer dans un tems déterminé ; & plus
encore par un choix très-judicieux des articles
qui ont le plus mérité d'arrêter l'Au
teur.
La briéveté néceffaire à cette forte d'Ouvrage
, y laiffe néanmoins place à des obfervations
JANVIER. 4741 115
vations folides , & fouvent nouvelles ; & la
jufteffe de ces mêmes obfervations ne nuit
en rien à cette briéveté ; c'eſt - à- dire qu'on ne
trouve ici ni prolixité , ni féchereffe ; & la
modeftie avec laquelle l'Auteur expoſe tout
ce qu'il y a mis du fien , feroit le für garant
d'un fuccès complet , s'il avoit eu le loifir
ou la volonté de lui donner plus d'érenduë.
C'est donc non feulement une énuméra
tion diftribuée par claffes , & fuivie par un
numero courant , des Deffeins qui compofoient
le Cabinet de feu M. Crozat ; ( nous
avons affés de Catalogues de cette efpece )
mais c'eft encore une forte de récapitulation
au bout de chaque article principal , de ce
qu'il y a de plus certain & de plus intereffant
à connoître dans les differentes Ecoles
d'Italie , des Pays - Bas , & de France.
L'Auteur paffe légerement fur ce qui ne
'doit mériter que le nom de Curiofité commune
, parmi les amateurs qui n'ont point
de préventions particulieres ; mais il réferve
à propos fes détails pour tout ce qui fert à
défigner le caractere propre , le génie , la
maniere , & la touche même des plus excellens
Peintres , & des plus renommés. Def
finateurs dont il fait mention ..
En un mot , nous ne craignons pas de dire
que c'est le fruit abregé d'un difcernement
Fy exquis
16 MERDURE DE FRANCE
exquis , fortifié par les connoiffances , l'ha
bitude , & la poffeffion même de bien des
richeffes en ce genre ; & l'on ne peut que
fe rapeller une idée très - favorable de la collection
de Deffeins & d'Eftampes du feu
Prince Eugene , quand on fonge que fon
Cabinet étoit dreffé & arrangé de la même
main que le Catalogue de M. Crozat,
Mais , comme tous les éloges que la vé
rité & l'amour des Arts pourroient nous
faire ajouter , feroient toujours foibles en
comparaifon du goût inftructif qui fe fait
fentir dans tous ces Extraits , nous nous
contenterons de choifir quelques- uns des articles
les plus effentiels, & nous tranfcrirons en
finiffant celui qui regardeRaphaël pour l'Ecole
d'Italie, ce qu'on y dit de Rubens pour celle
'de Flandres & enfin ce qui eſt raporté au
fujet du fameux Raymond la Fage Touloufain
, dans la Claffe des Deffeins François.
Nous ne pouvons cependant laiffer passer
, fans quelque fcrupule , un terme qui
peut bien être un de ceux qui font confacrés
aux Arts , mais qui ne nous en paroît
` ni moins neuf , ni moins fingulier. C'eſt à
l'article de Simon Cantarini , dit le Pésarése,
où on lit ce qui fuit , page 63. On y découvre
en effet ( dans fes deffeins ) un goût
de Nature , & des fentimens de Chair , qui
ne pouvoient manquer de plaire à un Pein-
1
tre,
Y
1741. 117
tre , tel que le guide , &c. Quoique cette
expreffion foit , fi l'on veut , ingénieuſe , &
qu'elle remplace affés bien celles de rondeur,
de vivacité, de fraîcheur , de flexibilité , ou
même de vie dans les chairs , dont on a
coûtume de se servir , quoiqu'elle dife même
quelque chofe de plus , & qu'elle foir
encore répétée en un autre endroit , nous
perfiftons à croire qu'il faut que ce terme
faffe fortune avant que d'être entiérement
aprouvé,
Nous trouvons auffi que Vasari , Peintre
médiocre, mais Auteur eftimé d'une Vie des
Peintres en Italien , eft un peu maltraité page
35. à l'ocafion de cinq Deffeins qu'on
prétend que le Vasari attribuoit au Correge ,
mais qui , n'en étant pas , & étant même dans
une maniere très-différente , fontjuger que cet
Auteur connoiffait très- mal le Correge ; & par
conféquent on ne doit pas être furpris s'il en a
jugéfi peupertinemment . Cette décifion eft vrai
femblablement bien fondée , puifqu'on a crê
pouvoir l'avancer ici, mais qui nous donnera
la preuve certaine que le Vasari , amateur ,
connoiffeur , artifte , foit tombé réellement
dans une mépriſe fi groffiere ? Et fi cette
preuve exifte ,pourquoi M.Crozat ou M. Mariette
ne l'ont- ils pas rectifiée ? L'un , dans
l'ordonnance de fes Portefeuilles , ou l'autre
au moins dans la diftribution de fon Catalo-
Favj guc
18 MERCURE DE FRANCE
gue en nous indiquant de qui pouroien
être les cinq Morceaux en queftion.
En effet , fans qu'il foit même befoin de
jetter les yeux fur ces Deffeins , l'alternative
paroît toujours inconteftable ou c'eſt M.
M... qui fe méprend dans fa conjecture
nouvelle, ( ce qui nous paroît bien difficile )
ou M. Crozat s'y trompoit lui -même , auffi
bien que le Vasari , puifqu'ils étoient rangés
dans la Claffe des Deffeins du Corréges
ou , fi il ne s'y trompoit pas , il n'étoit
guére curieux de détromper ceux qui ve
moient admirer fa magnifique collection .
Nous ajouterons encore , pour la fatisfac→
tion des Lecteurs , que les Deffeins de M.
Crozat fe montoient à dix-neuf mille, amaf
fés avec un foin , une dépenfe , & presque
un bonheur incroyable. A l'égard de fes
Pierres gravées , on en compte jufques à
1382. dans le Catalogue qui fuit immédiatement
celui des Defleins : cette derniere
collection a paffé toute entiere entre les
mains de M. le Duc d'Orléans ; & c'est avec
raison qu'on foutient , quoique tout ne foit
pas d'une égale beauté , que c'eft un des plus
finguliers affemblages qui ait jamais été ford
par aucun particulier.
mé
Voici les articles promis..
RAPHAEL , page 14. Il ne s'eft peutêtre
jamais fait une collection plus ample des
Deffeins
JANVIER. 1741. 119
1
,
Deffeins de Raphaël , que celle que l'on voit
ici. M. Crozat grand admirateur de ce Peintre
à qui l'on a osé décerner le nom de
Divin , s'étoit donné de grands foins pour
en recueillir de tous côtés ; mais le Cabinet
qui lui en a fourni un plus grand nombre ,
a été celui des Mrs Viti d'Urbin. Ils confervoient
précieuſement ceux que Timothée,'
un de leurs ancêtres , qui avoit travaillé avec
fuccès sous Raphaël , avoit transporté avec
lui à Urbin , lorsqu'il s'y étoit retiré . Ces
Deffeins de Mrs Viti , font presque tous à
la plume ; quoiqu'affés légèrement faits , on
y remarque une certitude qui ne laiffe rien
à defirer pour la fidelité du trait , ni même
pour celle de l'expreffion.Quand on n'auroit
pas une idée de Raphaëel aauuſfſfii avantageuse
qu'on la doit avoir , il ne faudroit que ces
Deffeins , pour montrer quelle étoit la fublimité
de fon génie : les autres jettent fur
le papier leurs premieres pensées , & l'on
s'aperçoit qu'ils cherchent , Raphaël, au contraire
, en mettant au jour les fiennes , lors
même qu'il paroît entraîné par la vehemencé
de son imagination , produit du premier
coup , des Ouvrages qui font déja tellement
arrêtés, qu'il n'y a presque plus rien à y ajou
ter , pour y mettre la derniere main .
RUBENS , page 97. Le beau génie de
Rubens & fa parfaite intelligence , se manifeftena
20 MERCURE DE FRANCE
feftent pour le moins autant dans ses Deffeins
que dans ses Tableaux . Dans ses plus légeres
Esquiffes , ce grand Maître met une ame
& un efprit , qui dénotent la rapidité avec
laquelle il concevoit & exécutoit ses penſées.
Mais lorsqu'il les met au net , alors , sans
rien perdre de cet esprit , qui devient seulement
plus réglé , il y ajoute tout ce qu'un
homme, qui poffedoit dans un éminent dégré
les differentes parties de la Peinture , &
fingulierement celle du clair obscur ; étoit
capable d'imaginer , pour en faire des Ouvrages
accomplis. Son goût de Deffein n'eft
point celui de l'Antique. Rubens repréſen
toit la Nature , telle qu'il la voyoit dans son
Pays; mais c'étoit toujours avec une verité,&
même avec une science , auxquelles les per
sonnes , qui ne sont touchées que de belles
formes , ne peuvent refuser leur adm ration.
Au refte , fi M. Crozat a été riche en Desscins
d'Italie , on peut dire qu'il l'a encore été
vantage en Deffeins de Rubens. M. Jabach
Antoine Trieft , Evêque de Gand , & M. de
Piles , l'ont mis , par leurs collections , en
état de former un auffi précieux affemblage .
LA FAGE , page 124. Il n'y eut jamis
de vocation pour le Deffein, mieux marquée
que celle de la Fage . Sans secours , sans
Maître , malgré ses parens , il résolut de fe
faire Deflinateur ; & , ce qui ne paroîtra prefque
JANVIER. 1741 IZE
que pas croyable , il devint bientôt un Deffier
nateur profond. Il n'avoit eu jusqu'à lors que
fon génie pour guide ; il continua à étudier
dans Rome fur les Ouvrages des grands Maî
tres , & le Deffein lui devint fi familier, que,
sans aucune préparation , il exécutoit du
premier coup , tout ce que fon imagination.
lui fuggeroit. On l'a vû commencer un Des
sein qui devoit être compofé d'un très -grand
nombre de figures , par un point qu'on lui
avoit marqué , & de- là cheminant toujours ,
couvrir en peu d'heures tout fon papier de
figures , qui formoient enſemble le fujet
qu'on lui avoit propofé. Il fit fouvent cette
épreuve en préfence des Maîtres de l'Art
qui , furpris de fa facilité de deffiner , n'ad
miroient pas moins la fcience profonde qu'il
mettoit dans fon Deffein : Car la Fage fcavoit
parfaitement l'Anatomie , & tout Prati
cien qu'il étoit , il formoit toutes fes parties
avec beaucoup de préciſion.Le plus fouvent,
il fe contentoit de deffiner ses figures au
trait fans aucune ombre. Lorſqu'il les vouloit
terminer davantage , & y ajouter du lavis ,
comme il n'entendoit point la partie du clairobscur
, & que ce qui faifoit valoir davantage
fes Deffeins , étoit la promptitude avec
laquelle il les exécutoit , ces Deffeins finis
devenoient froids & languiffans , & ne faifoient
aucun effet: Ceux où il réuffiffoit le
mieux
722 MERCURE DE FRANCE
mieux , étoient
ordinairement
ceux qui luž
avoient le moins coûté , & prefque
toujours
ceux qu'il avoit faits dans le fort de l'yvreffe .
Il choififfoit dans ces inftans des fujets libres.
& des Bacchanales, en quoi il ne fuivoit que
trop un malheureux
penchant
qui le portoit
à la débauche. Ses Admirateurs
n'ont point
fait difficulté de le comparer , & même de
le mettre au deffus de Raphaël , de Michel-
Ange & des Carraches
. Cet éloge eft outré;
mais il faut cependant
convenir
que la Fage
eft un fier Deffinateur
, & qu'en cette partie
fes Ouvrages
méritent
une place diftinguée
dans les Cabinets . Les Deffeins de ce Maître,
qu'a raffemblés
M. Crozat,font en grand
nombre , & ils comprennent
prefque tout
ce que la Fage a fait dans le cours de fa vie ;
c'est-à- dire , tout ce que M. Bourdalouë
M. Garnier , Sculpteur , & Van Brugen , qui
avoient beaucoup
fait travailler
la Fage
avoient recueillis eux-mêmes , & ce que M.
Crozat , qui avoit pareillement
connu ce
Deffinateur
, avoit eu de lui ou de fes héris
tiers.
TRAITE' Hiftorique & pratique fur le
Chant Ecclefiaftique , avec le directoire qui
en contient les principes & les regles ,fuivant
Fufage prefent du Diocèse de Paris & autres,
précedé d'une nouvelle methode , pour l'enfeigner
JANVIER. 1741 .
feigner & l'aprendre facilement. Par M
l'Abbé Lebeuf , Chanoine & Sous - Chantre
de l'Eglife Cathédrale d'Auxerre . in - 89 . de
290 pages. A Paris , chés J. B Heriffant ;
ruë Neuve-Notre- Dame, & J. Th. Heriffants
ruë S. Jacques , 1741.
On comprend affés par le titre de cet
Ouvrage , qu'il eft compofé de deux parties.
L'Epitre Dédicatoire qui eft adreffée à
M. l'Archevêque de Paris , aprend que
l'Auteur a eu principalement en vûë les
Ecoles du Diocèfe de Paris , lorfqu'il l'a
compofé ; mais l'Avertiffement , qui fuit fait
voir qu'il a écrit non-feulement pour les enfans
, qu'il regarde comme l'ornement du
Chant Ecclefiaftique , mais encore pour les
perfonnes avancées en âge , qui voudront
aprendre le Chant par regles , ou au moins
fçavoir les ufages & l'emploi du Chant dans
l'Office Divin. Il y aura auffi à profiter pour
les Curieux dans le même Ouvrage , parce
que prefque toute la partie hiftorique , qui
comprend la moitié du Volume , eft une ef.
pece de précis de tout ce que les anciens ont
marqué hiftoriquement fur le Chant Grégo
rien.
་
M. l'Abbé Lebeuf nous fait reffouvenir
dans fon premier Chapitre Hiftorique , de
la nouvelle methode de noter le Chant que
M. de Mos , Prêtre du Diocèfe de Genève
124 MERCURE DE FRANCE
à inventé ces années dernieres , & contre
laquelle il a écrit deux ou trois fois dans
nos Journaux. (a) Il raporte comment peu à
peu on s'eft accoutumé à montrer le Chant
aux Enfans par le moyen des fyllabes qui fignifient
les fons ; & en paffant , il ne peut
s'empêcher de marquer qu'il lui paroît plus
convenable pour donner des idées claires
aux Enfans , de nommer chaque fon de
l'Octave , foit qu'il fe faffe par progrès de ton
ou de demi-ton , du nom d'une fyllabe qui
lui foit particuliere . Il fait fentir que les Enfans
était fufceptibles de bonne heure de
ce qui forme le demi-ton dans l'Octave , on
peut le leur aprendre comme en jouant , &
que c'est le moyen de les rendre toujours
fermes dans l'exécution du Chant. C'eft
ce qu'il faut lire dans l'Auteur même , où
F'on verra parmi les articles qu'un fçavant
Dominicain avoit mis en 1274. pour être
traités au Concile de Lyon : Quod in omnibus
Ecclefiis Ars Cantûs meliùs doceretur & addifceretur.
: Après avoir infinué l'utilité qu'il y a de former
de bonne heure les Enfans. au Chant
M. Lebeuf parle de quelques Enfans enfeignés
en ce genre par des Maîtres illuftres , ou
devenus illuftres eux-mêmes. Il marque à la
(a) Mercures de Fevrier, Ñovembre & Décemt e,
1. vol. 1728.
fig
JANVIER 1741. 129
fm de ce premier Chapitre , que Gerfon
Chancelier de Paris, avoit compofé un Traité
touchant l'éducation des Enfans de Choeur
de Notre- Dame , où l'on voit des chofes,
curieufes fur leur Chant. Le fecond Chapitre
intitulé:De l'eftime qu'on a fait de tout tems
du Chant Ecclefiaftique , traite des plus
notables Perfonnages qui l'ont aimé , qui
en ont compofé ou qui l'ont enfeigné , ou
enfin qui en ont tranfcrit. On y voit plu
hieurs Evêques , grand nombre d'Abbés &
de Dignitaires de Cathédrales. Sur la fin del
ce Chapitre , l'Auteur obferve qu'en diffe
rens Diocèfes certaines Piéces de Plainchant
devoient être chantées par les Evêques du
Lieu , comme à Evreux , où l'Evêque étoit
chagé du fixiémeRépons de Matines de prefque
toutes les grandes Fêtes : Auffi lesEvêques
& Abbés faifoient-ils la fonction de Chantre
aux obfeques des Rois , & autres céremonies.
Le troifiéme Chapitre n'eft pas moins curieux
que le fecond ; il traite des anciens
Auteurs du Chant Romain , de fon alliance
avec le Chant Gallican , des augmentations
qui y ont été faites , des altérations de ca
Chant & de leurs caufes , à l'occafion ' de
quoi il explique la qualité de l'Antiphonier
de Paris , tel qu'il eft aujourd'hui . Les Li
turgiftes y verront ce qu'il dit des anciens
Chants de l'Eglife Gallicane durant la Com
munion
27 MERCURE DE FRANCE
munion. Les Editeurs d'anciens Ouvrages
manufcrits y reconnoîtront que les Livres de
Chant ont auffi leurs variantes , comme les
autres Manufcrits ; que ces variantes viennent
fouvent de l'inadvertance des Copiftess
ce qui a fait qu'en certains Pays , on chante
moins felon les régles qu'en d'autres . On lit
dans ce quifuit quelques exemples des varié
tés de Pfalmodie , tirés des Livres Ecclefiaftiques
& Monaftiques. Le cinquiéme Chapi
tre convient un grand nombre de veftiges de
la Muſique à parties, dans les ufages de Notre-
Dame de Paris , du douziéme fiecle .
L'origine de ce qu'on y apelle le Machicotage,
y eft pleinement détaillée . On y aprend
à connoître l'abus qu'on fait du mot Orga
num , faute de l'entendre ; ce mot né fignifiant
pas autrefois toujours un Jeu d'Orgues
, mais des voix humaines chantant à la
tierce. Le Déchant , dit depuis Faubourdon
ou Contrepoint , émana de cette organization
. Ceci eft traité affés au long d'une maniere
très-curieufe . Le Chapitre VI . n'eft pas
moins intéreffant , en raportant les changemens
que le Déchant a caufés dans le Chant
Grégorien. Les Hiſtoriens Italiens y trouveront
une remarque toute nouvelle fur l'ori
gine des Profes attribuées au Pape Adrien I.
La multiplication des Baffe- contres en Fran- .
ce , au XVI . ficcle , introduifit dans la Pfalmodię
JANVIER 1741. 12
modie des progrès que la douceur des Gosiers
d'Italie n'avoit eu garde d'inventer.
L'Auteur parle ici avec raifon contre ceux
qui en chantant font breve la premiere fyllabe
des mots : David , Jacob , Sion . Cela
vient du mauvais goût ou de l'ignorance des
derniers fiécles . Si nous pouvions nous étendre
ici , nous parlerions de l'Epitre de la
Meffe de S. Eftienne , après l'Auteur qui la
raporte , telle qu'on la chantoit en Picardie
au XIII. fiecle , & ailleurs. Ceci rapelleroit
l'ufage de la Provence où on la chante encore,
& d'autres Cantiques de Marſeille , qui
fe chantent aux Proceffions. Mais il eft tems
de dire un mot de la méthode dont M.
Lebeuf fçait par expérience qu'on enſeigne
le Chant Grégorien aux enfans plus efficacement
: C'eft de leur écrire les fept fyllabes
qui défignent les fept notes fur une bande
de papier perpendiculairement , & de rapro
cher le Si de l'Ut , & le Mi du Fa , de maniere
que les enfans y reconnoiffent une fois
moins de diftance que dans les autres intervalles
, puis de tirer à côté de ces fept fyl
labes des lignes fur lefquelles le Maître tou-
.chera , pour leur défigner les fons qu'il exi
gera d'eux. Ceci ne peut s'expliquer qu'avec
le Livre même , auquel nous renvoyons
les Curieux,
RE
28 MERCURE DE FRANCE
REVISION de l'Hiftoire du Ciel , pour
fervir de fuplément à la premiere Edition
Brochure in 12, de 123 pages. A Paris ,
chés la Veuve Etienne , ruë S. Jacques , à
la Vertu , 1740.
Cette Reviſion eft remplie de beaucoup
d'additions & d'éclairciffemens , qui rendent
T'Ouvrage entier plus intéreffant & plus recommandable.
L'OPTIQUE DES COULEURS , fondée fur
Les fimples obfervations , & tournée fur--
tout à la pratique de la Peinture, de la Teinture
& des autres Arts coloriftes . Par le
"R. P. Caftel , de la Compagnie de Jefus.
A Paris , chés Briaffon ,, rue S. Jacques , à
la Science , in- 12 . de 500 pages , 1740,
,
TRAITE des Matieres criminelles
fuivant l'Ordonnance du mois d'Août 1670.
& fuivant les Edits , Déclarations du Roy,
Arrêts & Réglemens intervenus jufqu'à préfent
; divifé en quatre parties. Lapremiere!
de la nature des crimes & des peines en gé
neral , de la nature de chaque crime en
particulier , & des peines qu'ils méritent.
"La feconde , de la compétence des Juges
fur les délits commis tant par les Laïcs
que par les Ecclefiaftiques , des cas Royaux
Prefidiaux & Prévôtaux ; des récufations &
prifes
JANVIER 1741 : X29
prifes à partie , du délit commun & du cas
privilégié. La troifiéme , de la maniere de
proeeder fuivant l'Ordonnance criminelle ,
& fuivant les Edits & Declarations du Roy
intervenus depuis , avec le ftile ou modele
des Procedures , exactement formé fur les
termes & l'efprit de cette Ordonnance , &
fur les Reglemens intervenus depuis , qui
en ont interpreté , changé ou abregé plufieurs
difpofitions , ou y ont ajouté : Notamment
fur le faux principal , le faux incident
, & la reconnoiffance des Ecritures privées
en matiere criminelle , fuivant la nouvelle
Ordonnance du mois de Juillet 1737.
qui a été donnée pour tenir lieu à l'avenir
des difpofitions contenues dans les Titres
huit & neufde l'Ordonnance du mois d'Août
1670. La quatrième partie contient les Edits,
Declarations , Arrêts & Reglemens interve
pus depuis l'Ordonnance . •
Cct Ouvrage , des plus méthodiques &
des plus complets qui ayent paru fur les Matieres
Criminelles depuis l'Ordonnance , eft
de M. Gui du Ronffeaud de la Combe, ancien
Avocat au Parlement ; c'eft un Volume in - 4
-de 840 pages d'impreffion , compris les Tables
; il fe vend à Paris , au Palais , chés
Theodore le Grasau troifiéme Pilier de la
Grand Salle, à l'L couronnée ,
Ra
30 MERCURE DE FRANCE
RECUEIL de plufieurs Piéces de Poëhies
& d'Eloquence , prefentées à l'Académie
des Jeux Floraux , pour les Prix des années
1739. & 1740. avec les Difcours prononcés.
pendant ces années dans les Affemblées publiques
de l'Académie . A Toulouze , chés
Claude - Gilles Lecamus , feul Imprimeur du
Roy & de l'Académie des Jeux Floraux , in-8°
& à Paris , chés Prault le pere , Quai de
Gêvres ; au Paradis.
INSTITUTIONS de Phyfique , avec
onze Planches détachées , & des Vignettes
à la tête de tous les Chapitres. A Paris ,
chés Prault fils , Quai de Conti , 1740.
in- 8°.
Ganeau , Libraire , rue S. Jacques , visà-
vis S. Yves , à S. Louis , vient de mettre
en vente la nouvelle Edition des Ouvrages
fuivans.
Dictionnaire Oeconomique, contenant divers
moyens d'augmenter fon bien & de
conferver fa fanté , par M. Chomel , reyû ,
corrigé & augmenté ; infolio 2. volumes. Les
differentes Editions de ce Livre marquent
affez l'estime qu'en fait le Public , fans qu'il
foit néceffaire d'en parler.
Les Amuſemens de l'Amitié , rendus utiles
& intereffans, in- 12. Nous rendrons com-
& de ce Livre, des augmentations qu'on
y a faites,
pte ›
Ex:
JANVIER 131 1741
Expériences de Phyfique , par M. de Po
Liniere , in- 12 . 2. volumes.
,
Theologia Moralis univerfa , complectens
omnia morum præcepta , & principia Deci
fionis omnium confcientiæ cafuum fuis
quæque momentis ftabilita , ad ufum Paro
chorum & Confeffariorum , à R. P. Paulâ
Gabriele Antoine , Soc. J. Editio nova ab
ipfo Auctore auctior & emendatior , in- 12.
4 vol.
,
Oeuvres de M. de Saint Evremond , avec
la vie de l'Auteur , par M. Defmaizeaux ,
Membre de la Société Royale de Londres
in-12. 10 vol.
Nous croyons faire plaifir au Public , en lui
annonçant cette Edition qui eft préferable
à toutes les précedentes , tant par les cor
rections & augmentations , que par la beaus
té de l'impreffion , des figures & vignettes
en taille douce ; on y a joint les Mémoi
res du Comte de *** avant fa retraite y
contenant diverfes avantures qui peuvent fervir
d'inftruction à ceux qui ont à vivre dans
le grand monde : Et les Mémoires de Ma
dame la Comteffe de M *** avant fa retraite
, fervant de réponſe aux Mémoires cideffus
rédigés par M. de Saint' Evremont . [
Le même Libraire vient de recevoir, les
Livres fuivans.
Memoires pour fervir à l'Hiftoire du Com-
G τέ
132 MERCURE DE FRANCE
té de Bourgogne , contenant l'idée génerale
de la Nobleffe & le Nobiliaire de ce Comté,
'Hiftoire des Comtes de Bourgogne , des
Maifons de Valois & d'Autriche ; de l'ad
miniſtration de la Juſtice, de fon Parlement,
& de fa réunion au Royaume de France ;
l'Hiftoire de toutes les Révolutions & Faits
remarquables arrivés en cette Province , juf
qu'au tems préfent. Par M. Dunod de Char
nage , Ecuyer , volume in-4°. avec figures
en taille douce , imprimé à BeZançon
1740.
Profperi Fagnani Jus Canonicum ; five
Commentaria in quinque Libros Decreta
lium , cum difceptatione de Grangiis . Nova
Editio aliis prioribus multò correctior , cum
ampliffimo rerum & verborum Indice accu
ratiffimo , in-folio 3 vol . Neocomi , 1740 ;
Decifions du Droit Civil , Canonique &
François , par ordre alphabétique , avec des
obfervations fur l'ancienne & la nouvelle
Jurifprudence des Pays qui fe régiffent par
le Droit écrit. Par M. de Fromental , in -fol,
Lyon 1749.
Traité des Gains Nuptiaux & de Sur- vie ,
qui font en ufage dans les Pays de Droit
Écrit , tant du Reffort du Parlement de Pa
ris , que des autres Parlemens. Par M. Boncher
d'Argis , Avocat , in- 4°. Lyon , 1728 .
R. P. Joannis Cabaffutii Juris Canonici
Theoria
JANVIER 133 1741.
Theoria & Praxis , ad forum tàm Sacramen
tale , quàm Contentiofum , tùm Ecclefiafticum
, tùm Seculare , Editio noviffima , à
Domino Joanne-Petro Gibert, Doctore Theo
logo , &c. in folio , Poitiers , 1738.
HISTOIRE MILITAIRE de Charles XII.
Roy de Suede, en trois volumes in- 12 . écrite
en forme de Journal fous les yeux de ce
Monarque par M. Adlerfeld , fon Chambelan.
Le Roy , qui dès le commencement de
l'Ouvrage en goûta le plan , donna ordre à
fon Confeil de fournir à l'Auteur tous les
Mémoires qui lui feroient néceffaires , & à
fes Géneraux de lui communiquer des Relag
tions exactes de tous les Combats , Siéges ,
Marches & attaques . On l'a orné du portrait
du Roy , gravé d'après l'original de Krast ,
& de Plans de Batailles, propres à donner au
Lecteur une idée plus diftincte des actions.
Ce Livre fe vend à Paris , chés David fils
Libraire , rue S. Jacques , à la Plume d'or.
}
COUTUMES des Duché , Bailliage , &
Prevôté d'Orléans ; avec les Notes de M..
Henri Fornier , Confeiller au Préfidial d'Or
léans. Les Notes de Du Moulin fur l'ancienne
Coûtume d'Orléans ; des Obfer
vations nouvelles , où l'on a renfermé tout ce
qui a paru néceffaire pour faire connoître le
Gij fens
134 MERCURE DE FRANCE
fens & application des articles , les maximes
autorisées par l'ufage dduu Palais Palais , & les derniers
progrès de la Jurifprudence. On y ajoint
un Difcours Préliminaire fur la Coûtume d'Cr
léans , un Traité des profits & droits Seigneuriaux
: l'Eloge de M. De la Lande , & des
Obfervations fur fon Commentaire , 2 vol . in-
12. A Orleans , chés François Roulean ,
Imprimeur du Roi , de M. le Duc d'Orleans ,
de la Ville. 1749.
>
Tel eft le titre de l'Ouvrage qu'on annonce
ici au Public. Les obfervations nouvelles qui
en font la principale partie, font dûes aux travaux
réunis de quelques Confeillers au Préfidial
d'Orléans , qui ont entrepris d'y renfermer
comme en un Tableau racourci
tout ce qui étoit néceflaire pour l'intelligence
la plus pleine , & l'aplication la plus féconde
des articles de la Coûtume d'Orleans.
fls fe font attachés fur - tout à marquer exactement
les derniers progrès de la Jurifpru
dence , reçûe au Parlement , les Arrêts qui
l'ont fixée , les nouvelles Ordonnances qui
Pont étendue , & enfin les maximes que Fufage
du Palais a perfectionnées. S'ils ont rempli
ces vûes , leur Livre , quelque court qu'if
paroiffe , peut être regardé comme une ef
pece de fyftême , & même de corps aflés
complet du Droit Coutumier . L'Ouvrage
no
JANVIE R. 1741 135
ne fera donc pas moins intereffant, ni moins
utile à Paris qu'à Orléans. La Coûtume d'Orléans
eft faite fur le modéle de celle de Paris
, le même fonds & le même efprit y regnent
, & les mêmes difpofitions y font répétées
dans tous les titres . Ainfi tout ce que
les obfervations , dont il s'agit ici , nous
aprennent fur les grandes matieres de laConmunauté,
du Douaire , des Preſcriptions , des
Donations , des Teftamens , des Raports ,
des Propres , de la Contribution aux dettes ,
des Saifies-Réelles , des Profits de Fief , &
autres Droits Seigneuriaux , a fon uſage naturel
, & fon aplication toute entiere à Paris.
Les Juges & les Avocats de cette grande
Ville auront donc le plaifir , en lifant ce nouvel
Ouvrage , de s'y rapeller fans peine toutes
les idées des chofes qui leur ont tant coûté à
fçavoir , d'y apercevoir , comme d'un coup
d'oeil , toute la fuite des décifions les plus
sûres & les plus autorifées , & de ces maximes
qui font d'un ufage continuel dans les
affaires & dans le Barreau . Ce Livre qui a été
imprimé à Orléans , fe trouve à Paris , chés
Saugrain , dans la Grand - Sale du Palais.
HISTOIRE des Amazones anciennes
& modernes , enrichie de Médailles , par
M. l'Abbé Guyon , 2. vol . in- 12 . Le premier
de 92. pages , fans la Préface de 176. & le
Giij deu:
136 MERCURE DE FRANCE
deuxième de 215. & la Table des Chapitres.
A Paris , chés Jean Villette , ruë fäinc
Jacques , vis-à-vis les Mathurins , à la Croix
d'Or & à faint Bernard.
Il paroît une Traduction Françoiſe du
Poëme Latin fur la Peinture , publié en 1736.
par le P. Marfy, Jéfuite. Ce charmant Ouvrage
11 propre
fi à faire revivre le goût de la
Poëfie Latine , eft trop connu, pour qu'il foit
befoin d'en rapeller ici l'idée . Nous lui avons
rendu dans le tems le tribut de notre ef
time & de nos éloges. A l'égard de la Traduction
, elle nous a paru venir de bonne
main. Au lieu d'une précifion fervile , une
exactitude intelligente s'y trouve jointe à la
politeffe , à l'élegance , & à la correction ;
& tout le feu de l'original femble avoir paffé
dans la copie. Elle fe vend chés Morel le
jeune , au Palais ; chés Merigot , Quai des
Auguftins ; & chés Prault fils , Quai de
Conty.
Mlle De Luffan , qui a donné l'Hiſtoire de
la Comteffe de Gonde , les Veillées de Theffalie
, & les Anecdotes de la Cour de Philipe
Augufte , toutes productions , qui , avec rai
fon , lui ont acquis la réputation d'une excellente
plume , va faire paroître une nouyelle
Edition des Feillées de Theffalie , aux
quelles
JANVIER 1741 137
quelles elle en ajoûte trois , qui avec les cinq
qui ont déja paru , en feront huit. Les cinq
anciennes auront l'avantage de la nouveauté
, par les changemens & les augmen
tations confidérables de l'Auteur , & qui
vont à l'agrément & à la perfection de
cet Ouvrage . Il fe vendra ainfi que tout
ce qui eft forti de fa plume , chés la veuve
Piffot , Quai de Conty , à la Croix d'or.
A Paris 1741.
Le Nouveau Telemaque , ou Voyages &
Avantures du Comte de *** & de fon fils ,
avec des Notes Hiftoriques , Critiques &
Géographiques , en 3. vol . in 8º . Imprimé à
la Haye , & fe vend à Paris , chés Huart
Libraire -Imprimeur de Monfeigneur le Dauphin
, rue S. Jacques à la Juftice .
M. le Comte de S .... nous a prié par fa
ર
Lettre écrite de Verfailles le 9. Janvier 1741 .
d'avertir ceux qui liront la Tragédie de
Bajazet I. imprimée à fon infçu dans le
fixiéme vol. des Amuſemens du Coeur & de
Efprit , qu'elle eft entierement differente
de celle dont il eft Auteur : celle- là y étant
défigurée depuis le commencement jufqu'à
la fin par plus de 600. Vers , partie , dit- il
ajoûtés , partie retranchés , & dont preſque
Giiij tous
›
138 MERCURE DE FRANCE
tous ont été alterés , ce qui répand fur cette
Piéce des défectuofités de toute efpece.
- ESSAIS fur l'Hiftoire des Belles Lettres
des Sciences & des Arts , par M. Juvenel de
Carlencas. A Lyon , ruë Merciere , chés
Duplain , pere & fils , 1740 .
Le but de l'Auteur , comme il le déclare
dans fa Préface , eft de préſenter aux jeunes
Gens qui commencent à entrer dans le mon
de , une courte . introduction à l'Hiftoire des
belles Lettres , des Sciences & des Arts , &
de leur faire prendre des idées juftes , claires
& précifes de chaque Science & de chaque
Art en particulier , en fixant à des époques
certaines fa naiffance , fon accroiffe
ment , fa perfection , fa décadence & fon
renouvellement ; enfin de familiarifer les jeu
nes Efprits avec des Sçavans , dont ils entendront
fouvent parler dans la fuite de leur
vie. Quoique ce foit fur-tout pour eux que
cette inftruction a été compofée , beaucoup
de Perfonnes cependant plus avancées en
âge , ne peuvent manquer de tirer un profit
confidérable de la lecture de ce Livre ,
qui renferme dans un affés petit volume ,
mille connoiffances , qu'il eft honteux d'ignorer.
Tous les Hommes font naturellement cu
rieux ;
157
rieux ; mais la plus grande partie n'ont ni la
volonté , ni le tems d'aprofondir les matiéres.
Ce font ces derniers à qui cet Ouvrage
fera d'une plus grande utilité ; car en ne faifant
, pour ainfi dire , que les effleurer,
c'eft- à- dire , en retranchant cette abondance
d'érudition que l'on trouve dans des Traités
complets , & qui pourroit ennuyer des Perfonnes
qui ne font pas fçavantes de profeffion
, il les met en état de pouvoir parler fur
ces matiéres , autant & auffi bien qu'il convient
à l'ordre dans lequel elles fe trouvent.
L'Auteur a divifé fon Livre en trois parties.
Dans la premiere , il parle des Belles
Lettres , dont il fait paffer en revûë toutes
les parties dans des articles féparés . Il n'eft
pas poffible de donner un Extrait de tous:
ces Articles , fans exceder nos bornes.
La feconde partie traite des Sciences , telles
que font la Philofophie , la Médecine ,
les Mathématiques , &c, Les Articles y font:
maniés de la même façon que dans la précédente
, c'est-à- dire , affés fuccinctement.
On trouve dans la troifiéme Partie ce qui
concerne les Arts , comme la Sculpture , la
Peinture , la Gravûre , &c. ce qui acheve de
mettre dans cet Ouvrage une agréable &
utile varieté.
Gv Nous
r
140 MERCURE DE FRANCE
Nous avons réçû de Florence le Programme
fuivant , au fujet de la belle Edition qu'on y
prépare de VIRGILE , fur un célebre Manuf
crit de la Bibliothéque de Laurent de Medicis.
Nous donnons ce Programme en entier,
à caufe de fa briéveté & de l'importance du
Lujet.
BONARUM ARTIUM AMATORIBUS ,
Petrus Francifcus Fogginius, in Seminario Florentino
Eloquentia Profeffor.
>
Ex Typographio Manniano fumptuofum
opus , fed novitate fua & utilitate vobis futurum
ut fpero , gratiffimum , proximo
anno , fi Deus bene vertat , in lucem edam .
P. VERGILII MARONIS Codicem , qui Turcii
Rufii Aproniani V. C. olim fuit , & nunc
in Bibliotheca Laurentiana adfervatur , Codicem
unum inftar omnium , qui parem vetuftate
nullum per Europam univerfam habeat
ut de eo jure & merito Nic. Heinfius pronunciavit
, literarum forma , verfuum in unaquaque
pagina & numero & ordine , apicibus
ipfis , & ipfis etiam erroribus , & lituris,
& emendationibus religiofe fervatis , rci familiaris
, laboris , & diligentiæ in publicum
commodum non avarus nitidiffimis typis imprimendum
curavi : ita ut quifquis apud fe ·
habeat VERGILII à me editi exemplum
Codicem
JANVIER. 14F 1741.
Codicem ipfum pretiofiffimum Laurentia
num apud fe habere , jactare poffit.
Volumini , in quo erunt Bucolica , Geor
gica , & Heroica VERGILII , prout ea exhibet
Codex Laurentianus , volumen aliud comes
ibit conjecturas de quibufdam male habitis
in Codice locis continens , & Differtationes
de Antiquitate , & Orthographia ejufdem
Codicis : de ufu veterum in libris fcribendis
: de antiquioribus aliis VERGILII COdicibus
, & præcipue de omnibus illis , qui '
in Florentinis Bibliothecis adfervantur ; quibus
omnibus nonnullæ accedent tabulæ ære
diligenter incifæ , variam antiquarum literarum
formam repræfentantes , & illas inter
altera paginam integram ipfius VERGILII
Laurentiani , altera vero literarum nexus in
codem Codice paffim occurrentes exhibebit.
Utrumque Volumen in charta minus no
bili Julios , ut aiunt , Romanos 24, valebit,
in charta nobiliori 30. in qua tamen 100.
tantummodo exempla impreffa funt.
Verum fi quis operis emptorem fe fore profiteatur
, antequam opus ipfum conficiatur ,
pretio Juliorum 18. exempla chartæ minus
nobilis , & 24. exempla chartæ nobilioris
obtinebit , dummodo tamen dimidiam pretii
partem nunc folvat , dinidiam foluturus
ipfum opus recipiens.
G vj Exftant
444
Exftant & exempla 12. in membrana ,fed
his pretium ftatui neque dum potuit ; unde
ob id folum nuntiare placuit , ut notum ſit¸
quod fingula ftabunt minoris primo emptori
, quam fecundo , minoris item huic, quam
tertio & c. Valete .
Florentia Kal.Sext. A. S, CIƆ. IƆ. CCXL,
Il vient de paroître à l'Imprimerie Royale
un petit volume in- 18. contenant l'épreuve
d'un nouveau caractere de moitié plus petit
d'oeil & de corps , que tous ceux qui ont
été fi renommés jufqu'à préfent fous le nom
de la Sédanoife.
Ceux-ci ont été gravés tant pour le Romain
que pour l'Italique , par le Sieur Louis Luce,
Graveur de l'Imprimerie Royale , &ils prou
vent jufqu'à quel dégré on pourroit porter la
perfection & la délicateffe de cet Art , puif,
que l'exacte proportion qui y eſt obſervée ,
& la jufteffe des alignemens , rendent ce
petit Ouvrage très - net , & parfaitement lifible.
On trouve en même tems dans cette nouvelle
Epreuve , un goût fingulier de Vignettes
qui accompagnent l'impreffion : elles font
fondues de la même façon que les Lettres ,
& produisent à l'oeil le même effet que fiel
les étoient gravées en cuivre & en Tailledouce.
Ce font des pièces d'ornement com
pofées
pofées avec génie , & juftifiées de façon à
pouvoir compofer fur le champ des Culs- de-
Lampe , ou des Cartels de differente grandeur
& de different goût ; avec des Encadremens
, que l'on peut également varier par la
facilité d'y ajuster des Angles d'ornement
plus ou moins étendus , felon la grandeur
des pages que l'on voudroit encadrer , &
aux coins defquelles il eft très- aifé de les affujétir.
Ce genre de Vignettes n'eft point encore
connu dans les Imprimeries. L'Epreuve don't
il s'agit ne contient que dix pages , & on a
eu foin d'inferer dans l'introduction qui fert
de Préface , un caractere abfolument femblable
à celui de l'ancienne Sédanoife , afin
de réunir fous un même point de vûë , un
moyen facile de faire la comparaifon de l'un
avec l'autre ; le refte confifte en trois Fables
choifies parmi celles de la Fontaine , une
Imitation d'Horace en Vers François , & fur
la fin quelques pages remplies d'exemples out
d'échantillons de ces nouvelles Vignettes : ce
qui mérite à bien des égards , l'eftime desGens
de goût , & nous a paru avoir acquis le fuffrage
de tous les connoiffeurs qui l'ont examiné
avec cette attention qui marque fi
bien l'interêt qu'on prend au progrès des
Arts.
Le
44 MERCURE DE FRANCE
Le 6. Décembre M. l'Abbé Le Beuf, Cha
noine & Sous-Chantre de l'Eglife Cathédrale
d'Auxerre , ayant été élû par l'Académie
Royale des Infcriptions & Belles Lettres
pour remplir la place vacante par le décès
de M. Lancelot , il fut reçû en cette qualité
dans l'Affemblée de cette Académie du 13 .
du même mois. M. l'Abbé Le Beuf eft connu
dans la République des Lettres par divers
ouvrages que le Public a reçûs favorablement
, & dont plufieurs ont été couronnés
par des Prix Académiques.
L'Académie Françoife donnera le 25. du
mois d'Août prochain , Fête de faint Louis ,
le Prix d'Eloquence fondé par M. de Balzac,
& elle propoſe pour Sujet , Qu'il eſt dû aux
malheureux une forte de refpect , conformément
à ces paroles de l'Eccléfiaftique , Non
irrideas hominem in amaritudine anima. Le
même jour elle donnera le Prix de Poëfie
fondé par le feu Evêque de Noyon , & dont
le Sujet fera la Bibliothéque du Roy , fous.
LOUIS LE GRAND .
SEANCE
JANVIER. 1741.145
SEANCE publique de l'Académie Royale
des Sciences & Belles- Lettres de la Rochelle.
Extrait d'une Lettre écrite à M.
D. L. R.
D Monfieur , de la Séance publique de l'Acadé-
ANS le compte que je vais vous rendre
mie , du 14. Decembre dernier , je ne pourrai
m'empêcher d'être un peu plus long qu'à mon ordinaire.
Il eft des Difcours , que la fimple analyſe
ne rend point : tels que celui qui fut prononcé par
M. l'Abbé Bonvallet, Directeur . Je ne veux cependant
vous le montrer que du côté des portraits ,
comme c'eft le genre d'écrire favori de l'Auteur
vous jugerez s'il a tort de s'y plaire , & fi fes tableaux
manquent d'expreffion & de force. Voici le
commencement de ce Difcours.
» MESSIEURS , fi le défir de fatisfaire à nos engagemens
nous fait envifager avec plaifir l'arrivée
de ces jours folemnels , où nous produifons au
Public les fruits de nos travaux littéraires , la
crainte de ne pas remplir fon attente ne devroitelle
point nous en faire apréhender en même tems
» les aproches ?
גכ
23
Quelque foin que nous aportions à châtier &
à polir nos Ouvrages , quelque exact , quelque
rigoureux même que foit l'examen que nous en
» faifons ; quelque éloignés que nous foyons de
» vouloir nous flater , nous épargner les uns les
autres , n'eft- il point à craindre qu'une amitié
» trop facile ne nous dérobe quelquefois des dé-
» fauts , que des yeux plus perçans , ou moins
» prévenus en notre faveur , ne manquerofent pas
de faifir?
Raffurons- nous , Meffieurs. Nous n'avons point
» ici
146 MERCURE DE FRANCE
» ici à parler à des Hommes injuftes & déraiſonnables
, qui demandent de nous ce qu'on pourroit
à peine exiger des plus anciennes & des plus célebres
Académies .
و د
A des Hommes d'une délicateffe exceffive , &
» qui , indifferens pour tout ce qui n'excite pas leur
admiration , croiroient dégrader leurs fuffrages
s'ils honoroient des moindres éloges quelque
production qui ne feroit pas un Chef- d'oeuvre.
A des Hommes prévenus, qui , fauffement perfuadés
que , ni l'Efprit , ni le Goût , ni les Talens
, ne fçauroient réfider dans la Province , re-
»gardent comme également vains & présomptueux
5 les efforts que l'on y peut faire pour s'acquérir
" quelque gloire dans l'Empire des Lettres.
3
Nous n'avons point à parler à des Hommes
* jaloux & envieux qui , mécontens , & peut - être à
trop jufte titre , des médiocres fuccès dont les
» Mufes peu libérales ont récompenfé leurs fervices
, & prétendant , ce femble , intéreffer tout
» l'Univers dans le reffentiment qu'ils en ont,,
» voyent avec le même dépit , & les faveurs qu'elles
prodiguent à d'autres , & les foins attentifs &
reconnoiffans , dont ceux - ci s'empreffent à leur
tour de relever & d'étendre leur culte .
"
» A des Hommes malins autant que bornés ,
bruïans & importuns échos de la fatyre & de la
calomnie ; qui , trop mal partagés du côté du
» coeur , pour rien penfer d'obligeant , trop dépourvûs
des dons du génie, pour rien dire de jufte
» & de fenfé qui foit à eux-mêmes , trop difcrers
néanmoins pour parler les premiers , prennent le
ton d'autrui ne raillent qu'en fecond , & attendent
pour opiner à la profcription de l'Ouvrage
» & de l'Auteur , qu'un Ariftarque ou qu'un Zoile
ait élevé la voix , ouvert les avis , ou prononcé
P'Arrêt. »A
JANVIER. 1741. 147
A des Critiques outrés & pointilleux , avides
de trouver partout à reprendre ; & qui , diftraits
de deffein prémédité fur mille beautés répandues
dans les Ecrits qu'on leur offre , s'attachent
par choix & par goût , à quelque endroit défec-
» tueux qu'ils y auront apperçu , & pour une pen-
» fée moins noble , pour une tranfition moins dé-
» licate , pour un trait moins brillant , un vers
moins harmonieux , une rime moins riche , pour
un terme moins propre & échapé dans le feu de
» la compofition , fe croyent en droit de décrier
hautement les productions d'ailleurs les plus efti-
» mables .
A des Cenfeurs cauftiques & impolis , incapa-
» bles de fauver à notre amour propre le dégoût
» naturel de la correction , & que l'aprêté pédan
tefque , j'ai prefque dit la férocité de leur cenfure
, rend moins propres à inftruire , que capa
» bles d'intimider , de rebuter , d'étoufer même *
les talens les plus marqués. Ne craignons point ,
Meffieurs , que de pareils Spectateurs viennent
» ici troubler nos Jeux innocens .
C
Je n'y vois que des Citoyens bienveillans &
» généreux , zélés comme nous pour l'honneur de
la Patrie . & charmés du nouvel éclat que nous
nous efforçons de lui procurer , en élevant dans
fon fein un fanctuaire au Dieu des Beaux Arts.
» Des Amis ; & même des Protecteurs des Let-
» tres , qui dévoués au ſervice du Prince & de l'E
» tat dans des Emplois , dont l'exercice abforbe
» tous leurs momens , s'eftiment heureux de pou→
voir , en quelque maniere , s'acquiter par nos
foins de ce qu'ils doivent aux Muſes , & de nous
* M. le Commandant & M. l'Intendant , préfens
à l'Affemblée , & Académiciens Honoraires.
» voir
148 MERCURE DE FRANCE
voir leur payer avec joye , pour eux & pour
un double tribut.
nous
Des Juges , auffi pleins d'équité que de difcer
nement ; épris de l'amour du Beau , de l'Excellent
, du Sublime ; mais qui , fçachant que ce
» n'eft que par degrés & à force d'étude & de veil
les , qu'on peut y atteindre , në nous reprochent
" point de n'y être pas encore arrivés , fe contentent
de nos effais , aplaudiffent à la nobleffe du
deffein qui nous unit , rendent juſtice à nos efforts
, & nous excitent même à les redoubler
» en nous repréſentant comme moins éloigné l'ob-
» jet flateur de nos voeux.
33
Scachons-leur gré, Meffieurs ,de ces fentimens ;
mais gardons- nous d'abuſer de leur indulgence.
Ayons d'autant plus de féverité les uns pour les
autres, qu'ils en ont moins pour nous. Ils ne nous
» refufent point leurs fuffrages , tâchons de mériter
» jufqu'à leur admiration . Que la difficulté qu'il
"y a de fe diftinguer , dans un fiécle auffi éclairé
33 que le nôtre , loin de nous arrêter , nous inſpire
» au contraire une ardeur encore plus vive. Dût
» la contradiction s'opofer à notre entrepriſe , ne
≫ nous rebutons point : tel fut dans tous les tems,
a le fort des Etabliffemens les plus utiles & les plus
» glorieux. Dût l'envie ou la haine armer contre
nous la critique , fes traits les plus empoisonnés
» font moins à redouter pour nous , que le venin
» corrupteur des louanges outrées .
Mais écartons , Meffieurs , des idées fi con-
» traires à l'inclination bienfaifante de nos Citoyens .
» Loin de vouloir traverſer nos projets , ils feroient
les premiers à nous encourager , fi nous venions
» à nous ralentir . Et fi nous les voyons quelquefois
» relever dans nos Ecrits , des manquemens que
toute l'aplication ne fçauroit faire éviter , penfons
- alors
JANVIER 1741: 149
→ alors que , plus jaloux que nous-mêmes de no-
» tre réputation , l'envie feule de nous voir parfaits
les rend , & fi ardens à découvrir nos dé-
» fauts , & fi prompts à les cenfurez .
20
"
Que le zéle de la Patrie , qu'un jufte amour de
la gloire , de cette gloire fi pure & fi délicate
que difpenfent les Mufes , nous faffent donc courir
de toutes nos forces dans la carriere brillante
» qui nous eſt ouverte .
22
Que furtout le défir de plaire au Grand Prince
» qui nous a adoptés , nous porte à ne rien négli-
» ger pour nous rendre de jour en jour plus dignes
de fes faveurs. ( M. le Prince de Conty. )
» C'eſt à lui , fans doute , Meffieurs , c'eſt à l'éclat
immortel que répand fur vous la Protection
augufte dont il vous honore , que vous devez
tant d'illuftres Affociés qui , déja fûrs de vivre
éternellement dans l'Hiftoire des Arts & des
» Sciences , mais jaloux d'avoir part comme vous
» aux bontés d'un Mecene fi accompli , ont fou
» haité que leurs noms fuffent infcrits dans vos
>>
Faftes .
L'éloquent Académicien qui m'a précedé dans
la place que le fort me fait ocuper aujourd'hui
parmi vous , vous en félicita , dans votre derniere
Affemblée , & fut auprés du Public , l'interprete
fidele des fentimens de joye & de gratitude
qu'avoit produit dans vos coeurs l'affociation
» de ces Hommes illuftres.
Vous avez vû les noms de tous ces Meffieurs ,
dans le Mercure de Juin dernier , page 1285. M.
Bonvallet annonça dans ces termes la nouvelle
affociation du P. Lombard Jéfuite , Profeffeur de
Rhétorique au College de Touloufe , & chargé de
la continuation du grand Dictionaire François-
Latin du feu P. Vaniere . » Animé de la même am
bition
La MERCURE DE FRANCE
» bition , l'Héritier des talens & des travaux de
Vaniere , fuit leur exemple , Meffieurs ; & c'eft
pour moi un fajet de vous féliciter à mon tour.
» Huit fois couroné dans un Temple toujours
→ chéri des neuf Soeurs , & le plus ancien même
qu'elles ayent dans le monde chargé des dons
d'Ifaure , & prefque accablé fous le poids de fa
gloire , il vient en la partageant avec vous , de
» réhauffer la vôtre , quoique fa modeſtie lui faffe
≫ croire qu'il en acquiert lui - même une nouvelle,
Y
en joignant votre eftime à celle de ces Juges fr
» éclairés & fi juftes estimateurs du mérite , qui
lui ont tant de fois décerné les honneurs des
triomphes les plus brillans >>
Le Difcours de M. l'Abbé Bonvallet fut fuivi de
la lecture que fit M. Richard, Tréforier de France
d'un Mémoire pour fervir à l'Hiftoire des Seches.
L'Auteur commence par nous inftruire du tems &
de la maniere de pêcher les Seches , & raporte ce
que les Anciens ont dit de puérile fur cette pêche.
Il expofe enfuite les obfervations qu'il a faites à la
Mer fur les Seches vivantes , fur l'épanchement
d'une liqueur noire dont ce Poiffon s'envelope
comme d'un nuage , lorfqu'il fe voit poursuivi ou
pris ; fur le changement fingulier de fa couleur ,
quelquefois plus prompt quelquefois plus lent, &c .
M. Richard a voulu s'affûrer d'un fait raporté par
Plutarque , qui prétend que l'encre de Seche mêlée
avec de l'huile , répand une impreffion de noirceur
fur tous les objets qui en font éclairés . L'expérience
n'a pas décidé en faveur de l'Historien Grec
De là , l'Auteur paffe à la defcription anatomique
de la Seche , en commençant par la tête , le dos ,
le ventre extérieur , & la gorge. Il tire de l'expérience
& du raifonnement , l'ufage de ces differentes
parties , tant pour la nutrition & la confervation
,
JANVIER.
1 } 1741.
vation , que pour les divers mouvemens de l'Animal.
Le mécanisme fingulier des barbes qui font au
devant de la tête de la Seche , & qui , felon l'Auteur
, font l'office de mains & de nageoires , les
longs appendices ou cordons qui lui fervent d'ancres
pour fe cramponer au fond de la Mer , les cé-
Jules où ces cordons fe replient , & que M. Richard
compare à la foffe aux cables d'un Vaiffeau , les
petites coupes ou godets qui fe voyent fur les barbes
& à l'extrémité des cordons de la Seche , l'adhérence
des corps à ces godets , dont il propofe
modeftement l'explication ; l'entonnoir qu'on voit
fous la gorge , & dans lequel fe trouve une valvule
ou foupape qui permet la fortie des liqueurs , & en
empêche le retour , des cavités & des tubercules
cartilagineux , que l'Auteur prétend faire l'effet de
boutons & de boutonnieres, pour joindre l'entonnoir
avec le fac inférieur qui fert comme de foubrevefte.
l'ufage qu'il attribue à ces parties , tout cela rend
ce Mémoire très intéreffan
Après avoir donné la defcription, des parties extérieures
de la Seche , M. Richard paffe aux parties
intérieures , qui font les vifceres , Contenus , com-.
me dans le corps humain , daas deux capacités ,
dont l'une eft fupérieure , & l'autre inférieure.
Avant que de faire l'ouverture de cette derniere.
on voit extérieurement à elle & de chaque côté
qu
deux corps allongés que l'Auteur prend à leur conformation
, pour les reins de l'Animal .
T
a
Cette capacité ouverte , le premier objet qui fe
préfente et la vefficule oblongue , terminée en cul
de lampe , remplie d'une liqueur vifqucufe , extremément
noire. Cette vefficule , comme celle du
fiel dans l'homme , ne paroît avoir aucun paffage
ou vaiffeau déférent pour recevoir da liqueur , mais
יו
feu12
MERCURE DE FRANCE
feulement un long col , par où l'encre fe dégorge.
Plufieurs expériences chymiques faites léparément
, de cette encre avec de l'huile de tartre par
défaillance , de l'huile blanche de vitriol , de l'ef
prit de foufre , & de l'efprit de fel , du fel même
de cette encre , calciné & tiré par la filtration , qui
mêlé avec le fel ammoniac donne à ce dernier une
forte odeur d'urine : toutes ces expériences déterminent
M. Richard à croire que cette encre abonde
en efprits acides volatils .
Après la vefficule , ce qui furprend le plus dans
la Seche , eft le double eftomach qu'on lui trouve.
Eftomachs diftincts & féparés , renfermés l'un dans
l'autre , & dont le premier paroît être l'envelope
ou l'étui du fecond .
Je pafferai légerement fur les autres parties de
cette capacité , comme le pilore , le pancreas , &c.
auxquelles l'Auteur trouve quelque analogie avec
les parties qui portent les mêmes noms dans le
corps humain . M. Richard n'a pas omis une légere
defcription des parties deftinées à la génération , des
liqueurs féminales , & de la difference des fexes.
La capacité fupérieure renferme deux lobes ;
d'une matiere laiteufe , couleur orangée , qu'il prend
pour les poumons , fondé fur une expérience qui
lui a fait voir cette partie s'enfler confidérablement
dans la machine pneumatique , & fur des bulles
d'air qui ont paru fur le parois intérieur de la
membrane qui couvre les lobes.
M. Richard , en donnant ainfi fon fentiment fur
cette partie , avoue en même tems qu'il n'a décou
vert aucun organe qui , femblable aux ouies des
autres Poiffons , puiffe filtrer & féparer l'air renfermé
dans les parties d'eau. Ainfi , quoiqu'il penfe
que la Seche refpire , il avoue ingénûment qu'il
efçait pas de quelle maniere fe fait cette refpiration
JANVIER 173 1741 .
tion . L'Auteur termine fon Mémoire par quelques
obfervations faites à la Mer fur les oeufs de Seche.
Ces oeufs qui ont affés la forme de grains de raifin
attachés à leur grape , font dépofés fur le fable , &
fécondés par le mâle.
M. Richard finit en raportant ce que les Au
teurs ont dit du tems de quinze jours que ces
eufs étoient à éclore , & de l'efpace de deux années
auxquelles ils ont borné la plus longue vie de
la Seche. Faits qu'il n'a pû vérifier , mais dont il
nous promet de chercher un jour à s'inftruire .
La Differtation de M. Richard fut fuivie du Difcours
que pronorça M. l'Abbé Brian , Chanoine de
PEglife de la Rochelle , Sur ce que les Sciences &
les Beaux-Arts doivent à l'Imagination . Ce Difcours
perdroit infiniment , fi je ne vous en préfentois que
Panalyfe. J'aime mieux, pour l'Auteur & pour vous,
vous en donner quelques morceaux détachés. En
voici un de l'Exorde .
» Il faut l'avouer Meffieurs : l'Imagination favo
» riſe elle-même ſes adverſaires . Nulle autre faculté
» de l'efprit n'eft fufceptible de plus grands défauts ,
» Souvent ils balancent fes plus nobles , fes plus
» brillans caracteres , d'autant plus voifine de la
corruption , qu'elle excelle. Et de- là naît l'impoffibilité
de lui refufer fon admiration , avec la fa
cilité d'en faire l'objet de fa critique.
» La vafte fphere ou l'imagination domine , cette
foule de beautés qu'elle étale avec une efpece de
luxe , donnent lieu de craindre , avec quelque
aparence de raifon , qu'elle ne s'égare , ou qu'elle
ne s'épuife . Oferai je bien en faire la comparaifon
? Ainfi l'Univers , ébloui de la majefté de
» Rome , trembloit pour elle . Au premier mouve-
» ment, on croyoit la voir s'affaifcer, s'écrouler fous
» le poids exceffif de la propre grandeur....
י
3
Yous
154 MER CURE DE FRANCE
33
53
33
Vous ne doutez pas , Monfieur , que dans le
nombre des preuves que M. Brian a employées dans
fa premiere partie , pour faire fentir l'utilité de l'imagination
, il n'ait fait entrer l'Architecture , la
Peinture , la Sculpture , & les autres Arts qui empruntent
d'elle leurs plus nobles idées.
Aux fimples cabanes , dit - il , parlant de l'Architecturé
aux fimples cabanes , que le chaume
couvroit d'abord , toits ruftiques , où les troupeaux
jouiffoient du même couvert avec leurs
» maîtres... une imagination fiere & hardie fubfti
tua bien-tôt des Tours fuperbes , des Palais prefque
auffi grands que les Villes ... les Montagnes
» avec les bois touffus qui les couronnent , furent -
imitées & comme fufpendues , dirai - je par un
effort ou par une faillie de l'imagination qui mit
l'Art en oeuvre ? on conftruifit des ponts & des
chauffées , d'une hauteur capable de faire difparoître
le fleuve fuperbe qui femblait s'indignet
du joug, & ne pouvoir fouffrir de digue...
" A ces maffes énormes ( les Pyramides ) .... la
Grece fit fucceder les Temples ... L'Architecture
vint décorer ces Bâtimens . Elle en releva le goût
avec ces cinq Ordres ; fur lefquels ne rougit
point de fe modeler... le Génie Romain , dailleurs
fi jaloux de fe donner lui - même pour modele . Et,.
ce qui paroîtra plus furprenant peut être , le Gé
nie François , ce Génie héritier du Romain
vainqueur du barbare Gothique , ce Génie le plus
vif , le plus fécond , ce Génie favori déclaré de
l'imagination, n'a pu que polir & perfectionner ,
fans inventer rien de nouveau dans l'Architecture
, en un tems & fous un Regne ou Part
docile fembloit plus que jamais plier au gré de
l'imagination , que la gloire & les bienfaits du
plus grand des Rois, animoient, encourageoient ,
tranfportoient... Après
*
JANVIER 1741 155
39
-66
Après avoir parlé de la Sculpture , il ajoute
Si je pénetre dans le Sanctuaire de cette augufte
» Maiſon , ( les Invalides ) la Peinture …….. m'étale à
fon tour des trophées d'un autre genre. Sous ces
ກ riches lambris où l'or prodigué fur l'azur imite
» les voûtes étoilées du Firmament , un pinceau
guidé par la plus belle imagination a peint les
horreurs d'une mort naturelle furmontées par
» un Héros tranquile. Un Vieillard chargé d'an-
» nées & de mérites expire fous les roches , dans le
creux defquelles il a vécu , jaloux de fon heureuſe
pauvreté. Ses vertus , fes triomphes fur les paffions
femblent fe compter par les rides de fon
front auftere. Dans les yeux enfoncés , prêts de
» s'éteindre, étincele déja un rayon céleſte . Sous fes
pieds nerveux & négligemment couverts d'une
» draperie , s'aperçoit un monceau de membranes
» & de rouleaux , reftes précieux de fon génie
fublime. Un Solitaire les recueille , il les parcourt
» d'un oeil avide , il s'empreffe d'y faifir l'art de
amourir content...
M. Brian termine ainfi la premiere partie de fon
Difcours : » Pour reconnoitre les foins du Monarque
qui fe rendit attentif à vous illuftrer , à vous
couronner , partez , volez ; Génies brillans , allez
» au milieu de cette Capitale , émule de la grande
Rome , lui élever des monumens . Prodiguez l'or
pour les enrichir ; faites couler des métaux dont
la fonte étonne Corinthe même : Servez fes plaifirs
comme fa gloire , & que par des refforts furprenans,
on voye l'eau d'un grand Fleuve quitter
fon lit naturel , s'élancer fur le fommet des collisnes
, & rejaillir , comme par enchantement ,
gofier de cent monftres .
ג כ
du
Réunissez -vous , Beaux - Arts , & redoublez
a tous vos efforts ; furpaffez-vous vous- mêmes. Į
H s'agit.
136 MERCURE DE FRANCE
ɔs s'agit d'élever à votre Protecteur un Palais qui
» foit un abregé de toutes les merveilles , je veux
» dire un fidéle monument de fon Regne , Feignez
» dans de longues & fuperbes Galeries , ce que ce
Regne eut de grand , d'éclatant , ce qu'il eut de
> doux & de charmant. Beaux- Arts , peignez- vous-
» vous- mêmes au pied du Trône , à l'ombre des
"3
Lauriers entrelassez ces Lauriers des fleurs les
» plus tendres , mêlez les avec les Lys. Apellez
» les Graces , les Ris & les Jeux , fuivis de l'abon-
» dance. Et dans ce même Tableau qui nous traçoit
» les triomphes de la Guerre fous un Regne tissu
» de victoires , nous croirons retrouver aujourd'hui
l'image fidéle de cette glorieuſe Paix dont nous
» jouissons fous l'Empire d'un Titus , fuccesseur
» d'un Augufte. Il fçaura , comme lui , protéger
5 les Arts ; il verra , comme lui , s'élever avec une
fecrette joye ces induftrieux enfans de l'imagina
rion , jufque fous les riches portiques du Louvre.
» De ce glorieux féjour .... une émulation toujours
>> nouvelle les fera fe répandre dans les Provinces ,
» & porter dans toutes les parties de l'Etat des
fecours utiles au bien géneral de la Societé...
Après avoir prouvé l'utilité de l'imagination ,
M. Brian montre ce qu'elle a d'agréable . Je voudrois
pouvoir vous copier toute entiere cette feconde par
rie ; mais je m'aperçois que ma Lettre eft déja bien
longue : qu'importe cependant , fi elle vous amufe a
En parlant des agrémens que l'imagination fournir
à l'Epopée , il cite l'Eneide , & il dit .
» A peine commence- t'on de s'intéresser au fort
de ce pieux Héros ( Enée ) que les Deftins pour
fuivent.... qu'on fe trouve avec lui furpris &
comme envelopé dans une tempête dont les hor
» reurs nous faififfent , & nous aflocient nous - mê-
» mes pour quelques inftans à fes périls. Une Mer
» affreuse
JANVIER: 157 1741
30
3 affreufe s'offre à nous... Les vents déchaînés en
foulevent les flots chargés d'écume ; ils s'élevent
» comme des montagnes , ils fe replient les uns fur
les autres avec d'horribles mugiffemens , ils
» viennent fondre & ſe brifer... une nuit fombre &
fauvage n'en dérobe l'afpect effrayant que pour
augmenter la terreur avec les périls. Les ombres
épaiffes fe plongent dans les ondes , ellès roulent
fous de longs traits de feu qui croifent les airs ,
& qui femblent entr'ouvrir le fond des Mers
bouleversées . L'air mugit, la foudre gronde , elle
retentit en éclats ; le Vaiſſeau crie , il s'entr'ouvre ,
cé une lame d'eau l'éleve , le précipite & le couvre ,
un dernier gémiffement fe fait entendre , il difparoît
, il périt , c'en eft fait ... Non , je le revois
foutenu par le Dieu des Mers , échaper à la fuà
rie des vents , & gagner les côtes barbares de
» l'Afrique. Là , un nouvel enchaînement de faits
» plus intéreffans & plus tragiques encore , en flatant
la curiofité du Lecteur , ne lui laiffe jamais
perdre de vûë la fondation de Rome....
>
L'Auteur parcourt le caractere particulier de l'imagination
du Taffe & de Milton . Les traits par
lefquels il caractériſe ce dernier , m'ont paru auffi
juftes que brillans . » Milton ( dit- il ) auroit remis
dans leur ancien luftre toutes les richeffes de l'E-
» popée , s'il avoit pû fe borner dans un fujet , le
plus grand qui fut jamais ... Alui feul étoit réfer-
» vé l'honneur de faire la découverte du Monde
idéal , à travers l'anarchie du cahos ; de mefurer
fans s'étonner les profondeurs de l'abîme impénetrable
; de fuivre d'un ceil fixe les révolutions
du Royaume infernal ; de décrire d'un ftile plus
» qu'humain les tranfports de l'Ange jaloux , fes
combats fulminans , les noirs accès de ſa rage
fon atroce , fon indomptable fierté fous les éclats
Hij >> embrafés
58 MERCURE DE FRANCE
•
ג כ
embrafés des fes ruines , & la trifte revanche
qu'il prit dans fa défaite & fon défefpoir , fur
» l'homme innocent , mais foible ... Mais faute
d'être refferré dans de juftes bornes , faute d'être
» réfléchi à propos , un fi beau feu fe diffipe quelquefois
de tems en tems il ne jette qu'une lueur
» foible , un éclat femblable à celui du crépufcule...
» Je veux dire qu'on a peine à démêler dans une fi
vafte érudition fi , dans les traits les plus frapans ,
le faux ne fe trouve pas à côté du vrai ; s'ils ne
font point déplacés ou rafinés . Enfin , dans ce
» mélange confus de vérités & de fictions ... on
» ne peut s'empêcher de fentir le défaut des bienféances.
Ce n'eft pas feulement dans les fujets
intéreffans , que l'imagination eft capable d'attacher
par l'agrément ; elle fçait auffi en répar.dre
jufque dans les ſujets les plus fimples & les plus
communs , tels que la defcription que donne M.
Brian d'un Feu d'artifice ,
?
» Sur la fin de ces beaux jours confacrés à l'al-
» légresse publique , on entend gronder des tonneres
d'un heureux préfage. A l'inftant s'élevent
jufqu'aux aftres un million de flambeaux qui les
» imitent. L'ar fifle , il fe couvre de feux qui fe
» croifent , & qui femblent former des voûtes ar
d. ntes . Des gerbes de feu fe détachent de ces
voûtes , fe replient fur elles mêmes , & fe diffa
pent avec fracas. Les flammes imitent les ondes,
elles flotent , elles fe précipitent en caſcades , el-
२० les forment des napes au pié des Volcans qui vo-
2 missent des tourbillons de feu . Quelle charmante
confufion quel heureux renverlement dans l'or.
dre de la Nature ! un élément femble avoir lui
feul emprunté la forme & le jeu de tous les autres.
Le feu vole , il nage , il plonge , il ferpente ,
a il s'éleve , il jaillit , il circule , il tourne comme
” ը
JAN VI E R. 1741. 159
un foleil fur fon propre centre ; & c'est d'une
imagination vive & brillante qu'eft enfanté ce
Prothée ....
L'Auteur finit par ce morceau dans lequel il raf
femble quelques - unes des plus grandes images dont
les Prophetes fe font fervis pour exprimer la Majefté
de Dieu.
.... » Fuyez , idées , fentimens vulgaires . Poëtes
» prophanes , fufpendez vos lyres , brifez vos
luths. Une harmonie plus augufte , plus tou-
» chante , frape , enleve nos fens .... O prodige !
> les Cieux s'ouvrent ! quel fpectacle !... le Roy des
"
Siecles paroît , il s'avance , il fort d'un féjour
» éblouissant , inacceffible. De longs fillons de lu-
» miere fotent fous fes pas : les feux de fa pourpre
teignent les nuages étincelans qu'il foule : il
fend les airs fur les aîles tremblantes des vents
dociles A fa marche , le fommet orgueilleux des
> montagnes s'incline , leurs volcans embrafés re-
» doublent prêts à fervir la colere. Il monte fur
» les flots fufpendus ; quel char de triomphe ! la
» Mer le voit , elle fuit de frayeur , elle retire fes
» vagues précipitées , amoncelées contre les rochers
efcarpés de ces rives lointaines , qui reten-
» tissent du coup & bondissent à leur tour... Mer ↑
fuperbe Mer ! ou courez-vous en grondant ! ....
» Flots ! pourquoi vous recourber fur vous-mê-
» mes ! .... & vous montagnes ! rochers ! pourquoi
vous ébranler ! pourquoi tressaillir ! ... arrêtez ....
» la Nature fe dissoud elle ?... va- t'elle s'écrouler
» & difparoître ?
95
"
" Non. Son Maître parle. A l'inftant , je vois
» l'orgueilleufe Mer obéir . Cette Mer fi affreufe
dans fa colere , n'eft plus qu'un enfant qui fe débat
dans fes langes . Tout renaît dans la Nature ;
dès qu'à l'air de Maître le Tout- puissant fait fuc-
» ceder
Ĥ iij
160 MERCURE DE TANAKAN
» ceder celui d'un époux caressant .... Heureufe
» Terre , ouvre ton fein à la lumiere , à la voix qui
» te rend féconde , & que tes enfans tressaillent
tous d'allégresse avec toi , fous un Empire fi glorieux
& fi doux. »
Enfin , M. Bonvallet termina la Séance par la
lecture d'une Ode Sacrée de M. de Bologne, Associé
à notre Académie . La voici .
ODE tirée du Pfeaume io2 . Benedic anima
mea Domino , & omnia , &c. Actions
de graces pour la Confeffion pour la &
Communion.
Du Dieu qui vous comble de joye ,
*
Mon ame ,
célébrez
l'inéfable
bonté ;
Pour le louer , efprit , mémoire
, volonté
,
Que tout votre pouvoir
aujourd'hui
fe déploye.
De fes graces fur vous il ouvre les tréfors ;
Que dis - je ! il fe donne lui-même ; "
Pour bénir fon faint Nom , épuiſez vos efforts ;
Exaltez la grandeur ſuprême ,
De mon coeur à l'envi fecondez les tranſports.
Du zele faint qui vous anime ,
Mon amé , pourriez-vous interrompre le cours!
D'une éternelle mørt il rachete vos jours ,
Il guérit vos langueurs , il remet votre crime ;
Sa main , dans fa pitié , vous couronne aujourd'hui,
De l'aigle , il vous rend la jeuneffe,
IL
JANVIER. 17413 ** 161
Il comble tous vos voeux , il fe fait votre apui :
Après ces marques de tendreffe ,
Pourriez- vous bien encor vous féparer de lui ?
Expofez-lui votre mifere ;
La veuve , l'orphelin , l'étranger , l'innocent ,
Contre les attentats de l'injufte puiſſant
Trouvent toujours en lui des entrailles de pere.
Combien de fois , malgré les monftrueux forfaits
D'un peuple rébelle , indocile ,
"
Envers ce même peuple ingrat à fes bienfaits ,
D'un coeur indulgent & facile
A- t'il fait , par Moïfe , éclater les effets ?
Le Seigneur aime à faire grace ,
Un foupir, que lui- même il forme encore en nous
Suffit , vous le fçavez , pour arrêter les coups ;
C'estpour ne point fraper qu'il tonne & qu'il menace ;
Combien de fa bonté s'offre- t'il de témoins ,
Qui devroient être fes victimes ?
Combien de fois vous-même en vos moindres be
foins ,
Malgré le nombre de vos crimes
Avez-vous reconnu fon amour & fes foins
Autant la diftance eft immenſe
Du centre de la terre à fon Trône éternel ,
Autant avons-nous vû que fon coeur paternel
Hij
A
2.
162 MERCURE DE FRANCE
A daigné fur les fiens étendre fa clémence.
Oui , fon fang , entre nous & notre iniquité
A mis plus d'intervale encore , 書
Que fa main n'en a mis , du rivage écarté
Où naiffent les feux de l'aurore ,
Jufqu'où l'on voit du jour expirer la clarté.
Ainfi que de fon fils unique
Un pere fait l'objet de fes foins les plus doux ,
Sur le Jufte qui craint d'irriter fon couroux ,
De ce Dieu bienfaifant la tendreffe s'aplique.
Seigneur tes propres mains ont daigné nous for
mer ,
Tu fçais combien l'homme eft fragile ,
Tu fçais qu'un fouffle feul fuffit pour conſumer
Ce foible automate d'argile ,
Auffi facilement qu'il a pû l'animer.
Tu fçais que le plus long eſpace
Que ton Decret fuprême a prefcrit à fes jours
Eft une onde qui fuit fans arrêter fon cours ,
Une fleur paffagere , une ombre qui s'efface :
Tu fçais qu'il jouit peu de ce tems limité ,
Qu'au premier ordre de fon Maître
Il part pour la maifon de fon éternité
Sans nul efpoir de reparoître
Dans le lieu qu'en paffant il avoit habité.
1/44
Si nos miferes font extrêmes ,
Il eft un Dieu puiffant & fage en fes deffeins ,
Qui jamais dans leurs maux n'abandonna ſes Saints ,
Et dont pour leurs enfans les bontés font les
mêmes.
Ce Dieu , de qui l'Empire établi dans les Cieux
S'étend fur tous tant que nous fommes
Se plaît , quoique toujous inviſible à nos yeux ,
D'être avec les enfans des hommes ,
Et s'offre à leur amour en tout tems , en tous lieux
Vous , chef- d'oeuvre de fa puiffance ,
A fervir votre Roy Miniftres empreffés ,
Anges , qui , dans le rang où vous êtes placés ,
N'en rendez à fa voix que plus d'obéiſſance ;
Yous tous, Efprits heureux qui compoſez la Cour,
Qui le contemplez fans nuages ,
Redoublez , s'il fe peut , vos tranfports en ce jour
Offrez-lui pour moi vos hommages ;
Supléez aux efforts d'un impuiffant amour.
Gouffres profonds , vaftes carrieres ,
Goute d'eau qu'il contient dans le creux de ſa maine
Tyrans impétueux qui foulevez en vain
Des flots dont la parole a fixé les barrieres ;
Pavilion azuré , qui couvrez l'Univers ,
Fiers monts qu'il pefe à la balance ,
Globe , que de trois doigts il fufpend dans les airs;
Hv Louez
Louez l'Etre par excellence ,
Qui fçût vous embellir de tant d'Etres divers,
Vous enfin , fon dernier ouvrage ,
Vous , que l'Auteur de tout a ſeul enviſagé ,
Noble fils de la terre , Univers abregé ,
Sur qui feul de fon front il imprima l'image ,
Homme , offrez- lui ce coeur dont il eft fi jaloux :
A vous feul il s'eſt fait connoître ,
Faites de le louer votre emploi le plus doux ,
Aimez , fervez l'aimable Maître ,
Qui vous forma pour lui , comme il fit tout pour
yous.
JETTONS frapés pour le premier jour
de Janvier M. DCC . XLI . avec l'Explication
des Types , &c.
I. TRESOR ROYAL.
Triptoleme , monté fur le Char de Cérès , &
répandant au loin des Grains fur la Terre : Que
non fundit opes ?
II PARTIES CASUELLES.
Un Vaiffeau , dont on jette quelques - Balots à la
Mer , pour le foulager pendant la tempête : Ne
totum pereat.
III. CHAMBRE AUX DENIERS.
Un Char attelé , rempli de Gerbes , qui marche
Vers un Palais : Pro Doma Regis,
IV .
JETTO
NON
I
FUNDIT
TRESOR ROYAL
1741
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TADEN
FOUNDATIONS
.
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND
TILD
FOUNDATIONS
.
JANVIER. 165 1741.
IV. ORDINAIRE DES GUERRES,
Un Porc- Epic , dont tous les traits font heriffés :
Ab omni parte tuetur.
V. EXTRAORDINAIRE DES GUERRES .
Un Foudre ailé , avec ces mots d'Horace : Quid
non diluere efficax ?
VI. BATIMENS DU ROY.
Circé , tenant fa Baguette , & montrant dans le
Jointain des Bâtimens de differentes ftructures : In
quafcumque volet formas.
VII. ARTILLERIE.
Une Trompette : Et loquor fileo pro tempore.
VIII. MARINE.
Neptune s'élevant fur une Mer agitée pour en
calmer les flots , tient d'une main fon Trident , &
s'apuye de l'autre fur un Caducée : Ut toto ferves
Commercia Mundo,
IX. GALERES.
Les Dauphins bondiflant pendant la tempête :
Sanitu haud terrentur inani.
X. MAISON DE LA RIINI.
Latone , placée entre fes Enfans : Felix prole fua
XI. LA VILLE DE PARIS
Les Armes de la Ville d'un côté ; celles de M.
Fel . Auberi de Vaftan , Prévôt des Marchands , de
l'autre , Son nom &fes qualités .
On plaça le 20. Novembre dernier au milieu du
Baffin de Neptune dans le Parc de Versailles , près
I vj
166 MERCURE DE FRANCE
la Porte du Dragon , une magnifique Piéce , exé
cutée en fonte , repréfentant le Triomphe de Neptane
& d'Amphitrite , groupés dans une vafte Coquille
de 23. pieds d'étendue , fur 14. de haut , ri
chement variée de Rocailles & autres ornemens, laquelle
fe dévelope par le bas
par quatre revers en
rouleaux qui s'étendent fur les Rochers. Les deux
parties étendues de la Coquille fe rerminent en
Conques. Le milieu de la Coquille eft adoffé à
PAttique & le furmonte de près de quatre pieds. Le
tout enſemble préfente à la vûe une espece de Trône
maritime , compofé avec beaucoup d'art : Ce qui
fert de couronnement à tout l'Ouvrage eft la tête
& la dépouille d'une Baleine , qui s'étend à droite
& à gauche fur l'Attique. De la gueule de la Baleine
,fort un Torrent d'Eau de quatre pieds de large
, qui tombe en nape dans la Coquille derriere les
Figures de Neptune & d'Amphitrite, & forme par les
côtés deux Caſcades . Les autres revers ou enroulemens
de la Coquille forment aux extremités divers
bouillons d'Ëau , qui font un grand effet. Sur
les rouleaux du centre de cette Coquille , Neptune
paroît affis majestueufement. Son attitude & le caractere
de fa tête expriment fon courroux ; il eft
dans l'action de lancer fon Trident contre les verts
impétueux. A la gauche eft affife la Déeffe des
Mers , panchée en arriere & apuyée fur fon bras
droit , tenant fon Sceptre , & regardant fur la gau
che une jeune Néréïde , à qui elle femble donner
fes ordres . A la droite de Neptune eft un Triton ,
monté fur un cheval marin , qu'il tient en bride,
& auquel il paroît donner un coup à poing fermé ,
pour l'obliger à s'élançer dans l'Eau . De la bouche
.du cheval fort avec impétuofité une lame d'Eau de
40. ou 45. pieds . Il fait pendant à une Vache masine
du côté opofé , laquelle lance une même quantité
JANVIER 189
1741
tité d'Eau & auffi loin. La Néreïde dont on a parlé,
qui vient recevoir les ordres d'Amphitrite , tient
d'une main une branche de Corail , & foûtient de
l'autre un petit Triton , prêt à s'élancer de deffus le
dos de la Vache dans la Coquille pour y chercher
fon Elément. Cette Néreïde eft dans l'action de
préfenter la branche de Corail & le Triton à la Déeffe.
Dans te jufte milieu de la Coquille , au bas des
rouleaux , éft groupé un Dauphin aux pieds de
Neptune , lequel jerte une lame d'Eau par la bouche
& deux jets par les narines. De deffous les draperies
du Dieu & de la Déeffe des Mers , fortent
plufieurs bouillons d'Eau , qui roulent fur la Co-
.quille.
cent par
Les Rochers qui fervent de baze , font percés de
trois antres ; de l'antre du milieu fort à la nage le
Triton , Courfier de Neptune, fonnant de la Conque
marine, de laquelle part ùn jet d'Eau en arc de cercle.
Des deux autres antres , on voit fortir deux
Monftres marins de differente efpece , lefquels lanleurs
gueules des lames d'Eau d'un pied de
large & à 40. pieds au loin , & par leurs narines des
Jets d'Eau , tombant en arcs. Cet Ouvrage eft construit
fur un Plan de 40. pieds de large , & fur presque
autant de profondeur ; il eft de forme circulaire
fur le devant. Les grandes Figures ont 12. pieds
de proportion. Ce grand Ouvrage, qui eft parfaite
ment au gré de tous les Connoiffeurs , & dont le
Roy a parû fatisfait , eft de la main de M. Sigisbert
Adam , l'aîné , Sculpteur ordinaire de S. M.
Piis
18 MERCURE DE FRANCE
Piis Manibus R: P. CAROLI PORE'E
è Societate JESU.
DIfcipulum Pietas luget , fuadeta Magiftrum į
Magnatum & populifletibus ora madent.
Solus amor , Divinus amor fua jura fecutus
Ridet , exuvias colligit ipfe fibi.
CAROLB , quam foelix ! Carne expoliatus, Amori
Eternum vivis ! Tempora nefcit Amor.
د
AU R. P. PORE'E de la Compagnie
de JESUS , mort le 11. Janvier 1741 .
O DE.
Du fein de la Voûte azurée ,
( Siége éternel des Bienheureux ,
Daigne , refpectable PoRx ' ,
Daigne encor écouter mes voeux .
Tu m'entens : ton coeur eft fenfible
Au cri de tes amis en pleurs ,
Et même en ce féjour paisible
Tu fens le langage des coeurs.
: Ce fut le tien tu fçus l'aprendre
A des milliers d'enfans chéris ,
Tu le parlas dès l'âge tendre ,
Tu le parles dans tes Ecrits.
Hélas !
Hélas ! ta vertu trop modefte (4)
Nous a caché mille trésors .
Laiffe- nous au moins ce qui refte
De tes héroïques tranfports.
Souffre qu'ils fortent des ténébres ;
C'est dans eux que je te revoi.
De tous les Eloges funébres
Ils font les plus dignes de toi.
Que Paris relève ta gloire
Par le plus touchant ſouvenir.;
Tu l'éprouves , mais ta mémoire
Se doit aux fiécles à venir..
Renais , & rends-nous ta grande ame ;
Ta foi , ta candeur , ton fçavoir.
Toi- même , par des traits de fâme ,
Te reproduis , fans le vouloir."
Ouvre- nous la brillante Scene ( )
De ces fentimens plus qu'humains ,
Que tu dictas à Melpomene ,
En parlant la langue des Saints...
(a) Le P. Porée n'imprimoit rien qué malgré lui.
Il refufoit de donner au Public le Recueil de fes
Oeuvres.
(b) Ses Tragédies , fur- tout celles des Martyrs.
Montre
21
170 MERCURE DE FRANCE
Montre-nous jufqu'aux Jeux profanes (c)
Que fanctifierent tes moeurs.
Par ces ingénieux organes
Ta vertu coula dans les coeurs.
Montre- nous de ton éloquence (d)
La vive & noble majefté ,
Les graces , l'ordre , l'élégance ,
L'efprit , le fens , la piété ,
Dans tes Plaidoyers ( e) fais paroître
Tant de riches productions ,
Où tes Eléves croyoient être ;
Auteurs de tes inventions.
Si j'ai fait quelqu'heureux Ouvrage ,
Quand j'ofai t'imiter jadis ,
De mes Vers accepte l'hommage : (f)
Tes confeils en font tout le prix.
( c ) Ses Drames Comiques , fes Fables , fes Poëfies
Morales . sca
(d) Ses Harangues , far- tout celles de piété.
( e ) Jeux Académiques en François , de l'invention
des PP. Porée la Sante. On donne le deſſein & le
plan aux Ecoliers .
(f) Le P. Porée ſe donnoit. la peine d'exercer les
Acteurs pour les Piéces qu'on fait jouer aux petits
Penfionnaires,
Par
JANVIER 1741. 170
Par toi l'enfance la plus tendre
Sçut leur prêter quelques apas.
C'est par tes foins qu'elle a pû rendre
Ifaac , David & Jonathas.
Permets qu'au lieu d'une Hecatombe
Le refpect , le zéle & l'amour
Ecrivent ces mots fur ta tombe ,
Dictés par un parfait retour.
Cr GIST des beaux coeurs
La Vertu même le pleura.
Veut-on voir fon portraitfidele
Dans fes Ecrits on le verra.
2672 modéle
Par un fort également jufte ;
( Sort glorieux aux beaux Eſprits }
Virgile eut les regrets d'Augußte , ( g )
Et PORE'E a ceux de LOUIS.
L'amitié fit fon caractere .
Tendre pour fon Dieu , pourſon Roi ,
Ami pour tout autre ou vrai perex
Jamais il ne hait que foi .
>
Du devoir conftante victime
(g ) Le Roy a bien voulu honorer le P. Porée de
Son regret de fes éloges..
Definterefle
172 MERCURE DE FRANCE
Défintereffé , génereux ,
N'ufant d'un crédit legitime ,
Que pour quelqu'ami malheureux.
Il voulut porter l'Evangile ( h )
Loin de l'Europe & de nos yeux.
Mais fon zéle ici plus utile ,
En fit le Xavier de ces lieux.
>
Difciples , qui pleurez un Maître
Connu pour un Héros Chrétien,
Dans vos coeurs faites -le renaître ,
En les formant tous fur le fien.
( h ) Le P. Porée a toûjours demandé constamment
d'aller aux Miffions.
P. BR UMOY , de la Compagnie de Jefus .
Le 12 Janvier 1741 .
M. Arnoult , Marchand Drogu fte à Paris , vou
loit donner une lifte de plufieurs Cures nouvelles ,
operées par fon remede contre-l'Apoplexie , mais
il eft obligé de faire préceder un témoignage fuperieur.
C'eft celui de S. E. M. le Cardinal de
Polignac qui , ne s'étant pas contenté de faire l'éloge
du même remede du Sr Arnoult contre l'Apoplexie
en pleine Académie des Belles-Lettres , a
encore permis au Sr Arnoult de rendre publics les
bons effets que ce remede a produits fur plufieurs
Seigneurs de fes Parens & de fes Amis , auxquels
S.E. a fait elle- même prefent de ce remede. Ce Certificat
a été figné par M. le Cardinal de Polignac .
CHANTHE
NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
HE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
CHANSON
Sur le Débordement des Eaux
Ciel , Quel affreux débordement !
On ne voit prefque plus le terreftre élément .
Grands Dieux ! fouffrirez - vous que le Maître de
l'Onde
Pour toujours ainfi nous inonde ?
Amour , avec les feux de ton divin flambeau
Taris ce déluge nouveau :
Er toi , Dieu de la Tonne ,
Fais en forte que cette Automne ,
Je voye autant de vin dans mon caveau ,
Que j'y vois préfentement d'eau.
M, Girardean.
SPECTACLES.
Luique
tion de l'Opéra d'Amadis de Gaule ; & le
31. du même mois , elle remit au Théâtre
E 29. Janvier , l'Académie Royale de
celui
4 MERCURE DE FRANCE
celui de Proferpine , qui a été reçû très favo
rablement , comme tout ce qui eft forti du
génie du célebre Lully : il y avoit quatorze ans
que ce magnifique Opéra n'avoit pas été re
mis au Théâtre , ayant été donné la der-
' niere fois le 28. Janvier 1727. Nous avons
amplement parlé de cet Ouvrage dans le
Mercure de Janvier 1727. pag. 139. & dans
celui de Février pag. 345. auxquels nous renvoyons
le Lecteur.
Le 7. Janvier , les Comédiens François
remitent au Théâtre la Tragédie d'Alzire de
M. de Voltaire , que le Public a revûë avec
plaifir. Cette Piéce fut donnée pour la premiere
fois en Janvier 1736. & P'Extrait dans
le mois fuivant.
Le 9. les Comédiens Italiens remirent au
Théâtre la Parodie d'Alzire , intitulée les
Sauvages. Cette Tragédie ayant été repriſe
depuis peu au Théâtre François , la Parodie
fut repréfentée à l'Hôtel de Bourgogne
le f. Mars 1736. On en a donné, l'Extrait
dans le Mercure du même mois , pag. 543 .
Le 13. les mêmes Comédiens donnerent
une Piéce nouvelle en Profe & en trois Actes
, qui a pour titre Pigmalion , de la compofition
du ficur Romagnefy ; on y voit une
trèsJANVIER.
1741 175
très - jolie décoration convenable au fujet de
la Picce , laquelle eft terminée par un Divertiffement
de chants & de danfes . On en par
lera plus au long.
Les mêmes Comédiens doivent donner
dans les premiers jours de Février une Piéce
nouvelle en Vers & en trois Actes , fuivie
d'un Divertiffement de chants & de
danfes , qui a pour titre la Gageure , dont
nous parlerons quand elle aura paru ,
NOUVELLES ETRANGERES.
TURQUIE..
Es Lettres de Conftantinople , portent qu'on
Lvient d'achever dans Pimprimerie du Grand
Seigneur , l'Impreffion de plufieurs Ouvrages fur
l'Art Militaire, lefquels ont été traduits en Langue
Turque. Il paroît tous les ans un Catalogue des
Livres qui font imprimés dans cette Imprimerie, &
felon ce Catalogue on y a déja mis lous preffe depuis
fon établiffement 280. Volumes.
La pefte a entierement ceffé dans cette Ville , &
tous les Ambaffadeurs & Miniftres Etrangers , qui,
en étoient fortis , y font rentrés.
O
RUSSIE.
Na apris de Pétersbourg du 2. du mois paffé,
que l'échange de l'Ambaffadeur du Czar & de
celui du Grand Seigneur , fe fit le 28. Octobre deraier
176 MERCURE DE FRANCE
nier , près de l'endroit où le Bog fe jette dans le
Nieper. On avoit dreffé pour cet effet plufieurs
Tentes à une égale diſtance des Frontieres des Etats
des deux Puiffances , & les deux Ambaffadeurs
étant partis en même-tems , l'un de Kiow , & l'autre
d'Oczakow , ils fe rendirent le 27. chacun de
leur côté , aux Tentes qui leur avoient été préparées.
Le lendemain , à onze heures du matin , après
qu'on eut tiré des deux Camps trois coups de canon
, qui étoient le fignal dont on étoit convenu
le Géneral Romanzoff , Ambaffadeur du Czar , &
le Géneral Keit , que S. M. Cz . avoit nommé fon
Commiffaire , pour faire la céremonie de l'échange
, fe mirent en marche dans l'ordre fuivant .
Quatre Maréchaux des Logis ; 6. canons ; unë
Compagnie de Grenadiers ; le Régiment de Dragons
du Prince. Lowof ; douze Huffards ; plufieurs
Timbaliers , Trompettes & Hautbois ; la livrée de
M. Romanzoff , Sénateur & Major Géneral , Frere
de l'Ambaffadeur ; fes deux Sécretaires & fon
Ecuyer , à cheval ; ce Sénateur , dans un caroffe attelé
de fix chevaux , au côté duquel marchoient dix
Grenadiers ; la livrée du Géneral Keit & trois de
fes caroffes , chacun à fix chevaux ; un détachement
des Grenadiers à cheval ; deux Ecuyers de
l'Ambaffadeur , à cheval ; fix chevaux de felle, magnifiquement
caparaçonnés & conduits chacun par
un Palfrenier ; là livrée de l'Ambaffadeur ; differens
Inftrumens de Mufique guerriere ; les Officiers de
l'Ambaffadeur ; fix de fes Pages & fes Gentilshom- •
mes ;le Maréchal , le Sécretaire & l'Interprete de
l'Ambasade . L'Ambaffadeur , ayant avec lui le Géneral
Keit, venoit enfuite dans un caroffe attelé de
huit chevaux , & précedé de douze Heyduques , &
la marche étoit fermée par trente Cuiraffiers , quis
avoient
JANVIER. 1741. 177
avoient à leur tête un Lieutenant & un Cornette .
Les deux Ambaffadeurs étant arrivés à quatre
heures après midi au Lieu marqué pour la céremo
nie de leur échange , & etant entrés dans deux
Tentes féparées , ils en fortirent un moment après
& ils s'avancerent en même-tems fur un Tapis qui
avoit été placé entre les deux Tentes . Ils s'y affirent,
le Géneral Romanzoff dans un Fauteuil, ayant
à fa gauche le Géneral Keit , & l'Ambaffadeur du
Grand Seigneur fur un Sopha , avec Numan Pacha ,
nommé Commiffaire par Sa Hauteffe , pour faire la
céremonie de l'échange .
Après les complimens réciproques , le Géneral
Keit prit le Géneral Romanzoff par la main droite,
& il le remit à Numan Pacha , qui lui remit l'Ambaffadeur
du Grand Seigneur. Cette ceremonie fe
fit au bruit d'une décharge des canons , que les Ambaffadeurs
avoient fait conduire avec eux , & d'une
triple falve de la moufqueterie des Troupes , qui
étoient de part & d'autre fous les armes. Numan'
Pacha emmena le Géneral Romanzoff dans la Ten-'
te où l'Ambaffadeur du Grand Seigneur avoit paffé
la nuit précedente , & ce dernier fe rendit avec le
Géneral Keit dans celle du avoit couché le Géneral'
Romanzoff. On leur y fervit des rafraîchiffemens
ainfi qu'aux perfonnes de leur fuite, & on leur remir
les préfens qui leur étoient deftinés , & qui confistoient
en un très beau cheval , avec une felle &
une houffe de velours cramoifi , brodée d'or , que
le Grand Seigneur a donné au Géneral Romanzoff,
& en plufieurs Peliffes , envoyées à l'Ambaffadeur
de Sa Hauteffe.
f
Ce Miniftre doit être conduit à Pétersbourg par
le Sénateur Romanzoff & par M. de Meyendorff
& le Géneral Romanzoff fera conduit à Conftantinople
par un Pacha à deux Queues & par un Ca-*
Pigi Bachi,
178 MERCURE DE FRANCE
Le Duc de Curlande a écrit à la Princefle Régente
une lettre très- foûmife , dans laquelle il l'affûre
qu'ayant fait tous les efforts pour ſe rapeller la
Conduite qu'il a tenue avant & depuis la mort de ia
Czarine , il n'a pû découvrir en quoi il a déplû à la
Princeffe Régente ; que fon intention n'a jamais
été de manquer aux égards qu'il devoit à cette
Princeffe & au Prince de Brunswick Bevern ; que
s'il a été capable de s'en écarter en quelque chofe ,
il fuplie la Princefle Régente de croire que cela ne
Lui eft arrivé que par inadvertance , & par une fuite:
des embarras attachés à l'adminiſtration des affaires
de la Monarchie ; que ce n'eft point pour demander
fa grace, qu'il prend la liberté d'écrire à cette Princeffe
, qu'après une épreuve auffi rude que celle
qu'il vient de faire de l'inftabilité des grandeurs
humaines , ce qui l'intereffe perfonnellement ne
peut plus le toucher ; qu'ainfi , quelque peine qu'on
veuille lui impofer , il eft prêt à la ſubir ; qu'il n'a
qu'une feule faveur à demander au Czar , & que
c'eft de vouloir bien jetter un regard de compaffion
fur fa malheureufe famille , qui n'a participé en
rien aux fautes qu'on lui impute à lui - même; qu'en
obtenant cette grace , il ne s'occupera plus qu'à prier
Dieu pour la confervation du Czar & pour celle de
la Princeffe Régente,
Le bruit court que la Ducheffe de Curlande fera
renfermée dans un Convent , mais qu'on accordera
la liberté à fes enfans , auxquels on affignera des
Penfions proportionnées au rang qu'ils tiendront
dans la fuite. Le fils aîné du Duc de Curlande eft
toujours malade , & on continue de le garder .
Le General Charles Biron , qui commandoit à
Moſcow , y fut arrêté le 23. Novembre dernier, ay
milieu d'un repas qu'il donnoit à l'occafion de l'Ans
niverfaire de la Naiffance du Duc de Curlande , & le
Peuple
:
JANVIER. 1741 179
Peuple , qui douze jours auparavant , avoit donné de
grandes démonftrations de joye pour l'avenement
de ce Duc à la Régence , a fait des réjouiflances
publiques pour fa difgrace , & a brûlé fon effigie.
La Princeffe Régente a mandé aux Etat de Curlande
, qu'à l'exemple de la feuë Czarine , le Czar
protegeroit dans toutes les occafions les Curlandois
& qu'il contribueroit de tout fon pouvoir à leur
affûrer la joüiffance de leurs Privileges , & à empêcher
qu'ils ne fuffent oprimés par aucun de leurs
voifins.
Conformément à ces affurances , 12000. hommes
des Troupes qui font dans les Provinces cédées
au Czar Pierre I. par la Suede , ont reçû ordre
de fe tenir prêtes à marcher, p
,pour fe rendre au premier
commandement dans le Duché de Curlande .
Le Czar a déclaré le Prince Ifmailoff , & M.
Butturlin , Lieutenans Feldt- Maréchaux ; le Prince
Pierre Czerkaskoy , Mrs Hampff , Sterfchfneff &c
Kofloff , Majors Géneraux ; le Baron de Tettau ,
qui eft Directeur de l'Académie des Cadets , & les
Colonels Rop & Lapuchin , Brigadiers de ſes Armées.
1
Le 27. Novembre dernier , le Feldt - Maréchal
Comte de Munich fe trouva extrêmement incommodé
d'une violente colique , & on a craint pendant
quelques jours que fa maladie n'eût des fuites
fâcheufes , mais les remedes que les Médecins lui
ont fait prendre , l'ont beaucoup foulagé , & on
efpere que fa fanté fera bien - tôt rétablie.
On a apris depuis , que le Géneral Ufchakow &
M. Ehmer , Auditeur Géneral des Régimens des
Gardes à pied , s'étoient rendus au Château de
Schlieffelbourg , par ordre du Czar , pour interroger
le Duc de Curlande fur plufieurs chefs d'accufation,
portés contre lui .
I II
180 MERCURE DE FRANCE
Il y a aparence que le Czar ne traitera point ce
Duc avec rigueur , & qu'il fe contentera de l'envoyer
ou à Tobolfcka , Capitale de la Sibérie , ou
au Château d'Oranienbourg , en Ukraine.
S. M. Cz. a ordonné qu'on le fervît dans ſa prifon
d'une maniere convenable à fon rang .
M. de Befuchef, ci - devant Miniftre du Cabinet ,
lequel avoit été conduit à Kexholm , a été transferé
à Nerva , où font détenus les deux Princes
Dolgorouky.
Le Comte de Munich, dont la fanté paroifſoit rétablie
, eft retombé malade.
La Ducheffe de Curlande a été transferée de la
Fortereffe de Schlieffelbourg dans un Monaftere fitué
à quelques lieues de Pétersbourg .
La Grande Princeffe de Mofcovie a fait remettre
en liberté M. Andrei , Sécretaire du Cabinet & fept
Officiers des Régimens des Gardes , qui étoient
prifonniers dans la Citadelle , par ordre du Duc de
Curlande , & le Czar a nommé M. Andrei , Confeiller
d'Etat.
Le Duc de Curlande eft tombé dangereusement
malade au Château de Schlieffelbourg , & il a de
fréquentes convulfions ; il paroît même qu'il a l'esprit
troublé , & dans quelques uns des interrogatoires
qu'il a fubis , il a tenu des difcours qui n'avoient
aucune fuite .
La difgrace de ce Duc a fait une telle impreffion
fur fa fille , qu'on craint auffi pour les jours.
On prétend que le Géneral Bismarck a été convaincu
de diverles prévarications , & qu'il fera condamné
à une prifon perpétuelle.
Y
SUIDA
JANVIER. 1741
181
SUEDE .
N mande de Stockholm du 12. du mois passé
,que M. de Beftuchef , Miniftre du Czar ,
fe tient fort retiré , depuis qu'il a apris que le Duc
& la Ducheffe de Curlande avoient été arrêtés avec
toutes les Perfonnes qui leur étoient attachées , &
M. Schavius , Sécretaire du Duc de Curlande ,
qu'il avoit envoyé dans cette Ville , pour, concerter
avec les Miniftres de S. M. Sued. les moyens de
parvenir à un accommodement entre les deux Puisfances
, paroît n'être pas difpofé à retourner à Pég
tersbourg.
que
O
ALLEMAGNE ,
Na apris de Vienne du 24. du mois dernier,
que la Réponse de la Reine de Hongrie au
Manifefte de l'Electeur de Baviere , vient d'être
rendu public , & que l'on en a envoyé des Exemplaires
à tous les Miniftres de cette Princeffe dans
les Cours Etrangeres , pour les remettre aux Princes
auprès defquels ils réfident .
Le Comte d'Uhlefedt , Ambaffadeur de la Reine
de Hongrie à la Porte , a mandé à cette Princeffe ,
que le Grand Seigneur paroiffoit difpofé à remplir
les engagemens qu'il avoit contractés avec le feu
Empereur par le dernier Traité de Paix .
Ön aprend de Silbfie , que les habitans de
Breflaw avoient ouvert les portes de leur Ville au
Roy de Pruffe , à condition qu'il n'y mettroit point
de Garnifon.
Dès que S. M. Pr. eut été reçûë dans Breſlaw ;
le Comte de Reisky , qui y commandoit pour la
Reine de Hongrie & de Boheme , en fortit avec les
Officiers de l'Etat Major & les principaux Magistrats
, & ils fe retirerent dans un Bourg volfin ,9
1 ij
pour
182 MERCURE DE FRANCE
pour y
attendre les ordres de la Cour de Vienne.
M. de Kirckeyfen , que le Baron de Gotter avoit
dépêché au Roy de Pruffe , pour l'informer du ré
fuitat de la conférence qu'il eut le 24. du mois dernier
avec le Grand Duc de Toſcane , revint les de
ce mois de Siléfie , & le jour même de fon arrivée ,
il fe rendit chés le Comte de Sinzendorf , Grand
Chancelier , pour lui déclarer les réfolutions de
S. M. Pruffienne.
Les Etats de Tranfilvanie & ceux de Croatie
ont envoyé à Vienne des Députés , pour affûrer la
Reine de leur fidelité & de leur foûmiſſion , & pour
lui demander la confirmation de leurs Privileges.
Depuis que M. de Kirckeyfen eft revenu de Silé.
fie , le Comte de Gotter , & le Baron de Borck
Envoyé Extraordinaire du Roy de Prufſe , ont eu
plufieurs conférences avec le Comte de Sinzendorf,
& l'on affûre qu'ils lui ont déclaré dans la derniere
, que Sa Majesté Pruffienne ne pouvoit rien
changer aux réfolutions qu'elle avoit prifes , mais
qu'elle étoit toujours prête à s'accommoder avec la
Reine de Hongrie & de Boheme , & à lui donner
des marques de fon amitié.
Il s'étoit répandu un bruit que la Reine étoit dişpofée
à s'en raporter à la décifion du Roy de la
Grande Bretagne & de la République de Hollande ,
par raport à fes diférends avec le Roy de Pruffe ,
mais quelques circonftances font craindre que les
voyes de la négociation ne foient pas fi - tôt employées,&
cette crainte eft confirmée par les ordres
envoyés à plufieurs Régimens de fe tenir prêts à
marcher pour aller joindre les autres Troupes qui
defilent vers la Siléfie .
Plufieurs Seigneurs & Gentilshommes Siléfiens ,
de la Religion Catholique , le font retirés de Siléfi
, depuis que cette Province eft occupée par les
Troupes de S. M. Pr .
JANVIER. 174
183
RATISBO N N É .
N mande du 30. du mois paflé , que la
Reine de Hongrie a fait préfenter à la Diette
de l'Empire , un Acte par lequel elle tranfmet
au Grand Duc de Tofcane la voix Electorale de
Boheme pour la Diette qui doit fe tenir à Francfort
pour l'Election d'un Empereur.
Cet Acte porte que la Dignité Electorale étant
attachée au Royaume de Boheme , les Prindes
du Sang Royal de ce Royaume ont non -feulement
le droit de fucceder à la Couronne , au défaut
d'héritiers mâles , mais encore de jouir , fans
la moindre exception ou reftrict on , de toutes les
prérogatives qui y font attachées , felon les ufages
& les privileges du Royaume ; qu'il eft également
incontestable , que quoique la Maifon d'Autriche fe
trouve privée de defcendans mâles, la Dignité Electorale
ne ceffe pas d'y exifter , que perfonne n'ignore
que, foit avant la Bulle d'Or , foit depuis qu'elle
a été reçûë , le Royaume de Boheme , au défaut de
Princes , a été poffedé par trois Princeffes , auxquelles
on n'a jamais difputé la Dignité Electorale , ni
le droit de donner leurs fuffrages aux Elections des
Empereurs qu'ainfi la Reine de Hongrie voulant
jouir du même droit , & de celui qu'elle a de le
transmettre aux Etats du Royaume , ou d'en difpofer
en faveur du Grand Duc de Tofcane, lui donne,
tant pour elle que pour fes defcendans , nés & à
naître , Princes ou Princeffes , le droit qu'elle a en
vertu desPrivileges duRoyaume de Boheme , d'affifter
en perfonne ou par Députés, à la Diette qui fe tiendra
pour l'Election d'un Empereur , afin de jouir
du même droit dans toute fon étendue , d'avoir
Séance à la Diette , d'y donner la voix , & d'exercer
les autres fonctions de la Dignité Electorale avec
;
I inj
toutes
184 MERCURE DE FRANCE
toutes les prérogatives qui y font attachées ; que
du refte elle fe perfuade qu'aucun dé fes defcendans,
préfens ou futurs , ne manquera jamais de refpect
au Grand Duc de Tofcane , ufqu'au point de lui .
difputer le droit qu'elle lui tranfmet , bien entendu
que le préfent Acte ne portera aucun préjudice à
ceux ou à celles qui font apellés à la fucceffion des
Etats de la Maiſon d'Autriche , en vertu de la Pragmatique
Sanction .
Plufieurs Princes & Etats d'Allemagne , ont envoyé
ordre aux Miniftres qui affiftent de leur pate
la Diette de l'Empire , de faire opofition ' à l'Acte
par lequel la Reine de Hongrie autorife le Grand
Duc de Tofcane à donner fa voix pour l'Election
d'un Empereur , & ils prétendent que le droit d'élire
un Empereur apartient aux feuls Electeurs , &
eft attaché aux charges Héréditaires qu'ils poffedent
dans l'Empire ; que la Bulle d'Or porte expreflément
, que les Princeffes ne feront point admifes à
remplir les fonctions & à joüir des prérogatives de
la Dignité Electorale , & que ce fera à fon plus
proche Parent , que le droit de donner fa voix pour
I'Election d'un Empereur fera tranfmis ; que cette
Loi eft fondée fur les Conftitutions de l'Empire &
fur la nature des Fiefs qui en relevent ; qu'en vertu
de la nature de ces Fiefs, la propre mere d'un Electeur
et excluë de la Tutelle de fon fils , laquelle
apartient au plus proche parent du Prince mineur ,
& que fi les Conftitutions de l'Empire ne permettent
pas aux Princeffes d'être Tutrices des Electeurs
, ni d'exercer la Dignité Electorale , elles
leur permettent encore moins d'en transmettre à
quelqu'un les prérogatives , puifqu'il eft indubitable
, que lorfque l'on ne poffede pas foi - même un
droit , on ne peut le faire poffeder à un autre ; que
perfonne n'ignore que lorfque le Royaume de Boheme
JANVIER. 1741. 185.
heme a été remis au nombre des Etats de l'Empire ,
on n'a rien ftipulé de particulier en faveur des
Princesses qui possederoient ce Royaume , enfin
qu'il ne fe trouve dans aucune des Conftitutions de
P'Empire , ni dans la Pragmatique Sanction , aucun
article fur lequel la Reine de Hongrie puisse fe
fonder , pour autorifer le Grand Duc de Tofcane à
afſiſter à la Diette de Francfort , & à devenir Electeur
, fi non de droit , au moins de fait .
efaste Princesse a répondu à ces objections pár un
elcrit adressé aux Miniftres qui réſident à Ratisbonne
en fon nom : ce Refcrit porte que les Prin
ces & Princeffes qui font apellés à la fucceffion de
la Maifon d'Autriche dans le cas de l'extinction totale
des deſcendans du feu Empereur fon pere, ont
interêt de foûtenir que la Dignité Electorale attachée
à la Couronne de Boheme n'eft point éteinte
dans les femmes , & qu'elles jouiffent du droit de
tranfmettre cette Dignité , puifque ceux qui font
apellés à la fucceffion , de quelque fexe qu'ils foient,
ne peuvent y prétendre que du chef des femmes ,
& qu'ainfi ils feroient exclus de la Dignité Electole
; que la Branche maſculine de la Maiſon d'Autriche
fe trouvant éteinte , il n'y a plus de proche
parent dans cette Branche , & qu'on ne peut faire
valoir à cet égard l'article contenu dans la Bulle
d'Or touchant le droit des Agnats ou proches Parens
; que c'eft tomber dans une contradiction que
de prétendre que le droit de donner la voix pour
l'Election d'un Empereur foit attaché uniquement
aux Charges Héréditaires de l'Empire , annexées
aux Electorats , pnifque fi ce principe étoit reçû
l'Electeur Palatin & l'Electeur de Hanover ne pourroient
donner leurs fuffrages dans l'Election d'un
Empereur , leurs Charges Héreditaires n'étant pas
bien déterminées ; qu'avant l'établiffement de la
Bulle
I iiij
186 MERCURE DE FRANCE
ie
Bulle d'Or , les Etats du Royaume de Boheme one .
obtenu le droit de donner leur voix , au défaut de
leurs Souverains, pour élire les Empereurs , enforte
que les Agnats dont les droits étoient reglés dans
les autres Electorats , ne joüiffoient point de ces
mêmes droits par raport au Royaume de Boheme ;
que lorfqu'après la mort de l'Empereur Maximilien
I. Sigifmond , Roy de Pologne , comme plus
proche parent de Louis , Roy de Boheme , envoya
des Ambaffadeurs à la Diette Electorale , fes Ambaffadeurs
n'y furent point admis, & qu'on
çut que ceux du Royaume de Boheme , dont les
Etats uferent de leur droit , à caufe de la minorité
de leur Souverain ; que l'Electorat de Boheme étant
d'une nature particuliere , en ce que la fucceffion .
féminine y eft établie , pendant qu'elle n'a point
Ireu dans les autres Electorats , & la Bulle d'Or décidant
que fi la Branche Féminine venoit à s'éteindre
, le Prince qui feroit élû Roy de Bohême , ſeroit
revêtu en même- tems de la Dignité Electorale
, il eft furprenant qu'on veuille difputer le même
avantage à une Princeffe , qui par la naiffance y a
un droit également jufte & fondé ; que puifque les
Etats de Boheme ont pris ordinairement l'administration
du Royaume pendant la minorité de leurs
Souverains , & que leurs Ambaffadeurs ont été préferés
à ceux de Sigifmond , ainfi qu'il a été dit cideffus
, c'eft une preuve bien évidente , que la difpofition
de la Bulle d'Or touchant les plus proches
Parens ne peut avoir lieu par raport à la Dignité
Electorale attachée à ce Royaume.
O
POLOGNE.
N mande de Warfovie du 31. du mois paffé ,
que quoiqu'on ne doute point que le Duc de
Curlande ne foit bien -tôt dépouillé de fes Etats , la
Républiqu
JANVIER. 1741. 187
République n'a encore fait aucune démarche qui
donne lieu de croire qu'elle penfe à faire valoir fes
prétentions fur les Duchés de Curlande & de Semigalle
, & que le bruit court que le Czar étant dans
le deffein de faire élire un Prince de la Maifon de
Brunſwick Bevern , pour Souverain par les Etats de
Curlande , la République eft convenuë de ne point
s'opofer à cette Election.
étant entier
ESPAGNE.
t
ES Lettres de Madrid du 3. de ce mois , portent
que le 22. du mois paffé , le Duc de
Termoli , Ambaffadeur Extraordinaire du Roy des
deux Siciles , donna une Fête magnifique pour la
naissance de la Princesse , dont la Reine des deux
Siciles eft accouehée . Cette Fête commença par un
grand dîner , auquel tous les Miniftres d'Etat fe
trouverent , ainfi que les Chevaliers de l'Ordre de la
Toifon d'Or & de celui de S. Janvier , & la plupart
des Dames de la Cour. Après le repas il y eut un
Concert qui fut fuivi de la repréfentation d'une Comédie
. Le foir ,le Palais de l'Ambassadeur fut entierement
illuminé , & pendant le Bal, qui dura toute
la nuit , on fervit toutes fortes de rafraîchissemens ..
Des Armateurs Bifcayens ont conduit depuis peu
à Cadix deux prifes Angloifes.
S. M. C. a nommé le Comte de Montijo , fon
Ambassadeur Extraordinaire & Plénipotentiaire à la
Diette qui fe doit tenir à Francfort pour l'Election
d'un Empereur.
On a apris de l'ile de Tenerife , une des Iffes Canaries
, qu'une Balandre Angloife s'étant aprochée
de l'Ile de Fuerteventura le 21. du mois d'Octobre
dernier , so hommes de l'équipage étoient defcendus
à terre près du Port de Taraxalexo , & avoient
I v pillé
188 MERCURE DE FRANCE
tie
avoient pillé plufieurs habitations , fait quelques prifonniers
, & enlevé les Vales facrés de la Chapelle
de l'Hermitage de S. Michel ; que fur la nouvelle
des défordres qu'ils avoient commis , le Lieutenant
Colonel Don Jofeph Sanchez Umpierres , Gouverneur
des Armes de l'Ifle , lequel étant à une lieuë
de Taraxalexo , n'avoit pû être informé assés -tôt
de l'arrivée des ennemis , pour s'opoſer à leur descente,
étoit monté à cheval avec le peu de monde qu'il
avoit pû rassembler, que d'abord afin que quelques
Soldats , auxquels il avoit donné ordre ი .
eussent le tems de le joindre , il avoit cherch
amufer les Anglois , en feignant de vouloir racheter
le butin qu'ils avoient fait , & en leur propofant de
traiter de la rançon des prifonniers , mais que les Anglois
au lieu d'écouter les propofitions , s'étoient difpolés
à l'attaquer,que comme il n'avoit avec lui que
hommes , dont la plupart n'étoient armés que
de piques & d'épées , il s'étoit retranché auffi avantageulement
que le tems le lui permettoit , & que
malgré l'inégalité du nombre & des armes ,non feulement
il avoit rendu inutiles tous les efforts que les
ennemis avoient faits pour le forcer dans les retranchemens,
mais encore il les avoit entierement défaits ,
après un combat d'environ une heure , dans lequel
trente Anglois ont été tués & vingt faits prifonniers.
Les Espagnols n'ont perdu que cinq hommes dans
cette occafion , & ils ont repris tout le butin fait par
33.
les ennemis .
Le 24. du même mois, 5. autres Anglois qui n'étoient
pas inftruits de mauvais fuccès de l'entreprife
de leurs compatriotes , firent auffi une defcente
dans la même Ifle & à peu près dans le même
endroit , & Don Jofeph Sanchez Umpierres , qui en
fut averti fur le champ, ayant marché à leur rencontre,
il les tailla tous en pièces, fans qu'il en reſtât un
pour
JANVIER. 189 1741.
pour porter la nouvelle de leur défaite au Vaisseau
fur lequel ils étoient venus .
NAPLES.
O
Na apris le 13. du mois passé que le Roy
ayant fait donner part le 6. du même mois
aux Tribunaux & au Corns de Ville , de la con-
1.e , thus de cette Cour avane Seigneur , ils
étant entierement terendemain S. M à cette occaa
été dé le
9. les Juges du Civil , & ceux du Criminel
de la Cour de la Vicairerie , accompagnés de
fix Capitaines des Archers , & précedés des Herauts
d'Armes , de fix Trabans & de fix Trompettes
, fe rendirent chés le Notaire de la Cour , lequel
étant allé avec ce cortege à la Place , vis- à-vis le
Palais , où fix Compagnies des Régimens des Gardes
Italiennes & Suiffes étoient fous les armes , y
fit la publication de la Paix en la maniere accoûtumée.
Cette publication ſe fit avec les mêmes cérémonies
dans les autres Places públiques , & le foir
il y eut des illuminations à l'Hôtel de Ville , હૈ
l'Arfenal & à l'Hotel des Ambaffadeurs.
Les Lettres du 20. portent , que les Chevaliers ,
Commandeurs & Officiers de l'Ordre de S. Janvier,
s'étant affemblés le 16. dans le Cabinet du Roy ,
S. M. tint un Chapitre dans lequel les preuves des
Chevaliers qu'elle avoit nommés dans le Chapitre
précédent , furent admifes . Le Roy , précédé des
Chevaliers , Commandeurs & Officiers de l'Ordre ,
entre lefquels marchoient les nouveaux Chevaliers
en habits de Novices , fe rendit enfuite à la Chapelle
. S. M. étoit en Manteau , le Colier de l'Or
dre par deffus , ainfi que celui de l'Ordre du S. Ef
prit , & celui de la Toifon d'Or. Après la Meffe
1 vj qui
190 MERCURE DE FRANCE
qui fur célébrée par l'Archevêque de Bari , Commandeur
de l'Ordre , le Roy fe plaça fur le Trône
qui étoit au côté droit de l'Autel , & S. M. donna
les marques de l'Ordre aux nouveaux Chevaliers.
ITALIE.
N mande de Rome que le 20. du mois passé,
le l'ape s'étant rendu à l'Eglife des Dominicains
de la celebra la Messe
embler
herch
que d'abord
dans la Chapelle de S. L nné ordre
alla enfuite voir le R. P. Thomas
de l'Ordre, qui étoit très - dangereufement malade ,
âgé de 88. ans , & qu'après avoir demeuré près
d'une demie - heure avec lui , Elle vifita la Bibliothéque
publique dont la plus grande partie a été
léguée à la Maiſon , par le Cardinal Ĉaſanata qui
a fait une fondation pour l'entretenir , & c .
Le Pape a ordonné que non-feulement les Eccléfiaftiques
qui font dans les Ordres , mais encore
les fimples Clercs qui possedent des Bénefices ou
des Penfions fur des Bénefices , portassent l'habit
de leur état.
Sa Sainteté a défendu à tout Prêtre d'exercer la
Profeffion d'Avocat dans les Tribunaux Séculiers ,
& à tout Religieux de fortir feul de fon Convent
fans une permiffion expreffe de fes Superieurs .
2
L'Abbé Paulucci , Agent du Duc de Modene , a
prefenté au Pape un Payfan du Modenois , qu'on
aflûre avoir prédit au Duc de Modene l'exaltation
de Sa Sainteté au Pontificat.
巢
Le Pape a annoncé dans un Confiftoire au Sacré
College , que l'accommodement entre le S. Siége
& la Cour de Lisbonne étoit conclu .
Le Cardinal de Tencin y propofa l'Evêché de Tarbes
pour l'Abbé de Beaupoil de Saint Aulaire , &
préJANVIER.
1741. 191
préconifa l'Abbé d'Efpalunque , Vicaire Géneral
de l'Evêché de Lefcar , pour l'Abbaye d'Essey ,'
O. de S. Benoît , Diocèfe d'Agen.
Le Prince Jofeph de Hesse- Darmstadt fut préconifé
par le Cardinal de Bossu pour l'Evêché
d'Augsbourg .
A la fin du Confiftoire , le Pape accorda le Pallium
à l'Archevêque d'Embrun & à l'Archevêque
de Santa Fé de Bogota.
Les differends de cette Cour avec celle de Turin
étant entierement terminés , le Roy de Sardaigne
a été déclaré Vicaire perpétuel du S. Siége pour
tous les Fiefs que le S. Siége possede en Piedmont ,
& fur l'avis qu'on a reçû que ce Prince avoit fait
fortir de ces Fiefs les Troupes qu'il y avoit mis en
garnifon , le Pape a nommé M. Merlini , pour fe
rendre à Turin en qualité de Nonce.
Sa Sainteté a réfolu de prendre connoissance de
toutes les difficultés qui pourront furvenir entre le
Saint Siége & les Cours Etrangeres , & de ne les
plus renvoyer à des Congrégations particulieres .
En conféquence Elle a fuprimé la Congrégation
qui avoit été établie par le feu Pape , pour chercher
les moyens de parvenir à un accommodement avec
Ie Roy des deux Siciles , & Elle a fait fçavoir au
Cardinal Aquaviva & à l'Abbé Galiani , Grand
Aumônier de S. M. Sic. & fon Miniftre Plénipotentiaire
à la Cour de Rome , qu'elle avoit chargé
le Cardinal Aldrovandi de regler avec eux les affaires
qui concernent le Royaume de Naples , &
qu'Elle vouloit qu'ils tinssent devant Elle leurs conférences.
L'entretien des Galeres caufant beaucoup de dépenfes
à la Chambre Apoftolique , le Pape a or
donné qu'on en défarmât une , & Sa Sainteté a
donné les trois autres à la Religion de Malthe , à
con192
MERCURE DE FRANCE
condition que la Religion les tînt toujours équipées
, & qu'elle les employât à procurer la fûreté
de la navigation fur les côtes de l'Etat Eccléfiastique.
Sa Sainteté a établi une nouvelle Congrégation
pour décider les conteftations entre les Evêques &
les Abbayes , Chapitres & Communautés , qui prétendent
ne pas dépendre de la Jurifdiction Episcopale.
Ön célebra le 21. du mois dernier dans l'Eglife
du Saint Nom de Marie , où l'on avoit élevé un
magnifique Catafalque , un Service folemnel pour
le repos de l'ame du feu Empereur , & le Comte
de Daun , Auditeur de Rote pour l'Allemagne &
Miniftre Plénipotentiaire de la Reine de Hongrie
& de Boheme , y officia pontificalement.
On a placé depuis peu dans une des Sales du Capitole
la Statue de bronze que le Peuple Romain a
ordonné d'ériger en l'honneur du feu Pape . Cette
Statue a été faite fur les desseins du Sr Pierre
Bracci , par Pierre - François Giardoni , célebre
Sculpteur de Rome. Sur le pied d'eftal eſt cette Inſcription.
Clementi XII. Pontifici maximo , ob Senatus
privilegia amplificata ; exornatam adificiis urbem
; laxatas areas , directas , prolatas , ftratasque
vias ; vetera figna multo are comparata , in Capitoliam
invecta magnificeque difpofita , Senatus Populusque
Romanus optimo munificentiffimo Principi Statuam
decrevit.
L
ISLE DE CORS E.
Es deux Bandits qui commettent depuis longtems
des désordres dans la Piéve de Lento
ont volé deux Miquelets , & le Marquis de Maillebois
en ayant été inftruit , a fait venir tous les
Bergers des environs , & leur a défendu fous peine
de
JANVIER. 193 1741.
de mort , de donner retraite à ces fcélerats . Ce Gé
neral a fait bruler les maiſons de deux de leurs
parens qui ont été convaincus de leur avoir fourni
des vivres & d'autres fecours .
On conduit chaque jour à la Baftie quelques prifonniers
, accufés d'avoir fourni retraite à ces deux
Bandits. On a arrêté auffi dans les environs de
Fiumorbo trois Voleurs , dont un a été condamné
à être pendu , & les deux autres aux Galeres .
Le Marquis de Maillebois a fait passer par les
armes un komme de l'Ifolacci qui , après avoir été
chassé de l'Ifle , y eft retourné , malgré la défenſe
qui lui a été faite , fous peine de la vie , d'y rentrer.
les
Ce Géneral s'eft rendu à Luciana avec plufieurs
des principaux Officiers des Troupes Françoiſes ,
pour reconnoître un Bois où l'on prétend que
deux Bandits de Lento fe retirent fouvent pendant
la nuit , & il a fait diftribuer des armes à plufieurs
des habitans des Lieux voifins qui fe font chargés
de leur dresser des embufcades .
Malgré toutes les précautions qu'on a prifes ,
ces deux Bandits ont encore tué à dix milles de la
Battie , deux hommes de leur Province , & l'on
prétend que ces fcélerats depuis quelque tems ont
ôté la vie à plus de 19. perfonnes . Quelques - uns
de leurs parens étant foupçonnés d'avoir voulu fe
joindre à eux , lé Marquis de Maillebois a fait encore
dernierement diftribuer des armes à plufieurs
habitans des environs de Lento qui font leurs ennemis
declarés , & qui ont un grand interêt d'arrêter
le cours de leurs brigandages .
Un accident ayant mis le feu à un Bois d'Oliviers
dans la Pieve de Cafinea , cet incendie a caufé un
dommage de plus de 60000 liv . aux Habitans des
Villages de Vinfulafca & de la Penta.
GRANDE194
MERCURE DE FRANCE
GRANDE-BRETAGNE.
N aprend de Londres que les Efpagnols fe
font emparés des Vaiffeaux la Marie & le
Boften , commandés par les Capitaines Flowers &
Trout , & qu'ils ont conduit , le premier à la Baye
des Honduras , & te ſecond à la Havane,
La Princeffe de Galles accoucha le 1o. de ce
mois entre fept & huit heures du matin d'une Princeffe
, & elle fe porte auffi bien qu'on puiffe le'
defirer.
On a faifi fur la riviere deux Bâtimens de Lisbonne
, à bord desquels il y avoit des marchandifes
d'Efpagne .
Le Capitaine Spring , arrivé depuis peu de la Jamaïque
, a raporté qu'une Chaloupe de la nouvelle
Yorck , & une autre de Philadelphie , lefquelles
avoient été prifes par les Elpagnols , avoient été
reprifes par un Vaiffeau de guerre Anglois , &
avoient été ramenées à la Jamaïque .
de Torres
On a apris que Don Rogrigue
étoit arrivé à Carthagene avec douze Vaifleaux , &
qu'il en avoit laiffé fix à Porto Rico.
le
€
M. Main ,qui commande le Vaiffeau de guerre
Worcester , ayant donné avis à l'Amiral Vernon
que l'équipage d'un Bâtiment Efpagnol , dont il
s'eft emparé dans les environs d'Hifpaniola ,
affûroit que Don Rodrigue de Torres avoit ordre
du Roy d'Espagne d'attaquer la Jamaïque , on
attendoit avec impatience dans cette lle , lo fque.
le Bird Galley en eft parti , l'arrivée de l'Efcadre.
du Chevalier Chaloner Ogle.
HOLLANDE ET PAYS - BAS.
Na apris de la Haye du 11. de ce mois , que
la Digue de Kedingh m. n'ayant på refifter a
la violence de la marée , une partie de cette Digue
JANVIER. 199 1741
fut renversée la nuit du 3. au 4. de ce mois , &
que tout le Pays de l'Albefferwart a été entierement
inondé. Quelques jours avant que cet accident
arrivât , les habitans qui prévoyoient qu'ils
en étoient menacés , avoient eu la précaution de fe
fauver avec leurs effets les plus précieux . On a cu
auffi celle de faire murer les portes de la Ville de
Gorcum , & tous les paffages par où l'eau y pouvoit
entrer.
Les derniers avis de Bruxelles portent , que le
Catafalque que l'Archiducheffe Gouvernante avoit
ordonné d'élever dans l'Eglife Collégiale de S. Michel
& fainte Gudule , ayant été achevé le 3 .
móis , on célebra le 4. dans cette Eglife un Service
folemnel pour le repos de l'ame de l'Empereur.
de ce
La mifere à laquelle ce Pays eft réduit , tant par
l'interruption du Commerce , que par le débordement
des Rivieres , ne fe peut exprimer , & l'on
compte que le dommage caufé dans la feule Province
de Namur par les inondations , monte à plus
de trois millions.
Le Grand Duc de Tofcane a écrit aux Etats Généraux
une Lettre , par laquelle il leur marque
qu'indépendamment des affurances qu'ils lui ont
données , on a fçû par le Miniftre qui réfide à la
Haye de fa part , qu'ils étoient dans la réfolution
de foutenir les intérêts & ceux de la Reine de Hongrie
; qu'animé par la confiance qu'il a en leur
amitié , il n'hefite pas à leur faire part du deffein
qu'il a de fe mettre fur les rangs pour obtenir la
Couronne Impériale , qu'il n'ignore pas , combien
les Etats Généraux peuvent en cette occafion , qu'il
les prie inftamment de lui accorder leurs bons offices
de la maniere qu'ils jugeront la plus convenable
, & d'être perfuadés qu'il en conſervera toute
La vie une parfaite reconnoiffance.
M.
198 MERCURE DE FRANCE
M. de Halloy , Sécrétaire d'Ambaffade de la
Cour de Vienne , a remis au Président de l'Affemblée
des Etats Généraux , une lettre que la Reine
de Hongrie & de Boheme leur a écrite au fujet de
l'entrée des troupes du Roy de Pruffe en Siléfie , &
qui eft remplie de témoignages de la parfaite confiance
qu'elle a dans l'amitié de la République.
*******************
FRANCE.
NOUVELLES DE LA COUR, DE PARIS , &c.
Lincertesdu Sang, & les Seigneurs 8c
E premier de ce mois , les Princes &
>
Dames de la Cour , eurent l'honneur de
complimenter le Roy fur la nouvelle année.
Le Corps.de Ville a rendu à cette occafion
fes refpects à leurs Majeftés , à Monfeigneur
le Dauphin , & à Mefdames de France.
Les Chevaliers , Commandeurs & Officiers
de l'Ordre du S. Efprit , s'étant affemblés
dans le Cabinet du Roy vers les onze
heures du matin , S. M. fe rendit à la Chapelle
, étant précedée du Duc de Chartres ,
du Comte de Ciermont , du Prince de Conty
, du
Prince
de
Dombes
, du
Comte
d'Eu
,
& des
Commandeurs
&
Officiers
de
l'Ordre
. Le
Roy
, devant
lequel
les
deux
Huiffiers
JANVIER 1741 197
par
fiers de la Chambre portoient leurs Maffes ;
étoit en Manteau , le Colier de l'Ordre
deffus , ainfi que celui de l'Ordre de la Toifon
d'Or. S. M. entendit la grande Meffe
célebrée par l'Abbé Broffeau , Chapelain
ordinaire de la Chapelle de Mufique , &
chantée par la Mufique. La Reine & Monfeigneur
le Dauphin entendirent la même
Meffe dans la Tribune .
L'après midi leurs Majeftés accompagnées
de Madame , affifterent aux Vêpres .
Le 2 , le Roy accompagné comme le jour
précedent , affifta au Service qui fut célébré
dans la même Chapelle pour le repos des
ames des Chevaliers de l'Ordre du S. Efprit
, morts pendant le cours de l'année
derniere.
Le 29. du mois dernier , pendant la Meffe
du Roy , l'Evêque de Seez prêta ferment de
fidelité entre les mains de S. M.
Le Roy a accordé au Comte de Livry ;
Premier Maître de l'Hôtel de S. M. la furvivance
de cette Charge , en faveur du Marquis
de Livry fon fils , Colonel du Régiment
du Perche.
Le 6. de ce mois , jour de l'Epiphanie , la
Reine entendit la Meffe dans la Chapelle du
Château
198 MERCURE DE FRANCE
du Château de Verfailles , & S. M. communia
par les mains de l'Abbé de Pontac , fon
Aumônier en quartier.
Le 10. M. de Vafner , Miniftre Plénipo- :
tentiaire de la Reine de Hongrie & de Boheme
auprès du Roy, eut en long Manteau ,
de deüil , une audience particulière de S. M.
dans laquelle , après avoir remis fes lettres
de créance , il préfenta au Roy la lettre
par laquelle la Reine de Hongrie & de Boheme
donne part à S. M. de la mort de
l'Empereur fon perc . M. de Vafner eut enfuite
audience de la Reine , de Monfeigneur
le Dauphin , & de Mefdames de France , &
fut conduite à toutes ces audiences par M.
de Verneuil , Introducteur des Ambaffadeurs
.
Le 12 , le Roy prit le deuil en violet pour
la mort de l'Empereur.
*
Le huit , Bernardin François Fouquet ,
Archevêque d'Embrun , nommé à cet
Archevêché le 17. Septembre dernier , fut
facré à Paris dans la Chapelle de l'Archevêché
par l'Evêque Duc de Langres , affifté de
l'Evêque Comte de Bauvais , & de l'Evêque
de Meaux
Le 13. fuivant , il prêta ferment de fidelité
entre les mains du Roy dans la Chapelle
du Château de Verfailles ; il eft Abbé
Commandataire de l'Abbaye de S. Pierre &
de
!
JANVIER. 1741:
199
C
de S.Paul de Caunès, O. S.B A.D.de Narbon
ne , depuis le mois d'Avril 17 27. Docteur en
Théologie de la Faculté de Paris , ci- devant
Agent Général du Clergé de France pour la
Province de Touloufe , alors Prébendé de
l'Eglife de Lombez .
Le Roy a donné au Prince de Guife l'agré
ment du Régiment d'Infanterie , dont le Duc
de la Valliere , Brigadier des Armées du Roy,
étoit Colonel.
S. M. a permis au Duc de Caumont , Colonel
du Régiment d'Infanterie de Beauce ,
de fe demettre de ce Régiment en faveur du
Comte de Caumont , fon frere.
Le S. Janvier , la clôture de la neuvạine
, au fujet des Prieres faites en l'Eglife de
fainte Geneviève , à l'occafion de l'inondation
de la riviere de Seine dont on a déja
parlé , fut faite avec les cérémonies accoutumées.
Le Prevôt des Marchands , accompagné
des Echevins & du Corps de Ville
s'y étoit rendu le matin. A fon arrivée , le
Révérendiffime Pere Abbé fit un Difcours
très-éloquent fur la reconnoiffance qui étoit
due à la Patrone de Paris pour la diminution
des eaux , auquel le Prevôt des Marchands
répondit avec beaucoup de dignité . On célebra
enfuite la Meffe , après laquelle le Te
Deum fut chanté folemnellement en actions
de races.
Le
Go MERCURE DE FRANCE
Le 6. Fête des Rois , l'Académie Royale
de Mufique donna le premier Bal public de
cette année avec un très -grand concours.
On continue ordinairement pendant differens
jours de la femaine jufqu'au Carême .
.
Le 10. Janvier , les Comédiens François
repréſenterent à la Cour le Jaloux défabuse ;
& la petite Piéce du Denil.
Le 12. la Tragédie d'Alzire , & les Folies
Amoureuses.
Le 17. la Comédie du Tartuffe , & l'Acte ;
intitulé le Tems paffé , tiré de la Comédie du
Triomphe du Tems.
Le 19. la Tragédie de Bajalet , & le
Babillard.
Le 24. l'Homme à bonnes fortunes , & le
Mariage Forcé.
Le 26. la Tragédie d'Ariane , qui fut fuivie
de la Comédie de l'Avocat Patelin.
Le 4 Janvier , les Comédiens Italiens repréfenterent
auffi à la Cour l'Heureux Stratagême
, & la Parodie d'Amadis de Gaule.
Le 11. Democrite , prétendu Fol , & les
Sauvages , Parodie d'Alzire , Tragédie de
M. de Voltaire.
Le 18. Arlequin Valet de deux Maîtres ;
Comédie Italienne en trois Actes .
Le 25. la Comédie nouvelle de Pigmalion¸
& la petite Piéce du Portrait.
TABLE,
TABLE.
Catalogue desMercures de France.
Privilege du Roy.
Lifte des Libraires qui débitent ce Livre .
Avertiffement qu'il faut lire.
I
4
13
PIECES FUGITIVES en Vers & en Profe;
Ode à M. G. pour le premier jour de l'An ,
Queſtion importante , jugée au Parlement ,
Amuſement Poëtique , la Mouche , & c.
Lettre au fujet d'un Puits extraordinaire ,
Vers au fujet du Mariage de M. de la Moſſon , 25
Mémoire Hift. concernant les Avocats & Proc.. 26
Epitre à M de G, au fujet d'une Ode , & c.
19
41
Lettre de D.Victor Chancel,au Duc d'Ormond ibid.
Portrait d'Alcibiade & Réponse à la Lettre , &c. 45
Plainte de l'Ecureuil au Génie de la Fontaine , 48
X. Lettre fur la Typographie ,
Ode Philofophique , l'Univers ,
57
Lettre fur la préférence du Bureau Typograph. 60
Ode Latine à Mrs Bourdelin & Bouvart , 64
Lettre au fujet de la Dent , apellé Dent ceillere , 67
Etrennes au Comte de la Marche , Triolets ,
Queſtion fur la fumée du Charbon ,
Fable , les trois Amans ,
Queſtion importante ,
Epitre à l'Abbé D. P. imitée d'Horace ,
71
73
74
77
83
Obfervations , Machine pour regler les Airs de
Mufique ,
Epigrammes de M. Deftouches ,
89
100
Bouts Rimés remplis . Portrait de la Coquette, 105
Nouveaux Bouts - Rimés à remplir ,
106
Explication de l'Enigme & Logog. de Nov. 107
Enigme , Logogryphes , & c.
108
NOUVELLES LITTERAIRES DES BEAUX - ARTS ,
&c. Effai fur les Maladies Véneriennes ; 111
..
Les Etrennes du tems ,
Prophéties perpétuelles , & c.
113
ibid.
Defcription fommaire de Deffeins du Cabinet de
M. Crozat , 114
Traité Hiftorique fur le Chant Ecclefiaftique , 122
Révision de l'Hiftoire du Ciel ,
L'Optique des Couleurs ,
Traité des Matieres criminelles ,
128
ibid.
ibid.
Recueil de Piéces de Poëfies, Jeux Floraux, & c . 130
Inftitutions de Phyfique , avec Planches , &c. ibid.
Livres nouveaux , chés Ganeau , & c.
ibid.
Hiftoire des Amazones anciennes & modernes, 135
Le nouveau Télemaque , &c.
Effais fur l'Hiftoire des Belles- Lettres
Programme , nouvelle Edition de Virgile ,
Nouveaux Caracteres d'Imprimerie ,
137
138
140
142
Séance publique de l'Académie de la Rochelle, 145
Ode , Action de graces pour la Confeffion & la
Communion ,
Jettons frapés pour Janvier 1741 .
160
164
Magnifique Piéce en fonte , placée dans le Parc de
Verſailles 165
Vers Latins & François , fur la mort du P. Porée , 168
Certificat du Cardinal de Polignac au Sr Arnoult
fur fon Sachet .
Chanfon notée , &c .
Nouvelles Etrangeres , Turquie , Ruffie ,
Spectacles ,
Suede , Allemagne ,
Ratisbonne ,
Pologne ,
Efpagne , Naples , Italie ,.
Ifle de Corfe ,
Grande- Bretagne , Hollande & Pays- Bas ,
France , Nouvelles de la Cour , de Paris , &c .
Les Jettons gravés doivent regarder la page
La Chanfon notée , la page
172
173
ibid.
175
181
183
186
187
192
194
196
164
173
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT.
FEVRIER. 1741 .
CITY
SPARO!
SPARGIT
CURICOLLIGIT
Chés
Papillon
A PARIS ,
GUILLAUME CAVELIER,
rue S. Jacques.
La Veuve PISSOT , Quai de Conty ;
à la descente du Pont - Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais,
M. DCC. XLI .
Avec Aprobation & Privilege du Ro
A VIS.
'ADRESSE generale eft à
Monfieur MOREAU ,
Mercure , vis - à - vis la Comédie Frangoife
, à Paris. Ceux qui pour leur commodité
voudront remettre leurs Paquets cachetés
aux Libraires qui vendent le Mercure
, à Paris , peuventfe fervir de cette voye
pour les faire tenir,
On prie très-inftamment , quand on adres
des Lettres ou Paquets par la Pofte , d'avoir
fain d'en affranchir le Port , comme cela s'eft
toûjours pratiqué , afin d'épargner , à nous
Le déplaifir de les rebuter , & à ceux qui
les envoyent , celui , non -feulement de ne
pas voir paroître leurs Quvrages , mais
même de les perdre , s'ils n'en ont pas garde
de copie.
Les Libraires des Provinces & des Pays
Etrangers , ou les Particuliers qui fouhaiterant
avoir le Mercure de France de la premiere
main , & plus promptement , n'auront
qu'à donner leurs adreffes à M. Moreau ,
qui aura foin de faire leurs Paquets fans
perte de temps , & de les faire parier sur
L'heure à la Pofte , on aux Meffageries qu'on
Lui indiquera,
PRIX XXX. Sols.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROT.
FEVRIER. 1741 .
PIECES FUGITIVES,
en Vers et en Prose.
LE TRIOMPHE DE LA VERITE
L
ODE.
OIN de moi , Déïtés propices
Aux voeux du prophane Rimeur ,
Dieu du Pinde , fous vos aufpices
Je dédaigne le nom d'Auteur .
Efprit Saint , que mon coeur adore ,
Ce font tes faveurs que j'implore ,
A ij Soûtiens
204 MERCURE DE FRANCE
*
Soutiens ma noble activité ;
Que le Démon de l'artifice
En foupire , en tremble , en frémiffe
Je vais chanter la vérité.
*
Fuyez , Vertus imaginaires ,
Que confacre l'ambition ;
Difparoiffez vaines chimeres ,
Vous n'êtes vertus que de nom.
Au crime toujours redoutable ,
A l'innocence favorable ,
Infaillible dans fes arrêts ,
Telle fe montre l'immortelle
Que trace mon pinceau fidelle ,
Vérité , ce font- là tes traits .
܀
Rempli de fa docte ignorance
Un Philofophe audacieux ,
En vain attaque l'exiſtance
Du Dieu qui regne dans les Cieux ;
Sa profpérité fait fon crime ,
Mais , au moindre mal qui l'oprime
Tu le portes au repentir ;
Tu lui fais craindre la colere
De ce Dieu jufte , mais fevere ,
Qu'il s'efforçoit d'anéantir,
ᏙᎥ
FEVRIER:
1741. 205
Vil partiſan , eſclave infame
De la trompeufe volupté ,
L'impie , en vain refuſe à l'ame
Le droit de l'Immortalité ;
Il raille en vain , en téméraire ,
Tout dogme , dès qu'il eft contraire
A fes défirs impérieux.
Il eſt des tems où tu l'inſpires ,
Il en eft où tu le déchires
Par les remords les plus affreux.
O vous , auteurs de ces blafphêmes
Nés de votre incrédulité ,
Que deviennent vos vains fyftêmes
A l'afpect de la verité ?
Que devient ce faux héroïſme
Dont le Démon du fanatifme
Vous a follement enyvrés ,
Auprès de ma raifon foûmife
A ce que m'enfeigne l'Eglife
Sur tant de myfteres facrés
*
Tel eft ton vouloir admirable ,
Augufte & fainte verité ,
Du vice adverfaire implacable ,
A iij
Τα
206 MERCURE DE FRANCE
Tu ne défends que l'équité ;
Que l'homicide calomnie ,
S'armant de toute fa furie ,
Ofe contre elle s'expliquer ;
Orgueilleufe , mais vaine audace !
Un feul de tes traits la terraffe
Dès qu'on te la voit attaquer .
*
Ainfi , l'on connat ta puiffance ,
Lorfque deux Vieillards féducteurs
Autrefois contre l'innocence
Lancerent des traits impofteurs ;
&
De fa pudeur chafte victime ,
Déja Suzanne en butte au crime ,
Aprochoit d'un honteux trépas ;
Mais touchée enfin par fes larmes
Que faifoient couler trop de charmes ,
Tu parus & tu prononças .
*
De fon impudique Maîtreffe
Jofeph eft aimé tendrement ,
Mais , incapable de foibleffe ,
İl brave un amour imprudent ;
Le mépris qu'on fait de fa flame ,
Picque cette Princeffe infame;
fe Elle jure de se venger :
Au
FEVRIER: 207 1741:
Au fond d'une priſon obfcure
Jofeph eft mis par l'impoſture ,
La verité fçait l'en tirer.
Rapellerai je à la memoire ,
Tant d'autres grands évenemens ,
De tes combats & de ta gloire
Inéfaçables monumens ?
Admirés des fiecles antiques ,
Ils étoient l'objet des Cantiques
Que récitoient nos faints Ayeux ;
Admirés encor par nous-mêmes ,
Envers eux nos respect fuprêmes
Pafferont jufqu'à nos Neveux .
H
Pour moi , quoiqu'encor dans un âge
Toujours fufceptible d'erreur',
Je veux conferver l'avantage
De t'entretenir dans mon coeur ;
J'abhorre les détours contraires
A tes maximes falutaires ;
Je ne me fonde que fur toi ,
Et je tiens indigne de vivre
Quiconque n'a pas daigné fuivre
Ce que lui prefcriveit ta loi.
A iiij
MA208
MERCURE DE FRANCE
康
MANIFESTE que l'Empereur de la
Chine , à préfent regnant , a fait publier
par tous fes Etats au commencement de
fon Regne , en l'année ´1735 .
M
OI KUNGLI , par la grace de Dieu
Empereur de la Chine , je viens de
prendre les rênes du Gouvernement , mon
pere , le dernier Empereur , l'ayant ainfi ordonné
felon l'arrêt & la bénédiction du Ciel .
Mes Ancêtres , les Monarques Thaidſu &
Thaidfuin (4 ) ont frayé les premiers le chemin
pour parvenir au Gouvernement de la
Chine.
Mon Bifayeul l'Empereur Schidfu ( b) a
réuni les puiffans Royaumes du dehors &
du dedans , les ayant gouverné feul.
Mon Grand - Pere , l'Empereur Schein.dfu
(c) dit Kamhu , a regné fort long tems , &
l'éclat de fes vertus éminentes s'eft partout
répandu.
Mon Pere Schindfu,(d) dont la condefcendance
génereufe eft connue à tout le monde ,
lui fucceda dans cette puiffante Monarchie.
Pendant treize ans qu'il a regné , il s'eſt
donné tous les foins poffibles pour maintemir
l'Empire en bon état. Il y a réuffì , les
fruits
FEVRIER. 1741. 209.
fruits défirés en ayant paru dans toutes les
conditions. Son affabilité & fon fage Gouvernement
font connus dans tout le monde .
& les Peuples qui lui étoient foumis ont été
heureux , car fes bienfaits fe font répandus
dans tous les Pays . Les Provinces (e) extérieures
, auffi - bien que les intérieures fe font
réjouies de leur félicité ; & lorfque chacun
fouhaitoit que ce Regne fût long , afin de
pouvoir jouir long- tems de ce bonheur
T'heure de fon trépas arriva. Il quitta les
Grands & le Peuple , & s'en alla au Ciel
avant qu'on s'en fût douté.
Il a ordonné que je regnaffe après lui ¸
quoique je m'eftime le moindre de fâ famille.
Il m'a laiffé le Temple des Peres , & le
Lieu Saint. (f)
Mon Grand Pere m'a fait paroître à la Cour
dès ma plus tendre jeuneffe , & il m'a élevé
avec un foin particulier.
Mon Pere a pareillement eu foin de mon
éducation , & il ne m'a point laiflé manquer
d'inftructions falutaires .
Cependant je fens à prefent que je manque
encore de prudence , & je ne fçais pas
fije fuis capable de fuporter le fardeau du
Gouvernement de ce grand Empire qui m'a
été confié.
Mais j'ai confideré qu'un Lieu fi Saint ne
fçauroit être long tems vacant.
3
Ay C'est
210 MERCURE DE FRANCE
C'eft pourquoi je fuis obligé de remplir plu
tôt la derniere volonté de mon Pere que de
m'abandoner à une jufte douleur fur fa mort.
En conféquence , je fis le troifiéme jour
du neuviéme mois mes Dévotions dans le
Temple des Peres & dans le Lieu Saint, & y
ayant facrifié,je m'affis fur le Trône Impérial.
Depuis le commencement de l'année
prochaine , toutes les Ordonnances & Arrêts
fe publieront & fe donneront fous mon
nom , & mon Regne fera apellé le Regne
donné du Ciel.
Ayant commencé ce Regne par la grace
du Ciel & fuivant la volonté de mon Pere ,
il fera fignalé par la diftribution accoûtumée
des Récompenfes ou Gratifications , à commencer
par le plus grand jufqu'au plus petit.
Et je veux que l'union & l'amitié augmentent
partout.
La diftribution des Gratifications fe fera
de la façon fuivante.
1. Dans la Capitale , tous ceux qui font
au-deffous des Princes du Sang , & au - deflus
de ceux de la neuvième claffe , feront gratifiés.
(g)
2. Hors de la Capitale , tous ceux qui
font au deffous des Princes du Sang , & au
deffus des Comtes , feront gratifiés. ( b )
3. Tant dedans que dehors la Capitale ,
les Dames qui font au- deffous des Princeffes
du
FEVRIER. 1741. 211
du Sang , jufqu'aux Princeffes , feront grarifiées.
(i)
4. Tant dans la Capitale que dehors , les
Mandschuriens & les Riicariens , dont les
Dignités sont de la premiere Claffe , aurone
une triple gratification . (k)
Excepté les crimes ci - deffous nommés ,
on pardonnera tous ceux qui ont été commis
jusqu'à ce jour qui eft le troifiéme du neuviéme
mois de la treizième année du Regne
jufte & pacifique , soit que l'Arrêt de condamnation
ait déja été rendu ou non ; mais
il sera procedé selon que la Juftice l'exigera,
contre ceux qu'on accusera de ce jour.
10. On envoyera des Personnes de diftinction
sacrifier aux cinq grands Temples , suivant
les Loix anciennes.
11. Dans la Capitale , tous ceux qui sont
au-deffus de la quatriéme Claffe , & hors
la Capitale ceux qui sont au deffus de la
troifréme dans le Service Civil , & les Officiers
, tant dans la Capitale que dehors , qui
sont au- deffus de la seconde Claffe , envoyeront
chacun aux Académies un de leurs
fils , pour l'y faire étudier.
12. On gratifiera tous les Soldats Mandschuriens
qui ayant reçu des bleffures à la
guerre , ont été congediés , & souffrent les incommodités
de la vieilleffe .
13. Ceux qui ayant fait leurs Etudes aux
A vj Aca212
MERCURE DE FRANCE
Académies , ont paffé par l'examen , auront
des Charges dans le Tribunal nommé Lispu.
On en employera dans les grands Gouvernemens
30. dans les Gouvernemens médiocres
20 , & dans les petits Gouvernemens 10.
14. Dans tous les Gouvernemens , Provinces
& Districts sans exception , on avancera
les Dfchin- Gunes dans le rang des Sten-
Gunes , & ceux - ci dans celui des Sui- Gunes.
(P)
15. On augmentera dans tous les Gouvernemens
le nombre des Etudians dans les
Ecoles publiques ; sçavoir , dans les Académies
il y en aura sept de plus ; dans les Gymnases
il y en aura cinq de plus , & dans les
baffes Ecoles il y en aura trois de plus.
16. Tous les Officiers Civils & Militaires ,
qui ont été punis ou caffés à cause de leur .
mauvaise conduite , ou qui par la même
raison ont été privés de leurs gages , obtiendront
grace , & les places vacantes seront
remplacées par ceux qui dans la Capitale
ont servi en differens emplois , & qui
n'ont pas obtenu leur Congé.
17. Suivant les Loix du Pays , les Commandans
& autres Officiers subalternes dans
les Provinces , Districts & Villes , doivent
être des Gens defintereffés , d'une bonne
conduite & d'une probité reconnue. Pour
leur donner plus d'autorité , ils seront égaux.
2
FEVRIER: 1741 213
à ceux de la fixiéme Claffe. On choifira avec
foin ceux qui occuperont ces Poftes , & à
cette fin on tiendra toujours prêts des Sujets
capables de les remplir ; mais on doit
être bien affûré de leurs vertus par des témoignages
& des preuves fuffifantes , pour
que ces Charges ne foient point données à
des Gens de rien & fans expérience .
18. Le labourage des Terres a toujous été
d'une néceffité indifpenfable. C'eft pourquoi,
il faut qu'on en ait tous les foins imaginables.
A cet effet les Commandans de toutes
les Places y tiendront la main , & ceux qui
s'y apliqueront plus que les autres , feront
encouragés par le bon traitement qu'ils leur
feront , par les louanges qu'ils leur donneront
, & par d'autres récompenſes.
19. On n'exigera point de nos Sujets les
arrérages du Tribut & d'autes Impôts qui
font dûs depuis plus de dix ans. Ainfi la
Chambre des Comptes en envoyerra une lifte
exacte , & attendra là- deffus nos ordres .
20. Les Pottes ont depuis quelques an
nées , lorfque l'Armée a été en campagne ,
beaucoup fouffert par les expeditions fréquentes
des Couriers : ainſi en cette confidération
on les gratifiera .
21. On a toujours honoré la vicilleffe .
On gratifiera à l'avenir de quelque caractere
tous les Mandfchuriens & Nicaniens au-def
fus
214 MERCURE DE FRANCE
fus de 80 ans , excepté les Main- mortes.
Ainfi toutes les Chancelleries & Magiftrats
feront obligés d'en envoyer une lifte exacte
avec leur Avis .
22. On pardonnera à ceux qui ont volé
par pauvreté à caufe du froid & des perfécutions
, ou qui font tombés dans l'indigence
par les injuftices qu'un Magiftrat avare
leur a fait , pourvû qu'ils s'en repentent &
proteſtent de vivre bien à l'avenir.
23. Ceux qui dans les Gouvernemens ont
retenu des Deniers Royaux , ou qui fe font
laiffés corrompre
, & qui en conféquence
des Contrats font débiteurs à la Tréforerie ,
& qui comme tels devroient être forcés à la
reftitution , feront tenus quittes , & on ne
s'en prendra pas à leurs parens , en cas qu'on
trouve en effet qu'ils foient infolvables.
24. On fera des recherches exactes dansles
Chancelleries Militaires des huit divifions
de Campagne , & des cinq divifions qui
apartiennent à la Cour , & ceux qui fe font
aproprié l'argent qui devoit être porté à la
Tréforerie , ou qui par un motif de leur in
terêt particulier ont fait des Contrats defavantageux
à la Caiffe de l'Empire , tant eux
que leurs complices , feront exemts & délivrés
du payement de cette dette , en cas
qu'on les trouve infolvables.
25. L'argent destiné pour la Caiffe Militaire
,
FEVRIER 1741 215
taire , & qui eft encore dû , ne sera exigé
que de ceux qui sont obligés de le payer ,
& non pas de leurs parens ou de leurs débiteurs
, comme cela s'eft pratiqué jusqu'ici .
Cependant les Chancelleries des divifions
examineront cela avec soin , & attendront
là deffus nos ordres. C'eft selon le cas,qu'on
pourra auffi remettre la dette aux véritables
débiteurs.
26. Les Soldats & ceux d'entre le Peuple
qui sont âgés de 70 ans , seront exemts de
tous les Impôts , & chaque Famille paysanne
en nourrira un. Ceux qui ont paffé 80 ans
recevront une Gratification chaque année
de la Trésorerie Impériale.
Ceux de la seconde & troifiéme Claffe
auront une double gratification . I)
On gratifiera aulli ceux qui sont au deffus
de la septième & huitiéme Claffe . (m)
5. Outre les cinq divifions (n) qui composent
la Maison Impériale , les huit divifions
de Milice , tant Mandschurienne que Mungale
& Nicanienne à cheval , auffi- bien que
ceux qui sont au Service de l'Artillerie &
de l'Infanterie , seront gratifiés de la paye
d'un mois.
6. Les Soldats de ces huit divifions qui
ont servi contre l'Ennemi ,. c'est -à - dire les
Mandschuriens & les Nicaniens , auffi - bien
que les Régimens de Campagne Mandschuriens
217 MERCURE DE FRANCE
บ
riens & Nicaniens , ayant beaucoup souffert
, & s'étant par - là endettés , méritent une
récompense particuliere : ainfi leurs dettes
seront acquittées par la Trésorerie de l'Empire.
7. Ceux des huit divifions qui ont servi
dans la derniere guerre , soit Officiers ou
Soldats , & qui faute d'atteftations n'ont pas
été avancés , seront auffi gratifiés . La Chancellerie
de la Guerre fera connoître leurs
noms , & observera la même chose à l'égard
des Régimens de Campagne.
8. Pour soulager les Soldats congediés
qui ont servi autrefois , & qui à cause de
leur pauvreté ne sçauroient se paffer de la
paye , on examinera s'il y en a qui ont des
fils & des petits - fils à la solde ; car s'il y en a
dont les enfans & les petits - fils ne jouiffent
pas de la solde, on aura soin de ceux- ci , pour
qu'ils puiffent subfifter & faire subfifter leurs
parens. On fera une recherche exacte sur cet
article , & on nous en fera le raport.
9. Les Officiers , tant Civils que Militaires ,
les Bourgeois & les Paysans qui ont excité
des rebellions , ou qui ont déserté ; les enfans
qui ont affaffiné leurs peres ou grandsperes
; les valets & les servantes qui ont tué
leurs Maîtres ; ceux qui ont mangé des hommes
, ou qui pour leur nourriture ont coupé
aux femmes les mamelles , & ceux qui d'ailleurs
FEVRIER. 1741. 217
leurs ont commis des meurtres prémedités ;
ceux qui par le moyen des dévinations ont
ruiné le monde ; les empoisonneurs , les
voleurs de grand chemin , les sorciers , &
géneralement tous ceux qui se sont rendus
coupables de ces pechés énormes & mortels ,
auffi - bien que ceux qui ont celé les valets
Mandschuriens , qui se sont enfui de la maison
de leurs Maîtres , n'auront point de pardon.
Pour leur habillement un Gin de cotton ,
& pour la nourriture un sac de ris & 10 Girs
de viande. Ceux qui auront paffé 90 ans ,
en auront le double.
Pour qu'à l'avenir chacun satisfaffe à son
devoir sans partialité , mon intention eft
d'exécuter encore un autre deffein plus grand
& plus conforme aux Loix , à quoi je m'aplique
à present particulierement.
Ainfi j'exhorte ceux de la Famille Impériale
, auifi - bien que les Miniftres & les Géneraux
, de contribuer chacun à ce deffein
avec un zéle unanime , afin que la juftice &
une tranquillité conftante regnent dans cet
Empire , & qu'il puiffe jjoouuiirr dd''uunnee prosperité
perpetuelle.
DONNE ' la 13. année du Regne Jufte , le
troifiéme jour du 9. mois.
NOTES
118 MERCURE DE FRANCE
NOTES SUR CE MANIFESTE
1
(a) II y a à peu près cent ans que dans le tems de grands
troubles
& rebellions
dans la Chine , le
célebre
Géneral
Chinois
Ufangurey
fit un Traité
de
Paix & d'Alliance
avec Thaidfuin
, qui étoit un
Prince puiffant
& le Kan des Tartares
de Mandfur
,
dans la vue d'apaifer
non feulement
les troubles intérieurs
du Royaume
par le fecours
des Mandfutiens
, mais de fe mettre
lui-même fur le Trône ,
en contentant
les Mandfuriens
par une fomme
d'argent
pour leurs peines.
( b ) Schidfu fucceda à Thaïdfuin , & étoit Pere
de l'Empereur Kamhi ; Schidíu étant arrivé avec
fon Armée à Pecking , & ayant apris que les Rebelles
avoient pris la fuite , perfuada à Úfangarey de
les chaffer pareillement des autres Provinces , pour
qu'il pût regner plus tranquillement , s'obligeant
de refter en attendant dans la Capitale . En conféquence
Ulangurey poufu vit les Rebelles , les rédui
fit en partie & chaffa le refte hors du Royaume.
Mais Schidfu avoit pris en attendant poffeffion du
Trône lui -même , ayant laiffé à Ulangurey en proprieté
la Province de Yunan .
(c) Scheindfu , eft l'Empereur Kambi, grand-pere
de l'Empereur Kungli , à préfent regnant.
(d) On parle ici du dernier Empereur Jungsching.
Ila perdu ce nom après la mort , étant à cette heu
re apellé Schindla , ce qui veut dire le Saint dernierement
mort.
Ç'eft par la même raifon qu'on ne nomme pas
ici de leur véritable nom fes Prédeceffeurs , étant
apellés Saints , felon l'ordre qu'ils font morts &
montés au Ciel : Par exemple , Schindlain veut dire
le Grand- Grand- Saint , & Taidſu dit le Grand-
Grand- Grand- Saint.
Les
FEVRIER. 1741: 215
(e) Les Chinois apellent les Provinces qui
font fituées hors de la grande muraille , les Provinces
exterieures , foit qu'elles leur foient foumifes
ou non.
(f) C'est ainsi que s'apelle le Palais de l'Empe
reur, & fur tout la Place d'un Salon , fur laquelle fe
trouve le Trône .
(g) Cette gratification s'étend depuis le Feldt-
Maréchal jufqu'au Capitaine , & depuis le Premier
Miniftre jufqu'au Sécretaire .
(b) On connoît à la Chine deux qualités qui
font au-deffus des Comtes & audeffous des Princes
du Sang on les nomme Puyfa & Peyle. On éleve
les Gunes ou Comtes à la Dignité des Peyles , & les
Peyles à celle de Puyfas ; & en cas qu'on avancé
ceux- ci , on les fait Wans.
Je parle des Particuliers que leur mérite éléve à
ces dignités , & des Gunes & Wans de Mungale ,
dont il y a grand nombre chés eux .
Les Dignités de Wans & de Gunes font héredi.
taires , tant dedans que dehors la Capitale ; mais les
deux autres Dignitée ne font pas héreditaires ,
ce n'eft par une confirmation expreffe de l'Empereur.
Toutes ces Dignités font au-deffus de la premiere
Claffe.
(i ) Sous le nom des Princeffes , on entend les
Epoufes & les Filles des Puyfas & des Peyles.
(k ) Ce font les Premiers Miniftres & Feldt- Ma
réchaux Generaux .
(p) Les Dfchin -Gunes & Aen- Gunes , font une
efpece de Baillifs, & les Sui- Gunes font des Grands-
Baillifs.
(1) Ce font les Préfidens & les Vice - Préfidens
des Tribunaux , &c.
(m) Ce font les Colonels , Lieutenans -Colonels,
Capitaines
120 MERCURE DE FRANCÉ
Capitaines , & autres Officiers , dont les Charges
font parmi ces Claffes .
(2 ) On ne fçait pas bien fi l'on entend par ces cinq
divifions les Gardes feules , ou toute la Cour.
Aparámment on entend l'un & l'autre .
Le nombre des Officiers de la Chambre , de la
Cour , des Chancelleries , des Ecuries , de la Chasse
, de la Cuifine , &c. monte au moins à 800.
perfonnes.
>
L'Empereur Kamhi dépenfoit chaque année pour
l'entretien de fa Cour , 16. millions de Lans d'argent
. Il ne faut pas être furpris de cette fomme
vú le grand nombre des fils que ce Monarqué
avoit , & dont la plus grande partie , de fon vivant,
a eû des petits-fils & des arriere petits fils .
On affûre à Pecking , que Kamhi a pú compter
mille hommes en vie, qui étoient defcendus de lui.
Mais fon Fils & Succeffer Junfching a regié les
chofe de façon que la dépenfe de la Cour , de fon
tems , n'a monté qu'à quatre millions.
Les Chinois efperent aujourd'hui que la libérali
té du Bogdechan d'à préfent leur procurera un fiécle
d'or & d'argen
(a) Les 8. Divifions de Milice Mandschurienne
& Nicanienne font arrangées de la façon qui fuit.
Chaque Divifion eft compofée de trois differentes
Nations , fçavoir , des Mandfchuriens , des Mungales
& des Nicaniens ou des Chinois . Ainfi
chaque Divifion eft de nouveau divisée en trois
petites Divifions. Chacune de ces Divifions eft com →
mandée par un Géneral en chef , dont celui des
Mandfchuriens porte le Titre de Gufa Amban ,
qui veut dire Seigneur du Drapeau , Gufa fignifiant
dans cette Langue un Drapeau .
La Divifion des Mandfchuriens confifte en cinq
Régimens , dont chacun eft compofé de 14. 15 , ou
16.
FEVRIER. 1741. 221
16. Compagnies , chaque Compagnie complette de
100. hommes chacune .
La Divifion des Nicaniens confifte en cinq Régimens
, dont chacun eft de 7. à 8 Compagnies , à
100. hommes par Compagnie.
Ces 8. Divifions font diftinguées par les couleurs
de leurs Drapeaux. La premiere s'apelle la
Divifion jaune , le Drapeau étant tout jaune .
La feconde s'apelle la Divifion jaune à bord
blanc , le Drapeau étant de cette couleur .
La troifiéme s'apelle la Divifion blanche ,
Le du Drapeau blanc.
à сац-
La quatrième s'apelle la Divifion blanche à bord
Louge , le Drapeau étant de cette couleur .
La cinquiéme eft la Divifion fond rouge.
La fixiéme eft la Divifion rouge à bord azur ,
La feptiéme eft la Divifion azur .
La huitiéme eft la Divifion azur , à bord d'or.
Chacune de ces 3 Divifions eft fubdivifée en trois
petites Divifions , felon ce que nous avons dit , &
en compofent par conféquent vingt - quatre en tout;
celles ci prennent dans leurs petits Drapeaux la
couleur des Drapeaux des grandes Divifions.
On voit par la defcription de ces 8. Diviſions ,
qu'elles font compofées de 96. Régimens . Mais on
ne fçait pas préciſement combien il y a actuelle
ment de Compagnies dans chaque Régiment .
Si l'on fupofe que chaque Régiment n'a que 12.
Compagnies complettes à 100. hommes par Com
pagnie , il y aura 115200. homines.
EPITRE
222 MERCURE DE FRANCE
EPITRE
MAROTIQUE ,
Adreffée à M. S.... le premier jour
de l'An 1741 .
S '
I faut- il qu'en ce tems , affreux porteur de
thume ,
Où les Mortels infortunés
A cent catherres obſtinés ,
Malheureux Enfans de la brume ,
Par les Dieux femblent condamnés ;
Où les Aquilons déchaînés ,
Des maux que la douleur allume
Semblent fouffler les homicides feux ;
Bien plus felon mon coeur , que felon la coûtume
Pour vous , ami , tant cher , tant gracieux ,
Aux trois Filandieres finiftres ,
D'affreuse Mort redoutables Miniftres ,
Bien
Hautement j'adreſſe ces voeux ;
Belle Clotho , car belle je vous nomme ,
que ne fût onc de mémoire d'homme
Qui , fur votre air , votre port & vos yeux ,
Crût vous devoir ce titre glorieux ;
Adonc , Clotho , qui poffedez en fomme
Talens , atours , charmes , ris , graces , jeux ,
Air à la fois galant , majestueux ,
Que
FEVRIER. 1741 223
Que dans Cypris on loüange & renomme ;
Clotho , pour qui l'Arbitre délicat ,
Qui fut choifi dans le fameux combat ,
Sans héfiter eût réſervé la Pomme ;
Sçachez -moi gré du dire avantageux ;
Pour m'en payer oyez ce que je veux ,
Vite , arborez la plus belle quenouille
Pour cet ami dont le nom me chatoüille ,
Et fur icelle ourdiffez des Deftins ,
Que fombre ennui , pâles foins , noirs chagring
N'ofent jamais obfcurcir de leur rouille ;
Deftins toujours plus fereins & plus beaux ,
Et dont le fil dans fes plus pures eaux
Riant bonheur du foir au matin moüille .
Et vous fa Soeur , habile Lachéfis ,
Déeffe à mains plus blanches que les Lys ;
Vous près de qui la (a ) Fille de Lydie
N'offre à nos yeux que des doigts engourdis ,
Mais dont les doigts & leftes & hardis ,
Même à Pallas ont de quoi faire envie,
Pour la befoigne où mon coeur vous convie
Ca dans vos mains prenez des fuſeaux d'or ,
Et quand deffus aurez filé la vie ,
Que pour S ... Deſtin dans ſon tréſor ,
Expreffément à lui- même établie ,
Demandez-lui , Lachéfis , je vous prie ,
(a) Arachné.
;
24 MERCURE DE FRANCE
De vous laiffer recommencer encor.
Et vous enfin , Atropos redoutable ,
De nos inftans Maîtreffe véritable ,
Qui faites plus d'un feul coup de cifeaux ,
Que n'ont pas fait ces parvaillans Héros ,
Dont les hauts faits embelliffent la Fable .
Ah ! Prêtez- vous , de grace à mes fouhaits ,
Laissez courir , non , ne tranchez jamais
De cettui-cher les belles deftinées ;
Mais bien plûtôt , lorfque de fes journées
Verrez vos Soeurs tenir compte fidel ,
'Alors tâchez de leur Livre éternel
Adroitement d'en effacer quelqu'une ;
Allez , tel cas ne mérite rancune ;
Pour sûr aux Dieux telle finesse duit ,
Aux jours d'autrui quand point elle ne nuit.
Que fi Deftin , découvrant la malice ,
Incontinent vous citoit en Juſtice ,
D'abord viendroient de l'Olimpe éclatant
Les plus beaux Dieux en cortége brillant
Le blond Phebus & fa divine Mere ,
L'aimable Dieu qu'Amathonte révere ,
Et maints encor , de leur cher Nouriçon
Plaider la Caufe ; & croyez , belle Reine , .
Que pour tel fait loin de craindre une peine ,
Bien- tôt verriez les Dieux à l'unisson
Sur tous les ans de toute Gent humaine ,
VA
FEVRIER.
1741. 221
>
Vu l'équité de votre intention ,
Vous déclarer l'unique Souveraine.
En outre ici , moi pour précaution ,
( Ecoutez bien cette mienne assurance ,
Belle Atropos , dessus ma portion
Confentirois qu'on vint en pénitence
Faire auffi - tôt la compenſation .
Le ferez donc ; trop avez l'ame bonne ,
Et trop voyez avec combien d'ardeur
Mon jufte amour vous reclame en faveur
De cet ami , que mon coeur fe mitonne .,
Qui me devient plus cher de jour en jour ,
Ami charmant , dont le tendre retour
De cent douceurs mes inftans assaisonne,
Car vous le dis , & déja j'en frissonne ,
Déja voyez que j'en fuis plein d'efmoi ;
Si vous vouliez , de la barbare Loi ,
Qui par vos mains de tant de froides Ombres
Du, noir Pluton peuple les cachots fombres ,
Sur les beaux jours , avant cent ans heureux ,
Faire tomber le pouvoir rigoureux ,
Détefterois votre noire marotte ,
Et vous le dis , Belle , fans biaiſer ,
( Coeur courroucé ne cherche à déguiſer , )
Pour lors voudrois que vous fuffiez manchotte.
Par M. Boule , un des Principaux du College
de Villefranche , en Beaujolois.
B QUES
226 MERCURE DE FRANCE
QUESTION IMPORTANTE
S
Jugée au Parlement de Paris par Arrêt
du 9. Décembre 1740.
I un Testament nuncupatif écrit , fait
depuis la nouvelle Ordonnance des
Teftamens , doit être écrit de la main du
Notaire qui le reçoit,
FAIT.
Le 26. Février 1721. Louis Boucher & Maric
Bayard , fa femme, demeurant à Condrieux ,
dans la Province du Lyonnois , Pays de
Droit Ecrit , firent un Teftament mutuel ,
par lequel , après differens legs , ils inftituerent
réciproquement pour leur héritier le
furvivant d'entre eux , à la charge de remettre
l'hoirie du prémourant , quant aux immeubles
, à Marc Boucher , leur fils aîné ; &
au cas que le furvivant décedat fans remettre
l'hoirie à Marc Boucher , & fans faire d'autre
dispofition de fes biens , les Teftateurs
audit cas , inftituerent leur héritier universel
Marc Boucher.
•
Le Pere étant mort le premier , fa veuve ,
âgée de 8o. ans , fit le 16. Février 1737. un
Lecond Teftament nuncupatif, écrit à Con
drieux ;
FEVRIER. 1741. 227
drieux , en présence de fept Témoins , y
compris Robert , Notaire du Lieu , qui figna
le Teftament en qualité de Notaire . Par
ce Teſtament elle déclara qu'elle remettoit à
fon fils aîné Thoirie du Pere , & après avoir
laiffé une modique fomme à chacun de fes
Enfans , pour tout ce qu'ils pouvoient prétendre
en fa fucceffion , elle inftitua pour fon
héritier universel Jean-Claude Boucher , fon
fils puîné.
Après le décès de la Mere , le fils puîné
s'étant mis en poffeffion de tous fes biens
fon frere lui donna copie du premier Teftament
& le fit affigner en la Juftice du Comté
de Lyon , à ce qu'il eût à lui delaiſſer tous
les biens des pere & mere communs.
Pour défenses à cette demande , Jean-
Claude Boucher ayant donné copie du fecond
Teftament , fon frere lui oposa que ce
Teftament n'étoit pas écrit de la main de
Robert , Notaire , qui l'avoit figné en qualité
de Notaire, & il conclut à la nullité du Testament
, résultante de l'Article V. de l'Ordonnance
des Teftamens , du mois d'Août
1735. regiſtrée au Parlement le 3. Février
1736. lequel ordonne que le Notaire écrive
les dispofitions du Teftateur, à mesure qu'il
Jes dictera.
Par une premiere Sentence préparatoire il
fut ordonné que dans huitaine, Jean - Claude
B ij Bouche
228 MERCURE DE FRANCE
Boucher avoüeroit ou contefteroit fi le Teftament
étoit écrit de la main du Notaire , finon
que le fait demeureroit pour conftant. Il répondit
qu'il n'avoit pas connoiffance du fait
en queftion ; au furplus , il prétendit que ce
fait étoit indifferent ; que quand il feroit
conftant , il n'en résulteroit point de nullité,
qu'il n'étoit pas néceffaire que le Teftament
fût écrit de la main du Notaire , qu'en tout
cas il n'y auroit qu'un recours contre le Notaire
qui feroit responsable , de la nullité.
Il intervint une feconde Sentence , par laquelle
, attendu la déclaration de Jean - Clau
de Boucher, les Parties furent admises à convenir
d'Experts , pour faire raport fi la Minute
du Teftament en queftion étoit écrite
ou non de la main de Robert , pour ce fait
& raporté être ftatué comme il apartiendroit
, dépens réservés . La même Sentence
donna Acte à Marc Boucher de ce qu'il nommoit
le Roy , Notaire , pour fon Expert , &
ordonna que fon frere en nommeroit un , finon
qu'il feroit nommé d'office.
Jean -Claude Boucher ayant interjetté apel
de ces deux Sentences en la Sénechauffée de
Lyon , il y intervint Sentence fur apointé à
mettre , par laquelle il fut dit qu'il avoit été
mal jugé , bien apellé , émandant , évoquant
le principal & y faisant droit , Marc
Boucher fu débouté de fa demande , & la
Sentence
FEVRIER: 1741. 229
Sentence ordonna l'exécution du fecond Tes
tament du 16. Février 1737 .
Marc Boucher ayant interjetté apel de cette
Sentence , la Cause fut plaidée en la Grand-
Chambre , à l'Audience de relevée .
,
M. Boucher d'Argis, Avocat de l'Apellant,
disoit que les Teftamens étant les Actes les
plus importans de la focieté civile , on ne pou
voit prendre trop de précautions pour s'affûrer
de la vérité des dispofitions qu'ils contiennent;
qu'il n'en eft pas de ces Actes, comme
d'une infinité d'autres , que les Notaires
peuvent figner à la relation de leurs Clercs
fans les avoir écrits de leur propre main ; il a
toujours été d'usage , même avant la nouvelle
Ordonnance des Teftamens , que les Notaires
apellés pour recevoir un Teftament , s'y
trouvent en personne , qu'ils foient présens
à toute la confection de l'Acte , & que P'un
d'eux l'écrive de fa propre main ; il y avoit
même des Notaires qui portoient l'exactitu
de jusqu'à écrire chacun une partie du Testament
, afin de conftater qu'ils y étoient
tous deux présens.
La raison qui fait que l'on exige plus de
formalités pour les Teftamens , que pour la
plupart des autres Actes , eft que ceux - ci
décident du fort & de la fortune des Familles;
ils font fouvent l'ouvrage de gens âgés , infirmes
, & quelquefois mourans. Souvent le
Biij Tefta230
MERCURE DE FRANCE
Teftateur ne furvit que peu de tems à fa dispofition,
& ne peut par conséquent reclamer
contre un Teftament qu'on lui auroit fait figuer
par furprise , ou dans lequel on auroit suposé
quelques dispofitions, auxquelles il n'au
roit point eû de part ; ce font ces motifs qui
ont introduit l'usage d'obliger le Notaire d'écrire
de fa propre main le Teftament qu'
reçoit.
Quand cette obligation n'auroit pas été
indispensable avant la nouvelle Ordonnance
des Teftamens , elle le feroit devenuë fuivant
cette Ordonnance , & fpécialement par raport
aux Teftamens nuncupatifs.
19
L'Article V. porte que lorsque le Teſta-
» teur voudra faire un Teftament nuncupa-
» tif écrit , il en prononcera intelligiblement
» toutes les dispofitions , en présence au
» moins de fept Témoins , y compris le No-
» taire ou Tabellion , lequel écrira lesdites
dispofitions à mesure qu'elles feront pro-
» noncées par le Teftateur , après quoi fera
» fait lecture du Teftament , & c.
"
L'Article XXIII . qui regle la forme des
Teftamens qui fe font devant une perfonne
publique , dans le Pays où l'on ne fuit pas
le Droit Écrit porte » qu'ils feront reçûs par
» deux Notaires ou Tabellions , ou par un
» Notaire ou Tabellion, en présence de deux
Témoins , lesquels Notaires ou Tabellions,
» Ou
FEVRIER 231 1741:
» ou l'un d'eux écriront les dernieres volon
» tés du Teftateur, telles qu'il les dictera, &
» lui en feront ensuite la lecture , & c . ensorte
que dans tous les cas où la présence du Notaire
est néceffaire , l'intention de l'Ordon
nance eft, que le Notaire écrive de fa propre
main le Teftament .
Cette formalité doit y être observée , à peine
de nullité , fuivant l'Article XLVII . qui
porte que toutes les dispofitions de cette
» Ordonnance qui concerne la date & la
" forme des Teftamens , Codiciles ou autres
" Actes de derniere volonté , & les qualités
» des Témoins , feront exécutées , à peine
de nullité , &c..
Dans l'espece de la Cause , l'Apellant articuloit
que le Teftament en queftion n'étoit
point écrit de la main du Notaire , & ce fait
paroiffoit affés conftant par le refus que faisoit
l'Intimé d'avouer ou contefter le fait . C'eft
pourquoi l'Apellant demandoit que le Teftament
fût déclaré nul , ou fuposé que la Cour
voulût conftater le fait dont il s'agiffoit , il
demandoit d'être admis à faire la vérification
d'écriture par Experts , comme elle avoit été
ordonnée par le premier Juge.
M.de Beaubois , qui plaidoit pour l'Intimé ,
foûtenoit , au contraire , que le Teftament
étoit valable, & qu'il n'y avoit pas lieu d'admettre
la vérification , parce que , felon lui ,
B iiij quand
137 MERCURE DE FRANCE
1
quand le fait allegué auroit éte conftaté ,
n'en devoit point résulter de nullité .
Pour établir cette propofition , il observoit
que chés les Romains l'écriture n'étoit point
de l'effence du Teftament nuncupatif ; qu'el
le n'y étoit devenuë néceffaire en France que
depuis l'Ordonnance de Moulins , laquelle ,
Article LIV. défend d'admettre la preuve par
Témoins pour choses excedantes la fomme
ou valeur de cent liv.C'eft depuis cette Ordon
nance , difoit- il, que s'eft introduit l'usage de
rédiger par écrit toutes fortes de Teftamens ,
mais il n'eft pas pour cela de l'effence du
Teftament qu'il foit écrit de la main du Notaire
, non plus que les autres Actes que les
Notaires font écrire par leurs Clercs ou par
d'autres il fuffit que le Notaire y personnes ,
foit présent & qu'il l'attefte par fa fignature.
La nouvelle Ordonnance des Teſtamens
n'a point été faite pour changer les usages ob
fervés jusqu'alors dans les Pays de Droit
Ecrit. Le Légiflateur explique dans le préambule
, que ce n'eft point fon intention de faire
aucun changement réel aux dispoſitions
des Loix ci - devant observées.
L'Ordonnance s'en explique même ainfi ;
fpécialement par raport aux Teftamens nuncupatifs
, Article IV. où il eft dit que l'usage
de ces fortes de Teftamens nuncupatifs consinuëra
d'avoir lieu dans les Pays de Droic
Ecrit
FEVRIER. 1741. 233
Ecrit , &c. ce qui n'annonce aucun changement
ni aucune nouvelle formalité.
L'Article V. ne dit pas que le Notaire écrira
de fa propre main ; ainfi l'Ordonnance ,
en disant qu'il écrira , a entendu qu'il auroit
la liberté de faire écrire le Teftament , lorsqu'il
ne l'écriroit pas lui - même.
Si l'intention du Légiflateur eût été d'obliger
le Notaire d'écrire lui - même le Teftament
, il n'auroit pas manqué de le dire , &
cela ne peut pas être fuplée dans une matiere
de rigueur, & dans un cas où il s'agit d'annuler
un Teftament , dont les dispofitions font
fages & équitables .
Dans les Articles XVI . & XVII. où l'Ordonnance
regle la forme des Teftamens olographes
, elle dit expreflément qu'ils feront
entierement écrits & fignés de la main du
Teftateur. Or comme il n'y a rien d'inutile
dans la Loi , puisqu'elle fe fert de cette expreffion
, lorsqu'elle veut obliger celui dont
elle parle , d'écrire lui même , il s'ensuit
qu'elle n'a pas entendu affujettir le Notaire à
écrire lui-même le Teftament , n'ayant pas
dit qu'il écrira de fa main , comme elle le dit
expreffément pour le Teftament olographe..
Nonobftant ces moyens fpécieux , par Arrêt
du 9. Décembre 1740. la Cour avant
faire droit fur l'apel , ayant égard à la Requête
de l'Apellant , ordonna que raport & vé-
By rification
234 MERCURE DE FRANCE
rification feroient faits du Teftament par deux
Notaires,dont les Parties conviendroient devant
le Juge de Mâcon,finon qui feroient par
lui nommés d'office , lesquels Experts raporteroient
fi le Teftament est écrit de la main
de Robert , Notaire , de fon Clerc ou de
quelque autre personne , pour ce fait & raporté
être ordonné ce que de raison.
Cet Arrêt juge que le Teftament nuncupatif
écrit , doit être écrit de la main du
Notaire qui l'a reçû , ce qui doit auſſi s'apliquer
à tout Teftament , reçû par un ou
deux Notaires , ou autres Personnes publiques
; il faut que l'un des deux Notaires ou
autres Officiers qui reçoivent le Teftament ,
l'écrive de fa propre main, à peine de nullité.
A M. RIGAUD.
F Ameux difpenfateur de l'Immortalité ,
Qui ne reconnoîtroit dans ta docte Peinture
Et le Rival de la Nature ,
Et l'Amant de la Vérité ?
Que de Héros femblent renaître !
Eft - ce l'Image ou la réalité ?
Difpofes-tu de la vie & de l'Etre ?
nouveau Promethée , osas- tu dans les Cieux
Dérober
FEVRIER. 1741. 235
& Dérober ce feu precieux ,
Qui dans tes mains prompt à paroître ,
Tel qu'il anima l'Homme , anime tes Portraits ?
Atropos des Humains ne détruit plus les traits ;
On croit entretenir encore
Ceux que fes coups ont abatus ,
Et fur la Toile on voit éclore
Et leur Elprit & leurs Vertus.
C'eſt ainfi , cher Rigaud , que les Mufes antiques
Nous peignent ces Corps fantaftiques ,
Qui , formés fur les fombres bords ,
Ombrageoient les Ames des Morts.
Mais qui peut exprimer la fuperbe Ordonnance ,
Le choix toujours heureux , la pompe , l'élegance ,
Que ton génie & tes pinceaux
Etalent , à l'envi , fur tes riches Tableaux ?
Que l'oeil eft fatisfait ! quelle fubite extafe
Saifit l'ame dans ce moment !
Oui , dans fon doux raviflement
C'eft ton feu même qui l'embraze ,
De deux grands Rois les traits majestueur
Captivent tour à tour nos fens refpectueux ;
Grace à tes touches immortelles ,
Comme Alexandre , ils ont eû leur Apelles.
Rome jalouſe en vain tes Chefs - d'oeuvre nouveaux,
O France glorieufe ! 6 ma chere Patrie !
B vj Que
236 MERCURE DE FRANCE
Que ton luftre s'accroît par ces nobles travaux !
A de pareils Sujets donne toujours la vie ,
Et tes Enfans n'auront jamais d'égaux.
M. Tanevot
****************
LETTRE de M. de L. R. écrite à l'Auteur
du Spectacle de la Nature..
E viens , Monfieur , vous proposer une
Monfieur,
Addition à votre curieux et excellent
Ouvrage , fi heureusement nommé SPECTACLE
DE LA NATURE , fi digne de l'accueil
universel qu'il a reçû du Public , et de
l'honneur de plufieurs Editions. Cette Addition
regarde une Production de la Terre ,
une Plante même , et un fruit des plus terreftres
, car ils rampent l'un et l'autre naturellement
sur la surface de la Terre ; on
pourroit dire même en general , fruit des
moins prisés et des plus communs : car ,
qu'eft- ce enfin , generalement parlant , qu'u
ne Citroüille , un Potiron , et les autres especes
du même genre ? Il semble en effet ,
M. que ces sortes de Plantes sont un peu
négligées , pour ne pas dire méprisées dans
votre Livre. Vous ne dites qu'un mot des
Potirons dans le I. Vol. p. 464. encore n'eftse
1
FEVRIER 1741 237
é que par occafion & par maniere de
comparaison. Il eft vrai que dans le Vol. suivant
, Entretien X. p. 257. le Chevalier voulant
entamer ce qui concerne la culture du
Melon , le Prieur l'interrompt en ces termes.
» Vous laiſſez- là le Concombre , la Citroüille
» & le Potiron. Ne les méprisons pas. On
» en fait des Potages , des Ragoûts , du
» Pain & des Remedes. La culture en eft
» entierement semblable à celle du Melon ,
» fi ce n'eft qu'on ne les taille pas avec tant
» de précaution
.
Et voilà tout ce qui en eft dit dans l'Ouvrage
entier. Le Chevalier pouvoit ajoûter, vous
Laiffez- là auffi toutes les especes de Courges
differentes du Potiron & de la Citrouille
dont la connoiffance & l'usage ne sont pas
moins utiles.
Heft vrai qu'à Paris , où cet Ouvrage a
été composé , on ne connoît guére dans le
gente dont il s'agit ici , & que j'apellerai ,
sous votre bon plaifir , Genus Cucurbitarum ,
que le Melon , le Concombre , la Citroüille
& le Potiron. Il n'en eft pas de même dans.
les differentes Provinces du Royaume , surtout
dans les Provinces Méridionales , particulierement
en Provence , où il y a au moins
dix ou douze especes differentes du même
genre , comme je pourrai l'observer dans la
suite.
La
238 MERCURE DE FRANCE
Le Languedoc n'eft guére moins fécond
dans le même genre ; auffi le fameux P. Vaniere
, Jésuite , né à Beziers , ne l'a pas oublié
dans ses inimitables Géorgiques. Vous
connoiffez , M. son excellent Ouvrage
PREDIUM RUSTICUM , dont il y a cu
plufieurs Editions. Il en parle nommément
dans son IX. L. intitulé Olus , c'est- à- dire
dans la Claffe des Légumes ; rien n'eft plus
gracieux & plus élegant que ce qu'il en dit
page 176. de l'Edition de Toulouse 1730 .
Vous en allez juger.
Longior patulo visenda cucurbita ventre.
Longa super cameras reptat , vel ab arbore fructum
Demittit , docilem pucri quem cortice preffo ,
Funiculis cogunt in quaslibet ire figuras.
Nunc solis radios fingunt , tor : osque dracones :
Nunc super inscriptum gaudent concrescere nomen.
Dein humeris vacuas aptant , nudique per undam ,
Flumen in expertis audent pulsare lacertis .
Scandit in arboreos ventrosa cucurbita truncos ;
Sed tu multiplici per gramina repere flexu
Coge , fatiscentes rumpat ne pondere ramos .
Tertia qua brevior , medioque coercita nodo
Exoritur , Baccho dabit opportuna lagenam ,
Quam lateri accingas operumque viaque miniflram.
Et à la page 179. en parlant des Plantes
qui
FEVRIER 239 1741.
qui se plaisent à l'ombre , &c. il ajoûte :
Muros que vel ipsos
Occupat offufis Anguina cucurbita ramis.
Enfin à la page 186. après avoir indiqué ;
en parlant des Melons , les soins qu'il faut
se donner pour les rendre bons , & pour les
faire arriver à une heureuse maturité ; soins
qui sont les mêmes , à peu près qu'exigent
le Concombre & la Courge , il ajoûte que
celle -ci eft cependant plus en état de suporter
les inclémences du Ciel , & de se
paffer d'une attention fi scrupuleuse.
Non alia eft cucumis cultura : cucurbita coeli
Difficilis patiens minùs eft obnoxia cura.
f
Voilà , M. ce que ce grand Poëte a trouvé
bon de dire sur ce genre de Légume ;
mais pour le bien entendre , il faut être parfaitement
au fait des trois especes dont il
fait ici mention , sur tout de la Courge longue
qu'on ne connoît point à Paris , & qu'il
nomme Anguina cucurbita , parce qu'elle
eft ordinairement recourbée ou repliée à la
maniere d'un Serpent , &c. Il la représente.
auffi comme pendante agréablement du toit
d'une maison , ou du haut d'un arbre , selon
qu'on aura affecté de semer la graine , cette
Plante n'aimant rien tant qu'à filer , à monter
240 MERCURE DE FRANCE
>
>
ter , &c. sans oublier le manége des jeunes
gens qui se plaisent , lorsque le fruit eft encore
tendre , de lui faire prendre diverses
formes d'écrire leur nom sur son écorce
& après son entiere maturité de la
vuider , & de s'en servir pour se soûtenir
fur l'eau , & aprendre peu à peu à nager.
Enfin l'habile Peintre fait mention de celle
qu'on nomme communément Callebaffe
& qui fert de bouteille aux Payfans & aux
Voyageurs d'une certaine claffe , en Pro
vence & en Languedoc.
Je ne fçais où certains Jardiniers ont pris
que pour femer heureuſement les graines de
ces Plantes , & pour les élever avec fuccès
il falloit bien obferver l'âge & les differentes
phafes de la Lune , &c. vieille erreur , M.
comme vous fçavez , & qu'on étend vulgairement
fur toutes les chofes terreftres &
fublunaires ; notre illuftre Poëte eft bien
éloigné de l'adopter . Voici comment il s'en
explique expreffément dans le même IX . L.
page 183. à la marge de laquelle on lit Lunaris
Superftitio.
Quid jubeat , quid Luna vetet , plebs nescia rerum
Inspiciat , Lunasque meras , atque arbitra ruris.
Aftra crepet ; tu sole tuos metire labores. 2
Si qua fides oculo , plantas Sol adjuvat unus ;
Et
FEVRIER: 1741. 24
Et quod in humanas poffunt vaga fidera mentes ,
In teneras id juris habent non amplius herbas.
Voilà donc le P. Vaniere n'accordant à la
Lune & aux Etoiles aucun pouvoir fur les
Plantes ; il eft au contraire , fi je puis parler
ainfi , tout folaire , ou plutôt il parle en Phyficien
Chrétien & fenfé , déterminé par la
droite raifon & par l'expérience. Le célebre
P. Rapin s'eft , ce me femble , un peu hazardé
là- deffus , & a commis fa grande réputation
en parlant fur ce fujet comme les
Jardiniers vulgaires : voici fes termes.
Quando Luna vetat Luna parete vetanti,
Quando Luna jubet Luna jubete vetanti.
Je foupçonne , M. le P. Vaniere d'avoir
voulu un peu rire ici aux dépens de fon illuftre
Confrere , j'en juge par les expreffions
dont il fe fert , qui me paroiffent une vraie
parodie des termes du P. Rapin que vous
venez d'entendre.
Quoiqu'il en foit , rendons quelque juſtice
à celui- ci , lequel après avoir dit dans un
autre Endroit du même Livre.
Magnum ergo imprimis folem folisque fororem ,
Cum qua supremi Regnum partitur Olympi ,
Rite omnis tecum pubes respectet agreftis
Ambo boni arboribus , de coelofidus utrumque
Ser
242 MERCURE DE FRANCE
Servandum agricolis : figna indubitata sequuntur
Et Solem & Lunam. Tu numquam autoribus iftis,
Discernas fi rite suos in utroque colores ,
Diverfi incerto Cali terrebere vultu .
Le P. Rapin , dis je , malgré fa prévention
pour la Lune , ne laiffe pas d'attribuer au
Soleil la principale vertu & les premieres
jufluences fur toutes les Plantes en géneral ,
lequel leur donne avec la parfaite maturité .
les autres qualités qui font propres à chacune
, qualités dont il femble que l'Auteur
de la Nature ait confié le foin & la difpenfation
particuliere au Soleil.
Quoiqu'il en foit des idées de ces deux
grands Hommes , je reviens au principal
fujet de ma Lettre. Il n'y a , M. que cinq ou
fix années tout au plus qu'on voit à Paris
diverfes efpeces de Courges , d'une forme
& d'une couleur extraordinaires , mais trèsjolies
& fort agréables à la vûë , telles font
celles qu'on a dans la fuite nommé , Bonnets
de Prêtre , Bonnets d'Electeur , Melons des .
Indes , Boucliers cornus , Figues de Siam , &c .
je fuis un des premiers qui en ont eu connoiffance
, & dont la curiofité a été là deffus
réveillée. J'ai fait plus ,mon attention eſt allée
jufqu'à chercher l'origine de ces nouvelles
Plantes , d'en amaffer des graines, recueillies
de divers Endroits de l'Europe,d'en femer en
differens
FEVRIER: 1741 243
differens Jardins de Paris , & de prendre des
foins particuliers pour leur culture. Ces foins
ont reçû du Ciel une certaine bénediction
& j'ai actuellement dans ma chambre à coucher
, une garniture de cheminée des plus
fingulieres , compofée de ces fortes de Productions
qu'on vient voir par curiofité .
Vous allez fans doute , M. me demander
fi ces Fruits font bons à manger : je répons
qu'oiii , & j'ajoute qu'après avoir bien conf
taté par mes recherches qu'ils font tous originaires
de l'Amérique , j'ai apris qu'on les
mange en ce Pays là , cuits en plufieurs manieres
, & qu'on les confit même au fucre ,
à l'égard de quelques-uns. Les Sauvages les
mangent cruds & tels que la Nature les produit.
M. Darnaud , mon proche parent , Capitaine
dans les Troupes du Roy en Canada
, lequel vit il y a deux ou trois ans ma
garniture de cheminée de ce tems là , m'a
affûré que tous ces Fruits font communs
dans cette partie de l'Amérique , qu'on
les y mange de la maniere que j'ai dit , &c.
Il n'a pas oublié la promeffe de m'en envoyer
des graines , & j'en attens de nou
velles de fa part cette année , les premieres
étant arrivées trop tard par raport au
tems qu'il faut les mettre en terre , &c.
Au refte , M. mes graines n'ont jamais
mieux profperé qu'à la Chartreuse de Paris ,
&
244 MERCURE DE FRANCE
& particulierement dans le Jardin de D
Etienne. Ce digne & vénerable Solitaire a
untalent & un amour des plus marqués pour
la Botanique , & il donne une attention fingu
liere au genre dont nous parlons. C'eft chés
lui qu'eft venue entr'autres , cette Courge
toute ronde , du milieu de laquelle s'élevoit
une espece de cône , &c. le tout de couleur ,
moitié verte , moitié jaune ; Piece qui attira
tous les regards , ceux particulierement d'un
Peintre Anglois qui l'a peinte à plaifir dans
fa grandeur naturelle & dans fa plus grande
beauté , ce qui fait un petit Tableau , lequel
avec les deux autres dont je vais vous parler
ornent agréablement mon cabinet ; je dois
faire d'autant plus de cas du petit Tableau ,
que le Fruit original n'a plus reparu nulle
part , après en avoir femé les graines avec
l'attention ordinaire. Comme c'eft pour la
premiere fois qu'on l'a vû en France , & que'
je n'efpere pas de le revoir , ignorant même
d'où m'eft venue la graine qui l'a produit
il n'a point encore eu de nom fixe parmi
nous. Je le nommai d'abord le Turban du
Mufti , me paroiffant que fa figure y avoit
quelque raport , & c.
Si votre curiofité , ou plutôt cette polite fle
qui vous eft fi naturelle , vous conduit un
jour chés moi , vous y verrez non-feulement
ma cheminée affés bien décorée cette année
&
FEVRIER. 1741. 245
& le Turban du Mufti , mais encore deux
autres Tableaux où font repréfentés ce que
mes graines ont produit de plus curieux dans
les années 1738. & 1739. Ces Fruits y fontartiftement
peints de grandeur naturelle , &
dans une imitation parfaite des Originaux,
Je dois cette belle exécution à l'amitié & à
l'habileté de M. de Lobel , Peintre du Roy ;
& digne Membre de l'Académie Royale de
Peinture , & c.
Ma récolte de cette derniere année 1740.
n'a point été fi heureuſe , ce que j'attribue à
une espece de dérangement des faifons qui
a été commun prefque dans tous les Climats
de l'Europe . Il m'elt cependant venu deux
Piéces admirables dans le Jardin du véne
rable D. Etienne , fçavoir deux Courges
pafteques, comme on les nomme en Provence
, à écorce verte , toutes femées de
groffes verruës vertes & jaunes , monftrueufes
en groffeur ; vous en jugerez , M. par le
poids & les dimenfions de celle qui m'a été
envoyée de la Chartreufe , & qui fit la char
ge dans une hotte d'un très -vigoureux cro- >
cheteur. Sa longueur étoit de près de quatre
pieds , & fa circonference ou épaiffeur , de
quatre pieds & demi , pefant environ cent
livres , poids de marc. Elle a été long- tems
pofée fur un grand Bureau de mon Cabinet ,
& vifitée par bien du monde. Comme elle
fut
246 MERCURE DE FRANCE
fut un peu endommagée en l'envoyant pefer
, & qu'elle menaçoit ruine , il falut l'entamer
: on en mit d'abord une petite portion
en potage avec du boüillon gras , & j'en
trouvai le goût excellent , la chair étoit d'un
blanc pâle , tirant fur le jaune ; le refte fut
partagé entre plufieurs de mes amis , qui en
furent fatisfaits. L'autre Courge de même
efpece & groffeur refta aux Chartreux , dont
Je Cuifinier l'employa deux jours de fuite en
potage au lait , & elle fuffit à toute la Communauté
qui eft affés nombreuſe ; le troifiéme
jour on fricaffa ce qui en reftoit , dont
tout le monde mangea & fut pareillement
content.
J'avoücrai ici qu'en Provence même où
cette efpece eft commune , & où j'ai vécu
plus de 30 années , je n'en ai jamais vû de
pareille en groffeur : l'Abbé de L. R. de
l'Abbaye S. Victor , mon frere , m'en avoit
envoyé la graine au hazard avec plufieurs
autres graines , parmi lefquelles il y
avoit des Courges longues dont j'ai parlé
ci-devant , célebrées par le P. Vaniere , &c.
ce Fruit a aufli beaucoup profperé chés D.
Etienne, & c'étoit un fpectacle affés fingulier
& tout nouveau en ce Pays- ci , de voir pendre
des treilles et des arbres de fon Jardin
plufieurs de ces Courges longues retortillées
en Serpent et fous d'autres formes , qu'on ne
pouFEVRIER,
247 1741
pouvoit fe laffer de confiderer. La Courge
longue au refte fe mange de plufieurs manieres
, elle eft plus rafraîchiffante que toutes
les autres : on la confit même au fucre
comme on fait les écorces de Citron et d'O.
range.
-
:
- J'allongerois trop ma Lettre , M. fi par
occafion je vous parlois ici des autres efpeces
de Courges de Provence , très bonnes à
manger , qui ne font ni la Citrouille , ni le
Potiron de Paris , entre lefquelles la Courge
mufcade tient un des premiers rangs : l'écor
ce de celle -ci eft jaunâtre , & la chair rouge
comme du fang. Ce détail ne finiroit pas ,
car il contiendroit les Courges bouteilles du
P. Vaniere , & les autres moindres en groffeur
, dont il n'a point parlé & dont on fait
des Tabatieres , en les faifant monter artiſ
tement en or , en argent , en ivoire , &c,
on les nomme Cougourdetes.
Au lieu d'une pareille énumeration , revenons
au V. D. Etienne qui fçait fi bien étu
dier la Nature , & en augmenter agréablement
le fpectacle par fes differentes opérations
, qui fçait, dis -je , fi bien tirer du fonds
inépuifable de fes richelles , tour ce qu'elle
peut fournir de rare & de plus curieux .
Telles font les Entes extraordinaires que no
re Solitaire exécute tous les jours avec fuccès
fur les Arbres & fur les Plantes le moins
ana248
MERCURE DE FRANCE
analogues. Ce qui vérifie , au grand étonne
ment des Spectateurs , ce beau mot de Pline :
Multa latent in majeftate Natura. Sur quoi
on peut dire que dans le Jardin de ce Solitaire
la Nature ne fait que le femblant de fe
cacher , & qu'elle fe plaît enfin à fe dévoiler
& à être prife fur le fait dans fes plus merveilleufes
productions.
>
Je n'en raporterai qu'un ou deux exemples
, fçavoir , la greffe de la Vigne fur un
Pommier. Oui , M. nous avons vû l'Eté
dernier cette merveilleufe alliance dans un
petit Arbre tout chargé de Pommes d'Apy
prefque mûres , ayant au milieu de fon tronc
le commencement d'une Treille qui en for- .
toit , avec des feuilles fort vertes , fe portant,
bien , & faifant efperer des grappes dans
l'année où nous fommes , c'eft - à - dire de voir
fur le même Arbre du Raifin & des Pommes .
Un bon Poëte Latin s'eft reflouvenu làdeffus
de l'ancienne diſpute entre un Normand
& un Bourguignon , qui firent par
émulation chacun l'éloge de la Boiffon or
dinaire de fon Pays. Pour mettre le hola
& finir la querelle , notre Poëte a compofé
le Diftique qui fuit , adreffé à D. Etienne.
D. STEPHANO PACIFICATORI .
Neuftria Burgundis focietur , jurgia ceffent.
Foedera cum malo vitis amica ferit.
>
Ccs
FEVRIER: 1741. 245
Ces Vers ont été aplaudis , & ont mérité
la traduction que voici , de la compofition
du V. D. Jufte , qui ne s'occupe guére
que de grands Sujets , tirés de l'Ecriture
Sainte , &c. ainfi que le Poëte Latin , for
digne Confrere , dont je viens de parler.
Favoris de Bacchus , & vous, Fils de Pomone
Uniffez -vous enfin .
Par un heureux accord le même Arbre nous donne
Et le Cidre & le Vin.
Ou bien :
Puifqu'on voit aujourd'hui la Pomme & le Ṛaifi
Naître tous deux de compagnie
Une folide paix doit réunir enfin
Et la Bourgogne & la Neuftrie.
On a encore vû chés notre refpectable
Solitaire quelque chofe d'auffi merveilleux
un bel Oeillet greffé fur un Laurier- roſe
blanc ; les fleurs de l'Oeillet étoient toutes
blanches,avec une Raye d'un beau Cramoify
fur chaque feuille .
Mais ne quittons pas D. Etienne fans lui
fouhaiter de longs jours & une continuation
de profperités dans fes entrepriſes Botaniques
, fauf d'orner un jour fon tombeau de
quelque Epitaphe convenable . Je goûterois
fort celle - ci .
C His
250 MERCURE DE FRANCE
Hic fitus eft Stephanus , timuit quo fofpite , vinci
Rerum magna Parens , & moriente mori.
C'eft , M. ce que le Cardinal Bembe a pû
penfer de plus jufte pour illuftrer le tombeau
du fameux Raphaël qui eft dans l'Eglife
de la Rotonde , à Rome.
Au refte , M. je ne fçais fi ce que vous dites
dans votre VII . Entretien , T. I. p. 173 . de
ces greffes extraordinaires diminuera l'admiration
que mérite ce que je viens de vous
expofer. Vous ne croyez pas merveilleux ,
par exemple , de faire venir une tête de
» Pommier fur un Plane , ou des Faines de
» Hêtre fur un Chataignier , ou des Poires
» fur un Ormeau , ou des Raifins fur un
» Buiffon. Ce font - là , ajoûtez - vous , des
» monftres plutôt que des merveilles , &c. Il
eft vrai que tout ce que vous ajoûtez à cette
occafion fur le fujet de la greffe en général ,
me paroît curieux &fenfé . Mais Virgile qui a
fi dignement parlé dans fes Géorgiques, & qui
n'a pas oublié ce fujer particulier , L. 11. ne
nous dit pas que les tentatives qui réuffiffent
en fait de greffes extraordinaires , produifent
plutôt des monftres que des merveilles.
Voici le paffage que vous avez cité
& interpreté vous -même.
Inferitur vero ex foetu nucis arbutus horrida
Et fterilesplatani malos geffere valentes
CaftaFEVRIER:
1741. 251
Caftaness , fagus , ormusque incaluit albo
Flore pyri ; glandefque fues fregere fub ulmis.
Le célebre P. Rapin , grand imitateur du
Prince des Poëtes Latins , n'a pas omis non
plus de parler de ces alliances extraordinaires,
d'un Murier,par exemple, avec un Figuier,
d'un Laurier avec un Cerifier , &c..
>
Mutua quin etiam cum Moro foedera Ficus
Servabit , tetrum fi temperet illa colorem
Lauro etiam inferitur Cerafus , partuque coactus
Fundit adoptivum per virginis ora ruborem
Ipfaque confufos cum pomis poma fapores
Mifcebunt , prunufque pyrum geftabit agreftis
Palladii fi dicta fidem meruere magiftri.
Omnia qua patrios , per longa exempla , colonos
Dedocet ars , atas quondam qua priſca tenebant.
Hort. L. IV.
Ecoutons enfin fur le même fujet notre
Pere Vaniere : vous ne le trouverez pas
moins agréable & moins énergique que Les
Maîtres.
illa
Scilicet arte feros cogunt manfuefcere fructus :
Nobilitata novis ita frondibus arbor ubique
Provenit , & cerafos , necnon gaudentia fucco
Cij Perfice
252 MERCURE DE FRANCE
Perfica mala folo pinguis uligine campi
Parturiunt , cerafi ramumfi truncus adoptat
Humentis patiens terra : fic hifpida ponens
Tela pyrus , nova poma , novas miratur & umbras,
Horridulos ita caftanes nux arduafoetus
Levigat & prunus dat cerea poma , fuumque
Fraxineo pomen trunco : fic infita malus
Facundat filices , & fpinis natus alendis
Flore micat , fructuque rubus gravat ubere ramos,
llignam fic glande pluit frondosor ulmus :
Sic cerafo mutat Laurus phoebaa corymbos ;
Atquefuperba novo ramorum foedere morus
Flore citri niveo candefcit , & undepuella
Bombyces aluere fuas , hic aurea carpunt
Mala fibi niveoque finus hinc flore coronant
Unde nova calathos implebant fronde capaces.
Sie und warii pendent ex arbore fructus ;
Ductus exiifdem radicibus , unus & iden
Succus amygdaleo foetu durefcit , aquofa
Mollior in Pruno ; niveis hinc floribus albet.
Hinc cerafo rubet , aut moris nigrefcit acerbos
Parturit , & dulces fructus atque omnia rerum
Transformat fefe novus in miracula Proteus .
:
P. 104.
Je ne finirai pas ma Lettre , M. fans vous
emercier au nom de tous les Amateurs du
Caffe ,
FEVRIER. 1741 253
Caffé , en quoi on fçait que je ne le cede à
perfonne , de la mention que vous en avez
faite dans votre bel Ouvrage ; d'abord dans
le I. vol. p. 486. puis dans le II . p. 421. C'eſt
feulement dommage que vous l'ayez fait fi
briévement , & que vous n'ayez pas mis
fous les yeux du nombre infini de vos Lecteurs,
du moins un petit rameau de l'Arbre.
de Caffé , par le moyen de la gravûre. Après
avoir donné de cette maniere tänt de feuillages
d'Arbres & de Plantes commúns en
France & connus de tout le monde.
Permettez- moi de profiter de cette occafion
, pour affûrer les mêmes Amateurs du
Caffé , que je me mets en état de continuer
le Traité Hiftorique de l'origine & du progrès
du Caffé , imprimé à Paris en 1716. chés
André Cailleau à la fuite de mon Edition
du Voyage de l'Arabie heureuse , &
que cette continuation contiendra les nouvelles
découvertes , les nouvelles Plantations
, & tout ce qui peut concerner le Caffé
depuis ce tems -là .
Permettez-moi encore , M. de faire reparoître
ici le P. Vaniere , pour orner la fin
de ma Lettre de 15 ou 16 Vers de fa façon.
en faveur du Caffé. Ils font pris de fon XI.
Livre , p. 216. Après avoir parlé des Vignes
& du Vin , l'Auteur , parmi les remedes
les plus propres à dégager la tête emba
Ciij raffée
254 MERCURE DE FRANCE
tête embaraffée par les fumées de cette Liqueur
, donne la préference au Caffé , &
s'exprime de cette maniere.
>
*
Ut medeare malo , non eft prafentius ullum
Auxilium, quam fi terris faba miffa fabois
Intumuit , nitidos fartagine tofta per ignes ,
Tritaque mox validis intra mortalia pilis
Diluitur lympha , facilique parabilis arte
Vulcano coquitur ; donec vas pulvis ad imum
Venerit , & pofito manfueverit ollula motu.
Fitilibus rufos pateris diffunde liquores :
Adde peregrinâ dulces ab arundine fuccos
Ora fapiore calix ne triftia ladat amaro.
Divinos alium latices adbibebis in ufum
Seu longas opus eft ftudiis traducere noctes
Sive graves capiti tenebras induxerit aufter ,
Seu nocuere dapes ; illo medicamine vates
Ingenium emendet , latusque infecta reſumat
Carmina; nec fontes alios , quibus ora Poeta
Proluerint , fluxiffe folo malè credas achivo .
Un peu d'amour propre & beaucoup d'amour
pour le Caffé , m'inviteroient à ne pas
omettre ici une Ode fur le même fujet ,
que j'adreffai à une Dame de mes plus proches
parentes , paffionnée auffi pour cette
Boiffon , dans le tems qu'on traitoit la Paix
à
FEVRIER . 1741. 255
Utrecht , circonftance qui fit , dit- on ,
rencherir le Caffé dans le Pays , & qui donna
lieu à la Piéce que j'ajoûterois ici volontiers.
fi j'avois pû la retrouver dans mes Papiers.
En voici la premiere Strophe qui m'est
feule reftée dans la mémoire .
LE CAFFE' ,
O DE.
A Mad. D. L. R.
Préfent de la main libérale
Du Souverain de l'Univers ,
Une ardeur pour toi fans égale
Me tient lieu du Démon des Vers.
C'est peu , par une Chanſonnette ,
>
Sur la Flate ou fur la Mufete ,
D'avoir célebré tes bienfaits
Je veux aujourd'hui fur la Lyre
Peindre ton agréable empire
Par de plus magnifiques traits.
Je fuis , Monfieur , &c .
A Paris le premier Février 1741.
7
C iiij QUA256
MERCURE DE FRANCE
QUATRIE'ME LETTRE de M. Néricault
Deftouches à M. l'Abbé D....
Vous quer une
Ous m'affûrez , Monfieur , que mes
m'attirent un grand nombre de Cenfeurs &
d'Adverfaires. Je m'en aperçois comme
vous , & je les divife en quatre efpeces ; les
Ignorans , les Libertins , les mauvais Auteurs
, & leurs zelés Partifans.
Tout cela forme une multitude qui devroit
m'effrayer ; mais le croirez - vous ? l'unique
effet qu'elle produife fur mon efprit ,
c'eft de me confirmer dans mes fentimens
& de redoubler mon ardeur à les foutenir.
Il est vrai , comme vous le remarquez ,
que j'ai coupé jufques dans le vif. Faut- il
après cela s'étonner , fi tant de gens fe reffentent
de la vigueur de mon opération ?
Mais ne doit - on pas convenir en même
tems que c'eſt une preuve évidente & démonſtrative
, qu'une infinité de malades
avoient befoin de mon fecours , & qu'il eft
de mon devoir de le redoubler , fi je puis
malgré les murmures & les clameurs qu'il
peut exciter ?
Je fuis même informé depuis cinq ou fix
jours , que quelques- uns de mes malades
font
$
FEVRIER. 1741. 257
font fi exceffivement délicats , que loin de
me fçavoir bon gré du foin que je prens de
les guérir , ils fe font emportés jufqu'à.
m'écrire des injures , ornées de tems en tems.
des plus piquantes ironies. Nouvelle preuve
de l'efficacité de mes remedes. D'abord ils
caufent une vive douleur , & les plus ardens ,
défirs de vengeance . Mais vous verrez bientôt
qu'en doublant la doſe , comme j'en ai
pris la généreufe réfolution , je pourrai parvenir
à les rendre favoureux , & que les per
fonnes qui les prennent avec le plus de répugnance,
fe fentant confidérablement foulagées
, peut- être même guéries radicalement,
ouvriront les yeux fur leur injuſtice & leur
ingratitude , & me remercieront de les avoir
traitées.
Je connois certains Efprits forts , dont
tout le relief eft leur incrédulité prétenduë :
je connois plufieurs beaux Efprits , enfans gâ
tés par des gens auffi bleffés qu'eux , qui
non-feulement fe feront gloire d'être incu
rables , mais même de décrier les remedes
que je leur offre. Ils fe croiroient dégradés
& deshonorés , s'ils daignoient en reconnoî
tre l'utilité , bien que perfuadés très-intime --
ment , qu'ils ne pourroient mieux faire que
de s'en fervir , ils employeront toutes leurs
forces & tout leur crédit pour en dégouter
le Public.
Cv Un
258 MERCURE DE FRANCE
Un Auteur qui ne rougit point d'avoir
de la Religion ; un Poëte Dramatique qui ne
veut point avoir d'efprit , & qui blâme ceux
qui font tout leur mérite d'en avoir , leur
paroîtra toujours l'homme du monde le plus
ridicule , du moins voudront - ils faire croire
qu'il leur paroît tel , n'oubliant rien pour
exciter les autres à le méprifer , s'ils ne peuvent
pas venir à bout de le noircir.
Que faire à tout cela ? Faudra- t'il pour
ces glorieux opiniâtres , ceffer de faire les efforts
les plus vigoureux pour remettre les
bons efprits dans la bonne voye ? Ceux- ci
font toujours dociles & traitables . Les traits
de la Raifon & de la Verité peuvent les atteindre
& les pénétrer. Capables de fe laiſſee
éclairer , ils ne rougiffent point de ce qu'on
leur ouvre les yeux , & ils aiment mieux
reconnoître un Médecin , que d'être toujours
malades.
Voilà les Gens pour qui j'écris ; que
les autres fe révoltent , qu'ils deviennent
qu'ils fe déclarent mes ennemis , qu'ils tâchent
même de m'en fufciter , je ne crains
ni leur haine ni même leur mépris ; &
pour dire encore plus , je m'en fais gloire.
,
En effet , ne m'eft- il pas glorieux de n'avoir
pour ennemis , que des gens fans Reli
gion & fans goût ; que des efprits forts &
des efprits faux que des libertins & des
ignoFEVRIER:
1741. 259
ignorans Ils auront beaur fe remuer , s'agiter
, fe tourmenter ; leurs critiques , leurs
injures , leurs ironies , ne ferviront qu'à multiplier
les coups que je veux leur porter. Je
fuis comme le Médecin de Pourceaugnac , il
me faut des malades , je prétens les guérir ;
& fi quelqu'un veut s'y opofer , je le guérirai
lui -même .
Mais revenons au férieux , je fens que
l'enthoufiafme comique me meneroit plus
loin qu'il ne convient , dans un fujer auffi
grave que celui-ci . Je finis ce préambule , &
je viens au fait Ex abrupto.
En relifant votre Lettre qui ne me flate
point ( car un ami n'eft jamais flateur ) je
récapitule toutes les railleries qu'on a faites
de moi , dans certains réduits où vous vous
trouvez fouvent , & dans certains Ecrits
qu'on voudroit mettre au jour , & qui pourront
enfin procurer au Public , quelquesunes
de ces petites Brochures anonymes &
diffamatoires , qui de tems en tems exci
tent fon empreffement , & l'amufent pendant
quelques heures , mais qui lui infpirent
auffi tôt autant d'averfion que de mépris
pour leurs odieux & méprifables Auteurs.
Les efprits forts , me dites-vous , tranchent
tout net , & foutiennent que mes Epigrammes
contre eux , font très-plattes &
très infipides. Je comprends qu'elles n'ont
C vj pas
260 MERCURE DE FRANCE
pas pour ces Meffieurs , le fel & le piquant
de l'impieté . Ils font fcandalifés des coups
que je porte à Bayle , ( c'eft la feule chofe
qui puiffe les fcandalifer ) & ils difent en
criant le plus haut qu'ils peuvent , qu'un petit
efprit comme moi le donne un grand travers
, quand il ofe attaquer le plus profond
génie , le plus fubtile Philofophe que le dernier
fiecle ait produit.
Les beaux Efprits que je cenfure , & dont
la plûpart fe piquent auffi d'être des Efprits
forts , après avoir aplaudi ceux- ci magnifiquement
, ne s'acharnent pas moins contre
tout ce que je vous écris fur les faux bril-
Jans dont on ébloüit le Public , & fur la dés
cadence & la corruption du goût , que j'ai
la hardieffe d'attribuer à ces Meffieurs. Ils
s'épanouiffent la rate à mes dépens , ditesvous
, & foutiennent en faifant les agréables
, que je ne me déclare contre l'efprit
que parce que je fens bien que je n'en ai
point.
que
S'il en avoit autant que nous , ajoutent- ils ,
d'un petit air de confiance , il fe piqueroit de
le faire briller. Mais cet homme n'a du jugement
& de la mémoire. Avec fon bon gros
fens , il aura beau lire les Anciens , les imiter
les tranfplanter dans fes Ouvrages , il ne paffera
jamais pour un bel efprit. C'est un bon
Limonier qui marche péfamment , & qui n'a
jaFEVRIER:
7741. 261
l'étude
jamais pû faire une courbette. Ma foi ,
l'efprit ne vont point de compagnie . Rien
n'apefantit tant que la lecture , il l'a dit luimême
dans fon Diffipateur. Pour nous , nous
ne voulons puifer que dans notre génie ; la plus
grande preuve qu'on n'a point de génie , c'eſt
de fe former fur celui des Anciens. A l'exemple
des grands Peintres , il faut avoir fa maniere
propre, & fe donner pour Original. Ob
parbleu , dit un de ces Meffieurs , qui porté
la fuffifance dans tous les traits , je crois pouvoir
me piquer de l'être , & j'ofe dire queje ne
reffemble à rien. Auffi fais je fracas , & je
pourrois former un bon Volume des éloges que
je reçois de nos jeunes Auteurs , qui laiffent les
Anciens pour m'imiter. En ont- ils moins d'ef
prit , dites- moi ? Au contraire , c'est à qui en
aura le plus , & voilà ce que je leur ai
montré.
Je viens de tranfcrire ici mot à mot , ce
que je trouve dans votre derniere Lettre , &
je vous avoue que ce Dialogue m'a réjoui.
Mais puifque ces Meffieurs me font l'honneur
de m'attaquer , il me femble que la
politeffe exige que je leur faffe un mot de
réponſe. Commençons par les Efprits forts :
ils me permettront de leur faire cette pe
tite apoftrophe.
Vous dites donc , Meffieurs , que mes
Epigrammes contre vous font plattes & infipi.
262 MERCURE DE FRANCE
ment la
fipides en verité vous êtes délicats. Mais
mettez la main fur la conſcience , fi vous en
avez une , comme Bayle le prétend , parlezvous
de bonne foi ? fentez - vous réellement
que mes Epigrammes ne valent rien ? eft- ce
bien votre goût qui a décidé ? n'entre - t'il
point dans cette condamnation quelque
dofe de dépit & de colere ? N'êtes - vous pas
défolés de voir qu'un homme que vous
croyïez des vôtres , vous déclare publiqueguerre
, & vous faffe paffer nonfeulement
pour des ignorans , mais pour
une espece auffi ridicule qu'odieufe ? N'eftil
pas vrai que vous ne pouvez me pardonner
ces deux qualifications que je raffemble
en vous ; que vous auriez néanmoins la bonté
de m'excufer , fi je me bornois à vous repréfenter
comme gens pernicieux , mais que
le ridicule que je jette fur vous , eft un affront
que vous ne pouvez digérer ? je vous
traite d'ignorans , d'étourdis , de cervelles
brûlées , voilà ce qui vous pique . Vous
aviez le plaifir en jouant le rôle d'incrédules
, de paffer pour de vaftes génics , pour
de fubtils Philofophes , pour des Sçavans
qui avoient tout aprofondi , pour des coeurs
& des efprits intrépides que l'avenir n'étoit
pas capable d'effrayer.
Et moi , j'ai la témerité de vous aprofon
dir vous-mêmes , & d'avertir le Public que
Vous
FEVRIER: 1741 . 263
vous êtes des idiots , que vous raiſonnez
tout de travers , que vous n'avez ni lecture ,
ni fcience , & que tout au plus vous n'avez
qu'effleuré les matiéres importantes dont il
eſt queſtion entre vous , qui vous piquez de
ne rien croire , & ceux qui fe fentent entraînés
par la vérité : enfin je conclus en
vous convaincant par mille exemples , que
vous n'êtes braves que jufqu'au déguaîner ;
& que dès que vous touchez ou croyez toucher
à ce fatal moment qui doit décider de
votre destinée pour l'Eternité , vous devenez
les plus timides , les plus lâches & les plus petits
de tous les hommes ; ou que fi Vous perfiftez
dans votre impénitence, c'est parce que
Dieu vous a totalement abandonnés , ou plus
fouvent encore parce que vous réfiftez à fa
voix, & que defefpérant de fa miféricorde infinie
, vous vous précipitez tête baiffée & en
furieux dans les noirs abymes qui vous attendent.
J'ajoûte aujourd'hui , que fi quelques uns
d'entre vous , en ce moment décifif & terrible
, confervent encore quelque légere efpérance
que leur ame va fe diffoudre auffibien
que leurs corps , cette affreufe efpérance
eft fi foible en eux , fi incertaine & fi peu
confolante , qu'à moins qu'ils ne meurent
dans le tranfport , ou fubitement , ou en léthargie
, leurs traits , leurs geftes , leurs mou ,
ve mene
264 MERCURE DE FRANCE
vemens , leurs difcours entrecoupés de fou
pirs & de fanglots , tout prouve que leurs
efprits font agités , font tourmentés , font
accablés de craintes , d'allarmes , de frayeurs
mortelles , & de l'affreux preffentiment de
leur fort déplorable .
*
Un homme qui vous peint fi fidelement ,
vous rend odieux , je l'avoue , & encore plus
méprifables. Avoiiez auffi de bonne foi ,
Meffieurs , qu'il ne laiffe pas de vous inquiéter
, de vous caufer de triftes fyndérefes
& de vous forcer à faire de mortifiantes réflexions
fur votre préfomption , fur votre
témerité , fur l'incertitude de votre ſyſtême,
& fur la cataſtrophe épouvantable à laquelle
ce fyftême extravagant vous expofe.
Ce raisonneur importun trouble votre fecurité
; il empoisonne vos plaifirs , il veut
vous ôter la poffeffion de votre bonheur imaginaire
; il vous prouve que ce faux bonheur
n'eft fondé
que fur des préjugés , des chimeres
, des illufions , en un mot fur des apuis
bien plus fragiles que ceux que vous reprochez
fi témerairement aux hommes dociles
& fensés , qui fe laiffent entraîner par la fois
& qu'il faut avoir perdu jusqu'aux moindres.
lueurs de la raison pour acheter une félicité
qui n'a rien de réel , par le facrifice des notions
les plus naturelles & les plus génerales .
dns vérités les plus claires . & les mieux prouyées
;
FEVRIER.
1741. 269
vées , & des espérances les plus consolantes
& les plus folides .
Enfin cet homme n'a point d'autre objet
que de vous rendre auffi malheureux que
vous vous imaginez être heureux , auſſi petits
que vous vous croyez grands , auffi pufillanimes
que vous vous estimez courageux,
& auffi ridicules que vous vous flatez d'être
vénerables.
Il fait bien pis , ce témeraire , il ose atta
quer votre maître , ce Philosophe fi aimable,
fi commode , fi favorable aux paffions , fi
propre à vous délivrer de toute crainte pour
l'avenir , ou à vous convaincre du moins
qu'il n'y a vérité fi fainte , qu'on ne puiffe enveloper
dans les ténebres de l'incertitude.
Bayle vous a prouvé dans fes Pensées fur
les Cometes , qu'un Athée peut être honnête
homme , & fes jolis fophismes vous éblouisfent;
& moi j'ose vous foûtenir qu'un Athée ,
s'il y a de vrais Athées , eft un fou , un vifionnaire
, quelquefois même un fat , tout au
plus un demi Sçavant , & toujours un malhonnête
homme. Que très -inutilement votre
Maître apuye fon odieuse propofition fur
des exemples anciens & modernes; que toutes
les conféquences qu'il en tire font fausfes
ou fophiftiquées , & folidement démenties
par une expérience continuelle ; que lorfque
ce Maître fi fpécieux dans ses raisonnemens
philoso
266 MER CURE DE FRANCE
philosophiques , fi amusans dans fes discus
fions hiſtoriques , veut ſe mêler de traiter les
matieres de Religion , il brouille , il confond
, il déguise , il erre , il s'égare , & n'eſt
qu'un pitoyable Théologien ; que fon intention
n'eft que de leurer , que d'embaraffer ,
que de jetter du venin fur ce qu'il y a de plus
respectable & de plus facré , & que dès qu'il
croit avoir fapé les fondemens de la Reli
gion par les objections les plus féduisantes
la raison rebelle lui puiffe oposer , comme
dans fes Articles des Paulliciens & des
Manichéens , fans parler de cent autres endroits
de fon Dictionaire ; il a l'adreffe , ou
plutôt la mauvaise foi de fe mettre à couvert
des juftes châtimens qu'il auroit mérités ,
fous le voile hypocrite d'une foûmiffion fans
bornes , aux vérités que nous enseigne la Révélation.
Pauvre raison humaine , s'écrie t'il
perfidement , à quels écarts n'es - tu point fujette
, quand tu ne te foûmets pas à l'Evangile ?
que
O le bon Saint ! Après avoir déployé contre
la Religion les plus fubtils argumens de
fa Logique , toute la fagacité , toutes les resfources
de fon esprit tous les tours & tous les
détours de fon éloquence , il conclut par dire
que puisque le raisonnement mene fi loin ;
il n'y a point d'autre parti à prendre , que
de
ne point raisonner , comme fi la raison étoit
incompatible avec la Religion . Ne voilà -t'il
pas
FEVRIER. 1741. 2.67
pas une belle maniere de ramener dans la
bonne voye ceux qu'il s'eft efforcé d'en faire
fortir ?
Ne craignez pas qu'il fe réfute; il veut vous
faire comprendre , au contraire qu'il eft impoffible
de le réfuter,& qu'il n'y a que les gens
qui ne fçavent pas raisonner , qui puiffent.
fe foûmettre à la révélation .
Voilà par quel art pernicieux il a féduit
tant de petits esprits , tant d'ignorans , tant
d'hommes vicieux & livrés à toutes leurs
paffions , ravis de trouver fon fecours détestable
,
, pour
briser
un frein
qui les importune;
& voilà
par quelle
raison
j'entreprens
de
Vous
convaincre
, que
celui
dont
vous
êtes
les aveugles
Sectateurs
, eft votre
plus
dangereux
ennemi
; qu'il
ne vous
aprend
point
à
raisonner
, mais
à fuivre
de faux
raisonne
mens
, & qu'au
lieu
de faire
de vous
des Esprits
forts
, il vous
fait des dupes
ridicules
,
pitoyables
jouets
d'un
dangereux
Sophiſte
,
qui ne vous
aprend
tout
au plus
qu'à
douter
,
&, qui, fatisfait
de vous
avoir
mis
dans
le labyrinte
, s'eft
bien
gardé
de vous
munir
du fil
qui pourroit
vous
en faire
fortir
.
Voyez maintenant , Meffieurs , fi l'Epita
phe de Bayle , que vous avez lûë dans mes
Lettres , eft auffi mauvaise que vous le voulez
croire. Faisons - en l'analyse , je vous pries
elle ne fera ni longue ni ennuyeuse.
Ci
468 MERCURE DE FRANCE
Ci gît un Philofophe habile ,
Qui parut nouveau par ſon ſtyle' ;
Tout le monde eft demeuré d'accord
qu'il s'étoit fait un Style tout particulier .
Et qui le rendit fi charmant ,
Sans fe picquer d'être Purifte ,
Qu'au fujet même le plus trifte
Il fçût donner de l'agrément .
Convenez que je lui rends juſtice en le
loüant de très - bonne foi , fur les points qui
lui ont mérité des loüanges . En effet , rien
n'eft plus amusant que fa maniere d'écrire ,
qui n'eft ni polie ni châtiée comme celle
d'un Purifte, mais qui a plus d'agrémens dans
fon négligé , qu'une infinité d'Ecrits languisfans
, où l'on observe toujours très- fcrupuleufement
les tours les plus mesurés & les
plus délicats de notre Langue .
Mais , couvrant avec artifice
Son poiſon vif & ſéducteur ,
Jufques au bord du précipice
Il conduit l'innocent Lecteur .
Ne viens-je pas de vous prouver
invinci
blement
tout ce que je renferme
dans ces
quatre Vers ? C'eft un empoisonneur
public ,
qui cache fon poison fous un mets délicieux
.
C'est
FEVRIER. 1741. 269
C'est un malin esprit qui vous mene jusqu'au
précipice.
Aimable & pernicieux guide ,
Qui feignant de vous arrêter ,
D'une main fateuſe & perfide
S'efforce de vous y jetter.
Tout Lecteur qui a du fens & du juge
ment , s'aperçoit bien - tôt du deffein de ce
Philosophe , qui vous entraîne par des chemins
agréables & amusans , dans les Lieux
les plus fombres & les plus écartés , pour
vous faire perdre de vûë l'éclatante vérité
dont il efpere que vous ne pourrez jamais
yous raprocher , vous ne fçavez plus où vous
êtes , vous doutez , vous chancelez , vous
voulez vous en retourner & vous ne le pouvez
; c'eft- là ce qu'il fouhaitoit. Il vous réduit
à ne fçavoir de quel côté vous irez ; vous
demeurez ftupidement dans l'endroit où il
vous a laiffés ; vous fentez , vous ne fentez
point ; vous voyez , vous ne voyez point ;
vous croyez, vous ne croyez point ; enfin
vous lui reffemblez en perfection ; & voilà
mes Esprits forts. Apellez - vous cela force
d'esprit ? J'apelle cela moi , pufillanimité ,
foibleffe d'enfant , misere , ignorance , égarement
, extravagance ; tels font les brillans
attributs des fideles Difciples des Spinozas ,
des Hobbes , & des Bayles.
Trouvez270
MERCURE DE FRANCE
Trouvez-vous à présent mom Epigramme
fi mauvaise Il eft vrai que je l'ai corrigée ,
car je ne fuis jamais content de mes Ouvra
ges , mais dans le fond c'eft la même chose
un peu mieux dite , elle contient très laconiquement
tout ce que j'exprime dans ce
Commentaire, & vous conviendrez que c'eft
beaucoup dire en fort peu de mots. Si vous
m'accordez , comme je crois pouvoir m'en
Aater
,
, que les Vers , au furplus , ne font pas
tout- à- fait mauvais, je ne fçaurois comprendre
pourquoi ce petit Poëme vous femble
infipide. N'eft ce point que le fujer vous
déplaît ? Je crois que j'ai deviné. Tout ce
qui tend à vous rendre meilleurs, doit vous
paroître déteftable.
A vous maintenant , Meffieurs , les beaux
Esprits , vous voulez bien permettre ( je
parle à ceux qui me trouvent fi ridicule ) que
je prenne la liberté de vous dire quelques
mots à votre tour , dûffiez - vous remplir vos
petites Lettres anonymes , des ironies les
plus plaisantes & des injures les mieux tournés
, pour m'obliger à prendre le parti du filence
respectueux . Quelque respectables ,
quelque redoutables que vous croyez être ,
vous pafferez encore par mon étamine.
Selon votre décifion je n'ai point d'esprit ,'
parce que je trouve que vous en avez trop.
Mais vous qui me foûtenez qu'on n'en peut
trop
FEVRIER. 1741. 27 ፤
trop avoir , donnez- moi , je vous prie , une
bonne définition de l'esprit. Je gage , Meffieurs
que vous vous imaginez que c'eſt le pouvoir
d'étonner dans les Discours & dans les Ecrits,
par une fuite continuelle de penfées vives
brillantes & fingulieres ,fouvent même ſi délicates,
fi fines & fi déliées , qu'il faut avoir le
même esprit que vous, pour les comprendre,
C'eft-là du moins , Meffieurs , ce que je
vois dans tous vos Ouvrages , tant en Vers ,
qu'en Prose , fur tout à la fin de chaque
tirade & de chaque période. Point d'alinea
qui ne foit précedé d'une Epigramme , ou̟
tout au moins d'un petit Madrigal.
Discours oratoires , Eloges, Differtations ,
Préfaces , Lettres, Epitres, Poëmes héroïques,
Comédies, Tragédies, Chansons, Odes , Letres,
Eglogues même, tout fourmille de traits,
de faillies , de pointes de brillans, d'éclairs ;
tout y étonne, tout y pétille, tout y pique,tout
y éclatte , tout y ébloüit. Défense d'écrire
uniment à fon plus intime ami, de haranguer
d'un ton modefte & décent , de faire parler
des Héros comme des hommes , de produire
fur la Scéne un Amant & une Maîtreffe ,
qui fe bornent à s'exprimer naïvement leur
paffion ; malheur à tout Auteur Comique ,
qui ne fera pas parler les Valets & les Servan--
tes, avec tout l'esprit qu'il peut leur fournir,
C'eft par
leur bouche qu'il doit étaler tout
ce
272 MERCURE DE FRANCE
ce qu'il a dans l'imagination de graces & de
gentilleffes , tout ce qu'il fçait de fin & de
délicat , en un mot , tout ce que l'homme le
mieux élevé , le plus poli & le plus fpirituel
pourroit dire . Mais c'eft un Valet, mais c'eſt
une Servante ; n'importe . Ce n'eft pas la Servante
, ce n'eft pas le Valet , c'eft l'Auteur
qui parle. Il s'embaraffe bien des convenances
, pourvû qu'il fe faffe admirer , & qu'on
dise de lui au Théatre & dans les Loges
en vérité cet Auteur a bien de l'esprit ! Il eſt
vrai que le Parterre ne ſe récrie point ſur ces
traits fi fins & fi merveilleux , & que quelfois
même il prend la liberté de les fiffler ;
mais l'Auteur ingénieux s'en venge bien. Un
ami le rencontre , & lui annonce douloureusement
que fa Piéce n'a point réüffi. Je
n'enfuis pointfurpris , répond- il d'un air intrépide,
le Parterre n'a pas affès d'esprit pour
m'entendre.
Tels font , Meffieurs , les effets de votre
ambition puérile , & de la fauffe idée que
vous avez de l'esprit.
Pour moi , je pense bien differemment.
Sçavez- vous comment je définis l'Esprit ?
C'est le don & la facilité de dire & d'écrire
à propos tout ce qui convient à l'occafion & au
fujet. Ce don précieux eft produit par la
Nature & par le bon goût.
Si le Public , ainfi que je le préfume, trouve
FEVRIER . 1741 273
ve que ma définition eft jufte , ce fera votre
condamnation. Ne dire que ce qui convient
au fujet , à l'occaſion , au caractere , & s'interdire
fans rémiffion tout ce qui n'y convient
pas , c'eft ce que j'apelle & ce qu'on
doit apeller l'Esprit.
Mais , me repliquerez- vous , Meffieurs , fi
nous fommes fi fcrupuleux , fijuftes & fi précis
, infailliblement nous ferons froids , languisfans
& ennuyeux, Il faut bien que nous nous livrions
à notre imagination qui abonde en fail
Lies , en ornemens , en richeffes.
Eh! Meffieurs, vous êtes dans l'erreur. Les
ornemens déplacés ou furabondans , qu'Horace
apelle Ornemens ambitieux ; les richeffes
fuperflues, dont le mauvais goût eft fi prodigue
, ne font que défigurer un Ouvrage , au
lieu de le parer. Tout ce qui n'eft point néceffaire
, tout ce qui eft affecté , recherché ,
fardé , outrément orné , apauvrit un Ouvrage,
au lieu de l'enrichir; ce n'eft point de l'or,
c'eft du clinquant , comme je vous l'ai déja
dit.
Plus un Auteur fe fent riche & fécond
plus il doit être ménager de fes trésors , plus
il doit craindre de les mal placer, plus il doit
être en garde contre fa prodigalité,
Dès qu'on ne fuit que les élans & la fougue
de l'imagination , on perd de vûe les regles ,
la méthode , la jufteffe , le jugement & le
D bon
274 MERCURE DE FRANCE
bon goût. Quel effet produiroit, je vous prie ,"
un amas confus de Saphirs , de Topases , de
Rubis , de Diamans , d'Emeraudes , fi on les
offroit tout à la fois & fans ceffe à votre vûë,
fans avoir pris foin de les affortir avec goût
& de les arranger avec fimétrie ? Quelque
beaux, quelque brillans,quelque parfaits qu'ils
pûffent être , en parerai -je indifferemment &
confusément tous mes Ouvrages , de quelque
genre qu'ils foient , & tous mes Perfonnages
en quelque rang que je les place ? l'Ecuyer
ou le Confident en fera- t'il auffi chargé
que le Héros ? La mere portera - t'elle
autant de Pierreries que la fille ; la Suivante
autant que la Maîtreffe , le Valet autant que
le Maître ? En furchargerai - je les cheveux
blonds d'une Bergere , au lieu de les relever
par l'éclat naturel des fleurs que je devrois
avoir cueillies pour la parer ? Si je fais un
ufage fi vicieux & fi déraisonnable des amples
richeffes dont je fuis poffeffeur , ne dirapas
que la fortune aveugle me les a prodiguées
puisque je les employe fans difcernement
& fans goût- ?
t'on
Voilà ce que vous faites , Meffieurs , &
ce que ne faisoient point les Anciens, ni nos
illuftres Modernes , quoiqu'ils fûffent pour
le moins auffi riches que vous.
>
Ne fulminez donc point contre moi , fi je
yous reproche le mauvais usage de vos tréfors,
FEVRIER . 279 1741 .
fors , & fi je vous exhorte à ne les employer
désormais que fur les regles du bon goût &
du jugement.
Moins vous ferez prodigues , plus vous paroîtrez
riches. Placez bien vos richeffes , elles
vous feront honneur : placez - les mal
on fe moquera de vous .
Quels font les meilleurs ragoûts ? Ce font
les plus fimples . Quels font les plus excellens
Ouvrages ? Ce font les plus naturels.
gure
1
Aimons donc la Nature , cherchons- la
partout; faisons - la paroître dans fa noble fimplicité
; gardons - nous de la perdre de vûë.
Toutes les fois que nous l'abandonnons , nous
avons le malheur de nous égarer. Souvenezvous
, aauu rreeffttée ,, que le moindre fard la défi-
& la fait méconnoître , & que tout ce
qui ne l'offre pas telle qu'elle eft , ne peut jamais
plaire à des yeux clair - voyans & délicats,
malgré les ornemens magnifiques qu'on
lui prête , & le fard éclatant dont on veut
relever les traits. En un mot , foyez fimples,
foyez judicieux, foyez vrais . En fuivant exactement
ces principes , vous aprocherez un
peu plus de la perfection; du moins paroîtrezvous
fages , & vous éviterez mille défauts,
Virtus eft vitium fugere , & fapientia prima.
Stultitia caruiffe .
Hor. Ep. 1. v. 41. ·
Un
Dij.
276 MERCURE DE FRANCE
Un Auteur qui s'abandonne à fon enthoufiasme
eft un fat , & le fait fentir au milieu
de fes plus belles faillies. Le plus sûr moyen
de flater le bon goût , c'eft de paroître fage
& retenu dans le plus grand feu de l'imagination.
Stultitia caruiffe.
Sapientia prima
Ne craignez point que la fageffe vous rende
froids & pefans , comme le prétendent
certains Journalistes , à qui je répondrai.
La Nature a fon feu, fon brillant,fes éclairs ,
fon tonnerre , mais elle n'eft pas toujours enflammée,
elle ne brille pas fans ceffe, elle n'éclaire
, elle ne tonne pas continuellement ;
elle a trop de prudence & de difcernement
pour ne pas attendre le Lieu , l'occaſion ,
moment où il faut qu'elle s'anime , qu'elle
s'agite , qu'elle éclate , qu'elle foudroye .
le
Elle n'eft jamais ambitieufe,ni imprudente,
ni fougueuse ; elle marche d'un pas ferme &
mesuré; noble & gracieuse dans fa plus grande
fimplicité , majestueuse & modefte dans
fa plus grande élevation , prudente & circonspecte
dans fon plus fublime effor. Faitelle
parler des Bergers ? C'eft d'un ton fi naif
& fi naturel , qu'on croit être & vivre avec
Cux,
Er
FEVRIER. 1741 277
En ipfe capellas
Protinus ager ago , hanc etiam vix Tityre duco.
Hic inter denfas corylos modo namque gemellos ,
Spem gregis , ah ! filice in nuda connixa reliquit .
Virg. Eg . 1. V. 12 .
Vout- elle enfeigner l'Agriculture & la mas
niere d'élever des Troupeaux & des Abeilles
Voici comment elle débute.
Quid faciat latas fegetes , quo fidere terram
Vertere , Maecenas , ulmisque adjungere vites
Conveniat , qua cura boum , qui cultus habendo
Sit pecori ; atque apibus quanta experientia parcis
Hinc canere incipiam .
V. Georg. 1. L.
A-t'elle entrepris de s'élever jufqu'au ton
magnifique de l'Epope ?Vous allez voir qu'elle
y parvient fans enflure & fans le moindre
excès. Avec quelle dignité , quelle majesté
fait- elle parler Junon , l'Epouse & la Soeur
du Maître des Dieux !
Pallas ne exurere claffem
Argivam , atque ipsos potuii fubmergere ponto
Unius ob noxam, &furias Ajacis Oilei
Ipsa , Jovis rapidum jaculata è nubibus ignem
Disjecitque rates , evertitque aquora ventis ;
Illum expirantem transfixo pectore flammas
Turbine corripuit , fcopuloque infixit acuto ;
Dij Aft
278 MERCURE DE FRANCE
Aft ego qua divum incedo Regina Jovisque
Et foror conjux , &c.
Eneid. L. 1. V. 39
Quelle richeffe d'expreffions ! Rien n'eſt
plus fublime , rien n'eft moins gigantesque.
Il fentble que chaque mot foit venu de luimême
prendre la place qui lui étoit convenable
, & qu'il foit impoffible de lui en fub
ftituer un autre , toute riche & abondante
qu'eft la Langue de Virgile .
Voulez- vous voir la Nature badiner élégamment
& familierement ? Lisez & voyez
comment elle s'y prend .
•O
Coen abis benè , mi Fabulle , apud me ;
Paucis , fi tibi Difavent diebus ;
Si tecum attuleris bonam , atque magnam
Coenam , non fine candidâ Puellâ ,
Et vino, & fale , & omnibus cachinnis.
Hac fi inquam , &c.
Cela ne vaut -il pas mieux mille fois que
toutes les plus fpirituelles faillies , entaffées
dans unepetite Epitre à fon ami , comme nous
en voyons aujourd'hui je ne fçais combien
d'exemples ? Quelle fimplicité ! quelle grace !
quelle urbanité dans ces cinq Vers de Catulle !
Le fel n'y manque pas affûrement, mais il y eft
ménagé fi prudemment , qu'il n'y a qu'un
palais
FEVRIER . 1741 279
palais bien délicat qui puiffe le fentir.
Je devrois ici faire parler la Nature par la
bouche de Sophocle & d'Euripide , mais il
faudroit vous citer des P'affages en Grec , &
je fuis convaincu d'avance qu'ils vous ennuyeroient,
car il n'y a rien de plus ennuyeux
que ce qu'on n'entend pas. Et comme d'ailleurs
je ne la trouve point dans les OEuvres de
Séneque, qui malheureusement pour l'ancienne
Rome , eft le feul Tragique qu'elle nous ait
laiffé , je vais vous citer un Auteur que. vous
entendrez mieux , & que j'eftime infiniment
plus que Seneque , quoiqu'il foit François &
du dernier fiécle. Le Romain fourmille d'es
prit , de traits & de brillantes antitheses , &
cependant c'eft de tous lesAuteurs les plus capables
de gâter le goût.Lisez l'illuftre Racine ,
'il reformera le vôtre . Ma mémoire me fournit
fort à propos quelques Vers d'Athalie ,
que je vais vous citer .
Celui qui met un frein à la fureur des flats ,
Sçait auffi des méchans arrêter les complots.
Soûmis avec refpect à fa volonté fainte ,
Je crains Dieu , cher Abner , & n'ai point d'autre
crainte .
L'esprit n'eft pas prodigué dans ces quatre
Version fent même que l'Auteur s'eft bien gardé
d'y en mettre; mais je défie tous les Auteurs
Dir du
280 MERCURE DE FRANCE
du monde de faire
quatre Vers plus fublimes .
4.
Je crains Dieu , cher Abner , & n'ai point d'autre
crainte.
Quel noble courage ! quelle magnificence
de fentiment ! quelle fainteté ! eft-il poffible.
à l'homme de dire mieux & en moins de
mots , que quand il s'agit de la gloire de
Dieu, aucune crainte ne doit nous retenir ?
Voyons maintenant de quelle maniere la
< Nature s'explique dans la Comédie ; Téren
ce va nous l'enseigner en huit Vers. Aprenons
de lui comment il faut faire parler un
vieillard , quand il veut donner des confeils
falutaires à fon fils : c'eft le bon homme
Chrémès qui va fe faire entendre.
Verum , animus ubi femel fe cupiditate devinxit mala,
Neceffe eft , Clitipho , confilia confequi confimilia . Hoc
Scitum eft , periculum ex aliis facere , tibi quando usu
fict.
Son fils lui répond modeſtement :
Ita credo.
Mais dès que fon Pere eft parti , le jeune
homme fe livre à fon naturel , & parle justement
comme les gens de fon âge :
Quam iniquifunt Patres in omnes adolescentes judices ! ·
Qui aquum effe censent , nos jam à pueris illico nafci
Jenes ;
Neque
FEVRIER... 1741 .
281
Neque illarum affines effe rerum quas fert adolescentia .
Ex fuâ libidine moderantur , nunc qua eft , non
olim fuit.
qua
Mihifi unquam filius erit, na illefacili me uteturpatre
Heautont . A&t . 1. Scena 2. & 3.
Quelle difference entre la façon de penser
du vieillard , & celle de fon fils ! tous deux
néanmoins ne disent que ce qu'ils doivent
dire.Voilà la Nature ; voilà le bon goût
par conséquent , voilà , Meffieurs , dans
quelle fource vous devez puiser l'un & l'au-
& que ceux qui veulent faire des Odes,
en prennent le génie dans Horace & dans
Rouffeau .
tre ,
J'avoue que quelques- uns pourront me
répondre , comment voulez - vous que nous imitions
les Anciens ? Nous ne les entendons pas.
Imitez du moins les Grands Hommes qui
les ont entendus , & qui les ont choiſis pour
leurs guides & pour leurs modéles . Il n'en
eft point de plus fûrs , ni de plus agréables ,
quoi qu'en puiffent dire certains délicats, qui
leur rendroient juftice en les admirant , s'ils
s'étoient un peu plus familiarisés avec eux, &
s'ils comptoient un peu moins fur leur propre
fond , où ils n'ont pas trouvé cette fimplicité
délicate , cette gracieuse naïveté , cette
beauté mâle , nerveuse & fans fard , qui
charme les yeux, fans les éblouir, & qui flate
le goût , faps le corrompre,
D v Er
282 MERCURE DE FRANCE
Et vous , Monfieur l'Abbé, permettez que
je finiffe cette Lettre , en donnant encore un
petit mot d'avis à nos jeunes Auteurs , que
des loüanges données fans diſcernement , ou
par complaisance , retiennent dans des routes
détournées , où le jugement & le bon goût
ne fe trouvent jamais .
LES BONS GUIDES,
DEfiez- vous de ces plats Auditeurs ,
Tout dévotiés à louer vos Ouvrages ;
Ce font des fots , ou des adulateurs ,
Par qui l'on court à de triftes naufrages ;
Adreſſez-vous à de fages Cenfeurs ,
Vos vrais amis , jaloux de votre gloire ,
Bien éloignés de vous en faire accroire ,
Ce font ceux-x- là qui font les bons Auteurs.
On n'entre point au Temple de Mémoire ,
Quand on y vôle entouré de flateurs .
Je fuis , Monfieur , &c.
LETTRE
FEVRIER. 1741. 283
లో
LETTRE fur le Flux & Reflux , écrite
J
"
à M. Marand Membre des Académies
de Paris , de Londres , & de Boulogne ,
par M. le Cat , Correfpondant de l'Académie
des Sciences , Affocié de celle de
Chirurgie , Membre de la Societé Royale
de Londres.
E viens , Monfieur , de recevoir de Paris
un Livre intitulé :» Nouvelle Théorie
» des mouvemens de la Terre & de la Lu-
» ne , dans laquelle l'Auteur établit , felon
» les loix de la méchanique , un nouveau
» mouvement de la Terres d'où il tire d'u
" ne maniere claire & démonftrative la cau-
» fe phyſique du Flux & Reflux de la Mer ;
Ouvrage aprouvé par plufieurs Académi-
" ciens & célebres Profeffeurs de Philofophie
de l'Univerfité de Paris . Par M.
» Grante d'Iverk. A Paris 1740.
"
""
Quoique mes occupations m'interdiſent
en quelque forte la lecture de ces fortes
d'Ouvrages , je n'ai pû réſiſter à la tentation
de parcourir celui ci dans mes heures perdues.
J'aime la Phyfique , & comme vous
fçavez , naturam expellas furcâ , tamen ufque
récurret , &c. Au refte je me fuis fçû bon
D vj gré
284 MERCURE DE FRANCE
gré d'avoir fuccombé à la tentation ; car j'ai
trouvé avec autant de plaifir que de furpriſe
que M. Grante penfe en 1740. comme j'avois
penſé dès 1721. & que cette nouvelle
théorie des mouvemens de la Terre & de la
Lune, aplicable au Flux, eft la même que j'avois
imaginée dès - lors , & que j'avois publiée
depuis dans diversOuvrages . Quoi de plus flateur
pour moi , M. que de voir mes idées ainſi
aplaudies par l'adoption honorable qu'en
fait M. Grante , ou du moins par le bonheur
que j'ai de me rencontrer avec un tel Phyficien
Le grand nombre d'Aprobations
qui fuivent cet Ouvrage m'auroit donné une
bonne opinion de mes productions ', fi je
ne fçavois que la politeffe a beaucoup de
part à la tournure de ces fortes d'Atteftations.
Ce n'eft pas affés , M. de vous annoncer
la joye que me caufe cette bonne fortune ;
je dois vous en faire l'hiftoire , & vous en
donner les preuves , pour que vous foyez
plus en état d'y prendre part.
Commençons par l'époque de mon Traité
fur le Flux & Reflux , dans lequel j'établis
la theorie nouvelle employée très - heureuſement
par M. Grante . Je viens de dire
que j'avois fait ce Traité en 1721. J'ai fait
imprimer cette même déclaration dans des
circonftances où je n'avois pas interêt de
dater
FEVRIER. 1741. 285
dater de fi haut ; c'eſt dans ma réponſe à
M. l'Abbé Mariette fur fa critique de mon
Systême. Cette réponſe inferée dans la Bibliothèque
Françoife , tom. 26. art. 1. eft
datée d'Octobre 1736. & j'y dis .... Il y
avoit 15. ans que je gardois dans mes Papiers
de petits Traités fur differens fujets de Phyfique
, & entr'autres fur le Flux & Reflux. &c .
de 36. ôtez 15. refte 21. mon Traité du Flux
& Reflux étoit donc fait en 1721. Voyons
maintenant ce que je difois dans ce Traité
de conforme aux fentimens de M. Grante .
Voici fa nouvelle théorie.
, pour
ex-
Vous fçavez , M. que Defcartes , pour
pliquer le Flux qui arrive à l'hémisphere
opofé à la Lune , a établi fans preuve une
preffion entre la Lune & la Terre , d'où il a
conclu un reculement de la Terre & un balancement
de ce Globe. M. Grante établit
la même preffion , le même reculement de
la Terre , & aux mêmes fins que Descartes ,
mais il nie le retour de la Terre ou fon balancement
admis par Defcartes , il la fait
refter & circuler dans fa fituation reculée ;
il explique le Flux , & furtout le Flux antilunaire
par les changemens de pefauteur que
produit à la furface de la Terre fa fituation
hors du centre du tourbillon , & il affocie
Soleil à la Lune dans la production de ce
Phénomene. Vous allez voir comme je m'explique
286 MERCURE DE FRANCE
•
plique fur tous ces points dans les extraits
de mon fyftême inférés dans les Journaux
de Verdun , Mai & Juillet 1736 .
On fçait que ce qui donne à la Mer la
» figure fphérique commune à tout le globe
, eft une action égale de la caufe de la
33
péfanteur fur tous les points de la furface
» de la Mer . D'où il fuit que ce qui aplati-
» roit cette courbe fur deux parties opo-
» fées ne pourroit être que la même action
» de la péfanteur rendue inégale & plus
puiffante en ces deux parties qu'en toute
>> autre .. Qui trouvera donc cette inégalité
» d'action de la caufe de pefanteur & dé-
» terminera l'efpece particuliere à ce phéno-
» mene aura fans doute trouvé la vraie
» caufe du Flux & Reflux , ou au moins un
Syftême fatisfaifant fur ce grand myſtere
» de la Nature.
و ر
25
,
J'établis enfuite l'action de la caufe de la
pefanteur , & fon inégalité , caufe du Flux
& Reflux , & j'ajoûte.... » Cette cauſe étant
plus puiffante fur les parties correfpon-
» dantes de la Lune & de la Terre , que par-
" tout ailleurs , elle enfoncera ou aplatira la
» convexité de la Mer , lorfqu'elle fera dans
» ce point de correfpondance , ce qui caufera
le Fux fublunaire ..
» Mais j'ai fupofé la Terre en équilibre
au centre du tourbillon , & j'ai prouvé
» ailFEVRIER
. 1741 287
*
ailleurs qu'une impulfion nouvelle & de
» furcroît à cet équilibre , doit le rompre, &
» écarter ces deux Globes jufqu'au rétabliffement
de cet équilibre ; celà eft juſte &
» incontestable . Mais c'eft précisément à ce
nouvel équilibre que je les attens , c'eſt - là
où je compte trouver cette force antago-
» nifte , fi effentielle à l'efficacité de la pre-
» miere , & fi défirée dans le Syftême Car-
» téfien.¨
» Le centre du tourbillon eft auffi le centre
de gravité. Lorfque le centre de la
» Terre étoit le même que le précedent ,
s tous les points de la furface de ce Globe
étoient également éloignés du centre de
» gravité ; enforte qu'en partageant ce Globe
» en plufieurs rayons , on auroit trouvé tous
» ces rayons de matiére égaux & en équili-
» bre entr'eux. Qu'arrive t'il , lorfque la co-
» lomne de matiére étherée rendue plus puiffante
fait reculer laTerre,& éloigne fon cen-
» tre de celui du tourbillon & de gravité ? Elle
fait paffer ce centre de gravité à une certaine
» diftance du centre de la Terre dans l'hémifphere
qui répond à la Lune . Par cette
» tranfpofition , une ligne parallele à l'axe
» de la Terre qui pafferoit par le centre de
gravité ou de tourbillon , partageroit ce
» Globe en deux portions inégales , dont
و و
39
و ر
* Journal d'Avril & de Novemb . 1735. Fev. 1736.
»la
288 MERCURE DE FRANCE
و ر
"
ود
» la plus petite répondroit à la Lune , & la
plus grande à la partie opofée. Si nous
» imaginons maintenant des rayons tirés de
» ce centre de gravité , tranfpofé à toute la
furface de la Terre , on voit clairement
que les rayons de la grande portion opo-
» fée à la Lune , & furtout les rayons du
» milieu , ou directement opofés , contien-
» dront beaucoup plus de matière pefante
" ou tendante vers le centre de gravité.
" Donc à cet égard cette portion , & fur-
» tout ces rayons directement opofés pefe-
» ront ou tendront beaucoup plus vers le
» centre de gravité , que la petite portion correfpondante
à la Lune. Celle - ci ne fe fou
» tiendroit donc pas contre cette plus forte
» tendance de la plus grande portion , fans
l'impulfion fupérieure de la matiere éthe-
» rée apuyée fur cette portion , & contre la
» Lune , d'où l'on voit que ce qui contrebalance
cette pulfion , c'eft le poids ou la
plus grande tendance vers le centre de
» gravité que la partie opofée acquiert par le
» reculement de la Terre , ou plutôt par fa
» fituation ** reculée , & que ce reculement
» a dû fe faire jufqu'à ce que l'augmentation
» de gravité de la partie opofée foit égale à
» cette pulfion , & faffe équilibre avec elle .
ود
ور
"9
">
** » Je dis fituation reculée pour éviter Pidée
» du balan cement ridicule des Carréhens .
» Or
FEVRIER . 289 1741.
•
Or cette plus grande tendance , cette aug-
» mentation de la pefanteur étant plus con-
» fidérable à la partie directement opofée
» à la Lune , ce fera principalement en cette
" partie que la courbe aquatique s'aplatira ,
» s'enfoncera , & nous donnera le Flux an-
» tilunaire. Voilà donc le Globe terreftre en
" preffe entre deux forces égales entr'elles ,
> mais fupérieures à celle de tous les autres
points de fa circonférence ; voilà ce Globe
aplati, quant à fa partie aquatique, dans les
» deux hemifpheres à la fois , & par
" quent les deux Flux ,fublunaire & antilu-
» naire établis par la feule augmentation de
pefanteur fur les deux milieux de ces
» hémispheres l'un correfpondant , &
» l'autre opofé à la Lune , & cela fans met-
» tre la matiere étherée à l'étroit , & fans
» faire faire à la Terre une danfe ridicule .
₹
ود
39
»
ود
و د
confe-
"
L'aplication
de cette cauſe à toutes les
» obſervations
eft des plus aifée , & la mêdans
l'ancien
me en quelques endroits que
fyftême , mais le nôtre a encore l'avantage
» fur celui - là , en ce qu'il explique comment
» le Soleil a part à l'auginentation
du Flux
» & Reflux fuivant l'obfervation
de M. Caf-
» fini. » On peut voir le refte de cette Explication
dans le Journal de Verdun , que
j'ai cité plus haut.
Dans ce Journal j'apliquois mes principes
290 MERCURE DE FRANCE
'99
pes au fyftême du Flux & Reflux par la pref
fion fublunaire . Dans le Journal de Juillet ,
même année , j'aplique ces mêmes principes
au fyftême du Flux & Reflux par une attrac
tion fublunaire , mais par une attraction
mécanique , une attraction produite par des
impulfions collaterales ; & dans ce fecond
Extrait , voici comme je m'explique fur la
nouvelle théorie détaillée précedemment.
» La caufe du Flux eft donc toujours une
inégalité dans celle de la pefanteur même;
» inégalité qui fait que le Globe perd fa ron-
" deur parfaite , ou s'aplatit en des parties
opofées , & s'allonge en d'autres quant
à fes portions aquatiques. Cette caufe eft
toujours l'action , le mouvement de la
» matiere étherée , dirigée de la circonference
" des tourbillons à leur centre : & cette
» cauſe eft fufceptible de plus ou de moins
" par la diminution ou l'augmentation de
»fon mouvement , par l'abfence ou la pré-
» fence des points d'apui.
›
J'explique enfuite comment cette action
interceptée par la Lune , & fon tourbillon
occafionne une diminution de pefanteur à là
région de la Terre qui répond à la Lune ,
& un foulevement des eaux en cette partie ,
tant par les preffions collaterales plus puiſſantes
, que par la force centrifuge attachée à leur
mouvement circulaire. Après quoi je dis .
» C'eft
FEVRIER. 1741: 291
C'eft ainfi que fe fait le Flux quand la
Lune eft fur notre horifon , mais quand
elle eft deffous , voici comme il eſt pro-
» duit fur notre hémisphere. "
» La partie du Globe terreftre qui regarde
» la Lune étant moins preffée par la caufe
» de pefanteur affoiblic , l'équilibre doit né-
» ceffairement être rompu par celle de l'au
tre hémifphere plus puiffante , laquelle
doit pouffer la Terre hors du centre de
gravité vers la Lune , ou vers l'interception
» de l'équilibre .
33
"
» Ce déplacement éloigné l'axe de la
» Terre de celui du tourbillon , & par - là
fait , 1 °. en géneral , que la portion d'hémifphere
contenue par- delà cet axe , renferme
moins de maticie grave , moins
d'action de la matiere étherée , moins de
» tendance vers ce centre , ce qui produit
» fur toute cette portion une diminution de
pefanteur , de preffion , de réfiftance , qui
"fera que les eaux pouffées par les preffions
collaterales plus puiffantes , s'y porteront ,'
» s'y éleveront. 2 °. &c.
Voilà , M. les nouvelles découvertes bien
établies & apliquées aux deux plus fameuſes
hypothéfes de la Phyfique ; cependant tout
ce que vous venez de voir n'eft qu'un extrait
de mon fyftême , & un extrait envoyé
au Journal de Verdun,qui n'eft pas dans l'ufage
292 MERCURE DE FRANCE
"
fage d'admettre des Figures. Dans mon Ou
vrage , M. non feulement cette théorie eft
plus étendue , mais il y a encore un article
exprès , où je réfute le balancement que les
Cartéfiens fupofent dans la Terre , & où je
démontre que la fituation reculée de la
Terre hors du centre du tourbillon eft per
manente , & en quelle maniere ce Globe
doit faire une révolution en un mois lunaire
autour de ce centre de gravité , c'eft ce qui
a produit l'apoftille critique que vous avez
vûe plus haut contre ce balancement Cartéfien.
Voici une partie de cet article de
mon Ouvrage ave la Figure qui l'accompagne
, réduite en petit , & accommodée à la
forme du Mercure.
Après avoir réfuté la preffion paffive ou
de pure plénitude de Defcartes , & le balancement
qu'il en déduit , j'ajoûte...
ور
» Ce n'eſt pas aflés que ce balancement
» n'ait aucune caufe folide ; il eft impoffible ,
» quand bien même on admettroit
fans exa-
» men les cauſes qu'on lui donne , preffion ,
» contrepreffion
, & tout ce qu'il vous plai-
" ra d'y joindre. Ce balancement
eft un re-
» culement
de la Terre en des parties dia-
» metralement
opofées ; pour qu'un pareil
» mouvement
s'exécutât
, il faudroit que la
preffion fublunaire
n'agît fur la Terre
qu'en deux points opofes N. O. de ce
» Globe
و د
FEVRIER. 1741 . 293
......R
» Globe A. que ces points finguliers füffent
fupofés dans notre Méridien, & que la pref-
» fion n'eût pas lieu dans tout le refte de la fur-
» face de la Terre qui paffe fous la Lune dans
» une révolution diurne. Mais par quel mi--
» racle les autres parties du Globe évite-
» roient- elles cette preffion , ce reculement ? :
» Il faut donc convenir que s'il y a une preffion
fublunaire , & un reculement en con.
»fé
294 MERCURE DE FRANCE
و د
ود
ه د
و د
و ر
و د
و ر
و ر
و ر
و ر
5)
و ر
,, féquence , l'un & l'autre fe font en tous
les points de la Terre qui répondent à la
Lune. Or comme la Terre répond toujours
à la Lune par quelque point de sa
circonference , il s'ensuit que cette compreffion
doit toujours tenir la Terre dāns
le même éloignement de la Lune , tant
,, que la compreffion eft la même ; ainfi
,, point de retour , point de balancement ;
le centre de la Terre eft comme fixé dans
,, ce reculement , & quand au bout de 12.
heures 49. minutes la région N. de la
Terre correspondante à la Lune L. parvient
par la révolution de la Terre sur
son centre , à la partie O. oposée à la Lu-
,, ne , il eſt viſible que le centre A. de la
Terre a dû refter dans le même éloignement
A. T. du centre T. du tourbillon.
Le seul changement qui puiffe arriver à la
Terre ainfi reculée , c'eft qu'à mesure que
la Lune s'avance sur le cercle L. S. D. J.
qu'elle parcourt en un mois , elle doit
changer auffi la fituation de la Terre autour
du centre du tourbillon dont on la
,, supose déplacée , ensorte que dans le mois.
lunaire elle décrit autour de ce centre T
un cercle concentrique M. P. O. P. au
cercle lunaire L. S.D. J. & fi le cours de la
Lune eft un ovale , le reculement de la
Terre décrira auffi un semblable oyale ;
د ز
و د
"
و د
و ر
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33
و د
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و د
و و
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و و
mais
FEVRIER. 1741. 295
و ر
ي د
و و
و د
د و
mais en suposant que la preffion sublunaire
soit plus forte dans les flancs de l'ovale
que décrit la Lune , l'ovale décrit par
le reculement de la Terre aura une fituation
contraire à celle de l'ovale décrit par
la Lune , comme on le voit dans la Figure
où les extrémités M. O. de l'ovale décrit
,, par la Terre, répondent aux côtés L. D. de
Ellipse décrit par la Lune , &c.
Vous voyez , M. que les Extraits des
Journaux de Verdun suposoient cette Piéce ,
& le
que eft établi
détaillé , suivi jusqu'au bout. Cela eft clair.
Vous sçavez que tout l'Ouvrage où eft le
paffage précedent, & la Figure ci-jointe, a été
envoyé en 1739. à l'Académie des Sciences
avec la Devise : Quam dedit ei Deus sociam .
ca aftuum origo. J'en ai le récépiflé cotté
No. 17. Pour le refte de l'Hiftoire de ce Mémoire
, M. vous ne l'ignorez pas , & elle n'a
que faire ici . Rien , ce me semble , de plus
autentique que la conformité de mes idées
avec celles de M. Grante , & vous êtes , M.
solidement autorisé à prendre part à l'honneur
que j'en reçois . Quant à ce que j'ai eu
ces idées 18. ou 20. ans avant lui , il n'y a
là rien de merveilleux , c'eft peut-être parce
que j'ai médité sur ces matières avant lui
& il seroit trop miraculeux que nous euffions
tous deux trouvé ce nouveau mouvement
dans le même inftant. Quand
nouveau mouvement y
296 MERCURE DE FRANCE
Quand j'ai l'honneur de vous dire , M.
que les idées de M. Grante & les miennes
sont conformes , cela n'eft pas sans aucune
exception ; il s'en faut encore quelque chose
que nos fyftêmes soyent totalement les mêmes.
Par exemple , quand j'ai donné l'inégalité
de l'action de la cause de pesanteur
pour principe du Flux & Reflux , j'ai jugé à
propos d'expliquer l'action de cette cause ,
& de déduire de cette action les raisons de
son inégalité. M. Grante n'a pas crû devoir
suivre cette route , il a suposé la cause de la
pesanteur connue , & il me paroît fonder
tout son Ouvrage sur ces deux propofitions ;
la premiere , que la Lune pese sur la Terre ;
la seconde , que la colonne de matiere étherée
qui eft entre le centre de la Lune & celui
de la Terre, suporte seule tout le poids de la
Lune , & surcharge par conséquent le seul
point de la surface de la Terre où il s'apuye.
Or je ne suis pas de son avis sur ces deux
propofitions.
1º. Je ne pense pas que la Lune pese sur
la Terre . Car quoiqu'on s'accoûtume à entendre
& à dire depuis Newton , que toutes
les Planettes pesent les unes sur les autres ,
& toutes ensemble sur le Soleil , je ne puis
croire que ce soit là le fyftême de la Nature.
La bonne Politique ne découvre , selon
moi , aucune pesanteur entre les Corps cé→
leftes ,
FEVRIER
1741. 299
•
leftes , elle n'y trouve qu'une fimple preffion
réciproque , preffion paffive de la part des
corps , preffion active , vraye preffion de la
part de la matiere étherée qui les environne ,
Il résulte de cette preffion une tendance ;
une pesanteur ; mais cette tendance , cette
pesanteur de toutes les parties du Globe &
du tourbillon se porte au centre & s'y termine
, parce qu'elle y trouve l'équilibre , par
conséquent elle s'y perd , elle devient zero.
Le Globe entier nage donc dans un fluide libre
, il y eft dans un équilibre parfait , il ne
tend ni vers le centre , ni vers la circonference
du tourbillon , il n'a aucune peſanteur.
2º. Quelqu'envie que j'aye de me rencontrer
en tout avec M. Grante, je ne trouve point
non plus dans mes principes que la colonne
étroite de matiere étherée , fituée sur la ligne
qui pafle par les centres de la Lune & de la
Terre , suporte seule le poids de la Lune
en suposant ce poids.
Je sçais qu'une boule posée sur un plan
solide eft ainfi portée toute entiere sur un
seul point de sa circonference , qui devient
son centre de pesanteur; mais je ne vois
nulle parité entre cette boule & une autre
qui nage dans un fluide , & quand il y auroit
de la parité , le centre d'un Globe n'ett
qu'un point , la colonne qui y répond n'eſt
qu'une ligne. Quelle puiffance , M. qu'une
E- Ligne
298 MERCURE DE FRANCE
ligne de matiere étherée ? qu'un seul point
de pression qui recule & aplatit le Globe
entier de la Terre ! Voilà le point qui manquoit
à Archimede, Sérieusement , M. je
suis fâché que tout le syftême de M. Grante
porte sur un point aussi peu solide , & qu'il
ait été choisir une loi de la Mécanique fi éloignée
de son sujet , pour établir la nouvelle
théorie.
3 ° . M. Grante n'explique pas autrement
le concours du Soleil pour la production du
Flux , & en cela nos idées sont encore dif
ferentes . Cependant il me paroît que ce
concours s'explique bien naturellement dans
mes principes.
Le pénetrant M. de Fontenelle qui , sur
toutes les matieres dont il écrit , même en
paffant , sçait fi bien saifir le noeud d'une
queftion , & en pénetrer le fond ; le grand
Fontenelle , dis - je , en parlant de ce concours
, a senti l'impossibilité de l'expliquer
par la fimple preffion Cartéfienne , dont celle
de M. Grante ne differe que par le nom,
Si le Soleil contribuoit au Flux , dit ce profond
Phyficien , il faudroit changer tout le
Systême de la preffion de la Lune , pour trouver
quelque espece d'action qui pût être commune
aux deux Aftres. Hiftone Acad . 1733. C'eſt
ce que fait mon syftême , M. car j'apelle
ainfi la derniere hypothese à laquelle j'aplique
FEVRIER: 1741
299
plique mes principes , & à laquelle je donne
la préference. Or dans cette hypothese , ce
n'est pas une preffion entre la Lune & la Terre
qui produit le Flux , mais plutôt un défant
de preffion entre ces deux Globes , & les
fions collatérales qui profitent de ce défaut ,
pres
ont leur principe mécanique dans le mouvement
inteftin de la matiere étherée , action
commune à tous les Aftres.
Mais j'oublie . M. que mon unique des
sein eft de vous faire voir en quoi j'ai l'honneur
de reffembler à M. Grante , & non en
quoi j'en differe. Je finis ce parallele ; fi vous
le voulez plus complet , je vous mettrai bientôt
en état de le faire vous- même ; car je
vous avoüerai que l'Ouvrage de M. Grante
m'a inspiré la présomption de croire le mien
digne de voir le jour , & le courage de l'abandonner
enfin à l'Imprimeur.
O DE
1
A M. le Préfident L ***
VIens , c'eft toi feule que j'implore ¿ ¦
Divinité de
l'agrément ,
Vive & légere Terpficore ,
Infpire-moi ton enjoûment,
2. ... i 1 ི ༑་
Eij Loin
. MERCURE DE FRANCE
Loin de moi fublime délire ,
Mes doigts , trop foibles pour la Lyre
Brilleront fur le Clavecin .
Viens donc , vôle , agile Déefle ,
J'aime mieux ta délicateffe
Que les éclats du Luth Thébain,
Il eft une fage folie
D'od naiffent nos plus heureux jours ;
Une tendre Philofophie
Dont les Docteurs font les Amours,
Jadis fur la Lyre des Graces
Les Anacréons , les Horaces
En dicterent les douces Loix.
C'eft cette folie adorable .
Cette fageffe favorable ,
י
Qui parle aujourd'hui par ma voix .
*
Je tais des vertus que j'admire ;
L'éloge a le don d'ennuyer ;
Arifte , ma Mufe aime à rire ,
Daigne avec avec elle t'égayer ;
Sois tel qu'un ami te contemple ,
Lorfque Thémis fermant fon Temple ;
Sufpend tes utiles travaux ;
On tel qu'au fein de l'allegreffe ,
4
D8
FEVRIER:
3༣
1741 301
Du plaifir & de la tendreffe
On te voit fuivre les Drapeaux.
*
Le vrai fage n'a rien d'auftere ,
Reglé fans gêner le défir ,
Il fçait aimer , il aime à plaire ;
Il cherche & trouve le plaifir ;
Il rit de ce (a) Pédant fauvage ,
Dont la raiſon follement fage
Condamne tout amuſement ,
Et place la béatitude
A fe faire une trifte étude
D'éteindre en nous le fentiment.
*
Renonçons à l'erreur groffiere
De ce Milantrope odieux ;
Une vertu farouche , altiere ,
Seroit-elle un préfent des Dieux ?
Pourquoi rougir de la Nature ,
Et vouloir à la Créature
Interdire tout ce qui plaît ?
Le Ciel nous fera- t'il un crime
De fuivre un penchant légitime ,
Et d'ufer des jours qu'il nous fait ?
(a) Le Stoïque.
*
E iij Dun
302 MERCURE DE FRANCE
D'un infâme Epicureifme
N'adoptant point la liberté ,
Joſe abjurer du Zénoniſme
L'ennuyeufe févérité.
Il eft des bornes raifonnables ,
Des plaifirs purs & délectables ,
Tels que la raifon les chérit ;
Des plaifirs faits pour la fageffe ;
Enfans de la délicateffe ,
Charmes du coeur & de l'efprit.
*
Aux douceurs de la Simphonie
Qui peut rougir de fe livrer ,
Lorfque le Dieu de l'harmonie
Conduit la Flute de Belair (a ).
O voix digne de Melpomene ! (6) .
Jeune & modefte ' Celimene ,
Que j'aime tes fons raviflans !
Non , cette voix , ce don célefte
Ne peut nous devenir funefte ;
La pudeur regle tes accens ,
*
Charmer les Nymphes attentives
(a) Premier Joueur de Flute du Concert de Bor
deaux. M. le Préfident L * * * étoit alors Directeur
de cette Académie .
(b) Premiere Chanteuse de ce même Concert.
A
FEVRIER.
303 1741.
A nos volages entretiens ,
Par le feu , les Graces naïves
Des bons mots & des jolis riens ,
Rire dans une Fête aimable ,
Faire les honneurs d'une table ,
Chanter & l'Amour & Bachus ,
Doux plaifirs , flateufes délices ,
Que le fot met au rang des vices
Et le Sage auprès des vertus .
Fuyons une molle indolence ;
Qui vit oifif, vi : fans honneur ;
Travaillons , mais avec prudence ,
Et fans rien ôter au bonheur.
Voilà ta morale chérie ,
Arifte , heureux qui de fa vie
Sur la tienne regle le cours !
Comme les Dieux il vit tranquile ,
Et comme eux , bienfaiſant , utile
Il ne perd aucun de ſes jours.
>
Par M. Dufau , à Bordeaux,
E iiij
XI.
804 MERCURE DE FRANCE
ttatatatatat
XI. LETTRE contenant la suite des pensées
diverses sur la nouvelle Méthode
de la Typographie.
242°•
L
*
•
Es hommes de bonne foi , Monsieur ;
conviennent qu'après leurs Etudes ils ont
d'abord oublié les noms & les définitions de la plûpart
des figures de la Grammaire & de Réthorique,
et le plus grand nombre des Regles de la Sintaxe
quoiqu'ils entendent assés les Auteurs Latins ;
qu'enfin ils n'ont conservé le peu qu'ils sçavent
que par la pratique , et non par la théorie . Pour
quoi donc tant tourmenter les Enfans sur des termes
et des Regles qu'ils ne peuvent comprendre & qu'ils
oublieront dans la fuite comme inutiles ? Pourquoi
ne pas tolerer dans la premiere enfance l'ignorance
de ces termes et de ces Regles , pour n'occuper
d'abord les Enfans que de la pratique?
1
143 °. Quoique le Syftême du Bureau crie beaucoup
contre l'abus de ceux qui font passer la théorie
avant la pratique, on ne dit pas qu'il faille se livrer à
la seule pratique; on les marie ensemble ,l'une éclaire
l'autre , et les Enfans Typographes qui commen
cent par la pratique , ont bien plus de théorie que
les Enfans de la Méthode vulgaire. Celle- ci est
aveugle , elle va à tâtons , et l'autre compte pour
rien ou pour peu de chose ce qu'elle ne comprend
pas. Par exemple , l'Enfant de la Méthode vulgaire
explique presque toujours le mot Major par plus
grand , et l'Enfant du Bureau a de plus l'idée d'aî
né, outre celle de la taille. J'ai vû dans cent occasions
une grande difference d'idées entre les Enfans
da
FEVRIER: 1741. 30%
u Bureau et ceux de la Méthode vulgaire . Le Bureau
fait profession de donner la pratique avec l'intelligence
de rendre tout sensible , autant qu'on le
peut, et n'asservit pas les Enfans à l'étude des mots
qui ne leur réveillent aucune idée . Difference qui
fait l'éloge du Systême , et lui donne la supériorité
incontestable sur la Méthode vulgaire .
144. S'il est aisé de donner aux Enfans un Texte
Latin avec des exemples utiles et instructifs sur
l'Histoire , sur la Fable et sur la Morale , d'où vient
qu'on ne l'a pas fait ?Peut- on suivre un meilleur plan
que l'Historique, le chronologique et le grammatical
Suffit- il de donner des lambeaux des Auteurs,
cousus ensemble ? De donner sans liaison et sans
fil Historique , un nombre de faits mal choisis et
tronqués de chercher des exemples des vertus et
des vices dans les Livres payens , plûtôt que dans
les Livres Chrétiens ; de raconter aux Enfans des
Fables et des prodiges de la Religion Payenne ,
plûtôt que les vrais Miracles de la Religion Chrétienne
? N'est- ce pas abuser de la crédulité des Enfans
, et les exposer ensuite à douter des Miracles
de la vraye Religion ? On nous dit dans l'enfance
que les Grecs & les Romains sont des Peuples inimitables
dans les Arts , dans les Sciences , dans le
langage , &c. doit-on commencer par- là ? Cette
prévention n'est - elle pas dangereuse ? Les Grecs et
les Romains n'étoient pas, comme nous , asservis à
l'étude des Langues mortes.
145. On se trompe fort lorsqu'on croit que
l'Enfant Typographe est obligé d'oublier l'Ortographe
de l'oreille pour aprendre et pour pratiquer
celle des yeux. Ce sont deux branches differentes ;
chacune a son objet ; la premiere regarde les sons ,
comme sons , de quelque combinaison de Lettres
qu'ils soient composés , et l'autre regarde plutôt les
E v Lettres
306 MERCURE DE FRANCE
Lettres et leur usage arbitraire et de convention
. L'une et l'autre est bonne à aprendre et
à retenir en toute Langue. On tolere du Latin
et de prétendues fautes en septiéme et en sixième ,
qu'on condamne en Réthorique . Pourquoi ne pas
tolerer l'Ortographe de l'oreille à un petit Enfant ,
qui ne sçait pas encore écrire avec la plume , mais
qui avec son Imprimerie , range sur la Table
de son Bureau tous les sons qu'on lui dicte ? Il faut
esperer qu'un jour les Maîtres les plus prévenus se
rendront à la force de la vérité , et qu'à la fin le
commun du Peuple en fera honte aux Docteurs des
Ecoles et des Colleges .
146° . Si M. Rollin et M. Coffin conviennent que
la Méthode de la Version doit préceder de beaucoup
celle de la composition, que n'ont- ils la force
de persuader dans le College de Beauvais les Régens
de septiéme , de sixième et de cinquième , de faire
taire celui de quatriéme ; s'il s'en plaint , de faire
entendre raison là - dessus aux Parens et aux Maîtres
de Pension ? De laisser aux Régens des basses
Classes la liberté de donner de tems - en- tems quelques
Thèmes pour sonder la capacité des Enfans
Faire sur le Latin dans ces Classes , comme on fait
pour la composition du Grec dans les hautes Classes
? A quoi bon voir l'abus , si on n'y remédie pas ?
Le College de Beauvais s'illustreroit bien plus en
suivant la bonne Méthode de la Version , qu'il
aprouve , que de suivre en esclave celle de la composition
dans les petites Classes. Si les Régens ne
sçavent pas assés bien le François pour cela , qu'ils
l'étudient . S'ils pensent que la Méthode de la Version
est plus pénible pour eux que celle de la composition
, qu'ils se désabusent ; une nouvelle pratique
leur fera trouver les moyens pour se soulager,
en, soulageant et instruisant mieux les Enfans.
147
FEVRIER. 1741. 307
147. Des Personnes d'un haut rang ayant vû la
joye des Enfans exercés par la Méthode du Bureau,
ont apréhendé , qu'accoûtumés aux plaisirs instructifs
, ils ne voulussent pas travailler ensuite selon
l'autre Méthode , qui exige une contention d'esprit
et des devoirs plus pénibles. L'expérience a heureusement
fait voir le contraire . Les Enfans peu
peu s'accoûtument à la peine des exercices bien assaisonnés
, on les dispose d'une maniere insensible
au passage de la Méthode du Bureau à la Méthode
vulgaire, sur tout lorsque les Parens raisonnables ne
sont pas impatiens , et qu'ils donnent le tems de
former leurs Enfans et de les mettre au point qu'il
faut pour ne pas perdre en passant d'une Méthode à
Pautre .
148°. Il est difficile que les Enfans profitent beaucoup
dans l'explication d'un Texte Latin , et d'un
Auteur Classique , parce qu'en géneral il y a trop
d'érudition et de philologie à débiter dans chaque
leçon. Si pour montrer le François à un Allemand,
je vais lui expliquer une Satyre de Boileau, et que je
lui fasse des Dissertations à chaque mot , il me dira
que je l'embarrasse de trop de choses , qu'il s'agit
du François , plutôt que de l'Abbé Cotin. Peut- être
ya- t'il un peu trop de cela dans les Livres des basses
Classes , à la bonne heure pour les hautes.
149 ° . L'Enfant du Bureau met , dit -on , trop de
composer son Thème ; par
gaire il iroit plus vite, &c . On répond à cela , 1 ° .que
L'Enfant Typographe âgé de 4. 5. à 6. ans , ne sçait
pas écrire suffisamment pour faire son Thème selon
la Méthode ordinaire . 2 ° . Que quand il sçauroit
écire , il profiteroit moins en écrivant son Thème
avec la plume. 3 ° . Que l'Enfant de la Méthode
vulgaire ne peut pas faire un Thème , ne sçachant:
pas écrire , et n'ayant pas l'équivalent de l'écriture ..
E vi
tems à
la Méthode vul308
MERCURE DE FRANCE
4. Et qu'il est plus âgé que l'Enfant du Bureau ;
sans en être plus avancé , il faut comparer , évaluer
toutes choses et juger des progrès à proportion de
l'âge , du tems employé et des moyens.
Iso . L'Enfant de la Méthode vulgaire, mis aux
Thèmes , 1 °. ne sçait pas écrire sous la dictée . 2 °.
Il ne sçait pas lire son écriture. 3 ° . Il ne sçait plus
où il en est quand le Thème est indéchiffrable par
les additions , les ratures , &c. aulieu que l'Enfant du
Bureau compose à loisir le Thème qu'on lui a donné
, il lit très-facilement les fautes , les corrections,
tout y est distinct , quoique corrigé ; les Logettes ,
les Etiquettes , sont autant d'avis & de leçons
pour l'Enfant. Il a son Dictionaire dans le même
goût , il trouve tous les mots dont il a besoin , le
tout d'un beau et gros caractere qui soulage la
vûë , qui permet l'action , pendant que l'autre est
condamné au repos.
151°. On peut donner de tems en tems des Themes
pour mettre l'Enfant dans la néceflité de faire
des solécismes , de recevoir des corrections , d'aprendre
le sens & l'aplication des Regles qu'on lui
explique et qu'on veut lui faire retenir. Mais on ne
doit pas se flater qu'un Enfant dans les basses Classes
aprenne le Latin par la voye des Thèmes & de
la composition , plûtôt que par celle de l'explication
et de la version . L'expérience en a décidé dans
l'étude de toutes les Langues ; la version précedé la
composition ; en douter , c'est ne pas comprendre
la chose .
152 °. La Méthode vulgaire est en possession de
faire perdre aux petits et aux grands Enfans les premieres
années d'Ecoles. Et parce que la Méthode
du Bureau Typographique met à profit les premieres
années de l'enfance , et qu'elle fait mieux que la
Méthode vulgaire , les Parens demandent en com¬
bien
FEVRIER 174 38%
bien de tems les Enfans aprendront à lire , à quel'
âge ils pourront aller en Classe , &c. De sorte que
les Parens indifferens quand il s'agit de la Méthode
vulgaire , sont presque sur le qui vive , quand il est
question de la Méthode Typographique . On passe
d'une extremité à l'autre , peu de Parens prennent
le ton pédagogique.
153 °. Quand on voit un A. B. C. François in- 4°.
on dit que c'est un épouventail , qui ôte au Lecteur
l'envie de le parcourir. On demande un abregé
, on l'a en manuscrit , on l'a prêté à bien des
Précepteurs , qui ensuite aiment mieux lire l'in-4 .
Il y en a qui disent que l'in-4° . ne suffit pas , qu'il
seroit bon de déveloper quantité de choses qui ne
sont dites qu'en passant , et qui sont essentielles
pour l'éducation et la formation de la Jeuneffe ;
qu'il vaut mieux être long et entendu , que court
sans être compris. La Grammaire Hébraïque du P
Guarin , est de deux in 4°. Faut - il s'écrier deux
in -4° . pour une Grammaire ? Si l'on faisoit attention
à la matiere de la Bibliothéque des Enfans , on
trouveroit que l'Ouvrage en quatre petites Parties,
devroit être en quatre gros in-4°. mais par une
meilleure main ; il faut esperer que quelque jour
cela arrivera ; je le souhaite dès à présent pour le
bien de la nouvelle Méthode et de l'éducation des
Enfans . On donne des in - 4° . des in -folie , pour l'éducation
des animaux , avec de belles Planches . Il
s'agit des Enfans , on demande des Livres , de six
blancs. On tolere des Romans ou des Histoires incertaines
en quantité de gros volumes , on n'en
veut point pour les Enfans , pourquoi ? Parce que
les Parens s'amusent en lisant les premiers , et qu'ils
s'ennuyent en lisant les autres , donc ils se recherchent
eux -mêmes , plûtôt que de penser au bien de
leurs Enfans. D'ailleurs , s'il est permis de crier
contre
910 MERCURE DE FRANCE
contre les volumes , ne seroit - il pas plus raisonnable
de se plaindre de tant de volumes classiques ,
de tant de cahiers dictés pendant dix ou douze ans,
de tant de Régens et de Professeurs differens , de
tant de Colleges, &c. qui, somme totale, produisent
si peu de fruit , qu'on est obligé de recommencer
ses études, si l'on veut aprendre à bien parler , à bien
penser , à bien raisonner et à bien écrire sur chaque
matiere ?
154°. La Bibliothéque des Enfans a pour but
de leur donner la justesse du raisonnement à
mesure qu'on les fait travailler à la réiteration des
Actes qui donnent la bonne habitude dans les exercices
Elémentaires pour les premieres notions des
Arts et des Sciences . La Méthode vulgaire fait le
contraire , elle asservit les Enfans à des mots , et
s'embarasse moins des idées que des termes . Les
gens d'esprit méthodique sont charmés du Systême.
Typographique , et quelque gros que soit l'in - 4 °.
de la Typographie , un Maître bien intentionné
trouve toujours le tems de le lire et de l'étudier à
mesure qu'il commence un Enfant , et qu'il le fait
passer d'un Bureau à l'autre , ou d'une Classe à l'au➡
tre. L'Enfant devient un Texte à étudier comme
le Livre , le Maître avec l'Enfant a toujours des
exemples sous les yeux , qui lui expliquent et lui®
rendent plus clair et plus sensible tout ce qu'il a
peine à comprendre par la seule lecture ..
On donnera dans la suite la maniere d'étiqueter
un Bureau enciclopelique de neuf rangs ou de 270
Logettes.
J'ai l'honneur d'être , &c.
LES
FEVRIER: 1741 311
***
LES NOCES DE PIRITHOUS,
Q
CANTATE.
Ue de revers coûte an heureux inſtant !
Non , le Dieu de Cythere
Ne rendit jamais fur la terre
Un bonheur bien conftant.
Déja Pirithous avec Hippodamie
Avoient fait le vou folemnel
De s'entr'aimer toute leur vie
Déja , loin de l'Autel ,
;
Le Couple heureux , ou du moins près de l'être ,
Dans les plaifirs d'un fomptueux feftin
Sous un antre couvert de l'ombrage d'un Hêtre
Célebroient leurs amours par le fecours du vin.
Heureux Epoux , Couple tendre & fidele
Qu'il vous eft doux de former des défirs ,
Quand l'Hymen par mille plaifirs
Confacre votre ardeur nouvelle !
Tout rendoit heureux leur deftin ;
L'Amour y conduifoit les Graces ;
On voyoit marcher fur leurs traces
La douce Volupté , le charmant Dieu du vin .
Heureux Epoux , &c.
Crains
312 MERCURE DE FRANCE
Crains cependant , aimable Epoux ,
L'horrible cruauté d'Eurite ;
Bacchus autant qu'Amour l'excite ,
Leurs ardeurs le rendent jaloux ;
Dieux ! ç'en eft fait , il traîne Hippodamie
Pourfuis ces cruels Raviffeurs ,
Lave dans leur fang impie
Leurs horribles fureurs.
Il les atteint , Ciel ! quel carnage !
Les fillons font couverts de morts ;
Pirithous vainqueur de leurs cruels efforts ,
Arrache Hippodamie à leur barbare rage.
Chere Epoufe ( dit- il ) reconnois ton Amant,
Ah ! ne crains plus une honteufe chaîne ,
" L'Amour près de moi te ramene ,
Goutons un bonheur fi charmant ;
Bannis une importune crainte ,
Livrons-nous à mille douceurs ,
>
Hippodamie , aimons- nous fans contrainte ,
Amour n'a plus pour nous que d'aimables fureurs,
ENSEMBLE.
Pirithous . Ah ! ne crains plus une honteuſe chaîne,
Amour près de moi te ramene ,
Hippodamie.
Goutons un bonheur fi charmant,
Je ne crains plus une honteufe chaîne ,
Amour près de toi me ramene ,
Goutons un bonheur fcharmant.
Amour
TEVRIER. 1741.
'Amour fe plaît à contredire
Au bonheur d'un Amant ,
Point de courroux , il ne veut pas nous nuire ,
Son caprice n'est qu'un moment ,
C'eſt un enfant qui cherche à rire ,
Paffons-lui fon amuſement.
Point de courroux , il ne veut pas nous nuire ,
Son caprice n'est qu'un moment.
Þar M. B. Greffier en Chefà la Cour des
Monnoyes de Dijon.
jkjki i j k akakakakakakakak
LETTRE de M. CocQUARD , de
l'Académie de Dijon , où l'on justifie un
endroit critiqué de la Tragédie de Rodogune.
D
E grace , Monfieur , dispensez- moi de
prononcer entre vous & votre Ami sur
la queſtion de sçavoir fi l'on fait un plus grand
abus de l'esprit dans le fiéçle de Louis XV.
qu'on n'a fait dans le fiécle de Louis XIV.
2
Non noftrum inter vos tantas componere lites .
Je me contente , M. de vous envoyér à
ce sujet deux Volumes du Mercure de France,
où la même queftion a été controversée.
Dans l'un , qui eft celui de Decembre 1738.
Yous trouverez pag. 2752. une Lettre dans
12-
314 MERCURE DE FRANCE
quelle M. le Marquis de **** admire , par
raport à l'esprit , le fiécle de Louis XIV. aux
dépens du fiécle de Louis XV. Dans l'autre
Volume , qui eft celui du mois de Mai 1739 .
vous trouverez pag. 857. une Réponse de
M. de G... où il soûtient que le fiècle de
Louis XIV. n'a pas été préservé de la contagion
, & qu'il n'y a aujourd'hui rien de déplorable
dans la République des Lettres , que
l'acharnement de l'envie à nuire au vrai
mérite.
M. de G.... va même encore plus loin ,
puisqu'il prétend que c'eft précisément chés
P. Corneille que se trouve cet abus de l'esprit ,
qu'on impute à nos Modernes : & pour preuve
de sa propofition , M. de G.... met sous les
yeux du Lecteur quelques morceaux des
OEuvres de ce Pere du Théatre François.
Je vous avouë , M. que la plupart de
ces exemples m'ont parû repris avec juſteſſe ,
parce que le Poëte a trop affecté de mettre,
l'esprit à la place du sentiment ; mais auffr
il
y en a quelques uns qui me semblent devoir
être à couvert de la censure , parce que
le sentiment y regne encore plus que l'esprit.
Tel eft , entr'autres , ce Vers de la Tragédie
de Rodogune :
» Elle fuit , mais en Parthe , en nous perçant le
coeur ; ( 1)
( 1) AH. 3. Sc. S₁
Vers
FEVRIER. 17417.315
Vers que . M. de G.... a critiqué , sans en
rendre aucune raison , & que nous avons
au contraire tant de fois admiré vous & moi ,
Nous serions nous trompés dans notre ju-,
gement ? ou M. de G.... se tromperoit - il
dans le fien ? c'eſt ce que je viens d'examiner
un peu plus sérieusement que nous n'a
vions fait jusqu'ici , & voici mes réflexions ;
en attendant les vôtres.
Quoique nous n'ignorions point qu'autre ,
fois dans les Combats , les Parthes fuyoient
avec adreffe pour décocher derriere eux des
fléches aux Ennemis qui les pourſuivoient ,
je demeure d'accord que fi ce Vers :
» Elle fuit , mais en Parthe , en nous perçant le
coeur ,
eût été mis dins la bouche d'un Perfonnage
, ou adreffé à un Perfonnage qui n'eût
pas été cenfé inftruit de cette maniere de
combattre , ce feroit le cas d'avancer que
Corneille auroit abufé de fon efprit. Mais ici
rien de plus naturel , rien de plus heureuſement
amené , felon moi , que ce beau Vers.
Il eft dit de Rodogune , Reine des Parthes
, il eft dit par Antiochus qui connoiffoit
les Parthes , il eft dit à Seleucus qui étoit
pareillement informé de l'ufage des Parthes
, puifque les Syriens venoient de foûtenir
de longues guerres contre les Parthes.
Corneille avoit même , dès la premiere
Scéne ,
17 MERCURE DE FRANCÉ
Scéne , difpofé les Spectateurs à recevoir fa
vorablement ce Vers , & leur en avoit , en
quelque maniere , facilité l'intelligence par
ceux- ci de Théagene à Laodice s
Pour le mieux admirer, trouvez bon , je vous priej
Que j'aprenne de vous les troubles de Syrie ;
J'en ai vû les premiers , & me fouviens encor
» Des malheureux fuccès du grand Roy Nicanor ,
→ Quand des Parthes vaincus preffant l'adroite fuite,
Il tomba dans leurs fers au bout de fa pourſuite.
Pour peu furtout qu'on faffe d'attention
à la conjoncture où le Vers profcrit par M.
de G.... fort de la bouche d'Antiochus , on
`ne peut, à mon avis , fe difpenfer d'en être
plutôt l'admirateur que le critique . Rodo
gune par un Traité de Paix entre les Parthes
& les Syriens , doit époufer celui des
deux Fils de Cléopatre qui fera déclaré l'aîné
, & monter avec lui fur le Trône de Sya
rie , d'où cette Mere fe voit fur le point de
defcendré malgré elle . Ces Freres unis par
tes liens les plus étoits de l'amitié , preffent
tour-à - tour Rodogune qu'ils aiment , de
découvrir le penchant de fon coeur en faveur
de l'un ou de l'autre , & fans attendre
que Cléopatre leur Mere déclare l'Aîné
d'entr'eux , ils jurent à Rodogune de facri
fier à celui des deux dont elle fera choix ,
&
FEVRIER 1741. 317
le droit d'Aîneffe , & la Couronne , &
l'amour même. Quelle réponſe favorable
Antiochus ou Seleucus n'avoient-ils pas lieu
d'attendre de Rodogune , après des empreffemens
fi généreux , fi doux & fi flateurs ?
Cependant , foit feinte , foit verité , Rodogune
alors leur proteſte, & leur réitere qu'elle
ne veut accepter pour Epoux que celui des
deux qui lui aportera la tête de Cléopatre ,
& voici comment elle s'en explique . (1)
Rodogune.
3 Tremblez , Princes , tremblez au nom de votre
Pere ,
Il est mort , & pour mois par les mains d'ung
Mere .
» Je l'avois oublié , fujette à d'autres loix ,
» Mais libre , je lui rends enfia ce que je dois ."
» C'eft à vous de choifir mon amour ou ma haine,
› Faime les Fils du Roy , je haïs ceux de la Reine.
Reglez vous là - deffus , & fans plus me preffer
» Voyez auquel des deux vous voulez renoncer.
Il faut prendre parti , mon choix fuivra le vôtre ;
Je refpecte autant l'un , que je détefte l'autre ;
Mais ce que j'aime en vous du fang de ce grand
Roy ,
22
S'il n'eft digne de lui , n'eft pas digne de moi.
(1 ) Ad. 3. Sc. 4.
2 ; Ce
318 MERCURE DE FRANCE
Ce fang que vous portez , ce Trône qu'il vous
laiſle ,
» Valent bien que pour lui votre coeur s'intéreſſe ,
Votre gloire le veut , Pamour vous le preferit.
Qui peut contr'elle & lui foulever votre eſprit ?
» Si vous leur préferez une Mere cruelle ,
Soyez cruels , ingrats , parricides comme elle.
» Vous devez la punir , fi vous la condamnez ,
Vous devez l'imiter , fi vous la foûtenez.
Quoi! cette ardeur s'éteint ! l'un & l'autre foupire!
J'avois fçû le prévoir , j'avois fçû le prédire,
າ ງ
» Princeffe .....
Antiochus,
39
Rodogune.
» Il n'eft plus tems , le mot en eft lâché ;
Quand j'ai voulu me taire , en vain je l'ai tâché.
Apellez ce devoir haine , rigueur , colere ,
» Pour gagner Rodogune , il faut venger un Pere ,
Je me donne à ce prix . Ofez me mériter ,
» Et voyez qui de vous ofera m'accepter ,
» Adieu , Princes.
Les deux Freres étant reftés quelque tems
enfemble fur la Scéne tout interdits , ouvrent
enfin la bouche pour fe plaindre ainfi
tour-à - tour de Rodogune.
Antio
FEVRIER. 1741. 311
Antiochus.
„Hélas ! c'eſt donc ainſi qu'on traite
Les plus profonds refpe &ts d'une amour fi parfaite.
Seleucus.
Elle nous fuit , mon Frere , après cette rigueur..
Antiochus.
» Elle fuit , mais en Parthe , en nous perçant le
coeur.
Dans ces circonftances , comment foûtenir
que ce dernier Vers foit un abus de l'efprit
? N'exprime- t'il pas au contraire le fentiment
le plus vif , le plus preffé d'un coeur
tout à la fois pénetré de douleur , & indigné
du cruel adieu de la Reine des Parthes ?
Pour moi , toutes les fois que je récite les
Vers qu'on vient de lire , je fens naître en
moi à la prononciation du dernier , un certain
frémiffement que je ne puis vaincre , &
je manquerois de voix pour en prononcer
un autre fous le nom d'Antiochus , fi Corneille
, moins habile Poëte , eût étendu davantage
la réflexion de ce Prince , au lieu
qu'elle eft renfermée toute entiere dans un
feul Vers convenable à la fituation où il fe
trouve réduit.
Ce Vers de Corneille m'a toujours paru
plus admirable que ceux de l'Epigramme
fuivante d'Owen,
Sicu
320 MERCURE DE FRANCE
Sicut equo jaculans Parthus fugit & ferit hoftem ,
Phyllis , amatorem ficfugiendo capit.
Comme unParthe aux combats fuyant avec adreffe
Sçait à qui le pourfuit lancer un trait vainqueur :
Ainfi l'Objet de ma tendreffe
Dans une adroite fuite a fçû bleffer mon coeur. ( 1)
Voilà une fort jolie comparaifon ; mais
après tout , quelque ferrée que foit la verfis
fication d'Owen , il lui a fallu deux Vers
Latins , & à moi quatre François , pour déveloper
une penfee qui dans le fond n'eft
qu'un pur jeu d'efprit , tandis que Corneille
a fçu avec plus de précifion , en renfermer
une plus naturelle & plus remplie de
fentiment dans ce feul Vers très-énergique :
Elle fuit , mais en Parthe , en nous perçant le
coeur.
Avec quelle ardeur Corneille n'eût- il pas en
trepris lui- même la défenſe d'un fi beau Vers,
lui qui préferoit fa Tragédie de Rodogunc à
toutes les autres Piéces ? lui qui , malgré
toute fa modeftie , n'a pu s'empêcher de dé
(1 ) Cette Traduction de M. Cocquard se trouve
parmi celles d'un grand nombre d'autres Epigrammes
choifies d'Owen , qu'il a données au Public dans le 4 .
le 6. Tome des Nouveaux Amuſemens du Coeur
& de l'Efprit.
clare
TEVRIER: 1741. 321
clarer que ce Poëme avoit furtout laforce
des Vers , la facilité de l'expreffion , la folidité
des raifonnemens , la chaleur de la paffion
, &c. ( 1 )
Si j'avois l'honneur d'être connu de M.
de G.... je lui aurois adreffé à lui même ces
remarques , perfuadé que je fuis qu'il ne s'en
offenferoit pas , comme je ferois charmé
qu'on prît la peine de me défiller les yeux
au cas que je me fûffe trompé . Nous ne cherchons
l'un & l'autre qu'à découvrir le vrai
& c'eft cet amour pour la verité , qui m'engage
à vous dire , M. que la Differtation
de M. de G.... m'a paru au refte écrite avec
autant de précifion & de folidité , que de
délicateffe & d'élégance. C'eft ainfi que tout
Critique devroit rendre juftice au mérite de
ceux avec lefquels il ofe entrer en lice ;
mais , à la honte de notre fiècle , combien
ne voit-on pas d'envieux Ecrivains qui femblables
à la plupart de ces Freres armés de
la Fable , nés des dents du Dragon femées
par Cadmus , fe déchirent & fe détruiſent
à l'envi ? & comme il n'y eut que cinq de
ces Freres, qui par l'ordre de Minerve, firent
la paix enfemble , & fe réunirent pour aider
au Fils d'Agenor à bâtir la Ville de Thebes
prédite par l'Oracle d'Apollon , de même
(1) V. PExamen de Rodogune par Pierre Corneille .
F auffi ,
322 MERCURE
DE FRANCE
auffi , parmi les Critiques de nos jours ,
' s'en trouve t'il peu qui après avoir quelque
tems combattu les uns contre les autres
cherchent , dociles à la voix de la raiſon &
de la fageffe , à fe réconcilier de bonne foi
>
contribuer enfuite de concert au propour
grès des Sciences & au bien commun de la
République des Lettres . Je fuis , &c.
ETRENNES
AU DIEU MERCURE
,
E Loquent Meffager des Dieux ,
C'est par ton facré miniftere
Que la Terre entretient commerce avec les Cieux
C'est toi qui vas chercher des Nymphes à Cythere,
Pour mettre leurs coeurs dans les fers
Du Dicu tout-puiffant que tu fers .
Eft- il nouveau Prothée , eft-il forme nouvelle ,
Que n'ait prife ton art , pour lui livrer fa Belle ?
Pour fatisfaire fon amour
Faut-il d'Amphitrion prévenir le retour ?
Valet heureux , nouveau Sofie
En te voyant, Alcmene eft attendrie ;
Elle ſoupire au nom de fon Epoux ;
Mais
FEVRIER. 323 1741
Mais Jupiter jouit d'un fpectacle fi doux ,
Et l'Amour eft fi beau qu'il préfere au Ciel même
Les beaux yeux de celle qu'il aime.
Ce n'eft pas- là l'unique emploi
Que nous reconnoiſſons en toi ,
Et pour être le plus aimable
Il n'eft pas le plus eſtimable..
L'Achéron fur les triftes bords
Te voit cent fois le jour environné de Morts ,
Le Caducée en main , dans fes Royaumes fombres
Amener une troupe d'ombres
De Rois & de fujets , de lâches , de Héros ,
De gens d'efprit , de fçavans & de fots ;
Le tout confondu peale mele ,
Tombant chés Pluton comme grefle.
En qualité du Dieu des Arts ,
Pour fervir les fçavans qui fous tes étendars
Habitent la Machine ronde ,
Tu portes chaque mois aux quatre coins du monde
Un tribut de Proſe & de Vers ,
Que tes Agents , hommes experts ,
Ont ramaffé dans un volume ,
Digne fruit de plus d'une plume.
Je fuis Abbé , mais fans amours ,
Quoique le fait foit rare de nos jours ;
D'ailleurs , quand j'en aurois pour gagner ma
Bergere ,
Fij Je
324 MERCURE DE FRANCE
Je n'emploirdis jamais ton miniftere ;
Un ambaffadeur fi fçavant
Eft peu le fait d'un tendre Amant ;
Quand pour un autre l'on fçait plaire ,
Pour foi que ne fçait- on pas faire ?
Je ne veux pas encor vifiter l'Achéron ,
Ainfi tu peux fans moi defcendre chés Pluton.
Mais tu ne m'es pas inutile
Pour prôner mes Vers par la Ville ,
Et ce n'eft que dans cet emploi
Qu'à préfent j'ai besoin de toi.
Lorfque quelquefois je m'amufe
A folâtrer avec ma Mufe ,
Je fuis charmé de voir le fruit
Que mes careffes ont produit ,
Courir, de Province en Province ,
Paffer , du faquin , chés le Prince.
Ecrire pour n'être point lû ,
C'eſt du tems , du papier perdu.
Quand je fais une chanfonette ,
Tu l'inferes dans ta Tablette ,
Et la voilà dans un moment
Portée aux deux bouts de la France .
Souffre que par reconnoiffance
Je te faffe un petit préfent ;
C'eſt ma plume , c'eſt peu de choſe
Jeune encore, elle fe difpofe ,
Si
FEVRIER. 1741. 325
Si tu lui prêtes ton fecours ,
De n'être pas inutile toujours ;
S'il t'en tomboit un jour une de l'aîle ,
Tu peux déja compter fur elle ;
L'honneur de pouvoir te ſervir
En tout tems fera fon plaifir.
Crainte que le vent ne l'emporte ,
Cache-la fous une plus forte ,
Et foutiens - la dans le grand air
Va, pars , auffi promt qu'un éclair...
P. M. G. d Aucour.
›
On a dû expliquer l'Enigme & les Logogryphes
du Mercure de Janvier par la Montre
, le Volant , & Flumen . On trouvé dans
le premier Logogryphe Vol , Lou , Taon
on , ut , la , Lot , Talon , Laon , Toul , Tan.
Dans le fecond , Lumen , & Fulmen.
J
ENIGM E.
E fuis un compofé de contrarietés ;
Hermaphrodite , obſcure & claire ,
Ce font- là , fans me contrefaire ,,
Mes attributs & mes proprietés.
Fiij
Je
326 MERCURE DE FRANCE
Je m'explique , Lecteur , & pour me faire entendre,
Dans le détail je vais deſcendre .
On ne fçait pas d'abord ce que je fuis ;
Et fi-tôt qu'on le ſçait , je fuis .
Lecteur en ce moment je fuis en ta préſence ;
Tu penfes sûrement à moi ,
Et cependant , étant connu pour toi ,
Quoique toujours vivant , je perds mon exiftence.
J'ai deux vertus ; l'une eft l'obscurité
Qui me donne la vie , & l'autre eft la clarté
Qui me donne la mort ; fort fouvent on me trouve,
Mais ma poffeffion ne dure pas long-tems ,
Car qu'on me blâme , ou qu'on m'aprouve
Je difparois au même tems .
Sans moi jamais tu ne devines ;
Et pour te dire encore mieux ,
Je fuis , Lecteur , devant tes yeux ,
Faut-il encor que tu rumines ?
L'Abbé Pages:
LOGOGRYPHE.
J
E fuis le centre de la vie ;
De tous les corps la plus noble partie.
Une fyllabe fait mon nom.
On
FEVRIER: 1741
327
On y trouve un adverbe , une conjonction ,
Deux foeurs égales d'âge ;
Piéces utiles en ménage ,
Qui tiennent lieu de tout , même de probité .
Un fimbole de fermeté ;
Un fonds de terre , un Bénéfice ;
Un chemin fort battu ;
Métal qui bannit la trifteffe ;
Un Inftrument connu
Des illuftres enfans de la triple Déeffe ;
Ce qu'on donne avec allegreffe
A tous payeurs , mauvais ou bons ;
L'ornement des maifons ;
Des Princes & des Grands le cortége ſervile ;
L'organe de la voix,
Pour ne rien dire d'inutile ,
En moi cherche , Lecteur , une note à ton choix.
Par Mlle de la Caure.
LOGOGRYPHU S.
MEntibus humanis , fi me cognofceré tures
Mirificis placeo , Lector amice , modis.
Ventrem fi refeces , Regum calcare coronam
Uni impunè datur gloria tanta mihi.
Perge , pedem tollas , divam me fabula fecit ,
Aoniiquefumus turba novena jugi .
Fi
Rurfu
328 MERCURE DE FRANCE
Rurfus tolle pedem , tectum mihi cafeus altum
Interdum prabet , prabet & ille cibos.
D. L. H. de Toufreville Lacable.
****************
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX - ARTS , & c.
ES LETTRES DE S. AMBROISE , Eyêque
,
LeeLMIER , Paduites en François lur
l'Edition des RR . PP . Bénedictins , avec des
Notes Hiftoriques & Critiques. Par le R. P.
Duranti de Bonrecueil , de l'Oratoire . III . Volumes
in-12. A Paris , chés François Mathey
, rue S. Jacques , à S. Auguftin , Jean-
Luc Nyon fils , rue du Hurpoix , à l'Occafion
, J. Baptifte de Lefpine , rue S. Jacques
, au Palmier.
Le R. P. de Bonrecueil , déja connu par
plufieurs Ouvrages de pieté ou qui intereffent
la Religion , vient de donner au Public
une Traduction Françoife des Lettres du
grand S. Ambroife ; Ouvrage que perfonne
n'avoit encore entrepris , convenable à tous
les états , & qui mérite d'être lû avec une
attention particuliere. L'Evêque y reconnoîtra
quelle fermeté , quel zéle pour la Religion
, quelle pureté dans les moeurs , quelle
charité
FEVRIER.
1741. 329
charité pour les Pauvres , l'Epifcopat exige:
Les Souverains , inftruits par l'humble pénitence
de l'Empereur Théodoſe , y aprendront
que les Rois ne font pas au - deffus des
Loix. Le Politique fçaura en quoi confifte
la véritable Politique ; le Fidele s'inftruira
de fes obligations & de fes devoirs . Les Enfans
aprendront à refpecter leurs Parens. Les
Parens à élever chrétiennement leurs Enfans!
Tous, en un mot, pourront puifer dans cette.
lecture , comme dans une fource féconde
ce qui peut fervir à travailler efficacement à
l'oeuvre du Salut .
;
Tel eft le but & la loüable fin que l'Au
teur s'eft propofé . Il a eu foin d'écarter ou
d'éclaircir toutes les difficultés capables de
détourner de la lecture des Lettres du Saint
Docteur , & par fon aplication il eft venu à
bout de pénétrer le fens de fes expreffions ,
& de les rendre intelligibles , expreffions que
le ftile ferré & concis de l'Original rend
quelquefois difficiles à comprendre . Les.
Traits d'Hiftoire dont il eft parlé en abregé
dans ces Lettres , & qui font pour notre fié
cle des efpeces d'Enigmes , fe trouvent reureufement
dévelopés. Les Explications allegoriques
de plufieurs Paffages de l'Ecriture ,
furtout des Prophétes , ne peuvent plus en
baraffer , foit par le tour naturel que l'habile
Traducteur leur a donné , foit par la lumiere
Fv des.
330 ML
des Notes qu'il a ajoûtées : on voit enfin
qu'il n'a rien oublié pour rendre cet Ouvrage
clair , folide & d'un profit univerfel.
Nous exhortons furtout de lire la Préface
qui eft à la tête ; Piece importante , néceffaire
, & digne du fujet.
MEMOIRES , pour fervir à l'Hiftoire de
Malthe , ou Hiftoire de la jeuneffe du Commandeur
de *** , par l'Auteur des Mémoires
d'un Homme de qualité. Deux Volumes
in-12 . Le premier , de 231 pages ; le fecond,
de 205. A Amfterdam , chés François Desbordes
, vis-à- vis la Bourfe , 1741. & fe trouvent
à Paris chés Didot , Quai des Auguftins.
NOUVEAUX AMUSEMENS DU COEUR ET
DE L'ESPRIT. Tome feptième : fe vend à Paris
chés la Veuve PISSOT , Quai de Conti , à
la defcente du Pont- Neuf; chés BRIASSON ,
rue S. Jacques à la Science , & chés MERIGOT
, Quai des Auguftins , près la rue Gîtle-
Coeur. In- 12 . de vingt feuilles d'Impreffion
, 1740. Le prix eft de trois livres.
Cet Ouvrage Périodique offre aux Lecteurs
, comme dans les Volumes précedens ,
une très- grande varieté de Piéces. Nous remarquons
ici plufieurs morceaux qu'on a
réimprimés , fans doute à caufe de leur rareté
ou de leur bonté.
La
FEVRIER. 1741 .
331
L
La Lettre à M. D*** au sujet de la Tragédie
des Machabées de M. de la Motte , eſt
écrite avec un peu de négligence , & quoiqu'affes
méthodique , on n'a pas fuivi l'Auteur
dans l'économie de fa Piéce. Il nous
paroît qu'il refte quelque chofe à défirer
pour être guéri de tous les petits fcrupules
que cette lecture fait naître. Auffi , dit- on ,
page 110. que ce n'est pas proprement une Critique
, mais plutôt. quelques difficultés qu'un
jeune homme propoſe à fon ami .
M. l'Abbé de V**** eft l'Auteur de l'Epitre
, intitulée la Campagne : on la trouve
page 45. après trois Lettres écrites à Madame
du Hallay. Voici le commencement.
Penferez -vous toujours comme vous faites
Ami très-cher ? le féjour où vous êtes
Toujours pour vous fera - t'il fans égal ?
Hors de Paris on gîte toujours mal ,
Si l'on vous croit. Vous voulez
Des gens
que la Ville
heureux foit le centre & l'azile .
Vous m'apellez tous les jours à Paris ,
Et tous les jours je vous cite à Varis.
Mais, dites-moi, comment fe peut- il faite
Que nous foyons d'une humeur fi contraire
Nous qui d'ailleurs , fans en rien excepter ,
N'avons jamais fur quoi nous difputer ?
F vj
Même
332 MERCURE DE FRANCE
Même foleil , même inftant nous fit naître ;
Même climat , même lieu nous vit craître ;
Mêmes leçons nous formerent les moeurs ;
Mêmes penchans affemblerent nos coeurs ..
Depuis ce tems vous m'aimez , je vous aime
Ce qu'eftimez , je l'eftime de même ,
Et fi chés nous on voit quelques débats ,
L'amitié feule excite ces combats.
Or , d'où vient donc que cette fimpathie
Sur un feul point ſe trouve démentie ?
Vous haïffez Village & Villageois ,
Et moi je haïs & Cités & Bourgeois .
J'ai mes raifons , mais vous avez les vôtres .
Si les avez , des unes & des autres
Examinons lefqueiles valent mieux :
Peut- être enfin ouvrirez -vous les yeux ? &c.
Le Poëte entre en matiere & traite fon
fujet en plus de 500 Vers , écrits aflés naturellement
& avec facilité. On fe doute bien
que le goût pour la Campagne l'emportera
à la fin fur les agrémens de la Ville.
Le Prieur de Roiffy ayant envoyé une
Epitre plaifante à Madame V ** cette Dame
lui répond , page 68. en ces termes.
La peinture en eft très complette
De toi , comme de ton minois ;
Malgré
FEVRIER. 1741 33.3
Malgré cela , j'en fais emplette ,
Et l'on peut dire cette fois
Que ce n'eft la mugueterie
Qui me vient dans la fantaiſie ,
Voyant portrait fi ſaugrenu .
Que m'importe à moi ? je t'enrôle
Et penfe qu'un efprit fi drôle.
N'a point étui fi biſcornu .
Ce n'est tout cela qui m'étonne ;
( Car je fuis très- bonne perfonne
Mais c'eft tant de conditions ,
De claufes , d'explications ,
Pour lier amitié fi bonne
Avec auffi douce moutonne .
Auroit- on dans fa tête mis
De n'être point de nos amis ?
De craindre toujours notre fexe ,,
Et mettre l'accent circonflexe
Pour en abreger les vertus
Ainfi que font mille têtus ?
Mais , me diras - tu , certain ſage
A dit contre vous pis que rage ;.
Je prétens qu'il foit recufé ,
Pour avoir de nous mal uſé ,
En ayant fçû tel nombre accroître ,
Qu'il n'en put une bien connoître ::
Mais
334 MERCURE DE FRANCE
Mais il fe crut couvert & clos ,
En nous, mettant tout fur le dos ,
Tel que fait un yvrogne infigne
Lorfqu'il s'avife de jurer
Et de pefter contre la vigne ,
De ce qu'elle a pû l'enyvrer , &c.
On trouve à la page 147. & fuiv, un Conte
de Fées en Vers , & en trois Chants d'environ
1500 Vers. Il eſt écrit naïvement, &, à quelques
rimes près peu exactes , on le lit avec
un plaifir , de l'efpece de ceux qui n'offrent
qu'un amuſement , dans le fonds , un peu
frivole .
La Nouvelle traduite de l'Espagnol , eft
encore un petit Ouvrage en Profe du même
genre. Elle eft fuivie de l'extrait d'une Lettre
qui contient une Hiftoire effrayante , &
qu'on garantit véritable .
Voici une Epigramme morale , page 237 .
Marinette avant l'héritage
Qui lui vint inopinément ,
Etoit une fi bonne enfant ,
Si douce , fi fimple , fi fage ,
Et tout le monde l'aimoit tant.
Si la bonté du Toutpuiffant
M'avoit , difoit - elle , en partage
Doané fuffisamment du bien ,
Je
FEVRIER.
336 1741.
Je ne voudrois en mariage
Qu'un homme d'un joli maintien ,
Qui m'aimât feule , & qui n'eût rien ,
Afin qu'il me dût davantage.
Mais depuis fa fucceffion ,
Elle eft coquette , précieuſe ,
N'écoute que l'ambition ,
Et ne veut , avaricieuſe ,
Déformais que d'un riche Epoux.
L'or fait , dit -elle , un noeud folide ,
L'hymen s'égare fans ce guide.
Ah ! je vois bien , folles & foux ,
Volages hommes , que chés vous
C'eſt l'état préfent qui décide
De vos vertus & de vos goûts.
La Lettre de Madame l'Evêque contre
l'Echo du Public, & un article des Obfervations
fur les Ecrits modernes , cft une courte
réponse à la critique de la Comédie de
l'Auteur fortuné , Ouvrage de cette Dame .
Page 243. dans la Lettre à , un Ami fur les
Danfeurs de corde , l'Auteur dit qu'ils pa-
» rurent à Rome pour la premiere fois fous
» le Confulat de Sulpitin Peticus . Boulanger,
dans fon premier Livre du Théatre, diftin-
" gue chés les Grecs quatres fortes de Dan-
» feurs de corde , les Shgënobates , les Neu-
» robates 9
33 MERCURE DE FRANCE
D
"
""
و د
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و د
و د
و د
robates , les Orobates & les Acrobates.
Les premiers voltigeoient au tour d'une
corde , comme une roue au tour de fon
effieu , & fe fufpendoient par les pieds
ou par par le col. Nicephorus Gregoras affûre
en avoir vû à Conftantinople. Les
feconds , apuyés fur l'eftomach , ayant les
bras & les jambes tendus , voloient de
haut en bas : c'eſt d'eux dont parle Vopifcus
dans la vie de Cariffus . Les troifié-
,, mes couroient fur une corde tendue obli-
» quement , & les quatrièmes marchoient
,, non- feulement fur une corde tendue
mais encore faifoient au fon d'une flute ,
d'une Lyre , plufieurs fauts & tours ....
Il faut être dénaturé pour refter tranquile
à un tel fpectacle . Parlez - moi des Pantomimes
qu'ils ont jouées , c'eſt un genre
de Comédie , qui eft divertiffant , quand
il est bien exécuté. Selon Lucien , le Pan-
,, tomime & le Danfeur doivent exprimer
les paffions & les mouvemens de l'ame
,, que la Rhétorique enfeigne , & emprun-
,, ter de la Peinture & de la Sculpture les
differentes poftures de l'homme , afin que
,, le Spectateur entende , comme s'ils par-
,, loient , & c.
ود
و ر
و د
و د
ر د
و و
و و
و و
و د
و د
د ا
Parmi les divers morceaux de Profe qui
compofent ce Volume , la Defcription Hiftorique
& Géographique de la Cafrerie nous a
parû
FEVRIER. 337 1741.
parû curieufe & amuſante . On y remarque
des découvertes faites dans l'intérieur des
Terres , & on y voit des détails qui ne font
pas dans les autres Relations données jufqu'à
préfent. Prenons un article de la page
358.
Chés les Cafres , lorfqu'un pere accorde
fa fille à un jeune homme qui fa demande ,
elle eft obligée d'obéir fans murmurer. La
chaîne nuptiale que l'Epoux lui donne eft
un boyau de boeuf , qu'il faut qu'elle porte
au col , juſqu'à ce qu'étant ufe , il tombe en
pieces. Les femmes mariées ont les mamelles
fi pendantes qu'elles les renverfent
Par deffus
leurs épaules , pour donner à teter plus faciclement
à leurs enfans .
On condamne au foüet les adulteres , &
on fait fouffrir un fuplice horrible aux inceftueux.
On jette les criminels pieds & poings
liés dans une foffe ; le jour fuivant on retire
Phomme & on le pend par le col à une
branche d'arbre où il eft déchiqueté . Après
l'avoir ainſi traité , ce corps mutilé & encore
vivant refte là pour fervir d'exemple :
enfuite on tire la femme de la foffe & on la
jette fur un bucher , où elle eft brulée toute
vive . Pour les affaffins , on leur perce les
genoux qu'on attache à leurs épaules , &
on les laiffe expirer dans les tourmens d'une
longue mort. On voit par-là , que ces : Peuples
,
338 MERCURE DE FRANCE
ples , quoiqu'en aparence plus bêtes qu'homont
pourtant de l'amour pour la vertu
& pour l'équité naturelle.
mes ,
MADRIGAL
UNvendredi , l'Amour au marché de Cythere
Vendoit les captifs à l'enchere.
J'en étois un tous , felon leurs ta'ens ,
Furent vendus aux plus offrans.
Pour moi , de qui l'Amour connoifſoit la tendreſſe
Et la fidelité , je fus mis à haut prix .
Je vous coûtai , mon aimable Maîtreffe ,
Un regard tendre , un doux fouris.
On trouve encore dans ce Tome à la page
397. des Remarques Hiftoriques , affés inté
reffantes. En voici une qui peut faire plaiſir
dans les conjonctures du tems. Comment
François I. perdit l'Empire , page 400 .
Bonnivet, Favori du Roy , alloit & venoit
à Francfort, portant une malle & diftribuant
l'argent néceffaire aux deffeins de fon Maître.
Le Nonce Robert Urfin , qui s'étoit attaché
aux interêts du Roy , malgré les intentions
du Pape Leon X. croyoit l'Election
certaine pour François I. Voici les fecrets
du Cabinet qui renverferent ce grand ouvrage
.
La Maifon de la Mark étoit attachée au
Roy
FEVRIER 1741 339
Roy , & tenoit Sedan , Stenay , Jamets &
quelques- autres Places fortes fur la Frontiere
de Champagne. Cette Famille confif
toit en cinq Perfonnes : fçavoir , Erard ,
Evêque de Liége , Robert , Seigneur de Sedan
, & fes trois fils nommés Fleurange ,
Jamets & Raucourt. L'Evêque de Liége avoit
obtenu de grands Bénefices , & défira être
Cardinal. Le Roy demanda un Chapeau
pour lui , avec d'autant plus d'empreffement ,
que Fleurange , neveu de l'Evêque de Liége ,
s'étoit fort diftingué à la Bataille de Mari
gnan . Le Pape Leon X. par des raisons qui
regardoient le Cardinal de Sion , eût bien
voulu ne pas donner ce Chapeau , &
différoit de l'accorder. M. Boyer , Tréforier
de l'Epargne , avoit obtenu l'Ar
chevêché de Bourges pour fon frere ; il promit
à la Ducheffe d'Angoulême , Mere du
Roy , de lui compter 40000 écus , fi elle
pouvoit réuffir à faire changer , en faveur
de l'Archevêque de Bourges , le Chapeau
promis à l'Evêque de Liége. Le Roy ne
pouvoit,ni ne vouloit fe départir des interêts
de ce dernier. Cette Princeffe , fans en rien
dire au Roy fon fils , écrivit à Rome que le
Roy ne demandoit ce Chapeau pour l'Evêque
*
de Liége, qu'en confidération de la Maifon
de la Mark ; mais qu'au fonds , fi le Pape
nommoit l'Archevêque de Bourges , le Roy
fe
340 MERCURE DE FRANCE
fe trouveroit par - là débaraffé des follicita
tions de la Famille de la Mark.
Le Pape n'eut pas plutôt lû cette Lettre ,
que ravi d'avoir un prétexte de refuſer l'Evêque
de Liége , il fit une Promotion , &
nomma l'Archevêque de Bourges , fans vouloir
attendre un Courier que l'Ambaffadeur
du Roy à Rome vouloit dépêcher pour être
éclairci des dernieres réfolutions de fon
Maître . Le Roy eut beau défavoüer la Lettre
de fa Mere , l'Evêque de Liége envoya au
Roy la démiffion des Bénefices qu'il poffe -
doit en France , & fe jetta dans le Partid'Efpagne
, qui lui donna un Chapeau . Robert
renvoya l'Ordre de S. Michel , & fe
jetta pareillement dans le Parti d'Espagne .
Fleurange ne voulut pas fuivre les intérêts
de fon pere : mais comme c'étoit Robert
de la Marck & fon frere qui avoient ménagé
les deffeins de François I. pour l'élever
à l'Empire , & qui lui avoient gagné les fuffrages
de quatre Electeurs , le Roy perdit
ces quatre Voix qui lui étoient promiſes ,
en défobligeant la Marck.
Outre cela , il y avoit un Allemand nom-.
mé Sequinque , qui avoit beaucoup de crédit
dans l'Empire ; il vint en France offrir fes
fervices au Roy , qui ne furent que médiocrement
écoutés. Cette négligence le
picqua , & l'engagea à fe déclarer pour ,
L'Espagne ,
1
J
FEVRIER. 1741. 34T
'Espagne , quoique naturellement il eût agi
pour le Roy , fi on l'eût mieux traité . Sequinque
leva des Troupes & s'avança avec
24000 hommes , sous prétexte d'affûrer la
liberté de l'Election , & menaça l'Electeur
de Brandebourg , qui prétendoit à l'Empire.
L'Electeur de Saxe le refusa par une génerofité
inoüie ; de sorte que Charles V. fut
élû , & ne l'eût pas été , fi la Mere du Roy
François , à l'insçû de son fils , pour un médiocre
interêt , n'eût pas fait préferer Boyer
à l'Evêque de Liége , & fi on cût mieux
reçû Sequinque à la Cour.
Nous ne pouvons nous étendre davantage
sur les Piéces de Prose . On indiquera seulement
une excellente Critique de la Tragédie
d'Inés de Caftro , sous le titre de Sentimens
d'un Spectateur François. Elle eft du
mois de Juillet 1723. On soupçonneroit
l'Auteur d'un peu de partialité , fi on n'étoit
pas obligé de lui donner souvent raison
quoiqu'avec tous ses défauts Inés de Caftro
soit goûtée toutes les fois qu'on la remet
au Théatre .
Page 457. on a inseré une Chanson Italienne
sous ce titre , Il difinganno a Tirfi ,
in Ripofta alla Canzone intitolata la Liberta
a Nice : elle est suivie de Ripofta di Nice ad
Elpino del Signor D. R. P. A. alla celebre
Canzone del Signore Abbate Metaftafio. On
trouve
342 MERCURE DE FRANCE
trouve auffi la Traduction en Vers François
de l'Original de M. l'Abbé Metaſtaſio , Poëte
couronné du feu Empereur.
Achevons notre Extrait par la Fable suivante
de M. l'Abbé de Grécourt.
Le Perroquet & la Perruche.
UN Petit Maître Perroquet
Prenoit plaifir à faire entendre
Par fes façons & fon caquet ,
Que pour lui Perruche étoit tendre .
Chaque Oifeau préfent murmuroit
Contre tant de cajoleries :
Perruche elle- même fouffroit
De fes fottes minauderies.
Néanmoins elle n'ofoit point
Le gronder en pleine aſſemblée :
Mais il fut tancé de tout point ,
Si-tôt qu'elle s'en fut allée.
Honteux , confus , tout interdit ,
Il effuya la réprimande :
Puis d'un air docile , il lui dit ;
Inftruifez -moi dans ma demande...
Chés la Belle qui m'a charmé
Comment devrois- je donc paroître è
N'y paroiffez jamais aimé ,
Mais feulement digne de l'être.
Le
FEVRIER.
1741. 343
Le huitiéme Volume de cet Ouvrage Périodique
eft en vente. L'impreffion en eft
fort belle & sur du Papier fin. Nous aurons
soin de le faire connoître , quand nous en
aurons fait la lecture.
EXTRAIT d'une Lettre de l'Auteur de
la Description Géographique & Hiftorique
de la Haute Normandie , à M. Maillart ,
Avocat au Parlement de Paris.
L me semble , Monfieur , que vous me
I domez main à vouloir
Dans la persuafion où je suis avec toute la
Normandie , que l'Efchiquier a toujours eu
le dernier reffort , j'étois surpris que vous
euffiez avancé qu'il ne l'a eu que depuis l'an
1499. Je vous demandois à quel Parlement
on pouvoit apeller de ses Jugemens , & dans
le dernier Mercure de l'an 1740. vous avoüez
que le Parlement même de Paris ne pouvoit
juger les apellations de l'Eschiquier. Mais ,
ajoûtez-vous , l'apel interjetté du Delegué se
porte au Deleguant , d'où vous concluez
qu'il falloit se pourvoir pardevant le Roy ,
ainfi qu'il se pratique présentement par la voye
de caffation . De là , toute la Normandie con
clut avec moi : donc , ou aucun Parlement
du Royaume n'a le dernier reffort , puisque
de tout Parlement du Royaume on peut
Lou344
MERCURE DE FRANCE
toujours se pourvoir devant le Roy par la
voye de caffation,ou l'Eschiquier l'avoit avant
l'an 1499. Mais , dites - vous , M. vous avez
pour garant le fçavant FrançoisRagueau , mort
le 13 Septembre 1605. qui a dit que l'Eschiquier
n'a été érigé en Cour Souveraine
qu'en 1499. Donc , poursuivons - nous tous
les Normands & moi , le Sçavant François
Rague au , en quelque année qu'il soit mort,
ne sçavoit ce qu'il disoit . Je suis très parfaitement,
Monfieur , & c.
Ce 30 Janvier 1741 .
EXTRAIT du Mémoire de M. Morand
fur les Remedes de Mlle Stephens , lû à
la Séance publique de l'Académie Royale
des Sciences , le 13. Novembre 1740 .
N don confidérable , fait le Parlement
U d'Angleterre à Mile Stephens , pour avoir publié
fes Remedes pour la Pierre , & fur le témoignage
avantageux des Commiffaires chargés d'en
examiner les effets , devoit néceffairement exciter
l'attention des Gens de l'Art . L'Académie , toujours
occupée de ce qui a raport au bien de la Societé ,
ayant chargé M. Morand de faire des Expériences
de ces Remedes , il les a commencées, il y a quinze
mois , & il en donne le réfultat dans fon Mémoire,
qui contient 1. un précis de ce qu'il a obfervé
dans quarante perfonnes qui ont ufé des Remedes
de Miie Stephens . 2 °. Differentes Expériences faites
FEVRIER: 1741. 345
res fur.des Pierres de veffie , pour expliquer la maniere
dont ces Remedes opérent . 3° . Les conféquences
qu'on en peut tirer .
M. Morand a divifé les Méthodes en quatre clasfes
, & en a donné à l'Académie une Lifte détaillée .
En géneral , les Remedes ont parû faire du bien à
ceux qui fe plaignoient d'embarras dans les reins ,
& même de coliques néphrétiques . Ils ont augmenté
les maux de ceux qui rendoient des urines
purulentes ; ils foulagent ordinairement les graveleux
. Les Enfans ne font pas fufceptibles de leurs
effets ; ils ont plus de prife fur les adultes , & les
vieillards fur tout en fentent plus efficacement l'énergie.
La Boiffon favoneufe , & les Poudres dans
le vin blanc , que l'on prend defuite , ont causé
quelques accidens légers , qui ont parû l'effet ou
de leur âcreté au gofier , ou du dégoût dans beaucoup
de Malades . Ils ont augmenté les douleurs
pendant les premiers jours , il y en a eû d'autres à
qui ils ont rendu affés promptement la faculté de
retenir leur urine . Enfin les Remedes ont operé diverſement
; tantôt ils ont fait rendre avec l'urine
des glaires & un fédiment blanc , tantôt ce fédiment
ſeul , de petites lames vifqueufes , des écailles
pierreales , convexes d'un côté & concaves de l'autre
, des fragmens de pierre , de petites pierres entieres
. Ils n'ont dérange en perfonne aucune des
principales fonctions naturelles ; peu de Malades
s'en font retirés , quelques- uns en ont pris pendanɛ
près d'un an de fuite.
Quant à leur opération , les Remedes femblent
réunir les deux proprietés de lithontriptique & de
diffolvant. Les Expériences auxquelles on les a foûmis,
en montrent la vertu diffolvante , & ces Expériences
ont été faites en Angleterre & en France
par des perfonnes très - habiles . En voici une de
M. Morand. G I1
346 MERCURE DE FRANCE
Il a fcié en quatre une Pierre de veffie , fort liffe
& très- folide , après avoir pefé chaque morceau ,
il les a mis dans des Poudriers de verre ; fçavoir ,
un morceau dans l'urine d'un Bomme qui prenoit
actuellement la boiffon & les Poudres ; un morceau
dans l'urine d'un homme parfaitement fain ;
un morceau dans la boiffon favoneufe ; un morceau
dans la diffolution fimple de favon , en égale
quantité à celle de la boule favoneuſe . Il les a mis
& laiffé en digeftion pendant un mois , à la chaleur
d'un feu de lampe , à peu près égale à celle de l'urine
naturelle dans la veffie. Au bout du mois , il
a fait fecher les quatre morceaux fur le même ſable
pendant trois jours , & les ayant pesés enfuite ,
il s'eft trouvé que le morceau dans l'urine empreinte
de la qualité des Remedes , avoit perdu trois
grains fur 127 ; que celui dans l'urine d'un homme
parfaitement fain , avoit acquis un grain de plus à
ajoûter à 119, que celui dans la boiffon favoneufe
étoit diminué de prés d'un tiers , & que celui dans
l'eau de favon avoit perdu huit grains fur 68.
Il eft bien difficile de fe refufer aux conféquences
naturelles que préfentent ces Expériences; on y voit
la preuve que des pierres environnées de l'urine
ordinaire , y reçoivent des accroiffemens par la
jonction de certaines parties de l'urine à la pierre .
On y voit la pierre environnée de l'urine qui eft
impregnée des Remedes , devenir plus pénétrable
à la liqueur très - environnate, & un peu diminuée de
poids . On eft obligé d'attribuer cette diminution
aux Remedes , puifque la pierre environnée de la
liqueur favoneufe , y a perdu près d'un tiers de fon
poids ; il paroît enfin que ce n'eft pas au favon feul
que cet effet apartient , puifque le morceau dans
l'eau de fayon n'a perdu que 8. grains fur 68. On
donc pas efperer de rendre la boiffon auffi .
ne peut
efficace
FEVRIER. 1741. 347
efficace, en ne la compofant qu'avec le favon d'Alicante
tout feul , & on eft même autorisé à effayer
la liqueur favoneuſe en inaction dans la veffie. M.
Morand promet de le faire .
Après avoir établi dans la liqueur favoneufe une
vertu diffolvante , M. Morand en explique l'opération
par les principes avoués des Phyficiens , & déduits
de l'action des Sels alkalis fur les natieres
graffes qui lient les parties tartareufes de toute concrerion
animale , il compte auffi pour beaucoup
Peffet de quelques parties de chaux contenues dans
le favon , & prétend que les Poudres de limaçons
& de coquilles d'oeufs calcinées , que plufieurs perfonnes
regardent comme inutiles , donnent une
vraye chaux, âcre à la langue , & très- propre à re-
Vivifier celle du favon.
Enfuite il réfout trois questions importantes , 1 °.
quelle preuve a t'on que les Remedes arrivent aux
urines M. Morand le démontre par la fimple
obfervation , & par l'analyfe chimique que M.
Geoffroy a faite des urines . 2 °. S'ils y vont , comment
ne font - ils point de mal dans le fang qui les
y porte Vrai-femblablement, dit M. Morand, il eft
réfervé à l'urine feule de déveloper les principes
diffolvans de la liqueur, & les Remedes qui ne rendent
l'urine alkaline que par leur féjour avec l'urine
même , ne féjournent pas affés dans le fang pour
y nuire . 3 °. Etant arrivés à la veffie , comment ne
la bleffent- ils point ? On fait en géneral , ſuivant le
calcul de Keil , deux livres fix onces d'urine par
jour , il y a de quoi émouffer 3. gros de Sel de foude
& trois gros des Poudres qu'on prend par jour ;
de plus , le favon porte avec fon huile le correctif
du Sel de foude .
Entre les exemples qui confirment la vertu disfolvante
des Remedes , l'Obfervation de M. Cors→
Gij teits,
348 MERCURE DE FRANCE
teits , Maître des Poftes d'Angleterre , eft bien re,
marquable.Il avoit ceffé les Remedes avant que d'être
parfaitement guéri , il mourut, & on trouva dans
fa veffie deux Pierres , dont chacune en contenoit
une autre , à la façon des Pierres d'Aigle. L'inté
rieure étoit usée , foible & comme vermouluë par
l'effort des Remedes ; l'exterieure plus dure , étoit
produite par l'affemblage des matieres homogenes
à la Pierre,depuis qu'il avoit ceffé les Remedes .
?
Mais ces Remedes guériront -ils tout le monde
de la Pierre Leur feroit- il donné de faire craindre
aux Lithotomiftes que leurs talens devinffent
inutiles M. Morand reconnoiffant avec les Anglois
, que les Remedes n'agiffent point fur les enfans
( on n'en fait point trop la raifon ; voilà d'abord
un grand domaine confervé aux Lithotomiftes ,
& le partage du refte , dit M. Morand , ne fera encore
que trop en leur faveur. En effet plufieurs cir
conftances détermineront une partie des adultes à
P'Opération ; ceux qui auront des urines purulentes ,
ne pourront continuer les Remedes ; ceux qui au
ront des Pierres meurales , n'en tireront point de
fruit. M. Morand regarde ces Pierres , fur tout
celles qui font de couleur de mâche. fer , comme
un composé particulier d'urine & de fang , duquel
réfulte une concrétion beaucoup plus dure que cel
le des Pierres blanches.
Mais comme on ne connoît exactement la confiftance
de la Pierre que lors de fon extraction , il
eft fimple d'éprouver des Remedes qui n'ont point
d'inconveniens , & qui peuvent exempter d'une
Opération , toujours formidable ,quelque perfection
qu'on y ait ajoûté. N'y eût il qu'un très - petit
nombre de malades guéris par les Remedes , il faut
piperer de guérir.
Cette efpérance , d'ailleurs , eft fondée fur des
exemples.
FEVRIER . 1741. 349
temples. De onze Adultes , fondés par M. Mond
ou par des Chirurgiens connus , quatre font
rt foulagés , & quatre fe comptent abfolument
héris. On demandera , fans doute , fi ces Malaes
ont été fondés depuis qu'ils ont quitté les Reedes
; il y en a huit dans ce cas en Angleterre, en
i on n'a point trouvé la Pierre ; M. Morand n'en
point à citer en France , parce que les Malades
at refusé conftamment de fe foûmettre à cette
reuve , qui , fuivant les difpofitions qu'on aporte
l'examen de la fonde , eft inſuffiſante ou fuperuë
; iafuffifante , parce qu'il peut arriver que la
onde ne rencontre pas la Pierre , quoiqu'elle y foit
encore ; fuperflue , parce que fi le Malade ceffe d'avoir
les accidens de la Pierre , ſon objet eſt abſotument
rempli. Un de ceux à qui M. Morand a
lonné le Remede difoit , qu'il s'étoit laissé fonder
our lui avant que de commencer les Remedes , mais
que fe croyant guéri , il ne jugeoit pas à propos de fe
differ fonder pour le Public.
*
Il n'y aura donc jamais qu'une preuve pofitive , la
echerche de la Pierre dans la veffie après la mort.
Enfin M. Morand , après avoir donné fur l'ufae
des Remedes dans divers cas , des Obfervations
tiles , & annoncé les corrections que M. Geoffroy
faites à la Formule venuë d'Angleterre , il ne fait
as difficulté de conclure en déclarant que , fi le
Certificat des Commiffaires nommés par le Parleent
d'Angleterre lui eût été préfenté , il auroit
olontiers foufcrit avec le Sr Pellet , Préfident du
College des Médecins de Londres , que les Remedes
le Mile Stephens font fouvent utiles efficaces pour
a Cure de la Pierre dans la veffie.
Giij EXTRAIT
350 MERCURE DE FRANCE
EXTRAIT du Mémoire de M. de Caffini
de Thuri , lê dans la derniere Affemblée
publique de l'Académie des Sciences.
Ltronomiques de Thuri ,étoient , Pun ,
Es deux objets principaux des Opérations Asla
vérification de la Ligne Méridienne de l'Obfervatoire
depuis Paris jufqu'à Dunkerque , de la même
maniere qu'il avoit executé l'année précedente
depuis Paris jufqu'aux extrémités méridionales de
la France ; l'autre la Defcription des Frontieres du
Royaume depuis Dunkerque jufques à Salins ; en
Franche-Comté , qui devoit terminer la partie la
plus effentielle du Projet formé fous ce Miniftere
par M, le Contrôleur Géneral , de déterminer par®
des Opérations Géométriques , c'eft- à - dire d'une
maniere exacte & invariable , toute l'étenduë de la
France.
Dans la premiére Partie de ce Mémoire , il fait
voir combien la vérification de la Ligne Méridionale
de Paris devenoit néceffaire pour la Géogra- :
phie du Royaume puifque dans le Plan qu'il s'eft
proposé de fuivre pour l'exécution de ce grand Ouvrage,
il a jugé devoir y raporter les differens , tant
paralleles que méridiens , qu'il a décrit depuis quel
ques années , & que par conféquent il étoit néces
faire d'en bien connoître la direction & la véritable
étendue il infifte auffi fur la néceffité de cet Ouvrage
par raport à la figure de la Terre , puifque
quand même on fupoferoit la grandeur du degré
vers l'Equateur & fous le Cercle Polaire , exactement
connue , il étoit toujours néceffaire de conftater
la grandeur du degré en France, dont le 45. eft
pour ainfi - dire le terme de comparafon , & que
dans quelque hypoteſe que l'on fúive fur la figure
de
FEVRIER. 1741 351
de la Terre , fupofée réguliere , c'est à cet endroit
là que l'inégalité d'un degré à l'autre eft le plus
fenfible , qu'elle augmente ou diminuë enfuite dans
la même proportion.
Je n'entrerai point ici dans le détail de toutes les
précautions & des moyens qu'il a mis en ufage pour
conftater un des points le plus effentiel à l'Ouvrage
qu'il alloit entreprendre ; fçavoir , la baze de M.
Picard , qui a fervi de fondement , non- feulement
à fes Opérations , mais encore
toutes celles que
l'on a décrites dans toute l'étenduë de la France , &
je me bornerai dans cet Extrait au fimple réſultat
de fes Obfervations.
à
Il commence d'abord par examiner quelle eft la
grandeur du Degré moyen en France , réfultante
des Obfervations tant Aftronomiques que Géométri
ques, faites dans toute l'étendue de la Méridienne ,
& il la trouve de 57056. differente feulement de 4
toifes de celle qui a été déterminée par M. Picard ,
dans fa mefure de la Terre, & par M.fon Pere , dans
fon Livre de la grandeur & de la figure de la Terre .
Il paffe enfuite à l'examen de la grandeur du de
gré moyen du Méridien de la Terre , & il la conclud
de $ 7048 . Multipliant cette quantité par 360°.
il trouve l'étendue de la circonférence de la Terre
de deux millions cinquante- trois mille fept cent
vingt-huit toifes .
Ayant ainfi déterminé la grandeur du degré
moyen de la Terre , il confidere quelle eft la figure
qui réfulte de fes Obfervations , ce qu'il pourroit
faire en differentes manieres , toute la Méridienne
étant divifée en quatre parties , dont il a le rapórt
des degrés avec les mefures fur terre ; mais comme
les inégalités , s'il y en a , doivent être plus fenfibles
, à mesure qu'on s'éloigne de part & d'autre du
degré moyen , il examine feulement ce qui réfulte
Ginij de
352 MERCURE DE FRANCE
de la grandeur du degré le plus méridional de la
France comparé à celle d'un autre degré le plus
au Nord de Paris.
Par les Obfervations de cette année , il a trouvé
la grandeur du degré entre Paris & Dunkerque,de
17081. T. felon celles de l'année derniere . Il a déterminé
la grandeur du degré entre Rhodes & Perpignan
, de 50745. T. ainfi il trouve une diminution
de 36. toiles dans la grandeur du degré , &
qu'elle eft favorable à l'hypothefe de l'aplatiffement
de la Terre , il eft vrai que cette, détermination ſupofe
que les Obfervations ayent été faites avec la
derniere exactitude , car on conçoit aisément que
l'erreur d'une feule feconde en produit une de 16.
toifes fur les meſures terreftres ; pour peu qu'il y
ait d'erreur dans les Obfervations ou dans les Inftru.
mens que l'on a employés , la Terre fera Sphérique
ou plus aplatie vers les Poles , puifque toute la difference
entre le degré le plus Septentrional & le
plus Méridional de la France fe réduit à 36. T. ou
près de deux fecondes de degré , fans encore avoir
égard aux petites erreurs inévitables dans la ſuite
des Opérations Géometriques.
M. de Thuri remarque auffi que la distance de
P'Obfervatoire à Amiens , s'eft trouvée plus courte
de 98. toifes que ne l'avoit fupofé M. Picard , difference
qui eft dûë en partie à une erreur de S. à 6.
toiles dans la longueur de la baze que cet Aftronome
avoit employé , & que l'on a reconnue par une
nouvelle baze , mefurée prefque dans le même endroit
fur le grand chemin de Paris à Fontainebleau.
Selon cette correction , jointe à celle que Mrs de
l'Académie ont faite en dernier lieu aux Obfervations
de M Picard , on trouve la grandeur du degré
entre Paris & Amiens de 57074. peu differente
de celle que l'on a déterminé au Nord de Paris , ce
qui
FEVRIER.
3531
1741.
qui prouve l'accord des nouvelles Obfervations
faites de part & d'autre .
Ce degré ne differe que de 14. toifes de celui qui
eft marqué dans le Livre de la meſure de la Terre,
ce qui fait voir que les erreurs dans les Obfervations
de M. Picard , tant Céleftes que Terreftres
fe font compenfées .
M. de Thuri ne s'étend que fort peu fur la
feconde Partie de fon Mémoire , qui regarde les
Obfervations qu'il a faites , conjointement avec M.
Méraldi , pour la conftruction de la Carte de France
; il fe contente de donner une idée de tout ce
qui a été fait depuis huit années confécutives , en
repréfentant d'abord la Méridienne de l'Obférvatoire
, prolongée dans toute fon étendue , depuis
Dunkerque jufqu'aux Frontieres d'Eſpagne ; deux
autres Méridens , dont l'un part de Cherbourg, traverfe
la Normandie , la Bretagne , le Poitou , la
Gafcogne , & fe termine à Bayonne , l'autre commence
à Spire , traverſe la Saxe , la Franche-Comté
, le Dauphiné , la Provence , & fe termine à Antibes
; une Perpendiculaire à la Méridienne de Paris
, qui fe termine aux parties les plus Orientales
& Occidentales de la France ; une autre Perpendi -
culaire , qui commence à Bayonne , & va fe réunir
à la Méridienne vers Carcaffonne , traverfe le haut
& le bas Languedoc , la Provence , & fe termine à
l'autre Méridienne du côté d'Antibes ; deux autres
Perpendiculaires du côte de l'Occident , décrites à
la diſtance de 60000. toifes de Paris , Pune vers le
Nord , & vont fe néünir en Breft ; enfin la jonction
de ces Perpendiculaires entre elles , & la Méridiende
, ce qui comprend tout le contour du Royaume
& s'étend beaucoup dans Pintérieur .
M. de Thuri promet de donner inceffamment au
Public , non-feulement des Cartes dreffées fur ces
GY Mémoi354
MERCURE DE FRANCE
Mémoires , mais les Obfervations mêmes , pour
que ceux qui voudront fuivre fon travail , puiſſent
en profiter.
On aprend de Lisbonne , que l'Académie Royale
de l'Hiftoire tint le 3. du mois de Janvier fa derniere
Affemblée de l'année derniere ,
& que le
Comte d'Affumar , qui y préfida en qualité dé Directeur
, prononça un fort beau Diſcours , dans lequel
il prouva que la pureté du langage étoit abfolument
néceffaire à l'Orateur .
Le Pere Michel de Bulhoens , Religieux de l'Ordre
de S. Dominique , lût enfuite un Eloge Funebre
du Pere Lucas de Ste Catherine , un des Académiciens
qui font morts dans la même année , &
Don Joachim Fidalgo de Silveira , Chevalier de
l'Ordre de Chrift , Gentilhomme, de la Maiſon du
Roy , & Defembargador de la Maifon de Supplication
, lequel a obtenu la place vacante dans l'Académie
par la mort de ce dernier , remercia l'Académie
par un Difcours fort éloquent.
Les deux Cenfeurs ont été continués dans l'exercice
de leurs Emplois.
La même Académie s'affembla le 7. du mois paffé
l'après midi & Don Alexandre de Guſman , Chevalier
de l'Ordre de Chrift , & Gentilhomme de la
Maifon du Roy, lequel eft Directeur de cette Compagnie
, prononça un Difcours fort éloquent , dans
lequel il fit l'Eloge de la Reine.
STATUTS & Reglemens de l'Académie établie
à Dijon par Lettres Patentes du Roy, Brochure
in-4° . de 17. pages . A Dijon , chés Jean Sirot
Imprimeur de l'Académie des Sciences , Place Saint
Etienne , M. DCC . XL.
Nous nous contenterons de raporter ici les Lettres
FEVRIER. 1741. 355
tres Patentes du Roy , qui inftruifent de tout ce qui
eft néceffaire à fçavoir fur ce nouvel Etabliffement .
Nous omettons les Statuts & Reglemens contenus
en 48. Articles , à caufe de leur longueur , & parce
que nous avons apris d'ailleurs qu'il pourra à cet
égard y avoir quelque changement .
LOUIS PAR LA GRACE DE DIEU , &c. Nos
Amés & Féaux le Sr Lantin , Doyen de notre Cour
de Parlement de Bourgogne , les Srs Witte & Thomas
, Confeillers en la même Cour , le Sr Quarré ,
notre Procureur Géneral en icelle , & le Sr Burteur,
Confeiller Honoraire en notredite Cour , & Vicomte
Mayeur de notre Ville de Dijon , Nous ont fait
repréfenter que le Sr Hector- Bernard Pouffier , décedé
Doyen de notre Parlement de Bourgogne ,
avoit deftiné une partie de fes biens à fonder une
Académie en notre Ville de Dijon par fon Teſtament
Olographe du premier Octobre 1725. qu'il
en avoit déterminé l'objet aux Matieres de Phyfique,
à celles de Morale qui concernent les devoirs
de l'homme , par raport à foi & par raport à la Societé
Civile , & aux Parties de la Médecine qui dépendent
de la Phyfique : Qu'il avoit fixé le nombre
des Académiciens à 24. tang Honoraires que Penfionnaires
& Affociés , avec un Sécretaire , fous la
conduite de cinq Directeurs nés & perpétuels ; &
qu'à la forme de ce Teftament les Expofans
étoient actuellement apellés aux Fonctions de Directeurs.
Inftruits de nos Loix qui défendent de
faire des Affemblées publiques & reglées , & furtout
de former un Corps , fi ce n'eft avec notre
Permiffion expreffe & fous notre Autorité , ils nous
ont très -humblement fait fuplier de leur accorder
nos Lettres néceffaires pour établir cette Académie,
& de lui donner felon l'efprit & l'intention de fon
Fondateur , l'ordre & la forme les plus propres
G vj
356 MERCURE DE FRANCE
à procurer l'utilité publique , par le Reglementqu'il
nous plairoit d'ordonner . La grande réputation des
Académies , le luftre qu'elles donnent aux Villes de
notre Royaume dans lesquelles nous en avons permis
l'Etabliffement & l'utilité qu'elles produisent ,
Nous ont engagé à communiquer le même avantage
à la Capitale de la premiere de nos Provinces.
Il nous a parû que c'étoit une voye éprouvée de multiplier
les Talens , & d'en faire naître qui demeureroient
enfevelis fans cette occafion de les déveloper,
& que le concours des recherches particulieres aug.
menteroit le progrès géneral des Sciences , auxquelles
un Etat doit une partie de fa fplendeur. Nous
avons encore confideré que les Matiéres affectées
aux Conférences Académiques qui fe tiendront à
Dijon , intereffant tous les hommes fans exception ,
la connoiffance n'en peut être pouflée trop loin.
A CES CAUSES , voulant favorifer un Etabliffement
que l'amour de la Patrie & l'avantage du Public ont
infpiré à un de nos anciens Officiers dans la difpenfation
de la Juftice , & exciter la noble émulation
de ceux de nos Sujets qui feroient en état de fe procurer
par de femblables difpofitions une forte de
pofterité , auffi durable , qu'utile & glorieufe :
Nous avons , de notre Grace ſpéciale , Pleine Puisfance
& Autorité Royale , permis , aprouvé & autorifé
par ces Piéfentes , fignées de notre main ,
permettons , aprouvons & autorifons l'Etabliffement
d'une Académie en notre Ville de Dijon . Ce
faifant , Nous avons dit déclaré & ordonné , difons
, déclarons & ordonnons ce qui fuit , &c.
Ici eft la teneur des XLVIII.Articles des Statuts , t.
SI DONNONS EN MANDEMENT à nos Amés &
Féaux Confeillers , les Gens tenant notre Cour de
Parlement à Dijon , que ces Préfentes ils ayent à
faire lire , publier & enregiftrer , icelles faire executer,
FEVRIER 1741 357
neur ,
euter , garder & obferver felon leur forme & teceffant
& faifant ceffer tous troubles & empêchemens
contraires . CAR TEL EST NOTRE
PLAISIR ; & afin que ce foit chofe ferme & ftable
à toujours , Nous avons fait mettre notre Scel à ces
Préfentes , données à Verſailles au mois de Juin ,
l'An de Grace 1740. & de notre Regne le 25. Signé
LOUIS , & plus bas par le Roy , PHELIPEAUX ,
Vifa DAGUESSEAU , pour l'Etabliffement d'une
Académie dans la Ville de Dijon. Sur le dos , Signé ,
SAINSON , & fcellées du grand Sceau de Cire verte
à doubles Lacs de foye rouge & verte.
Registrées , oui ce requerant le Procureur Géneral
du Roy , pour être executées fuivant leur forme &
teneur. FAIT en Parlement à Dijon , les Chambres
affemblées , le 30. Juin 1740. & ont été lesdites
Lettres Patentes lues & publiées à l'Audience de ladite
Cour , le quatre du mois de Juillet fuivant ,
Signé , CHANCELIER .
Im-
On nous a donné avis que le Sr Caranove ,
primeur-Libraire de la Ville de Toulouſe , y expofera
en vente le premier Mai prochain , les deux
Bibliothéques de feu M. de la Berchere , Archevêque
de Narbonne , & de feu M. Colbert , Evêque de
Montpellier.
Ces deux Prélats n'avoient rien négligé pour rendre
leurs Bibliothéques confidérables , foit par les
Livres les plus rares & les meilleures Editions , foit
par des fuites nombreuſes & bien conditionnées ,
foit enfin par les plus belles Reliûres.
Le mérite de ces deux Prélats , les rangs qu'ils tenoient
dans la République des Lettres , font affés
connus du Public , pour qu'il doive préfumer avantageufement
des collections faites fous leurs yeux.
Ils avoient des facilités , dont ils firent ufage , pour
faire
318 MERCURE DE FRANCE
faire venir des Pays Etrangers les Livres qui y
étoient imprimés ; auffi les matieres Théologiques ,
la partie Hiftorique , & celle des Belles - Lettres , y
font extrémement complettes.
La Bibliothéque de M. de la Berchere avoit été
augmentée par feu M. de Beauvau , fon Succeffeur,
& dans celle de M. Colbert , on trouve tout ce que
feu M. Boufquet , Evêque de Montpellier avoit
raffemblé .
Le Public a déja vû le Catalogue de la Bibliothéque
de feu M. Colbert , en deux volumes in- 8 ° , &
on imprime actuellement chés le Sr Caranove , celui
de la Bibliothéque de feu M. de la Berchere. II
paroîtra dans le courant du mois de Mars .
Ceux qui voudront acheter , pourront s'adreffer en
droiture au Sr Caranove, ou à M. Embry, Négociant
au coin de la rue Guenegaut , à Paris.
AVIS important pour les Perfonnes louches.
M. Morand , de l'Académie Royale des Sciences ,
étant informé de la capacité du Sr Sayde , Lunetier-
Miroitier , s'eft adreffé à lui pour faire un Inftrument
propre pour redreffer la vue. Il étoit queftion de
faire une Louchette , la plus parfaite qu'il feroit
poffible , pour une jeune Perfonne . Le Sr Sayde ,
toujours attentif à perfectionner fon Art , & guidé
par les lumieres de M. Morand , a trouvé le moyen
de faire une Loucherte d'une nouvelle façon , plus
légere & beaucoup plus commode que celles qui
ont parû jufqu'à préfent. Elle a parfaitement réüffi ,
non-feulement pour la jeune Perfonne , mais auffi
pour plufieurs autres qu'il croit ne devoir pas nommer.
Il ne croit pas non plus qu'il foit néceffaire
de faire ici une defcription de cette nouvelle Louchette
, ni d'en vanter tous les avantages ; la réüsfite
FEVRIER 1741 359
fite & l'Aprobation de M. Morand fuffifent. Il ofe
affûrer le Public , qu'à la feule infpection de ce
nouvel Inftrument on pourra juger de fa perfection.
On peut le voir chés lui , fur le Quai de l'Horloge,
à l'Enfeigne de l'Esperance , la feconde Boutique
en defcendant du côté du Pont Neuf. On trouve
auffi chés lui toutes fortes de Lunettes , Lorgnettes ,
Lunettes d'aproche , Microſcopes , Louchettes , &
géneralement tout ce qui concerne fon Art & fa
Profeffion.
ESTAMPES NOUVELLES.
Voici une grande & très - belle Eftampe en large ,
gravée depuis peu par M. Jac. Ph . le Bas , chés le
quel elle fe vend , au bas de la rue de la Harpe
vis -à- vis la rue Percée , d'après un Tableau original
de Ph . Wauvremans ; c'eft un grand Payfage ,
au milieu duquel on voit une Chafe fous le titre
des Sangliers Forcés . Dédiée à M. Charles Guftave ,
Comte de Teffin , Sur - Intendant des Bâtimens &
Jardins du Roy de Suede , & Maréchal d' l'Affenblée
de Etats du Royaume de Suede en 1738.
La Suite des Portraits des Rois de France , des
Grands - Hommes & des Personnes Illuftres dans les
Arts & dans les Sciences, continue de paroître avec
fuccès chés Odieuvre , Marchand d'Eftampes , Quai
de l'Ecole ; il vient de mettre en vente , toûjours de
la même grandeur , ceux de
LOUIS II. DIT LE BEGUE ,
France , mort à Compiegne le 10.
de 30. à 35. ans , apres un an & 7 .
deffiné par A. Boizot , & gravé par J.
XXVI . Roy de
Avril 879. âgé
mois de Regne,
G. Will.
CHARLES DE LONGUEVAL , COMTE DE BUQUOY ,
Baron de Vaux , tué dans une Bataille près Neuhaufel
le 12. Juillet 1622.
GEORGES
360 MERCURE DE FRANCE
GEORGES DE VILLIERS , DUC DE BUCKINGHAM,
né le 28. Août 1592. tué à Portsmouth le 28.
Août 1628.
LETTRE de M. D. L. R. écrite à M le
Préfident D. M. fur la Médaille d'un
Prince de la Maifon d'Eft.
J
E commence , Monfieur , par vous remercier
très humblement du préfent que vous m'avez
fait d'une belle Médaille d'un Prince de la Maiſon
d'Eft , diftingué dans l'Hiftoire , fur tout par fon
amour pour les Lettres & pour les Arts , & par la
faveur qu'il accorda aux Sçavans . Avant que de rien
entamer fur ce fujet , j'admire que , n'ayant point
rencontré cette Médaille dans tout votre voyage
d'Italie, ces qui me fait croire qu'elle doit être rare ,
vous l'ayez trouvée à Paris ; elle ne pouvoit
tomber en de meilleures mains . Il m'est arrivé ,
Monfieur , quelque chofe de femblable , lorfque
j'ai trouvé en Normandie certaines Médailles dans le
même genre, qui ont été frapées en Italie ,en Flandres
&c. telles que font celles de Galéas , Duc de Milan,
de Frederic III. Duc d'Urbin, de Cosme de Medicis,
Grand Duc de Toscane , de Dom Juan d'Autriche
au R. La Bataille de Lepante ; de Guill . de Naffau,
Prince d'Orange , au R. Charlotte de Bourbon , &
plufieurs autres qui pourront orner mon Voyage
Litteraire de Normandie ; mais revenons à notre
Médaille.
.
Elle eft , comme vous fçavez, Monfieur, de Bronze
, de la grandeur de la Gravûre que j'en ai fait
faire , & que je joins ici . D'un côté eft une Tête en
demi Bufte , avec de courts cheveux crêpés , &
cette Infcription autour : LEONELLUS MARCHIO
ESTENSIS ; ces trois mots font féparés chacun l'un
de
MARCHIO
SATT
1-1
ES
LLARI
ASTOR LENOX AND
P RESTIADATIONS
THAN
/ YORK
PUBLIC
LIBRARY
ACTOR
, Etu
TILDEN
T
d
FEVRIER. 1741. 361
de l'autre , par un rameau de Laurier . Le Revers
préfente deux Figures humaines toutes nues & asfifes
au pied d'un Mât de Navire , lequel porte une
Voile enflée par le vent , &c. avec ces mots :
OPUS PISANI PICTORIS.
L'Hiftoire nous aprend que Leonel, Marquis d'Eft,
&c. pour qui la Médaille a été frapée , étoit fils de
Nicolas III . Marquis d'Eft , & c. lequel eut jufqu'à
vingt-deux enfans illégitimes , dont les principaux
furent notre Leonel & Borſo d'Eft . Le premier, né en
1407. époufa en premieres Nôces Marguerite de
Gonzagues , & en fecondes , Marie d'Aragon , fille
naturelle d'Alphonfe I. Roy de Naples. Je n'entrerai
dans aucun détail fur les circonftances de
fa vie , qui finit le 30. Septembre 1450. J'ajoûterai
feulement que , malgré le défaut de fa naiffance
, à la mort de fon Pere il fut reconnu pour fon
fucceffeur par le Sénat de Ferrare , dans le Marquifat
de ce nom . Il étoit amateur de la Paix , & tâcha
de l'établir dans fes Etats , & de la maintenir
dans toute l'Italie , non , dit un bon Hiftorien * moderne,
pour le livrer avec plus de tranquillité à fes
plaifirs , ou à une ſtupide oifiveté , mais pour faire
fleurir les Sciences & les Arts , fi dignes de l'attention
d'un Prince jaloux de fa gloire & du bonheur
de fes Sujets . Il embellit beaucoup la Ville de Ferrare
par de beaux Edifices , au nombre defquels on
compte le Monaftere des Anges , qu'il donna aux
Dominicains & où il fut inhumé auprès de fon Pe .
re . I laiffa de Marguerite de Gonzagues un fils
nommé Nicolas , qui mourut tragiquement en l'année
1476. Borſo d'Eſt , ſon frere , autre fils naturel
de Nicolas III . lui fucceda ; il eut pareillement de
grandes qualités , fingulierement celle d'aimer & de
* M. de Chazaux , dansfes Généalogies Hiftoriques ,
proteger
362 MERCURE DE FRANCE
proteger les Sciences & ceux qui en faifoient profeffion
, enforte qu'il fut furnommé le Pacificateur
l'ornement de la Patrie . L'Empereur Frideric III .
lui donna en 1452 , le titre de Duc de Modene &
de Regio , avec la permiffion de porter l'Aigle Im-,
périale dans fon Ecu . Le Pape Paul II . en le créant
peu de tems après Duc de Ferrare , ajoûta à fes Armes
les Gonfalons de l'Eglife .
Voilà , M. tout ce que les bornes d'une Lettre
me permettent de dire au sujet de la face de cette
Médaille ; le Prince qui y eft représenté n'eſt point
douteux , & le peu que je viens de vous exposer de
son Hiftoire ne peut être contefté . Il n'en eft pas
de même du revers qui me paroît obscur & symbo
lique. Je vous avouerai que rien de tout ce que j'ai
lú au sujet de ce Prince, ne m'autorise à en expliquer.
P'énigme ; fi la Médaille étoit du Peré au lieu du
Fils , ce Mât de Navire portant une voile enflée ,
pourroit fignifier ses voyages d'outre Mer .
Car l'habile & laborieux Auteur , déja cité , de
P'Ouvrage intitulé Génealogies Hiftoriques des Rois ,
c. qui a été fi bien reçû du Public , nous aprend
T. I. p . 346. que » Nicolas III . Pere de Leonel
» se voyant en paix avec ses Voifins , se mit à
» voyager , il alla en Cypre , à Jerusalem , en Espagne
, & en France . Le Roy Charles VII. lui
» accorda , entr'autres marques de son eftime , de
» porter dans ses Armes trois Fleurs de Lys ; » &
l'Auteur ajoûte là deffus une Note curieuse au- bas
de la même page 346 .
Quoiqu'il en soit , le Revers de notre Médaille
ne peut être long - tems obscur ; le célebre M.
Muratori , Auteur du grand Ouvrage Rerum Ita-
Licarum Scriptores , & qui a auffi entrepris l'Hiftoire
entiere de la Maison d'Eft , dont j'ai vu le I. Vol.
dans la Bibliothèque de l'Abbaye de S. Germain
des
1
FEVRIER: 1741 363
des Prés , dédié au Roy d'Angleterre , Electeur
d'Hanovre , le regardant comme le Chef de toute
cette ancienne & illuftre Maison ; M. Muratori ,
dis-je , eft plus que personne en état d'expliquer
ce Revers , peut- être cela eft - il déja fait , vous ferez
des premiers à en être inftruit ; car je n'ignore
pas , M. les liaisons que vous avez avec ce Sçavant
du premier ordre , qui aura sans doute été charmé
de votre découverte.
J'ai l'honneur d'être , Monfieur , & c.
A Paris le 19. Février 1741.
P. S. J'oubliois , Monfieur , de vous dire qu'en
parcourant le grand Ouvrage Bibliotheca Bibliothecarum
de Dom Monfaucon , je fuis tombé fur un
Article qui regarde précisément notre Leonel d'Eft,
& que je ne veux pas oublier ici . Cet Article eft
ainfi énoncé p . 450.
Archivium Ravenatenfe.
Art . 3. Item copia Bulla Nicolai I. Papa quâ confirmat
Leonem Marchionem & filios fuos mafculos
legitimos , Vicarios Ravenatenfis Ecclefia fuper
Caftro Lugi S. Potiti fub annuo cenfu unius Rocoleti.
Datum Roma apud S. Petrum 1447. 111. Non.
Decemb. Pontificatus fui anno I.
1
On nous assûre que M. Chicoyneau , Confeiller
d'Etat , Premier Médecin du Roy , ayant vu la guérifon
d'un grand Prélat , qui avoit des Boutons .
Rougeurs & Dartres au vilage depuis plus de huir
ans , & ayant apris d'ailleurs la guérifon de plufieurs
autres Perfonnes confidérables , par les Remedes
compofés & débités par Mad . de Leftrade
depuis plus de 40 ans , a bien voulu , pour l'utilité
&
384 MERCURE DE FRANCE
こ
& le foulagement du Public , donner fon Aproba
tion pour les débiter .
Ces Remedes font une Eau pour la guériſon des
Dartres vives & farineufes , Boutons , Rougeurs
Taches de rouffeur , & autres Maladies de la Peau .
Et un Baume blanc , en conſiſtance de Pomade ,
qui ôte les cavités & les rougeurs après la petite
vérole ; les taches jaunes & le hâle , unit & blanchit
le teint .
Ces Remedes fe gardent tant que l'on veut , &
peuvent fe tranfporter partout . Les Bouteilles de
cette Eau font de 2. 3. 4. 6. livres & au deffus
felon la grandeur Les Pots de Baume blanc , font
de 3. livres 10 , fols , & les demi Pots d'une livre
15. fols.
Mad. de Leftrade , demeure à Paris , rue de la
Comédie Françoise , ehés un Grainetier , au premier
Etage. Il y a une Affiche au deffus de la porte.
Le Prélat dont on vient de parler , a gratifié la
D. de Leftrade d'une Penfion fa vie durant.
thatat
CHANSON
JAArnibleu , corbleu , ventrebleu ,
Des valets doivent- ils en agir de la forte ?
Dans le courroux qui me transporte ,
Si j'en tenois quelqu'un , il n'auroit pas beau jeu ..
Hola hé , Picard , la Montagne....
Tout eft fourd à mes cris , oh ! rigoureux deſtin!
Pas un valet & point de vin :
La
viv
F
ระ
THE LOW TORKI
PUBLIC MARAT LIGRANT
ASTOR, LEMGK AND
TILDEN FOUNDATION
THE
PUBLIC
ONE
ASTOR
, LE MOX
AVD TILDEN
FOUNDATIONS
.
FEVRIER.
1741. 365.
La Foreft , Bourguignon , Champagne....
Jarnibleu , corbleu , ventrebleu ,
Des valets doivent ils en agir de la fòrte ?
Dans le courroux qui me tranſporte ,
Si j'en tenois quelqu'un , il n'auroit pas beau jeu, .7
Ah ! je fçaurai t'aprendre à me connoître ,
Maraut , tu le fais donc exprès ,
Que viens- tu de chercher réponds-moi double
traître ...
Du vin frais ,
Du vin frais , amis , du vin frais ;
Ah ! ah ! le cher la Foreſt
Eft la perle des valets.
Les Paroles & la Mufique font de M. Favier ;
Maître des Ballets de Sa Majefté le Roy de Pologne ,
Electeur de Saxe.
SPECTACLES.
EXTRAIT de la Comédie , intitulée Piga
malion , Pièce en Profe & en trois Altes ;
fuivie d'un Divertiffement , reprefentée au
Théatre Italien le 12. Janvier.
ACTEURS.
Pigmalion ,
Agalmeris , ou la Statuë ,
Le Sr Romagnesy.
La Dlle Silvia.
Timandre ,
366 MERCURE DE FRANCE
Timandre , Ami de Pigmalion , Le Sv Rochart.
Cléonide, Amante de Pigmalion, La Dlle Riccoboni.
Clitophon , Amant d'Agalmeris , Le Sr Riccoboni,
Sofie , Efclave de Pigmalion , Le Sr Deshayes.
Mifis , Suivante de Cléonide , La Dlle Thomaffin.
La Scéne eft dans l'Ile de Chypre.
Ette Comédie n'ayant pas eu affés de repré-
Centations pour nous mettre en état d'en donner
un extrait bien détaillé , nous n'en donnons ici
qu'une efpece d'argument , en attendant que l'impreffion
nous mette à portée d'en parler plus amplement.
Pigmalion , célebre Sculpteur , ayant conçu une
averfion invincible pour tout le fexe , par la lubricité
des Propétides , réfolut de paffer toute fa vie
dans le célibat ; il employa fon heureux loifir à
faire une Statuë qu'il rendit fi parfaite , qu'il en
devint amoureux . Sa paffion pour l'ouvrage de fa
main s'augmentant à mefure qu'il jettoit les yeux
deffus, devint fi forte, qu'il pria Venus de lui donner
une femme doüée d'autant de beauté qu'il en
avoit raffemblé dans fa chere Statue : Venus l'exauça
, & par fon divin pouvoir elle anima l'yvoire,
qui étoit l'objet de tous fes voeux.
L'Auteur de la Comédie de Pigmalion donne à
Venus un motif bien different , pour animer la Statuë
, à qui on donne le nom d'Agalmeris ; ce n'eft
pas pour rendre heureux le Statuaire qu'elle anime la
Statue en question , mais pour le punir de fon
averfion pour le fexe.
Pigmalion ouvre la Scene avec Timandre fon
plus cher Ami . Timandre combat le deffein que
Pigmalion a formé de vivre dans un célibat perpétuel
; Pigmalion lui répond en foûpirant , que
Venus
FEVRIER. 1741. 367
Venus ne s'eft que trop vengée du mépris qu'il a
fait éclater pour fon Empire. Timandre lui demande
quelle eft cette vengeance ; Pigmalion ordonne
à Sofie fon Efclave de fe retirer , pour ne
le rendre pas témoin d'un aveu fi extravagant. Sofie
s'étant retiré pour ſe tenir à l'écart & tout entendre
fans être vû , Pigmalion tire un rideau qui
couvre la Statue d'Agalmeris ; Timandre ne peut
refufer fon admiration à cette belle image ; mais
il ne comprend rien dans ce que Pigmalion vient
de lui dire de la vengeance de Venus ; il n'eft que
trop éclairci , quand Pigmalion lui dit qu'il eft paffionnément
amoureux de ce Chef d'oeuvre de fon
cifeau , & que c'eft pour cette même Agalmeris
qu'il refufe d'accepter la main de Cléonide , dont
il est tendrement aimé. Timandre eft fi furpris de
cette paffion pour un objet infenfible , & fi irrité
du refus que Pigmalion fait d'une Amante dont
l'hymen pourroit le rendre heureux , qu'il veut
brifer cette fatale Statue ; Pigmalion l'empêche
d'exécuter fon deffein , & conſent d'aller avec lui
dans le Temple de Venus , pour prier cette Déeffe
de calmer fa colere . Ils fortent tous deux dans cette
intention .
Sofie qui , d'un lieu où il fe tenoit caché , d'où
il a tout entendu , fans rien voir , reparoît aux yeux
des Spectateurs ; il ne peut s'empêcher de rire de
la folie de fon Maître ; Mifis , Suivante de Cléonide
, vient s'informer chés Pigmalion du fujet du
refus qu'il a fait de la main de fa Maîtreffe ; elle
tire adroitement ce fecret de la bouche de Sofie ,
& s'en va le divulguer pour expofer Pigmalion à la
rifée publique , & pour venger fa Maîtreffe .
Mifis n'eft pas plûtôt fortie que Sofie veut fatisfaire
fa curiofité : il tire le rideau qui lui dérobe la
vúë de cet objet fi fatal au repos de fon Maître , il
en
368 MERCURE DE FRANCE
en eft frapé à fon tour , peut- être même en devientil
amoureux , il ne ceffe de parcourir toutes les
beautés qu'il découvre dans cette charmante image;
mais quel eft fon étonnement quand il la voit s'animer
& fe détacher de fon pied- d'eftal Agalmeris
animée par un miracle qu'on fupofe être un
effet de la priere que Pigmalion eft allé faire à
Venus dans fon Temple , s'avance fur le bord du
Théatre & fait un Monologue très- convenable à
fa fituation . Elle parle enfuite à Sofie , & lui demande
où elle eft & ce qu'elle eft ; Sofie revenu
de fa frayeur , a bien de la peine à fatisfaire ſa curiofité
fur toutes les demandes qu'elle lui fait ;
toutes les réponſes font autant d'énigmes pour elle ,
tout fe termine à lui dire qu'elle eft femme , il veur
effayer de lui plaire , & lui parle d'amour ; ce nom
d'amour eft encore une nouvelle énigme pour elle ,
& cette énigme eft d'autant plus obfcure , qu'elle
ne trouve rien en lui qui faffe naître ce penchant
fecret que la Nature a mis réciproquement dans
l'un & l'autre fexe , & qui s'explique mieux que
les expreffions les plus vives . Cette Scéne , qui eft
traitée avec beaucoup d'art , eft interrompue par
l'arrivée de Cléonide , de. Clitophon & de Mifis.
Cette derniere les a inftruits de tout ce qui vient
de fe paffer chés Pigmalion par la puiffance de Venus.
Ils demandent à Sofie ou eft cette Statuë qui
fait tant de bruit dans Cythere ; Sofie leur répond
qu'elle est devant leurs yeux . Cléonide eft jaloufe
de fa beauté , & Clitophon en devient paffionnément
amoureux ; quant à Agalmeris , comme elle
trouve dans Clitophon plus de fujet de faire naître
ce penchant dont nous venons de parler , que Sofie
n'en avoit fait voir à fes yeux , eile le regarde
avec plus de complaifance ; cet effet d'un amour
maiffant redouble celui que Clitophon a fenti pour
elle
FEVRIER 1741 369
elle dès la premiere vûë ; il lui parle d'amour , il
n'eft pas rebuté , elle lui donne même lieu de concevoir
de favorables efpérances ; il forme le deffein
de la fouftraire au pouvoir de fon Rival ; Cléonide
a trop d'interêt à cet enlevement , pour n'en pas
devenir complice , & le penchant fecret d'Agalmeris
pour le premier objet qui s'eft préſenté à fes
yeux fous une forme aimable, la fait conſentir à ſe
faiffer conduire partout où on voudra .
Voilà à peu de chofe près tout ce qui fe paffe
dans le premier Acte de cette Comédie . Nous pafferons
légerement fur les deux derniers , par les raifons
qui nous ont portés à ne donner qu'un fimple
argument de la Piéce.
Pigmalion , revenu du Temple de Venus , aprend
avec plaifir de Sofie que la Déeffe a exaucé fa priere;
mais ne trouvant plus fa chere Agalmeris chés
lui , il court après fon Raviffeur & la ramene dans
fa maifon. C'eft- là où il commence à fentir que
Venus ne l'a exaucé que pour fe venger du mépris
qu'il a fait de l'Empire amoureux ; il trouve dans
fa Statue animée , une coquette , une ingrate , une
orgueilleufe , en un mot tous les défauts dont le
fexe eft fufceptible , font raffemblés dans un même
fujet ; il ne laiffe pas de l'aimer toujours & de vouloir
l'époufer : mais elle ne veut , ni de fon coeur ,
ni de fa main ; ces contradictions auxquelles il net
s'étoit pas attendu font la matiere des deux derniers
Actes , & ce n'eft qu'à la fin du troifiéme que le
moment de fon bonheur arrive . Agalmeris touchée
de fa perféverance , & furtout de la foumiffion
avec laquelle il lui laiffe la liberté de ſe donner à
qui elle voudra , lui rend la juftice qui lui eft dûë ,
& lui facrifie Clitophon , qu'elle n'a d'abord aimé
que parce que rien ne s'étoit encore prefenté de
Plus aimable à fes yeux,
H AM
370 MERCURE DE FRANCE
Au refte , quoique cette Comédie n'ait pas eu le
fuccès que l'Auteur s'en étoit promis , elle n'a pas
laiffé de lui faire honneur par la maniere dont elle
eft dialoguée , & par une infinité de beaux traits
qui yfont répandus.
Le neuf , les mêmes Comédiens donnerent
lapremiere Repréfentation d'une Comédie nouvelle
en Vers & en trois Actes , qui a pour titre la Gageure
, elle eft terminée par un divertiffement de
chants & de danfes . Cette Piéce dont on parlera
plus au long , a été géneralement aplaudie , & trèsbien
jouée par tous les Acteurs.
P
Le 12. Février , l'Académie Royale de Mufique
donna par extraordinaire le Ballet des Fêtes Vénitiennes
, qu'elle continua le 14. dernier jour de Car
naval ; on joignit à ces deux Repréfentations le
Divertiffement du Pourceaugnac, Piéce très- conve
nable pour la clôture du Carnaval : on reprit l'O
pera de Proferpine le 17. du même mois..
Le 3. Février , les Comédiens François remirent
Theatre la Comédie du Légataire , dans laquelle
au
le fieur Defmarets , nouvel Acteur , joua le rôle de
Crispin avec aplaudiffement , il a encore joué dans
d'autres Piéces où il a été également goûté.
Le 20. les mêmes Comédiens donnerent une pe
tite Piéce nouvelle en Profe & en un Acte, intitulée
Deucalion, Pirrha de l'Auteur de l'Oracle , de
laquelle on parlera plus au long.
Le 25, ils donnerent la derniere Repréſentation
de la même Comédie nouvelle de Deucalion &
Pirrha , l'Auteur l'ayant retirée après la troifiéme
Repréfentation,
Le
FEVRIER: 1741 375
Le 3. Fevrier, l'Opéra Comique fit l'ouverture de
fon Théatre par deux Piéces nouvelles , précedéos
d'unPrologue enVaudevilles, dans lesquels il y a quelques
Couplets de Critique au fujet de l'Opéra d'Amadis
de Gaules , qu'on a ceffé de représenter à l'Opéra
fur la fin du mois dernier ; les deux autres
Piéces font intitulées , la premiere , la Joye , & la
feconde , les Faux Niais , elles font ornées d'Inter
medes , de Chants & de Danfes, très bien executés,
Le 20. le même Opera Comique donna une Piés
ce nouvelle d'un Acte en Vaudevilles avec un
Divertiffement , laquelle a pour titre la Chercheufe
d'Esprit , de la compofition de M. Favart ; elle fut
précedée de deux autres Piéces ,dont on a déja parlé
, cete derniere Piéce dont on parlera plus am
long , a été fort goûtée des Spectateurs , & trèsbien
jouée ', entre autres par l'Actrice qui y joue un
Rôle d'Agnès , avec aplaudiffement , & d'une ma
niere très- convenable à ce Perfonnage.
NOUVELLES ETRANGERES.
RUSSIE,
Na apris de Petersbourg , que le corps de la
feue Czarine avoit été inhumé le 3. du mois
dernier dans l'Eglife Cathédrale , & que la Princeffe
Régente de Mofcovie & la Princefle Elizabeth
Petrowna avoient affifté à les obfeques.
Le 26. du même mois , la Princeffe Régente
rendit vifite au Feldt - Maréchal Comte de Munich ,
qui eft toujours malade. Le Czar a accordé à
Feldt-Maréchal une gratification confidérable ,
pour
372 MERCURE DE FRANCE
pour le récompenfer des fervices importans qu'il
a rendus à l'Etat . S. M. Cz . a difpofé de deux
Places de Confeillers d'Etat en faveur de Mrs Henninger
& de Meljunoff , & elle a nommé Mrs Ara
xejef & Kofcheloff , Lieutenans Feldt Maréchaux ,
& Mrs Soltikoff & Kudrafzow , Majors Géneraux.
Les Géneraux Charles & Guftave Biron , freres
du Duc de Curlande , & le Géneral Biſmarck one
été condamnés à paffer le refte de leurs jours en
Sibérie.
On a apris depuis que le Géneral Ufchakow &
M. Ehmer , Auditeur Géneral des Troupes , le rendirent
au commencement du mois paffé à la Fortereffe
de Schlieffefbourg , pour annoncer au Duc
de Curlande , que le Sénat par ordre du Czar , &
du confentement des Etats de Curlande ; le déclaroit
déchû de fes Titres & de fes Dignités. Ils iuï
demanderent en même tems de la part de S. M. Cz .
de leur remettre les marques de l'Ordre de S. André
, & ils lui dirent qu'il feroit dans peu informé
de fon fort.
Les Commiffaires chargés d'inftruire fon Procès ;
n'employeront à l'avenir dans les Interrogatoires
que cette Formule : Il eft ordonné à Jean Ernest Bi
ron , de répondre aux articles fuivans de l'accufation
criminelle intentée contre lui , & fon épouſe & fon
fils ne feront plus défignés par les Titres de Ducheffe
& de Prince Héreditaire de Curlande.
Les Comites Guſtave & Charles Biron , fes fre
res , & le Géneral Bismarck , ci - devant Gouver
neur de Riga, ont été dégradés de leurs Honneurs
& de leurs Emplois . Le même jour que leur Juge,
ment leur fut prononcé , on les fit partir fous une
efcorte de cent Dragons , pour les conduire en Sibérie
, & l'on a reçû avis que le 2. du mois paffé
ils étoient arrivés à Moſcow , d'où ils ont dû être
transferés
FEVRIER. 1741. 373
ransferés avec le Comte Charles Biron au Fort de
Tobolfka , dans lequel ils doivent être renfermés.
Tous les biens de ces Prifonniers ont été confifqués
, & on a commencé à vendre leurs meubles ,
leur vaiffelle & leurs équipages.
Le Czar ayant jugé à propos de rapeller le Baron
de Keyferling , fon Envoyé auprès du Roy de Pologne
Electeur de Saxe , & le Baron de Korff , fon
Miniftre Piénipotentiaire auprès du Roy de Dannemarck
, S. M. Cz . a nommé le Comte de Solms .
gendre du Feldt Maréchal Comte de Munich, pour
remplacer le Baron de Keyferleng & M. Scheraichow
, pour aller relever le Baron de Korff à Coppenhague.
Ο
ALLEMAGNE.
N mande de Vienne du 21. du mois dernier ,
que les propofitions faites par le Comte de
Gotter de la part du Roy de Pruffe , ont été tenues
fecrettes jufqu'au retour de M. de Kirckeyfen , &
que ce n'étoit que depuis quelques jours qu'on fçavoit
que ce Comte étoit venu à Vienne pour décla
rer à la Reine de Hongrie, que S. M. Pr. étoit prête
à employer toutes les forces pour lui affûrer la poffeffion
des Pays de la Maifon d'Autriche , qu'Elle
offroit pour cet effet , de contracter une étroite alliance
avec la Reine , le Czar , le Roy de la Gran
de-Bretagne & la République de Hollande , & que
pour mettre la Reine plus en état de s'opofer aux
entreprifes qu'on voudroit former contre fes interêts,
le Roy de Pruffe lui fourniroit en argent com
ptant deux millions de florins ; qu'il promettoit , de
plus , les bons offices au Grand Duc de Tofcane ,
pour le faire élire Empereur & pour foûtenir fon
Election ; que la Reine devoit juger que pour des
fervices auffi effentiels que ceux qu'il s'engageoit à
lui rendre , il avoit droit de demander d'être dé-
Hij dommagé
374 MERCURE DE FRANCE
dommagé des risques & des dépenfes, auxquels il
confentoit de s'expofer , & qu'il exigeoit pour indemnité
la Siléfie , en vertu des prétentions qu'il a
fur cette Province.
Le Roy de Pruffe en renvoyant à Vienne M. de
Kirckeyfen , l'a chargé de Dépêches par lefquelles,
il donne ordre au Comte de Gotter , de dire à la
Reine de Hongrie , que quoique S. M. Pr. ait demandé
d'abord qu'on lui cedât la Siléfie entiere
elle pourroit néanmoins fe contenter d'une partie
de cette Province , pourvû qu'il plût à la Reine de
Hongrie de conclure avec elle un accommodement
fincere & durable , & de contracter une liaifon con-'
venable à leurs interêts communs .
La Reine a répondu à ces propofitions , qu'il eft
notoire que fes Etats joüiffoient d'un heureux repos
, lorfque le Roy de Pruffe eft entré les armes
à la main en Siléfie; que fi c'eft - là , comme ce Prince
prétend l'infinner , le moyen le plus propre d'af
fûrer la Pragmatique Sanction , on a de la peine à
concevoir quel pourroit être celui de l'anéantic ;
que loin de ne pas faire tout le cas poffible de l'amitié
de S. M. Pr . on en connoît tout le prix , &
qu'on n'a pas certainement lieu de fe reprocher
d'avoir négligé de la cultiver avec attention , mais
que fans donner la moindre atteinte à ce principe
on croit pouvoir faire obferver au Roy de Pruffe ,
que fa premiere propofition ne va pas auffi loin que,
Fengagement qui réfulte de la Pragmatique Sanction
, dont tout l'Empire eft chargé ; que les Alliances
avec la Mofcovie , la Grande- Bretagne &
la Hollande , ont fubfifté avant l'entrée des Troupes
Pruffiennes en Silefie , & qu'il eft certain que
Pintention de ces Puiffances n'eft pas que la Reine
perde une partie de les Etats , pour affermir des
Alliances dont le principal objet eft de les lui conconferver
FEVRIER: 1741. 375
-ferver en entier ; qu'on n'a jamais fait la guerre
pour obligerune Puiffance d'accepter l'argent qu'on
lui offre , & que les fommes que le Roy de Prulle
a déja tirées de la Siléfie , furpaffent les deux millions
de forins qu'il s'engage de donner à S. M .;
que la Reine ne peut qu'être infiniment redevable
à S. M. Pr . de fes bonnes difpofitions pour le Grand
Duc de Tofcane , mais qu'outre que l'Election de
P'Empereur doit être libre , la Reine penfe que rien
n'eft plus capable de la traverfer , que des troubles
excités au milieu de l'Empire ; qu'enfin elle eft
prête à renouveller l'amitié la plus fincere avec le
Roy de Pruffe , mais qu'elle eſt très éloignée de
vouloir commencer fon Regne par le démembrement
de fes Etats ; qu'ainfi elle ne peut confentir à
ceder la Siléfie ni en entier ni en partie , & que la
premiere condition néceffaire pour parvenir à un
accommodement entre les deux Cours , eft que le
Roy de Pruffe retire fes Troupes de cette Province.
-
La Reine a nommé les Comtes de Wurmbrand
de Kevenhuiler & de Hildebrand , fes Ambaffadeurs
Extraordinaires & Plénipotentiaires à la Diette qui
doit fe tenir à Francfort , pour l'Election d'un Empereur.
Les Lettres de Siléfie portent que les Magiftrats
de Bréflaw ayant refufé de prêter ferment de fidelité
au Roy de Pruffe , & de rendre la justice en
fon nom , S. M. Pr. les avoit privés de leurs em
plois , & qu'elle avoit nommé de nouveaux Magiftrats.
HAMBOURG.
t
N mande de Ratisbonne du dernier Janvier ,
que la Reine de Hongrie avoit fait préfenter
à la Diette de l'Empire un Mémoire , lequel porte
que le Roy de Prufle lui avoit promis après la mogt
Hij
de
376 MERCURE DE FRANCE
de l'Empereur , qu'il contribueroit de tout fon pou
voir à la maintenir dans la paifible poffeffion des
Pays de la Maifon d'Autriche , & qu'il ne fouhaitoit
rien avec plus d'ardeur que de pouvoir vivre
avec elle dans une parfaite intelligence , & de lui
prouver combien il étoit favorablement difpofé
pour les interêts & pour ceux du Grand Duc de
Tofcane ; que cependant S. M. Pr . étoit entrée
avec une Armée dans la Siléfie , s'étoit emparée
d'une partie de ce Duché , & menaçoit , fi on ne
lui en cedoit pas la posseffion , de fe joindre aux
Puissances qui paroissoient être dans l'intention de
s'opofer à l'exécution de la Pragmatique Sanction ;
que la Reine de Hongrie dans cette conjoncture
s'adresse aux Etats de l'Empire pour leur demander
du fecours , & qu'elle ne doute point qu'ils ne fe
déterminent à s'opofer aux entreprifes du Roy de
Prusse.
Le Miniftre qui affifte à la Diette de la part de
S. M. Pr. a remis à la Diette un Mémoire dans
lequel S. M. Pr . déclare qu'elle n'a eu aucune
mauvaiſe intention en faifant entrer fes Troupes en
Silésie , & qu'elle s'eft feulement propofée d'assûrer
fes droits fur ce Duché , lefquels ne peuvent être
détruits ni alterés par aucune difpofition telle qu'elle
puisse être ; qu'au refte elle ne cherche point à
donner la moindre atteinte aux Conftitutions de
l'Empire , & qu'elle protefte qu'elle ne veut caufer
aucun préjudice à la Reine de Hongrie .
L
PRUSSE.
Es Lettres de Berlin du 15. de ce mois portent
qu'il eft arrivé de Siléfie le 6. un Courier , par
lequel on a apris que la Ville de Breſlaw s'étoit foûmife
au Roy. Ses Dépêches contiennent les partigularités
fuivantes.
La
FEVRIER. 1741. 377
Le Roy de Prusse ayant été informé le 29. du
mos dernier que les Géneraux de la Reine de
Hongrie follicitoient fortement les habitans de
Breſlaw de recevoir une garnifon de Troupes Autrichiennes
, & qu'ils avoient engagé quelques
Magiftrats de la Ville à y confentir malgré l'opofition
de la Bourgeoisie , S. M. fe détermina a
faire une marche forcée , pour pouvoir le préfenter
devant Breflaw , avant que ces Magiftrats euffent
perfuadé aux habitans de renoncer au privilege
qu'ils ont de fe garder eux- mêmes . S. M.
arriva le 31. à une lieuë de la Ville , & le même
jour elle envoya Mrs de Borck & de Poſodowl
ky ,
´, pour fommer les habitans de fe foûmettre.
Le premier de ce mois , le Roy s'avança à la por
tée du Fufil de Breflaw avec tous les Grenadiers &
16. Efcadrons. Ayant été joint par le Régiment de
Schwllembourg , il entra à la tête de ces troupes
dans le Fauxbourg , & après les avoir rangées en
bataille fur l'Esplanade , il pofa des Corps de Garde
en plufieurs endroits . Mrs de Borck & de Pofodowsky
revinrent ce jour - là joindre le Roy , pour
lui annoncer que les habitans de Breflaw étoient
prêts à lui ouvrir les portes de leur Ville , à con
dition qu'il n'y mettroit point de Garniſon , & qu'il
les maintiendroit dans la joüiffance de tous leurs
Priviléges , & S. M. leur ayant accordé leurs demandes
, on figna le foir la Capitulation , par la
quelle il a été réglé que le Roy pourroit établir des
Magafins dans la Ville , & y faire paffer fes troupes
lorfque les circonftances l'exigeroient.
Le 3. au matin , les Députés de la Ville fe ren
dirent à la Maiſon où le Roy étoit logé dans le
Fauxbourg ; ils complimenterent au nom de la
Bourgeoifie S. M. qui les reçut très -favorablement,
& qui les assûra que les habitans de la Siléfie ,
Hv
&
378 MERCURE DE FRANCE
en particulier ceux de Breflaw , éprouveroient dans
toutes les occafions les effets de fa protection & de
La bienveillance. Les Bourgeois ayant enfuite ouvert
les portes de la Ville , le Roy retira les Corps
de Garde qu'il avoit pofés pour la bloquer du côté
du Fauxbourg , & il détacha 30. ,de fes -Gardes du
Corps , qui ayant été reçûs dans la Ville , allerent
prendre pofte dans l'Hôtel du Comte de Schlegenberg
, deftiné pour le logement de S. M. A onze
heures , le Roy fit fon entrée dans Breſlaw ,
la
Bourgeoifie étant fous les armes & formant une
double haye dans toutes les rues par lesquelles S.
M. paffa pour fe rendre à l'Hôtel du Comte de
Schlegenberg, Les Régimens par lesquels le Roy
avoit fait former le blocus du Grand Glogaw , &
qui depuis que S. M. a quitté les environs de cettte
Place , ont été relevés par le Corps de troupes que
commandent le Duc de Hofftein & le Prince Leopol
d'Anhalt- Deffau , arriverent le devant Breslaw
, & le Roy leur diftribua des quartiers dans
les Villages voifins.
3.
Le 4. M. de Jeetz , Major Géneral , paffa la riviere
avec une Brigade d'Infanterie & trois Efcadrons
de Dragons , pour aller réduire fous l'obéiffance
du Roy quelques petites Villes fituées fur les
frontieres du Royaume de Pologne , & les Huffards
amenerent un Maréchal des Logis & huit Dragons
du Régiment de Lichtenſtein , qu'ils avoient enlevés
à Oels.
Le Corps de Troupes commandé par le Roy ,
a dû fe remettre en marche le 6 , pour s'emparer
-d'Olau , Château fortifié , dans lequel la Reine
de Hongrie a une Garnifon de foo hommes.
On a dû former , enfuite le blocus de Brieg ,
dont la Garniſon eft de quatre Bataillons . après
quoi le Roy devoit fe rendre fur le bord de la Neif-
Le
FEVRIER. 1741. 379
fe , od S. M. devoit être jointe par le Corps de
troupes que commande le Feldt Maréchal Comte
de Schwerin.
Jufqu'à Parrivée du courier qui a aporté ces
nouvelles , on n'avoit été inftruit que fort imparfaitement
des mouvemens des Troupes Pruffiennes
en Siléfie ; mais on a reçû par ce courier un Journal
exact de ce qui s'eft paffé dans cette, Province ,
depuis que le Roy y eft entré avec fon Armée .
Selon ce Journal , le Roy qui partit de Berlin le
13. du mois dernier , féjourna le 14. & le 15. à
Croffen , afin de donner le tems à l'arriere - Garde
de le joindre. S. M. y regla les differentes routes
que les troupe's devoient tenir , & elle y tint un
Confeil de Guerre avec fes Géneraux , auxquels
elle recommanda furtout de faire obferver aux Soldats
une difcipline très- exacte , & d'empêcher qu'ils
ne donnaflent aux Habitans de la Silefie aucun fujet
de fe plaindre.
Le 16. toute l'Armée entra en Silésie , & le Roy
fe rendit à Schweduitz , où S. M. paſſa la nuit.
On s'avança le 17. jufqu'à Weichow , dont les
habitans aporterent au Roy les clefs des portes de
la Ville . Comme le Pays entre l'Oder & le Bober
eft fort étroit , les Régimens de l'avant- Garde furent
obligés de faire ce jour - là près de dix lieuës ,
afin que Parriere- Garde pût déboucher plus facilement
& s'étendre à droit & à gauche , à mesure que
le terrain s'élargiffoit.
Une partie des troupes continua fa marche le
18. & toute l'Armée arriva le lendemain à Milk₁u ,
ayant beaucoup fouffert par le pluyes continuelles
& par les mauvais chemins . Quoique les Soldats
dans cette marche euffent de l'eau en plufieurs en.
droits jufqu'à la ceinture , aucun d'eux n'eft forti
de fon ring , & n'a laiffé échaper le moindre murmure.
H vj
Les
380 MERCURE DE FRANCE
Les Troupes s'étant reposées le 10. & le 21. le-
Roy marcha le 22. à Herrendorf , & le jour suivant
S. M. s'aprocha du Grand Giogaw , pour reconnoître
cette Place . Sur l'avis que le Roy reçut
qu'il n'y avoit des vivres dans la Ville que pour
peu de tems , S. M. ne jugea pas à propos d'en
entreprendre le Siége , & elle se contenta d'en former
le blocus. Le Roy , après avoir fait inveftir la
Ville , & après avoir donné les ordres néceflaires ,
pour qu'il n'y pût entrer aucun secours , se remit
en marche le 28. & S. M. arriva le même jour à
Glasendorf , d'où elle se rendit le premier de ce
mois devant Breſlaw.
On a pubié à Berlin un Mémoire intitulé : Expofition
des Droits de la Maison Electorale de Brandebourg
sur les Duchés & Principautés de Jagerndorff,
de Lignitz , de Brieg de Wohlau. Il eft
dit dans ce Mémoire que le Margrave Georges de
Brandebourg , qui avoit acheté en 1924. de Louis
Roy de Boheme , le Duché de Jagerndorff , étant
mort en 1543. fon fils unique lui fuccéda dans ce
Duché , ainfi que dans les autres Etats ; que comme
le fils du Margrave Georges n'eut point de defcendans
légitimes , il légua à la Maifon Electorale de
Brandebourg le Duché de Jagerndoff , & les Seigneuries
de Lubschutz , d'Oderberg , de Beuthen
& de Tarnowitz , qu'à la mort de ce Prince l'Electeur
Joachim Fréderic , en conséquence de cette
dispofition , prit poffeffion de ces Seigneuries , &
établit une Régence dans le Duché de Jagerndorff,
qu'en 1607. il donna ce Duché à son second fils
qui reçut l'hommage des habitans & fut reconnu
par eux pour Souverain ; que le jeune Prince s'étant
allié avec le Comte Palatin Fréderic V. & ayant
fait la guerre à l'Empereur Ferdinand II. il fut mis
en 1623. aux Bans de l'Empire , & qu'il mourut ,
l'année
FEVRIER. 38% 1741 .
Pannée suivante , sans avoir été relevé de ce Bar ;
que le Prince Erneft , son fils unique ne pût , malgré
les représentations de plufieurs Princes qui s'intéreffoient
pour lui , rentrer dans la jouiffance des
Etats de son pere , & que par sa mort arrivée en
1642. la Branche de Brandebourg - Jagerndorff fur
éteinte ; que selon les conventions de famille , le
Duché de Jagerndorff devoit retourner à la Maison
Electorale de Brandebourg , & que l'Empereur ,
en qualité de Roy de Boheme , n'avoit aucun droit
de la priver d'un bien qui lui apartenoit incontestablement
, qu'ainfi l'Electeur Fréderic Guillaume
ne manqua pas de faire valoir ses prétentions ,
mais que ce Prince ne se trouvant pas dans la fituation
d'avoir recours aux armes , & la Cour de
Vienne ayant toujours donné des espérances d'un
accommodement , cette affaire n'a été discutée
jusqu'ici que par des Ecrits fournis de part & d'au
tre ; qu'à l'égard.des Duchés de Lignitz , de Brieg
& de Wohlau , Fréderic , Souverain de ces trois
Duchés , fit en 1537. des Actes de Confraternitė
avec Joachim II. Electeur de Brandebourg , & que
les Sujets de ces mêmes Duchés en recornoiffant
la validité de ces Actes , prêterent provifionnellement
serment de fidelité à cet Electeur , qu'il eft
vrai que l'Empereur Ferdinand fit décider par les
Etats du Royaume de Bohême , que le Duc Fréderic
n'avoit pu faire ces Actes , & qu'il le força , ainfi
que ses deux fils , d'y renoncer , mais que la Maison
des Ducs de Ligni z ayant été éteinte en 1675 .
par la mort du Duc Georges - Guillaume , Fréderic-
Guillaume , Electeur de Brandebourg demanda
d'être mis en poffeffion des Duchés de Lignitz , de
Brieg & de Wohlau , & que l'Empereur Léopold ,
n'ayant pû contefter la juftice de ses prétentions ,
employa divers prétextes pour éviter de donner
:
une
382 MERCURE DE FRANCE
une réponse pofitive ; que la Maison Electorale de
Brandebourg a toujours sollicité depuis ce tems la
Cour de Vienne , de lui reftituer ces Souverainetés,
& que les voyes de la Négociation ayant été inutiles
, le Roy de Pruffe s'eſt crû obligé d'employer
la force , pour rentrer dans la poffeffion d'un bien
dont il a herité de ses Ancêtres .
L
BRESLAW.
.
£ 6. du mois paflé , le Roy de Pruffe partit de
cette Ville ; & s'étant avancé à Rothfirben avec
quatre Bataillons , vinge Compagnies de Grenadiers,
les Gendarmes & douze tfcadrons de Dragons , il
détacha le Colonel du Moulin avec un Efcadron
pour aller reconnoître Olaw . S. M. Pr. fe préſenta
le lendemain devant cette Place , & elle fit prendre
pofte à huit Compagnies de Grenadiers dans le Village
de Beaumgarten, qui n'en eft feparé que par une
petite Riviere. Elle entra le 8. dans les Fauxbourgs
d'Olavv , & après y avoir mis en bataille douze
Compagnies de Grenadiers fous les ordres de M.
Kleyit , Major Général , elle fit fommer le Colonel
Formântini , qui commandoit dans la Ville
pour la Reine de Hongrie , d'en fortir avec
la garnifon . Ce Colonel ayant fait réponſe qu'il
étoit déterminé à fe défendre , le Roy de Pruffe fit
les difpofitions néceffaires pour attaquer la Place ;
mais vers les quatre heures du foir le Colonel Formintini
envoya deux Officiers pour demander à
capituler ; & le 9. la Garnifon compolée de 350.
hommes , dont 96. déferterent le même jour , fortit
de la Ville avec les honneurs militaires ,
dition d'aller en droiture dans la Moravie.
•
à con-
Le Roy de Pruffe marcha le 10. à Klein - Oels ,
& le ri. à Grotka , où deux Bataillons , douze
CompaFEVRIER.
385 1741
&
Compagnies de Grenadiers & quelques Escadrons
s'étoient rendus . S. M. Pr . re , ût en cet endroit un
courier , par lequel elle aprit que le Feldt - Maréchal
Comte de Schwerin , qui s'étoit avancé avec
l'aîle droite de l'armée dans les environs d'Otmachow
, afin de fe faifir d'un Pont fur la Neiff ,
ayant rencontré 400. Dragons du Régiment de
Lichtenſtein , avoit donné ordre de les attaquer
mais qu'ils avoient pris le parti de la retraite ,
qu'un détachement de Huffards , qu'il avoit envoyé
à leur pourfuite , en avoit tué deux & bleſſé
quelques uns ; que le Comte de Schwerin avoit
enfuite forcé les portes de la Ville ; & qu'après y
avoir fait entrer trois Bataillons qui s'étoient logés
dans les rues les moins expofées au feu du Château
, où la Garnifon s'étoit retirée , il avoit fait
braquer fix piéces de canon contre la porte du Châ
teau ; que le feu avoit été très - vif de part & d'autre
pendant quelques heures , mais que fur le foir
la Garnifon ayant ceffé de tirer , avoit demandé à
capituler ; & que S. M. Pr étant fi proche de la
Ville , le Comte de Schwerin n'avoit voulu rien
conclure fans fes ordres:
Sur cette nouvelle , le Roy de Pruffe ſe rendit le
12. à Otmachow , & il fit déclarer aux troupes de
Ja Garnifon , qu'il vouloit que les Officiers & les
Soldats fe rendiffent prifonniers de guerre. La Garnifon
fit d'abord quelque difficulté de fe foumettre
à cette condition ; mais enfin elle fe conforma
à la volonté de S. M. Pr. Cette Garnifon confiftoit
en deux Compagnies de Grenadiers du Régiment
de François de Loraine , une de Harrach , une de
Gruhn , & une de Braun .
Sur l'avis que le Comte de Braun , qui commande
en Siléfie pour la Reine de Hongrie , s'étoit avancé
à Neustadt avec un Corps de troupes , le Roy de
Pruffe
384 MERCURE DE FRANCE
Prufle ordonna le 14.du mois dernier au Feldt-Ma
réchal , Comte de Schwerin , de paffer la Neil
avec un détachement confidérable d'Infanterie &
de Cavalerie , pour attaquer ce Lieutenant Feldt-
Maréchal. Le Comte de Schwerin ayant exécuté
les ordres du Roy de Pruffe , fit le lendemain les
difpofitions néceffaires pour bloquer la petite Ville
de Neiff , où le Comte de Braun avoit laiffé le
Colonel de Roth pour la défendre en cas de fiége ,
& le même jour S. M. Pr. après avoir reconnû
les dehors de la Ville , pofta quatre Bataillons &
trois Efcadrons dans les Villages voisins , pour
empêcher la Garnifon d'inquiéter les troupes Pruffiennes
, pendant qu'elles prendroient leurs quartiers.
Le 16. le Roy de Pruffe vifita les principaux poftes
qu'il avoit établis , & dîna chés le Feldt- Maréchal
Comte de Schwerin . Le Cardinal de Sinzendorf
y alla trouver S. M. Pr . qui lui donna une Audience
particuliere .
Le détachement commandé par le Comte de
Schwerin , continua fa marche le 18. & il n'étoit
plus qu'à une lieuë de Neuftadt , lorfque le Comte
de Schwerin aprit que le Comte de Braun s'étoit retité
fous Jagerndorff. Le Roy de Pruffe ayant été
informé de cette nouvelle , S. M Pr. manda au
Comte de Schwerin de poursuivre le Comte de
Braun , & ayant pris en même tems la réfolution
de ne point s'arrêter devant la Ville de Neiff en
l'affiegeant dans les formes , elle y envoya le Colonel
de Borck avec un Trompette pour fommer le
Commandant & la Garnifon de fe rendre , mais
auffi tôt que le Colonel fe fut aproché de la Place,
& que le Trompette eut commencé à apeller , on
fit feu fur eux , & le Trompette ayant fonné encore
une fois, après s'être avancé de quelques pas , il
fortie
FEVRIER: 1741: 385
fortit quelques Cavaliers pour tâcher de l'enveloper
& de le faire prifonnier ce qui obligea le Colonel
de Borck de rapeller le Trompette & de fe retirer.
Un procedé fi contraire aux regles de la guerre
irrita tellement le Roy de Pruffe , qu'il fit établir
fur le champ une batterie de mortiers , pour bonbarder
la Ville . On y jetta le 19. & les deux jours
fuivans une grande quantité de bombes qui ruine
rent la fixième partie de la Ville.
Le Feldt- Maréchal Comte de Schwerin , qui
fuivant les ordres du Roy de Pruffe , avoit marché
vers Jagerndorff , arriva le 23. devant cette Place ,
& ayant apris que le Comte de Braun l'avoit abandonnée
le même jour & s'étoit retiré au Bourg de
Gratz , fur la Riviere de Mora , il détacha le Major
Putkamer avec so . Huffards , pour reconnoître
la fituation des troupes Autrichiennes . Ce Major
trouva en-deçà du Pont- qui eft fur la Mora , un détachement
du Régiment de Dragons de Lichteinstein
, qu'il obligea de paffer la Riviere.
Le 25. le Comte de Schwerin , à la tête de quatre
Compagnies de Grenadiers & de 200 Huffards,s'avança
pour paffer le Pont fur lequel le Comte de
Braun , qui avoit prévû le deffein de ce Géneral ,
avoit pofté des troupes pour défendre le paffage .
Quoique ces troupes fuffent foûtenues par 5. Bataillons
, par le Régiment de Lichtenſtein & par
300 Huffards , qui étoient en bataille derriere le
Pont , le Comte de Schwerin , fans s'embaraffer de
la fupériorité des troupes qu'il avoit en tête , fe
détermina à tenter de paffer. Les troupes Autrichiennes
foûtinrent le premier choc avec valeur ,
mais au fecond elles fe retirerent après avoir mis le
feu au Pont. Le Comte de Schwerin , l'ayant fait
éteindre , paffa le Pont , & les troupes Pruffiennes
s'étant miſes en bataille de l'autre côté , elles attaquerens
336 MERCURE DE FRANCE
querent les troupes Autrichiennes , qui après avoir
effuyé cinq ou fix décharges , mirent le feu aux
Fauxbourgs de Gratz , & fe retirerent en Moravie.
Le même jour , le Roy de Pruffe partit de Neiff
pour retourner à Berlin , & S. M. Pr. a laiffé au
Feldt-Maréchal Comte de Schwerin le Commandement
de fes . troupes , qui ont dû entrer dans leurs
quartiers d'hyver.
ESPAGNE.
N aprend de Madrid du 17. du mois paffé ,
que S. M. C. a accordé au Maréchal de Noailles
la permiffion de fe démettre de la Grandeffe en
faveur du Comte de Noailles , fon fecond Fils .
La Frégate la Notre- Dame du Rofaire, prit le 6 .
du mois dernier à la hauteur des Iles Sorlingues, un
Vaiffeau Anglois qui alloit de Falmouth à Gênes ,
& dont la charge eft eftimée 9. à 10000. Piaſtres.
LE
NAPLES.
Es Lettres de Naples portent , que le 31. De
cembre dernier , Leurs Majeftés allerent voir
travailler les Ouvriers qui fouillent la terre près
de Portici , pour trouver les débris d'un ancien
Temple , qui y a été enterré dans un tremblement;
& qu'on prétend être rempli d'un grand nombre de
Bronzes & de Statuës .
O
ITALIE.
N mande de Rome , que les Commiffaires
nommés pour travailler à la réforme du Luẻ
xe , continuent leurs Conférences , & que deux
d'entre eux vont régulierement une fois là ſemaine
rendre
FEVRIER. 1741. 387
fendre compte au Pape du réfultat de leurs délibé- .
rations.
Les Jéfuites du College Romain , pour donner
des marques particulieres de la joye que leur a caufé
l'Exaltation du Pape , firent chanter fur la fin du
mois dernier un Motet à plufieurs Choeurs de Mufique
dans leur Eglife , laquelle étoit ornée avec une
extrême magnificence , & le Pere Contucci , Profeffeur
de Rhétorique , prononça un Difcours Latin
fort eloquent à la louange de Sa Sainteté .
L'Abbé de Burlote a été nommé par le Pape, Bi
bliothéquaire du Vatican .
PORTUGAL.
Es avis de Lisbonne portent que l'Académie
l'académie
Decembre dernier , en la maniere accoûtumée
POctave de la Fête de la Conception de la Sainte
Vierge , & que les Académiciens entendirent dans
la Chapelle du Palais la Meffe célebrée par l'Archevêque
de Braga , après laquelle ils jurerent des
foutenir l'Immaculée Conception .
Dans la derniere Affemblée qu'a tenu l'Acadé
mie Royale de l'Hiftoire , Don Antoine Gaëtan de
Souza , un des Académiciens , préſenta au Roy le
fixiéme Tôme de l'Hiftoire Généalogique de la
Maifon de Bragance , lequel contient les Vies des
Ducs Théodofe I. Jean I. & Théodoſe II .
ISLE DE CORSE.
Es deux Bandits de Lento ont jufqu'à préfent
a
fécs , pour tâcher de s'aflûrer de leurs perfonnes ;
& ils ont commis encore depuis peu deux nouveaux
affaffinats,
MERCURE DE FRANCE
affaffinats. On foupçonne les Bergers des environs
de leur prêter afile & de leur fournir des vivres .
Ces deux Bandits ont fait demander au Marquis
de Maillebois la permiffion de s'embarquer , mais
ce Général la leur a refufée , parce qu'il veut en
faire un exemple , & il a fait marcher 60 Grenadiers
, & environ 8. Payfans armés , pour tâcher ,
de les furprendre dans quelque embuscade.
Ola
GRANDE-BRETAGN E.
N aprend de Londres , que la Princeffe dont
la Princeffe de Galles eft accouchée depuis
peu , fut baptifée le 4. de ce mois dans l'Apartement
de la Princeffe de Galles , par le Docteur Secker ,
Evêque d'Oxford, & qu'elle fut nommée Elizabeth
Caroline. Elle eut pour Parain le Margrave d'Anspach
, repréſenté par le Lord Baltimore , & pour
Maraines la Reine de Dannemarck & la Ducheffe
de Saxe- Gotha , repréfentées par la Vicomteffe
d'Irwin & par l'Epoufe du Lord Archibal Hamilton.
Le Prince de Galles affifta à cette céremonie ,
ainfi que la Princeffe de Galles , qui étoit dans fon
lit , que les Médecins lui ont confeillé de garder
encore quelque tems.
Le Vaiffeau de guerre le Cheval Marin , commandé
par le Capitaine Limebúrner , a conduit au
Port Royal un Vaiffeau Efpagnol de 18, canons
shargé de fer , qui alloit à la Havanne.
·
· FRANCE
FEVRIER 1741 389
FRANCE.
NOUVELLES DE LA COUR , DE PARIS , &e
E premiet Fevrier , la Reine communia dans la
Chapelle du Chateau de Versailles,par les mains
de l'Abbé de Pon ac ,fon Aumônier en quartier .
Le 2. Fête de la Purification de la Ște Vierge , les
Chevaliers , Commandeurs & Officiers de l'Ordre
du S. Efprit , s'étant affemblés chés le Roy vers les
onze heures du matin , le Marquis de Mirepoixnommé
Chevalier le 2. du mois de Février 1739
& dont les preuves avoient été admifes dans le
Chapitre tenu le 17. du mois de juin fuivant , fur
introduit dans le Cabinet de S. M. & fut reçû Cher
valier de l'Ordre de S. Michel . Le Roy fe rendit
enfuite à la Chapelle , étant précedé du Duc d'Or
léans , du Duc de Chartres , du Comite de Clermont
du Prince de Conty , du Comte d'Eu , &
des Chevaliers , Commandeurs & Officiers des
Ordres . Le Marquis de Mirepoix , en habit de
Novice , marchoit entre les Chevaliers & les
Officiers . Le Roy , devant lequel les deux Hui
fiers de la Chambre portoient leus Maffes ,
étoit en Manteau , le Colier de l'Ordre pardesainfi
que celui de la Toifon d'Or . Le Roy as
fifta à la Bénediction des Cierges , à la Proceffion
& à la grande Meffe , après laquelle le Marquis de
Mirepoix fut reçû Chevalier avec les Céremonies
accoûtumées , ayant pour Parains le Marquis dé
Goesbriant & le Marquis de Farvaques . Le Marquis
de Mirepoix ayant pris fa place , le Roy fortit
de la Chapelle , & S. M. fut reconduite dans fon
Apartement
fus ,
390 MERCURE DE FRANCE
Apartement en la maniere ordinaire. La Reine ;
Monfeigneur le Dauphin & Mefdames de France
entendirent la même Mefle dans la Tribune .
Le même jour le Recteur de l'Univerfité , accom
pagné des Doyens des Facultés & des Procureurs des
Nations , fe rendit à Verſailles , & fuivant l'ancien
ufage il eut l'honneur de préfenter un Cierge au
Roy , à la Reine & à Monfeigneur le Dauphin.
Le même jour le Pere Olive , Vicaire Géneral
des Religieux de la Mercy , accompagné de trois
Religieux de leur Maifon , eut l'honneur de préfenter
un Cierge à la Reine , pour fatisfaire à une
des conditions de leur établiffement , fait à Paris
en 1615. par la Reine Marie de Médicis.
Le 2. Fête de la Purification de la Ste Vierge , le
Roy & la Reine entendirent dans la Chapelle du
Château , la Prédication du Pere Hericourt , Supérieur
des Théatins , & enfuite les Vêpres , qui furent
chantées par la Mufique .
Le même jour, le Roy quitta le deuil que S. M.
avoit pris le 12. du mois dernier pour la mort de
l'Empereur.
Le Comte de Montijo , que le Roy d'Espagne a
nommé fon Ambaſſadeur Extraordinaire & Plénipotentiaire
à la Diette qui doit fe tenir à Francfort
pour l'Election d'un Empereur , & qui a paffé en
France pour s'y rendre , eut le 31. du mois dernier
une Audience particuliere du Roy. Il eut enfuite
Audience de la Reine,de Monfeigneur le Dauphin &
de Mesdames , & il fut conduit à toutes ces Audiences
par M. de Verneuil, Introducteur des Ambaffadeurs.
Le
FEVRIER 398 1741 ,
Le 11.de ce mois , le Roy & la Reine entendirent
dans la Chapelle du Château la Mefle de Requiem ,
pendant laquelle le De profundis fut chanté par la
Mufique , pour l'Anniverfaire de Madame la Dauphine
, Mere du Roy.
Le 15. Mercredi des Cendres , le Roy reçût les
Cendres des mains du Cardinal de Rohan , Grand
Aumônier de France , & la Reine les reçut des mains
de l'Archevêque de Rouen , fon Premier Aumônier.
Le 18. le Roy & la Reine entendirent dans la
même Chapelle , la Meffe de Requiem , pendant la
quelle le De profundis fut chanté par la Mufique
pour l'Anniverfaire de Monfeigneur le Dauphin ,
Pere du Roy.
Le 19. premier Dimarche de Carême , Leurs
Majeftés entendirent dans la mêmeChapelle ,la Mef .
fe chantée par la Mufique . L'après midi , Elles asfifterent
, accompagnées de Madame , à la Prédica
rion du Pere Hericourt.
Le 22. le Roy & la Reine entendirent le Sermon
du même Prédicateur.
Le 21. M. Crefcenzi , Archevêque de Nazianse
& Nonce ordinaire du Pape , eut une Audience par
ticuliere du Roy , & il y fut conduit par M. de
Verneuil , Introducteur des Ambafladeurs.
Le 2. Fevrier , Fête de la Purification , on chanta
au Concert Spirituel du Château des Tuilleries la
Motet Nifi quia Dominus , de M. de la Lande , lequel
fut fuivi d'un Concerto , executé par le fieur
Canevas ; on donna enfuite un autre Motet à grand
Choeur, mis en Mufique par le fieur Spourni , Compoliteur
- Italien . Le Concert fut terminé par le Dixit
Dominus , autre Motet de M. de la Lande , lequel
fur précedé par differentes Picces deSymphonie, trèsbien
executées .
592 MERCURE DE FRANCE
Le 3. Le Lieutenant Géneral de Police fit l'ou
verture de la Foire S Germain avec les céremonies
accoûtumées . Ce Magiftrat avoit déja rendu fon
Ordonnance le 16. du mois précedent , concernant
ce qui doit y être observé par les Marchands qui y
font établis , & qui renouvelle les défenſes des Jeux
de hazard.
Le premier du mois dernier , il y eut une trèsbelleSymponie
de M. Lully , au dîner de S. M.
executée par les Vingt- quatre de la Chambre duRoy.
Le 2. il y eut Concert chés la Reine , M. Rebel ,
Sur- Intendant de la Mufique du Roy, en furvivance
de M. Deftouches , fit chanter l'Opera de Thesée ,
dont les principaux Rôles furent remplis par les Diles
Daigremont , Romainville , Deschamps , Mathieu
& Duhamel, & par les fieurs Godoneche, d'Angerville
, Dubourg & Tribou. Le même Opéra fut
continué le 7. & le 9 du même mois.
Le 14. le 16, & le 21. la Reine entendit la Pastorale
Héroïque d'Iffé , de la compofition de M.
Deftouches , dont les principaux Rôles furent chantés
par les mêmes Acteurs du Concert précedent ,
par la Dile Huguenot , & par les fieurs Benoît ,
Jeliot & Poirier.
Le 23. le 28. & le 30. on concerta l'Opéra de
Tancrede , du célebre Campra , dont les Roles furent
remplis par les mêmes Acteurs , & par le fieur
le Cler.
Le 4. & le 6. Février on chanta devant la Reine
l'Opéra de Tarfis & Zelie , de Mrs Rebel & Francoeur
; les mêmes Acteurs y chanterent les princi
paux Rôles:
Le 11.le 13. & le 18. on concerta l'Opéra d'Omphate
, de M. Deftouches , dont l'execution fit beaucoup
de plaifir les Rôles furent chantés par les
mêmes Sujets . Le
FEVRIER: 1741 393
Le 20. & le 25. la Reine entendit le Ballet de la
Paix , les mêmes Acteurs ayant chanté les principaux
Rôles avec la Dlle Abec & le fieur Poirier.
Le 7. Février , les Comédiens François repréfen
terent à la Cour la Comédie du CurieuxImpertinent,
& les Trois Coufines.
Le 9. la Tragédie de Phédre & Hypolite , & la
Comteffe d'Escarbagnas.
Le 14. l'Ecole des Femmes & la Sérenade.
Le 16. Andromaque & le Florentin.
Le 21. l'Eécole des Maris & le Galand Jardinier.
Le 23. la Tragédie d'Iphigénie , fans petite Piéce ,
Le 28. Les Menechmes & le Retour imprévu.
Le 22. du même mois , les Comédiens Italiens
repréſenterent auffi à la Cour la Comédie du Rival
Favorable , & la petite Piéce de l'Epreuve.
Le Chevalier Servandoni , dont les talens font fi
connus pour la Peinture , l'Architecture & fur tout
pour la Perſpective & les Décorations , travaille actuellement
fur le Théatre du Château des Tuilleries
à un nouveau Spectacle , dont le fujet eft tiré de
l'Odiffée d'Homere ; on y verra les diverfes avantures
d'Uliffe , depuis fon départ du Siege de Troye
jufqu'à l'ifle d'Itaque ; on fera l'ouverture de ce
Spectacle le 19. du mois prochain; nous renvoyons à
ce tems- là pour en donner un détail circonftancié .
PROMOTION de Maréchaux de France:
E 11. Eévrier 1741.le Roy fit une Promotion
de fept Maréchaux de France ; fçavoir :
Louis de Brancas , des Comtes de Forcalquier ,
Marquis de Cerefte , Comte de Roubion , Baron du
Cattelet de Villars , Seigneur de S. Dizier de Ve
I nafque
94 MERCURE DE FRANCE
nafque , de Vitrolles , de Montjuſtin , de Juvily, &c.
Grand d'Efpagne de la premiere Claffe , Chevalier
des Ordres du Roy, & de l'Ordre de la Toifon d'Or,
Confeiller d'Etat d'Epée , Lieutenant General des
Armées de S. M. & au Gouvernement de Provence,
Gouverneur des Ville et Château de Nantes , er
Comté Nantois , et Commandant en Chef dans la
Province de Bretagne.
Il est né le 19. Janvier 1672. Il entra en 1689 .
dans les Moufquetaires , fit la Campagne de 690 .
auprès du Dauphin en Allemagne , fuivit le Roy au
Siege de Mons en 1691. entra dans la Marine en
1692. y fervit pendant 7. ans fur les Vaiffeaux , ou
fur les Galeres , tant en qualité d'Enfeigne que de
Lieutenant , et fervit avec les Troupes de débarquement
aux Siéges de Rofis , de Palamos , et de Barcelone,
ep 1694. 1695. et 1697. Depuis il quitta le
fervice maritime pour entrer dans celui de terre ,
et fut fait Colonel du Régiment d'Orléans Infanterie
le 15. Juillet 1699. Il entra en 1702. dans Keiferwert
avant le Siége , pendant lequel il fut bleffé;
il y commanda une fortie avec tant de fuccès, qu'il
fut déclaré Brigadier le 4. Juin, par une Promotion
particulière , et en reçût le Brévet avant la reddition
de la Place , où il en fit les fonctions . Il acheva cette
Campagne en Flandres fous le Duc de Bourgogee,
fit celle de 1703. fous le Maréchal de Villeroy
dans le même Pays , d'où il alla joindre avec un dé,
tachement le Maréchal de Tallard devant Landau.
Il paffa enfuite en Espagne , et fuivit le Roy Catholique
à la Campagne de Portugal, fut fait Maréchal
de Camp le 26. Octobre 1704. et fut détaché en
1705. avec un Corps de Troupes pour le Siége de Gibraltar
, en 1706. pour celui de Barcelone , et en
1707. pour aller joindre l'Armée Espagnole fur les
Frontieres de Portugal , où il fut chargé de la conduite
FEVRIER. 1741. 39.5
"
uite du Siége de Ciudad - Rodrigo , qui fut emporté
d'affaut. Il fut nommé à la fin de la même année
Envoyé Extarordinaire du Roy à Madrid , et
fait Commandeur de l'Ordre Militaire de S. Louis ,
avec 3000. livres de penfion le 9.Mai 1709. et Lieuzenant
General des Armées du Roy le 29. Márs
1710. Il fervit en cette qualité la même année dans
1'Armée de Rouffillon , qu'il commanda en l'abſence
du Duc de Noailles . Il fut fait le 12 Février 1711.
Gouverneur de Gironne , dont il foûtint le blocus
en 1712. durant 8 , mois et f . jours . Le Roy d'Es-
-pagne , pour récompenfer fes fervices , le nomma
au mois de Février 1713. Chevalier de l'Ordre
de la Toifon d'Or , dont il reçut le Colier
à Madrid le 26. Novembre fuivant. Il fut nommé
en 1714. Ambaffadeur Extraordinaire en Eſpagne ,
et fut fait au mois de Septembre 1715. Confeiller
au Confeil du dedans du Royaume , et chargé
alors de la Direction génerale des Haras de France,
qui lui fut confervée après la fupreffion des Confeils.
Il obtint le 3.Mai 1718.la Lieutenance Génerale de
Provence ,avec un Brévet de retenuë de 200000 liv.
Aur cette Charge , et le 3. Avril 1719. il fut déclaré
: Confeiller d'Etat Ordinaire d'Epée . Il tint les Etats
-de Provence en 1720. et fut envoyé en cette Pro-
- vince en 1721. pour apaifer les troubles que la contagion
y avoit caufés . Il fut reçû Chevalier des Or
dres du Roy le 3. Juin 1724. et fut nommé pour la
-feconde fois le 2. Novembre 1727. Ambaffadeur Extraordinaire
et Plénipotentiaire en Espagne , où il
⚫ arriva au mois de Juin 1728. Le Gouvernement du
: neuf Brifac lui fut donné au mois de Janvier 1729 .
et le Roy d'Eſpagne lui accorda le 15. Fév . 1730. la
Grandeffe de la prem.Claffe,dont il prit poffeffion le
14. Mai fuivant. Il eut fon audience de congé le 10 .
Septembre de la même année , et repaffa enfuite en
:
C
I ij
France.
396 MERCURE DE FRANCE
France. Le Gouvernement de Nantes lui fut donné
le 27. Mars 1738. et il fut déclaré en même- tems
Commandant en chef en Bretagne.
Louis -Augufte Albert d'Ally , Duc de Chaunes ;
Pair de France , Vidame d'Amiens , Chevalier des
Ordres du Roy, Lieutenant Géneral de fes Armées ,
ci-devant commandant la Compagnie des Chevau-
Legers de fa Garde. , Gouverneur de la Ville
et Citadelle d'Amiens , et de la Ville de Corbie. Il
eft né le 22. Décembre 1676. et il a commencé à
fervir en 1693. Il fut fait au mois d'Octobre 1695.
Colonel d'un Régiment d'Infanterie de nouvelle le
vée, qui fut réformé en 1697. après la Paix de Riswick.
Il eut au mois de Juillet 1701. le Régiment
de Dragons, vacant par la mort du Chevalier d'Albert
, fon frere , et au mois de Février 1702. il fut
fait Sous-Lieutenant de la Compagnie des Chevau
Legers de la Garde , dont il fut nommé Capitaine-
Lieutenant le 17. Septembre 1704. à la place du feu
Duc de Montfort , fon frere aîné. Il avoit été créé
Brigadier le 10. Février précedent. Il fervit à la
Bataille de Ramillies le 23. Mai 1706. fut fait Maréchal
de Camp le 20. Juin 1708. et fervit en cette
`qualité au Combat d'Oudenarde, au mois de Juiller
fuivant , et à la Bataille de Malplaquet , le 1 1. Sepsembre
1709. La Terre de Chaunes ayant été érige
de nouveau en fa faveur en Duché- Pairie , par
Lettres du mois d'Octobre 1711. il en prit alors le
titre , ayant porté jufques -là celui de Vidame d'Amiens
, et il prit féance au Parlement de Paris en
qualité de Pair de France le premier Décembre fuivant.
Il fut fait Lieutenant General des Armées du
Roy le 8. Mars 1718. et Chevalier de fes Ordres le
3. Juin 1724. Il eut au mois d'Avril 1729. le Gou
vernement d'Amiens et de Corbie. Il fut nommé au
mois d'Avril 1734. pour être employé dans l'Armée
d'Allemagne
FEVRIER: 1741. 397
'Allemagne en qualité de Lieutenant Géneral ,
dont il fit la fonction au Siége de Philisbourg , et il
fit encore la Campagne de 1735. dans la même
Armée.
~ Louis Armand de Bricbanteau , Marquis de
Nangis & du Châtel , Seigneur de Brichanteau
Chevalier des Ordres du Roy , Lieutenant Géneral
de ses Armées , Directeur Géneral de l'Infanterie
Françoise , Gouverneur de Salées , en Rouſſillon ,
Chevalier d'honneur de la Reine , né le 27. Septembre
1682. Il fut fait à l'âge de huit ans par
Commiflion du 3. Jeptembre 1690. Colonel du
Régiment Royal la Marine , à la place de feu son
Pere mort le 22. Août précedent , d'une bleffure à
la tête à l'attaque d'un Village retranché en Allemagne.
Il eut le 15. Janvier 1700. le Régiment
de Bourbonnois , à la tête duquel il se trouva à
l'attaque du Pont d'Huningue le 30. Septembre
1702. & à la Bataille de Fridlingue le 14. Octobre
suivant. En 1703. il servit au Siége du Fort de
Kell , qui fut pris le 11. Mars ; à la prise de plafieurs
autres Forts ; au Combat d'Ochftet le 20.
Septembre , & au Siége d'Augsbourg en 1704. Il
paffa avec son Régiment en Baviere , & se trouva
à la Canonade de Stoka , & à la Bataille d'Hochftet
le 13. Août. Il fut ensuite du Détachement qui
fut commandé pour aller se saifir de Wiffembourg ,
& reçut deux contufions en chaffant les Ennemis
d'un pofte qu'ils occupoient. Il fut nommé Brigadier
le 26. Octobre de la même année . Au mois
d'Avril 1705. il paffa avec son Régiment dans
l'Armée sur la Moselle , commandée par le Maréchal
de Villars , & suivit la partie de l'Armée qui
passa le Rhin. En 1706. il servit sous le même Gér
neral , & ensuite sous le Comte du Bourg. En
1707. il se trouva à l'attaque des Retranchemens de
I iij Lorch,
398 MERCURE DE FRANCE
Lorch , où le Géneral Janus fut forcé par le Mas
réchal de Villars , qu'il suivit comme Volontaire à
ła déroute du Camp de Gemind. Il se jetta le 6.
Août dans Dourlach , où il tint ferme pendant 18.
jours , ayant donné le tems au Maréchal de Villars
d'y ariver. Il fut fait Maréchal de Camp le 18 Juin
1708. Il se trouva le 11. Juillet au Combat d'Oudenarde
, & fut chargé de l'arriere - Garde à la re◄
traite avec foo. Grenadiers , avec lesquels il soutint
le lendemain matin une attaque de l'avant-
Garde de l'Armée ennemie , & donna le tems au
refte de l'Armée avec so. pieces de Canon de passer
un Défilé. En 1709. il enleva le 24. Juillet 200
Hommes poftés dans l'Abbaye d'Hannon sur la
Scarpe , & combattit le 11. Septembre à la Bataille
de Malplaquet , où il emporta plufieurs Drapeaux ,
qu'il fut chargé de porter au Roy avec le détail de
Paction. Le 2. Juin 1710. il s'empara avec le Comte
de Broglio du Moulin & de la Redoute de Biache
sur la Scarpe , & le 26. Janvier 1711. il fut
fait Colonel-Lieutenant du Régiment du Roy , Infanterie.
En 1712. il se trouva le 24. Juillet à l'Affaire
de Denain , et fut ensuite employé aux Siéges
de Douai , du Quesnoy , et de Bouchain. En 1713-
il servit à celui de Landau , et affifta comme Volontaire
à celui de Fribourg , où le Comte de Broglio
et lui emporterent l'épée à la main la lunette
de la tête du chemin couvert de la Place . Ce fut lui
qui commanda en 1715. le Camp qui fut formé à
Marli. Il fut fait Lieutenant General des Armées
du Roy le 8 Mars 1718. & Gouverneur de Salces le
Decembre 1719. Il se démit alors du Régiment
du Roy. Il fut nommé Directeur Géneral de l'Infanterie
le 1. Mars 1721. & Chevalier d'honneur de l'In
fante d'Espagne en France le 2 Février 1724. puis de
la Reine le jo Mai 1725. Le Roy l'ayant proposé le
2.
FEVRIER 1741 399
2. Février 1728. pour être Chevalier de l'Ordre du
5. Esprit , il en reçut la Croix & le Colier le 16.
Mai suivant. Il fut nommé au mois d'Avril 1734-
pour être employé dans l'Armée d'Allemagne , ou
il servit au Siége de Philisbourg. Il fit encore en
Allemagne la Campagne de 1735. sur la fin de laquelle
il fut chargé le 20. Octobre d'attaquer avec
un Détachement de Grenadiers & la Compagnie
de Kleinholt le Village de Ruinich , dont il se rendit
maître , ainfi que du Pont, sur la Salm , près de
ce Village.
Louis de Gand-Villain de Merode & de Montmorency
, Prince d'Isenghien & de Masmimes ,
Comte du S. Empire , de Middelbourg , de Merode
, d'Ougnies , & de Viandon , Vicomte des Villes
& Châtellenie d'Ipres , de Wahagnies , & de
Lodreghem , libre Baron de Frentz , de Raffenghion
, de Croifilles , de Gajon , & de Warmeton ,
Seigneur des Villes de Launoy , de Waeten , Chatleroy
, &c . Chevalier des Ordres du Roy , Lieutenant
General de ses Armées , Lieutenant Géneral ,
& Commandant au Gouvernement de la Province
d'Artois , & Gouverneur de la Ville Cité d'Ar
ras , né à Lille le 16. Juillet 1678. Il fut fait Colonel
d'un Régiment d'Infanterie en 1697. & Brigadier
le 2. Avril 1703. servant alors en Allemagne ,
où il se trouva le 20. Septembre suivant au Combat
d'Hochftet. Il fut nommé Maréchal de Camp
le 20. Mars 1709. & deſigné en même tems pour
ête employé en cette qualité dans l'Armée de Flan
dres , où il continua de servir jusqu'à la Paix d'Utrecht
, s'étant trouvé entr'autres occafions à la ren.
contre près d'Arleux , & à la reprise du Fort de ce
Lieu , les 12. & 23. Juillet 1711. à l'Affaire de Denain
le 24. Juillet 1712. & ensuite au Siége de
Douay. Il fut nommé le 8. Mars 1718. Lieutenant
I iiij
Ge400
MERCURE DE FRANCE
General des Armées du Roy , & proposé le 2. Fé
vrier 1724. pour être Chevalier des Ordres de S.
M. dont il reçut la Croix & le Colier le . 3. Juin
suivant. Il obtint au mois d'Août suivant la Lieutenance
Génerale d'Artois , & au mois de Septembre
1725. le Gouvernement d'Arras. Il fut nommé
au mois d'Avril 1734. pour servir en qualité de
Lieutenant Géneral dans l'Armée d'Allemagne. Il
se trouva au Siége de Philisbourg , & il fit encore
Ja Campagne de 173. dans le même Pays.
Jean- Baptifte de Durfort , Duc de Duras , Marquis
de Blanquefort , Baron de Pujols , de Landrouet
, et de Cipreffac , Seigneur de Chitain ,
d'Urbize , de Cambert , &c. Chevalier des Ordres
du Roy , Lieutenant Géneral de ses Armées , Gou
verneur du Château- Trompette à Bordeaux , et
Commandant en Chef au Gouvernement du Comté
de Bourgogne , et ci - devant de la Haute et Baffe
Guyenne. Il est né le 28 Janvier 1684. Ilfut fait en
1697 Mestre de Camp d'un Régiment de Cavalerie,
à la tête duquel il courut risque de la vie à la Journée
de Nimegue le 10. Juin 1702. en prenant un Etendart
aux Ennemis. Il fut fait Brigadier le 10. Février
1704. et défit le 3. Juillet - suivant un Parti
de 400. Hommes sortis de Montmeliand . Il fut
nommé Maréchal de Camp le 30. Mars 1710. fervit
en 1719. aux Siéges de Fontarabie et de S. Sebaftien
, et fut fait Lieutenant General des Armées
du Roy le 31. Mars 1720. et reçû Chevalier de ses
Ordres le 13. May 1731. Il a été employé dans la
derniere Guerre dans l'Armée d'Allemagne , où il
a servi au siége du Fort de Kell au mois d'Octobre
1733. et ensuite au Siége de Philisbourg en 1734
Il fut bleffé à ce dernier le 12 Juin par un piquet d'un
gabion qui fut renversé par le boulet d'un Canon
dont le Maréchal Duc de Bervick fut tué. Il eut
au
FEVRIER. 401
1741 .
au mois d'Août suivant le Gouvernement du Château-
Trompette , et la même année le Commandement
en Chef du Comté de Bourgogne lui fut
accordé. L'anné suivante , il fit encore la Campagne
dans le même Pays .
Jean- Baptifte-François Defmaretz , Marquis de
Maillebois , de Bleny & de Rouvray , Baron , Gouverneur
, & Grand Bailly de Chasteauneuf en Timerais
, Chevalier des Ordres du Roy , Lieutenant
Général de fes Armées , & au Gouvernement de la
Province de Languedoc , Gouverneur de la Ville
de Douay , & Maître de la Garde- Robe de S. M.
lleft né en 1682. Il fut fait Colonel du Régiment de
Touraine en 1703. & s'étant diftingué dans une
fortie au Siége de Lille en Flandres le 11. Septembre
1708. il fut élevé au Grade de Briga.
dier le 19. du même mois. Il fut fait Maître de la
Garde- Robe du Roy en 1712. Lieutenant Général
en Languedoc par la démiſſion du Marquis d'Alegre,
fon beau- pere , en 1713. gratifié d'un Brevet
de retenue de 400000. liv. fur fa Charge de Maitre
de la Garde- Robe au mois d'Avril 1717. fair
Maréchal de Camp le 8. Mars 1718. Gouverneur
de S. Omer le 13. Octobre 1723. nommé Cheva
lier des Ordres du Roy à la Promotion du 2. Février
1724. & reçû le 3. Juin fuivant ; & fait Lieu
tenant Général des Armées de S. M. le 23. Décembre
1731. Il fut nommé au mois d'Octobre
1733 pour être employé en cette qualité dans
P'Armée qui paffa en Italie. Ce fut lui qui inveftir
le 11. Novembre fuivant la Place de Gerra d'Adda,
au Siége de laquelle il fervit . Il prit le s . Janvier
1734. le Château de Sarra- Valle , dont il fir la
Garnifon prifonniere de guerre. Il fut enfuite chargé
de faire le Siége de la Ville & du Château de Tortonne.
Il ferendit maître de laVille le 28. Janvier, &
da
402 MERCURE DE FRANCE
du Château le 5. Février. Il fecourut le 25. Mai le
Château de Colorno , & mit en déroute le détachement
des Impériaux qui étoit venu l'attaquer.
Il favorifa le premier Juin la retraite de la Garniſon
de ce Château , que les Impériaux vinrent attaquer
'une feconde fois . Le 4. du même mois ; il marcha
au même Château de Colorno , qu'il obligea les
Impériaux d'abandonner le s . Il fe trouva le 29.
du même mois à la Bataille de Parme. Le 19. Juillet
, il fut détaché pour aller occuper la Ville & Citadelle
de Modene. Le Gouvernement de la Ville
de Douay lui fut accordé au mois d'Août ſuivant . "
Le 16. Septembre , il commanda l'arriere- Garde de
l'Armée Françoife & Piémontoiſe dans la marche
qu'elle fit à Guaftalla en préfence de l'Armée ennemie.
Il fe trouva le 19. du même mois à la Bataille
de Guastalla , où il foutint avec le Corps de
troupes qu'il commandeit , le dernier effort des
Impériaux , qu'il renverfa & obligea à prendre la
fuite. Le 30. fuivant , il fut détaché pour aller faire
le Siége de la Mirandole. Il arriva devant cette
Place le 4. O&tobre , & s'établit , dès le troifiéme
jour du Siége, fur le chemin couvert . Il avoit même
tout difpofé pour la defcente du Foffé , ayant trouvé
la bréche affés avancée ; mais fur l'avis qu'il eût
le 12. Octobre de l'aproche des Impériaux , qui
venoient pour l'attaquer , il jugeà à propos de le- ¹
ver le Siége , n'étant pas affés fort pour les attendre
, & il fe retira avec fes Troupes à Modene en
1735. Il fervit encore en Italie : il fe rendit maître
du Château de Reggiolo le 3.1 . Mai , avec le Corps
de réferve qu'il commandoit , & obligea la Garni-"
fon de fe rendre à difcrétion . Le 6. Juin , il marcha
à la tête des Grenadiers des Troupes Françoifes &
Efpagnoles , s'empara de plufieurs Caffines , et entra
le 7. dans Revoré , que les Impériaux aban - 2
donnerent
FEVRIER. 1741 403
Monnerent à l'aproche de l'Armée qui marchoitpour
l'attaquer. Il continua de commander un Corps de
réſerve le reste de la Campagne , qui finit au mois
de Novembre par la publication de la ceffation des
hoftilités entre les deux Armées . A fon retour en
France , il fut nommé au mois de Novembre 1736,
Commandant en Chef en Dauphiné , d'où il ſe rendit
à Paris au mois de Janvier 1739. pour aller
prendre le Commandement des troupes du Roy
dans l'Isle de Corfe , auquel il venoit d'être nonmé.
11 prit congé de S. M. à Versailles le 21. Fé
vrier fuivant , et étant parti peu de jours après pour
aller s'embarquer à Toulon , il aborda dans l'Isle
de Corfe le 11. Mars. Il y commande encore actuellement
depuis ce tems- là .
Louis Charles Augufte Fouquet de Belleisle, Com
te de Gifors , d'Andely , Vernon , & Lilous , Chevalier
des Ordres du Roy , Lieutenant General de
fes Armées , Gouverneur & Lieutenant Général de
la Ville & Citadelle de Metz , & du Pays Meffin ,
défigné Ambaffadeur Extraordinaire, & Plenipotentiaire
pour le Roy à la prochaine Diéte de l'Empire
pour l'Election d'un Empereur. Il eft né à Villefranche
en Rouergue , le 22. Septembre 1684. It fus
fait en 1705. Mestre de Camp d'un Régiment de
Dragons , à la tête duquel il combattit à l'attaque
des Lignes deTurin le 7.Septembre 1766. Brigadier
le 12. Novembre 1708. Meftre de Camp General
des Dragons , le 5. Juillet 1709. Maréchal de Camp
le 8. Mars 1718. & Gouverneur de Huningue le
1. Mars 1719. Il fervit la même année au Siégé
de Fontarabie , qui fut pris le 16. Juin . Depuis it
eût leCommandement enChef des 3. Evêchés, Metz
Toul , & Verdun , fut fait Lieutenant Géneral des
Armées du Roy , le 23. Decembre 1731. & prêt
ferment de fidélité le 17. Mars 1733. pour le Gow
vernement
404 MERCURE DE FRANCE
vernement de la Ville , & Citadelle de Metz , &
du Pays Meffin , qu'il venoit d'obtenir. La Guerre
ayant été déclarée à l'Empereur la même année , il
fut chargé d'occuper avec les Troupes du Roy la
Ville de Nancy en Lorraine , ce qu'il exécuta le 13.
Octobre. L'Hyver fuivant il eut le Commandement
des 3. Evêchés pendant la Campagne de 1734. L
eat au commencement fous les ordres un Corps
de troupes , avec lequel il s'empara de Tréves le
8. Avril, Enfuite il fit le Siége du Château de Traër
back , qu'il prit le 2. Mai en 8. jours de tranchée
ouverte. Il y fut bleffé legerement d'un éclat de
Paliffade . Après ces expéditions , il alla avec fon
Corps de troupes rejoindre l'Armée pour le trouver
au Siége de Philisbourg . Il fut chargé de l'attaque
du Fort du Pont de cette Place , que les
Affiegés abandonnerent le 3. Juin , après 3. jours de
Tranchée ouverte. Depuis la prife de Philisbourg ,
il eut le refte de la Campagne un Corps de troupes
fous les ordres , & pendant l'Hyver ſuivant , il
commanda encore dans les . Evêchés & ſur les
Frontieresde Champagne,la Mozelle,la Sarre, et l'Electorat
de Tréves, y compris le Honfrcuk. Le Roy
l'avoit propofé le 13. Juin 1734. pour être admis
au nombre des Chevaliers de l'Ordre du S. Efprit.
S'étant rendu à la Cour , il en reçut la Croix et le
Colier , le 1. Janvier 1735. Il continua de fervir
en Allemagne , où il eut le Commandement d'un
Corps de Reſerve pendant toute la Campagne de
1735. Il fe démit volontairement au mois de Juin
1736. de la Charge de Meftre de Camp Général
des Dragons.
RE
FEVRIER: 1741 40 %
RECEPTIONde M. le Comte Jablono
wski dans l'Ordre de la Toifon d'or.
LE
E Roy d'Espagne ayant fait l'honneur au Com
te Jablonowski de le nommer pour être reçu
Chevalier dans l'Ordre de la Toifon d'or , S. M.
Catholique envoya à M. le Marquis de Baufremont
, Chevalier du même Ordre ,des Lettres Patentes
& fes Pouvoirs , fignés de fa main , pour
faire en fon Nom la Cérémonie de fa Reception .
Elle devoit d'abord le faire à Lunéville à la Cour
du Roy de Pologne , Duc de Lorraine , lequel
fit l'honneur à M. le Duc de Sully Chevalier de
cet Ordre de lui écrire une lettre de fa main , pour
l'inviter de venir à la Cour & de fervir de Parrain
au Comte Jablonowski , qui eft le fils de Dame
Jeanne Marie de Béthune , & de Jean , Comte
Jablonowski , Grand Enfeigne de la Couronne de
Pologne , Palatin de Volhinie &c . Le Comte Jablonowski
en écrivit auffi très obligeamment à M.
le Duc de Sully , Chef de la Maifon de Béthune
en France. Mais le débordement des Eaux qui a
rendu les chemins très difficiles , ayant retardé
de plus d'un mois l'arrivée du Colier , le Comte
J. étant d'ailleurs preffé de finir cette Cérémonie
pour fe rendre en Pologne , il vint exprès à Verfailles
pour faire fa cour au Roy & à la Reine , &
enfuite fe faire recevoir.
* Fille de François Gafton Marquis de Bethune,Am
baffadeur de France en Pologne en Suede , de
Dame Marie Louife de la Grange - d'Arquien , Soeur
de Marie Cafimire de la Grange , Reine de Polognes
Ma
10 MERCURE DE FRANCE
M. le Marquis de Baufremont de fon côté alla
demander la permiffion au Roy , & pria S. M. de
fixer le jour & le Lieu de la Cérémonie. Le Roy
répondit avec fa bonté ordinaire , qu'il lui laiffoit la
difpofition de l'un & de l'autre . Il alla enfuite rendre
fes refpects à Monfeigneur le Dauphin , puis
prier M. le Duc d'Orléans de lui faire l'honneur
de vouloit bien diner chés lui , après la Convocation
qui lui feroit faite de fe trouver à la Reception
du Comte Jablonowski . Il fit la même chofe
à l'égard du Duc de Penthiévre .
Le jour ayant été fixé au 18. Janvier , M.. Hu
lin , comme faifant les fonctions de Sécretaire de
S. M. Catholique , envoya aux Princes , Ducs ,
Maréchaux de France , & autres Perfonnes de difrinction
de cet Ordre , des Billets de Convocation,
pour le trouver à la Cérémonie . M. le Marquis
& Madame la Marquife de Baufremont allerent en
perfonnes prier ceux qui devoient affifter à la Cérémonie
, de leur faire l'honneur de dîner enfuite
chés eux.
La Cérémonie commença à l'Hôtel du Marquis
de Baufremont fur les onze heures du matin . Tout
cet Hôtel étoit orné avec la derniere magnificence.
Au fond de la grande Chambre , deftinée pour la
Cérémonie , il y avoit un Dais de Velour cramoifi
galonné dor , & fous le Dais une Estrade
d'une marche couverte d'un grand Tapis de
Turquie , ainfi que toute la Chambre. Sur cette
Estrade étoit un riche Fauteuil pour le Seigneur '
repréfentant S .. M. Catholique , & au deffus , à
une certaine diftance , on. voyoit un beau Portrait
du Roy Philippe V. Chef de l'Ordre de la Toifon
d'Or. A côté du Fauteuil , & fous le même
Dais , étoit une Table couverte d'an Tapis de
Velours Cramoifi avec un bord & un grand galon
FEVRIER: 1741. 407
lon dor , fur laquelle Table étoit un Crucifix &
le Livre des S S. Evangiles.
Sur la même Estrade & devant le Fauteuil , étoit
un Carreau de Velours Cramoifi avec un galon
d'or , fur lequel devoit être à genoux le Cheva
Hier qu'on devoit recevoir . Au bas de l'Estrade .
des deux côtés , fur les mêmes Tapis , on avoit
placé de très belles Banquettes pour affeoir les
Chevaliers fuivant leur rang d'ancienneté . Au bout
de la Salle & vis à vis le Dais , étoit une autre
Banquette pour le Sécretaire dont on a parlé , &
il n'y avoit aucun autre Siege .
Tous les Chevaliers revêtus du Colier de
P'Ordre , s'étant affemblés dans un grand Cabi
net à côté , ils se mirent en marche felon leur rang
de Reception , ayant à leur tête le Chevalier
porteur de la Procuration de S. M. Catholique.
Quand on fut entré dans la Salle , ou devoir
fe tenir, le Chapitre , après que toutes les portes
eurent été fermées , le Sécretaire lût la Procura
tion du Roy d'Efpagne , donnée en faveur du
Marquis de Baufremont , lequel , étant monté à
l'Estrade s'iffit dans le Fauteuil , & tous les Chevaliers
s'affirent en même temps , & le couvri
rent. Le Sécretaire refta fur la Banquette du fond
fans fe couvrir.
Après quelques momens de conference fur les
affines de l'Ordre › Le Marquis de Baufremont
repréfentant le Roy d'Efpagne , dit au Sécretaire'
d'aller demander au Comte Jablonowski , qui étoit'
à la porte de la Salle en dehors ce qui suic
Le Roy d'Espagne , comme Souverain de l'Ordre de
la Toifon d'Or , a eu la bonté de nommer votre Excellence
Chevalier de cet Ordre , elle a donné Commiffion
à M. le Marquis de Baufremont , pour ( en
fon Royal Nom ) donner la Toifon d'Or a V. E.*
Elle
468 MERCURE DE FRANCE
Elle m'ordonne de fçavoir fo elle accepte la Nomià
nation , fi elle je tient pour très honorée de recevoir
cet Ordre. Le Comte Jablonowski répondit
que cette grace étoit pour lui d'un grand prix
& qu'il l'acceptoit avec beaucoup de véneration.
Le Sécretaire vint rendre cette réponse en faisant
les reverences ufitées , & il lui fut auffi- tôt or
donné de faire entier le Comte Jablonowski , en
Paccompagnant jufqu'à l'entrée de la Salle du Chapitre
, où le Duc de Sully Parrain alla le prendre,
fe mettant à fa droite . Arrivés vers le milieu de
la Salle , ils firent ensemble une premiere revezence
, une feconde un peu plus avant
troifiéme avant que d'arriver au bas de l'Eftrade ,
où l'on donna un Carreau au nouveau Chevalier.
Le Duc de Sully alla reprendre fa place , s'affic
& le recouvrit , ayant fait tout ce qu'on vient
de dire découvert.
& Nne
Cependant le Sécretaire étoit paffé à côté de
la table , d'où il fit les interrogations accoûtumées
au nouveau Chevalier , qui avoit un genou
en terre . On lui demandà s'il avoit été armé Che
valier ? Il répondit que non . S'il vouloit l'être ? IL
xépondit qu'oui. Auffi- tôt une Ferfonne de Condition
, traverfant le Parquet , aporta une fort
belle Epée nue qu'il rémit au Marquis de Baufremont
, lequel arma Chevalier le Comte Jablonowski
en lui donnant trois coups de cette Epée ::
un fur l'Epaule droite , un autre fur la gauche
& le dernier encore ſur la droite ; il lui donna
enfuite à baifer le pommeau de l'Epée , & il le
baifa lui - même.
accom-
Le nouveau Chevalier paffa à côté de la table
, & fe mit à fur un carreau
genoux
pagné du Sécretaire auffi à genoux , & fit le ferment
fur la Croix & le S. Evangile. Il vint en-
"
fuite
FEVRIER: 1741. 409
fuite fe remettre fur un carreau aux pieds du Marquis
de Baufremont repréfentant le Roy d'Eſpagne ,
& le Sécretaire aporta le Colier de l'Ordre , enfermé
dans une Boette ouverte , qu'il mit fur un
Carreau. Le Marquis de Baufremont le prit par le
devant , & le Duc de Sully par le derriere & ils
le mirent enſemble au nouveau Chevalier , auquel
le repréfentant donna l'accolade des deux côtés :
Le Comte Jablonowski lui fit un petit compliment.
Le Duc de Sully étant à la gauche du Chevalier ,
après avoir fait tous deux une grande reverence
au repréfentant , le mena à tous les Chevaliers ,
fuivant leur rang leur faire une reverence , & les
embraffer.
Enfuite le Marquis de Baufremont dit , Meffieurs ,
la Convocation faite , les abfens font cenfez prefens ,
fur- tout ceux qui n'ont pas envoye s'excufer : Comme
ils peuvent encore venir couvrez vous ; & leur
place fût marquée fuivant leur ancienneté dans
P'Ordre ; on refta encore quelque- temps dans la
Salle à parler des affaires de l'Ordre , & puis cha
cun fe leva.
"
Toute la Cérémonie finie , le Marquis de Bau
fremont donna un grand & fplendide diner à tous
I's Chevaliers , aux plus proches Parens du Comte
Jablonowski , aux Ambaffadeurs d'Eſpagne , & des
Deux Siciles , & à plufieurs Perfonnes de diftinction
: On admira fur- tout la magnificence du Fruit,
où le voyoit dans le milieu l'Hiftoire de Jafon ,
soute repréfentée en Sucre transparent , accompa
gnée d'un côté , & de la même maniere , de celle
deGédeon;& de l'autre d'un autre fujet Hiftorique,
également convenable . Au deux extrémités étoient
les Armes de S. M. C. & celles du Roy de Polo .
gne , Duc de Loraine & de Bar ; & aux 4. coins
des Arbres chargés de Coliers de la Toifon d'Or
To MERCURE DEFRANCE
& d'autres Symbôles ,fufpendus ou portés par
differens Génies & c.
Sur le déclin du jour , tout l'Hôtel du Marquis
de Baufremont fut illuminé d'une maniere égale.
ment ingénieufe & fuperbe , tant en dedans qu'en
dehors , on peut dire enfin que jamais Cérémonie
de cette efpece n'a été faite avec plus d'ordre
de magnificence , & de véritable grandeur.
Le 9 Février , M. l'Archevêque de Paris donna
un Mandement portant permiffion de manger des
Oeufs durant le Carême,
Le même jour , le Parlement rendit un Arrêt fur
le même sujet , par lequel il eft dit ce qui fuit.
LA COUR a arrêté & ordonné que le Mande
hent de l'Archevêque de Paris fera exécuté ; & conformement
à icelui , permet. d'expoſer & vendre
des Oeufs dans les Marchés et Places publiques de
cette Ville et Fauxbourgs de Paris , et d'y en faire
aporter desProvinces, & à cette fin fera le préfentAr
rêt publié à fon de Trompe dans cette Ville de Paris
, et envoyé dans les Provinces à la diligence du
Procureur Gén. du Roy , pour y être pareillement
Publié, afin qu'il puiffe être connu aux Marchands ;
Enjoint à fes Subftituts d'y tenir la main. FAIT en
Parlement le 9. Février 14 1.Signé , DU FRANC .
· MORTS & MARIAGES.
E 8. Janvier 1741. Charles- Haac Boucher
Seigneur d'Orçay, Capitaine de Cavalerie dans
le Régiment d'Aumont , fils unique de feu Charles
Boucher , Seigneur d'Orçay , Maître des Requêtes,
& Intendant de la Généralité de Limoges , mort
14. Août 1730.âgé de 54 ans ; & de Dame Louife
Marie
FEVRIER. 1 418
·
1741
Marie de la Cropte de S. Abre , fa feconde femmes à préfent fa veuve , mourut à Paris au commences
ment de la 21 année de fon âge. Il laiffe pour hé ritieres fes deux Soeurs Germaines , nées d'une pre- miere femme , qui étoit D. Catherine du Breuil . Ces deux Dames fout Catherine Boucher d'Orçay , époufe de Leonord, Marquis de Pracontal, Lieute nant de Roy dans les Provinces de Nivernois & Donziois , ci-devant Sous - Lieutenant
de la Com → pagnie de Chevau- Legers de la Garde de S. M. & de Antoinette -Françoife Boucher d'Orçay , Epoufe de Pierre de Berenger , Comte de Charmes & du
Gua , Maréchal des Camps & Armées du Roy.
*
Le 11. Charles Porée , Jéfuite , Profeffeur de Rhétorique
au College de Louis le Grand depuis 33. ans , & qui s'étoit acquis une grande réputa tion , mourut dans ce College , âgé de 65. ans. Nous en parlerons plus amplement
ailleurs. Le 12. D. Marie - Anne - Urfule Amelot , Epoufe
de Henri-Charles de Saulx , Comte de Tavannes
& de Beaumont , Lieutenant
Géneral, & Com → mandant pour le Roy du Gouvernement
de la Pro
vince de Bourgogne , Maréchal de fes Camps & Armées, ci- devant Capitaine- Lieutenant de la Com- pagnie des Gendarmes
Flamans , avec lequel elle avoit été mariée le 3. Mars 1712. mourut à Dijon âgée de 49. ans. Elle étoit fille de Michel Amelot, Marquis de Gournay , Baron de Brunelles , Con- feiller d'Etat ordinaire , & Préfident du Confeil de Commerce , ci-devant Ambaffadear
Extraordinaire
à Veniſe , en Portugal , en Suiffe & en Ef pagne , mort le 21. Juin 1724. & de Catherine le
Pelletier de la Houffaye , morte le 18. Mai 1703. Elle laiffa , entr'autres enfans , Charles- Michel
Gafpard , apellé le Comte de Saulx , Colonel du Régiment de Quercy , par Commiffion
du 10. Janvic
412 MERCURE DE FRANCE
vier 1731. & Brigadier des Armées du Roy , da
15. Mars 1740. dont le Mariage avec Marie - Françoife
Cazimire de Froulay de Teffé, eft raporté dans
le Mercure de Mars 1734. p. 621. & une fille ma ·
riée avec le Marquis des Prez, du nom de Thibaut,
Gentilhomme du Baujolois , ainfi qu'on l'a annoncé
dans le Mercure de Janvier 1733. p . 187 .
Le 13. Jacques de Forbin de Janfon , Archevêque
& Primat d'Arles , Prince de Salon & de Mondra→
gon , Abbé Commandataire de l'Abbaye de S. Va-
Tery , O. S. B. D. d'Amiens , Docteur en Théologie
de la Faculté de Paris de la Maifon de Sorbonne
, mourut à Arles , âgé d'environ 69. ans.
Il avoit été d'abord Chanoine de l'Eglife de Beauvais
, & Vicaire Géneral de Touffaints de Forbin
de Janfon fon oncle , Cardinal , Evêque & Comte
de Beauvais , Pair de France : L'Abbaye de S. Va
lery , lui fut donnée le 26.Mars 1701. & il reçût le
Bonnet de Docteur en Théologie le 15.Mars 1709.
Il fut nommé à l'Archevêché d'Arles le Avril 1711
&facré le 2.Août fuivant dans l'Eglife Cathedrale de
Beauvais par l'Archevêque d'Aix , affifté des Evêques
de Caftres & d'Amiens , en préſence du
Cardinal de Janfon. Il prêta ferment de fidélité
entre les mains du Roy le rs du même mois ;
il fut Député de fa Province aux Affemblées Génerales
du Clergé de France , tenues à Paris en 1711 .
& 1725 Il étoit le cinquiéme & dernier fils de
Laurent de Forbin , Marquis de Janſon , Baron de
Villelaure , Seigneur des trois Emines , & c. Gouverneur
d'Antibes , qui avoit été Viguier de Marfeille
en 1653. & Meftre de Camp du Régiment
d'Auvergne en 165f . & qui mourut le 2. Juillet
1692. & de feue D. Genevieve de Briançon de la
Saludie. La Généalogie de Forbin est raportée
dans l'Hiftoire des grands Officiers de la Couronme
, tome S. p . 294.
,
FEVRIER: 1741 : 413
Le 14. Jacques-Jofeph de Gaufridi , Baron de
Trets , premier Avocat General du Parlement de
Provence , qui s'étoit acquis une grande réputation
dans l'exercice de cette Charge , qu'il a remplie
pendant plus de 39. années , y ayant été reçû
le 17. Octobre 1701. mourut à Aix , âgé de 66.
ans, 13. jours , étant né le premier Janvier 1674. It
étoit fils aîné de Jean-François de Gaufridi , Confeiller
au Parlement de Provence , & d'Anne de
Graffe de Moans , & petit-fils du célebre Jacques
Gaufridi , Préfident à mortier du même Parlement,
mort en 1684. âgé de 87. ans, lequel eft Auteur de
PHiftoire de Provence , qui a été achevée par fon
fils le Confeiller , & imprimée par les foins de
l'Abbé de Gaufridi , fon autre fils . L'Avocat Géneral
, qui vient de mourir , avoit époufé D. de
Roux de Sainte Efteve , de laquelle il laiffe deux
Fils , une Fille , veuve de . . . . d'Eftienne , Seigneur
du Bourguet , & quelques autres , Religieufes
.
·
Le 19. D. Françoife Morel , veuve depuis le 5 .
Août 1727. de Sebaftien Heudelor de Chazé , originaire
de Langres , Confeiller Secretaire du Roy,
Maifon , Couronne de France & de fes Finances
Garde des Rolles des Offices de France , mourut
à Paris , laiffant un fils , ci - devant Receveur Géne
ral des Finances de la Géneralité de Bourges &
une fille , nommée Denife - Françoife Heudelot de
Chazé , époufe de Michel Saulnier , Seigneur de
Condé , Préfident en la Cour des Aydes de Paris.
>
Le 22. Décembre de l'année derniere , Pierre-
Emmanuel de Cruffol , Marquis de Cruffol de Sene-
Aterre , âgé de 23. à 14. ans , Colonel du Régiment
'd'Infanterie de l'Ile de France , du 15. Avril 1738 .
fils de défunt François - Emmanuel de Cruffol
apellé le Marquis de Cruffol , Comte de Leftrange
414 MERCURE DE FRANCE
& de Leully , Baron de Privas , mort à l'âge de
25. ans , le 27. Septembre 1719. & de D. Marguerite
Colbert de Villacerffa veuve , épousa Dile
Charlotte Marguerite Fleuriau de Morville , âgée
de 15. à 16. ans , feconde fille de feu Charles-
Jean- Baptifte Fleuriau Comte de Morville , Chevalier
de l'Ordre de la Toifon d'Or , Gouverneur
& Grand Bailly de Chartres , ci-devant Ministre &
Sécretaire d'Etat , & de D. Charlotte - Marguerite
de Vienne la veuve .
>
› Le 29. du même mois Gui-André- Pierre
Marquis de Laval , âgé de 17. ans , fils de Gui
André Comte de Laval , Chef du nom & Armes de
cette Maifon , Marquis de Lezay , de Megnac , de
Treves & de la Mothe Fenelon , Comte de la Bigeotiere
& de Fontaine Chalendray , Baron de la
Pleffe premier Baron de la Marche , ci - devant
Colonel d'un Regiment d'Infanterie ; & de D.Marie-
Anne de Turmenyes de Nointel, Marquife Douairiere
de Bayers la Rochefoucaud , époufa Dlle .
Magdelaine- Jacqueline -Hortenfe de Bullion de
Fervaques , feconde fille d'Anne-Jacques de Bullion,
Marquis de Fervaques & de Gaillardon, Chevalier
des Ordres du Roy , Lieutenant General de
fes Armées , Gouverneur & Lieutenant Géneral
du Pays du Maine , Perche & Comté de Laval ; &
de D. Marie- Magdelaine-Hortenfe Gigault de
Bellefond. La Dlle. de Laval , foeur du nouveau
marié, avoit été mariée le 26. du même mois avec
Henri- François de Graves , Marquis de Solas , Baron
de Lattes , &c. Meftre de Camp de Cavalerie ,
Chevalier de l'Ordre de S. Louis , veuf de Marię-
Anne de Matignon, morte le 23. Janvier 1738.
TABLE.
IECES FUGITIVES. Ode , le Triomphe de
Pls
Vérité ,
203
Manifefte de l'Empereur de la Chine à préfent regnant
,
Notes fur ce Manifefte ,
208
218
Epitre Marotique à M.S. le premier jour de l'An , 222
Queftion importante,jugée au Parlem. de Paris, 226
Vers à M. Rigaud 234
Lettre à l'Auteur du Spectacle de la Nature , 236
IV. Lettre de M. Deftouches à M. l'Abbé D .... 256
Lettre fur le Flux & Reflux , par M. le Cat à M.Morand
,
Ode à M. le Préfident L ** *
XI. Lettre fur la Typographie ,
Les Nôces de Pirithous , Cantate ,
283
299
304
311
Lettre de M. Cocquart au fujet de la Tragédié de
Rodogune , 313
Etrennes au Dieu Mercure , 322
Enigme , Logogryphes , & c. 325
NOUVELLES LITTERAIRES DES BEAUX - ARTS ,
&c . Lettres de S. Ambroife , 328
Mémoires pour fervir à l'Hiftoire de Malthe , 330
Nouveaux Amuſemens du Coeur & de l'Eſprit , ibid.
Extrait d'une Lettre de l'Auteur de la Defcription
de la Haute Normandie à M. Maillart , 343
Mémoire de M. Morand , fur les Remedes de Mile
Stephens ,
344
Mémoire de M. Caffini , Acad . des Sciences , 350
Statuts & Reglemens de l'Académie de Dijon , 354
Vente de Bibliotheque , de P'Archevêque de Nar
bonne & de l'Evêque de Montpellier , 357
Nouv. Lunette pour les perfonnes qui louchent, 358
Eftampes nouvelles 359
Lettre fur une Médaille d'un Prince de la Maiſon
d'Eft ,
360
Chanson notée ;
364円
Spectacles. Extrait de Pigmalion ;
Nouvelles Etrangeres , Ruffie ,
Allemagne ,
365
371
Hambourg ,
Pruffe ,
Breflaw ,
373
375
376
382
386
Efpagne , Naples & Italie ,
Portugal , Isle de Corse & Grande - Bretagne , 387
France , Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 389
Concerts aux Tuilleries & chés la Reine , 391
Spectacle au Château des Tuilleries , annoncé par
le Chevalier Servandoni ,
Promotion de Maréchaux de France ,
391
ibid .
Réception du Comte Jablonowski dans l'Ordre de
la Toifon d'Or ,
Morts & Mariages ,
Errata de Janvier.
405
410
P Age 130 , avant derniere ligne , & de ce Livre des , lifez , de ce Livre & des.
Fantes à corriger dans ce Livre.
Page
Age 211. ligne 4. Riicariens , lise , Nicaniens ,
P. 220. 1. 19. chofe , l . chofes . P. 223. 1. 2. du
bas , à , l. a. P. 228. 1. derniere , fu , l. fut. P. 238.
1. 21. in expertis , 1. inexpertis. P. 250. 1. 20. qui a ,
1. qui en a . P. 253. l. 9. gravûre. Après , 1. gravûre
après. P. 254. 1. 13. fapiore, 1. Sapore. P. 264. 1. derniere
, dns , . des. P. 266. 1. premiere , amuſans ,
1. amufant. P. 270. 1. premiere , mom , l. mon. P,
346. 1. 4.Bomme , 7. homme . Ibid . 1. 29. très-environnate
, ôtez très , & lifez environnante . P. 3530
1. 11. Meraldi , L. Maraldi.
La Médaille gravée doit regarder la page
La Chanson notée , la page
360
364
Qualité de la reconnaissance optique de caractères